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Full text of "Opuscules de saint Thomas d'Aquin"

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OPUSCULES 


DE 


SAINT  THOMAS   D'AQUIN. 


Vu  les  traités  internationaux  relatifs  à  la  propriété  littéraire,  on  ne  peut 
réimprimer  cet  Ouvrage  sans  l'autorisation  des  Auteurs  ou  de  l'Editeur. 


BESANÇON,   TYPOGRAPHIE   D'OI'THENIN-CHALANDRE   Fil  *. 


OPUSCULES 


DE 


SAINT  THOMAS  D'AOUIN 


TRADUITS 


I.  VÉDRINE,  Cirkd'Arsac-la-Poste. 

I.  BANDEL,  Ciré  de  Saint-Sulpice-Ies-Feuilles, 

M.  F011RNET,  (iI-rk  dk  IHaimiat. 


TOME  CINQUIEME. 


EX  U5*!* 
ST,  BAS!  L'a  ^uiIUlaSIICi 


PARIS,"* 


^=i&*l  T~*a 


LIBRAIRIE  DE  LOUIS  VIVES,  ÉDITEUR, 

RUE   CASSETTE,   23. 

1858. 


SFP  15  toft 


r  v 


OPUSCULES 


DE 


SAINT  THOMAS  D'AOUIN. 


OPUSCULE  XLII. 

DU   MÊME   DOCTEUR,   SUR  LES   PUISSANCES   DE  i/AME. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Combien  il  y  a  cl' âmes ,  combien  de  degrés  d'êtres  vivants,  combien  de 
genres  de  puissances  de  l'ame ,  et  d'abord  de  l'ame  végétative. 

Pour  mieux  voir  le  secours  accordé  à  l'homme  et  le  progrès  du 
péché,  nous  allons  faire  quelques  considérations  sur  l'ame  et  ses 
puissances.  Avant  tout,  il  faut  supposer  avec  Aristote,  dans  le  livre  II 
de  l'Ame,  que  l'ame  est  le  premier  principe  de  vie  dans  les  choses 
inférieures.  Car  nous  appelons  vives  les  choses  animées,  et  non-vives 
les  choses  inanimées.  Cette  vie,  en  effet,  se  manifeste  par  une  double 
opération,  savoir  par  la  connoissance  et  le  mouvement.  C'est  pour- 
quoi les  philosophes  ont  recherché  la  nature  de  l'ame  à  l'aide  de  ces 
deux  choses.  Mais  je  ne  l'appelle  le  premier  principe  de  la  vie  que 
parce  que ,  bien  que  un  corps  puisse  être  le  principe  d'une  opération 
vitale,  comme  l'œil  de  la  vision,  et  le  cœur  d'une  opération  vitale,  il 

OPUSCULUM  XLII. 

EJUSDEM    DOCTORIS,    DE    POTENTHS   ANIMiE. 


CAPUT   PR1MUM. 

Quoi  sunt  animœ ,  quot  gradus  vitentiujn, 
quot  gênera  polentiarum  animœ.  Et  primo 
déterminai  de  vegelativa. 

Ut  adjutorium  homini  collatum  et  pro- 
gressum  peccati  plenius  videamus,  de  ani- 
ma et  ejus  potentias  aliquid  consideremus. 
In  primis  ergo  oportet  supponere  eu  m  Phi- 
losophe^ in  II.  De  anima,  quod  anima  est 

V. 


primum  principium  vitse  in  istis  rébus  in- 
ferioribus.  Animata  enim  viva  dicimus , 
inanimata  vero  non  viva.  Ista  enim  vita 
duplici  operatione  manifestatur,  cognitione 
scilicet  et  motu.  Unde  et  Philosophus,  ut 
patet  I.  De  anima,  per  ista  duo  animae  na- 
turam  investigaverunt.  Pro  tanto  autem 
dico  primum  principium  vitœ  ,  quia  licel 
aliquod  corpus  possit  esse  principium  vi- 
talis  operationis,  ut  oculus  visionis  et  cor 


2  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE    \. 

n'en  est  pas  néanmoins  le  premier,  parce  que  cela  ne  leur  convient 
pas  en  tant  que  corps,  mais  en  tant  que  corps  (Tune  certaine  façon, 
c'est-à-dire  corps  vivants,  qualité  qu'ils  tiennent  del'ame,  parce  ce  que 
C^_qui  est  tel  en  acte  tient  cette  qualité  de  quelque  principe  qui  est  son 
acte.  Donc  l'ame  qui  est  le  premier  principe  de  la  vie,  n'est  pas  un 
corps,  mais  un  acte  du  corps  et  quelque  chose  de  plus  élevé  que  le 
corps.  Or,  il  en  est  ainsi  maintenant,  suivant  Aristote,  dans  le  second 
livre  du  Ciel  et  du  Monde ,  que  les  choses  infîmes  dans  les  êtres  ne 
peuvent  pas  acquérir  une  bonté  parfaite,  mais  elles  en  acquièrent  une 
imparfaite  par  un  petit  nombre  de  mouvements,  tandis  que  les  choses 
supérieures  acquièrent  une  bonté  plus  parfaite  par  un  grand  nombre 
de  mouvements;  les  choses  encore  supérieures  acquièrent  la  bonté 
parfaite  par  un  petit  nombre  de  mouvements.  Enfin ,  la  souveraine 
perfection  se  trouve  en  ce  qui  possède  parfaitement  la  bonté  sans  au- 
cun mouvement.  Comme  donc  la  nature  humaine  est  placée  entre  la 
nature  corporelle  et  la  nature  angélique ,  elle  est  ordonnée  pour  un 
plus  grand  bien  que  la  nature  corporelle  qui  est  ordonnée  pour  un 
bien  particulier  quelconque,  parce  qu'elle  est  faite  pour  le  même  bien 
que  les  anges,  savoir  le  bonheur  ;  en  conséquence  elle  a  un  plus  grand 
nombre  de  vertus  et  d'opérations  que  les  êtres  corporels  qui  sont  or- 
donnés pour  un  bien  particulier,  et  que  les  anges  qui  l'excèdent  dans 
les  choses  naturelles.  Il  y  a  donc  dans  l'ame  plusieurs  puissances  qui 
lui  ont  été  données  pour  acquérir  la  béatitude  pour  laquelle  elle  est 
finalement  ordonnée.  Or,  ces  puissances  sont  distinguées  parles  puis- 
sances et  les  objets,  comme  il  est  dit  dans  le  second  livre  de  l'Ame. 
Car  la  puissance,  en  tant  qu'elle  est  puissance,  est  ordonnée  pour 
l'acte,  c'est  pourquoi  elle  doit  tirer  le  caractère  de  puissance  de  l'acte 
pour  lequel  elle  est  ordonnée.  D'où  il  résulte  que  lorsque  le  caractère 

vitalis  operationis,  non  tamen  est  primum,  j  bonitatem.  Quia  ergo  natura  humana  est 
quia  hoc  non  convemt  eis  in  quantum  inter  corporalem  et  angelicam  naturam 
sunt  corpora,  sed  in  quantum  sunt  talia  constituta,  ad  majus  bonum  est  ordinata, 
corpora  ,  scilicet  viva  ,  quod  habent  per  quam  natura  corporalis,  quse  ordinatur  ad 
animam,  quia  quod  est  actu  taie,  hoc  ha-  aliquod  particulare  bonum,  quia  ad  œquale 
bet  ab  aliquo  principio,  quod  est  actus  !  cum  angelis,  scilicet  ad  beatitudinem, 
ejus.  Anima  ergo  qua?  est  primum  princi-  j  idcirco  plures  habet  virtutes  et  operationes 
pium  vitae,  non  est  corpus,  sed  actus  cor-  j  quam  corporalia  quee  ordinantur  ad  bonum 
poris,  et  aliquid  corpore  altius.  Nunc  au-  particulare,  et  quam  angeli  qui  jam  in  na- 
tem  sic  est  secundum  Philosophum,  in  II.  '  turalibus  excedunt.  Sunt  ergo  in  anima 
Cœli  et  Muncli ,  quod  ea  quee  sunt  infîma  <  humana  plures  potentiae  ad  hoc  ut  conse- 
in  entibus,  non  possunt  consequi  perfectam  qui  possit  beatitudinem,  ad  quam  finaliter 
bonitatern,  sed  aliquam  imperfectam  con-  !  ordinatur.  IsUe  autem  potentiae  per  actus 
sequuntur  paucis  motibus.  His  vero  supe-  !  et  objecta  distinguuntur,  ut  dicitur  II.  De 
riora  consequuntur  perfectiorem  bonita-  \  anima.  Potentia  enim  secundum  id  quod 
tem  motibus  multis,  superiora  vero  bis  !  est  potentia ,  ordinatur  ad  actum  ,  unde 
perfectam  adipiscuntur  bonitatem  motibus  ''  oportet  rationem  potentiœ  accipere  ex 
paucis.  Summa  vero  perfectio  invenitur  in  '  actu  ad  quem  ordinatur  :  unde  ubi  diver- 
eo,  qui  absque  allô  motu  perfecte  possidet    sificatur  ratio  actus,  oportet  quod  diveisi- 


SUR    LES   PUISSANCES    DE    L'AME.  3 

de  l'acte  est  diversifié,  le  caractère  de  la  puissance  doit  l'être.  Or,  le 
caractère  de  l'acte  est  diversifié  suivant  le  caractère  de  l'objet,  comme 
il  est  dit  au  même  endroit.  En  effet ,  l'acte  de  la  puissance  active  est 
comparé  à  l'objet  comme  à  son  terme  et  à  sa  fin ,  comme  étant  la 
fin  de  l'action  augmentative  et  le  terme  tout  entier.  L'acte,  au  con- 
traire, de  la  puissance  passive  est  comparé  à  l'objet  comme  au  prin- 
cipe des  actes,  comme  la  vue  à  la  couleur;  or,  tout  acte  tire  son 
espèce  du  principe  et  de  la  fin.  Il  est  donc  évident  que  les  puissances 
de  l'ame  se  distinguent  par  les  actes  et  les  objets.  Comme  donc  vé- 
géter, sentir  et  comprendre  sont  des  actes  différents  par  rapport  aux 
différents  objets,  parce  que  végéter  est  quantité  par  rapport  à  l'objet, 
sensibilité  qualité,  et^ntelligence  quiddité  de  la  chose,  il  est  clair  que 
l'ame  possède  trois  genres  de  puissances  en  général ,  savoir  la  puis- 
sance végétative,  la  puissance  sensitive  ,  et  la  puissance  intellective. 
Et  qu'on  ne  cherche  pas  à  savoir ,  pour  le  présent,  si  elles  existent 
dans  uke  seule  espèce  de  l'ame  ou  dans  plusieurs,  parce  que  de  quel- 
que manière  qu'on  le  dise,  elles  sont  toujours  dites  d'une  manière 
quelconque  puissances  de  l'ame  humaine,  parce  que,  quoique  trois 
substances,  elles  ne  sont  cependant  pas  trois  âmes.  Mais  Aristote 
semble  être  d'un  sentiment  différent,  dans  le  livre  II  de  l'Ame,  où  il 
dit  :  «  Nous  appelons  les  puissances  de  l'ame  puissances  végétative, 
sensitive,  appétitive,  motive  quant  au  lieu ,  et  intellective.  »  Mais  il 
ne  faut  pas  s'en  inquiéter,  car,  à  proprement  parler  il  y  a  trois  âmes, 
quatre  modes  de  vivre  et  cinq  genres  de  puissances  de  l'ame.  En  effet, 
la  diversité  des  âmes  se  lire  de  ce  que  l'opération  de  l'ame  surpasse 
l'opération  de  la  nature  corporelle.  Car  on  juge  que  j'ame  est  plus  ou 
moins  noble  et  plus  ou  moins  pjirfaite,  suivant  que  l'opération  de 
l'ajne-^st-pIûrs_oujnc>ins  a^ejidâûteudu^corpj^  Or,  l'ame  raisonnable 


ficetur  ratio  potentiœ,  ratio  autem  actus 
secundura  diversam  rationem  objecti  di- 
versificatur ,  ut  dicitur  in  eodem.  Actus 
enim  potentise  activre  comparatur  ad  ob- 
jecturn  ut  ad  terrninum  et  finem  ejus,  ut 
actionis  augmentativae  est  finis,  et  termi- 
nus est  ipsum  quantum.  Actus  autem  po- 
tentiee  passives  comparatur  ad  objectum  , 
ut  ad  principium  activum,  ut  visus  ad  co- 
lorem;  ex  principio  autem  et  fine  omnis 
actus  recipit  speciem.  Patet  ergo  quod  po- 
tentiae  animes  distinguuntur  per  actus  et 
objecta.  Quia  ergo  vegetare,  sentire  et  in- 
telligere  sunt  diversi  actus  respectu  diver- 
sorum  objectorum  ,  quia  vegetare  est 
quanti  ut  objecti,  et  sensus  qualis,  iutel- 
lectus  autem  quidditas  rei  ,  patet  quod 
anima  habet  tria  gênera  potentiarum  in 
generali,  scilicet  vegetativum  ,  sensitivum 
et  inteUectivum.  Nec  ad  pressens  fiât  vis, 


utrum  sint  in  una  essentia  animae  ,  vel  in 
diversis  ,  quia  qualitercumque  dicatur  , 
semper  aliquo  modo  dicuntur  potentias 
animas  humanae,  quia  etsi  sint  très  sub- 
stantiae,  non  tamén  très  animse.  Sed  contra 
hoc  videtur  esse  Philosophus,  II.  De  anima, 
ubi  dicit,  potentias  autem  animse  dicimus 
vegetativum,  sensitivum,  appetitivum,  mo- 
tivum  secundum  locum  et  inteUectivum. 
Sed  istud  non  moveat  nos,  quia  si  volutnus 
proprie  loqui,  très  sunt  animas  et  quatuor 
modi  vivendi  ,  et  qumque  gênera  poten- 
tiarum animée.  Diversitas  enim  animarum 
accipitur  secundum  quod  operatio  animas 
supergreditur  operationem  natures  corpo- 
ralis.  Secundum  enim  quod  operatio  ipsius 
animas  magis  aut  minus  dependet  a  cor- 
pore  ,  secundum  hoc  nobilior  aut  imper- 
fectior  anima  judicatur.  Anima  autem  ra- 
tionalis  in  tantum  excedit  naturam  corpo- 


4  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE    1. 

excède  la  nature  corporelle,  par  cela  qu'elle  exerce  son  opération 
propre  sans  organe  corporel.  Mais  l'ame  sensible  dépend  davantage 
de  la  matière  corporelle,  parce  qu'elle  ne  peut  exercer  son  opération 
sans  organe  corporel  ;  néanmoins  elle  n'exerce  pas  cette  opération  au 
moyen  d'une  qualité  corporelle,  d'où  il  suit  que  les  sens  n'exercent  pas 
leur  action  au  moyen  du  chaud ,  de  l'humide,  du  froid  et  du  sec, 
quoique  ces  qualités  soient  requises  pour  la  composition  ou  la  dispo- 
sition de  l'organe  par  le  moyen  duquel  s'exerce  l'opération.  Quant  à 
l'ame  végétative,  elle  est  tellement  plongée  dans  la  matière  qu'elle 
exerce  son  opération  corporelle  par  un  organe  et  une  qualité  corpo- 
relle. Elle  excède  néanmoins  la  nature  corporelle  en  ce  que  elle  est  le 
principe  intrinsèque  des  opérations  des  êtres  vivants,  tandis  que  les 
opérations  des  corps  inanimés  procèdent  d'un  principe  intrinsèque. 
Que  l'opération  de  l'ame  végétative  s'opère  par  une  qualité  corporelle, 
c'est  ce  que  l'on  voit,  en  propres  termes,  dans  le  livre  second  de 
l'Ame,  où  il  est  dit,  que  la  digestion  et  toutes  les  suites  de  la  diges- 
tion s'opèrent  par  le  moyen  de  la  chaleur  régularisée  par  l'ame;  c'est 
donc  par  cette  considération  que  les  âmes  sont  distinguées.  Pour  les 
modes  de  vivre,  ils  sont  distingués  suivant  les  divers  degrés  des  êtres 
vivants.  En  effet,  il  y  a  certaines  choses  qui  n'ont  que  la  vertu  végé- 
tative ,  comme  les  plantes  ;  il  en  est  d'autres  dans  lesquelles  avec  la 
force  végétative  se  trouve  la  puissance  sensitive  sans  mouvement, 
comme  les  animaux  imparfaits,  les  eoquillages  et  autres  choses  de 
cette  nature.  Il  en  est  d'autres  qui  à  ces  qualités  ajoutent  le  mouve- 
ment local ,  comme  les  animaux  parfaits,  tels  que  le  cheval  et  autres 
de  ce  genre.  Il  en  est  d'autres  en  qui  se  trouve  l'intelligence  ,  comme 
dans  les  hommes,  et  par  cette  considération  l'appétitif  ne  constitue 
pas  un  degré  d'êtres  vivants,  parce  qu'il  se  trouve  partout  où  se  trouve 


ralern,  quod  propriam  operationem  suam 
exercet  sine  organo  corporali.  Anima  au- 
tem  sensibilis  dépendit  a  raateria  corporali 
plus,  quia  suam  operationem  exercere  non 
potest  sine  organo  corporali ,  sed  tamen 
istam  operationem  non  exercet ,  mediante 
qualitate  corporea,  unde  sensus  suam  ope- 
rationem non  exercet  mediante  calido,  hu- 
mido,  frigido  et  sicco,  licet  istœ  qualitates 
requirantur  ad  compositionem,  seu  dispo- 
sitionem  organi,  per  quod  operationem 
suam  exercet.  Anima  vero  vegetabilis  ita 
est  immersa  materiœ  ,  quod  per  organum 
corporale  et  per  qualitatem  corpoream 
suam  operationem  exercet.  In  hoc  tamen 
excedit  naturam  corporalem,  quia  est  prin- 
cipium  intrinsecum  operationum  vivorum, 
operationes  vero  corporum  inanimatorum 
sunt  a  principio  extrinseco.  Quod  autem 


operatio  animée  vegetativee  fiât  per  quali- 
tatem corpoream,  aperte  habetur  II.  De 
anima,  ut  dicitur,  quod  digestio  et  omnia 
quae  digestionem  consequuntur ,  fiunt  vir- 
tute  caloris  ab  anima  regulati;  per  hanc 
ergo  considerationem  animae  distinguuntur. 
Modi  vero  vivendi  distinguuntur  secundum 
gradus  diversos  viventium.  Sunt  enim 
qusedam  quae  solum  habent  vegetativum, 
ut  planta)  ;  qusedam,  in  quibus  cum  vege- 
tativo  invenitur  sensitivum  tantum  sine 
motu,  ut  animalia  imperfecta  immobilia, 
ut  conchilia  et  hujusmodi.  Alia  sunt, 
quae  cum  istis  habent  motum  localem  , 
ut  animalia  perfecta ,  ut  equus  et  hu- 
jusmodi. Alia  sunt,  in  quibus  invenitur 
intellectus,  ut  in  hominibus,  et  per  istam 
considerationem  appetitivum  non  consti- 
tuit  aliquem  gradum  viventium  ,  quia  in 


SUR   LES   PUISSANCES  DE   l'aaIE.  5 

le  sensitif,  comme  on  voit  dans  le  livre  second  de  l'Ame.  Mais  si  nous 
considérons  les  genres  des  puissances ,  elles  se  trouvent  distinguées 
par  la  diversité  des  objets.  En  effet ,  moins  la  puissance  a  rapport  à 
un  objet  universel,  plus  elle  est  inférieure.  C'est  pourquoi  le  végétatif 
se  rapporte  au  corps  uni,  parce  qu'il  ne  circule  que  par  ce  corps.  Le 
sensitif,  au  contraire ,  ne  se  rapporte  pas  seulement  au  corps  uni, 
mais  à  un  corps  sensible  uni  ou  non.  Pour  l'intellectif,  il  se  rapporte 
généralement  à  tout  être,  par  cela  que  tout  être  est  intelligible.  C'est 
pourquoi  la  puissance  végétative  est  inférieure,  la  puissance  sensitive 
supérieure,  mais  la  puissance  intellective  suprême,  et  nous  avons 
ainsi  trois  puissances  de  l'ame  prises  suivant  les  rapports  de  l'union 
des  choses  avec  l'ame.  Au  contraire,  suivant  que  l'ame  est  unie  aux 
choses,  nous  avons  deux  puissances,  parce  que  suivant  que  l'ame  est 
inclinée  à  une  chose  extrinsèque  ,  comme  à  sa  fin,  qui  est  le  principe 
dans  l'intention '",  ou  trouve  l'appétitif;  le  mobile,  quant  au  lieu,  se 
reconnoît  lorsque  l'ame  est  inclinée  vers  une  chose  extérieurej  comme 
au  terme  de  son  opération  et  du  mouvement.  Nous  allons  parler 
d'abord  de  l'ame  et  de  la  puissance  végétative. 


CHAPITRE  II. 

De  l'ame  végétative  et  de  ses  puissances. 

Il  faut  d'abord  remarquer  que  l'ame  végétative  est  ainsi  appelée 
de^ége'ier_.oil^vivifœr.  En  effet,  vivre  se  prend  de  deux  manières, 
comme  il  est  dit  dans  le  second  livre  de  l'Ame.  Premièrement,  vivre 
est  l'acte  premier  de  l'être  vivant ,  et  dans  ce  sens  vryre^asi  la  même 
chose  que  avoir  la  vie,  ou  être  vivant,  et  ainsi  vivre  pour  les  vivants 
c'est  être,  comme  il  est  dit  au  second  livre  de  l'Ame.  Dans  un  autre 


quibuscumque  invenitur  sensitivum,  inve- 
nitur  appetitivum,  ut  patet  in  II.  De  ani' 
ma.  Si  vero  consideremus  gênera  potentia- 
rum,  sic  distinguuntur  secundum  diversi- 
tatem  objectorum.  Quanto  enim  potentia 
respicit  minus  universale  objectum  ,  tanto 
est  inferior  :  unde  vegetativum  est  respec- 
tu  corporis  uniti,  quia  non  currit,  nisi 
corpus  sibi  unitum.  Sensitivum  autem  non 
solum  corpus  sibi  unitum,  sed  corpus  sen- 
sibile  respicit  sivc  unitum  ,  sive  non.  In- 
tellectivum  autem  respicit  omne  ens  gene- 
raliter,  eo  quod  omne  ens  est  intelligibile  ; 
ideo  inferior  est  potentia  vegetativa ,  su- 
perior  sensitiva,  sed  suprema  intellectiva  , 
et  sic  habemus  très  potentias  animœ  ac- 
ceptas secundum  quod  res  eonjungitur  ipsi 
animte.  Secundum  vero  quod  e  contrario 
anima  eonjungitur  ipsis  rébus  ,  habemus 


duas  potentias ,  quia  secundum  quod  ani- 
ma inclinatur  ad  rem  extrinsecam ,  ut  ad 
finem,  qui  est  principium  in  intentione,  ac- 
cipitur  appetitivum.  Secundum  vero,  quod 
inclinatur  ad  rem  extra,  ut  in  terminum 
suae  operationis  et  motus ,  accipitur  moti- 
vum  secundum  locum.  De  vegetativa  ani- 
ma et  potentia  prius  considerandum  est. 

CAPUT  II. 

De  anima  vegetativa  et  ejus  potentiis. 
Advertendum  tamen  prius,  quod  dicitur 
anima  vegetabilis  a  vegetando  sive  vivili- 
cando.  Vivere  enim ,  ut  II.  De  anima  ha- 
betur ,  dupliciter  accipitur.  Uno  modo, 
vivere  est  actus  primus  ipsius  viventis,  et 
secundum  hoc  vivere  idem  est  quod  ha- 
bere  vitam,  vel  vivum  esse ,  et  sic  vivere 
viventibus  est  esse,  ut  dicitur  II.  De  anima. 


6  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE   2. 

sens  vivre  signifie  user  de  la  vie,  ou  exercer  les  œuvres  de  la  vie. 
Vivre,  dans  le  premier  sens,  provient  de  l'ame  végétative  en  tant 
qu'elle  est  une  forme  substantielle  et  un  acte  du  corps  ;  mais  dans  le 
second  sens ,  elle  provient  du  végétatif  en  tant  que  puissance.  En 
conséquence,  en  parlant  du  végétatif  comme  puissance,  Aristote  dit, 
dans  le  second  livre  de  l'Ame,  que  §es_orjérations  sont  la  génération, 
l'usage  des  aliments  et  l'accroissement.  Car,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  la 
puissance  végétative  a  pour  objet  le  corps  où  elle  est,  auquel  corps 
trois  choses  sont  nécessaires.  La  première,  qu'il  possède  l'être,  et  c'est 
à  quoi  est  ordonnée  la  puissance  génératrice  ;  la  seconde  qu'il  possède 
l'être  parfait,  c'est  à  cela  qu'est  ordonnée  la  puissance  d'accroisse- 
ment; ta  troisième,  qu'il  soit  conservé  dans  l'état  convenable,  et  c'est 
à  quoi  èsf  coordonnée  la  puissance  nutritive.  Or  entre  ces  puissances 
la  puissance  génératrice  est  la  plus  noble,  comme  il  est  dit  dans  le 
second  livre  de  l'Ame,  parce  que  les  puissances  nutritive  et  augmen- 
tative  servent  à  la  puissance  générative,  et  la  puissance  nutritive  à. 
l'augmentative.  De  même,  parce  que  la  puissance  génératrice  exerce 
en  quelque  sorte  son  opération  sur  le  corps  cTune  manière  extérieure, 
puisque  elle  n'engendre  pas  le  corps  dans  lequel  elle  se  trouve ,  mais 
un  autre,  ellese  rapproche  davantage  de  la  génération  de  l'ame  sen- 
sitive,  qui  a  son  opération  dans  les  choses  extérieures.  La  puissance 
nutritive,  <\\ù  esl  L'  principe  de  la  conservation  «les  êtres  vivants  en 
réparant  les  déperditions,  possède  quatre  forces  qui  sont  appelées 
naturelles,  savoir,  la  force  d'attraction  qui  attire  l'aliment  nutritif 
du  corps;  la  force  de  rétention  qui  le  retient  jusqu'à  ce  que  il  soit  di- 
géré; la  force  de, digestion  qui  digère  ce  que  la  puissance  attractive  a 
attiré,  et  la  puissance  de  rétention  a  retenu;  la  force  de  répulsion 
qui  expulse  le  résidu  inutile  des  aliments.  Ces  forces  opèrent  par  le 


Alio  modo,  dicitur  vivere  uti  vita ,  vel 
exercere  opéra  vitae.  Vivere  primo  modo 
dictum  est  ab  anima  vegetativa  prout  est 
forma  substantialis  et  actus  corporis  ,  sed 
secundo  modo  acceptum  est  a  vegetativo  , 
prout  est  potentia.  Loquendo  ergo  de  ve- 
getativo ut  est  potentia,  dicit  Philosophus, 
II.  De  anima,  quod  ejus  operationes  sunt 
generare,  alimento  uti ,  et  augmentum. 
Sicut  enim  dictum  est,  potentia  vegetativa 
habet  pro  objecto  corpus  in  quo  est ,  ad 
quod  corpus  tria  sunt  necessaria.  Unum 
est  quod  habet  esse ,  et  ad  hoc  ordinatur 
generativa.  Aliud  est ,  quod  habeat  esse 
perfectum  ;  et  ad  hoc  ordinatur  aug- 
mentativa.  Aliud  est,  quod  in  statu  de- 
bito  conservetur,  et  ad  hoc  ordinatur  nu- 
tritiva.  Inter  istas  autem  potentias  genera- 
tiva est  nobilior,  ut  dicitur  II.  De  anima, 


quia  nutritiva  et  augmentativa  deserviunt 
generativae  ,  nutritiva  vero  augmentativae. 
Item ,  quia  generativa  exercet  suam  ope- 
rationem  quodammodo  in  corpus  exterius, 
quia  non  générât  corpus  in  quo  est,  sed 
aliud  magis  accedit  ad  generationem  anima? 
sensitivae,  quae  habet  operationem  suam  in 
res  exteriores.  Nutritiva  ,  quae  est  princi- 
pium  conservation is  viventium  per  restau- 
rationem  deperditi,  habet  quatuor  vires, 
quae  naturales  appellantur,  scilicet  attrac- 
tivam,  quae  attrahit  aiimentum  nutritivum 
corporis;  retenti vam,  quae  illud  retinet  do- 
nec  digeratur  ;  digestivam ,  quae  illud  di- 
gerit  quod  attractiva  attraxit  et  retentiva 
retinuit  ;  expulsivam ,  quae  residuum  ex 
nutrimento  superfluum  expellit.  Hee  per 
quatuor  qualitates  primas  operantur.  At- 
tractiva  enim   operatur  per  calidum   et 


SUR   LES   PUISSANCES   DE   L'AME.  7 

moyen  de  quatre  qualités  premières.  La  force  d'attraction  opère  par 
le  chaud  et  le  suc ,  la  force  de  rétention  par  le  froid  et  le  sec  ;  la  force 
de  digestion  par  le  chaud  et  l'humide,  et  la  force  d'expulsion  par  le 
froid  et  l'humide.  La  force  augmentative  est  le  principe  de  l'accrois- 
sement du  corps  et  de  la  perfection  de  la  quantité  voulue.  La  force 
génératrice  est  le  principe  de  la  production  de  son  semblable  tel  que 
l'on  est,  comme  l'homme  de  l'homme  ,  la  plante  de  la  plante.  Cette 
puissance  génératrice  possède  trois  forces  suivant  Avicenne.  La  pre- 
mière est  la  force  jéminale  qui  produit  la  semence  dans  les  mâles  et 
les  femelles  ;  la  seconde  est  la  force  translormairice  ^ui  produit  le 
mélange  des  qualités  qui  existent  dans  les  semences  en  les  appro- 
priant à  la  complexion  de  chaque  membre  du  corps  à  former  ;  la  troi- 
sième est  la  force  formatrice  qui ,  de  ces  semences  ainsi  mélangées, 
forme  des  membres  et  leur  donne  leur  configuration  respective. 

CHAPITRE  III. 
De  la  puissance  sensitive  et  des  cinq  sens  extérieurs. 

Après  avoir  parlé  de  la  puissance  végétative,  nous  allons  passer  à 
la  puissance  sensitive.  Or  cette  puissance  sensitive  se  divise  en  force 
appréhensive  et  force  motrice.' La  force  sensitive  appréhensive  se  di- 
vise en  appréhensivé  extérieurement  et  appréhensive  intérieurement. 
L'appréRensive  extérieurement  se  divise  en  cinq  sens  extérieurs.  La 
distinction 'des  sens,  suivant  Aristote,  doit  se  tirer  de  ce  qui  ap- 
partient par  soi  au  sens.  Or,  ce  qui  appartient  par  soi  au  sens  est 
l'objet  extérieur  ou  sensible  par  lequel  le  sens  est  destiné  à  être 
changé.  C'estpourquoi  ces  cinq  sens  sont  déterminés  par  la  diversité  des 
transformations  du  sens  par  l'objet  sensible.  Il  y  a  Qjeux  transforma- 


sjccum.  Retentiva  per  frigidum  et  siccum. 
Digestiva  per  calidum  et  humidum.  Ex- 
pulsiva  per  frigidum  et  humidum.  Vis 
vero  augmentativa  est  principium  cre- 
menti  corporis  et  perfectionis  debitae 
quantitatis.  Vis  autem  generativa  est 
principium  producendi  de  se  taie  quale 
ipsum  est,  ut  ex  homine  hominem  ,  plan- 
tain ex  planta.  Heec  vis  generativa  habet 
très  vires  secundum  Avicennam.  Prima  est 
seminativa,  quae  in  masculis  et  fœminis 
semen  générât.  Secunda  est  immutativa, 
quae  virtutes  quae  sunt  in  seminibus  per- 
miscet ,  contemperando  secundum  quod 
complexioni  cujuslibet  membri  corporis 
formandi  convenit.  Tertia  est  formativa, 
quae  ex  sic  permixtis  seminibus  membra 
format  et  configurât. 


CAPUT  III. 

De  polenlia  sensiliva,  et  quinque  sensibus  ex- 
terioribus. 

Viso  de  potentia  vegetabili,  videamus  de 
sensibili  potentia.  Hœc  autem  potentia  sen- 
sibilis  dividitur,  quoniam  quaedam  est  ap- 
prehensiva,  et  quaedam  motiva.  Appreben- 
siva  autem  sensibilis  dividitur  in  appre- 
hensivam  deforis  et  in  apprehensivam 
deintus.  Apprehensiva  deforis  dividitur  in 
quinque  sensus  exteriores.  Horum  autem 
distinctio  secundum  Philosophum  acci- 
pienda  est  secundum  illud,  quod  per  se  ad 
sensum  pertiuet.  Illud  autem  quod  per  se 
ad  sensum  pertinet,  est  objectum  exterius, 
scilicet  sensibile ,  a  quo  sensus  natus  est 
immutari.  Unde  secundum  diversitatem 
immutationum  sensus  ab  exteriori  sensi- 


OPUSCULE     XLII,    CHAPITRE    3. 

tions  :  l'une,  en  tant  que  forme  AHmmutation  ou  similitude  de  forme, 
est  reçue  dans  la  chose  transformée  suivant  l'être  naturel ,  comme  la 
chaleur  dans  l'objet  réchauffé.  L'autre  est  une  immutation  spirituelle, 
comme,  par  exemple,  lorsque  la  similitude  de  l'être  transformant  est 
reçue  dans  l'objet  transformé  suivant  l'être  spirituel,  comme  la  res- 
semblance de  la  couleur  dans  la  prunelle  qui  n'en  est  pas  colorée.  Or, 
l'im mutation  spirituelle  est  essentielle  au  sens,  parce  que  sans  cela  il 
n'y  a  point  de  sens;  c'est  pour  cela  que  les  corps  spirituels  ne  sentent 
pas,  quoiqu'ils  soient  transmués  naturellement ,  et  parce  qu'ils  ne  le 
sont  pas  spirituellement.  Il  y  a  donc  des  sens  dans  lesquels  on  trouve 
l'immutation  purement  spirituelle,  comme  dans  la  vue.  Dans  d'autres, 
au  contraire,  avec  l'immutation  spirituelle  on  trouve  aussi  l'immuta- 
tion naturelle.  Or  cela  peut  arriver  ou  du  côté  de  l'organe  ou  du  côté 
de  l'objet.  Du  côté  de  l'objet  l'immutation  naturelle  peut  se  faire  de 
deux  manières,  ou  relativement  au  son,  comme  on  le  voit  dans  l'ouïe, 
dont  l'objet  est  le  son  qui  est  produit  par  la  percussion  et  l'ébranle- 
ment de  l'air.  L'immutation  du  côté  de  l'objet  peut  arriver  d'une 
autre  manière  par  l'altération ,  comme  on  le  voit  dans  l'odorat,  dont 
l'objet  est  l'odeur  qui  est  produite  en  lui,  parce  que  la  chaleur  altère 
un  corps  spécial  qui  exhale  une  odeur  dont  il  est  le  signe,  parce  que 
l'odeur  se  fait  sentir  davantage  dans  l'été.  L'immutation  naturelle 
peut  se  faire  d'une  autre  manière  du  côté  de  l'organe ,  et  c'est  ce  qui 
arrive  dans  le  tact  et  legoùt.  Car  la  main  qui  touche  un  objet  chaud 
devient  chaude  elle-même,  et  la  langue  s'humecte  par  l'humidité  de 
la  saveur. 

Or  la  distinction  de  ces  deux  sens  se  tire  de  ce  que,  quoique  le  sens 
du  goût  suive  le  sens  du  tact  dans  la  langue,  il  ne  le  fait  pas  néan- 
moins toujours  et  partout.  Ou  bien  nous  pouvons  dire  que  l'organe 


bili,  accipiuntur  isti  quinque  sensus.  Est 
autem  duplex  immutatio.  Una  ,  in  quan- 
tum forma  irnmutationis ,  vel  similitudo 
forma?  accipitur  in  immutato  secundum 
esse  naturale,  ut  calor  in  calefacto.  Alia 
est  spiritualis  immutatio ,  scilicet  quando 
similitudo  immutantis  recipitur  in  immu- 
tato secundum  esse  spirituale ,  ut  simili- 
tudo coloris  in  pupilla ,  quae  non  sit  per 
heec  colorata.  Spiritualis  autem  immutatio 
essentialis  est  sensui,  quia  sine  illa  non  est 
sensus,  propter  quod  naturalia  corpora  non 
sentiunt  ,  licet  immutentur  naturaliter, 
quia  non  immutantur  spiritualiter.  Est 
ergo  aliquis  sensus,  in  quo  invenitur  im- 
mutatio spiritualis  solum  ut  in  visu.  In 
quibusdam  autem  cum  immutatione  spiri- 
tuali  invenitur  immutatio  naturalis;  hoc 
autem  potest  esse  vel  ex  parte  organi  vel 
ex  parte  objecti.  Ex  parte  objecti  potest 


esse  immutatio  naturalis  dupliciter  ,  vel 
secundum  sonum,  ut  patet  in  auditu,  cujus 
objectum  est  sonus ,  qui  causatur  ex  per- 
cussione  et  aeris  commotione.  Alio  modo 
potest  contingere  immutatio  ex  parte  ob- 
jecti secundum  alterationem  ,  ut  patet  in 
olfactu,  cujus  objectum  est  odor,  qui  cau- 
satur ex  eo  ,  quod  calidum  altérât  corpus 
ad  hoc,  quod  spiret  odorem,  cujus  signum 
est,  quod  odor  magis  sentitur  in  sestate. 
Alio  modo  potest  esse  immutatio  naturalis 
ex  parte  organi,  et  hoc  contingit  in  tactu 
et  gustu.  Manus  enim  tangens  calidum  ca- 
lefit ,  et  lingua  humectatur  per  humidita- 
tem  saporis. 

Horum  autem  duorum  sensuum  distinc- 
tio  ex  hoc  sumitur ,  quod  licet  sensus  gus- 
tus  comitetur  sensum  tactus  in  lingua, 
non  tamen  ubique.  Vel  possumus  dicere, 
quod  organum  tactus  immutatur  primo  et 


SUR  LES   PUISSANCES   DE   L'AME.  9 

du  tact  est  immué  d'abord  et  par  soi  par  la  qualité  qui  lui  est  ob- 
jectée proprement,  tandis  que  l'organe  du  goût  ne  l'est  que  par  celle 
qui  lui  est  préliminaire,  ce  qui  fait  que  la  langue  ne  devient  pas 
douce  ou  amère,  mais  numide  ou  sèche.  La  vue  est  ainsi  définie  par 
Damascène,  livre  II ,  chap.  18  :  «  La  vue  est  le  premier  sens,  dont  les 
organes  sont  les  nerfs  et  les  yeux,  parce  qu'ils  procèdent  du  cerveau; 
il  sent  suivant  la  première  raison  de  la  couleur ,  mais  il  distingue  le 
corps  coloré  de  la  couleur.  »  Or,  il  est  dit  le  premier  sens,  non  par 
rapport  à  la  constitution  de  l'animal ,  car  dans  ce  sens  le  tact  est  le 
premier  sens,  comme  il  est  dit  dans  le  second  livre  de  l'Ame,  mais 
par  rapport  h  l'appréhension ,  et  aussi  parce  qu'il  est  le  premier  en 
dignité.  D'où  il  est  évident  que  les  yeux  sont  l'organe  le  plus  pro- 
chain e  l  intrinsèque  de  la  vue;  mais  les  nerfs  visuels  sont  l'organe 
intrinsèque  et  premier,  et  son  objet  est  la  couleur.  L'ouïe  est  la  force 
ordonnée  dans  les  nerfs  tendres  procédant  du  cerveau ,  pour  saisir  le 
son  produit  par  la  commotion  de  l'air  interposé  entre  la  cause  et 
l'objet  de  la  percussion.  Or  l'objet  de  l'ouïe  est  le  son ,  qui  doit  im- 
muer l'ouïe  par  cela  qu'il  doit  toucher  l'air  à  l'état  de  repos' dans  la 
cavité  du  nerf  auditif.  L'odorat  est  la  force  ordonnée  dans  la  partie 
antérieure  du  cerveau,  dont  les  organes  sont  les  narines,  et  deux  par- 
ties molles  semblables  à  des  mamelons  J  par  le  moyen  desquelles  il 
renvoie  au  cerveau  l'odeur  qui  lui  a  été  transmise  par  l'air,  auquel 
cette  odeur  vient  se  mêler.  Le  goût  est  la  force  ordonnée  dans  le  nerf 
qui  tapisse  toute  la  surface  de  la  langue  pour  saisir  les  différentes 
saveurs  qui  émanent  des  corps  en  contact  avec  elle.  Le  tact  est  la  force 
disséminée  dans  les  os,  la  chair  et  la  peau.  C'est  par  lui  que  l'on 
éprouve  la  chaleur,  le  froid,  l'humidité,  la  sécheresse,  la  dureté,  le 
moelleux,  l'aspérité,  la  finesse.  Aristote  dit,  dans  le  second  livre  de 


per  se  a  qualitate,  quas  objicitur  sibi  pro- 
prie, sed  organum  gustus  ab  illa  quœ  pne- 
ambula  est  illi.  Unde  lingua  non  fit  dulcis, 
vel  amara,  sed  humectosa  vel  sicca.  Visus 
sicdiffinitura  Damasceno,  lib.  Il,  cap.  xvni: 
«  Visus  est  prim us  sensus,  cujus  organasunt, 
quia  ex  cerebro  progrediuntur  nervi  et 
oculi ,  et  sentit  secundum  rationem  pri- 
mant coloris,  dignoscit  autem  et  cum  co- 
lore coloraturn  corpus.  »  Dicitur  autem  pri- 
mus  sensus ,  non  in  constituendo  animal, 
quia  sic  tactus  est  primus  sensus,  ut  dici- 
tur II.  De  anima,  sed  in  apprehendendo, 
et  etiam  quia  prior  est  dignitate.  Unde 
patet  quod  organum  proximum  et  extrin- 
secum  visus  sunt  oculi  ;  primum  autem  et 
intrinsecum  sunt  nervi  visuales,  istius  au- 
tem objectum  est  color.  Auditus  est  vis 
ordinata  in  nervis  mollibus  a  cerebro  pro- 


cedentibus  ad  apprehendendum  sonum  cau- 
satum  ex  aeris  commotione  constricti  inter 
percutiens  et  percussum.  Objectum  autem 
auditus  est  sonus,  qui  habet  immutare 
auditum  per  hoc  quod  habet  tangere  ae- 
rem  quietum  collectum  in  concavitate 
nervi  auditus.  Olfactus  est  vis  ordinata  in 
anteriori  parte  cerebri ,  cujus  organi  sunt 
nares  et  dua?  mollities  similes  capitibus 
mamillarum ,  per  quas  remittit  ad  cere- 
brum  odorem  sibi  oblatum  ab  aère,  cui 
hujusmodi  odor  permiscetur.  Gustus  est 
vis  ordinata  in  nervo  expanso  supra  cor- 
pus linguae ,  ad  apprehendendum  diversos 
sapores  resolutos  ex  corporibus  contingen- 
tibus  ipsum.  Tactus  est  vis  diffusa  per  ossa, 
carnem  et  cutem,  per  quem  apprehenditur 
calor,  frigus,  humiditas  ,  siccitas,  durities 
et  mollities,  asperitas  et  lenitas.   De  uni- 


10  OPUSCULE    XLII,    CHAPITRE    4. 

l'Ame,  relativement  à  l'unité  du  tact,  qu'il  est  un  dans  le  genre,  mais 
qu'il  est  divisé  en  plusieurs,  suivant  l'espèce,  et  qu'il  renferme  par 
conséquent  plusieurs  contrariétés.  Il  peutnéamoins  être  dit  ud,  parce 
que,  bien  qu'il  renferme  plusieurs  contrariétés,  elles  sont  toutes  con- 
tenues dans  une  contrariété  qui  nous  est  inconnue  et  innommée. 
Comme  il  arrive  dans  la  vue  qui  a  un  organe  unique,  apparent  à  l'ex- 
térieur, savoir  la  prunelle ,  et  un  autre  à  l'intérieur  où  se  forme  le 
jugement,  ainsi  que  le  veut  Aristote  dans  le  livre  De  Sensu  etsensato, 
il  en  est  de  même  dans  le  tact,  parce  que  l'organe  où  se  fait  la  per- 
ception est  la  chair,  et  toute  partie  d'un  égal  mélange.  Mais  ce  en 
quoi  se  fait  le  jugement  en  dernière  analyse  ,  c'est  le  nerf  intérieur  et 
le  cerveau,  lequel  tout  sensible  qu'il  est  par  soi,  est  néanmoins  pour 
le  nerf  lui-même  le  principe  de  la  sensation.  La  chair  dans  le  tact  est 
l'organe  et  le  moyen,  mais  pour  des  raisons  différentes,  parce  que 
elle  est  organe  à  raison  de  l'égalité  de  la  commixtion  qui  est  en  puis- 
sance par  rapport  à  toute  excellence  des  qualités;  mais  elle  est  moyen 
à  raison  de  l'égalité  d'une  commixtion  semblable  existant  en  elle, 
dont  elle  est  le  véhicule. 

CHAPITRE  JY,. 

Des  quatre  puissances  sensitives  intérieures  suivant  leurs  natures. 

Après  avoir  parlé  de  la  vertu  sensitive  appréhensive  extérieure- 
ment, il  faut  parler  de  llappréhensive  à  l'intérieur.  La  nature  n'étant 
pas  défectueuse  dans  les  choses  nécessaires,  comme  il  est  dit  dans  le 
troisième  livre  de  l'Ame,  il  doit  y  avoir  dans  l'animal  autant  de  puis- 
sances et  d'opérations  qu'il  en  faut  pour  la  vie  de  l'animal  parfait. 
Or ,  il  est  nécessaire  pour  la  vie  de  l'animal  parfait  qu'il  saisisse  la 


tate  tactus  dicit  Philosophus,  II.  De  anima, 
quod  est  unus  in  génère ,  et  dividitur  in 
multos  secundum  speciem,  et  ideo  plurium 
contrarietatum  est.Tamen  potest  dici  unus, 
quia ,  etsi  sit  plurium  contrarietatum, 
omnes  tamen  continentur  sub  una  contra- 
rietate  nobis  ignota  et  innominata.  Sicut 
autem  est  in  visu,  quod  unum  habet  orga- 
num  publicum  extra ,  scilicet  pupillam, 
aliud  intra,  in  quo  fit  judicium,  sicut  vult 
Philosophus ,  in  lib.  De  sensu  et  sensato, 


rum,  quia  ratione  œqualitatis  commixtio- 
nis,  quae  est  in  potentia  respectu  cujuslibet 
excelîentiae  quatitatum  ,  est  organum  ;  ra- 
tionem  vero  aequalitatis  commixtionis 
consimilis  existentis  in  ea ,  est  médium 
illud  deferens. 

CAPUT  IV. 

De  quatuor  potentiis  sensitivis  inlerioribus, 
secundum  earumnaturas. 

Viso  de  virtute  sensitiva  apprehensiva 


ita  est  et  in  lactu ,  quia  organum  in  quo  i  deforis,  videndum  est  de  apprehensiva  dé- 
fit apprehensio ,  est  caro  et  quaelibet  pars  intus.  Cum  enim  natura  non  deficiat  in 
secundum  aequalitatem  mixta.  Illud  autem  !  necessariis  ,  ut  dicitur  in  III.  De  anima, 
n  quo  ultimo  fit  judicium,  est  nervus  in-  '  tôt  potentias  et  operationes  oportet  esse 
terior,  et  cerebrum ,  quod  licet  sit  de  se  in  animali,  quot  requiruntur  ad  vitaux 
insensibile  ,  est  tamen principium  sentiendi  ■  animalis  perfecti.  Requiritur  autem  ad  vi- 
ipsi  nervo.  Est  autem  caro  in  tactu,  et  or-  '  tam  animalis  perfecti ,  ut  non  solum  ap- 
ganum,  et  médium  ,  sed  ratione  diverso-  :  prehendat  rem  cum  actu  est  preesens,  sed 


SUR   LES   PUISSANCES   DE   L'AME.  11 

chose  non-seulement  lorsqu'elle  est  présente  en  acte ,  mais  encore 
lorsqu'elle  est  absente  en  acte;  parce  que  n'ayant  pas  unies  à  lui 
toutes  les  choses  nécessaires ,  il  a  besoin  d'être  mû  vers  la  distance. 
Mais  comme  il  est  mû  par  l'appréhension,  il  ne  pourroit  être  mû  vers 
une  chose  distante  et  absente,  s'il  ne  saisissoit  la  chose  absente.  Puis- 
qu'il saisit  cette  chose  par  les  sens  extérieurs,  seulement  quant  à  sa 
présence,  il  a  dû  nécessairement  avoir  la  vertu  sensitive  par  le  moyen 
de  laquelle  il  saisiroit  la  chose  absente,  et  retiendroit  son  espèce. 
Donc,  comme  les  sens  propres  et  le  sens  commun  sont  ordonnés  pour 
l'appréhension  des  formes  sensibles  dans  la  présence  de  la  chose,  il  en 
est  de  même  des  autres  forces  dans  l'absence  de  la  chose.  Or,  ces 
forces  appréhensives  sont  les-  cinq  sens  suivant  Avicenne,  mais  quatre 
suivant  Averrhoès,  La  première  est  le  sens  commun,  la  seconde  est  la 
fantasia,  la  troisième  force  est  imaginative  ,  la  quatrième  estimative 
ou  cogitative,  la  cinquième  mémorative.  Mais  suivant  Averrhoès,  la 
fantasia  et  l'imaginative  sont  la  même  puissance.  Néanmoins,  il  est 
plus  vrai  de  dire  qu'elles  sont  au  nombre  de  quatre.  Le  sens  com- 
mun, suivant  Avicenne,  est  une  vertu  à  laquelle  se  rapportent  toutes 
les  choses  sensées.  C'est  donc  le  sens  commun  d'où  dérivent  les  sens 
propres,  c'est  à  lui  que  toutes  leurs  impressions  vont  aboutir,  c'est 
en  lui  que  toutes  se  réunissent.  Son  organe  est  la  première  concavité 
du  cerveau,  où  naissent  les  nerfs  des  sens  particuliers;  et  c'est  là  la 
raison  pour  laquelle,  relativement  à  la  distinction  de  l'esprit  animal, 
les  sens  propres  dérivent  du  commun  ;  pour  ce  qui  est  de  l'appréhen- 
sion et  de  la  renonciation  du  sens  commun,  elle  se  fait  en  acte  par  les 
sens  propres ,  parce  que  elle  ne  saisiroit  rien  si  les  sens  propres  ne 
revenoient  à  lui  avec  leurs  profits,  comme  dit  Avicenne.  Or,  cette 
puissance  est  nécessaire  à  l'animal ,  pour  trois  opérations  que  doit 


etiara  cum  actu  est  absens,  quia  cum  non 
habeat  omnia  necessaria  sibi  conjuncta, 
oportet  quod  moveatur  ad  distantiam.  Cum 
autem  moveatur  per  apprehensionem,  non 
posset  moveri  ad  rem  distantem  et  absen- 
tem ,  nisi  rem  absentem  apprehenderet. 
Cum  ergo  per  sensus  exteriores  appréhen- 
dât rem  ,  solum  quantum  ad  sui  praesen- 
tiam,  necesse  habuit  habere  virtutem  sen- 
sitivam ,  per  quam  rem  absentem  appre- 
henderet, et  ejus  speciem  retineret.  Sicut 
ergo  sensus  proprii  et  sensus  com  munis 
ordinantur  ad  apprehensionem  formarum 
sensibilium  in  rei  prœsentia ,  sic  et  alise 
vires  in  rei  absentia.  Istee  autem  vires  ap- 
prehensivœ  sunt  quinque  sensus  secundum 
Avicennam ,  sed  quatuor  secundum  Aver- 
rhoem.  Prima  est  sensus  communis,  se- 
cunda  est  phantasia  ,  tertia  imaginativa, 
quarta  œstimativa  seu  cogitativa ,  quinta 


memorativa.  Secundum  autem  Averrhoem 
phantasia  et  imaginativa  sunt  eadem  po- 
tentia.  Verius  tamen  dicitur  quod  sunt 
quatuor  :  sensus  communis  secundum  Avi- 
cennam est  virtus  cui  redduntur  omnia 
sensata.  Est  ergo  sensus  communis  a  quo 
omnes  sensus  proprii  derivantur,  et  ad 
quem  omnis  impressio  eorum  renuntiatur 
et  in  quo  omnes  conjunguntur.  Ejus  enim 
organum  est  prima  concavitas  cerebri ,  a 
quo  nervi  sensuum  particularium  oriuntur, 
et  hinc  est  quod  quantum  ad  distinctionem 
spiritus  animalis,  sensus  proprii  derivantur 
a  communi  ;  quantum  vero  ad  apprehen- 
sionem et  renuntiationem  sensus  commu- 
nis, fit  in  actu  per  proprios,  quia  nihil 
apprehenderet,  nisi  per  hoc,  qu.od  sensus 
proprii  redeunt  ad  ipsum  cum  suis  lucris, 
ut  dicit  Avicenna.  Ista  autem  potentia  est 
animali  necessaria  propter  tria,  quœ  habet 


12  OPUSCULE    XLH,    CHAPITRE    4. 

faire  le  sens  commun.  La  première  c'est  de  percevoir  toutes  les  sen- 
sations communes  que  ne  saisit  pas  le  sens  propre  ;  car  le  sens  propre 
ne  perçoit  pas  de  première  main  et  par  soi  la  figure  ou  le  mouvement, 
mais  bien  comme  par  accident.  Mais  le  sens  commun  perçoit  par  soi 
les  choses  sensibles  communes  qui  sont  au  nombre  de  cinq ,  suivant 
Aristote,  dans  le  second  livre  de  l'Ame,  savoir  :  le  mouvement,  le 
repps,  la  grandeur,  la  figure,  le  nombre.  Car,  dit  ce  "Philosophe  au 
même  endroit,  le  sensible  est  de  trois  espèces.  L'un  est  propre  et 
n'est  point  senti  par  un  ajitre  sens  et  il  ne  se  produit  pas  d'erreur 
dans  le  sens  propre  par  rapport  à  lui,  comme  la  vue  par  rapport  à  la 
couleur,  l'ouïe  par  rapport  au  son.  Un  autre  est  commun  et  se  divise 
en  cinq  branches  qui  répondent  au  sens  commun,  ainsi  que   nous 
l'avons  dit.  Le  troisième  est  dit  sensible  par  accident.  Le  second  acte 
du  sens  commun  est  de  percevoir  plusieurs  sensibles  propres ,  ce  que 
ne  peut  pas  un  sens  propre  quelconque.  En  effet,  un  animal  ne  peut 
pas  juger  que  le  blanc  est  doux  ou  nel'estpas,  ou  établir  une  différence 
entre  les  sensations  propres,  sans  qu'il  y  ait  un  sens  qui-connoisse 
toutes  les  sensations  propres,  et  c'est  là  le  sens  commun.  Le  troisième 
acte  est  de  sentir  les  actes  des  sens  propres ,  comme  lorsque  je  sens 
que  je  vois  ;  car  le  sens  propre  n'a  pas  cette  aptitude,  comme  on  le 
prouve  dans  le  lirre  II  de  l'Ame,  parce  que  l'objet  d'un  sens  propre 
est  un  objet  unique.  C'est  pourquoi  l'acte  et  l'objet  de  la  vue,  savoir 
la  couleur,  étant  deux  objets  de  cognition,  lejugement  de  l'un  et  de 
l'autre  n'appartient  pas  à  un  seul  sens  propre.  La  seconde  force  inté- 
rieure estlajantasia,  qui  est  un  mouvement  produit  par  le  sens  sui- 
vant l'acte,  comme  il  est  dit  dans  le  troisième  livre  de  l'Ame,  parce 
que  la  fantasia  est  une  puissance  mue  par  une  espèce  sensible  ,  par 


facere  sensus  communis.  Primum  est  quod 
habet  apprehendere  omiiia  sensata  com- 
munia ,  quae  sensus  proprius  non  appre- 
hendit.  Non  enim  sensus  proprius  primo 
et  per  seapprehendit  figuram  vel  motum, 
sed  quasi  per  accidens  ;  sensus  autem  com- 
munis per  se  apprehendit  sensibilia  com- 
munia., quae  sunt  quinque  secundum  Phi- 
losophum,  II.  De  anima,  scilicet  motus, 
quies,  magnitudo,  figura,  numerus.  Est 
enim  triplex  sensibile,  ut  ibidem  dicit  Phi- 
losophus.  Unum  est  proprium  ,  quod  scili- 
cet non  contingit  alio  sensu  sentîri ,  et 
circa  quod  non  contingit  sensum  proprium 
errare  ,  ut  visas  circa  colorem ,  auditus 
circa  sonum.  Aliud  est  commune,  quod 
dividitur  in  quinque,  ut  dictum  est,  quae 
per  se  respondent  sensui  communi.  Ter- 
tium  dicitur  sensibile  per  accidens,  ut  al- 
bum, quod  est  Darii  filius,  quia  album 
sentitur  per  se ,  cui  accidit  Darii   filium 


esse.  Secundus  actus  sensus  communis  est 
apprehendere  plura  sensibilia  propria  , 
quod  non  potest  aliquis  sensus  proprius. 
Non  enim  potest  animal  judicare  album 
esse  dulce  vel  non  esse ,  vel  ponere  diver- 
sitatem  inter  sensata  propria ,  nisi  sit  ali- 
quis sensus  qui  cognoscat  omnia  sensata 
propria,  et  hic  est  sensus  communis.  Ter- 
tius  vero  actus  est  sentire  actus  proprio- 
rum  sensuum ,  ut  cum  sentie  me  videre. 
Non  enim  potest  hoc  sensus  proprius  ,  ut 
probatur  II.  De  anima,  quia  unius  sensus 
proprii  unum  est  objectum.  Unde  cum 
actus  et  objectum  visus,  scilicet  color,  sint 
duo  cognoscibilia,  judicium  utriusque  non 
pertinet  ad  unum  seusum  proprfum.  Se- 
cunda  vis  interior  est  phantasia ,  quse  est 
motus  factus  a  sensu  secundum  actum,  ut 
dicitur  III.  De  anima ,  quia  phantasia  est 
potentia  mota  a  specie  sensibili,  per  quam 
et  sensus  proprius  et  sensus  communis  fit 


SUR   LES   PUISSANCES   DE   i/AME.  13 

le  moyen  de  laquelle  le  sens  commun  et  le  sens  propre  sont  mis  en 
acte..  Mais  elle  n'est  pas  seulement  mue  par  cette  espèce,  eUe__la 
retient  encore  dans  l'absence  de  la  chose  que  reçoit  le  sens  commun. 
Or  recevoir  et  retenir  dans  les  corps,  c'est  deux  opérations  qui  se  rat- 
tachent à  des  principes  différents.  Car  l'humide  reçoit  bien  et  retient 
mal.  Le  sec,  au  contraire ,  retient  bien  et  reçoit  mal.  Donc  la  puis- 
sance sensitive  étant  un  acte  d'un  organe  corporel,  il  faut  qu'il  y  ait 
une  autre  puissance  qui  reçoit  les  espèces  des  sensibles  et  les  con- 
serve, et  cet  organe  se  trouve  derrière  l'organe  du  sens  commun  dans 
la  partie  du  cerveau  qui  ne  contient  pas  autant  d'humidité  que  sa 
partie  antérieure  où  est  situé  l'organe  du  sens  commun,  et  elle  peut 
conséquëmment  mieux  retenir  les  formes  sensibles  en  l'absence  de  la 
chose.  La  troisième  force  sensitive  est  esiimativû,  et  sa  nécessité  est 
aussi  évidente.  En  effet,  l'animal  est  non-seulement  impressionné 
par  ce  qui  peut  lui  occasionner  du  plaisir  ou  de  la  peine  suivant  les 
sens,  parce  qu'ainsi  il  ne  seroit  pas  nécesaire  de  supposer  en  lui  autre 
chose,  si  ce  n'est  l'appréhension  et  la  rétention  des  formes  dans  les- 
quelles les  sens  trouvent  du  plaisir  ou  de  la  répulsion;  mais  il  en  est 
qui  évitent  ou  recherchent  certaines  choses  à  cause  des  diverses  autres 
commodités,  ou  utilités  et  dangers,  comme  la  brebis  fuit  le  loup,  non  à 
cause  de  sa  couleur  et  de  sa  figure  qui  ne  lui  conviennent  pas,  mais 
comme  un  ennemi  de  sa  nature.  De  même ,  l'oiseau  ramasse  des 
pailles,  non  parce  qu'elles  lui  plaisent,  mais  parce  qu'elles  lui  sont 
utiles  pour  construire  son  nid.  Il  faut  donc  placer  dans  l'animal  quel- 
que principe  de  perception  des  intentions  de  ce  genre,  différent  de  la 
fantaisie,  dont  l'immutation  se  fait  par  la  forme  sensible  et  non  la 
perception  de  cette  sorte  d'intentions,  et  cette  vertu  est  estimative  en 
même  temps  qu'appréhensive  des  intentions  qui  ne  sont  pas  reçues 


in  actu.  Non  solura  autem  movetur  ab  illa 
specie,  sed  etiam  ipsani  in  absentia  rei  re- 
tinet, quam  sensus  communis  recipit.  Re- 
cipere  autem  et  retinere  in  corporibus  re- 
ducuntur  ad  diversa  principia.  Nam  humi- 
dum  bene  recipit  et  maie  retinet.  Siccum 
vero  e  contrario  bene  retinet  et  rnale  reci- 
pit. Cum  ergo  potentia  sensitiva  sit  actus 
organi  corporalis ,  oportet  esse  aliam  po- 
tentiam  quœ  recipit  species  sensibilium  et 
quœ  conservât,  et  hujus  organum  est  post 
organum  sensus  communis  in  parte  cere- 
bri,  quae  sic  non  abundat  humido ,  sicut 
prima  pars  cerebri,  in  qua  situm  est  orga- 
num sensus  communis,  et  ideo  melius  po- 
test  retinere  formas  sensibiles  re  absente. 
Tertia  vis  sensitiva  est  œstimativa  et  bujus 
nécessitas  sic  patet.  Animal  enim  non  so- 
lum  movetur  propter  delectabile  et  con- 


tristabile  secundum  sensum ,  quia  sic  non 
esset  necesse  ponere  in  eo,  nisi  per  appre- 
hensionem  et  retentionem  formarum  ,  in 
quibus  sensus  delectatur  vel  horret;  sed 
aliquando  fugit  vel  quœrit  aliqua  propter 
diversas  alias  commoditates,  vel  militâtes, 
et  nocumenta,  sicut  ovis  fugit  lupum  non 
propter  indecentiam  coloris  vel  figurée,  sed 
quasi  inimicum  suae  naturœ.  Similiter  avis 
colligit  paleam,  non  quia  delectat  sensum, 
sed  quia  utilis  est  ad  nidificandum.  Opor- 
tet ergo  ponere  in  animali  aliquod  princi- 
pium  perceptionis  hujusmodi  intentionum 
ahud  quam  phantasiam  ,  cujus  immutatio 
est  a  forma  sensibili,  non  autem  perceptio 
hujusmodi  intentionum.  Et  hujusmodi  vir- 
tus  est  œstimativa  ,  quœ  est  apprehensiva 
intentionum  quœ  per  sensum  non  acci- 
piuntur.  Unde  Algazel  dicit  :  «  iEstimativa 


14  OPUSCULE    XLI1,    CHAPITRE    4. 

par  les  sens.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  Àlgazel  :  «  Cette  vertu  est  estima- 
tive qui  perçoit  d'un  objet  sujet  à  sênSatiori  ce  qui  n'est  pas  suscep- 
tible de  sensation ,  comme  la  brebis  pour  l'hostilité  du  loup.  »  En 
effet,  elle  ne  le  fait  pas  par  le  moyen  de  la  vue,  mais  par  une  autre 
vertu  qui  est  dans  les  brutes,  et  qui  est  l'intelligence  dans  les  hommes. 
De  même  que  l'on  connoît  par  l'intelligence  ce  que  l'on  ne  connoît 
pas  par  les  sens,  quoique  cette  connoissance  ne  s'opère  qu'au  moyen 
des  sens,  cette  action  est  estimative  quoique  d'une  manière  infé- 
rieure. Or  l'organe  de  cette  puissance  dans  les  brutes  est  placé  dans 
l'hémisphère  postérieur  du  cerveau.  Dans  les  hommes ,  au  contraire, 
il  est  placé  dansja^  cellule_jniéiliane  du  cerveau,  appelée  syllogisti- 
que.  D'où  il  arrive  que,  bien  que  quant  aux  formes  sensibles ,  il  n'y 
ait  pas  de  différence  entre  l'homme  et  les  autres  animaux,  parce 
qu'elles  s'opèrent  par  infusion  provenant  des  choses  sensibles  exté- 
rieures, il  y  a  néanmoins  une  différence  quant  aux  intentions,  comme 
certains  animaux  perçoivent  des  intentions  particulières  à  l'homme 
par  le  seul  instinct  naturel,  tel  que  ce  qui  est  bon,  convenable,  nui- 
sible. Mais  l'homme,  en  outre  de  cela,  est  favorisé  d'une  certaine 
collation,  aussi  cette  force,  qui  dans  les  animaux  est  appelée  estima- 
tive naturelle ,  s'appelle  cogitatiye  dans  l'jiomine ,  en  lui  procurant 
des  intentions  par  une  certaine  collation  ;  elle  est  aussi  appelée  raison 
particulière,  parce  qu'elle  confère  les  intentions  individuelles,  comme 
la  raison  universelle  confère  les  intentions  universelles.  Àvicenne  a 
placé  une  autre  puissance  entre  l'estimative  et  la  fantaisie ,  dont  le 
rôle  est  d'opérer  la  composition  et  la  division  entre  les  formes  ima- 
ginées ,  comme  lorsque  de  la  forme  de  l'or  et  de  la  forme  de  mon- 
tagne que  nous  avons  dans  l'imagination,  nous  composons  une  autre 
forme  de  montagne  d'or  que  nous  n'avons  jamais  vue.  Mais  comme 
nous  n'avons  vu  cette  opération  que  dans  les  hommes,  nous  ne  devons 


est  virtus  apprehendens  de  sensato  quod 
non  est  sensatum,  sicut  ovis  inimicitias 
lupi.  »  Hoc  enim  non  facit  per  oculum,  sed 
per  aliam  virtutem  quœ  est  in  brutis ,  hoc 
quod  est  intellectus  in  hominibus  ;  sicut 
enim  aliquis  cognoscit  per  intelleetum, 
quod  non  cognoscit  per  sensum ,  licet  non 
cognoscat  nisi  accipiendo  a  sensu,  ita  œsti- 
mativa,  licet  modo  inferiori.  Organumau- 
tem  hujus  potentiœ  ponitur  in  brutis  in 
posteriori  parte  mediœ  partis  cerebri.  In 
hominibus  autem  ejus  organum  ponitur 
média  cellula  cerebri,  quœ  syllogistica  ap- 
pellatur.  Unde  licet  quantum  ad  formassen- 
sibiles ,  non  lit  differentia  inter  hominem  et 
alia  animalia,  eo  quod  fiunt  per  infusionem 
a  sensibilibus  exterioribus ,  tamen  quan- 
tum ad  inlentiones  est  differentia  aliqua:  si- 


cut aliqua  animalia  percipiunthujusmodiin- 
tentiones,  quœ  sunt  bonum,  et  conveniens,  et 
nocivum  solo  instinctu  naturali.  Homo  au- 
tem ultra  hoc  per  quamdam  collationem, 
et  ideo  quœ  in  aliis  animalibus  dicitur 
œstimativa  naturalis,  in  homine  dicitur  co- 
gitativa ,  quœ  per  quamdam  collationem 
hujusmodi  intentiones  adinvenit  ,  quœ 
etiam  ratio  particularis  dicitur,  quia  scili- 
cet  est  collativa  intentionum  individua- 
lium,  sicut  ratio  universalis  intentionum 
universalium .  Avicenna  vero  posuit  imam 
potentiam  inter  œstimativam  et  phanta- 
siain,  cujus  sit  componere  et  dividere  in- 
ter formas  imaginatas,  sicut  cum  ex  forma 
auri  imaginati  et  montis  ,  componimus 
unam  formam  montis  aurei,  quam  nun- 
quam  vidimus.  Sed  quia  hanc  operationem 


SUR  LES   PUISSANCES   DE   l'âME.  15 

pas  pour  cela  supposer  une  nouvelle  puissance  sensitive.  îl  suffit 
pour  cela  dans  l'homme  de  la  force  imaginative  ou  fantaisie,  comme 
dit  Averrhoès,  dans  son  livre  De  Sensu  et  sensato.  La  quatrième  force 
sensitive  intérieure  est  la  mémorative  ou  mérn.oire.  Suivant  AlgazeL 
la  mémoire  est  la  force  conservatrice  des  intentions  que  perçoit  l'es- 
timative, et  par  conséquent  elle  est  le  réservoir  dès  intentions  ;  de 
môme  que  la  fantaisie  ou  imagination  est  la  conservatrice  des  formes 
et  leur  réservoir ,  et  ces  intentions  ne  sont  pas  sensées,  mais  prove- 
nant des  sens.  Or  l'organe  de  cette  puissance  se  trouve  dans  la  con- 
cavité postérieure  du  cerveau.  C'est  pourquoi  Avicenne  dit  dans  le 
livre  YI,  De  naturalibus  :  «  La  force  mémoriale  est  celle  qui  est  placée 
dans  la  concavité  pnatérjejirejdii^erveau_contenant  ce  qui  est  perçu 
par  la  force  d'estimation,  relativement  aux  intentions  non  sensées  des 
choses  singulières  et  sensibles.»  11  en  est  autrement  dans  les  hommes 
que  dans  les  brutes,  parce  que  dans  les  brutes  il  n'y  a  que  la  mé- 
moire d'une  manière  propre,  et  la  réminiscence  plus  improprement. 
Suivant  Avicenne  et  Algazel ,  dans  les  brutes  l'instinct  de  la  nature 
tient  lieu  de  l'inquisition,  de  sorte  que  par  l'intention  propre  il  passe 
à  la  propre  forme  sensible ,  et  de  la  forme  sensible  et  de  la  propre 
imagination  à  la  chose  qui  l'a  reçue  dans  le  passé  ,  et  c'est  ainsi  que 
les  brutes  épient  le  moment  de  se  venger,  se  souviennent  des  injures 
et  des  bienfaits,  et  cette  réminiscence  est  subite.  Dans  les  hommes, 
au  contraire ,  non-seulement  il  y  a  mémoire ,  mais  même  réminis- 
cence  qui  s'opère  par  une  certaine  collation  des  intentions  indivi- 
duelles préliminaires  aux  formes,  en  discourant  syllogistiquement 
jusqu'au  dernier  objet  cherché.jOr,  la  puissance  estimative  et  la  puis- 
sance mémorative  n'ont  pas  celte  excellence  dans  l'homme  par  ce  qui 
est  propre  à  la  partie  sensitive  ,  mais  par  affinité  et  proximité  de  la 


non  vidimus  nisi  in  hominibus,  non  debe- 
mus  propter  hoc  ponere  novam  potentiam 
sensitivam.  Ad  hoc  enim  sufïicit  in  homine 
virtus  imaginativa  vcl  phantasia,  ut  dicit 
Âverrhoes  in  libro  suo  De  sensu  et  sensato. 
Quarta  vis  sensitiva  interior  est  memora- 
tiva  vel  mcmoria.  Est  autem  memoria, 
secundum  Aigazelem,  vis  conservativa  ha- 
rum  intentionum ,  quas  apprehendit  œsti- 
mativa,  et  ideo  est  arca  intentionum  ; 
sicut  phantasia  vel  imaginativa  est  con- 
servatrix  formarum  et  arca  illarum,  et  istae 
intentiones  non  sunt  sensatae ,  sed  a  sensi- 
bus  elicitœ.  Organum  autem  hujus  poten- 
tiae  est  in  posteriori  concavitate  cerebri. 
Unde  Avicenna,  ,  VI.  De  naturalibus ,  vis 
memoralis  est  quas  est  ordinata  in  poste- 
riori concavitate  cerebri ,  continens  quod 
apprehendit  vis  œstimationis  de  intentio- 
nibus  non  sensatis  singularium  et  sensibi- 


lium.  Differenter  est  autem  in  hominibus 
et  in  brutis,  quia  in  brutis  memoria  sola 
proprie  ;  reminiscentia  autem  minus  pro- 
prie ,  quia  secundum  Avicennam  et  Alga- 
calem,  in  brutis  instinctus  naturae  est  loco 
inquisitionis,  ut  per  propriam  intentionem 
veniat  in  propriam  illius  formam  sensibi- 
lem,  et  ex  forma  sensibili  et  propria  ima- 
ginatione  in  rem  ,  a  qua  est  accepta  in 
praeterito ,  et  sic  bruta  observant  tempus 
vindictae  et  memorantur  injuriarum  et  be- 
neficiorum,  et  illa  recordatio  subita  est. 
In  hominibus  vero  non  solum  est  memoria, 
sed  etiam  reminiscentia,  quœ  fit  per  quam- 
dam  collationem  intentionum  individua- 
lium  pracviarum  ad  formas  syllogistice 
discurrendo  usque  ad  ultimo  quaesiturn. 
Istam  autem  excellentiam  non  habent  in 
homine  festimativa  et  memorativa  per  id 
quod  est  proprium  parti  sensitivœ,  sed  per 


1G  OPUSCULE    XLII,    CHAPITRE    5. 

raison  universelle  par  une  certaine  influence.  Car,  la  vertu  inférieure 
est  toujours  fortifiée  par  son  union  avec  une  vertu  supérieure  ,  parce 
que  ce  qu'il  y  a  de  plus  élevé  dans  la  nature  inférieure  atteint  ce  qu'il 
y  a  de  plus  bas  dans  la  nature  inférieure,  comme  dit  Denis.  D'après 
cela  on  voit  l'excellence  qui  se  trouve  dans  les  puissances  de  l'ame 
sensitive.  Carie  sens  propre  ne  peut  pas  saisir  tout  d'abord  et  par  soi 
les  choses  sensées  communes,  mais  bien  par  accident,  tandis  que  le 
sens  commun  le  fait.  Le  sens  propre  ne  peut  saisir  qu'une  seule  chose 
sensée,  tandis  que  le  sens  commun  peut  en  saisir  plusieurs.  Le  sens 
propre  ne  peut  connoître  un  acte  propre,  ce  que  fait  le  sens  commun. 
De  son  côté  le  sens  commun  ne  peut  saisir  une  chose  sans  la  présence 
extérieure  de  la  chose,  tandis  que  la  fantasia  retient  la  forme  d'une 
chose  en  l'absence  de  cette  même  chose.  La  fantasia  ne  peut  saisir  et 
retenir  que  les  formes  tirées  des  choses  sensibles  ;  tandis  que  la  puis- 
sance estimative  peut  saisir  les  intentions  relatives  à  ces  formes.  Mais 
quoique  la  puissance  estimative  puisse  saisir  ces  sortes  d'intentions, 
elle  ne  peut  pas  cependant  les  retenir,  comme  le  fait  la  puissance  mé- 
morative ,  et  outre  cela  la  puissance  sensitive  ne  peut  pas  saisir  la 
forme  de  la  chose  et  l'abstraire  des  conditions  matérielles,  c'est  pour- 
quoi la  forme  saisie  par  le  sens  extérieur  sans  l'intérieur  est  toujours 
particulière. 

CHAPITRE  V. 

De  la  vertu  motive  sensitive  de  l'animal. 

Nous  allons  parler  maintenant  de  la  vertu  sensitive  motive.  La 
vertu  sensitive  motive  se  divise  eh  naturelle  et  animale.  La  naturelle 
est  celle  qui  ne  subsiste  pas  par  l'appréhension,  et  n'est  pas  soumise 


affinitatem  et  propinquitatem  ad  rationem 
universalem  per  quamdam  influentiam. 
Semper  enim  virtus  inferior  fortificatur 
ex  conjunctione  sui  cum  virtute  superiori, 
eo  quod  supremum  naturae  inferioris  attin- 
git  infimum  naturae  superioris,  ut  dicit 
Dionysius.  His  visis,  patet  quomodo  est 
excellentia  in  poteutiis  anima?  sensitivse. 
Sensus  enim  proprius  non  potest  appré- 
hendera sensata  communia  primo  et  per 
se,  sed  quasi  per  accidens  ;  sensus  autem 
communis  potest.  Item ,  sensus  proprius 
non  potest  apprehendere  nisi  unum  sensa- 
tum  ;  sensus  vero  communis  plura.  Item, 
sensus  proprius  non  potest  actum  pro- 
prium  cognoscere,  quod  facit  sensus  com- 
munis. Item  sensus  communis  non  potest 
aliquid  apprehendere ,  nisi  ad  prœsentiam 
rei  extra.  Phantasia  autem  formam  rei  re- 
tinet,  re  absente.  Item,  phantasia  non  po- 


test apprehendere  nec  retinere,  nisi  formas 
a  sensibilibus  acceptas'.  iEstimativa  autem 
potest  intentiones  circa  hujusmodi  formas 
apprehendere.  ^Estimativa  vero,  licet  pos- 
sit  hujusmodi  intentiones  apprehendere, 
non  tamen  retinere ,  quod  habet  memora- 
tiva,  et  ultra  hoc  non  potest  virtus  sensi- 
tiva  formam  rei  apprehendere  et  abstra- 
here  a  conditionibus  mateiïalibus,  ideo 
semper  forma  apprehensa  a  sensu  exteriori 
sine  interiori,  est  particularis. 

CAPUT  V. 

De  virtute  animait?  J  motiva  sensilira. 

Viso  de  virtute  sensitiva  apprehensiva, 
videndum  est  de  virtute  motiva.  Motiva 
autem  sensitiva  dividitur ,  quia  quaedam 
est  naturalis ,  quaedam  animalis.  Naturalis 
est,  quae  non  manet  per  apprehensionein, 
nec  est  subjecta  imperio  rationis,  et  talis 


SUR   LES   PUISSANCES   DE   L'AME.  17 

à  l'empire  de  la  raison  ;  telle  est  la  force  vitale  et  pulsative  qui  fait 
battre  les  artères  et  le  cœur  par  le  moyen  de  la  dilatation  et  de  la 
constrietion ,  et  cette  puissance  est  dans  le  cœur  comme  dans  son  or- 
gane propre;  c'est  pour  cela  qu'elle  n'a  l'être  que  dans  les  animaux 
parfaits  qui  ont  les  poumons  et  le  cœur.  Cette  force,  par  le  moyen  de 
l'aspiration  et  de  la  respiration ,  tempère  convenablement  la  .chaleur 
du  cœur  et  du  corps.  La  force  motive  animale  est  celle  qui  meut  par 
appréhension,  qui  subit  une  division  ;  une  meut  par  manière  dejcUreç- 
tion_,  une  autre  par  manière  de  commandement,  une  troisième  par 
manièr^d,exécatioiTJEâ~forcë" motive  par  manière  de  direction  c'est 
la  fantasia  et  l'estimative  ,  en  tant  qu'elles  montrent  à  l'appétit,  la 
formeou^'iBt^SîiL  convenable  ou  non  convenable.  En  effet,  la  fan- 
tasia meut  en  montrant  les  formes  sensibles,  l'estimative  en  mon- 
trant les  intentions,  et  lés  motives  en  commandant  ou  produisant  le 
mouvement,  comme  le  concupiscible,  l'irascible  qui  sont  des  parties 
de  l'appétit  sensitif.  Le  concupiscible,  en  effet,  est  la  force  qui  com- 
mande le  mouvement  pour  produire  le  rapprochement  des  choses  qui 
sont  jugées  nécessaires  ou  utiles,  et  cela  par  l'attrait  du  plaisir.  1/i- 
rascihl&est  la  force  commandant  le  mouvement  pour  repousser  ce  qui 
est  jugé  nuisible  ou  dangereux,  et  cela  par  l'ardeur  de  la  vengeance 
ou  du  triomphe.  La  force  qui  exécute  ce  mouvement  est  une  force 
extérieure  répandue  dans  les  muscles,  les  bras  et  ïes  nerfs  des 
membres.  Il  faut  néanmoins  remarquer  qu'il  y  a  de  la  différence  entre 
la  sensibilité  et  la  sensualité,  parce  que  la  sensibilité  comprend  toutes 
les  forces  sensitives,  tant  apprébensives'qu'appétitives;  tandis  que  la 
sensualité  ne  signifie  proprement  que  la  partie  de  l'âme  sensible  qui 
produit  le  mouvement  pour  rechercher  ou  fuir  ce  qui  paroît  propre 
ou  non  à  la  volupté  de  l'animal,  et  c'est  suivant  l'ordre  au  comman- 


est  virtusvitalis  et  pulsativa  quae  movet  arte- 
rias  et  cor  secundum  dilatationem  et  con- 
strictionem.  Et  hujusmodi  est  in  corde  sicut 
in  proprio  organo  ;  unde  solum  habet  esse  in 
animalibus  perfectis  pu'monem  et  cor  haben- 
tibus.  Et  haec  vis  per  spirationem  et  respira- 
tionem  est  principium  contemperandi  calo- 
rem  cordis  et  corporis.  Motiva  animalis  est 
quae  movet  per  apprehensionem,  et  haeedivi- 
ditur,  quia  quaedam  movet  per  modum 
dirigentis,  quaedam  per  modum  imperantis, 
quaedam  per  modum  exequentis.  Motivae 
per  modum  dirigentis  sunt  phantasia  et 
aestimativa,  in  quantum  appetitivi  osten- 
dunt  formam  vel  intentionem  convenien- 
tem  vel  disconvenientem.  Phantasia  enim 
movet  ostendendo  formas  sensibiles,  aesti- 
mativa  ostendendo  intentiones  ;  motivae 
autem  imperantes  et  facientes  motum,  sicut 
concupiscibilis   et    irascibilis  ,    quae   sunt 


partes  appetitus  sensitivi.  Concupiscibilis 
enim  est  vis  imperans  motum ,  ut  appro- 
pinquetur  ad  ea  quss  putantur  necessaria, 
vel  utilia,  et  hoc  appetitu  delectandi.  Iras- 
cibilis est  vis  imperans  motum  ad  repel- 
lendum  id  quod  putatur  nocivum  vel  cor- 
rumpens,  et  hoc  appetitu  vindicandi  aut 
vincendi.  Vis  exequens  motum  istum  est 
vis  exterior,  quae  diffusa  est  in  musculis, 
et  lacertis,  et  nervis  membrorum.  Adver- 
tendum  tamen  est  quod  sensibilitas  et  sen- 
sualitas  différant,  quia  sensibilitas  eom- 
prehendit  omnes  vires  sensitivas  tam  ap- 
prehensivas  quam  appetitivas  ;  sensualitas 
autem  dicit  proprie  partent  animae  sensi- 
bilis,  per  quam  est  motus  ad  prosequen- 
dum  vel  fugiendum,  quod  apparet  con- 
sentaneum  vel  dissentaneum  voluptati  ani- 
malis ,  et  hoc  est  secundum  ordinem  ad 
imperium  rationis.  Unde  sensualitas  licet 

2 


18  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE   6. 

dément  de  la  raison.  C'est  pourquoi ,  quoique  la  sensualité  exige 
préalablement  les  forces  sensitives  appréhensives  comme  prélimi- 
naires ,  elles  n'appartiennent  cependant  pas  à  son  essence ,  il  n'y  a 
que  l'appétit  sensitif.  L'estimative  même  est  très-voisine  de  la  sen- 
sualité, laquelle  confine  avec  elle,  parce  que  la  sensualité  dit  un  cer- 
tain ordre  à  la  raison.  On  voit  par  là  que  dans  les  brutes  il  n'y  a  pas 
de  sensualité  portant  au  péché  ;  cela  n'a  lieu  que  dans  les  hommes  en 
qui,  à  cause  de  son  ordre  par  rapport  à  la  raison ,  elle  est  la  porte  de 
la  corruption  et  de  la  culpabilité. 

CHAPITRE  VI. 

De  la  puissance  intellective. 

Après  avoir  parlé  de  la  puissance  végétative  et  de  la  puissance  sen- 
sitive ,  nous  allons  traiter  de  l'intellect.  Or  cette  puissance  dans  sa 
première  division  se  partage  en  appréhensive  et  motive  ou  appétitive. 
Ces  deux  puissances  ne  se  trouvent  que  dans  les  substances  spirituelles 
et  intellectuelles,  comme  le  dit  le  commentateur  sur  le  livre  II  de  la 
Métaphysique.  La  raison  de  cette  division  est  que  toute  forme  est  sui- 
vie par  quelque  inclination  différente.  De  même  donc  que  l'inclina- 
tion ou  l'appétit  naturel  suit  la  forme  naturelle  et  l'appétit  sensitif  la 
forme  sensible,  de  même  aussi  l'appétit  intellectuel  suit  la  forme  uni- 
verselle et  intellectuelle  appréhendée  ;  et  comme  l'appétit  intellectuel 
suit  l'appréhension,  nous  devons  parler  des  appréhensives  avant  de 
parler  des  appétitives.  Deux  principes  sont  nécessaires  pour  l'appré- 
hension intellectuelle,  savoir  l'intellect  par  lequel  on  a  tout  à  faire, 
c'est-à-dire  ^intellect  actif,  et  l'intellect  par  lequel  tout  doit  être  fait, 
c'est-à-dire  l'intellect  possible,  comme  il  est  dit  dans  le  troisième  livre 
de  l'Ame.  Car,  comme  dans  chaque  nature  il  y  a  des  principes  suffi- 


prœexigat  vires  sensitivas  apprehensivas 
quasi  praeambulas ,  tamen  ad  essentiam 
ejus  non  pertinent,  sed  appetitus  sensitivus. 
Jistimativa  etiam  valde  propinqua  est  sen- 
sualitati,  quia  sibi  confinis  est ,  quia  sen- 
sualitas  dicit  ordinem  quemdam  ad  ratio- 
nem.  Ex  quo  patet  quod  in  brutis  non  est 
sensualitas  vocans  ad  peccatum  ;  sed  in  solis 
hominibus  in  quibus  propter  ordinem  ejus 
ad  rationem,  est  porta  corruptionis  et 
janua  culpœ. 

CAPUT  VI. 
De  potentia  inlellcctiva. 

Viso  de  potentia  vegetativa  et  sensitiva, 
dicendum  est  de  intellectu.  Potentia  autem 
hsec  prima  sui  divisione  dividitur  in  ap- 
prehensivam  et  motivam  vel  appetitivam. 


Hee  duae  potentia?  solum  inveniuntur  in 
substantiis  spiritualibus  et  intellectualibus, 
ut  dicit  Commentator  super  II.  Metapkys. 
Ratio  hujus  divisionis  est  quia  quarnlibet 
formam  sequitur  aliqua  varia  inclinatio. 
Sicut  ergo  formam  naturalem  sequitur  in- 
clinatio vel  appetitus  naturalis,  et  formam 
sensibilem  sequitur  appetitus  sensitivus,  ita 
formam  universalern  vel  intellectualem 
apprehensam  sequitur  appetitus  intellec- 
tualis  ;  et  quia  appetitus  intellectualis  se- 
quitur apprehensionem  ,  ideo  prius  dicen- 
dum est  de  apprehensivis,  quam  de  appeti- 
tivis.  Ad  apprehensionem  intellectualem 
duo  principia  sunt  necessaria  ,  scilicet  in- 
tellectus  quo  est  omnia  facere,  id  est  intel- 
lectus  agens,  et  intellectus  quo  est  onmia 
fieri,  id  est  intellectus  possibilis,  ut  dicitur 


SUR   LES   PUISSANCES  DE   L'AME.  19 

sants  pour  la  génération  propre  ou  l'opération ,  il  en  est  aussi  de 
même  dans  Famé.  Mais  l'acte  de  l'intellection  ne  peut  s'accomplir  par 
une  seule  et  même  puissance,  parce  que  l'ame  ne  comprend  rien  sans 
informer  l'espèce  à  l'égard  de  laquelle  elle  est  en  puissance  ,  comme 
la  prunelle  par  rapport  aux  couleurs.  Mais  elle  ne  peut  pas  être  mise 
en  acte  par  cette  puissance,  il  faut  qu'elle  le  soit  par  une  autre  chose 
qui  est  en  acte,  et  par  rapport  à  l'intellect  possible ,  et  par  rapport  à 
l'espèce  intelligible.  Mais  comme  l'espèce  n'estpas  reçue  dans  l'intellect 
possible  avant  d'avoir  été  dégagée  des  sensibles  matériels,  et  que  cela 
ne  peut  se  faire  que  par  ce  qui  est  immatériel  en  acte  ,  il  est  évident 
que  outre  l'intellect  possible  il  faut  placer  dans  l'ame  un  intellect  ac- 
tif ,  de  sorte  que  l'ame  est  en  puissance  par  une  force  et  en  acte  par 
une  autre  par  rapport  aux  espèces  intelligibles,  comme,  par  exemple, 
le  feu,  quand  il  agit  sur  l'eau,  il  agit  par  le  moyen  de  la  chaleur  qu'il 
a  en  acte,  et  subit  l'action  de  l'eau  par  le  froid  qu'il  a  en  puissance, 
tandis  que  l'eau  l'a  en  acte  ;  de  même  l'ame  étant  immatérielle  en 
acte,  est  en  acte  par  rapport  à  une  espèce  immatérielle  et  en  puis- 
sance par  rapport  à  une  espèce  matérielle  qu'elle  peut  mettre  en  acte 
quand  elle  veut,  et  cela  par  l'intellect  actif.1  Or,  il  est  en  puissance  par 
rapport  à  l'espèce  ,  en  tant  qu'il  ne  l'a  pas  en  acte ,  et  qu'il  peut  en 
recevoir  la  passion.  On  voit  par  là  quelle  est  l'opération  de  l'intellect 
actif  ,  d'abstraire  les  espèces  de  la  matière  et  des  sensibles  matériels. 
Mais  il  ne  faut  pas  concevoir  cette  abstraction  suivant  la  chose  mais 
suivant  la  raison.  Car  ainsi  que  nous  voyons  dans  les  puissances  sen- 
sitives,  que  quoique  certaines  choses  soient  unies  suivant  la  réalité , 
la  vue  ou  tout  autre  sens  de  ces  êtres,  ainsi  conjoints,  peut  saisir  une 
chose  sans  saisir  l'autre ,  comme  la  vue  perçoit  la  couleur  du  fruit 


III.  De  anima.  Sicut  enim  in  qualibet  na- 
tura  sunt  principia  suffîcientia  ad  genera- 
tionem  propriam  vel  operationem ,  ita  in 
anima.  Per  unam  autem  et  éamdem  po- 
tentiam  non  potest  actus  intelligendi  ex- 
pleri,  quia  anima  nihil  intelligit  msi  infor- 
metur  spem,  ad  quam  est  in  potentia,  si- 
cut pupilla  ad  colores.  Per  illam  potentiam 
autem  per  unam  recipit,  non  potest  educiin 
actum,  sed  oportet  quod  educatur  in  ac- 
tum  per  aliud,  quod  est  in  actu,  et  respectu 
intellectus  possibilis  et  respectu  speciei 
intelligibilis.  Gurn  autem  species  non  re- 
cipiatur  in  intellectu  possibili  nisi  depure- 
tur  a  sensibilibus  materialibus,  et  hoc  non 
possit  fieri  nisi  per  id  quod  est  actu  im- 
materiale,  patet  quod  oportet  ponere  ultra 
intellectum  possibilem ,  intellectum  agen- 
tem  in  anima ,  ita  quod  anima  per  aliam 
potentiam  est  in  potentia  et  per  aliam  est 
in  actu  respectu  specierum  imelligibilium, 


sicut  videmus  quod  ignis  quando  agit  in 
aquam,  agit  in  eam  per  caliditatem  quam 
habet  actu,  et  patitur  ab  aqua  per  frigidi- 
tatem  quam  habet  in  potentia  ,  et  aqua 
habet  eam  actu  ;  ita  anima  quia  actu  est 
immaterialis,  est  in  actu  respectu  speciei 
immaterialis,  et  in  potentia  respectu  spe- 
ciei materialis ,  et  cum  vult  potest  eam 
actu  facere  ,  et  hoc  per  intellectum  agen- 
tem.  Est  autem  in  potentia  respectu  speciei 
in  quantum  non  habet  eam  actu  ,  et  in 
tantum  potest  ab  ea  pati;  ex  quo  patet 
quae  sit  operatio  intellectus  agentis,  quia 
abstrahere  species  a  materia  et  a  sensibi- 
libus materialibus.  Ista  autem  abstractio 
non  est  intelligenda  secundum  rem,  sed 
secundum  rationem.  Sicut  enim  videmus 
in  potentiis  sensitivis  ,  quod  licet  aliqua 
sint  conjuncta  secundum  rem  ,  tamen  illo- 
rum  sic  conjunctorum  visus  vel  abus  sen- 
sus,  potest  unum  apprehendere  altero  non 


20  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE   6. 

sans  en  percevoir  la  saveur  unie  à  la  couleur,  il  peut  en  être  de  même  à 
bien  plus  forte  raison  dansla  puissance  intellective;  parce  que,  bien  que 
les  principes  de  l'espèce  ou  du  genre  ne  soient  que  dans  les  individus, 
un  peut  être  saisi  sans  que  l'autre  le  soit,  ce  qui  fait  que  l'animal  peut 
être  perçu  sans  l'homme,  l'âne  et  les  autres  espèces,  et  que  l'homme 
peut  être  perçu  sans  Sortes  ou  Platon,  et  aussi  la  chair,  les  osetl'ame 
sans  percevoir  telles  chairs,  tels  os  en  particulier ,  et  de  cette  manière 
l'intellect  perçoit  les  formes  abstraites,  c'est-à-dire  les  supérieurs  sans 
les  inférieurs.  Néanmoins  l'action  de  l'intellect  n'est  pas  fausse,  parce 
qu'il  ne  juge  pas  que  telle  chose  existe  sans  telle  autre  ,  mais  il  saisit 
une  chose  et  en  juge  sans  porter  un  jugement  sur  l'autre.  Or,  l'objet 
qui  est  requis  pour  l'intellection  est  l'image  et  la  similitude  d'une 
chose  particulière,  qui  est  dans  l'organe  de  l'imagination.  C'est  pour- 
quoi, de  même  que  la  vision  corporelle  se  complète  par  trois  choses, 
savoir ,  par  la  couleur  exposée  à  la  vue,  par  la  vue  qui  reçoit  la  simi- 
litude de  la  couleur ,  par  l'action  de  la  lumière  qui  se  projette  sur  la 
couleur  et  change  ce  qui  est  visible  en  puissance  en  visible  en  acte  ; 
de  même  l'intellection  s'opère  par  l'intellect  possible  ,  comme  rece- 
vant la  ressemblance  de  l'image,  et  par  l'opération  de  l'intellect  actif 
abstrayant  l'espèce  immatérielle  de  l'image ,  et  par  l'image  même 
imprimant  sa  ressemblance  dans  l'intellect  possible.  Il  faut  cependant 
observer  que  l'image  ne  se  perçoit  pas  comme  la  couleur  se  voit,  mais 
qu'il  est  dit  seulement  objet  de  l'intellect,  parce  que  celui-ci  n'exerce  pas 
son  opération  sans  l'image.  Or,  l'objet  propre  de  l'intellect  possible 
est  ce  qui  est  quelque  chose,  c'est-à-dire  la  quiddité  de  la  chose  même, 
comme  il  est  dit  dans  le  livre  III  de  l'Ame.  Car,  comme  il  y  a  des 
degrés  dans  les  puissances ,  il  y  en  a  aussi  dans  les  objets  ;  parce 


apprehenso,  ut  visus  apprehendit  colorem 
pomi,  qui  tamen  saporem  colori  conjunc- 
tum  non  apprehendit  ;  sic  multo  fortius 
potest  esse  in  potentia  intellectiva,  quia 
licet  principia  speciei  vel  generis  nun- 
quam  sint  nisi  in  individuis,  tamen  potest 
apprehendi  unum ,  non  apprehenso  altero, 
unde  potest  apprehendi  animal  sine  ho- 
mine,  asino  et  aliis  speciebus,  et  potest  ap- 
prehendi homo  non  apprehenso  Sorte  vel 
Platone  ;  et  caro,  et  ossa,  et  anima  non  ap- 
prehensis  his  camibus  et  ossibus,  et  sic 
semper  intellectus  formas  abstractas,  id  est 
superiora  sine  inferioribus  intelligit.  Nec 
tamen  falso  intelligit  intellectus,  quia  non 
judicat  hoc  esse  sine  hoc  ,  sed  apprehendit 
et  judicat  de  uno,  non  judicando  de  altero. 
Objectum  autem  quod  requiritur  ad  intel- 
ligendum,  est  phantasma  et  similitudo  rei 
particularis,  quod  est  in  organo  phantasiœ. 
Unde  sicut  visio  corporalis  complet  ur  per 


tria,  scilicet  per  colorem  visui  objectum , 
per  visum  recipientem  similitudinem  co- 
loris, per  actum  lucis  super  colorem  irra- 
diantis,  et  de  potentia  visibili  actu  visibile 
facientis  ;  ita  intelligere  fit  per  intellectum 
possibilem,  ut  recipientem  similitudinem 
phantasmatis  et  per  operationem  intellec- 
tus agentis  speciem  immaterialem  a  phan- 
tasmate  abstrahentis,  et  per  ipsum  phan- 
tasma suam  similitudinem  in  intellectum 
possibilem  imprimentis.  Advertendum  ta- 
men quod  phantasma  non  intelligitur  sicut 
color  videtur,  sed  pro  tanto  dicitur  objec- 
tum intellectus,  quia  suam  operationem 
non  exercet  sine  phantasmate.  Proprium 
autom  objectum  ipsius  intellectus  possi- 
bilis,  est  quod  quid  est ,  id  est  quidditas 
ipsius  rei,  ut  dicitur  III.  de  Anima.  Sicut 
enim  est  gradus  in  potentiis,  ita  in  objec- 
tis ,  quia  sicut  sensus  exterior  non  tantum 
potest,  quantum  sensus  interior,  nec  inte- 


SUR   LES   PUISSANCES   DE   l'àME.  21 

que  comme  le  sens  extérieur  ne  peut  pas  autant  que  le  sens  inté- 
rieur, et  le  sens  intérieur  que  l'intellect,  de  même  l'objet  du  sens 
extérieur  qui  est  les  qualités  de  la  troisième  espèce  de  qualités,  sa- 
voir les  qualités  passibles,  n'est  pas  aussi  élevé  que  l'objet  propre  du 
sens  intérieur,  savoir  le  sens  commun  de  la  fantaisie  et  de  l'imagina- 
tion, ce  qui  est  la  quantité  immédiatement  adhérente  à  la  substance. 
Mais  la  substance  de  la  chose  surpasse  tout  cela,  parce  que  de  même 
que  la  qualité  ne  peut  pas  être  sans  la  quantité,  de  même  aussi  l'une 
et  l'autre  ne  peut  être  sans  la  substance.  Donc  la  substance  de  la  chose 
est  ce  que  l'intellect  perçoit.  La  ressemblance  de  cette  chose  qui  est 
dans  l'âme  est  ce  par  quoi  l'intellect  perçoit  formellement  la  chose 
extérieurement.  L'image  est  ce  par  quoi  l'intellection  s'opère  comme 
effectivement  en  acquérant  la  science.  L'intellect  actif  est  celui  qui 
produit  et  fait  toutes  ces  choses  en  acte.  L'intellect  possible,  au  con- 
traire, est  celui  qui  reçoit  l'espèce  et  excite  l'acte  de  l'intellection,  et 
ainsi  celui-là  est  seul  intellect  possible  qui  est  le  sujet  d'une  grande 
science  acquise.  L'intellect  actif  est  celui  qui  ne  reçoit  rien,  mais  qui 
est  la  puissance  de  l'ame,  par  lequel  celle-ci  rend  intelligibles  en  acte 
les  choses  qui  par  leur  nature  ne  sont  intelligibles  qu'en  puissance, 
ayant  une  matière  qui  fait  obstacle  à  l'intellect,  parce  que  chaque 
chose  est  perçue  en  tant  qu'elle  possède  l'être  immatériel.] Or,  l'in- 
tellect  possible  auquel  seul  il  appartient  de  recevoir  l'espèce  intelli- 
gible ,  peut  être  considéré  sous  quatre  rapports.  Le  premier  suivant 

!•  qu'il  est  tout-à-fait  en  puissance  relativement  à  la  science,  et  ainsi  il 
précède  l'intellection ,  et  dans  ce  sens  il  est  appelé ,  par  les  philo- 
sophes, matériel,  c'est-à-dire  potentiel ,  comme  n'étant  en  acte  d'au- 

-^•cune  manière.  En  second  lieu  il  peut" être  considéré,  selon  qu'il  a 
quelque  disposition  à  la  science,  mais  incomplète,  comme  lorsqu'il  a 


rior,  sicut  intellectus ,  ita  objectum  sensus 
exterioris,  quae  sunt  qualitates,  de  tertia 
specie  qualitatis  ,  scilicet  passibiles  quali- 
tates, non  est  ita  altura  sicut  proprium  ob- 
jectum sensus  interioris ,  scilicet  sensus 
communis  phantasiae  et  imaginativae,  quod 
est  quantitas  quœ  immédiate  adhaeret  sub- 
stantif. Omnia  autem  ista  excellit  sub- 
stantia  rei,  quia  sicut  qualitas  non  potest 
esse  sine  quantitale ,  ita  nec  utraque  sine 
substantia.  Substantia  ergo  rei  est  id  quod 
intellectus  intelligit.  Similitudo  autem 
illius  rei,  quae  est  in  anima,  est  illud  quo 
formaliter  intellectus  rem  extra  intelligit. 
Phantasma  autem  est  illud  quo  quasi  effec- 
tive intelligit  in  acquirendo  scientiam. 
Intellectus  autem  agens  est,  qui  omnia  illa 
actu  agit  et  facit.  Intellectus  vero  possibilis 
est ,  qui  speciem  recipit  et  actum  intelli- 


gendi  elicit ,  et  sic  solus  intellectus  possi- 
bilis est,  qui  est  subjectum  scientiae  maxi- 
me acquisitae.  Intellectus  autem  agens  est, 
qui  nihil  recipit ,  sed  est  potentia  animée, 
quo  omnia  facit  actu  intelligibilia ,  quae 
per  naturam  suam  sunt  potentia  solum  in- 
telligibilia,  cum  habeant  materiam  quae 
intellectum  impedit ,  quia  unumquodque 
intelligitur,  in  quantum  habet  esse  imma- 
teriale.  Intellectus  autem  possibilis,  cujus 
solius  est  recipere  speciem  intelligibilem , 
quadrupliciter  potest  considerari.  Uno 
modo,  secundum  quod  est  omnino  in  po- 
tentia ad  scientiam,  et  sic  est  ante  intelli- 
gere ,  et  hoc  modo  appellatur  a  Philosophis 
materialis ,  id  est  potentialis  quasi  nullo 
modo  actu.  Secundo  modo  potest  conside- 
rari ,  ut  habet  aliquam  dispositionem  ad 
scientiam,  sed  incompletam,  ut  cum  habet 


22  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE    6. 

des  principes  connus  par  soi  de  quelque  science ,  et  en  ce  sens  il  est 
appelé  intellect  disposé.  Il  peut  être  considéré,  en  troisième  lieu,  selon 
qu'il  a  l'habitude  de  la  science  ,  sans  user  néanmoins  de  cette  habi- 
tude, et  dans  ce  sens  il  est  appelé  intellect  parfait  en  habitude.  En 
quatrième  lieu  suivant  qu'il  considère  en  acte  selon  l'habitude , 
et  dans  ce  sens  il  est  appelé  acquis  en  acte ,  et  c'est  de  cet  intellect 
que  certains  veulent  entendre  ces  mots  d'Aristote,  dans  le  livre  III  de 
l'Ame,  que  l'intellect  exerce  l'intellection  en  certains  cas  ,  pas  dans 
d'autres,  mais  toujours.  Quoique  cet  intellect  impossible  reçoive  dif- 
férents noms,  suivant  ses  différentes  perfections  et  opérations,  il  ne 
peut  néanmoins  en  aucune  manière  être  multiplié  suivant  la  sub- 
stance de  la  puissance;  la  raison  en  est,  comme  il  a  été  dit,  que  la 
puissance  ne  se  diversifie  que  suivant  la  raison  de  l'objet.  Or,  voilà 
ce  qui  se  fait ,  lorsqu'une  puissance  quelconque  est  ordonnée  à  quel- 
que objet  sous  la  raison  d'un  objet  universel,  cette  puissance  n'est 
pas  diversifiée  suivant  la  diversité  des  différences  particulières  de 
l'objet.  C'est  pourquoi  la  vue ,  en  percevant  la  couleur  sous  la  raison 
universelle  de  la  couleur,  n'est  pas  diversifiée  suivant  la  différence  du 
blanc  et  du  noir,  parce  qu'elle  ne  considère  le  blanc  et  le  noir  qu'en 
tant  que  coloré.  Or,  comme  c'est  par  l'intellect  possible  que  tout  doit 
être  fait,  comme  il  est  dit  dans  le  livre  III  de  l'ame,  il  considère  l'objet 
sous  la  raison  commune  de  l'être,  et  par  conséquent  la  puissance  in- 
tellective  appréhensive  ne  peut  être  diversifiée  suivant  aucune  diffé- 
rence de  l'être.  Néanmoins  l'intellect  actif  et  l'intellect  possible  sont 
diversifiés  à  l'égard  de  cet  objet,  parce  qu'il  doit  y  avoir  par  rapport 
au  même  objet  une  puissance  active  et  une  autre  passive,  comme  il  a 
été  dit.  On  voit  par  là.  que  l'intellect  spéculatif  et  l'intellect  pratique 
sont  la  même  chose  ;  la  raison  en  est  que  ce  qui  a  trait  accidentelle- 


principia  per  se  nota  alicujus  scientiae ,  et 
sic  appellatur  intellectus  dispositus.  Tertio 
modo  potest  considerari ,  prout  habet  ha- 
bitum  scientiee,  non  tamen  utitur  habitu, 
et  sic  appellatur  intellectus  perfectus  in 
habitu.  Quarto  modo ,  secundum  quod 
actu,  considérât  secundum  habitum,  et  sic 
dicitur  intellectus  adeptus  in  actu  ,  et  de 
isto  intellectu  volunt  quidam  intelligi  illud 
verbum  Philosophi  in  III.  De  anima,  quod 
intellectus  quandoque  intelligit ,  quando- 
que  non,  sed  semper.  Iste  autem  intellec- 
tus impossibilis  licet  secundum  diversas 
ejus  perfectiones  et  operationes  diversi- 
mode  nominetur,  non  tamen  potest  aliquo 
modo  multiplicari  secundum  substantiam 
potentia1,  cujus  ratio  est  quia,  ut  dictum 
est,  potentia  non  diversificatur  nisi  secun- 
dum diversam  rationem  objecti.  Nunc  au- 
tem sic  est  quod  quando  potentia  aliqua 


ordinatur  ad  aliquod  objectum  sub  ratione 
universali  objecti,  non  diversificatur  po- 
tentia illa  secundum  diversitatem  particu- 
larium  differentiarum  objecti.  Unde  visus 
quia  respicit  colorem  sub  universali  ra- 
tione coloris,  non  diversificatur  secundum 
diversitatem  albi  et  nigri,  quia  nec  album 
nec  nigrum  considérât ,  nisi  in  quantum 
coloratum.  Cum  autem  intellectus  possi- 
bilis  sit,  quo  est  omnia  iieri,  ut  dicitur  III. 
De  anima ,  respicit  objectum  sub  ratione 
communi  entis ,  et  ideo  secundum  nullam 
differentiam  entis  potest  diversificari  po- 
tentia intellectiva  apprehensiva.  Respectu 
tamen  istius  objecti  diversificatur  intellec- 
tus agens  et  intellectus  possibilis  ,  quia 
respectu  objecti  ejusdem  oportet  esse  aliam 
potentiam  activam  et  aliam  passivam ,  ut 
dictum  est.  Ex  hoc  patet  quod  idem  sit 
intellectus  speculativus  et  practicus,  cujus 


SUR   LES   PUISSANCES   DE    L'AME.  23 

ment  à  la  raison  de  l'objet  que  regarde  une  puissance  quelconque,  ne 
diversifie  pas  cette  puissance.  En  effet,  parce  qu'il  arrive  à  un  objet 
coloré  d'être  grand  ou  petit,  homme  ou  âne ,  tous  ces  accidents  n'en 
sont  pas  moins  perçus  par  la  même  puissance  visuelle.  Or,  il  est 
constant  que  c'est  un  accident  d'une  chose  perçue  par  l'intellect  d'être 
ordonnée  ou  non  à  une  œuvre;  c'est  pourquoi  l'intellect  spéculatif  et 
l'intellect  pratique  diffèrent,  en  ce  que  la  fin  de  l'intellect  spéculatif 
est  la  vérité  seule,  et  l'œuvre  celle  de  l'intellect  pratique,  comme  il 
est  dit  dans  le  livre  II  de  la  Métaphysique.  Il  est  évident  qu'ils  ne  sont 
qu'une  même  puissance  ,  ce  que  prétend  ouvertement  Aristote ,  dans 
le  troisième  livre  de  l'Ame ,  où  il  dit  :  «  Que  l'intellect  spéculatif 
devient  pratique  par  l'extension  de  la  chose  perçue  à  l'œuvre,  ce 
qui  montre  qu'ils  diffèrent  par  la  fin  seule.  »  On  voit  aussi  par  là  que 
l'intellect  et  l'intelligence  ne  sont  pas  des  puissances  différentes,  mais 
diffèrent  dans  le  sens  adopté  par  Aristote,  non  pas  à  la  vérité  comme 
la  puissance  de  la  puissance,  mais  comme  l'acte  de  la  puissance. 
Car  l'intellection  est  l'acte  de  l'intellect ,  qui  est  intelligence,  suivant 
ce  que  dit  Aristote,  dans  le  livre  III  de  l'Ame.  L'intelligence  appar- 
tient aux  indivisibles  en  qui  le  faux  ne  se  trouve  pas.  Cependant  in- 
telligence est  prise  quelquefois,  par  certains  philosophes,  pour  nature 
ou  substance  séparée ,  qui  est  dite  intelligence ,  parce  qu'elle  com- 
prend toujours.  Mais  l'intellect  ne  peut  différer  de  la  raison ,  ce  qui 
est  évident,  si  l'on  considère  leurs  actes  avec  soin.  Comprendre,  c'est 
considérer  la  vérité  par  une  simple  intuition.  Mais  raisonner,  c'est 
passer  d'une  chose  comprise  à  une  autre,  pour  connoître  la  vérité  in- 
telligible ,  ce  qui  fait  que  la  raison  commence  toujours  par  l'intellect 
et  se  termine  à  lui.  C'est  pourquoi  il  est  clair  que  raisonner  et  com- 
prendre diffèrent  comme  être  en  mouvement  et  être  en  repos.  Or , 

secundum  quod  intelligentia  accipitur  a 
Philosophe,  non  quidem  sicut  potentia  a 
potentia,  sed  sicut  actus  a  potentia.  Intel- 
ligentia euim  est  actus  ipsius  intellectus, 
qui  est  intelligentia ,  juxta  illud  Philoso- 
phi,  III.  De  anima.  Indivisibilium  intelli- 
gentia est,  in  quibus  non  est  falsum.  In- 
telligentia tamen  aliquando  a  Philosophis 
accipitur  pro  natura  vel  substantia  sepa- 
rata,  quae  intelligentia  dicitur  ,  quia  sem- 
per  intelligit.  Intellectus  autem  a  ratione 
differre  non  potest  ,  quod  patet,  si  eorum 
actus  diligenter  consideretur.  Intelligere 
est  veritatem  simplici  intuitu  considerare. 
Ratiocinari  autem  est  de  uno  intellectu  ad 
aliud  procedere ,  ad  veritatem  intelligibi- 
lem  cognoscendam  ,  unde  ratio  incipit 
semper  ab  intellectu  et  ad  intellectum  ter- 
minatur.  Unde  patet  quod  ratiocinari  et 
intelligere  differunt,  sicut  moveri  et  quies- 


ratio  est,  quia  illud  quod  accidentaliter 
habet  se  ad  rationem  objecti,  quam  respicit 
aliqua  potentia ,  non  diversificat  potentiam, 
quia  enim  accidit  colorato ,  quod  sit  ma- 
gnum aut  parvum,  homo  vel  asinus,  ideo 
omnia  ista  per  unam  potentiam  visivam 
apprehenduntur.  Constat  autem  quod  acci- 
dit apprehenso  per  intellectum,  quod  ordi- 
netur  ad  opus  vel  non  ordinetur  :  unde 
cum  secundum  hoc  différant  intellectus 
speculativus  et  practicus,  quia  finis  specu- 
lativi  est  sola  veritas,  practici  vero  opus, 
ut  dicitur  II.  Metaph.,  manifestum  est, 
quod  sunt  una  potentia ,  quod  aperte  vult 
Philosophus,  III.  De  anima,  ubi  dicit  quod 
intellectus  speculativus  extensione,  scilicet 
apprehensi  ad  opus  fit  practicus,  ex  quo 
patet  quod  solo  fine  differunt.  Ex  hoc  etiam 
apparet  quod  intellectus  et  intelligentia 
non  sunt  diversae  potentiœ,  sed  differunt 


24  OPUSCULE    XLII,    CHAPITRE    6. 

d'après  Aristote ,  dans  le  deuxième  livre  du  Ciel  et  du  monde,  il  est 
constant,  dans  les   choses  corporelles,  qu'une  chose  se  meut  vers 
un  lieu  ou  repose  dans  un  lieu  par  la  même  puissance.  Donc  à 
plus  forte  raison,  dans  les  choses  spirituelles,  c'est  par  la  même  puis- 
sance que  nous  raisonnons  et  que  nous  comprenons ,  que  nous  cher- 
chons la  vérité,  et  que  nous  la  concevons  après  l'avoir  trouvée.  Il  ne 
peut  pas  même  y  avoir  une  raison  supérieure  et  inférieure  d'une 
puissance  diverse,  parce  que  la  raison  inférieure  est  dite  ainsi  à  cause 
qu'elle  a  trait  aux  choses  inférieures ,  et  la  raison  supérieure  aux 
choses  supérieures.  Or,  il  y  a  deux  manières  d'avoir  trait  aux  choses 
supérieures,  la  première  en  les  considérant  en  elles-mêmes,  la  se- 
conde en  prenant  d'elles  des  règles  pour  faire  les  choses  inférieures. 
Mais  ces  deux  objets,  savoir  les  choses  temporelles  et  les  choses  éter- 
nelles, sont  comparés  de  deux  manières  à  notre  connoissance.  La 
première  suivant  la  voie  de  l'invention,  et  ainsi  les  choses  temporelles 
sont  pour  nous  le  chemin  qui  mène  aux  choses  éternelles ,  suivant  ce 
passage  de  la  première  Epître  aux  Romains  :  «Xes choses  invisibles 
de  Dieu  sont  comprises  et  connues  par  le  moyen  des  choses  créées.» 
La  seconde  par  voie  de  résolution  et  de  jugement,  et  ainsi  nous  dispo- 
sons des  choses  temporelles  par  le  moyen  des  choses  éternelles.  11  en  est 
ainsi  maintenant  que,  bien  que  le  moyen  et  ce  à  quoi  l'on  arrive  par 
le  moyen  puissent  appartenir  à  différentes  habitudes,  ils  n'appar- 
tiennent jamais  à  des  puissances  différentes,  mais  à  la  même.  D'où  il 
suit  que  quoique  les  principes  et  les  conclusions  appartiennent  à  des 
habitudes  différentes ,  parce  que  les  principes  regardent  l'habitude 
des  principes  de  l'intellect,  et  les  conclusions  l'habitude  des  conclu- 
sions de  la  science,  les  uns  et  les  autres  néanmoins  appartiennent  à  la 
même  puissance!  Donc  la  considération  des  choses  éternelles,  quoique 
appartenant  à  une  habitude  autre  que  la  considération  des  choses 


cere.  Constat  autem  secundum  Philoso- 
phum,  II.  Cœli  et  mundi,  quod  per  eam- 
dem potentiam  movetur  aliquid  ad  locum 
et  quiescit  in  loco  in  corporalibus.  Ergo 
multo  fortius  in  spiritualibus  per  unam  et 
eamdcm  potentiam  ratiocinamur  et  intel- 
ligimus,  veritatem  inquirimus  et  inventam 
intelligimus.  Ratio  etiam  superior  et  in- 
ferior  diversae  potentiae  esse  non  possunt, 
quia  ratio  inferior  ex  hoc  dicitur ,  quod 
rébus  inferioribus  intendit,  ratio  superior, 
quia  superioribus.  Superioribus  autem  in- 
tendere  potest  dupliciter  :  uno  modo  spe- 
culando  ea  in  seipsis  ;  alio  modo  accipiendo 
ex  ipsis  régulas  inferiorum  agendorum. 
Ista  autem  duo  objecta,  scilicet  temporalia 
et  œterna,  comparantur  ad  cognitionem 
nostram  dupliciter.  Uno  modo ,  secundum 


viam  inventionis,  et  sic  temporales  sunt 
nobis  via  deveniendi  in  aeterna,  juxta  illud 
Rom.,  I  :  «Invisibilia  Dei  per  ea  quœ  facta 
sunt  intellecta  conspiciuntur.  »  Alio  modo 
per  viam  resolutionis  et  judicii,  et  sic  per 
rationes  œternorum ,  temporalia  disponi- 
mus.  Nunc  autem  sic  est  quod  licet  mé- 
dium, et  illud  ad  quod  per  médium  deve- 
nitur,  possint  ad  diversos  babitus  pertinere, 
nunquam  tamen  ad  diversas  potentias,  sed 
ad  eamdem  :  onde  licet  principia  et  con- 
clusiones  pertineant  ad  diversos  habitus, 
quia  principia  ad  habitum  intellectus  prin- 
cipiorum,  conclusiones  ad  habitum  scientiae 
conclusionum ,  tamen  utraque  pertinet  ad 
eamdem  potentiam.  Ergo  consideratio  ae- 
ternorum,  licet  ad  alium  habitum  perti- 
neat  quam  consideratio  ternporalium,  quia 


SUR  LES   PUISSANCES  DE    l'âME.  25 

temporelles,  parce  que  celle-ci  regarde  la  sagesse  qui  a  rapport  aux 
choses  éternelles,  et  celle-ci  la  science  qui  a  rapport  aux  choses  tem- 
porelles, néanmoins  il  faut  que  la  considération  des  unes  et  des  autres 
appartienne  à  la  même  puissance.  On  dit  cependant  partie  supérieure 
et  partie  inférieure,  parce  que  partie  "vient  de  partage,  et  là,  quoiqu'il 
n'y  ait  point  partage  de  puissance,  il  y  a  néanmoins  partage  d'habi- 
tudes  et  d'offices,  aussi  saint  Augustin  les  appelle- t-il  deux  parties. 

CHAPITRE  VII. 
De  la  volonté  et  du  libre  arbitre  qui  sont  une  même  chose. 

Après  avoir  parlé  de  la- puissance  appréhensive  intellective,  nous 
allons  parler  de  la  puissance  motive  ou  appétitive  qui  est  appelée  vo- 
lonté. Or  la  volonté  est  double;  l'une  naturelle  ,  l'autre  délibérative. 
En  effet,  la  volonté  peut  être  mue  par  un  mouvement  naturel  comme 
les  autres  puissances ,  et  cela  pour  le  salut  de  la  nature,  et  ainsi  elle 
est  appelée  volonté  naturelle.  Elle  peut,  d'une  autre  manière,  être  mue 
vers  quelque  chose  suivant  qu'elle  abonde  plus  que  les  autres  en  li- 
berté en  suivant  son  moteur  qui  est  ljintellect ,  ou  la  fantasia ,  et  dans 
ce  sens  elle  est  indéterminée  par  rapport  aux  intelligibles ,  ce  qui  fait 
que  dans  ce  sens  elle  est  délibérative.  11  n'y  a  pas  cependant  diffé- 
rentes volontés,  mais  une  seule  volonté  diversement  mue  ou  se  mou- 
vant elle-même.  Mais  cette  volonté  ne  se  divise  pas  par  l'irascible  et 
le  concupiscible,  comme  l'appétit  sensitif ,  parce  qu'elle  considère  le 
bien  sous  la  raison  particulière  du  bien,  comme  le  sens  saisit  la  raison 
particulière  du  bien,  en  raison  de  quoi  les  appétits  sensitifs  sont  di- 
versifiés suivant  les  raisons  particulières  des  biens.  Car  le  concupis- 
cible regarde  la  raison  propre  du  bien  en  tant  qu'il  est  délectable  sui- 
vant les  sens,  et  convenable  à  la  nature.  Virascible,  au  contraire, 


illa  ad  sapientiam  quee  est  de  seternis,  ista 
ad  scientiam  qua;  est  de  temporalibus,  ta- 
men  oportet  quod  ad  eamdcm  potentiam 
pertineat  utrorumque  consideratio.  Dicitur 
tamen  pars  superior  et  inferior ,  quia  pars 
a  partitione  dicitur;  ibi  aulem,  licet  non 
sit  partitio  potentiarum  ,  tamen  partitio 
habituum  et  officiorum  est  ibi,  et  ideo  di- 
cuntur  ab  Augustino  duœ  partes. 

CAPUT  VII. 

De  voluntate  et  libero  arbilrio ,   quod  sunt 
idem. 

Viso  de  apprehensiva  intellectiva,  videa- 
mus  de  motiva  vel  appetitiva,  qua?  dicitur 
voluntas.  Voluntas  autem  est  duplex.  Una 
naturalis,  alia  deliberativa.  Potest  enim 
voluntas  moveri  motu  naturali  sicut  aliae 


potentise,  et  hoc  ad  salvationem  naturse, 
et  sic  dicitur  voluntas  naturalis.  Alio  modo 
potest  moveri  ad  aliquid,  secundum  quod 
abundat  ab  aliis  in  libertate  ,  sequendo 
suum  motorem  qui  est  intellectus  vel  phaii- 
tasia,  et  sic  est  indeterminata ,  respectu 
intelligibilium  ,  unde  sic  est  deliberativa. 
Nec  tamen  sunt  divers®  voluntates ,  sed 
una  diversimode  mota  vel  movens  seipsam. 
Ista  autem  voluntas  per  irascibilem  et  con- 
cupiscibilem  non  dividitur,  sicut  appetitus 
sensitivus ,  quia  respicit  bonum  sub  parti- 
culari  ratione  boni ,  sicut  et  sensus  parti- 
cularem  rationem  boni  apprehendit  ;  ideo 
secundum  particulares  rationes  bonorum 
diversificantur  appetitus  sensitivi.  Concu- 
piscibilis  enim  respicit  propriam  rationem 
boni,  in  quantum  est  delectabile  secundum 


26  OPUSCULE   XLII,    CHAPITRE    7. 

regarde  la  raison  particulière  du  bieu ,  en  tant  qu'il  le  repousse  et  le 
combat,  ce  qui  occasionne  un  préjudice.  Or,  la  volonté  considère  le 
bien  sous  la  raison  universelle  du  bien  ,  aussi  les  puissances  ne  sont 
pas  diversifiées  en  elle  suivant  les  raisons  diverses  des  biens  particu- 
liers, suivant  le  concupiscible  et  l'irascible.  La  volonté  délibérative  et 
le  libre  arbitre  ne  sont  qu'une  même  chose.  Elle  ne  peut  pas,  en  effet, 
être  une  habitude,  comme  certains  l'ont  dit,  car  par  les  habitudes 
nous  nous  portons  vers  les  passions  d'une  manière  déterminée  en 
bien  ou  en  mal,  comme  il  a  été  dit  dans  le  second  livre  des  Ethiques; 
tandis  que  le  libre  arbitre  se  porte  indifféremment  à  bien  ou  mal  agir, 
c'est  ce  qui  fait  dire  qu'il  est  une  même  puissance  avec  la  volonté. 
Néanmoins  il  ne  dénomme  pas  la  volonté  d'une  manière  absolue,  mais 
bien  par  comparaison  à  la  raison,  en  tant  que,  par  exemple ,  la  vertu 
de  la  raison  délibérante  demeure  en  elle  ;  c'est  pourquoi ,  comme 
vouloir  est  de  la  volonté,  d'une  manière  absolue,  de  même  choisir  est 
du  libre  arbitre ,  en  tant  que  la  force  de  la  raison  demeure  en  elle. 
Mais,  bien  qu'elle  soit  une  puissance,  elle  est  quelquefois  dénommée 
par  son  acte,  ce  qui  fait  qu'elle  est  appelée  libre  arbitre,  comme  libre 
jugement  de  la  raison.  Elle  est  aussi  appelée  faculté,  parce  que  c'est 
une  puissance  disposée  à  l'opération.  Elle  est  également  appelée  ha- 
bitude, par  saint  Bernard,  non  pas  en  tant  que  l'habitude  est  séparée 
de  la  puissance ,  mais  en  tant  qu'il  signifie  une  habitude  quelcon- 
que, par  laquelle  on  se  porte  à  l'acte  de  la  même  manière  ;  c'est  pour- 
quoi le  libre  arbitre  est  brièvement  comparé  à  la  volonté  de  la  même 
manière  que  la  raison  à  l'intellect  ;  parce  que  de  même  que  la  raison 
acquiert  des  connoissances  en  discourant  d'une  chose  à  une  autre,  ce 
que  l'intellect  fait  simplement  et  d'une  manière  absolue ,  de  même 
aussi  le  libre  arbitre  est  un  appétit  pour  acquérir  quelque  chose,  c'est 


serisum  et  conveniens  naturee.  Irascibilis 
autem  respicit  particularem  rationem  boni 
secundum  quod  est  repulsivura  et  pugna- 
tivum  ejus,  quod  infert  nocumentum.  Vo- 
luntas  autem  respicit  bonum  sub  univer- 
sali  ratione  boni,  et  ideo  non  diversifi- 
cantur  in  ea  potentiœ  secundum  diversas 
particularium  bonorum  rationes ,  secun- 
dum concupiscibilem  et  irascibilem.  Vo- 
luntas  autem  deliberativa  et  liberum.  ar- 
bitrium  idem  sunt.  Non  enim  potest  esse 
habitus,  ut  quidam  dixerunt,  quia  per  ha- 
bitus  nos  habemus  determinate  ad  passio- 
nes  et  actus  bene  vel  maie ,  ut  dicitur  II. 
Ethù:.  Liberum  autem  arbitrium  indiffe- 
renter  se  habet  ad  bene  agendum  vel 
maie,  unde  oportet  dicere  quod  sit  poten- 
tia  eadem  scilicet  cum  voluntate.  Non  ta- 
men  nominat  voluntatem  absolute,  sed  per 
comparationem  ad  rationem,  in  quantum 


scilicet  manet  in  ea  virtus  rationis  délibé- 
rante :  unde  sicut  velle  est  voluntatis,  ab- 
solute, ita  eligere  est  liberi  arbitra,  in 
quantum  in  ea  manet  virtus  rationis.  Licet 
autem  sit  potentia,  tamen  per  actum  suum 
aliquando  nominatur,  unde  dicitur  liberum 
arbitrium ,  quasi  liberum  de  ratione  judi- 
cium.  Facultas  etiam  dicitur,  quia  poten- 
tia est  expedita  ad  operandum.  Dicitur 
etiam  habitus  a  Bernardo,  non  prout  ha- 
bitus dividitur  contra  potentiam,  sed  prout 
dicit  aliquam  habitudinem,  per  quam  ali- 
quis  eodem  modo  se  habet  ad  actum,  unde 
breviter  eodem  modo  comparatur  liberum 
arbitrium  ad  voluntatem,  sicut  ratio  ad 
intellectum  ,  quia  sicut  ratio  per  discur- 
sum  unius  ad  alterum  cognoscit,  quod  in- 
tellectus  simpliciter  et  absolute  facit ,  sic 
liberum  arbitrium  est  appetitus  alicujus  ad 
aliquid  consequendum  ,  unde  est  eorum 


SUR  LES   PUISSANCES   DE    l'àME.  27 

pour  cela  qu'il  est  des  choses  qui  regardent  la  fin.  Mais  la  volonté  est 
rapjpétit  de  la  chose  d'une  manière  absolue  ;  c'est  pourquoi  elle  est 
dite  être  de  la  fin  qui  estappétée  pour  elle-même. 

CHAPITRE  VIII. 

Dans  quelles  puissances  de  l'ame  se  trouve  le  péché,  et  quelles  sont  celles 

où  il  n'est  pas. 

Après  avoir  parlé  des  puissances  de  l'ame  ,  il  faut  examiner  dans 
lesquelles  le  péché  peut  être  ou  n'être  pas.  Il  faut  donc  dire ,  suivant 
saint  Grégoire,  que  toute  créature  est  comprise  nominativement  sous 
le  nom  d'homme ,  parce  que  celui-ci  a  quelque  chose  de  commun 
avec  toutes  les  créatures.  Il  a,  en  effet,  l'être  avec  les  pierres,  la  vie 
avec  les  arbres,  la  sensibilité  avec  les  bêtes,  l'intelligence  avec  les 
anges.  Mais  le  mouvement  ne  lui  convient  pas  par  la  raison  par  la- 
quelle il  a  l'être,  parce  qu'alors  le  mouvement  conviendroit  à  tous  les 
êtres.  Mais  en  vertu  de  la  raison  par  laquelle  il  vit,  sent  et  conçoit, 
un  triple  mouvement  lui  convient ,  savoir  le  mouvement  naturel,  le 
mouvement  animal  et  le  mouvement  rationnel.  Or,  le  mouvement  na- 
turel existe  suivant  une  inclination  nécessaire  en  dehors  de  l'appré- 
hension de  quelque  chose  de  délectable,  et  comme  lorsqu'il  y  a  incli- 
nation nécessaire ,  il  n'y  a  ni  soumission,  ni  obéissance  à  la  raison  ; 
en  conséquence  le  mouvement  naturel  dans  l'homme,  tel  que  le  mou- 
vement de  nutrition,  d'accroissement,  de  génération,  en  tant  que  ces 
mouvements  suivent  la  nécessité  de  la  nature  et  précèdent  l'appré- 
hension, ils  ne  peuvent  être  sujets  du  péché,  parla  raison  que  le  péché 
est  volontaire  en  quelque  manière  et  sujet  à  la  raison ,  c'est  pourquoi 
il  ne  peut  pas  y  avoir  de  péché  dans  les  actes  de  la  partie  végétative. 
Le  mouvement  animal  suit  l'appréhension  du  délectable  et  a  l'être 


quae  sunt  ad  finem.  Voluntas  autem  est 
appetitus  rei  absolute  :  unde  dicitur  esse 
ipsius  finis,  qui  propter  se  appetitur. 

CAPUT  VIII. 

In  quibus  potenliis  animœ  est  peccalum ,  et 
in  quibus  non. 

Viso  de  potentiis  animœ,  videndura  est 
in  quibus  potest  esse  peccatum,  et  in  qui- 
bus non.  Dicendum  est  ergo  secundum 
Gregorium,  quod  omnis  creatura,  nomine 
homo  intelligitur,  quia  cum  omni  creatura 
habet  aliquid  commune.  Habet  enim  esse 
cum  lapidibus,  vivere  cum  arboribus,  sen- 
tire  cum  bestiis ,  intelligere  cum  angelis. 
Ratione  vero  qua  homo  habet  esse,  non 
convenit  ei  aliquis  motus,  quia  sic  motus 
conveniret  omnibus  entibus.  Ratione  vero 
qua  vivit ,  sentit  et  intelligit,  convenit  ei 


aliquis  motus ,  quia  sic  motus  conveniret 
omnibus  entibus.  Ratione  vero  qua  vivit, 
sentit  et  intelligit,  convenit  ei  triplex  mo- 
tus, scilicet  naturalis,animalis  et  rationalis. 
Motus  autem  naturalis  est  secundum  ne- 
cessariam  inclinationem  prseter  alicujus 
delectabilis  apprehensionem ,  et  quia  ubi 
necessaria  est  inclinatio ,  ibi  nulla  subjec- 
tio  vel  obedientia  ad  rationem  ;  ideo  motus 
naturalis  in  homine  sicut  est  motus  nutri- 
tive ,  augmentativœ  ,  generativee ,  secun- 
dum quod  sequuntur  riaturae  necessitatem 
et  antecedunt  apprehensionem ,  non  pos- 
sunt  esse  subjectum  peccati,  eo  quod  pec- 
catum aliquo  modo  est  voluntarium  et 
rationi  subjectum  ,  unde  in  actibus  partis 
végétative ,  non  potest  esse  peccatum. 
Motus  vero  animalis  sequitur  delectabilis 
apprehensionem  et  habet  esse  in  appetitu 


28  OPUSCULE    XLII,    CHAPITRE    8. 

dans  l'appétit  sensitif  qui  est  rationnel  par  participation,  ce  qui  fait 
dire  à  Aristote,  sur  la  fin  du  premier  livre  de  YEthique,  qu'il  est  en 
quelque  sorte  soumis  à  la  raison ,  quoi  qu'il  ne  le  soit  pas  simpliciter 
à  cause  de  la  corruption  et  de  l'infection.  D'où  il  suit  que  le  péché, 
étant  un  acte  moral  et  ordonné,  peut  se  trouver  dans  la  puissance  qui 
est  soumise  d'une  certaine  façon  au  principe  moral,  c'est-à-dire  à  la 
volonté.  Néanmoins,  comme  ces  actes  ou  mouvements  animaux  ne 
sont  pas  entièrement  soumis  à  l'empire  de  la  volonté ,  parce  qu'ils  ne 
sont  ni  produits ,  ni  commandés  par  la  volonté  ,  comme  les  mouve- 
ments qui  comportent  la  délibération,  mais  sont  seulement  permis 
par  la  raison  et  la  volonté ,  quoiqu'ils  aient  le  caractère  de  péché,  ce 
n'est  que  de  péché  incomplet ,  cependant,  qui  est  le  péché  véniel, 
mais  non  complet,  ce  qui  est  le  péché  mortel.  Donc,  parce  que  le 
péché  est  attribué  comme  au  sujet  de  la  puissance  qui  le  commet  ou 
qui  est  son  principe,  conséquemment  dans  la  sensualité  qui  dénomme 
l'appétit  sensitif  dans  l'homme,  comme  il  a  été  dit  dans  la  distinction 
des  puissances  de  l'ame,  il  peut  y  avoir  péché  véniel  comme  dans  le 
sujet,  mais  non  péché  mortel.  Le  mouvement  rationnel  est  celui  qui 
est  libre  suivant  la  raison  par  laquelle  un  acte  doit  être  ordonné  vers 
sa  fin  légitime.  C'est  pourquoi,  s'il  est  détourné  de  sa  fin  légitime, 
l'acte  a  le  caractère  de  péché,  parce  que  c'est  le  propre  de  la  raison 
d'ordonner  ses  actes.  Or  la  raison  a  un  double  acte,  un  selon  soi,  par 
comparaison  à  son  objet  qui  est  de  connoître  quelque  vérité  propre; 
il  est  désordonné  quand  la  raison  ne  fait  pas  convenablement  son  of- 
fice comme  elle  le  doit,  et  ainsi  le  désordre  est  occasionné  par  l'igno- 
rance.1 La  raison  a  un  autre  acte  comme  directrice  des  actes  humains, 
et  cet  acte  consiste  à  domirer  et  à  réprimer  les  forces  inférieures,  et 
elle  pèche  par  cet  acte ,  quand  elle  commande  ce  qu'elle  ne  doit  pas 


sensitivo  ,  qui-est  rationalis  per  participa- 
tionem,  unde  dicit  Philosophus,  I.  Ethic, 
in  fine.  Est  itaque  aliquo  modo  obedibile 
rationi ,  et  si  non  simpliciter  propter  cor- 
ruptionem  et  infectionem.  Unde,  quia  pec- 
catum  est  actus  rnoralis  et  ordinalus ,  po- 
test  esse  in  illa  potentia  quae  subjacet  ali- 
quo modo  principio  morali,  id  est  voluntati. 
Quia  tamen  actus  isti  vel  motus  animales 
non  omniuo  subsnnt  imperio  voluntatis, 
quia  non  eliciuntur,  nec  imperantur  a  vo- 
luntate ,  sicut  motus  deliberationem  su- 
mentes,  sed  solum  perniittuntur  a  ratione 
et  volunjate  ;  ideo  licet  habeant  rationem 
peccati,  tamen  incompleti ,  quod  est  pec- 
catum  veniale,  non  autem  completi,  quod 
est  mortale.  Quia  ergo  peceatum  attribui- 
tur  ut  subjecto  potentiae,  quae  ipsum  elicit 
vel  est  principium  ejus;  ideo  in  sensuali- 
tate  quae  nominat   appétit  um  sensitivum 


in  homine,  ut  dictum  est  in  distinctione 
potentiarum  animae,  potest  esse  peceatum 
veniale,  tanquam  in  subjecto,  non  autem 
peceatum  mortale.  Motus  autem  rationalis 
est  qui  est  secundum  rationem  liber  um, 
per  quam  débet  actus  ordinari  in  debitum 
finem.  Unde  si  deordinetur  a  debito  fine, 
habet  actus  rationem  peccati,  cum  rationi 
sit  actum  suum  ordinare.  Ratio  autem  ha- 
bet duplicem  actum.  Unum  secundum  se , 
per  comparationem  ad  objeclum  suum, 
quod  est  cognoscere  aliquod  propriuni  ve- 
rum,  qui  est  tune  inordinatus,  quando  ra- 
tio non  recte  se  habet  circa  ea  ad  quae  te- 
netur  et  débet,  et  sic  inordinatio  causatur 
ex  ignorantia.  Alium  actum  habet  ratio, 
in  quantum  est  directiva  humanorum  ac- 
tuum,  et  iste  actus  est  imperare  vel  coer- 
cere  vires  inferiores,  et  per  istum  actum 
peccat,  quando  imperat  quod  non  débet 


SUR  LES  PUISSANCES   DE   l'aME.  29 

commander,  ou  ne  réprime  pas  ce  qu'elle  doit  réprimer.  Il  n'est  pas 
contraire  à  cette  doctrine  de  dire  que  le  péché  est  dans  la  volonté  ;  car 
la  raison  précède  la  volonté  d'une  certaine  façon,  et  de  même  celle-ci 
la  raison,  parce  que  la  raison  dirige  la  volonté,  et  la  volonté  meut  la 
raison,'  et  par  conséquent  le  mouvement  de  la  volonté  est  appelé  ra- 
tionnel, et  le  mouvement  de  la  raison  volontaire.  Dans  la  raison  même 
supérieure  il  peut  y  avoir  péché  tant  mortel  que  véniel.  Car  la  raison 
supérieure  doit  se  montrer  dans  l'objet  propre  et  dans  les  objets  des 
forces  inférieures.  Elle  ne_^enorte  dans  les  objets  des  forces  infé- 
rieures qu'en  consultant  sur  eux  les  lois  éternelles,  c'est  pourquoi 
elle  se  porte  en  eux  par  mode  de  délibération  ,  d'où  il  arrive  que  si 
l'objet  des  forces  inférieures  est  de  sa  nature  péché  mortel ,  l'acte  de 
la  raison  supérieure  est  aussi  mortel.  Si,  au  contraire,  cet  objet  est 
de  la  nature  du  péché  véniel ,  il  sera  véniel ,  comme  on  voit  lorsque 
l'on  consent  aune  parole  oiseuse.  Quant  à  l'olnjeJjDropxe,  la  raison  su- 
périeure a  un  double  mouvement,  l'un  qui  est  une  simple  intuition 
de  son  objet,  et  ce  mouvement  peut  être  subit  dans  les  choses  divines 
et  désordonné,  et  parce  que  un  désordre,  subit  sans  délibération,  n'est 
pas  péché  mortel,  un  tel  acte  est  par  conséquent  péché  véniel,  comme 
un  mouvement  subit  d'infidélité,  quoique  l'infidélité  soit  péché  mortel.  • 
Il  y  a  un  autre  acte  de,  la  raison  supérieure  relativement  à  l'objet 
propre  par  délibération ,  comme  lorsqu'il  arrive  un  mouvement  de 
doute  touchant  la  résurrection  des  morts  et  qu'on  se  rappelle  en 
même  temps  que  la  résurrection  des  morts  est  révélée  par  la  loi  de 
Dieu.  Si  après  le  souvenir  connu  de  la  loi  de  Dieu  on  a  un  mouvement 
de  doute  ,  alors  ce  mouvement  est  délibéré  ,  et  c'est  un  péché  d'in- 
fidélité complet  et  mortel.!  Il  est  ainsi  évident  que  la  raison  inférieure 
peut  pécher  véniellement  et  mortellement ,  mais  non  sans  le  consen- 


imperare ,  vel  non  coercet  quod  débet 
coercere.  Nec  contra  istud  est,  quod  pecca- 
tum  dicitur  esse  in  voluntate.  Ratio  enim 
quodammodo  prœcedit  voluntatem  ,  quo- 
dammodo  voluntas  rationem,  quia  ratio 
dirigit  voluntatem ,  et  voluntas  raovet  ra- 
tionem,  et  ideo  motus  voluntatis  dicitur 
rationalis,  et  motus  rationis  voluntarius. 
In  ratione  etiam  superiori  potest  esse  pec- 
catum  tam  mortale  quam  veniale.  Ratio 
enim  superior  habet  fieri  in  objectum  pro- 
prium  et  in  objecta  virium  inferiorum. 
In  objecta  virium  inferiorum  non  fertur, 
nisi  in  consulendo  eis  leges  aeternas,  et 
ideo  in  ea  fertur  per  modum  deliberatio- 
nis ,  unde  si  objectum  virium  inferiorum 
est  de  génère  suo  mortale  peccatum,  actus 
etiam  motus  superioris  rationis  est  mor- 
tale peccatum.  Si  autem  sit  in  génère  pec- 
cati  venialis,  erit   veniale  ,  ut  patet  cum 


quis  consentit  in  verbum  otiosum.  Girca 
proprium  autem  objectum  habet  ratio  su- 
perior duplicem  motum ,  unum  scilicet 
simplicem  intuitum  sui  objecti,  et  iste 
motus  potest  esse  subitus  circa  divina  et 
inordinatus ,  et  quia  inordinatio  subita, 
sine  deliberatione,  non  est  peccatum  mor- 
tale, ideo  talis  actus  est  peccatum  veniale, 
ut  subitus  motus  infidelitatis,  quamvis  in- 
fidelitas  sit  peccatum  mortale.  Alius  est 
actus  superioris  rationis  circa  objectum 
proprium  per  deliberationem,  ut  cum  oc- 
currit  motus  infidelitatis  de  resurrectione 
mortuorum ,  et  statim  occurrat  resurrec- 
tionem  mortuorum  a  lege  Dei  traditam ,  si 
post  conscientiam  legis  habeat  motum  in- 
fidelitatis, tune  ille  motus  deliberatus  est, 
et  est  peccatum.  infidelitatis  completum  et 
mortale.  Et  sic  patet  quod  ratio  inferior 
potest  peccare  venialiter  et  mortaliter,  sed 


30  OPUSCULE   XLII,    CHAP.    8,    SUR   LES   PUISSANCES  DE   L'AME. 

tement  ou  la  négligence  de  la  raison  supérieure.  La  raison  supérieure 
de  son  côté  peut  pécher  quelquefois  véniellement ,  d'autres  fois  mor- 
tellement et  dans  la  comparaison  avec  les  objets  des  forces  inférieures, 
et  dans  la  comparaison  avec  l'objet  propre.  Or  la  volonté  a  son 
être  principalement  sujet  du  péché ,  parce  qu'aucun  acte  n'est  péché, 
sans  être  volontaire  en  quelque  manière,  comme  un  acte  de  la  volonté 
de  son  ame,  puisqu'il  n'y  a  point  d'acte  proprement  bon  ou  mauvais 
d'une  bonté  ou  d'une  malice  morale ,  comme  l'acte  de  la  volonté,  et 
parce  que  l'acte  de  la  volonté  ne  passe  pas  dans  la  matière  extérieure, 
mais  demeure  dans  l'agent  dont  il  est  le  plus  parfait ,  un  tel  acte  est 
par  conséquent  dans  la  volonté  comme  dans  le  sujet.  C'est  pourquoi 
c'est  dans  la  volonté  que  se  trouve  le  plus  complètement  le  péché  ,  et 
dans  les  autres  puissances  en  raison  de  leur  soumission  à  la  volonté, 
ainsi  qu'on  a  pu  le  voir. 

Fin  du  quarante-deuxième  opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin  sur 
les  puissances  de  Vame. 

L'Abbé  VÉDRINE. 


non  sine  consensu  vel  negligentia  superio- 
ris.  Ratio  vero  superior,  quandoque  venia- 
liter,  quandoque  mortaliter  et  in  compa- 
ratione  ad  objecta  viriura  inferiorum,  et 
in  comparatione  ad  objectum'  proprium. 
Ipsa  autein  voluntas  maxime  subjectum 
peccati  habet  esse ,  quia  nullus  actus  est 
peccatum,  nisi  aliquo  modo  sit  voluntarius, 
gicut  actus  animae  ipsius  voluntatis,  cum 
nullus  actus  sit  ita  proprie  bonus  vel  ma- 
lus bonitate  vel  malitia  morali,  si  eut  actus 


voluntatis.  Et  quia  actus  voluntatis  non 
transit  in  exteriorem  materiam,  sed  manet 
in  agente,  cujus  est  perfectior,  ideo  talis 
actus  est  in  voluntate  sicut  in  subjecto. 
Unde  et  in  voluntate  completissime  habet 
esse  peccatum  ,  et  in  aliis  potentiis  secun- 
dum  quod  voluntati  subduntur ,  ut  visum 
est. 

Explicit  Opusculum  qmdragesimum  se- 
cundum  divi  Thomœ  Aquinatis,  de  potentat 


OPUSCULE  XLIII,    SUR   LE   TEMPS.  31 

OPUSCULE  XLIII. 

DU    MÊME    DOCTEUR,     SUR    LE     TEMPS. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Le  temps  a  l'être  en  dehors  de  la  matière. 

Au  sentiment  d'Aristote,  au  deuzième  livre  de  la  Métaphysique,  la 
difficulté  dans  la  connoissance  de  la  vérité  a  deux  causes,  dont  l'une 
vient  de  nous  et  l'autre  des  choses  qui  sont  l'objet  de  la  cognition. 
Car  toute  chose  étant  connue  suivant  ce  qu'elle  est  en  acte ,  les  choses 
qui  sont  le  plus  en  acte  en  elles-mêmes,  sont  celles  qui  sont  le  plus  sus- 
ceptibles d'être  connues.  C'est  pourquoi,  sinotreintellectnepeut  parve- 
nir aies  atteindre,  cela  vient  de  nous  et  non  pas  d'elles.  Celles,  au  con- 
traire, qui  ont  la  plus  petite  entité  en  elles-mêmes,  sont  celles  qui  sont 
le  moins  susceptibles  d'être  connues.  Si  nous  les  ignorons,  cela  vient 
non-seulement  de  nous,  mais  aussi  d'elles.  Or,  de  telles  choses  sont 
matière  première  laquelle  n'est  pas  en  soi  être  en  acte;  ce  sont  des  choses 
successives  qui  n'ont  pas  une  existence  complète  par  soi ,  mais  une 
existence  par  quelque  chose  indivisible  de  soi  ;  du  nombre  de  ces 
choses  est  le  temps.  Il  suit  de  là  qu'il  est  dificile  de  savoir  ce  que  c'est 
que  le  temps.  Néanmoins,  pour  connoître  ce  qu'il  est,  il  faut  connoître 
s'il  est,  parce  qu'il  est  impossible  de  connoître  ce  qu'est  une  chose,  si 
on  ignore  si  elle  est.  On  doute  donc  d'abord  si  le  temps  existe,  et  il 

OPUSCULUM  XLIII. 

Ejusdem  doctoris,  de  tempore. 


CAPUT  PRIMUM. 

Quod  tempus  habet  esse  extra  materiam. 
Sicut  vult  Philosophus,  II.  Metaph.,  dif- 
ficultas  in  cognoscendo  veritatem ,  causa- 
tur  ex  duobus  ,  quia  causatur  quandoque 
ex  parte  nostra,  quandoque  ex  parte  rerum 
cognoscibilium.  Cum  enim  unumquodque 
cognoscatur  secundum  quod  est  in  actu, 
quse  secundum  se  sunt  maxime  actu ,  se- 
cundum se  sunt  maxime  cognoscibilia. 
Unde  quod  intellectus  noster  ad  eorum  co- 
gnitionem  non  attingat ,  hoc  non  est  ex 


se,  sunt  minime  cognoscibilia.  Unde  quod 
ea  ignoremus,  hoc  non  solum  est  ex  parte 
nostra ,  sed  etiam  ex  parte  eorum.  Talia 
autem  sunt  materia  prima,  quœ  secundum 
se  non  est  eus  in  actu,  et  omnia  successiva, 
quae  secundum  se  tota  non  extant,  sed  se- 
cundum aliquid  indivisibile  sui ,  de  nu- 
méro quorum  est  tempus.  Ex  quo  sequi- 
tur  quod  difficile  est  cognoscere  quid  sit 
tempus.  Ad  cognoscendum  tamen  quid  sit, 
oportet  cognoscere  an  sit,  quia  impossibile 
est  cognoscere  de  aliquo  quid  sit,  ignorato 
an  sit.  Dubitatur  ergo  primo  an  tempus  sit, 


parte  eorum,  sed  ex  parte  nostra.  111a  vero    et  videtur  quod  non,  quia  illud  quod  com- 
quee  minimarn  entitatem  habent  secundum  I  ponitur  ex  partibus  quœ  non  sunt ,  vide- 


32  OPUSCULE    XLI1I,   CHAPITRE    1. 

paroît  que  non,  parce  que  ce  qui  se  compose  de  parties  qui  n'existent 
pas  semble  n'avoir  pas  d'existence.  Car  l'entité  d'un  tout  semble  ré- 
sulter de  l'entité  des  parties;  or  le  temps  se  compose  du  passé  et  de  l'a- 
venir qui  n'existent  pas,  le  passé  a  existé  et  n'existe  plus,  et  l'avenir 
n'existe  pas  encore;  il  semble  donc  que  le  temps  ne  possède  pas  l'être. 
Et  on  ne  peut  pas  dire  qu'une  partie  du  temps  existe  maintenant  en  soi, 
parce  qu'il  n'y  a  pas  dans  le  moment  présent  une  partie  du  temps. 
Car  toute  partie  prise  une  fois  sert  à  mesurer  le  tout,  ou  du  moins 
toute  partie  tombe  dans  la  composition  du  tout.  Mais  ce  qui  est  pris 
présentement  en  plusieurs  fois  ne  sert  pas  à  mesurer  le  temps,  et  le 
temps  n'en  est  pas  composé  non  plus,  comme  on  le  prouve  dansée 
livre  YI  de  la  Physique,  par  la  raison  qu'une  chose  continue  ne  peut 
être  composée  d'indivisibles.  D'où  il  est  évident  que  le  moment  pré- 
sent n'est  pas  une  partie  du  temps.  Il  n'y  a  donc  rien  du  temps  qui 
soit  partie  du  temps.  Je  réponds  qu'il  faut  dire  que  l'existence  du 
temps  est  nécessaire  ,  ce  qui  est  évident  puisque  toutes  les  choses  gé- 
nérables  et  corruptibles  s<»nt  mesurées  par  le  temps,  car  elles  tirent 
du  temps  le  principe  et  la  fin  de  leur  être,  ainsi  que  le  veut  Aristote, 
livre  IV  delà  Physique.  Si  donc  le  temps  n'existoit  pas,  il  n'y  auroit 
rien  degénérable  ou  d'incorruptible,  ce  qui  ne  peut  se  dire.  Il  s'est 
cependant  trouvé  des  philosophes  qui ,  pour  les  raisons  alléguées  ci- 
dessus  ,  ont  affirmé  que  le  temps  n'existoit  que  dans  l'ame ,  et  ils 
donnent  deux  raisons  pour  prouver  leur  assertion.  La  première,  c'est 
que  le  temps  étant  un  nombre  mû,  ou  il  existe  dans  la  matière  numé- 
rable,  ou  dans  l'ame  qui  nombre;  la  première  supposition  ne  peut 
pas  se  faire,  parce  que  la  matière  numérable  du  temps  n'est  autre 
chose  que  la  priorité  ou  la  postériorité  dans  le  mouvement,  en  quoi  il 
ne  peut  pas  être,  puisque  ce  sont  des  non-êtres.  Il  s'ensuit  donc  que 


tur  non  esse.  Entitas  enim  totius  videtur 
consurgere  ex  entitate  partium  ;  tempus 
autem  componitur  ex  prœterito  et  futuro, 
quœ  non  sunt ,  prœteritum  enim  fuit  et 
non  est,  futurum  autem  nondum  est,  vi- 
detur ergo  tempus  non  esse.  Nec  potest 
dici,  quod  aliqua  pars  temporis  sit,  scilicet 
ipsum  nunc,  quia  nunc  pars  temporis  non 
est.  Omnis  enim  pars  aliquoties  accepta 
mensurat  totum,  aut  saltem  omnis  pars 
cadit  in  compositione  totius.  Nunc  autem 
multoties  acceptum ,  non  mensurat  totum 
tempus ,  nec  iterum  ex  ipsis  non  compo- 
nitur tempus,  ut  probatur  VI.  Phys.,  eo 
quod  ex  indivisibilibusnon  potest  componi 
aliquod  continuum.  Unde  manifestum  est 
quod  nunc  non  est  pars  temporis.  Nihil 
ergo  quod  sit  pars  temporis  ,  de  tempore 
existit.  Respondeo  dieendum,  quod  neces- 


sarium  est  tempus  esse  ;  quod  patet  quia 
omnia  generabilia  et  corruptibilia  tempore 
mensurantur.  Accipiunt  enim  principium 
et  finem  sui  esse  in  tempore,  ut  vult  Phi- 
losophus,  IV.  Phys.  Si  ergo  tempus  non 
esset,  nihil  esset  generabile  vel  corrupti- 
ble, quod  est  inconveniens ,  tempus  ergo 
est.  Fuerunt  tamen  quidam ,  qui  propter 
rationem  superius  inductam  ,  dixerunt 
tempus  non  esse  nisi  in  anima,  qui  ad  con- 
firmandam  suam  positionem  adducunt  duas 
rationes.  Prima  est,  quia  cura  tempus  sit 
numerus  motus,  aut  erit  in  materia  nume- 
rabili,  aut  in  anima  numerante  ;  non  pri- 
mum,  quia  materia  numerabilis  temporis 
non  est  nisi  prius  et  posterius  in  motu,  in 
quibus  nihil  potest  esse,  cum  ipsa  sint  non 
entia.  Sequitur  ergo  quod  tempus  solum 
sit  in  anima  numerante.  Secunda  est  ratio, 


SUR    LE    TEMPS.  .  33 

le  temps  existe  seulement  dans  l'ame  numératrice.  La  seconde  raison 
est  que  si  le  temps  existoit  dans  une  chose  ab  extra,  comme  le  nombre 
d'un  mouvement  extérieur ,  il  s'ensuivroit  alors  que  celui  qui  ne 
saisiroit  pas  le  mouvement  extérieur,  ne  saisiroit  pas  non  plus  le 
temps,  ce  qui  est  contraire  au  sentiment  d'Aristote ,  qui  dit  au  qua- 
trième livre  de  la  Physique,  que  si  étant  dans  les  ténèbres  nous  n'é- 
prouvons rien  par  la  vue  des  choses  extérieures  visibles,  et  nous  ne 
sentons  pas  quelque  mouvement  des  corps  extérieurs,  pourvu  néan- 
moins qu'il  se  fasse  quelque  mouvement  dans  l'ame  par  la  succession 
des  pensées  et  des  imaginations,  nous  avons  toujours  le  sentiment  du 
temps.  Il  suit  de  là  que  le  temps  suit  toujours  le  mouvement  qui  est 
dans  l'ame,  et  qu'il  n'existe  que  dans  l'ame.  C'étoit  l'opinion  deGalé- 
nus  admise  aussi  en  partie  par  Averrhoès,  lorsqu'il  a  dit  que  le  temps 
étoit  hors  de  l'ame  sous  un  certain  rapport,  mais  seulement  dans 
l'ame  quant  à  son  complément.  Cela  ne  peut  être  vrai ,  parce  que  le 
temps  étant  un  nombre  mû  et  un  nombre  nombre,  il  est  ainsi  nécessaire 
que  le  temps  existe  comme  existe  le  mouvement.  Or,  il  est  constant 
que  le  mouvement  est  dans  la  chose  ab  extra ,  donc  le  temps  existe 
ab  extra  dans  la  chose.  De  même  une  quantité  continue  est  une  vraie 
chose  hors  de  l'ame;  or  le  temps  est  une  vraie  quantité  continue,  donc 
il  est  impossible  qu'il  soit  dans  l'ame  ;  il  faut  donc  dire  par  conséquent 
que  le  temps  est  dans  la  chose  ab  extra.  Pour  comprendre  cela  il  faut 
considérer  que  le  nombre  étant  dans  les  choses  nombrées,  comme 
l'être  des  choses  nombrées  dépend  de  l'intellect  numérateur,  il  en 
est  de  même  du  nombre ,  tandis  que  l'être  des  choses  nombrées  ne 
dépend  pas  de  notre  intellect,  mais  bien  de  l'intellect  qui  est  la  cause 
des  choses,  comme  l'intellect  divin.  Donc  le  nombre  des  choses  ne 
dépend  pas  non  plus  de  notre  intellect.  Or,  le  temps  est* un  nombre 


quia  si  tempus  esset  in  re  extra ,  tanquam 
numerus  alicujus  motus  exterioris,  tune 
sequitur  quod  qui  non  apprehenderet  mo- 
tum  exteriorem ,  non  apprehenderet  tem- 
pus, cujus  oppositum  vult  Philosophus, 
IV.  Phys.,  qui  dicit,  quod  sisumus  in  te- 
nebris  et  nihil  patiamur  per  visum  ab  exte- 
rioribus  visibilibus,  nec  sentiamus  aliquem 
motum  exteriorum  corporum,  dum  tamen 
fiât  aliquis  motus  in  anima  per  successio- 
nem  cogitationum  vel  imaginationum  , 
semper  sentimus  tempus.  Ex  quo  sequitur 
quod  tempus  semper  sequatur  motum  qui 
est  in  anima,  et  quod  solum  sit  in  anima. 
Hujus  opinionis  fuit  Galenus,  cui  etiam  in 
tantum  consensit  Averrhoès,  quod  dixit, 
tempus  secundum  quid  esse  extra  animam, 
secundum  vero  complementum  sui,  esse 
solum  in  anima.  Tstud   non  potest  habere 


veritatem ,  quia  cum  tempus  sit  numerus 
motus  et  sit  numerus  numeratus,  sic  est 
necesse  esse  tempus,  sicut  et  motus.  Con- 
stat autem  quod  motus  est  in  re  extra. 
Ergo  et  tempus  est  in  re  extra.  Item,  quan- 
titas  continua  est  vera  res  extra  animam, 
tempus  autem  est  vera  quantitas  continua, 
ergo  impossibile  est  quod  sit  in  anima.  Et 
ideo  dicendum,  quod  tempus  sit  in  re  ex- 
tra. Ad  cujus  intellectum  considerandum 
est,  quod  cum  numerus  sit  in  rébus  nume- 
ratis,  sicut  dependet  esse  rerum  numera- 
tarum  ab  intellectu  numeraute,  ita  et  nu- 
merus. Esse  autem  rerum  numeratarum 
non  dependet  ab  intellectu  nostro,  sed  ab 
intellectu  qui  est  causa  rerum ,  sicut  est 
intellectus  divinus.  Ergo  nec  numerus  re- 
rum dependet  ab  intellectu  nostro.  Tem- 
pus autem  numerus  motus  est,  et  ideo  sicut 


V. 


34  OPUSCULE   XLIII,    CHAPITRE    1. 

mû,  et  conséquemment  comme  le  mouvement  ne  dépend  pas  de  notre 
intellect,  il  en  est  de  même  du  temps,  lly  en  a  cependant  qui  disent  que 
le  mouvement  dépend  aussi  de  Famé ,  parce  que  le  mouvement  étant 
quelque  chose  de  successif,  ses  parties  qui  sont  l'antériorité  et  la  pos- 
tériorité, n'ont  pas  l'être  ab  extra  dans  la  chose,  mais  seulement  dans 
l'ame  comparant  la  première  disposition  du  mohile  à  la  disposition 
suivante,  et  par  conséquent  il  n'a  l'être  dans  l'ame  que  simpliciter  et 
quant  à  son  être  parfait.  Mais  dans  la  chose  ab  extra  il  n'a  l'être  que 
suivant  quelque  chose  d'indivisible  de  soi,  et  cet  être  est  un  être  im- 
parfait secundum  quid;  ils  en  disent  de  même  du  temps.  Cette  asser- 
tion ne  peut  tenir,  parce  que  ce  en  quoi  le  mouvemrnt  existe  suivant 
son  être  complet  et  parfait,  se  meut  d'une  manière  nécessaire.  Donc, 
si  le  mouvement  existoit  dans  l'ame  suivant  son  être  complet,  l'ame 
auroit  un  mouvement  nécessaire,  ce  qui  ne  peut  pas  être.  C'est  pour- 
quoi il  faut  comprendre  que  tout  être  vient  de  l'acte.  Or,  l'acte  est 
divisible,  comme  le  veut  Aristote,  livre  IX  de  la  Métaphysique.  Car 
il  y  a  un  acte  existant  tout  entier  et  simultanément,  comme  l'ame  ou 
la  blancheur.  Il  y  a  un  autre  acte  successif,  comme  le  jour,  l'agonie, 
l'infini,  le  vide,  au  nombre  desquels  sont  le  mouvement  et  le  temps. 
Donc,  comme  l'être  suit  l'acte,  le  mode  d'être  suivra  le  mode  d'acte. 
Donc  l'être  qui  vient  de  l'acte  premier  est  d'être  simultanément ,  et 
un  tel  être  est  l'être  complet  qui  est  dû  à  une  chose  perfectionnée  par 
l'acte  premier.  Au  contraire,  l'être  qui  vient  de  l'acte  second,  c'est-à- 
dire  de  l'acte  successif,  est  un  être  successif.  Et  tel  est  l'être  parfait 
qui  est  dû  à  un  tel  acte  ou  à  une  chose  perfectionnée  par  un  tel  acte  ; 
par  conséquent  l'être  parfait  du  mouvement  et  du  temps ,  qui  est  dû 
à  l'un  et  à  l'autre  suivant  la  raison  de  sa  propre  espèce  ,  n'est  pas  un 
être  simultanément  existant,  comme  ils  disent,  maisbien  un  être  ensuc- 


motus  non  dependet  ab  intellectu  nostro, 
ita  nec  tempus.  Sunt  tamen  quidam,  qui 
dicunt  etiam  motus  dependere  ab  anima, 
quia  cum  motus  sit  aliquod  successivum , 
partes  ejus  quae  sunt  prius  et  posterius, 
non  habent  esse  in  re  extra  ,  sed  solum  in 
anima  comparante  priorem  dispositionem 
mobilis  ad  posteriorem ,  et  ideo  solum  ha- 
bet  esse  in  anima  simpliciter ,  et  quantum 
ad  esse  suum  perfectum.  In  re  autem  extra 
habet  esse  solum  secundum  aliquod  indi- 
visible sui,  et  istud  esse  est  imperfectum 
esse  et  secundum  quid,  et  idem  dicunt  ipsi 
de  tempore.  Istud  non  potest  stare ,  quia 
illud  in  quo  motus  est  secundum  esse  suum 
completum  et  perfectum  ,  necessario  mo- 
vetur.  Si  ergo  motus  secundum  esse  suum 
completum  esset  in  anima  ,  anima  neces- 
sario moveretur,  quod  est  inconveniens,  et 
ideo  intelligendum  est  quod  omne  esse  ab 


actu  est.  Actus  autem  est  divisibilis  ,  ut 
vult  Philosophus,  IX.  Metaph.  Est  enim 
actus  quidam  totus  simul  existens ,  sicut 
anima  aut  albedo.  Et  est  alius  actus  suc- 
cessivus,  ut  dies  et  agon,  infinitum  et  va- 
cuum,  de  numéro  quorum  sunt  et  motus 
et  tempus.  Cum  ergo  esse  sequatur  actum 
et  modus  essendi  sequetur  modum  actus  , 
esse  igitur  quod  est  ab  actu  primo,  est  esse 
simul,  et  taie  est  esse  completum  quod  de- 
betur  rei  perfectae  per  primum  actum.  Esse 
vero  quod  est  ab  actu  secundo ,  scilicet  ab 
actu  successivo ,  est  esse  successivum.  Et 
taie  est  esse  perfectum  ,  quod  debetur  tali 
actui  vel  rei  perfectae  per  talem  actum  ,  et 
ideo  esse  perfectum  ipsius  motus  et  tem- 
poris,  quod  debetur  utrique  secundum  ra- 
tionem  propriae  speciei,  non  est  esse  simul 
existens ,  sicut  ipsi  dicunt ,  sed  est  esse  in 
successione  ,  quod  est  secundum  aliquid  in- 


SUR   LE   TEMPS.  35 

eession,  ce  qui  est  suivant  quelque  chose  d'indivisible  de  soi.  La  solu- 
tion estévidenteponr  les  raisonsopposées.  A  la  première  assertion  il  faut 
dire,  que  le  passé  et  le  futur  ne  sont  pas  pour  exister  simultanément,  et 
celan'estpasrequispour  l'être  du  temps,  puisqu'il  est  successif,  comme 
on  l'a  dit.  Il  a  néanmoins  l'être  par  quelque  chose  d'indivisible  de  soi 
qui  les  continue  présentement.  Aux  autres  raisons  qui  prouvent  que  le 
temps  existe  dans  l'ame  il  faut  répondre  :  lorsqu'on  dit,  le  temps  étant 
nombre  possède  l'être  dans  la  matière  numérable  qui  est  l'antériorité 
et  la  postériorité,  il  faut  dire  que  le  temps  a  l'être  dans  l'antériorité  et 
la  postériorité  du  mouvement.  Et  lorsque  vous  dites  que  ces  choses 
n'existent  pas,  c'est  vrai  sous  l'être  permanent ,  elles  ont  néanmoins 
l'être  successif,  comme  il  a  été  dit.  A  l'autre  assertion  il  faut  répondre 
que  le  temps  suit  un  mouvement  extérieur,  savoir  le  premier  mouve- 
ment ;  il  n'y  a  pas  d'empêchment  à  cela  dans  ce  que  en  saisissant 
tout  mouvement,  le  mouvement  premier  est  aussi  compris  au  moins 
virtuellement,  parce  qu'il  est  la  cause  de  toute  transmutation.  Mais 
parce  qu'on  a  dit  que  le  temps  étant  successif  ne  possède  l'être  tjue 
par  le  moyen  de  quelque  chose  indivisible  de  soi  qui  est  le  présent,  ce 
n'est  pas  sans  raison  que  l'on  doute  si  le  moment  présent  est  le  même 
dans  le  même  temps,  ou  s'ilest successivementdifferent.il  semble  qu'il 
est  absolument  le  même,'  car  de  même  qu'il  est  impossible  que  deux 
parties  de  temps  existent  ensemble  à  moins  qu'une  ne  contienne 
l'autre,  comme  l'année  contient  le  mois,  le  mois  la  semaine,  la  se- 
maine le  jour;  de  même  aussi  il  est  impossible  que  deux  instants  pré- 
sents existent  en  même  temps  dans  le  temps,  puisque  l'un  ne  renferme 
pas  l'autre;  si  donc  le  premier  moment  présent  ne  peut  pas  être  en 
même  temps  que  le  suivant,  il  faut  nécessairement  que  le  premier 
soit  anéanti.  Or,  tout  ce  qui  est  altéré  l'est  dans  quelque  instant  pré- 


divisibile  ipsoruin.  Ad  rationes  in  opposi- 
tum  patet  solutio.  Ad  primum  dicendum , 
quod  prateritum  et  futurum  non  sunt  sic, 
ut  simul  sint ,  nec  hoc  requiritur  ad  esse 
temporis ,  eu  m  sit  successivum ,  ut  decla- 
ratum  est  ;  habet  tamen  esse  per  aliquid 
indivisibile  sui,  quod  continuât  ea,  scilicet 
per  ipsum  nunc.  Ad  alias  rationes  proban- 
tes tempus  esse  in  anima  dicendum  est. 
Cum  arguitur  ,  tempus  cum  sit  numerus, 
aut  habet  esse  in  materia  numerabili  quse 
sunt  prius  et  posterais,  dicendum  quod 
tempus  habet  esse  in  priori  et  posteriori 
motus.  Et  cum  dicis,  quod  hœc  non  sunt,  ve- 
rum  est  sub  esse  permanenti,  habent  tamen 
esse  successivum ,  ut  dictum  est.  Ad  aliud 
dicendum,  quod  tempus  sequitur  motum 
exteriorem  aliquem  ,  scilicet  primum  mo- 
tum ;  nec  obstat  hoc,  quia  apprehenso  quo- 


cumque  motu,  comprehenditur  motus  pri- 
mus  saltem  virtualiter ,  eo  quod  ipse  est 
causa  omnis  transmutationis.  Quia  vero 
dictum  est,  quod  tempus  cum  sit  successi- 
vum, habet  esse  solum  per  aliquod  indivi- 
sibile sui,  quod  est  nunc,  non  irrationabi- 
liter  dubitatur,  utrum  sit  unum  et  idem 
nunc  in  eodem  tempore,  an  aliud  et  aliud. 
Videtur  enim,  quod  sit  unum  et  idem,  quia 
sicut  impossibile  est  duas  partes  temporis 
simul  esse,  nisi  una  contineat  aliam ,  sicut 
annus  mensem,  mensis  seplimanam,  septi- 
mana  diem  ;  ita  impossibile  est  duo  nunc 
in  tempore  simul  esse,  cum  unum  non  con- 
tineat alterum;  si  ergo  primum  nunc  non 
potest  simul  esse  cum  posteriori,  necesse 
est  primum  esse  corruptum.  Omne  autem 
quod  est  corruptum ,  corruptum  est  in 
aliquo  nunc.  Nunc  ergo  quod  est  corrup- 


36  OPUSCULE   XLIII,    CHAPITRE    1. 

sent.  Donc  le  présent  qui  est  altéré,  ou  est  altéré  en  lui-même  ou  dans 
quelque  instant  présent  postérieur,  parce  que  cela  seroit  ou  dans 
le  présent  médiat  ou  dans  le  présent  immédiat  ;  ce  n'est  pas  dans  le 
présent  immédiat,  parce  que  l'instant  présent  n'est  pas  la  continuation 
d'un  autre  instant  présent ,  de  même  que  un  point  ne  continue  pas 
un  autre  point,  comme  on  le  prouve  dans  le  sixième  livre  de  la  Phy- 
sique. Il  ne  peut  pas  non  plus  être  corrompu  dans  le  moment  présent 
médiat,  parce  qu'il  y  a  un  temps  moyen  entre  deux  présents,  de 
même  qu'il  y  a  une  ligne  médiane  entre  deux  points.  Or,  dans  tout 
temps  il  y  a  une  infinité  de  moments  présents.  Si  donc  le  présent 
antérieur  é toit  altéré  dans  le  présent  postérieur  médiat,  il  s'ensui- 
vroit  qu'il  auroit  l'être  avec  une  infinité  de  présents  moyens ,  ce  qui 
est  impossible.  Il  est  donc  impossible  qu'il  y  ait  dans  le  temps  deux 
moments  présents.  Il  y  a  à  cela  une  double  objection.  D'abord,  parce 
que  chaque  continu  fini  a  au  moins  deux  termes.  Or,  le  présent  est  le 
terme  du  temps,  et  pour  déterminer  un  temps  limité.  Donc  il  y  a  au 
moins  deux  présents  dans  le  temps.  La  seconde  c'est  qu'on  dit  que  des 
choses  existent  ensemble  lorsqu'elles  existent  dans  le  même  temps 
présent.  Si  donc  il  n'y  avoit  pas  plusieurs  présents  dans  le  temps, 
mais  bien  un  seul ,  il  s'ensuivroit  que  les  choses  qui  se  feront  dans 
mille  ans  existeroient  en  même  temps  que  les  choses  qui  existent  au- 
jourd'hui. Or  c'est  impossible.  Il  faut  remarquer  qu'ainsi  qu'il  a  été 
dit,  l'existence  des  choses  successives  consiste  en  ce  qu'elles  existent 
suivant  quelque  chose  d'indivisible  de  soi  qui  peut  être  mani- 
festé ,  parce  que  chaque  partie  d'une  chose  successive  est  divisible 
en  différentes  parties.  Si  donc  il  existoit  quelque  chose  de  successif, 
non-seulement  suivant  quelque  chose  d'indivisible  de  soi ,  mais  sui- 
vant quelque  partie  de  soi ,  il  s'ensuivroit  qu'un  grand  nombre  de 
parties  d'une  chose  successive  existeroient  en  même  temps,  ce  qui  est 


tum,  aut  est  corruptum  in  seipso  aut  in 
aliquo  posteriori  ;  non  in  seipso,  quia  nunc 
est,  nec  in  aliquo  posteriori ,  quia  aut  hoc 
esset  in  nunc  mediato,  aut  in  nunc  imme- 
diato  :  non  in  nunc  immediato,  quia  unum 
nunc ,  non  est  continuura  alii  nunc,  sicut 
nec  punctus  puncto,  ut  probatur  VI.  Phys. 
Nec  potest  corrurnpi  in  nunc  mediato , 
quia  inter  quaelibet  duo  nunc,  est  tempus 
médium,  sicut  inter  quaîlibet  duo  puncta, 
est  linea  média.  In  quolibet  autem  tem- 
pore  sunt  infinita  nunc.  Si  ergo  nunc  prius, 
corrumperetur  in  nunc  posteriori  mediato, 
sequitur  quod  haberet  esse  cum  infinitis 
nunc  mediis,  quod  est  impossibile.  Impos- 
sible est  ergo,  duo  nunc  esse  in  tempore. 
Oppositum  hujus  videtur  dupliciter.  Primo 
quia  cujuslibet  continui  finiti  sunt  duo  ter- 


mini  ad  minus  ;  nunc  autem  terminus  tem- 
poris  est ,  et  est  accipere  tempus  finitum, 
ergo  ad  minus  sunt  duo  nunc  in  tempore. 
Secundo,  quia  illa  dicuntur  simul  esse,  quae 
sunt  in  eodem  nunc  temporis.  Si  ergo  non 
essent  plura  nunc  in  tempore ,  sed  unum 
tantum,  sequitur  quod  ea  quœ  fient  post 
millesimum  annum  ,  simul  essent  cum  his 
quas  sunt  hodie  ;  hoc  autem  est  impossi- 
bile. Intelligendum  quod,  sicut  dictum  est, 
esse  successivorum  consistit  in  hoc  quod 
existant  secundum  aliquid  indivisibile  sui, 
quod  manifestari  potest ,  quia  quœlibet 
pars  cujuslibet  successivi  divisibilis  est  in 
diversas  partes.  Si  ergo  aliquod  successi- 
vum  existeret  non  solum  secundum  aliquid 
indivisibile  sui,  sed  secundum  aliquam  sui 
partem ,  sequitur  quod  multa?  partes  ali- 


SUR  LE   TEMPS.  37 

contraire  à  la  condition  des  choses  successives.  Nous  pouvons  prouver 
cela  plus  particulièrement  à  l'égard  du  temps,  parce  que  chaque  par- 
tie du  temps  est  temps.  Si  donc  il  existoit  quelque  partie  du  temps,  il 
s'ensuivroit  que  le  temps  existerait  en  soi,  ce  qui  est  faux.  Donc  le 
temps  existe  en  quelque  chose  de  divisible  de  soi,  qui  est  le  moment 
présent.  Cela  supposé,  il  faut  dire  que  le  seul  et  même  présent  se  trouve 
dans  tout  le  temps  selon  la  substance ,  différent  quant  à  l'être  et  la. 
raison.  La  raison  de  cela  est  que  au  moment  présent  qui  est  dans  le 
temps  succède  ou  un  autre  présent  ou  quelque  partie,  et  non  un  autre 
présent;  parce  que  un  moment  présent  ne  peut  pas  être  continué  par 
un  autre  ;  ce  n'est  pas  non  plus  quelque  partie  de  temps  ,  parce  que 
nulle  partie  de  temps  ne  peut  exister  en  soi,  comme  il  a  été  prouvé. 
Donc  il  est  impossible  qu'un  présent  succède  à  un  autre  présent  dans 
le  temps.  En  outre,  il  en  est  du  présent,  relativement  au  temps,  comme 
de  ce  qui  est  porté  au  mouvement,  de  même  que  nous  connoissons  le 
mouvement  par  ce  qui  y  est  porté ,  aussi  bien  que  l'antériorité  et  la 
postériorité  dans  le  mouvement  en  voyant  les  différentes  positions  de 
ce  qui  est  mû ,  ainsi  sont  déterminées  par  le  présent  dans  le  temps 
l'antériorité  et  la  postériorité.  Mais  ce  qui  est  porté  au  mouvement  est 
identiquement  le  même  dans  tout  le  mouvement,  mais  différent 
quant  à  l'être,  en  raison  du  changement  de  position.  Donc,  le  présent 
est  identiquement  le  même  dans  tout  le  temps  suivant  la  substance  et 
différent  quant  à  l'être  selon  qu'il  est  considéré  dans  les  différentes 
successions  de  temps.  Et  les  raisons  alléguées  d'abord  ne  valent  rien. 
Car  lorsqu'on  dit  que  chaque  fini  a  au  moins  deux  termes,  il  faut  dire 
que  chaque  fini  continu  permanent  a  deux  termes  différents  quant  à 
la  chose ,  mais  pour  le  continu  fini  successif  il  n'est  pas  nécessaire 


cujus  successivi  simul  essent,  quod  est 
contra  rationem  successivorum.  Specialius 
autem  possumus  hoc  probare  de  tempore, 
quia  quœlibet  pars  temporis  est  tempus.  Si 
ergo  aliqua  pars  temporis  existeret,  sequi- 
tur  quod  tempus  secundum  se  existeret , 
quod  est  falsum.  Existit  ergo  tempus  se- 
cundum aliquid  sui  indivisibite ,  illud  au- 
tem est  nunc.  Hoc  supposito  dicendum  est 
quod  unum  et  idem  nunc  est  in  toto  tem- 
pore secundum  substantiam,  différais  se- 
cundum esse  et  rationem.  Cujus  ratio  est, 
quia  ipsi  nunc  ,  quod  est  in  tempore ,  aut 
succedit  aliud  nunc  ,  aut  aliqua  pars  tem- 
poris, non  aliud  nunc;  quia  unum  nunc 
non  potest  continuari  alii  nunc  ;  non  ali- 
qua pars  temporis ,  quia  nulla  pars  tem- 
poris secundum  se  existere  potest ,  ut  pro- 
batum  est.  Ergo  impossibile  est  quod  unum 
nunc  succédât  alii  nunc  in  tempore.  Pra> 
terea ,  sicut  se  habet  illud  quod  fertur  ad 


motum ,  ita  nunc  ad  tempus ,  quia  sicut 
per  illud  quod  fertur,  cognoscimus  motum 
et  prius  et  posterius  in  motu,  in  quantum 
videmus  illud  quod  movetur,  aliter  et  ali- 
ter se  habere ,  ita  per  nunc  cleterminatur 
prius  et  posterius  in  tempore.  Sed  quod 
fertur  unum  est  et  idem  secundum  sub- 
stantiam  in  toto  motu  ,  aliud  et  aliud  se- 
cundum esse  in  quantum  est  alibi  et  alibi. 
Ergo  et  ipsum  nunc  unum  et  idem  est  in 
toto  tempore  secundum  substantiam,  aliud 
et  aliud  secundum  esse ,  in  quantum  scili- 
cet  consideratur  in  alio  et  alio  successu 
temporis.  Nec  valent  rationes  prius  ad- 
ducta?.  Cum  enim  dicitur  quod  cujuslibet 
finiti  sunt  duo  termini  ad  minus ,  dicen- 
dum quod  cujuslibet  continui  finiti  per- 
manentis,  sunt  duo  termini  différentes  se- 
cundum rem,  continui  vero  finiti  successivi 
non  oportet  quod  sint  duo  termini  secun- 
dum subjectum,  sed  solum  secundum  ra- 


38  OPUSCULE   XLIII,    CHAPITRE    2. 

qu'il  y  ait  deux  termes  suivant  le  sujet,  mais  bien  suivant  la  raison. 
C'est  pourquoi  il  est  faux  de  supposer  qu'il  y  a  un  temps  limité .  En 
effet,  il  ne  faut  pas  prendre  un  temps  fini  en  acte  et  limité  par  le  pré- 
sent ,  si  ce  n'est  clans  notre  imagination ,  ou  par  rapport  à  quelque 
mouvement  qui  est  limité  dans  le  temps.  Car  tout  le  temps  est  continu 
en  soi  et  il  n'y  a  actuellement  nulle  partie  séparée  de  l'autre.  À  l'autre 
objection,  il  faut  répondre  que  l'on  ne  dit  pas  exister  simultanément 
suivant  le  temps  les  choses  qui  sont  dans  le  même  présent  quant  à  la 
substance,  mais  bien  celles  qui  sont  dans  le  même  présent  quant  à 
l'être  et  à  la  raison.  Mais  les  choses  qui  arriveront  dans  mille  ans  et 
celles  qui  existent  aujourd'hui,  quoiqu'elles  soient  dans  le  même  pré- 
sent quant  à  la  substance  ,  elles  n'y  sont  pas  quant  à  l'être ,  on  ne 
doit  donc  pas  dire  qu'elles  existent  simultanément. 

CHAPITRE  II. 

Le  temps  n'est  pas  un  mouvement,  mais  quelque  chose  du  mouvement. 

Après  avoir  reconnu  que  le  temps  existe,  il  faut  rechercher  ce  qu'il 
est.  Or,  il  faut  considérer  que  le  temps  n'est  pas  un  mouvement 
comme  certains  ont  cru  que  le  temps  étoit  un  mouvement  du  ciel  ap- 
pelé circulation,  parce  que  toute  partie  du  temps  est  temps.  Si  donc 
le  temps  étoit  une  circulation,  il  s'ensuivroit  que  toute  partie  de  la  cir- 
culation seroit  circulation,  ce  qui  est  cependant  faux.  De  même,  tout 
mouvement  est  prompt  ou  lent,  or  le  temps  n'est  ni  rapide  ni  lent, 
donc  le  temps  n'est  pas  un  mouvement.  La  mineure  est  évidente,  car 
la  rapidité  et  la  lenteur  sont  déterminées  par  le  temps,  mais  le  temps 
n'est  pas  déterminé  par  le  temps,  ni  quant  à  la  quantité,  ni  quant  à  la 
qualité.  Secondement,  il  faut  considérer  que  quoique  le  temps  ne  soit 


tionem.  Et  praeterea  falsum  supponit  ratio 
in  hoc  quod  ponit  quod  est  dare  tempus 
finitura.  Non  enim  e§t  accipere  aliquod 
tempus  actu  finitum  et  terminatum  per 
nunc,  nisi  secundum  imaginationem  nos- 
tram,  vel  per  relationem  ad  aliquem  mo- 
tum,  qui  in  tempore  terminatur.  Totum 
enim  tempus  secundum  se  continuum  est, 
nec  est  actualiter  una  pars  divisa  ab  alia. 
Ad  aliud  dicendum,  quod  non  dicuntur  esse 
simul  secundum  tempus,  quaecumque  sunt 
in  nunc  eodem  secundum  substantiam,  sed 
quae  sunt  in  eodem  nunc  secundum  esse  et 
secundum  rationem.  Illa  autem  quae  fient 
post  millesimum  annum  et  quae  sunt  ho- 
die,  licet  sint  in  eodem  nunc  secundum 
substantiam,  non  tamen  sunt  in  eodem  se- 
cundum esse,  et  ideo  non  oportet  quod  di- 
catur  esse  simul. 


CAPUT  II. 

Quod  lempus   non  est  motus,  sed    aliquid 
ejus. 

Viso  ergo  quod  tempus  sit,  inquiren- 
dum  est  quid  sit.  Est  autem  consideran- 
dum ,  quod  tempus  non  est  motus ,  sicut 
quidam  opinati  sunt  tempus  esse  motum 
cœli,  qui  circulatio  dicitur  ,  quia  quaelibet 
pars  temporis  est  tempus.  Si  ergo  tempus 
esset  circulatio,  sequeretur  quod  quaelibet 
pars  circulationis  esset  circulatio,  quod  ta- 
men  falsum  est.  Item  omnis  motus  est  ve- 
lox  vel  tardus  ,  tempus  autem  nec  tardum 
est,  nec  velox.  Ergo  tempus  non  est  motus. 
Minor  patet,  quia  velox  et  tardum  deter- 
minantur  tempore,  tempus  autem  non  de- 
terminatur  tempore  ,  nec  quantum  ad 
qualitatem.  Secundo  considerandum,  quod 


SLR    LE    TEMPS.  39 

pas  un  mouvement,  il  n'est  pas  cependant  sans  mouvement.  En  effet, 
comme  nous  ne  nous  transformons  pas  dans  notre  cognition  par  la 
succession  des  choses  susceptibles  de  cognition,  nous  ne  saisissons 
pas  alors  le  temps,  parce  que  nous  ne  saisissons  pas  le  mouvement, 
comme  il  arriva  aux  dormeurs  de  Sardes  de  la  fable.  Là,  par  le  moyen 
de  certains  enchantements,  on  rendoit  insensibles  des  hommes  qui, 
à  leur  réveil ,  disoient  avoir  vu  des  merveilles.  Ces  personnes  en 
s'éveillant  ne  tenoient  pas  compte  du  temps  qui  s'étoit  écoulé,  parce 
qu  elles  joignoient  l'instant  présent  où  elles  s'étoient  endormies  à  l'ins- 
tant présent  où  elles  s'étoient  réveillées,  comme  s'il  n'y  avoit  pas  eu  de 
temps  intermédiaire.  De  même  donc  que  s'il  n'y  avoit  rien  eu  d'in- 
termédiaire entre  ces  deux  instants  présents ,  il  n'y  auroit  pas  eu  de 
temps,  ainsi  elles  ne  percevoient  pas  le  temps,  parce  qu'elles  ne  perce- 
voient  pas  l'intermédiaire  ;  donc  de  même ,  nous  ne  percevons  pas  le 
temps,  parce  que  nous  ne  percevons  pas  le  mouvement.  Mais  lorsque 
nous  percevons  le  mouvement  et  que  nous  déterminons  en  lui  l'anté- 
riorité et  la  postériorité,  alors  nous  percevons  le  temps.  Il  reste  donc  à 
dire  que  quoique  le  temps  ne  soit  pas  un  mouvement ,  il  n'est  pas 
néanmoins  sans  mouvement.  Donc  comme  nous  connoissons  en 
"  même  temps  le  mouvement  et  le  temps,  il  est  évident  que  le  temps  est 
quelque  chose  du  mouvement  lui-même.  Or,  le  mouvement  suit  la 
grandeur  sous  deux  rapports,  quant  à  la  continuité  et  quant  à  l'anté- 
riorité et  à  la  postériorité,  et  il  en  est  de  même  du  temps  à  l'égard  du 
mouvement.  Mais  la  priorité  et  la  postériorité  du  mouvement,  quoi- 
qu'elles soient  subjectivement  la  même  chose  avec  le  mouvement,  en 
diffèrent  néanmoins  en  raison,  par  la  raison  que  dans  la  définition  du 
mouvement  elles  sont  déterminées  dans  le  liv.  IV  de  la  Physique.  Consé- 
quemment  il  reste  à  chercher  en  raison  de  quoi  le  temps  suit  le  mou- 
vement, si  c'est  absolument  en  raison  du  mouvement  ou  de  l'antério- 


licet  tempus  non  sit  motus,  non  tamen  est 
sine  motu.  Cum  enim  nos  non  transmuta- 
mur  secundum  cognitionem  nostram  per 
successionem  cognoscibibum,  tune  non  ap- 
prehendimus  tempus,  quia  nec  apprehen- 
dimus  motum,  sicut  accidit  his  quos  fa- 
bulantur  dormisse  in  Sardo  apud  Heroes. 
Ibi  enim  reddebantur  aliqui  insensibiles 
propter  quasdam  incantationes,  quod  exci- 
tati  dicebant  se  vidisse  quaedam  mirabilia. 
Taies  autem  qui  excitabantur ,  non  perci- 
piebant  tempus  quod  fiuxerat,  eo  quod  co- 
pulabant  primum  nunc  in  quo  dormire 
cœperant,  posteriori  nuuc,  in  quo  excitati 
fuerant,  ac  si  non  fuisset  tempus  médium. 
Sicut  ergo  si  nihil  fuisset  médium  inter 
illa  duo  nunc,  non  fuisset  tempus,  ita  quia 
non  percipiebant  médium,  non  percipie- 


bant  tempus ,  sic  ergo  non  percipimus 
tempus,  quia  non  percipimus  motum.  Cum 
autem  percipimus  motum  et  determina- 
mus  prius  et  posterius  in  ipso  ,  tune  perci- 
pimus tempus.  Relinquitur  ergo,  quod  licet 
tempus  non  sit  motus,  non  tamen  est  sine 
motu.  Quia  ergo  simul  cognoscimus  mo- 
tum et  tempus,  manifestum  est  quod  tem- 
pus est  aliquid  ipsius  motus.  Motus  autem 
sequitur  magnitudinem  quantum  ad  duo , 
scilicet  quantum  ad  continuitatem  et  quan- 
tum ad  prius  et  posterius,  et  similiter 
tempus  motum.  Prius  autem  et  posterius 
motus,  licet  sint  idem  subjecto  cum  motu, 
differunt  tamen  ratione  ,  eo  quod  in  diffi- 
nitione  motus  assignantur  in  IV.  Physic. 
Et  ideo  restât  inquirere,  ratione  cujus 
tempus  sequitur  motum,  utrum  scilicet  ra- 


40  OPUSCULE   XLIH,    CHAPITRE   2. 

rite  et  Je  la  postériorité.  Il  faut  dire  que  c'est  à  raison  de  l'antériorité 
et  de  la  postériorité,  parce  que  c'est  par  là  que  le  temps  se  reconnoît. 
Donc  le  temps  suit  le  mouvement  à  raison  de  la  priorité  et  de  l'anté- 
riorité, sur  quoi  il  faut  comprendre  que  l'antériorité  et  la  postériorité 
dans  le  mouvement  peuvent  être  considérées  sous  un  double  point  de 
vue.  Le  premier  suivant  qu'elles  sont  sous  la  forme  de  continu  d'une 
manière  absolue,  et  de  cette  manière  en  coimoissant  l'antériorité  et  la 
postériorité,  nous  connoissons  en  même  temps  le  mouvement.  Le  se- 
cond, suivant  qu'elles  sont  sous  une  forme  discrète,  en  tant  que,  par 
exemple,  l'ame  dit  que  la  postériorité  est  différente  de  l'antériorité , 
que  ce  sont  deux  choses  diverses,  et  une  seule  chose,  et  ainsi  le  temps 
n'est  pas  absolument  le  mouvement,  ni  absolument  non  plus  l'antério- 
rité et  la  postériorité  du  mouvement,  mais  c'est  l'antériorité  et  la  pos- 
tériorité du  mouvement  dénombrées ,  comme  il  a  été  dit.  Nous  pou- 
vons tirer  de  là  une  définition  du  temps,  que  le  temps  est  le  nombre 
mû  suivant  l'antériorité  et  la  postériorité.  Que  le  temps  soit  un  nombre, 
c'est  évident.  C'est  par  le  nombre  en  effet  que  nous  jugeons  du  plus 
ou  du  moins  d'une  chose,  et  c'est  par  le  temps  que  nous  jugeons  du 
plus  ou  du  moins  dans  le  mouvement;  donc  le  temps  est  un  nombre. 
Or,  il  y  a  deux  sortes  de  nombres,  le  nombre  absolu  qui  sert  à  la  nu- 
mération, comme  un,  deux,  trois,  et  le  nombre  nombre,  comme  le 
nombre  dix  hommes.  Le  temps,  en  effet,  n'est  pas  un  nombre  servant 
à  la  numération,  mais  un  nombre  nombre,  c'est  l'antériorité  et  la  pos- 
tériorité en  tant  que  nombrées  dans  le  mouvement.  Et  quoique  le 
nombre  servant  àla  numération  soit  quelque  chose  de  discret,  le  temps 
est  cependant  quelque  chose  de  continu ,  comme  dix  aunes  de  drap 
sont  continues,  quoique  le  nombre  dix  soit  quelque  chose  de  discret. 
Le  temps  étant  donc  quelque  chose  de  discret  et  quelque  chose  decon- 


tione  motus  absolute  aut  ratione  prioris  et 
posterions.  Dicendum  ,  quod  hoc  est  ra- 
tione prioris  et  posterions,  quia  ex  priori 
et  posteriori  in  motu  cognoscitur  tempus. 
Ergo  tempus  sequitur  motum  ratione 
prioris  et  posterioris,  juxta  quod  intelli- 
gendum  est,  quod  prius  et  posterius  in 
motu  possunt  considerari  dupliciter.  Uno 
modo,  prout  sunt  sub  forma  continui  ab- 
solute ,  et  sic  cognoscendo  prius  et  poste- 
rius ,  simul  cognoscimus  motum.  Alio 
modo ,  ut  sunt  sub  forma  discreta ,  in 
quantum  scilicet  anima  dicit  posterius  esse 
aliud  a  priori ,  et  ipsa  esse  duo  et  unum  , 
et  sic  tempus  non  est  motus  absolute,  nec 
prius  ac  posterius  motus  absolute ,  sed  est 
prius  et  posterius  motus  ut  nuinerata  sunt. 
Ex  quo  possumus  concludere  diffinitionem 
temporis,  quod  tempus  est  numerus  motus 


secundum  prius  et  posterius.  Quod  autem 
tempus  sit  numerus  patet.  Numéro  enim 
judicamus  aliquid  plus  vel  minus,  tempore 
autem  judicamus  motus  esse  minorem  et 
majorem.  Ergo  tempus  est  numerus.  Nu- 
merus autem  est  duplex.  Est  enim  nume- 
rus absolute  quo  numeramus  ,  ut  unum  , 
duo,  tria,  etc.  Et  numerus  numeratus ,  ut 
numerus  decem  hominum.  Tempus  enim 
non  est  numerus  quo  numeramus,  sed  nu- 
merus numeratus;  est  enim  prius  et  poste- 
rius ,  ut  numerata  sunt  in  motu.  Et  licet 
numerus  quo  numeramus ,  sit  aliquid  dis- 
cretum,  tamen  tempus  est  aliquid  conti- 
nuum,  sicut  decem  ulna?  panni  sunt  con- 
tinua?, licet  numerus  denarius  sit  aliquid 
discretum.  Quia  ergo  tempus  et  est  aliquid 
discretum  et  aliquid  continuum,  relinqui- 
tur  quod  in  tempore  est  dare  aliquo  modo 


SUR   LE    TEMPS.  41 

tinu,  il  reste  à  reconnoître  dans  le  temps  un  nombre  minime  dans  un 
sens  et  non  dans  un  autre.  Car  dans  un  nombre  on  peut  simplement 
prendre  le  plus  petit  comme  l'unité,  ou  un  des  plus  petits  comme  le 
nombre  deux,  qui  a  la  raison  de  nombre.  Mais  dans  le  nombre  nombre, 
comme  dans  la  multitude  des  lignes,  il  faut  prendre  le  moindre  suivant 
la  multitude,  comme  une  ou  deux  lignes.  Mais  suivant  la  grandeur  il 
ne  faut  pas  prendre  la  plus  petite  ligne,  parce  que  toute  ligne  est  divi- 
sible en  d'autres  lignes.  Comme  aussi  dans  le  temps  il  faut  prendre  le 
plus  petit  temps  suivant  la  multitude,  comme  par  exemple  un  jour  ou 
deux  jours  dans  le  genre  des  jours  ;  mais  il  ne  faut  pas  prendre  le  plus 
petit  suivant  la  grandeur,  parce  que  tout  temps  est  divisible  à  l'infini, 
ainsi  que  tout  continu.  Or,  parce  que  le  temps  est  nombre  et  qu'il  est 
aussi  continu,  voilà  pourquoi  on  dit  qu'il  est  abondant  et  rare,  long  et 
court,  mais  non  rapide  ou  lent.  L'abondance  et  la  rareté  sont  des  pas- 
sions du  nombre,  et  c'est  pour  cela  que  le  temps  étant  nombre  est  dit 
abondant  ou  rare.  Long  ou  court  sont  des  passions  du  continu,  c'est 
pour  cela  que  l'on  dit  de  la  ligne  qu'elle  est  longue  ou  courte,  et  c'est 
pour  cela  qu'étant  continu  le  temps  est  dit  long  ou  court.  Il  n'est  pas 
dit  rapide  ou  lent,  parce  qu'étant  un  nombre  mû,  si  le  temps  étoit  dit 
rapide  ou  lent,  ce  seroit  à  raison  ou  du  nombre  ou  du  mouvement.  Ce 
ne  seroit  pas  à  raison  du  nombre,  parce  que  le  nombre  n'est  dit  ni  ra- 
pide ni  lent,  ce  ne  seroit  pas  à  raison  du  mouvement,  parce  que,  quoique 
le  temps  soit  quelque  chose  du  mouvement,  on  ne  peut  pas  dire  que 
le  temps  soitle  mouvement.  C'est  pourquoi  il  ne  faut  pas  attribuer  au 
temps  les  passions  du  mouvement  qui  sont  rapide  et  lent,  parce  que 
rapide  et  lent  sont  déterminés  par  le  temps ,  et  c'est  pour  cela  que  le 
temps  n'est  dit  ni  rapide  ni  lent.  Mais  la  continuité  dans  le  temps  vient 
de  la  continuité  du  mouvement,  non  de  toute  espèce  de  mouvement, 


numerum  minimum,  et  aliquo  modo  non. 
In  numéro  enim  simpliciter  est  dare  mini- 
mum, sicut  unitatem,  vel  minimum  quod 
habet  rationem  numeri,  sicut  est  binarius. 
In  numéro  autem  numerato,  sicut  in  mul- 
titudine  linearum  est  dare  minimum  se- 
cundum  multitudinem,  sicut  unam  lineam 
aut  duas  ;  secundum  magnitudinem  autem 
non  est  dare  minimam  lineam,  eo  quod 
omnis  linea  divisibilis  est  in  alias  lineas. 
Sicut  etiam  in  tempore  est  dare  minimum 
tempus  secundum  multitudinem  :  puta, 
unam  diem  vel  duos  dies  in  génère  die- 
rum  ;  minimum  autem  tempus  secundum 
magnitudinem  non  est  dare,  eo  quod  omne 
tempus  divisibile  est  in  infinitum,  sicut  et 
quodlibet  continuum.  Quia  autem  tempus 
et  est  numerus  et  est  continuum,  inde  est 
quod  dicitur  multum  et  paucum,  brève  et 
longum,  non  autem  velox   vel   tardum. 


Multum  enim  et  paucum  sunt  passiones 
numeri  et  ideo  tempus ,  quia  est  numerus, 
dicitur  multum  et  paucum.  Longum  autem 
et  brève  sunt  passiones  continui,  unde  linea 
dicitur  longa  vel  brevis ,  et  quia  tempus 
est  continuum,  ideo  dicitur  longum  vel 
brève.  Velox  autem  aut  tardum  non  dici- 
tur, quia  cum  tempus  sit  numerus  motus, 
si  diceretur  velox  aut  tardum  ,  aut  hoc  es- 
set  ratione  numeri  aut  motus  ;  non  ratione 
numeri,  quia  numerus  neque  velox  neque 
tardus  dicitur  ;  neque  ratione  motus,  quia 
licet  tempus  sit  aliquid  motus,  non  est  ta- 
men  dicere  quod  tempus  sit  motus.  Et 
ideo  non  oportet  passiones  motus ,  quae 
sunt  velox  et  tardum,  dici  de  tempore, 
quia  velox  et  tardum  determinantur  tem- 
pore, et  ideo  tempus  non  dicitur  velox  nec 
tardum.  Continuitas  autem  in  tempore  est 
ex  continuitate  motus,  non  cujuscumque, 


42  OPUSCULE   XLIII  ,    CHAPITRE   2. 

mais  du  premier  ;  et  en  conséquence  parce  que  le  premier  mouve- 
ment est  un,  le  temps  est  quelque  chose  de  un  mesurant  tous  les  mou- 
vements faits  en  même  temps.  Or  l'antériorité  et  la  postériorité  du 
temps  sont  diverses  comme  dans  le  mouvement.  D'où  il  arrive  que  de 
même  que  la  même  circulation  est  réitérée  suivant  l'espèce,  mais  non 
suivant  le  nombre,  ainsi  le  temps  se  réitère  suivant  l'espèce,  mais  non 
suivant  le  nombre.  Or,  nous  mesurons  le  mouvement  par  le  temps  et 
le  temps  par  le  mouvement,  entant  que  nous  déterminons  la  quantité 
de  l'un  par  la  quantité  de  l'autre.  En  effet,  nous  mesurons  le  mouve- 
ment par  le  temps,  parce  que  le  temps,  suivant  ce  qu'il  est,  est  un 
nombre  mû  ;  nous  mesurons  aussi  le  temps  en  tant  que  nous  détermi- 
nons sa  quantité  par  la  quantité  du  mouvement  qui  nous  est  connue. 
Nous  disons,  en  effet,  que  le  temps  est  abondant,  parce  que  le  mouve- 
ment qui  s'est  fait  dans  le  temps  est  considérable,  et  cela  se  fait 
rationnellement.  Car  le  mouvement  suit  la  grandeur  quant  à  la  conti- 
nuité et  à  l'antériorité  et  à  la  postériorité,  et  le  temps  suit  de  même  le 
mouvement.  Or,  nous  mesurons  le  mouvement  par  la  grandeur  et 
vwe  versa.  Nous  disons,  en  effet,  que  le  mouvement  est  considérable, 
parce  que  la  grandeur  sur  laquelle  s'effectue  le  mouvement  est  consi- 
dérable; et  de  même  nous  disons  que  la  grandeur  est  considérable, 
parce  que  un  grand  mouvement  s'est  opéré  sur  la  grandeur.  C'est  pour 
cette  raison  et  de  la  même  manière  que  nous  déterminons  la  quan- 
tité du  temps  par  le  mouvement,  et  la  quantité  du  mouvement  par  le 
temps. 


sed  primi  ;  et  ideo  quia  motus  primus 
unus  est ,  tempus  est  unum  mensurans 
omnes  motus  simul  factos.  Prius  autem  et 
posterius  temporis  altéra  sunt ,  sicut  prius 
et  posterius  motus.  Unde  sicut  reiteratur 
eadem  circulatio  secundum  speciem  et  non 
secundum  numerum  ,  ita  tempus  reiteratur 
idem  secundum  speciem  et  non  secundum 
numerum.  Mensuramus autem  motum  tem- 
pore, et  tempus  motu,  in  quantum  deter- 
minamus  quantitatem  unius  per  quantita- 
tem  alterius.  Motum  enim  mensuramus 
tempore ,  quia  tempus  secundum  id  quod 
est,  est  numerus  motus;  tempus  etiam 
mensuramus  ,  in  quantum  scilicet  per 
quantitatem  motus  nobis  notam  determi- 


namus  quantitatem  temporis.  Dicimus 
enim  quod  tempus  est  multum,  quia  mo- 
tus qui  t'actus  est  in  tempore  est  multus, 
et  hoc  rationabiliter  accidit.  Motus  enim 
sequitur  magnitudinem  quantum  ad  conti- 
nuitatem  et  prius  et  posterius ,  et  tempus 
similiter  motum.  Per  magnitudinem  au- 
tem mensuramus  motum ,  et  e  converse 
Dicimus  enim  quod  motus  est  multus,  quia 
magnitudo  supra  quam  est  motus ,  est 
multa,  et  similiter  dicimus,  quod  magni- 
tudo est  multa ,  quia  motus  supra  magni- 
tudinem factus  est  multus.  Quare  et  simi- 
liter determinamus  quantitatem  temporis 
per  motum  et  quantitatem  motus  per 
tempus. 


SUR    LE    TEMrS. 


43 


CHAPITRE  III. 

Quelles  sont  les  choses  qui  sont  mesurées  par  le  temps  et  celles  gui  ne  le 

sont  pas. 

Après  avoir  déterminé  ce  qui  est  relativement  au  temps  en  soi ,  il 
faut  considérer  ce  qui  en  est  dans  les  rapports  aux  choses  qui  sont  me- 
surées par  le  temps.  Or,  il  faut  considérer  que  le  temps  est  comparé 
d'une  manière  différente  avec  le  mouvement  et  avec  les  autres  choses. 
En  effet,  le  mouvement  étant  essentiellement  continu  et  successif,  il 
n'est  pas  seulement  mesuré  par  le  temps  quant  à  son  être  et  sa  succes- 
sion ou  durée,  mais  encore  quant  à  ce  qu'il  est,  parce  que  son  essence 
consiste  dans  la  succession.  Mais  les  choses  mobiles  ne  sont  pas  mesu- 
rées par  le  temps,  par  rapport  à  ce  quelles  sont,  comme  l'homme  ou  la 
pierre,  parce  que  leur  essence  est  dans  chaque  instant  présent  du 
temps  et  n'a  ni  antériorité,  ni  postériorité  ou  succession,  c'est  pour- 
quoi c'est  l'instant  présent  du  temps  et  non  le  temps  qui  leur  corres- 
pond. Mais  elles  sont  mesurées  par  le  temps  quant  à  leur  être  et  à  leur 
succession  ou  durée,  parce  que  leur  durée  n'existe  pas  toute  en  même 
temps.  De  même  donc  que  pour  le  mouvement  être  dans  le  temps , 
c'est  être  mesuré  par  le  temps  quant  à  ce  qu'il  est  et  quant  à  sa  durée  -y 
ainsi  pour  les  autres  choses  être  dans  le  temps  c'est  être  mesurées  par 
le  temps,  non  quanta  ce  qu'elles  sont,  mais  quant  à  leur  durée;  et  la 
vérité  de  cela  saute  aux  yeux.  En  effet,  être  dans  le  temps,  ou  c'est 
être  pendant  que  le  temps  dure,  ou  être  comme  dans  un  nombre;  or 
être  dans  le  temps,  n'est  pas  être  quand  le  temps  dure ,  de  même  que 
être  dans  un  lieu  n'est  pas  être  pendant  la  durée  du  lieu;  car  il  s'en- 
suivroit  que  toutes  choses  serpient  dans  le  même  lieu,  tandis  que  tout 
est  quand  un  seul  lieu  est;  comme  il  s'ensuivroit  aussi  que  le  ciel  se- 


CAPUT   III. 

Quœ  sunt  Ma  quœ  mensurantur  lempore  et 
quœ  non. 

Determinatio  de  tempore,  secundum  se 
considerandum  est  de  ipso  secundum  rela- 
tionem  ad  ea  quae  tempore  mensurantur. 
Est  autem  considerandum  ,  quod  aliter 
comparatur  tempus  ad  motjum  et  ad  alias 
res.  Cum  enim  motus  sk  continuus  et  suc- 
cessivus  essentialiter,  ideo  non  solum  men- 
suratur  tempore  quantum  ad  suum  esse, 
et  suam  successionem  vel  durationem; 
sed  etiam  quantum  ad  id  quod  est,  quia 
ejus  essentia  in  successione  consistit.  Mo- 
bilia  vero  quantum  ad  id  quod  sunt,  sicut 
homo  aut  lapis  non  mensurantur  tempore, 
quia  essentia  eorum  est  in  quolibet  nunc 
temporis,  nec  habet  prius  nec  posterius, 


sive  successionem,  unde  his  respondet 
nunc  temporis  et  non  tempus.  Mensuran- 
tur autem  tempore  quantum  ad  suum  esse 
et  suam  successionem  vel  durationem , 
quia  duratio  eorum  non  est  tota  simul. 
Sicut  ergo  motum  esse  in  tempore,  est 
ipsum  mensurari  tempore  quantum  ad  id 
quod  est  et  quantum  ad  suam  durationem, 
ita  alias  res  esse  in  tempore,  est  ipsas  men- 
surari tempore  non  quantum  ad  id  quod 
sint,  sed  quantum  ad  suam  durationem, 
et  quod  hoc  sit  verum  patet.  Esse  enim 
in  tempore  ,  aut  est  esse  dum  tempus  est, 
aut  est  esse  sicut  in  numéro  ;  esse  autem 
in  tempore  non  est  esse  quando  tempus 
est,  sicut  nec  esse  in  loco  est  esse  quando 
locus  est.  Sic  enim  sequeretur,  quod  om- 
nia  essent  in  eodem  loco  ,  cum  omnia  sint 
quando  unus  locus  est  ;  sicut  etiam  seque- 


44  OPUSCULE   XLIII,    CHAPITRE   3. 

roit  dans  un  grain  de  mil;  parce  que  le  ciel  existe  en  même  temps  que 
le  grain  de  mil.  Mais  être  dans  le  temps  c'est  être  mesuré  et  renfermé 
par  le  temps,  de  même  que  être  dans  un  lieu  c'est  être  mesuré  et  ren- 
fermé dans  ce  lieu.  C'est  pourquoi  il  s'ensuit  que  être  dans  le  temps, 
c'est  être  comme  dans  un  nombre.  Or,  une  chose  est  de  deux  manières 
dans  un  nombre ,  ou  elle  est  quelque  chose  de  ce  nombre ,  comme 
l'unité,  pair  ou  impair,  ou  parce  qu'elle  est  son  nombre,  comme  d'une 
chose  nombrée.  Ainsi  donc  le  temps  étant  un  nombre,  on  dit  que  des 
choses  sont  dans  le  temps ,  parce  qu'elles  sont  quelque  chose  de  ce 
temps,  comme  le  présent,  le  passé,  l'avenir.  D'autres  choses  sont  dans 
le  temps,  non  parce  qu'elles  sont  quelque  chose  du  temps,  mais  parce 
qu'elles  sont  mesurées  par  le  temps  et  sont  renfermées  dans  le  temps, 
comme  les  choses  qui  sont  dans  un  nombre  sont  renfermées  dans  ce 
nombre.  Donc,  puisque  être  dans  le  temps  c'est  être  comme  dans  un 
nombre  et  donner  un  plus  grand  nombre  à  tout  ce  qui  est  dans  le 
nombre ,  il  s'ensuit  que  c'est  donner  un  temps  plus  grand  à  tout  ce 
qui  est  dans  le  temps.  C'est  donc  là  la  première  condition  de  toutes  les 
choses  qui  sont  mesurées  par  le  temps.  Leur  seconde  condition,  c'est 
que  toutes  les  choses  qui  sont  dans  le  temps  souffrent  dans  le  temps, 
comme  nous  avons  coutume  de  dire  que  le  temps  flétrit  et  corrompt 
les  choses  qui  sont  dans  le  temps  et  que  le  temps  engendre  Poubli.  11  y 
a  deux  causes  de  cela.  La  première,  c'est  que  nous  voyons  certaines 
choses  se  corrompre  dans  le  temps  sans  qu'il  apparoisse  aucun  agent 
extérieur  de  corruption,  comme  il  arrive  dans  la  corruption  qui  pro- 
vient de  la  vieillesse  que  nous  attribuons  surtout  au  temps.  Or  rien 
ne  se  fait  dans  le  temps  sans  qu'il  paroisse  quelque  agent  extérieur, 
c'est  pour  cela  que  nous  ne  disons  pas  que  le  temps  est  cause  de  la 
génération ,  comme  de  la  corruption ,  ou  que  le  temps  est  cause  de  la 


retur  ,  quod  cœlum  esset  in  grano  milii, 
quia  cœlum  est  quando  granum  milii  est; 
sed  esse  in  tempore  est  mensurari  et  con- 
tineri  a  tempore ,  sicut  esse  in  loco  est 
mensurari  et  contineri  loco.  Propter  quod 
sequitur  quod  esse  in  tempore  est  esse  si- 
cut in  numéro.  In  numéro  autem  aliquid 
est  dupliciter ,  aut  enim  est  aliquid  ipsius 
numeri,  sicut  unitas,  par  vel  impar;  aut 
quia  numerus  est  ejus,  sicut  rei  nume- 
ratae.  Sic  ergo  cum  tempus  sit  numerus, 
aliqua  dicuntur  esse  in  tempore,  quia  sunt 
aliquid  ipsius  temporis ,  ut  nunc,  prius  et 
posterius.  Aliqua  autem  sunt  in  tempore  , 
non  quia  sunt  aliquid  ejus,  sed  quia  men- 
surantur  tempore  et  continentur  sub  tem- 
pore ,  sicut  ea  quae  sunt  in  numéro  conti- 
nentur sub  numéro  ;  quia  ergo  esse  in  tem- 
pore est  sicut  in  numéro ,  omni  autem  eo 


quod  est  in  numéro  est  dare  majorem  nu- 
merum,  inde  est  quod  est  dare  tempus  ma- 
jus  omni  eo  quod  est  in  tempore.  Hsec  est 
ergo  prima  conditio  omnium  eorum  quae 
tempore  mensurantur.  Secunda  conditio 
eorum  est,  quod  quaecumque  sunt  in  tem- 
pore patiuntur  sub  tempore,  sicut  consue- 
vimus  dicere  quod  tempus  tabefacit  et 
corrumpit  ea  quae  sunt  in  tempore  et  quod 
oblivio  fit  propter  tempus.  Hujus  autem 
causa  est  duplex.  Prima  est,  quiavidemus 
aliqua  corrumpi  jn  tempore,  dato  quod 
non  appareat  nobis  aliquod  exterius  cor- 
rumpens,  sicut  est  in  corruptione  quae  fit 
ex  senio,  quam  maxime  attribuimus  tem- 
pori.  Nihil  autem  fit  in  tempore  nisi  ap- 
pareat aliquid  exterius  faciens,  propter 
quod  non  dicimus  quod  tempus  sit  causa 
generationis,  sicut  corruptionis  ,  aut  quod 


SUR    LE    TEMPS.  4o 

science,  comme  il  est  cause  de  l'oubli,  parce  que  personne  ne  devient 
savant  par  la  raison  qu'il  vit  longtemps.  La  seconde  cause  est  que  le 
temps  est  un  nombre  mû;  or  le  mouvement  produit  l'éloignement 
de  ce  qui  est  mobile  de  la  position  où  il  étoit  d'abord  et  est  une  cause 
de  plus  de  la  corruption  et  de  la  génération,  à  quoi  on  assigne  une 
triple  cause.  La  première,  c'est  que  le  mouvement  éloigne  ce  qui  est 
mû  de  sa  première  position,  comme  il  a  été  dit.  Or  cette  distance  est 
déterminée  par  rapport  au  terme  qui  est  corrompu  dans  le  mouve- 
ment, et  par  conséquent  le  mouvement  est  par  soi  une  cause  de  cor- 
ruption. Mais  que  le  mouvement  produise  quelque  terme  ad  quem, 
ce  n'est  pas  absolument  de  l'essence  du  mouvement ,  mais  cela  lui 
convient  en  tant  qu'il  est  limité.  Or,  il  a  le  caractère  de  fini,  d'après 
l'intention  déterminée  du  moteur ,  dont  le  rôle  est  de  mouvoir  à  un 
but  déterminé.  C'est  ce  qui  fait  que  la  génération  d'un  terme  ad  quem 
doit  être  plutôt  attribuée  à  la  forme  du  moteur  lui-même,  à  raison  du- 
quel le  moteur  imprime  le  mouvement,  qu'au  mouvement  lui-même. 
La  seconde  raison,  c'est  que  la  chose  qui  est  mue  n'est  en  aucune  ma- 
nière pendant  le  mouvement  ni  dans  le  terme  a  quo,  ni  dans  le  terme 
ad  quem,  mais  est  étrangère  à  l'un  et  à  l'autre.  Et  par  conséquent  le 
mouvement  est  de  soi  la  cause  pourquoi  ce  qui  est  mû  est  privé  du 
terme  a  quo  et  du  terme  ad  quem.  Or  ,  lorsque  ce  qui  est  mobile  est 
constitué  sous  le  terme  ad  quem,  il  n'y  a  plus  alors  de  mouvement,  et 
par  conséquent  le  mouvement  est  plus  la  cause  de  la  corruption  de 
chaque  terme ,  pendant  qu'il  existe ,  que  de  la  génération  du  terme 
ad  quem,  parce  que  lorsque  le  terme  ad  quem  est  produit,  il  n'y  a  plus 
alors  de  mouvement.  La  troisième  raison ,  c'est  que ,  ainsi  qu'on  le 
voit  dans  le  troisième  livre  de  la  Physique,  le  mouvement  est  conduit 
à  la  condition  d'acte,  suivant  qu'il  est  considéré  ut  ab  hoc,  et  à  la con- 


tempus  sit  causa  disciplinas,  sicut  est  causa 
oblivionis ,  quia  ex  hoc  solo  quod  aliquis 
diu  vivit,  non  efficitur  sciens.  Secunda 
causa  est ,  quod  tempns  est  numerus  mo- 
tus ,  motus  autem  facit  distare  mobile  a 
dispositione  in  qua  prius  erat,  et  est  magis 
causa  corruptionis  et  generationis  ,  cujus 
ratio  signatur  triplex.  Prima  ratio  est, 
quia  motus  facit  id  quod  movetur  distare 
a  prima  dispositione  sua,  ut  dictum  est. 
Ha;c  autem  distantia  attenditur  respectu 
termini  a  quo,  qui  corrumpitur  in  motu, 
et  ideo  motus  per  se  est  causa  corruptionis. 
Quod  autem  per  motum  generetur  aliquis 
terminus  ad  quem,  hoc  non  est  de  ratione 
motus  absolute,  sed  convenit  ci  ut  linitus 
est.  Rationem  autem  finiti  habet  ex  deter- 
minata  intentione  moventis,  cujus  est  mo- 
vere  ad  aliquem  determinatum  terminum. 


Unde  generatio  termini  ad  quem  magis  est 
attribuenda  formae  ipsius  moventis,  ra- 
tione cujus  movens  movet,  quam  ipsi  mo- 
tui.  Secunda  ratio  est,  quia  illud  quod  mo- 
vetur, dum  movetur,  neque  est  omnino  in 
termino  a  quo,  neque  in  termiuo  ad  quem, 
sed  déficit  ab  utroque  ;  et  ideo  motus  de 
se  est  causa  quare  mobile  sit  sub  priva- 
tione  termini  a  quo  et  termini  ad  quem. 
Cum  autem  mobile  factum  est  sub  ter- 
mino ad  quem  ,  tune  non  est  motus ,  et 
ideo  motus  magis  est  causa  corruptionis 
utrisque  termini  dum  est ,  quam  genera- 
tionis termini  ad  quem ,  quia  cum  termi- 
nus ad  quem  generatus  est,  tune  motus 
non  est.  Tertia  ratio  est,  quia  ut  patet  ex 
III.  Pays.,  motus  trahitur  ad  rationem  ac- 
tionis,  secundum  quod  consideratur  ut  ab 
hoc,  ad  rationem  autem  passionis  trahitur, 


46  OPUSCULE   XLIII,    CHAPITRE   3. 

dition  de  passion,  selon  qu'il  est  considéré  ut  in  hoc.  Or,  il  est  cons- 
tant que  tout  accident  a  une  relation  plus  vraie  au  sujet  qu'à  la  cause 
agissante,  c'est  pourquoi  la  considération  du  mouvement  sous  la 
raison  de  passion  est  plus  vraie  que  sous  la  raison  d'action.  Or,  la  pas- 
sion est  par  soi  une  cause  de  corruption.  Car  il  est  de  son  essence  de 
perdre  de  la  substance  à  proportion  du  développement  qu'elle  prend. 
Or,  la  production  est  plutôt  attribuée  à  l'action.  Et  parce  que,  comme 
il  a  été  dit,  le  mouvement  est  considéré  d'une  manière  plus  vraie  sous 
le  caractère  de  passion  que  sous  celui  d'action,  il  s'ensuit  que  le  mouve- 
ment est  plus  une  cause  de  corruption  que  de  génération.  Or,  comme 
il  a  été  dit,  le  temps  est  la  mesure  du  mouvement ,  et  il  est  par  con- 
séquent plutôt  cause  de  corruption  que  de  génération  ,  ainsi  que  le 
mouvement.  Néanmoins  il  n'est  cause  par  soi  ni  de  l'une  ni  de  l'autre. 
De  ces  deux  conditions  qui  paroissent  dans  les  choses  qui  sont  dans  le 
temps,  nous  pouvons  conclure  que  les  choses  qui  existent  toujours 
ne  sont  pas  dans  le  temps.  D'abord,  parce  que,  comme  le  dit  la  pre- 
mière condition,  c'est  la  destinée  de  tout  ce  qui  est  dans  le  temps  de 
recevoir  un  temps  plus  grand  ;  mais  pour  les  choses  sempiternelles 
il  n'y  a  pas  à  recevoir  un  temps  plus  grand,  puisqu'elles  existent 
toujours;  donc  les  choses  qui  existent  toujours  ne  sont  pas  dans 
le  temps.  En  outre ,  comme  porte  la  seconde  condition ,  les  choses 
qui  sont  dans  le  temps  sont  passives  dans  le  temps,  sont  corrom- 
pues dans  le  temps  ;  mais  les  choses  qui  existent  toujours  ne  sont 
pas  passives  dans  le  temps ,  elles  ne  se  corrompent  ni  ne  vieillis- 
sent; c'est  pourquoi  il  est  clair  qu'elles  ne  sont  pas  dans  le  temps. 
On  pourroit  croire,  d'après  tout  ce  qui  a  été  dit,  que  les  choses  qui 
sont  dans  le  repos  conservant  toujours  la  même  physionomie  pen- 
dant leur  repos ,  comme  les  choses  sempiternelles,  ne  sont  pas  me- 


ut consideratur  ut  in  hoc.  Constat  autem 
quod  omne  accidens  veriorem  habet  com- 
parationem  ad  subjectum,  quara  ad  cau- 
sant agentem,  ideo  verior  est  consideratio 
motus  sub  ratione  passionis,  quam  sub 
ratione  actionis.  Passio  autem  est  causa 
corruptionis  per  se.  De  ratione  enim  ejus 
est ,  quod  ipsa  magis  facta  plus ,  et  plus 
abjiciat  a  substantia  ;  factio  autem  magis 
attribuitur  actioni.  Et  quia  sicut  dictum 
est,  verius  consideratur  motus  sub  ratione 
passionis,  quam  sub  ratione  actionis,  inde 
est  quod  motus  magis  est  causa  corruptio- 
nis quam  generationis.  Tempus  autem ,  ut 
dictum  est ,  est  mensura  motus ,  et  ideo 
magis  est  causa  corruptionis  quam  genera- 
tionis, sicut  et  motus  ;  neutrius  tamen  est 
causa  per  se.  Ex  his  duabus  conditionibus 
quœ  apparent  in  rébus  quœ  sunt  in  tem- 


pore,  possumus  concludere,  quod  ea  quœ 
sunt  semper,  non  sunt  in  tempore.  Primo, 
quia  sicut  dicit  prima  conditio,  omni  eo 
quod  est  in  tempore,  est  accipere  tempus 
majus  ;  sempiternis  autem  non  est  aliquid 
majus  tempus  accipere ,  cum  ipsa  semper 
sint  ;  ergo  ea  quœ  semper  sunt,  non  sunt 
in  tempore.  Prœterea,  sicut  dicit  secunda 
conditio,  ea  quœ  sunt  in  tempore  patiun- 
tur  in  tempore ,  corrumpuntur  in  tempore, 
ea  autem  quœ  semper  sunt,  non  patiuntur 
a  tempore ,  nec  corrumpuntur ,  neque  ?e- 
nescunt,  quare  manifestum  est  quod  non 
sunt  in  tempore.  Ex  his  autem  quae  dicta 
sunt,  posset  aliquis  credere,  quod  ea  quœ 
quiescunt,  cum  semper  dum  quiescunt  si- 
militer  se  habeant  sicut  sempiterna,  quod 
non  mensurarentur  tempore  :  hoc  autem 
est  falsum.  Et  ideo  dicendum  est ,  quod 


SUR   LE   TEMPS.  47 

surées  par  le  temps  ;  or  cela  est  faux.  Et  par  conséquent  il  faut  dire 
que,  de  même  que  le  temps  est  la  mesure  par  soi  du  mouvement,  il 
est  aussi  la  mesure  par  accident  du  repos.  Car,  en  effet,  il  ne  faut  pas 
que  tout  ce  qui  est  dans  le  temps  soit  mû  actu,  comme  il  est  nécessaire 
que  tout  ce  qui  est  en  mouvement  soit  mû  actuellement,  parce  que  le 
temps  n'est  pas  le  mouvement,  quoiqu'il  soit  un  nombre  mû.  Or,  il 
convient  que  dans  le  nombre  du  mouvement  il  y  ait  non-seulement  ce 
qui  est  mû,  mais  aussi  ce  qui  est  en  repos  ;  car  on  ne  dit  pas  en  repos 
tout  ce  qui  n'est  pas  en  mouvement,  mais  bien  tout  ce  qui  n'est  pas 
en  mouvement  malgré  l'aptitude  native  à  recevoir  le  mouvement,  et 
toute  chose  semblable  est  mobile.  Donc  l'être  d'une  chose  en  repos 
est  l'être  d'une  chose  mobile  ;  or  l'être  d'une  chose  mobile  est  me- 
suré par  le  temps,  donc  il  en  est  de  même  de  l'être  d'une  chose  en 
repos.  Mais  ce  qui  est  en  repos  et  ce  qui  est  en  mouvement  se  mesure 
quant  à  la  quantité  du  repos  ou  du  mouvement,  le  mouvement  par 
soi,  mais  le  repos  par  accident.  Nous  disons,  en  effet,  qu'une  chose  a 
été  en  repos  pendant  un  jour ,  parce  qu'elle  a  été  privée  de  mouve- 
ment pendant  un  jour.  D'après  cela  il  faut  comprendre  que  ce  qui  est 
mobile  peut  être  considéré  de  deux  manières ,  ou  selon  sa  substance 
ou  son  essence ,  ou  selon  son  être.  Si  on  le  considère  dans  sa  sub- 
stance, ce  n'est  point  mesuré  par  le  temps,  par  la  raison  qu'une  sub- 
stance mobile  existe  dans  tout  instant  présent  du  temps  et  n'a  point  de 
succession  ni  d'antériorité  et  de  postériorité.  Si,  au  contraire  ,  on  le 
considère  sous  le  rapport  de  son  être,  on  peut  le  faire  de  deux  ma- 
nières, ou  quant  à  l'être  substantiel,  ou  quant  à  l'être  qu'il  a  dans  le 
mouvement  qui  est  son  aptitude  au  mouvement.  Si  on  le  considère  de 
la  première  manière,  ce  n'est  pas  mesuré  par  le  temps,  tandis  qu'il  en 
est  ainsi  de  la  seconde  manière.  Car  le  mouvement  n'est  pas  un  tout 


sicut  tempus  est  mensura  motus  per  se  ,  ita 
est  mensura  quietis  per  accidens.  Non  enim 
oportet  quod  omne  quod  est  in  tempore, 
actu  moveatur ,  sicut  omne  quod  est  in 
motu  necesse  est  actualiter  moveri,  quia 
tempus  non  est  motus ,  hcet  sit  numerus 
motus.  In  numéro  autem  motus  convenit 
esse  non  solum  illud  quod  movetur,  sed 
etiam  illud  quod  quiescit.  Quiescens  enim 
non  dicitur  quodcumque  quod  non  move- 
tur ,  sed  quod  non  movetur  aptum  tamen 
natum  moveri ,  et  omne  taie  est  mobile. 
Esse  ergo  rei  quiescentis  est  esse  rei  mo- 
bilis; esse  autem  rei  mobilis  mensuratur 
tempore,  ergo  et  esse  rei  quiescentis.  Men- 
suratur autem  id  quod  quiescit  et  id  quod 
movetur  quantum  ad  quantitatem  quietis 
vel  motus  ;  motus  tamen  per  se,  quies  au- 
tem per  accidens.  Dicimus  enim  quod  ali- 


quid  quievit  uno  die,  quia  cessa  vit  a  motu 
una  die.  Juxta  quod  intelligendum  est 
quod  mobile  potest  considerari  dupliciter, 
vel  quantum  ad  suam  substantiam  seu  es- 
sentiam ,  vel  quantum  ad  suum  esse.  Si 
consideratur  quantum  ad  suam  substan- 
tiam, sic  non  mensuratur  tempore,  eo  quod 
substantia  mobilis  in  quolibet  nunc  tem- 
poris  est,  nec  habet  successionem,  nec  prius 
nec  posterius.  Si  autem  consideretur  quan- 
tum ad  suum  esse,  hoc  potest  esse  duplici- 
ter, quia  aut  considerari  potest  quantum 
ad  suum  esse  substantiale  aut  quantum  ad 
suum  esse,  quod  habet  in  motu,  quod  est 
suum  moveri.  Si  consideretur  primo  modo, 
sic  non  mensuratur  tempore,  secundo  au- 
tem modo  mensuratur  tempore.  Msveri 
enim  mobilis  non  est  totum  simul ,  sed 
successivum.  Viso  ergo  quod  non  omnia 


48  OPUSCULE   XLIII  ,    CHAPITRE    4. 

simultané,  mais  successif  de  ce  qui  est  mobile.  Reconnoissant  donc 
que  tous  les  êtres  ne  sont  pas  dans  le  temps,  et  que  tous  les  non-êtres 
n'y  sont  pas  non  plus,  et  comprenant  cela  en  peu  de  mots,  il  faut  dire 
que  tous  les  non-êtres  qui  sont  dans  l'impossibilité  de  passer  à  l'être, 
ne  sont  pas  mesurés  par  le  temps.  Et  la  raison  en  est  que,  comme  nous 
l'avons  dit,  tout  ce  qui  est  dans  le  temps  est  destiné  à  prendre  un 
temps  plus  grand.  Or  il  est  constant  que  l'entité  des  choses  qui  ne 
peuvent  passer  à  l'être  n'a  pas  à  prendre  un  temps  plus  grand,  et  par 
conséquent  de  tels  non-êtres  ne  sont  pas  dans  le  temps.  Quant  aux 
choses  qui  peuvent  être  et  ne  pas  être,  elles  sont  dans  le  temps,  parce 
que  leur  entité  et  leur  non-entité  sont  susceptibles  de  recevoir  un 
temps  plus  grand. 

CHAPITRE  IV. 

De  la  différence  de  l'éternité,  de  /'œvum  et  du  temps  ;  ce  que  c'est  que 
chacune  de  ces  choses. 

Après  avoir  parlé  du  temps  en  lui-même  et  par  résolution  à  l'égard 
des  choses  temporelles ,  il  faut  le  considérer  dans  ses  rapports  avec 
les  autres  mesures  qui  sont  l'éternité  et  Y  œvum.  Il  faut  voir  d'abord 
si  l'éternité  existe  et  ce  qu'elle  est.  Il  y  en  a  qui  doutent  si  l'éternité 
existe ,  et  ils  prouvent  la  négative  ,  par  la  raison  que  l'infini  en  tant 
qu'infini  n'a  pas  de  mesure;  mais  la  cause  première  est  infinie  et  a 
l'éternité  pour  mesure.  Donc  il  semble  que  l'éternité  ne  peut  exister 
dans  le  genre  de  mesure  ;  donc  l'éternité  n'est  rien.  De  même  toute 
mesure  accuse  une  quantité  quelconque  ;  or  la  cause  première  n'a  au- 
cune quantité,  donc  l'éternité  ne  peut  pas  être  la  mesure  de  la  cause 
première,  ni  par  conséquent  être  quelque  chose ,  puisqu'on  ne  sup- 
pose l'être  que  dans  le geme  démesure.  Autre  raison  :  Rien  de  ce  qui 
conserve  la  même  condition  ne  peut  servir  de  mesure  ;  or,  l'éternité 


entia  sunt  in  tempore,  et  quod  non  omnia 
non  entia  sunt  in  tempore,  et  hoc  breviter 
comprehehdamus ,  dicendum  est  quod  illa 
non  entia  quœ  impossibile  est  esse,  non 
mensurantur  tempore.  Et  ratio  hujus  est  , 
quia  sicut  dictum  est,  omni  eo  quod  est  in 
tempore  est  accipere  majus  tempus.  Constat 
autem  quod  non  est  accipere  majus  tem- 
pus entitate  eorum  quœ  impossibile  est 
esse ,  et  ideo  non  entia  talia  non  sunt  in 
tempore.  Ea  autem  quœ  possunt  esse  et 
non  esse ,  sunt  in  tempore ,  quia  est  dare 
tempus  majus  entitate  eorum  et  non  en- 
titate. 

CAPUT  IV. 

Ve   differ entia  œternitatis  œvi  et   tempori$, 
et  quid  sit  unumquodque  eorum. 

Viso  ergo  de  tempore  secundum  se  et  per 


resolutionem  ad  temporalia ,  consideran- 
dum  est  per  relationem  ad  alias  mensuras, 
quae  sunt  œternitas  et  œvum.  Primo  ergo 
videndum  an  œternitas  sit  et  quid  sit.  Du- 
bitant  enim  aliqui  an  œternitas  sit,  et  pro- 
bant ipsi  quod  non,  quia  infiniti  in  quan- 
tum infinitum  est,  non  est  mensura  :  causa 
autem  prima  infinita  est ,  cujus  mensura 
ponitur  œternitas.  Ergo  videtur  quod  œter- 
nitas non  possit  esse  in  génère  mensurœ. 
Ergo  œternitas  nihil  est.  Item  omnis  men- 
sura certificat  aliquam  quantitatem  :  causa 
autem  prima  nullam  quantitatem  habet. 
Ergo  œternitas  non  potest  esse  mensura 
causœ  primœ ,  nec  per  consequens  aliquid 
esse,  cum  non  ponatur  esse  nisi  in  génère 
mensurœ.  Item,  nihil  uno  modo  se  habens, 
potest  mensurare;  œternitas  autem  est 
uno  modo  se  habens ,  ergo  non  potest  ha- 


SUR   LE    TEMPS.  49 

est  toujours  la  même,  donc  elle  ne  peut  avoir  le  caractère  de  mesure. 
Or  l'éternité  n'est  établie  que  comme  une  sorte  de  mesure;  donc  l'é- 
ternité n'existe  pas.  Il  faut  remarquer  que  l'éternité  se  prend  en  trois 
sens.  Dans  le  premier  sens  l'éternité  est  dite  la  mesure  de  la  durée 
d'une  chose  qui  conserve  toujours  la  même  condition,  sans  acquérir 
rien  pour  l'avenir,  et  sans  rien  perdre  dans  le  passé,  et  l'éternité  est 
ainsi  prise  dans  le  sens  le  plus  strict.  Dans  le  second  sens  l'éternité  est 
dite  la  mesure  de  la  durée  d'une  chose  qui  a  un  être  fixe  et  stable, 
mais  qui  admet  néanmoins  des  vicissitudes  dans  ses  opérations ,  et 
dans  ce  sens  l'éternité  s'appelle  proprement  œvum.  Ucwum  est  la  me- 
sure des  choses  dont  l'être  est  stable,  qui  ont  néanmoins  une  succes- 
sion dans  leurs  œuvres,  comme  les  intelligences.  Dans  le  troisième 
sens  l'éternité  est  dite  la  mesure  de  la  durée  successive  ayant  une 
antériorité  et  une  postériorité,  mais  sans  principe  ou  sans  fin,  ou  sans 
fin  mais  avec  un  commencement,  et  de  ces  deux  manières  on  suppose 
un  monde  éternel,  quoique  dans  la  réalité  il  soit  temporel,  et  dans  ce 
sens  c'est  d'une  manière  tout  à  fait  impropre  qu'on  l'appelle  éternité, 
car  l'antériorité  et  la  postériorité  répugnent  au  caractère  de  l'éternité. 
Mais  dans  l'un  et  l'autre  cas  l'éternité  a  une  entité  très-réelle,  et  il  ne 
signifie  rien  de  dire  que  l'infini  en  tant  qu'infini  n'a  pas  de  mesure  ; 
parce  que,  bien  que  la  cause  première  soit  infinie  par  la  raison  qu'elle 
n'a  ni  commencement  ni  fin,  elle  est  néanmoins  très-finie  par  la  rai- 
son que  subsistant  en  elle-même,  elle  n'a  rien  de  soi  en  dehors  d'elle. 
Quant  à  ce  que  l'on  objecte  que  toute  mesure  constate  une  quantité 
quelconque,  il  faut  répondre  que  ce  n'est  pas  universellement  vrai,  à 
moins  de  prendre  la  quantité  dans  un  sens  très-large  pour  la  quantité 
de  force  et  de  grandeur.  Or,  quoique  la  première  cause  n'ait  pas  la 
quantité  de  grandeur ,  elle  a  néanmoins  la  quantité  de  vertu ,  et  cela 


bere  rationem  mensurœ ,  non  ponitur  au- 
tem  esse  œternitas,  nisi  ut  mensura  quœ- 
dam  ;  ergo  œternitas  non  est.  Intelligen- 
dum,  quod  œternitas  tripliciter  accipitur. 
Uno  modo  dicitur  œternitas  mensura  du- 
rationis  rei  semper  similiter  se  habentis  , 
nihil  acquirentis  in  futuro  et  nihil  admit- 
tentis  in  prœterito,  et  sic  propriissime  su- 
mitur  œternitas.  Secundo  modo  dicitur 
aeternitas  mensura  durationis  rei  habentis 
esse  fixum  et  stabile  ,  recipientis  tamen 
vices  in  operationibus  suis,  et  œternitas 
sic  accepta  proprie  dicitur  œvum.  iEvum 
enim  est  mensura  eorum  quorum  esse  est 
stabile  ,  quœ  tamen  habent  successionem 
in  operibus  suis,  sicut  intelligentiœ.  Tertio 
modo  dicitur  œternitas  mensura  durationis 
successivœ  habentis  prius  et  posterius,  ca- 
rentis  tamen  principio  et  fine,  vel  carentis 
fine  et  tamen  habentis  principium,  et  ulro- 


que  modo  ponitur  mundus  œternus,  licet 
secundum  veritatem  sit  temporalis,  et  ist'o 
modo  impropriissime  dicitur  œternitas, 
rationi  enim  œternitatis  répugnât  prius  et 
posterius.  Utroque  autem  istorum  modo- 
rum  dicta  œternitas  verissimam  entitatem 
habet.  Nec  valet  illud  quod  arguitur,  quod 
infiniti  in  quantum  infinitum  est,  non  est 
mensura  ;  quia  licet  causa  prima  infinita 
sit,  eo  quod  careat  principio  et  fine,  tamen 
finitissirna  est,  eo  quod  in  se  ipsa  manens 
nihil  sui  habet  extra  se.  Ad  aliud  cum  di- 
citur quod  omnis  mensura  certificat  ali- 
quam  quantitatem ,  dicendum  quod  non 
est  universaliter  vcrum,*  nisi  accipiatur 
quantités  valde  large  pro  quantitate  vir- 
tutis  et  magnitudinis.  Licet  autem  prima 
causa  non  habeat  quantitatem  magnitu- 
dinis ,  habet  tamen  quantitatem  virtutis , 
et  hoc  sufïicit.  Ad  aliud,  cum  dicitur,  illud 


50  OPUSCULE   XLIII,    CHAPITRE    4. 

suffît.  A  ce  que  l'on  objecte  que  ce  qui  conserve  toujours  la  même 
physionomie  ne  sert  pas  de  mesure,  il  faut  répondre  qu'il  est  vrai  que 
cela  ne  sert  pas  de  mesure  comme  nombre ,  mais  comme  unité ,  c'est 
pour  cela  que  l'éternité  doit  plutôt  être  dite  unité  d'une  chose  éter- 
nelle que  nombre.  Maintenant  il  faut  examiner  ce  que  c'est  que  l'é- 
ternité. Pour  cela  il  faut  considérer  que  l'éternité  signifie  une  cer- 
taine interminoMlité.  On  dit  éternel  comme  existant  sans  limites.  Or, 
ainsi  que  le  dit  Aristote  dans  le  huitième  livre  de  la  Physique  ,  dans 
tout  mouvement  il  y  a  quelque  génération  et  quelque  altération  en 
tant  que  le  mobile  cesse  d'être  dans  le  terme  a  quo  et  commence 
d'être  dans  le  terme  ad  quem.  Il  est  évident,  d'après  cela,  que  toute 
mutabilité  répugne  à  l'éternité.  Donc  l'éternité  renferme  non-seule- 
ment Yiiiîerminabilité  d'être,  mais  encore  l'immobilité  •  or  c'est  par 
le  mouvement  que  se  produisent  l'antériorité  et  la  postériorité  dans  le 
temps,  et,  par  conséquent,  le  mouvement  répugnant  à  l'éternité,  par 
suite  il  lui  répugne  d'avoir  l'antériorité  et  la  postériorité.  C'est  pour- 
quoi Boëce  définit  ainsi  l'éternité  :  l'éternité  est  la  possession  simul- 
tanée entière  et  parfaite  d'une  vie  interminable;  Donc  toutes  les  choses 
qui,  avec  l'indéfectibilité  de  l'être,  possèdent  l'immobilité  et  sont  sans 
succession  temporelle ,  sont  dites  exister  éternellement  et  sont  me- 
surées par  l'éternité.  C'est  pourquoi  il  en  est  qui  définissent  l'éternité 
comme  le  retard  elle  non-retard  du  temps,  mais  elle  est  dite  le  retard 
de  l'être,  c'est-à-dire  l'indéfectibilité.  Au  contraire  l'espace  est  tout 
ce  qui  environne  tout  l'être  indéfectible.  Mais  le  continu  est  appelé 
ainsi,  non  parce  qu'il  a  des  parties,  mais  parce  qu'il  ne  manque  ja- 
mais, n'a  jamais  manqué,  ne  manquera  jamais;  il  est  appelé  aussi 
non-entrefait,  parce  qu'il  n'a  point  de  parties  qui  passent  de  la  puis- 
sance à  l'acte,  comme  le  temps  dont  la  partie  antérieure  est  passée, 


quod  uno  modo  se  habet,  non  mensurat, 
dicendum  quod  verum  est.  quod  non  men- 
surat  ut  numerus,  sed  ut  unitas,  unde  aeter- 
nitas  magis  dicenda  est  unitas  rei  œternee, 
quara  numerus.  Nunc  ergo  considerandum 
est  quid  sit  seternitas.  Ad  quod  sciendum, 
considerandum  est,  quod  eeternitas  dicit 
interminabilitatem  quamdam.  Dicitur 
enim  aHernum  quasi  extra  terminos  exis- 
tens.  Sicut  autem  dicit  Philosophus,  VIII. 
Phys.,  in  omni  motu  est  aliqua  generatio 
et  aliqua  corruptio ,  in  quantum  mobile 
définit  esse  in  termino  a  quo  incipit  esse 
in  termino  ad  quem;  ex  boc  patet,  quod 
omnis  mutabilitas  répugnât  aeternitati.  In- 
cluait ergo  seternitas  non  solum  intermi- 
nabilitatem essendi ,  sed  etiam  immobili- 
tatem;  ex  motu  autem  causatur  prius  et 
posterius  in  tempore.  Et  ideo  cum  motus 


repugnet  a'ternitati,  ex  consequenti  répu- 
gnai ei  habere  prius  et  posterius.  Propter 
quod  Boetius  diffinit  œternitatem,  dicens  : 
«  iEternitas  est  interminabilis  vitœ  tota 
simul  et  perfecta  possessio.  »  Quœcumque 
ergo  cum  indeficientia  essendi  habent  im- 
mobilitatem  et  sunt  absque  successione 
temporali ,  ipsa  dicuntur  esse  œternaliter 
et  mensurantur  aeternitate.  Unde  a  qui- 
busdam  difïinitur  aternitas.,  quod  est  mora 
et  non  mora  temporis  ,  sed  dicitur  mora 
essendi,  id  est  indeficientia.  Spatium  vero 
dicitur  eo  quod  arnbit  totum  esse  indefi- 
ciens.  Continuum  vero  dicitur,  non  eo 
quod  habeat  partes ,  sed  quia  nunquam 
deest ,  nunquam  defuit ,  nunquam  deerit; 
non  interf  ectum  vero  dicitur ,  quia  non 
habet  partes  quae  exeant  de  potentia  ad 
actum,  sicut  tempus,  cujus  pars  prior  prœ- 


SUR   LE    TEMPS.  51 

et  la  partie  postérieure  arrivera.  C'est  pourquoi  Boëce  dit  que  l'éter- 
nité est  produite  par  ce  qui  est  présentement  stable  et  ne  s'écoule  pas. 
A  cette  occasion  il  y  en  a  qui  ne  savent  comment  les  locutions  de 
temps  passé  et  d'avenir  se  vérifient  à  l'égard  de  Dieu.  A  cela  il  faut 
répondre  que  l'éternité  est  la  mesure  d'une  chose  indéfectible,  comme 
on  l'a  dit.  Il  arrive  cependant  que  l'éternité  est  comparée  au  passé  ou 
au  futur,  et  c'est  à  cette  comparaison  ou  concomitance ,  produite  par 
son  indéfectibilité,  que  se  rapportent  les  termes  de  temps  passé  ou 
futur.  C'est  pourquoi  la  cause  première  est  dite  avoir  été  dans  le  passé 
parce  qu'elle  n'a  jamais  manqué  dans  tout  le  temps  passé;  elle  est 
dite  devoir  être  dans  l'avenir,  parce  qu'elle  ne  manquera  jamais. 
D'après  ce  qui  a  été  dit  on  peut  assigner  la  différence  qui  existe  entre 
l'éternité,  Yœvum  et  le  temps;  l'éternité  est  la  mesure  d'une  chose  in- 
commutable  n'admettant  point  de  changement  dans  son  opération. 
L'œvum  est  la  mesure  d'une  chose  dont  l'être  est  incommutable,  mais 
qui  admet  néanmoins  des  changements  dans  ses  opérations;  le  temps 
est  la  mesure  d'une  chose  muable  et  successive  en  toute  manière.  Or, 
il  est  constant  que  l'éternel  qui  est  immuable  est  la  cause  de  Yœvum 
éternel ,  qui  est  immuable  quant  à  l'être ,  mais  admet  des  change- 
ments dans  ses  opérations,  et  de  même  Yœvum  éternel  est  la  cause 
du  temporel.  Et  il  est  dans  leurs  instruments  comme  là,  parce  que 
l'éternité  est  la  cause  exemplaire  de  Yœvum  lui-même.  Car  Yœvum 
imite  l'éternité  tant  qu'il  peut,  mais  il  est  défectueux  à  l'égard  de 
l'éternité.  Vœvum  à  son  tour  est  la  cause  exemplaire  du  temps,  par 
la  raison  que  le  temps  imite  Yœvum  tant  qu'il  peut ,  mais  est  défec- 
tueux aussi  de  ce  côté.  C'est  pourquoi  il  n'est  pas  douteux  que  comme 
le  temps  est  d'abord  la  mesure  d'une  chose,  savoir  le  premier  mo- 
bile, qui  est  le  plus  rapide,  et  l'éternité  est  en  premier  lieu  la  mesure 


teriit,  et  pars  posterior  futura  est.  Propter 
quod  dicit  Boetius,  quod  nunc  stans  et  non 
fluens  causât  œternitatem.  Occasione  hujus 
dubitant  aliqui ,  quomodo  verba  prœteriti 
temporis  et  futuri  verificantur  de  Deo.  Ad 
quod  dicendum  est ,  quod  aeternitas  est 
mensura  rei  indeficientis,  sicut  dictum  est. 
Huic  tamen  accidit ,  quod  comparetur  ad 
praeteritum  vel  futurum,  et  hanc  compa- 
rationem  vel  concomilantiam  ex  indefi- 
cientia  ejus  causatam,  dicunt  verba  prœ- 
teriti  et  futuri  temporis.  Unde  prima 
causa  dicitur  fuisse  in  prseterito  ,  quia  iu 
toto  tempore  praeterito  nunquam  defuit , 
et  dicîtur  fore  in  futuro ,  quia  nunquam 
deerit.  Ex  bis  quœ  dicta  sunt ,  potest  assi- 
gnait differentia  inter  œternitatem,  œvum 
et  tempus,  quia  aeternitas  est  mensura  rei 
incommutabilis  j  non  recipientis  vices  in 
operatione  ;    ;evum    autem    est    mensura 


rei  cujus  esse  est  incommutabile,  quod  ta- 
men recipit  vices  in  suis  operationibus  ; 
tempus  vero  est  mensura  rei  secundum 
omnem  modum  mutabilis  et  successives. 
Constat  autem  quod  œternum  quod  immu- 
tabiliter  se  habet,  causa  est  seviterni,  quod 
incommutabiliter  se  habet  quantum  ad 
esse,  recipit  tamen  vices  in  suis  operatio- 
nibus, et  similiter  œviternum  causa  est 
temporalis.  Et  sicut  est  in  his,  sic  et  in 
instruments  eorum,  quia  œternitas  causa 
est  exemplaris  ipsius  aevi.  iEvum  enim 
imitatur  aîternitatem  quantum  potest,  dé- 
ficit tamen  ab  feternitate.  JSvum  autem 
est  causa  exemplaris  ipsius  temporis,  eo 
quod  tempus  imitatur  œvum  quantum 
potest,  déficit  tamen  ab  sevo.  Unde  non  est 
dubium  ,  quod  sicut  tempus  est  primo 
mensura  unius,  scilicet  primi  mobilis,  qui 
est  velocissimus  ;  et  aaternitas  primo  est 


52  OPUSCULE   XLII1,    CHAPITRE    4. 

du  premier  être  ,  qui  est  de  l'essence  la  plus  simple,  de  même  Vœ- 
vum  est  en  premier  lieu  la  mesure  de  quelque  chose  d'un,  qui,  tout 
en  admettant  des  vicissitudes  dans  ses  opérations,  est  néanmoins  très- 
proche  du  premier  acte.  Et  conséquemm'ent,  quoi  qu'on  dise,  comme 
il  n'y  a  qu'un  temps  et  une  éternité  ,  il  n'y  a  aussi  qu'un  œvum.  Par 
là  se  trouve  réfutée  l'erreur  de  ceux  qui  disent  que  le  présent  de  l'é- 
ternité et  celui  du  temps  sont  le  même,  erreur  qu'ils  s'efforcent  de 
prouver  en  disant  que  ce  qui  est  stable  et  ce  qui  est  mobile  ne  semblent 
pas  différer  quant  à  la  substance,  mais  quanta  la  raison.  Or,  le  présent 
de  l'éternité  est  stable,  et  le  présent  du  temps  s'écoule,  c'est  pourquoi 
ils  ne  semblent  différer  que  parla  raison  seule.  Cela  ne  peut  être  vrai 
en  vertu  de  ce  qui  a  été  établi.  Nous  avous  vu,  en  effet,  que  l'éternité 
et  le  temps  diffèrent  essentiellement ,  parce  que  le  présent  de  l'éter- 
nité et  celui  du  temps  sont  essentiellement  différents.  Autre  raison  : 
Les  choses  qui  se  produisent  comme  cause  et  effet  sont  essentiellement 
différentes.  Or,  le  présent  de  l'éternité  ne  diffère  de  l'éternité  que  par 
la  seule  raison  qu'il  est  la  cause  du  temps  et  son  présent,  comme  il  a 
été  dit.  C'est  pourquoi  le  présent  du  temps  et  celui  de  l'éternité  sont 
essentiellement  différents.  Outre  cela,  le  présent  du  temps  et  celui  de 
l'éternité  sont  essentiellement  différents,  parce  que  le  présent  du 
temps  est  la  continuation  du  passé  dans  l'avenir ,  comme  on  le  voit 
dans  le  quatrième  livre  de  la  Physique.  Mais  le  présent  de  l'éternité 
n'est  pas  la  continuation  du  passé  dans  l'avenir,  parce  que  dans  l'é- 
ternité il  n'y  a  ni  antériorité,  ni  postériorité,  ni  passé,  ni  futur,  mais 
l'éternité  existe  simultanément  tout  entière.  Il  n'y  a  non  plus  aucune 
valeur  dans  la  raison  qui  allègue  que  ce  qui  est  stable  et  ce  qui  est 
passager  ne  diffère  pas  par  essence.  La  vérité  est  qu'il  y  a  une  diffé- 
rence par  essence  dans  tout  ce  qui  est  stable  et. ce  qui  est  passager, 


mensura  primi  esse  ,  quod  est  essentiœ 
simplicissimœ  ,  ita  œvum  est  primo  men- 
sura alicujus  unius ,  quod  licet  recipiat 
vices  in  operationibus  suis,  est  tamen  pro- 
pinquissimum  primo  actui.  Et  ideo  quid- 
quid  dicatur ,  sicut  est  unum  tempus  et 
una  œternitas,  ita  et  unum  aevum.  Ex  hoc 
confutatur  error  quorumdam  dicentium  ., 
quod  est  idem  nunc  œternitatis  et  tem- 
poris  quod  nituntur  probare  quia  stans  et 
movens  se  non  videtur  differre  secundum 
substantiam ,  sed  solum  secundum  ratio- 
nem  ;  nunc  autem  œternitatis  est  stans, 
et  nunc  temporis  fluens,  quare  non  videtur 
differre  nisi  ratione  sola.  Istud  non  potest 
habere  veritatem,  secundum  ea  quœ  deter- 
minata  sunt.  Visum  est  enim  quod  œter- 
nitas  et  tempus  essentialiter  différant, 
quia  nunc  œternitatis  et  nunc  temporis  es- 


sentialiter différant.  Item,  quœcumque  se 
habent  ut  causa  et  causatum  essentialiter 
différant  ;  nunc  autem  œternitatis  cum 
non  différât  ab  œternitate  nisi  sola  ratione 
causa  est  temporis  et  nunc  ipsius ,  ut  dic- 
tum  est.  Quare  nunc  temporis  et  nunc  œ- 
ternitatis  essentialiter  différant.  Prœterea, 
nunc  temporis  et  nunc  œternitatis  essen- 
tialiter différant,  quia  nunc  temporis  est 
continuativum  prœteriti  cum  futuro ,  ut 
patet  IV.  Physic.  Nunc  autem  œternitatis 
non  est  continuum  prœteriti  cum  futuro, 
quia  in  œternitate  non  est  prius  ,  nec  pos- 
terais, nec  prœteritum,  nec  futurum,  sed 
tota  œternitas  est  tota  simul.  Neque  valet 
ratio  in  oppositum  ,  cum  dicitur  quod 
stans  et  fluens  non  différant  per  essentiam. 
Verum  est  in  omni  ,eo  quod  contingit  et 
stare    et  fluens  esse,    tamen   stans  quod 


SUR    LE    TEMPS.  53 

qui  ne  s'écoule  en  aucune  manière  en  restant  stable,  et  ne  devient  en 
aucune  manière  stable  en  s'écoulant;  c'est  là  le  présent  de  l'éternité 
et  celui  du  temps.  Et  en  outre,  si  le  présent  du  temps  et  celui  de  l'é- 
ternité étoient  la  mesure  d'une  seule  et  même  chose,  qui  est  stable  et 
devient  passagère,  ils  différeroient  néanmoins  d'une  manière  essen- 
tielle, parce  qu'une  seule  et  même  chose  peut  être  mesurée  sous  diffé- 
rents rapports  par  des  mesures  différentes,  parce  que  nous  voyons, 
au  contraire,  que  diverses  choses  mesurables,  qui  ont  la  même  con- 
dition, peuvent  être  mesurées  avec  la  même  mesure,  comme  le  chan- 
gement de  lieu  et  l'altération  qui  sont  mesurés  par  le  temps  en  tant 
qu'ils  s'accordent  dans  le  caractère  de  succession  ,  ayant  une  antério- 
rité et  une  postériorité.  C'est  pourquoi  il  est  évident  que  les  choses 
mesurables  qui  diffèrent  en  tant  que  mesurables,  diffèrent  en  elles- 
mêmes  ;  or,  ce  qui  est  passager  et  ce  qui  est  stable ,  quoique  pouvant 
être  une  seule  et  même  chose  quant  à  la  substance ,  parce  qu'ils  ne 
diffèrent  qu'en  ce  que  être  stable  est  autre  qu'être  passager,  et  ce  qui 
est  passager,  en  ce  que  être  passager  est  différent  d'être  stable ,  par 
cette  raison  ils  sont  mesurés  avec  une  mesure  différente  en  tant  que 
stable  et  passager.  Conséquemment  le  présent  de  l'éternité  qui  est  la 
mesure  d'une  chose  comme  stable,  et  le  présent  du  temps  qui  est  la 
mesure  d'une  chose  comme  passagère,  sont  nécessairement  différents 
l'un  de  l'autre. 

Fin  du  quarante -troisième  opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
sur  la  mesure  du  temps. 

L'abbé  VÉDRINE. 


nullo  modo  contingit  fluere,  et  fluens  qùod 
nullo  modo  contingit  stare  ,  differunt  per 
essentiam,  talia  autem  sunt  mine  seterni- 
tatis  et  nunc  temporis.  Et  praeterea ,  si 
nunc  temporis  et  nunc  aeternitatis  essent 
mensura  unius  et  ejusdem  rei  quae  con- 
tingit stare  et  fluere  ,  tamen  adhuc  differ- 
rent  essentialiter,  eo  quod  unum  et  idem 
secundum  aliam  et  aliam  rationem  men- 
surari  potest  alia  et  alia  mensura,  quia  nos 
videmus  in  opposito,  quod  diversa  mensu- 
rabilia  quae  tamen  participant  unam  ra- 
tionem, possunt  mensurari  eadem  men- 
sura ,  sicut  loci  rnutatio  et  alteratio  quae 
mensurantur  tempore  ,  in  quantum  con- 
veniunt  in  ratione    successivi  ,   habentes 


prius  et  posterius.  Unde  manifestum  est , 
quod  quorum  mensurabilia  differunt  in 
quantum  mensurabilia  sunt  et  ipsa  diffe- 
runt ;  fluens  autem  et  stans ,  licet  possint 
esse  unum  et  idem  secundum  substantiam, 
quia  non  differunt  nisi  in  eo  quod  stans 
est  aliud  a  fluente  ,  et  fluens  in  eo  quod 
fluens,  est  aliud  a  stante,  ideo  mensuran- 
tur alia  et  alia  mensura,  in  eo  quod  stans 
et  fluens.  Et  ideo  nunc  eeternitatis  quod 
est  mensura  rei  ut  stans,  et  nunc  temporis 
quod  est  mensura  rei  ut  fluens,  de  necessi- 
tate  differunt  ab  invicem. 

Explicit  Opusculum  quadragesimum 
tertium  beati  Thomœ  de  Aquino ,  de  na- 
tura    temporis. 


54 


OPUSCULE   XLIV. 


OPUSCULE  XLIV. 

DU   MÊME   DOCTEUR,    SUR  LA   PLURALITÉ   DES   FORMES. 

Comme  c'est  une  sainte  pratique  d'honorer  la  vérité  plus  que  ses 
amis,  ainsi  que  le  dit  Aristote,  dans  le  premier  livre  des  Ethiques,  les 
hommes  vertueux  ne  craignent  pas  de  déplaire  à  leurs  amis  en  faveur 
de  la  vérité,  en  reprouvant  les  choses  qu'ils  jugent  contraires  à  la  vé- 
rité; mais  la  plupart  du  temps  ne  distinguant  pas  bien  le  vrai  du  faux, 
parce  qu'il  y  a  certaines  choses  fausses  qui  sont  plus  probables  que 
d'autres  qui  sont  vraies,  ils  estiment  quelquefois  vrai  ce  qui  est  faux, 
à  raison  d'une  certaine  ressemblance  au  vrai,  aussi  en  pensant  s'é- 
loigner du  faux,  ils  s'y  attachent  comme  à  un  ami  et  repoussent  la 
vérité.  Puisque,  en  effet,  entre  les  vérités  sur  les  principes  de  la  na- 
ture, sur  l'unité  de  forme  dans  un  seul  individu,  elle  s'étend  à  plu- 
sieurs autres  vérités,  il  en  est  qui  la  reconnoissent,  mais  la  regardant 
comme  une  fausseté,  ils  la  traitent  sans  respect  et  finissent  par  la 
répudier  tout-à-fait.  Comme  de  sa  connoissance  découle  une  foule  de 
conséquences,  il  semble  expédient  de  la  faire  connoître  aux  amateurs 
de  la  vérité,  afin  qu'étant  connue  par  eux,  elle  ne  soit  plus  combattue, 
mais  honorée  comme  le  plus  précieux  des  amis,  et  afin  qu'eux- 
mêmes  puissent  s'aider  de  sa  lumière  pour  découvrir  d'autres  vérités. 
Il  n'est  cependant  pas  nécessaire  d'apporter  des  raisons  nouvelles 
pour  la  manifester  ;  il  doit  suffire  pour  le  moment  de  mettre  en  avant 
certaines  raisons  communes,  employées  par  les  écrivains,  de  les 


OPïïSCULUM  XLIV. 

EJUSDEM  DOCTORIS,   DE   PLURALITATE  FORMARUM. 


Quoniam  sanctum  est  honorare  verita- 
tem  prae  cseteris  amicis  ,  ut  dicit  Philoso- 
phus  in  I.  Ethic. ,  ideo  virtuosi  homines 
non  dimittunt  propter  veritatern  amicis 
displicere,  ea  quae  contraria  reputant  veri- 
tati  reprobando.  Sed  plerumque  verum  a 
falso  non  recte  discernentes,  eo  quod  quse- 
dam  falsa  probabiliora  sunt  quibusdam 
veris  ,  falsum  quandoque  judicant  verum 
propter  apparentiam  veri,  ac  per  hoc  dum 
putant  falsum  prosequi ,  ipsum  tanquam 
amicum  prosequuntur  et  répugnant  veri- 
tati.  Inter  veritates  siquidem  de  principiis 
naturœ,  de  unitate  formée  in  uno  individuo 


ad  plurimas  se  extendit  veritates ,  quam 
agnoscunt  aliqui,  sed  ipsam  esse  falsitatem 
putantes,  tractaverunt  irreverenter  et  pe- 
nittis  repudiaverunt.  Quod  vero  ex  ejus 
cognitione  multa  dépendent  consequentia, 
expediens  videtur  ipsam  manifestare  ama- 
toribus  veritatis,  ut  ab  eis  agnita  non  am- 
plius  impugnetur  ,  sed  potius  tanquam 
praecipua  arnica  honoretur,  ipsi  autem  per 
ejus  cognitionem  ad  videndurn  multas  ve- 
ritates illustrentur.  Nec  tamen  oportet 
novas  adducere  rationes  ad  sui  manifesta- 
tionem,  sed  sufficiat  ad  prœsens  quasdam 
rationes  communes  in  scriptis  adductas, 


SUR  LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  55 

mettre  à  l'abri  de  la  plaisanterie,  de  les  étayer  de  l'autorité  d'Aristote 
et  de  son  commentateur,  et  enfin  de  détruire  les  raisons  qui  enchaînent 
certaines  intelligences  et  les  empêchent  d'apercevoir  cette  même 
vérité.  Je  me  propose  donc  de  renfermer  mon  présent  travail  en  trois 
points.  Le  premier  traite  de  la  distinction  des  formes  entre  elles;  le 
second  de  la  raison  de  l'entité;  le  troisième  de  la  raison  de  l'unité. 
On  s'accorde  communément  sur  le  premier  point,  parce  que  les  formes 
des  choses  sont  comme  les  nombres  et  les  figures,  en  ce  qu'une  forme 
ajoute  une  perfection  à  une  autre ,  de  même  qu'un  nombre  ajoute  à 
un  autre,  et  une  figure  à  une  autre  figure  et  la  contient  virtuellement, 
et  par  conséquent  la  forme  plus  parfaite  contient  virtuellement  la 
forme  moins  parfaite.  Donc  la  forme  plus  parfaite  établie,  il  est  inu- 
tile d'en  produire  une  moins  parfaite  ;  donc,  comme  il  n'y  a  rien 
d'inutile  dans  la  nature,  la  nature  ne  permet  pas  qu'il  y  ait  dans  le 
composé  deux  formes  dont  une  soit  plus  parfaite  que  l'autre.  Pour 
mettre  cela  en  évidence  il  faut  considérer  que  les  formes  substantielles 
ne  sont  pas  distinguées  entre  elle,  comme  la  couleur  et  la  saveur  qui 
appartiennent  à  des  genres  divers  physiquement  parlant.  Mais  toutes 
les  formes  matérielles  sont  distinguées  comme  les  figures  qui  sont  du 
même  genre  physique.  Il  faut  donc  établir  ainsi  la  principale  raison  : 
Il  est  impossible  que  deux  formes  du  même  genre  physique  con- 
courent simultanément  à  parfaire  un  même  sujet;  mais  toutes  les 
formes  substantielles  sont  du  même  genre  physique  ,  donc  il  est  im- 
possible que  deux  formes  substantielles  concourent  simultanément  à. 
parfaire  la  même  matière.  Il  faut  d'abord  poser  la  seconde  proposi- 
tion de  cette  raison ,  parce  que  c'est  nécessaire  pour  démontrer  la 
première.  Or,  on  la  prouve  de  trois  manières.  D'abord,  par  la  transmu- 
tation des  formes  entre  elles.  En  effet,  ces  formes  sont  du  même  genre 

dem  composito  sint  dues  formée ,  quarura 
una  sit  perfectior  alia.  Ad  hujus  rationis 
evidentiam  considerandum  est  quod  formes 
substantialesnon  distinguuntur  ab  invicem, 
sicut  distinguuntur  calor  et  sapor,  quas 
sunt  di  versorum  generum  physice  loquendo, 
sed  omnes  forma!  materiales  distinguuntur 
sicut  figuras  quas  sunt  ejusdem  generis 
physici.  Formetur  ergo  principalis  ratio 
sic.  Impossibile  est  duas  formas  ejusdem 
generis  physici  simul  perficere  idem  sub- 
jectum;  sed  omnes  formas  substantiales 
sunt  ejusdem  generis  physici.  Ergo  impos- 
sibile est  duas  formas  substantiales  simul 
perficere  eamdem  materiam.  Hujus  ratio- 
nis primo  declaranda  est  secunda  propo- 
sitio  ,  quia  ejus  declaratio  utilis  est  ad  os- 
tensionem  primas.  Probatur  autem  tripli- 
citer.  Primo  quidem  per  transmutationem 
formarum  ab  invicem.  III33  enim  formas 


contra  cavillationes  fortificare  ,  authorita- 
tibus  scilicet  Philosophi  et  sui  Commenta- 
toris,  eas  confirmare,  et  tandem  rationes 
dissolvere,  quas  mentes  aliquorum  ligant, 
ne  dictam  videant  veritatem.  Ostenditur 
autem  propositum  tribus  viis  ad  preesens. 
Prima  sumitur  ex  distinctione  formarum 
a  se  invicem.  Secunda,  ex  ratione  entitatis. 
Tertia,  ex  ratione  unitatis.  Secundum  pri- 
mam  viam  arguitur  communiter,  quia  for- 
mas rerum  sunt  sicut  numeri  et  figuras 
quantum  ad  hoc  quod  una  forma  addit 
perfecticnem  super  aliam,  sicut  unus  nu- 
merus  addit  super  alium ,  et  sicut  una  fi- 
gura super  aliam  ,  et  virtute  continet  ip- 
sam,  forma  ergo  perfectior  virtute  continet 
formam  imperfectiorem  ;  posita  ergo  forma 
perfection ,  superfluit  ponere  imperfectio- 
rem. Cum  ergo  in  natura  nihil  sit  super- 
flimm,  non  permittit  natura  quod  in  eo- 


56  OPUSCULE   XLIV. 

physique  entre  lesquelles  il  y  a  transmutation  par  soi ,  de  telle  ma- 
nière, par  exemple,  que  l'une  soit  terme  a  quo  par  soi  et  non  par  ac- 
cident, à  savoir  par  son  adjonction  avec  le  terme  a  quo ,  et  l'autre  un 
terme  ad  quem  par  soi  et  non  par  accident,  par  la  raison  qu'il  est  ad- 
joint à  quelque  autre  chose.  Par  exemple  :  Quand  le  blanc  se  change 
en  noir,  s'il  se  change  en  même  temps  en  doux ,  il  y  a  transmutation 
de  blanc  en  doux  par  accident,  mais  de  blanc  en  noir  par  soi,  et  cela 
par  la  raison  que  blanc  et  noir  sont  dans  le  même  genre.  C'est  ce  qui 
fait  dire  à  Aristote  ,  dans  le  deuxième  livre  de  la  Métaphysique,  que 
les  choses  qui  sont  diverses  en  genre  n'ont  pas  de  voie ,  c'est-à-dire 
de  transmutation  de  l'une  à  l'autre;  tandis  qu'il  y  a  transmutation 
par  soi  entre  les  formes  substantielles.  Et  cela  est  évident  à  l'égard 
des  formes,  que  tout  le  monde  s'accorde  à  reconnoître  comme  spéci- 
fiques. Car  il  est  évident  ici  qu'une  forme  est  dépouillée  quand  l'autre 
est  revêtue,  et  cela  n'est  pas  par  accident  à  l'égard  du  dépouillement 
ou  du  revêtement  d'autres  formes  qui  sont  les  termes  de  la  transmu- 
tation par  soi,  comme  par  soi  il  se  fait  du  feu  de  l'eau,  ou  réciproque- 
ment, ou  de  la  pluie  de  la  vapeur.  En  effet,  la  génération  qui  est  dans 
la  substance  ne  vient  pas  par  soi  de  quelque  accident ,  comme  du 
blanc,  et  même  celle  qui  est  par  soi  ne  se  termine  pas  à  quelque  acci- 
dent, comme  au  noir. 

Il  ne  reste  donc  plus  que  d'être  par  soi  entre  deux  formes  substan- 
tielles, dont  l'une  est  dépouillée  et  l'autre  revêtue.  Donc  toutes  les 
formes  substantielles  sont  du  même  genre.  Mais ,  si  l'on  reconnoit 
quelques  formes  qui  ne  soient  pas  spécifiques,  ainsi  que  certains  re- 
connoissent  dans  l'homme  une  forme  de  corps  différente  de  l'ame,  il 
faudra  encore,  par  cette  maison,  admettre  qu'une  telle  forme  est  du 
même  genre  que  les  autres  qui  sont  spécifiques,  parce  qu'il  y  a  trans- 


sunt  ejusdem  generis  physici,  inter  quas 
est  transmutatio  per  se ,  ita  scilicet  quod 
una  sit  terminus  a  quo  per  se ,  non  autem 
per  accidens,  scilicet  cum  adjunctione  sui 
cum  termino  a  quo ,  et  alia  sit  terminus 
ad  quem  per  se  non  per  accidens ,  ex  hoc 
quod  adjungitur  alicui  alteri.  Yerbi  gratia: 
Quando  album  mutatur  in  nigrum,  si  illud 
etiam  mutetur  in  dulce ,  est  transmutatio 
albi  in  dulce  per  accidens ,  sed  albi  in  ni- 
grum  per  se ,  et  hoc  ideo  ,  quia  album  et 
nigrum  sunt  in  eodem  génère.  Unde  dicit 
Philosophus,  X.  Metaph,,  quod  ea  quae 
sunt  diversa  génère,  non  habent  viam  ,  id 
est  transmutationem  ad  invicem,  nunc  au- 
tem inter  formas  substantiales  per  se  est 
transmutatio.  Et  hoc  manifestum  est  de 
formis  quas  omnes  concedunt  esse  speci- 
ficas.  In  talibus  enim  manifestum  est,  quod 
una  abjicitur  in  inductione  alterius,  et  hoc 


non  est  per  accidens  ad  inductionem  et 
abjectionem  aliarum  quae  sunt  termini 
transmutationis  per  se ,  sicut  per  se  sit 
ignis  ex  aqua  vel  e  converso,  vel  pluvia  ex 
vapore.  Non  enim  generatio  quae  est  in 
substantia  est*per  se  ex  aliquo  accidente  ut 
ex  albo,  vel  etiam  quae  est  per  se ,  terrni- 
natur  ad  aliquod  accidens ,  puta  ad  ni- 
grum. 

Relinquitur  ergo  quod  sit  per  se  inter 
duas  formas  substantiales  ,  quarum  una 
abjicitur  et  alia  inducitur.  Omnes  ergo 
formas  substantiales  sunt  ejusdem  generis. 
Si  vero  ponantur  aliquae  forma?  quai  non 
sint  spécifie» ,  sicut  aliqui  ponant  in  ho- 
mine  formata  corporis  aliam  ab  anima, 
adhuc  oportebit  per  illam  rationem  ponere 
talem  esse  ejusdem  generis  cum  aliis  quae 
sunt  specificae ,  eo  quod  inter  illas  formas 
et  formas  specificas  est  per  se  transmutatio. 


SUR   LA   PLURALITÉ    DES   FORMES.  57 

mutation  par  soi  entre  ces  formes  et  les  formes  spécifiques.  Car  le 
corps  de  l'homme  qui  tombe  en  putréfaction  après  la  mort  se  résout 
dans  les  éléments ,  parce  que  le  corps  est  produit  par  la  semence,  la 
semence  par  les  aliments  et  les  aliments  par  les  éléments.  Car  c'est 
par  eux  que  nous  sommes  nourris  et  que  nous  existons.  Donc  la  forme 
du  corps  est  du  même  genre  que  les  formes  des  éléments,  et  les 
formes  des  éléments  du  même  genre  que  les  autres  formes  spécifiques. 
Donc  la  forme  du  corps  dans  l'animal  est  aussi  du  même  genre  uni- 
versellement que  les  autres  formes  spécifiques.  Outre  cela ,  qu'il  n'y 
ait  pas  de  persistance  dans  une  forme  matérielle  quelconque,  quant  à 
cela,  on  le  démontre  par  cette  raison  ,  que  dans  les  substances  la  gé- 
nération d'une  chose  est  toujours  la  corruption  d'une  autre,  et  réci- 
proquement ,  comme  le  dit  Aristote,  dans  le  livre  sur  la  Génération 
et  la  corruption,  où  il  traite  de  la  génération  et  de  la  corruption  en 
général.  Généralement  donc  il  y  a  transmutation  entre  les  formes  sub- 
stantielles, de  manière  que  dans  le  revêtement  de  l'une  il  y  a  dé- 
pouillement de  l'autre,  et  vice  versa;  or  ce  revêtement  et  ce  dépouil- 
lement ne  peuvent  être  par  accident,  relativement  au  revêtement  et 
au  dépouillement  des  autres  choses  qui  sont  par  soi  des  termes  de 
génération  et  de  corruption ,  parce  que  dans  la  génération  et  la  cor- 
ruption d'une  substance  il  n'y  a  qu'une  forme  substantielle  qui  puisse 
être  terme  par  soi.  Il  y  a  donc  transmutation  entre  certaines  formes 
d'une  manière  générale.  Il  faut  donc  dire  généralement  qu'elles  sont 
toutes  du  même  genre,  et  c'est  là  la  première  preuve  de  la  proposi- 
tion. La  seconde  se  tire  de  la  définition.  Le  philosophe  Aristote  dit 
dans  le  livre  Y  de  la  Métaph.,  que  les  choses  qui  n'ont  pas  le  même 
susceptif  sont  diverses  en  genre.  Donc  tous  les  actes  qui  ont  le  même 
susceptif  sont  de  même  genre.  C'est  évident,  tant  à  l'égard  des  acci- 


Corpus  enim  hominis  quod  post  mortem 
putrescit,  resolvitur  in  elementa;  fit  enim 
corpus  taie  ex  semine ,  et  semen  ex  ali- 
mente, et  alimentum  ex  alimentis.  Ex  eis- 
dem  enim  nutrimur  et  sumus.  Forma 
ergo  corporis  est  ejusdem  generis  cum 
formis  elementorum  ;  formae  autem  ele- 
mentorum  sunt  ejusdem  generis  cum  aliis 
formis  specificis.  Ergo  et  forma  corporis 
in  animali  est  ejusdem  generis  universa- 
liter  cum  aliis  formis  specificis.  Pratcrea, 
quod  non  sit  instantia  in  aliqua  forma  ma- 
teriali,  quantum  ad  hoc,  ostenditur  per 
hoc  quod  in  substantiis  semper  generatio 
umus  est  corruptio  alterius,  et  e  converso, 
ut  dicit  Philosophus  in  libro  De  générât, 
et  corrupt. ,  ubi  déterminât  de  generatione 
et  corruptione  in  universali.  Universaliter 
ergo  inter  formas  substantiales  est  trans- 


mutatio,  sic  quod  in  inductione  unius  est 
abjectio  alterius,  et  e  converso.  Talis  au- 
tem inductio  et  abjectio  non  potest  esse 
per  accidens  ad  inductionem  et  abjectio- 
nem  aliorum  quee  sunt  per  se  termini  ge- 
uerationis  et  corruptionis ,  quia  in  gene- 
ratione substantiae  vel  corruptione  nihil 
potest  per  se  esse  terminus,  nisi  forma 
substautialis.  Est  ergo  transmutatio  inter 
quascumque  formas  universaliter.  Oportet 
ergo  dicere  universaliter ,  qucd  omnes 
sunt  ejusdem  generis  ,  et  hœc  est  prima 
probatio  propositionis.  Secundo  probatur 
per  locum  a  diffinitione.  Dicit  enim  Philo- 
sophus, V.  Metaph.,  quod  diversa  gênera 
sunt  quae  non  habent  idem  susceptivum. 
Omnes  ergo  actus  qui  habent  idem  suscep- 
tivum sunt  ejusdem  generis.  Hoc  est  ma- 
nifestum  tam  de  accidentibus  transeunti- 


58  OPUSCULE    XLIV. 

dents  passagers,  qui  sont  les  opérations,  qu'à  l'égard  des  formes  per- 
manentes,. En  effet,  la  vue  du  blanc  et  la  vue  du  rouge  sont  des  actes 
de  même  genre,  puisqu'elle  sont  le  même  susceptif  prochain ,  à  savoir  la 
puissance  visuelle.  De  même  la  blancheur  et  la  rougeur  sont  des  formes 
du  même  genre ,  puisqu'elles  se  trouvent  dans  le  même  susceptif y 
c'est-à-dire  dans  la  superficie  d'un  corps  limité.  La  raison  en  est  que 
les  puissances  sont  distinguées  par  les  actes,  de  façon  que  les  actes  de 
divers  genres  ont  des  puissances  diverses.  Or  le  susceptif  prochain  de 
tout  acte  est  la  puissance  destinée  à  être  perfectionnée  par  cet  acte; 
d'où  il  suit  que  tous  les  actes ,  qui  ont  le  même  susceptif  prochain, 
sont  nécessairement  du  même  genre.  Or  toutes  les  formes  substan- 
tielles ont  le  même  susceptif,  parce  qu'elles  sont  des  perfections  de  la 
même  puissance.  En  effet,  la  matière  est  ce  qui  est  une  certaine  puis- 
sance ordonnée  pour  toutes  les  formes  matérielles ,  comme  pour 
ses  perfections  ,  elle  est  susceptible  de  toutes  les  formes  matérielles , 
comme  le  bois  est  susceptible  de  toutes  les  formes  artificielles , 
comme  il  est  dit  dans  le  Ier  livre  de  Phys.  Donc  toutes  les  formes  ma- 
térielles sont  du  même  genre.  Mais  on  peut  opposer  à  cette  preuve  le 
fait  de  l'ame ,  qui  est  l'acte  d'un  corps  physique  organique.  Car  elle 
ne  paroît  pas  être  un  acte  de  la  matière  première  comme  d'une  puis- 
sance immédiatement  ou  prochainement,  mais  seulement  comme 
d'une  manière  éloignée,  tandis  qu'elle  semble  être  un  acte  du  corps, 
comme  immédiatement.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  Aristote,  dans  le  livre  II 
de  l'Ame ,  que  du  corps  et  de  l'ame  il  se  fait  une  chose  unique  comme  de 
la  puissance  et  de  l'acte,  et  il  semble  ainsi  que  le  susceptif  immédiat  de 
ce  composé  est  différent  du  susceptif  des  autres  formes,  quoique  le  sus- 
ceptif éloigné  soit  le  même.  Et  de  là  semble  suivre  ce  que  nous  avons 
dit  que  l'ame  n'est  pas  du  même  genre  que  les  formes  matérielles, 


bus,  quae  sunt  opérât iones,  quam  de  formis 
permanentibus.  Visio  enim  albi  et  visio 
rubri  sunt  actus  ejusdem  generis,  cum  ha- 
beant  idem  proximum  susceptivum,  scili— 
cet  potentiam  visivam.  Similiter  albedo  et 
rubedo  sunt  formae  ejusdem  generis,  cum 
sint  in  eodem  susceplivo,  scilicet  in  super- 
ficie corporis  terminati.  Et  hujus  ratio  est, 
quia  potentiae  distinguuntur  per  actus,  ita 
quod  actus  diversorum  generum  habent 
diversas  potentias.  Proximum  autem  sus- 
ceptivum cujuslibet  actus  est  potentia  nata 
perfici  per  illum  actum  :  unde  oportet 
quod  omnes  actus  qui  habent  idem  sus- 
ceptivum proximum,  sint  ejusdem  generis: 
nunc  autem  omnes  formae  substantiales 
habent  idem  susceptivum ,  quia  sunt  per- 
fectiones  ejusdem  potentiae.  Materia  enim 
est  illud*  quod  est  potentia  quœdam-ordi- 
nata  ad  formas  omnes  materiales  tanquam 


ad  suos  actus,  sive  perfectiones,  et  est  sus- 
ceptiva  omnium  formarum  materialium, 
sicut  lignum  est  susceptivum  omnium  for- 
marum artificialium ,  ut  dicitur  I.  Physic. 
Omnes  ergo  formas  materiales  sunt  ejus- 
dem generis.  Sed  huic  probationi  potest 
obviari  de  anima,  quae  est  actus  corporis 
physici  organici.  Non  enim  videtur  esse 
actus  primae  materiœ  tanquam  potentiae 
immédiate  vel  proxime,  sed  solum  tan- 
quam remote  :  videtur  autem  esse  actus 
corporis  tanquam  immédiate.  Unde  Philo- 
sophus  dicit  in  II.  De  anima,,  quod  ex  cor- 
pore  et  anima  sit  unum  tanquam  ex  po- 
tentia et  actu,  et  sic  videtur  quod  ejus  sus- 
ceptivum immediatum  sit  alterum  a  sus- 
ceptivo  aliarum  formarum ,  licet  idem 
habeant  susceptivum  remotum. 

Et  ex  hoc  videtur  sequi    praedictum  , 
quod  anima  non  sit  ejusdem  generis  cum 


SUR   LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  59 

puisque  les  choses  qui  n'ont  pas  le  même  susceptif  prochain  sont  di- 
verses en  genre.  Il  ne  faut  pas,  en  effet,  que  les  choses  qui  ont  le 
même  susceptif  éloigné  soient  de  même  genre  ;  car  dans  ce  cas  la, 
couleur  et  la  saveur  seroient  de  même  genre  puisqu'elles  sont  dans  la 
même  substance.  Or  la  puissance  n'est  pas  tout  principe  de  l'acte, 
mais  son  principe  immédiat.  Donc  de  ce  que  la  matière  est  puissance 
ou  susceptif  des  autres  formes,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  l'est  de  l'ame; 
il  s'ensuit  donc,  comme  on  voit,  que  l'ame  est  d'un  autre  genre  que 
les  autres  formes.  Il  faut  répondre  à  cela  qu'il  est  nécessaire  que  l'ame 
ait  le  même  susceptif  que  les  autres  formes.  Si,  en  effet,  nous  pre- 
.nons  le  corps  en  acte  par  une  autre  forme  que  l'ame,  et  ce  corps, 
suivant  quelques-uns ,  subsistant  après  la  mort ,  un  tel  corps  ne  peut 
être,  puissance  par  rapport  à  l'ame,  parce  que  s'il  en  étoit  ainsi,  il 
pourroit  recevoir  l'ame  après  la  mort,  par  la  raison  que  tant  que  la 
puissance  subsiste  elle  peut  être  naturellement  amenée  à  l'acte  par  un 
agent,  de  même,  tant  que  la  puissance  visuelle  subsiste  dans  l'œil,  elle 
peut  être  amenée  à  l'acte  de  la  vision.  Or,  présentement  le  corps  mort 
ne  peut  recevoir  l'ame  parle  moyen  d'aucun  agent  naturel,  mais  seu- 
lement par  un  agent  surnaturel  qui  est  Dieu.  En  effet,  un  mort  ne 
revient  naturellement  à  la  vie  que  par  résolution  à  la  matière  pre- 
mière. Or  un  corps  mort  n'a  jamais  été  avec  l'identité  numérique 
puissance  par  rapport  à  l'ame.  On  peut  argumenter  de  la  même  ma- 
nière à  l'égard  de  toute  chose  composée  reçue  dans  un  corps  mort, 
car  il  ne  peut  être  reçu  rien  de  semblable  qui  puisse  devenir  vivant 
sans  corruption.  Caria  résolution  du  corps  mort  se  fait  jusqu'à  la  ma- 
tière première  avant  que  quelque  chose  de  vivant  soit  engendré  de 
lui,  il  ne  reste  donc  plus  qu'à  dire  que  la  matière  première  est  puis- 
sance immédiate  par  rapport  à  l'ame ,  en  prenant  l'ame  suivant  son 


formis  materialibus  ,  cum  illa  sint  diversa 
génère,  quœ  non  habent  idem  susceptivum 
proximum.  Non  enim  oporlet  quod  illa 
quae  habent  idem  susceptivum  remotum, 
sint  ejusdem  generis  ;  sic  enim  color  et 
sapor  essent  ejusdem  generis,  cum  sint  in 
eadem  substantia.  Potentia  autem  dicitur 
non  quodeumque  principium  actus,  sed 
principium  immediatum  ipsius.  Materia 
ergo  si  sit  potentia,  sive  susceptivum  alia- 
rum  formarum,  non  sequitur  quod  sit  ani- 
mai, sequitur  ergo  ut  videtur,  quod  anima 
sit  alterius  generis  ab  aliis  formis.  Ad  hoc 
dicendum ,  quod  necesse  est  idem  suscep- 
tivum esse  animée  et  aliarum  formarum. 
Si  enim  accipiamus  corpus  in  actu  per 
aliam  formam  quam  sit  anima,  quod  qui- 
dem  corpus  maneat  post  mortem  secun- 
dum  aliquos,  taie  corpus  non  potest  esse 
potentia  respectu  anima?,  quia  si  sic,  pos- 


set  post  mortem  suscipere  animam,  quia 
quamdiu  manet  potentia ,  tamdiu  potest 
per  agens  duci  ad  actum  naturaliter,  sicut 
quamdiu  in  oculo  manet  potentia  visiva , 
potest  duci  ad  actum  videndi  ;  nunc  autem 
corpus  mortuum  per  nullum  agens  natu- 
rale  potest  animam  suscipere,  sed  tantum 
per  agens  supernaturale  ,  quod  est  Deus. 
Ex  mortuo  enim  non  fit  vivum  naturaliter 
nisi  per  resolutionem  ad  primam  mate- 
riam;  corpus  autem  mortuum  nunquam 
fuit  idem  numéro  potentia  respectu  ani- 
ma?. Eodem  modo  etiam  potest  argui  de 
quoeumque  accepto  in  corpore  mortuo, 
quod  sit  compositum;  nihil  enim  taie  po- 
test accipi,  quod  possit  fieri  vivum  sine 
corruptione.  Fit  enim  resolutio  corporis 
mortui  usque  ad  primam  materiam,  ante- 
quam  ex  ipso  generetur  vivum,  et  ita  re- 
linquitur  quod  materia  prima  sit  potentia 


60  OPUSCULE   XLIV. 

caractère  propre,  de  même  qu'elle  est  puissance  immédiate  par  rap- 
port aux  autres  formes.  .Néanmoins ,  si  nous  considérons  le  corps  en 
acte  par  le  moyen  de  l'ame  même,  alors  le  corps  ainsi  considéré  est 
puissance  par  rapport  à  l'ame,  en  tant  qu'elle  communique  la  qualité 
de  "vivant,  de  sensible  et  ainsi  de  suite. 

Aristote,  dans  le  second  livre  de  l'Ame ,  parle  dans  ce  sens,  lors- 
qu'il dit  que  du  corps  et  de  l'ame  il  se  fait  quelque  chose  d'unique  , 
comme  de  la  puissance  et  de  l'acte.  De  même ,  lorsqu'il  dit  au  même 
endroit  que  l'ame  est  un  acte  du  corps  ,  il  s'exprime  ainsi,  parce  que 
dans  la  définition  de  la  forme,  il  faut  mettre  la  matière  en  tant  qu'elle 
est  appropriée  à  cette  forme ,  et  non  en  tant  qu'elle  lui  est  commune 
avec  les  autres.  C'est  aussi  dans  le  même  sens  que  l'on  dit  :  L'ame  est 
un  acte  du  corps  ,  comme  si  l'on  disoit ,  la  chaleur  est  un  acte  de 
l'objet  échauffé,  et  ce  dont  la  chaleur  est  l'acte  n'est  pas  qualifié  par 
une  autre  qualité  antérieure  à  la  chaleur,  parce  que  la  chaleur  appar- 
tient aux  quatre  premières  qualités,  mais  on  entend  que  c'est 
qualifié  par  la  première  chaleur,  qui  est  son  acte.  Et  on  ne  peut  pas 
dire  que  la  disposition  du  susceptif,  par  laquelle  la  puissance  est 
appropriée  à  l'acte ,  donne  le  caractère  de  puissance  au  susceptif  lui- 
même  ,  de  manière ,  par  exemple ,  qu'après  la  destruction  de  cette 
disposition ,  elle  ne  soit  plus  puissance  par  rapport  à  une  telle  forme  ; 
comme  si  l'on  disoit  que  l'harmonie  propre  fait  que  le  corps  est  puis- 
sance par  rapport  à  l'ame,  et  que  par  conséquent,  après  la  destruction 
ou  la  résolution  de  cette  harmonie,  elle  n'est  plus  puissance,  c'est- 
à-dire  susceptif  à  son  égard.  Si ,  en  eifet ,  cela  étoit  vrai ,  il  y  auroit 
autant  de  puissances  que  d'actes,  et  une  seule  puissance  nerépondroit 
pas  aux  divers  actes  du  même  genre,  parce  que  les  différents  actes 
demandent  des  dispositions  diverses  dans  la  puissance  susceptive. 


imrnediata  respectu  animée,  si  accipiamus 
animam  seeundum  suam  propriam  ratio- 
nem,  sicut  est  potentia  imrnediata  respectu 
aliarum  formarum.  Tamensi  consideremus 
corpus  in  actu  per  ipsam  animam ,  tune 
ipsum  corpus  sic  consideratum,  est  poten- 
tia respectu  animée,  et  seeundum  quod  ipsa 
dat  esse  vivum  et  sensitivum ,  et  sic  dein- 
ceps  ;  et  sic  loquitur  Philosophus  in  II.  De 
anima,  cum  dicit,  quod  ex  corpore  et  ani- 
ma fit  unum  sicut  ex  potentia  et  actu,  et 
similiter  quando  dicit  ibi  quod  anima  est 
actus  corporis ,  ideo  autem  sic  loquitur, 
quia  in  difiinitione  formée  débet  poni  ma- 
teria  prout  appropriata  est  illi  formée,  non 
autem  seeundum  quod  communis  est  sibi 
et  aliis;  similis  est  modus  loquendi  curn 
dicitur  :  Anima  est  actus  corporis ,  ac  si 
diceretur ,  calor  est  actus  calefacti ,  non 


autem  id  cujus  calor  est  actus ,  est  quali- 
ficatum  alia  qualitate  priori  quam  sit  ca- 
lor, quia  calor  est  de  primis  quatuor  qua- 
litatibus,  sed  intelligitur  quod  sit  qualifi- 
catum  primo  calore ,  qui  est  actus  ejus. 
Nec  potest  dici,  quod  dispositio  susceptivi, 
per  quam  appropriatur  potentia  actui ,  det 
ipsi  susceptivo  rationem  potentiee ,  ita  sci- 
licet  quod  illa  dispositione  destructa,  non 
sit  amplius  potentia  respectu  talis  formée  : 
sicut  si  diceretur  quod  propria  harmonia 
facit,  quod  corpus  est  potentia  respectu 
animée,  et  ideo  ipsa  harmonia  destructa 
vel  soluta  jam  non  est  potentia ,  scilicet 
susceptiva  respectu  ipsius.  Si  enim  hoc  es- 
set  verum,  tôt  essent  potentiœ  quot  actus, 
et  non  responderet  una  potentia  diversis 
actibus  ejusdem  generis,  quia  diversi  actus 
requirunt  diversas  dispositiones  in  potentia 


SUR   LA.   PLURALILÉ   DES   FORMES.  61 

Nous  voyons,  en  effet,  que  les  actes  des  actifs  se  trouvent  dans  le 
patient  et  le  disposé  ,  comme  il  est  dit'  au  livre  second  de  l'Ame.  C'est 
ce  qui  fait  aussi  que  les  formes  des  éléments  qui  ont  évidemment  le 
même  susceptif  prochain ,  demandent  dans  leur  susceptif  des  dispo- 
sitions contraires ,  savoir,  la  forme  du  feu  la  chaleur,  la  forme  de 
l'eau  la  fraîcheur.  Peu  importe  de  dire  que  cela  se  fait  à  raison  du 
défaut  de  l'agent  naturel ,  parce  que  cette  puissance  passive  ,  qui  est 
un  corps  mort,  ne  peut  être  amenée  à  l'acte  de  la  vie,  par  la  raison 
que  à  toute  puissance  passive  répond  une  puissance  active  quelconque 
qui  puisse  l'amener  à  l'acte,  autrement  cette  puissance  passive  seroit 
oisive.  C'est  pourquoi ,  de  ce  qu'il  n'y  a  point  de  puissance  naturelle 
qui  puisse  disposer  un  corps  mort  à  l'acte  de  la  vie  ,  il  s'ensuit  qu'il 
n'est  pas  puissance  par  rapport  à  un  tel  acte  ,  et  par  conséquent  aussi 
le  corps  mort  n'est  pas  le  même  qu'il  étoit  vivant ,  quant  à  la  forme. 
En  effet,  ce  corps  vivant  étoit  puissance  par  rapport  à  l'ame ,  mais 
l'ame  communique  la  qualité  de  vivant  avec  les  perfections  ulté- 
rieures, quoique  la  matière  soit  la  puissance,  en  tant  qu'elle  constitue 
l'être  substantiel  et  l'être  corporel ,  comme  il  a  été  dit.  Il  faut  donc 
ainsi  que  toutes  les  formes  matérielles  soient  du  même  genre  ,  parce 
qu'elles  ont  toutes  le  même  susceptif  prochain,  c'est-à-dire  la  matière 
première  :  voilà  la  preuve  de  la  seconde  proposition.  On  démontre 
également  cela  d'après  l'habitude  des  formes  entre  elles,  quant  à 
leurs  essences.  Pour  mettre  cela  en  évidence ,  il  faut  considérer  que 
les  formes  des  différents  genres  sont  telles ,  que  l'une  n'a  rien  dans  sa 
nature  de  la  vertu*  de  l'autre ,  mais  qu'elles  sont  tout-à-fait  d'une 
nature  différente,  n'étant  pas  contenues  l'une  dans  l'autre  :  par 
exemple  la  couleur  et  la  saveur,  dont  aucune  n'est  en  vertu  dans 
l'autre  ,  et  qui  sont  par  là  diverses,  quant  au  genre.  Mais  les  formes 


susceptiva.  Videmus  enim  actus  activorum 
esse  in  patiente  et  disposito,  ut  dieitur  II. 
De  anima.  Unde  etiam  formae  elementorum, 
de  quibus  raanifestum  est  quod  habent 
idem  susceptivum  proximum,  requirunt 
in  suo  susceptivo  dispositiones  contrarias  : 
puta ,  forma  ignis  calorem,  forma  aquae 
frigiditatem.  Nec  valet  si  dicatur,  quod  hoc 
fit  propter  defectum  agentis  naturalis,  quia 
illa  potentia  passiva  quae  est  corpus  mor- 
tuum,  non  potest  duci  ad  actum  vitse,  quia 
cuilibet  potentiœ  passiva;  respondet  aliqua 
potentia  activa,  quae  possit  eam  ducere  ad 
actum  ;  alioquin  illa  potentia  passiva  esset 
otiosa.  Unde  ex  hoc  quod  non  est  aliqua 
potentia  naturalis ,  quae  possit  disponere 
corpus  mortuum  ad  actum  vitœ ,  sequitur 
quod  ipsum  non  est  potentia  respectu  talis 
actus,  et  per  consequens  etiam  non  est 
idem  corpus  secundum  formam,  quod  fuit 


vivum.  IUud  enim  corpus  vivum  erat  po- 
tentia respectu  animae,  sed  anima  dat  esse 
vivum  et  ulteriores  perfectiones,  licet  ma- 
teria  sit  ejus  potentia,  secundum  quod  con- 
stituit  esse  substantiale  et  esse  corporeum, 
sicut  dictum  est.  Sic  ergo  oportet  quod 
omnes  formae  materiales  sint  ejusdem  ge- 
neris,  eo  quod  omnes  habent  idem  suscep- 
tivum proximum,  scilicet  materiam.pri- 
mam,  et  hoc  est  secundae  propositionis  pro- 
batio.  Ostenditur  hoc  idem  ex  habitudine 
formarum  ad  se  invicem  quantum  ad  suas 
essentias.  Ad  cujus  evidentiam  consideran- 
dum  est,  quod  formae  diversorum  geue- 
rum  sic  se  habent ,  quod  una  nihil  habet 
in  sui  natura  de  virtute  alterius ,  sed  sunt 
penitus  diversœ  naturae,  quarum  nulla  con- 
tinetur  in  alia  ;  puta,  color  et  sapor,  quo- 
rum neutrum  est  virtute  in  altero ,  et  ex 
hoc  sunt    diversa  secundum  genus;  sed 


62  OPUSCULE    XLIV. 

du  même  genre  sont  telles ,  que  l'une  contient  toujours  l'autre  en 
vertu ,  savoir,  celle  qui  est  plus  parfaite  contient  en  elle  celle  qui 
l'est  moins  avec  une  addition ,  de  même  que  nous  voyons  qu'une 
figure  en  contient  une  autre  avec  quelque  chose  de  plus.  En  effet,  le 
tétragone  renferme  le  trigone,  avec  un  angle  de  plus;  le  pentagone 
renferme  le  tétragone,  avec  un  angle  en  sus,  et  ainsi  des  autres;  et 
il  en  est  des  autres  genres  comme  du  genre  des  figures  rectilignes. 
Comme  ,  en  effet ,  en  tout  genre  il  y  a  quelque  chose  de  premier,  qui 
est  la  mesure  de  toutes  les  choses  qui  sont  dans  ce  genre,  il  faut 
nécessairement  que  les  diverses  formes  du  même  genre  soient  dis- 
tinctes entre  elles ,  en  s'éloignant  de  ce  qui  est  premier  dans  leur 
genre ,  et  que  par-là  même  elles  soient  multipliées  en  s'éloignant  les 
unes  plus ,  les  autres  moins ,  de  façon  qu'il  y  ait  autant  de  formes 
que  de  modes  d'éloignement.  Par  exemple ,  dans  le  genre  de  couleur 
il  y  a  autant  d'espèces  qu'il  y  a  de  modes  d'éloignement  dans  le  genre 
de  la  couleur  de  ce  qu'il  y  a  de  premier  dans  ce  même  genre  ,  et  de 
la  mesure  qui  renferme  toute  la  perfection  du  genre.  C'est  pourquoi 
Aristote  dit  dans  le  dixième  livre  de  la  Métaphysique ,  que  le  noir, 
qui  s'éloigne  le  plus  du  blanc,  est  la  privation  du  blanc,  par  la  raison 
qu'il  manque  totalement  de  la  perfection  du  blanc  ,  et  il  en  est  ainsi 
à  l'égard  des  autres  contraires.  En  effet,  tous  les  contraires  sont  dans 
le  même  genre  ,  d'où  il  résulte  qu'un  des  contraires  est  toujours  pri- 
vation par  rapport  ta  un  autre  qui  est  habitude ,  parce  qu'il  contient 
toute  la  perfecfion  ue  son  genre.  On  peut  conclure  de  là  que  toutes 
les  formes  qui  sont  telles  ,  à  l'égard  les  unes  des'  autres,  que  la  plus 
parfaite  contient  en  ella  celle  qui  l'est  moins ,  en  y  ajoutant  quelque 
chose ,  sont  du  même  gerre.  Il  en  est  ainsi  de  toutes  les  formes  sub- 
stantielles, dans  ce  cas  elles  sont  comme  les  nombres  dont  les  espèces 


forma?  ejusdem  generis  sic  se  habent, 
quod  semper  una  virtute  continet  aliam, 
illa  scilicet  qua?  est  perfectior  in  se  conti- 
net imperfectiorem  cum  alio  addito,  sicut 
videmus  quod  una  figura  continet  aliam 
et  aliquid  amplius.  Tetragonum  enim  con- 
tinet trigonum  et  addit  unum  angulum; 
pentagonum  continet  tetragonum  et  addit 
unum  angulum  ,  et  ita  de  ca?teris,  et  sicut 
est  in  génère  rectilinearum  figurarum,  ila 
est  in  aliis  generibus.  Cum  enim  in  omni 
génère  sit  unum  primum  quod  est  men- 
sura  omnium ,  quae  sunt  in  illo  génère, 
oportct  quod  diverse  forma;  ejusdem  ge- 
neris, sint  ab  invicem  distincts  per  reces- 
sum  a  primo  sui  generis,  et  quod  multipli- 
centur  secundum  quod  multum  recedunt 
al)  illo  primo,  qusedam  minus  et  qua?dam 
magis,  ut  scilicet  tôt  sint  forma? ,  quot  mo- 


dis  sit  recessus  ab  illo  primo  :  puta ,  in  gé- 
nère coloris  tôt  sunt  species ,  quot  modis 
sit  recessus  ab  illo  primo  in  génère  coloris 
et  mensura  totarn  perfectionem  sui  gene- 
ris comprebendente.  Onde  et  Philosophus, 
X.  Méfaph.j  nigrum ,  quod  maxime  distat 
ab  albo,  dicit  esse  privationem  albi,  eo 
quod  minime  habet  perfectionem  coloris 
albi ,  et  ita  est  in  abis  contrariis.  Omnia 
enim  contraria  sunt  in  eodem  génère,  unde 
unum  contrariorum  semper  est  privatio 
respectu  alterius  quod  est  habitus,  eo  quod 
continet  totam  perfectionem  sui  generis. 
Ex  his  concludi  potest,  qua?cumque  forma? 
sic  se  habent  ad  invicem,  quod  semper 
perfectior  continet  in  se  imperfectiorem 
et  super  eam  addit  aliquid  ,  sunt  ejusdem 
generis.  Sic  se  habent  omnes  forma?  sub- 
stantiales,  tune  enim  forma?  sunt  ut  nu- 


SUR  LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  63 

résultent  de  ce  que  le  plus  grand  ajoute  une  unité  au  plus  petit , 
comme  il  est  dit  aux  VIIIe  et  IXe  livres  de  la  Métaphysique.  Donc, 
toutes  les  formes  substantielles  matérielles  sont  du  même  genre.  De 
même,  en  effet,  que  les  différents  nombres  se  forment  en  progressant 
naturellement  de  l'unité ,  de  manière  que  le  premier  nombre  ajoute 
une  unité  à  l'unité,  et  ainsi  de  suite,  de  même  les  formes  maté- 
rielles se  prennent  en  raison  d'un  certain  éloignemént  de  la  matière 
relatif  au  plus  ou  moins  de  perfection.  Les  formes  des  éléments  sont 
très-proches  de  la  matière  première ,  et  par-là  même  très-imparfaites, 
suivant  le  Commentateur,  et  comme  s' éloignant  peu  de  la  matière. 
C'est  ce  qui  fait  que  les  corps  élémentaires  sont  appelés  premiers 
corps,  comme  constitués  par  les  premières  formes  et  la  matière  pre- 
mière. Ces  formes,  à  cause  de  leur  proximité  de  la  matière,  ne  sont 
suivies  d'aucune  opération  excédant  les  qualités  actives  et  passives. 
Et  par  conséquent  elles  s'éloignent  davantage  de  l'imperfection  et  de 
la  potentialité  de  la  matière  première  de  la  forme  des  corps  mixtes , 
comme  ayant  en  elles  quelque  chose  de  la  forme  des  éléments  et 
quelque  chose  en  sus ,  ce  qui  fait  qu'elles  déterminent  des  opérations 
excédant  les  qualités  actives  et  passives  des  éléments.  Par  exemple , 
l'aimant  attire  le  fer,  le  jaspe  arrête  le  sang,  et  ainsi  des  autres  ;  et 
dans  ces  métaux  il  y  a  encore  plusieurs  degrés.  On  peut  également 
comparer  les  plantes  aux  êtres  inanimés,  parce  que  les  formes  des 
plantes  excèdent  la  forme  de  toutes  les  choses  inanimées ,  à  raison  de 
quoi  elles  ont  en  elles-mêmes  le  principe  actif  de  leur  mouvement , 
savoir  de  la  nutrition,  de  l'accroissement ,  ce  qui  ne  convient  à  aucun 
être  inanimé.  De  même  les  formes  des  animaux  excèdent  les  formes 
des  plantes,  et  s'éloignent  davantage  de  la  terrestréité  de  la  matière , 
parce  qu'elles  ont  en  elles  le  principe  de  leur  mouvement,  et  en  outre 


meri,  quorum  species  résultant ,  per  hoc 
quod  major  acklit  unitatem  supra  mino- 
rerai ,  sicut  dicitur  VIN.  Metaph.  et  IX. 
Omnes  ergo  forma?  substantiales  materiales 
sunt  ejusdem  generis.  Sicut  enim  numeri 
diversi  résultant  secundum  progressionem 
naturalem  ab  unitate,  ita  quod  primus  nu- 
merus  super  unitatem  addit  unitatem ,  et 
sic  deinceps ,  ita  forma?  materiales  acci- 
piuntur  secundum  quemdam  a  materia  re- 
cessum  secundum  perfectius  et  imperfec- 
tius.  Forma;  siquidem  elementorum  sunt 
propinquissima?  materia?  prima;,  et  sic  im- 
periectissima?  secundum  Commentatorem, 
et  quasi  parum  a  materia  recedentes. 
Unde  corpora  elementaria  dicuntur  prima 
corpora  tanquam  a  primis  formis  et  ma- 
teria prima  constituta.  Istas  autem  formas 
propter  sui  propinquitatem  ad  materiam 
non  sequitur  aliqua  operatio  excédons  qua 


litates  activas  et  passivas.  Consequenter 
autem  magis  recedunt  ab  imperfectione  et 
potentialitate  materiae  prima?  forma?  mix- 
torum,  utpote  habentes  in  se  quidquid  ha- 
bent  forma?  elementorum ,  et  adhuc  am- 
plius,  unde  et  ipsas  consequuntur  opera- 
tiones,  excedentes  qualitates  activas  et 
passivas  elementorum,  puta,  adamas  trahit 
ferrum,  jaspis  restringit  sanguinem,  et  sic 
de  aliis ,  et  in  istis  etiam  sunt  multi  gra- 
dus.  Similis  est  etiam  comparatio  planta> 
rum  ad  inanimata,  quod  scilicet  forma? 
plantarum  excedunt  omnium  inanimato- 
rum  formam  ,  ex  quo  quidem  excessu  ha- 
bent  in  seipsis  principium  sui  motus  acti- 
vum,  puta,  nutritionis  et  augmentationis, 
quod  nulli  inanimato  competit.  Similiter 
etiam  forma?  animalium  excedunt  formas 
plantarum,  et  plus  elongantur  a  terrestrei- 
tate  materia?,  propter  quod  habent  in  se 


64  OPUSCULE    XLIV. 

les  connoissances  des  autres  choses.  Mais  l'ame  humaine  est  la  plus 
parfaite  de  toutes  les  formes  reçues  dans  la  matière.  C'est  pourquoi 
elle  est  non-seulement  un  principe  de  cognition  s'opérantpar  l'organe 
corporel,  mais  parce  qu'elle  est  élevée  au-dessus  de  la  matière,  elle  a 
naturellement  une  cognition  et  une  intelligence  séparée  de  la  matière, 
ce  qui  fait  qu'elle  doit  être  immortelle  ,  comme  l'insinue  Aristote  au 
chap.  XII  de  la  Métaph.,  parce  que,  entre  toutes  les  formes,  elle  sub- 
siste seule  après  la  corruption  du  corps.  Ainsi  donc ,  comme  elle  est 
la  plus  parfaite  entre  toutes  les  formes  matérielles,  et  qu'elle  contient 
virtuellement  la  forme  végétative  de  la  plante  et  la  forme  scnsitive  de 
la  brute ,  elle  doit  nécessairement  contenir  virtuellement  toutes  les 
autres  formes  matérielles,  et  ainsi  quant  à  ce  qu'elle  est  une  perfection 
du  corps ,  elle  est  du  même  genre  que  les  autres  formes  corporelles 
ou  matérielles;  et  ainsi  on  peut  remarquer  que  la  forme  substantielle, 
qui  est  plus  parfaite ,  renferme  en  elle  la  moins  parfaite  et  quelque 
chose  de  plus,  il  faut  donc  admettre  qu'elles  sont  toutes  du  même 
genre  :  c'est  là  la  troisième  et  dernière  preuve  de  la  proposition.  La 
première  proposition  de  la  même  question  se  prouve  par  ce  qui  a  été 
dit.  Et  d'abord  par  la  transmutation  des  formes  entre  elles. 

En  effet,  si  deux  formes  quelconques  concourent  ensemble  à  par- 
faire le  même  sujet,  elles  sont  contingentes  et  ne  présentent  aucune 
répugnance.  Or  la  transmutation  par  soi  ne  se  produit  pas  entre  des 
formes  contingentes  ;  car  le  contingent  ne  provient  du  contingent  que 
par  accident ,  et  par  conséquent  ne  se  résout  en  contingent  que  par 
accident,  comme  il  est  dit  au  livre  Ier  de  la  Phys.  Or,  si  la  transmu- 
tation par  soi  ne  se  produit  pas  entre  les  formes  qui  existent  simul- 
tanément dans  un  sujet,  il  s'ensuit  qu'elles  ne  sont  pas  du  même 
genre ,  parce  que  la  transmutation  par  soi  se  produit  entre  les  formes 


principium  sui  motus,  sed  et  cognitiones 
aliarum  rerum.  Anima  vero  humana  inter 
omnes  formas  receptas  in  materia  perfec- 
tissima  est.  Unde  non  solum  est  princi- 
pium cognitionis,  quœ  est  per  organum 
corporale,  sed  quia  elevata  est  super  ma- 
teriam ,  naturaliter  habet  cognitionem  et 
intelligentiam  separatam  a  materia  .  unde 
oportet  quod  sit  perpétua ,  sicut  innuit 
Philosophus,  XII.  Metaph.j  quod  inter  om- 
nes formas  ipsa  sola  manet  post  corporis 
corruptionem.  Sic  ergo  cum  sit  perfectis- 
sima  inter  omnes  formas  materiales ,  et 
contineat  virtualiter  vegetativam  plantse 
et  sensitivam  bruli,  oportet  quod  contineat 
virtute  omnes  alias  formas  materiales  ,  et 
ita  quantum  ad  hoc  quod  est  perfectio 
corporis ,  est  ejusdem  generis  cum  aliis 
formis  corporalibus  vel  materialibus ,  et 
sic  considerari  potest  quod  semper  forma 


substantialis  quse  est  perfectior,  continet 
in  se  imperfectiorem  et  amplius,  et  ita  re- 
linquitur,  quod  omnes  sunt  ejusdem  gene- 
ris, et  haec  est  tertia  et  ultima  probatio 
propositionis.  Prima  vero  propositio  ejus- 
dem rationis  probatur  ex  his  quae  dicta 
sunt.  Primo  quidem  per  transmutationem 
formarum  ad  invicem.  Si  enim  aliquae  duae 
formae  perficiunt  simul  idem  subjectum, 
illee  sunt  contingentes  nullam  repugnan- 
tiam  habentes.  Inter  formas  autem  con- 
tingentes non  cadit  trausmutatio  per  se. 
Contingens  enim  non  fit  ex  contingenti 
nisi  per  accidens,  nec  per  consequens  cor- 
rumpitur  in  contingens  nisi  per  accidens, 
sicut  dicitur  I.  Phys.  Si  autem  inter  for- 
mas quœ  simul  sunt  in  subjecto ,  non  ca- 
dit trausmutatio  per  se,  sequitur  quud  non 
sint  ejusdem  generis ,  quia  inter  formas 
ejusdem  generis  cadit  transmutatio  per  se, 


SUR   LA  PLURALITÉ   DES   FORMES.  65 

du  même  genre  ,  comme  on  Ta  démontré.  Il  est  donc  impossible  que 
deux  formes  du  même  genre  concourent  ensemble  à  parfaire  un  même 
sujet.  La  seconde  preuve  se  tire  de  ce  que  les  formes  du  même  genre 
ont  le  même  susceptif  immédiat.  Or,  il  n'est  pas  possible  que  deux 
formes  aient  à  la  fois  numériquement  le  même  susceptif  immédiat , 
parce  qu'il  doit  y  avoir  un  ordre  naturel  entre  les  formes ,  et  deux 
formes  pareilles  ne  sont  mises  dans  le  même  sujet  qu'en  tant  que 
l'une  est  coordonnée  à  l'autre  ;  et  encore  nulle  d'elles  ne  sera  perfec- 
tionnée par  l'autre,  parce  que  ce  qui  est  perfectible  précède  la  per- 
fection. Si  donc  l'on  dit  que  de  deux  formes  l'une  perfectionne  le  sus- 
ceptif par  le  moyen  de  l'autre  ,  il  s'ensuit  qu'elles  n'ont  pas  le  même 
susceptif  immédiat ,  et  par  conséquent  qu'elles  ne  sont  pas  du  même 
genre.  Donc  il  est  impossible  que  deux  formes  perfectionnent  d'une 
manière  quelconque  le  même  susceptif.  Peu  importe  de  dire  qu'une 
forme  est  la  disposition  au  susceptif ,  et  l'autre  en  est  l'acte ,  parce 
que  les  diverses  formes  du  même  genre  demandent  différentes  dispo- 
sitions par  le  moyen  desquelles  le  réceptif  leur  soit  approprié  ;  et 
quoique ,  dans  l'ordre  de  la  génération ,  l'une  dispose  à  l'induction  de 
l'autre,  néanmoins,  dans  l'ordre  de  l'être,  la  disposition  propre  de 
l'une  répugne  à  l'autre.  Car  si  la  disposition  de  l'une  subsistoit  avec 
la  disposition  de  l'autre,  cette  disposition  seroit  commune,  et  ne 
seroit  propre  à  aucune.  Or  il  n'y  a  point  de  forme  dans  la  matière , 
sans  qu'elle  soit  disposée  et  propre.  S'il  y  avoit  simultanément  deux 
formes  dans  la  matière,  aucune  d'elles  n'auroit  une  disposition  propre; 
car  toute  la  disposition  de  la  matière  seroit  commune  à  l'une  et  à 
l'autre,  par  cela  que  l'une  et  l'autre  forme  subsiste  avec  cette  dispo- 
sition. Donc  il  est  non-seulement  vrai  qu'une  forme  n'appartient  pas 
à  la  disposition  propre  de  l'autre ,  mais  encore  qu'elle  n'en  souffre 


ut  prius  ostensum  est.  Impossibile  est  ergo 
duas  formas  ejusdem  generis  simnl  perfi- 
cere  idem  subjectum.  Secundo  ostenditur 
idem  per  hoc  quod  forma?  ejusdem  generis 
habent  idem  susceptivum  immediatum. 
Non  est  autem  possibile,  quod  dua?  forma? 
habeant  idem  susceptivum  numéro  imme- 
diatum simul ,  quia  oportet  esse  ordinem 
naturalem  inter  formas,  nec  etiam  ponun- 
tur  duae  forma?  taies  in  eodem  subjecto, 
nisi  in  quantum  una  est  ordinata  ad 
aliam  ;  neulra  etiam  perticietur  per  aliam, 
eo  quod  perfectibile  prœsupponitur  per- 
fectioni.  Si  ergo  dicatur  quod  duarum 
formarum  una  perficit  susceptivum  rae- 
diante  alia ,  sequïtur  quod  non  habent 
idem  susceptivum  immediatum,  et  per  con- 
sequens  quod  non  sint  ejusdem  generis. 
Impossibile  est  ergo  duas  formas  aliquo 
modo  perficere    idem   susceptivum.    Nec 


etiam  valet  si  dicatur,  quod  una  forma 
est  dispositio  ad  susceptivum  ,  et  alia  est 
actus  ejusdem ,  quia  diversa?  forma?  ejus- 
dem generis  requirunt  diversas  disposi- 
tiones,  per  quas  receptivum  eis  approprie- 
tur,  et  licet  in  via  generationis  una  dispo- 
nat  ad  inductionem  alterius,  tamen  in  via 
essendi  dispositio  propria  unius  répugnât 
alteri.  Si  enim  dispositio  unius  staretcum 
dispositione  alterius,  jam  esset  communis 
dispositio  et  nullius  propria.  Forma  autem 
non  est  in  materia,  nisi  sit  disposita  et 
propria. 

Si  essent  dua?  forma?  in  materia  simul, 
neutra  haberet  propriam  dispositionem  : 
tota  enim  dispositio  materia?  esset  commu- 
nis utrique,  ex  quo  utraque  forma  stat  cum 
illa  dispositione.  Non  solum  ergo  verum 
est  quod  una  forma  non  pertinet  ad  dis- 
positionem alterius   propriam  ,    sed    nec 


66  OPUSCULE    XLIV. 

pas  d'autre  avec  elle  dans  le  même  sujet.  Et  on  peut  trouver  là  la 
troisième  preuve  tirée  de  l'impossibilité  de  la  coexistence  des  dispo- 
sitions. En  quatrième  lieu  ,  on  peut  établir  ainsi  la  preuve.  La  forme 
la  plus  parfaite  renferme  toujours  la  plus  imparfaite ,  comme  dans 
les  nombres  et  les  figures ,  où  le  nombre  cinq  renferme  le  nombre 
quatre,  et  le  pentagone  le  tétragone ,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  voir. 
Donc  la  forme  plus  parfaite  existant  dans  la  matière  ,  ce  seroit  inuti- 
lement que  s'y  trouveroit  la  forme  moins  parfaite ,  puisqu'elle  est 
contenue  dans  la  forme  plus  parfaite ,  et  qu'elle  est  avec  elle  du  même 
genre  dans  le  même  sujet.  La  cinquième  preuve  se  tire  de  ce  qui 
paroîtànos  sens.  Nous  remarquons  dans  les  formes  sensibles  qui  sont 
du  même  genre ,  qu'elles  ne  se  souffrent  pas  mutuellement  dans  le 
même  sujet.  Un  corps,  en  effet,  n'est  pas,  dans  la  même  partie, 
rouge  et  blanc,  pas  plus  que  froid  et  chaud,  et  nous  remarquons  cela 
non-seulement  dans  les  choses  où  il  y  a  contrariété,  mais  encore  dans 
les  autres.  Un  corps  ne  peut  effectivement  être  tout  à  la  fois  triangu- 
laire et  quadrangulaire.  Donc,  puisque  nous  nous  élevons  par  le 
moyen  des  sensibles  à  la  connoissance  des  intelligibles,  il  est  impos- 
sible que  les  formes  du  même  genre,  qui  ne  sont  pas  sensibles,  telles 
que  sont  les  formes  substantielles ,  puissent  compatir  entre  elles  dans 
le  même  sujet.  On  peut  encore  établir  ainsi  une  autre  preuve.  Dans 
les  formes  où  l'on  trouve  la  contrariété,  par  exemple  dans  les  couleurs 
et  les  saveurs ,  il  y  a  deux  choses  à  remarquer,  savoir,  qu'elles  va- 
rient d'intensité ,  et  qu'elles  sont  du  même  genre.  Or  il  est  évident 
que  dans  de  telles  choses  deux  formes  sont  simultanément  et  relative- 
ment impossibles.  Donc  ou  elles  sont  impossibles  ainsi  à  raison  de 
leur  augmentation  ou  diminution  d'intensité  ,  ou  parce  qu'elles  sont 
du  même  genre.  On  ne  voit  pas  d'autre  cause  de  cette  incompossibilité. 


etiam  compatitur  secum  aliam  ia  eodem 
subjecto.  Et  hœc  potest  esse  tertia  pro- 
batio  sumpta  ex  incompossibilitate  dispo- 
sitioxium.  Quarto,  ostenditur  idem  sic. 
Semper  forma  perfectior  continet  imper- 
fectiorem,  sicut  est  in  numeris  et  figuris, 
quod  quinarius  continet  quaternarium,  et 
pentagonus  tetragonum,  ut  prius  ostensum 
est.  Forma  ergo  perfectiore  existente  in 
materia,  frustra  esset  in  ea  forma  imper- 
fection ex  quo  continetur  in  forma  per-- 
fectiore ,  et  sit  cum  forma  imperfectiore 
ejusdem  generis  in  eodem  subjecto.  Quinto 
persuadetur  sic  per  ea  quae  apparent  sen- 
sui.  Videmus  enim  in  formis  sensibilibus, 
quœ  sunt  ejusdem  generis,  quod  non  com- 
patiuntur  se  in  eodem  subjecto.  Non  enim 
idem  corpus  in  eadem  sui  parte  est  album 
et  rubeum ,  nec  etiam  calidum  et  frigi- 


dum,  et  sic  etiam  videmus  non  solum  ia 
illis  ubi  est  contrarie  tas,  sed  etiam  in  aliis. 
Non  enim  aliquod  corpus  potest  esse  simul 
triangulare  et  quadrangulare.  Cum  ergo 
per  sensibilia  elevemur  ad  cognitionem 
intelligibilium,  impossibile  est  quod  formae 
ejusdem  generis  quee  non  sunt  sensibiles, 
cujusmodi  sunt  formée  substantiales,  com- 
patiantur  se  in  eodem  subjecto.  Sexto, 
probatur  idem  sic.  In  formis  ubi  inveni- 
tur  contrarietas,  puta,  in  coloribus  et  sa- 
poribus,  duo  est  considerare,  scilicet  quod 
intenduntur  et  remittuntur,  et  quod  sunt 
ejusdem  generis.  Manifestum  est  autem 
quod  in  talibus  duœ  formae  sunt  incompos- 
sibiles  ad  invicem.  Aut  ergo  sunt  incom- 
possibiles  ,  quia  intenduntur  et  remittun- 
tur, aut  quia  sunt  ejusdem  generis;  nec 
apparet  aliqua  alia  causa  incompossibili- 


SUR   LA   PLURALITÉ   DES  FORMES.  67 

Mais  on  ne  peut  pas  dire  qu'elles  sont  incompossibles  à  raison  de 
l'augmentation  ou  de  la  diminution  d'intensité,  parce  que,  par  Vin- 
tension  ou  la  remission  de  la  forme  dans  le  sujet,  il  se  fait  en  quelque 
sorte  une  transition  à  une  autre  forme  du  même  genre,  ou  plus  par- 
faite ,  ou  moins  parfaite ,  et  par  ce  moyen  disparoît  quelque  chose  de 
l'impossibilité  de  l'une  à  l'égard  de  l'autre.  Il  ne  reste  donc  plus  qu'à 
dire  qu'elles  sont  incompossibles  par  cette  raison  qu'elles  sont  du 
même  genre.  Donc,  puisqu'en  posant  la  cause  on  admet  l'effet,  il 
faut  en  général  que  toutes  les  formes  qui  sont  du  même  genre  soient 
incompossibles  par  cette  raison.  La  septième  preuve  se  déduit  ainsi. 
La  forme  moins  parfaite  d'un  genre  quelconque  se  distingue  de  celle 
qui  est  plus  parfaite,  non  à  raison  de  quelque  chose  de  positif  existant 
en  elle,  et  n'existant  pas  dans  celle  qui  est  plus  parfaite,  parce  que  , 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  la  plus  parfaite  contient  totalement  celle  qui  l'est 
moins  ,  et  quelque  chose  de  plus.  Elle  en  est  donc  distinguée  par  cela 
que  la  forme  plus  parfaite  introduit  dans  le  sujet  quelque  chose  dont 
la  moins  parfaite  produit  la  négation.  Donc  ,  comme  il  est  impossible 
qu'un  sujet  possède  et  soit  privé  en  même  temps  de  quelque  chose  de 
positif,  il  est  impossible  qu'une  forme  plus  parfaite  et  une  forme 
moins  parfaite  existent  en  même  temps  dans  le  même  sujet.  Huitième 
preuve.  Un  acte  quelconque,  tant  qu'il  perfectionne  sa  puissance ,  la 
perfectionne,  l'occupe  et  la  contient  totalement.  Car  il  est  de  l'essence 
de4'acte  de  parfaire,  de  limiter  et  de  compléter  sa  puissance.  Mais  un 
susceptif  occupé  et  complet  n'admet  rien  de  plus  avant  d'avoir  subi  une 
évacuation.  Donc  les  formes  de  même  genre  ayant  le  même  susceptif, 
il  est  impossible  à  celui-ci  de  recevoir  une  forme  après  l'autre,  sans 
être  débarrassé  de  la  première.  Neuvième  et  dernière  preuve.  Toute 
transmutation  par  soi  se  fait  de  l'opposé  à  l'opposé ,  car  on  fait  le 


tatis ,  nisi  alterum  istorum.  Sed  non  po- 
test  dici  quod  sunt  incompossibiles ,  quia 
intenduntur  et  remittuntur ,  quia  per  in- 
tentionem  et  remissionem  formée  in  sub- 
jecto  fit  quodarnmodo  accessus  ad  aliam 
formam  ejusdem  generis,  vel  perfcctiorem 
vel  imperfectiorem,  et  sic  per  hoc  tollitur 
aliquid  impossibilitatis  unius  ad  alteram. 
Relinquitur  ergo  quod  sint  incompossibiles 
propter  hoc,  quia  sunt  ejusdem  generis. 
Cum  ergo  posita  causa,  ponatur  effectus , 
oportet  universaliter  quod  omnes  formée 
quae  sunt  ejusdem  generis,  sint  ex  hoc  in- 
compossibiles. Scptimo,  arguitur  sic.  For- 
ma imperfectior  alicujus  generis  distin- 
guitur  a  perfectiore  non  secundum  aliquid 
positivum  quod  sit  in  ea  et  non  in  perfec- 
tiore, quia  sicut  dictum  est,  perfectior  con- 
tinet  imperfectiorem  totaliter  et  adhuc 
amplius.'Per  hoc  ergo  distinguitur  ab  ea , 


quod  forma  perfectior  aliquid  point  in 
subjecto  ,  cujus  privationem  ponit  imper- 
fectior. Cum  ergo  impossibile  sit  aliquod 
subjectum  simul  habere  in  se  aliquod  posi- 
tivum ,  et  privationem  ejusdem ,  impossi- 
bile est  ergo  quod  forma  perfectior  et  im- 
perfectior ejusdem  generis  simul  sint  in 
eodem  subjecto.  Octavo  ,  arguitur.  Omnis 
actus  quamdiu  suam  potentiam  perficit, 
totaliter  eam  perficit,  et  occupat,et  continet. 
De  ratione  enim  actus  est  periicere ,  ter- 
minare  et  complere  suam  potentiam  ;  sed 
susceptivum  occupatum  et  completum , 
nihil  suscipit  quousque  evacuetur.  Ergo 
cum  forma?  ejusdem  generis  habeant  idem 
susceptivum,  impossibile  est  quod  recipiat 
unam  formam  post  uliam ,  nisi  priore  ab- 
jecta.  Nono  et  ultimo  arguitur.  Omnis 
transmutatio  per  se  est  de  opposito  in  op- 
positum,  de  non  albo  enim  fit  album ,  et 


68  OPUSCULE   XLIV. 

blanc  de  ce  qui  n'est  pas  blanc ,  le  feu  de  ce  qui  n'est  pas  du  feu  ; 
mais  il  y  a  transmutation  par  soi  entre  deux  formes  de  même  genre, 
comme  on  l'a  dit.  Donc  une  forme  produit  une  dénomination  diffé- 
rente de  celle  qui  accompagnoit  une  autre  forme  de  même  genre,  et 
c'est  ce  qui  se  voit  dans  les  formes  sensibles.  En  effet,  un  corps  rouge 
est  non  blanc ,  et  non  noir,  et  non  vert  ;  pareillement  le  blanc  est  non 
rouge  et  non  vert,  et  ainsi  des  autres.  Si  donc  deux  formes  de  même 
genre  concouroient  ensemble  à  perfectionner  le  même  sujet,  il  se 
trouveroit  simultanément  dans  le  même  sujet  des  choses  opposées. 
Par  exemple ,  si  dans  le  même  sujet  il  y  avoit  blancheur  et  rougeur, 
le  même  sujet  seroit  qualifié  non  blanc  par  la  rougeur,  et  blanc  par 
la  blancheur,  et  ainsi  il  seroit  blanc  et  non  blanc.  Or  c'est  là  l'opposé 
du  premier  principe,  et  on  a  ainsi  suffisamment  montré  que  diffé- 
rentes formes  du  même  genre  ne  peuvent  concourir  simultanément  à 
parfaire  le  même  sujet  ;  d'un  autre  côté,  on  a  prouvé  précédemment 
que  toutes  les  formes  substantielles  sont  du  même  genre  ;  il  ne  reste 
donc  plus  qu'à  conclure  qu'un  sujet  ne  peut  être  perfectionné  simul- 
tanément par  divers  modes  substantiels ,  mais  par  un  seul.  Cette  mé- 
thode est  prise  dans  l'opinion  d'Aristote  formulée  en  divers  endroits , 
et  surtout  dans  le  livre  X  de  la  Métaph.,  où  il  dit  que  comme  dans  les 
couleurs  il  y  a  quelque  chose  de  premier  qui  est  la  mesure  de  toutes 
les  couleurs  ,  savoir  la  couleur  blanche,  dans  les  tons  il  y  a  quelque 
chose  de  premier,  savoir  le  dièse ,  dans  les  figures  rectilignes  il  y  a 
aussi  quelque  chose  de  premier,  savoir  le  trigone.  Il  en  est  de  même 
dans  les  autres  genres,  et,  cela  étant ,  il  doit  en  être  de  même  dans 
les  passions ,  les  qualités  et  les  substances.  Car  la  même  chose  a  lieu 
en  tout. 

Ces  paroles  du  Philosophe  expriment  formellement  que  toutes  les 


de  non  igné  ignis  ;  sed  inter  duas  formas 
ejusdem  generis  est  per  se  transmutatio, 
sicut  dictum  est.  Ergo  una  forma  denomi- 
nat  ipsum  opposita  denominatione  a  prima 
qua  denominat  ipsnm  alia  forma  ejusdem 
generis ,  et  hoc  apparet  in  formis  sensibi- 
lités. Corpus  enim  quod  est  rubeum  ,  est 
non  album,  et  est  non  nigrum,  et  non  vi- 
ride  ;  eodem  etiam  modo  album  est  non 
vubeum  et  non  viride ,  et  sic  de  aliis.  Si 
ergo  duee  formée  ejusdem  generis  simul 
perficerent  idem  subjectum,  opposita  simul 
inessent  eidem  subjecto  :  puta  ,  si  in  eo- 
dem subjecto  esset  albedo  et«rubedo ,  de- 
nominaretur  idem  subjectum  per  rubedi- 
nern  non  album  et  per  albedinem  album, 
et  ita  esse  album  et  non  album  :  hoc  au- 
tein  est  oppositHm  primi  principii,  et  ita 
suflicienter    ostensum   est,  quod  diversee 


formes  ejusdem  generis  non  possunt  simul 
perficere  idem  subjectum  ;  prius  autem 
probatum  est ,  omnes  formas  substantiales 
esse  ejusdem  generis.  Relinquitur  ergo 
quod  non  est  possibile  aliquod  subjectum 
simul  perfici  diversis  modis  substantialibus, 
sed  una  sola.  Sumpta  est  autem  heec  via  ex 
sententia  Philosophi  in  diversis  locis,  et 
preecipue  ex  X.  Metaph.,  ubi  dicit  quod 
sicut  in  coloribus  est  unum  primum,  quod 
est  mensura  omnium  colorum,  scilicet  co- 
lor  albus,  et  in  vocibus  est  unum  primum 
illius  generis ,  scilicet  diesis,  et  in  figuris 
rectilineis  est  unum  primum  ,  scilicet  tri- 
gonum  ;  ita  est  in  aliis  generibus,  et  si  ita 
sit,  in  passionibus,  et  qualitatibus,  et  sub- 
stanths,  necesse  est  similiter  se  habere .  Si- 
militer  enim  se  habet  in  omnibus. 
Ex   istis  verbis  Philosophi  habetur  ex- 


SUR   LA    PLURALITÉ    DES    FORMES.  69 

substances  dont  il  parle  ici  appartiennent  à  un  seul  genre  physique. 
Or  il  parle  des  substances  matérielles,  parce  qu'il  n'est  pas  encore  ar- 
rivé à  traiter  des  substances  immatérielles.  Il  dit  aussi  au  même  en- 
droit, que  la  privation  est  un  principe  de  contrariété,  et  qu'un  des 
contraires  est  la  privation  à  l'égard  d'un  autre.  Le  commentateur  dit 
également ,  sur  le  même  passage ,  que  toutes  les  choses  contraires 
sont  opposées  à  raison  de  la  privation  et  de  l'habitude.  Car  il  arrive 
que  l'un  des  contraires  est  la  privation  de  perfection  ,  parce  que  l'un 
des  contraires  est  l'habitude  parfaite,  et  l'autre  diminuée.  Or,  la  rai- 
son de  ces  deux  auteurs ,  Aristote  et  son  commentateur ,  est  que  les 
contraires  sont  dans  le  même  genre  et  qu'ils  sont  par  conséquent  dis- 
tingués par  la  privation  et  l'habitude  de  leur  genre ,  comme  on  l'a 
exposé  plus  haut.  La  conséquence  est  donc  que  les  formes  de  même 
genre,  lorsqu'il  n'y  a  pas  de  contrariété,  sont  distinguées  de  la  même 
manière,  comme  dans  les  figures  ^t  les  substances,  de  manière  que 
l'une  perfectionne  toujours  le  sujet  avec  la  privation  de  l'autre.  Mais 
un  des  contraires  est  comme  la  privation  ,  à  cause  de  sa  grande  dis- 
tance à  son  contraire ,  qui  est  l'habitude  la  plus  parfaite  du  même 
genre,  de  même  les  milieux  entre  deux  contraires  venant  des  con- 
traires eux-mêmes ,  ont  quelque  chose  de  la  privation,  et  quelque 
chose  de  l'habitude  à  raison  du  plus  et  du  moins,  c'est  pourquoi  cha- 
cun d'eux  est  incompossible  avec  l'autre  dans  le  même  sujet.  Donc  la 
même  cause  se  trouvant  dans  les  composés  et  dans  les  autres  genres 
où  il  n'y  a  pas  de  contrariétés,  deux  formes  du  même  genre  ne 
pourront  pas  concourir  ensemble  à  perfectionner  le  même  sujet. 
Aristote  dit  aussi  dans  le  même  livre,  qu'il  n'y  a  point  de  transmuta- 
tion d'un  genre  en  un  autre,  si  ce  n'est  par  accident,  et  plus  cet  autre 
genre  est  plus  parfait ,  plus  il  est  simple  et  moins  composé ,  comme 


presse,  quod  substantise  omnes ,  de  quibus 
hic  loquitur ,  surit  un'ms  generis  physici, 
loquitur  autem  de  substantiis  materialibus, 
quia  nondum  pervenit  ad  determinandum 
de  substantiis  ircimaterialibus.  Dicit  etiam 
in  eodem ,  quod  privatio  est  principium 
contrarietatis,  et  quod  unum  contrariorum 
est  privatio  respectu  alterius.  Ubi  etiam 
dicit  Commentator,  quod  omnia  contraria 
opponuntur  secundum  privationem  et  ha- 
bitum.  Uni  enim  contrariorum  accidit  ut 
sit  privatio  perfectionis,  quia  alterum  con- 
trariorum est  perfectus  habitus,  et  alte- 
rum diminutus.  Ratio  autem  istorum  dic- 
torum  Philosophi  et  sui  Gommentatoris 
est,  quia  contraria  sunt  in  eodem  génère , 
et  ideo  distinguuntur  secundum  privatio- 
nem et  habitum  sui  generis  ,  ut  supra  ex- 
positum  est.  Consequens  ergo  est,  quod 
eodem  modo  distinguantnr  formœ  ejusdem 


generis ,  ubi  non  est  contrarietas ,  utpote 
in  figuris  et  in  substantiis,  ut  semper  una 
perficiat  subjectum  cum  privatione  alte- 
rius; sed  unum  contrariorum  est  ut  pri- 
vatio ,  propter  sui  maximam  distantiam  a 
suo  contrario,  quod  est  habitus  perfectissi- 
mus  ejusdem  generis ,  ita  et  média  inter 
duo  contraria  cum  sint  ex  ipsis  contrariis, 
aliquid  habent  de  privatione  ,  et  aliquid  de 
habitu  secundum  magis  et  minus,  propter 
quod  quodlibet  eorum  est  incompossibile 
alteri  in  eodem  subjecto.  Cum  ergo  eadem 
causa  in  compositis  reperiatur  et  in  aliis 
generibus,  ubi  non  est  contrarietas,  non  po- 
terunt  duse  formse  ejusdem  generis  simul 
pertîcere  idem  subjectum.  Dicit  etiam  Phi- 
losophus  in  eodem  libro,  quod  non  est  per- 
mutatio  ex  uno  génère  in  aliud  genus,  nisi 
per  accidens  ;  et  quanto  aliud  est  perfec- 
tius,  tanto  est  simplicius  et  minus  compo- 


70  OPUSCULE    XLIV. 

on  le  voit  dans  les  formes  accidentelles  du  même  genre.  En  effet ,  la 
blancheur  qui  est  la  couleur  la  plus  parfaite  est  plus  simple  ,  et  les 
autres  couleurs  sont  plus  ou  moins  composées  et  plus  ou  moins 
simples  ,  selon  qu'elles  s'en  éloignent  ou  s'en  approchent.  Outre  cela, 
dans  les  formes  du  même  genre  l'une  contient  l'autre  virtuelle- 
ment, la  plus  parfaite  la  moins  parfaite,  et  si  la  moins  parfaite 
étoit  unie  à  la  plus  parfaite,  elle  ne  lui  apporteroit  aucune  perfection, 
et  cette  union  seroit  inutile.  Mais  il  n'y  a  rien  d'inutile  dans  la  na- 
ture; il  ne  sera  donc  pas  possible  de  faire  dans  les  espèces  aucune 
addition  de  manière  à  ce  qu'une  forme  préexistante  subsiste  avec  une 
seconde  qui  sera  survenue.  Il  faut  donc  entendre  la  comparaison  sus- 
dite en  ce  sens  que  la  forme  préexistente  s'altère  lorsqu'il  en  survient 
une  plus  parfaite,  de  sorte  que  dans  un  composé  il  ne  reste  qu'une 
seule  forme,  laquelle  néanmoins  contient  celle  qui  est  moins  parfaite 
et  quelque  chose  de  plus,  et  par  conséquent  lui  ajoute  quelque  chose. 
De  sorte  que,  ainsi  que  le  nombre  plus  grand  contient  en  soi  le 
nombre  moindre  séparé  de  lui,  et  y  ajoute  quelque  chose ,  comme  le 
nombre  quatre  renferme  virtuellement  le  nombre  trois  entièrement 
distinct  et  y  ajoute  l'unité  ;  de  même  la  forme  plus  parfaite  ajoute 
quelque  perfection  à  la  forme  moins  parfaite  qu'elle  contient  virtuel- 
lement. Donc  quoique  dans  les  nombres  on  puisse  ajouter  au  nombre 
trois  une  nouvelle  unité  laquelle,  avec  les  trois  autres  unités ,  forme 
le  nombre  quatre,  qui  est  le  nombre  plus  grand,  néanmoins  ce  mode 
n'est  pas  possible  dans  les  formes,  et  la  forme  survenant  ne  peut  cons- 
tituer une  forme  plus  parfaite  avec  celle  qui  préexiste  dans  la  ma- 
tière. Il  y  a  deux  raisons  de  cette  différence  ,  la  première,  c'est  que 
l'addition  d'un  nombre  à  un  autre  nombre  se  fait  suivant  les  parties 
intégrales  ou  quantitatives,  en  tant  qu'un  nombre  en  excède  un  autre. 


situm,  ut  patet  in  formis  accidentalibus 
ejusdem  generis.  Albedo  enim  quœ  est  co- 
lor  perfectissimus  est  simplicior  ;  et  alii 
colores  in  quantum  ab  eo  distant  vel  ei 
appropinquant  sunt  compositiores  vel  sim- 
pliciores.  Et  prœterea,  formarum  ejusdem 
generis  una  continet  aliam  virtualiter,  sci- 
licet  perfectior  imperfectiorem  ,  et  imper- 
fectior  si  conjungeretur  cum  perfectiore, 
nullam  perfectionem  daret,  sed  esset  frus- 
tra. In  natura  autem  nihil  est  frustra,  non 
ergo  sic  poterit  fieri  additio  in  speciebus, 
ut  forma  prseexistens  maneat  cum  alia  su- 
perveniente.  Oportet  ergo  similitudinem 
prœdictam  sic  intelligere,  ut  forma  perfec- 
tiore  adveniente,  corrumpatur  preeexistens, 
ut  semper  in  composite  maneat  una  forma 
tantum ,  continens  tamen  imperfectiorem 
et  amplius,  et  per  consequens  addens  super 
ipsam  ;  ut  sicut  numerus  major  continet  in 


se  numerum  minorem  seorsum  ab  eo  exis- 
tentem,  et  addit  super  ipsum,  ut  quater- 
narius  continet  in  se  virtualiter  quantita- 
tive seorsum  ab  eo  existentem  ternarium 
et  addit  unitatem  ;  ita  forma  perfectior 
super  formam  imperfectiorem  ,  quasi  vir- 
tualiter continet ,  addit  aliquam  perfectio- 
nem. Iicet  ergo  in  numeris  sit  quod  mi- 
nori  numéro;  puta  ternario  potest  fieri 
additio  unitatis  novae ,  quse  cum  tribus 
unitatibus  constituât  quaternarium ,  qui 
est  numerus  major ,  tamen  ille  rnodus  in 
formis  non  est  possibilis,  ut  forma  adve- 
niens  cum  forma  preeexistente  in  materia 
constituât  perfectiorem  formam.  Et  hujus 
diversitatis  ratio  est  duplex  ,  quia  additio 
numeri  super  numerum  est  secundum 
partes  intégrales  vel  quantitatives  _,  in 
quantum  unus  numerus  excedit  alium.  Ad 
talem  autem  excessum  habendum  nihil  re- 


SUR  LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  71 

Mais  pour  avoir  cet  excédant,  peu  importe  qu'en  prenant  le  nombre 
moindre  on  y  ajoute  quelque  chose  en  faisant  de  ce  nombre  une  partie 
du  plus  grand,  ou  qu'on  prenne  le  plus  grand  nombre  tout  à  fait  en 
dehors  de  toutes  les  unités.  Des  deux  manières  un  nombre  surpasse 
l'autre  en  quantité.  Mais  l'addition  d'une  forme  à  une  autre  forme  du 
même  genre  se  fait  par  rapport  à  la  perfection.  Or  toute  la  perfection 
qui  est  dans  la  forme  est  moins  parfaite  dans  la  forme  plus  parfaite 
par  soi,  il  n'y  auroit  donc  pas  acccroissement  de  perfection  par  l'u- 
nion de  la  forme  moins  parfaite  avec  celle  qui  est  plus  parfaite,  et  par 
conséquent  toute  forme  est  simple,  et  il  n'en  est  aucune  composée  de 
formes,  et  la  forme  est  d'autant  plus  simple  qu'elle  est  plus  grande 
et  plus  parfaite,  quoiqu'il  en  soit  tout  le  contraire  dans  les  nombres, 
parce  que  plus  un  nombre  est  grand  plus  il  est  composé,  et  consé- 
quemment  il  ne  peut  se  faire  d'addition  à  la  forme  existante ,  comme 
dans  les  nombres  on  ajoute  à  un  nombre  préexistant.  La  seconde  rai- 
son de  cette  différence  c'est  que  le  nombre  n'est  pas  quelque  chose  de 
simplement  un ,  mais  c'est  quelque  chose  d'un  par  l'aggrégation  des 
unités.  Par  conséquent  il  peut  convenablement  avoir  plusieurs  parties 
dont  chacune  est  en  acte,  et  conséquemment,  de  quelque  manière  que 
se  fasse  l'addition  d'une  partie  à  une  autre  partie ,  il  en  résulte  un 
nombre  plus  grand  ;  mais  la  substance  matérielle  est  quelque  chose 
d'un  simplement,  ce  qui  fait  qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  en  elle  plu- 
sieurs actualités,  comme  on  le  dira  plus  bas;  en  conséquence,  lorsqu'il 
survient  une  forme  substantielle,  Fautre  doit  nécessairement  céder  la 
place.  Pour  cette  raison  il  vaut  mieux  comparer  les  formes  aux 
figures  qu'aux  nombres,  parce  que  la  figure  suit  la  forme  du  continu; 
Aristote  établit  cette  comparaison,  dans  le  livre  II  de  l'Ame,  lorsqu'il 
dit  :  «  Il  en  est  de  même  pour  ce  qui  est  des  figures  lesquelles  sont  en 


fert  utrum  accepto  minore  numéro  adda- 
mus  aliquid  faciendo  ipsum  minorem  nu- 
meruin  partem  majoris,  vel  quod  accipia- 
mus  majorem  numerum  seorsum  omnino 
ex  omnibus  unitatibus.  Utroque  enim  modo 
unus  numerus  excedit  alium  secundum 
quanlitatem.  Sed  additio  formée  super 
formam  ejusdem  generis  est  secundum 
perfectionem  ;  tota  autem  perfectio  quae 
est  in  forma,  imperfectior  est  in  forma 
perfectiore  per  se  ,  et  ita  nulla  perfectio 
cresceret  ei  ex  forma  imperfectiore ,  si  po- 
neretur  cum  perfectiore,  et  ideo  omnis 
forma  est  simplex ,  et  nulla  est  composta 
ex  formis,  et  tanto  forma  est  simplicior, 
quanto  major  est  et  perfectior,  licet  in  nu- 
meris  sit  e  contrario  ,  quia  quanto  numerus 
est  major,  tanto  est  compositior ,  et  ideo 
non  potest  fieri  additio  formée  existenti, 


sicut  fit  in  numeris  additio  numéro  prae- 
existenti.  Alia  ratio  hujus  diversitatis  est, 
quia  numerus  non  est  quid  unum  simpli- 
citer  ,  sed  unum  aggregatione  unitatum. 
Et  ideo  sibi  competit  habere  plures  partes, 
quarum  quœlibet  est  inactu,  et  ideo  quo- 
cumque  modo  fiât  additio  partis  ad  partem, 
résultat  numerus  major,  sed  substantia 
materialis  est  unum  quid  simpliciter,  et 
ideo  non  possunt  in  ea  esse  plures  actua- 
litates ,  ut  infra  dicetur  ;  et  ideo  adve- 
niente  una  forma  substantiali ,  necesse  est 
aliam  cedere.  Et  secundum  hoc  convenien- 
tior  est  similitudo  formarum  ad  figuras , 
quam  ad  numéros ,  eo  quod  figura  sequi- 
tur  formam  continui,  quam  similitudinem 
ponit  Philosophus,  in  II.  De  anima,  sic  in- 
quiens  :  «  Similiter  se  habent  ei  quod  de 
figuris  est    et    quœ    secundum    animam 


72  OPUSCULE   XLIV. 

rapport  avec  l'ame.  »  En  effet ,  il  y  a  toujours  dans  ce  qui  est  d'une 
manière  conséquente  une  puissance  qui  est  antérieurement  dans  les 
figures  et  daus  les  choses  animées ,  comme  le  trigone  dans  le  tétra- 
gone  ,  le  végétatif  dans  le  sensitif.  Or,  dans  les  figures  il  est  évident 
que  pour  avoir  une  espèce  plus  grande  dans  le  trigone,  il  ne  faut  pas 
lui  ajouter  une  ligne  quelconque  pour  avoir  le  tétragone,  parce  que 
de  quelque  manière  que  l'on  ajoute  cette  ligne  il  n'y  auroit  pas  une 
figure  plus  grande,  parce  qu'elle  ne  sera  pas  fermée  d'une  manière 
différente.  On  ne  peut  pas  non  plus  ajouter  à  un  trigone  préexistant 
un  nouveau  quaternaire  pour  former  avec  lui  une  figure  plus  grande, 
parce  que  deux  figures  du  même  genre  ne  peuvent  coexister  numéri- 
quement dans  le  même  sujet  ou  corps,  mais  il  faut,  pour  que  le  corps 
trigone  devienne  tétragone,  opérer  une  section  dans  le  corps  pour 
détruire  la  figure  triangulaire ,  il  devient  ou  flexible  ou  ductile ,  et  il 
y  a  une  autre  opération  à  faire  pour  avoir  quatre  angles  en  détruisant 
les  premiers  angles  qui  se  trou  voient  dans  la  figure  triangulaire. 
Ainsi  donc  il  est  nécessaire  qu'il  se  fasse  une  addition  ou  une  sous- 
traction daus  les  substances  des  choses  de  telle  sorte  que  la  figure  qui 
préexistoit  s'altère  lorsqu'il  en  survient  une  nouvelle,  comme  on  le 
voit  dans  les  figures,  et  de  même  dans  les  nombres  dont  l'un  est  pris 
après  l'autre  en  dehors  de  toutes  les  autres  unités,  un  nombre  conte- 
nant plus  d'unités  que  l'autre  et  le  surmontant  ainsi.  Il  est  aussi  évi- 
dent que  cet  ordre  procède  suivant  l'opinion  d'Aristote,  parce  que  les 
propositions  dont  nous  avons  étayé  nos  assertions,  viennent  de  lui,  et 
sont  prises  dans  son  sens.  Mais  il  reste  un  doute  à  éclaircir,  considé- 
rant comme  prouvé  qu'il  n'y  a  pas  plusieurs  formes  substantielles 
dans  l'homme,  parce  que  l'ame  raisonnable  étant  incorruptible  ne 
paroît  pas  être  du  même  genre  que  les  choses  matérielles  qui  sont 


sunt.  »  Semper  enim  in  eo  quod  est  conse- 
quenter,  est  potentia  quod  prius  est  in  fi- 
guris  et  in  animatis  f  ut  in  tetragono  qui- 
dem  trigonum,  in  sensitivo  autem  vegeta- 
tivuni.  Manifestum  est  autem  in  figuris  , 
quod  ad  habendum  speciem  majorera  tri- 
gono  manenti ,  non  est  illi  addenda  aliqua 
liuea  ut  habeatur  tetragonus  ,  quia  quali- 
tereumque  addatur  illa  linea  non  esset  fi- 
gura major,  quia  non  esset  alia  clausio 
quam  prius.  Nec  etiam  trigono  prœexis- 
tenti  potest  addi  novum  quaternarium,  ad 
constituendum  cum  ipso  majorem  figuram, 
quia  non  compatiuntur  se  in  eodem  sub- 
jecto  sive  corpore  secundum  numerum 
duae  figura?  ejusdem  generis,  sed  oportet 
ad  hoc  quod  corpus  trigonum  fiât  tetrago- 
num,  amovere  per  decisiouem  de  corpore, 
ut  destruatur  iigura  triangularis ,  vel  sit 
flexibilis  vel    ductibilis    oportet   in   ipso 


aliam  curationem  facere,  ut  habeantur 
quatuor  anguli  destructis  primis  angulis 
qui  fuerunt  in  figura  triaugulaiï.  Sic  ergo 
necesse  est  additionem  vel  subtractionem 
in  substantiis  rerum  fieri ,  ut  adveniente 
nova  forma  corrumpatur  illa  quee  praeexis- 
tebat,  sicut  in  figuris  patet  et  sicut  in  nu- 
meris  quorum  unus  accipitur  post  alium 
seorsum  ex  aliis  unitatibus  omnibus,  cum 
unus  plures  unitates  contineat  quam  alter, 
et  sic  cadit  super  ipsum.  Patet  etiam  quod 
tota  illa  via  procedit  secundum  sentent  ia  m 
Philosophi ,  quia  propositiones  ex  quibus 
ostensum  est  propositum,  ab  eo  sumptee 
sunt  et  secundum  sensum  quem  intellexit. 
Sed  unum  dubium  restât  videre ,  quia  vi- 
detur  esse  probatum,  quod  inhomine  non 
sint  plures  formœ  substantiales,  quia  anima 
rationalis  cum  sit  incorruptibilis ,  non  vide- 
tur  esse  ejusdem  generis  cum  aliis  mate- 


SUR   LÀ    PLURALITÉ    DES    F0RA1ES.  73 

corruptibles ,  puisque  le  corruptible  et  l'incorruptible  diffèrent  en 
genre,  comme  il  est  dit  au  livre  X  de  la  Métaph.,  et  ainsi  l'ame  rai- 
sonnable admet  avec  soi  certaines  formes  corporelles  dans  l'homme, 
de  façon  qu'il  y  ait  deux  formes  dans  l'homme,  savoir ,  l'ame  raison- 
nable et  la  forme  du  corps.  A  cela  il  faut  dire  que  c'est  à  cause  de  cela 
que  l'ame  a  été  constituée  sur  les  limites  des  substances  séparées  qui 
sont  incorporelles,  et  des  formes  matérielles  qui  sont  corporelles.  Car 
elle  est  la  plus  basse  des  formes  incorruptibles  et  la  plus  élevée  des 
formes  corruptibles;  c'est  pour  cela  qu'elle  est  en  partie  séparée  de 
la  matière  et  en  partie  dans  la  matière;  suivant  l'intellect  et  la  vo- 
lonté, elle  est  séparée  et  incorruptible,  et  sous  ce  rapport,  elle  appar- 
tient au  genre  des  substances  séparées ,  mais  suivant  les  autres  puis- 
sances elle  estun  acte  de  la  matière,  et  sous  ce  rapport  elle  est  corruptible 
et  appartient  ainsi  au  genre  des  formes  matérielles  qui  sont  corrup- 
tibles. Tout  cela  est  évident  par  la  raison  que  par  ces  puissances,  sa- 
voir la  puissance  sensitive  et  la  puissance  végétative,  elle  contient  la 
perfection  qui  se  trouve  dans  les  formes  des  brutes,  mais  dans  un 
degré  plus  éminent.  C'est  pourquoi  il  est  impossible  qu'elle  puisse 
coexister  avec  une  autre  dans  le  même  sujet,  étant  du  même  genre 
que  chacune  des  autres,  de  la  même  manière  que  toutes  les  autres 
formes  sont  incompossibles  par  la  raison  qu'elles  sont  du  même  genre, 
comme  on  l'a  prouvé. 

Nous  allons  passer  au  second  moyen  de  démonstration  qui  se  tire 
de  la  puissance  essentielle  de  la  forme  substantielle ,  à  savoir  de  ce 
que  chaque  forme  substantielle  constitue  un  être  simplement;  et  pour 
écarter  toute  dispute  de  mots,  j'appelle  être  simplement  ce  qui  est  une 
chose  déterminée  et  subsistante.  En  effet,  une  chose  déterminée  sub- 
sistante ne  dépend  de  rien  dans  l'existence;  ce  qui  est  dépendant,  c'est 


rialibus  quee  sunt  corruptibiles ,  quia  cor- 
ruptibile  et  incorruptibile  differunt  secun- 
dum  genus  ,  ut  dicitur  X.  Metaph.,  et  ita 
anima  rationalis  compatitur  secum  quas- 
dam  formas  corporales  in  homine,  ut  sint 
dus;  formée  in  homine ,  scilicet  anima  ra- 
tionalis et  forma  corporis.  Ad  hoc  dicen- 
dum  est  quod  propter  hoc  anima  consti- 
tuta  est  in  confinio  substantiarum  separa- 
tarum  quae  sunt  incorporales,  et  formarum 
materialium  quœ  sunt  corporales.  Est  enim 
iniima  formarum  incorruptibilium  et  su- 
prema  formarum  corruptibilium  ;  et  prop- 
ter hoc  est  partim  separata  a  materia,  et 
partim  in  materia ,  secundum  intellectum 
namque  et  voluntatem  separata  et  incor- 
ruptibilis  est,  et  quantum  ad  hoc  pertinet 
ad  genus  substantiarum  separatarum ,  sed 
secundum  alias  potentias  est  actus  mate- 
riee,,  et  secundum  illas  est  eorruptibilis,  et 


sic  pertinet  ad  genus  formarum  materia- 
lium quae  sunt  corruptibiles.  Quod  patet 
ex  hoc  quod  per  potentias  illas  ,  scilicet 
sensitivam  et  vegetativam ,  continet  per- 
fectionem  quee  reperitur  in  formis  bruto- 
rum,  sed  eminentius.  Unde  impossibile  est 
quod  compatiatur  secundum  aliam  in  eo- 
dem  subjecto,  cum  sit  ejusdem  generis 
cum  unaquaque,  sicut  et  omnes  formée 
aliee  sunt  incompossibiles  propter  hoc  , 
quod  sunt  ejusdem  generis,  ut  ostensum 
est. 

Sequitur  de  secunda  via  ostendendi  pro- 
positum  ,  quae  sumitur  ex  potestate  essen- 
tiali  formée  subslantialis ,  ex  hoc  scilicet 
quod  queelibet  forma  substantialis  consti- 
tua ens  simpliciter  ;  et  ne  liât  disceptatio 
de  vocabulo ,  voco  ens  simpliciter  illud, 
quod  est  hoc  aliquid  et  subsistens.  Hoc 
aliquid  enim  subsistens  a  nullo  dependet 


74  OPUSCULE   XLIV. 

un  être  secundum  quid  ;  c'est  pourquoi  Aristote  appelle  accidents  les 
êtres  secundum  quid,  et  substance  les  êtres  simplement.  Il  appelle  de 
même  la  génération  des  accidents  genre  secundum  quid,  et  le  genre 
des  substances  genre  simplement.  Que  toute  forme  substantielle  cons- 
titue un  être  subsistant,  on  pourroit  le  prouver  par  le  premier  moyen 
en  supposant  l'incompossibilité  des  formes.  Il  s'ensuit ,  en  effet,  tout 
d'abord,  que  tout  subsistant  matériel  étant  un  sujet,  n'ayant  qu'une 
matière,  il  n'y  a  pour  chacun  qu'une  forme  qui  le  rend  subsistant. 
Néanmoins,  pour  montrer  que  ce  moyen  est  suffisant  en  soi,  nous 
allons  procéder  par  les  ressources  propres  qu'il  fournit.  Il  faut  d'abord 
mettre  en  principe  que  toute  forme  naturelle  est  le  principe  de  quelque 
mouvement  naturel  et  de  repos.  Donc  toute  forme  naturelle  qui  se  pro- 
duit dans  la  matière  se  constitue  un  corps  naturellement  apte  à  recevoir 
un  mouvement  naturel;  or  tel  est  un  corps  mesurable  pesant  ou  léger, 
dur  ou  mou.  Donc  toute  forme  qui  se  produit  d'abord  dans  la  matière 
est  suivie  de  quelques  accidents  qui  sont  nécessaires  au  mouvement  ; 
mais  de  pareils  accidents  sont  nécessairement  fondés  sur  quelque 
substance  subsistante  ;  donc  toute  forme  matérielle  substantielle ,  qui 
est  immédiatement  unie  à  la  matière ,  constitue  un  être  subsistant. 
Outre  cela,  tout  ce  qui  se  meut  par  soi,  est  un  être  par  soi,  et  subsis- 
tant par  soi.  Chaque  chose,  en  effet,  opère  en  raison  de  ce  qu'elle  est, 
mais  toute  forme  qui  se  produit  d'abord  dans  la  matière  constitue  un 
être  qui  se  meut  par  soi,  savoir  un  corps  physique.  Donc  c'est  un  être 
subsistant  par  soi ,  et  il  faut  surtout  remarquer  cela  à  l'égard  de  la 
forme  du  corps  humain ,  que  certains  supposent  être  différente  de 
l'ame.  Car ,  comme  suivant  l'opinion  commune ,  cette  forme  du 
corps  subsiste  dans  la  matière  après  la  mort,  il  semble,  d'après  le  sens 


in  essendo  ;  quod  autem  dependet  est  ens 
secundum  quid  ,  unde  Philosophais  acci- 
dentia  vocat  entia  secundum  quid,  sub- 
stantias  autem  entia  simpliciter  ;  similiter 
generationem  accidentium  vocat  genus  se- 
cundum quid,  genus  substantiarurn  genus 
simpliciter.  Quod  autem  quselibet  forma 
substantialis  constituât  ens  subsistons,  pos- 
set  probari  ex  prima  via  supposita  incom- 
possibilitate  formarum.  Ex  hoc  enim  sta- 
tim  sequitur,  quod  omne  subsistens  mate- 
riale,  cura  sit  unum  subjectum ,  unam 
tantum  habens  materiam  quod  tantum  sit 
una  forma  cujuslibet,  quse  faciat  eum  esse 
subsistons  ;  sed  tamen  ut  appareat ,  quod 
ista  via  in  se  sit  sufiiciens,  ideo  ex  propriis 
hujus  vise  est  procedendum.  Pro  principio 
autem  hujus  via}  sumendum  est,  quod  om- 
nis  forma  naturalis  est  principium  alicu- 
jus  motus  naturalis  et  quietis.  Omnis  ergo 
forma  naturalis  quse  primo  advenit  mate- 


riae ,  constituit  aliquod  corpus  aptum  na- 
tum  moveri  aliquo  motu  naturali  ;  taie  au- 
tem est  corpus  dimensionatum  grave  vel 
levé,  durum  vel  molle.  Ergo  ad  quam- 
cumque  formam  primo  advenientem  raa- 
terisesequuntur  aliqua  accidentia  quse  sunt 
necessaria  ad  motum  ;  sed  talia  accidentia 
nocessario  fundantur  in  aliqua  substantia 
subsistente.  Ergo  omnis  forma  naturalis 
substaitialis  quse  immédiate  unitur  mate- 
rise ,  constituit  ens  subsistens.  Prseterea, 
omne  quod  per  se  movetur,  est  per  se  ens 
et  per  se  subsistens.  Unumquodque  enim 
sicut  est,  ita  operatur;  sed  omnis  forma 
primo  adveniens  materise  constituit  ens 
quod  pei  se  movetur,  scilicet  corpus  phy- 
sicum.  Ergo  est  ens  per  se  subsistens,  et 
hoc  specialiter  considerandum  est  de  forma 
corporis  humani,  quam  quidam  ponunt 
esse  aliam  ab  anima.  Cum  enim  secundum 
omnes  forma  illa  corporis  maneat  in  ma- 


SUR   LA   PLURALITÉ    DES  FORMES.  75 

commun,  qu'un  tel  corps  est  quelque  chose  de  subsistant;  il  s'ensuit 
un  être  subsistant  par  soi.  En  outre ,  on  le  démontre  ainsi  de  toute 
forme  substantielle.  Comme  la  forme  substantielle ,  par  cela  qu'elle 
est  forme  ou  acte,  constitue  quelque  chose  en  acte,  de  même,  par  cela 
qu'elle  est  substantielle,  elle  doit  constituer  une  substance  ;  donc  par 
la  raison  qu'elle  est  forme  substantielle  elle  doit  constituer  une  sub- 
stance en  acte  et  par  conséquent  donner  l'être  subsistant;  mais  l'être  de 
la  substance  est  de  subsister,  comme  l'être  de  l'accident  c'est  d'exister 
dans  un  être.  Donc  toute  forme  substantielle  constitue  une  substance 
subsistante.  Outre  cela,  on  le  prouve  par  un  exemple.  Nous  voyons 
les  formes  imparfaites,  telles  que  les  formes  des  éléments,  suivant  les 
philosophes,  de  même  la  forme  de  la  vapeur,  de  la  pluie ,  de  la  grêle 
et  d'autres  choses  imparfaites  de  ce  genre ,  constituer  quelque  chose 
de  subsistant.  Or,  plus  la  forme  est  parfaite,  plus  l'être  qu'elle  donne 
est  parfait,  et  l'être  subsistant  est  plus  parfait  que  l'être  par  lequel 
une  chose  ne  subsiste  pas.  Il  est  donc  contraire  à  la  raison  de  dire  que 
les  formes  plus  parfaites,  telles  que  les  formes  des  êtres  mixtes,  ne 
doivent  pas  être  subsistantes.  Nous  avons  donc  démontré  ainsi  que 
toutes  les  formes  substantielles  rendent  une  chose  subsistante.  Il  faut 
considérer  de  plus  que  tout  ce  qui  survient  dans  une  chose  subsistante 
doit  être  accident,  et  on  le  prouve  par  ce  que  nous  avons  dit.  Et  d'a- 
bord, si  toute  forme  substantielle  constitue  un  être  subsistant,  aucune 
forme  substantielle  ne  pourra  se  produire  dans  un  subsistant  préexis- 
tant. Mais  elle  constitue  nécessairement  quelque  chose  de  subsistant, 
et  par  conséquent  quelque  suppôt,  et  ainsi  elle  ne  se  produit  pas  dans 
un  suppôt  préexistant.  Donc  tout  ce  qui  survient  dans  une  chose  sub- 
sistante, comme  l'informant,  est  accident.  Outre  cela,  tout  ce  qui 


teria  post  mortem ,  apparet  autem  sensui, 
quod  taie  corpus  est  quoddam  subsistons, 
sequitur  quod  ipsa  eonstituit  ens  per  se  sub- 
sistens.  Praeterea,  hoc  ostenditur  universa- 
liter  de  omni  forma  substantiali  sic.  Forma 
substantialis,  sicut  ex  hoc  quod  est  forma 
vel  actus,  aliquid  in  actu  eonstituit,  ita  ex 
hoc  quod  substantialis  est ,  substantiam 
débet  constituere.  Ex  hoc  ergo  quod  est 
forma  substantialis  débet  constituere  sub- 
stantiam in  actu,  et  per  consequens  dare 
esse  subsistens  ;  sed  esse  substantiae  est 
subsistere ,  sicut  esse  accidentis  alteri  in- 
esse. Omnis  ergo  forma  substantialis  eon- 
stituit substantiam  subsistentem.  Pra;te- 
rea  hoc  persuade tur  per  signum.  Videmus 
enim  formas  imperfectas,  cujusmodi  sunt 
formas  elementorum  secundum  Philosophes, 
similiter  formam  vaporis ,  phiviee,  grandi- 
nis  et  hujusmotli  imperî'ectorum  consti- 
tuere hoc  aliquid  subsistens;  quanto  au- 


tem forma  est  perfectior ,  tanto  dat  esse 
perfectius ,  perfectius  autem  est  esse  sub- 
sistens, quam  esse  quo  aliquid  non  subsis- 
tit.  Irrationale  ergo  est  dicere,  quod  formée 
perfectiores,  cujusmodi  sunt  formas  mix- 
torum,  non  debeant  esse  subsisterites.  Sic 
ergo  ostensum  est,  quod  omnes  formas 
substantiales  faciunt  rem  subsistere.  Ulte- 
rius  considerandum  est ,  quod  omne  quod 
advenit  rei  subsistenti  oportet  esse  acci- 
dens,  et  hoc  probatur  per  praemissa.  Primo 
si  enim  omnis  forma  substantialis  eonsti- 
tuit ens  subsistens ,  nulla  forma  substan- 
tialis poterit  advenire  subsistenti  praeexis- 
tenti  ;  sed  necessario  eonstituit  aliquod 
subsistens  et  per  consequens  aliquod  sup- 
positum,  et  sic  non  advenit  supposito  pree- 
existenti.  Omne  ergo  quod  advenit  rei 
subsistenti,  tanquam  ipsam  informans  ac- 
cidens  est.  Piasterea,  omne  quod  advenit 
rei  subsistenti,  et  consequitur  esse  substan- 


76  OPUSCULE    XLIV. 

survient  dans  une  chose  subsistante  et  suit  l'être  substantiel ,  ne  peut 
pas  être  de  l'essence  de  la  chose,  parce  que  toute  l'essence  de  la  chose 
se  conçoit  comme  le  principe  de  l'être  susceptif  de  l'être  même  ;  car 
l'essence  est  comparée  à  l'être  comme  la  puissance  à  l'acte.  Donc  toute 
l'essence  de  la  chose,  ou  la  substance  est  préconçue  avant  l'être  même. 
Donc  ce  qui  survient  dans  la  chose  subsistante  n'est  pas  de  l'essence 
de  la  chose,  ce  sera  donc  par  accident.  Il  y  en  a  qui  s'imaginent  à  tort 
détruire  ces  raisons  en  disant  qu'il  y  a  quelque  chose  de  subsistant 
complet  dans  l'être  spécifique,  et  tout  ce  qui  lui  survient,  puisqu'il  a 
l'être  complet,  est  en  dehors  de  sa  substance ,  et  en  est  l'accident.  Il 
y  a  aussi  quelque  chose  de  subsistant  incomplet,  n'ayant  point  par 
soi  l'être  spécifique;  par  conséquent  il  se  produit  en  cela  une  forme 
substantielle  complétant  son  existence  et  son  essence.  Mais  cela  a  été 
suffisamment  exclu  par  ce  qui  a  été  dit.  En  effet ,  tout  subsistant, 
quelque  incomplet  qu'il  soit,  est  séparé  quant  à  l'être  de  tout  autre 
subsistant.  Donc  comme  deux  formes  substantielles  constituent  deux 
subsistants,  ainsi  qu'on  l'a  montré,  il  s'ensuit  qu'aucune  des  deux  ne 
s'ajoute  à  l'autre  dans  le  même  individu  ,  mais  qu'elles  constituent 
deux  individus  séparés  quant  à  l'être.  Car  deux  subsistants,  quelque 
incomplets  qu'ils  soient,  sont  deux  individus  distincts.  Outre  cela,  les 
genres  ne  subsistent  que  clans  leurs  espèces.  Donc  l'être  subsistant, 
quelque  incomplet  qu'il  soit,  possède  l'être  spécifié,  et  par  conséquent 
l'essence  complète  ,  autant  qu'il  est  possible  suivant  son  degré.  Pour 
cette  raison,  certains  imaginent  une  autre  plaisanterie  et  disent, 
que  la  forme  substantielle  complète  parfaite  survenant  dans  une  chose 
subsistante  lui  donne  un  nouvel  être  de  subsistance ,  mais  l'être  qui 
existoit  d'abord  n'existe  plus ,  parce  qu'il  y  auroit  ainsi  deux  sub- 
sistances ,  et  ils  disent  en  conséquence  que  le  premier  être  s'altère 


tiale,  non  potest  esse  de  essentia  rei ,  quia 
tota  essentia  rei  intelligitur  ut  principium 
susceptivum  ipsius  esse,  comparatur  enim 
essentia  ad  esse,  sicut  potentia  ad  actum. 
Tota  ergo  essentia  rei  sive  substantia  prœ- 
intelligitur  ipsi  esse.  Non  ergo  quod  adve- 
nit  rei  subsistenti  est  de  essentia  rei,  erit 
ergo  per  accidens.  Istas  autem  rationes 
putant  quidam  fallaciter  infringere  di- 
cendo,  quod  aliquid  est  subsistens  comple- 
tum  in  esse  specifico,  et  omne  quod  ad- 
venit  tali  cum  habeat  esse  completum,  est 
extra  ejus  substantiam,  et  est  accidens  ip- 
sius. Aliquid  autem  est  subsistens  incom- 
pletum  non  habens  secundum  se  esse  spe- 
cificum;  et  ideo  sibi  advenit  forma  sub- 
stantialis  complens  ejus  existentiam  et 
ejus  essentiam.  Sed  istud  sufficienter  ex- 
clusum  est  per  prœdicta.  Omne  enim  sub- 
sistens quantumcumque  incompletum  Bit , 


separatur  secundum  esse  ab  alio  subsis- 
tente.  Cum  ergo  dua?  formae  substantiales 
constituant  duo  subsistentia  ,  ut  ostensum 
est  ,  sequitur  quod  neutra  alteri  advenit 
in  eodem  individuo,  sed  constituunt  duo 
individua  separata  secundum  esse.  Duo 
enim  subsistentia  quantumcumque  incom- 
pleta  sint,  sunt  duo  distincta  individua. 
Et  prœterea,  gênera  non  subsistunt,  nisi 
in  suis  speciebus.  Esse  ergo  subsistens 
quantumcumque  incompletum  sit ,  habet 
esse  specificatum  et  per  consequens  essen- 
tiam completam ,  quantum  possibile  est  se- 
cundum gradum  suum.  Propter  hoc  qui- 
dam adinveniunt  aliam  cavillationem  ,  di- 
cendo  quod  forma  substantialis  compléta 
perfecta  adveniens  rei  subsistenti ,  dat  ei 
novum  esse  subsistentia? ,  sed  non  manet 
esse  quod  prafuit,  quia  sic  essent  duee  sub- 
sistentia?, -et  ideo   dicunt ,  quod   primum 


SUR    LA    PLURALITÉ    DES   FORMES.  77 

dans  la  production  de  la  seconde  forme,  et  que  par  conséquent  il  n'y  a 
qu'un  seul  subsistant.  Mais  c'est  encore  plus  contraire  à  la  raison 
parce  que  l'être  par  soi  suit  la  forme  plus  immédiatement  même  que 
la  première  passion  ne  suit  son  objet  propre,  car  l'être  est  l'actualité 
de  la  forme.  Or,  ce  qui  par  soi  suit  quelque  chose  ne  peut  être  enlevé 
par  la  nature  tant  qu'il  y  a  subsistance.  D'où  il  suit  que  la  passion 
propre  ne  peut  être  séparée  par  la  nature  de  son  sujet,  tant  que  le 
sujet  persiste ,  quoique  peut-être  cela  puisse  arriver  par  miracle ,  ce 
qui  n'entre  pas  dans  notre  sujet.  Donc  toute  forme  qui  est  suivie  de  l'être 
ne  peut  le  perdre  sans  subir  une  destruction  radicale.  Outre  cela  ac- 
quérir l'être  n'est  pas  autre  chose  pour  une  forme  que  de  passer  à 
l'acte  ou  être  engendrée,  d'où  il  suit  qu'être  engendré  est  non-seule- 
ment la  voie  qui  mène  à  l'être ,  mais  encore  à  la  forme.  Car  la  forme 
est  le  terme  de  la  génération.  Donc  la  corruption  étant  opposée  à  la 
génération,  acquérir  l'être  pour  une  forme  n'est  autre  chose  qu'être 
détruite  ou  corrompue.  Cela  étant  bien  compris  ,  il  est  évident  que 
l'existence  de  deux  formes  substantielles  dans  un  individu  est  impos- 
sible. On  pourroit  déplus  en  déduire  les  inconvénients  évidents  qui  en 
résulteroient.  En  effet,  il  s'ensuit  d'abord  que  la  forme  que  l'on  sup- 
pose se  produire  dans  un  subsistant  et  être  substantielle,  est  substan- 
tielle, d'après  l'hypothèse,  et  n'est  pas  substantielle,  mais  acciden- 
telle, comme  on  l'a  montré  ;  et  ainsi  on  affirmeroit  d'elle  deux  choses 
contradictoires,  car  elle  sera  accident  et  non  accident,  substance  et 
non  substance;  il  suit  qu'elle  est  accident,  puisqu'on  suppose  qu'elle 
survient  dans  un  corps  constitué  dans  l'être  par  une  autre  forme.  De 
plus  encore,  si  la  forme  substantielle  est  accident,  si  d'un  autre  côté 
l'induction  de  la  forme  substantielle  est  simplement  une  génération 


esse  corrumpitur  iu  adventu  formai  se- 
cundee,  et  ideo  est  tantum  unum  subsistens. 
Sed  illud  est  magis  irrationale ,  quia  esse 
per  se  consequitur  formam  immediatius 
etiaiu  quam  prima  passio  suum  subjectum 
proprium  :  esse  enim  est  actualitas  formée, 
quod  autem  per  se  consequitur  aliquid , 
non  potest  auferri  per  naturam  ipso  ma- 
nente.  Unde  nec  propria  passio  potest  sé- 
parait per  naturam  a  suo  subjecto ,  dum 
subjectum  manet ,  licet  forte  per  miracu- 
lum  hoc  possit  fieri ,  quod  non  est  ad  pro- 
poQitum.  Non  ergo  forma  aliqua,  ad  quam 
sequitur  esse,  potest  illud  esse  amittere 
absque  sui  fundamenti  destructione.  Prae- 
terea,  nihil  aliud  -est  formam  acquirere 
esse,  quam  ipsam  ad  actum  produci  vel 
generari,  unde  generari  non  solum  est  via 
ad  esse,  sed  etiam  ad  formam.  Forma  enim 

Iest  terminus  generationis.  Ergo  cum  cor- 
ruptio  opponatur  generationi ,  nihil  aliud 


est  formam  acquirere  esse ,  quam  ipsam 
destrui  vel  corrumpi.  Istis  ergo  sufficienter 
intellectis  manifestum  est,  quod  impossi- 
bile  est  in  uno  individuo  esse  duas  formas 
substantiales.  Ulterius  etiam  possunt  con- 
cludi  manifestissima  inconvenientia  ex 
istis.  Statim  enim  sequitur  quod  forma 
quse  ponitur  advenire  subsistenti ,  et  esse 
substantialis,  est  substantialis  ex  hypothesi 
et  non  substantialis  ,  sed  accidentalis ,  ut 
ostensum  est  ;  et  ita  de  ipsa  dicentur  duo 
contradictoria.  Erit  enim  accidens  et  non 
accidens ,  substantia  et  non  substantia  ;  et 
praesertim  de  anima,  quee  ponitur  ab  om- 
nibus esse  substantia  ;  sequitur  quod  sit 
accidens ,  cum  ponatur  advenire  corpori 
constituto  in  esse  per  aliam  (ormam.  Ulte- 
rius etiam  si  forma  substantialis  sit  acci- 
dens, inductio  autem  forma?  substantialis 
sit  generatio  simpliciter ,  inductio  vero 
acidentis  sit  alteratio  ,  sequitur  quod  gène- 


78  OPUSCULE    XLIV. 

et  l'induction  de  l'accident  une  altération,  il  s'ensuit  que  la  généra- 
tion simplement  devient  altération  en  étendant  le  nom  d'altération  à 
la  production  de  tout  accident  par  lequel  peut  s'opérer  un  chan- 
gement d'individu  dans  une  chose ,  comme  on  dit  que  Sortes  sur  la 
place  publique  est  différent  de  Sortes  sur  le  théâtre.  Néanmoins  ce 
n'est  proprement  qu'une  altération  quant  à  la  qualité.  Ce  genre  de 
preuves  est  tiré  du  sentiment  d'Aristote  et  de  son  commentateur  dans 
la  plupart  de  ses  écrits,  et  dans  différents  passages  suivant  les  di- 
verses questions  qui  en  ont  été  extraites  et  prouvées.  Quant  à  ce  qui  a 
été  prouvé  d'abord  que  toute  forme  substantielle  constitue  une  chose 
réelle ,  c'est  tiré  du  livre  II  de  l'Ame,  aux  premières  pages  où  ce  Phi- 
losophe divise  la  substance  en  trois  choses,  savoir  :  la  matière,  la  forme 
et  le  composé;  la  matière  qui  par  soi  n'est  pas  quelque  chose  de  con- 
stitué, la  forme  par  laquelle  elle  acquiert  cette  qualité,  et  la  troisième 
chose  qui  provient  des  deux  autres,  savoir  un  être  constitué.  C'est  ce 
qui  fait  dire  au  commentateur ,  que  toutes  les  choses  desquelles  se 
dit  la  substance  se  présentent  sous  trois  modes,  dont  l'un  est  qu'il  y 
ait  la  matière  première ,  qui  n'est  point  formée  par  elle-même ,  ni 
quelque  chose  par  soi  en  acte.  Le  second  est  la  forme  par  laquelle  se 
constitue  tel  individu  ;  le  troisième  est  ce  qui  résulte  des  deux  autres. 
Le  commentateur  pense  donc  que  la  substance  ne  se  dit  que  de  la 
forme  par  le  moyen  de  laquelle  une  chose  est  un  individu ,  laquelle 
chose  est  dite  formée  des  deux  autres,  savoir  de  telle  forme  et  de  telle 
matière,  mais  non  de  ces  deux  choses  et  d'une  antre  forme  quelcon- 
que. Car  cette  division  d'Aristote  à  l'égard  de  la  substance  seroit  in- 
suffisante surtout  pour  ses  conclusions  relativement  àl'ame,  s'il  y 
avoit  une  forme  qui  constitueroit  un  individu  et  une  autre  qui  ne  le 
constitueroit  point,  à  moins  qu'il  ne  l'eût  mis  dans  sa  division.  Par 


ratio  simpliciter  fit  alteratio  extendendo 
nomen  alterationis  ad  productionem  cu- 
juslibet  accidentis ,  pênes  quod  potest  at- 
tendi  aliqua  alteritas  in  re,  sicut  Sortes  in 
foro  dicitur  alter  a  seipso  intheatro;  pro- 
prie tamen  alteratio  est  secundum  quali- 
tatem.  Sumpta  est  autem  ista  via  probandi 
propositum  a  sententia  Philosophi  et  sui 
commentarios  in  plerisque  locis  et  diversis 
quantum  ad  diversa  quee  assumpta  sunt 
et  prubata.  Quod  enim^primo  probatum 
est,  quod  omnis  forma  substantialis  con- 
stituit  hoc  aliquid ,  hoc  acceptum  est  a 
principio  II.  De  anima,  ubi  dividit  Philo- 
sophus  substantiam  in  tria,  scilicet  mate- 
riam,  formam  et  compositum.  In  mate- 
riam  quidem ,  quae  secundum  se  non  est 
hoc  aliquid  ;  et  formam  secundum  quam 
jarn  est  hoc  aliquid  ,  et  tertimn  quod  est 
ex  his,  scilicet  hoc  aliquid.   Unde  dicit 


Commentator,  quod  omnia  de  quibus  di- 
citur substantia  ,  sunt  tribus  modis  ,  quo- 
rum unus  est ,  ut  sit  materia  prima  ,  quœ 
per  se  non  est  formata ,  nec  aliquid  per  se 
in  actu.  Secundum  autem  est  forma  per 
quam  habet  esse  hoc  individuum.  Tertium 
autem  est,  quod  fit  ex  istis  ambobus.  Yult 
ergo  Commentator ,  quod  substantia  non 
dicitur  de  aliqua  forma ,  nisi  de  illa  per 
quam  individuum  est  hoc  aliquid ,  quod 
quidem  hoc  aliquid  dicitur  fieri  ex  istis 
ambobus,  scilicet  forma  et  materia  tali,  et 
non  dicitur  ipsum  fieri  ex  istis  ambobus  et 
aliqua  alia  forma.  Insufliciens  enim  esset 
haec  divisio  Philosophi  de  substantia ,  ma- 
xime ad  propositum  suum  concludendum 
de  anima,  si  esset  aliqua  forma  quœ  con- 
stitueret  hoc  aliquid,  et  aliqu;e  quœ  non 
constitueret  hoc  aliquid ,  nisi  hoc  poneret 
in  sua  divisione.  Gonsequenter  Commen- 


SUR  LA   PLURALITÉ   DES    FORMES.  79 

conséquent  le  commentateur  le  met  expressément  dans  le  même  en- 
droit. Car  pour  montrer  que  l'ame  est  une  substance  qui  est  une  forme, 
il  se  sert,  pour  le  prouver,  de  ce  que  la  forme  substantielle  diffère  de 
l'accident  en  cela  que  le  sujet  de  l'accident  est  composé  de  matière  et 
de  forme,  et  est  quelque  chose  d'existant  en  acte  qui  n'a  pas  besoin 
d'accident  dans  son  être;  tandis  que  le  sujet  de  la  forme  substantielle 
n'a  l'être  en  acte  que  par  cette  forme,  et  a  besoin  de  forme  pour  être 
en  acte;  et  ensuite  dans  quelques  intercallations,  il  dit  que  les  formes 
naturelles  sont  des  substances,  parce  que  par  leur  ablation  se  perd 
aussi  le  nom  qui  détermine  l'être,  en  tant  qu'il  est  un  individu  de 
substance ,  et  par  la  même  la  définition  qui  se  fait  suivant  ce  nom, 
parce  que  le  genre  et  la  différence  sont  ôtés,  et  il  ne  reste  rien  qui  soit 
un  individu,  et  cela  est  évident  au  dernier  point,  comme  il  le  dit  dans 
les  formes  des  choses  simples,  puisque  la  forme  enlevée  il  ne  reste 
plus  rien.  Il  faut  remarquer  sur  ces  paroles  du  commentateur  que, 
quoiqu'il  ne  soit  pas  aussi  évident  pour  l'ame  que  pour  les  autres 
formes  que  son  sujet  n'est  quelque  chose  en  acte  que  par  Famé,  et 
que  l'ame  étant  enlevée  il  ne  reste  plus  rien  dans  la  matière,  il  fait 
néanmoins  servir  tout  cela  à  opérer  une  connoissance  spéciale  de 
l'ame,  comme  on  le  voit  clairement  par  son  procédé.  Il  admet  que  l'ame 
est  la  première  perfection  du  corps ,  comme  il  le  dit  lui-même  en 
définissant  l'ame,  et  il  suit  de  là  qu'il  n'y  point  de  forme  antérieure 
constitutive  du  corps.  Car  s'il  y  avoit  un  acte  antérieur,  le  sujet  de 
l'ame  seroit  composé  de  matière  et  de  forme  et  ainsi  l'ame  seroit  un 
accident,  suivant  la  différence  qu'il  a  assignée  précédemment  entre  la 
substance  et  l'accident,  et  le  corps  n'auroitpas  l'être  par  le  moyen  de 
l'ame.  Cela  étant  impossible ,  il  ne  reste  plus  qu'à  dire  qu'elle  est  la 
première  perfection  du  corps,  de  telle  sorte  qu'il  n'y  en  a  point  d'an- 


tator  in  eodem  loco  hoc  ponit  expressius. 
Volens  enim  ostendere  quod  anima  sit  sub- 
stantia  quœ  est  forma,  accipit  ad  ejus  pro- 
bationem  quod  forma  substantialis  in  hoc 
differt  ab  accidente  ,  quod  subjectum  ac- 
cidentis  est  compositum  ex  materia  et  for- 
ma, et  est  aliquid  existens  in  actu ,  quod 
non  indiget  in  suo  esse  accidente  ;  subjec- 
tum autern  formée  substantialis  non  habet 
esse  actu  nisi  per  illam  formam,  et  indiget 
forma  ut  sit  actu,  et  postea  in  quibusdam 
interpositis  dicit ,  quod  forma?  naturales 
sunt  substantiae,  quia  cum  fuerint  ablatae, 
aufertur  nomen  quod  demonstrat  ens  se- 
cundum  quod  est  individuum  substantiae, 
et  similiter  diffinitio,  quae  fit  secundum 
illud  nomen,  quia  auferuntur  genus  et 
differentia ,  et  nihil  remanet  quod  sit  ali- 
quod  individuum  ,  et  hoc  valde  manifes- 
tatur,  ut  dicit  in  formis  rerum   simpli- 


cium,  quoniam  cum  forma  fuerit  ablata, 
nihil  remanet.  Circa  ista  verba  Commen- 
tatoris  considerandum  est,  quod  quamvis 
non  sit  ita  manifestum  de  anima,  sicut  de 
aliis  formis,  quod  subjectum  ejus  non  sit 
aliquid  actu  nisi  per  animam,  et  quod  ipsa 
ablata  nihil  remaneat  in  materia ,  tamen 
omnia  ista  adducit  ad  habendum  cogni- 
tionem  de  anima  specialiter,  ut  patet  ex 
processu  suo.  Accipit  enim  quod  anima  est 
prima  perfectio  corporis  ,  sicut  ipse  dicit 
in  diffiniendo*  animam,  et  ex  hoc  sequitur, 
quod  non  sit  aliqua  forma  prior,  per  quam 
sit  corpus.  Si  enim  esset  aliquis  actus 
prior,  subjectum  animœ  esset  compositum 
ex  materia  et  forma ,  et  ita  anima  esset 
accidens  secundum  differentiam  quam  prius 
assignavit  inter  substantiam  et  accidens, 
nec  habcret  corpus  esse  per  animam  ;  quod 
cum  sit  impossihile ,  relinquitur  quod  sit 


80  OPUSCULE   XLIV. 

térieure  dans  le  corps  et  que  son  sujet  n'a  d'être  que  par  elle  et  a 
besoin  de  l'ame  pour  être  en  acte.  Le  même  commentateur  le  dit  en- 
core plus  expressément  sur  la  fin  du  livre  VIII  de  la  Métaph.,  que  le 
corps  et  l'ame  ne  sont  pas  deux  choses  diverses,  et  que  le  corps 
n'existe  pas  sans  l'ame.  Le  commentateur  prétend  donc  que,  en  gé- 
néral ,  le  sujet  de  toute  forme  substantielle  ne  devient  en  acte,  sous 
tous  les  rapports,  que  par  le  moyen  de  cette  forme,  et  il  prouve  spé- 
cialement cela  pour  la  substance  de  l'ame ,  et  il  faut  bien  le  remar- 
quer, parce  qu'il  y  en  a  qui  le  nient  formellement  du  sujet  de  l'ame. 
Quant  à  ce  que  nous  avons  conclu  plus  haut  que  tout  ce  qui  survient 
à  une  chose  à  la  suite  d'une  forme  substantielle  est  accident,  le  com- 
mentateur le  dit  assez.  En  effet,  il  dit  dans  le  livre  Ier  de  la  Physique, 
que  si  la  matière  avoit  une  forme  substantielle  qui  lui  fût  propre,  elle 
n'en  pourroit  recevoir  une  autre  tant  que  la  première  subsisteroit, 
mais  se  corromproit  aussitôt  qu'une  autre  seroit  produite ,  et  peu 
après  il  dit,  que  si  elle  avoit  une  autre  forme ,  ou  ce  seroit  des  acci- 
dents de  la  forme,  ou  une  forme  de  la  forme.  Toutes  ces  choses  ne  s'en- 
suivroient  pas  s'il  y  avoit  quelque  forme  qui  pût  recevoir  immédiate- 
ment une  autre.  Si,  en  effet,  il  y  avoit  une  telle  matière  propre,  se- 
roit-elle  même  de  la  substance  de  la  matière,  elle  ne  devroit  pas  se 
corrompre  par  l'apparition  d'une  autre  forme,  mais  elle  en  seroit 
plutôt  perfectionnée,  et  la  forme  qui  surviendroit  ne  devroit  pas  non 
plus  être  un  accident.  Or,  pour  que  ces  paroles  soient  vraies  ,  il  faut 
qu'il  n'y  ait  point  de  forme  qui  ne  constitue  pas  un  individu,  de  sorte 
que  toute  forme  qui  survient  soit  accident.  C'est  pour  cela  que  les  an- 
ciens, supposant  que  le  principe  matériel  est  un  corps  ,  le  feu,  par 
exemple,  ou  l'air,  ont  dit  qu'il  falloit  admettre  comme  une  consé- 
quence nécessaire,  que  toutes  les  formes  étoient  des  accidents.  C'est 


quence 

prima  perfectio  corporis,  ita  quod  nulla 
sit  prior  in  corpore ,  et  quod  subjectum 
ejus  nullum  esse  habeat  nisi  per  ipsam, 
sed  indigeat  anima,  ut  sit  in  actu  ;  et  hoc 
magis  expresse  dicit  idem  Commentator  in 
V11I.  Metoph.,  in  fine  ,  quod  corpus  et  ani- 
ma non  est  duo  diversa  et  corpus  non  exis- 
tit  sine  anima.  Vult  ergo  Commentator, 
quod  universaliter  subjectum  cujuslibet 
formée  substantialis ,  nihil  sit  in  actu  nisi 
per  illam  formam  ,  et  speciaiiter  hoc  pro- 
bat  de  substantia  animée,  et  hoc  bene  con- 
siderandum  est,  quia  hoc  de  subjecto  ani- 
mée ab  aliquibus  preecipue  negatur.  Quod 
autem  conclusum  est  superius,  quod  omne 
quod  rai  advenit  post  quamcumque  for- 
mam substantialem,  sit  accidens  hoc  satis 
dicit  Commentator.  Dicit  enim  I.  Phjsic, 
quod  si  materia  haberet  aliquarn  formam 
substantialem  sibi  propriam,  nullam  aliarn 


reciperet  ipsa  pressente  ,  sed  statim  cor- 
rumperetur,  quam  cito  alia  generaretur. 
Et  paulo  post  dicit  ,  quod  si  haberet  ali- 
quarn formam  vel  formée  essent  accidentia 
vel  formée  esset  forma;  ista  autem  non 
sequerentur,  si  esset  aliqua  forma  quee  pos- 
set  aliam  formam  immédiate  super  se  re- 
cipere.  Si  enim  esset  aliqua  talis  propria 
materia,  etiamsi  esset  de  substantia  mate- 
rias ,  non  oporteret  eam  corrunipi  in  ad- 
ventu  alterius  formée  ,  sed  potius  periîce- 
retur  ;  nec  etiam  oporteret  formam  super- 
venientem  esse  accidens.  Ad  hoc  autem, 
ut  dictum  suum  habeat  veritatem,  oportet 
quod  nulla  forma  sit  quee  non  constituât 
hoc  aliquid ,  ita  quod  omnis  forma  adve- 
niens  sit  accidens.  Et  propter  hoc  antiqui 
ponentes  principium  materiale  esse  corpus 
aliquod,  puta  ignem  aut  aerem  ,  dixerunt 
tanquam    necessarium    suum   consequens 


SLR  LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  81 

ce  qui  fait  dire  au  commentateur,  dans  le  livre  III  de  la  Plrys.,  que 
si  les  formes  des  éléments  restoient  en  acte  différentes  des  autres 
formes ,  il  faudroit  nécessairement  qu'aucun  être  ne  fût  produit  par 
elles  avec  une  diversité  dans  la  forme  substantielle ,  mais  seulement 
dans  les  accidents.  Pour  ce  qui  est  de  la  conclusion  qu'on  a  tirée  plus 
haut  relativement  à  l'ame  qu'elle  seroit  un  accident  si  elle  s'ajoutoit 
à  une  autre  forme,  cela  se  déduit  assez  des  paroles  du  commentateur 
déjà  citées  au  livre  II  de  l'Ame.  Quant  à  la  conclusion  ultérieure,  que 
la  génération  seroit  une  altération,  on  peut  le  tirer  assez  au  long  des 
paroles  d'Aristote.  Il  dit ,  en  effet,  dans  le  Ie*  livre  de  la  Génération, 
donnant  son  opinion,  qu'il  faut  généralement  traiter  de  la  génération, 
de  la  corruption ,  de  l'altération  et  des  autres  transmutations.  Et  il 
faut  noter  qu'il  le  dit  d'une  manière  générale,  pour  qu'on  ne  dise  pas 
que  les  choses  qui  suivent  ne  s'étendent  pas  à  toutes  les  choses  géné- 
râmes, mais  bien  à  quelques-unes;  et  il  ajoute  immédiatement  après 
que  tous  ceux  qui  ont  pensé  que  tout  provient  d'un  principe  matériel, 
qui  est  un  corps,  comme  l'air  ou  le  feu ,  doivent  nécessairement  ad- 
mettre que  la  génération  est  une  altération  et  que  ce  qui  est  généré 
d'abord  n'est  ensuite  qu'altéré ,  et  il  en  donne  ensuite  la  cause  en  di- 
sant :  «  suivant  eux,  en  effet,  il  reste  toujours  un  et  même  sujet  en 
acte,  et  nous  disons  qu'un  tel  sujet  s'altère.  »  D'où  se  montrant  consé- 
quents avec  leurs  principes  ils  disoient  que  la  génération  n'est  autre 
chose  que  l'altération,  comme  il  est  dit  au  même  endroit.  Aristote 
estime  donc  que  dans  toute  transmutation  où  il  reste  un  sujet  en  acte, 
cette  transmutation  est  une  altération,  et  si  l'on  prétend  que  cette 
transmutation  est  une  génération ,  la  génération  est  appelée  altéra- 
tion. C'est  encore  rendu  évident  par  le  procédé  suivant  d'une  manière 
plus  expresse  ,  parce  qu'il  suit  de  là  qu'il  s'agit  généralement  de  la 

poni ,  quod  omnes  formse  essent  acciden- 
tia.  Unde  Commentator  in  III.  Phys.  dixit, 
quod  si  formae  elemeutorum  remarièrent 
in  actu  différentes  ab  aliis  formis,  necesse 
esset  ut  nullum  ens  generaretur  ab  eis  di- 
versum  in  forma  substantiali,  sed  tantum 
in  accidentibus.  Quod  autem  conclusum 
est  superius  de  anima,  quod  ipsa  esset  ae- 
cidens  si  adveniret  alieui  formae,  hoc  satis 
habetur  ex  verbis  Commentatoris  jam 
dictis,  II.  De  Anima.  Quod  autem  ulterius 
concludebatur ,  quod  generatio  esset  alte- 
ratio, satis  diffuse  diffamari  potest  ex  ver- 
bis  Pbilosophi.  Dicit  enim  I.  De  générât., 
dans  intentionem  suam,  quod  universaliter 
determinandum  est  de  generatioue,  et  cor- 
ruptione,  et  alteratione  ,  et  caeteris  trans- 
mutationibus.  Ubi  notandum  quod  hoc  di- 
cit universaliter,  ne  quis  dicat  quod  quœ 
sequuntur  non  se  extendant  ad  omnia  ge- 


V. 


nerabilia,  sed  ad  quœdam;  et  cito  post 
subjungit,  quod  quicumque  putaverunt 
omnia  ex  uno  aliquo  principio  materiali, 
quod  sit  corpus,  puta  ignis  vel  aer,  necesse 
habebant  ponere  generationem  alteratio- 
nem  esse ,  et  quod  prius  generatur  solum 
alterari,  cujus  causam  assignat  postea  di- 
cens  :  «  Semper  enim  manet  secundum 
eos,  unum  et  idem  subjectum  in  actu, 
taie  autem  alterari  dicimus.  »  Unde  ipsi 
ponentes  consequenter  suis  principiis  ge- 
nerationem nil  aliud  esse  dicebant ,  quam 
alterationem,  ut  ibidem  dicitur.  Vult  ergo 
Philosophus,  quod  in  quacumque  trans- 
mutatione  manet  subjectum  aliquod  in 
actu,  illa  transmutatio  est  alteratio  ;  et  si 
ponatur  quod  illa  transmutatio  est  gene- 
ratio, generatio  dicitur  alteratio.  Istud  pa- 
tet  etiam  ex  processu  sequenti  magis  ex- 
presse, quia  sequitur  ibi  universaliter  ergo 

6 


§2  OPUSCULE   XLIV. 

génération  et  de  la  corruption  de  ce  qui  est  simple.  Il  donne ,  en 
effet  la  raison  pourquoi  on  a  parlé  en  général  de  toute  génération,  en 
disant  que  Platon  n'a  pas  traité  la  question  d'une  manière  suffisante  ; 
car  il  n'a  point  étendu  ses  recherches  à  toute  génération  et  corrup- 
tion mais  seulement  à  celle  des  éléments.  Les  paroles  d'Aristote 
montrent  donc  clairement  que  ce  qu'il  a  dit  de  la  génération  appar- 
tient généralement  à  la  génération  de  toute  substance.  D'un  autre 
côté  il  a  expliqué  dans  le  même  endroit  d'une  manière  évidente  son 
sentiment  personnel,  que  ce  d'où  proviennent  la  génération  ou  la 
corruption  n'est  qu'une  substance  en  puissance,  sans  rien  être  ni 
en  quiddité,  ni  en  quantité,  ni  en  qualité,  et  ainsi  du  reste.  Or,  une 
telle  chose  n'est  que  la  matière  conçue  sans  aucune  forme,  et  il  faut 
par  conséquent,  dans  l'opinion  de  ce  Philosophe,  qu'il  ne  reste  dans 
ce  qui  produit  la  génération  aucune  forme  dans  la  génération,  ni  sub- 
stantielle, ni  accidentelle.  Car  ce  qui  reste  est  ce  qui  produit  la  géné- 
ration. C'est  pourquoi  il  enseigne  que  ce  qui  produit  la  génération 
est  un  non-être ,  et  que  ce  n'est  pas  un  des  contraires ,  mais  la  ma- 
tière, et  par  suite,  dans  les  substances  la  génération  d'une  chose  est 
la  corruption  de  l'autre  et  réciproquement.  C'est  ce  qui  lui  fait  dire 
que  rien  dans  la  génération  ne  demeure  en  acte ,  ce  qui  est  évident 
d'après  les  conséquents ,  car  en  assignant  logiquement  la  différence 
entre  la  génération  et  l'altération  ,  il  dit  que  l'altération  se  produit 
lorsque,  la  substance  sensible  persistant ,  il  se  fait  une  transmutation 
dans  les  passions,  comme  par  exemple ,  quand  un  corps  sain  devient 
quelque  chose  de  languissant  en  restant  le  même,  quand,  au  con- 
traire ,  il  s'opère  une  transmutation  du  tout ,  sans  qu'il  reste  rien  de 
sensible  dans  le  même  sujet,  comme  toute  la  semence  est  employée  à 
la  formation  de  l'animal ,  comme  l'air  se  forme  de  l'eau  ,  c'est  alors 


de  generatione  et  corruptione  simplicis. 
Assignat  enim  causam,  quare  universaliter 
sit  dictum  de  generatione  omni ,  dicens 
quod  Plato  insufficienter  determinavit  de 
eis.  Non  enim  scrutatus  est  de  omni  gene- 
ratione et  corruptione ,  sed  de  ea  quae  est 
elementorum.  Ex  vertus  ergo  Philosopha 
patet,  quod  ea  quae  ibi  determinavit  de 
generatione,  sunt  universaliter  ad  genera- 
tionem  cujuslibet  substantiœ  pertinentia. 
Ibi  autem  secundum  sententiam  propriam 
determinavit  manifeste,  quod  id  ex  quo 
est  generatio ,  et  id  ex  quo  est  corruptio , 
est  substantia  in  potentia  tantum ,  nec  est 
actu  quid,  nec  quantum,  nec  quale  ,  et  sic 
de  aliis.  Taie  autem  non  est  aliquid,  nisi 
materia  intellecta  sine  forma  omni,  et  ideo 
oportet  per  inventionem  Philosophi ,  quod 
in  illo  ex  quo  generatio  est ,  nulla  forma 


remanet  apud  generationem  ,  nec  substan- 
tialis ,  nec  accidentalis.  Illud  enim  quod 
manet  est  illud  ex  quo  est  generatio.  Unde 
vult,  quod  illud  ex  quo  est  generatio ,  est 
non  ens,  et  quod  illud  non  est  alterum  con- 
trariorum,  sed  mnteria,  et  ideo  semper  in 
substantiis ,  nnius  generatio  est  alterius 
corruptio,  et  e  contrario.  Unde  dicit,  quod 
nihil  actu  manet  apud  generationem  et 
quod  patet  ex  consequentibus ,  quia  con- 
sequenler  assignans  differeutiam  inter  ge- 
nerationem et  alterationem,  dicit  quod  al- 
leratio  est  quando  manente  substantia  sen- 
sibili,  fit  transmutatio  in  passionibus,  puta 
quando  corpus  sanum  fit  languidum  unum 
et  idem  manens;  quando  autem  totum 
transmutatur  non  manente  aliquo  sensibili 
in  eodem  subjecto,  sicut  ex  semine  toto  fit 
animal,  et  ex  aqua  acr  ,  tune  est  ejus  ge- 


SUR   LA   PLURALITÉ    DES    FORMES.  83 

une  génération  d'une  chose  et  la  corruption  d'une  autre,  et  il  ajoute  en 
propres  termes  :  quand  il  ne  reste  rien  dont  l'autre  chose  soit  la  pas- 
sion ,  ou  l'accident ,  ou  la  génération  et  la  corruption ,  c'est  propre- 
ment la  matière  et  surtout  un  sujet  susceptible  de  génération  et  de 
corruption.  On  voit  d'après  ce  procédé,  et  surtout  suivant  le  sentiment 
d'Aristote,  que  jamais  dans  une  génération  quelconque  une  forme  ne 
se  produit  dans  un  sujet  existant  en  acte  par  le  moyen  de  la  première 
forme  qui  subsiste,  mais  qu'il  faut  qu'une  forme  soit  dépouillée  quand 
l'autre  est  revêtue,  et  que  la  matière  seule  soit  sujet,  autrement  la 
génération  seroit  une  corruption.  Or,  on  peut  montrer  que  c'est  bien 
là  le  sentiment  d'Aristote,  en  considérant  comment ,  au  livre  V  de  la 
Phys.,  il  établit  que  la  génération  n'est  pas  un  mouvement  parla 
raison  que  ce  qui  n'est  pas  généré  n'est  pas  un  être.  Il  distingue  ,  en 
effet,  d'abord  le  non-être  en  disant,  que  tout  changement  se  fait  de 
sujet  à  sujet,  ou  de  sujet  à  non-sujet,  ou  de  non-sujet  à  sujet,  et  que 
le  non-sujet  ou  le  non-être  se  dit  de  deux  manières,  Y  une  simpliciter, 
l'autre  secundum  quid,  afin  que  l'on  voie  mieux  de  quel  être  il  parle, 
ou  lequel  il  a  en  vue,  et  parmi  les  autres  modes  il  met  le  non-être 
pour  ce  qui  n'est  pas  en  acte.  D'où  il  est  évident  qu'il  ne  peut  pas  être 
mû,  et  il  raisonne  ainsi  :  ce  qui  n'est  pas  quelque  chose  en  acte,  mais 
simplement  un  non-être  ,  ne  reçoit  pas  le  mouvement.  Or,  ce  qui  est 
généré  est  simplement  un  non-être  ,  donc  ce  qui  est  généré  ne  reçoit 
pas  de  mouvement,  et  par  conséquent  la  génération  n'est  pas  un  mou- 
vement. Pour  que  cette  raison  soit  bonne  il  faut  que  ce  qui  estgénéré 
soit  simplement  un  non-être  de  manière  qu'il  ne  soit  pas  mobile.  Mais 
s'il  étoit  un  être  par  quelque  forme  quelque  imparfaite  qu'elle  fût, 
qui  constituerait  un  corps,  ce  seroit  en  quelque  manière  un  être  qui 
pourrait  recevoir  le  mouvement,  quoique  n'étant  pas  dans  une  espèce 


neratio  et  alterius  corruptio,  et  addit  ex- 
presse postea  sic.  Quando  nihil  manet,  cu- 
jus  alterum  sit  passio,  vel  accidens ,  vel  ge- 
neratio ,  et  corruptio  est  mateiïa  proprie, 
et  maxime  subjectum  generationis  et  cor- 
ruptionis  susceptibile.  Ex  isto  processu  ha- 
betur  maxime  secundum  sententiam  Phi- 
losophi ,  quod  nunquam  in  generatione 
aliqua  una  forma  advenit  alicui  subjecto 
existenti  in  actu  per  priorem  formam  quœ 
remanet,  sed  oportet  cum  inductione  unius 
esse  abjectionem  alterius  ,  et  solam  mate- 
riam  esse  subjectum ,  alioquin  generatio 
esset  alteratio.  Istud  autem  potest  ostendi 
esse  de  mente  Philosophi ,  si  consideremus 
quomodo  V.  Phys.,  ostendit  generationem 
non  esse  motum  propter  hoc  quod  illud 
quod  generatur  non  est  ens.  Distinguit 
enim  primo  non  ens  :  dicens  ,  quod  omnis 
mutatio  est  de  subjecto  in  subjecum  ,  vel 


de  subjecto  in  non  subjectum,  vel  de  non 
subjecto  in  subjectum ,  et  quod  non  sub- 
jectum sive  non  ens  dicitur  dupliciter, 
uno  modo  simpliciter,  alio  modo  secun- 
dum quid,  ut  apparet  magis  de  quo  ente 
dicat  vel  intendat,  et  inter  alios  modos  ac- 
cipit  non  ens,  quod  nihil  est  in  actu.  Unde 
manifestum  est  quod  non  potest  moveri , 
et  ex  hoc  sic  arguit.  Illud  quod  non  est 
aliquid  in  actu ,  sed  simpliciter  non  ens  , 
non  movetur  ;  quod  autem  generatur  est 
non  ens  simpliciter.  Ergo  quod  generatur 
non  movetur ,  et  per  consequens  generatio 
non  est  motus.  Ad  hoc  autem  quod  illa 
ratio  valeat  oportet  quod  illud  quod  gene- 
ratur sit  non  ens  simpliciter  sic  ut  non  sit 
mobile.  Si  autem  esset  ens  per  aliquam 
formam  quantumcumque  imperfectam,  quae 
constitueret  corpus,  jam  esset  aliquo  modo 
ens,  sic  ut  moveri  posset ,  licet  non  esset 


84  OPUSCULE   XLIV. 

complète.  Il  faut  donc  que  ce  qui  est  généré  n'ait  pas  de  forme  dans  la 
matière,  de  façon  qu'il  soit  simplement  un  non-être,  et  il  ne  restera 
ainsi  que  de  la  matière  dans  la  génération  sans  aucune  forme  de  ce 
qui  est  généré;  et  pour  mettre  cela  dans  un  plus  grand  jour,  j'écar- 
terai la  futilité  qui,  suivant  quelques  philosophes,  semble  mettre  obs- 
tacle à  cet  ordre  de  choses.  Il  y  en  a  qui  disent  qu'Aristote  n'entend 
pas  dire  que  ce  qui  persiste  dans  la  génération  est  simplement  un 
non-être  ;  mais  que  ce  qui  est  ainsi  généré  est  simplement  un  non-être 
en  acte.  Quoique  parfois  un  corps  persistant  soit  préexistant  à  la  gé- 
nération et  soit  perfectionné  par  elle  ;  néanmoins  ce  corps  préexistant 
n'est  pas  le  corps  qui  est  généré,  sinon  en  puissance ,  mais  étant  gé- 
néré il  est  en  acte  par  le  moyen  du  composé  provenant  du  sujet 
préexistant,  et  la  forme  se  produit  par  la  génération.  Tout  cela  n'est 
rien;  parce  qu'à  le  bien  considérer,  il  n'y  a  pas  de  différence  pour 
notre  proposition,  à  dire  dans  le  sens  d'Aristote,  que  le  sujet  de  la 
génération  est  simplement  un  non-être,  ou  à  s'exprimer  de  la  troisième 
manière ,  ou  à  énoncer  que  le  susceptif  de  la  forme  qui  persiste  dans 
la  génération  est  simplement  un  non-être,  parce  que,  quoi  que  l'on 
dise,  la  raison  que  l'on  donne,  pour  être  bonne ,  doit  procéder  de  la 
non-entité  de  ce  qui  persiste.  Car  la  raison  ne  peut  point  procéder  du 
non-être  généré  suivant  cette  forme  seule  qui  est  revêtue  par  la  gé- 
nération ,  de  façon  à  être  conçu  non-être  par  la  seule  raison  qu'il  en 
est  privé,  et  qu'il  soit  un  être  par  une  autre  forme.  Il  en  est  ainsi,  en 
effet,  dans  tout  mouvement,  que  tout  ce  qui  est  produit ,  ne  l'est  pas 
encore  par  la  forme ,  qui  est  le  terme  du  mouvement.  Par  exemple, 
lorsqu'un  homme  devient  sain,  il  n'est  pas  sain  tant  que  s'opère  le 
mouvement  qui  le  porte  à  la  santé,  parce  que  la  sauté,  qui  est  le  terme 
du  mouvement,  fait  défaut;  mais  néanmoins  cette  non-entité  ne  suffit 


in  specie  compléta.  Oportet  ergo ,  quod 
ipsius  quod  generatur ,  nulla  sit  forma  in 
materia,  ut  sic  sit  simpliciter  non  ens  ,  et 
ite  sola  materia  remanebit  apud  genera- 
tionem,  et  nulla  forma  ejus  quod  genera- 
tur. Et  ut  istud  manifestius  appareat,  ex- 
cludam  cavillationem  quae  istum  proces- 
sum  impedire  videtur  secundum  quosdam. 
Dicunt  enim  aliqui,  quod  ratio  Philosophi 
non  accipit ,  quod  illud  quod  remanet  in 
generatione ,  sit  simpliciter  non  ens,  sed 
quod  illud  quod  generatur  sic  ,  sit  simpli- 
citer non  eus  actu.  Licet  autem  praeexistat 
generationi  quandoque  quoddam  corpus 
quod  manet  et  per  generationem  perfici- 
tur  ;  tamen  illud  corpus  prseexistens  non 
est  illud  corpus  quod  generatur  ,  nisi  po- 
tentia  tantum  ;  generatum  autem  actu  est 
per  ipsum  compositum  ex  praeexistente 
subjecto,  et  forma  per  generationem.  Sed 


ista  verba  vana  sunt ,  quia  si  recte  consi- 
deremus,  non  differt  quantum  ad  proposi- 
tum ,  utrum  accipiatur  in  ratione  Philo- 
sophi, quod  subjectum  generationis  sit  non 
ens  simpliciter,  vel  tertio  modo,  vel  quod 
illud  susceptivum  forma? ,  quod  manet 
apud  generationem,  sit  non  ens  simpliciter 
quia  quodcumque  dicatur  ,  oportet  quod 
ratio  ad  hoc  quod  valeat,  procédât  ex  non 
entitate  ejus  quod  manet.  Non  enim  po- 
test  ratio  procedere  ex  non  ente  generato , 
secundum  illam  formam  solam  ,  quae  in- 
ducitur  per  generationem ,  ut  intelligatur 
non  ens  solum  propter  carentiam  illius,  ita 
quod  sit  ens  per  aliam  formam.  Sic  enim 
est  in  omni  motu,  quod  id  quod  produci- 
tur ,  nondum  est  per  formam  ,  quae  est 
terminus  motus.  Puta  cum.  sit  homo  sanus, 
dum  movetur  ad  sanitatem,  non  est  sanus, 
quia  déficit  sanitas  quae  est  terminus  mo- 


SUR  LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  85 

pas  pour  montrer  que  la  guérison  n'est  pas  un  mouvement ,  par  la 
raison  que  le  susceptif  de  la  santé ,  qui  persiste  dans  la  guérison ,  est 
un  être  susceptible  de  mouvement ,  puisque  c'est  un  homme.  Donc 
une  telle  non-entité  ne  fait  pas  que  la  transmutation,  qui  lui  esf  con- 
tingente, ne  soit  pas  un  mouvement.  La  raison  d'Aristote  est  donc 
tirée  de  l'être  généré  simplement  lequel  n'a  rien  en  acte  qui  persiste 
dans  la  génération  ,  c'est  ce  qui  résulte  du  texte  même  de  ce  Philo- 
sophe ;  car  il  dit  qu'il  y  a  quelque  chose  non-être ,  ou  non-blanc  ou 
non-sain  à  qui  il  arrive  de  se  mouvoir  par  accident ,  l'homme  par 
exemple.  Pour  ce  qui  est  simplement  un  non-être  en  acte ,  ou  non 
quelque  chose,  ce  n'est  jamais  dans  le  cas  de  recevoir  le  mouvement. 
Or  il  dit  cela  pour  montrer  que  sa  raison  ne  procède  pas  d'un  non- 
être  tel  qu'il  est  sous  un  rapport  quelque  chose  en  acte,  quoique  sous 
un  autre  rapport  il  soit  un  non-être  ,  autrement  sa  raison  seroit  de 
nulle  valeur.  Si,  en  effet,  il  restoit  quelque  corps  dans  la  génération, 
ce  seroit  un  être  dans  une  disposition  passive  au  mouvement.  Quant  à 
la  considération  rationnelle  que  ce  qui  est  engendré  n'est  pas  dans 
une  espèce  complète  avant  sa  génération,  mais  encore  que  son  acte 
n'est  en  aucune  manière  ce  qui  persiste  dans  la  génération  ,  cela  est 
vrai,  et  cela  n'est  rien  en  acte ,  mais  doit  être  soumis  à  la  génération 
par  la  seule  matière.  Et  c'est  ce  que  le  commentateur  dit  au  même 
endroit,  que  l'être  de  la  matière  n'étant  pas  adjoint  en  acte  par  un 
mélange ,  il  est  impossible  qu'il  reçoive  le  mouvement.  Et  il  ajoute 
un  peu  plus  loin  ,  que  la  génération  dans  la  substance  n'est  pas  le 
mouvement,  parce  que  ce  qui  est  généré  en  elle  est  simplement  un 
non-être,  et  un  être  en  puissance,  parce  qu'il  est  transformé  et  qu'il 
passe  de  la  puissance  à  l'acte.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  généra- 
tion de  l'accident,  car  ce  qui  est  transformé  en  elle  est  être  en  acte, 


tus  ;  sed  tamen  illa  non  entitas  non  sufïi- 
cit  ad  ostendendum  ,  quod  sanatio  non  est 
motus,  eo  quod  îllud  susceptivum  sanita- 
tis  quod  rnanet  in  sanatione,  sit  ens  quod 
moveri  possit,  cum  sit  homo.  Talis  ergo 
non  entitas  non  excluait  transrautationem 
sibi  contingentem  non  esse  niotum .  Proce- 
dit  ergo  ratio  Philosopha  ex  non  entitate 
gcnerati  simpliciter  ,  ut  scilicet  nihil  ejus 
sit  in  actu  quod  maneat  in  generatione,  et 
hoc  patet  ex  littera  Pbilosophi  ibidem. 
Dicit  enim  quod  aliquid  est  non  ens,  aut 
non  album  ,  aut  non  sanum  ,  quod  tamen 
contingit  moveri  per  accidens ,  est  enim 
homo.  Quod  autem  simpliciter  est  non  ens 
actu,  vel  non  aliquid ,  hoc  nullo  modo 
contingit  moveri.  Hoc  autem  ideo  dicit  ut 
appareat,  quod  ratio  sua  non  procedit  de 
non  ente  tali ,  quod  uno  modo  est  aliquid 


actu,  licet  alio  modo  sit  non  ens,  alias  ra- 
tio sua  nulbus  esset  vigoris.  Si  enim  ma- 
neret  aliquod  corpus  apud  generationem, 
illud  esset  ens  ad  motum  se  habens  passi- 
ve. Quod  autem  accipitur  in  ratione,  quod 
id  quod  generatur,  ante  generationem  suam 
non  sit  in  specie  compléta,  sed  etiam  quod 
nullo  modo  actus  ejus  sit  quod  maneat 
apud  generationem ,  verum  est ,  et  hoc  est 
nihil  in  actu,  sed  per  solam  materiam  sub- 
jici  generationi  oportet.  Et  hoc  est  quod 
Commentator  dicit  ibidem,  quod  cum  esse 
materiee  primée  non  admisceatur  actibus , 
impossibile  est  quod  moveatur.  Et  paulo 
post  addit ,  quod  generatio  in  substantia 
non  est  motus,  quoniam  quod  generatur  in 
ea  est  non  ens  simpliciter,  et  ens  in  poten- 
tia,  quoniam  transmutatur  et  exit  de  po- 
tentia  inactum.  Et  non  est  ita  de  gênera- 


86  OPUSCULE    XLIV. 

quoiqu'il  soit  transformé  suivant  ce  qu'il  est  en  puissance.  Yoilà  que, 
suivant  le  commentateur ,  le  raisonnement  d'Aristote  procède  par  la 
cause,  etconséquemment  par  raison  démonstrative  la  génération  n'est 
pas  mouvement,  comme  il  le  dit  au  même  endroit.  Donc  celui  qui 
accorde  que  la  génération  n'est  pas  mouvement  et  que  cependant  il 
reste  dans  la  génération  quelque  chose  en  acte,  celui-là  accorde  l'effet 
et  en  nie  la  cause.  D'autres  font  une  argutie  en  disant  que  la  propo- 
sition d'Aristote,  savoir ,  que  ce  qui  est  généré  est  non-être,  est  sim- 
plement vraie  dans  les  choses  animées,  mais  non  dans  les  choses  ina- 
nimées quant  à  la  génération,  qui  est  l'induction  de  la  forme  dernière. 
Mais  cela  est  impossible,  soit  parce  que  la  science  du  livre  des  choses 
physiques  traite  des  universaux  de  la  nature,  et  s'étend  ainsi  tant 
aux  choses  animées  qu'aux  inanimées ,  soit  même  parce  que  c'est  la 
conclusion  évidente  qu'il  faut  tirer  de  son  texte.  En  effet,  après  avoir 
montré  que  la  génération  et  la  corruption  ne  sont  pas  mouvement, 
mais  des  changements  par  contradiction,  il  en  conclut  qu'il  est  seu- 
lement nécessaire  que  ce  changement  soit  un  mouvement  qui  va  d'un 
sujet  à  un  autre  sujet.  Or,  il  dit  qu'un  tel  mouvement  se  fait  seule- 
ment entre  des  contraires,  ou  des  médianes,  et  ainsi,  comme  dans  les 
substances  il  n'y  a  jamais  contrariété ,  il  s'ensuit  qu'en  général  on 
peut  appliquer  à  toutes  les  substances  la  preuve  qui  établit  que  leur 
génération  n'est  pas  mouvement.  Outre  cela,  le  texte  du  Philosophe  a 
déjà  détruit  cette  argutie  en  disant  la  même  chose  au  sujet  de  la  gé- 
nération. Il  est  donc  évident ,  d'après  Aristote ,  qu'il  faut  dire  que 
nulle  forme  ne  persiste  dans  la  génération,  pour  éviter  l'inconvénient 
de  dire  que  la  génération  est  nne  altération.  En  effet,  le  commentateur 
dit  en  plusieurs  endroits,  dans  le  sens  du  Philosophe,  au  livre  Ier  des 
choses  physiques,  que  si  la  matière  première  avoit  quelque  forme  qui 


tione  accidentis,  transmutatum  enim  in  ea 
est  ens  in  actu,  licet  transmutetur  secun- 
dum  quod  est  in  potentia.  Ecce  secnndum 
Commentatorem  ,  quod  ratio  Philosophi 
procedit  per  causam ,  et  per  consequens 
démonstrative  generatio  non  est  motus,  ut 
ibidem  dicit.  Qui  ergo  concedit,  quod  ge- 
neratio non  est  motus ,  et  tamen  apud  ge- 
nerationem  manet  aliquid  in  actu  ,  ipse 
concedit  effectum  et  negat  causam  ipsius. 
Aliam  cavillationem  alii  ponunt  ,  dicentes 
propositionem  Philosophi,  scilicet.  Quod 
generatur  est  non  ens,  simpliciter  veram 
esse  in  rébus  animatis,  non  autem  in  ré- 
bus inanimatis,  quantum  ad  generationem 
quae  est  inductio  ultimae  formée.  Sed  illud 
est  impossibile  ,  tum  quia  scientia  libri 
Physicorum  est  de  universalibus  naturae, 
et  ita  se  extendit  tam  ad  animata  quam 
ad  inanima  ta  ;  tum  etiam  quod  littera  sua 


hoc  manifeste  concludit.  Postquam  enim 
ostendit  quod  generatio  et  corruptio  non 
sunt  motus,  sed  rnutationes  per  contradic- 
tionem  ,  concludit  ex  hoc  quod  tantum 
necesse  est  illam  mutationem  esse  motum, 
qui  est  ex  subjecto  in  subjectum  ;  talem 
autem  dicit  solum  esse  inter  contraria  vel 
média,  et  ita  cum  in  substantiis  nunquam 
sit  contrarietas ,  sequitur  quod  universali- 
ter  probatum  sit  de  omnibus  substantiis, 
quod  generatio  earum  non  est  motus.  Et 
prœterea,  illa  cavillatio  prius  expulsa  est 
per  litteram  Philosophi,  1.  De  generatione, 
ubi  dicit  hoc  idem.  Patet  ergo  secundum 
Philosophum ,  quod  oportet  dicere  quod 
nulla  forma  maneat  in  generatione,  ut  vi- 
temus  hoc  inconveniens ,  scilicet  genera- 
tionem esse  alterationem.  Commentator 
enim  in  multis  locis  ad  intentionem  Phi- 
losophi dicit  I.   Phys.,  quod   si    materia 


SUR   LA   PLURALITÉ   DES   FORMES.  87 

lui  fut  proportionnée,  alors  la  génération  dans  la  substance  seroit  une 
altération.  Car  il  dit  dans  le  livre  de  la  substance  de  l'univers,  que 
la  génération  et  l'altération  diffèrent  en  ce  qu' Aristote  appelle  la  trans- 
mutation des  individus  dans  leurs  substances,  contraignant  leur  sujet 
à  n'être  pas  être  en  acte,  et  à  n'avoir  pas  de  forme  sous  ajoutée;  parce 
que  s'il  avoit  une  forme ,  il  n'en  recevroit  une  autre  qu'après  la  des- 
truction de  la  première.  'Car  il  est  impossible  qu'un  sujet  ait  plus 
d'une  forme.  Le  commentateur  en  donne  pour  raison  que  la  matière 
ayant  une  forme,  ne  peut  pas  en  recevoir  une  autre ,  parce  qu'il  est 
impossible  qu'un  sujet  ait  plus  d'une  forme;  cette  raison  a  été  déve- 
loppée précédemment,  parce  que  l'une  renferme  la  privation  de 
l'autre  dans  la  matière.  Dans  son  livre  de  la  Génération  il  s'étend  lon- 
guement sur  cette  question,  comme  aussi  dans  le  livre  des  choses 
physiques.  Mais  comme  il  est  du  même  sentiment-  que  les  auteurs 
cités  plus  haut,  je  n'en  parlerai  pas,  pour  ne  pas  ennuyer  le  lecteur 
par  la*multitude  des  autorités. 

Fin  du  quarante-quatrième  opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin,  sur 
la  pluralité  des  formes. 

L'abbé  VÉDRINE, 


prima  haberet  aliquam  formam  sibi  pro- 
portionatam  ,  tune  gèneratio  in  substantia 
esset  alteratio.  Dicit  enim  in  libro  De  sub- 
stantia orbis,  quod  gèneratio  et  alteratio 
différant  in  hoc  quod  Aristoteles  vocat 
transmutationem  individuorum  in  suis  sub- 
stantiis  cogère  suum  subjectum  non  esse 
ens  actu  et  non  habere  formam  quae  sub- 
jiciatur.  Si  enim  haberet  formam,  nullam 
aliam  reciperet,  nisi  illa  destructa.  Unum 
enim  subjectum  habere  nisi  unam  formam 
impossibile  est.  Ecce  quod  Commentator 
assignat  causam,  quia  materia  dum  habet 
unam  formam,  non  potest  recipere  aliam , 


quia  impossibile  est ,  quod  unum  subjec- 
tum habeat  nisi  unam  formam  ;  et  hujus 
ratio  supradicta  est  ,  quia  scilicet  una  in- 
cluait privationem  alterius  in  materia.  In 
libro  autem  suo  De  generatione ,  multa 
dicit  ad  istam  quœstionem,  et  similiter  in 
lib.  Phys.  Sed  quia  eadem  est  sententia 
cum  supradictis,  ideo  pertranseo  ne  prop- 
ter  multitudinem  authoritatum ,  lectori 
fastidium  generetur. 

Explicit  Opusculum  quadragesimum 
quartum  S.  Thomœ  de  Aquino,  de  plurali- 
tate  formarum. 


88 


OPUSCULE   XLVI. 


OPUSCULE  XLV. 

De  saint  Thomas,  commençant  par  ces  mots,  postquam  de  principiis. 

Ce  traité  est  le  même  que  l'Opuscule  XXXI  qui  se  trouve  plus 
haut,  et  qui  est  intitulé:  De  la  nature  de  la  matière  et  des  dimensions 
illimitées  ;  voyez-le.  Comme  maître  Pierre  de  Bergame  partage  cet 
Opuscule  en  deux  chapitres  distincts  intitulés ,  Vun  de  la  nature  de  la 
matière,  et  l'autre  des  dimensions  illimitées,  nous  avons  mis  ici  ce 
titre  pour  observer  le  même  ordre  et  garder  le  même  numéro. 


OPUSCULE  XLVI. 

DU   MÊME   DOCTEUR  ,    SUR  LA  NATURE   DiES   SYLLOGISMES. 

Savoir,  c'est  comioître  la  cause  d'une  chose;  or  les  causes  de  tout 
être  sont  au  nombre  de  quatre ,  savoir,  la  cause  efficiente ,  matérielle, 
formelle  et  finale.  Pour  avoir  la  connoissance  parfaite  de  chaque 
chose,  il  faut  connoître  ces  quatre  causes.  Il  y  a  donc  une  cause  effi- 
ciente du  syllogisme,  gt  une  autre  rationnelle  qui  le  constitue.  Car  le 
syllogisme  est  un  acte  de  raison.  La  matière  du  syllogisme  est  trois 


OPUSCULUM  XLV. 

S.  THOM.E,  DE   DIMENSIONIBCS  INTERMINATIS,  QUOD  INCIP1T,   POSTQUAM  DE  PRINCIPIIS. 


Hic  tractatus  est  idem  cnm  opu-sculo  xxxi 
superius  posito,  qui  de  natura  materiœ  et 
dimensionibus  interminatis  intitulatur,  re- 
quire  ibidem.  Et  quia  magister  Petrus  de 
Bergamo  in  tabula  sua  hoc  opusculum  di- 


vidit  in  duos  distinctos  titulos,  scilicet  de 
natura  materiœ  seorsum  et  de  dimensio- 
nibus interminatis  seorsum,  ideo  ad  ejus 
ordinem  et  numerum  observandum  ,  hune 
titulum  hinc  interscruimus. 


OPUSCULUM  XLVI. 

EjUSDEH  DOCTORIS  ,  DE  NATURA    SYLLOGISMORUM. 


Quoniam  scire  est  causam  rei  cognos- 
cere,  causae  autem  cujuslibet  entis  per  se 
sunt  quatuor,  scilicet  efficiens,  materialis, 
f'ormalis  et  finalis ,  ad  perfecte  cognoscen- 


dum  unumquodque  oportet  has  quatuor 
causas  cognoscere.  Est  ergo  causa  efïiciens 
syllogismi  anima  rationalis  fonoans  ipsum  ; 
unde  syllogismus  est  actus  rationis.  Mate- 


SUR    LA    NATURE    DES   SYLLOGISMES.  .  89 

termes,  comme  matière  éloignée  ,  et  deux  propositions,  comme  ma- 
tière prochaine.  Elle  est  dans  les  syllogismes  comme  dans  les  autres 
choses  composées  de  matière  et  de  forme ,  où  l'on  peut  trouver  la 
double  matière  dont  on  vient  de  parler.  Sa  fin  est  de  convaincre  ou  de 
faire  connoître  une  conclusion  inconnue.  Sa  forme  est  la  vertu  ou 
puissance  de  déduire  une  conclusion  des  prémisses;  elle  se  trouve 
dans  la  définition  du  syllogisme.  Cette  forme  se  revêt  de  la  figure  et 
du  mode.  La  figure  est  la  disposition  du  moyen  terme ,  suivant  la 
subjection  et  l'attribution  ;  cette  disposition  se  fait  de  trois  diverses 
manières ,  parce  que  le  moyen  terme  est  ou  sous-ajouté  ou  attribué 
une  fois  dans  les  prémisses,  et  alors  c'est  la  première  figure.  Or  celte 
disposition  est  appelée  première  figure ,  parce  que  le  moyen  terme  a 
le  caractère  plus  parfait  de  moyen ,  en  ce  qu'il  participe  de  la  nature 
des  extrêmes  dans  la  subjonction  du  petit  extrême  et  du  grand  dans  la 
prédication.  Ou  il  est  attribué  deux  fois,  et  alors  il  est  seconde  figure, 
appelée  seconde  parce  qu'elle  perd  la  perfection  du  moyen.  Car  dans 
la  première  figure  ,  le  moyen  est  moyen  suivant  la  raison  et  suivant 
la  position  ;  tandis  que  dans  la  seconde  il  est  premier  par  position , 
puisqu'il  est  avant  les  extrêmes.  Ou  il  est  sous-ajouté  deux  fois,  et 
alors  il  est  la  troisième  figure ,  appelée  troisième  parce  que  le  moyen 
est  troisième  par  position  ,  étant  après  les  extrêmes.  Or  il  faut  savoir 
que  la  figure  se  trouve  proprement  et  en  réalité  dans  les  mathéma- 
tiques, tandis  qu'elle  n'est  dans  le  syllogisme  que  par  transsomption, 
par  analogie  avec  le  triangle.  Car,  comme  le  triangle  est  la  conclusion 
de  trois  lignes  dans  trois  angles,  de  même  le  syllogisme  est  le  concours 
de  trois  propositions,  majeure,  mineure,  conclusion  dans  trois  termes. 
Le  mode  est  la  qualité  et  la  quantité  déterminée  des  propositions  pré- 


ria  vero  ejus  sunt  très  termini  ut  materia 
remota  ,  et  duae  propositions  ut  propin- 
qua.  Et  haec  similiter  est  in  syllogismo, 
sicut  in  aliis  rébus  constantibus  ex  mate- 
ria et  forma,  quod  scilicet  est  in  eis  repe- 
rire  duplicem  materiarn  ,  quae  dicta  est. 
Finis  autem  ejus  est  facere  fidem  seu  noti- 
tiam  ignolae  conclusionis.  Forma  vero 
ejus  est  virtus  seu  potestas  inferendi  con- 
clusionem  ex  prœmissis  ;  et  haec  tangitur 
per  difïinitionem  syllogismï.  Hanc  autem 
formam  circumloquuntur  figura  et  modus. 
Figura  enim  est  dispositio  medii  secundum 
subjectionem  et  praedicationem ,  quae  sci- 
licet dispositio  tripliciter  variatur,  quia 
aut  médius  terminus  subjicitur  et  preedi- 
catur  semel  in  praemissis,  et  sic  est  prima 
figura.  Dicitur  autem  haec  dispositio  prima 
figura ,  quia  médium  habet  perfectiorem 
rationem  medii,  quod  participât  naturam 
extremorum  in  subjiciendo  minoris  extre- 


mitatis  et  majoris  in  praedicando.  Aut  prae- 
dicatur  bis,  et  sic  est  secunda  figura,  quae 
secunda  dicitur,  quia  déficit  a  perfectione 
medii.  In  prima  enim  figura  médium  est 
médium  secundum  rationem  et  secundum 
positionem  ;  in  secunda  autem  est  pri- 
mum  secundum  positionem,  cum  sit  supra 
extremitates.  Aut  subjicitur  bis,  et  sic  est 
tertia  figura,  quae  dicitur  tertia,  quia  mé- 
dium est  tertium  secundum  positionem, 
cum  sit  infra  extremitates.  Sciendum  au- 
tem, quod  figura  proprie  reperitur  in  ma- 
thematicis,  transumptive  autem  in  syllo- 
gismo  ,  et  hoc  ad  similitudinem  figurai 
tiïangularis.  Nam  sicut  triangulus  est 
clausio  trium  linearum  in  tribus  angulis, 
ita  syllogismus  est  concursus  trium  positio- 
num,  scilicet  majoris ,  minoris  et  conclu- 
sionis in  tribus  terminis.  Modus  autem  est 
determinata  qualitas  et  quantitas  propo- 
sitionum  prœmissarum  ad  hoc ,  ut  ex  eis 


90  OPUSCULE    XLVI. 

misses  pour  qu'il  en  résulte  une  conclusion,  laquelle  est  tirée  d'après 
certaines  règles  établies  par  Aristote,  et  dont  quelques-unes  sont 
communes  aux  trois  figures,  quelques-unes  spéciales.  Les  communes 
sont  au  nombre  de  deux.  La  première,  c'est  que  de  pures  particu- 
lières ,  ou  indéfinies ,  ou  singulières ,  on  ne  conclue  rien  dans  une 
figure,  en  comprenant  sous  le  nom  de  particulière  tant  l'indéfinie 
qui ,  dans  la  matière  contingente ,  équivaut  à  la  particulière ,  comme 
le  dit  Aristote,  que  la  singulière.  Il  faut  donc,  comme  il  le  dit,  que 
l'autre  soit  universelle.  La  raison  de  cette  règle  est  qu'il  ne  s'ensuit 
pas  de  ce  que  deux  choses  participent  particulièrement  à  quelque 
moyen  terme,  qu'elles  soient  les  mêmes  entre  elles.  Par  exemple  : 
Blanc  et  grammairien  participent  au  même  moyen  qui  est  homme, 
puisqu'il  y  a  des  hommes  blancs  et  grammairiens;  mais  il  ne  s'ensuit 
pas  de  là  que  blanc  et  grammairien  soient  simplement  la  même  chose. 
C'est  pourquoi  le  raisonnement  suivant  ne  vaut  rien.   Un  certain 
homme  est  grammairien,  or  un  certain  blanc  est  homme,  donc  un 
certain  blanc  est  grammairien ,  la  conséquence  est  même  fausse 
secundum  quid  et  simpliciter.  Il  y  a  une  autre  raison  alléguée  par 
Aristote,  c'est  que,  ou  il  n'y  aura  pas  de  syllogisme,  et  cela  parce 
qu'il  y  aura  pétition  de  principe,  ou  elle  n'ira  pas  au  but.  De  même 
si  l'on  vouloit  prouver  cette  proposition,  la  musique  est  attrayante, 
et  prendre  ces  prémisses,  quelque  volupté  est  attrayante.  Or  la  mu- 
sique est  une  volupté,  donc,  etc..  La  majeure  étant  particulière,  elle 
se  prendra  pour  cette  volupté  particulière ,  qui  est  la  musique ,  et 
alors  il  y  a  pétition  dans  la  proposition  à  prouver;  ou  elle  se  prendra 
pour  quelque  autre  volupté,  et  alors  il  y  aura  bien  un  syllogisme, 
mais  qui  n'aboutira  pas  à  la  conclusion  que  l'on  vouloit  tirer.  Ainsi 
donc  il  faut  que  l'une  des  prémisses  soit  prise  universellement  pour 


sequatur  conclusio,  quae  quidem  ex  certis 
regulis  traditis  a  Philosophe»  in  I.  Priorum 
colligitur,  quarum  quaedam  sunt  commu- 
nes tribus  figuris,  quœdam  spéciales.  Com- 
munes sunt  duse.  Primo  ,  quod  ex  puris 
particularibus  vel  indefinitis  vel  singulari- 
bus  nihil  sequitur  in  aliqua  figura,  sub 
particulari  intelligendo  tam  indefinitam, 
quae  in  materia  contingenti  aequipollet 
particulari ,  ut  Philosophus  dicit ,  quam 
singularem.  Oportet  ergo  ut  dicit  alteram 
esse  universalem.  Ratio  hujus  regulae  est, 
quia  non  sequitur,  quod  si  aliqua  duo 
participant  aliquod  médium  particulariter, 
quod  propter  hoc  illa  duo  sint  eadem. 
Verbi  gratia  :  Album  et  grammaticum 
participant  idem  médium  quod  est  homo, 
cum  quidam  homo  sit  albus  et  gramma- 
tieus,  sed  ex  hoc  non  sequitur,  quod  al- 
bum et  grammaticum  sint  eadem  simpli-  ! 


citer.  Unde  non  valet  haec  argumentatio  : 
Quidam  homo  est  grammaticus;  quidam 
albus  est  homo  ;  ergo  quoddam  album  est 
grammaticum,  immo  est  fallacia  conse- 
quentis  vel  secundum  quid  et  simpliciter. 
Alia  ratio  potest  esse  quam  Philosophus 
inducit,  quia  aut  non  erit  syllogismus ,  et 
hoc  quia  petetur  principium  ,  aut  non 
erit  ad  propositum.  Ut  sit  haec  conclusio 
probanda  :  Musica  est  studiosa ,  et  assu- 
mantur  haï  preemissae.  Quaedam  voluptas 
est  studiosa  ;  musica  est  voluptas;  ergo,  etc. 
Major  cum  sit  particularis  ,  aut  stabit  pro 
illa  voluptate  particulari,  quœ  est  musica, 
et  tune  petitur  conclusio  probanda  ;  aut 
stabit  pro  aliqua  alia  ,  et  tune  syllogismus 
erit  quidem,  sed  non  ad  conclusionem  in- 
tentam.  Sic  ergo  oportet  quod  altéra  prae- 
missarum  capiatur  universaliter,  ut  sit  syl- 
logismus. Sed  contra  dictam  [regulam   vi- 


SUR   LA   NATURE    DES   SYLLOGISMES.  91 

qu'il  y  ait  un  syllogisme.  Mais  Aristote  semble  être  contraire  à  cette 
règle,  en  donnant  la  manière  d'argumenter  d'après  de  pures  parti- 
culières ,  par  le  moyen  du  syllogisme  expositoire  dans  la  troisième 
figure.  Il  faut  dire  à  cela  que  lorsqu'on  dit  qu'on  ne  fait  pas  de  syllo- 
gisme d'après  de  pures  particulières ,  on  entend  dans  la  réalité  et 
simplement  le  syllogisme  qui  a  le  parfait  caractère  de  syllogisme.  En 
effet ,  le  syllogisme  expositoire  n'est  pas  un  vrai  syllogisme ,  mais 
bien  plutôt  une  certaine  démonstration  sensible,  ou  une  certaine 
résolution  faite  au  sens,  à  cette  fin  que  la  conséquence,  qui  étoit 
vraie  suivant  la  connoissance  intellectuelle,  soit  déclarée  dans  le 
sensible.  La  seconde  règle,  c'est  que  de  deux  pures  négatives,  il  ne 
s'ensuit  rien,  et  il  n'y  a  pas  de  syllogisme.  La  raison  de  cela  peut 
être  que  tout  syllogisme  ou  affirme  une  chose  d'une  autre,  et  il  est 
affirmatif,  ou  nie  une  chose  d'une  autre,  et  il  est  négatif.  S'il  affirme 
une  chose  d'une  autre  dans  la  conclusion ,  que  ce  soit  par  quelque 
chose  de  convenable,  laquelle  chose  sera  un  moyen  terme,  et  par 
conséquent,  l'une  et  l'autre  des  prémisses  sera  nécessairement  affir- 
mative. Mais  s'il  écarte  une  chose  d'une  autre ,  il  faut  que  ce  soit  par 
quelque  chose  de  tertiaire  convenant  à  l'une  de  ces  choses  et  répu- 
gnant à  l'autre,  laquelle  chose  sera  ainsi  moyen  terme.  Il  est  clair 
d'après  cela  que,  dans  le  syllogisme  négatif,  il  faut  que  l'une  des 
prémisses  soit  affirmative.  Il  y  en  a  qui  rectifient  la  première  figure 
et  établissent  deux  règles;  d'autres  la  seconde  et  établissent  aussi 
deux  règles  ;  il  en  est  d'autres  qui  rectifient  la  troisième  et  n'établissent 
qu'une  règle.  Dans  la  première  figure,  la  première  règle  est  que  la 
majeure  doit  être  universelle,  autrement  il  n'y  auroil  pas  de  syllo- 
gisme. La  raison  en  est  que,  la  majeure  étant  particulière,  il  arrive- 
roit  que  le  moyen  duquel,  pris  particulièrement ,  le  grand  extrême 


detur  esse  Philosophus ,  qui  docet  syllogi- 
zare  ex  puris  particularibus  per  syllogis- 
mum  expositorium  in  tertia  figura.  Ad  hoc 
dicendum,  quod  cum  dicitur  ex  puris  par- 
ticularibus non  fieri  syllogismum^  intelli- 
gitur  vere  et  simpliciter  syllogismum,  qui 
habet  perfectam  rationem  syllogismi.  Syl- 
logismus  enim  expositorius  non  est  vere 
syllogismus ,  sed  magis  quaedam  sensibilis 
demonstratio,  seu  quaedam  resolutio  facta 
ad  sensum ,  ad  hoc  ut  consequentia  ,  quœ 
vera  erat  secundum  intellectualem  cogni- 
tionem ,  declaretur  in  sensibili.  Secunda 
régula  est ,  quod  ex  puris  negativis  nihil 
sequitur  nec  fit  syllogismus.  Hujus  autem 
ratio  potest  esse ,  quia  omnis  syllogismus 
aut  affirmât  aliquid  de  aliquo,  et  est  affir- 
matives; aut  negat  aliquid  ab  aliquo,  et 
est  negativus.  Si  affirmât  aliquid  de  aliquo 


in  conclusione,  oportet  quod  hoc  fit  per 
aliquid  conveniens,  quod  quidem  erit  mé- 
dium ,  et  ideo  utraque  prœmissarum  ne- 
cessario  erit  afïîrmativa.  Si  autem  remo- 
veat  aliquid  ab  aliquo,  oportet  quod  hoc 
sit  per  aliquod  tertium  conveniens  uni 
illorum  et  repugnans  alteri,  quod  sic  qui- 
dem erit  médium.  Et  sic  patet  quod  in 
syllogismo  negativo  oportet  alteram  esse 
affirmativam.  Sunt  autem  quaedam  quae 
rectificant  primam  tîguram  ,  et  sunt  duae 
régulas  ;  quaedam  secundam,  et  sunt  etiam 
duae  ;  quaedam  tertiam,  et  est  una.  In 
prima  figura  régula  prima  est ,  quod  ma- 
jor débet  esse  universalis ,  alias  non  fieret 
syllogismus.  Cujus  ratio  est ,  quia  majori 
existente  particulari,  contingeret  médium 
esse  communius  extremis  ,  de  quo  parti- 
culariter  sumpto ,  posset  praedicari  major 


«*2  OPUSCULE   XL VI. 

pouvant  se  dire  affirmativement  ou  négativement,  seroit  plus  étendu 
que  les  extrêmes.  Si  c'étoit  affirmativement ,  il  arriveroit  qu'il  com- 
prendroit  des  extrêmes  répugnant  au  moyen  terme ,  et  alors  il  s'en- 
suivroit  une  vraie  conclusion  affirmative,  comme  par  exemple,  si 
l'on  disoit,  quelque  animal  est  âne,  tout  homme  est  animal,  on 
devroit  tirer  cette  conclusion ,  donc  quelque  homme  est  âne ,  laquelle 
seroit  fausse,  malgré  les  vérités  des  prémisses.  D'un  autre  côté,  si  on 
les  prend  négativement  et  particulièrement,  il  arriveroit  qu'ils  seroient 
susceptibles  de  conversion,  comme  ci-dessus  ou  ci-après,  et  alors  ce 
seroit  faussement  qu'une  chose  seroit  niée  de  l'autre  dans  la  conclu- 
sion ,  quand  néanmoins  une  conclusion  négative  devroit  être  tirée  de 
la  qualité  des  prémisses ,  par  exemple  un  certain  animal  n'est  pas 
homme;  tout  lisible  est  animal,  on  devroit  tirer  cette  conclusion, 
donc  quelque  risible  n'est  pas  homme,  laquelle  seroit  bien  fausse, 
quoique  les  prémisses  soient  vraies.  Il  est  donc  évident  que  lorsque , 
avec  une  telle  disposition,  il  résultera  une  conclusion  fausse,  malgré 
des  prémisses  vraies,  ce  ne  sera  pas  suivant  la  forme  du  syllogisme. 
En  effet ,  toute  disposition  faite  suivant  les  règles  des  syllogismes , 
déduit  toujours  la  même  conclusion  dans  toute  matière ,  si  les  pré- 
misses sont  vraies.  La  seconde  règle  est  que,  dans  la  première  figure, 
la  mineure  ne  doit  pas  être  négative,  la  raison  en  est  que  s'il  se  faisoit 
autrement,  il  en  résulteroit  la  fausseté  du  conséquent,  à  savoir  en 
niant  le  moyen  du  petit  extrême ,  qui  est  inférieur  pour  en  venir  à  la 
négation  du  grand  extrême,  qui  est  supérieur  au  moyen  ;  par  exemple, 
tout  homme  est  animal ,  aucun  âne  n'est  homme  ,  il  ne  s'ensuivroit 
pas,  donc  aucun  âne  n'est  animal.  On  pourroit  assigner  une  autre 
raison  à  ces  deux  règles ,  savoir,  que  les  syllogismes  de  la  pf  emière 
figure  sont  parfaits  par  l'affirmation  du  tout  et  par  l'affirmation  du 


extremitas  affirmative  vcl  négative.  Si  af- 
firmative, contingeret  capere  extrema  cum 
medio  repugnantia,  et  tune  non  sequere- 
tur  vera  conclusio  affirmativa  ,  ut  si  fieret 
sic  :  Quoddam  animal  est  asinus  ;  omnis 
homo  est  animal,  deberet  sequi  haec  con- 
clusio, ergo  quidam  homo  est  asinus,  quœ 
esset  falsa  praemissis  existentibus  veris. 
Rursus,  si  eapiantur  négative  et  particula- 
riter,  eontinget  esse  convertibilia  ,  vel  ut 
superius  et  inferius,  et  tune  falso  negare- 
tur  unum  de  altero  in  conclusione,  cum 
tamen  ex  qualitate  praemissarum  deberet 
sequi  conclusio  negativa ,  ut  si  fiât  sic  : 
Qaoddam  animal  non  est  homo;  omne  »i- 
sibile  est  animal,  ex  lus  deberet  sequi  haec 
conclusio  :  ergo  quoddam  risibile  non  est 
homo,  quae  quidem  esset  falsa  ,  prsemissae 
tamen  ver».  Patet  ergo ,  ex  quo  cum  tali 
dispositione  aliquando  cum  praemissis  veris 


stabit  conclusio  falsa,  quod  non  est  secun- 
dum  formam  syllogismi.  Omnis  quidem 
dispositio  facta  secundum  régulas  syllogis- 
morum  semper  eamdem  conclusionem 
syllogizat  in  omni  materia ,  si  praemissee 
sint  verœ.  Secunda  régula  est ,  quod  in 
prima  figura  minor  non  débet  esse  nega- 
tiva, cujus  ratio  est,  quia  si  aliter  fieret , 
accideret  fallacia  consequentis,  procedendo 
scilicet  cum  negatione  medii  de  minort 
extremitate,  quod  quidem  est  inferius,  ad 
negationem  majoris  extremitatis ,  quai  est 
superior  ad  médium,  ut  si  fiât  sic  :  Omnis 
homo  est  animal  ;  nullus  asinus  est  homo, 
non  sequeretur,  ergo  nullus  asinus  est  ani- 
mal. Posset  autem  utriusque  reguke  alia 
communis  ratio  assignari ,  quia  scilicet 
syllogismi  primae  figuras  perfieiuntur  per 
dici  de  omni  et  dici  de  nullo  ;  his  autem 
praemissis  répugnât  majorem  esse  particu- 


SUR   LA    NATURE   DES   SYLLOGISMES.  93 

rien.  Or  il  répugne  à  ces  prémisses  que  la  majeure  soit  particulière, 
ou  la  mineure  négative ,  comme  on  le  voit  clairement  en  considérant 
les  raisons  des  principes  sus-énoncés.  Dans  la  seconde  figure  ,  la  pre- 
mière règle  est  que  la  majeure  doit  être  universelle.  La  raison  en  est 
que  les  syllogismes  de  cette  figure  viennent  des  syllogismes  de  la  pre- 
mière figure,  par  la  conversion  de  la  majeure  dans  les  termes,  et, 
par  conséquent,  comme  la  majeure  doit  être  ici  universelle ,  elle  doit 
aussi  l'être  là.  On  peut  même  démontrer  la  nécessité  de  cette  règle 
par  l'instance  dans  les  termes,  comme  on  l'a  dit  plus  haut.  Car  si  la 
majeure  est  prise  particulièrement,  il  arrivera  que  le  grand  extrême 
l'emportera  sur  le  moyen  et  sur  le  petit  extrême.  En  effet ,  rien  n'em- 
pêche que  ce  qui  est  inférieur  se  dise  de  ce  qui  est  supérieur,  pris  par- 
ticulièrement ,  et  ainsi  le  moyen  pourrait  se  dire  particulièrement  du 
grand  extrême ,  et  il  arriverait  que  les  extrêmes  seraient  convertibles 
ou  auraient  les  rapports  de  supériorité  et  d'infériorité  ,  et  alors  il  n'en 
résulte  pas  une  conclusion  négative  vraie.  Il  ne  peut  pas  non  plus 
s'ensuivre  une  conclusion  affirmative ,  parce  que  dans  cette  figure  on 
conclut  toujours  négativement,  par  exemple,  quelque  animal  n'est 
pas  homme,  tQut  ce  qui  est  raisonnable  est  homme,  il  ne  s'ensuit  pas 
que  rien  de  ce  qui  est  raisonnable  ne  soit  homme.  La  seconde  règle 
est  qu'il  faut  que  l'une  ou  l'autre  des  prémisses  soit  négative ,  parce 
que  de  deux  affirmatives  il  ne  s'ensuit  rien  dans  la  seconde  figure.  La 
raison  de  cela,  c'est  que  si  les  deux  prémisses  sont  affirmatives,  le 
moyen  sera  supérieur  alors  aux  extrêmes  disparates  ,  dont  aucun  ne 
se  dit  de  l'autre  dans  la  conclusion.  Car,  de  ce  qu'une  chose  convient 
à  deux ,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  convienne  à  une  troisième.  Une  chose 
supérieure  pourrait  même  être  affirmée  de  deux  choses  inférieures, 
dont  l'une  serait  subordonnée  à  l'autre ,  et ,  dans  ce  cas ,  une  chose 


larem  vel  minorem  negativam,  ut  patet  in- 
tuenti  rationes  dictorum  principiorum.  In 
secunda  figura  prima  régula  est ,  quod 
major  débet  esse  universalis  ;  cujus  ratio 
est  quia  ejus  syllogismi  descendunt  a  syl- 
logismis  primae  figurœ ,  per  conversionem 
majoris  in  terminas,  et  ideo  sicut  ibi  opor- 
tet  majorem  esse  univcrsalem ,  ita  et  hic. 
Vel  potest  ostendi  nécessitas  hujus  régulée 
per  instantiam  in  terminis ,  ut  dictum  est 
supra.  Nam  si  major  capiatur  particulari- 
ter, continget  majorem  extremitatem  esse 
supra  médium  et  supra  minorem  extremi- 
tatem. Nihil  enim  prohibet  inferius  prœ- 
dicari  de  superiori  particulariter  sumpto  , 
et  ita  médium  posset  praedicari  de  majoui 
extremitate  particulariter ,  et  contingeret 
extrema  esse  convertibilia ,  vel  se  habere, 
ut  superius  et  inferius,  et  tune  non  sequi- 


tur  conclusio  negativa  vera.  Affirmativa 
autem  non  potest  sequi,  quia  in  hac  figura 
semper  concluditur  négative,  ut  si  fiât  sic  : 
Quoddam  animal  non  est  homo  ;  omne  ra- 
tionale  est  homo,  non  sequitur  quod  nul- 
lum  rationale  sit  animal.  Secunda  régula 
est,  quod  oportet  alteram  prœmissarum 
esse  negativam.,  quia  ex  utrisque  affirma- 
tivis  in  secunda  figura  nihil  sequitur.  Cu- 
jus ratio  est ,  quia  si  utraque  sit  affirma- 
tiva, tune  médium  erit  superius  ad  ex- 
trema disparata ,  quorum  neutrum  de  al- 
tero  preedicatur  in  conclusione.  Non  enim 
sequitur.  Si  aliquod  unum  inest  duobus, 
quod  propter  hoc  unum  insit  alteri.  Posset 
etiam  unum  superius  affirmari  de  duobus 
inferioribus  ,  quorum  unum  esset  sub  al- 
tero,  et  ita  non  posset  unum  de  altero  ne- 
gari,  et  ita  non  sequitur  conclusio  affir- 


94  oprscuLE  xlvi. 

ne  pourroit  être  niée  de  l'autre,  et  ainsi  il  ne  peut  donc  pas  y  avoir  de 
conclusion  affirmative  ou  négative ,  lorsque  les  deux  prémisses  sont 
affirmatives.  Mais  on  demande  alors  s'il  faut  que  l'une  soit  négative, 
pourquoi  n'est-ce  pas  positivement  la  majeure  ou  la  mineure,  mais 
indifféremment  l'une  ou  l'autre.  On  répond  que  c'est  parce  que,  sans 
rien  déterminer,  le  moyen  se  rapporte  également  aux  deux  extrêmes, 
comme  lui  étant  subordonnés ,  et  pour  cette  raison  ,  quant  au  syllo- 
gisme, peu  importe  à  quoi  se  réfère  l'affirmation  ou  la  négation.  Car 
le  syllogisme  est  bon  des  deux  manières,  quoique  diverses.  Dans  la 
troisième  figure  il  n'y  a  qu'une  règle ,  savoir,  que  la  mineure  est 
toujours  affirmative,  la  raison  en  est  que  de  ce  qu'une  chose  infé- 
rieure répugne  à  une  troisième,  il  ne  s'ensuit  pas  que  ce  qui  est  supé- 
rieur répugne  aussi,  ce  qui  devroit  avoir  lieu  ici,  si  la  mineure  étoit 
négative,  comme  on  le  voit.  En  effet,  le  moyen  est  subordonné  aux 
extrêmes  :  or  la  majeure  est  au-dessus  du  moyen  et  du  petit  extrême, 
•  et,  par  conséquent,  il  n'est  pas  nécessaire  que  la  majeure  lui  répugne 
dans  la  conclusion,  par  exemple,  tout  homme  est  animal,  aucun 
homme  n'est  àne ,  on  ne  peut  pas  conclure ,  donc  quelque  âne  n'est 
pas  animal ,  et  ainsi  il  ne  s'ensuit  pas  une  conclusion  négative  vraie. 
Il  en  est  de  même  pour  une  affirmative ,  car  il  peut  se  faire  que  les 
extrêmes  se  répugnent,  comme  cela  est  évident,  si  l'on  prend  ces 
termes  animal,  pierre  ,  homme.  La  raison  de  cela  peut  être  aussi  que 
la  troisième  figure  vient  de  la  première  par  la  conversion  de  la  mi- 
neure; et,  par  conséquent,  comme  la  mineure  devroit  être  ici  affir- 
mative ,  elle  doit  l'être  là  aussi.  Mais  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  qu'il 
arrive  parfois  que  le  syllogisme  conclut  légitimement  en  opposition  à 
ces  règles  ;  mais  ce  n'est  pas  par  une  nécessité  de  la  forme  syllogis- 
tique,  mais  bien  par  une  nécessité  de  la  matière,  parce  que,  par 


mativa  nec  negativa,  ubi  utraque.praemis- 
sarum  sit  affirmativa.  Sed  tune  quœritur, 
si  oportet  alteram  esse  negativam  ,  quare 
non  determinate  major  vel  minor,  sed  in- 
differenter  alteram?  Dicitur  quod  hujus 
ratio  est ,  quia  et  non  determinato  altero, 
médium  œqualiter  respicit  extrema  lan- 
quam  sub  se  posita ,  et  ideo  quantum  ad 
syllogismum  non  refert  de  quo  affirmetur 
vel  negetur.  Utroque  enim  modo  fit  syllo- 
gismus,  licet  diversimode.  In  tertia  figura 
est  una  régula,  scilicet  quod  minor  semper 
est  affirmativa,  cujus  ratio  est,  quia  non 
sequitur ,  quod  si  aliquod  inferius  sit  re- 
puguans  alicui  tertio,  quod  propter  hoc  et 
superius,  quod  oporteret  fieri  hic,  si  minor 
esset  negativa  ,  quod  sic  patet.  Médium 
enim  est  sub  extremitatibus;  major  autem 
est  supra  médium  et  minorem  extremita- 


tem,  et  ideo  non  oportet  quod  eidem  re- 
pugnet  major  in  conclusione,  ut  si  fiât  sic. 
Omnis  homo  est  animal  ;  nullus  homo  est 
asinus ,  non  sequitur,  ergo  quidam  asinus 
non  est  animal ,  et  sic  non  sequitur  con- 
clusio  negativa  vera.  Item  nec  aflirmativa 
quia  potest  esse  quod  extrema  sibi  répu- 
gnent, ut  patet  si  capiantur  hi  termini, 
animal,  lapis,  homo.  Vel  potest  esse  hujus 
ratio,  quia  tertia  figura  descendit  a  prima 
per  conversionem  minoris;  et  ideo  sicut 
oportebat  ibi  minorem  esse  affirmativam, 
ita  et  hic.  Non  autem  lateat  nos,  quod  ali- 
quando  contingit  syllogismum  contra  prœ- 
dictas  régulas  concludere  veram  conclusio- 
nem  ;  sed  hoc  non  erit  exnecessitate  formas 
syllogistica? ,  sed  ex  necessitate  materiae, 
quia  scilicet  vel  termini  sunt  convertihiles , 
ut  quando  concludetur  conclusio  affirma- 


SUR   LA    NATURE    DES    SYLLOGISMES.  95 

exemple ,  ou  les  termes  sont  convertibles,  comme  dans  la  conclusion 
affirmative,  ou  ils  se  répugnent ,  comme  dans  la  conclusion  négative. 
Nous  allons  ajouter  à  ces  règles  quelques  autres  qui  regardent  plutôt 
la  conclusion  que  les  prémisses ,  et  dont  les  unes  sont  communes ,  et 
les  autres  propres.  Les  communes  sont  au  nombre  de  deux.  La  pre- 
mière est  pour  toute  figure.  Si  une  des  prémisses  est  particulière,  la 
conclusion  doit  être  particulière ,  la  raison  peut  en  être  que  lors- 
qu'une des  prémisses  est  particulière,  le  moyen  convient  à  l'autre 
extrême,  particulièrement  dans  cette  prémisse;  et  comme  il  n'y  a  de 
convenance  entre  les  autres  extrêmes  que  par  la  nature  du  moyen ,  un 
des  extrêmes  n'aura  pas  plus  de  convenance  avec  l'extrême  particulier, 
que  l'autre  extrême  avec  le  moyen.  C'est  pourquoi,  dans  la  conclu- 
sion ,  un  extrême  doit  s'accorder  avec  l'autre  extrême  particulière- 
ment, ainsi  que,  dans  la  prémisse,  le  moyen  s'accordoit  particuliè- 
rement avec  l'autre  extrême.  Il  en  est  de  même  si  c'est  une  particulière 
négative ,  parce  qu'un  extrême  s'écarte  de  l'autre  extrême  particuliè- 
rement clans  la  conclusion ,  de  même  que  le  moyen  s'écarte  de  l'ex- 
trême dans  la  prémisse.  Voici  la  seconde  règle.  Si  l'une  des  prémisses 
est  négative,  la  conclusion  doit  être  négative,  la  raison  en  est  que  les 
choses  qui  sont  en  désaccord  avec  une  troisième  doivent  nécessaire- 
ment l'être  entre  elles.  Donc  les  extrêmes  se  trouvant  en  désaccord  dans 
le  moyen ,  parce  que  ce  qui  convient  à  l'un  répugne  à  l'autre ,  ils  sont 
nécessairement  en  désaccord  entre  eux.  C'est  pourquoi ,  comme  la 
conclusion  provient  des  extrêmes,  il  faut  les  séparer  l'un  de  l'autre , 
et  ainsi  la  conclusion  sera  négative  ,  l'une  des  prémisses  étant  néga- 
tive. Mais  quelques-unes  des  prémisses  ont  trait  à  la  première  figure, 
d'autres  à  la  seconde,  et  d'autres  à  la  troisième.  Il  y  en  a  deux  pour 
la  première.  La  première,  c'est  que  la  conclusion  est  toujours  assi- 


liva  ;  vel  répugnantes ,  ut  quando  conclu- 
detur  negativa.  Addantur  autem  dictis  re- 
gulis  quaedam  alise  respicientes  magis  con- 
clusionem  quam  praemissas,  quarum  quae- 
dam sunt  communes ,  quaedam  propriœ. 
Communes  sunt  duae.  Prima  in  omni 
figura.  Si  aliqua  praemissa  est  particularisa 
oportet  conclusionem  esse  particularem , 
cujus  ratio  esse  potest,  quia  si  altéra  prae- 
missarum  est  particularis,  médium  con- 
venit  alteri  extremitati  particulariter  in 
illa  praemissa.  Et  quia  non  est  convenientia 
inter  extremitates,  nisi  per  naturam  medii, 
non  plus  conveniet  extremitas  cum  extre- 
mitate  particulari,  quam  altéra  extremitas 
cum  medio.  Unde  in  conclusione  oportet 
extremitatem  extremitati  convenire  parti- 
culariter, sicut  in  praemissa  médium  con- 
veniebat    particulariter  alteri   extrernita- 


tum.  Idem  est,  si  sit  particularis  negativa, 
quia  extremitas  disconvenit  ab  extremitate 
particulariter  in  conclusione,  sicut  médium 
ab  extremitate  in  praemissa.  Secunda  ré- 
gula est.  Si  altéra  preemissarum  est  ne- 
gativa, oportet  conclusionem  esse  negati- 
vam ,  cujus  ratio  est ,  quia  quae  disconve- 
nant in  tertio  ,  oportet  quod  inter  se  dis- 
convenant. Cum  ergo  extremitates  dis- 
conveniant  in  medio,  quia  quod  uni  con- 
venit  alteri  répugnât ,  necessario  inter  se 
disconveniunt,  quare  cum  conclusio  sit  ex 
extremitatibus ,  oportet  unam  ab  alia  re- 
movere ,  et  sic  conclusio  erit  negativa, 
altéra  preemissarum  existente  negativa. 
Sed  praemissarum  quœdam  spectant  ad 
primam  figuram,  quaedam  ad  secundam, 
et  quaedam  ad  tertiam.  Pro  prima  sunt 
duae.  Prima  est  quod  conclusio  semper  as- 


90  OPUSCULE    XLV1. 

milée  à  la  majeure  clans  la  qualité  ,  et  à  la  mineure  dans  la  quantité. 
La  raison  en  est  que  la  conclusion  est  une  partie  de  la  majeure  quant 
au  prédicat ,  car  elle  a  le  même  prédicat  que  la  majeure ,  et  elle  fait 
partie  de  la  mineure  quant  au  sujet;  or  la  qualité  est  la  disposition  du 
prédicat  comme  de  la  forme ,  et  la  quantité  est  la  disposition  du  sujet 
comme  de  la  matière.  C'est  pourquoi  la  conclusion  participant  au 
prédicat  par  la  majeure  et  au  sujet  par  la  mineure ,  est  assimilée  à  la 
majeure  dans  la  disposition  du  prédicat,  et  à  la  mineure  dans  la  dis- 
position du  sujet.  La  seconde  règle  est  que  tous  les  problèmes  con- 
cluent par  la  première  figure ,  et  cela  tant  sous  le  rapport  universel 
que  particulier,  tant  affirmatif  que  négatif/Dans  la  seconde  figure  il 
n'y  a  qu'une  règle ,  savoir,  qu'il  n'y  a  en  elle  que  des  conclusions 
négatives.  La  raison  de  cela,  c'est  qu'il  faut  qu'une  des  prémisses  soit 
négative,  comme  on  l'a  montré,  et  lorsqu'il  en  est  ainsi,  la  conclusion 
doit  nécessairement  être  négative.  Dans  la  troisième  figure  il  n'y  a 
non  plus  qu'une  règle,  savoir,  que  toute  conclusion  est  particulière 
et  jamais  universelle;  la  raison  en  est  que,  bien  que  deux  choses  s'ac- 
cordent en  une  troisième ,  et  que  même  cette  troisième  chose  leur 
convienne  universellement,  il  ne  s'ensuit  pas  nécessairement  que  ces 
deux  choses  doivent  totalement  s'accorder  ou  être  la  même  chose.  Il 
en  est  ainsi ,  parce  qu'il  arrive  que  le  grand  extrême  est  moindre  que 
la  mineure.  C'est  pourquoi ,  dans  la  conclusion ,  la  majeure  ne  sera 
pas  appliquée  à  la  mineure  universellement.  Par  exemple,  tout  homme 
est  risible,  tout  homme  est  animal;  il  ne  s'ensuit  pas  que  tout  animal 
est  risible,  mais  bien  que  quelque  animal  est  risible. 

Après  avoir  tracé  les  règles  qui  apprennent  à  bien  construire  les 
syllogismes  relativement  à  l'in-ètre  avec  leurs  raisons ,  il  reste  à 
exposer  sommairement  celles  qui  concernent  leur  valeur  par  rapport 


similatur  majori  in  qualitate  et  minori  in 
quantitate;  cujus  ratio  est  quia  conclusio 
est  pars  majoris  quantum  ad  praedicatum, 
habetenim  idem  praedicatum  cum  majori, 
et  minoris  quantum  adsubjectum ,  qualitas 
autem  est  dispositio  prœdicati,  quasi  for- 
mée ,  quantitas  autem  est  dispositio  sub- 
jecti,  quasi  n\ateriae.  Unde  cum  conclusio 
participet  praedicatum  a  majori  et  subjec- 
tutn  a  minori ,  assimilatur  majori  in  dis- 
position prsedicati  et  minori  in  disposi- 
tione  subjecti.  Secunda  régula  est ,  quod 
omnia  problemata  concluduntur  per  pri- 
mam  figuram,  hoc  est  tam  universale 
quam  parliculare,  tam  aflirniativum  quam 
negativum.  In  secunda  figura  est  una  ré- 
gula, scilicet  quod  in  ea  non  concluditur 
nisi  négative;  cujus  ratio  est,  quia  oportet 
alteram  praemissarum  esse  negativam ,  ut 


ostensuni  est ,  et  quando  ita  est ,  necesse 
est  conclusionem  esse  negativam.  In  tertia 
est  una  similiter,  scilicet  quod  omnis  con- 
clusio est  particularis  et  nunquatn  univer- 
salis  ;  cujus  ratio  est ,  quia  licet  duo  con- 
venant in  uno  tertio  ,  etiam  quod  univer- 
saliter  tertium  illis  conveniat ,  non  ideo 
oportet  £  uod  illa  duo  inter  se  totaliter  con- 
veniant,  vcl  sint  idem  ;  quod  ideo  est  quia 
contingit  majorem  extremitatem  in  minus 
esse,  quam  minorem.  Unde  in  conclusione 
major  non  praedicabitur  de  minori  univer- 
salités Ut,  omnis  homo  est  risibilis  ;  omnis 
homo  est  animal,  non  sequitur,  ergo  omne 
animal  est  risibile  ,  sed  bene  ,  ergo  quod- 
ilam  animal  est  risibile. 

Haliitis  ergo  regulis  cum  suis  rationibus, 
quee  rectificant  syllogismos  de  inesse,  restât 
breviter  tangere  régulas  rectificantes  syllo- 


SUR   LA   NATURE   DES   SYLLOGISMES.  97 

au  mode.  Pour  mettre  ceci  en  lumière  ,  il  faut  savoir  qu'il  y  a  trois 
espèces  de  syllogismes.  L'un  est  formé  de  propositions  de  simple 
inhérence,  c'est  celui  dont  nous  avons  parlé,  un  autre  est  formé  de 
deux  prémisses  de  modo,  un  troisième  d'une  prémisse  de  modo ,  et  de 
l'autre  de  inesse,  et  s'appelle  syllogisme  mixte.  S'il  est  constitué  avec 
deux  prémisses  modales ,  ou  elles  seront  toutes  deux  de  necessario,  ou 
toutes  deux  de  contingenti.  Or  on  entend  par  de  necessario  l'impos- 
sible pris  en  sens  contraire ,  c'est-à-dire  avec  une  négation  adjointe 
au  mot.  Il  est  nécessaire  qu'il  soit,  ou  il  est  impossible  qu'il  ne  soit 
pas,  est  tout-à-fait  la  même  chose;  car  c'est  le  même  jugement  de 
part  et  d'autre.  Il  faut  aussi  savoir  qu'ici ,  tant  dans  les  prémisses  que 
dans  la  conclusion,  on  prend  toujours  un  contingent  non  nécessaire 
qui  est  dit  dans  le  contingent  né  et  indéfini ,  c'est-à-dire  indifférent. 
Si  donc  le  syllogisme  est  forme  de  deux  prémisses  de  necessario,  sauf 
les  règles  exposées  pour  chaque  figure ,  il  peut  être  un  bon  syllogisme 
en  concluant  de  necessario ,  et  par  conséquent  de  inesse.  Si  au  con- 
traire il  est  composé  de  deux  prémisses  de  contingenti,  c'est  toujours 
dans  la  première ,  soit  qu'elles  soient  toutes  deux  affirmatives ,  ou 
toutes  deux  négatives,  ou  l'une  ou  l'autre  seulement,  en  exceptant 
seulement  que  si  la  majeure  est  universelle,  la  conclusion  sera  de 
contingenti ,  et  non  de  inesse.  Mais  si  les  deux  prémisses  sont  néga- 
tives ,  en  changeant  la  mineure  ou  l'une  et  l'autre  en  affirmative ,  il 
y  aura  un  syllogisme.  Or,  il  faut  savoir  que  toutes  les  propositions 
de  contingenti  n'ont  pas  nécessairement  une  figure  affirmative  et  se 
convertissent  réciproquement,  les  affirmatives  en  négatives,  et  vice 
versa,  comme  le  démontre  Aristote.  Dans  la  seconde  figure ,  il  ne  se 
fait  pas  de  syllogisme  avec  deux  prémisses  de  contingenti ,  la  raison 
en  est  tirée  de  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  savoir,  que  de  pures  affir- 


gismos  de  modo.  Ad  cujus  evidentiam 
sciendum  est ,  quod  triplex  est  syllogis- 
mus. Quidam  constat  ex  propositionibus 
simplicis  inheerentiœ,  de  quo  dictum  est  ; 
quidam  constat  ex  utraque  prœmissa  de 
modo  ;  quidam  ex  altéra  de  modo  et  altéra 
de  inesse,  et  dicitur  syllogismus  mixtus.  Si 
ex  utraque  modali,  aut  erit  ex  utraque  de 
necessario,  aut  ex  utraque  de  contingenti. 
Sub  necessario  autem  intelligitur,  et  im- 
possibile  contrarie  sumptum ,  id  est  cum 
negatione  apposita  verbo.  Unde  idem  est, 
necesse  est  esse,  et  impossibile  est  non  esse, 
idem  enim  est  judicium  utriusque.  Scien- 
dum etiam,  quod  hic  tam  in  prœmissis, 
quam  in  couclusione  semper  accipitur  con- 
tingens  non  necessarium  ,  quod  dicitur  in 
contingenti  nato  et  indeflnito ,  seu  ad 
utrumlibet.  Si  ergo  lit  syllogismus  ex 
utraque  de  necessario,  salvatis  regulis  prae- 

V. 


habitis  in  omni  figura ,  potest  fieri  bonus 
syllogismus  concludens  de  necessario  et 
per  consequens  de  inesse.  Si  vero  fiât  ex 
utraque  de  contingenti,  semper  fit  in  prima, 
seu  ambœ  sint  affirmativae  seu  négatives  , 
seu  altéra  tantum ,  hoc  solo  excepto  quod 
si  major  sit  universalis  ,  conclusio  erit  de. 
contingenti  et  non  de  inesse.  Si  autem  fue- 
rint  ex  utraque  negativa,  conversa  mi- 
nori,  vel  utraque  in  affîrmativam  erit  syl- 
logismus. Est  autem  sciendum ,  quod  om- 
nes  propositiones  de  contingenti  non  ne- 
cessario habent  affîrmativam  figuram  et 
convertuntur  ad  se  invicem  affirmativae 
negativis,  et  e  contra,  ut  probat  Philoso- 
phus ,  I.  Priorum.  In  secunda  autem  figura, 
ex  utrisque  de  contingenti  non  fit  syllo- 
gismus, cujus  ratio  ex  superioribus  patet, 
quia  scilicet  ex  puris  affirrnativis  in  se- 
cunda figura  non  est  syllogismus.  Proposi- 


98  OPUSCULE  XLVI. 

mauves  il  ne  résulte  pas  de  syllogisme  dans  la  seconde  figure.  Or  les 
propositions  de  eontingenti ,  comme  on  l'a  dit,  sont  toutes  affirmatives 
dans  la  seconde  figure.  Dans  la  troisième  figure,  on  ne  fait  pas  de 
syllogisme  avec  deux  propositions  de  eontingenti,  à  moins  que  l'une 
et  l'autre  soit  particulière.  Mais  s'il  se  fait  un  syllogisme  mixte,  ou 
c'est  avec  une  de  inesse ,  et  l'autre  de  necessario ,  ou  avec  une  de 
eontingenti,  et  l'autre  de  inesse,  ou  avec  une  de  necessario,  et 
l'autre  de  eontingenti.  Car  la  mixtion  ne  se  fait  pas  de  plusieurs 
manières.  Il  faut  donc  savoir  que  dans  toute  mixtion  semblable , 
c'est-à-dire  de  Y  inesse  et  de  eontingenti ,  de  inesse  doit  toujours  se 
prendre  simplement,  et  non  de  inesse,  comme  présentement.  On 
appelle  proposition  de  inesse  simplement  celle  dans  laquelle  le  pré- 
dicat est  inhérent  au  sujet ,  qu'il  soit  de  sa  quiddité ,  quant  au 
premier  mode  par  soi ,  ou  non ,  mais  qu'il  découle  de  ses  principes , 
comme  lorsque  la  passion  propre  se  dit  du  sujet ,  quant  au  second 
mode.  Elle  se  dit  aussi  de  inesse  simplement ,  quand  on  attribue 
quelque  accident  commun  qui  suit  toute  l'espèce ,  suivant  tout  le 
temps,  comme  la  noirceur  se  trouve  dans  le  corbeau  et  dans  l'Ethio- 
pien. Mais  quand  une  chose  ne  se  dit  du  sujet  d'aucune  de  ces  manières, 
la  proposition  est  de  inesse  ut  nune ,  comme  celle-ci ,  tout  homme 
court.  Si  donc  il  y  a  mixtion  de  inesse  et  de  necessario  dans  la  pre- 
mière figure  ,  voici  la  règle.  Lorsque  la  majeure  est  de  necessario  et 
la  mineure  de  inesse  simplement ,  et  non  ut  nune ,  il  s'ensuit  une 
conclusion  de  necessario.  Si  c'est  le  contraire  qui  a  lieu ,  savoir,  si  la 
majeure  est  de  inesse,  et  la  mineure  de  necessario ,  la  conclusion  est 
de  inesse ,  et  non  de  necessario  ;  la  raison  de  cela  c'est  que  la  con- 
clusion participant  avec  la  majeure  dans  le  prédicat ,  comme  on  l'a 
dit ,  et  le  mode  de  nécessité  et  de  contingence  étant  la  disposition  du 
prédicat  dans  la  comparaison  au  sujet ,  la  conclusion  participera  de 


tiones  autem  de  eontingenti,  ut  dictum 
est,  affirmativae  sunt  omnes  in  secunda  fi- 
gura. In  tertia  vero  figura,  ex  utrisque  de 
eontingenti  non  fit  syllogismus,  nisi  utra- 
que  sit  particularis.  Si  vero  fiât  syllogis- 
mus mixtus ,  aut  est  ex  una  de  inesse  et 
altéra  de  necessario ,  aut  ex  una  de  eon- 
tingenti et  altéra  de  inesse  ,  aut  ex  una  de 
necessario  et  altéra  de  eontingenti.  Pluri- 
lms  enim  modis  non  fit  mixtio.  Sciendum 
ergo,  quod  in  omni  tali  mixtione,  scilicet 
de  inesse  et  eontingenti,  semper  de  inesse 
débet  accipi  simpliciter  ,  et  non  de  inesse 
ut  nune.  Dicitur  autem  propositio  de  inesse 
simpliciter,  in  qua  prœdicatum  per  se  inest 
subjecto,  seu  sit  de  quidditate  ejus 
quantum  ad  primum  modum  per  se,  seu 
non,  sed  fluat  ex  principiis  ejus ,  ut  cum 
propria  passio  dicitur  de  subjecto  ,  quan- 


tum ad  secundum  modum.  Dicitur  etiam 
de  inesse  simpliciter,  quando  prsedicatur 
aliquod  accidens  commune ,  quod  sequitur 
totam  speciem  secundum  omne  tempus, 
sicut  nigredo  inest  corvo  et  ^Ethiopi. 
Quando  autem  nullo  istorum  modorum 
prœdicatur  aliquid  de  subjecto,  est  de  in- 
esse ut  nune,  ut  haec  :  Omnis  homo  currit. 
Si  ergo  sit  mixtio  de  inesse,  et  necessarii 
in  prima  figura ,  est  talis  régula.  Majore 
existente  de  necessario  ,  et  minori  de  inesse 
simpliciter,  et  non  ut  nune,  sequitur  con- 
clusio  de  necessario.  Si  autem  e  converso 
fiât ,  scilicet  majore  de  inesse  ,  et  minore 
de  necessario,  sequitur  conclusio  de  inesse 
et  non  de  necessario  ,  quorum  ratio  est 
quia  cum  conclusio  participet  cum  majore 
in  praedicato,  ut  dictum  est,  modus  autem 
necessitatis  et  contingentée  sit  dispositio 


SUR  LÀ   NATURE   DES   SYLLOGISMES.  99 

la  même  manière  ,  ce  qui  ne  peut  se  faire  quand  la  mineure  est  de 
necessario  et  la  majeure  de  inesse ,  mais  néanmoins  il  s'ensuit  bien 
alors  une  conclusion  de  inesse.  Car  il  y  a  plus  dans  inesse  simplement 
que  nécessairement.  Car  les  choses  qui  sont  inhérentes  nécessairement 
le  sont  simplement,  mais  non  pas  réciproquement.  Voici  la  règle 
dans  la  seconde  figure.  Lorsque  l'universelle  négative  est  de  necessario, 
et  l'autre  de  inesse ,  la  conclusion  est  de  necessario.  S'il  en  est  autre- 
ment, la  conclusion  n'est  pas  de  necessario,  parce  que  si  l'affirmative 
est  de  necessario  et  la  négative  de  inesse ,  il  s'ensuit  une  conclusion 
de  inesse.  La  raison  de  cela  est  que  la  seconde  figure  ,  dans  tous  ses 
modes ,  provient  du  mode  de  la  première  figure  dans  lequel  la  ma- 
jeure est  universelle  négative ,  et  revient  à  lui ,  comme  on  voit.  Et , 
par  conséquent ,  comme  il  falloit  pour  une  telle  conclusion  que  l'uni- 
verselle négative ,  qui  est  la  majeure ,  fût  de  necessario ,  de  même 
dans  cette  figure  il  faut  qu'une  pareille  négative  soit  majeure  ,  après 
la  réduction  de  la  première.  On  voit  par  là  que  dans  le  quatrième  mode 
de  la  seconde  figure  il  ne  peut  pas  se  faire  une  mixtion  universelle 
quant  à  la  conclusion  de  necessario ,  puisqu'il  n'y  a  pas  d'universelle 
négative.  Dans  la  troisième  figure  ,  voici  la  règle  sur  le  mode  d'affir- 
mation et  de  négation.  Lorsque  l'universelle  affirmative  ou  négative 
est  de  necessario,  il  en  résulte  une  pareille  conclusion,  autrement  non. 
On  peut  donner  de  cela  la  même  raison  que  dessus ,  que ,  après  la 
réduction  à  la  première  figure,  l'universelle  deviendra  majeure, 
laquelle  doit  être  de  necessario  dans  la  première.  On  voit  par  là  que 
dans  le  premier  et  le  second  mode  de  la  troisième  figure  on  fait  quatre 
syllogismes  universellement  mixtes ,  en  prenant  de  part  et  d'autre  de 
necessario.  Voici  la  suite  de  la  seconde  mixtion,  savoir,  de  inesse  et  de 
contingenti.  Pour  élucider  cela,  il  faut  savoir  que,  comme  le  dit 


prœdicati  in  comparatione  ad  subjectum, 
conclusio  participabit  eodem  modo  quod 
non  potest  fieri  quando  minor  est  de  ne- 
cessario et  major  de  inesse,  bene  tamen 
tune  sequitur  conclusio  de  inesse.  In  plus 
enim  est  inesse  simpliciter  quamnecessario. 
Quœ  enim  necessario  insunt,  insunt  simpli- 
citer, et  non  e  contra.  In  secunda  vero  fi- 
gura est  talis  régula.  Universali  negativa 
de  necessario  existente ,  et  altéra  de  inesse, 
sequitur  conclusio  de  necessario.  Si  vero 
aliter  fiât,  non  sequitur  de  necessario,  quia 
si  affirmativa  fuerit  de  necessario ,  et  ne- 
gativa de  inesse ,  sequitur  conclusio  de 
inesse  ;  cujus  ratio  est,  quia  secunda  figura 
quantum  ad  omnes  suos  modos  descendit 
a  secundo  modo  primée  figurae ,  in  quo 
major  est  universalis  negativa,  et  in  ipsum 
reducitur,  ut  supra  patet.  Et  ideo ,  sicut 
ibi  oportebat  universalem  negativam,  quee 


est  major  esse  de  necessario,  ut  sequeretur 
talis  conclusio ,  ita  in  hac  figura  oportet 
quod  talis  negativa  post  reductionem  in 
prima  sit  major.  Ex  quo  patet  quod  in 
quarto  secundae  figurae  non  potest  fieri 
universalis  mixtio ,  quantum  ad  conclu- 
sionem  de  necessario,  cum  non  habeat  ali- 
quam  universalem  negativam.  In  tertia 
figura  est  talis  régula  in  modum  affirma- 
tionis  et  negationis.  Universali  affirmativa 
vel  negativa  existente  de  necessario ,  se- 
quitur conclusio  talis,  aliter  non,  cujus 
potest  reddi  eadem  causa  quœ  et  supra, 
quia  post  reductionem  ad  primam  figuram 
universalis  fiet  major ,  quam  oportet  in 
prima  esse  de  necessario.  Per  quod  patet, 
quod  circa  primum  et  secundum  tertiœ 
fîunt  quatuor  syllogismi  universaliter 
mixti,  accipiendo  utrobique  de  necessario. 
Sequitur  de  secunda  mixtione  scilicet  de 


JOO  OPUSCULE   XLVI. 

Aristote ,  le  contingent  se  prend  d'une  manière ,  de  telle  façon  que 
même  le  nécessaire  est  dit  contingent,  c'est-à-dire  non  impossible, 
et  d'une  autre  manière ,  comme  aussi  non  nécessaire.  Or  le  contingent 
se  dit  de  ces  deux  manières  équivoquement ,  comme  de  deux  signes 
signifiés.  Il  se  prend  d'une  autre  manière  comme  persistant  dans  sa 
communauté  sans  regarder  telle  ou  telle  chose ,  mais  dans  un  état 
indifférent,  non  qu'il  soit  cependant  la  troisième  chose  signifiée.  Pris 
dans  ce  sens ,  il  est  dit  contingent  possible ,  ou  suivant  la  raison  de  sa 
communauté ,  de  même  que ,  en  parlant  plus  clairement ,  animal 
peut  se  prendre  de  trois  manières.  L'une  comme  raisonnable ,  l'autre 
comme  irraisonnable,  ces  deux  manières  sont  ses  différences.  La  troi- 
sième manière,  c'est  de  le  considérer  non  sous  tel  ou  tel  rapport, 
mais  seulement  suivant  sa  forme  universelle,  uniquement  en  tant 
qu'animal.  Que  le  nécessaire  soit  contingent ,  c'est  ce  qu' Aristote 
prouve  dans  le  livre  Périherménias.  Comment  cela  se  fait-il?  On  peut 
l'expliquer  ainsi.  Par  rapport  au  contingent ,  ce  qui  est  dit  du  néces- 
saire et  du  non  nécessaire,  c'est  seulement  qu'il  a  la  potentialité  à 
l'être  sans  autre  différence ,  comme  il  dit  du  genre.  Or  dans  l'un  et 
l'autre  des  deux  cas  que  nous  avons  exposés  ,  il  y  a  cette  potentialité , 
quoique  d'une  manière  équivoque,  parce  que  le  nécessaire  a  toujours  - 
la  potentialité  jointe  à  l'acte ,  et  l'autre  séparée  de  l'acte;  c'est  pour- 
quoi l'un  et  l'autre  est  appelé  contingent.  Or  ce  nécessaire  a  deux 
espèces.  L'une  est  le  contingent-né  qui  a  une  cause  pour  laquelle  il 
peut  être  ;  mais  comme  cette  cause  rencontre  quelquefois  des  obstacles, 
il  est  non  nécessaire  ,  comme  blanchir  dans  la  vieillesse.  L'autre  est 
le  contingent  infini ,  c'est-à-dire  indéterminé ,  ou  incertain ,  ou  in- 
différent. 11  est  ainsi  appelé ,  parce  qu'il  n'a  pas  de  raison  pour  se 


inesse  et  contingenti.  Ad  cujus  evidentiam 
sciendum,  quod  ut  dicit  Philosophus ,  I. 
Priorum,  contingens  capitur  uno  modo,  ut 
etiam  necessarium  dicitur  contingens,  id 
est  non  impossibile ,  alio  modo  ut  etiam 
non  necessarium.  De  his  autem  duobus 
modis  dicitur  contingens  œquivoce  ,  sicut 
de  duohus  signis  signiticatis  ;  alio  modo 
capitur  ut  stat  in  sua  communitate ,  non 
respiciens  hoc  vel  aliud  tantum,  sed  indif- 
ferenter  utrumque ,  non  tamen  quod  sit 
tertium  significatum.  Et  hoc  modo  captum 
dicitur  contingens  possibile,  seu  secundum 
rationem  suée  communitatis,  sicut  clarius 
loquendo,  animal  potest  capi  tribus  modis. 
Uno  modo  pro  rationali,  et  alio  modo  pro 
irrationali,  isti  duo  modi  sunt  ejus  diffe- 
rcnti;r:.  Tertio  modo  potest  considerari,  non 
pro  hoc  aut  pro  illo  tantum ,  sed  pro  sua 
forma  universali ,  in  quantum  scilicet  est 
animal  solum.  Quod  autem  necessarium  sit 


contingens ,  probat  Philosophus  in  libro 
Périherménias.  Quomodo  autem  hoc  fit, 
sic  potest  ostendi.  De  ratione  contingentis 
quod  dicitur  de  necessario  et  non  neces- 
sario,  est  solum  quod  habeat  potentialita- 
tem  ad  esse  sine  positione  alterius  diffe- 
rentiee,  sicut  dicitur  de  génère.  Utrumque 
autem  dictorum  habet  hanc  potentialita- 
tem,  licet  eequivoce,  quia  necessarium  ha- 
bet possibilitatem  semper  actui  conjunc- 
tam  ,  aliud  vero  distantçm  ab  actu  ,  ideo 
utrumque  dicitur  contingens.  Hoc  autem 
necessarium  duas  habet  species.  Una  est 
contingens  natum,  quod  quidem  habet 
causam  quare  possit  esse  ;  sed  quia  talis 
causa  aliquando  impeditur,  est  non  neces- 
sarium, sicut  canescere  in  senectute.  Alia 
est  contingens  infinitum,  id  est  indeter- 
minatum  vel  ineertum,  sive  ad  utrumlibet. 
Dicitur  autem  sic,  quia  nullam  causam 
habet,   quare  magis  se  habeat  ad  unam 


OPUSCULE   XLVII,    SUR  LA   LOGIQUE   d' ARISTOTE.  101 

porter  vers  une  partie  plutôt  que  vers  l'autre ,  comme  le  contingent 
de  la  nature ,  comme  il  peut  être  et  n'être  pas.  Aristote  dit  qu'il  ne 
tend  pas  au  nécessaire. 

Fin  de  l'Opuscule  de  la  nature  des  syllogismes. 

L'Abbé  U  D  RI  NE. 


OPUSCULE  XLVIL 

Sur  la  somme  de  toute  la  logique  d' Aristote. 

Tous  les  hommes  sont  naturellement  désireux  de  savoir.  Or  savoir 
est  le  résultat  de  la  démonstration ,  car  la  démonstration  est  le  syllo- 
gisme qui  produit  le  savoir.  Pour  satisfaire  ce  désir  naturel  dans 
l'homme ,  la  démonstration  devient  nécessaire  ;  car  l'effet ,  comme 
tel,  ne  peut  pas  exister  sans  la  cause.  Et  comme,  ainsi  que  nous  l'a- 
vons dit,  la  démonstration  est  le  syllogisme,  pour  la  connoître  il  faut 
préalablement  connoître  le  syllogisme.  Or,  le  syllogisme  étant  un 
certain  tout  formé  de  parties,  on  ne  pourra  le  connoître,  si  l'on 
ne  connoît  pas  les  parties.  Donc,  pour  connoître  le  syllogisme,  il  faut 
d'abord  connoître  ses  parties.  Or  des  parties  du  syllogisme  quelques- 
unes  sont  prochaines,  comme  les  propositions  et  la  conclusion,  qui 
toutes  sont  appelées  énonciations.  D'autres  sont  éloignées,  comme  les 
termes  qui  sont  les  parties  de  renonciation.  Il  faut  donc  traiter  de  ces 
choses,  savoir  de  renonciation  et  des  termes,  avant  de  parler  du  syl- 
logisme. Or  tout  terme  qui  se  dit  sans  complexion  signifie  la  substance, 

partem,  quam  ad  aliam,  sicut  habet  con- 1  Veriher.,  quod  non  sequitur  ad  necessarium. 
tingens  naturae  ;  qualiter  enim  potest  esse  et  I  Explicit  Opusculum  B.  Thomœ  Aquina- 
non  esse.  Et  de  isto  dicit  Aristoteles  in  libro  |  Us,  de  natura  syllogismorum. 

OPUSCULUM  XLVIL 

EJUSDEM  DOCTORIS  ,   DE  TOTIUS  LOGIC*  ArISTOTEMS  SUMMA. 


Omnes  homines  natura  scire  desiderant. 
Scire  autem  est  effectus  demonstrationis  ; 
«st  enim  demonstratio  syllogismus,  Apo- 
dicon,  1,  faciens  scire.  Ad  hoc  autem  quod 
taie  desiderium  naturale  compleatur  in 
homine  ,  necessaria  est  demonstratio  ;  non 
enim  potest  esse  effectus  in  quantum  hu- 
jus  sine  causa.  Et  quia  ut  dictum  est,  de- 
monstratio est  syllogismus  ad  cognoscen- 
dum  eam ,  necesse  est  praecognoscere  syl- 
logismum.  Syllogismus  autem ,  cum  sit 
quoddam  totum  aggregatum  ex  partibus, 


cognosci  non  poterit  partibus  ignoratis. 
Ad  cognoscendum  ergo  syllogismum  opor- 
tet  primo  cognoscere  partes  ejus  ;  partium 
autem  syllogismi  quaedam  sunt  propinquae, 
ut  propositiones  ,  et  conclusio  quae  omnes 
enuntiationes  dicuntur.  Quaedam  vero  sunt 
remotae  ut  termini  qui  sunt  partes  enun- 
tiationis,  ideo  ista  oportet  tractare,  scilicet 
de  enuntiatione  et  de  terminis,  antequam 
de  syllogismo  tracte  tur.  Quilibet  autem 
terminus ,  qui  sine  complexione  dicitur  , 
signiflcat  substantiam  aut  quantitatem  aut 


102  OPUSCULE   XLYII,    CHAPITRE    1. 

ou  la  quantité ,  ou  la  qualité ,  ou  quelque  chose  des  autres  prédica- 
ments;  c'est  pourquoi,  avant  de  traiter  de  renonciation,  il  faut 
s'occuper  des  prédicaments.  Et  parce  que  le  prédicament ,  dans  le 
sens  que  nous  entendons  ici ,  n'est  autre  chose  que  la  disposition  des 
choses  prédicables  dans  l'ordre  prédicamental ,  pour  connoître  les 
prédicaments ,  il  faut  d'abord  connoître  les  choses  prédicables.  Donc, 
pour  parvenir  à  la  science  qui  est  l'objet  des  désirs  de  tous ,  tel  doit 
être  l'ordre  que  nous  garderons  avec  le  secours  de  Dieu;  nous  traite- 
rons d'abord  des  cinq  choses  prédicables,  secondement  des  dix  pré- 
dicaments, troisièmement  de  renonciation,  quatrièmement  du  syllo- 
gisme simpliciter,  cinquièmement  du  syllogisme  appliqué  à  la  matière 
démonstrative  ou  de  la  démonstration.  Quant  au  syllogisme  appliqué 
à  la  matière  probable ,  lequel  appartient  à  la  partie  de  la  logique 
appelée  dialectique ,  dont  il  est  question  dans  le  livre  des  Topiques , 
et  au  syllogisme  appliqué  à  la  matière  sophistique ,  qui  est  opposé  au 
syllogisme  dialectique  dont  on  parle  dans  le  livre  Elenchorum,  je 
n'ai  pas  intention  de  m'en  occuper  pour  le  moment. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Ce  que  c'est  que  l'universel  et  d'où  il  tire  son  origine. 

Pour  connoître  les  cinq  universaux  ou  prédicables  qu'établit  Por- 
phyre ,  il  faut  savoir  que ,  notre  intellect  étant  séparé  de  la  matière 
(car  ce  n'est  pas  une  puissance  attachée  à  un  organe  corporel  ou  ma- 
tériel ,  et  tout  ce  qui  est  reçu  en  une  chose  y  est  reçu  par  le  mode  de 
récipient),  il  faut  en  conséquence  que  ce  qui  est  représenté  objective- 
ment à  l'intellect  par  un  acte  droit  soit  dégagé  de  la  matière  et  des 
conditions  de  la  matière  qui  existent  présentement.  Et  quand  je  dis 

Topic.j  et  de  syllogisino  applicato  ad  ma- 
teriam  sophisticam ,  qui  opponitur  syllo- 
erismo  dialectico.  de  auo  tractatur  in  libro 


qualitatem,  aut  aliquid  aliorum  praedica- 
mentorum,  et  ideo  antequam  de  enuntia- 
tione  tractetur,  oportet  determinare  de 
prœdicamentis.  Et  quia  praedicamentum 
ut  hic  sumitur ,  nihil  aliud  est  quam  or- 
dinatio  preedicabilium  in  ordine  praedica- 
mentali ,  ideo  ad  cognoscendum  praedica- 
menta ,  oportet  prœcognoscere  praedica- 
bilia.  Ad  hocergo  ut  perveniamus  ad  ipsum 
scire  ab  omnibus  naturaliter  desideratum, 
iste  débet  esse  ordo  quem  cum  auxilio  Dei 
tenebimus,  ut  primo  tractetur  de  quinque 
praedicabilibus  ;  secundo,  de  deeem  prœdi- 
camentis; tertio,  de  enuntiatione  ;  quarto, 
de  syllogismo  simpliciter;  quinto,  de  syl- 
logismo applicato  ad  materiam  demonstra- 
tivam  ,  seu  de  demonstratione.  De  svllo- 
gismo  vero  applicato  ad  materiam  proba- 
bilem,  qui  pertinet  ad  partem  logicae  quae 
dialectica  dicitur ,  de  quo  tractatur  in  lib. 


gismo  dialectico,  de  quo  tractatur  in  iinro 
Elench.,  nonintendo  me  ad  praesens  intro- 
mit.tfirfi. 


ici  laiii  su^uioii^aui  ,     *|ui    uppumiu 

gismo  dialectico,  de  quo  tractatur  in  ïibro 

Elench.j  "" 

mittere. 

CAPUT  PRIMUM. 

Quid  sit  universale,  et  quomodo  originelur. 

Ad  cognoscendum  quinque  universalia 
seu  praedicabilia ,  quœ  Porphyrius  ponit , 
sciendum  est,  quod  quia  intellectus  noster 
est  separatus  a  materia  (  non  enim  est  po- 
tentia  affixa  organo  corporali  seu  materiali, 
et  omne  quod  recipitur  in  aliquo  recipitur 
per  modum  recipientis  ) ,  ideo  illud  quod 
objective  in  actu  recto  intellectui  reprae- 
sentatur,  oportet  esse  denudatum  a  mate- 
ria et  a  conditionibus  materiae  ,  quae  sunt 
hic  et  nunc.  Et  dico  hic  denudatum  a  ma- 
teria ,  non  simpliciter  ab  omni  materia , 


SUR   LA    LOGIQUE    D'ARISTOTE.  103 

dégagé  de  la  matière,  ce  n'est  pas  simplement  de  toute  matière, 
mais  de  la  matière  spécialisée.  En  effet,  les  choses  naturelles  sont 
conçues  avec  la  matière ,  c'est  pour  cela  qu'on  dit  que  cet  objet  doit 
être  dégagé  des  conditions  de  la  matière;  par  exemple,  dans  notre 
imagination  il  y  a  la  fantasia  ou  forme  représentant  tel  homme  ,  sui- 
vant ce  qu'il  a  été  extérieurement ,  laquelle  forme ,  par  la  vertu  de 
l'intellect  actif ,  agit  sur  l'intellect  possible ,  comme  les  couleurs ,  en 
vertu  de  la  lumière ,  agissent  sur  la  puissance  visuelle ,  et  alors  il  se 
produit  dans  l'intellect  possible  une  certaine  forme  ,  qui  est  appelée 
espèce  intelligible ,  ou  suivant  les  autres  actes  d'intellection ,  ou  la 
parole,  et  cette  forme  représente  l'homme,  non  cependant  tel  qu'il 
est  présentement,  mais  abstrait  de  telles  conditions,  c'est  là  ce 
qu'on  appelle  être  universel.  C'est  pourquoi  il  y  a  deux  choses  à  con- 
sidérer dans  l'homme  ainsi  conçu ,  savoir,  la  nature  humaine  elle- 
même  ou  ce  qui  la  possède ,  et  l'universalité  ou  abstraction  des 
susdites  conditions  de  la  matière.  Quant  au  premier  rapport,  homme 
dit  la  chose ,  à  l'égard  du  second ,  il  dit  l'intention.  Car  dans  la  réa- 
lité ,  il  ne  se  trouve  pas  d'homme  qui  ne  soit  pas  hic  et  nunc ,  et  la 
nature  dans  ce  sens  est  dite  être  la  première  intention.  Mais  comme 
l'intellect  se  réfléchit  sur  lui-même  et  sur  les  choses  qui  sont  en  lui 
soit  subjectivement,  soit  objectivement,  il  considère  encore  l'homme 
ainsi  conçu  par  lui  en  dehors  des  conditions  de  la  matière ,  et  voit 
que  cette  nature  conçue  avec  une  telle  universalité  ou  abstraction , 
peut  être  attribuée  à  tel  ou  tel  individu,  et  qu'elle  est  réellement  dans 
tel  ou  tel  individu ,  il  forme  en  conséquence  une  seconde  intention 
sur  une  telle  nature ,  et  il  l'appelle  universelle  ou  prédicable ,  ou 
quelque  chose  de  semblable.  Donc ,  suivant  ce  que  nous  venons  de 
dire ,  une  chose  en  tant  que  conçue  est  dite  universelle  ,  mais  en  tant 


sed  a  materia  signata.  Res  enirn  naturales 
intelliguntur  cum  materia,  et  propter  hoc 
dictum  est ,  quod  débet  esse  denudatum  a 
conditionibus  materiee  ,  verbi  gratia.  In 
nostra  phantasia  est  phantasia,  seu  forma 
repraesentans  hune  hominem,  secundum 
quod  fuit  in  aliquo  sensu  exteriori,  quse 
forma  virtute  intellectus  agentis  agit  in 
intellectum  possibilem  ,  sicut  colores  vir- 
tute luminis  agunt  in  potentiam  visivam, 
et  causatur  tune  •  in  intellectu  possibili 
quaedam  forma,  quoa  dicitur  species  intel- 
ligibilis,  vel  secundum  alios  actus  intelli- 
gendi,  vel  verbum,  quae  forma  reprsesentat 
hominem,  non  tamen  ut  hic  et  nunc ,  sed 
abstractum  a  talibus  conditionibus,  et  hoc 
dicitur  esse  universale.  Unde  in  homine  sic 
intellecto,  est  duo  considerare  ,  scilicet  ip- 
sam  naturam  humanam,  seu  habens  eam, 


et  ipsam  umversalitatem  seu  abstractionem 
a  dictis  conditionibus  materiae.  Quantum 
ad  primum ,  homo  dicit  rem  ,  quantum 
vero  ad  secundum  dicit  intentionem.  Non 
enim  in  re  invenitur  homo  qui  non  fit  hic, 
et  nunc,  et  ipsa  natura,  ut  sic  dicitur  esse 
prima  intentio.  Sed  quia  intellectus  reflec- 
titur  supra  seipsum  et  supra  ea  quae  in  eo 
sunt  sive  subjective  sive  objective,  consi- 
dérât iterum  hominem  sic  a  se  intellectum 
sine  conditionibus  materiae,  et  videt  quod 
talis  natura  cum  tali  universalitate  seu 
abstractione  intellecta  potest  attribui  huic 
et  illi  individuo,  et  quod  realiter  est  in  hoc 
et  illo  individuo  ,  ideo  format  secundam 
intentionem  de  tali  natura,  et  hanc  vocat 
universale  seu  praedicabile,  vel  hujusmodi. 
Secundum  ergo  praedicta  res  ut  est  intel- 
lecta dicitur  universalis,  secundum  autem 


104  OPUSCULE   XLYII,    CHAPITRE    2. 

que  l'intellect  considère  cette  universalité  en  quoi  il  s'attribue  quelque 
chose  suivant  l'être  en  plusieurs ,  ou  l'attribution  à  plusieurs,  et  ainsi 
elle  est  dite  seconde  intention.  Nous  allons  parler  maintenant  de  ces 
secondes  intentions,  ou  des  cinq  universaux  ou  prédicables  qui  sont 
appelés  universaux  en  tant  que  l'intellect  leur  attribue  l'être  en  plu- 
sieurs; ils  sont  appelés  prédicables,  à  raison  de  ce  que  l'intellect  les 
fait  appliquer  à  plusieurs.  Ce  sont  le  genre,  la  différence,  l'espèce, 
le  propre  et  l'accident. 

CHAPITRE  II. 

Ce  que  c'est  que  le  genre  et  d'où  il  tire  son  origine. 

Le  genre ,  tel  que  nous  l'entendons  ici ,  est  ce  qui  est  affirmé 
de  plusieurs  choses  différentes  en  espèces  in  eo  quod  quid.  Or, 
pour  comprendre  les  divers  points  de  cette  description ,  il  faut 
savoir  que  le  genre  se  dit  de  plusieurs  espèces,  ou  se  divise  en 
plusieurs  espèces.  Mais  comme  il  n'est  pas  un  être  en  réalité ,  mais 
seulement  suivant  la  raison,  sa  division  ne  s'opère  pas  en  réalité. 
Et  comme  encore  le  genre  n'est  pas  quelque  chose  de  réel ,  les  par- 
ties subjectives  ou  les  espèces  en  lesquelles  il  se  divise ,  sont  réel- 
lement diverses  et  distinctes  entre  elles,  il  faut  en  conséquence 
qu'elles  aient  en  elles  quelque  chose  de  réel ,  par  quoi  l'une  est 
différente  de  l'autre.  Il  faut  remarquer  ici  qu'une  même  chose  a, 
par  son  essence  avec  l'essence  d'une  autre  chose ,  quelque  conformité 
ou  convenance  et  quelque  difformité  réelle  ,  laquelle  conformité  ou 
difformité  peut  être  plus  grande  ou  plus  petite  par  comparaison  à 
diverses  choses ,  par  exemple  :  Sortes,  par  son  essence  qui  est  de  telle 
ame  et  de  tel  corps ,  est  conforme  à  Platon ,  à  ce  cheval  et  à  cette 
plante.  'En  effet ,  Sortes  par  son  essence  est  raisonnable  ,  sensible  et 


quod  intellectus  talem  universalitatem 
considérât ,  secundum  hoc  attribuit  sibi 
aliquid  secundura  esse  in  pluribus,  vel  dici 
de  pluribus,  et  sic  dicitur  secunda  intentio. 
De  quibus  secundis  intentionibus  nunc  di- 
cemus ,  scilicet  de  quinque  universalibus 
seu  praedicabilibus ,  quae  universalia  di- 
cuntur  prout  intellectus  attribuit  eis  in 
pluribus;  prœdicabilia  vero  dicuntur  prout 
intellectus  attribuit  eis  dici  de  pluribus. 
Sunt  autem  hœc,  genus,  species,  differen- 
tia,  propriura  et  accidenjs. 

CAPUT  II. 

Quid  sit  genus  et  unde  originem  habeal. 

Genus  ut  hic  sumitur,  est  quod  prœdi- 
catur  de  pluribus  differentibus  specie  in  eo 
quod  quid.  Ad  videndum  autem  part iculas 
hujus  descriptionis ,  sciendum  est  ,  quod 
genus  dicitur  pnedicari  de  pluribus  specie- 


bus,  seu  dividitur  in  plures  species.  Et 
cum  non  sit  unum  re,  sed  solum  secun- 
dura rationera ,  ideo  non  dividitur  secun- 
dum  rera.  Et  quia  genus  non  est  unum  re, 
ideo  partessubjectivaeseu  species  in  quas  di- 
viditur ,  sunt  realiter  diversae  et  distinctes 
inter  se ,  ideo  oportet  quod  aliquod  reale 
habeant  in  se,  per  quod  reale  una  sit  di- 
versa  ab  alia.  Uni  nota ,  quod  una  et  ea- 
dem  res  per  suam  essentiam  cum  essentia 
alterius  rei  habet  aliquam  conformitatem 
seu  convenientiam,  et  aliquam  difïbrmita- 
tem  realem ,  quae  conformitas  vel  diffor- 
mitas  potest  esse  major  vel  minor  per 
comparationem  ad  diversas  res  ,  verbi 
gratia.  Sortes  per  essentiam  suam  quae  est 
ex  hac  anima  et  hoc  corpore,  conformatur 
Platoni  ,  et  huic  equo,  et  huic  plantœ. 
Sortes  enim  per  suam  essentiam  est  ratio- 
nalis,  sensibilis  et  vivus;  in  omnibus  his 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  105 

vivant;  dans  ces  trois  choses  il  est  conforme  à  Platon.  Il  est  conforme 
à  ce  cheval  en  deux  choses ,  savoir  dans  le  sensible  et  dans  le  vivant, 
et  il  est  difforme  en  une  chose ,  parce  qu'il  est  réellement  raisonnable, 
ce  qui  n'est  pas  dans  le  cheval;  il  est  conforme  à  la  plante ,  savoir 
dans  le  vivant.  Mais  comme  notre  intellect  peut  distinguer  les  choses 
qui  sont  unies  en  réalité,  quand  une  de  ces  choses  ne  tombe  pas  sous 
la  raison  de  l'autre  ,  et  lorsque  le  raisonnable,  considéré  en  soi,  n'est 
point  de  la  raison  du  sensible  ,  et  le  sensible  de  la  raison  du  vivant , 
c'est  pour  cela  qu'il  prend  ces  choses  séparément  dans  Sortes ,  sous 
différents  rapports  ,  comme  nous  l'avons  dit.  Donc  ,  quand  l'intellect 
considère  en  réalité  ce  en  quoi  une  chose  convient  à  d'autres  choses, 
il  attribue  à  cette  chose  conçue  une  intention  d'universalité.  Et  comme 
dans  chaque  chose  singulière  il  faut  considérer  quelque  chose  ,  qui 
est  le  propre  de  cette  chose,  en  tant  qu'elle  est  cette  chose ,  de  même 
que  dans  Sortes  il  faut  considérer  quelque  chose  qui  est  tellement  le 
propre  de  Sortes ,  en  tant  qu'il  est  tel  homme,  qu'il  ne  convient  à  nul 
autre.  Donc  l'intellect  attribue  à  une  chose  ainsi  conçue  une  intention 
de  singularité  ,  et  il  appelle  cela  singulier  ou  individuel ,  et  ces  se- 
condes intentions  sont  l'universalité  et  la  singularité.  Aussi ,  bien 
qu'on  ait  dit  plus  haut  que  les  intentions  sont  le  produit  de  l'intellect, 
il  faut  néanmoins  qu'elles  aient  quelque  fondement  dans  les  choses 
extérieures.  Car  il  répond  à  l'intention  de  singularité  en  dehors  de  ce 
qui  est  le  propre  de  Sortes ,  en  tant  qu'il  est  tel  homme  ,  et  à  l'inten- 
tion d'universalité  extérieurement,  comme  le  fondement  dans  lequel 
Sortes  est  conforme  aux  autres  choses.  Donc  ,  comme  les  choses  qui 
sont  conformes  en  une  chose  sont  difformes  en  une  autre ,  pourvu 
qu'une  telle  difformité  soit  selon  la  forme  et  non  selon  la  matière 
caractérisée,  ou  selon  ce  qui  est  propre  à  tel  individu,  en  tant  que  tel, 


tribus  est  conformis  Platoni.  Huic  autem 
equo  est  conformis  in  duobus  ,  scilicet  in 
sensibili  et  in  vivo ,  et  in  uuo  est  diffor- 
mis,  quia  in  eo  est  realiter  rationale,  quod 
non  est  in  hoc  equo  ;  huic  vero  plantœ  con- 
formis est  in  uno,  scilicet  in  vivo.  Quia 
vero  intellectus  noster  ea  quse  in  re  sunt 
conjuncta  ,  potest  distinguere ,  quando 
unum  eorum  non  cadit  in  ratione  alterius , 
et  cum  rationale  in  se  consideratum  non 
sit  de  ratione  sensibili,  nec  sensibile  de 
ratione  vivi.  ideo  ea  in  Sorte  separatim  ac- 
cipit ,  ut  dictum  est  per  respectum  ad  di- 
versa.  Quando  ergo  intellectus  considérât 
in  re  illud  in  quo  convenit  cum  aliis  rébus , 
illi  rei  concepts  attribuit  intentionem  uni- 
versalitatis.  Et  quia  in  qualibet  re  singu- 
lari  est  considerare  aliquid ,  quod  est  pro- 
prium  illius  rei,  in  quantum  est  haec  res, 
sicut  in  Sorte  est  considerare  aliquid  quod 


est  ita  proprium  Sortis  in  quantum  est 
hic  homo ,  quod  nulli  alii  convenit.  Rei 
ergo  sic  conceptse  attribuit  intellectus  in- 
tentionem singularitatis,  et  vocat  illud  sin- 
gulare  vel  individuum,  et  hse  secunda?  in- 
tentiones  sunt ,  scilicet  universalitas  et 
singularitas.  Unde  licet  supra  dictum  fuerit 
quod  intentiones  fiunt  ab  intellectu ,  ta- 
men  oportet  quod  aliquod  fundamentum 
habeant  in  re  extra.  Nam  intentioni  sin- 
gularitatis respondet ,  extra  illud  quod  est 
proprium  Sortis,  in  quantum  est  hic 
homo  ;  intentioni  vero  universalitatis  res- 
pondet extra ,  ut  fundamentum  illud  in 
quo  Sortes  est  conformis  cum  aliis  rébus. 
Cum  igitur  ea  quœ  in  uno  conformantur , 
et  in  alio  sunt  difformia ,  dummodo  talis 
difformitas  sit  secundum  formam  et  non 
secundum  materiam  signatam,  vel  secun- 
dum illud  quod  est  proprium  huic  indivi- 


106  OPUSCULE  XL VII,  CHAPITRE  2. 

l'intellect  attribue  l'intention  de  genre  à  ce  en  quoi  ces  choses  s'ac- 
cordent ,  et  l'appelle  genre.  Il  faut  remarquer  ici ,  suivant  Avicenne , 
qu'il  y  a  deux  formes;  l'une  qui  est  partie  du  composé,  comme  l'ame 
est  la  forme  de  l'homme,  car  l'homme  se  compose  de  corps  et  d'ame. 
Pour  l'autre ,  elle  suit  tout  le  composé  ,  comme  l'humanité ,  qui  est 
aussi  la  forme  de  l'homme  ,  et  prise  dans  ce  sens  la  forme  s'appelle 
quiddité,  et  elle  est  ce  que  l'intellect  conçoit  de  la  chose.  Donc ,  quand 
l'intellect  conçoit  la  forme  susdite  ou  la  quiddité ,  comme  celle-ci  est 
déterminée  à  cette  matière ,  savoir  l'humanité  ,  comme  elle  se  trouve 
dans  cette  matière  spéciale ,  dans  celte  chair,  dans  ces  ossements ,  et 
autre  chose  de  ce  genre ,  alors  en  produisant  le  concret ,  savoir  un 
tel  homme ,  il  conçoit  le  singulier  et  lui  attribue  une  intention  de 
singularité.  Mais  s'il  conçoit  cette  forme  non  comme  déterminée  à 
telle  matière ,  parce  que  toute  forme  pareille  est  de  soi  ylurificable  à 
telle  ou  telle  matière ,  l'intellect  attribue  à  ce  qui  a  une  telle  forme 
une  intention  d'universalité ,  par  laquelle  l'homme  est  un  universel. 
Et  si  les  choses  qui  s'accordent  dans  cette  forme  n'ont  pas  entre  elles 
la  difformité  qui  regarde  la  susdite  forme,  mais  si  elles  sont  seule- 
ment difformes  par  la  matière  spéciale  de  telle  ou  telle  chose  ,  dans 
laquelle  ladite  forme  déterminée  est  dans  telle  ou  telle  chose ,  suivant 
le  mode  dont  il  sera  parlé  dans  le  traité  sur  l'espèce  ,  ces  choses  sont 
dites  ne  différer  que  numériquement,  et  le  substantif  concret  de  cette 
forme  reçue  ,  en  tant  qu'il  peut  être  plurifié ,  par  exemple ,  l'homme 
est  appelé  une  espèce  très-spéciale.  Mais  si  les  choses  qui  s'accordent 
dans  quelque  forme  flurifieable  ;  comme  on  a  dit,  sont  difformes 
entre  elles ,  non-seulement  quant  à  la  matière  caractérisée ,  comme 
on  l'a  dit,  mais  quant  à  la  difformité  spécifique,  par  exemple,  parce 


duo,  in  quantum  hujusmodi  illi  uni  in 
quo  talia  conveniunt,  attribuit  intellectus 
intentionem  generis  ,  et  vocat  genus.  Ubi 
nota  secundum  Avicennam ,  quod  duplex 
est  forma.  Queedam  est,  quee  est  pars  com- 
positi,  sicut  anima  est  forma  hominis.  Ex 
anima  enim  et  corpore  componitur  homo. 
Quaedam  autem  sequitur  totum  composi- 
tum,  ut  humanitas,  quae  et  est  forma  ho- 
minis, et  isto  modo  sumpta  forma  dicitur 
quidditas,  et  est  illud  quod  intellectus  in- 
telligit  de  re.  Quando  ergo  intellectus  in- 
telligit  praedictam  formam  seu  quiddita- 
tem,  ut  est  determinata  ad  hanc  materiam, 
puta  humanitatem  ,  ut  est  in  hac  materia 
signata  scilicet  in  his  carnibus  et  in  his  os- 
sibus,  et  hujusmodi,  tune  faciendo  concre- 
tum.  puta  hune  hominem  ,  intelligit  sin- 
gulare ,  et  huic  attribuit  intentionem  sin- 
gularitatis.  Si  vero  dictam  formam  intel- 
ligit, non  ut  est  determinata  ad  hanc  ma- 


teriam, quia  omnis  talis  forma  de  se  plu- 
rificabilis  est  ad  hanc  et  ad  illam  materiam, 
habenti  talem  formam  intellectus,  attri- 
buit intentionem  universalitatis ,  unde 
homo  est  universale.  Et  si  ea  quœ  in  hac 
forma  conveniunt ,  non  habent  inter  se 
difformitatem  pertinentem  ad  dictam  for- 
mam, sed  solum  sunt  difformia  per  mate- 
riam signatam  istius  vel  illius,  in  qua  dicta 
forma  determinata  est  in  isto  vel  in  illo  se- 
cundum modum ,  qui  dicetur  in  tractatu 
de  specie,  illa  dicuntur  solum  differre  nu- 
méro, et  concretum  substantivum,  hujus- 
modi formœ  acceptée,  ut  plurificari  potest, 
puta,  homo  dicitur  species  specialissima. 
Si  vero  ea  quae  conveniunt  in  aliqua  forma 
pluriheabili ,  ut  dictum  est,  sunt  inter  se 
difformia  non  solum  quantum  ad  mate- 
riam signatam ,  ut  dictum  est ,  sed  quan- 
tum ad  difformitatem  specificam ,  puta, 
quod  talis  forma  est  animalitas,  in  qua 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  107 

qu'une  telle  forme  est  l'animalité  en  laquelle  s'accordent  Sortes  et  tel 
cheval,  qui  sont  difformes  entre  eux,  non-seulement  quant  à  la  chair 
et  les  os  ,  mais  en  ce  que  cet  homme  a  la  forme  d'humanité  ,  et  ce 
cheval  celle  d'équinité  ;  de  telles  choses  sont  dites  différer  en  espèce , 
et  telle  forme  en  laquelle  elle  s'accorde  est  prise  en  concret,  par 
exemple  animal  et  genre  ;  et  parce  que,  ainsi  que  nous  l'avons  dit , 
une  telle  nature ,  prise  en  concret ,  peut  se  dire  de  plusieurs  choses 
formellement  différentes  qui  sont  dans  diverses  espèces ,  il  s'ensuit 
qu'une  intention  de  genre  peut  être  attribuée  à  une  telle  nature.  C'est 
pour  cela  qu'on  dit  que  le  genre  s'affirme ,  c'est-à-dire  est  prédicable 
de  plusieurs  choses  différentes  d'espèce ,  ou  qu'il  se  divise  en  plu- 
sieurs espèces.  Et  ce  que  nous  venons  de  dire,  pris  au  concret,  ne 
s'entend  que  dans  le  prédicament  de  la  substance  ;  dans  les  autres 
prédicaments ,  et  surtout  dans  les  absolus ,  le  genre  et  l'espèce  se 
prennent  abstractivement.  Or  le  genre  s'affirme  substantivement, 
suivant  les  grammairiens,  en  ce  qui  constitue  une  chose,  comme 
animal,  qui  se  dit  de  l'homme  et  du  cheval,  est  substantif  et  non 
adjectif.  Car  le  sensible  qui  se  dit  de  l'animal ,  quoique  étant  de  l'es- 
sence de  l'animal ,  ne  se  dit  pas  sous  le  rapport  de  la  quiddité  ,  mais 
de  la  qualité ,  et  c'est  la  raison  pour  laquelle  il  est  adjectif.  Or  il  faut 
savoir  que  les  choses  qui  se  disent  sous  le  rapport  de  la  quiddité  sont 
de  l'essence  ou  de  la  quiddité  des  choses  desquelles  elles  sont  affir- 
mées ,  par  conséquent  s'affirmer  sous  le  rapport  de  la  quiddité ,  non- 
seulement  peut  s'appeler  mode  de  signification ,  comme  on  l'a  dit , 
mais  il  désigne  encore  la  quiddité  de  l'objet  de  l'affirmation ,  et  il  est 
évident  que  c'est  le  genre. 


conveniunt  Sortes  et  hic  equus,  qui  inter 
se  non  solum  surit  difformes  quantum  ad 
has  carnes  et  hœc  ossa  ;  sed  in  hoc ,  quia 
hic  homo  habet  formam  humanitatis  et 
511e  equinitatis ,  talia  dicuntur  differre 
specie,  et  talis  forma  in  qua  conveniunt  in 
concreto  sumpta  ,  puta  animal,  est  genus, 
et  quia  ut  dictum  est  talis  natura  sumpta 
in  concreto  de  pluribus  formaliter  diffe- 
rentibus,  quse  sunt  in  diversis  speciebus, 
dici  potest  ;  hinc  est  quod  tali  naturse  in- 
tentio  generis  potest  attribui;  ideo  dicitur 
quod  genus  praedicatur,  id  est,  prœdicabile 
est-  de  pluribus  differentibus  specie,  seu 
dicitur  dividi  in  plures  species.  Et  hoc 
quod  dictum  est  in  concreto  sumptum,  in- 
telligitur  solum  in  praedicamento  substan- 
tiœ  ;  in  aliis  vero  praedicamentis  et  maxi- 


me in  absolutis  ,  sumitur  genus  et  species 
in  abstracto.  Dicitur  autem  genus  praedi- 
cari  in  eo,  quod  quid  est,  id  est,  substan- 
tive  secundum  grammaticos ,  ut  animal , 
quod  de  homine  et  de  equo  praedicatur, 
est  substantivum  et  non  adjectivum.  Sen- 
sibile  enim  quod  de  animali  praedicatur, 
quamvis  sit  de  essentia  ainm.ilis ,  non 
tamen  dicitur  praedicari  in  quid ,  sed  in 
quale,  et  causa  est ,  quia  est  adjectivum. 
Sciendum  est  autem,  quod  quia  ea  ques  in 
quid  prœdicantur,  sunt  de  essentia,  seu 
quidditate  eorum  de  quibus  praedicantur, 
ideo  praedicari  in' quid  non  solum  potest 
dicere  modum  significandi,  ut  dictum  est, 
sed  etiam  dicit  quidditatem  ipsius  de  quo 
praedicatur,  et  patet  quid  sit  genus. 


108  OPUSCULE   XLVII,    CHAPITRE   3. 

CHAPITRE  III. 

Ce  que  c'est  que  l'espèce  et  d'où  elle  tire  son  origine. 

L'espèce  est  ce  qui  se  dit  de  plusieurs  choses  différentes  numéri- 
quement in  eo  quod  quid.  Quoique  cette  définition  de  l'espèce  puisse 
être  conçue  d'après  ce  que  nous  avons  dit,  néanmoins  pour  plus  de 
développement  il  faut  savoir  que  ,  bien  que  le  principe  d'individua- 
tion  propre  provienne  de  la  matière  spécifiée,  il  ne  faut  pourtant  pas 
entendre  qu'il  ne  vient  pas  de  la  forme  sous  quelque  rapport.  Remar- 
quez que  la  distinction  d'une  chose  d'une  autre  par  la  forme  peut  se 
faire  de  deux  manières.  Premièrement,  quand  une  telle  distinction  se 
fait  par  la  forme  à  raison  de  la  forme,  suivant  qu'il  y  a  différents  de- 
grés dans  les  formes,  et  les  choses  qui  sont  distinguées  de  cette  ma- 
nière doivent  nécessairement  différer  d'espèce  ,  comme  il  a  été  dit. 
Secondement,  une  chose  peut  être  distinguée  d'une  autre  par  la  forme, 
non  suivant  la  raison  absolue  de  la  forme,  mais  suivant  qu'elle  est 
telle  forme,  et  c'est  ainsi  que  diffèrent  en  nombre  deux  quantités  sé- 
parées, soit  qu'elles  soient  séparées  par  l'intellect,  comme  en  mathé- 
matique, soit  qu'elles  soient  séparées  de  la  matière  quant  à  la  chose 
par  la  puissance. divine,  comme  la  quantité  de  deux  hosties  consa- 
crées. Car  la  quantité  est  une  certaine  forme;  et  c'est  encore  ainsi  que 
diffèrent  les  âmes  séparées  numériquement.  En  effet,  elles  ne  diffèrent 
pas.  par  la  matière  qu'elles  n'ont  pas  et  à  laquelle  elles  ne  sont  pas 
unies ,  ni  par  relation  à  la  matière  à  laquelle  elles  sont  susceptibles 
d'être  unies,  puisque  la  relation  est  postérieure  à  son  objet.  Remar- 
quez que  toute  forme  qui  renferme  plusieurs  choses  en  soi,  c'est-à- 
dire  qui  est  prise  universellement,  a  une  certaine  latitude  ;  car  elle  se 
trouve  en  plusieurs,  et  se  dit  de  plusieurs.  Or,  il  peut  y  avoir  dans 


caput  m. 

Quid  sit  species  ,  et  unde  sumal  originem. 

Species  est,  quue  praedicatur  de  pluribus 
differentibus  numéro  in  eo  quod  quid. 
Licet  autem  haec  praedicta  descripto  speciei 
ex  dictis  possit  intelligi  ;  tamen  ad  majo- 
rera declarationem  aliquorum  quee  supra 
dicta  sunt ,  sciendum  est  quod  licet  prin- 
cipium  individuationis  proprium  sit  a  ma- 
teria  siguata,  ut  supra  dictum  est,  non  ta- 
men est  intelligendum ,  quod  aliqualiter 
non  sit  a  forma.  Ubi  nota ,  quod  aliquid 
distingui  ab  aliquo  per  formam,  dupliciter 
potest  esse.  Uno  modo  quod  talis  distinctio 
sit  per  formam  ratione  forma;,  secundum 
quod  in  formis  diversi  gradus  inveniuntur, 
et  quae  sic  distinguuntur  necesse  est  ut 
différant  specie,  ut  supra  dictum  est.  Alio 


modo,  potest  aliquid  distingui  ab  alio  per 
formam ,  non  secundum  .absolutam  ratio- 
nem  forma?,  sed  secundum  quod  est  haec 
forma,  et  sic  differunt  numéro  duae  quan- 
titates  separatae,  sive  sint  separatae  per  in- 
tellectum ,  ut  in  mathematicis  ;  sive  sint 
separatae  a  materia  secundum  rem  virtute 
divina,  utquantitasduarum  hostiarum  con- 
secratarum.  Quantitas  enim  quœdam  forma 
est  ;  et  sic  etiam  differunt  anima?  separatae 
numéro.  Non  enim  differunt  per  materiam 
quam  non  habent ,  nec  ei  conjunguntur, 
nec  per  relationem  ad  materiam  cui  con- 
jungibiles  sunt ,  cum  relatio  sit  posterior 
ipsi  relato.  Ubi  nota ,  quod  omnis  forma 
sub  se  habens  multa,  id  est,  quae  universa- 
liter  sumitur,  habet  quamdam  latitudincm. 
Nam  invenitur  m  pluribus  et  dicitur  de 
pluribus.  Duplex  autem  potest  esse  lati- 


SUR   LA   LOGIQUE   d'àRISTOTE.  109 

les  formes  une  double  latitude.  L'une  suivant  les  degrés  formels,  dont 
l'un  est  en  soi  plus  noble  et  plus  parfait  que  l'autre,  et  cette  latitude 
est,  comme  nous  l'avons  dit ,  une  latitude  de  genre  sous  lequel  il  y  a 
différents  degrés  formels  spécifiquement  différents.  Il  y  a  une  autre 
latitude  suivant  la  plurification  numérale  dans  le  même  degré  ;  et 
parce  que  cette  latitude  n'est  pas  suivant  la  raison  absolue  de  la 
forme,  il  faut  que  la  forme  en  laquelle  est  une  telle  latitude  importe 
dans  sa  raison  quelque  chose  par  quoi  une  telle  latitude  lui  convienne 
et  qui  soit  différent  de  la  raison  absolue  de  la  forme.  Et  si  nous  par- 
lons de  cette  forme  qui  est  une  partie  du  composé ,  par  exemple ,  de 
l'ame  raisonnable,  ce  par  quoi  une  telle  latitude  lui  convient,  est  une 
certaine  imperfection  ,  en  raison  de  ce  qu'elle  est  destinée  à  avoir  le 
caractère  de  partie  d'un  tout  quelconque,  non-seulement  comme  par- 
tie suivant  la  raison,  parce  que  les  formes  spécifiques  elles-mêmes 
sont  parties  suivant  la  raison  ,  mais  comme  partie  suivant  la  chose. 
Car  l'ame  raisonnable  est  une  partie  réelle  de  l'homme ,  et  la  blan- 
cheur est  une  partie  réelle  de  l'homme  blanc.  C'est  pourquoi,  afin  que 
de  telles  formes  se  multiplient  sous  l'espèce ,  il  faut  qu'elles  aient 
cette  potentialité  qui  fait  des  parties  réelles,  et  à  raison  de  cela  cette 
potentialité,  par  le  moyen  de  laquelle  l'ame  raisonnable  est  destinée 
par  son  essence  à  faire  partie  d'un  composé,  lui  confère  une  certaine 
latitude  de  multiplicatiou  suivant  le  même  degré,  quoiqu'elle  soit  sé- 
parée, et  qu'elle  n'informe  pas  en  acte  la  matière.  Et  parce  qu'une 
telle  potentialité  ne  convient  pas  à  l'essence  des  anges,  les  anges  pour 
cette  raison  ne  diffèrent  pas  numériquement  entre  eux ,  mais  chaque 
ange  fait  une  espèce  par  lui-même.  Car  la  nature  ou  l'essence  de 
l'ange  n'a  pas  une  aptitude  naturelle  à  faire  partie  d'un  composé,  qui 
lui  donne  l'espèce ,  comme  l'ame  humaine.  Donc  la  potentialité  de 


tudo  in  formis.  Una  secundum  gradus  for- 
mates, quorum  unus  secundum  se  nobilior 
et  perfectior  est  altero,  et  haec,  ut  dictum 
est,  latitudo  generis  est ,  sub  quo  sunt  di- 
versi  gradus  formates  spécifiée  différentes. 
Alia  latitudo  est  secundum  plurifïcationem 
numeralem  iri  eodem  gradu  ;  et  quia  ista 
latitudo  non  est  secundum  absolutam  ra- 
tionem  formae,  oportet  quod  forma,  in  qua 
est  talis  latitudo,  importet  in  sua  retione 
aliquid  per  quod  conveniat  sibi  talis  lati- 
tudo, quod  sit  aliud  ab  absoluta  ratione 
formse.  Et  si  loquamur  de  illa  forma,  quse 
est  pars  compositi ,  puta  de  anima  ratio- 
nali,  illud  propter  quod  sibi  talis  latitudo 
convenit,  est  imperfectio  qusedam,  secun- 
dum scilicet  quod  nata  est  habere  ratio- 
nem  partis  alicujus  totius,  non  solum  quod 
sit  pars  secundum  rationem,  quia  etiam 
formas  specifleee  sunt  partes  secundum  ra- 


tionem ,  sed  quod  sit  pars  secundum  rem. 
Nam  anima  rationalis  est  pars  realis  homi- 
nis,  et  albedo  est  pars  realis  hominis  albi. 
Unde  ad  hoc  quod  taies  formse  multipli- 
centur  sub  specie  ,  oportet  quod  habeant 
illam  potentialitatem  quse  facit  partes 
reaies ,  et  secundum  hoc  illa  potentialitas 
per  quain  anima  rationalis  per  essentiam 
suam  nata  est  esse  pars  compositi ,  dat  ei 
quamdam  latitudinem  mulliplicationis 
secundum  eumdem  gradum,  non  obstante 
quod  sit  separata ,  et  actu  non  informet 
materiam.  Et  quia  talis  potentialitas  non 
competit  essentise  angelorum ,  ideo  angeli 
non  différant  inter  se  numéro,  sed  quilibet 
angélus  facit  speciem  per  se.  Non  enim  est 
apta  nata  natura  seu  essentia  angeli  esse 
pars  compositi,  ex  qua  compositione  con- 
sequatur  speciem  ,  sicut  anima  humana. 
Potentialitas  ergo  formae  quam  forma  ha- 


110  OPUSCULE    XLVII,    CHAPITRE    4. 

forme  que  possède  la  forme  pour  se  joindre  à  la  matière,  produit  en 
elle  la  multiplication  des  individus ,  et  c'est  ainsi  que  l'on  doit  en- 
tendre ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  que  l'humanité  qui  est  la  forme  qui 
suit  un  tout  composé ,  si  on  la  considère  sous  le  rapport  de  sa  déter- 
mination à  telle  matière  spécifiée,  produit  le  singulier.  Car  humanité, 
comme  on  l'a  dit ,  dit  ame  et  corps ,  d'où  il  suit  qu'en  disant  tel 
corps,  telle  ame,  elle  énonce  un  singulier.  Et  parce  que  l'ame  existant 
dans  le  même  degré  ne  peut  être  divisée  en  plusieurs,  comme  il  a  été 
dit,  si  ce  n'est  à  raison  de  la  potentialité  qu'elle  possède  pour  l'union 
à  une  matière  spécifiée,  il  faut  dire  par  conséquent  que  la  matière 
spécifiée  est  un  principe  d'individuation ,  tandis  que  la  forme  ne  l'est 
que  par  la  matière  pour  laquelle  elle  a  une  puissance  naturelle  d'u- 
nion, et  l'on  voit  ainsi  ce  que  c'est  que  l'espèce.  Il  faut  savoir  néan- 
moins que,  bien  que  la  forme  spécifique,  comme  on  l'a  dit ,  soit  plu- 
rificable  de  soi  à  cause  de  la  potentialité  qu'elle  a  pour  s'unir  à  la 
matière,  cette  plurification  est  cependant  empêchée  quelquefois  acci- 
dentellement ,  par  exemple  si  tous  les  hommes  venoient  à  mourir  et 
qu'il  n'en  restât  qu'un  seul ,  l'humanité  alors  n'existeroit  pas  dans 
plusieurs  matières.  Elle  peut  aussi  être  empêchée  par  la  condition  de 
la  matière,  comme  il  n'y  a  présentement  qu'un  seul  soleil,  non  qu'il 
répugne  à  la  nature  solaire  de  se  trouver  dans  plusieurs  sous  le  rap- 
port de  la  forme,  mais  parce  qu'il  y  a  une  autre  matière  qui  n'est  pas 
susceptible  d'une  telle  forme.  C'est  pourquoi  le  soleil  est  une  espèce 
en  un  seul  individu. 

CHAPITRE  IV. 

De  l'origine  de  la  différence  et  ce  que  c'est' suivant  la  chose  et  l'intention. 

La  différence ,  dans  le  sens  où  elle  est  prise  ici ,  se  définit  de  deux 
manières,  dont  voici  la  première.  La  différence  est  celle  qui  se  dit  de 


bet,  scilicet  ut  jungatur  materiae,  facit  sub 
ea  multiplicari  individua,  et  sic  débet  in- 
telligi  quod  supra  dictum  est,  quod  scilicet 
humanitas  quae  est  forma  sequens  totum 
compositum,  si  consideretur  ut  est  deter- 
miuata  ad'hanc  materiam  signatam  facit 
singulare.  Humanitas  enim  .  ut  dictum  est, 
dicit  animam  et  corpus  ;  unde  dicendo,  hoc 
corpus  ,  et  hanc  animam,  dicit  singulare. 
Et  quia  anima  in  eodem  gradu  existens 
nouposset  dividi  in  plura,  ut  dictum  est, 
nisi  propter  potentialitatem  quam  habet  ut 
uniatur  materiae  signatœ  ,  ideo  dicendum 
est ,  quod  materia  signata  est  principium 
individuationis,  forma  autem  non  nisi  per 
materiam ,  ad  quam  habet  naturalem  po- 
tentiam  ut  sibi  uniatur ,  et  sic  patet  quid 
est  species.  Sciendum  tamen  est,  quod  licet 
forma  specifica,  ut  dictum  est ,  de  se  plu- 


rificabilis  fit  propter  potentialitatem  quam 
habet  ut  materiae  uniatur,  tamen  aliquan- 
do  talis  plurificatio  accidentaliter  impedi- 
tur ,  puta ,  si  omnes  homines  morerentur, 
ut  unus  solus  remaneret ,  tune  humanitas 
non  esset  in  pluribus  materiis.  Vel  potest 
impediri  propter  conditionem  materiae,  si- 
cut  modo  est  unus  tantum  Sol,  non  quod 
repugnet  naturœ  solari  esse  in  pluribus  se- 
cundum  considerationem  formae,  sed  quia 
est  alia  materia  non  susceptiva  talis  formae  ; 
unde  Sol  est  species  in  uno  individuo. 

CAPUT  IV. 

De  origine  différentiel,  et  quid  ipsa  sit  se- 
cundum  rem  et  intenlionem. 

Differentia ,  ut  hic  sumilur  ,  dupliciter 
describitur.  Primo  sic  :  Differentia  est  quae 
prœdicatur  de  pluribus  differentibus  specie 


SUR  LA  LOGIQUE   d'âRISTOTE.  lîl 

plusieurs  choses  différentes  en  espèce  m  eo  quod  quale.  La  seconde  est 
la  différence  qui  abonde  du  genre.  Pour  comprendre  la  première  dis- 
position il  faut  savoir  que,  comme  il  a  été  dit  plus  haut,  dans  quelques 
formes  il  peut  y  avoir  une  latitude  dans  les  mêmes  formes  suivant  les 
degrés  formels  dont  l'un  en  soi  est  plus  noble  et  plus  parfait  qu'un 
autre,  et  c'est  de  cette  forme  que  se  tire  le  genre.  Remarquez  que 
dans  les  êtres  il  y  a  différents  degrés  d'existence  ,  soit  que  ce  soit  des 
degrés  substantiels  ou  accidentels.  Quoique  ces  degrés  soient  disper- 
sés dans  quelques  êtres,  il  se  trouve  néanmoins  quelquefois  quelque 
chose  d'un  qui  renferme  plusieurs  degrés  de  perfection  substantiels 
ou  accidentels,  par  exemple  :  végétative,  sensible,  raisonnable,  sont 
des  degrés  substantiels  d'êtres.  Car  une  plante  est  substantiellement 
végétative,  un  chien  substantiellement  sensible ,  et  l'homme  substan- 
tiellement raisonnable,  et  ces  degrés  dispersés  dans  plusieurs  se 
trouvent  quelquefois  dans  un  seul,  par  exemple ,  dans  l'homme.  Car 
l'homme,  par  sa  forme  substantielle  qui  est  dans  une ,  possède  ces 
trois  perfections,  il  est  végétatif,  sensible  et  raisonnable.  C'est  pour- 
quoi Sortes,  par  son  essence,  est  conforme  à  la  plante,  au  chien  et  à 
Platon,  comme  il  a  été  dit.  Or  cette  conformité  de  Sortes  avec  la 
plante  peut  être  une  des  deux.  Comme  en  effet  la  similitude  de  deux 
choses  noires  est  une  des  deux,  de  l'une  comme  sujet,  de  l'autre 
comme  terme,  de  même  aussi  est  la  conformité  de  Sortes  comme  sujet, 
et  de  la  plante  comme  terme.  Je  ne  dis  pas  pour  cela  qu'une  telle 
conformité  soit  une  relation  suivant  l'être ,  mais  elle  est  une  relation 
suivant  l'application  comme  fondement  de  la  relation  suivant  l'être. 
Or  une  telle  conformité,  qui  est  réellement  une,  comme  il  a  été  dit, 
meut  notre  intellect  à  une  idée,  vivant,  par  exemple,  de  laquelle  idée 


in  eo  quod  quale.  Secundo  sic  :  Differentia 
est  qua  species  abundat  a  génère.  Ad  vi- 
dendum  autem  primam  descriptionem , 
sciendum  est  quod ,  ut  supra  dictum  est, 
in  aliquibus  formis  potest  esse  latitudo  in 
eadem  forma  secundum  gradus  formates, 
quorum  unus  secundum  se  est  nobilior  et 
perfectior  alio ,  et  ab  hac  forma  sumitur 
genus.  Ubi  nota ,  quod  in  entibus  sunt  di- 
versi  gradus  essendi,  sive  sint  gradus  sub- 
stantiales ,  sive  accidentâtes ,  qui  gradus 
licet  in  aliquibus  entibus  sint  dispersi,  ta- 
men  aliquando  invenitur  aliquod  unum 
plures  gradus  perfectionis  substantiales  vel 
accidentâtes  comprebendens.  Verbi  gratia  : 
Vegetabile  ,  sensibile  ,  rationale,  sunt  gra- 
dus entium  substantiales.  Planta  enim  sub- 
stantialiter  est  vegetabilis  ;  canis  vero  sub- 
stantialiter  est  sensibilis,  et  homo  substan- 
tialiter  est  rationalis,  et  isti  gradus  dispersi 
in  multis ,  aliquando  inveniantur  in  uno 


solo  ,  puta  in  homine.  Homo  namque  per 
suam  formam  substantialem  quee  est  in 
una  habet  omnes  istas  très  perfectiones, 
nam  est  vegetabilis,  et  est  sensibilis,  et  est 
rationabilis.  Unde  Sortes  per  unam  suam 
essentiam  conformatur  plauUe ,  et  cani,  et 
Platoni,  ut  supra  dictum  est.  Hœc  autem 
conformitas,  quse  est  Sortis  ad  plantam, 
potest  esse  una  duorum.  Sicut  enim  simili- 
tudo  duorum  nigrorum  est  una  amborum, 
quia  unius  ut  subjecti,  et  alterius  ut  ter- 
mini  ;  sic  talis  conformitas  est  Sortis  ut 
subjecti ,  et  illius  plantse  ut  termini.  Nec 
propter  hoc  dico  quod  talis  conformitas 
sit  relatio  secundum  esse  ,  sed  est  relatio 
secundum  dici,  ut  fundamentum  relationis 
secundum  esse.  Talis  autem  conformitas 
quse  realiter  una  est,  ut  dictum  est,  movet 
intellectum  nostrum  ad  unam  conceptum, 
puta  vivum ,  a  quo  conceptu  sumitur  ge- 
nus vel  aliquando  species,  ut  ex  supra  die- 


1J2  OPUSCULE    XLVII,    CHAPITRE    4. 

se  tire  le  genre,  ou  quelquefois  l'espèce,  comme  on  peut  l'induire  de 
ce  quia  été  dit  plus  haut;  c'est  pourquoi  cette  conformité  se  rapporte 
au  genre  comme  fondement  éloigné.  Mais  l'idée  de  vivant  à  laquelle 
une  telle  conformité  porte  l'intellect,  se  rapporte  au  genre  comme 
fondement  prochain,  et  ainsi,  quoique  l'unité  de  genre  soit  l'unité  de 
raison,  néanmoins  elle  doit  se  fonder  en  quelque  manière  sur  une 
chose  suivant  la  réalité.  Quant  à  la  difformité  qui  existe  entre  Sortes 
et  la  plante,  elle  consiste  en  ce  que  Sortes  a  le  sentiment  et  non  la 
plante,  et  de  cette  difformité  se  tire  la  différence  qui  sépare  la  chose 
qui  est  commune  à  l'homme  et  à  la  plante.  D'où  l'on  voit  par  cette 
différence  que  la  qualité  de  vivant  se  trouve  dans  un  sujet  qui  pos- 
sède quelque  autre  perfection  qui  n'est  pas  dans  la  plante.  Et  parce 
que  dans  cette  perfection ,  savoir  la  sensibilité  ,  Sortes  est  en  conve- 
nance avec  le  chien ,  il  y  a  de  même  entre  eux  une  conformité  qui 
porte  à  une  idée  de  laquelle  ,  si  on  la  prend  au  concret  substantive- 
ment, de  telle  sorte  que  ce  concret  dise  explicitement  de  ce  qu'il  si- 
gnifie et  vivant  et  sensible,  se  tire  un  autre  genre,  savoir  animal.  Si, 
au  contraire,  elle  est  est  prise  au  concret  adjectivement,  de  telle  sorte 
qu'elle  dise  explicitement  de  la  chose  qu'elle  signifie  cette  seule  per- 
fection, savoir  sensible,  il  s'en  tire  la  différence,  savoir,  en  tant  qu'elle 
est  dite  sensible ,  et  ainsi  des  autres  jusqu'à  la  dernière  différence 
spécifique,  au-dessous  de  laquelle  il  n'y  a  point  de  perfection  for- 
melle. Donc,  comme  on  peut  dire  sensible  tout  ce  qui  est  dit  animal, 
et  que  animal,  qui  est  le  genre,  se  dit  de  plusieurs  choses  différentes 
en  espèce,  de  même  sensible,  qui  est  la  différence,  se  dit  de  plusieurs 
choses  différentes  dans  l'espèce.  Il  faut  remarquer  que  la  forme  sub- 
stantielle a  un  double  être;  l'un  objectivement  dans  l'intellect ,  et  en 
raison  de  cet  être  l'intellect  s'attribue  un  nom  abstrait.  Car  l'intellect 

tis  haberi  potest,  unde  talis  conformitas  se  \  substantive ,  ita  quod  taie  concretum  de 
habet  ad  genus,  utfundamentumremotum.  suo  siguificato  dicat  explicite  et  vivum,  et 
Conceptus  vero  vivi ,  ad  quetn  talis  con-  sensibile,  sumitur  aliud  genus,  scilicet  ani- 
forrnitas  movet  intellectum ,  se  habet  ad  mal.  Si  vero  suraatur  in  concreto  adjec- 
genus,  ut  fundamentum  propinquum,  et  tive ,  ita  quod  de  suo  significato  dicat  so- 
sie licet  unitas  generis  sit  unitas  rationis,  lam  illam  perfectionem  explicite,  scilicet 
tamen  aliquo  modo  habet  fundari  in  uno  sensibile  ,  sumitur  differentia ,  puta  in 
secundum  rem.  Difïbrmitas  vero  quae  est  quantum  dicatur  sensibile ,  et  sic  de  aliis 
inter  Sortem  et  plantam  ,  est  quia  Sortes  :  usque  ad  ultimam  differentiarn  specifieam, 
sentit,  non  autem  planta,  a  qua  difformi-  j  infra  quam  non  est  perfectio  formalis. 
tate  sumitur  differentia,  quae  dividit  unum  j  Cum  ergo  de  tôt  possit  dici  sensibile  ,  de 
quod  commune  est  homini  et  plantas.  Unde  i  quot  dicitur  animal ,  sed  animal  quod  est 
per  hanc  differentiarn  ostenditur,  quod  vi-  ;  genus,  prœdicatur  de  pluribus  differentibus 
vum  inveuitur  in  habentem  aliquam  aliam  specie,  similiter  et  sensibile  quod  est  diffe- 
perfectionem ,  qu;e  non  est  in  planta.  Et  rentia,  praedicatur  de  pluribus  differentibus 
quia  in  tali  perfectione ,  puta  sensibihy  specie.  Notandum  quod  forma  substantia- 
convenit  Sortes  cum  cane ,  similiter  inter  lis  habet  duplex  esse.  Unum  est  objective 
eos  est  una  conformitas  movens  ad  unum  in  intellectu,  et  secundum  hoc  esse  intel- 
conceptum  ,  a  quo  si  sumatur  in  concreto    lectus  attribuit  sibi  nomen    abstractum. 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  113 

la  considère,  non  pas  en  observant  la  matière  où  elle  se  trouve ,  et  à 
cause  de  cela  il  se  donne  un  nom  abstrait,  comme  humanité.  Elle  a 
un  autre  être  dans  la  matière,  pour  laquelle  elle  a  une  double  habi- 
tude. La  première  c'est  qu'elle  lui  adhère  comme  sauvée  en  ellefet 
ainsi  elle  a,  en  quelque  sorte,  le  mode  d'accident,  et  ainsi  l'intellect 
lui  donne  un  nom  concret  adjectif,  tel  qu'un  nom  d'accident,  comme 
humain.  La  seconde  est  la  comparaison  qu'elle  a  avec  la  matière, 
comme  la  complétant  et  la  perfectionnant,  et  ainsi  elle  n'a  pas  le 
mode  d'accident,  mais  bien  le  mode  de  substance,  et  ainsi  l'intel- 
lect lui  donne  un  nom  concret  substantif,  comme  homme.  Il  faut 
noter  que  animal  diffère  de  sensible,  parce  que  animal  provient  d'ame 
sensible,  et  sensible  se  dit  à  raison  de  la  sensibilité.  Et  parce  que 
l'ame  par  rapport  à  la  sensibilité  est  comme  la  puissance  à  l'acte, 
conséquemment  la  différence  est  plus  actuelle  que  ce  dont  elle  est  la 
différence,  quoique  se  trouvant  dans  le  même  cercle  l'un  et  l'autre.  Or 
on  dit  que  la  différence  s'applique  à  la  qualité ,  c'est-à-dire  adjective- 
ment. En  voici  la  raison  :  Comme  on  l'a  dit,  en  effet,  la  différence  di- 
visive  de  quelque  genre  se  tire  de  la  perfection  que  n'ont  pas  toutes 
les  choses  qui  sont  sous  le  genre,  laquelle  perfection ,  comparée  à  ce 
d'où  se  tire  le  genre ,  se  montre  comme  quelque  chose  de  parfait,  et 
par  conséquent  comme  formel ,  et  parce  que  les  adjectifs  se  tirent 
communément  des  formes ,  obligés  qu'ils  sont  de  s'adjoindre  à  la 
forme;  conséquemment  pour  désigner  que  la  différence  se  tire  du  seul 
formel,  et  ne  dit  explicitement  que  cela  seul,  la  différence  est  parfaite 
parle  mode  adjectif  dans  son  attribution.  Pour  connoître  de  même 
la  seconde  définition  de  la  différence,  il  faut  savoir  qu'il  est  impossible 
que  la  partie  se  dise  du  tout ,  mais  que  ce  qui  se  dit  en  toute  vérité 
d'une  autre  chose  doit  dire  le  tout.  Lorsqu'on  dit  de  Sortes  qu'il  est 


Considérât  enim  eam  intellectus  non  con- 
siderando  materiam  in  qua  est,  et  propterea 
dat  sibi  nomen  abstractum,  ut  humanitas. 
Aliud  esse  habet  in  materia,  ad  quam  habet 
duplicem  habitudinem.  Una  est,  quia  in- 
hœret  ei  tanquam  salvata  in  ipsa,  et  sic 
aliquo  modo  habet  modum  accidentis ,  et 
sic  dat  ei  intellectus  nomen  concretum 
adjectivum,  quale  est  nomen  accidentis, 
ut  humanum.  Secunda  comparatio  quam 
habet  ad  materiam,  ut  complens  et  perfi- 
ciens  ipsam,  et  sic  non  habet  modum  acci- 
dentis, sed  modum  substantise  ,  et  sic  dat 
ei  intellectus  nomen  concretum  snbstanti- 
vum,  ut  homo.  Notandum  quod  animal 
differt  a  sensibili,  quia  animal  dicitur  ab 
anima  sensibili  ;  sensibile  autem  dicitur  a 
sensibilitate.  Et  quia  anima  a  sensibilitate 
se  habet ,  sicut  potentia  ad  actum  ;  ideo 
differentia  magis  est  actualis,  quam  id  cu- 


jus  est  differentia,  licet  tantum  ambiant 
ambo.  Dicitur  autem  differentia  prœdicari 
in  qualè,  id  est  adjective  ;  hujns  ratio  est. 
Ut  enim  dictum  est ,  differentia  divisiva 
alicujus  generis  sumitur  a  perfectione  , 
quam  non  habent  omnia  quae  sunt  sub  gé- 
nère ,  quse  perfectio  comparata  ad  illud , 
unde  sumitur  genus,  se  habet  ut  quoddam 
perfectum  et  per  consequens  ut  formate , 
et  quia  adjectiva  communiter  a  formis  su- 
muntur,  quse  forma)  habent  adjacere,  ideo 
ad  designandum  quod  differentia  sumitur 
a  solo  formali ,  et  illud  solum  dicit  ex- 
plicite, perfecta  est  differentia  per  modum 
adjectivum  in  sui  prœdicatione.  Ad  viden- 
dum  autem  secundam  difïinitionem  diffe- 
rentia? ,  sciendum  quod  impossibile  est 
partem  de  toto  prœdicari,  sed  quidquid  de 
alio.  vere  prœdicatur ,  oportet  quod  dicat 
totum.  Cum  autem  de  Sorte  praedicetur 


H4  OPUSCULE   XL VII,    CHAPITRE   4. 

homme,  et  animal ,  et  raisonnable  ,  homme  doit  dire  le  tout  formel 
qui  est  dans  Pierre;  je  dis  formel,  parlant  de  la  forme  qui  suit  le  tout 
composé.  Il  faut  de  même  qu'animal  dise  le  tout  formel,  de  même 
auSsi  raisonnable  le  tout  formel ,  mais  de  différentes  manières.  Car 
raisonnable  dit  tout  ce  que  dit  homme,  non  pas  cependant  explicite- 
ment, mais  implicitement.  Raisonnable  dit,  en  effet,  ayant  la  raison  ; 
c'est  pourquoi  il  dit  seulement  raison  de  la  chose  principale  qu'il  si- 
gnifie ;  mais  parce  qu'il  dit  ayant  la  raison,  en  disant  ayant,  on  com- 
prend implicitement  l'homme  quel  qu'il  soit,  et  il  dit  ainsi  tout  ce  que 
dit  homme,  quelque  chose  cependant  explicitement,  et  quelque  chose 
implicitement.  De  même  aussi  animal  dit  tout  ce  que  dit  homme, 
non  pas  cependant  explicitement,  car  animal  dit  ayant  la  vie  et  la  sen- 
sibilité :  c'est  pourquoi  il  ne  dit  du  principal  objet  qu'il  signifie  que 
la  vie  et  la  sensibilité,  mais  dans  ce  qu'il  dit  on  entend  implicitement 
l'homme.  Homme,  au  contraire,  dit  explicitement  le  tout  formel 
qui  est  dans  Sortes;  car  il  dit  ayant  l'humanité,  laquelle  humanité  dit 
explicitement  le  mouvement  et  la  sensibilité  que  dit  animal,  et  laraison 
que  dit  raisonnable ,  ce  qui  fait  que  homme  dit  de  l'objet  principal 
qu'il  signifie  animal  raisonnable  ;  car  en  comparant  les  objets  qu'ils 
signifient  explicitement,  le  genre  et  la  différence  ne  signifiant  qu'une 
partie  de  chacun  d'eux,  et  l'espèce  signifiant  explicitement  ce  qu'elle 
signifie ,  il  s'ensuit  que  les  deux  choses  signifiées  explicitement  par 
l'espèce  excèdent  l'objet  signifié  explicitement  du  genre  dans  l'objet  si- 
gnifié explicitement  de  la  différence.  Il  excède  de  même  l'objet  signifié 
de  la  différence  dans  l'objet  signifié  du  genre.  C'est  donc  à  bon  droit 
que  l'on  dit  dans  la  susdite  définition  que  la  différence  est  ce  par  quoi 
l'espèce  surabonde  du  genre,  parce  que  l'espèce  abonde,  c'est-à-dire 
excède  dans  l'objet  qu'elle  signifie,  même  ce  que  l'espérance  signifie 


homo ,  et  animal ,  et  rationale,  oportet 
quod  homo  dicat  totum  formale,  quod  est 
in  Petro ,  et  dico  formale  ,  loquendo  de 
forma  quœ  sequitur  totum  compositum. 
Similiter  oportet  quod  animal  dicat  totum 
formale,  et  similiter  rationale  dicat  totum 
formale,  sed  diversimode.  Nam  rationale 
dicit  totum  illud  quod  dicit  homo,  non 
tamen  explicite  ,  sed  implicite.  Rationale 
enim  dicit  habens  rationem.  Unde  de  suo 
principali  significato  dicit  solum  rationem, 
sed  quia  dicit  habens  rationem,  in  hoc  quod 
dicit,  habens,  intelligitur  implicite  homo 
quicumque  sit  ille,  et  sic  dicit  totum  quod 
dicit  homo,  aliquid  tamen  explicite  et  ali- 
quid  implicite.  Similiter  etiam  animal  dicit 
totum  quod  dicit  homo,  non  tamen  expli- 
cite, dicit  enim  animal  habens  vitam  et 
sensu  m  :  unde  de  suo  principali  significato 
solum  dicit  vitam  et  sensum ,  sed  in  hoc 


quod  dicit ,  habens  implicite  ,  intelligitur 
homo.  Homo  vero  dicit  explicite  totum 
formale  quod  est  in  Sorte.  Nam  dicit  ha- 
bens humanitatem  ,  quae  humanitas  dicit 
explicite  motum  et  sensum  ,  quod  dicit 
animal,  et  rationem  quam  dicit  rationale, 
unde  homo  de  suo  principali  significato 
dicit  animal  rationale  ;  comparando  enim 
significata  istorum  explicite,  cum  genus  et 
differentia ,  ut  dictum  est,  non  significent 
quodlibet  eorum  nisi  partem,  species  vero 
explicite  significet  illud  quod  significat  ; 
utrumque  ergo  significatum  explicitum 
speciei ,  excedit  significatum  explicitum 
generis  in  significato  explicito  differentise. 
Similiter  etiam  excedit  significatum  diffe- 
rentiae  in  significato  generis.  Bene  ergo 
dicitur  in  prœdicta  descriptione,  quod  dif- 
ferentia est,  qua  species  abundat  a  génère, 
quia  species  abundat,  id  est,  excedit  in  suo 


SUR  LA   LOGIQUE    d'àRISTOTE.  115 

explicitement ,  et  l'on  voit  ainsi  ce  que  c'est  que  la  différence  dans 
son  caractère  propre. 

CHAPITRE  V. 

Du  genre  le  plus  général  et  du  genre  subalterne;  un  être  ne  peut  pas  être 

genre. 

Le  genre  se  divise  en  genre  très-général  et  genre  subalterne.  Le 
genre  le  plus  général  est  celui  en  qui  ne  survient  pas  un  autre 
genre;  ce  qui  doit  être  entendu  de  cette  manière.  Ainsi  que  nous  l'a- 
vons dit,  en  effet,  le  genre  se  tire  de  l'idée  de  conformité  de  certaines 
choses  qui  sont  difformes  dans  certaines  autres  perfections  formelles, 
desquelles  se  tirent  les  différences.  Comme  animal  est  genre,  parce 
qu'il  dit  mouvement  et  sensibilité ,  en  quoi  l'homme  et  le  cheval  sont 
conformes ,  tout  en  étant  difformes  dans  d'autres  perfections ,  par  la 
raison  ,  par  exemple  ,  qu'il  y  a  dans  l'homme  la  raison  qui  n'est  pas 
dans  le  cheval,  d'où  se  tire  la  différence,  savoir  le  raisonnable. 
L'homme  est  aussi  conforme  à  la  plante  dans  le  vivant;  de  cette  con- 
formité se  tire  un  autre  genre,  savoir  le  corps  animé,  et  cette  confor- 
mité est  moindre  que  la  première ,  parce  que  corps  animé  s'étend  à 
plus  de  choses  qu'animal,  aussi  c'est  un  genre  supérieur.  Il  est  encore 
conforme  à  la  pierre  dans  la  corporéité ,  d'où  se  tire  un  autre  genre 
supérieur,  savoir  le  cor'ps.  Il  est  conforme  à  l'ange  dans  la  substance , 
qui  est  une  conformité  plus  éloignée ,  d'où  se  tire  encore  un  autre 
genre,  savoir  la  substance.  Si  l'homme  étoit  difforme  vis-à-vis  d'une 
chose  en  substance ,  il  ne  resteroit  entre  eux  d'autre  conformité  que 
l'entité.  Or  l'être  ne  pouvant  pas  être  genre ,  comme  on  le  dira ,  la 
substance  doit  être  le  genre  le  plus  général.  Quant  aux  autres  genres 
que  nous  avons  dit  être  sous  la  substance,  savoir  corps ,  corps  animé 


significato  etiam  illud,  quod  explicite  si- 
gnificat  differentia ,  et  sic  patet  quid  est 
differentia  secundum  sui  rationem. 

CAPUT   V. 

De  génère  generalissimo ,  et  subalterno ,  et 
quod  ens  non  potest  esse  genus. 

Dividitur  autem  geuus  in  genus  genera- 
lissimum  et  genus  subalternum.  Genus  ge- 
neralissimum  est  illud,  supra  quod  non  est 
aliud  superveniens  genus  ;  quod  sic  débet 
intelligi.  Ut  enim  dictum  est ,  genus  sumi- 
tur  a  conceptu  conformitatis  aliquorum  , 
qua)  in  aliquibus  aliis  perfectionibus  for- 
malibus  sunt  difformia  ,  a  quibus  perfec- 
tionibus forrnalibus  sumuntur  differentiae. 
Sicut  animal  est  genus ,  quia  dicit  motum 
et  sensum ,  in  quibus  homo  et  equus  con- 
formantur,  qui  tamen  sunt  difformes  in 
aliquibus  aliis  perfectionibus,  puta,  quia  in 


homine  est  ratio  quœ  non  est  in  equo,  a 
qua  sumitur  differentia  ,  scilicet  rationale. 
Conformatur  etiam  homo  cum  planta  in 
vivo,  ex  qua  conformitate  sumitur  aliud 
genus ,  scilicet  animatum  corpus ,  et  hœc 
est  minor  conformitas  quam  prima,  et  quia 
ad  plura  se  extendit  animatum  corpus 
quam  animal,  ideo  hoc  est  superius  genus 
Cum  lapide  vero  conformatur  in  corporei- 
tate,  a  qua  sumitur  aliud  genus  superius , 
scilicet  corpus.  Cum  angelo  vero  confor- 
matur in  substantia,  quce  adhuc  est  remo- 
tior  conformitas ,  a  quo  sumitur  aliud  ge- 
nus, scilicet  substantia.  Si  vero  esset  homo 
difformis  alicui  rei  in  substantia,  nulla  eis 
conformitas  remaneret,  nisi  entitas.  Cum 
autem  ens  non  possit  esse  genus,  ut  dice- 
tur,  restât  quod  substantia  sit  genus  gène- 
ralissimum;  reliqua  vero  gênera  quae  sub 
substantia  diximus  ,  scilicet  corpus  ,  ani- 


H6  OPUSCULE   XLVII,    CHAPITRE   5. 

et  animal,  sont  des  genres  subalternes  qui  quelquefois  sont  regardés 
comme  genres,  d'autres  fois  comme  espèces.  Chacun  d'eux,  en  effet,  est 
espèce  relativement  au  genre  supérieur ,  et  genre  relativement  à  l'es- 
pèce inférieure.  On  peut  voir  par  là  comment  une  seule  et  même  dif- 
férence est  divisive  et  constitutive.  Si,  en  effet,  animé  qui  est  diffé- 
rence est  ajouté  à  corps,  comme  ce  qui  signifie  corps  se  trouve  dans 
les  choses  qui  n'ont  pas  cette  perfection  qui  est  animé,  cette  diffé- 
rence divise  corps  qui  toutefois  est  genre  et  constitue  une  espèce, 
qui  n'ont  pas  cette  perfection  qui  est  animé.  D'où  il  arrive  que 
cette  différence  animé  est  tantôt  divisive  du  genre  et  tantôt  consti- 
tutive de  l'espèce ,  et  c'est  aussi  ce  qui  doit  se  faire  dans  les  autres 
genres  jusqu'aux  espèces  les  plus  spéciales,  dont  il  n'y  a  pas  de  diffé- 
rences divisives.  Mais  quelles  sont  les  espèces  les  plus  spéciales ,  on 
peut  le  connoître  d'après  ce  qui  a  été  dit.  Qu'un  être  ne  puisse  pas 
être  genre,  le  voici;  en  effet,  ainsi  qu'on  l'a  dit ,  cela  est  genre  qui 
est  dans  cette  condition  par  rapport  à  sa  différence  divisive  ,  que  la 
différence  signifie  quelque  chose  explicitement  que  ne  signifie  pas  le 
genre  lui-même,  quoique  implicitement  les  deux  disent  le  tout,  c'est 
pourquoi  le  genre  se  trouve  en  dehors  de  l'intellect  des  différences; 
en  voici  un  exemple  dans  les  choses  composées  de  matière  et  de 
forme.  Le  feu  et  l'eau  sont  en  convenance  dans  la  matière  première, 
mais  diffèrent  dans  la  forme,  parce  que  la  forme  substantielle  du  feu 
est  différente  de  celle  de  l'eau;  d'où  il  suit  que  le  feu  et  l'eau  sont  en 
convenance  dans  la  matière ,  parce  que  la  matière  est  leur  partie  es- 
sentielle ,  mais  la  forme  du  feu  et  l'eau  s'accordent  dans  la  matière, 
comme  dans  quelque  chose  différent  de  leur  essence ,  mais  détermi- 
nable  par  elles.  C'est  ainsi  crue  les  espèces  ont  dans  le  genre  un  mode 
de  convenance  que  n'ont  pas  les  différences.  Car  les  espèces  s'ac- 


matum  corpus  et  animal,  sunt  gênera  sub- 
alterna, quœ  aliquando  ponuntur  esse  gê- 
nera, et  aliquando  species.  Quodlibet  enim 
eorum  est  species,  respectu  superioris  ge- 
neris,  et  est  genus  respectu  inferioris  spe- 
ciei.  Ex  his  potest  patere  quomodo  una  et 
eadem  differentia  est  divisiva  et  constitu- 
tiva.  Si  enim  animatum  quod  est  diffe- 
rentia addatur  corpori,  cum  illud  quod  si- 
gnificat corpus ,  inveniatur  in  non  haben- 
tibus  hanc  perfectionem  quœ  est  animatum, 
haec  differentia  dividit  corpus,  quod  modo 
est  genus,  et  constituit  unam  speciem,  sci- 
licet  animatum  corpus.  Unde  haec  diffe- 
rentia, animatum,  modo  est  divisiva  gene- 
ris  et  constitutiva  speciei ,  et  sic  est  acci- 
perc  in  aliis  generibus ,  usque  ad  species 
specialissimas,  quarum  non  sunt  differen- 
isivae.  Qua3  autem  sint  species  spe- 
t  ialisMince  ,  ex  dictis  haberi  potest.   Quod 


autem  ens  non  possit  esse  genus,  sic  patet, 
ut  enim  dictum  est,  illud  est  genus,  quod 
ita  se  habet  ad  suam  differentiam  divisi- 
vam,  quod  differentia  significat  aliquid 
explicite,  quod  non  significat  ipsum  genus, 
licet  implicite  ambo  totum  dicant,  unde 
genus  est  extra  intellectum  differentiarum  ; 
et  datur  exemplum  in  rébus  compositis 
ex  materia  et  forma.  Ignis  enim  et  aqua 
conveniunt  in  materia  prima,  differunt 
autem  in  forma,  quia  alia  est  forma  sub- 
tantialis  ignis ,  et  alla  aquae  :  unde  ignis 
et  aqua  sic  conveniunt  in  materia,  quod 
materia  est  pars  essentialis  eorum  ,  forma 
vero  ignis  et  aqua  conveniunt  in  materia, 
sicut  in  quodam  diverso  ab  essentia  eorum, 
determinabili  tamen  per  ipsas.  Sic  suo 
modo  species  aliter  conveniunt  in  génère, 
quam  differentiœ.  Nam  species  conveniunt 
in  génère,  sicut  in  eo  quod  includit  in  ra- 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  117 

cordent  dans  le  genre  comme  dans  ce  qui  est  contenant  dans  leur 
condition  et  dans  leur  principal  objet  signifié,  car  dans  la  raison  de 
l'homme  et  dans  son  principal  objet  signifié,  se  trouve  renfermé  ani- 
mal. Les  différences,  au  contraire,  s'accordent  dans  le  genre  comme 
dans  quelque  chose  de  déterminable  par  elles  rationnellement ,  qui 
est  en  dehors  de  leur  intellect,  comme  raisonnable  et  irraisonnable 
s'accordent  dans  animal.  Donc  comme  il  ne  peut  rien  se  trouver  en 
dehors  de  l'intellect  de  quoi  il  y  ait  être,  rien  ne  pourra  être  la  diffé- 
rence de  l'être,  et  par  conséquent  l'être  ne  pourra  pas  non  plus  être 
genre.  On  donne  aussi  une  autre  raison  pourquoi  l'être  n'est  pas 
genre,  c'est  parce  qu'il  ne  peut  pas  être  univoque  à  l'égard  de  la  sub- 
stance et  de  l'accident.  Il  faut  remarquer  que  dans  l'exemple  proposé 
ci-dessus  la  matière  est  prise  dans  un  autre  sens  qu'on  la  prenoit 
d'abord,  quand  on  a  dit  (jue  les  individus  sont  distingués  par  la  ma- 
tière, et  que  la  matière  est  un  principe  d'individuation.  Il  y  a,  en 
effet ,  la  matière  première  et  la  matière  spécifique ,  savoir  celle  qui 
est  caractérisée  par  la  quantité  et  par  les  autres  accidents  qui  opèrent 
l'individuation.  Or,  on  appelle  matière  première  ce  qui  est»  en  puis- 
sance à  l'égard  de  toutes  les  formes  substantielles,  et  qui  n'est  consi- 
dérée que  dans  sa  pure  potentialité,  qui  est  appelée  une  par  l'éloigne- 
ment  de  toutes  les  formes  en  tant  qu'on  considère  une  nature  poten- 
tielle perfectible  par  les  formes ,  abstraction  faite  de  ce  qu'elle  est 
parfaite  par  l'acte,  et  c'est  de  cette  matière  que  nous  parlions  dans 
l'exemple  mentionné  plus  haut.  Quant  à  la  matière  spécifique  ,  elle 
est  ainsi  appelée,  suivant  qu'elle  a  l'être  avec  telle  quantité,  telle  qua- 
lité, et  avec  tels  accidents,  et  sous  ce  rapport  elle  n'est  pas  une  pour 
tout,  mais  elle  est  divisée  par  des  individus  quelconques,  comme  sont 
divisés  les  accidents  susdits  de  chaque  individu.  Et  parce  que  tous  les 
individus  et  chacun  a  une  partie  de  la  matière  première,  en  considé- 


tione  ipsarum  et  in  earum  principali  signi- 
ficato,  in  ratione  enim  hominis,  et  in  ejus 
principali  significato  includitur  animal.  Sed 
differentiœ  conveniunt  in  génère ,  sicut  in 
•quoddam  determinabili  secundum  ratio- 
nem  per  eas ,  quod  est  extra  intellectum 
earum  ,  sicut  rationale  et  irrationale  con- 
veniunt in  animali.  Cum  ergo  nihil  possit 
inveniri  extra  ,  cujus  intellectum  sit  ens, 
nihil  poterit  esse  differentia  entis,  nec  per 
consequens  ens  poterit  esse  genus.  Assi- 
gnatur  etiam  alia  ratio,  quare  ens  non  sit 
genus ,  quia  non  potest  esse  univocum  ad 
substantiam  et  accidens.  Notandum,  quod 
in  preedicto  exemplo  aliter  sumitur  ma- 
teria  quam  sumebatur  primo ,  quando  dic- 
tum  est,  quod  individua  distinguuntur  per 
materiam,  et  quod  materia  est  principium 
individuationis.   Est  enim  materia   prima 


et  materia  signata,  seu  hœc  quse  videlicet 
quantitate  signatur  et  aliis  accidentibus 
individuantibus.  Dicitur  autem  materia 
prima  illud  quod  est  in  potentia  ad  omnes 
formas  substantiales  quse  consideratur  so- 
lum  in  sua  nuda  potentialitate,  quœ  dici- 
tur una  per  remotionem  omnium  forma- 
rum,  in  quantum  consideratur  una  quidem 
natura  potentialis  perfectibilis  per  formas 
absque  hoc ,  quod  actu  perfecta  sit ,  et  de 
ista  materia  loquebamur  in  exemplo  supra- 
posito.  Materia  vero  signata  seu  haec  dici- 
tur prout  habet  esse  cum  hac  quantitate  et 
hac  qualitate,  et  in  aliis  accidentibus  ;  et 
sic  considerata  non  est  una  omnium ,  sed 
per  quœlibet  individua  est  divisa,  sicut  di- 
visa sont  prœdicta  accidentia  uniuscujus- 
que  individui.  Et  quia  omnia  individua  et 
quodlibet    eorum    habet    partem    primae 


118  OPUSCULE    XL VII,    CHAPITRE    6. 

rant  cette  partie ,  non  en  tant  que  caractérisée  par  tels  ou  tels  acci- 
dents, on  dit  que  l'eau  et  le  feu  s'accordent  dans  une  matière,  comme 
dans  l'exemple  ci-dessus.  Il  est  donc  évident  à  l'égard  des  trois  pré- 
dicables  essentiels  qui  concourent  à  ordonner  un  prédicament,  sa- 
voir :  le  genre,  l'espèce  et  la  différence  qui  sont  appelés  essentiels, 
qu'ils  sont  de  l'essence  des  choses  auxquelles  ils  sont  appliqués. 

CHAPITRE  VI. 

De  l'origine  du  propre,  et  comment  il  se  trouve  dans  tout  individu  de 
l'espèce  et  toujours. 

Nous  allons  parler  maintenant  des  deux  prédicables  "accidentels , 
savoir  du  propre  et  de  l'accident.  Ils  sont  appelés  accidents,  parce 
qu'ils  ne  sont  pas  de  la  substance  ou  de  l'essence  des  sujets  auxquels 
ils  sont  appliqués.  Il  faut  observer  que  l'être  réel  se  divise  en  sub- 
stance et  accident,  c'est  pourquoi  en  prenant  ainsi  l'accident  en  tant 
qu'il  se  divise  d'avec  la  substance,  le  propre  est  accident,  et  se  compte 
parmi  Iqs  accidents  ;  car  il  n'est  pas  de  la  substance  de  ce  dont  il  est 
le  propre,  et  ne  peut  pas  se  trouver  dans  le  prédicament  de  la  sub- 
stance. L'accident  est  pris  dans  un  autre  sens,  non  en  tant  qu'il  se 
divise  d'avec  la  substance,  mais  comme  étant  l'un  des  cinq  prédi- 
cables, et  dans  ce  sens  le  propre  n'est  pas  accident ,  bien  plus  il  en 
est  séparé.  Or,  le  propre  se  définit  ainsi  :  le  propre  est  ce  qui  se 
trouve  dans  une  seule  chose,  et  toujours,  et  se  dit  réciproquement  de 
la  chose.  Or  pour  bien  connoître  les  points  de  cette  définition,  parce 
qu'il  nous  est  grandement  nécessaire  de  connoître  le  propre,  qu'Aris- 
tote  appelle  une  passion  propre,  parce  que  dans  une  démonstration 
on  ne  conclut  rien  autre  chose  du  sujet  que  la  propre  passion,  il  faut 


dicitur  ignis  et  aqua  convenire  in  una 
materia ,  ut  in  dicto  exemplo  dictum  est. 
Patet  ergo  de  tribus  prœdicabilibus  essen- 
tialibus,  quae  concurrunt  ad  ordinandum 
praedicamentum  ,  scilicet  de  génère ,  et 
specie,  et  differentia,  quae  dicuntur  essen- 
tialia ,  quia  sunt  de  essentia  eorum ,  de 
quibus  praedicantur,  etc. 

GAPUT  VI. 

De  origine  proprii,  et  quomodo  inest  omni 
individuo  speciei ,  et  temper. 

Nunc  dicendum  est  de  duobus  praedica- 
bilibus  accidentalibus,  scilicet  de  proprio 
et  accidente.  Dicuntur  autem  accidentàlia, 
quia  non  sunt  de  substantia ,  sive  de  es- 
sentia subjectorum  de  quibus  prasdicantur. 
Notandum,  quod  ens  reale  dividitur  in 
materia  ,  considerando  illam  partem  non 
ut  est  signata  ex  bis  vel  his  accidentibus, 


substantiam  et  accidens,  unde  sic  sumendo 
accidens  prout  dividitur  contra  substan- 
tiam, proprium  est  accidens,  et  inter  acci- 
dentia  computatur  ;  non  enim  est  de  sub- 
stantia ejus,  cujus  est  proprium,  nec  potest 
esse  in  preedicamento  substantia?.  Alio 
modo  sumitur  accidens  ,  non  ut  dividitur 
contra  substantiam ,  sed  ut  est  unum  de 
quinque  praedicabilibus ,  et  sic  proprium 
non  est  accidens ,  immo  contra  illud  divi- 
ditur ;  describitur  autem  proprium  sic  : 
Proprium  est  quod  inest  uni,  soli,  et  sem- 
per,  et  conversim  praedicatur  de  re.  Ad  vi- 
dendum  autem  particulas  hujus  dilïini- 
tionis ,  quia  valde  est  nobis  necessarium 
scire  proprium,  quod  Philosophuspropriam 
passionem  vocat,  quia  in  demonstratione 
nibil  aliud  concluditur,  nisi  propria  passio 
de  subjecto.  Sciendum ,  quod  aliquid  de 
aliquo  dici  seu  prœdicaiï  contingit  dupli- 


SUE  LA   LOGIQUE   d'âRISTOTE.  119 

savoir  qu'il  arrive  qu'une  chose  est  dite  d'une  autre  ou  appliquée  à 
une  autre  de  deux  manières,  savoir,  par  soi  et  par  accident.  La  prédi- 
cation par  accident  peut  se  faire  de  trois  manières;  la  première  quand 
l'accident  se  dit  du'sujet,  comme  l'homme  est  blanc;  la  seconde 
quand  le  sujet  se  dit  de  l'accident,  comme  le  blanc  est  homme;  la 
troisième,  quand  l'accident  se  dit  de  l'accident,  comme  le  blanc  est 
harmonieux.  Par  soi  la  prédication  se  fait  de  plusieurs  manières, 
ainsi  qu'on  le  verra  dans  le  traité  de  la  démonstration.  Le  second  de 
ces  modes  de  prédication  par  soi  a  lieu  quand  le  propre  se  dit  de  ce 
dont  il  est  propre,  comme  l'homme  est  risible.  Donc  comme  le  propre 
se  dit  du  sujet,  parce  que  ce  n'est  pas  par  accident,  comme  on  l'a  dit 
des  accidents  à  l'égard  de  leurs  sujets ,  il  a  par  soi  vis-à-vis  de  son 
sujet  une  autre  habitude  que  n'ont  pas  les  accidents  communs.  Car 
ceux-ci  n'ont  d'habitude  à  l'égard  de  leurs  sujets  que  comme  à  la 
cause  matérielle,  en  prenant  cette  matière  pour  sujet,  qui  est  en  puis- 
sance par  rapport  aux  accidents ,  comme  à  certains  actes  qui  lui  sont 
inhérents.  D'où  il  suit  que  si  le  propre  n'avoit  que  cette  habitude  à 
l'égard  du  sujet,  savoir  que  le  sujet  fût  seulement  passif  et  son  ré- 
ceptif, dans  ce  cas,  comme  ce  qui  n'est  que  le  réceptif  d'une  chose, 
n'impose  pas  la  nécessité  d'être  à  la  chose  vis-à-vis  de  laquelle  il  est 
dans  un  tel  rapport,  il  s'ensuit  que  le  propre  ne  suit  pas  nécessaire- 
ment le  sujet,  et  que  par  conséquent  par  soi  il  ne  pourroit  être  appli- 
qué, et  cependant  nous  avons  vu  le  contraire.  Nous  voyons,  en  effet, 
dans  les  choses  naturelles  certaines  opérations  qui  conviennent  tou- 
jours à  toutes  les  choses  qui  sont  de  la  même  espèce ,  comme  attirer 
le  fer  convient  toujours  à  l'aimant  quel  qu'il  soit,  c'est  pourquoi  il  faut 
que  ces  opérations  suivent  quelque  principe  intrinsèque  permanent 
dans  ces  corps.  Néanmoins  ce  principe  est  appelé  puissance  en  vertu, 


citer,  scilicet  per  se  et  per  accidens.  Pree- 
dicatio  per  accidens  potest  lîeri  tripliciter. 
Uno  modo,  quando  accidens  preedicatur  de 
subjecto,  ut  homo  est  albus.  Alio  modo, 
quando  subjectura  pradicatur  de  acci- 
dente, ut  album  est  homo.  Tertio  modo  , 
quando  accidens  preedicatur  de  accidente, 
ut  album  est  rnusicum.  Praerlicatio  vero 
per  se  sit  multipliciter,  ut  patebit  in  trac- 
tatu  de  demonstratione.  Quorum  secundus 
modus  dicendi  per  se  est,  quando  proprium 
prœdicatur  de  eo  cujus  est  proprium ,  ut 
homo  est  risibilis.  Cuin  ergo  proprium 
pnedieatur  de  subjecto ,  quia  non  praedi- 
catur  per  accidens,  sicut  dictuin  est  de  ac- 
cidentibus  respectu  suorum  subjectorum, 
sed  per  se  aliam  habitudiuem  habet  ad 
subjectum  suum  quam  habeant  accidentia 
communia.  Ma  namque  nullam  habitudi- 
uem habent  ad  sua  subjecta ,  nisi  ut  ad 


causam  materialem,  sumendo  hic  materiam 
pro  subjecto,  quod  est  in  potentia  ad  acci- 
dentia, sicut  ad  quosdam  actus  sibi  inhé- 
rentes. Unde  si  proprium  solam  hanc  ha- 
bitudinem  haberet  ad  subjectum ,  ut  sci- 
licet subjectum  solummodo  esset  passivum 
et  receptivum  ejus,  tune  cum  illud ,  quod 
est  receptivum  tantum  alicujus,  non  im- 
ponat  necessitatem  esseudi  ei,  respectu  cu- 
jus est  taie ,  sequitur  quod  proprium  non 
de  necessitate  sequatur  subjectum,  nec  per 
consequens  per  se  posset  prœdicari,  et  ta- 
men  vidimus  oppositum.  Nam  in  rébus  na- 
turalibus  videmus  quasdam  operationes, 
quae  conveniunt  semper  omnibus  quse  sunt 
ejusdem  speciei,  sicut  attrahere  ferrum 
semper  convenit  omni  magneti  :  unde 
oportet  quod  taies  operationes  sequantur 
aliquod  principium  intrinsecum  permanens 
in  illis  corporibus.  Hoc  tamen  principium 


120  OPUSCULE   XLVII,    CHAPITRE    6. 

parce  que  la  vertu  est  la  puissance  qui  est  portée  à  la  dernière  chose 
qui  peut  se  faire.  Donc  un  tel  principe  tient  la  puissance  d'être  de  la 
forme  spécifique  de  cette  chose.  Et  on  ne  peut  pas  dire  que  le  sujet 
n'impose  pas  à  une  pareille  vertu  la  nécessité  d'être,  mais  un  généra- 
teur, parce  que  si  le  sujet  n'a  aucune  habitude  nécessaire  à  un  tel 
propre,  quelque  grand  générateur  que  le  sujet  produise  avec  cette 
passion ,  cette  passion  propre  cependant  seroit  par  accident  par  rap- 
port au  sujet,  et  non  par  soi,  et  de  cette  manière  elle  ne  pourroit  être 
démontrée,  le  contraire  se  verra  plus  bas.  Il  reste  donc  maintenant 
que  le  sujet  ait  à  l'égard  de  son  propre  l'habitude  de  cause  efficiente, 
ce  que  l'on  peut  établir  ainsi.  En  effet,  les  qualités  propres  agissent 
comme  instruments  de  formes  substantielles,  car  elles  agissent  pour 
produire  les  formes  substantielles,  comme  la  chaleur  du  feu  agit  sur 
le  bois  pour  produire  le  feu ,  ce  qu'elle  ne  pourroit  pas  faire ,  si  elle 
n'étoit  l'instrument  de  la  forme  substantielle  de  cet  agent.  Il  en  est 
ainsi ,  parce  qu'elles  reçoivent  des  formes  substantielles  la  vertu  de 
produire  un  tel  effet,  et  ces  qualités  ne  reçoivent  pas  des  formes  sub- 
stantielles une  vertu  quelconque  différente  d'elles;  elles  ne  reçoivent 
donc  rien  de  plus  qu'elles-mêmes  ;  donc  les  formes  substantielles  des 
sujets  sont  la  cause  effective  de  leurs  propres.  Mais  il  s'élève  à  cet  égard 
un  grand  doute ,  car  il  s'ensuit  que  le  même  sujet  est  sous  le  même  rap- 
port agent  et  patient  et  cause  d'action  et  de  passion ,  au  moins  dans  les 
substances  séparées,  qui  n'ont  pas  une  partie  en  dehors  de  la  partie  ; 
c'est  pourquoi  la  même  substance  de  l'ange,  comme  indivisible,  seroit 
sous  le  même  rapport  effective  de  la  passion  propre ,  et  réceptive  en 
même  temps',  ce  qui  ne  paroît  pas  convenable.  Pour  l'intelligence  de  cela 
il  faut  savoir  qu'une  chose  se  produit  à  sa  manière  dans  l'action  ainsi 


dicitur  potentia  sive  virtus,  quia  virtus  est 
potentia  quae  fertur  ad  ultinmm ,  quod 
fieri  potest.  Taie  ergo  principium  necessi- 
tatem  essendi  habet  a  forma  specifica  illius 
rei.  Nec  potest  dici  quod  tali  virtuti  sub- 
jectum non  imponat  necessitatem  essendi, 
sed  generans  ,  quia  si  subjectum  nullam 
habeat  necessariam  habitudinem  ad  taie 
proprium,  qmntumcumque  generans  sem- 
per  generet  subjectum  cum  tali  passione, 
tamen  talis  propria  passio  per  respectum 
ad  subjectum  esset  per  accidens  et  non 
per  se,  et  sic  non  posset  demonstrari,  cujus 
oppositum  infra  patebit.  Restât  ergo  quod 
subjectum  habeat  ad  suum  proprium  ha- 
bitudinem causae  efficientis,  quod  sic  po- 
test patere.  Nam  propriœ  qualitates  agunt 
ut  instrumenta  fonnarum  substantialium, 
agunt  enim  ad  productionem  formarum 
substantialium ,  sicut  calor  ignis  agit  in 
ligna  ad  generandum   ignem ,   quod  non 


posset  facere  ,  nisi  esset  instrumentum 
forma?  substantialis  hujus  agentis  ;  hoc 
ergo  est,  quia  recipiunt  virtutem  a  formis 
substantialibus  agendi  hoc  ,  nec  recipiunt 
taies  qualitates,  a  formis  substantialibus 
aliquam  virtutem  differentem  ab  eis,  nibil 
ergo  aliud  recipiunt  ,  nisi  seipsas ,  formae 
ergo  substantiales  subjectorum  sunt  causa 
effectiva  suorum  priorum.  Verum  circa 
hoc  videtur  magnum  dubium,  nam  sequi- 
tur  quod  idem  subjectum  sit  secundum 
idem  agens  et  patiens ,  et  quod  idem  sit 
causa  agendi  et  patiendi  respectu  ejusdem, 
ad  minus  in  substantiis  separatis,  quœ  non 
habent  partem  extra  partem  :  unde  ea- 
dem  substantia  angeli  secundum  idem  , 
quia  indivisibilis  est ,  esset  causa  effectiva 
propriee  passionis ,  et  receptiva ,  quod  vi- 
detur inconveniens;  ad  quod  intelligendum 
sciendum  est ,  quod  sicut  se  habet  res  iu 
patiendo,  sic  suo  modo  se  habet  in  agendo; 


SUR  LA   LOGIQUE   d'arISTOTE.  121 

que  dans  la  passion  ;  or,  dans  la  passion  on  appelle  passif  non-seule- 
ment ce  qui  reçoit,  mais  encore  ce  qui  dispose  à  recevoir,  par  exemple  : 
la  cire  qui  reçoit  la  figure  est  appelée  passive  à  l'égard  de  la  figure, 
et  non-seulement  la  cire  est  dans  un  état  passif  par  rapport  à  la  figure, 
mais  aussi  la  mollesse  qui  dispose  la  cire  à  recevoir  une  semblable 
impression  est  également  dans  un  état  passif  par  rapport  à  la  figure  ; 
car ,  quoique  ce  ne  soit  point  la  mollesse  qui  reçoive  la  figure  comme 
étant  la  condition  réceptive,  cette  disposition  est  néanmoins  en  quel- 
que façon  une  condition  susceptive ,  et  encore  à  sa  manière  un  prin- 
cipe donnant  naissance  à  quelque  chose  dans  un  certain  ordre,  et  par 
une  certaine  connexion  nécessaire  par  le  moyen  de  quelque  autre 
chose,  produit  quelque  chose ,  et  ce  qui  est  produit  est  dans  un  état 
actif  par  rapport  au  principe  producteur.  Comme  un  clou  enfoncé 
dans  une  poutre,  si  le  mouvement  étoit  toujours  imprimé  à  la  poutre 
au  moyen  du  clou,  quoique  tout  le  mouvement  vînt  effectivement  de 
l'homme  vivant  qui  imprimeroit  le  mouvement,  savoir  à  la  poutre  et 
au  clou,  cependant  le  clou  seroit  dans  une  disposition  active  au  mou- 
vement par  rapport  à  la  poutre ,  il  se  montre  de  même  à  l'égard  du 
sujet  par  rapport  à  sa  propre  passion.  Car  le  sujet  est  comme  le  clou, 
la  passion  comme  la  poutre ,  produisant  et  faisant  mouvoir  l'un  et 
l'autre,  et  donnant  l'être  à  l'un  et  à  l'autre,  savoir  au  sujet  et  à  la  pas- 
sion, comme  le  mouvement  est  imprimé  par  le  moteur  dans  le  clou 
et  dans  la  poutre.  De  cette  manière  les  deux  opinions  sont  sauvegar- 
dées, et  tout  doute  est  résolu.  Ce  que  nous  venons  de  dire  peut  donc 
établir  deux  points  de  la  définition  du  propre.  Savoir  que  le  propre 
se  trouve  dans  tout  et  toujours.  En  effet,  si  le  propre  a  une  connexion 
nécessaire  et  naturelle  avec  la  forme  spécifique ,  comme  il  a  été  dit, 
il  doit  se  trouver  nécessairement  dans  toutes  les  choses  qui  ont  une 


in  patiendo  autera  non  solum  dicitur  pas- 
sive se  habere  illud  quod  recipit  aliud,  sed 
etiam  illud  quod  illud  disponit  ad  hoc  re- 
cipiendum .  Verbi  gratia  :  Cera  quse  recipit 
figuram,  dicitur  passive  se  habere  ad  figu- 
ram, et  non  solum  ipsa  cera  passive  se  ha- 
bet  respectu  figurée ,  sed  etiam  mollities 
disponens  ceram  ad  talem,  receptionem, 
passive  se  habet  respectu  figurae  ;  licet 
enirn  mollities  non  sit  in  quo  recipiatur 
figura,  sicut  in  eo  quod  est  ratio  recipien- 
di,  est  tamen  aliquo  modo  dispositio  ratio 
suscipiendi,  sic  etiam  suo  modo  principium 
originans  aliquid  quodam  ordine  et  quadam 
necesL-aria  connexione  ,  mediante  aliquo 
alio,  aliquid  producit ,  etiam  illud  quod 
producit  respectu  illius  quod  producitur, 
se  habet  active  ;  sicut  clavus  infixus  trabi, 
si  semper  motus  daretur  trahi  mediante 


clavo,  quamvis  totus  motus  effective  esset 
ab  homine  movente  utrumque ,  scilicet 
trabem  et  clavum,  tamen  clavus  ad  motum 
se  haberet  active,  respectu  trabis,  sic  suo 
modo  se  habet  de  subjecto ,  respectu  suse 
propriae  passionis.  Nam  subjectum  est  sicut 
clavus,  passio  sicut  trabs  ,  generans  sicut 
movens  utrumque  ,  et  dans  esse  utrique  , 
scilicet  subjecto  et  passioni,  sicut  motus  in 
clavo  et  trabe  causatur  a  movente,  et  sic 
salvatur  utraque  opinio  et  omne  dubium 
removetur.  Ex  dictis  ergo  possunt  patere 
duee  particulae  diffinitionis  proprii,  scilicet 
quod  proprium  inest  omni  et  semper.  Si 
enim  proprium  necessariam  et  naturalem 
connexionem  habet  ad  formam  specificam, 
ut  dictum  est,  oportet  quod  inveniatur  in 
omnibus  in  quibus  est  forma  specifica,  sed 
forma  specifica  invenitur  in  omnibus  indi- 


122  OPUSCULE  XL VII,  CHAPITRE  7. 

forme  spécifique,  mais  la  forme  spécifique  se  trouve  dans  tous  les  in- 
dividus de  la  même  espèce;  donc  le  propre  convient  à  tout  ce  qui  est 
contenu  dans  l'espèce  ,  et  il  se  convient  toujours,  tant  qu'il'participe 
à  la  forme  spécifique  ;  ainsi  se  trouvent  établis  deux  points  de  la  défi- 
nition du  propre ,  etc. 

CHAPITRE  VII. 
Le  propre  est  inMrent  à  la  seule  espèce ,  et  se  dit  d'elle  réciproquement. 

Pour  concevoir  un  autre  point  de  la  définition  du  propre,  savoir 
comment  il  convient  à  une  seule  espèce,  il  faut  savoir,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit ,  qu'il  y  a  différents  degrés  de  perfection  dans  les  êtres 
qu'Aristote  compare  aux  nombres ,  dans  le  livre  VIII  de  la  Métaph. 
C'est  ce  qui  lui  fait  dire  que  les  espèces  des  choses  sont  comme  les 
nombres,  et  en  conséquence  comme  les  nombres  par  rapport  à  l'u- 
nité ont  divers  degrés  formels ,  comme  le  degré  du  quaternaire  est 
différent  de  celui  du  quinaire  et  ainsi  des  autres  :  de  même  les  degrés 
formels  des  espèces  des  choses  sont  différents  par  rapport  à  tout  pre- 
mier principe  incomposé,  et  on  ne  peut  pas  trouver  deux  espèces  dans 
le  même  degré  pas  plus  que  deux  nombres  d'espèce  différente.  Donc 
dans  toute  espèce  il  y  a  une  forme  spécifique  n'existant  en  aucune 
manière  dans  le  degré  d'être  ou  d'opération  de  la  forme  spécifique, 
d'une  autre  espèce.  Or,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  le  propre ,  sui- 
vant les  principes  propres  de  l'espèce  ,  ne  peut  être  que  dans 
une  espèce ,  c'est  pour  cela  qu'on  dit  dans  la  définition  qu'il  est 
inhérent  à  une  seule  chose.  Mais  il  faut  savoir  que  le  propre  pris  dans 
le  sens  le  plus  étroit ,  bien  qu'il  ne  convienne  qu'à  une  espèce  très- 
spéciale,  néanmoins  rien  n'empêche,  dans  un  sens  plus  large,  que  le 
propre  convienne  aussi  à  une  espèce  subalterne ,  qui  peut  être  un 
genre,  par  exemple.  Nous  disons,  en  effet,  que  le  propre  du  triangle 


viduis  ejusdem  speciei  ;  ergo  proprium 
competit  omni  contento  sub  specie,  et  sem- 
per  sibi  convertit ,  quamdiu  formam  illam 
specificara  participait,  et  sic  patent  duœ 
particulœ  diflhiitioms  proprii ,  etc. 

CAPUT  VII. 

Quod  proprium  inesl  soli  speciei^  et  conver- 
tim  de  ipsa  prœdicatur. 

Ad  videndum  autem  aliam  particulam 
diflinitionis  proprii,  scilicel  quomodo  con- 
venu uni  soli  speciei ,  sciendum  quod  ,  ut 
supra  dictum  est,  diversi  sunt  gradus  per- 
fectionis  in  entibus,  quos  Philosophus,  VIII. 
Metuph.,  comparât  numeris.  Unde  dicit, 
quod  species  rerum  sunt  sicut  nurneri,  et 
ideo  sicut  numeri,  respectu  unitatis  ,'di- 
versos  habent  gradus  formates,  sicut  alius 
est  gradus  quateruarii,  quam  quinarii ,  et 


sic  de  aliis;  ita  diversi  sunt  gradus  for- 
males  specierum  rerum  per  respectum  ad 
quodcumque  primum  principium  incoin- 
positum  ;  nec  est  invenire  duas  species  in 
eodem  gradu,  sicut  nec  duos  numéros  spe- 
cie différentes,  in  qualibet  ergo  specie  est 
una  forma  specifica  ,  nullo  modo  existens 
in  gradu  essendi  vel  operandi  forma?  spe- 
cificae  alterius  speciei.  Cum  autem,  ut  dic- 
tum est ,  proprium  sequatur  propria  prin- 
cipia  speciei ,  nec  potest  esse  nisi  in  una 
specie  ,  propter  hoc  in  difhnitione  dicitur 
quod  inest  uni.  Sciendum  est  autem,  quod 
licet  proprium  stricto  modo  sumptum,  so- 
lum  conveniat  uni  speciei  specialissimœ, 
tamen  largo  modo  nihil  prohibet  proprium 
etiarn  convenire  speciei  subalterna; ,  quae 
videlicet  potest  esse  genus.  Dicimus  euim 
quod  proprium  trianguli  est  habere  très 


SLR   LA    L0G1QLE   D'aRISTOTE.  123 

est  d'avoir  trois  angles  égaux  à  deux  droits,  et  cependant  le  triangle 
renferme  en  soi  plusieurs  espèces.  On  comprend  par  là  ce  que  dit 
Porphyre,  que  le  propre  convient  d'abord  à  l'espèce  et  ensuite  aux 
individus,  ce  qui  est  le  contraire  dans  l'accident  commun.  Car  si  le 
propre  regarde  les  individus,  en  tant  qu'ils  participent  à  la  forme  spé- 
cifique ,  il  se  vérifie  donc  relativement  à  l'espèce  qu'il  regarde  d'a- 
bord antérieurement  aux  individus,  et  par  conséquent  il  convient  aux 
individus  parce  qu'il  convient  à  l'espèce;  l'accident ,  au  contraire,  ne 
regardant  le  sujet  qu'à  raison  de  l'inhérence,  doit,  selon  les  conve- 
nances ,  se  manifester  dans  les  individus  avant  de  le  faire  dans  les 
secondes  substances,  comme  on  le  dira  plus  bas  ;  donc  l'accident  con- 
vient à  l'espèce  à  raison  de  l'individu.  Ensuite ,  dans  la  définition  du 
propre  on  met  cette  particularité,  savoir ,  qu'il  se  dit  de  la  chose  par 
mode  de  conversion.  Remarquez  bien ,  comme  nous  le  dirons  plus 
bas,  qu'il  y  a  une  certaine  différence  entre  la  prédication  par  soi  et  la 
prédication  de  prime  abord.  La  prédication  par  soi  s'effectue  à  l'égard 
des  choses  qui  ont  une  connexion  nécessaire  avec  les  SLijets  dont  elles 
sont  affirmées,  tandisque  la  prédication  première  se  fait  à  l'égard  des 
choses  qui  sont  l'objet  de  la  prédication  dont  nous  avons  parlé ,  et  où 
le  prédicat  a  la  même  étendue  que  le  sujet.  C'est  pourquoi ,  quoique 
risible  se  dise  par  soi  de  Sortes ,  ce  n'est  pas  néanmoins  de  prime 
abord,* parce  que  le  propre,  comme  il  a  été  dit,  regarde  l'espèce  avant 
l'individu  ;  et  le  propre  ayant  la  même  étendue  que  les  espèces  est  dit 
s'affirmant  d'abord  ou  par  mode  de  conversion  de  l'espèce.  Il  est  à 
remarquer  que,  quoique  le  propre  convienne  à  une  espèce,  rien  n'em- 
pêche néanmoins  que  le  propre  d'une  espèce  par  participation  convienne 
à  plusieurs  autres  espèces,  comme  il  est  propre  au  feu  d'être  chaud, 
et  néanmoins  cette  qualité  convient  à  beaucoup  d'autres  espèces ,  en 


angulos  aequales  duobus  rectis ,  et  tamen 
triangulus  multas  continet  sub  se  species. 
Ex  dictis  patet  illud  quod  dicit  Porphyrius, 
quod  proprium  prius  convenit  speciei  et 
posterius  individuis ,  quod  oppositura  au- 
tem  est  de  accidente  communi.  Si  enim 
proprium  respicit  individua,  in  quantum 
participant  formant  specificam  ,  per  prius 
ergo  verificatur  de  specie  ,  quam  primo 
respicit,  quam  de  individuis,  et  per  conse- 
quens  individuis  convenit ,  quia  convenit 
speciei  ;  accidens  autem  cum  non  respiciat 
subjectum,  nisi  ratione  inhaerentiœ,  et  per 
prius  convenit  substare  individuis,  quam 
secundis  substantiis,  ut  infra  dicetur,  ac- 
cidens ergo  convenit  speciei  ratione  indi- 
\idui.  Deinde  in  diffinitione  proprii  po- 
nitur  ista  particula,  quod  scilicet  conver- 
sim  prœdicatur  de  re.  Uni  nota,  quod  u"t 


infra  dicetur ,  differt  aliquo  modo  praedi- 
cari  per  se  et  preedicari  primo.  Ea  enim 
per  se  praedicantur  ,  quœ  necessariam  ha- 
bent  connexionem  ad  subjecta  de  quibus 
praedicantur,  sed  ea  praedicantur  primo, 
quae  praedicantur  dicto  modo  ,  et  tantum 
ambit  praedicatum  quantum  subjectum. 
Unde  licet  risibile  per  se  praedicetur  de 
Sorte,  non  tamen  primo  ,  quia  proprium , 
ut  dictum  est ,  per  prius  respicit  speciem 
quam  individua  ;  et  cum  tanti  ambitus  sit 
proprium  quanti  sunt  species,  ideo  dicitur 
praedicari  primo,  seu  conversim  de  specie. 
Notandum  quod  licet  proprium  uni  speciei 
conveniat,  tamen  nihil  prohibet  proprium 
unius  speciei  participatione ,  multis  aliis 
speciebus  convenire  ,  sicut  proprium  est 
igni,  quod  sit  calidus ,  et  tamen  multis 
aliis  speciebus  hoc  convenit  ,  in  quantum 


124  OPUSCULE    XLVII,    CHAPITRE    8. 

tant  qu'elles  tirent  du  feu  la  participation  à  cette  qualité.  Il  faut  aussi 
savoir ,  que  le  propre  d'une  espèce  quelconque  se  prend  quelquefois 
sous  un  seul  nom  et  dans  un  seul  objet  signifié ,  comme  risible  est  le 
propre  de  l'homme;  quelquefois,  au  contraire,  sous  deux  opposés  avec 
disjonction,  comme  c'est  le  propre  du  nombre  d'être  pair  ou  impair, 
il  en  est  évidemment  de  même  du  propre,  etc. 

CHAPITRE  VIII. 

De  l'origine  de  l'accident  et  exposition  de  sa  cause. 

C'est  un  accident  qu'il  arrive  d'être  et  de  ne  pas  être  dans  la  même 
chose  sans  la  corruption  du  sujet.  Pour  l'intelligence  de  cela  il  faut 
savoir  qu'une  chose  peut  dépendre  de  l'autre  de  deux  manières;  la 
première  c'est  d'en  dépendre  comme  d'une  chose  qui  lui  est  anté- 
rieure au  moins  en  nature ,  et  dans  ce  sens  une  chose  dépend  de 
l'autre  de  quatre  manières  encore ,  et  sous  ce  rapport  il  y  a  quatre 
causes.  Dans  l'homme  le  corps  dépend  de  l'ame  comme  de  la  forme, 
et  l'ame  du  corps  comme  de  la  matière,  et  l'homme  de  Dieu  comme 
de  la  cause  efficiente,  et  de  la  béatitude  comme  de  |a  cause  finale.  Se- 
condement, une  chose  peut  dépendre  d'une  autre  comme  de  ce  qui 
se  rapporte  à  elle  consécutivement,  comme  le  corps  dépend  de  la 
figure,  et  la  ligne  de  la  rectitude  ou  de  la  courbure.  Car  on  ne  peut 
pas  trouver  de  corps  où  il  n'y  ait  pas  de  figure,  ni  une  ligne  où  il  n'y 
ait  pas  de  rectitude  ou  de  courbure,  et  dans  ce  sens  tout  sujet  dépend 
de  sa  propre  passion.  C'est  pourquoi  quelque  dépendance  qu'il  y  ait 
dans  les  choses,  soit  causale,  soit  consécutive,  et  une  chose  dépend 
d'une  autre  de  telle  manière  que  son  être  ne  peut  se  conserver  ni  en 
acte,  ni  en  aptitude  sans  une  telle  chose ,  il  est  certain  que  cette  chose 
sans  cette  autre  dont  elle  dépend  ainsi  ne  peut  être  conçue  existante;. 


hoc  participant  ab  igné.  Sciendum  est 
etiam  quod  proprium  alicujus  speciei  ali- 
quando  sumitur  sub  uno  nomine  et  in  uno 
significato,  ut  risibile  est  proprium  homi- 
nis.  Aliquando  vero  sub  duobus  oppositis 
cura  disjunctione,  ut  proprium  est  numeri, 
quod  sit  par  vel  impar ,  et  sic  patet  de 
proprio,  etc. 

CAPUT  VIII. 

De   origine  accidenlis ,   et   dictione  ipsius. 

Accidentis  vero  est ,  quod  contingit  ei- 
dem  inesse  et  non  inesse  praeter  subjecti 
corruptionem.  Ad  quod  intelligendum , 
sciendum  est  ,  quod  unum  potest  depen- 
dere  ab  alio  dupliciter.  Uno  modo ,  sicut 
ab  eo  quod  est  prias  eo  ad  minus  natura 
et  isto  modo  una  res  dependet  ab  alia 
quatuor  modis ,  secundum  quod  quatuor 


surit  causée.  Dependet  enim  in  homine 
corpus  ab  anima  sicut  a  forma,  et  anima  a 
corpore  sicut  a  materia ,  et  homo  a  Deo 
sicut  a  causa  efficiente ,  et  a  beatitudine 
sicut  a  causa  finali.  Alio  modo  potest  esse 
dependentia  alicujus  rei  ab  alia  sicut  ab 
eo,  quod  se  habet  ad  ipsam  consécutive. 
Sicut  corpus  dependet  a  figura,  et  linea  a 
rectitudine  vel  curvitate.  Non  enim  potest 
inveniri  corpus ,  in  quo  non  sit  figura  vel 
linea  in  qua  non  sit  rectitudo  vel  curvitas, 
et  isto  modo  dependet  omne  subjectum  a 
propria  passione.  Unde  quêecumque  de- 
pendentia sit  in  rébus ,  sive  causalis ,  sive 
consecutiva,  et  una  res  ita  dependet  ab  al- 
téra, quod  esse  suum  nec  actu  nec  aptitu- 
dine  sine  tali  re  possit  conservari ,  certum 
est  quod  illa  sine  illa  a  qua  sic  dependet, 
non  potest  intelligi  esse  ;  non  enim  posset 


SUR   LA   LOGIQUE    d'aRISTOTE.  125 

car  on  ne  pourroit  pas  concevoir  que  la  matière  existât  sans  la  forme. 
Il  faut  remarquer  à  ce  sujet  qu'il  peut  arriver  de  deux  manières  que 
l'on  conçoit  une  chose  sans  une  autre  ;  premièrement,  dans  la  première 
opération  de  l'intellect  dans  laquelle  l'intellect  conçoit  l'objet  signifié 
du  terme;  secondement,  dans  la  seconde  opération  de  l'intellect  dans 
laquelle  il  conçoit  en  composant  ou  en  divisant  par  l'être  et  par  le  non- 
être,  comme  lorsque  je  conçois  que  pierre  est  ou  n'est  pas  blanc.  Or, 
dans  la  première  intellection  je  puis  concevoir  un  corps  sans  figure, 
et  tout  sujet  sans  sa  passion  propre,  car  la  figure  n'est  pas  de  l'essence 
du  corps,  puisque  le  corps  est  dans  le  genre  de  la  quantité,  et  la 
figure  dans  le  genre  de  la  qualité  ;  c'est  pourquoi  l'intellect  peut  con- 
cevoir un  corps  sans  concevoir  la  figure.  Il  ne  pourroit  pas  néanmoins 
concevoir  un  corps  de  cette  manière  sans  concevoir  le  continu,  parce 
que  le  continu  est  de  l'essence  du  corps.  Mais  dans  la  seconde  opéra- 
tion de  l'intellect  je  ne  puis  pas  concevoir  qu'un  corps  soit  sans  figure, 
parce  qu'un  corps  ne  peut  jamais  être  sans  figure,  ni  un  sujet  sans  sa 
passion  propre,  comme  il  a  été  dit.  Or,  le  sujet  n'a  pas  une  pareille 
dépendance  de  l'accident  commun  ;  car  il  ne  suit  pas  nécessairement 
le  sujet  comme  la  figure  suit  les  principes  essentiels  du  corps,  car  s'il 
est  corps  il  a  nécessairement  une  position  des  parties  dans  le  tout , 
comme  on  le  dira  plus  loin  ,  parce  que  la  position  est  la  différence  de 
la  quantité.  Or,  celle-ci  entraîne  nécessairement  la  figure,  ce  qui  n'ar- 
rive pas  à  l'égard  de  l'accident  commun ,  par  rapport  à  son  objet. 
Donc  le  sujet  peut  être  conçu  sans  concevoir  l'accident  commun  ,  et  il 
peut  être  conçu  existant  sans  concevoir  l'accident  commun.  Mais  il  ne 
peut  pas  être  conçu  existant  sans  l'accident  propre,  puisqu'il  ne  peut 
exister  sans  l'accident  propre  ,  car  si  on  enlève  la  figure  il  n'y  a  plus 
de  situation  de  parties,  et  par  conséquent  plus  de  corps;  donc  il  ne 


intelligi  materia  esse  sine  forma.  Ubi  nota, 
quod  intelligere  aliqûam  rem  sine  alia  po- 
test  dupliciter  contingere.  Uno  modo  in 
prima  operatione  intellectus,  in  qua  scilicet 
intellectus  intelligit  solum  signiiicatum 
termini.  Alio  modo  in  secunda  operatione 
intellectus  ,  in  qua  intelligit  componendo 
vel  dividendo  per  esse  vel  non  per  esse,  si- 
cut  cum  intelligo  Petrum  esse  vel  non  esse 
album.  In  prima  autem  intellectione  pos- 
suni  intelligere  corpus  sine  figura,  et  omne 
subjectum  sine  propria  passione  ;  non  enim 
figura  est  de  essentia  corporis,  cum  corpus 
sit  in  génère  quantitatis ,  figura  vero  in 
génère  qualitatis  ;  et  ideo  intellectus  po- 
test  intelligere  corpus.,  non  intellecta  fi- 
gura. Non  tamen  posset  intelligere  corpus 
isto  modo  non  intellecto  continuo ,  quia 
continuum  est  de  essentia  corporis  ;  in  se- 
cunda vero  operatione  intellectus,  non  pos- 


sum  intelligere  corpus  esse  sine  figura, 
quia  corpus  nunquam  potest  esse  sine  fi- 
gura, nec  subjectum  sine  propria  passione, 
ut  dictum  est.  Cum  autem  subjectum  non 
habeat  talem  dependentiam  ab  accidente 
communi  ;  non  enim  necessario  sequitur 
subjectum,  sicut  figura  sequitur  principia 
essentialia  corporis,  nam  si  corpus  est,  ne- 
cessario habet  positionem  partium  in  toto, 
ut  infra  dicetur  .  quia  positio  est  diffe- 
rentia  quantitatis  ;  ad  hanc  autem  neces- 
sario sequitur  figura ,  quod  non  contingit 
de  accidente  communi,  respectu  sui  ob- 
jecti.  Ergo  subjectum  potest  intelligi  non 
intellecto  accidente  communi,  et  potest  in- 
tellligi  esse  non  intellecto  accidente  com- 
muni. Sine  accidente  vero  proprio  ,  non 
potest  intelligi  esse  ,  cum  sine  accidente 
proprio  esse  non  possit;  nam  ablata  figura, 
non  erit  situatio  partium  ,  et  per  conse- 


126  OPUSCULE    XLVII,    CHAPITRE    8. 

pourra  donc  pas  être  conçu  sans  lui  existant.  Donc  l'accident  peut  s'y 
trouver  et  ne  pas  s'y  trouver  en  dehors  de  la  corruption  du  sujet, 
parce  que  l'être  du  sujet  ne  dépend  pas  en  quelque  manière  de  son 
être  ainsi  qu'il  a  été  dit.  Ainsi  se  trouve  expliquée  la  susdite  descrip- 
tion du  sujet.  Il  faut  néanmoins  savoir  qu'il  peut  se  trouver  quelque 
accident  commun  qui  est  dans  un  tel  rapport  avec  ce  sujet  singulier 
qu'il  provient  de  ses  principes  essentiels  ,  comme  ,  par  exemple ,  la 
noirceur  du  corbeau  ,  qui  est  nécessairement  produite  par  cette  ma- 
tière caractérisée  du  corbeau.  En  parlant  donc  d'un  semblable  acci- 
dent, je  dis  que  l'on  ne  pourroit  pas  concevoir  que  ce  sujet  existât 
sans  lui,  et  c'est  ce  qu'on  appelé  un  accident  inséparable  qui  est  au 
principe  singulier  comme  l'aecident  propre  au  principe  de  l'espèce. 
Et  comme  la  matière  caractérisée  est  en  dehors  de  l'intellect  de  l'es- 
pèce, car  cela  est  de  l'intellect  de  l'homme  qu'il  a  l'humanité,  et  pas 
davantage.  Mais  qu'une  pareille  chose  soit  telle  ou  telle  chose  carac- 
térisée, cela  n'est  pas  de  l'intellect  explicite  de  l'homme ,  comme  les 
différences  sont  en  dehors  de  l'intellect  du  genre,  ainsi  qu'il  a  été  dit 
plus  haut ,  c'est  pour  cela  qu'on  peut  concevoir  que  le  corbeau  ou 
l'espèce  du  corbeau  soit  sans  noirceur  ,  et  même  avec  la  blancheur; 
c'est  pourquoi  l'accident  inséparable  est  classé  avec  l'accident  com- 
mun et  non  avec  le  propre,  quoique  dans  un  sens  il  convienne  à  l'un 
et  à  l'autre,  comme  nous  l'avons  dit.  Ainsi  donc  il  y  a  des  accidents 
inséparables  et  des  accidents  séparables.  A  l'accident  inséparable 
convient  la  susdite  définition  de  l'accident,  savoir  que  le  sujet  peut 
être  conçu  existant  sans  lui,  s'il  est  pris  pour  l'espèce,  et  non  pour  le 
singulier.  Or,  il  faut  savoir  que  quoique  le  sujet  puisse  être  séparé 
d'un  autre  accident,  comme  il  a  été  dit,  l'accident  néanmoins  ne  peut 
pas  être  séparé  du  sujet  en  acte  ou  en  aptitude,  je  dis  en  aptitude,  car 


quens  non  erit  corpus.  Ergo  non  poterit 
intelligi  esse  sine  eo.  Potest  ergo  accidens 
inesse  et  non  inesse  praeter  subjecti  cor- 
ruptionem ,  cura  esse  subjecti  non  depen- 
deat  aliquo  modo  ab  esse  suo,  ut  dictum 
est;  et  sic  patet  prœdicta  descriptio  acci- 
dentis.  Sciendum  tamen  est ,  quod  aliquod 
accidens  commune  potest  inveniri ,  quod 
respectu  hujus  subjecti  siugularis  ita  se 
habet,  quod  causatur  ex  principiis  essentia- 
libus  ejus,  puta  nigredo  corvi,  quae  cau- 
satur ab  hac,  sive  ex  hac  materia  signata 
corvi  necessario.  Loquendo  igitur  de  tali 
accidente ,  dico  ,  quod  non  posset  intelligi 
hoc  subjectum  esse  sine  eo,  et  hoc  dicitur 
accidens  inseparabile,  quod  ita  se  habet  ad 
principium  singulare  ,  sicut  accidens  pro- 
prium  ad  principium  speciei.  Et  quia  ma- 
teria signata  est  extra  intellectum  speciei 
(de  intellectu  enim  hominis  est  habens  hu- 


manitatem,  et  non  plus.  Utrum  autein  taie 
habens  sit  hoc  signatum  vel  illud,  non  est 
de  intellectu  explicito  hominis,  sicut  diffe- 
rentiae  sunt  extra  intellectum  generis ,  ut 
supra  dictum  est  ,  ideo  potest  intelligi 
corvus  sive  species  corvi  esse  sine  nigre- 
dine  vel  etiam  cum  albedine  ,  et  propter 
hoc  accidens  inseparabile  collocatur  cum 
accidente  communi  et  non  cum  proprio, 
licet  aliquo  modo  conveniat  cum  utroque, 
ut  dictum  est.  Sic  ergo  accidens  quoddam 
est  inseparabile  et  quoddam  est  separabile. 
Accidenti  inseparabili  convenit  praxlicia 
dillinitio  accidentis,  scilicet  quod  subjec- 
tum potest  intelligi  esse  sine  eo  ,  si  suma- 
tur  subjectum  pro  specie  et  non  pro  sta- 
gulari.  Sciendum  est  autem ,  quod  licet 
subjectum  possit  separari  ab  alio  accidente, 
ut  dictum  est ,  non  tamen  accidens  potest 
separari  a  subjecto  actu  vel  aptitudine,  et 


SUR   LA    LOGIQUE   d'ARISTOTE.  127 

quoique  Dieu  puisse  séparer  un  accident  du  sujet ,  comme  on  l'en- 
seigne communément  des  accidents  de  l'hostie  consacrée,  il  est  néan- 
moins impossible  que  ces  accidents  n'aient  pas  une  aptitude  au  sujet. 
Car  ce  qui  appartient  à  la  raison  propre  d'une  chose  ne  peut  pas  en  être 
séparé,  mais  être  en  acte  ou  en  aptitude  dans  le  sujet,  est  de  la  raison 
propre  de  l'accident,  car  l'être  de  l'accident  est  Y  inêtre,  donc  il  ne 
peut  pas  en  être  séparé.  Tout  cela  peut  recevoir  un  nouveau  jour  de 
cequi  a  été  dit  relativement  à  l'espèce.  En  effet,  les  accidents  et  toutes 
les  formes  substantielles  n'étant  pas  un  acte  pur,  lequel  de  soi  n'est 
pas  plurificable  ,  s'ils  sont  plurifiés  numériquement ,  c'est  à  raison 
de  la  potentialité  qu'ils  possèdent  essentiellement  de  manière  à 
être  une  partie  réelle  d'un  composé  substantiel  ou  accidentel.  D'où  il 
résulte  que ,  comme  la  matière  et  la  forme  sont  des  parties  substan- 
tielles de  la  chose ,  de  même  les  accidents  sont  des  parties  acciden- 
telles de  la  chose,  comme  la  blancheur  qui  est  une  partie  de  ce  com- 
posé qui  est  un  homme  blanc.  Or,  tous  les  accidents  étant  tels,  il  faut 
nécessairement  qu'ils  adhèrent  au  sujet  en  acte  ou  en  aptitude.  Voilà 
ce  qui  concerne  l'accident  et  les  cinq  prédicables,  etc. 

Fin  du  premier  traité  des  cinq  universaux  relativement  à  la  chose 
et  à  V intention  logique. 


dico  aptitudine.  Nam  licet  Deus  possit  ali- 
quod  accidens  separare  a  subjecto,  ut  com- 
muniter  tenetur  de  accidentibus  hostiae 
consecratse,  tamen  quod  illa  accidentia  non 
habeant  aptitudinera  ad  subjectum  ,  hoc 
est  impossibile.  Quod  enim  est  de  ratione 
propria  alicujus,  ab  eo  separari  non  potest, 
sed  inesse  actu  vel  aptitudine  subjecto  est 
de  ratione  propria  accidentis,  quia  acci- 
dentis  esse  est  inesse.  Ergo  ab  eo  separari 
non  potest.  Hoc  autem  potest  patere  ex  his 
quae  supra  dicta  sunt  de  specie.  Cum  enim 
accidentia  et  omnes  forma;  substantiales 
non  sint  actus  purus ,  qui  de  se  plurifica- 
bilis  non  est,  si  ipsa  plurificentur  numéro, 


hoc  est  propter  potentialitatem  quam  ha- 
bent  essentialiter,  ut  scilicet  sint  pars  rea- 
lis  alicujus  compositi  sive  substantialis  sive 
accidentalis.  Unde  sicut  materia  et  forma 
sunt  partes  rei  substantiales,  ita  accidentia 
sunt  partes  rei  accidentales  ,  sicut  albedo, 
quae  est  pars  hujus  compositi,  quod  est 
homo  albus  ;  cum  autem  omnia  accidentia 
sint  talia.  Ergo  necessario  oportet  quod 
insint  subjecto  actu  vel  aptitudine  ;  et  sic 
patet  de  accidente  et  de  quinque  praedica- 
bilibus,  etc. 

Explicit  Tractatus  primus  de  quinque 
universalibus  secundum  rem  et  secundum 
intentionem  logicam. 


128 


OPUSCULE    XLVI1,    TRAITÉ    2,    CHAPITRE    i 


TKAITE  II. 

Dl!    MÊME   DOCTEUR,    DES   PRÉDJCAMEXTS. 

CHAPITRE  PREMIER. 
Des  divers  modes  de  prédication. 

Nous  allons  nous  occuper  maintenant  des  prédicaments  ;  comme  le 
prédicament  s'entend  de  quelques  prédicables  disposés  dans  un  ordre 
prédicamentel,  il  faut  examiner  de  combien  de  manières  s'opère  la 
prédication.  Notez  qu'une  chose  se  dit  d'une  autre  de  trois  façons, 
univoquement ,  équivoquement  et  dénominativement.  On  dit  que  la 
prédication  se  fait  d'une  manière  univoque  pour  les  choses  qui  con- 
viennent à  celles  dont  elles  se  disent  non-seulement  quant  au  nom , 
mais  encore  quant  à  la  raison  des  essences;  et  j'appelle  ici  raison  ce 
qui  est  dit  par  la  définition  ou  est  signifié  par  elle ,  ou  par  quelque 
chose  pris  à  la  place  de  la  définition ,  comme  animal  se  dit  de  l'homme 
et  du  bœuf.  D'où  il  résulte  que  non-seulement  ce  mot  animal  convient 
à  l'homme  et  au  bœuf ,  mais  encore  sa  définition  essentielle  ,  qui  est 
corps  animé  sensible.  En  effet ,  non-seulement  il  est  vrai  de  dire  que 
l'homme  est  animal ,  mais  encore  que  l'homme  est  un  corps  animé , 
sensible  ,  et  il  en  est  de  même  du  bœuf.  On  dit ,  au  contraire,  que  la 
prédication  se  fait  d'une  manière  équivoque  pour  les  choses  qui  se 
disent  de  plusieurs  ,  quant  au  même  mot ,  mais  non  cependant  sous 
la  même  raison,  et  de  cette  manière  le  chien  se  dit  de  celui  qui  aboie 
et  de  celui  qui  est. marin.  Quoique,  en  effet,  le  chien  se  dise  de  l'un 
et  de  l'autre  sous  le  rapport  du  même  mot,  c'est  néanmoins  pour  une 
raison  qu'il  convient  au  chien  aboyant  et  au  marin.  Car  la  raison  du 


TRACTATHS  II. 

Ejlsdem  doctoris,  de  PR^DICAMEXTIS. 


CAPUT  PRIMUM. 
De  diversis  modis  prœdicandi. 

Nunc  dicendura  est  de  praedicamentis  : 
quia  praedieamentum  dicit  quaedam  prae- 
dicabilia  ordinata  in  ordine  praedicamen- 
tali ,  videndum  est  quot  modis  fit  praedi- 
catio.  Ubi  nota  quod  aliquid  de  aliquo 
dicitur  praedicari  tripliciter,  id  est  uni  voce, 
aequivoce  et  denominative.  Univoce  dicun- 
tur  praedicari,  quae  non  solum  con  veniunt  his 
de  quibus  praedicantur  quantum  ad  nomen, 
sed  etiam  quantum  ad  rationem  essentia- 
rum  ;  et  dico  hic  rationem  illud  quod  per 
difiinitionem  dicitur,  seu  signifkatur,  vel 
per  aliquid  quod  sumatur  loco  diflfinitionis, 


sicut  animal  praedicatur  de  homine  et  de 
bove.  (Jnde  non  solum  hoc  nomen  animal 
convenit  homini  et  bovi,  sed  etiam  difli- 
nitio  ejus  essentialis,  quae  est  corpus  ani- 
matum  sensibile.  Non  solum  enim  vere 
dicimus  quod  homo  est  animal ,  sed  etiam 
quod  homo  est  corpus  animatum  sensibile, 
et  similiter  est  de  bove.  ^Equivoce  vero 
dicuntur  prœdicari,  quae  de  pluribus  prœ- 
dicantur  secundum  idem  nomen,  non  ta- 
men  secundum  eamdem  rationem ,  et  isto 
modo  praedicatur  canis  de  latrabili  et  de 
raarino.  Licet  enim  secundum  idem  nomen 
canis  de  utroque  praedicetur,  tamen  alia 
ratione  convenit  cani  latrabili,  quam  ma- 
rino.  Ratio  enim  latrabilis  est,  quod  est 


SUR  LA   LOGIQUE   d'âRISTOTE.  129 

chien  aboyant,  qui  est  d'être  un  animal  à  quatre  pieds  marchant, 
ne  convient  pas  au  marin.  Or,  il  est  bon  de  savoir  que  les  analogues 
sont  compris  sous  la  désignation  des  équivoques.  Effectivement  les 
analogues  se  disent  de  plusieurs ,  en  tant  qu'ils  se  rapportent  à  un  , 
comme  sain  se  dit  de  l'animal  primairement  et  proprement.  Car  le 
sain  est  adéquate  dans  les  humeurs,  ce  qui  ne  peut  être  que  dans  l'a- 
nimal. Sain  se  dit  néanmoins  de  l'urine  et  de  la  médecine.  Nous 
disons  effectivement ,  cette  urine  est  saine  ,  parce  qu'elle  est  le  signe 
de  la  sanité  qui  est  dans  l'animal;  on  dit  aussi,  cette  médecine  est 
saine,  parce  qu'elle  est  la  cause  de  la  santé  qui  est  dans  l'animal.  D'où 
il  suit  que,  bien  que  ce  mot  sain  se  dise  de  l'animal  et  de  l'urine, 
néanmoins  la  raison  de  sain  ne  peut  se  dire  de  l'urine.  Car  l'urine 
n'est  pas  adéquate  dans  les  humeurs,  mais  elle  est  un  signe  de  cette 
adéquation ,  et  de  cette  manière  la  prédication  analogue  s'accorde 
avec  l'équivoque ,  comme  on  l'a  dit ,  en  quelque  façon ,  et  de  même 
avec  l'univoque.  En  effet ,  quoique  sain,  qui  se  dit  de  l'urine ,  n'ex- 
prime pas  sa  raison  suivant  l'adéquation  des  humeurs  dans  l'urine, 
il  n'en  exprime  pas  cependant  une  autre ,  mais  il  exprime  la  même 
adéquation  des  humeurs  dont  l'urine  est  le  signe.  On  dit  enfin  que  la 
prédication  s'opère  dénominativement  pour  les  choses  qui  sont  con- 
crètes adjectivement,  et  reçoivent  leur  dénomination  de  certains 
accidents  abstraits  ou  en  dérivent ,  comme  blanc  se  dit  dénominati- 
vement de  l'homme  et  du  cheval  ;  parce  que  blanc  dérive  de  cette 
chose  abstraite,  qui  est  la  blancheur,  laquelle  est  dans  l'homme ,  et 
qui,  prise  ainsi  abstractivement,  ne  pourroitpas  se  dire  de  l'homme. 
Car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  nulle  partie  ne  peut  se  dire  du  tout. 
Et  la  blancheur  est  une  certaine  partie  accidentelle  de  l'homme  blanc 
qui,  pour  cette  raison ,  ne  pourroit  se  dire  de  lui.  Or  elle  devient  con- 

animal  gressibile  quadrupes,  quœ  non  con-  j  cum  univoca.  Licet  enim  sanum ,  quod  de 
venit  marino.  Sciendum  est  autem  quod  ;  urina  dicitur,  non  dicat  suam  rationem, 
sub  sequivocis  comprehenduntur  analoga.  scilicet  adœquationem  humorum  in  urina, 
Praedicantur  enim  analoga  de  pluribus,  in  ;  non  tamen  dicit  aliam  rationem,  sed  eam- 
quantum  dicuntur  ad  unum,  ut  sanum  di-  j  dem  adaequationem  humorum  dicit,  cujus 
citur  de  animali  primo  et  proprie.  Est  enim  ;  urina  est  signum.  Denominative  vero  di- 
sanum  adasquatum  in  humoribus,    quod  \  cuntur  praedicari,  qua?  concreta  sunt  adjec- 

tive,  et  ab  aliquibus  accidentibus  abstractis 
denominantur ,  seu  derivantur,  ut  album 
de  homine  prœdicatur,  et  de  equo  deno- 
minative :  quia  album  derivatur  ab  hoc 
abstracto ,  quœ  est  albedo  quae  est  in  ho- 
mine ,  quse  sic  in  abstracto  sumpta  de  ho- 
mine praedicari  non  posset.  Nulla  enim  pars, 
ut  supra  dictum  est,  potest  de  toto  prœdi- 
cari.  Albedo  enim  est  quaedam  pars  acci- 
dentalis  hominis  albi,  et  sic  de  eo  pnedieari 
non  posset.  Concernitur  autem,  et  dicitur 
album ,  quod  idem  est  quod  habens  albe- 


non  potest  esse  nisi  in  animali.  Dicitur  ta- 
men sanum  de  urina  et  medicina.  Nam 
dicimus ,  haec  urina  est  sana ,  quia  est  si- 
gnum sani  quod  est  in  animali  ;  et  haec 
medicina  est  sana,  quia  est  causa  sani  quod 
est  in  animali.  Unde  licet  hoc  nomen  sanum 
de  animali  et  de  urina  dicatur,  tamen  ratio 
sani  non  potest  dici  de  urina.  Non  enim 
urina  est  adeequata  in  humoribus,  sed  est 
signum  talis  adaequationis,  et  sic  prœdica- 
tio  analoga  aliquo  modo  convenit  cum 
aequivoca,  ut  dictum  est,  et  aliquo  modo 


]  30  OPUSCULE    XLVII  ,    TRAITÉ    2  ,    CHAPITRE    1 . 

crête  ,  et  elle  est  appelée  blanc ,  ce  qui  est  la  même  chose  qu'ayant  la 
blancheur,  et  ainsi  elle  peut  se  dire  de  l'homme.  Pour  concevoir  les 
prédicaments  ,  il  faut  savoir  que  le  prédicament ,  ou  le  genre  le  plus 
général ,  peut  se  prendre  de  deux  manières.  La  première  pour  l'in- 
tention prédicamen telle  elle-même  ou  d'universalité;  la  seconde, 
pour  la  chose  elle-même  sur  laquelle  une  telle  intention  se  fonde , 
comme  il  a  été  dit.  Dans  le  premier  cas,  le  prédicament  est  un  être 
de  raison  ;  dans  le  second ,  c'est  un  être  réel.  Or,  pour  mieux  com- 
prendre cela ,  il  est  bon  de  savoir  que  l'être ,  dans  la  plus  grande 
universalité,  se  divise  en  métaphysique,  en  être  par  accident,  et 
en  être  par  soi.  L'être  par  accident  se  divise  d'autant  de  manières 
qu'une  chose  se  dit  d'une  autre  par  accident,  comme  nous  avons 
dit  plus  haut.  L'être  par  soi  se  divise  aussi ,  parce  qu'il  y  a  quelque 
chose  dans  l'ame  et  hors  de  l'ame.  Pour  savoir  ce  que  c'est  que 
l'être  dans  l'ame ,  il  faut  remarquer  qu'une  chose  peut  être  dans 
l'ame  de  trois  manières;  la  première  effectivement,  comme  nous 
disons  que  l'édifice  est  dans  l'esprit  de  l'architecte  avant  qu'il  soit 
fait;  la  seconde  subjectivement,  comme  nous  disons  que  la  science 
est  dans  l'ame  ,  ou  l'acte  de  l'intellection,  ou  le  verbe  qui  sont  dans 
l'ame,  comme  l'accident  dans  le  sujet.  Troisièmement ,  on  dit  qu'une 
chose  est  objectivement  dans  l'ame,  comme  le  bois,  objet  de  l'in- 
tellect, est  dit  être  dans  l'ame  objectivement.  Dans  les  deux  premiers 
cas,  l'être  dans  l'ame  est  un  être  réel ,  et  je  dis  réel  non  en  tant  que 
le  mot  res  vient  de  reor,  reris ,  mais  bien  de  ratits ,  rata ,  ratum , 
c'est-à-dire  positif.  Dans  l'être  pris  de  la  troisième  manière ,  c'est- 
à-dire  comme  étant  objectivement  dans  l'ame  ,  nous  pouvons  consi- 
dérer deux  choses,  savoir,  ce  qui  est  objectivement  dans  l'iniellect , 
comme  le  bois ,  et  cela  est  encore  une  chose  ,  ou  ce  qui  convient  seu- 
lement au  bois,  comme  étant  objectivement  dans  l'intellect,  et  ne 

dinem,  et  taie  potest  de  homine  preedicari.  i  quid  sit  ens  in  anima,  nota  quod  tripliciter 
Ad  videndum  praedicamenta,  sciendum  est  I  aliquid  potest  esse  in  anima.  Uno  modo 
quod  pra:dicamentum,  seu  genus  gênera-  i  effective,  sicut  dicimus  quod  arca  est  in 
lissimum  dupliciter  potest  accipi.  Uno  modo,  mente  artificis  antequam  fiât.  Alio  modo 
pro  ipsa  intentione  prœdicamentali ,  seu  l  subjective,  sicut  dicimus  quod  scientia  est 
universalitatis.  Alio  modo,  pro  ipsa  re,  in  j  in  anima,  vel  actus  intelligendi ,  vel  ver- 


qua  talis  intentio  fundatur ,  ut  dictum  est. 
Primo  modo ,  prœdicamentum  est  ens  ra- 
tionis  ;  secundo  modo ,  est  ens  reale.  Ad 
majorem  autem  notificationem  horum 
sciendum  est,  quod  ens  in  sua  maxima 
universalitate  dividitur,  V.  Jdetaphys.,  m 
ens  per  accidens,  et  in  ens  per  se.  Eus  au- 
tem per  accidens  tôt  modis  dividitur,  quot 
modis  aliquid  preedicatur  per  accidens,  de 
quibus  supra  dictum  est.  Ens  per  se  divi- 
ditur. quia  quoddam  est  in  anima,  et  quod- 
dam  extra  animam.   Ad  sciendum  autem 


bum,  quœ  sunt  in  anima  sicut  accidens  in 
subjecto.  Tertio  modo  aliquid  dicitur  esse 
in  anima  objective ,  sicut  lignum  intellec- 
tus  dicitur  esse  in  anima  objective.  Duobus 
primis  modis  ens  in  anima  est  ens  reale  ; 
et  dico  reale,  non  ut  hoc  nomen  res  dicitur 
a  reor  reris,  sed  ut  dicitur  a  ratus  rata 
ratum,  id  est  firmum.  Tertio  modo  sumpto 
ente,  scilicet  ut  est  objective  in  anima,  in 
eo  possumus  duo  considerare ,  scilicet  id 
quod  est  objective  in  intellectu,  puta  li- 
gnum, et  istud  adhuc  est  res;  vel  illud 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aMSTOTE.  131 

lui  convient  pas  suivant  l'être  réel,  savoir  l'être  abstrait  de  tel  ou 
tel  bois,  et ,  dans  ce  cas,  l'être  dans  l'ame  n'est  pas  une  chose,  mais 
une  intention  à  laquelle,  en  dehors  de  l'ame  ,  rien  ne  correspond  -,  si 
ce  n'est  pour  le  fondement  éloigné,  et  c'est  ainsi  que  l'être  est  attribué 
au  non-être.  Car  nous  disons  que  la  cécité  est  dans  l'œil.  Or  la  cécité 
étant  un  non-être,  comment  a-t-elle  l'être  qui  nous  fait  dire,  c'est  la 
cécité  ?  Il  est  certain  que  ce  n'est  que  l'être  d'intention  qui  n'a  rien  à 
faire  avec  l'être  réel ,  mais  est  en  opposition  manifeste  avec  lui.  Et  si 
on  demande  où  se  trouve  subjectivement  un  tel  être,  on  répond  qu'il 
n'est  nulle  part.  Si,  en  effet,  il  étoit  en  quelque  chose  subjectivement, 
ce  seroit  un  accident ,  et  par  conséquent  un  être  réel ,  mais  il  n'a 
l'être  qu'objectivement.  L'être  réel  se  divise  en  dix  prédicaments , 
qui  sont  les  dix  genres  des  choses.  Et  comme  une  chose  est  le  fonde- 
ment éloigné  de  l'intention ,  les  prédicaments  peuvent  néanmoins 
être  pris  de  deux  manières  ,  suivant  cette  double  division.  Mais  pour 
bien  connoître  les  prédicaments,  il  faut  diviser  l'être  réel.  Il  faut 
observer  ici  que,  quoique  l'être  ne  puisse  pas  être  genre,  parce  qu'il 
ne  se  trouve  pas  de  différence  contractive ,  il  est  néanmoins  contracté 
par  les  modes  d'être.  Or,  le  mode  d'être  d'une  chose  peut  se  prendre 
de  deux  manières.  Premièrement ,  en  tant  qu'il  est  la  propriété  réelle 
de  quelque  chose  différente  de  lui,  comme  nous  disons  de  quelqu'un, 
cet  homme  a  un  bon  caractère,  parce  qu'il  est  doux  et  conciliant.  Or, 
il  est  constant  que  la  douceur  et  la  concorde  ,  que  nous  appelons  des 
modes,  sont  des  choses  différentes  de  celui  auquel  elles  appartiennent. 
Secondement,  le  mode  est  dit  la  chose  conçue,  en  tant  qu'elle  est 
conçue  sous  un  rapport  relativement  à  elle-même,  et  dans  un  autre 
sens  que  les  divers  modes  à  considérer  ne  se  prennent  pas  dans  les 
modifications  diverses  qui  se  trouvent  dans  une  chose ,  mais  de  l'ha- 


quod  convenit  ligno  solum,  ut  est  objective 
in  iutellectu,  et  non  convenit  sibi  secun- 
dum  esse  reale,  scilicet  esse  abstractum  ab 
hoc  ligno  et  ab  illo ,  et  hoc  modo  ens  in 
anima  non  est  res ,  sed  intentio  ;  cui  ei 
nihil  extra  auiniam  respondet  nisi  pro  fun- 
damento  remoto,  et  sic  attribuitur  esse 
non  enti.  Dicimus  enim  quod  caecitas  est 
in  oculo.  Cum  autem  ceecitas  sit  non  ens, 
quomodo  ergo  habet  esse,  quia  dicimus 
cœcitas  est?  certe  solum  esse  intentionis, 
quod  nihil  habet  facere  cum  ente  reali, 
sed  opposito  ab  eo  dividitur.  Et  si  quaera- 
tur  de  tali  ente  ubi  sit  subjective ,  dicitur 
quod  est  nusquam.  Si  enim  esset  in  aliquo 
subjective,  esset  accidens,  et  per  consequens 
ens  reale ,  sed  solum  habet  esse  objective. 
Ens  autem  reale  dividitur  in  decem  prae- 
dicamenta,  quee  sunt  decem  gênera  rerum. 


Et  quia  res  est  fundamentum  intentionis 
remotum,  tamen  secundum  istam  duplicem 
divisionem  possunt  dupliciter  accipi  pree- 
dicamenta.  Ad  sciendum  autem  prœdica- 
menta,  oportet  dividere  ens  reale.  Ubi  nota 
quod  licet  ens  non  possit  esse  genus,  quia 
non  invenitur  difïerentia  contrahens,  illud 
tamen  contrahitur  per  modos  essendi. 
Modus  autem  essendi  alicujus  rei  potest 
accipi  dupliciter.  Uno  modo,  ut  est  pro- 
prietas  realis  alicujus  realiter  differens  ab 
eo,  sicut  dicimus  de  aliquo  :  Iste  habet 
bonum  modum,  quia  est  mansuetus  vel 
concors.  Constat  autem  quod  mansuetudo 
et  concordia,  quas  diximus  modos,  res  sunt 
différentes  ab  eo  cujus  sunt.  Secundo  modo 
dicitur  modus  res  concepta  :  uno  modo 
respectu  sui  ipsius,  ut  est  concepta;  alio 
modo,  qui  quidem  diversi  modi  conside- 


132  OPUSCULE    XLVH,    TRAITÉ    1,    CHAPITRE    1. 

bitude  à  diverses  choses  sous  laquelle  la  chose  est  comprise.  Par 
exemple  la  substance,  en  tant  qu'elle  est  le  sujet  des  accidents,  est 
signifiée  par  le  mode  de  substance ,  parce  que  substance  vient  de 
substare;  mais  en  tant  qu'elle  ne  dépend  de  rien  d'antécédent  sur  quoi 
elle  s'appuie,  elle  se  comprend  comme  un  être  par  soi ,  et  ces  modes 
sont  ce  qu'est  la  substance  ne  différant  que  parla  seule  raison  de  l'ame 
qui  la  conçoit  suivant  les  diverses  habitudes  ;  cette  raison  n'est  pas 
fictive  ,  mais  elle  est  prise  de  la  chose,  car  elle  est  ainsi  dans  la  chose. 
La  substance  ,  en  effet ,  est  supposée  aux  accidents  et  ne  s'appuie  sur 
aucun ,  néanmoins  ce  ne  sont  pas  deux  choses  distinctes,  il  n'y  a  qu'une 
distinction  de  raison.  C'est  ce  qui  fait  que  ces  modes  sont  un  être 
réel ,  savoir  la  substance ,  laquelle  est  supposée  aux  accidents  sans 
s'appuyer  sur  aucun,  la  distinction  néanmoins  est  toute  de  raison. 
D'un  autre  côté ,  l'être  se  contracte  par  les  modes ,  non  que  le  mode 
soit  quelque  différence  qui  le  contracte ,  mais  parce  que  dans  l'être 
réel ,  pris  communément ,  se  trouvent  quelques  êtres  ayant  entre  eux 
divers  modes  d'être  auxquels  ne  répond  pas  une  seule  et  même  chose, 
si  ce  n'est  peut-être  l'être  en  général.  Or,  les  premiers  modes  par  les- 
quels l'être  est  contracté  sont,  être  par  soi  et  être  dans  un  autre.  Etre 
par  soi  est  le  mode  de  prédicament  de  la  substance  ,  et  être  dans  un 
autre  est  le  mode  des  neuf  autres  prédicaments.  L'être  se  contracte 
encore  d'une  autre  manière  par  deux  modes ,  dont  l'un  est  d'être 
pour  être ,  et  ce  mode  comprend  les  trois  prédicaments  absolus , 
savoir  la  substance ,  la  quantité  et  la  qualité.  Le  second  est  d'être 
pour  autre  chose,  et  ce  mode  comprend  les  sept  prédicaments  respec- 
tifs, savoir,  la  relation,  l'action,  la  passion,  l'époque,  le  lieu,  la 
situation  et  la  possession,  toutes  choses  dont  nous  déterminerons 
plus  bas  les  différences.  Or,  il  faut  observer  que  la  division  de  l'être 


randi  non  sumuntur  ex  diversis  in  re  exis- 
tentibus,  sed  ex  habitudine  ad  diversa, 
sub  qua  habitudine  res  intelligitur.  Verbi 
gratia ,  substantia  secundum  quod  est  sub- 
jectum  accidentium ,  signilicatur  per  mo- 
dum  substantiae,  quia  substantia  dicitur  a 
substando;  secundum  autera  quod  a  nullo 
priori  dependet  cui  innitatur,  significatur 
ut  ens  per  se  ;  et  isti  modi  sunt  idipsum 
quod  substantia,  différentes  sola  ratione 
animae  concipientis  ipsara  secundum  diver- 
sas  habitudines;  quae  ratio  non  est  ficta, 
sed  accipitur  a  re,  ita  enim  in  re  est.  Nam 
et  substantia  substat  accidentibus,  et  nulli 
innititur;  tamen  ista?  non  sunt  duae  res 
distinctae ,  sed  distinctio  inter  ista  solum 
est  ex  ratione.  Unde  taies  modi  sunt  ens 
reale,  scilicet  substantia,  quae  et  substat 
accidentibus ,  et  nulli  innititur,  distinctio 
tamen  totum  est  a  ratione.*  Gontrahitur 


autem  ens  per  modos,  non  quod  modus  sit 
aliqua  differentia  contrahens  ipsum,  sed 
quia  in  ente  reali  communiter  sumpto  in- 
veniuntur  aliqua  entia  habentia  inter  se 
diversos  modos  essendi ,  quibus  non  res- 
pondet  una  et  eadem  res,  nisi  forte  ipsum 
ens  in  universali.  Primi  autem  modi  quibus 
contrahitur  ens,  sunt  esse  per  se,  et  esse  in 
alio.  Esse  autem  per  se  est  modus  praedi- 
camenti  substantia;  ;  esse  vero  in  alio  est 
modus  aliorum  novem  praedicamentorum. 
Alio  modo  adhuc  contrahitur  ens  per  duos 
modos ,  quorum  unus  est  esse  ad  esse  ;  et 
iste  modus  comprehendit  tria  praedicamenta 
absoluta,  scilicet  substantiam,  quantitatem 
et  qua'.itatem.  Secundus  est  esse  ad  aliud, 
et  iste  modus  comprehendit  septem  praedi- 
camenta respectiva,  scilicet  relationem, 
actionem,  passionem,  quando,  ubi,  situm 
et  habere  :  quae  omnia  qualiter  inter  se 


SUR  LA   LOGIQUE   d'àRISTOTE.  133 

en  dix  prédicaments  n'est  pas  une  division  d'univoque  ,  mais  d'ana- 
logie. En  effet,  l'être  se  dit  analogiquement  de  ceux-ci,  car  il  se  dit 
per  prius  de  la  substance  qui  sauvegarde  surtout  sa  réalité ,  tandis 
qu'il  ne  se  dit  des  autres  qu'en  tant  qu'ils  sont  quelque  chose  de  la 
substance  même  ;  la  quantité  est  effectivement  la  matière  étendue  ou 
l'extension  de  la  substance,  et  la  qualité  en  est  l'affection,  c'est-à-dire 
la  disposition,  et  ainsi  des  autres.  C'est  pourquoi  l'être  se  dit  d'eux  , 
comme  sain  se  dit  de  l'animal ,  de  l'urine ,  de  la  médecine.  L'être  se 
divise  donc  en  dix  prédicaments ,  qui  sont  la  substance ,  la  quantité  , 
la  qualité,  la  relation,  l'action,  la  passion,  l'époque,  le  lieu,  la 
situation  et  l'habitude ,  dont  nous  allons  parler  succinctement.  Nous 
commencerons  par  la  substance. 

,  CHAPITRE  II. 

Ce  que  c'est  que  la  substance  suivant  l'intention  logique. 

La  substance  est  un  être  existant  par  soi.  Pour  concevoir  ce  qu'il 
y  a  de  spécial  dans  cette  définition,  il  est  bon  de  savoir  que,  malgré 
tout  ce  qui  a  été  dit  de  l'être,  c'est  néanmoins  ce  qui  se  présente  tout 
d'abord  à  notre  intelligence.  Car  nous  sommes  raisonnables,  c'est- 
à-dire  discoureurs,  et  c'est  presque  toujours  par  le  mode  discursif 
que  se  forment  les  conceptions  dans  notre  intellect.  Ce  sont  d'abord 
des  choses  confuses  qui  se  présentent  à  notre  intelligence.  En  effet, 
nous  sommes  conduits  de  la  puissance  à  l'acte  par  un  moyen ,  c'est- 
à-dire  par  un  acte  imparfait ,  par  lequel  l'intellect  ne  conçoit  pas  une 
chose  déterminée  et  se  détermine  en  discourant  à  la  perfection, 
comme  il  est  possible  qu'une  chose  soit  comprise  ;  Aristote  tire  à  ce 
sujet  un  exemple  des  choses  sensibles  dans  le  livre  I  de  la  Phys.  En 


différant,  dicetur  infra.  Notandum  est  au- 
tem  quod  divisio  entis  in  decem  praedica- 
menta  non  est  divisio  univoci,  sed  analogi. 
Ens  enim  analogice  dicitur  de  eis,  per  prius 
enim  dicitur  de  substantia  in  qua  maxime 
salvatur  sua  realitas  ;  de  ahis  vero  dicitur 
in  quantum  sunt  aliquid  ipsius  substantiae. 
Quantitas  enim  est  materia  extensa,  vel 
extensio  substantiae.  Qualitas  vero  est  ejus 
affectio,  id  est  dispositio,  et  sic  de  aliis. 
Unde  de  eis  prœdicatur  ens,  sicut  sanum 
praedicatur  de  animali  urina  et  medicina. 
Dividitur  ergo  ens  in  decem  praedicamenta, 
quœ  sunt  substantia,  quantitas,  qualitas, 
relatio,  actio,  passio,  quando,  ubi,  si  tus 
et  habere  seu  habitus,  de  quibus  sigillatim 
dicendum  est,  et  primo  de  substantia. 


CAPUT  II. 

Quid  sil  substantia  secundum  inlenlionem 
logicam. 

Est  autem  substantia  ens  perse  existens. 
Ad  videndum  particulam  hujus  descrip- 
tionis,  sciendum  quod  licet  de  ente  plura 
dicta  sint,  tamen  ens  est  quod  primo  oc- 
currit  nos*tro  intellectui.  Nos  enim  sumus 
rationales,  id  est  discursivi  ;  quicquid  enim 
intelligimus ,  fere  eu  m  discursu  intelligi- 
mus.  Occurrunt  autem  intellectui  noslro 
primo  magis  confusa.  De  potentia  enim 
reducimur  ad  actum  per  médium,  scilicet 
per  actum  imperfectum ,  quo  intellectus 
non  intelligit  determinatam  rem ,  et  dis- 
currendo  déterminât  se  ad  perfectionem 
sicut  possibile  est  intelligi  rem ,  ut  ponit 
Philosophus,  I.  Physic,  exemplum  in  sen- 


134  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    2,    CHAPITRE    2. 

apercevant  quelque  chose  à  une  grande  distance ,  je  reconnois  d'a- 
bord que  c'est  un  corps ,  ensuite ,  en  approchant  je  vois  que  c'est 
autre  chose ,  je  reconnois  plus  tard  que  c'est  un  homme ,  enfin  que 
c'est  Pierre.  'C'est  ainsi  que  discourt  notre  intellect  dans  l'opération 
intellective.  D'abord  il  conçoit  que  la  chose  est  un  être,  ensuite 
qu'elle  «st  une  substance ,  plus  tard  qu'elle  est  un  corps ,  et  ainsi  jus- 
qu'à l'espèce  la  plus  spéciale  ;  mais  ce  qui  est  conçu  le  plus  confusé- 
ment, c'est  l'être.  Donc  l'être  est  ce  qui  s'offre  de  prime-abord  à  notre 
intelligence.  Et  l'on  voit  ainsi  de  quelle  manière  se  prend  l'être  dans 
la  définition  susdite  de  la  substance.  Mais  comme  on  a  dit  que  la  sub- 
stance est  un  être  par  soi ,  il  faut  observer  qu'elle  se  divise  au  con- 
traire par  accident ,  comme  nous  disons  que  l'homme  est  animal  par 
.soi  ;  or  il  est  blanc  par  accident,  et  de  cette  matière  il  est  pris  présen- 
tement par  soi;  car  la  quantité  et  la  qualité  ne  sont  pas  des  êtres  par 
accident ,  mais  par  soi ,  comme  il  a  été  dit ,  parce  que  l'être  par  soi 
se  divise  en  dix  prédicaments ,  l'être  par  soi  se  divise  d'une  autre 
manière  par  opposition  à  l'être  dans  un  autre.  Ce  n'est  que  de  cette 
seconde  manière  que  l'être  par  soi  convient  à  la  substance  ,  et  c'est 
là  son  mode  propre.  Encore  on  peut  dire  que  la  substance  est  un  être 
existant  par  soi ,  parce  qu'il  lui  convient  proprement  d'exister,  tandis 
qu'il  convient  aux  autres  accidents  d'exister  par  elle.  Comme  le 
feu  est  chaud  par  soi,  parce  que  toutes  choses  deviennent  chaudes 
par  lui ,  car  sa  propriété  est  d'être  chaud.  Mais  il  faut  savoir  que  la 
substance  se  divise  en  matière,  forme  et  composé.  On  ne  dit  pas  pro- 
prement de  la  matière  qu'elle  est  par  elle-même ,  puisqu'elle  n'a  l'être 
que  par  la  forme.  De  même  on  ne  dit  pas  de  la  forme  qu'elle  est  par 
soi ,  puisqu'elle  n'a  l'être  que  dans  la  matière.  On  dit  au  contraire  du 
composé  qu'il  est  par  soi ,  je  dis  le  composé  avec  toutes  ses  parties  , 


sibilibus.  Videndo  enim  in  magna  distantia 
aliquid,  primo  percipio  quod  sit  corpus, 
deinde  accedendo  video  quod  sit  aliud, 
deinde  cognosco  quod  sit  homo,  deinde 
quod  sit  Petrus.  Sic  intelligendo  discurrit 
intellectus  noster.  Primo  enim  de  re  con- 
cipit  quod  sit  ens,  deinde  quod  sit  substan- 
tia,  deinde  quod  sit  corpus,  et  sic  usque  ad 
speciem  specialissimam.  Gonfusius  autem 
quod  intelligipotest,  est  ens.  Ens  ergo  est 
illud  quod  primo  occurrit  intellectui  nostro. 
Et  sic  patet  qualiter  in  praedicta  notifica- 
tione  substantiae  sumitur  ens.  Sed  quia' 
dictum  est  quod  substantia  est  ens  per  se, 
notandum  quod  per  se  dividitur  contra  per 
accidens,  sicut  dicimus  quod  homo  est 
animal  per  se ,  est  autem  al  bus  per  acci- 
dens, et  hoc  modo  nunc  sumitur  hic  per 
s?.  Nam  quantitas  et  qualitas  non  sunt 
entia  per  accidens,  sed  per  se,  ut  dictum 


est,  quia  ens  per  se  dividitur  in  decem 
prsedicamenta.  Alio  modo  esse  per  se  divi- 
ditur contra  esse  in  alio.  Secundo  modo 
solum  substantiae  convenit  esse  perse,  et 
iste  est  modus  proprius  ejus.  Vel  potest 
dici  quod  substantia  est  ens  per  se  existens, 
eo  quod  sibi  proprie  convenit  existere  ;  aliis 
vero  accidentibus  convenit  existere  per  eam. 
Sicut  ignis  per  se  est  calidus,  quia  oninia 
sunt  calida  per  eum,  est  enim  ejus  pro- 
prietas  esse  calidum.  Sciendum  tamen  est 
quod  substantia  dividitur  in  mateiïam , 
formam  et  compositum.  Materia  enim  non 
dicitur  proprie  esse  per  se,  cum  non  habeat 
esse  nisi  per  formam.  Similiter  etiam 
forma  non  dicitur  esse  per  se,  cum  solum 
habeat  esse  in  materia.  Compositum  autem 
proprie  dicitur  esse  per  se,  et  dico  compo- 
situm, scilicet  integratum  ex  suis  partibus; 
licet  enim  partes  intégrales  sint  composites, 


SUR   LA   LOGIQUE   d'âRISTOTE.  .  135 

car,  quoique  les  parties  intégrales  soient  composées,  on  ne  dit  pas 
néanmoins  qu'elles  sont  par  soi.  Le  composé  est  directement  dans  le 
prédicament ,  comme  le  dit  Boëce  dans  le  commentaire  des  prédica- 
ments ,  malgré  même  qu'on  puisse  dire  que  la  forme ,  la  matière  et 
les  parties  intégrales  sont  par  soi ,  parce  qu'elles  ne  sont  pas  dans  un 
autre ,  comme  l'accident  dans  un  sujet.  Il  faut  observer  que  quoique 
on  décrive  ici  la  substance  composée ,  la  substance  peut  cependant 
être  composée  de  deux  manières  ,  savoir,  la  nature  et  le  suppôt.  Or, 
j'appelle  cela  nature,  comme  l'humanité,  quant  au  suppôt,  je  ne  le 
prends  pas  ici  pour  le  singulier  dans  le  genre  de  la  substance ,  mais 
pour  le  concret  de  la  nature,  comme  est  l'homme.  L'humanité, 
quoiqu'elle  soit  appelée  forme,  est  cependant  composée  de  matière  et 
de  forme  ,  comme  il  a  été  dit  plus  haut;  car  l'humanité  dit  corps  et 
ame.  Cependant  l'humanité  ou  une  nature  quelconque  dit  forme  sub- 
stantielle et  matière ,  de  sorte  que ,  relativement  à  l'objet  principal 
qu'elle  signifie,  elle  écarte  toute  autre  chose  de  la  forme  susdite  et  de 
la  matière  ;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  du  suppôt  qui  est  homme. 
L'homme ,  en  effet ,  relativement  à  l'objet  principal  qu'il  signifie ,  dit 
ayant  l'humanité,  ou  ayant  une  telle  forme  et  une  telle  matière  que 
signifie  l'humanité.  Et  comme  ce  qui  a  l'humanité  peut  être  un  suppôt 
non  humain,  comme  on  le  voit  de  l'humanité  du  Christ,  qui  est 
fondée  sur  le  suppôt  divin,  ou  avoir  d'autres  choses,  par  exemple  des 
accidents  que  l'humanité  sépare  complètement;  c'est  pourquoi  le 
suppôt  et  la  nature  sont  différents  dans  les  créatures.  Et  comme  la 
nature ,  par  exemple  l'humanité  ,  est  quelque  chose  de  spécial  exis- 
tant dans  celui  qui  l'a,  quoiqu'elle  soit  composée  ,  il  ne  lui  convient 
pas  cependant  d'être  par  soi.  C'est  donc  proprement  qu'est  dite  être 
par  soi  la  substance  composée  qui  est  suppôt ,  et  celle-là  est  la  cause 


non  tamen  dicuntur  proprie  esse  per  se. 
Compositum  enim  directe  est  in  praedica- 
mento,  ut  Boetius  in  Commentario  Prœ- 
dicamentorum  dicit ,  licet  etiam  possit  dici 
quod  forma,  et  materia  et  partes  intégrales 
sint  per  se ,  quia  non  sunt  in  alio ,  sicut 
accidens  in  subjecto.  Notanduro  quod  licet 
hic  describatur  substantia  composita,  tamen 
dupliciter  potest  esse  substantia  composita, 
scilicet  natura  et  suppositum.  Dico  autem 
hoc  naturam,  ut  est  humanitas,  suppositum 
autem  non  sumo  hic  pro  singulaiï  in  génère 
substantiae,  sed  pro  concreto  naturae,  ut 
homo.  Humanitas  enim  licet  forma  dicatur, 
est  tamen  composita  ex  materia  et  forma, 
ut  supra  dictum  est  ;  dicit  enim  humanitas 
animam  et  corpus.  Ita  tamen  humanitas, 
sive  quaecumque  natura  dicit  formam  sub- 
stanlialem  et  materiam,  quod  de  suo  prin- 


cipali  significato  preescindit  omne  aliud  a 
praedicta  forma  et  materia  ;  non  autem  sic 
est  de  supposito  quod  est  homo.  Homo 
enim  de  suo  principali  significato  dicit  ha- 
bens  humanitatem  >  seu  habens  talem  for- 
mam et  materiam,  quam  dicit  humanitas. 
Et  quia  habens  humanitatem  potest  esse 
suppositum  non  humanum ,  ut  patet  de 
humanitate  Ghristi,  quae  suppositatur  sup- 
posito divino,  vel  potest  habere  aliqua  alia, 
puta  accidentia ,  quae  humanitas  omnino 
preescindit,  ideo  in  creaturis  differunt  sup- 
positum et  natura.  Et  quia  natura ,  puta 
humanitas ,  est  quid  habitum  existens  in 
habente,  licet  sit  composita,  tamen  sibi 
non  proprie  convenit  esse  per  se.  Proprie 
ergo  ens  per  se  dicitur  substantia  compo- 
sita, quae  est  suppositum,  et  haec  est  causa 
quare  gênera  et  species  substantiae  sumun- 


136  .   OPUSCULE   XL VII,    TRAITÉ   2,    CHAPITRE   2. 

pourquoi  les  genres  et  les  espèces  de  la  substance  sont  pris  au  con- 
cret et  non  abstractivement ,  tandis  qu'il  n'en  est  pas  de  même  des 
autres  prédicaments.  Mais  la  forme  substantielle,  qui  est  une  partie 
du  composé ,  ne  soutient  pas  de  soi  les  accidents ,  mais  bien  le  com- 
posé; au  contraire  la  forme ,  qui  est  nature,  essence  et  humanité, 
quoiqu'elle  soit  composée  de  matière  et  de  forme ,  se  suppose  cepen- 
dant aux  accidents  dans  l'objet  qu'elle  caractérise.  Les  autres  acci- 
dents sont  tels  que  leurs  genres  et  leurs  espèces  sont  des  formes , 
quoiqu'elles  ne  forment  pas  avec  le  sujet  une  unité  par  soi.  C'est  dit 
ensuite  quelque  chose  d'existant.  Il  faut  observer  ici  que ,  dans  les 
créatures,  l'être  de  l'essence  et  l'être  de  l'existence  actuelle  diffèrent 
réellement,  comme  deux  choses  diverses.  En  voici  la  preuve  :  ce  qui 
est  en  dehors  de  l'essence  d'une  chose  en  diffère  réellement;  or  l'être 
de  l'existence  actuelle  est  en  dehors  de  l'existence  de  la  chose,  car  la 
définition  indique  toute  l'essence  de  la  chose;  or  l'être  de  l'existence 
actuelle  est  en  dehors  de  la  définition  ,  car  dans  la  définition  on  ne 
met  que  le  genre  et  la  doctrine,  et  l'on  ne  dit  nullement  si  la  chose 
définie  existe  ou  n'existe  pas.  La  chose  devient  encore  plus  évidente. 
Il  est  impossible  de  concevoir  quelque  chose  sans  concevoir  les  choses 
qui  sont  de  son  essence.  Cependant  il  est  constant  que  je  conçois  une 
rose  sans  concevoir  si  elle  est  ou  non  actuellement.  Donc  être  en 
acte  ou  l'être  de  l'existence  actuelle  diffère  réellement  de  l'essence. 
C'est  pourquoi ,  sous  le  premier  rapport,  il  y  a  une  composition  de 
l'être  et  de  l'essence,  qui  n'est  pas  la  composition  de  la  matière  et  de 
la  forme  ,  mais  bien  la  composition  de  deux  principes  du  suppôt  dont 
l'essence  est  la  puissance,  et  l'être  l'acte  ,  d'où  l'être,  par  rapport  à 
l'essence  ,  est  dit  accident ,  parce  qu'il  est  en  dehors  de  l'essence  de 
la  chose ,  et  est  appelé  substance  ,  parce  qu'il  est  dans  le  genre  de  la 


tur  in  concreto ,  et  non  in  abstracto ,  non 
autem  aliorum  praedicamentorum.  Forma 
autem  substantialis ,  quae  est  pars  compo- 
sai, de  se  non  substat  accidentibus,  sed 
compositum  ;  forma  vero  quae  est  natura 
seu  essentia,  et  humanitas,  quamvis  sit 
composita  ex  materia  et  forma  ,  tamen  in 
suo  significato  praescindit  substare  acciden- 
tibus. Alia  vero  accidentia  ita  se  habent, 
quod  eorum  gênera  et  species  sunt  formae, 
cum  tamen  ex  eis  cum  subjecto  non  sit 
unum  per  se.  Dicitur  autem  postea  quid 
existens.  Ubi  nota  quod  in  creaturis  esse 
essentiae  et  esse  actualis  existentiae  différant 
realiter,  ut  duœ  diversae  res.  Quod  sic  pa- 
tet  :  illud  enim  quod  est  extra  essentiam 
alicui,  differt  realiter  ab  ea;  esse  autem 
actualis  existentiae  est  extra  essentiam  rei, 
narn  difïinitio  indicat  totam  essentiam  rei  ; 


esse  autem  actualis  existentiae  est  extra  dif- 
finitionem,  quia  in  diffinitione  ponitur  so- 
lum  genus  et  doctrina,  et  nulla  fit  mentio , 
utrum  res  diffinita  existât  vel  non  existât. 
Apparet  etiam  hoc  manifeste.  Nam  impos- 
sible est  possq  intelligere  aliquam  rem, 
non  intelligendo  ea  quae  sunt  de  essentia 
ejus;  tamen  constat  quod  ego  intelligo 
rosam  non  intelligendo  utrum  actu  sit  vel 
non.  Ergo  actu  esse,  vel  esse  actualis  exis- 
tentiae differt  realiter  ab  essentia.  Unde 
circa  primum  in  quacumque  substantia 
creata  est  compositio  esse  et  essentia,  quae 
non  est  compositio  materiae  et  formae,  sed 
est  compositio  duorum  principiorum  sup- 
posai,  quorum  essentia  est  potentia,  et  esse 
est  actus;  unde  esse  respectu  essentiae  dici- 
tur accidens,  quia  est  extra  essentiam  rei, 
et  dicitur  substantia,   quia  est  in  génère 


SUR  LÀ  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  137 

substance,  comme  principe  du  suppôt,  et  il  est  simplement  acte, 
parce  que,  dans  le  genre  de  la  substance,  quoiqu'il  ne  soit  point 
forme,  laquelle  est  acte  de  la  matière  et* un  acte  secundum  quid,  parce 
que  l'essence  en  laquelle  il  survient  n'est  pas  une  pure  puissance 
comme  est  la  pure  matière.  Néanmoins  il  est  bon  de  savoir  que  l'être 
de  l'essence  convient  à  priori  aux  espèces,  parce  que ,  comme  il  a  été 
dit,  la  seule  espèce  est  définie  ,  et  la  définition  signifie  l'être  de  l'es- 
sence ,  et  se  dit  à  posteriori  de  l'individu,  ou  autrement  lui  convient. 
Or  l'être  de  l'existence  convient  à  priori  aux  individus.  En  effet,  si 
l'on  enlève  l'être  des  individus,  il  est  impossible  qu'il  reste  autre 
chose  ,  comme  le  dit  Aristote  dans  le  livre  des  Prédicaments  ;  il  con- 
vient à  posteriori  aux  espèces  elles-mêmes.  C'est  pourquoi  exister  se 
dit  du  genre  et  de  l'espèce,  comme  des  accidents  communs.  De  même, 
en  effet,  qu'on  dit,  l'homme  existe,  parce  que  Pierre  existe,  de 
même  aussi  l'homme  court ,  parce  que  Pierre  court. 

CHAPITRE  III. 

De  la  première  et  de  la  seconde  substance;  ce  que  c'est;  de  l'ordre 
de  la  substance. 

La  substance  se  divise  en  première  et  seconde.  La  substance  pre- 
mière est  celle  qui  est  dite  subsister  proprement ,  principalement  et 
dans  la  plus  grande  compréhension ,  qui  n'est  pas  dans  le  sujet  et  ne 
se  dit  pas  de  lui.  Pour  comprendre  cette  définition  ,  il  faut  savoir  que 
subsister  se  dit  en  deux  sens ,  savoir,  subsister  sous  les  accidents , 
ainsi  que  nous  le  disons ,  parce  que  la  substance  subsiste  sous  les 
accidents ,  et  subsister  sous  les  universaux ,  comme  nous  disons  que 
ce  qui  est  moins  universel  subsiste  sous  ce  qui  est  plus  universel  ; 
car  cette  subsistance  est  dans  l'ordre  prédicamentel.  Si  l'on  prend  le 
mot  subsister  dans  le  premier  sens ,  la  substance  première  subsiste 


substantiœ  sicut  principium  suppositi,  et 
est  actus  simpliciter,  quia  in  génère  sub- 
stantiœ; licet  non  sit  forma,  quœ  est  actus 
materiœ,  et  est  actus  secundum  quid,  quia 
essentia  cui  advenit,  non  est  pura  potentia, 
sicut  est  pura  materia.  Sciendum  tamen  est 
quod  esse  essentiae  per  prius  convenit  spe- 
ciebus,  quia  ut  supra  dictum  est,  sola  spe- 
cies  diffînitur,  et  diffinitio  significat  esse 
essentiae,  et  per  posterius  dicitur  de  indivi- 
duo,  seu  convenit  ei.  Esse  autem  existentiae 
per  prius  convenit  individuis.  Ablato  enim 
esse  individuorum ,  impossibile  est  aliquid 
aliud  remanere,  ut  Philosophus  dicit  in 
Hb.  Prœdicamentorum  ;  posterius  autem 
convenit  ipsis  speciebus.  Unde  existere  sic 
de  génère  et  specie  dicitur,  sicut  accidentia 
communia.  Sicut  enim  dicitur,  homo  exis- 


tit,  quia  Petrus  existit  ;  sicut  homo  currit, 
quia  Petrus  currit. 

GAPUT  III. 

De  prima  et  secunda  substanlia .,  quid  sini  > 
et  de  ordine  substantiœ. 

Dividitur  autem  substantia  in  primam 
et  secundarn.  Est  autem  prima  substantia, 
quœ  proprie,  principaliter  et  maxima  dici- 
tur substare ,  quœ  nec  in  subjecto ,  nec  de 
subjecto  dicitur.  Ad  videndum  autem  prœ- 
dictam  descriptionem ,  sciendum  est  quod 
substare  dicitur  dupliciter,  scilicet  pro  sub- 
stare accidentibus,  sicut  dicimus  quod  sub- 
stantia substat  accidentibus  ;  et  pro  substare 
universalibus ,  sicut  dicimus  quod  minus 
universale  substat  magis  universali,  stat 
enim  sub  eo  in  ordine  prœdicamentali. 


138  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    2,    CHAPITRE    3. 

proprement.  En  effet,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  une 
chose  est  proprement  inhérente  à  une  autre  qui  lui  est  inhérente  par 
soi,  et  non  par  une  autre  ,  comme  la  chaleur  est  proprement  inhé- 
rente au  feu ,  de  même  il  est  inhérent  à  la  substance  première  de 
subsister  sous  les  accidents.  Car,  quoique  la  superficie  subsiste  sous 
la  couleur,  la  ligne  sous  la  courbure ,  elle  n'a  point  une  telle  manière 
de  subsister  par  soi,  mais  bien  par  une  autre,  savoir  la  substance  pre- 
mière. En  enlevant,  en  effet,  à  la  superficie  et  à  la  ligne  l'inhérence 
qu'elle  a  relativement  à  la  substance  en  acte  et  en  aptitude,  il  n'y  aura 
plus  ni  superficie ,  ni  ligne.  Elles  subsistent  donc  sous  les  accidents , 
parce  que  la  substance  première  leur  est  subsistante.  Donc  le  propre 
de  la  substance  première  est  de  subsister  sous  les  accidents.  D'où  il 
suit  que  subsister  sous  les  accidents  est  une  qualité  qui  convient  prin- 
cipalement et  avant  tout  à  la  substance  première.  En  effet ,  une  chose 
convient  avant  tout  à  une  autre  qui  lui  convient  à  elle-même  et  non 
par  une  autre.  Car  il  ne  convient  pas  primairement  à  Pierre  d'être 
risible ,  parce  que  cela  lui  convient  par  autre  chose ,  c'est-à-dire 
par  homme ,  d'où  il  convient  à  l'homme  primairement  d'avoir  la 
faculté  de  rire.  Ainsi,  quoique  subsister  sous  les  accidents  convienne 
à  la  substance  première  et  à  la  seconde ,  cela  néanmoins  ne  convient 
que  secondairement  aux  substances  secondes,  savoir  aux  genres  et  aux 
espèces,  parce  que  cela  leur  convient  par  des  individus,  qui  sont  les 
substances  premières.  En  effet,  l'homme  ne  court  que  parce  que  Pierre 
ou  Sortes  court,  et  l'on  voit  par  là  de  quelle  manière  la  substance  pre- 
mière subsiste  proprement  et  principalement.  Mais  on  dit  qu'elle  sub- 
siste surtout ,  et  l'on  prend  subsister  dans  le  second  sens ,  c'est-à-dire 
pour  être  sous  une  autre  ,  comme  ce  qui  est  moins  universel  sous  ce 
qui  est  plus  universel.  Or,  comme  les  substances  premières  sont  sou- 


Unde  majus  universale  de  minus  universali 
praedicatur.  Si  substare  sumatur  primo 
modo,  sic  prima  substantia  proprie  substat. 
Sicut  enim  supra  dictum  est,  illud  inest 
alicui  proprie,  quod  inest  per  se  ei,  et  non 
per  aliud,  sicut  calor  proprie  inest  igni, 
sic  eodem  modo  inest  primas  substantia? 
substare  accidentibus.  Licet  enim  superfi- 
cies substet  colori,  et  linea  curviiati,  taie 
substare  habet  non  per  se,  sed  per  aliud, 
scilicet  per  substantiam  primam.  Remota 
enim  inhaerentia  superficiel  et  lineae,  quam 
habet  ad  primam  substantiam  actu  et  ap- 
titudine,  non  erit  superficies  nec  linea. 
Substant  igitur  accidentibus,  quia  substan- 
tia prima  substat  eis.  Proprium  ergo  prima? 
substantiam  est  substare  accidentibus.  Ex 
quo  sequitur  quod  substare  accidentibus 
insit    principaliter    et    primo    substantia? 


primae.  Illud  enim  primo  convenit  alicui , 
quod  convenit  sibi,  et  non  per  aliud.  Petro 
enim  non  convenit  primo  esse  risibile,  quia 
sibi  per  aliud,  scilicet  per  hominem,  unde 
homini  convenit  primo  esse  risibile.  Sic 
licet  substare  accidentibus  conveiùat  sub- 
stantia?. prima?  et  secundae,  tamen  secundis 
substantiis,  scilicet  generibus  et  speciebus, 
convenit  secundario,  quia  convenit  eis  per 
individua,  qua?  sunt  prima?  substantia?. 
Non  enim  homo  currit,  nisi  quia  Petrus 
vel  Sortes  currit,  et  sic  patet  qualiter 
prima  substantia  substat  proprie  et  prin- 
cipaliter. Sed  dicitur  quod  substat  maxime, 
et  sumitur  substare  secundo  modo,  scilicet 
pro  esse  sub  alio ,  sicut  minus  universale 
sub  magis  universali.  Cum  autem  prima? 
substantia?  subjiciantur  omnibus  speciebus 
et  generibus  qua?  sunt  supra  se ,  species 


SUR  LA.  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  139 

mises  à  toutes  les  espèces  et  à  tous  les  genres  qui  sont  au-dessus 
d'elles  ,  et  comme  les  espèces  et  les  genres  ne  subissent  pas  une  sub- 
jection  égale,  il  s'ensuit  que  les  substances  premières  sont  dites  dans 
ce  sens  subsister,  surtout  par  rapport  aux  substances  secondes.  On  dit 
ensuite  qu'elles  ne  se  disent  pas  du  sujet ,  parce  qu'elles  ne  sont  pas 
prédicables  des  autres  ,  comme  les  espèces  et  les  genres  ,  et  ne  sont 
pas  dans  le  sujet ,  parce  qu'elles  ne  sont  pas  des  accidents.  Car  les 
accidents  seuls  sont  dans  le  sujet,  dans  le  sens  que  l'on  prend  être 
dans  le  sujet,  et  c'est  ainsi  que  s'explique  la  définition  de  la  substance 
première  ou  de  l'individu.  On  appelle  substances  secondes  les  espèces 
et  les  genres  qui  sont  dans  le  prédicament  de  la  substance.  Quant  aux 
différences  qui  tombent  de  côté  ,  on  ne  les  nomme  pas  proprement 
des  substances,  parce  qu'elles  ne  sont  pas  proprement  dites  existant 
dans  le  prédicament ,  si  ce  n'est  peut-être  d'une  façon  réductive. 
Elles  sont  appelées  substances  secondes,  parce  qu'elles  subsistent 
secondairement  sous  les  accidents  ,  comme  il  a  été  dit.  Or,  parmi  les 
substances  secondes ,  les  espèces  sont  regardées  comme  possédant  la 
qualité  de  substance  plus  que  les  genres,  non  que  la  substance  reçoive 
plus  et  moins  ,  comme  il  sera  dit  plus  loin  ,  mais  bien  parce  que  les 
espèces  sont  plus  subsistantes  que  les  genres  dansl'ua  et  l'autre  mode 
de  subsistance  ,  comme  on  peut  le  déduire  de  ce  qui  a  été  dit.  Pour 
les  espèces  les  plus  spéciales,  elles  sont  également  dites  substances  , 
parce  qu'elles  ont  une  subsistance  égale  pour  tout;  tel  est  l'ensei- 
gnement relativement  aux  premières  et  aux  secondes  substances. 
Quant  à  l'ordre  qui  existe  dans  le  prédicament  de  la  substance ,  on 
peut  le  voir  dans  l'arbre  de  Porphyre  que  nous  plaçons  ici,  quoique 
nous  ne  l'estimions  pas  d'une  vérité  complète,  car  animal  raisonnable 
n'est  pas  genre,  comme  il  le  suppose,  et  les  dieux  ne  sont  pas  raison- 
nables ,  ainsi  qu'il  le  dit. 


vero  et  gênera  non  subsunt  tôt.  Ergo  prima? 
substantiae  respectu  secundarum  isto  modo 
maxime  dicuntur  substare.  Dicitur  postea 
quod  non  dicuntur  de  subjecto,  quia  non 
surit  prsedicabilia  de  aliis ,  sicut  species  et 
gênera,  et  non  sunt  in  subjecto ,  quia  non 
sunt  accidentia.  Sola  enim  accidentia  sunt 
in  subjecto ,  ut  hic  sumitur  esse  in  sub- 
jecto ,  et  sic  patet  descriptio  primse  sub- 
stantiae seu  individui.  Secundœ  vero  sub- 
stantiae dicuntur  species  et  gênera,  quae 
sunt  in  praedicamento  substantiae.  Differen- 
tiae  vero,  quae  cadunt  ex  latere,  non  proprie 
dicuntur  substantiae,  quia  non  proprie  di- 
cuntur esse  in  praedicamento,  nisi  forte  ré- 
ductive. Dicuntur  autem  secundae  substan- 
tiae, quia  secundo,  ut  dictumest,  substant 


accidentibus.  Inter  secundas  autem  sub- 
stantias  dicuntur  magis  substantiae  species 
quam  gênera,  non  quod  substantia  suscipiat 
magis  et  minus,  ut  infra  dicetur,  sed  quia 
utroque  modo  substandi  magis  substant 
species  quam  gênera,  ut  ex  dictis  haberi 
potest.  Species  vero  specialissimœ  dicuntur 
aequaliter  substantiae ,  quia  aequaliter  om- 
nibus substant ,  et  sic  patet  de  primis  et 
secundis  substantiis.  Qualiter  autem  prae- 
dicamentum  substantiae  sit  ordinatum , 
patet  in  arbore  Porphyrii,  quam  gratia 
exempli  ponimus,  licet  non  in  toto  repe- 
riarri  eam  veram.  Nam  rationale  animal 
non  est  genus,  ut  ipse  ponit,  nec  dii  sunt 
rationales,  ut  ipse  dicit. 


140  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    2,    CHAPITRE    4. 


Genns 


differen- 
tia 


species 
suoalter- 

t:.  na 


differen- 
tia 


species 
subalter- 


CHAPITRE  IV. 

La  substance  ne  reçoit  point  la  contrariété ,  ni  le  plus  et  le  moins,  quoi- 
qu'elle soit  sujet  de  l'un  et  de  l'autre  par  le  changement  qui  s'opère  en 
elle. 

Il  reste  maintenant  à  parler  des  communautés  et  des  propriétés  de 
la  substance.  La  substance  a  deux  choses  communes  avec  quelques  ac- 


CAPUT  IV. 

Quod  substantia  non  suseipit  conlrarielalem, 
née  magis  et  minut ,  Hcet  sit  subjectum 
utriusque  per  sui  mutationem. 

Restât  nunc  dicere  de  communitatibus 


et  proprietatibus  substantiae.  Habet  autem 
substantia  duo  communia  cum  aliquibus 
accidentibus,  scilicet  quod  non  suseipit 
contrarietatem,  et  quod  non  suseipit  magis 
et  minus.  Ad  quae  intelligenda  sciendum 
est,  quod  quaedam  formfe  habent  in  se  la- 


SUR  LA  LOGIQUE   d'ARISTOTE.  141 

cidents,  elle  ne  prend  pas  de  contrariété,  ni  le  plus  et  le  moins.  Pour 
comprendre  cela  il  faut  savoir  que  certaines  formes  ont  en  soi  de  la 
latitude,  tandis  qu'il  en  est  d'autres  qui  n'en  ont  pas ,  et  ces  formes 
qui  ont  de  la  latitude  ont  par  là  même  la  contrariété ,  quoique  cela  ne 
soit  pas  toujours  vrai  en  toutes.  Pour  connoître  cette  latitude,  il  faut 
remarquer  que  dans  les  choses  spirituelles  l'augment  se  transfère  de 
la  quantité  corporelle  ;  or  on  appelle  grand  dans  la  quantité  corporelle 
ce  qui  conduit  à  la  perfection  normale  de  la  quantité.  C'est  pour  cela 
qu'une  quantité  est  réputée  grande  dans  l'homme ,  tandis  qu'elle  ne 
l'est  pas  dans  l'éléphant.  De  même  dans  les  formes  on  appelle  une 
chose  grande  en  raison  de  la  perfection.  Or,  on  peut  considérer  de 
deux  manières  la  perfection  d'une  forme,  ou  par  rapport  à  la  forme 
elle-même,  ou  par  rapport  à  la  participation  du  sujet.  Sous  le  premier 
rapport,  la  forme  est  dite  petite  ou  grande,  comme  une  petite  blan- 
cheur. Sous  le  second  rapport  elle  est  dite  plus  ou  moins,  comme 
plus  ou  moins  blanc.  Donc  les  formes  qui  sont  d'elles-mêmes  indéter- 
minées, comme  étant  plus  ou  moins,  plus  parfaitement  ou  moins  par- 
faitement dans  le  sujet ,  ces  formes  sont  dites  avoir  la  latitude  dont 
nous  avons  parlé,  et  les  degrés  d'intention  ou  de  rémission  que  nous 
avons  dit.  Pour  savoir  quelles  sont  ces  formes,  remarquez  bien  qu'on 
peut  considérer  trois  choses  dans  une  forme;  d'abord,  si  l'agent  peut 
avoir  différents  rapports  avec  elle;  secondement,  si  le  sujet  qui  la 
reçoit  a  parfois  plus  ou  moins  de  dispositions  pour  elle;  troisième- 
ment, la  manière  dontcette  forme  participe  au  sujet.  C'est  pourquoi  les 
formes  dans  lesquelles  l'agentn'apas  divers  rapports,  et  dans  lesquelles 
le  sujet  est  quelquefois  plus,  d'autres  fois  moins  disposé,  ces  formes, 
dis-je,  n'ont  point  la  latitude  susdite;  mais  elles  sont  toujours  reçues 
dans  le  sujet  dans  la  dernière  perfection  de  leur  espèce,  par  exemple  : 


titudinem,  quasdam  vero  non,  et  quia 
queedam  formée  habent  preedictam  latitu- 
dinem, ideo  habent  contrarietatenl ,  licet 
non  seraper  sit  rerum  in  omnibus.  Ad 
sciendum  autem  preedictam  latitudinem, 
nota  quod  in  rébus  spiritualibus  augmen- 
tum  tranfertur  a  quantitate  corporali,  di- 
citur  autem  in  quantitate  corporali  aliquid 
magnum,  secundum  quod  ad  debitam  per- 
fectionem  quantitatis  perducitur.  Unde 
aliqua  quantitas  reputatur  magna  in  ho- 
mme ,  quee  non  reputatur  magna  in  ele- 
phante.  Sic  etiam  in  formis  dicitur  aliquid 
magnum  ex  hoc  quod  est  perfectum  ;  per- 
fectio  autem  formas  dupliciter  potest  con- 
siderari,  vel  secundum  ipsam  formam,  vel 
secundum  participationem  subjecti.  Primo 
modo,  dicitur  ipsa  forma  parva  vel  magna, 
ut  parva  albedo.   Secundo  modo   dicitur 


magis  vel  minus,  ut  magis  vel  minus  al- 
bum. Formée  ergo  qnee  de  se  indeterminatee 
sunt,  ut  magis  vel  minus,  seu  perfectius 
et  imperfectius  sint  in  subjecto,  illee  formée 
dicuntur  preedictam  habere  latitudinem, 
et  preedictos  gradus  intensionis  et  remis- 
sionis;  ad  sciendum  autem  quee  sint  illee 
formée,  nota  quod  in  forma  tria  possumus 
considerare.  Primo,  si  agens  potest  se  di- 
versimode  habere  ad  eam.  Secundo,  si  sub- 
jectum  eam  recipiens,  aliquando  sit  magis 
vel  minus  dispositum  ad  ipsam.  Tertio, 
qualiter  ipsa  forma  participatur  a  subjecto. 
Unde  in  illis  formis  in  quibus  agens  non 
se  habet  diversimode,  nec  aliquando  sub- 
jectum  est  magis,  et  aliquando  minus  dis- 
positum :  illee  formée  non  habebunt  pree- 
dictam latitudinem ,  sed  in  ultima  perfec- 
tione  suce  speciei,  semper  recipiuntur  in 


142  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ   2,    CHAPITRE   4. 

si  l'air  étoit  toujours  disposé  de  la  même  manière  à  recevoir  la  lu- 
mière et  si  l'agent  qui  illumine  l'air  étoit  toujours  dans  le  môme  état, 
l'air  ne  recevroit  jamais  plus  ou  moins  de  lumière  et  ne  seroit  jamais 
plus  ou  moins  illuminé  ;  mais  comme  il  y  a  des  variations  dans  ces 
deux  choses,  il  y  en  a  aussi  dans  la  lumière.  Or,  comme  dans  les 
formes  substantielles  l'agent  est  toujours  dans  le  même  état,  et  le 
sujet  qui  est  la  matière  première  dans  des  dispositons  identiques,  la 
forme  substantielle  n'a  point  la  latitude  susdite.  Il  n'est  pas  nécessaire 
de  prouver  que  la  matière  première  est  toujours  également  disposée, 
parce  que  c'est  évident.  C'est  également  évident  pour  l'agent  ou  pro- 
ducteur de  la  forme  substantielle.  En  effet,  quoique  cet  agent  se  pro- 
duise sous  différents  rapports  en  écartant  les  dispositions  contraires  de 
la  matière  elle-même ,  et  qu'il  le  fasse  en  vertu  des  formes  acciden- 
telles ou  qualités ,  il  introduit  néanmoins  la  forme  substantielle  en 
vertu  de  sa  forme  substantielle  qui  est  toujours  uniforme  dans  toutes 
les  choses  générales  de  la  même  espèce.  On  peut  déduire  la  même 
chose  et  de  la  même  manière  relativement  aux  passions  propres  qui 
se  produisent  toujours  avec  le  sujet;  et  à  leur  égard  le  sujet  revêt  une 
certaine  activité,  comme  il  a  été  dit  plus  haut.  Telles  sont  donc  les 
formes  tant  substantielles  que  les  propres  passions,  parce  que  l'agent 
ne  change  pas  d'état  pour  les  produire ,  et  parce  que  le  sujet  qui  les 
reçoit  est  toujours  disposé  de  la  même  manière  relativement  à  la 
forme,  quand  même  l'agent  seroit  dans  des  rapports  différents,  il  faut 
considérer  la  troisième  chose  qui  a  été  dite,  savoir  quelle  est  la  par- 
ticipation de  la  forme  avec  le  sujet.  Car  si  la  participation  s'opère  sous 
le  rapport  de  l'indivisibilité ,  cette  forme  ne  recevra  ni  le  plus  ni  le 
moins,  comme  il  est  évident  à  l'égard  des  espèces  du  nombre  qui 
consistent  dans  une  indivisible  unité,  et  à  l'égard  des  espèces  de  la 


subjecto.  Verbi  gratia,  si  enim  aer  esset 
semper  eodern  modo  dispositus  ad  recipien- 
dum  lucera ,  et  illuminans  aerem  eodem 
modo  semper  sehaberet,  nunquam  lumen 
in  aère  reciperetur  magis  nec  minus,  nec 
aer  esset  magis  vel  minus  illuminatus;  sed 
quia  aliquod  istorum  variatur,  ideo  aliter 
se  habet  de  lumine.  Cum  autem  in  formis 
substantialibus  semper  eodem  modo  se  ha- 
beat  agens,  et  subjectum,  quod  est  materia 
prima,  sit  semper  aeque  dispositum,  forma 
ergo  substantialis  non  habebit  latitudinem 
praedictam.  Quod  ipsa  materia  prima  sit 
semper  aeque  disposita ,  non  oportet  pro- 
bare  quia  clarum  est.  De  agente  vero  seu 
producente  formam  substantialem  patet. 
Licet  enim  taie  agens  diversimode  se  ha- 
beat  abjiciendo  disponens  contrarias  ab 
ipsa  materia,  et  hoc  faciat  virtute  forma- 
rum  accidentalium  seu  qualitatum,  tamen 


formam  substantialem  introducit  virtute 
suae  formaî  substantialis  quae  uniformiter 
se  habet  in  omnibus  generalibus  ejusdem 
speciei.  Et  idem  et  eodem  modo  potest 
concludi  de  propriis  passionibus ,  quae  si- 
mul  cum  subjecto  producuntur,  etsubjee- 
tum  respectu  earum  aliquo  modo  se  habet 
active ,  ut  supra  dictum  est.  Taies  igitur 
formae,  tam  substantiales  quam  proprie 
passiones,  quia  agens  ad  eas  producendas 
non  se  habet  diversimode,  et  quia  subjec- 
tum eas  recipiens  semper  eodem  modo 
dispositum,  ad  formam  vel  agens  adhuc 
diversimode  se  haberet,  oportet  cons.derare 
tertium  quod  dictum  est,  scilicet  qualiter 
ipsa  forma  participatur  a  subjecto.  Nam 
si  participatur  secundum  rationem  indivi- 
sibilitatis,  talis  forma  nan  suscipiet  inagis 
nec  minus,  sicut  patet  de  speciebus  numeri, 
quae  consistunt  in  indivisibili  unitate.  Et 


SUR   LA   LOGIQUE    d'aRISTOTE.  143 

quantité  suivant  les  nombres,  comme  la  double,  la  triple  coudée,  de 
quelques  relations,  comme  le  double  ,  la  moitié ,  des  figures,  comme 
le  trigone,  le  tétragoné  ;  et  comme  toutes  les  quantités  et  figures  sont 
reçues  de  cette  manière  dans  le  sujet,  il  s'ensuit  que  la  quantité,  les 
figures  et  ces  relations  ne  reçoivent  ni  le  plus,  ni  le  moins.  Et  ce  n'est 
pas  seulement  des  quantités  ainsi  considérées ,  mais  tout  simplement 
de  la  quantité,  comme  la  ligne,  la  surface  et  le  corps  qu'il  est  vrai  de 
dire  qu'elle  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins.  La  raison  en  est  que  la 
perfection  et  l'imperfection  de  la  quantité  se  prend  suivant  l'exten- 
sion plus  ou  moins  grande  ,  en  vertu  de  laquelle  une  chose  est  dite 
plus  ou  moins;  or,  le  plus  ou  le  moins  de  grandeur  de  l'extension  ne 
suffit  pas  pour  faire  dire  qu'une  chose  est  plus  ou  moins,  parce  qu'on 
ne  le  dit  pas  suivant  l'extension ,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  les  autres 
formes  dans  lesquelles  il  y  a  extension  et  non  intention ,  comme  dans 
les  formes  des  êtres  inanimés  et  des  brutes  dont  les  formes  ont  de 
l'extension,  et  ne  se  disent  pas  suivant  le  plus  et  le  moins.  On  voit  donc 
quelles  sont  les  formes  qui  reçoivent  le  plus  et  le  moins  et  celles  qui 
ne  le  reçoivent  pas,  parce  que  ce  sont  celles  qui,  ayant  la  latitude  sus- 
dite, reçoivent  le  plus  et  le  moins.  On  connoît  de  suite  par  là  quelles 
sont  les  formes  qui  reçoivent  la  contrariété  et  celles  qui  ne  la 
reçoivent  pas,  car  nulle  forme  ne  reçoit  la  contrariété  si  elle  ne  reçoit 
le  plus  et  le  moins.  Sur  quoi  il  faut  remarquer  que  parmi  les  formes 
qui  ont  la  latitude  susdite,  quelques-unes  ne  l'ont  qu'en  conservant  la 
même  espèce,  et  d'autres  dans  le  genre  et  l'espèce.  Car  les  degrés  de 
latitude  sont  tels  jusqu'au  dernier  où  la  forme  se  conserve  ;  si  la  forme 
dépasse  ce  degré  elle  changera  l'espèce,  et  le  genre  restera  le  même; 
dans  cette  espèce  aussi  elle  a  un  degré,  jusqu'à  ce  qu'elle  arrive  au 
dernier ,  et  si  elle  venoit  à  le  dépasser ,  elle  ne  seroit  plus  dans  la 


de  speciebus  quantitatis  continua?,  secun- 
dum numéros,  ut  bicubitum,  tricubitum , 
et  de  aliquibus  relatiotdbus,  ut  duplum  et 
dimidium,  et  de  jiguris,  ut  trigonum  et 
tetragonum  ;  et  quia  omnes  quantitates  et 
figura?  sic  recipiuntur  in  subjectis,  ideo 
quantitas  et  figurae  et  hae  relationes  non 
suscipiunt  magis  nec  minus.  Non  solum 
autem  de  quantitatibus  sic  consideratis , 
sed  simpliciter  loquendo  de  quantitate,  ut 
linea,  superficies  et  corpus,  verum  est  quod 
non  suscipit  magis  nec  minus.  Gujus  ratio 
est ,  quia  pert'ectio  et  imperfectio  quanti- 
tatis est  secundum  majorem  vel  minorem 
extensionem,  secundum  quam  aliquid  di- 
citur  magis  aut  minus,  non  autem  major 
"vel  minor  extensio  est  causa  sulïiciens  quod 
aliquid  dicatur  magis  vel  minus,  quia  non 
dicitur  esse  secundum  extensionem,  ut  pa- 
tet  in  aliis  formis,  in  quibus  est  extensio, 


et  non  intensio ,  sicut  in  formis  inanima- 
torum  et  brutorum ,  quorum  formae  sunt 
extensœ,  et  non  dicuntur  secundum  magis 
et  minus.  Patet  ergo  quœ  formse  suscipiunt 
magis  et  minus,  et  quae  non,  quia  videlicet 
habentes  praedictam  latitudinem  suscipiunt 
magis  et  minus.  Ex  bis  scitur  statim  quas 
formée  recipiunt  contrarietatem ,  et  quae 
non ,  nulla  enim  forma  quae  non  recipit 
magis  et  minus,  recipit  contrarietatem. 
Ubi  nota  quod  formarum ,  quae  habent  la- 
titudinem praedictam,  quaedam  habent  eam 
solam  servando  eamdem  speciem,  quaedam 
vero  in  génère  et  in  specie.  Nam  taies 
gradus  latitudinis  sunt  usque  ad  ultimum, 
in  quo  salvatur  species  illa,  quem  gradum 
si  transeat  forma  variabit  speciem ,  et  re- 
manebit  sibi  idem  genus,  et  in  ista  secunda 
specie  habet  etiam  gradum,  quamdiu  per- 
veniat  ad  ultimum,  quem  si  transcenderet, 


144  OPUSCULE   XL VII,    TRAITR   2,    CHAPITRE    4. 

même  espèce.  Par  exemple,  il  y  a  des  degrés  dans  lacouleur  jaune,  qui 
peut  devenir  de  plus  en  plus  jaune  jusqu'à  ce  qu'elle  arrive  au  rouge, 
et  quoique  le  rouge  soit  d'une  espèce  différente  du  jaune,  ces  deux 
couleurs  sont  néanmoins  du  même  genre.  Elles  s'accordent  en  ce 
qu'elles  participent  de  la  lumière  incorporée,  et  du  rouge  on  passe 
au  noir  jusqu'au  dernier  degré  de  noir  ,  lequel  ne  peut  être  dépassé 
dans  le  même  genre.  Si  l'on  affoiblit  la  couleur  jaune,  elle  devient 
pâle,  puis  blanche,  et  ces  formes  de  ces  deux  degrés,  savoir  la  blan- 
cheur et  la  noirceur,  sont  contraires.  Remarquez  que  plusieurs  mo- 
dernes pensent  que  deux  degrés  font  une  contrariété-,  comme  la  blan- 
cheur et  la  rougeur,  le  blanc  et  le  plus  blanc.  Suivant  eux  il  y  a  deux 
sortes  de  contrariété,  savoir  la  complète  et  l'incomplète.  La  première 
existe  entre  les  extrêmes  les  plus  éloignés,  savoir  la  plus  grande  blan- 
cheur et  la  plus  grande  noirceur  ;  la  seconde  se  trouve  entre  les 
degrés  mitoyens,  parce  que  deux  degrés  numériquement  distincts,  ne 
sont  pas  compatibles  ensemble  et  dénominativement  dans  la  même 
partie  du  sujet,  comme  les  degrés  de  dualité  et  les  degrés  de  trinité, 
et  ainsi  de  chacun  des  autres.  C'est  pourquoi  cette  latitude ,  qui 
consiste  à  participer  au  sujet  plus  ou  moins  parfaitement,  suit  les 
formes  ou  à  raison  de  la  forme ,  ou  à  raison  du  sujet.  A  raison 
de  la  forme,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  les  couleurs,  car  la  lumière 
incorporée  produit  les  espèces  contraires  par  le  plus  ou  le  moins 
de  participation.  Car  l'espèce  qui  participe  le  plus  à  cette  lu- 
mière, comme  la  blancheur,  est  contraire  à  l'espèce  qui  y  participe 
plus  imparfaitement,  comme  la  noirceur,  et  ici  il  y  a  contrariété. 
Quand  elle  ne  participe  pas  dans  cette  latitude  à  raison  de  la  forme  , 
mais  seulement  à  raison  du  sujet ,  comme  on  le  voit  dans  ce  qui  est 
plus  ou  moins  illuminé ,  une  telle  forme  alors ,  quoique  recevant  le 


non  esset  in  eadem  specie.  Verbi  gratia, 
croceum  habet  gradus ,  et  fit  magis  cro- 
ceum  quamdiu  veniat  et  fiât  rubeum ,  et 
licet  rubedo  sit  alia  species  quam  croceitas, 
sunt  tamen  ejusdem  generis.  Conveniunt 
enim  in  hoc  quod  est  participare  lucem  in- 
corporatam,  et  de  rubeo  venitur  ad  nigrum 
usque  ad  ultimum  gradum  nigri ,  qui  in 
eodem  génère  transcendi  non  potest.  Si 
etiam  croceitas  remittatur,  fit  palliditas, 
et  postea  albedo,  et  istae  formae  istorum 
duorum  graduum,  scilicet  albedo  et  ni- 
gredo,  sunt  contrariée.  Nota  quod  multi 
moderni  tenent  quod  duo  gradus  faciunt 
unam  contrarietatem ,  sicut  albedo  et  ru- 
bedo, albus  et  magis  albus.  Et  apud  ipsos 
duplex  est  contrarietas,  scilicet  compléta 
et  incompleta.  Prima  est  inter  extrema 
maxime  distantia,  scilicet  inter  albedinem 
siimmam  etnigredinem  summam.  Secunda 


est  inter  gradus  medios,  qnia  duo  gradus 
distincti  numéro  non  compatiuntur  se  ad 
invicem  et  denominative  in  eadem  parte 
subjecti,  sicut  gradus  ut  duo  et  gradus  ut 
tria,  et  sic  de  singulis.  Dnde  talis  latitude, 
scilicet  perfectius  et  imperfectius,  partici- 
pai a  subjecto  sequitur  formas  aut  ratione 
formae,  aut  ratione  subjecti.  Ratione  formée, 
ut  patet  in  coloribus,  nain  lux  incorporata 
magis  vel  minus  participata  causât  species 
contrarias.  Nam  species,  quœ  perfectius 
participât  de  tali  luce ,  puta  albedo ,  est 
contraria  speciei ,  quœ  imperfectius  talem 
lucem  participât,  puta  nigredo,  et  in  tali- 
bus  invenitur  contrarietas.  Quando  vero 
taU  latitudine  non  participât  ratione  formae, 
sed  solum  ratione  subjecti,  ut  patet  de  ma- 
gis vel  minus  illuminato,  tune  talis  formai 
licet  recipiat  magis  vel  minus,  tamen  non 
habet  contrarium ,  lumini  enim  nihil  est 


SUR   LA    LOGIQUE    d'âRISTOTE.  i  45 

plus  et  le  moins,  n'a  néanmoins  rien  de  contraire,  parce  que  rien  n'est 
contraire  à  la  lumière,  et  pourtant  il  est  constant  que  l'air  est  parfois 
plus  et  parfois  moins  illuminé.  Car  partout  où  il  y  a  contrariété,  il  y 
a  plus  et  moins ,  avec  la  latitude  susdite  dans  les  formes.  Partout  où 
cette  latitude  ne  se  trouve  pas,  il  n'y  a  pas  de  vraie  contrariété  ;  je  dis 
de  vraie  contrariété ,  parce  qu'on  appelle  contraires  certaines  choses 
qui  sont  opposées  suivant  l'état  et  la  privation,  comme  raisonnable  et 
irraisonnable,  pair  et  impair,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  et  dans  cha- 
que genre  il  y  a  une  première  contrariété,  qui  n'est  pas  vraiment  une 
contrariété,  mais  bien  plutôt  habitude  et  privation;  ce  que  je  dis  là  r  je 
le  dis  aussi  de  tous  les  contraires  immédiats,  c'est-à-dire  qu'ils  n'ont  pas 
une  opposition  de  contrariété,  quoiqu'ils  soient  l'habitude  et  la  privation . 
C'est  de  cette  manière  que  la  santé  et  la  maladie  sont  opposées ,  car 
si  la  santé  est  l'équilibre  des  humeurs,  et  la  maladie  l'absence  de 
cet  équilibre,  comme  il  y  a  opposition  de  privation  entre  ce  qui  est 
égal  et  ce  qui  est  inégal ,  il  seroit  plus  juste  de  dire  que  la  santé  et 
la  maladie  sont  opposées  par  manière  d'état  et  de  privation  que  par 
contrariété;  c'est  pour  cela  qu'on  ne  leur  reconnoît  pas  de  moyen 
terme. 

Il  est  bon  de  savoir  que  bien  que,  comme  il  a  été  dit,  on  trouve  en 
quelques  choses  la  latitude  et  le  degré,  il  ne  faut  pas  néanmoins  com- 
prendre que  lorsqu'une  forme  prend  de  l'intensité,  cet  accroissement 
se  fait  par  l'addition  d'un  degré  à  un  autre,  de  manière  qu'il  y  ait 
deux  degrés  distincts,  dont  l'un  est  ajouté  à  l'autre  et  pourroit  être 
distinctement  désigné,  tandis  que  cet  accroissement  s'opère  dans  ce 
sens  qu'une  forme  imparfaite  devient  parfaite ,  de  sorte  que  cette 
forme  parfaite  a  quelque  chose  de  plus  qu'avant,  non  quant  aux  par- 
ties susceptibles  de  désignations  distinctes,  mais  virtuellement,  de  ma- 
nière que  le  premier  degré  est  contenu  dans  le  second  virtuellement, 


contrarium  ;  et  tamen  constat  quod  aer  est 
aliquando  magis  illuminatus  et  aliquando 
minus.  Ubicumque  enira  est  contraietas, 
ibi  est  magis  et  minus,  et  latitudo  praedicta 
in  formis.  Ubicumque  vero  talis  latitudo 
non  est,  ibi  non  est  vera  contrarietas.  Et 
dico  vera  contraietas,  quia  qusedam  dicun- 
tur  contraria,  quae  opponuntur  secuudum 
habitum  et  privationem,  sicut  rationale  et 
irrationale,par  et  impar,  sicut  dicimus,  et 
in  unoquoque  génère  est  una  prima  con- 
trarietas, quae  non  est  vere  contrarietas, 
sed  magis  est  habitus  et  privatio ,  et  hoc 
idem  dico  de  omnibus  contrariis  immedia- 
tis,  scilicet  quod  non  opponuntur  vere  con- 
trarie, licet  sint  habitus  et  privatio.  Sanitas 
enim  et  segritudo  sic  opponuntur;  nam,  si 
sanitas  est  humorum  aequalitas,  et  aegri- 


tudo  inœqualitas,  et  quia  aequale  et  inse- 
quale  opponuntur  privative ,  melius  dice- 
retur  quod  sanitas  et  œgritudo  opponuntur 
per  modum  habitus  et  privationis  quam 
contrarie ,  et  hgec  est  causa  quare  non  di- 
cuntur  habere  médium. 

Sciendum  est  autem,  licet,  ut  dictum 
est ,  in  aliquibus  inveniatur  latitudo  et 
gradus,  non  tamen  est  intelhgendum,  quod 
cum  una  forma  intenditur ,  augeatur  per 
additionem  gradus  ad  gradum,  ita  quod 
sint  ibi  duo  gradus  distincti  quorum  unus 
addatur  alteri ,  et  posset  ab  eo  distincte 
signari ,  sed  fit  taie  augmentum  in  quan- 
tum forma  imperfecta  sit  perfecta,  ita 
quod  ipsa  perfecta  habet  plusquam  prius 
non  secundum  partes  signabiles  diversas, 
sed  virtute,  ita  quod  primus  gradus  conti- 

10 


146  OPUSCULE   XLVÎI,    TRAITÉ   2,    CHAPITRE   4. 

comme  l'imparfait  est  contenu  dans  le  degré  parfait.  On  voit  par  là 
que,  comme  la  substance  ne  reçoit  pas  le  plus  ou  le  moins,  ainsi  qu'il 
a  été  dit,  il  n'y  a  rien  de  contraire  à  la  substance.  Ainsi  se  connoissent 
les  communautés  de  la  substance.  Le  propre  de  la  substance  est  d'être 
susceptible  des  contraires  suivant  son  changement.  Or ,  on  dit  que 
c'est  là  le  propre  de  la  substance  parce  que  cela  ne  convient  qu'à  elle 
seule  par  soi.  Car  s'il  est  certaines  choses  auxquelles  on  attribue  cette 
qualité  de  recevoir  les  contraires ,  comme  la  ligne  est  appelée  droite 
ou  courbe,  néanmoins  la  ligne  ne  reçoit  ces  modifications  qu'à  raison 
de  la  substance.  On  allègue  encore  le  langage  et  l'opinion  qui  sont 
vrais  quelquefois  et  d'autres  fois  faux.  A  cela  Aristote  répond  que  cela 
n'arrive  pas  à  raison  du  changement  du  langage  ou  de  l'opinion, 
parce  que  le  laugage  et  l'opinion  ne  changent  pas,  si  Socrate  étant 
assis,  vient  à  se  lever,  mais  bien  la  chose,  car  ce  n'est  pas  par  un  chan- 
gement opéré  en  elle  que  la  substance  est  dite  susceptible  des  con- 
traires ,  mais  par  un  changement  de  la  chose  significative.  Une  sem- 
blable propriété  ne  convient  donc  qu'à  la  substance,  et  si  elle  convient 
à  d'autres  choses,  c'est  à  raison  de  la  substance  dans  laquelle  elles 
ont  leur  être ,  comme  on  le  voit  par  rapport  à  la  superficie  qui  est 
susceptible  de  blancheur  et  de  noirceur ,  à  l'essence  de  laquelle  il 
appartient  d'être  dans  la  substance  en  acte  ou  en  aptitude,  ainsi  qu'on 
l'a  dit  plus  haut  ;  tel  est  le  prédicament  de  la  substance. 


netur  in  secundo  virtute ,  sicut  imperfec- 
tum  continetur  in  secundo  virtute ,  sicut 
imperfectum  continetur  in  gradu  perfecto. 
Ex  istis  patet  quod,  quia  substantia  non 
suscipit  magis  vel  minus ,  ut  dictum  est , 
quod  substantia  nihil  est  contrarium.  Et 
sic  patent  communitates  substantise.  Pro- 
prium  autem  substantiae  est,  quod  secun- 
dum  sui  rautationera  sit  susceptibilis  con- 
trariorura.  Dicitur  autem  hoc  esse  pro- 
prium  substantise,  quia  sibi  soli  per  se 
convenit.  Nam  si  aliqua  dicuntur  suscipere 
contraria,  sicut  linea  dicitur  recta  vel  curva, 
tamen  linea  non  suscipit  ista  hisi  ratione 
substantise.  Datur  enim  instantia  de  ora- 
tione  et  opinione,  quae  eadem  manens,  ali- 


quando  est  vera  ,  aliquando  est  falsa.  Ad 
quam  respondet  Philosophus,  quod  hoc 
non  fit  secundum  mutationem  orationis  vel 
opinionis,  non  enim  mutatur  oratio  vel 
opinio  ,  /lum  Socrates  sedet  eo  surgente  , 
sed  mutatur  res  ,  non  enim  per  sui  muta- 
tionem oratio  vel  opinio  dicitur  esse  sus- 
ceptibilis contrariorum ,  sed  per  mutatio- 
nem rei  significativae.  Soli  ergo  substantiee 
hujusmodi  convenit ,  et  si  aliis  convenit , 
hujusmodi  est  ratione  substantiae  ,  in  qua 
habent  esse,  ut  patet  de  superficie,  quae 
est  susceptibilis  albedinis  et  nigredinis,  de 
cujus  essentia  est  actu  vel  aptitudine  esse 
in  substantia,  ut  supra  dictum  est,  et  sic 
patet  de  praedicamento  substantiae,  etc. 


SLR   LA.    LOGIQUE   D  ARISTOTE. 


147 


TRAITÉ  III. 

DU   PRÉDICAMENT  DE  LA    QUANTITÉ. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Du  nombre  qui  est  une  quantité  discrète. 

La  quantité  se  divise  en  continue  et  en  discrète.  On  appelle  discrète 
la  quantité  dont  les  parties  sont  séparées  et  ne  sont  pas  unies  pour 
un  but  commun.  En  effet ,  les  parties  du  nombre  dix  ne  sont  unies 
pour  aucun  but  commun.  Car  dans  le  nombre  dix  il  ne  se  trouve  au- 
cune particule  en  vue  de  laquelle  les  autres  soient  unies,  puisqu'elles 
sont  toutes  séparées  l'une  de  l'autre.  On  appelle ,  au  contraire,  con- 
tinue la  quantité  dont  les  parties  sont  unies  pour  un  but  commun, 
parce  qu'elles  sont  toutes  unies  entre  elles ,  et  ne  sont  pas  actuelle- 
ment séparées,  mais  sont  susceptibles  de  l'être,  comme  on  le  dira 
plus  bas.  La  quantité  discrète  se  divise  en  nombre  et  langage ,  or  le 
nombre  est  la  réunion  de  plusieurs  unités.  Le  nombre  se  définit  en- 
core d'une  autre  manière  :  le  nombre  est  une  collection  mesurée 
par  l'unité.  Pour  comprendre  ces  définitions  il  faut  savoir  que  l'u- 
nité se  prend  pour  l'être ,  et  l'unité  est  le  principe  du  nombre.  Or 
l'unité  prise  dans  la  première  acception  n'est  autre  chose  que  l'être 
indivis.  L'unité  ajoute  à  l'être  la  négation  ou  la  privation  de  division, 
et  comme  tout  être  est  une  unité  dans  ce  sens,  l'unité  en  conséquence 
prise  dans  ce  sens,  est  non-seulement  dans  le  genre  de  la  quantité, 
mais  aussi  dans  tous  les  genres  comme  l'être  ,  c'est  pourquoi  l'unité 
se  rapporte  aux  transcendants ,  comme  la  collection  produite  par  l'u- 


TRACTATUS  111. 

De   pr^dicamento   quantitatis. 


CAPUT  PR1MUM. 

De  numéro ,  qui  est  quantitas  discrela. 

Quantitas  dividitur  in  continuam  et  dis- 
cretam.  Dicitur  autem  discreta  quantitas, 
cujus  partes  inter  se  ita  se  habent,  quod 
sunt  separatœ ,  et  ad  unum  communem 
terminum  non  copulantur.  Partes  enim 
hujus  numeri,  qui  est  decem  ad  nullum 
communem  terminum  copulantur.  Non 
enim  in  numéro,  qui  est  decem,  invenitur 
aliqua  particuîa  ad  quam  copulentur  alise 
particulae ,  cum  omnes  particulee  ejus  sint 
separatœ  una  ab  alia  .Continua  vero  quantitas 
dicitur,  cujus  partes  ad  unum  communem 
terminum  copulantur,  quia  omnes  sunt 
conjunctœ,  et  non  sunt  actu  separatre,  sed 


sunt  separabiles,  ut  infra  dicetur.  Dividi- 
tur autem  quantitas  discreta  in  numerum 
et  orationem  ,  est  autem  nurnerus  multi- 
tudo  ex  unitatibus  aggregata.  Aliter  autem 
diffinitur  numerus  sic  :  Nurnerus  est  mul- 
titudo  mensurata  per  unum .  Ad  videndum 
autem  praedictas  diffinitiones,  sciendum 
est,  quod  unum  convertitur  cum  ente ,  et 
unum  est  principium  numeri.  Unum  au- 
tem primo  modo  sumptum  nihil  aliud  est 
quam  eus  indivisum.  Addit  autem  unum 
supra  ens  negationem  seu  privationem  di- 
visionis,  et  quia  omne  ens  est  unum  isto 
modo  sumptum,  ideo  unum  sic  sumptum 
non  solum  est  in  génère  quantitatis,  sed  in 
omnibus  generibus  sicut  et  ens,  ideo  unum 
est  de  transcendentibus,  et  multitudo  eau- 


148  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    1. 

nité  dans  ce  sens  n'est  pas  le  nombre  qui  est  une  espèce  de  quan- 
tité, mais  se  rapporte  aux  transcendants.  Nous  disons ,  en  effet ,  qu'il 
y  a  quatre  anges  ou  trois  personnes  en  Dieu,  et  cependant  il  n'y  a 
de  quantité  ni  dans  les  anges,  ni  en  Dieu.  L'unité,  qui  est  le  prin- 
cipe du  nombre,  ajoute  à  l'unité  qui  se  prend  pour  l'être  non  par  une 
chose  quelconque,  mais  elle  l'affecte  en  lui  ajoutant  deux  rapports, 
parce  qu'elle  exprime  non  toute  indivision,  c'est-à-dire  qu'elle  n'ex- 
prime pas  tout  être  en  tant  qu'indivis  ,  mais  bien  l'être  indivis  de  la 
quantité  continue  ;  elle  exprime  aussi  le  rapport  de  la  mesure  discrète. 
Comme  le  nombre  qui  est  une  espèce  de  la  quantité  ,  est  produit  par 
la  diction  du  continu,  supposons  une  ligne  divisée  en  plusieurs  par- 
ties, chaque  partie  de  la  ligne  ainsi  divisée  étant  indivise,  la  ligne 
ainsi  considérée  est  une  unité;  c'est  pourquoi  la  ligne  n'est  autre  chose 
que  le  continu  indivis.  Donc  l'unité  qui  est  convertie  avec  l'être  ,  si- 
gnifie un  être  indivis  quel  qu'il  soit.  Or,  l'unité  qui  est  le  principe  du 
nombre,  dit  un  être  continu  indivis,  et  le  nombre  se  compose  de  sem- 
blables unités ,  lorsqu'il  y  a  plusieurs  continus  séparés  entre  eux  et 
indivis  en  eux-mêmes.  Le  second  rapport  qu'ajoute  l'unité,  principe 
du  nombre,  à  l'unité  qui  admet  la  conversion  avec  l'être ,  est  le  rap- 
port de  mesure  discrète,  en  quoi  il  faut  remarquer  que  la  mensuration 
discrète  peut  se  prendre  de  deux  manières.  La  première  c'est  la  même 
chose  que  de  s'assurer  intellectuellement  du  nombre  de  certaines 
choses,  connoissance  qui  s'acquiert  en  redoublant  une  unité  un  cer- 
tain nombre  de  fois,  et  prise  dans  ce  sens  la  mesure  est  une  propriété 
accidentelle  du  nombre  lui-même,  et  elle  convient  aussi  à  l'unité  qui 
se  convertit  avec  l'être.  De  la  seconde  manière  mesurer  se  prend  pour 
produire  formellement  tant  de  choses ,  comme  la  blancheur  produit 


sata  per  unum ,  isto  modo  sumptum  non 
est  numerus,  qui  est  species  quantitatis, 
sed  est  de  transcendentibus.  Dicimus  enim 
esse  quatuor  angelos  vel  très  personas  in 
divinis,  et  tamen  nec  in  angelis  nec  in  Deo 
est  quanti  tas.  Unum  autem  quod  est  prin- 
cipium  numeri,  addit  super  unum  quod 
convertitur  cum  ente  non  rem  aliquam, 
sed  concernit  illud  addendo  sibi  duas  ra- 
tiones,  scilicet  quia  dicit  non  omnem  indi- 
visionem  ,  id  est ,  non  dicit  omne  ens  in 
quantum  est  indivisum,  sed  dicit  ens  indi- 
visum  quantitatis  continuae  ,  et  dicit  ra- 
tionem  mensune  discrets.  Quia  enim  nu- 
merus, qui  est  species  quantitatis,  causatur 
ex  dictione  continui,  supponatur  quod  vi- 
deremus  unam  lineam  in  multas  partes, 
cum  quaelibet  pars  lineae,  quae  sic  dividitur 
sit  indivisa,  et  linea  sic  considerata  est 
unum  :  unde  unum  nihil  aliud  est  quam 
continuum   indivisum.  Unum   ergo   quod 


convertitur  cum  ente,  dicit  ens  indivisum, 
quodcumque  sit  illud.  Unum  autem  quod 
est  principium  numeri ,  dicit  ens  conti- 
nuum indivisum  ,  et  numerus  ex  talibus 
unitatibus  aggregatur,  ubi  sunt  multa  con- 
tinua divisa  ab  invicem  et  in  se  indivisa. 
Secunda  ratio  quam  addit  unum,  quod  est 
principium  numeri,  supra  unum  quod  con- 
vertitur cum  ente,  est  ratio  mensurœ  dis- 
cretae ,  ubi  nota  quod  mensurari  discreto 
potest  sumi  dupliciter.  Uno  modo,  ut  idem 
sit  quod  certificari  apud  intellectum,  quot 
sunt  aliquse  res  in  quantum  aliquis  per 
unum  aliquotiens  replicatum  certificat  ur  de 
numéro  illorum  quae  numerat ,  et  isto 
modo  sumpta,  mensura  est  proprietas  acci- 
dentalis  ipsius  numeri  et  convenit  etiam 
uni  quod  convertitur  cum  ente.  Alio  modo, 
sumitur  mensurare  pro  eo  quod  est  facere 
tôt  res  formaliter,  sicut  albedo  formaliter 
facit  album,  el  talis  mensura  est  de  ratione 


SUR   LA   LOGIQUE    d'aRISTOTE.  149 

formellement  le  blanc ,  et  cette  mesure  appartient  au  rapport  de  l'u- 
nité ou  du  nombre.  Nous  savons  donc  ce  que  c'est  que  l'unité  dont 
l'assemblage  forme  le  nombre,  et  ce  qu'est  la  mesure  essentiellement 
et  accidentellement.  Pour  comprendre  ce  qu'est  la  multitude  il  faut 
savoir,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  ce  que  notre  intellect 
conçoit  d'abord  c'est  l'être ,  et  secondairement  la  négation  de  l'être, 
lorsqu'on  comprend  qu'une  chose  n'est  pas  tel  être.  On  conçoit  tout 
de  suite  d'après  cela  une  division ,  d'où  il  résulte  que  la  division  est 
la  distinction  par  l'être  et  le  non-être.  En  troisième  lieu,  on  conçoit 
une  unité  qui  ne  comporte  pas  la  division.  Il  y  a,  en  effet,  un  être  en 
qui  ne  se  rencontre  pas  la  division  susdite ,  et  ainsi  l'idée  de  l'unité 
est  postérieure  à  celle  de  la  division,  comme  l'idée  de  la  privation  est 
postérieure  à  celle  de  l'habitude  qui  subit  la  privation.  Quatrième- 
ment, on  conçoit  la  multitude ,  qui  dit  deux  négations,  dont  l'une 
consiste  en  ce  que  telle  chose  n'est  pas  telle  autre,  et  l'autre  en  ce  que 
chacune  de  ces  choses  n'est  pas  divisée  ;  c'est  pourquoi  la  multitude 
se  définit  par  l'unité,  parce  qu'il  n'y  a  jamais  multitude,  sans  que 
chacune  des  choses  qui  composent  cette  multitude  ne  soit  une  unité 
ou  un  être  indivis.  Et  il  faut  prendre  dans  la  quantité  comme  nous 
avons  pris  dans  les  transcendants,  l'être,  la  division,  l'unité  et  la  mul- 
titude, de  sorte  que  nous  prenions  le  continu  de  la  même  manière 
que  nous  prenions  l'être,  quoiqu'il  y  ait  entre  eux  quelque  différence, 
comme  nous  l'avons  dit.  Il  faut  savoir  que  cette  multitude ,  qui  est 
dans  la  quantité,  est  l'assemblage  de  plusieurs  continus ,  dont  l'un 
n'est  pas  l'autre  et  dont  chacun  est  indivis  en  soi  ou  un,  ce  qui  est  la 
même  chose,  et  ainsi  s'explique  la  première  définition  du  nombre,  le 
nombre  est  un  assemblage  de  plusieurs  unités,  aussi  bien  que  la 
seconde,  le  'nombre  est  une  multitude  mesurée  par  l'unité ,  parce 


unius  vel  nuraeri.  Habemus  ergo  quid  est 
unum,  ex  cujus  aggregatione  fit  numerus, 
et  qualiter  sit  mensura  essentialiter  et  ac- 
cidentaliter.  Ad  videndum  autera  quid  sit 
multitudo,  sciendum  quod ,  ut  supra  dic- 
tum  est ,  primum  quod  intellectus  noster 
intelligit ,  est  ens ,  secundo  vero  intelligit 
negationem  entis,  prout  intelligitur  aliud 
non  esse  hoc  ens.  Ex  his  duobus  statirn  in- 
telligit divisionem ,  unde  divisio  est  dis- 
tinctio  per  ens  et  non  ens.  Tertio  intelligit 
unum,  quod  privât  divisionem.  Est  enim 
unum  ens  in  quo  non  est  prœdicta  divisio, 
et  sic  intellectus  unius  posterior  est  intel- 
lectu  divisionis ,  sieufr  intellectus  privatio- 
nis  posterior  est  intellectu  habitus  quem 
privât.  Quarto  intelligit  multitudinem , 
quae  dicit  duas  negationes ,  quarum  una 
est ,  quod  hoc  non  sit  illud  :  et  altéra  est, 


quod  quodlibet  eorum  non  sit  divisum  et 
per  cousequens  sit  unum,  et  propterea 
multitudo  difïinitur  per  unum  ;  quia  nun- 
quam  dicuntur  multa,  nisi  quodlibet  eorum 
sit  unum  seu  ens  indivisum.  Et  sicut  modo 
sumpsimus  ens ,  et  divisionem  ,  et  unum  , 
et  multitudinem  in  transcendentibus ,  sic 
sumatur  in  quantitate ,  ita  quod  sicut  su- 
mebatur  ens ,  ita  hic  sumatur  continuum, 
licet  aliqua  differentia  sit  inter  ea ,  ut  su- 
pra dictum  est.  Sciendum,  quod  heec  mul- 
titudo quœ  est  in  quantitate ,  est  multa 
continua,  quorum  unum  non  est  aliud  ,  et 
quodlibet  eorum  est  indivisum  in  se ,  sive 
unum,  quod  idem  est,  et  sic  patet  prima 
diffinitio  numeri ,  scilicet  :  Numerus  est 
multitudo  ex  unitatibus  aggregata.  Patet 
etiam  secunda  diffinitio,  scilicet  :  Numerus 
est  multitudo  mensurata  per  unum.  Nain 


150  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    2. 

que  l'unité  plusieurs  fois  redoublée,  produit  la  multitude,  et  nous 

constatons  par  là  la  grandeur  discrète  de  la  multitude ,  c'est  ainsi 

que  l'unité  est  la  mesure  de  la  multitude ,  c'est  évident  pour  le 

nombre,  etc. 

CHAPITRE  II. 

De  la  seconde  espèce  de  la  quantité  discrète,  c'est-à-dire  du  langage. 

Le  discours  est  un  mot  formé  de  syllabes  distinctes  qui  le  mesurent 
et  qui  n'a  point  de  permanence  dans  ses  parties.  Pour  comprendre 
celte  définition ,  il  faut  savoir  que  mot  n'est  pas  pris  ici  pour  la  qua- 
lité, car  le  mot  est  dans  la  troisième  espèce  de  la  qualité ,  comme  on 
le  verra  par  la  suite,  mais  pour  quelque  chose  qui  a  été  dans  le  mot, 
parce  que  dans  tel  mot  il  y  a  plusieurs  dictions  et  syllabes,  qui,  quoi- 
que indivisibles,  sont  néanmoins  successives,  car  l'une  succède  à 
l'autre  ;  c'est  pourquoi  il  y  a  deux  choses  à  considérer  dans  ces  syl- 
labes, savoir  leur  indivisibilité  et  leur  succession.  Cette  indivisibilité 
n'est  pas  une  indivisibilité  d'unité  ,  autrement  le  discours  seroit  un 
nombre,  mais  une  indivisibilité  qui  mesure  la  durée,  suivant  que  plu- 
sieurs syllabes  indivisibles  durent  plus  qu'une  ;  c'est  pourquoi  si  dans 
le  discours  nous  considérons  l'indivisibilité  des  syllabes  nous  trouvons 
que  par  là  il  y  a  convenance  avec  le  nombre.  D'un  autre  côté ,  si  nous 
considérons  la  mesure  de  la  durée  ,  qui  cependant  n'est  pas  perma- 
nente, mais  successive,  nous  voyons  qu'en  cela  elle  s'accorde  avec  le 
temps  qui  est  une  mesure  successive,  aussi  bien  que  des  choses  suc- 
cessives, comme  il  sera  démontré  plus  loin.  Néanmoins  le  discours 
n'est  pas  un  nombre  simplement,  mais  un  nombre  appartenant  à  la 
mesure  de  la  durée  ;  ce  n'est  pas  non  plus  un  temps  continu ,  lequel 
n'est  autre  chose  qu'une  succession  continue,  toujours  divisible,  mais 


quia  unum  multotiens  replicatum  causât 
multitudinem ,  per  hoc  certificamur  de 
multitudine quanta sit  discrète,  et  sic  unum 
est  mensura  multitudinis ,  et  patet  de  nu- 
méro, etc. 

CAPUT  II. 

De  secunda  specie  quanlilalit  discrelœ ,  sci- 
licet  de  oralione. 

Oratio  est  vox  aggregata  ex  distinctis 
syllabis  eam  mensurantibus  et  in  partibus 
suis  non  habens  permanentiam.  Ad  intelli- 
gendum  autem  praedictam  difiinitionem , 
sciendum  ,  quod  vox  non  ponitur  hic  pro 
qualitate.  Est  enim  \ox  in  tertia  specie 
qualitatis,  ut  infra  patebit,  sed  pro  aliquo, 
quod  fuit  in  voce  ;  quia  in  tali  voce  sunt 
mu  lue  dictiones  et  syllabaj ,  quae  licet  in- 
divisibles sint  ,  tamen  successive.  Nain 
una  succcdit  altcri  :   unde  in  tablais  svl- 


labis  est  duo  considerare ,  scilicet  indivisi- 
bilitatem  earum  et  successionem.  Talis  au- 
tem indivisibilitas  non  est  indivisibilitas 
unitatis,  alioquin  oratio  esset  numerus  ; 
sed  est  indivisibilitas  mensurans  duratio- 
nem,  secundum  quod  taies  plures  syllabaj 
indivisibiles  plus  durant  quam  una  ;  unde 
si  in  oratione  consideramus  indivisibili- 
tatem  syllabarum ,  per  hoc  convenit  cum 
numéro.  Si  vero  ubi  consideratur  mensura 
durabilitatis ,  quae  tamen  non  est  semper 
stans,  sed  est  successiva,  in  hoc  convenit 
cum  tempore ,  quod  est  mensura  successiva 
et  successivorum,  ut  infra  patebit.  Non  ta- 
men oratio  est  numerus  simpliciter,  sed  est 
numerus  pertinens  àd  mensuram  duratio- 
nis;  nec  est  tempus  continuurn,  quod  ni- 
hil  aliud  est  quam  successio  continuata 
semper  divisibilis,  sed  etiam  successio  ali- 
quorum  indivisibiliam  .  puta  syllabarum. 


SUR  LA   LOGIQUE  d'AIUSTOTE.  151 

c'est  encore  la  succession  de  quelques  indivisibles,  des  syllabes.  Or,  il 
faut  savoir  qu'Aristote,  dans  son  livre  des  Prédicaments ,  dit ,  Que  le 
discours  se  mesure  par  la  syllabe  brève  et  la  syllabe  longue.  Un  autre 
texte  porte  que  la  syllabe  brève  et  la  syllabe  longue  se  mesurent  par 
le  discours.  Or,  le  discours  se  mesure  par  la  syllabe  de  la  même  ma- 
nière, comme  nous  l'avons  dit,  que  le  nombre  est  mesuré  par  l'unité, 
qui  comme  telle  est  indivisible.  Quand  on  dit  qu'une  telle  syllabe  est 
brève  ouloogue,  il  ne  faut  pas  regarder  cette  brièveté  ou  cette  longueur 
comme  appartenant  au  temps  continu ,  de  telle  sorte  que  le  discours 
soit  un  assemblage  de  temps  continus,  autrement  ce  ne  seroit  pas  une 
espèce  différente  du  temps;  car  les  parties  du  temps  produisent  une 
espèce  différente  du  temps  ;  mais  le  temps  continu  coexiste  quelque- 
fois avec  la  durée  indivisible  d'une  syllabe,  c'est-à-dire  qu'il  y  a  exis- 
tence simultanée,  parce  que  le  temps  est  quelquefois  court  et  d'autres 
fois  long  ;  c'est  pourquoi  le  temps  continu  est  la  mesure  des  succes- 
sifs dans  le  mouvement.  Mais  les  syllabes  existent  dans  quelque  chose 
d'indivisible  et  sans  mouvement ,  quoiqu'elles  admettent  le  change- 
ment et  la  succession,  dans  une  certaine  mesure  toutefois,  comme  il 
a  été  dit.  D'où  il  suit  que  la  mesure  qui  est  le  temps  et  la  mesure  de 
la  syllabe ,  quoique  des  mesures  diverses  de  la  durée  ou  des  choses 
durables,  peuvent  néanmoins  coexister ,  et  ainsi  la  syllabe  sera  dite 
brève  ou  longue,  non  d'une  longueur  ou  d'une  brièveté  continue 
existant  en  elle,  puisqu'elle  est  indivisible ,  mais  de  la  longueur  ou 
de  la  brièveté  du  temps  continu,  qui  lui  est  coexistant.  Néanmoins  il 
en  est  qui  disent  que  les  syllabes,  sans  être  le  mouvement,  s'opèrent 
par  le  mouvement,  et  comme  tout  mouvement  se  mesure  par  le  temps 
continu ,  c'est  pour  cela  que  les  syllabes  sont  appelées  longues  ou 
brèves,  de  la  longueur  ou  de  la  brièveté  du  temps  continu  mesurant 


Sciendum  est  autem  ,  quod  Philosophus , 
lib.  Prœdicament.,  dicit,  quod  oratio  men- 
suratur  syllaba  brevi  et  longa.  Aliustextus 
habet,  quod  syllaba  brevis  et  longa  men- 
suratur oratione.  Mensuratur  autem  oratio 
syllaba  eo  modo  sicut  dictum  est ,  quod 
numerus  mensuratur  unitate  qua)  indivi- 
sibilis  est ,  in  quantum  bujusmodi.  Sinii- 
liter  etiam  oratio  mensuratur  syllaba,  qua) 
ut  dictum  est,  indivisibilis  est.  In  hoc  au- 
tem, quod  dicitur  talis  syllaba  brevis  est 
vel  longa,  non  est  intelligendum,  quod  ta- 
lis brevitas  vel  longitudo  pertineat  ad 
tempus  continuum,  ita  videlicet  quod  ora- 
tio sit  aggregata  ex  multis  temporibus 
continuis,  alioquin  non  esset  alia  species  a 
tempore.  Partes  enim  temporis  faciunt 
aliam  speciem  a  lempore ,  sed  indivisibili 
durationi  syllaba)  aliquando  coexistit 
tempus  contiinmm,  seu  simul  cum  eo  exis- 


tit,  quod  tempus  aliquando  est  brève  et 
aliquando  longum  :  unde  tempus  conti- 
nuum est  mensura  successivorum ,  quae 
sunt  in  motu.  Syllabae  vero  existunt  in 
quodam  indivisibili  et  sine  motu,  licet  sint 
cum  mutatione  et  successione ,  sub  aliqua 
tamen  mensura ,  ut  dictum  est.  Unde 
mensura,  quae  est  tempus,  et  mensura, 
quœ  est  ipsius  syllaba) ,  licet  sint  divers» 
mensura)  durationum  seu  durabilium ,  ta> 
men  possunt  simul  existere ,  et  sic  syllaba 
dicetur  brevis  vel  longa,  non  ex  longitu- 
diiïe  vel  brevitate  continua,  quae  sit  in  ea, 
cum  ipsa  sit  indivisibilis  ;  sed  ex  longitu- 
dine  et  brevitate  temporis  continui,  quod 
ei  coexistit.  Aliqui  tamen  dicunt ,  quod 
licet  syllabae  non  sinf  motus  ,  tamen  fiunt 
per  inotuin  ;  cum  autem  omnis  motus 
mensuretur  tempore  continua  proptcr  hoc 
syllabae  dicuntur  longer ,    vel  brèves  ex 


152  OPUSCULE   XLV1I,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    3. 

les  mouvements  qui  les  produisent.  D'autres  tiennent  un  langage  dif- 
férent. Suivant  eux ,  le  nombre  étant  produit  par  la  division  du  con- 
tinu, et  n'ajoutant  au  continu  rien  autre  chose  que  la  division  en  la- 
quelle chaque  chose  est  indivise,  il  est  néanmoins  une  espèce  de  la 
quantité  différente  de  la  continue  ;  il  en  est  de  même  du  discours  re- 
lativement au  temps.  Car  le  discours  est  l'assemblage  de  plusieurs 
temps  divisés,  dont  chacun  est  indivis,  et  néanmoins  c'est  une  espèce 
différente  du  temps,  telle  est  la  quantité  discrète,  etc. 

CHAPITRE  III. 

De  la  quantité  continue  en  commun  suivant  l'intention  logique. 

La  quantité  continue  est  celle  dont  les  parties  sont  liées  pour  un 
but  commun.  Il  faut  observer  qu'il  en  est  qui  conçoivent  la  chose  dans 
ce  sens  que  les  parties  du  continu  sont  bées  pour  un  but  commun. 
Car  les  parties  de  la  ligne  se  terminent  au  point  qui  la  limite  en  acte, 
et  non  au  point  en  puissance;  de  même  les  parties  de  la  surface  sont 
liées  pour  former  la  ligne  qui  la  termine  en  acte ,  et  les  parties  du 
corps  pour  la  superficie  qui  le  limite.  Pour  comprendre  ceci,  il  faut 
savoir  que  nous  devons  imaginer  un  point  indivisible  dans  la  ligne 
comme  étant  en  mouvement,  lequel  produit  la  ligne  par  son  mouve- 
ment, que  la  ligne  soumise  au  mouvement  produit  la  surface  ,  que  la 
surface  soumise  au  mouvement  produit  le  corps,  et  que  le  mouvement 
ensuite  produit  le  temps.  Par  cette  supposition  de  causes  agissant 
de  cette  manière,  quoiqu'il  n'en  soit  pas  réellement  ainsi,  nous  com- 
prendrons cette  définition.  En  effet,  si  le  point  soumis  au  mouvement 
produit  la  Ligne,  toutes  les  parties  de  la  ligne  sont  liées  par  le  point , 
et  comme  dans  toute  partie  de  la  ligne,  comme  nous  venons  de  le  dire, 
il  faut  imaginer  un  point  auquel  se  rapporte  une  autre  particule  sans 


longitudine  vel  brevitate  temporis  conti- 
nui mensurantis  motus  per  quos  syllabae 
fiunt.  Alii  dicunt  aliter  de  oratione.  Se- 
cundum  enim  eos  cum  numërus  causetur 
ex  divisione  continui  et  nihil  addat  supra 
continuum  nisi  divisionem  in  qua  quod- 
libet  est  indivisum,  et  tamen  est  alia  spe- 
cies  quantitatis  quam  continua,  ita  accidit 
de  oratione  respectu  temporis.  Nam  oratio 
est  multa  tempora  divisa ,  quorum  quod- 
libet  est  indivisum  ,  et  tamen  est  alia  spe- 
cies  a  tempore  ,  et  sic  patet  de  quantitate 
discreta,  etc. 

CAPUT   III. 

De  quantitate  continua  in  communi  secun- 

dum  logicam  intenlionem. 

Continua  vero  quantitas  est  cujus  partes 
ad  murai  communem  terminum  copulan- 
ttir.  Notandmn,  qnod  aliqui  sic  intelligunt 


hoc,  scilicet  quod  partes  continui  copu- 
lentur  ad  unum  terminum  communem. 
Nam  partes  lineœ  terminantur  ad  unum 
punctum  ,  quae  actu  eam  terminât  non  ad 
punctum  in  potentia  ;  similiter  superficiei 
partes  copulantur  ad  lineam ,  quse  actu 
eam  terminât,  et  partes  corporis  ad  su- 
perficiem  terminantem  illud.  Ad  quod  in- 
telligendum  ,  sciendum  est ,  quod  nos  de- 
bemus  imaginari  punctum ,  quod  est  indi- 
visible in  linea  moveri,  et  motu  suo  cau- 
sare lineam,  et  lineam  motam  causare 
superficiem,  et  superficiem  motam  causare 
corpus ,  et  nunc  motum  causare  tempus. 
Quibus  sic  causatis  et  imaginatis,  licet  non 
ita  sit  reabter,  intelligemus  prœdictam 
difhnitionem.  Si  enim  punctus  motus  cau- 
sât lineam  ,  onmes  partes  lineœ  per  punc- 
tum copulantur  ;  et  quia  in  qualibet  parte 
liniv  est  imaginari  Becundum  istara  viani. 


SUR  LA   LOGIQUE  d'àRISTOTE.  ,  153 

autre  déviation ,  il  résulte  que  la  ligne  est  dite  continue.  Il  en  est  de 
même  de  la  superficie  par  rapport  à  la  ligne  que  nous  supposons  la 
produire  par  le  mouvement  qu'elle  subit.  Il  en  est  aussi  de  même  du 
corps  pai» rapport  à  la  surface,  et  comme  le  lieu  est  une  espèce  de 
surface,  il  a  un  terme  commun  pour  ses  particules  de  la  même  ma- 
nière que  la  superficie.  Il  est  bon  pourtant  de  savoir  qu'Aristote  dit, 
dans  ses  Prédicarnents,  que  les  parties  du  lieu  sont  liées  par  le  même 
terme  qui  est  le  but  de  la  liaison  des  parties  du  corps ,  ce  qui  ne  se 
comprend  pas  très-bien ,  si  le  lieu  est  une  surface  d'un  corps  de  ca- 
pacité. En  effet,  la  superficie  étant  le  terme  commun  des  parties  d'un 
corps,  il  s'ensuit  que  le  terme  d'un  lieu  est  la  superficie  ,  et  ainsi  le 
terme  de  la  superficie  sera  le  terme  de  la  superficie.  En  quoi  il  faut 
observer  que  le  lieu  peut  se  considérer  de  deux  manières;'  première- 
ment, pour  la  surface  du  corps  contenant,  et  alors  le  terme  de  ses 
parties  est  appelé  ligné,  ainsi  qu'il  a  été  dit  ;  secondement,  le  lieu  se 
prend  pour  tout  le  corps  locatif ,  comme  l'air  est  dit  le  lieu  de  l'eau, 
et  le  feu  le  lieu  de  l'air,  et  c'est  dans  ce  sens  qu'Aristote  dit  que  les 
parties  d'un  lieu  sont  liées  en  vue  du  même  terme  que  les  parties  du 
corps.  Or,  les  parties  du  temps  sont  liées  pour  le  moment  présent, 
telle  est  l'explication  de  la  quantité  continue. 

CHAPITRE  IY. 

De  la  quantité  qui  a  une  position ,  et  de  ce  qui  est  requis  par  rapport  à 

cette  position. 

La  quantité  continue  a  une  position,  quoiqu'il  s'en  trouve  qui  n'en 
ont  pas.  Il  faut  observer  que  la  position  est  la  même  chose  que  l'ordre 
des  parties  dans  un  lieu,  et  c'est  là  un  des  dix  prédicarnents  qui  est 
aussi  appelé  situation  ;  il  en  sera  question  plus  loin.  On  dit  aussi  que 


punctum  aliquem  ad  quem  se  continue 
habet  alia  particula  sine  alia  decisione  , 
ideo  dicitur  linea  esse  continua.  Eodem 
modo  se  habet  de  superficie  respectu  lineae 
a  qua  mota ,  ut  dictum  est ,  imaginamur 
eam  causari.  Nam  partes  ejus  per  lineam 
et  ad  lineam  continuantur.  Similiter  etiam 
se  habet  de  corpore  respectu  superficiel,  et 
quia  locus  superficies  queedara  est,  eodem 
modo  habet  terminum  communem  suarum 
particularum ,  sicut  superficies.  Sciendum 
tamen  est,  quodPhilosophus,  lib.  Prœdic, 
dicit ,  quod  partes  loci  copulantur  ad 
eumdem  terminum  ,  ad  quem  copulantur 
partes  corporis.  Quod  non  bene  intelligitur 
si  locus  est  superficies  corporis  continentis. 
Cum  enim  terminus  communis  partium 
corporis  sit  superficies,  sequitur  quod  ter- 
minus loci  sit  superficies,  et  sic  superficies 
erit  terminus  superficiel.  Ubi  nota  quod 


locus  potest  dupliciter  considerari.  Uno 
modo,  pro  superficie  corporis  continentis, 
et  tune  terminus  partium  ejus  dicitur  linea, 
ut  dictum  est.  Alio  modo  sumitur  locus 
pro  toto  corpore  locante,  sicut  aer  dicitur 
esse  locus  aquse ,  et  ignis  locus  aeris ,  et 
isto  modo  dicit  Philosophus  quod  partes 
loci  copulantur  ad  eumdem  terminum,  ad 
quem  copulantur  partes  corporis.  Partes 
autem  temporis  copulantur  ad  nunc,  et  sic 
patet  de  diffinitione  quantitatis  continuée. 

CAPUT  IV. 

De  quantitale  habenle  positionem ,   et  de  re- 
quisilis  ad  ipsam. 

Habet  autem  quantitas  continua  posi- 
tionem, licet  non  omnis.  Notandum,  quod 
positio  idem  est  quod  ordo  partium  in  loco 
et  haec  est  unum  de  decem  preedicamentis 
quac  etiam  dicitur  situs,  de  quo  infra  di- 


154  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    5. 

la  position  est  l'ordre  des  parties  dans  le  tout,  et  dans  ce  sens  la  po- 
sition est  la  différence  de  la  quantité.  Pour  que  la  quantité  ait  une 
position,  trois  choses  sont  requises.  Il  faut  d'abord  qu'elle  ait  ses  par- 
ties continues  marquées  et  non  marquées  ;  secondement,  quien  vertu 
de  cette  désignation,  elle  ait  ses  parties  coordonnées  entre  elles,  c'est- 
à-dire  l'une  après  l'autre  ;  troisièmement,  que  ces  parties  possèdent 
la  permanence.  Relativement  à  la  première  qualité ,  le  nombre  dont 
les  parties  ne  sont  pas  signables  mais  désignées ,  quel  que  soit  leur 
ordre,  comme  deux  après  un ,  trois  après  deux  et  ainsi  de  suite,  n'a 
pas  déposition.  Relativement  à  la  troisième  qualité,  quoique  le  temps 
ait  des  parties  signables  et  non  marquées  et  ordonnées,  comme  néan- 
moins elles  n'ont  pas  de  permanence,  elles  n'ont  pas  pour  cette  raison 
de  position  entre  elles.  Le  discours,  d'autre  part,  dont  les  parties  ne 
sont  ni  continues,  ni  permanentes,  comme  il  a  été  dit,  n'a  pas  à  cause 
de  cela  de  position  dans  ses  parties.  Donc  les  espèces  de  la  quantité 
qui  ont  une  position  sont  la  ligne ,  la  surface ,  le  corps ,  le  lieu;  et 
quoique  le  point  ne  soit  pas  une  quantité ,  parce  qu'il  est  quelque 
chose  d'indivisible  et  le  principe  de  la  quantité,  parce  qu'il  est  le  prin- 
cipe de  la  ligne  et  qu'il  est  ordonné  pour  les  parties  de  la  ligne,  il  est 
dit  avoir  une  position.  Car,  comme  on  dit  communément,  le  point  est 
quelque  chose  d'indivisible  ayant  une  position ,  puisqu'il  est  la  fin  de 
la  première  partie  et  le  commencement  de  la  seconde,  tandis  que  l'u- 
nité est  quelque  chose  d'indivisible  et  n'a  pas  de  position ,  on  voit 
ainsi  quelles  sont  les  quantités  qui  ont  une  position  et  celles  qui  n'en 
ont  pas. 

CHAPITRE  V. 

Des  espèces  de  la  quantité  continue ,  et  d'abord  de  la  ligne. 
Nous  allons  parler  maintenant  de  ces  espèces  de  la  quantité  conti- 


cetur.  Alio  modo  dicitur  positio  ordo  par- 
tium  in  toto ,  et  sic  positio  est  differentia 
quantitatis  ;  ad  hoc  autem  quod  quantitas 
habeat  positionem  requiruntur  tria.  Primo, 
quod  habeat  partes  suas  continuas  signatas 
et  non  signatas.  Secundo,  quod  secundum 
hanc  signabilitatem  habeat  partes  in  ter  se 
ordinatas  ,  unam  videlicet  post  aliam. 
Tertio,  quod  partes  illse  habeant  perma- 
nentiam.  Ratione  primi,  numerus  qui  ha- 
bet  partes  suas  non  signabiles  sed  signatas, 
quantumcumque  habeat  eas  ordinatas , 
pu  ta  duo  post  unum  et  tria  post  duo  ,  et 
sic  de  aliis,  non  habet  positionem.  Ratione 
tertii,  licet  tempus  habeat  partes  continuas 
signabiles,  et  non  signatas  ,  et  ordinatas  , 
quia  tamen  non  habet  eas  permanentes, 
ideo  non  habent  inter  se  positionem.  Ora- 
tio  vero  partes  suas  neque  continuas  lia!  et 


nec  etiam  permanentes,  ut  dictum  est  : 
ideo  non  habet  positionem  in  partibus  suis. 
Species  ergo  quantitatis  habentes  positio- 
nem, sunt  linea,  superficies,  corpus,  locus-, 
et  licet  punctus  non  sit  quantitas,  quia  est 
quid  indivisibile  et  principium  quantitatis, 
quia  est  principium  lineae,  quia  tamen  ha- 
bet ordinem  ad  partes  lineae ,  dicitur  ha- 
bere  positionem.  Nam  ut  cominuniter  di- 
citur, punctus  est  indivisibile  habens  po- 
sitionem, cum  sit  liais  piloris  partis  et 
initium  posterions.  L'nitas  vero  est  indivi- 
sibile, non  habens  positionem,  et  sic  patet 
quae  quantitas  habet  positionem ,  et  quœ 
non. 

CAPCT   V. 
De  speciebus  quantilalis  continuWj  cl  primn 
de  linea. 
Nonc  dicendum  est  de  pncdiclis  spede- 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  155 

nue,  et  d'abord  de  la  ligne.  Or  la  ligne  est  une  longueur  sans  largeur 
ni  profondeur  terminée  par  deux  points.  Pour  comprendre  cela,  il 
faut  savoir  que  la  quantité  étant  une  mesure,  ou  extension  de  la  sub- 
stance ,  comme  il  a  été  dit,  une  substance  corporelle ,  comme  telle, 
peut  être  mesurée  ou  étendue  de  trois  manières  sans  plus ,  suivant  la 
façon  dont  s'opère  l'interjection  des  diamètres  dans  les  angles  droits. 
Car  si  l'un  doit  couper  l'autre  à  angles  droits,  ce  doit  être  en  forme 
de  croix ,  suivant  la  figure  suivante ,  dans  laquelle  se  trouvent  deux 
angles  droits  dans  la  partie  supérieure  et  deux  dans  la  partie  infé- 
rieure. 

On  appelle  angle  droit  celui  qui  se  forme  en 
tirant  une  ligne  perpendiculaire  sur  une  ligne 
droite ,  de  sorte  que  si  cette  ligne  tombe  sur  le 
milieu,  elle  forme  deux  angles  droits,  comme  il  a 
été  dit.  Nous  avons  donc  deux  diamètres  qui  se 
coupent  à  angles  droits  dans  la  forme  de  la  croix. 
Pour  qu'un  troisième  diamètre  coupe  les  deux  pre- 
miers à  angles  droits ,  il  faut  qu'il  passe  par  le 
point  où  se  réunissent  les  quatre  angles  droits. 
Un  quatrième  diamètre  ne  peut  couper  les  trois 
autres  sans  former  un  angle  droit.  L'un  de  ces 
diamètres  s'appelle  longueur,  le  second  largeur, 
le  troisième  profondeur ,  que  l'on  nomme  les  trois 
dimensions.  De  sorte  qu'en  considérant  la  lon- 
gueur sans  les  autres  deux  dimensions ,  elle  s'ap- 
pelle ligne.  Les  extrémités  de  la  ligne  ,  si  elle  en 
a,  ce  que  je  dis  à  cause  de  la  ligne  circulaire 
qui  n'en  a  pas,  sont  deux  points  ,  car  ils  terminent  la  ligne  jusqu'à 
l'indivisibilité  suivant  cette  dimension.  En  effet,  si  la  division  étoit 


bus  et  primo  de  linea.  Est  autem  linea 
longitudo  sine  latitudine  et  profunditate, 
cujus  extrema  sunt.  duo  puncta.  Ad  quod 
intelligendum ,  sciendum  est  quod  cum 
quantitas  sit  raensura  sive  extensio  sub- 
stantif ,  ut  supra  dictum  est  ,  substantia 
corporea  ,  in  quantum  hujus  tripliciter 
mensurari  seu  extendi  potest ,  secundum 
quod  tripliciter  diametri  in  angulis  rectis 
possunt  se  intersecare  ,  et  non  pluries.  Si 
euim  unus  diameter  débet  intersecare  alium 
in  angulis  rectis,  oportet  quod  sit  ad  rao- 
dum  crucis  sic. 

Ubi  sunt  duo  anguli  recti  ex  parte  su- 
periori ,  et  duo  ex  parte  inferiori.  Dicitur 
autem  angulus  rectus,  qui  causatur  ex 
ductu  linesc  perpendiculariter  cadentis  su- 
per lincam  rectam  sic.  Undc  si  talis  linea 
cadit  in  medio,  causât  duos  angulos  rectos, 


ut  dictum  est.  Habemus  ergo  duos  dia- 
metros,  se  in  angulis  rectis  in  cruce  suppo- 
sita  intersecantes.  Si  vero  tertius  diameter 
débet  prsedictos  duos  diametros  intersecare 
in  angulis  rectis,  oportet  quod  transeat  per 
punctum  ,  ubi  quatuor  anguli  recti  jun- 
guntur.  Nec  potest  quartus  diameter  pra±- 
dictos  très  diarnetros  intersecare ,  quin 
causet  angulum  rectum.  Unus  ergo  diame- 
ter dictarum  trium  dicitur  longitudo,  se- 
cundus  latitudo ,  tertius  vero  profunditas, 
quee  dicuntur  très  dimensiones  :  unde 
si  consideretur  longitudo  sine  aliis  duabus 
dimensionibus  dicitur  linea.  Extrema  vero 
linea,  si  habet  extrema,  quod  dico  propter 
lineam  circularem,  quœ  non  babet  extre- 
ma, sunt  duo  puncta  ;  terminant  enim  li- 
neam ad  indivisibile  secundum  illam  di- 
mensionem .  Si  enim  semper  esset  darc  cfi- 


156  OPUSCULE    XLVII  ,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    5. 

toujours  possible  dans  cette  dimension,  cette  dimension  étant  une 
ligne,  dans  ce  cas  la  ligne  seroit  sans  limites.  La  surface  contient 
deux  des  susdites  dimensions ,  savoir  la  longueur  et  la  largeur,  dont 
les  extrémités  sont  deux  lignes,  ou  une,  je  dis  cela  à  cause  de  la  sur- 
face circulaire  qui  est  limitée  par  une  seule  ligne.  En  effet,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit,  pour  borner  une  ligne  il  faut  que  la  limite  atteigne 
l'indivisibilité  dans  cette  dimension,  de  sorte  que  la  limite  de  la  surface 
doit  aller  à  l'indivisibilité  en  largeur,  ce  qui  est  la  ligne.  Un  corps 
renferme  les  trois  dimensions  ci-dessus ,  ou  en  d'autres  termes ,  un 
corps  est  une  triple  dimension ,  comme  la  surface  est  une  double  di- 
mension, et  la  ligne  une  seule.  Or,  le  corps  se  termine  à  la  surface 
qui  est  indivisible  en  profondeur,  ou  à  la  ligne  qui  l'est  en  largeur.  Il 
faut  observer  que  quoique  le  corps  soit  une  triple  dimension,  savoir, 
longueur,  largeur  et  profondeur,  le  corps  ne  tient  son  caractère  de 
perfection  que  de  la  profondeur.  De  même ,  quoique  la  surface  con- 
tienne deux  dimensions ,  la  longueur  et  la  largeur ,  néanmoins  sa 
raison  spécifique  n'est  complétée  que  par  la  largeur,  comme  la  rai- 
son spécifique  de  l'homme  n'est  complétée  que  par  la  rationalité, 
quoiqu'il  soit  doué  de  la  sensibilité  et  de  la  vie.  La  raison  spécifique 
de  la  brute  est  complétée  par  la  sensibilité,  quoiqu'elle  jouisse  aussi 
de  la  vie.  Quant  à  la  ligne,  c'est  la  longueur  qui  fait  la  perfection  spé- 
cifique. Et  comme  la  quantité  continue  a  la  propriété  d'être  toujours 
divisible,  si  le  corps,  tant  que  corps,  doit  se  terminer  à  l'indivi- 
sible ,  ce  sera  à  la  surface ,  laquelle,  quoique  divisible,  ne  l'est  pas 
cependant  en  profondeur  en  quoi  consiste  la  raison  spécifique  du 
corps,  comme  il  a  été  dit,  il  en  est  de  même  de  la  surface  par  rapport 
à  la  ligne.  Telles  sont  les  trois  espèces  de  la  quantité  continue. 


visibile  secundum  illam  dimensionem,  cum 
hujusmodi  dimensio  sit  iinea ,  ut  dictum 
est,  tune  linea  nunquam  terminaretur. 
Superficies  vero  continet  duas  dimensiones 
de  praedictis,  scilicet  longitudinem  et  lati- 
tudinem  ,  cujus  extrema  sunt  duae  lineae 
vel  una;  quod  dico  propter  superficiem 
circularem  ,  quae  una  linea  terminatur. 
Sicut  enim  dictum  est ,  ad  hoc  quod  linea 
terminetur ,  oportet  quod  terminetur  ad 
iudivisibile  secundum  illam  dimensionem , 
sic  oportet  quod  superficies  terminetur  ad 
indivisibile  secundum  latitudinem,  et  hsec 
est  linea.  Corpus  autem  continet  omnes 
praedictas  très  dimensiones,  seu  ipsum  cor- 
pus est  ipsa  trina  dimensio  ,  sicut  superfi- 
cies est  duplex  dimensio,  et  linea  una. 
Terminatur  autem  corpus  ad  superficiem, 
quae  indivisibilis  est  secundum  profundi- 
tatem  vel  ad  lineam,  quae  indivisibilis  est 
scciiiiiluin  latitudinem.  Notaudum,  quod 


licet  corpus  sit  trina  dimensio,  scilicet 
longitudo  ,  latitudo  et  profunditas,  tamen 
ratio  corporis  perficitur  ex  sola  profundi- 
tate.  Similiter  etiam  licet  superticies  con- 
tineat  duas  dimensiones,  scilicet  longitu- 
dinem et  latitudinem  ,  tamen  ratio  ejus 
specifica  completur  ex  sola  lalitudine.,  sicut 
ratio  specifica  hominis  completur  ex  ratio- 
nali;  quamvis  homo  sit  sensibilis  et  vivus. 
Ratio  vero  bruti  ex  sensibili  completur, 
licet  etiam  cum  hoc  sit  vivum.  Lineae  vero 
ratio  specifica  perficitur  ex  sola  longitu- 
dine.  Et  quia  quanti  tas  continua  boc  ha- 
bet,  quod  semper  sit  divisibilis  ,  si  corpus 
in  quantum  corpus  terminan  débet  ad  in- 
divisibile ,  terminabitur  ad  superficiem , 
quae  licet  sit  divisibilis,  non  tamen  secun- 
dum profunditatem  in  qua  consistit  ratio 
specifica  corporis,  ut  dictum  est,  et  similiter 
de  superficie  respectu  lineae.  Et  sic  patet 
de  tribus  speciebus  quantitatis  continus?. 


SUR    LA    LOGIQUE    D  ARISTOTE. 


157 


CHAPITRE  Vf. 

Du  lieu  gui  est  une  espèce  de  la  quantité  continue. 

Nous  passo?is  au  lieu.  Le  lieu  est  la  surface  d'un  corps  contenant  im- 
mobile. En  effet,  quoique  le  lieu  soit  une  surface,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il 
soit  dans  le  genre  de  la  surface,  mais  c'est  un  autre  genre  de  quantité  à 
raison  d'une  autre  différence  spécifique  surajoutée  qui  ne  convient 
pas  à  la  surface ,  en  tant  que  surface ,  et  n'est  pas  disparate  à  son 
égard,  quoiqu'il  soit  immobile.  11  faut  savoir  que  ,  comme  il  n'y  a 
point  de  vide  dans  la  nature ,  il  faut  qu'un  corps  soit  enveloppé  d'un 
autre  corps.  Laissons  pour  le  moment  la  dernière  sphère.  C'est  pour- 
quoi la  surface  du  corps,  qui  enveloppe  celle  qui  est  contiguë  au 
corps  enveloppé,  est  appelée  lieu.  Néanmoins  cette  surface  n'est  pas 
appelée  lieu  par  la  raison  qu'elle  enveloppe,  autrement  le  vaisseau 
qui  suit  le  cours  du  fleuve  étant  toujours  entouré  de  la  surface  de  la 
même  eau,  parce  qu'il  suit  le  courant  de  l'eau,  pourroit  être  regardé 
comme  restant  dans  le  même  lieu,  ce  qui  est  faux.  De  même  aussi  le 
vaisseau  amarré  au  bord  du  fleuve ,  changeant  continuellement  de 
surface  par  le  flux  de  l'eau,  changeroit  à  chaque  instant  de  lieu  dans 
ce  cas,  ce  qui  est  également  faux.  Donc  la  nature  du  Heu  n'est  pas 
celle  de  la  surface,  ni  réciproquement;  la  nature  du  lieu  consiste  en 
ce  qu'il  est  immobile  par  rapport  à  l'univers;  c'est  pourquoi,  en  sup- 
posant que  le  monde  fût  vide ,  qu'il  n'y  eût  que  le  ciel  pour  contenir 
le  vide  et  qu'une  pierre  fût  au  centre,  quand  bien  même  elle  ne  seroit 
pas  enveloppée  par  la  surface  d'un  corps  contenant,  elle  seroit  malgré 
cela  dans  un  lieu,  parce  qu'elle  seroit  dans  une  place  qui,  par  rapport 
à  l'univers  ou  le  ciel,  seroit  immobile.  Ainsi  s'explique  le  lieu. 


CAPUT  VL 
De  loco  qui  est  species  quantitatis  continues. 

Sequitur  de  loco.  Est  autem  locus  super- 
ficies corporis  continentis  immobilis.  Licet 
enim  locus  sit  superficies ,  non  tamen  se- 
quitur quod  locus  sit  in  génère  superficiel, 
sed  estaliud  genus  quanti tatis  propter  aliam 
differentiam  specificam  superadditam  , 
quae  non  convenit  superficiel  in  quantum 
superficies  est,  nec  sibi  disconvenit,  scilicet 
immobilis.  Sciendum ,  quod  cum  non  sit 
dare  vacuum  in  natura,  oportet  omne  cor- 
pus alio  corpore  circumdari.  Dimittamus 
modo  de  ultima  sphsera.  Unde  superficies 
corporis  circumdantis  illam,  quse  contigua 
est  corpori  circumdato  ,  dicitur  esse  locus. 
Nec  propter  hoc  talis  superficies  dicitur 
locus,  quia  circumdat,  alioquin  navis,  quœ 


vadit  cum  flumine ,  cum  semper  sit  cir- 
cumdata  superficie  ejusdem  aquœ,  eo  quod 
ipsa  semper  descendit  sicut  aqua  descendit, 
diceretur  esse  in  eodem  loco,  quod  tamen 
falsum  est.  Similitef  etiam  navis  ligata  ad 
ripam  fluminis,  cum  propter  fluxum  aquae 
semper  mutet  superficiem,  tune  semper 
mutaret  locum,  quod  etiam  falsum  est. 
Non  ergo  ratio  loci  est  ratio  superficiei, 
nec  e  converso ,  sed  ratio  loci  consistit  in 
hoc  quod  est  immobilis,  scilicet  secundum 
situm  universi  :  unde  dato,  quod  mundus 
esset  vacuus,  et  esset  solum  cœlum  conti- 
nens  vacuum,  et  unus  lapis  esset  in  centro 
quantumeumque  non  circumdaretur  su- 
perficie corporis  continentis,  tamen  adhuc 
esset  in  loco,  quia  esset  in  parte,  quœ  per 
respectum  ad  situm  universi  seu  cœli  esset 
immobilis,  et  sic  patet  de  loco. 


458 


OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    7. 


CHAPITRE  VIL 
Du  temps,  comment  c'est  une  quantité  successive. 

Le  temps  est  le  nombre  du  mouvement  du  premier  mobile  suivant 
Ja  priorité  et  la  postériorité.  Pour  comprendre  cette  définition,  il  faut 
savoir  qu'il  y  a  deux  sortes  de  nombres,  l'un  qui  sert  à  la  numéra- 
tion, comme  deux,  trois  et  ainsi  de  suite ,  et  c'est  là  la  première  es- 
pèce de  la  quantité  discrète  dont  nous  avons  parlé.  La  seconde  espèce 
est  ce  qu'on  appelle  nombre  nombre ,  ce  sont  les  choses  auxquelles 
nous  appliquons  ce  nombre  dans  la  numération,  comme  deux  chiens, 
trois  lignes,  et  c'est  dans  ce  sens  que  nous  prenons  ici  le  nombre. 
Il  faut  savoir  aussi  que  dans  tout  mouvement  il  y  a  une  quantité  suc- 
cessive qui  le  produit  formellement,  sous  le  rapport  de  quantité  suc- 
cessive, laquelle  quantité  successive  n'est  pas  le  mouvement,  mais  un 
de  ces  accidents.  Or,  le  mouvement  du  premier  mobile,  savoir  du 
dernier  ciel,  étant  le  plus  régulier  et  le  plus  simple  de  tous  les  mou- 
vements, il  s'ensuit  que  sa  quantité  successive  est  la  plus  régulière  et 
la  plus  simple  de  toutes  les  autres  quantités  successives  ;  c'est  pour- 
quoi, en  l'appliquant  à  tous  les  autres  mouvements,  lesquels,  comme 
on  l'a  dit,  sont  successifs,  nous  nous  assurons  de  leur  durée,  c'est  ce 
que  nous  avons  appelé  mesurer.  Mais  comme  l'ame ,  dans  cette  suc- 
cession du  mouvement  du  premier  mobile,  considère  la  priorité  et  la 
postériorité,  cette  succession  ainsi  nombrée  ou  mesurée  par  l'ame  par 
le  moyen  de  l'antériorité  et  de  la  postériorité,  est  ce  qu'on  appelle  le 
temps.  De  même  que  nous  appelous  jour  la  succession  d'une  partie 
du  mouvement  du  premier  mobile,  en  tant  que  ses  parties  se  meuvent 
d'Orient  en  Occident.  C'est  pourquoi  cette  antériorité  dans  la  succes- 
sion suivant  qu'une  partie  du  premier  mobile  avoit  son  mouvement 


CAPOT  VII. 

De  lempore,  quotnodo  est  quanlilas  succès- 
si  va. 

Tempus  autem  est  numerus  motus  primi 
mobilis  secundum  prius  et  posterius.  Ad 
intelligendum  autem  praedictam  diffinilio- 
nem ,  scieudum  quod  duplex  est  numerus 
scilicet  quo  numeramus ,  ut  duo ,  tria  et 
hujusmodi,  et  ista  est  prima  species  quan- 
titatis  discretœ ,  de  qua  dictum  est.  Alius 
est  numerus  numeratus ,  scilicet  istae  res , 
quibus  nos  istum  numerum  applicamus 
in  quantum  numerantur,  ut  duo  canes  vel 
très  lineœ,  et  isto  modo  sumitur  hic  nu- 
merus. Sciendum  quod  in  omni  motu  est 
quantitas  successiva,  faciens  ipsum  forma- 
liter  quantum  quantitate  successiva  ,  quse 
quantitas  successiva  non  est  motus,  sed  ac- 


cidens  ejus.  Motus  autem  primi  mobilis, 
scilicet  ultimi  cœli,  quia  est  regularissimus 
et  simplicissimus  omnium  motuum ,  ideo 
quantitas  ejus  successiva  est  regularissima 
et  simplicissima  omnium  aliarum  quanti- 
tatum  successivarum  ;  et  ideo  applicando 
illam  ad  omnes  alios  motus ,  qui',  ut  dic- 
tum est,  successivi  sunt ,  certificamur  de 
duratione  ipsorum  ,  et  hoc  est  mensurari, 
ut  supra  dictum  est.  Quia  vero  anima  in 
illa  successione  motus  primi  mobilis  con- 
sidérât prius  et  posterius,  illa  successio  sic 
numerata  vel  mensurata  ab  anima  per 
prius  et  posterius  ,  dicitur  esse  tempus. 
Sicut  diem  vocamus  successionem  unius 
partis  motus  primi  mobilis  ,  prout  scilicet 
partes  ejus  moventur  ab  Oriente  in  Occi- 
dente.  Unde  taie  prius  in  successione,  prout 
scilicet  pars  primi  mobilis  movcbatur  in 


SUR  LA  LOGIQUE   d'âRISTOTE.  159 

vers  l'Orient,  et  cette  postériorité  selon  que  cette  partie  étoit  en  mou- 
vement vers  l'Occident ,  considérées  par  l'ame  ,  produisent  le  temps 
ci-dessus,  savoir  le  jour ,  et  ainsi  des  autres.  Et  en  appliquant  ce 
temps,  comme  nous  l'avons  dit ,  à  toutes  les  choses  successives,  nous 
constatons  leur  durée  dans  cette  succession.  On  voit  donc  de  quelle 
manière  le  temps  est  le  nombre  du  mouvement  suivant  l'antériorité 
et  la  postériorité.  Il  faut  observer,  qu'ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
comme  le  temps  est  subjectivement  dans  le  mouvement  du  premier 
mobile,  de  même  que  la  passion  dans  son  sujet,  nous  disons  de  cer- 
taines choses  qu'elles  sont  dans  le  temps  suivant  qu'elles  sont  dans  ce 
mouvement.  C'est  pourquoi  il  faut  considérer  dans  le  mouvement  le 
mobile  et  l'indivisible  du  mouvement ,  qui  s'appelle  changement ,  et 
qui  est  au  mouvement  comme  le  point  est  à  la  ligne  ;  et  comme  dans 
toute  partie  de  la  ligne  il  faut  imaginer  un  point,  de  même  dans 
chaque  partie  du  mouvement  il  faut  considérer  une  mutation  ;  car 
tout  mouvement  terminable  se  termine  à  la  mutation ,  comme  à  un 
terme  intérieur,  comme  la  ligne  au  point.  D'où  il  résulte  que  le 
temps  répond  à  ce  mouvement  de  deux  manières,  comme  sa  pas- 
sion ,  puisqu'il  en  est  la  succession,  et  comme  sa  mesure.  Car  le 
temps  ne  mesure  pas  seulement  les  autres  mouvements ,  il  mesure 
encore  les  parties  du  mouvement  du  premier  mobile.  Nous  di- 
sons, en  effet,  qu'une  révolution  s'est  opérée  en  un  jour.  Quant  à  la 
mutation  d'être  qui  est  l'indivisible  dans  le  mouvement,  ce  qui  lui 
répond  c'est  dans  le  temps  le  présent  qui  est  l'indivisible  du  temps, 
ou  le  même  en  réalité,  quoiqu'il  pût  y  avoir  une  différence  déraison, 
et  dans  tout  temps  il  faut  noter  le  présent,  et  si  le  temps  avoit  un 
terme,  il  se  termineroit  au  présent.  Voilà  ce  qui  regarde  le  temps. 


Oriente,  et  taie  posterius  prout  scilicet  pars 
movebalur  in  Occidente ,  considerata  ab 
anima  faciunt  dictum  tempus,  puta  diem, 
et  sic  de  aliis;  et  hoc  tempus,  ut  dictum 
est,  applicando  ad  omnia  successiva,  de  eis 
certificamur  quantum  ad  ipsorum  dura- 
tionem  intali  successione.  Patet  ergo  qua- 
liter  tempus  est  numerus  motus  secun- 
dum  prius  et  posterius.  Notandum  quod 
quia  ut  dictum  est,  tempus  est  subjective 
in  motu  primi  mobilis ,  sicut  est  passio  in 
suo  subjecto ,  secundum  ea  quee  sunt  in 
illo  motu,  dicimus  aliqua  esse  in  tempore, 
Unde  in  motu  est  considerare  mobile  et 
indivisibile  ipsius  motus,  quod  dicitur  mu- 
tatum  esse,  quod  se  habet  ad  motum ,  si- 
cut punctus  ad  lineam ,  et  sicut  in  qualibet 
parte  lineœ  est  imaginari  punctum,  sic  in 
qualibet  parte  motus  est  considerare  mu- 


tatum  esse,  omnis  enim  motus  si  termina- 
bilis  est,  terminatur  ad  mutatum  esse ,  si- 
cut ad  terminum  intraneum,  sicut  linea  ad 
punctum.  Unde  illi  motui  respondet  tem- 
pus dupliciter ,  quia  et  sicut  ejus  passio , 
quia  est  successio  ejus  ,  ut  dictum  est ,  et 
sicut  ejus  mensura.  Non  enim  tempus  so— 
lum  mensurat  alios  motus,  sed  etiam  partes 
motus  primi  mobilis  ;  dicimus  enim  quod 
una  circulatio  facta  est  in  una  die.  Ipsi 
vero  mutato  esse,  quod  est  indivisibile  in 
motu  ,  respondet  in  tempore  nunc ,  quod 
est  indivisibile  temporis  vel  est  idem  re, 
licet  posset  ratione  differre,  et  in  omni 
tempore  est  signare  nunc ,  sicut  in  linea 
punctum,  et  si  tempus  terminaretur,  utique 
ad  nunc  terminaretur.  Patet  ergo  de  tem- 
pore. 


160 


OPUSCULE    XL VII  ,    TRAITÉ    3 ,    CHAPITRE    8. 


CHAPITRE  VIII. 

Que  la  quantité  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  contra- 
riété ,  mais  une  chose  est  dite  égale  ou  inégale  à  une  autre  suivant 
l'être. 

Toutes  les  quantités  ont  cela  de  commun  qu'elles  ne  reçoivent  pas 
le  plus  et  le  moins ,  pas  plus  que  la  contrariété.  Nous  avons  dit  com- 
ment il  faut  l'entendre  en  parlant  du  prédicament  de  la  substance. 
Or  il  faut  savoir  qu' Aristote,  dans  son  livre  des  Prédicaments,  fait  une 
objection  relativement  à  la  grandeur  et  à  la  petitesse  qui  semblent 
être  dans  la  quantité,  et  qui  paroissent  être  contraires.  Il  répond  d'a- 
bord que  la  grandeur  et  la  petitesse  ne  sont  pas  dans  le  genre  de  la 
quantité,  bien  qu'elles  en  soient  des  passions,  mais  dans  le  genre  de  la 
relation.  Car  une  chose  n'est  pas  appelée  grande  d'une  manière  abso- 
lue, autrement  on  ne  diroit  pas  un  grand  arbre  et  une  petite  montagne, 
si  ce  n'est  par  rapport  à  un  autre  arbre  ou  à  une  grande  montagne. 
Il  répond  en  second  lieu  qu'en  accordant  que  le  grand  et  le  petit 
sont  dans  le  genre  de  la  quantité,  ils  ne  seroient  pas  néanmoins 
contraires.  Car  la  même  chose  ne  pourroit  pas  être  contraire  à  soi- 
même  ,  et  cependant  une  seule  et  même  quantité  est  dite  grande 
par  rapport  à  une  plus  petite,  et  petite  par  rapport  à  une  plus 
grande.  Or  le  propre  de  la  quantité  est  qu'une  chose  soit  dite  égale 
ou  inégale  par  rapport  à  elle.  Pour  comprendre  cela,  il  faut  savoir 
qu'une  quantité  peut  se  prendre  de  deux  manières;  d'abord  pour  la 
grandeur  de  la  masse  ,  en  second  lieu  pour  la  grandeur  de  la  per- 
fection. Dans  le  premier  sens  elle  appartient  à  ce  prédicament,  car 
c'est  là  la  première  et  la  plus  connue  acception  de  la  quantité.  Dans  le 
second  sens  la  quantité  appartient  aux  transcendants,  car  elle  se  trouve 


CAPUT  VIII. 

Quod  quantitas  non  suscipit  magis  nec  mi- 
nus, nec  habet  conlrarielalem,  sed  secun- 
dum  esse  aliquid  dicitur  œquale  vel  inœ- 
quale  al ter i. 

Commune  est  autem  omni  quantitati 
non  suscipere  magis  et  minus,  nec  susci- 
pere  contrarietatem.  Quod  qualiter  intelli- 
gatur,  supra  de  prsedicamento  substantiae 
dictum  est.  Sciendum  autem  quod  a  Phi- 
losopho,  lib.  Prœdicam.,  ponitur  instantia 
de  magno  et  parvo  ,  quae  videntur  esse  in 
quantitate  et  videntur  esse  contraria.  Et 
respondet  primo,  quod  maguum'et  parvum 
non  sunt  in  génère  quantitatis ,  licet  sint 
passiones  ipsius  quantitatis,  sed  sunt  in 
génère  relationis.  Non  enim  magnum  di- 
citur aliquid  absolnte,  alinquin  non  dice- 


retur  milium  magnum  et  mons  parvus,  nisi 
per  respectum  ad  aliud  milium  vel  per  res- 
pectum  ad  montem  magnum.  Secundo  res- 
pondet quod  dato  quod  magnum  et  parvum 
essent  in  génère  quantitatis,  non  tamen 
essent  contraria.  Idem  enim  non  potest  esse 
contrarium  sibiipsi ,  et  tamen  una  et  ea- 
dem  quantitas  dicitur  magna  per  respec- 
tum ad  minorem  et  parva  per  respectum 
ad  majorem.  Proprium  autem  quantitatis 
est  secundum  eam  œquale  vel  inœquale 
dici.  Ad  quod  intelligendum,  sciendum  est 
quod  quantitas  dupliciter  potest  sumi.  Uno 
modo  pro  magnitudine  molis  ,  alio  modo 
pro  magnitudine  perfectionis.  Primo  modo 
quantitas  pertinet  ad  hoc  praedicamentum, 
quia  ista  est  prior  et  notior  acceptio  quan- 
titatis. Secundo  modo ,  quantitas  est  de 
transcendentibus,  quia  in  multis  generibus 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  161 

dans  plusieurs  genres ,  comme  le  parfait.  Nous  disons ,  en  effet,  cet 
homme  est  un  grand  médecin  ,  c'est-à-dire  un  médecin  parfait ,  et 
c'est  là  une  grande  similitude;  une  chose  est  dite  aussi  égale  ou  iné- 
gale suivant  la  quantité  prise  dans  les  deux  sens.  Nous  disons ,  en 
effet,  que  deux  lignes  sont  égales  et  deux  blancheurs  aussi ,  et  parce 
que  la  quantité  dans  le  premier  sens  est  plus  connue  et  plus  propre. 
Dans  le  second  sens  elle  est  dite  transumptivement,  et  c'est  pourquoi 
l'égalité  ou  l'inégalité  se  disent  proprement  de  la  quantité  dans  le 
premier  sens.  Il  faut  observer  que  l'unité  se  convertit  avec  l'être,  et 
ainsi  tout  ce  qui  est  être  est  un.  Or  la  substance,  la  quantité,  la  qua- 
lité étant  des  êtres,  il  faut  que  chacun  d'eux  soit  un  ;  et  comme  dans 
la  substance,  la  quantité  et  la  qualité,  il  peut  y  avoir  plusieurs  êtres, 
il  peut  donc  y  avoir  en  elles  plusieurs  choses,  dont  chacune  est  une, 
et  qui  présentent  la  multiplicité.  Donc  dans  chacun  de  ces  prédica- 
ments  il  y  a  unité  et  multiplicité.  Dans  la  substance  c'est  sur  l'unité 
qu'est  fondée  la  relation  qui  s'appelle  identité,  dans  la  quantité  c'est 
la  relation  qui  est  appelée  similitude ,  mais  néanmoins  d'une  façon 
différente.  Car  l'unité  se  prend  en  trois  sens  différents,  l'unité  numé- 
rique, comme  Socrate,  Platon,  chacun  est  effectivement  numérique- 
ment un.  L'unité  d'espèce ,  comme  Socrate  et  Platon  sont  un  dans 
l'homme.  L'unité  de  genre ,  comme  l'homme  et  le  cheval  sont  un 
dans  l'animal.  Or,  l'identité  qui  est  fondée  sur  l'unité  dans  la  sub- 
stance, n'est  pas  fondée  sur  l'unité  dans  le  genre,  ni  dans  l'espèce, 
mais  bien  dans  le  nombre,  comme  s'il  y  avoit  deux  substances.  Ce 
qui  est  un  numériquement  est  identique  à  soi-même ,  dans  le  sens  où 
nous  prenons  ici  l'identité,  quoiqu'on  puisse  le  dire  identique  dans  la 
substance  et  dans  le  genre;  ce  n'est  pas  néanmoins  dans  ce  sens  que 
nous  venons  de  prendre  l'identité.  C'est  pourquoi  une   semblable 


invenitur,  sicut  et  perfectum.  Dicimus 
enim  iste  est  magnus  medicus,  id  est  per- 
fectus,  et  ista  est  magna  similitude-,  et  se- 
cundum  quantitatem  utroque  modo  sump- 
tam  dicitur  aequale  et  inaequale.  Dicimus 
enim  duas  lineas  esse  sequales  et  duas  al- 
bedines  similiter,  et  quia  quantitas  primo 
modo  est  notior  et  magis  propria.  Secundo 
autem  modo  dicitur  transumptive  ab  illa, 
ideo  aequale  vel  inaequale  dicitur  proprie 
secundum  quantitatem  primo  modo  sump- 
tam.  Notandum  quod  unum  convertitur 
cum  ente,  et  sic  quidquid  est  ens,  est 
unum  ;  cum  autem  substantia,  quantitas, 
qualitas  sint  entia,  oportet  quodlibet  eo- 
rum  esse  unurn  ,  et  cum  in  substantia, 
quantitate  et  qualitate  possunt  esse  plura 
entia,  ergo  in  eis  possunt  esse  plura,  quo- 
rum quodiibet  est  unum,  quae  sunt  multa, 

V. 


in  quolibet  ergo  istorumpraedicamentorum 
est  unum,  et  multa.  In  uno  autem  in  sub- 
stantia fundatur  relatio,  quae  dicitur  iden- 
titas.  In  uno  vero  in  quantitate  fundatur 
relatio,  quae dicitur  similitudo,  diversimode 
tamen.  Nam  unum  dicitur  tripliciter  ,  sci- 
licet  unum  numéro  ,  ut  Sortes  vel  Plato. 
Quilibet  enim  per  se  est  unus  numéro. 
Aliud  est  unum  specie,  ut  Sortes  et  Plato 
sunt  unum  in  homine.  Aliud  est  unum  gé- 
nère ,  ut  homo  et  equus  sunt  unum  in 
animali.  Identitas  autem  quœ  fundatur  in 
uno  in  substantia,  non  fundatur  in  uno  in 
génère,  nec  in  uno  in  specie ,  sed  in  uno 
in  numéro,  ac  si  essent  duae  substantiœ. 
Unum  vero  numéro  est  idem  sibiipsi,  prout 
nunc  sumitur  idem ,  licet  etiam  in  sub- 
stantia possit  dici  idem  specie  et  idem  gé- 
nère, tamen  non  sic  modo  sumitur  iden- 

11 


162  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    3,    CHAPITRE    8. 

identité  n'est  pas  une  relation  réelle ,  mais  Bien  une  relation  de  rai- 
son ,  comme  on  le  dira  plus  loin.  L'égalité  et  la  similitude  ne  se 
fondent  pas  sur  l'unité  suivant  le  nombre,  parce  que  rien  n'est  égal 
ou  semblable  à  soi-même ,  mais  elles  se  fondent  sur  l'unité  suivant 
l'espèce,  parce  que  nous  disons  que  deux  lignes  sont  égales ,  et  deux 
blancheurs  semblables.  Il  faut  observer  que  l'égalité  et  la  similitude 
se  prennent  communément  pour  les  deux  fondements  de  l'égalité 
comme  pour  ses  deux  termes.  En  effet ,  l'égalité  se  rapporte  à  deux 
choses,  à  l'une  fondamentalement ,  à  l'autre  comme  terme  ,  et  vice 
versa;  pour  la  similitude,  elle  est  multiple  dans  les  termes.  Car  il 
suffît  à  la  similitude  de  la  participation  de  la  qualité  suivant  la  même 
espèce.  En  effet,  les  choses  qui  sont  blanches  sont  semblables,  et 
celles  qui  participent  à  diverses  qualités  quant  à  l'espèce  sont  dissem- 
blables, comme  le  blanc  et  le  noir;  il  n'en  est  pas  de  même  de  l'éga- 
lité. Il  ne  suffit  pas,  en  effet,  pour  l'égalité,  qu'il  y  ait  deux  quantités 
de  même  espèce,  autrement  toutes  les  lignes,  qui  sont  de  même  es- 
pèce, seroient  égales,  ce  qui  est  néanmoins  faux;  il  faut,  au  contraire, 
qu'il  y  ait  deux  quantités  de  même  espèce  avec  l'exclusion  d'une  plus 
grande  ou  d'une  plus  petite,  de  telle  sorte  que  l'une  ne  soit  en  aucune 
manière  ni  plus  grande  ni  plus  petite  que  l'autre.  Mais  l'inégalité  ne 
se  prend  pas  suivant  les  diverses  espèces  de  quantités ,  comme  on  l'a 
dit  de  la  similitude  en  quantité ,  mais  bien  dans  les  choses  qui  sont 
de  la  même  espèce  sans  l'exclusion  d'une  plus  grande  ou  d'une  plus 
petite.  On  voit  de  cette  manière  ce  que  c'est  que  l'identité ,  l'égalité  et 
la  similitude.  Il  faut  savoir  que.  bien  que  la  substance  soit  le  fonde- 
ment de  l'identité,  comme  il  a  été  dit,  elle  peut  néanmoins  se  dire  des 
autres  prédrcaments  et  se  fonder  sur  eux.  Nous  disons,  en  effet,  que 
cette  blancheur  est  identique  à  elle-même,  cette  ligne  identique  à  elle- 


titas.  Unde  talis  ictentitas  non  est  relatio 
realis,  sed  rationis,  utinfradicetur.  iEquale 
vero  et  simile,  non  fundatur  in  uno  secun- 
dum  numerum,  quia  nihil  est  sequale  vel 
simile  sibiipsi,  sed  fundatur  in  uno  secun- 
dum  speciem;  nain  duas  lineas  dicimus 
œquales,  et  duas  albedines  similes.  Notan- 
dum  quod  œquale  et  simile  sumuntur 
communiter ,  scilicet  pro  utroque  funda- 
mento  aequalitatis  et  utroque  ejus  termino. 
JEqualitas  enim  est  duorum,  unius  funda- 
mentaliter  et  alterius  ut  termini,  et  e  con- 
verso  ;  similitudo  autem  est  multa  termi- 
nis.  Nam  ad  similitudinem  sufficit  parti- 
cipatio  qualitatis  secundum  eamdem  spe- 
ciem. Quœ  enim  sunt  alba ,  sunt  similia , 
et  quee  participant  diversas  qualitates 
quantum  ad  speciem,  sunt  dissimilia,  ut 
album  et  nigrum,  non  est  autem  sic  de 


aequalitate.  Non  enim  sufficit  ad  aequali- 
tatem,  quod  sint  duee  quantitates  ejusdem 
speciei,  alioquin  omnes  lineae,  quœ  sunt 
ejusdem  speciei,  essent  œquales  ,  quod  ta- 
men  falsum  est  ;  sed  reqniritur  quod  sint 
duse  quantitates  ejusdem  speciei  cum  pri- 
vatione  majoris  et  minoris,  ut  scilicet  una 
omnino  non  sit  major  nec  minor  altéra. 
Insequale  vero  non  sumitur  secundum  di- 
versas species  quantitatis,  ut  dictum  est 
de  simili  in  quantitate  ,  sed  in  eis ,  quai 
sunt  ejusdem  speciei  sine  privatione  ma- 
joris et  minoris,  et  sic  patet  quid  sit  idem, 
quid  «quale,  quid  simile.  Sciendum  quod 
licet  fundamentum  ideatitatis  sit  substan- 
tia  ,  ut  dictum  est ,  tamen  potest  dici  de 
aliis  prœdicamentis ,  et  in  eis  fundari.  Di- 
cimus enim  quod  naec  albedo  est  eadem 
sibiipsi  et  hsec  linea  est  eadem  sibiipsi,  et 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  163 

même,  c'est  pourquoi  ce  n'est  pas  le  propre  de  la  substance  que  l'i- 
dentité et  la  diversité  se  disent  d'elle,  puisque  ces  qualités  conviennent 
aux  autres  prédicaments ,  quoiqu'ils  conviennent  principalement  à  la 
substance.  La  première  propriété  de  la  quantité  est  donc  que  l'égalité 
ou  l'inégalité  se  disent  d'elle  ,  car  on  n'appelle  égal  ou  inégal  que  ce 
qui  est  suivant  elle;  le  propre,  au  contraire ,  de  la  qualité  est  que  la 
similitude  ou  la  dissemblance  se  disent  suivant  elle.  Tel  est  le  prédi- 
cament  de  la  quantité. 

TRAITÉ  IV. 

Du     PRÉDICAMENT     DE     LA    QUALITÉ. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Ce  que  c'est  que  'la  qualité  en  général. 

Nous  allons  parler  maintenant  du  prédicament  delà  qualité.  On  dé- 
finit ainsi  la  qualité  :  la  qualité  est  ce  qui  sert  à  qualifier.  Il  faut  sa- 
voir que  les  prédicaments  ne  peuvent  pas  être  définis.  En  effet,  comme 
on  met  dans  la  définition  le  genre  et  la  différence  de  la  chose  définie, 
et  que  les  genres  les  plus  généraux,  tels  que  la  substance,  la  quantité, 
la  qualité ,  n'ont  pas  de  genre  au-dessus  d'eux,  comme  on  l'a  dit,  il 
s'ensuit  qu'ils  ne  peuvent  pas  être  définis.  Ils  peuvent  néanmoins  être 
décrits  et  expliqués  par  le  moyen  de  certaines  choses  qui  nous  sont 
plus  connues.  Il  faut  observer,  ainsi  qu'on  peut  le  déduire  de  ce  qui 
a  été  dit,  que  notre  intelligence  abstrait  non-seulement  l'universel  du 
particulier,  mais  encore  la  forme  du  sujet  de  cette  forme.  Car  il  con- 
çoit l'humanité  sans  concevoir  précisément  l'être  revêtu  de  l'huma- 


ideo  non  est  proprium  substantise  secun- 
dum  eam  dici  idem  vel  diversum,  cum  hœ 
conveniant  aliis  prœdicamentis ,  licet  con- 
venant substantiœ  principaliter.  Primum 
autem  quantitatis  est  secundum  eam  dici 


aequale  vel  inœquale,  quia  nihil  dicitur 
œquale  vel  inœquale,  nisi  secundum  quan- 
titatem.  Proprium  vero  qualitatis  est  se- 
cundum eam  dici  simile  vel  dissimile ,  et 
sic  patet  de  prœdicamento  quantitatis. 


TIUCTATliS  IV. 

De   pr^edicamento  qualitatis. 


CAPUT  PRIMUM. 
Quid  sit  qualitas  in  génère. 
Nunc  dicendum  est  de  prœdicamento 
qualitatis.  Describitur  autem  qualitas  sic. 
Qualitas  est  secundum  quam  quales  dici- 
mur.  Sciendum,  quod  prœdicamenta  difii- 
niri  non  possunt.  Cum  enim  in  diffinitione 
ponatur  genus  et  differentia  diffiniti  ;  gê- 
nera autem  generalissima,  cujusmodi  sunt 


substantia,  quantitas ,  qualitas  et  hujus- 
modi  non  habeant  genus  supra  se,  ut  su- 
pra dictum  est.  Ergo  difïiniri  non  possunt. 
Possunt  autem  per  aliqua  nobis  magis  nota 
describi  seu  notificari.  Notandum  quod ,  ut 
ex  supradictis  colligi  potest ,  intellectus 
noster  non  solum  abstrahit  universale  a 
particularibus ,  sed  etiam  formam  ab  ha- 
bente  talem  formam.  Intelligit  enim  huma- 
nitatem  précise  non  intelligendo  cum  ea 


164  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    4,    CHAPITRE    2. 

nité,  c'est-à-dire  l'homme,  en  qui  se  trouve  non-seulement  l'humanité, 
mais  encore  plusieurs  autres  êtres,  tels  que  la  blancheur  et  autres.  II 
conçoit  de  la  même  manière  la  blancheur  en  l'abstrayant  de  son  sujet 
que  nous  appelons  blanc.  C'est  pourquoi,  bien  que  la  blancheur  ne  se 
rencontre  pas  sans  sujet ,  l'intellect  la  conçoit  néanmoins  en  l'abs- 
travant  du  sujet,  qui  reste  en  dehors  de  la  conception,  et  c'est  pour 
cela  qu'elle  appartient  plutôt  à  l'intellect  agissant  dans  l'abstrait  que 
dans  le  concret,  et  comme  nos  connoissances  nous  viennent  des  sens, 
les  choses  les  moins  sensibles  nous  sont  aussi  les  moins  connues. 
Or,  les  choses  abstraites,  comme  on  l'a  dit,  sont  moins  sensibles,  c'est 
donc  avec  convenance  que  nous  arrivons  à  en  acquérir  la  connoissance 
par  les  choses  concrètes  comme  étant  connues  antérieurement.  On  a 
donc  bien  donné  la  notion  de  la  qualité  qui  est  abstraite  par  l'être 
qualifié,  en  disant  :  la  qualité  est  ce  quii  sert  à  qualifier.  Il  faut  savoir 
qu'il  existe  une  différence  entre  la  qualité  et  les  autres  accidents,  car 
le  concret  s'y  dit  de  l'abstrait.  En  effet,  nous  disons  :  cette  ligne  est 
grande,  ce  qui  n'arrive  pas  dans  les  autres  prédicaments  des  acci- 
dents ;  car  on  ne  peut  pas  dire  cette  blancheur  a  telle  qualité,  c'est 
pour  cela  que  la  quantité  dans  l'abstrait  n'est  pas  définie  ,  mais  dé- 
crite par  le  concret.  Car  si  une  chose  se  dit  de  l'autre  et  réciproque- 
ment, il  y  aura  une  chose  mal  connue  comme  le  reste.  Telle  est  la 
description  de  la  qualité. 

CHAPITRE  II. 

De  la  première  espèce  de  qualité,  qui  est  l'habitude  et  la  disposition. 

Il  y  a  quatre  espèces  de  qualités  qui  sont  les  genres  subalternes. 
La  première  est  l'habitude  ou  la  disposition.  Sur  quoi  il  faut  savoir 
que  la  disposition  est  le  genre  par  rapport  à  l'habitude.  Car  toute 


habentemhumanitatem,  scilicet  hominem, 
in  quo  non  solum  est  humanitas,  sed  etiam 
multa  alia  entia ,  scilicet  albedo  et  hujus- 
raodi.  Eodem  modo  intelligit  albedinem 
abstrahendo  ab  babente  ipsam ,  quod  vo- 
camus  album.  Unde  licet  albedo  non  in- 
"veniatur  sine  subjecto ,  tamen  intellectus 
eam  intelligit  abstrahendo  a  subjecto ,  eo 
■videlicet  non  intellecto,  et  secundum  hoc 
magis  pertinet  ad  intellectum  accidens  in 
abstracto ,  quam  in  concreto.  Et  quia  co- 
gnitio  nostra  ortum  habet  a  sensu  ,  minus 
sensibilia  sunt  nobis  minus  nota  ;  abstracta 
autem ,  ut  dictuin  est ,  sunt  minus  sensi- 
bilia. Ergo  convenienter  notiticantur  per 
concreta,  sicut  per  prius  nota.  Bene  ergo 
data  fuit  notificatio  qualitatis,  qune  est  abs- 
tracta per  quale  quod  est  concretum ,  di- 
ceudo  :  Qualitas  est  secundum  quam  qua- 


les  dicimur.  Sciendum  est  quod  est  diffe- 
rentia  inter  quantitatem  et  alia  acciden- 
tia  ;  nam  in  ea  prœdicatur  concretum  de 
abstracto.  Dicimus  enim  :  Hœc  linea  est 
quanta  ,  quod  non  contingit  in  aliis  prae- 
dicamentis  accidentium.  Non  enim  potest 
dici,  quod  hœc  albedo  est  qualis  ,  et  inde 
est ,  quod  quantitas  in  abstracto  non  diffi- 
nitur  seu  describitur  per  concretum.  Si 
enim  unum  de  alio  preedicatur  conversim, 
ita  erit  maie  notum  unum,  sicut  reliquum, 
et  sic  patet  de  descriptione  qualitatis. 

CAPUT  II. 

De  prima  specie  qualitatis,  quœ  est  habitut 
et  disposilio. 

Sunt  autem  quatuor  species  qualitatis, 
quse  sunt  gênera  subalterna.  Prima  est  ha- 
bitus  seu  dispositio.  Ubi  sciendum  est  quod 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  165 

habitude  est  disposition ,  mais  toute  disposition  n'est  pas  habitude, 
parce  que  la  qualité  facilement  mobile  est  disposition ,  et  non  pour- 
tant habitude.  C'est  pourquoi  si  l'on  prend  la  disposition  pour  la  qua- 
lité qui  est  facilement  mobile ,  elle  est  alors  une  espèce  de  qualité 
condivise  avec  l'habitude.  Si,  au  contraire,  la  disposition  est  prise  en 
tant  qu'elle  se  dit  soit  de  la  qualité  facilement  mobile  ou  de  celle  qui 
est  difficilement  mobile  ,  alors  elle  est  genre  relativement  à  l'habi- 
tude et  à  la  disposition  qui  se  divise  avec  l'habitude.  Or,  l'habitude 
se  définit  ainsi ,  V  Métaph.  :  «  L'habitude  est  une  disposition  par  la- 
quelle on  est  disposé  bien  ou  mal,  soit  par  rapport  à  soi,  soit  par 
rapport  à  autre  chose.  »  Pour  comprendre  cette  définition ,  il  faut  sa- 
voir que  la  disposition  est  Tordre  d'une  chose  qui  a  des  parties 
non-seulement  quantitatives,  mais  encore  essentielles  ou  potentielles. 
C'est  pourquoi  l'ordre  de  ces  parties  entre  elles,  ou  relativement  à 
autre  chose,  s'appelle  disposition.  Plusieurs  choses  sont  requises  pour 
l'habitude,  soit  que  ce  soit  des  parties,  des  puissances  ou  des  actes  qui 
sont  respectivement  commensurables  de  diverses  manières ,  de  sorte 
qu'on  puisse  trouver  en  elles  un  certain  moyen  de  commensuration 
mitoyen,  et  un  tel  moyen  s'appelle  habitude.  Par  exemple,  la  santé 
est  la  mesure  des  humeurs  respectivement  et  diversement  commen- 
surables ,  lesquelles  néanmoins  sont  ramenées  à  la  santé  comme  à  un 
moyen  déterminé  de  commensuration,  et  c'est  pour  cela  que  la  santé 
est  une  habitude.  Car  comme  les  qualités  élémentatives  se  mesurent 
dans  les  éléments  suivant  un  seul  mode  et  non  suivant  plusieurs,  il 
n'y  a  pas  pour  cette  raison  en  eux  habitude.  C'est  donc  avec  raison 
que  l'on  dit  que  l'habitude  est  une  disposition  ou  un  ordre  des  parties 
diversement  commensurables  bien  ou  mal ,  c'est-à-dire  suivant  un 
mode  mitoyen  déterminé.  Mais,  comme  on  dit  par  rapport  à  soi  ou  à 


dispositif)  est  genus  ad  habitum.  Omnis 
enim  habitus  est  dispositio ,  non  tamen 
omnis  dispositio  est  habitus;  nam  qualitas 
facile  mobilis  est  dispositio,  non  tamen  est 
habitus.  Unde  si  sumatur  dispositio  pro 
qualitate,  quae  est  facile  mobilis ,  tune  est 
una  species  qualitatis  condivisa  habitui. 
Si  vero  sumatur  dispositio,  prout  dicitiir 
tam  de  qualitate  facile  mobili,  quam  de 
difficile  mobili,  tune  est  genus  ad  habitum 
et  dispositionem  ,  quae  habitui  condividi- 
tur.  Diffinitur  autem  habitus,  V.  Metaph., 
sic  :  «  Habitus  est  dispositio  qua  aliquis 
disponitur  bene  vel  maie ,  sive  secundum 
se,  sive  ad  aliud.  »  Ad  quam  difhnitionem 
intelligendam  sciendum  est,  quod  disposi- 
tio est  ordo  rei  habentis  partes  non  solum 
partes  quantitativas  ,  sed  etiam  essentiales 
vel  potentiales.  Unde  ordo  istarum  partium 
inter  se  vel  ad  aliquid  aliud,  dicitur  dispo- 


tio.  Ad  rationem  quidem  habitus  requi- 
ritur  plura  sive  sint  partes ,  sive  potentiae , 
vel  actus ,  quae  sunt  ad  invicem  commen- 
surabilia  diversis  modis,  ita  quod  in  eis 
possit  inveniri  aliquis  modus  médius  com- 
mensurationis  et  talis  modus  dicitur  ha- 
bitus. Verbi  gratia  :  Sanitas  est  débita 
commensuratio  humorum  diversimode  ad- 
invicem  commensurabilium ,  quae  tamen 
reducuntur  ad  sanitatem ,  sicut  ad  deter- 
minatum  modum  commensurationis  ,  et 
ideo  sanitas  est  habitus.  Nam  quia  quali- 
tates  elementales  in  ipsis  elementatis  se- 
cundum unum  modum  mensurantur,  et 
non  diversimode,  ideo  in  eis  non  est  ha- 
bitus. Bene  ergo  dicitur,  quod  habitus  est 
dispositio  seu  ordo  partium  diversimode 
commensurabilium  bene  vel  maie,  id  est, 
secundum  modum  médium  determinatum. 
Sed  quia  dicitur  sive  secundum  se ,  sive 


166  OPUSCULE   XL VII,    TRAITÉ   4,    CHAPITRE   3. 

quelque  autre  chose ,  il  faut  savoir  qu'il  y  a  une  double  habitude  ; 
l'une  ,  qui  est  la  disposition  de  la  chose  suivant  le  mode  et  la  nature 
de  la  chose  intrinsèquement,  suivant  que  les  parties  naturelles  se  me- 
surent respectivement  suivant  un  mode  mitoyen,  comme  on  l'a  dit  de 
la  santé,  qui  est  la  mesure  légitime  dans  quatre  humeurs.  De  même 
la  beauté  qui  est  la  légitime  commensuration  des  membres,  et  c'est  là 
ce  qui  est  appelé  dans  la  définition,  habitude  par  rapporta  soi.  Le  se- 
cond mode  d'habitude  est  la  disposition  de  la  chose  relativement  à  la 
fin  ;  et  comme  la  fin  des  puissances  se  trouve  être  les  opérations,  le 
mode  mitoyen  se  détermine  suivant  qu'elles  sont  bien  ou  mal  ordon- 
nées à  l'égard  de  leurs  opérations,  comme  sont  les  vertus  et  les  vices; 
et  c'est  pour  cela  que  dans  la  définition  de  l'habitude  on  dit ,  soit  par 
rapport  à  autre  chose ,  c'est-à-dire ,  la  fin ,  et  ces  habitudes  sont  diffi- 
cilement mobiles.  En  effet,  une  habitude  vertueuse  qui  se  contracte 
par  la  répétition  des  actes,  n'est  pas  pour  cette  raison  facilement  mo- 
bile, tandis  que  celui  qui  n'auroit  contracté  que  par  un  petit  nombre 
d'actes  un  commencement  de  disposition  ou  d'habitude  pour  la  vertu, 
seroit  dit  avoir  une  disposition  facilement  mobile  en  parlant  de  la  dis- 
position non  en  tant  qu'elle  est  genre  par  rapport  à  l'habitude ,  mais 
suivant  qu'elle  est  une  espèce  condivise  à  elle-même;  c'est  là  la  pre- 
mière espèce  de  la  qualité,  etc. 

CHAPITRE  III. 

De  la  seconde  espèce  de  la  qualité  qui  est  la  puissance  ou  l'impuissance 

naturelle. 

La  seconde  espèce  de  la  qualité  est  la  puissance  ou  l'impuissance 
naturelle  de  faire  ou  de  souffrir  facilement  quelque  chose.  Pour  con- 
cevoir cette  espèce  de  la  qualité ,  il  faut  savoir  que  la  puissance  peut 
se  prendre  de  deux  manières.  La  première  comme  étant  des  transcen- 


ad  aliquid  aliud ,  sciendum  quod  duplex 
habitus  invenitur.  Unus  dispositio  rei  se- 
«undum  modum  et  naturam  rei  intra, 
prout  partes  naturales  ad  invicem  secun- 
dum  unum  modum  médium  commensu- 
rantur,  ut  dictum  est  de  sanitate,  quae  est 
débita  commensura  in  quatuor  humorum. 
Similiter  pulchritudo,  quœ  est  débita  com- 
mensuratio  membrorum ,  et  hoc  quod  di- 
citur  in  diflinitione  habitus ,  scilicet  se- 
cundum  se.  Alius  modus  habitus  est,  qui 
est  dispositio  rei  in  ordine  ad  finem  ;  et 
quia  finis  potentiarum  sunt  operationes , 
médius  modus  determinatur  secundum 
quod  ad  suas  operationes  bene  vel  maie 
ordinantur,  sicut  sunt  virtutes  et  vitia,  et 
propter  hoc  in  diflinitione  habitus  dicitur 
sive  ad  aliud ,  scilicet  ad  finem ,  et  taies 


habitus  sunt  difficile  mobiles.  Quia  enim 
habitus  virtuosus  ex  multis  actibus  iteratis 
generatur ,  ideo  non  est  ita  de  facili  mo- 
bilis;  qui  vero  ex  paucis  actibus  inciperet 
vel  disponi  vel  habituari  ad  virtutem,  ille 
diceretur  habere  dispositionem  quae  facile» 
mobilis  est  loquendo  de  dispositione  ,  non 
prout  est  genus  ad  habitum ,  sed  ut  est 
species  sibi  condivisa ,  et  sic  patet  de  pri- 
ma specie  qualitatis,  etc. 

CAPUT  III. 

De  secunda  specie  qualitatis,  quœ  est  nalu- 
ralis  polenlia  vel  impolentia. 

Secunda  species  qualitatis  est  naturalis 
potentia  vel  impotentia  aliquid  facile  fa- 
ciendi  vel  patiendi.  Ad  intelligendum  au- 
tem    hanc  speciem  qualitatis ,  sciendum 


SUR   LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  167 

dants.  En  effet,  la  puissance  et  l'acte  se  partagent  tout  l'être  ,  comme 
on  le  voit,  V  de  la  Métaph.,  et  dans  le  genre  où  il  y  a  acte  il  y  a  aussi 
puissance.  Car  si  la  ligne  en  acte  est  dans  le  genre  de  la  quantité,  elle 
est  aussi  en  puissance  dans  ce  même  genre.  Ce  n'est  pas  de  cette  puis- 
sance que  nous  voulons  parler  pour  le  moment.  La  puissance  se  prend 
dans  un  autre  sens  suivant  qu'elle  est  le  principe  de  transmutation 
d'une  chose  comme  telle  ,  ou  le  principe  de  transmutation  d'un  état 
en  un  autre.  Il  faut  remarquer  que  de  même  qu'un  agent  artificiel  a 
besoin  d'un  instrument  pour  agir ,  et  ne  peut  à  raison  des  bornes  de 
sa  force  avoir  en  même  temps  ce  qui  en  lui  et  dans  l'instrument  est 
nécessaire  pour  agir,  ainsi  nulle  substance  créée  ne  peut  être  par  soi 
un  principe  suffisant  d'action  et  d'être;  c'est  pourquoi  il  faut  en  elle 
un  autre  principe  qui  ait  immédiatement  trait  à  l'opération,  et  c'est 
ce  principe  que  nous  appelons  puissance.  S'il  est  actif  comme  sont 
les  puissances  nutritives  dans  l'être  animé,  il  est  appelé  puissance  ac- 
tive, laquelle  est  le  principe  de  transmutation  d'une  chose  en  tant  que 
telle.  Et  je  dis  en  tant  que  telle ,  car  rien  ne  peut  être  en  même 
temps  actif  et  passif  à  l'égard  d'une  même  chose.  Si,  au  con- 
traire ,  ce  principe  est  passif ,  comme  sont  les  puissances  sensi- 
tives  dans  l'animal,  il  est  alors  le  principe  de  transmutation  d'une 
chose  en  tant  qu'elle  est  autre  chose;  à  cette  espèce  de  la  qualité 
appartiennent  le  dur,  le  mou,  l'athlète  ,  le  coureur  et  autres  choses 
semblables.  De  sorte  que  l'athlète  n'est  pas  pris  de  l'art  du  pu- 
gilat, parce  que  alors  il  seroit  dans  la  première  espèce  de  la  qualité, 
mais  bien  pour  la  puissance  naturelle  ;  telle  est  la  seconde  espèce  de 
la  qualité. 


quod  potentia  potest  sumi  dupliciter.  Uno 
modo,  ut  est  de  transcendentibus.  Potentia 
erùm  et  actus  dividunt  omne  ens,  ut  patet 
V.  Metaph.,  et  in  eo  génère  in  quo  est  ac- 
tus ,  est  etiam  potentia  ;  nam  si  linea  in 
actu  est  in  génère  quantitatis,  et  sic  linea 
in  potentia  est  in  eodem  génère  ;  de  tali 
autem  potentia  non  loquimur  modo.  Alio 
modo  sumitur  potentia  ,  prout  est  princi- 
pium  transmutandi  aliud  in  quantum 
aliud,  vel  quod  est  principiu m  transmu- 
tandi ab  alio  ,  in  quantum  cliud.  Notan- 
dum,  quod  sicut  agens  artificiale  requirit 
instrumentum  per  quod  agat ,  et  propter 
lirnitationem  suae  virtutis  non  potest  ha- 
bere  simul  illud  quod  est  in  ipso ,  et  in 
instrumento  necessarium  ad  agendum,  ita 
et  nulla  substantia  creata  potest  esse  per 
se  suiïiciens  principium  ad  agendum  et  es- 
sendum  :  unde  requiritur  aliud  principium 
in  ea,  quod  immédiate  se  habeat  ad  ope- 


rationem ,  et  hoc  principium  dicimus  po- 
tentiam  ;  quod  quidem  si  activum  est,  si- 
cut sunt  potentia?  nutritivse  in  animato  , 
dicitur  potentia  activa,  quee  est  princi- 
pium transmutandi  aliud,  in  quantum  est 
aliud  ;  et  dico,  in  quantum  aliud,  quia  ni- 
hil  simul  potest  esse  activum  et  passivum 
respectu  ejusdem.  Unde  si  potentia  activa 
est  principium  transmutandi ,  non  erit 
principium  transmutandi  se,  sed  aliud  in 
quantum  aliud.  Si  vero  taie  principium  sit 
passivum,  ut  sunt  potentiae  sensitivse  in 
animali,  tune  est  principium  transmutandi 
ab  alio  in  quantum  est  aliud ,  et  ad  hanc 
speciem  qualitatis  pertinet  durum  et  molle, 
pugillator  et  cursor,  et  hujusmodi.  Ita 
quod  non  sumitur  pugillator  ab  arte  pu- 
gillandi,  quia  sic  esset  in  prima  specie  qua- 
litatis, sed  pro  potentia  naturali ,  et  sic 
patet  de  secunda  specie  qualitatis. 


168 


OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ   4,    CHAPITRE   4. 


CHAPITRE  IV. 

De  la  troisième  espèce  de  la  qualité,  qui  est  la  passion  ou  la  qualité 

passible. 

La  troisième  espèce  Je  la  qualité  s'appelle  passion ,  ou  qualité  pas- 
sible. Il  faut  observer  que  la  passion  ,  étant  dans  le  mouvement,  est 
un  des  dix  prédicaments,  et  de  cette  manière  elle  n'est  pas  prise  pour 
une  passion,  mais  elle  est  appelée  passion  ou  qualité  passible,  parce 
qu'elle  est  occasionnée  par  quelque  passion  prise  dans  le  premier 
sens,  ou  parce  qu'elle  en  produit  quelqu'une.  Par  exemple,  lacbaleur 
et  le  froid  sont  appelés  des  qualités  passibles,  parce  qu'ils  produisent 
dans  le  sens  du  tact  une  certaine  passion.  Mais  la  blancheur  et  la 
noirceur  sont  appelées  qualités  passibles,  parce  qu'elles  sont  produites 
par  quelques  passions  accidentelles.  En  effet,  les  Ethiopiens  sont  noirs 
à  cause  de  l'intensité  de  la  chaleur  qui  agit  sur  leurs  corps,  et  les  Ger- 
mains sont  blancs  à  raison  du  froid,  quoiqu'on  puisse  appeler  qualités 
passibles  la  blancheur  et  la  noirceur,  parce  qu'elles  produisent  une 
passion  dans  le  sens  de  la  vue,  car  voir  c'est  supporter  quelque  chose. 
Sur  quoi  il  faut  observer  que ,  bien  que  certains  êtres  ne  soient  pas 
constitués  quant  à  l'espèce  par  quelque  chose  d'extrinsèque  ,  ce  n'est 
pas  de  leur  essence  et  ils  sont  distingués  par  eux-mêmes,  comme  on 
le  voit  dans  les  choses  simples.  La  blancheur,  en  effet,  se  distingue 
réellement  par  elle-même  de  la  noirceur  ou  de  toute  autre  partie  in- 
trinsèque à  elle-même ,  comme  l'homme  se  distingue  du  cheval  et 
réciproquement  parleurs  formes  ;  car  rien  d'extrinsèque,  qui  soit  un 
caractère  de  l'essence  de  la  chose,  ne  constitue  ou  ne  distingue  spéci- 
fiquement une  chose  d'une  autre.  Rien  néanmoins  n'empêche  que  quel- 
quefois certaines  choses  soient  distinguées  par  des  causes  extrinsè- 


GAPUT IV. 

De  tertia  specie  qualitatis  quœ  est  passio  vel 
passibilis  qualitas. 

Tertia  vero  species  qualitatis  dicitur 
passio  vel  passibilis  qualitas.  Notandum, 
quod  passio,  ut  est  in  motu ,  est  unum  de 
decem  prœdicamentis,  et  sic  non  sumitur 
hic  passio,  sed  dicitur  passio,  vel  passibilis 
qualitas,  quia  infertur  per  aliquam  passio- 
nem  primo  modo  sumptam ,  vel  quia  in- 
fert  aliquam  passionem.  Verbi  gratia  : 
Calor  et  frigus  dicuntur  passibiles  qualita- 
tes,  eo  quod  inferunt  sensui  tactus  ali- 
quam passionem;  sed  albedo  et  nigredo 
dicuntur  passibiles  qualitates ,  quia  gene- 
rantur  ex  aliquibus  passionibus  illatis. 
Propter  enim  magnum  sestum  agentem  in 


corpora  Jïthiopum ,  ^Ethiopes  sunt  nigri, 
Germani  sunt  albi  propter  frigus ,  licet 
etiam  albedo  et  nigredo  possint  dici  pas- 
sibiles qualitates,  eo  quod  inferunt  passio- 
nem sensui  visus  :  videre  enim  est  quod- 
dam  pati.  Ubi  nota ,  quod  bcet  quaedam 
entia  absoluta  non  hàbeant  speciem  ab  ali- 
quo  extrinseco ,  quod  non  est  de  essentia 
eorum,  et  quod  distinguantur  se  ipsis ,  ut 
patet  in  simplicibus.  (  Albedo  enim  se  ipsa 
distinguitur  realiter  a  nigredine,  vel  ab 
aliqua  parte  intrinseca  sui,  sicut  homo  dis- 
tinguitur ab  equo,  et  e  contrario  per  for- 
mas eorum.  Nihil  enim  extrinsecum  quod 
nota  est  de  essentia  rei,  constituit  vel  dis- 
tinguit  aliud  ab  alio  spécifiée)  tamen  nihil 
prohibet,  quin  aliquando  aliqua  distin- 
guantur causis  extrinsecis,  scilicet  finali  et 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.     #  169 

ques,  savoir  par  la  cause  finale  ou  efficiente.  Comme  nous  disons  que 
les  puissances  sont  distinguées  par  les  actes  comme  par  des  fins,  et 
les  actes  par  les  objets,  comme  par  les  causes  efficientes ,  et  quoique 
de  cette  manière  les  choses  extrinsèques  qui  opèrent  la  distinction  ne 
soient  pas  de  l'essence  des  choses  distinguées,  néanmoins  leur  raison 
spécifique  se  connoît  par  ces  distinctions.  En  effet,  la  puissance  est 
définie  par  les  actes ,  parce  qu'elle  est  un  principe  de  transmutation, 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  comme  par  la  manifestation  de  sa  raison  spécifi- 
que, et  les  actes  sont  définis  par  les  objets,  ainsi  que  nous  le  disons, 
parce  que  voir  c'est  avoir  la  vue  mue  par  la  couleur.  Il  en  est  ainsi 
dans  l'exemple  proposé.  Quoique ,  en  effet,  la  passion  et  la  qualité 
passible,  comme  formes  simples  ,  soient  par  elles-mêmes  dans  l'être 
spécifique,  certaines  néanmoins  sont  définies  par  les  actes  comme  par 
des  fins,  parce  qu'elles  doivent  produire  la  passion  dans  le  sens,  quel-* 
quefois,  il  est  vrai,  par  les  causes  efficientes,  parce  qu'elles  doivent 
être  produites  par  les  passions.  Or  la  passion  et  la  qualité  passible  dif- 
fèrent en  ce  que  la  passion  passe  vite  ;  comme  la  rougeur  produite  par 
la  pudeur,  et  la  pâleur  qui  provient  de  la  crainte  sont  appelées  pas- 
sions, parce  qu'elles  passent  vite  ;  on  n'appelle  pas  rouge  ou  pâle  dans 
la  langue  grecque  a  raison  de  cette  rougeur  ou  de  cette  pâleur,  quoi- 
que peut-être  il  n'en  soit  pas  ainsi  dans  la  nôtre,  mais  dans  le  moment 
présent  on  appelle  rouge  celui  qui  est  sous  l'impression  de  la  honte, 
et  pâle  celui  qui  éprouve  de  la  crainte  ;  et  comme  la  colère ,  l'amour, 
la  haine  et  autres  sentiments  semblables,  qu'Aristote  appelle  des  pas- 
sions, se  produisent  avec  quelque  passion  et  une  certaine  transmuta- 
tion du  corps  et  durent  peu ,  elles  sont  classées  dans  cette  catégorie 
de  passions.  On  appelle  ,  au  contraire ,  qualité  passible  celle  qui  ne 
passe  pas  rapidement,  comme  il  a  été  dit  du  froid  et  de  la  chaleur. 
Mais  si  la  colère,  l'amour,  la  haine  et  tout  ce  qu'Aristote  appelle  pas- 


efliciente.  Sicut  dicimus  quod  potentiae 
distinguuntur  per  actus  tanquam  per  fines 
et  actus  distinguuntur  per  objecta  tanquam 
per  causas  efficientes,  et  licet  hoc  modo  ex- 
trinseca  distinguentia  non  sint  de  essentia 
distinctorum,  tamen  per  taies  distmetiones 
cognoscitur  ratio  specifica  eorum  ;  per  ac- 
tus enim  diffinitur  potentia,  quia  est  prin- 
cipium  transmutandi,  ut  dictum  est,  sicut 
per  manifestationem  suse  rationis  specificae, 
et  per  objecta  diffiniuntur  actus,  sicut  di- 
cimus, quod  videre  est  visum  moveri  a  co- 
lore ;  sic  est  in  proposito.  Licet  enim 
passio  et  passibilis  qualitas,  ut  formae  sim- 
plices,  se  ipsis  sint  in  esse  specifico ,  tamen 
quaedam  diffiniuntur  per  actus  sicut  per 
fines,  quia  scilicet  habent  causare  passio- 
nem  in  sensu,  quandoque  vero  per  causas 


efficientes,  quia  scilicet  habent  causari  ex 
passionibus.  Differunt  autem  passio  et  pas- 
sibilis qualitas ,  quia  passio  cito  transit, 
sicut  rubedo,  quae  fit  ex  verecundia,  et 
palliditas,  quae  fit  ex  timoré,  dicuntur  pas- 
siones,  quia  cito  transe unt,  nec  per  talem 
rubedinem  vel  palliditatem  in  lingua  graeca 
denominantur  rubei  vel  pallidi,  licet  forte 
non  sic  in  lingua  nostra,  sed  pro  nunc  de- 
nominatur  verecundans  rubeus  et  timens 
pallidus,  et  quia  ita  amor,  et  odiura,  et 
hujusmodi,  quae  omnia  Philosophus,  II. 
Ethic,  passiones  vocat ,  fiunt  cum  aliqua 
passione  et  transmutatione  corporis  et  pa- 
rum  durant ,  sub  istis  passionibus  compu- 
tantur.  Passibilis  vero  qualitas  dicitur,  quae 
non  cito  transit ,  sicut  dictum  est  de  fri- 
gore  et  calore.  Si  vero  ira,  amor,  odium 


170  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    4,    CHAPITRE    5. 

sions  relativement  à  l'ame ,  duraient  longtemps  ,  on  les  nommerait 
qualités  passibles. 

CHAPITRE  Y. 

De  la  quatrième  espèce  de  la  qualité ,  qui  est  la  forme ,  ou  la  figure 
constante  dans  une  chose. 

La  quatrième  espèce  de  la  qualité  est  la  forme  ou  figure  constante 
d'une  chose.  Il  faut  savoir  que  la  forme  peut  se  prendre  de  deux  ma- 
nières. La  première  comme  un  acte,  et  ainsi  elle  appartient  aux 
transcendants,  parce  qu'elle  se  trouve  dans  plusieurs  prédicaments. 
La  forme  est  encore  des  transcendants,  parce  qu'elle  se  trouve  dans  le 
prédicament  de  la  substance,  de  la  quantité  et  de  la  qualité  et  autres, 
et  ce  n'est  pas  dans  ce  sens  qu'elle  se  prend  ici.  Pour  comprendre  ce 
qui  provient  ici  de  la  forme,  occupons-nous  d'abord  de  la  figure  qui 
nous  est  plus  connue.  Sur  ce  il  faut  savoir ,  qu'ainsi  qu'il  a  été  dit 
plus  haut,  le  propre  de  tout  le  prédicament  de  la  quantité  est  l'affir- 
mation de  l'égalité  ou  de  l'inégalité  à  son  égard.  D'où  elle-même 
*  d'abord ,  et  secondairement  toute  chose  est  affectée  de  grandeur.  La 
raison  de  cela  c'est  que  l'on  appelle  le  propre  d'une  chose  ce  qui  est 
produit  immédiatement  par  les  principes  de  son  essence;  mais  comme, 
en  supposant  deux  quantités  de  même  espèce ,  il  s'ensuit  immédiate- 
ment qu'elles  sont  éaales  ou  inégales,  cette  conséquence  se  manifeste 
comme  l'effet  immédiat  des  principes  essentiels.  Donc  l'égalité  ou 
l'inégalité  de  la  quantité,  à  quelque  degré  qu'elles  se  produisent  dans 
le  genre  de  la  relation,  sont  néanmoins  le  propre  de  la  quantité.  Il  en 
est  donc  ainsi  de  la  figure  par  rapport  à  la  quantité  continue  ayant 
une  position,  telles  que  la  ligne,  la  surface,  le  corps  et  le  lieu.  Car  il 
est  de  la  ligne  d'être  droite,  courbe;  de  la  surface  d'être  triangulaire, 
quadrangulaire ,  ainsi  de  suite;  du  corps  d'être  pyramidal,  cubique 


et  hœc  quee  hic  Philosophus  passiones  se- 
cundum  animam  vocat,  diu  durarent,  pas- 
sibiles  qualitates  dicerentur. 

CAPUT  V. 

De  quarla  specie  qualitatis ,  quœ  est  forma, 
vel   circa    aliquid    constans    figura. 

Quarta  vero  species  qualitatis  est  forma 
vel  circa  aliquid  constans  figura.  Sciendum 
quod  forma  potest  sumi  dupliciter.  Uno 
modo,  ut  est  actus  quidam  ,  et  sic  est  de 
transcendentibus  ,  quia  in  pluribus  praedi- 
camentis  invenitur  ;  ideo  etiam  forma  est 
de  transcendentibus  ,  quia  invenitur  in 
prœdicamento  substantiae ,  quantitatis  et 
qualitatis,  et  hujusmodi,  et  isto  modo  non 
sumitur  forma  hic.  Ad  videndum  quid  im- 
portatur  hic  per  formam,  primo  videamus 
de  figura,  qua:  est  nobis  magis  nota.  Unde 
sciendum,  quod  ut  supra  diclum  est,  pro- 


prium  totius  prajdicamenti  quantitatis  est 
secundum  eam  œquale  vel  inéequale  dici  : 
unde  ipsa  primo  vel  secundario  omnis  res 
quanta  est.  Ratio  est ,  quia  illud  dicitur 
esse  proprium  alicujas,  quod  immédiate 
causa  Sur  a  principiis  suse  essentise  ;  sed 
quia  positis  duabus  quantitabus  ejusdem 
speciei,  statim  sequitur,  quod  sunt  œquales 
vel  inœquales,  hoc  statim  sequitur  tan- 
quam  immédiate  causatum  ex  principiis 
essentialibus  ;  quantitatis  ergo  œquale  et 
inaequale  quantumcumque  sint  in  génère 
relationis,  tamen  sunt  proprium  quanti- 
tatis. Sic  ergo  se  habet  figura  respectu 
quantitatis  continuée  habentis  positionem , 
cujusmodi  sunt  linea ,  superficies ,  et  cor- 
pus, et  locus.  Nam  ad  lineam  sequitur 
rectum  vel  curvum.  Ad  superficiem  se- 
quitur triangulare  et  quadrangulare,  et  hu- 
jusmodi. Ad  corpus  sequitur  pyramidale, 


SUR  LA   LOGIQUE   d'àRISTOTE.  ,  171 

et  ainsi  de  suite;  pour  le  lieu  pris  matériellement,  sa  figure  change 
suivant  ce  qu'il  contient.  Or,  toutes  ces  choses  sont  des  figures  qui 
appartiennent  à  la  quatrième  espèce  de  la  qualité.  Car  la  figure  n'est 
pas  une  quantité,  mais  une  qualité  produite  immédiatement  par  les 
espèces  ci-dessus  de  la  quantité.  C'est  pour  cela  que  la  figure  nous 
fait  mieux  connoître  la  substance  tant  individuelle  que  spécifique, 
que  tout  autre  accident.  Or,  la  quantité  ,  quoique  le  fondement  des 
autres  accidents,  suit  néanmoins  la  matière,  et  comme  la  matière  par 
elle-même  n'est  pas  une  cause  de  cognition,  mais  bien  la  seule  forme, 
il  s'ensuit  que  la  quantité  ne  nous  fait  pas  bien  connoître  la  substance 
où  elle  se  trouve.  Mais  comme  la  figure  est  quelque  chose  de  formel, 
et  comme  la  forme  a  trait  d'une  manière  absolue  et  immédiate  à  la 
quantité  qui  ne  peut  être  complétée  par  elle-même  ,  ainsi  qu'il  a  été 
dit,  ce  qui  n'a  pas  lieu  pour  les  autres  espèces  de  la  quantité  ,  il  en 
résulte  que  la  figure  nous  fait  plus  parfaitement  connoître  la  sub- 
stance, comme  on  le  voit  clairement  dans  les  figures  sculptées  des 
hommes  et  des  animaux  ;  tel  est  ce  qui  concerne  la  figure  ;  pour  ce 
qui  est  de  la  forme  dans  le  sens  où  elle  est  prise  ici,  elle  diffère  de  la 
figure,  quoiqu'elles  appartiennent  l'une  et  l'autre  au  même  genre. 
Car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  la  figure  suit  la  quantité  continue 
ayant  une  position ,  tandis  que  la  forme  suit  l'ame  dans  certains  sa- 
cremens.  En  effet,  il  y  a  un  caractère  imprimé  dans  l'essence  de  l'ame 
par  la  réception  de  certains  sacrements,  lequel  sert  à  distinguer  ceux 
qui  ont  reçu  et  ceux  qui  n'ont  pas  reçu  ce  sacrement;  ainsi  la  forme 
qui  est  dans  la  quatrième  espèce  de  la  qualité,  ne  pourroit  pas  être 
appelée  figure,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  quantité  continue.  Il  en  est 
néanmoins  qui  disent  que  toute  figure  peut  être  appelée  forme,  et  que 
ces  deux  choses  sont  comme  synonymes. 


cubicum  et  hujusmodi.  Ad  locum  materia- 
liter  sumptum  sequitur  variatio  figurae  se- 
cundurn  variationem  contenti  ;  omnia  au- 
tem  praedicta  figurae  sunt ,  quae  sunt  in 
quarta  specie  qualitatis.  Non  enim  figura 
est  quantitas,  sed  qualitas  immédiate  cau- 
sata  a  preedictis  speciebus  quantitatis  ;  et 
inde  est  quod  figura  magis  ducit  nos  in 
cognitionem  substantiae  tam  individualis 
quam  specificae,  quam  aliquod  aliud  acci- 
dens.  Quantitas  autem  licet  sit  fundamen- 
tum  aliorum  accidentium,  tamen  sequitur 
materiam,  et  quia  materia  de  se  non  est 
causa  cognitionis ,  sed  sola  forma  ;  ideo 
quantitas  non  bene  'ducit  nos  in  cognitio- 
nem substantiae  in  qua  est.  Sed  quia  figura 
est  tanquam  quid  formale  ,  et  forma  ab- 
solute  se  habet  immédiate  ad  quantitatem, 
a  qua  non  potest  absolvi  quantitas,  ut  dic- 
tum  est,  quod  non  est  sic  de  aliis  speciebus 


quantitatis  ;  ideo  figura  perfectius  ducit  in 
cognitionem  substantiae ,  ut  clare  patet  de 
figuris  animalium  vel  hominum  sculptis, 
et  sic  patet  de  figura-  forma  autem,  ut  hic 
sumitur,  differt  a  figura,  licet  ad  idem 
genus  reducantur.  Figura  enim,  ut  dictum 
est ,  sequitur  quantitatem  continuam  ha- 
bentem  positionem ,  forma  vero  sequitur 
animam  habentem  aliqua  sacramenta. 
Character  enim  impressus  est  in  essentia 
animae  ex  receptione  aliquorum  sacramen- 
torum,  quod  est  signum  distinctionum  in- 
ter  habentes  illud  sacramentum  et  non 
habentes;  sic  forma  quae  est  in  quarta 
specie  qualitatis ,  non  posset  dici  figura , 
quia  ibi  non  est  quantitas  continua.  Licet 
aliqui  dicant,  quod  omnis  figura  etiam 
forma  dici  possit ,  et  quod  sint  sicut  syno- 
nyma. 


172 


OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    4,    CHAPITRE    6. 


CHAPITRE  VI. 

De  la  qualité  et  de  ses  conditions  d'après  ses  trois  modes. 

Quel  vient  de  qualité.  Pour  comprendre  ceci  il  faut  savoir  que  dans 
tous  les  prédicaments  il  y  a  deux  modes  d'intellection  et  de  significa- 
tion ,  l'un  abstrait  et  l'autre  concret.  Car  tout  ce  que  nous  concevons 
ou  connoissons  ut  quo  est,  est  habitude ,  ou,  ut  quod  est ,  est  l'être 
qui  en  est  revêtu.  En  effet,  l'humanité  se  comprend  comme  une  chose 
par  quoi  est  quelque  chose,  c'est  par  l'humanité  que  l'homme  est 
homme.  Il  en  est  de  même  de  la  blancheur;  en  effet,  c'est  par  la 
blancheur  qu'une  chose  est  blanche ,  et  l'homme  et  la  blancheur  se 
conçoivent  ut  quod  est,  et  comme  ayant  l'humanité  et  comme  ayant  la 
blancheur.  Le  quale  s'explique  ainsi  :  le  quale  est  ce  qui  est  dénommé 
suivant  la  qualité.  Il  faut  savoir  que  logiquement  blanc  est  dénommé 
par  la  blancheur,  mais  non  vice  versa,  car  les  choses  vraiment  déno- 
minatives doivent  avoir  trois  propriétés ,  la  première  c'est  de  s'ac- 
corder dans  les  termes  avec  la  chose  qui  les  dénomme ,  comme  dans 
le  principe,  la  seconde  de  différer  dans  la  fin,  la  troisième  de  signifier 
la  même  chose ,  l'une  cependant  ut  quo  aliquid  est ,  l'autre  ut  quod 
est,  et  comme  possédant,  ainsi  qu'il  y  a  lieu  pour  la  blancheur.  En 
effet,  blancheur  et  blanc  s'accordent  dans  le  principe  quant  au  terme, 
et  diffèrent  à  la  fin ,  et  signifient  la  même  chose ,  quoique  de  diffé- 
rentes manières.  Il  faut  savoir  que  certaines  choses  qualia  possèdent 
parfaitement  ces  trois  propriétés ,  comme  blanc ,  et  d'autres  qui  dif- 
fèrent des  choses  qui  les  dénomment  dans  la  signification ,  comme 
coureur,  athlète,  en  tant  qu'elles  sont  dans  la  seconde  espèce  de  la 
qualité.  En  effet,  le  coureur  et  l'athlète  sont  dénommés  par  la  course 
et  le  pugilat  et  non  par  la  puissance,  car  une  telle  puissance  n'a  pas 


CAPUT  VI. 

De  qualitale  et   conditionibus  ejusdem    ex 
tribus  modis  ejus. 

Quale  autem  sumitur  a  qualitate.  Ad 
quod  intelligendum  scieudum  est,  quod 
omnium  praedicamentorum  duplex  est 
modus  intelligendi  vel  siguificandi ,  scilicet 
abstractus  et  concretus.  Omne  euim  quod 
intelligimus  vel  cognoscimus ,  ut  quo  est, 
est  habitum  ;  vel  ut  quod  est ,  est  habens. 
Humanitas  enim  intelligitur  ut  quo  est  ali- 
quid; humanitate  enim  homo  est  homo. 
Similiter  se  habet  de  albedine  ;  albedine 
enim  aliquid  est  album  ,  homo  vero ,  et 
album  intelligitur  ut  quod  est ,  et  ut  ha- 
bens humanitatem  et  ut  habens  albediuem. 
De  scribitur  autem  quale  sic.  Quale  est, 
quod  secundum  qualîtatem  denominatur. 


Sciendum  enim  logicum  album  denomi- 
natur ab  albedine  et  non  e  converso  ;  nam 
vere  denominativa  tria  debent  habere. 
Primo,  quod  conveniant  in  voce  cum  eo  a 
quo  denominantur ,  scilicet  in  principio. 
Secundo  ,  quod  différant  in  fine.  Tertio , 
quod  idem  significent,  unum  tamen  ut  quo 
aliquid  est  et  alterum  ut  quod  est  et  ut 
habens,  sicut  se  habet  de  albedine  et  albo. 
Conveniunt  enim  albedo  et  album  in  prin- 
cipio quantum  ad  vocem  ,  et  differunt  in 
fine  vociSj  et  significant  idem ,  licet  diver- 
sis  modis.  Sciendum ,  quod  qusedam  sunt 
qualia  quse  omnia  ista  tria  perfecte  habent, 
ut  album  ;  quœdam  vero  sunt  qualia  quae 
differunt  ab  his,  a  quibus  denominantur  in 
significatione ,  sicut  cursor  et  pugilator, 
prout  sunt  in  secunda  specie  qualitatis. 
Cursor   enim  et  pugilator  denominantur 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  173 

de  nom,  ou  ils  sont  dénommés  par  la  course  et  le  combat  qui  ne  sont 
pas  dans  la  seconde  espèce  de  la  qualité,  c'est  pour  cela  qu'ils  ne  s'ac- 
cordent pas  dans  la  signification  avec  les  choses  qui  servent  à  les  dé- 
nommer. Il  est  d'autres  qualia  qui  sont  appelés  dénominatifs,  lesquels 
ne  s'accordent  avec  les  choses  qui  les  dénomment,  ni  dans  le  terme, 
ni  dans  le  principe ,  ni  dans  la  fin,  ni  dans  la  signification ,  comme 
quand  on  dit  studieux  à  raison  de  la  vertu.  Ainsi  ces  deux  derniers 
modes  du  qualis  sont  appelés  diminutifs,  parce  qu'ils  ne  se  disent  pas 
dénominativement  d'une  manière  parfaite  ;  voilà  ce  qui  regarde  la 
qualité. 

CHAPITRE  VII. 

Des  communautés  et  des  propriétés  de  la  qualité. 

Il  y  a  contrariété  dans  la  qualité,  mais  non  dans  toute.  Nous  avons 
dit  dans  le  prédicament  de  la  substance  comment  il  faut  entendre 
ceci.  Or,  Aristote  dit  que  l'on  doute  si  la  qualité  prend  le  plus  et  le 
moins,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  du  qualis,  car  on  doute  si  la 
justice  est  quelque  chose  de  plus  ou  de  moins ,  mais  on  n'a  pas  ce 
doute  sur  le  juste,  qui  est  appelé  justior  ou  plus  juste.  Nous  avons 
dit  au  même  endroit  comment  il  faut  l'entendre.  Le  propre  de  la  qua- 
lité consiste  à  être  dit  par  rapport  à  elle  semblable  ou  dissemblable, 
ce  que  nous  avons  expliqué  dans  le  prédicament  de  la  quantité,  etc. 


ab  arte  currendi  et  pugilandi ,  et  non  a  po- 
tentia,  quia  non  est  nonien  impositum  tali 
potentiœ.  Vel  dicuntur  denominative  a 
cursu  et  pugna  ,  quse  non  sunt  in  secunda 
specie  qualitatis,  et  ideo  non  conveniunt 
in  signiflcatione  cum  his  a  quibus  deno- 
minantur.  Aliqua  vero  qualia  dicuntur  de- 
nominativa,  quœ  cura  his  a  quibus  deno- 
minantur  ,  nullo  modo  conveniunt  nec  in 
voce,  nec  in  principio,  nec  in  fine,  nec  in 
signiflcatione ,  ut  a  -virtute  dicitur  studio- 
sus.  Et  sic  praedicti  duo  ultimi  modi  qua- 
lis, diminute  dicuntur ,  quia  non  dicuntur 
perfecte  denominative ,  et  sic  patet  de 
quautate. 


CAPUT  VII. 

De  comunilalibus  el  proprielalibus  qua- 
litatif. 

Inest  autem  qualitati  contrarietas ,  licet 
non  omni,  quod  qualiter  intelligatur,  dic- 
tum  est  in  prsedicamento  substantiae.  Dicit 
autem  Philosophus,  quod  dubitatur,  utrum 
qualitas  suscipiat  magis,  et  minus,  non  au- 
tem dubitatur  de  quali,  nam  dubitatur 
utrum  justitia  sit  magis,  vel  minus,  non 
autem  utrum  justus ,  quia  dicitur  justior, 
seu  magis  justus,  quod  qualiter  intelligatur, 
ibidem  dictum  est.  Proprium  vero  quali- 
tatisest  secundum  eam  simile,  veldissimile 
dici,  quod  in  prœdicamento  quantitatis  de- 
claratum  est,  et  sic  patet,  etc. 


174  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRR    1. 

TRAITÉ  V. 

DU    PRÉDICAMENT    AD   ALIQUID. 

CHAPITRE   PREMIER. 
Ce  qu'est  ad  aliquid,  suivant  V intention  logique. 

Après  avoir  traité  des  prédicaments  absolus,  il  faut  parler  des  pré- 
dicaments  relatifs ,  et  d'abord  de  la  relation.  Il  faut  observer  que, 
comme  la  relation  a  peu  de  chose  de  l'entité,  Aristote  ne  s'en  occupe 
pas,  mais  seulement  des  relatifs  qui,  à  raison  de  leur  concrétion,  sont 
susceptibles  d'être  mieux  connus  de  nous,  car  il  les  appelle  relatifs  à 
quelque  chose  et  les  définit  ainsi  :  Ad  aliquid  talia  dicuntur,  quœ- 
cumque  hoc  ipswn  quod  sunt ,  aliorum  dicuntur,  vel  quomodoiïbet 
aliter  ad  aliud.  Pour  comprendre  cette  définition  il  faut  savoir  qu'il 
y  a  certaines  choses  relatives  suivant  l'attribution  ,  d'autres  suivant 
l'être;  d'autres  sont  relatives  réellement ,  d'autres  suivant  la  raison. 
On  appelle  relative  suivant  l'attribution  les  choses  qui  disent  de  l'objet 
principal  qu'elles  signifient  ce  qui  concerne  un  autre  prédicament,  et 
secondairement  la  relation  ou  le  rapport.  Comme  la  science  dit  l'ha- 
bitude de  l'ame  du  principal  sujet  qu'elle  désigne ,  et  elle  se  trouve 
ainsi  dans  la  première  espèce  de  la  qualité;  secondairement,  elle  dit 
le  rapport  à  ce  qui  est  susceptible  d'être  appris,  et  les  sens  relative- 
ment au  sensible,  c'est  une  certaine  puissance  dans  la  seconde  espèce 
de  la  qualité  ,  tels  sont  les  relatifs  suivant  la  signification.  Les  relatifs 
suivant  l'être  sont  ceux  qui  à  l'égard  de  l'objet  principal  qu'elles  dé- 
signent signifient  le  rapport  à  un  autre.  Les  relatifs  réels  sont  ceux 
qui  doivent  réellement  être  rapportés  par  tout  acte  circonscrit  de 


TRACTATIS  Y. 

DE    PR.EDICAMENTO    AD   ALIQUID. 


CAPUT  I. 

Quid  sit  ad  aliquid  secundum  intentionem 
logicam. 

Dicto  de  praedicamentis  absolutis,  dicen- 
dum  est  de  respectivis.  Et  primo  de  rela- 
tioDe.  Notandum,  quod  quia  relatio  parum 
habet  de  entitate,  ideo  de  ipsa  non  tractât 
Philosophus,  sed  solura  de  relativis,  quae 
propter  concretionem  magis  a  nobis  pos- 
sunt  cognosci ,  vocat  enim  relativa  ad  ali- 
quid, et  diffînit  ea  sic.  Ad  aliquid  talia  di- 
cuntur, quaeeumque  hoc  ipsum  quod  sunt, 
aliorum  dicuntur,  -vel  quomodolibet  aliter 
ad  aliud.  Ad  intelligentiam  hujusdilîinitionis 
sciendum,  quod  qusedam  sunt  relativa  secun- 


dum dici,  quœdam secundum  esse,  quœdam 
sunt  relativa  realia,  quœdam  veru  secun- 
dum rationem.  Relativa  secundum  dici  ea 
dicuntur,  quae  de  suo  principali  siguificato 
dicunt  rem  alterius  prœdicamenti ,  secun- 
dario  autem  dicunt  relationem,  seu  dicunt 
respectum,  sicut  scientia  de  suo  principali 
signato  dicit  habitum  animœ,  et  sic  est  in 
prima  specie  qualitatis ,  secundario  autem 
dicit  respectum  ad  scibile,  et  sensus  ad 
sensibile,  quae  est  quœdam  potentia  in  se- 
cunda  specie  qualitatis ,  et  talia  sunt  rela- 
tiva secundum  dici.  Relati va  vero  secundum 
esse  sunt  qu;e  de  suo  principali  siguificato 
significant  respectum  ad  alium.  Relativa 
realia  sunt,  quae  habent  referri  realiter  cir- 


SUR  LA   LOGIQUE   d'ARISTOTE.  175 

l'intelligence,  comme  le  père,  le  fils.  En  effet,  le  père  est  rapporté  au 
fils,  et  le  fils  au  père  par  tout  acte  circonscrit  de  l'intelligence  ,  parce 
que  le  père  a  réellement  engendré  le  fils ,  et  le  fils  a  réellement  été 
engendré  par  le  père.  Il  faut  observer  que,  pour  que  la  relation  soit 
réelle,  cinq  choses  sont  requises,  deux  du  côté  du  sujet,  deux  du  côté 
du  terme,  et  une  du  côté  des  choses  qui  sont  l'objet  de  la  relation.  Et 
d'abord  du  côté  du  sujet,  il  faut  que  la  relation  suppose  quelque  fon- 
dement réel  en  ce  qui  lui  appartient  comme  sujet.  Ainsi  le  non-être 
ne  peut  pas  avoir  de  relation  réelle.  La  seconde  chose  du  côté  du  sujet, 
c'est  qu'il  y  ait  en  lui  une  raison  fondamentale ,  cause  et  motif  de  la 
relation,  de  sorte  que  l'objet  de  la  relation  renferme  quelque  chose 
de  réel,  comme  le  moteur  dans  ce  qu'il  fait  mouvoir  renferme  une 
puissance  active  en  vertu  de  laquelle  il  peut  agir.  D'où  il  suit  qu'à 
raison  du  défaut  de  cette  condition  la  chose  comprise  n'est  pas  rap- 
portée réellement  à  celui  qui  comprend,  parce  que  la  chose  comprise 
en  ce  qui  le  concerne  est  dénommée  par  l'acte  de  l'intellection  qui  ne 
met  réellement  rien  dans  la  chose  comprise,  mais  bien  dans  celui  qui 
comprend.  La  troisième  chose  requise,  la  première  du  côté  du  terme, 
c'est  que  le  terme  qui  est  l'objet  de  la  relation  soit  une  chose  quelcon- 
que. La  quatrième,  c'est  que  le  terme  soit  réellement  différent  d'un 
autre  corrélatif,  car  il  n'y  a  pas  de  relation  réelle  d'une  chose  à'  elle- 
même.  La  cinquième ,  qui  regarde  les  corrélatifs  ,  c'est  qu'ils  soient 
du  même  ordre,  c'est-à-dire  qu'ils  soient  tous  deux  limités  au  genr^ 
et  à  l'espèce,  ou  qu'ils  soient  l'un  et  l'autre  hors  du  genre,  de  sorte  que 
la  raison  du  genre  et  de  l'espèce  réponde  également  à  tous  deux. 
Quelle  que  soit  celle  de  ces  conditions  qui  manque  dans  tout  relatif, 
il  n'y  aura  pas  de  relatif  réel ,  mais  seulement  un  relatif  de  raison. 
C'est  pourquoi  il  n'y  a  pas  de  relation  réelle  de  Dieu  à  la  créature, 


cumscripto  omni  actu  intellectus,  ut  pater, 
et  filius.  Circumscripto  enim  omni  actu  in- 
tellectus, pater  refertur  ad  filium,  et  filius 
ad  patrem,  quia  realiter  pater  genuit  filium, 
et  filius  a  pâtre  fuit  genitus.  Notandum, 
quod  ad  hoc  ut  relatio  sit  realis,  quinque 
requiruntur,  duo  ex  parte  suhjecti,  duo  ex 
parte  termini,  et  unum  ex  parte  relatorum. 
Primum  ex  parte  subjecti  est,  quod  relatio 
supponat  aliquod  fundamentum  reale  in 
eo  ,  cujus  est  ut  subjecti ,  unde  non  entis 
non  potest  esse  relatio  realis.  Secundum  ex 
parte  subjecti  est,  quod  in  eo  sit  ratio  fun- 
damentalis  quare  referatur,  ut  videlicet 
illud  secundi  quod  dicitur  referri ,  inclu- 
dat  aliquod  reale,  sicut  movens  in  eo  quod 
movet,  includit  potentiam  activam  secun- 
dum quam  potest  agere,  unde  propter  de- 
fectum  hujus  conditionis  res  intellecta  non 


refertur  realiter  ad  intelligentem,  quia  res 
intellecta  in  eo,  quod  hujus ,  denominatur 
ab  açtu  intelligendi ,  qui  nihil  secundum 
rem  ponit  in  re  intellecta,  sed  solum  in  in- 
telligente. Tertium  quod  requiritur,  est 
primum  ex  parte  termini,  est,  quod  termi- 
nus ad  quem  est  relatio;  sit  res  qu*edam. 
Quartum  est,  quod  terminus  sit  diversus 
realiter  ab  alio  correlativo,  quia  ejusdem 
ad  se  ipsum  non  est  relatio  realis.  Quintum 
autem,  quod  ratio  ex  parte  correlativorum 
est,  quod  sint  ejusdem  ordinis,  ita  videlicet 
quod  ambo  sint  limitata  ad  genus,  et  spe- 
ciem,  vel  ambo  sint  extra  genus,  ita  quod 
ex  œquo  respondeat  eis  ratio  generis  ,  aut 
speciei.  Quacunque  autem  harum  conditio- 
num  non  existente  in  quocunque  relativo, 
non  erit  relativum  reale,  sed  secundum 
rationem,  unde  Dei  ad  creaturam  non  est 


176  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    2. 

parce  que  tout  ce  qui  est  en  Dieu  n'est  pas  dans  le  genre  de  relation. 
D'où  il  résulte  que,  bien  que  Dieu  soit  réellement  le  maître  de  toutes 
les  créatures,  et  les  créatures  ses  sujettes,  néanmoins  le  maître  n'est 
pas  en  Dieu  un  relatif  réel ,  parce  que  ce  domaine  n'est  pas  dans  le 
genre  de  la  relation  ex  œquo  comme  l'espèce  opposée  correspondante 
à  la  servitude  de  la  créature.  Il  a  été  traité  fort  au  long  des  autres 
quatre  conditions.  Il  faut  remarquer  que  le  domaine  du  côté  de  Dieu 
est  quelque  chose  d'infini,  à  quoi  ne  peut  pas  correspondre  d'une  ma- 
nière adéquate  la  servitude  de  la  créature  qui  est  bornée.  Or,  l'infini 
ne  correspond  pas  au  fini,  parce  qu'il  est  plus  étendu.  Donc  le  do- 
maine de  Dieu  est  une  relation  de  raison ,  tandis  que  la  servitude  de 
la  créature  est  bien  une  relation  réelle;  ainsi  s'explique  ce  qui  re- 
garde les  corrélatifs  mentionnés  plus  haut.  En  effet,  la  formule  ren- 
ferme tous  les  relatifs,  tant  les  relatifs  suivant  l'attribution  ,  que  les 
relatifs  suivant  l'être,  les  relatifs  réels  comme  les  relatifs  de  raison. 
Car  ils  sont  tous  dits  ad  alia ,  c'est-à-dire  aux  corrélatifs ,  soit  dans 
l'habitude  du  cas  appelé  génitif,  comme  le  père  est  père  du  fils,  soit 
de  toute  autre  manière,  c'est-à-dire  dans  l'habitude  de  toute  espèce 
de  cas,  comme  le  semblable  est  semblable  au  semblable,  soit  du  géni- 
tif, comme  une  grande  montagne  relativement  à  une  petite  ,  soit  de 
l'ablatif ,  comme  le  supérieur  est  plus  grand  que  le  supérieur.  Telle 
est  la  première  définition. 

CHAPITRE  II. 

De  la  seconde  définition  des  relatifs  qui  convient  aux  relatifs  suivant 
l'être,  et  aux  relatifs  réels. 

Voici  secondement  la  définition  de  ad  aliquid.  On  appelle  ad  ali- 
quid  les  choses  dont  l'être  est  de  se  rapporter  en  quelque  manière  à 
une  autre  chose.  Cette  définition  ne  convient  qu'aux  relatifs  suivant 


relatio  realis,  quia  quicquid  est  in  Deo,  non 
est  in  génère  relationis.  Unde  licet  Dens 
realiter  sit  dominus  creaturae;  et  creatura 
realiter  serva,  tamen  dominus  non  est  in 
Deo  relativum  reale,  quia  illud  dominium 
non  *st  in  génère  relationis  ex  œquo  ut 
opposita  species  servituti  creaturae  corres- 
pondons. De  aliis  quatuor  conditionibus 
jam  examplificatum  est.  Notandum ,  quod 
dominium  ex  parte  Dei  est  quid  infmitum, 
cui  non  adaequatur  ut  possit  correspondere 
servitus  craturae ,  quœ  est  Imita,  infmitum 
autem  non  correspondet  finito  ,  quia  plus 
habet.  Dominium  ergo  Dei  est  relatio  ra- 
tionis,  servitus  vero  creaturae  est  relatio 
realis ,  ex  his  patet  descriptio  relativorum 
supra  posita.  Nam  ipsa  comprehendit  om- 
nia  relativa  tam  secundum  dici   quam  se- 


cundum  esse,  tam  relativa  realia,  quam  re- 
lativa rationis.  Omnia  namque  dicuntur  ad 
alia,  scilicet  ad  correlativa ,  vel  in  habitu- 
dine  casus  genitivi ,  propter  quod  dicit , 
aliorum  dicuntur,  ut  pater  filii  pater,  sive 
quomodolibet  aliter,  id  est ,  in  habitudine 
cujuscunque  casus,  sive  dicti,  ut  similis  si- 
mili similis ,  sive  accusativi ,  ut  mons  ma- 
gnusad  parvum  montem,  sive  ablativi,  ut 
majus  majore  majus,  et  sic  patet  prima 
diffinitio. 

GAPUT  II. 
De   secunda    diffinilione  relativorum ,   quœ 

convenil  relalivis  secundum  esse  ,  et  rea- 

libus. 

Diflinitur  secundo.  Ad  aliquid  sic.  Ad 
aliquid  sunt,  quibus  hoc  ipsum  est  esse,  ad 
aliud  quodammodo  se  hahere,  hœc  diiïini- 


SUR  LA  LOGIQUE   d'àRISTOTE.  177 

l'être,  et  aux  relatifs  réels.  Car  leur  être  consiste  à  se  rapporter  à  une 
autre  chose.  Il  faut  remarquer  que  pour  constituer  une  relation  deux 
choses  sont  requises,  l'une  comme  fondement,  l'autre  comme  terme, 
sans  lesquelles  la  relation  non-seulement  ne  pourroitpas  exister,  mais 
ne  pourroit  pas  même  être  conçue.  Par  exemple  :  La  similitude  de- 
mande deux  objets  blancs  réels ,  dont  l'un  est  fondement  et  l'autre 
terme.  En  effet,  la  ressemblance  de  Socrate  blanc  avec  Platon  blanc 
est  dans  la.blancheur  de  Socrate  en  fondement,  et  comme  en  terme 
dans  la  blancheur  de  Platon.  Il  en  est  réciproquement  de  même  de  la 
ressemblance  de  Platon  avec  Socrate ,  car  dans  deux  choses  sem- 
blables il  y  a  deux  ressemblances,  l'une  comme  le  fondement  de 
l'autre,  et  comme  terme  de  l'autre,  il  en  est  ainsi  réciproquement  de 
la  seconde.  Or,  quand  je  dis  que  la  ressemblance  de  Socrate  a  sa  blan- 
cheur comme  fondement,  il  ne  faut  pas  entendre  que  la  ressemblance 
de  Socrate  soit  en  lui  quelque  chose  de  différent  de  la  blancheur  elle- 
même  ;  ce  n'est  que  la  blancheur  en  tant  qu'elle  se  rapporte  à  la  blan- 
cheur de  Platon  comme  au  terme.  Si,  en  effet,  la  similitude  ajoutoit 
quelque  chose  à  la  blancheur  de  Socrate,  personne  ne  pourroit  res- 
sembler à  un  autre  sans  subir  un  changement  dans  sa  personne;  or 
on  peut  ressembler  à  un  autre  sans  subir  aucun  changement,  la  chose 
est  évidente,  car  si  un  Indien  devenoit  blanc,  il  deviendroit  semblable 
à  moi,  et  moi  à  lui,  sans  éprouver  aucun  changement.  En  effet,  la 
similitude  n'ajoute  en  moi  à  la  blancheur  rien  qui  y  soit  réellement, 
comme  on  le  voit  évidemment. 


tio  eonvenit  solum  relativis  secundum  esse, 
et  realihus,  eorum  namque  esse  est  ad  aliud 
se  habere.  Notandum,  quod  ad  constitutio- 
nem  relationis  duo  requiruntur.  Unum  ut 
fundamentum,  aliud  ut  terminus,  sive  qui- 
bus  relatio  non  solum  non  posset  esse,  sed 
etiam  non  posset  intelligi.  Verbi  gratia. 
Similitudo  requirit  duo  alba  realia,  quo- 
rum unum  est  fundamentum,  alterum  ter- 
minus. Similitudo  enim  Sortis  albi  ad  Pla- 
tonem  album,  in  albedine  Sortis  est  ut  in 
fudamento,  in  albedine  vero  Platonis  est  ut 
in  termino.  E  conversose  habet  de  similitu- 
dine  Platonis  ad  Sortem,  semper  enim  in 
duobus  similibus  sunt  duœ  similitudines. 
Una  uuius  ut  fundamentum,  et  alterius  ut 


terminus,  et  alia  est  e  converso  :  cum  autem 
dico,  quod  similitudo  Sortis  habet  albedi- 
nem  ejus  ut  fundamentum,  non  est  intel- 
ligendum,  quod  similitudo  Sortis  sit  aliqua 
res  in  Sorte  alia  ab  ipsa  albedine,  sed  so- 
lum est  ipsa  albedo,  ut  se  habet  ad  albe- 
dinem  Platonis  ut  ad  terminum.  Si  enim 
similitudo  adderet  supra  albedinem  Sortis 
aliquam  rem,  nullo  modo  posset  aliquis 
alicui  tieri  similis  sine  sui  mutatione;  fit 
autem  homo  similis  alicui  sine  sui  muta- 
tione, ut  patet  ;  nam  si  quis  in  India  iieret 
modo  albus,  fieret  similis  mihi,  çt  ego  sibi, 
nulla  in  me  facta  mutatione.  Similitudo 
enim  in  me  nullam  rem  addit  supra  albe- 
dinem, qua)  realiter  sit  in  me,  ut  patet. 


12 


178 


OPUSCULE    XL  VU,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    3. 


CHAPITRE  III. 

Que  la  relation  ne  diffère  de  son  fondement  que  par  la  réalité 
extrinsèque. 

Il  ge  produit  ici  un  cloute.  En  effet,  les  dix  prédicaments  étant  dix 
genres  de  choses  réellement  différents  entre  eux,  si  la  relation  n'a- 
joute rien  au  fondement,  il  s'ensuivra  qu'elle  n'est  pas  différente  du 
fondement,  et  de  cette  manière  la  similitude  et  la  blancheur  ne  seront 
pas  dans  un  fondement  différent,  ce  qui  est  complètement  faux.  Il 
faut  dire  que  la  division  de  l'être  en  dix  prédicaments  est  une  division 
en  dix  choses  différentes  réellement,  ou  quant  à  ce  qu'ils  signifient 
différentes  choses  intrinsèqument  et  réellement,  comme  la  substance, 
la  quantité,  la  qualité  qui  se  comparent  entre  elles  comme  choses  dif- 
férentes, ou  quant  à  ce  qu'ils  signifient  diverses  choses  extrinsèque- 
ment,  parce  que  l'un  importe  une  chose  différente  qui  est  étrangère 
au  reste ,  et  ainsi  la  relation  diffère  de  son  fondement  parce  qu'elle 
importe  une  opposition  de  relatif.  En  effet,  de  même  que  nous  disons 
que  le  tout  est  différent  de  sa  partie,  non  pas  comme  une  chose  d'une 
autre,  mais  comme  quelque  chose  qui  importe  plus  que  la  partie,  car 
l'homme  diffère  de  l'ame,  parce  qu'il  importe  la  matière ,  ce  que  ne 
fait  pas  l'ame,  ainsi  la  relation  diffère  de  son  fondement,  parcequ'elle 
signifie  une  chose  de  fondement ,  et  un  terme  opposé  que  n'exprime 
pas  le  fondement.  Tel  est  l'exposé  de  la  seconde  définition  des  relatifs. 
Si,  en  effet,  le  véritable  être  des  relatifs  consiste  en  cela  qu'ils  im- 
portent quelque  chose  comme  fondement  et  quelque  chose  de  plus, 
savoir  un  terme  ,  il  s'ensuit  que  leur  être  consiste  dans  des  rapports 
ad  aliud. 


caput  m. 

Quod  relatio  differt  a  suo  fundamenlo  rea- 
litate  extrinseca  solum. 

Sed  hic  oritur  dubium.  Cum  enim  de- 
cem  prœdicamenta  sint  decem  gênera  re- 
rum  inter  se  realiter  differentia,  si  relatio 
nullam  rem  addit  supra  fundamentum, 
ergo  non  erit  alia  res  a  fundamento,  et  sic 
non  erit  in  alio  génère  similitude,  quam 
albedo  quod,  omnino  falsum  est.  Dicendum, 
quod  divisio  entis  in  decem  prœdicamenta 
est  divisio  in  decem  diversa  secundum  rem, 
vel  quantum  ad  hoc,  quod  dicunt  diversas 
res  intrinsece,  et  realiter,  sicut  substantia, 
quantitas,et  qualitas,  quœ  comparata  ad  in- 
vicern,  sicut  diversœ  res;  vel  in  quantum 
dicunt  diversas  res  extrinsece,  quia  unum 


importât  aliquam  rem  diversam,  quam  non 
importât  reliquum,  et  sic  relatio  differt  a 
suo  fundamento,  quia  importât  oppositum 
relativi.  Sicut  enim  dicimus,  quod  totum 
differt  a  sua  parte,  non  sicut  res  a  re,  sed 
sicut  illud  quod  importât  plus  quam  pars 
(homo  enim  differt  ab  anima,  quia  impor- 
tât materiam,  quam  non  importât  anima), 
sic  relatio  differt  a  suo  fundamento ,  quia 
relatio  dicit  rem  fundamenti ,  et  opposi- 
tum terminum  quam  non  dicit  fundamen- 
tum. Ex  his  patet  secunda  diffinitio  relati- 
vorum.  Si  enim  verum  esse  relativorum 
in  hoc  consistit,  scilicet  quod  importât  ali- 
quid  ut  fundamentum,  et  aliquid  ultra, 
scilicet  terminum,  esse  ergo  eorum  est  ad 
aliud  se  habere. 


SUR  LA   LOGIQUE   D  ÀRISTOTE. 


179 


CHAPITRE  IY. 

Que  l'entité  des  relatifs  se  tire  des  fondements. 

Et  comme  l'entité  des  relatifs  vient  en  quelque  sorte  toute  des  fon- 
dements, il  faut  donc  examiner  en  quoi  la  relation  peut  se  fonder.  Il 
faut  observer ,  ainsi  qu'on  le  dit  communément,  que  les  relatifs  se 
fondent  sur  trois  choses,  savoir,  l'action  et  la  passion,  la  mesure  et 
l'objet  mesuré,  et  l'unité  ;  rien  néanmoins  n'empêche  que  la  relation 
ne  puisse  se  fonder  immédiatement  sur  la  substance,  puisque  la  ma- 
tière selon  son  essence  et  non  pas  quelque  chose  qui  lui  soit  ajouté  se 
rapporte  à  la  forme,  et  de  même  la  créature  au  Créateur;  mais  com- 
munément la  relation  est  fondée  sur  les  trois  choses  que  nous  venons 
de  dire.  En  effet ,  le  fondement  de  la  paternité  est  une  action,  c'est-à- 
dire  la  génération  par  laquelle  un  homme  engendre  un  fils;  et  le 
fondement  de  la  filiation  est  une  passion  ou  une  génération  passive, 
par  laquelle  un  être  est  engendré.  Il  en  est  de  même  du  maître  et  du 
serviteur.  D'autre  part  le  double,  la  moitié ,  le  triple ,  le  quadruple, 
ainsi  de  suite  sont  fondés  sur  la  mesure  et  sur  l'objet  mesuré.  Il  en 
est  de  même  de  la  relation  qui  existe  entre  le  sens  et  le  sensible ,  la 
science  et  son  objet,  laquelle  est  fondée  sur  la  mesure  et  l'objet  me- 
suré. En  effet,  l'objet  de  la  science  se  rapporte  à  la  science,  ce  qui 
est  sensible  au  sens  comme  la  mesure  à  l'objet  mesuré.  Dans  la  sub- 
stance c'est  sur  l'unité  qu'est  fondée  l'identité  ,  de  même  que  l'égalité 
dans  la  quantité,  et  la  similitude  dans  la  qualité,  ainsi  qu'il  a  été  dit, 
c'est  pourquoi  on  peut  établir  diverses  espèces  de  relatifs  suivant  ces 
divers  fondements.  On  peut  aussi  assigner  différemment  leurs  espèces, 
sur  la  position,  par  exemple,  comme  le  père  et  le  maître,  sur  la  sup- 
position, comme  le  fils  et  le  serviteur,  sur  l'équivalant,  comme  égal 
et  semblable,  etc. 


CAPUT IV. 

Quod  enlitas  relativorum  sumilur  a  funda- 
mentis. 

Et  quia  entitas  relativorum  quasi  tota 
est  a  fundamentis,  ideo  videndum  est  in 
quibus  possit  relatio  fundari.  Notandum 
quod  ut  communiter  dicitur,  relativa  fun- 
dantur  in  tribus,  scilicet  in  actione  et  pas- 
sione,  in  mensura  et  mensurato,  et  in  uno, 
nihil  tamen  obstat  quin  relatio  non  possit 
fundari  immédiate  in  substantia,  cum  ma- 
teria  secundum  suam  essentiam  non  per 
aliquid  sibi  additum  referatur  ad  formam, 
et  creatura  similiter  ad  creatorem ,  sed 
communiter  relatio  in  tribus  praedictis  fun- 
datur.  Fundamentum  enim  paternitatis  est 
actio ,  scilicet  generatio  qua  quis  genuit 
iîlium,  et  fundamentum  filiationis  est  pas- 


sio,  scilicet  generatio  passiva,  qua  quis  ge- 
nitus  est,  et  similiter  se  habet  de  domino, 
et  servo.  Duplum  vero  ,  et  dimidium,  et 
triplum,  et  subtriplum,  et  hujusmodi  fun- 
dantur  in  mensura,  et  mensurato,  similiter 
et  relatio  quae  est  inter  sensum  et  sensi- 
bile,  et  scientiam ,  et  scibile,  fundatur  su- 
per mensura ,  et  mensurato.  Scibile  enim 
ad  scientiam  ,  et  sensibile  ad  sensum ,  se 
habent  ut  mensura  et  mensuratum.  In  uno 
vero  in  substantia ,  fundatur  identitas ,  in 
uno  in  quantitate,  «qualitas,  in  uno  in  qua- 
litate,  similitude  ut  supra  dictum  est. 
Unde  secundum  illa  diversa  fundamenta 
possnnt  sumi  divers*  species  relativorum, 
possunt  et  assignari  aliter  eorum  species, 
scilicet  super  positionem  ut  pater  et  do- 
minus;  suppositionem,  ut  filius  etservus,et 
sequiparantiam,  ut  œqualis,  et  similis,  etc. 


180 


OPUSCULE   XL VII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    5. 


CHAPITRE  Y. 

Des  communautés  et  des  propriétés  des  relatifs. 

Pour  ce  qui  est  des  relatifs  qui  reçoivent  le  plus  et  le  moins  et  la 
contrariété ,  et  ceux  qui  ne  reçoivent  rien  de  tout  cela  ,  il  faut  savoir 
que  les  relatifs  reçoivent  le  plus  et  le  moins  et  la  contrariété  quand 
leurs  fondements  et  leurs  termes  le  reçoivent ,  et  que  ceux  dont  les 
fondements  et  les  termes  ne  reçoivent  rien  de  cela,  n'en  reçoivent  pas 
non  plus.  Il  faut  observer  que  certains  relatifs  qui  sont  fondés  sur 
l'unité  reçoivent  le  plus  et  le  moins,  comme  plus  inégal,  ainsi  qu'il  a 
été  dit ,  à  quelque  degré  que  leurs  fondements  se  refusent  à  le  rece- 
voir, et  ils  sont  ainsi  fondés  sur  l'unité  quant  à  l'espèce ,  et  cela  s'a- 
joutant  avec  la  privation  de  plus  grand  ou  de  plus  petit,  et  cette  pri- 
vation ne  consistant  pas  dans  le  divisible  et  pouvant  recevoir  intention 
ou  rémission ,  il  s'ensuit  que  égal  reçoit  plus  ou  moins  et  ainsi  des 
autres.  Tous  les  relatifs  se  disent  en  conversion,  comme  le  père  père 
du  fils,  le  fils  fils  du  père,  et  cela  convient  à  tous  les  relatifs,  et  il 
n'est  pas  nécessaire  que  la  conversion  se  fasse  toujours  dans  tous  les 
cas  semblables.  En  effet,  la  science  est  dite  scibilis  scientia,  et  scibile 
scientia  scibile,  et  non  scientiœ.  Pour  cette  conversion ,  il  faut  qu'elle 
se  fasse  ad  aliud  et  suivant  le  nom  à  raison  duquel  elle  est  dite  ad 
aliud,  car  la  tête  ne  se  dit  pas  par  conversion  par  rapport  à  l'animal. 
En  effet ,  si  la  tête  de  l'animal  est  dite  tête,  l'animal  ne  peut  pas  néan- 
moins être  dit  l'animal  de  la  tête,  parce  que  la  tête  ne  se  rapporte  pas 
à  l'animal  suivant  le  nom  qui  est  animal,  mais  suivant  un  autre  qui 
est  muni  de  tète.  C'est  pourquoi  on  dit  pour  la  conversion,  caput  ca- 


caput  v. 

De  communitatibus  et  proprielatibus  relali- 
vorum. 

Quse  autem  relativa  suscipiunt  magis,  et 
minus,  et  contrarietatem,  et  quae  non, 
sciendum  quod  cum  relativa  quorum  fun- 
damenta ,  et  termini  suscipiunt  magis,,  et 
minus,  et  contrarietatem,  ipsa  etiam  susci- 
piunt magis,  et  minus,  et  contrarietatem, 
quorum  vero  fundamenta,  et  termini  non 
suscipiunt  magis,  et  minus,  nec  contrarie- 
tatem, nec  et  ipsa  suscipiunt.  Notandum, 
quod  queedam  relativa,  quœ  fundantur  in 
uno,  quantumcumque  non  suscipiant  ipso- 
rum  fundamenta  magis ,  nec  minus ,  ipsa 
tamen  suscipiunt  magis,  vel  minus,  ut  inae- 
qualior ,  ut  dictum  est ,  et  ita  fundantur 
in  uno  secundum  speciem,  et  cum  hoc  ad- 
datur  cum  privatione  majoris,  ut  minoris, 
et  quia  talis  privatio  non  consistit  in  divi- 


sibili,  sed  potest  intendi  et  remitti,  inde  est 
quod  aequale  suscipit  magis ,  et  minus ,  et 
sic  de  aliis.  Dicuntur  autem  omnia  relativa 
ad  convertentiam ,  ut  pater  filii  pater,  et 
fdius  patris  filius,  et  hoc  convenit  omnibus 
relativis ,  nec  oportet ,  quod  convertentia 
fiât  semper  in  omnibus  casibus  similibus. 
Dicitur  enim  scientia  scibilis  seientia ,  et 
scibile  scientia  scibile,  et  non  dicitur  scien- 
tiee.  Ad  hoc  autem  quod  talis  convertentia 
liât,  oportet  quod  fiât  ad  aliud ,  et  secun- 
dum id  nomen ,  secundum  quod  ad  aliud 
dicitur,  non  enim  dicitur  secundum  con- 
vertentiam caput  ad  animal.  Sic  enim  dici- 
tur caput  aniinalis  caput ,  non  tamen  po- 
test dici  animal  capitis  animal ,  quia  non 
refertur  caput  ad  animal ,  secundum  hoc 
nomen  quod  est  animal,  secundum  aliud 
nomen,  scilicet  capitatum.  Unde  hœc  di- 
cuntur ad  convertentiam ,  caput  capitati 
caput ,  et  capitatum  capite  capitatum  ,  et 


SUR  LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  181 

pitati  caput,  etcapitatum  capite  capitatum.  Aussi  quand  on  ne  trouve 
pas  de  terme  semblable  ,  il  est  permis  de  le  forger ,  comme  remus  ne 
se  dit  pas  navis  remus ,  hé  bien  inventons  un  mot  et  nous  dirons 
remus  rei  remitœ  remus,  et  c'est  ainsi  que  se  traitent  tous  les  relatifs 
pour  la  conversion.  Or  tous  les  relatifs  sont  vrais  de  leur  nature  ;  en 
effet,  si  l'être  du  relatif  est  de  se  rapporter  ad  aliud,  comme  il  a  été 
dit,  en  établissant  un  relatif  on  établit  immédiatement  son  corrélatif, 
et  par  conséquent  posita  se  ponunt,  et  perempta  se  perimunt.  Le 
propre  des  relatifs  est  qu'en  connoissant  définitivement  une  chose,  on 
sache  définitivement  le  reste.  Car  si  la  définition  est  un  discours  ex- 
pliquant ce  qu'est  l'être  de  la  chose,  et  il  faut  nécessairement  un  cor- 
rélatif à  l'être  d'un  relatif,  celui  qui  connoît  l'être  d'un  relatif,  doit 
nécessairement  connoître  l'être  de  son  corrélatif.  Tel  est  le  prédica- 
ment  ad  aliquid. 

CHAPITRE  VI. 

Des  six  autnes  prédicaments  et  de  leur  prédication  en  commun. 

Nous  allons  nous  occuper  maintenant  des  six  autres  prédicaments 
qui  sont  appelés  principes.  Il  est  à  remarquer  que  comme  les  prédica- 
ments sont  les  ordonnances  des  prédicables,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  ils 
sont  conséquemment  connus  par  la  prédication  ou  dénomination;  or, 
une  chose  peut  se  dire  d'une  autre  de  deux  manières  dénominative- 
ment,  ou  la  dénommer.  La  première  manière, c'est  que  cette  prédica- 
tion ou  dénomination  se  fasse  par  quelque  chose  qui  soit  intrinsèque 
à  ce  qui  est  l'objet  de  cette  prédication  ou  dénomination,  c'est-à-dire 
qui  le  complète  soit  par  identité ,  soit  par  inhérence ,  et  cela  encore 
arrive  de  deux  façons.  Premièrement ,  lorsque  cette  dénomination  se 
fait  d'une  manière  absolue  et  en  elle-même ,  et  c'est  ainsi  que  dé- 


ideo  si  aliquando  taie  nomen  non  invenitur, 
licet  illud  fingere ,  ut  remus  non  dicitur 
navis  remus,  sed  fingamus  nomen,  et  dica- 
mus  remus  rei  remit*  remus,  et  sic  om- 
nia  relativa  dicentur  ad  couver tentiam. 
Sunt  autem  omnia  vera  relativa  simul  na- 
tura  ,  si  enim  esse  relativi  est  ad  aliud 
se  habere,  ut  dictum  est,  posito  uno  rela- 
tivo,  statim  ponitur  suum  correlativum , 
et  ideo  posita  se  ponunt ,  et  perempta  se 
perimunt.  Proprium  autem  relativorum 
est,  ut  qui  diffiniti  novit  unum,  diflinite 
noscat  et  reliquum.  Si  enim  difïinitio  est 
oratio  quid  est  esse  rei  significans,  ad  esse 
autem  unius  relativi  requiritur  necessario 
correlativum,  qui  ergo  cognoscit  esse  unius 
relativi,  oportet  quod  cognoscat  esse  sui 
correlativi ,  et  sic  patet  de  praedicamento 
ad  aliquid,  etc. 


CAPUT  VI. 

De  sex  prwdicamentis,et  eorum  prœdicalione 
in  communi. 

Nunc  dicendum  est  de  aliis  sex  prœdica- 
mentis,  quae  sex  principia  dicuntur.  No- 
tandum,  quod  quia  prœdicamenta  sunt  or- 
dinationes  prœdicabilium,  ut  supra  dictum 
est,  ideo  per  prsedicari ,  seu  denominare 
cognoscuntur,  dupliciter  autem  potest  ali- 
quid de  alio  prœdicari  denominative ,  sive 
illud  denominare.  Uno  modo,  quod  talis 
praedicatio,  seu  denominatio  fiât  ab  aliquo 
quod  sit  intrinsecum  et  de  quo  fit  talis 
praedicatio,  seu  denominatio,  quod  videli- 
cet  ipsum  perficiat  sive  per  identitatem, 
sive  per  inhœrentiam ,  et  hoc  adhuc  con- 
tingit  dupliciter.  Uno  modo,  quod  talis  de 
nominatio  fiât  absolute,  et  in  se,  et  sic  de 


182  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    6. 

nomment  les  trois  prédicaments  absolus,  savoir,  la  substance,  la 
quantité  et  la  qualité.  C'est  pourquoi  nous  disons  Socrate  est  une  sub- 
stance par  identité ,  ou  il  est  quantus  et  qualis  par  inhérence  ;  secon- 
dement ,  quand  cette  dénomination  est  ab  intrinseco,  en  important 
néanmoins  quelque  chose  d'extrinsèque  ,  comme  le  terme  auquel  se 
rapporte  ce  qui  est  dénommé,  c'est  de  cette  manière  que  dénomme  la 
relation  ;  comme  lorsque  nous  disons  Socrate  est  égal  ou  semblable  à 
Platon.  La  seconde  manière,  lorsque  la  dénomination  se  fait  ab  ex- 
trinseco,  c'est-à-dire  par  ce  qui  n'est  pas  dans  le  dénommé  formel, 
mais  qui  est  quelque  chose  d'absolu  extrinsèque  par  quoi  la  dénomi- 
nation se  fait;  comme  lorsqu'on  dit  Socrate  est  agent,  cette  dénomi- 
nation vient  de  la  forme  fluente  qui  est  acquise  dans  l'être  passif;  car 
la  chaleur  produite  dans  l'être  passif  a  l'effet  de  dénommer  quelque 
chose  de  chaud,  laquelle  dénomination  est  extrinsèque,  ne  demande 
rien  autre  chose  pour  en  être  dénommée  que  le  sujet  lui-même  en  qui 
elle  existe.  Mais  pour  la  dénomination  de  telle  chose,.comme  celui  qui 
se  chauffe,  une  autre  chose  est  requise  du  sujet  de  toute  nécessité, 
savoir  la  cause  effective  de  la  chaleur,  parce  qu'il  faut  aussi  l'être 
passif  en  qui  se  fait  réchauffement.  Il  en  est  aussi  de  même  du  lieu 
qui  est  une  superficie,  une  superficie  en  effet  pour  dénommer  ce  dont 
elle  est  la  superficie  ne  demande  que  le  sujet  en  qui  elle  existe , 
savoir  un  corps  contenant,  mais  pour  dénommer  quelque  chose, 
comme  le  heu  locaîum,  elle  demande  autre  chose  différent  du  sujet 
de  la  surface.  C'est  de  cette  manière  que  dénomment  les  six  prédica- 
ments dont  nous  nous  occupons,  et  ces  prédicaments  qui  dénomment 
d'une  dénomination  extrinsèque  importent  une  réalité  différente  de 
la  chose  dénommée,  que  n'importent  pas  les  autres  prédicaments  qui 
dénomment  extrinsèquement,  quoique  les  choses  d'où  se  tire  cette 


nommant  tria  praedicamenta  absoluta,  sci- 
licet  substantia,  quantitas  et  qualitas.  Unde 
dicimus  Sortes  est  substantia  per  identita- 
tem,  vel  est  quantus ,  et  qualis  per  inhae- 
rentiam.  Alio  modo,  quod  talis  denomina- 
tio  sit  ab  intrinseco,  importando  tamen 
aliquid  extrinsecum  ut  terminum,  ad  quem 
se  habet  illud  quod  denominatur ,  et  ,isto 
modo  dénommât  relatio,  ut  cum  dicimus: 
Sortes  est  aequalis,  vel  similis  Platoni.  Se- 
cundo modo  fit  denominatio  ab  extrinseco, 
scilicet  ab  eo  quod  non  est  in  denominato 
formali,  sed  est  aliquod  absolutum  extrin- 
secum ,  a  quo  fit  talis  denominatio ,  ut 
cum  dicitur ,  Sortes  est  agens ,  talis  deno- 
minatio est  ab  ipsa  forma  fluente,  quae  in 
passo  acquiritur,  calor  namque  causatus  in 
passo  ad  hoc,  quod  denominet  aliquid  cali- 
dum,  quae  denominatio  est  intrinseca,  nihil 
aliud  requirit  ut  sic  denominetur  per  ipsum, 


nisi  subjectum  in  quo  est.  Sed  ad  hoc  ut 
denominetur  taie  aliquid,  puta  calefaciens, 
de  necessitate  requirit  aliarn  rem  a  sub- 
jecto,  scilicet  causam  effectivam  caloiis, 
quia  requirit  passum  in  quo  est  talis  cale- 
factio.  Similiter  est  etiam  de  loco  qui  est 
superficies  quaedam;  superficies  enim  ad 
hoc  ut  denominet  illud  cujus  est  superfi- 
cies, non  requirit  nisi  subjectum  in  quo  est, 
scilicet  corpus  continens,  sed  ad  hoc  ut  de- 
nominet aliquid ,  sicut  loeus  locatum,  re- 
quirit aliud  a  subjecto  superficiel.  Et  isto 
modo  denominant  illa  sex  praedicamenta , 
et  talia  sic  denominantia  denominatione 
extrinseca  important  aliam  realitatem, 
quam  rem  denominatam,  quam  non  impor- 
tant alia  praedicamenta  quœ  extrinsece  de- 
nominant, licet  ipsee  res  a  quibus  accipitur 
talis  denominatio  sint  eaedem ,  et  talis  di- 
versitas  sulïicit  ad  distinguendum  praedica- 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  183 

dénomination  soient  les  mêmes ,  et  cette  différence  suffit  pour  dis- 
tinguer les  prédicaments  ;  c'est  aussi  de  cette  manière  que  ces  six 
prédicaments  sont  distingués  des  quatre  premiers,  c'est-à-dire  par 
les  choses  extrinsèques  qu'ils  dénomment,  ce  que  ne  font  pas  les 
quatre  premiers.  Or,  il  faut  savoir  que  la  dénomination  ab  extrinseco, 
demande  quelque  rapport  par  soi  entre  l'extrinsèque  dénommant  et 
l'être  dénommé  par  lui ,  parce  qu'il  est  nécessaire  que  par  soi  et  par 
la  condition  des  choses,  ce  mode  de  dénomination  atteigne  les  choses, 
c'est  pour  cela  qu'il  faut  que  ce  qui  opère  cette  dénomination  soit 
par  soi  le  fondement  de  quelque  habitude.  Et  comme  l'habitude  des 
choses  n'est  point  par  soi  le  fondement  d'une  habitude,  autrement  on 
iroit  jusqu'à  l'infini,  aussi  cette  dénomination  ne  se  fait  point  par  le 
rapport.  Car  avoir  quelque  chose  de  produit  par  soi  qui  appartient  à 
l'action,  signifie  un  certain  rapport,  et  avoir  un  lieu,  et  ainsi  de  suite. 
Cependant  ces  prédicaments  ne  disent  pas  ces  rapports,  parce  que  ce 
rapport  appartient  au  genre  de  la  relation.  Mais  les  prédicaments  sus- 
dits ne  disent  que  l'absolu,  comme  ce  qui  dénomme  extrinsèquement. 
En  effet,  réchauffement  qui  est  une  action  dit  la  chaleur,  qui  est  la 
forme  absolue  et  dénomme  la  cause  efficiente',  savoir  celui  qui  se 
chauffe  et  ainsi  de  suite.  Il  en  est  qui  sont  d'un  autre  avis.  Car,  suivant 
eux,  le  rapport  est  des  transcendants,  et  tout  rapport  n'est  pas  dans  le 
genre  de  la  relation,  mais  le  rapport  se  dit  de  sept  prédicaments,  sa- 
voir de  la  relation  et  des  six  principes.  C'est  là  la  différence  qui  existe 
entre  le  rapport  qui  est  dans  les  relatifs  et  celui  qui  est  dans  les  six 
principes.  Car  dans  les  relatifs  tout  rapport  exige  en  même  temps 
dans  le  terme  ad  quem  un  autre  rapport  qui  lui  corresponde,  je  dis 
dans  les  vrais  relatifs,  tandis  que  dans  les  six  principes  le  rapport  ne 
demande  pas  dans  le  terme  ad  quem  un  rapport  quelconque  qui  lui 


menta,  et  isto  modo  ista  sex  praedicamenta 
a  primis  quatuor  distinguuntur ,  scilicet 
per  res  extrinsecas,  quas  dénommant,  quod 
non  faciunt  illa  quatuor.  Sciendum  est 
autem,  quod  denominatio  ab  extrinseco 
requirit  aliquem  per  se  respectum  mter  ex- 
trinsecHm  denominans ,  et  denominatum 
ab  eo,  quia  oportet  quod  per  se  et  ex  con- 
ditione  rerum  talis  modus  denominandi 
consequatur  res,  et  ideo  oportet,  quod  illud 
a  quo  fit  talis  denominatio,  sit  fundarnen- 
tum  per  se  alicujus  habitudinis,  et  quia  ha- 
bitudo  rerum  non  est  per  se  fundamentum 
habitudinis,  alioquin  iretur  in  infinitum, 
ideo  talis  denominatio  non  fit  a  respectu. 
Habere  enim  aliquid  a  se  productum,  quod 
pertinet  ad  actionem ,  dicit  quemdam  res- 
pectum ,  et  habere  locum ,  et  sic  de  aliis. 
Ista  tamen  praedicamenta  non  dicunt  hos 
respectus,  quia  iste  respectus  pertinet  ad 


genus  relationis,sedpraedicta  praedicamenta 
solum  dicunt  absolutum ,  ut  denominans 
extrincese.  Calefactio  enim  quae  est  actio, 
dicit  calorem  qui  est  forma  absoluta,  et 
denominat  causam  efficientem  scilicet  ca- 
lefacientem,  et  sic  de  aliis.  Alii  vero  aliter 
dicunt.  Secundum  enim  eos  respectus  est 
de  transcendentibus,  et  non  omnis  respec- 
tus est  in  génère  relatioins,  sed  dicitur  res- 
pectus de  septem  praedicamentis  scilicet  de 
relatione,  et  de  sex  principiis.  Haec  est  au- 
tem differentia  inter  respectum  qui  est  in 
relativis,  et  in  sex  principiis.  Nam  in  rela- 
tivis  omnis  respectus  coexigit  in  termino 
ad  quem  alium  respectum  sibi  correspon- 
dentem ,  et  dico  in  veris  relativis,  sed  in 
sex  principiis  respectus  non  requirit  in  ter- 
mino ad  quem  aliquem  respectum  sibi 
correspondentem.  Actio  enim  prout  est 
unum  de  sex  principiis,  dicit  respectum 


184  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    7. 

corresponde.  En  effet,  l'action,  comme  un  des  six  principes,  dit  le 
rapport  dans  le  mouvement  relativement  à  l'agent.  C'est  pourquoi  ce 
qui  s'effectue  entre  l'agent  et  le  patient ,  c'est-à-dire  le  mouvement 
s'appelle  raison  à  l'égard  de  l'agent,  et  passion  à  l'égard  du  patient; 
néanmoins  ce  n'est  ni  dans  l'agent  ni  dans  le  patient  un  rapport  au 
mouvement  susdit ,  quoique  ce  soit  un  rapport  de  l'agent  au  patient, 
et  réciproquement,  ces  rapports  ne  sont  pas  action  et  passion ,  mais 
bien  deux  relations,  c'est-à-dire  deux  passifs  et  actifs.  Il  en  est  de 
même  dans  le  rapport  du  temps  à  la  chose  temporelle,  et  ainsi  de  suite. 

CHAPITRE  VII. 

Ce  que  c'est  que  l'action  suivant  la  raison  prédicamentale  dans  les  deux 

opinions. 

L'action  est  la  forme  suivant  laquelle  nous  sommes  dits  agir  dans 
ce  qui  nous  est  soumis.  Pour  comprendre  cela  il  faut  savoir  qu'il  y  a 
deux  actions.  L'une  qui  est  appelée  action  immanente,  comme  être 
chaud.  L'autre  qui  est  appelée  transitoire,  comme  échauffer.  L'action 
immanente  n'est  pas  la  cause  effective  d'une  chose  qui  la  mette  en 
acte,  mais  c'est  la  même  chose  qu'être  en  acte.  En  effet,  être  chaud 
c'est  la  même  chose  qu'être  dans  l'acte  de  la  chaleur ,  et  en  vertu  de 
cette  action  il  est  dit  que  l'on  fait  quelque  chose  qui  est  formellement 
tel ,  comme  la  chaleur  fait  ou  rend  formellement  chaud  ce  en  quoi 
elle  se  trouve.  Car  être  chaud  se  compare  à  la  chaleur  comme  l'acte 
second  au  premier.  Il  est  bon  de  remarquer  que  l'on  peut  prendre  de 
trois  manières  l'acte  second  et  l'acte  premier.  La  première  manière 
c'est  que  l'acte  premier  est  une  forme  quelconque  et  l'acte  second 
l'action  transitoire  qui  en  diffère  réellement ,  dans  le  même  rapport 
que  la  chaleur  du  feu  et  réchauffement  qu'elle  produit  ;  et  dans  ce 
sens  être  chaud  n'est  pas  l'acte  second  de  la  chaleur.  Dans  le  second 


in  motu  ad  agens.  Unde  illud  quod  fit  inter 
agens  ,  et  patiens ,  scilicet  motus  respectu 
agentis  dicitur  ratio,  respectu  vero  patien- 
tis  dicitur  passio,tamen  nec  in  agente,  nec 
in  patiente  est  respectus  ad  motum  prae- 
dictum ,  licet  sit  respectus  agentis  ad  pa- 
tiens, et  e  converso,  qui  respectus  non  sunt 
actio,  et  p&ssio,  sed  duse  relationes  scilicet 
activi,  et  passivi.  Similiter  etiam  quando 
dicit  respectum  temporis  ad  rem  tempora- 
lem,  et  sic  de  aliis,  ut  patet. 

CAPUT  VII. 

Quid  sit  actio secundum  rationem  prœdica- 
mentalem,  juxta  ulramqne  opinionem. 

Actio  est  forma  secundum  quam  in  id 
quod  subjicitur,  agere  dicimur.  Ad  quod 
intelligendum  sciendum ,  quod  duplex  est 


actio.  Una  quae  vocatur  actio  immanens, 
ut  calere.  Alia  quae  dicitur  transiens,  ut 
calefacere.  Actio  immanens  non  est  causa 
effectiva  rei,  ut  sit  in  actu,  sed  est  idem 
quod  esse  in  actu.  Calere  enim  idem  est, 
quod  esse  in  actu  caloris,  et  secundum  ta- 
lem  actionem  dicitur  agere  aliquid  quod 
est  formaliter  taie,  sicut  calor  facit,  seu 
agit  formaliter  calidum  illud  in  quo  est. 
Calere  enim  comparatur  ad  calorem ,  sicut 
actus  secundus  ad  primum.  Notandum , 
quod  actus  primus,  et  secundus  potest  dici 
tripliciter.  Uno  modo  sic,  quod  actus  pri- 
mus sit  forma  aliqua,  et  actus  secundus  sit 
actio  transiens,  differens  realiter  ab  ea,  si- 
cut se  habet  calor  ignis,  et  ejus  calefactio, 
et  isto  modo  calere  non  est  actus  secundus 
caloris.  Secundo  modo  dicitur  actus  pri- 


SUR  LA   LOGIQUE   d'âIUSTOTE.  185 

sens  l'acte  premier  est  dit  la  forme  qui  est  subordonnée,  et  acte 
second  l'acte  qui  lui  est  inhérent ,  comme  sont  la  surface  et  la  cha- 
leur; dans  ce  sens  être  chaud  n'est  pas  non  plus  l'acte  second  de  la 
chaleur.  Dans  le  troisième  sens  l'acte  premier  et  second  sont  pris  sui- 
vant qu'un  seul  et  même  acte  peut  être  pris  diversement  selon  qu'il 
est  considéré  en  lui-même  ou  dans  quelqu'un  où  il  existe  actuellement, 
comme  l'on  considère  la  chaleur  suivant  qu'elle  est  une  certaine 
forme  en  elle-même  ;  mais  être  chaud  importe  la  même  forme  dans 
l'habitude  relativement  à  quelque  chose  qui  en  est  affecté ,  parce  que 
être  chaud  c'est  avoir  la  chaleur,  ou  être  dans  la  chaleur.  Pareillement, 
concevoir  et  sentir  sont  des  actions  immanentes,  parce  qu'elles  ex- 
priment l'acte  de  la  conception  ou  de  la  sensation,  l'être  en  acte  dans 
celui  qui  conçoit  ou  qui  sent.  Or  cette  action  immanente  n'est  pas 
directement  dans  le  prédicament  de  l'action,  c'est  pourquoi  nous  nous 
en  tiendrons  là  pour  ce  qui  la  concerne.  La  seconde  action  qui  est 
appelée  transitoire  constitue  le  prédicament  de  l'action.  Il  faut  re- 
marquer qu'ainsi  qu'il  est  dit  dans  le  livre  III  de  la  Phy s.,  l'action,  la 
passion  et  le  mouvement  sont  une  seule  et  même  chose.  C'est  pour- 
quoi réchauffement  n'est  autre  chose  que  la  chaleur  en  écoulement, 
c'est-à-dire  en  tant  qu'elle  est  un  acte  de  ce  qui  existe  en  puissance, 
ce  qui  est  la  même  chose  que  le  mouvement.  Par  exemple  :  supposons 
de  l'eau  réchauffée  par  le  feu,  il  est  certain  qu'il  y  a  en  elle  une  cha- 
leur produite  par  la  chaleur  du  feu ,  laquelle  chaleur  considérée  sui- 
vant son  être  est  une  forme,  qui  est  la  qualité  dans  la  troisième  espèce 
de  la  qualité.  Suivant  qu'elle  est  en  écoulement  elle  est  appelée  mou- 
vement parce  qu'elle  entre  de  plus  en  plus  en  participation  avec  l'eau. 
Elle  est  appelée  action  en  tant  qu'elle  dénomme  le  feu  qui  réchauffe. 
Car  le  feu  à  raison  de  la  chaleur  est  dit  réchauffant  dans  la  première 


mus  forma  quee  subditur ,  et  actus  ei  in- 
hserens  dicitur  actus  secundus  ut  sunt  su- 
perficies et  calor,  nec  etiam  isto  modo 
calere  est  actus  secundus  caloris.  Tertio 
modo,  dicitur  actus  primus,  et  secundus, 
secundum  quod  unus  et  idem  actu  potest 
accipi  ut  consideratur  in  se,  et  prout  con- 
sideratur  ut  alicujus  habentis  ipsum  actua- 
liter.  Sicut  consideratur  calor  ut  est  quœ- 
dam  forma  in  se ,  calere  vero  importât 
eamdem  formam  in  habitudine  ad  aliquod 
habens,  quia  calere  est  habere  calorem,  vel 
esse  in  actu  caloris.  Similiter  intelligere  , 
et  sentire  sunt  actiones  immanentes,  quia 
dicunt  actum  intelligenti ,  vel  sentiendi , 
esse  actu  in  intelligente,  vel  sentiente.  H;i'c 
autem  actio  immanens  non  est  directe  in 
pradicamento  actionis,  ideo  de  ipsa  satis 
dictum  sit.  Secunda  vero  actio,  quje  dici- 


tur transiens  facit  prsedicamentum  actio- 
nis. Notandum,  quod  ut  habetur,  III  Physic, 
actio  et  passio,  et  motus  sunt  una  et  eadem 
res.  Unde  calefactio  nihil  aliud  est  quam 
calor  ut  est  in  fluxu ,  prout  scilicet  est  ac- 
tus existentis  in  potentia,  quod  idem  est 
quod  motus.  Verbi  gratia.  Dato  quod  aqua 
calefieret  ab  igné,  certum  est ,  quod  in  ea 
esset  aliquis  calor  causatus  a  calore  ignis, 
qui  calor  quantum  ad  esse  suum  conside- 
ratus,  est  forma,  quae  est  qualitas  in  tertia 
specie  qualitatis.  Secundum  autem  quod 
est  in  fluxu,  scilicet  quia  magis,  et  magis 
participatur  in  aquam,  dicitur  motus.  Se- 
cundum autem  quod  denominat  ignem 
calefacientem,  dicitur  actio.  Nam  ignis  se- 
cundum eum  dicitur  calefaciens  juxta  pri- 
mam  opinionem,  et  secundum  quod  habet 
respectum  ad  ignem  ut   ad  causam  efli- 


186  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    7. 

opinion,  et  en  tant  qu'elle  a  un  rapport  avec  le  feu,  comme  à  la  cause 
efficiente  ,  c'est  une  action  suivant  la  seconde  opinion,  et  réchauffe- 
ment est  dit  action.  Mais  réchauffement  est  dit  passion  en  tant  qu'il 
dénomme  ou  importe  un  rapport  à  quelque  chose  qui  reçoit  en  com- 
paraison avec  ce  dont  elle  reçoit.  C'est  pourquoi  la  raison  de  l'action, 
comme  prédicament ,  consiste  en  ce  que  action  dit  forme  en  mouve- 
ment ,  ou  un  changement,  ainsi  qu'il  y  a  lieu  par  la  cause  efficiente. 
Aussi  la  cause  efficiente  qu'elle  dénomme  ou  à  laquelle  elle  se  rap- 
porte est  de  la  nature  de  l'action.  Il  s'ensuit  de  là  que  l'action,  quoi- 
que la  même  fondamentalement  que  la  chaleur ,  étant  dans  le  même 
prédicament  avec  réchauffement ,  comme  elle  est  une  passion ,  ainsi 
qu'il  a  été  dit  plus  haut  dans  le  prédicament  de  la  relation  ,  quoique 
la  similitude  soit  la  même  chose  que  la  blancheur,  néanmoins  comme 
la  similitude  importe  quelque  chose  que  n'importe  pas  la  blancheur, 
savoir  un  terme  ad  quem,  elle  se  trouve  dans  un  autre  prédicament 
que  la  blancheur;  de  même  dans  le  cas  proposé,  quoique  échauffe- 
ment  comme  action  dise  chaleur  en  mouvement ,  parce  qu'elle  se 
dit  action  en  tant  qu'elle  dénomme  l'agent  dans  la  première  opinion, 
ou  exprime  le  rapporta  l'agent,  suivant  la  seconde  opinion,  auquel 
n'ont  aucun  rapport  la  chaleur  ni  réchauffement  comme  passion ,  il 
s'ensuit  que  réchauffement  action  se  trouve  dans  un  autre  prédica- 
ment que  la  chaleur  ou  réchauffement  passion.  Ainsi  s'explique  cette 
description  de  l'action  ;  l'action  est  la  forme  suivant  laquelle  nous 
sommes  dits  faire  ce  qui  est  soumis.  C'est,  en  effet,  la  forme,  qui  est 
en  mouvement  ou  en  mutation ,  suivant  laquelle  nous  sommes  dési- 
gnés ou  dénommés  comme  agents  dans  la  première  opinion,  ou  qui  a 
un  rapport  avec  nous  qui  agissons  comme  à  la  cause  efficiente,  par  la 
raison  que  nous  agissons  sur  la  chose  qui  nous  est  soumise ,  c'est-à- 


cientem,  est  actio  juxta  secundam  opinionem 
et  dicitur  calefactio  actio.  Galefactio  vero 
passio  dicitur,  ut  denominat ,  vel  importât 
respectum  ad  aliquod  recipiens  in  compa- 
ratione  ad  id,  a  quo  recipit.  Unde  ratio  ac- 
tionis  prout  est  praedicamentum ,  consistit 
in  hoc  quod  actio  dicit  formam  in  motu, 
vel  mutatione  ut  est  a  causa  efficiente.  Unde 
causa  efficiens  quam  denominat,  vel  ad 
quam  habet  respectum ,  est  de  ratione  ac- 
tionis,  propter  hoc  sequitur,  quod  actio 
quamvis  sit  eadem  fundamentaliter  cum 
calore,  quod  sit  in  eodem  praedicamento 
cum  calefactione,  ut  est  passio,  sicut  etiam 
supradictum  est  in  praedicamento  relatio- 
nis,  licet  similitude  sit  eadem  res  cum  al- 
bedine,  tamen  quia  similitudo  importât 
aliquid  aliud  quod  non  importât  albedo, 
scilicet  terminum  ad  quem,  est  in  alio  praa- 


dicamento  qjsam  sit  albedo.  Sic  in  propo- 
sito,  licet  calefactio  ut  est  actio,  dicat  ca- 
lorem  in  motu ,  quia  tamen  dicitur  actio 
ut  denominat  agens,  juxta  primam  opinio- 
nem,  vel  dicit  respectum  ad  agens ,  juxta 
secundam  opinionem,  ad  quod  habet  res- 
pectum calor,  nec  calefaction  ut  est  passio, 
ideo  calefactio  actio  est  in  alio  praedica- 
mento, quam  calor ,  vel  calefactio  passio. 
Ex  his  patet  descriptio  actionis  supraposita, 
scilicet.  Actio  est  forma  secundum  quam 
idquod  subjicitur,  agere  dicimur.  Est  enim 
forma,  quae  est  in  motu,  seu  in  mutatione, 
secundum  quam  dicimur  seu  denomina- 
mur  agentes  juxta  primam  opinionem,  vel 
quae  habet  respectum  ad  nos,  qui  agimus, 
sicut  ad  causam  efficientem ,  scilicet  quia 
agimus  in  rem,  quae  subjicitur,  idest  in  rem 
quae  patitur,  juxta  secundam  opinionem, 


SUR  LA   LOGIQUE   d'àRISTOTE.  187 

dire  sur  la  chose  qui  subit  la  passion  suivant  la  seconde  opinion  ;  on 
voit  ainsi  ce  que  c'est  que  l'action.  Il  faut  savoir  que  l'auteur  des  six 
principes  dit  quelque  chose  de  l'action  corporelle  ou  incorporelle  que 
je  regarde  purement  et  simplement  comme  faux,  ou  demandant  quel- 
que explication  à  raison  de  son  ambiguïté.  Il  dit,  en  effet,  que  l'ac- 
tion corporelle  se  trouve  nécessairement  avec  le  mouvement  de  l'a- 
gent, ce  que  je  ne  crois  pas  vrai  dans  toutes  les  actions  des  corps,  car 
l'aimant,  sans  avoir  aucune  espèce  de  mouvement,  attire  le  fer  ;  on 
pourroit  observer  la  même  chose  à  l'égard  d'une  multitude  d'autres 
agents,  c'est  pourquoi  je  ne  dirai  rien  des  autres  raisons  de  même  va- 
leur qui  sont  alléguées. 

CHAPITRE  VIII. 

Quelle  est  l'action  qui  reçoit  le  plus  et  le  moins  avec  la  contrariété, 
quelle  est  celle  qui  ne  reçoit  rien  de  cela. 

L'action  reçoit  le  plus  et  le  moins  avec  la  contrariété ,  mais  il  n'en 
est  pas  ainsi  de  toute  action.  Il  faut  observer  que  ou  l'action  exprime 
la  forme  qui  est  en  mouvement,  comme  réchauffement,  qui  ne  signifie 
que  la  chaleur  en  mouvement,  comme  dénommant  l'agent  ou  pré- 
sentant un  rapport  ad  aliud;  ou  elle  exprime  la  forme  qui  est  en  mu- 
tation et  non  en  mouvement ,  comme  la  génération  de  la  substance, 
et  la  création.  Et  comme,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  l'action  n'ajoute  rien  à 
la  forme  qu'elle  exprime,  et  ne  fait  que  dénommer,  suivant  la  pre- 
mière opinion,  ou  exprimer  le  rapport  à  l'agent  suivant  la  seconde , 
si  la  forme  qu'elle  exprime  est  en  mouvement,  on  dit  que  l'action 
reçoit  plus  ou  moins,  ou  l'agent  qui  est  concret,  comme  on  a  dit  dans 
le  prédicament  de  la  qualité  que  les  choses  abstraites  ne  reçoivent  pas 
le  plus  et  le  moins ,  mais  bien  les  concrètes  ;  on  dit  de  même  dans 
celui-ci  que  quelque  chose ,  c'est-à-dire  la  caléfaction  reçoit  le  plus 


et  sic  patet  quid  est  actio.  Sciendum,  quod 
author  sex  principiorum  quœdam  dicit  de 
actione  corporea,  vel  incorporea,  quœ  vel 
simpliciter  reputo  falsa,  vel  extorta  indi- 
gent expositione.  iDicit  enim  quod  actio 
corporea  necessario  est  cum  motu  agentis, 
quod  non  reputo  verum  in  omnibus  actio- 
nibus  corporum.  Magnes  enim  non  mota 
ullo  génère  motus,  attrahit  ferrum,  et  de 
multis  aliis  agentibus  posset  hoc  inveniri, 
ideo  omnia  talia,  quse  ille  ibi  ponit  preeter- 
mitto. 

GAPUT  VIII. 

Quœ  aclio  suscipit  magis  et  minus,  et  con- 
trarietatem  et  quœ  non. 

Recipit  autem  actio  magis,  et  minus,  et 
contrarietatem,  non  tamen  omnis.  Notan- 


dum,  quod  actio  vel  dicit  formam,  quœ  est 
in  motu ,  ut  calefactio ,  quœ  solum  dicit 
calorem  in  motu,  ut  denominat  agens ,  vel 
ut  habet  respectum  ad  aliud,  vel  dicit  for- 
mam ,  quœ  est  in  mutatione,  et  non  in 
motu,  ut  generatio  substantiœ ,  et  creatio. 
Et  quia  ut  dictum  est,  actio  supra  formam 
quam  dicit,  nihil  addit  nisi  quia  denomi- 
nat, juxta  primam  opinionem,  vel  dicit 
respectum  ad  agens ,  juxta  secundam  opi- 
nionem, si  forma  quam  dicit,  est  in  motu, 
dicitur  actio  suscipere  magis  vel  minus, 
vel  ipsum  agens  quod  est  concretum,  sicut 
in  prœdicamento  qualitatis  dictum  est, 
quod  abstracta  non  suscipiunt  magis,  et  mi- 
nus, sed  concretà,  ita  in  isto  dicitur  ali- 
quid,  scilicet  calefacere,  suscipere  magis 
vel  minus,  quia  est  magis,  vel  minus  cale- 


188  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    O,    CHAPITRE    9,    4. 

ou  le  moins,  parce  qu'elle  échauffe  plus  ou  moins.  Si,  au  contraire, 
la  forme  qu'exprime  l'action  n'est  pas  en  mouvement  mais  seulement 
en  mutation,  une  telle  forme  n'étant  pas  propre  à  recevoir  le  plus  ou 
le  moins,  ni  par  conséquent  la  contrariété ,  en  prenant  la  contrariété 
dans  un  sens  propre,  cette  action  ne  reçoit  pas  non  plus  le  plus  et  le 
moins  ,  ni  par  conséquent  la  contrariété ,  en  la  prenant  dans  le  sens 
propre.  C'est  pourquoi  celui  qui  engendre  ou  qui  crée  n'est  pas  dit 
engendrant  ou  créant  plus  ou  moins,  ainsi  s'explique,  etc. 

CHAPITRE  IX. 

Le  propre  de  l'action  est  de  produire  la  passion  par  soi. 

C'est  le  propre  de  l'action  de  produire  d'elle-même  la  passion.  Il 
faut  observer  que,  bien  que  l'action  et  la  passion  et  les  formes,  cause 
du  mouvement  d'une  chose ,  soient  une  seule  chose,  elles  sont  néan- 
moins des  prédicaments  différents  à  raison  de  la  dénomination  diverse 
ou  à  cause  du  divers  rapport  importé.  Voici  l'ordre  qui  existe  entre 
l'action  et  la  passion ,  car  la  passion  suit  l'action  qui  se  produit  au- 
dehors.  En  effet,  si  agir  n'est  autre  chose  qu'occasionner  dans  le  sujet 
passif  la  forme  avec  le  mouvement,  et  éprouver  la  passion  rien  autre 
chose  que  recevoir  une  telle  forme  ,  il  en  résulte  nécessairement  que 
toute  action  est  suivie  de  la  passion  et  que  agir  est  suivi  de  sentir  la 
passion.  On  a  donc  eu  raison  de  dire  que  le  propre  de  l'action  est 
de  produire  la  passion  dans  le  sujet  passif.  Voilà  ce  qui  concerne 
l'action. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Ce  que  c'est  que  la  passion  formellement,  comme  prédicament. 

La  passion  est  l'effet  et  le  produit  de  l'action.  Il  faut  remarquer  que 
l'action  et  la  passion  sont  une  seule  et  même  chose  ,  savoir  la  forme 


faciens.  Si  vero  forma  quam  dicit  actio, 
non  sit  in  motu ,  sed  in  sola  mutatione, 
cum  talis  forma  non  sit  apta  suscipere  ma- 
gis, vel  minus,  nec  per  consequens,  con- 
trarietatem,  sumendo  contrarietatem  pro- 
prie, nec  etiam  talis  actio  suscipit  magis, 
vel  minus,  nec  per  consequens  contrarieta- 
tem, sumendo  contrarietatem  proprie.  Unde 
generans,  vel  creans  non  dicitur  magis, 
vel  minus  generans,  vel  creans ,  et  sic  pa- 
tet,  etc. 

CAPUT  IX. 

Quod  proprium  aclionis  est  ex  te  inferre 
passionem. 

Est  autem  proprium  actionis  ex  se  in- 
ferre passionem.  Notandum,  quod  licet  ac- 
tio, et  passio,  et  forma  qua  aliquid  move- 
tur  ,  sint  una  res,  tamen  propter  diversam 
denomiuationem  quam  importât,  vel  prop- 


ter diversuin  respectum  importatum,  sunt 
diversa  prœdicamenta.  Habent  antem  se 
actio',  et  passio  in  hoc  ordine ,  nam  ad 
omnem  ac'tionem  egredientem  ad  extra, 
sequitur  passio.  Si  enim  agere  nihil  aliud 
est ,  quam  causare  formam  in  passo  cum 
motu,  et  pati  nihil  aliud  est  quam  talcm 
formam  recipere,  necessario  sequitur,  quod 
ad  omnem  actionem  sequitur  passio,  ad 
omne  agere  sequitur  pati.  Bene  ergo  dic- 
tum  est,  quod  proprium  est  actionis  cau- 
sare passionem  in  passio ,  et  sic  patet  de 
actione. 

CAPUT  I. 
Quid  sit  passio  formaliler  ,  ut  est  prœdicar- 

mentum. 
.  Passio  est  effectus,  illatioque  actionis. 
Notandum,  quod  actio,  et  passio  sunt  una 
res,  et  eadem,  scilicet  forma,  quae  est  in 


SUR  LÀ   LOGIQUE   d'arISTOTE.  189 

qui  est  en  flux  ou  in  fieri ,  c'est  pourquoi  on  ne  voit  pas  que  la  pas- 
sion soit  un  effet  de  l'action.  En  effet,  si  on  les  considère  comme  étant 
une  forme,  dans  ce  cas  comme  la  même  chose  ne  peut  être  cause  et 
effet  d'elle-même,  la  passion  ne  sera  pas  l'effet  de  l'action.  Si  au  con- 
traire on  les  considère  comme  deux  choses,  parce  que  l'action  dé- 
nomme l'agent  et  la  passion  le  patient,  il  ne  s'en  suit  pas  encore  que 
la  passion  soit  un  effet  de  l'agent.  Donc  la  passion  n'est  pas  l'effet  de 
l'action  même.  Il  faut  savoir  qu'une  chose  peut  être  dite  effet  d'une 
autre  de  deux  manières,  la  première  proprement ,  en  tant  qu'elle  est 
ou  a  été  produite  par  elle  ,  et  dans  ce  sens  la  passion  n'est  pas  l'effet 
de  l'action.  La  seconde  manière  c'est  quand  ces  deux  choses  se  font, 
elles  se  produisent  simultanément  de  telle  sorte  que  l'on  comprenne 
par  une  connexion  nécessaire  que  l'une  vient  après  l'autre.  D'où  il 
résulte  que  la  première  est  dite  en  quelque  façon  cause  efficiente  à 
l'égard  de  la  seconde,  comme  dans  le  traité  du  propre  on  a  dit  du 
clou  et  du  bois  dans  lequel  il  est  enfoncé  quel  est  leur  rapport  avec  le 
mouvement,  il  en  est  ainsi  dans  son  espèce  de  la  passion  par  rapport 
à  l'action.  Car  l'action  et  la  passion  sont  constituées  par  l'agent  dans 
un  certain  ordre  nécessaire.  Car  on  conçoit  l'agent  agissant  avant 
de  concevoir  ce  qu'il  fait  subir,  et  ainsi  la  passion  est  dite  effet  de 
l'action. 

CHAPITRE  II. 

Que  la  dénomination  de  la  passion  se  fait  formellement  ab  extrinseco. 

Il  s'élève  un  doute  au  sujet  de  ce  qui  a  été  dit,  savoir  que  ces  six 
principes  dénomment  extrinsèquement  la  substance.  Nous  avons  dit, 
en  effet,  que  l'action,  qui  est  subjectivement  dans  le  patient,  dé- 
nomme l'agent  ;  cela  ne  semble  pas  vrai  à  l'égard  de  la  passion,  car 
elle  dénomme  le  sujet  passif  en  qui  elle  est  formellement  et  subjecti- 


fluxu ,  vel  fieri ,  unde  non  videtur ,  quod 
passio  sit  effectus  actionis.  Si  enini  conside- 
rantur  in  quantum  sunt  una  forma,  tune 
cum  idem  non  possit  esse  causa,  et  effectus 
suiipsius,  passio  non  erit  effectus  actionis. 
Si  vero  considerentur  in  quantum  sunt  duo, 
quia  actio  denominat  agens,  et  passio  pa- 
tiens,  nec  adhuc  sequitur ,  quod  passio  sit 
effectus  ipsius  agentis,  non  ergo  passio,  est 
effectus  ipsius  actionis.  Sciendum ,  quod 
aliquid  potest  dici  effectus  alicujus  dupli- 
citer,  uno  modo  proprie,  prout  scilicet  cau- 
satur,  vel  causatum  est  ab  eo,  et  isto  modo 
passio  non  est  effectus  actionis.  Alio  modo, 
quia  quando  utrumque  fit,  ita  fiunt  simul, 
quod  unum  necessaria  connexione  intelli- 
gitur  esse  post  aliud.  Unde  primum  dici- 
tur  esse  quodam  modo  causa  efficiens  res- 
pectu  secundi ,  quemadmodum  in  tractatu 


de  proprio  dictum  est  de  clavo,  et  ligno  cui 
insigitur ,  qualiter  se  habeant  ad  motum, 
sic  suo  modo  se  habet  de  passione  respectu 
actionis.  Nam  actio,  et  passio  sunt  ab  ipso 
agente  ordine  quodam  necessario.  Prius 
enim  intelligitur  agens  agere,  quam  aliquid 
a  se  pati ,  et  sic  passio  dicitur  effectus  ac- 
tionis. 

CAPUT  II. 

Quod  denominatio  passionis  est  formaliler 
ab  extrinseco. 
Dubium  autem  oritur  contra  ea  quse 
dicta  sunt,  videlicet  quod  ista  sex  principia 
denominant  substantiam  extrinsece.  Dic- 
tum est  enim  quod  actio ,  quee  subjective 
est  in  patiente,  denominat  agens,  hoc  enim 
non  videtur  esse  verum  de  passione,  nam 
ipsa  denominat  passum  in  quo  est  forma- 
liter  et  subjective.  Dicendum,  quod  forma 


190  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    O,    CHAPITRE    1. 

vement.  Il  faut  dire  que  la  forme  en  flux ,  qui  est  le  mouvement  lui- 
même,  prise  en  elle-même,  est  dans  le  prédicament  absolu ,  la  cha- 
leur, par  exemple,  qui  se  produit  dans  l'eau  comme  étant  en  flux,  se 
trouve  dans  le  prédicament  de  la  qualité,  parce  que  le  mouvement 
est  dans  le  prédicament  de  son  terme  ad  quem  et  il  est  dit  mouvement 
comme  étant  en  flux.  Mais  en  tant  qu'il  a  telle  chaleur ,  c'est-à-dire 
que  l'eau  qui  se  réchauffe  est  transmuée  par  le  feu,  cette  dénomina- 
tion appartient  à  la  passion  comme  prédicament.  On  ne  dit  pas,  en 
effet,  que  l'eau  devient  chaude,  parce  qu'il  y  a  de  la  chaleur  en  elle, 
mais  parce  que  cette  chaleur  lui  vient  de  l'agent  qui  l'échauffé.  C'est 
pourquoi  s'il  n'y  avoit  pas  d'agent  échauffant ,  quelque  chaleur  qu'il 
y  eût  dans  l'eau,  on  ne  diroit  pas  pour  cela  qu'elle  devient  chaude, 
ou  subit  une  passion ,  mais  on  dit  qu'elle  s'échauffe  et  subit  une  pas- 
sion, en  tant  que  cette  chaleur  est  produite  par  un  agent  échauffant. 
Donc  cette  dénomination  ou  rapport  du  sujet  passif  vient  formelle- 
ment ab  extrinseco ,  par  la  raison  qu'elle  importe  un  agent  qui  est 
extrinsèque.  Ainsi  donc  la  passion  dénomme  extrinsèquement  le 
sujet,  ou  exprime  un  rapport  ab  extrinseco.  Or  la  passion  reçoit  le 
plus  et  le  moins  avec  la  contrariété  de  la  même  manière  que  nous 
avons  dite  de  l'action.  Ce  qu'il  faut  comprendre  suivant  ce  qui  a  été 
exposé  plus  haut  de  l'action  ;  tel  est  le  prédicament  de  la  passion,  etc. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Ce  que  c'eut  que  le  prédicament  quando ,  c'est  le  temps  en  tant  qu'il 
dénomme  une  chose  temporelle ,  ou  le  rapport  du  temps  aux  choses 
temporelles  qu'il  mesure. 

Quando  est  ce  qui  reste  de  l'adjacence  du  temps.  Or  on  appelle  ici 
adjacence  du  temps  sa  mesure ,  suivant  que  le  temps  est  la  mesure 
des  choses  temporelles.  Pour  comprendre  les  termes  de  cette  défini- 


in  fluxu,  quae  est  ipse  motus,  secundum  se 
accepta,  est  in  prsedicamento  absoluto, 
puta  calor,  qui  causatur  in  aqua  prout  est 
in  fluxu,  est  in  praedicamento  qualitatis, 
quia  motus  est  in  prsedicamento  termini 
ad  quem  est,  pout  autem  est  in  fluxu  di- 
catur  motus ,  prout  vero  habens  talem  ca- 
lorem,  scilicet  aqua  quse  calent,  transmu- 
tatur  ab  igné  calefaciente.,  talis  denominatio 
pertinet  ad  passionem  prout  est  praedica- 
mentum.  Non  enim  aqua  dicitur  calefieri, 
quia  in  ea  est  calor,  sed  quia  talis  calor  est 
a  calefaciente.  Unde  si  non  esset  calefa- 
ciens,  quantumcumque  calor  esset  in  aqua 
non  propter  hoc  diceretur  calefieri ,  vel 
pati,  sed  dicitur  calefieri,  et  pati  in  quan- 
tum talis  calor  est  a  calefaciente.  Talis  ergo 
denominatio ,  vel  respectus  passi  est  for- 


maliter  ab  extrinseco,  ex  quo  importât 
agens  quod  est  extrinsecum.  Sic  ergo  pas- 
sio  extrinsece  denominant  subjectum ,  vel 
dicit  respectum  ab  extrinseco.  Recipit  au- 
tem passio  imagis,  vel  minus,  et  contrarie- 
tatem  eodem  modo  quo  dictum  est  de 
actione;  quod  intelligitur  sicut  supra  de 
actione  expositum  est,  et  sic  patet  de  prae- 
dicamento  passionis,  etc. 

CAPUT  I. 

De  prœdicamento  quando  quid  sit,  quia  est 
tempus,  ul  denominat  temporale,  seu  res- 
pectus temporis  ad  lemporalia,  qua  men- 
surat. 

Quando  est  quod  ex  adjacentia  temporis 
relinquitur.  Vocatur  autem  hic  adjacentia 
temporis  mensura  ejus,  prout  scilicet  ip- 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  191 

tion  et  ce  que  c'est  que  quando,  il  faut  observer  qu'il  est  de  la  nature 
de  la  mesure  de  donner  d'une  manière  certaine  la  quantité  des  choses 
mesurées  lorsqu'on  l'applique  à  ces  choses  par  l'opération  de  l'intellect, 
et  comme  il  y  a  deux  quantités,  savoir  l'extension  et  la  perfection ,  il 
y  a  aussi  une  mesure  pour  l'une  et  l'autre.  Nous  disons,  en  effet,  que 
la  blancheur  est  la  mesure  de  toutes  les  couleurs  ;  car  la  blancheur 
contenant  plus  de  perfection  et  de  participation  à  la  lumière  que  les 
autres  couleurs,  en  l'appliquant  par  l'intellect  aux  autres  couleurs, 
nous  acquérons  d'une  manière  certaine  la  connoissance  de  la  quan- 
tité de  perfection  qui  est  en  eux,  mais  non  de  la  quantité  d'extension. 
De  même  en  appliquant  au  drap  une  règle  de  deux  coudées,  nous  con- 
noissons  la  quantité  de  son  extension.  D'un  autre  côté  le  temps  n'é- 
tant autre  chose  qu'une  quantité  successive  du  mouvement,  peut  être 
pris  à  raison  de  cela  en  deux  sens.  Premièrement  dans  un  sens  large 
pour  toute  quantité  successive  du  mouvement  ;  il  y  a  autant  de  temps 
que  de  mouvements,  parce  que  tout  mouvement  a  une  quantité  suc- 
cessive qui  le  constitue  formellement  en  extension  de  quantité  suc- 
cessive, et  cette  quantité  n'est  pas  un  mouvement,  mais  un  accident 
du  mouvement  qui  le  constitue  formellement  en  extension ,  ou  c'est 
un  accident  du  mobile  qui  existe  en  lui  par  le  moyen  du  mouvement, 
comme  une  qualité  quelconque ,  ainsi  la  couleur  se  trouve  dans  la 
substance  par  le  moyen  de  la  superficie,  comme  il  a  été  dit  plus  haut, 
et  c'est  à  cause  de  cette  succession  qu'Aristote ,  au  livre  V  de  la  Mé- 
taphysique, a  mis  le  mouvement  dans  le  genre  de  la  quantité  ,  c'est 
pourquoi  le  mouvement  n'est  dans  les  autres  genres  que  par  la  raison 
du  terme  du  mouvement,  suivant  ce  que  nous  disons  que  l'augmen- 
tation et  la  décroissance  sont  dans  la  quantité  non  par  la  raison  qu'elles 
sont  mouvement ,  mais  par  la  raison  du  terme  auquel  elles  se  rap- 


sum  tempus  est  mensura  temporalium.  Ad 
sciendum  autem  particulas  prsedictte  de- 
scriptionis,  et  quid  est  quando,  notandum, 
quod  de  ratione  mensura  est,  quod  appli- 
cata  per  intellecturn  ad  mensurata  certificet 
nos  de  ipsorum  quantitate,  et  quia  duplex 
est  quantitas,  scilicet  extensionis  et  perfec- 
tionis,  ideo  utrobique  invenitur  mensura. 
Dicimus  enim  quod  mensura  omnium  co- 
lorum  est  albedo.  Quia  enim  albedo  plus 
continet  de  perfectione,  et  participatione 
lucis,  quam  alii  colores  appHcando  ipsam 
ad  abos  colores  per  intellecturn ,  certifica- 
mur  de  quantitate  perfectionis  ipsorum, 
non  tamen  de  quantitate  extensionis.  Si- 
militer  per  lineam  bicubitalem  applicatam 
ad  pannum,  certilicamur  de  quantitate  suae 
extensionis.  Cum  autem  tempus  nihil  aliud 
sit,  quam  quantitas  successiva  ipsius  motus, 
secundum  hoc  tempus  potest  accipi  dupli- 


citer.  Uno  modo  large,  scilicet  pro  omni 
quantitate  successiva  motus ,  etiam  acci- 
piendo  tempus,  quot  sunt  motus,  tôt  sunt 
tempora,  quia  omnis  motus  habet  quanti- 
tatem  successivam  facientem  ipsum  forma- 
liter,  quantum  quantitate  sucessiva,  et  talis 
quantitas  non  est  motus,  sedaccidens  ejus 
faciens  ipsum  esse  quantum  formaliter,  vel 
est  accidens  ipsius  mobilis  inexistens  ei  me- 
diante  motu,  sicut  qualitas  abqua,  scilicet 
color  inest  substantiee  mediante  superficie, 
ut  supra  dictum  est,  et  propter  hanc  suc- 
cessionem  Philosophus,  V  Metaph. ,  posuit 
motum  iu' génère  quantitatis,  unde  motus 
non  est  aliis  generibus ,  nisi  forte  ratione 
termini  motus,  prout  dicimus,  quod  aug- 
mentum  et  decrcmentum  sunt  in  quanti- 
tate non  ratione  qua  motus  sunl ,  sed  ra- 
tione termini  ad  quem  sunt.  Sed  ejus  suc- 
cessio  dicitur  tempus,  large  sumpto  tem- 


1 92  OPUSCULE   XL VII  ,    TRAITÉ    V,    CHAPITRE    1 . 

portent.  Mais  la  succession  s'appelle  temps  dans  un  sens  large,  et  par 
ce  temps,  comme  une  mesure  intrinsèque  mesure  tous  les  mouve- 
ments, parce  que  le  mouvement  est  tel  que  ses  successions,  elle  donne 
la  connofcsance  certaine  de  sa  quantité  ,  et  comme  parfois  cette  suc- 
cession nous  est  plus  connue ,  nous  mesurons  par  son  moyen  la  suc- 
cession du  premier  mobile,  comme  le  dit  Aristote,  livre  IV  de  la  Phy- 
sique ,  nous  mesurons  le  temps  par  nos  actions,  et  notre  vie  s'écoule 
par  une  aussi  grande  voie,  donc  il  s'est  écoulé  tant  d'heures  de  temps. 
Le  temps  se  prend  dans  un  autre  sens  plus  strict  et  plus  propre 
pour  la  quantité  successive  du  premier  mouvement ,  ou  pour  le  mou- 
vement du  premier  mobile ,  et  cette  succession  est  la  plus  uniforme 
et  la  plus  simple,  et  par  conséquent  elle  est  apte  à  nous  faire  connoître 
ce  qui  concerne  les  autres  quantités  successives  en  la  leur  appliquant, 
suivant  ce  que  nous  avons  dit  qu'une  chose  a  duré  une  heure,  un 
jour  ;  et  comme  cette  succession  est  une  numériquement ,  il  n'y  a 
par  conséquent ,  pour  toutes  les  choses  temporelles  numériquement , 
qu'un  temps  par  lequel  sont  mesurés  les  autres  mouvements  en  tant 
que  successifs,  comme  par  une  mesure  extrinsèque.  Il  faut  savoir  que 
tous  les  autres  mouvements  sont  mesurés  par  cette  succession  du  pre- 
mier mouvement  comme  par  une  mesure  extrinsèque,  aussi  bien  que 
les  parties  du  mouvement  du  premier  rÉobile ,  de  sorte  qu'une  partie 
de  ce  mouvement  est  mesurée  par  une  partie  du  temps  ,  par  une  me- 
sure intrinsèque,  comme  nous  disons,  cette  évolution  céleste  s'est 
opérée  tel  jour,  celle-là  tel  autre,  et  ainsi  des  autres  mouvements  qui 
sont  mesurés  dans  leurs  successions  par  une  mesure  intrinsèque.  Il 
faut  savoir  que  la  mesure  de  chaque  chose  peut  se  considérer  de  deux 
manières.  Premièrement  dans  un  sens  absolu,  c'est-à-dire  selon 
qu'elle  est  applicable  ,  secondement  en  tant  qu'elle  est  appliquée  à  la 
chose  susceptible  d'être  mesurée.  Or,  le  temps  étant  une  certaine 


pore,  et  tali  tempore,  sicut  mensura  intrin- 
seca  habet  omnes  motus  mensurari,  quia 
tantus  est  motus,  quantum  ejus  successio- 
nes ,  certificat  de  ejus  quantitate ,  et  quia 
aliquando  talis  successio  est  nobis  magis 
nota,  ideo  per  eam  mensuramus  successio- 
nem'primi  mobilis,  ut  Philosophus,  IV. 
Phys.,  dicit  :  Mensuramus  enim  tempus  per 
nostras  actiones,  ut  per  tantam  viam  vivi- 
mus,  ergo  tôt  temporis  horae  transierunt. 
Alio  modo  tempus  stricte,  et  magis  pro- 
prie dicitur  quantitas  successiva  primi 
motus,  seu  motus  primi  mobilis,  quae  suc- 
cessio est  uniformissima ,  et  simplicissima, 
et  per  consequens  est  apta  nata  nos  certi- 
ficare  de  aliis  quantitatibus  successivis  ap- 
plicata  ad  eas,  juxta  quod  dicimus,  quod 
duravit  per  boram,  vel  per  diem,  et  quia 


talis  successio  est  una  numéro,  ideo  est 
iinum  numéro  tempus  omnium  tempora- 
lium.  per  quod  mesurantur  sicut  mensura 
extrinseca,  omnes  alii  motus ,  ut  successivi 
sunt.  Sciendum,  quod  prœdicta  successione 
primi  motus  meosurantur  omnes  alii  mo- 
tus, ut  mensura  extrinseca,  et  mensurantur 
partes  motus  primi  mobilis,  ut  scilicet  pars 
illius  motus  mensuretur  parte  temporis 
mensura  intrinseca,  sicut  dicimus  haec  cir- 
culatio  cœli  fuit  in  ista  die,  et  illa  fuit  in 
illa  die  ,  sicut  est  de  aliis  motibus ,  qui 
mensurantur  suis  successionibus  raenson 
intrinseca.  Sciendum,  quod  mensura  unius- 
cujusque  potest  considérai!  dupliciter.  Uno 
modo  absolute,  scilicet  prout  applicabilis 
est  ;  alio  modo ,  prout  applicatur  ad  ipsum 
mensurabile.  Cum  autem  tempus  sit  quse- 


SUR   LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  193 

mesure,  pourra  être  considéré  de  deux  manières,  absolument,  et  dans 
ce  sens  il  s'appelle  temps,  et  dans  le  second  sens,  appliqué  aux  mou- 
vements successifs,  soit  qu'ils  soient  des  parties  du  mouvement  du 
premier  mobile,  soit  qu'ils  soient  d'autres  mouvements,  ou  aux 
choses  mobiles  en  tant  que  mobiles.  Et  comme  ces  choses  ainsi  me- 
surées par  le  temps  sont  appelées  mesurées,  comme  nous  disons  une 
promenade  d'aujourd'hui,  c'est  en  conséquence  de  cet  absolu,  c'est- 
à-dire  le  temps  ainsi  dénommant,  que  se  tire  le  prédicament  quando, 
suivant  la  première  opinion;  dans  la  seconde  opinion,  c'est  lorsqu'il 
est  le  rapport  du  temps  comme  mesure  à  la  chose  temporelle,  c'est 
pour  cela  que  l'on  dit  que  quando  est  ce  qui  reste  de  l'adjacence  ou 
de  la  mesure  du  temps.  Car  le  temps,  en  tant  que  mesurant  une  chose 
temporelle,  la  dénomme  d'une  dénomination  extrinsèque,  et  c'est 
cela  qu'il  laisse,  cela  qui  est  appelé  quando  dans  la  première  opinion. 
Dans  la  seconde,  au  contraire,  quando  reste  de  l'adjacence  du  temps, 
car  il  reste  de  la  mensuration  qui  s'opère  par  le  temps  le  rapport  du 
temps  qui  mesure  à  la  chose  mesurée ,  lequel  est  appelé  quando ,  et 
de  même  que  le  temps  a  des  parties  comme  le  présent,  le  passé  et  le 
futur,  de  même  aussi  quando  a  des  parties,  parce  que  les  choses  tem- 
porelles sont  dénommées  par  toutes  ces  parties.  Nous  disons  en  effet, 
voilà  ce  que  nous  avons  fait  aujourd'hui,  hier,  ce  que  nous  ferons 
demain.  On  voit  ainsi  ce  que  c'est  que  quando,  ce  n'est  autre  chose 
qu'une  forme  absolue,  qui  est  le  temps  dénommant  une  chose  tem- 
porelle. Ou  bien,  suivant  la  seconde  opinion,  quando  n'est  autre 
chose  que  le  rapport  absolu  de  la  forme  susdite  aux  choses  temporelles 
qu'il  mesure. 


dam  mensura,  poterit  his  duobus  modis 
considerari ,  uno  modo  absolu  te ,  et  sic  di- 
citur  tempus,  alio  modo  applicata  ad  mo- 
tus successivos,  sive  sint  partes  motus  pri- 
mi  mobilis ,  sive  sint  alii  motus ,  vel  ad 
mobilia,  in  quantum  mobilia  sunt.  Et  quia 
talia  ut  sic  mensurata  a  tempore  sic  mer.- 
suratae  denominantur,  sicut  dicimus  am- 
bulationem  hodiemam,  ideo  atali  absoluto, 
scilicet  tempore  sic  dénommante,  sumitur 
praedicamentum  quando ,  juxta  primam 
opinionem ,  juxta  vero  secundam  opinio- 
nem,  quando  est  respectus  temporis  ut 
mensurantis  ad  ipsum  temporale,  propterea 
dicitur,  quod  quando  est  quod  relinquitur 
ex  adjacentia,  seu  mensura  temporis.  Tem- 
pus enim  ut  mensurat  temporale,  deno- 
minatilluddenominationee  xtrinsec<},et  hoc 


relinquit,  et  hoc  dicitur,  quando  juxta 
primam  opinionem.  Juxta  vero  secundam, 
quando  relinquitur  ex  adjacentia  temporis, 
qui  i  ex  mensuratione,  qua;  est  a  tempore ,  re- 
linquitur respectus  temporis  mensurantis  ad 
mensuratum,  quod  dicitur  quando, et  sicut 
sunt  partes  ipsius  temporis,  scilicet  pres- 
sens ,  prœteritum ,  et  futurum ,  sic  etiam 
sunt  partes  quando,  quia  ab  omnibus  tali- 
bus  partibus  denominantur  temporalia. 
Dicimus  enim,  heec  est  operatio  hodierna, 
crastina ,  vel  hesterna.  Et  sic  patet  quid 
est  quando,  quia  nihil  aliud  est  quam  for- 
ma absolu  ta,  quee  est  tempus  prout  de- 
nominat  temporale  ;  vel  juxta  secundam 
opinionem,  quando  nihil  aliud  est  quam 
respectus  preedictee  formas  absolute  ad  tem- 
poralia, quee  mensurat. 


V. 


13 


194 


OPUSCULE    XLVH,    TRAITÉ    0,    CHAPITRE    2. 


CHAPITRE  II. 

Que  quando  n'est  pas  le  rapport  de  la  chose  mesurée  au  temps ,  mais 
tout  le  contraire. 

Il  faut  savoir  qu'il  y  eu  a  qui  disent  que  quando  n'est  pas  le  rapport 
du  temps  qui  mesure  à  la  chose  temporelle ,  mais ,  au  contraire ,  le 
rapport  de  la  chose  mesurée  au  temps  lui-même.  Je  ne  regarde  pas 
cela  comme  vrai,  parce  que,  suivant  ces  philosophes,  quando  ne 
seroit  pas  une  dénomination  extrinsèque,  mais  intrinsèque,  et  de 
cette  manière  il  ne  seroit  pas  un  des  six  principes  qui  dénomment 
extrinsèquement,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  et  il  s'ensuivroit, 
suivant  la  seconde  opinion ,  que  quando  seroit  une  relation ,  parce 
qu'il  seroit  un  rapport  ab  extrinseco,  ce  qui  est  faux.  Il  faut  savoir 
que  la  succession  du  premier  mouvement,  qui  est  appelé  temps, 
peut  être  la  mesure  des  parties  du  mouvement  du  premier  mobile,  de 
cette  manière  elle  est  une  mesure  intrinsèque ,  et  c'est  d'après  une 
telle  mesure  que  se  fait  la  dénomination  qui  appartient  au  prédica- 
ment  quando,  comme  quand  nous  disons  que  telle  évolution  s'est 
faite  hier  ou  se  fait  aujourd'hui.  De  cette  manière ,  quando  se  trouve 
en  ce  en  quoi  est  le  temps;  parce  que  le  temps  est  subjectivement 
dans  le  mouvement  du  premier  mobile,  et,  par  conséquent,  cette 
dénomination  est  dans  ses  parties  qui  sont  dénommées  par  les  parties 
du  mouvement,  comme  il  a  été  dit ,  ou  suivant  la  première  opinion, 
le  temps  est  dans  le  premier  mouvement,  quant  au  fondement  du 
rapport  qui  est  quando.  Il  y  a  aussi  là  le  terme  du  rapport  lui-même, 
c'est-à-dire  les  parties  mesurées  du  mouvement  qui  sont  le  terme  de 
ce  rapport,  et  c'est  là  ce  que  veut  dire  l'auteur  des  six  principes, 
quand  il  dit  que  quando  se  trouve  dans  ce  en  quoi  est  le  temps.  Dans 
un  autre  sens,  le  temps  peut  être  la  mesure  extrinsèque  des  autres 


CAPUT  II. 

Quod  quando  non  est  respectus  rei  tnensu- 
ratœ  ad  tempuSj  sed  e  conversa. 

Sciendnm ,  qnod  aliqui  dicunt ,  quod 
quando  non  est  respectus  temporis  mensu- 
rantis  ad  rem  temporalem,  sed  econ verso 
est  respectus  rei  mensuratae  ad  ipsum  tem- 
pus.  Hoc  non  reputo  verum ,  quia  secun- 
dum  istos,  quando  non  esset  denominatio 
extrinseca,  sed  intrinseca,  et  sic  non  esset 
unurn  de  sex  principiis,  quae  extrinsece  dé- 
nommant, ut  supra  dictum  est.  Et  sequeretur 
juxta  secundam  opinionern ,  quod  quando 
esset  relatio,  quia  esset  respectus  ab  iutrin- 
seco,  quod  falsum  est.  Sciendum,  quod 
successio  primi  motus,  quae  tempus  dici- 
tur,  potest  esse  mensura  partiurn  motus 


primi  mobilis,  et  isto  modo  est  mensura 
intrinseca,  et  ex  tali  mensura  fit  denomi- 
natio, quae  pertinet  ad  praedicamentum 
quando,  sicut  dicimus  quod  haec  circulatio 
est  hodierna,  vel  fuit  hesterna.  Et  isto 
modo  in  quo  est  tempus,  in  eo  etiam 
quando,  quia  in  motu  primi  mobilis  est 
tempus  subjective,  et  ideo  talis  denomina- 
tio est  in  partibns  ejus,  quae  denominan- 
tur  a  partibus  motus ,  ut  dictum  est  ,  vel 
juxta  primam  opinionern  in  primo  motu 
est  tempus,  quod  ad  fundamentum  respec- 
tus, qui  est  quando.  Etiam  in  eo  est  termi- 
nus ipsius  respectus ,  partes  scilicet  motus 
mensuratae ,  quae  sunt  terminus  talis  res- 
pectus, et  hoc  est,  quod  dicit  auihorsex 
principiorum,  quod  in  quo  est  tempus,  in 
eo  est  etiam  quando.  Alio  modo  tempus 


SUR    LA    LOGIQUE   d'aïUSTOTE.  1  9o 

mouvements,  et  alors  c'est  d'après  lui  que  se  fait  la  dénomination 
qui  appartient  au  prédicament  quando;  c'est  ainsi  que  nous  disons, 
cette  promenade  s'est  faite  hier,  et  de  cette  manière  quando  ne  se 
trouve  pas  dans  ce  en  quoi  est  le  temps,  parce  que  le  temps  est  sub- 
jectivement dans  le  mouvement  du  premier  mobile,  et  la  dénomination 
qui  provient  de  lui  se  trouve  dans  la  promenade.  Ou  bien,  suivant  la 
seconde  opinion,  quando  est  le  rapport  fondé  dans  le  temps,  dont 
néanmoins  le  terme  est  dans  la  promenade,  et  ainsi,  en  quelque  façon, 
il  ne  se  trouve  pas  dans  ce  en  quoi  est  le  temps ,  etc.. 

CHAPITRE  III. 

Que  quando  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  contraire, 
qu'il  se  trouve  dans  tout  ce  qui  commence  d'être. 

Quando  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  contraire. 
Car  ce  prédicament  se  tire  de  la  forme  absolue  dénominative  ,  ou  il 
est  le  rapport  de  cette  forme ,  et  comme  le  temps  d'où  se  tire  quando 
ne  reçoit  pas  le  plus  ou  le  moins,  et  n'a  pas  de  contraire,  il  en  sera 
par  conséquent  de  même  de  quando.  Mais  c'est  le  propre  de  quando 
de  se  trouver  dans  tout  ce  qui  commence  d'être.  Il  faut  remarquer 
qu'une  chose  commence  d'être  de  quatre  manières.  Il  y  en  a  qui  com- 
mencent par  le  mouvement  seul ,  comme  la  chaleur  dans  l'eau  qui  se 
réchauffe  commence  d'être  par  le  mouvement  de  la  caléfaction ,  bien 
plus  le  mouvement  est  placé  dans  le  genre  de  ces  choses.  En  effet,  l'al- 
tération se  trouve  dans  le  genre  de  la  qualité  dans  laquelle  se  ren- 
contre l'altération.  D'autres  commencent  d'être  par  le  changement 
qui  suit  nécessairement  le  mouvement,  comme  la  forme  substantielle 
est  introduite  dans  la  matière  par  la  génération  qui  suit  l'altération 
dont  elle  est  le  terme  au  moins  extrinsèque.  D'autres,  au  contraire  , 


potest  esse  mensura  aliorum  motuum  ex- 
trinseca,  ex  quo  tune  fit  denominatio,  quse 
pertinet  ad  prœdicamentum  quando ,  sic 
dicimus,  haec  ambulatio  fuit  hesterna,  et 
sic  quando  non  est  in  eo  in  quo  est  tem- 
pus ,  quia  tempus  est  subjective  in  motu 
primi  mobilis,  et  denominatio  facta  ab  eo 
est  in  ambulatione.  Vel  juxta  secundam 
opinionem ,  quando  est  respectus  fundatus 
in  tempore,  cujus  tamen  terminus  est  am- 
bulatio ,  et  sic  aliquo  modo  non  est  in  ea, 
in  quo  est  tempus,  etc. 

CAPUT  III. 

Quod  quando  non  suscipit  magis  nec  minus, 
noc  habet  contrarium,  et  quod  quando  est 
in  omni  eo  quod  incipil  esse. 

Non  suscipit  autem  quando  magis ,  vel 
minus,  nec  etiam  ipsi  quando  est  aliquid 


contrarium.  Nam  hoc  praedicamentum  su- 
mitur  a  forma  absoluta  dénommante,  vel 
est  respectus  talis  forma? ,  et  quia  tempus 
a  quo  sumitur  quando  non  suscipit  magis, 
vel  minus,  nec  habet  contrarium,  igitur 
nec  quando  ista  suscipiet.  Est  autem  pre— 
prium  quando  esse  in  omni  eo  quod  incipit 
esse.  Notandum  quod  res  quadrupliciter 
incipit  esse.  Quœdam  enim  incipit  per  me— 
tum  solum ,  ut  calor  in  aqua  quae  calefit, 
incipit  esse  per  motum  calefactionis.  Imo 
motus  ponitur  in  génère  talium.  Alteratio 
enim  est  in  génère  qualitatis,  in  qua  alte- 
ratio invenitur.  Quaedam  vero  incipit  esse 
permutationem  sequentem  motum  neces- 
sario,  sicut  forma  substantialis  inducitur  in 
materiam  per  generationem  sequentem  al- 
terationem,  cujus  ipsa  est  terminus  saltem 
extrinsecus.   Quœdam  autem  incipit  esse 


196  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    3. 

commencent  d'être  par  la  mutation  qui  suit  le  mouvement ,  mais  non 
pas  de  nécessité ,  comme  le  matin  l'illumination  de  notre  hémis- 
phère qui  est  précédée  du  mouvement  local  du  soleil  par  le  moyen 
duquel  elle  s'offre  à  nous ,  mais  ce  changement  n'est  pas  nécessaire- 
ment précédé  du  mouvement,  car  dès  le  premier  instant  de  la  création 
du  soleil ,  l'air  fut  illuminé  par  le  soleil  sans  aucun  mouvement  pré- 
cédent de  cet  astre.  Il  y  en  a  qui  commencent  d'être  par  une  simple 
émanation ,  et  non  par  mouvement  ou  par  mutation  ,  comme  les 
choses  qui  sont  créées.  Or,  il  faut  savoir  que  le  temps ,  soit  continu  , 
soit  partagé ,  ou  Yœvum ,  constitue  certaines  mesures  par  lesquelles 
certains  actes  sont  destinés  à  être  mesurés ,  parce  qu'ils  doivent  avoir 
telle  ou  telle  durée.  Or  il  est  des  actes  dans  lesquels ,  existant  numé- 
riquement dans  l'unité ,  se  trouve  une  succession ,  et  leur  durée 
consiste  à  prendre  une  partie  après  l'autre  ;  tels  sont  ceux  dont  j'ai 
dit  qu'ils  commencent  d'être  par  le  mouvement  seul ,  et  ces  actes  , 
lorsqu'ils  se  font  ou  lorsqu'ils  ont  été  faits,  c'est-à-dire  lorsqu'ils  sont 
en  repos  ,  sont  mesurés  parle  temps  continu.  Car,  par  rapport  à  eux, 
le  fieri  est  le  mouvement ,  et  le  factum  esse  est  le  repos.  Or  le  mouve- 
ment et  le  repos  se  mesurent  par  le  temps  continu ,  et  quando  se 
trouve  dans  tout  acte  semblable ,  comme  clans  le  temps ,  ainsi  qu'il  a 
été  dit.  Et  c'est  le  propre  de  quando  de  se  trouver  dans  tout  acte  sem- 
blable qui  commence  ainsi  d'être.  Car  cet  acte  étant  proprement 
mesuré  par  le  temps,  il  en  résulte  que  la  dénomination  est  aussi  pro- 
prement prise  du  temps  ,  de  sorte  qu'on  dit  de  la  promenade  qu'elle 
s'est  faite  hier  ou  aujourd'hui,  et  c'est  là  quando,  comme  nous  l'a- 
vons dit.  Ou ,  suivant  la  seconde  opinion  ,  le  temps  ,  comme  mesure 
propre  ,  a  un  rapport  à  ces  actes ,  et  ce  rapport  est  quando.  Donc  le 
propre  de  quando  est  de  se  trouver  dans  tout  acte  semblable  qui  com- 


per  mutationem  sequentem  motum,  sed 
non  ex  necessitate ,  sicut  illuminatio  nos- 
tri  hemisphserii  de  mane  quam  illumina- 
tionem  praecedit  motus  localis  solis,  per 
quetn  nobis  praesens  fit ,  talem  autem  mu- 
tationem non  ex  necessitate  praecedit  mo- 
tus, quia  in  primo  instanti  quando  creatus 
est  sol,  nullo  praecedente  motu  solis  fuit  aer 
illuminatus  a  sole.  Quœdam  autem  incipit 
esse  per  simplicem  emanationem,  et  non 
per  motum,  nec  per  mutationem.  Sicut  illa, 
quae  creantur.  Sciendum  est  autem,  quod 
tempus  sive  sit  continuum,  sive  discetum, 
et  «vum,  sunt  quaedam  mensurae  secun- 
duna  quas  actus  quidam  nati  sunt  mensu- 
rari,  quia  scilicet  habent  durare,  tantum 
vel  tantum  ,  quidam  autem  actus  est  in 
quo  uno  numéro  existente  est  successio,  et 
ejus  duratio  consistit  in  accipiendo  partem 
post  partem,  sicut  sunt  ea  de  quibus  dic- 


tum  est ,  quod  incipiunt  esse  solum  per 
motum,  et  taies  actus  quando  fiunt,  sive 
quando  facti  sunt,  cum  scilicet  sunt  in 
quiète ,  mensurantur  tempore  continue 
Eorum  enim  fieri  est  motus,  et  factum 
esse  est  quies.  Motus  autem,  et  quies  men- 
surantur tempore  continuo.  In  omni  autem 
tali  actu  est  quando,  sicut  tempore  ut  dic- 
tum  est.  Et  hoc  est  proprium  quando  esse 
in  omni  tali  actu,  qui  sic  incipit  esse ,  talis 
enim  actus,  quia  proprie  tempore  mensu- 
ratur,  proprie  etiam  sumitur  deiiominatio 
a  tempore ,  ut  dicatur  de  ambulatione  ho- 
dierna,  vel  hesterna,  et  hoc  est  quando,  ut 
dictum  est.  Ve!  juxta  secundam  opinionem, 
tempus  ut  mensurans  proprie  habet  res- 
pectum  ad  actus  taies,  et  hic  respectus  est 
quando.  Proprium  ergo  quando  est  esse  in 
omni  tali  actu,  qui  sic  incipit  esse  ut  in 
termino,  ut  dictum  est.  Aliquis  vero  actus 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aïUSTOTE.  197 

menée  d'être  ainsi  comme  dans  un  terme.  Il  est  d'autres  actes  dont  la 
durée  ne  consiste  pas  à  prendre  successivement  une  partie  après  l'autre, 
mais  en  ce  que  le  même  indivisible  reste  permanent ,  et  cet  acte  est 
double.  En  effet ,  il  y  a  certains  actes  indivisibles  dans  lesquels  il  ne 
se  trouve  aucune  succession ,  il  y  a  néanmoins  d'autres  actes  destinés 
à  leur  succéder,  et  ces  actes  eux-mêmes  sont  destinés  à  succéder  à 
d'autres  ,  comme  les  formes  substantielles  corruptibles  ,  les  pensées 
et  les  volitions  successives  des  anges.  Chacun  de  ces  actes  est  indivi- 
sible ,  et  l'un  succède  à  l'autre.  Car  une  forme  succède  à  l'autre  dans 
la  matière  première,  et  néanmoins  l'être  de  cette  forme  est  dans  l'in- 
divisible ,  et  il  en  est  ainsi  des  pensées  et  des  volitions  des  anges  dont 
nous  venons  de  parler.  D'où  il  résulte  que  ces  actes  sont  mesurés  par 
le  temps  discret.  Car  chacun  de  ces  actes  est  mesuré  par  le  moment 
présent  du  temps  discret ,  et  la  succession  qui  existe  entre  ces  actes 
est  mesurée  par  le  temps  discret  ;  or  le  temps  discret  se  trouve  dans 
le  genre  de  la  quantité  discrète  où  l'on  place  le  discours.  Car  le  dis- 
cours n'est  pas  pris  ici  pour  le  son ,  puisque  le  son  est  une  qualité ,  ni 
pour  le  nombre  des  syllabes  ,  parce  qu'ainsi  il  ne  seroit  pas  une  es- 
pèce différente  du  nombre ,  ni  pour  plusieurs  temps  continus  de 
syllabes,  parce  que,  de  cette  manière,  il  ne  seroit  pas  une  espèce 
différente  du  temps  continu.  En  effet ,  plusieurs  parties  de  temps  ne 
font  pas  une  espèce  différente  du  temps  ,  comme  il  a  été  dit  ;  mais  il 
se  prend  pour  la  mesure  de  la  prolation  de  ce  son.  Car  ici  il  ne  s'agit 
pas  seulement  de  donner  plusieurs  choses,  mais  de  produire  une  plus 
longue  durée  ,  suivant  que  plusieurs  choses  indivisibles  durent  plus 
qu'une  seule;  c'est  pourquoi  il  faut  établir  ici  un  nombre  apparte- 
nant à  la  mesure  de  durée  quelconque  ;  or,  c'est  une  chose  discrète 
dans  ce  qui  commence  d'être  ainsi.  Et  ce  qui  a  ainsi  l'être  ,  ce  n'est 


est,  cujus  duratio  non  consistit  in  acci- 
piendo  successive  partera  post  partem,  sed 
consistit  in  hoc,  quod  idem  indivisibile  ma- 
nens  stat,  et  iste  actus  est  duplex.  Quidam 
enim  actus  indivisibilis ,  in  quo  nulla  est 
successio,  tamen  natus  est  ei  alius  actus 
succedere  et  ipse  natus  est  succedere  alteri 
sicut  formae  substantiales  corruptibiles,  co- 
gitationes  et  volitiones  successives  angelo- 
rum.  Horum  enim  actuum  unusquisque  est 
indivisibilis,  et  unus  succedit  alleri.  Una 
namque  forma  succedit  alteri  in  materia 
prima,  et  tamen  esse  talis  formae  in  indi- 
visibili  est,  et  sic  est  de  dictis  cogitationi- 
bus  et  volitionibus  angelorum.  Unde  taies 
actus  mensurantur  tempore  discrète.  Unus- 
quisque enim  talium  actuum  mensuratur 
nunc  temporis  discreti ,  et  successio ,  quae 
est  inter  taies  actus ,  mensuratur  tempore 


discreto ,  tempus  autem  discretum  est  in 
illo  génère  quantitatis  discret»  in  quo  po- 
nitur  oratio.  Non  enim  oratio  ibi  ponitur 
pro  sono,  cum  sonus  sit  qualitas ,  nec  pro 
numéro  syllabarum,  quia  sic  non  esset  alia 
species  a  numéro  nec  pro  pluribus  tempo- 
ribus  continuis  syllabarum ,  quia  sic  non 
esset  alia  species  a  tempore  continuo.  Plu- 
res  enim  partes  temporis  non  faciunt  aliam 
speciem  tempore,  ut  supra  dictum  est,  sed 
ponitur  pro  mensura  prolationis  illius  soni. 
Ibi  enim  non  solum  est  dare  plura,  sed  est 
dare  plus  durare  secundum  quod  talia  plura 
indivisibilia  plus  durant  quam  unum,  ideo 
oportet  ibi  ponere  aliquem  numerum  per- 
tinentem  ad  mensuram  alicujus  durationis; 
hoc  autem  est  discretum  in  talibus ,  quae 
sic  incipiunt  esse.  Et  quae  sic  habent  esse, 
non  est  quando  ,  secundum  quod  hic  su- 


198  OPUSCULE   XL  Vil,    TRAITÉ    5,    CHAPITRE    3. 

pas  quando  en  tant  qu'il  est  pris  ici  comme  restant  de  l'adjacence  du 
temps  continu ,  et  si  on  y  trouvoit  quando  de  l'adjacence  du  présent 
du  temps  discret ,  il  seroit  d'une  autre  nature  que  quando  dont  il 
s'agit  ici.  Il  y  a  d'autres  actes  indivisibles  qui  ne  sont  pas  propres  à 
succéder  à  d'autres ,  ni  réciproquement ,  comme  l'acte  d'être  des 
auges  ,  de  l'ame  raisonnable  et  des  corps  célestes ,  et  l'intellection  de 
l'ange  par  laquelle  il  se  comprend,  laquelle  n'est  pas  successive,  la 
vision  béatifique  des  anges  et  des  âmes.  Ces  actes  sont  mesurés  par 
Vœvum ,  qui  est  tout  à  la  fois.  D'où  il  suit  que,  bien  que  ces  actes 
aient  commencé  d'être  par  une  simple  émanation  ,  quando  n'est  pas 
cependant  en  eux ,  car  ils  ne  se  mesurent  pas  par  le  temps.  Or,  nous 
pouvons  dire  que  quando  se  trouve  dans  tous  ces  actes  par  une  cer- 
taine coexistence  du  temps  continu  avec  leur  durée.  Nous  disons  ,  en 
effet,  quand  fut  l'ange,  hier  ou  aujourd'hui ,  non  pas  néanmoins  que 
l'ange,  quant  à  son  être,  soit  mesuré  par  le  jour  d'hier  ou  le  jour 
d'aujourd'hui,  mais  parce  que  le  jour  d'hier  ou  le  jour  d'aujourd'hui 
a  existé  en  même  temps  que  la  durée  de  l'ange,  c'est-à-dire  avec  son 
cevum ,  ou  parce  que  son  œvum  a  coexisté  avec  le  temps  d'hier  ou 
d'aujourd'hui ,  et  ainsi  de  suite.  Tel  est  le  prédicament  quando. 

mitur  quando  prout  relinquitur  ex  adja-  j  non  enim  habent  mensurari  tempore.  Pos- 
centia  temporis  continui ,  et  si  in  eis  esset  !  sumus  autem  dicere  quod  in  omnibus  dic- 

tis  actibus  sit  quando  per  quamdam  coexis- 
tentiam,  quam  habet  tempus  continuum 
cum  durationibus  eorum.  Dicimus  enim 
quando  fuit  angélus,  et  respondetur  heri 
vel  hodie  ;  non  tamen  quod  angélus  quan- 
tum ad  suum  esse  mensureretur  die  hes- 
terno  vel  hodierno ,  sed  quia  dies  hesterna 
vel  hodierna  simul  fuit  cum  dicta  dura- 
tione  angeli,  scilicet  cum  suo  sevo,  vel 
œvuum  suum  simul  coexistit  tempori  hes- 
terno  vel  hodierno.  Et  sic  de  aliis,  et  patet 
de  quando. 


quando  ex  adjacentia  ipsius  nunc  temporis 
discreti  esset  alterius  rationisquam  quando, 
de  quo  nunc  igitur.  Alius  vero  actus  indi- 
visibili  est,  qui  non  est  aptus  natus  succe- 
dere  alteri,  nec  alius  sibi ,  sicut  est  actus 
essendi  angelorum,  et  anima?  rationalis  et 
corporum  cœlestium,  et  intellertio  angeli, 
qua  videlicet  intelligit  se  ,  quee  non  est 
successiva,  et  beata  visio  angelorum  et 
animarum.  Et  taies  actus  mensurantur 
œvo,  quod  est  totum  simul.  Unde  licet  ta- 
ies actus  incœperit  esse  per  simplicem  ema- 
nationem,  tamen  in  eis  non  est  quando, 


SUR  LA   LOGIQUE   D  ARISTOTE. 


199 


TKAIÏE  VI. 

De  ubi. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Du  préclicarnent  Ubi,  ce  que  c'est  formellement ,  et  en  quoi  il  se  trouve 

subjectivement. 

Ubi  est  la  circonscription  d'un  corps  provenant  de  la  circonscrip- 
tion de  lieu.  Pour  comprendre  cette  définition  et  ce  que  c'est  que  ubi, 
il  faut  savoir  que  le  lieu  est  la  surface  d'un  corps  contenant  immo- 
bile ;  or  une  chose  peut  être  dans  un  lieu  de  deux  manières ,  savoir, 
définitivement  et  descriptivement.  Des  choses  sont  définitivement  dans 
un  lieu  quand ,  sans  être  douées  de  vastes  dimensions ,  ni  par  elles- 
mêmes,  ni  par  accident,  elles  ne  se  trouvent  pas  néanmoins  partout, 
mais  sont  dans  une  partie  du  monde ,  de  telle  sorte  qu'elles  ne  sont 
pas  dans  une  autre ,  comme  les  anges  et  les  âmes  séparées,  d'où  l'on 
dit  qu'elles  sont  dans  un  lieu  définitivement,  c'est-à-dire  détermina- 
tivement,  parce  qu'elles  ont  une  position  tellement  déterminée  dans 
une  partie  du  monde,  qu'elles  ne  sont  pas  alors  dans  une  autre  partie, 
et  par  rapport  à  elles  on  ne  peut  pas  dire  proprement  de  ubi  qu'il  est 
in,  parce  que  les  choses  qui  sont  en  ubi  sont  contenues  dans  un  lieu. 
Mais  ces  choses  contiennent  bien  plutôt  le  lieu  qu'elles  ne  sont  conte- 
nues dans  le  lieu,  elles  ne  sont  donc  pas  proprement  dans  ubi.  On  dit 
de  toutes  les  choses  qui  ont  une  dimension  qu'elles  sont  circonscrip- 
tivement  dans  un  lieu.  Ne  disons  rien  pour  le  moment  de  la  manière 
dont  la  dernière  sphère  est  dans  le  lieu.  Il  résulte  de  laque  la  quantité 
qui  rend  formellement  subjective  la  matière  étendue ,  la  constitue  en 
un  lieu  comme  cause  efficiente;  c'est  pourquoi  un  corps  localisé  par 


TIUCTATIS  YI. 

De  ubi. 


CAPUT  PRIMUM. 


De  prœdicamento  Ubi  quid  sit  formaliter  et 
in  quo  sit  subjective. 

Ubi  est  circumscriptio  corporis  a  loci 
circumseriptione  proveniens.  Ad  intelli- 
gendatn  prœdictam  descriptionem,  et  quid 
est,  ubi  sciendum  ,  quod  locus  est  superfi- 
cies corporis  coutinenlis  immobilis,  dupli- 
citer  autem  potest  aliquid  esse  in  loco , 
scilicet  diffniitive  et  descriptive.  Difïini- 
tive  sunt  in  loco  ea,  quse  licet  quanta  non 
sint,  nec  per  se  nec  per  accidens,  tamen 
non  sunt  ubique,  sed  ita  sunt  in  una  parte 
mundi ,  quod  non  sunt  in  alia,  sicut  sunt 


angeli  et  anima?  separatœ.  Unde  dicuntur 
esse  in  loco  diffinitive,  id  est  determina- 
tive,  quia  ita  determinatse  sunt  in  una 
parte  mundi,  quod  tune  non  sunt  in  alia, 
et  de  talibus  non  potest  proprie  dici  ubi 
esse  in.  Nam  ea  quee  in  ubi  continentur  in 
loco.  Sed  hujusmodi  magis  continent  lo- 
cum,  quam  contineantur  a  loco  ;  non  ergo 
proprie  sunt  in  ubi.  Circumscriptive  vero 
dicuntur  esse  in  loco  omnia  quanta.  Di- 
mittamus  modo  de  ultima  sphaera  qualiter 
sit  in  loco.  Unde  quantitas,  quse  formaliter 
facit  subjectam  materiam  quantam,  effi- 
cienter  facit  eam  esse  in  loco.  Unde  cor- 
pus locatum  per  suam  superficiem  tangit 


200  OPl'SCULE    XL VII  ,    TRAITÉ    6  ,    CHAPITRE    1 . 

sa  surface  touche  la  surface  du  corps  qui  contient ,  et  comme  la  sur- 
face du  corps  localisé  est  déterminée,  il  en  est  de  même  de  la  surface 
du  lieu  contenant.  Or  on  peut  considérer  sous  deux  rapports  la  sur- 
face du  corps  qui  renferme;  premièrement,  comme  étant  dans  le 
corps  contenant  et  le  dénommant,  telle  la  quantité;  secondement, 
comme  dénommant  le  corps  localisé ,  et  elle  constitue  ainsi  le  prédi- 
cament  ubi  qui  n'est  réellement  autre  chose  que  le  lieu  en  tant  qu'af- 
fectant la  chose  localisée  d'une  dénomination  extrinsèque,  comme  on 
dit  citoyen  de  cité ,  Praguéen  de  Prague.  Ou  suivant  la  seconde  opi- 
nion, le  prédicament  ubi  est  un  rapport  du  lieu  qui  circonscrit  la 
chose  localisée.  On  voit  par  ce  qui  précède  que  le  mouvement  local 
n'est  pas  dans  un  lieu  comme  tel,  mais  il  est  dans  le  prédicament  ubi; 
or  le  mouvement  se  trouve  subjectivement  dans  ce  qui  est  mû,  c'est- 
à-dire  dans  ce  qui  est  mobile.  On  dit  que  le  mouvement  est  dans  le 
genre  de  la  forme  qui  s'acquiert  par  le  mouvement,  laquelle  est  le  terme 
du  mouvement  ;  mais  le  lieu  ne  se  meut  pas,  puisqu'il  est  le  terme  du 
contenant  immobile,  tandis  que  la  chose  localisée  se  meut.  Or  le  lieu 
comme  tel  n'est  pas  la  forme  qui  s'acquiert  dans  la  chose  localisée , 
mais  bien  la  forme  du  contenant.  Rien  ne  s'acquiert  donc  dans  la 
chose  mobile,  si  ce  n'est  ubi,  qui  est  le  rapport  du  lieu  à  la  chose 
localisée  ,  comme  la  circonscrivant.  Ou  bien  c'est  la  domination  sup- 
posant le  susdit  rapport  dans  la  première  opinion.  Or  ce  rapport  se 
trouve  terminativement  dans  la  chose  localisée ,  suivant  l'extension 
du  lieu  dont  il  est  le  rapport,  de  même  que  le  fondement  s'acquiert 
dans  la  chose  tendant  vers  des  ubi  successifs,  jusqu'au  terme  du 
mouvement.  On  voit  par  là  que  dans  les  autres  espèces  du  mouvement 
dans  le  mobile  lui-même,  il  s'acquiert  une  forme  intrinsèque.  Car 
dans  l'altération  qui  se  fait  du  froid  à  la  chaleur,  la  chaleur,  qui  est  la 


superficiem  corporis  locantis.  Et  sicut  est 
signata  superficies  corporis  locati ,  ita  et 
superficies  locantis.  Superficies  autem  cor- 
poris locantis  potest  dupliciter  considerari. 
rjno  modo  ut  est  in  corpore  locante,  et 
denominat  illud ,  et  sic  est  quantitas.  Alio 
modo,  nt  denominat  corpus  locatum,  et  sic 
facit  preedicamentum  Ubi ,  quod'  nihil 
aliud  est  secundum  rem  quam  locus,  ut 
denominat  locatum  denominatione  extrin- 
seca,  sicut  dicitur  civis  a  civitate ,  et  Pra- 
gensis  a  Praga.  Vel  juxta  secundam  opi- 
nionem  praedicamentum  ubi  est  respectus 
loci  circumscribentis  locatum.  Ex  praedictis 
patet ,  quod  motus  localis  non  est  in  loco 
in  quantum  hujusmodi,  sed  est  in  praedica- 
mento  ubi,  motus  autem  subjective  est  in 
eo  quod  movetur,  seu  in  mobili.  Dicitur 
autem  motus  esse  in  génère  forma? ,  quae 


acquiritur  per  motum  ,  quae  est  terminus 
motus,  non  autem  movetur  locus  cum  sit 
terminus  continentis  immobilis  :  movetur 
autem  locatum  ,  locus  autem  in  quantum 
hujusmodi  non  est  forma  quae  acquiratur 
in  locato,  sed  est  forma  locantis.  Nihil  er- 
go  acquiritur  in  re  mobili  nisi  ubi  quod 
est  respectus  loci  ad  locatum  ,  ut  circum- 
scribit  illud.  Vel  est  dominatio  supponens 
prasdictum  respectum  juxta  primam  «pi- 
nionem.  Hic  autem  respectus  terminative 
est  in  ipso  locato ,  et  secundum  extensio- 
nem  loci,  cujus  est  talis  respectus,  ut  fun- 
damentum  acquiritur  in  re  ,  quae  movetur 
ad  aliud  ,  et  aliud  ubi  usque  ad  terminum 
motus.  Ex  his  patet,  quod  in  aliis  specie- 
bus  motus  in  ipso  mobili  acquiritur  forma 
intrinseca.  Nain  in  alteratioue ,  quae  lit  de 
frigore  ad  calorem  acquiritur  calor  qui  est 


SUR  LA  LOGIQUE  d'ARISTOTE.  201 

forme  intrinsèque  inhérente  à  l'objet  échauffé ,  se  trouve  acquise. 
Dans  l'augmentation  et  la  décroissance,  il  s'acquiert  une  certaine 
quantité  qui  est  aussi  la  forme  intrinsèque  inhérente;  mais  dans  le 
mouvement  local ,  ce  qui  s'acquiert ,  c'est  ubi  qui  dénomme  extrinsè- 
quement.  Ou  bien,  suivant  la  seconde  opinion,  c'est  un  rapport  ex- 
trinsèque fondé  sur  le  contenant  et  terminé  dans  la  chose  localisée , 
comme  il  a  été  dit.  On  comprend  donc  la  définition  de  ubi,  c'est- 
à-dire  que  c'est  la  circonscription  d'un  corps ,  ou  la  dénomination 
d'un  corps  localisé  circonscrit ,  provenant  de  la  circonscription  du 
lieu,  c'est-à-dire  du  lieu  qui  circonscrit.  Ou  suivant  la  seconde  opi- 
nion, c'est  la  circonscription  d'un  corps  localisé,  c'est-à-dire  le  rap- 
port terminé  dans  un  corps  circonscrit ,  provenant  de  la  circonscrip- 
tion du  lieu,  on  fondé  dans  le  lieu,  comme  circonscrivant  la  chose 
localisée. 

CHAPITRE  II. 

Ubi  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins ,  il  n'a  pas  la  contrariété ,  et  se 
trouve  dans  le  corps  terminé  par  une  surface. 

Ubi  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins,  ni  la  contrariété.  Car,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit,  ubi  n'est  autre  chose  que  le  lieu  comme  dénom- 
mant la  chose  localisée  qu'il  circonscrit.  Ou  bien  ,  sur,  ant  la  seconde 
opinion,  c'est  un  rapport  extrinsèque  fondé  dans  le  lieu  qui  circon- 
scrit, et  terminé  dans  la  chose  localisée.  Ce  rapport  n'ajoute  rien  de 
réel  au  fondement ,  si  ce  n'est  le  terme  ad  quem ,  comme  il  a  été  dit 
plus  haut  au  sujet  de  la  relation.  C'est  pourquoi  il  ne  signifie  rien  de 
différent  du  lieu.  Mais  le  lieu  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins,  et  il 
n'y  a  rien  de  contraire  au  lieu ,  comme  on  l'a  dit.  Donc  ubi  ne  reçoit 
ni  le  plus,  ni  le  moins,  ni  la  contrariété.  Or  le  propre  de  ubi,  c'est 


forma  intrinseca  inhaerens  ipsi  calefacto.  Et 
in  augmente»  et  décrémente  acquiritur  certa 
quantitas,  quee  etiam  est  forma  inhaerens 
intrinsece.  Sed  in  motu  locali  acquiritur 
ubi,  quod  denominat  extrinsece.  Vel  juxta 
secundam  opinionem  est  respectus  extrin- 
secus  fundatus  in  locante  et  terminatus  in 
locato ,  ut  dictum  est.  Patet  ergo  descrip- 
tio  ipsius  ubi,  scilicet  quod  est  circum- 
scriptio  corporis,  id  est,  denominatio  cor- 
poris  locati  circumscripti  proveniens  a  cir- 
cumscriptione  loci ,  id  est,  ab  ipso  loco 
circumscribenle.  Vel  juxta  secundam  opi- 
nionem est  circnmscriptio  corporis  locati , 
id  est,  respectus  terminatus  in  corpore  cir- 
cumscripto,  proveniens  a  circumscriptione 
loci,  id  est  fundatus  in  loco  prout  circum- 
scribit  locatum. 


CAPUT  II. 

Quod  Vbi  non  suscipit  magis  nec  minus,  nec 
habst  contrarietatem ,  et  quod  est  in  cor- 
pore  terminalo  superficie. 

Ubi  vero  non  suscipit  magis  nec  minus 
et  non  suscipit  contrarietatem.  Ut  enim 
dictum  est,  ubi  nihil  aliud  est  quam  locus 
ut  denominans  rem  locatam  ,  quam  cir- 
cumscribit.  Vel  juxta  secundam  opinio- 
nem est  respectus  extrinsecus  fundatus  in 
loco  circumscribente ,  et  terminatus  in  re 
locata  ;  qui  respectus  nihil  reale  addit  su- 
pra fundamentum,  nisi  terminum  ad  quem, 
ut  supra  de  relatione  dictum  est.  Unde 
nullam  rem  dicit  diversam  a  loco.  Sed  lo- 
cus non  recipit  magis  vel  minus,  nec  loco 
aliquid  est  contrarium ,  ut  supra  dictum 
est,  ergo  nec  ubi  suscipit  magis  vel  rmnu 
nec  contrarietatem.  Proprium  autem  ub 


202  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    6,    CHAPITRE    2. 

d'être  dans  tout  corps  terminé  ou  dénominativement,  ou  dans  la 
seconde  opinion  terminativement ,  bien  qu'il  y  ait  dans  un  corps  cer- 
tains autres  accidents,  comme  la  chaleur,  la  douceur,  etc.,  et  que  cer- 
tains rapports  se  terminent  au  corps,  comme  l'égalité  et  l'inégalité , 
néanmoins  ils  ne  conviennent  pas  au  corps  aus;si  proprement  qu'à 
ubi  ;  car  le  corps  est  ce  qui  est  limité  par  une  surface  ou  par  des  sur- 
faces, et  c'est  là  la  nature  du  corps  en  tant  que  corps.  Mais  comme  la 
nature  a  horreur  du  vide ,  il  faut  nécessairement  qu'elle  s'adjoigne 
immédiatement  une  autre  superficie  qui ,  comme  immobile,  est  ap- 
pelée lieu  et  le  circonscrit,  c'est  ubi.  C'est  pourquoi  ubi  est  propre- 
ment dans  le  corps ,  parce  qu'il  suit  immédiatement  le  corps  comme 
tel.  Je  dis  que  le  propre  de  ubi  est  d'être  dans  tout  corps,  ajoutez  et 
non  dans  une  autre  chose ,  parce  qu'il  n'est  pas  dû  de  lieu  à  l'indivi- 
sible comme  tel.  Si ,  en  effet,  le  lieu  est  une  quantité  continue,  il  doit 
être  indivisible.  Or  la  chose  localisée  et  le  lieu  sont  dans  un  rapport 
adéquat ,  d'où  il  résulte  que  si  quelque  indivisible  étoit  lieu,  il  s'en- 
suivroit  que  ce  lieu  seroit  indivisible.  Remarquez  qu'on  peut  prendre 
l'indivisible  sous  deux  rapports.  D'abord  mathématiquement ,  et  sous 
ce  rapport  le  point  seul  est  indivisible,  et,  comme  il  a  été  dit,  il  ne 
lui  est  pas  proprement  dû  de  heu.  En  second  lieu,  l'indivisible  se 
prend  naturellement ,  car  on  peut  arriver  à  la  plus  petite  parcelle  de 
chair,  laquelle  étant  divisée,  il  n'y  aura  plus  de  chair.  Néanmoins  cet 
indivisible  est  étendu  ,  tandis  que  le  point  ne  l'est  pas ,  et  rien  n'em- 
pêche que  cette  sorte  d'indivisible  soit  dans  un  heu  ;  il  admet  donc 
ubi.  Je  dis  aussi  que  ubi  est  dans  un  corps  terminé;  si,  en  effet,  il  y 
avoit  un  corps  infini,  comme  les  anciens  philosophes  supposoient 
qu'il  y  en  avoit  un  hors  du  ciel,  ce  corps  ne  seroit  pas  dans  ubi.  Tel 
est  ce  qui  concerne  ubi. 

est  esse  in  omni  corpore  terminato  vel  de-  j  eus  est  quantitas  continua ,  oportet  quod 
nominative,  veljuxta  secundam  opinionem  j  sit  indivisibilis.  Locatum  autem  et  locus 
terminative ,  licet  euim  qusedam  alia  ac-  i  adaequantur.  Uude  si  alicujus  indivisibilis 
cidentia  sint  in  corpore,  ut  calor,  dulcedo  |  esset  locus,  sequeretur  quod  locus  ille  esset 
et  hujusmodi ,  et  quidam  etiam  respectus  J  indivisibilis.  Notandum  quod  indivisibile 
terminentur  ad  corpus,  ut  œqualitas  et  in-  j  dupliciter  potest  sumi.  Uno  modo  mathe- 
œqualitas ,  tamen  non  ita  proprie  conve-  matice,  et  sic  solus  punctus  est  indivisi- 
niunt  corpori ,  sicut  ubi.  Corpus  enim  est  j  bilis ,  et  cui ,  ut  dictum  est ,  non  debetur 
quod  superficie  vel superficiebusterminatur,  proprie  locus.  Alio  modo  sumitur  indivisi- 
et  hoc  est  de  ratione  corporis  in  quantum  ;  bile  naturaliter,  est  enim  devenire  ad  mi- 
est  corpus.  Sed  quia  natura  non  sustinet  j  nimam  carnem,  quae  si  dividatur,  non  erit 
vacuum,  oportet  quod  statim  sibi  conjun-  I  amplius  caro.  Hoc  tamen  indivisibile  est 
gatur  alia  superficies,  quae  ut  immobilis  est,  quantum,  et  non  punctus,  et  nullus  prohi- 
locus  dicitur  et  circumscribit  illud,  et  hoc  bet  taie  indivisibile  esse  in  loco  :  igitur  in 
est  ubi.  Unde  proprie  ubi  est  in  corpore  eo  est  ubi.  Dico  etiam  quod  ubi  est  in  cor- 
quia  immédiate  sequitur  ipsum  corpus  in  |  pore  terminato.  Si  enim  esset  corpus  infi- 
quantum  hujusmodi.  Et  dico ,  quod  pro-  j  nitum,  ut  ponebant  primi  Philosophi  esse 
prium  est  ubi  esse  in  omni  corpore,  supple,  extra  cœlum,  taie  corpus  non  esset  in  ubi , 
et  non  in  alio ,  quia  indivisibili  in  quantum  et  sic  patet  de  ubi,  etc. 
hujusmodi  non  debetur  locus.  Si  enim  lo-  ! 


SUR   LA   LOGIOUE   D  ARISTOTE. 


203 


TRAITE  VIL 

De  la  position. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Du  prédicament  de  position  ;  est-il  quelque  chose  suivant  la  raison 

formelle  ? 

La  position  est  l'ordre  ou  la  disposition  des  parties  dans  le  lieu. 
Pour  comprendre  cela ,  il  faut  savoir  que  la  partie  est  prise  comme  le 
tout  d'une  manière  multiple.  En  effet,  il  y  a  un  triple  tout,  le  tout 
universel,  potentiel  et  intégral,  et  lorsqu'on  parle  d'un  autre  tout, 
comme  le  tout  dans  la  quantité,  le  tout  dans  le  temps  ,  le  tout  dans 
le  lieu  ,  ils  se  rapportent  à  ces  trois  premiers.  Or  on  appelle  tout  uni- 
versel un  genre  dont  les  parties  subjectives  sont  des  espèces;  le  tout 
potentiel  est  quelque  chose  où  il  y  a  des  puissances  qui  ne  peuvent 
être  appelées  ni  parties  intégrales,  ni  parties  subjectives,  comme 
l'ame  est  un  tout  potentiel  par  rapport  à  ses  puissances,  et  chacune 
de  ses  puissances  est  appelée  force  potentielle.  Le  tout  intégral  est  de 
deux  sortes.  L'un  qui  est  constitué  par  les  parties  intégrantes  de  l'es- 
sence de  la  chose  composée.  Chacune  de  ces  parties,  prise  en  elle- 
même  ,  n'est  pas  destinée  à  exister  naturellement  sans  l'autre,  comme 
la  forme  et  la  matière.  Il  y  a  un  autre  tout  intégral  dont  les  parties 
séparées  du  tout  peuvent  naturellement  exister  par  elles-mêmes, 
comme  un  morceau  de  bois  étant  divisé  en  deux  fragments,  chacune 
des  parts  peut  exister  par  elle-même,  et  c'est  là,  comme  on  dit  en  méta- 
physique ,  passio  quanti  in  eo  quod  quantum  est.  Et  comme  ces  par- 
ties sont  divisibles,  elles  peuvent  être  déterminées  par  l'intellect, 


TRACTATliS  VII. 


De  situ. 


GAPUT  PRIMUM. 


De  prœdicamenlo  si  lus  >  an  aliquid  sil  se- 
cundum  rationem  formatera. 

Positio  est  ordo  seu  ordinatio  partium 
in  loco.  Ad  intelligendum  autem  prœdictam 
descriptionem  ,  sciendum  est ,  quod  pars 
multipliciter  dicitur  sicut  et  totum.  Est 
enim  triplex  totum,  scilicet  universale, 
potentiale  et  intégrale.  Et  si  aliud  totum 
dicatur,  ut  totum  in  quantitate,  totum  in 
tempore,  totum  in  loco ,  ad  ista  tria  redu- 
cuntur.  Dicitur  autem  totum  universale 
genus,  cujus  partes  subjectivse  sunt  species, 
totum  vero  potentiale  dicitur  aliquid  ,  in 
quo  sunt  potentiae  ,  quee  nec  partes  inté- 


grales dici  possunt,  nec  partes  subjectivse, 
sicut  anima  respectu  suarum  potentiarum 
est  totum  potentiale,  et  qutelibet  ejus  po- 
tentia  dicitur  vis  potentialis.  Totum  vero 
intégrale  est  duplex.  Unum  est,  quod  con- 
stituitur  ex  partibus  integrantibus  essen- 
tiam  rei  composites.  Quarum  partium  una- 
quaeque  per  se  accepta  non  est  nata  esse 
naturaliter  sine  alia ,  sicut  sunt  forma  et 
materia.  Aliud  vero  totum  intégrale  est , 
cujus  partes  sunt  natae  divisée  a  loto  quœ- 
libet  per  se  esse,  sicut  diviso  ligno  toto  in 
duo  ligna  unaquœque  partium  potest  per 
se  esse,  et  haec  est  passio  quanti  in  eo  quod 
quantum  est,  ut  dicitur  V  Metaph.  Et  quia 
taies  partes  sicut  sunt  divisibiles,  ita  per 


204  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    7,    CHAPITRE    1. 

quoiqu'elles  ne  soient  pas  séparées ,  et  parce  que ,  considérées  en 
elles-mêmes,  elles  ont  un  certain  ordre  dans  le  tout,  l'une  étant  con- 
sidérée proprement  comme  étant  le  centre  du  tout,  une  autre  comme 
venant  ensuite,  et  ainsi  des  autres,  un  tel  ordre  est  appelé  puissance, 
laquelle  est  la  différence  de  la  quantité,  comme  il  a  été  dit.  Il  ne  faut 
pas  croire  cependant  qu'un  pareil  ordre ,  qui  est  appelé  puissance , 
soit  une  relation ,  parce  que  la  différence  de  la  quantité  ne  peut  pas 
être  dans  un  prédicament  différent  de  la  quantité ,  mais  elle  peut  être 
une  relation  secundum  dici,  comme  nous  disons  que  la  science  est 
une  relation  ou  un  relativus  secundum  dici.  Car  la  science  est  dans  la 
première  espèce  de  la  qualité  par  antériorité,  et  secondairement  elle 
désigne  un  certain  rapport  à  ce  qui  est  susceptible  d'être  connu  par 
la  science.  On  peut  aussi  considérer  sous  un  autre  point  de  vue  les 
parties  intégrales  dont  nous  venons  de  parler  dans  leur  comparaison 
avec  le  lieu,  en  tant,  par  exemple,  qu'une  partie  du  lieu  correspond 
à  chacune  des  parties  ainsi  coordonnées  dans  le  tout  ;  et  cet  ordre  ou 
disposition  des  parties  dans  le  lieu  s'appelle  position ,  qui  est  le  pré- 
dicament situs.  Il  faut  remarquer  que  le  tout  localisé  et  tout  le  lieu 
restant  les  mêmes,  les  diverses  parties  de  la  chose  localisée  peuvent 
être  appliquées  aux  différentes  parties  du  lieu,  il  y  a  par  conséquent 
quelque  différence  entre  la  comparaison  du  tout  localisé  avec  le  tout 
localisé ,  et  la  comparaison  des  parties  avec  les  parties ,  et  ainsi  la 
puissance  qui  désigne  l'ordre  des  parties  de  la  chose  localisée  ,  relati- 
vement aux  différentes  parties  du  lieu,  est  un  prédicament  différent 
du  prédicament  ubi,  qui  signifie  la  circonscription  de  la  chose  loca- 
lisée par  le  lieu.  Il  faut  observer  que  la  superficie  du  corps  contenant, 
qui  est  appelé  lieu ,  et  la  superficie  du  corps  contenu  coexistent  simul- 
tanément ,  et  telle  est  la  figure  du  corps  contenu ,  telle  est  aussi  la 
figure  du  lieu  ou  la  superficie  du  corp6  contenant ,  et  par  conséquent 


intellectum  signari  possunt ,  quamvis  non 
sint  divisée,  et  quia  in  se  consideratae  inter 
se  habent  aliquem  ordinem  in  toto,  quia 
una  consideratur  proprie  esse  centrum  to- 
tius,  et  alia  post  aliam,  et  sic.  de  aliis,  talis 
ordo  dieitur  potentia,  quae  est  differentia 
quantitatis,  ut  supra  dictum  est.  Née  ta- 
men  est  credendum,  quod  talis  ordo ,  qui 
dieitur  potentia,  sit  relatio,  quia  differen- 
tia quantitatis  non  potest  esse  in  alio  prae- 
dicamento  a  quantitate,  sed  potest  esse  re- 
latio secundum  dici,  sicut  dicimus,  quod 
scientia  est  relatio,  vel  relatum  secundum 
dici.  Est  enim  scientia  in  prima  specie 
qualitatis  per  prius,  secundario  autem  dicit 
quemdam  respectum  ad  scibile.  Alio  modo 
possunt  considerari  praedictae  partes  inté- 
grales, ut  comparantur  ad  locum ,  prout, 


scilicet  cuilibet  parti  sic  ordinatae  in  toto 
correspondet  pars  loci,  et  talis  ordo,  seu 
ordinatio  partium  in  loco  dieitur  positio  , 
quae  est  praedicamentum  situs.  Notandum, 
quod  manente  eodem  toto  locato  et  eodem 
toto  loco,  possunt  partes  diverse  lecati  di- 
versis  partibus  loci  applicari ,  et  ideo  est 
aliqua  diversitas  inter  comparationem  to- 
tius  locati  ad  totum  locatum,  et  inter  com- 
parationem partium  ad  partes ,  et  sic  po- 
tentia, quae  dicit  ordinem  partium  locati 
ad  diversas  partes  loci ,  est  aliud  praedica- 
mentum  quam  praedicamentum  Ubi,  quod 
dicit  circumscriptionem  locati  a  loco.  No- 
tandum ,  quod  superficies  corporis  conti- 
nents ,  quae  locus  dieitur ,  et  superficies 
corporis  contenti  sunt  simul,  et  secundum 
quod  est  figura  corporis  contenti ,  sic  est 


SUR  LÀ   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  205 

il  faut  que  le  lieu  ait  une  habitude  différente  par  rapport  à  la  chose 
localisée,  suivant  la  situation  des  parties  et  sa  différence  dans  le  corps 
localisé.  C'est  pourquoi  du  lieu  contenant  ainsi  diversement  les  par- 
ties de  la  chose  localisée  on  dénomme  cette  chose  même  à  raison  de 
ses  parties.  Le  prédicament  de  situation  ou  de  position  est  ainsi  ap- 
pelé, comme  on  dit  un  homme  assis,  parce  que  les  parties  du  lieu 
circonscrivent  de  cette  manière  les  parties  de  la  chose  localisée.  Ou , 
suivant  la  seconde  opinion ,  le  rapport  fondé  sur  la  chose  localisée ,  à 
raison  de  ses  parties,  est  la  position  ou  situation.  On  voit  donc  par  là 
ce  que  c'est. 

CHAPITRE  II. 

La  position  est  la  dénomination  ou  le  rapport  tiré  des  parties  du  lieu 
à  raison  des  parties  de  la  chose  localisée. 

Il  faut  savoir  qu'il  en  est  qui  disent  que  la  situation  ou  position 
n'est  pas  la  dénomination  ou  le  rapport  tiré  des  parties  du  lieu  à 
raison  des  parties  de  la  chose  localisée ,  mais  bien  plutôt  un  rapport 
tiré  des  parties  de  la  chose  localisée  relativement  aux  parties  du  lieu. 
Si  on  leur  objecte  que  s'il  en  étoit  ainsi,  il  s'ensuivroit  que  cette 
dénomination  ne  seroit  pas  ab  exlrinseco,  parce  que  le  rapport  fondé 
sur  les  parties  de  la  chose  localisée,  suivant  la  première  opinion, 
laquelle  est  le  prédicament  de  situation ,  ne  se  trouve  pas  en  dehors 
du  tout  localisé  ,  d'où  il  suivroit  que  la  situation  seroit  une  relation. 
Ils  répondent  à  cela  qu'il  arrive  pour  la  situation  ce  que  nous  avons 
dit  plus  haut  pour  la  passion ,  laquelle,  quoique  étant  subjectivement 
dans  l'objet  qui  la' subit ,  dénomme  néanmoins  le  patient  d'une  dé- 
nomination extrinsèque ,  parce  qu'elle  ne  le  dénomme  qu'à  raison  de 
l'agent ,  qui  est  extérieur,  et  ainsi  ils  disent  que  les  parties  de  la  chose 


figura  loci,  seu  superficies  continentis  ,  et 
ideo  secundum  situationem  partium  et 
ejus  diversitatem  in  corpore  locato,  neces- 
se  est  locum  diversam  habitudinem  habere 
ad  locatum.  Unde  a  prœdicto  loco  sic  di- 
versimode  locante  partes  locati  deno  minant 
ipsum  locatum  ratione  suarum  partium. 
Dicitur  prsedicamentum  situs  seu  positio- 
nis,  sicut  dicitur  homo  sedens,  quia  partes 
loci  sic  circumscribunt  partes  locati.  Vel 
juxta  secundam  opinionem  respectus  fun- 
datus  in  locato  ratione  suarum  partium , 
est  positio  seu  situs.  Patet  ergo  quid  est 
situs  seu  positio. 

CAPUT  II. 

Quod  positio  est  denominalio  seu  respectus 
sumptus  a  parlibus  loci,  ratione  partium 
locati. 

Sciendum  est,  quod  quidam  dicunt,  quod 


quidam  dicunt,  quod  situs  seu  positio  non 
est  denominatio  sive  respectus  sumptus  a 
partibus  loci  ratione  partium  locati,  sed 
potius  est  respectus  sumptus  a  partibus  lo- 
cati ad  partes  loci.  Et  si  objiciatur  eis, 
quod  si  hoc  esset,  sequeretur  quod  talis 
denominatio  non  esset  ab  extrinseco,  quia 
respectus  fundatus  in  partibus  locati  juxta 
secundam  opinionem  ,  ad  quam  sequitur 
talis  denominatio  juxta  primam  opinio- 
nem quae  est  prœdicamentum  situs,  non 
est  extra  totum  locatum.  Unde  sequetur 
quod  situs  esset  relatio.  Ad  hoc  respondent 
quod  de  situ  accidit  sicut  de  passione  supra 
dictumest,  quœ  licet  sit  subjective  in  passo, 
tamen  ab  ea  denominatur  patiens  deno- 
minatione  extrinseca,  quia  non  denominat 
illud  nisi  ratione  agentis,  quod  est  extra,  et 
sic  dicunt,  quod  partes  locati  sic  ordinataî 
non  denominant  lotum  in  praedicamento 


206  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    7,    CHAPITRE    3. 

localisée  ainsi  coordonnées,  ne  dénomment  le  tout  dans  ce  prédica- 
ment  qu'à  raison  des  parties  du  lieu  auxquelles  elles  se  rapportent. 
Et  comme,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  Aristote  n'a  point 
établi  ces  prédicaments ,  et  que  celui  qui  l'a  fait  n'a  pas  une  grande 
autorité,  ni  un  partisan  de  quelque  valeur,  il  en  résulte  que  chacun 
aujourd'hui  peut  en  penser  et  en  dire  ce  qui  lui  plaît.  Néanmoins  les 
deux  opinions  pourroient  se  soutenir,  mais  la  première  a  plutôt  pour 
but  d'établir  que  ce  prédicament  signifie  la  forme  survenant  extrinsè- 
quement,  tandis  que  la  seconde  paroît  se  fonder  sur  la  signification 
des  locations  qui  importent  la  position.  Carsessio  et  cubatio  semblent 
signifier  plutôt  la  disposition  des  parties  de  la  chose  localisée  par 
rapport  aux  parties  du  lieu,  que  vice  versa.  Il  en  est  de  même  de 
âpre  et  doux,  car  cela  est  âpre  dont  les  parties  se  présentent  égale- 
ment. Quelle  est  la  plus  probable  de  ces  opinions,  j'en  laisse  le  juge- 
ment au  lecteur. 

CHAPITRE  III. 

La  situation  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  contrariété , 
ce  qui  lui  est  propre,  c'est  d'assister  à  la  substanee  d'une  manière  pro- 
chaine. 

Le  situs  ou  position  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins,  soit  qu'elle 
soit  le  rapport  des  parties  du  lieu  aux  parties  de  la  chose  localisée  ou 
vice  versa ,  parce  que  ni  les  parties  du  lieu ,  ni  les  parties  de  la  chose 
localisée  ne  reçoivent  le  plus  et  le  moins ,  par  conséquent  ni  le  situs 
non  plus.  De  même  ce  situs  ne  reçoit  pas  la  contrariété ,  comme  oii 
peut  le  déduire  de  ce  qui  a  été  dit.  C'est  le  propre  du  situs  d'assister 
d'une  manière  prochaine  à  la  substance  matérielle.  Pour  comprendre 
cela,  il  faut  savoir  qu' assister,  dans  le  sens  où  on  prend  ici  ce  mot , 
c'est  être  en  rapport.  Il  faut  noter  que  la  quantité  affecte  la  chose  ma- 

isto,  nisi  ratione  partium  loci,  ad  quas  ha- 
beîit  respeclum.  Et  quia,  ut  supra  dictum 
est,  ista  prœdicamenta  non  fecit  Aristote- 
les,  et  ille  qui  fecit,  non  fuit  tant*  aueto- 
ritatis,  nec  habuit  aliquem  expositorem  ali- 
cujus  auctoritatis,  ideo  de  eis  quilibet  itio- 
dernorum  dicît,  sicut  sibi  videtur.  Utraque 
tamen  opinio  posset  salvari ,  sed  prima 
magis  stat  ad  salvandum  quod  hoc  praedi- 
camentum  dicat  formam  extrinsecus  ad- 
venientem.  Secunda  vero  videtur  magis 
stare  cum  significato  dictionum ,  quœ  im- 
portant positionem.  Nam  sessio  et  cubatio 
magis  videntur  dicere  dispositionem  par- 
tium locati  per  respectum  ad  partes  loci , 
quam  e  converso.  Et  sinùliter  se  habet  de 
aspero  et  leni ,  asperum  enim  est  cujus 
partes  œqualiter  porriguntur.  Quae  autem 
istarum  ophnonum  sit  probabilior,  legen- 
tis  judicio  relinquo,  etc. 


CAPUT  III. 

Quod  situs  non  suscipit  magis  nec  minmt'A 
nec  habet  conlrarielatem,  et  quod  pro- 
prium  ejus  est  proxime  assistere  sub- 
stantiœ. 

Situs  autem,  seu  positio  non  recipit  ma- 
gis nec  minus ,  sive  sit  respectus  partium 
loci  ad  partes  locati,  sive  e  converso,  quia 
nec  partes  loci  nec  partes  corporis  locati 
suscipiunt  magis  vel  minus;  ideo  nec  situs 
suscipit  magis  vel  minus.  Similiter  nec  re- 
cipit contrarietatem  ,  ut  ex  supra  dictis 
potest  patere.  Est  autem  proprium  situs 
proxime  assistere  substantif  materiali.  Ad 
quod  intelligendum ,  sciendum  est  quod 
assistere,  ut  hic  sumitur,  est  esse  respecti- 
vum.  Notandum  quod  quantitas  afïicit  rem 
materialem  prius  quam  aliquod  accidens. 
Unde  primam  materiam  prius  natura  m- 


SUR  LÀ  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  207 

térielle  avant  aucun  accident.  C'est  pourquoi  la  forme  substantielle 
qui  donne  l'être  informe  la  matière  première  avant  la  nature.  Pour 
cette  information ,  la  quantité  passe  naturellement  avant  quelque 
autre  accident;  or,  comme  on  l'a  dit,  la  passion  propre  de  la  quan- 
tité ,  c'est  d'être  divisible  en  parties  intégrales;  c'est  pourquoi ,  dans 
le  chap.  Y  de  la  Métaph.,  Aristote  en  donne  cette  définition.  Quantum 
est  ce  qui  est  divisible  en  parties  toujours  divisibles.  Le  situs,  qui  est 
un  certain  rapport,  se  termine  à  ses  parties  intégrales,  quoiqu'il  soit 
fondé  sur  le  lieu,  ou ,  suivant  d'autres,  sur  les  parties  de  la  quantité, 
et  se  termine  aux  parties  du  lieu,  lequel  rapport  est  suivi  de  la  déno- 
mination qui  constitue  le  prédicament  situs,  suivant  la  première  opi- 
nion. Donc  le  plus  prochain  rapport  de  la  substance  matérielle ,  soit 
termina tivement,  soit  fondamentalement,  c'est  le  situs  ou  position. 


TRAITE  VIII. 

De  l'habitude. 

CHAPITRE  PREMIER. 

De  Thabitus  en  tant  que  'prédicament ,  ce  que  c'est  formellement. 

Vhabitus  est  l'adjacence  des  corps  et  de  ce  qui  les  environne.  Pour 
comprendre  ceci,  il  faut  savoir  que  avoir  quelque  chose  signifie  un 
certain  rapport.  On  dit  que  certains  sujets  ont  certaines  choses ,  mais 
entre  le  sujet  qui  a  ces  choses  et  les  choses  elles-mêmes,  il  n'y  a 
qu'un  rapport  de  raison ,  comme  quand  on  dit  que  quelque  chose  a 
une  substance  ou  une  partie  de  substance,  le  pied,  la  main,  ou 


format  forma  substantialis,  quae  dat  sibi 
esse.  Ad  quam  informationem  prius  natura 
sequitur  quantitas,  quam  aliquod  aliud  ac- 
cidens:  ut  autem  supra  dictum  est,  propria 
passio  quantitatis  est  quod  sit  divisibilis  in 
partes  intégrales.  Et  ideo  V  Metaph.  a  Phi- 
losopho  sic  describitur.  Quantum  est  quod 
est  divisibile  in  semper  divisibilia.  Ad 
quas  partes  intégrales  terminatur  situs  qui 


est  rcspectus  quidam,  licet  fundetur  in 
loco  vel  secundum  alios  fundatur  in  par- 
tibus  quantitatis  et  terminatur  ad  partes 
loci,  ad  quem  respectum  sequitur  denomi- 
natio ,  quee  facit  prsedicamentum  situs , 
juxta  primam  opinionem.  Proximus  ergo 
respectus  substantise  materialis  sive  termi- 
native ,  sive  fundamentaliter  est  situs  sive 
positio ,  etc. 


TRACTATIS  VIII- 

De   HAB1TU. 


CAPUT  PR1MUM. 

De  habilu   secundum  quod  est  prœdicameu- 
(um  quid  sit  formuliter. 

Habitus  est  corporum,  et  eorum  quœ 
circa  corpus  sunt  adjacentia.  Ad  intelli- 


gendum  autem  prcedictam  descriptionem , 
sciendum,  quod  habere  aliquid  dicit  quem- 
dam  respectum.  Quaedam  enim  dicuntur 
habere  aliquas  rcs,  sed  inter  habentem  et 
res  habitas  est  solus  respectus  rationis ,  ut 
cum  aliquid  dicitur  habere  substantiam, 


208  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    8,    CHAPITRE    1. 

qu'elle  a  une  quantité  ou  une  qualité;  et  cependant  entre  le  sujet  et 
la  chose  possédée  ,  il  n'y  a  aucun  rapport  réel ,  mais  seulement  un 
rapport  de  raison.  C'est  pourquoi  cette  manière  d'avoir  appartient 
aux  prédicaments  absolus.  Il  y  a  d'autres  sujets  qui  sont  dits  avoir 
certaines  choses,  de  manière  qu'entre  le  sujet  et  ces  choses  il  existe 
un  rapport  réel  et  conversif ,  comme  le  père  est  dit  avoir  un  fils,  et 
le  fils  un  père ,  le  maître  un  esclave  ou  un  domaine ,  et  l'esclave  et  le 
domaine  un  maître.  Or  du  père  au  fils  et  du  fils  au  père,  il  y  a  un  rap- 
port réel;  il  en  est  de  même  du  maître  et  de  l'esclave,  et  celte  ma- 
nière d'avoir  appartient  au  prédicament  de  relation.  D'autres  sujets 
sont  dits  avoir  certaines  choses  ;  et  entre  ces  sujets  et  les  choses  pos- 
sédées, il  y  a  un  rapport  réel,  mais  non  conversif,  mais  bien  un 
rapport  du  sujet  à  la  chose ,  et  c'est  dans  ce  sens  qu'on  dit  que  le 
temps  a  les  choses  temporelles ,  le  lieu  l'objet  localisé ,  les  parties  du 
lieu  les  parties  de  l'objet  localisé,  et  le  contenant  le  contenu;  et  cette 
manière  d'avoir  appartient  aux  prédicaments  quando ,  ubi  et  situs. 
Car  on  dit  que  ce  qui  possède  de  cette  manière  a  le  contenu ,  ce  qui 
revient  au  prédicament  quando  et  la  chose  située ,  ce  qui  revient  au 
prédicament  situs.  Le  vase  en  effet  est  un  lieu  mobile ,  et  le  lieu  est 
est  un  vase  immobile ,  comme  il  est  au  livre  IY  de  la  Phys.  D'autres 
sujets  sont  dits  avoir  certaines  choses,  et  entre  ces  sujets  et  ces 
choses,  il  existe  un  rapport  réel ,  non  conversif,  de  manière  qu'un 
tel  rapport  est  le  rapport  de  la  chose  possédée  au  sujet  qui  la  possède, 
comme  on  dit  que  l'homme  a  une  tunique ,  et  le  rapport  est  de  la 
tunique  à  l'homme  qui  la  possède ,  mais  non  réciproquement.  Cette 
manière  d'avoir  appartient  à  ce  prédicament,  je  veux  dire  Yhahilus. 
Remarquez,  ainsi  que  le  dit  Aristote,  chap.  XV  des  Animaux,  que 
la  nature  a  pourvu  de  vêtements  et  d'armes  les  autres  animaux. 


vel  partes  substantiœ,  sicut  pedem  vel  ma- 
num,  vel  habere  quantitatem  vel  qualita- 
tem,  et  tamen  inter  habens  et  res  habitas 
nullus  est  respectus  realis ,  sed  solum  ratio- 
iiis.  Unde  hoc  habere  pertinet  ad  prœdica- 
menta  absoluta.  Quœdam  vero  dicuntur 
habere  aliquas  res,  ita  quod  inter  haben- 
tem  et  res  habitas  est  respectus  realis  et 
conversivus ,  sicut  pater  dicitur  habere  fi- 
lium,  et  filius  patrem,  et  dominus  ser- 
vum,  vel  possessionem,  et  servus  vel  pos- 
eessio  domiuum.  Patris  autem  ad  filium, 
et  filii  ad  patrem  est  respectus  realis,  et  si- 
militer  est  de  domino  et  servo,  et  istud 
habere  pertinet  ad  prœdicamentum  rela- 
tionis.  Quœdam  autem  dicuntur  habere 
aliquas  res  et  inter  habentia  et  res  habitas 
est  respectus  realis  ,  sed  non  conversivus  , 
sed  est  respectus  habentis  ad  rem  habitam, 
et  isto  modo  tempus  dicitur  habere  tem- 


poralia ,  et  locus  locatum ,  et  partes  loci 
partes  locati,  et  continens  contentum.  Est 
istud  habere  pertinet  ad  prœdicamenta 
quando  ,  et  ubi ,  et  situs.  Nam  continens 
ita  dicitur  habere  contentum,  quod  redu- 
citur  ad  prœdicamentum  quando,  et  situs 
situatum,  quod  pertinet  ad  prœdicamen- 
tum  situs.  Nam  vas  est  locus  mobilis ,  et 
locus  est  vas  immobile,  ut  dicitur  IV  Phys. 
Quœdam  autem  dicuntur  habere  aliquas 
res,  et  inter  habentia  et  res  habitas  est 
respectus  realis,  non  conversivus,  ita  vi- 
delicet  quod  respectus  talis  est  rei  habita? 
ad  ipsum  quod  habet  eam,  sicut  homo  di- 
citur habere  tunicam,  et  respectus  est  tu- 
nicae  ad  ipsum  hominem  habentem,  et  non 
e  converso.  Et  hoc  habere  pertinet  ad  is- 
tud prœdicamentum,  scilicet  habitus.  No- 
tandum,  quod  ut  Philosophus  dicit,  XV  De 
animal.,  natura  providit  ahis  aninialibus, 


SUR   LA    LOGIQUE    d'âRISTOTE.  209 

Quelques-uns  ont  pour  vêtement  des  poils ,  d'autres  un  cuir  épais , 
ou  une  carapace ,  ou  quelque  chose  de  ce  genre.  De  même  elle  a 
donné  à  quelques-uns  pour  armes  des  dents ,  aux  autres  des  cornes, 
aux  autres  des  griffes  et  autres  choses  semblables  ;  pour  l'homme , 
elle  ne  lui  a  rien  donné  de  tout  cela ,  mais  en  revanche  elle  lui  a 
donné  l'intelligence  et  des  mains ,  afin  que  par  ce  moyen  il  pût  se 
pourvoir  de  ce  qui  lui  est  nécessaire  et  se  faire  avec  les  choses  exté- 
rieures des  vêtements  et  des  armes.  C'est  pourquoi  dans  les  ani- 
maux les  vêtements  comme  les  armes  sont  des  parties  substantielles 
de  ces  mêmes  animaux  ;  et  entre  les  sujets  qui  possèdent  et  les  objets 
possédés ,  il  n'y  a  pas  de  rapport  réel ,  mais  un  rapport  de  raison , 
comme  il  a  été  dit.  C'est  pourquoi  la  dénomination  qui  se  fait  par 
rapport  à  eux  ,  à  raison  de  leurs  vêtements  ou  de  leurs  armes  natu- 
relles, n'appartient  pas  à  ce  prédicament.  Mais  entre  notre  vêtement, 
nos  armes  et  nous ,  il  y  a  un  rapport  réel ,  aussi  nos  vêtements  et  nos 
armes ,  en  tant  qu'ils  nous  dénomment  comme  les  possédant,  sont  le 
prédicament  habitus.  Ou  bien  ,  suivant  la  seconde  opinion,  leur  rap- 
port à  nous  est  le  prédicament  habitus.  C'est  pour  cela  que  ce  prédi- 
cament ne  convient  qu'aux  hommes.  Jl  est  vrai  aussi  que  nous  revê- 
tons et  armons  certains  animaux  avec  des  vêtements  et  des  armes  qui 
leur  sont  étrangers  ;  en  effet ,  nous  habillons  les  singes  et  nous  har- 
nachons un  cheval ,  et  sous  ce  rapport  ce  prédicament  peut  leur  ap- 
partenir. Tel  est  ce  prédicament, 

CHAPITRE  II. 

Z'habitus^ew^  se  fonder  immédiatement  dans  la  substance. 

On  n'est  pas  certain  si  ce  prédicament  est  la  dénomination  qui  suit 
le  rapport,  ou  dans  la  seconde  opinion  le  rapport  lui-même,  comment 


de  vestirnentis  et  de  armis.  Unde  quœdam 
pro  vestimento  habent  pilos,  quœdam  vero 
corium  grossum,  vel  corticem,  vel  aliquid 
hujusmodi.  Similiter  etiam  aliquibus  pro 
armis  dentés  dédit,  aliis  cornua,  aliis  vero 
ungues,  et  hujusmodi,  homini  autem  nihil 
horum  dédit ,  sed  dédit  ci  intellectum  et 
manus,  ut  per  eas  posset  sibi  providere, 
et  de  rébus  exterioribus  faeeret  sibi  vesti- 
menta  et  arma.  Unde  in  aliis  animalibus 
tam  vestimenta  quam  etiam  arma  sunt 
partes  substantiales  eorum,  et  interhabentia 
et  habita  non  est  aliquis  respeclus  realis, 
sed  solum  rationis,  ut  dictum  est.  Unde 
denominatio,  quae  fit  in  eis  vel  a  vesti- 
rnentis, vel  ab  armis  eorum  naturalibus 
non  pertinet  ad  hoc  prœdicamentum.  Sed 
rnter  vestimenta  et  arma  nostra  et  nos  est 


V. 


respectus  realis,  et  ideo  vestimenta  et  arma 
prout  denominant  nos  habentes  ea  sunt 
prœdicamentum  habitus.  Vel  juxta  seeun- 
dam  opinionem  respectus  eorum  ad  nos 
est  prœdicamentum  habitus.  Unde  hoc  prse- 
dicamentum  solum  convenit  hominibus. 
Verum  est  autem,  quod  etiam  quœdam 
animalia  vestimus  et  armamus  vestirnentis 
et  armis  exterioribus.  Vestimus  enim  simias 
et  falleramus  equos  :  et  isto  modo  hoc 
praedicamentum  potest  ad  ea  pertinere.  Et 
sic  patet,  etc. 

GAPUT  II. 

Quod  habitus  polest   immédiate  fundari   in 
subslantia. 

Videtur  autem  esse   dubium,  sive  hoc 
prœdicamentum  sit  denominatio  sequens 

14 


210  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    8,    CHAPITRE    2. 

il  peut  appartenir  aux  genres  des  accidents.  Il  est  en  effet  constant  que 
les  vêtements  comme  les  armes  sont  dans  le  genre  de  la  substance.  Or 
la  dénomination  prise  de  la  substance  ne  se  met  pas  dans  un  genre 
différent  de  la  substance,  ou,  suivant  la  seconde  opinion,  comment  le 
rapport  sera-t-i]  fondé  daus  la  substance  immédiatement,  puisqu'il 
n'ajoute  rien  de  réel  au  fondement,  comme  il  a  été  dit;  il  s'ensuit  donc 
ou  que  la  substance  sera  accident,  ou  que  Y  habitus  ne  sera  pas  acci- 
dent. 11  faut  dire,  ce  qui  ne  répugne  pas,  que  le  rapport  réel  est  fondé 
dans  la  substance.  En  effet,  la  substance  créée  comme  telle  se  rap- 
porte réellement  au  créateur,  et  ce  rapport  est  immédiatement  fondé 
en  elle,  et  la  substance  n'est  pas  pour  cela  rapport  ou  accident.  Notez 
que  l'accidentalité  de  la  quantité  et  de  la  qualité,  qui  sont  des  accidents 
absolus,  est  différente  de  l'accidentalité  des  sept  autres  prédicaments. 
Car  l'accidentalité  des  absolus  consiste  en  ce  qu'ils  surviennent  dans 
l'être  en  acte  par  inhérence,  et  de  cette  manière  la  substance  ne  peut 
pas  être  accident,  au  contraire,  l'accidentalité  des  sept  autres  prédica- 
ments consiste  en  ce  qu'il  arrive  à  la  forme  ou  au  sujet  de  la  forme 
d'avoir  un  terme  ad  quem.  Et  comme  une  forme  substantielle,  ou  une 
substance  composée  peut  avoir  un  semblable  terme,  rien  n'empêche 
que  de  cette  manière  elle  soit  un  accident,  de  sorte  qu'elle  se  produise 
accidentellement  dans  un  sujet,  d'où  il  arrive  au  vêtement  de  devenir 
adjacent  au  corps  et  d'avoir  un  tel  rapport  avec  lui  :  Et  de  cette  ma- 
nière, soit  que  le  vêtement  soit  pris  comme  dénommant,  il  lui  arrive 
de  dénommer  ainsi,  et  il  est  accident  :  ou  dans  la  seconde  opinion  il 
arrive  au  vêtement  d'avoir  le  corps  pour  terme  auquel  il  se  rapporte 
comme  adjacent.  Ou  on  peut  dire  qu'on  ne  fait  pas  indifféremment  des 


respectum,  sive  juxta  secundam  opinionem 
sit  ipse  respectus ,  quomodo  hoc  prœdica- 
mentum  pertinebit  ad  gênera  accidentium. 
Constat  enim  quod  vestimenta  sive  arma 
sunt  in  génère  substantiae.  Denominatio  au- 
tem  sumpta  a  substantia  non  ponitur  in 
alio  génère  a  substantia,  sive  juxta  secun- 
dam opinionem  quomodo  fundabitur  res- 
pectus immédiate  in  substantia,  eum  res- 
pectus nihil  reale  addat  supra  fundamen- 
tum  ,  ut  supra  dictum  est  ;  ideo  sequitur, 
quod  substantia  vel  erit  accidens,  vel  quod 
habitus  non  erit  accidens.  Ad  quod  dicen- 
durn,  quod  non  est  inconveuiens ,  quod 
respectus  realis  in  substantia  fundetur. 
Substantia  enim  creata  in  quantum  hujus 
realiter  refertur  ad  creatorem,  et  talis  res- 
pectus immédiate  in  ea  fundatur ,  nec 
propter  hoc  substantia  est  respectus  vel 
accidens.  Notandum,  quod  differt  acciden- 
talitas  quantitatis  et  qualitatis  qua?  sunt 
accidentia  absoluta ,     ab    accidentalitate 


aliorum  septem  preedicamentorum.  Nain 
accidentalitas  absolutorum  consistit  in  hoc 
quod  adveniunt  enti  in  actu  per  inha?ren- 
tiam ,  et  isto  modo  substantia  non  potest 
esse  accidens.  Accidentalitas  autem  aliorum 
septem  preedicamentorum  consistit  in  hoc, 
quod  accidit  formée  seu  subjecto  formas 
habere  terminum  ad  quem.  Et  quia  forma 
substantialis  seu  substantia  composita  po- 
test habere  talem  terminum  ,  isto  modo 
non  est  inconveniens  quod  sit  accidens,  id 
est  ut  accidenlaliter  alteri  adveniat ,  unde 
accidit  vestimento  ut  adjacent  çorpori ,  et 
ut  talem  respectum  habeat  ad  ipsum;  et 
sic  sive  sumatur  vestimentum,  ut  denomi- 
nans,  accidit  sibi  sic  denominare,  et  sic  est 
prœdicamentum  habitus  juxta  primam 
opinionem  ,  et  est  accidens  :  vel  juxta  se- 
cundam opinionem  accidit  vestimento 
habere  corpus  pro  termino,  ad  quem  ut 
adjacens  habet  respectum.  Vel  potest  dici, 
quod  non  ex  omni  substantia  iudifforenter 


SLR  LA   LOGIQUE   d'aMSTOTE.  211 

vêtements  et  des  armes  de  toute  espèce  de  substance ,  mais  que  pour 
faire  des  armes  on  prend  une  substance  qui  a  une  certaine  qualité , 
comme  la  dureté.  De  même,  on  ne  fait  pas  indifféremment  des  vête- 
ments avec  toute  espèce  de  substance  ,  mais  on  prend  une  substance 
qui  a  telle  qualité,  comme  la  mollesse,  la  facilité  de  se  plier,  etc.,  et  le 
rapport  qui  est  YhaMtus  se  fonde  sur  ces  quantités,  ou  à  raison  de  ces 
SLibstances,  en  tant  qu'elles  ont  ces  qualités.  Donc  Vhabitus  est  l'adja- 
cence  des  corps  et  des  choses  qui  les  environnent,  ce  qui  se  conçoit 
ainsi  :  Vhabitus  est  l'adjacence,  c'est-à-dire  la  dénomination  des  corps 
comme  choses  qui  sont  dénommées,  et  des  choses  qui  environnent  le 
corps,  c'est-à-dire  des  choses  qui  opèrent  une  semblable  dénomina- 
tion, comme  l'homme  vêtu  est  désigné  et  dénommé  par  les  vêtements 
qui  l'enveloppent.  Ou  bien,  suivant  la  seconde  opinion ,  Vhabitus  est 
l'adjacence  ou  le  rapport  des  corps  terminativement.  Car  ce  rapport, 
c'est-à-dire  le  rapport  du  vêtement  se  termine  au  corps  vêtu,  et  il  ap- 
partient aux  choses  qui  sont  fondamentalement  autour  du  corps.  En 
effet,  le  fondement  de  ce  rapport  est  le  vêtement  lui-même,  comme  on 
l'a  dit  ;  ainsi  s'explique  Vhabitus.  Il  faut  observer  que,  quoique  cette 
dénomination  appartienne  au  tout  de  ce  qui  a  cet  habitus ,  car  on  dit 
que  l'homme  est  vêtu  et  chaussé,  néanmoins  elle  convient  à  elle- 
même  à  raison  de  Vhabitus  qui  est  adjacent  à  la  partie.  Car,  quoique 
l'homme  soit  dit  chaussé,  c'est  néanmoins  à  raison  de  la  chaussure 
qui  est  adjacente  au  pied,  lequel  est  une  partie  intégrante  de  l'homme, 
puisque  tout  le  corps  n'est  pas  vêtu ,  c'est  à  raison  de  la  partie  à 
laquelle  le  vêtement  est  adjacent,  voilà  ce  qui  concerne  Vhabitus. 


fiunt  arma,  et  vestimenta,  sed  arma  finnt 
ex  substantia  habente  aliquam  qualitatem, 
puta  durïtiem  et  hujusmodi.  Similiter  ves- 
timenta fiunt  non  ex  qualibet  substantia 
indifferenter,  sed  ex  habente  talem  quali- 
tatem ,  puta  mollitiem  et  plicabilitatem, 
vel  hujusmodi ,  et  super  his  quantitatibus 
fundatur  respectus,  qui  est  habitus ,  vel  a 
dictis  substantiis,  in  quantum  babent  taies 
qualitates.  Est  ergo  habitus  adjacentia  cor- 
porum  ,  et  eorum  quae  eirca  corpus  sunt, 
quod  sic  intelligitur.  Habitus  est  adjacen- 
ia,  id  est  denominatio  corporum  ,  sicut 
eorum  quœ  denominantur ,  et  eorum  mise 
sunt  circa  corpus,  id  est  eorum  a  quitus 
fit  talis  denominatio  ,  sicut  a  vestimentis , 
quœ  sunt  circa  corpus,  dicitur  et  denomi- 
natur  homo  vestitus.  Vel  jtvxta  secundam 


opinionem ,  habitus  est  adjacentia ,  id  est 
respectus  corporum  terminative.  Talis  enim 
respectus ,  scilicet  vestimenti ,  terminatur 
ad  corpus  vestitum,  et  est  eorum  quae  sunt 
circa  corpus  fundamentaliter.  Nam  funda- 
mentum  talis  respectus  est  ipsum  vesti- 
mentum,  ut  dictum  est,  et  sic  patet  des- 
criptio  habitus.  Notandum,  quod  licet  talis 
denominatio  sit  totius  habentis  talem  ha- 
bitum,  nam  homo  dicitur  vestitus  et  cal- 
ciatus,  tamen  convenit  sibi  ratione  habitus 
qui  adjacet  parti.  Licet  enim  homo  dicatur 
calciatus,  tamen  dicitur  ratione  calcia- 
menti,  quod  adjacet  pedi,  qui  est  pars  in- 
tegralis  hominis ,  cum  totum  corpus  non 
sit  vestitum,  sed  ratione  illius  partis  cui 
adjacet  vestimentum.  Patet  ergo  de  ha- 
bitu.  etc. 


212 


OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    8,    CHAPITRE    3. 


CHAPITRE  III. 

Z/habitus  reçoit  le  plus  et  le  moins ,  mais  non  tout  habitus  ,  il  n'a  pas  la 

contrariété. 

L'habitus  reçoit  le  plus  et  le  moins,  mais  il  y  a  des  exceptions.  Mais 
on  ne  sait  pas  parfaitement  quel  est  celui  qui  reçoit  le  plus  et  le  moins. 
En  effet ,  si  les  rapports  reçoivent  le  plus  et  le  moins  dans  la  même 
proportion  que  les  fondements  reçoivent  l'intension  et  la  rémission,  et 
suivant  ces  rapports  les  termes  sont  appelés  rapports  plus  ou  moins. 
Comme  on  dit  qu'une  chose  échauffe  plus  ou  moins  selon  la  chaleur 
plus  ou  moins  grande  qu'elle  produit.  Mais  le  fondement  de  Yhabitus 
étant  la  substance,  comme  on  l'a  dit,  laquelle  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni 
le  moins,  il  s'ensuit  que  Yhabitus  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins. 
Pour  comprendre  cela  il  faut  savoir  que ,  comme  il  a  été  dit ,  ces  six 
préilicamentsne  désignent  que  l'absolu  en  tant  qu'il  dénomme  quelque 
chose  d'extrinsèque,  laquelle  dénomination  suit  quelque  rapport  réel 
qui  existe  entre  la  chose  qui  dénomme  et  la  chose  dénommée  et  qui 
est  cependant  un  rapport  dans  le  genre  de  la  relation.  Ou  l'on  désigne 
ce  rapport  suivant  la  seconde  opinion,  et  il  est  commun  aux  six  prin- 
cipes susdits.  C'est  pourquoi  telle  chose  dénommée  est  dite  plus  ou 
moins  d'après  l'intension  ou  la  rémission  de  l'absolu  qui  dénomme, 
ainsi  qu'on  l'a  dit.  Quelquefois  la  dénomination  plus  ou  moins  ne  se 
fait  pas  d'après  l'intension  ou  la  rémission  du  sujet  dénominateur, 
mais  par  la  présence  de  plusieurs  dénominateurs  de  même  nature  par 
lesquels  l'objet  dénommé  se  trouve  l'être  par  ce  qui  est  respectif  à 
chacun;  comme  nous  disons  que  le  feu  qui  échauffe  trois  morceaux  de 
bois  les  échauffe  plus  que  s  il  n'en  échauffoit  que  deux  du  même  de- 


gaput  m. 

Quod  habitus  suscipit  magis  et  minus  *  licel 
non  omnis  ,  el  quod  habitus  non  habet 
contrarietatem . 

Recipit  autem  habitus  magis  et  minus, 
licet  non  omnis.  Qualiter  autem  habitus 
recipit  magis  et  minus ,  videtur  esse  du- 
bium.  Si  enim  respectus  in  tantum  reci- 
piunt  magis  et  minus,  in  quantum  funda- 
menta  recipiunt  intensionem ,  et  remissio- 
nem,  et  secundum  istos  respectus  denomi- 
nantur  termini  respectus  magis  vel  minus. 
Sicut  dicitur  magis,  vel  minus  calefaciens 
a  majori,  vel  minori  calore  quem  efiicit. 
Sed  cum  fundamentum  habitus  sit  sub- 
stantia,  ut  dictum  est,  quae  non  suscipit 
magis  vel  minus  :  ergo  nec  habitus  suscipit 
magis  vel  minus.  Ad  quod  intelligendum, 
sciendum  est,  quod  ut  dictum  est,  ista  sex 


prsedicamenta  nihil  aliud  dicunt  nisi  abso- 
lutum,  ut  dénommai  aliquid  extrinsecum, 
quœ  denominatio  sequitur  aliquem  respec- 
tum  realem ,  qui  est  inter  denominaus  et 
denominatum,  qui  tamen  respectus  est  in 
génère  relationis.  Vel  juxta  secundam 
opinionem  dicunt  prsedictum  respectum, 
et  talis  respectus  est  communis  dictis  sex 
principiis.  Unde  taie  denominatum  dicitur 
magis  vel  minus  ab  intensione  vel  remis- 
sions illius  absoluti  denominantis,  ut  dic- 
tum est.  Aliquando  vero  denominatur  ma- 
gis, vel  minus,  non  ab  intensione  vel  re- 
missione  denominantis,  sed  si  plura  fuerunt 
denominativa  ejusdem  rationis,  a  quibus 
denominatum  secundum  unuinquodque 
quod  est ,  eo  denominatur ,  sicut  dicimus , 
quod  ignis  calefaciens  tria  ligna  magis  ca- 
lefacit,  quam  si  calefaceret  duo  eodem 
gradu  caloris.   Constat  enim  quod  omnes 


SLR    LÀ    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  213 

gré  de  chaleur.  Il  est  sûr,  en  effet,  que  ces  trois  caléfactions  sont  de 
même  nature  et  que  le  feu  agit  sur  elles  suivant  une  seule  puissance 
caléfactive ,  et  de  cette  manière  la  caléfaction  peut  se  dire  plus  ou 
moins,  quoique  dans  les  caléfactions  comme  dans  quelques  autres  ac- 
tions que  ce  soit  on  n'ait  pas  l'habitude  de  dire  plus  ou  moins  dans 
ce  sens;  il  en  est  de  même  dans  la  seconde  opinion,  car  si  plusieurs 
rapports  de  môme  nature  auxquels  répond  un  seul  terme  dénomment 
le  terme  plus,  tandis  qu'un  plus  petit  nombre  le  dénomment  moins, 
Yhabitus  ne  reçoit  point  le  plus  ou  le  moins  de  la  première  manière. 
En  effet,  on  ne  dira  jamais  que  quelqu'un  est  plus  ou  moins  vêtu  ou 
plus  ou  moins  chaussé  à  raison  d'une  seule  chaussure  ou  d'un  seul 
vêtement,  et  on  conçoit  par  là  que  tout  habitus  ne  reçoit  pas  le  plus  ou 
le  moins,  parce  que  le  vêtement,  ni  la  chaussure  ne  reçoivent  ni  in- 
tension, ni  rémission.  Mais  Yhabitus  reçoit  le  plus  et  le  moins  de  la 
seconde  manière ,  car  on  peut  dire  d'un  homme  qu'il  est  plus  vêtu , 
s'il  a  plusieurs  vêtements,  et  moins  vêtu,  s'il  en  a  moins,  et  ainsi  de 
suite.  Cela  ne  convient  pasauprédicament  quantum,  puisque  le  temps 
qui  dénomme  est  l'unique  parmi  les  choses  temporelles.  Cela  ne  con- 
vient pas  non  plus  au  prédicament  wôi,  puisqu'il  n'y  a  qu'un  lieu  pour 
un  corps ,  pas  plus  qu'au  prédicament  situs ,  puisqu'il  n'y  a  qu'une 
partie  du  lieu  qui  réponde  à  chaque  partie  de  la  chose  localisée.  Mais 
cette  manière  de  désigner  le  plus  ou  le  moins  pourroit  convenir  à 
quelque  relatif,  ou  a  quelque  agent,  ou  à  quelque  patient;  on  voit  par 
là  comment  Yhabitus  reçoit  ou  ne  reçoit  pas  le  plus  ou  le  moins ,  ou 
bien  il  faut  dire  que  le  rapport  habitus  n'est  pas  fondé  immédiatement 
dans  la  substance,  comme  il  a  été  dit,  que  par  le  moyen  de  quelque 
qualité,  comme  la  dureté ,  la  mollesse  et  autres  pareilles  ,  lesquelles 
qualités  sont  le  fondement  de  ce  rapport.  Or,  comme  les  susdites  qua- 


istae  très  calefactiones  simt  ejusdem  ratio- 
nis,  quibus  respondet  ignis  secundum  unam 
potentiam  calefactivam ,  et  isto  modo  ca- 
lefaciens  potest  dici  magis  vel  minus,  licet 
in  calefactionibus  vel  in  quibuscumque  ac- 
tionibus  non  sit  consuetum  dicere  isto 
modo  magis  vel  minus,  et  simile  est  si  su- 
matur  hic  juxta  secundam  opinionem,  quia 
si  plures  respectus  unius  rationis,  quibus 
unus  respondet  terminus,  dénommant  ter- 
minum  magis,  pauciores  vero  minus,  ha- 
bitus primo  modo  non  suscipit  magis  vel 
minus.  Ab  uno  enim  vestimento  vel  cal- 
ciamento  scilicet  uno  numéro  nunquain 
aliquis  dicetur  magis ,  vel  minus  vestitus, 
vel  calciatus,  et  sic  intelligitur,  quod  non 
omnis  habitus  suscipit  magis  vel  minus, 
quia  nec  vestimentum  ,  nec  calciamentuin 
suscipit  intensionem  vel  remissionein.  Se- 
cundo vero  modo  habitus  suscipit  magis, 


vel  minus,  quia  unus  et  idem  homo  a  plu- 
ribus  vestimentis  potest  denominari  magis 
vestitus,  et  a  paucioribus  minus  vestitus, 
et  sic  de  aliis.  Hoc  autem  non  convenit 
prœdicamento  quando,  cum  tempus  deno- 
minans  sit  unum  omnium  temporalium. 
Nec  autem  convenit  prœdicamento  ubi,  cum 
unius  corporis  unus  tanturn  sit  locus.  Nec 
prseilicamento  situs,  cum  cuilibet  uni  parti 
locati  una  respondeat  pars  loci.  Potest  au- 
tem convenire  iste  modus  dicendi  magis  vel 
minus  alicui  relativo  et  alicui  agenti,  vel 
patienti ,  et  sic  patet  qualiter  habitus  sus- 
cipit magis,  vel  minus,  et  qualiter  non.  Vel 
dicendum,  quod  respectus  habitus  non  im- 
médiate fundatur  in  substantia,  ut  supra 
dictum  est,  nisi  mediante  aliqua  qualitate, 
puta  duritie  vel  mollilie,  et  hujusmodi, 
quie  qualitates  sunt  fundamentum  talis  res- 
pectus, cum  autem  dictée  qualitates  susci- 


214  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    8,    CHAPITRE    4. 

lités  reçoivent  le  plus  et  le  moins,  il  en  est  par  conséquent  de  même  de 
Vhabitus.  11  ne  reçoit  pas  néanmoins  la  contrariété.  En  effet ,  c'est  par 
la  réception  du  plus  et  du  moins  que  s'effectue  la  contrariété  quand  le 
plus  et.  le  moins  se  trouve  suivant  un  certain  degré  d'intension  et  de 
rémission  dans  les  espèces  d'un  genre,  comme  on  le  voit  pour  le  blanc 
elle  noir  ,  or  cette  intension  ne  se  trouve  pas  dans  Vhabitus,  comme 
nous  l'avons  dit.  Donc  il  n'y  a  pas  de  contrariété  dans  Vhabitus. 

CHAPITRE  IV. 

Le  propre  de  /'habitus  est  d'exister  tant  dans  le  corps  que  dans  ce  qui  en- 
veloppe le  corps  suivant  la  division  des  parties. 

Il  faut  savoir  que  le  propre  de  Vhabitus  est  d'exister  tant  dans  le 
corps  que  dans  les  clioses  qui  enveloppent  le  corps  en  plusieurs  suivant 
la  division  des  parties.  Nous  avons  dit  de  quelle  manière  il  faut  l'en- 
tendre. Une  chose  est  dénommée  par  Vhabitus  par  cela  que  Vhabitus 
est  adjacent  à  quelque  partie  intégrale  déterminée ,  comme  l'homme 
est  dit  chaussé  par  les  pieds,  coiffé  par  la  tête  et  ainsi  de  suite  ;  or  cela 
ne  convient  à  aucun  autre  des  prédicaments.  En  effet,  quoique  dans 
le  prédicament  de  situs  la  dénomination  du  tout  se  fasse  à  raison  des 
parties  auxquelles  sont  adjacentes  les  parties  du  lieu ,  non  pas  néan- 
moins à  raison  de  quelque  partie  déterminée,  mais  bien  à  raison  de 
toutes  auxquelles  sont  adjacentes  les  parties  du  lieu,  tantôt  d'une  ma- 
nière, tantôt  d'une  autre.  Mais  dans  le  prédicament  habitus  la  déno- 
mination du  tout  se  fait  par  une  partie  déterminée  à  laquelle  est  adja- 
cent un  habitus  particulier.  Et  parce  que,  comme  l'on  considère  dans 
ce  prédicament  le  corps  ayant  un  habitus  relativement  à  ses  parties 
organiques  déterminées,  de  même  les  habitus  des  parties  déterminées 
sont  différents  et  séparés,  car  dans  Vhabitus  d'un  homme  la  partie  du 


piant  magis  et  minus  ;  ergo  et  habitus ,  non 
tamen  recipit  habitus  contrarietatem.  Ut 
enim  supradictum  est  ex  receptione  magis 
et  minus,  causatur  contrarietas ,  quando 
magis  et  minus  est  secundum  gradurn  in- 
tensionis  et  remissionis  in  speciebus  unius 
generis,  ut  patet  de  albo  et  nigro,  talis 
autem  intensio  non  est  in  habitu  ,  ut  dio 
tum  est.  Ergo  in  habitu  non  est  contra- 
rietas. 

CAPUT  IV. 

Quod  proprium  habitus  est  existere  tam  in 
corpore,  quam  in  his,  quœ  circa  corpus 
sunt  secundum  divisionem  partium. 

Est  autem  sciendum,  quod  proprium  ha- 
bitus est  existere  tam  in  corpore ,  quam 
in  his  quae  circa  corpus  sunt  in  pluribus 
secundum  divisionem  partium.  Hoc  autem 


qualiter  intelligatur ,  dictum  est.  Denorni- 
natur  enim  aliquid  ab  habitu  secundum 
quod  habitus  adjacet  alicui  parti  integrali 
signatae,  sicut  dicitur  homo  calceatus  a  pe- 
dibus,  et  galeatus  a  capite ,  et  sic  de  aliis, 
hoc  autem  nulli  aliorum  prsedicamentorum 
convenit.  Licet  enim  in  preedicamento  situs 
fiât  denominatio  totius  ratione  partium 
quibus  adjacent  partes  loci,  non  tamen  ra- 
tione alicujus  partis  signata?,  sed  ratione 
omnium,  quibus  adjacent  partes  loci  ali- 
quando  uno  modo,  et  aliquando  aH».  Sed 
in  prœdicamento  habitus  fit  denominatio 
totius  ab  una  parte  signata  ,  cui  adjacet 
singularis  babitus.  Et  quia  sicut  conside- 
ratur  in  hoc  pradicamento  corpus  habens 
habitum  quantum  ad  suas  partes  organicas 
signata?,  sic  habitus  partium  signatarum 
sunt  diverti  et  divisi.  Nain  m  habitu  unius 


SUR   LA   LOGIQUE    d'àRISTOTE.  215 

vêtement  est  différente  de  la  chaussure,  et  ainsi  de  chacun.  C'est  pour- 
quoi on  dit  que  le  propre  de  Yhahitus  est  d'exister  suivant  la  division 
des  parties  du  corps  qui  en  est  revêtu,  et  suivant  la  division  des  choses 
qui  enveloppent  le  corps  relativement  à  la  division  de  Yhahitus  :  tel 
est  ce  prédicament ,  comme  les  autres  également.  Notez  que  les  prédi- 
caments  appartiennent  ta  la  première  opération  de  l'intellect ,  dans  la- 
quelle il  île  se  fait  aucune  composition  par  l'être,  ni  aucune  division 
par  le  non-être.  Or  on  peut  considérer  de  deux  manières  les  choses 
qui  appartiennent  à  cette  opération  première.  D'abord,  relativement 
aux  choses  conçues,  et  nous  en  avons  déjà  parlé.  Toutes  les  choses  qui 
appartiennent  à  cette  opération  première  sont  signifiées  par  les  dix 
prédicaments,  comme  on  le  voit  par  ce  qui  a  été  dit.  La  seconde  ma- 
nière dont  on  peut  les  considérer ,  est  relative  au  mouvement  de  si- 
gnification, en  tant  qu'elle  est  signifiée  par  les  noms,  par  les  paroles 
et  par  les  autres  parties  du  discours,  nous  allons  nous  en  occuper  tout 
à  l'heure.  C'est  pourquoi  la  logique  n'est  pas  seulement  une  science 
rationnelle ,  comme  lorsqu'il  s'agit  du  syllogisme  qui  appartient  au 
discours  delà  raison,  mais  c'est  aussi  une  science  argumenta  tive.  Elle 
traite  en  effet  du  syllogisme  et  de  ses  parties ,  relativement  au  mode 
de  signification,  en  établissant  ce  -que  c'est  que  le  nom  ,  ce  que  c'est 
que  la  parole,  et  en  établissant  les  signes  universels- et  particuliers, 
qui  appartiennent  tous  au  mode  de  signification,  dont  nous  allons  par- 
ler bientôt. 

Heureuse  fin  du  traité  des  dix  prédicaments  qui  sont  appelés  les 
genres  des  choses. 


hominis  diversa  est  pars  vestimenti  a  cal- 
ciamento ,  et  sic  de  singulis  :  ideo  dicitur 
esse  proprium  habitus  existere  secundum 
divisionem  partium  corporis,  scilicet  ha- 
bentis,  et  secundum  divisionem  eorum, 
quai  sunt  circa  corpus  secundum  divisio- 
nem habitus,  et  sic  patet  de  praedicamento 
habitus,  et  de  omnibus  praedicamentis  hoc 
modo.  Notandum,  quod  prsedicamenta  per- 
tinent ad  primam  operationem  intellectus, 
in  qua  nulla  sit  compositio  per  esse  ,  nec 
divisio  per  non  esse.  Quae  autem  pertinent 
ad  talem  primam  operationem,  possunt  du- 
pliciter  considerari.  Uno  modo,  quantum 
ad  res  intellectas,  et  sic  de  eis  jam  dietum 
est.  Omnia  enim  quae  sic  pertinent  ad  talem 
primam  operationem,  per  decem  prœdica- 


menta  significantur,  ut  ex  dictis  patet.  Alio 
modo  possunt  considerari  quantum  ad  mo- 
tum  significandi ,  in  quantum  scilicet  si- 
gnificatur  per  nomina,  et  per  verba,  et  per 
alias  partes  orationis,  et  de  lus  dicetur  im- 
médiate :  propterea  logica  non  solum  est 
scientia  rationalis,  ut  puta  de  syllogismo 
qui  pertinet  ad  discursum  rationis,  sed  est 
etiam  scientia  sermocinalis.  Tractât  enim 
de  syllogismo,  et  partibus  ejus  quantum  ad 
mortum  significandi,  ponendo  quid  est  no- 
men,  et  quid  est  vcrbum,  et  ponendo  signa 
universalia  et  particularia,  quae  omnia  ad 
rnodum  significandi  pertinent ,  de  quibus 
omnibus  infra  dicetur. 

De  decem  praedicamentis ,  quœ  gênera 
rerum  dicimtur,  tractatus  féliciter  finis. 


210 


OPUSCULE   XLVTI  ,    TRAITÉ   9,    CHAPITRE    1 


TRAITE  IX. 

De  l'interprétation'  ou  énoxciation. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Ce  que  c'est  que  le  nom  suivant  l'intention  logique.. 

Après  avoir  parlé  des  choses  qui,  quant  à  l'objet  de  la  signification, 
appartiennent  à  l'opération  première  de  l'intellect,  laquelle  est  l'intel- 
ligence des  choses  indivisibles,  comme  il  est  dit  dans  le  liv.  III  de 
l'Ame  :  «  Parce  qu'une  chose  est  connue  par  sa  quiddité  ;  »  nous  al- 
lons traiter  maintenant  des  choses  qui  appartiennent  à  la  seconde  opé- 
ration de  l'intellect,  laquelle  est  appelée  ici  composition  ou  division, 
et  par  le  moyen  de  laquelle  notre  intellect  compose  une  chose  avec 
une  autre,  ou  la  sépare  d'une  autre  par  l'être  ou  le  non-être.  Ce  traité 
est  appelé  de  renonciation  ou  de  la  proposition  prise  dans  un  sens 
large;  car  si  elle  étoit  prise  dans  un  sens  strict,  renonciation  seroit 
son  genre.  En  effet,  la  proposition  ne  se  dit  que  des  prémisses  du  syllo- 
gisme, tandis  que  l'énonciation  se  dit  tant  des  prémisses  que  de  la  pré- 
conclusion. Pour  connoître  ce  que- c'est  que  renonciation  il  faut  parler 
d'abord  avec  Aristote  de  ses  parties,  savoir  du  nom,  du  verbe  et  de 
son  genre,  qui  est  le  discours.  Le  nom  est  une  voix  intentionnellement 
significative  sans  mesure  de  temps ,  dont  aucune  partie  ne  signifie 
des  choses  séparées,  limitées  et  droites.  Dans  cette  définition  du  nom 
le  mot  voix  est  mis  pour  le  genre.  Il  faut  observer,  ainsi  qu'il  est  dit 
dans  le  liv.  II  de  la  Métaphysique,  que  c'est  là  la  différence  qui  existe 
entre  la  définition  des  suppôts  et  la  définition  des  formes  soit  substan- 


TRACTATIS  IX. 

DE    INTEnPR.ETATIONE ,    6ED  ENINTIATIONE. 


CAPUT  PRÏMUM. 

De  nomine  quid  sil   secundum  inlcntionem 
logicam. 

Dicto  de  his,  quae  quantum  ad  rem  si- 
gnificatam  pertinent  ad  primam  operatio- 
nem  intellectus,  quae  est  mdivisibilium  in- 
telligentia,  ut  in  III  De  anima  dicitur,  quia 
videlicet  res  cognoseitur  quantum  ad  suam 
quidditatem  :  nunc  diecndum  est  de  Iiis , 
quae  pertinent  ad  secundam  operationem 
intellectus  ,  quae  ibi  compositio  vel  divisio 
nominatur,  qua  scilicet  intellectus  noster 
unam  rem  eum  alia  componit,  vel  an  alia 
eaiu  divktit,  per  esse  scilicet  et  non  esse. 
Et  dicitur  tractatus  iste  de  enuntiatione. 


seu  propositione, large  sumpta  proposition1. 
Si  enim  stricte  sumeretur,  tune  enuatiatio 
esset  genus  ejus.  Propositio  enim  solum  di- 
citur de  prœmissis  ipsius  syllogismi ,  sed 
enuntiatio  dicitur  tam  de  prœmissis  quam 
de  piœconclusione.  Ad  cognoscendum  au- 
tem  dictam  enuntiationem  ,  dicendum  est 
primo  cum  Aristotele  de  partibus  suis,  sci- 
licet de  nomine,  et  verbo,  et  de  ejus  gé- 
nère, quod  est  oratio.  Nomen  est  vox  signi- 
fioativa  ad  placitum  sine  tempore  ,  cujus 
nulla  pars  significat  separata  ,  imita,  et 
recta.  In  isla  nomiuis  diflinitione  ponitur 
vox  pro  génère.  Notandum,  quod  nt  habe- 
tur  II  M  et  a  j, h.,  hœc  est  differentia  inter 
difïinitionem  suppositorum ,  et  difïinitio- 


SUR    LA   LOGIQUE    d'ARISTOTE.  217 

tielles,  soit  accidentelles.  Car  dans  la  définition  des  suppôts  on  ne  met 
rien  qui  soit  en  dehors  de  l'essence  du  défini ,  et  toutes  les  particules 
de  la  définition  sont  de  l'essence  de  la  chose  définie.  Les  formes  ne 
pouvant  exister  par  elles-mêmes,  mais  bien  dans  un  sujet  ou  dans  la 
matière,  demandent  dans  leur  définition  un  sujet  ou  de  la  matière, 
lesquels  néanmoins  ne  sont  pas  de  l'essence  des  choses,  aussi  leurs  dé- 
finitions sont  dites  faites  par  additamenta ,  c'est  pourquoi  les  formes 
accidentelles  veulent  un  sujet  dans  leurs  définitions,  c'est  là  la  diffé- 
rence qui  se  trouve  dans  leurs  définitions.  Car  les  formes  abstraites 
demandent  un  sujet  dans  leurs  définitions  d'une  autre  manière  que 
les  formes  prises  au  concret,  les  formes  abstraites  veulent  un  sujet  à 
la  place  de  la  différence ,  comme  lorsque  nous  disons  :  La  crépitude 
est  la  contraction  des  cheveux,  définition  où  les  cheveux,  qui  sont  le 
sujet  delà  crépitude,  sont  misa  la  place  de  la  différence;  au  concret, 
au  contraire,  elles  veulent  le  sujet  à  la  place  du  genre,  comme  lorsque 
nous  disons,  crépu,  c'est  le  cheveu  contracté.  Cela  posé,  il  faut  savoir 
que  le  nom,  le  verbe  et  le  discours  sont  des  choses  artificielles,  et  par 
conséquent  des  accidents  ;  leur  sujet  est  la  voix  qui  est  quelque  chose 
de  naturel.  En  effet,  l'art  dans  la  voix  comme  dans  un  sujet  forme  les 
noms,  les  verbes  et  les  discours,  c'est  pourquoi  dans  leurs  définitions 
on  doit  mettre  la  voix  comme  sujet;  et  comme  ce  sont  des  êtres  con- 
crets on  doit  mettre  la  voix  pour  le  genre.  Or  la  voix  est  dite  significa- 
tive pour  la  distinguer  des  voix  non  significatives,  quelles  qu'elles 
soient,  qui  sont  proférées  pour  rien.  On  dit  intentionnellement,  à  ren- 
contre des  voix  significatives  naturellement,  comme  sont  les  aboie- 
ments des  chiens,  qui  signifient  la  colère,  d'après  l'impulsion  de  la 
nature,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  significatifs  par  institution  humaine. 


nem  furmarum  sive  substantialium ,  sive 
accidentalium.  Nam  in  difïinitione  suppo- 
sitorum  nihil  poaitur  ,  quotl  sit  extra  es- 
sentiam  diffiniti,  sed  omnes  particulae  dif— 
finitionis  sunt  de  essentia  diffiniti.  Formas 
vero,  quia  non  possnnt  per  se  esse,  sed  in 
alio,  scilicet  in  subjecto,  vel  in  materia  in 
sui  difïinitione  requirunt  subjectum ,  vel 
materiam,  qiue  tamen  non  sunt  de  essentia 
earum ,  et  ideo  ipsarum  difïinitiones  di- 
cuntur  esse  per  additamenta,  unde  formée 
accidentales  in  sui  difïinitione  requirunt 
subjectum.  Heec  est  autem  ditYerentia  inter 
eas  difïiniendo.  Nam  formée  abstractae  ali- 
ter requirunt  subjectum  in  earum  difïini- 
tionibus ,  quam  formas  sumptae  in  eon- 
creto,  formée  abstractae  requirunt  subjec- 
tum loco  differentiee ,  ut  cum  dicimus  : 
crispitiido  est  contractio  capillorum ,  ubi 
capilli ,  qui  sunt  subjectum  crispitudinis, 
ponuntur  loco  diflerentiœ.  In  concreto  vero 


requirunt  subjectum  loco  generis,  ut  cum 
dicimus  crispum  est  capillus  contractus. 
Hoc  habito  sciendum  est ,  quod  nomen, 
verbum,  et  oratio  sunt  queedam  artificialia, 
et  per  consequens  accidentia ,  eorum  au- 
tem subjectum  est  vox,  quae  est  quid  na- 
turale.  Ars  enim  in  voce ,  ut  in  subjecto 
format  nomina,  verba  et  orationes,  et  ideo 
in  eorum  difïinilionibus  débet  poni  vox  ut 
subjectum.  Et  quia  concreta  sunt,  ideo  in 
eorum  difiinitionibus  ponitur  vox  pro  gé- 
nère. Dicitur  autem  vox  significàtiva,  ad 
differentiam  vocum  non  signilîcativarum 
quœcumque  sint  illee ,  quae  videlicet  pro 
nihilo  proferuntur.  Ad  placitum  autem 
dicitur,  ad  doctrinam  vocum  signilîcativa- 
rum  naturaliter  ,  ut  sunt  latratus  canum, 
qui  significant  iram,  prout  natura  dictavit 
eis,  quoniam  non  significat  secundum  in- 
stitutionem  humanam.  Sine  tempore  vero 
dicitur  ad  doctrinam  verbi  et   participa. 


218  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    1. 

On  dit  sans  mesure  de  temps  pour  faire  connoîlre  le  verbe  et  le  parti- 
cipe. Remarquez  ici,  comme  nous  l'avons  dit  dans  un  autre  traité,  que 
l'action,  la  passion  et  le  mouvement  sont  une  seule  chose;  or  le  verbe 
signifie  par  manière  d'action  ou  de  passion ,  et  par  conséquent  par 
manière  de  mutation.  Or  la  première  chose  à  mesurer  par  le  temps 
c'est  le  mouvement,  mais  le  verbe  signifie  avec  mesure  de  temps.  Il 
faut  savoir  que  l'action  et  la  passion  peuvent  être  signifiées  de  deux 
manières,  ou  par  un  mode  abstrait,  comme  sont  certaines  choses ,  et 
alors  elles  ne  signifient  pas  avec  mesure  de  temps,  car  elles  signifient 
par  mode  (Yhabitus,  de  repos ,  c'est-à-dire  sans  mouvement ,  et  ainsi 
elles  sont  signifiées  par  le  nom.  Elles  sont  signifiées  d'une  autre  ma- 
nière par  mode  d'action  en  tant  qu'elles  sortent  du  sujet,  et  elles  sont 
signifiées  comme  mouvements  ou  mutations  et  par  conséquent  comme 
étant  mesurées  par  le  temps,  et  elles  le  sont  par  les  verbes  pris  formel- 
lement et  non  matériellement  et  même  par  les  participes,  mais  non 
par  le  nom;  donc  le  nom  signifie  sans  mesure  de  temps.  On  dit  ensuite 
qu'aucune  partie  du  nom  n'est  significative  séparément  pour  faire  con- 
naître le  discours  dont  les  parties  sont  significatives  séparément.  Re- 
marquez que  la  signification  est  au  nom  comme  sa  forme,  tandis  que  la 
lettre  ou  les  syllabes  en  sont  la  matière  ou  les  parties  intégrales.  Mais 
comme  il  n'y  a  dans  le  tout  aucune  partie  qui  ait  la  forme  du  tout, 
aussi  nulle  partie  séparée  n'aura  d'autre  signification  par  elle-même 
que  celle  du  tout.  C'est  pourquoi  dans  les  noms  composés ,  comme 
terre-neuve,  castrum-Joannis ,  si  la  chose  signifiée  étoit  divisée ,  si  par 
exemple  on  entendoit  de  la  terre  qu'elle  est  neuve ,  ce  ne  seroit  plus 
alors  un  nom,  mais  un  discours;  mais  si  la  chose  signifiée  étoit  une 
seule  chose,  comme  une  villa  ou  autre  chose  semblable,  alors  ce  sera 
des  noms.  On  dit  ensuite  limitée,  à  la  différence  des  noms  infinis , 


Ubi  nota ,  quod  ut  supra  in  alio  tractatu 
dictum  est,  actio,  passio  et  motus  sunt  una 
res,  verbum  autem  significat  per  modum 
actionis,  vel  passionis,  et  per  consequens 
per  modum  motus,  seu  mutationis.  Primum 
autem,  quod  habet  mensuraiï  tempore,  est 
motus ,  verbum  vero  significat  cum  tem- 
pore. Sciendum,  quod  actio  et  passio  du- 
pliciter  possunt  significari,  vel  per  modum 
abstractum,  ut  sunt  quaedam  res,  et  tune 
non  significant  cum  tempore,  significant 
enim  per  modum  habitus  et  quietis,  scili- 
cet  sine  motu,  et  sic  significantur  a  no- 
mine.  Alio  modo  significantur  per  modum 
actionis  prout  sunt  egredientes  a  sulijecto, 
et  sic  significantur  ut  motus  vel  mutatio- 
nes,  et  per  consequens,  ut  mensurantur 
tempore,  et  sic  significantur  a  vertus  for- 
maliter  et  non  materialiter  sumptis  ;  et 


etiam  a  participas ,  non  a  nomine ,  nomen 
ergo  significat  sine  tempore.  Deinde  dicitur 
quod  nominis  nulla  pars  significat  separata, 
ad  doctrinam  orationis,  cujus  parte- 
ficant  separatae.  Ubi  nota,  quod  signitîcatio 
se  habet  ad  nomen,  ut  forma  ejus,  littera 
vero,  et  syllabse  sunt  ut  materia  ejn 
ut  partes  intégrales.  Cum  autem  nulla  pars 
sit  quae  non  habeat  formarn  totius  in  toto, 
ideo  nulla  pars  separata  habebit  per 
gnificationem ,  nisi  solum  illam  quaui  ha- 
bet totum.  Undfi  in  nominibus  compositis, 
ut  sunt  terranova,  castrumjoannis,  si  signi- 
ficatum  esset  divisum,  puta  quod  intellige- 
retur  pro  terra  quse  esset  nova ,  tune  non 
esset  nomen,  sed  oratio,  si  vero  significa- 
tum  suum  esset  una  res ,  puta  villa  vel 
hujusmodi;  lune  erunt  nomina.  Deinde  di- 
citur fînita ,  ad  difierentiam  nominum  in- 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  219 

comme  le  nom  homme.  Sur  quoi  il  faut  observer  que  tout  nom ,  en 
prenant  même  le  pronom  pour  le  nom ,  ou  signifie  une  nature  déter- 
minée ,  comme  l'homme,  ou  une  personne  déterminée,  comme  vous 
et  moi,  ou  une  nature  déterminée  et  une  personne,  comme  Socrate, 
Platon.  Or  comme  le  nom  infini  ne  signifie  rien  de  tout  cela,  il  ne 
pourra  pas  vraiment  être  appelé  nom.  Qu'il  ne  signifie  rien  de  tout 
cela,  c'est  évident,  car  le  nom  qui  est  imposé  par  la  privation  demande 
au  moins  un  sujet  existant,  car  aveugle  ne  se  dit  pas  du  nom  d'animal, 
mais  suppose  que  ce  qui  est  aveugle  possède  l'aptitude  à  avoir  des 
yeux.  Mais  le  nom  infini  étant  imposé  par  la  négation  ,  ne  suppose 
rien,  car  il  peut  se  dire  de  l'être  comme  du  non-être.  Nous  disons  que 
la  chimère  est  un  non  homme,  comme  le  cheval  est  un  non  homme; 
d'où  il  résulte  que  ces  choses  ne  signifient  que  par  mode  de  nom,  parce 
que  c'est  au  moins  un  suppôt  en  compréhension.  On  dit  ensuite  droite 
à  la  différence  des  cas  obliques  qui  viennent  du  droit  ou  nominatif 
par  une  certaine  origine  de  déclinaison.  Car  le  nominatif  seul  est  ap- 
pelé nom  principalement,  parce  que  c'est  par  lui  que  s'est  faite  l'im- 
position du  nom  pour  une  autre  signification.  Or  les  cas  obliques 
n'appartiennent  pas  directement  à  la  logique  qui  s'occupe  du  vrai  et  du 
faux,  parce  que  ces  cas  avec  le  verbe  je  suis,  tu  es,  il  est,  dans  lequel 
tous  les  autres  se  confondent,  ne  disent  pas  le  vrai  et  le  faux.  Rien 
n'empêche  cependant  de  les  joindre  avec  quelques  autres  verbes  im- 
personnels et  ils  signifieront  alors  ou  la  vérité  ou  la  fausseté,  comme  je 
m'ennuie  de  la  lecture;  telle  est  l'explication  du  nom,  etc. 


finitorum ,  sicut  est  non  homo.  Ubi  nota, 
quod  orane  nomen  accipiendo  etiam  pro- 
nomen  pro  nomine,  aut  significat  determi- 
natam  naturam,  ut  homo,  aut  determina- 
tam  personara ,  ut  ego  et  tu,  aut  determi- 
natam  naturam  et  personam,  ut  Sortes, 
Plato  :  cum  autem  nomen  infinitum  nihil 
horum  signifîcet,  non  vere  poterit  dici  no- 
men. Quod  autem  nihil  horum  signifîcet , 
patet.  Nam  nornen,  quod  imponitur  a  pri- 
vatione  ad  minus  requirit  suhjectum  exis- 
tens  ,  non  enim  ciecum  dicitur  nomine 
animalis,  sed  supponit,  quod  illud  quod  est 
caecum,  sit  aptuvn  natum  hahere  oculos. 
Nomen  autem  infinitum  cum  a  negatione 
imponatur  ,  nihil  supponit  ,  potest  enim 
dici  de  ente,  sicut  de  non  ente.  Dicimus 
enim  quod  chimera  est   non   homo  ,  ut 


equus  est  non  homo,  unde  talia  significant 
solum  per  modum  hominis,  quia  ad  minus 
est  suppcsitum  in  comprehensione.  Deinde 
dicitur  recta,  ad  differentiam  casuum  obli- 
quorum,  qui  cadunt  a  recto  seu  nomina- 
tivo  per  quamdam  originem  declinationis. 
Solus  enim  nominativus  'dicitur  nomen 
principaliter,  quia  per  ipsum  facta  est  im- 
positio  nominis  ad  aliud  significandum. 
Non  autem  pertinent  obliqui  directe  ad  lo- 
gicum,  qui  versatur  circa  verum  et  falsum, 
quia  taies  casus,  scilicet  obliqui,  cum  hoc 
verbo  :  sum,  es,  est,  in  quod  omnia  verba 
resolvuntur,  non  dicunt  verum  vel  falsum. 
Nihil  tamen  prohibet  eos ,  cum  aliquibus 
verbis  impersonalibus  jungi ,  et  significare 
verum  vel  falsum,  ut  taedet  raelectionis,  et 
sic  patet  de  nomine,  etc. 


220 


OPUSCULE    XLV1I,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    2. 


CHAPITRE  II. 

Ce  que  c'est  formellement  que  le  verbe  suivant  la  description  logique. 

Le  verbe  est  une  voix  significative  intentionnellement,  dont  aucune 
partie  ne  signifie  des  choses  séparées,  limitées  et  droites;  il  est  toujours 
significatif  des  choses  affirmées  d'autres  choses.  La  première  partie  de 
cette  définition  est  entendue  dans  le  même  sens  que  pour  le  nom. 
Elle  est  appelée  limitée  à  la  différence  des  verbes  infinis,  comme  sont, 
il  ne  court  pas,  il  n'aime  pas,  qui  ne  sont  pas  proprement  des  verbes. 
Sur  quoi  il  faut  observer  que  c'est  le  propre  du  verbe  de  signifier 
quelque  chose  par  manière  d'action  et  de  passion,  comme  il  a  été  dit. 
Or  les  locutions  susdites  ne  le  sont  pas ,  bien  plus  elles  écartent  l'ac- 
tion ou  la  passion,  plutôt  qu'elles  signifient  quelque  action  ou  passion 
déterminée;  donc  ce  ne  sont  pas  proprement  des  verbes.  Il  faut  savoir 
que  bien  que  ce  ne  soit  pas  proprement  des  verbes ,  cependant  il  y  a 
quelque  chose  dans  la  définition  du  verbe  qui  leur  convient,  d'abord 
parce  qu'elles  signifient  avec  mesure  de  temps.  Comme  agir  et  souffrir 
sont  dans  le  temps,  il  en  est  de  même  de  la  privation  de  l'action  et  de 
la  passion,  d'où  il  résulte  que  le  repos  est  mesuré  par  le  temps  ;  or  ces 
locutions  signifient  la  privation  d'action  et  de  passion ,  comme  on  l'a 
dit.  Secondement ,  parce  qu'il  y  a  dans  la  définition  du  verbe  ce  qui 
se  trouve  toujours  du  côté  du  prédicat,  d'être  significatif  des  choses 
qui  s'affirment  d'autres  choses,  ce  qui  s'entend  ainsi.  Comme,  en  ef- 
fet, le  sujet  de  renonciation  est  signifié,  comme  une  chose  à  laquelle 
une  autre  chose  est  inhérente,  et  que  le  verbe  signifie  l'action  par  ma- 
nière d'action  dont  la  nature  est  d'être  inhérente  ;  il  s'ensuit  qu'on  le 
trouve  toujours  du  côté  du  prédicat,  parce  que  même  il  faut  qu'il  y 


CAPUT   II. 

De  verbo   quid  sit  formaliler  secundum  in- 
tenlioncm  logicam. 

Verbum  est  vox  significativa  ad  placi- 
tum,  cujus  nulla  pars  significat  separala, 
iinita  et  recta,  et  semper  est  sigaificativuin 
eorum,  quee  de  altero  prœdicanlur.  In  ista 
diflinitionc,  vox  significativa  ad  placituin, 
cujus  nulla  pars  significat  separata,  intelli- 
guntur  eodem  modo  quo  in  nornine  dicta 
sunt.  Dicitur  autem  iinita  ad  diflerentiam 
verborum  infinitorum,  ut  sunt  :  non  currit, 
non  amat ,  quae  non  proprie  sunt  verba. 
Ubi  nota,  quod  proprium  est  verbi  sighifi- 
care  aliquid  per  modum  actionis  et  passio- 
nis,  ut  supra  dictuin  est.  Pranlicta;  autem 
dictiones  hoc  non  faciunt,  irnmo  reinovent 
actioneni  vel  passionem  potius  quarn  ali— 
quam   determinatam  actionem  vel  passio- 


nem significent  :  non  ergo  proprie  sunt 
verba.  Sciendum,  quod  licet  haec  proprie 
non  sint  verba,  tamen  aliqua  posita  in  dif- 
linitione  verbi  eis  conveniunt,  primo  quia 
significant  cum  tempore.  Sicut  enim  agere 
et  pati  sunt  in  teinpore,  ità  etiam  privatio 
eorum,  unde  et  quies  tempore  mensuratur, 
dictiones  autem  prœdictœ  significant  priva- 
tionem  actionis  et  passionis,  ut  dictum  est. 
Secundum  est,  quia  ponitur  in  diflinitionc 
verbi,  quod  semper  ponitur  ex  parte  prae- 
dicati,  quia  est  significativum  eorum,  quae 
de  altero  prœdicantur  ,  quod  sic  intelligi- 
tur.  Quia  enim  subjectum  enuntiationis  si- 
gnificatur,  ut  id  cui  aliquid  ioheeret ,  ver- 
bum autem  significat  actionem  per  modum 
actionis,  ut  dictum  est,  de  cujus  ralione 
est,  quod  inhaereat  :  ideo  semper  ponitur 
ex  parte  prœdicati ,  etiam  quia  in  onmi 
prœdicatione  oportet ,  quod  sit   verbum, 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  221 

ait  un  verbe  dans  toute  prédication,  puisque  le  verbe  emporte  la  com- 
position au  moyen  de  laquelle  le  prédicat  se  combine  avec  le  sujet. 
C'est  pourquoi,  comme  les  verbes  en  signifiant  l'action  ou  la  passion , 
signifient  quelque  chose  comme  existant  dans  une  autre,  en  raison  de 
quoi  ils  sont  toujours  placés  du  côté  du  prédicat,  de  même  aussi  les 
susdits  verbes  indéfinis ,  signifiant  exclusion  d'action  ou  de  passion, 
sont  toujours  mis  du  côté  du  prédicat.  Car  la  négation  se  ramène  au 
genre  d'affirmation.  Il  faut  savoir  que  les  verbes  du  mode  infinitif 
sont  quelquefois  mis  du  côté  du  sujet,  comme  lorsque  nous  disons  : 
courir  c'est  se  mouvoir,  et  la  raison  de  cela  c'est  qu'ils  ont  la  force 
d'un  nom.  C'est  pourquoi  les  Grecs  leur  adjoignent  des  articles  comme 
aux  noms ,  ce  que  nous  faisons  nous  aussi  dans  la  logique  vulgaire. 
Car  nous  disons,  el  corere  mio  ou  el  est  article  pour  ly.  En  effet,  notre 
intelligence  saisit  la  manifestation  de  l'action  ou  de  la  passion  ou  son 
inhérence  dans  le  sujet,  et  elle  la  produit  comme  étant  une  chose  quel- 
conque, ce  qui  lui  donne  la  force  d'un  nom.  Mais  si  les  verbes  des 
autres  modes  sont  mis  quelquefois  du  côté  du  sujet,  comme  lorsque 
nous  disons,  je  cours ,  est  un  verbe  ,  le  verbe  alors  n'est  pas  pris  for- 
mellement, mais  matériellement  en  tant  qu'il  signifie  la  voix  elle- 
même  qui  est  prise  comme  une  certaine  chose  ;  c'est  pourquoi  les 
verbes ,  le  discours  et  toutes  les  parties  du  discours ,  ainsi  posés  ma- 
tériellement, se  prennent  dans  la  force  du  nom.  On  dit  ensuite  dans  la 
définition  droite,  à  cause  de  la  différence  des  verbes  obliques,  c'est-à- 
dire,  du  prétérit  et  du  futur ,  qui  ne  sont  pas  simplement  des  verbes. 
En  effet,  les  verbes  proprement  dits,  signifiant  l'action  ou  la  passion, 
il  n'y  aura  proprement  de  verbe  que  ce  qui  signifie  l'action  ou  la  pas- 
sion en  acte,  ce  qui  est  agir  ou  souffrir  simplement;  c'est  là  la  signifi- 
cation des  verbes  du  temps  présent,  tandis  que  agir  ou  souffrir  dans  le 


cum  verbum  importet  compositionem  qua 
prsedicatum  componitur  subjecto.  Unde  si- 
cut  verba  significando  actionem  ,  vel  pas- 
sione  significant  aliquid  ut  in  alio  existens, 
propter  quod  semper  ponuntur  ex  parte 
prœdicati ,  ita  etiam  prœdicta  verba  infi- 
nita,  quia  significant  remotionem  actionis 
vel'passionis,  semper  ponuntur  ex  parte 
prsedicati.  Negatio  enim  reducitur  ad  genus 
aflirmalionis.  Seiendum  ,  quod  verba  inti— 
nitivi  modi  aliquando  ponuntur  ex  parte 
subjectif  ut  cum  dicimus  currere  est  mo- 
veri ,  et  hoc  est ,  quia  habent  vim  nomi- 
nis.  Unde  Grœci  addunt  eis  articulos ,  sicut 
nominibus,  hoc  idem  facimus  nos  in  logica 
vulgari.  Nam  dicimus,  el  corere  mio  ,  ubi 
ly,  el,  est  articulus.  lntellectus  enim  noster 
processum  actionis  vel  passionis,  seu  inhœ- 
rentiam  ejus  in  subjecto   apprehendit  et 


significat,  ut  est  res  quœdam,  et  sic  habet 
vim  nominis.  Si  autem  verba  aliorum  mo- 
dorum  aliquando  ponuntur  ex  parte  sub- 
jecti ,  ut  cum  dicimus  curro  est  verbum  , 
tune  non  sumitur  verbum  formaliter  ,  sed 
materialiter,  secundum  quod  significat  ip- 
sam  vocem,  quae  accipitur  ut  res  queedam, 
unde  verba,  et  orationes,  et  omnes  partes 
orationis,  quando  sic  ponuntur  materialiter, 
sumuntur  in  vi  nominis.  Deinde  ponitur  in 
difïinitione  recta,  ad  differentiam  veibo- 
rum  obliquorum  ,  scilicet  preeteriti  et  fu 
turi  temporis,  quae  non  sunt  simpliciter 
verba.  Cum  enim  verba  proprie  dicta  signi- 
îicent  agere  vel  pati,  hoc  erit  proprie  ver- 
bum, quod  significat  agere  vel  pati  in  actu, 
quod  est  agere  vel  pati  simpliciter,  hic 
autem  significant  verba  prœsentis  temporis, 
agere  autem  vel  pati  in  prœterito  vel  iu 


222  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    3. 

passé  ou  dans  le  futur  ce  n'est  que  secundum  quid,  aussi  les  verbes  du 
passé  ou  du  futur  ne  sont  pas  simplement  des  verbes,  mais  bien  secun- 
dum quid.  Mais  ils  sont  dits  des  cas  du  verbe  du  présent,  parce  qu'ils 
signifient  en  quelque  manière  le  temps  présent.  Car  on  dit  le  prétérit 
elle  futur  par  rapport  au  présent,  car  le  passé  est  ce  qui  a  été  présent 
et  le  futur  ce  qui  sera  présent,  et  de  même  les  verbes  des  autres 
modes,  tout  en  étant  des  verbes  du  mode  indicatif,  sont  appelés  les 
cas  du  verbe,  parce  que  leur  variation  regarde  l'action  ou  la  passion, 
comme  la  différence  des  temps  ;  et  comme  la  variation  des  verbes  dans 
le  nombre  et  la  personne  ne  regarde  ni  l'action  ,  ni  la  passion,  mais 
seulement  le  sujet  auquel  est  inhérente  l'action  ou  la  passion,  c'est 
pour  cela  qu'ils  ne  font  pas  des  cas  du  verbe,  etc. 

CHAPITRE  III. 

Ce  que  c'est  que  le  discours,  et  quelles  sont  ses  espèces. 

Le  discours  est  une  voix  intentionnellement  significative  dont  les 
parties  sont  significatives  séparément.  Nous  avons  dit  dans  la  défini- 
tion du  nom  comment  il  faut  entendre  les  parties  de  cette  définition. 
Le  discours  se  divise  en  parfait  et  imparfait.  On  appelle  discours  im- 
parfait celui  qui  ne  produit  qu'un  sens  imparfait  dans  l'esprit  de  l'au- 
diteur ,  sur  quoi  il  faut  remarquer,  comme  il  est  dit  de  la  Métaphy- 
sique :  «  Cela  est  parfait  à  quoi  il  ne  manque  rien  dans  son  genre.  » 
Or,  il  manque  quelque  chose  au  sens  que  le  discours  imparfait  pro- 
duit dans  l'esprit  de  l'auditeur,  la  composition  ou  la  division.  En 
effet,  si  je  dis,  l'homme  blanc,  ce  qui  est  un  discours  imparfait,  je  ne 
dis  pas  qu'il  a  ou  qu'il  n'a  pas  quelque  chose,  et  par  conséquent  le  sens 
de  ce  discours  tient  l'esprit  en  suspens,  parce  qu'il  lui  manque  quelque 


futuro  est  secundum  quid,  et  ideo  verba 
praeteriti  et  futuri  temporis  non  sunt  sim- 
pliciter  verba,  sed  secundum  quid.  Dicun- 
tur autem  casus  verbi  praesentis  temporis, 
quia  aliquo  modo  significant  tempus  prœ- 
sens.  Prœteritum  enim  et  futurum  tempus 
dicuntur  per  respectum  ad  preesens.  Est 
enim  prœteritum  tempus,  quod  fuit  prae- 
sens  :  et  futurum,  quod  erit  praesens,  et 
similiter  verba  aliorum  modorum,  quam 
sit  verbum  indicativi  modi ,  casus  verbi 
dicuntur,  quia  earum  variatio  respicit  ip- 
sam  actionem ,  vel  passionem,  sicut  et  va- 
riatio temporum  :  et  quia  variatio  verbo- 
rum  in  numéro,  et  persona  non  respicit 
ij.saiu  actionem,  vel  passionem,  sed  solum 
subjeclum,  cui  actio  vel  passio  inhaeret, 
ideo  non  faciunt  casus  verbi  etc. 


CAPUT  III. 

De  oratione  quid  sit,  et  de  speciebus  ejus. 
Oratio  est  vox  significativa  ad  placitum, 
cujus  partes  significant  separatae.  Qualiter 
autem  hujus  diffinitionis  particule  sint 
intelligendae,  dictum  est  in  diffînitione  no- 
minis.  Dividitur  autem  oratio  in  imperfec- 
tam,  et  perfectam.  Oratio  imperfecta  dici- 
tur,  quae  imperfectum  sensum  générât  in 
animo  auditoris,  ubi  nota,  quod  ut  dicitur 
V.  Metaphysicœ  ;  «  Perfectum  est  cui  nihil 
deestin  génère  suo  :  »  sensui  autem  quem 
générât  oratio  imperfecta  in  animo  audito- 
ris aliquid  deest,  quia  deesl  sibi  composi- 
tio,  vel  divisio.  Si  enim  dico,  homo  albus, 
quee  est  oratio  imperfecta,  nihil  dico  sibi 
inesse,  vel  non  inesse ,  et  per  consequens 
I  sensus  hujus  orationis  facit  stare  animum 


SUR  LA   LOGIQUE    d'aRISTOTE.  223 

chose,  c'est  pour  cela  qu'il  est  imparfait.  Il  faut  savoir  cependant  que 
ce  n'est  pas  sans  raison  qu'on  détermine  la  perfection  ou  l'imperfec- 
tion du  discours  par  la  production  d'un  sens.  Sur  quoi  il  faut  observer 
que ,  bien  que  le  discours  et  chacune  de  ses  parties  soient  des  choses 
artificielles  et  non  quelque  chose  de  naturel ,  ils  ne  sont  pas  non  plus 
des  instruments  de  la  vertu  interprétative,  comme  disoit  Platon.  Car 
les  instruments  naturels  de  cette  vertu  sont  le  poumon ,  le  gosier ,  le 
palais,  la  langue,  les  dents  et  les  lèvres,  ce  sont  cependant  les  instru- 
ments de  l'intellect  lui-môme,  qui  n'est  pas  une  force  matérielle  ,  mais 
bien  au-dessus  de  toute  nature  corporelle.  Or  l'instrument  se  définit 
par  sa  fin,  laquelle  est  l'usage,  et  l'usage  de  la  voix  significative  est 
de  faire  connoître  à  celui  qui  écoute  les  conceptions  de  l'intelligence 
de  celui  qui  parle.  C'est  donc  à  bon  droit  qu'on  définit  le  discours  par- 
fait et  le  discours  imparfait  par  la  production  d'un  sens  ou  par  la  si- 
gnification. C'est  pourquoi  on  appelle  parfait  le  discours  qui  produit 
un  sens  parfait  dans  l'esprit  de  l'auditeur  à  cause  de  la  complexion 
qu'il  exprime.  Or,  il  y  a  cinq  espèces  de  discours  parfaits,  savoir  l'es- 
pèce énonciative,  la  vocative,  l'interrogative,  l'impérative  et  la  dépré- 
cative.  Il  faut  savoir  que  non-seulement  la  raison  conçoit  les  choses 
elles-mêmes ,  mais  qu'elle  dirige  et  ordonne  autre  chose  par  sa  con- 
ception ;  en  concevant  les  choses  en  elles-mêmes  elle  forme  le  discours 
indicatif  ou  énonciatif,  en  ordonnant  les  autres  choses,  elle  forme  les 
autres  discours.  On  est  dirigé  et  coordonné  par  quelqu'un  à  trois 
choses  .  d'abord  à  appliquer  son  esprit,  et  à  cela  appartient  le  discours 
vocatif;  secondement,  à  répondre  de  la  voix,  et  à  cela  appartient  le 
discours  interrogatif  ;  troisièmement,  à  faire  une  œuvre,  et  à  cela  ap- 
partient, pour  les  inférieurs,  le  discours  impératif,  et  pour  les  supé- 
rieurs le  discours  déprécatif ,  auquel  se  rapporte  le  discours  optatif, 


suspensum,  quia  sibi  aliquid  deest,  ideo  est 
imperfectus.  Sciendum  tamen,  quod  non 
sine  causa  oratio  perfecta  et  imperfecta  dif- 
finitur per  generare  sensum.  Ubi  nota  : 
quod  licet  oratio,  et  quœlibet  ejus  parssint 
quœdam  res  artificiales ,  et  non  naturales , 
nec  etiam  sint  instrumenta  naturalia  virtu- 
tis  interprétative ,  ut  Plato  dicebat.  Ejus 
namque  virtutis  instrumenta  naturalia  sunt 
pulmo,  guttur,  palatum,  lingua,  dentés,  et 
labia,  sunt  tamen  instrumenta  ipsius  intel- 
lectus,  qui  non  est  -virius  materiahs,  sed 
supra  omnem  naturam  corpoream  :  instru- 
mentum  autem  diffinitur  ex  fine ,  qui  est 
usus  ejus,  usus  autem  vocis  signififcativae 
est  signifîcare  audienti  conceptum  intellec- 
tus  dicentis.  Bene  ergo  diffinitur  oratio  per- 
fecta et  imperfecta  per  generare  sensum, 
seu  significare.  Unde  oratio  perfecta  dici- 


tur,  qua3  perfectum  sensum  générât  in 
animo  auditoris  propter  complexionem, 
quam  dicit.  Orationum  autem  perfectarum 
quinque  suntspecies,  scilicet  enuntiativa, 
vocativa,  interrogativa,  imperativa,  et  de- 
precativa.  Sciendum  quod  ratio  non  solum 
concipit  ipsas  res  :  sed  etiam  per  suum 
conceptum  alia  dirigit,  et  ordinat,  conci- 
piendo  autem  res  in  se  format  orationem 
indicativam,  seu  enuntiativam  :  ordinando 
autem  alia,  format  alias  orationes.  Dirigi- 
tur  autem  et  ordinatur  aliquisabaliquoad 
tria.  Primo  ad  mente  attendendum,  et 
ad  hoc  pertinet  oratio  vocativa.  Secundo , 
ad  voce  respondendum ,  et  ad  hoc  per- 
tinet oratio  interrogativa.  Tetrio,  ad  opus 
exequendum ,  et  ad  hoc  pertinet  quantum 
ad  inferiores  oratio  imperativa,  quantum 
vero  ad  superiores  oratio  deprecativa,  ad 


224  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    4. 

car  l'homme  n'a  point  de  force  naturelle  vis-à-vis  de  son  supérieur,  si 
ce  n'est  par  l'expression  de  son  désir  :  le  discours  suppositif ,  c'est-à- 
dire  conditionnel,  et  ie  dubitatif  rentrent  dans  l'interrogatif.  Et 
comme  ces  quatre  espèces  de  discours  ne  signifient  pas  le  vrai  et  le 
faux  mais  un  certain  ordre  qui  y  tend ,  elles  n'appartiennent  point 
par  conséquent  au  sujet  présent  qui  a  un  rapport  direct  avec  la 
science  démonstrative,  dans  laquelle  l'oreille  de  l'homme  est  amenée 
à  considérer  le  vrai  d'après  ce  qui  est  propre  à  la  chose.  Klles  appar- 
tiennent plutôt  à  la  rhétorique  ou  à  la  poétique  qui  produisent  l'as- 
sentiment par  la  disposition  de  l'auditeur.  Il  n'y  a  que  le  discours 
énonciatif  qui  signifie  le  vrai  ou  le  faux,  qui  appartienne  à  l'objet 
qui  nous  occupe,  aussi  bien  que  les  autres  discours  qui  peuvent  s'y 

rattacher. 

CHAPITRE  IY. 

Ce  que  c'est  que  renonciation,  ce  que  c'est  que  le  vrai  et  le  faux. 

L'énonciation  est  un  discours  qui  signifie  le  vrai  et  le  faux.  Pour 
comprendre  cette  définition  il  faut  d'abord  considérer  ce  que  c'est  que 
le  vrai  et  le  faux ,  en  second  lieu  pourquoi  il  ne  convient  qu'à  renon- 
ciation de  signifier  le  vrai  et  le  faux.  Relativement  au  premier  point, 
il  faut  savoir  que,  comme  l'on  dit  communément,  la  vérité  est  l' adé- 
quation de  la  chose  à  l'intellect,  suivant  Isaac,  le  vrai  est  dit  adœquat, 
et  le  faux  inadœquat.  Or  cette  adœquation,  ou  conformité,  ne  peut  pas 
être  une  relation  réelle ,  autrement  le  vrai  ne  pourroit  se  convertir 
avec  l'être.  Car  ce  qui  n'est  que  dans  un  prédicament  n'appartient 
pas  aux  transcendentaux.  C'est  donc  une  relation  de  raison,  et  ainsi  le 
vrai  est  relatif  suivant  la  raison,  ce  qui  n'empêche  pas  qu'il  soit  dans 


quam  reducitur  oratio  optativa,  quia  res- 
pecta superioris  homo  nonhabet  vim  inna- 
tam ,  nisi  per  expressionem  sui  desiderii  : 
suppositiva  vero,  id  est  conditionalis,  et 
dubitativa  reducuntur  ad  interrogativara. 
Et  quia  istae  quatuor  species  orationis  non 
signifîcant  verum,  vel  falsum,  sed  quemdam 
ordinem  ad  ista  consequentem ,  ideo  non 
pertinet  ad  prœsens  negotium,  quod  directe 
ordinatur  in  scientiamdemonstiativam,  in 
qua  auris  hoininis  per  rationem  adducitur 
ad  considerandum  veruni  ex  his  qure  sunt 
propria  rei  :  sed  magis  pertinent  ad  rheto- 
ricam,  vel  poeticum ,  qiue  inducunt  ad  as- 
sentiendum  per  disposilionem  audientis. 
Sola  autem  enunthitiva ,  qua3  signiiieat 
verum  vel  falsum ,  ad  hoc  negotium  spec- 
tat,  et  si  quœ  alite  orationes  ad  eam  reduci 
possunt. 


GAPUT  IV. 

De  enuniialione  quid  sit  et  quid  est  verum, 
et  falsum. 

Enuntiatio  est  oratio  verum  vel  falsum 
significans.  Ad  intelligendum  autem  hanc 
diffinitionem,  primo  videndum  est  quid  sit 
verum  vel  falsum  :  secundo  videndum  est 
quare  soli  enuntiationi  convenit  signilieare 
verum  vel  falsum.  Quantum  ad  piïinum 
seiendum,  quod  ut  communiter  dicitur, 
veritas  est  adaequatio  rei  ad  intellectum, 
secundum  Isaac,  verumdicitur  adaequatum, 
falsum  vero  non  adœquatum.  Haee  autern 
adœqualio,  seu  conformitas  non  potest  esse 
relatio  realis  :  alioquin  verum  non  conver- 
teretur  cum  ente.  Quod  enim  est  in  uno 
prœdicamento  tantum ,  non  potest  esse  de 
transcendentibus,  est  ergo  relatio  rationis, 
et  sic  verum  est  relativum  secundum  ra- 
tionem, quod  nihil  prohibet  ipsum  esse  in 


SUR   LA   LOGIQUE   d'arISTOTE.  225 

plusieurs  prédicaments  et  même  daus  tous,  pour  ce  qui  est  de  cette 
conformité,  je  dis  que  certaines  choses  sont  subjectivement,  dans  l'in- 
tellect, comme  les  actes  de  l'intellection  et  autres  de  ce  genre; 
d'autres  choses  y  sont  objectivement,  comme  celles  que  conçoit  l'in- 
tellect. Donc,  quand  la  chose  qui  se  trouve  objectivement  dans  l'intel- 
lect est  conforme  à  elle-même  ,  suivant  ce  qu'elle  est  dans  la  nature 
des  choses,  alors  cette  conformité  s'appelle  vérité.  C'est  pourquoi  la 
vérité  consiste  en  ce  qu'une  chose  est  perçue  par  l'intellect  telle  qu'elle 
est  dans  la  nature  des  choses,  et  au  contraire  la  fausseté  consiste  dans 
la  non  conformité  de  la  chose  telle  qu'elle  est  conçue  par  l'intellect 
dans  sa  nature,  et  c'est  pour  cela  qu'Aristote  dit  dans  le  liv.  IV  de  la 
Métaphysique ,  «  que  le  vrai  consiste  à  être  ce  qu'il  est  et  à  ne  pas- 
être  ce  qu'il  n'est  pas,  le  faux  à  être  ce  qu'il  n'est  pas  et  à  ne  pas  être 
ce  qu'il  est.  Aussi  quand  l'intellect  comprend  qu'une  chose  est  ce 
qu'elle  est  réellement  dans  la  nature  des  choses  ,  ou  qu'elle  n'est  pas 
ce  qu'elle  n'est  réellement  pas,  cette  conformité  c'est  la  vérité.  Quand 
au  contraire ,  l'intellect  conçoit  qu'une  chose  est  ce  qu'elle  n'est  pas 
ou  n'est  pas  ce  qu'elle  est,  c'est  la  fausseté.  Il  faut  savoir  que  dans 
cette  conformité  qui  s'appelle  vérité ,  il  y  a  quatre  choses  à  considé- 
rer, la  chose  telle  qu'elle  est  conçue  ou  telle  qu'elle  est  objectivement 
dans  l'intellect,  et  l'intellect  qui  la  conçoit  et  l'acte  de  l'intellection 
qui  est  subjectivement  dans  l'intellect  et  la  chose  telle  qu'elle  est  dans 
sa  nature.  Or  la  vérité  se  trouve  dans  la  chose  telle  qu'elle  est  conçue 
ou  telle  qu'elle  est  objectivement  dans  l'intellect  avant  d'être  dans 
l'intellect,  ou  dans  l'acte  de  l'intellection  ou  dans  la  chose  telle  qu'elle 
est  dans  sa  nature.  Car  l'intellect  et  l'acte  de  l'intellection  ne  sont  dits 
vrais  qu'en  tant  qu'ils  s'appliquent  à  un  objet  vrai.  En  effet,  l'intel- 
lect est  appelé  vrai,  parce  qu'il  saisit  le  vrai,  et  l'acte  de  l'intellection 


pluribus  prsedicamentis ,  vel  in  omnibus. 
Quae  autem  sit  hsec  conformitas,  dico  quod 
in  intellectu  queedam  sunt  subjective,  ut 
species  intelligibles,  actus  intelligendi ,  et 
hujusmodi  :  qusedam  sunt  objective,  ut  ea 
quse  intellectus  intelligit.  Quando  ergo  res 
quee  est  in  intellectu  objective,  est  confor- 
mis  sibi  ipsi,  ut  est  in  rerum  natura,  tune 
talis  conformitas  dicitur  veritas.  Unde  in 
hoc  consistit  veritas,  quod  res  sic  apprehen- 
ditur  ab  intellectu  sicut  est  in  rerum  na- 
tura, et  per  oppositum  falsitas  est  in  dif- 
formitate  rei,ut  apprehensa  est  ab  intellectu 
ad  se  ipsurn ,  ut  est  in  natura  sua,  et  prop- 
ter  hoc  Philos.  IV.  Metaph.  dicit,  quod  ve- 
rum  est  esse  quod  est,  et  non  esse  quod 
non  est  :  falsum  vero  est  esse  quod  non 
est,  et  non  esse  quod  est.  Unde  quando  in- 


rerum  natura,  vel  non  esse  sicut  non  est , 
talis  conformitas  dicitur  veritas.  Quando 
vero  apprehendit  tem  esse  ut  non  est ,  vel 
non  esse  ut  est,  tune  falsitas.  Scienduin, 
quod  in  tali  conformitate  quae  veritas  dici- 
tur, est  considerare  quatuor,  scilicet  rem 
ut  est  intellecta  ;  seu  ut  est  in  intellectu 
objective,  et  ipsum  intellectum  eam  intel- 
ligentem,  et  actum  intellligendi ,  qui  est 
subjective  in  intellectu,  et  rem  ut  est  in 
natura  sua.  In  re  autem  ut  est  intellecta, 
seu  ut  est  objective  in  intellectu  est  perprius 
veritas ,  quam  sit  in  intellectu ,  vel  quam 
sit  in  actu  intelligendi,  vel  quam  sit  in  re;  ut 
est  in  sua  natura.  Intellectus  enim,  et  ac- 
tus intelligendi,  non  dicuntur  veri,  nisi  quia 
sunt  de  vero  objecto.  Intellectus  enim  dici- 
tur verus,quia  apprehendit  verum,  et  actus 


tellectus  intelligit  rem  sic  esse  sicut  est  in    intelligendi  dicitur  verus,  quia  est  appre- 
v.  15 


22G  OPUSCULE    XLVII  ,    TRAITÉ    9,    CïïAPlTRE    5. 

est  appelé  vrai,  parce  qu'il  est  la  conception  de  quelque  vérité,  et  une 
chose  dans  sa  nature  est  appelée  vraie,  parce  qu'elle  est  propre  à  dé- 
terminer dans  l'intellect  une  conception  conforme  à  son  entité.  Re- 
marquez que  cette  conformité  d'une  chose  en  tant  que  conçue  relati- 
vement à  elle-même  et  telle  qu'elle  est  dans  sa  nature,  peut  se  trouver 
ou  dans  un  intellect  pratique  ou  dans  un  intellect  spéculatif.  Dans  un 
intellect  pratique,  quand  la  chose  est  réellement  par  sa  forme  telle  que 
l'artisan  l'a  conçue  dans  son  art.  Or,  comme  toutes  les  choses  natu- 
relles sont  par  leurs  formes  conformes  à  elles-mêmes  et  qu'elles  ont 
été  conçues  par  l'art  divin,  en  conséquence  chaque  chose  est  appelée 
vraie ,  suivant  qu'elle  a  sa  forme  propre,  et  c'est  ainsi  que  le  vrai  et 
l'être  se  convertissent  réciproquement.  Cette  conformité  se  trouve  dans 
l'intellect  spéculatif,  parce  que  l'intellect  conçoit  la  chose  telle  qu'elle 
est.  Car  l'intellect  ne  conçoit  pas  la  chose  comme  elle  est  dans  l'intel- 
lect pratique ,  mais  il  la  conçoit  telle  qu'elle  est  réellement  ;  c'est 
pourquoi  l'intellect  pratique  se  compare  aux  choses  artificielles,  comme 
la  mesure  à  la  chose  mesurée  :  au  contraire  l'intellect  spéculatif  se 
compare  aux  choses  qu'il  conçoit  comme  la  chose  mesurée  à  la  me- 
sure. Il  faut  observer  qu'il  y  en  a  qui  pensent  que  la  vérité  est  la  con- 
formité de  la  chose  avec  l'intellect  informé  par  la  similitude  de  la 
chose;  la  fausseté  au  contraire  est  la  non  conformité  de  l'intellect  ainsi 
informé  avec  la  chose.  Cette  opinion  est  probable.  Voilà  ce  que  c'est 
que  la  vérité  et  la  fausseté. 

CHAPITRE  V. 

La  vérité  et  la  fausseté  ne  sont  que  dans  renonciation,  et  pourquoi? 

Pour  ce  qui  est  du  second  point ,  c'est-à-dire,  pourquoi  la  vérité  et 
la  fausseté  ne  sont  que  dans  renonciation ,  il  faut  savoir  que  la  vérité 


hensio  alicujus  veril,  et  res  in  natura  sua 
dicitur  vera,  quia  nata  est  apud  intellectum 
causare  apprehensionem  eonformem  enti- 
tati  suœ.  Notandum  quod  talis  conformitas 
rei,  ut  intellecta  est  ad  seipsam,  ut  est  in 
natura  sua ,  potest  esse  vel  in  intellectu 
practico ,  vel  in  intellectu  spéculative  In 
intellectu  quidem  practico  quando  scilicet 
sic  est  res  per  suam  formam,  sicut  appre- 
hendit  eam  artifex  per  artem  suam.  Cum 
autem  omnesres  naturales  per  formam  suam 
sint  conformes  sibi  ipsis,  ut  apprehensee 
sunt  ab  artedivina,  ideo  quaelibet  res  se- 
cundum  quod  habet  propriam  formam  di- 
citur vera  ,  et  sic  verum  et  ens  convertun- 
tur.  In  intellectu  vero  speculativo  est  talis 
conformitas,  quia  intellectus  intelligit  rem 
sicut  est.  Non  enim  intellectus  sic  intelli- 
git_,  sicut  res  in  intellectu  practico,  sed  quia 


sicut  res  est,  ita  eam  intelligit  intellectus  : 
et  ideo  intellectus  practicus  comparatur  ad 
artificialia,  ut  mensura  ad  mensuratum, 
econverso  autem  intellectus  speculativus 
comparatur  ad  ea  quee  intelligit  ut  mensu- 
ratum ad  mensuram.  Notandum  quod  ali- 
qui  tenent,  quod  veritas  est  conformitas  rei 
ad  intellectum  informatum  similitudine 
rei  :  falsitas  vero  est  diffurmitas  intellectus 
sic  informati  ad  rem.  Et  hœc  opinio  pro- 
babiliter  potest  teneri.  Sic  ergo  patet  quid 
est  veritas  et  falsitas  etc. 

CAPUT  V. 

Quod  verilas  et  falsitas  sunt  tantum  in  enun- 
tialione,et  quare. 

Quantum  ad  secundurn,  scilicet  quare  ve- 
ritas et  falsitas  sunt  in  enuntiatione  tan- 


.  SUR  LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  227 

n'est  dans  une  voix  significative,  soit  que  ce  soit  un  nom ,  un  verbe 
ou  un  discours ,  que  comme  dans  un  signe  ;  or  il  y  a  de  ces  signes  des 
conceptions  de  l'intellect.  Donc ,  suivant  que  le  vrai  ou  le  faux  se 
trouveront  dans  les  conceptions  de  l'intellect,  on  dira  qu'ils  sont  dans 
les  signes  eux-mêmes.  Il  faut  savoir,  comme  on  le  dit  en  troisième 
lieu  de  l'ame  ,  qu'il  y  a  deux  opérations  de  l'intellect ,  savoir  l'intel- 
ligence des  indivisibles ,  quand  l'intellect  conçoit  la  quiddité  d'une 
chose  en  elle-même ,  et  la  composition  et  la  division ,  c'est-à-dire 
quand  il  compose  par  l'être  une  chose  conçue  ,  ou  la  division  quand 
il  la  divise  par  le  non-être  ,  et  la  vérité  se  trouve  dans  l'une  et  l'autre 
de  ces  opérations  de  l'intellect.  Sur  quoi  il  faut  remarquer,  ainsi  qu'il 
a  été  dit ,  que  la  vérité  est  une  relation  de  raison  ;  or  les  êtres  de 
raison  ne  se  trouvent  jamais  subjectivement,  si  ce  n'est  dans  un  sens 
large ,  suivant  ce  à  quoi  la  raison  attribue  ce  rapport  de  raison  ;  donc 
la  vérité  n'a  l'être  qu'objectivement ,  j'en  dis  autant  de  la  fausseté. 
Donc  si  nous  considérons  ce  qui  est  vrai  en  premier  lieu ,  c'est-à-dire 
la  chose  telle  qu'elle  est  conçue,  et  que  nous  l'appelions  vrai ,  je  dis 
que  ce  vrai  peut  se  trouver  dans  la  première  opération  de  l'intellect. 
Car  l'intellect  conçoit  la  chose  même  telle  qu'elle  est  en  soi ,  et  il 
conçoit  ainsi  le  vrai  :  or  l'intellect  ne  conçoit  point  le  vrai  dans  son 
opération  première  ,  parce  que ,  ou  il  atteint  la  nature  de  la  chose , 
et  alors  il  conçoit  le  vrai ,  ou  il  ne  l'atteint  pas,  et  alors  il  l'ignore , 
et  il  n'y  a  pas  là  proprement  une  non  conformité  de  la  chose  conçue 
avec  sa  nature  ,  parce  que  cette  chose  n'a  pas  été  conçue ,  mais  bien 
quelque  autre;  c'est  pourquoi  il  n'y  a  point  là  la  fausseté  qui  emporte 
proprement  la  déception  et  non  pas  l'ignorance  seule.  C'est  la  raison 
pour  laquelle  Aristote  dit  dans  le  livre  III  de  l'Ame,  que  l'intellect 
qui  comprend  la  quiddité  d'une  chose  est  toujours  vrai.  Or  ce  n'est 
pas  là  comprendre  parfaitement  la  vérité  qui  est  la  conformité  de 


tum,  sciendum  quod  veritas  non  est  in 
voce  significativa,  sive  sit  nomen,  vel  ver- 
bum ,  vel  oratio ,  nisi  sicut  in  signo  :  sunt 
autem  hujusmodi  signa  conceptionum  in- 
tellectus.  Secundum  ergo,  quod  in  concep- 
tionibus  intellectus  erit  verum,  vel  falsum, 
sic  dicetur  esse  in  ipsis  signis.  Sciendum 
quod  ut  dicitur  III  de  Anima,  duplex  est 
operatio  intellectus  ,  scilicet  indivisibilium 
intelligentia  ;  quando  scilicet  intellectus  m- 
telligit  quidditatem  rei  in  se  :  et  composi- 
tio  et  divisio ,  scilicet  quando  unam  rem 
conceptam  componit  per  esse  ;  vel  divisio 
quando  dividit  per  non  esse ,  et  in  utraque 
operatione  intellectus  invenitur  veritas. 
Ubi  nota,  quod  sicut  dictum  est,  veritas  est 
relatio  rationis ,  entia  autem  rationis  nus- 
quam  sunt  subjective,  nisi  largo  modo  in- 
telligatur,  secundum  illud  cui  ratio  attri- 


buit  talem  respectum  rationis ,  habet  ergo 
vérité^  solum  esse  objective  ,  et  similiter 
dico  de  falsitate.  Unde  si  consideramus  illud 
quod  primo  verum  est,  scilicet  rem  ut  est 
intellecta  et  vocemus  verum,  dico  quod  taie 
verum  potest  esse  in  prima  operatione  in- 
tellectus. Nam  intellectus  intelligit  ipsam 
rem,  ut  est  in  se ,  et  sic  intelligit  verum  : 
falsum  autem  non  intelligit  intellectus  in 
prima  operatione  sua,  quia  vel  attingit  na- 
turam  rei,  et  tune  intelligit  verum,  aut  non 
attingit ,  et  tune  ignorât  ;  et  non  est  ibi 
proprie  difformitas  rei  intellects  ad  natu- 
ram  ejus,  quia  nec  talis  res  est  intellecta  : 
sed  aliqua  alia,  et  ideo  non  est  ibi  falsitas, 
quse  proprie  importât  deceptionem,  et  non 
ignorantiam  solam  :  et  inde  est  quod  Phi- 
losophus  III  de  Anima  dicit,  quod  intellec- 
tus comprehendens  quod  quid  est ,  semper 


228  OPUSCULE    XL  VII  ,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    5. 

l'une  et  l'autre  chose  ,  savoir,  de  la  chose  telle  qu'elle  a  été  conçue  et 
de  la  chose  dans  sa  nature ,  mais  c'est  connoître  une  chose  conforme 
ou  vraie.  Mais  objectivement  la  vérité  se  trouve  parfaitement  et  com- 
plétivement  dans  la  seconde  opération  de  l'intellect.  Car  saisir  la 
vérité ,  c'est  saisir  la  conformité  de  la  chose  conçue  avec  elle-même , 
suivant  sa  nature ,  comme  on  l'a  dit.  Or  cela  se  fait  en  comparant  une 
chose  à  l'autre ,  ou  la  même  chose  à  elle-même ,  suivant  une  autre 
chose  et  un  autre  être ,  ce  qui  ne  peut  se  faire  que  par  la  seconde 
opération  de  l'intellect.  Donc  la  vérité  ne  se  trouve  parfaitement  que 
dans  l'intellect  composant  ou  divisant,  j'en  dis  autant  de  la  fausseté. 
Mais  les  choses  seront  plus  claires  en  suivant  la  seconde  opinion  dont 
nous  avons  parlé.  Car  si  la  vérité  est  la  conformité  de  la  chose  avec 
l'intellect  informé  par  la  similitude  de  cette  chose,  le  vrai  se  trouvera 
dans  la  première  opération  de  l'intellect,  parce  qu'il  s'y  trouvera 
cette  conformité,  mais  alors  le  vrai  ne  sera  pas  dans  l'intellect  comme 
dans  un  sujet  connoissant  le  vrai.  En  effet  l'intellect  ne  connoît  le  vrai 
qu'en  composant  ou  en  divisant,  suivant  son  jugement,  et  si  ce  juge- 
ment est  d'accord  avec  les  choses,  il  sera  vrai,  c'est-à-dire ,  lorsque 
l'intellect  juge  qu'il  est  informé  par  la  similitude  de  la  chose  telle 
quVlle  est.  C'est  tout  le  contraire  par  rapport  au  faux ,  et  tout  cela 
appartient  à  la  seconde  opération  de  l'intellect ,  et  non  à  la  première. 
D'après  ce  que  nous  venons  de  dire  ,  on  peut  voir  clairement  que  la 
vérité  ou  la  fausseté  ne  se  trouvent  que  dans  renonciation ,  comme 
dans  un  signe.  En  effet ,  si  la  seule  énonciation  est  le  signe  des  choses 
qui  sont  objectivement  dans  la  seconde  opération  de  l'intellect ,  et  si 
le  vrai  et  le  faux  ne  sont  que  là  ,  le  vrai  ou  le  faux  ne  se  trouveront 
que  dans  renonciation ,  et  non  dans  toute  autre  voix ,  soit  locution , 
soit  discours.  Telle  est  renonciation. 


est  verus.  Hoc  autem  non  est  perfecte  com- 
prehendere  veritatem,  quae  est  conformitas 
utriusque,  scilicet  rei,  ut  intellecta  est ,  et 
rei  in  sua  natura,  sed  est  cognoscere  unum 
conforme,  seu  verum.  In  secunda  vero  ope- 
ratione  intellectus  est  perfecte,  et  complé- 
tive veritas  objective.  Nam  apprehendere 
veritatem,  est  apprehendere  conformitatem 
rei  intellects  ad  se  ipsam  secundum  suam 
naturam,  ut  dictum  est  :  hoc  autem  fit 
comparando  unum  alteri,  vel  idem  ad  seip- 
sum  secundum  aliud,  et  aliudesse,  quod 
non  potest  fieri  nisi  per  secundam  opéra - 
tionem  intellectus.  Ergo  perfecte  veritas  non 
est,  nisi  in  intellectu  componente,  vel  di- 
vidente  ,  et  similiter  dico  de  falsitate.  Te- 
nendo  vero  secundam  opinionem  pradic- 
tam,  erunt  clariora.  Nam  si  veritas  est 
conformitas  rei  ad  intellectum  informatum 
similitudine  rei,    in  prima  operatione  in- 


tellectus erit  verum,  quia  erit  ibi  talis  con- 
formitas, non  tamen  erit  verum  tune  in 
intellectu,  ut  in  cognoscente  verum.  Non 
enim  intellectus  aliter  cognoscit  verum, 
nisi  componendo,  vel  dividendo  secundum 
suum  judicium  ,  quod  judicium  si  conso- 
net  rébus,  erit  verum,  putacum  intellectus 
indicat  se  esse  informatum  similitudine  rei, 
ut  res  est.  Et  oppositum  est  de  falso,  et  hoc 
totum  pertinet  ad  secundam  operationem 
intellectus,  et  non  ad  primain.  Ex  dictis 
potest  patere,  quod  in  sola  cnuntiatione  sit 
veritas,  vel  falsitas,  ut  in  signo.  Si  enim 
sola  enuntiatio  est  signum  eorum  quae  sunt 
objective  in  secunda  operatione  intellectus, 
et  solum  in  illum  est  verum  et  falsuin,  in 
enuntiatione  erit  verum  ,  vel  falsum  ,  et 
non  in  aliqua  alia  voce,  sive  sit  dictio, 
sine  oratio  :  et  sic  patet  quid  est  enun- 
tiatio. 


SUR   LA    LOGIQUE    D  ARISTOTE. 


229 


CHAPITRE  VI. 

De  renonciation  catégorique ,  hypothétique,  affirmative  et  négative. 

Aristote  divise  renonciation  de  trois  manières,  d'abord  comme  l'a- 
nalogue dans  son  analogue.  Car  il  dit  qu'il  y  a  une  énonciation  sim- 
plement une,  et  une  autre  une  par  conjonction.  L'énonciation  simple- 
ment une  est  renonciation  catégorique  ou  prédicative.  L'énonciation 
catégorique  est  celle  qui  a  un  sujet  et  un  prédicat  comme  principales 
parties  d'elle-même,  comme  l'homme  est  un  animal,  homme  est  sujet, 
animal  est  prédicat ,,  comme  le  troisième  adjacent  est  affirmé,  ce  verbe 
est  appelé  conjonction  ou  copule  verbale.  L'énonciation  hypothétique 
ou  suppositive  est  appelée  une  par  conjonction  ,  comme  si  l'homme 
est  il  est  animal.  Cette  division  de  l'énonciation  se  fait  aussi  de  l'ana- 
logue en  son  analogue,  dont  il  est  dit  par  priorité  ou  par  postériorité, 
car  une  chose  est  simplement  antérieure  à  une  autre  par  conjonction. 
Secondement  il  divise  l'énonciation  comme  un  genre  en  ses  espèces  ; 
car  il  la  divise  en  affirmation  et  négation ,  qui  sont  des  espèces  de 
l'énonciation.  En  effet,  quoique  l'affirmation  soit  antérieure  à  la  né- 
gation ,  ce  n'est  pas  néanmoins  pour  cela  que  l'énonciation  se  dit 
d'elles  analogiquement,  comme  il  a  été  dit  qu'elle  s'affirme  d'une 
chose  simplement  une ,  et  d'une  chose  une  par  conjonction.  Il  faut 
observer  qu'une  des  choses  qui  divisent  quelque  chose  de  commun 
peut  être  antérieure  à  l'autre  de'deux  manières.  La  première ,  suivant 
les  caractères  ou  natures  propres  des  diviseurs  ,  la  seconde  suivant  la 
majeure  partie  de  l'objet  commun  qui  est  divisé  en  elle.  Or  la  pre- 
mière n'enlève  pas  l'univocation  de  genre  ,  comme  c'est  évident  dans 
les  nombres  dans  lesquels  le  nombre  deux  est  naturellement ,  suivant 


CAPDT  VI. 

De  enunliatione  categorica,  et  hypothelica, 
afftrmativa,  et  negativa. 

Dividitur  autem  ab  Aristotele  enuntiatio 
Iripliciter,  et  primo,  ut  analogum  in  sua 
analogata.  Dicit  enim  quod  enuntiationum 
qusedam  estuna  simpliciter,  quaedam  con- 
junctione  una.  Enuntiatio  una  simpliciter 
est  enuntiatio  categorica,  seu  praedicativa. 
Est  autem  enuntiatio  categorica  quae  ha- 
bet  subjectum  et  prsedicatum  principales 
partes  sui ,  ut  homo  est  animal,  homo  est 
subjectum,  animal  est  prsedicatum,  hoc  ver- 
bum  est,  quia  prœdicatur  tertium  adja- 
cens,  dicit ur  conjunctio,  seu  copula  verba- 
lis.  Conjunctione  vero  una  dicitur  enuntia- 
tio hypothetica,  seu  suppositiva,  ut  si  homo 
est,  animal  est.Hœc  etiam  divisio  enuntia- 


tionisest  analogi  in  sua  analogata,  de  qui- 
bus  per  prius  et  posterius  dicitur,  nam 
unum  simpliciter  est  prius  uno  conjunc- 
tione. Secundo  dividit  enuntiationem,  ut 
genus  in  suas  species  :  dividit  enim  eam  in 
aftirmationem  et  negationem,  quœ  sunt 
species  enuntiationis.  Licet  enim  affirmatio 
sit  prior  negatione,  non  tamen  propter  hoc 
enuntiatio  de  eis  analogice  prœdicatur,  si- 
cut  dictum  est,  quod  praedicatur  de  sim- 
pliciter una ,  et  conjunctione  una.  Notan- 
dum  quod  unum  dividentium  aliquod 
commune,  potest  esse  prius  altero  duplici- 
ter.  Uno  modo,  secundum  proprias  rationes, 
aut  naturas  dividentium.  Alio  modo,  se- 
cundum majorem  participationem  rationis 
illius  communis,  quod  in  ea  dividitur. 
Primum  autem  non  tollit  univocationem 
generis,  ut  manifestum  est  in  numeris,  in 


230  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    6. 

sa  propre  nature ,  antérieur  au  nombre  trois  ,  néanmoins  ils  partici- 
pent également  à  la  nature  commune,  c'est-à-dire  à  la  nature  du 
nombre.  Car  ainsi  le  nombre  trois  comme  le  nombre  deux,  c'est  la 
multiplicité  mesurée  par  l'unité.  Or  la  seconde  priorité  empêche  l'u- 
nivocation  de  genre,  et  à  cause  de  cela  l'être  ne  peut  pas  être  le  genre 
de  la  substance  ni  de  l'accident ,  car  la  substance  qui  est  l'être  par  soi 
a ,  dans  la  nature  de  l'être ,  l'existence  avant  l'accident  qui  est  l'être 
dans  un  autre  ou  dans  une  autre  chose.  De  même  dans  la  proposition  ; 
quoique  l'affirmation  de  la  première  manière ,  c'est-à-dire  suivant  sa 
nature ,  soit  antérieure  à  la  négation ,  il  n'en  est  pas  de  même  de  la 
seconde  manière,  bien  plus,  elles  participent  également  à  la  nature 
de  renonciation,  car  l'une  et  l'autre  est  un  discours  signifiant  le  vrai 
ou  le  faux.  Or,  suivant  sa  nature ,  l'affirmation  est  antérieure  à  la 
négation.  Car  l'affirmation  est  renonciation  d'une  chose  à  l'égard 
d'une  autre  ,  comme  l'homme  est  un  animal  ;  et  la  négation  est  re- 
nonciation d'une  chose  par  une  autre,  comme  l'homme  n'est  pas  une 
pierre.  Or  renonciation,  ainsi  qu'il  a  été  dit ,  étant  une  voix  signifi- 
cative ,  ne  signifie  pas  une  chose  immédiatement ,  mais  au  moyen  de 
la  conception  de  l'intelligence.  C'est  pourquoi  il  faut  considérer  trois 
choses  dans  toute  énonciation  ,  savoir,  la  voix  elle-même ,  qui  est  le 
signe  de  la  conception  de  l'intelligence ,  et  la  conception  elle-même 
de  l'intelligence ,  qui  est  la  similitude  de  la  chose,  et  enfin  la  chose 
même.  Relativement  à  la  voix,  l'affirmation  est  antérieure  à  la  néga- 
tion, parce  qu'elle  a  moins  de  la  composition  que  la  négation;  car  il 
y  a  plus  de  mots  dans  Socrate  ne  court  pas,  que  dans  Socrate  court , 
et,  par  conséquent,  elle  est  plus  composée.  Du  côté  de  l'intellect, 
l'affirmation  qui  signifie  composition  est  antérieure  à  la  négation  qui 
signifie  division.  Car  la  division  est  postérieure  à  la  composition  , 


quibus  binarius  secundum  propriam  ratio- 
nem  naturaliter  est  prior  ternario ,  sed  ta- 
men  aequaliter  participant  rationem  com- 
munis,  scilicet  numeri.  Nanti  ita  ternarius 
sicut  et  binarius  est  multitudo  mensurata 
per  unum.  Secunda  autem  prioritas  impe- 
dit  univocationem  generis,  et  propter  hoc 
ens  non  potest  esse  genus  substantif,  et  ac- 
cidentis,  quia  in  ratione  entis  prius  habet 
esse  substantia,  quae  est  ens  per  se ,  quam 
accidens,  quod  est  ens  in  alio ,  vel  in  aliud. 
Sic  in  proposito.  Licet  afiirmatio  primo 
modo ,  scilicet  secundum  suam  naturam , 
sit  prior  negatione,  non  tamen  secundo 
modo,  immo  aequaliter  participant  ratio- 
nem enuntiationis ,  utraque  enim  est  ora- 
tio,  verum  vel  falsum  significans.  Est  au- 
tem secundum  suam  naturam  afiirmatio 
prior  negatione.  Nam  affirmatio  est  enun- 


tiatio  alicujus  dealiquo,  ut  bomo  est  ani- 
mal :  negalio  vero  est  enuntiatio  alicujus 
ab  aliquo,  ut  homo  non  est  lapis.  Ciftn  au- 
tem enuntiatio  ,  ut  dictum  est ,  sit  vox  si- 
gnificativa,  non  immédiate  signiflcat  rem, 
sed  mediante  conceptu  intellectus.  Unde 
in  omni  enuntiatione  est  tria  considerare, 
scilicet  ipsam  vocem,  quae  est  signum  con- 
ceptus  intellectus,  etipsum  conceptum  in- 
tellectus, qui  est  ipsa  similitudo  rei,  et  ip- 
sam rem.  Quantum  ad  vocem,  prior  est 
affirmatio  negatione,  quia  minus  habet  de 
compositione,  quam  negatio,  plures  enim 
dictiones  sunt,  Sortes  non  currit  quam  Sor- 
tes currit,  et  per  consequens  est  magis  com- 
posita.  Ex  parte  intellectus  prior  est  affir- 
matio, quœ  significat  compositionem,  quam 
negatio,  quœ  significat  divisionem.  Poste- 
rior  enim  est  divisio  compositione,  sicut 


SUR  LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  231 

comme  il  n'y  a  de  corruption  que  dans  les  êtres  engendrés ,  il  n'y  a  de 
division  que  dans  les  êtres  composés.  Du  côté  même  de  la  chose,  l'af- 
firmation qui  signifie  l'être  est  antérieure  à  la  négation  qui  signifie  le 
non-être,  comme  Yhabitits  est  naturellement  antérieur  à  la  négation. 
La  troisième  division  de  renonciation  se  fait  en  universelle ,  particu- 
lière ,  indéfinie  et  singulière.  Or  la  suffisance  de  ces  divisions  peut 
être  prise  ainsi.  En  effet,  dans  renonciation  il  faut  considérer  toute 
son  entité  qui  vient  du  sujet  et  du  prédicat  avec  leur  conjonction.  Et 
comme  tout  ce  qui  est  existe,  parce  que  c'est  un  numériquement, 
c'est  pour  cela  que  l'on  considère  si  elle  est  simplement  une  ,  ou  une 
par  conjonction,  et  on  dit  que  cette  division  appartient  à  la  substance 
de  renonciation.  Secondement ,  il  faut  considérer  en  elle  le  pré- 
dicat ,  en  tant  qu'il  est  combiné  avec  le  sujet  sans  négation  ou  avec 
négation  ;  et  comme  le  prédicat  est  la  partie  formelle  de  renon- 
ciation,  c'est  pour  cela  qu'on  dit  que  cette'  division  appartient 
à  la  qualité  de  renonciation ,  qualité  essentielle ,  suivant  que  la  diffé- 
rence signifie  quale  quid ,  comme  il  a  été  dit.  En  troisième  lieu ,  il 
faut  considérer  en  elle  le  sujet  lui-même,  en  tant  que  prédicable  de 
plusieurs  choses  ou  d'une,  et  ainsi  se  fait  la  troisième  division,  que 
l'on  dit  appartenir  à  la  quantité  de  renonciation,  car  la  quantité  suit 
la  matière.  D'où  le  vers  : 

Quae ,  ca.  vel  hyp.  qualis,  ne.  vel  aff.  u.  quanta  par.  in  sin. 

Ce  vers  s'explique  ainsi.  Il  y  a  trois  noms  interrogatifs ,  savoir,  quœ , 
qui  questionne  sur  la  substance ,  qualis  ,  qui  le  fait  de  la  qualité ,  et 
quanta,  qui  interroge  sur  la  quantité.  C'est  pourquoi  quand  l'inter- 
rogation se  fait  par  quœ ,  en  s'informant  de  la  substance  de  renon- 
ciation, on  répond  par  la  catégorique  ou   l'hypothétique.  Quand 


non  est  corruptio  nisi  generatorum,  sic  non 
est  divisio  nisi  compositorum.  Ex  parte 
etiam  rei  affirmatio,  quae  significat  esse, 
prior  est  negatione  quœ  significat  non  esse, 
sicut  habitus  naturaliter  prior  est  nega- 
tione. Tertia  vero  divisio  ipsius  enuntiationis 
est  in  universaleni,  particularem,  indefini- 
tam,  et  singularem.  Sufïicientia  autem  dic- 
tarum  divisionum ,  potest  sic  sumi.  In  ipsa 
enim  enuntiatione  est  considerare  totam 
suam  entitatem  quœ  est  ex  subjecto,  et 
prœdicato ,  et  ipsorum  conjunctionem.  Et 
quia  orane  quod  est,  ideo  est  quia  unum 
numéro  est,  ideo  considéra tur  utrum  sit 
una  simpliciter,  vel  una  conjunctione,  et 
ista  divisio  dicitur  pertinere  ad  substan- 
tiam  enuntiationis.  Secundo  est  in  ea  con- 
siderare ipsum  prœdicatum,  ut  coraponitur 
subjecto  ,sine  negatione,  vel  cura  nega- 
tione :  et  quia  prœdicatum  est  pars  forma- 


lis  enuntiationis ,  ideo  heec  divisio  dicitur 
pertinere  ad  qualitatem  enuntiationis,  qua- 
litatemscilicet  essentialem,  secundum  quod 
differentia  significat  quale  quid,  ut  supra 
dictum  est.  Tertio  est  in  ea  considerare  ip- 
sum subjectum,  prout  scilicet  est  prœdica- 
bile  de  pluribus,  vel  de  uno,  et  sic  sit  ter- 
tîa  divisio,  et  hœc  dicitur  pertinere  ad 
quantitatem  enuntiationis,  nam  quantitas 
sequitur  materiam.  Unde  versus  : 

Ouse,  ca.  vel  hyp.  qualis,  ne.  Tel  alT.   u  quanta   par.  in 
sin. 

Hic  autem  versus  sic  intelligitur.  In  eo  nam- 
que  sunt  tria  nomma  interrogativa,  scili- 
cet. Quœ,  quod  quœrit  de  substantia.  Qua- 
lis, quod  quœrit  de  qualitate.  Et  quanta, 
quod  quœrit  de  quantitate.  Unde  quando 
fit  interrogatio  per  quœ ,  quœrendo,  scilicet 
de   substantia  enuntiationis,    respondetur 


232  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    7. 

l'interrogation  se  fait  par  qualis ,  la  réponse  est  négative  ou  affirma- 
tive; quand  elle  se  fait  par  quanta,  la  réponse  est  universelle  ,  parti- 
culière, indéfinie  ou  singulière.  Nous  parlerons  de  la  première 
division  de  renonciation  dans  le  traité  des  énonciations  hypothétiques. 
Nous  avons  assez  parlé  de  sa  seconde  division. 

CHAPITRE  VII. 

De  la  quantité  des  propositions  catégoriques  sur  Z'inesse ,  savoir  de  l'u- 
niverselle, de  la  particulière ,  de  l'indéfinie  et  de  la  singulière. 

Il  nous  reste  à  parler  de  la  troisième  division  qui  est  suivant  la 
quantité.  Remarquez  bien  que  parmi  les  énonciations  catégoriques, 
il  y  en  a  qui  sont  de  inesse ,  et  d'autres  modales.  L'énonciation  est 
dite  de  inesse ,  lorsqu'elle  offre  une  simple  inhérence  du  prédicat  au 
sujet  ;  comme  l'homme  est  un  animal.  L'énonciation  modale  est  celle 
dans  laquelle  l'inhérence  du  prédicat  au  sujet  est  modifiée,  comme , 
il  est  possible  que  Socrate  coure,  l'homme  est  nécessairement  un 
animal.  C'est  pourquoi  nous  allons  parler  d'abord  de  la  quantité , 
des  équipollences ,  des  oppositions  qui  suivent  la  quantité  dans  les 
énonciations  de  inesse,  et  secondement  dans  les  énonciations  modales. 
Pour  connoître  la  quantité  de  ces  énonciations  de  inesse,  il  faut  savoir 
que  dans  les  choses  que  l'intellect  conçoit,  il  en  est  d'universelles , 
c'est-à-dire,  qui  sont  propres  à  se  trouver  dans  plusieurs,  d'autres 
singulières ,  qui  ne  peuvent  se  trouver  que  dans  une  seule  chose.  Or 
on  peut  considérer  ce  qui  est  universel  de  deux  manières  ;  première- 
ment, comme  séparé  des  choses  singulières,  c'est-à-dire,  suivant 
l'être  qu'il  a  objectivement  dans  l'intellect,  secondement,  suivant 


categorica  ,  vel  hypothetica.  Quando  sit 
înterrogatio  per  qualis,  respondetur  nega- 
tiva,  vel  affirmativa.  Quando  vero  sit  inter- 
rogatio  per  quanta ,  respondetur  universa- 
lis,  particularis,  indéfini  ta,  vel  singularis. 
De  prima  divisione  enuntiationis  dicetur 
in  tractatu  de  enuntiationibus  hjpotheticis. 
De  secunda  vero  ejus  divisione,  satis  diclum 
est. 

CAPUT  VIL 

De  quanlitale  propositionum  calegoricarum 
de  inesse,  scilicel  de  universali,  parlicu- 
lari,  indefinila,  et  singulari. 

•  Restât  dicere  de  tertia  divisione,  quae  est 
secundum  quantitatem.  IJbi  nota,  quod 
enuntiationum  eathegoricarum ,  quaedam 
sunt  de  inesse,  quaedam  vero  modales.  Di- 
citur  autem  enuntiatio  de  inesse ,  quae  est 
de  simplici  inhœrentia  praedicati  ad  subjec- 


tum,  ut  homo  est  animal.  Modalis  vero  in 
qua  inhserentia  praedicati  ad  suhjectum 
modificatur ,  ut  Sortem  currere  est  possi- 
bile,  vel  homo  est  animal  necessario.  Unde 
primo  dicendum  est  de  quanlitate ,  œqui- 
pollentiis,  oppositionibus ,  quae  quantita- 
tem sequuntur  in  enuntiationibus  de  inesse, 
secundo  de  eis  in  enuntiationibus  modali- 
bus.  Ad  videndum  autem  quantitatem 
ipsarum  enuntiationum  de  inesse,  scien- 
dum  quod  ea  quae  intellectus  apprehendit, 
quaedam  sunt  universalia,  videlicet,  quae 
apta  nata  sunt  in  pluribus  inveniri  :  quae- 
dam sunt  singularia,  videlicet  quœ  non 
sunt  apta  inveniri  nisi  in  uno.  Universale 
autem  potest  dupliciter  considerari.  Uno 
modo  quasi  separatum  a  singularibus,  scili- 
cet  secundum  esse  quod  habet  in  intellectu 
objective  :  alio  modo  secundum  esse  quod 
habet  in  singularibus.  Primo  modo  consi- 


SUR  LA    LOGIQUE  d'âRISTOTE.  233 

l'être  qu'il  a  dans  les  choses  singulières.  L'universel  étant  considéré 
sous  le  premier  point  de  vue  ,  une  chose  peut  être  énoncée  de  lui  de 
deux  manières  encore  ;  la  première  ,  quand  on  lui  attribue  quelque 
chose  qui  n'appartient  qu'à  l'action  de  l'intellect ,  comme  lorsque 
nous  disons,  l'homme  est  prédicable  de  plusieurs,  ou  l'homme  est 
universel ,  ou  l'homme  est  une  espèce.  Car  l'intellect  forme  ces  sortes 
d'intentions  et  les  attribue  à  la  nature  conçue  ,  comme  à  l'homme  , 
suivant  qu'il  la  compare  aux  choses  qui  sont  hors  de  l'ame.  En  second 
lieu ,  on  énonce  quelque  chose  de  l'universel  ainsi  pris ,  quand  on 
lui  attribue  quelque  chose ,  selon  que  la  nature  conçue  est  saisie  par 
l'intellect  comme  une  unité,  néanmoins  ce  qui  lui  est  attribué  n'ap- 
partient pas  à  l'acte  de  l'intellect,  mais  à  l'être  qu'a  la  nature  conçue 
elle-même  dans  les  choses  qui  sont  hors  de  l'ame ,  comme  si  l'on 
disoit ,  l'homme  est  la  plus  digne  des  créatures ,  car  cela  convient  à 
la  nature  humaine  en  tant  qu'elle  se  trouve  dans  les  singuliers. 
Chaque  homme  en  particulier  est  en  effet  plus  digne  que  les  autres 
créatures  privées  de  raison  :  néanmoins  tous  les  hommes  en  particu- 
lier ne  sont  pas  un  homme  hors  de  l'ame ,  comme  il  est  dit  dans  la 
précédente  énonciation ,  l'homme  est  la  plus  digne  des  créatures , 
dans  laquelle  homme  est  pris  pour  chacun  en  particulier  ;  mais  il 
n'est  qu'un  dans  l'acception  de  l'intellect.  Et  comme  on  ne  comprend 
pas  communément  que  les  universels  subsistent  hors  des  singuliers , 
le  langage  commun  n'a  pas  de  terme  ou  de  signe  pour  l'ajouter  à 
l'universel ,  suivant  les  différents  modes  par  lesquels  une  chose  est 
affirmée  de  lui.  Mais  Platon  qui  a  enseigné  que  les  universels  subsis- 
toient  hors  des  singuliers ,  imagine  certains  termes  qu'il  appliquoit 
aux  universels  dans  ces  modes  de  prédication.  Car  il  disait,  par  soi 
l'homme  est  une  espèce ,  ou  l'homme  prédicable  est  une  espèce.  Se- 


derato  universali,  aliquid  de  eo  potest  du- 
pliciter  enuntiari.  Uno  modo ,  quando  ei 
attribuitur  aliquid ,  quod  pertinet  ad  so- 
lam  actionem  intellectus,  ut  cum  dici- 
mns  :  homo  est  praedicabilis  de  rnultis,  vel 
homo  est  universale,  vel  homo  est  species. 
Hujusmodi  enim  intentiones  format  intel- 
lectus, et  attribuit  eas  natura  intellectse, 
puta  homini  secundum  quod  comparât  ip- 
sam  ad  res  quse  sunt  extra  animam.  Alio 
modo,  enuntiatur  aliquid  de  universali  sic 
sumpto,  quando  attribuituc.  sibi  aliquid 
prout  ipsa  natura  intellecta  apprehenditur 
ab  intellectu  ut  unum,  illud  tamen  quod  ei 
attribuitur,  non  pertinet  ad  actum  intellec- 
tus ,  sed  ad  esse  quod  habet  :  ipsa  natura 
intellecta  in  rébus  quae  sunt  extra  ani- 
mam, puta  si  dicatur,  homo  est  dignissima 
creaturarum,  hoc  enim  convenit  naturae 


humanee,  secundum  quod  est  in  singulari- 
bus.  Nam  quilibet  homo  singularis  est  di- 
gnior  aliis  creaturis  irrationalibus  :  sed 
tamen  omnes  homines  singulares  non  sunt 
unus  homo  extra  animam,  ut  dicitur  in 
praedicta  enuntiatione,  homo  est  dignissima 
creaturarum ,  ubi  ly  homo,  stet  pro  omni- 
bus singularibus,  sed  solum  in  acceptione 
intellectus  est  unus.  Et  quia  communiter 
non  est  apprehensum  quod  universalia  extra 
singularia  subsistant,  ideo  communis  usus 
loquendi  non  habet  aliquam  dictionem,  seu 
aliquod  signum ,  quod  addatur  universali, 
secundum  dictos  modos,quibus  aliquid  de 
eo  prœdicatur.  Sed  Plato  qui  posuit  univer- 
salia subsistere  extra  singularia,  invenitur 
quasdam  dictiones,  quas  addebat  universa- 
libus  in  talibus  modis  praedicandi.  Dicebat 
enim  per  se  homo  est  species,  vel  homo 


234  OPUSCULE    XLVII  ,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    7. 

condernent ,  une  chose  est  énoncée  de  l'universel ,  suivant  qu'il  se 
trouve  dans  les  singuliers ,  et  cela  de  deux  façons  ;  la  première , 
quand  on  lui  attribue  quelque  chose  à  raison  de  l'universel  lui-même, 
laquelle  chose  appartient  à  son  essence  ,  ou  suit  ses  principes  essen- 
tiels ,  comme  lorsqu'on  dit,  l'homme  est  un  auimal,  ou  l'homme  est 
risible  ;  la  seconde  manière ,  c'est  quand  on  lui  attribue  quelque 
chose  à  raison  du  singulier  où  il  se  trouve ,  c'est-à-dire  quand  on  lui 
attribue  quelque  accident  individuel ,  comme  lorsqu'on  dit ,  il  ne  se 
promène  pas.  Et  comme  cette  manière  d'énoncer  quelque  chose  de 
l'universel  est  à  la  portée  de  l'intelligence  de  tous  les  hommes ,  on  a 
imaginé  certains  termes  pour  désigner  la  manière  d'attribuer  quelque 
chose  à  l'universel  ainsi  pris.  C'est  pourquoi  si  on  lui  attribue  quelque 
chose  de  la  première  manière  ,  c'est-à-dire  à  raison  de  lui-même  en 
tant  qu'universel ,  parce  que  c'est  lui  attribuer  quelque  chose  univer- 
sellement ,  on  a  trouvé  ce  signe  tout ,  qui  exprime  que  le  .prédicat  est 
attribué  universellement  au  sujet,  suivant  tout  ce  qui  est  contenu 
dans  le  sujet.  Dans  les  prédications  négatives ,  on  a  inventé  pour  la 
même  fin  ce  terme  nul ,  qui  signifie  que  le  prédicat  est  exclu  du  sujet 
universellement ,  suivant  tout  ce  qui  est  contenu  en  lui.  Si ,  au  con- 
traire, on  lui  attribue  quelque  chose  de  la  seconde  manière,  c'est- 
à-dire  à  raison  du  singulier,  pour  le  désigner  dans  les  affirmatives , 
on  a  trouvé  un  signe  particulier,  savoir,  quelque  ,  qui  désigne  que  le 
prédicat  est  attribué  universellement  au  sujet,  à  raison  du  particulier. 
Mais  comme  il  désigne  d'une  manière  indéterminée  la  forme  d'un  sin- 
gulier, il  désigne  de  même  l'universel  avec  une  sorte  d'indétermina- 
tion. Aussi  s'appelle-t-il  un  individu  vague.  Pour  les  négations  ,  on 
n'a  pas  trouvé  d'autre  terme  ou  d'autre  signe ,  mais  nous  disons , 


prsedicabilis  est  species.  Secundo  modo 
enuntiatur  aliquid  de  universali,  secundum 
quod  est  in  ipsis  singularibus,  et  hoc  du- 
piieiter.  Uno  modo  cum  attribuitur  sibi 
aliquid  ratione  ipsius  universalis,  quod  vi- 
delicet  ad  essentiam  ipsius  pertinet,  vel 
consequitur  principia  essentialia  ipsius,  ut 
cum  dicitur  :  homo  est  animal ,  vel  homo 
est  risibilis.  Alio  modo,  quando  attribuitur 
ei  aliquid  ratione  singularis,  in  quo  inve- 
nitur  scilicet  quando  attribuitur  sibi  ali- 
quod  accidens  individuale,  ut  cum  diçitur  : 
non  ambulat.  Et  quia  iste  modus  enun- 
tiandi  aliquid  de  universali,  cadit  in  com- 
muai apprehensione  hominum ,  ideo  in- 
ventai sunt  queedam  dictiones  ad  designan- 
dum  modum  aUribuendi  aliquid  universali 
sic  accepto.  Unde  si  attribuitur  sibi  aliquid 
primo  modo,  scilicet  ratione  ipsius,  ut  uni- 
versale  est,  quia  hoc  est  universaliter  de 
eo  aliquid  praedicari,  ideo  adinventum  est 


hoc  signum ,  omnis ,  quod  désignât,  quod 
preedicatum  attribuitur  subjecto  universa- 
liter quantum  ad  totum  illud  quod  sub- 
jecto continetur.  In  negativis  vero  preedi- 
cationibus  ad  idem  inventa  est  hœc  dictio, 
nullus,  per  quam  significatur  quod  praedi- 
catura  removetur  subjecto  universaliter 
secundum  totum  quod  continetur  sub  eo. 
Si  vero  attribuitur  ei  aliquid  secundo 
modo,  scilicet  ratione  singularis,  ad  hoc 
designandum  in  affirmativis,  inventum  est 
signum  particulare,  scilicet  haec  dictio, 
quidam,  vel  aliquis,  per  quam  designatur, 
quod  praedicatum  attribuitur  universali 
subjecto  ratione  ipsius  particularis.  Sed 
quia  indeterminate  formam  alicujus  sin- 
gularis significat ,  ideo  désignât  universale 
sub  quadam  indeterminatione.  Unde  et  di- 
citur individuum  vagum.  In  negativis  vero 
non  est  inventa  aliqua  dictio  seu  aliquod 
aliud  signum,  sed  dicimus ,  quidam  homo 


SUR  LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  235 

quelque  homme  ne  court  pas.  Ainsi  donc ,  il  y  a  trois  genres  d'affir- 
mations dans  lesquelles  une  chose  se  dit  de  l'universel;  l'une  par 
laquelle  une  chose  se  dit  universellement  de  l'universel,  comme  tout 
homme  est  animal  ;  la  seconde  par  laquelle  une  chose  se  dit  en  parti- 
culier de  l'universel ,  comme  quelque  homme  est  hlanc.  La  troisième 
par  laquelle  quelque  chose  se  dit  de  l'universel  sans  détermination 
universelle  ou  particulière ,  comme  l'homme  est  animal.  La  première 
énonciation  s'appelle  universelle,  la  seconde  particulière,  la  troisième 
indéfinie;  si  à  ces  trois  on  ajoute  la  singulière,  par  laquelle  une  chose 
se  dit  d'un  singulier,  comme  Socrate  court,  il  y  aura  quatre  modes 
dénonciations ,  susceptibles  d'être  négatives  comme  elles  sont  affir- 
matives. Tel  est,  etc.. 

CHAPITRE  VIII. 

De  l'opposition  des  propositions  catégoriques  existant  en  figure ,  relati- 
vement aux  énonciations  de  inesse. 

Nous  allons  dire  maintenant  quelle  est  l'opposition  de  ces  énon- 
ciations ,  universelles ,  particulières  et  indéfinies.  Remarquez  qu'une 
chose  peut  être  opposée  à  une  autre  de  quatre  manières ,  1°  relative- 
ment, comme  le  père  et  le  fils;  2°contradictoirement,  comme  Socrate 
court ,  Socrate  ne  court  pas  ;  3°  privativement ,  comme  la  vue  et  la 
cécité;  4°  contrairement,  comme  la  blancheur  et  la  noirceur.  Nous 
avons  parlé  des  oppositions  relatives  dans  le  prédicament  de  relation. 
La  contradiction  est  une  opposition  qui  n'admet  par  elle-même  aucun 
milieu.  Pour  qu'il  y  ait  contradiction  entre  certaines  choses ,  sept 
conditions  sont  requises.  D'abord  il  faut  deux  propositions  opposées, 


noncurrit,  vel  nonnullus  homo  currit.  Sic 
ergo  sunt  tria  gênera  afïirmationum  in  qui- 
bus  de  universali  aliquid  praedicatur.  Una, 
in  qua  de  universali  aliquid  praedicatur 
universaliter,  ut  omnis  homo  est  animal. 
Secunda  in  qua  de  universali  aliquid  prae- 
dicatur particulariter,  ut  quidam  homo  est 
albus.  Tertia,  in  qua  aliquid  de  universali 
praedicatur  absque  determinatione  univer- 
sali vel  particulari ,  ut  homo  est  animal. 
Prima  enuntiatio  dicitur  universalis  ;  se- 
cunda particularis;  tertia  indefinita  ,  qui- 
bus  si  addatur  singularis,  in  qua  aliquid  de 
singulari  praedicatur ,  ut  Sortes  currit , 
erunt  quatuor  modi  enuntiationum ,  quee 
possunt  esse  negativae,  sicut  sunt  affirma- 
tivee.  Et  sic  patet,  etc. 


CAPUT  VIII. 

De  oppositione  proposilidhum  calhegorica- 
rum  existentium  in  figura  quantum  ad 
enuntialiones  de  inesse. 

Nunc  dicendum  est  qualiter  praedictae 
enuntiationes  universales,  particulares  et 
indefinitae  opponantur.  Notandum,  quod 
aliquid  alicui  quatuor  modis  potest  opponi. 
Uno  modo,  relative,  ut  pater  et  filius  ;  alio 
modo  contradictorie,  ut  Sortes  currit,  Sor- 
tes non  currit  ;  tertio  modo,  privative,  ut 
visus  et  caecitas  ;  quarto  modo  contrarie  , 
ut  albedo  et  nigredo.  De  oppositis  relative 
dictum  est  inpraedicamentorelationis.  Con- 
tradictio  vero  est  oppositio  cujus  secundum 
se  non  est  médium.  Inter  esse  enim  et  non 
esse  non  est  médium.  Ad  hoc  autem  quod 
sit  contradictio  inter  aliqua ,  requiruntur 
septem.  Primo,  quod  opponantur  duae  pro- 
positiones,  quarum  una  sit  aflirmativa,  et 


236  OPUSCULE   XLVII  ,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    8. 

dont  l'une  affirmative  et  l'autre  négative  ;  2°  que  ces  énonciations 
regardent  le  même  sujet;  3°  qu'elles  se  rapportent  au  même  prédica- 
ment  ;  4°  que  la  prédication  ne  se  fasse  pas  par  rapport  à  diverses 
parties  du  sujet ,  comme  quand  on  dit ,  Socrate  a  les  dents  blanches , 
et  Socrate  n'a  pas  la  main  blanche  ;  5°  qu'il  n'y  ait  pas  une  manière 
différente  du  côté  du  prédicat,  comme  lorsqu'on  dit,  Socrate  court 
lentement  et  Socrate  ne  court  pas  rapidement  ;  6°  qu'il  n'y  ait  pas  de 
différence  du  côté  de  la  mesure  du  lieu  et  du  temps;  7°  qu'il  n'y  ait 
pas  de  diversité  dans  Yhabitus,  relativement  à  quelque  chose  d'extrin- 
sèque, comme  lorsqu'on  dit,  dix  hommes  font  un  grand  nombre  dans 
une  maison ,  et  ne  font  pas  un  grand  nombre  dans  un  théâtre.  La 
privation  est  négative  dans  un  sujet  doué  d'une  aptitude  propre.  En 
effet,  quoique  la  cécité  exclue  la  vision,  elle  ne  le  fait  pas  simplement, 
mais  bien  dans  un  sujet  susceptible  naturellement  de  voir.  Car  on  dit 
bien  un  animal  aveugle,  mais  non  pas  une  pierre  aveugle.  Il  y  a  con- 
trariété d'opposition  dans  les  choses  qui,  placées  dans  le  même  genre, 
sont  très-éloignées  les  unes  des  autres ,  et  se  trouvent  tour-à-tour  dans 
le  même  sujet.  Car  la  blancheur  n'est  pas  opposée  à  la  blancheur, 
mais  bien  la  noirceur,  choses  qui  sont  très-distantes  l'une  de  l'autre. 
Il  faut  savoir  que  l'opposition  ne  se  dit  pas  des  susdites  oppositions, 
comme  le  genre  de  ses  espèces ,  mais  bien  comme  l'analogue  de  son 
analogue.  La  vraie  opposition  ,  en  effet ,  est  l'opposition  simpliciter, 
qui  s'appelle  contradiction.  Les  autres  oppositions  sont  des  opposi- 
tions secundum  quid,  et  ne  sont  des  oppositions  qu'en  tant  qu'elles 
expriment  en  quelque  sorte  contradiction,  savoir,  l'être  et  le  non- 
être.  Il  faut  savoir  aussi  que  dans  la  contradiction  la  négation  est 
opposée  à  l'affirmation,  de  telle  sorte  qu'elle  ne  suppose  rien.  Mais 
dans  la  privation  ,  la  privation  est  opposée  à  Yhabitus ,  de  manière  à 


altéra  negativa.  Sfecundo,  quod  taies  enun- 
tiationes  sint  ejusdem  subjecti.  Tertio, 
quod  sint  ejusdem  praidicamenti.  Quarto, 
quod  non  fiât  praedicatio  secundum  diversas 
partes  subjecti ,  sicut  cum  dicitur  ,  Sortes 
est  albus  dentés,  et  Sortes  non  est  albus 
manum.  Quinto ,  quod  non  sit  diversus 
modus  ex  parte  prœdicati,  sicut  cum  dici- 
tur :  Sortes  currit  tarde ,  et  Sortes  non 
currit  velociter.  Sexto,  quod  non  sit  diver- 
sitas  ex  parte  mensuras  loci  et  temporis. 
Septimo ,  quod  non  sit  diversitas  ex  habi- 
tudine  ad  aliquid  extrinsecum,  sicut  cum 
dicitur,  decem  hommes  sunt  multi  in  do- 
mo,  et  non  sunt  multi  in  theatro.  Privatio 
vero  est  negatio  in  subjecto  apto  nato.  Licet 
enim  cœcitas  neget  visurn,  non  tamen  sim- 
pliciter ,  sed  in  subjecto  nato  apto  videre. 
Bene  enim  dicitur  animal  caecum,  sed  non 


lapis  caecus.  Contrarie  autem  opponuntur, 
quae  in  eodem  génère  posita  maxime  a  se 
distant,  et  vicissim  eidem  subjecto  insunt. 
Non  enim  albedini  opponitur  albedo,  sed 
nigredo,  quae  a  se  maxime  distant.  Scien- 
dum,  quod  oppositio  non  praedicatur  de 
dictis  oppositionibus  sicut  genus  de  suis 
speciebus,  sed  ut  analogum  de  suis  analo- 
gatis.  Vera  namque  oppositio  est  oppositio 
simpliciter,  quœ  dicitur  contradictio.  Alla? 
vero  dicuntur  oppositiones  secundum  quid, 
et  in  tantum  sunt  oppositiones  in  quantum 
aliquo  modo  dicunt  contradictionem ,  sci- 
licet  esse  et  non  esse.  Sciendum  etiam  est, 
quod  in  contradictione  ita  opponitur  ne- 
gatio afïirmationi,  quod  nihil  ponit.  In 
privatione  autem  ita  opponitur  privatio 
habitui,  quod  supponit  subjectum.  In  con- 
trarietate  vero  ita  est  oppositio,  quod  sup- 


SUR   LA    LOGIQUE    d'ARISTOTE.  237 

supposer  le  sujet.  Dans  la  contrariété ,  l'opposition  est  telle  qu'il  y  a 
supposition  du  sujet  et  de  quelque  fosme  ;  en  effet ,  la  blancheur  est 
opposée  à  la  noirceur,  de  telle  manière  qu'elle  suppose  quelque  sujet 
à  raison  de  quoi  l'on  dit  qu'elles  se  succèdent  tour  à  tour,  et  la  blan- 
cheur produit  une  forme  que  ne  constituent  ni  la  négation,  ni  la 
privation.  Il  faut  savoir  que  l'universelle  affirmative  est  opposée  à 
l'universelle  négative  du  même  sujet  et  prédicat  contrairement.  C'est 
pourquoi,  tout  homme  est  blanc  et  nul  homme  n'est  blanc,  sont  des 
propositions  contraires.  La  raison  en  est  en  ce  que  les  choses  très-dis- 
tantes entre  elles  ont  une  opposition  contraire.  Car  on  n'appelle  pas 
une  chose  noire  par  cela  seul  qu'elle  n'est  pas  blanche  ,  mais  parce 
qu'à  la  privation  de  blancheur  qui  exprime  l'exclusion  du  blanc ,  elle 
ajoute  le  noir,  suprême  exclusion  du  blanc.  Donc  ce  qui  est  affirmé 
par  cette  énonciation  ,  tout  homme  court,  doit  être  exclu  par  cette 
négation,  tout  homme  ne  court  pas;  car  il  faut  que  la  négation  écarte 
le  mode  dont  le  prédicat  se  dit  du  sujet  désigné  par  ce  signe  tout; 
mais  à  cette  exclusion  cette  proposition,  nul  homme  ne  court,  ajoute 
l'exclusion  la  plus  extrême.  C'est  donc  à  bon  droit  qu'on  appelle  con- 
traires ces  propositions ,  tout  homme  court ,  nul  homme  ne  court.  La 
particulière  affirmative  et  la  particulière  négative  ne  sont  nullement 
opposées  contrairement ,  c'est-à-dire  d'une  opposition  contraire.  Car 
les  choses  contraires  sont  séparées  par  une  grande  distance,  et  la  par- 
ticulière affirmative  et  la  particulière  négative  se  trouvent  être  des 
milieux  entre  les  contraires;  or  les  milieux  ne  sont  pas  contraires ,  et 
n'offrent  même  pas  une  opposition  contradictoire.  En  effet,  ainsi 
qu'il  a  été  dit ,  ce  signe  quelque,  qui  constitue  une  proposition  parti- 
culière ,  désigne  l'universel  ou  le  terme  commun  d'une  manière  in- 
déterminée ;  c'est  pourquoi  il  ne  le  détermine  pas  à  telle  ou  telle 


ponitur  subjectum  et  aliqua  forma ,  ita 
enim  albedo  opponitur  nigredini  ,  quod 
supponit  aliquod  subjectum,  propter  quod 
dicitur,  vicissim  insunt,  et  albedo  etiam 
ponit  aliquam  formam,  quod  non  facit 
negatio  nec  privatio.  Sciendum,  quod  uni- 
"versalis  affirmativa  opponitur  universali 
negativee  ejusdem  subjecti  et  prœdicati 
contrarie.  Unde  omnis  homo  est  albus ,  et 
nullus  homo  est  albus,  gunt  contraria.  Ratio 
est ,  quia  ut  dictum  est ,  contrarie  oppo- 
nuntur,'quse  maxime  a  se  distant.  Non 
enim  nigrum  dicitur  aliquid  ex  hoc  solo, 
quod  non  est  album ,  sed  super  hoc ,  quod 
est  non  esse  album ,  quod  significat  remo- 
tionem  albi.  addit  nigrum  extremam  re- 
motionem  ab  albo.  Sic  ergcvid  quod  affir- 
matur  per  hanc  enuntiationem,  omnis  ho- 
mo currit ,  oportet  quod  removeatur  per 
hanc  negationem,  non  omnis  homo  currit, 


oportet  enim  quod  negatio  removet  mo- 
dum  quo  prsedicatum  dicitur  de  subjecto, 
quem  désignât  hoc  signum,  omnis  ;  sed  su- 
per hanc  remotionem  addit  hœc  enuntia- 
tio,  nullus  homo  currit,  totalem  remotio- 
nem quae  est  in  extrema  distantia.  Merito 
ergo  dicuntur  contraria,  omnis  homo  currit 
et  nullus  homo  currit.  Particularis  autem 
affirmativa,  et  particularis  negativa  nullo 
modo  opponuntur  contrarie  ,  id  est ,  con- 
traria oppositione.  Contrarie  namque  dif- 
férant extrema  distantia ,  particularis  au- 
tem affirmativa,  et  particularis  negativa,  se 
habent  sicut  média  inter  contraria  ;  média 
autem  non  sunt  contraria,  nec  etiam  op- 
ponuntur contradictoriœ.  Ut  enim  dictum 
est,  hoc  signum,  quidam ,  quod  facit  pro- 
positionem  esse  particularem,  désignât  uni- 
versale,  seu  terminum  communem  inde- 
terminatc ,  unde  non  déterminât  illud  ad 


238  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    9. 

chose  singulière.  Et  pour  cette  raison  l'affirmation  et  la  négation  ne 
se  trouveront  pas  dans  le  même  sujet  singulier,  ce  qui  est  requis, 
comme  on  l'a  dit  plus  haut;  aussi  il  n'y  aucune  opposition.  Elles 
s'appellent  cependant  sous-contraires  ,  parce  qu'elles  sont  renfermées 
sous  des  contraires.  L'universelle  affirmative  et  la  particulière  néga- 
tive, l'universelle  négative  et  la  particulière  affirmative8  sont  opposées 
contradictoirement.  La  raison  en  est  que  la  contradiction  consiste 
dans  la  seule  exclusion  de  l'affirmation  par  la  négation  ;  or  l'univer- 
selle affirmative  est  exclue  par  la  seule  négation  particulière  ,  et  il  ne 
faut  rien  de  plus.  Comme  par  cette  proposition  ,  quelque,  homme  ne 
court  pas,  est  exclue  celle-ci,  tout  homme  court.  Mais  la  particulière 
affirmative  ne  peut  être  exclue  par  la  particulière  négative ,  parce 
qu'elle  ne  lui  est  pas  opposée,  comme  il  a  été  dit;  il  faut  donc  qu'elle 
le  soit  par  l'universelle  négative.  Ainsi  donc  ces  propositions  ,  tout 
homme  court,  quelque  homme  ne  court  pas,  et  nul  homme  ne 
court,  quelque  homme  court,  sont  contradictoires.  Toute  particulière 
est  subalterne  de  son  universelle.  Telles  sont  les  oppositions  des  pro- 
positions ,  où  se  trouvent  des  signes  et  des  singulières.  Les  indéfinies 
suivent  la  règle  des  particulières. 


CHAPITRE  IX. 

Des  éguipollences  des  énonciations  catégoriques  de  inesse. 

Il  nous  reste  maintenant  à  parler  des  équipollences  de  ces  énoncia- 
tions, en  quoi  il  faut  observer  que  la  négation  mise  avant  le  signe  et 
par  conséquent  avant  toute  renonciation,  est  équivalente  à  sa  contra- 
dictoire ,  placée  au  contraire  après  le  signe  dans  la  composition  de 


hoc  singulare,  vel  ad  id  est.  Et  propter 
hoc  aflirmatio  et  negatio  non  erunt  in  eo- 
dem  subjecto  singulari,  quod  requiritur  in 
contradictione,  ut  supra  dictum  est,  ideo 
nullo  modo  sibi  opponitur.  Dicuntur  ta- 
men  subcontrariae,  quia  sub  contrariis  con- 
tinentur.  Universalis  autem  ailirmativa  et 
particularis  negativa,  universalis  negativa 
et  particularis  affirmativa  opponuntur 
contradictorie.  Gujus  ratio  est,  quia  con- 
tradictio  consistit  in  sola  rernotione  affir- 
mationis  per  negationem,  universalis  autem 
affirmativa  removetur  per  solam  negatio- 
nem particularem,  nec  aliquid  aliud  ex  ne- 
cessitate  exigitur.  Sicut  per  hanc,  quidam 
homo  non  currit,  removetur  hœc  omnis 
homo  currit.  Particularis  autem  affirma- 
tiva non  potest  removeri  per  particularem 
negativam ,  quia  sibi  non  opponitur ,  ut 
dictum  est  ;  oportet  ergo,  quod  removea- 


tur  per  universalem  negativam.  Sic  ergo 
istae,  scilicet  omnis  homo  currit,  quidam 
homo  non  currit,  et  nullus  homo  currit, 
quidam  homo  currit,  sunt  contradictorise. 
Quselibet  autem  particularis  dicitur  subal- 
terna suae  universalis.  Et  patet  de  opposi- 
tionibus  propositionum ,  in  quibus  sunt 
signa,  et  singularium.  Indefinitœ  autem  se- 
quuntur  regulam  particularium. 

CAPUT  IX. 

De  œquipollentiis   enuntiationum   categori- 
carum  de  inesse. 

Restât  nunc  dicere  de  œquipollentiis  dic- 
tarum  enuntiationum  ,  ubi  nota  quod  ne- 
gatio prseposita  ante  signum,  et  per  conse- 
quens  ante  totam  enuntiationem ,  ;equi- 
pollet  sua?  contradictorise.  Posita  vero  post 
signum  in  cornpositione ,  scilicet  enuntia- 
tionis,  f'aeit  eam  aequipollere  suae  contrarias, 


SUR  LA  LOGIQUE   d'âRISTOTE.  239 

renonciation ,  elle  la  rend  équivalente  à  sa  contraire  ,  avant  et  après 
elle  la  rend  équivalente  à  sa  subalterne  ;  voici  la  cause  de  ces  équi- 
pollences.  En  effet,  dans  les  énonciations  il  faut  considérer  la  quan- 
tité, c'est-à-dire,  l'universalité ,  la  particularité  et  la  qualité  ,  c'est-à- 
dire,  la  négation  et  l'affirmation;  il  est  de  la  nature  de  la  négation  de 
nier  et  d'exclure  tout  ce  qui  se  trouve  après  elle.  Ainsi  donc  cette 
énonciation ,  tout  homme  court ,  est  universelle  et  affirmative ,  si  on 
la  fait  précéder  par  la  négation  ,  c'est-à-dire,  tout  homme  ne  court 
pas,  cette  négation  détruit  l'universalité  et  ainsi  elle  reste  particulière 
ou  indéfinie,  c'est-à-dire  sans  signe,  elle  équivaut  à  la  particulière,  elle 
enlève  l'affirmation  et  par  conséquent  reste  négative.  Elle  est  donc 
équivalente  à  celle-ci,  quelque  homme  ne  court  pas,  qui  étoit  sa  con- 
tradictoire. De  même  soit  cette  énonciation,  nul  homme  ne  court,  il 
est  certain  que  si  à  cette  proposition  universelle  et  négative  on  ajoute 
la  négation  et  on  dit,  quelque  homme  court,  la  négation  détruit  l'uni- 
versalité ;  ce  sera  donc  une  particulière  :  elle  détruit  aussi  la  négation 
et  elle  sera  ainsi  affirmative  ,  quelque  homme  court ,  ce  qui  étoit  sa 
contradictoire ,  il  en  sera  de  même  des  particulières.  En  effet ,  cette 
proposition,  non  quidam  homo  currit,  équivaut  à  celle-ci,  nullus  homo 
currit,  et  pour  la  même  raison  celle-ci,  non  quidam  homo  non  currit, 
équivaut  à  celle-ci ,  quilibet  homo  currit.  De  même  en  prenant  cette 
énonciation,  omnis  homo  currit,  et  mettant  la  négation  après  le  signe 
universel  de  cette  manière,  omnis  homo  non  currit ,  la  négation  ne 
trouvant  pasle  signe  après  elle,  ne  le  nie  pas,  et  par  conséquent  renon- 
ciation reste  universelle  :  mais  la  négation  détruit  l'affirmation  et  de 
cette  façon  renonciation  devient  négative  et  universelle,  elle  équivaut 
donc  à  sa  contraire,  c'est-à-dire  à  celle-ci,  nullus  homo  currit.  De 


Prœposita  vero  et  postposita  -facit  eam 
œquipollere  suae  subalternes.  Causa  autem 
istarum  aequipollentiarum  est.  Nam  in 
enuntiationibus  pradictis  est  considerare 
quantitatem  ,  videlicet  universali  tatem, 
particularitatem  et  qualitatem,  scilicet  ne- 
gationem  et  affirmationem,  hoc  est  a  na- 
tura  negationis,  ut  neget ,  et  tollat  totum 
quod  invenit  post  se.  Sic  ergo  ista  enun- 
tiatio, omnis  homo  currit,  est  universalis  et 
affirmativa,  cui  si  praeponatur  negatio,  sci- 
licet non  omnis  homo  currit ,  ista  negatio 
tollit  universalitatem,  et  sic  remanet  parti- 
cularis  vel  indefinita  ,  scilicet  sine  signo , 
quee  aequipollet  particulari ,  et  tollit  affir- 
mationem, et  per  consequens  remanet  ne- 
gativa.  iÉquipollet  ergo  huic ,  scilicet 
quidam  homo  non  currit ,  quse  erat  sua 
contradictoria.  Similiter  sit  hœc  enuntiatio, 
nullus  homo  currit ,  certum  est  quod  hoc 
est,  cui  scilicet  universali  et  negativee  pree- 


ponatur  sibi  negatio,  et  dicatur,  nonnullus 
homo  currit,  negatio  tollit  universali tatem. 
Ergo  erit  particularis.  Tollit  etiam  nega- 
tionem,  et  sic  erit  affirmativa,  haec  scilicet, 
quidam  homo  currit,  quae  erat  sua  contra- 
dictoria. Et  idem  erit  de  particularibus. 
Nam  haec,  non  quidam  liomo  currit,  aequi- 
pollet huic,  nullus  homo  currit,  et  propter 
hanc  causam  hœc,  non  quidam  homo  non 
currit,  eequipollet  huic  ,  scilicet  quilibet 
homo  currit.  Similiter  etiam  si  sumatur 
haec  enuntiatio ,  omnis  homo  currit ,  et 
postponatur  negatio  signo  universali ,  et 
ponatur  ad  compositionem  sic,  omnis  homo 
non  currit ,  quia  negatio  non  invenit  post 
se  signum,  non  negat  illud,  et  per  conse- 
quensremanet  universalis  enuntiatio,  aufert 
autem  negatio  affirmationem,  et  sic  facta 
est  enuntiatio  negativa  et  universalis,  aequi- 
pollet ergo  suée  contrariée  ,  scilicet  huic, 
nullus  horno  currit.  Similiter  heec,  nullus 


240  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    9. 

même  celle-ci,  nullus  homo  currit,  est  universelle  et  négative,  car  le 
signe  négatif  nie  la  composition  de  renonciation. 

Que  l'on  mette  donc  après  la  négation  et  qu'on  dise ,  nullus  homo 
non  currit,  la  négation  n'ayant  pas  de  signe  après  elle  reste  une  énon- 
ciation  universelle,  et  comme  elle  étoit  négative  dans  la  composition, 
elle  détruit  la  négation  et  reste  affirmative,  omnis  homo  currit,  ce  qui 
étoit  sa  contraire.  Qu'on  prenne  également  celle-ci,  omnishomo  currit, 
qui  est  universelle  et  affirmative,  qu'on  la  fasse  précéder  et  suivre  de 
la  négation,  de  cette  manière ,  non  omnis  homo  non  currit,  il  est  cer- 
tain que  la  seconde  négation  nie  sa  composition.  C'est  pourquoi  en 
supposant  qu'elle  fût  négative,  omnishomo  non  currit,  il  s'ensuit  que 
la  négation  précédente  trouve  après  elle  l'universalité  qu'elle  détruit 
et  la  rend  ainsi  particulière,  elle  trouve  également  la  négation  qu'elle 
détruit  et  la  rend  affirmative ,  et  elle  devient  celle-ci,  quidam  homo 
currit,  qui  étoit  sa  subalterne.  Il  en  est  de  même  de  toutes  les  autres 
en  les  faisant  précéder  et  suivre  de  la  négation,  parce  qu'elles  équiva- 
lent à  leur  subalterne  qu'il  soit  universel  ou  particulier.  Il  faut  obser- 
ver qu'il  arrive  quelquefois  qu'il  se  rencontre  dans  la  même  énoncia- 
tion  deux  signes  universels  négatifs,  l'un  dans  le  sujet  et  l'autre  dans 
le  prédicat,  comme  dans  celle-ci,  nullus  homo  nullum  animal  est,  je 
dis  que  cette  proposition  équivaut  à  cette  autre ,  omnis  homo  aliquod 
animal  est.  La  raison  en  est  que  chacun  de  ces  signes  est  universel  et 
renferme  en  soi  la  négation  ;  et  comme  la  négation  ne  précède  pas  le 
premier  signe,  renonciation  reste  universelle.  Donc  la  négation  ren- 
fermée dans  le  premier  signe  qui  est  un  signe  universel  et  négatif 
précède  la  négation  ou  le  second  signe  qui  est  un  signe  universel  et  un 
signe  négatif;  et  comme  elle  trouve  l'universalité ,  il  s'ensuit  qu'elle 


homo  currit ,  est  universalis  et  negativa  ; 
nam  signura  negativum  negat  compositio- 
nem  euuntiationis. 

Postponatur  ergo  ei  negatio,  et  dicatur, 
nullus  homo  non  currit,  quia  negatio  non 
habet  signum  post  se  ,  remanet  enuntiatio 
universalis,  et  quia  erat  negativa  quantum 
ad  compositionem,  aufert  negationem  ,  et 
remanet  afflrmativa  hœc,  scilicet  omnis 
homo  currit,  quœ  eratsua  contraria.  Si- 
niiliter  etiam  sumatur  ista ,  omnis  homo 
currit,  quœ  est  universalis  et  affirmativa, 
et  praeponatur  sibi,  et  postponatur  negatio 
sic,  non  omnis  homo  non  currit,  certum 
est,  quod  secunda  negatio  negat  ejus  com- 
positionem. Onde  dato  quod  illa  esset  ne- 
gativa ,  hœc  scilicet,  omnis  homo  non 
currit,  prœposita  ergo  negatio  invenit  post 
se  universalitatem  quam  tollit,  et  sic  J'acit 
eam  particularem  ;  invenit  et  negationem 
quam  tollit,  et  l'acit  eam  afïirmativain  ,  et 


erit  hœc,  scilicet  quidam  homo  currit,  quee 
erat  sua  subalterna.  Et  sic  est  de  omnibus 
aliis  si  praeponatur ,  et  postponatur  in  eis 
negatio  ;  quia  eequipollent  suo  subalterno 
sive  sit  universalis ,  sive  particulâris.  No- 
tandum  quod  aliquando  coutingit,  quod 
in  eadem  enuntiatione  sunt  duo  signa  uni- 
versalia  negativa,  unum  videlicet  in  suh- 
jecto,  et  alterumin  prœdicato,  sicut  in  hac, 
nullus  homo  nullum  animal  est,  dico,  quod 
ista  cequipollet  huic ,  omnis  homo  aliquod 
animal  est.  Ratio  est ,  quia  quodlibet  dic- 
torum  signorum  et  est  uuiversale  et  habet 
in  se  negationem  •  et  quia  non  prœponitur 
negatio  primo  signo,  remanet  enuntiatio 
universalis.  Ergo  negatio  inclusa  in  primo 
signo,  quod  est  signum  universale,  et  ne- 
gativum prœponitur  negationi,  seu  secundo 
signo,  quod  est  signum  universale  ,  et  si- 
gnum negativum  ;  et  quia  invenit  universa- 
litatem, destruit  ergo  universalitatem,  et 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  241 

détruit  cette  universalité  et  reste  particulière;  elle  détruit  aussi  la  né- 
gation et  de  cette  manière  elle  reste  une  énonciation  affirmative,  omnis 
homo  aliquod  animal  est.  Que  l'on  dise ,  comme  on  le  fait  communé- 
ment, que  nullus  non  équivaut  à  omnis,  et  je  dis  que  non  est  la  néga-r 
tion  renfermée  dans  le  second  signe,  tandis  que  non  nullus  équivaut 
à  quodclam,  et  je  prends  nullus  non  pour  la  négation  qui  est  dans  le 
premier  signe,  et  il  reste  ainsi  cette  proposition ,  omnis  homo  aliquod 
animal  est.  On  fait  de  toutes  ces  équipollences  le  vers  suivant  : 

Prae  contradic  post  contra,  pree  postque  subalter. 

lequel  s'explique  ainsi  ;  prœ,  c'est-à-  dire  la  négation  précédente,  le  con- 
tradic., fait  équivaloir  à  son  contradictoire;  post ,  la  négation  mise 
après  fait  équivaloir  à  son  contraire,  prœ  postque,  la  négation  qui 
précède  et  qui  suit  fait  équivaloir  à  son  subalterne.  Telles  sont  les  équi- 
pollences des  énonciations  catégoriques. 

CHAPITRE  X. 

Comment  les  énonciations  catégoriques  de.  inesse  se  rapportent  à  la  vérité 

et  à  la  fausseté. 

Nous  allons  dire  maintenant  quels  sont  les  rapports  de  ces  énoncia- 
tions à  la  vérité  et  à  la  fausseté.  Remarquez  bien,  ainsi  qu'il  a  été  dit, 
qu'une  chose  peut-être  énoncée  de  l'universel  en  tant  qu'il  se  trouve 
dans  les  singuliers  de  deux  manières,  affirmativement,  et  être  écartée  né- 
gativement, la  première  quand  on  lui  attribue  quelque  chose  à  raison 
de  l'universel  même,  soit  que  cela  appartienne  à  son  essence  ou  suive 
ses  principes  essentiels ,  comme  lorsqu'on  dit  :  homo  est  animal  risi- 


remanet  particulare,  destruit  negationem, 
et  sic  remanet  enuntiatio  affirmativa,  haec 
scilicet,  omnis  homo  aliquod  animal  est. 
Vel  dicatur,  sicut  communiter  dicitur, 
quod  nullus  non  ,  œquipollet  ei,  quod  est 
omnis,  et  dico  non  scilicet  negationem  quae 
continetur  in  secundo  signo,  non  nullus 
vero  aequipollet  ei  quod  est  quoddam,  et 
nullus  non  ,  sumo  pro  negatione  ;  quae  est 
in  primo  signo,  et  sic  remanet,  omnis  ho- 
mo aliquod  animal  est.  De  omnibus  his 
œquipollentiis  datur  versus  : 

Prœ  contradic.  post  contra,  pra'  postque  subalter. 

Qui  sic  intelligitur  pree,  id  est  negatio  pra> 
posita;  contradic.  id  est  facit  œquipollerc 
suo  contradictorio  ;  post,  id  est  negatio  post- 
posita,  facit  aequipollere  suo  contra  id  est 
contrario.  Prœ  postque  id  est  negatio  quae 


praeponitur  et  postponitur  facit  aequipollere 
suo  subalterno.  Et  sic  palet  de  aequipol- 
lentiis  categoricarum. 

CAPUT  X. 

Quomodo  enunliaiiones  categoricœ  de  inesse 
sita  in  figura  ,  se  habet  ad  veritatem  et 
fahilalem. 

Modo  dicendum  est  quomodo  se  habent 
praedictae  enuntiationes  quantum  ad  verum 
et  falsum.  Ubi  nota,  quod  sicut  supra  dic- 
tum  est,  de  universali  secundum  quod  est 
in  ipsis  singularibus,  dupliciter  potest  ali- 
quid  enuntiari,  scilicet  affirmative  ,  et  re- 
moveri  négative.  Uno  modo  quando  attri- 
buitur  sibi  aliquid  ratione  ipsius  universa- 
lis,  vel  quod  pertineat  ad  ejus  essentiam , 
vel  quod  sequatur  principiaejus  essentialia, 
ut  cum  dicitur ,  homo  est  animal  risibile, 

16 


242  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    10. 

bile,  et  c'est  ce  qu'on  appelle  la  matière  naturelle  ou  nécessaire.  Ce 
qui  est  exclu  de  l'universel  cle  cette  manière  à  raison  de  la  nature 
même,  c'est-à-dire  de  l'universel ,  est  appelé  matière  éloignée  ou  im- 
possible, comme  homo  est  asinus.  En  second  lieu,  quand  on  lui  attri- 
bue quelque  chose  à  raison  de  quelque  singulier  où  se  trouve  cette 
nature  de  l'universel,  comme  lorsqu'on  dit»,  homo  currit ,  et  c'est  ce 
qu'on  appelle  matière  contingente.  Il  faut  savoir  que  dans  la  matière 
naturelle  et  dans  la  matière  éloignée,  si  une  des  contraires  est  vraie , 
l'autre  est  fausse  et  réciproquement.  La  raison  en  est  que  si  la  matière 
qui  se  trouve  en  rapport  avec  la  nature  de  l'universel  est  appelée  ma- 
tière naturelle,  il  s'ensuit  qu'elle  convient  à  tout  ce  qui  est  contenu 
en  lui,  de  telle  façon  que  l'universelle  affirmative  sera  vraie,  et  l'uni- 
verselle négative  qui  exclut  cette  matière  de  tout  ce  qui  est  contenu 
en  lui,  sera  nécessairement  fausse.  Car  elle  dit  que  ce  qui  est  n'est 
pas,  et  c'est  là  la  fausseté,  dire  que  ce  qui  est  n'est  pas  ou  que  ce  qui 
n'est  pas  est.  De  même  dans  la  matière  éloignée  l'universelle  négative 
est  vraie,  parce  qu'elle  écarte  tel  prédicat  de  tout  ce  qui  est  contenu 
sous  tel  universel.  Donc  l'universelle  affirmative  sera  aussi  alors  dite 
fausse,  parce  qu'elle  dit  que  ce  qui  n'est  pas  est,  et  il  en  sera  de  même 
par  rapport  à  elle  pour  ses  subalternes  particulières.  Comme  en  effet, 
la  matière  naturelle  convient  à  tout  ce  qui  est  contenu  sous  l'univer- 
sel, il  en  résulte  que  dans  cette  matière  la  particulière  affirmative  sera 
vraie,  et  la  négative  fausse  :  le  contraire  aura  lieu  dans  la  matière 
éloignée,  au  contraire  dans  la  matière  contingente  les  deux  contraires 
peuvent  être  fausses;  on  peut  en  trouver  la  raison  dans  ce  que  nous 
avons  dit.  Si,  en  effet,  dans  cette  matière  on  n'attribue  quelque  chose 
à  l'universel  qu'à  raison  de  quelque  particulier  contenu  en  lui,  il  est 


et  hsec  vocatur  materia  naturalis  seu  ne- 
cessaria.  Quod  autem  isto  modo  ab  univer- 
sali  removetur  ratione  ipsius  naturse ,  sci- 
licet  universalis  ,  dicitur  materia  remota , 
seu  impossibilis,  ut  homo  est  asinus.  Se- 
cundo modo,  quando  attribuitur  sibi  ali- 
quid  ratione  alicujus  singularis,  in  quo  haec 
natura  universalis  invenitur ,  ut  cum  dici- 
tur, homo  currit,  et  heec  dicitur  materia 
contingens.  Seiendum,  quod  in  materia 
naturali  et  in  materia  remota,  si  una  con- 
trariarum  est  vera ,  reliqua  est  falsa ,  et  e 
converso.  Et  causa  haec  est,  quia  si  illa  di- 
citur materia  naturalis ,  qua;  provenit  se- 
cundum  naturam  universalis,  ipsa  ergo 
convenit  omni  contento  sub  eo ,  sic  quod 
universalis  affirmativa  erit  vera  ,  univer- 
salis autem  negativa ,  qua;  removet  hanc 
materiam  ab  omni  contento  sub  eo,  neces- 
sario  erit  falsa  •  dicit  enim  non  esse  quod 


est ,  quod  est  falsum ,  scilicet  dicere  non 
esse  quod  est,  vel  esse  quod  non  est.  Simi- 
liter  etiam  in  materia  remota,  universalis 
negativa  est  vera ,  quia  removet  taie  prse- 
dicatum  ab  omni  contento  sub  tali  univer- 
sali.  Universalis  ergo  affirmativa ,  tune 
etiam  dicetur  falsa,  quia  dicit  esse  quod 
non  est  ;  et  simili  modo  se  habebit  de  suis 
particularibus  sibi  subalternis.  Materia 
enim  naturalis,  quia  omnibus  contentis 
sub  universali  convenit,  ideo  in  tali  ma- 
teria particularis  affirmativa  erit  vera,  ne- 
gativa vero  falsa  ;  contra  se  habebit  in 
materia  remota.  In  materia  vero  contin- 
genti,  ambse  contraria?  possunt  esse  falsae, 
et  causa  potest  haberi  ex  dictis.  Si  enim 
in  tali  materia  non  attribuitur  universali 
aliquid  nisi  ratione  particularis  alicujus 
contenti  sub  eo ,  affirmare  iilud  de  omni- 
bus particularibus  falsum  est,  quia  dicitur 


SUR   LA    LOGIQUE   d'aHISTOTE.  243 

faux  de  l'affirmer  de  tous  les  particuliers,  parce  qu'on  dit  être  ce  qui 
n'est  pas  ;  il  est  également  faux  de  le  nier  de  tous  les  particuliers  ou 
singuliers,  parce  qu'on  dit  que  ce  qui  est  n'est  pas.  Elles  sont  donc 
toutes  deux  fausses,  les  particulières,  au  contraire,  sont  toutes  deux 
vraies ,  parce  que  chacune  peut  se  conserver  dans  une  singulière. 
Aristote  en  donne  une  autre  raison  :  Les  contraires,  dit-il,  s'excluent 
mutuellement.  Ces  deux  contraires  ne  pourront  donc  pas  subsister 
ensemble ,  ce  qui  est  vrai,  néanmoins  rien  n'empêche  que  leurs  exclu- 
sions s.ubsistent  ensemble  ;  de  même  que  le  blanc  et  le  noir  ne  peu- 
vent subsister  ensemble ,  cependant  rien  n'empêche  que  leurs  exclu- 
sions subsistent  ensemble,  car  le  faux  est  l'exclusion  des  deux  qualités. 
Dans  toute  matière  soit  naturelle ,  soit  éloignée ,  soit  contingente ,  si 
une  des  contradictoires  est  vraie,  l'autre  est  fausse  et  réciproquement. 
En  effet,  ou  les  énonciations  contradictoires  sont  singulières,  comme 
il  a  été  dit,  ou  l'une  est  universelle  et  l'autre  particulière  et  sont  telles 
que  l'une  exclue  l'autre.  C'est  pourquoi  si  l'une  est  négative ,  l'autre 
est  affirmative  ,  et  si  l'affirmative  est  vraie,  elle  dit  que  ce  qui  est  est 
réellement,  ce  qui  est  le  vrai,  comme  il  est  dit  au  liv.  IV  de  la  Méta- 
physique :  Car  le  vrai  est  que  ce  qui  est  soit  réellement ,  et  que  ce 
qui  n'est  pas  ne  soit  réellement  pas.  Le  faux,  au  contraire,  est  que 
ce  qui  est  ne  soit  pas,  et  que  ce  qui  n'est  pas  soit.  La  négative  contra- 
dictoire sera  fausse  parce  qu'elle  dit  que  ce  qui  est  n'est  pas,  pareille- 
ment si  la  négative  est  vraie,  elle  dit  que  ce  qui  est  n'est  pas,  et  l'affir- 
mative dit  alors  que  ce  qui  n'est  pas  est  réellement,  ce  qui  est  faux. 
Et  comme  il  n'y  a  pas  de  milieu  entre  être  et  ne  pas  être  et  que  l'un 
exclut  l'autre,  parce  qu'on  ne  peut  dire  du  même  sujet  des  choses  im- 
possibles et  que  l'être  et  le  non-être  ne  peuvent  être  vrais  en  même 
temps,  il  en  est  de  même  des  contradictoires,  parce  que  l'une  attribue 
l'être  et  l'autre  le  non-être  au  même  sujet;  c'est  pour  cela  que  l'une 


quod  non  est  esse;  similiter  etiam  illud 
negare  ab  omnibus  particularibus  seu  sin- 
gularibus  falsum  est ,  quia  dicitur  ,  quod 
est  non  esse.  Ambae  ergo  sunt  falsae.  Par- 
ticu lares  vero,  quia  quaelibet  potest  salvari 
in  una  singulari,  amba?  surit  verae.  Aliam 
rationem  assignat  Aristoteles.  Nam  ut  dicit, 
contraria  mutuo  se  expellunt ,  ambœ  istae 
contrariai  non  poterunt  simul  esse,  quod  est 
verum,  remotiones  tamen  earum  nihil  pro- 
hibet  simul  esse  sicut  album  et  nigrum 
non  possunt  esse  ^imul ,  remotiones  tamen 
amborum  nihil  prohibet  esse  simul,  falsum 
enim  est  remotio  amborum.  In  omni  ma- 
teria  sive  naturali  sive  remota ,  seu  con- 
tingent^ si  una  contradictoriarum  est  vera, 
reliqua  est  falsa  et  e  converso.  Contradic- 
toriae  enim  enuntiationes ,  vel  sunt  singu- 


lares,  ut  dictum  est,  vel  una  est  universalis 
et  altéra  particularis,  et  hoc  habent,  quia 
una  removet  aliam.  Unde  si  una  est  nega- 
tiva,  altéra  est  aflirmativa,  et  si  affirmativa 
erit  vera,  dicit  esse  quod  est ,  et  hoc  est 
verum,  ut  dicitur  IV  Meiaph.,  verum  enim 
est  esse  quod  est,  et  non  esse  quod  non  est. 
Falsum  autem  est  non  esse  quod  est ,  et 
esse  quod  non' est.  Negativa  vero  sibi  con- 
tradictoria,  quia  dicit  non  esse,  quod  est, 
erit  falsa.  Similiter  si  negativa  est  vera, 
dicit  non  esse  quod  non  est ,  et  affirmativa 
tune  dicit  esse  quod  non  est,  quod  est  fal- 
sum. Et  sicut  inter  esse  et  non  esse  non  est 
médium,  et  unum  removet  alterum,  quia 
impossibilia  est  dici  de  eodem,  et  verificari 
|  simul  esse  et  non  esse  ,  sic  etiam  contra- 
I  dictoriœ,  quia  una  ponit  de  eodem  esse,  et 


244  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    H. 

exclut  toujours  l'autre.  Comme  le  vrai  et  le  faux*  consistent  dans  cet 
être  et  ce  non-être,  comme  il  a  été  dit ,  il  n'y  a  donc  pas  de  milieu ,  si 
l'une  est  -vraie,  l'autre  est  fausse  et  réciproquement.  Voilà  en  quoi  con- 
siste la  vérité  ou  la  fausseté  des  propositions  de  inesse,  etc. 

CHAPITRE  XI. 

Ce  que  c'est  que  la  proposition  modale,  et  de  sa  quantité. 

Nous  allons  parler  maintenant  des  propositions  modales.  Le  mode, 
dans  le  sens  où  il  est  pris  ici,  est  une  détermination  adjacente  -à  la 
chose,  c'est-à-dire  une  détermination  faite  par  un  adjectif.  Or  il  y  a 
deux  sortes  d'adjectif,  l'adjectif  de  nom,  comme  blanc  et  noir,  et  l'ad- 
jectif de  verbe,  tels  que  les  adverbes.  Comme  l'adverbe  est  joint  au 
verbe  et  s'appuie  toujours  sur  lui,  il  s'appelle  pour  cette  raison  adjec- 
tif du  verbe.  Il  y  aura  donc  ainsi  deux  modes,  le  mode  nominal, 
comme  lorsqu'on  dit  une  course  rapide  ;  et  le  mode  adverbial,  comme 
lorsqu'on  dit  il  court  rapidement.  Il  faut  observer  que  les  adverbes 
peuvent  déterminer  les  verbes  de  plusieurs  manières  :  quelques-uns 
les  déterminent  à  raison  de  l'action  ou  de  la  passion  qui  signifie  le 
verbe,  comme  je  cours  rapidement,  ou  j'agis  courageusement,  et 
c'est  ce  que  font  les  adverbes  qualificatifs.  Quelques-uns  à  raison  du 
temps,  comme  les  adverbes  temporaux;  d'autres  à  raison  du  mode  , 
comme  les  adverbes  vocatifs  ou  optatifs.  D'autres  déterminent  le 
verbe  à  raison  de  la  composition  qu'il  opère  dans  le  discours,  et 
ceux-ci  sont  au  nombre  de  six ,  savoir  :  necessario ,  impossibilité)' , 
jtossibiliter ,  contingenter,  vero  et  falso.  En  effet,  lorsqu'on  dit  :  So- 
crate  court  rapidement ,  on  exprime  que  sa  course  est  rapide  ;  mais 


altéra  de  eodem  non  esse,  ideo  una  semper 
removet  alterara.  Et  quia  in  tali  esse ,  vel 
non  esse  consistit  verum  vel  falsum ,  ut 
dictum  est.  Ergo  sine  medio  si  una  est 
vera,  reliqua  est  falsa,  et  e  converso.  Et 
sic  patet  de  veritate  et  falsitate  dictarum 
propositionum  de  inesse,  etc. 

GAPUT  XI. 

Quid  si:  proposilio  modalis,  et  de  ejus  quan- 

litale. 

Nunc  restât  ponere  vel  dicere  de  propo- 
sitionibus  modalibus.  Modus  autem,  ut  hic 
sumitur,  est  adjacens  rei  determinatio  ,  id 
est  determinatio  facta  per  adjectivum.  Est 
autem  adjectivum  duplex,  scilicet  nominis, 
ut  album  et  nigrum,  et  verbi,  cujusmodi 
suut  adverbia  :  quia  enim  advcrbium  stat 
juxta  verbum,  et  semper   nititur  verbo, 


ideo  dicitnr  esse  adjectivum  verbi.  Et  sic 
modus  erit  duplex,  scilicet  nominalis ,  ut 
cum  dicitur,  cursus  velox,  et  adverbialis, 
ut  cum  dicitur ,  currit  velociter.  Notan- 
dum,  quod  adverbia  multipliciter  possunt 
determinare  verba.  Quœdam  déterminant 
ipsum  rationes  actionis  vel  passionis,  quam 
verbum  significat,  ut  curro  velociter  ,  vel 
ago  fortiter ,  et  hoc  faciunt  adverbia  qua- 
litativa.  Quœdam  vero  ratione  temporis,  ut 
adverbia  temporalia.  Alia  vero  ratione 
modi .  ut  adverbia  vocandi  et  optandi. 
Quaedam  vero  déterminant  verbum  ratione 
compositionis  quam  facit  in  oratione  ,  et 
ista  sunt  sex,  scilicet  necessario ,  impossi- 
bilité^ possibilités  contingenter,  vero  et 
falso.  Cum  enim  dicitur,  Sortes  currit  ve- 
lociter, ^ignatur  quod  cursus  ejus  sit  velox; 
sed  cum  dicitur  ,  necessario  Sortes  currit, 


SUR  LA.   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  245 

lorsqu'on  dit  :  Socrate  court  nécessairement,  on  ne  veut  pas  dire  que 
sa  course  soit  nécessaire ,  mais  bien  que  cette  composition ,  Socrate 
court,  est  nécessaire,  et  de  même  des  cinq  autres  adverbes  précités.  Il 
faut  savoir  que  ces  six  adverbes  sont  de  vraies  énonciations  modales, 
parce  qu'ils  peuvent  faire  des  propositions  modales  pris  adverbiale- 
ment, comme  lorsqu'on  dit  :  Socrate  court  nécessairement,  et  nomi- 
nalement, comme  lorsqu'on  dit  qu'il  est  nécessaire  que  Socrate  coure, 
et  ainsi  des  autres.  Il  est  vrai  que  deux  de  ces  modes,  savoir  :  vero  et 
faisane  diversifient  pas  renonciation  relativement  aux  oppositions, 
aux  équipollences  et  autres  choses  de  ce  genre,  mais  ils  ont  les  mêmes 
rapports  ou  sont  pris  ici  comme  dans  les  catégoriques  de  inesse ,  aussi 
nous  n'en  dirons  rien.  Mais  nous  allons  parler  des  quatre  autres  ad- 
verbes, savoir  :  possibiliter,  impossibiliter,  necessario,  contingenter, 
parce  qu'ils  diversifient  les  susdites  énonciations.  Nous  nous  occupe- 
rons pour  le  moment  de  quatre  choses  à  ce  sujet,  de  la  quantité,  de  la 
qualité,  des  oppositions  et  équipollences,  parce  qu'il  sera  question  de 
leur  conversion  dans  le  traité  des  syllogismes  où  l'on  parlera  égale- 
ment de  la  conversion  des  énonciations  de  inesse.  Or ,  pour  connoître 
leur  quantité,  il  faut  observer  qu'il  y  a  des  propositions  modales  de  dic- 
tion, comme  Sortent  currere  est  necesse,  dans  lesquelles  la  diction  est 
sousajoutée  et  le  mode  énoncé  :  et  celles-ci  sont  vraiment  modales, 
parce  qu'ici  le  mode  détermine  le  verbe  à  raison  de  la  composition , 
comme  il  a  été  dit  plus  haut.  Il  en  est  d'autres  qui  sont  modales  de  re, 
dans  lesquelles  le  mode  est  interposé  à  la  diction ,  comme  Sortem  ne- 
cesse  est  currere.  En  effet,  le  sens  n'est  pas  que  cette  diction  est  né- 
cessaire, je  veux  dire  sortem  currere,  mais  le  sens  est  qu'il  y  a» dans 
Socrate  la  nécessité  de  courir.  La  chose  est  plus  claire  dans  le  pos- 


non  significatur  quod  cursus  ejus  sit  ne- 
cessaiius,  sed  quod  ista  compositio,  scilicet 
Sortes  currit ,  sit  necessaria,  et  sic  de  aliis 
quinque  adverbiis  jam  dictis.  Sciendum, 
quod  prœdicta  sex  adverbia  faciunt  veras* 
enuntiationes  modales  :  quia  possunt  facere 
propositions  modales  adverbialitersumpta, 
ut  cum  dicitur  Sortes  currit  necessario  ;  et 
nominaliter,  ut  cum  dicitur,  Sortem  cur- 
rere est  necesse,  et  sic  de  aliis.  Verum  est 
autem,  quod  duo  istorum  modorum,  scili- 
cet vero  et  falso  ,  non  variant  enuntiatio- 
nem  quantum  ad  oppositiones ,  aequipol- 
lentias,  et  hujusmodi,  sed  eodem  modo  se 
habent,  seu  eodem  modo  sumuntur  in  eis, 
sicut  in  catégoriels  de  inesse  ,  ideo  de  eis 
praetermittamus.  Sed  quia  alia  quatuor  ad- 
verbia, scilicet  possibiliter ,  impossibilité^ 
necessario,  contingenter ,  prœdictas  enun- 
tiationes variant ,  ideo  de  ipsis  dicamus. 


De  his  autem  ad  prœsens  videbimus  qua- 
tuor, scilicet  quantitatem,  qualitatem,  op- 
positiones et  eequipollentias ,  quia  de  con- 
versione  ipsarum  dicetur  in  tractatu  de 
syllogismis,  ubi  etiam  dicetur  de  conver- 
sione  enuntiationum  de  inesse.  Ad  sciendum 
autem  earum  quantitatem,  notandum  qued 
quœdam  sunt  propositiones  modales  de 
dicto,  ut  Sortem  currere  est  necesse,  in 
quibus  sedicet  dictum  subjicitur  et  modus 
preedicatur  ;  et  ista}  sunt  vere  modales, 
quia  modus  hic  déterminât  verbum  ratione 
compositionis,  ut  supra  dictum  est.  Quae- 
dam  autem  sunt  modales  de  re,  in  quibus 
videlicet  modus  interponitur  dicto ,  ut 
Sortem  necesse  est  currere,  non  enim  modo 
est  sensus ,  quod  hoc  dictum  sit  necessa- 
rium,  scilicet  Sortem  currere,  sed  hujus 
sensus  est,  quod  in  Sorte  sit  nécessitas  ad 
currendum.  Et  clarius  apparet  de  possibili. 


246  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    11. 

sible,  car  lorsqu'on  dit  Sortent  currere  est  possihile,  le  sens  est  que 
cette  diction  Sortent  currere  est  possible  ;  mais  lorsqu'on  dit  Sortent 
possibile  est  currere,  le  sens  est  qu'il  y  a  dans  Socrate  la  possibilité  de 
courir.  11  y  a  encore  d'autres  énonciations  qui  paroissent  modales  et 
qui  ne  le  sont  pas,  quand  le  mode  est  sousajouté  et  la  diction  énoncée, 
comme  possibile  est  Sortent  currere.  La  raison  en  est  que  la  dénomina- 
tion doit  se  tirer  de  la  forme;  or  dans  renonciation  le  formel  est  le 
prédicat  et  doit  par  conséquent  être  dénommé  par  le  prédicat  :  donc, 
quand  dans  renonciation  la  prédication  tombe  sur  le  mode ,  elle  est 
modale,  quand  c'est  sur  la  diction,  elle  ne  l'est  pas.  Il  faut  savoir  que 
toutes  les  énonciations  modales  de  clicto  sont  singulières,  quel  que 
soit  en  elles  le  signe  universel.  C'est  pourquoi  celle-ci,  onmem  hominem 
currere  ,  est  singulière,  et  ainsi  de  toutes  les  autres.  La  raison,  c'est 
que,  comme  il  a  été  dit,  renonciation  est  appelée  singulière,  parce 
qu'il  y  a  en  elle  un  singulier,  ou  un  terme  singulier  comme  Socrate 
court.  Mais  dans  ces  énonciations  on  insère  cette  diction  déterminée , 
omnem  hominem  currere,  qui  est  prise  tout  entière  pour  un  terme  dé- 
terminé. Donc  touts  ces  énonciations  sont  singulières.  Mais  dans  les 
modales  d£  re  et  dans  celles  qui  paroissent  modales  sans  l'être,  la 
quantité  est  prise  suivant  qu'il  y  a  dans  la  diction  des  termes  et  des 
signes.  C'est  pourquoi  celle-ci,  possihile  est  omnem  hominem  currere, 
est  universelle  ;  et  celle-ci,  possibile  est  aliquem  hominem  currere, 
est  particulière;  ainsi  en  est-il  des  modales  de  re.  Telle  est  leur 
quantité. 


Cum  enim  dicitur,  Sortem  currere  est 
possibile,  sensus  est,  quod  hoc  diotum,  sci- 
licet  Sortem  currere  est  possibile.  Sed  cum 
dicitur  Sortem  possibile  est  currere  ,  sensus 
est  quod  in  Sorte  sit  possibilitas  currendi. 
Sunt  autem  et  alise  enuntiationes,  quse  vi- 
dentur  modales  et  non  sunt,  quando  vide- 
licet  modus  subjicitur  et  dictum  prœdica- 
tur,  ut  possibile  est  Sortem  currere.  Ratio 
hujus  est,  quia  denominatio  débet  sumi  a 
forma,  formale  autem  in  enuntiatione  est 
prœdicatum  ,  et  ideo  a  praedicato  débet  de- 
nominari.  Cum  ergo  in  enuntiatione  prse- 
dicatur  modus,  erit  modalis;  cum  vero 
praedicatur  dictum ,  non  erit  modalis. 
Sciendum  quod  omnes  enuntiationes  mo- 
dales de  dicto  sunt  singulares,  quantum- 
cumque  sit  in  eis  signum  universale.  Inde 


haec ,  omnem  hominem  currere  est  possi- 
bile, est  singularis,  et  sic  de  omnibus  aliis. 
Ratio  hujus  est.  Nam  ut  supra  dictum  est, 
enuntiatio  dicitur  singularis  quia  in  ea  sub- 
jicitur singulare ,  seu  terminus  singularis 
ut  Sortes  currit.  Sed  in  talibus  enuntiatio- 
nibus  subjicitur  hoc  dictum  signatum,  soili- 
cet  omnem  hominem  currere,  quod  totum 
accipitur  pro  uno  termino  signato,  omnes 
ergo  taies  enuntiationes  sunt  singulares.  In 
modalibus  vero  de  re,  et  in  his  quee  viden- 
tur  modales,  et  non  sunt,  sumitur  quanti- 
tas  secundum  quod  in  dicto  sunt  termini, 
et  signa.  Onde  heec ,  possibile  est  omnem 
hominem  currere,  est  universalis  :  et  ha?c, 
possibile  est  aliquem  hominem  currere,  est 
particularis,  et  sic  se  habet  de  modalibus 
de  re.  Patet  ergo  de  earum  quantitate. 


SUR   LA    LOGIQUE    D  ARISTOTE. 


247 


CHAPITRE  XII. 

De  la  qualité  des  propositions  modales  quant  à  l'affirmation  et.  à  la 

négation. 

Quant  à  leur  qualité ,  il  faut  noter  que  dans  les  énonciations  de 
inesse ,  il  y  a  trois  choses  à  considérer,  savoir,  le  sujet ,  le  prédicat 
et  la  combinaison  de  l'un  et  de  l'autre ,  qui  quelquefois  ont  des  rap- 
ports ,  comme  dans  les  choses  naturelles.  Dans  l'homme  il  faut  consi- 
dérer le  corps,  l'ame  et  l'humanité.  Le  corps  est  la  matière,  l'ame  est 
la  forme  qui  est  une  partie  du  composé ,  c'est  pourquoi  elle  est  forme 
par  rapport  au  corps ,  et  l'humanité  est  forme  par  rapport  à  l'un  et  à 
l'autre,  c'est-à-dire  au  corps  et  à  l'ame.  Ainsi,  dans  la  proposition 
ci-dessus ,  dans  renonciation ,  le  sujet  est  comme  la  matière  ,  le  pré- 
dicat comme  la  forme  qui  est  une  partie  du  composé.  C'est  pourquoi 
il  est  comme  forme  à  l'égard  du  sujet ,  tandis  que  la  composition  est 
forme  à  l'égard  de  l'un  et  de  l'autre.  Aussi  l'affirmation  et  la  négation 
y  sont-elles  prises  suivant  la  composition  ou  la  division ,  lorsqu'il  y  a 
négation.  C'est  pourquoi  lorsqu'il  n'y  apas  de  négation  dans  la  com- 
position ,  renonciation  est  affirmative,  mais  s'il  y  a  négation ,  renon- 
ciation est  négative.  Le  mode  est  pour  les  modales  ce  qu'est  le  prédicat 
pour  celles  de  inesse,  parce  qu'il  est  comme  la  forme  par  rapport  à 
la  diction;  aussi,  si  le  mode  se  combine  avec  la  phrase  d'une  manière 
affirmative,  la  modale  sera  affirmative,  si  c'est  négativement,  la  pro- 
position sera  négative.  Celle-ci,  en  effet,  Sortem  non  currere  est  pos- 
sibile, est  affirmative,  parce  que  la  combinaison  est  quelque  peu  affir- 
mée par  la  phrase.  Mais  cette  autre ,  Sortem  currere  non  est  possibile, 
est  négative  ,  parce  que  cette  composition  est  niée.  On  le  voit  claire- 


GAPUT  XII. 

De  qualilale  proposilionum  modal iu m    qua- 
nd affirtnationem  et  negationem. 

Sequitur  de  ipsarum  qualitate.  Ubi  nota, 
quod  in  euuntiationibus  de  inesse,  est  tria 
considerare ,  scilicet  subjectum ,  prsedica- 
tum,  et  compositionem  utriusque,  quœ  ita 
se  habent  quodammodo ,  sicut  in  naturali- 
bus.  In  homine  eniin  est  considerare  cor- 
pus, et  animant ,  et  humanitatem.  Corpus 
est  materia  :  anima  est  forma,  quae  est 
pars  compositi,  unde  forma  est  respectu 
corporis,  humanitas  vero  est  forma  respectu 
utriusque,  scilicet  respectu  corporis,  et  ani- 
ma?. Sic  in  proposito,  in  enuntiatione  sub- 
jectum est  sicut  materia  :  praedicatum  vero 
sicut  forma,  qaae  est  pars  compositi.  Unde 


est  quasi  forma  respectu  subjecti ,  composi- 
tio  vero  est  forma  utriusque.  Unde  in  eis 
affirmatio ,  et  negatio  sumitur  secundum 
compositionem,  vel  divisionem:  ubi  est  ne- 
gatio. Unde  quando  in  compositione  non 
est  negatio,  erit  enuntiatio  affirmativa  :  si 
vero  in  ea  est  negatio,  est  enuntiatio  nega- 
tiva.  In  modalibus  autem  sicut  se  habet  in 
illis  de  inesse  praedicatum,  sic  se  habet  mo- 
dus,  quia  est,  ut  forma  respectu  dicti  :  et 
ideo  si  modus  componitur  cum  dicto  affir- 
mative ,  modalis  erit  affirmativa  :  si  vero 
négative,  propositio  erit  negativa.  Hœc 
enim,  Sortem  non  currere  est  possibile  :  est 
affirmativa,  quia  compositio  modicum  dicto 
affirmatur.  Hœc  autem,  Sortem  currere 
non  est  possibile ,  est  negativa,  quia  talis 
compositio  negatur.  Et  hoc  clare  apparet  in 


248  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    13. 

ment  dans  leur  vérité  et  leur  fausseté.  En  effet ,  l'affirmation  sur  le 
même  singulier  est  opposée  contradictoirement  à  la  négation,  et  par 
conséquent ,  si  l'une  est  vraie,  l'autre  est  fausse.  Mais  celles-ci,  Sor- 
tem currere  est  possibile ,  Sortent  non  currere  est  possibile,  sont  toutes 
deux  vraies ,  parce  que  Socrate  peut  courir  et  peut  ne  pas  courir,  et 
la  possibilité  est  vraie  à  l'égard  de  l'une  et  l'autre  phrase.  Donc  l'une 
n'est  pas  affirmative  et  l'autre  négative.  Il  faut  savoir  que  ,  bien  que 
renonciation  modale  soit  dite  affirmative  ou  négative  du  mode  affirmé 
et  nié ,  chacuDe  peut  néanmoins  se  diversifier  de  quatre  manières , 
parce  qu'elle  aura  et  la  diction  affirmée,  comme,  Sortem  currere  est 
possibile,  ou  l'un  et  l'autre  nié,  comme ,  Sortem  non  currere  non  est 
possibile,  ou  la  diction  niée  et  le  mode  affirmé,  comme,  Sortem  non 
currere  est  possibile ,  ou  la  diction  affirmée  et  le  mode  nié  ,  comme  , 
Sortem  currere  non  est  possibile.  Telle  est  la  qualité. 


CHAPITRE  XIII. 

De  l'opposition  et  de  l'équipollence  des  cnonciations  modales. 

Nous  allons  parler  maintenant  de  leur  opposition.  Notez  bien  que 
les  modales  de  cette  espèce  sont  différentes  suivant  l'affirmation  et  la 
négation  dans  la  diction  et  dans  le  mode  ,  comme  on  vient  de  le  dire , 
et  c'est  ainsi  qu'elles  produisent  des  oppositions  entre  elles.  Mais 
comme  les  différents  modes  sont  opposés  les  uns  aux  autres ,  nous 
allons  d'abord  nous  occuper  des  oppositions  des  modales  suivant  les 
différents  modes ,  ensuite  nous  ramènerons  un  mode  à  un  autre ,  et 
l'on  verra  ainsi  clairement  les  oppositions.  Il  faut  observer  que  le 
possible  peut  se  prendre  de  deux  manières  ;  ou  dans  son  tout  signifié , 
et  alors  il  comprend  le  nécessaire  et  le  contingent ,  et  ainsi  ce  qui  a  la 


veritate,  et  falsitate  earum.  Affirmatio 
enim  de  eodem  singulari  opponitur  con- 
tradictorie  negationi,  et  per  consequens  si 
una  est  vera ,  reliqua  est  falsa  :  sed  ista  : 
Sortem  currere  est  possibile.  Sortem  non 
currere  est  possibile,  ambae  sunt  verae,  quia 
Sortes  potest  currere,  et  potest  non  cur- 
rere, et  de  utroque  dicto  verificatur  possi- 
bilités :  non  ergo  est  una  affirmativa ,  et 
alia  negativa.  Sciendum,  quod  licet  enun- 
tiatio  modalis  dicatur  affirmativa  et  nega- 
tiva a  modo  affirmato ,  et  negato ,  tamen 
quaelibet  potest  quadrupliciter  variari  : 
quia,  vel  habebit  utrumque,  scilicet  dic- 
tum ,  et  modum  affirmatum .  ut  Sortem 
currere  est  possibile.  Vel  utrumque  nega- 
tum,  ut  Sortem  non  currere  non  est  possi- 
bile, vel  dictum  negatum,  et  modum 
affirmatum,  ut  Sortem  non  currere  est 
possibile.  Vel  dictum  affirmatum,  et  modum 


negatum,  ut  Sortem  currere  non  est  pos- 
sibile. Et  sic  patet  de  ejus  qualitate. 

GAPUT  XIII. 

De  oppositione  et  œquipollentia    enuntiatio- 
num  modalium. 

Nunc  videndum  est  de  earum  opposi- 
tione. Ubi  nota ,  quod  modales  hujusmodi 
variantur  secundum  affirmationem  et  ne- 
gationem  in  dicto,  et  in  modo  sicut  immé- 
diate dictum  est ,  et  sic  faciunt  inter  se 
oppositiones.  Sed  quia  diversi  modi  sibi 
invicem  opponuntur,  ideo  primo  dicendum 
est  de  oppositionibus  modalium  secundum 
diversos  modos  :  postea  reducemus  unum 
modum  ad  alium  per  aequipollentias,  et  sic 
patebunt  omnium  oppositiones.  Notandum, 
quod  possibile  dupliciter  potest  gumi,  vel 
in  toto  suo  significato,  et  tune  comprehen- 
dit  necessarium,  et  contingens,  et  sic,  quod 


SUR   LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  249 

nécessité  d'être  a  la  possibilité  d'être ,  et  ce  "qui  est  contingent  dans 
l'être  a  la  possibilité  d'être.  De  la  seconde  manière  il  n'est  pris  que 
pour  le  contingent ,  et  c'est  ainsi  qu'il  est  pris  dans  ces  oppositions. 
C'est  pourquoi,  quoiqu'il  y  ait  quatre  énonciations  modales,  il  n'y  en 
a  que  trois  qui  opèrent  une  diversité  dans  les  oppositions  et  les  équi- 
pollences,  parce  qu'on  prend  pour  la  même  une  chose  du  contingent, 
et  une  autre  chose  du  possible.  Disons  donc  quelque  chose  de  ces 
trois  modes,  savoir,  le  nécessaire,  le  possible,  i'impossi))le.  Et 
quoique,  quand  la  prédication  se  fait  substantiellement  de  la  diction 
et  du  mode ,  renonciation  ne  soit  point  modale ,  elle  est  néanmoins 
ramenée  promptement  à  la  modale ,  et  c'est  ainsi  que  nous  nous  ser- 
virons bientôt  de  ces  énonciations.  Il  faut  savoir  que,  comme  on  l'a  dit 
dans  les  énonciations  de  inesse,  ce  signe  tout  signifie  que  le  prédicat 
de  renonciation  est  attribué  au  sujet ,  suivant  tout  ce  qui  est  contenu 
en  lui.  Au  contraire ,  ce  signe  nul  exclut  du  sujet  tout  ce  qui  est  con- 
tenu en  lui,  et  c'est  pour  cela  que  l'universelle  affirmative  et  l'uni- 
verselle négative  sont  contraires.  De  même,  dans  ces  énonciations 
modales ,  ce  mode  necesse  fait  signifier  toute  l'inhérence  du  sujet  au 
prédicat ,  parce  que  ce  qui  est  nécessairement  inhérent  est  inhérent  à 
telle  chose  tout  entière ,  et  tient  par  conséquent  la  même  place , 
c'est-à-dire  la  modale  affirmative  de  necessario,  et  l'universelle  affir- 
mative de  inesse.  Et  comme  aucun  n'exclut  le  tout,  il  en  est  de  même 
de  l'impossible,  parce  que  ce  qui  inest  impossibiliter ,  nulli  tali  inest, 
et  par  conséquent  la  proposition  de  l'impossible  tient  lieu  de  l'univer- 
selle négative.  Et  comme  en  affirmant  on  ne  met  pas  toute  l'inhérence, 
de  même  en  niant  on  n'exclut  pas  tout  ce  qui  est  contenu  sous  le 
sujet;  ainsi  ce  mode  possibile,  parce  que  ce  qui  possibiliter  inest, 
n'est  pas  inhérent  à  tout ,  et  ce  qui  possibiliter  non  inest ,  non  inest 


necesse  est  esse,  possibile  est  esse,  et  quod 
contingens  est  esse,  possibile  est  esse.  Alio 
modo  sumitur  solum  pro  contingenti,  et  sic 
sumitur  in  istis  oppositionibus.  Unde  licet 
quatuor  sint  enuntiationes  modales,  très 
tamen  earum  faciunt  diversitatem  in  op- 
positionibus et  aequipollentiis,'  quia  illa  de 
contingenti ,  et  illa  de  possibili  pro  eadem 
sumuntur.  De  istis  ergo  tribus  modis  dica- 
mus,  scilicet  necesse,  impossibile,  possibile. 
Et  licet  ut  dictum  est,  quando  modus 
substantialiter,  et  dictum  prœdicatur,  enun- 
tiatio  non  sit  modalis,  tamen  cito  reduci- 
tur  ad  modalem,  et  sic  modo  enuntiationi- 
bus  illis  utemur.  Sciendum,  quod  sicut 
dictum  est  in  enuntiationibus  de  inesse, 
hoc  signum  omnis  désignât ,  quod  prsedi- 
catum  enuntiationis  attribuitur  subjecto 
quantum  ad  totum  illud,  quod  sub  eo  con- 


tinetur  :  hoc  vero  signum  nullus  removet 
a  subjecto  totum  quod  sub  eo  continetur , 
et  propter  hoc  universalis  affirmativa,  et 
universalis  negativa,  sunt  contrarise.  Sic  in 
istis  enuntiationibus  modalibus  iste  modus 
necesse,  facit  significare  totaminhaerentiam 
subjecti  ad  preedicatum,  quia  quod  neces- 
sario inest,  omni  tali  inest,  et  ideo  tenet 
eumdemlocum,  scilicet  modalis  affirmativa 
de  necessario,  et  universalis  affirmativa  de 
inesse.  Et  sicut  nullus  totum  removet,  ita 
etiam  impossibile,  quia  quod  impossibili- 
ter  inest,  nulli  tali  inest,  et  ideo  proposi- 
tio  de  impossibili  tenet  locum  universalis 
negativœ.  Et  sicut  quidam  affirmando  non 
totam  inhaerentiam  ponit ,  similiter  etiam 
negando  non  totum,  quod  sub  subjecto 
continetur,  removet ,  sic  iste  modus  possi- 
bile, quia  quod  possibiliter  inest,  non  inest 


250  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    13. 

nulli ,  aussi  le  possible  en  affirmant  tient  la  place  de  la  particulière 
affirmative ,  et  le  possible  en  niant  tient  lieu  de  la  particulière  néga- 
tive. Donc  ,  suivant  ce  que  nous  venons  de  dire,  ces  énonciations ,  il 
est  nécessaire  d'être ,  et  il  est  impossible  d'être  sont  contraires  ;  —  il 
est  nécessaire  d'être  et  il  est  possible  de  ne  pas  être  sont  contradic- 
toires; —  il  est  impossible  d'être  et  il  est  possible  d'être  sont  contra- 
dictoires; —  il  est  possible  d'être  et  il  est  possible  de  ne  pas  être  sont 
sous-contraires;  — il  est  nécessaire  d'être  et  il  est  possible  d'être  sont 
subalternes  ;  —  il  est  impossible  d'être  et  il  est  possible  de  ne  pas 
être  sont  subalternes ,  comme  on  le  voit  dans  la  figure  suivante  : 


Possibile  \„  L      .      .    /Possioile 

.            dubcontranae      , 
est  esse  L \es!:  non  esse/ 


En  voyant  cette  figure  on  comprend  de  suite  ce  que  sont  les  équi- 
pollences  et  les  oppositions  des  propositions,  quand  elles  sont  diffé- 


omni ,  et  quod  possibiliter  non  inest ,  non 
inest  nulli,  et  icleo  possibile  aftirmando  te- 
net  locum  particularis  affirmativae,  et  pos- 
sibile negando  tenet  locum  particularis 
negativae.  Secundum  ergo  praedicta,  istae 
enuntiationes  :  Necesse  est  esse  ,  et  impos- 
sible est  esse,  sunt  contrariai.  Necesse  est 
esse,  et  possibile  est  non  esse,  surit  contra- 
dictoriae.  Impossibile  est  esse,  et  possibile 


est  esse,  sunt  contradictoriae.  Possibile  est 
esse,  et  possibile  est  non  esse,  sunt  subcon- 
trariae.  Necesse  est  esse,  et  possibile  est 
esse,  sunt  subalternae.  Impossibile  est  esse, 
et  possibile  est  non  esse,  sunt  subalternae , 
ut  patet  in  figura  sequenti. 

His  visis  statim  patebit  de  sequipollentiis 
earum,  et  de  oppositionibus  ipsarum  : 
quando  variantur  per  negationes  positas  in 


SUR   LA   LOGIQUE    d'ARISTOTE.  251 

ren liées  par  les  négations  placées  dans  la  diction  ou  dans  le  mode. 
Car  les  équipollences  des  modales  s'opèrent  de  la  même  manière  que 
dans  les  énonciations  de  inesse  ,  suivant  ce  vers  : 


Prœ  contradic.  posl  contra,  prœ  postque  subalter. 


En  effet  la  négation  préposée  au  mode  le  rend  équipollent  à  son 
contradictoire ,  d'où  cette  proposition  ,  non  necesse  est  esse ,  est  équi- 
valente à  celle-ci ,  possibile  est  non  esse,  et  cette  autre ,  non  impossi- 
bile est  esse,  est  équivalente  à  celle-ci,  possibile  est  esse.  Mais  la  néga- 
tion placée  après  le  mode  le  rend  équipollent  à  son  contraire,  d'où  cette 
proposition  necesse  est  non  esse ,  équivant  à  celle-ci ,  impossibile  est 
esse;  et  cette  autre ,  impossibile  est  non  esse ,  équivant  à  celle-ci ,  ne- 
cesse  est  esse,  prœ  postque  subalter,  c'est-à-dire,  la  négation  placée 
avant  et  après  le  mode  le  rend  équipollent  à  son  subalterne.  D'où  cette 
proposition ,  non  necesse  est  non  esse ,  équivant  à  celle-ci ,  possibile 
est  esse ,  et  de  même  cette  autre ,  non  impossibile  est  non  esse ,  équi- 
vant  à  celle-ci,  possibile  est  non  esse.  D'après  ce  que  l'on  vient  de  dire 
on  peut  voir  de  quelle  manière  les  oppositions  des  propositions  de 
même  mode  sont  variées  par  les  négations.  Par  exemple  dans  les  énon- 
ciations de  necessario ,  celle-ci ,  necesse  est  esse ,  et  cette  autre  ,  non 
necesse  est  esse,  sont  contradictoires  :  et  celle-ci,  non  necesse  est  non 
esse,  et,  necesse  est  esse,  sont  subalternes,  et  il  en  est  de  même  de 
chacune  des  autres  énonciations  modales ,  par  ce  vers  : 

Amabimus  edentuli  :  illiace,  purpurea. 


dicto,  velinmodo.  iEquipollentiae  namque 
modalium,  eodem  modo  fiunt  sicut  in 
enuntiationibus  de  inesse,  secundum  vide- 
licet  versum  illum  : 

Prie  contradic.  post  contra,  prœ  postque  subalter. 

Negatio  enim  praeposita  modo,  facit  aequi- 
pollere  suo  contradictorio ,  unde  haec  non 
necesse  est  esse ,  aequipollet  huic,  possibile 
est  non  esse.  Et  haec,  non  impossibile  est 
esse,  aequipollet  huic,  possibile  est  esse. 
Negatio  vero  postposita,  scilicet  modo,  fa- 
cil  aequipollere  suo  contrario,  unde  haec, 
necesse  est  non  esse,  sequipollet  huic,  im- 
possibile est  esse.  Et  haec,  impossibile  est 
non  esse,  aequipollet  huic,  necesse  est  esse. 
Prae  postque  subalter,  idest,  negatio  prae- 


posita, et  postposita  modo  facit  aequipol- 
lere suo  subalterno  :  unde  haec,  non 
necesse  est  non  esse,  sequipollet  huic,  pos- 
sibile est  esse  :  et  similiter  haec ,  non  im- 
possibile est  non  esse,  aequipollet  huic, 
possibile  est  non  esse.  Ex  dictis  potest  pa- 
tere  qualiter  oppositiones  propositionum 
ejusdem  modi  variantur  per  negationes. 
Verbi  gratia,  de  enuntiationibus  de  neces- 
sario, ista,  necesse  est  esse,  et  haec,  non 
necesse  est  esse,  sunt  contradic toriae  :  et 
istae,  scilicet  non  necesse  est  non  esse ,  et 
necesse  est  esse,  sunt  subalternae,  et  sic  se 
habet  de  singulis  aliis  enuntiationibus  mo- 
dalium ,  per  hune  versum  ut  satis  patet  • 

Amabimus  edentuli  :  illiace,  purpurea. 


252 


OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    14. 


CHAPITRE  XIV. 

De  renonciation  hijpolhétique  et  de  ses  trois  espèces. 

Il  nous  reste  maintenant  à  parler  des  énonciations  hypothétiques 
ou  suppositives,  ce  qui  est  la  même  chose.  L'énonciation  hypothé- 
tique se  définit  ainsi  :  L'énonciation  hypothétique  est  celle  qui  a 
deux  de  ses  parties  principales  catégoriques  comme,  si  l'homme 
court,  l'homme  se  meut;  il  est  évident  que  celle-ci,  l'homme 
court,  est  une  énonciation  catégorique,  et  celle-là,  l'homme  se  meut, 
en  est  une  autre.  Je  dis  parties  principales ,  parce  que  les  termes 
sont  les. parties  principales  de  la  proposition  catégorique  ,  et  ne  sont 
pas  cependant  les  parties  principales  de  la  proposition  hypothétique, 
mais  des  parties  éloignées ,  comme  les  pierres  sont  les  parties  éloi- 
gnées de  la  maison ,  et  c'est  en  quoi  renonciation  hypothétique 
diffère  de  l'énonciation  catégorique.  Car  les  parties  principales  de  re- 
nonciation catégorique  sont  les  termes ,  et  les  parties  principales  de 
l'hypothétique  sont  les  deux  catégoriques.  Il  y  a  aussi  une  autre  dif- 
férence entre  les  propositions  catégoriques  et  les  propositions  hypothé- 
tiques. Car  dans  la  proposition  catégorique  le  sujet  prend  le  nom  de  , 
prédicat.  En  effet  lorsqu'on  dit ,  l'homme  est  un  animal,  l'homme 
reçoit  le  nom  d'animal,  puisque  on  dit  que  l'homme  est  un  animal. 
Il  n'en  est  pas  de  même  dans  les  hypothétiques ,  parce  que  l'un  ne 
se  dit  pas  de  l'autre,  on  dit  seulement  qu'une  chose  est  si  une  autre 
chose  est  également.  Par  exemple,  lorsqu'on  dit,  si  elle  a  enfanté, 
elle  a  eu  des  relations  avec  un  homme  ;  le  sens  n'est  pas  que,  enfanter 
c'est  avoir  des  relations  avec  un  homme,  mais  bien  que  l'enfantement 
n'auroitpu  avoir  lien,  s'il  n'y  avoit  pas  eu  de  relations  avec  un  homme. 


GAPUT  XIV. 

De  enunliatione  hypothetica  et  de  tribus  spe- 
ciebus  ejus. 

Restât  nunc  dicere  de  enuntiationibus 
hypotheticis,  seu  suppositivis,  quod  idem 
est.  Diflinitur  autem  enuntiatio  hypothetica 
sic.  Enuntiatio  hypothetica  est  quee  habet 
duas  categoricas  principales  partes  sui,  ut 
Si  homo  currit,  homo  movetur  :  patet 
quod  haec,  homo  currit,  est  una  enuntiatio 
categorica,  et  illa,  homo  movetur,  est  al- 
téra. Et  dico  principales  partes,  quia  ter- 
mini  sunt  principales  partes  propositionis 
categoricae,  non  tamen  sunt  principales 
partes  propositionis  hypotheticae,  sed  re- 
motae,  sicut  lapides  sunt  partes  domus  re- 
motae,  et  in  hoc  differt  enuntiatio  hypo- 


thetica ab  enuntiatione  categorica.  Nam 
principales  partes  categoricae  sunt  ter- 
mini  :  principales  autem  partes  hypothe- 
ticae sunt  duae  categoricae.  Alia  etiam 
differentia  est  inter  propositiones  catego- 
ricas et  hypotheticas.  Nam  in  categorica 
subjectum  suscipit  nomen  prœdicati.  Cum 
emm  dicitur  homo  est  animal,  homo  reci- 
pit  nomen  animalis,  cum  homo  dicatur  esse 
animal.  Non  autem  sic  in  hypotheticis  : 
quia  unum  de  altero  non  praedicatur  :  sed 
tantum  aliquid  dicitur  esse,  si  alterum  fue- 
rit.  Verbi  gratia.  Cum  dicitur  si  peperit, 
cum  viro  concubuit  :  non  est  sensus,  quod 
parère  sit  cum  viro  concubere  :  sed  est 
sensus,  quod  partus  esse  non  potuisset,  nisi 
cum  viro  concubuisset.  Similiter  etiam 
cum  dicimus,  si  homo  est,  animal  est  :  non 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aIUSTOTE.  253 

De  même  lorsque  nous  disons,  s'il  est  homme  ,  il  est  animal ,  le  sens 
n'est  pas  que  l'homme  est  animal,  mais  bien  que  si  une  chose  est 
homme ,  il  est  nécessaire  que  cette  chose  soit  animal .  Or  la  proposition 
hypothétique  se  divise  en  trois  espèces ,  l'une  conditionnelle ,  l'autre 
disjonctive  et  la  troisième  copulative.  La  conditionnelle  est  celle  dans 
laquelle  deux  propositions  catégoriques  sont  unies  par  .cette  conjonc- 
tion si,  comme,  s'il  est  homme,  il  est  animal;  or  cette  conditionnelle 
peut  s'opérer  tant  du  côté-  du  sujet  que  du  côté  du  prédicat.  Du  côté 
du  sujet,  comme  si  l'on  dit,  si  l'homme  ne  court  pas  ,  et  du  côté  du 
prédicat,  comme  si  l'on  dit,  si  l'homme  court,  l'homme  se  meut.  La 
première  proposition  ou  énonciation  catégorique  qui  se  trouve  dans 
ces  énonciations  hypothétiques,  s'appelle  antécédent  ;  la  seconde  con- 
séquent, et  pour  cette  raison,  conséquence.  Les  rationnelles  sont  ame- 
nées à  la  conditionnelle,  comme,  Socrate  est  homme,  donc  Socrate  est 
animal.  Il  en  est  de  même  delà  causale,  comme,  parce  que  Socrate  est 
homme,  Socrate  est  animal  ;  de  toute  proposition  temporelle,  comme, 
quand  Socrate  est  homme,  Socrate  est  animal,  et  toutes  les  autres  de 
ce  genre.  Il  faut  observer  que  Hamonius  établit  une  double  hypothèse, 
l'une  quand  on  suppose  quelque  chose  d'impossible,  laquelle  entraîne 
nécessairement  quelque  autre  chose  impossible.  Par  exemple,  supposé 
que  quatre  soit  trois,  le  nombre  quatre  sera  un  nombre  impair.  Il  est 
constant,  en  effet,  que  l'hypothèse  suppose  l'impossible,  et  amène 
l'impossible ,  et  l'impossible  est  une  conséquence  nécessaire  pendant 
la  durée  de  l'hypothèse.  On  peut  comprendre  parla  que  la  condition- 
nelle peut  êlre  vraie  et  ses  deux  parties  fausses  néanmoins.  C'est  pour- 
quoi cette  proposition  est  vraie,  si  l'homme  est  un  âne,  l'homme  est 
susceptible  de  braire,  cependant  chacune  des  catégoriques  est  fausse. 
La  seconde  hypothèse  a  lieu  quand  on  dit  qu'une  chose  est  ou  n'est 


est  sensus  quod  homo  sit  animal,  sed  est 
sensus  :  quod  si  aliqua  res  est  homo,  ne- 
cesse  est  quod  aliqua  res  sit  animal  :  Divi- 
dilur  autem  propositio  hypothetica  in  très 
species  :  quia  qusedam  est  conditionalis, 
quaedam  disjunctiva,  et  quaedam  copula- 
tiva.  Conditionalis  est  illa  in  qua  conjun- 
guntur  duae  propositiones  catégories  per 
hanc  conjunctionem  si,  ut  si  homo  est, 
animal  est,  haec  autem  conditionalis  potest 
fieri  tam  ex  parte  subjecti  qnam  ex  parte 
prœdicati.  Ex  parte  subjecti,  ut  si  dicatur, 
si  homo  non  currit ,  ex  parte  vero  praedi- 
cati,  ut  si  dicatur  :  si  homo  currit ,  homo 
movetur.  Prima  autem  propositio,  sive 
enuntiatio  categorica  quae  est  in  his  enun- 
tiationibus  hypotheticis,  dicitur  antece- 
dens.  Secunda  vero  dicitur  consequens,  et 
propter  hoc  dicitur  consequentia.  Ad  con- 
ditionalem  autem   reducuntur  rationales, 


ut  Sortes  est  homo,  ergo  Sortes  est  ani- 
mal. Et  omnis  causalis  :  ut  quia  Sortes  est 
homo,  Sortes  est  animal  :  et  temporalis,  ut 
quando  Sortes  est  homo,  Sortes  est  ani- 
mal, etomneshujusmodi.  Notandum,  quod 
Hamonius  ponit  duplicem  hypothesin,  una 
est  quando  supponitur  aliquod  impossibile, 
ad  quod  tamen  necessario  sequitur  aliud 
impossibile.  Verbi  gratia.  Supposito  quod 
quatuor  sint  tria  :  quaternarius  numerus 
erit  impar.  Constat  enim  quod  hypothesis 
supponit  impossibile,  et  impossibile  subin- 
fert  :  tamen  stanle  hypothesi  necessario 
infertur.  Ex  quo  potest  intelligi ,  quod  si 
conditionalis  potest  esse  vera,  et  tamen 
ambœ  ejus  partes  sunt  falsae.  Unde  ista  est 
vera,  si  homo  est  asinus  :  homo  est  rudibi- 
lis,  tamen  utraque  categoricarum  est 
falsa.  Secunda  vero  hypothesis  est  quod 
quandoque  aliquid  dicitur  esse,  vel  non 


254  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    9,    CHAPITRE    14. 

pas ,  si  une  autre  chose  a  été  ou  n'a  pas  été  rcomme  s'il  est  homme , 
il  est  animal,  ou  s'il  est  homme,  il  n'est  pas  une  pierre.  On  peut  com- 
prendre par  ce  que  nous  venons  de  dire  que  la  vérité  de  renonciation 
hypothétique  se  trouve  dans  la  conséquence  des  termes  qui  sont  dans 
le  conséquent ,  relativement  aux  termes  qui  sont  dans  l'antécédent, 
parce  que  en  effet  animal  suit  nécessairement  de  l'homme  :  il  est  cer- 
tain que  tout  ce  qui  sera  homme  sera  animal.  Et  si  se  mouvoir  est 
une  suite  de  courir,  il  s'ensuit  que  tout  ce  qui  court  se  meut.  Si  donc 
il  est  homme,  il  est  animal,  et  s'il  court,  il  se  meut.  Donc  le  mouve- 
ment sera  attribué  à  tout  ce  à  quoi  on  attribuera  la  course  avec  vérité 
ou  avec  fausseté.  C'est  pourquoi  cette  proposition  est  vraie,  si  l'im- 
mobile court ,  l'immobile  se  meut.  C'est  pour  cela  que  l'on  dit  que 
pour  qu'elle  soit  vraie  il  faut  que  l'antécédent  ne  puisse  être  vrai  sans 
le  conséquent,  parce  qu'il  y  a  des  rapports  tellement  nécessaires  entre 
l'antécédent  et  le  conséquent ,  qu'il  en  est  du  conséquent  comme  de 
l'antécédent.  S'il  en  étoit  autrement,  si  par  exemple  l'antécédent  étoit 
vrai  et  le  conséquent  faux ,  la,  conséquence  seroit  fausse  ,  parce  que 
le  terme  placé  dans  le  conséquent  n'auroit  pas  une  liaison  nécessaire 
avec  le  terme  placé  dans  l'antécédent,  comme  ici,  si  l'homme  est  blanc, 
l'homme  est  musicien,  il  est  certain  que  cette  proposition  est  fausse, 
car  la  qualité  de  musicien  ne  suit  pas  de  la  qualité  de  blanc.  Il  s'en- 
suit de  là  que  toute  conditionnelle  vraie  est  nécessaire,  et  que  toute 
conditionnelle  fausse  est  impossible ,  parce  que  ,  comme  il  a  été  dit , 
le  terme  du  conséquent  suit  nécessairement  le  terme  de  l'antécédent. 
Nous  dirons  de  quelle  manière  la  conditionnelle  est  diversifiée  par 
l'affirmation  et  la  négation,  lorsque  nous  traiterons  des  syllogismes 
hypothétiques.  La  distinct' ve  est  celle  dans  laquelle  deux  énonciations 
catégoriques  sont  unies  par  les  conjonctions  de  l'espèce  distinctive, 

esse ,  si  quid  fuerit ,  vel  non  fuerit,  ut  si  I  antecedens  :  quod  sicut  se  habet  antece- 
homo  est,  animal  est,  vel  si  homo  est,  |  dens, itase  habet consequeus.  Si  vero aliter 
lapis  non  est.  Ex  dictis  potest  patere,  quae  •  se  haberet  scilicet  quod  antecedens  esset 
veritas  enuntiationis  hypotheticae  est  in  |  verum,  et  consequens  falsum  :  falsa  esset 
consequentia  terminorum  qui  sunt  in  con-  ■  consequentia ,  quia  terminus  in  conse- 
sequente  :  ad  terminos  qui  sunt  in  antece-  quente  positus  non  necessariam  haberet 
dente,  quia  enim  animal  necessario  sequi-  ]  connexionem  cum  termino  posito  in  ante- 
tur  ad  hominem  :  certum  est  quod  quic-  i  cedente,  ut  hic  :  si  homo  est  albus  :  homo 
quid  fuerit  homo,  erit  animal  :  et  si  ad  ■  est  musicus,  certum  est  quod  hsec  falsa 
currere  sequitur    moveri,  sequitur  ergo    est,  non  enim  necessario  ad  album  sequitur 


quod  quicquid  currit  movetur.  Si  ergo  est 
homo,  est  animal ,  et  si  currit  movetur. 
Cuicumque  ergo  vere,  vel  false  attribuetur 
currere,  attribuetur  et  moveri.  Unde  ista 
est  vera  :  si  immobile  currit  immobile 
movetur.  Et  propter  hoc  dicitur,  quod  ad 
veritatem  ejus  requiritur  quod  antecedens 
non  possit  esso  verum  sine  conséquente , 
quia  tanta  est  nécessitas  consequentis  ad 


musicum.  Et  inde  est  quod  omnis  condi- 
tionalis  vera  est  necessaria,  et  omnis  falsa 
est  impossibilis,  quia  ut  dictum  est,  ter- 
minus consequentis  necessario  sequitur  ter- 
minum  antecedentis.  Qualiter  autem  con- 
ditionalis  varietur  per  affirmationem ,  et 
negationem,  dicetur,  cum  de  syllogismis 
hypotheticis  agetur.  Disjunctiva  vero  est 
illa  in  qua  conjunguntur  duœ  enuntiatio- 


SUR   LA   LOGIQUE   D'ARISTOTE.  255 

comme  ici ,  l'animal  ou  est  sain,  ou  il  est  malade.  La  vérité  de  cette 
énonciation  consiste  en  ce  que  si  on  met  une  chose  il  faut  exclure 
l'autre ,  et  que  si  l'on  exclut  une  chose  on  prenne  l'autre.  D'où  l'on 
voit  que  cette  proposition,  ou  il  est  malade,  a  la  même  valeur  que 
cette  conditionnelle  ,  s'il  n'est  pas  sain  il  est  malade.  Et  quoique  ce 
soit  vrai  dans  la  matière  précédente,  ces  deux  propositions  ne  sont  pas 
également  vraies  dans  toute  matière,  car  la  conditionnelle  niée  d'une 
part  et  affirmée  de  l'autre  se  trouve  sauve  dans  les  contradictoires , 
les  contraires  et  les  disparates,  et  elle  sera  toujours  vraie.  En  eflet, 
celle-ci  est  vraie ,  s'il  est  blanc ,  il  n'est  pas  noir  ,  néanmoins  celle-ci 
est  fausse ,  ou  il  est  blanc  ou  il  est  noir ,  car  il  pourroit  y  avoir  quel- 
que chose  qui  ne  seroit  ni  blanc  ni  noir.  Il  en  est  de  même  des  propo- 
sitions disparates.  En  effet  la  disjonctive  diffère  de  telle  conditionnelle  ; 
c'est  pourquoi  afin  que  la  disjonctive  soit  vraie,  il  faut  qu'elle  soit  de 
telle  matière  dans  laquelle  une  chose  est  posée  d'une  manière  absolue 
et  une  autre  exclue  de  la  même  manière,  ou  vice  versa,  c'est  pour 
cela  qu'il  est  nécessaire  pour  qu'elle  soit  vraie  que  son  autre  partie 
soit  vraie.  Et  si  l'une  et  l'autre  de  ces  deux  parties  étoit  vraie  ,  ou 
fausse  ,  renonciation  disjonctive  seroit  fausse.  L'énonciation  copula- 
tive  est  celle  dans  laquelle  deux  énonciations. catégoriques  sont  unies 
par  la  conjonction  copulative,  comme  Socrate  court  et  se  meut;  dans 
cette  énonciation  il  n'est  mis  aucune  condition,  mais  seulement  une 
conjonction  de  renonciation  ;  et  comme  une  conjonction  copulative 
doit  toujours  unir  des  choses  semblables ,  si  l'antécédent  est  vrai , 
il  faut  nécessairement  que  le  conséquent  le  soit ,  et  réciproquement. 
On  voit  ainsi  quels  sont  les  rapports  des  énonciations  hypothétiques  à 
la  vérité.  Caria  conditionnelle  peut  être  vraie  quoique  ses  deux  parties 
soient  fausses.  La  disjonctive  est  vraie  quoique  une  de  ses  parties  soit 


nés  catégories ,  per  coujunctiones  speciei 
disjunctivee,  ut  hic,  animal  aut  est  sanum 
aut  est  aegrum.  Veritas  autem  praedictae 
enuntiationis  est ,  quod  si  unum  ponitur , 
alterum  removetur,  et  si  unum  removea- 
tur,  alterum  sumatur.  Unde  videtur  quod 
tantum  valeat  ista,  aut  est  aegrum  :  quan- 
tum ista  conditionalis,  Si  non  est  sanum 
est  aegrum.  Et  licet  in  prœdicta  materia 
verum  sit,  tamen  non  semper  in  omni  ma- 
teria istae  duœ  sibi  asquipollent  in  veritate. 
Nam  conditionalis  ex  una  parte  negata,  et 
ex  altéra  affirmata  salvatur  in  contradicto- 
riis,  contrariis,  et  disparatis,  et  erit  sem- 
per vera.  Vera  enim  est  ista,  si  est  album 
non  est  nigrum ,  ista  tamen  est  f alsa ,  aut 
est  album  aut  est  nigrum,  posset  enim  ali- 
quid  esse  quod  nec  album  esset,  nec  nigrum  : 
et  sic  etiam  est  de  disparatis.  Differt  enim 
disjunctiva  a  tali  conditionali.  Unde  ad  ve- 


ritatem  disjunctive  requiritur  quod  de  tali 
materia  sit,  in  qua  unum  omnino  ponatur, 
et  alterum  removeatur  :  vel  econverso,  et 
propter  hoc  ad  ejus  veritatem  requiritur 
quod  altéra  ejus  pars  sit  vera.  Et  si  utra- 
que  pars  ejus  erat  vera,  vel  falsa ,  ipsa 
enuntiatio  disjunctiva  erit  falsa.  Copulativa 
vero  enuntiatio  est  illa  in  qua  conjungun- 
tur  dure  enuntiationes  catégories  per 
conjunctionem  copulativam,  ut  Sortes  cur- 
rit,  et  movetur;  in  ista  enuntiatione  nulla 
ponitur  conditio ,  sed  solum  conjunctio 
enuntiationis.  Et  quia  copulati\a  conjunc- 
tio semper  débet  similia  copulare,  siante- 
cedens  erit  verum,  etiam  consequens  ne- 
cesse  est  quod  sit  verum  et  econverso.  Et 
sic  patet  qualiter  dictas  enuntiationes  hy- 
pothetiese  se  habent  ad  veritatem.  Nam 
conditionalis  potest  esse  vera  :  utraque  ejus 
parte  existente   falsa.  Disjunctiva  est  vera 


256  OPUSCULE    Y.LVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    1. 

fausse.  Quant  à  la  copulative  ,  par  cela  même  qu'elle  est  vraie  ,  ses 
deux  parties  doivent  l'être  nécessairement;  tel  est  ce  qui  regarde  les 
énonciations  hypothétiques.  On  parlera  en  traitant  des  syllogismes 
hypothétiques  de  ce  qui  aura  été  omis  à  leur  sujet. 

Fin  du  traité  de  renonciation. 


TRAITE  X. 

DU   SYLLOGISME   SIMPLICITER. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Ce  que  c'est  que  le  syllogisme ,  ce  qui  doit  entrer  dans  sa  constitution. 

Nous  allons  parler  maintenant  de  la  troisième  partie ,  c'est-à-dire 
des  choses  qui  appartiennent  à  la  troisième  opération  de  l'intellect. 
Quoique  en  effet ,  comme  l'a  dit  Socrate  ,  on  suppose  deux  opérations 
de  l'intellect,  savoir,  l'intelligence  des  choses  simples  et  l'opposition 
ou  division ,  on  en  ajoute  néanmoins  une  troisième  qui  est  le  discours 
d'une  chose  composée  ou  divisée  à  une  autre  ,  ce  qui  se  fait  par  l'ar- 
gumentation. Or  l'argumentation  est  l'expression  significative  de  l'o- 
pération discursive  de  la  raison  allant  du  connu  à  l'inconnu ,  ou  du 
plus  connu  au  moins  connu.  Il  y  a  quatre  espèces  d'argumentation, 
savoir,  le  syllogisme,  l'euthymème,  l'induction  et  l'exemple.  Peu  im- 
porte que  cette  division  soit  du  genre  en  ses  espèces,  ou  de  l'analogue 


una  ejus  parte  existente  falsa.  Gopulativa 
vero  ad  hoc  quod  sit  vera  :  utraque  ejus 
pars  necessario  débet  esse  vera,  et  sic  pa- 
tet  de  enuntiationibus  bypotheticis.  Siqui- 


dem  autem   hoc  de   ipsis  omissum  est, 
dicetur  cum  de   syllogismis   hypotheticis 
agetur,  etc. 
De  enuntiatione  tractatus  féliciter  finis. 


TRACTATIS  X. 

De  syllogismo  simpliciter. 


CAPUT  I. 

Quid  sil  syllogismus ,    et  quœ  ad  ipsum  re- 
quirunlur  conslituendum. 

Modo  dicendum  est  de  tertia  parte,  vi- 
delicet  de  his  quae  pertinent  ad  tertiam 
operationem  inteîlectus,  licet  enim,  ut  dic- 
tum  est  à  Philosopho,  ponantur  duse  (  ope- 
rationes  inteîlectus,  scilicet  simplicium  in- 
telligentia,  et  oppositio,  vel  divisio,  tamen 


additur  tertia  operatio  quœ  est  discursus 
ab  uno  composito,  vel  diviso  ad  aliud  : 
hoc  autem  sit  per  argumentationem.  Est 
autem  argumentatio  oratio  signifîcativa 
discursus  rationis  ab  uno  cognito  ad  aliud 
incognitum,  vel  a  magis  incognito  ad  mi- 
nus cognitum.  Sunt  autem  argunientatio- 
nis  quatuor  species,  scilicet  syllogismus, 
entbimema,  inductio,  et  exeinplum.  Sive 
haec  divisio  sit  generis  in  suas  speeies,  vel 


SLR   LA    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  257 

en  ses  analogues.  Et  comme  la  plus  parfaite  est  le  syllogisme  auquel 
se  ramènent  les  autres  espèces  d'argumentation,  c'est  de  lui  que  nous 
allons  parler.  Voici  la  définition  du  syllogisme.  Le  syllogisme  est  un 
discours  dans  lequel  certains  principes  étant  posés  et  accordés,  il  doit 
suivre  un  résultat  par  ce  qui  a  été  posé  et  accordé.  Discours  ici  est  le 
genre  du  syllogisme  ,  car,  comme  il  a  été  dit  dans  le  traité  de  renon- 
ciation ,  rien  n'empêche  qu'il  y  ait  pluralité  dans  le  discours  et  unité 
comme  dans  le  syllogisme.  En  disant ,  certains  principes  posés ,  elle 
touche  les  propositions  du  syllogisme  lui-même  ;  en  disant  qu'î7  doit 
nécessairement  s'ensuivre  un  résultat ,  elle  touche  la  conclusion.  C'est 
pourquoi  il  faut  savoir  ce  que  c'est  que  la  proposition.  La  proposition, 
dans  le  sens  où  elle  se  prend  ici,  est  une  énonciation  qui,  étant  posée, 
en  entraîne  une  autre.  Car  toute  énonciation  n'est  pas  une  proposition, 
il  n'y  a  de  telle  que  celle  qui  est  posée  dans  quelque  espèce  d'argu- 
mentation ,  de  laquelle  dérive  une  conclusion.  Par  exemple,  lorsqu'on 
dit ,  tout  homme  est  animal ,  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est 
homme,  donc  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  animal.  Ces  mots, 
tout  homme  est  animal ,  sont  une  proposition ,  de  même  ceux-ci ,  tout 
ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  homme  ;  elles  sont  posées  pour  en 
déduire  celle-ci ,  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  animal.  Celle- 
ci,  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  animal,  quoiqu'elle  soit  une 
énonciation  ,  puisqu'elle  a  des  termes  ,  n'est  cependant  pas  une  pro- 
position. Or  le  terme  est  ce  en  quoi  se  résout  la  proposition  ,  comme 
le  sujet  et  le  prédicat.  En  effet,  lorsque  je  dis  ,  l'homme  est  animal , 
homme  est  le  terme  qui  est  appelé  sujet ,  animal  est  le  terme  qui  est 
appelé  prédicat.  Il  est  bon  de  savoir  que  ,  bien  que  la  proposition  soit- 
composée  de  termes  en  lesquels  elle  se  résout,  ce  n'est  pas  néanmoins 


analogi  in  sua  analogata,  nihil  ad  proposi- 
tion. Et  quia  syllogismus  perfectior  est 
omnibus  aliis,  ad  quem  alise  species  argu- 
mentations reducuntur,  sicut  imperfectum 
ad  perfectum,  ideo  de  ipso  dicendum  est. 
Diflinitur  autem  syllogismus  sic.  Syllogis- 
mus est  oratio  in  qua  quibusdam  positis,  et 
concessis  necesse  est  aliud  evenire  per  ea 
quae  posita  sunt,  et  eoncessa.  Oratio  hic  est 
genus  syllogismi ,  ut  enim  in  tractatu  de 
enuntiatione  dictum  est,  nihii  prohibet 
orationem  esse  plures,  et  unam  cujusmodi 
est  ia  syllogismo.  In  hoc  autem  quod  dicit 
quibusdam  positis,  tangit  propositiones  ip- 
sius  syllogismi.  Per  hoc  quod  dicit,  necesse 
est  aliud  evenire,  tangit  conclusionem. 
Unde  oportet  scire  quid  est  propositio.  Est 
autem  propositio,  ut  hic  sumitur  enuntia- 
tio,  qua  posita  ad  eam  aliquid  sequitur. 
Non  enim  omnisenuntiatio,  est  propositio  : 

T. 


sed  solum  illa  quee  pouitur  in  aliqua  specie 
argumentationis,  ad  quam  sequitur  con- 
clusio.  Verbi  gratia.  Cum  dicitur  omnis 
homo  est  animal,  omne  risibile  est  homo, 
ergo  omne  risibile  est  animal,  ista  omnis 
homo  est  animal  :  est  propositio,  et  simi- 
li ter  illa  omne  risibile  est  homo  :  propo- 
nuntur  enim  ut  ad  eas  sequatur  illa,  omne 
risibile  est  animal.  Ha?c  autem  omne  risi- 
bile est  animal ,  licet  sit  enuntiatio ,  con- 
stat enim  ex  terminis,  non  tamen  est  pro- 
positio. Est  autem  •  terminus  in  quem 
resolvitur  propositio,  utsubjectum,  et  prae- 
dicatum.  Cum  enim  dico,  homo  est  ani- 
mal, homo  est  terminus  qui  dicitur  subjec- 
tum,  animal  est  terminus  qui  dicitur 
praedicaturn.  Sciendum  quod  licet  proposi- 
tio ex  terminis  componatur,  et  in  eis  resol- 
vatur,  non  tamen  in  diffinitione  termini 
pouitur  compositio  propositions,  sed  reso- 

17 


258  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    1. 

dans  la  définition  du  terme  que  se  place  la  composition  de  la  propo- 
sition, mais  bien  la  résolution  dont  elle  est  cause.  Car,  comme  le  dit 
Boëce  dans  sa  Topique,  la  logique  a  deux  parties,  savoir,  la  partie 
inventive  et  la  partie  judicative.  L'invention  est  l'imagination  des 
choses  vraies  ou  vraisemblables,  qui  rendent  probable  l'autre  partie 
de  la  contradiction.  Le  probable  est  ce  qui  est  regardé  comme  tel  par 
tous  les  hommes ,  ou  par  un  grand  nombre ,  ou  par  les  sages ,  et  sur- 
tout par  ceux  qui  sont  les  plus  connus.  Cette  partie  de  la  logique  a 
deux  livres ,  savoir,  Topicorum  et  Elenchorum.  Le  jugement,  dans  le 
sens  où  il  est  pris  ici ,  est  la  juste  détermination  de  la  raison  dans  les 
choses  auxquelles  se  rapporte  le  jugement.  Or  la  raison  opère  une 
détermination  juste  ,  quand  elle  résout  les  principes  en  principiata , 
et  par  conséquent  la  science,  qui  est  la  juste  détermination  des 
choses  susceptibles  d'être  sues  ,  s'effectue  par  les  causes  ,  c'est-à-dire 
lorsque  la  raison  résout  causata  in  causas;  aussi  cette  partie  de  la 
logique  ,  c'est-à-dire  la  partie  judicative  ,  est  appelée  analytique  ou 
résolutive,  parce  qu'elle  résout  principiata  in  principia.  Cette  partie 
de  la  logique  a  aussi  deux  livres ,  savoir,  priorum  et  posteriorum.  Et 
parce  que  nous  avons  en  vue  ici  la  matière  du  livre  priorum  ,  nous 
définissons  le  terme  par  la  résolution  de  la  proposition.  Or  le  sujet  est 
ce  dont  on  affirme  quelque  chose.  Le  prédicat  est  ce  qui  est  affirmé 
d'une  autre  chose ,  soit  que  ce  soit  une  affirmation  de  l'esprit ,  de  la 
raison  ,  de  la  bouche  ou  de  la  voix.  Le  terme  est  ainsi  appelé  ,  parce 
qu'il  termine  la  proposition  de  telle  sorte  qu'elle  ne  va  pas  plus  loin. 
Nous  ne  parlerons  dans  ce  traité  que  du  syllogisme  simpliciter.  Or  le 
syllogisme  simpliciter  est  celui  dans  lequel  on  ne  considère  pas  la 
matière  dans  laquelle  s'effectue  tel  ou  tel  syllogisme  ,  c'est-à-dire  si 
telle  matière  est  probable  ou  nécessaire  ,  mais  où  l'on  considère  seu- 


lutio  hujus  causa  est.  Nanti  logica,  ut  Boe- 
tius  in  sua  Topica  dicit,  duas  hahet  partes, 
scilicet  inventivam,  et  judicativam.  Estau- 
tem  inventio  excogitatio  rerurn  verarum , 
aut  verisimilium ,  quae  alteram  partem 
contradictionis probabilem  redduat.  Proba- 
ble autem  est  quod  videtur  omnibus  aut 
pluribus  aut  sapientibus,  et  his  scilicet  sa- 
pientibus, dut  omnibus  aut  pluribus  ma- 
xime notis.  Huic  autem  parti  logicae  de- 
serviunt  duo  libri  :  scilicet  Topicorum,  et 
Elenchorum.  Indicium  autem  ut  hicsumi- 
tur,  est  recta  determinatio  rationis,  in  his 
quorum  est  judicium.  Recte  autem  déter- 
minât ratio  quando  principiata  resolvit  in 
principia.  Et  ideo  scientia  quse  est  recta 
determinatio  scibilium  est  per  eau 
licet  cum  ratio  resolvit  causotain  causas  : 
et  propterea  haec  pars  logica?,  scilicet  judi- 


cativa  dicitur  analytica,  seu  resolutoria, 
quia  resolvit  principiata  in  principia.  Huic 
autem  parti  logicae  deserviunt  duo  libri, 
scilicet  Priorum,,  et  Posteriontm.  Et  quia 
de  inateria  libri  priorum  hjc  intendimus, 
ideo  hic  diffînitur  terminus  per  resolutio- 
nem  propositions.  Est  autem  subjeetum  de 
quo  aliquid  dicitur.  Preedicatum  vero 
quod  de  altero  dicitur,  seu  sit  dicere  men- 
tis, vel  rationis,  seu  sit  oris,  vel  vocis.  Di- 
citur autem  terminus  eo  quod  sic  per  ip- 
snm  terminatur  propositio,  quod  non 
ultra  progreuitur.  In  hoc  autem  tractatu  di- 
cemus  de  syllogismo  simpliciter.  Est  autem 
syllogismus  simpliciter,  in  quo  non  consi- 
deratur  materia  in  qua  talis  vel  talis  syllo- 
gismus sit .  id  est  non  consideratur  utrum 
talis  materia  sit  probabilis,  vel  necessaria, 
sed    soluiii    consideratur   svllr^ismus    ad 


.Y 


SLR   LA    LOGIQUE    D'iRlSTOTE.  259 

lement  le  syllogisme  relativement  à  son  ordination  ;  or  dans  toiite 
matière,  quand  les  prémisses  sont  vraies  ou  probables,  la  conclusion 
est  toujours  vraie  ou  probable.  Que  cet  ordre  soit  bon  ,  on  le  prouve 
par  deux  principes  connus  par  eux-mêmes.  J'appelle  principes  ici  des 
propositions  connues  par  elles-mêmes.  Or  ces  principes  sont  dici  de 
omni  et  dici  de  nullo.  Dici  de  omni ,  c'est  ne  rien  prendre  clans  le 
SLijet  qui  ne  reçoive  l'affirmation  du  prédicat  ;  dici  de  nullo  ,  c'est  ne 
rien  prendre  dans  le  sujet  qui  n'exclue  le  prédicat  ;  mais  nous  en  par- 
lerons plus  tard  plus  au  long.  Il  faut  savoir  que ,  comme  les  syllo- 
gismes sont  variés  par  diverses  figures  ,  ainsi  qu'on  le  dira  plus  bas  , 
il  s'ensuit  que  quelques  syllogismes  ne  peuvent  pas  se  prouver  immé- 
diatement par  les  deux  principes  susdits ,  et  en  conséquence  ces 
syllogismes  ont  besoin  d'un  autre  principe  par  lequel  ils  puissent  être 
ramenés  à  dici  de  omni ,  ou  à  dici  de  nullo.  Voici  ce  principe.  Quand 
de  l'opposé  du  conséquent  on  déduit  l'opposé  de  l'antécédent  de  la 
première  conclusion,  alors  la  première  conséquence  a  été  bonne. 
C'est  pourquoi  tous  les  syllogismes  où  l'on  ne  peut  pas  exactement 
conserver  dici  de  omni  ou  dici  de  nullo,  sont  ramenés  par  ce  troisième 
principe  à  la  forme  dans  laquelle  se  conserve  dici  de  omni  ou  dici  de 
nullo.  Cette  réduction  est  appelée  par  quelques  philosophes  par  l'im- 
possible ;  Aristote  la  désigne  par  le  syllogisme  conversif.  Ces  syllo- 
gismes, sont  aussi  ramenés  aux  deux  principes  dont  nous  avons  parlé 
par  la  conversion  des  propositions.  Mais  comme  on  ne  peut  prouver 
la  bonté  de  ces  conversions  que  par  le- troisième  principe,  il  faut  donc 
dire  que  ces  syllogismes  ne  sont  ramenés  aux  deux  principes  qu'en 
vertu  du  troisième  principe.  Nous  allons  dire  comment  se  font  ces 
conversions  ,  et  comment  leur  bonté  se  prouve  par  le  troisième  prin- 


suamordinationem,  in  omni  autem  mate- 
ria  existentibus  veris,  vel  probabilibus  pra> 
missis  semper  sequitur  conclusio  vera  vel 
probabilis.  Quod  autem  talis  ordinatio  sit 
bona ,  probatur  per  duo  principia  per  se 
nota.  Dico  autem  principia  hic  primas  pro- 
positions per  se  notas.  Heec  autem  princi- 
pia sunt  dici  de  omni  et  dici  de  nullo.  Est 
autem  dici  de  omni ,  quando  nihil  est  su- 
mere  sub  subjecto ,  de  quo  non  dicatur 
prœdicatum.  Dici  vero  de  nullo  est,  quan- 
do nihil  est  sumere  sub  subjecto,  a  quo 
non  removeatur  preedieatum,  de  his  autem 
ini'erius  melius  dicetur.  Sciendum ,  quod 
quia  syllogismi  variantur  per  diversas  fi- 
guras, ut  infra  dicetur,  ideo  aliqui  syllo- 
gisir.i  non  possunt  immédiate  probari  per 
dicta  duo  principia,  et  propterea  taies  syl- 
logismi  indigent  uno  alio  principio,  per 
quod  possunt  reduci  ad  dici  de  omni  vel 


ad  dici  de  nullo.  Hoc  autem  principium 
est.  Quando  ex  opposito  consequentis  in- 
fertur  oppositum  antecedentis  primai  con- 
clusionis,  tune  prima  consequentia  fuit 
bona.  Unde  omnesilli  syllogismi,  in  quibus 
non  potest  recte  salvari  dici  de  omni  vel 
dici  de  nullo,  cum  dicto  tertio  principio 
reducuntur  ad  formam  in  qua  salvatur 
dici  de  omni  vel  dici  de  nullo  ;  et  hœc  re- 
ductio  vocatur  ab  aliquibus  per  impossi- 
ble, a  Philosopho  vero  per  syllogismum 
conversivum.  Similiter  etiam  reducuntur 
praedicti  talis  syllogismi  ad  praedicta  duo 
principia  per  conversionem  propositionurn. 
Sed  quia  conversiones  non  pronantur  esse 
bona;,  nisi  per  tertium  principium,  ideo 
dicendum  est ,  qui  syllogismi  reducuntur 
ad  illa  duo  principia  solum  in  virtute 
tertii  principii.  Qualiter  autem  liant  con- 
vei-siones,  et  per  dictum  tertium  princi- 


200  OPUSCULE    XL  VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    2. 

cipe  :  nous  nous  occuperons  d'abord  des  propositions  de  inesse  ,  et 
ensuite  des  propositions  modales. 

CHAPITRE  II. 

De  la  conversion  des  propositions  de  inesse,  et  de  ses  espèces. 

La  conversion  des  propositions  ,  comme  on  l'entend  ici,  consiste  à 
faire  du  sujet  le  prédicat ,  et  du  prédicat  le  sujet ,  de  telle  sorte  que  la 
proposition  convertie  étant  vraie,  celle  en  laquelle  elle  a  été  convertie 
se  trouve  également  vraie.  Par  exemple,  cette  proposition,  tout 
homme  est  animal ,  si  on  la  convertit  en  cette  autre ,  tout  animal  est 
homme ,  on  fait  bien  du  prédicat  le  sujet,  et  du  sujet  le  prédicat, 
néanmoins  la  première  proposition  est  vraie  et  la  seconde  fausse  ,  par 
conséquent  cette  conversion  n'est  pas  bonne.  Or  il  y  a  dans  les  propo- 
sitions des  termes  finis  dont  nous  nous  occupons  ici  une  double  con- 
version, savoir,  une  conversion  simple  et  une  conversion  per  accidens. 
On  appelle  conversion  simple  celle  dans  laquelle  on  fait  du  prédicat 
le  sujet,  et  du  sujet  le  prédicat ,  la  seconde  proposition  restant  dans 
la  même  qualité  et  quantité  que  la  première.  11  y  a  conversion  par 
accident  quand  du  sujet  on  fait  le  prédicat  et,  réciproquement,  la 
qualité  de  la  proposition  restant  la  même ,  tandis  que  la  quantité  est 
changée.  C'est  de  la  première  manière  que  se  convertissent  les  propo- 
sitions universelle  négative  et  particulière  affirmative.  L'universelle 
affirmative  et ,  suivant  quelques  philosophes ,  l'universelle  négative 
se  convertissent  de  la  seconde  manière ,  il  n'est  pas  néanmoins  néces- 
saire de  l'établir.  Si  en  effet  de  cette  proposition ,  nul  homme  n'est 
pierre  ,  découle  cette  autre  ,  nulle  pierre  n'est  homme  ,  et  qu'elle  soit 
vraie ,  il  s'ensuit  nécessairement  que  celle-ci ,  quelque  pierre  n'est 


pium  probentur,  dicamus;  et  primo  in 
propositionibus  de  inesse,  deinde  in  propo- 
sitionibus modalibus. 

CAPUT  II. 

De    conversione  propositionum  de  inesse  et 
de  speciebus  ejus. 

Gonversio  autern  propositionum  ,  ut  hic 
sumitur ,  est  facere  de  subjecto  praedica- 
tum,  et  de  praedicato  subjectum ,  ita  quod 
existente  conversa  vera,  etiam  ea  in  quam 
oonvertitur,  sit  vera.  Verbi  gratia  ,  ista 
propositio  :  Omnis  homo  est  animal ,  sic 
convertitur  in  istam  :  Omne  animal  est 
homo,  bene  sit  de  praedicato  subjectum  et 
de  subjecto  praedicatum  ;  tamen  prima 
propositio  est  vera ,  secunda  vero  falsa, 
ideo  talis  conversio  non  est  bona.  Est  au- 


tern in  propositionibus  terminorum  fini— 
torum,  de  quibus  hic  intendimus ,  duplex 
conversio,  scilicet  simplex,  et  per  accidens. 
Dicitur  autem  conversio  simplex  .  quando 
de  praedicato  lit  subjectum  et  de  subjecto 
praedicatum,  manente  secunda  propositione 
in  eadem  qualitate  etquantitate  cum  prima. 
Per  accidens  vero  dicitur,  quando  de  sub- 
jecto fit  prsedicatum ,  et  e  con  verso,  ma- 
nente eadem  qualitate  propositionis  ,  sed 
mutata  quantitate.  Primo  modo  conver- 
tuntur  propositiones ,  universalis  negativa 
et  particularis  afïirmativa.  Secundo  modo, 
convertuntur  universalis  affirmativa,  et  ut 
aliqui  dicunt,  universalis  negativa,  tamen 
non  est  necessarium  hoc  ponere.  Si  enini 
ad  banc  :  Nullus  homo  est  lapis,  sequitur, 
imitas  lapis  est  homo,  et  ista  est  vera,  ne- 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  261 

pas  homme  ,  est  vraie  également.  Car,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut ,  les  universelles  étant  vraies ,  les  particulières  sont  toujours 
vraies,  mais  non  vice  versa.  Commençons  par  la  conversion  simpliciter 
des  universelles  d'abord.  Comme,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  pour 
ces  sortes  de  syllogismes  et  leurs  propositions ,  on  ne  s'occupe  pas  de 
la  matière  ,  nous  nous  servirons  de  termes  transcendants ,  à  la  place 
desquels  on  peut  mettre  quelques  termes  que  ce  soit.  Soit  à  convertir 
cette  proposition  :  aucun  B  n'est  A.  Il  faut  toujours  supposer  que 
pour  B  et  A  on  prend  des  termes  significatifs ,  de  manière  à  varier  la 
proposition ,  comme  si  pour  B  on  prend  homme  et  pierre  pour  A  ;  je 
dis  donc  que  cette  proposition  se  convertit  en  cette  autre  :  aucun  A  n'est 
B,  ce  que  je  prouve  ainsi  par  le  troisième  principe.  Quand  de  l'opposé 
du  conséquent  se  déduit  l'opposé  de  l'antécédent,  la  première  consé- 
quence a  été  bonne,  mais  il  en  est  amsi  dans  l'exemple  proposé. 
Donc  etc....  Lors  donc  que  je  dis,  aucun  B  n'est  A,  donc  aucun  A 
n'est  B,  je  tire  une  conséquence  dont  l'antécédent  est  aucun  B  n'est  A, 
et  le  conséquent  aucun  A  n'est  B.  Voyons  maintenant  si  de  l'opposé 
du  conséquent  se  déduit  vraiment  l'opposé  de  l'antécédent.  Cette  pro- 
position ,  nul  A  n'est  B  qui  est  conséquent ,  peut  avoir  un  double 
opposé ,  savoir  le  contraire  et  le  contradictoire.  Prenons  donc  son 
contradictoire ,  c'est-à-dire  quelque  A  est  B ,  car  la  particulière  affir- 
mative et  l'universelle  négative  sont  contradictoires  :  or  cette  propo- 
sition ,  quelque  A  est  B ,  est  suivie  de  celle-ci ,  quelque  B  est  A ,  ainsi 
que  je  le  prouverai.  Mais  cette  proposition,  quelque  B  est  A,  et  celle 
qui  étoit  antécédent ,  savoir  aucun  B  n'est  A ,  sont  opposées  contra- 
dictoires. Donc  de  l'opposé  du  conséquent  suit  l'opposé  de  l'antécé- 
dent. Donc  la  conséquence  que  nous  appelons  conversion  étoit  bonne. 


cessario  sequitur  hanc  esse  veram,  quidam 
lapis  non  est  homo.  Ut  enim  supradictum 
est,  existentibus  universalibus  veris,  sem- 
per  particu lares  sunt  verae,  licet  non  e  con- 
verso.  Primo  probemus  conversionem  sim- 
pliciter ,  et  primo  universaliuin.  Et  quia, 
ut  dictum  est,  in  talibus  syllogismis  et  eo- 
rum  propositionibus  non  curatur  in  qua 
materia  sint,  ideo  utemur  terminas  trans- 
cendentibus  ,  loco  quorum  possunt  poni 
termini  quicumque.  Sit  ergo  propositio 
convertenda  ista.  Nullum  b.  est  a.  Et  sem- 
per  supponatur  quod  pro  b.  et  pro  a.  su- 
mantur  taies  termini  significativi  qui  fa- 
ciant  propositionem  variam  :  sicut  si  pro 
b.  sumatur  homo,  et  pro  a.  lapis,  dico  ergo 
quod  prœdicta  propositio  convertitur  in 
islam  :  Nullum  a.  est  b.,  quod  probo  per 
dictum  tertium  priueipium  sic.  Quando  ex 
opposito  consequentis  infertur  oppositum 
antecedentis,  prima  consequentia  fuitbona, 


sed  sic  est  in  proposito.  Ergo ,  etc.  Cum 
ergo  dico,  nullum  b.  est  a.,  ergo  nullum  a. 
est  b.,  facio  consequentiam,  cujus  antece- 
dens  est,  nullum  b.  est  a.,  consequens  vero 
est ,  nullum  a.  est  b.,  modo  videamus  si 
ex  opposito  consequentis  infertur  opposi- 
tum antecedentis  vere.  Huic  autem  propo- 
sition!, scilicet  nullum  a.  est  b. ,  quœ  est 
consequens,  potest  esse  duplex  oppositum, 
scilicet  contrarium  et  contradictorium,  su- 
mamus  ergo  contradictorium  ejus,  scilicet 
quoddam  a.  est  b.,  parlicularis  enim  affîr- 
mativa  et  universalis  negativa  sunt  contra- 
dictoriae,  ad  istam  autem ,  scilicet  quod- 
dam a.  est  b.,  sequitur  ista,  scilicet  quod- 
dam b.  est  a.,  ut  probabo  ;  sed  hœc  quod- 
dam b.  est  a.,  et  illaquœ  fuit  antecedens, 
scilicet  nullum  b.  est  a.,  sunt  opposite 
contradictoriœ.  Ergo  ex  opposito  conse- 
quentis sequitur  oppositum  antecedentis; 
prima  ergo  consequentia  quam  vocamus 


262  OPUSCULE    XLMI,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    2. 

Maintenant  il  faut  prouver  comment  cette  proposition  ,  quelque  A  est 
B,  est  suivie  de  cette  autre ,  quelque  B  est  A ,  et  on  le  prouve  par  le 
syllogisme  expositoire.  Mettons  donc  les  propositions  dont  nous  venons 
de  parler  en  termes  significatifs  ;  et  comme  nous  disons  quelque  A  est 
B,  disons  quelque  homme  est  animal,  et  comme  nous  disons  quelque 
B  est  A,  disons  quelque  animal  est  homme.  Prenons  la  première, 
savoir  quelque  homme  est  animal.  Désignons  cet  homme  et  cet  ani- 
mal, car  si  celle-ci ,  quelque  homme  est  animal ,  est  vraie  ,  elle  doit 
être  nécessairement  vraie  dans  un  homme  désigné  ,  comme  Socrate  , 
Platon  ,  et  si  elle  n'est  vraie  dans  aucun  homme  désigné,  elle  ne  sera 
vraie  en  aucune  manière.  Désignons  donc  la  chose  qui  renferme  l'a- 
nimalité et  l'humanité ,  et  appelons-la  Socrate ,  et  étahlissons  ainsi  le 
syllogisme  expositoire  :  Socrate  est  cet  homme ,  Socrate  est  cet 
animal,  donc  cet  animal  est  cet  homme,  et  par  conséquent  quelque 
animal  est  homme,  donc  cette  proposition  quelque  animal  est  homme, 
qui  remplaçoit  celle-ci,  quelque  B  est  A ,  est  suivie  de  celle-ci, 
quelque  A  est  B ,  donc  la  proposition  quelque  A  est  B  est  suivie  de 
celle-ci,  quelque  B  est  A,  et  c'est  précisément  ce  que  nous  voulions 
dire.  On  voit  ainsi  comment  se  fait  la  conversion  de  l'universelle  né- 
gative. La  particulière  affirmative  se  convertit  simplement ,  comme 
quelque  B  est  A,  donc  quelque  A  est  B ,  et  se  prouve  par  le  même 
principe.  Donc  de  l'opposé  du  conséquent  se  déduit  l'opposé  de  l'an- 
técédent. Donc  la  première  conséquence  ou  la  conversion  a  été  bonne. 
Cette  conversion  peut  se  prouver  par  le  syllogisme  expositoire,  comme 
on  l'a  (Ut.  L'universelle  affirmative  se  convertit  per  accidens,  de  cette 
manière  :  tout  B  est  A  ,  quelque  A  est  B ,  et  se  prouve  de  la  même 
manière.  En  effet ,  l'opposé  de  cette  proposition  quelque  A  est  B  est 
celui-ci,  aucun  A  n'est  B  ,  qui  se  convertit  en  cette  autre ,  aucun  B 


conversionem,  fuit  bona.  Nunc  oportet 
probare  quomodo  ad  illam,  quoddam  a.  est 
b.,  sequitur  illa ,  quoddam  b.  est  a.,  hoc 
autem  probatur  per  syllogismum  exposito- 
rium.  Ponam  ergo  propositions  primas  in 
terminis  significativis ,  et  sicut  dicimus, 
quoddam  a.  est  b. ,  dicamus,  quidam  homo 
est  animal,  et  sicut  dicimus ,  quoddam  b. 
est  a.,  dicamus  ,  quoddam  animal  est 
homo.  Accipiamus  primam,  scilicet  quidam 
homo  est  animal,  signetur  iste  homo  ,  et 
hoc  animal.  Si  enim  ista  est  vera,  quidam 
homo  est  animal,  oportet  quod  ipsa  sit 
vera  in  aliquo  homine  signato,  puta  Sorte 
vel  Platone,  et  si  in  nullo  homine  signato 
erit  vera,  nullo  modo  erit  vera.  Signetur 
ergo  illa  res  in  qua  animalitas  et  humanitas 
signatur,  et  vocetur  Sortes,  modo  fiât  syl- 
logismus  expositorius  sic  :  Sortes  est  hic 
homo,  Sortes  est  hoc  animal ,  ergo  hoc  ani- 


mal est  hic  homo,  et  per  consequens, 
quoddam  animal  est  homo.  Ergo  ad  hanc, 
quidam  homo  est  animal,  quse  sumebatur 
loco  hujus,  quoddam  b.  est  a.,  sequitur, 
quoddam  a.  est  b.  Ergo  ad  hanc,  quoddam 
a.  est  b.,  sequitur ,  quoddam  b.  est  a.,  et 
hoc  est  quod  volebamus  dicere.  Et  sic  pa- 
tet  de  conversione  universalis  negativae. 
Particularis  afïirmativa  convertitur  simpli- 
citer,  sicut  quoddam  b.  est  a.  Ergo  quod- 
dam a.  est  b.,  et  probatur  per  idem  prin- 
cipium.  Ex  opposito  ergo  consequentis 
infertur  oppositum  antecedentis.  Prima 
ergo  consequentia  seu  conversio  fuit  bona. 
Potest  autem  probari  h;ec  conversio  per 
syllogismum  expositorium,  ut  dictum  est. 
Universalis  autem  afïirmativa  convertit!* 
per  accidens  sic  :  Omne  b.  est  a.,  quoddam 
a.  est  b.  Et  probatur  eodem  modo.  Oppo- 
situm enim  hujus,  quoddam  a,  est  b.,  est 


SUR    LA   LOGIQUE    d'aRISTOTE.  .  263 

n'est  A  ;  or  celte  dernière  est  contraire  à  la  première,  qui  étoit  tout  B 
est  A  ;  donc  de  l'opposé  du  conséquent  se  déduit  l'opposé  de  l'anté- 
cédent ,  donc  la  première  conséquence  ou  la  conversion  étoit  bonne. 
La  particulière  négative  ne  se  convertit  pas,  parce  que  l'opposé  de 
l'antécédent  ne  se  déduit  pas  de  l'opposé  du  conséquent.  Par  exemple, 
soit  cette  proposition  à  convertir,  quelque  B  n'est  pas  A ,  qu'on  la 
convertisse  donc  ;  il  faut  qu'elle  le  soit  ou  en  universelle  négative,  ou 
en  particulière  négative.  En  universelle  négative,  de  cette  manière, 
quelque  B  n'est.pas  A,  donc  aucun  A  n'est  B  :  son  opposé  est  ou  tout 
A  est  B  ,  ou  quelque  A  est  B  ,  mais  l'une  et  l'autre  de  ces  deux  pro- 
positions ,  savoir,  tout  A  est  B  ou  quelque  A  est  B  se  convertit  en  cette 
autre,  quelque  B  est  A,  laquelle  n'est  pas  l'opposé  de  l'antécédent 
qui  étoit  quelque  B  n'est  pas  A ,  parce  que  la  sous-contrariété  n'est 
pas  une  opposition,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  donc  cette  conversion 
ne  vaut  rien.  La  même  chose  arrivera  si  on  la  convertit  en  particu- 
lière ,  savoir  en  celle-ci ,  quelque  A  n'est  pas  B ,  dont  l'opposé  est 
tout  A  est  B,  laquelle  se  convertit  en  cette  autre,  quelque  B  est  A,  qui 
n'est  pas  proprement  opposée,  comme  on  l'a  dit.  Or  il  est  évident  que 
cette  conversion  ne  vaut  rien,  car  elle  n'embrasse  pas  toute  la  matière, 
et  peut  être  exposée  en  termes  significatifs.  En  effet,  quoiqu'il  suive 
quelque  pierre  n'est  pas  homme,  donc  quelque  homme  n'est  pas 
pierre,  néanmoins  il  ne  s'ensuit  pas  quelque  animal  n'est  pas  homme, 
donc  quelque  homme  n'est  pas  animal ,  bien  plus ,  tout  homme  est 
animal.  On  a  fait  le  vers  suivant  au  sujet  de  ces  conversions  : 

Fcci  simpliciter  convertitur,  eva  per  accid. 

par  A  on  entend  ici  l'universelle  affirmative  ,  par  E  l'universelle  né- 


hoc,  nullum  a.  est  b.,  quse  convertitur  in 
illam,  nullum  b.  est  a.  Hœc  autem  est  con- 
traria primée,  qude  erat,  omne  b.  est  a.  ex 
opposite  Ergo  consequentis  infertur  op- 
positum antecedentis.  Prima  ergo  conse- 
quentia  seu  conversio  fuit  bona.  Particu- 
laris  vero  negativa  non  convertitur ,  quia 
ex  opposito  consequentis  non  infertur  op- 
positum  antecedentis.  Verbi  gratia.  Sit 
propositio  convertenda  ista,  quoddam  b. 
non  est  a. ,  convertatur  ergo  ;  quia  vel 
converteretur  in  universalem  negativam , 
vel  in  particularem  negativam.  In  univer- 
salem negativam  sic,  quoddam  b.  non  est 
a.  Ergo  nullum  a.  est  b.,  hujus  oppositum 
est,  vel  omne  a.  est  b.,  vel  quoddam  a.  est 
b.,  sed  utraque  istarum  propositionum , 
scilicet  omne  a.  est  b.  vel  quoddam  a.  est 
b.,  convertuntur  in  istam,  quoddam  b.  est 
a.  quae  non  est  oppositum  antecedentis, 
quod  erat,  quoddam  b.  non  est  a.,  quia 


subcontrarietas  non  est  oppositio,  ut  supra 
patuit,  ergo  non  valet  ista  conversio.  Idem 
etiam  sequitur  si  converteretur  in  parti- 
cularem, scilicet  in  illam,  quoddam  a.  non 
est  b.,  cujus  oppositum  est ,  omne  a.  est 
b.,  quœ  convertitur  in  hanc,  quoddam  b. 
est  a.,  quae  proprie  non  est  opposita ,  ut 
dictum  est.  Quod  etiam  talis  conversio  non 
valeat,  patet,  quia  non  tenet  in  omni  ma- 
teria,  et  potest  ostendi  in  terminis  signifi- 
cativis.  Licet  enim  istud  sequatur,  quidam 
lapis  non  est  homo  .  ergo  quidam  homo 
non  est  lapis,  tamen  istud  non  sequitur, 
quoddam  animal  non  est  homo  ;  ergo  qui- 
dam homo  non  est  animal ,  imo  omnis  ho- 
mo est  animal.  Fit  autem  de  pr&dictis 
conversionibus  quidam  versus  sic  : 

Feci  simpliciter  coiiTcrtitur,  eva  pir  accid. 

Per  s.  enim  hic  sumitur  universalis  afïir— 
mativa,  per  e.  universalis  negativa ,  per  i, 


* 


264  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    3. 

gative,  par  I  la  particulière  affirmative,  par  0  la  particulière  négative. 
Le  vers  se  construit  ainsi  :  ffi,  c'est-à-dire  l'universelle  négative,  cl, 
c'est-à-dire  la  particulière  affirmative,  se  convertissent  simplicité)'. 
E ,  c'est-à-dire  l'universelle  négative ,  vA ,  c'est-à-dire  l'universelle 
affirmative ,  se  convertissent  per  accidens.  Telle  est  la  conversion  des 
propositions  de  inesse. 

CHAPITRE  III. 

Des  conversions  des  propositions  modales  et  de  leur  différent  mode. 

Nous  allons  parler  maintenant  des  conversions  des  propositions 
modales.  Il  faut  savoir  qne  les  propositions  de  necessario  et  impossi- 
bili se  convertissent  de  la  même  manière  que  les  propositions  de 
inesse,  et  se  prouvent  de  la  même  manière  par  le  même  principe.  Au 
contraire ,  les  propositions  de  possibili  et  contingenti  ne  se  conver- 
tissent pas  de  la  même  manière.  Mais  comme  les  oppositions  ne  se 
prennent  pas  dans  les  propositions  modales  de  la  même  manière  que 
dans  les  propositions  de  inesse,  il  est  bon  conséquemment  de  faire 
cor.noître  les  preuves  de  ces  propositions  ;  et  ce  que  nous  avons  fait 
pour  les  propositions  de  necessario  ,  nous  le  ferons  pour  les  proposi- 
tions de  impossibili.  Soit  donc  à  convertir  cette  proposition  :  il  est 
nécessaire  que  nul  B  ne  soit  A  qui  se  convertit  en  cette  autre  ,  il  est 
nécessaire  que  nul  A  ne  soit  B ,  parce  que  de  l'opposé  de  la  seconde 
proposition  se  déduit  l'opposé  de  la  précédente  ;  en  effet ,  l'opposé  de 
celle-ci,  il  est  nécessaire  que  nul  A  ne  soit  B  ,  est  celui-là,  il  n'est  pas 
nécessaire  que  nul  A  ne  soit  B  ;  mais  cette  proposition  équivaut  à 
celle-ci ,  il  est  possible  que  quelque  A  soit  B.  Car  n'être  pas  néces- 
saire de  ne  pas  être  équivaut  à ,  il  est  possible  d'être,  parce  que  nim- 


particularis  affirmativa,  per  o.  particularis 
negativa.  Construitur  autem  versus  sic. 
Fe.,  id  est  universalis  negativa,  ci,  id  est, 
particularis  affirmativa  convertuntur  sim- 
pliciter. E.,  id  est  universalis  negativa,  va., 
id  est  universalis  affirmativa ,  cunvertun- 
tur  per  accidens.  Et  sic  patet  de  conver- 
sione  propositionum  de  inesse. 

CAPOT  III. 

De  conversionibus  propositionum  modalium 
et  differenli  modo  earum. 

N'unc  dicendum  est  de  conversionibus 
propositionum  modalium.  Sciendum  quod 
propositiones  de  necessario  et  impossibili 
eodem  modo  convertuntur,  sicut  proposi- 
tiones de  inesse ,  et  per  idem  principium 
probantur.  Propositiones  vero  de  possibili 


et  contingenti  non  eodem  modo  conver- 
tuntur. Sed  quia  oppositiones  non  eodem 
raodo  sumuutur  in  propositionibus  moda- 
libus ,  sicut  in  propositionibus  de  inesse, 
ideo  oportet  manifestare  probationes  prœ- 
dictarum  propositionum;  et  sicut  ostendi- 
mus  de  propositionibus  de  necessario  ,  sic 
erit  de  propositionibus  de  impossibili.  Sit 
ergo  propositio  ista  convertenda.  Necesse 
est  nulium  b.  esse  a.,  quae  convertitur  in 
hanc,  necesse  est  nulium  a.  esse  b.,  quia 
ex  opposito  secundae  propositionis  infertur 
oppositam  prœcedentis ,  opposituin  enim 
istius.  Necesse  est  nulium  a.  esse  b.  est  is- 
tud,  non  necesse  est  nulium  a.  esse  b.,  sed 
ista  œquipollet  huic ,  possibile  est  aliquod 
b.  Nara  non  necesse  non  osse  aequi- 
pollet  huic  quod  est  possibile  esse  ;  quia 


SUR    LA    LOGIQUE    d'ARISTOTE.  265 

nullus  équivaut  à  aliquis.  Donc  cette  proposition  ,  il  n'est  pas  néces- 
saire que  nul  A  ne  soit  B,  est  équivalente  à  celle-ci ,  il  est  possible 
que  quelque  A  soit  B.  Cette  dernière  proposition  est  suivie  de  cetie 
autre  ,  il  est  possible  que  quelque  B  soit  A  ,  qui  peut  se  prouver  par 
le  syllogisme  expositoire,  comme  on  l'a  dit  plus  haut  de  la  particulière 
affirmative.  Mais  celle-ci,  il  est  possible  que  quelque  B  soit  A  ,  est  la 
contradictoire  de  la  précédente  qui  étoit ,  il  est  nécessaire  que  nul  B 
ne  soit  A  ;  donc  de  l'opposé  du  conséquent  se  déduit  l'opposé  de  l'an- 
técédent, donc  la  première  conséquence  ou  la  conversion  a  été  bonne. 
La  particulière  affirmative  se  convertit  de  la  même  manière  et  se 
prouve  par  le  même  principe  ,  de  cette  façon.  Il  est  nécessaire  que 
quelque  B  soit  A  ,  donc  il  est  nécessaire  que  quelque  A  soit  B ,  dont 
l'opposé  est,  il  n'est  pas  nécessaire  que  quelque  A  soit  B,  ce  qui 
équivaut  à  cette  proposition ,  il  est  possible  que  nul  A  ne  soit  B.  Car 
possible  ne  se  prend  pas  ici  comme  étant  la  même  chose  que  contin- 
gent ,  parce  qu'il  ne  se  convertit  pas,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  bas  ; 
mais  possible  se  prend  dans  tout  ce  qu'il  signifie,  comme  comprenant 
le  nécessaire  et  le  contingent,  ainsi  qu'on  l'a  dit  dans  un  autre  traité. 
Or  cette  proposition,  il  est  possible  que  nul  B  ne  soit  A,  est  la  contra- 
dictoire de  celle-ci,  il  est  nécessaire  que  quelque  B  soit  A,  laquelle 
étoit  l'antécédent.  C'est  tout  comme  la  première  conversion  de  l'uni- 
verselle affirmative  per  accidens  ,  c'est-à-dire  par  conversion  faite  per 
accidens.  Bemarquez  que  c'est  la  différence  qui  existe  entre  les  con- 
crets accidentels  affirmés,  et  les  substantiels  ou  leurs  sujets,  car  du 
côté  du  prédicat  ils  disent  la  forme,  et  du  côté  du  sujet  ils  disent  ce 
qui  a  cette  forme.  En  effet ,  lorsque  je  dis  Socrate  est  blanc  ,  blanc 
dit  la  forme  seule  de  blancheur;  mais  lorsque  je  dis ,  quelque  blanc 


nonnullus  sequipollet  huic  quod  est  aliquis. 
Ergo  ista,  non  necesse  est  nullum  a.  esse 
b.  œquipollet  huic  possibile  est  aliquod  a. 
esse  b.  Ad  hanc  autem  sequitur,  possibile 
est  aliquod  b,  esse  a.  quod  potest  probari 
per  syllogismum  expositorium,  ut  supra 
dictum  est  de  particulari  affirmativa;  sed 
ista,  possibile  est  aliquod  b.  esse  a.  est 
contradictoria  antecedentis,  quae  erat,  ne- 
cesse  est  nullum  b.  esse  a.  Et  opposito 
ergo  consequentis  infertur'oppositum  an- 
tecedentis. Prima  ergo  consequentia  seu 
conversio  fuit  bona.  Particularis  affirma- 
tiva  cnnvertitur  eodem  modo,  et  probatur 
per  idem  principium  sic.  Necesse  est  quod- 
dam  b.  esse  a.,  ergo  necesse  est  quoddam 
a.  esse  b.  Cujus  oppositum  est,  non  necesse 
est  aliquod  a.  esse  b.,  qvav  œquipollet  huic, 
possibile  est  nullum  a.  esse  b.,  quae  con- 
vertitur  in  istatn  ,  possibile  est  nullum  b. 


esse  a.  Non  enim  sumitur  hic,  possibile, 
prout  idem  est  quod  contingens,  quia  non 
convertitur,  sicut  infra  patebit  ;  sed  sumi- 
tur modo  possibile  in  suo  toto  significato , 
ut  comprehendit  necessarium ,  et  contin- 
gens ut  supra  in  alio  tractatu  dictum  est. 
Ha?c  autem,  possibile  est  nullum  b.  esse  a. 
est  contradictoria  huic,  necesse.  est  quod- 
dam b.  esse  a.,  quae  erat  antecedens.  Eo- 
dem etiam  modo  prior  conversio  univer- 
salis  affirmatives  per  accidens  ,  scilicet  per 
conversionein  per  accidens  factam.  Ne— 
tandum  quod  haec  est  differentia  inter  con- 
creta  accidentalia  prœdicata  et  substantia- 
lia,  seu  ipsorum  subjecta.  Nam  ex  parte 
praedicati  dicunt  formam  ,  ex  parte  vero 
subjecti  dicunt  illud  quod  habet  illam  for- 
main  .  Cum  enim  dico,  Sortes  est  albus,  ly 
albus  dicit  solam  formam  albedinis  ;  sed 
cum  dico  :  Quoddam  album  est  Sortes,  ly 


266  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    3. 

est  Socrate  ,  blanc  dit  ce  qui  a  la  blancheur.  Donc  dans  cette  matière 
la  conversion  des  propositions  modales  est  défectueuse  ;  car  cette  pro 
position ,  il  est  nécessaire  que  quelque  blanc  soit  corps  ,  et  néanmoins 
celle-ci  est  fausse ,  il  est  nécessaire  que  quelque  corps  soit  blanc , 
parce  qu'elle  est  contingente.  Telles  sont  les  propositions  de  necessa- 
rio.  C'est  le  même  mode  pour  celles  de  impossibili ,  dans  leur  tout 
signifié.  Les  conversions  des  propositions  de  contingenti  et  depossibili, 
en  tant  que  la  même  chose  que  le  contingent ,  se  font  dans  les  termes, 
comme  par  exemple  ,  il  est  contingent  que  nul  B  n'est  A  ,  cette  pro- 
position se  convertit  en  cette  autre,  il  est  contingent  que  toutB  est  A, 
d'où  ces  conversions  se  rapportent  d'une  manière  différente  et  opposée 
aux  conversions  des  propositions  de  inesse  et  des  propositions  mo- 
dales dont  nous  avons  parlé  ;  car  dans  ces  propositions  le  prédicat  se 
fait  toujours  du  sujet,  et  vice  versa,  et  la  même  qualité  se  conserve 
toujours,  quoiqu'il  n'en  soit  pas  de  même  de  la  quantité.  Mais  dans 
celles-ci ,  ce  qui  a  été  sujet  ou  prédicat  reste  le  même,  et  la  qualité 
est  changée.  La  raison  de  cela,  c'est  que,  comme  il  a  été  dit ,  cette 
conversion  est  bonne  dans  laquelle  la  vérité  ,  qui  étoit  dans  la  propo- 
sition convertie,  se  retrouve  dans  celle  en  laquelle  elle  est  convertie. 
Mais  si  la  proposilion  de  contingenti  se  convertissoit  de  telle  sorte  que 
du  sujet  l'on  fît  le  prédicat ,  et  du  prédicat  le  sujet,  elle  ne  se  trou- 
veroit  pas  .vraie  en  toute  matière,  mais  dans  certaine  matière  l'anté- 
cédent seroit  vrai  et  le  conséquent  faux,  donc  la  conversion  seroit 
mauvaise.  Par  exemple  :  En  termes  significatifs ,  il  arrive  que  nul 
homme  n'est  blanc,  celte  proposition  est  vraie,  parce  que  cela  pourroit 
arriver  ;  si  elle  est  convertie  de  cette  manière,  il  arrive  que  nul  blanc 
n'est  homme,  elle  est  fausse.  Supposons  donc  maintenant  que  Socrate 
soit  blanc ,  parce  qu'il  est  blanc  il  ne  pourra  jamais  arriver  que 


album  dicit  habens  albedinera.  In  tali  ergo 
materia  déficit  conversio  môdalium  aîïir- 
mativarum.  Nam  haec  est  vera,  necesse  est 
quoddam  album  esse  corpus,  et  tamen  haec 
est  falsa,  necesse  est  quoddam  corpus  esse 
album,  quia  heec  est  contingens.  Et  sic  pa- 
tet  de  couversionibus  propositionum  de  ne- 
cessario.  Eodem  modo  fiunt  illa;  de  impos- 
sibili in  suo  toto  significato.  Gonversiones 
autem  propositionum  de  contingenti  et  de 
possibili,  ut  est  idem  quod  contingens, 
fiunt  in  terminis,  scilicet  ut,  contingit 
nullum  b.  esse  a.  convertitur  in  hanc,  con- 
tingit ornne  b.  esse  a.  Unde  istee  conver- 
siones  alio  modo  et  opposito  se  habent  ad 
conversiones  propositionum  de  inesse  et 
môdalium  dictarum.  Nam  in  illis  semper 
de  subjecto  fit  praedicatum ,  et  e  converso, 
et  semper  in  eis  servatur  eadem  qualitas, 


licet  non  semper  eadem  quantitas.  In  istis 
vero  ,  quod  fuit  subjectum  ,  \el  praedica- 
tum,  eodem  modo  remanet  et  mutatur 
qualitas.  Ratio  horum  est  :  quia  ut  dictum 
est,  illa  est  bona  conversio ,  in  qua  sicut 
est  veritas  in  propositione  conversa,  ita  est 
in  illa  in  quam  convertitur.  Si  autem  pro- 
positio  de  contingenti  converteretur  sic, 
quod  de  subjecto  fieret  praedicatuni  et 
e  converso,  non  inveniretur  in  omni  ma- 
teria vera,  sed  in  aliqua  materia  esset  an- 
tecedens  verum  ,  et  consequens  falsum. 
Ergo  mala  esset  conversio.  Verbi  gratia  : 
In  terminis  signiiicativis  contingit  nullum 
hominem  esse  album ,  haec  est  vera ,  quia 
contingere  hoc  posset ,  si  convertatur  sic, 
contingit  nullum  album  esse  hominem,  haec 
est  falsa.  Ponatur  ergo  modo  quod  Sortes 
esset  albus.  quia  est  albus,  nunquam  pote- 


SUR    LA   LOGIQUE    d'aRISTOTE.  267 

Socrate  ne  soit  pas  homme.  Or  cette  conversion  se  fait  dans  une  qua- 
lité différente.  Il  y  a  un  triple  contingent,  ad  utrumlihet ,  comme  il 
est  contingent  que  l'homme  ait  deux  yeux  ,  ut  in  plurihus ,  comme  il 
est  contingent  que  l'homme  ait  deux  yeux,  ut  in  paucioribus,  comme 
il  est  contingent  que  l'homme  n'ait  qu'un  œil.  Le  contingent  ad  utrum- 
lihet s'appelle  ainsi ,  parce  que  tout  ce  qui  peut  se  trouver  présent 
peut  aussi  être  exclu ,  donc  les  affirmatives  et  les  négatives  sont  simul- 
tanément vraies.  Le  contingent  ut  in  plurihus  ne  se  convertit  pas  en 
contingent  ut  in  plurihus,  mais  bien  en  contingent  ut  in  paucioribus. 
C'est  pourquoi  cette  proposition ,  il  est  contingent  que  nul  homme 
n'est  aveugle,  se  convertit  en  celle-ci,  il  est  contingent  que  tout 
homme  est  aveugle.  La  première  ,  en  eiret,  est  un  contingent  ut  in 
plurihus,  la  seconde  ut  in  paucioribus.  Le  contingent  ut  in  paucio- 
ribus se  convertit  comme  le  contingent  ut  in  plurihus,  et  leur  con- 
version se  prend,  comme  nous  l'avons  dit,  des  contingents  ad  utrum- 
lihet. Car  s'il  y  a  contingence  in  plurihus ,  il  y  a  défection  in  paucio- 
ribus ,  et  s'il  y  a  contingence  in  paucioribus ,  il  y  a  défection  in  plu- 
rihus ;  telles  sont  les  conversions  des  modales.  Il  faut  observer  qu'il 
se  rencontre  des  propositions  qui  manquent  de  conversion ,  puis- 
qu'elles ne  font  rien  pour  le  but  proposé ,  aucunes  d'elles  ne  pouvant 
se  placer  dans  quelqu'un  des  syllogismes  qui  doivent  être  réduits,  de 
telle  manière  qu'elles  aient  besoin  de  conversion,  et  ainsi  il  est  inutile 
d'en  parler. 


rit  contingere  Sortem  non  esse  hominem. 
Fit  autem  ista  conversio  in  diversa  quali- 
tate.  Nam  triplex  est  contingens,  vel  ad 
utrumlibet ,  ut  contingit  hominem  lubere 
duos  oculos  ;  vel  ut  in  pluribus,  ut  contin- 
git hominem  habere  duos  oculos  ;  vel  ut 
in  paucioribus,  ut  contingit  hominem  esse 
monoculum.  Contingens  autem  ad  utrum- 
libet dicitur  ;  quia  quot  possunt  inesse,  tôt 
possunt  removeri.  Ergc  negativa  et  affir- 


ribus,  secunda  \ero  ut  in  paucioribus. 
Eodem  modo  convertitur  contingens  ut  in 
paucioribus ,  sicut  contingens  ut  in  pluri- 
hus, et  eodem  modo  sumitur  eorum  con- 
versio, sicut  dictum  est  de  contingentibus 
ad  utrumlibet.  Nam  si  contingit  in  pluri- 
hus, déficit  in  paucioribus,  et  si  contingit 
in  paucioribus,  déficit  in  pluribus ,  et  sic 
patet  de  conversionibus  modalium.  No- 
taudum  quod  aliquœ  propositions  •  ponun- 


mativa  sunt  simul  vera.  Contingens  autem  ]  tur,  quae  carent  conversione,  cum  nihil 
ut  in  pluribus,  non  convertitur  in  contin-  j  i'aciant  ad  propositum ,  quia  nulla  earum. 
gens  ut  in  pluribus,  sed  in  contingens  ut  posset  poni  in  aliquo  syllogismorum  qui 
in  paucioribus.  Unde  illa,  contingit  nullum  reducendi  sunt,  ita  videlicet  quod  illae  in- 
hominem  esse  caecum  ,  convertitur  in  is-  digeant  conversione  ,  et  sic  de  dictis  trac- 
tam,  contingit  omnem  hominem  esse  cse-  tare  est  superfluum. 
cum.  Prima  enim  est  contingens  ut  in  plu-  ' 


268 


OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    4. 


CHAPITRE  IV. 

Des  syllogismes  ostensifs  de  inesse  relativement  au  mode  et  au  signe. 

Cela  posé,  nous  allons  parler  maintenant  des  syllogismes,  et  d'abord 
des  syllogismes  de  inesse  ,  secondement  de  modalibus,  troisièmement 
des  hypothétiques.  Parmi  les  syllogismes  de  inesse  quelques  uns  sont 
ostensifs,  quelques  autres  ad  impossibile  ,  c'est  pourquoi  nous  allons 
parler  d'abord  des  syllogismes  ostensifs.  Il  faut  savoir  que  tout  syllo- 
gisme ostensif  se  compose  de  trois  parties  dont  deux  sont  appelées 
propositions  ou  prémisses  ,  et  la  dernière  conclusion.  Par  exemple  : 
Tout  animal  est  une  substance  ,  tout  homme  est  animai,  donc  tout 
homme  est  substance.  Ces  deux  ,  tout  animal  est  une  substance ,  et 
tout  homme  est  animal ,  sont  deux  propositions  dont  la  première, 
c'est-à-dire,  tout  animal  est  une  substance,  s'appelle  majeure,  la 
seconde  s'appelle  mineure  ou  assumpta ,  la  troisième  ,  c'est-à-dire  , 
tout  homme  est  substance,  s'appelle  conclusion.  Quoique  ces  trois 
phrases  soient  parfaites,  ayant  un  sujet  et  un  prédicat, -elles  n'ont 
cependant  que  trois  termes  qui  sont  homme,  animal^  et  substance.  La 
cause  en  est  que  tous  ces  termes  sont  pris  deux  fois  ,  d'où  le  terme 
pris  deux  fois  dans  les  prémisses  s'appelle  moyen.  Le  terme  pris  dans 
la  proposition  majeure  avec  le  moyen  s'appelle  grand  extrême  ;  le 
terme  pris  dans  la  proposition  mineure  avec  le  moyen  s'appelle  petit 
extrême.  Dans  la  conclusion  le  grand  extrême  est  pris  de  nouveau  avec 
le  petit  extrême,  de  manière  que  si  la  conclusion  est  directe,  le  grand 
extrême  se  dit  du  petit;  c'est  le  contraire  si  elle  est  indirecte.  Aussi 
le  moyen  terme  ne  se  trouve  jamais  dans  la  conclusion.  PoUrconnoître 


capui  iv. 

De  syllogismis    ostensivis   de   ineste  quoad 
modum  et  signum. 

His  habitis,  modo  dicendum  est  de  syl- 
logismis,  et  primo  de  syllogismis  de  inesse, 
secundo  de  modalibus,  tertio  de  hypothe- 
ticis.  Syllogismorum  autem  de  inesse 
quidam  sunt  ostensivi ,  quidam  vero  ad 
impossibile,  unde  primo  dicendum  est  de 
syllogismis  ostensivis.  Sciendum  ,  quod 
omnis  syllogismus  ostensivus  constat  ex 
tribus  orationibus ,  quarum  duae  vocantur 
propositiones  seu  praemissae,  ultima  vero 
dicitur  conclusio.  Verbi  gratia  :  Omne 
animal  est  substantia ,  omnis  homo  est  ani- 
mal, ergo  omnis  homo  est  substantia.  Istae 
duae,  scilicet  omne  animal  est  substantia, 
et  omnis  homo  est  animal ,  sunt  dues  pro- 
pusitiones  ,  quarum  prima  ,  scilicet  omne 


animal  est  substantia,  dicitur  major;  se- 
cunda  vero  dicitur  minor  seu  assumpta  ; 
tertia  vero  oratio,  scilicet  omnis  homo  est 
substantia,  dicitur  conclusio.  Et  licet  prœ- 
dietae  très  orationes  sint  perfectae  constantes 
ex  subjecto  et  praedicato,  non  tamen  ha- 
bent  nisi  très  terminos,  qui  sunt,  homo, 
animal,  et  substantia.  Et  causa  est ,  quia 
omnesisti  termina  sumuntur  bis,  unde  ter- 
minus bis  sumptus  in  praemissis ,  dicitur 
médium.  Terminus  in  majori  proposait  me 
sumptus  cum  medio,  dicitur  major  extre- 
mitas.  Terminus  vero  sumptus  in  minori 
propositione  cum  medio,  dicitur  minor 
extremitas.  In  conclusione  vero  iterum  su- 
mitur  major  extremitas  cum  minori ,  ita 
scilicet  quod  conclusio  est  directa ,  major 
extremitas  preedicatur  de  minori.  Si  vero 
indirecta,  fit  e  converso.  Unde  médium 
nunquam  ponitur  in  conclusione.  Ad  scien- 


SUR  LÀ   LOGIQUE   D'ARISTOTE.  269 

la  raison  de  ces  termes,  il  faut  savoir  que  l'homme  est  raisonnable. 
Il  est  appelé  raisonnable  et  non  intellectuel  parce  que  l'intellect  saisit 
sans  discourir  tout  ce  qui  tombe  sous  son  action.  Au  contraire  la  raison, 
quoiqu'elle  ne  soit  pas  une  puissance  différente  de  l'intellect ,  est  né- 
anmoins appelée  raison,  parce  que  ce  n'est  qu'en  discourant  qu'elle 
s'approprie  ce  qu'elle  saisit.  Aussi  ne  parvient-elle  à  posséder  par- 
faitement la  connoissance  d'une  chose  qu'en  allant  du  plus  connu  au 
moins  connu.  Par  exemple,  pour  connoître  parfaitement  ce  que  c'est 
que  l'homme  ,  nous  concevons  d'abord  ce  que  c'est  que  l'être,  ensuite 
ce  que  c'est  que  la  substance ,  puis  ce  que  c'est  que  le  corps  ,  ensuite 
ce  que  c'est  que  le  corps  animé,  ensuite  ce  que  c'est  que  l'ame,  ce  que 
c'est  que  raisonnable ,  et  nous  arrivons  ainsi  en  discourant  à  la  con- 
noissance de  l'homme.  Or  si  cette  discursion  se  fait,  sans  complexion, 
c'est-à-dire  en  concevant  l'être  substance  corps,  en  n'ajoutant  pas 
le  mot  est ,  comme  si  l'on  ne  dit  pas  cela  est  homme ,  ou  si  elle  se 
fait  avec  complexion ,  peu  importe ,  il  suffit  que  l'on  conçoive  en  dis- 
courant, et  cette  discursion  se  fait  du  plus  connu  au  moins  connu. 
Or  ce  qui  nous  est  plus  connu  est  plus  universel ,  comme  on  dit  dans 
le  premier  livre  de  la  Physique,  parce  que  c'est  plus  confus  ;  en  con- 
séquence notre  action  discursive  dans  notre  cognition  va  donc  des  plus 
universels  aux  moins  universels.  C'est  pourquoi  nous  conrioissons 
mieux  et  plutôt  l'être  que  la  substance ,  la  substance  mieux  que  le 
corps ,  le  corps  mieux  que  le  corps  animé ,  le  corps  animé  mieux  que 
l'animal  et  l'animal  mieux  que  l'homme.  C'est  sur  celte  discursion 
que  roule  le  syllogisme  qui  n'est  autre  chose  qu'un  discours  ou  un  as- 
semblage de  discours  ,  comme  dit  Boëce ,  sur  lesquelles  s'effectue  la 
discursion.  Bien  que  dans  cette  discursion  il  puisse  se  trouver  plu- 
sieurs moyens  et  plusieurs  prémisses  tendant  à  la  même  conclusion  , 


dum  autem  causas  dictorum  nominum, 
sciendum  quod  homo  est  rationalis.  Dici- 
tur  autem  rationalis  et  non  inlellectualis , 
quia  intellectus  apprehendit  quidquid  ap- 
prehendit  sine  discursu,  ratio  vero  licet 
non  sit  alia  potentia  quam  intellectus,  ta- 
men  dicitur  ratio  ;  quia  quicquid  appre- 
hendit ,  apprehendit  cum  discursu ,  non 
ergo  venit  ad  perfectam  apprehensionem 
alicujus  rei,  nisi  discurrat  a  inagis  nota  ad 
minus  notum.  Verbi  gratia,  ad  cognoscen- 
dum  perfecte  quid  sit  homo,  primo  intelli- 
gimus  quod  sit  ens,  deinde  quod  sit  sub- 
stantia,  deinde  quod  sit  corpus ,  deinde 
quod  sit  animatum  corpus ,  deinde  anima, 
deinde  rationalis,  et  sic  veniemus  in  cogni- 
tionem  hominis  discurrendo.  Si  autem  talis 
discursus  fiât  sine  complexione ,  scilicet 
intelligendo  ens  substantiam  corpus  ,  non 


ponendo  ibi  est ,  ut  scilicet  non  dicamus 
hoc  est  homo  ;  vel  fiât  cum  complexione, 
nihil  ad  propositum  ,  sufiicit  quod  discur- 
rendo intelligimus,  et  talis  discursus  est  a 
magis  noto  nobis  ad  minus  notum.  Magis 
autem  nota  nobis  surit  magis  universalia, 
ut  I  Physic.  dicitur,  quia  sunt  magis  con- 
fusa.  Discursus  ergo  noster  in  nostra  co- 
gnitione  est  a  magis  universalibus  ad  mi- 
nus universalia.  Unde  magis  et  prius  co- 
gnoscimus  ens  quam  substantiam  ,  et  sub- 
stantiam quam  corpus,  et  corpus  quam 
animatum  corpus  ,  et  animatum  corpus 
quam  animal,  et  animal  quam  hominem. 
De  tali  autem  discursu  est  syllogismus  ,  qui 
nihil  aliud  est  quam  oratio  seu  congregatio 
orationum,  ut  Boetius  dicit,  in  qua  est 
talis  discursus.  Et  licet  in  tali  discursu 
multa  possint  esse  média  ,  et  multce  pra> 


270  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    4. 

par  exemple ,  toute  substance  est  un  être ,  tout  homme  est  une  sub- 
stance, qui  est  le  corps,  lequel  est  animal,  donc  touthomme  est  un  être, 
néanmoins  comme  le  moyen  est  toujours  moyen  de  deux  extrêmes, 
nous  comprenons  plusieurs  syllogismes  dans  cette  discursion.  Tl  n'y 
a  donc  qu'un  syllogisme  avec  un  moyen  et  deux  extrêmes.  Comme 
dans  la  précédente  discursion ,  le  premier  des  termes  qui  est  le  plus 
universel  et  par  conséquent  le  plus  connu  se  présente  d'abord  à  l'in- 
tellect, il  est  appelé  grand  extrême  :  il  est  appelé  extrême  parce  qu'il 
se  présente  d  aborda  l'intellect,  et  grand  parce  qu'il  est  plus  universel 
et  plus  connu.  Le  second  terme  qui  se  présente  à  l'intelligence  est  celui 
qui  n'est  pas  aussi  universel ,  mais  qui  tient  néanmoins  la  seconde 
place  après  le  premier  dans  l'universalité ,  comme  le  corps  après  la 
substance  ;  nous  savons  déjà  que  dans  ce  second  terme  se  trouve  le 
premier ,  et  cette  proposition  s'appelle  majeure,  parce  qu'elle  est  an- 
térieure dans  la  cognition.  Mais  comme  nous  ne  savons  pas  encore 
que  le  second  terme  se  trouve  dans  un  autre  moins  universel ,  la 
raison  continue  de  discourir  et  reconnoît  que  le  corps  se  trouve  dans 
l'animal ,  elle  s'y  arrête  et  c'est  là  la  mineure,  et  immédiatement  elle 
reconnoît  que  la  substance  se  trouve  dans  l'animal ,  et  voilà  la  con- 
clusion. Certainement  dans  ces  termes  le  moyen  c'est  le  corps ,  et  il  a 
été  la  cause  qui  nous  a  amenés  à  connoître  que  la  substance  se  trouve 
dans  l'animal.  Le  dernier  terme  dans  la  discursion  précédente  c'est 
animal,  la  raison  s'y  est  arrêtée,  et  c'est  pour  cela  qu'il  s'appelle  petit 
extrême.  Il  est  appelé  extrême ,  parce  que  l'action  discursive  de  la 
raison  s'est  arrêtée  là ,  et  petit  extrême  parce  qu'il  est  moins  uni- 
versel et  par  conséquent  moins  connu  de  nous.  Nous  connoissons  donc 
la  cause  de  ces  noms  et  les  raisons  des  termes ,  des  prémisses  et  de  la 
conclusion.  On  peut  comprendre  d'après  cela  ce  que  dit  Àristote  dans 


missae  ad  unam  conclusionem.  Verhi  gra- 
tia  :  Omnis  substantia  est  eus,  omnis  homo 
est.  substantia ,  quœ  est  corpus  ,  quod  est 
animal.  Ergo  omnis  homo  est  eus ,  tamen 
quia  médium  semper  duarum  extremita- 
tum  est  médium  ,  in  tali  discursu  multos 
comprehendimus  syllogismos.  Unus  ergo 
est  syllogismus  unius  medii  et  duarum  ex- 
tremitatum.  Et  quia  in  praedictp  discursu 
terminorum  primus  qui  universalior  est , 
et  per  consequens  magis  notus ,  primo  in- 
tellectui occurrit,  dicitur  major extremitas  ; 
extremitas  enim  dicitur,  quia  primo  oc- 
currit  intellectui ,  et  major ,  quia  univer- 
salior et  magis  nota.  Secundus  autem  ter- 
minus qui  intellectui  occurrit,  est  qui  non 
est  ita  universalis,  tamen  secundum  locum 
tenet  post  primum  in  universalitate,  ut  est 
corpus  post  substantiam  ,  huic  autem  se- 
cundo termine  jam  scimus  inesse  primum 


terminum  ,  et  haec  dicitur  major  proposi- 
tio  ,  quia  prior  cognitione.  Sed  quia  non- 
dum  scimus  secundum  inesse  alicui  minus 
universali  termino,  discurrit  adhuc  ratio , 
et  cognoscit  corpus  iuesse  animali ,  ubi 
sistit,  et  haec  est  minor  propositio  ,  et  sta- 
tim  cognoscit  substantiam  inesse  animali, 
et  haec  est  conclusio.  Certe  in  istis  termi- 
nis  médium  fuit  corpus,  et  ipsum  fuit 
causa  quod  nos  sciremus  substantiam  inesse 
animali  ;  ultimus  autem  terminus  in  prae- 
dicto  discursu  fuit  animal,  ubi  stetit  ratio, 
et  propter  hoc  dicitur  minor  extremitas. 
Extremitas  enim  dicitur,  quia  ibi  stetit 
discursus  rationis  ;  minor  vero  dicitur  , 
quia  minus  universalis,  et  per  consequens 
miuus  nota  nobis.  Habemus  ergo  causas 
dictorum  nominum ,  et  rationes  termino- 
rum, e:  pramissarum,  et  conclusionis.  Ex 
dictis  pot*'st  paterc  quod  dicit  Philosophas , 


SUR   LA.    LOGIQUE    D'.VRISTOTE.  271 

le  premier  livre  Posteriorum  que  la  proposition  majeure  se  connaît 
d'abord  par  la  conclusion,  la  nature,  et  le  temps.  Par  la  nature,  parce 
que  ses  termes  sont  plus  universels,  comme  on  l'a  dit;  par  le  temps, 
parce  que  dans  l'action  discursive  de  la  raison  j'ai  plutôt  connu  que 
la  substance  est  dans  le  corps  que  dans  l'animal.  La  proposition  mi- 
neure se  connaît  d'abord  par  la  nature  ,  mais  non  par  le  temps.  Par 
la  nature,  parce  que  la  cause  est  antérieure  à  la  chose  causée;  or 
les  propositions  sont  la  cause  de  la  conclusion  ,  et  même  parce  que 
l'action  discursive  de  la  raison  s'est  exercée  d'abord  du  moyen  au  petit 
extrême,  elle  n'est  pas  cependant  connue  d'abord  par  le  temps.  En 
effet  en  connoissant  que  la  substance  est  dans  le  corps  ,  j'ai  connu  au 
même  instant  que  la  substance  est  dans  l'animal  ;  tel  est  ce  quiregarde 
les  parties  du  syllogisme  et  leurs  noms. 

Les  syllogismes  ont  des  figures  et  des  modes.  On  appelle  figure  l'ordre 
de  trois  termes  suivant  la  subjectionetla  prédication.  En  effet,  comme 
les  termes  des  lignes  en  mathématique  placés  de  telle  ou  telle  manière 
varient  les  espèces  des  figures,  car  trois  points  disposés  en  triangle  et 
placés  à  une  égale  distance  respective  formeront  une  espèce  de  triangle 
appelé  équilatéral  ou  hysopleure;  s'il  y  en  a  deux  également,  distants 
entre  eux  et  dont  la  distance  respective  soit  plus  ou  moins  grande 
relativement  au  troisième,  c'est  une  espèce  de  triangle  appelée  isocèle; 
si  tous  les  points  se  trouvent  inégalement  distants ,  c'est  une  espèce 
de  triangle  que  l'on  appelle  gradué  ou  scalène.  De  même  suivant  la 
variété  de  ces  termes  dans  la  subjection  ou  la  prédication ,  il  s'opère 
trois  figures  de  syllogismes,  quoique  d'une  autre  manière  que  dans  les 
figures  de  surface  dont  nous  avons  parlé.  En  effet  si  le  moyen  se  trouve 
par  subjection  dans  une  proposition  et  par  prédication  dans  l'autre  , 
on  dit  qu'il  est  dans  la  première  figure,  et  avec  raison  :  parce  qu'alors 


I.  Posteriorum,  quocl  major  propositio  est 
prius  nota  conclusione  natura  et  tempore. 
Natura  quia  termini  ejus  sunt  magie  uni- 
versales,  ut  dictum  est.  Tempore  vero, 
quia  in  discursu  rationis  prius  scivi  sub- 
stantiam  inesse  corpori ,  quam  inesse  ani- 
mali.  Minor  vero  propositio  est  prius  nota 
natura,  non  tamen  tempore.  Natura,  quia 
causa  prior  est  causato  ;  propositiones  au- 
tem  sunt  causa  conclusionis ,  et  quia  etiam 
iste  fuit  prior  discursus  rationis,  de  medio, 
scilicet  ad  minorem  extremitatein ,  non 
tamen  est  prius  nota  tempore.  Qui  enim 
scieham  substantiam  inessc  corpori,  in  eo- 
dem  instanti  in  quo  scivi  corpus  inesse 
animali ,  scivi  substantiam  inesse  animaji, 
et  sic  patet  de  partibus  syllogismi  et  no- 
minibus  earum.  Habent  autem  syllogismi 
figuras  et  modos.  Dicitur  autem  hic  figura 
ordo  trium  terminorum  secundum  subjec- 


tionem  et  prœdicationem,  Sicut  enim  ter- 
mini linea'rum  in  mathematicis  aliter  et 
aliter  situati ,  variant  species  figurarum 
(nam  tria  puncta  qua3  faciunt  triangulum, 
si  inter  se  aequaliter  distabunt,  erit  species 
trianguli,  quae  dicitur  aequilaterus  sive  hy- 
sopleuros;  si  vero  duo  œqualiter  distabunt 
a  tertio,  quorum  distantia  inter  se  est 
minor  vel  major  distantia  eorum  ad  ter- 
tium,  est  species  trianguli,  quse  dicitur  hy- 
socheles  ;  si  vero  omnes  distantia?  puncto- 
rum  sint  ina.'quales,  est  species  trianguli 
quœ  dicitur  gradatus,  sive  scalenon)  sic  se- 
cundum diversitatem  istorum  trium  ter- 
minorum in  subjiciendo  et  piaedicando 
fiunt  très  figura  syllogisinorum,  licet  alio 
modo  quam  in  figuris  superlicialibns  jam 
dictis.  Si  enim  médium  in  una  proposi- 
'  tione  subjicilur  ,  et  in  altéra  praedicatur, 
dicitur  esse  prima  figura,  et  mento;  quia 


272  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    4. 

le  moyen  est  vraiment  moyen,  ayant  la  nature  des  deux  extrêmes,  du 
sujet  et  du  prédicat  :  car  il  y  a  par  rapport  à  lui  prédication  et  sub- 
jection.  Si  au  contraire  le  moyen  est  affirmé  dans  les  deux  proposi- 
tions, on  dit  que  c'est  la  seconde  figure,  parce  que,  bien  que  le  moyen 
ne  soit  pas  véritablement  un  moyen  ayant  la  nature  de  la  subjection 
et  de  la  prédication ,  néanmoins,  comme  il  est  plus  digne  de  prédica- 
tion que  de  subjection ,  cette  figure  occupe  la  seconde  place.  Si  le 
moyen  est  en  subjection  dans  les  deux  propositions ,  c'est  la  troisième 
et  dernière  figure,  parce  que  ici  le  moyen  n'est  pas  au  milieu  comme 
dans  la  première  et  se  trouve  toujours  en  subjection ,  ce  qui  est  plus 
indigne.  Il,  ne  peut  pas  y  avoir  plusieurs  figures,  parce  que  dans  les 
propositions  les  trois  termes  ne  peuvent  offrir  plusieurs  variations  , 
d'où  l'on  a  fait  le  vers  suivant  : 

Sub  prœ  prima ,  bis  prœ  secunda ,  tertia  sub  bis. 

Lequel  s'explique  ainsi;  prima,  c'est-à-dire  dans  la  première  ligure 
il  se  fait  pour  le  moyen  sub,  subjection  et  prœ  prédication  ;  secunda, 
c'est-à-dire  dans  la  seconde  figure,  il  y  a  deux  fois  prœ  prédication 
pour  le  moyen  daus  chacune  des  prémisses;  tertia,  c'est-à-dire  dans  la 
troisième  figure,,  il  y  a  deux  fois  subjection  pour  le  moyen  dans  cha- 
cune des  prémisses.  Pour  ce  qui  est  du  mode  dans  le  sens  où  on  le 
prend  ici,  c'est  l'ordre  de  deux  propositions  dans  une  certaine  qualité 
et  quantité,  et  il  est  appelé  mode,  parce  que  c'est  une  certaine  déter- 
mination accidentelle  des  propositions  du  syllogisme,  etc.. 


tune  médium  vere  est  médium,  quia  sapit 
naturam  utriusque  extremi ,  scilicet  sub- 
jecti  et  prœdicati  ;  prsedicalur  emm  et  sub- 
jicitur, ut  dictum  est.  Si  vero  médium  in 
utraque  propositione  prœdicatur,  dicitur 
esse  secunda  figura ,  quia  lic.et  médium 
non  sit  vere  médium  sapiens  naturam 
subjectionis  et  prœdicationis,  tamen  quia 
dignius  est  prœdicari  quam  subjici,  ideo 
haec  figura  secundum  locum  tenet.  Si  vero 
médium  in  utraque  propositione  subjici- 
tur, dicitur  tertia  figura  et  ultima  ,  quia 
in  ea  médium  non  stat  in  inedio ,  sicut  in 
prima,  et  subjicitur  semper  quod  est  indi- 
gnius.  Plures  figura?  non  possunt  esse,  quia 
très   termini    in    duabus    propositionibus 


non  possunt  pluries  variari ,  unde  versus  : 

Sub  prie  prima,  bis  prœ  secunda,  tertia  sub  bit. 

Qui  sic  construitur.  Prima,  id  est  in  prima 
figura  médium  sub,  id  est  subjicitur,  et  prae 
id  est  prsedicatur.  Secunda ,  id  est  in  se- 
cunda figura  médium  prœ,  id  est  pnedica- 
tur  bis,  id  est  in  utraque  prœmissarum. 
Tertia,  id  est  in  tertia  figura  médium  sub, 
id  est  subjicitur  bis,  id  est  in  utraque 
praemissarum.  Modus  vero  ut  hic  sumitur, 
est  ordinatio  duarum  propositionum  in 
certa  qualitate  et  quantitate,  et  dicitur 
modus,  quia  est  quœdam  accidentalis  de- 
terminatio  ipsarum  propositionum  syll •  — 
gismi,  etc. 


SUR    LA   LOGIQUE    d'âRISTOTE.  273 

CHAPITRE  Y. 

Des  syllogismes  inutiles  dans  toute  figure. 

Il  reste  à  parler  maintenant  des  syllogismes  en  eux-mêmes.  Re- 
marquez bien,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  l'on  s'occupe 
dans  ce  traité  du  syllogisme  simpliciter  ,  c'est-à-dirè  de  la  forme  du 
syllogisme  lui-même ,  en  tant  que  syllogisme,  sans  l'appliquer  à  une 
matière  quelconque,  par  conséquent  la  vraie  forme  du  syllogisme  sera 
celle  qui  étant  appliquée  à  toute  matière  aura  pour  résultat  d'offrir 
une  conclusion  vraie  si  les  prémisses  le  sont.  Mais  si  dans  quelque 
matière  les  prémisses  étant  vraies  il  s'ensuit  une  conclusion  fausse, 
quoique  dans  quelque  autre  matière  il  s'en  soit  suivi  une  conclusion 
vraie,  ce  ne  sera  plus  alors  un  vrai  syllogisme ,  on  l'appelle  un  en- 
chaînement inutile.  De  ces  assemblages  inutiles  quelques  uns  peuvent 
se  faire  dans  toutes  les  figures ,  d'autres  dans  deux  seulement  ou  en 
une.  Ceux  qui  se  font  dans  toutes  les  figures  sont  au  nombre  de  quatre. 
Le  premier,  lorsque  les  deux  prémisses  sont  négatives;  le  second , 
lorsque  les  deux  prémisses  sont  particulières;  le  troisième,  lorsqu'elles 
sont  toutes  deux  indéfinies;  le  quatrième,  quand  elles  sont  toutes 
deux  singulières.  En  effet,  ces  syllogismes,  quelle  que  soit  la  figure  , 
peuvent  avoir  dans  certaine  matière  une  conclusion  vraie  ,  et  en  une 
autre  une  conclusion  fausse ,  c'est  pour  cela  qu'ils  sont  appelés  inu- 
tiles. Par  exemples  :  de  deux  négatives  dans  la  même  figure  il  résulte 
quelquefois  une  conclusion  vraie  de  cette  manière  :  nul  homme  n'est 
pierre ,  nul  àne  n'est  homme,  donc  nul  àne  n'est  pierre.  D'autres  fois 
la  conclusion  est  fausse ,  de  cette  manière  :  nul  homme  n'est  pierre, 
nulle  perle  n'est  homme ,  donc  nulle  perle  n'est  pierre.  Cette  conclu- 


caput  v. 

De  syllogismis  inulilibus  in  omni  figura. 
Restât  tune  dicere  de  ipsis  syllogismis. 
Ubi  nota  quod ,  ut  supra  dictum  est ,  in 
hoc  opère  tractatur  de  syllogismo  simplici- 
ter, scilicet  de  forma  ipsius  syllogismi ,  in 
quantum  syllogismus  est ,  non  applicando 
ad  aliquam  materiam ,  et  ideo  illa  erit 
vera  forma  syllogismi,  quae  applicata  cui- 
cumque  materise  semper  si  preemissse  erunt 
verse ,  sequetur  ex  eis  conclusio  vera.  Si 
vero  syllogismus  in  aliqua  materia  existen- 
tibus  preemissis  veris ,  sequitur  conclusio 
falsa ,  licet  in  aliqua  alia  materia  sequatur 
conclusio  vera ,  talis  non  erit  verus  syllo 


quasdam  possunt  fieri  in  omnibus  figuris, 
qusedamvero  in  duabus  vel  solum  in  una 
figura.  Quas  fiunt  in  omnibus  figuris  sunt 
quatuor.  Prima  est  si  ambse  prœmissae  sint 
negativœ.  Secunda  ,  si  ambœ  praemissre 
sint  pardculares.  Tertia ,  si  ambœ  sint  in- 
defmitee.  Quarta ,  si  ambœ  sint  singulares. 
Taies  enim  syllogismi  sive  conjugationes 
in  quacumque  figura  fiant ,  iu  aliqua  ma- 
teria possunt  concludere  verum,  et  in  alia 
falsum,  et  propter  hoc  dicuntur  inutiles. 
Verbi  gratia  :  De  ambabus  negativis  in 
prima  figura  aliquando  concluditur  verum 
sic  :  Nullus  homo  est  lapis  ;  nullus  asinus 
est  homo  ;  ergo  nullus  asinus  est  lapis. 
Aliquando  concluditur  falsum  sic,  nullus 


gismus,  sed    dicitur   inutilis  conjugatio.    homo  est  lapis  ;  nulla  margarita  est  homo; 
Harum    autem  inutilium  conjugationum  I  ergo  nulla  margarita  est  lapis  ;  falsa  est 

v.  18 


27 i  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    5. 

sion  est  fausse,  parce  que  toute  perle  est  pierre.  La  même  chose  peut 
se  rencontrer  dans  la  seconde  et  la  troisième  figure.  De  cet  assemblage 
et  des  trois  autres  inutiles  on  déduit  cette  règle  générale.  Dans  toute 
figure ,  de  trois  pures  négatives  particulières  indéfinies  et  singulières 
il  ne  résulte  aucune  conséquence.  Les  assemblages  inutiles  qui  parfois 
ne  se  trouvent  pas  dans  toutes  les  figures ,  mais  seulement  dans  quel- 
ques-unes ,  sont  au  nombre  de  deux.  Il  y  en  a  un  qui  convient  à  la 
première  et  à  la  troisième  figure  ,  quand  la  mineure  est  négative.  Le 
second  convient  à  la  première  et  à  la  seconde  figure  ,  quand  la  ma- 
jeure est  particulière,  et  il  s'en  déduit  deux  règles  générales  savoir  : 
dans  la  première  eHa  troisième  figure,  quand  la  mineure  est  négative, 
il  n'y  a  aucune  conséquence.  Il  faut  observer  que  dans  la  première 
figure  on  doit  entendre  ici  les  syllogismes  directement  concluants.  Car 
il  y  a  dans  cette  figure  deux  modes  de  syllogismes  concluants  indirec- 
tement, dans  lesquels  la  mineure  est  négative,  et  ce  ne  sont  pas  néan- 
moins des  assemblages  inutiles.  Seconde  règle.  Dans  la  première  et  la 
seconde  règle,  quand  la  majeure  est  particulière,  il  n'y  a  aucune  con- 
séquence. De  même  dans  la  première  figure  on  entend  les  syllogismes 
directement  concluants.  11  y  a  encore  deux  autres  règles  générales  dont 
voici  la  première  :  si  l'une  des  prémisses  est  négative  ,  la  conclusion 
est  aussi  négative.  La  seconde  est  celle-ci  :  si  l'une  des  prémisses  est 
particulière ,  la  conclusion  est  aussi  particulière.  La  raison  de  cela 
c'est  que,  comme  il  a  été  dit,  le  grand  extrême  se  trouve  dans  le  petit 
dans  la  conclusion  en  vertu  du  moyen ,  c'est-à-dire  en  tant  qu'il  se 
trouve  dans  le  moyen  dans  la  majeure  et  que  le  moyen  se  trouve  dans 
le  petit  extrême  dans  la  mineure  ,  soit  que  l'on  prenne  d'une  autre 
manière  l'inhérence  de  ces  termes ,  comme  il  se  fait  dans  les  autres 
figures,  de  telle  manière  que  le  moyen  se  trouve  dans  quelqu'un  des 

conclusio ,  quia  omnis  margarita  est  lapis,  i  syllogismorum  indirecte  concludentes,  in 
Et  sic  potest  fieri  in  secunda  et  tertia  fi- 1  quibus  minor  est  negativa,  nec  tamen  sunt 
gura.  De  hac  et  de  tribus  dictis  inutilibus  j  inutiles  conjugationes.  Secunda  régula  : 
conjugationibus  datur  una  régula  gênera-  J  In  prima  et  secunda  figura  majori  exis- 
lis,  scilicet  :  In  omnibus  figuris  ex  puris  I  tente  particulari,  nihil  sequitur.  Et  simi- 
negativis  particularibus  indelinitis  et  sin-  j  liter  in  prima  intelligitur  de  coneluden- 
gularibus  nihil  sequitur.  Inutiles  vero  con-  J  tibus  directe.  Dantur  autem  alise  duee  re- 
jugationes ,  quse  aliquando  non   sunt  in  j  gulœ  générales,  quarum  prima  est  :  Si  al- 


omnibus  figuris,  sed  in  aliquibus  sunt  duae 
Una  est  quee  convenit  primée  et  tertise 
figurée,  scilicet  quando  minor  propositio 
est  negativa.  Secundo  vero  convenit  prima? 
et  secundee  figurée,  scilicet  quando  major 
propositio  est  particularis,  et  de  eis  dantur 
régulée  générales,  scilicet  in  prima  et  tertia 
figura  minori  existente  negativa,  nihil  se- 
quitur. Notandum  quod  in  prima  figura 
hic  débet  intelligi  de  syllogismis  directe 
concludentibus.  Nam  sunt  in  ea  duo  modi 


tera  preemissarum  est  negativa,  etiam  con- 
clusio est  negativa.  Secunda  est  :  Si  altéra 
preemissarum  fuerit  particularis,  conclusio 
erit  particularis.  Causa  est ,  ut  enim  dic- 
tum  est,  major  extremitas  inest  minori  in 
conclusione  in  virtute  medii,  in  quantum 
scilicet  inest  medio  in  majori  propositione, 
et  médium  inest  minori  extremitati  in 
minori  propositione,  sive  alio  modo  suma- 
tur  mhâerentia  dictorum  terminorum,  si- 
cut  fit  in  aliis  figuris  eo  modo  quo  me-- 


SUR   LA   LOGIQUE   d'âRISTOTE.  275 

extrêmes,  ou  vice  versa  ,  un  des  extrêmqs  se  trouvera  dans  l'autre. 
Mais  si  l'une  des  prémisses  est  particulière,  le  moyen  doit  se  trouver 
dans  l'extrême  ou  l'extrême  dans  le  moyen  d'une  manière  particulière. 
Donc  la  conclusion  qui  dit  que  l'extrême  doit  se  trouver  dans  l'extrême, 
sera  particulière.  Cela  suffit  pour  les  syllogismes  affirmatifs  relative- 
ment à  la  seconde  règle.  Quant  aux  syllogismes  négatifs,  la  conclusion 
se  fait  de  la  même  manière  en  vertu  du  moyen.  En  effet,  si  le  moyen 
se  trouve  dans  un  des  extrêmes,  et  s'il  est  exclu  de  l'autre,  il  faut  né- 
cessairement que  l'extrême  soit  exclu  de  l'extrême,  et  de  cette  manière 
la  conclusion  sera  négative  :  voilà  pour  la  première  règle.  Dans  les 
mêmes  syllogismes,  si  le  moyen  se  trouve  d'une  manière  particulière 
dans  un  extrême  ou  en  est  exclu  de  la  même  manière,  il  s'ensuit  né- 
cessairement que  l'extrême  est  exclu  de  l'extrême  d'une  manière  par- 
ticulière ,  et  ainsi  la  conclusion  sera  particulière  négative.  Donc  les 
règles  qui  ont  été  établies  sont  vraies. 

CHAPITRE  VI. 

Des  syllogismes  de  la  première  figure  concluant  directement ,  et  des 
syllogismes  de  la  seconde  figure. 

Nous  allons  parler  maintenant  des  syllogismes  utiles ,  et  d'abord 
de  ceux  qui  sont  dans  la  première  figure  au  nombre  de  quatre.  Le 
premier  a  lieu  lorsque  la  majeure  et  la  mineure  sont  universelles  af- 
firmatives, et  qu'il  suit  une  conclusion  universelle  affirmative  de  cette 
manière  en  nous  servant  de  termes  transcendants.  Tout  B  est  A,  tout 
C  est  B ,  donc  tout  C  est  A.  Ce  syllogisme  se  prouve  par  ce  principe 
dici  de  omni.  Ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  dici  de  omni  a  lieu  quand 


dium  inerit  alicui  extremitati,  tel  e  con- 
verso, una  extremitas  inerit  alteri.  Sed  si 
aliqua  prtemissarum  fuerit  particularis, 
débet  médium  inesse  extremitati,  vel  ex- 
tremitas in  medio  particulariter.  Ergo 
conclusio  quae  dicit  extremitatem  inesse 
extremitati,  erit  particularis.  Et  hoc  in  syl- 
logismis  affirmativis  sufficit  quantum  ad 
secundam  regulam.  In  syllogismis  autem 
negativis  eodem  modo  virtute  medii  con- 
cluditur.  Si  enim  médium  uni  extremitati 
inest ,  et  e  converso  ab  altéra  removetur  , 
necesse  est  extremitatem  ab  extremitate 
removeri,  et  sic  erit  conclusio  negativa,  et 
hoc  quantum  ad  primam  regulam.  In  eis- 
dem  etiam  syllogismis ,  si  médium  parti- 
culariter inerit  vel  e  converso,  vel  parti- 
culariter removeatur  ab  aliqua  extremitate 
vel  e  converso,  necessario  sequitur  extre- 
mitatem ab  extremitate  particulariter  re- 


moveri ,  et  sic  conclusio  erit  particularis 
negativa.  Verse  itaque  sunt  regulae  pra?- 
dictœ,  etc. 

GAPUT  VIII. 

De  syllogismis  primœ  figures  directe  con- 
cludenlibus,  et  de  syllogismis  secundw 
figurœ. 

Nunc  dicendum  est  de  syllogismis  utili- 
bus.  Et  primo  de  his  qui  sunt  in  prima  fi- 
gura, hi  autem  sunt  quatuor.  Primus  est 
quando  major  et  minor  propositiones  sunt 
universales  affirmative,  et  sequitur  con- 
clusio universalis  affirmativa  sic ,  ponendo 
in  terminis  transcendentibus.  Omne  B  est 
A,  omne  G  est  B,  ergo  omne  C  est  A. 
Probatur  autem  syllogismus  per  hoc  prin- 
cipium  quod  est  dici  de  omni  :  ut  enim 
dictum  est,  dici  de  omni  est,  quando  nihil 
est  sumere  sub  subjecto ,  de  quo  non  di- 


276  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    8. 

il  n'y  a  rien  à  prendre  dans  le  sujet  dont  ne  se  dise  pas  le  prédicat.  Or 
il  en  est  ainsi  dans  l'exemple  proposé,  donc,  etc..  Etablissons-le 
maintenant  en  termes  significatifs,  soit  animal  pour  B,  substance 
pour  A,  homme  pour  C,  posons  ainsi  le  syllogisme  :  Tout  animal  est 
substance,  tout  homme  est  animal ,  donc  tout  homme  est  subslance; 
il  est  certain  que  si  cette  proposition  est  vraie ,  tout  animal  est  sub- 
stance ,  il  n'y  a  rien  à  prendre  dans  animal  dont  ne  se  dise  pas  sub- 
stance :  si  donc  tout  homme  est  animal ,  tout  homme  se  trouve  alors 
dans  auimal  ;  il  doit  donc  être  pris  ainsi,  comme  substance  se  dit  d'a- 
nimal, elle  se  dira  de  même  de  l'homme.  Le  second  mode  a  lieu  quand 
d'une  majeure  universelle  négative  et  d'une  mineure  universelle  af- 
firmative on  tire  une  conclusion  universelle  affirmative ,  de  cette  ma- 
nière :  Nul  B  n'est  A,  tout  C  est  B ,  donc  nul  C  n'est  A ,  on  le  prouve 
par  l'autre  principe  dici  de  nullo.  On  le  met  ainsi  en  termes  signifi- 
catifs :  soit  B  animal,  A  pierre,  C  homme;  si  en  effet  nul  animal  n'est 
pierre ,  il  n'y  aura  rien  à  prendre  dans  animal  dont  pierre  ne  soit  pas 
exclu.  En  effet  comme  tout  qui  est  un  signe  universel  affîrmatif  est 
distributif ,  et  distribue  affirmativement  pour  chaque  chose  contenue 
dans  ce  à  quoi  il  est  joint,  de  même  aussi  nullus  nul  distribue  néga- 
tivement pour  chacune  de  ces  choses.  Le  troisième  mode  c'est  quand 
d'une  majeure  universelle  affirmative  et  d'une  mineure  particulière 
affirmative  on  tire  une  conclusion  particulière  affirmative  de  cette  ma- 
nière :  tout  B  est  A,  quelque  C  est  B,  donc  quelque  C  est  A,  on  le  prouve 
par  efo'ci  deomni.  Le  quatrième  mode  se  présente  quand  d'une  majeure 
universelle  négative  et  d'une  mineure  particulière  affirmative  on  tire 
une  conclusion  particulière  négative,  de  cette  manière  :  nul  B  n'est  A, 
quelque  C  est  B,  donc  quelque  C  n'est  pas  A  ,  on  le  prouve  par  dici 


catur  praedicatum  ;  sic  enim  in  proposito 
est,  ergo,  etc.  Ponamus  ergo  in  terminis 
significativis,  et  sit  B  animal,  A  vero  sub- 
stantia,  C  autem  sit  homo  ;  fiât  ergo  syl- 
logismus  sic  :  Omne  animal  est  substantia, 
omnis  homo  est  animal;  ergoomnis  homo 
est  substantia,  certum  est  quod  si  ista  est 
vera  :  Omne  animal  est  substantia,  nihil 
erit  sumere  sub  animali  de  quo  non  dica- 
tur  substantia;  si  ergo  omnis  homo  est 
animal,  tune  omnis  homo  est  sub  animali  ; 
débet  ergo  sumi,  sicut  substantia  praedica- 
tur  de  animali ,  ita  praedicabitur  de  ho- 
inine.  Secundus  modus  est,  quando  ex  ma- 
jori  universali  negativa,  et  ex  minori  uni- 
versali  affîrmativa,  concluditur  universalis 
negativa  sic  :  Nullum  B  est  A ,  omne  C 
est  B ,  ergo  nullum  G  est  A ,  et  probatur 
per  alterum  principium  quod  est  dici  de 
uullo.  In  terminis  autem  significativis  os- 


tenditur  sic  :  Sit  B  animal,  A  vero  lapis, 
C  autem  sit  homo,  si  enim  nullum  animal 
est  lapis  ;  nihil  erit  sumere  sub  animali,  a 
quo  non  removeatur  lapis.  Sicut  enim  om- 
nis quod  est  signum  universale  affirmati- 
vum ,  est  distributivum  ,  et  distribuit  affir- 
mative pro  singufis  contentis  sub  eo  cui 
jungitur  ;  ita  etiam  nulius  pro  singulis  ta- 
libus  distribuit  négative.  Tertius  modus 
est ,  quando  ex  majori  universali  affirma- 
tiva,  et  ex  minori  particulari  affîrmativa 
concluditur  particularis  affirmativa  sic  : 
Omne  B  est  A ,  quoddam  C  est  B ,  ergo 
quoddam  C  est  A,  et  probatur  per  dici  de 
omni.  Quartus  modus  est ,  quando  ex  ma- 
jori universali  negativa ,  et  minori  parti- 
culari affirmativa  concluditur  particularis 
negativa  sic ,  nullum  B  est  A ,  quoddam 
G  est  B,  ergo  quoddam  C  non  est  A.  Et 
probatur  per   dici    de  uullo.  Sciendum, 


SUR   LA    LOGIQUE   d'aRISTOTE.  277 

de  nullo.  Il  faut  savoir  que  quoique  ces  deux  derniers  syllogismes 
puissent  se  prouver  par  dici  de  omni  et  par  dici  de  nullo ,  comme  il 
a  été  dit ,  néanmoins  Aristote  dans  son  livre  I  Priorum  les  ramène 
aux  deux  premiers  modes  où  se  conservent  plus  véritablement  dici  de 
omni  et  dici  de  nullo  à  cause  de  l'universalité  de  leur  mineure,  et  c'est 
ce  que  nous  ferons  à  la  fin  de  tous.  La  seconde  figure  a  quatre  modes. 
Le  premier  se  forme  d'une  majeure  universelle  négative  et  d'une  mi- 
neure universelle  affirmative,  d'où  l'on  tire  une  conclusion  universelle 
négative  ,  de  cette  manière  :  nul  B  n'est  A ,  tout  C  est  A ,  donc  nul  C 
n'est  B.  On  ne  peut  montrer  dans  ce  syllogisme  dici  de  nullo,  parce 
que  dans  B  auquel  est  joint  le  signe  universel  nul  on  ne  prend  rien 
d'où  le  sujet  puisse  être  exclu,  et  par  conséquent  pour  qu'il  soit  prouvé 
par  dici  de  nullo  ,  il  faut  le  ramener  au  second  mode  de  la  première 
figure ,  ce  qui  peut  se  faire  de  deux  manières ,  ou  par  la  simple  con- 
version de  la  majeure  en  disant ,  nul  A  n'est  B ,  tout  C  est  A ,  donc 
nul  C  n'est  B.  Et  aussi  par  le  troisième  principe  dont  nous  avons  parlé 
qui  étoit  que  lorsque  de  l'opposé  du  conséquent  se  déduit  l'opposé  de 
l'antécédent ,  la  première  conséquence  est  bonne.  Il  faut  savoir  que 
tout  syllogisme  est  une  certaine  conséquence  dans  laquelle  les  deux 
prémisses  sont  l'antécédent  et  la  conclusion  le  conséquent ,  d'où  il 
suit  que  si  de  l'opposition  de  la  conclusion  avec  l'une  des  prémisses 
on  déduit  l'opposition  de  l'autre  prémisse  dans  l'ordre  où  se  conserve 
dici  de  omni  ou  dici  de  nullo ,  la  première  conséquence  ou  le  syllo- 
gisme seront  bons.  Car  dans  l'exemple  proposé,  le  conséquent  ou  la 
conclusion  est,  nul  C  n'est  B,  où  il  v  a  deux  opposés ,  savoir  le  con- 
traire et  la  contradiction.  Prenons  son  contraire,  tout  C  est  B,  prenons 
aussi  la  majeure  du  susdit  syllogisme  ,  nul  B  n'est  A ,  et  que  l'oppo- 


quod  licet  isti  duo  ultimi  syllogismi  pro- 
bari  possint  per  dici  de  omni  et  per  dici 
de  nullo ,  ut  dictum  est  ;  tamen  Philoso- 
phas, I  Prionirn,  reducit  eos  ad  duos  mo- 
dos  primos,  in  quibus  verius  salvatur  dici 
de  omni  et  dici  de  nullo ,  propter  univer- 
salitatem  minoris  propositionis  eorum ,  et 
hoc  faciemus  in  fine  omnium.  Secunda 
figura  quatuor  habet  modos.  Primus  con- 
stat ex  majori  universali  negativa  et  mi- 
nori  universali  affirrnativa,  ex  quibus  se- 
quitur  conclusio  universalis  negativa  sic  : 
Nullum  B  est  A  ,•  omne  C  est  A ,  ergo 
nullum  G  est  B.  In  isto  enim  syllogismo 
non  potest  ostendi  dici  de  nullo ,  quia  sub 
B  cui  jungitur  signum  universale ,  scilicet 
nullum ,  nihil  sumitur  a  quo  possit  remo- 
veri  subjectum ,  et  ideo  ad  hoc  quod  pro- 
betur  per  dici  de  nullo ,  reducatUr  ad  se- 
cundum  modum  primée  figurée,  hoc  autem 
dupliciter  potest  fieri,  vel  per  conversionem 


majoris  simpliciter,  ut  dicatur  sic,  nullum 
A  est  B,  omne  G  est  A,  ergo  nullum  G 
est  B.  Et  propter  etiam  per  tertium  prin- 
cipium  supradictum  quod  erat,  quando  ex 
opposito  consequentis  infertur  oppositum 
antecedentis,  prima  consequentia  est  bona. 
Sciendum  ,  quod  omnis  syllogismus  est 
quaedam  consequentia ,  in  qua  antecedens 
sunt  ambae  prœmissœ,  consequens  vero  est 
conclusio,  unde  si  ex  opposito  conclusionis 
cum  altéra  praemissaruni,  infertur  opposi- 
tum alterius  prsemissae  in  ordinatione  in 
qua  solvatur  dici  de  omni,  vel  dici  de 
nullo,  prima  consequentia  seu  syllogismus 
erit  bonus.  Sic  enim  in  proposito.  Conse- 
quens enim  sive  conclusio  est ,  nullum  C 
est  B,  quœ  duo  habent  opposita,  *scilicet 
conlrarium  et  contradictio  ;  sumatur  ejus 
contrarium,  scilicet,  omne  G  est  B  ;  su- 
matur modo  major  praedicti  syllogismi , 
scilicet,   nullum  B  est    A,  et    opposita 


278  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    6. 

sée  contraire  de  la  conclusion  devienne  la  mineure  de  cette  manière  : 
nul  B  n'est  A,  tout  C  est  B,  donc  nul  C  n'est  A,  ce  syllogisme  est  dans 
le  second  mode  de  la  première  figure  ,  et  de  l'opposé  du  conséquent 
ou  de  la  conclusion  se  déduit  celle-ci ,  nui  C  n'est  A  qui  est  l'opposée 
de  l'une  des  prémisses,  c'est-à-dipe  de  la  mineure,  parce  qu'elle  est 
contraire  à  la  mineure  du  premier  syllogisme  qui  étoit  tout  C  est  A; 
donc  de  l'opposé  du  conséquent  avec  une  des  prémisses  se  déduit  l'op- 
posé de  l'autre  prémisse,  donc  la  première  conséquence  ou  le  syllo- 
gisme étoit  bon.  Le  second  mode  a  lieu  quand  de  la  majeure  univer- 
selle affirmative  et  d'une  mineure  universelle  négative  on  tire  une 
conclusion  universelle  négative ,  de  cette  manière  :  tout  B  est  A ,  nul 
Ç  n'est  A ,  donc  nul  C  n'est  B  ;  ce  syllogisme  se  ramène  au  second 
mode  de  la  première  figure  par  la  simple  conversion  delà  mineure  et 
par  la  transposition  des  prémisses ,  de  façon  que  celle  qui  étoit  la  ma- 
jeure devienne  la  mineure  de  cette  manière.  Nul  A  n'est  C,  tout  B  est 
A,  donc  nulB  n'est  C.  La  majeure  de  ce  syllogisme  est  celle  en  la- 
quelle a  été  convertie  la  mineure  du  premier  syllogisme  qui  étoit,  nul 
C  n'est  A.  Par  le  troisième  principe,  c'est-à-dire  par  le  syllogisme 
conversif  on  peut  ramener  cette  argumentation  au  premier  mode  de 
la  première  figure  de  cette  manière.  Prenons  la  proposition  contraire 
à  la  conclusion  qui  est ,  tout  C  est  B  et  faisons  ainsi  la  mineure ,  tout 
B  est  A  ,  tout  C  est  B  ,  donc  tout  C  est  A.  La  conclusion  de  se  second 
syllogisme,  tout  C  est  A  est  contraire  à  celle-ci,  nul  C  n'est  A,  qui  étoit 
la  mineure  de  l'opposé  du  conséquent.  Le  troisième  mode  se  reconnoît 
quand  d'une  majeure  universelle  négative ,  et  d'une  mineure  parti- 
culière affirmative  on  tire  une  conclusion  particulière  négative  ,  de  la 
manière  suivante  :  nul  B  n'est  A  ,  quelque  C  est  A ,  donc  quelque  C 


contraria  conclusionis  fiât  minor,  et  dica- 
tur  sic  :  Nullum  B  est  A,  ornne  C  est 
B,  ergo  nullum  G  est  A.  Iste  syllogismus 
est  in  secundo  modo  primée  figurae ,  et  ex 
opposito  consequentis  seu  conclusionis  in- 
fertur  illa ,  nullum  G  est  A,  quae  est  op- 
posita  unius  praemissae,  scilicet  minoris, 
quia  est  contraria  minori  primi  syllogismi, 
quae  erat,  omne  G  est  A.  Ergo  ex  opposito 
consequentis  cum  una  praemissarum  infer- 
tur  oppositum  alterius  prsemissae;  prima 
ergo  consequentia  seu  syllogismus  fuit 
bonus.  Secundus  modus  constat  ex  majori 
universali  affirmativa ,  et  minori  univer- 
sali  negativa  ex  quibus  sequitur  conclusio 
universalis  negativa  sic  :  Omne  B  est  A, 
nullum  G  est  A,  ergo  nullum  C  est  B. 
Iste  syllogismus  reducitur  ad  secundum 
modum  primae  figurœ  per  conversionem 
minoris  simpliciter  et  per  transpositionem 


praemissarum,  ut  scilicet  ista  quae  erat  ma- 
jor, fiât  minor  sic  :  Nullum  A  est  G,  omne 
B  est  A,  ergo  nullum  B  est  C.  Major  istius 
syllogismi  fuit  illa  in  qua  conversa  fuit 
minor  primi  syllogismi,  quae  erat,  nullum 
C  est  A.  Per  tertium  vero  principium  seu 
per  syllogismum  conversivum  reducitur  ad 
secundum  modum  primae  figurae  sic ,  su- 
matur  propositio  contraria  conclusioni 
quae  est,  omne  C  est  B,  et  fiât  minor  sic  : 
Omne  B  est  A ,  omne  G  est  B,  ergo  omne 
G  est  A.  Haec  autem  quae  concluditur  in 
isto  secundo  syllogismo,  scilicet  omne  G 
est  A,  est  contraria  huic,  nullum  C  est  A, 
quae  erat  minor  ex  opposito  consequentis. 
Tertius  modus  est,  quando  ex  majori  uni- 
versali negativa  et  minori  particulari  af- 
firmativa concluditur  particularis  negativa 
sic  :  Nullum  B  est  A,  quoddam  G  est  A, 
ergo  quoddam  C  non  est  B.  Hic  reducitur 


SUR   LA.   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  279 

n'est  pas  B.  Le  syllogisme  se  ramène  au  quatrième  mode  de  la  pre- 
mière figure  par  la  simple  conversion  de  la  majeure.  Nul  A  n'est  B, 
quelque  C  est  A ,  donc  quelque  C  n'est  pas  B.  11  se  ramène  par  le  syl- 
logisme conversif  au  second  mode  de  la  première  figure.  En  eflet, 
l'opposé  de  la  conclusion  qui  est ,  quelque  C  n'est  pas  B ,  et  celui-ci 
tout  C  est  B.  On  fera  donc  la  mineure  de  cette  manière,  nul  B  n'est  A, 
tout  C  est  B,  donc  nul  C  n'est  A,  laquelle  est  l'opposée  de  la  mineure 
du  premier  syllogisme  qui  étoit  quelque  C  est  A.  Le  quatrième  mode 
a  lieu  quand  d'une  majeure  universelle  affirmative  et  d'une  mineure 
particulière  négative  on  tire  une  conclusion  particulière  négative  de 
cette  manière  :  tout  B  est  A,  quelque  C  n'est  pas  A,  donc  quelque 
C  n'est  pas  B.  Ce  syllogisme  peut  être  ramené  par  la  conversion  des 
prémisses  ,  car  la  majeure  ,  qui  est  universelle  affirmative,  ne  peut  se 
convertir  qu'en  une  particulière  affirmative  ,  et  la  mineure  est  parti- 
culière. Or,  comme  nous  l'avons  dit,- il  n'y  a  pas  de  conséquence  de 
plusieurs  particulières.  11  se  ramène  donc  par  le  syllogisme  appelé 
quelquefois  per  impossibile ,  comme  ont  été  réduits  les  trois  autres 
syllogismes  exposés  plus  haut,  et  il  se  ramène  au  premier  mode  de  la 
première  figure.  En  effet,  l'opposé  de  la  conclusion  qui  étoit,  quel- 
que C  n'est  pas  B  ,  est  celui-ci  tout  C  est  B ,  qu'on  fasse  donc  ainsi  la 
mineure  ;  tout  B  est  A ,  tout  C  est  B  ,  donc  tout  C  est  A.  Or  c'est  là 
l'opposée  de  la  mineure  qui  étoit ,  quelque  C  n'est  pas  A.  Tel  est  ce 
qui  concerne  le  syllogisme  de  la  première  et  de  la  seconde  figure. 


ad  quartum  modum  primse  figura  per 
conversionem  majoras  simpliciter.  Nullum 
A  est  B ,  quoddam  C  est  A  ;  ergo  quoddam 
C  non  est  B.  Reducitur  autem  per  syllo- 
gismum  conversivum  ad  secundum  mo- 
dum primée  figurae.  Oppositum  enim  con- 
clusionis  quod  est ,  quoddam  G  non  est  B, 
est  istud,  omne  C  est  B,  et  fiât  minor  sic, 
nullum  B  est  A,  omne  G  est  B,  ergo  nullum 
C  est  A,  quae  est  opposita  minons  syllo- 
gismi  primi,  quae  erat,  quuddam  G  est  A. 
Quavtus  modus  est,  quando  ex  majori  uni- 
versali  affirmativa,  et  ex  minori  particu- 
lari  negativa  concluditur  particularis  ne- 
gativa  sic  :  Omne  B  est  A,  quoddam  G 
non  est  A,  ergo  quoddam  G  non  est  B.  Iste 
syllogismus  potest  reduci  per  conversionem 


praemissarum,  major  enim  quae  est  univer- 
salis  affirmativa,  non  potest  converti  nisî 
in  particularem  afïirmativam,  et  minor  est 
particularis.  Ex  pluribus  autem  particula- 
ribns.  ut  dictum  est,  nihil  sequitur  ;  redu- 
citur ergo  per  syllogismum  quod  aliquando 
vocatur  per  impossibile,  sicut  reducti  fue- 
runt  cseteri  très  syllogismi  supradicti ,  et 
reducitur  ad  primum  modum  prima?  figu- 
rae. Oppositum  enim  conclusions,  quae 
erat,  quoddam  G  non  est  B,  istud,  omne  G 
est  B,  quod  fiât  minor  sic  :  Ornne  B  est  A, 
omne  G  est  B,  ergo  omne  G  est  A.  Haec  au- 
tem est  opposita  minoris  quae  erat,  quod- 
dam C  non  est  A.  Et  sic  patet  de  syllogis- 
mo  primae  et  secundae  figurae. 


280 


OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    7. 


CHAPITRE  VII. 


Des  syllogisme*  de  la  troisième  figure ,  et  de  la  réduction  de  tous  les  syl- 
logismes aux  deux  premiers  modes  de  la  première  figure. 

La  troisième  figure  a  six  modes.  Le  premier  a  lieu  lorsque  d'une 
majeure  universelle  affirmative  et  d'une  mineure  universelle  affirma- 
tive on  déduit  une  conclusion  particulière  affirmative  de  cette  manière  ; 
Tout  B  est  A,  tout  B  est  C  ,  donc  quelque  C  est  A.  Ce  syllogisme  se 
ramène  de  cette  manière  au  troisième  mode  de  la  première  figure  par 
la  conversion  per  accidens  de  la  mineure  :  Tout  B  est  À  ,  quelque  C 
est  B ,  donc  quelque  C  est  A.  On  le  ramène  au  second  mode  de  la  pre- 
mière figure  parle  syllogisme  conversif.  Prenons,  en  effet,  l'opposé 
de  la  conclusion  qui  est ,  nul  C  n'est  A,  et  faisons  ainsi  la  majeure  : 
Nul  C  n'est  A  ,  tout  B  est  C  ,  donc  nul  B  n'est  A  ;  or  c'est  là  la  con- 
traire de  la  majeure  du  premier  syllogisme  ,  qui  étoit ,  tout  B  est  A. 
Il  faut  savoir  que  dans  la  réduction  par  le  syllogisme  conversif  il  y  a 
cette  différence  entre  les  syllogismes  de  la  seconde  et  de  la  troisième 
figure:  dans  les  syllogismes  de  la  seconde  figure,  de  l'opposé  delà 
conclusion  on  fait  la  mineure  et  on  déduit  l'opposé  de  la  mineure,  tan- 
dis que  dans  les  syllogismes  de  la  troisième  figure  ,  de  l'opposé  de  la 
conclusion  on  fait  la  majeure  et  on  déduit  l'opposé  de  la  majeure.  Le 
second  mode  se  connoît  lorsque  d'une  majeure  universelle  négative 
e  t  d'une  mineure  universelle  affirmative  découle  une  conclusion  par- 
ticulière négative  de  la  manière  suivante  :  nul  B  n'est  A,  tout  B  est 
C ,  donc  quelque  C  n'est  pas  A.  On  ramène  ainsi  cette  argumentation 
au  quatrième  mode  de  la  première  figure  par  la  conversion  per  acci- 


CAPUT  VII. 

De  syllogismis  terliœ  figurœ,  et  de  reduc- 
tione  omnium  syllogismorum  ad  duos 
orimos  modos  primœ  figurœ. 

Tertia  vero  figura  sex  habet  modos.  Pri- 
mus  constat  ex  majori  universali  affirma- 
tiva,  et  ex  minori  universali  affirmativa, 
ad  quas  sequitur  conclusio  particularis  af- 
firmativa  sic  :  Omne  B  est  A,  omne  B  est 
C,  ergo  quoddam  G  est  A.  Iste  syllogismus 
per  conversionem  minoris  per  accidens  re- 
ducitur  ad  lertium  modum  primœ  figurai 
sic  :  Omne  B  est  A,  quoddam  G  est  B,  ergo 
quoddam  C  est  A.  Per  syllogismum  vero 
conversivum  reducitur  ad  secundum  mo- 
dum primae  figurae.  Sumatur  enini  oppo- 
situm  conclusionis  quod  est ,  nullutn  C  est 
A,   et  fiât  major  sic  :  Nullum  G  est  A, 


omne  B  est  C.,  ergo  nullum  B  est  A.  Hœc 
autem  est  contraria  majoris  primi  syllo- 
gismi,  quœ  erat,  omne  B  est  A.  Sciendum 
quod  in  reductione  per  syllogismum  con- 
versivum hœc  differentia  est  inter  syllo- 
gismos  secundœ  et  tertiœ  figurée.  Nam  in 
syllogismis  secundœ  figurée  ex  opposito 
conclusionis  fit  minor  propositio,  et  infer- 
tur  oppositum  minoris  propositionis ,  in 
syllogismis  vero  tertiœ  figurœ  ex  opposito 
conclusionis  fit  major  propositio,  et  infer- 
tur  oppositum  majoris  propositionis.  Se- 
cundus  modus  constat  ex  majori  universali 
negativa,  et  ex  minori  universali  affirma- 
tiva,  ad  quas  sequitur  conclusio  particu- 
laris negativa  sic  :  Nullum  B  est  A ,  omne 
B  est  G,  ergo  quoddam  C  non  est  A.  Hœc 
per  conversionem  minoris  per  accidens  re- 
ducitur ad  quartum  modum  primœ  figurœ 


SÏÏR  LA    LOGIQUE   d'aRISTOTE.  281 

dens  de  la  mineure;  nul  B  n'est  A  ,  quelque  C  est  B ,  donc  quelque  G 
n'est  pas  A.  Mais  parle  syllogisme  conversif  on  la  ramène  au  premier 
mode  de  la  première  figure  en  prenant  l'opposé  delà  conclusion  et  en 
faisant  ainsi  la  majeure  :  tout  G  est  A ,  tout  B  est  C ,  donc  tout  B  est 
A.  Cette  conclusion  est  contraire  à  la  majeure  du  premier  syllogisme. 
Le  troisième  mode  se  compose  d'une  majeure  particulière  affirmative 
et  d'une  mineure  universelle  affirmative  d'où  découle  une  conclusion 
particulière  affirmative  ,  de  cette  manière  :  quelque  B  est  A  ,  tout  B 
est  G ,  donc  quelque  C  est  A.  On  ramène  cela  par  conversion  au  troi- 
sième mode  de  la  première  figure  en  convertissant  simplement  la  ma- 
jeure et  en  transportant  les  propositions  de  la  manière  suivante  :  tout 
B  est  C  ,  quelque  A  est  B ,  donc  quelque  A  est  C  ;  on  le  ramène  ainsi 
au  second  mode  de  la  première  figure  par  le  syllogisme  conversif  : 
nul  C  n'est  A,  tout  B  est  C,  donc  nul  B  n'est  A  ;  cette  conclusion  est 
la  contradictoire  de  la  majeure  ,  qui  étoit  quelque  B  est  A.  Le  qua- 
trième mode  vient  d'une  majeure  universelle  affirmative  et  d'une  mi- 
heure  particulière  affirmative  suivies  de  cette  manière  d'une  conclu- 
sion particulière  affirmative  :  tout  B  est  A,  quelque  B  est  C,  donc 
quelque  C  est  A.  On  ramène  ainsi  cette  argumentation  au  troisième 
mode  de  la  première  figure  par  la  conversion  de  la  mineure  :  tout  B 
est  A ,  quelque  C  est  B  ,  donc  quelque  C  est  A.  Par  le  syllogisme  con- 
versif on  la  ramène  au  quatrième  mode  de  la  première  figure  de  cette 
manière  :  nul  C  n'est  A  ,  quelque  B  est  C ,  donc  quelque  B  n'est  pas 
A.  Cette  conclusion  est  la  contradictoire  de  la  majeure  du  premier 
syllogisme,  qui  étoit,  tout  B  est  A.  Le  cinquième  mode  provient  d'une 
majeure  particulière  négative  et  d'une  mineure  universelle  affirmative 
suivies  de  cette  manière  d'une  conclusion  particulière  négative.  Quel- 
que B  n'est  pas  A ,  tout  B  est  C,  donc  quelque  C  n'est  pas  A.  Cette  ar- 


sic  :  Nullum  B  est  A,  quoddam  G  est  B, 
ergo  quoddam  G  non  est  A.  Sed  per  syllo- 
gismum  conversivum  reducitur  ad  primum 
modum  primée  figurée  si  accipiatur  oppo- 
situm  conclusionis ,  et  fiât  major  sic  : 
Omne  C  est  A,  omne  B  est  C,  ergo  omne 
B  est  A.  Heec  conclusio  est  contraria  majori 
primi  syllogismi.  Tertius  modus  constat  ex 
majori  particulari  affirmativa  et  minori 
universali  affirmativa,  ex  quibus  sequitur 
conclusio  particularis  affirmativa  sic  : 
Quoddam  B  est  A,  omne  B  est  G,  ergo  quod- 
dam G  est  A.  Heec  per  conversionem  re- 
ducitur ad  tertium  modum  primée  figurée 
convertendo  majorem  simpliciter  et  trans- 
ponendo  propositiones  sic  :  Omne  B  est  C, 
quoddam  A  est  B ,  ergo  quoddam  A  est  G , 
per  syllogismum  vero  conversivum  reduci- 
tur ad  secundum  modum  primée  figurée  sic: 
Nullum  C  est  A,  omne  B  est  C,  ergo  nul- 


lum B  est  A.  Heec  conclusio  est  contradic- 
toria  majoris,  quee  erat,  quoddam  B  est  A. 
Quartus  modus  constat  ex  majori  univer- 
sali affirmativa  et  minori  particulari  affir- 
mativa concludentibus  particularem  affir- 
mativam  sic  :  Omne  B  est  A,  quoddam  B 
est  C,  ergo  quoddam  C  est  A.  Heec  per 
conversionem  minoris  reducitur  ad  tertium 
modum  primée  figurée  sic  :  Omne  B  est  A, 
quoddam  G  est  B,  ergo  quoddam  C  est  A. 
Per  syllogismum  vero  conversivum  redu- 
citur ad  quartum  primée  sic  :  Nullum  G  est 
A,  quoddam  B  est  C,  ergo  quoddam  B  non 
est  A.  Heec  conclusio  est  contradictoria 
majoris  primi  syllogismi,  quee  erat ,  omne 
B  est  A.  Quintus  modus  constat  ex  ma- 
jori particulari  negativa  et  minori  univer- 
sali affirmativa  concludentibus  particula- 
rem negativam  sic  :  Quoddam  B  non  est 
A,  omne  B  est  C,  ergo  quoddam  G  non  est 


282  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    7. 

gumentation  ne  peut  se  ramener  par  conversion ,  parce  que  sa  ma- 
jeure étant  particulière  négative  ne  peut  se  convertir,  et  la  mineure 
se  convertit  en  particulière.  Or  on  ne  peut  rien  conclure  de  simples 
particulières.  Mais  par  le  syllogisme  conversif  on  la  ramène  ainsi  au 
premier  mode  de  la  première  figure  :  toutC  est  A,  tout  B  estC,  donc 
tout  B  est  A,  et  c'est  là  la  contradictoire  de  la  majeure  du  premier 
syllogisme  qui  étoit,  quelque  B  n'est  pas  A.  Le  sixième  mode  provient 
d'une  majeure  universelle  négative  et  d'une  mineure  particulière  af- 
firmative suivies  d'une  conclusion  particulière  négative,  de  cette  ma- 
nière :  Nul  B  n'est  A,  quelque  B  est  C,  donc  quelque  C  n'est  pas  A. 
Cette  argumentation  se  ramène  ainsi  par  la  conversion  de  la  mineure 
au  quatrième  degré  de  la  première  figure ,  nul  B  n'est  A ,  -quelque  C 
est  B  ,  donc  quelque  C  n'est  pas  A.  Elle  se  ramène  par  le  syllogisme 
conversif  au  troisième  mode  de  la  première  figure.  Tout  C  est  A,  quel- 
que B  est  C,  donc  quelque  B  est  A,  et  c'est  là  la  contradictoire  de  la 
majeure  du  premier  syllogisme  qui  étoit  nul  B  n'est  A.  Tel  est  l'ex- 
posé des  syllogismes  à  conclusion  directe  dans  toutes  les  figures  et 
de  leurs  preuves.  Aristote  ramène  tous  les  syllogismes  à  deux  uni- 
versels de  la  première  figure.  C'est  pourquoi  par  le  syllogisme  con- 
versif il  ramène  le  troisième  mode  de  la  première  figure  au  second 
mode  de  la  seconde  figure  ,  et  le  quatrième  mode  de  la  même  pre- 
mière figure  au  premier  de  la  secondait*  ceux-ci  sont  ramenés  à  deux 
modes  universels  de  la  première  figure,  comme  il  a  été  dit.  Donc  tous 
sont  ramenés  à  deux  modes  universels  de  la  première  figure  dans  les- 
quels se  conservent  parfaitement  dici  de  omni  et  dici  de  nullo.  Que 
ces  deux  modes  de  la  première  figure  soient  ramenés  aux  universels 
de  la  seconde,  comme  au  troisième  de  la  première  figure,  on  le  prouve 


A.  Heec  non  potest  reduci  per  conversio- 
nem,  quia  major  ejus  non  potest  converti 
cum  sit  particularis  negativa  ,  minor  vero 
convertitur  in  particularem.  Ex  puris  au- 
tem  particularités  nihil  sequitur.  Per  syl- 
logismum  vero  conversivum  reducitur  ad 
primum  primas  sic  :  Omne  G  est  A,  omne 
B  est  G ,  ergo  omne  B  est  A  ,  et  hase  est 
contradictio  majoris  primi  syllogismi  quas 
erat,  quoddam  B  non  est  A.  Sextus  modus 
constat  ex  majori  universali  negativa  et 
minori  particulari  affirmativa  concluden- 
tibus  particularem  negativam  sic  :  Nullum 
B  est  A,  quoddam  B  est  C,  ergo  quoddam 
C  non  est  A.  Haec  per  conversionem  mino- 
ris  reducitur  ad  quartum  primée  sic  :  nul- 
lum B  est  A,  quoddam  G  est  B,  ergo  quod- 
dam C  non  est  A.  Per  syllogismum  vero 
conversivum  reducitur  ad  tertium  primée 
sic  :  Omne  C  est  A,  quoddam  B  est  C,  ergo 


quoddam  B  est  A  ,  quas  est  contradictoria 
majoris  primi  syllogismi,  quas  erat,  nullum 
B  est  A.  Et  sic  patet  de  syllogismis  directe 
concludentibus  in  omnibus  tiguris ,  et  de 
eorum  probationibus.  Philosophus  autem 
reduxit  omnes  syllogismos  ad  duos  univer- 
sales  primas  figuras.  Unde  tertium  modum 
primée  figurée  reduxit  per  syllogismum 
conversivum  ad  secundum  modum  secun- 
das  figurée ,  et  quartum  modum  ejusdem 
primée  figuras  reduxit  per  syllogismum 
conversivum  ad  primum  secundas,  illi  au- 
tem reducuntur  ad  duos  modos  universales 
primée  figurée,  ut  dictum  est.  Omnes  ergo 
reducuntur  ad  duos  modos  universales 
primée  figurée,  in  quibus  salvatur  perfecte 
dici  de  omni  et  dici  de  nullo.  Quod  autem 
reducantur  praedicti  duo  modi  primée  fi- 
gurée ad  universales  secundee  ,  puta  tertio 
primée  figurée,  patet  sic  :  Omne  B  est  A, 


SUR   LA   LOGIQUE    d'arLSTOTE.  283 

de  cette  manière  :  tout  B  est  A,  quelque  C  est  B ,  donc  quelque  C  est 
A.  L'opposé  de  la  conclusion  est,  nul  C  n'est  A,  qu'on  en  fasse  la  mi- 
neure ,  et  qu'on  établisse  le  syllogisme  dans  le  second  mode  de  la  se- 
conde figure  de  cette  manière  :  tout  B  est  A,  nul  C  n'est  A,  donc 
nul  C  n'est  B ,  ce  qui  est  l'opposée  de  la  mineure  qui  étoit ,  quelque 
C  est  B.  Le  quatrième  se  ramène  au  premier;  voici  en  effet  le  qua- 
trième mode ,  nul  B  n'est  A  ,  quelque  C  est  B  ,  donc  quelque  C  n'est 
pas  A.  L'opposé  de  la  conclusion  est ,  tout  C  est  A;  qu'on  eu  fasse  la 
mineure,  et  qu'on  construise  le  syllogisme  dans  le  premier  degré  de 
la  seconde  figure  de  cette  manière,  nul  B  n'est  A,  tout  C  est  A ,  donc 
nul  C  n'est  B.  On  voit  donc  de  quelle  manière  tous  les  syllogismes  se 
ramènent  à  deux  modes  universels  de  la  première  figure. 

CHAPITRE  VIII. 

Des  syllogismes  à  conclusion  indirecte  et  de  leur  réduction. 

Il  nous  reste  maintenant  à  parler  des  syllogismes  à  conclusion  in- 
directe. 11  y  a  conclusion  indirecte  quand  le  petit  extrême  se  dit  du 
grand  dans  la  conclusion.  Ces  syllogismes  sont  au  nombre  de  dix; 
cinq  sont  dans  la  première  figure ,  deux  dans  la  seconde  et  trois  dans 
la  troisième.  Il  faut  savoir  que  tout  syllogisme  qui  présente  une  con- 
clusion par  laquelle  il  peut  être  converti ,  peut  également  en  avoir 
une  autre  en  laquelle  il  soit  converti.  Toutes  les  conclusions  de  ces 
syllogismes  étant  susceptibles  d'être  converties ,  à  l'exception  des 
particulières  négatives  ,  il  s'ensuit  que  tous  ces  syllogismes  pourront 
avoir  une  conclusion  indirecte.  Il  y  en  a  trois  de  ce  genre  dans  la  pre- 
mière figure  ,  savoir,  le  premier,  le  second  et  le  troisième  mode  ;  il  y 


quoddam  C  est  B,  ergo  quoddanv  G  est  A. 
Oppositum  conclusionis  est ,  nullum  C  est 
A,  qute  liât  minor ,  et  fiât  syllogismus  in 
secundo  secundse  figurée  sic  :  Omne  B  est 
A,  nullum  C  est  A,  ergo  nullum  G  est  B, 
qua?  est  opposita  minoris,  quae  erat,  quod- 
dam G  est  B.  Quartus  vero  r'educitur  ad 
primum.  Est  enim  quartus  modus  sic  : 
Nullum  B  est  A,  quoddam  C  est  B,  ergo 
quoddam  G  non  est  A.  Oppositum  conclu- 
sionis est,  omne  G  est  A ,  quae  fiât  minor, 
et  fiât  syllogismus  in  primo  secundœ  figu- 
rée sic  :  Nullum-  B  est  A  ,  omne  C  est  A, 
ergo  nullum  C  est  B.  Patet  ergo  qualiter 
omnes  syllogismi  reducantur  ad  duos  mo- 
dos  universales  primée  figurae. 


GAPUT  VIII. 

De  jyllogismis  indirecte  concludentibw ,  et 
de  reductione  ipsorum. 

Restât  nunc  dicere  de  syllogismis  indi- 
recte concludentibus.  Est  autem  indirecte 
concludere  minorem  extremitatem  praedi- 
cari  de  majorï  in  conclusione.  Taies  autem 
syllogismi  sunt  numéro  decem,  quinque 
enim  sunt  in  prima  figura,,  duo  in  secunda 
figura,  et  très  in  tertia  figura.  Sciendum 
quod  omnis  syllogismus  concludens  ali- 
quam  conclusionem  quo  converti  potest, 
etiam  potest  concludere  illam  in  quam 
convertitur.  Cum  ergo  omnes  conclusiones 
dictorum  syllogismorum  possunt  converti, 
exceptis  particularibus  negativis,  omnes 
taies  syllogismi  poterunt  concludere  indi- 
recte. Taies  autem  in  prima  figura  sunt 
très,  scilicet  primus  modus,  secundus  et 


284  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    8. 

en  a  deux  dans  la  seconde ,  savoir,  le  premier  et  le  second;  il  y  en  a 
trois  dans  la  troisième ,  savoir,  le  premier,  le  troisième  et  le  qua- 
trième. Qu'on  introduise  dans  la  première  figure  deux  modes,  qui 
sont  contre  les  deux  principes  ou  les  règles  données  dans  la  première 
figure.  Car  ils  ont  tous  deux  la  mineure  négative,  ce  qui  est  contraire 
à  cette  règle.  Dans  la  première  figure,  quand  la  mineure  est  négative, 
il  n'y  a  pas  de  conclusion,  et  l'un  des  deux  a  la  majeure  particulière 
contre  l'autre  règle.  Or  les  savants  modernes ,  entre  autres  Boëce,  en 
omettant  cinq,  c'est-à-dire  ceux  de  la  seconde  et  de  la  troisième  figure, 
n'ont  parlé  que  des  cinq  de  la  première  figure.  Le  premier  est  formé 
d'une  majeure  universelle  affirmative  et  d'une  mineure  universelle  af- 
firmative ,  suivies  d'une  conclusion  indirecte  particulière  affirmative, 
de  cette  manière,  tout  B  est  A,  tout  C  est  B,  donc  quelque  A  est  C.  Or 
il  se  ramène  au  premier  mode  de  la  première  figure,  en  convertissant  la 
conclusion  particulière  en  universelle.  Le  second  est  formé  d'une  ma- 
jeure universelle  négative  et  d'une  mineure  universelle  affirmative , 
suivies  d'une  conclusion  indirecte  universelle  négative ,  de  cette  ma- 
nière :  nul  B  n'est  A,  tout  C  est  B,  donc  nul  A  n'est  C.  Il  se  ramène  au 
second  mode  de  la  première  figure  par  une  conversion  simple  de  la  con- 
clusion. Le  troisième  mode  se  forme  d'une  majeure  universelle  affir- 
mative et  d'une  mineure  particulière  affirmative,  suivies  d'une  con- 
clusion indirecte  particulière  affirmative,  de  cette  manière  :  tout  B  est 
A,  quelque  C  est  B,  donc  quelque  A  est  C  ;  il  se  ramène  au  troisième 
mode  de  la  première  figure  par  une  simple  conversion  de  la  conclusion. 
Le  quatrième  mode  se  forme  d'une  majeure  universelle  affirmative  et 
d'une  mineure  universelle  négative ,  suivies  d'une  conclusion  indirecte 
particulière  négative,  de  cotte  manière ,  tout  B  est  A  ,  nul  C  n'est  B, 
donc  quelque  A  n'est  pas  C.  Il  se  ramène  au  quatrième  mode  de  la 


tertius.  In  secunda  sunt  duo ,  scilicet  pri- 
mus  et  secundus.  In  tertia  sunt  très ,  sci- 
licet primus,  et  tertius,  et  quartus.  Addu- 
cantur  autem  in  prima  figura  duo  modi , 
qui  sunt  contra  duo  principia  sive  régulas 
datas  in  prima  figura.  Nam  ambo  habent 
minorem  negativam,  quod  est  contra  il- 
lam  regulam  :  In  prima  figura  minori  exis- 
tente  negativa*,  nibil  sequitur.  Et  alter 
eorum  habet  majorem  particularem  contra 
aliam  regulam.  Doctores  autem  modérai , 
scilicet  Boetius,  prsetermissis  quinque,  sci- 
licet secundae  et  tertiœ  iîgurœ,  de  solis 
quinque  primée  figura?  fecerunt  mentio- 
nem.  Quorum  primus  constat  ex  majori 
universali  affirmativa,  et  minori  univer- 
sali  affirmativa  concludentibus  indirecte 
particularem  affirmativam  sic  :  Omne  13  est 
A,  omne  G  est  B,  ergo  quoddam  À  est  C. 


Reducitur  autem  ad  primum  prima? ,  si 
conclusio  particularis  convertatur  in  uni- 
versalem.  Secundus  constat  ex  majori  uni- 
versali negativa,  et  minori  universali  affir- 
mativa, concludentibus  indirecte  universa- 
lem  negativam  sic  :  Nullum  B  est  A,  omne 
C  est  B,  ergo  nullum  A  est  C.  Reducitur 
ad  secundum  primae,  conversa  conclusione 
simpliciter.  Tertius  modus  constat  ex  ma- 
jori universali  affirmativa  et  minori  parti- 
culari  affirmativa  concludentibus  indirecte 
particularem  affirmativam  sic  :  Omne  B 
est  A,  quoddam  C  est  B,  ergo  quoddam  A 
est  G.  Reducitur  ad  tertium  primae ,  con- 
versa conclusione  simpliciter.  Quartus  mo- 
dus constat  ex  majori  universali  affirma- 
tiva et  minori  universali  negativa  conclu- 
dentibus indirecte  particularem  negativam 
sic  :  Omne  B  est  A,  nullum  G  est  B,  ergo 


SUR   LA    LOGIQUE    d'ARISTOTE.  285 

première  figure  par  la  conversion  de  la  mineure  par  accident ,  et  de 
la  mineure  simplement ,  et  par  la  transposition  des  propositions ,  de 
sorte  que  de  la  mineure  se  fasse  la  majeure ,  et  vice  versa  de  cette 
manière  :  nul  B  n'est  C,  quelque  A  est  B ,  donc  quelque  A  n'est 
pas  C.  Le  cinquième  mode  se  forme  d'une  majeure  particulière  affir- 
mative et  d'une  mineure  universelle  négative  ,  suivies  d'une  conclu- 
sion indirecte  particulière  négative  ,  de  cette  façon  :  quelque  B  est  A, 
nul  C  n'est  B,  donc  quelque  A  n'est  pas  C.  Il  se  ramène  au  quatrième 
mode  de  la  première  figure  par  la  conversion  simple  de  chacune  des 
propositions  ,  et  par  leur  transposition  de  la  manière  suivante  :  nul  B 
n'est  C ,  quelque  A  est  B  ,  donc  quelque  A  n'est  pas  C.  Voilà  ce  qui 
concerne  les  syllogismes  à  conclusion  indirecte.  Pour  mieux  se  res- 
souvenir de  ces-  syllogismes ,  on  a  imaginé  les  vers  suivants  : 

Barbara ,  celarent ,  darii ,  ftrio ,  baralipton, 
Celantes ,  dabitis ,  fapesmo ,  frisesomorum , 
Caesare  ,  camestres ,  festino  ,  baroco ,  darapti  , 
Felapton  ,  disamis,  datisi ,  bocardo  ,  ferison. 

On  les  explique  ainsi.  Il  y  a  dans  ces  vers  dix-neuf  manières  de  dire  dix- 
neuf  ou  mots  qui  se  rapportent  à  dix-neuf  modes  de  syllogismes  suivant 
leur  ordre  respectif ,  savoir,  neuf  modes  de  la  première  figure  ,  dont 
quatre  sont  à  conclusion  directe  et  cinq  à  conclusion  indirecte,  quatre 
de  la  seconde  figure,  et  six  de  la  troisième  figure.  Tous  ces  mots  sont 
des  trissylabes  dont  la  première  syllabe  désigne  la  majeure,  la  seconde 
la  mineure ,  la  troisième  la  conclusion.  Les  syllabes  de  plus  qui  se 
trouvent  dans  quelques  mots  ne  sont  pas  nécessaires ,  elles  ne  sont  là 
que  pour  la  mesure.  Or,  dans  ces  syllogismes  il  y  a  quatre  voyelles, 
A,  E  ,  I,  0,  qui  signifient  A  l'universelle  affirmative  ,  E  l'universelle 
négative,  I  la  particulière  affirmative,  0  la  particulière  négative. 


quoddam  A  non  est  G.  Et  redueitur  ad 
quartum  primae,  conversa  majori  per  acci- 
dens,  et  minori  simpliciter,  et  transpositis 
propositionibus,  ut  de  minori  fiât  major  et 
de  majori  minor  sic  :  Nullum  B  est  G, 
quoddam  A  est  B,  ergo  quoddam  A  non 
est  C.  Quintus  modus  constat  ex  majori 
particulari  af iirmativa  et  minori  universali 
negatiya  concludentibus  indirecte  particu- 
larem  negativam  sic  :  Quoddam  B  est  A, 
nullum  C  est  B ,  ergo  quoddam  A  non  est 
C.  Et  redueitur  ad  quartum  primae  per 
conversionem  simpliciter  utriusque  propo- 
sitions, et  transpositis  utrisque  sic  :  Nul- 
lum B  est  C,  quoddam  A  est  B,  ergo  quod- 
dam A  non  est  C.  Et  sic  patet  de  syllogis- 
mis  indirecte  concludentibus.  Sciendum 
autem  quod  ad  memoriter  tenendum  prae- 
dictos  syllogismos,  inventi  sunt  quidam 
versus  qui  taliter  designantur  : 


Barbara,  celarent,  darii,  ferio  ,  baralipton, 
Celantes,  dabitis,  fapesmo,  frisesomorum, 
Caesare,  camestres,  festino,  baroco,  darapti, 
Felapton,  disamis,  datisi,  bocardo,  ferison. 

Quorum  intellectus  talis  est.  In  his  ver- 
sibus  sunt  xix  dictiones  quae  secundum  or- 
dinem  suum  deserviunt  xix  modus  syllogis- 
morum ,  scilicet  novem  modis  primae  fi- 
gura? ,  quatuor  concludentibus  directe  ,  et 
quinque  indirecte  ,  et  quatuor  secundae 
figuras,  et  sex  tertiae  figurée.  Omnes  autem 
hae  dictiones  sunt  trisyllabae ,  quorum 
prima  syllaba  doservit  majori  proposition^ 
secunda  minori,  tertia  conclusioni.  Et  si  in 
aliqua  dictione  inveniuntur  plures  syllabae, 
non  sunt  necessariœ  ,  sed  ponuntur  causa 
metri.  In  praedictis  autem  syllogismis  sunt 
quatuor  vocales,  scilicet  A,  E,  I,  0,  quae 
sic  significat  :  A  significat  universalem  af- 
firmativam ,   E   universalem  negativam  , 


286  OPUSCULE    XLVH,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    8. 

C'est  pourquoi  barbara,  qui  se  rapporte  au  premier  mode  de  la  pre- 
mière figure  ,  a  un  A  dans  toutes  ses  syllabes  ,  parce  que  toutes  ses 
propositions  sont  universelles  affirmatives.  Tous  ces  mots  commencent 
par  ces  quatre  consonnes  B,  C,  D,  F.  Or  les  quatre  premiers  mots 
qui  répondent  aux  quatre  modes  de  la  première  figure  à  conclusion 
indirecte ,  commencent  par  ces  quatre  consonnes.  C'est  pourquoi  si 
quelques  autres  mots  commencent  par  quelqu'une  de  ces  consonnes  , 
cela  veut  dire  que  ces  syllogismes  doivent  être  ramenés  au  mode  de 
la  première  figure ,  à  laquelle  répond  le  mot  qui  commence  par  cette 
consonne.  Par  exemple  :  Cœsare,  qui  répond  au  premier  mode  de  la 
seconde  figure ,  commence  par  cette  consonne  C  ,  et  signifie  que  ce 
mode  se  ramène ,  par  la  conversion  de  la  majeure ,  au  second  mode 
de  la  première  figure  à  laquelle  répond  le  mot  qui  commence  par  C , 
c'est-à-dire  celarent ,  et  ainsi  des  autres.  Dans  ces  syllogismes  on  ren- 
contre aussi  quelquefois  la  lettre  S  après  la  voyelle ,  ce  qui  signifie 
que  cette  proposition  ou  conclusion  à  laquelle  répond  la  syllabe  doit 
se  convertir  simplement.  D'autres  fois  on  trouve  P,  et  cela  signifie  que 
la  proposition  ou  la  conclusion  à  laquelle  répond  la  syllabe ,  doit  se 
convertir  per  accidens.  Quelquefois  on  trouve  la  lettre  M,  et  cela  veut 
dire  que  les  prémisses  de  ce  syllogisme  doivent  être  transposées  de 
manière  à  faire  la  mineure  de  la  majeure  ,  et  réciproquement.  Quel- 
quefois on  trouve  C ,  ce  qui  veut  dire  que  ce  syllogisme  ne  peut  être 
réduit  par  conversion,  mais  seulement  par  le  syllogisme  conversif, 
et  cela  n'arrive  que  dans  deux  syllogismes,  savoir,  baroco  et  bocardo, 
comme  on  l'a  dit.  Il  faut  savoir  que  toutes  ces  règles ,  à  l'exception  de 
celle  sur  la  lettre  C ,  ne  s'entendent  que  de  la  réduction  des  syllo- 


I  particularera  affirmativam ,  0  particula- 
rem  negativam.  Unde  Barbara  qui  deservit 
primo  modo  primae  figurae ,  in  omnibus 
syllabis  habet  A,  quia  omnes  ejus  proposi- 
tions sunt  uuiversales  affirmativae.  Omnes 
praedictae  dictiones  incipiunt  ab  his  qua- 
tuor consonantibus,  scilicet  B,  C,  D,  F; 
primée  autem  quatuor  dictiones  quae  de- 
serviunt  quatuor  modis  primae  figurae  di- 
recte concludentihus  a  praedictis  quatuor 
consonantibus  incipiunt.  Unde  si  quœ  aliae 
dictiones  incipiunt  a  quacumque  harum 
consonantium ,  significat  quod  taies  syllo- 
gismi  sunt  reducendi  ad  illum  modum 
primae  figurae,  cui  deservit  dictio  incipiens 
ab  illa  consonante.  Verbi  giatia  :  Caesare 
quae  deservit  primo  modo  secundœ  figurae, 
incipit  ab  ista  consonante  C,  et  significat, 
quod  talis  modus  per  conversionem  majoris 
reducitur  ad  secundum  modum  primae  fi- 
gurae, cui  deservit  dictio  incipiens  a  C  ,  sci- 


licet Celarent,  et  sic  de  singulis.  In  prae- 
dictis etiain  syllogismis  aliquando  invenitur 
ista  littera  S  post  vocalem ,  et  significat 
quod  illa  propositio  vel  conclusio,  cui  de- 
servit syllaba ,  débet  converti  simpliciter. 
Aliquando  vero  invenitur  P,  et  significat 
quod  illa  propositio  vel  conclusio  ,  cui  de- 
servit syllaba,  débet  converti  per  accidens.. 
Aliquando  vero  invenitur  AI,  et  significat 
quod  praemissae  illius  syllogismi  debent 
transponi,  ut  de  majori  fiât  minor ,  et  e 
converso.  Aliquando  invenitur  G,  et  signi- 
ficat quod  iste  syllogismus  non  potest  re- 
duci  per  conversionem,  sed  solum  per  syl- 
logismurn  conversivum,  et  hoc  solum  acci- 
dit  in  duobus  syllogismis ,  scilicet  Baroco 
et  Bocardo,  ut  dictum  est.  Sciendum  quod 
prœdictœ  regulae  praeterquam  régula  de 
littera  C,-intelliguntur  solum  de  reductione 
syllogisinorum  facta  per  conversionem  ,  et 
non  de  ea  quae  facta  est  per  syllogismum 


SUR  LA  LOGIQUE   d'àRISTOTE.  287 

gismes  par  conversion ,  et  non  de  celle  qui  se  fait  par  le  syllogisme 
conversif.  Tel  est  ce  qui  regarde  les  syllogismes  conversifs  de  inesse. 


CHAPITRE  IX. 

De  l'invention  du  moyen  terme  pour  les  syllogismes  de  toutes  les  figures, 
tant  affirmait f s  que  négatifs. 

Cela  connu,  pour  pouvoir  plus  facilement  tirer  une  conclusion  et 
argumenter,  il  est  bon  de  savoir  que  toute  conclusion  renferme  les 
deux  extrêmes  ,  comme  il  a  été  dit.  Or  tout  syllogisme  se  compose  de 
trois  termes.  Lors  donc  que  l'on  a  une  conclusion  à  tirer,  pour  com- 
pléter le  syllogisme  il  faut  un  autre  terme  qu'on  appelle  moyen  terme. 
Voyons  comment  on  trouve  ce  moyen  terme.  Sur  cela  il  faut  re- 
marquer qu'Aristote ,  dans  son  livre  I.  Priorum  ,  se  sert  de  trois 
dénominations  de  termes,  savoir  l'antécédent,  le  conséquent  et  le 
neutre.  On  appelle  antécédent  le  terme  susceptible  de  subjectivité , 
comme  homme  est  antécédent  d'animal;  on  appelle  conséquent  le 
terme  qui  peut  se  dire  d'une  autre  chose ,  et  ainsi  animal  est  consé- 
quent d'homme.  Et  comme  les  termes  susceptibles  de  conversion 
peuvent  échanger  entre  eux  la  subjectivité  et  la  prédication ,  comme 
le  propre  qui  peut  se  dire  de  l'espèce  et  l'espèce  du  propre,  il  en  est 
de  même  de  la  définition  et  du  défini ,  il  s'ensuit  que  l'un ,  par  rap- 
port à  l'autre  ,  est  appelé  antécédent  et  conséquent  réciproque- 
ment. Le  terme  neutre  est  celui  qui  n'est  susceptible  à  l'égard  d'un 
autre,  ni  de  subjectivité  ni  de  prédication  ,  comme  homme  et  âne  qui 
se  trouvent  réciproquement  dans  ce  cas.  Il  faut  savoir  que  les  modes 
des  syllogismes  à  conclusion  directe,  comme  nous  l'avons  dit,  sont 
au  nombre  de  quatorze,  savoir,  quatre  dans  la  première  figure, 


conversivum.  Et  sic  patet  de  syllogismis 
de  inesse  conversivis. 

CAPUT  IX. 

De  invenlione  medii  termini  syllogismis 
omnium  figurarum  tam  affirmativis , 
quam  negalivis. 

Scitis  syllogismis,  ut  facilius  possimus 
quamcumque  conclusionem  ccncludere  et 
syllogizare,  sciendum  quod  omnis  conclu- 
sio  in  se  continet  ambas  extremitates,  ut 
dictum  est  :  totus  autem  syllogismus  ex 
tribus  terminisfit.  Habita  ergo  quacumque 
oratione  concludenda  ad  complendum  syl- 
logismum,  egemus  uno  termine-,  scilicet 
medio.  Qualiter  autem  talis  médius  termi- 
nus inveniatur,  videamus.  Ubi  nota ,  quod 
Philosophus  primo  Prioiiim  tribus  utitur 
nominibus  terminorum ,  scilicet    antécé- 


dente, conséquente  et  répugnante.  Dieitur 
autem  terminus  antecedens  qui  potest 
subjici,  ut  homo  est  antecedens  ad  animal, 
consequens  autem  dieitur  terminus,  qui 
potest  de  alio  praedicari ,  et  sic  animal  est 
consequens  ad  hominem.  Et  quia  termini 
convertibiles  inter  se  et  subjici  et  praedi- 
cari possunt,  ut  proprium  quod  potest 
praedicari  de  specie,  et  species  de  ipso ,  et 
similiter  se  habet  de  diffinitione  et  diffi- 
nito,  ideo  unus  respectu  alterius,  et  dieitur 
antecedens,  et  dieitur  consequens.  Repu- 
gnans  vero  terminus  dieitur,  qui  alteri 
subjici  non  potest,  nec  de  eo  praedicari,  ut 
homo  et  asinus,  quorum  neuter  de  alteio 
potest  praedicari,  nec  sibi  subjici.  Sciendum 
quod  modi  syllogismorum  directe  conclu- 
dentium ,  ut  dictum  est ,  sunt  quatuorde-  « 
cim ,  scilicet  quatuor  in  prima  figura ,  qua-y 


288  OPLSCLLE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE   9. 

quatre  dans  la  seconde ,  et  six  dans  la  troisième,  car  je  ne  m'occupe 
pas  ici  de  ceux  qui  sont  à  conclusion  indirecte.  Il  y  a  donc  dans  la  pre- 
mière figure  deux  modes  affîrmatifs  à  conclusion  directe ,  savoir,  le 
premier  et  le  troisième,  et  deux  négatifs,  savoir,  le  second  et  le 
quatrième.  Pour  trouver  le  moyen  terme  dans  les  modes  affîrmatifs  , 
il  faut  considérer  un  terme  qui  soit  antécédent  par  rapport  au  prédicat, 
et  conséquent  par  rapport  au  sujet.  Par  exemple,  si  l'on  veut  mettre 
en  forme  cette  proposition,  tout  homme  est  substance  ,  on  a  déjà  le 
grand  et  le  petit  extrême.  Le  conséquent  par  rapport  au  sujet,  et 
l'antécédent  par  rapport  au  prédicat,  c'est  animal.  Donc  il  est  moyen 
terme  par  ce  syllogisme  dans  le  premier  mode  de  la  première  figure , 
de  cette  manière  :  tout  animal  est  substance,  tout  homme  est  animal, 
donc  tout  homme  est  substance.  Mais  si  la  conclusion  doit  être  celle- 
ci  ,  quelque  homme  est  substance ,  animal  sera  moyen  terme  dans  le 
troisième  mode  de  la  même  figure ,  et  on  fera  ainsi  le  syllogisme  : 
tout  animal  est  substance  ,  quelque  homme  est  animal ,  donc  quelque 
homme  est  substance.  Dans  les  syllogismes  négatifs  de  la  même  figure, 
on  prend  pour  moyen  terme  celui  qui  est  neutre  à  l'égard  du  pré- 
dicat ,  et  qui  est  conséquent  par  rapport  au  sujet.  Par  exemple  ,  si  la 
conclusion  doit  être  celle-ci ,  nul  homme  n'est  pierre ,  ou  quelque 
homme  n'est  pas  pierre ,  on  prendra  animal  pour  moyen  terme  ;  car 
il  y  a  répugnance  entre  animal  et  pierre ,  tandis  qu'animal  peut  se 
dire  de  l'homme;  on  fera  donc  le  syllogisme  dans  le  second  mode  de 
la  première  figure ,  de  cette  manière  ,  nul  animal  n'est  pierre  ,  tout 
homme  est  animal,  donc  nul  homme  n'est  pierre.  Dans  le  quatrième, 
on  procédera  ainsi,  nul  animal  n'est  pierre,  quelque  homme  est 
animal,  donc  quelque  homme  n'est  pas  pierre.  Voilà  comment  se 
trouve  le  moyen  terme  dans  la  première  figure.  Dans  la  seconde  figure, 


tuor  in  secunda,  et  sex  in  tertia  :  quia  de 
indirecte  concludentibus  hic  non  me  intro- 
mitto.  In  prima  igitur  figura  sunt  duo 
modi  afiïrmativi  directe  concludentes,  sci- 
licet  primus,  et  tertius  :  et  duo  negativi, 
scilicet  seeundus,  et  quartus.  Ad  invenien- 
dum  médium  in  afïirmativis,  considerandus 
est  unns  terminus,  qui  sit  antecedens  ad 
pradicatum ,  et  consequens  ad  subjectum. 
Verbi  gratia.  Si  débet  syllogizari  heec,  sci- 
licet omnis  homo  est  substantia,  jam  habe- 
tur  minor  et  major  extremitas.  Consequens 
autem  ad  subjectum,  et  antecedens  ad 
pradicatum  est  animal,  ergo  est  médius 
terminus  per  hune  syllogismum  in  primo 
modo  primœ  figura  sic.  Omne  animal  est 
substantia  ,  omnis  homo  est  animal,  ergo 
omnis  homo  est  substantia;  si  \ero  débet 
concludi  hœc ,  quidam  homo  est  substan- 


tia :  in  tertio  modo  ejusdem  figura  est 
médius  terminus  animal ,  et  fiet  syllogis- 
mus  sic.  Omne  animal  est  substantia,  qui- 
dam homo  est  animal,  ergo  quidam  homo 
est  substantia.  In  syllogismis  vero  negativa 
ejusdem  figura  sumiiur  pro  medio  repu- 
gnans  prœdicato,  et  consequens  ad  subjec- 
tum. Verbi  gratia.  Si  débet  concludi  h;«c  : 
nullus  homo  est  lapis.  Vel  quidam  homo 
non  est  lapis .  sumatur  pro  medio  animal. 
Répugnât  enim  animal  lapidi,  et  potest 
pradicari  de  homine  :  fiât  ergo  syllogismus 
in  secundo  modo  prima?  sic.  Nullum  ani- 
mal est  lapis,  omnis  homo  est  animal, 
ergo  nullus  homo  est  lapis.  In  quarto  vero 
sic,  nullum  animal  est  lapis,  quidam  homo 
est  animal,  ergo  quidam  homo  non  est  la- 
pis. Et  sic  patet  de  inventione  medii  tor- 
mini   in  prima  figura.  In  secunda  autem 


SUR   LA   LOGIQUE   D'ARISTOTE.  289 

il  y  a  quatre  modes  tous  négatifs ,  dont  le  premier  et  le  troisième  ont 
la  majeure  négative  et  la  mineure  affirmative.  C'est  tout  le  contraire 
pour  le  second  et  le  quatrième  qui  ont  la  majeure  affirmative  et  la 
mineure  négative ,  aussi  le  moyen  terme  se  prend  différemment  de 
part  et  d'autre.  C'est  pourquoi  dans  le  premier  et  le  troisième  on 
prend  pour  moyen  le  terme  qui  répugne  au  prédicat  et  qui  est  consé- 
quent par  rapport  au  sujet.  Par  exemple,  si  l'on  doit  avoir  cette  con- 
clusion, nul  homme  n'est  pierre,  ou  celle-là,  quelque  homme  n'est 
pas  pierre ,  on  prendra  l'un  pour  moyen  terme  ,  et  on  établira  le  syl- 
logisme dans  le  premier  mode  de  la  seconde  figure,  de  cette  manière  : 
nulle  pierre  n'est  animal,  tout  homme  est  animal ,  donc  nul  homme 
n'est  pierre.  Dans  le  troisième  mode  on  fera  ainsi ,  nulle  pierre  n'est 
animal ,  quelque  homme  est  animal ,  donc  quelque  homme  n'est  pas 
pierre.  Dans  le  second  et  le  quatrième  mode  on  prendra  pour  moyen 
terme  le  conséquent  ou  prédicat ,  et  ce  qui  répugne  au  sujet.  Par 
exemple,  si  on  veut  avoir  cette  conclusion,  nul  homme  n'est  pierre, 
ou  celle-ci,  quelque  homme  n'est  pas  pierre,  on  prendra  pour  moyen 
inanimé ,  qui  peut  se  dire  de  la  pierre  et  qui  répugne  à  l'homme  ,  et 
on  établira  ainsi  le  syllogisme  dans  le  second  mode  ,  toute  pierre  est 
inanimée ,  nul  homme  n'est  inanimé  ,  donc  nul  homme  n'est  pierre. 
Dans  le  quatrième  mode  on  fera  de  cette  manière  :  toute  pierre  est 
inanimée,  quelque  homme  n'est  pas  inanimé,  donc  quelque  homme 
n'est  pas  pierre.  On  voit  ainsi  comment  se  prend  le  moyen  terme  dans 
la  seconde  figure.  Dans  la  troisième  figure  il  y  a  six  modes  tous  à  conclu- 
sion particulière,  dont  trois  sont  affirmatifs,  trois  négatifs.  Dans  les  af- 
matifs,  savoir,  le  premier,  le  troisième  et  le  quatrième,  on  prend  pour 
moyen  celui  qui  est  l'antécédent  des  deux  autres.  Par  exemple,  si  l'on 
doit  conclure  dans  le  premier  mode,  quelque  animal  est  substance, 


figura  sunt  quatuor  modi  omnes  negativi , 
quorum  primus  et  tertius  habent  majorera 
propositionem  negativam,  minorem  vero 
alïirmativam.  Secundus  autem  et  quartus 
econverso  majorera  habent  afïirmativam , 
minorem  vero  negativam,  et  ideo  aliter 
utrobique  sumitur  médium.  Unde  in  primo 
et  tertio  sumitur  pro  medio  repugnans  prœ- 
dicato,  et  consequens  ad  subjectum.  Verbi 
gratia.  Si  débet  concludi  ista.  Nullushomo 
est  lapis,  vel  illa,  quidam  homo  non  est 
lapis  :  pro  medio  sumatur  alter,  et  syllo- 
gizetur  in  primo  secundœ  sic.  Nullus  lapis 
est  animal,  omnis  homo  est  animal,  ergo 
nullus  homo  est  lapis.  In  tertio  modo  sic, 
nullus  lapis  est  animal,  quidam  homo  est 
animal,  ergo  quidam  homo  non  est  lapis. 
In  secundo  vero,  et  quarto  modo  sumatur 
pro  medio  consequens  ad  preedicatum  et 

V. 


repugnans  subjecto.  Verbi  gratia: Si  débet 
concludi  ista.  Nullus  homo  est  lapis,  vel 
ista,  quidam  homo  non  est  lapis,  sumatur 
pro  medio  inanimatum,  quod  potest  prae- 
dicari  de  lapide  et  répugnât  homini ,  et 
syllogizetnr  in  secundo  modo  sic  :  Omnis 
lapis  est  inanimatus,  nullus  homo  est  ina- 
nimatus,  ergo  nullus  homo  est  lapis.  In 
quarto  modo  sic  :  Omnis  lapis  est  inanima- 
tus, quidam  homo  non  est  inanimatus, 
ergo  quidam  homo  non  est  lapis.  Et  sic 
patet  de  inventione  medii  termini  in  se- 
cunda  figura.  In  tertia  vero  figura  sunt 
sex  modi  omnes  concludentesparticulariter, 
quorum  très  sunt  affirmative,  et  très  néga- 
tive. In  quibus  afïirmativis,  scilicet  primo, 
tertio,  quarto,  sumitur  pro  medio  antece- 
dens  ad  utrumque.  Verbi  gratia  :  Si  débet 
concludi    haec  in  primo  modo,    scilicet 

19 


290  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    9. 

on  prendra  pour  moyen  homme  dont  peuvent  se  dire  animal  et 
substance ,  et  on  raisonnera  ainsi  :  tout  homme  est  substance ,  tout 
homme  est  animal,  donc  quelque  animal  est  substance;  on  raison- 
nera ainsi  dans  le  quatrième  :  tout  homme  est  substance ,  quelque 
homme  est  animal,  donc  quelque  animal  est  substance.  Dans  les  trois 
négatifs  on  prend  pour  moyen  le  terme  qui  répugne  au  prédicat  et 
qui  est  antécédent  du  sujet.  Par  exemple,  si  l'on  doit  conclure, 
quelque  animal  n'est  pas  pierre ,  on  prendra  pour  moyen  homme  qui 
répugne  à  pierre  et  duquel  se  dit  animal ,  et  on  fera  le  syllogisme 
dans  le  second  mode  de  cette  manière  :  nul  homme  n'est  pierre ,  tout 
homme  est  animal,  donc  quelque  animal  n'est  pas  pierre.  Dans  le  cin- 
quième on  procédera  ainsi  :  quelque  homme  n'est  pas  pierre ,  tout 
homme  est  animal,  donc  quelque  animal  n'est  pas  pierre.  On  voit  par 
là  comment  se  trouve  le  moyen  dans  la  troisième  figure.  Remarquez 
que  pour  trouver  tout  d'abord  l'antécédent  et  le  conséquent ,  les 
termes  convertibles  peuvent  être  indifféremment  antécédent  ou  consé- 
quent ,  parce  que  définition ,  description  et  interprétation  sont  des 
termes  qui  se  convertissent  avec  défini ,  décrit  et  interprété.  Prenez 
le  terme  dont  vous  voulez  trouver  l'antécédent  et  le  conséquent ,  dé- 
finissez-le, décrivez-le  ou  interprétez-le  ,  employez  ensuite  les  règles 
dont  nous  avons  parlé.  Par  exemple,  si  vous  voulez  avoir  dans  le  pre- 
mier mode  de  la  première  figure  cette  conclusion  ,  tout  ce  qui  court 
se  meut ,  dans  laquelle  vous  devez  prendre  l'antécédent  du  prédicat , 
définissez ,  ou  décrivez ,  ou  interprétez  se  mouvoir  de  cette  manière  : 
se  mouvoir,  c'est  changer  de  lieu  dans  le  temps;  mais  tout  ce  qui 
court  change  de  lieu  dans  le  temps,  donc  tout  ce  qui  court  se  meut. 


quoddam  animal  est  substantia  ,  sumatur 
pro  medio  homo ,  de  quo  animal  et  sub- 
stantia prœdicari  possunt,  et  syllogizetur 
sic  :  Omnis  homo  est  substantia  ,  omnis 
homo  est  animal ,  ergo  quoddam  animal 
est  substantia;  in  tertio  modo  sic  :  Quidam 
homo  est  substantia,  omnis  homo  est  animal, 
ergo  quoddam  animal  est  substantia  :  in 
quarto  vero  sic  :  Omnis  homo  est  substantia, 
quidam  homo  est  animal,  ergo  quoddam  ani- 
mal est  substantia.  In  tribus  vero  negativis 
sumitur  pro  medio  repUgnans  praedicato,  et 
antecedëns  ad  subjectum.  Verbi  gratia,  si  dé- 
bet concludi  haec,  quoddam  animal  non  est 
lapis,  sumatur  pro  medio  homo  quod  répu- 
gnât lapidi,  et  de  quo  animal  praedicatur,  et 
syllogizetur  etiam  in  secundo  modo  sic  : 
Nullus  homo  est  lapis,  omnis  homo  est 
animal,  ergo  quoddam  animal  non  est  la- 
pis. In  quinto  vero  sic  :  Quoddam  homo 
non  est  lapis,  omnis  homo  est  animal  ergo 
quoddam  animal  non  est  lapis.  In  sexto 


autem  sic  :  Nullus  homo  est  lapis,  quidam 
homo  est  animal,  ergo  quoddam  animal 
non  est  lapis.  Et  sic  patet  de  inventione 
medii  in  tertia  figura.  Notandum  quod  ad 
inveniendum  cito  antecedëns  et  consequens 
termini  convertibiles  possunt  esse  antece- 
dëns et  consequens  indifferenter,  quia  dif- 
finitio,  et  descriptio,  et  interpretatio  sunt 
termini  convertibiles  cum  diffinito ,  des- 
cripto  et  interpretato.  Accipias  terminum 
cujus  vis  invenire  antecedëns  et  conse- 
quens, et  diflinias  ipsum,  vel  descrihas,  vel 
interpreteris,  postmodum  utere  regulis  su- 
pradictis.  Verbi  gratia,  si  vis  concludere  in 
primo  modo  prima?  figuras  istam  ,  omne 
currens  movetnr ,  ubi  debes  sumere  ante- 
cedëns ad  praedicatum,  diffinias  vel  descri- 
bas,  vel  interpreteris  moveri  quod  descri- 
bitur  sic  :  moveri  est  mutare  locum  in 
tempore,  sed  omne  currens  mutât  locum 
in  tempore,  ergo  omne  currens  movetur. 
Et  sic  potest  lieri  de  diffinitione  et  inter- 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  291 

On  pourra  en  faire  autant  à  l'égard  de  la  définition  et  de  l'interpréta- 
tion. Voilà  comment  se  trouve  le  moyen  dans  les  syllogismes  ostensifs 
de  inesse. 

CHAPITRE  X. 

De  la  différence  qui  existe  entre  le  syllogisme  ad  impossibile  et  le 
syllogisme  ostensij. 

Après  avoir  parlé  des  syllogismes  ostensifs  et  de  la  manière  de 
trouver  leur  moyen  terme ,  nous  allons  traiter  des  syllogismes  ad  im- 
possibile. Le  syllogisme  ad  impossibile  diffère  de  l'ostensif.  Car  le  syl- 
logisme ostensif  tire  une  conclusion  vraie  de  deux  prémisses  vraies  ; 
tandis  que  le  syllogisme  ad  impossibile  ne  fait  pas  ainsi ,  mais  d'une 
prémisse  fausse  il  tire  une  conclusion  évidemment  fausse;  ensuite, 
par  la  contradiction  de  la  conclusion  fausse  ,  il  tire  de  nouveau  une 
conclusion  contradictoire  à  la  prémisse  fausse.  Par  exemple  :  Suppo- 
sons qu'un  adversaire  émette  cette  proposition  fausse,  tout  homme 
court,  j'argumenterai  contre  cette  proposition  par  le  syllogisme 
ostensif  de  cette  manière,  en  prenant  deux  prémisses  vraies  et  en 
tirant  une  conclusion  contradictoire  à  la  proposition  susdite  :  Celui 
qui  est  en  repos  ne  court  pas ,  quelque  homme  est  en  repos ,  donc 
quelque  homme  ne  court  pas.  Cette  conclusion  contredit  la  propo- 
sition de  l'adversaire,  quiétoit,  tout  homme  court,  et  comme  la 
sienne  est  fausse,  la  mienne  se  trouve  vraie,  et  vice  versa.  Si  d'un 
autre  côté  je  veux  la  réfuter  par  le  syllogisme  ad  impossibile ,  je  la 
prends  avec  une  autre  proposition  vraie ,  et  j'en  fais  les  prémisses 
d'un  syllogisme  d'où  je  tire  une  conclusion  évidemment  fausse ,  je 
prends  ensuite  la  contradictoire  de  cette  conclusion  fausse ,  et  j'en 
déduis  une  autre  conclusion  contradictoire  de  la  prémisse  fausse ,  de 
cette  manière  :  tout  ce  qui  court  se  meut ,  tout  homme  court ,  donc 


pretatione.  Et  sic  patet  de  inventione  me- 
dii  in  syllogismis  de  inesse  ostensivis. 

GAPUT  X. 

De  differenlia  syllogismi  ad  impossibile  ab 
ostensivo. 

Dicto  de  syllogismis  ostensivis,  et  de  in- 
ventione medii  eorum,  dicendum  est  de 
syllogismis  ad  impossibile.  Dicitur  enim 
syllogismus  ad  impossibile  ab  ostensivo. 
Nam  ostensivus  ex  duabus  preemissis  veris 
concludit  conclusionem  veram.  Syllogis- 
mus vero  ad  impossibile  non  sic  facit ,  sed 
ex  altéra  praemissarum  falsa  concludit  fal- 
sum  evidenter.  Deinde  ex  contradictioiie 
falsa  conclusio  iterum  concludit  contradic- 
tionem  pewariasœ  falsee.  Verbi  gratia ,  de 
utroque.  Dato    quod  adversarius  diceret 


hanc  propositionem  falsam ,  scilicet  omnis 
homo  currit  ;  contra  eam  per  syllogismum 
ostensivum  arguo  sic,  quia  sumo  duas  prae- 
missas  veras ,  et  concludo  contradictionem 
propositionis  prœdictae  sic  :  Nullum  quies- 
cens  currit ,  quidam  homo  quiescit ,  ergo 
quidam  homo  non  currit.  Haec  conclusio 
contradicit  propositioni  adversarii ,  quae 
erat,  omnis  homo  currit ,  et  quia  sua  est 
falsa,  mea  est  vera,  et  e  converso.  Si  vero 
volo  eam  reprobare  per  syllogismum  ad 
impossibile,  sumo  eam  cum  altéra  proposi- 
tione  vera,  et  facio  eas  praemissas  alicujus 
syllogismi,  et  concludo  conclusionem  fal- 
sam evidenter  ,  et  assumo  contradictorium 
istius  conclusionis  falsœ,  et  ex  ea  concludo 
contradictoriarn  fais*  praemissœ  sic  :  Omne 
currens  movetur,  omnis  homo  currit,  ergo 


292  OPUSCULE    XLVIÏ  ,    TRAITÉ    i  0,    CHAPITRE    i  1 . 

tout  homme  se  meut ,  mais  quelque  homme  ne  se  meut  pas ,  donc 
quelque  homme  ne  court  pas.  De  cette  manière,  par  la  fausseté  de 
cette  prémisse ,  je  démontre  la  vérité  de  ma  proposition ,  et  par  la 
vérité  de  celle-ci  je  démontrera  fausseté  de  l'autre.  La  raison  pour 
laquelle  cette  dernière  conclusion  du  syllogisme  ad  impossibile  est 
vraie,  c'est  que  dans  les  syllogismes  ordonnés  dans  le  mode  et  la 
figure ,  la  conclusion  n'est  jamais  fausse ,  à  moins  que  quelqu'une 
des  prémisses  ne  le  soit.  Or  on  tire  d'abord  ostensivement  une  con- 
clusion fausse,  savoir,  tout  homme  se  meut.  Donc  la  proposition  de 
l'adversaire ,  tout  homme  court ,  est  fausse ,  donc  sa  contradictoire , 
quelque  homme  ne  court  pas,  qui  est  la  dernière  conclusion  du  syllo- 
gisme ad  impossibile  différent  de  l'ostensif ,  est  vraie. 

CHAPITRE  XI. 


Dans  quels  modes  et  dans  quelles  figures  se  font  les  syllogismes 
ad  impossibile. 

Nous  allons  dire  maintenant  dans  quelles  figures  et  dans  quels 
modes  peuvent  se  faire  les  syllogismes  ad  impossibile.  Il  faut  savoir 
d'abord ,  comme  on  l'a  dit ,  que  la  conclusion  du  syllogisme  ad  im- 
possibile n'est  pas  la  conclusion  fausse  qui  se  tire  d'abord  par  le  syl- 
logisme ostensif,  mais  bien  la  dernière,  c'est-à-dire  celle  qui  est  la 
contradictoire  de  la  prémisse  fausse  de  l'adversaire.  Elle  doit  toujours 
être  contradictoire  et  non  pas  contraire ,  parce  que ,  comme  on  l'a  dit 
plus  haut  dans  un  autre  traité ,  la  loi  des  contradictoires  est  telle  que, 
si  l'une  est  vraie,  l'autre  est  fausse,  mais  non  pas  vice  versa.  C'est 
pourquoi  si  la  prémisse  citée  de  l'adversaire  est  fausse,  il  s'ensuit 
toujours  qu'elle  est  vraie  si  la  conclusion  du  syllogisme  ad  impossibile 


omnis  homo  movetur  ;  sed  quidam  homo 
non  movetur,  ergo  quidam  homo  non  cur- 
rit.  Modo  ex  falsitate  hujus  prsemissse  os- 
tendo  veritatem  hujus  meae  propositions, 
et  ex  istius  veritate  ostendo  falsitatem 
illius.  Ratio  enim  veritatis  istius  ultimae 
conclusionis  syllogismi  ad  impossibile  est  ; 
quia  in  syllogismis  ordinatis  in  modo  et  in 
figura  nunquam  couclusio  erit  falsa ,  nisi 
aliqua  prsemissarum  fuerit  falsa.  Conclu- 
ditur  autem  primo  ostensive  conclusio  falsa 
scilicet  omnis  homo  movetur,  aliqua  ergo 
prsemissarum  fuit  falsa ,  non  mea ,  scilicet 
omne  currens  movetur,  ergo  propositio  ad- 
versarii ,  scilicet  omnis  homo  currit ,  est 
falsa,  ergo  ejus  contradictoria,  scilicet  qui- 
dam homo  non  currit,  quse  est  ultima  con- 
clusio syllogismi  ad  impossibile  ab  osten- 
sivo,  est  vera. 


CAPUT  XI. 

De   syllogismis  ad    impossibile ,  in    quibus 
modis,  et  in  quibus  figuris  fiant. 

Nunc  dicendum  est  in  quibus  figuris  et 
in  quibus  modis  syllogismi  ad  impossibile 
possunt  fieri.  Ubi  primo  sciendum,  sicut 
dictum  est,  quod  conclusio  syllogismi  ad 
impossibile  non  est  illa  quse  per  syllogis- 
mum  ostensivum  primo  falsse  concluditur, 
sed  quse  ultimo  concluditur  ,  scilicet  con- 
tradictoria prsemissae  adversarii  falsse.  Dé- 
bet autem  semper  esse  contradictoria  et 
non  contraria  ,  quia  ut  supra  in  alio  trac- 
tatu  dictum  est,  lex  contradictoriarum  talis 
est,  quod  si  una  est  vera,  reliqua  est  falsa, 
et  non  e  converso.  Unde  si  prsemissa  as- 
sumpta  adversarii  quse  est  falsa  semper 
sequitur,  si  conclusio  syllogismi  ad  impos- 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  293 

est  sa  contradictoire.  Mais  si  c'étoit  le  contraire ,  quelque  fausse  que 
fût  celle-ci,  il  ne  s'ensuivroit  pas  nécessairement  que  l'autre  est 
"vraie.  Car  deux  contraires  peuvent  être  fausses  en  même  temps.  Donc 
suivant  ce  que  nous  avons  dit ,  comme  il  n'y  a  dans  la  première  figure 
aucun  syllogisme  qui  ait  une  de  ses  prémisses  particulière  négative , 
il  ne  pourra  pas  y  avoir  dans  la  première  figure  une  conclusion  per 
impossibile,  mais  une  conclusion  universelle.  Mais  comme  dans  le 
premier  mode  de  la  première  figure  les  deux  prémisses  sont  des  uni- 
verselles affirmatives,  dont  les  opposées  sont  des  particulières  néga- 
tives ,  il  ne  peut  conséquémment  y  avoir  qu'une  particulière  négative, 
si  on  prend  d'abord  une  majeure  fausse,  par  exemple,  tout  homme  est 
pierre,  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  homme ,  donc  tout  ce  qui 
est  susceptible  de  rire  est  pierre  ;  mais  il  y  quelque  chose  susceptible 
de  rire  qui  n'est  pas  pierre ,  donc  quelque  homme  n'est  pas  pierre.  Si 
l'on  prend  une  mineure  fausse,  la  conséquence  est  la  même.  Exemple: 
Tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  homme;  toute  pierre  est  suscep- 
tible de  rire.  Donc  toute  pierre  est  homme ,  mais  quelque  pierre  n'est 
pas  homme,  donc  quelque  pierre  n'est  pas  susceptible  de  rire.  Au 
contraire  dans  le  second  mode  de  la  première  figure  on  peut  tirer  une 
conclusion  particulière  affirmative,  et  une  particulière  négative  de 
cette  manière  :  nul  homme  n'est  animal ,  tout  ce  qui  est  susceptible 
de  rire  est  homme ,  donc  rien  de  ce  qui  est  susceptible  de  rire  n'est 
animal  ;  mais  il  y  a  quelque  chose  susceptible  de  rire  qui  est  animal , 
donc  quelque  homme  est  animal.  La  particulière  négative  se  tire 
ainsi  :  nul  homme  n'est  pierre,  toute  perle  est  homme,  donc  nulle 
perle  n'est  pierre,  mais  quelque  perle  est  pierre,  donc  quelque  perle 
n'est  pas  homme.  Dans  le  troisième  mode  de  la  première  figure  on 
tire  per  impossibile  une  conclusion  particulière  négative,  et  une  uni- 


sibile  est  sibi  contradictoria  quod  sit  vera. 
Si  vero  esset  sibi  contraria  quantumcum- 
que  illa  foret  falsa,  non  tamen  necessario 
sequeretur  istam  esse  veram.  Duae  enirn 
contrariée  possunt  sirnul  esse  falsae,  ut  su- 
pra dictum  est.  Secundum  ergo  dicta  cum 
in  prima  figura  nullus  syllogismus  sit  qui 
habeat  aliquam  praemissarum  particularem 
negativam ,  conclusio  in  prima  figura  non 
poterit  coacludi  per  impossibile ,  sed  uni- 
versalis.  Quia  vero  in  primo  modo  primes 
figurse  ambre  preemissae  surit  universales 
affirmativae,  quarum  oppositae  sunt  parti  - 
culares  negativa?,  ideo  in  ea  non  potest 
concludi  nisi  particularis  negativa,  si  su- 
matur  primo  major  falsa ,  scilicet ,  Omnis 
homo  est  lapis,  omne  risibile  est  homo, 
ergo  omne  risibile  est  lapis;  sed  quoddam 
risibile  non  est  lapis,  ergo  quidam  homo 


non  est  lapis.  Si  sumatur  minor  falsa,  idem 
sequitur  sic  :  Omne  risibile  est  homo , 
omnis  lapis  est  risibilis ,  ergo  omnis  lapis 
est  homo  ;  sed  quidam  lapis  non  est  homo, 
ergo  quidam  lapis  non  est  risibilis.  In  se- 
cundo vero  modo  primée  figurae  potest  con- 
cludi particularis  affirmativa  et  particularis 
negativa  sic,  nullus  homo  est  animal,  omne 
risibile  est  homo ,  ergo  nullum  risibile  est 
animal;  sed  quoddam  risibile  est  animal, 
ergo  quidam  homo  est  animal;  particu- 
laris negativa  sic  :  Nullus  homo  est  lapis, 
omnis  margarita  est  homo,  ergo  nulla 
margarita  est  lapis;  sed  queedam  marga- 
rita est  lapis,  ergo  quaedam  margarita  non 
est  homo.  In  tertio  vero  modo  primas  fi- 
gurée concluditur  per  impossibile  particu- 
laris negativa  et  universalis  negativa.  Par- 
ticularis negativa  sic  :  Omnis  homo  est  la- 


294  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    11. 

verselle  négative.  La  particulière  négative  se  tire  ainsi  :  tout  homme 
est  pierre,  quelque  chose  susceptible  de  rire  est  homme,  donc  quel- 
que chose  susceptible  de  rire  est  pierre;  mais  rien  de  ce  qui  est  sus- 
ceptible de  rire  n'est  pierre ,  donc  quelque  homme  n'est  pas  pierre. 
L'universelle  négative  de  cette  manière  :  tout  homme  est  animal, 
quelque  pierre  est  homme ,  donc  quelque  pierre  est  animal  ;  mais 
nulle  pierre  n'est  animal,  donc  nulle  pierre  n'est  homme.  Dans  le 
quatrième  mode  on  tire  une  conclusion  particulière  affirmative  de 
cette  manière  ;  nul  animal  n'est  substance,  quelque  perle  est  animal, 
donc  quelque  perle  n'est  pas  pierre  ;  mais  toute  perle  est  pierre,  donc 
nulle  perle  n'est  animal.  Tels  sont  les  syllogismes  ad  impossibile  qui 
peuvent  se  faire  dans  la  première  figure.  Ils  peuvent  se  faire  de  la 
même  manière  dans  les  deux  autres  figures,  de  sorte  que  de  l'opposé 
de  la  fausse  conclusion  se  déduise  l'opposé  de  la  fausse  prémisse , 
c'est-à-dire  l'opposé  de  la  prémisse  fausse  qui  est  son  contradictoire. 
C'est  pourquoi ,  comme  dans  le  premier  mode  et  le  second  de  la  se- 
conde figure  les  prémisses  sont  une  universelle  affirmative  et  une 
universelle  négative ,  dont  les  opposées  sont  la  particulière  négative 
et  la  particulière  affirmative,  il  s'ensuit  que  l'on  y  peut  tirer  par  le 
syllogisme  ad  impossibile  une  conclusion  particulière  affirmative ,  et 
une  conclusion  particulière  négative;  une  particulière  affirmative, 
en  prenant  une  majeure  fausse;  une  particulière  négative,  en  prenant 
une  mineure  fausse.  Il  faut  faire  ainsi  dans  tous  les  autres  modes  tant 
de  la  seconde  que  de  la  troisième  figure.  Il  faut  savoir  que  l'univer- 
selle affirmative  per  impossibile  ne  peut  avoir  de  conclusion  que  dans 
le  quatrième  mode  de  la  seconde  figure  et  dans  le  cinquième  de  la 
troisième ,  c'est-à-dire  dan^  les  modes  dont  on  a  dit  plus  haut  qu'ils 


pis,  quoddam  risibile  est  homo,  ergo  quod- 
dam  risibile  est  lapis;  sed  nullum  risibile 
est  lapis,  ergo  quidam  homo  non  est  lapis. 
Universalis  negativa  sic  :  Omnis  homo  est 
animal,  quidam  lapis  est  homo,  ergo  qui- 
dam lapis  est  animal  ;  sed  nullus  lapis  est 
animal,  ergo  nullus  lapis  est  homo.  In 
quarto  vero  modo  concluditur  particularis 
afiîrmativa  sic  :  Nullum  animal  est  sub- 
stantia ,  quidam  homo  est  animal ,  ergo 
quidam  homo  non  est  substantia;  sed  om- 
nis homo  est  substantia ,  ergo  quoddam 
animal  est  substantia.  Universalis  vero  ne- 
gativa sic  :  Nullum  animal  est  lapis,  quœ- 
dam  margarita  est  animal ,  ergo  quidam 
margarita  non  est  lapis  ;  sed  omnis  mar- 
garita est  lapis  ,  ergo  nu  lia  margarita  est 
animal.  Et  sic  patet  de  syllogismis  ad  im- 
possibile, qui  possunt  fieri  in  prima  figura. 
Et  eodem  modo  possunt  fieri  in  aliis  dua- 


bus  figuris,  ut  scilicet  ex  opposito  falsae 
conclusionis  inferatur  oppositum  falsae 
praemissae,  oppositum  scilicet  falsae  prae- 
missae  ,  quod  est  contradictorium  ejus. 
Unde  quia  in  primo  modo  et  secundo 
modo  secundee  figurae  praemissae  sunt  uni- 
versalis affirmativa  et  universalis  negativa, 
quarum  oppositae  sunt  particularis  negativa 
et  particularis  affirmativa;  ergo  in  eis  po- 
test  concludi  per  syllogismum  ad  impossi- 
bile particularis  affirmativa  et  particularis 
negativa.  Particularis  affirmativa,  si  su- 
matur  major  falsa  ;  negativa  vero  si  suma- 
tur  minor  falsa.  Et  sic  fiât  in  omnibus  aliis 
modis  tam  secundae  quam  tertiae  figurae. 
Sciendum,  quod  universalis  affirmativa  per 
impossibile  non  potest  concludi,  nisi  in 
quarto  modo  secundae  figurae  et  in  quinto 
terthf ,  in  his  videlicet  modis  de  quibus 
supradictum  est ,  quod  per  conversiones 


SUR   LA  LOGIQUE   d'àRISTOTE.  295 

ne  pouvoient  se  ramener  aux  modes  de  la  première  figure  par  les  con- 
versions des  propositions.  La  raison  de  cela  c'est  que  ces  deux  modes 
seuls  ont  une  prémisse  particulière  négative ,  je  veux  parler  des  syl- 
logismes à  conclusion  directe.  Nous  allons  donner  un  exemple  des 
deux  manières  dont  on  tire  dans  ces  syllogismes  une  conclusion  per 
impossibile  universelle  affirmative  dans  le  quatrième  mode  de  la  se- 
conde figure.  Tout  homme  est  animal,  quelque  chose  susceptible  de 
rire  n'est  pas  animal,  donc  quelque  chose  susceptible  de  rire  n'est  pas 
homme  ;  mais  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  homme ,  donc 
tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  animal.  Pour  le  cinquième  mode 
de  la  troisième  figure.  Quelque  homme  n'est  pas  animal ,  tout  homme 
est  susceptible  de  rire ,  donc  quelque  chose  susceptible  de  rire  n'est 
pas  animal;  mais  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  animal,  donc 
tout  homme  est  animal.  Il  faut  remarquer  qu'Aristote  dans  son  livre 
secundo  Priorum  ne  fait  qu'une  prémisse  fausse  dans  tout  mode  de 
toute  figure  ,  et  ne  déduit  dans  chacun  qu'une  seule  conclusion  par 
le  syllogisme  ad  impossibile,  tandis  que  nous  nous  prenons  dans 
chacun  deux  prémisses  fausses ,  et  nous  tirons  per  impossibile  la 
conclusion  opposée  à  chacune.  Notez  bien  qu'il  est  mieux  de  prendre 
une  mineure  fausse  dans  la  première  et  la  seconde  figure ,  parce  que 
ce  qui  se  trouve  par  subjection  dans  l'opposé  de  la  conclusion  fausse 
se  trouve  de  la  même  manière  ensuite  dans  la  conclusion  du  syllo- 
gisme ad  impossibile.  Par  exemple  dans  la  première  figure  :  tout 
homme  est  animal,  toute  pierre  est  homme,  donc  toute  pierre  est 
animal,  mais  quelque  pierre  n'est  pas  animal,  donc  quelque  pierre 
n'est  pas  homme;  de  cette  manière  pierre  est  sujet  dans  l'opposé  de 
la  conclusion  fausse ,  et  dans  la  dernière  conclusion.  Mais  si  on  prend 
une  majeure  fausse,  on  peut  la  colorer,  comme  nous  l'avons  dit,  et 


propositionum  non  poterant  reduci  ad  mo- 
dos  prima?  figurée.  Et  causa  est ,  quia  so- 
lum  isti  duo  modi  habent  pramissam  par- 
ticularem  negativam ,  et  non  alii ,  et  dico 
de  syllogismis  directe  concludentibus.  Po- 
namus  exemplum  de  utroque  modo  quali- 
ter  in  eis  concludatur  per  impossible  uni- 
versalis  affirmativa  in  quarto  modo  secun- 
dae  figurae  sic  :  Omnis  homo  est  animal, 
quoddam  risibile  non  est  animal,  ergo 
quoddam  risibile  non  est  homo  ;  sed  omue 
risibile  est  homo  ;  ergo  omne  risibile  est 
animal.  In  quinto  modo  tertiee  figurée  sic  : 
Quidam  homo  non  est  animal;  omnis  ho- 
mo est  risibilis,  ergo  quoddam  risibde  non 
est  animal;  sed  omne  risibile  est  animal, 
ergo  omnis  homo  est  animal.  Notandum 
quod  Philosophus,  II  Priorum,  facit  solum 
unam  preemissam  falsam  in  quolibet  modo 


!  omnium  figurarum,  et  concludit  per  syllo- 
gismum  ad  impossibile  in  quolibet  solum 
unam  conclusionem,  et  tamen  nos  in  quo- 
libet modo  dicimus  utramque  falsam ,  et 
concludemus  per  impossibile  oppositam 
utriusque.  Notandum  quod  in  prima  et 
secunda  figura  magis  congrue  ponitur  mi- 
nor  falsa,  quia  quod  subjicitur  in  opposita 
conclusionis  falsee,  subjicitur  postea  in  con- 
clusione  syllogismi  ad  impossibile.  Verbi 
gratia  in  prima  figura  sic  :  Omnis  homo 
est  animal,  omnis  lapis  est  homo,  ergo 
omnis  lapis  est  animal;  sed  quidam  lapis 
non  est  animal;  ergo  quidam  lapis  non  est 
homo  ;  modo  lapis  est  subjectum  in  oppo- 
sita conclusionis  falsee  et  in  conclusione 
ultima  ;  si  vero  ponitur  major  falsa,  colo- 
rari  potest,  ut  dictum  est ,  et  communiter 
sic  utimur.  Patet  ergo  qui  syllogismi  ad 


OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    12. 

c'est  ce  qui  se  fait  communément.  On  voit  donc  ce  que  c'est  que  les 
syllogismes  ad  impossibile,  et  dans  quels  modes  et  quelles  figures  ils 
se  font. 

CHAPITRE  XII. 

Comment  les  syllogismes  ad  impossibile   se  ramènent  aux  syllogismes 

ostensifs. 

Comme  tous  les  syllogismes  ad  impossibile  se  ramènent  aux  syllo- 
gismes ostensifs,  nous  allons  voir  comment  cela  se  fait.  Il  faut  savoir 
que  les  syllogismes  qui  se  font  ad  impossibile  dans  la  première  figure, 
sont  ostensifs  dans  la  seconde  et  la  troisième  figure.  En  effet  si  la 
conclusion  est  l'opposée  de  la  majeure  fausse ,  il  se  fait  un  syllogisme 
ostensif  dans  la  troisième  figure  de  cette  manière  ;  comme  par  exem- 
ple dans  le  premier  mode  de  la  première  figure  lorsqu'on  tire  une 
conclusion  qui  est  l'opposé  de  la  majeure.  Tout  homme  est  pierre  , 
tout  ce  qui  rit  est  homme ,  donc  tout  ce  qui  rit  est  pierre  ;  mais  quel- 
que chose  qui  rit  n'est  pas  pierre,  donc  quelque  homme  n'est  pas 
pierre.  Cette  conclusion,  quelque  homme  n'est  pas  pierre  ,  a  été  pré- 
cédée de  quatre  énonciations ,  dont  deux  étoient  fausses,  savoir  la 
majeure,  et  la  conclusion  de  ce  syllogisme  ostensif:  deux  étoient 
vraies,  savoir  la  mineure  de  ce  syllogisme,  et  l'opposée  de  la  conclu- 
sion de  ces  deux  vraies  dans  la  troisième  figure  se  déduit  la  conclusion 
susdite,  quelque  homme  n'est  pas  pierre,  de  telle  façon  que  l'op- 
posée de  la  conclusion  devienne  la  majeure,  et  que  la  mineure  du 
syllogisme  ostensif  reste  mineure  de  cette  manière  :  Quelque  chose 
qui  rit  n'est  pas  pierre,  tcut  ce  qui  rit  est  homme,  donc  quelque 
homme  n'est  pas  pierre  ;  c'est  là  le  cinquième  mode  de  la  troisième 
figure.  Quand  la  conclusion  est  per  impossibile  l'opposé  de  la  mineure, 


impossibile  ,  et  in  quibus  modis  et  figuris 
fiant. 

CAPUT  XII. 

De  syllogismis   ad  tm;  ossibile  ,  qualiter  re- 
ducanlur  ad  syllogismos  oslensivos. 

Et  quia  omnes  syllogismi  ad  impossibile 
reducuntur  ad  syllogismos  ostensivos,  ideo 
videndum  est  qualiter  id  fiât.  Sciendum 
quod  syllogismi  qui  fiunt  ad  impossibile 
in  prima  figura  sunt  ostensivi  in  secunda 
et  tertia  figura.  Si  enim  concluditur  oppo- 
sita  majoris  propositionis  falsae ,  fit  syllo- 
gismus  ostensivus  in  tertia  figura  sic.  Verbi 
gratia,  in  primo  modo  primœ  figurae  quam 
concluditur  oppositum  majoris  sic  :  Omnis 
homo  est  lapis,  omne  risibile  est  homo, 
ergo  omne  risibile  est  lapis;  sed  quoddam 


risibile  non  est  lapis,  ergo  quidam  homo 
non  est  lapis.  Hanc  conclusionem  ,  scilicet 
quidam  homo  non  est  lapis,  quatuor  enun- 
tiationes  pracesserunt ,  quarum  duae  fue- 
runt  laisse  ,  scilicet  major,  et  conclusio 
illius  syllogismi  ostensivi  ;  duae  vero  fue- 
runt  verse,  scilicet  minor  illius  syllogismi, 
et  opposita  conclusionis.  Ex  bis  duabus 
veris  in  tertia  figura  sequitur  pradicta 
conclusio ,  scilicet  quidam  homo  non  est 
lapis  ;  ita  quod  opposita  conclusionis  fiât 
major  et  minor  syllogismi  ostensivi  rema- 
neat  minor  sic  :  Quoddam  risibile  non  est 
lapis,  omne  risibile  est  homo,  ergo  quidam 
homo  non  est  lapis  ;  hic  est  quintus  modus 
tertiœ  figura.  Quando  vero  per  impossi- 
bile concluditur  oppositum  minoris ,  fit 
syllogismus  ostensivus  in  secunda  figura. 


SIR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  297 

on  fait  un  syllogisme  ostensif  dans  la  seconde  figure.  Par  exemple, 
soit  ce  syllogisme  adimpossibile,  tout  homme  est  animal,  toute  pierre 
est  homme  ,  donc  toute  pierre  est  animal  ;  mais  quelque  pierre  n'est 
pas  animal,  donc  quelque  pierre  n'est  pas  homme.  Retranchons  les 
deux  propositions  fausses ,  savoir  la  mineure  et  la  conclusion  du  syl- 
logisme ostensif,  et  construisons  le  syllogisme  dans  le  quatrième  mode 
de  la  seconde  figure  de  cette  manière  :  Tout  homme  est  animal , 
quelque  pierre  n'est  pas  animal,  donc  quelque  pierre  n'est  pas 
homme.  On  fait  de  même  dans  les  autres  modes  de  la  première  figure, 
de  telle  sorte  que  si  dans  le  syllogisme  ad  impossibile  la  conclusion 
est  l'opposé  de  la  majeure ,  il  se  ramène  à  la  troisième  figure ,  l'op- 
posée de  la  conclusion  étant  la  majeure  avec  une  mineure  vraie.  Si 
au  contraire  la  conclusion  est  l'opposée  de  la  mineure,  c'est  un  syllo- 
gisme ostensif  dans  la  seconde  figure ,  de  manière  que  l'opposé  de  la 
conclusion  soit  la  mineure,  et  que  la  majeure  vraie  reste  majeure. 
Les  syllogismes  ad  impossibile  qui  se  font  dans  la  seconde  figure  sont 
ostensifs  dans  la  première  et  la  troisième.  En  effet  si  la  conclusion 
per  impossibile  est  l'opposé  de  la  majeure,  c'est  un  syllogisme  ostensif 
dans  la  troisième  figure.  Par  exemple  soit  ce  syllogisme  ostensif  : 
nul  homme  n'est  animal,  tout  ce  qui  rit  est  animal,  donc  rien  de 
ce  qui  rit  n'est  homme  ;  mais  quelque  chose  qui  rit  est  homme,  donc 
quelque  homme  est  animal.  Retranchons  les  propositions  fausses,  et 
faisons  un  syllogisme  dans  le  quatrième  mode  de  la  troisième  figure. 
Tout  ce  qui  rit  est  animal ,  quelque  chose  qui  rit  est  homme  ,  donc 
quelque  homme  est  animal.  Il  faut  savoir  que  quand  dans  la  première 
figure  le  syllogisme  avoit  pour  conclusion  l'opposé  de  la  majeure,  il 
étoit  réduit  et  devenoit  un  syllogisme  ostensif  dans  la  troisième  figure, 
et  l'opposé  de  la  conclusion  du  premier  syllogisme  ostensif  devenoit 


Verbi  gratia,  fit  syllogismus  ad  impossibile 
iete  :  Omnis  homo  est  animal,  omnis  lapis 
est  homo,  ergo  omnis  lapis  est  animal  ;  sed 
quidam  lapis  non  est  anixnal,  ergo  quidam 
lapis  non  est  homo.  Auferantur  duee  falsœ, 
scilicet  minor  et  conclusio  syllogismi  os- 
tensivi, et  fiât  syllogismus  in  quarto  modo 
secundœ  figurse  sic  :  Omnis  homo  est  ani- 
mal, quidam  lapis  non  est  animal,  ergo  qui- 
dam lapis  non  est  homo.  Et  sic  fit  in  aliis 
modis  primae  figurse,  ut  videlicet  si  in  syl- 
logismo  ad  impossibile  concluditur  opposi- 
tum  majoris,  reducitur  ad  tertiam  figuram, 
opposita  conclusionis  existente  majori  et 
cum  minori  vera.  Si  vero  concluditur  op- 
positum  minoris,  fit  talis  syllogismus  osten- 
sivus  in  secunda  figura,  ita  quod  opposi- 
tum  conclusionis  fit  minor  propositio  et 
major    vera  remaneat  major.  Syllogismi 


vero  ad  impossibile  quae  fiunt  in  secunda 
figura,  sunt  ostensivi  in  prima  figura  et  in 
tertia.  Si  enim  concluditur  per  impossibile 
oppositum  majoris,  sit  ostensivus  in  tertia 
figura.  Verbi  gratia,  sit  syllogismus  ad  im- 
possibile iste  :  Nullus  homo  est  animal, 
omne  risibile  est  animal ,  ergo  nullum  ri- 
sibile  est  homo  ;  sed  quoddam  risibile  est 
homo,  ergo  quoddam  homo  est  animal. 
Auferantur  falsae ,  et  fiât  syllogismus  in 
quarto  modo  tertiœ  figurœ.  Omne  risibile 
est  animal  :  quoddam  risibile  est  homo, 
ergo  quidam  homo  est  animal.  Sciendum 
quod  quando  in  prima  figura  syllogismus 
ad  impossibile  concludebat  oppositum  ma- 
joris, reducebatur,  et  fiebat  syllogismus  os- 
tensivus in  tertia  figura,  et  oppositum 
conclusionis  primi  syllogismi  ostensivi  fie- 
bat major  in  secundo  syllogisme,  et  minor 


OPUSCULE   XLVIl,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    12. 

majeure  clans  le  second  syllogisme,  et  la  mineure  de  ce  même  syllo- 
gisme restoit  mineure  dans  le  second  syllogisme.  Mais  il  n'en  est  pas 
de  même,  la  mineure  du  premier  syllogisme  devient  majeure  dans  le 
second.  Mais  si  la  conclusion  per  impossibile  est  l'opposé  de  la  mi- 
neure, on  fait  un  syllogisme  ostensif  dans  la  première  figure  de  cette 
manière  :  nul  homme  n'est  pierre,  tout  ce  qui  rit  est  pierre,  donc 
rien  de  ce  qui  rit  n'est  homme  ;  mais  quelque  chose  qui  rit  est  homme, 
donc  quelque  chose  qui  rit  n'est  pas  pierre.  Retranchons  toutes  les 
fausses  propositions ,  et  faisons  un  syllogisme  dans  le  quatrième  mode 
de  la  première  figure  de  cette  manière  :  nul  homme  n'est  pierre , 
quelque  chose  qui  rit  est  homme ,  donc  quelque  chose  qui  rit  n'est 
pas  pierre.  On  procède  de  la  même  manière  pour  les  syllogismes  os- 
tensifs  des  autres  modes  de  la  seconde  figure.  C'est  pourquoi  si  la 
majeure  est  fausse  et  la  mineure  vraie ,  alors  la  mineure  devient  ma- 
jeure, et  l'opposé  de  la  conclusion  devient  mineure.  Si  au  contraire 
la  majeure  est  vraie  et  la  mineure  fausse,  alors  la  majeure  reste  ma- 
jeure, et  l'opposé  de  la  conclusion  devient  mineure.  Les  syllogismes 
ad  impossibile ,  qui  sont  dans  la  troisième  figure ,  sont  ostensifs  dans 
la  première  et  la  seconde.  C'est  pourquoi  si  la  conclusion  per  impos- 
sibile est  l'opposé  de  la  majeure,  il  y  a  un  syllogisme  ostensif  dans  la 
première  figure,  de  manière  que  l'opposé  de  la  conclusion  du  pre- 
mier syllogisme  devienne  la  majeure  dans  le  second  syllogisme ,  et 
la  mineure  qui  étoit  vraie  reste  mineure  de  cette  manière  :  tout  homme 
est  pierre ,  tout  homme  rit ,  donc  quelque  chose  qui  rit  est  pierre  ; 
mais  rien  de  ce  qui  rit  n'est  pierre,  donc  quelque  homme  n'est  pas 
pierre.  Faisons  un  syllogisme  ostensif  dans  la  première  figure  de  cette 
manière  :  rien  de  ce  qui  rit  n'est  pierre,  tout  homme  rit,  donc  nul 
homme  n'est  pierre.  L'universelle  vraie  est  bien  suivie  de  sa  particu- 
lière vraie.  C'est  pourquoi  si  cette  proposition  est  vraie ,  nul  homme 


ejusdem  -syllogismi  remanebat  minor  in 
secundo  syllogisme-.  Sed  hic  non  fit  ita, 
sed  minor  primi  syllogismi  fit  major  in 
secundo  syllogisme  Si  vero  concluditur 
per  impossibile  oppositum  minoris,  fit  syl- 
logismus  ostensivus  in  prima  figura  sic  : 
Nullus  homo  est  lapis,  omne  risibile  est  la- 
pis, ergo  nullum  risibile  est  homo,  sed 
quoddam  risibile  est  homo,  ergo  quoddam 
risibile  non  est  lapis.  Auferantur  omnes 
falsae,  et  liât  syllogismus  in  quarto  modo 
primée  figurée  sic.  Nullus  homo  est  lapis, 
quoddam  risibile  est  homo,  ergo  quoddam 
risibile  non  est  lapis.  Eodem  modo  syllo- 
gismi ostensivi  aliorum  modorum  secundœ 
figurse.  Unde  si  major  est  falsa,  et  minor 
vera,  tune  minor  sit  major,  et  oppositum 
conclusions  fit  minor.  Si  vero  major  sit 


vera,  et  minor  falsa,  tune  major  remanet 
major,  et  oppositum  conclusionis  fit  mi- 
nor. Syllogismi  vero  ad  impossibile  qui 
sunt  in  tertia  figura,  sunt  ostensivi  in 
prima  figura,  et  secunda.  Unde  si  per  im- 
possibile concluditur  opposita  majoris  :  fit 
ostensivus  in  prima  figura,  ita  videlicet 
quod  oppositum  conclusionis  primi  syllo- 
gismi fiât  major  propositio  in  secundo  syl- 
logismo,  et  minor  quae  fuit  vera  remaneat 
minor  sic  :  Omnis  homo  est  lapis,  omnis 
homo  est  risibilis,  ergo  quoddam  risibile 
est  lapis,  sed  nullum  risibile  est  lapis, 
ergo  quidam  homo  non  est  lapis  :  fiât  au- 
tem  ostensivus  in  prima  figura  sic  :  Nullum 
risibile  est  lapis,  omnis  homo  est  risibilis, 
ergo  nullus  homo  est  lapis.  Ad  uni  ver  sa- 
lem  veram  bene  sequitur  sua  particularis 


SUR   LA  LOGIQUE   d'aRISTOTE.  299 

n'est  pierre,  laquelle  est'la  conclusion  de  ce  second  syllogisme,  cette 
autre  sera  vraie  aussi,  quelque  homme  n'est  pas  pierre,  laquelle 
étoit  la  conclusion  du  syllogisme  ad  impossibile.  Mais  si  la  conclusion 
per  impossibile  est  l'opposée  delà  majeure,  on  fera  un  syllogisme 
ostensif  dans  la  seconde  figure,  de  telle  sorte  que  l'opposée  de  la  con- 
clusion du  premier  syllogisme  devienne  majeure  dans  le  second,  et 
la  majeure  du  premier  syllogisme  mineure  de  cette  manière  :  tout 
homme  est  animal,  tout  homme  est  pierre  ,  donc  quelque  pierre  est 
animal  ;  mais  nulle  pierre  n'est  animal ,  donc  quelque  homme  n'est 
pas  pierre  ;  on  fera  donc  un  syllogisme  ostensif  de  cette  manière  : 
nulle  pierre  n'est  animal,  tout  homme  est  animal ,  donc  nul  homme 
n'est  pierre.  Cette  proposition  est  suivie  de  cette  autre ,  quelque 
homme  n'est  pas  pierre.  Il  faut  procéder  de  la  même  manière  dans 
les  autres  modes  de  la  troisième  figure.  Tel  est  ce  qui  regarde  les 
syllogismes  ad  impossibile.  11  faut  savoir  qu'Aristote  dans  son  livre 
Priorum  expose  plusieurs  autres  genres  de  syllogismes,  savoir  les  irré- 
guliers, les  conversifs,  ceux  ex  oppositis  ,  etc..  Mais  comme  il  n'y  a 
en  usage  parmi  les  modernes  que  ces  deux  sortes  de  syllogismes  de 
inesse,  je  ne  m'occuperai  pas  des  autres.  Yoilà  donc  ce  qui  concerne 
les  syllogismes  de  inesse. 

CHAPITRE  XIII. 

Des  syllogismes  à  propositions  modales ,  relativement  aux  propositions 

de  necessario. 

Nous  allons  parler  maintenant  des  syllogismes  modaux.  Sur  cela 
il  faut  savoir  que  les  propositions  de  necessario  et  impossibili  et  celles 
de  possibili  et  contingenti  se  prenant  de  la  même  manière,  comme  on 


vera.  Unde  si  haec  est  vera  :  nullus  horao 
est  lapis,  quae  est  conclusio  istius  secundi 
syllogismi,  erit  etiam  haec  vera,  quidam 
homo,,  non  est  lapis  :  quae  fuit  conclusio 
syllogismi  ad  impossibile.  Si  vero  per  im- 
possibile concluditur  opposita  minoris,  fiât 
syllogismus  in  secunda  figura  ostensivus  : 
ita  quod  opposita  conclusions  primi  syllo- 
gismi fiât  major  in  secundo  syllogismo ,  et 
major  primi  syllogismi  fiât  minorsic  :  Om- 
nis  homo  est  animal,  omnis  homo  est  lapis  : 
ergo  quidam  lapis  est  animal  :  sed  nullus 
lapis  est  animal ,  ergo  quidam  homo  non 
est  lapis  :  fiât  ergo  syllogismus  ostensivus 
sic  :  Nullus  lapis  est  animal ,  omnis  homo 
est  animal,  ergo  nullus  homo  est  lapis.  Ad 
quam  sequitur,  quidam  homo  non  est  la- 
pis. Eodem  modo  fiât  in  aliis  modis  tertias 


figura.  Et  sic  patet  de  syllogismis  ad  im- 
possibile. Sciendum  quod  Philosophus  in 
libro  Priorum  multa  alia  gênera  syllogis- 
morum  ponit,  scilicet  irregulares,  conver- 
sivos,  ex  oppositis,  et  multa  alia.  Sed  quia 
solum  ista  duo  gênera  syllogismorum  de 
inesse  apud  modernos  sunt  in  usu,  de 
aliis  non  me  intromisi.  Patet  ergo  de  syl- 
logismis de  inesse,  etc. 

CAPUT  XIII. 

De  syllogismis  modalibus,qnantum  ad  pro- 
positiones  de  necessario. 

Nunc  dicendum  est  de  syllogismis  moda- 
libus.  Ubi  sciendum ,  quod  quia  eodem 
modo  sumunlur  propositiones  de  necessario 
et  impossibili ,  et  illœ  de  possibili  et  con- 
tingenti, ut  supra  in  tractatu  de  conversio- 


300  OPUSCULE    XL VII  ,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    13. 

l'a  dit  plus  haut  dans  le  traité  des  conversions,  il  y  a  deux  manières 
différentes  dont  se  font  les  syllogismes  modaux.  Nous  parlerons  d'a- 
bord des  syllogismes  de  necessario  auxquels  peuvent  se  ramener  ceux 
de  impossilili  :  Secondement  nous  nous  occuperons  des  syllogismes  de 
contingenti  auxquels  se  ramènent  ceux  de  possibili  pris  d'une  manière 
contingente.  Il  faut  savoir  que  les  syllogismes  de  necessario  ont  quel- 
ques-uns deux  propositions  nécessaires,  et  alors  dans  quelque  figure 
ou  modes  qu'ils  le  fassent,  la  conclusion  est  toujours  nécessaire.  Par 
exemple ,  il  est  nécessaire  que  tout  homme  soit  animal ,  il  est  néces- 
saire que  tout  ce  qui  rit  soit  homme,  donc  il  est  nécessaire  que  tout 
ce  qui  rit  soit  animal ,  et  ainsi  des  autres.  Remarquez  qu'il  y  a  né- 
cessaire de  deux  manières,  le  nécessaire  simplement,  quand  une 
chose  se  trouve  dans  une  autre  simplement  et  non  suivant  un  temps, 
un  lieu  et  autres  choses  de  ce  genre ,  comme  il  est  nécessaire  que 
l'homme  soit  animal.  Il  y  a  un  autre  nécessaire  secundum  qaid,  ou 
suivant  le  temps ,  comme  nous  disons  que  tout  ce  qui  existe  doit  né- 
cessairement exister  quand  cela  existe ,  ou  suivant  le  lieu ,  ou  tout 
autre  chose  de  ce  genre.  Et  ce  n'est  pas  de  cette  manière  que  se  prend 
la  proposition  nécessaire.  Car  quand  Socrate  court,  il  court  nécessai- 
rement, et  cependant  cette  proposition  Socrate  court,  n'est  pas  né- 
cessaire mais  contingente.  Si  les  syllogismes  de  necessario  ont  une 
proposition  nécessaire ,  et  une  autre  de  inesse ,  quoiqu'ils  concluent 
toujours  que  le  grand  extrême  se  trouve  dans  la  mineure,  la  conclusion 
n'est  pas  toujours  nécessaire;  mais  bien  quelquefois  oui,  et  quel- 
quefois non.  Sur  quoi  il  faut  observer  que  dans  la  première  figure 
la  majeure  étant  nécessaire  et  la  mineure  de  inesse,  il  s'ensuivra 
toujours  une  conclusion  nécessaire.  Mais  si  la  majeure  est  de  inesse  , 
quelque  nécessaire  que  soit  la  mineure ,  la  conclusion  ne  sera  pas 


nibus  dictum  est,  ideo  duobus  modis  fiunt 
syllogismi  modales  inter  se  différentes. 
Primo  dicemus  de  syllogismis  de  necessario, 
ad  quos  reduci  possunt  illi  de  impossibili. 
Secundo  de  syllogismis  de  contingenti,  ad 
quos  reducuntur  illi  de  possibili  contingen- 
ter sumpto.  Sciendum  quod  syllogismi  de 
necessario  aliqui  habent  ambas  propositio- 
nes  necessarias ,  et  tune  in  quacunque  fi- 
gura, vel  modo  fiant,  semper  conclusio  est 
necessaria.  Verbi  gratia  :  Necesse  est  om- 
nem  hotninem  esse  animal ,  necesse  est 
omne  risibile  esse  hominem ,  ergo  necesse 
est  omne  risibile  esse  animal,  et  sic  "de  sin- 
gulis,  etc.  Notandum,  quod  duplex  est  ne- 
cessarium,  scilicet  necessarium  simpliciter, 
quando  aliquid  inest  alicui  simpliciter,  et 
non  secundum  aliquod  tempus,  vel  locum, 
vel  hujusmodi,  sicut  necessarium  est  homi- 
nem esse  animal.  Aliud  est  necessarium  se- 


cundum quid,  vel  secundum  tempus,  sicut 
dicimus  quod  omne  quod  est  quando  est, 
necesse  est  esse,  vel  secundum  locum,  vel 
secundum  aliquod  hujusmodi.  Et  isto  modo 
non  sumitur  propositio  necessaria.  Sortes 
enim  quando  currit ,  necessario  currit ,  et 
tamen  haec  propositio ,  Sortes  currit ,  non 
est  necessaria,  sed  contingens.  Si  vero 
syllogismi  de  necessario  alteram  proposi- 
tionem,  habent  necessariam,  et  alteram  de 
inesse  :  licet  semper  concludant  majorem 
extremitatem  inesse  minori ,  non  tamen 
semper  concludunt  ex  necessitate  :  sed 
quandoque  sic,  et  quandoque  non.  Ubi 
nota,  quod  in  prima  figura  majori  proposi- 
tione  existente  necessaria,  et  minori  de 
inesse  :  sequetur  semper  conclusio  necessa- 
ria. Majori  vero  existente  de  inesse  :  quan- 
tumeumque  minor  sit  necessaria  :  non  ta- 
men conclusio  erit  necessaria  :  quia  inve- 


SUR   LA.   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  301 

nécessaire,  car  il  se  trouve  des  termes  où  elle  l'est  et  d'autres  où  elle 
rie  l'est  pas.  Par  exemple  :  tout  homme  est  animal ,  tout  ce  qui  rit  est 
nécessairement  homme ,  donc  tout  ce  qui  rit  est  nécessairement  ani- 
mal. Voilà  des  termes  où  il  en  est  ainsi ,  en  -voilà  d'autres  où  ce  n'est 
pas  de  même.  Tout  homme  est  hlanc ,  tout  ce  qui  rit  est  nécessaire- 
ment homme,  donc  tout  ce* qui  rit  est  nécessairement  hlanc.  Cette 
conclusion  n'est  pas  nécessaire  simplement.  Il  en  est  ainsi  des  autres 
modes  de  la  première  figure,  tant  affirmatifs ,  que  négatifs.  Dans  la 
seconde  figure,  dans  les  trois  premiers  modes  négatifs,  la  majeure 
ou  la  mineure  étant  nécessaire,  la  conclusion  sera  nécessaire.  Mais 
l'affirmative  étant  nécessaire,  et  la  négative  de  inesse,  il  ne  s'ensuit 
pas  une  conclusion  nécessaire.  On  peut  le  voir  fort  clairement  en  ra- 
menant ces  syllogismes  aux  modes  de  la  première  figure ,  car  dans 
les  syllogismes  réduits ,  la  majeure  est  négative.  Mais  dans  la  pre- 
mière figure,  comme  il  a  été  dit,  si  la  majeure  est  nécessaire,  la 
conclusion  l'est  aussi;  si  elle  ne  l'est  pas,  ni  la  conclusion  non  plus. 
Dans  le  quatrième  mode  de  la  seconde  figure ,  quelle  que  soit  la  pro- 
position nécessaire ,  soit  l'affirmative ,  soit  la  négative ,  pourvu  que 
l'une  ou  l'autre  soit  de  inesse ,  il  ne  s'ensuit  pas  toujours  une  con- 
clusion nécessaire.  Car  si  l'universelle  affirmative  n'est  pas  nécessaire, 
on  fera  un  syllogisme  dans  les  mômes  termes  que  le  second  mode  de 
la  même  figure,  l'universelle  affirmative  étant  nécessaire.  Mais,  comme 
il  a  été  dit,  si  l'affirmative  est  nécessaire,  il  ni  s'ensuit  pas  une  con- 
clusion nécessaire ,  ce  qui  se  voit  par  la  réduction  au  second  mode 
de  la  première  figure;  donc  il  n'y  en  a  pas  ici  non  plus.  Mais  si  la  par- 
ticulière négative  est  nécessaire  ,  il  ne  s'ensuit  pas  toujours  une  con- 
clusion nécessaire  ,  comme  on  le  voit  dans  ces  termes  ;  tout  blanc  est 
homme ,  quelque  âne  nécessairement  n'est  pas  homme ,  on  ne  peut 


niuntur  termini  ubi  est  sic,  et  ubi  non  est 
sic.  Verbi  gratia  :  Oninis  homo  est  animal, 
omne  risibile  necessario  est  homo,  ergo 
omne  risibile  necessario  est  animal.  Isti 
autem  sunt  termini  ubi  sic.  Termini  vero 
ubi  non  sunt  isti.  Omnis  homo  est  albus  : 
omne  risibile  necessario. est  homo,  ergo 
omne  risibile  necessario  est  album.  Haec 
autem  conclusio  non  est  necessaria  simpli- 
citer.  Et  sic  est  de  aliis  modis  primae  figu- 
ras, tam  aflirmativis  quam  negativis.  In  se- 
cunda  vero  iigura  in  tribus  primis  modis 
negativis  propositione  existente  necessaria, 
sive  sit  major,  sive  sit  minor,  conclusio  erit 
necessaria,  ipsa  existente  de  inesse.  Aflir- 
mativa  vero  existente  necessaria ,  et  nega- 
tiva  de  inesse,  non  sequitur  conclusio  ne- 
cessaria. Et  hoc  clare  potest  apparere  redu- 
cendo  praedictos  syllogismos  ad  modos 
primœ  figurai.  Nam  semper  in  syllogismis 


reductis,  negativa  erit  major.  In  prima 
autem  figura,  ut  dictum  est,  si  major  est 
necessaria,  et  conclusio  :  si  vero  non,  nec 
conclusio.  In  quarto  vero  modo  secundae 
figura?  quacumque  propositione  necessaria 
sive  affirmativa,  sive  negativa  :  dum  modo 
altéra  sit  de  inesse,  non  semper  sequitur 
conclusio  necessaria.  Nam  si  universalis  af- 
firmativa non  erit  necessaria  in  eisdem 
terminis,  fiet  syllogismus  in  quibus  fict  se- 
cundus  modus  ejusdem  figurai  universali, 
affirmativa  existente  necessaria  :  sed  ut 
dictum  est,  si  affirmativa  est  necessaria, 
non  sequitur  conclusio  necessaria,  quod 
patet  per  reductionem  ejus  ad  secundum 
modum  primae  figura?,  ergo  nec  hic  sequi- 
tur. Si  vero  particularis  negativa  est  ne- 
cessaria :  non  sequitur  semper  conclusio 
necessaria,  ut  patet  in  his  terminis,  scili- 
cet  :  Omne  album  est  homo,  quidam  asinus 


302  OPUSCULE    XL  Vil,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    13. 

cependant  pas  conclure  quelque  àne  nécessairement  n'est  pas  blanc. 
Dans  la  troisième  figure  il  y  a  des  syllogismes  affîrmatifs,  il  y  en  a 
de  négatifs.  Parmi  les  affîrmatifs  quelques-uns  ont  leurs  deux  propo- 
sitions universelles,  et  d'autres  n'ont  que  l'une  ou  l'autre.  Ceux  qui 
ont  les  deux  propositions  universelles,  cruelle  que  soit  celle  des  deux 
qui  est  universelle  ,  majeure  ou  mineure  ,  ceux-là  ont  une  conclusion 
nécessaire,  ce  que  l'on  voit  en  les  réduisant  à  la  première  figure. 
Ceux  qui  n'ont  que  l'une  des  deux  universelle ,  celle-ci  étant  néces- 
saire, majeure  ou  mineure,  ceux-là  ont  une  conclusion  nécessaire. 
Si  la  particulière  est  nécessaire,  il  ne  résulte  pas  une  conclusion  né- 
cessaire ,  parce  que  en  la  ramenant  à  la  première  figure,  la  majeure 
se  trouve  être  de  inesse  ,  ou  ,  comme  on  l'a  dit,  il  n'y  a  pas  de  con- 
clusion nécessaire.  Parmi  les  syllogismes  négatifs  quelques-uns  ont 
une  proposition  négative  universelle ,  quelques  autres  en  ont  une  par- 
ticulière. C'est  pourquoi  ceux  qui  ont  une  proposition  négative  uni- 
verselle ,  celle-ci  étant  nécessaire ,  il  ne  s'ensuit  pas  une  conclusion 
nécessaire.  Ceux  qui  ont  une  particulière  négative  et  une  universelle 
affirmative,  quelle  que  soit  celle  des  deux  qui  est  nécessaire,  il  ne 
s'ensuit  pas  une  conclusion  nécessaire.  Par  exemple  :  quelque  homme 
ne  veille  pas,  tout  homme  nécessairement  est  animal,  donc  quelque 
animal  nécessairement  ne  veille  pas,  et  c'est  là  avec  l'affirmative  né- 
cessaire. On  procède  ainsi  avec  la  négative  nécessaire  :  quelque  blanc 
nécessairement  n'est  pas  animal,  tout  blanc  veille,  il  ne  s'ensuit  pas, 
donc  quelque  chose  qui  veille  nécessairement  n'est  pas  animal,  puis- 
que tout  ce  qui  veille  est  nécessairement  animal.  Tel  est  ce  qui  con- 
cerne les  syllogismes  modaux  de  necessario. 


necessario  non  est  homo,  tamen  non  sequi- 
tur, ergo  quidam  asiuus  necessario  non  est 
albus.  In  tertia  vero  figura  sunt  syllogismi 
affirmativi,  et  sunt  negativi.  Affirmativo- 
rum  autem  quidam  habent  ambas  proposi- 
tiones  universales  ;  quidam  vero  alteram. 
Qui  habent  ambas  propositiones  universa- 
les, quacumque  earum  existente  necessa- 
ria, sivc  majori,  sive  minori,  sequitur  con- 
clusio  necessaria,  quod  patet  per  reductio- 
nem  ejus  ad  primam  figuram.  Qui  vero 
habent  alteram  universalem,  ea  existente 
necessaria  sive  majori,  sive  minori,  sequi- 
tur conclusio  necessaria.  Si  vero  particula- 
ris  sit  necessaria  ,  non  sequitur  conclusio 
necessaria,  quia  si  reducitur  ad  primam  fi- 
guram, major  est  de  in  esse  :  obi,  ut  dic- 
tum  est,  non  sequitur  conclusio  necessaria. 
Negativorum  vero  quidam  habent  propo- 


sitionem  negativam  universalem  ,  quidam 
autem  particularem.  Unde  qui  habent  pro- 
positionem  negativam  universalem ,  ea 
existeute  necessaria,  non  sequitur  conclusio 
necessaria.  Qui  vero  habent  negativam  par- 
ticularem, et  aiïirmativam  universalem, 
quacumque  earum  existente  necessaria, 
non  sequitur  conclusio  necessaria.  Verbi 
gratia  sic  :  Quidam  homo  non  vigilat,  omnis 
homo  necessario  est  animal,  ergo  quoddam 
animal  necessario  non  vigilat,  et  hoc  est 
affirmativa  existente  necessaria.  Negativa 
autem  existente  necessaria  sic  :  Quoddam 
album  necessario  non  est  animal,  omne  al- 
bum vigilat,  non  sequitur.  Ergo  quoJdam 
vigilans  necessario  non  est  animal,  cum 
omne  vigilans  necessario  sit  animal  :  Et 
sic  patet  de  syllogismis  modalibus  de  ne- 
cessario. 


SUR  LA   LOGIQUE   D  AR1ST0TE. 


303 


CHAPITRE  XIV. 

Des  syllogismes  contingents. 

Nous  allons  traiter  des  syllogismes  contingents.  Remarquez  ici  qu'il 
y  a  un  double  contingent,  savoir  le  contingent  quod  inest  et  le  con- 
tingent qui  peut  inesse.  On  appelle  ici  contingent  quod  inest  lorsque  le 
prédicat,  sans  être  de  l'essence  du  sujet  ou  son  propre ,  est  néanmoins 
le  terme  qui  peut  être  affirmé  et  nié  du  sujet,  quoiqu'il  soit  affirmé 
présentement  actu.  Et  cette  proposition,  quoique  de  matière  contin- 
gente, est  néanmoins  dite  du  contingent  quod  inest.  D'un  autre  côté  , 
on  dit  qu'il  y  a  contingent  qui  peut  inesse ,  lorsque  le  prédicat  est  du 
contingent,  comme  blanc  par  rapport  à  homme,  cependant  dans  la 
proposition  il  n'est  pas  dit  actu  inesse ,  mais  d'une  manière  possible  , 
comme  lorsque  je  dis,  il  arrive  que  l'homme  est  blanc,  le  sens  n'est 
pas  que  l'homme  soit  blanc,  mais  qu'il  peut  être  blanc.  Il  faut  savoir 
que  dans  la  première  figure,  lorsque  les  deux  propositions  sont  de  con- 
tingenti, la  conclusion  l'est  aussi,  de  cette  manière  :  il  arrive  que 
tout  blanc  est  musicien ,  il  arrive  que  tout  homme  est  blanc,  donc  il 
arrive  que  tout  homme  est  musicien ,  et  il  en  est  ainsi  des  autres 
modes.  Dans  la  seconde  figure,  si  les  deux  propositions  sont  de  contin- 
genta, soit  qu'elles  soient  affirmatives ,  ou  l'une  négative,  soit  qu'elles 
soient  universelles ,  ou  l'une  particulière ,  la  conclusion  ne  sera  jamais 
de  contingenti.  Par  exemple  :  il  arrive  que  nul  homme  n'est  blanc, 
il  arrive  que  tout  ce  qui  rit  est  blanc ,  donc  il  arrive  que  rien  de  ce 
qui  rit  n'est  homme  ;'on  ne  peut  pas  tirer  cette  conclusion  ,  parce  que 
nécessairement  tout  ce  qui  rit  est  homme,  et  ainsi  de  tous  les  autres. 


CAPUT  xiv. 

De  syllogismis  conlingentibus, 
Sequitur  de  syllogismis  contingentibus. 
Ubi  nota  quod  duplex  est  contingens,  scili- 
cet  contingens  quod  inest,  et  contingens 
quod  potest  inesse.  Dicitur  autem  hic  con- 
tingens quod  inest,  quando  praedicatum  li- 
cet  non  sit  de  essentia  subjecti ,  vel  pro- 
prium  ejus,  tamen  est  terminus  qui  potest 
prsedicari,  et  negari  desubjecto,  licet  nunc 
actu  de  eo  pradicelur.  Et  talis  propositio 
licet  sit  de  materia  contingenti,  tamen  di- 
citur de  contingenti  quod  inest.  Contin- 
gens autem,  quod  potest  inesse,  dicitur 
cum  pradicatum  est  de  contingenti,  sicut 
de  albo  respectu  hominis,  tamen  in  propo- 
sitione  non  dicitur  actu  inesse ,  sed  possibi- 
lité!', ut  cum  dico,  contingit  hominem  esse 


album,  non  est  sensus ,  quod  homo  sit  al- 
bus,  sed  quod  potest  esse  albus.  Sciendum 
quod  in  prima  figura  utraque  propositione 
existente  de  contingenti,  etiam  conclusio 
erit  de  contingenti  sic  :  Contingit  omne  al- 
bum esse  musicum ,  contingit  omnem  ho- 
minem esse  album  :  ergo  contingit  omnem 
hominem  esse  musicum ,  et  sic  est  de  aliis 
modis.  In  secunda  vero  figura,  si  ambae  pro- 
positiones  sunt  de  contingenti,  sive  sint  af- 
firmativae,  srve  altéra  earum  sit  negativa, 
sive  sint  universales,  sive  altéra  earum  sit 
particularis,  nunquam  conclusio  erit  de 
contingenti.  Verbi  gratia  :  Contingit  nul- 
lum  hominem  esse  album  :  contingit  omne 
risibile  esse  album,  ergo  contingit  nullum 
risibile  esse  hominem,  non  sequitur,  quia 
necesse  est  omne  risibile  esse  hominem,  et 
sic  de  omnibus  aliis.  In  tertia  vero  figura, 


304  OPUSCULE    XLVIl,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    14. 

Dans  la  troisième  figure,  quand  les  prémisses  sont  de  contingenta , 
soit  qu'elles  soient  affirmatives ,  ou  l'une  négative ,  soit  qu'elles  soient 
universelles  ou  particulières,  il  s'ensuit  toujours  une  proposition  de 
contingenti ,  comme  il  arrive  que  tout  homme  est  blanc ,  il  arrive 
que  tout  homme  est  musicien ,  donc  il  arrive  que  tout  musicien  est 
blanc,  et  il  en  est  de  même  dans  tous  les  autres  modes.  Si  au  con- 
traire une  des  prémisses  est  de  contingenti  et  de  l'autre  de  inesse,  il 
ne  s'ensuit  pas- toujours  une  conclusion  de  contingenti.  C'est  pour- 
quoi dans  la  première  figure,  quand  la  majeure  est  de  contingenti , 
soit  qu'elle  soit  affirmative  ou  négative  ,  et  la  mineure  simplement  de 
inesse,  il  suit  toujours  une  conclusion  de  contingenti,  comme,  il 
arrive  que  tout  homme  est  blanc ,  tout  ce  qui  rit  est  homme ,  donc  il 
arrive  que  tout  ce  qui  rit  est  blanc.  Mais  quand  la  majeure  est  de 
inesse ,  et  la  mineure  de  contingenti ,  il  ne  suit  pas  toujours  une  con- 
clusion de  contingenti  pour  que  le  syllogisme  soit  bon  de  cette  ma- 
nière :  tout  ce  qui  est  sain  est  animal,  il  arrive  que  tout  cheval  est 
animal.  Il  faut  savoir  que  dans  toute  proposition  de  contingenti  on 
peut  conserver  de  deux  manières  dici  de  omni  suivant  son  double  sens 
exposé  plus  haut.  C'est  pourquoi  lorsque  je  dis ,  il  arrive  que  tout 
homme  est  blanc  ,  je  prends  l'homme  par  rapport  à  tout  ce  dont  il 
peut  être  dit  ou  suivant  l'être  du  blanc  lui-même ,  de  manière  que  le 
sens  soit,  il  arrive  que  tout  ce  qui  est  homme  est  blanc  actu;  ou  sui- 
vant l'inhérence  possible  ,  de  façon  que  le  sens  soit  celui-ci,  il  arrive 
que  tout  ce  qui  est  homme  peut  être  blanc.  La  proposition  de  inesse 
n'a  qu'un  seul  dici  de  omni,  c'est-à-dire  suivant  la  comparaison  de 
sujet  à  ses  inférieurs  selon  l'inhérence  actuelle  du  prédicat,  et  il 
s'ensuit  que  en  vertu  de  dici  de  omni ,  la  proposition  de  inesse  peut 
se  prendre  sous  celle  de  contingenti ,  car  il  y  a  un  dici  de  omni  sous 


pnemissis  existentibus  de  contingenti  sive 
sint  affirmativas ,  sive  altéra  earum  sit  ne- 
gativa,  sive  universales,  sive  particulares, 
semper  sequitur  conelusio  de  eontingenti  : 
ut  contingit  omnem  hominem  esse  album  : 
contingit  omnem  hominem  esse  musicum, 
ergo  contingit  musicum  esse  album,  et  sic 
est  in  aliis  modis.  Si  vero  altéra  praemissa- 
rum  sit  de  contingenti,  et  altéra  de  inesse, 
non  semper  sequitur  conelusio  de  contin- 
genti. Unde  in  prima  figura  majori  exis- 
tante de  contingenti,  sive  sit  afiirmativa, 
sive  negativa,  minori  vero  de  inesse  sim- 
pliciter,  semper  sequitur  conelusio  de  con- 
tingenti. Ut  contingit  omnem  hominem 
esse  album  :  omne  risibile  est  homo  ,  ergo 
contingit  omne  risibile  esse  album.  Majori 
vero  existeate  de  inesse,  et  minori  de  con- 
tingenti, non  semper  sequitur  conelusio  de 
contingenti,  ut  perfectus  sit  syllogismus 


sic  :  Omne  sanum  est  animal  :  contingit 
omnem  equum  esse  animal.  Sciendum, 
quia  in  qualibet  propositione  de  contin- 
genti potest  salvari  dupliciter  dici  de  omni 
secundum  duplicem  ejus  sensum  supradic- 
tum.  Unde  cum  dico,  contingit  omnem 
hominem  esse  album,  computo  hominem 
ad  dici,  de  quibus  potest  prœdicari,  vel 
secundum  esse  ipsius  albi,  ut  sit  sensus, 
omne  quod  est  homo,  contingit  actu  esse  ■ 
album.  Vel  secundum  possibilem  inhaeren- 
tiam  ,  ut  sit  sensus,  omne  quod  est  homo, 
contingit  posse  esse  album.  Propositio  de 
inesse  habet  solum  unum  dici  de  omni, 
scilicet  secundum  comparationem  subjecti 
ad  sua  inferiora  secundum  actualem  inhae- 
rentiam  prœdicati,  et  ex  his  sequitur,  quod 
virtute  dici  de  omni  illa,  de  inesse  potest 
sumi  sub  illa  de  contingenti.  Unum  enim 
dici  de  omni  sub  duobus,  quia  ad  minus  in 


SLR    LA    LOGIQUE    D'ARISTOTE.  305 

deux,  parce  que  la  conséquence  est  au  moins  en  un.  Mais  la  proposi- 
tion de  contingenti  ne  peut  se  prendre  sous  celle  de  inesse  ;  car  deux 
dici  de  omnine  se  trouvent  pas  contenus  sous  un.  Et  c'est  là  la  raison 
pourquoi,  lorsque  la  majeure  est  de  contingenti  et  la  mineure  de  inesse, 
il  ne  s'ensuit  pas  une  proposition  de  contingenti  par  la  force  syllogis- 
tique,  quoique  cela  arrive  à  la  faveur  de  la  matière.  Il  faut  savoir 
qu'il  y  a  deux  sortes  de  propositions  de  inesse ,  l'une  de  inesse  ut  mmc, 
quand  le  prédicat  ne  se  trouve  dans  le  sujet  que  ut  nunc,  comme  So- 
crate  court ,  et  l'autre  de  inesse  simpliciter.  Aussi  pour  qu'il  résulte 
une  conclusion  de  contingenti  ,  quand  la  mineure  est  de  inesse  ,  elle 
doit  être  de  inesse  simpliciter ,  parce  que  le  prédicat  suit  toujours  le 
sujet;  il  s'ensuit  conséquemment  que  tout  ce  qui  est  contingent  dans 
le  prédicat,  l'est  aussi  dans  le  sujet.  Mais  comme  dans  la  proposition 
de  inesse  ut  nunc  le  prédicat  ne  suit  pas  toujours  le  sujet,  il  ne  sera 
pas  toujours  vrai  que  tout  ce  qui  est  contingent  dans  le  prédicat  l'est 
aussi  dans  le  sujet.  Il  ne  serviroit  de  rien  de  dire  que  si  la  mineure 
étoit  de  contingenti ,  laquelle  auroit  la  même  valeur  que  celle  de 
inesse  ut  nunc ,  et  si  la  majeure  étoit  de  contingenti ,  il  y  auroit  une 
conclusion  ;  car  si  la  mineure  étoit  de  contingenti ,  le  prédicat  est 
toujours  contingent  dans  le  sujet,  parce  que  cette  proposition,  il 
arrive  que  l'homme  court,  est  toujours  vraie  ,  parce  qu'il  est  toujours 
contingent  que  l'homme  court,  celle-ci  cependant ,  l'homme  ne  court 
pas,  n'est  pas  toujours  vraie;  aussi  il  en  est  tout  différemment  de 
l'une  et  de  l'autre.  Dans  la  seconde  figure,  dans  les  trois  premiers 
modes ,  lorsque  la  négative  est  de  contingenti  et  l'affirmative  de  inesse, 
on  ne  fait  pas  de  syllogisme.  La  raison  en  est  que  les  syllogismes 
n'ont  de  conclusion  qu'en  tant  qu'ils  sont  ramenés  à  la  première  figure 
où  se  trouve  dici  de  omni  et  dici  de  nullo  ;  or  ces  syllogismes  ne  peu- 


uno  est  consequentia.  Sed  illa  de  contin- 
genti non  potest  sumi  sub  iila  de  inesse. 
Duo  enim  dici  de  omni  non  continetur  sub 
uno.Etista  est  causa  quare  major  existente 
de  contingenti,  minori  vero  de  inesse  non 
sequitur  conclusio  de  contingenti  virtute 
syllogistica,  licet  sequatur  gratia  materia3. 
Sciendum  quod  propositio  de  inesse  est 
duplex,  scilicet  de  inesse  ut  nunc,  scilicet 
quando  prœdicatum  ut  nunc  solum  inest 
subjecto,  ut  Sortes  currit,  et  de  inesse  sim- 
pliciter. Unde  ad  hoc  quod  sequatur  con- 
ciliai) de  contingenti,  minori  existente  de 
inesse ,  débet  esse  de  inesse  simpliciter , 
quia  praedicatum  semper  sequitur  subjec- 
tuin  :  ideo  sequitur  quod  quicquid  contin- 
git  prœdicato,  contingit  subjecto.  Sed  quia 
in  propositione  de  inesse  ut  nunc,  pnedica- 
tum  non  semper  sequitur  subjectum,  non 

V. 


erit  semper  verum  quod  quicquid  contingit 
prœdicato ,  contingit  subjecto.  Nec  est  in- 
stantia  quod  si  minor  esset  de  contingenti, 
quœ  tantum  valet  quantum  illa  de  inesse, 
ut  nunc,  et  major  esset  de  contingenti,  se- 
quitur conclusio.  Nam  si  minor  est  de 
contingenti ,  semper  prœdicatum  contingit 
subjecto;  nam  haec,  contingit  hominem 
currere,  semper  est  vera,  quia  semper  con- 
tingit hominem  currere,  tamen  ista,  homo 
non  currit,  non  semper  est  vera  :  ideo  ali- 
ter se  habet  de  utralibet.  In  secunda  autem 
figura  in  tribus  primis'  modis  negativa 
existente  de  contingenti,  ai'firmativa  vero 
de  inesse,  non  sitsyllogismus.  Et  causa  est, 
quia  omnes  syllogismi  in  tantum  eonclu- 
dunt,  in  quantum  reducuntur  ad  primam 
figurûm ,  ubi  est  dici  de  omni ,  et  dici  de 
nullo  :  talcs  autem  syllogismi  non  possunt 

20 


306  OPUSCULE    XLVH,    TBAITÉ    10,    CHAPITRE    14. 

sent  se  ramener  à  la  première  figure.  Car  on  ne  convertit  pas  F  uni- 
verselle négative  de  contingenti  de  manière  à  faire  du  sujet  le  pré- 
dicat, et  du  prédicat  le  sujet,  comme  on  l'a  dit,  mais  la  conversion 
se  fait  dans  les  termes.  C'est  pourquoi  celle-ci,  il  arrive  que  nul 
homme  n'est  blanc,  se  convertit  en  celle-ci ,  il  arrive  que  tout  homme 
est  blanc.  D'où  il  résulte  en  conséquence  que  lorsque  l'universelle 
négative  est  de  contingenti  dans  ces  trois  modes ,  on  ne  fait  pas  de 
syllogisme,  parce  qu'on  ne  peut  pas  prouver  par  dici  de  omni.  Au 
contraire ,  lorsque  l'affirmative  est  de  contingenti  et  la  négative  de 
inesse,  on  fait  un  syllogisme ,  parce  que  ce  syllogisme  peut  se  ramener 
à  la  première  figure  par  la  proposition  négative  également  convertie, 
il  n'y  aura  pas  cependant  de  conclusion  de  contingenti ,  comme  il  a 
été  dit.  Dans  le  quatrième  mode,  on  ne  fait  de  syllogisme  en  aucune 
façon,  soit  que  la  majeure  ou  la  mineure  soient  de  contingenti.  Ce 
syllogisme,  en  effet,  ne  peut  se  ramener  à  la  première  figure  par 
conversion  ,  mais  par  le  syllogisme  conversif ,  quelle  que  soit  la  pro- 
position de  contingenti  et  celle  de  inesse,  cette  réduction  ne  peut  se 
faire,  il  ne  s'ensuit  donc  rien.  Que  cette  réduction  ne  puisse  se  faire 
quand  la  majeure  est  de  contingenti ,  c'est  évident  :  soit  ce  syllogisme, 
il  arrive  que  tout  homme  est  blanc ,  quelque  pierre  n'est  pas  blanche, 
donc  quelque  pierre  n'est  pas  homme  ,  dont  l'opposé  est,  toute  pierre 
est  homme.  Faisons  donc  un  syllogisme  dans  la  première  figure  de 
cette  manière  :  il  arrive  que  tout  homme  est  blanc ,  toute  pierre  est 
homme ,  donc  il  arrive  que  toute  pierre  est  blanche.  Mais  celle-ci 
n'est  pas  opposée  à  cette  autre ,  quelque  pierre  n'est  pas  blanche ,  qui 
étoit  la  mineure.  Car,  comme  il  a  été  dit  dans  la  proposition  de 
contingenti,  ou  conserve  dici  de  omni  suivant  toute  l'inhérence  pos- 
sible ;  il  pourroit  en  effet  être  vrai  dans  l'avenir  que  toute  pierre  de- 


reduci  ad  priuiam  figuram.  Non  enim  con- 
vertitur universalis  negativa  de  contin- 
genti, ut  de  subjecto  fiât  prsedicatum,  et 
de  preedicato  fiât  subjectum ,  ut  supradic- 
tum  est,  sed  convertitur  in  terminis.  Unde 
ha;c,  contingit  nullum  hominem  esse  al- 
bum, convertitur  inhanc,  contingit  om- 
nem  hominem  esse  album.  Unde  secun- 
dum  hoc  universali  negativa  existente  de 
contingenti  in  tribus,  videlicet  modis,  non 
lit  syllogismus ,  quia  non  potest  probari  per 
dici  de  omni.  Affirmativa  vero  existente  de 
contingenti ,  et  negativa  de  inesse,  lit  syl- 
logismus, quia  potest  reduci  talis  syllogis- 
mus ad  primam  figuram,  per  propositio- 
nemnegativam  similiter  conversam,  tamen 
non  erit  conclusio  de  contingenti,  ut  supra 
dictum  est.  In  quarto  autem  modo,  nullo 
modo  lit  syllogismus,  sivc  major,  sive  mi- 
ner sit  de  contingenti.  Talis  enim  syllogis- 


mus non  potest  reduci  ad  primam  figuram 
per  conversionem ,  sed  per  syllogismum 
conversivum,  sed  quacumque  existente  de 
contingenti ,  et  altéra  de  inesse ,  non  po- 
test fieri  talis  reductio,  ergo  ex  eo  mhil  se- 
quitur.  Quod  autem  majori  existente  de 
contingenti  talis  reductio  fieri  non  possit, 
patet,  sit  talis  syllogismus.  Contingit  om- 
nem  hominem  esse  album,  quidam  lapis 
non  est  albus,  ergo  quidam  lapis  non  est 
homo,  cujus  oppositum  est,  omnis  lapis  est 
homo,  liât  ergo  syllogismus  in  prima  figura 
sic  :  Contingit  omnem  bominem  esse  al- 
bum, omnis  lapis  est  homo,  ergo  contingit 
omnem  lipidem  esse  album.  Sed  haec  non 
opponitur  huic,  quidam  lapis  non  est  albus, 
quae  erat  minor.  Nam  ut  dictum  est ,  in 
propositione  de  contingenti  salvatur  dici  de 
omni  secundum  possibilem  inhœrentiam  : 
in  futuro  enim  posset  esse  verum,   quod 


SUR   LA   LOGIQUE   d'aRISTOTE.  307 

vînt  blanche,  comme  maintenant  quelque  pierre  n'est  pas  blanche, 
et  île  cette  manière  l'enchaînement  ne  vaut  rien.  On  voit  également 
qu'un  semblable  syllogisme  ne  vaut  rien.  Car  de  propositions  vraies 
il  suit  quelquefois  une  conclusion  fausse  de  cette  manière  :  il  arrive 
que  tout  homme  est  blanc ,  quelque  chose  qui  rit  n'est  pas  blanc ,  il 
suit ,  donc  il  arrive  que  quelque  chose  qui  rit  n'est  pas  homme ,  ce 
qui  se  fait  simpliciter.  De  même,  si  la  mineure  est  de  contingenti ,  il 
ne  s'ensuit  rien  et  on  fait  le  syllogisme  de  cette  manière  :  tout  homme 
est  animal,  il  arrive  que  quelque  chose  de  blanc  n'est  pas  animal, 
donc  il  arrive  que  quelque  chose  de  blanc  n'est  pas  homme;  un  œuf 
par  exemple  qui  est  blanc,  il  arrive  que  quelquefois  il  sera  animal  et 
d'autres  fois  non,  lorsque  suit  cette  proposition  de  inesse ,  quelque 
blanc  n'est  pas  homme,  il  n'y  a  rien  ;  car  son  opposée  est,  tout  blanc 
est  homme,  donc  tout  blanc  est  animal,  laquelle  n'est  pas  opposée  à 
celle-ci,  il  arrive  que  quelque  blanc  n'est  pas  animal,  comme  on  l'a 
dit  plus  haut.  Si  au  contraire  on  prend  une  conclusion  de  contingenti, 
par  exemple,  il  arrive  que  quelque  blanc  n'est  pas  animal,  dont  l'op- 
posée est,  il  est  nécessaire  que  tout  blanc  soit  animal,  la  conclusion 
est  la  même,  et  on  fera  le  syllogisme  dans  la  première  figure  de  cette 
manière  :  tout  homme  est  animal ,  il  est  nécessaire  que  tout  blanc 
soit  homme,  il  suit,  donc  tout  blanc  est  animal,  comme  on  l'a  dit 
plus  haut  des  combinaisons  du  nécessaire  et  de  inesse,  laquelle  n'est 
pas  opposée  à  cette  mineure ,  il  arrive  que  quelque  blanc  n'est  pas 
animal,  et  de  cette  façon  cet  assemblage  est  inutile.  Dans  la  troisième 
figure,  lorsque  la  majeure  est  de  contingenti  et  la  mineure  de  inesse , 
il  en  résulte  une  conclusion  de  contingenti  ;  car  la  mineure  étant  con- 
vertie dans  les  cinq  modes  des  syllogismes ,  on  fait  la  réduction  à  la 
première  figure.  Par  exemple  faisons  ainsi  un  syllogisme  :  Il  arrive 


omnis  lapis  fieret  albus,  et  quod  modo  qui- 
dam lapis  non  sit  albus,  et  sic  isto  modo 
non  valet  conjugatio.  Apparet  etiam  quod 
talis  syllogismus  non  valet.  Nam  proposi- 
tionibus  existentibus  veris,  aliquando  se- 
quitur  conclusio  falsa  sic  :  Contingit  om- 
nein  hominem  esse  album ,  quoddam  risi- 
bile  non  est  album,  sequitur,  ergo  contin- 
git quoddam  risibile  non  esse  hominem, 
quod  est  simpliciter.  Similiter  si  minor 
est  de  contingenti  nihil  sequitur,  et  fit  syl- 
logismus sic  :  Omnis  homo  est  animal,  con- 
tingit quoddam  album  non  esse  animal, 
ergo  contingit  quoddam  album  non  esse 
hominem,  ut  puta  ovum,  quod  est  album, 
contingit  quod  aliquando  erit  animal,  ali- 
quando non  erit,  si  sequitur  hœc  de  inesse, 
scilicet  quoddam  album  non  est  homo, 
non  tenet.  Opposita  enim  ejus  est ,  omne 
album  est  homo,  ergo  omne  album  est  ani- 


mal, quai  non  opponitur  huic,  contingit 
quoddam  album  non  esse  animal ,  ut  su- 
pradictum  est.  Si  vero  sumatur  conclusio 
de  contingenti ,  scilicet  :  Contingit  quod- 
dam album  non  esse  animal,  cujus  opposita 
est.  Necesse  est  omne  album  esse  animal , 
idem  sequitur,  et  fiât  syllogismus  in  prima 
figura  sic  :  Omnis  homo  est  animal  :  ne- 
cesse  est  omne  album  esse  hominem,  se- 
quitur, ergo  omne  album  est  animal ,  ut 
supra  de  mixtionibus  necessarii,  et  de 
inesse  dictum  est,  qaiv  non  opponitur  i  111 
minori,  scilicet,  contingit  quoddam  album 
non  esse  animal,  et  sic  est  inutilis  conju- 
gatio. In  tertia  vero  figura  majori  exis- 
tente  de  contingenti,  minori  vero  de 
inesse ,  sequitur  conclusio  de  contingenti. 
Nam  conversa  minori  in  quinque  modis 
syllogismorum,  fit  reductio  ad  prinuun  fi- 
guram.  Verbi  gratia,  fiât  syllogismus  sic  : 


308  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    15. 

que  tout  homme  est  blanc;  tout  homme  est  animal,  donc  il  arrive  que 
quelque  animal  est  blanc;  la  mineure  étant  changée  per  accidens,  le 
troisième  mode  de  la  troisième  figure  devient  ceci  :  11  arrive  que 
tout  homme  est  blanc;  tout  homme  est  animal,  donc  il  arrive  que 
quelque  animal  est  blanc ,  et  ainsi  des  autres  quatre  modes.  Le  cin- 
quième mode  de  la  troisième  figure  se  ramène  à  la  première  par  le 
syllogisme  conversif  de  cette  manière  :  il  arrive  que  quelque  homme 
n'est  pas  blanc  ,  tout  homme  est  animal ,  donc  il  arrive  que  quelque 
animal  n'est  pas  blanc ,  dont  l'opposé  est,  il  est  nécessaire  que  tout 
animal  soit  blanc  ;  plaçous-là  la  mineure  du  premier  syllogisme , 
c'est-à-dire ,  tout  homme  est  animal ,  il  suit ,  donc  il  est  nécessaire 
que  tout  homme  soit  blanc,  laquelle  proposition  est  la  contradictoire 
de  la  majeure  du  premier  syllogisme.  Telle  est  la  combinaison  des 
propositions  de  contingenîi  et  de  inesse  dans  trois  figures. 

CHAPITRE  XV. 

De  la  combinaison  du  contingent  et  du  nécessaire  dans  trois  figures 
de  syllogismes. 

Nous  allons  parler  de  la  combinaison  du  contingent  et  du  néces- 
saire. Il  faut  observer  que  dans  la  première  figure  selon  les  modes 
affîrmatifs,  lorsque  la  majeure  est  de  contingenîi  et  la  mineure  de 
necessario,  il  y  a  un  syllogisme  parfait,  et  la  conclusion  doit  être 
de  contingenîi.  Par  exemple ,  il  arrive  que  tout  animal  est  blanc ,  il 
est  nécessaire  que  tout  homme  soit  animal,  donc  il  arrive  que  tout 
homme  est  blanc.  Mais  si  c'est  le  contraire,  c'est-à-dire,  si  la  majeure 
est  de  necessario  et  la  mineure  de  contingenîi ,  il  n'y  aura  pas  de  syl- 
logisme. La  raison  en  est  que  la  proposition  nécessaire  auroit  un  dici 


Contingit  omnem  hominem  esse  album  : 
omnis  homo  est  animal,  ergo  contingit 
quoddam  animal  esse  album,  conversa  mi- 
nori per  accidens,  fittertius  modus  primœ 
figurae  sic  :  Contingit  omnem  hominem 
esse  album  :  omne  animal  est  homo ,  ergo 
contingit  quoddam  animal  esse  album,  et 
sic  est  de  aliis  quatuor  modis.  Quintus  au- 
tem  rnodus  tertiee  figurae  reducitur  ad  pri- 
mara  per  syllogismum  conversivum  sic  : 
Contingit  quemdam  hominem  non  esse  al- 
bum :  omnis  homo  est  animal,  ergo  con- 
tingit quoddam  animal  non  es?e  album. 
Cujus  oppositurn  est,  necesse  est  omne  ani- 
mal esse  album;  deinde  ponatur  sub  ea 
tninor  primi  svllugismi,  scilicet  omnis 
homo  est  animal,  et  scquitur,  ergo  necesse 
est  omnem  hominem  esse  album,  quœ  est 
cont  radie  toria  majoris    primi    syllogismi. 


Et  sic  patet  de  mixtione  propositionum 
de  contingenti,  et  de  inesse  in  tribus  fîgu- 
ris  etc. 

CAPOT  XV. 

De  mixtione  contingentis    et  necessarii  in 
tribus  figuris  sylfogisrnorum. 

Sequitur  de  mixtione  contingentis  et  ne- 
cessarii. Notandum  quod  in  prima  figura 
quantum  ad  modos  aflirmativo? ,  majori 
existente  de  contingenti ,  minori  vero  de 
necessario,  syllogismus  erit  perfectus,  et 
concludet  coaelusionem  de  contingenti. 
Verbi  gratia.  Contingit  omne  animai  esse 
album  :  necesse  est  oumem  hominem  esse 
animal,  ergo  contingit  omnem  hominen 
esse  album.  Si  vero  sit  econverso,  scilicet 
majori  existente  de  necessario,  et  minori  de 
contingenti,  nullus  fiet  syllogismus.  Causa 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  309 

de  omni  suivant  l'inhérence  actuelle  du  prédicat  au  sujet  et  à  ce  qu'il 
renferme  ;  mais  celle  de  contingenti  a  un  double  dici  de  omni,  comme 
il  a  été  dit;  celle-ci  ne  peut  donc  pas  être  prise  en  l'autre  de  neces- 
sario  par  la  vertu  du  principe  qui  est  dici  de  omni.  Il  faut  savoir  que 
dans  ce  syllogisme,  quoique  la  conclusion  se  tire  par  dici  de  omniy 
on  peut  néanmoins  tirer  une  conclusion  de  contingenti  de  possibile , 
lequel  se  rapporte  communément  au  nécessaire  et  au  contingent  en 
vertu  de  cette  règle  ,  lorsqu'un  sujet  se  trouve  essentiellement  dans 
un  prédicat,  tout  ce  qui  est  contingent  dans  ce  sujet  l'est  aussi  dans 
le  prédicat.  Mais  dans  les  syllogismes  négatifs  ,  lorsque  la  proposition 
affirmative  est  nécessaire  et  la  négative  de  contingenti ,  il  en  résulte 
une  conclusion  de  contingenti,  de  cette  manière  :  il  arrive  que  nul 
homme  n'est  blanc  ,  il  est  nécessaire  que  tout  ce  qui  rit  soit  homme  , 
il  suit,  donc  il  arrive  que  rien  de  ce  qui  rit  n'est  blanc.  Si ,  au  con- 
traire ,  la  proposition  négative  est  nécessaire,  et  l'affirmative  contin- 
gente, il  en  résulte  deux  conclusions,  quelquefois  de  contingenti ,  et 
d'autres  fois  de  inesse,  ce  qu'il  est  facile  de  voir.  Car  de  l'opposé  de 
la  conclusion  avec  une  prémisse  on  déduit  l'opposé  de  l'autre  pré- 
misse. La  raison  pour  laquelle  il  y  a  deux  conclusions  à  une  négative 
de  necessario  ,  c'est  que  non-seulement  le  prédicat  n'est  pas  dit  inhé- 
rent au  sujet,  mais  qu'il  ne  peut  même  pas  l'être.  Aussi  le  syllogisme 
signifie  que  le  sujet  n'est  pas  dans  le  prédicat  et  ne  peut  y  être.  C'est 
pourquoi  lorsqu'on  met  quelque  chose  d'une  manière  contingente  en 
un  tel  sujet,  cela  veut  dire  que  ce  prédicat  est  exclu  actu  de  tout  ce 
qui  est  contingent  dans  le  sujet,  et  de  cette  manière  la  conclusion 
sera  de  contingenti ,  parce  que  ce  qui  est  exclu  d'une  manière  contin- 
gente fait  une  énonciatioii  contingente,  ce  qui  signifie  qu'il  ne  peut 


est  quia  propositio  necessaria  haberet 
unum  dici  de  omni,  secundum  scilicet  ac- 
tualem  inhaerentiam  praedicati  ad  subjec- 
tum ,  et  ad  contenta  sub  eo  :  sed  illa  de 
contingenti  habet  duplex  dici  de  omni,  ut 
supradietum  est,  non  ergo  potest  illa  surni 
sub  illa  de  necessario  per  virtutem  princi- 
pii  quod  est  dici  de  omni.  Sciendum  quod 
in  praedicto  syllogismo,  licet  concludatur 
per  dici  de  omni ,  potest  tamen  concludi 
conclusio  de  contingenti  de  possibile,  quod 
scilicet  comuiuniter  se  habet  ad  necessa- 
rium,  et  contingcns  in  virtute  istius  regu- 
lae.  Si  aliquod  subjectum  sit  essentialiter 
sub  aliquo  pradicato,  quicquid  contingit 
sub  subjecto,  contingit  sub  prtedicato.  In 
syllogismis  autern  negativis  propositione 
afthmativa  existente  necessaria,  negati va 
vero  de  contingenti,  sequitur  conclusio  de 
contingenti  sic  :  Contingit  nutlum  homi- 
nem  esse  album  :  necesse  esse  omne  risibile 


esse  hominem ,  sequitur ,  ergo  contingit 
nullum  risibile  esse  album.  Si  vero  propo- 
sitio negativa  sit  necessaria,  affirmativa 
vero  contingens,  sequuntur  duœ  conclusio- 
nes,  scilicet  aliquando  de  contingenti,  ali- 
quando  de  inesse,  quod  potest  patere.  Nam 
ex  opposito  utriusque  conclusionis,  cum 
altéra  prœmissarum,  infertur  oppositum 
alterius  prœmissee.  Ratio  autem  quare 
utraque  conclusio  sequatur  ad  unam  nega- 
tivam  de  necessario  est ,  quia  non  solum 
praedicatum  non  dicitur  inesse  subjecto, 
sed  nec  etiam  potest  inesse.  Unde  syllogis- 
mus  signiiieat  quod  subjecto  non  insit  prae- 
dicatum, nec  possit  inesse.  Undc  cum  ali- 
quid  contingenter  ponitur  sub  tali  subjecto, 
siguificatur  quod  taie  praedicatum  remo- 
veatur  actu  ab  eo  quod  contingenter  poni- 
tur sub  subjecto,  et  sit  erit  conclusio  de 
contingenti,  quia  quod  actu  contingenter 
removetur,  facit  enuntiationem  contingen- 


310  OPUSCULE    XLVII,    TIUITÉ    10,    CHAPITRE    15. 

s'y  trouver  en  aucune  manière,'  et  ainsi  non-seulement  il  n'y  est  pas 
d'une  manière  contingente ,  mais  il  n'y  est  en  aucune  manière ,  si 
c'est  une  énonciation  de  inesse.  Dans  la  seconde  figure  dans  les  trois 
premiers  modes,  lorsque  la  négative  est  de  necessario  et  l'affirmative 
de  contingenti,  il  suit  aussi  une  double  conclusion,  l'une  de  contin- 
genti et  l'autre  de  inesse ,  parce  qu'il  y  a  réduction  à  la  première 
figure  par  la  conversion  de  la  proposition.  Dans  le  quatrième  mode, 
lorsque  l'affirmative  est  de  contingenti  et  la  négative  de  necessario, 
ou  vice  versa,  l'assemblage  ne  produira  rien.  Dans  la  troisième  figure, 
pour  les  syllogismes  affirmatifs  ayant  des  propositions  universelles  ou 
quelqu'une  universelle,  lorsque  la  majeure  est  de  contingenti  et  la 
mineure  de  necessario,  il  suit  une  conclusion  de  contingenti.  En  con- 
vertissant donc  la  mineure ,  on  fait  un  syllogisme  dans  la  première 
figure.  Si  au  contraire  la  majeure  est  de  necessario  et  la  mineure  de 
contingenti  possilrili ,  comme  les  propositions  de  contingenti  possibili 
peuvent  se  convertir,  de  même  que  celles  de  necessario,  en  convertis- 
sant la  mineure  on  fait  la  première  figure,  comme  il  a  été  dit,  parce 
que  lorsque  la  majeure  est  de  necessario  et  la  mineure  de  contingenti, 
il  suit  une  conclusion  de  contingenti  possibili ,  quoique  ce  ne  soit 
point  par  dici  de  omni,  mais  bien  par  la  première  règle.  Quant  aux 
syllogismes  affirmatifs  qui  ont  une  prémisse  particulière ,  si  la  ma- 
jeure est  universelle  ,  elle  suit  les  règles  dont  nous  avons  parlé  ;  mais 
si  la  majeure  est  particulière,  elle  Suit  la  seconde  règle.  Pour  ce  qui 
est  des  syllogismes  négatifs,  je  dis  que  quant  aux  deux  modes  qui  ont 
une  majeure  universelle  négative,  lorsque  la  majeure  est  de  contin- 
genti et  la  mineure  de  necessario,  il  suit  une  conclusion  de  contin- 
genti, et  on  les  ramène  à  la  première  figure  par  la  conversion  de  la 
mineure.  Si  au  contraire  la  majeure  est  de  necessario  et  la  mineure 


tem,  et  significatur,  quod  nullo  modo  pos- 
sit  sibi  inesse,  et  sic  non  solum  contingen- 
ter non  inest,  imo  nullo  modo  inest  ei,  si 
sit  enuntiatio  de  inesse.  In  secunda  autem  fi- 
gura in  tribus  primis  modis  negativa  exis- 
tente de  necessario ,  affirmativa  vero  de 
contingenti,  sequitur  etiam  duplex  conclu- 
sio,  scilicet  de  contingenti,  et  de  inesse, 
quia  per  conversionem  propositionis  neces- 
sariee  reducuntur  ad  primam  figuram.  In 
quarto  vero  modo  affirmativa  existente  de 
contingenti ,  negativa  vero  de  necessario, 
vel  econ verso,  inulilis  erit  conjugatio.  In 
tertia  vero  figura  quantum  ad  syllogismes 
affirma ti vos  universales  prepositiones,  vel 
aliquam  universalem  habentes,  majori 
existente  de  contingenti,  minori  vero  de 
necessario,  sequitur  conclusio  de  contin- 
genti. Conversa  ergo  minori  fit  syllogis- 
mus  in  prima  figura.  Si  autem   major  sit 


de  necessario,  minor  vero  de  contingenti 
possibili,  quia  propositiones  de  contingenti 
possibili  convertuntur,  sicut  ille  de  neces- 
sario, minori  conversa,  fit  prima  figura,  si- 
cut dictum  est,  quod  majori  existente  de 
necessario,  major  vero  de  contingenti,  se- 
quitur conclusio  de  contingenti  possibili, 
licet  non  per  dici  de  omni,  sed  per  primam 
regulam.  Quantum  autem  ad  syllogismos 
affirmativos  habentes  aliquam  pneinissam 
particularem,  si  major  est  universalis,  se- 
quitur régulas  praedictas.  Si  vero  major 
est  particularis ,  sequitur  secundam  regu- 
lam. Quantum  autem  ad  syllogismes  néga- 
tives, dico  quod  quantum  ad  duos  modos 
habentes  majorem  universalem  negativam, 
majori  existente  de  contingenti,  minori 
vero  de  necessario,  sequitur  conclusio  de 
contingenti,  et  reducuntur  ad  primam  fi- 
guram per  conversionem  minoris.  Si  au- 


SUR   LA   LOGIQUE   D'ARISTOTE.  311 

de  contingenti ,  on  ne  peut  faire  de  syllogisme,  car  il  ne  pourroit  être 
ramené  à  la  première  figure.  Mais  si  la  mineure  étoit  de  contingenti 
possihili,  pouvant  être  convertie  comme  celle  de  necessario,  on  feroit 
un  syllogisme  dans  la  première  figure,  ou  il  y  auroit  une  double  con- 
clusion, de  inesse  et  de  contingenti,  comme  il  a  été  dit  plus  haut. 
Dans  le  syllogisme  négatif  dont  la  majeure  est  particulière  négative , 
quand  celle-ci  est  de  contingenti  et  la  mineure  de  necessario ,  il  suit 
une  conclusion  de  contingenti ,  et  il  se  ramène  à  la  première  figure 
par  le  syllogisme  conversif;  mais  lorsque  la  majeure  est  de  necessario, 
on  ne  peut  faire  de  syllogisme.  Tels  sont  les  syllogismes  modaux. 

CHAPITRE  XVI. 

Des  syllogismes  conditionnels  des  propositions  simples. 

Après  avoir  parlé  des  syllogismes  catégoriques ,  nous  allons  traiter 
des  syllogismes  hypothétiques.  Il  y  a  donc  ,  comme  il  a  été  dit ,  trois 
espèces  de  propositions  hypothétiques ,  savoir,  la  conditionnelle ,  la 
copulative  et  la  disjonctive.  Les  syllogismes  qui  sont  formés  de  pro- 
positions copulatives  procèdent  comme  les  syllogismes  catégoriques , 
aussi  nous  n'en  dirons  rien.  Mais  comme  les  syllogismes  avec  des  pro- 
positions conditionnelles  et  disjonctives  se  font  autrement  qu'avec  les 
propositions  catégoriques,  nous  nous  en  occuperons,  et  nous  com- 
mencerons par  les  conditionnels.  Il  faut  remarquer  que  les  propositions 
conditionnelles  sont  simples  ou  composées.  J'appelle  simples  celles 
qui  ne  sont  formées  que  de  deux  catégoriques,  comme  celle-ci,  s'il 
est  homme,  puisqu'il  est  animal,  il  est  substance.  Cette  composition 


tem  major  erit  de  necessario,  minor  vero 
de  contingenti,  non  fit  syllogismis  :  non 
enim  posset  reduci  ad  primam  fîguram.  Si 
vero  minor  esset  de  contingenti  possibili, 
quia  converti  posset,  sicut  illa  de  necessa- 
rio, fieret  syllogismus  in  prima  figura,  uhi 
concluderetur  duplex  conclusio,  scilicet  de 
inesse,  et  de  contingenti,  ut  supra  dictum 
est.  Syllogismus  autem  negativus,  cujus 
major  est  particularis  negativa ,  ea  exis- 
tente  de  contingenti ,  et  minori  existentc 
de  necessario,  sequitur  conclusio  de  contin- 
genti, et  reducitur  ad  primam  figuram  per 
syllogismum  conversivum ,  majori  vero 
existente  de  necessario ,  non  fit  syllogis- 
mus. Et  sic  patet  de  syllogismis  mo- 
dalibus. 


CAPUT  XVI. 

De  syllogismis  conditionalibus  ex  proposilio- 
nibus  simplicibus. 

Dicto  de  syllogismis  catégoriels,  nunc 
dicendum  est  de  hypotheticis.  Ut  autem 
supra  dictum  est,  très  sunt  species  propo- 
sitionum  hypotheticarum ,  scilicet  condi- 
tionalis,  copulativa  et  disjunctiva.  Syllo- 
gismi  autem  qui  sunt  ex  propositionibus 
copulativis,  eodem  modo  se  habent,  sicut 
et  syllogismi  categorici,  et  ideo  de  eis  prae- 
termittamus.  Sed  quia  ex  propositionibus 
conditionalibus  et  distinctivis  aliter  fiunt 
syllogismi  qnam  in  propositionibus  caté- 
goriels, ideo  de  eis  dicendum  est,  et  primo 
de  conditionalibus.  Notandum ,  quod  pro- 
positioncs  conditionales,  vel  sunt  simplices, 
vel  compositse.  Dico  autem  simplices ,  quse 
tantum  ex  duabus  categoricis  componun- 
tur,  ut  hœc,  si  est  homo  ,  cum  sit  animal, 


312  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    16. 

peut  se  faire  de  trois  manières  ;  ou  ce  sera  une  proposition  composée 
de  deux,  la  conditionnelle  et  la  catégorique,  comme,  celui-ci,  s'il  est 
homme,  puisqu'il  est  animal,  il  est  substance;  ôirvice  versa  elle  sera 
composée  d'une  catégorique  et  d'une  conditionnelle,  de  cette  manière  : 
si  tu  es  animé  ,  tu  es  homme  ou  tu  es  animal  ;  ou  elle  sera  composée 
de  deux  conditionnelles,  comme,  celui-ci,  s'il  est  homme, il  est  animé, 
s'il  est  animal.  Et  comme  les  syllogismes  qui  se  font  de  propositions 
simples  se  comprennent  mieux  que  ceux  qui  se  font  avec  des  proposi- 
tions composées ,  nous  nous  occuperons  d'abord  des  syllogismes 
simples,  nous  montrerons  ensuite  en  peu  de  mots,  suivant  leur  simi- 
litude ,  de  quelle  manière  se  font  les  syllogismes  avec  des  propositions 
composées.  Il  faut  savoir  que  les  propositions  simples  conditionnelles 
sont  au  nombre  de  quatre.  En  effet ,  ou  elles  ont  leurs  deux  parties 
affirmatives,  savoir  l'antécédent  et  le  conséquent,  comme  celle-ci, 
s'il  est  homme ,  il  est  animal  ;  ou  l'antécédent  est  affirmatif  et  le  con- 
séquent négatif ,  comme  celle-ci ,  s'il  est  homme,  il  n'est  pas  pierre  ; 
ou  le  conséquent  est  affirmatif  et  l'antécédent  négatif,  comme  celle-ci, 
si  l'animal  n'est  pas  bien  portant,  il  est  malade  ;  ou  les  deux  sont  né- 
gatifs, comme  celle-ci,  s'il  n'est  pas  animal,  il  n'est  pas  homme.  Or  il 
faut  que  les  syllogismes  qui  se  font  avec  ces  propositions  soient  cer- 
taines conséquences ,  «comme -dit  Aristote ,  II.  Topic,  il  y  a  une 
double  conséquence,  savoir  dans  la  position,  quand  on  procède  selon 
la  position  de  l'antécédent,  et  dans  le  contraire,  quand  on  procède  par 
la  destruction  du  conséquent.  Donc,  en  conséquence  de  cela,  les 
figures  qui  se  font  avec  ces  propositions ,  dans  l'une  desquelles  on 
procède  de  la  position  de  l'antécédent,  et  dans  l'autre  de  la  des- 
truction du  conséquent ,  ont  chacune  quatre  modes  ,  suivant  quoi  il 
y  a  quatre  propositions ,  comme  nous  l'avons  dit.  Le  premier  mode 

est  substantia.  Hae  autem  composites  tribus  ■  flrmatum  et  consequens  negalum,  ut  haec, 
modis  fieri  possunt;  quia  vel  erit  propositio  !  si  est  homo,  non  est  lapis.  Aut  consequens 
composita  ex  duabus ,  conditionali  et  ca-  afïirmatum ,  et  antecedens  negatum ,  ut 
tegorica,  ut  hic,  si  est  homo ,  cum  sit  ani-  j  haec  ,  si  animal  non  est  sanum  est  tegrum. 
mal,  est  substantia;  vel  e  converso  ,  erit  i  Aut  ambo  negata,  ut  haec,  si  non  est  ani- 
composita  ex  categorica  et  conditionali  sic  :  mal  non  est  homo.  Syllogismi  autem  qui 
Si  tu  es  animatum,  tu  es  homo,  aut  es  ani-  ;  ex  his  propositionibus  fiunt ,  oportet  quod 
mal  ;  vel  erit  composita  ex  duabus  condi-  !  sint  consequentiae  quaedam.  Ut  autem  dicit 
tionalibus,  ut  hic ,  si  est  homo  est  anima-  j  Philosophus,  Il  Topic.,,  duplex  est  conse- 
tum,  si  est  animal.  Et  quia  syllogismi  qui  j  quentia,  scilicet  in  positione,  scilicet  quali- 
fiant ex  simplicibus  ,  facilius  sciuntur  illis  j  do  proceditur  pro  positione  antecedentis  , 
qui  iiunt  ex  compositis,  ideo  primo  pone-  !  et  in  contraria,  scilicet  quand o  proceditur 
mus  syllogismos  simplices ,  et  postea  bre-  ■  a  destructione  consequentis.  Secundum 
viter  osteudemus  secundum  eorum  simili-  j  ergo  ista  ex  praedietis  propositionibus  quai 
tudinem,  qualiter  fiunt  syllogismi  ex  coin-  j  fiunt  figura?,  in  quarum  una  proceditur  a 
positis.  Sciendum  quod  simplices  propo- 1  positione  antecedentis ,  in  altéra  vero  a 
sitiones  conditionales  sunt  quatuor.  Aut  '  destructione  consequentis,  quarum  quaeli- 
enim  habent  ambas  partes  affirmativas,  j  bet  quatuor  habet  modos,  secundum  quod 
scilicet  antecedens  et  consequens,  ut  haec,  {  quatuor  sunt  propositiones,  ut  dictum  est. 
si  est  homo  est  animal.  Vel  antecedens  af-  i  Primus  modus  primae  figura?  est ,   si  est 


SLR    LA.    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  313 

de  la  première  figure  est ,  s'il  est  homme ,  il  est  animal ,  mais  il  est 
homme  ,  donc  il  est  animal.  Le  second  est,  s'il  est  homme,  il  n'est 
pas  pierre,  mais  il  est  homme,  donc  il  n'est  pas  pierre.  Le  troisième 
est,  si  l'animal  n'est  pas  bien  portant,  il  est  malade,  mais  l'animal 
n'est  pas  bien  portant ,  donc  il  est  malade.  Le  quatrième  est,  s'il  n'est 
pas  animal,  il  n'est  pas  homme,  mais  il  n'est  pas  animal,  donc  il  n'est 
pas  homme.  Il  faut  savoir  que  ces  syllogismes  se  font  avec  ce  relatif 
qui  ,  ou  avec  ce  pronom  quiconque ,  car  ces  mots  produisent  l'opposi- 
tion de  l'antécédent,  de  cette  manière  :  tout  homme  qui  court  se 
meut,  mais  Pierre  court,  donc  Pierre  se  meut,  ou  quiconque,  etc., 
par  la  destruction  du  conséquent,  de  cette  manière  :  tout  homme  qui 
court ,  ou  quiconque  court  se  meut ,  mais  Sortes  ne  se  meut  pas,  donc 
Sortes  ne  court  pas.  11  en  est  de  même  dans  tous  les  autres  modes  de 
ces  figures.  Tels  sont  les  syllogismes  conditionnels  dans  les  proposi- 
tions simples. 

CHAPITRE  XVII. 

Des  syllogismes  conditionnels  avec  des  propositions  hypothétiques 

composées. 

Voici  les  syllogismes  conditionnels  composés ,  dont  deux  parties, 
comme  il  a  été  dit ,  se  composent  de  trois  catégoriques  ;  la  troisième 
de  quatre.  Mais  les  trois  propositions  catégoriques  peuvent  varier  de 
huit  manières  suivant  l'affirmation  ou  la  négation.  Premièrement, 
elles  peuvent  être  toutes  affirmatives;  secondement,  toutes  négatives; 
troisièmement,  les  deux  premières  affirmatives  et  la  troisième  néga- 
tive; quatrièmement,  les  deux  premières  peuvent  être  négatives  et  la 
troisième  affirmative;  cinquièmement,  la  première  affirmative  et  les 
deux  dernières  négatives;  sixièmement,  la  première  négative  et  les 


homo,  est  animal  ;  sed  est  homo,  ergo  est 
animal.  Secundus  est,  si  est  homo,  non  est 
lapis;  sed  est  homo,  ergo  non  est  lapis. 
Tertius  est,  si  animal  non  est  sanum,  est 
œgrum ,  sed  animal  non  est  sanum,  ergo 
est  gegrum.  Quartus  est,  si  non  est  animal, 
non  est  homo;  sed  non  est  animal,  ergo 
non  est  homo.  Sciendum  quod  isto  modo 
fiunt  syllogismi  cum  hoc  relativo  qui ,  vel 
cum  hoc  nomine  ,  quicumque  faehint 
enim  prœdicta  nomina  connotantia  oppo- 
sitionem  antecedentis  sic  :  Omnis  qui  cur- 
rit  inovetur,  sed  Petrus  currit,  ergo  Petrus 
movetur ,  vel  quicumque,  etc.  A  deslruc- 
tione  consequentis  sic  :  Omnis  qui  currit, 
vel  quicumque  currit,  movetur  ;  sed  Sortes 
non  movetur,  ergo  Sortes  non  currit.  Et 
sic  habet  se  in  omnibus  aliis  modis  dicta- 


rum  figurarum.  Patet  ergo  de  syllogismis 
conditionalibus  ex  propositionibus  simpli- 
cibus. 

CAPUT  XVII. 

De  syllogismis  conditionalibus  ex  propositio- 
nibus hypolhelicis  composais. 

Sequitur  de  conditionalibus  cornpositis, 
quarum  duae,  ut  dictum  est,  consistunt  ex 
tribus  categoricis.  Tertia  vero  ex  qua- 
tuor. Sed  très  propositiones  catégorie»}  se- 
cundum  affirmationem  et  negationem  octo 
modis  possunt  variari.  Primo,  possunt  om- 
nes  esse  affirmativœ,  secundo  omnes  nega- 
tivœ,  tertio  duae  primai  affirmative  et 
tertia  negativa,  quarto  duœ  primai  possunt 
esse  negativœ  et  tertia  affirmaliva ,  quitito 
prima  affirmativa  et  duai  ultima.'  negativae, 


314  OPUSCULE    XL  VII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    17. 

deux  dernières  affirmatives  ;  septièmement,  la  première  et  la  dernière 
affirmatives  et  la  moyenne  négative  ;  huitièmement ,  la  première  et 
la  dernière  négatives  et  la  moyenne  affirmative;  il  peut  donc  s'opérer 
une  variante  dans  chacune,  et  ces  variantes  sont  au  nombre  déliait. 
La  troisième  conditionnelle  composée  de  deux  conditionnelles  qui  ont 
quatre  catégoriques,  peuvent  varier  de  différentes  manières.  J'ai 
parlé  fort  au  long  de  toutes  ces  propositions  composées  et  de  leurs 
différences  dans  les  syllogismes  qui  en  sont  formés,  dans  mon  livre 
sur  les  syllogismes  hypothétiques,  je  m'abstiendrai  donc  de  m'en 
occuper  ici,  et  je  parlerai  uniquement  des  modes  d'argumentation 
dans  chacune  d'elles.  Or  suivant  chacune  de  ces  propositions  il  se  fait 
deux  figures,  dans  l'une  desquelles  on  procède  de  la  position  de  l'an- 
técédent, et  dans  l'autre  de  la  destruction  du  conséquent.  En  effet, 
la  première  proposition  ,  comme  il  a  été  dit,  se  compose  d'une  condi- 
tionnelle et  d'une  catégorique,  de  celte  manière  s'il  est  homme,  puis- 
qu'il est  animé ,  il  est  animal  ;  mais  il  est  homme ,  donc  puisqu'il  est 
animé ,  il  est  animal.  Ce  syllogisme  se  construira  de  la  même  ma- 
nière, si  quelqu'une  de  ses  parties  ou  toutes  sont  négatives  de  cette 
manière  :  s'il  est  homme,  comme  il* n'est  pas  inanimé,  il  est  sensible; 
mais  il  est  homme ,  donc  comme  il  n'est  pas  inanimé,  il  est  sensible. 
Par  la  destruction  du  conséquent  on  procède  ainsi  :  s'il  est  homme  , 
comme  il  est  animé,  il  n'est  pas  sensible >  donc  il  n'est  pas  homme. 
Dans  la  négative  de  cette  manière  :  s'il  est  homme,  comme  il  n'est 
pas  inanimé ,  il  est  sensible  ;  mais  comme  il  n'est  pas  quelque  chose 
d'inanimé,  il  n'est  pas  quelque  chose  de  sensible,  donc  il  n'est  pas 
homme.  La  seconde  proposition  est  composée  d'une  catégorique  et 
d'une  conditionnelle  de  cette  manière,  si  comme  il  est  quelque  chose 
d'animé,  il  est  animal,  il  est  homme.  On  fait  ainsi  les  syllogismes  de 


sexto  prima  negativa  et  diue  ultimae  affir- 
mative, septimo  prima  et  ultima  affirma- 
tive, et  média  negativa ,  octavo  prima  et 
ultima  negativa?  et  média  affirmativa,  ideo 
in  qualibet  dictarum  potest  fieri  variatio, 
et  sic  sunt  octo.  Tertia  vero  conditionalis 
composita  ex  duabus  conditionalibus  quae 
quatuor  haheut  categorieas,  multipliciter 
habet  variari.  De  quibus  omnibus  compo- 
sitis  propositionibus ,  et  earum  varietate 
syllogismis  qui  ex  eis  fiunt,  diffuse  dixi  in 
libro  quem  feci  de  hypotheticis  syllogismis, 
ideo  diffuse  de  eis  nunc  tractare  prater- 
mitto ,  sed  videamus  solum  modos  syllogi- 
zandi  in  qualibet  earum.  Fiunt  autem  se- 
cundum  quamlibet  dictarum  propositionum 
duee  figura ,  in  quarum  uria  proceditur  a 
positiniie  antecedentis,  in  altéra  a  destruc- 
tione  consequentis.  Prima  enim  propositio, 


ut  dictum  est,  componitur  ex  conditionali 
et  categorica  sic  :  Si  est  homo  cum  sit  ani- 
matum  ,  est  animal ,  sed  est  homo  ,  ergo 
cum  sit  animatum  est  animal.  Et  consimi- 
liter  fiet  talis  syllogismus,  si  aliqua  pars 
ejus,  vel  omnes  sint  negativa?  sic  :  Si  est 
homo,  cum  non  sit  inanimatus  est  sensibi- 
lis;  sed  est  homo,  ergo  cum  non  sit  inani- 
matum  est  sensibile.  A  destructione  vero 
consequentis  sic  :  Si  est  homo  cum  sit  ani- 
matum ,  non  est  sensibile ,  ergo  non  est 
homo.  In  negativa  sic  :  Si  est  homo  cum 
non  sit  inanimatus  est  sensibilis;  sed  cum 
non  sitinanimatum,  non  est  seasibile,  ergo 
non  est  homo.  Secunda  vero  propositio,  ut 
dictum  est,  compusita  ex  categorica  et  con- 
ditionali sic,  si  cum  est  animatum  est  ani- 
mal, est  homo.  Fiunt  autem  ex  tribus  pro- 
positionibus syllogismi  a  positione  antece- 


SUR    LA    LOGIQUE    d'àRISTOTE.  315 

trois  propositions  par  la  position  de  l'antécédent,  si  comme  il 
est  quelque  chose  d'animé,  il  est  homme,  il  est  animal  ;  mais  comme 
il  est  quelque  chose  d'animé,  il  est  homme,  clone  il  est  animal.  En 
niant  une  partie,  on  fait  ainsi  :  si  comme  il  est  quelque  chose  d'animé, 
il  est  homme ,  il  n'est  pas  cheval.  On  procède  ainsi  par  le  destruction 
du  conséquent,  si  comme  il  est  quelque  chose  d'animé,  il  est  homme, 
il  est  animal;  mais  il  n'est  pas  animal,  donc  comme  il  est  quelque 
chose  d'animé ,  il  n'est  pas  homme.  Avec  une  partie  négative  de  cette 
manière,  si  comme  il  est  quelque  chose  d'animé,  il  est  homme,  il  n'est 
pas  cheval  ;  maisil  est  cheval,  donc  comme  il  est  quelque  chose  d'animé, 
il  n'est  pas  homme.  Et  comme ,  ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  chacune 
de  ces  propositions  peut  admettre  huit  variantes,  on  peut  faire  avec 
chacune  d'elle  seize  syllogismes,  huit  par  la  position  de  l'antécédent 
et  huit  par  la  destruction  du  conséquent.  La  troisième  proposition  , 
comme  il  a  été  dit,  est  composée  de  deux  conditionnelles  de  cette 
manière  :  s'il  est  homme ,  il  est  animal ,  s'il  est  animal ,  il  est  sub- 
stance. Cette  proposition  peut  offrir  trois  variantes  suivant  les  varia- 
tions des  termes  ;  car  il  y  a  en  elle  un  terme  pris  deux  fois;  or  comme 
il  y  a  deux  conditionnelles ,  ce  terme  est  quelquefois  antécédent  dans 
l'une  et  l'autre  de  cette  manière  :  s'il  est  homme,  il  est  animal,  s'il 
n'est  pas  homme,  il  est  insensible.  Quelquefois  il  est  conséquent 
dans  l'une  et  l'autre  de  cette  manière  :  s'il  est  homme,  il  est  animal, 
s'il  est  pierre,  il  n'est  pas  animal.  D'autres  fois  il  est  conséquent  dans 
l'une  et  antécédent  dans  l'autre  de  cette  manière,  s'il  est  homme  ,  il 
il  est  animal,  s'il  est  animal,  il  est  substance.  En  conséquence  de 
cela  il  y  a  trois  variations  dans  les  syllogismes  qui  se  font  avec  ces 
sortes  de  propositions ,  et  néanmoins  chacune  de  ces  propositions  se 
diversifie  de  huit  manières  suivant  les  affirmations  ou  les  négations 
de  ses  parties,  et  il  en  résulte  seize  modes  de  syllogismes.  Mais  quand 


dentis  sic  :  Si  cum  est  animatum  est  homo, 
est  animal ,  sed  cum  est  animatum ,  est 
homo,  ergo  est  animal.  Negando  vero  ali- 
quam  pa^em  sic ,  si  cum  est  animatum, 
est  homo,  non  est  equus.  A  destructione 
vero  consequentis  sic  :  Si  cum  est  anima- 
tum, est  homo ,  est  animal  ;  sed  non  est 
animal,  ergo  cum  sit  animatum  non  est 
homo.  Cum  parte  vero  negativa  sic  :  Si 
cum  est  animatum ,  est  homo ,  non  est 
equus;  sed  est  equus,  ergo  curn  sit  anima- 
tum non  est  homo.  Et  quia  ut  dictum  est, 
quaelibet  illarum  propositionum  habet  va- 
riari  octo  modis,  ex  qualibet  possunt  iieri 
sexdccim  syllogismi,  scilicet  octo  a  posi- 
tione  antecedentis  et  octo  a  destructione 
consequentis.  Tertia  vero  propositio ,  ut 
dictum  est,  composita  est  ex  duabus  condi- 


tionalibus  sic  :  Si  est  homo  est  animal,  si 
est  animal  est  substantia.  Potest  autem  haec 
propositio  variari  tripliciter  secundum  tri- 
plicem  variationem  terminorum.  Nam  in 
ea  est  unus  terminus  bis  sumptus ,  cum 
autem  sint  dua3  conditionales  ,  talis  termi- 
nus aliquando  est  antecedens  in  utraque 
sic  :  Si  est  homo,  est  animal,  si  non  est 
homo,  est  insensibile.  Aliquando  est  conse- 
quens  in  una  et  antecedens  in  alia  sic  :  Si 
est  homo  est  animal,  si  est  animal  est  sub- 
stantia. Et  secundum  hoc  tripliciter  va- 
riantur  syllogismi,  qui  fiunt  ex  hujusmodi 
proposilionibus,  et  tamen  quœlibet  istarum 
propositionum  multiplicatur  in  octo  se- 
cundum at'firmatiunes  et  negationes  par- 
tium  ejus ,  ex  quibus  fiunt  sexdccim  modi 
syllogismorum.  Quando  vero  idem  termi- 


316  OPUSCULE    XLVI1,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    17. 

le  même  terme  est  conséquent  dans  une  et  antécédent  dans  l'autre  , 
oif  construit  les  syllogismes  de  cette  manière  :  s'il  est  homme,  il  est 
animal,  s  il  est  animal,  il  est  substance;  mais  il  est  homme,-  donc 
il  est  substance  ,  et  ces  sortes  de  syllogismes  se  font  par  la  position 
de  l'antécédent.  Par  la  destruction  du  conséquent  de  cette  manière  : 
s'il  est  homme,  il  est  animal,  s'il  est  animal,  il  est  substance;  mais 
il  n'est  pas  substance,  donc  il  n'est  pas  homme.  Et  Boëce  appelle 
cette  figure  la  première  de  ces  propooitions.  La  seconde  figure  a  heu 
quand  l'antécédent  est  le  même  dans  les  deux  propositions,  dans  quel 
cas  on  fait  un  syllogisme  de  cette  manière  par  la  position  de  l'antécé- 
dent: s'il  est  homme ,  il  est  animal,  s'il  n'est  pas  homme ,  il  est  insen- 
sible; mais  il  est  homme ,  donc  il  n'est  pas  insensible;  ou  de  cette 
manière  ,  s'il  est  homme  il  est  animal,  s'il  n'est  pas  homme,  il  n'est 
pas  raisonnable;  mais  il  est  homme ,  donc  il  est  raisonnable.  Parla 
destruction  du  conséquent  on  procède  ainsi  :  s'il  est  homme  il  est  ani- 
mal ,  s'il  n'est  pas  homme  il  est  insensible;  mais  il  n'est  pas  animal, 
donc  il  est  insensible  ;  ou  de  cette  manière ,  s'il  est  homme  il  est  ani- 
mal, s'il  n'est  pas  raisonnable,  il  n'est  pas  homme;  mais  il  n'est  pas 
animal ,  donc  il  n'est  pas  raisonnable.  En  effet,  en  détruisant  animal, 
on  détruit  homme  dont  la  destruction  entraîne  celle  de  raisonnable. 
La  troisième  figure  se  produit  quand  on  n'argumente  pas  par  la  des- 
truction du  conséquent,  mais  seulement  par  la  position  de  l'antécé- 
dent de  cette  manière  :  s'il  est  homme,  il  est  animal,  s'il  est  pierre  il 
n'est  pas  animal;  mais  il  est  homme,  donc  il  n'est  pas  pierre.  Tels 
sont  les  syllogismes  conditionnels. 


nus  in  una  est  consequens,  et  in  altéra  est 
antecedens,  finnt  syllogismi  sic  :  Si  est 
homo  est  animal,  si  est  animal  est  sub- 
stantia  ;  sed  est  homo,  ergo  est  substantia, 
et  hujusmodi  fiunt  a  positione  anteceden- 
tis,  a  destructione  conseqnentis  sic  :  Si  est 
homo,  est  animal,  si  est  animal  est  sub- 
stantia ;  sed  non  est  substantia ,  ergo  non 
est  homo.  Et  haec  dicitur  a  Boetio  prima 
figura  istarum  propositionum.  Secunda  fi- 
gura secundum  eum  fit,  quando  idem  est 
antecedens  in  utraque ,  ex  quo  fit  syllogis- 
mus  a  positione  antecedentis  sic  :  Si  est 
homo  est  animal,  si  non  est  homo  est  in- 
sensibilis  ;  sed  est  homo ,  ergo  non  est  in- 
sensibilis;  vel  sic  :  Si  est  homo  est  animal, 


si  non  est  homo  non  est  rationalis ,  sed  est 
homo ,  ergo  est  rationalis.  A  destructione 
consequentis  sic  :  Si  est  homo  est  animal., 
si  non  est  homo  est  insensibilis  ;  sed  non 
est  animal ,  ergo  est  insensibilis.  Vel  sic  : 
Si  est  homo  est  animal ,  si  non  est  ratio- 
nalis non  est  homo  ,  sed  non  est  animal, 
ergo  non  est  rationalis.  Destructo  enim 
animali  destruitur  homo ,  quo  destructo 
destruitur  rationale.  Tertia  liguai  secun- 
dum eum  est,  quando  non  arguitur  a  des- 
tructione consequentis  ,  sed  solum  a  posi- 
tione antecedentis  sic  :  Si  est  homo  est 
animal,  si  est  lapis  non  est  animal  ;  sed  est 
homo,  ergo  non  est  lapis.  Et  sic  patet  de 
syllogismis  conditionalibus. 


SUR   LA    LOGIQUE    D  ARISTOTE. 


317 


CHAPITRE  XVIII.  • 

Des  syllogismes  disjonctifs  et  des  propositions  réduplicatives ,  de  la  con- 
version par  comparaison. 

Nous  allons  parler  des  syllogismes  disjonctifs.  Remarquez  que  comme 
une  proposition  conditionnelle  se  multiplie  suivant  l'affirmation  ou 
la  négation  de  ses  parties ,  quoique  au  nombre  de  quatre ,  il  en  est  de 
même  de  la  proposition  disjonclive ,  parce  que ,  ou  les  deux  parties 
sont  affirmatives  ,  comme  ou  il  est  sain ,  ou  il  est  malade ,  ou  les  deux 
parties  sont  négatives,  comme  ou  il  n'est  pas  sain,  ou  il  n'est  pas  ma- 
lade, ou  la  première  est  affirmative  et  la  seconde  négative,  comme  ou 
il  est  sain  ,  ou  il  n'est  pas  malade ,  ou  la  première  est  négative  et  la 
seconde  affirmative,  comme  ou  il  n'est  pas  sain,  ou  il  est  malade. 
Pour  faire  des  syllogismes  de  ces  propositions,  il  faut  examiner  d'a- 
bord laquelle  de  ces  propositions  équivant  à  une  simple  conditionnelle, 
ensuite  il  faut  faire  le  syllogisme  avec  cette  disjonclive  dans  le  même 
sens  qu'on  le  faisoit  avec  la  conditionnelle  simple,  comme  il  a  été  dit. 
Pour  reconnoître  cela  ,  il  faut  supposer  qu'afin  que  la  proposition  dis- 
jonctive  soit  vraie ,  il  faut  toujours  que  l'autre  partie  soit  fausse  ,  de 
telle  sorte  que  la  première  partie  soit  fausse  et  la  seconde  vraie.  Et 
comme  pour  vérifier  toute  proposition  fausse  il  faut  le  faire  par  son 
opposée,  par  exemple,  si  celle-ci,  il  n'est  pas  homme,  est  fausse, 
elle  se  vérifie  par  celle-ci ,  il  est  homme ,  et  vice  versa  ,  il  faut  pour 
cette  raison  examiner  la  première  partie  dans  la  proposition  disjonc- 
tive  et  voir  si  elle  est  affirmative  ou  négative.  Si  la  première  partie 
est  affirmative,  elle  équivant  à  l'antécédent  nié  de  la  conditionnelle. 
Car  comme  on  suppose  que  l'antécédent  de  la  conditionnelle  doit  être 


GAPUT  XVIII. 

De  syllogismiit  disjunctivis  et  de  propositio- 
nibus  reduplicativis  s  et  de  conversione 
per  comparalionem. 

De  syllogismis  disjunctivis  nunc  dicen- 
dum  est.  Ubi  nota  quod  sicut  una  propôsi- 
tio  condilionalis  secundum  aflirmationem 
vel  negationera  suarum  partium  rnultipli- 
catur,  et  si  sunt  quatuor,  ita  etiara  se  ha- 
bet  de  propositione  disjunctiva  sic,  quia  aut 
amba?  partes  sunt  afïirmativae,  ut  aut  est 
sanum ,  aut  est  segrurn  ;  vel  ambee  partes 
sunt  negativa?.,  ut  aut  non  est  sanum,  ant 
non  est  aegrum  ;  vel  prima  est  aflirmativa 
etsecunda  negativa,  ut  aut  est  sanum,  aut 
non  est  a?grum;  vel  prima  negativa  et  se- 
cunda  aflirmativa,  ut  aut  non  est  sanum, 
aut  est  ajgruin.  Ad  faciendum  autem  syllo- 


gismos  de  praedictis  propositionibus,  primo 
oportet  videre  qua?  dictarum  propositio- 
num  uni  simplici  conditionali  œquipollet , 
postea  secundum  quod  fiebat  syllogismus 
ex  illa  conditionali  simplici,  ut  supra  dic- 
tum  est,  sic  fiât  de  ista  disjunctiva.  Ad  hoc 
enim  videndum  oportet  supponere  quod  ad 
hoc  ut  propositio  disjunctiva  sit  vera,  sem- 
per  oportet  quod  altéra  pars  sit  falsa  ,  ita 
videlicet  quod  prima  pars  sit  falsa  et  se- 
cunda  vera.  Et  quia  posita  quacumque 
propositione  falsa  si  verilicatur,  débet  ve- 
rificari  per  suam  oppnsitam.  Verbi  gratia, 
si  haec  est  falsa,  non  est  homo,  verilicatur 
per  hanc,  est  homo,  et  e  converso  ;  ideo  vi- 
deamus  in  propositione  disjunctiva  partem 
primam  ,  ntrum  sit  aflirmativa  vel  nega- 
tiva. Si  prima  pars  est  aff'nmativa,  œqui- 
pollet    antecedenti    conditionalis    negato. 


:US  OPUSCULE    XLVil,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    18. 

vrai  pour  que  toute  la  conditionnelle  soit  vraie,  de  même  la  première 
proposition  catégorique ,  que  nous  appelons  antécédent  dans  la  dis- 
jonctive,  doit  toujours  être  fausse.  Afin  que  ces  deux  antécédents 
soient  équipements  ,  il  faut  que  si  l'un  est  affirmé  ,  l'autre  soit  nié, 
perce  que  dans  les  deux  propositions,  conditionnelle  et  disjonctive, 
le  conséquent  est  vrai.  C'est  pourquoi,  afin  qu'il  y  ait  équipollejice 
entre  eux,  il  faut  que  si  l'un  est  affirmé,  l'autre  le  soit,  si  l'un  est 
nié,  l'autre  le  soit  aussi.  Par  exemple,  soit  cette  disjonctive,  ou  il 
est  sain ,  ou  il  est  malade,  dont  l'antécédent  et  le  conséquent  sont  al- 
firmatifs  ,  pour  qu'elle  soit  équivalente  à  une  conditionnelle  vraie, 
la  conditionnelle  doit  avoir  un  antécédent  nié  et  un  conséquent  affirmé 
de  cette  manière  :  s'il  n'est  pas  sain,  il  est  malade,  et  ainsi  des  autres. 
Ceci  posé ,  il  est  facile  de  connoitre  les  syllogismes  disjonctifs,  car, 
comme  il  a  été  dit ,  quatre  syllogismes  conditionnels  se  font  par  la 
position  de  l'anlécédent,  et  quatre  par  la  destruction  du  conséquent. 
C'est  la  môme  chose  dans  ces  propositions.  En  effet,  la  première  pro- 
position conditionnelle  d'où  se  tiroit  le  premier  mode,  étoit  celle-ci  : 
s'il  est  homme,  il  est  animal;  suivant  donc  ce  que  nous  avons  dit  elle 
a  pour  équivalente  celle-ci  :  ou  il  n'est  pas  homme  ,  ou  il  est  animal. 
Faisons  donc  un  syllogisme  disjonctif  de  celte  manière  :  ou  il  n'est  pus 
homme,  ou  il  est  animal;  mais  il  est  homme,  donc  il  est  animal.  La 
seconde  proposition  du  second  mode  étoit  celle-ci,  s'il  est  homme  il 
n'est  pas  pierre  ,  laquelle  a  pour  équivalente  cette  autre,  ou  il  n'est 
pas  homme,  ou  il  n'est  pas  pierre;  et  faisons  un  syllogisme  disjonctif 
de  cette  manière  :  ou  il  n'est  pas  homme,  ou  il  n'est  pas  pierre  ;  mais 
il  est  homme  ,  donc  il  n'est  pas  pierre.  La  troisième  proposition  étoii 
celle-ci  :  si  l'animal  n'est  pas  bien  portant,  il  est  malade ,  à  laquelle 


Nam  sicut  antecedens  conditionalis  suppo- 
nitur-,  quod  débet  esse  verum,  ad  hoc  quod 
tota  conditionalis  si t  vera ,  ita  prima  pro- 
positio categorica ,  quam  vocamus  in  dis- 
junctiva  antecedens  ,  semper  débet  esse 
fiiUi.  Ad  hoc  vero  quod  isla  duo  autece- 
dentia  seqoipolieant,  oportet  quod  si  unum 
est  .ii'iirmatini),  quod  ulterum  sit  negatum, 
quia  in  utraque  ,  scilicet  conditi iiali  et 
disjunctivu,  consequens  est  verum;  ideoad 
hoc,  quod  inter  se  œquipolleant ,  oportet 
quod  si  unum  estal'linnaluiu,  et  reliquum, 
et  si  unmii  est  aegatuai ,  et  reliquum. 
Verbi  gratia  ,  sit  disjuncliva  ista ,  aut  est 
sanuiu,  aut  est  ;r-gruin,  que  babet  antece- 
dens et  consequens  alliianativa ,  ad  lmc 
quod  squipolleat  conctitionali  vera- ,  débet 
conditionalis  habere  antecedens  Degatnm, 
•■'(liions  allirinatum  sic  :  Si  non  est 
saiium  est  segruin,  et  sic  de  aliis.  His  ba- 


bil is,  faciliter  possunt  sciri  syllogismi  dis- 
junctivi,  ut  eniin  gupradictum  est,  quatuor 
syllogismi  conditionales  fiunt  a  positioae 
anlecedcntis  ,  et  quatuor  a  dostructione 
cousequentis.  Eodem  modo  in  tstis  prepo- 
Bitionibus.  Prima  enim  propositio  conditio- 
nalis,  ex  qua  sumebatur  primus  modm, 
arat  ista,  si  est  horao  est  animal,  secun- 
dum  ergu  dicta,  lmic  œquipoUet  i>ta  :  aut 
non  est  hoino ,  aut  est  animal.  Fiai 
sylldgismus  disjunctivns  sic  :  Aut  non  Bft 
homo,  aut  esl  animal;  Red  est  boiBO,  ergo 
est  animal.  Secunda  propositio  seeun.li 
modi  erat  ista  ,  si  est  homo  non  est  lapis, 
oui  aeqaipollet  ista,  aut  non  est  horao,  aut 
lion  est  lapis,  et  liât  syllogismus  disjuneti- 
\us  sic  :  Au!  mm  est  homo  ,  aut  BOB  esl 
lapis  ;  sed  est  lnmio,  ergo  non  est  lapis. 
Tertii  propositio  erat  ista,  si  animal  n  ai 
est  sauum,  est  legi'inn,  cui  sequjpollet  ista: 


I 


SUR   LA    LOGIQt  F.    d'aRISTOTE.  319 

équivaut  celte  autre  :  ou  il  est  bien  portant,  ou  il  est  malade,  el  l'u- 
sons un  syllogisme  disjonctif  de  cette  manière  :  ou  il  est  sain  ,  ou  il 
est  malade;  mais  il  n'est  pas  sain,  donc  il  est  malade.  La  quatrième 
proposition  étoit  celle-ci  :  s'il  n'est  pas  animal,  il  n'est  pas  homme, 
laquelle  a  pour  équivalente  celle-ci  :  ou  il  est  animal,  ou  il  est 
homme,  et  taisons  un  syllogisme  disjonctif  de  cette  manière  :  ou  il 
est  animal,  ou  il  est  homme  ;  mais  il  n'est  pas  animal,  donc  il  n'est 
pas  homme.  Dans  la  seconde  figure  on  procède  par  la  destruction  du 
conséquent  et  l'on  fait  de  celte  manière  le  premier  syllogisme  :  Ou 
il  n'est  pas  homme ,  ou  il  n'est  pas  animal  ;  mais  il  n'est  pas  anim;il, 
donc  il  n'est  pas  homme  ;  on  fait  ainsi  le  second  :  ou  il  n'est  pas  homme, 
ou  il  n'est  pas  pierre  ;  mais  il  est  pierre ,  donc  il  n'est  pas  homme  ; 
on  fait  ainsi  le  troisième  :  ou  il  est  bien  portant,  ou  il  est  malade; 
mais  il  n'est  pas  malade,  donc  il  est  bien  portant.  Le  quatrième  se  fait 
ainsi  :  ou  il  est  animal ,  ou  il  n'est  pas  homme  ;  mais  il  est  homme , 
donc  il  est  animal.  Tels  sont  les  syllogismes  disjonctifs.  Tenons-nous- 
en  donc  là  pour  ces  syllogismes.  Je  ne  m'occuperai  pas  des  autres 
espèces  d'argumentation.  Il  faut  observer  qu'afin  que  la  proposition 
réduplicative  soit  vraie ,  il  faut  que  les  quatre  propositions  qui  l'ex- 
posent, savoir  trois  catégoriques  et  une  hypothétique,  soient  vraies, 
et  si  l'une  d'elles  étoit  fausse,  elle  seroit  fausse  elle-même.  Et  comme 
ces  propositions  se  font  quelquefois  à  raison  de  la  concomitance,  comme 
si  on  disoit,  l'homme  est  coloré  en  tant  que  corporel  :  quelquefois  à 
raison  de  la  cause,  comme,  le  feu  est  échauffant  en  tant  que  chaud. 
C'est  pourquoi  la  proposition  réduplicative  à  raison  de  la  cause  requiert 
pour  être  vraie  ,  non-seulement  que  les  quatre  qui  l'exposent  soient 
vraies,  mais  encore  que  ce  sur  quoi  tombe  le  redoublement  exprime 
la  cause  de  ce  qui  est  emporté  par  le  prédicat,  ou  soit  ce  en  quoi  ré- 


Aut  est  sanum,  aut  est  regrum,  et  liât  syl- 
logismus disjunctivus  sic  :  Aut  est  sanum 
aut  est  a?grum  ;  secl  non  est  sanum  ,  ergo 
est  œgrum.  Quarta  propositio  crat  ista  :  Si 
non  est  animal,  non  est  homo ,  cui  a-qni— 
pollet  ista  :  Aut  est  animal,  aut  est  homo, 
et  Hat  syllogismus  disjunctivus  sic  :  Aut 
est  animal  aut  est  homo  ;  sed  non  est  ani- 
mal, ergo  non  est  homo.  Fn  secunda  vero 
figura  procedil'.ir  a destructione  conséquen- 
ts et  fit  piïmus  syllogismus  sic  :  Aut  non 
est  homo,  aut  non  est  animal  ;  sed  non  est 
animal,  ergo  non  est  homo.  Kecuiidus  sic  : 
Aut  non  est  homo,  aut  non  est  lapis;  sed 
est  lapis,  ergo  non  est  homo.  Tcrtius  sic  : 
Aut  est  sanum ,  aut  est  œgrum  ;  sed  non 
est  aegrum,  ergo  est  sanum.  Quartus  sic  : 
Aut  est  animal,  aut  non  est  homo  ;  sed  est 
homo,  ergo  est  animal.  Et  sic  patet  de  syl- 


logismis  disjunctivis.  Dictum  ergo  sit  de 
syllogismis  hoc  modo.  De  aliis  auteni  spe- 
cii'lms  argumentations  non  me  intromitto. 
Notandum  ad  hoc  quod  propositio  redu- 
plicativa  sit  vera,  requiritur  quod  quatuor 
propositiones  exponentes  ipsam,  scilicet 
très  catégorie»  et  una  hypothetica  sint 
verae,  et  si  aliqua  ipsarum  esset  falsa,  ipsa 
esset  falsa.  Et  quia  taies  propositiones  ali- 
quando  liunt  gratia  codeomitaotia ,  ut  si 
dicatur  ,  homo  in  quantum  corporeus  est 
coloratus.  Aliquando  gratia  causai,  ut  ignis 
in  quantum  calidus  est  calefactivus.  Et  ideo 
reduplicativa  gratia  OHMKB  »d  veritatem 
suam  non  solum  requirit  quod  quatuor 
ejus  exponentes  sint  vera  ,  sed  quod  illud 
super  quod  cadit  reduplicatio  ,  exprimât 
causam  importati  per  praîdicatum ,  vol 
quod  sit  illud  cui  primo  inest  pnedicatum 


320  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    10,    CHAPITRE    18. 

side  d'abord  le  prédicat  principal.  Par  exemple  pour  l'une  et  l'autre 
des  susdites  propositions.  En  effet,  pour  que  cette  proposition, 
l'homme  est  coloré  en  tant  que  corporel,  soit  vraie,  il  faut  que  celles- 
ci  soient  également  vraies,  l'homme  est  coloré,  l'homme  est  corporel, 
et  tout  ce  qui  est  corporel  est  coloré  ,  et  si  quelque  chose  est  corporel 
c'est  en  effet  coloré.  De  même  pour  la  vérité  de  celle-ci,  le  feu  est 
échauffant  en  tant  que  chaud ,  il  est  vrai  que  le  '  feu  est  échauffant , 
que  le  feu  est  chaud  ,  que  tout  ce  qui  est  chaud  est  échauffant,  s'il  y 
a  quelque  chose  de  chaud  c'est  échauffant,  et  le  chaud  est  la  cause  de 
lacaléfaction.  La  réduplicative  se  convertit  de  cette  manière  :  le  feu 
est  échauffant  en  tant  que  chaud ,  une  chose  qui  est  échauffante  en 
tant  que  chaude  c'est  le  feu ,  et  non  de  cette  manière  :  ce  qui  est 
échauffant  en  tant  que  chaud  est  le  feu.  Il  faut  observer  que  la  propo- 
sition universelle  affirmative  se  convertit  simplement  en  changeant 
les  termes  finis  en  termes  infinis  ;  il  en  est  de  même  de  la  particulière 
négative.  La  raison  en  est  que  la  proposition  universelle  affirmative 
en  termes  finis  ne  se  convertit  pas  simplement,  parce  que  il  se  trouve 
des  termes  où  elle  est  comme,  tout  homme  est  susceptible  de  rire,  et 
tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  homme.  Il  se  trouve  aussi  des 
termes  contraires  comme ,  tout  homme  est  animal,  il  ne  s'ensuit  pas, 
donc  tout  animal  est  homme  ,  car  animal  dit  plus  qu'homme;  mais 
comme  le  terme  qui  dit  pins  que  l'autre  terme,  si  on  le  rend  infinité- 
simal, dira  plus  ensuite  que  l'autre  qui  disoit  moins  d'abord.  Car 
non  animal  se  dit  de  moins  de  choses  que  non  homme,  parce  que  non 
animal  se  dit  de  tous,  les  êtres  excepté  des  animaux.  Non  homme  se 
dit  de  tous  les  êtres  et  des  animaux,  excepté  de  l'homme  ;  la  conversion 
peut  donc  se  faire.  Mais  il  n'y  a  pas  de  conversion  dans  la  particulière 


principale.  Verbi  gratia,  de  utraque  dicta- 
rum  propositionum.  Ad  hoc  enim  quod 
ista  sit  vera,  homo  in  quantum  corporeus 
est  coloratus,  requiritnr  quod  hœ  ont 
vcrie,  ^cilicet  homo  est  coloratus,  homo  est 
corporeus  et  omne  rorporeum,  est  colora- 
tum,  et  si  aliquid  est  corporeum  enim  co- 
lora tum.  Similiter  ad  veritatem  istius , 
ignis  in  quantum  calidus  est  calefactivus. 
Verum  est  quod  ignis  est  calefactivus  et 
quod  ignis  est  calidus,  et  omne  calidum 
est  calefactivum,  et  si  aliquid  est  calidum 
id  est  calefactivum,  et  calidus  est  causa  ca- 
lefactionis.  Et  convertitur  reduplicaliva 
sic  :  Ignis  in  quantum  calidus  est  calefac- 
tivus; aliquid  quod  in  quantum  calidum 
est  calefactivum  est  ignis,  et  non  sic  :  Ca- 
lefaclivum  in  quantum  calidum  est  ignis. 
Kotandum  quod  propositio  universalis  af- 
firmativa  convertitur   simpliciter  mutatis 


terminis  finitis  in  terminos  inûnitos ,  con- 
similiter  est  etiarn  de  particulari  negativa. 
Causa  est,  nam  propositio  univers-alis  affir- 
mativa  in  terminis  fimtis  non  convertitur 
simpliciter,  quia  inveniuntur  termini  in 
quibus  sit,  ut  omnis  homo  est  risibilis,  et 
omne  risibile  est  homo.  Inveniuntur  etiam 
termini  in  quibus  non,  ut  omnis  homo  est 
animal,  non  sequitur ,  crgo  omne  animal 
est  homo ,  quia  in  plus  se  habet  animal 
quam  homo.  Sed  quia  terminus  qui  in 
plus  se  habet  quam  alius  terminus,  si  in- 
finitetur,  se  habet  in  minus  quam  ille,  qui 
in  minus  se  habebat.  Nam  de  pauciuribns 
praedicatur  non  animal,  quam  non  homo, 
quia  non  animal  praedicalm-  de  omnibus 
entibus,  praterquam  de  animalibus.  Non 
bomo  vero  praedicatw  de  omnibus  entibus 
et  de  animalibus,  praeterquam  de  homine, 
potest  ergo  iieri  conversio.  In  particulari 


SUR   LA    LOGIQUE    d'aRISTOTE.  321 

négative  en  termes  finis  ,  parce  qu'il  se  trouve  des  termes  où  il  y  a 
négation,  quand  par  exemple  une  espèce  se  dit  négativement  de  son 
genre ,  comme  quelque  animal  n'est  pas  homme ,  mais  non  vice 
versa;  mais  si  l'on  vérifie  les  termes,  savoir  l'homme  n'est  pas  blanc, 
non  blanc  dit  plus  que  non  homme,  donc  on  peut  faire  la  conversion, 
savoir  quelque  chose  non  blanc  n'est  pas  non  homme.  Tels  sont  les 
syllogismes,  etc.. 

Fin  du  traite'  du  syllogisme  simpliciter. 


TRAITE  XI. 


Du   MÊME   AUTEUR  ,    DU   SYLLOGISME    DÉMONSTRATIF. 


CHAPITRE  PREMIER. 


Ce  que  c'est  que  le  syllogisme  démonstratif . 

Nous  allons  parler  maintenant  de  la  démonstration.  En  effet,  la 
science  étant  l'habitude  de  la  conclusion  démontrée  acquise  par  la 
spéculation ,  pour  savoir  ce  que  c'est  que  la  science  et  comment  on 
l'acquiert,  il  est  nécessaire  de  savoir  ce  que  c'est  que  la  démonstration. 
Or  la  démonstration  est  un  syllogisme  procédant  de  choses  vraies,  né- 
cessaires ,  premières  de  soi ,  propres ,  connues  par  elles-mêmes ,  im- 
médiates et  causes  de  la  conclusion.  Il  faut  savoir  que  parmi  les  dé- 


ver  o  negativa  in  terminis  finitis  non  fit 
conversio  ,  quia  inveniuntur  termini  in 
quibus  non,  quando  videlicet  aliqua  species 
prœdicatur  négative  de  suo  génère,  ut 
quoddam  animal  non  est  homo,  sed  non  e 
converso  ;  sed  si  veriiicantur  termini,  sci- 
licet  homo  non  est  albus,  in  plus  se  habet 


non  albus  quam  non  homo  ;  ergo  potest 
fieri  conversio ,  sciiicet  quoddam  non  al- 
bum non  est  non  homo.  Et  sic  patet  de 
syllogismis,  etc. 

De  syllogismo  simpliciter  tractatus  féli- 
citer finis. 


TRACTATUS  XL 

Ejusdem  doctoris,  de  syllogismo  demonstrativo. 


CAPUT  PRIMDM. 

De  syllogismo  demonstrativo  quid  sit. 

Restât  nunc  dicere  de  demonstratione. 

Cum  enim  scientia  sit  habitus  conclusions 

demonstratee  acquisitus  ex  ipsius  specula- 

V. 


tione ,  ad  sciendum  quid  sit  scientia  et 
quomodo  acquiratur,  necesse  est  scire  quid 
est  demonstratio.  Est  autem  demonstratio 
syllogismus  procedens  ex  veris,  necessariis, 
per  se  primis,  propriis,  per  se  notis,  imme- 
diatis,  et  causis  conclusionis.  Sciendum 

21 


322  OPUSCULE    XL  VII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    2. 

monstrations  il  y  en  a  une  propter  quid,  et  une  quia,  c'est  pourquoi 
]a  définition  précédente  ne  convient  qu'à  la  démonstration  propter 
quid.  Dans  cette  définition  il  y  a  des  choses  qui  appartiennent  à  la 
forme  de  la  démonstration ,  en  ce  qui  est  dit  être  le  syllogisme , 
d'autres  qui  appartiennent  à  la  matière  de  la  démonstration  ,  c'est-à- 
dire  qu'il  procède  de  choses  vraies, nécessaires,  etc..  C'est  pourquoi 
j'exposerai  d'abord  les  particules  qui  appartiennent  à  la  matière  objet 
delà  démonstration;  secondement  j'établirai  ce  qui  appartient  à  sa 
forme ,  c'est-à-dire  dans  quelle  figure  et  dans  quel  mode  ce  syllo- 
gisme doit  être  fait.  Que  la  démonstration  procède  de  choses  vraies  , 
nécessaires,  etc.,  on  peut  le  voir  clairement  par  sa  fin,  qui  est  de 
savoir,  puisque  savoir  n'est  autre  chose  que  connoître  la  cause  d'une 
chose  quelconque ,  et  non-seulement  la  cause  en  tant  que  cause ,  mais 
en  tant  que  cause  actu  de  cette  chose.  En  effet,  connoître  la  cause 
d'une  chose ,  et  ne  pas  connoître  l'effet  de  son  être  en  acte,  c'est  con- 
noître l'effet  virtuellement  :  or  ce  n'est  pas  là  connoître  l'effet  si?n- 
pliciter ,  c'est  le  connoître  seulement  secundum  quid.  De  plus,  comme 
savoir  c'est  connoître  d'une  manière  certaine,  il  faut  que  cet  effet  suive 
nécessairement  cette  cause.  Donc  la  conclusion  de  la  démonstration , 
dont  l'habitude  est  la  science,  ou  de  savoir  habitualiter,  doit  procéder 
nécessairement  de  prémisses  qui  soient  les  causes  vraies  et  nécessaires 
de  la  conclusion. 

CHAPITRE  II. 
Ce  que  c'est  que  dici  de  omni  premièrement  de  soi ,  ou  universellement. 

Pour  explorer  les  susdites  particules  de  la  définition  de  la  démons- 
tration qui  appartiennent  à  la  matière  objet  de  la  démonstration,  il  est 


quod  demonstrationum  quaedam  est  prop- 
ter quid;  et  quaedam  est  quia,  unde  dicta 
diffinitio  solum  convenit  démonstration! 
propter  quid.  In  praedicta  autem  diffini- 
tione  quaedam  sunt  quae  pertinent  ad  for- 
mam  demonstrationis,  in  hoc  quod  dicitur 
esse  syllogismus,  quaedam  sunt  quae  perti- 
nent ad  materiam,  demonstrationis  scilicet 
quod  sit  procedens  ex  veris,  necessariis,  etc. 
Unde  primo  exponam  particulas  pertinen- 
tes ad  materiam  de  qua  est  demonstratio. 
Secundo  ponam  ea  quae  pertinent  ad  ejus 
formam,  scilicet  in  qua  figura  vel  modo 
talis  syllogismus  debeat  fieri.  Quod  enim 
demonstratio  procédât  ex  veris  ,  necessa- 
riis, etc.,  hoc  potest  patere  per  fniem  suum 
qui  est  scire.  Cum  enim  scire  nihil  aliud 
sit  quam  cognoscere  causam  alicujus  rei, 
et  non  solum  causam  ut  causa  est,  sed  ut 


est  causa  illius  rei  actu.  Cognoscere  enim 
causam  alicujus  rei  et  non  cognoscere  ef- 
fectum  ejus  esse  in  actu ,  est  cognoscere 
effeetum  in  virtute;  hoc  autem  non  est 
scire  effeetum  simpliciter,  sed  est  scire  so- 
lum secundum  quid.  Eliam  quia  scire  est 
per  certitudinem  cognoscere,  oportet  prae- 
dictum  effeetum  necessario  semper  ad  il- 
lam  causam  sequi.  Conclusio  ergo  demons- 
trationis ,  cujus  habitus  est  scientia ,  seu 
scire  habitualiter ,  oportet  quod  procédât 
ex  talibus  praetnissis,  quae  sint  verae  et  ne- 
cessante  causae  conclusionis. 

CAPUT    II. 

Quid  sit  dici  de  omni   per  se  primo,  seu 
universaliter. 

Ad  investigandum  autem  dictas  parti- 
culas  dil'fmitionis   demonstrationis  perti- 


SUR   LA    LOGIQUE    d'àRISTOTE.  323 

nécessaire  de  faire  quelques  observations  préliminaires.  Comme  les  pré- 
misses de  la  démonstration  sont  universelles,  il  faut  savoir  par  consé- 
quent ce  que  c'est  que  dici  de  omni,  et  comme  le  prédicat  s'y  dit  par 
soi  du  sujet ,  il  faut  savoir  ce  que  c'est  que  per  se  et  primo.  Dici  de 
omni,  dans  le  sens  où  on  le  prend  ici,  c'est  lorsqu'il  n'y  a  rien  à  prendre 
dans  le  sujet  dont  le  prédicat  ne  se  dise  pas,  ni  un  temps  dans  lequel 
le  prédicat  ne  convienne  pas  à  ce  sujet.  La  différence  qui  existe  entre 
dici  de  omni  dont  on  parle  ici  et  celui  dont  on  a  parlé  dans  le  traité  du 
syllogisme,  c'est  qu'on  le  prenoit  dans  le  premier  cas  pour  toutes  les 
fois  qu'une  chose  se  dit  universellement  de  quelque  sujet,  soit  que  le 
prédicat  soit  inhérent  au  sujet  nécessairement,  et  en  tout  temps,  soit 
qu'il  ne  le  soit  que  d'une  manière  contingente,  comme  ici.  C'est  pour- 
quoi dans  cette  proposition  ,  tout  homme  court,  dici  de  omni  se  con- 
serve de  cette  manière.  Mais  ici  dici  de  omni  se  prend  pour  ce  qui  est 
toujours  inhérent  au  sujet,  comme  tout  homme  est  animal  :  car  il  ne 
peut  pas  y  avoir  de  temps  où  l'homme  ne  soit  pas  animal  ;  on  voit 
donc  ce  que  c'est  que  dici  de  omni.  Ver  se  se  dit  de  quatre  manières; 
premièrement  quand  le  prédicat  est  la  définition  ou  quelque  partie  de 
la  définition  du  sujet,  comme,  tout  homme  est  un  animal  raisonnable 
mortel,  ou  tout  homme  est  animal;  secondement  quand  le  prédicat 
est  la  propre  passion  du  sujet,  dans  laquelle  définition  se  trouve  le 
sujet,  comme,  tout  homme  est  susceptible  de  rire.  En  effet  homme  se 
trouve  dans  la  définition  susceptible  de  rire  non  comme  partie  essen- 
tielle, mais  comme  quelque  chose  hors  de  son  essence,  sans  quoi  il  ne 
pourroit  être  connu.  Car  l'être  de  l'accident  dépendant  du  sujet,  il  faut 
que  la  définition  qui  signifie  son  être,  contienne  le  sujet  en  elle.  Troi- 
sièmement on  dit  qu'une  chose  est  par  soi  quand  elle  signifie  quelque 


nentes  ad  materiam ,  de  qua  est  démon- 
stration prœmittenda  sunt  quaedam  neces- 
saria.  Quia  enim  preemissae  demonstratio- 
nis  sunt  universales ,  ideo  oportet  scire 
quid  est  dici  de  omni  ;  et  quiâ  in  eis  prae- 
dicatum  dicitur  per  se  de  subjecto ,  ideo 
oportet  scire  quid  est  per  se,  et  quid  pri- 
mo. Est  autem  dici  de  omni  ut  hic  sumi- 
tur,  quando  nihil  est  sumere  sub  subjecto, 
de  quo  non  dicatur  praedicatum),  nec  est 
sumere  aliquod  tempus  ,  in  quo  prœdica- 
tum  tali  subjecto  non  conveniat.  Hœc  est 
autem  differentia  inler  hoc  dici  de  omni, 
et  illud  quod  in  tractatu  syllogismi  dic- 
tum  fuit,  nam  ibi  sumebatur  dici  de 
omni ,  quandocumque  aliquid  prœdicatur 
universaliter  de  aliquo  subjecto ,  sive  sub- 
jecto insit  pnedicatum  necessario  et  omni 
tempore ,  sive  contingenter,  ut  nunc.  Unde 
iu  illa  propositione ,  omnis  homo  currit, 
salvatur  hoc  modo  dici  de  omni.  Sed  nunc 


sumitur  dici  de  omni  de  eo  quod  semper 
inest  subjecto,  ut  omnis  homo  est  animal; 
non  enim  est  dare  aliquod  tempus ,  in  quo 
homo  non  sit  animal,  patet  ergo  de  dici  de 
omni.  Per  se  autem  dicitur  quadrupliciter. 
Primo  modo,  quando  prœdicatum  est  dif- 
finitio  vel  aliqua  pars  difîinitionis  ipsius 
subjecti,  ut  omnis  homo  est  animal  ratio- 
nale  mortale,  vel  omnis  homo  est  animal. 
Secundo  modo  dicitur  per  se,  quando 
pnedicatum  est  propria  passio  ipsius  sub- 
jecti, in  cujus  diffinitione  ponitur  subjec- 
tum,  ut  oinnis  homo  est  risibilis.  In  diffi- 
nitione  enim  risibilis  ponitur  homo  non  ut 
pars  ejus  essentialis,  sed  ut  aliquid  extra 
essen'iiam  suam  ,  sine  quo  cognosci  non 
posset.  Cum  enim  esse  accidentis  dependeat 
a  subjecto,  oportet  quod  difhnitio  quœ  si- 
gnificat  esse  ipsius ,  contineat  in  se  sub- 
jectum.  Tertio  modo  dicitur  aliquid  esse 
per  se ,  quando  significat  aliquid  solita- 


324  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    2. 

chose  de  solitaire,  comme  singulier  dans  le  genre  de  la  substance ,  tel 
que  Sortes ,  Platon  ;  blanc  ou  ambulant  de  cette  manière  n'est  pas  dit 
m  v  se ,  puisque  on  n'entend  pas  quelque  chose  de  solitaire  existant 
par  soi.  Car  en  disant  blanc,  je  dis  l'accident  et  le  sujet  ;  mais  quand 
je  dis  Sortes  je  dis  quelque  chose  de  solitaire ,  et  c'est  ainsi  dit  per  se. 
Or  il  faut  savoir  que  ce  mode  n'est  pas  un  mode  de  prédication  per  se, 
mais  c'est  un  mode  d'être.  La  quatrième  manière  de  prédication  per 
se,  c'est  lorsqu'on  dit  d'une  chose  une  autre  chose  qui  en  est  la  cause 
immédiate  et  nécessaire,  comme  quand  nous  disons  que  l'assassiné  est 
mort  par  l'assassinat.  C'est  là  ce  qu'on  appelle  per  se.  On  dit  que  la  pré- 
dication se  fait  primo  quand  le  prédicat  et  le  sujet  sont  tellement  adé- 
quats que  le  prédicat  ne  peut  se  trouver  hors  du  sujet,  ni  le  sujet  hors 
du  prédicat,  comme  lorsque  nous  disons,  l'homme  est  susceptible  de 
rire.  En  effet  la  faculté  de  rire  est  tellement  attachée  à  l'homme  que 
l'on  peut  appeler  homme  tout  ce  que  l'on  peut  dire  susceptible  de  rire 
et  réciproquement.  C'est  pourquoi  en  disant  :  Sortes  a  la  faculté  de 
rire ,  quoique  susceptible  de  rire  se  dise  de  Sortes  dans  le  second  mode 
de  prédication  per  se,  on  ne  le  dit  pas  néanmoins  dans  le  premier, 
parce  que  susceptible  de  rire  se  dit  d'un  plus  grand  nombre  que  de 
Sortes.  Néanmoins  Aristote  appelle  universel ,  ce  que  l'on  dit  primo  , 
non  pas  dans  le  sens  où  on  a  pris  ce  mot  dans  le  premier  traité  ,  mais 
bien  parce  que  le  prédicat  peut  se  dire  universellement  du  sujet,  et  le 
sujet  du  prédicat.  On  voit  par  là  ce  que  signifient  ces  trois  choses, 
dici  deomni,  perse  et  universelle.  Tout  ce  qui  se  dit  primo  et  univer- 
saliter ,  ne  se  dit  pas  per  se,  mais  non  réciproquement.  En  effet, 
susceptible  de  rire  se  dit  primo  per  se  de  l'homme ,  quoique  cela  se 
dise  per  se  de  Sortes,  ce  n'est  pas  néanmoins  primo.  De  même  aussi 


rium,  sicut  siugulare  quod  est  in  génère 
substantiae,  ut  Sortes  et  Plato,  album  vel 
ambulans,  isto  modo  non  dicitur  per  se, 
cum  non  intelligatur  aliquid  solitariurn  per 
se  existens.  Dicendo  enim  album,  dico  ac- 
cidens  et  subjectum  ;  sed  cum  dico  Sortes, 
dico  aliquid  solitariurn ,  et  sic  dicitur  per 
se.  Sciendum  est  autem  quod  iste  modus 
non  est  modus  praedicandi  per  se ,  sed  est 
modus  essendi.  Quarto  modo  praedicatur 
aliquid  per  se ,  quando  aliquid  dicitur  de 
aliquo  ,  quod  est  immediata  et  necessaria 
causa  ipsius,  sicut  dicimus  quod  interfec- 
tus  interiit  interfectione.  Interfectio  enim 
est  immediata  et  necessaria  causa  ipsius 
intérims,  et  sic  patet  de  per  se.  Primo  au- 
tem dicitur  aliquid  praedicari,  quando  prae- 
dicatum  et  subjectum  ita  sunt  adsequata , 
ut  praedicatum  non  possit  inveniri  extra 
subjectum,  nec  subjectum  extra  praedica- 
tum,  sicut  cum  dicimus,  homo  est  îisibilis. 


Ita  enim  se  habet  risibile  ad  hominem, 
quod  de  quoeumque  dicitur  risibile,  de 
eodem  dicitur  et  homo,  et  e  converse.  Inde 
dicendo  :  Sortes  est  risibilis,  licet  modo  ri- 
sibile praedicetur  de  Sorte  in  secundo  modo 
dicendi  per  se,  non  tamen  pradicatur  pri- 
mo, quia  risibile  de  pluribus  praedicatur 
quam  de  Sorte.  Philosophus  tamen  hoc 
quod  dictum  est  praedicari  primo,  vocat 
universale,  non  taie  universale  de  quo  in 
primo  tractatu  dictum  est,  sed  quia  prae- 
dicatum  de  subjecto,  et  subjectum  de  prae- 
dicato  potest  universaliter  praedicari.  Ex 
his  patet  quomodo  se  habent  ista  tria,  sci- 
licet  dici  de  omni ,  per  se  et  universale. 
Neque  omne  quod  primo,  seu  universaliter 
praedicatur,  praedicatur  per  se ,  non  tamen 
e  converso.  Risibile  enim  primo  per  se 
praedicatur  de  homine.  Licet  autem  risibile 
praedicetur  per  se  de  Sorte  ,  non  tamen 
praedicatur  primo.  Similiter  etiam  quod 


SUR   LA   LOGIQUE   d\\RISTOTE.  325 

ce  qui  se  dit  per  se ,  se  dit  de  omni,  cependant  tout  ce  qui  se  dit  de 
omni  ne  se  dit  pas  per  se;  car  en  disant,  tout  animal  est  homme,  c'est 
une  prédication  de  omni  et  non  pas  néanmoins  per  se. 

CHAPITRE  TII. 

Que  la  démonstration  procède  de  choses  vraies  et  nécessaires. 

Voyons  maintenant  les  parties  de  la  définition  de  la  démonstration 
que  nous  avons  énumérées.  On  dit  en  effet  que  la  démonstration  pro- 
cède de  prémisses  -vraies.  Nous  avons  dit  plus  haut  ce  que  c'est  que  le 
vrai.  Or  pour  que  la  conclusion  soit  vraiment  déduite  des  prémisses 
comme  de  ses  causes,  il  faut  que  les  prémisses  soient  vraies;  car  quoi- 
que l'on  puisse  tirer  une  conclusion  vraie  de  prémisses  fausses,  néan- 
moins la  vérité  de  la  conclusion  provient  des  prémisses.  Nous  disons, 
en  effet,  tout  homme  est  pierre,  toute  perle  est  homme,  donc  toute 
perle  est  pierre;  cette  conclusion  est  vraie,  quoique  les  prémisses 
soient  fausses.  Et  comme  toute  cause  s'assimile  son  effet ,  la  fausseté 
de  ces  propositions  ne  peut  pas  être  la  cause  de  la  vérité  de  la  conclu- 
sion; c'est  pourquoi  dans  lé  Ier  Priorum  Arïstote  dit  qu'une  conclusion 
vraie  de  prémisses  fausses  se  produit  non  propter  quid ,  mais  quia. 
On  voit  donc  que  la  démonstration  procède  de  choses  vraies.  On  dit 
ensuite  que  la  démonstration  procède  de  prémisses  nécessaires  ;  or 
nous  avons  dit  dans  le  traité  des  syllogismes  ce  que  c'est  qu'une  pro- 
position nécessaire.  Il  faut  noter  qu'une  proposition  démontrée  doit 
être  nécessaire.  Car  si  science  dit  une  certitude  qui  ne  peut  venir  de 
contingents  en  tant  que  contingents ,  mais  seulement  de  choses  né- 
cessaires ,  la  conclusion  dont  l'habitude  est  la  science ,  doit  être  né- 


per  se  prsedicatur ,  dicitur  de  omni ,  non 
tamen  omne  quod  dicitur  de  omni,  dicitur 
per  se.  Nam  dicendo ,  omne  animal  est 
homo,  est  praedicatio  de  omni,  non  tamen 
per  se. 

CAPIJT  m. 

Quod  demonstratio  procedit  ex  veris  et   ne- 
cessariis. 

His  visis  videamus  partes  diffinitionis 
demonstrationis  supra  positae.  Dicitur  enim 
ibi,  quod  demonstratio  procedit  ex  prœ- 
missis  veris.  Quod  autem  sit  verum ,  dic- 
tum  est  supra.  Ad  hoc  autem  quod  con- 
clusio  sit  vera  ex  prœmissis  sicut  ex  causis, 
oportet  prsemissas  esse  veras.  Licet  enim 
ex  falsis  possit  concludi  verum,  tamen  Ve- 
ritas conclusionis  est  ex  praemissis.  Dici- 
mus  enim,  omnis  homo  est  lapis,  omnis 


margarita  est  homo,  ergo  omnis  margarita 
est  lapis;  conclusio  modo  est  vera  ,  licet 
prœmissae  sint  falsœ.  Et  quia  omnis  causa 
assimilât  sibi  effeetum  ,  falsitas  dictarum 
propositionum  non  potest  esse  causa  veri- 
tatis  conclusionis ,  et  ideo  in  I  Priorum, 
dicit  Philosophus,  quod  verum  concluditur 
ex  falsis,  non  propter  quid,  sed  quia.  Patet 
ergo  quod  demonstratio  procedit  ex  veris. 
Deinde  dicitur  ,  quod  demonstratio  proce- 
dit ex  prœmissis  necessariis  ;  quœ  autem  fit 
propositio  necessaria ,  dictum  est  in  trac- 
tatu  syllogismorum.  Notandum  quod  con- 
clusio demonstrata,  oportet  quod  sit  ne- 
cessaria. Si  enim  scientia  dicit  certitudi- 
nem  ,  quœ  non  potest  esse  de  contingenti- 
bus,  ut  contingentia  sunt ,  sed  solum  de 
necessariis,  oportet  quod  conclusio  ,  cujus 
habitus  est  scientia ,  sit  necessaria.  Hoc 


320  OPUSCULE    XLVH,    TRAITÉ    U,    CHAPITRE    4. 

cessaire.  Cela  posé,  il  faut  savoir  que,  bien  qu'on  puisse  avoir  une 
conclusion  nécessaire  de  prémisses  contingentes,  ou  au  moins  d'une, 
comme  il  a  été  dit ,  on  ne  peut  néanmoins  pas  avoir  la  science  avec 
des  prémisses  contingentes,  mais  bien  avec  des  prémisses  nécessaires. 
En  effet ,  si  savoir,  comme  nous  Pavons  dit ,  c'est  connoître  la  cause 
nécessaire  d'une  chose,  et  si  le  moyen  terme  se  rapporte  aux  extrêmes 
d'une  manière  contingente,  il  ne  sera  pas  nécessaire,  et  par  conséquent 
il  pourra  être  exclu  de  la  conclusion  qui  restera  nécessaire;  il  ne  sera 
donc  pas  la  cause  de  la  conclusion.  Donc  pour  qu'il  soit  la  cause  de 
la  conclusion ,  il  doit  avoir  un  rapport  nécessaire  avec  les  deux  ex- 
trêmes, et  de  cette  manière  les  deux  prémisses  seront  nécessaires.  On 
voit  donc  que  la  démonstration  procède  de  prémisses  nécessaires. 

CHAPITRE  IV. 

Que  la  démonstration  procède  de  prémisses  où  elle  se  trouve  per  se  et  non 

per  accidens.  . 

On  dit  ensuite  que  la  démonstration  procède  de  choses  qui  sont  per 
se  et  non  per  accidens.  Il  faut  savoir  que  dans  la  démonstration  affir- 
mative principale  le  moyen  est  la  définition  du  sujet  en  même  temps 
que  la  définition  de  la  passion.  C'est  pourquoi  dans  la  majeure  la  pas- 
sion se  dit  de  la  définition  du  sujet,  dans  laquelle  sont  exprimés  les 
principes  de  la  passion  même.  En  effet,  comme  il  a  été  dit  dans  le 
premier  traité ,  le  sujet  est  comparé  à  la  première  passion,  non-seule- 
ment en  raison  de  la  cause  matérielle ,  mais  même  en  raison  de  la 
cause  efficiente.  Donc  la  définition  du  sujet,  prise  en  même  temps  que  la 
définition  de  la  passion  ,  exprime  la  cause  efficiente  immédiate  et  né- 


supposito  sciendum  est,  quod  licet  conclu- 
sio  necessaria  possit  concludi  ex  praemissis 
contingentibus,  vel  ex  altéra  ad  minus,  ut 
supra  dictum  est ,  non  tamen  potest  sciri 
ex  praemissis  contingentibus,  sed  ex  neces- 
sariis.  Si  enirn  scire  ,  ut  supra  dictum  est, 
est  causam  rei  necessariam  cognoscere ,  si 
médium  contingenter  se  habebit  ad  extre- 
mitates ,  non  erit  ei  necessarium ,  et  per 
consequens  poterit  removeri  conclusione 
necessaria  stante  ;  non  ergo  erit  causa  con- 
clusions. Ad  hoc  ergo  quod  sit  causa  con- 
clusions .  necessario  débet  se  habere  ad 
ambas  extremitates,  et  sic  ambae  prœrnis- 
sae  erunt  necessaria?.  Patet  ergo  quod  de- 
monstratio procedit  ex  praemissis  neces- 
sariis. 


CAPUT  IV. 

Quod  demonstratio  procedit  ex  prœmissis, 
in  quibus  est  per  se  et  non  per  acci- 
dens. 

Deinde  dicitur,  quod  demonstratio  pro- 
cedit ex  his  quœ  sunt  per  se  ,  et  non  per 
accidens.  Sciendum  quod  in  demonstra- 
tione  affirmativa  potissima  médium  est 
difhnitio  subjecti  simul  supra  cum  diffini- 
tione  passionis.  Unde  in  majori  proposi- 
tione  passio  prœdicatur  de  diffinitione  sub- 
jecti, in  qua  exprimuntur  principia  ipsius 
passionis.  Ut  enim  primo  tractatu  dictum 
est,  subjectum  comparatur  ad  primam  pas- 
sionem  non  solum  in  ratione  causae  mate- 
rialis,  sed  etiam  in  ratione  causae  efficien- 
tis.  Diffinitio  ergo  subjecti  simul  sumpta 
cum  diffinitione  passionis,  exprimit  causam 
efficientem  ipsius  passionis  immediatam  e 


SUR    LA    LOGIQUE    d'ARISTOTE.  327 

cessaire  de  la  passion  môme  ;  or  c'est  là  le  quatrième  mode  de  dire 
per  se,  comme  on  l'a  dit  plus  haut.  Dans  la  mineure,  la  définition  se 
dit  du  sujet ,  et  c'est  le  premier  mode  de  dire  per  se.  Dans  la  conclu- 
sion ,  la  propre  passion  se  dit  de  son  sujet ,  et  c'est  le  second  mode 
de  dire  per  se.  Par  exemple  :  si  nous  voulions  démontrer  que  tout 
nombre  quatre  est  pair,  nous  le  ferions  ainsi  :  tout  assemblage  mesuré 
par  l'unité ,  qui  n'a  pas  de  moyen  per  se  ,  est  pair  ;  mais  tout  nombre 
quatre  est  un  assemblage  de  ce  genre ,  donc  tout  nombre  quati'e  est 
pair.  Ici  le  sujet  est  le  nombre  quatre  ,  sa  passion  est  pair  ou  parité  , 
et  le  moyen  qui  a  été  pris  dit  la  définition  du  nombre ,  qui  est  un 
assemblage  mesuré  par  l'unité,  et  dit  aussi  la  définition  de  pair, 
parce  que  pair  n'a  pas  de  moyen  suivant  soi.  Dans  la  majeure,  la 
passion  se  dit  de  la  définition  du  sujet  dans  laquelle  est  exprimée  sa 
propre  définition,  et  c'est  là  le  quatrième  mode  de  dire  perse.  Dans  la 
mineure ,  la  définition  du  sujet  se  dit  de  son  sujet,  et  c'est  le  premier 
mode  de  dire  per  se.  Dans  la  conclusion,  la  propre  passion  se  dit  de 
son  sujet ,  et  c'est  le  second  mode  de  dire  per  se.  On  voit  donc  que  la 
démonstration  procède  de  choses  qui  sont  per  se.  La  raison  commune 
de  cela  s'établit  ainsi.  Le  syllogisme  qui  procède  de  choses  nécessaires, 
ne  procède  pas  de  choses  qui  sont  per  accidens ,  mais  de  choses  qui 
sont  per  se;  mais,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  la  démonstration  pro- 
cède de  choses  nécessaires ,  donc  la  démonstration  procède  de  choses 
qui  sont  per  se. 


necessariam  :  hic  autem  est  quartus  modus 
dicendi  per  se  ,  ut  supra  dictum  est.  In 
minori  autem  proposition*  prsedicatur  dif- 
finitio  de  subjecto ,  et  hic  est  primus  mo- 
dus dicendi  per  se.  In  conclusione  vero 
praedicatur  propria  passio  de  suo  subjecto, 
et  hic  est  secundus  modus  dicendi  per  se. 
Verbi  gratia  :  Si  vellemus  demonstrare 
quod  omnis  quaternarius  numerus  est  par, 
sic  sit  :  Omnis  multitudo  mensurata  per 
unum,  cujus  per  se  non  est  médium,  est 
par;  sed  omnis  quaternarius  numerus  est 
talis  multitudo  ,  ergo  omnis  quaternarius 
est  par.  Hic  subjectum  est  quaternarius 
numerus  ;  passio  vero  ejus  est  par  seu  pa- 
ritas  :  médium  vero  quod  fuit  sumptum 
dicit  diffinitionem  numeri,  quae  est  multi- 
tudo mensurata  per  unum ,  et  dicit  diffi- 


nitionem paris ,  quia  paris  secundum  se 
non  est  médium.  In  majori  propositions 
passio  praedicatur  de  difiinitione  subjecti, 
in  qua  exprïmitur  diffinitio  sua,  et  sic  est 
quartus  modus  dicendi  per  se.  In  minori 
propositione  diffinitio  subjecti  praedicatur 
de  suo  subjecto ,  et  sic  est  primus  modus 
dicendi  per  se.  In  conclusione  vero  praedi- 
catur propria  passio  de  suo  subjecto,  et  est 
secundus  modus  dicendi  per  se.  Patet  ergo 
quod  demonstratio  procedit  ex  his  quas 
sunt  per  se.  Ratio  communis  hujus  lit  sic. 
Syllogismus  qui  procedit  ex  necessariis, 
non  procedit  ex  his  quae  sunt  per  acci- 
dens, sed  ex  his  quae  sunt  per  se  ;  sed  ut 
dictum  est ,  demonstratio  procedit  ex  ne- 
cessariis; ergo  demonstratio  procedit  ex 
his  quae  sunt  per  se. 


328 


OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    H,    CHAPITRE    5. 


CHAPITRE  V. 

Que  la  démonstration  procède  de  choses  premières  et  immédiates. 

On  dit  ensuite  que  la  démonstration  procède  de  choses  premières. 
Remarquez  que  dans  la  démonstration  principale  la  propre  passion  se 
dit  du  sujet  dans  la  conclusion.  Dans  les  prémisses  où  la  prédication 
de  la  définition  se  fait  du  sujet ,  ou  celle  de  la  propre  passion  se  fait 
de  la  définition  du  sujet  ou  de  la  sienne.  Or  toutes  ces  choses  sont 
convertibles,  et  c'est  là  la  prédication  première,  comme  il  a  été  dit. 
Et  à  raison  de  cela  la  démonstration  établie  plus  haut  n'est  pas  prin- 
cipale; en  effet,  on  conclut  du  nombre  quatre  qu'il  est  pair,  mais  le 
mot  pair  a  plus  d'étendue  que  le  nombre  quatre  ,  puisqu'il  se  dit  du 
nombre  six ,  du  nombre  huit  et  des  autres.  Pair  convient  d'une  ma- 
nière adéquate  à  quelque  nombre  commun  qui  est  innommé ,  et  s'il 
avoit  un  nom,  la  prédication  seroit  per  se  et  prima;  et  on  pourroit 
faire  à  son  égard  une  démonstration  principale.  C'est  ainsi  que  nous 
disons  qu'avoir  trois  angles  égaux  à  deux  droits  convient  per  se  primo 
au  triangle,  parce  qu'il  y  a  conversion.  Car  tout  triangle  a  trois  angles, 
et  tout  ce  qui  a  trois  angles  est  triangle.  Mais  cela  ne  convient  pas 
primo  à  l'isocèle,  parce  que  tout  ce  qui  a  trois  angles  n'est  pas  isocèle. 
Ces  propositions  de  démonstrations  sont  immédiates.  En  effet ,  une 
proposition  médiate  est  celle  dans  laquelle  le  prédicat  est  inhérent  au 
sujet  à  raison  de  quelque  affirmation  qui  convient  antérieurement  au 
sujet ,  comme  la  faculté  de  rire  à  Sortes,  parce  que  cette  qualité  con- 
vient antérieurement  à  l'homme.  La  proposition  immédiate  est  celle 
dans  laquelle  le  prédicat  ne  convient  pas  au  sujet  à  raison  d'une  autre, 
comme  la  faculté  de  rire  convient  à  la  définition  de  l'homme,  et  toute 


caput  v. 

Quod  demonslratio  procedit    ex  primis    et 
irnmediatis. 

Deinde  dicitur,  quod  demonstratio  pro- 
cedit ex  primis.  Ubi  nota,  quod  in  de- 
monstratione  potissima  praedicatur  propria 
passio  de  subjecto  in  conclusione.  In  prae- 
missis  autem  vel  praedicatur  diffinitio  de 
subjecto,  vel  propria  passio  de  diffînitione 
subjecti  et  sua.  Haec  autem  omnia  conver- 
tibilia  sunt,  et  hoc  est  praedicari  primo,  ut 
supra  dictum  est.  Et  propter  hoc  demons- 
tratio superius  posita  non  est  potissima  ; 
concluditur  enim  par  de  numéro  quater- 
nario ,  in  plus  enim  se  habent  par  quam 
numerus  quaternarius,  quia  dicitur  de  se- 
nario,  octonario,  et  caeteris.  Convenit  au- 
tem par  adœquare  alicui  communi  numéro 


qui  est  innominatus,  et  de  illo  si  haberet 
nomen,  praedicatur  per  se  et  primo ,  et  de 
illo  posset  fieri  demonstratio  potissima. 
Sicut  dicimus  quod  habere  très  angulos 
aequales  duobus  rectis ,  convenit  per  se 
primo  triangulo,  quia  convertuntur.  Omnis 
enim  triangulus  habet  très  angulos  ,  et 
omne  habens  très  angulos  est  triangulus. 
Non  autem  convenit  hysocheli  primo,  quia 
non  omne  habens  très  angulos  est  hyso- 
cheles.  Taies  propositiones  demonstratio- 
num  sunt  immediatae.  Mediata  enim  pro- 
positio  est  illa,  in  qua  praedicatum  inest 
subjecto  propter  aliquid  praedicatum,  quod 
subjecto  per  prius  convenit ,  sicut  risibile 
Sorti,  quia  per  prius  convenit  homini. 
Immediata  autem  propositio  est  illa,  in 
qua  praedicatum  non  propter  aliud  conve- 
nit subjecto ,  sicut  risibile  convenit  diffi- 


SUR   LA    LOGIQUE  d'aRISTOTE.  329 

propre  passion  à  la  définition  de  son  sujet  et  à  la  sienne.  Il  est  donc 
évident,  que  la  démonstration  procède  de  principes  premiers  et  immé- 
diats. Il  faut  savoir  qu'il  y  a  une  différence  entre  premier  et  immé- 
diat; car  tout  ce  qui  est  primairement  inhérent  n'est  pas  dit  immédiat. 
Effectivement,  la  qualité  de  rire  est  primairement  inhérente  à  l'homme, 
mais  non  immédiatement,  parce  qu'elle  est  inhérente  per  prius  à  la 
définition  de  l'homme  et  à  la  sienne,  autrement  la  définition  ne  seroit 
pas  un  moyen  pour  attribuer  par  voie  de  conclusion  la  qualité  de  rire 
à  l'homme.  De  même  tout  ce  qui  est  inhérent  immédiatement  ne  l'est 
pas  primairement.  En  effet ,  homme  est  immédiatement  inhérent  à 
Sortes,  mais  non  primairement  ;  car  homme  s'applique  à  un  plus  grand 
nombre  d'individus  que  Sortes;  c'est  pourquoi  les  prémisses  démon- 
stratives doivent  renfermer  l'un  et  l'autre.  11  faut  savoir  aussi  que  les 
premiers  principes  dans  la  démonstration  étant  quelquefois  médiats, 
parce  qu'ils  peuvent  être  démontrés  par  quelque  moyen ,  l'argumen- 
tateur  néanmoins  les  prend  comme  immédiats  et  indémontrables.  En 
effet,  ils  ne  sont  pas  démontrables  dans  la  science  où  s'opère  la  dé- 
monstration ,  mais  dans  une  science  supérieure  ;  et  conséquemment, 
quoiqu'ils  aient  un  moyen,  ils  sont  cependant  pris  comme  immédiats. 

CHAPITRE  VI. 

Que  la  démonstration  procède  de  choses  propres ,  et  non  d'étrangères , 
ni  de  communes. 

On  dit  ensuite  que  la  démonstration  procède  de  choses  propres. 
Remarquez  qu'on  appelle  quelquefois  une  chose  propre  lorsqu'elle 
n'est  pas  étrangère ,  et  quelquefois  parce  qu'elle  n'est  pas  commune. 
Or  la  démonstration  procède  des  deux  manières  de  choses  propres , 
parce  qu'elle  ne  le  fait  pas  de  choses  étrangères,  ni  de  choses  com- 


nitioni  hominis,  et  omnis  propria  passio 
diffinitioni  sui  subjecti  et  suae.  Patet  ergo 
quod  demonstratio  procedit  ex  primis  prin- 
cipiis  et  immediatis.  Sciendum  quod  dif- 
fert  primum  et  immediatum  ;  nam  non 
omne  quod  primo  inest,  dicitur  imme- 
diatum. Risibile  enim  primo  inest  homini, 
sed  non  immédiate,  quia  per  prius  inest 
diffinitioni  hominis,  et  suae,  aliter  diffînitio 
non  esset  médium  ad  concludendum  risi- 
bile de  homine.  Similiter  etiam  non  omne 
quod  immédiate  inest  primo  inest;  homo 
enim  immédiate  inest  Sorti ,  non  tamen 
primo,  quia  de  pluribus  dicitur  homo  quam 
Sortes  :  unde  preemissae  demonstrationes 
oportet  quod  utrumque  habeant.  Scien- 
dum etiam  quod  cum  prima  principia  in 


demonstratione  aliquando  sint  mediata, 
quia  per  aliquod  médium  possunt  demon- 
strari ,  tamen  demonstrator  accipit  ea  ,  ut 
immediata  et  indemonstrabilia.  Non  enim 
sunt  demonstrahilia  in  illa  scientia,  de  qua 
est  demonstratio,  sed  in  scientia  superior  : 
et  ideo  licet  habeant  médium,  tamen  acci- 
piuntur  ut  immediata. 

GAPUT  VI. 

Quod  demonstratio  procedit  ex  propriis ,  et 
non  ex  extraneis  ,  nec  ex  communibus. 

Deinde  dicitur,  quod  demonstratio  pro- 
cedit ex  propriis.  Ubi  nota  quod  proprium 
aliquando  dicitur  esse  ahquid ,  quia  non 
est  extraneum,  et  aliquando  dicitur  esse 
proprium,  quia  non  est  commune.  Utroque 


330  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    6. 

munes.  Pour  comprendre  qu'elle  ne  procède  pas  de  choses  étrangères, 
il  faut  savoir  qu'il  y  a  trois  termes  dans  la  démonstration  comme  dans 
tout  syllogisme ,  savoir,  le  grand  extrême ,  qui  est  la  passion  propre, 
le  petit  extrême  ,  qui  est  le  sujet ,  et  le  moyen  terme  ,  qui  est  la  défi- 
nition du  sujet  avec  la  définition  de  la  passion.  Or,  si  le  moyen  terme 
étoit  étranger  au  grand  extrême  ou  au  petit  extrême ,  qui  ne  seroit 
pas  la  définition  renfermant  l'un  et  l'autre ,  le  grand  extrême  alors 
ne  seroit  pas  dit  de  lui  per  se.,  et  il  ne  seroit  pas  dit  lui-même  du 
sujet  per  se;  mais  on  a  prouvé  que  dans  la  majeure  le  grand  extrême 
se  dit  per  se  du  moyen  dans  le  quatrième  mode  de  dire  per  se ,  et  que 
dans  la  mineure  le  moyen  se  dit  du  petit  extrême  per  se  dans  le  pre- 
mier mode  de  dire  per  se  ;  donc  la  démonstration  ne  procède  en  au- 
cune manière  de  choses  étrangères  ,  mais  bien  de  choses  propres.  Il 
faut  savoir  que,  bien  que  dans  les  démonstrations  il  n'y  ait  pas  tran- 
sition d'un  genre  à  un  genre  étranger,  néanmoins  rien  n'empêche  que 
quelquefois  le  sujet  d'une  démonstration  ne  soit  contenu  sous  le  sujet 
d'une  autre  démonstration  et  le  contracte.  Par  exemple  :  supposons 
que  l'on  démontre  cette  passion,  savoir  le  sensitif,  parla  définition 
d'animal  appliquée  à  l'animal  même ,  si  cette  même  passion  étoit 
démontrée  relativement  à  l'homme  par  le  même  moyen  terme ,  ou 
par  un  moyen  contracté  dans  la  définition  de  l'homme ,  il  se  feroit 
alors  une  démonstration  sous  une  autre  ,  et  ce  seroit  un  sujet  sous  un 
autre  sujet.  Il  faut  aussi  savoir  qu'une  semblable  contraction  est  quel- 
quefois dans  le  même  genre  simpliciter,  comme  on  l'a  dit  de  l'animal 
et  de  l'homme ,  parce  qu'elle  s'opère  quelquefois  dans  l'homme  par 
quelque  différence  étrangère.  Quelquefois  cette  contraction  ou  transi- 
tion s'opère  dans  le  même  genre  secundum  quid ,  parce  que  le  sujet 
se  contracte  par  une  différence  étrangère,  comme  visuel  est  étranger 


autem  modo  procedit  demonstratio  ex  pro- 
priis,  quia  non  ex  extraneis  nec  commu- 
nibus.  Quod  autem  non  procédât  ex  extra- 
neis ,  seiendum  quod  in  demonstraiione 
sunt  très  termini ,  sicut  in  quolibet  syllo- 
gismo,  scilicet  major  extremitas,  quse  est 
propria  passio  ,  minor  extremitas  quae  est 
sulijcctum  ,  et  médium  quod  est  diffinitio 
subjecti  cum  diffinitione  passionis.  Si  au- 
tem médium  esset  extraneum  a  inajori  vel 
minori  extremitate,  quod  scilicet  non  esset 
diffinitio  utrumque  comprehendens  ;  tune 
major  extremitas  non  prœdicatur  de  eo  per 
se,  nec  ipsum  de  subjecto  per  se  prœdica- 
retur;sed  probatum  est,  quod  in  majori 
propositione  major  extremitas  prœdicatur 
per  se  de  medio  in  quarto  modo  dicendi 
per  se,  et  in  minori  propositione  prœdi- 
catur  médium  de  minori  extremitate  per 
se  in  primo   modo  dicendi  per  se;  ergo 


nullo  modo  demonstratio  procedit  ex  ex- 
traneis, sed  ex  propriis.  Seiendum  quod 
licet  in  demonstrationibus  non  sit  descen- 
sus  ex  uno  génère  in  aliud  genus  extra- 
neum, tameu  nihil  prohibet  aliquando  sub- 
jectum  unius  demonstrationis  contineri 
sub  subjecto  alterius  demonstrationis ,  et 
contrahere  illud.  Verbi  gratia ,  dato  quod 
demonstraretur  hœc  passio,  scilicet  sensiti- 
vum  ,  per  diffinitionem  animalis  de  ipso 
animali,  si  eadem  passio  demonstraretur  de 
homine  per  idem  médium,  vel  per  médium 
contractum  ad  diffinitionem  hominis,  tune 
una  demonstratio  fieret  sub  alia  demons- 
tratione,  et  esset  subjectum  sub  subjecto. 
Seiendum  etiam  est,  quod  talis  contractio 
aliquando  est  in  eodem  génère  simpliciter, 
sicut  dictum  est  de  animali  et  de  homine, 
quia  aliquando  contrahitur  ad  hominem 
per  aliquam  differentiam  extraneam.  Ali- 


SUR   LA   LOGIQUE    D'ARISTOTE.  331 

au  genre  de  la  ligne,  et  le  son  est  étranger  au  genre  du  nombre.  C'est 
pourquoi  la  ligne  qui  est  simplement  un  sujet  de  géométrie ,  et  la 
ligne  visuelle  qui  est  un  sujet  de  perspective  ne  sont  pas  simplement 
du  même  genre,  mais  seulement  secundam  quid,  il  en  est  de  môme 
du  nombre  qui  est  un  sujet  de  l'Arithmétique  et  du  nombre  sonore 
qui  est  un  sujet  de  la  Musique.  C'est  pourquoi  quand  les  choses 
qui  appartiennent  simplement  à  la  ligne  sont  appliquées  à  la  ligne 
visuelle,  il  se  fait  en  quelque  sorte  une  transition  à  un  autre  genre. 
Aussi  dans  la  démonstration  qui  s'effectue  dans  la  science  de  la  per- 
spective et  dans  la  musique ,  on  procède  en  quelque  façon  de  prin- 
cipes étrangers.  On  voit  donc  de  quelle  manière  la  démonstration 
procède  de 'principes  ou  prémisses  propres  et  non  étrangères.  Pour 
concevoir  qu'elle  procède  aussi  de  choses  propres  et  non  communes  , 
il  faut  savoir  que  dans  la  démonstration  certains  principes  concourent 
actuellement ,  et  d'autres  virtuellement.  Il  y  a  certains  principes  qui 
sont  la  formule  des  communes  conceptions  de  l'ame,  parce  que  notre 
intellect  est  naturellement  porté  par  sa  lumière  à  les  connoître  ,  par 
la  raison  que  les  termes  étant  connus,  il  connoît  immédiatement  ces 
principes,  comme,  le  tout  est  plus  grand  que  sa  partie.  Car  aussitôt 
que  la  raison  connoît  ce  que  c'est  qu'un  tout  et  ce  que  c'est  qu'une 
partie,  elle  reconnoît  la  vérité  de  ce  principe  que  le  tout  est  plus  grand 
que  le  partie.  Or  ces  principes  ou  propositions  premières  sont  plus  et 
moins  communs.  C'est  pourquoi  ce  principe  commun ,  l'être  ou  le 
non-être  se  dit  de  toutes  choses,  est  commun  dans  tout  être;  mais 
celui-ci ,  le  tout  est  plus  grand  que  sa  partie ,  ne  convient  qu'à 
l'être  corporel,  et  non  aux  substances  séparées  qui  n'ont  ni  tout,  ni 

quando  vero  talis  contractio  seu  descensus  i  demonstratione  quaedam  principia  concur- 
sit  in  eodem  génère  secundum  quid,  quia  runt  actualiter ,  quaedam  vero  virtualiter. 
subjectum  contrahitur  per  diffcrentiam  ex-  :  Quaedam  vero  principia  dicuntur  digni- 
traneam,  sicut  visuale  est  extraneum  a  ge-  i  tates,  seu  communes  animi  cqnceptiones, 
nere  lineae ,  et  sonus  est  extraneus  a  ge-  ;  quia  ita  naturaliter  intellectus  noster  incli- 
nere  numeri.  Unde  linea  quae  est  simplici-  j  natur  per  lumen  suum  ad  ea  cognoscenda, 
ter  subjectum  geometriae,  et  linea  visualis  !  quod  statim  cognitis  terminis  cognoscit  illa 
quae  est  subjectum  perspectivae ,  non  sunt  :  principia  ut  :  Omne  totum  est  majus  sua 
simplicitcr  unius  generis,  sed  solum  secun-  !  parte.  Nam  statim  quod  ratio  cognoscit 
dum  quid  ,  et  similiter  se  habet  de  nu-  '  quid  est  totum  et  quid  est  pars,  cognoscit 
mero,  qui  est  subjectum  arithmeticae ,  et  .  hoc  esse  verum ,  scilicet  omne  totum  est 
de  numéro  sonoro,  qui  est  subjectum  mu-  !  majus  sua  parte.  Ista  autem  principia,  seu 
sicae.  Et  ideo  quando  ea  quae  sunt  lineae  !  propositions  primée  sunt  majus  et  minus 
simpliciter ,  applicantur  ad  lineam  visua-  J  communia.  Unde  illud  principium  com- 
lem,  fit  quodammodo  descensus  in  aliud  !  mune  :  De  quolibet  dicitur  esse  vel  non 
genus.  Unde  in  demonstratione  quae  fit  in  |  esse,  est  commune  in  omni  ente;  sed  istud 
scient  ta  perspectiva,  et  in  musica  procedi-  j  principium ,  omne  totum  est  majus  sua 
tur  quodammodo  ex  principiis  extraneis.  !  parte,  solum  convenit  enti  corporeo,  et  non 
Patet  ergo  qualiter  demonstratio  procedit !  substantiis  separatis  quae  nec  totum  ha- 
ex  principiis  seu  prœmissis  propriis,  et  non  bent,  nec  partem ,  et  sic  se  habet  mulris 
extraneis.  Quod  etiam  procédât  ex  propriis  j  aliis.  Unde  dicta  principia  non  intrant  actu 
et  non  ex  communibus,  sciendum  quod  in  i  demonstrationes  quae  fiunt  in  scientiis,  sed 


332  OPUSCULE    XLVH,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    6. 

parties ,  et  ainsi  de  plusieurs  autres.  C'est  pourquoi  les  principes  ci- 
dessus  n'entrent  pas  actuellement ,  mais  bien  virtuellement  clans  les 
démonstrations  qui  se  font  dans  les  sciences.  Car  dans  toute  proposi- 
tion que  je  fais,  il  y  a  tout  d'abord  introduction  virtuelle.  En  effet, 
lorsque  je  dis  Pierre  court,  il  est  certain  ou  qu'il  y  a  un  homme  ,  ou 
qu'il  n'y  en  a  pas.  Donc  ce  principe,  l'être  ou  le  non-être  se  dit  de 
toute  chose  ,  se  trouve  virtuellement  dans  chacune  des  prémisses  de 
la  démonstration  ;  il  en  est  de  même  des  autres  principes  moins  com- 
muns ,  par  rapport  aux  démonstrations  dans  lesquelles  ils  se  trouvent 
virtuellement.  C'est  pourquoi  dire  que  les  démonstrations  ne  pro- 
cèdent pas  virtuellement  de  ces  principes,  c'est  une  fausseté.  Mais  je 
dis  que  ces  principes  communs  n'entrent  pas  actuellement  dans  la 
démonstration.  En  conséquence  celui  qui  voudroit  démontrer  la  qua- 
drature du  cercle  parles  principes  communs  de  cette  manière ,  là  où 
se  trouve  le  plus  et  le  moins  se  trouve  aussi  l'égal  ;  mais  il  se  trouve 
un  carré  plus  grand  que  le  cercle  et  moindre  que  le  cercle  ,  donc  on 
trouve  aussi  l'égal  ;  celui-là  feroit  une  mauvaise  démonstration.  La 
raison  en  est ,  ainsi  qu'on  l'a  prouvé  plus  haut,  que  la  démonstration 
procède  de  choses  premières  et  immédiates  ;  mais  en  usant  de  ces 
principes,  les  deux  propositions  de  la  démonstration  ne  seront  pas 
immédiates  et  premières  ,  parce  que  être  plus  grand  ou  plus  petit  que 
le  cercle  convient  non-seulement  au  carré  ,  mais  encore  au  triangle 
et  à  plusieurs  autres  figures  ;  il  n'y  a  donc  pas  dans  cette  proposition 
ce  qui  est  premier,  ou  ce  qui  est  inhérent  primairement.  Elle  n'est  pas 
non  plus  immédiate,  parce  que  celapourroit  se  prouver  par  plusieurs 
moyens  termes;  donc  ce  n'est  pas  delà  que  procède  la  démonstration. 
11  y  a  d'autres  principes  de  démonstration  qui  entrent  actu  dans  la 
démonstration  ,  lesquels  sont-aussi  appelés  positions  ,  suppositions  et 
définitions.  Pour  comprendre  ces  termes ,  il  faut  observer  que  tout  ce 


virtute  ;  quando  enim  dico  quameumque 
propositionem,  primum  intrat  in  eam  vir- 
tute. Cum  enim  dico  :  Petrus  currit,  cer- 
tum  est  vel  quia  homo  est ,  vel  non  est, 
ergo  hoc  principium,  scilicet,  de  quolibet 
dicitur  esse  vel  non  esse  ,  virtute  est  in 
qualibet  praemissarum  demonstrationis,  et 
sic  est  de  aliis  principiis  minus  communi- 
bus  respectu  demonstratiunum ,  in  quibus 
sunt  virtute.  Unde  dicere  ,  quod  démons- 
trations non  procedunt  ex  his  principiis 
virtute  ,  falsum  est.  Sed  dico  ,  quod  talia 
principia  communia  actu  non  intrant  de- 
monstrationem.  Unde  illi  qui  voluit  de- 
monstrare  quadraturam  circuli  per  prin- 
cipia communia  sic  arguendo.  Ubi  inveni- 
tur  majus  et  minus,  ibi  invenitur  pequale  ; 
sed  invenitur  quadratum  majus  circulo  et 


minus  circulo ,  ergo  invenitur  aequale  ; 
maie  demonstravit.  Ratio  est,  nam  ut  supra 
probatum  est ,  demonstratio  procedit  ex 
primis  et  immediatis,  sed  utendo  istis  prin- 
cipiis, ambaî  propositiones  demonstrationis 
non  erunt  immédiat»  et  primée,  quoniam 
esse  majus  vel  minus  circulo  non  solum 
convenit  quadrato,  sed  etiam  triangulo  et 
multis  aliis  iiguris  ;  non  ergo  in  ista  pro- 
positione  est  primum  seu  quod  primo  in- 
est.  Nec  est  immediata ,  quia  per  multa 
média  posset  hoc  probari,  non  ergo  ex  ta- 
libus  procedit  demonstratio.  Alia  vero  prin- 
cipia demonstrationis  sunt  qua3  actu  in- 
trant demonstrationem,  quae  etiam  dicun- 
tur  positiones,  suppositiones  etdiffinitiones. 
Ad  sciendum  autem  haec  nomina,  nota 
quod  quidquid  in  demonstratione  ante  con- 


SUR   LA   LOGIQUE    d'âRISTOTE.  333 

qui  est  placé  dans  la  démonstration  avant  la  conclusion ,  est  appelé 
position,  parce  que  c'est  placé  avant  la  conclusion.  Jl  est  certaines 
positions  qui  ne  prennent  point  l'être  ou  le  non-être  ,  telle  est  la  défi- 
nition. Car  ceci  n'est  pas  une  définition,  l'homme  est  un  animal 
raisonnable  mortel  ;  la  définition  n'est  que  cela ,  ,animal  raisonnable 
mortel ,  c'est-à-dire  ce  qui  ajoute  l'être  ou  le  non-être  ,  et  cette  défi- 
nition est  une  position.  Quelquefois  la  position  prend  l'être  ou  le  non- 
être  ,  comme  lorsque  nous  disons ,  l'homme  est  un  animal  raisonnable 
mortel,  et  c'est  ce  qu'on  appelle  une  supposition.  11  faut  savoir  que 
ce  n'est  pas  sans  cause  que  ces  suppositions  sont  appelées  suppositions. 
Remarquez  qu'on  appelle  proposition  connue  per  se  celle  dans  la- 
quelle le  prédicat  est  de  la  nature  du  sujet;  telles  doivent  être  les 
prémisses  des  démonstrations ,  comme  nous  le  dirons  plus  loin.  Il 
faut  savoir  que  les  termes  de  quelques  propositions  ont  une  notoriété 
commune;  tels  que  être,  vrai,  lien,  un,  chose,  et  autres  semblables 
qui  appartiennent  aux  premières  conceptions  de  l'intellect ,  et  sont 
connus  au  premier  mot.  C'est  pourquoi  les  propositions  dont  ces 
choses  sont  la  matière  non-seulement  sont  connues  par  elles-mêmes 
en  elles-mêmes  ,  mais  encore  par  rapport  à  nous ,  comme  être  et  non- 
être  se  dit  de  toute  chose  ;  aussi  ces  propositions  ne  sont  pas  appelées 
suppositions.  Il  y  a  d'autres  propositions  où ,  quoique  le  prédicat  soit 
de  la  définition  du  sujet,  cette  définition  du  sujet  n'est  pas  néanmoins 
connue  à  tout  le  monde  ,  et  par  conséquent  il  n'est  pas  connu  de  tout 
le  monde  que  le  prédicat  est  de  sa  définition ,  comme  celle-ci  :  tous 
les  angles  droits  sont  égaux,  car  égal  est  de  la  définition  d'angle  droit. 
En  effet ,  l'angle  droit  est  celui  qui  est  produit  par  une  ligne  droite 
tombant  perpendiculairement  sur  une  autre  ligne  droite  ,  de  manière 
qu'il  y  ait  des  deux  côtés  des  angles  égaux.  En  conséquence  ,  comme 


clusionem  ponitur,  dicitur  positio,  eo  quod 
posita  est  ante  conclusionem.  Positionum 
autera  quaedam  non  assumunt  esse  vel  non 
esse,  et  talis  est  diftiuitio;  non  enim  dici- 
tur diffmitio  ista ,  homo  est  animal  ratio- 
nale  mortale;  sed  diffmitio  solum  est  hoc, 
scilicet  animal  rationale  mortale,  sive  h»c 
quod  addatur  sibi  esse  vel  non  esse,  et  ta- 
lis diffmitio  est  positio.  Aliquando  positio 
assurait  esse  vel  non  esse,  ut  cum  dicimus, 
homo  est  animal  rationale  mortale,  el  haec 
dicitur  suppositio.  Sciendum  quod  taies 
suppositiones  non  sine  causa  dicuntur  sup- 
positiones.  Ubi  nota  quod  propositio  per 
se  nota  dicitur,  in  qua  praedicatum  est  de 
ratione  subjecti,  taies  autem  debent  esse 
praemissae  demonstrationum,  ut  infra  dice- 
tur.  Sciendum  quod  aliquarum  propositio- 
num  termini  sunt  in  communi  omnium 
notitia,  ut  sunt  ens,  verum,  bouum,  unum, 


aliquid  et  res,  et  hujusmodi  quae  pertinent 
ad  primas  conceptiones  intellectus,  qu;e 
statim  ut  audiuntur ,  cognoscuntur.  Unde 
propositiones  quae  ex  eis  liunt,  nou  solum 
sunt  per  se  nota}  in  se,  sed  etiam  quoad 
nos ,  ut  de  quolibet  dicitur  esse  vel  non 
esse ,  unde  taies  non  dicuntur  suppositio- 
nes. Alise  vero  propositiones  sunt ,  in  qui- 
bus  licet  praedicatum  sit  de  difhnitione 
subjecti,  tamen  diffmitio  subjecti  non  est 
omnibus  nota ,  et  per  consequens  non  est 
omnibus  notum  ,  quod  praedicatum  sit  de 
ejus  diffinitione,  sicut  ista  :  Omnes  anguli 
recti  sunt  aequales;  aequale  enim  est  de 
diflinitione  anguli  recti.  Est  enim  angulus 
rectus ,  qui  causatur  ex  linea  recta  per- 
pendiculariter  cadente  super  lineam  rec- 
tam,  itaquod  exutraque  parte  anguli  red- 
dantur  squales.  Quia  ergo  non  omnes  hoc 
sciunt,  scilicet  quod  aequale  sit  de  diffini- 


334  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    7. 

tout  le  monde  ne  sait  pas  cela  ,  c'est-à-dire  que  égal  appartient  à  la 
définition  d'angle  droit ,  on  le  suppose  ,  et  pour  cette  raison  on  l'ap- 
pelle supposition.  La  proposition  de  la  démonstration  peut  être  appelée 
supposition  dans  un  autre  sens  ,  car  il  y  a  certaines  propositions  qui 
se  prouvent  par  les  principes  d'une  science  supérieure  ,  comme  on  le 
montrera  plus  bas  ,  et  par  conséquent  il  faut  supposer  la  science  infé- 
rieure. Et  comme  c'est  de  pareils  principes  ou  prémisses  propres  que 
procède  la  démonstration  ,  parce  qu'ils  entrent  en  elle  actu ,  elle  pro- 
cède conséquemment  de  choses  propres  et  non  communes.  On  voit 
donc  comment  la  démonstration  procède  de  choses  propres  ,  etc. 

CHAPITRE  Vil. 

Que  la  démonstration  procède  de  choses  connues  par  elles-mêmes. 

On  dit  ensuite  que  la  démonstration  procède  de  choses  connues  par 
elles-mêmes.  On  appelle  propositions  connues  par  elles-mêmes  celles 
où  le  prédicat  appartient  à  la  définition  du  sujet  ou  vient  immédia- 
tement de  ses  principes.  Mais  les  choses  d'où  procède  la  démonstra- 
tion sont  de  ce  genre.  Car  dans  la  majeure  la  propre  passion  se  dit  de 
la  définition  du  sujet  et  de  la  science ,  qui  est  sa  cause  immédiate,  ou 
exprime  ses  principes  immédiats;  dans  la  mineure  au  contraire  la  dé- 
finition se  dit  du  sujet.  Donc  la  démonstration  procède  de  choses 
connues  par  elles-mêmes.  Il  faut  savoir  qu'il  y  a  certaines  proposi- 
tions connues  par  elles-mêmes  en  elles-mêmes  ,  et  non  par  rapport  à 
nous  ,  comme  celle-ci  :  quiconque  a  la  fièvre  a  le  pouls  accéléré.  En 
effet,  quoique  cela  soit  connu  en  soi,  par  ce  que  la  fièvre  est  une  cause 
de  l'accélération  du  pouls,  néanmoins  ce  n'est  pas  connu  par  rapport 
à  nous,  au  contraire  nous  connoissons  la  fièvre  par  l'accélération  du 
pouls.  Ce  n'est  pas  de  semblables  choses  connues  par  elles-mêmes  que 


tione  anguli  recti ,  ideo  hoc  supponitur,  et 
propter  hoc  dieitur  suppositio.  Alio  modo 
propositio  demnstrationis  potest  dici  sup- 
positio, nam  quaedam  propositions  sunt, 
quae  probantur  per  principia  superioris 
scientise,  ut  infra  ostendetur,  et  ideo  in- 
ferior  scientia  oportet  quod  supponatur. 
Et  quia  ex  talibus  principiis  seu  prœmissis 
propriis,  procedit  demonstratio,  quia  actu 
intrant  in  eam,  ideo  procedit  ex  propriis, 
non  ex  communibus.  Patet  ergo  quornodo 
demonstratio  procedit  ex  propriis.,  etc. 

GAPUT  VII. 

Quod  demonstratio  procedit  ex  per  se  nolis. 
Deinde  dieitur,  quod  demonstratio  pro- 
cedit ex  per  se  notis.  Per  se  notse  enim 
dicuntur  propositiones ,  in  quibus  prœdi- 


catum  est  de  diffinitione  subjecti ,  vel  im- 
médiate causatur  ex  principiis  ejus  ;  sed 
ea  ex  quibus  procedit  demonstratio  sunt 
hujusmodi.  Nam  in  majori  propositione 
pradicatur  propria  passio  de  diffinitione 
subjecti  et  sua,  quse  est  immediata  causa 
sui ,  seu  exprimit  immediata  principia 
ejus;  in  ininori  vero  praedicatur  diffinitio 
de  subjecto;  ergo  demonstratio  procedit 
ex  per  se  notis.  Sciendum  quod  qusedam 
propositiones  sunt  per  se  nota?  in  se  et  non 
quoad  nos ,  sicut  hsec  :  Omnis  febricitans 
habet  pulsum  excitatum.  Licet  enim  hoc 
sit  notum  in  se ,  quia  febris  est  causa  ex- 
citations pulsus,  tamen  non  est  per  se  no- 
tum quoad  nos,  sed  e  converso  cognosci- 
mus  febrem  per  excitationem  pulsus;  ex 
talibus  autem  per  se  notis   non  procedit 


SUR  LA   LOGIQUE    d'arISTOTE.  33o 

procède  la  démonstration.  Car  si  la  raison  d'une  chose  est  plus  claire 
que  cette  chose,  les  conclusions  nous  sont  connues  à  cause  des  pré- 
misses, il  faut  donc  que  les  prémisses  nous  soient  plus  connues.  C'est 
pourquoi  nous  ne  pourrions  connoîlre  les  conclusions  en  aucune  ma- 
nière ,  si  les  prémisses  ne  nous  étoient  pas  plus  connues.  Or  on  fait 
des  démonstrations  afin  d'arriver  à  la  connoissance  des  conclusions; 
donc  les  démonstrations  procèdent  de  choses  plus  connues  par  rap- 
port à  nous.  Il  y  a  certaines  propositions  connues  par  elles-mêmes  et 
en  elles-mêmes  et  par  rapport  à  nous ,  comme  tout  nombre  qui  n'a 
pas  de  moyen  par  soi  est  pair,  parce  que  tout  nombre  qui  n'a  point 
par  soi  de  moyens  est  appelé  pair  et  vice  versa,  c'est  de  telles  choses 
que  procède  la  démonstration.  Il  est  donc  évident  que  la  démonstra- 
tion procède  de  choses  connues  par  soi  et  qui  nous  sont  plus  connues. 
On  peut  conclure  de  ce  qui  précède  que  la  démonstration  et  la  science, 
qui  est  l'habitude  d'une  conclusion  démontrée,  roule  toujours  sur  des 
choses  incorruptibles  et  sempiternelles.  En  effet,  il  faut  que  ce  qui 
conserve  dici  de  omni  soit  incorruptible  et  sempiternel.  Car,  comme 
il  a  été  dit  plus  haut ,  on  appelle  dici  de  omni  quod  non  aliquando 
inest,  et  aliquando  non  inest,  sed  semper  inest.  Or  les  choses  corrup- 
tibles ne  sont  pas  toujours  en  cela,  donc  dici  de  omni  ne  se  conserve 
que  dans  les  choses  sempiternelles.  Mais  dans  la  démonstration  prin- 
cipale qui  a  ses  deux  propositions  universelles,  dici  de  omni  se  con- 
serve dans  toutes.  Donc  la  démonstration  roule  sur  les  choses  incor- 
ruptibles et  sempiternelles.  Il  semble  aussi  que  la  définition  appartient 
aux  sempiternelles.  En  effet ,  quoique  les  choses  corruptibles  soient 
définies,  elles  ne  sont  pas  définies  néanmoins  entant  que  corruptibles. 
Il  n'y  a  de  corruptibles  que  les  choses  particulières,  or  le  particulier 
ne  se  définit  pas.  C'est  pourquoi  la  définition  roule  per  accidens  sur 


demonstratio.  Si  enim  propter  quod  unum- 
quodque  et  illud  magis  ;  propter  praemissas 
autem  innotescunt  nobis  conclusiones;  ergo 
oportet  quod  prasmissas  sint  nobis  magis 
notas.  Unde  conclusiones  nullo  modo  pos- 
sent  nobis  fieri  nota?,  nisi  prasmissas  essent 
magis  nobis  notas;  demonstrationes  autem 
fiunt ,  ut  conclusiones  fiant  nobis  notas  ; 
ergo  demonstrationes  procedunt  ex  notio- 
ribus  quoad  nos.  Quœdam  autem  proposi- 
tiones  sunt  per  se  notas  et  in  se  et  quoad 
nos,  ut  omnis  numerus  cujus  per  se  non  est 
médium,  est  par  ;  quia  omnis  numerus  qui 
non  habet  secundum  se  médium ,  dicitur 
par,  et  e  converso,  et  ex  talibus  procedit 
demonstratio.  Patet  ergo  quod  demons- 
tratio procedit  ex  per  se  notis  et  notiori- 
bus  nobis.  Ex  prasdictis  potest  concludi , 
quod  demonstratio  et  scientia  quas  est  ha- 


bitus  conclusionis  demonstratas ,  semper  sit 
de  incorruptibilibus  et  sempiternis.  Dbi 
enim  salvatur  dici  de  omni,  oportet  quod 
illud  sit  incorruptibile  et  sempiternum.  Si- 
cut  enim  supra  dictum  est,  dici  de  omni, 
dicitur  quod  non  aliquando  inest ,  et  ali- 
quando non  inest,  sed  semper  inest;  cor- 
ruptibilia  autem  non  sunt  semper  in  eis; 
ergo  non  salvatur  dici  de  omni,  sed  solum 
in  sempiternis.  Sed  in  demonstratione  po- 
tissima  quas  habet  ambas  propositiones 
universales,  salvatur  in  omnibus  dici  de 
omni;  ergo  demonstratio  est  de  incorrup- 
tibilibus et  sempiternis;  apparet  etiam 
quod  diffinitio  est  sempiternorum.  Licet 
enim  corruptibilia  diffiniantur,  non  tamen 
diffiniuntur  in  quantum  corruptibilia  sunt. 
Solum  enim  particularia  sunt  corrupti- 
bilia,   particulare  autem   non  diflinitur. 


336  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    II,    CHAPITRE    8. 

les  choses  corruptibles,  et  per  se  sur  les  choses  sempiternelles.  Il  faut 
savoir  que  certaines  choses  sempiternelles  ou  éternelles,  comme  il 
appartient  au  but  de  la  démonstration,  ne  sont  pas  toujours  telles 
suivant  le  temps,  elles  le  sont  par  comparaison  à  la  cause  ;  parce  que 
il  n'y  a  jamais  de  défection  sans  qu'en  posant  une  telle  cause  on  ne 
pose  l'effet ,  comme  la  défection  du  soleil  ne  s'opère  jamais  sans  que 
la  lune  s'interpose  entre  lui  et  nous  ;  cependant  cette  défection  du 
soleil  ne  dure  pas  toujours,  mais  seulement  dans  ce  moment.  Quel- 
ques autres  ne  sont  sempiternelles,  ni  par  comparaison  au  temps,  ni 
par  comparaison  à  la  cause,  lesquelles  peuvent  être  naturalisées.  En 
effet  la  semence  humaine  ne  produit  pas  toujours  un  homme  avec 
deux  yeux,  il  y  a  quelquefois  une  défectuosité  à  raison  de  quelque 
obstacle  du  côté  de  la  cause  agissante  ou  de  la  matière.  Dans  les  deux 
cas,  il  faut  ordonner  les  démonstrations  de  manière  qu'elles  roulent 
sur  les  sempiternelles,  et  de  sorte  qu'on  tire  une  conclusion  univer- 
selle de  propositions  universelles ,  en  écartant  les  choses  où  il  peut  y 
avoir  défectuosité,  soit  du  côté  du  temps,  soit  du  côté  de  la  cause.  On 
voit  donc  que  la  démonstration  roule  sur  des  choses  sempiternelles 
tant  dans  les  prémisses  que  dans  la  conclusion.  Donc  la  science  qui 
est  l'habitude  de  la  conclusion  démonstrative  roule  sur  des  choses 
sempiternelles. 

CHAPITRE  VIII. 

Que  la  démonstration  procède  des  causes  de  la  conclusion. 

On  dit  ensuite  que  la  démonstration  procède  des  causes  de  la  conclu- 
sion ,  ce  qui  peut  s'entendre  de  deux  manières.  Premièrement  que 
les  prémisses  sont  cause  que  le  grand  extrême  se  trouve  dans  le  petit, 
et  cela  est  vrai  non-seulement  dans  la  démonstration,  mais  encore 


Unde  diffinitio  est  corruptibilium  per  acci- 
dens  ,  sempiternorum  autem  est  per  se. 
Sciendum  quod  quaedam  sempiterna  seu 
aeterna,  ut  ad  proposituni  demonstrationis 
pertinet,  non  sunt  semper  secundum  tem- 
pus,  sunt  autem  per  comparationem  ad 
causam  ;  quia  nunquam  déficit  quin  posita 
tali  causa  ponatur  effectus  ,  sicut  defectus 
solis  nunquam  déficit ,  quin  interposita 
luna  in  ter  nos  et  solem  sit ,  tamen  defec- 
tus solis  non  est  semper ,  nisi  tune.  Quœ- 
dam  vero  non  sunt  semper  nec  per  com- 
parationem ad  tempus,  nec  per  compara- 
tionem ad  causam  ,  quae  impediri  potest. 
Non  enim  semper  ex  semine  hominis  ge- 
neratur  homo  cum  duobus  oculis  ;  sed 
quandoque  déficit  propter  impedimentum 
causae  agentis  vel  materise.  In  utriusque 


autem  sic  ordinandae  sunt  demonstrationes 
ad  hoc  quod  sint  ex  sempiternis,  ut  ex  uni- 
versalibus  propositionibus  inferatur  con- 
clusio  universalis,  removendo  illa,  in  qui- 
bus  potest  esse  defectus,  vel  ex  parte  tem- 
poris,  vel  ex  parte  causse.  Patet  ergo  quod 
demonstratio  est  ex  sempiternis  tam  in 
preemissis  quam  in  conclusione.  Scientia 
ergo  quee  est  habitus  conclusionis  demons- 
trationis, est  ex  sempiternis. 

GAPUT    VIII. 

Quod  demonstratio  procedit   ex  causis  con- 
clusionis. 

Deinde  dicitur  quod  demonstratio  proce- 
dit ex  causis  conclusionis,  quod  duplicitër 
potest  intelligi.  Uno  modo,  quod  praemis- 
sae  sint  causa  quod  major  extremitas  insit 


SUR   LA   LOGIQUE    D'ARISTOTE.  337 

dans  tout  syllogisme  où  on  conclut  la  vérité  de  choses  "vraies.  Par 
exemple,  dans  ce  syllogisme  :  tout  homme  court,  Sortes  est  homme, 
donc  Sortes  court,  en  supposant  qu'il  soit  vrai  que  tout  homme  court, 
et  que  Sortes  soit  homme  ,  il  s'ensuit  nécessairement,  comme  effet, 
que  Sortes  court.  Secondement  on  peut  entendre  que  les  prémisses 
sont  la  cause  de  la  conclusion ,  parce  qu'elles  contiennent  la  cause 
tant  du  sujet  que  du  prédicat  de  la  conclusion ,  et  dans  ce  sens  cela 
ne  convient  qu'à  la  démonstration.  Il  faut  remarquer,  ainsi  qu'il  a  été 
dit,  que  savoir  étant  connoître  la  cause  d'une  chose,  le  moyen  qui 
appartient  à  la  démonstration  et  qui  est  un  syllogisme  produisant  la 
science,  est  la  définition  du  sujet  et  de  la  passion.  Or  toute  bonne  dé- 
finition se  donne  par  une  cause  quelconque ,  donc  le  moyen  qui  se 
trouve  dans  les  prémisses,  est  la  cause  du  sujet  et  de  la  passion,  d'une 
manière  différente  néanmoins.  Sur  quoi  il  faut  savoir  que,  comme  il 
y  a  quatre  causes,  savoir  :  la  finale,  l'efficiente ,  la  formelle  et  la  ma- 
térielle, la  définition  .peut  se  tirer  de  laquelle  que  ce  soit,  par  exemple, 
en  disant  :  la  maison  est  un  abri  formé  de  pierres ,  de  ciment  et  de 
bois,  c'est  une  définition  par  la  cause  matérielle  ;  si  l'on  dit,  la  maison 
est  un  abri  carré ,  long  et  haut ,  c'est  une  définition  par  la  cause  for- 
melle ;  en  disant,  la  maison  est  un  abri  construit  par  un  artisan  avec 
des  marteaux ,  des  tuiles ,  et  du  plomb ,  c'est  une  définition  par  la 
cause  efficiente;  si  l'on  dit,  la  maison  est  un  abri  qui  nous  garantit  de 
la  pluie,  du  froid  et  du  chaud,  c'est  une  définition  par  la  cause  finale. 
Donc  le  sujet  pouvant  être  défini  par  tant  de  causes,  le  moyen  qui  est 
sa  définition ,  comme  il  a  été  dit ,  sera  en  rapport  avec  lui  dans  l'ha- 
bitude de  toutes  ses  causes.  À  l'égard  de  la  passion ,  le  rapport  du 
moyen  est  dans  l'habitude  de  deux  causes,  savoir  la  cause  matérielle 


minori  ;  et  hoc  non  solum  est  verum  in 
demonstratione,  sed  etiam  in  orani  syllo- 
gismo,  in  quo  ex  veris  concluditur  verum. 
Unde  in  iato  syllogismo ,  scilicet  :  Omnis 
homo  currit,  Sortes  est  homo,  ergo  Sortes 
currit,  dato  quod  hoc  sit  verum  scilicet 
omnis  homo  currit,  et  Sortes  est  homo,  se- 
quitur  necessario ,  ut  effectus,  quod  Sortes 
currit.  Alio  modo  intelligi  potest  quod 
prœmissœ  sint  causa  conclusionis ,  quia  in 
eis  continetur  causa  tam  subjecti ,  quam 
etiam  prœdicati  ipsius  conclusionis,  et  sic 
hoc  solum  convenit  démonstration!.  Scien- 
dum  quod  quia,  ut  supra  dictum  est,  scire 
propter  quod  est  causam  rei  cognoscere, 
médium  autem  quod  est  de  demonstratione 
qui  est  syllogismus  faciens  scire,  est  diffi- 
nitio  subjecti  et  passionis  :  omnis  autem 
bona  diffinitio  datur  per  aliquam  causam  ; 
ergo  médium  quod  stat  in  prœmissis ,  est 
causa  subjecti  et   passionis,  aliter  tamen 

V. 


subjecti,  et  aliter  passionis.  Ubi  sciendum 
est,  quod  cum  quatuor  sint  causa?  scilicet 
materialis,  formalis,  efliciens,  et  fmalis,  a 
qualibet  harum  potest  sumi  diffinitio. 
Verbi  gratia,  dicendo  :  Domus  est  cooperi- 
mentum  cum  lapidibus,  cemeuto,  et  li- 
gnis,  est  diffinitio  per  causam  materialem. 
Si  vero  dicatur,  Domus  est  eooperimen- 
tum  quadratum,  longum  et  altum,  erit 
diffinitio  per  causam  formalem.  Si  vero  di- 
catur, Domus  est  cooperimentum  factum 
ab  artifice  cum  martellis,  tegulis  et 
plumbo,  erit  diffinitio  per  causam  efficien- 
tem.  Si  vero  dicatur,  Domus  est  cooperi- 
mentum prohibens  nos  à  pluviis,  frigore  et 
calore ,  erit  diffinitio  per  causam  finalem. 
Cum  ergo  subjectum  per  tôt  causas  possit 
diffiniri,  médium  quod  est  ejus  diffinitio, 
ut  dictum  est,  se  habebitad  illud  in  habi- 
tudine  tôt  causarum.  Respectu  vero  pas- 
sionis habet  se  médium  in  habitudine  dua- 

22 


338  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    9. 

et  la  cause  efficiente.  En  effet,  comme  nous  l'avons  dit,  le  sujet  se 
compare  à  la  passion  propre,  et  comme  sujet,  et  comme  efficient;  il 
en  est  de  même  de  la  définition  du  sujet  à  l'égard  de  la  passion.  Il 
faut  savoir  que  les  causes  ayant  un  ordre  entre  elles ,  la  raison  de 
l'une  se  tire  de  l'autre.  De  la  forme  on  tire  la  raison  de  la  matière , 
parce  que  la  matière  doit  être  telle  que  le  demande  la  forme.  L'effi- 
ciente est  la  raison  de  la  forme;  comme  en  effet  tout  agent  produit 
quelque  chose  de  semblable  à  lui ,  le  mode  de  la  forme  qui  provient 
de  l'action  doit  être  conforme  au  mode  de  l'agent.  De  la  fin  se  tire  la 
raison  de  l'efficient  ;  parce  que  tout  agent  agissant  pour  une  fin ,  il 
faut  conséquemment  que  la  définition  qui  se  tire  de  la  fin  soit  la  raison 
et  la  cause  probante  des  autres  définitions  tirées  des  autres  causes , 
laquelle  est  tirée  de  l'agent  des  deux  autres,  qui  est  tiré  de  sa  forme, 
lequelle  est  tirée  de  la  matière.  En  conséquence  la  définition  qui  se 
tire  de  la  matière  peut  être  démontrée  par  la  cause  finale,  et  ainsi  des 
autres.  C'est  pour  cela  qu'Aristote  dit,  dans  le  Ier  livre  Posteriorum, 
que  la  définition  est  ou  la  conclusion  de  la  démonstration,  c'est-à-dire 
quand  elle  se  fait  par  une  cause  de  telle  sorte  qu'on  peut  conclure  de 
la  définition  ce  qui  se  fait  par  une  autre  cause ,  ou  le  principe  de  la 
démonstration,  savoir  quand  elle  se  fait  au  contraire  par  la  cause  qui 
est  la  raison  et  la  cause  probante  d'une  autre ,  ou  c'est  une  démons- 
tration différant  seulement  par  la  position  ou  l'ordre ,  c'est-à-dire 
quand  elle  renferme  ces  deux  causes.  Ainsi  s'explique  ce  qui  con- 
cerne les  parties  de  la  définition  de  la  démonstration  que  contient  sa 
matière. 


rum  causarum,  scilicet  materialis  et  efii- 
cientis.  Subjectum  enim,  ut  dictum  est, 
comparatur  ad  propriam  passionem  et  ut 
subjectum,  et  ut  efficiens,  et  eodem  modo 
se  habet  difflnitio  subjecti  respectu  passic- 
nis.  Sciendum  quod  quia  causa?  habent  or- 
dinem  ad  invicem ,  ex  una  sumitur  ratio 
alterius.  Ex  forma  enim  sumitur  ratio  ma- 
teria?, quia  talem  oportet  esse  materiam, 
qualem  forma  requirit.  Efficiens  autem  est 
ratio  forma?  :  quia  enim  omne  agens  agit 
sibi  simile,  oportet  quod  secundum  modum 
agentis  sit  modus  forma?  quse  ex  actione 
sequitur.  Ex  fine  vero  sumitur  ratio  effi- 
cientis,  quia  omne  agens  agit  propter  fi- 
nem,  oportet  ergo  quod  diffînitio  quae  su- 
mitur a  sive,  sit  ratio  et  causa  probativa 
aliarum  diffinitionum ,  quae  sumuntur  ex 


aliis  causis,  et  quae  sumitur  ab  agente  alia- 
rum duarum,  et  quae  sumitur  a  forma 
ejusqua?  sumitur  a  materia  :  ideo  diffînitio 
quae  sumitur  a  materia,  potest  demonstrari 
percausam  finalem,  et  sic  de  anis.  Et  prop- 
ter hoc  dicit  Philosophus  I  Posteriorum, 
quod  diffînitio  vel  est  conclusio  demonstra- 
tionis,  scilicet  quando  est  per  talem  cau- 
sam  ,  quae  concludi  possit  ex  diffinitione  , 
quae  fiant  per  aliam  causam  :  vel  est  prin- 
cipium  demonstrationis,  scilicet  quando  est 
e  converso  ex  causa  quae  sit  ratio,  et  causa 
probativa  alterius  :  vel  est  demonstratio 
sola  positione,  seu  ordinatione  differens, 
scilicet  quando  taies  duas  causas  compre- 
hendit.  Et  sic  patet  de  partibus  difflni- 
tionis  demonstrationis,  quas  commet  ejus 
materia. 


te 


SUR    LA    LOGIQUE    D  ARISTOTE. 


339 


CHAPITRE  IX. 

Que  la  démonstration  principale  affirmative  ne  se  fait  que  dans  la 
première  figure  et  dans  son  premier  mode. 

Il  nous  reste  à  parler  maintenant  de  la  forme;  car  dans  sa  définition 
nous  avons  dit  qu'elle  est  un  syllogisme.  Sur  quoi  il  faut  remarquer 
que  la  démonstration  est  quelquefois  affirmative  et  quelquefois  néga- 
tive. Parmi  les  démonstrations  tant  affirmatives  que  négatives,  quel- 
ques-unes sont  principales,  d'autres  ne  le  sont  pas.  On  appelle  prin- 
cipales celles  dans  lesquelles  on  observe  sans  rien  omettre  tout  ce  qui 
a  été  dit  de  la  démonstration;  si  en  effet  on  omettoit  quelque  chose , 
ce  ne  seroit  plus  une  démonstration  principale.  C'est  pourquoi  il  faut 
considérer  dans  quelles  figures  se  font  les  démonstrations  principales 
et  d'abord  les  affirmatives.  Il  faut  savoir  que  la  démonstration  prin- 
cipale affirmative  ne  doit  se  faire  que  dans  la  première  figure  et  dans 
son  premier  mode,  ce  que  l'on  peut  rendre  évident  de  cette  manière. 
En  effet  dans  cette  figure  et  dans  son  mode,  la  démonstration  doit  se 
faire  en  raison  de  ce  qui  présente  un  moyen  qui  est  la  cause  de  la 
passion  et  du  sujet,  de  sorte  que  les  prémisses  soientper  se  telles  que 
le  moyen  puisse  y  être  assigné  comme  cause  de  la  passion  et  du  sujet; 
mais  cela  ne  peut  se  faire  .que  dans  la  première  figure.  Car  dans  la 
seconde  figure  il  n'y  a  pas  de  conclusion  affirmative;  dans  la  troisième 
figure ,  quoi  qu'il  puisse  y  avoir  une  conclusion  affirmative ,  néan- 
moins comme  le  moyen  des  deux  propositions  est  une  subjection  dans 
la  mineure  ou  le  sujet  se  diroit  de  sa  définition,  il  ne  pourrait  y  avoir 
de  prédication  dans  quelque  mode  de  dire  per  se,  ce  qui  n'arrive  pas 


CAPUT  IX. 

Quod  demonslratio  potissimi  affirmativa  sit 
solum  in  prima  figura ,  et  in  primo  modo 
ejus. 

Nunc  restât  dicere  de  ejus  forma.  Nara 
in  ejus  diffinitione  dictum  est  quod  est  syl- 
logismus.  Ubi  nota,  quod  demonstratio  ali- 
quando  est  affirmativa,  aliquando  nega- 
tiva.  Demonstrationum  autem  tam  affir- 
mativarum,  quam  negativarum  quœdam 
sunt  potissimœ  ,  quœdam  vero  non  potis- 
simœ. Potissimœ  dicuntur  illœ,  in  quibus 
observantur  omnia  illa  quœ  de  demonstra- 
tione  dicta  sunt  nuilo  omisso  :  si  vero  ali- 
quid  omitteretur ,  non  esset  potissima. 
Unde  videndum  est  in  quibus  figuris  liant 
demonstrationes  potissimœ,  et  primo  affir- 
mative.  Sciendum  quod  demonstratio  po- 


tissima affirmativa  débet  fieri  solum  in 
prima  figura,  et  in  primo  modo  ejus  :  quod 
sic  potest  patere.  Nam  in  ea  figura,  et  in 
eo  modo  ejus  demonstratio  débet  fieri 
propter  quid,  ubi  médium  est  causa  pas- 
sionis  et  subjecti ,  ita  quod  prœmissœ  sint 
per  se,  in  quibus  convenienter  potest  mé- 
dium assignari  causa  passionis  et  subjecti, 
sed  hoc  non  potest  fieri  nisi  in  prima  fi- 
gura. Nam  in  secunda  figura  non  concludi- 
tur  affirmativa  :  in  tertia  vero  figura  etsi 
concludi  potest  affirmativa,  tamen  quia 
médium  in  utraque  propositione  sub- 
jicitur  in  minori  propositione,  in  qua 
subjectum  prœdicaretur  de  sua  diffinitione, 
non  posset  praedicatio  in  aliquo  modo  di- 
cendi  per  se,  quod  non  contingit  in  prima 
figura,  in  qua  in  minori  propositione  prœ- 
dicatur  dillinitio  de  subjecto,  ut  dictum 


340  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    10. 

dans  la  première  figure  où  ,  comme  nous  l'avons  dit,  la  définition  se 
dit  du  sujet  dans  la  mineure.  Donc  ce  n'est  que  dans  la  première 
figure  que  se  fait  la  démonstration  principale  affirmative.  Elle  doit 
aussi  se  faire  dans  son  premier  mode,  car,  comme  nous  l'ayons  dit 
dans  la  démonstration  principale  dici  de  omni  se  conserve  tant  dans 
les  prémisses  que  dans  la  conclusion,  comme  aussi  le  primum,  ce  qui 
ne  pourroit  se  faire  sans  qu'elles  fussent  toutes  universelles;  mais  cela 
ne  se  fait  que  dans  le  premier  mode  de  la  première  figure.  Donc  ce 
n'est  que  dans  ce  mode  que  peut  se  faire  la  démonstration  principale. 
Quant  à  celles  qui  ne  sont  pas  principales ,  elles  peuvent  se  faire  et 
dans  le  troisième  mode  de  la  première  figure ,  et  dans  la  troisième 
figure  dans  les  modes  qui  concluent  affirmativement.  On  voit  donc 
dans  quel  mode  et  dans  quelle  figure  peut  se  faire  la  démonstration 
principale  affirmative. 

CHAPITRE  X. 

Que  la  démonstration  principale  négative  doit  se  faire  dans  le  second 
mode  de  la  seconde  figure. 

Pour  savoir  comment  doit  se  faire  la  démonstration  principale  né- 
gative ,  il  faut  considérer  si  cette  démonstration  peut  exister.  Je  dis 
que  ,  bien  que  dans  la  démonstration  négative  il  ne  puisse  y  avoir  ni 
se  conserver  tout  ce  qui  a  été  dit  de  la  démonstration  (car  il  ne  peut 
y  avoir  de  prédication  per  se  dans  la  proposition  négative ,  puisque 
dici per  se  appartient  à  l'affirmative),  il  suffit  cependant  que  dans  cette 
démonstration  les  prémisses  soient  nécessaires  et  immédiates.  Com- 
ment les  affirmatives  et  los  négatives  sont  nécessaires ,  nous  l'avons 
dit  dans  le  Traité  des  syllogismes  ,  et  nous  avons  dit  plus  haut  com- 
ment l'affirmative  est  immédiate.  Il  reste  donc  à  dire  comment  elle 


est  ;  ergoinsola  prima  figura  fit  démonstra- 
tif) potissima  affîrmativa.  Etiam  oportet 
quod  fiât  in  primo  modo  ejus,  ut  enim  su- 
pra dictum  est,  in  demonstratione  potissi- 
ma tam  in  preemissis,  quam  in  conclusione 
salvatur  dici  de  omni  :  et  primum ,  quod 
non  posset  fieri  nisi  omnes  essent  universa- 
les,  sed  hoc  solum  fit  in  primo  modo  pri- 
mée figurée ,  ergo  solum  in  eo  potest  fieri 
demonstratio  potissima.  Domonstrationes 
vero  non  potissimee  possunt  fieri  et  in  ter- 
tio modo  primée  figurée,  et  in  tertia  figura 
in  modis  concludentibus  affirmativam.  Pa- 
tet  ergo  in  qua  figura,  et  in  quo  modo 
potest  iieri  demonstratio  potissima  affirma- 
tiva. 


CAPUT  X. 

Quod  demonstratio  potissima  negaUva  débet 
fieri  in  secundo  modo  secundœ  figures. 

Ad  sciendum  autem  qualiter  debeat  fieri 
demonstratio  potissima  negativa,  videamus 
utruni  talis  demonstratio  possit  esse.  Dico 
quod  licet  in  demonstratione  negativa  non 
possint  esse ,  nec  servari  omnia  supradicta 
de  demonstratione  (non  euim  potest  in 
propositione  negativa aliquid  per  se  preedi- 
cari,  cum  dici  per  se  sit  affirmativee)  ta- 
men  sufficit  in  tali  demonstratione  quod 
preemissee  sint  necessarice  et  immediatee. 
Qualiter  autem  tam  affirmative,  quam 
negativee  sint  necessariee  ,  dictum  est  in 
tractatu  syllogismorum  f  et  qualiter  affir- 
mativa   sit  immediata,  dictum  est  supra. 


SUR   LA   LOGIQUE   d'àRISTOTE.  341 

est  médiate  ou  immédiate.  Il  faut  observer  que  lorsque  une  chose  est 
niée  d'une  autre  et  vice  versa  et  que  l'on  peut  dire  universellement 
d'un  terme  ce  qui  peut  être  nié  de  l'autre,  alors  la  proposition  uni- 
verselle négative  formée  des  deux  premiers  termes  peut  se  démontrer 
par  le  moyen  de  celui  qui  se  dit  universellement  affirmativement  de 
l'autre  terme.  Par  exemple,  l'homme  peut  se  nier  de  la  pierre  et  vice 
versa,  comme,  nul  homme  n'est  pierre,  et  comme  quelque  chose  peut 
se  dire  universellement  de  l'homme,  c'est-à-dire  animal,  car  nous  di- 
sons, tout  homme  est  animal,  pierre  peut  être  niée  de  l'animal,  donc 
cette  proposition ,  savoir  nul  homme  n'est  pierre ,  est  médiate.  Elle 
peut  en  effet  se  prouver  ainsi  par  le  moyen  terme;  nul  animal  n'est 
pierre  ,  tout  homme  est  animal,  donc  nul  homme  n'est  pierre.  Il  en 
résulte  la  même  conséquence  si  l'on  peut  dire  universellement  de  la 
pierre  quelque  chose  qui  puisse  être  nié  de  l'homme ,  ou  de  quoi 
homme  puisse  être  nié,  ce  sera  donc  une  proposition  négative  immé- 
diate, quand  deux  termes  niés  l'un  de  l'autre  seront  tels  que  aucun 
d'eux  n'aura  quelque  chose  qui  se  dise  de  lui  universellement  et  qui 
puisse  être  nié  de  l'autre  terme  ou  de  quoi  l'autre  terme  puisse  être 
nié.  Par  exemple,  nulle  substance  n'est  quantité;  cette  proposition  est 
immédiate,  car  aucun  terme  ne  peut  se  dire  universellement  de  la 
substance  tout  en  étant  nié  de  la  quantité ,  car  être  se  dit  universel- 
lement de  la  substance,  et  n'est  cependant  jjas  nié  de  la  quantité.  De 
même  aussi  deux  définitions  de  deux  espèces  contenues  immédia- 
tement sous  un  genre  quelconque  font  une  proposition  négative  im- 
médiate, comme  celle-ci  :  nul  animal  raisonnable  mortel  n'est  animal 
irraisonnable  mortel ,  car  animal  raisonnable  mortel  est  la  définition 
de  l'homme,  tandis  que  animal  irraisonnable  mortel  est  la  définition 


Restât  ergo  dicere ,  qualiter  «egativa  sit 
mediata,  vel  immediata.  Notandum,  qnod 
quando  aliquid  negatur  de  aliquo,  et 
econverso ,  et  de  altero  termino  aliquid 
potest  universaliter  prœdicari,  de  quo  aller 
terminus  potest  negari ,  tune  propositio 
universalis  negativa  formata  ex  primis  duo- 
bus  terminis,  potest  demonstrari  mediante 
illo  qui  praedicatur  universaliter  affirmati- 
ve de  altero  illorum  terminorum.  Verbi 
gratia  :  Homo  potest  negari  de  lapide ,  et 
econverso,  ut  :  Nullus  hoino  est  lapis,  et 
quia  de  homine  potest  prœdicari  aliquid 
universaliter,  scilicet  animal,  dicimus' 
enim,  omnis  homo  est  animal ,  et  de  ani- 
mali  potest  negari  lapis,  ergo  illa  proposi- 
tio, scilicet  nullus  homo  est  lapis,  est  me- 
diata.  Potest  enim  probari  per  médium 
sic  :  Nullnm  animal  est  lapis;  omnis  homo 
est  animal,  ergo  nullus  homo  est  lapis.  Et 
idem  sequitur,  si  aliquid  potest  prœdicari 


universaliter  de  lapide  quod  possit  negari 
de  homine,  vel  de  quo  posset  homo  ne- 
gari, erit  ergo  propositio  negativa  imme- 
diata quando  duo  termini  negati  ab  invi- 
cem  ita  se  habebunt,  quod  neuter  eorum 
habebit  aliquid  ;  quod  de  ipso  universali- 
ter prœdicetur,  quod  ab  altero  tertnino 
negari  possit,  vel  ille  terminus  ab  eo. 
Verbi  gratia  :  Nulla  substantia  est  quanti- 
tas,  ista  est  immediata,  nullus  enim  termi- 
nus potest  universaliter  prœdicari  de  sub- 
stantia, qui  negetur  de  quantitate,  de  sub- 
stantia enim  praedicatur  universaliter  ens, 
quod  tamen  non  negatur  de  quantitate. 
Similiter  etiam  duae  diffinitioues  duarum 
specierum  sub  aliquo  génère  immédiate 
contentarum,  faciunt  propositionem  nega- 
tivam  immediatam,  ut  est  ista.  Nullum 
animal  rationale  mortale  est  animal  irra- 
tionale  mortale,  animal  enim  rationale 
mortale  est  diffinitio  hominis,  animal  vero 


342  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    10. 

de  la  brute  ,  or  la  brute  et  l'homme  se  trouvent  immédiatement  dans 
animal.  Il  en  sera  de  même  de  deux  différences  opposées  divisant  le 
même  genre,  comme,  rien  de  raisonnable  n'est  irraisonnable.  Il  en 
est  tout  autrement  des  espèces  constituées  par  ces  différences,  comme, 
nul  homme  n'est  brute,  parce  qu'il  y  a  au-dessus  de  l'homme  quelque 
chose  qui  pourroit  être  nié  de  la  brute ,  savoir  raisonnable ,  et  au- 
dessus  de  la  brute  il  y  a  quelque  chose  qui  pourroit  être  nié  de 
l'homme,  savoir  irraisonnable  ;  c'est  pourquoi  elles  sont  immédiates, 
quoique  à  proprement  parler  on  ne  puisse  pas  dire  que  raisonnable  est 
au-dessus  de  l'homme ,  et  irraisonnable  au-dessus  de  la  brute  ,  aussi 
ne  sont-elles  pas  proprement  immédiates.  Ceci  reconnu,  on  peut  savoir 
tout  d'abord  comment  se  fait  la  démonstration  négative,  et  dans 
quelle  figure.  Cette  démonstration  principale  ne  peut  se  faire  clans  la 
troisième  figure,  parce  qu'il  n'y  a  pas  de  conclusion  universelle  néga- 
tive. C'est  pourquoi ,  comme  dans  la  première  et  la  seconde  figure  il 
peut  y  avoir  une  conclusion  universelle  négative  ,  on  peut  faire  dans 
l'une  et  l'autre  une  démonstration  avec  une  conclusion  semblable  ; 
mais  il  n'y  a  que  la  principale  qui  puisse  se  faire  dans  le  second  mode 
de  la  seconde  figure.  La  raison  en  est  que,  quoique  la  science  soit  du 
vrai,  elle  n'est  pas  néanmoins  de  tout  le  vrai,  quelque  argumentation 
que  l'on  fasse  de  propositions  immédiates.  C'est  pourquoi  en  disant, 
toute  habitude  est  une  qualité  ,  toute  vertu  est  habitude ,  donc  toute 
vertu  est  une  qualité  ;  quoique  cette  conclusion  soit  vraie  ,  et  formée 
de  propositions  immédiates,  nécessaires  et  per  se,  néanmoins  cette 
science  ne  sera  pas  produite  per  se.  Il  n'y  a  que  dans  les  démonstra- 
tions affirmatives  que  la  science  est  produite  par  des  conclusions 
vraies,  dont  les  prémisses  sont  vraies  et  immédiates,  et  de  telle  sorte, 
comme  nous  avons  dit ,  que  dans  leurs  conclusions  la  propre  passion 


irrationale  mortale  est  diSinitio  bruti,  bru- 
tnm  autem  et  homo  immédiate  sunt  sub 
animali.  Et  idem  erit  de  duabus  differen- 
tiis  ex  opposito  dividentibus  idem  genus, 
ut  :  Nullum  rationale  est  irrationale.  Secus 
autem  est  de  speciebus  per  illas  diflerentias 
constituas,  ut  :  Nullus  homo  est  brutum, 
quia  supra  hominem  est  aliquid  quod  pos- 
set  negari  de  bruto,  seilicet  rationale,  et 
supra  brutum  est  aliquid  quod  posset  de 
homine  negari,  seilicet  irrationale,  ideo 
sunt  mediatee,  licet  non  proprie  possit  dici 
quod  rationale  sit  supra  hominem  :  nec  ir- 
rationale supra  brutum ,  et  ideo  non  pro- 
prie sunt  mediatse.  His  habitis  statim  po- 
test  sciri  qualiter  fiât  demonstratio  nega- 
tiva,  et  in  qua  figura.  In  tertia  enim  figu- 
ra, quia  non  concluditur  universalis  nega- 
tiva,  in  ea  non  potest  fieri  talis  demonstra- 


tio potissima.  Unde  quia  in  prima,  et 
secunda  figura  potest  concludi  universalis 
negativa,  in  utraque  potest  fieri  talis  de- 
monstratio eam  concludens  :  sed  potissima 
solum  potest  fieri  in  secundo  modo  secun- 
dae  figurée.  Ratio  est,  quia  licet  scientia  sit 
de  vero,  non  tamen  de  omni  vero ,  quan- 
tumeumque  syllogizetur  ex  immediatis. 
Unde  dicendo  sic  :  Omnis  habitus  est  qua- 
litas  :  omnis  virtus  est  habitus,  ergo  omnis 
virtus  est  qualitas,  licet  talis  cottelusio  sit 
vera,  et  ex  veris  immediatis,  et  necessariis, 
et  per  se,  non  tamen  per  se  ea  causabitur 
scientia  :  sed  in  demonstrationibus  affir- 
mativis  solum  causatur  scientia  ex  conclu- 
sionibus  veris,  quarum  prsemissae  sunt  ve- 
rse, et  immediatse,  et  hujusmodi,  ut  dictum 
est,  in  quarum  conclusionibus  pradicatur 
propria  passio    de    subjecto  proprio.    Sic 


SUR   LA.  LOGIQUE    d'aRISTOTE.  343 

se  dise  du  propre  sujet.  De  même  aussi  dans  la  démonstration  néga- 
tive la  science  ne  sera  pas  produite  par  l'habitude  de  sa  conclusion  , 
supposé  que  la  conclusion  soit  vraie  et  se  tire  de  propositions  immé- 
diates ,  à  moins  que  la  propre  passion  ne  soit  vraiement  niée  de  ce 
qui  n'est  pas  son  sujet,  ou  par  ce  qui  n'exprime  pas  sa  cause,  comme 
l'exprime  la  définition  du  sujet  propre ,  et  ce  sera  vraiment  là  une 
démonstration  principale  ;  mais  elle  ne  pourra  être  formée  de  propo- 
sitions immédiates  que  dans  le  second  mode  de  la  seconde  figure  de 
cette  manière  :  tout  ce  qui  a  la  faculté  de  rire  est  un  animal  aspirant 
et  ouvrant  la  bouche  pour  respirer  et  saisir  ce  qui  lui  convient,  mais 
rien  de  ce  qui  est  irraisonnable  n'est  un  tel  animal  pour  l'appréhen- 
sion, donc  rien  de  ce  qui  est  raisonnable  n'a  la  faculté  de  rire.  Il  est 
certain  que  la  majeure  est  immédiate,  car  la  définition  de  la  passion 
et  du  sujet  s'y  dit  de  la  passion  même.  La  mineure  est  immédiate 
aussi,  comme  nous  l'avons  dit.  Dans  la  conclusion  la  passion  est 
écartée  de  ce  qui  n'est  pas  son  sujet.  Or  cela  ne  pourroit  pas  se  faire 
dans  la  première  figure,  ni  dans  le  premier  mode  de  la  seconde  figure. 
En  effet,  si  on  disoit  dans  la  première  figure,  rien  de  ce  qui  est  irrai- 
sonnable n'a  la  faculté  de  rire ,  toute  brute  est  irraisonnable ,  donc 
nulle  brute  n'a  la  faculté  de  rire,  la  majeure  ne  seroit  pas  immédiate. 
Et  si  on  faisoit  un  syllogisme  dans  le  premier  mode  de  la  seconde 
figure,  quoique  les  prémisses  pussent  être  immédiates,  la  conclusion 
ne  se  feroit  pas  néanmoins  en  écartant  la  passion  du  sujet,  mais  bien 
dans  un  sens  contraire  de  cette  manière  :  rien  d'irraisonnable  n'est 
un  animal  raisonnable  ,  mais  tout  ce  qui  a  la  faculté  de  rire  est  un 
animal  raisonnable,  donc  rien  de  ce  qui  a  la  faculté  de  rire  n'est  un 
animal  déraisonnable.  Ou  peut  faire  aussi  une  démonstration  parti- 
culière négative  dans  le  quatrième  mode  de  la  seconde  figure.  Voilà 


etiam  in  demonstratione  negativa  non  cau- 
sabitur  scientia  ex  habitu  ejus  conclusio- 
ns, dato  quod  conclusio  sit  vera,  et  con- 
cludatur  immediatis,  nisi  propria  passio 
vere  negetur  de  eo ,  quod  non  est  sibi  sub- 
jeetum,  vel  ab  eo  quod  non  exprimit  cau- 
sain  suam,  sicut  exprimit  diffinitio  proprii 
subjecti,  et  talis  vere  erit  demonstratio  po- 
tissima  :  heec  autera  non  poterit  fieri  ex 
propositionibus  immediatis,  nisi  in  secundo 
modo  secundae  figura?  sic  :  Omne  risibile 
est  animal  rationale  ad  apprehensionem 
convenientis,  emittens  spiritum  dilatando 
os  :  sed  nullum  irrationale  est  taie  animal 
rationale  ad  apprehensionem,  ergo  nullum 
irrationale  est  risibile.  Gertum  est  quod 
major  est  immediata  :  nam  in  ea  prœdica- 
tur  difïinitio  passionis  et  subjecti  de  ipsa 
passione.  Minor  etiam  est  immediata,   ut 


dictum  est.  In  conclusione  veroremovetur 
passio  ab  eo  quod  non  est  sibi  subjectum  : 
hoc  autem  non  posset  fieri  in  prima  figu- 
ra, nec  in  primo  modo  secundae  figurae.  Si 
enim  in  prima  figura  diceretur  sic  :  Nul- 
lum irrationale  est  risibile  ;  omne  brutum 
est  irrationale,  ergo  nullum  brutum  est  ri- 
sibile, tune  major  non  esset  immediata.  Et 
si  fieret  syllogismus  in  primo  modo  secun- 
dae figurae,  licet  praemissae  possent  esse  im- 
médiates, non  tamen  concluderelur  remo- 
vendo  passionem  a  subjecto,  sed  econverso 
sic.  Nullum  irrationale  est  animal  ratio- 
nale :  sed  omne  risibile  est  animal  ratio- 
nale, ergo  nullum  risibile  est  irrationale. 
Potest  etiam  fieri  demonstratio  particula- 
ris  negativa  in  quarto  modo  secunda;  figu- 
rae. Et  sic  patet  de  forma  demonstratio- 
nis,  in  quibus  figuris  et  modis  fieri  de- 


34 i  OPUSCULE    XEVII  ,    TRAITÉ    1 1 ,    CHAPITRE    1 1 . 

quelle  est  la  forme  de  la  démonstration,  dans  quelles  figures  et  dans 
quels  modes  elle  doit  se  faire.  Tel  est  ce  qui  concerne  la  démonstra- 
tion propter  quid. 

CHAPITRE  XI. 

Que  la  démonstration  quia  procède  de  l'effet  à  la  cause,  ou  des  causes 

éloignées  à  l'effet. 

Nous  allons  parler  maintenant  de  la  démonstration  quia.  Il  faut 
d'abord  examiner  ce  que  l'on  veut  dire  par  ces  mots  propter  quid,  et 
par  celui-ci  quia.  Il  faut  remarquer  que  nous  pouvons  savoir  quatre 
choses  d'une  chose  savoir,  ce  qu'elle  est ,  si  elle  est ,  parce  qu'elle  est, 
pourquoi  elle  est.  Pour  comprendre  cela ,  il  faut  savoir  que  la  science 
ne  se  composant  que  de  vérités,  il  y  a  conversion  entre  le  vrai  et  l'être, 
la  science  roulera  donc  sur  l'être.  Or,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  dans 
les  prédicaments,  on  trouve  dans  les  choses  un  double  être,  savoir  les 
essences,  et  l'être  de  l'existence  actuelle,  et  comme  l'être  de  l'essence 
s'appelle  quiddité  ,  ou  ce  qu'est  la  chose,  aussi  lorsque  nous  connois- 
sons  l'être  de  l'essence  d'une  chose,  nous  disons  que  nous  savons  ce 
qui  en  est  de  cette  chose  :  l'être  de  l'existence  actuelle  est  tout  autre 
dans  la  substance  que  dans  l'accident.  En  effet,  comme  l'être  de  l'ac- 
cident est  l' inesse,  connoître  l'être  de  l'existence  actuelle  du  sujet, 
c'est  savoir  seulement  qu'il  est  actu,  et  c'est  savoir  de  lui  s'il  est; 
mais  connoître  l'être  de  l'existence  actuelle  d'un  accident,  c'est  savoir 
de  \uiquia  est,  d'où  savoir  quia  est  n'est  autre  chose  que  savoir  que 
telle  chose  est  inhérente  à  telle  autre.  Et  comme  quelquefois  une  chose 
est  inhérente  à  une  autre  pour  quelque  cause ,  connoître  cette  cause 
c'est  savoir  propter  quid.  On  voit  donc  que  savoir  d'une  chose  quia 
est ,  c'est  savoir  que  cette  chose  est  inhérente  à  une  autre  tout  en  en 


beat.  Patet  ergo  de  demonstratione  propter 
quid. 

CAPUT  XI. 

Quod  demonslralto  quia,  procedit  ab  affectu 
ad  causant,  vel  a  causis  remotis  ad  a/fec- 
tum. 

Nunc  dicendum  est  de  demonstratione 
quia.  Ubi  primo  videndum  est  quid  signi- 
ficetur  per  hoc  quod  dicitur,  propter  quid, 
et  quid  per  hoc  quod  dicitur,  quia.  Notan- 
dum  quod  de  re  quatuor  scire  possumus, 
scilicet  quid  est,  an  est,  quia  est,  et  pro- 
pter quid  est.  Ad  quae  intelligenda,  scien- 
dum  est  quod  cum  scientia  non  sit  nisi 
verorum,  verum  autem  et  ens  convertun- 
tur,  de  esse  ergo  erit  scientia.  Ut  autem 
dictum  est  in  tractatu  de  prcedieamentis , 


duplex  esse  inveniturin  rébus,  scilicet  es- 
sentiae,  et  esse  actualis  existentiae ,  et  quia 
esse  essentiee  dicitur  quidditas,  seu  quid 
est  res,  ideo  cum  scimus  esse  cssentias  ali- 
cujus  rei,  dicimus  scire  quid  est  de  ipsa  : 
esse  autem  actualis  existentiœ ,  aliter  se 
habet  in  substantia ,  et  aliter  in  accidente. 
Quia  enim  accidentis  esse  est  inesse,  scire 
autem  esse  actualis  existentiae  subjecti,  est 
solum  scire  quod  actu  sit,  et  hoc  est  scire 
de  ipso  an  est  :  sed  scire  de  accidente  esse 
actualis  existentiee,  est  scire  de  ipso,  quia 
est ,  unde  scire  quia  est ,  nihil  aliud  est 
quam  scire  hoc  inesse  huic.  Et  quia  ali- 
quando  aliquid  inest  alicui  propter  aliquam 
causam ,  ideo  scire  illam  causam  est  scire 
propter  quid.  Patet  ergo  quod  scire  quia 
est  de  aliqua  re,  est  scire  ipsam  inesse  ali- 


SUR  LA   LOGIQUE    D'ARISTOTE.  345 

ignorant  la  cause  ;  savoir  propter  quid  c'est  savoir  qu'une  chose  est 
inhérente  à  une  autre ,  en  même  temps  qu'on  en  connoît  la  cause. 
Donc  la  démonstration  propter  quid  est  celle  où  l'on  manifeste  la  cause 
pour  laquelle  le  prédicat  est  inhérent  au  sujet  dans  la  conclusion.  Quoi- 
que l'on  dise  que  cette  démonstration  est  celle  où  l'on  conclut  qu'une 
chose  est  inhérente  à  quelque  sujet,  ou  n'en  assigne  pas  néanmoins  la 
raison.  Or,  comme  on  l'a  dit  plus  haut,  il  est  requis  pour  la  démon- 
stration propter  quid  qu'elle  procède  de  causes  et  de  choses  immé- 
diates ;  il  ne  suffit  pas ,  en  effet ,  de  connoître  une  cause  ,  il  faut  en- 
core savoir  quelle  est  la  cause  de  ce  que  l'on  fait ,  si  elle  est  cause  im- 
médiate. La  démonstration  quia  sera  donc  telle  ou  parce  qu'elle  ne 
procède  pas  de  causes,  ou  parce  qu'elle  ne  procède  pas  de  choses  immé- 
diates, mais  de  causes  éloignées.  Quant  au  premier  point  il  faut  savoir, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit,  que  la  démonstration  est  une  cause  de  co- 
gnition ,  c'est-à-dire  un  moyen  de  connoître  une  conclusion  par  les 
prémisses  :  or  cela  ne  pourroit  avoir  lieu  si  les  prémisses  ne  nous 
étoient  pas  plus  connues,  il  est  en  conséquence  nécessaire  que  la  dé- 
monstration procède  de  choses  plus  connues  par  rapport  à  nous.  Il 
arrive  quelquefois  que  l'effet  immédiat  nous  est  plus  connu  que  la 
cause,  c'est  pourquoi  en  pareil  cas  il  est  nécessaire  que  la  démon- 
stration procède  de  l'effet  à  la  cause.  Par  exemple,  se  mouvoir  et  sentir 
c'est  un  effet  immédiat  de  tout  être  qui  a  une  ame  sensitive,  et  il  nous  est 
plus  connu  qu'une  chose  ait  le  mouvement  et  le  sentiment,  parce  que 
nous  le  sentons,  que  le  fait  d'avoir  une  ame  sensitive;  par  conséquent 
en  procédant  ainsi ,  tout  ce  qui  se  meut  et  sent  a  une  ame  sensitive , 
mais  tout  animal  se  meut  et  sent,  donc  tout  animal  a  une  ame  sensi- 
tive ,  on  conclut  de  l'animal  qu'il  a  une  ame  sensitive ,  non  cependant 


cui  ignorando  causam  quare  insit  :  scire 
autem  propter  quid,  est  scire  aliquam  rem 
inesse  alicui,  et  scire  causam  quare  sibi  in- 
sit. Demonstratio  ergo  propter  quid  est  illa, 
in  qua  manifestatur  causa  quare  praedica- 
tum  inest  subjecto  in  conclusions  De- 
monstratio vero  quia  dicitur  illa,  in  qua 
concluditur  aliquid  inesse  subjecto  alicui, 
non  tarnen  assignatur  causa  quare  sibi  inest. 
Ut  autem  dictum  est  supra,  ad  demonstra- 
tionem  propter  quid  requiritur  quod  procé- 
dât ex  causis,  et  ex  immediatis  :  non  enim 
suflicit  scire  causam,  sed  quoniam  est  causa 
ejus  quod  scitur,  si  erit  causa  immediata. 
Demonstratio  ergo  quia,  erit  vel  quia  non 
procedit  ex  causis,  vel  quia  non  procedit 
ex  immediatis,  sed  ex  causis  remotis. 
Quantum  ad  primum,  sciendum  quod  ut 
dictum  est,  demonstratio  dicitur  causa  in- 
notescendi,  scilicet  ut  per  praemissas  nobis 


innotescat  conclusio  :  hoc  autem  lieri  non 
posset.  nisi  prœmissse  essent  nobis  magis 
notœ,  et  ideo  hoc  est  necessarium,  ut  scili- 
cet demonstratio  procédât  ex  notioribus 
quo  ad  nos.  Contingit  autem  aliquando,  ut 
immediatus  effectus  sit  nobis  magis  notus 
quam  causa,  ideo  in  talibus  oportet  de- 
monstrationem  procedere  ab  effectu  ad 
causam.  Verbi  gratia,  moveri  et  sentire  est 
immediatus  effectus  habentis  animam  sen- 
rsitivam,  et  est  magis  notum  nobis  quod 
aliquid  moveatur,  et  sentiat,  quia  hocsen- 
timus,  quam  hoc  quod  habeat  animam 
sensitivam  :  et  ideo  si  procedatur  sic  :  Omne 
quod  movetur  et  sentit,  habet  animam 
sensitivam  ;  sed  omne  animal  movetur  et 
sentit,  ergo  omne  animal  habet  animam 
sensitivam.  Modo  concluditur  de  animali, 
quod  habet  animam  sensitivam,  non  tamen 
per  causam,  sed  per  effectum,  qui  est  me- 


346  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    H,    CHAPITRE    11. 

par  la  cause ,  mais  par  l'effet  qui  est  de  se  mouvoir  et  de  sentir.  Mais 
si  l'on  faisoit  une  démonstration  et  une  conclusion ,  ce  seroit  une  dé- 
monstration propter  quid  de  cette  manière  :  tout  ce  qui  a  une  ame 
sensitive  se  meut  et  sent,  mais  tout  animal  a  une  ame  sensitive,  donc 
tout  animal  se  meut  et  sent.  Il  faut  savoir  que  ces  démonstrations  quia 
sont  quelquefois  dans  des  termes  tels  qu'elles  sont  convertibles  entre 
elles,  comme  le  moyen  terme,  le  grand  extrême  et  le  petit  extrême  , 
ainsi  que  dans  les  termes  précédents.  Car  tout  animal  se  meut,  sent 
et  a  une  ame  sensitive  ,  et  tout  ce  qui  se  meut  et  sent  et  a  une  ame 
sensitive  est  animal ,  et  tout  ce  qui  a  une  ame  sensitive  est  animal , 
se  meut  et  sent,  et  c'est  dans  ces  termes  que  se  font  les  démonstrations 
universelles.  D'autres  fois  il  arrive  que  le  moyen  terme,  savoir  l'effet 
se  mouvoir  et  sentir  ont  plus  d'extension  que  le  petit  extrême,  et 
néanmoins  on.  fait  encore  un  syllogisme  ou  une  démonstration  conve- 
nable de  cette  manière ,  tout  ce  qui  se  meut  et  sent  a  une  ame  sensi- 
tive ,  mais  tout  homme  se  meut  et  sent ,  donc  tout  homme  a  une  ame 
sensitive,  homme  en  effet  a  moins  d'extension  que  tout  ce  qui  se  meut 
et  sent.  Mais  si  le  moyen  terme  a  moins  d'extension  que  le  petit 
extrême  ,  il  n'y  a  pas  de  démonstration  de  cette  manière;  tout  ce  qui 
se  meut  et  sent  a  une  ame  sensitive,  tout  corps  se  meut  et  sent;  cette 
démonstration  est  fausse.  Au  contraire,  si  le  moyen  terme  a  moins 
d'étendue  que  le  grand  extrême ,  la  démonstration  se  fait  de  cette 
manière  :  tout  ce  qui  se  meut  et  sent  est  corps  ;  tout  animal  se  meut 
et  sent,  donc  tout  animal  est  corps.  Mais  si  le  moyen  terme  a  plus 
d'étendue  que  le  grand  extrême,  il  n'y  a  pas  de  démonstration.  Ef- 
fectivement, d'un  effet  qui  se  trouve  dans  plusieurs  causes  on  n'en 
peut  pas  conclure  pour  une  seule;  du  mouvement  et  de  la  sensibilité 


veri  et  sentire.  Si  vero  fieret  demonstratio 
et  conclusio  propter  quid  sic  :  Omne  habens 
animam  sensitivam  movetur  et  sentit  •.  sed 
omne  animal  habet  animam  sensitivam,  ergo 
omne  animal  movetur  et  sentit.  Sciendum 
quod  taies  demonstrationes,  quia,  ali- 
quando  sunt  in  talibus  terminis  quse  omnes 
sunt  convertibiles  inter  se,  scilicet  mé- 
dium, major  extremitas,  et  minor  extremi- 
tas,  sicut  est  in  terminis  praedictis.  Omne 
enim  animal  movetur,  et  sentit,  et  habet 
animam  sensitivam,  et  omne  quod  movetur 
et  sentit ,  et  habet  animam  sensitivam  est 
animal ,  et  omne  quod  habet  animam 
sensitivam  est  animal ,  et  movetur ,  et 
sentit ,  et  in  talibus  terminis  fiunt  de- 
monstrationes universales.  Aliquando  au- 
tem  accidit,  quod  médium  scilicet  efteotus, 
puta  moveri  et  sentire ,  se  habent  in  plus 
quam  minor  extremitas,  et  adhuc  fit  syllo- 
gismus,  sive  demonstratio  conveniens  sic  : 


Omne  quod  movetur  et  sentit,  habet  ani- 
mam sensitivam  :  sed  omnis  homo  move- 
tur et  sentit,  ergo  omnis  homo  habet  ani- 
mam sensitivam ,  homo  enim  in  minus  se 
habet,  quam  quod  movetur  sentit.  Si  vero 
médium  in  minus  se  habet  quam  minor 
extremitas,  non  sit  demonstratio  sic  :  Omne 
quod  movetur  et  sentit,  habet  animam 
sensitivam  :  omne  corpus  movetur  et  sen- 
tit, haec  est  falsa.  Econtrario  autem  si  mé- 
dium se  habet  in  minus  quam  major  ex- 
tremitas, fit  demonstratio  sic  :  Omne  quod 
movetur  et  sentit,  est  corpus  ;  omne  ani- 
mal movetur  et  sentit,  ergo  omne  animal 
est  corpus.  Si  vero  médium  in  plus  se  ha- 
bet quam  major  extremitas ,  non  fit  de- 
monstratio. Ex  effectu  enim  qui  est  in 
pluribus  causis,  non  potest  concludi  una 
causa  sic,  ex  moveri  et  sentire  non  posset 
concludi  rationale.  Patet  ergo  de  demons- 
tratione  quia,  qua?  procedit   ab  effectu  ad 


SUR   LA   LOGIQUE   D'ARISTOTE.  347 

on  ne  peut  conclure  la  rationalité.  On  voit  donc  ce  que  c'est  que  la 
démonstration  quia  qui  procède  de  l'effet  pour  conclure  la  cause.  La 
démonstration  quia  procède  de  causes  éloignées  dans  la  même  science 
et  dans  diverses  choses.  Dans  la  même  science,  comme  la  démonstration 
d'Anacharsis  ainsi  conçue  :  où  il  n'y  a  pas  de  vignes ,  il  n'y  a  pas 
d'histrions  et  de  chanteurs;  or  chez  les  Scythes  il  n'y  a  pas  de  vignes, 
donc  il  n'y  a  chez  les  Scythes  ni  histrions  ni  chanteurs.  Certes,  quoique 
les  vignes  soient  la  cause  du  chant ,  c'est  cependant  une  cause  hien 
éloignée.  Car  les  vignes  sont  la  cause  des  raisins  ,  les  raisins  la  cause 
du  vin  ,  le  vin  la  cause  de  la  joie,  et  la  joie  la  cause  du  chant;  il  est 
certain  que  cette  démonstration  est  une  démonstration  quia.  En  effet, 
en  démontrant  de  cette  manière  nous  ne  pouvons  pas  connoître  par 
une  cause  immédiate  pourquoi  les  Scythes  ne  chantent  pas,  mais  par 
le  moyen  de  plusieurs  autres  démonstrations  intermédiaires,  de  cette 
manière  par  cette  démonstration  on  ne  fait  pas  propter  quid ,  mais 
bien  quia,  etc.. 

CHAPITRE  XII. 

Que  dans  une  démonstration  il  y  a  quelque  chose  de  connu  avant  la  con- 
clusion, et  quelque  chose  après  que  la  démonstration  est  faite. 

Pour  comprendre  comment  la  démonstration  quia  se  fait  dans  les 
autres  sciences ,  il  faut  savoir  que  dans  toute  démonstration ,  quelle 
que  soit  la  science  où  elle  se  fait ,  avant  que  la  conclusion  soit  tirée , 
il  y  a  quelque  chose  que  nous  savons  d'avance ,  et  quelque  chose  que 
nous  ne  savons  qu'après.  En  effet,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  il  y  a 
trois  termes  dans  la  démonstration,  savoir  le  sujet,  la  passion  et  la 
définition  de  l'un  et  de  l'autre ,  laquelle  est  le  moyen  terme  ;  il  y  a 
aussi  en  elle  les  premiers  principes  ou  les  dignités  en  vertu.  C'est 


concludendum  causam.  Ex  causis  autem 
remotis  procedit  demonstratio  quia  in  ea- 
dem  scientia,  et  in  diversis.  In  eadem 
scientia,  sicut  demonstratio  Anacharisidis, 
quœ  talis  fuit.  Ubicnuque  non  sunt  vites, 
non  sunt  sibyllatores,  seu  cantores  :  sed 
apud  Scythas  non  sunt  vîtes ,  ergo  apud 
Scythas  non  sunt  sibyllatores.,  seu  canto- 
res. Certe  licet  vites  sint  causa  cantus,  ta- 
men  sunt  causa  multum  remota.  Vites 
enim  sunt  causa  uvarum,  quœ  vero  sunt 
causa  vini,  vinum  autem  causa  est  lœti- 
tiœ,  et  lœtitia  est  causa  cantus,  certum  est 
quod  talis  demonstratio,  est  quia.  Non 
enim  demonstrando  cognoscere  possumus 
per  causam  immediatam,  quare  Scythe' 
non  cantant  :  sed  per  multas  alias  demons- 
trationes    intermedias  factas,   et  sic    per 


eam  nescitur  propter  quid  ,  sed  quia,  etc. 

CAPUT  XII. 

Quod  in  démon  sir  alione  aliqua  sunt  prœco- 
gnila  anle  conclusionem  ,  et  aliqua  sunt 
cognila  postquam  demonslrata  est. 

Ad  cognoscendum  autem  qualiter  fiât 
demonstratio ,  quia ,  in  aliis  scientiis  : 
sciendum  est  quod  in  qualibet  demonstra- 
tione  in  quacumque  scientia,  fiât,  ante- 
quam  conclusio  demonstretur ,  aliquid 
praescimus,  et  aliquid  de  ea  scimus  post- 
quam demonstrata  est.  Ut  enim  dictum 
est,  in  demonstratione  sunt  très  termini, 
scilicet  subjectum,  passio,  et  diffînitio 
utriusque,  quœ  est  médium,  et  sunt  in  ea 
prima  principia,  seu  dignitates  in  virtute. 


348  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    12. 

pourquoi  avant  de  démontrer  nous  savons  d'abord  à  l'égard  des 
dignités  qu'elles  sont  vraies.  Les  choses  complexes  ne  peuvent  se  dé- 
finir, or  les  dignités  étant  complexes  ne  peuvent  se  définir;  nous  ne 
pouvons  donc  pas  savoir  ce  qu'elles  sont,  ni  par  conséquent  ce  qu'il 
en  est  d'elles  avant  la  démonstration.  Mais  nous  savons  d'elles  quelles 
sont;  elles  doivent  en  effet  être  tenues  pour  vraies,  car  elles  sont 
tellement  connues  par  la  lumière  de  la  raison  naturelle  que ,  les 
termes  connus  ,  nous  connoissons  qu'elles  sont  vraies,  comme  il  a  été 
dit;  mais  nous  ne  savons  pas  relativement  à  elles  propter  quid,  puis- 
qu'elles sont  les  premières  conceptions  de  l'esprit.  Quant  à  la  passion, 
nous  savons  d'avance  ce  quelle  est,  parce  qu'elle  a  une  définition  qu'il 
faut  connoître  préalablement  avant  de  faire  la  démonstration.  En  effet, 
si  celui  qui  démontre  ne  connoît  d'abord  le  moyen  terme ,  il  ne 
pourra  jamais  argumenter;  or  dans  la  démonstration  le  moyen  est  la 
définition  du  sujet  et  de  la  passion.  Pour  la  passion,  nous  ne  pouvons 
pas  savoir  d'avance  quia  est ,  c'est-à-dire  l'être  de  son  existence 
actuelle.  Effectivement,  l'être  de  l'accident  étant  Yinesse,  savoir  d'a- 
vance qu'elle  inhère,  c'est  connoître  l'être  de  son  existence  actuelle  , 
et  ainsi ,  avant  de  la  démontrer,  nous  connoîtrions  sa  démonstration. 
Car  la  démonstration  ne  démontre  autre  chose ,  sinon  que  la  passion 
est  inhérente  au  sujet ,  comme  il  a  été  dit  :  or  cela  est  faux.  Donc  nous 
ne  savons  pas  d'abord  à  son  égard  quia  est.  Pour  ce  qui  est  du  sujet , 
nous  savons  d'avance  ce  qu'il  est;  car  par  rapport  à  lui ,  ce  qui  n'est 
pas  encore  actu  peut  être  connu  ,  je  dis  actu  tant  en  lui-même  que 
dans  ses  causes.  En  effet,  quoique  la  rose  n'existe  pas  encore  actuy 
comme  néanmoins  elle  existe  dans  sa  cause,  nous  pouvons  démontrer 
quelque  passion  à  son  sujet.  On  voit  donc  ce  qui  est  préalablement 
connu  dans  la  démonstration,  et  ce  que  nous  savons  d'elle  après 


Unde  antequam  demonstremus,  praescimus 
de  dignitatibus,  quia  verse  sunt.  Non  enim 
possunt  complexa  diffiniri ,  cum  autem  di- 
gnitates  sint  complexa;,  ergo  non  possunt 
difïiniri,  de  eis  ergo  non  possumus  scire 
quid  sunt,  nec  per  consequens  ante  de- 
monstrationem  praescire  quid  est  de  ipsis  : 
sed  praescimus  de  eis  quia  sunt,  debent 
enim  credi  esse  vera ,  ita  enim  sunt  nota 
lumine  naturalis  rationis,  quod  cognitis 
terminis  coguoscimus,  quia  vera  sunt,  ut 
supra  dictum  est,  nec  scimus  de  eis  propter 
quid,  cum  sint  primée  animi  conceptiones. 
De  passione  autem  praescimus  quid  est, 
quia  dillinitionem  habet,  quam  oportetpne- 
cognoscere  antequam  iîat  demonstratio. 
Nisi  enim  demonstrator  preesciat  médium, 
nunquam  syllogizabit ,  médium  autem  in 
demonstratione  est  difiinitio  subjecti  et 
passionis.  De  ipsa  passione  autem  non  pos- 


sumus praescire  quia  est  scilicet  esse  actua- 
lis  existentiae  ipsius.  Cum  enim  accidentis 
esse  sit  inesse ,  praescire  illam  inesse ,  est 
scire  ipsius  esse  actualis  existentiae,  et  sic 
antequam  demonstremus  eam,  sciremus 
demonstrationem  ipsius.  Nam  demonstratio 
nihil  aliud  ostendit,  nisi  passionem  inesse 
subjecto,  ut  dictum  est  :  hoc  autem  est 
falsum,  non  ergo  de  ea  praescimus  quia  est. 
De  subjecto  autem  praescimus  quid  est, 
quia  jam  oportet  praescire  médium,  ut  dic- 
tum est,  ejus  autem  difiinitio  simul  cum 
dillinitione  passionis  est  médium.  Praesci- 
mus etiam  de  ipso  quia  est ,  de  ipso  enim 
quod  acctu  non  est ,  sciri  potest ,  et  dico 
esse  actu  tam  in  se,  quam  in  suis  causis. 
Licet  enim  rosa  jam  actu  non  sit,  quia  ta- 
men  est  in  causa  sua,  possumus  de  ipsa  ali- 
quatn  passionem  demonstrare.  Patel  ergo 
quid  in  demonstratione  praescimus  :  quid 


SUR    LA.    LOGIQUE    d'arISTOTE.  349 

qu'elle  a  été  faite.  Pour  le  concevoir  clairement,  il  faut  observer  que 
dans  la  démonstration  il  y  a  des  prémisses  et  une  conclusion.  Or  ou 
les  prémisses  sont  premières  dans  la  science ,  ou  secondaires.  Par 
exemple  ,  dans  la  science  des  animaux  ,  le  premier  principe  est ,  tout 
corps  animé  sensible  se  meut  et  sent  ;  il  n'y  a  rien  d'antérieur  à  ce 
principe ,  et  l'universalité  dans  la  même  science ,  si  ce  n'est  les  di- 
gnités ,  lesquelles ,  comme  il  a  été  dit ,  n'entrent  pas  actu  dans  la  dé- 
monstration ;  aussi  ne  sont-elles  pas  contenues  dans  la  même  science 
mais  dans  une  science  commune.  Les  principes  secondaires  sont  ceux 
qui  sont  démontrés  par  les  premiers  ;  ce  sont  d'abord  des  conclusions, 
ensuite  ils  sont  pris  pour  principes  dans  la  même  scieiîce ,  pour 
démontrer  d'autres  choses.  Par  exemple,  je  fais  d'abord  une  première 
démonstration  de  cette  manière  :  tout  corps  animé  sensible  se  meut 
et  sent ,  tout  animal  est  un  corps  de  ce  genre  ,  donc  tout  animal  se 
meut  et  sent.  Ensuite  ,  je  prends  cette  conclusion  et  j'en  fais  une  pré- 
misse de  cette  manière  :  tout  animal  se  meut  et  sent ,  tout  homme  est 
animal ,  donc  tout  homme  se  meut  et  sent.  C'est  là  un  principe  secon- 
daire. Relativement  aux  premiers  principes  dans  la  science ,  on  sait 
seulement  qu'ils  existent.  Car  si  on  savoit  propter  quid  sunt,  il  fau- 
drait le  démontrer,  ce  qui  ne  pourroit  se  faire  que  par  des  principes 
antérieurs ,  ce  qui  prouverait  qu'ils  n'étoient  pas  premiers  principes. 
Mais  en  supposant  qu'ils  étoient  premiers  principes ,  il  s'ensuit  qu'on 
ne  peut  savoir  d'eux  dans  cette  science  propter  quod  surit.  En  consé- 
quence ,  on  dit  communément  qu'aucune  science  ne  prouve  ses  prin- 
cipes; mais  s'ils  doivent  être  prouvés,  on  le  fait  par  une  science  supé- 
rieure, comme  la  science  naturelle  prouve  les  principes  de  la  science 
des  animaux.  Car  la  science,  naturelle  traite  de  tout  corps  mobile. 
Tout  au  moins  on  peut  les  prouver  par  la  science  mathématique  ou 


autem  de  ipsa  scimus  post  quam  facta  est. 
Ad  hoc  videndum ,  nota  quod  in  demons- 
tratione  sunt  praemissse ,  et  est  conclusio. 
Prsemissae  autem  vel  sunt  primœ  in  scien- 
tia, vel  sunt  secundariee.  Verbi  gratia  :  in 
scientia  de  animalibus  primum  principium 
est  :  Omne  corpus  animatum  sensibile  mo- 
vetur, et  sentit,  supra  istud  principium  nul- 
lum  invenitur  prius;  et  universalitas  in  ea- 
dem  scientia,  niai  dignitates,  quae  ut  dic- 
tum  est,  non  actu  intraut  demonstratio- 
nem ,  unde  non  continentur  in  eadem 
scientia ,  sed  in  scientia  communi.  Secun- 
daria  vero  principia  sunt  quae  per  prima 
demonstrantur,  et  sunt  primo  conclusiones, 
postea  in  eadem  scientia  sumuntur  ut  prin- 
cipia ad  demonstrandum  alia.  Verbi  gra- 
tia, facio  primam  demonstrationem  sic  : 
Omne  corpus  animatum  sensibile  movetur 


et  sentit.  Postea  accipio  istam  conclusio- 
nem,  et  facio  eam  prcemissam  sic  :  Omne 
animal  movetur  et  sentit  ;  omnis  homo  est 
animal,  ergo  omnis  homo  movetur  et  sen- 
tit. Istud  dicitur  principfum  secundarium. 
De  primis  autem  principiis  in  scientia  sci- 
tur  solum,  quia  sunt.  Si  enim  sciretur 
propter  quid  sunt,  oportet  demonstrari, 
quod  non  posset  fieri  nisi  per  aliqua  priora, 
non  ergo  fuissent  prima  ;  sed  suppositum 
est,  quod  erant  prima;  ergo  de  eis  non  po- 
test  sciri  propter  quod  sunt  in  ista  scientia. 
Et  propter  hoc  communiter  dicitur,  quod 
nulla  scientia  probat  sua  principia;  sed  si 
probari  debent,  probantur  per  scientiam 
superiorem,  sicut  naturalis  scientia  probat 
principia  scientiae  de  animalibus.  Est  enim 
naturalis  de  omni  corpore  mobili.  Vel  ad 
minus  possunt  probari  per  mathematicam 


350  OPUSCULE    XLVII,    TRAITÉ    il,    CHAPITRE    12. 

par  la  dialectique  qui  sont  des  sciences  communes  à  tout ,  et  qui 
prouvent  les  principes  de  toutes  les  sciences  ;  mais  la  science  mathé- 
matique prouve  démonstrativement,  la  dialectique  d'une  manière  pro- 
bable ou  opinative.  Relativement  aux  principes  secondaires  ,  dans  la 
science  on  connoît  le  propter  quid ,  car  ces  principes  sont  prouvés 
ailleurs,  ainsi  qu'on  l'a  dit.  On  voit  donc  ce  que  nous  savons  des  prin- 
cipes dans  la  démonstration.  Pour  la  conclusion  dans  la  démonstration 
propter  quid,  nous  connoissons  le  propter  quid.  Mais  dans  la  dé- 
monstration quia,  nous  ignorons  propter  quid,  parce  que  ou  le 
moyen  terme  n'est  pas  la  cause,  mais  l'effet  de  la  conclusion ,  comme 
on  l'a  dit,' ou  porte  qu'il  en  est  la  cause  éloignée.  Remarquez  que  deux 
sciences  peuvent  s'occuper  du  même  sujet ,  l'une  formellement  et 
l'autre  naturellement,  comme  la  géométrie  traite  de  la  ligne  formel- 
lement ,  et  la  perspective  traite  de  la  ligne ,  non  comme  ligne  ,  mais 
comme  visuelle.  C'est  pourquoi  en  démontrant  quelque  chose  de  la 
ligne  visuelle  par  les  principes  de  la  ligne  en  tant  que  ligne ,  pour 
cette  conclusion  le  géomètre  connoîtroit  le  propter  quid  ,  et  le  dessi- 
nateur saurait  seulement  quia.  Par  exemple,  faisons  cette  démonstra- 
tion :  toute  longueur  sans  largeur  où  le  milieu  est  semblable  aux  ex- 
trémités est  droite  ,  mais  une  ligne  qui  passe  par  une  table  carrée  est 
une  longueur  de  ce  genre ,  donc  la  ligne  des  tables  carrées  est  droite. 
Dans  cette  conclusion  le  géomètre  connoît  le  propter  quid,  parce  qu'il 
sait  la  cause  de  la  rectitude  des  lignes  ;  mais  le  dessinateur  la  suppose, 
parce  qu'il  en  ignore  la  cause  ,  et  par  conséquent  il  connoît  le  quia  , 
et  non  le  propter  quid ,  et  ainsi  des  autres.  Alors  la  science  inférieure 
s'appelle  subalterne  ,  parce  qu'elle  est  matérielle,  et  la  science  supé- 
rieure subalternanle  ,  parce  qu'elle  est  formelle.  Il  faut  savoir  qu'il 
arrive  quelquefois  qu'une  science  subalternée  par  rapporta  une  autre 


vel  per  dialecticam,  quae  sunt  scientiae  om- 
mnibus  communes,  et  probant  principia 
omnium  scientiarum;  sed  mathematica 
démonstrative,  dialectica  vero  probabiliter 
seu  opinative.  De  secundariis  vero  princi- 
pes in  scientia  scitur  propter  quid,  illa 
enim  alibi  probantur,  ut  dictum  est.  Patet 
ergo  quid  in  demonstratione  scimus  de 
principiis  ;  de  conclusione  autem  in  de- 
monstratione propter  quid,  scimus  propter 
quid ,  in  demonstratione  vero ,  quia  nesci- 
mus  propter  quid ,  quia  médium  vel  non 
est  causa  conclusionis,  sed  effectus,  ut  dic- 
tum est  ;  vel  quia  est  causa  remota.  No- 
tandum  ,  quod  duae  scientiae  possunt  esse 
de  eodem  subjecto ,  una  formaliter ,  alia 
naturaliter,  sicut  geometria  est  de  linea 
formaliter ,  perspectiva  vero  est  de  linea, 
non  in  quantum  linea,  sed  in  quantum  est 
visualis.  Unde  quicumque  per  principia  li- 


neae  in  quantum  est  linea,  demonstraret 
aliquid  de  linea  visuali,  de  conclusione  illa 
sciret  geometra  propter  quid,  perspectivus 
vero  sciret  solum  quia.  Verbi  gratia,  fiât 
talis  dernonstratio.  Omnis  longitudo  sine 
latitudine  ,  in  qua  médium  non  discrepat 
ab  extremis,  est  recta;  sed  linea  transiens 
per  tabellas  quadratas,  est  hujusmodi  lon-- 
gitudo  ;  ergo  linea  tabellarum  quadrata- 
rum  est  recta.  De  ista  conclusione  scit 
geometra  propter  quid ,  quia  scit  causam 
rectitudinis  linearum  ;  sed  perspectivus 
eam  supponit ,  quia  ignorât  causam ,  et 
ideo  de  praedicta  conclusione  scit  quia  ,  et 
non  propter  quid ,  et  sic  de  aliis  ;  et  tune 
scientia  inferior  vocatur  subalterna  ,  quia 
scilicet  est  materialis  ;  superior  vero  dici— 
tur  subalternans,  quia  est  formalis.  Scien- 
dum  ,  quod  aliquam  contingit  scientiam 
subalternatam    respectu   alterius  scientiae 


SUR   LA   LOGIQUE    d'arISTOTE.  351 

est  subalternante ,  comme  la  perspective  par  rapport  à  la  géométrie 
est  subalternée ,  et  subalternante  par  rapport  à  l'optique.  En  effet,  la 
science  de  l'optique  étant  une  partie  de  la  science  naturelle,  elle  prend 
les  principes  de  la  perspective  pour  prouver  quelque  conclusion ,  et 
ainsi  elle  ne  cormoît  sur  cette  conclusion  que  le  quia  ,  tandis  que  la 
perspective  en  connoît  le  propter  quid.  Il  faut  savoir  qu'il  y  a  des 
sciences  qui  n'ont  pas  de  sujet  pris  matériellement  sous  le  formel ,  et 
cependant  on  prend  les  principes  d'une  autre  science  dans  quelque  con- 
clusion ,  et  on  sait  sur  cette  conclusion  le  quia  et  non  le  propter  quid. 
Par  exemple  c'est  une  conclusion  en  médecine  que  les  blessures  cir- 
culaires sont  longtemps  à  guérir  ;  le  sujet  de  cette  conclusion  ne  se 
trouve  pas  sous  le  sujet  de  la  géométrie  ,  et  néanmoins  cette  conclu- 
sion se  prouve  par  les  principes  de  la  géométrie,  qui  sont  que  les  parties 
d'un  cercle  n'ayant  point  d'angles  sont  plus  distantes  les  unes  des 
autres,  il  s'ensuit  que  ces  blessures  sont  plus  longtemps  à  guérir. 
Voilà  ce  qui  concerne  les  démonstrations  propter  quid  et  quia. 

CHAPITRE  XIII. 

Que  la  science  qui  procède  par  la  cause  et  qui  dit  la  forme  est  plus  cer- 
taine que  celle  qui  procède  par  l'effet  et  dit  la  matière. 

Après  avoir  parlé  des  démonstrations ,  nous  allons  dire  quelque 
chose  des  sciences  qui  en  sont  les  effets.  Sur  cela  il  faut  considérer 
deux  choses  :  premièrement ,  ce  qui  est  requis  pour  qu'une  science 
soit  certaine,  secondement ,  ce  qui  est  requis  pour  qu'elle  soit  une.  A 
l'égard  du  premier  point,  il  faut  savoir  qu'on  appelle  simplement  plus 
certaine  la  science  qui  procède  de  choses  simplement  plus  connues  , 


esse  subalternantem,  sicut  perspectiva  res- 
pectu  geometriee  est  subalternata,  respectu 
vero  scientiœ  de  iride  est  subalternans. 
Cum  enim  scientia  de  iride  sit  pars  scien- 
tiae  naturalis,  assurait  principia  perspec- 
tiva? ad  aliquam  conclusionem  probandam , 
et  sic  de  iîla  conelusione  solum  scit  quia, 
perspectiva  vero  propter  quid.  Sciendum 
quod  aliquae  scientiae  non  habent  subjec- 
tura  materialiter  sumptum  sub  formali  et 
tamen  in  aliqua  conelusione  accipiuntur 
principia  alterius  scientiae,  et  de  iîla  con- 
elusione sciunt  quia,  et  non  propter  quid. 
Verbi  gratia,  quod  vulnera  circularia  tar- 
dius  sanentur ,  est  conclusio  in  medicina , 


sibi  appropinquant  ;  ex  hoc  sequitur  quod 
talia  vulnera  tardius  sanentur.  Patet  ergo 
de  demonstrationibus  propter  *quid  ,  et 
quia,  etc. 

CAPUT  XIII. 

Quod  scientia  quœ  est  per  causant  et  quœ 
dicil  formant,  est  certior  quant  illa  quœ 
dicil  e/fedum,  et  quœ  dicit  maleriam. 

Dicto  de  demonstrationibus,  dicenda  sunt 
aliqua  de  scientiis ,  quse  suut  effectus  ea- 
rum.  Circa  hoc  videnda  sunt  duo.  Primo, 
quid  requiritur  ad  hoc  quod  scientia  sit 
certa.  Secundo ,  quid  requiritur  ad  hoc 
quod  scientia  sit  una.  Quantum  ad  primum 


cujus  subjectum  non  est  sub  subjecto  geo-  ;  sciendum,  quod  illa  scientia  simpliciter  di- 
metnae,  et  tamen  haec  conclusio  probatur  '  citur  certior,  quœ  procedit  ex  notioribus 
per  principia  geometriae ,  quœ  sunt  quod  simpliciter ,  et  ex  notioribus  quoad  nos. 
partes  circuli ,  qui  carent  angulis ,  minus   Dupliciter  autem  potest  esse  aliquid  notius 


352  OPUSCULE    XL VII,    TRAITÉ    H,    CHAPITRE    13. 

et  plus  connues  par  rapport  à  nous.  Or  une  chose  peut  être  plus  connue 
qu'une  autre  simplement  de  deux  manières  ;  suivant  la  première  ,  la 
cause  est  simplement  plus  connue  que  l'effet  ;  suivant  la  seconde  ,  la 
forme  est  simplement  plus  connue  que  la  matière.  En  effet ,  le  prin- 
cipe pour  connoître  la  matière  vient  de  la  forme  ;  donc  les  sciences 
qui  disent  la  cause  et  propter  quid,  comme  nous  l'avons  dit  des 
sciences  subalternantes ,  sont  plus  certaines  que  celles  qui  disent  la 
matière.  C'est  pourquoi  la  géométrie  ,  qui  traite  de  la  ligne  par  rap- 
port à  ses  principes  formels,  est  plus  certaine  que  la  perspective 
qui  traite  de  la  ligne  visuelle,  ou  la  science  du  triangle  que  celle 
qui  traite  du  triangle  d'airain.  Et  comme ,  ainsi  qu'il  est  dit  dans 
le  liv.  Vil  de  la  Métaphysique,  il  y  a  une  double  matière,  savoir  la 
matière  sensible  ou  la  matière  naturelle,  et  la  matière  intelligible, 
comme  la  continuité ,  il  s'ensuit  que  la  science  qui  forme  abstraction 
des  deux  matières  est  plus  certaine  que  celle  qui  ne  fait  abstraction 
que  d'une.  En  effet,  la  géométrie  fait  abstraction  de  la  matière  sen- 
sible ,  et  quoique  elle  traite  du  corps  comme  la  science  naturelle,  elle 
est  néanmoins  plus  certaine  que  la  science  naturelle  qui  ne  fait  pas 
abstraction  de  la  matière  sensible.  De  son  côté  l'arithmétique,  qui  fait 
abstraction  delà  matière  sensible  et  de  la  continuité,  laquelle,  comme 
nous  l'avons  dit,  est  la  matière  intelligible,  est  conséquemment  plus 
certaine  que  la  géométrie.  Il  y  a  trois  genres  de  sciences  certaines. 
D'abord,  celles  qui  disent  la  cause  et  propter  quid  sont  plus  certaines 
que  celles  qui  disent  l'effet  et  quia.  Secondement,  celles  qui  disent  la 
forme  sont  plus  certaines  que  celles  qui  concernent  la  matière  sensible. 
Troisièmement,  celles  qui  disent  la  forme  de,  telle  sorte  qu'elles  ne 
concernent  même  pas  la  matière  intelligible  sont  plus  certaines  que 
celles  qui  concernent  une  semblable  matière.  Tel  est  ce  qui  regarde 
la  certitude  des  sciences  etc.. 


alio  simpliciter.  Uno  modo  causa  est  sim- 
pliciter  notior  effectu  ;  alio  modo  forma 
est  simpliciter  notior  materia.  Principium 
enim  cognoscendi  materiam  est  ex  forma, 
illae  ergo  scientiae  quœ  dicunt  causara  ,  et 
propter  quid,  sicut  dictum  est  de  scientiis 
subalternantibus ,  sunt  certiores  illis  quœ 
dicunt  materiam.  Unde  certior  est  geome- 
tria,  quœ  est  de  linea  quantum  ad  sua 
principia  formalia,  quam  perspectiva  quœ 
est  de  linea  visuali,  vel  scientia  de  trian- 
gulo,  quam  illa  quœ  est  de  triangulo  aeneo. 
Et  quia  ut  VII  Metaph.  dicitur,  duplex  est 
materia,  scilicet  materia  sensibilis  vel  ma- 
teria naturalis  et  materia  intelligibilis,  ut 
continuitas,  ideo  scientia  quœ  ab  utraque 
materia  abstrahit,  est  certior  illa  quse  non 
abstrahit  nisi  ab  una.  Geometria  enim  abs- 


trahit a  materia  sensibili,  et  licet  tractet 
de  corpore,  sicut  et  scientia  naturalis ,  ta- 
men  certior  est  scientia  naturali,  quœ  non 
abstrahit  a  materia  sensibili.  Arithmetica 
autem  quœ  abstrahit  a  materia  sensibili  et 
continuitate,  quœ,  ut  dictum  est ,  materia 
intelligibilis  est,  ideo  certior  est  geometria. 
In  triplici  enim  génère  sunt  scientiœ  cer- 
tiores. Primo,  illœ  quœ  dicunt  causam ,  et 
propter  quid,  sunt  certiores  eis  quœ  dicunt 
effectum  et  quia.  Secundo,  illœ  quœ  dicunt 
formam,suntcertioresillis  quœ  couccnnmt 
materiam  sensibilem.  Tertio ,  illœ  quœ  ita 
dicunt  formam  quod  nec  etiam  concernunt 
materiam  intelligibilcm,  sunt  certiores  eis 
quœ  talem  materiam  concernunt.  Patet 
ergo  de  certitudine  scientiarum,  etc. 


SUR   LA.   LOGIQUE   D  ARISTOTE. 


353 


CHAPITRE  XIY. 

Que  l'unité  formelle  de  la  science  se  tire  de  l'unité  formelle  du  sujet  sui- 
vant la  nature  de  l'objet  de  la  science. 

Pour  ce  qui  est  du  second  point ,  c'est-à-dire  l'unité  de  la  science, 
il  faut  savoir  qu'il  y  a  deux  choses  à  considérer  dans  la  science ,  le 
sujet  même  objet  de  la  passion,  et  les  principes  au  moyen  desquels  se 
fait  la  démonstration  pour  conclure  la  passion  du  sujet.  Or  pour  que 
le  sujet  soit  susceptible  d'être  connu  par  nous,  il  doit  avoir  des  parties 
antérieures  à  lui-même.  Remarquez  bien  ici  que  le  procédé  de  la 
science  est  comme  un  certain  mouvement  de  la  raison.  Or  il  y  a  deux 
choses  à  considérer  dans  le  mouvement,  le  principe  et  la  fin  :  le  terme 
qui  limite  la  science  est  le  sujet  sur  lequel  roule  la  science,  parce  que 
dans  les  sciences  spéculatives  on  ne  cherche  autre  chose  que  la  con- 
noissance  du  sujet;  ainsi  dans  la  géométrie  on  ne  cherche  autre  chose 
que  la  connoissance  de  la  grandeur.  Dans  les  sciences  pratiques  on  ne 
cherche  que  la  construction  du  sujet  lui-même  ;  comme  clans  la  science 
de  l'architecture  on  n'a  en  vue  que  la  construction  du  bâtiment.  Le 
sujet  est  donc  le  terme  de  ce  mouvement  :  le  principe  de  ce  mouve- 
ment se  tire  des  premiers  principes  du  sujet,  qui  sont  ses  propres  par- 
ties, comme  le  principe  du  procédé  de  la  science  naturelle  vient  de  la 
matière  et  de  la  forme.  C'est  pourquoi  s'il  se  trouve  une  chose  qui  n'ait 
pas  ces  principes  antérieurs  d'où  la  raison  puisse  procéder,  il  n'existe 
pas  de  science  de  cette  chose  dans  le  sens  où  nous  la  prenons  ici, 
en  tant  qu'effet  de  la  démonstration.  Aussi  il  ne  peut  pas  y  avoir  de 
science  prise  dans  ce  sens  relativement  aux  choses  séparées,  parce 
que  nous  ne  pouvons  pas  connoître  leurs  quiddités  par  le  moyen  des 


CAPUT  XIV. 

Quod  unitas  formalis  scienliœ  sumilur  ab 
unitate  formait  subjecti  secundum  ratio- 
nem  sciai  lis. 

Quantum  ad  secundum ,  scilicet  quan- 
tum ad  unitatem  scientiae ,  sciendum  est , 
quod  in  scientia  est  duo  considerare,  scili- 
cet ipsum  subjectum  de  quo  est  passio,  et 
ipsa  principia  ex  quibus  fit  demonstratio 
ad  concludendum  passionem  de  subjecto. 
Ad  hoc  autem  quod  subjectum  sit  scibile  a 
nobis,  oportet  quod  habeat  partes  priores 
se.  Ubi  nota  quod  processus  scientiae  est 
quasi  quidam  motus  rationis.  In  motu  au- 
tem est  duo  considerare,  scilicet  princi- 
pium et  terminuin  ;  terminus  autem  ad 
quem  scientia  terminatur  ,  est  subjectum, 

V. 


circa  quod  est  scientia,  quia  in  speculativis 
scientiis  nihil  aliud  queeritur,  nisi  cognitio 
subjecti,  sic  in  geometria  nihil  aliud  quae- 
ritur  nisi  cognitio  magnitudinis.  In  prac- 
ticis  autem  nihil  aliud  quaeritur  quam 
constructio  ipsius  subjecti,  sicut  in  scientia 
axlificatoria  intenditur  constructio  domus. 
Subjectum  ergo  est  terminus  tahs  motus; 
principium  autem  talis  motus  est  a  primis 
principiis  subjecti,  quœ  sunt  propriae  par- 
tes ejus,  sicut  principium  processus  scien- 
tiae naturalis  est  a  materia  et  a  forma. 
Unde  si  quœ  res  est  quee  non  habeat  talia 
principia  priora,  ex  quibus  ratio  procedere 
possit,  ejus  non  est  scientia  secundum 
quod  hic  sumitur  scientia,  ut  est  demons- 
trationis  effectus.  Unde  de  substantiis  se- 
paratis  non  potest  esse  scientia  isto  modo 

23 


354  OPUSCULE   XLVII,    TRAITÉ    11,    CHAPITRE    14. 

sciences  démonstratives.  En  effet,  quoique  les  substances  séparées 
soient  par  elles-mêmes  accessibles  à  l'intellect  proportionné  à  cet  acte, 
néanmoins  on  ne  peut  pas  recueillir  par  quelque  chose  d'antérieur 
les  notions  qui  font  connoître  leur  quiddité,  mais  on  peut  bien,  par  le 
moyen  des  sciences  spéculatives,  savoir  si  elles  existent  et  ce  qu'elles 
ne  sont  pas  suivant  la  similitude  trouvée  dans  les  choses  inférieures  , 
et  alors  nous  nous  servons  pour  arriver  à  leur  connoissance  des  choses 
postérieures  et  antérieures,  lesquelles,  quoique  postérieures  par  rap- 
port à  la  nature  ,  sont  néanmoins  antérieures  par  rapport  à  nous.  Donc 
le  sujet  de  la  science,  dans  le  sens  où  elle  est  prise  ici,  doit  avoir  des 
parties  antérieures  d'où  l'on  procède  pour  le  connoître  :  et  ceci  doit  se 
comprendre  des  parties  intégrales  du  sujet ,  comme  les  lettres  et  les 
syllabes  sont  les  parties  du  discours,  qui  est  le  sujet  de  la  grammaire. 
Il  faut  savoir  que ,  quoiqu'il  ait  été  dit  que  le  terme  qui  limite  le  pro- 
cédé de  la  science  est  sujet,  il  ne  faut  pas  néanmoins  entendre  que  ce 
soit  le  dernier  terme ,  mais  le  dernier  terme  où  s'arrête  l'examen  de 
la  science ,  pour  manifester  la  passion  du  sujet.  Ces  considérations 
faites,  il  faut  savoir  que  cette  science  est  une  qui  est  du  même  genre 
du  sujet  formellement  pris  auquel  appartiennent  les  parties  et  les  pas- 
sions ,  et  qui  a  les  mêmes  premiers  principes  ,  non  pas  simplement , 
mais  dans  la  science  :  car  les  choses  qui  ont  des  principes  divers  sont 
elles-mêmes  diverses.  On  peut  déduire  de  ce  que  nous  avons  dit  que 
l'unité  de  la  science  doit  se  tirer  de  l'unité  du  sujet  :  en  effet,  l'unité  du 
mouvement  se  tire  du  terme;  or  le  sujet  est  le  terme  du  mouvement  de 
la  raison  dans  le  procédé  de  la  science,  comme  on  l'a  déjà  dit;  le  sujet 
doit  être  un  formellement  en  tant  que  tel.  Remarquez  que  quant  à  cela 
le  sujet  est  par  rapport  à  la  science  comme  l'objet  à  la  puissance;  or  ce 

sumpta,  quia  per  scientias  demonstrativas  terminatur  processus  scientiae  sit  subjec- 
non  possumus  scire  ipsarum  quidditates.  [  tum  ,  non  est  tamen  intelligendum ,  quod 
Licet  enim  substantise  separatœ  sint  per  se  \  sit  terminus  ultimus  ;  sed  ultimus  terminus 
ipsas  intelligibiles  ab  intellectu  ad  hoc  pro-  j  ad  quem  terminatur  consideratio  scientiae, 
portionato,  non  tamen  congregatur  earum  ■  est  ut  passio  subjecti  manifestetur.  His  ha- 
notitia  qua  cognoscitur  quod  quid  est  ip-  :  bitis,  sciendum  est ,  quod  illa  scientia  est 
sarum  per  aliqua  priora  ,  sed  bene  potest  una,  quae  est  unius  generis  subjecti  forma- 
per  scientias  speculativas  sciri  de  eis  an  |  liter  sumpti ,  cujus  sunt  partes,  et  passio- 
sint  et  quid  non  sint,  ad  similitudinem  in- 1  nés,  et  eadem  habet  principia  prima ,  non 
ventam  in  rébus  inferioribus ,  et  tune  ad  ]  simpliciter ,  sed  in  scientia;  divers*  vero 
earum  cognitionem  utimur  posterioribus  )  sunt,  quae  habent  diversa  principia.  Quod 
et  prioribus  ,  quae  licet  sint  posteriora  j  autem  imitas  scientiae  debeat  sumi  ab  uni- 
quoad  naturam,  sunt  tamen  priora  quoad  j  tate  subjecti,  potest  patere  ex  dictis  ;  uni- 
nos.  Subjectum  ergo  scientiae,  prout  hic  '  tas  enim  motus  sumitur  a  termino  ;  sub- 


sumitur  scientia,  oportet  quod  habeat  par- 
tes priores,  a  quibus  fiât  processus  ad  ejus 
cognitionem ,  et  hoc  intelligendum  est  de 
partibus  integralibus  subjecti,  sicut  litterae 
et  syllabae  sunt  partes  dictionis,  quae  est 
subjectum  grammaticae.  Sciendum  quod 
licet  dictum  sit  quod  terminus  ad  quem 


jectum  autem  est  terminus  motus  rationis 
in  processu  scientiae  ,  ut  jam  dictum  est  ; 
taie  autem  subjectum  débet  esse  unum 
formaliter,  in  quantum  hujus.  Ubi  nota 
quod  quantum  ad  hoc  sic  se  habet  suo 
modo  subjectum  ad  scientiam  ,  sicut  ob- 
jeetum  ad  potentiam  ;   malerialis  autem 


SUR   LA   LOGIQUE   D'ARISTOTE.  355 

n'est  point  la  diversité  matérielle  de  l'objet  qui  diversifie  la  puissance, 
mais  bien  la  diversité  formelle.  Ainsi  la  diversité  matérielle  des  choses 
susceptibles  d'être  apprises  ne  diversifie  pas  la  science,  mais  bien  la  di- 
versité formelle.  Or  la  raison  formelle  de  l'objet  de  la  science  se  prend 
de  la  même  manière  que  la  raison  formelle  de  ce  qui  est  visible.  La 
raison  formelle  de  ce  qui  est  visible  se  tire  de  la  lumière ,  par  le 
moyen  de  laquelle  on  voit  tout;  de  même  la  raison  formelle  de  l'objet 
de  la  science  se  tire  conformément  aux  principes  qui  produisent  la 
science.  C'est  pourquoi  quelque  divers  que  soient  les  objets  de  la  science 
suivant  leur  nature ,  pourvu  que  la  connoissance  en  soit  acquise  par 
le  moyen  de  ces  mêmes  principes,  ils  appartiennent  à  la  même  science, 
par  la  raison  qu'ils  ne  sont  pas  divers  en  tant  qu'objets  de  la  science, 
car  ils  sont  susceptibles  d'être  appris  par  le  moyen  de  leurs  principes  : 
comme  il  est  évident  que  les  voix  humaines  diffèrent  matériellement 
beaucoup  des  sons  des  corps  inanimés,  néanmoins,  comme  c'est  suivant 
les  mêmes  principes  que  l'on  considère  eu  elles  la  consonance ,  aussi 
la  musique,  qui  appartient  aux  deux  ordres  de  sujets,  est  la  même. 
Au  contraire, si  les  objets  delà  science  sont  les  mêmes  en  nature  et  si 
on  les  considère  suivant  différents  principes ,  ils  appartiennent  à  des 
sciences  diverses,  comme  un  corps  mathématique  n'est  pas  séparé  du 
sujet  par  un  corps  naturel  ;  néanmoins,  comme  un  corps  mathématique 
est  connu  par  les  principes  de  la  quantité  ,  et  le  naturel  par  les  prin- 
cipes du  mouvement,  la  science  mathématique  et  la  science  naturelle 
ne  sont  pas  pour  cette  raison  une  même  science.  Donc  l'unité  et  la  di- 
versité des  sciences  viennent  de  l'unité  et  de  la  diversité  formelle  du 
sujet,  laquelle  formalité  se  prend  d'après  la  nature  de  l'objet  de  la 
science ,  c'est-à-dire ,  suivant  l'identité  et  la  diversité  des  principes. 
Pour  cette  raison  c'est  la  même  chose  d'avoir  le  même  sujet  formel  et 
les  mêmes  principes,  et  de  différer  suivant  les  principes  que  d'avoir  des 


diversitas  objecti  nou  diversiiicat  poten- 
tiam,  sed  formalis.  Sic  materialis  diversitas 
scibilium  non  diversiiicat  scientiam ,  sed 
formalis.  Sumitur  autem  ratio  formalis 
scibiliSj  sicut  ratio  formalis  visibilis.  For- 
malis autem  ratio  visibilis  sumitur  a  lu- 
mine  ,  per  quod  omnia  videntur  ;  etiam 
formalis  ratio  scibilis  sumitur  secundum 
principia  ex  quibus  aliquid  scitur.  Unde 
quantumcumque  sint  diversa  scibilia  se- 
cundum suam  naturam,  dummodo  per  ea- 
dem  principia  sciantur,  ad  unam  tamen 
pertinent  scientiam  ;  quia  non  sunt  diversa, 
in  quantum  sunt  scibilia.  Suntenim  scibilia 
per  sua  principia;  sicut  patet  quod  voces 
humanœ  multum  differunt  secundum  suam 
materiam  a  sonis  corporum  inanimatorum, 
tainen  quia  secundum  eadem  principia  at- 


tenditur  consonantia  in  eis,  ideo  musica 
quse  est  de  utriusque,  est  eadem.  Et  per 
oppositum ,  si  sunt  eadem  scibilia  secun- 
dum naturam,  et  tamen  per  diversa  prin- 
cipia considerentur ,  pertinent  ad  diversas 
scientias,  sicut  corpus  mathematicum  nou 
separatur  subjecto  a  corpore  naturali  ;  quia 
tamen  corpus  mathematicum  cognoscitur 
per  principia  quantitatif  naturale  vero  per 
principia  motus,  propterea  non  est  eadem 
scientia,  scilicet  mathematica  et  naturalis. 
Unitas  ergo  et  diversitas  scientiarum  est 
ex  unitate  et  diversitate  formali  subjecti, 
quœ  formalitas  consistit  secundum  ratio- 
nem  scibilis,  id  est,  secundum  identitatem 
et  diversitatem  principiorum.  Et  propter 
hoc  idem  est  dicere ,  habere  idem  subjec- 
tum  formale,  et  habere  eadem  principia  ,  et 


356  OPUSCULE    XL VIII. 

sujets  formellement  divers.  Or  il  faut  savoir  que  les  principes  dont 
nous  parlons,  sont  les  principes  qui  sont  les  premiers  dans  la  science, 
et  les  sciences  sont  plus  ou  moins  communes  suivant  la  communauté 
de  ces  principes.  Les  premiers  principes  se  connoissent  dans  le  genre 
de  l'objet  de  la  science  suivant  la  définition  du  sujet,  comme  on  l'a 
dit.  Tel  est  ce  qui  concerne  l'unité  des  sciences.  Grâces  soient  rendues 
à  Dieu  auteur  de  tout  bien. 

Fin  du  dernier  traité  de  la  démonstration  qui  complète  la  logique 
de  saint  Thomas  d'Aquin,  de  l'ordre  des  frères  prêcheurs. 

L'Abbé  VÉDRINE. 


OPUSCULE  XLVIII. 

DU    SENS   PAR   RAPPORT    AUX   CHOSES   SINGULIÈRES,    ET   DE   L'INTELLECT 
PAR  RAPPORT  AUX  UNIVERSELLES. 

Relativement  au  sens,  pourquoi  il  appartient  aux  choses  singu- 
lières, et  l'intellect  aux  universelles ,  et  comment  les  choses  univer- 
selles sont  dans  l'ame  ;  il  faut  savoir  sur  la  première  question  que  le 
sens  est  une  vertu  résidant  dans  l'organe  corporel,  tandis  que  l'intel- 
lect est  une  vertu  tout-à-fait  immatérielle,  et  non  l'acte  de  quelque 


differre  secundum  principia  ,  quod  habere 
diversa  subjecta  formaliter.  Sciendum  est 
autera  quod  principia,  de  quibus  loquimur, 
sunt  principia  qnae  sunt  prima  in  scientia, 
et  secundum  communitatem  dictorum 
principiorum,  scientia;  suntmagis  vel  minus 
communes.  Cognoscuntur  autem  prima 
principia  in  génère  scibilis  secundum  diffi- 


nitionem  subjecti,  ut  dictum  est.  Et  sic 
patet  de  unitate  scientiarum.  Gratias  Deo 
bonorum  omnium  largitori. 

De  demonstratione  tractatus  ultimus,  in 
quo  compléter  Logica  sancti  Thomœ  de 
Aquino,  ordinis  Prœdicatorum  féliciter  ex- 
plicit. 


OPUSCULUM  XLVIII. 


Ejusdem  doctoris,  de  sensu  respectu  singularium,  et  intellectu  respectu 
universalium. 


Girca  considerationem  sensns,  quare  sit 
singularium,  et  intellectus  universalium,  et 
quomodo  universalia  sint  in  anima,  scien- 


dum est  circa  primum ,  quod  sensus  est 
virtus  in  organo  corporali,  intellectus  au- 
tem est  virtus  penitus  immaterialis,  et  non 


DU    SENS   ET    DE    L'INTELLECT.  357 

organe  corporel.  Or  chaque  chose  est  reçue  dans  un  autre  suivant  son 
mode  d'être.  Toute  connoissance  s'opère  par  ce  qui  est  connu  de  celui 
qui  est  le  sujet  de  la  cognition  ,  c'est-à-dire  suivant  la  similitude,  car 
le  sujet  de  la  cognition  en  acte  est  la  chose  connue  en  acte.  Il  faut 
donc  que  le  sens  reçoive  corporellement  la  ressemblance  de  la  chose 
qui  est  sentie ,  l'intellect  de  son  côté  reçoit  la  similitude  de  la  chose 
qu'il  conçoit  d'une  manière  immatérielle  et  incorporelle.  Or  l'iudivi- 
duation  de  la  nature  commune  dans  les  choses  matérielles  et  corpo- 
relles est  renfermée  dans  la  matière  corporelle  sous  des  dimensions 
déterminées  :  l'universel  s'effectue  par  l'abstraction  de  cette  matière 
et  des  conditions  qui  opèrent  l'individuation.  Il  est  donc  clair  que  la 
similitude  de  la  chose  reçue  dans  le  sens  représente  cette  chose  en 
tant  qu'elle  est  singulière  ;  mais  celle  qui  est  reçue  dans  l'intellect  re- 
présente la  chose  suivant  la  condition  de  la  nature  universelle.  Yoilà 
pourquoi  le  sens  connoît  les  choses  singulières;  et  l'intellect  les 
choses  universelles ,  auxquelles  appartiennent  les  sciences.  Quant  à 
la  seconde  question,  il  faut  savoir  que  l'universel  peut  être  pris  de 
deux  manières.  Premièrement  pour  la  nature  commune,  étant  subja- 
cente  à  l'intention  d'universalité  :  et  secondement  pour  l'intention  en 
elle-même,  comme  blanc  peut  être  dit  ce  à  quoi  il  arrive  d'être  blanc 
ou  ce  qui  est  déjà  soumis  à  la  blancheur.  Or  la  nature  à  laquelle  sur- 
vient l'intention  d'universalité,  comme  la  nature  de  l'homme,  a  un 
double  être  ;  l'un  matériel  comme  étant  dans  la  nature  matérielle , 
l'autre  immatériel  comme  étant  dans  l'intellect.  Il  ne  peut  pas  lui 
survenir  d'intention  universelle  dans  le  premier  mode,  parce  que  il  est 
individué  par  la  matière.  Donc  l'intention  universelle  survient  en 
raison  de  l'abstraction  de  la  matière  individuelle  ;  mais  il  ne  peut 


est  actus  alicujus  organi  corporalis.  Unum- 
quodque  autem  recipitur  in  aliquo  secun- 
dum modum  sui.  Omnis  autem  cognitio 
fit  per  hoc  quod  cognitum  est  aliquo  mo- 
do in  cognoscente,  scilicet  secundum  simi- 
litudinem  ;  nam  cognoscens  in  actu  est  ip- 
sum  cognitum  in  actu.  Oportet  ergo  quod 
sensus  corporaliter  recipiat  similitudinem 
rei ,  quse  sentitur.  Intellectus  autem  reci- 
pit  similitudinem  ejus  quod  intelligit  im- 
materialiter  et  incorporaliter.  Individuatio 
autem  naturse  comrnuuis  in  rébus  mate- 
riaiibus  et  corporalibus,  est  ex  materia  cor- 
porali  sub  determinatis  dimensionibus  con- 
tenta; universale  autem  est  per  abstractio- 
nem  ab  hujusmodi  materia  ,  et  materiali- 
bus  conditionibus  individuantibus.  Patet 
ergo  quod  similitude  rei  quœ  recipitur  in 
sensu,  représentât  rem  secundum  quod 
est  singularis  ;  sed  recepta  in  intellectu , 


reprœsentat  rem  secundum  rationem  natu- 
rse universalis.  Et  inde  est  quod  sensus 
cognoscit  singularia,  intellectus  autem  uni- 
versalia ,  quorum  sunt  scientiae.  Circa  se- 
cundum sciendum  est ,  quod  universale 
potest  capi  dupliciter.  Uno  modo  pro  ipsa 
natura  commuai,  ut  subjacet  intention! 
universalitatis  ;  aiio  modo  pro  ipsa  inten- 
tione  secundum  se,  sicut  album  potest  dici 
illud  cui  accidit  esse  album,  vel  ipsum  se- 
cundum quod  jam  subest  albedini.  Ipsa 
autem  natura  cui  accidit  intentio  univer- 
salitatis, puta,  natura  hominis ,  habet  du- 
plex esse.  Unum  quidem  materiale,  secun- 
dum quod  est  in  materia  naturali  ;  aliud 
autem  immateriale,  secundum  quod  est  m 
intellectu.  Primo  quidem  modo  non  potest 
ei  advenire  intentio  universalitatis,  quia 
per  materiam  individuatur.  Advenit  ergo 
universalis  intentio  ,  secundum  quod  abs- 


358  OPUSCULE    XLVHI,    DU    SENS   ET    DE    L'iNTELLECT. 

pas  y  avoir  d'abstraction  réelle  de  la  matière  individuelle ,  comme 
l'ont  supposé  les  platoniciens.  En  effet ,  il  n'existe  pas  d'homme  sans 
de  la  chair,  sans  des  ossements ,  comme  le  prouve  Aristote  dans  le 
liv.  VII  de  la  Métaphysique.  Il  reste  donc  à  dire  que  la  nature  humaine 
n'a  pas  l'être  en  dehors  des  principes  d'individuation,  si  ce  n'est  seu- 
lement dans  l'intellect.  Néanmoins  l'intellect  n'est  point  faux  en  con- 
cevant la  nature  commune  en  dehors  des  principes  d'individuation  sans 
lequels  elle  ne  peut  être  dans  la  nature  des  choses.  En  effet ,  l'intel- 
lect ne  conçoit  pas  que  la  nature  commune  existe  sans  les  principes 
d'individuation  ;  mais  il  conçoit  la  nature  commune  sans  concevoir 
les  principes  d'individuation,  et  en  cela  il  n'y  a  pas  de  fausseté.  Comme 
si  l'on  séparoit  la  blancheur  d'un  homme  blanc  de  façon  que  l'intel- 
lect conçût  qu'il  n'est  pas  blanc,  ce  seroil  une  fausse  conception;  mais 
si  l'on  sépare  la  blancheur  de  l'homme  blanc  de  manière  à  concevoir 
l'homme  sans  concevoir  la  blancheur,  ce  ne  sera  plus  une  conception 
fausse.  Car  il  n'est  pas  exigé  pour  la  vérité  d'une  conception  que  celui 
qui  conçoit  une  chose  conçoive  en  même  temps  toutes  les  choses  qui 
lui  sont  inhérentes.  Ainsi  donc  l'intellect  abstrait  sans  fausseté  le  genre 
de  ses  espèces ,  en  tant  qu'il  conçoit  la  nature  du  genre  sans  conce- 
voir les  différences.  De  même  il  abstrait  l'espèce  des  individus  en  tant 
qu'il  conçoit  la  nature  en  espèce ,  sans  concevoir  les  principes  d'in- 
dividuation. 11  est  donc  évident  de  cette  sorte  que  l'intention  d'uni- 
versalité ne  peut  être  attribuée  à  la  nature  commune  autrement  que 
suivant  l'être  qu'elle  a  dans  l'ame  et  dans  l'intellect.  Il  ne  s'opère  donc 
d'unité  de  plusieurs  que  par  la  conception  en  dehors  des  principes 
d'individuation,  aussi  bien  que  l'unité  dans  plusieurs,  comme  dans 
les  individus  ou  les  inférieurs  qui  sont  un  dans  la  supériorité.  Il  reste 
donc  à  dire  que  les  choses  universelles,  en  tant  qu'universelles,  ne 


trahitur  a  materia  individuali  ;  non  potesl 
autem  abstrahi  a  materia  individuali  rea- 
liter, sicut  platonici  posuerunt.  Non  enim 
est  homo,  nisi  in  his  carnibus ,  et  in  his 
ossibus,  sicut  Philosophus  probat,  VII  Me- 
taph.  Relinquitur  ergo  quod  natura  hu- 
mana  non  habet  esse  praeter  principia  in- 
dividuantia, nisi  in  solo  intellectu.  Nec  ta- 
men  injellectus  est  falsus,  dum  apprehendit 
naturam  communem  prœler  principia  in- 
dividuantia,  sine  quibus  esse  non  potest  in 
rerum  natura.  Non  enim  apprehendit  in- 
tellectus ,  quod  natura  communis  sit  sine 
,  principhs  indi  viduantibus  ;  sed  apprehendit 
naturam  communem  ,  non  apprehendendo 
principia  individuantia  ,  et  hoc  non  est 
falsum.  Sicut  si  ab  homine  albo  separetur 
albedo  hoc  modo,  quod  intellectus  intelli- 
gat  eum  non  esse  album,  esset  apprehen- 


sio  falsa.  Si  autem  sic  separetur  albedo  ab 
homine  albo,  quod  apprehenclatur  homo 
non  apprehensa  albedine,  non  esset  appre- 
hensio  falsa.  Non  enim  exigitur  ad  verita- 
tem  apprehensionis,  quod  qui  apprehendit 
rem  aliquam,  appréhendât  omnia  quae  rei 
insunt.  Sic  ergo  intellectus  absque  falsitate 
abstrahit  genus  a  speciebus  ,  in  quantum 
intelligit  naturam  generis,  non  intelligendo 
differentias.  Et  similiter  abstrahit  speciem 
ab  individuis  in  quantum  intelligit  natu- 
ram specie,  non  intelligendo  principia  in- 
dividuantia. Si  ergo  patet,  quod  naturae 
communi  non  potest  attribui  intentio  uni- 
versalitatis,  nisi  secundum  esse  quod  habet 
in  anima  et  intellectu.  Sic  ergo  solum  est 
unum  de  multis,  prout  intelligitur  praeter 
principia  individuantia,  et  unum  in  multis, 
ut  individuis  vel  inferioribus  quee  in  supe- 


OPUSCULE   XLIX,    DE    L'INVENTION   DU   MOYEN-TERME.  359 

se  trouvent  que  dans  l'ame;  tandis  que  les  natures  auquelles  survient 
l'intention  d'universalité,  sont  dans  les  choses.  C'est  pour  cela  que 
les  noms  communs  qui  signifient  les  natures  mêmes  se  disent  des  in- 
dividus, mais  non  ceux  qui  signifient  les  intentions.  En  effet,  Sortes 
est  un  homme,  mais  il  n'est  pas  une  espèce. 

Fin  du  quarante-huitième  Opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin  sur 
le  sens  par  rapport  aux  singuliers ,  et  l'intellect  par  rapport  aux 
universels. 

L'abbé  VÉDRINE. 


OPUSCULE  XLIX. 

Du  MÊME   DOCTEUR,  DE   i/lNVENTlON   DU   MOYEN  TERME. 

Comme  le  moyen  terme  est  le  principe  pour  réduire  une  propo- 
sition en  syllogisme  ,  afin  donc  d'avoir  pour  chaque  proposition  un 
mode  d'argumentation ,  nous  allons  déterminer  la  manière  de  trouver 
le  moyen  terme.  En  conséquence  les  propositions  étant  les  unes  uni- 
verselles ,  les  autres  particulières ,  et  parmi  les  universelles  les  unes 
affirmatives  ,  les  autres  négatives  ,  nous  allons  d'abord  nous  occuper 
de  la  manière  de  trouver  le  moyen  terme  pour  mettre  en  syllogisme 
l'universelle  affirmative.  Il  faut  donc  dire  que,  pour  réduire  en  syllo- 


riori  sunt  unum.  Unde  relinquitur  quod 
universalia  secundum  quod  universalia , 
non  sunt  nisi  in  anima  ;  ipsœ  autem  natu- 
rse,  quibus  accidit  intentio  universalitatis, 
sunt  in  rébus.  Et  propter  hoc  nomina 
communia  significantia  naturas  ipsas  pree- 
dicantur  de  individuis ,  non  autem  nomina 


significantia  intentiones.  Sortes  enim  est 
homo,  sed  non  est  species. 

Explicit  Opusculum  quadragesimum  oc- 
tavum  divi  Thomœ  Âquinatis ,  de  sensu 
respectu  singularium,  et  intellectu  respectu 
universalium. 


OPUSCULUM  XLIX. 

EJUSDEM  DOCTORIS,   DE   INVENTIONE   MEDH. 


Quoniam  principium  syllogizandi  unam- 
quarnque  propositionem  est  médius  termi- 
nus, ideo  ut  possimus  habere  modum  syl- 
logizandi ad  unamquamque  propositionem, 
de  inventione  medii  termini  nunc  est  de- 


terminandum.  Cum  igitur  propositionum 
alia  sit  universalis,  alia  particularis;  et  uni- 
versalium a  lia  affirmativa,  alia  negativa, 
de  inventione  medii  ad  syllogizandum  uni- 
versalem  aflirmativam  prius  est  dicendum. 


360  OPUSCULE    XLIX. 

gisme  l'universelle  affirmative,  il  faut  prendre  pour  moyen  ce  qui 
suit  le  sujet  et  précède  le  prédicat.  En  voici  la  raison  :  c'est  que  l'u- 
niverselle affirmative  ne  se  met  en  syllogisme  que  dans  le  premier 
mode  de  la  première  figure  ;  mais  il  faut  en  cela  que  dans  le  syllo- 
gisme le  moyen  précède  le  prédicat  de  la  proposition  ,  puisqu'il  lui 
est  soumis  universellement,  et  suive  le  sujet  de  la  même  proposition, 
puisqu'il  se  dit  universellement  de  lui.  Par  exemple,  si  l'on  a  à  ré- 
duire en  syllogisme  cette  proposition  :  tout  homme  est  animal ,  son 
moyen  convenable  sera  susceptible  de  rire ,  parce  que  cela  suit  tou- 
jours le  sujet  dans  la  conséquence,  et  précède  le  prédicat,  et  l'on 
dira,  tout  ce  qui  est  susceptible  de  rire  est  animal,  tout  homme  est 
susceptible  de  rire,  donc  tout  homme  est  animal.  Pour  mettre  en  syl- 
logisme l'universelle  négative,  il  faut  prendre  pour  moyen  ce  qui 
suit  le  sujet  et  répugne  au  prédicat,  et  cela  par  rapport  au  second 
mode  de  la  première  figure  et  au  premier  de  la  seconde  ;  ou  bien  ce 
qui  répugne  au  sujet  et  suit  le  prédicat  par  rapport  au  second  mode 
de  la  seconde  figure,  et  la  raison  de  cela  est  que  l'universelle  néga- 
tive ne  se  met  en  syllogisme  que  dans  ces  trois  modes,  et  dans  les 
deux  premiers  modes  le  moyen  terme  suit  le  sujet  et  répugne  au  pré- 
dicat. Dans  le  troisième  le  moyen  répugne  au  sujet  et  suit  le  prédicat. 
Par  exemple,  si  l'on  veut  mettre  en  syllogisme  cette  proposition  :  nul 
homme  n'est  pierre  ,  son  moyen  convenable  dans  les  deux  premiers 
modes  est  susceptible  de  rire ,  parce  qu'il  suit  le  sujet  et  répugne  au 
prédicat.  Dans  le  troisième  syllogisme  le  moyen  convenable  est  in- 
sensible, parce  qu'il  répugne  au  sujet  et  suit  le  prédicat.  Pour  mettre 
en  syllogisme  la  particulière  affirmative ,  il  faut  prendre  pour  moyen 
Ce  qui  suit  le  sujet  et  précède  le  prédicat,  et  précède  le  sujet  et  le  pré- 


Est  ergo  dicendum,  quod  adsyllogizandurn 
universalem  affirmativam ,  sumendum  est 
pro  medio  id  quod  sequitur  subjectum,  et 
antecedit  praedicatum.  Cujus  causa  heec 
est,  quia  universalis  affirmativa  non  syllo- 
gizatur  nisi  in  primo  modo  primée  figurée, 
sed  in  hoc  oportet  médium  antecedere 
praedicatum  propositionis  syllogizando  cum 
universaliter  subjiciatur  ei ,  et  sequi  sub- 
jectum ejusdem,  cum  universaliter  praedi- 
cetur  de  ipso.  Verbi  gratia,  si  haec  propo- 
sitio  est  syllogizanda.  Omnis  homo  est  ani- 
mal, conveniens  médium  ipsius  est  risi- 
bile,  quia  id  semper  sequitur  secundum 
consequentiam  ipsum  subjectum,  et  ante- 
cedit praedicatum  ,  ut  dicatur ,  omne  risi- 
bile  est  animal,  omnis  homo  est  risibilis," 
ergo  omnis  homo  est  animal.  Ad  syllogi- 
zandum  universalem  negativam,  sumendum 
est  pro  medio  id  quod  sequitur  subjectum. 
et  répugnât  prsedicato,  et  hoc  quoad  secun- 


dum modum  primée  figurée  ,  et  primum 
secundae  ;  vel  quod  répugnât  subjecto  ,  et 
sequatur  praedicatum,  quoad  secundum 
modum  secundae  figurée ,  cujus  causa  hœc 
est,  quia  universalis  negativa  non  syllogi- 
zatur  nisi  in  tribus  modis  praedictis,  et  in 
duobus  primis  modis  médius  terminus  se- 
quitur ad  subjectum  ,  et  répugnât  preedi- 
cato.  In  tertio  médius  répugnât  subjecto  , 
et  sequitur  ad  praedicatum.  Verbi  gratia, 
si  beec  propositio  est  syllogizanda  :  Nullus 
homo  est  lapis,  conveniens  médium  ipsius 
in  duobus  primis  modis  est  risibile ,  quia 
id  sequitur  ad  subjectum,  et  répugnât  pree- 
dicato.  In  tertio  vero  syllogismo ,  conve- 
niens médium  est  insensibile ,  quia  id  ré- 
pugnât subjecto  ,  et  sequitur  ad  praedica- 
tum. Ad  syllogizandum  autem  particula- 
rem  affirmativam  ,  sumendnm  est  pro 
medio  consequens  ad  subjectum ,  et  ante- 
cedens  ad  praedicatum  ,  et  antecedens  ad 


DE   L'INVENTION   DU   MOYEN- TERME.  36 i 

dicat.  La  raison  de  cela,  c'est  que  la  particulière  affirmative  ne  con- 
clut que  dans  la  première  et  la  troisième  figure;  et  pour  qu'elle  con- 
clue dans  la  première  il  faut  que  le  milieu  précède  le  prédicat  et  lui 
soit  soumis  ,  il  faut  aussi  qu'il  suive  le  sujet  lorsqu'il  se  dit  de  lui. 
Mais  si  l'on  conclut  dans  la  troisième  figure  il  faut  que  le  moyen  pré- 
cède l'un  et  l'autre ,  c'est-à-dire,  le  sujet  et  le  prédicat,  puisqu'il  est 
soumis  k  l'un  et  à  l'autre.  Par  exemple  ,  pour  mettre  en  syllogisme 
cette  proposition  :  quelque  animal  est  substance,  le  moyen  convenable 
dans  la  première  figure  est  sensible ,  parce  qu'il  suit  le  sujet  et  pré- 
cède le  prédicat.  Dans  la  troisième  figure  le  moyen  convenable  est 
homme ,  parce  qu'il  précède  le  sujet  et  le  prédicat.  Pour  réduire  en 
syllogisme  la  particulière  négative,  il  faut  prendre  pour  moyen  ce 
qui  suit  le  sujet  et  répugne  au  prédicat ,  ou  ce  qui  répugne  au  sujet 
et  suit  le  prédicat,  et  en  voici  la  raison  ,  c'est  que  la  particulière  né- 
gative se  conclut  dans  toute  figure ,  et  si  l'on  tire  la  conclusion  dans 
la  première,  il  faut  que  le  moyen  suive  le  sujet,  puisque  il  se  dit  de  lui, 
et  répugne  au  prédicat ,  puisqu'il  en  est  écarté.  Mais  si  l'on  conclut 
dans  la  seconde  figure,  il  faut  que  le  moyen  suive  le  sujet  et  répugne 
au  prédicat ,  par  rapport  au  troisième  mode ,  ou  qu'il  répugne  au 
sujet  et  suive  le  prédicat  par  rapport  au  quatrième.  Si  l'on  conclut 
dans  la  troisième,  il  faut  que  le  moyen  précède  le  sujet,  puisqu'il  lui 
est  soumis  ,  et  qu'il  répugne  au  prédicat,  puisque  le  prédicat  en  est 
écarté.  Par  exemple,  si  l'on  veut  mettre  en  syllogisme  cette  proposi- 
tion :  quelque  homme  n'est  pas  âne ,  le  moyen  convenable  dans  la 
première  figure  et  même  dans  le  troisième  mode  de  la  seconde  figure 
est  susceptible  de  rire ,  lequel  suit  le  sujet  et  répugne  au  prédicat. 
Dans  le  quatrième  mode  de  la  seconde  figure  le  moyen  convenable 


subjectum  et  praedicatum.  Gujus  causa  haec 
est  :  quia  particularis  affîrmativa  non  con- 
cluent, nisi  in  prima  et  tertia  figura,  et  ut 
concludatur  in  prima,  oportet  quod  mé- 
dium antecedat  praedicatum,  et  subjiciatur 
ei ,  et  quod  sequatur  subjectum  cum  prae- 
dicatur  de  eo.  Si  vero  concludatur  in 
tertia,  oportet  médium  antecedere  utrum- 
que,  scilicet  subjectum,  et  praedicatum 
cum  subjiciatur  utrique.  Verbi  gratia  ,  si 
haec  propositio  est  syllogizanda.  Quoddam 
animal  est  substantia,  conveniens  médium 
ejus  in  prima  figura  est  sensibile ,  quia  id 
sequitur  subjectum  et  antecedit  praedica- 
tum. In  tertia  vero  figura  conveniens  mé- 
dium est  homo  ,  quia  antecedit  utrumque, 
scilicet  subjectum  et  praedicatum.  Ad  syl- 
logizandum  autem  particularem  negati- 
vam,  sumendum  est  pro  medio  id  quod  se- 
quitur subjectum  ,  et  répugnât  prœdicatn, 
vel  id  quod  répugnât  subjecto,  et  sequitur 


praedicatum,  cujus  causa  haec  est  ;  quia 
particularis  negativa  concluditur  in  omni 
figura,  et  sic  concludatur  in  prima,  oportet 
médium  sequi  subjectum  cum  praedicetur 
de  eo,  et  repugnare  praedicato  cum  remo- 
veatur  ab  eo.  Si  autem  concludatur  in  se- 
cunda,  oportet  médium  sequi  subjectum, 
et  repugnare  praedicato  quoad  tertium 
modum ,  vel  repugnare  subjecto  et  sequi 
praedicatum  quoad  quartum  modum.  Si 
vero  concludatur  in  tertia,  oportet  médium 
antecedere  subjectum,  cum  subjiciatur  ei, 
et  répugnât  praedicato  cum  praedicatum 
removeatur  ab  ipso.  Verbi  gratia,  si  hœc 
propositio  est  syllogizanda  :  Quidam  homo 
non  est  asinus,  conveniens  médium  ejus  in 
prima  figura ,  et  etiam  in  tertio  secundae 
figurée  est  risibilc  quod  sequitur  ad  sub- 
jectum et  répugnât  praedicato.  In  quarto 
autem  secundae  figurae  conveniens  médium 
est  risibile,  quod  répugnât  subjecto,  et  se- 


362  OPUSCULE    L. 

est  susceptible  de  rire  qui  répugne  au  sujet  et  suit  le  prédicat.  Le 
moyen  convenable  dans  la  troisième  figure  est  susceptible  de  rire, 
qui  précède  le  sujet  et  répugne  au  prédicat.  Car  les  choses  conver- 
tibles précèdent  et  suivent  celles  avec  lesquelles  elles  sont  conver- 
tibles, c'est  pour  cela  que  susceptible  de  rire  précède  et  suit  l'homme. 

Fin  du  quarante-neuvième  Opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin  sur 
la  manière  de  trouver  le  moyen  terme. 

L'abbé  VÉDRINE. 


OPUSCULE  L. 

Du   MÊME   DOCTEUR,  J)E  LA   NATURE   DE  LA   LUMIÈRE. 

Nous  allons  nous  occuper  de  la  nature  de  la  lumière ,  de  sa  néces- 
sité pour  voir,  et  de  la  nature  du  diaphane.  Sur  le  premier  article ,  il 
y  a  plusieurs  opinions.  Quelques-uns  ont  dit  que  la  lumière  est  un 
corps ,  déterminés  à  cette  fausse  opinion  par  certaines  locutions  dont 
on  se  sert  en  parlant  de  la  lumière.  En  effet,  nous  avons  coutume  de 
dire  que  le  rayon  traverse  l'air,  que  les  rayons  sont  réverbérés ,  que 
les  rayons  opèrent  une  intersection,  toutes  choses  qui  semblent  être  le 
fait  des  corps.  Cette  opinion  ne  peut  pas  être  soutenue  pour  les  raisons 
qu'allègue  Aristote  dans  le  livre  de  l'Ame  ;  et  il  est  facile  d'en  apporter 


quitur  prœdicatum.  Gonveniens  vero  mé- 
dium in  tertia  figura  est  risibile,  quod  an- 
tecedit  subjectum  et  répugnât  prsedicato. 
Convertibilia  enim  antecedunt  et  sequun- 
tur  ea,  cum  quibus  surit  convertibilia,  ideo 


risibile    antecedit   et  sequitur   hominem. 

Explicit  Opusculum  quadragesimum  no- 
num  divi  Thomœ  Aquinatis,  de  inventione 
medii. 


OPUSCULUM  L. 


EJUSDEM  DOCTOR1S,   DE   NATURA   LUMINIS. 


Considerandum  est  de  natura  luminis,  et 
de  ejus  necessitate  ad  videndum,  et  de  na- 
tura diaphani.  Circa  primum  sciendum  est, 
quod  diversimode  opinati  sunt.  Nam  qui- 
dam dixerunt  lumen  esse  corpus,  ad  quod 
falso  suntmoti  ex  quibusdam  locutionibus, 
quibus  utuntur  loquentes  de  lumine.  Con- 


suevimus  enim  dicere,  quod  radius  transit 
per  aerem,  et  quod  radii  reverberantur ,  et 
quod  radii  intersecant,  quœ  omnia  videu- 
tur  esse  corporum.  Quae  quidem  opinio 
stare  non  potest  propter  rationes  quas  Phi- 
losophus  ponit  in  lib.  De  Anima,  et  plures 
alias  facile  est  adducere.  Non  enim  facile 


DE    LA.    NATURE    DE    LA    LUMIÈRE.  363 

d'autres.  Il  n'est  pas  facile,  en  effet,  d'expliquer  comment  un  corps 
de  cette  nature  se  répand  en  un  clin-d'œil  dans  tout  notre  hémisphère, 
comment  il  se  produit  et  se  détériore ,  comment  même  la  seule  inter- 
position d'un  corps  opaque  désorganise  le  corps  dans  une  autre  partie 
du  diaphane.  Ce  que  l'on  dit  du  mouvement  de  la  lumière  ou  de  sa 
réverbération  se  dit  métaphoriquement,  de  la  même  manière  que 
nous  pourrions  dire  que  la  chaleur  procède  lorsque  certaines  choses 
se  réchauffent  de  nouveau ,  ou  qu'elle  est  réverbérée  lorsqu'elle  ren- 
contre un  obstacle.  D'autres  ont  dit  que  la  lumière  est  une  certaine 
nature  étrangère,  une  qualité  spirituelle,  se  fondant  sur  ce  que, 
dans  les  choses  intellectuelles ,  nous  nous  servons  du  terme  de  lu- 
mière. Nous  disons,  en  effet,  qu'il  y  a  dans  les  substances  intellec- 
tuelles une  certaine  lumière  intellectuelle  ou  intelligible.  Mais  cela 
est  encore  impossible.  Il  est  effectivement  impossible  qu'une  nature 
spirituelle  et  intellectuelle  tombe  sous  les  sens  ;  car  les  sens ,  étant 
corporels ,  ne  peuvent  connoître  que  les  choses  corporelles.  Si  l'on 
disoit  que  la  lumière  spirituelle  est  différente  de  celle  que  les  sens 
perçoivent,  on  pourroit  l'accorder,  pourvu  qu'il  fût  bien  entendu  que 
la  lumière  perçue  par  les  sens  n'est  pas  une  nature  spirituelle.  Rien 
n'empêche ,  en  effet ,  de  donner  un  nom  commun  à  des  choses  tout- 
à-fait  différentes.  Que  si  dans  les  choses  spirituelles  nous  nous  servons 
du  mot  de  lumière  et  autres  termes  qui  appartiennent  à  la  vision  , 
cela  se  fait  à  raison  de  la  noblesse  du  sens  de  la  vue  qui  est  de  tous 
les  sens  le  moins  matériel ,  ce  qui  devient  évident  pour  deux  raisons. 
D'abord  par  son  objet,  car  il  est  certaines  choses  qui  tombent  sous  la 
vue  à  raison  de  propriétés  par  lesquelles  les  corps  inférieurs  commu- 
niquent avec  les  corps  célestes.  Le  tact  perçoit  les  propriétés  qui  sont 
propres  aux  éléments ,  savoir  le  chaud ,  le  froid ,  et  autres  choses 


est  assignare,  quomodo  hujusmodi  corpus 
per  totum  hemisphaerium  nostrum  subito 
multiplicatur,  aut  generatur,  aut  corum- 
patur,  quomodo  etiam  sola  interpositio 
corporis  opaci  esset  causa  corruptionis  hu- 
jus  corporis  in  alia  parte  diaphani.  Quod 
autem  dictum  est  de  motu  luminis,  aut 
réverbéra tione  ipsius,  metaphorice  dictum 
est,  sicut  et  possemus  dicere,  quod  calor 
procedit  dum  aliqua  de  novo  calefiunt,  vel 
reverberatur  dum  habet  obstaculum.  Qui- 
dam vero  alii  dixerunt  quod  lux  est  quae- 
dam  alia  natura,  vel  qualitas  spiritualis, 
argnmentum  sumentes  ex  hoc  quod  in  ré- 
bus intellectualibus  utimur  nomine  lumi- 
nis. Dicimus  enim  in  substantiis  intellec- 
tualibus esse  quoddam  lumen  intellectuale, 
seu  intelligibile.  Sed  hoc  est  impossibile. 
Jmpossibile  enim  est,  quod  aliqua  spiritua- 


lis natura  et  intellectualis  cadat  in  appre- 
hensione  sensus  :  cum  enim  sensus  sit  pars 
corporea ,  non  potest  esse  cognitivus  nisi 
corporalium  rerum.  Si  quis  autem  dicat, 
quod  aliud  est  lumen  spirituale  ab  eo  quod 
sensus  percipit,  cum  eo  est  consentiendum, 
dummodo  hoc  habeatur,  quod  lumen  quod 
visus  percipit ,  non  est  natura  spiritualis. 
Nihil  enim  prohibet  cummune  nomen  im- 
poni  rébus  quantumcumque  diversis.  Quod 
autem  lumine  et  his  quœ  ad  visum  perti- 
nent, utimur  in  rébus  spiritualibus,  con- 
tingit  ex  nobilitate  sensus  visus,  qui  est  spi- 
ritualior  inter  omnes  sensus,  quod  patet  ex 
duobus.  Primo  quidem  ex  objecto  suo  : 
uam  aliqua  cadunt  sub  visu  secundum  pro- 
prietates,  in  quibus  communicant  inferiora 
corpora  cum  cœlestibus.  Tactus  autem  est 
perceptivus  proprietatum,  quœ  sunt  propriae 


364  OPUSCULE    L. 

semblables.  Le  goût  et  l'odorat  perçoivent  les  propriétés  qui  con- 
viennent aux  corps  mixtes,  suivant  la  nature  différente  du  chaud  et 
du  froid,  du  sec  et  de  l'humide.  Le  son  est  produit  par  le  mouvement 
local,  qui  est  commun  aussi  aux  corps  célestes  et  aux  corps  infé- 
rieurs ;  mais  l'espèce  de  mouvement  qui  produit  le  son  ne  convient  pas 
aux  corps  célestes,  suivant  Aristote.  On  voit  donc  ,  d'après  la  nature 
de  l'objet,  que  la  vue  est  le  plus  élevé  des  sens,  que  l'ouïe  vient  après, 
et  que  les  autres  sens  en  sont  plus  éloignés.  Secondement,  il  semble 
que  le  sens  de  la  vue  est  plus  spirituel  d'après  le  mode  d'immutation  ; 
car  dans  tous  les  autres  sens ,  il  n'y  a  point  d'immutation  spirituelle 
sans  une  immutation  naturelle.  J'appelle  immutation  naturelle  la  ré- 
ception de  la  qualité  dans  le  patient,  suivant  l'être  naturel,  comme 
lorsqu'une  chose  se  refroidit,  ou  s'échauffe,  ou  se  meut  respective- 
ment au  lieu.  Il  y  a  immutation  spirituelle,  lorsque  l'espèce  est  reçue 
dans  l'organe  du  sens  par  mode  d'intension ,  et  non  par  mode  de 
forme  naturelle  ;  car  l'espèce  sensible  n'est  pas  reçue  dans  le  sens 
suivant  l'être  qu'elle  a  dans  la  chose  sensible.  On  voit  que  dans  le  tact 
et  le  goût ,  qui  est  une  espèce  de  tact ,  il  se  fait  une  altération  natu- 
relle. En  effet ,  une  chose  s'échauffe  ou  se  refroidit  par  le  contact  d'un 
objet  chaud  et  froid,  et  il  ne  se  fait  pas  seulement  une  immutation 
spirituelle  ;  de  même  l'immutation  de  l'odeur  s'opère  par  une  certaine 
évaporation  de  fumée  ;  l'immutation  du  son  se  fait  avec  un  mouve- 
ment local;  mais  il  n'y  a  que  l'immutation  de  la  vue  qui  soit  une  im- 
mutation spirituelle  ;  d'où  il  résulte  qu'entre  tous  les  sens  la  vue  est 
le  plus  spirituel ,  et  que  l'ouïe  vient  ensuite.  C'est  pour  cela  que  ces 
deux  sens  sont  les  plus  spirituels  et  les  seuls  susceptibles  d'être  disci- 
plinés. C'est  assez  pour  ce  qui  concerne  la  vue.  D'autres  disent  que  la 


elementis,  scilicet  calidi,  et  frigidi,  et  his 
similium.  Gustus  vero  et  olfactus  proprie- 
tatum,  quae  competunt  mixtis  secundum 
diversam  rationem  calidi  et  frigidi,  sicci  et 
humidi  Sonus  autem  causaturex  motu  lo- 
cali,  qui  est  communis  etiam  corporibus 
cœlestibus,  et  inferioribus  :  sed  species  mo- 
tus, quœ  causât  sonum,  non  competit  cor- 
poribus cœlestibus  secundum  sententiam 
Aristotelis.  Unde  ex  ipsa  natura  objecti  ap- 
paret,  quod  visus  est  altior  inter  sensus , 
et  auditus  ei  propinquior,  et  alii  sensus  ma- 
gis  remoti.  Secundo  apparet  quod  sensus 
visus  est  spiritualior  ex  modo  immutatio- 
nis  :  nam  in  quolibet  alio  sensu  non  est 
immutatio  spiritualis  sine  naturali.  Dico 
autem  immutationem  naturalem,  prout 
qualitas  recipitur  in  patiente  secundum 
esse  naturale,  sicut  cum  aliquid  infrigida- 
tur,  aut  calent,  ant  movetur  secundum  lo- 


cum.  Immutatio  vero  spiritualis  est,  secun- 
dum quod  species  recipitur  in  organo  sen- 
sus per  modum  intensionis,  et  non  per  mo- 
dum  formas  naturalis  :  non  enim  sic  reci- 
pitur species  sensibilis  in  sensu,  secundum 
illud  esse  quod  habet  in.re  sensibili  :  Patet 
autem  quod  in  tactu  et  gustu,  qui  est  tac- 
tus  quidam,  fit  alteratio  naturalis.  Calefit 
enim  et  infrigidatur  aliquid  per  tactum 
calidi,  et  frigidi,  et  non  fit  immutatio  spi- 
ritualis tantum  :  similiter  immutatio  odo- 
ris  fit  cum  quadam  fumali  evaporatione, 
immutatio  soni  fit  cum  motu  locali  :  sed 
immutatio  visus,  sola  est  immutatio  spiri- 
tualis :  uude  patet,  quod  visus  inter  om- 
nes  sensus  est  spiritualior,  et  post  hune 
auditus.  Et  propter  hoc  hi  duo  sensus  sunt 
maxime  spirituales,  et  soli  sunt  disciplina- 
biles  :  et  hœc  de  his  quœ  pertinent  ad  vi- 
sum.  Alii  vero  dicunt ,  quod  lux  non  est 


DE    LA    NATURE    DE   LA    LUMIÈRE.  365 

lumière  n'est  autre  chose  que  l'évidence  de  la  couleur.  Mais  cette 
assertion  paroît  fausse  dans  les  choses  qui  luisent  la  nuit ,  et  dont  la 
couleur  est  néanmoins  cachée.  D'autres  disent  que  la  lumière  est  la 
forme  substantielle  du  soleil ,  une  lumière  venant  de  la  lumière  ,  et 
ayant  un  être  intentionnel ,  comme  la  couleur  dans  l'air.  Or  ces  deux 
choses  sont  fausses.  La  première  d'abord,  parce  que  nulle  forme  sub- 
stantielle n'est  sensible  par  elle-même,  elle  n'est  compréhensible  que 
par  l'intellect.  Et  si  l'on  dit  que  ce  qu'on  voit  du  soleil  n'est  pas  la 
lumière  ,  mais  une  splendeur,  on  peut  bien  accorder  le  mot,  pourvu 
que  ce  que  nous  disons  être  saisi  par  la  vue  ne  soit  pas  une  forme 
substantielle.  La  seconde  chose  est  également  fausse ,  parce  que  les 
choses  qui  n'ont  que  l'être  intentionnel  n'opèrent  pas  de  transmutation 
naturelle  ;  or  les  rayons  des  corps  célestes  transforment  toute  la  ma- 
tière inférieure.  C'est  pourquoi  nous  disons  que ,  de  même  que  les 
corps  élémentaires  ont  des  qualités  actives  par  lesquelles  ils  agissent , 
de  même  la  lumière  est  la  qualité  active  d'un  corps  céleste  par  laquelle 
il  agit,  et  elle  est  dans  la  troisième  espèce  de  la  qualité.  Or,  comme 
elle  est  la  qualité  d'un  premier  corps  altérant ,  elle  n'a  pas  de  con- 
traire ;  et  comme  il  n'y  a  rien  de  contraire  à  la  lumière ,  elle  ne  peut 
pas  conséquemment  trouver  de  disposition  contraire  dans  ce  qui  la 
reçoit.  A  cause  de  cela,  son  passif ,  c'est-à-dire  le  diaphane,  est  tou- 
jours dans  la  dernière  disposition  à  la  forme,  c'est  pour  cela  qu'il 
s'illumine  instantanément.  Au  contraire ,  ce  qui  est  susceptible  de 
caléfaction  ,  n'ayant  pas  de  disposition  contraire ,  n'est  pas  toujours 
pour  cette  raison  dans  la  dernière  disposition  à  sa  forme ,  et  c'est 
pour  cela  que  ce  qui  est  susceptible  de  caléfaction  ne  s'échauffe  pas 
instantanément.  Donc  la  participation  de  la  lumière  opérée  dans  le 
diaphane  s'appelle  lumière ,  et  s'effectue  suivant  la  ligne  droite  au 

nisi  evidentia  coloris.  Sed  hoc  apparet  fal-    sicut  corporea  elementaria  habent  qualita- 

tes  activas  per  quas  agunt,  ita  lux  est  qua- 
litas  activa  corporis  cœlestis  per  quain  agit, 
et  est  in  tertia  specie  qualitatis.  Cum  au- 
tem  sit  qualitas  primi  corporis  alterantis, 
non  habet  contrarium,  et  quia  luci  nihil 
est  contrarium,  ideo  in  suo  susceptibili 
non  potest  habere  contrariant  dispositio- 
nem.  Et  propterhoc  suumpassum,  scilicet 
diaphanum  semper  est  in  ultiraa  disposi- 
tione  ad  formam,  et  propter  hoc  statim  il- 
luminatur.  Galefactibile  autem,  quia  habet 
contrariam  dispositionem,  propter  hoc  non 
est  semper  in  ultiraa  dispositione  ad  for- 
mam, et  ideo  non  statim  calefactibile  cale- 
fit.  Ipsa  ergo  participatio  lucis  effecta  iu 
diaphano,  vocatur  lumen,  et  fit  secundum 
lineam  rectam  ad  corpus  luciduni,  et  tune 
vocatur  radius.  Si  autem  causatur  ex  re- 


sum  in  his,  quse  de  nocte  lucent ,  et  tamen 
eorum  color  occultatur.  Alii  vero  dicunt , 
quod  lux  est  forma  substantialis  solis  ,  et 
lumen  a  luce  descendens,  habet  esse  in- 
tentionale,  sicut  color  in  aère  :  utrumque 
autem  horum  est  falsum.  Primum  qui- 
dem,  quia  nulla  forma  substantialis  est 
sensibilis  per  se ,  sed  solo  intellectu  com- 
prehensibilis.  Et  si  dicatur,  quod  id  quod 
videtur  de  sole  non  est  lux,  sed  splendor, 
bene  concedendum  est  de  nomine,  dum- 
modo  hoc  quod  dicimus,  quod  visu  com- 
prehenditur,  non  sit  forma  substantialis. 
Secundum  similiter  est  falsum ,  quia  quœ 
solum  habent  esse  intentionale,  non  faciunt 
transmutationem  naturalem ,  radii  autem 
corporum  cœlestium  transmutant  totam 
materiam  inferiorem.  Unde  dicimus,  quod 


366  OPUSCULE   L. 

corps  lucide  ,  et  s'appelle  alors  rayon.  Mais  si  elle  est  produite  par  la 
réverbération  du  rayon  au  corps  lucide  ,  elle  s'appelle  splendeur.  Or 
la  lumière  est  commune  à  tout  effet  de  la  lueur  dans  le  diaphane. 
Après  ces  considérations  sur  la  nature  de  la  lumière  ,  on  voit  facile- 
ment la  raison  pourquoi  certains  corps  sont  lucides  actu ,  certains 
autres  diaphanes  ,  et  d'autres  opaques.  Car  la  lumière  étant  une  qua- 
lité du  premier  altérant ,  qui  est  le  plus  parfait ,  et  formel  dans  les 
corps ,  les  corps  qui  sont  les  plus  formels  et  les  plus  mobiles  sont 
lucides  actu;  ceux  qui  les  approchent  sont  réceptifs  de  la  lumière, 
comme  les  diaphanes;  et  ceux  qui  sont  tout-à-fait  matériels,  n'ont 
pas  la  lumière  dans  leur  nature,  et  ne  sont  pas  réceptifs  de  la  lumière, 
mais  ils  sont  opaques.  On  remarque  cela  dans  les  éléments,  car  le 
feu  a  la  lumière  dans  sa  nature  ,  mais  sa  lumière  ne  nous  est  appa- 
rente que  dans  une  matière  étrangère  à  raison  de  sa  subtibilité.  L'air 
et  l'eau  sont  moins  formels  que  le  feu,  aussi  ils  ne  sont  que  diaphanes. 
La  terre,  qui  est  le  plus  matériel  des  éléments,  est  opaque.  Néanmoins, 
il  faut  savoir  que  quelques  physiciens  ont  dit  que  la  lumière  est 
nécessaire  pourvoir  du  côté  de  la  couleur.  Or  ils  disent  que  la  couleur 
n'a  la  force  de  mouvoir  le  diaphane  que  de  près;  ils  donnent  pour 
preuve  de  cela  que  celui  qui  est  dans  l'obscurité  voit  les  choses  qui 
sont  dans  la  lumière  ,  mais  non  réciproquement.  Ils  donnent  encore 
une  autre  raison  ,  c'est  que  la  vue  étant  une,  il  faut  que  ce  qui  est 
visible  ne  le  soit  que  par  un  moyen  ,  ce  qui  ne  seroit  pas  si  la  couleur 
étoit  visible  par  elle-même.  Mais  cela  est  évidemment  contraire  à  ce 
que  dit  Aristote  ,  livre  II  de  l'Ame ,  que  la  couleur  a  en  elle-même 
une  cause  d'être  visible.  C'est  pourquoi ,  suivant  le  sentiment  d'Aris- 
tote  ,  il  faut  dire  que  la  lumière  pour  voir  est  nécessaire  non  du  côté 
de  la  couleur,  par  la  raison  qu'elle  met  les  couleurs  en  acte  ,  comme 


verberatione  radii  ad  corpus  lucens,  voca- 
tur  splendor.  Lumen  autem  est  commune 
ad  omnem  effectum  lucis  in  diaphano.  His 
visis  secundum  naturam  lucis  de  facili  ap- 
paret  ratio,  quare  quœdam  corpora  sunt 
lucidaactu,  quaedam  diaphana,  et  quaedam 
opaca.  Nam  curn  lux  sit  qualitas  primi  al- 
terantis,  quod  est  maxime  perfectum  ,  et 
formale  in  corporalibus ,  illa  corpora  quae 
sunt  maxime  formalia  et  mobilia,  sunt  actu 
lucida  :  quae  autem  sunt  propinqua  his, 
sunt  receptiva  luminis,  sicut  diaphana; 
quce  autem  sunt  maxime  materiala,  neque 
habent  lumen  in  sui  natura ,  neque  sunt 
luminis  receptiva,  sed  sunt  opaca.  Ista  pa- 
tent in  elementis,  nam  ignis  habet  lucem 
in  sui  natura,  sed  ejus  lux  non  apparet  no- 
biscum,  nisi  inmateria  aliéna  propter  ejus 
subtilitatem.  Aer  autem,  et  aqua  sunt  mi- 


nus formalia  quam  ignis ,  et  ideo  sunt  tan- 
tum  diaphana.  Terra  autem  quae  est  ma- 
xime materialis,  est  opaca.  Tamen  est  scien- 
dum,  quod  quidam  dixerunt,  quod  lux  est 
necessaria  ad  videndum  ex  parte  ipsius  co- 
loris. Dicunt  autem  quod  color  non  habet 
virtutem  ut  moveat  diaphanum,  nisi  pro- 
pe  :  et  hujus  signum  dicunt ,  quia  ille  qui 
est  in  obscuro ,  videt  quae  sunt  in  lumine, 
et  non  econverso.  Rationem  etiam  addu- 
cunt  ad  hoc,  quod  oportet  cum  visas  sit 
unus ,  quod  visibile  non  sit  nisi  per  unam 
rationem ,  quod  non  esset ,  si  color  esset 
per  se  visibile.  Sed  hoc  est  manifeste  con- 
tra Aristotelem  ,  Il  de  Anima,  qui  dicit, 
quod  color  habet  in  se  causam  essendi  visi- 
bile. Unde  secundum  sententiam  Aristote- 
lis  dicendum  est,  quod  lumen  ad  videndum 
est  necessarium  non  ex  parte  coloris,  eo 


DE    LA.    NATURE    DE    LA   LUMIÈRE.  367 

disent  certains ,  car  elle  n'est  qu'en  puissance  lorsqu'elle  est  dans  les 
ténèbres,  mais  bien  du  côté  du  diaphane  en  tant  qu'elle  le  met  en 
acte,  comme  dit  Aristote.  Pour  comprendre  l'évidence  de  cela,  il  faut 
considérer  que  toute  forme,  comme  telle  ,  est  un  principe  de  produc- 
tion de  quelque  chose  semblable  à  elle  ,  d'où  il  suit  que  la  couleur 
étant  une  certaine  forme  tient  d'elle-même  de  quoi  produire  sa  res- 
semblance. Il  faut  néanmoins  savoir  qu'il  y  a  une  puissance  parfaite 
et  une  puissance  imparfaite.  Car  la  forme  qui  a  une  vertu  parfaite 
dans  l'action,  peut  non-seulement  introduire  sa  ressemblance  dans 
son  susceptible,  mais  encore  disposer  le  patient  à  être  son  propre  sus- 
ceptif,  ce  que  ne  peut  faire  la  forme  imparfaite,  puisque  elle  n'a 
qu'une  vertu  imparfaite.  Il  faut  donc  dire  que  la  vertu  de  la  couleur 
dans  l'action  réside  dans  la  nature  parfaite  de  la  lumière.  Car  la  cou- 
leur n'est  autre  chose  que  la  lumière  obscure  sous  certains  rapports 
par  l'admixtion  d'un  corps ,  ce  qui  fait  qu'elle  n'a  pas  la  puissance 
d'illuminer  le  diaphane,  effet  que  produit  cependant  la  lumière  pure. 
On  voit  aussi  par  là  que  la  lumière  étant  en  quelque  façon  la  sub- 
stance de  la  couleur,  tout  ce  qui  est  visible  en  acte  se  ramène  à  elle; 
et  il  n'est  pas  nécessaire  que  la  couleur  devienne  visible  actu,  par  la 
lumière  extrinsèque.  Ce  qui  fait  que  les  couleurs  illuminées  se  voient 
de  celui  qui  est  dans  l'obscurité  ,  c'est  que  le  milieu  est  illuminé  ,  et 
cela  suffit  pour  l'immutation  de  la  vue. 

Fin  du  cinquantième  Opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin  sur  la 
nature  de  la  lumière. 

L'abbé  VÉDRINE. 


quod  facit  colores  esse  actu,  ut  quidam  di- 
cunt,  est  eiiim  tantum  in  potentia  cum  est 
in  tenebris  :  sed  est  ex  parte  diaphani ,  in 
quantum  facit  ipsum  esse  in  actu,  ut  dicit 
Aristoteles.  Ad  cujus  evidentiam  conside- 
randum  est,  quod  omnis  forma,  in  quantum 
hujusmodi,  est  principium  agendi  sibi  si- 
mile,  unde  cum  color  sit  quaedam  forma, 
ex  se  habet  quod  causet  sui  similitudinem 
in  medio.  Sed  tamen  sciendum  est,  quod 
differentia  est  inter  virtutem  perfectam  et 
imperfectam.  Nam  forma  quae  est  perfec- 
tae  virtutis  in  agendo,  non  solum  potest  in- 
ducere  suam  similitudinem  in  suo  suscep- 
tibili,  sed  etiarn  disponere  patiens  ut  sit 
proprium  ejus  susceptivum,  quod  quidem 
non  potest  facere  forma  imperfecta,  cum 


sit  imperfectse  virtutis.  Dicendum  est  ergo, 
quod  virtus  coloris  in  agendo  est  in  per- 
fecta  ratione  luminis.  Nam  color  nihil  aliud 
est,  quam  quaedam  lux  quodammodo  obs- 
cura  ex  admistione  corporis,  unde  non  ha- 
bet virtutem  ut  possit  illuminare  diapha- 
num,  quod  tamen  potest  facere  lux  pura. 
Ex  quo  etiam  patet,  quod  cum  lux  sit  quo- 
dammodo substantia  coloris,  ad  eam  redu- 
citur  omne  visibile  actu  :  nec  oportet,  quod 
color  per  lumen  extiïnsecum  fiât  actu  visi- 
bilis.  Quod  autem  colores  illuminati  \i- 
dentur  ab  eo  qui  est  in  obscuro ,  contingit 
ex  hoc,  quod  médium  illuminatur,  et  hoc 
sufficit  ad  visusimmutationem.. 

Explicit    Opusculum    quinquagesimum , 
S.  Thomœ  Aquinatis,  de  natura  luminis. 


368 


OPUSCULE    LI. 


OPUSCULE  LI. 

DU   MÊME    AUTEUR,    DE   LA   NATURE   DU   LIEU. 

Pour  cormoître  la  nature  du  lieu,  il  faut  considérer  qu'on  ne  cher- 
cheroit  pas  de  lieu  s'il  n'existoit  pas  quelque  mouvement  relatif  au 
lieu.  En  effet ,  comme  d'après  la  transmutation  des  diverses  formes 
par  rapport  à  la  matière  nous  connoissons  que  la  matière  est  diffé- 
rente des  autres  formes,  de  même  d'après  la  transmutation  des  divers 
corps  relativement  au  même  lieu,  nous  savons  que  le  lieu  est  quelque 
chose  comme  le  réceptacle  des  corps  différent  de  tous  les  corps.  Or  le 
lieu  naturel  ne  désigne  pas  seulement  un  contenant,  mais  contenant, 
conservant  et  formant  les  choses  localisées,  en  raison  de  quoi  chaque 
corps  se  meut  naturellement  vers  son  lieu  comme  vers  ce' qui  doit 
conserver  son  être.  Le  lieu  suivant  ce  qu'il  est  n'est  ni  la  matière ,  ni 
la  forme  de  la  chose  localisée ,  parce  que  la  matière  et  la  forme  ne 
sont  pas  séparées  de  la  chose.  Or  le  lieu  peut  se  séparer  de  la  chose 
localisée,  et  non  l'espace  dimensionné  existant  en-dessous  des  limites 
du  corps  contenant ,  parce  qu'il  n'y  a  rien  en-dessous  des  limites  du 
corps  contenant  qui  soit  circonscrit  par  la  grandeur  du  corps  de  ce 
qui  est  contenu.  La  raison  en  est  que  si  ce  qui  est  circonscrit  par  la 
grandeur  du  corps  contenu  étoit  un  espace  en-dessous  des  limites 
du  corps  contenant,  cela  auroit  des  dimensions  de  longueur,  de 


OPUSCULUM  LI. 

EJUSDEM   DOCTORIS,    DE    NATURA    LOGI. 


Ad  sciendum  naturam  loci,  considerare 
oportet,  quod  non  quœreretur  locus,  nisi 
esset  aliquismotus  secundum  locum.  Sicut 
enim  ex  transmutatione  diversarum  forma- 
rum  circa  materiam,  scimus  materiam  esse 
aliud  ab  omnibus  for  mis,  sic  ex  transmu- 
tatione diversorum  corporum  circa  eum- 
dem  locum,  scimus  locum  aliquid  essetan- 
quam  receptaculum  corporum  aliud  ab 
omnibus  corporibus.  Locus  autem  natura- 
lis  non  nominat  solum  aliquid  continens, 
sed  continens ,  et  conservans ,  et  formans 
locata,  propter  quod  unumquodque  cor- 
pus naturaliter  movetur  ad  locum  suum, 


tanquam  ad  conservativum  esse  sui.  Locus 
vero  secundum  id  quod  est ,  nec  materia 
est,  nec  forma  locati,  quia  materia  et 
forma  non  separantur  a  re  :  locus  autem 
separabilis  est  a  locato,  nec  etiam  spatium 
dimensionatum  infra  terminos  corporis 
continentis  existens,  quia  nihil  est  infra 
terminos  corporis  continentis  circumscripta 
magnitudine  corporis  contenti.  Cujus  ratio 
est,  quia  si  circumscripta  magnitudine  cor- 
poris contenti  esset  aliquod  spatium  infra 
terminos  corporis  continentis,  taie  esset  di- 
mensionatum longitudine,  latitudine,  et 
profunditate  :  dimensiones  autem  sunt  ac- 


DE    LA    NATURE    DU   LIEU.  369 

largeur  et  de  profondeur;  or  les  dimensions  sont  des  accidents,  puis- 
qu'elles sont  des  quantités,  donc  elles  ne  peuvent  être  dans  d'autre 
sujet  qu'un  corps.  Si  donc  il  y  avoit  un  espace  en-dessous  des  limites 
du  corps  contenant  en  dehors  de  la  grandeur  du  corps  contenu,  il  s'en- 
suivroit  qu'il  y  a  des  accidents  sans  sujet,  ce  qui  est  impossible.  Donc 
le  lieu  n'est  ni  une  matière,  ni  une  forme,  ni  un  espace  contenu  en- 
dessous  des  limites  du  corps  contenant.  Qu'il  n'est  pas  un  espace, 
on  le  prouve  ainsi  d'une  autre  manière  :  si  le  lieu  étoit  un  espace 
en-dessous  des  limites  du  corps  contenant,  il  s'ensuivroit  que  des 
lieux  infinis  existeroient  en  même  temps,  ainsi  que  le  déduit  Aristote, 
parce  que  l'air,  l'eau  et  tout  corps  quelconque  aussi  bien  que  les 
parties  d'un  corps  ayant  des  dimensions  propres  et  des  distances 
propres ,  toutes  les  parties  font  dans  le  tout  ce  que  fait  la  totalité  de 
l'eau  dans  le  vase ,  parce  que  suivant  la  supposition  de  ceux  qui 
pensent  que  l'espace  est  un  lieu,  lorsque  l'eau  est  dans  le  vase,  outre 
les  dimensions  de  l'eau,  il  y  a  d'autres  dimensions  de  l'espace  qui  pé- 
nètrent les  dimensions  de  l'eau.  Or  il  est  constant  que  la  partie  est 
contenue  dans  le  tout  de  la  même  manière  que  l'eau  dans  le  vase, 
si  ce  n'est  que  la  chose  localisée  est  séparée  du  lieu  ;  tandis  que  la 
partie  n'est  pas  actuellement  séparée  du  tout.  Si  donc  on  sépare  la 
partie  du  tout ,  outre  les  dimensions  de  la  partie  ,  il  y  aura  d'autres 
dimensions  du  tout  pénétrant  les  dimensions  des  parties.  Il  est  évident 
que  la  division  ne  crée  pas  de  nouvelles  dimensions  ,  elle  ne  fait  que 
séparer  celles  qui  existoient  déjà.  Or  comme  après  la  séparation  il  y 
a  d'autres  dimensions  du  tout  pénétrant  les  divisions  des  parties ,  il  y 
en  aura  de  même  avant  la  séparation.  Autant  donc  que  l'on  prendra 
de  parties  dans  un  tout  se  contenant  l'une  l'autre,  autant  il  y  aura  de 
dimensions  se  pénétrant  réciproquement  :  mais  dans  un  tout  continu 


cidentia,  cum  sint  quantitates,  ergo  non 
possunt  esse  insubjecto,  nisi  incorpore.  Si 
ergo  esset  aliquod  spatium  infra  terminos 
corporis  continentis  preeter  magnitudinem 
corporis  contenti ,  sequitur  quod  esset  ali- 
quod acculens  sine  subjecto,  quod  est  im- 
possibile.  Locus  ergo  neque  est  materia, 
neque  forma,  neque  spatium  infra  termi- 
nos corporis  continentis  contentum.  Quod 
non  sit  spatium,  probatur  aliter  sic  :  quia 
si  locus  eset  spatium  infra  terminos  corpo- 
ris continentis,  sequitur  quod  infinita  loca 
essent  simul,  sicut  deducit  Philosophus, 
quia  cum  aer,  et  aqua,  et  quodlibet  cor- 
pus, et  quaelibet  partes  corporis  habeant 
proprias  dimensiones,  et  proprias  distan- 
tias,  idem  faciunt  omnes  partes  in  toto 
quod  tota  aqua  in  vase,  quia  secundum 
positionem  eorum  qui  tenent  sententiam 

Y. 


de  spatio  quod  sit  locus,  cum  aqua  est  in 
vase,  praeter  dimensiones  aquae  sunt  ibi 
aliae  dimensiones  spatii  pénétrantes  dimen- 
siones aquae.  Constat  autem  quod  eodem 
modo  pars  continetur  in  toto ,  sicut  aqua 
in  vase ,  nisi  quod  locatum  est  divisum  a 
loco  :  pars  autem  non  est  actu  divisa  a 
toto.  Si  ergo  dividatur  pars  a  toto  prœter 
dimensiones  partis  essent  ibi  aliœ  dimen- 
siones totius,  pénétrantes  dimensiones  par- 
tium.  Manifestum  est  autem,  quod  divisio 
non  facit  de  novo  esse  ibi  dimensiones, 
sed  pneexistentes  dividit.  Sicut  autem  post 
divisionem  sunt  ibi  alise  dimensiones  to- 
tius, pénétrantes  dimensiones  partium,  sic 
erunt  ante  divisionem.  Quot  ergo  partes 
convenit  accipere  in  aliquo  toto ,  quarum 
una  continet  aliam,  tôt  erunt  dimensiones 
se  invicem  pénétrantes  :  sed  in  aliquo  toto 

24 


370  OPUSCULE    LI. 

il  y  a  à  prendre  des  parties  infinies,  dont  l'une  contient  l'autre,  par  la 
raison  qu'un  tout  continu  est  divisible  à  l'infini.  Donc  dans  un  tout 
continu  il  y  aura  des  dimensions  infinies  se  pénétrant  réciproque- 
ment. Si  donc  les  dimensions  sont  un  lieu,  il  s'ensuit  qu'il  y  a  en- 
semble des  lieux  infinis,  ce  qui  est  impossible.  Donc  de  ce  jque  le 
lieu  n'est  ni  matière,  ni  forme,  ni  espace,  il  s'ensuit  qu'il  est  une 
quatrième  chose,  savoir  la  limite  du  corps  contenant.  Or  le  lieu  n'est 
pas  seulement  la  limite  du  corps  contenant,  mais  il  est  encore  immo- 
bile, et  il  y  en  a  qui  considèrent  cette  immobilité  comme  existant  à 
l'égard  de  la  chose  localisée.  En  effet,  quoique  le  lieu  subisse  le  mou- 
vement du  corps  contenant,  parce  qu'il  est  son  dernier  terme,  il  ne 
subit  pas  néanmoins  le  mouvement  de  la  chose  localisée.  Cela  n'est 
pas  suffisamment  établi  et  n'est  pas  conforme  à  ce  que  veut  Aristote, 
que  de  même  que  le  vase  est  un  lieu  mobile,  le  lieu  est  aussi  un  vase 
immobile.  Il  faut  donc  donner  une  plus  grande  immobilité  au  lieu 
naturel  qu'au  vase.  Le  vase  étant  donc  immobile  par  le  mouvement 
de  ce  qui  est  dans  le  vase ,  et  le  lieu  étant  plus  immobile  que  le  vase, 
il  s'ensuit  que  le  lieu  n'est  pas  immobile  par  le  mouvement  de  ce  qui 
est  contenu  ,  mais  même  de  ce  qui  contient.  Ce  qui  le  confirme  c'est 
que  par  rapport  à  une  chose  contenue  restant  immobile,  comme  une 
maison  ou  un  arbre,  il  se  fait  un  changement  du  contenant,  comme 
de  l'air.  Donc  si  le  lieu  subissoit  le  mouvement  du  contenant,  il  en 
résultèrent  que  restant  immobile  il  se  produirait  en  divers  lieux  ,  ce 
qui  est  impossible.  Donc  le  lieu  ne  subit  pas  le  mouvement  du  corps 
localisé,  mais  il  ne  subit  pas  non  plus  celui  du  contenant.  C'est  pour- 
quoi Aristote  dit,  que  le  navire  qui  se  trouve  dans  les  eaux  d'un  fleuve 
qui  se  meuvent,  s'y  trouve  plutôt  comme  dans  un  vase  que  comme 
dans  un  lieu  qui  le  contient.  Car  il  est  de  la  nature  du  lieu  d'être  im- 

continuo  est  accipere  inflnitas  partes,  qua-  eus  mobilis,  ita  locus  est  vas  immobile, 
rum  una  continet  aliam ,  eo  quod  quodli-  Majorem  ergo  immobilitatem  oportet  dare 
bet  totum  contimuim  divisibile  est  in  infi-  loco  naturali,  quam  vasi.  Cum  ergo  vas  sit 
niturn ,  ergo  in  aliquo  toto  continuo  erunt  immobile  motu  ejus  quod  est  in  vase,  et  lo- 
infinitse  dimensiones  se  invicem  penetran-  eus  sit  magis  immobilis,  quam  vas,  sequi- 
tes.  Si  ergo  dimensiones  sunt  locus,  sequi-  tur,  quod  locus  non  sit  immobilis  motu 
tur  quod  iniinita  loca  sunt  simul ,  quod  contenti,  sed  etiam  continentis.  Et  confir- 
est  impossibile.  Ex  quo  ergo  locus  non  est  matur,  quod  circa  aliquod  contentum  ma- 
materia,  nec  forma,  nec  spatiurn,  sequitur  nens  immobile,  puta  circa  domurn,  vel  ar- 
quod  sit  quartum,  scilicet  terminus  corpo- 1  borem,  contingit  mutationem  fieri  conti- 
ns continentis.  Locus  autem  non  solum  '  nentis,  puta  aeris.  Si  ergo  locus  moveretur 
est  terminus  corporis  continentis,  sed  motu  continentis,  sequitur  quod  idem 
etiam  est  immobilis,  et  hanc  immubilita-  ,  manens  immobile  fleret  in  diversis  locis, 
tem  quidam  intelhgunt  esse  respectu  lo-  j  quod  est  impossibile.  Locus  ergo  non  so- 
cati.  Locus  enim  liect  moveaturmotu  con-  j  lum  est  immobilis  motu  locati,  sed  etiam 
tineutis,  quia  ejus  ultimumest,  non  tamen  j  motu  continentis.  Propter  quod  dicit  Phi- 
movetur  motu  locati.  lstud  est  insufficien-  j  losophus,  quod  si  Davis  sit  in  aqua  tluvii 
ter  dictum,  nec  est  secundum  mentem  quae  movetur,  magis  utitur  ea  tanquam 
Puilosophi  qui  vult,  quod  sicut  vas  est  lo-  j  vase,  quam  sicut  loco  continente.  De  na- 


DE   LA. NATURE    DU   LIEU.  371 

mobile.  Aussi  tout  le  fleuve  qui  dans  sa  totalité  est  immobile ,  doit 
plutôt  être  dit  le  lieu  du  navire  que  cette  eau  qui  s'écoule  et  se  meut. 
En  effet,  tout  le  fleuve  n'est  pas  le  lieu  propre,  mais  bien  le  lieu  com- 
mun du  navire,  il  faut  donc  prendre  le  lieu  propre  du  navire  dans  le 
fleuve  par  rapport  à  tout  le  fleuve  qui  est  immobile.  Il  faut  donc 
prendre  le  lieu  propre  dans  le  fleuve,  non  suivant  cette  eau  qui  coule 
et  se  meut,  mais  suivant  l'ordre  et  la  position  qu'il  a  à  l'égard  de  tout 
le  fleuve,  lesquels  restent  dans  l'eau  qui  vient  les  mêmes  qu'ils  étoient 
dans  l'eau  qui  s'en  va,  par  rapport  à  tout  le  fleuve.  Quoique,  en  effet, 
l'eau  s'écoule  matériellement,  néanmoins,  comme  l'ordre  et  la  posi- 
tion restent  les  mêmes  par  rapport  à  tout  le  fleuve,  il  en  est  de  même 
du  lieu.  C'est  de  cette  manière  que  nous  devons  comprendre  que  les 
extrémités  des  corps  naturels  sont  un  lieu  parle  rapport,  l'ordre  et  la 
position  qu'elles  ont  relativement  à  tout  le  corps  du  ciel  qui  est  le  pre- 
mier contenant,  conservateur  et  localisateur.  En  effet,  quoique  la  sur- 
face de  l'air  ou  de  l'eau  se  meuve  suivant  qu'elle  est  la  limite  dernière 
de  tel  ou  tel  corps ,  il  succède  néanmoins  un  autre  corps  qui  a  la 
même  situation  et  le  même  ordre  selon  la  nature  relativement  au 
premier  ordonnateur  ou  locateur  qui  est  le  ciel ,  en  raison  de  quoi  il 
reste  numériquement  le  même  lieu.  Par  là  se  trouve  détruite  cette 
objection  que  l'on  fait.  Le  lieu  est  la  dernière  limite  du  contenant , 
mais  le  contenant  se  meut,  donc  le  lieu  se  meut  aussi;  cet  argument 
seroit  bon  si  la  dernière  limite  du  contenant  qui  le  constitue  tel  étoit 
un  lieu.  Mais  cela  n'est  pas  vrai,  car  elle  n'a  aucun  caractère  de  lieu 
ou  de  locateur  que  par  comparaison  au  premier  locateur.  Que  la  di- 
versité des  surfaces  ne  soit  pas  un  obstacle  à  l'unité  du  lieu,  c'est  évi- 
dent, parce  qu'à  une  chose  localisée  numériquement  répond  numéri- 


tura  eiiim  loci  est,  quod  fit  immobilis 
Unde  totus  fluvius,  qui  secundum  se  totum 
est  immobilis,  magis  débet  dici  locus  navis, 
quam  hœc  aqua  quœ  fluit  et  movetur.  To- 
tus enim  fluvius-  non  est  locus  proprius 
navis,  sed  communis,  et  ideo  locum  pro- 
prium  navis  in  fluvio  oportet  accipere  per 
comparationem  ad  totum  fluvium ,  qui  est 
immobilis.  Est  ergo  accipere  locurn  pro- 
prium  in  fluvio  non  secundum  hanc  aquam 
quae  fluit,  et  movetur,  sed  secundum  ordi- 
nem  et  situm  quem  habet  ad  totum  flu- 
vium. qui  quidem  ordo  et  situs  manet  in 
aqua  succedente,  qui  erat  in  aqua  rece- 
dente  respectu  totius  fluvii.  Quamvis  enim 
aqua  rnaterialiter  fluat ,  tamen  quia  ma- 
net idem  ordo  et  situs  respectu  totius  flu- 
vii, manet  etiam  idem  locus.  Et  secundum 
hune  modum  debemus  intelligere,  quod 
extremitatescorporum  naturalium  sint  lo- 
cus, scilicet    per  comparationem,  et  ordi- 


nem,  et  situm,  quem  habent  ad  totum  cor- 
pus ipsius  cœli,  quod  est  primum  conti- 
nens,  et  conservans,  et  locans.  Quamvis 
enim  moveatur  superficies  aeris,  vel  aquae 
secundum  quod  est  ultimum  hujuscorporis, 
vel  illius,  succedit  tamen  aliud  corpus, 
quod  eumdem  situm  et  ordinem  secundum 
naturam  habet  ad  primum  ordinans ,  sive 
locans,  quod  est  cœlum,  propter  quod  ma- 
net idem  locus  numéro.  Unde  cessât  objec- 
tio  quam  faciunt  aliquisic  :  Locus  est  ulti- 
mum continentis  ;  sed  continens  movetur, 
ergo  locus  movetur.  Hœc  enim  ratio  bene 
procederet,  si  ultimum  continentis  secun- 
dum quod  hoc  continens  est,  esset  locus. 
Hoc  autem  non  est  verum,  quia  nihil  ha- 
bet rationem  loci,  vel  locantis,  nisi  per 
comparationem  ad  primum  locans.  Quod 
autem  diversitas  superficierum  non  impe- 
diat  unitatem  loci,  patet,  quia  uni  locato 
secundum  numerum  correspondet  unus  lo- 


372  OPUSCULE    LI. 

quement  un  lieu  simul  et  semel.  Mais  un  bâton  étant  à  moitié  dans 
l'eau  et  à  moitié  dans  l'air  est  quelque  chose  d'un  localisé  numéri- 
quement. Donc  il  se  trouve  dans  un  lieu  unique  numériquement, 
mais  il  est  en  même  temps  dans  des  superficies  diverses  d'air  et  d'eau. 
Donc  la  diversité  des  surfaces  n'est  pas  un  obstacle  à  la  diversité  de 
lieu.  Il  faut  donc  prendre  l'unité  du  lieu  suivant  l'ordre  et  la  position 
relativement  au  premier  locateur.  La  raison  de  tout  cela  c'est  que  , 
ainsi  qu'on  l'a  dit  plus  haut ,  le  lieu  n'est  pas  seulement  contenant , 
mais  il  est  contenant  et  conservateur  :  or  rien  n'a  un  caractère  de  con- 
servation que  par  la  vertu  et  l'influence  d'un  corps  céleste  qu'il  reçoit 
suivant  qu'il  se  trouve  dans  une  position  et  une  distance  déterminées. 
Voilà  la  raison  pourquoi  une  chose  a  le  caractère  de  lieu,  c'est  par 
comparaison  au  premier  locateur.  Le  lieu  est  immobile,  parce  que  le 
milieu  du  ciel,  qui  est  le  centre,  et  la  dernière  superficie  du  corps 
circulaire,  qui  est  le  ciel,  sont  disposés  de  manière  qu'on  dit  que  telle 
chose  est  en  haut  et  telle  autre  en  bas ,  ce  qui  fait  deux  différences  de 
heu;  car  ces  deux,  choses  sont  tout-à-fait  immobiles.  Le  centre  est 
toujours  immobile  :  quant  au  ciel,  quoiqu'il  soit  toujours  en  mouve- 
ment ,  il  est  toujours  à  la  même  distance  par  rapport  à  nous.  Ce  que 
nous  avons  dit  du  lieu ,  nous  l'entendons  du  lieu  naturel ,  qui  con- 
serve les  corps  naturels ,  et  ce  lieu  est  dû  d'abord  aux  éléments  élé- 
mentés  par  les  éléments.  En  effet,  le  lieu  naturel  du  feu  est  la  surface 
concave  de  l'orbe  de  la  lune  qui  est  toujours  à  la  même  distance  du 
feu,  et  qui  pour  cette  raison  est  dite  immobile.  Le  lieu  de  l'air  est  la 
superficie  concave  du  feu,  et  ainsi  des  autres  choses  dans  leur  genre. 
Le  lieu  de  toutes  les  choses  élémentées  est  un  lieu  inférieur ,  parce 
que  la  terre  est  supérieure  suivant  la  quantité  à  toute  chose  élémentée. 


eus  secundum  numerum  simul ,  et  semel  : 
sed  baculus  unus  dimidius  existens  in  aqua, 
et  dimidius  iu  aère ,  est  aliquod  unum  lo- 
catum  secundum  numerum,  ergo  est  in  ali- 
quo  uno  loco  secundum  numerum  :  sed  est 
in  diversis  superficiebus  aeris  et  aquae,  ergo 
diversitas  superficierum  non  impedit  unita- 
tem  loci.  Unitas  ergo  loci  accipienda  est 
secundum  ordine m,  et  situm  ad  primum 
locans.  Et  causa  omnium  istorum  est ,  quia 
sicut  dictum  est  prius,  locus  non  solum  est 
continens,  sed  est  continens  et  conservans  : 
nihil  autem  habet  rationem  conservantis 
alium,  nisi  per  virtutem  et  influentiam 
corporis  cœlestis ,  quam  recipit  secundum 
qiuil  est  in  determinato  situ,  et  in  deter- 
minata  distantia.  Et  haec  est  causa  quare 
aliquid  habet  rationem  loci ,  scilicet  per 
comparationem  ad  primum  locans.  Quia 
vero  locus  immobilis  est,  propter  hoc  mé- 
dium cœli,  quod  est  centrum,  et  ultima 


superficies  corporis  circularis,  quae  est  cœ- 
lum,  sic  se  habent ,  quod  hoc  dicitur  sur- 
sum ,  illud  vero  deorsum,  quse  sunt  duse 
loci  differentiae  :  hax  enim  maxime  ma- 
nent  immobilia.  Centrum  semper  est  im- 
mobile :  cœlum  autem  licet  semper  mo- 
veatur,  tamen  semper  est  in  eadem  distan- 
tia ad  nos.  Hoc  autem  quod  dictum  est  de 
loco,  intelligimus  de  loco  naturali,  qui  est 
conservativus  corporumnaturalium,  et  iste 
locus  naturalis  primo  debetur  démentis 
elementatis  per  elementa.  Locus  enim  na- 
turalis ignis  est  superficies  concava  orbis 
lunœ,  quae  manet  semper  in  eadem  distan- 
tia ad  ignem,  et  ideo  dicitur  esse  immobi- 
lis. Locus  autem  aeris  est  superficies  con- 
cava ignis,  et  sic  de  aliis  suo  modo.  Locus 
autem  omnium  elementatorum  est  locus 
deorsum ,  quia  in  omni  elementato  domi- 
natur  terra  secundum  quantitatem.  Contra 
ea  quœ  dicta  sunt,  potest  objici,  quod  scili- 


DE    LA    NATURE   DU   LIEU.  373 

On  peut  objecter  contre  ce  qui  a  été  dit  que  le  lieu  de  la  terre  n'est 
pas  l'extrémité  de  l'eau,  ni  le  lieu  de  l'eau  l'extrémité  de  l'air,  parce 
que  tout  corps  naturel  est  en  mouvement  vers  son  lieu.  Or  la  terre  ne 
se  meut  pas  vers  la  superficie  de  l'eau,  mais  bien  vers  le  centre;  donc 
la  superficie  de  l'eau  n'est  pas  le  lieu  de  la  terre ,  mais  bien  plutôt  le 
centre.  Outre  cela ,  si  la  terre  changeoit  de  place ,  elle  descendroit , 
comme  le  veut  Aristote,  IV  Mundi  et  Cœli.  De  même  l'air  prendroit 
la  place  de  l'eau,  si  l'eau  se  retiroit.  Donc  le  lieu  de  l'eau  n'est  pas  la 
surface  concave  de  l'air,  ni  le  lieu  de  l'air  la  surface  concave  du  feu , 
ce  qui  est  contraire  aux  précédentes  conclusions.  Pour  la  solution  de 
ces  difficultés,  il  faut  entendre  que  dans  le  lieu  il  n'y  a  pas  seulement 
la  contenance  de  la  chose  localisée ,  mais  une  vertu  conservatrice  et 
formatrice  du  lieu.  C'est  pour  cela  que  Alpharabius  dit,  que  la  raison 
pourquoi  la  terre  est  formée  d'une  partie  de  la  matière,  et  de  l'autre 
Peau,  ou  l'air  ou  le  feu,  n'est  autre  chose  que  le  lieu  avec  une  vertu 
céleste.  En  effet,  comme  le  froid  est  produit  par  la  distance  qui  existe 
de  la  circonférence  au  centre,  il  rencontre  dans  le  lieu  de  la  terre  cette 
partie  de  la  matière ,  la  condense  et  l'épaissit  fortement  de  manière 
à  en  exprimer  l'humidité,  et  en  forme  un  élément  sec  et  froid,  qui 
est  la  terre.  Le  froid  qui  épaissit  la  matière,  de  façon  cependant  qu'il 
n'exprime  pas  proprement  l'humidité,  mais  la  fait  couler  vers  soi,  en- 
gendre l'eau  ,  n'est  qu'à  la  même  distance  de  la  circonférence  que  le 
lieu  de  l'eau.  En  effet,  la  chaleur  ne  consumant  pas  l'humidité,  mais 
la  combinant  avec  soi ,  engendre  l'air ,  et  cette  chaleur  est  produite 
par  l'orbe  à  la  même  distance  qu'elle  est  elle-même  du  lieu  de  l'air. 
Car  le  feu  ,  étant  extrêmement  chaud  et  produit  dans  un  lieu  immé- 
diat de  la  sphère  de  la  lune  par  un  mouvement  qui  désaggrège  et 


cet  locus  terrse  non  sit  ultimum  aquae,  nec 
locus  aquae  sit  ultimum  aeris,  quiaunum- 
quodque  corpus  naturale  movetur  ad  lo- 
ttim  suum  :  terra  autem  non  movetur  ad 
superficiem  aqua},  sed  movetur  ad  cen- 
trum,  ergo  superficies  aqure  non  est  locus 
terra,  sed  potius  centrum.  Prœlerea,  si 
terra  moveatur  a  loco  suo  ,  a  quo  descen- 
dent, ut  vult  Philosophus,  IV  Cœli  et 
Mundi,  et  similiter  aer  in  locum  aquœ  si 
amoveretur  aqua,  ergo  locus  aquae  non  est 
superficies  concava  aeris,  nec  locus  aeris 
est  superficies  concava  ignis,  quod  est  con- 
tra prius  determinata.  Prosolutione  horum 
intelligendum  est,  quod  in  loco  non  est 
tantum  continentia  locati,  sed  est  ibi  vir- 
tus  conservans  et  formans  locum.  Et  prop- 
ter  hoc  dicit  Alpharabius ,  quod  causa 
quare  ex  hac  parte  materise  generatur 
terra,  et  ex  alia  aqua  vel  aer,  vel  ignis, 


non  est  nisi  locus  cum  virtute  cœlesti.  Quia 
enim  frigiditas,  tanta  quanta  causatur  ex 
distantia ,  quee  est  ex  orbe  usque  ad  cen- 
trum, invenit  hanc  partem  materiae  in  loco 
terra,  propter  hoc  inspissat  eam  inspissa- 
tione  vehementi,  ita  quod  exprimit  ex  ea 
humidum,  et  facit  elementum  siccum ,  et 
frigidum ,  quod  est  terra.  Frigiditas  verô 
inspissans  materiam  ,  sic  tamen  quod  non 
est  ex  ea  exprimens  humidum  :  sed  faciens 
ad  se  fluere,  générât  aquam,  et  heec  frigi- 
ditas est  solum  in  tanta  distantia ,  quanta 
est  locus  aquœ  ab  orbe.  Galiditas  enim  non 
consumens  humidum  ,  sed  secum  compa- 
tiens,  générât  aerern,  qine  quidem  caliditas 
causatur  ab  orbe  in  tanta  distantia  quee  est 
ejus  ad  locum  aeris.  Ignis  enim  cum  sit 
summe  calidus ,  generatur  in  loco  immé- 
diate spheera  lunée  ex  motu  disgregante  et 
calefaciente   materiam.  Hoc  supposito  in- 


374  OPUSCULE    Ll. 

échauffe  la  matière.  Cela  supposé,  il  faut  entendre  que  le  mouvement 
de  la  chose  localisée  ne  se  fait  pas  vers  la  surface  du  locateur  à  raison 
de  la  surface,  mais  à  cause  de  la  vertu  conservatrice  et  formatrice  de 
la  chose  localisée.  En  conséquence  ,  la  vertu  formatrice  de  la  terre 
étant  le  froid,  produit  par  la  distance  du  premier  caléfacteur,  qui  est 
le  ciel ,  son  commencement  est  une  vertu  résidant  dans  la  concavité 
de  l'eau,  et  sa  perfection  se  trouve  dans  le  centre,  par  conséquent  la 
terre  se  meut  vers  le  centre  et  non  vers  la  superficie  de  l'eau  ;  voilà 
pourquoi  la  terre  est  simplement  pesante.  La  vertu  formatrice  du  feu 
■est  la  chaleur  parfaite,  qui  s'opère  complètement  dans  la  concavité  de 
l'orbe  de  la  lune  ,  c'est  pour  cela  que  le  feu  est  simplement  léger.  La 
vertu  formatrice  de  l'air  commence  dans  la  concavité  du  feu,  et  se 
termine  à  la  connexité  de  l'eau,  tandis  qu'elle  est  parfaite  dans  le  mi- 
lieu ,  et  il  en  est  de  même  de  l'eau  à  sa  manière  ;  par  conséquent  le 
mouvement  de  l'eau  se  fait  de  la  terre  et  de  l'air  vers  son  milieu  ,  et 
le  mouvement  de  l'air  suivant  la  nature  se  fait  de  l'eau  et  du  feu  vers 
le  heu  moyen  ;  aussi  l'eau  et  l'air  ne  sont  pas  simplement  légers  ni 
pesants,  mais  seulement  sous  certains  rapports.  On  voit  donc  par  là  la 
raison  pourquoi  la  terre  se  meut  simplement  en  bas  et  non  vers  la 
concavité  de  l'eau ,  quoique  ce  soit  son  lieu,  parce  que  c'est  l'effet  de 
la  vertu  formatrice  qui  réside  dans  le  lieu  et  en  raison  de  laquelle 
chaque  chose  localisée  se  meut  vers  son  lieu.  Alpharabius  répond  de 
nouveau,  que  le  mouvement  de  l'air  vers  le  lieu  de  la  terre  n'est  pas 
le  mouvement  naturel  de  l'air  ou  de  l'eau ,  mais  que  c'est  un  mou- 
vement violent,  ce  qui  est  évident,  puisqu'il  corrompt  l'un  et  l'autre. 
Car  lorsque  l'eau  se  meut  vers  le  lieu  de  la  terre,  elle  est  condensée 
et  épaissie  par  le  froid  du  lieu  plus  qu'il  ne  faut  pour  la  forme  de 
l'eau,  c'est  pour  cela  qu'elle  se  convertit  en  terre.  De  même  quand  l'air 


telligendum  est,  quod  motus  locati  non 
est  ad  ipsam  superficiem  locantis  propter 
superficiem ,  sed  propter  virtutem  conser- 
vativam  et  formativam  locati.  Et  ideo  cum 
virtus  formativa  terrae  sit  frigiditas,  quae 
causatur  ex  tanta  distantia  ad  primum  ca- 
lefaciens,  quod  est  coelum,  et  inchoatio 
hujus  virtus  est  in  concavo  aquae,  perfec- 
tio  autem  ejus  est  in  centro ,  ideo  terra 
movetur  ad  centrumet  non  ad  superficiem 
aquae  :etinde  est,  quod  terra  est  simplici- 
ter  gravis.  Virtus  autem  formativa  ignis 
est  caliditas  perfecta,  quae  est  compléta  in 
concavo  orbis  lunae,  propter  quod  ignis  est 
simpliciter  levis.  Virtus  autem  formativa 
aeris,  incipit  in  concavo  ignis,  et  déficit  in 
connexo  aquae,  perfecta  autem  est  in  me- 
dio,  et  sic  est  de  aqua  suo  modo,  et  ideo 
motus  aquae  est  a  t-jrra  et  ab  aère  ad  me- 


■  dium  ejus,  et  motus  aeris  secundum  natu- 
ram  est  ab  aqua  et  igné  ad  médium  locum, 
propter  quod  aqua  et  aer  non  sunt  sim- 
pliciter levés,  neque  graves,  sed  mrespec- 
tu.  Sic  igitur  patet  causa,  quare  terra  mo- 
vetur deorsum  simpliciter,  et  non  ad  con- 
cavum  aquae,  licet  sit  locus  ejus,  quia  hoc 
facit  virtus  formativa  quœ  est  in  loco, 
propter  quam  unumquodque  locaturn  mo- 
vetur ad  locum  suum.  Ad  aliam  rationem 
respondet  Alpharabius,  quod  motus  aeris 
ad  locum  terrae  non  est  motus  naturalis  ae- 
ris, vel  aquee,  sed  est  violentus,  quod  patet, 
quia  est  corruptivus  utriusque.  Nam  cum 
aqua  movetur  ad  locum  terrae,  inspissatur 
a  frigiditate  ipsius  loci  majori  inspissa- 
tione,  quarn  requiratur  ad  formam  aquae, 
unde  convertitur  in  terram.  Similiter  cum 
aer  descendit  ad  locum  aquœ,  infrigidatur 


DE    LA   NATURE    DU    LIEU.  375 

descend  au  lieu  de  l'eau,  il  est  refroidi  par  le  froid  qui  y  réside,  et  se 
convertit  en  eau.  Comment,  malgré  cela,  dit-on  d'abord  que  l'eau  est 
froide  et  non  la  terre,  quoique  celle-ci  soit  produite  par  un- froid  plus 
grand,  on  le  voit  dans  le  liv.  II  De  generatione. 

Comment  la  dernière  sphère  se  trouve  dans  un  lieu. 

De  ce  que  nous  avons  dit  que  le  lieu  est  l'extrémité  du  contenant, 
nous  pouvons  conclure  que  le  corps  auquel  il  y  a  quelque  chose  d'in- 
hérent hors  du  contenant,  est  tel  dans  le  lieu.  Mais  ce  qui  n'a  point 
de  corps  hors  du  contenant,  une  telle  chose  dans  le  lieu  n'est  pas  une 
chose  unique,  comme  l'a  dernière  sphère  ;  c'est  pourquoi  la  dernière 
sphère  ne  paroît  pas  être  dans  le  lieu.  Mais  il  s'élève  ici  un  doute, 
puisque  rien  ne  paroît  se  mouvoir  dans  le  lieu  sans  être  dans  le  lieu,  si 
la  dernière  sphère  n'est  pas  dans  le  lieu,  son  mouvement  ne  sera  point 
local ,  ce  qui  n'est  pas  convenable.  C'est  pour  cette  raison  et  quelques 
autres  que  Jean  le  grammairien  dit,  que  le  lieu  n'est  point  la  limite  du 
contenant ,  mais  l'espace  qui  est  en-dessous  des  limites  du  corps  de  la 
contenance,  par  suite  de  quoi  il  affirme  que  le  ciel  estp  ar  soi  dans  un 
lieu,  et  se  meut  par  soi  dans  un  lieu,  parce  qu'il  a  avancé  qu'il  étoit  par 
soi  dans  tel  espace.  Tout  cela  ne  peut  être  vrai  d'après  ce  que  nous 
avons  établi  sur  le  lieu,  puisque  nous  avons  montré  que  le  lieu  n'est  pas 
un  espace,  mais  la  limite  du  contenant.  C'est  aussi  contraire  à  l'opinion 
d'Arislote,  qui  dit  que  le  ciel  n'est  pas  dans  un  lieu  par  soi,  mais  par 
accident.  C'est  pour  cela  qu'Alexandre  a  dit,  que  le  ciel  n'est  dans  un 
lieu  ni  par  soi,  ni  par  accident,  et  ne  se  meut  pas  dans  un  lieu,  parce 
qu'il  n'est  pas  de  la  nature  d'un  corps  d'être  dans  un  lieu,  puisque  le 
lieu  n'est  pas  mis  dans  la  définition  du  corps.  Comme  néanmoins  tout 
mouvement  doit  être  contenu  sous  quelque  espèce  de  mouvement, 


a  frigidatione  loci  illius ,  et  convertitur  in 
aquam.  Qualiter  autem  hoc  non  obstante 
aqua  dicatur  frigida  primo ,  et  terra  non, 
quamvis  causetur  ex  majori  frigiditate, 
patet  ex  II  De  generatione. 

Quomodo  ultima  sphœra  sit   in  loco. 

Ex  his  quae  dicta  sunt  de  loco,  quod  lo- 
cus  est  ultimum  continentis ,  concludere 
possumus,  quod  corpus  cui  inest  aliquid 
extra  ipsum  continens ,  taie  est  in  loco. 
Cui  autem  non  est  corpus  extra  continens, 
ipsum  taie  in  loco  non  est  unum  solum, 
scilicet  ultima  sphœra,  propter  quod  ultima 
sphaera  non  videtur  esse  in  loco.  Sed  hic 
est  dubitatio  ,  cum  nihil  videatur  moveri 
in  loco  nisi  sit  in  leco ,  si  ultima  sphaera 
non  est  in  loco,  motus  ejus  non  erit  loca- 
lis,  quod  est  inconveniens.   Propter  hanc 


rationem  et  quasdam  alias,  Joannes  Gram- 
maticus  dixit  :  Locum  non  esse  terminum 
continentis,  sed  spatium  quod  est  infra 
terminos  corporis  continentiae ,  unde  dixit 
cœlum  per  se  esse  in  loco ,  et  per  se  mo- 
veri in  loco,  quia  per  se  dixit  ipsum  esse 
in  tali  spatio.  Istud  non  potest  habere  ve- 
ritatem  secundum  ea  quae  determmata 
sunt  de  loco,  cum  ostensum  sit  quod  locus 
non  est  spatium  sed  terminus  continentis. 
Est  etiam  contra  intentionem  Philosophi 
qui  dicit  cœlum  non  esse  in  loco  per  se , 
sed  per  accidens.  Propter  quod  dixit  Alex- 
ander  cœlum  non  esse  in  loco  nec  per  se, 
nec  per  accidens,  nec  moveri  in  loco ,  quia 
non  est  de  ratione  corporis  ut  sit  in  loco, 
cum  locus  non  ponatur  in  diffinitione  cor- 
poris. Quia  tamen  oportet  omnem  motum 
contineri  sub  aliqua  specie  motus,  ideo 


376  OPUSCULE   LI. 

Avicenne  après  lui  a  dit ,  que  le  mouvement  du  ciel  n'étoit  pas  dans 
un  lieu  ,  mais  dans  la  position  ou  en  rapport  avec  la  position.  Cette 
opinion  est  contraire  à  la  doctrine  d'Aristote,  livre  V  de  la  Physique, 
où  il  dit  que  le  mouvement  n'est  que  dans  trois  genres  ,  savoir  :  la 
quantité,  la  qualité  et  ubi.  Mais  on  voit  clairement  la  fausseté  de  cela, 
par  la  raison  que  le  mouvement  n'appartient  à  aucun  genre  dont  la 
nature  des  espèces  ne  réside  dans  l'indivisible.  C'est  pourquoi  nous 
disons  qu'il  n'y  a  pas  de  mouvement  à  l'égard  de  la  substance,  parce 
que  la  nature  de  la  substance  réside  dans  l'indivisible;  il  n'en  est  pas 
de  même  de  la  nature  de  la  blancheur,  parce  qu'elle  peut  participer 
du  sujet  suivant  le  plus  et  le  moins  ;  or  maintenant  il  est  constant 
que  la  nature  de  la  position  réside  dans  l'indivisible.  Donc  il  n'y  a 
pas  de  mouvement  à  l'égard  de  la  situation.  En  outre  la  position  ca- 
ractérise l'ordre  des  parties  dans  le  lieu,  donc  le  lieu  est  mis  dans  la 
définition  de  la  position.  Donc  le  mouvement  qui  ne  peut  pas  s'effec- 
tuer à  l'égard  du  lieu,  ne  peut  le  faire  par  rapport  à  la  position.  Mais 
suivant  eux,  le  mouvement  du  ciel  ne  s'effectue  pas  par  rapport  au 
lieu,  donc  il  ne  s'effectue  pas  non  plus  à  l'égard  de  la  position.  C'est 
ce  qui  a  fait  dire  à  Avempace,  que  la  ligne  droite  et  un  corps  droit 
sont  de  soi  indéterminés  et  ont  besoin  de  quelque  chose  qui  les  ter- 
mine, les  limite  et  les  contienne.  Au  contraire,  la  ligne  circulaire  est 
terminée  par  elle-même ,  et  le  corps  circulaire  aussi ,  c'est  pourquoi 
ils  n'ont  besoin  de  rien  pour  les  borner  et  les  contenir,  il  a  dit  en  con- 
séquence qu'il  n'étoit  pas  nécessaire  pour  un  corps  circulaire  d'être 
dans  un  lieu,  et  que  le  ciel  n'est  pas  dans  un  lieu  et  n'a  pas  de  mou- 
vement local.  C'étoit  l'opinion  d'Alpharabius ,  cité  par  Avempace  à 
l'appui  de  son  assertion.  Mais  cette  doctrine  ne  me  paroît  pas  conve- 
nable, parce  que,  comme  ?e  prétend  Aristote,  liv.  YIII  de  la  Physique, 
le  mouvement  local  est  le  premier  des  mouvements  ;  mais  comme  il 


Avicenna  secutus  eum  ,  dixit  motum  cœli 
non  esse  in  loco,  sed  in  situ  vel  ad  situm. 
Hsec  est  contra  intentionem  Philosophi, 
X  PJiys.,  ubi  dicit  motum  tantum  esse  in 
tribus  generibus,  scilicet  quantitate,  qua- 
litate  et  ubi.  Sed  quod  illud  sit  falsum , 
patet  quia  ad  nullum  genus  est  motus,  cu- 
jus  specierum  ratio  consistit  in  indivisibili  ; 
propter  quod  dicimus  quod  ad  substantiam 
non  est  motus,  quia  ratio  substantiœ  in  in- 
divisibili consistit,  non  sic  autern  ratio  al- 
bedinis,  quia  potest  participare  secundum 
magis  et  minus  a  subjecto ,  nunc  autem 
ita  est,  quod  ratio  situs  in  indivisibili  con- 
sistit; ergo  ad  situm  non  est  motus.  Pra> 
terea,  situs  nominat  ordinem  partium  in 
loco,  locus  ergo  ponitur  in  dif'fînitione  si- 
tus. Motus  ergo  qui  non  potest  esse  ad  lo- 


cum,  non  potest  esse  ad  situm  ;  sed  motus 
cœli  secundum  eos  non  est  ad  locum  ;  ergo 
non  est  ad  situm.  Ideo  aliter  dixit  Avem- 
pace. Dixit  enim  quod  linea  recta  et  cor- 
pus rectum  utrumque  indeterminata  sunt 
de  se,  et  ideo  indigent  aliquo  fmiente ,  et 
terminante  ,  et  continente.  Linea  autem 
circularis  per  se  ipsam  finitur,  et  similiter 
corpus  circulare,  et  ideo  non  indigent  ali- 
quo fmiente  et  continente,  propter  quod 
dixit  non  esse  de  necessitate  corporis  cir- 
cularis ut  sit  in  loco ,  ideo  dixit  quod  cœ- 
lum  non  est  in  loco,  nec  habet  motum  lo- 
calem.  Hujus  enim  opinionis  fuit  Alpha- 
rabius,  quem  adducit  Avempace  pro  testi- 
monio  sui  dicti.  Sed  hoc  dictum  videtur 
inconveuiens,  quia  sicut  vult  Philosophus, 
VIII  Phys.,  motus  localis  est  primus  mo- 


DE    LA    NATURE   DU   LIEU.  377 

dit  au  même  endroit ,  le  mouvement  du  ciel  est  le  premier  mouve- 
ment. Donc  il  est  local.  Outre  cela ,  Aristote  dans  le  IVe  livre  de  la 
Physique ,  prétend  que  le  ciel  est  dans  un  lieu ,  au  moins  par  acci- 
dent. C'est  pourquoi  Thémistius  a  dit  d'une  autre  manière,  que  le  ciel 
est  dans  un  lieu  par  parties.  Pour  comprendre  cela,  il  faut  considérer 
qu'il  n'y  auroit  pas  de  lieu  s'il  n'y  avoit  pas  de  mouvement  relatif  au 
lieu.  Quoiqu'en  effet  le  lieu  ne  soit  pas  de  la  nature  du  corps ,  il  est 
de  la  nature  du  corps  mû  localement;  c'est  pourquoi  en  raison  de  ce 
que  les  corps  divers  se  succèdent  dans  le  même  lieu,  une  chose  mue 
localement  doit  avoir  un  lieu.  Il  y  a  en  effet  des  choses  qui  se  meuvent 
en  sens  direct,  comme  les  choses  légères  et  les  choses  pesantes.  Ces 
choses  changent  de  lieu  dans  leur  totalité ,  et  par  conséquent  elles 
sont  dans  leur  totalité  dans  un  lieu.  Il  y  a  d'autres  choses  qui  ont  un 
mouvement  circulaire,  et  ces  choses  ne  changent  pas  de  lieu  suivant 
leur  totalité,  mais  seulement  suivant  la  raison  ,  elles  changent  néan- 
moins de  lieu  quant  à  leurs  parties ,  et  occupent  un  autre  lieu  suivant 
le  sujet;  en  raison  de  quoi ,  ce  qui  a  un  mouvement  circulaire  ne  se 
trouve  pas  nécessairement  dans  un  lieu  suivant  sa  totalité ,  mais  uni- 
quement relativement  à  ses  parties.  C'est  pour  cela  que  la  dernière 
sphère ,  se  mouvant  circulairement,  n'est  pas  dans  un  lieu  par  elle- 
même,  mais  hien  par  ses  parties.  Mais  cela  semble  être  faux,  car  il 
convient  à  un  tout  de  se  mouvoir  et  d'être  en  acte  et  non  en  parties. 
Donc  il  convient  au  tout  d'être  dans  un  lieu  et  non  aux  parties,  parce 
que  le  lieu  convient  h  une  chose  comme  le  mouvement.  C'est  pour- 
quoi il  faut  dire  ,  que  quoique  il  ne  convienne  pas  aux  parties  de  la 
dernière  sphère  d'être  dans  un  lieu  actu ,  elles  y  sont  cependant  en 
puissance,  parce  que  si  la  partie  est  séparée  du  tout,  elle  sera  dans  le 
tout  comme  dans  un  lieu.  Ainsi  donc  il  convient  au  ciel  ou  à  la  sphère 


tuum  ;  sed  sicut  dicit  ibidem  ,  motus  cœli 
estprimus  motus,  ergo  est  localis.  Prsete- 
rea,  Philosophus,  IV  Phys.,  vult  quod  cœ- 
lum  sit  in  loco  saltem  per  accidens.  Prop- 
ter  hoc  dixit  aliter  Thémistius,  quod  cœ- 
lum  est  in  loco  per  partes.  Ad  cujus  intel- 
lectum  considerandum  est  quod  non  esset 
locus,  nisi  esset  aliquis  motus  secundum 
locum.  Licet  enim  de  ratione  corporis  non 
sit  locus  ;  est  tamen  de  ratione  corporis 
moti  localiter.  Unde  secundum  quod  di- 
versa  corpora  succedunt  sibi  in  eodem  loco, 
.seeundum  hoc  dehetur  locus  alicui  moto 
localiter.  Aliqua  enim  inveniuntur  moveri 
motu  recto,  sicut  sunt  levia  et  gravia.  Et 
haec  secundum  se  tota  mutant  locum,  et 
ideo  secundum  se  tota  sunt  in  loco.  Quœ- 
dam  autem  sunt  quœ  moventur  motu  cir- 
culari,  et  hœc  secundum  se  tota  non  mu- 


tant locum  nisi  secundum  rationem ,  sed 
secundum  partes  mutant  locum ,  et  fiunt 
in  alio  loco  secundum  subjectum ,  propter 
quod  illud  quod  movetur  circulariter,  non 
de  necessitate  est  in  loco  secundum  se  to- 
tum,  sed  solum  secundum  partes.  Et  prop- 
ter hoc  ultima  sphrera  cum  moveatur  cir- 
culariter ,  non  est  in  loco  per  se ,  sed  per 
partes  suas.  Sed  hoc  videtur  esse  falsum, 
quia  toti  convenit  moveri,  et  esse  in  actu 
et  non  in  partibus  ;  ergo  et  toti  convenit 
esse  in  loco  et  non  partibus,  quia  sicut 
convenit  alicui  motus,  sic  et  locus.  Prop- 
ter hoc  dicendum  est,  quod  partibus  sphae- 
rœ  ultimœ,  licet  non  competat  esse  in  loco 
actu,  sunt  tamen  in  loco  in  potentia,  quia 
pars  si  dividatur  a  toto,  erit  in  toto,  sicut 
in  loco.  Sic  igitur  convenit  cœlo  vel  sphae- 
rae,  quod  sit  in  loco  per  partes  ,  quibus 


378  OPUSCULE    LI. 

d'être  dans  un  lieu  par  ses  parties  auxquelles  il  ne  convient  d'y  être 
qu'en  puissance.  En  conséquence  pour  prendre  ce  que  cette  opinion 
contient  de  vérité ,  nous  pouvons  dire  que  le  ciel  n'est  simplement 
dans  un  lieu  que  par  accident,  parce  qu'il  est cirea  locum.  Pour  com- 
prendre cela,  il  faut  savoir  qu'ainsi  que  le  prétend  Averrhoès,  tout  ce 
qui  est  naturellement  en  repos  est  nécessairement  dans  un  lieu,  mais 
tout  ce  qui  se  meut  n'y  est  pas  nécessairement.  La  raison  de  cela, 
c'est  que  tout  ce  qui  est  naturellement  en  repos  est  dans  un  contenant 
de  même  nature  que  lui ,  à  raison  de  quoi  il  est  nécessairement  dans 
un  lieu.  Mais  ce  qui  est  un  mouvement  n'est  pas  nécessairement  dans 
un  lieu ,  parce  que  parmi  les  choses  qui  se  meuvent  il  eu  est  qui  ont 
besoin  du  mouvement  pour  leur  être  et  leur  perfection  :  telles  sont 
celles  qui  sont  dans  un  contenant  de  nature  différente,  c'est  pourquoi 
elles  se  meuvent  vers  un  contenant  de  même  nature ,  et  toutes  les 
choses  de  ce  genre  sont  nécessairement  dans  un  lieu.  Il  y  en  a  d'autres 
qui  n'ont  pas  besoin  de  mouvement  pour  leur  être,  ni  pour  leur  con- 
servation,-comme  un  corps  céleste,  et  un  tel  corps  ne  se  meut  pas  vers 
un  contenant  de  même  nature ,  ni  dans  un  contenant  de  même  na- 
ture ;  mais  il  est  mû  par  l'intelligence  à  cause  du  développement  de 
la  causalité  de  la  première  cause  ;  un  tel  corps  n'est  pas  nécessaire- 
ment dans  un  lieu.  En  effet,  être  dans  un  lieu  n'est  pas  seulement 
être  contenu  par  le  lieu,  c'est  être  contenu  et  conservé,  et  consé- 
quemment  ce  qui  n'a  pas  besoin  de  conservateur ,  comme  un  corps 
céleste  et  toute  chose  incorruptible,  n'est  pas  nécessairement  dans  un 
lieu.  Il  s'élève  une  double  question  sur  ce  que  nous  venons  de  dire. 
La  première,  pourquoi  les  sphères  inférieures  sont-elles  dans  un  lieu, 
puisqu'il  n'y  a  pas  de  nécessité  pour  un  corps  céleste  d'être  dans  un 
lieu?  La  seconde,  pourquoi  le  mouvement  du  ciel  est-il  dit  local, 


convenit  solum  in  potentia  esse  in  loco. 
Et  ideo  si  volumus  accipere  illud  veritatis 
quod  continet  heec  opinio ,  possumus  di- 
cere ,  quod  cœlum  simpliciter  in  loco  non 
est,  nisi  per  accidens ,  quia  est  circa  lo- 
cum. Ad  cujus  intellectum  sciendum  est, 
quod  sicut  vult  Averrhoès,  omne  natura- 
liter  quiescens  de  necessitate  est  in  loco, 
non  tamen  omne  motum  de  necessitate  est 
in  loco.  Cujus  ratio  est?  quia  omne  quod 
quiescit  naturaliter  est  in  continenti  sibi 
connalurali ,  propter  quod  de  necessitate 
est  in  loco.  Illud  autem  quod  movetur  non 
de  necessitate  est  in  loco,  quia  eorum  quœ 
moventur  quaedam  indigent  motu  ad  suum 
esse  et  ad  suani  perfëctionem  ;  et  talia 
sunt,  quaesunt  in  continente  non  connatu- 
rali,  propter  quod  moventur  ad  continens 
sibi  connaturale ,  et  omnia  talia  de  neces- 


sitate sunt  in  loco.  Alia  sunt  quae  non  in- 
digent motu  ad  suum  esse,  nec  ad  sui  con- 
servationem  ,  sicut  est  corpus  cœleste  ,  et 
taie  non  movetur  ad  continens  sibi  conna- 
turale, nec  in  continente  sibi  connaturali; 
sed  movetur  ab  intelligentia  propter  ex- 
plicationem  causalitatis  primae  causae,  et 
taie  non  de  necessitate  est  in  loco.  Esse 
enim  in  loco  non  est  solum  contineri  a 
loco,  sed  contineri  et  conservari;  et  ideo 
quod  non  indiget  conservante  ,  cujusmodi 
est  corpus  cœleste  ,  et  quodeumque  incor- 
ruptible, non  de  necessitate  est  in  loco. 
Sed  secundum  praedeterminata  oritur  du- 
plex dubitatio.  Prima  est,  quare  orbes  in- 
feriores  sunt  in  loco ,  cum  non  sit  de  ne- 
cessitate corporis  cœlestis  esse  in  loco.  Se- 
cunda  est ,  propter  quid  motus  cœli  dicatur 
localis ,  cum  corpus  cœleste  saltem  prima 


DE    LÀ    NATURE    DU    LIEU.  379 

puisque  un  corps  céleste,  au  moins  la  première  sphère  n'est  pas  dans 
un  lieu?  Il  faut  répondre  à  la  première,  qu'il  arrive  aux  ornes  infé- 
rieurs d'être  dans  un  lieu  ,  sans  que  ce  soit  une  nécessité  pour  eux , 
puisqu'ils  n'ont  pas  besoin  de  conservateur,  comme  a  dit  Avempace  ; 
c'est  pour  cela  que  les  orbes  inférieurs  sont  dits  équivoquement  être 
dans  un  lieu,  aussi  bien  que  les  éléments,  parce  qu'on  ne  dit  que 
les  orbes  inférieurs  sont  dans  un  lieu  que  parce  qu'ils  sont  dans  quel- 
que chose  d'extérieur  qui  les  contient.  Les  éléments  et  les  choses  élé- 
mentées  sont  dans  un  lieu  comme  dans  quelque  chose  qui  les  contient 
et  les  conserve.  La  solution  de  la  seconde  difficulté  est  évidente  :  c'est 
que  le  mouvement  n'est  pas  dit  local  par  cela  seul  qu'il  se  fait  dans  un 
lieu ,  mais  il  est  encore  appelé  local  parce  qu'il  est  circa  locum.  C'est 
pourquoi  le  Philosophe  dit ,  liv.  I  Cœli  et  Mundi ,  qu'il  y  a  un  triple 
mouvement  local  savoir,  à  medio,  ad  médium,  circa  médium.  Le  mou- 
vement à  medio,  regarde  les  choses  légères,  le  mouvement  ad  médium, 
les  choses  pesantes,  et  le  mouvement  circa  médium  est  celui  du  corps 
céleste  ;  c'est  là  l'opinion  du  Commentateur ,  liv.  IV  de  la  Physique. 
Mais  il  reste  encore  un  doute  suivant  ce  qui  a  été  dit.  La  superficie 
d'un  corps  contenant  étant  dite  un  lieu,  comment  peut-on  dire  que  le 
lieu  et  la  superficie  sont  diverses  espèces  de  la  quantité?  Je  réponds 
en  laissant  de  côté  toutes  les  opinions  émises  sur  ce  sujet ,  que  le  ca- 
ractère propre  de  la  quantité  qui  lui  convient  comme  telle,  c'est  celui 
de  mesure,  à  raison  de  quoi  Averrhoès  dit  que  les  quantités  sont  des 
différences  de  mesures.  Il  y  a  en  effet  une  différence  dans  la  manière 
de  mesurer  extrinsèquement  et  intrinsèquement ,  et  par  conséquent 
l'extrémité  du  contenant  en  tant  que  mesure  extrinsèque  du  conte- 
nant, s'appelle  superficie,  et  comme  mesure  extrinsèque  du  contenu 
et  du  localisé  ,  c'est  le  lieu.  En  conséquence  ,  la  superficie  et  le  lieu, 


sphœra  non  sit  in  loco.  Ad  primum  dicen- 
dum,  quod  accidit  orbibus  inferioribus, 
quod  sint  in  loco ,  nec  est  de  necessitate 
eorum,  cum  non  indigeant  conservante , 
ut  dixit  Avempace,  propter  quod  dicuntur 
œquivoce  orbes  inferiores  esse  in  loco ,  et 
elementa,  quia  orbes  inferiores  solum  di- 
cuntur esse  in  loco,  quia  sunt  in  aliquo  ex- 
teriori  continente.  Elementa  autem  et  ele- 
mentata  sunt  in  loco  tanquam  in  conti- 
nente et  conservante.  Ad  secundum  patet 
solutio  ;  quia  motus  non  dicitur  localis,  eo 
solum  quod  fit  in  loco ,  sed  etiam  dicitur 
motus  localis,  eo  quod  est  circa  locum. 
Propter  quod  dicit  Philosopbus  ,  I  Cœli  et 
Mundi,  quod  motus  localis  est  triplex,  sci- 
licet  a  medio ,  ad  médium  et  circa  mé- 
dium. Motus  a  medio  est  levium ,  motus 
ad  médium  est  gravium,  motus  circa  mé- 


dium est  corporis  cœlestis,  et  haec  est  in- 
tentio  Commentatoris  IV  Phys.  Sed  juxta 
haec  quœ  dicta  sunt,  remanet  unum  du- 
bium.  Cum  superficies  corporis  continentis 
dicatur  locus,  quomodo  locus  et  superficies 
dicantur  esse  diverses  species  quantitatis. 
Respondeo  omissis  omnibus  aliis  opinioni- 
bus,  quee  sunt  circa  hoc,  dicendum  est, 
quod  propria  ratio  quantitatis,  quœ  com- 
petit  quantitati,  ut  quantitas  est,  ratio  est 
mensurœ,  propter  quod  dicit  Averrhoès, 
quod  quantitates  sunt  differentias  mensu- 
rarum.  Alia  est  enim  ratio  mensurandi  ali- 
quid  extrinsece,  et  intrinsece,  et  ideo  ulti- 
mum  continentis,  ut  mensura  est  continen- 
tis intrinseca,  dicitur  superficies,  ut  autera 
mensura  contenti  et  locati  extrinseca ,  est 
locus.  Et  ideo  superficies  et  locus  licet  sint 
unum  materialiter  quantum  ad  id  quod  quod 


380  opuscule  lu. 

quoique  matériellement  la  même  chose  relativement  à  ce  qui  est 
l'extrémité  du  contenant,  sont  néanmoins  des  espèces  diverses  consti- 
tuées par  diverses  conditions  formelles.  Nous  n'en  dirons  pas  davan- 
tage sur  ce  qui  concerne  le  lieu. 


Fin  de  V Opuscule  sur  la  nature  du  lieu. 


L'abbé  VEDRINE. 


OPUSCULE  LU. 


Du   MÊME   AUTEUR,    SUR   L'INTELLECT   ET   L'INTELLIGIBLE. 

Il  faut  savoir  qu'il  est  de  la  nature  de  l'intellection  d'être  concevant 
et  conçu.  Or  ce  qui  est  conçu  par  soi  n'est  pas  cette  chose  dont  la  con- 
noissance  s'acquiert  par  l'intellect ,  puisque  cette  chose  n'est  quel- 
quefois conçue  qu'en  puissance,  et  se  trouve  hors  de  celui  qui  conçoit, 
comme  lorsque  l'homme  conçoit  les  choses  naturelles  ,  la  pierre  ou 
l'animal  ou  quelque  chose  de  semblable  ;  comme  néanmoins  il  faut 
que  l'intellect  soit  dans  celui  qui  conçoit  et  ne  fasse  qu'un  avec  lui, 
ce  qui  est  conçu  n'est  pas  pour  cela  par  soi  pas  plus  que  l'image  de  la 
chose  conçue  qui  informe  l'intellect  pour  l'intellection.  En  effet ,  l'in- 
tellect ne  peut  concevoir  qu'en  tant  qu'il  est  mis  en  acte  par  cette  si- 
militude, de  même  qu'il  ne  peut  faire  rien  autre  chose  suivant  qu'il 
est  cependant  en  puissance ,  mais  bien  suivant  qu'il  est  mis  en  acte 

Ubet  est  ultimumcontinentis,tamen  divers*  I  rationes.  Et  haec  de  loco  dicta  sufficiant. 
sunt  species  constitutae  per  diversas  formales  j       Explicit  Opusculum  de  natura  loci. 


OPUSCULUM  LU. 


EJCSDEM    DOCTORIS,    DE    1NTELLECTU    ET    1NTELLIG1BILI. 


Sciendum,  quod  de  ratione  ejus  quod 
est  intelligere ,  est  quod  sit  intelligens,  et 
intellectum.  Id  autem  quod  est  per  se  in- 
tellectum non  est  res  illa,  cujus  notitia  per 
intellectum  habetur,  cum  illa  sit  intellecta 
quandoque  in  potentia  tantum,  et  sit  extra 
intelligentem,  sicut  cum  homo  intelligit  res 
naturales,  et  lapidem,  vel  animal,  vel  ali- 
quid  hujusmodi,  cum  tamen  oporteat  quod 


intellectum  sit  in  intelligente ,  et  unnm 
cum  ipso,  nec  etiam  intellectum  per  se  est, 
et  similitudo  rei  intellects,  per  quam  in- 
formatur  intellectus  ad  intelligendum.  In- 
tellectus  enim  non  potest  intelligere  ,  nisi 
secundum  quod  fit  actu  per  hanc  similitu- 
dinem,  sicut  nihil  aliud  potest  operari,  se- 
cundum quod  est  tantum  in  potentia;  sed 
secundum  quod  fit  actu  per  aliquam  for- 


sur  l'lntellect  et  l'intelligible.  381 

par  quelque  forme.  Cette  similitude  est  donc  dans  l'intellection,  comme 
le  principe  de  rintellection  ,  de  même  que  la  chaleur  est  le  principe 
de  la  caléfaction ,  mais  non  comme  le  terme  de  l'intellection.  Donc  ce 
que  l'intellect  conçoit  en  lui-même  de  la  chose  conçue  est  conçu  pri- 
mairement  et  par  soi,  soit  que  ce  soit  une  définition  ou  une  énoncia- 
tion  ,  suivant  que  l'on  suppose  deux  opérations  de  l'intellect,  comme 
il  est  dit  dans  le  IIIe  liv.  de  l'Ame JCe  qui  est  ainsi  conçu  par  l'intellect 
s'appelle  verbe  intérieur ,  car  c'est  ce  qui  est  signifié  par  la  voix.  Car 
la  parole  extérieure  ne  signifie  pas  l'intellect  même,  ou  sa  forme  in- 
telligible ,  ou  l'intellection  ,  mais  bien  le  concept  de  l'intellect  par  le 
moyen  duquel  il  signifie  une  chose,  comme  lorsque  je  dis  homme, 
ou  l'homme  est  un  animal ,  et  quant  à  cela  que  l'intellect  se  conçoive 
lui-même  ou  qu'il  conçoive  une  chose  étrangère  à  lui,  il  n'y  a  pas  de 
différence.  En  effet,  de  même  que  lorsqu'il  conçoit  une  chose  étran- 
gère à  lui ,  il  ne  forme  que  le  concept  de  la  chose  qu'il  manifeste  par 
la  voix  ;  de  même  aussi  lorsqu'il  se  conçoit  lui-même  il  forme  son 
propre  concept  qu'il  peut  aussi  exprimer  par  la  voix.  De  même  dans 
notre  intellect  autre  chose  est  de  concevoir  et  d'être  conçu,  c'est 
pourquoi  le  verbe  conçu  dans  notre  intellect  ne  lui  est  pas  uni  en  na- 
ture, mais  seulement  dans  celui  qui  conçoit.  Il  faut  savoir  que  dans 
la  nature  intellectuelle  il  n'y  a  que  deux  opérations ,  savoir  concevoir 
et  vouloir.  Or  il  se  trouve  quelque  chose  procédant  suivant  chacune 
de  ces  opérations  lorsqu'ellessont parfaites  par  l'intellect.  L'intellection, 
en  effet ,  n'est  autre  chose  que  la  production  intellectuelle  dans  l'es- 
prit de  celui  qui  comprend  et  conçoit  d'une  chose  qui  s'appelle  verbe. 
Car  avant  qu'une  conception  ne  se  soit  établie  dans  notre  ame,  on  ne 
dit  pas  que  nous  concevons  une  chose ,  mais  plutôt  que  nous  la  con- 
noissons  en  la  percevant  :  Le  vouloir  se  parfait  aussi  dans  l'amant  par 


raara,  Haec  igitur  similitude»  se  habet  in 
intelligeudo,  sicut  iutelligendi  principium, 
ut  calor  est  principium  calefactionis ,  non 
sicut  intelligendi  terminus.  Hoc  est  igitur 
primo  et  per  se  intellectum,  quod  intellec- 
tus  in  seipso  concipit  de  re  intellecta,  sive 
illud  sit  difhnitio  ,  sive  aliqua  enuntiatio , 
secundum  quod  ponuntur  duae  operationes 
intellectus,  ut  dicitur  in  III  De  anima.  Hoc 
autem  sic  ab  intellectu  conceptum  dicitur 
verbum  interius  :  hoc  enim  est  quod  si- 
gnificatur  per  vocem.  Non  enim  vox  ex- 
terior  significat  ipsum  intellectum  ,  aut 
forrnam  ipsius  intelligibilem ,  aut  ipsum 
intelligere,  sed  conceptum  intellectus,  quo 
mediante  significat  rem ,  cum  dico ,  homo 
vel  homo  est  animal ,  et  quantum  ad  hoc 
non  differt  utrum  intellectus  intelligit  se 
vel  alia  a  se.  Sicut  eiùm  cum  intelligit 


aliud  a  se,  format  sui  conceptum  illius  rei 
quam  voce  significat  ;  ita  cum  intelligit 
seipsum,  format  sui  conceptum  quem  etiam 
voce  potest  exprimere.  Item,  in  intellectu 
nostro  aliud  est  esse  intellectum ,  et  ideo 
verbum  conceptum  in  intellectu  nostro, 
non  unitur  ei  natura,  sed  solum  in  intelli- 
gente. Sciendum  quod  in  natura  intellec- 
tuali  sunt  duae  solum  operationes,  scilicet 
intelligere  et  velle  ;  secundum  autem 
utramque  harum  invenitur  aliquid  proce- 
de.ns,  cum  hae  operationes  perficiuntur  per 
ipsum.  Ipsum  enim  intelligere  non  est 
aliud  nisi  aliquid  in  mente  intelligentis  et 
concipiontis ,  intelligatur  et  concipiatur, 
quod  dicitur  verbum.  Non  enim  dicimur 
intelligere  ,  sed  cognoscere  potius  aliqui 
intelligendo,  antequam  conceptio  aliqua  in 
mente  nostra    stabiliatur  ;   ipsum   etiam 


382  opuscule  m. 

la  volonté  précédente  ,  puisque  l'amour  n'est  autre  chose  que  la  sta- 
bilité de  la  volonté  dans  le  bien  voulu.  Nous  recevons  donc  la  connois- 
sance intellectuelle  des  choses  extérieures,  et  par  notre  volonté  nous 
tendons  à  quelque  chose  d'extérieur  comme  à  une  fin  :  en  conséquence 
notre  intellection  s'opère  eu  égard  au  mouvement  des  choses  à  l'ame 
ou  de  l'ame  aux  choses.  Il  faut  observer  que  dans  l'intellection  l'in- 
tellect peut  se  rapporter  à  quatre  choses;  savoir  à] la  chose  qui  est 
conçue,  secondement  à  l'espèce  intelligible  qui  met  l'intellect  en  acte, 
troisièmement  à  son  intellection ,  quatrièmement  aux  conceptions  de 
l'intellect,  laquelle  conception  diffère  des  trois  choses  dont  nous 
venons  de  parler ,  d'abord  de  la  chose  conçue ,  parce  que  la  chose 
concue_se  trouve  quelquefois  hors  de  l'intellect,  tandis  que  la  con- 
ception de  l'intellect  n'existe  que  dans  l'intellect,  et  puis  la  conception 
de  l'intellect  se  rapporte  à  la  chose  conçue  comme  à  une  fin.  Car  l'in- 
tellect forme  en  lui  la  conception  d'une  chose,  pour  connoître  la  chose 
conçue.  La  conception  diffère  aussi  de  Fespèce  intelligible  ;  car  l'es- 
pèce intelligible  qui  met  l'intellect  en  acte  est  considérée  comme  le 
principe  de  l'action  de  l'intellect,  puisque  tout  agent  agiï  suivant 
qu'il  est  en  acte  parle  moyen  de  quelque  forme  qui  doit  être  le  prin- 
cipe de  l'action.  La  conception  diffère  aussi  de  l'action  de  l'intellect 
qui  est  de  concevoir  ,  parce  que  la  conception  est  considérée  comme 
le  terme  de  l'action,  et  comme  quelque  chose  constitué  par  lui.  En 
effet  l'intellect  forme  par  son  action  la  définition  de  la  chose,  ou  même 
la  proposition  affirmative  ou  négative  :  or  cette  conception  de  l'intel- 
lect s'appelle  proprement  en  nous  verbe,  car  c'est  ce  qui  est  signifié 
par  le  verbe  extérieur.  En  effet  la  parole  extérieure  ne  signifie  ni  l'in- 
tellect lui-même,  ni  l'espèce  intelligible,  ni  l'acte  de  l'intellect,  mais 


velle  perficitur  ab  amante  per  voluntatem 
praecedentem ,  cum  amor  nihil  aliud  sit 
quam  stabilimentum  volimtatis  in  bono 
volito.  Nos  igitur  cognitionem  intellectua- 
lem  a  rébus  exterioribus  accipimus,  et  per 
■voluntatem  nostram  in  aliquid  exterius 
tendimus  tanquam  in  finem;  et  ideo  intel- 
ligere  nostrum  est  secundum  moturn  a 
rébus  ad  animam ,  velle  autem  secundum 
motum  ab  anima  ad  res.  Notandum  quod 
intellectus  intelligendo  ad  quatuor  potest 
habere  ordinem ,  scilicet  ad  rem  qute  in- 
telligitur;  secundo,  ad  speciem  intelligi- 
bilem  qua  fit  intellectus  in  actu  ;  tertio, 
ad  suum  intelligere  ;  quarto ,  ad  concep- 
tiones  mtellectus,  quae  quidem  conceptio  a 
tribus  praediciis  differt,  a  re  quidem  intel- 
lecta,  quia  res  intellecta  est  interdum  extra 
intellectum  ,  conceptio  autem  intellectus 
non  nisi  in  intellectu  ;  et  iterum  concep- 
tio intellectus  ordinatur  ad  rem  intellec- 


tam  sicut  ad  finem.  Ipse  enim  intellectus 
conceptionem  rei  in  se  format,  ut  rem  in- 
tellectam  cognoscat.  Differt  etiam  concep- 
tio a  specie  intelligibili  ;  nam  species  in- 
telligibilis  qua  fit  intellectus  in  actu,  con- 
sideratur  ut  principium  actionis  intellectus, 
cum  omne  agens  agat  secundum  quod  est 
in  actu  per  aliquam  formam,  quam  opor- 
tet  esse  actionis  principium.  Difîèrt  etiam 
conceptio  ab  actione  intellectus  quae  est 
intelligere,  quia  prsedicta  conceptio  consi- 
deratur  ut  terminus  actionis,  et  quasi  qui- 
dam per  ipsum  constitutum.  Intellectus 
enim  suà  actione  format  rei  diffinitionem, 
vel  etiam  propositionem  affirmativam  seu 
negativam  ;  haec  autem  conceptio  intellec- 
tus in  nobis  proprie  dicitur  verburn,  hoc 
enim  est  quod  verbo  exteriori  significatur. 
Yox  enim  exterior  neque  significat  ipsum 
intellectum,  neque  speciem  intelligibilem, 
neque  actum  intellectus,  sed  conceptionem, 


sur  l'intellect  et  l'intelligible.  383 

bien  lajconception  au  moyen  de  laquelle  elle  se  rapporte  h  la  chose. 
Donc  celte  conception  ou  verbe  par  lequel  notre  intellect  conçoit  une 
chose  qui  lui  est  étrangère,  provient  d'une  chose  et  en  représente  une 
autre  :  elle  vient  de  l'intellect  par  son  acte,  tandis  qu'elle  est  la  simi- 
litude  de  la  chose  conçue  le  représentant.  Lorsque  l'intellect  se  conçoit 
lui-même,  le  verbe  ou  conception  est  la  propagation  ou  similitude  de 
ce  même  intellect  se  concevant  lui-même.  Et  cela  arrive  parce  que 
l'effet  est  assimilé  à  sa  cause  par  sa  forme ,  or  la  forme  de  l'intellect 
est  la  chose  conçue,  et  conséquemment  le  verbe  qui  vient  de  l'intel- 
lect est  la  similitude  de  la  chose  conçue,  qu'il  soit  ou  non  le  même 
que  l'intellect.  Or  ce  verbe  de  notre  intellect  est  comme  extrinsèque  à 
l'être  de  l'intellect  lui-même  ;  car  il  n'est  pas  de  son  essence,  mais  il 
en  est  comme  une  passion;  il  n'est  pas  néanmoins  extrinsèque  à  l'in- 
tellection  de  l'intellect,  puisque  l'inteTIëctionnepeutse  compléter  sans 
ce  verbe.  Il  faut  savoir  que  l'intellect  possède  en  lui  le  verbe  suivant 
l'intelligence  intérieure  et  s'appelle  intelligence  intérieure  qui  appar- 
tièTTtlU'ame  en  soi,  en  tant  qu'elle  est  quelque  chose  de  subsistant; 
maisiî  ne  le  possède  pas  toujours  suivant  l'intelligence  extérieure,  et 
il  s'appelle  intelligence  extérieure  suivant  la  connoissance  extérieure. 
Celle-ci  appartient  proprement  à  l'homme  à  raison  de  ce  qu'il  em- 
brasse par  la  pensée  les  fantômes  mêmes,  qui  sont  intelligibles  en 
jouissance ,  et  de  cette  manière  l'intellecTa  toujours  on  lui  le  verBe 
informe  ;  or  le  verbe  ne  se  forme  pas  toujours.  Le  verbe  est.  dit  in- 
forme à  cause  de  la  connoissance  indistincte  et  confuse ,  et  aussi  parce 
qu'il  n'est  pas  extérieurement  manifesté  par  une  connoissance  exté- 
rieure :  mais  l'homme  ne  s'aperçoit  pas  que  l'intellect  ait  toujours  en 
soi  le  verbe  informe  ,  d'abord  à  raison  de  son  extmnéité  à  l'égard  de 


l^J 


qua  mediante  refertur  ad  rem.  Hujusmodi 
igitur  conceptio  sive  verbum,  quando  in- 
tellectus  noster  intelligit  rem  aliam  a  se , 
ab  alio  exoritur,  et  aliud  représentât  ;  ori- 
tur  quidem  ab  intellectu  per  suum  actum  , 
est  vero  similitudo  rei  intellects  ipsum  re- 
prœsentans.  Cum  vero  intellectus  seipsum 
intelligit,  verbum  prœdictum,  sive  concep- 
tio ejusdem  est  propagatio  et  similitudo, 
scilicet  intellectus  seipsum  intelligentis;  et 
hoc  ideo  contingit,  quia  effectus  similatur 
causœ  per  suam  formam,  forma  autem  in- 
tellectus est  res  intellecta,  et  ideo  verbum 
quod  exoritur  ab  intellectu,  est  similitudo 
rei  intellects,  sive  sit  idem  quod  intellec- 
tus, sive  sit  aliud.  Hujusmodi  autem  ver- 
bum nostri  intellectus  est  quasi  extrinse- 
cum  ab  esse  ipsius  intellectus;  non  enim 
est  de  essentia  ejus,  sed  est  quasi  quaedam 
passio  ipsius,  non  tamen  est  extrinseca  ab 
ipso  intelligere  intellectus,  cum  ipsum  in- 


telligere  compleri  non  possit  sine  verbo 
prsedicto.  Sciendum  autem  quod  intellec- 
tus semper  habet  apud  se  verbum  secun- 
dum  interiorem  intelligentiam ,  et  dicitur 
interior  intelligentia,  quae  est  ipsius  animae 
secundum  se,  prout  est  quid  subsistens, 
non  autem  habet  illum  semper  secundum 
exteriorem  intelligenliam,  et  dicitur  exte- 
rior  intelligentia  secundum  exteriorem  co- 
gnitionem,  et  ista  proprie  est  hominis  se- 
cundum quod  convertit  se  cogitando  super 
ipsa  phantasmata,  quae  sunt  potentia  intel- 
ligibilia,  et  sic  intellectus  semper  habet 
apud  se  verburn  informe,  non  autem  ver- 
bum semper  formatur.  Dicitur  autem  ver- 
bum informe  propter  indistinctarn  et  con- 
fusara  cognitionem.  lterum  etiam  ,  quia 
non  est  productum  ad  exteriorem  manifes- 
tationem  per  exteriorem  cognitionem  ; 
sed  homo  non  percipit  ,  quod  intellectus 
habeat  semper  apud  se  verbum  illud  in- 


OPUSCULE    LU. 

l'intellect ,  secondement  à  cause  de  sa  profondeur  ,  troisièmement  à 
cause  de  sa  subtilité  et  cela  du  côte  de  Famé,  il  n'en  est  pas  de  même 
du  côté  du  corps ,  parce  que  l'âme  opprimée  par  une  masse  de  chair 
ne  perçoit  point  cela,  et  parce  qu'elle  est  plongée  dans  les  ténèbres 
des  choses  matérielles.  Remarquez  qu'il  y  a  trois  verbes,  le  verbe  du 
cœur  ou  le  verbe  intellectuel,  le  verbe  de  l'imagination  ou  imaginable, 
le  verbe  de  la  bouche  ou  vocal  ;  le  premier  émane,  le  second  dispose, 
le  troisième  opère.  Il  faut  aussi  observer  que  dans  les  trois  parties  de 
l'image  il  y  a  l'ordre  de  la  nature,  et  l'ordre  du  temps,  de_ sorte :  que 
la  mémoire  précède  l'intelligence  intérieure,  comme  en  étant  la  cause, 
lui  offrant  ou  lui  montrant  l'espèce  qu'elle  a  ,  et  naturellement  cette 
faculté  précède  l'intelligence  par  la  nature  et  par  le  temps.  De  même 
l'intelligence  intérieure  précède  naturellement  la  volonté  intérieure  : 
la  raison  c'est  qu'avant  de  vouloir  concevoir,  il  faut  préconcevoir  ce 
que  c'est  que  de  concevoir,  et  de  cette  manière  l'intelligence  précède 
naturellement  la  volonté,  et  la  mémoire  précède  l'une  et  l'autre,  et  la 
volonté  intérieure  précède  l'intelligence  extérieure.  Il  faut  savoir  que 
la  puissance  intelîective  saisit  d'abord  simplement  une  chose ,  et  cet 
acte  s'appelle  intelligence.  En  second  lieu  elle  dispose  ce  qu'elle  saisit 
pourconnoitre  ou  opérer  une  autre  chose,  et  c'est  là  l'intention.  Tant 
qu'elle  persiste  'ans  la  recherche  de  ce  qu'elle  a  eu  vue,  on  l'appelle 
pensée  ;  lorsqu'elle  examine  ce  qu'elle  a  pensé  pour  quelques  motifs 
de  certitude  ,  on  appelle  cela  savoir ,  être  sage ,  ce  qui  appartient  à  la 
phrénose  ou  sagesse  ,  car  être  sage  c'est  juger  ,  comme  il  est  dit  dans 
le  liv.  I  de  la  Met.  Quand  elle  a  acquis  la  certitude  sur  une  chose,  elle 
songe  comment  elle  pourra  la  manifester  aux  autres ,  c'est  là  la  dis- 
position du  langage  intérieur  d'où  procède  le  langage  extérieur.  Il 


forme;  primo  propter  extraneitatem  sui 
ad  intellectum  ;  secundo  propter  sui  pro- 
funditatein  ;  tertio  propter  sui  subtilitatem 
et  hoc  ex  parte  animée;  similiter  non  ex 
parte  corporis,  quia  anima  est  mole  carnis 
oppressa,  et  ideo  non  percipit  hoc  :  iterum 
quia  est  materialium  caligine  obscurata. 
Notandum  etiam  quod  triplex  est  verbum, 
verbum  cordis,  sive  intellectuale;  verbum 
imaginationis,  sive  imaginabiliter  ;  verbum 
oris,  sive  vocale ,  primum  est  manans ,  se- 
cundum  disponens ,  tertium  operans.  No- 
tandum etiam  ,  quod  in  tribus  partibus 
imaginis  est  ordo  naturae,  et  ordo  temporis, 
ita  quod  memoria  prœcedit  intelligentiam 
interiorem,  prout  est  gignitiva  ipsius,  offe- 
rens  vel  osteiulens  ei  speciem  quam  habet, 
et  hœc  naturaliter  pruicedit  intelligentiam, 
et  natura,  el  tempore.  Item,  intelligentia 
interior  preecedit  naturaliter  voluntatem 
interiorem;  et  ratio  est,  quia  oportet  an- 


tequam  aliquis  velit  intelligere,  quod  prse- 
concipiat  quid  est  intelligere ,  et  sic  intel- 
ligentia naturaliter  prœcedit  voluntatem , 
memoria  vero  utramque  ,  voluntas  autem 
interior  praecedit  intelligentiam  exterio- 
rem.  Sciendum  quod  potentia  intellectiva 
primo  simpliciter  aliquid  apprehendit ,  et 
hic  actus  dicitur  intelligentia  ;  secundo 
vero  id  quod  apprehendit,  ordinat  ad  ali- 
quid aliud  cognoscendum  vel  operandum  , 
et  hœc  vocatur  intentio.  Dum  vero  persistit 
in  inquisitione  illius  quod  intenditur ,  vo- 
catur excogitatio;  dum  vero  id  quod  est 
excogitatum  examinât  ob  aliqua  certa,  di- 
citur scire  vel  sapere  ,  quod  est  phrenosis, 
id  est  sapientiae  ,  quia  sapere  est  judicare, 
ut  dicitur  in  l  Metaph.  Ex  quo  autem  ha- 
bet aliquid  pro  certo  examinatum,  cogitât 
quomodo  possit  illud  aliis  manifestare  ,  et 
hoc  est  dispositio  interioris  sermonis ,  ex 
qua  procedit  interior  locutio.  Sciendum, 


sur  l'intellect  et  l'intelligible.  385 

faut  savoir  que  comme,  suivant  l'action  qui  tend  à  la  matière  exté- 
rieure, il  y  a  unejjrocession  ad  extra ,  de  même  ,  suivant  l'action  qui 
reste  dans J'afiëntTïl  y  a  une  procession  ad  intra,  et  cela  se  voit  sur- 
tout dans  l'intellect  dont  l'action,  c'est-à-dire  l'intellection  reste  dans 
l'agent.  En  effet,  celui  qui  conçoit ,  par  là  même  qu'il  conçoit,  jjto- 
cède  vers  quelque  chose  au  dedans  de  lui-même  qui  esl  la  conception 
de  la  chose  conçue  procédant  de  sa  connoissance ,  laquelle  conception 
est  signifiée  par  la  voix  et  s'appelle  verbe  du  cœur  marqué  par  le  verbe 
de  la  voix.  Il  faut  savoir  aussi  que  l'intellect ,  en  tant  qu'il  est  en  acte 
par  le  moyen  de  l'espèce  intelligible  ,  se  considère  d'une  manière  ab- 
solue :  il  en  est  de  même  de  l'intellection  qui  est  à  l'intellect,  comme 
l'être  en  puissance  est  à  l'être  en  acte.  Car  concevoir  ne  dénomme  pas 
l'actionpar  l'être  intelligent  s'éloignant,  mais  dans  l'intellect,  ou  l'être 
intelligent  restant.  Lors  donc  que  l'on  dit  que  le  verbe  est  une  con- 
noissance, on  ne  prend  pas  le  mot  connoissance  pour  l'acte  de  l'in- 
tellect qui  connoît,  ou  pour  quelqu'une  de  ses  habitudes ,  mais  pour 
ce  que  conçoit  l'intellect  en  connaissant.  Il  faut  savoir  que  la  différence 
qu'il  y  a  entre  l'intellect  et  la  volonté,  c'est  que  l'intellect  est  en  acte 
par  cela  que  la  chose  conçue  est  dans  l'intellect  suivant  son  image;  la 
volonté  au  contraire  est  mise  en  acte ,  non  parce  que  quelque  simili- 
tude de  la  chose  voulue  se  trouve  dans  celui  qui  veut,  mais  bien  parce 
que  la  volonté  a  une  certaine  inclination  pour  la  chose  voulue.  Or  la 
procession  considérée  suivant  l'action  de  la  volonté  ne  l'est  pas  suivant 
la  similitude,  mais  bien  suivant  la  nature  de  ce  qui  pousse  et  meut  vers 
quelque  chose.  C'est  pourquoi,  quoique  la  similitude  tienne  à  l'amour 
comme  au  verbe ,  néanmoins  elle  n'appartient  pas  à  l'amour  de  la 
même  manière  qu'au  verbe.  Car  elle  appartient  au  verbe  en  tant  que 


quod  sicut  secundum  actionem,  quae  tendit 
in  exteriorem  materiam  ,  est  aliqua  pro- 
cessio  ad  extra  ;  ita  secundum  actionem 
quse  manet  in  agente,  est  quaedam  pro- 
cessio  ad  intra ,  et  hoc  maxime  patet  in 
intellectu ,  cujus  actio ,  scilicet  întelligere 
manet  in  agente.  Quicumque  enim  intelli- 
git,  ex  hoc  ipso  quod  intelligit,  procéda  ad 
aliquid  intra  ipsum,  quod  est  conceptio  rei 
intellects  ex  ejus  notitia  procédons,  quam 
quidem  conceptionem  vox  signiricat,  et  di- 
citur  verbum  cordis  signatum  verbo  vocis. 
Sciendum,  quod  intellectus  secundum  quod 
est  in  actu  per  speciem  intelligibilem , 
consideratur  absolute  ;  et  similiter  intelli- 
gere,  quod  ita  se  habet  ad  intellectum,  si- 
cut ens  in  poteutia  ad  ens  in  actu.  Non 
enim  intelligere  actionem  nominat  ab  in- 
telligente exeunte,  sed  in  intellectu ,  sive 
intelligente  manente.   Cuin  ergo  dicitur, 

V. 


quod  verbum  est  notitia,  non  accipitur  no- 
titia pro  actu  intellectus  cognoscentis ,  vel 
pro  aliquo  ejus  habitu,  sed  pro  eo  quod 
intellectus  concipit  cognoscendo.  Scien- 
dum, quod  haec  est  difïerentia  inter  intel- 
lectum  et  voluntatem,  quod  intellectus  sit 
in  actu  per  hoc  quod  res  intellecta  est  in 
intellectu  secundum  suam  similitudinem; 
voluntas  fit  in  actu  non  per  hoc  quod  ali- 
qua similitudo  voliti  sit  in  volente ,  sed  ex 
hoc  quod  voluntas  habet  quamdam  incli- 
nationem  ad  rem  volitam.  Processio  au- 
tem  quie  attenditur  secundum  actionem 
voluntatis,  non  consideratur  secundum  si- 
militudinis,  sed  magis  seenndum  rationem 
impellentis  et  moventis  in  aliquid.  Unde 
quamvis  similitudo  sit  de  ratione  amoris, 
sicut  de  ratione  verbi,  tamen  aliter  perti- 
net  ad  verbum  et  ad  amorcm.  Nam  ad 
verbum  pertinet   in   quantum  ipsum  est 

25 


386  OPUSCULE    XXIII. 

celui-ci  est  une  certaine  similitude  de  la  chose  conçue ,  comme  l'être 
engendré  est  l'image  de  celui  qui  l'a  engendré.  Mais  elle  appartient  à 
l'amour ,  non  que  l'amour  soit  une  similitude ,  mais  en  tant  que  la  si- 
militude est  le  principe  de  l'amour.  De  même,  comme  l'être  suit  la 
forme,  de  mèmé'aussi  l'intellection  suit  l'espèce  intelligible.  Il  faut 
savoir  que  lorsqu'on  dit  que  l'intellect  est  en  acte  il  se  trouve  deux 
choses  importantes,  savoir  la  chose  qui  conçoit,  et  être  conçu.  Donc 
la  nature  qui  se  trouve  être  conçue  n'existe  que  dans  les  singuliers, 
mais  ce  qui  est  être  conçu  se  trouve  dans  l'intellect,  il  faut  savoir  que 
l'intellect  et  la  raison  diffèrent  quant  au  mode  de  connoître,  en  ce  que 
l'intellect  connoît  par  une  simple  intuition,  et  la  raison  en  passant 
d'une  chose  à  une  autre.  Néanmoins  la  raison  parvient  à  connoître 
par  le  discours  ce  que  l'intellect  connoît  sans  cela  ,  c'est-à-dire  l'uni- 
versel. Le  Philosophe  dit  dans  le  livre  I  de  la  Métaphysique  que  les 
choses  les  plus  universelles  sont  difficiles  à  connoître  aux  hommes,  ce 
qui  est  contraire  à  ce  qui  a  été  dit  dans  le  Ier  livre  de  la  Physique,  que 
les  choses  confuses  sont  plus  connues  par  rapport  à  nous,  telles  que 
sont  les  choses  universelles.  A  cela  il  faut  dire  que  les  choses  plus  uni- 
verselles sont  d'abord  connues  suivant  la  simple  appréhension  ;  car 
c'est  d'abord  l'être  qui  tombe  dans  l'intellect,  comme  dit  Avicenne, 
et  animal  tombe  plutôt  dans  l'intellect  qu'homme.  De  même  clans  la 
génération  de  la  science  l'animal  est  conçu  dans  l'intellect  avant 
l'homme;  mais  quant  à  l'investigation  des  propriétés  universelles  et 
des  causes ,  les  choses  moins  communes  sont  connues  les  premières 
par  la  raison  que  nous  arrivons  aux  causes  universelles  par  le  moyen 
des  causes  particulières ,  qui  sont  d'un  seul  genre  ou  d'une  seule  es- 
pèce. Or  les  choses  qui  sont  universelles  dans  la  génération  des  causes 


quaedam  similitudo  rei  intellectae,  sicut  ge- 
nitum  est  similitudo  generantis.  Sed  ad 
amorem  pertinet,  non  quod  ipse  amor  sit 
similitudo,  sed  in  quantum  similitudo  est 
principium  amandi.  Item,  sicut  esse  con- 
sequitur  formam ,  ita  intelligere  conse- 
quitur  speciem  intelligibilem.  Sciendum, 
quod  cum  dicitur  intelleetum  in  actu  exis- 
tere  duo  importantia ,  scilicet  res  quae  in- 
telligit ,  et  hoc  ipsum  quod  est  intelligi. 
Ipsa  igitur  natura  cui  accedit  intelligi,  non 
est  nisi  in  singularibus,  sed  hoc  ipsum  quod 
est  intelligi,  est  in  intellectu.  Sciendum  , 
quod  intellectus  et  ratio  in  hoc  differunt 
quantum  ad  modum  cognoscendi,  quia  sci- 
licet intellectus  cognoscit  simplici  intuitu, 
ratio  vero  discurrendo  de  uno  ad  aliud. 
Sed  tamen  ratio  per  discursum  pervenit 
ad  cognoscendum  illud  quod  intellectus 
sine  discursu  cognoscit,  scilicet  universa- 


lem.  Sciendum ,  quod  Philosophus  dicit 
I  Metaph.,  quod  difïicilia  sunt  hominibus 
ad  cognoscendum,  quae  sunt  maxime  uni- 
versalia ,  quod  est  contra  illud ,  quod  dic- 
tum  est  in  I  Physic,  quod  confusa  sunt 
magis  nota  quoad  nos,  qualia  sunt  univer- 
salia.  Ad  quod  dicendum,  quod  magis  uni- 
versalia,  secundum  simplicem  apprehen- 
sionem  sunt  primo  nota;  nam  primo  in 
intellectu  cadit  ens ,  ut  dicit  Avicenna,  et 
prius  intellectu  cadit  animal  quam  homo. 
Ita  et  in  generatione  scientiae  prius  in  in- 
tellectu concipitur  animal,  quam  homo; 
sed  quantum  ad  investigationem  universa- 
lium  proprietatum  et  causarum ,  prius 
sunt  nota  minus  communia  ,  eo  quod  per 
causas  particulares  quae  sunt  unius  gene- 
ris  vel  speciei,  pervenimus  in  causas  uni- 
versales.  Ea  autem  quae  sunt  universalia  in 
causando,  sunt  posterius  nota  quoad  nos, 


sur  l'intellect  et  l'intelligible.  387 

sont  connues  postérieurement  par  rapporta  nous,  quoique  elles  soient 
connues  antérieurement  suivant  la  nature ,  quoique  les  choses  univer- 
selles par  le  moyen  de  la  prédication  soient  en  quelque  sorte  connues 
par  rapport  à  nous  avant  les  moins  universelles,  mais  non  avant  les 
singulières.  Car  la  connoissance  du  sens,  qui  appartient  aux  choses 
singulières,  précède  en  nous  la  cognition  intellective ,  qui  appartient 
aux  universelles.  Il  faut  donc  s'appuyer  sur  ce  qu'Aristote  ne  dit  pas 
que  les  choses  les  plus  universelles  sont  simplement  les  plus  difficiles, 
mais  presque  les  plus  difficiles.  En  effet,  parce  qu'il  dit  les  plus  univer- 
selles ,  on  comprend  les  choses  qui  sont  universelles  par  essence ,  ou 
celles  qui  sont  totalement  séparées  de  la  matière  suivant  l'être,  comme 
les  substances  immatérielles.  Celles-ci,  en  effet,  sont  plus  difficiles  à 
connoître  pour  nous-mêmes  que  les  choses  les  plus  universelles  suivant 
la  prédication. 

Fin  du  cinquante-deuxième  Opuscule  de  saint  Thomas  d'Aquin  sur 
l'intellect  et  V intelligible.  , 

L'abbé  VÉDRINE. 


:\ 


licet  sint  prius  nota  secundum  naturam, 
quamvis  universalia  per  prsedicationem 
sint  aliquo  modo  prius  nota  quoad  nos, 
quam  minus  universalia,  sed  non  prius 
nota  quam  singularia.  Nam  cognitio  sensus, 
quge  est  singularium  ,  in  nobis  prœcedit 
cognitionem  intellectivam ,  quae  est  uni- 
versalium.  Facienda  est  autem  vis  in  hoc 
quod  dicit  maxime  universalia  non  sim- 
pliciter  esse  difficillima,  sed  fere.  Per  hoc 
enim  quod  dicit  maxime  universalia,  intel- 


liguntur,  quœ  sunt  universalia  per  essen- 
tiam,  vel  sunt  illa  quae  sunt  penitus  a  ma- 
teria  separata  secundum  esse,  sicut  sub- 
stantiae  immateriales.  Istae  enim  sunt  ma- 
gis  difficiles  ad  cognoscendum  nobis,  quam 
etiam  universalissima  quaecumque  secun- 
dum prsedicationem. 

Explicit  Opusculum  quinquagesimum  se- 
cundum de  intellectu  et  intelligibili,  se- 
cundum S.  Thomam  Aquinatem. 


388 


OPUSCULE    LUI. 


OPUSCULE  LUI. 

DU   MÊME   DOCTEUR,  DE   QUO   EST   ET   QUOD   EST. 

Dans  toutes  les  choses  où  il  y  a  composition  de  matière  et  de  forme, 
il  y  a  composition  ex  quo  et  quodest.  Dire  quod  c'est  dans  la  matière, 
parce  que  quod  est  dit  un  suppôt  ayant  l'être  ;  mais  la  matière  n'a  pas 
l'être ,  mais  ce  qui  est  composé  de  matière  et  de  forme  dans  de  tels 
composés.  Quo  est  peut  se  dire  de  trois  manières ,  de  la  forme  même 
qui  donne  l'être  à  la  matière  ;  il  peut  aussi  être  dit  le  mode  d'être  quo 
est;  la  nature  même  qui  reste  de  l'union  de  la  forme  avec  la  matière, 
comme  l'humanité,  principalement  suivant  ceux  qui  supposent  que 
la  forme ,  qui  est  le  tout ,  est  la  quiddité  et  non  la  forme  de  la  partie, 
au  nombre  desquels  est  Avicenne.  Comme  à  raison  de  la  quantité  de 
l'essence  elle  est  composée  ou  suivant  une  composition  ,  il  pourra  se 
trouver  et  être  conçue  une  quiddité  simple  ne  suivant  pas  la  compo- 
sition de  la  forme  et  de  la  matière.  Or  si  nous  trouvons  quelque 
quiddité  qui  ne  soit  pas  composée  de  matière  et  de  forme,  cette 
quiddité  est  ou  l'être  ou  le  non-être.  Si  elle  est  l'être,  comme  l'es- 
sence divine  qui  est  son  être,  elle  e^t  la  plus  simple  de  toutes  ;  si  elle 
n'est  pas  l'être ,  il  faut  qu'elle  tienne  son  être  d'une  autre  chose , 
telle  est  toute  quiddité  créée.  Et  comme  cette  quiddité  n'est  pas  des- 
tinée à  subsister  dans  la  matière  ,  elle  n'acquiert  pas  l'être  daus  une 


OPUSCULUM  LUI. 

EJCSDEM   DOCTORIS  ,    DE   QUO   EST   ET    QUOD   EST. 


In  omnibus,  in  quibus  est  compositio  ex 
materia  et  forma,  est  compositio  ex  quo, 
et  quod  est.  Dicere  autern  quod  est  in  ma- 
teria, quia  quod  dicitur  suppositum  ha- 
bens  esse ,  materia  autem  non  hahet  esse, 
sed  compositum  ex  materia ,  et  forma  in 
talibus  compositis.  Quo  est,  potest  dici  tri- 
pliciter,  potest  enim  quo  est  dici  ipsa  for- 
ma, quee  dat  esse  materiae  ;  potest  etiam 
dici  ipse  modus  essendi  quo  est ,  ipsa  na- 
tura  quae  relinquitur  ex  conjunctione  for- 
mae  cum  materia,  ut  humanitas  praecipue 
secundum  ponentes,  quod  forma  quae  est 
totum,  est  quidditas,  non  autem  forma  par- 


tis,  de  quibus  est  Avicenna.  Cum  autem 
ratione  quantitatis  essentiae  cum  sit  com- 
posite, vel  compositionem  sequens,  poterit 
inveniri  et  intelligi  quidditas  aliqua  sim- 
plex  non  consequens  compositionem  formae 
et  materiae.  Si  autem  invenimus  aliquam 
quidditatem  ,  quae  non  sit  composita  ex 
materia  et  forma,  illa  quidditas  aut  est  esse 
aut  non  esse.  Si  est  esse,  sic  est  essentia  di- 
vina,  qu;e  est  suum  esse,  est  omnium  sim- 
ple ;  si  non  est  esse,  oportet  quod  habeat 
suum  esse  acquisitum  ab  alio ,  et  sic  est 
omnis  quidditas  creata.  Et  quia  quidditas 
posita  est  non  suhsistere  in  materia,  non 


DE    QUO    EST    ET   QUOD    EST.  389 

autre,  comme  pour  les  quiddités  composées,  elle  acquiert  l'être  en 
soi ,  et  la  quiddité  sera  ce  qui  est  son  être  et  quo  est.  Et  comme  tout 
ce  qui  a  quelque  chose  n'est  pas  possible  à  se ,  par  rapport  à  cette 
quiddité  tenant  l'être  d'un  autre ,  ces  choses  seront  possibles  par  rap- 
port à  cet  être  et  par  rapport  à  l'être  donl  elles  le  tiennent ,  en  qui  il 
n'y  a  nulle  puissance  semblable  ;  de  cette  manière  ,  dans  cette  quid- 
dité se  trouve  la  puissance  et  l'acte  ,  suivant  quoi  la  quiddité  est  pos- 
sible ,  et  son  être  est  la  combinaison  de  la  puissance  et  de  l'acte ,  de 
quo  est  et  quod  est.  C'est  pourquoi  l'ange  ou  l'ame  peuvent  être  appelés 
quiddités  ou  nature ,  ou  forme  simple ,  en  tant  que  leur  quiddité 
n'est  pas  composée  de  diverses  choses ,  et  qu'ils  réunissent  la  combi- 
naison de  ces  deux  choses ,  la  quiddité  et  l'être. 

Cet  Opuscule  n'est  pas  termine',  et  il  est  fortement  altéré ,  par  la 
faute  sans  doute  des  éditeurs  qui  l'ont  imprimé  en  Allemagne  ;  pour 
ne  pas  porter  atteinte  à  V  ordre  de  l'ouvrage,  nous  l'insérons  ici  tel 
que  nous  l'avons  trouvé,  n'ayant  pu  nous  procurer  un  exemplaire 
moins  imparfait  que  celui-ci. 

Fin  de  l'Opuscule  cinquante-quatrième  de  quo  est  et  quod  est. 

L'abbé  VÉDRINE. 

Le  saint  Docteur  avoit  écrit  sur  les  Universaux.  A-t-il  composé  un  ou 
plusieurs  Opuscules?  C'est  ce  que  nous  ne  pouvons  décider.  Il  ne  seroit 
pas  étonnant  en  effet  que ,  sur  la  demande  des  étudiants  ,  il  en  eût 
écrit  un  certain  nombre  sur  cette  matière ,  puisqu'on  en  trouve  plu- 
sieurs de  lui  sur  le  sujet  du  verbe. 


acquiritur  ei  esse  in  altero ,  sicut  quiddi- 
tatibus  compositis,  imo  acquiritur  ei  esse 
in  se,  et  ipsa  quidditas  erit  hoc  quod  est 
suum  esse  et  quo  est  ;  et  quia  omne  quod 
habet  aliquid  non  a  se  est  possibile .  res- 
pectu  iliius  hujusmodi  quidditatis,  cum  ha- 
beant  esse  ab  alio,  erunt  possibiles  respec- 
tu  iliius  esse,  et  respectu  ejus  a  quo  habent, 
in  quo  nulla  eadem  potentia,  et  ita  in  tali 
quidditate  invenitur  potentia,  et  actus  se- 
cundum  quod  ipsa  quidditas  est  possibilis, 
et  est  esse  ejus  compositio  potentiae  et  ac- 
tus, de  quo  est,  et  quod  est,  unde  angélus 
vel  anima  potest  dici  quidditas,  vel  natura, 
vel  forma  simplex ,  in  quantum  eorum 
quidditas  non  componitur  ex  diversis,  cum 
advenit  ei  compositio  horum  duorum,  sci- 
licet  quidditas  et  esse. 


Nota  quod  hoc  Opusculum  est  imper fec- 
tum  et  valde  corruptum,  ut  puto  vitio  im- 
prcssorum,  qui  illud  in  Alemania  impres- 
serunt,  ne  autem  ordo  totius  libri  destitue- 
retur,  ipsum  etiam  prout  illud  invenimus, 
reliquimus,  quia  nullibi  inveniebatur  aliî 
copia  ,  qua  melius  emendari  potuisset. 

Explicit  Opusculum  quinquagesimum 
tertium,  De  quo  est  et  quod  est. 

Et  sciendum  Doctorem  sanctum  scripsisse 
de  uuiversalibus.  Utrum  tamen  unum  aut 
plura  de  eis  scripserit  opuscula,  sub  dubio 
relinquimus.  Nec  mirum  si  diversis  studen- 
tibus  ad  eorum  petitionem  diversa  sub  ea- 
dem materia  conscripsit  opuscula,  cum 
plura  etiam  super  materia  de  verbo  inve- 
niuntur  S.  Thomae  opéra. 


390 


OPUSCULE    LIV. 


OPUSCULE  LIV. 


DU   MÊME   DOCTEUR,    SUR  LES  UNIVERSAUX. 

L'opinion  des  philosophes  est  différente  sur  les  universaux.  Quel- 
ques-uns ,  comme  les  Epicuriens ,  n'admettant  pas  qu'il  n'y  a  de 
distinction  que  suivant  le  sens  ,  et  disant  que  la  volupté  est  le  souve- 
rain bien..,  affirmoient  que  ce  qui  se  voit  et  se  sent  n'est  rien  ,  d'où  ils 
disoient  qu'il  n'y  a  rien  d'universel.  Ils  enseignoient  aussi  que  l'ame 
est  une  sorte  de  corps  subtil  et  périt  avec  le  corps.  Comme  cette  opi- 
nion est  évidemment  improbable  et  .contraire  au  bon  sens  et  à  toute 
raison  ,  il  n'est  pas  nécessaire  de  la  réfuter;  aussi  a-t-on  appelé  pour- 
ceaux les  philosophes  qui  soutenoient  une  semblable  opinion.  Néan- 
moins on  pourroit  ainsi  raisonner  contre  eftx  :  Tous  les  hommes 
o^irjenUîirtiH^^  comme  l'enseigne  Aristote,  livre  Ier  de 

la  Métaphysique;  mais  un  tel  désir  n'est  pas  faux,  on  peut  donc 
acquérir  la  science  ;  mais  toute  science  appartient  aux  universaux  ; 
donc  il  y  a  des  universaux.  La  mineure  se  prouve  ainsi  :  ce  qui  est 
infini  ne  peut  être  connu  ,  autrement  ce  seroit  fini  ;  mais  les  singu- 
liers sont  infinis,  donc  il  n'y  a  pas  de  science  des  singuliers  ,  et  par 
conséquent  il  n'y  en  a  que  des  universaux.  D'autres  admettant  les  uni- 
versaux ,  tombent  dans  de  nombreux  inconvénients ,  et  ces  philo- 
sophes ne  s'accordent  pas ,  parce  que  quelques-uns  ont  prétendu  que 


OPUSCULUM  LIV. 


EJCSDEM  DOCTOR13,    TRACTATUS  FRIMUS  DE   TNIVERSALIBUS. 


Circa  universalia  multiplex  fuit,  et  di- 
versorum  Philosophorum  opinio.  Quidam 
enim ,  sicut  Epicuraei ,  non  ponentes  dis- 
tinctionem  esse  nisi  secundum  sensum,  di- 
centes  summum  bonum  esse  voluptatem, 
posuerunt  nihil  esse  quod  sentitur  et  vide- 
tur,  unde  dicebant  quod  nihil  est  univer- 
sale.  Dicebant  etiam  animam  esse  quod- 
dam  corpus  subtile  ,  et  perire  cum  corpore. 
Horum  autem  opinio,  quia  improbabilis 
est  manifeste,  et  contra  sensum,  et  intel- 
lectum  omnem,  non  est  necessarium  eam 
refellere ,  et  ideo  Philosophi  taies  qui  sic 
posuerunt,  appellaverunt  porcos.  Sed  con- 


tra eos  posset  sic  argui  :  Omnes  homines 
natura  scire  desiderant,  ut  vult  Philoso- 
phus,  I  Metapk.j  sed  taie  desiderium  non 
est  frustra  ;  contingit  ergo  habere  scien- 
tiam;  sed  omnis  scientia  est  universalium, 
ergo  universalia  sunt.  Minor  sic  ostendi- 
tur  :  Quse  sunt  infiuita  non  possunt  sciri, 
alioquin  essent  finita  ;  sed  singularia  sunt 
inflnita,  ergo  ipsorum  non  est  scientia ,  et 
per  consequens  universalium.  Alii  autem 
ponentes  universalia,  incidunt  in  multa 
inconvenientia  ,  et  isti  sunt  diversi  ,  que— 
niam  quidam  posuerunt  ea  esse  et  subsis- 
tera prœter  singularia  et  praeter  intellec- 


PREMIER   TRAITÉ    SUR   LES   UNIVERSAUX.  391 

les  uoiversaux  existoient  et  subsistaient  en  dehors  des  singuliers  et  de 
l^ëîlëct  ;  tels  furentTès  Platoniciens  qui  avoient  Platon  pour  chef. 
Ce  philosophe  voyant  qu'il  s'opéroit  dans  les  choses  une  grande  et 
continuelle  transformation  et  corruption,  fut  amené  à  dire  que  les 
universaux  existoient  par  eux-mêmes  et  étoient  incorruptibles;  il  les 
appeloit  idées,  lesquelles  idées  ils  regardèrent  comme  les  causes 
exemplaires  et  effectives  des  singuliers  ,  Aristote  anéantit  cette  opi- 
nion dans  le  livre  VII  de  la  Métaphysique.  C'est  pourquoi  il  dit  par 
dérision  contre  Platon,  dans  le  livre  Posteriorum,  que  les  genres  et  les 
es^èœsjejréjouissent,  ce  sont  des  monstres. [Etablissons  donc  l'argu- 
ment u'Âvicenne  contre  lui.  L'universel  que  nous  avons  en  vue  s&dit. 
de  tous  les  inférieurs  dont  chacun  est  lui-même.  Or  l'universel  que 
Platon  supposoit  séparé,  ne  se  dit  pas  de  ses  individus,  et  aucun 
d'eux  n'est  lui.  Donc  ,  ou  il  ne  faut  pas  admettre  d'universel,  ou  il  ne 
faut  pa_s  le  dire  séparé,  comme  faisoit  Platon.  En  conséquence  il  s'en 
est  trouvé  d'autres  qui  ont  prétendu  que  les  universaux  n'étoient  que 
dans  l'intellect ,  ce  qui  est  entièrement  opposé  à  l'opinion  de  Platon, 
et  ceux-ci  ne  s'accordent  pas  non  plus.  Quelques-uns  d'entre  eux  ont 
prétendu  que  les  universaux  nous  étoient  innés  et  qu'ils  étoient  con- 
crets, et  que  les  universaux  ne  s'effectuoient  pas  par  l'épuration  et 
l'abstraction  de  l'action  intellectuelle ,  ils  s'appuient  sur  ce  que  dit 
Aristote  dans  le  livre  II  de  l'Ame  ,  que  nous  concevons  lorsque  QOUI 
voulons ,  ce  qu'il  n'eut  pas  dit  si  les  universaux  ne  nous  étoient  pas 
innés  et  se  présentoient  toujours  actuellement  à  Y ame.j  Aristote  est 
entièrement  opposé  à  ce  qu'ils  allèguent  pour  leur  défense.  Car  il  d\t 
formellement  sur  la  fin  du  livre  II  Posteriorum ,  que  l'universel  ve~ 
naiav  sensus  par  le  moyen  delà  mémoire  et  de  l'expérience,  êtlë 
Commentateur_d.it  à  leur  encontre  dans  le  prologue  de  l'Ame ,  que 


tum,  et  isti  fuerunt  platonici,  quorum  ca- 
put  fuit  Plato.  Hic  siquidem  videns  ma- 
gnam  et  contiuuam  transmutationem  et 
corruptionera  fieri  in  rébus  ipsis ,  inductus 
fuit  ponere  universalia  stare  per  se,  et  in- 
corruptibilia  esse,  quae  vocabat  ideas,  quas 
quidem  dixerunt  esse  causas  exemplares 
et  effectivas  istorum  singularium.  Hanc 
autem  opinionem  in  VII  Metaph.,  et  mul- 
tis  aliis  locis  destruit  Philosophus.  Unde 
dicit  contra  Platonem  deridendo  eum  in 
libro  Poster.  Gaudeant  gênera  et  species, 
monstra  enim  sunt.  Sumamus  autem  ne- 
cessarium  argumentum,  quod  format  Avi- 
cenna  contra  eum  sic.  Universale  quod  in- 
tendimus,  praedicatur  de  omnibus  inferio- 
ribus  ,  quorum  unumquodque  est  ipsum  ; 
taie  autem  universale  quod  Plato  ponebat 
separatum,  non  praedicatur  de  suis  indivi- 
duis,  uec  aliquod  ipsorum  est  ipsum,  ergo 


aut  non  est  ponere  universale,  aut  non  est 
sic  ponere  separalum,  sicut  Plato  ponebat. 
Et  ideo  fuerunt  aliqui  qui  posuerunt  uni- 
versalia solum  esse  in  intellectu,  totum  op- 
positum  positioni  Platonis,  et  adhuc  isti 
diversificantur.  Nam  quidam  posuerunt 
universalia  nobis  innata  et  concreta ,  et 
non  fieri  universalia  per  actionem  intellec- 
tus  depurantis  et  abstrahentis ,  et  fulciunt 
positionem  suam  per  dictum  Philosophi,  in 
II  De  anima,  ubi  dicit,  quod  iutelligimus 
eum  volumus,  quod  non  esset  dictum,  nisi 
ipsa  nobis  universalia  innata  esset,  et  sem- 
per  actu  praesentarent  ipsi  animae.  Contra 
quod  est  etiam  Philosophus,  per  quem  pu- 
tant  se  defendere.  Dicit  enim  ipse  in  fine 
II  Poster.,  quod  universale  venatur  sensus 
via  mémorise  et  experientiœ  ,  et  Commen- 
tator  super  proœmio  De  anima,  dicit  contra 
eos,  quod  «  intellectus  agens  facit  univer- 


392  OPUSCULE    LIV. 

l'intellect  .actif  produit  l'universalité  dans  les  choses.  Ce  dont  ils  pré- 
tendent s'étayer  doit  à  coup  sûr  être  entendu  dans  ce  sens  ,  que  Aris- 
tote  a  voulu  dire  qu'il  y  a  en  nous  un  intellect  actif  par  lequel  tout 
se  fait,  et  qui  peut  par  conséquent  quand  il  veut  s'emparer  de  fan- 
tômes, les  illuminer  et  les  rendre  intelligibles  en  acte.  D'autres  de 
leur  côté  ont  prétendu  que  lcsibimes. intellectuelles  passent  de  l'in- 
tellect actif  dans  notre  esprit.  Ils  affirmoient  que  l'intellect  actif  n'est 
pas  en  nous,  mais  bien  hors  de  nous,  et  ils  disoient  que  c'étoit  un 
Dieu  ou  une  intelligence.  Aristote  lesjéfute  sur  ces  deux  points  dans 
le  Ijy^Uyj^deJL\me.  Il  dit, ""en  effet,  que  cet  intellect  est  dans  notre 
ame,  il  dit  aussi  que  c'est  la  lumière  qui  rend  intelligibles  en  acte  les 
fantômes  intelligibles  en  puissance,  de  même  que  la  lumière  rend 
visibles  en  acte  les  couleurs  visibles  en  puissance  ;  c'est  ainsi  qu'il  y 
a  eu  diverses  erreurs  sur  les  universaux.  Après  tout  c'est  le  sentiment 
d' Aristote  qui  est  le  vrai,  savoir  que  l'universel  se  trouve  dans  la  plu- 
ralité, qu'il  est  un  en  dehors  de  la  multitude;  par  ces  mots  on  touche 
au  douille  être  de  l'universel,  l'un  en  tant  qu'il  est'  dans  les  choses  , 
l'autre  suivant  qu'il  est  dans  l'ame.  Quant  à  l'être  de  raison  ,  il  a  la 
nature  île  prédicable;  quant  à  l'autre  être,  c'est  une  certaine  nature, 
et  il  n'est  pas  universel  en  acte,  mais  bien  en  puissance,  parce  que  la 
puissance  a  la  vertu  de  rendre  une  telle  nature  universelle  par  l'ac- 
tion de  l'intellect,  et  c'est  pour  cela  que  Boëce  appelle  universel  ce  que 
l'on  conçoit  et  singulier  ce  que  l'on  sent ,  parce  que  cette  même  na- 
ture qui  étoit  singulière  et  qui  est  individuée  par  la  matière  dans 
chaque  homme ,  devient  ensuite  universelle  par  l'action  de  l'intellect 
qui  les  dégage  des  conditions  qui  existent  Mç  et  mine ,  ce  qui  fait 
qu'elle  reçoit  de  l'intellect  lui-même  le  caractère  d'universelle  et  de 


salitatem  in  rébus  ipsis.  »  Dictum  autem 
quod  inducunt  pro  se ,  sane  est  intelligen- 
drim,  quod  ideo  hoc  Philosophus  dicit, 
quia  in  nobis  est  mtellectus  agens  quo  est 
omnia  facere ,  et  ideo  quando  vult  potest 
se  convertere  supra  phantasmata,  et  illus- 
trare  ea,  et  facere  actu  intelligibilia.  Alii 
vero  posuerunt,  quod  formée  intellectuales 
effluunt  in  mentera  nostram  ab  intellectu 
agente.  Ponebant  autem  intellectum  agen- 
tem  non  esse  in  nobis,  sed  extra  nos,  et  di- 
cebant  istum  esse  Deum ,  vel  aliquam  in- 
telligentiam.  Contra  istos  est  Philosophus, 
in  III  De  anima,  quantum  ad  utrumque. 
Dicit  enim  ibi  quod  in  anima  nostra  est  in- 
tellectus  iste,  et  dicit  etiam  quod  est  lu- 
men quod  facit  phantasmata  potentia  in- 
telligibilia,  intelligibilia  actu,  sicut  lumen 
facit  colores  potentia  visibiles,  visibiles 
actu,  et  sic  diversimode  erratum  est  circa 


universalia.  Sententia  tamen  Aristotelis 
vera  est ,  scilicet  quod  universale  est  in 
multis,  et  unum  prœter  multa,  et  tangitur 
in  hoc  duplex  esse  universalis,  unum  se- 
cundum  quod  est  in  rébus,  aliud  seenn- 
dum  quod  est  in  anima.  Et  quantum  ad 
istud  esse  quod  est  rationis,  habet  ratio- 
nem  praedicabilis  ;  quantum  vero  ad  aliud 
esse,  est  qusedam  natura ,  et  non  est  uni- 
versale actu,  sed  potentia;  quia  potentia 
habet ,  ut  talis  natura  fiât  universalis  per 
actionem  intellectus,  et  ideo  dicit  Boetius 
universale  dum  intelligitur,  singulare  dum 
sentitur,  quia  una  et  eadem  natura ,  quae 
singularis  erat,  et  individualur  per  mate- 
riam  in  singularibus  hominibus,  efficitur 
postea  universalis  per  actionem  intellectus 
deputantis  ipsam  a  conditionibus  quae  sunt 
hic  et  nunc  :  unde  rationem  universalis  et 
praedicabilis  accipit  ab  ipso  intellectu ,  ut 


PREMIER    TRAITÉ    SUR    LES    UNIVERSAUX.  393 

prédicable,  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  Et  qujoigu' elle  reçoive  de  Pâme 
elle-même  le  caractère  d'universelle,  elle  n'est  pâgjaéanmoins. en. elle 
suivant  son  essence,  niais  suivant  sa  similitude  et  son  espèce; c'est  ce 
quTi'ait  dire  alïTÏÏilôsophe  :  «  Ce  n'es>t  pas  la  pierre  qui  est  dans  l'ame, 
mais  l'espèce  de  la  pierre.  »pr  cette  similitude  ou  espèce  existant  dans 
l'ame  est  numériquement  une  et  singulière.  Son  universalité  ne  vient 
pas  de  ce  qu'elle  est  dans  l'ame ,  mais  de  ce  qu'elle  est  comparée 
à  plusieurs  singuliers  estimés  tels.  Leur  jugement  sur  elle  est 
le  même,  et  il  n'y  a  rien  de  déraisonnable  en  cela,  parce  que  de 
même  qu'une  chose  peut  être  genre  et  espèce  sous  divers  rapports, 
de  même  aussi  cette  chose  peut  être  universelle ,  particulière  ou  sin- 
gulière pour  des  espèces  diverses.  Elle  est  effectivement  singulière 
dans  l'intellect  seul,  et  elle  est  universelle  en  tant  qu'elle  a  un  carac- 
tère uniforme  à  l'égard  de  tous  les  individus  qui  sont  hors  de  l'ame  , 
suivant  qu'elle  est  également  l'image  de  tous ,  amenant  à  leur  con- 
noissance ,  comme  on  peut  le  voir  dans  un  exemple.  En  effet ,  s'il  y 
avoit  une  forme  corporelle  représentant  plusieurs  nommes,  il  est  con- 
stant que  eette  forme  ,  ou  figure,  ou  espèce  de  statue  auroit  un  être 
singulier  propre  suivant  qu'il  auroit  l'être  dans  la  matière;  mais  elle 
auroit  le  caractère  de  communauté  ,  en  tant  qu'elle  seroit  commune 
par  la  représentation  de  plusieurs.  Quoique  l'on  ait  dit  que  cette  na- 
ture ,  qui  est  universelle,  est  numériquement  une,  il  n'est  pourtant 
pas  nécessaire  qu'elle  soit  l'essence  unique  des  espèces  diverses  dont 
elle  est  le  genre ,  car  le  genre  procède  de  l'indétermination  ou  indif- 
férence, non  pas  néanmoins  de  telle  sorte  que  ce  qui  est  signifié  par 
le  genre  soit  numériquement  une  même  espèce  dans  toutes  les  diffé- 
rentes espèces,  à  laquelle  s' ajoutant  une  chose  qui  est  la  différence, 


dictum  est.  Et  quamvis  ab  ipsa  anima  reci- 
piat  rationem  universalis,  tamen  non  est 
in  ipsa  secundum  suam  essentiam  ,  sed  se- 
cundum  suam  similitudinem  et  speciem  : 
unde  et  Philosophus  ait  :  «  Lapis  non  est 
in  anima ,  sed  species  lapidis.  »  Haec  au- 
tem  siinilitudo  sive  species  existens  in  ani- 
ma est  una  numéro ,  et  est  singularis. 
Ejus  autem  universalitas  non  est  ex  hoc, 
quod  est  in  anima,  sed  ex  hoc  quod  com- 
paratur  ad  multa  singularia  se  habentia 
opinata.  Eorum  igitur  judicium  quantum 
ad  ipsam'est  idem  ;  nec  hoc  est  inconve- 
niens,  quia  sicut  aliquid  diversis  respecti- 
bus  potest  esse  genuset  species,  ita  aliquid 
diversis  speciebus  potest  esse  universale  et 
particulare,  sive  singulare.  Est  enim  illa 
in  solo  intellectu  singularis,  et  est  univer- 
salis  in  quantum  habet  rationem  unifor- 
mem  ad  omnia  individua,  quae  sunt  extra 
animam ,  prout  aequaliter  est   similitudo 


omnium  ducens  in  omnium  cognitionem, 
sicut  potest  apparere  in  exemplo.  Nam  si 
esset  una  forma  corporalis  repraesentans 
multos  homines,  constat  quod  illa  forma, 
vel  species ,  vel  figura  statua?  haberet  esse 
singulare  proprium  secundum  quod  haberet 
esse  in  hac  materia  ;  sed  haberet  rationem 
communitatis  ,  secundum  quod  haberet 
com  munis  per  repraesentationem  plurium. 
Quamvis  autem  dictum  sit  quod  iila  na- 
tura  quae  est  universalis,  in  quantum  est 
in  anima,  sit  una  numéro,  non  tamen 
oporlet  quod  diversarum  specierum ,  qua- 
rum  est  idem  genus,  sit  una  essentia,  quia 
unitas  generis  ex  ipsa  indeterminatione 
procedit,  vel  indifferentia ,  non  autem  ita 
quod  id  quod  significatur  per  genus ,  sit 
una  essentia  numéro  in  omnibus  specie- 
bus vel  diversis,  cui  superveniens  res  aliqua 
quœ  est  differentia,  determinet  ipsam,  si- 
cut forma  déterminât   materiam  quae  est 


394  OPUSCULE   LIV. 

la  détermine ,  comme  une  forme  détermine  la  matière  qui  est  une 
numériquement  par  la  privation  de  toutes  les  formes  :  mais  comme 
le  genre  signifie  les  formes,  non  pas  cependant  d'une  manière  déter- 
minée telle  ou  telle  que  la  doctrine  exprime  d'une  manière  déter- 
minée ,  laquelle  n'est  pas  différente  de  celle  qui  étoit  signifiée  par  le 
genre  d'une  manière  indéterminée!  C'est  pourquoi  le  Commentateur 
dit  sur  le  Ier  livre  de  la  Métaphysique  ,  que  la  matière  première  est 
dite  une  par  la  privation  de  toutes  les  formes  ;  mais  le  genre  est  dit 
un  par  la  communauté  des  formes  signifiées;  aussi  en  ajoutant  la  dif- 
férence ,  et  écartant  l'indétermination  qui  étoit  la  cause  de  l'unité  de 
genre  ,  les  espèces  différentes  par  l'essence  subsistent  et  demeurent , 
et  c'est  ce  que  dit  Àviceune  dans  sa  Métaphysique  :  «  Il  est  impossible 
qu'une  seule  et  même  chose  numériquement  se  dise  de  .plusieurs  ,  de 
tèlïe  sorte  que  chacun  soit  elle-même.  »  Cependant  Boëce  semble  dire 
le  contraire  dans  le  Commentaire  où  il  dit,  que  «  l'universel  est  com- 
mun de  telle  manière  ,  que  le  tout  est  en  même  temps  dans  les  di- 
verses choses  dont  il  constitue  naturellement  l'essence  ,  et  comme  il 
est  universel  en  espèce,  il  devient  singulier  par  les  doctrines  qui  sur- 
viennent ou  par  les  formes  sans  lesquelles  il  subsiste  naturellement 
en  lui-même,  et  sans  lesquelles  il  n'a  nulle  permanence  actuelle.  »I1 
appuie  cette  assertion  par  un  exemple  pris  de  la  cire  ,  comme  si  l'on 
fait  avec  de  la  cire  tantôt  une  statue  d'homme  ,  tantôt  une  statue  de 
bœuf,  en  adaptant  ces  diverses  formes  à  la  même  essence  vraiment  et 
entièrement  permanente,  il  importe  cependant  que  ce  ne  soit  pas  dans 
le  même  temps  ;  mais  voici  l'inconvénient  qui  résulte  de  cette  suppo- 
sition ,  c'est  que  le  même  animal  seroit  raisonnable  et  déraisonnable 
s'il  y  avoit  dans  les  diverses  espèces  la  même  essence  de  genre.  On 
voit  donc  par  là  ce  qu'il  faut  dire  des  universaux ,  et  quels  sont  leurs 


una  numéro,  per  privationem  omnium  for- 
marum  ;  sed  quia  genus  significat  formas, 
non  tamen  hanc  vel  illam  determinate, 
quam  determinate  doctrina  exprimit,  quae 
non  est  alia  ab  illa  quae  indeterminate  si- 
gnificabatur  per  genus.  Unde  dicit  Com- 
mentator  super  I  Metaph.,  quod  materia 
prima  dicitur  una  per  privationem  om- 
nium formarum  ;  sed  genus  dicitur  unum 
per  communitatem  formarum  signifi- 
catarum,  unde  per  adjectionem  differen- 
tiae ,  remota  illa  indeterminatione ,  quae 
erat  causa  unitatis  generis ,  rémanent 
species  per  essentiam  di versée  ,  et  hoc  est 
quod  dicit  Avicenna  in  sua  Metaph.,  «  Im- 
possible est ,  scilicet  quod  una  et  eadem 
res  numéro  sit  presdicata  de  multis,  ita 
quod  unumquodque  sit  ipsa.  »  Videtur  ta- 
men Boetius  dicere  contrarium  m  com- 


mento ,  ubi  ait ,  quod  «  universale  ita  est 
commune,  ut  eodem  tempore  totum  sit  in 
diversis,  quorum  essentiam  naturaliter  con- 
stituât, et  cum  in  specie  sit  universale,  per 
advenientes  doctrinas  vel  formas  fit  singu- 
lare,  sine  quibus  naturaliter  in  se  subsistit 
et  absque  eis  actualiter  nullatenus  per- 
manet.  »  Huic  autem  dicto  adaptât  exem- 
plum  de  cera,  sicut  si  ex  cera  modo  sta- 
tuam  hominis,  modo  bovis  facias,  diversas 
formas  eidem  essentiœ  vere  penitus  ma- 
nenti  adaptando ,  hoc  tamen  refert  quod 
non  eodem  tempore ,  sed  inconveniens 
quod  sequitur  ex  ista  posilione  est  istud 
quod  idem  animal  esset  rationale  et  irra- 
tionale,  si  eadem  essentia  generis  esset  in 
diversis  speciebus.  Sic  igitur  patet  quid 
dicendum  sit  de  ipsis  universalibus ,  et 
quomodo  habeant  se,  quia  aliquo  modo 


PREMIER   TRAITÉ   SUR  LES   UNIVERSAUX.  395 

rapports ,  comme  ils  ont  en  certains  cas  et  non  dans  d'autres  l'être 
extrinsèque  de  l'ame,  par  conséquent,  je  dis  que  les  universaux ,  par 
cela  qu'ils  sont  universaux,  n'ont  pas  l'être  par  soi  dans  les  choses 
sensibles,  parce  que  l'universalité  elle-même  est  dans  l'ame  et  nulle- 
ment dans  les  choses.)  Or  lorsque  nous  disons  que  la  nature  univer- 
selle a  l'être  dans  ces  choses  sensibles  ou  singulières ,  nous  n'enten- 
dons pas  que  la  nature  qui  a  l'universalité  tienne  l'être  de  ces  choses 
caractérisées.  On  voit  donc  comment  l'universel  est  corporel,  et  com- 
ment aussi  il  est  incorporel;  parce  que,  suivant  ce  que  dit  Boëce ,  ce 
cmj^SJLincoiTjorel  et  insensible  s'entend  dans  la  simplicité  de  son  uni- 
versalité Jtandis  que  ce  qui  est  corporel  et  sensible  subsiste  par  les 
aiCclclents.  Ainsi  donc  se  trouvent  établies  les  questions  énumérées 
par  Boëce  sur  les  universaux.  Mais  l'universel  peut-il  exister  après  la 
destruction  des  singuliers;  suivant  A.vicenne,  il  faut  dire  qu'oui;  parce 
que  l'universel  est  ce  que  suivant  l'intellect  il  est  impossible  de  ne  pas 
dire  de  plusieurs ,  quoique  nulle  de  ces  choses  n'ait  l'être  en  effet. 
Comme  l'intention,  qui  est  universelle,  existe  en  dehors  du  singulier, 
parce  qu'il  est  de  sa  nature  de  se  dire  de  plusieurs ,  mais  il  n'est  pas 
nécessaire  que  ces  choses  ou  quelqu'une  d'elles  existent.)  L'universel 
est-il  substance  ou  accident,  il  faut  dire  que  par  son  rapport  de  com- 
paraison  avec  l'ame,  il  est  accident,  c'est  une  certaine  disposition  dans 
Vame^  c'est  un  des  individus  des  sciences  ou  formations.  Cependant 
Averrhoès  dit  sur  le  livre  Ier  de  l'Ame,  que«  l'universel  est  une  qualité 
existant  dans  l'ame,  »  je  dis  une  qualité  substantielle,  qui  n'est  ni  sub- 
stance, ni  accident,  mais  quelque  chose  de  mitoyen,  ce  qui  n'est  pas 
déraisonnable ,  quoique  ce  soit  quelque  chose  de  mitoyen  par  rapport 
au  logicien  ,  et  non  par  rapport  au  métaphysicien  et  au  naturaliste , 


4, 


habent  esse  animée  extrinsecum,  et  aliquo 
modo  non.  Consequenter  dico  ,  quod  uni- 
versalia  ex  hoc  quod  sunt  universalia  non 
habent  esse  perse  in  sensibilibus,  quia  uni- 
versalitatis  ipsa  est  îa  anima,  et  nullo  mo- 
do in  rébus.  Cum  autem  dicimus  ,  quod 
natura  universalis  habet  esse  in  his  sensi- 
bilibus sive  singularibus ,  non  intelligimus 
ex  hoc  quod  natura  cui  accidit  universa- 
litas  habet  esse  istis  signatis.  Patet  ergo 
quomodo  universale  sit  corporale ,  et  quo- 
modo  sit  incorporale  ;  quoniam  secundum 
quod  dicit  Boetius,  incorporale,  et  insen- 
sible in  simpiieitate  suée  universalités  in- 
telligitur,  corporeum  autem  et  sensibiliter 
per  accidentia  subsistunt.  Sic  igiturdecla- 
ratae  sunt  quaestiones  quas  enumerat  Boe- 
tius de  universalibus.  Utrum  autem  possit 
esse  destructis  singularibus,  dicendum  se- 
cundum Avicennam,  quod  sic  :  quia  uni- 


versale est  illud,  quod  secundum  intellec- 
tum  impossibile  est  non  preedicari  de  mul- 
tis,  et  si  nullum  eorum  habet  esse  in  ef- 
fectu  ;  sicut  intentio  est  praeter  singulare, 
quee  universalis  est ,  eo  quod  ejus  natura 
est  preedicari  de  multis  ;  sed  non  est  ne- 
cesse  esse  illa  multa,  imo  nec  aliquod  illo- 
rum.  Utrum  autem  sit  substantia  vel  acci- 
dens,  dicendum  quod  per  compara tionem 
quam  habet  ad  animara  est  accidens,  et  est 
dispositio  queedam  in  anima,  et  est  unum 
de  individuis  scientiarum  vel  formationem. 
Averrhoès  tamen  dicit  super  I  De  anima, 
quod  «  universale  est  qualitas  existens  in 
anima,  »  et  hoc  dico  substantialis,  quae 
quidem  non  est  substantia,  nec  accidens, 
sed  médium,  quod  non  est  iuconveniens. 
Quamvis  enim  quoad  Logicum,  non  tamen 
quoadMetaphysicum,  et  naturalem  est  mé- 
dium inter  ea,  ut  vult  Commentator  in 


396  OPUSCULE    LIV. 

comme  le  veut  le  Commentateur.  Ainsi  donc  en  considérant  l'uni- 
versel en  tant  qu'universel,  c'est-à-dire  suivant  qu'une  nature  quel- 
conque a  une  intention  d'universalité,  c'est-à-dire  suivant  que  l'on 
considère  l'animal  ou  l'homme  comme  étant  un  en  plusieurs,  les  uni- 
versaux  ne  sont  pas  des  substances ,  et  c'est  de  cette  manière  que  sur 
la  fin  du  livre  VII  de  la  Métaphysique  ,  Aristote  attaque  la  doctrine 
que  les  universaux  ne  sont  pas  des  substances ,  ainsi  que  les  platoni- 
ciens ont  prétendu  que  l'animal  et  l'homme  étoient  des  substances 
dans  leur  quiddité.  Car  animal  commun  et  homme  commun  ne  sont 
pas  des  substances  clans  la  nature  des  choses;  mais  la  forme  de  l'ani- 
mal ou  de  l'homme  a  cette  communauté  suivant  quelle  est  dans  l'in- 
tellect, lequel  reçoit  une  forme  commune  en  plusieurs,  en  tant  qu'il  la 
retire  de  tous  les  agents  d'individuation.  On  peut  encore  considérer 
d'une  autre  manière  l'universel,  c'est-à-dire  la  nature  à  qui  l'intellect 
a  donné  un  caractère  d'universalité  ,  et  de  cette  sorte  les  universaux, 
comme  le  genre  et  l'espèce,  signifient  les  substances  des  choses,  et  se 
disent  in  quid.  En  effet  animal  signifie  la  substance  de  ce  dont  il  se 
dit?  et  l'homme  également;  et  c'est  ce  que  dit  Aristote  dans  les  Pré- 
dicaments ,  que  le  genre  et  l'espèce  des  substances  premières  sont  des 
substances  secondes.  Il  faut  parler  différemment  des  universaux  des 
accidents,  parce  que  ces  universaux,  soit  pour  le  rapport  qu'ils  ont 
dans  l'ame,  soit  pour  celui  qu'ils  ont  dans  leurs  inférieurs,  ne  sont 
pas  des  substances  en  tant  que  la  substance  est  séparée  de  l'accident, 
mais  ils  sont  substance ,  en  tant  que  substance  est  pris  pour  essence 
dans  ses  inférieurs.  C'est  pourquoi  comme  les  accidents  universels 
sont  essentiels  à  leurs  inférieurs,  ils  peuvent  pour  cette  raison  être 
appelés  substances.  Mais  l'universel  est-il  avant  le  singulier ,  à  cela  il 


multis  locis.  Sic  igitur  considerando  uni- 
versale in  quantum  universale  est,  scilicet 
secundum  quod  aliqua  natura  habet  in- 
tentionein  universalitatis,  id  est  secundum 
quod  consideratur  animal  vel  homo ,  ut 
unum  in  multis,  universalia  non  sunt  sub- 
stantia?, et  hoc  modo  reprobat  Philosophus 
circa  finem  VII  Metaph..  quod  universalia 
non  sunt  substantiae,  sicut  platonici  posue- 
runt  animal  et  hominem  in  sua  quidditate 
esse  substantias.  Nam  animal  commune  et 
homo  communis  non  sunt  aliquae  substan- 
tiae in  rerum  natura  ;  sed  hanc  communi- 
tatem  habet  forma  animalis  vel  hominis 
secundum  quod  est  in  intellectu,  qui  unam 
formam  accipit  in  multis  communem,  in 
quantum  eam  subtrahit  ab  omnibus  indi- 
viduantibus.  Alio  modo  potest  considerari 
universale,  scilicet  ipsa  natura  cui  intel- 
lectus  rationem   universalitatis  attribuit, 


et  sic  universalia,  ut  genus  et  species,  sub- 
stantias rerum  significant ,  et  praedicatur 
in  quid.  Animal  enim  significat  substan- 
tiam  ejus  de  quo  praedicatur,  et  similiter 
homo  ;  et  hoc  est  quod  dicit  Philosophus 
in  Praedic,  quod  genus  et  species  prima- 
rum  substantiarum  sunt  substantiae  secun- 
dae.  De  universalibus  autem  accidentium 
accipienda  est  alia  ratio,  quoniam  talia 
universalia,  et  quantum  ad  respectum  quem 
habent  in  anima  ,  et  quantum  ad  respec- 
tum quem  habent  in  suis  inferioribus  ,  sub- 
stantiae non  sunt,  prout  substantia  dividi- 
tur  contra  accideus ,  sed  sunt  substantia, 
prout  substantia  accipitur  pro  essentia  in 
suis  inferioribus.  Unde,  quod  universalia 
accidentia  sunt  essentialia  suis  inferioribus, 
hoc  modo  possunt  dici  substantia? .  Utrum 
autem  universale  sit  prius  quam  singulare, 
dicendum  quod  universale  esse  prius,  con- 


PREMIER    TRAITÉ    SUR   LES   UNI  VERS  AUX.  397 

faut  dire  que  l'Jtre  universel  antérieur  arrive  de  deux  manières ,  sa- 
voir :  l'universel  in  essendo,  et  l'universel  m  cognosccndo.  Si  c'est  in 
essendo ,  alors  l'universel  se  prend  pour  l'espèce  qui  est  dans  l'âme 
abstraite  des  conditions  matérielles  qui  sont  hic  et  nunc  ,  la  forme  et 
la  figure.  Il  est  donc  ainsi  évident  que  le_singulier  duquel  une  sem- 
blable forme  est  abstraite  se  trouve  antérieur,  il  faut  donc  comprendre 
de~cette  façon  ce  qui  est  de  l'aine.  L'universel  ou  n'est  rien  ou  est 
postérieur.  On  considère  l'universel  d'une  autre  manière,  en  tant  qu'il 
est  une  forme  réellement  existante  dans  les  choses ,  et  cela  de  deux 
manières.  En  effet ,  ou  il  se  rapporte  à  l'opération  de  la  nature  ou  à 
l'intention.  Si  c'est  de  la  première  mànière,[ou  nous  parlons  de  l'uni- 
versel de  l'espèce  la  plus  spéciale,  ou  du  supérieur  qui  lui  est  relatif. 
Si  c'est  dusûperieur,  ou  il  est  comparé  ^  son  propre  singulier,  qui  est 
médiatement  contenu  en  lui  ;  s'il  est  comparé  au  propre ,  suivant 
qu'animal  est  cornjparéà  tel  animal ,  clans  ce  cas  tel  animal  est  anté- 
rieur à  anlmâTclansT op ération  de  la  nature.,  parce  que  l'opération  de 
la  nature  se  termine  a  tel  animal  avaut  animal,  par  la  raison  que 
toute  opération  appartient -aux  singuliers;  mais  ensuite  lorsque  nous 
prenons  tel  animal,  l'intellect  attentif,  avant  que  nous  arrivions  à  la 
forme  de  l'homme,  saisit  la  forme  de  l'universel  dans  tel  individu, 
savoir  l'animal.  Mais  ensuite  avant  que  la  nature  opère  à  l'égard  de 
la  forme  de  l'homme,  animal  a  précédé  dans  l'observation  de  l'intel- 
lect, et  puis  tel  animal  par  l'opération  de  la  nature,  et  par  conséquent 
si  nous  formons  alors  l'universel  supérieur  à  l'égard  du  singulier  non 
propre  ,  comme  animal  à  l'égard  de  tel  homme,  de  celte  façon  dans 
l'opération  de  la  nature  l'universel  précède  le  singulier.  On  voit  ainsi 
ce  qu'il  faut  dire  si  nous  parlons  de  l'universel  supérieur.  Mais  si 
nous  parlons  de  l'universel  inférieur,  comme  de  l'espèce  la  plus  spé- 


tingit  dupliciter ,  scilicet  universale  in  es- 
sendo, et  universale  in  cognoscendo  :  si  in 
essendo,  tune  universale  accipitur  pro  spe- 
cie  qute  est  in  anima  abstracta  a  conditio- 
nibus  materialibus,  quœ  sunt  hic  et  nunc, 
forma  et  figura.  Et  sic  isto  modo  patet, 
quod  prius  est  singulare,  a  quo  abstrahitur 
talis  forma,  et  sic  est  intelligendum  quod 
dicitur  de  anima.  Universale  aut  nihil  est, 
aut  pusterius  est.  Alio  modo  consideratur 
universale  ,  prout  est  forma  l'éaliter  exis- 
tens  in  rébus,  et  hoc  dupliciter.  Aut  enim 
refertur  ail  operationem  nature  vel  ad  in- 
tentionem,  si  primo  modo,  aut  loquiinur 
de  universali  speciei  specialissimaj ,  aut  de 
superiori  ad  ipsam.  Si  de  superiori ,  aut 
comparatur  ad  suum  proprium  singulare, 
quod  médiate  continetur  ab  ipso;  si  ad 
proprium,  prout  animal  comparatur  ad  hoc 
animal ,  sic  prius  est  in  operatione  nature 


hoc  animal  quam  animal ,  quia  prius  ter- 
minatur  operatio  naturae  ad  hoc  animal, 
quam  ad  animal ,  eo  quod  omnis  operatio 
est  singularinm ,  sed  ulterius  cum  habe- 
mus  hoc  animal  intellectus  considerans 
antequam  deveniamus  ad  formam  hominis, 
apprehendit  formam  universalis  in  hoc  in- 
dividuo,  scilicet  animal.  Sed  ulterius  aute- 
quam  operetur  natura  ad  formam  homi- 
nis, pracessit  animal  per  considerationem 
intellectus,  et  hoc  animal  per  operationem 
naturae,  et  ideo  si  tune  formamus  univer- 
sale superius  ad  singulare  non  proprium, 
ut  animal  ad  hune  hominem,  sic  in  ope- 
ratione nature  universale  pracedit  singu- 
lare; et  sic  patet  quid  sit  dicendum  si  lo- 
quamur  de  universali  superiori.  Si  autem 
loquamur  de  universali  înferiori,  ut  de 
specie  specialissiina ,  sic  quantum  ad  ope- 
rationem natura)  singulare  preecedit  uni- 


398  OPUSCULE    LIV. 

çiale,  dans  ce  cas,  relativement  à  l'opération  de  la  nature,  le  singulier 
précède-  l'universel,  comme  la  nature  engendre  Sortes  avant  l'homme. 
D'un  autre  côté,  si  nous  rapportons  l' universel  à  l'intention  de  la  na- 
ture ,  il  faut  encore  distinguer ,  parce  que  ou  nous  parlons'-de  l'uni- 
versel supérieur,  comme  du  genre j^u  de  l'inférieur,  comme  de  l'es- 
pèce la  plus  spéciale  :  si  nous  parlons  de  l'universel  supérieur,^ comme 
de  l'animal  relativement  à  l'intention  universelle  de  la  nature,  je  dis 
dans  ce  cas  que  l'universel,  savoir  animal,  et  tel  animal  ne  tiennent 
pas  de  la  nature  leur  singulier  propre ,  parce  que  s'il  en  étoit  ainsi 
son  opération  cesserait  d'abord  dans  l'animal,  et  n'arriveroit  jamais  à 
Sortes,  et  de  cette  manière  rien  n'arriveroit  à  une  génération  par- 
;,  faite.  Si  au  contraire  nous  parlons  de  l'universel  inférieur  comme  de 
l'espèce  la  plus  spéciale ,  comme  c'est  là  que  tend  d'abord  la  nature 
particulière ,  il  faut  dire  que  par  l'intention  de  la  nature  l'universel 
est  antérieur  au  particulier,  et  c'est  ce  que  dit  Aristote  dans  le  second 
livre  de  l'Ame  :«  Notre  vertu  se  trouve  dans  tout,  parfait  et  imparfait, 
de  sorte  que  l'animal  engendre  l'animal,  la  plante  engendre  la  plante, 
quoiqu'ils  participent  à  l'être  divin  dans  la  mesure  de  ce  qui  leur  est 
possible.  »En  effet,  c'est  là  le  désir  et  le  but  de  tout  ce  qui  agit  suivant 
la  nature,  laquelle  a  eu  en  vue  par  elle-même  l'être  divin,  c'est-à-dire 
l'immortalité,  comme  il  l'expose  lui-même.  Quant  à  l'opération  de 
la  nature  le  singulier  est  antérieur,  dans  ce  sens  que  la  nature  pro- 
duit Sortes  avant  de  produire  l'homme,  et  on  voit  de  la  sorte  ce  qu'il 
faut  dire  de  l'universel  relativement  à  son  être.  Mais  si  nous  parlons 
de  l'universel  relativement  à  sacognition,  ou  peut  le  considérer  de 
deux  manières,  parce  qu'il  y  a  quelque  chose  qui  est  plus  connu  par 
rapport  à  nous,  et  d'autres  choses  qui  sont  plus  connues  simpliciter, 
ou  par  rapport  à  la  nature,  parce  que  la  même  chose  est  plus  connue 


versale,  sicut  natura  prius  générât  Sortem 
quam  hominem.  Si  autem  referamus  uni- 
versale  quantum  ad  intentionem  naturae, 
sic  adhuc  distinguendum  est,  quia  aut  le— 
quimur  de  universali  superiuri ,  ut  de  gé- 
nère; aut  de  inferiori,  ut  de  specie  spe- 
cialissima  ;  si  loquamur  de  universali  su- 
periori,  ut  de  animali  quantum  ad  inten- 
tionem naturae  universalem,  sic  dico  quod 
universale,  scilieet  animal,  et  hoc  animal 
singulare  suum  proprium  non  intenduntur 
a  natura,  quia  si  sic  statim  in  ipso  animali 
sua  operatio  cessaret,  et  nunquam  perve- 
niretur  usque  ad  Sortem,  et  sic  nihil  per- 
fecte  generaretur.  Si  autem  de  universali 
inferiori,  ut  de  specie  specialissima  loqui- 
mur,  cum  illud  sit  primo  intentum  a  na- 
tura particulari,  dicendum  quod  intentione 
naturae  prius  est  universale  quam  partie  u- 


lare,  et  hoc  est  quod  Philosophus  dicit  in 
II  De  anima  :  «  Nostra  virtus  inest  omnibus 
quae  perfecta,  et  ut  imper  fecta,  ut  animal 
générât  animal,  et  planta  plantam,  quam- 
vis  ipsum  esse  divinum  participent  secun- 
dum  quod  possunt.  »  Omnia  enim  illud  ap- 
petunt,  et  illius  causa  agunt ,  quaecumque 
agunt  secundum  naturam  quae  intendit  per 
se  esse  divinum,  id  est  sempiternum,  sicut 
ipsemet  exponit.  Quantum  ad  operationem 
naturae  sic  singulare  est  prius,  sicut  na- 
tura prius  générât  Sortem  quam  hominem, 
et  sic  patet  quid  sit  dicendum  de  univer- 
sali quantum  ad  esse  suurn.  Si  autem  lo- 
quamur de  universali  quantum  ad  cogni- 
tionem  suam ,  hoc  potest  esse  dupliciter, 
quia  est  aliquid  notius  quoad  nos  ,  et  est 
aliquid  notius  simpliciter,  sive  quoad  na- 
turam, quia  idem  est  notius  secundum  na- 


PREMIER    TRAITÉ    SUR   LES   UNIVERSAUX.  399 

suivant  la  nature  et  simpliciter.  Or  les  choses  connues  per  se.  sont 
plus  connues  simplwiter.  Celles-là  le  sont  plus  per  se  qui  ont  plus  de 
l'entité,  car  chaque  chose  devient  l'objet  de  la  cognition  en  tant 
qu'elle  est  être  ;  or  les  choses  qui  sont  plus  en  acte  sont  êtres  davan- 
tage :  c'est  pourquoi  ces  choses  sont  plus  susceptibles  d'être  connues 
par  la  nature,  non  que  la  nature  les  connoisse  davantage,  mais  parce 
qu'elles  sont  connues  en  elles-mêmes  et  suivant  leur  nature  propre. 
Ainsi  donc  les  natures  les  plus  spéciales  sont  plus  connues  suivant  la 
nature,  comme  existant  par  elles-mêmes,  et  ayant  une  cognition  dis- 
tincte. Or  ce  qui  est  complet  mtu  est  antérieur  en  nature  et  posté- 
rieur en  temps  :  Les  genres  au  contraire  connus  sont  antérieurs  par 
rapport  à  nous,  et  postérieurs  par  rapport  à  la  nature,  comme  ayant 
une  cognition  confuse  en  puissance  :  mais  ce  qui  est  en  puissance  est 
antérieur  en  temps  et  postérieur  en  nature  ,  comme  sont  les  genres 
plus  universels  et  en  puissance ,  et  plus  confus,  parce  que  les  univer- 
saux  contiennent  en  eux  leurs  inférieurs  en  puissance,  et  celui  qui  sait 
une  chose  en  général  la  connoît  d'une  manière  confuse.  La  connois- 
sance  en  devient  plus  claire,  quand  chacune  des  choses  contenues  en 
puissance  dans  l'universel  vient  à  être  à  demi  connue  en  acte.  Par 
exemple ,  celui  qui  connoît  l'animal  ne  connoît  la  rationalité  qu'en 
puissance;  car  il  arrive  que  l'on  connoît  plutôt  l'animal  que  l'homme. 
Et  c'est  ainsi  qu'il  faut  entendre  ce  qui  est  dit,  livre  Ier  de  la  Physique, 
qu'une  chose  existe  plutôt  en  puissance  qu'en  acte.  En  conséquence 
suivant  le  mode  par  lequel  nous  procédons  de  la  puissance  à  l'acte  et 
du  plus  commun  au  moins  commun ,  il  est  antérieur  par  rapport  à 
nous  de  connoître  l'animal  plutôt  que  l'homme  ;  c'est  encore  ainsi 
qu'il  faut  entendre,  livre  Ier  de  la  Physique,  que  les  universaux  nous 
sont  antérieurement  connus  par  rapport  à  nous  et  moins  connus  à  la 


turam  et  simpliciter.  Simpliciter  autem 
nota  sunt,  quœ  per  se  sunt  nota.  Sunt  au- 
tem plus  per  se,  quae  plus  habent  de  enti- 
tate ,  quia  unumquodque  cognoscibile  est 
quantum  est  ens,  magis  autem  entia  sunt, 
qua?  sunt  magis  in  actu  :  unde  ista  sunt 
magis  cognoscibilia  a  natura,  non  quod  na- 
tura  magis  cognoscat  ea,  sed  quia  sunt 
nota  secundum  se  et  secundum  naturam 
propriam.  Sic  igitur  species  speeialissimae 
sunt  notiores  secundum  naturam,  utpote 
per  se  existentes ,  et  distinctam  habentes 
cognitionem.  Quod  autem  completum  est 
actu,  est  prius  natura  et  postenus  tempore, 
gênera  vero  nota  sunt  priore  quoad  nos  et 
posteriora  quoad  naturam,  utpote  habentia 
cognitionem  confusam  in  potentia;  quod 
autem  est  potenlia  ,  est  prius  tempore  , 
natura  autem  posterius ,  sicut  sunt  gênera 


universaliora  et  in  potentia,  et  magis  con- 
fusa  ,  quia  universalia  continet  in  se  sua 
inferiora  in  potentia,  et  qui  scit  aliquid  in 
universali,  scit  illud  indistincte  ;  tune  au- 
tem distinguitur  ejus  cognitio  ,  quand o 
unumquodque  eorum  qua?  continentur  in 
universali  in  potentia ,  semi  actu  cognos- 
cunt.  Verbi  gratia,  qui  scit  animal  non  scit 
rationale  nisi  in  potentia.  Prius  autem  con- 
tingit  scire  animal,  quam  hominem,  et  sic 
intelligendum  est  illud  in  I  Phys.  Aliquid 
prius  est  in  potentia  ,  quam  in  actu.  Se- 
cundum hune  igitur  modum  quo  procedi- 
mus  de  potentia  ad  actum  ,  et  de  magis 
communi  ad  minus  commune ,  prius  est 
quoad  nos  scire  animal  quam  hominem,  et 
sic  intelligendum  est ,  quando  dicitur 
I  Phys.,  quod  universalia  sunt  nobis  prius 
nota  quoad  nos,  et  minus  nota  naturœ; 


400  OPUSCULE   LIV. 

nature  :  c'est  tout  le  contraire  pour  les  singuliers,  parce  que  là  il  n'y 
a  point  d'acception  simple,  mais  bien  secundum  quid  ;  comme  est 
l'espèce  à  l'égard  du  genre.  Mais  si  l'on  prend  le  singulier  simple* 
citer  comme  il  est  pris,  in  I  Posteriorum,  il  faudra  dire  que  par  rap- 
port à  nous  les  singuliers  sont  plus  connus  suivant  que  la  cognition 
sensitive  précède  en  nous  la  cognition  intellective  qui  appartient  aux 
universaux  :  mais  les  universaux  sont  plus  connus  suivant  la  nature 
et  en  eux  simpliciter ,  parce  que  la  connoissance  universelle  est  plus 
parfaite.  Or  les  universaux  sont  intelligibles  en  acte ,  mais  non  les 
singuliers,  étant  matériels  comme  ils  sont.  Remarquez  qu'il  y  a  de 
la  différence  à  dire  animal  en  tant  qu'animal,  et  animal  en  tant  qu'u- 
niversel ;  et  de  même  homme  en  tant  qu'homme,  et  homme  en  tant 
qu'espèce  ;  parce  que  l'animal^jj  jlant  qu'animal  n'est  qu'animal,  et 
désigne  une  essence  simple,  qui  n'est  pas  une  par  elle-même  pas  plus 
que  multiple,  n'existaut  pas  dans  ce  qui  tombe  sous  les  sens,  ni  dans 


différence,  pas  plus  que  l'animalité  un  genre  ou  humanité  une  espèce, 
et  de  cette  manière  on  ne  peut  rien  dire  de  vrai  d'elle  si  ce  n'est  qu'elle 
se  convient  en  tant  que  telle  :  d'où  il  résulte  que  tout  autre  attribu- 
tion qui  lui  sera  faite  sera  une  attribution  fausse ,  par  exemple  :  ani- 
mal raisonnable  convient  à  l'homme  en  tant  qu'homme  aussi  bien 
que  les  autres  choses  qui  tombent  dans  sa  définition;  tandis  que  blanc 
ou  noir  ou  autre  chose  semblable  qui  n'appartient  pas  à  l'humanité 
ne  convient  pas  à  l'homme  en  tant  qu'homme.  C'est  pourquoi  si  l'on 
demande  si  cette  nature  ainsi  considérée  peut  se  dire  une  ou  multiple, 


singularia  autem  c  converso,  quia  ibi  non 
accipitur  simpliciter ,  sed  secundum  quid, 
sicut  est  species  respectu  generis.  Si  autem 
accipiatur  singulare  simpliciter,  sicut  acci- 
pitur iu  I  Poster.,  sic  dicendum  quod 
quoad  nos  singularia  sunt  noliora  secun- 
dum quod  cognitio  t-ensiliva  in  nobis  pree- 
cedit  intelleclivam,  quœ  est  univeisalium; 
sed  universalia  sunt  notiora  secundum  na- 
turam  et  secundum  se  simpliciter ,  quia 
cognitio  universalis  est  pijrfectior.  Univer- 
salia autem  sunt  intelligibilia  in  actu,  non 
autem  singularia,  cum  sint  materialia.  No- 
tanduin  etiam  ,  quod  aliud  est  dicere  ani- 
mal in  quantum  animal,  et  animal  in  quan- 
tum universale.  Et  similiter  homo  in 
quantum  homo,  et  homo  in  quantum  spe- 
cies, quia  animal  in  quantum  animal  est 
animal  Boium,  et  significat  essentiam  sim- 
plicem,  quœ  de  se  non  est  una,  nec  multa 


nec  existens  in  his  sensibilibus,  nec  in  ani- 
ma, nec  aliquod  horum  potentia  vel  actu. 
Unde  significat  quamdam  essentiam,  quae 
nec  est  universalis ,  nec  particularis  ;  et 
ideo  dicit  Avicenna  quod  rationalitas  non 
est  difïerentia,  et  similiter  animalitas  non 
est  genus,  nec  humanitas  species,  et  hoc 
modo  nihil  est  verum  de  ea  dici,  nisi  quod 
convenit  sibi  secundum  quod  hujusmodi  ; 
unde  quidquid  aliorum  sibi  attributum 
fuerit,  falsa  erit  attributio,  verbi  gratia  : 
Homini  ut  homini  convenit  animal  ratio- 
nale ,  et  alia  quae  in  difîinitione  ejus  ca- 
dunt.  Album  veto  aut  nigrum  ,  aut  quid- 
quid hujusmodi  est,  quod  non  est  de  ra- 
tione  humanitatis,  non  convenit  homini 
secundum  quod  homo  est.  Unde  si  quaera- 
tur,  utrum  ista  natura  sic  considerata  pos- 
sit  dici  una,  vel  plures,  neutrum  conce- 
dendum  est;  quia  utrumque  eorum  est 


PREMIER   TRAITÉ    SUR   LES   UNIVERSAIX.  401 

il  faudra  répondre  négativement  pour  l'une  et  l'autre  chose,  parce 
que  chacune  de  ces  choses  se  trouve  en  dehors  de  l'intellect  de  l'homme 
ou  de  l'humanité,  et  que  l'une  et  l'autre  peut  arriver.  Si  en  effet  la 
pluralité  étoit  de  son  intellect,  elle  ne  pourroit  jamais  être  dite  une  , 
quoique  cependant  elle  soit  une  en  tant  qu'elle  se  trouve  dans  Sortes. 
De  même  si  l'unité  étoit  de  son  intellect,  elle  seroit  alors  la  seule  et 
même  essence  de  Sortes  et  de  Platon  ,  et  ne  pourroit  se  vérifier  dans 
plusieurs;  et  comme  il  ne  convient  pas  à  la  nature  suivant  sa  consi- 
dération absolue  d'être  dans  l'ame  ni  dans  les  singuliers  ,  il  est  faux 
de  dire  que  }a  nature  de  l'homme  comme  telle  a  l'être  dans  tel  sin- 
gulier, parce  que  si  l'être  dans  tel  singulier  convenoit  à  l'homme 
comme  homme,  comme  homme  il  seroit  hors  de  tel  singulier.  De 
même ,  si  n'être  pas  dans  tel  singulier  convenoit  à  l'homme  en  tant 
qu'homme,  en  tant  qu'homme  cela  s'y  trouveroit  :  mais  il  est  vrai  de 
dire,  que  l'homme  en  tant  qu'homme  n'a  pas  l'être  en  tel  ou  tel  sin- 
gulier ou  dans  l'ame.  Il  est  donc  évident  que  la  nature  de  l'homme,  con- 
sidérée d'une  manière  absolue,  abstrait  de  tout  être  quelconque,  de  telle 
sorte  néanmoins  qu'il  n'y  ait  précision  d'aucun,  et  de  sorte  aussi  que, 
ne  convenant  pas  à  l'humanité  dans  sa  considération  absolue ,  elle  se 
dise  de  Sortes  ;  c'est  pourquoi  le  caractère  d'espèce  ne  lui  convient 
pas  suivant  la  considération  absolue  ,  parce  que  l'unité  et  la  commu- 
nauté sont  de  la  nature  de  l'universalité.  Or  ni  l'un  ni  l'autre  ne  con- 
vient à  la  nature  humaine  suivant  sa  considération  absolue.  En  effet, 
si  la  communauté  étoit  de  l'intellect  de  l'homme,  on  rencontreroit  la 
communauté  partout  où  se  trouveroit  l'humanité ,  ce  qui  est  faux , 
parce  qu'on  ne  trouve  nulle  communauté  dans  Sortes,  et  tout  ce  qu'il 
y  a  en  lui  est  individué ,  il  faut  donc  qu'elle  appartienne  aux  acci- 


extra  intellectum  honrinis  seu  humanitatis, 
et  utrumque  potest  sibi  acciciere.  Si  enim 
pluralitas  esset  de  intellectu  ejus,  nun- 
quam  posset  dici  una ,  cum  tamen  una  sit 
secundum  quod  est  in  Sorte.  Similiter ,  si 
imitas  esset  de  intellectu  ejus ,  tune  esset 
una  et  eadern  Sortis  et  Platonis  essentia , 
nec  posset  in  pluribus  verificari ,  et  cum 
ipsi  naturae  secundum  suam  absolutam 
considerationem  non  conveniat  esse  in  ani- 
ma, nec  esse  in  singularibus,  falsum  est 
dicere,  quod  natnra  hominis  in  quantum 
hujusmodi ,  habeat  esse  in  hoc  singulari , 
quia  si  esse  in  hoc  singulari  conveniret 
homini  in  quantum  homo,  in  quantum 
homo  esset  extra  hoc  singulare.  Similiter, 
si  conveniret  homini  in  quantum  homo 
non  esse  in  hoc  singulari ,  in  quantum  ho- 
mo esset  in  eo  ;  sed  verum  est  dicere  quod 
homo  in  quantum  homo  non  habet  esse  in 

V. 


hoc  singulari,  vel  in  illo  aut  in  anima. 
Ergo  patet  quod  natura  hominis  absolute 
considerata  abstrahit  a  quolibet  esse,  ita 
tamen  quod  non  fiât  prsecisio  alicujus  eo- 
rum  ,  et  quia  humanitati  secundum  suam 
absolutam  considerationem  non  convenit, 
quod  praedicetur  de  Sorte,  ideo  ratio  spe- 
ciei  non  convenit  sibi  secundum  suam  ab- 
solutam considerationem ,  quia  de  ratione 
universalitatis  est  unitas  et  communitas. 
Naturse  autem  humanae  secundum  suam 
absolutam  considerationem  neutrum  con- 
venit. Si  enim  communitas  esset  de  intel- 
lectu hominis,  tune  in  quoeumque  inveni- 
retur  humanitas,  inveniretur  communitas, 
quod  falsum  est ,  quia  in  Sorte  nulla  in- 
venitur  communitas ,  sed  quidquid  in  eo 
est,  est  individuatum  ;  et  ideo  oportet , 
quod  sit  de  accidentibus  quœ  consequun- 
tur  eam  secundum  esse  quod  habet  in  in- 

26 


402  opuscule  liv. 

dents  qui  l'accompagnent  suivant  l'être  qu'elle  a  dans  l'intellect ,  et 
par  conséquent  le  nom  d'espèce  ne  se  dit  pas  de  Sortes,  de  sorte  qu'on 
dise,  Sortes  est  une  espèce  ,  ce  qui  néanmoins  arriveroit  de  toute  né- 
cessité, si  la  nature  d'espèce  convenoit  à  l'homme  suivant  l'être  qu'il 
a  dans  Sortes  ou  suivant  sa  considération  absolue,  c'est-à-dire  en  tant 
qu'il  est  homme.  Car  tout  ce  qui  convient  à  l'homme  en  tant  qu'homme 
convient  et  se  dit  de  Sortes.  Elle  peut  être  considérée  d'une  autre 
manière  suivant  l'être  qu'elle  a  dans  tel  ou  tel,  et  ainsi  il  y  a  à  son 
égard  prédication  per  accidens ,  à  raison  de  ce  en  quoi  il  est ,  comme 
on  dit  que  l'homme  est  blanc,  parce  que  Sortes  est  blanc,  quoique 
cette  qualité  ne  convienne  pas  à  l'homme  en  tant  qu'homme.  De  cette 
manière  elle  a  un  double  être,  l'un  dans  les  singuliers  et  l'autre  dans 
l'ame,  et  les  accidents  suivent  cette  nature  selon  l'un  et  l'autre  être, 
comme  dans  les  singuliers  ils  ont  un  être  multiple  suivant  la  diversité 
des  singuliers.  Suivant  l'être  qu'elle  a  dans  les  singuliers  on  ne  peut 
pas  dire  que  la  nature  de  quelque  genre  ou  espèce  survienne  à  une 
nature,  car  il  ne  se  rencontre  pas  dans  les  individus  suivant  l'unité 
quelque  chose  d'un  convenable  à  tout,  que  demande  la  nature  d'uni- 
versel. Il  reste  donc  à  dire  que  la  nature  du  genre  ou  d'espèce  sur- 
vient dans  une  nature  suivant  l'être  qu'elle  a  dans  l'intellect.  Par 
exemple  :  la  nature  humaine  a  dans  l'intellect  un  être  abstrait  de  tous 
les  agents  d'individuation,  c'est  pourquoi  elle  a  un  caractère  d'uni- 
formité vis-à-vis  de  tous  les  individus  qui  sont  hors  de  l'ame  ,  selon 
qu'elle  est  essentiellement  une  image  universelle  faisant  çonnoUre 
tous  les  individus  en  tant  qu'ils  existent  en  elle,  parce  que  son  opéra- 
tion à  l'égard  de  tout  individu  passé,  présent  et  futur  est  une  ,  et  de 
quelque  manière  qu'il  ait  été  d'abord  placé  dans  l'intellect ,  il  subira 


tellectu,  et  ideo  nomen  speciei  non  prœdi- 
catur  de  Sorte,  ut  dicatur,  Sortes  est  spe- 
cies,  quod  tamen  de  necessitate  accideret, 
si  ratio  speciei  conveniret  homini  secun- 
dum  esse  quod  habet  in  Sorte, -vel  secun- 
dum  suam  absolutam  considerationem  , 
scilicet  in  quantum  est  homp.  Quidquid 
enim  convenit  homini,  in  quantum  homo, 
prœdicatur  de  Sorte.  Alio  modo  potest  con- 
siderari  secundum  esse  quod  habet  in  hoc 
vel  in  illo,  .et  sic  de  ipso  aliquid  prœdica- 
tur  per  accidens  rationé  ejus  in  quo  est , 
sicut  dicitur  quod  homo  est  albus ,  quia 
Sortes  est  albus ,  quamvis  hoc  non  conve- 
niat  homini  in  quantum  homo.  Hoc  au- 
tem  modo  duplex  habet  esse,  unum  in  sin- 
gularibus, et  aliud  in  anima ,  secundum 
utrumque  esse  consequuntur  hanc  naturam 
accidentia,  et  in  singularibus  habent  mul- 
tiplex esset  secundum  singularium  diversi- 


tatem.  Secundum  autem  hoc  esse  quod  ha- 
bet in  singularibus ,  non  potest  dici  quod 
ratio  alicujus  generis  vel  speciei  accidat 
alicui  naturae,  quia  non  invenitur  in  indi- 
\iduis  secundum  unitatem ,  ut  sit  unum 
quid  omnibus  conveniens,  quod  ratio  uni- 
versalis  exigit.  Relinquitur  ergo  quod  ra- 
tio generis  vel  speciei  accidit  alicui  natu- 
rae secundum  esse  quod  habet  in  intellec- 
tu.  Vcrbi  gratia  :  Ipsa  natura  humana  iu 
intellectu  habet  esse  abstractum  ab  omni- 
bus individuantibus,  et  ideo  habet  unifor- 
mem  rationem  ad  omnia  individua  quœ 
sunt  extra  animam ,  prout  est  essentialiter 
similitudo  omnium  ducens  in  omnium  co- 
gnitionem  in  quantum  sunt  in  eo ,  quia 
ejus  operatio  ad  omne  individuum  quod 
fuit,  et  est ,  et  erit,  est  una,  et  qualiter- 
cumque  primum  positum  fuerit  in  intel- 
lectu, hanc  depurationem  habebit,  et  aliud 


PREMIER   TRAITÉ    SUR    LES    ILNIVERSÀUX.  403 

cette  dépuration  et  ne  produira  aucune  augmentation.  On  voit  donc 
par  là  que  ce  n'est  pas  la  même  chose  de  dire  un  animal  en  tant  qu'a- 
nimal, ou  un  homme  de  la  même  manière,  ou  un  animal  en  tant 
qu'universel ,  car  animal  comme  tout  autre  universel  est  seulement 
animal,  c'est  une  forme  intelligible  suivant  la  forme  que  nous  expri- 
mons, c'est  une  nature  dont  on  peut  dire  que  son  être  est  antérieur  à 
l'être  naturel,  comme  le  simple  est  antérieur  au  composé,  et  son  être 
individuel  n'est  proprement  dit  être  qu'autant  que  cet  être  d'où  pro- 
vient l'animal,  appartient  à  l'intention.  Mais  l'être  avec  les  accidents, 
et  l'être  de  tel  individu ,  malgré  la  détermination  de  l'intention ,  est 
attribué  à  une  nature  particulière.  Donc  l'animal,  entant  qu'animal, 
n'est  ni  genre,  ni  espèce,  ni  individu,  ni  unité,  ni  multiplicité  en  tant 
que  de  soi ,  quoiqu'il  accompagne  nécessairement  un  être  déterminé 
en  eux.  Néanmoins  animal  et  homme  peuvent  être  considérés  en  eux- 
mêmes  ,  quoiqu'étant  avec  un  autre  différent  d'eux-mêmes;  mais 
animal  en  tant  qu'universel,  n'est  pas  seulement  animal ,  mais  il  est 
animal,  et  une  autre  chose  encore  non  animal  :  considéré  en  soi  il  est 
quelque  chose  de  moyen  entre  animal  et  non  animal;  il  sera  alors 
animal  en  cela  comme  sa  partie,  et  de  même  de  l'homme.  Donc  l'uni- 
versel comme  universel  est  quelque  chose  en  quoi  survient  la  plura- 
lité, et  de  plus  quelque  autre  chose.  Il  est  dès  lors  évident,  d'après  ce 
qui  a  été  dit,  de  quelle  manière  le  caractère  de  genre  et  d'espèce  con- 
vient à  une  nature,  c'est-à-dire  qu'il  ne  lui  convient  pas  suivant  une 
considération  absolue,  et  ne  provient  pas  des  accidents  qui  l'accom- 
pagnent suivant  l'être  qu'elle  a  hors  de  l'ame  ,  comme  la  blancheur 
ou  la  noirceur ,  mais  il  appartient  aux  accidents  qui  l'accompagnent 
suivant  l'être  qu'elle  a  dans  l'intellect,  et  de  cette  manière  le  caractère 


superveniens  non  augebit.  Sic  igitur  patet, 
quod  aliud  est  dicere  animal  in  quantum 
animal,  et  homo  similiter,  et  aliud  est  di- 
cere, animal  in  quantum  universale,  nam 
animal  et  similiter  quodhbet  aliud  univer- 
sale est  animal  solum,  et  est  forma  intelli- 
gibilis  secundum  formam  quam  dicimus, 
et  est  natura,  de  qua  potest  dici  quod  esse 
ejus  est  prius  quam  esse  naturale  ,  sicut 
simplex  prius  est  composite,  et  ipsum  ejus 
esse  individuum  proprie  dicitur  esse,  quan- 
tum taie  esse  ex  quo  est  animal,  est  de  in- 
tentione.  Ipsum  vero  esse  cum  accidenti- 
bus  Bt  ipsum  esse  hujus  individui,  quamvis 
determinata  intentio  attribuitur  tamen  na- 
ture particulari.  Animal  ergo  in  quantum 
est  animal,  nec  est  genus,  nec  species,  nec 
individuum,  nec  unum,  nec  multa  quan- 
tum de  se  est,  licet  concomitetur  illud  esse 
aliquod  illorum  de  neeessitate.  Possunt  ta- 


men animal  et  homo  per  se  considerari, 
quamvis  sit  cum  alio  a  se  ;  sed  animal  in 
quantum  universale  non  est  animal  solum, 
sed  est  animal,  et  aliud  non  animal;  con- 
sidérât iim  in  se  est  médium ,  quod  cum 
fuerat  animal,  et  aliud,  quod  non  est  ani- 
mal, tune  erit  animal  in  hoc  tanquam  pars 
ejus  et  homo  similiter.  Ergo  universale  ex 
hoc  quod  universale  est  quoddam  oui  acci- 
dit  pluralitas ,  et  est  quoddam  aliud.  Ex 
prsedictis  jam  manifestum  est,  qualiter  ra- 
tio generis  et  speciei  conveniant  alicui  na- 
turae,  quoniam  non  conveniunt  ei  secun- 
dum suam  absolu  tam  considerationem , 
nec  est  de  accidentibus  quae  sequuntur 
eam  secundum  esse,  quod  habet  extra  ani- 
mam  ,  utpote  albedo  vel  nigredo  ;  sed  est 
de  accidentibus  quae  sequuntur  eam  secun- 
dum esse  quod  habet  in  intellectu,  et  per 
hune  modum  convenit  sibi  ratio  generis;' 


404  OPUSCULE    LV. 

de  genre ,  d'espèce ,  de  différence  et  des  autres  intentions  lui  con- 
vient parfaitement. 

Fin  du  cinquante-quatrième  Opuscule t  sur  les  universaux. 

L'abbé  fïiami 


OPUSCULE  LY. 


Second  traité  sur  les  universaux. 

Comme  ,  suivant  Aristote  dans  son  livre  I.  Posteriorum ,  la  science 
roule  sur  les  choses  sempiternelles  et  sur  celles  qui  sont  connues  et 
qui  ne  peuvent  être  autrement ,  choses  quisont  des  universaux ,  j'es- 
time en  conséquence  qu'il  est  utile  d'en  dire  quelque  chose  à  raison 
de  l'universalité ,  afin  que  la  nature  de  ce  qui  constitue  l'être  étant 
une  fois  connue,  il  soit  plus  facile  de  connoître  les  autres  universaux 
dans  ce  qui  les  constitue.  Je  dis  donc  que  Funiversel  en  tant  qu'uni- 
versel comprend  une  première  chose,  de  nature  à  être  par  soi  en  plu- 
sieurs ,  suivant  la  seconde  intention.  Mais  j'appelle  intention  seconde 
ce  que  l'intellect  conçoit  secondairement  de  la  chose ,  à  raison  de 
quoi  il  faut  entendre  que  les  choses  étant  matérielles  et  particulières 
en  dehors  de  l'ame  ,  et  chaque  chose  étant  intelligible  en  tant  qu'elle 


vel  speciei,  vel  differentise  et  aliarum  in- 1      Explicit     Opusculum     quinquagesimum 
tentionum.  I  quartum  S.  Thomœ  de  unwersalibus. 


OPUSCULUM  LV. 


EJUSDEM   DOCTORIS  ,   TRACTATUS  SECUKDUS  DE   UMVERSALIBUS. 


Quoniam  dicit  Aristoteles  I  Posterio- 
î'wrwyScientia  est  senipiternorum ,  et  eo- 
rum  quee  nota  sunt,  et  quae  impossibile  est 
aliter  se  habere,  haec  autem  sunt  universa- 
lia  :  ideo  utile  esse  existimo  aliquid  nar- 
i  are  de  eis  secundum  quod  universale  est, 
ut  cognita  natura  ejus  secundum  quod  est, 
facilius  etiam  alia  universalia  secundum 
quod  sunt    cognoscantur.  Dico  ergo  quod 


universale  secundum  quod  universale, 
comprehendit  primam  rem,  quae  de  se  nata 
est  in  pluribus  esse  secundum  intentionem 
secundam.  Sed  intentionem  secundam  ap- 
pello  illud  quod  intellectus  secundo  intelli- 
git  de  re,  propter  quod  intelligendum  est, 
quod  cum  res  sint  materiales,  et  particu- 
lares  extra  animam,  et  unumquodque  sit 
intelligibile  secundum  quod  est  a  materia 


SECOND   TRAITÉ   SUR   LES   UNIVERSAUX.  405 

peut  être  séparée  de  la  matière  ,  il  est  évident  qu'on  ne  peut  concevoir 
une  chose  selon  qu'elle  est  dans  une  matière  particulière  ,  à  moins  de 
l'abstraire  de  toutes  les  conditions  individuantes.lOn  ne  peut,  en 
effet ,  concevoir  une  pierre  sans  l'abstraire ,  par  l'intellect ,  de  telle 
et  telle  chose.  Mais  comme  l'intellect  abstrait  des  sens  l'objet  de  son 
intellection ,  la  pierre  doit  être  connue  d'abord  par  la  puissance  ima- 
ginative  ou  fantastique ,  qui  est  plus  active  sous  ce  rapport  que  les 
autres  puissancëssensitives.  Or  cela  ne  peut  se  faire  que  par  le  moyen 
de^qijdq^Jirnage  ;  il  faut  conséquemment  pour  cela  que  l'intellect 
conçoive  la  nature  de  la  pierre.,  qu'il  abstraie  son  espèce  intelligible 
de  son  image ,  de  sorte  que  la  première  intention  qui  vient  de  la 
plerrcTësl  dans  l'intellect  l'espèce  de  la  pierre ,  laquelle  convient  à  la 
pierre  eiTtânt  que  pierre,  et  le  mot  pierre  a  été  imposé  par  cette  pre- 
mière intention,  pour  signifier  la  nature  de  la  pierre  5111  est  hors  de 
Famé,  ce  qui  arrive  par  la  raison  que  l'espèce  de  la  pierre  n'est  pas  ce 
qui  est  conçu ,  mais  ce  par  quoi  s'opère  la  conception  ,  lorsque  l'in- 
tellect conçoit  la  nature  de  la  pierre.  Comme  l'espèce  du  corps  ,  par 
laquelle  s'opère  la  vision,  se  trouve  dans  l'œil,  et  c'est  cette  espèce 
par  laquelle  le  terme  a  ou  n'a  pas  de  signification  ;  cela  deviendra 
plus  tard  évident.  11  faut  maintenant  voir  plus  loin  :  puisque  l'intellect 
conçoit  la  nature  de  la  pierre  par  le  moyen  d'une  espèce  intelligible , 
parce  qu'il  ne  lui  répugne  pas  d'être  dans  plusieurs.  En  second  lieu, 
il  la  conçoit  en  tant  qu'elle  est  l'objet  d'une  participation  multiple,,  et 
il  la  conçoit  ainsi  diversement ,  suivant  les  différents  modes  de  parti- 
cipation. Car,  comme  objet  de  participation  de  la  part  de  plusieurs 
choses  différentes  d'espèce  ,  il  la  conçoit  sous  l'intellect  de  genre ,  et 
sous  l'intellect  d'espèce  ,  si  ce  sont  des  choses  différentes  de  nombre. 


separabile,  manifestum  est  quod  res  secun- 
dutn  quod  est  in  materia  particulari ,  in- 
telligi  non  potest,  nisi  abstrahatur  ab  om- 
nibus conditionibus  individuantibus.  Lapis 
enim  non  potest  intelligi,  nisi  perintellec- 
tum  abstrahatur  ab  hoc,  et  nune,  et  aliis 
hujusmodi  :  sed  quia  intellectus  illud  quod 
intelligit,  abstrahit  a  sensu  ,  oportet  quod 
lapis  prius  cognoscatur  a  virtute  imagina- 
tiva,  sive  phantastica,  quee  abstractior  est 
reliquis  virtutibus  sensitivis.  Hoc  autem  esse 
non  potest,  nisi  mediante  aliquo  phantas- 
mate,  kleo  oportet  ad  hoc  quod  intellectus 
intelligat  naturam  lapidis,  quod  abstrahat 
suam  speciem  intelligibilem  a  suo  phan- 
tasmate.  Tta  quod  prima  intentio  quae  de 
lapide  est,  in  intellectu  est  species  lapidis, 
qua;  competit  lapidi  secundum  quod  lapis, 
et  ab  ista  prima  intentione  hœc  vox  lapis, 
imposita  est  ad  significandum  naturam  la- 


pidis, quae  est  extra  animam ,  et  hoc  acci- 
dit  ex  hoc,  quod  species  lapidis  non  est  id 
quod  intelligitur,  sed  quo  intelligitur, 
cum  intellectus  intelligit  naturam  lapidis  : 
sicut  species  copporis  in  oculo  est,  qua  vi- 
susvidet, et  species  illa  est,  qua  vox  ali- 
quid  signilicat,  et  non  significat,  hoc  alibi 
erit  manifestum.  Tune  videndum  est  ulte- 
rius,  cum  intellectus  intelligit  naturam  la- 
pidis mediante  specie  intelligibfli ,  quia 
sibi  non  répugnât  esse  in  pluribus  :  se- 
cundo intelligit  eam  ut  est  participabilis  a 
pluribus,  et  secundum  diversum  participa- 
tionis  modum  sic  diversimode  intelligit. 
Nam  in  quantum  est  participabilis  a  pluri- 
bus differentibus  specie,  intelligit  eam  sub 
intellectu  generis,  et  si  solum  participabilis 
est  a  pluribus  differentibus  numéro,  intel- 
ligit eam  sub  intellectu  speciei.  Hoc  autem 
inferius  plenius  apparebit,  et  sic  patet  quod 


406  OPUSCULE    LV. 

Tout  cela  s'éclaircira  encore  ;  on  voit  donc  par  là  qu'il  y  a  une  diffé- 
rence d'intellect  entre  concevoir  la  pierre  comme  pierre  ,  et  la  conce- 
voir comme  objet  de  participation  universelle  ou  particulière  ,  et  cet 
intellect  est  antérieurement  ce  qu'il  est,  parce  que  la  puissance  d'une 
chose  et  son  aptitude  ne  sont  pas  de  l'essence  du  terme  ,  comme  la 
puissance  de  l'ame  n'est  pas  de  l'essence  de  l'ame.  C'est  pourquoi  l'ap- 
titude à  être  en  plusieurs  n'est  pas  de  l'essence  de  l'homme ,  parce 
qu'alors  l'homme  qui  est  dans  Sortes  seroit  apte  à  la  participation  de 
plusieurs ,  ce  qui  est  impossible.  Comme  toute  chose  peut  être 
abstraite  de  ce  qui  n'est  pas  de  son  essence ,  elle  peut  en  conséquence 
être  conçue  sans  l'intelligence  de  sa  participation  avec  plusieurs.  En 
effet ,  l'homme  en  tant  qu'homme  n'est  ni  universel ,  ni  particulier  ; 
car  si  l'homme  comme  homme  étoit  universel ,  il  ne  pourroit  plus 
être  particulier,  et  s'il  étoit  particulier,  il  ne  seroit  pas  universel  en 
tant  qu'homme.  De  même  que  Sortes ,  qui  est  singulier  en  tant  que 
Sortes ,  ne  pourroit  être  universel.  C'est  donc  un  accident  pour  lui 
d'être  ou  singulier,  ou  universel.  Mais  vous  devez  savoir  que  l'homme 
n'est  dit  universel  que  parce  qu'il  est  considéré,  universellement.  Or 
il  arrive  que  cette  considération  est  de  l'homme,  non  en  tant  qu'il  est 
extérieurement  dans  la  matière  ,  car  sous  ce  rapport  il  y  est  indivi- 
duellement,  et  l'être  universel  n'est  pas  contingent  à  l'homme  en 
tant  qu'individu  ,  car  alors  i' opposé  surviendrait  dans  l'opposé  ,  il  ne, 
lui  est  contingent  que  suivant  l'être  qu'il  a  dans  l'intellect.  Donc  l'u- 
niversel est  un  et  multiple  :  multiple  en  tant  qu'il  se  trouve  dans  plu- 
sieurs ,  autrement  il  ne  pourroit  se  dire  de  plusieurs ,  comme  homme 
en  réalité  est  multiple  ,  parce  qu'il  se  dit  de  plusieurs  ;, mais  il  est  un 
dans  la  cognition  ,  parce  que  quoique  la  pluralité  ,  comme  pluralité  , 


alius  intellectus  est  intelligere  lapidem  se- 
cundum  quod  lapis,  et  alius  intellectus  cum 
intelligit  lapidem  secundum  quod  partiei- 
patur  universaliter ,  vel  particulariter ,  et 
ille  intellectus  est  prius  quod  est,  quia  po- 
tentia  rei  et  habilitas  rei  non  sunt  de  es- 
sentia  tennini,  sicut  potentia  animae  non 
est  de  essentia  animae.  Unde  habilitas  es- 
sendi  in  pluribus  non  est  de  essentia  homi- 
nis, quia  tune  homo  qui  est  in  Sorte,  esset 
habilis  ad  participationem  plurium ,  quod 
est  impossibile.  Et  quia  unumquodque  po- 
test  abstrahi  ab  eo  quod  non  est  de  essen- 
tia ejus,  ideo  potest  intelligi  absque  hoc 
quod  intelligatur,  quod  sit  participabilis  a 
pluribus.  Homo  enim  secundum  quod  ho- 
mo, nec  est  universalis,  nec  particularis , 
quia  si  homo  secundum  quod  homo  est 
universalis,  jam  non  posset  esse  particula- 
ris, et  si  esset  particularis,  non  esset  univer- 
salis secundum  quod  homo  :    sicut  Sortes 


qui  est  singularis  secundum  quod  Sortes, 
non  posset  esse  universalis  ;  ergo  accidit  si- 
bi,  quod  sit  singularis,  vel  universalis.  Sed 
debes  scire,  quod  homo  non  dicitur  uni- 
versalis, nisi  quia  consideratur  universali- 
ter. Haec  autem  consideratio  accidit  esse 
hominis,  non  secundum  quod  est  in  mate- 
ria  extra;  nam  secundum  quod  est  in  mate- 
ria  extra ,  est  individualiter ,  et  homini 
secundum  quod  est  individuum,  non  acci- 
dit esse  universale ,  quia  tune  oppositum 
accideret  opposite ,  sed  solum  accidit  ho- 
mini secundum  esse  quod  habet  in  intel- 
lectu.  Universale  ergo  est  unum,  et  plura  : 
plura  in  quantum  in  pluribus  est,aliuquin 
non  posset  praedicari  de  pluribus ,  ut  ho- 
mo in  re  est  plura,  quia  de  pluribus  pnedi- 
catur.  Est  autem  unum  incognitione,  quia 
licet  plura  secundum  quod  plura,  non  con- 
stituunt  unum  intellecturn  ,  tamen  plura 
secundum  quod  similia  sunt ,  constituunt 


SECOND    TRAITÉ    SUR   LES   UNIVERSA.UX.  407 

ne  constitue  pas  un  intellect ,  néanmoins  plusieurs  choses  en  tant  que 
semblables  constituent  un  intellect,  Je  telle  sorte  que  l'intellect  ne 
peut  se  distinguer  entre  des  choses  semblables  en  tant  que  semblables. 
C'est  pourquoi  l'intellect  saisit  l'homme  et  l'ame  en  tant  qu'ils  s'ac- 
cordent dans  une  opération,  c'est-à-dire  qu'il  les  saisit  dans  un  unique 
intellect  sensitif ,  et  quoique  en  réalité  ils  soient  multiples,  cette  unité 
n'est  pas  opposée  à  la  multiplicité.!  Et  comme  une  chose  est  être  et  une 
par  là  même ,  et  vice  versa ,  il  faut  que  l'universel  soit  universel  par 
cette  susdite  unité  ,  de  manière  que  cette  cognition  de  la  nature  fait 
que  l'être  universel  est  universel  en  acte  ,  et  c'est  quelque  chose  de 
formel  dans  l'universel. \On  voit  parla  que  l'intellect  produit  l'uni- 
versalité dans  les  choses,  comme  dit  le  Commentateur,  parce  que  cette 
universalité  viènTde  l'intellect;  mais  comme  cette  universalité  lire 
son  origine  de  la  chose ,  Aristote  dit  que  l'universel  ou  n'est  rien  ou 
est  postérieur,  parce  que  cette  universalité  n'est  rien  en  réalité.  On 
demande  si  l'universel  est  substance  ou  accident;  cette  question  trouve 
sa  solution  en  ce  que  en  parlant  de  l'universel  en  tant  qu'universel , 
il  est  seulement  dans  l'ame  et  est  accident  :  mais  en  parlant  d'une 
chose  exprimée  on  dit  qu'il  est  quelquefois  substance  et  quelquefois 
accident  suivant  la  diversité  des  universaux,  et  on  voit  de  même  par 
là  comment  il  faut  entendre  cette  proposition  :  l'universel  est  ce  qui 
peut  se  dire  de  plusieurs ,  car  la  seconde  intention  que  renferme  l'u- 
niversel ne  se  trouve  dans  l'ame  que  formellement.  Or  ce  qui  est  dans 
l'ame  ne  se  dit  pas  d'une  chose  hors  de  l'ame  ,  puisqu'il  faut  que  le 
prédicat  se  trouve  dans  le  sujet.  Mais  l'universel  peut  se  dire  suivant 
la  nature  réelle  qu'il  renferme  matériellement,  de  manière  que  lors- 
qu'on dit  :  l'universel  se  dit  de  plusieurs ,  le  sens  est  que  la  chose 


unum  intellectum,  ita  quod  intellectus 
non  potest  distingui  intcr  similia  in  quan- 
tum sunt  similia  :  et  ideo  intellectus  ap- 
prehendit  hominem  et  asinum  in  quantum 
conveniunt  in  una  operatione,  scilicet  sen- 
sitjvo  unico  intellectu  apprehendit ,  et  si 
in  re  sint  multa,  talis  tamen  uniias  non 
apponitur  illi  multitudini  :  et  quia  res 
per  idem  est  ens  et  unum,  et  econverso , 
oportet  quod  universale  sit  universale  per 
prœdictam  unitatem ,  ita  quod  naturœ  ta- 
lis cognitio  facit  universale  esse  in  actu 
universale ,  et  est  quoddam  formale  in 
universali.  Ex  quo  patet  quod  intellectus 
facit  universalitatem  in  reljus,  sicut  dicit 
Commentator,  quia  illa  universalitas  est 
ab  intellectu  :  sed  quia  talis  universalitas 
are  sumitprinciDium,  ideo  dicit  Aristoteles 
quod  universaleciut  nihil  est,  aul  posterais 
est,  quoniam  talis  universalitas  in  re  nihil 


est.  Quœritur  autem  utrum  universale  sit 
substantia,  vel  accidens,  et  per  hoc  solvi- 
tur  ista  quaestio,  quoniam  loquendo  de  uni- 
versali secundum  quod  universale,  est  se— 
lum  in  anima,  et  est  accidens  :  sed  loquendo 
de  re  subjecta  dicitur,  quod  quandoque  est 
substantia,  et  quandoque  accidens  secun- 
dum  diversitatem  universalium,  et  simili- 
ter  per  hoc  patet  qualiter  débet  intelligi 
illud  diclum.  Universale  est  quod  potest 
prœdicari  de  pluribus,  nam  secunda  inten- 
tio  quam  universale  includit  formaliter  so- 
lum  est  in  anima.  Illud  autem  quod  est  in 
anima  non  prœdicatur  de  re  extra  ani- 
mam,  cum  oporteat  prœdicatum  inesse 
subjecto  /sed  universale  prœdicari  potest 
secundum  naturam  realem,  quam  includit 
materialiter,  ita  quod  quando  dicitur  : 
Universale  prœdicatur  de  pluribus,  sensus 
est,  quod  res  subjecta  universalitati  praedi- 


408  OPUSCULE   LV. 

soumise  à  l' universalité  se  dit  de  plusieurs,  comme  homme,  âne.  La 
chose  est  claire  ,  parce  que  si  homme  ou  âne  se  disoit  de  plusieurs , 
comme  de  Sortes  ou  Platon  ,  selon  l'universalité  ,  alors  Sortes  seroit 
universel.  11  reste  donc  à  dire  qu'il  n'y  a  que  cette  seule  nature  expri- 
mée qui  se  dise  universellement.  Car  on  a  dit,  quoique  l'homme  soit 
particulier  dans  une  chose  extérieure  ,  cela  arrive  néanmoins  suivant 
que  l'homme  pourra  être  considéré  sans  cette  qualité  de  particulier, 
et  de  cette  manière  homme  est  dans  plusieurs  et  se  dit  de  plusieurs , 
non  pas  cependant  homme  numériquement  un  ,  mais  un  en  espèce  : 
car  homme  qui  se  dit  de  Sortes  est  le  même  que  Sortes  ,  et  celui  qui 
se  dit  de  Platon  est  le  même  que  Platon,  puisque  le  prédicat  se  trouve 
dans  le  sujet,  et  qu'il  est  impossible  qu'une  chose  numériquement  se 
trouve  dans  plusieurs  différentes  numériquement,  quoique  homme  ne 
se  dise  pas  de  Sortes  suivant  qu'il  est  particulier.  La  raison  de  cela, 
c'est  que  la  prédication  d'un  terme  dit  la  même  chose  que  sa  signifi- 
cation. Donc  la  prédication  a  la  même  valeur  que  la  signification  , 
parfois  ce  terme  homme  signifie  la  nature  sans  nulle  participation  et 
sans  raison  particulière.  Donc  il  la  désignera  ainsi,  mais  il  ne  le  fait 
pas  de  la  sorte  universellement ,  parce  que,  comme  nous  l'avons  dit 
plus  haut,  l'intellect  de  l'homme  en  tant  qu'homme  est  différent  de 
son  universalité.  Mais  il  faut  remarquer  une  chose ,  c'est  que  lors- 
qu'on parle  delà  prédication  d'une  chose  soumise  à  la  seconde  inten- 
tion, il  ne  faut  pas  entendre  que  cette  chose  est  soumise  à  l'intention 
de  telle  sorte  qu'elle  se  trouve  en  elle  comme  l'accident  dans  le  sujet, 
de  même  que  le  sujet  de  la  science  n'est  pas  dit  sujet  dans  ce  sens  que 
la  science  est  en  lui  comme  dans  un  sujet ,  elle  ne  s'y  trouve  que 
comme  dans  l'objet.  En  effet  la  science  ne  se  trouve  pas  dans  ce  qui 
est  susceptible  d'être  su,  mais  dans  celui  qui  sait,  d'où  à  proprement 


catur  de  pluribus,  ut  homo ,  vel  asinus, 
quod  patet,  quia  si  homo,  vel  asinus  pree- 
dicaretur  de  pluribus,  ut  de  Sorte  vel  Pla- 
tone  secundum  quod  universale,  tune  Sor- 
tes esset  universale.  Relinquitur  ergo  quod 
sola  illa  natura  subjecta  universaliter  prae- 
dicetur.  Nam  dictum  est,  licet  homo  sit  in 
re  extra  particularisa  tarnen  hoc  accidit 
secundum  quod  homo  poterit  considerari 
absque  hoc  quod  sit  particularis,  et  sic 
homo  est  in  pluribus,  et  praedicatur  de 
pluribus,  non  tamen  unus  homo  in  numé- 
ro, sed  unus  in  specie  :  nam  homo  qui  prae- 
dicatur  de  Sorte ,  idem  est  quod  Sortes  : 
et  qui  prsedicatur   de  Platone,  idem  est 


terminus  idem  preedicat  quod  significat, 
ergo  qualiter  significat ,  taliter  praedicat. 
Modo  iste  terminus  homo  ,  significat  natu- 
ram  humanam  absque  omni  participatione, 
et  particulari  ratione,  ergo  sic  prasdicabit 
eam,  non  tamen  preedicat  sic  eam  univer- 
saliter, quia  sicut  dictum  est  supra,  intel- 
lectus  hominis  secundum  quod  homo, 
alius  est  a  sua  universalitate.  Sed  unum 
est  advertendum,  quod  cum  dicitur  res  sub- 
jecta intentioni  secundae  praedicatur,  non 
est  intelligendum  quod  res  illa  ita  sit  sub- 
jecta intentioni,  quod  sit  in  ea  tanquam 
accidens  in  subjecto ,  sicut  subjectum 
scientiac  non  dicitur  hoc  modo  subjectum, 


quod  Plato,  cum  praedicatum  insit  subjec-  j  ut  scientia  sit  m  eo  tanquam  in  subjecto, 
to,  et  impossibile  sit  unam  rem  in  numéro  sed  in  eo  est  tanquam  in  objecto.  Scientia 
esse  in  pluribus  numéro  differentibus,  licet  ;  enim  non  est  in  scibili,  sed  in  sciente,  unde 
homo  non  praedicetur  de  Sorte  secundum  |  proprie  loquendo  non  dicitur  subjectum, 
quod  est  particularis.  Cujus  ralio  est,  quia  '  sed  objectum  scientiae,  et  similiter  res  sub- 


SECOND   TRAITÉ   SUR   LES  UMVERSAUX.  409 

parler  on  ne  dit  pas  sujet  mais  objet  de  la  science,  et  de  même  la 
chose  soumise  à  cette  intention  n'est  pas  dite  proprement  subjecta 
mais  objecta.  On  voit  par  là  que  l'universel  est  un  et  n'est  pas  un.  Il 
n'est  pas  un  dans  la  substance,  puisque  il  s'aggrège  l'accident,  c'est- 
à-dire  la  seconde  intention,  et  la  chose  qui  est  hors  de  l'ame,  laquelle 
est  quelquefois  accident,  comme  la  blancheur,  et  quelquefois  sub- 
stance, comme  homme.  Il  n'est  pas  un  par  accident,  ou  accidentelle- 
ment, puisque  l'accident  est  dans  le  sujet.  L'universel  est  donc  un  de 
l'universalité  de  cognition,  de  sorte  que  pour  la  nature  d'universel  on 
ne  requiert  que  cette  unité  rationnelle,  et  c'est  pour  cela  qu'Aristote 
dit  qu'il  est  un ,  c'est-à-dire  connu  en  plusieurs.  Or  nous  avons  dit 
comment  une  chose  est  connue  en  plusieurs.  C'est  pourquoi  on  ne 
peut  dire  que  l'universel  est  un  par  relation ,  puisque  les  intentions 
secondes  ne  se  rapportent  pas  aux  choses,  mais  plutôt  à  elles-mêmes 
réciproquement,  comme  l'espèce  est  dite  espèce  par  rapport  au  genre 
et  non  par  rapport  à  la  nature  objectée.  Tout  cela  deviendra  encore 
plus  clair  ;  on  voit  par  là  qu'il  est  impossible  de  déterminer  une  seule 
et  même  science  de  l'universel  per  se  relativement  à  ces  deux  natures, 
qu'elle  renferme  ,  mais  bien  plutôt  de  uno  per  se  et  de  alio  per  acci- 
dens.  Donc  la  logique,  en  considérant  l'universel ,  ne  le  considère  pas 
relativement  à  la  nature 'supposée  per  se,  car  elle  ne  considère  pas 
l'homme  en  tant  qu'homme,  mais  en  ce  qu'il  est  espèce ,  et  ainsi  des 
autres  animaux ,  et  par  conséquent  la  logique  appartient  principale- 
ment aux  secondes  intentions.  Mais  comme  les  secondes  intentions  se 
tirent  principalement  des  propriétés  des  choses  par  le  moyen  des  pre- 
mières, comme  on  l'a  vu,  c'est  pour  cela  qu'Avicenne  dit  dans  le 
livre  Ier  de  sa  Métaphysique,  que  le  logicien  ne  considère  pas  la  chose 
supposée  per  se,  ce  qui  vient  de  ce  que  la  logique  appartient  aux  se- 


jecta  illi  intentioni  non  dicitur  proprie 
subjecta,  sed  objecta.  Ex  hoc  patet  quo- 
niara  universale  est  unum,  et  quoniam  non 
est  unum.  Non  enim  est  unum  in  substan- 
tia,  cum  aggreget  in  se  accidens,  scilicet 
intentionem  secundam ,  et  rem  extra  ani- 
mam,  quœ  quandoque  est  accidens  ut  al- 
bedo,  quandoque  substantia  ut  homo  : 
nec  est  unum  per  accidens ,  sive  acciden- 
taliter,  cum  accidens  sit  in  subjecto.  Est 
igitur  universale  unum  unitate  cognitionis, 
itaquod  de  ratione  universalis  non  requiri- 
tur  nisi  illa  unitas  rationalis,  et  propter 
hoc  dicit  Aristoteles  quod  est  unum  in 
multis,  scilicet  cognitum.  Qualiter  unum 
cognitum  sit  in  multis ,  dictum  est.  Unde 
non  potest  aliquis  dicere,  quod  universale 
sit  unum  relatione,  cum  secundœ  intentio- 
nes  non  referantur  ad  res,  sed  potius  ad  se 
invicem,  ut  species  dicitur  species  respectu 


generis,  et  non  respectu  naturœ  objecta?. 
Hoc  autem  inferius  melius  apparebit,  et 
ex  hoc  patet,  quod  impossibile  est  unam,  et 
eamdem  scientiam  determinare  de  univer- 
sali  per  se ,  quantum  ad  illas  duas  naturas 
quas  includit  :  sed  potius  de  uno  per  se,  et 
de  alio  per  accidens;  ergo  Logica  cum  con-' 
siderat  universale,  non  considérât  ipsum 
quantum  ad  naturam  subjectam  per  se, 
non  enim  considérât  hominem  in  eo  quod 
homo,  sed  in  eo  quod  species,  et  sic  de  aliis 
animalibus,  et  ideo  Logica  pi  incipaliter  est 
de  secundis  intentionibus.  Sed  quia  secun- 
dœ intentiones  principaliter  accipiuntur  a 
proprietatibus  rerum  mediantibus  primis, 
sicut  visum  est,  ideo  dicit  Avicenna  primo 
suse  Metaph.,  quod  logica  est  de  secundis 
intentionibus  adjunctis  primis,  et  sic  patet 
quod  logicus  non  considérât  rem  subjec- 
tam per  se.  Alise  autem  scientire  conside- 


41  0  OPUSCULE    LV. 

condes  intentions  avec  l'adjonction  des  premières.  Les  autres  sciences 
au  contraire  considèrent  l'universel  relativement  à  la  chose  supposée, 
car  le  naturaliste  ne  considère  pas  le  corps  mobile  en  tant  que  genre, 
mais  en  tant  que  corps  mobile,  et  la  musique  ne  considère  pas  le  son 
en  tant  qu'accident,  mais  comme  tel.  On  voit  par  là  que  ces  sciences 
ne  considèrent  pas  l'universel  sous  la  première  condition  d'universel, 
puisque  elles  ne  considèrent  pas  ce  qui  fait  formellement  l'universel, 
mais  elles  doivent  considérer  l'universel ,  parce  qu'elles  considèrent 
les  choses,  non  comme  particulières  ,  mais  comme  singulières.  Tous 
devez  savoir  que  de  même  qu'une  intention  est  genre  et  espèce  sous 
divers  rapports ,  de  même  aussi  une  intention  est  universelle  et  sin- 
gulière par  rapport  aux  choses  diverses.  Car  par  cela  qu'une  inten- 
tion est  universelle  en  tant  qu'elle  a  une  relation  à  plusieurs  choses, 
comme  l'intention  de  l'homme  qui  est  dans  l'ame,  comme  elle  est 
comparée  à  plusieurs  choses  elle  est  par  là  même  universelle,  et  quoi- 
qu'il en  soit  ainsi,  cette  intention  est  néanmoins  dans  l'ame  ,  elle  est 
quelque  chose  de  singulier  qui  vient  de  ce  que  chaque  chose  est 
reçue  dans  un  autre  suivant  le  mode  de  ce  qui  reçôTTètnôn  pas  le 
mode  de  la  chose  reçue.  L'ame  étant  donc  singulière,  comme  on  le 
dira  ailleurs,  il  faut  que  tout  ce  qui  est  reçu  dans  l'ame  le  soit  d'une 
manière  singulière  et  soit  singulier  par  rapport  à  elle  ;  il  ne  s'ensuit 
pasneanmoins  que  cette  intention  ne  soit  pas  intelligible,  car  la  sin- 
gularité, par  là  même  qu'elle  est  singularité,  n'empêche  pas  l'action 
de  l'intellect,  autrement  les  intelligences  étant  singulières  ne  pour- 
raient être  conçues,  ce  qui  est  faux.  Je  ne  veux  pas  que  la  singularité, 
par  là  même  qu'elle  est  singularité ,  soit  intelligible ,  parce  qu'alors 
Sortes  seroit  intelligible.  Il  lui  arrive  donc  comme  telle  d'être  de  telle 
ou  telle  manière  ;  elle  n'est  donc  opposée  à  l'action  de  l'intelligible 


raiit  universale  quantum  ad  rem  subjec- 
tam,  nam  Philosophus  naturalis  non  con- 
sidérât corpus  mobile  inquantum  genus, 
sed  in  quantum  mobile  corpus ,  et  musica 
non  considérât  sonum  in  quantum  accidens, 
sed  in  quantum  sic.  Ex  quo  patet  quod  hu- 
jusmodi  scientiee  non  considérant  univer- 
sale sub  prima  ratione  universalis,  cum  non 
considèrent  illud  quod  facit  formaliter  uni- 
versale, sed  dicuntur  considerare  universale, 
quia  considérant  res,  non  ut  particulares , 
sed  ut  singulares.  Sed  debes  scire ,  sicut 
una  intentio  est  genus  et  species  diversis 
respectibus,  ita  una  intentio  est  universalis 
etsingularis  respectu  diversorum.  Nam  ex 
hoc  aliqua  intentio  est  universalis,  in  quan- 


et  licet  hoc  sit,  tamen  hujusmodi  intentio 
est  in  anima,  et  est  quid  singulare,  quod 
est  quia  unnmquodque  recipitur  in  alio  se- 
cundum  modum  recipientis,  et  non  per 
modum  rei  receptae.  Cum  ergo  anima  sit 
singularis,  ut  alibi  declarabitur,  oportet 
quod  quicquid  recipitur  in  anima,  singula- 
riter  recipiatur,  et  sit  respectu  ejus  singu- 
lare, tamen  propter  hoc  non  sequitur, 
quod  hujusmodi  intentio  non  sit  intelligi- 
bilis,  nam  singularitas  ex  hoc  quod  est 
singularitas,  nonimpedit  actionem  intellec- 
tus,  aliter  intelligentise  cum  sint  singula- 
res, non  possent  intelligi,  quod  falsum  est  : 
nec  volo  quod  singularitas  ex  hoc  quod  sit 
singularitas,    sit    intelligibilis,   quia  tune 


tum  relationem  habet  ad  multa,  ut  inten-  Sortes  esset  intelligibilis,  igitur  accidit  et 
tio  hominis  qua:  est  apud  animam  ,  quia  in  quantum  hujusmodi,  quod  sit  sic,  vel 
comparatur  ad  multa,  ideo  est  universalis,  '  sic,  ergo  non  opponitur  actioni  intelligihi- 


SECOND    TRAITÉ    SUR   LES   UMVERSAUX.  411 

que  lorsqu'elle  est  avec  la  matière  :  mais  dégagée  de  la  matière  elle 
sera  intelligible.  Or  maintenant  l'intention  qui  est  dans  l'ame  est 
immatérielle  ,  et  il  faut  qu'elle  y  soit  suivant  son  mode  ,  comme  il  a 
été  dit  plus  haut.  Et  quoique  l'ame  conçoive  les  choses  matérielles 
d'une  manière  immatérielle,  elle  comprend  néanmoins  matériellement 
qu'elles  sont,  parce  qu'autrement  elle  ne  concevroit  pas  leurs  natures 
matérielles;  ceci  deviendra  plus  clair  ailleurs.  On  voit  par  là  com- 
ment il  faut  entendre  cette  parole  de  Boëce  :  Tout  ce  qui  existe,  existe 
parce  que  c'est  un  numériquement,  ce  qui  est  évident  dans  les  choses 
particulières  ;  mais  dans  les  choses  universelles  quelques-uns  l'ont 
nié,  d'autres  ont  dit  que  l'universel  étoit  numériquement  un  par  la 
numérosité  de  l'essence,  or  ceci  est  faux;  car  l'unité  de  l'essence  n'est 
pas  requise  pour  l'unité  de  l'universel,  parce  que  le  genre  ne  dit  pas 
une  seule  essence,  mais  plusieurs,  comme  on  le  verra  en  consé- 
quence :  mais  on  dit  que  l'universel  est  un  numériquement,  parce  que 
cette  intention  qui-est  dans  l'ame  et  qui  fait  que  l'universel  est  uni- 
versel ,  comme  nous  l'avons  dit,  est  numériquement  une  par  rapport 
à  l'ame.  Or  il  ne  faut  pas  négliger  de  rechercher  si  toute  chose  sou- 
mise à  l'universalité  est  nécessairement  ou  non  hors  de  l'ame.  Pour 
comprendre  cela  il  faut  savoir  qu'Avicenne  dit  dans  le  cinquième 
livre  de  sa  Métaphysique  ,  qu'il  y  a  trois  sortes  d'universel  ^premiè- 
rement on  appelle  une  chose  universelle  selon  qu'elle  se  dit  de 
plusieurs  en  acte  ,  de  façon  qu'elle  se  trouve  en  plusieurs ,  comme 
homme.  Secondement,  on  appelle  universel  ce  qu'il  est  possible  d'at- 
tribuer à  plusieurs,  mais  non  en  acte,  et  qui  ne  se  trouve  pas  eu 
plusieurs,  ni_en  quelque  sorte  hors  de  l'ame,  comme  une  maison 
octangulaire,  laquelle  n'existe  que  dans  l'esprit  de  l'architecte.  Troi- 
sièmement on  appelle  universel  ce  qui  n'est  pas  en  plusieurs ,  mais 


lis,  nisi  cum  sit  cum  materia  :  sed  cum 
denudatur  a  materia ,  erit  intelligibilis. 
Nunc  autem  intentio  quae  est  in  anima, 
immaterialis  est,  et  oportet  quod  sit  in  ea 
per  modum  ejus,  ut  supradictum  est.  Et 
licet  anima  intelligat  res  materiales  im- 
materialiter,  tamen  intelligit  eas  esse  ma- 
terialiter,  quia  eas  non  intelligeret  naturas 
earum  materialiter,  hoc  alibi  magis  appa- 
rebit.  Et  per  hoc  patet  quomodo  débet  in- 
telligi  illud  verbum  Hoetii ,  quo  dicitur. 
Omne  quod  est,  ideo  est,  quia  unum  nu- 
méro est,  quod  planum  est  in  particulari- 
bus  :  sed  in  universalibus  aliqui  negave- 
runt,  et  aliqui  dixerunt,  quod  universale 
esset  unum  numéro  numerositate  essen- 
tiee,  hoc  autem  falsum  est.  Nam  non  re- 
quiritur  ad  unitatem  universalis  unitas  es- 
sentise.,  quoniam  genus  nondicit  essentiam 
unam  ,    sed  plures ,  sicut   patebit    conse- 


quenter  :  sed  ideo  dicitur  universale  unum 
numéro,  quia  intentio  illa  quœ  est  in  ani- 
ma, quae  facit  universale  esse  universale, 
sicut  dictum  est ,  respectu  animae  est  una 
in  numéro.  Non  est  autem  praetermitten- 
dum  investigare,  utrum  quamlibet  rera 
subjectam  universalitati  oporteat  esse  extra 
animam,  vel  non.  Ad  quœ  intelligendum 
sciendum  est,  quod  Avicenna,  V  Metaph. 
suae  dicit,  quod  tribus  modis  dicitur  uni- 
versale. Uno  modo  dicitur  universale  se- 
cundum  quod  praedicatur  de  multis  in  actu, 
ita  quod  in  multis  reperitur,  ut  homo.  Alio 
modo  dicitur  universale,  quod  possibile  est 
prœdicari  de  multis,  non  tamen  praedicatur 
in  actu,  nec  est  in  multis,  nec  aliquo  mo- 
do extra  animam,  ut  domus  octangula, 
quae  solum  est  in  mente  artificis.  Tertio 
modo  dicitur  universale ,  quod  non  est  in 
pluribus,  sed  in  uno  iudividuo  est ,  tamen 


3 


412  OPUSCULE   LV. 

bien  dans  un  seul  individu ,  sans  répugnance  néanmoins  à  être  en 
plusieurs,  comme  le  soleil,  la  lune  et  autres  choses  semblables.  Pour 
comprendre  cela,  il  faut  savoir  que  certaines  choses  tiennent  l'être  de 
la  nature  et  d'autres  de  l'art,  comme  les  choses  artificielles.  Mais  nous 
ne  pouvons  connoître  les  choses  naturelles  si  elles  ne  préexistent  pas, 
par  la  raison  que  notre  science  est  produite  par  elles  et  leur  est  pos- 
térieure, parce  que  notre  intellect  ne  les  conçoit  que  par  le  moyen  de 
leurs  images.  Or  l'image  d'une  chose  lui  est  postérieure,  et  pour  qu^il 
y  ait  un  effet,  il  faut  que  la  cause  persiste.  D'où  il  résulte  que ,  les 
choses  étant  détruites,  la  science  elle-même  est  détruite  aussi,  et  il  ne 
sert  de  rien  de  dire  que  les  images  sont  restées  dans  l'aine.  Car  la 
science  ne  s'occupe  pas  de  ces  images,  mais  bien  des  choses  dont  elles 
sont  les  images.  Et  sur  cela,  je  dis  que  si  la  science  consiste  dans 
les  images  des  choses,  il  s'ensuit  encore  que,  les  choses  étant  détruites, 
la  science  est  détruite  aussi ,  par  la  raison  que  la  science  est  fondée 
sur  le  vrai.  Or  l'image  est  appelée  vraie,  parce  qu'elle  représente  vrai- 
ment la  chose  dont  elle  est  l'image;  comme  elle  est  maintenant  l'image 
des  choses  existantes  dont  la  nature  est  d'être  hors.de  l'ame ,  elle  les 
représente  comme  existant ,  autrement  ce  ne  seroit  pas  une  image 
vraie,  on  comprend  qu'alors  la  chose  soit  détruite  hors  de  l'ame,  s'il 
y  avoit  persistance  des  mêmes  images  qui  représentoient  d'abord  les 
choses  telles  qu'elles  étoient,  et  c'est  là  une  représentation  fausse, 
puisqu'elle  représente  comme  existantes  des  choses  qui  n'existent  pas. 
Et  si  l'on  dit  que  ces  images  ne  sont  pas  les  mêmes  qu'auparavant, 
ou  qu'elles  ne  représentent  pas  les  choses  comme  auparavant,  il  s'en- 
suit alors  que  la  science  n'est  pas  la  même  qu'auparavant ,  et  il  en 
résulte  de  la  sorte  que,  les  choses  étant  détruites,  la  science,  celle  de 
ces  choses  est  également  détruite.  C'est  ce  que  donne  à  entendre 


sibi  non  répugnât  esse  in  pluribus,  ut  sol, 
et  luna,  et  similia.  Ad  quorum  intelligen- 
tiam  est  sciendum,  quod  quœdam  res  ha- 
bent  esse  a  natura,  et  quemdam  ab  arte, 
ut  artificialia.  Sed  de  rébus  naturalibus  co- 
gnitionem  habere  non  possumus  nisi  pré- 
existant, quod  est  quia  nostra  scientia  cau- 
sata  esf  ab  ipsis,  et  posterior  est  ipsi ,  quia 
noster  intellectus  non  intelligit  eas,  nisi 
per  similitudines  earum.  Similitudo  au- 
tem  rei  posterior  est  ipsa  re,  et  ad  hoc 
quod  sit  effectus,  oportet  qnod  prœexistat 
causa.  Ex  quo  sequitur,  quod  destructis  ré- 
bus, destruitur  scientia,  et  non  valet  di- 
cere  quod  similitudines  remanserunt  apud 
animarn.  Nam  de  similitudinibus  illis  non 
est  scientia,  sed  rébus,  quantum  sunt  illae 
similitudines.  Et  ad  hoc  dico,  quod  si  scien- 
tia sit  de  similitudinibus  rerum,  sequitur 
etiam    quod  destructis    rébus    destruatur 


scientia,  cujus  ratio  est ,  quia  scientia  est 
verorum,  nunc  autem  similitudo  dicitur 
vera,  quia  vere  repraesentat  rem  cujus  est 
similitudo,  sicuti  est  modo  similitudo  re- 
rum existentium,  de  quarum  ratione  est 
extra  animam  esse,  représentât  eas  ut 
existentes,  alioquin  non  esset  similitudo 
vera,  tune  componitur  quod  res  extra  ani- 
mam destruatur,  si  eœdem  similitudines 
remanerent  quae  prius  repraesentabat  res 
sicut  prius,  et  hsec  est  falsa  reprœsentatio, 
cum  repraesentat  res  existentes,  quae  non 
existunt.  Et  si  tu  dicas,  quod  non  réma- 
nent eœdem  similitudines  sicut  prius,  vel 
non  eodem  modo  représentant  sicut  prius, 
tune  sequitur  quod  non  remanet  eadem 
scientia  quee  prius,  et  sic  sequitur  quod 
destruatur  scientia  destructis  rébus,  scilicet 
scientia  illarum  rerum.  Et  hoc  est  quod 
innuit  Aristoteles   in  libro  prœdicabilium, 


SECOND    TRAITÉ    SLR   LES    UNIVERSAUX.  413 

Aristote  dans  son  livre  des  Prédicables  où  il  dit ,  que  les  premières 
substances  étant  détruites,  il  est  impossible  qu'il  reste  quelque  chose 
des  autres,  c'est-à-dire  des  universaux,  ou  des  secondes  substances. 
Or  les  universaux  sont  les  sujets  des  sciences,  et  les  sujets  des  sciences 
étant  détruits,  elles  sont  elles-mêmes  détruites.  Donc,  etc.  Mais  il  n'en 
est  pas  ainsi  des  choses  artificielles ,  car  leur  destruction  n'entraîne 
pas  nécessairement  la  destruction  de  leur  science.  La  raison  de  cela 
c'est  que  l'espèce  d'une  chose  artificielle  qui  est  dans  l'ame  est  le 
principe  de  la  chose  artificielle  hors  de  l'ame,  de  sorte  que  la  science 
d_e  l'artiste  est  la  cause  des  choses  artificielles.  Or  la  destruction  de 
l'effet  ne  nécessite  pas  celle  de  la  cause  ;  c'est  pourquoi  l'artiste  pou- 
voit  avoir  la  connoissance  de  la  chose  artificielle  sans  qu'elle  fût  effec- 
tuée, parce  que  quand  on  connoît  la  cause,  on  connoît  l'effet;  il  pourra 
avoir  dans  l'esprit  l'image  d'une  maison  ayant  tant  d'angles,  parce 
qu'elle  peut  se  trouver  en  plusieurs,  quoiqu'elle  ne  se  trouve  dans  rien 
de  ce  que  connoît  l'architecte/  C'est  là  la  solution  de  la  question  propo- 
sée, qu'il  n'est  pas  nécessaire  que  toutes  les  choses  soumises  aux  se- 
condes intentions  existent  hors  de  l'ame.  Car  bien  que  ce  soit  requis 
dans  les  choses  naturelles,  ce  n'est  pas  nécessaire  dans  les  artificielles, 
et  en  général  clans  toutes  les  choses  de  l'intelligence  les  secondes  in- 
tentions ne  peuvent  pas  être  soumises  à  d'autres  secondes  intentions, 
comme  le  syllogisme  est  genre  ou  l'espèce  est  accident ,  l'accident  est 
genre  selon  qu'il  est  diversement  comparé ,  car  l'espèce ,  quoiqu'elle 
soit  l'espèce  du  genre  ,  est  cependant  accident  par  rapport  à  l'ame.  Il 
en  est  de  même  des  autres  secondes  intentions.  Néanmoins  elles  n'ont 
l'être  que  dans  l'ame  ,  comme  le  prouve  évidemment  ce  qui  précède. 
On  voit  par  là  comment  la  logique  est  une  science  incertaine ,  parce 


ubi  dicit  quod  destructis  primis  substan- 
tiis,  impossibile  est  aliquod  aliorum  rema- 
nere,  scilicet  universalium ,  vel  secunda- 
rum  substantiarum.  Cniversalia  autem  sunt 
subjecta  scientiarum,  et  destructis  subjec- 
tis  scientiarum  destruuntur  et  ipsee.  Igitur, 
etc.  Sed  de  rébus  artificialibus  non  est  ita, 
nam  destructis  ipsis,  non  oportet  scientiara 
earum  destrui.  Quod  est ,  quia  species  rei 
artificialis  quse  est  apud  animam,  est  prin- 
cipium  rei  artificialis  extra  animam ,  ita 
quod  scientia  artificis  est  causa  rerum  arti- 
ficialiura  :  destructo  autem  causato,  non 
oportet  causam  destrui  :  ideo  poteratarti- 
fex  habere  cognitionem  rei  artificialis  abs- 
que  hoc,  quod  res  artificialis  sit  in  effectu, 
quia  cognita  causa  cognoscitur  effectus,  po- 
terit  autem  apud  se  habere  similitudinem 
donms  habentis  tôt  angulos,  quia  potest 
reperiri  in  pluribus,  et  si  in  nullo  repetia- 


tur,  de  qua  artifex  habebit  scientiam.  Ex 
quo  patet  solutio  quœstioiùs  propositae , 
quod  non  oportet  omnes  res  quae  sunt  sub- 
jectœ  secundis  intentionibus ,  esse  extra 
animam.  Nam  licet  in  rébus  naturalibus 
exigantur,  in  artificialibus  tamen  non 
oportet,  et  generaliter  in  omnibus  rébus 
quse  sunt  ab  intellectu  non  possunt  esse  se- 
cundse  intentiones  subjectae  aliis  secundis 
intentiombus,  sicut  syllogismus  est  genus, 
vel  species  est  accidens,  accidens  est  ge- 
nus, hoc  est  secundum  quod  diversimode 
comparatur  :  nam  species  licet  sit  species 
generis,  tamen  respectu  animae  accidens 
est.  Et  similiter  de  aliis  intentionibus  se- 
cundis. Et  tamen  solum  habent  esse  in 
anima,  sicut  ex  praecedentibus  manifestum 
est.  Et  ex  hoc  patet  qualiter  incertitudina- 
liter  logica  est  scientia,  quia  ipsa  inter 
omnes  alias  scientias  incertior  est,  quod 


414  OPUSCULE    LV. 

qu'elle  est  plus  incertaine  que  les  autres,  par  la  raison  que  la  certitude 
de  la  science  dépend  de  la  certitude  du  sujet.  La  Métaphysique  est 
dite  très-certaine,  parce  qu'elle  a  un  sujet  très-certain,  comme  l'être 
en  tant  qu'être  et  ses  premiers  principes  très-certains  sont  connus. 
Mais  entre  tous  les  sujets  des  sciences  le  plus  foible  et  le  plus  incer- 
tain, c'est  le  sujet  de  la  logique ,  parce  que  chaque  chose  a  une  dose 
de  vérité  et  de  certitude  en  raison  directe  de  son  entité ,  comme  dit 
Aristote  au  livre  II  de  la  Métaphysique  ,  et  maintenant  les  intentions 
secondes  n'ont  l'être  que  dans  l'ame,  d'où  il  résulte  qu'elles  ont  l'être 
le  plus  foible.  Car  parmi  tous  les  genres  d'êtres,  ceux  qui  sont  dans 
l'ame  participent  moins  à  l'entité  ,  comme  on  le  voit  dans  plusieurs 
passages  d'Asistote,  et  on  l'établira  ailleurs;  donc  ils  participent  moins 
à  la  vérité  :  et  comme  leur  certitude  est  la  vérité ,  on  ne  peut  en  avoir 
une  pleine  connoissance  que  par  les  premières  intentions.  Car  on 
n'aurait  jamais  connu  l'intention  de  l'homme  qui  est  l'espèce  sans 
connoître  que  l'homme  en  tant  qu'intellect  étoit  participable  de  plu- 
sieurs d'une  différence  seulement  numérique  d'où  l'ame  tire  cette  in- 
tention qui  est  l'espèce,  par  conséquent  i\  est  impossible  de  connoître 
la  logique  sans  être  savant  et  expert  dans  les  autres  sciences,  et  spé- 
cialement dans  la  Métaphysique  qui  en  tout  être  comme  tel  produit 
une  démonstration  à  laquelle  n'arrive  pas  le  logicien ,  comme  logi- 
cien. Mais  néanmoins  comme  ces  secondes  intentions  sont  communes 
dans  tous  les  êtres,  la  logique  est  pour  cette  raison  commune  à  toutes 
les  sciences  et  peut  argumenter  en  toute  science,  car  les  secondes  in- 
tentions conduisent  à  la  connoissance  des  premières  en  tant  que  fon- 
dées sur  elles ,  de  sorte  que  par  l'intention  qui  est  l'espèce ,  elles 
peuvent  connoître  l'homme  non  en  tant  qu'homme,  mais  en  tant  qu'il 


est,  quia  certitude)  scientiœ  dependet  a 
certitudine  subjecti  :  Dicitur  enim  meta- 
physica  certissima,  eo  quod  habet  subjec- 
tum  certissimum  ,  ut  ens  in  quantum  ens, 
et  prima  principia  certissima  etiam  nota 
sunt  :  sed  inter  omnia  subjecta  scientia- 
rum  debilissimum  et  incertissimum  est 
subjectum  logicae,  quia  unumquodque 
quantum  habet  de  entitate,  tantum  habet 
de  veritate,  et  certitudine,  ut  dicit  Aristo- 
teles.  II  Metaphysicœ,  nunc  autem  secun- 
do intentiones  solum  habent  esse  in  ani- 
ma, ex  quo  sequitur,  quod  habent  debilis- 
simum esse.  Nam  inter  omnia  gênera  en- 
tium,  entia  qu*  sunt  in  anima  minus  par- 
ticipant de  entitate,  ut  patet  in  multis  locis 
ah  Aristotele,  et  alibi  declarabitur,  ergo 
minus  participant  de  veritate,  et  quia  eo- 
rum  certitudo  est  veritas,  ad  plénum  sciri 
non  piitest,  nia  per  primas  intentiones  : 
nam  nunquam  cognita  fuisset  hominis  in- 


tentio  quae  est  species,  nisi  cognito ,  quod 
homo  secundum  quod  intellectus  participa- 
bilis  erat  a  pluribus  differentibus  solum 
numéro ,  a  quo  accipit  anima  hanc  inten- 
tionem  quœ  est  species,  ideo  impossibile  est 
logicam  scire,  nisi  fuerit  sciens ,  et  exper- 
tus  in  aliis  scientiis,  et  specialiter  in 
Metaphys.j  quae  in  quolibet  ente  in  quan- 
tum hujusmodi  facit  demonstrationem  ad 
quam  logicus  in  quantum  hujusmodi  de- 
monstrationem non  attingit.  Verumtamen 
quia  hujusmodi  secundœ  intentiones  com- 
munes sunt  in  omnibus  entibus  :  ideo  lo- 
gica  est  communis  omnibus  scientiis,  et 
potest  arguere  in  qualibet  scientia  :  nam 
secundae  intentiones  ducunt  in  cognitio- 
nem  primarum,  in  quantum  fundataesunt 
in  eis ,  ita  quod  per  istam  intentionem 
quae  est  species,  possunt  cognoscere  homi- 
nem  non  m  quantum  homo,  sed  in  quan- 
tum de  pluribus  differentibus  numéro  pree- 


SECOND   TRAITÉ   SUR  LES  UNIVERSAUX.  415 

se  (lit  de  plusieurs  choses  numériquement  différentes,  et  de  même  les 
autres  espèces  des  autres  sciences  par  le  moyen  des  autres  intentions. 
Mais  comme  ces  secondes  intentions  sont  appliquées  aux  choses  ab 
extrinseco ,  parce  qu'elles  viennent  de  l'ame  et  surviennent  dans  les 
choses ,  ce  n'est  conséquemment  que  par  elles  que  l'on  peut  argu- 
menter d'une  manière  probable.  Car  ainsi  qu'on  le  verra  dans  les  To- 
piques, argumenter  d'une  manière  probable  c'est  faire  connoître  une 
chose  par  les  accidents  et  par  les  propriétés  communes.  On  voit  par 
là  que  comme  les  accidents  contribuent  beaucoup  à  faire  connoître 
quod  quid  est ,  et  les  accidents  propres  dont  le  logicien  fait  connoître 
la  propriété,  ainsi  qu'on  le  verra  dans  le  chapitre  propre,  la  logique 
devroit  conséquemment  être  ramenée  aux  autres  sciences,  et  il  est 
évident  que  la  logique  fait  connoître  tous  les  êtres  en  commun  d'une 
manière  probable  ;  or  notre  connoissance  commence  aux  choses  les 
plus  communes  pour  arriver  aux  moins  communes ,  comme  dit  Aris- 
tote,  livre  Ier  de  la  Physique,  et  nous  arrivons  ultérieurement  à  l'es- 
sence de  la  chose  par  la  connoissance  des  accidents,  laquelle  connois- 
sance a  son  principe  dans  le  sens  dont  les  accidents  sont  l'objet.  C'est 
pourquoi  il  faut  étudier  la  logique  avant  toutes  les  autres  sciences, 
afin  que  dans  les  autres  sciences  on  procède  d'elle  comme  d'une  con- 
noissance préexistante. 

Fin  du  cinquante-cinquième  Opuscule,  ou  du  second  Traite'  sur  les 
universaux. 


L'abbé  VÉDRINE. 


Pï 


dicatur,  et  sic  per  alias  intentiones  alias 
species  aliarum  scientiarum.  Sed  quia  hu- 
jusmodi  secundee  intentiones  applicantur 
rébus  ab  extrinseco,  quia  a"b  anima,  et  ac- 
cidunt  rébus,  et  ideo  per  eas  solum  potest 
arguere  probabiliter.  Nam  sicut  patebit  in 
TopiciSj  arguere  probabiliter  est  notificare 
rem  per  accidentalia ,  et  per  proprietate^- 
communes.  Ex  quo  patet  quod  quia  acci- 
dentia  magnam  partem  conférant  ad  co- 
gnoscenduin  quod  quid  est ,  et  accidentia 
propria,  ut  propria  notïficat  logicus,  ut  pa- 
tebit capitulo  de  proprio,  ideo  logica  esset 
ad  alias  scientias  adducenda,  et  hoc  mani- 


festum  est,  quod  logica  notum  f'aciat  de 
omnibus  entibus  in  communi  probabiliter, 
nostra  autem  cognitio  incipit  a  communio- 
ribus  devenire  ad  minus  communia,  ut  di- 
cit  Aristoteles,  I  Physic,  quod  deveniemus 
essentiam  rei  per  cognitionem  acciden- 
tium,  quœ  incipit  a  sensu,  cujus  accidentia 
sunt  objectum.  Ideo  logica  débet  addisci 
prius  omnibus  aliis  scientiis,  ut  ex  ipsa 
tanquam  ex  prœexist'ente  cognitione  in 
aliis  scientiis  procedatur. 

Explicit  Opusculum  quinquagesimum 
quintum ,  videlicet  tractalus  secundus  de 
universalibus. 


416 


OPUSCULE    LVi. 


OPUSCULE  LVI. 

DU   MÊME  DOCTEUR   SAINT   THOMAS,   OFFICE   DE    LA   FÊTE   DU  CORPS    DE 

Jésus -Christ,  composé  sur  l'ordre  du  pape  Urrain  IV,  qui  a 

ÉTABLI   CETTE   FÊTE. 

On  lit  ce  qui  suit  clans  la  chronique  qui  porte  le  nom  de  supplément 
des  chroniques. 

Urbain  IV,  ayant  été  élevé  au  souverain  Pontificat,  institua  la  so- 
lennité tlu  corps  de  Jésus-Christ,  ainsi  que  les  processions  et  les  oc- 
taves, avec  obligation  pour  les  fidèles  de  les  célébrer,  et  il  accorda  à 
ces  fins  de  nombreuses  indulgences  ;  il  confia  à  saint  Thomas  le  soin 
d'en  composer  l'office  au  moyen  des  figures  tirées  de  l'ancien  Testa- 
ment. On  lit  la  même  chose  dans  la  légende  du  saint  et  dans  plusieurs 
autres  chroniques,  telle  que  celle  de  Ptolémée  de  Luque,  du  bienheu- 
reux Antonin,  archevêque  de  Florence,  etc..  C'est  aussi  ce  qui  fut 
prouvé  dans  le  consistoire  apostolique,  en  présence  du  pape  Urbain  V, 
lorsqu'on  agitoit  la  question  de  la  translation  du  corps  du  même  doc- 
teur saint  Thomas,  et  qui  se  tint  en  l'année  1379.  Son  saint  corps  fut 
alors  transporté  dans  le  couvent  que  les  frères-prêcheurs  possédoient 
à  Toulouse.  Il  avoit  reposé  depuis  sa  bienheureuse  mort  jusqu'à  ce 
jour  dans  le  monastère  de  Fosse-Neuve.  Et  comme  il  composa  cet 
office  sur  les  instances  du  Pontife  de  Rome  ,  il  le  composa  d'après  les 
règles  de  la  cour  de  Rome. 


OPUSCULÏJM  LVI. 


Ejusdem  doctoris,  officium  de  festo  corporis  Chris»i ,  ad  mandatum  Urbani  pape  IVf 

DICTUM  FESTUM  INST1TUENTIS. 


Ex  Chronica  qua  appellalur  supplementum 
chronicarum. 

Urbanus  Papa  IV,  pontificatu  suscepto,  in- 
stituit  solemnitatem  corporis  Christ!  cum 
processionibus,  et  octavis  a  cunctis  fidelibus 
celebrari,  pro  quibus  indulgentias  maximas 
concessit,  ejusque  officium  ex  veteris  tes- 
tamenti  figuris  per  divum  Thomam  Aqui- 
natem  censuitesse  fiendum.  Hoc  idem  ha- 
betur  in  ejusdem  beati  Thomae  legenda  et 
in  pluribus  aliis  chronicis,  videlicet,  Ptolo- 
maei  Lucensis,  beati  Antouini,  Archiepiscopi 


Florentini,  et  abbi.  Hoc  etiam  probatum 
fuit  in  Apostolico  Consistorio,  in  pra?sentia 
domini  Papse  Urbani  V ,  dum  de  transla- 
tione  corporis  ejusdem  doctoiïs  S.  thomae 
tractaretur  quod  fuit  anno  Domini  1379.  Et 
tune  ejus  corpus  sanctissimum  ad  conven- 
tum  Tholosanum  ordinis  prœdicatorum 
translatum  fuit.  Nam  ab  ejus  obitu  felici 
usque  ad  illud  tempus,  in  monasterio  Fos- 
sse  novae  sub  deposito  jacuerat.  Et  quia  ad 
instantiam  romani  Pontificis  illud  ofiicium 
dictavit,  ideo  secundum  morem  romanae 
curiaî  ipsum  composuit. 


OFFICE   DU    CORPS   DE   JÉSUS-CHRIST.  * 


417 


FETE  DU  CORPS  DE  NOTRE  SEIGNEUR  JESUS-CHRIST. 

PREMIÈRES  VÊPRES. 

1"  Antienne.  Prêtre  éternel  selon  l'ordre  de  Melchisédech,  le  Sei- 
gneur Jésus-Christ  offrit  le  pain  et  le  vin.  Psaume.  Le  Seigneur  a 
dit  à  mon  Seigneur.  2e  Antienne.  Le  Seigneur  miséricordieux  et  clé- 
ment, en  souvenir  de  ses  merveilles,  a  donné  la  nourriture  nécessaire 
à  ceux  qui  le  craignent.  Psaume  :  Je  vous  louerai  Seigneur,  etc. 
3e  Antienne.  Je  prendrai  le  calice  du  salut,  et  j'invoquerai  le  nom  du 
Seigneur.  Psaume  :  J'ai  cru,  etc.  4e  Antienne.  Que  les  enfants  soient 
autour  de  la  table  du  Seigneur  comme  les  jeunes  plants  d' oliviers  de 
l'Eglise.  Psaume.  Bienheureux  tous  ceux,  etc.  5e  Antienne.  Le  Seigneur 
nous  rassasie  du  plus  pur  froment,  lui  qui  a  établi  la  paix  dans  l'Eglise 
entière.  Psaume.  Jérusalem  loue  le  Seigneur. 

Capitule. 

Le  Seigneur  Jésus  -  Christ  pendant  la  nuit  où  on  le  livroit  à  ses 
ennemis,  prit  le  pain,  et  rendant  grâce,  il  le  rompit  et  dit  :  Prenez, 
et  mangez.  «  Ceci  est  mon  corps ,  qui  sera  livré  pour  vous.  »  à),  que 
Dieu  en  soit  béni. 

à).  Un  homme  fit  un  grand  festin,  et  il  envoya  son  serviteur  à  l'heure 
du  repas  dire  à  ceux  qui  étoient  invités,  de  venir,  parce  que  tout  étoit 
prêt.  f.  Venez  et  mangez  mon  pain  ;  et  buvez  mon  vin  que  je  vous  ai 
préparé.  Parce  que,  etc..  Gloire  soit,  etc.  Parce  que,  etc.. 


I\  FESTO  CORPORIS  CHRIST!. 

AD  PRIMAS  VESPERAS. 


Antiphona.  Sacerdosin  aeternum  Christus 
Dominus  secundum  ordinem  Melchisédech, 
panem  et  vinum  obtulit.  Psal.  Dixit  Do- 
minus. Antiph.  Miserator  et  misericors 
Dominus  escam  dédit  timentibus  se  inme- 
moriam  suorum  mirabilium.  Psalm.  Con- 
fitebor.  Antiph.  Calicem  salutaris  accipiam, 
et  sacrificabo  hostiam  laudis.  Psal.  Credidi. 
Antiph.  Sicut  novellse  olivarum  ecclesise 
fllii  sint  in  circuitu  mensae  Domini.  Psalm. 
Beati  omnes.  Antiph.  Qui  oacem  ponit  fines 
Ecclesiœ,  frumenti  adipe  satiat  nos  Domi- 
nus. Psal.  Lauda  Hierusalem. 


CapiCulum. 

Dominus  Jésus,  in  qua  nocte  tradebatur, 
accepit  panem,  et  gratias  agens,  fregit  et 
dixit.  Accipite  et  manducate.  «  Hoc  est  cor- 
pus meum,  quod  pro  vobis  tradetur.  » 
^.  Deo  gratias. 

i$.  Homo  quidam  fecit  cœnam  magnam, 
et  misit  servum  suum  hora  cœnae  dicere 
invitatis,  ut  venirent  :  Quia  parata  sunt 
omnia.  y.  Venite,  comedite  panem  meum, 
et  bibite  vinum  meum,  quod  miscui  vobis. 
Quia.  Gloria. 


V. 


27 


418 


OPUSCULE    LVI. 


Hymne. 

Publie,  ô  ma  langue,  le  mystère  du  corps  glorieux  et  du  sang  pré- 
cieux, que  le  roi  des  nations  fruit  d'un  sein  généreux  a  répandu 
pour  racheter  le  monde  !  Il  nous  a  été  donné ,  il  flous  est  né  d'une 
Vierge  très-pure.  Répandant  la  semence  de  la  parole  il  a  conversé  avec 
les  hommes,  et  il  a  terminé  d'une  manière  merveilleuse  son  séjour 
ici-bas.  Assis  au  milieu  de  ses  disciples  pendant  cette  nuit  de  la  cène 
suprême,  ayant  observé  la  loi  dans  toute  sa  plénitude  pour  les  mets 
quelle  prescrit,  il  se  donne  de  ses  propres  mains  comme  aliment  à  la 
foule  des  douzes  Apôtres.  Le  Verbe  fait  chair  change  par  sa  parole 
un  pain  véritable  en  sa  propre  chair,  et  le  vin  en  son  sang  précieux; 
bien  que  les  sens  soient  impuissants  à  le  voir,  la  foi  seule  suffit,  pour 
affermir  le  cœur  sincère.  Incliné  profondément ,  adorons  donc  un  si 
grand  sacrement ,  et  que  l'enseignement  ancien  fasse  place  au  culte 
nouveau  ;  que  la  foi  supplée  à  l'insuffisance  des  sens.  Au  Père  et  au 
Fils,  louange  et  jubilation,  salut,  honneur,  puissance  et  bénédiction; 
louange  pareillement  à  celui  qui  procède  de  l'un  et  de  l'autre.  Amen. 
f.  Vous  leur  avez  donné,  Seigneur,  un  pain  céleste,  fi.  Qui  a  en  lui  toute 
espèce  de  charmes.  Magnificat.  Antienne.  Oh!  qu'il  est  doux,  Sei- 
gneur, votre  esprit,  qui,  pour  que  vous  fissiez  connoître  à  vos  enfants 
l'étendue  de  votre  douceur,  rassasierez  les  bons  qui  ont  faim  d'un  pain 
délicieux  descendu  du  ciel  et  enverrez  sans  satisfaire  leur  appétit  les 
riches  fastidieux. 

Oraison. 

Dieu  qui  nous  avez  laissé  dans  ce  sacrement  admirable  le  souvenir 
de  votre  passion,  faites,  nous  vous  en  supplions,  que  nous  ayons  pour 
les  saints  mystères  de  votre  corps  et  de  votre  sang  un  respect  tel  que 


Hymnus. 

Pange  linguagloriosicorporis  mysterium, 
Sanguinisque  pretiosi,  quem  in  mundi  pre- 
tium  :  Fructus  ventris  generosi  rex  effudit 
gentium.  Nobis  datus,  nobis  natus  ex  in- 
tacta  Virgine,  et  in  mundo  conversatus 
sparso  verbi  semine,  sui  moras  incolatus 
miro  clausit  ordine.  In  supremae  nocte  cœ- 
nae  recumbens  cum  fratribus,  Observata 
lege  plene  cibis  in  legalibus,  Cibum  turbae 
duodenœ  se  dat  suis  mauibus.  Verbum  caro 
pauem  verum,  verbo  carnem  efticit  :  Fit- 
que  sanguis  Ghristi  merum,  et  si  sensus  dé- 
ficit, ad  firmamdum  cor  sincerum  sola  si- 
des  sufficit.  Tantum  ergo  sacramentum 
veneremur  cernui ,  et  antiquum  documen- 


tum  novo  cedat  ritui,  praestet  fides  supple- 
mentum  sensuum  defectui.  Genitori,  geni- 
toque  laus  et  jubilatio,  salus  honor,  virtus 
quoque  sit  et  benedictio,  procedenti  ab 
utroque  compar  sit  laudatio.  Amen.  y.  Pa- 
neni  de  cœlo  prsestitisti  eis.  $.  Omne  de- 
lectamentum  in  se  habentem.  Ad  Magnifi- 
cat. Antiph.  O  quam  suavis  est ,  Domine , 
spiritus  tuus,  qui  ut  dulcedinem  tuam  in 
filios  demonstrares,  pane  suavissimo  de 
cœlo  prsestito  esurientes  replens  bonis,  fas- 
tidiosos  divites  dimittes  inanes. 

Oralin. 

Deus  qui  nobis  sub  sacramento  mirabili 
passionis  tuse  memoriam  reliquisti,  tribue 
quœsumus,  ita  nos  corporis  et  sanguinis 


OFFICE    DU   CORPS   DE    JÉSUS-CHRIST.  419 

nous  jouissions  intérieurement  et  continuellement  des  fruits  de  votre 
rédemption.  Yous  qui  vivez,  etc.  A  complies,  etc.  Antienne,  ayez 
pitié,  etc.  Psaume.  Lorsque  j'invoquois,  etc.  Faites,  Seigneur,  que  je 
quitte,  etc.  Antienne.  Louez  Dieu ,  louez  Dieu.  Le  pain  que  je  vous 
donnerai,  Louez  Dieu.  Ma  chair  est  pour  la  vie  du  monde.  Louez  Dieu, 
louez  Dieu. 

A  Matines.  Invitatoire.  Adorons  le  Christ  roi  qui  domine  les  nations 
et  qui  engraisse  l'esprit  de  ceux  auxquels  il  se  donne  en  aliment. 
Psaume,  venez,  etc. 

Hymne. 

Que  la  joie  accompagne  ces  solennités  saintes,  et  que  les  cœurs  fassent 
retentir  les  cris  d'allégresse  ;  que  tout  ce  qui  étoit  ancien  disparoisse; 
que  tout  soit  nouveau,  les  cœurs,  le  langage  et  les  œuvres.  Cette  fête 
rappelle  la  cène  suprême  accomplie  en  cette  nuit  où  la  foi  nous  enseigne 
que  Jésus-Christ  donna  à  ses  frères  l'agneau  Pascal  et  le  pain  azime 
conformément  aux  lois  sous  lesquelles  vivoient  les  anciens  Pères.  Après 
l'agneau  typique ,  le  festin  étant  achevé ,  les  disciples  ayant  reçu  le 
corps  du  Seigneur ,  nous  confessons  qu'il  se  donna  de  ses  propres 
mains  tout  entier  à  tous ,  comme  il  se  donna  tout  entier  à  chacun.  Il 
servit  à  ceux  qui  étoient  débiles  son  corps  en  aliment,  et  donna  à  ceux 
qui  étoient  tristes  la  coupe  de  son  sang ,  disant  :  Prenez  le  calice  que 
je  vous  donne  et  buvez  en  tous.  C'est  ainsi  qu'il  institua  le  sacrifice 
dont  il  voulut  que  les  prêtres  seuls  fussent  les  ministres  et  auxquels  il 
convient  si  bien  qu'ils  le  prennent  pour  eux  et  le  donnent  aux  autres. 
Le  pain  des  anges  devient  le  pain  des  hommes  ;  ce  pain  céleste  est  la 
réalisation  des  anciennes  figures.  0  !  chose  indicible  !  le  pauvre,  l'es- 
clave ,  l'homme  le  plus  foible  mange  son  Seigneur.  Divinité  trine  et 
une  ,  nous  vous  le  demandons.  Yisitez-nous  comme  nous  vous  hono- 


tui  sacra  mysterïa  venerari,  ut  redemptio- 
nis  tuae  fructum  in  nobis  jugiter  sentia- 
mus.  Qui  vivis,  etc.  Ad  Complet.  Antiph. 
Miserere.  Psal.  Cum  invocarem,  cum  cœte- 
ris.  Ad  nunc  dimittis.  Antiph.  Alléluia, 
Alléluia.  Panis  quem  ego  dedero,  Allé- 
luia. Caro  mea  est  pro  mundi  vita,  Allé- 
luia, A'teluia. 

Ad  Matutinas.  Invitato.  Christurn  regem 
adoremus  dominantem  gentibus.  Qui  se 
manducantibus  dat  spiritus  pinguedinem. 
Psalm.  Venite. 

Hymnus. 

Sacris  solemniis  juncta  sint  gaudia,  et  ex 
prœcordiis  sonent  praeconia,  recédant  vêle- 
ra, nova  sint  omnia,  corda,  voces,  et  opéra. 


Noctis  recolitur  cœna  novissima,  qua 
Ghristus  creditur  agnum,  et  azirna  dédisse 
fratribus  juxta  légitima,  priscis indulta  pa- 
tribus.  Post  agnum  typicum  expletis  epulis, 
corpus  dominicum  datum  discipulis,  sic  to- 
tum  omnibus  quodtotum  singulisejusfate- 
mur  manibus.Dedit  fragilibus  corporis  fercu- 
lum,  dédit  et  tristibus  sanguinis  poculum, 
dicens,  accipite  quod  trado  vasculum,  om- 
nes  ex  eo  bibite.  Sic  sacritieium  instituit, 
cujus  oflicium  committi  voluit  solisprœsby- 
teris,  quibus  sic  congruit ,  ut  sumant,  et 
dent  ceeteris.  Panis  angelicus  fit  panis  ho- 
minum ,  dat  panis  cœlitus  figuris  termi- 
num.  0  res  mirabilis,  manducat  dominum 
pauper,  servus,  et  humilis.  Te  trina  Deitas 
unaque  poscimus,  sic  nos  tu  visitas ,  sicut 


420  OPUSCULE    LVI. 

rons;  conduisez-nous  par  vos  sentiers  vers  notre  fin,  à  la  lumière  que 
vous  habitez.  Ainsi  soit-il. 

Au  premier  nocturne.  Antienne.  Le  Seigneur  au  temps  de  sa  mort 
donna  à  goûter  le  fruit  du  salut.  Psaume.  Bienheureux  l'homme,  etc. 
Antienne.  Les  fidèles  multipliés  par  le  fruit  du  froment  et  du  vin  re- 
poser! t  dans  la  paix  de  Jésus-Christ.  Psaume.  Lorsque  j'invoquois  le 
Seigneur.  Antienne.  Le  Seigneur  nous  a  réunis  par  la  communion  du 
calice  dans  laquelle  on  reçoit  Dieu,  et  non  par  le  sang  des  jeunes 
taureaux.  Psaume.  Conservez,  etc..  f.  Il  leur  a  donné  le  pain  du 
ciel.  ^.  Il  a  mangé  le  pain  des  anges. 

LEÇON  I. 

Les  bienfaits  immenses  que  la  largesse  divine  a  départis  au  peuple 
chrétien  lui  confèrent  une  dignité  inestimable.  Il  n'est  pas  et  il  n'y  eut 
jamais  en  effet  de  nation  si  grande  qu'elle  eût  des  dieux  qui  l'appro- 
chassent de  si  près  que  notre  Dieu  s'approche  de  nous.  Le  Fils  unique 
de  Dieu  voulant  en  effet  nous  rendre  participants  de  sa  divinité,  a  pris 
notre  nature,  et  il  s'est  fait  homme  pour  nous  faire  des  dieux.  Et  de 
plus,  tout  ce  qu'il  a  pris  de  notre  nature,  il  nous  l'a  tout  conféré  pour 
notre  salut ,  car  c'est  pour  notre  réconciliation  qu'il  a  offert  à  Dieu 
le  Père  son  corps  comme  une  hostie  sur  l'autel  de  la  croix.  Il  a  versé 
son  satfg  à  la  fois  comme  le  prix  de  notre  salut  et  comme  un  bain  sa- 
lutaire ,  afin  que  rachetés  de  la  triste  servitude  à  laquelle  nous  étions 
réduits,  nous  fussions  purifiés  de  tous  nos  péchés.  i$.  La  multitude  des 
enfants  d'Israël  immolera  un  chevreau  le  soir  de  la  Pàque.  Ils  en  man- 
geront les  chairs  et  le  pain  azime.  jh  Le  Christ,  notre  Pàque,  s'est  im- 
molé ,  c'est  pourquoi  faisons  un  festin  avec  les  azimes  de  la  sincérité 
et  de  la  vérité.  Et  ils  mangeront,  etc.. 


te  colimus,  per  tuas  semitas  duc  nos  quo 
tendimus ,  ad  lucem  quam  inhabitas. 
Amen. 

In  primo  nocturno,  Antiph.  Fructum  sa- 
lutiferum  gustandum  dédit  Dominus  mor- 
tis  sua?  tempore.  Psal.  Beatus  vir.  Antiph. 
A  fructu  fruraenti,  et  vini  multiplicati  fi- 
dèles in  pace  Christi  requiescunt.  Psalm. 
Cum  invocarem.  Antiph.  Communione  ca- 
licis,  quo  Deus  ipse  sumitur,  non  vitulo- 
rum  sanguine  congregavit  nos  dominus. 
Psal.  Conserva,  y.  Panem  cœli  dédit  eis. 
$.  Panem  angelorum  manducavit. 

LECT10  I. 

Immensa  divinae  largitatis  bénéficia  exhi- 
bita  populo  christiano  inœstimabilem  ei 
conferunt  dignitatem.  Neque  enim  est,  aut 


fuit  aliquando  tam  grandis  natio ,  quae  ha- 
beat  Deos  appropinquantes  sibi,  sicut  ad- 
est  nobis  Deus  noster.  Unigenitussiquidem 
Dei  Filius  suae  divinitatis  volens  nos  esse 
participes,  naturam  nostram  assumpsit,  ut 
hommes  deos  faceret,  factus  homo.  Et  hoc 
insuper  quod  de  nostro  assumpsit,  totum 
nobis  contulit  ad  salutem.  Corpus  namque 
suum  pro  nostra  reconciliatione  in  ara  cru- 
cis  hostiam  obtulit  Deo  Patri.Sanguinem 
suum  fudit  in  pretium  simul  et  lavacrum, 
ut  redempti  a  miserabili  servitute,  a  pec- 
catis  omnibus  mundaremur.  i$.  Immolabit 
hœdum  multitude  filiorum  Israël  ad  ves- 
peram  paschœ.  Et  edent  carnes,  et  azymos 
panes,  y.  Pascha  nostrum  immolatus  est 
Christus,  itaque  epulemur  in  azymis  sin- 
ceritatis,  et  veritatis.  Et  edent. 


OFFICE    DU    CORPS    DE    JESUS-CHRIST. 


421 


LEÇON  IL 


Mais  pour  conserver  parmi  nous  le  souvenir  perpétuel  d'un  si  grand 
bienfait ,  il  laissa  son  corps  et  son  sang  aux  fidèles  pour  qu'ils  les 
prissent  comme  une  nourriture  et  comme  un  breuvage  sous  les  appa- 
rences du  pain  et  du  vin.  Oh!  festin  précieux  !  admirable,  salutaire  , 
plein  de  toute  espèce  de  suavité  !  Que  peut-il  en  effet  y  avoir  de  plus 
précieux  que  ce  festin,  dans  lequel  on  ne  nous  propose  pas  de  prendre 
comme  autrefois  sous  la  loi,  la  chair  des  boucs  et  des  veaux,  mais  bien 
de  nous  nourrir  de  Jésus-Christ  Dieu  véritable  ?  Qu'y  a-t-il  de  plus 
merveilleux  que  ce  sacrement?  Dans  ce  sacrement  en  effet  la  substance 
du  pain  et  du  vin  se  changent  substantiellement  au  corps  et  au  sang  de 
Jésus-Christ;  c'est  pourquoi  le  Christ,  Dieu  véritable  et  homme  parfait, 
est  renfermé  sous  les  espèces  d'un  peu  de  pain  et  de  vin.  r).  Vous  man- 
gerez les  chairs  et  vous  serez  rassasiés  par  le  pain.  C'est  ici  le  pain  que 
le  Seigneur  vous  a  donné  pour  votre  nourriture,  f.  Moïse  ne  vous  a 
pas  donné  le  pain  céleste  ;  mais  mon  Père  vous  donne  le  vrai  pain  du 
ciel.  C'est  ici,  etc.. 

LEÇON  III. 

C'est  pourquoi  les  fidèles  le  mangent  et  ne  le  mettent  point  en  pièce, 
il  demeure  même  tout  entier  après  la  division  du  sacrement  sous 
chaque  particule  qui  provient  de  cette  division.  Quant  aux  accidents 
ils  subsistent  dans  le  même  sujet,  pour  exercer  la  foi ,  lorsque  le  vi- 
sible est  pris  invisiblement,  étant  caché  sous  une  apparence  étrangère 
et  pour  que  les  sens  qui  ne  jugent  que  des  accidents  qui  leur  sont 
connus  ne  soient  pas  trompés.  Il  n'y  a  pas  de  sacrement  plus  salutaire 


lectio  n. 

Ut  autem  tanti  beneficii  jugis  in  nobis 
maneret  memoria ,  corpus  suum  in  cibum, 
et  sanguinem  suum  in  potum  sub  specie 
panis  et  vini  sumendura ,  fidelibus  dereli- 
quit.  0  pretiosum  et  admirandura  convi- 
vium,  salutiferum,  et  omni  suavitate  re- 
pletum.  Quid  enim  hoc  convivio  pretiosus 
esse  potest,in  quo  non  carnes  vitulorum  et 
hyrcorum,  ut  ohm  in  lege ,  sed  nobis  su- 
mendus  proponitur  Christus  verus  Deus  ? 
Quid  hoc  sacramento  mirabilius?  In  ipso 
namque  panis  et  vinum  inChristi  corpus  et 
sanguinem  substantialiter  convertuntur  : 
Ideoque  Christus  Deus,  et  homo  perfectus, 
sub  modici  panis  et  vini  specie,  contine- 


tur.  ^.  Comedetis  carnes,  et  saturabimini 
panibus.  Iste  est  panis,  quem  dédit  vobis 
Dominus  ad  vescendum.  ?.  Non  Moyses 
dédit  vobis  panem  de  ccelo,  sed  paier 
meus  dat  vobis  panem  de  cœlo  verum. 
Iste. 

LECTIO  III. 

Manducatur  itaque  a  fidelibus,  sed  mi- 
nime laceratur,  quinimo  diviso  sacro  inte- 
ger  sub  qualibet  divisionis  particula  persé- 
vérât. Accidentia  autem  subjecto  in  eodem. 
subsistunt,  ut  fides  locum  habeat,  dum  vi- 
sibile  invisibiliter  sumitur  aliéna  specie  oc- 
cultatum  ,  et  sensus  a  deceptione  reddan- 
tur  immunes,  qui  de  accidentibus  judicaut 
sibi  notis.  Nullum  etiam  sacramentum  est 
isto  salubrius,  quo  purgantur  peccata,  vir- 


422  OPUSCULE   LVI. 

que  celui-là,  pour  purifier  les  péchés,  pour  donner  des  forces  nouvelles 
et  engraisser  l'esprit  de  l'abondance  de  tous  les  dons  spirituels.  On 
l'offre  dans  l'Eglise  pour  les  vivants  et  pour  les  morts,  afin  qu'il  serve 
à  tous,  étant  institué  pour  le  salut  de  tous. 

q).  Héli  regarda  le  pain  cuit  sous  la  cendre  qui  se  trouvoit  derrière 
sa  tête  ;  se  levant  il  mangea  et  il  but ,  et  il  marcha  fortifié  par  cette 
nourriture.  Jusqu'à  la  moutagne  du  Seigneur,  f.  Si  quelqu'un  mange 
de  ce  pain  il  vivra  éternellement.  Et  il  marcha,  etc..  Gloire  au,  etc. 
Jusqu'à,  etc. 

2e  Nocturne.  Antienne.  Que  le  Seigneur  se  souvienne  de  notre  sa- 
crifice, et  que  notre  holocauste  soit  pour  lui  d'agréable  odeur.  Psaume. 
Que  le  Seigneur  vous  exauce,  etc..  Antienne.  Le  Seigneur  nous  pré- 
pare sa  table  contre  tous  ceux  qui  nous  attristent.  Psaume.  Le  Seigneur 
me  dirige,  etc..  Antienne.  Prenant  part  au  banquet  magnifique  du 
Seigneur,  les  airs  retentiront  de  leurs  cris  d'allégresse.  Psaume.  De 
même  que  le  cerf,  etc..  y.  Il  les  a  nourris  du  plus  pur  froment.  ^.  Et 
il  les  a  rassasiés  du  miel  des  rochers. 

LEÇON  IV. 

Personne  enfin  ne  sauroit  exprimer  la  suavité  de  ce  sacrement  qui 
fait  goûter  à  sa  source  même  la  douceur  spirituelle ,  et  qui  rappelle 
le  souvenir  de  celui  dont  le  Christ  au  moment  de  sa  passion  a  fait  con- 
noître  la  charité  infiniment  parfaite.  C'est  pour  cela  qu'afin  de  graver 
plus  profondément  dans  les  cœurs  des  fidèles  l'immensité  de  cette  cha- 
rité, dans  la  cène  suprême,  après  avoir  célébré  la  Pàque  avec  ses  dis- 
ciples, devant  quitter  la  terre  pour  retourner  à  son  Père ,  il  institua 
ce  sacrement  comme  le  souvenir  perpétuel  de  sa  passion,  comme  l'ac- 
complissement des  anciennes  figures,  et  comme  le  plus  grand  des 


tûtes  augentur,  et  mens  omnium  spiritua- 
lium  charismatum  abundantia  impingua- 
tur.  Offertur  in  Ecclesia  pro  vivis  et  mor- 
tuis,  ut  omnibus  prosit,  quod  est  pro  salute 
-omnium  institutum.  i$.  Respexit  Helias  ad 
caputsuumsubcinericium  panem,  qui  sur- 
gens comedit  et  bibit,  et  ambulavit  in  for- 
titudine  cibi  illius.  Usque  ad  montem 
Dei.  y.  Si  quis  manducaverit  ex  hoc 
pane,  vivet  in  aeternum.  Et  ambulavit. 
iïloria.  Usque. 

In  II  noct.  Antiph.  Memor  sit  Dominus 
■sacrificii  nostri,  et  holocaustum  nostrum 
-pingue  bat.  Ps.  Exaudiat.  Antiph.  Paratur 
nobis  mensa  Domini  adversus  omnes  qui 
tribulant  nos.  Ps.  Dominus  régit.  Antiph. 
In  voce  exultationis  resonent  epulantes  in 
mensa  Domini.  Ps.  Quemadmcdum.  t.  Ci- 


baviteos  ex  adipe  frumenti.  ri.  Et  de  petra 
melle  saturavit  eos. 

LECTIO  IV. 

Suavitatem  denique  hujus  sacramenti 
nullus  exprimere  sufficit,  per  quod  spiri- 
tualis  dulcedo  in  suo  fonte  gustatur,  et  re- 
colitur  rnemoria  illius,  quam  in  sua  pas- 
sione  Christus  monstravit.  excellentissimae 
charitatis.  Unde  ut  arctius  hujusmodi  cha- 
ritatis  immensitas  fidelium  cordibus  infi- 
geretur,  in  ultima  cœna  quando  pascha 
cum  discipulis  celebrato,  transiturus  erat 
de  hoc  mundo  ad  Patrem,  hoc  sacramen- 
tum  instituit  tanquarn  passionis  suae  me- 
moriale  perenne ,  figurarum  veterum  im- 
pletivum ,   miraculorum  ab  ipso  factorum 


OFFICE   DU   CORPS  DE   JÉSUS-CHRIST.  423 

miracles  opérés  par  lui  ;  il  laissa  aussi  ce  sacrement  comme  le  moyen 
le  plus  propre  pour  consoler  ceux  que  son  absence  attristoit. 

r).  Le  pain  que  je  vous  donnerai ,  c'est  ma  chair  immolée  pour  la 
vie  du  monde  ;  les  Juifs  discutoient  donc  entre  eux  disant  :  Comment 
peut-il  nous  donner  sa  chair  à  manger?  jh  Le  peuple  a  parlé  contre  le 
Seigneur.  Nous  sommes  dégoûtés  de  cette  nourriture  trop  légère. 
Comment  peut-il. 

LEÇON  V. 

C'est  pourquoi  il  convient  à  la  dévotion  des  fidèles  de  rappeler  so- 
lennellement l'institution  d'un  sacrement  et  si  salutaire  et  si  admi- 
rable ,  afin  que  nous  vénérions  le  mode  ineffable  dont  Dieu  est  pré- 
sent dans  un  sacrement  visible  ;  et  afin  de  louer  la  puissance  de  Dieu 
qui  opère  dans  ce  sacrementt  tant  de  choses  merveilleuses  :  c'est  aussi 
pour  rendre  à  Dieu  les  actions  de  grâces  qui  lui  sont  dues  pour  un 
bienfait  et  si  salutaire  et  si  doux.  Mais  bien  qu'au  jour  de  la  cène  , 
jour  où  l'on  sait  qu'a  été  institué  ce  sacrement,  on  fasse  de  son  insti- 
tution une  mention  spéciale  pendant  la  solennité  des  messes  qui  se 
célèbrent;  tout  le  reste  de  l'office  du  jour  néanmoins  est  consacré  à  la 
passion  de  Jésus-Christ ,  passion  à  la  vénération  de  laquelle  l'Eglise 
se  livre  pendant  tout  ce  temps.  Mais  afin  que  tous  les  fidèles  célébrassent 
l'institution  d'un  si  grand  sacrement  par  l'office  tout  entier  d'une  so- 
lennité, le  Pontife  de  Rome  Urbain  IY.,  poussé  par  sa  dévotion  à  ce 
sacrement,  a  pieusement  établi  que  tous  les  fidèles  célébreroient  la 
mémoire  de  son  institution  la  première  cinquième  férié  après  l'Octave 
de  la  Pentecôte;  afin  que  nous,  qui  usons  pendant  tout  le  cours  de 
l'année  de  ce  sacrement  pour  notre  salut,  nous  célébrions  spécialement 
son  institution  en  ce  temps,  qui  est  celui  où  le  Saint-Esprit  a  appris 


maximum,  et  de  sua  contristatis  absentia 
solatium  singulare  reliquit.  i$.  Panis  quem 
ego  dabo,  caro  mea  est  pro  mundi  vita,  li- 
tigabant  ergo  Judaei  dicentes  :  Quomodo 
potest  hic  nobis  dare  carnem  suam  ad  man- 
ducandum.  y.  Locutus  est  populus  contra 
Dominum,  Anima  nostra  nauseat  super 
cibo  isto  levissimo.  Quomodo. 

LECTIO  V. 

Convenit  itaque  devotioni  fidelium  so- 
lemniter  recolere  institutionem  tam  salu- 
tiferi,  tamque  mirabilis  sacramenti,  ut 
ineffabilem  modum  divinae  prœsentiœ  in  sa- 
cramento  visibili  veneremur  et  laudetur 
Dei  potentia,  quœ  in  sacramento  eodem 
tôt  mirabilia  operatur  :  nec  non  et  de  tam 
salubri,  tamque  suavi  benefîcio  exolvantur 


Deo  gratiarum  debitœ  actiones.  Verum  et 
si  in  die  cœnae,  quando  sacramentum  prœdic- 
tum  noscitur  institutum,  inter  missarum 
solemnia  de  institutions  ipsius ,  specialis 
mentio  habetur,  totum  tamen  residuum 
ejusdem  diei  ofïicium  ad  Ghristi  passionem 
pertinet,  circa  eu  jus  venerationem  Eccle- 
sia  illo  tempore  occupatur.  Ut  autem  inte- 
gro  celebritatis  oiïicio  institutionem  tanti 
sacramenti  recoleret  plebs  fidelium,  Ro- 
manus  Pontifex  UrbanuslV,  hujns  sacra- 
menti devotione  affectus,  pie  statuit  prae- 
fatae  institutionis  memoriam  prima  quinta 
feria  post  octavas  Pentecostes  a  cunctis  fî- 
delibus  celebrari ,  ut  qui  per  totum  anni 
circulum  hoc  sacramento  utimur  ad  salu- 
tem,  ejus  institutionem  illo  tempore  spe- 
cialiter  recolamus,  quo  Spiritus  sanctus 


424  OPUSCULE    LVI. 

aux  cœur»  des  disciples  à  connoître  pleinement  les  mystères  de  ce 
même  sacrement.  C'est  en  effet  en  ce  temps  que  les  fidèles  commen- 
cèrent à  fréquenter  ce  sacrement. 

ql.  Pendant  qu'ils  soupoient,  Jésus  prit  le  pain,  le  bénit,  le  rompit, 
le  donna  à  ses  disciples ,  et  dit  :  Prenez  et  mangez.  «  Ceci  est  mon 
corps.  »  f.  Les  hommes  de  ma  tente  s'écrièrent  :  qui  nous  donnera  de 
sa  chair  pour  que  nous  nous  en  rassasions.  Prenez  ,  etc.. 

LEÇON  VI. 

Le  pontife  de  Rome  dont  nous  venons  de  parler,  pour  faire  célébrer 
avec  plus  de  pompe  la  mémoire  de  cette  salutaire  institution ,  le  jour 
de  la  cinquième  férié  indiquée  et  pendant  l'octave  suivante ,  et  pour 
en  rendre  la  solennité  plus  célèbre  ,  au  lieu  des  distributions  maté- 
rielles qui  se  font  dans  les  églises  cathédrales  à  ceux  qui  assistent  aux 
heures  canoniales  de  la  nuit  et  du  jour,  accorda ,  par  une  largesse 
apostolique,  à  ceux  qui  assisteroient  en  personne  pendant  cette  solen- 
nité à  ces  mêmes  heures  canoniales  dans  les  églises,  des  largesses 
spirituelles ,  afin  que  les  fidèles  se  réunissent  en  plus  grand  nombre 
et  avec  plus  d'empressement  à  la  solennité  d'une  si  grande  fête.  A 
tous  ceux  donc  qui  sont  véritablement  pénitents ,  qui  se  seront  con- 
fessés ,  et  qui  assisteront  en  personne  et  dans  l'église  à  l'office  de 
Matines  de  cette  fête,  il  accorde  cent  jours  d'indulgences,  il  en  accorde 
autant  à  ceux  qui  assisteront  à  la  Messe  ;  il  en  accorde  cent  pareille- 
ment à  ceux  qui  assisteront  aux  premières  Vêpres  de  la  même  fête. 
Quant  à  ceux  qui  assisteront  aux  secondes  Vêpres ,  il  leur  en  accorde 
pareillement  cent.  Il  en  accorde  aussi  quarante  jours  à  ceux  qui  assis- 
teront à  prime ,  tierce  ,  sexte ,  none  et  compiles ,  et  cela  pour  cha- 
cune de  ces  heures.  Quant  à  ceux  qui ,  pendant  les  octaves  de  cette 


corda  discipulorum  edocuit  ad  plene  co- 
gnoscendahujus  mysteriasacramenti.  Nam 
et  in  eodem  tempore  cœpit  hoc  sacramen- 
tum  a  fidelibus frequentari.  M-  Cœnantibus 
illis  accepit  Jésus  panem ,  et  benedixit  ac 
fregit,  deditque  discipulis  suis,  et  ait.  Ac- 
cipite,  et  comedite.  Hoc  est  corpus  meum. 
f.  Dixeruut  viri  tabernaculi  mei  :  quis  -det 
camibus  ejus  ut  saturemur.  Accipite. 

LEGTIO  VI. 

Ut  autem  praedicta  quinta  feria ,  et  per 
octavassequentes  ejus  salutaris  institutionis 
honorificentius  agatur  raemoria,  et  solem- 
nitas  de  hoc  celebrior  habeatur ,  loco  dis- 
tributionum  materialium,  quae  in  ecclesiis 
cathedralibus  largiuntur,  existentibus  horis 


canonicis  nocturnis  pariterque  diurnis , 
prœfatus  romanus  Pontifex  eis  qui  hujus- 
modi  horis  in  hac  solemnitate  personaliter 
in  ecclesiis  interfuerint,  stipendia  spiritua- 
lia  apostolica  largitione  concessit,  quatenus 
per  heec  fidèles  ad  tanti  festi  celebritatem 
avidius  et  copiosius  convenirent.  Omnibus 
igitur  vere  pœnitentibus  et  confessis ,  qui 
matutinali  offîcio  hujus  festi  praesentialiter 
in  ecclesia  ubi  celebrabitur  aderunt ,  cen- 
tum  dies,  quivero  Missee  totidem.  Illis  au- 
tem qui  interfuerint  in  primis  ipsius  festi 
vesperis,  similiter  centum.  Qui  vero  in  se- 
cundis  totidem.  Eis  quoque  qui  primae, 
tertiœ,  sextœ,  et  nonse  ac  completorii  ade- 
runt officiis,  pro  qualibet  ipsarum  quadra- 
ginta.  Illis  vero  qui  per  ipsius  festi  octavas 


OFFICE   DU   CORPS   DE   JÉSUS-CHRIST.  425 

fête,  assisteront  aux  offices  de  matines,  à  la  messe,  à  ceux  des  vêpres 
et  des  autres  heures ,  il  leur  accorde  pour  chacun  des  jours  de  ces 
mêmes  octaves,  pour  remettre  les  pénitences  dont  ils  sont  chargés, 
une  indulgence  de  cent  jours  ,  et  à  perpétuité. 

â).  Jésus  prit  le  calice  après  avoir  soupe  ,  et  dit  :  «  Ce  calice  est  la 
nouvelle  alliance  dans  mon  sang.  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi.  » 
f.  Je  repasserai  toujours  ces  choses  dans  ma  mémoire ,  et  mon  ame 
séchera  de  douleur,  «  Ce  calice,  etc..  »  Gloire  soit,  etc..  Faites,  etc. 

3e  Nocturne.  Antienne.  «  J'entrerai  jusqu'à  l'autel  de  Dieu ,  et  je 
prendrai  le  Christ  qui  renouvelle  ma  jeunesse.  »  Psaume.  «  Jugez- 
moi,  mon  Dieu.  »  Antienne.  Il  nous  a  nourris  du  plus  pur  froment,  et 
il  nous  a  rassasiés  du  miel  des  rochers.  Psaume.  Réjouissez-vous  en 
louant  Dieu,  etc.  Antienne.  Seigneur,  nous  prenons  le  Christ  de  votre 
autel ,  et  il  fait  tressaillir  de  joie  notre  cœur  et  notre  chair.  Psaume. 
Que  vos  tabernacles  sont  chers ,  etc....  f.  Tirez  le  pain  de  la  terre  ; 
r).  et  que  le  vin  réjouisse  le  cœur  de  l'homme. 

LEÇON  VII. 

Evangile  selon  saint  Jean. 

En  ce  temps-là  Jésus  dit  à  ses  disciples  et  à  la  foule  des  Juifs  :  Ma 
chair  est  vraiment  une  nourriture,  et  mon  sang  est  vraiment  un  breu- 
vage, etc..  Homélie  du  bienheureux  évêque  Augustin.  Comme  les 
hommes  demandent  à  la  nourriture  et  à  la  boisson  qu'ils  prennent 
qu'elles  les  empêchent  d'avoir  faim  et  soif,  il  n'y  a  véritablement  que 
cette  nourriture  et  ce  breuvage  qui  aient  ce  résultat  ;  ils  rendent  im- 
mortelles et  incorruptibles  ceux  qui  les  prennent ,  c'est-à-dire  qu'ils 
en  font  la  société  même  des  saints  où  régnera  la  paix  et  l'unité  pleine 


in  matutinalibus  vespertinis  Missse  ac  ho- 
rarum  prsedictarum  officiis  prœsentcs  exti- 
terint,  singulis  diebus  octavarum  ipsarum 
centum  dies  de  injunctis  sibi  pœnitentiis 
relaxando ,  indulgeutiam  tribuit  perpetuis 
temporibus  duraturam.  $.  Accepit  Jésus 
calicem  postquam  cœnavit  dicens  :  Hic  ca- 
lix  novura  testamentum  est  in  meo  san- 
guine :  Hoc  facile  in  meam  commemora- 
tionem.  y.  Memoria  memor  ero,  et  tabes- 
cet  in  mea  nimamea.  Hic,  etc.  Gloria.  Hoc.  In 
tertio  noctur.  Antiph.  Introibo  ad  altare 
Dei,  sumam  Christum  qui  rénovât  juven- 
tutem  meam.  Psal.  Judica  me  Deus.  An- 
tiph. Cibavit  nos  Dominus  ex  adipe  fru- 
menti,  et  de  petra  melle  saturavit  nos. 
Psal.  Exultate  Deo.  Antiph.  Ex  altari  tuo, 
Domine,  Christum  sumimus,  in  quem  cor 


et  caro  nostra  exultant.  Psalm.  Quam  di- 
lecta.  y.  Educas  panem  de  terra.  i$.  Et  vinum 
lsetificet  cor  hominis. 

LECTIO  VII. 

Secundum   Joannem. 

In  illo  tempore,  dixit  Jésus  discipulis  suis 
et  turbis  Judaeorum  :  Caro  mea  vere  est 
cibus,  et  sanguis  meus  vere  est  potus.  Et 
reliqua.  Homilia  beati  Augustini  Episcopi. 
Cum  enim  cibo  et  potu  id  appelant  homi- 
nes  ut  non  esu  riant  neque  sitiant,  hoc  ve- 
raciter  non  prœstat  nisi  iste  cibus  et  potus 
qui  eos  a  quibus  sumitur,  immortales  et 
incorruptibiles  facit ,  id  est  ipsa  societas 
sanctorum ,  ubi  pax  erit  et  unitas  plena 
atque   perfecta.  Propterea  quippe,   sicut 


426  OPUSCULE   LVI. 

et  parfaite.  C'est  pour  cela,  comme  le  comprirent  avant  nous  les 
hommes  de  Dieu,  que  notre  Seigneur  Jésus-Christ  confia  son  corps  et 
son  sang  à  des  choses  qui  ne  forment  qu'un  tout.  Un  pain  est  en  effet 
composé  d'un  grand  nombre  de  grains,  et  le  vin  provient  d'un  grand 
nombre  de  grappes  de  raisins. 

rç).  «  Celui  qui  mange  ma  chair  et -qui  boit  mon  sang  demeure  en 
moi  et  moi  en  lui.  »  Jr.  «  11  n'y  a  pas  d'autre  nation  si  grande  qui  ait 
des  dieux  qui  s'approchent  d'elle  si  près,  que  notre  Dieu  s'approche  de 
nous.  En  moi,  etc..  » 

LEÇON  VIII. 

Enfin  il  expose  comment  se  fait  ce  qu'il  dit,  et  ce  que  c'est  que 
manger  son  corps  et  boire  son  sang.  «  Celui  qui  mange  ma  chair 
et  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi  en  lui.  »  Manger  cette 
nourriture  et  boire  ce  breuvage  n'est  donc  pas  autre  chose  que  de- 
meurer en  Jésus-Christ  et  que  de  l'avoir  en  soi  comme  un  hôte.  Par 
conséquent ,  celui  qui  ne  demeure  pas  en  Jésus-Christ ,  et  en  qui  il 
n'habite  pas  lui-même,  ne  mange  assurément  pas  spirituellement  sa 
chair,  bien  que  charnellement  et  visiblement  il  presse  sous  ses  dents 
les  sacrements  du  corps  et  du  sang  du  Christ.  Mais  il  mange  et  boit 
plutôt  à  sa  condamnation  ce  grand  sacrement  celui  qui ,  sans  s'être 
purifié,  ose  s'approcher  du  sacrement  de  Jésus-Christ;  puisque  celui-là 
seul  le  reçoit  dignement,  qui  est  pur.  C'est  de  ceux-là  qu'il  est  dit  : 
Bienheureux  ceux  dont  le  cœur  est  pur,  parce  qu'ils  verront  Dieu. 

i$.  «  Mon  Père  qui  m'a  envoyé  est  vivant ,  et  moi  je  vis  pour  mon 
Père ,  de  même  celui  qui  me  mange  vivra  pour  moi.  »  jL  «  Le  Sei- 
gneur l'a  nourri  du  pain  de  la  vie  et  de  l'intelligence.  » 


ante  nos  intellexerunt  homines  Dei ,  Do- 
minus  noster  Jésus  Christus  corpus  et  san- 
guinem  suum  in  eis  rébus  commendavit, 
quae  ad  unum  aliquid  rediguntur.  Ex  mul- 
tis  namque  granis  unus  panis  conficitur,  et 
ex  multis  racemis  vinum  confluit.  g.  Qui 
manducat  meam  carnem  ,  et  bibit  meum 
sanguinem  :  in  me  manet ,  et  ego  in  illo. 
y.  Non  est  alia  natio  tam  grandis,  quae  ha- 
beat  deos  appropinquantes  sibi,  sicut  Deus 
noster  adest  nobis.  In  me. 

LECTIO  VIII. 

Denique  jam  exponit  quomodo  id  fiât 
quod  loquitur ,  et  quid  sit  manducare  cor- 
pus ejus,  et  sanguinem  bibere.  Qui  man- 
ducat meam  carnem,  et  bibit  meum  san- 
guinem ,  in  me  manet  et  ego  in  eo.  Hoc 


est  ergo  manducare  illam  escam  et  illum 
bibere  potum,  in  Christo  manere  et  illum 
manentem  in  se  habere.  Ac  per  hoc  qui 
non  manet  in  Christo,  et  in  quo  non  ma- 
net Christus  ,  proculdubio  non  manducat 
spiritualiter  ejus  carnem,  licet  carnaliter  et 
visibiliter  premat  dentibus  sacramenta 
corporis  et  sanguinis  Christi.  Sed  magis 
tantae  rei  sacramentum  ad  judicium  sibi 
manducat  et  bibit,  qui  immundus  preesu- 
mit  ad  Christi  accedere  sacramentum, 
quod  alius  non  digne  sumit,  nisi  qui  muu- 
dus  est ,  de  quibus  dicitur  :  Beati  mundo 
corde,  quoniam  ipsi  Deum  videbunt.  h.  Mi- 
sit  me  vivens  Pater,  et  ego  vivo  propter 
Patrem  :  Et  qui  manducat  me,  vivet  prop- 
ter me.  y.  Cibavit  eum  Dominus  pane 
vitœ  et  intellectus.  Et  qui. 


OFFICE   DU   COKPS  DE    JESUS-CHRIST. 


427- 


LEÇON  IX. 

Comme  mon  Père  qui  m'a  envoyé  est  vivant ,  et  moi  je  vis  pour 
lui ,  de  même  celui  qui  me  mange  vivra  pour  moi.  Le  Fils  ne  devient 
pas  meilleur  par  sa  participation  avec  le  Père  ,  puisqu'il  lui  est  égal  ; 
comme  nous  devenons  meilleurs  ,  nous ,  par  la  participation  du  Fils , 
par  l'union  du  corps  et  du  sang  que  signifie  cette  action  de  manger  et 
de  boire.  Lorsque  nous  le  mangeons,  nous  vivons  donc  pour  lui, 
c'est-à-dire  par  Jésus-Christ,  recevant  la  vie  éternelle  que  nous  ne 
possédons  pas  en  nous.  Quant  à  lui ,  il  vivra  pour  lé  Père  qui  l'a  en- 
voyé, parce  qu'il  s'est  abaissé  lui-même,  s'étant  fait  obéissant  jusqu'à 
la  mort ,  et  la  mort  de  la  croix.  Comme  mon  Père  qui  est  vivant  m'a 
envoyé  ,  et  moi  je  vis  pour  mon  Père  ,  de  même  celui  qui  me  mange 
vivra  pour  moi.  C'est  comme  s'il  disoit  :  Et  moi  je  vis  pour  mon  Père. 
C'est-à-dire,  il  faut  que  je  lui  rapporte  ma  vie  comme  étant  plus 
grand.  Il  a  fait  l'abaissement  dans  lequel  il  m'a  envoyé  ;  mais  ce  qui 
fait  que  chacun  vit  pour  moi ,  c'est  qu'il  participe  à  moi  en  me  man- 
geant. Quant  à  moi,  humilié ,  je  vis  pour  mon  Père  ,  et  lui ,  dans  sa 
grandeur,  vit  pour  moi.  Il  ne  dit  pas  cela  de  cette  nature  par  laquelle 
il  est  toujours  égal  au  Père ,  mais  bien  de  celle  en  laquelle  il  lui  est 
inférieur,  et  dont  il  a  dit  plus  haut  :  Comme  le  Père  a  la  vie  en  soi , 
de  même  il  a  donné  au  Fils  de  l'avoir  aussi  en  lui-même. 

î$.  Nous  ne  sommes  tous  ensemble  qu'un  seul  pain  et  un  seul 
corps,  parce  que  nous  participons  tous  à  un  même  pain  et  à  un  même 
calice.  Jr.  Vous  avez  préparé,  ô  Dieu  !  par  un  effet  de  votre  douceur, 
une  nourriture  pour  le  pauvre  ;  vous  les  faites  habiter  tous  dans  votre 
maison.  Tous,  etc..  Gloire  soit,  etc..  Nous  participons  tous  ,  etc.. 


LECTIO  IX. 

Sicut  me  misit,  inquit,  vivens  Pater,  et 
ego  vivo  propter  Patrem  :  et  qui  manducat 
me  ,  et  ipse  vivet  propter  me.  Non  enim 
Filius  participatione  Patris  fit  melior ,  qui 
est  Patri  aequalis,  sicut  participatione 
Filii  per  unitatem  corporis  et  sanguinis, 
quam  illa  manducatio  potatioque  signifieat, 
nos  efificit  meliores.  Vivimus  ergo  nos 
propter  ipsum ,  manducantes  eum ,  id  est, 
per  Christum ,  accipientes  vitam  aeternam, 
quam  non  habemus  ex  nobis.  Vivet  autem 
ipse  propter  Patrem  missus  ab  eo,  quia  se- 
metipsum  exinanivit,  factus  obediens  usque 
ad  mortem ,  mortem  autem  crucis.  Sicut 
misit  me  vivens  Pater,  et  ego  vivo  propter 
Patrem,  et  qui  manducat  me,  et  ipse  vivet 
propter  me;  ac  si  diceret,  et  ego  vivo  prop- 


ter Patrem,  id  est ,  ut  ad  illum  tanquam 
ad  majorem  referam  vitam  meam.  Exina- 
uitio  mea  fecit ,  in  qua  me  misit  :  ut  au- 
tem quisque  vivat  propter  me,  participatio 
facit  qua  manducat  me.  Ego  autem  humi- 
liatus  vivo  propter  Patrem,  et  ille  erectus 
vivit  propter  me.  Non  de  ea  natufa  dixit, 
quia  semper  est  aequalis  Patri ,  sed  de  ea 
in  qua  minor  factus  est  Pâtre,  de  qua 
etiam  superius  dixit.  Sicut  Pater  habet  vi- 
tam in  semetipso,  sic  dédit  et  Filio  vitam 
habere  in  semetipso.  ni.  Unus  panis  et 
unum  corpus  multi  sumus.  Omnes  qui  de 
uno  pane  et  de  uno  calice  participamus. 
y.  Parasti  in  dulcedine  tua  paupen  Deus, 
habitare  facis  unanimes  in  domo.  Omnes. 
Gloria.  Participamus.  y.  Comedi  favum 
meum  cum  melle  meo.  b).  Bibi  vinum 
meum  cum  lacté  meo.  In  laudibus.  Antiph. 


428  .  OPUSCULE   LVI. 

'}.  J'ai  mangé  mon  rayon  avec  mon  miel;  if),  j'ai  bu  mon  vin  avec 
mon  lait. 

A  Laudes.  La  Sagesse  s'est  édifié  une  maison  ,  elle  a  mêlé  le  vin , 
et  elle  a  dressé  la  table.  Louez  Dieu.  Psaume.  Le  Seigneur  a  régné,  etc. 
Antienne.  Vous  avez  nourri  votre  peuple  avec  le  pain  des  anges ,  et 
vous  lui  avez  donné  le  pain  du  ciel.  Louez  Dieu.  Antienne.  Le  pain 
du  Christ  est  un  pain  gras ,  et  les  rois  y  trouveront  leurs  délices. 
Louez  Dieu.  Antienne.  Les  prêtres  de  Dieu  offrent  à  Dieu  le  pain  et 
l'encens.  Louez  Dieu.  Antienne.  Je  donnerai  au  victorieux  la  manne 
cachée  et  un  nom  nonveau.  Louez  Dieu.  Capitule.  Seigneur  Jésus,  etc. 
Comme  aux  premières  Vêpres. 

Hymne. 

Le  Verbe  divin  naissant  vient  accomplir  son  œuvre  tout  en  demeu- 
rant à  la  droite  de  son  Père  ,  il  poursuit  sa  course  jusqu'au  terme  de 
la  vie.  Un  de  ses  disciples  devant  le  livrer  à  ses  ennemis  pour  être  mis 
à  mort ,  il  se  donne  d'abord  à  ses  disciples  en  aliment  de  vie.  Il  leur 
donna  sa  chair  et  son  sang  sous  deux  espèces  ,  afin  que  de  sa  double 
substance  il  alimentât  tout  l'homme.  Naissant  il  se  fit  notre  frère  ,  il 
partagea  les  mets  qui  nous  nourrissent  ;  mourant  il  se  fit  le  prix  de 
notre  rédemption ,  régnant  il  fut  notre  récompense.  0  hostie  salu- 
taire ,  qui  nous  ouvrez  le  ciel ,  nous  sommes  pressés  par  les  combats 
de  nos  ennemis  ;  donnez-nous  la  force ,  venez  à  notre  secours.  Au 
Seigneur  un  et  trois  gloire  éternelle,  et  qu'il  nous  donne  une  vie  sans 
fin  dans  la  céleste  patrie.  Ainsi  soit-il.  f.  Il  a  établi  la  paix  jusqu'à  tes 
confins  ;  i$).  et  il  t'a  nourri  du  plus  pur  froment.  Au  :  Béni  soit  le  Sei- 
gneur, etc..  »  Antienne.  «  Je  suis  le  pain  de  vie  qui  suis  descendu 
du  ciel  ;  si  quelqu'un  mange  de  ce  pain  il  vivra  éternellement.  »  L'o- 
raison est  comme  aux  premières  vêpres. 


Sapientia  œdificavit  sibi  domum  ,  miscuit 
vinum  et  posuit  mensam.  Alléluia.  Psalm. 
Dominus  regnavit.  Antiph.  Angelorum 
esca  nutrivisti  populum  tuum ,  et  panem 
de  cœlo  prœstitisti  eis.  Alléluia.  Antiph. 
Pinguis  est  panis  Christi,  et  preebebit  deli- 
cias regibus.  Alléluia.  Antiph.  SacerdotesDei 
incensum  et  panes  offerunt,  Dec-,  Alléluia. 
Antiphona.  Vincenti  dabo  manna  abscondi- 
tum,  et  nomen  novum.  Alléluia.  Capit. 
Dominus  Jésus,  etc.,  ut  in  primis  vesperis. 

Bymnus. 

Verbum  supernum  prodiens ,  nec  Patris 
linquens  dexteram,  ad  opus  suum  exiens, 
venit  ad  vitae  vesperam.  lu  raortem  a  dis- 


cipulo  suis  tradeudus  eemulis,  prius  in  vitae 
ferculo  se  tradidit  discipuhs.  Quibus  sub 
bina  specie  carnem  dédit  et  sanguinem, 
ut  duplicis  substautiae  totum  cibaret  ho- 
minem.  Se  nascens  dédit  socium,  conves- 
cens  in  edulium,  se  moriens  in  pretium,  se 
regnaus  dat  in  prœmium.  0  salutaris  hos- 
tia,  quse  cœli  pandis  ostium,  bella  premunt 
hostilia,  da  robur,  fer  auxilium.  Uni  tri- 
noque  Domino  sit  sempiterna  gloria,  qui 
vitam  sine  termino  nobis  donet  in  patria. 
Amen.  y.  Posuit  fines  tuos  pacem.  $.  Et 
adipe  frumenti  satiat  te.  Adbenedictionem. 
Antiphona.  Ego  sum  panis  vivus ,  qui  de 
cœlo  descendi  :  si  quis  manducaverit  ex  hoc 
pane,  vivet  in  œternum.  Oratio  ut  in  pri- 


OFFICE   DU   CORPS    DE   JÉSUS-CHRIST.  429 

A  Prime  et  aux  autres  heures  ,  les  antiennes  sont  les  mêmes  que 
celles  de  Laudes,  excepté  la  quatrième,  r).  «Jésus-Christ,  etc...» 
f.  «  Qui  est  né  de  la  Vierge  Marie.  »  Ce  verset  doit  se  dire  pendant 
toute  l'octave. 

A  Tierce.  Capitule.  Seigneur,  Jésus,  etc..  r).  Il  leur  a  donné  le 
pain  du  ciel ,  louez  Dieu.  f.  L'homme  a  mangé  le  pain  des  anges , 
louez  Dieu,  louez  Dieu.  Gloire  soit,  etc..  Le  pain  des,  etc..  Il  les  a 
nourris,  etc.. 

A  Sexte.  Capitule.  Toutes  les  fois  que  vous  mangerez  ce  pain  et 
que  vous  boirez  ce  calice,  vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur  jus- 
qu'à ce  qu'il  vienne,  r).  Il  lésa  nourris,  etc..  Louez  Dieu,  louez  Dieu. 
f.  Et  du  miel  de  la  pierre,  etc. . .  Gloire  soit,  etc. . .  Il  les  a  nourris,  etc. . . 
f.  Tirez  le  pain,  etc.. 

A  None.  Capitule.  Quiconque  mangera  le  pain,  et  boira  le  calice  du 
Seigneur  indignement,  sera  coupable  du  corps  et  du  sang  du  Sei- 
gneur, r).  Tirez  le  pain,  etc..  Louez  Dieu,  louez  Dieu.  f.  Et  que  le 
vin  réjouisse,  etc..  Louez  Dieu,  louez  Dieu.  Gloire  soit,  etc..  Tirez 
le  pain,  etc..  Il  a  établi  la  paix  jusqu'à  ses  confins,  fy  Et  il  te  rassasie 
du  plus  pur  froment. 

A  Vêpres,  les  Antiennes  pour  chaque  Psaume  sont  les  mêmes  qu'à 
Laudes.  Les  Psaumes ,  le  Capitule ,  l'Hymne  et  le  Verset  sont  les 
mêmes  qu'aux  premières  Vêpres. 

Au  Magnificat.  Antienne.  0  bouquet  sacré  dans  lequel  on  reçoit 
Jésus-Christ;  où  l'on  célèbre  la  mémoire  de  sa  passion,  dans  lequel 
l'esprit  est  rempli  de  la  grâce  et  où  nous  recevons  le  gage  de  la  gloire 
future!  Louez  Dieu,  louez  Dieu!  L'Oraison  est  la  même  qu'aux  pre- 
mières Vêpres.  Pendant  l'Octave.  Invitatoire.  Venez,  adorons  Jésus- 
Christ  qui  est  le  pain  des  anges  et  des  hommes.  Au  :  Béni  soit,  etc.. 
Antienne.  Je  suis  le  pain  de  vie,  qui  suis  descendu  du  ciel;  celui  qui 
mange  de  ce  pain  vivra  éternellement.  Au  Magnificat  :  «  Le  Seigneur 


mis  vesperis.  Ad  primam  et  ad  omnes  ho- 
ras  Antiphonae.  Laudum  quarta  excepta. 
$.  Jesu  Christe.  y.  Qui  natus  est  de  Virgine 
Maria  ,  et  dicatur  per  totam  ootavam. 

Ad  tertiam.  Cap.  Dominus  Jésus.  $.  Pa- 
nem cœli  dédit  eis.  Alléluia,  Allel.  y.  Pa- 
nem  angelorum  manducavit  homo.  Allel., 
Alléluia.  Gloria.  Panem.  y.  Cibavit  eos,  etc. 

Ad  sextam.  Gap.  Quotiescumque  inan- 
ducabitis  pauem  hune,  et  calicem  bibetis, 
mortem  Domini  annuntiabitis  donec  ve- 
niat.  S).  Cibavit  eos,  etc.  Alléluia,  Alléluia. 
y.  Et  de  petra,  etc.  Allel.,  Alléluia.  Gloria. 
Cibavit.  y.  Educas  panem. 

Ad  nonam.  Cap.  Quicumque  manduca- 
■verit  panem  et  biberit  calicem  Domini  in- 
digne, reus  erit  corporis  et  sanguinis  Do- 


mini. i}.  Educas  panem,  etc.  Alléluia,  Allé- 
luia, y.  Et  vinum  laetificet,  etc.  Alléluia, 
Alléluia.  Gloria.  Educas.  y.  Posuit  fines 
tuos  pacem.  $.  Et  adipe  frumenti  satiat  te. 

Ad  vesperas  super  Psalm.  Antiph.  Lau- 
dum. Psalm.  Cap.  Hym.  y.  sicut  in  primis 
vesperis. 

Ad  Magmf.  Antiph.  0  sacrum  convivium, 
in  quo  Christus  sumitur,  recolitur  memo- 
ria  passionis  ejus,  mens  impletur  gratia,  et 
futurse  gloriae  nobis  pignus  datur.  Alléluia, 
Alléluia.  Oratio,  ut  in  primis  vesperis.  Per 
oct.  Invitator.  Christum  panem  Angelorum 
et  hominum  :  Venite  adoremus.  Ad  Bene- 
dictus.  Antiph.  Ego  sum  panis  vivus ,  qui 
de  cœlo  descendi ,  qui  manducat  ex  hoc 
pane,  vivet  in  œternum.  Ad  Magn.  Antiph. 


430  OPUSCULE    LVI. 

qui  est  miséricordieux  et  plein  de  clémence,  a  rappelé  la  mémoire  de 
ses  merveilles,  et  il  a  donné  la  nourriture  à  ceux  qui  le  craignent.  » 
Tout  le  reste  se  fait  comme  au  jour  de  la  Fête. 

MESSE. 

Le  Seigneur  les  a  nourris  du  plus  pur  froment,  louez  Dieu,  et  il  les 
a  rassasiés  du  miel  du  rocher ,  louez  Dieu ,  louez  Dieu ,  louez  Dieu. 
y.  Réjouissez  -  vous  en  louant  Dieu  notre  protecteur;  chantez  dans 
de  saints  transports  les  louanges  du  Dieu  de  Jacob.,  Gloire  soit  au 
Père,  etc.. 

Gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des  cieux ,  etc.. 

Prière.  Dieu  qui  nous  avez  laissé  sous  ce  sacrement  admirable  le 
souvenir  de  votre  passion ,  faites  /nous  vous  en  supplions,  que  nous 
ayons  pour  les  mystères  de  votre  corps  et  de  votre  sang  un  respect 
tel ,  que  nous  jouissions  intérieurement  et  continuellement  des  fruits 
de  votre  rédemption.  Vous  qui  vivez  et  régnez,  etc.. 

Epître  de  l'apôtre  saint  Paul  aux  Corinthiens. 

Mes  Frères.  Car  c'est  du  Seigneur  que  j'ai  appris  ce  que  je  vous  ai 
enseigné;  savoir,  que  le  Seigneur  Jésus,  la  nuit  même  qu'il  devoit 
être  mis  à  mort,  prit  du  pain,  et  ayant  rendu  grâces,  le  rompit,  et  dit 
à  ses  disciples  :  Prenez  et  mangez  ;  «  Ceci  est  mon  corps  »  qui  sera 
livré  pour  vous;  faites  ceci  en  mémoire  de  moi.  Il  prit  de  même  le 
calice  après  avoir  soupe,  en  disant  :  «  Ce  calice  est  la  nouvelle  alliance 
de  mon  sang;  »  faites  ceci  en  mémoire  de  moi  toutes  les  fois  que  vous 
le  boirez.  Toutes  les  fois  en  effet  que  vous  mangerez  ce  pain ,  et  que 


Memoriam  fecit  mirabilium  suorum,  mise- 
ricors  et  miserator  Dominus  escam  dédit 
timentibus  se.  Caetera  omnia  fiant,  sicut  in 
die. 

AD  M1SSAM. 

Cibavit  eos  ex  adipe  frumenti,  Alléluia  : 
et  de  petra  raelle  saturavit  eos,  Alléluia, 
Alléluia,  Allel.  y.  Exultate  Deo  adjutori 
nostro ,  jubilate  Deo  Jacob.  Gloria  Patri, 
et  cœtera. 

Gloria  in  excelsis  ,  etc. 

Oratio.  Deus  qui  nobis  sub  sacramento 
imrabili  passionis  tuae memoriam  reliquisti, 
tribue  queesuinus,  ita  nos  corporis  et  san- 
guinis  tui  sacra  mysteria  venerari ,  ut  re- 


demptionis  tua?  fructum,  in  nobis  jugiter 
sentiamus,  Qui  vivis,  etc. 

Lectio  Epislolœ  beali  Pauli  Aposloli  ad  Co- 
rinlhios. 

Fratres  :  Ego  enim  accepi  a  Domino  , 
quod  et  tradidi  vobis,  quoniam  Dorninus 
Jésus  in  qua  nocte  tradebatur,  accepit  pa- 
nem,"  et  gratias  agens  fregit  et  dixit  :  Ac- 
cipite ,  et  manducate  :  Hoc  est  corpus 
meum,  quod  pro  vobis  tradetur  :  hoc  fa- 
cite  in  meam  commemorationem.  Simili- 
ter  et  calicem  postquam  cœnavit ,  dicens  : 
Hic  calix  novum  testamentum  est  in  meo 
sanguine  :  hoc  facite  quotiescumque  su- 
mitis  in  meam  commemorationem.  Quo- 
tiescumque   enim    manducabitis   panem 


OFFICE   DU   CORPS   DE    JÉSUS-CHRIST.  431 

tous  boirez  ce  calice,  vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur  jusqu'à 
ce  qu'il  Tienne.  C'est  pourquoi  quiconque  mangera  ce  pain ,  ou  boira 
le  calice  du  Seigneur  indignement,  sera  coupable  du  corps  et  du 
sang  du  Seigneur.  Que  l'homme  donc  s'éprouve  lui-même  ,  et  qu'il 
mange  ainsi  de  ce  pain  et  boive  de  ce  calice.  Car  quiconque  en  mange 
et  en  boit  indignement,  mange  et  boit  sa  propre  condamnation  ne< 
faisant  pas  le  discernement  qu'il  doit  du  corps  du  Seigneur,  â.  Tous 
Seigneur,  ont  les  yeux  tournés  vers  vous;  et  ils  attendent  de  vous  que 
vous  leur  donniez  leur  nourriture  dans  le  temps  opportun.  f.  Yous 
ouvrez  votre  main,  et  vous  remplissez  tout  ce  qui  respire  des  effets  de 
votre  bonté.  Louez  Dieu.  f.  Ma  chair  est  vraiment  une  nourriture  et 
mon  sang  est  véritablement  un  breuvage  ;  celui  qui  mange  ma  chair 
et  qui  boit  mon  sang,  demeure  en  moi  et  moi  en  lui. 

Séquence. 

Sion ,  loue  ton  Sauveur,  ton  chef  et  ton  pasteur,  loue-le  dans  tes 
hymnes  et  tes  cantiques.  Ose  pour  le  faire  tout  ce  que  te  permettront 
tes  forces ,  parce  qu'il  est  au-dessus  de  toutes  louanges ,  et  que  tu  ne 
peux  le  louer  comme  il  le  mérite.  On  nous  propose  aujourd'hui  comme 
objet  spécial  de  nos  louanges  le  pain  vivant  et  vivifiant.  Il  est  certain 
que  ce  pain  fut  donné  aux  douzes  apôtres  à  la  table  de  la  sainte  cène. 
Que  notre  louange  soit  parfaite ,  quelle  soit  retentissante ,  quelle  soit 
aimable;  que  la  jubilation  dé  notre  esprit  soit  digne  de  Dieu.  Ce  jour 
solennel  est  en  effet  celui  où  l'on  célèbre  la  mémoire  de  la  première 
institution  de  ce  banquet.  A  cette  table  du  nouveau  roi ,  la  nouvelle 
Pâque  de  la  nouvelle  loi,  met  un  terme  à  la  Pâque  ancienne.  Ce  rit 
nouveau  abolit  le  rit  ancien,  la  vérité  dissipe  l'ombre,  la  lumière 
éclaire  la  nuit.  Ce  que  Jésus-Christ  fit  dans  la  cène,  il  nous  a  ordonné 


hune,  et  calicera  liibetis  :  mortem  Domini 
annuntiabitis  donec  veniat.  Itaque  quieum- 
que  manducaverit  panem  vel  biberit  cali- 
cem  Domini  indigne,  reus  erit  corporis  et 
sanguinis  Domini.  Probet  autem  seipsum 
homo,  et  sic  de  pane  illo  edat ,  et  de  ca- 
lice bibat.  Qui  enim  manducat  et  bibit  in- 
digne ,  judicium  sibi  manducat  et  bibit, 
non  dijudicans  corpus  Domini. 

$.  Oculi  omnium  in  te  sperant  Domine, 
et  tu  das  illis  escam  in  tempore  opportuno. 
$).  Aperis  tu  manum  tuam,  et  impies  omne 
animal  in  benedictione,  Alléluia,  y.  Caro 
mea  vere  est  cibus ,  et  sanguis  meus  vere 
est  potus  :  qui  manducat  meam  carnem, 
et  bibit  meum  sanguinem  ,  in  me  manet, 
et  ego  in  eo. 


Sequenlia. 

Lauda  Sion  Salvatorem,  lauda  Ducem  et 
Pastorem  in  hymnis  et  canticis.  Quantum 
potes,  tantum  aude,  quia  major  omni 
laude ,  nec  laudare  sufficis.  Laudis  thema 
specialis ,  panis  vivus  et  vitalis  hodie  pro- 
ponitur.  Quem  in  sacras  mensa  cœnee,  tur- 
bae  fratrum  duodenœ,  datum  non  ambigi- 
tur.  Sit  laus  plena,  sit  sonora,  sit  jucunda, 
sit  décora  mentis  jubilatio.  Dies  enim  so- 
lemnis  agitur,  in  qua  mensae  prima  recoli- 
tur  hujus  institutio.  In  hac  mensa  novi 
régis,  novum  Pascha  novae  legis,  phase  vê- 
tus terminât.  Vetustatem  novitas,  umbram 
fugat  veritas,  noctem  lux  éliminât.  Quod 
in  coena  Ghristus  gessit,  faciendum  hoc  ex- 


432  OPUSCULE    LVI. 

de  le  faire  en  mémoire  de  lui.  Instruits  par  son  saint  exemple  ,  nous 
consacrons  le  pain  et  le  vin  en  hostie  du  salut.  C'est  un  article  de  foi 
pour  les  chrétiens  que  le  pain  se  change  en  chair  et  le  vin  en  sang. 
Ce  que  vous  ne  comprenez  pas,  ce  que  vous  ne  voyez  pas ,  la  foi  qui 
ne  se  laisse  pas  décourager  vous  l'assure  comme  supérieur  a  l'ordre 
de  la  nature.  Sous  les  différentes  espèces ,  qui  sont  des  signes  et  non 
des  choses  réelles,  sont  cachés  les  dons  les  plus  parfaits.  Sa  chair  est 
une  nourriture,  son  sang  est  un  breuvage,  Jésus- Christ  cependant 
demeure  tout  entier  sous  chaque  espèce.  Celui  qui  le  prend,  ne  le 
rompt  pas,  ne  le  brise  pas,  non  plus  qu'il  ne  le  divise,  mais  il  le  prend 
tout  entier.  Un  seul  le  reçoit,  mille  le  reçoivent  ;  ceux-ci  en  prennent 
autant  que  celui-là;  pris  il  n'est  point  consommé,  les  bons  et  les  mé- 
chants le  reçoivent;  mais  leur  sort  est  différent  î  les  uns  y  trouvent  la 
vie,  les  autres- la  mort.  Il  est  la  mort  des  méchants,  la  vie  des  bons  ; 
voyez  combien  sont  différents  les  résultats  qu'il  produit  dans  ceux  qui 
le  prennent  également.  Le  sacrement  enfin  étant  rompu,  n'hésitez 
pas ,  mais  rappelez-vous  qu'il  se  trouve  tout  entier  sous  la  partie 
comme  sous  la  totalité  de  l'espèce.  L' apparence  seulement  est  rompue 
et  non  la  chose,  et  cette  rupture  ne  diminue  en  rien  la  grandeur  ou 
l'état  de  la  chose  signifiée.  Yoici  le  pain  des  anges ,  qui  est  devenu  le 
pain  des  voyageurs,  le  véritable  pain  des  enfants,  qui  ne  doit  point 
être  jeté  aux  chiens.  Il  est  annoncé  en  figure' à  l'avance  par  l'immo- 
lation d'Isaac;  il  le  fut  dans  l'agneau  pascal  et  la  manne  donnée 
à  nos  pères.  Bon  pasteur,  pain  véritable,  Jésus  ayez  pitié  de  nous, 
soyez  notre  nourriture ,  notre  soutien ,  faites  que  nous  voyons  les 
biens  véritables  dans  la  terre  des  vivants.  Vous  qui  savez  et  pouvez 
tout,  qui  nous  nourrissez  ici-bas  où  nous  sommes  mortels,  faites  que 
là  nous  soyons  les  Commensaux,  les  cohéritiers  et  les  compagnons  des 
saints  habitants  du  ciel.  Ainsi  soit-il. 


pressit  in  sui  memoriam.  Docti  sacris  ins- 
tituas, panem,  vinum,  in  salmis  cousecra- 
mus  hostiam.  Dogma  datur  Christianis, 
quod  in  carnem  transit  panis,  et  vinum  in 
sanguinem.  Quod  non  capis,  quod  non  vi- 
des, animosa  firmat  fides  praeter  rerum  or- 
dinem.  Sub  diversis  speciebus,  signis  tan- 
tum  et  non  rébus,  latent  res  eximiae.  Caro 
cibus,  sanguispotus,  manet  tamen  Christus 
totus  sub  utraque  specie.  A  sumente  non 
concisus,  non  confractus,  non  divisus,  in- 
teger  assumitur.  Sumit  unus  ,  sumunt 
mille  :  quantum  isti,  tantum  ille,  nec  sump- 
tus  consumitur  sumunt  boni,  sumunt 
mali,  sorte  tamen  inaequali  vitae  vel  in- 
teritus.  Mors  est  malis,  vita  bonis,  vide 


paris  sumptionis  quam  sit  dispar  exitus. 
Fracto  demum  sacramento,  ne  vacilles, 
sed  mémento  tantum  esse  sub  fragmento, 
quantum  toto  tegitur.  Nulla  rei  fit  scissura, 
signi  tantum  fit  fractura,  qua  nec  status, 
nec  statura  signati  minuitur.  Ecce  panis 
angelorum,  factus  cibus  viatorum,  vere  pa- 
nis filiorum,  non  mittendus  canibus.  In  fi- 
guris  prsesignatur  ,  cum  Isaac  immolatur, 
agnus  Paschae  deputatur ,  datur  manna  pa- 
tribus.  Bone  pastor,  panis  vere,  Jesu  nostri 
miserere,  tu  nos  pasce,  nos  tuere ,  tu  nos 
bona  fac  videre,  in  terra  viventium.  *Tu 
qui  cuncta  scis  et  vales,  qui  nos  pascis  hic 
mortales,  tuos  ibi  commensales,  cohseredes 
et  sodales ,  fac  sanctorum  civium.  Amen. 


OFFICE   DU   CORPS  DE   JÉSUS-CHRIST. 

Evangile  selon  saint  Jean. 


433 


En  ce  temps-là,  Jésus  dit  à  ses  disciples  et  à  la  foule  des  Juifs  :  Ma 
chair  est  une  véritable  nourriture ,  et  mon  sang  un  vrai  breuvage. 
Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang  demeure  en  moi  et  moi 
en  lui.  Comme  mon  Père  qui  m'a  envoyé  est  vivant'et  que  je  vis  pour 
mon  Père ,  de  même  celui  qui  me  mange ,  vivra  lui  aussi  pour  moi. 
C'est  ici  le  pain  qui  est  descendu  du  ciel,  il  n'est  pas  comme  la  manne 
que  mangèrent  vos  pères,  et  qui  ne  les  empêcha  pas  de  mourir;  celui 
qui  mange  ce  pain  vivra  éternellement. 

Je  crois  en  Dieu,  etc... 

Offertoire.  Les  prêtres  du  Seigneur  présentent  l'encens  et  offrent  à 
Dieu  le  pain;  c'est  pourquoi  ils  seront  saints  devant  lui  et  ne  souille- 
ront point  son  nom.  Louez  Dieu. 

Secrète. 

Nous  vous  en  supplions,  Seigneur,  soyez  favorable  à  votre  Eglise 
et  donnez-lui  la  paix  et  l'unité  que  désignent  mystiquement  les  dons 
qui  vous  sont  offerts  par  Notre-Seigneur. 

Préface.  Par  le  mystère  du  Verbe  incarné,  etc.  Le  mystère  saint  et 
divin  y  est  exprimé ,  et  l'esprit  orgueilleux  des  infidèles  frappé  de 
cécité,  l'espérance  inébranlable  des  croyants  fortifiée  par  la  foi. 

Saint.  La  foi  consiste  surtout  à  croire  eii  Dieu ,  à  manger  le  pain 
divin,  et  à  le  consacrer;  nous  commandant  de  le  faire,  il  dit  :  Prenez, 
ceci  est  mon  corps.  Saint.  On  ne  voit  d'abord  que  du  pain ,  mais  lors- 
qu'on le  consacre  ,  il  se  change  en  la  chair  de  Jésus-Christ  ;  comme 


Secundum  Joannem. 

In  illo  tempore  :  Dixit  Jésus  discipulis 
suis  et  turbis  Judœorum  :  Caro  mea  vere 
est  cibus,  et  sanguis  meus  vere  est  potus. 
Qui  manducat  raeam  carnera  et  bibit  meum 
sanguinem,  in  me  manet ,  et  ego  in  illo. 
Sicut  misit  me  vivens  Pater,  et  ôgo  vivo 
propter  Patrem  :  et  qui  manducat  me,  et 
ipse  vivet  propter  me.  Hic  est  panis  qui  de 
cœlo  descendit ,  non  sicut  manducaverunt 
patres  vestri  manna  ,  et  mortui  sunt  ;  qui 
manducat  hune  panem,  vivet  in  aeternum. 

Credo. 
Offertorium.   Sacerdotes  incensum  Do- 


iriini  et  panes  offerunt  Deo,  et  ideo  sancti 
erunt  Deo  suo,  et  non  polluent  nomen 
ejus,  Alléluia. 

Secrela. 

Ecelesiae  tua? ,  quœso ,  Domine ,  unitatis 
et  pacis  propitius  dona  concède  ,  quae  sub 
oblatis  muneribus  mystice  designantur. 

Prœfatio.  Quia  per  incarnati.  Sanctum 
divinum  mysterium  semper  declaratur,  et 
mens  inlidelium  tumens  excœcatur,  firma 
spes  credentium  fide  roboratur.  Sanctus. 
Fides  est  summopere  credere  in  Deum,  pa- 
nem sanctum  edere,  et  tractare  eum  :  ju- 
bens  dicit,  Sumite  :  Hoc  est  corpus  meum. 
Sanctus.   Panis   prius  cernitur,  sed  dum 


V. 


43 4  OPUSCULE   LVI  ,    OFFICE    DU    CORPS    DE    JÉSUS-CHRIST. 

il  se  change  ,  de  même  il  se  transsubstantie  ,  et  c'est  Dieu  qui  opère. 
Seigneur  Dieu  des  armées.  Il  en  est  de  même  du  vin  lorsqu'on  le  bé- 
nit; il  devient  véritablement  alors  le  sang  de  Jésus-Christ ,  nous  de- 
vons croire  communément  comme  vraie  cette  parole ,  et  non  comme 
simulée.  Le  ciel  et  la  terre  sont  pleins  de  votre  gloire,  gloire  à  Dieu 
au  plus  haut  des  cieux.  Que  ce  sacrement  soit  être  pour  nous  qui  le 
célébrons  de  même  que  pour  les  fidèles  qui  le  reçoivent  un  aliment,  et 
qu'il  soit  la  cause  de  la  ruine  des  Juifs  qui  le  nient.  Béni  soit  celui 
qui  vient  au  nom  du  Seigneur;  gloire  à  Dieu  au  plus  haut  des  cieux. 

Communion.  Toutes  les  fois  que  vous  mangerez  ce  pain  et  que 
vous  boirez  ce  calice  ,  vous  annoncerez  la  mort  du  Seigneur  jusqu'à 
ce  qu'il  \ienne.  C'est  pourquoi,  quiconque  mangera  le  pain  et  boira 
]e  calice  du  Seigneur  indignement,  sera  coupable  du  corps  et  du  sang 
du  Seigneur.  Louez  Dieu. 

Postcommunion.  Faites,  nous  vous  en  conjurons,  Seigneur,  que  nous 
soyons  remplis  de  la  jouissance  éternelle  de  votre  divinité;  jouissance 
que  nous  représente  la  réception  temporelle  de  votre  corps  et  de  votre 
sang  précieux;  Dieu  qui  vivez  et  régnez  avec  Dieu  le  Père  dans  l'unité 
du  Saint-Esprit,  pendant  tous  les  siècles  des  siècles.  Ainsi  soit-il. 

Fin  du  cinquante-sixième  Opuscule  de  saint  Thomas. 

L'abbé  FOURSET. 


consecratur ,  caro  Christi ,  sic  mutatur  , 
quomodo  convertitur,  Deus  operatur.  Do- 
minus  Deus  Sabaoth.  De  vino  similiter  si 
sit  benedictum,  et  tune  est  veraciter  san- 
guis  Christi,  dictumeredamuscommuniter 
Yerum,  et  non  fictum.  Pleni  su'\t  cœli  et 
terra  gloria  tua,  Hosanna  in  excelsis.  Nobis 
celebrantibusistudsacramentum,  et  cunctis 
iidelibus  fiât  nutrimentum ,  Judœis  negan- 
tibus  sit  in  detrimentum.  Benedictus  qui 
venit  in  nomine  Domini,  Hosanna  in  excel- 
sis. Communio.  Quotiescumquemanducabi- 
tispanem  hune,  et  calicem  bibetis,  mor- 


tem  Domini  annuntiabitis  donec  veniat. 
Itaque ,  quicumque  manducaverit  panem, 
vel  biberit  calicem  Domini  indigne,  reus 
erit  corporis  et  sanguinis  Domini,  Alléluia. 
Postcommunion.  Fac  nos,  quaesumus,  Do- 
mine, divinitatis  tuœ  sempiterna  fruitione 
repleri,  quam  pretiosi  corporis  et  sangui- 
nis tui  temporalis  perceptio  preefigurat  : 
Qui  vivis  et  régnas  cum  Deo  Pâtre  in  uni- 
tate  Spiritus  sancti  Deus  :  Per  omnia  sae- 
cula  saeculorum.  Amen. 

Explicit     Opusculum     Quinquagesimum 
sextum  S.  Thomœ  de  Aquino. 


OPUSCULE    LVII  ,    SUR   LE   SACREMENT    DE    L  AUTEL. 


435     -^3: 


DlJ   MÊME  DOCTEUR   SAINT   THOMAS,    SUR  LE   SACREMENT   ADORABLE 
DE  L'AUTEL. 

CHAPITRE   PREMIER. 

Des  trois  causes  de  l'institution  du  sacrement  du  corps  du  Seigneur. 

«  Venez,  mangez  le  pain  que  je  vous  donne,  buvez  le  vin  que  je 
vous  ai  préparé.  »  Prov.,  chap.  IX.  Le  Seigneur  par  ces  paroles  nous 
convie  au  banquet  salutaire  clans  lequel  il  nous  a  préparé  un  aliment 
précieux,  à  savoir  son  corps  et  son  sang,  conformément  à  ces  paroles 
des  Proverbes,  chap.  YI  :  «  Traitez  votre  affaire  avec  votre  ami,  et  ne 
révélez  point  votre  secret  à  un  étranger.  »  L'affaire  secrète  ,  c'est  le 
sacrement  de  l'Autel,  c'est  comme  un  secret  sacré  ,  dont  laicause  ne 
doit  pas  se  révéler  aux  infidèles  ,  mais  aux  fidèles  seuls.  Remarquez 
que  trois  causes  ont  contribué  à  l'institution  de  ce  sacrement.  Ce  sont, 
le  souvenir  du  Sauveur ,  le  sacrifice  de  l'autel ,  la  nourriture  de 
l'homme.  La  sagesse  divine  a  disposé  ces  trois  choses  dans  ce  sacre- 
ment en  opposition  avec  les  maux  anciens ,  à  savoir  contre  l'oubli  de 
Dieu,  contre  la  dette  fruit  de  la  rapine  du  bien  d'autrui,  contre  la 
corruption  qui  découle  du  fruit  mortifère.  Nos  premiers  parents 
trompés  par  la  ruse  du  serpent  tombèrent  dans  ces  trois  espèces  de 
maux,  et  par  eux  la  dépravation  passa  à  leurs  successeurs.  Quant  au 


OPUSCULUM  LVII. 


Ejusdem  doctoris,  de  venerabili  sacramehto  altaris. 


CAPUT  I. 

De    tribus   causis   instilulionis    sacramcnti 
corporis  Christi. 

«  Venite,  Comedite  panem  meum,  et  bi- 
bite  •vinum  quod  miscui  vobis.  »  Proverb., 
IX.  His  verbis  Dominus  nos  invitât  ad  sa- 
lutare  convivium ,  in  quo  prseparavit  pre- 
tiosum  cibum,  scilicet  corpus  et  sanguinera 
suum,  juxta  illud  Proverb.,  VI  :  «  Causam 
tuam  tracta  cum  amico  tuo  :  et  secretum 
ne  révèles  extraneo.  »  Res  sécréta  est  alta- 


ris sacrementum,  quasi  sacrum  secretum, 
cujus  causa  non  infidelibus,  sed  fidelibusest 
revelanda.  Nota,  quod  causa  institutionis 
est  triplex,  scilicet  memoria  Salvatoris,  sa- 
crificium  altaris,  cibus  hominis.  Haec  tria 
disposuit  in  hoc  sacramento  divina  sapien- 
tia  contraria,  vetera  mala,  scilicet  contra 
oblivionem  Dei,  contra  debitum  rapinœ 
alienae  rei,  contra  corruptiones  pomi  mor- 
tiferi.  Primi  enim  parentes  in  haec  tria 
malainciderunt,  serpentina  fraude  decepti, 
et  per  eos  successores  sunt  depravati.  De 


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436  OPUSCULE   LYII,    CHAPITRE    1. 

premier,  il  est  écrit  Eccl.,  chap.  X  :  «  Le  commencement  de  l'orgueil 
de  l'homme  fut  de  commettre  une  apostasie  à  l'égard  de  Dieu;  parce 
que  son  cœur  se  retira  de  celui  qui  l'a  créé;  »  ceci  est  le  résultat  de 
l'oubli  qui  précède  les  soins  qu'il  donne  à  une  affaire  coupable  qu'il 
traite  avec  le  serpent  ;  c'est  encore  ce  qui  a  coutume  d'arriver  à  cer- 
tains insensés.  Quant  au  second,  il  est  écrit  Gen.,  chap.  III  :  «  La 
femme  donc  voyant  que  le  fruit  de  cet  arbre  étoit  bon  à  manger  et 
agréable  à  la  vue  en  prit ,  en  mangea ,  et  en  donna  à  son  mari 
qui  en  mangea  comme  elle;  »  ils  se  rendirent  par  là  coupables  l'un 
et  l'autre  de  rapine.  Ils  se  rendent  coupables  d'une  rapine  semblable, 
ceux  qui  dans  l'usage  des  créatures  et  des  choses  outrepassent  les 
bornes  de  la  justice  par  un  autre  côté.  Quant  au  troisième,  il  est  écrit 
Gen.,  chap.  II  :  «  Ne  mangez  point  du  fruit  de  l'arbre  de  la  science 
du  bien  et  du  mal  ;  quel  que  soit  le  jour  où  vous  en  mangerez  ,  vous 
mourrez  de  mort;  »  et  quant  au  bien  de  l'immortalité  du  corps,  il 
est  écrit  Ps.  XIII  :  «  Ils  se  sont  corrompus ,  et  sont  devenus  abomi- 
nables, etc.  »Ceux  pareillement  qui  emploient  le  poison  du  péché, 
tuent  les  âmes,  et  les  corrompent.  Ce  sacrement  a  par  conséquent  été 
institué  contre  ces  trois  maux  anciens.  Il  est  écrit  dans  saint  Luc , 
chap.  XXII  :  «Prenez  et  mangez,  ceci  est  mon  corps  qui  sera  livré 
pour  vous  :  faites  ceci  en  mémoire  de  moi.  »  FaUesjçeci ,  dit-il ,  en 
mémoire  çhmoi.  Yoici  la  première  cause;  à  savoir  le  souvenir  du  Sau- 
veur, pour  préserver  de  l'oubli.  Qui  sera  livre' pour  vous;  c'est-à-dire, 
pour  que  l'agneau  de  Dieu  fut  offert ,  et  c'est  ici  la  seconde  cause ,  à 
savoir  le  sacrifice  de  l'autel  contre  la  rapine.  «  Prenez  et  mandez,  » 
voici  la  troisième  cause;  à  savoir,  unêTnourriture  médicinale  contre 
la  corruption.  La  première  cause  est  donc  le  souvenir  du  Sauveur 
contre  l'oubli  auquel  nous  pourrions  nous  laisser  aller;  et  cela  afin 
qu'avertis,  nous  nous  soustrayons  aux  maux  qui  pourroient  nous 


primo,  Eccles.,  X  :  «  Initium  superbiœ  ho- 
minis  apostatare  a  Deo,  quoniam  ab  eo  qui 
fecit  illum,  recessit  cor  ejus,  »  scilicet  per 
oblivioîiera  in  occupatione  damnosae  nego- 
tiationis  cum  serpente;  quod  saepe  adhuc 
quibusdam  stultis  solet  evenire.  De  secun- 
do, Gen .,  III  :  «  Videns  mulier  lignum  quod 
esset  bonum  ad  vescendum,  et  pulchrum 
oculis,  aspectuque  delectabile,  tulit  de 
fructu,  et  comedit,  deditque  viro  suo,  »  et 
sic  ainbo  rapinam  commiserunt.  Hujus  ra- 
pinae  similitudinem  faciunt,  qui  in  usu 
creaturarum,  et  rerum  per  alium  justitise 
mensuram  excedunt.  De  tertio ,  Gen.,  II  : 
«  De  ligno  scientise  boni  et  mali  ne  come- 
das  :  in  quacumque  enirn  die  comederis  ex 
eo,  morte  morieris,  »  et  in  bouo  immorta- 
litatis  corporis.  Psalm.  XIII  :  «  Corrupti 


sunt ,  et  abominabiles  facti  sunt.  »  Sic  qui 
peccati  venenum  in  usum  sumunt,  animas 
occidunt  et  corrumpunt.  Igitur  contra  tri- 
plex vêtus  malum  institutum  est  hoc  sa- 
cramentum.  Luc,  XXII  :  «  Accipite  et  co- 
medite,  Hoc  est  corpus  meum ,  quod  pro 
vobis  tradetur  :  hoc  facite  in  meam  com- 
merationem.  »  Hoc  facite,  inquit,  in  meam 
commémorât ionem.  Ecce  prima  causa,  sci- 
licet memoria  Salvatoris  contra  oblivio- 
nem  :  Quod  pro  vobis  tradetur,  id  est,  ut 
agnus  Dei  ofïerretur.  Eccesecunda  causa , 
scilicet  sacrificium  altaris  contra  rapinam. 
Accipite  et  comedite.  Ecce  tertia,  scilicet 
cibus  medicinalis  contra  corruptionem. 
Memoria  ergo  Salvatoris  contra  oblivio- 
uem  est  prima  causa,  ut  hoc  scilicet  ad- 
moniti,  totam  mentem.  et  omnes  sensus 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  437 

atteindre  ,  et  crue  nous  reportions  entièrement  à  Dieu  tous  nos  sens  et 
tout  notre  esprit  que  nous  détournons  de  lui ,  et  que  parfois  nous 
laissons  divaguer  dans  des  pensées  et  des  délectations  mauvaises. 
De  là  il  dit  :  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi.  Eusèbe  dit  :  «  Parce  que 
après  la  manducation  de  son  corps ,  le  Seigneur  devoit  disparoitre 
de  devant  les  regards  des  hommes,  et  être  emporté  dans  les  cieux, 
il  étoit  par  conséquent  nécessaire  qu'au  jour  de  la  cène,  il  nous 
consacrât  le  sacrement  de  son  corps  et  de  son  sang,  pour  que  l'on 
offrît  perpétuellement  en  mystère  ce  corps  et  ce  sang  qu'il  offroit 
une  fois  comme  rançon,  et  que  la  mémoire  de  cette  victime  perpétuelle 
se^conseryàt ,  et  qu'elle  lut  continuellement  présente  par  la  grâce.  » 
Il  faut  remarquer  que  la  charité  du  Sauveur  nous  pousse  par  trois 
raisons,  à  ne  jamais  l'oublier  ;  ce  sont  la  rémission  des  péchés ,  le  ra- 
chat de  ceux  qui  étoient  insolvables ,  et  la  continuation  de  ses  bien- 
faits. Quant  à  la  première ,  il  est  écrit  dans  Tsaïe ,  XLIII  :  «  C'est  moi 
qui  efface  vos  iniquités  pour  l'amour  de  moi,  et  je  ne  me  souviendrai 
plus  de  vos  péchés,  ressouvenez-vous  de  moi.  »  Quant  à  la  seconde, 
il  est  écrit  Ecclésiastique,  chap.  XXIX  :*«  N'oubliez  jamais  la  grâce 
que  vous  fait  celui  qui  répond  pour  vous ,  de  manière  que  vous  l'ai- 
miez à  cause  d'elle ,  et  que  vous  lui  rendiez  par  vos  prières  et  vos 
bonnes  œuvres  ce  que  vous  lui  devez.  »  On  lit  au  livre  des  Cantiques, 
chap.  V  :  «  Ouvrez-moi,  ma  sœur,  mon  amie  ,  parce  que  ma  tête  est 
chargée  de  rosée,  et  mes  cheveux  des  gouttes  de  la  nuit.  »  Ouvrez- 
moi,  c'est-à-dire  recevez-moi  dans  votre  esprit,  dans  votre  mémoire 
et  votre  affection;  parce  que  ma  tête,  c'est-à-dire  ma  divinité,  est  pleine 
de  rosée,  c'est-à-dire  de  miséricorde  pour  remettre  les  péchés;  et  mes 
cheveux,  c'est-à-dire  mon  humanité,  des  gouttes  de  la  nuit,  c'est-à-dire 
de  la  sueur  des  larmes  que  j'ai  versées,  et  du  sang  que  j'ai  répandu 
pendant  ma  passion ,  pour  racheter  votre  héritage  qui  étoit  insol- 


nostros  quos  a  Deo  avertimus,  et  cum  pra- 
vis  quandoque  cogitationibus  et  delectatio- 
nibus  vagari  permisimus,  a  noxiis  abstra- 
hentes,  integraliter  ad  Deum  referamus. 
Hinc  dicit,  «  Hoc  facite  in  meam  comme- 
morationem.  »  Eusebius  :  «  Quia  corpus 
assumptum ,  Dorainus  ablaturus  erat  ab 
oculis,  et  illaturus  syderibus ,  necessarium 
erat  ut  die  cœnœ  sacramentum  nobis  sui 
corporis  et  sanguinis  consecraret ,  ut  offer- 
retur  jugiter  per  mysterium,  quod  offere- 
batur  semel  in  pretium,  et  perennis  victi- 
ma  viveret  in  memoria,  et  semper  praesens 
esset  in  gratia.  » 

Nota,  ad  habendam  semper  memoriam 
Salvatoris,  cogunt  nos  tria  argumenta  sua: 
charkatis,  scilicet  remissio  peccatorum,  re- 
demptio  impignoratorum,  continuatio  be- 


neficiorum.  De  primo,  lsaiœ,  XLIII  :  «  Ego 
sum  qui  deleo  iniquitates  tuas  propterme, 
et  peccatorum  tuorum  non  recordabor,  re- 
duc  me  in  memoriam.  »  De  secundo,  EccL, 
XXIX  :  «  Gratiam  fidejussoris  tui  ne  obli- 
viscaris,  quin  scilicet  eum  pro  ea  diligas,  et 
quin  orationibus  et  bonis  operibus  debitum 
ei  reddas.  »  Cant.,  V  :  «  Aperi  mini  soror 
mea,  arnica  mea,  quia  caput  meum  plénum 
est  rore,  et  cincinni  mei  guttis  noctium.  » 
Aperi  mihi,  id  est ,  suscipe  me  in  nientem 
tuam,  in  memoriam  et  dilection>;m ,  quia 
caput  meum,  scilicet  divinitas,  plénum  est 
rore,  id  est,  misericordia  ad  diinittendurn 
peccata  :  et  cincinni  mei,  id  est,  humanitas  : 
guttis  noctium,  id  est,  effusione  sudoris  la- 
crymarum,  et  sanguinis  passionum,  ad  re- 
dimendum  hœreditatem  tuam  pro  satisfac- 


438  OPUSCULE    LVIÏ,    CHAPITRE    1. 

vable  et  pour  la  satisfaction  de  vos  péchés.  Quant  à  la  troisième,  il  est 
écrit  au  Deutéronome ,  chap.  YIII  :  «  Prenez  garde  avec  un  soin  tout 
particulier  de  n'oublier  jamais  le  Seigneur  votre  Dieu,  et  de  ne  point 
négliger  ses  préceptes  ;  de  peur  qu'après  que  vous  aurez  mangé ,  que 
vous  aurez  bu,  que  vous  serez  rassasié,  et  que  vous  aurez  eu  de  toutes 
espèces  de  choses,  votre  coeur  ne  s'élève  et  que  vous  ne  vous  ressou- 
veniez plus  du  Seigneur  votre  Dieu.  »  Le  Commentaire  de  l'Ecclésias- 
tique, chap.  XVII,  dit  :  g  Comme  il  n'est  pas  un  instant  où  l'homme 
n'use  de  la  bonté  de  Dieu,  il  doit  aussi  l'avoir  toujours  présent  à  la 
mémoire.  »  )  ,Lpî> 

La  seconde  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement,  c'est  le  sacrifice 
de  l'autel,  contre  une  certaine  rapine  quotidienne  de  nos  péchés,  afin 
que  comme  le  corps  du  Seigneur  a  été  offert  une  fois  sur  la  croix 
pour  le  péché  originel,  il  soit  pareillement  offert  sans  interruption  sur 
l'autel  pour  nos  péchés  de  tous  les  jours,  et  qu'en  cela  l'Eglise  ait  pour 
apaiser  Dieu  un  don  qui  soit  et  plus  précieux  et  agréable  que  tous  les 
sacrifices  de  la  loi.  Il  est  écrit  dans  Malachie,  chap.  III  :  «  Le  sacrifice 
de  Juda  et  de  Jérusalem  sera  agréable  au  Seigneur,  comme  celui  du  roi 
et  de  la  milice  ;  »  c'est-à-dire  de  l'Eglise  du  Christ.  Le  pape  Alexandre 
dit  :  «  Il  ne  peut  rien  y  avoir  de  plus  grand  dans  les  sacrifices  de  l'Eglise 
que  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  Il  n'est  pas  d'oblation  qui  puisse 
lui  être  préférée ,  celle-ci  l'emporte  sur  toutes  les  autres;  il  faut  pour 
l'offrir  à  Dieu  que  la  conscience  soit  pure,  comme  il  faut  un  cœur  pur 
pour  la  recevoir.  Comme  ce  sacrifice  l'emporte  en  excellence  sur  les 
autres,  il  est  aussi  plus  digne  de  notre  vénération.  »  Pour  approuver 
ce  sacrifice  ,  il  faut  observer  qu'il  y  eut  trois  raisons  de  changer  l'an- 
cien sacrifice. 

La  première  se  tire  de  la  puissance  de  l'auteur  de  notre  sacrifice  , 
à  savoir  de  Jésus-Christ;  qui  non-seulement  parce  qu'il  est  Dieu  et  roi 
de  toute  la  terre,  mais  encore  parce  que  le  souverain  sacrifice  a  été 

tione  peccatorum  tuorum  impignoratam.  j  beat  in  hoc  Ecclesia  munus  ad  placandura 
De  tertio,  Deut.,  VIII  :  «  Observa,  et  cave,  !  sibi    Deum ,  super  omnia   legis   sacrificia 


ne  quando  obliviscaris  Domini  Dei  tui,  et    pretiosum  et  acceptum.  Malac.,\\l  :  «  Pla- 
negligas  mandata  ejus,  ne  postquam  corne-  j  cebit  Domino  sacrificium  Juda,  et  Hierusa- 


deris,  et  biberis,  et  satiatus  fuetis,  habue- |lem,  quasi    régis   et    militiae,»   id  est, 
risque  cunctarum  rerum  copiam ,  elevetur    Christi  Ecclesiœ.  Alexander  Papa  :  «  Nihil 


cor  tuum,  et  non  reminiscaris  Domini  Dei 
tui.  »  Glos.  Eccl.,  XVII  :  «  Sicut  nullum  mo- 
mentum  est,  quo  non  utitur  homo  Dei 
bonitate,  ita  semper  débet  esse  in  memoria 
prœsens.  » 

Secunda  causa  institutions,  est  sacrificium 
altaris  contra  quamdan  quotidianam  delic- 
torum  nostrorum  rapinam,  ut  sicut  corpus 
Domini  semel  oblatum  est  in  cruce  pro 
debito  originali,  sic  offeratur  jugiter  pro 
nostris  quotidianis  delictis  in  altari,  et  ha- 


in  sacrificiis  ecclesiœ  majus  esse  potest 
quam  corpus  et  sanguis  Christi.  Nec  ulla 
oblatio  hac  potior  est,  sed  omnes  prœcel- 
lit,  quœ  pura  conscientia  Deo  offerenda  est, 
et  pura  mente  sumenda.  Et  sicut  potior 
est  prœcœteris,  ita  potius  venerari  débet.  » 
Ad  hoc  sacrificium  approbandum,  notatur 
triplex  ratio  mutandi  vêtus  sacrificium. 
Prima  authoris  nostri  sacrificii  potentia 
scilicet  Christi,  qui  non  solum  ex  eo  quod 
est  Dominus  et  rex  univers*  terne  ,  sed  ex 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  439 

transféré  sur  lui ,  a  pu  et  dû  changer  le  sien  en  un  sacrifice  plus  par- 
fait. Il  est  écrit  Ps.  CIX  :  «  Le  Seigneur  a  juré,  et  il  ne  se  repentira  pas, 
etc.»  Il  ne  dit  point  selon  l'ordre  d'Aaron,  ou  selon  le  rit  des  Lévites 
qui  offrirent  les  chairs  des  boucs  et  des  taureaux  ;  niais  selon  l'ordre 
de  Melchisédech  qui  offrit  le  pain  et  le  \in.  Il  est  écrit ,  Hébreux , 
chap.  VIII  :  (c  Qu'il  fut  nécessaire  qu'un  nouveau  sacerdoce  selon 
l'ordre  de  Melchisédech  surgît,  et  qu'il  ne  devoit  pas  être  selon  l'ordre 
d'Aaron.  »  Le  sacerdoce  ayant  été  transféré  ,  la  loi  devoit  nécessaire- 
ment l'être  aussi.  Mais  il  est  évident  que  le  Seigneur  est  sorti  de  la 
tribu  de  Juda,  à  laquelle  d'après  la  loi  n'appartenoient  pas  les  prêtres. 
La  seconde  cause  qui  fit  changer  le  sacrifice,  c'est  l'exigence  de  nos 
dettes.  La  dette  de  nos  premiers  parents  étoit  si  grande ,  soit  à  cause 
de  la  rapine  et  de  l'ingratitude  du  ravisseur,  soit  à  cause  de  la  gran- 
deur de  celui  qui  avoit  été  lésé,  à  savoir  le  Créateur,  que  non-seule- 
ment les  sacrifices  de  la  loi,  mais  que  le  monde  entier  avec  toutes  les 
créatures  qu'elle  contient ,  étoit  insuffisant  à  payer  cette  même  dette. 
Il  est  écrit  dans  l'épître  aux  Hébreux  ,  chap.  X  :  «  Le  Christ  entrant 
dans  le  monde  dit  :  Vous  avez  rejeté  les  hosties  et  les  oblations ,  et 
vous  m'avez  donné  un  corps;  »  le  Commentaire  ajoute  ;  entrant  dans 
le  monde ,  c'est-à-dire ,  s'étant  fait  homme ,  dit  :  «  Vous  avez  rejeté 
l'hostie  des  animaux,  et  les  oblations  des  autres  choses;  »  c'est-à-dire, 
elles  ne  vous  ont  pas  été  agréables;  mais  vous  m'avez  donné  un  corps 
qui  l'emporte  sur  tous  les  autres  sacrifices,  parce  qu'il  est  exempt  de 
péché;  vous  me  l'avez  adapté,  c'est-à-dire  que  vous  me  l'avez  donné 
apte  et  propre  à  vivre ,  de  manière  qu'il  pût  être  offert  pour  la  ré- 
demption de  tout  ce  qui  existe.  Il  est  écrit  Ps.  LYIII  :  «  Ce  que  je  n'ai 
point  dérobé,  je  le  payois  alors;  »  c'est-à-dire  que  je  le  payois 
lorsque  j'offrois  sur  la  croix  un  sacrifice  suffisant  pour  payer  la  dette 
de  tous. 


summi  sacrificii  ad  eum  translatione,  potuit 
et  debuit  suum  in  melius  sacrificium  com- 
mutare.  Psalm.  CIX  :  «  Juravit  Dominus, 
et  non  pœnitebit  eum,  »  etc.  Non  dicit  se- 
cundum  ordinem  Aaron  vel  secundum  ri- 
tum  Levitarum,  qui  obtulerunt  carnes 
hircorum  et  taurorum,  sed  secundum  or- 
dinem Melchisédech,  qui  obtulit  panem  et 
■vinum.  Hebr.,  VIII  :  «  Quod  fuit  necessa- 
rium  secundum  ordinem  Melchisédech, 
alium  exsurgere  sacerdotem,  et  non  secun- 
dum ordinem  Aaron.  »  Translato  enim  sa- 
«erdotio,  necesse  est  utlegis  translatio  fiât. 
Manifestum  est  autem,  quod  ex  tribu 
Juda  ortus  est  Dominus,  de  qua  secundum 
legem  non  erant  sacerdotes.  Secunda  est 
debitorum  nostrorum  exigentia.  Tarn  ma- 
gnum enim  erat  debitum  primorum  paren- 


tum  ex  rapinse  magnitudine,  ex  raptoris 
ingratitudine,  ex  laesi,  scilicet  creatoris 
majestate,  quod  non  solum  legis  sacrificia, 
sed  totus  mundus  eum  omni  creatura  non 
suflicit  pro  satisfactione.  Ad  Hebr.,  X  : 
«  Ghristus  ingrediens  mundum,  dicit  : 
HostianTet  oblationem  noluisti,  corpus  au- 
tem aptastimihi.»  Glos.  :  Ingrediens,  id  est, 
homo  factus  dicit  :  Hostiam  de  animalibus, 
et  oblationem  de  aliis  rébus  noluisti,  id  est 
non  placuerunt  tibi  :  corpus  autem  quod 
prse  omnibus  sacrificiis  est,  quia  sine  pec- 
cato,  aptasti  mihi,  id  est,  aptum  et  ido- 
neum  dedisti  mihi  vivendo,  quod  omni  re  - 
demptione  valeat  offerri.  Psalm.  LVIII  : 
«Quae  non  rapui ,  tune  exsolvebam  ,  quan- 
do,»  scilicet  pro  debitis  omnium  sufliciens 
sacrificium  in  cruce  offerebam.  Tertia  ratio 


440  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    1. 

La  troisième  raison  de  changer  le  sacrifice ,  c'étoit  l'insuffisance 
des  sacrifices  de  la  loi;  et  cela  se  prouve  par  trois  raisons  :  à  savoir 
parce  qu'ils  n'étoient  pas  agréables  à  Dieu  ,  parce  qu'ils  n'effaçoient 
pas  le  péché,  et  parce  qu'ils  ne  conféroient  pas  la  grâce.  Et  d'abord, 
Jérémie  dit,  chap.  VI  :  «Vos  holocaustes  ne  me  sont  point  agréables, 
vos  victimes  ne  m'ont  pas  plu.  »  Il  est  dit  dans  Osée ,  chap.  VI  : 
«  C'est  la  miséricorde  que  je  veux  et  non  le  sacrifice.  »  Le  Psalmiste 
dit,  XXIX  de  la  seconde  :  «  Vous  n'avez  pas  demandé  d'holocauste  pour 
le  péché.  »  L'Apôtre  dit,  Rom.,  chap.  III  :  «  Nul  homme  ne  sera  jus- 
tifié devant  Dieu  par  les  œuvres  de  la  loi.  »  Le  même  Apôtre  dit  aux 
Hébreux,  chap.  X  :  «  Le  sang  des  boucs  et  des  taureaux  est  impuissant 
à  effacer  les  péchés.  »  Ezéchiel  XX  dit  de  la  troisième ,  :  «  Je  leur  ai 
donné  des  préceptes  qui  ne  sont  pas  bons,  et  des  ordonnances  où  ils 
ne  trouveront  pas  la  vie  ;  »  je  leur  ai  donné  des  préceptes  qui  ne  sont 
pas  bons,  c'est-à-dire  qui  sont  moins  bons,  et  des  sacrifices,  c'est-à-dire 
des  rits ,  où  ils  ne  trouveront  pas  la  vie;  parce  que  ces  sacrifices  ne 
conféreroient  pas  la  vie  de  la  grâce.  L'Apôtre  dit,  Hébreux,  chapitre 
XII  :  «  Que  l'ancienne  loi  a  été  aussi  réprouvée  à  cause  de  son  inuti- 
lité et  de  sa  foiblesse,  elle  l'a  pour  ainsi  dire  été  à  cause  de  sa  stérilité 
et  parce  qu'elle  ne  conféroit  pas  la  grâce .  » 

La  troisième  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement,  c'est  l'aliment 
de  l'homme.  Aliment,  dirai-je,  efficace  contre  la  corruption  du  fruit 
mortifère  ;  corruption  qui  s'étoit  si  bien  insinuée  dans  les  premiers 
parents  du  genre  humain,  qu'elle  eut  été  incurable,  si  on  n'eût  pas  eu 
recours  à  un  remède  si  efficace  que  la  prudence  de  Dieu  seul  pouvoit 
le  procurer.  Il  est  écrit  Ecclésiast.,  chap.  XXXVIil  :  «  Le  Très-Haut 
a  créé  un  remède  de  la  terre ,  »  c'est-à-dire  de  la  chair  de  la  Vierge, 
«  et  l'homme  prudent  n'en  aura  pas  horreur.»  Saint  Ambroise  dit  :  «  Le 
corpi~urè7esus-Cnrist  est  an  remède  spirituel,  qui  pris  avec  respect 


mutandi  est  ipsorum  sacrificiorum  legis 
insuffîcientia.  Et  hoc  probatur  a  tribus, 
q"uia  scilicet  Deo  non  placuerunt,  quia  pec- 
cata  non  abstulerunt,  quia  gratiam  non 
contulerunt.  De  primo.  Hier.,  VI  :  «  Holo- 
causta  vestra  non  sunt  accepta ,  victimœ 
vestrae  non  placuerunt  mihi.  »  Osec ,  VI  : 
«  Misericordiam  volo,  et  non  sacrificium.» 
De  secundo,  Psal.  XXIX  :  «  Holocaustum  et 
pro  peccato  non  postulasti.  »  Ad  Hou:.,  III  : 
«  Ex  operibus  legis,  non  justificabiturom- 
nis  caro  coram  Deo.  »  Ad  Heb.,  X .  «  Impos- 
sible est  sanguine  hircorum  et  taurorura 
auferri  peecata.  »  De  tertio,  Ezech.,  XX  : 
«  Dedi  prœcepta  non  bona ,  et  judicia  in 
quibiis  non  vivent;  »  prsecepta  non  bon, 
id  est,   minus  bona    et  sacrificia,  scilicet 


c«remonialia ,  in  quibus  non  vivent  quia 
vitam  gratise  non  conferebant.  Ad  Heb., 
XII  :  «  lleprobatio  quoque  fit  preecedentis 
mnndati  propter  infirmitatem  ejus,  et  inu- 
tilitatem,  quasi  propter  ejus  sterilitatem, 
quia  non  conferebat  gratiam.  »  Tertia  in- 
stitutions causa  est  cibus  hominis.  Cibus, 
inquam,  medicinalis  contra  pomi  mortiferi 
corrup!.ioi;em,  quae  tain  prava  infusa  est 
per  primos  parentes  humano  generi.  ut  es- 
set  incurabilis,  nisi  subveniretur  medicina 
optima,  quam  posset  facere  prudentia  Dei. 
Eccl.,  XXXVIII  :  «  Altissirnus  de  terra,  id 
est,  carne  Virginis,  creavit  medicinam,  et 
vir  prudens  non  abhorrebit  ea.  »  Ambre— 
sius  :  «  Corpus  Chiisti  medicina  spiritualis 
est,  quœcum  reverentia  degustata,  sibide- 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  441 

purifie  ceux  qui  lui  sont  dévoués.  »  Pour  connoître  la  raison  de  la  né- 
cessité du  remède  du  corps  de  Jésus-Christ,  en  tant  que  le  serpent 
infernal  a  insinué  dans  l'homme  par  le  poison  du  fruit  défendu ,  il 
faut  savoir  qu'il  a  insinué  en  lui  une  trip]e_corruption  ;  à  savoir,  les 
ténèbres  de  l'ignorance  dans  l'ame^dans  le  corps  la  maladie  d'une 
coo£uj^encje^ûvà^e,  et  la  mort  dans  l'un  et  l'autre.  C'est  contre 
cette  triple  corruption  qu'a  été  institué  comme  remède  le  sacrement 
du  corps  de  Jésus-Christ;  il  chasse  les  ténèbres  de  l'ignorance ,  il 
guérit  de  la  maladie  de  la  concupiscence ,  et  donne  la  mort  à  notre 
mort  On  peut  à  cause  de  ces  effets  le  comparer  à  une  nourriture  tri- 
plement douce  et  médicinale  ;  à  savoir  aujrmel  à  cause  du  premier, 
au  fruit  fin  figuier  pour  le  second,  et  au  fruit  de  la  vigne  pour  le  troi- 
sième. Quant  au  premier ,  il  est  écrit  Proverbes,  chapitre  XXXIV  : 
«  Mange,  mon  fils,  le  miel,  parce  qu'il  est  bon.  »La  douceur  du  miel 
signifie  celle  du  corps  de  Jésus-Christ.  Celui-ci  est  bon  parce  qu'il 
illumine  les  ténèbres  de  l'esprit.  Il  est  écrit  I  Rois,  chap.  XIV  :  «  Vous 
avez  vu  que  mes  yeux  ont  été  éclairés,  parce  que  j'ai  goûté  un  peu 
de  miel.  »  Jsaïe  dit,  chap.  VII  :  «  Quiconque  aura  été  laissé,  mangera 
le  beurre  et  le  miel  pour  qu'il  sache  réprouver  le  mal  et  choisir  le 
bien.  »  On  lit,  Ps.  XXVI  :  «  Le  Seigneur  est  ma  lumière,  etc..  Appro- 
chez-vous de  lui,  et  il  vous  éclairera.  »  Quant  au  second  ,  il  est  dit 
dans  Jérémie,  chap.  XXIV  :  «  Le  figuier  produit  de  bonnes  figues,  des 
figues  excellentes.  »  Ce  mot  figue  répété  deux  fois  exprime  la  douceur 
du  corps  de  Jésus -Christ  Dieu  et  homme  en  même  temps.  Ces  deux 
choses  sont  parfaites  l'une  et  l'autre,  parce  qu'elles  guérissent  l'esprit 
et  la  chair  de  la  maladie  de  la  concupiscence  mauvaise.  On  lit, 
IV  Rois,  chap.  XX  :  «  Isaïe  fit  apporter  une  quantitéjae  figue  s  ,  dès 
qu'il  les  eut  placées  sur  l'ulcère  du  roi,  il  fut  guéri.  »  L'ulcère  du  roi 
signifie  la  concupiscence  de  la  chair,  la  quantité  de  figues  le  corps  de 


votos  purificat.  Ad  cognoscenclum  ratio- ,  num  est,  quia  tenebras  mentis  illuminât 
nem  necessitatis  medicinse  corporis  Chris-  I  Regum.,  XIV  :  «  Vidistis,  quoniam  illumi- 
ti,  secundum  quod  serpens  malignus  infu-  nati  sunt  oculi  mei ,  eo  quod  gustaverim 
dit  homini  per  venenum  cibi  vetiti,  tripli-  j  paululumde  melle.  »  Esa.,  VII  :  «  Butyrum 

etmel  manducabit  omnis  qui  relictus  fue- 
rit,  »  ut  scilicet  sciât  reprobaremalum,  et 
eligere  bonum.  Psal.  XXVI  :  «Dominusil- 
luminatio  mea,  »  etc.  «  Accedite  ad  eum, 
et  illuminamini.»  De  secundo,  Hier.,  XXIV  : 
«  Ficus,  ficus  bonus,  bonas  valde.  »  Ficus  bis 
dicta?,  dulce  corpus  Christi  Dei,  et  hominis 
significant.  Hae  bis  bonœ  sunt  valde,  quia 
mentem  et  carnem  a  morbo  pravae  concu- 
piscentiae  sanant.  »  IV  lleyum,  XXI  :  «  Esaias 
jussit  aflerri  massam  ficorum,  quam  curn 
posuit  super  ulcus  régis,  curatusest.»Ulcus 
régis  est  concupiscentia  carnalis,  massa  fi- 


cem  corruptionem  in  anima,  scilicet  tene- 
bras ignorantiee,  in  corpore  morbum  pra- 
vae concupiscentiae,  et  mortem  utrobique.  » 
Contra  hoc  institutum  est  corporis  Christi 
medicamentum,  tenebras  ignorantiai  illus- 
trans ,  rnorbum  concupiscentiae  sanans ,  et 
mortem  nostram  mortiflcans.  Propter  haec 
tria  potest  comparari  triplici  dulci  cibo  et 
xnedicinali,  scilicet  melli  propter  priinum, 
ficui  propter  secundum,  fructui  uvae  prop- 
ter tertium.  De  primo  Proverb.,  XXXIV  : 
«  Comede,  fili,  mel,  quoniam  bonum  est.» 
Mel  corpus  Christi  dulce  significat.  Hoc  bo- 


s 


442  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    2. 

Jésus-Christ  qui  contient  la  douceur  d'une  infinité  dejnens  propres  à 
guérir  les  mauvais  désirs.  Pour  ce  qui  est  du  troisième,  il  écrit  dans 
saint  Luc,  chap.  I  :  «  Béni  le  fruit  de  voire  ventre;  »  à  savoir  le  corps 
de  Jésus-Christ ,  qui  est  le  fruit  de  vie  ,  fruit  assez  puissant  pour  dé- 
truire l'enfer  et  procurer  la  vie  éternelle.  On  lit,  Proverbes,  chap.  III  : 
«  Il  est  l'arbre  dejyie  pour  ceux  qui  l'auront  saisie,  »  c'est-à-dire  pour 
ceux  qui  auront  obtenu  la  sagesse  incarnée  de  Dieu.  C'est  pour  cela 
qu'il  est  dit  dans  Osée ,  chap.  XIII  :  «  Je  serai  ta  mort ,  ô  mort!  »  Il 
est  dit  dans  saint  Jean,  chap.  YI  :  «  Je  suis  le  pain  de  vie,  etc..  Celui 
qui  mange  ma  chair,  etc..  »  Il  est  encore  dit  :  «  Celui  qui  me  mange 
vivra  pour  moi.  »  Saint  Hilaire  dit  :  «  Lorsqu'on  a  reçu  la  chair  de 
Jésus-Christ  et  qu'on  a  bu  son  sang,  il  en  résulte  que  nous  sommes  en 
lui ,  et  qu'il  est  en  nous.  »  La  source  de  notre  vie  vient  donc  de  ce 
que  Jésus-Christ,  qui  est  véritablement  la  vie,  demeure  en  nous  qui 
sommes  charnels ,  par  sa  chair,  et  que  nous  devons  vivre  par  lui , 
comme  il  vit  lui-même  par  son  Père  qui  demeure  en  lui. 


CHAPITRE  IL_ 

La  'première  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement,  c'est  le  souvenir  du 
Sauveur,  en  lui-même,  et  la  préparation  à  son  jugement. 

«  Venez,  mangez  le  pain  de  vie,  etc..  Votre  affaire,  etc..  »  Argu- 
ment spécial.  Il  est  aussi  écrit  :  «  En  souvenir  éternel.  Faites  ceci  en 
mémoire  de  moi,  »  et  dans  saint  Luc,  chap.  XXII  :  «  L'objet ,  etc..  » 
Il  est  aussi  écrit  :  «  Soyez  prêts,  car  à  l'heure  que  vous  ignorez,  » 
Luc ,  chap.  XII.  La  première  cause  de  l'institution  du  sacrement  du 
corps  du  Seigneur,  c'est  le  souvenir  du  Sauveur.  On  peut  sur  ce  point 
rechercher  quatre  choses.  1°  Quel  mal  il  résulte  de  l'oubli  du  Sei- 


corum  corpus  Christi ,  continens  dulcedi- 
nem  multorum  bonorum  ad  medicinam 
malorum  desideriorum.  De  tertio,  Luc.,  I  : 
«  Benedictus  fructus  ventris  tui,  »  corpus, 
scilicet  Christi,  quod  est  fructus  vitse,  va- 
lensad  destructionem  gehennse,  etacquisi- 
tionem  vitse  seternae.  Proverb., III  :  «Lignum 
vitee  est  his,  qui  apprehenderint  eam,  » 
scilicet,  sapieiitiam  Dei  incarnatam.  Hinc 
dicitur  Osée ,  XIII  :  «  Ero  mors  tua  o  mors. 
Joun.,  VI  :  «  Ego  sum  panis  vitee,  etc.  Qui 
manducat  meam  carnem,  »  etc.  Item  : 
«  Qui  manducat  me,  vivet  propter  me.  » 
Hilarius  :  «  Accepta  carne  Dornini,  et  haus- 
to  sanguine,  id  efficitur  ut  nos  in  ipso,  et 
ipse  in  nobis  sit.  »  Haec  est  ergo  causa  vitee 
nostrœ,  quod  in  nobis  carnalibus  per  car- 


nem Christum ,  qui  vere  vita  est ,  ma. 
nentem  habemus ,  victuri  per  eum  ea 
conditioue,  qua  vivit  ipse  per  Patrem  qui 
in  eo  est. 

CAPUT  II. 

De  prima  causa  inslilulionis  per  se  memoria 
Salvatoris ,  et  de  prœparatione  ejus  ad 
judicium. 

«  Venite,  comedite  panem,  »  etc.,  cau- 
sant tuam,  etc.  Spéciale.  Item,  in  memo- 
ria aeterna.  «  Hoc  facite  in  meam  comme- 
morationem,  »  Luc,  XXII  :  Thema.  Item, 
«  Estote  parati,  quia  qua  hora.  »  Luc,  XII  - 
Prima  causa  institutionis  sacramenti  domi- 
nici  corporis,  est  memoria  Salvatoris, 
circa  quam  tria  possunt  queeri.  Primo,  quid 


»  SUR   LE   SACREMENT    DE    l'âUTEL.  443 

gneur.  Il  faut  répondre  qu'il  en  résulte  trois  espèces  de  maux ,  qui 
sont  la  perte  de  la  grâce  divine,  la  soumission  au  pouvoir  du  démon, 
et  la  difformité  énorme  du  péché.  Quant  au  premier  mal,  il  est  écrit 
dans  le  Deutéronome,  chap.  XXXII  :  «  C'est  Dieu  qui  vous  a  engendré, 
et  vous  l'avez  abandonné,  etc..  »  Et  il  dit  :«  Je  cacherai  ma  face,  et 
je  considérerai ,  »  c'est-à-dire  je  retirerai  ma  grâce.  Là  où  te  source 
se  tarit,  le  ruisseau  dessèche.  Isaïe  dit,  chap.  XVII  :  «  Tu  seras  déserte, 
parce  que  tu  as  oublié  Dieu  ton  créateur.  »  Il  est  écrit  Ecclésiastique, 
chap.  XX  :  «  La  prière  des  insensés  s'écoulera  comme  l'eau.  »  Quant 
au  second  mal,  il  est  écrit  au  livre  des  Juges,  chap.  IV  :  «  Ils  ont 
oublié  leur  Dieu  et  il  les  a  livrés  aux  mains  de  Sisara;  »  c'est-à-dire  au 
pouvoir  du  démon.  Tobie  dit ,  chap.  VI  :  «  Ceux  qui  contractent  ma- 
riage de  manière  à  éloigner  Dieu  et  d'eux  et  de  leur  esprit  ;  c'est  sur 
ceux-là  que  le  démon  a  pouvoir.  »  Pour  ce  qui  est  du  troisième  mal 
qui  résulte  de  cet  oubli,  l'Apôtre  dit,  Rom.,  chap.  I  :  «  Comme  ils  n'ap- 
prouvèrent, »  c'est-à-dire  ne  voulurent  pas  connoître  Dieu,  «  il  les  a 
abandonnés  à  leur  sens  réprouvé,  pour  qu'ils  fassent  ce  qu'ils  ne  con- 
vient pas;  »  et  ceci,  hélas!  a  souvent  lieu  jusqu'à  la  mort.  On  lit, 
Ps.  IX  :  «  Il  n'y  a  pas  de  Dieu  à  ses  yeux,  etc..  »  Et  dans  Joël,  ch.  I  : 
«  Les  bêtes  de  somme  sont  pourries  dans  leurs  ordures.  »  Les  bêtes 
de  somme  impudiques  et  privées  de  sens ,  sont  les  hommes  insensés 
et  charnels,  qui  n'ont  jamais  Dieu  présent  à  leurs  yeux.  Pourrir  de  la 
sorte  sur  ses  ordures,  c'est  terminer  sa  vie  dans  la  luxure  et  les  autres 
péchés. 

2°  On  demande  quelles  sont  les  choses  concernant  le  Sauveur  dont  il 
ne  faut  pas  perdre  le  souvenir.  On  répond  qu'il  y  en  a  trois,  ce  sont  le 
passé,  le  présent  et  l'avenir.  Pour  ce  qui  concerne  le  passé,  il  faut  se 
rappeler  le  Sauveur  comme  notre  rédempteur;  parce  que  son  infinie 
charité  l'a  fait  nous  délivrer  par  sa  mort  d'une  mauvaise  mort.  Pour 


mali  sequitur,si  memoriaDominifuerit  re- 
licta.  Et  dicendum  quod  triplex,  scilicet 
amissio  gratiae  divinœ,  subjectio  potestatis 
diabolicae,  magna  deformitas  culpœ.  De 
primo,  Deut.,  XXXII  :  «  Deum  qui  te  ge- 
nuit,  dereliquisti,  »  etc.  Et  ait,  «  Abscon- 
dam  faciem  meam,  et  considerabo,  »  idest 
subtraham  gratiam.  Ubi  [fons  périt,  rivus 
arescit.  Esaiœ,  XVII  :  «  Eris  déserta,  quia 
oblita  es  Dei  creatoris  tui.  »  Ecclesiastici, 
XX  :  «  Oratio  fatuorum  effundetur.  »  De 
secundo,  Judic,  IV  :  «  Obliti  sunt  Dei  sui, 
et  tradidit  eos  in  manus  Sisarae,  »  id  est, 
potestati  diaboli.  Tobiœ,  VI  :  «  Qui  conjugia 
ita  suscipiunt  ut  Deum  a  se  et  a  sua 
mente  excludant,  in  his  habet  potestatem 
dsemon.  »  De  tertio  ad  Rom.,  I  :  «Sicut  non 


probaverunt,  »  id  est  noluerunt  Deum  ha- 
bere  in  notitia,  «  tradidit  illos  in  reprobum 
sensum,  ut  faciant  ea  quae  non  conveniunt. 
Et  heu  !  hoc  ssepe  fit  usque  ad  mortem.  » 
Psal.  IX  :  «  Non  e§t  Deus  in  conspectu 
ejus,  »  etc.  Ioel,  I  :  «  Gomputruerunt  ju- 
menta  in  stercore  suo.  »  Jumenta  impu- 
dica,  et  insipientia  sunt  homines  stulti, 
carnales,  Deum  pvae  oculis  non  habentes. 
Hujusmodi  stercore  suo  putrescere,  est  in 
luxuria  et  aliis  peccatis  vitam  finire. 

Secundo,  quaeritur  de  quibus  de  nostro 
Salvatore  memoria  sit  habenda  :  Et  dicen- 
dum de  tribus,  de  praeterito,  de  praesenti, 
de  futuro.  De  praeterito,  ut  nostri  redemp- 
toris,  quia  propter  nimiam  charitatem  a 
morte  mala',  morte  sua  liberavit  nos.  De 


444  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    2. 

le  présent,  il  faut  se  le  rappeler  comme  voyant  tout,  comme  voyant 
toujours  par  sa  présence  cachée  toutes  nos  actions.  Pour  ce  qui  est  de 
l'avenir,  il  faut  nous  le  rappeler  comme  un  juge  équitable,  qui  par  sa 
toute  puissance  jugera  toute  mauvaise  action  qui  n'aura  pas  été  expiée. 
Pour  le  premier  point,  il  est  écrit  dans  Jérémie ,  Lament.,  chap.  III  : 
<c  Souvenez-vous  de  la  pauvreté  où  je  suis,  de  l'excès  de  mes  maux,  » 
c'est-à-dire  de  ma  profonde  humiliation ,  de  l'absynthe  et  du  fiel  où 
je  suis  plongé;  c'est-à-dire  de  l'amertume  de  ma  passion.  Ezéchiel 
dit,  chap.  IX  :  «  Marquez  un  signe  Thau  sur  le  front  des  hommes 
qui  gémissent  et  qui  sont  dans  la  douleur  de  voir  toutes  les  abomina- 
tions qui  se  commettent  dans  cette  ville.  »  Le  Thau  a  la  figure  de  la 
croix,  c'est-à-dire  qu'il  rappelle  la  passion  du  Christ  que  les  bons  ne 
doivent  jamais  bannir  de  leur  esprit.  Quant  au  second  point,  il  est  écrit 
Psaume  XCIX  •  «  Sachez  que  le  Seigneur  lui-même  est  Dieu,  à  savoir 
qu'il  est  partout ,  qu'il  voit  tout  et  que  tout  lui  est  connu.  »  C'est  ce 
qui  faisoit  dire  au  Psalmiste,  Ps.  XV  :  «  Je  regardois  le  Seigneur,  et 
Pavois  toujours  présent  devant  les  yeux.  »  Il  est  écrit  Ecclésiastique, 
chap.  XXXIX  :  «  L'œuvre  de  toute  chair  est  présent  à  la  vue  du  Sei- 
gneur, et  rien  n'est  caché  à  ses  yeux.  »  On  lit  dans  le  Cantique  des 
Cantiques,  chap.  II  :  «  Voici  qu'il  se  tient  mi-même  derrière  notre 
muraille  ;  »  c'est-à-dire  qu'il  est  revêtu  du  mur  de  notre  chair  ;  «  il 
regarde  à  travers  les  fentes  ;  »  parce  que  bien  que  caché  intérieure- 
ment et  que  nous  ne  puissions  pas  le  voir,  il  voit  néanmoins  toutes  nos 
œuvres.  Pour  ce  qui  est  du  troisième  point ,  le  prophète  Isaïe  dit, 
chap.  XXX  :  «  Voilà  la  majesté  du  Seigneur  qui  vient  de  loin  ,  il  pa- 
roîtra  dans  une  fureur  ardente  dont  nul  ne  pourra  soutenir  l'effet.  » 
Voilà  qu'il  vient;  c'est-à-dire  tenez-vous  sur  vos  gardes,  car  bientôt  il 
viendra  pour  le  juste  jugement.  Il  est  dit  dans  saint  Matthieu,  chap. 
XXIV  :  «  Veillez,  etc..  »  Saint  Jérôme  s'exprime  en  ces  termes  : 


prœsenti,  ut  omnium  inspectons,  qui  per 
occultam  praesentiam  omnia  nostra  semper 
cernit.  De  futuro,  ut  justi  judicis,  qui  per 
omnipotentiam  suam  omne  pravum  incor- 
rectum  districtejudicabit.  De  primo,  Tre- 
norum,  III  :  «  Recordare  paupertatis  meee, 
et  transgressionis,  »  id  est,  maximae  hu- 
imliationis.  «  Absynthii  et  i'ellis,  »  id  est , 
amarœ  passioiùs.  Ezech.,  IX  :  «  Signa  Thau 
super  frontes  virorum  dolentium ,  et  ge- 
mentium  super  cunctis  abominationibus, 
quœ  fiunt  in  civitate  hac.  »  Thau,  figuram 
crucis  habet,  id  est,  passionis  Christi,  quae 
semper  est  bonis  in  mente  ferenda.  De  se- 
cundo, Psalm.  XCIX  :  «  Scitote  quoniam 
Dominus  ipse  est  Deus  omnia  scilicet  im- 
plens,    omnia  videns,  ubique  preesens.  » 


Hinc  ait  :  «  Providebam  Dominum  in 
conspectu  meo  semper.  »  Psalm.  XV  : 
Eccl.,  XXXIX  :  «  Opéra  ornnis  carnis  coram 
Domino,  et  non  est  quicquam  absconditum 
ab  oculis  ejus.  »  Cant.,  II  :  «  En  ipse  stat 
post  parietem  nostrum,  »  id  est,  indutus 
pariete  carnis  nostrae  :  «  prospiciens  per 
cancellos,  »  quia  licet  intus  degens  occultus 
a  nobis  videri  non  possit,  tamen  omnia 
nostra  videt. 

De  tertio, .  Isai.,  XXX  :  «  Ecce  nomen 
Domini  venit  de  longinquo ,  ardens  furor 
ejus  et  gravis  ad  portandum.»  Ecce  venit, 
id  est  attendite  ,  quia  cito  veniet  ad  des- 
trictum  judicium.  Matth.,  XXIV  :  «  Vigi- 
late,  etc.  »  Hieronymus  :  «  Sive  comedo, 
sive  bibo,  sive  aliquid  aliud  facio  ,  semper 


SUR   LE    SACREMENT    DE   L'AUTEL.  445 

«  Que  je  boive,  que  je  mange,  quelque  chose  que  je  fasse ,  j'entends 
toujours  retentir  à  mes  oreilles  comme  le  bruit  éclatant  de  la  trom- 
pette, cette  voix  terrible  :  levez-vous  morts,  venez  au  jugement.  »  Il 
est  dit  en  même  temps  de  ces  trois  points,  Psaume  CX  :  «  Le  Seigneur 
a  rappelé  la  mémoire  de  ses  merveilles ,  »  comme  s'il  disoit  :  Le 
Seigneur  nous  a  donné  une  nourriture  ,  c'est-à-dire  qu'il  s'est  donné 
lui-même  pour  perpétuer  le  souvenir  de  ses  merveilles  :  de  ses  mer- 
veilles passées ,  de  nous  avoir  racheté  ;  de  ses  merveilles  présentes, 
parce  qu'il  voit  tout  ce  qui  se  passe  en  nous;  des  merveilles  futures] 
de  ce  qu'enfin  il  jugera  sévèrement. 

3°  On  demande  à  quoi  sert  le  souvenir  de  notre  Sauveur.  On  répond 
qu'il  sert  à  trois  choses.  Le  souvenir  de  la  première  de  ces  choses ,  à 
savoir  de  la  passion  de  Jésus-Christ,  sert  à  enflammer  notre  cœur  de 
son  amour.  Le  souvenir  de  la  seconde ,  à  savoir  de  la  vue  continuelle 
qu'il  a  sur  nous  ,  sert  à  nous  préserver  du  péché.  Le  souvenir  de  la 
troisième ,  c'est-à-dire  du  jugement  sévère  ,  nous  fait  faire  des  efforts 
pour  nous  préparer  au  jugement  futur.  Le  souvenir  de  la  première  de 
ces  choses  nous  fait  aimer  le  bien  ,  celui  de  la  seconde  nous  fait  dé- 
tester le  mal ,  celui  de  la  troisième  nous  fait  précautionner  contre  un 
danger  imminent.  Quant  au  premier  souvenir,  saint  Luc  dit,  ch.  XII  : 
«  Je  suis  venu  apporter  le  feu  sur  la  terre,  mon  désir  n'est-il  pas  qu'il 
brûle?  »  Je  suis  venu  apporter  le  feu,  c'est-à-dire ,  j'ai  apporté  sur  la 
terre  comme  cause  d'amour  le  bienfait  de  ma  passion  ;  si  on  en  con- 
serve un  pieux  souvenir,  elle  enflammera  le  cœur  d'un  amour  im- 
mense. Il  est  dit  Psaume,  XXXVIII  :  «  Mon  cœur  s'est  enflammé  au 
dedans  de  moi,  etc..  »  Saint  Bernard  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Le 
calice  que  vous  avez  bu,  œuvre  de  ma  rédemption,  vous  a  rendu 
pour  moi,  ô  bon  Jésus  !  aimable  par-dessus  toute  chose.  »  Le  même 
saint  dit  encore  :  «  Plus  le  Seigneur  s'est  abaissé  pour  moi ,  plus  il 
m'est  devenu  cher.  »  Pour  ce  qui  est  du  souvenir  de  la  seconde ,  il 


dum.  Tertiœ  rei ,  scilicet  district!  judicis, 
valet  ad  excitandum  nos  ut  praepareinur 
contra  futurum  judicium.  Primum  facit 
nos  bonum  diligere  ;    secundurn,   malum 


intonat  in  auribus  meis  quasi  tuba  vehe- 
mens,  vox  illa  terribilis  :  Surgite  mortui, 
venite  ad  judicium.  »  De  omnibus  tribus 
simul,  Psalm.  GX  :  «  Memorium  fecit  mi- 

rabilium  suorum ,  »  quasi  diceret  :  Domi- 1  odire  ;  tertium,  imminens  periculum  prae 
nus  dédit  nobis  escam,  scilicet  seipsum  ad  I  cavere.  De  primo,  Luc,  XII  :  «  Ignem  veni 
memoriam  suorum  mirabilium  praeterito-  I  mittere  in  terram,  etquid  volo  nisi.utar- 
rum,  quod  nos  redemit  ;  prœsentium,  quod  deat  ?  »  Ignem  veni,  id  est,  causam  amoris 
omnia  nostra  respicit  ;  futurorum ,  quod  |  misi  in  mundum  beneiicio  passionis ,  quae 
districte  tandem  judicabit.  Tertio,  quseri-  j  si  pie  recordata  fuerit ,  amore  magno  cor 
tur  quid  valeat  memoria  nostri  Salvatoris.  j  accendit.  Psalm.  XXXVIII  :  «  Concaluit 
Dicendum  ad  tria.  Primœ  enim  rei  mémo-  ]  cor  meum  intra  me,  »  etc.  Bernardus  : 
ria,  scilicet  passionis  Christi,  valet  ad  cor  |  «  Super  omnia  te  mihi  reddit  amabilem, 
nostrum  ejus  amore  inflammandum.  Se- 1  Jesu  bone  ,  calix  quem  bibisti  ,  opus  re- 
cundae  rei ,  scilicet  ejus  continua?  inspec-  j  demptionis  meœ.  »  Idem  :  «  Quanto  pro 
tionis,  valet  ad  nos  a  peccato  custodien-l  me  Dominus  factus  est  vilior ,  tanto  mihi 


446  OPUSCULE    LVI,    CHAPITRE    2. 

est  écrit  Prov. ,  chap.  VIII  :  «  La  crainte  du  Seigneur  fait  haïr  le  mal.  » 
La  crainte,  dirai-je,  par  laquelle  l'esprit  considère  Dieu  comme  toujours 
présent  et  comme  voyant  toute  chose  préserve  du  péché,  et  vice  versa. 
Il  est  écrit  Eccli.,  ch.  XXIII  :  «  Tout  homme  qui  viole  la  foi  du  lit  cou- 
jugal,  méprise  son  ame;  »  et  il  dit  :  «  Qui  est-ce  qui  me  voit  ?  Les  té- 
nèbres m'environnent,  les  murailles  me  couvrent,  etc.  »  il  ne  com- 
prend pas  cet  homme  là,  comment  l'œil  de  Dieu  voit  tout,  et  il  bannit 
de  son  cœur  la  crainte  de  ce  même  Dieu.  Ezéchiel.dit,  chap.  VIII  : 
«  Fils  de  l'homme  ,  vous  avez  vu  d'une  manière  certaine  ce  que  les 
vieillards  font  dans  les  ténèbres.  Car  ils  disent  :  Le  Seigneur  ne  voit 
pas.  »  Le  Commentaire  ajoute  :  «  Si  nous  nous  rappellions  sans  cesse 
que  le  Seigneur  est  toujours  présent,  qu'il  voit  tout,  qu'il  juge  tout, 
nous  ne  pécherions  jamais  ou  presque  jamais.  »  Boëce  dit  :  «  Nous 
sommes  dans  la  nécessité  de  bien  vivre,  puisque  tout  ce  que  nous  fai- 
sons, s'accomplit  sous  les  yeux  d'un  juge  à  qui  rien  n'échappe.  »  Pour  ce 
qui  est  du  souvenir  de  la  troisième  chose,  il  est  écrit  Exode,  ch.  XIX  : 
«  Sanctifiez  le  peuple  ;  et  qu'ils  soient  prêts  pour  le  troisième  jour; 
car  le  troisième  jour  le  Seigneur  descendra  en  présence  de  tout  le 
peuple.  »  Ce  qui  est  comme  s'il  disoit  :  Souvenez-vous  que  le  Sei- 
gneur irrité  viendra  pour  le  jugement  rigoureux;  préparez-vous  donc 
pour  le  troisième  jour.  Le  premier  jour  est  celui  de  notre  naissance, 
le  second  le  temps  que  nous  passons  sur  la  terre ,  le  troisième ,  celui 
de  notre  mort,  où  de  l'arrivée  du  jugement  rigoureux.  Saint  Luc  dit, 
chap.  XII  :  «  Soyez  prêts.  »  On  doit  remarquer  trois  choses  relativement 
à  la  préparation  au  jugement;  ce  sont  le  mode,  la  prévision  d'échap- 
per aux  châtiments  réservés  à  ceux  qui  ne  sont  pas  préparés,  l'avan- 
tage qu'il  y  a  de  posséder  la  vie  éternelle  avec  ceux  qui  sont  préparés. 
Quant  au  premier  point,  il  est  écrit  Ecclésiastique,  chap.  XVIII  : 
«  Avant  le  jugement,  rendez-vous  la  justice  propice;  »  à  savoir  en  fai- 


factus  est  carior.  »  De  secundo  ,  Prov., 
VIII  :  «  Timor  Domini  odit  malum.  »  Ti- 
mor, inquam,  quo  mens  semper  Deum 
praesentem  et  omnia  videntem  attendit,  a 
peccato  custodit,  hinc  e  converse  Eccles., 
XXIII  :  «  Omnis  homo  qui  transgreditur 
lectum  suum  ,  contemnens  in  animam 
suam,  dicens  :  Quis  me  videt  ?  tenebrse 
circumdant  me ,  non  inteliigit  quoniam 
omnia  videt  oculus  Domini,  et  expellit  a  se 
timorem  Dei.  »  Ezech.,  VIII  :  «  Certe  vi- 
disti,  fili  hominis,  quse  seniores  faciunt  in 
tenebris.  Dicuntenim,  non  videt  Dominus.» 
Glossa  :  «  Si  Dominum  praesentem  et  om- 
nia videntem  et  judicantem ,  semper  cogi- 
taremus,  aut  vix  aut  nunquam  peccare- 
mus.  »  Boetius  :  «  Magna  nobis  indicta  est 
nécessitas  bene  vivendi ,  cum  agamus  om- 


nia ante  oculos  judicis  cuncta  cernentis.  » 
De  tertio,  Exod.,  XIX  :  «  Sanctifica  popu- 
lum ,  et  sint  parati  in  diem  tertium  ;  die 
enim  tertio  descendet  Dominus  coram  om- 
ni  plèbe  ,  »  quasi  diceret  :  Mementote, 
quia  Dominus  terribilis  descendet  ad  dis- 
trictum  judicium,  et  ideo  estote  parati  in 
diem  tertium.  Primus  dies  est  dies  nostrae 
nativitatis,  secundus  nostrœ  conversationis, 
tertius  dies  mortis,  vel  adventus  districti 
judicii.  Lac.,  XII  :  «  Estote  parati.  »  In 
praeparatione  ad  judicium  debent  tria  no- 
tari ,  scilicet  modus,  providentia  non  prae- 
paratorum  pœnam  evadere  ,  lucrum  cum 
prœparatis  vitam  aeternam  possidere.  De 
primo,  Eccles.,  XVIII  :  «Ame  judicium 
praepara  justitiam  tibi ,  »  scilicet  pœniten- 
tiam  agendo.  Matth.,  III  :  «  Pœnitentiam 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  447 

saut  pénitence.  Il  est  dit  dans  saint  Matthieu  ,  cli.  III  :  «  Faites  péni- 
tence, le  royaume  du  ciel  est  proche;  »  c'est-à-dire  le  jugement  équi- 
table du  roi  du  ciel.  Joël  dit,  chap.  II  :  «  Le  jour  du  Seigneur  est 
grand,  il  est  terrible,  qui  pourra  le  supporter  ?  »  Le  Seigneur  dit  donc 
maintenant,  «  convertissez-vous  à  moi,  etc..  »  comme  s'il  disoit  :  Pré- 
parez-vous au  jour  du  Seigneur  par  la  pénitence  et  par  la  fuite  des 
péchés  du  monde.  Pour  ce  qui  est  du  second;  il  est  écrit  dans  l'A- 
pocalypse, chap.  XVIII  :  «  Sors  deBabylone,  ô  mon  peuple!  pour  ne 
pas  participer  à  ses  crimes,  et  pour  échapper  à  ses  châtiments!  » 
Sortez  de  Babylone ,  c'est-à-dire  préparez-vous  au  jugement  par  la 
pénitence  et  par  la  fuite  des  péchés  du  monde;  c'est  par  une  telle  pré- 
voyance que  vous  échapperez  à  ses  châtiments.  On  Ut  dans  saint  Luc, 
chap.  XII  :  «  Si  le  père  de  famille  savoit,  etc..  »  Le  Commentaire 
ajoute  :  «  L'ignorance  du  père  de  famille  fait  que  le  voleur  fait  inva- 
sion dans  la  maison  ;  parce  que  pendant  que  l'esprit  ne  veille  point 
à  sa  propre  garde,  la  mort  de  la  chair  que  l'on  ne  prévoyoit  pas  s'em- 
pare de  la  demeure  et  précipité  l'ame  dans  les  supplices.  »  Mais  il  résis- 
teroit  au  voleur,  s'il  veilloit,  et  s'il  se  précautionnoit  contre  l'arrivée 
secrète  et  imprévue  du  juge,  s'il  alloit  à  sa  rencontre  par  la  pénitence  ; 
et  par  là  il  échapperoit  au  châtiment  de  ceux  qui  dorment ,  c'est-à- 
dire  qui  ne  sont  pas  préparés .  Quant  au  troisième ,  on  ht  dans  saint 
Matthieu,  chap.  XV  :  «  Pendant  que  les  vierges  folles,  »  c'est-à-dire  , 
les  âmes  qui  ne  sont  pas  préparées ,  allèrent  acheter  au  marché  du 
démon  avec  Eve ,  ou  Diane  ;  à  ce  marché  où  l'on  donne  beaucoup  de 
besogne  pour  peu  de  chose,  l'époux  vint,  et  celles  qui  étoient 
prêtes,  etc..  Voici  le  triple  avantage  que  procure  la  préparation  au 
jugement;  ce  sont,  la  possession  du  royaume  du  ciel,  la  société  inef- 
fable de  l'époux,  et  la  jouissance  de  toute  espèce  de  biens.  On  peut 
ici  remarquer  trois  choses  ;  premièrement,  elles  entrèrent,  seconde- 


agité.  Appropinquabit  enim  regnum  cœlo- 
rum,  »  idest,  régis  cœlestis  judicium  jus- 
tum.  Joël,  II  :  «  Magnus  dies  Domini  et 
terribilis  valde,  quis  sustinebit  eum  ?  Nunc 
ergo  dicit  Dominus  :  Convertimini  ad 
me,  »  etc.,  quasi  diceret  :  Apparate  vos 
ad  diem  Domini  pœnitentiam  agendo ,  et 
peccata  mundi  non  faciendo.  De  secundo, 
Apoc,  XVIII  :  «  Exite  de  Babylone ,  popule 
meus,  et  ne  participes  sitis  delictorum 
ejus,  et  de  plagis  ejus  non  accipietis.  » 
Exite  de  Babylone,  id  est ,  praeparate  vos 
ad  judicium  pœnitentiam  agendo,  et  pec- 
cata mundi  non  faciendo  ;  et  per  talem 
providentiam  evadetis  ejus  pœnam.  Luc., 
XII  :  «  Si  sciret  paterfamilias  ,  »  etc. 
Glossa  :  «  Nesciente  patrefamilias,  domum 


fur  perfodit,  quia  durn  a  sui  custodia  spi- 
ritus  dormit,  improvisa  mors  carnis  habi- 
tacuium  irrumpit,  et  animam  ad  supplicia 
trahit.  »  Furi  autem  resisteret,  si  vigilaret 
et  adventum  judicis  occulte  prsevenien- 
tem  praecavens,  judici  pœnitendo  occurre- 
ret,  et  sic  utique  dormientium,  id  est,  non 
praeparatorum  pœnam  evaderet.  De  tertio, 
Matth.,  XXV  :  «  Cum  fatuae  virgines,  »  id 
est ,  animée  non  paratœ ,  irent  eniere  ad 
forum  diaboli  cum  Eva  ,  vel  cum  Diana , 
ubi  pro  modica  re  dant  multa  bona,  venit 
sponsus,  et  quœ  paratae  erant,  »  etc.  Ecce 
triplex  lucrum  prœparationis  ad  judicium, 
çcilicet  possessio  cœleslis  regni  ,  societas 
âmabilis  sponsi  ,  deliciœ  totius  boni.  Pri- 
mum  notatur  ibi,  Intraverunt  ;  secundum 


448  OPUSCULE    LVII,   CHAPITRE    3. 

ment,  avecV  époux ,  troisièmement,  aux  noces. _U  est  dit  de  la  pre- 
mière dans  saint  Matthieu,  chap.  XXV  :  «  Venez  les  bénis  de  mon 
Père.  »  Il  est  dit  de  la  seconde,  I  Thés.,  chap.  IV  :  «  Nous  serons  tou- 
jours avec  le  Seigneur,  sans  lui  nulle  part  on  n'est  bien,  avec  lui  nulle 
part  on  ne  pourra  être  mal.  »  On  lit  dans  saint  Jean,  chap.  XVII  : 
«Mon  Père,  ceux  que  vous  m'avez  donnés,  je  veux,  etc.,  qu'ils 
voient  la  lumière  que  vous  m'avez  donnée.  »  Il  est  dit  de  la  troisième 
dans  Isaïe ,  chap.  LXVI  :  «  Réjouissez-vous  avec  Jérusalem  ;  »  c'est- 
à-dire  ,  avec  la  société  pacifique  et  délicieuse  de  tous  les  bienheureux, 
fpour  que  vous  soyez  remplis  par  le  lait  de  la  consolation  tiré  de  ses 
pamelles.  ] 

CHAPITRE  III. 

De  la  seconde  cause  de  l'institution  du  sacrement  de  l'Eucharistie,  à  savoir 
du  sacrifice  de  l'autel. 

«  Venez,  mangez,  etc..  Pareillement,  votre  affaire,  etc..  »  thème 
ou  argument  propre.  Le  sacrifice  de  Juda  est  comme  celui  du  roi  et 
de  la  milice,  c'est-à-dire,  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ,  Malachie , 
chap.  III.  La  seconde  cause  de  l'institution  du  sacrement  du  corps  du 
Seigneur,  c'est  le  sacrifice  de  l'autel.  Trois  choses  sont  à  observer 
touchant  ce  sacrifice  ;  ce  sont  la  forme ,  la  question  du  sacrifice  légal 
et  l'excellence  de  notre  sacrifice.  Nous  traiterons  les  deux  premières 
questions  dans  ce  chapitre  et  nous  laisserons  la  troisième  pour  le  cha- 
pitre suivant.  La  première  chose  à  considérer  c'est  la  forme  ,  et  elle 
est  triple.  La  première  est  celle  des  anciennes  oblations  qui  le  figu- 
roientà  l'avance.  La  seconde  consiste  dans  la  vérité  de  la  forme  hu- 
maine ,  la  troisième  consiste  dans  les  espèces  du  pain  et  du  vin.  La 
première  fut  confiée  à  la  synagogue  sous  la  loi;  la  seconde,  offerte  sur 
la  croix  ,  est  celle  de  la  chanté  divine  ;  la  troisième,  consacrée  sur  la 


ibi,  Gum  eo  ;  tertium  ibi ,  Ad  nuptias.  De 
primo,  Matth.,  XXV  :  «  Venite  benedicti 
patris  mei.  »  De  secundo,  I  Thess.,  -IV  : 
«  Seinper  cum  Domino  erimus ,  sine  quo 
nulli  bene,  cum  quo  nulli  maie  esse  pote- 
rit.  »  Joann.,  XVII  :  «  Pater,  quos  dedisti 
mihi,  volo,  etc.  Ut  videant  claritatem  quam 
dedisti  mihi.  »  De  tertio,  Isa.,  LXVI  : 
«  Gaudete  cum  Hierusalem ,  id  est  cum 
beatorum  omnium  pacifica  et  jucunda  so- 
cietate ,  ut  repleamini  ab  uberibus  conso- 
lationis  ejus.  » 

CAPUT  lit. 

De   secundo,   causa  inslilulionis  sacramenli 
Eucharistiœ ,  scilicel  sacrificio  allaris. 

«Venite,  comedite,  »  etc.  Item  causam 


tuam,  etc.  Thema  proprium.  Sacrificium 
Juda,  quasi  régis  et  militiœ,  id  est  Christi 
et  Ecclesiœ,  Malach.,  III.  Secunda  causa 
institutionis  sacramenti  dominici  corporis, 
est  sacrificium  aUaris.  Circa  quod  sacrifi- 
cium notantur  tria,  scilicet  forma  oiFeren- 
di,  quaestio  de  sacrificio  legali  et  excellen- 
lia  nostri  sacrificii.  De  duobus  primis  hic 
potest  dici ,  de  tertio  in  sequenti.  Primo 
notatur  forma,  et  hsec  est  triplex.  Prima 
in  oblationum  veterum  pnefiguratione  ;  se- 
cunda in  humanaj  forma?  veritate  ;  tertia 
in  parus  et  vini  specie.  Prima  est  synago- 
gae  commendata  sub  lege  ;  secunda  chari- 
tatis  divinee  oblata  in  cruce;  tertia  fidelis 
anima?  consecrata  in  mensa  ecclesiae.  Pri- 
ma data  est  in  signum ,  secunda  in  pre- 


SUR   LE   SACR3MENT   DE   L' AUTEL.  449 

table  de  l'Eglise ,  est  celle  Je  l'àme  fidèle.  La  première  fut  donnée  en 
figure  ;  la  seconde  comme  le  prix  de  l'homme,  la  troisième  comme  une 
consolation.  Il  est  écrit  de  la  première,  Lévit.,  chap.  IV  :  «  Si  tout 
Israël  a  péché  par  ignorance  ,  qu'il  offre  un  veau  pour  son  péché;  » 
c'est-à-dire  le  Christ,  ajoute  le  Commentaire  :  ceci  se  faisoit  en  figure 
et  non  en  personne  :  l'agneau  sans  tache  que  les  Juifs  immoloient  pour 
laPàque  et  dont  ils  mangeoient  les  chairs,  Exode,  chap.  XII,  étoit 
aussi  la  figure  de  Jésus-Christ,  dit  saint  Grégoire.  Isaïe  dit  de  la  se- 
conde forme,  chap.  LUI  :  a  II  a  été  conduit  à  la  mort  comme  une 
brebis,  il  a  été  couvert  de  plaies  à  cause,  etc. ..  Il  a  été  offert  parce  qu'il 
l'a  voulu.  »Ceci  s'est  véritablement  réalisé  sur  la  croix  quant  à  la  forme 
humaine.  Il  est  écrit  aux  Hébreux,  chap.  X  :  «  Nous  sommes  sanctifiés 
une  fois  par  l'oblation  du  corps  de  Jésus-Christ;  »  à  savoir  sur  la  croix. 
Quant  à  la  troisième,  il  est  dit,  Psaume  CIX  :  «  Vous  êtes  prêtre  pour 
l'éternité,  etc..  »  Lequel,  comme  il  est  dit  dans  la  Genèse, chap.  XIV  : 
«  Offrit  le  pain  et  le  vin.  »  De  même  le  Christ  donne  son  corps  et  son 
sang  dans  le  sacrifice  de  l'autel,  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin. 
On  lit  dans  saint  Matthieu,  chap.  XXVI  :  «  Jésus  prit  le  pain,  le  bénit 
et  dit  :  Ceci  est  mon  corps  ;  »  il  prit  aussi  le  calice  ,  c'est-à-dire  un 
petit  vase  avec  du  vin,  il  rendit  grâce,  disant  :  «  Ceci  est  mon 
sang,  etc..  » 

On  remarque  en  second  lieu  la  question  peu  importante  du  sacrifice 
légal,  et  en  traitant  cette  question  on  fait  trois  choses.  1°  On  fait  con- 
noître  les  difficultés  que  l'on  oppose  contre  l'insuffisance  imputée  au 
sacrifice  légal.  2°  On  résout  ces  difficultés.  3°  On  assigne  la  cause  de  ce 
même  sacrifice.  1°  On  oppose  à  l'insuffisance  imputée  à  ces  sacrifices, 
à  savoir  qu'ils  n'ont  pas  été  agréables  à  Dieu ,  qu'ils  n'effacèrent  pas 
les  péchés,  d'après  ces  paroles  de  Jérémie,  chap.  VI  :  «  Je  n'ai  point 
eu  pour  agréables  vos  sacrifices,  vos  victimes  ne  m'ont  pas  plu,  etc.  » 


tium,  tertia  in  solatium.  De  prima,  Levit., 
IV  :  «  Si  omnis  Israël  per  ignorantiam 
peccaverit ,  offerat  pro  peccato  suo  vitu- 
lum ,  »  id  est  Christum ,  dicit  Glossa  : 
«  Hoc  autera  non  erat  in  persona,  sed  in 
figura.  »  Exod.,  XII  :  «  Similiter  agnus 
immaculatus,  quem  occidebant  in  Pascha, 
et  ejus  carnes edebant,  figura  Christierat,  » 
ut  dicit  Gregorius.  De  secunda  forma  Isa., 
LUI  :  «  Sicut  ovis  ad  occisionem  ductus , 
vulneraturus  est  propter,  »  etc.  Oblatus 
est,  quia  ipse  voluit.  Hoc  vere  secundum 
formam  humanam  in  cruce.  Hebr.,  X  : 
«  Sanctiiicati  sumus  per  oblationem  corpo- 
ris  Jesu  Christi  semel,  »  scilicet  in  cruce. 
De  tertia,  Psalm.  CIX  :  «  Tu  es  sacerdos 
in  œternum ,  »   etc.  Qui  ut  dicitur  Gen., 

V. 


XIV  :  «  Obtulit  panem  et  vinum,  »  sic 
Christus  dat  corpus  et  sauguinem  suum  in 
sacrificium  altaris  sub  panis  et  vini  spe- 
ciem.  Matth.,  XXVI  :  «  Accepit  Jésus  pa- 
nem, et.benedixit,  et  ait  :  Hoc  est  corpus 
meum.  Et  accipiens  calicem,  id  est  vascu- 
lum  cum  vino,  gratias  egit  dicens  :  Hic  est 
sanguis  meus ,  »  etc.  Secundo  notatur 
brevis  quaestio  de  sacriflcio  legali ,  in  qua 
tria  fiunt.  Primo  ,  contra  insufficieutiam 
quae  imponitur  sacrificiis  legalibus,  oppo- 
nitur  ;  secundo,  contraiïetas  solvitur  ;  ter- 
tio, causa  illius  sacrificii  assignatur.  Primo 
contra  insutïicientiam  ,  quod  Deo  non  pla- 
cuerunt,  et  quod  peccata  non  abstulerunt 
secundum  illud  Jerem.,  VI  :  «  Holocausta 
vestra  non  sunt  accepta ,  victime  vestrae 

29 


450  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    3. 

et  autres  raisons  semblables;  les  paroles  suivantes  du  Lévitique, 
ch.  IV  :  «  Si  quelqu'un  d'entre  le  peuple  a  péché,  etc.,  il  offrira  une 
chèvre  sans  défaut,  etc...,  le  prêtrela  brûlera  sur  l'autel,  devant  le 
Seigneur,  comme  un  parfum  qui  lui  est  agréable  ,  et  sa  faute  lui  sera 
pardonnée.  »  Il  est  donc  démontré  par  là  que  le  Sacrifice  légal  fut 
agréable  à  Dieu  et  que  par  conséquent  il  remit  les  péchés.  L'Apôtre 
dit  aux  Hébreux,  chap.  XI  :  «  Tous  les  péchés  sont  presque  purifiés 
par  le  sang  suivant  la  loi  ;  et  le  sang  des  animaux  immolés  remet  les 
péchés  de  ceux  qui  s'en  rendent  coupables.  »  Donc  les  sacrifices  légaux 
furent  agréables  à  Dieu  et  ils  remirent  les  péchés. 

2°  On  peut  répondre  comme  il  suit  à  ces  difficultés.  Il  y  eut  toujours 
trois  choses  dans  le  sacrifice  ;  ce  sont  le  sacrifice  lui-même ,  les  per- 
sonnes qui  l'offrent,  et  la  rémission  des  péchés.  Deux  choses  dévoient 
être  observées  dans  celles  que  nous  venons  d'indiquer.  Dans  le  sacri- 
fice ,  on  devoit  considérer  la  chair  et  le  sang  de  l'animal  que  l'on 
offroit  ;  on  devoit  en  outre  considérer,  ce  qui  valoit  beaucoup  mieux, 
à  savoir  la  chose  spirituelle  qu'il  signifioit;  par  exemple  le  Christ,  que 
signifioient  l'agneau  et  le  veau,  la  pénitence  représentée  par  la  chèvre, 
la  vie  robuste  et  active  exprimée  par  le  bœuf,  la  vie  sublime  et  con- 
templative signifiée  par  l'oiseau,  etc..  Les  personnes  qui  offrent  sont 
pareillement  de  deux  espèces,  les  unes  dignes,  les  autres  indignes.  Les 
personnes  indignes  étoient  celles  qui, ne  considéroient  dans  les  sacri- 
fices que  la  partie  charnelle.  Les  personnes  dignes  au  contraire  étoient 
celles  qui  envisageoient  dans  les  sacrifices  la  partie  spirituelle,  et  qui 
croyoient  explicitement  ou  implicitement  au  Christ  figuré  par  eux  ;  et 
qui  conformoient  leur  vie  à  cette  intelligence  spirituelle  qu'ils  en 
avoient.  On  peut  aussi  dire ,  que  là  il  y  avoit  rémission  des  péchés 
en  deux  choses  ;  il  y  avoit  rémission  quant  à  la  peine ,  c'est-à-dire 
quant  à  l'irrégularité  légale  ;  ou  quant  à  la  faute,  c'est-à-dire  quant  à 


non  placuerunt  mihi,  et  contra  his  similia 
opponitur.»  Levit.,lV  :  «  Si  peccaverit  bu- 
tem  quis  de  populo  terrae,  offeret  capram 
immaculatam ,  et  adolebit  eam  sacerdos 
super  altare  in  odorem  suavitatis  Domino, 
et  dimittetur  ei.  »  Ergo  videtur,  quod  vê- 
tus sacrificium  placuerit  Deo,  et  propter 
hoc  peccala  dimisit.  Eebr.,  XI  :  «  Omnia 
pêne  sanguine  mundantur  secundum  le- 
gem,  et  per  sanguinem  animalium  sacrifi- 
catorum  remittuntur  peccata  deliquen- 
tium.  »  Ergo  illa  sacrificia  Deo  placuerunt 
et  peccata  dimiserunt.  Secundo ,  horum 
contrarietas  sic  potest  soivi.  In  sacrificio 
semper  tria  fuerunt,  scilicet  ipsum  sacri- 
iîcium ,  personne  offerentium ,  peccatorum 
remissio.  In  singulis  istorum  duo  attende- 
bantur  in  sacrificio,  caro  et  sanguis  ani- 


malis  quod  offerrebatur.  Et  praeterea, 
multo  melius,  scilicet  res  spiritualis,  quae 
ibi  figurabatur  ,  ut  in  agno  vel  vitulo 
Christus,  in  capra  pœnitentia,  in  bove  vita 
robusta  et  activa,  in  ave  sublimis  et  con- 
templativa,  et  sic  de  ceeteris.  Item,  personae 
offerentium  duse  sunt  species,  aliae  dignae, 
aliee  indignœ.  Indigni  erant  qui  illa  sacri- 
ficia tantum  carnaliter  attendebant.  Digni 
autem  qui  ea  spiritualiter  attendebant,  et 
in  eis  Christum  fîguratum,  vel  explicite, 
vel  implicite  credebant ,  et  secundum  in- 
tellectum  spiritualem  vitam  suam  rege- 
bant.  Item ,  ibi  erat  remissio  peccatorum, 
et  hoc  quantum  ad  duo  ,  scilicet  quantum 
ad  pcenam ,  id  est  quantum  ad  legis  irre- 
gularitatem  ,  vel  quantum  ad  culpam  ,  id 
est  quantum  ad  conscientiee  maculam.  His 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  451 

la  souillure  de  la  conscience.  Ceci  étant  établi,  il  n'est  pas  difficile  de 
résoudre  les  difficultés  que  les  Ecritures  semblent  contenir  relati- 
vement aux  sacrifices.  Véritablement,  en  effet,  ces  sacrifices  en  eux- 
mêmes,  à  savoir  opéra  operata,  c'est-à-dire,  les  chairs  et  le  sang 
des  boucs  ne  furent  pas  agréables  à  Dieu ,  et  ce  ne  fut  pas  à  cause  de 
ces  mêmes  sacrifices  que  la  faute  fut  remise  quant  à  la  faute  elle- 
même,  c'est-à-dire  quant  à  la  souillure  de  la  conscience  ;  cependant 
aux  yeux  des  hommes  elle  étoit  considérée  comme  remise  quant  à  la 
peine  légale.  C'est  ce  qui  fait  que  quand  l'Apôtre  dit  dans  un  endroit  : 
«  Il  est  impossible  que  le  sang  des  boucs  efface  les  péchés,  »  et  dans 
un  autre  :  «  Tous  les  péchés  sont  presque  effacés  dans  le  sang  d'après 
la  loi,  »  on  peut  interpréter  le  premier  de  ces  passages  de  la  souillure 
de  l'ame  ;  et  le  second  de  la  peine  de  la  chair.  C'est  ce  qui  lui  fait 
dire  aux  Hébreux,  chapitre  IX  :  «  Le  sang  des  boucs,  des  taureaux, 
et  l'aspersion  de  l'eau  mêlée  avec  la  cendre  d'une  génisse,  sanctifient 
ceux  qui  ont  été  souillés ,  en  leur  donnant  une  pureté  extérieure  et 
charnelle.  »  Le  Commentaire  «ajoute  :  «  Sanctifié,  c'est-à-dire  purifié  du 
péché  ,  »  ou  pour  parler  plus  exactement ,  de  la  peine  légale,  ils  ne 
sont  propres  en  effet  qu'à  purifier  la  chair  et  non  l'ame.  Les  sacrifices 
des  justes  néanmoins,  non  pas  en  eux-mêmeS,  comme  nous  venons  de 
le  dire ,  mais  à  cause  de  la  foi  qu'ils  avoient  dans  le  Sauveur,  dont 
ces  mêmes  sacrifices  figuroient  la  venue  ,  et  qu'ils  croyoient  eux  de- 
voir être  le  Rédempteur  du  monde,  plaisoient  à  Dieu  sous  ce  rapport 
et  leur  procuroient  la  rémission  des  péchés,  et  quant  à  la  peine  dont 
nous  avons  parlé  ,  et  quant  à  la  coulpe  ou  souillure  de  l'ame.  L'A- 
pôtre dit,  Galat.,  chap.  III  :  «  Les  œuvres  de  la  loi  ne  justifièrent 
l'homme  que  par  la  foi  en  Jésus-Christ.  »  Le  même  Apôtre  dit  aux 
Hébreux,  chap.  XI  :  «  C'est  par  la  foi  qu'Abel  offrit  à  Dieu  une  hostie 
plus  excellente  que  Caïn,  »  plus  excellente,  c'est-à-dire  plus  agréable, 


visis,  facile  solvuntur  quae  de  sacrifions  in 
Scripturis  sacris  contraria  dici  videntur. 
Rêvera  enim  illa  sacrificia  secundum  se, 
scilicet  opéra  operata,  id  est,  carnes  et 
sanguis  hircorum  nec  placuerunt  Deo,  nec 
propter  ea  remisit  culpam,  quantum  ad 
culpam,  id  est  conscientiae  maculam  ;  sed 
tamen  apud  homines  remissa  reputabantur 
quantum  ad  quamdam  legis  pœnam.  Unde 
cum  Apostolus  uno  loco  dicat  :  «  Impossi- 
bile  est  sanguine  hircorum  auferri  pecca- 
ta,  »  et  in  alio  :  «  Omnia  pêne  in  sanguine 
mundantur  secundum  legem.  »  Primum 
intelligendum  est  quantum  ad  animœ  cul- 
pam. Secundum  quantum  ad  carnis  pœ- 
nam :  unde  ad  Hebr.,  IX  :  «  Sanguis  hir- 
corum et  vitulorum,  et  cinis  vitulae  asper- 


sus,  inquinatos  sanctificat  ad  emundatio- 
nem  carnis.  »  Glossa  :  «  Sanctificat,  id  est, 
a  peccato  mundat,  id  est  a  pœna  legis  ad 
emundationem  valent  non  animae,  sed  car- 
nis. »  Verumtamen  justorum  sacrificia  non 
secundum  se ,  ut  dictum  est,  sed  propter 
fidem  Salvatoris,  quem  in  illis  venturum, 
et  pro  redemptione  mundi  credebant,  Deo 
placebant ,  et  eis  remissionem  peccatorum 
quantum  ad  pœnam  supradictam,  et  quan- 
tum ad  culpam  animœ  valebant.  Ad  Gai., 
III  :  «  Ex  operibus  legis  non  jusiificabitur 
homo,  nisi  per  fidem  Jesu  Ghristi.  »  Heb>\, 
XI  :  «  Fide  plurimam  hostiam  Abel,  quam 
Cain,  obtulit  Domino  ;  »  plurimam,  id  est 
acceptabiliorem  ,  et  plus  sibi  valentem. 
Intellexit  enim  et  credidit,  quem  in  agno 


452  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    3. 

et  qui  lui  fut  plus  profitable.  Il  comprit  en  effet  et  il  crut  par  l'agneau 
qu'il  offrit  à  Dieu  à  une  hostie  plus  salutaire,  c'est-à-dire  le  Sauveur; 
ce  que  ne  comprirent  ni  Caïn  ,  ni  les  autres  personnes  indignes ,  qui 
offrirent  des  sacrifices.  On  lit  dans  la  Genèse  ,  chap.  X  :  «  Dieu  jeta 
ses  regards  sur  Abel  et  ses  présents.  » 

Troisièmement,  nous  allons  ici  faire  connoître  la  cause  de  l'insti- 
tution des  sacrifices  légaux.  Comme  ces  sacrifices  ont  été  en  effet  in- 
stitués par  Dieu  qui  ne  fait  rien  sans  cause  ,  et  que  pourtant  ils  dé- 
voient être  changés,  on  peut  rechercher  la  raison  qui  les  fit  instituer. 
Pour  cela  faire,  nous  dirons  en  peu  de  mots,  que,  bien  que  ces  sacri- 
fices n'eussent  pas  par  eux-mêmes  la  propriété  de  remettre  la  coulpe 
ou  souillure  ,  ils  furent  néanmoins  d'un  grand  avantage  pour  l'ensei- 
gnement de  la  sagesse.  On  les  donne  en  effet  temporairement  à  des 
esclaves,  comme  la  figure  de  sacrifices  meilleurs;  et  presque  comme 
on  donne  aux  enfants  les  caractères  imprimés  sur  les  livres;  afin 
qu'aidés  par  les  propriétés  de  ces  mêmes  sacrifices  et  par  les  règles 
employées  pour  les  offrir,  ils  fissent  des  progrès  dans  la  science  de  la 
vraie  foi  ;  et  qu'après  avoir  acquis  la  science  véritable,  les  éléments 
disparussent,  que  les  ombres  et  les  figures  fussent  dissipées  par  la  vé- 
rité reçue  par  ce  moyen.  Il  est  écrit  au  Deutérondme,  chap.  XI  : 
«  Imprimez  ces  paroles  que  je  vous  dis  dans  vos  cœurs  et  dans  vos 
esprits,  tenez-les  attachées  à  vos  mains,  écrivez-les  sur  les  jambages 
et  sur  les  portes  de  vos  maisons.  »  Gravez  dans  vos  cœurs  les  sacri- 
fices légaux,  gravez-les  y,  en  tant  qu'ils  touchent  à  la  morale,  puis- 
qu'il faut  toujours  en  ce  point  être  fidèle  à  les  offrir.  Tenez-les  attachés 
à  vos  mains  ;  en  ce  qui  concerne  les  tabernacles  édifiés  de  main 
d'homme,  et  les  autres  choses  de  ce  genre  qui  doivent  être  enlevées 
dans  un  temps  ;  écrivez  sur  les  jambages  et  sur  les  portes  de  vos  mai- 
sons les  sacrifices,  à  savoir  les  brebis  et  les  bœufs;  comme  les  lettres 
que  l'on  donne  aux  petits  enfants;  on  apprendra  par  ce  moyen  une 
foule  de  bonnes  choses;  ce  seront  surtout  lajtqi  auJSauveur,  la  règle 


Deo  obtulit  hosliam  meliorem,  id  est  Sal- 
vatorem,  quod  non  Cain  et  caeteri  indigni. 
Gen.,  X  :  «  Respexit  Dominus  ad  Abel,  et 
ad  munera  ejus.  »  Tertio,  causa  institutio- 
ms  legalium  sacrifîciorum  est  assignanda. 
Cum  enim  a  Deo  instituta  sint ,  qui  nihil 
sine  causa  facit,  et  tamen  mutanda  erant, 
qua?ri  potest  causa  institutioniseorum.  Ad 
hoc  breviter  dicendum  ,  quod  licet  per  se 
non  valuerat  ad  remissionem  culpee,  tamen 
multum  utilia  fuerunt  ad  doctrinam  sa- 
pientise.  Data  suntquippe  servis  ad  tempus 
tanquam  signa  rerum  meliorum,  et  quasi 
parvulis  tanquam  characteres  librorum,  in 
quorum  proprietatibus  et  modulis  offeren- 


di,  proficerent  in  disciplina  verse  fidei,  ut 
adepta  vera  scientia  ,  deficerent  elementa 
et  collata  veritate  cessarent  umbrœ,  et  si- 
gna. Deut.j  XI  :  «  Ponite  verba  mea  in 
cordibus  vestris,  et  suspendite  pro  signo  in 
manibus,  et  scribite  ea  in  postibus  et  ja- 
nuis.  »  Ponite  in  cordibus  legalia ,  scilicet 
quantum  ad  moralia,  quse  semper  sunt  ser- 
vanda  ;  suspendite  ea  pro  signo  in  mani- 
bus ,  quantum  ad  manufacta  tabernacula, 
et  hujusmodi,  quae  pro  tempore  sunt  tol- 
lenda  :  scribite  in  postibus  et  januis  sacri- 
ficia,  scilicet  oves  et  boves  quasi  litteras 
parvulorum,  in  quibus  multa  bona  sunt  dis- 
cenda ,  et  preecipue  scilicet  fides  Salvatoris, 


SUR   LE    SACREMENT    DE    l'aLTEL.  453 

des mœurs^et  l'espérance  des  bieus  célestes.  Ils  pouvoient  apprendre 
la  première  de  ces  choses  par  les  sacrifices  des  brebis  •  la  seconde  par 
le  sacrifice  des  taureaux-  la  troisième  par  celui  des  animaux  que  l'on 
lojrûloîJL  en  dehors  des  camps.  Isaïe  dit  du  premier  de  ces  sacrifices , 
cBâp.  LUI  :  «'Comme  une  brebis,  etc.. .  «Ils  pouvoient  par  conséquent, 
lorsqu'on  offroit  une  brebis,  apprendre  trois  choses  de  la  véritable  foi; 
ce  sont,  l'innocence  du  Sauveur,  la  mansuétude  du  genre  humain,  et 
la  rédemption  opérée  par  Jésus-ChristlDaniel  dit  du  second,  ch.  III  : 
t(  Enjesjoirit  d'humilité,  etc.,  comme  dans  les  holocaustes  des  béliers 
efaes  taureaux.  »  Par  conséquent,  lorsqu'on  offroit  pour  l'holocauste 
les  animaux  cornus,  c'est-à-dire  lorsqu'on  les  offroit  pour  les  réduire 
en  cendres  par  le  feu  ;  ils  pouvoient  apprendre  trois  choses  concernant 
les  bonnes  mœurs;  ces  choses  sont,  qu'il  faut  résister  aux  démons  et 
à  tous  les  vices;  qu'il  faut  brûler  de  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain, 
et  qu'il  est  nécessaire  de  conserver  en  toutes  choses  l'humilité  du 
cœur  et  du  corps. Quant  au  troisième,  il  est  dity  Lé vi tique,  chap.  IV  ; 
Hébreux,  chap.  XII  :  «  Que  le  sang  des  animaux  est  porté  par  le  Pon- 
tife dans  le  Saint  des  saints  pour  leurs  péchés,  et  que  les  corps  de  ces 
animaux  sont  brûlés  en  dehors  du  camp.  »  De  l'exécution  de  ces 
choses,  ils  pouvoient  recueillir  trois  enseignements  relatifs  à  l'espoir 
d'obtenir  la  gloire  céleste;  ce  sont  la  pénitence  des  vivants,  le  devoir 
du  Sauveur,  et  le  suffrage  des  bons.  Ce  sacrifice  nous  apprend  en 
premier  lieu,  que  les  corps  étoient  brûlés  en  dehors  du  camp  ;  et  cette 
action  de  brûler  les  corps  en  dehors  du  camp  figure  les  fidèles  qui 
font  pénitence  loin  des  délices  et  des  voluptés  du  monde.  Secondement, 
la  translation  du  sang  clans  le  Saint  des  saints  par  le  Pontife  repré- 
sente la  translation  des  âmes  des  justes  dans  le  ciel  après  cette  vie  par 
Jésus-Christ.  Troisièmement,  ce  sacrifice  nous  apprend  que  si  le  sang 
transporté  par  le  Pontife  dans  le  Saint  des  saints  eut  le  pouvoir  de 


Ê 


forma  de  moribus  ,  spes  de  cœlestibus. 
Primum  poterant  discere  de  sacritîciis 
ovium;  secundum  in  sacrificio  taurorum; 
tertium  in  sacrificio  animalium  extra  cas- 
tra combustorum.  De  primo  ,  Isa.,  LUI  : 
«  Sicut  ovis,  »  etc.  Cum  ergo  ovis  offere- 
batur,  poterant  tria  de  vera  fide  discere, 
scilicet  Salvatoris  innocentiam,  mansuetu- 
dinem  humani  generis,  per  mortem  Christi 
redemptionem.  De  secundo ,  Dan.,  III  : 
'«  In  spiritu  humilitatis,  »  etc.  Sicut  in  ho- 
locaustis  arietum  et  taurorum.  Cum  ergo 
cornuta  animalia  in  holocaustuui ,  id  est, 
per  ardorem  ignis  in  cinerem  redigenda 
offerebantur ,  poterant  de  bonis  moribus 
tria  discere,  scilicet  ut  daemonibus  et  vitiis 
résistèrent,  Dei  et  proxitni  amore  ardèrent, 
cordis  et  corporis  humilitatem  in  omnibus 


conservarent.  De  tertio,  Levit.,  IV,  Hebr., 
XII  :  «  Quorum  animalis  infertu/  sanguis 
pro  peccato  in  sancta  per  Pontificem ,  ne— 
rum  corpora  cremantur  extra  castra  ;  » 
sanguis  animalium  significat  animas  justo- 
rum.  Cum  haec  fiebant,  poterant  tria  dis- 
cere de  spe  obtinendae  cœlestis  gloriœ,  quae 
sunt  pœnitentia  viventium  ,  Salvatoris  of- 
ficium,  bonorum  suffragium.  Primum  dis- 
cimus  in  illo,  quod  corpora  extra  castra 
cremabantur,  quia  ibi  corpora  cremare  est 
fidèles  extra  delicias  et  voluptates  sœculi 
pœnitentiam  agere.  Secundum  in  eo  quod 
sanguis  inferebatur  per  Pontificem  in  sancta 
sanctorum,  quia  hoc  est  animas  justorum, 
post  hanc  vitam  beneficio  Christi  in  cce- 
lum  assumi.  Tertium  in  eo ,  quod  sanguis 
per  Pontificem  in  sancta  delatus,  valuit  ad 


454  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    3. 

remettre  les  péchés  des  hommes  vivants;  ceci  nous  représente  que  les 
âmes  des  justes  qui  ont  été  déjà  conduites  dans  le  ciel  par  Jésus-Christ 
peuvent  prier  pour  les  péchés  de  ceux  qui  sont  encore  sur  cette  terre 
d'exil.  L'Apôtre  dit,  quant  au  premier  point,  Tim.  II,  ch.  II  :  «  C'est  une 
vérité  très-certaine  que  si  nous  mourons  avec  Jésus-Christ  en  faisant 
pénitence,  nous  vivrons  avec  lui  en  recevant  la  vie  éternelle,  si  nous 
souffrons  avec  lui,  nous  régnerons  aussi  avec  lui.  »  Il  dit  aussi,  Rom., 
chap.  VIII  :  «  Les  souffrances  de  la  vie  présente  n'ont  pas  de  propor- 
tions, etc.  »  Voici  que  faire  pénitence,  supporter  les  maux  qui  nous 
arrivent,  nous  donnent  l'espoir  d'ohtenirla  gloire  du  ciel.  Pour  ce  qui 
est  du  second  ,  il  est  écrit  dans  saint  Jean ,  chap.  XIV  :  «  Je  viens  de 
nouveau  vers  vous,  et  je  vous  recevrai  auprès  de  moi ,  »  et  ici  le  de- 
voir de  la  piété  donne  l'espérance  des  hiens  célestes.  On  lit  ce  qui  suit 
dans  le  livre  des  Cantiques ,  chap.  V  :  «  Où  est  allé  votre  bien-aimé  , 
ô  la  plus  belle  des  femmes  !  »  La  bienheureuse  Vierge  répond  :  «  Mon 
bien-aimé  est  descendu  dans  son  jardin,  vers  le  carreau  des  parfums, 
pour  se  nourrir  dans  ses  jardins  et  y  cueillir  des  lis;  »  c'est-à-dire 
pour  enlever  du  monde  et  les  conduire  au  ciel  les  âmes  chastes  et  bien- 
heureuses. Il  est  dit  du  troisième  dans  Osée,  chap.  I  :  «  J'exaucerai 
les  cieux,  et  ils  exauceront  la  terre,  »  c'est-à-dire  que  les  prières  des 
saints  qui  sont  dans  le  ciel  sauvent  ceux  qui  demeurent  sur  la  terre  ; 
voici  en  quoi  les  prières  des  saints  sont  propres  à  nous  douner  l'espé- 
rance des  biens  du  ciel.  Il  est  écrit  dans  l'Apocalypse,  chap.  VIII  :  «  La 
fumée  des  parfums  composés  des  prières  des  saints ,  s'élèvant  de  la 
main  de  l'ange,  monta  devant  Dieu;  »  ceci  arrive,  parce  que  les  saints 
offrent  à  Jésus-Christ  pour  nous  leurs  prières ,  et  qu'il  les  offre  lui  à 
son  Père,  pour  nous  faire  obtenir  la  rémission  de  nos  péchés,  et  pour 
nous  associer  à  eux. 


remissionem  peccatorum  hominum  vivo- 
rum  ;  quia  hoc  est  animas  bonorum  jam 
per  Christum  in  cœlum  sublevatas,  inter- 
cédera pro  peccatis  exulum  adhuc  in 
mundo  relictorum.  De  primo,  II  Tim.,  II  : 
«  Fidelis  sermo.  »  Nam  si  commortui  su- 
raus,  scilicet  agendo  pœnitentiam  :  et  vi- 
vemus  recipiendo  vitam  œternam,  si  sus- 
tinebimus  et  conregnabimus.  Ad  Roman., 
VIII  :  «  Non  sunt  condignae  passiones,  »  etc. 
Ecce  quod  pœnitentiam  agere ,  et  mala  in 
mundo  sustinere,  valet  ad  spem  obtinendse 
cœlestis  gloriœ.  De  secundo,  Joan.,  XIV  : 
«  Iterum  venio ,  et  accipiam  vos  ad  me,  » 
ecce  quod  Domini  pietatis  officium  valet 
ad  spem  cœlestium.  Cant.,  Y  ,  dicunt  hu- 
jusmodi  :  «  Quo  abiit  dilectus  tuus,  o  pul- 


cherrima  mulierum  ?  »  respondit  beata 
Virgo.  «  Dilectus  meus  descendit  in  hor- 
tum  suum  ad  areolam  aromatum,  ut  pascat 
in  hortis,  et  lilia  colligat,  »  id  est  animas 
beatas  vel  castas  de  mundo  assumât,  et  ad 
cœlestia  perducat.  De  tertio,  Osée,  I  :  «Ego 
exaudiam  cœlum,  et  illi  exaudiant  ter- 
rain, »  id  est,  sanctorum  precibus  qui  sunt 
in  cœlis,  salvantur  qui  habitant  in  terris  ; 
ecce  orationes  sanctorum  valent  ad  spem 
cœlestium.  Apoc,  VIII  :  «Ascendit  fumus 
aromatum  de  orationibus,  scilicet  de  manu 
angeli  coram  Deo,  quia  scilicet  sancti  offe- 
runt  orationes  pro  nobis  Christo,  et  Chris- 
tus  Patn  suo,  ut  peccatorum  recipiamus 
remissionem,  et  ad  eorum  perveniamus  so- 
cietatem. 


SUR   LE   SACREMENT    DE    L  AUTEL. 


455 


CHAPITRE  IV. 

Troisième  observation  à  faire  sur  le  sacrifice,  ou  excellence  de  notre 

sacrifice. 

«Venez  et  mangez,  etc...  »  On  remarque  en  troisième  lieu,  l'excel- 
lence de  notre  sacrifice  qui  est  le  sacrifice  du  corps  de  Jésus- Christ  ; 
excellence  qui  l'emporte  sur  celle  de  tous  les  sacrifices  légaux  ,  sous 
trois  rapports  ,  qui  sont,  celui  de  l'honnêteté  quant  au  siècle,  de  la 
dignité  quant  à  Dieu,  et  de  la  puissance  par  rapport  aux  effets  de  son 
excellence.  Il  l'emporte  premièrement  sous  le  rapport  de  l'honnêteté, 
et  ceci  se  prouve  de  trois  manières  ;  par  son  apparence  extérieure , 
par  son  origine, toute,  virginale,  et  par  sa  douceur  spirituelle.  On 
prouve  d'abord  cette  honnêteté  par  son  apparence  extérieure;  il  n'eut 
pas  été  possible  en  effet,  quelle  qu'eût  été  la  qualité  de  la  nourriture 
employée,  de  l'administrer  d'une  manière  et  si  convenable,  et  si  belle, 
et  si  pure  que  sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin.  Il  n'est  pas  en  effet 
accompagné  de  tous  les  inconvénients  inséparables  des  sacrifices  san- 
glants de  la  loi.  On  lit  au  livre  des  Proverbes ,  chap.  XIV  :  «  Mieux 
vaut  un  peu  de  pain  sec  avec  la  joie,  qu'une  maison  pleine  de  victimes 
avec  la  discorde.  »  La  bouchée  de  pain  sec  ,  c'est  notre  sacrifice  sous 
l'espèce  pure  et  décente  du  pain.  Zacharie  dit,  ch.  IX  :  «  Car  qu'est-ce 
que  le  Seigneur  a  de  bon  et  d'excellent,  sinon  le  froment  des  élus  et 
le  vin  qui  fait  germer  les  vierges.  »  On  prouve,  en  second  lieu,  sa  dé- 
cence par  son  origine,  car  il  vient  d'une  fleur  virginale  ,  et  n'est  en- 
tachée d'aucune  corruption.  Il  est  écrit  dans  l'Ecclésiastique,  chap. 
XXIV  :  «  Mes  fleurs  portent  des  fruits  d'honneur,  etc..  »  Ce  qui  est 
comme  s'il  disoit  ;  les  fleurs  de  la  chasteté  et  de  la  virginité  se  sont 
changées  au  fruit  de  la  lignée  la  plus  décente  et  la  plus  noble.  Saint 
Augustin  dit  :  «  La  noblesse  de  la  Mère  lui  vient  de  la  divinité  de  son 


•    CAPUTIV. 

De  tertio  circa  sacrificium  notando,  scilicet 
sacrificii  nostri  excellenlia. 

«  Venite,  comedite,  »  etc.  Tertio  notatur 
nostri  sacrificii,  scilicet  corporis  Christi  ex- 
cellentia,  quae  praecellit  omnia  legis  sacri- 
ficia  triplici  ratione  ,  scilicet  honestatis, 
quoad  saeculum;  dignitatis,  quoad  Deum; 
virtutis,  quoad  suae  bonitatis  effectum. 
Primo  excellit  ratione  honestatis,  quod 
probatur  a  tribus ,  ab  exteriori  specie,  a 
virginali  origine ,  a  spirituali  dulcedine. 
Primo ,  probatur  hujusmodi  honestas  ab 
exteriori  specie,  quia  sub  nulla  alia  quali- 
tate  cibi  posset  tam  munde,  tam  pulchre, 


tam  honeste  ministrari,  sicut  sub  specie 
panis  et  vini.  Non  enim  sequuntur  hoc  in- 
convenientia  multa ,  quae  sequebantur  illa 
cruenta  legis  sacriticia.  Prov.,  XIV  :  «  Me- 
lior  est  buccella  sicca  cuin  gaudio  ,  quam 
domus  plena  victimis  cum  jurgio.  »  Buc- 
cella sicca  est  sacrificium  nostrum  sub 
munda  specie  panis,  et  honesta.  Zachar., 
IX  :  «  Quid  bonum  et  quid  pulchrum  ejus, 
nisi  frumentum  electorum,  et  vinum  ger- 
minans  virgines  ?  »  Secundo,  probatur  ho- 
nestas ejus,  quod  a  nulla  corruptione,  sed 
a  virginali  flore  sumpsit  exordium.  Eccli., 
XXIV  :  «  Flores  mei  fructus  honoris,  »  etc. 
Quasi  diceret  :  Flores  pudicitiee  et  virgini- 
tatis  versi  sunt  in  fructum  nobilissimœ  ho 


456  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    4. 

enfant,  et  celle  de  l'enfant  de  la  virginité  de  sa  mère.  »  On  lit  au  livre 
des  Cantiques,  chap.  III  :  «  Sortez ,  etc..  »  Le  Commentaire  ajoute  : 
de  l'ignorance,  de  l'infidélité,  et  voyez  le  roi,  c'est-à-dire  Jésus-Christ; 
sous  son  diadème ,  c'est-à-dire  sous  la  chair  dont  sa  mère  l'a  cou- 
ronné, c'est-à-dire  l'a  embelli  parce  qu'elle  est  Vierge.  On  prouve,  en 
troisième  lieu  ,  l'honnêteté  de  ce  sacrifice  par  la  douceur  spirituelle 
de  la  piété  par  laquelle  il  attire  à  lui  tous  les  chrétiens.  Comme  le  dit 
Tullius,  «  Cela  est  honnête  qui  par  sa  propre  force  nous  attire  et  nous 
>^-. entraîne.,  »  tel  par  exemple,  que  ce  qui  a  de  la  vertu;  mais  il  n'y  a  rien 
déplus  propre  à  atteindre  ce  but  que  ce  en  quoi  abonde  la  douceur 
de  la  piété,  et  c'est  précisément  ce  qu'est  le  sacrement  du  corps  du 
Seigneur.  On  lit  dans  l'Ecclésiastique,  chap.  XLIX  :  «La  mémoire 
de  Josias  est  comme  un  parfum  d'une  odeur  délicieuse  composé  par 
un  parfumeur  habile.  »  La  mémoire  de  Josias,  c'est  le  souvenir  du 
Sauveur,  ou  le  sacrifice  de  l'autel.  Ceci  est  l'œuvre  d'un  parfumeur, 
c'est-à-dire  est  le  résultat  des  œuvres  de  sa  divinité  et  de  son  huma- 
nité ,  afin  que  par  l'odeur  très-suave  de  l'honnêteté  et  de  la  piété,  il 
attire  à  lui  tous  les  fidèles  de  l'Eglise.  On  lit  dans  le  Cantique  des  Can- 
tiques ,  chap.  I  :  «  Votre  nom  est  une  huile  répandue.  »  C'est  ce  qui 
fait  que  ceux  qui  croient  véritablement,  viennent  fréquemment  et 
pleins  de  ferveur  à  l'Eglise,  poussés  qu'ils  y  sont  par  l'espérance  de 
la  grâce  et  de  la  dévotion,  pour  voir  ce  sacrifice  et  l'adorer. 

Il  excelle  secondement  à  cause  de  sa  dignité;  et  ce  qui  le  prouve 
ce  sont  les  trois  choses  excessivement  précieuses  qui  le  constituent, 
à  savoir  la  chair  infinimentnure  de  Jésus-Christ ,  son  ame  parfaite- 

■  i  7  -4 

ment  juste  ci  sa  divinité  très-grande.  Ces  trois;  choses  étoient  figurées 
dans  l'agneau  pascal,  et  elles  se  trouvent  dans  toute  leur  perfection 
dans  notre  sacrifice.  On  lit  dans  l'Exode,  chap.  XII  :  «  Vous  mangerez 
la  .tête  de  l'agneau  avec  les  pieds  et  les  intestins.  »  La  tète  de  l'agneau 


* 


nestissimae  prolis.  Augustinus  :  «  Nobilitas 
matris  est  ex  deitate  prolis,  nobilitas  pro- 
lis ex  virginitate  matris.»  Cant.,  III  : 
«  Egredimiui,  »  Glossa,  ab  ignorantia  infi- 
delitatis,  «  et  videte  regem,  »  id  est  Jesum 
Christum,  «in  diademate,»  id  est  carne, 
«  quo  coronavit  eura  mater  sua ,  »  id  est, 
honestavit  in  hoc  quod  est  virgo.  Tertio 
probatur  honeslas  hujus  sacrificii  a  spiri- 
tuali  dulcedine  pietatis,  qua  cunctos  Chris- 
tianos  ad  se  attrahit.  Ut  enim  dicit  Tullius: 
«  Honestum  est ,  quod  sua  vi  nos  ad  se 
trahit  et  alhcit ,  »  ut  scilicet  res  virtuosa, 
maxime  vero  talis  qui  abundat  dulcedine 
pietatis,  et  talis  res  est  sacramentum  do- 
minici  corporis.  Eccles.,  XLIX  :  «  Memoria 
Josise  in  compositione  odoris  facta  opus 
pigmentarii,  »  memoria  Josife  est  memo- 


riale  Salvatoris  ,  vel  sacrificium  altaris. 
Hoc  factum  est  opère  pigmentarii,  scilicet 
ex  pretiosis  operibus  divinitatis  et  huma- 
nitatis  suae ,  ut  suavissimo  honestatis  et 
pietatis  odore  ad  se  trahat  fidèles  Ecclesice. 
Cantic,  I  :  «  Oleum  effusum  nomen 
tuum.  »  Hinc  omnes  qui  vere  credunt ,  ob 
spem  gratiaî  et  devotionis  ad  hoc  sacrifi- 
cium videndum  et  adorandum  ad  eccle- 
siam  fréquenter  et  ferventer  accurrunt. 
Secundo  excellit  ratior.e  dignitatis ,  quod 
probatur  a  tribus  rébus  pretiosissinvs ,  ex 
quibus  consistit ,  scilicet  ex  carne  Christi 
mundissima ,  anima  justissima,  deitate  al- 
tissima.  Haec  tria  in  agno  pasehali  lîgurata 
sunt ,  in  nostro  sacrificio  vere  perfecta 
sunt.  Exod.,  XII  :  «  Caput  agni  cum  pe- 
dibus  et  intestinis  vorabitis.  »  Caput  agni 


SUR  LE   SACRE MEiNT   DE   L'AUTEL.  457 

signifie  la  divinité,  les  intestins  l'ame,  les  pieds  la  chair  :  voici  en 
Jésus-Christ  :  Dieu,  l'ame  et  le  corps  ;  ce  qui  fait  que  l'on  dit  :  «  Sa- 
lut, Sauveur  du  monde ,  Divinité  parfaite,  Homme  véritable  composé 
de  chair  et  d'ame.  »  L'excellence  de  cette  dignité  infinie  fait  que 
notre  sacrifice  jouit  d'une  triple  prérogative  que  n'ont  pas  les  autres 
sacrifices.  Il  est  agréable  à  Dieu  en  lui-même,  il  est  digne  de  la  véné- 
ration des  Anges  et  il  mérite  aussi  l'adoration  des  hommes.  Il  est 
digne  de  la  première,  parce  que  son  ame  est  juste;  la  pureté  de  sa 
chair  le  rend  digne  de  la  seconde,  et  sa  divinité  souveraine  fait  qu'il 
mérite  la  troisième.  Malachie  dit  de  la  première  de  ces  prérogatives, 
chap. III  :  «  Le  sacrifice  de  Juda  sera  agréable  à  Dieu;  »  c'est-à-dire 
le  sacrifice  de  Jésus-Christ  qui  est  le  roi  juste.  Le  sacrifice  de  Juda 
plaît  au  Seigneur,  parce  que  Dieu  le  père  approuve  l'oblation  du 
corps  de  Jésus-Christ:  corps  dans  lequel  il  est  profondément  humilié 
et  qu'il  a  rendu  obéissant  à  son  Père  jusqu'à  la  mort;  par  lequel  il  a 
triomphé  du  démon  et  a  racheté  le  genre  humain.  L'Ecclésiastique 
dit,  chap.  XXX  :  «  Le  sacrifice  du  juste  est  agréable  à  Dieu,  il  est 
d'une  agréable  odeur  en  présence  du  Très-Haut.  »  Saint  Matthieu  dit 
de  la  seconde,  chap.  XXII  :  «  Quelque  part  que  soit  le  corps,  là  les 
aigles  s'assembleront.  »  Le  pape  saint  Léon  dit  :  «  Les  aigles  qui 
volent  autour  du  corps  du  Seigneur  sont  celles  qui  volent  sur  des 
ailes  spirituelles,  »  c'est-à-dire  les  saints  Anges_,  les  esprits  purs, 
amantsde  la  pureté  et  qui  protègent  de  leur  présence les-fidèles.  On  lit 
dans  saint  Grégoire  :  «  Quel  est  celui  des  fidèles  qui  pourroit  douter 
qu'au  moment  de  l'immolation  les  cieux  s'ouvrent,  que  les  chœurs 
des  anges  assistent  à  ce  mystère  de  Jésus-Christ,  et  que  lejnel  s'as- 
socie  à Ja  terre?  »  Le  Palmiste  dit  de  la  troisième,  Ps.  XCY  :  «  Adorez 
l'escabeau,  etc.  »  Isaïe,  chap.  LXYI,  s'exprime  comme  il  suit  :  «Mais 
la  terre  est  l'escabeau  de  mes  pieds.  »  La  terre  escabeau  des  pieds  de 


significat  deitatem,  intestina  animam,  pe- 
des  carnem,  ecce  in  Ghristo  Deus,  anima 
et  corpus,  propter  quod  dicitur  :  Ave  salus 
mundi ,  deitas  intégra ,  verus  homo ,  ex 
carne  scilicet  et  anima ,  propter  tantae  di- 
gnitatis  excellentiam ,  habet  sacrificium 
nostrum  prae  aliis  triplicem  prœrogativam. 
Deo  namque  secundum  se  acceptum  est, 
angelis  reverendum  ,  hominibus  adoran- 
dum.  Primum  est  propter  animam  justarn, 
secundum  propter  carnem  mundam,  ter- 
tium  propter  divinitatem  summam.  De 
primo,  Malach.,  III  :  «  Placebit  Deo  sacri- 
ficium Juda,  »  id  est  Christi  justi  régis. 
Sacrificium  Juda  Domino  placet,  quia  cor- 
pus Christi  oblatum  Deus  Pater  approbat, 


triumphando ,  et  genus  humanum  redi- 
mendo.  Eccles.,  XXX  :  «  Sacrificium  justi 
acceptum  est ,  et  odor  suavitatis  in  cons- 
pectu  Altissimi.  De  secundo,  Matth.,  XXII  : 
«  Ubicumque  fuerit  corpus,  ibi  congrega- 
buntur  et  aquilae.  »  Léo  Papa  :  «  Circa  cor- 
pus Domini  aquilœ  sunt  quae  spiritualibus 
alis  circumvolant ,  videlicet  angeli  sancti, 
spiriLus  mundi,  munditiam  amantes,  mun- 
dum  corpus  Domini  vénérantes,  et  présen- 
tes fidèles  protegentes.  »  Gregorius  :  «  Quis 
fidelium  dubium  habere  possit  in  ipsa  ho- 
ra  immolationis  cœlos  aperiri,  et  in  illo 
Christi  mysterio  angelorum  adesse  choros, 
summa  et  ima  sociari.  »  De  tertio,  Psalm. 
XCV  :    «  Adorate  scabellum.  »   Et  Isa,, 


in  quo  scilicet  se  maxime  humiliavit  us-   LXVI ,  dicitur  :  «  Terra  autem  scabellum 
que  ad  mortem  Patri  obediendo,  de  diabolo  |  pedum  meorum.  »  Terra  scabellum  Dei  si- 


% 


458  opuscule  lvii,  chapitre  4. 

Dieu,  signifie  la  chair  de  Jésus-Christ,  qui  tire  son  origine  de  la  terre. 
Nous  devons  l'adorer  parce  qu'elle  est  sainte,  parce  qu'elle  est  unie  à 
la  divinité.  Saint  Augustin  dit  :  «  Il  nous  importe  de  savoir  qu'il  n'y 
a  pas  d'impiété  à  adorer  la  terre,  c'est-à-dire  la  chair  en  Jésus-Christ.» 
Celui,  en  effet,  qui  adore  la  terre,  n'a  pas  en  vue  la  terre,  mais  bien 
plutôt  celui  dont  elle  est  l'escabeau,  et  qui  est  cause  qu'on  l'adore. 
On  lit  dans  saint  Augustin  :  «  Les  hérétiques  disent  :  comment  se 
fait-il  que  vous  adoriez  sa  chair,  que  vous  reconnoissez  être  une 
créature,  et  que  vous  l'adoriez  avec  la  divinité,  et  que  vous  lui  rendiez 
le  même  culte  qu'à  celle-ci?  Je  réponds  :  ce  qui  fait  que  j'adore  la 
chair  du  Seigneur ,  qui  est  l'humanité  parfaite ,  c'est  parce  que  la 
divinité  l'a  prise  et  qu'elle  se  l'est  unie  en  union  de  personne.  Si  vous 
séparez  l'homme  de  Dieu,  je  cesse  de  croire  à  lui,  je  ne  le  sers  plus. 
Il  en  est  comme  si  quelqu'un  trouvoit  étendue  à  terre  la  pourpre  ou 
le  diadème  d'un  roi,  il  ne  leur  rendra  pas  les  honneurs  dus  au  roi.  Mais 
lorsque  le  roi  en  est  revêtu,  il  s'expose  à  la  mort,  s'il  dédaigne  de  lui 
rendre  en  même  temps  qu'au  roi  l'honneur  qui  lui  est  dû.  Dans 
Jésus-Christ  pareillement,  ce  n'est  pas  l'humanité  seule  et  une  que 
nous  adorons ,  c'est  l'humanité  unie  à  la  divinité ,  à  savoir  le  Fils 
unique  de  Dieu  ,  Dieu  véritable  et  vrai  homme,  et  si  quelqu'un  dé- 
daigne de  l'adorer  il  mourra  pour  l'éternité.  Le  pape  Alexandre  dit  : 
«  il  ne  peut  y  avoir  rien  de  plus  grand  dans  les  sacrifices  que  le  corps 
et  le  sang  de  Jésus-Christ.  » 

Il  l'emporte  troisièmement  sur  les  autres  sacrifices  par  sa  puissance, 
c'est-à-dire  parles  effets i  de, sa. -honte- Il  produit  trois  espèces  de  biens 
dans  les  trois  états  des  fidèles  ;  dans  le  monde ,  dans  le  purgatoire  et 
dans  le  ciel.  Dans  le  premier  de  ces  états ,  il  délivre  des  péchés ,  dans 
le  second,  il  allège  la  gravité  du  châtiment,  dans  le  troisième  il  est  la 
source  d'une  joie  sans  bornes.  C'est  ce  qui  fait  que  l'on  célèbre  des 


gnificat  carnem  Christi,  quae  originaliter 
de  terra  est.  Hœc  est  nobis  adoranda,  quia 
sancta  ,  quia  Deo  unita.  Augustinus  : 
«  Sciendum  quia  in  Christo  terra,  id  est 
caro,  sine  impietate  adoratur.  »  Qui  enim 
terram  adorât,  non  terram  intuetur,  sed 
illum  potius,  cujus  scabellum  est ,  propter 
quam  adorât.  Augustinus':  «  Dicunt  hœ- 
retici,  quid  est  quod  carnem  illius,  quam 
creaturam  non  negas,  cum  divinitate  ado- 
ras, et  ei  non  minus  quam  divinitati  de- 
servis  ?  Respondeo.  Dominicain  carnem 
perfectam  humanitatem  ideo  adoro  ,  quia 
a  divinitate  suscepta ,  et  divinitati  in  uni- 
tate  personae  unita.  Si  hominem  separave- 
iïs  a  Deo,  illi  non  credo  nec  servio.  Velut 
si  quis  purpuram  vel  diadema  régis  per  se 
jacens  inveniat,  nunquam  eam  adorabit. 


Cum  vero  ea  rex  fuerit  indutus,  periculum 
mortis  incurrit ,  si  eam  cum  rege  adorare 
contempserit.  Sic  etiam  in  Christo  huma- 
nitatem non  solam  vel  nudam,  sed  divini- 
tati unitam ,  scilicet  unum  Filium  Dei , 
verum  Deum  et  verum  hominem  si  quis 
adorare  contempserit,  œternaliter  rnorie- 
tur.  »  Alexander  Papa  :  «  Nihil  in  sacrifi- 
ciis  majus  esse  potest,  quam  corpus  et  san- 
guis  Christi.  »  Tertio,  excellit  ratione  vir- 
tutis ,  id  est  propter  effectum  suae  bonita- 
tis.  Habet  enim  triplicem  bonum  actum 
in  triplici  statu  fidelium,  in  mundo,  in. 
purgatorio ,  in  cœlo.  In  primo  statu  pec- 
cata  relaxât  ;  in  secundo  pœnam  gravem 
alleviat  ;  in  tertio  gaudium  magnum  géné- 
rât. Hinc  est,  quod  tripliciter  Missae  cele- 
brari  soient ,  pro  salute  vivorum ,  pro  re- 


SUR   LE    SACREMENT    DE    l'âUTEL.  459 

messes  pour  trois  fins,  pour  le  salut  des  vivants,  pour  le  corps  des 
défunts  et  pour  la  gloire  des  bienheureux.  C'est  aussi  pour  démontrer 
la  puissance  du  sacrifice  du  corps  du  Seigneur  sur  ce  triple  état  que 
l'hostie  est  rompue  en  trois  parties.  Quant  au  premier  de  ces  biens,  on 
litûans  le  Lévitique,  chap.  V  :  «L'ame  qui  aura  péché  par  igno- 
rance, offrira  un  bélier  sans  tache,  »  c'est-à-dire  Jésus-Christ.  Voilà, 
dit  le  Commentaire ,  la  raison  pour  laquelle  on  chante  «  agneau  de 
Dieu,  etc..  »  Saint  Grégoire  dit  :  «  Le  Seigneur  nous  a  donné  ce  sa- 
crement du  salut ,  pour  que,  comme  il  ne  peut  plus  mourir  pour 
nous,  et  que  nous  péchons  tous  les  jours,  nous  obtenions  par  ce 
même  sacrement  la  rémission  de  nos  péchés.  »  Quant  au  second,  il 
est  dit  dans  le  Lévitique,  chap.  XVII  :  «  Je  vous  ai  donné  le  sang,  afin 
que  vous  l'offriez. sur  l'autel  pour  l'expiation  de  vos  âmes,  et  que  ce 
sang  vous  serve  d'expiation.  »  C'est  pourquoi,  on  offre  avec  justice 
le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ  pour  les  âmes  des  défunts,  afin  de 
les  délivrer  des  peines  du  purgatoire ,  où  les  ont  fait  reléguer  les 
restes  de  pénitence  qu'ils  avoient  à  faire.  Saint  Augustin  dit  :  «  Il 
n'est  pas  douteux  que  les  prières  et  les  aumônes  de  la  sainte  Eglise  et 
le  sacrifice  salutaire  ne  soulagent  les  âmes  des  défunts ,  pour  que  le 
Seigneur  agisse  plus  miséricordieusement  envers  elles,  qu'elles  ne  le 
méritèrent  en  ce  monde  par  leurs  péchés.  »  Pour  ce  qui  est  du  troi- 
sième ,  il  est  écrit  dans  le  Lévitique ,  chap.  X  :  «  Vous  mangerez, 
vous,  votre  fils  et  vos  filles  avec  vous,  dans  un  lieu  très-pur,  la  poi- 
trine qui  a  été  offerte.  »  La  poitrine  qui  est  ce  qu'il  y  a  de  meilleur 
et  de  plus  succulent  dans  l'animal ,  signifie  la  douceur  du  corps  de 
Jésus-Christ,  en  ce  qu'il  est  pour  les  bienheureux  un  objet  de  délices 
dans  le  ciel,  parce  que  le  souvenir  du  Rédempteur ,  l'aspect  de  notre 
salut,  l'admiration  que  produit  en  eux  la  bonté  divine  ,  font  que  ce 
sacrifice  leur  fait  éprouver  la  plus  grande  joie  et  le  bonheur  le  plus 


quie  defunctorum,  et  pro  gloria  beatorum. 
Unde  et  hostia  in  très  partes  frangitur  ,  ut 
virtus  sacrificii  corporis  Domini  in  prae- 
dicto  triplici  statu  dernonstretur.  De  primo, 
Levit.,  Y  :  «Anima  quae  peccaverit  per 
ignorantiam ,  ofïeret  arietem  immacula- 
tum,  »  id  est  Christum.  Glossa  :  «  Unde 
canitur  :  Agnus  Dei ,  »  etc.  Gregorius  : 
«Dominus  dédit  nobis  saeramentum  salutis, 
ut  quia  quotidie  peccamus,  et  ille  jam  pro 
nobis  mori  non  potest,  per  hoc  saeramen- 
tum remissionem  consequamur.  »  De  se- 
cundo, Levit.,  XVII  :  «  Dedi  vobis  sangui- 
nem ,  ut  super  altare  meum  expieftis  pro 
animabus  vestris,  et  sanguis  pro  animœ 
piaculo  sit,  et  ideo  caro  et  sanguis  Ghristi, 
recte  pro  animabus  defunctorum  offerun- 
tur,  ut  a  pœna  purgatorii.  qua  pro  residuo 


pœnitentiae  legati  sunt,  absolvantur.  »  Au- 
gustinus  :  «  Orationibus  et  eleemosynis 
sanctte  Ecclesiœ,  et  sacrificio  salutari  non 
est  dubium  defunctorum  animas  relevari, 
ut  cum  eis  misericordius  agatur  a  Domino, 
quam  eorum  peccata  meruerunt  in  hoc 
mundo.  »  De  tertio,  Levit.,  X  :  «  Pectus- 
culum  sacrificii ,  quod  oblatum  est ,  edetis 
in  loco  mundissimo,  tu,  et  fllii  tui,  et  fîliae 
tuae  tecum.  »  Pectusculum  ,  quod  scilicet 
optimum  est,  et  dulcissimum  animalis,  si- 
gnificat  dulcedinem  corporis  Christi,  in 
quantum  comeditur  in  loco  mundissimo, 
id  est,  in  quantum  delectat  beatos  incœlo, 
in  eo  quod  plurimum  gaudent,  et  congra- 
tulantur  in  hoc  sacrificio,  de  momoria  re- 
demptoris ,  de  aspectu  nostrae  salutis ,  de 
admiratione  divinae   bonitatis.    Vel  certe 


460  OPUSCULE    LYII,    CHAPITRE    5. 

parfait.  La  raison  pour  laquelle  on  mangera  la  poitrine  dans  un  lieu 
très-pur,  c'est  peut-être  parce  que  les  bienheureux  jouissent  dans  le 
ciel  d'une  vue  manifeste  de  la  douceur  du  corps  du  Seigneur,  dont 
nous  nous  nourrissons  ici-bas  sous  le  voile  du  sacrement.  On  lit,  Apo- 
calypse, chap.  II  :  «  Je  donnerai  au  vainqueur  la  manne  cachée;  »  le 
Commentaire  ajoute  :  «  Je  me  donnerai  moi-même,  moi  qui  suis  le 
pain  de  vie;  »  que  si  maintenant  il  demeure  une  manne  cachée, 
alors  il  sera  apparent  et  plein  d'une  saveur  indicible.  C'est  pour  cela 
que  la  Collecte  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Que  les  sacrements  pro- 
duisent en  nous,  Seigneur,  ce  qu'ils  contiennent  ;  afin  que  nous  jouis- 
sions réellement  et  en  vérité  de  ce  que  nous  portons  en  espèce.  »  C'est- 
à-dire  que  nous  jouissions  du  corps  de  Jésus-Christ  par  une  vue 
claire  et  manifeste  ;  comme  le  disent  les  paroles  suivantes  :  «  Celui 
qui  m'aime,  mon  Père  qui  est  dans  les  cieux  l'aimera.  »  Cette  vision 
du  Seigneur  fera  que  nous  jouirons  pleinement  de  toute  espèce  de 
biens.  Il  est  écrit ,  Psaume  XYI  :  a  Yotre  présence  me  remplira  de 
joie,  j'en  serai  rassasié  lorsque  votre  gloire  m'aura  apparu.  » 

CHAPITRE  V. 

Troisième  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement;  c'est  la  nourriture  de 

l'homme. 

«  Ma  chair  est  une  véritable  nourriture,  etc..  »  Yoilà  la  raison 
pour  laquelle  il  donne  son  corps  en  aliment.  La  nourriture  de 
l'homme  est  la  troisième  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement.  On 
peut  assigner  trois  raisons  à  la  sagesse  de  Dieu ,  par  rapport  à  l'acte 
par  lequel  le  Seigneur  donne  son  corps  en  aliment.  Ce  sont  la  gran- 
deur de  la  libéralité  divine ,  comme  il  est  le  souverain  bien,  il  lui 
convient  d'être  souverainement  libéral;  mais  il  ne  peut  pas  y  avoir 


pectusculum  comedetnr  in  loco  mundissi- 
mo,  quia  dulcedine  corporis  Domini ,  qua 
hic  pascimur  in  velamine  et  sacramento, 
ea  fruuntur  beati  visione  manifesta  in  cœ- 
lo.  Apoc,  II  :  «  Vincenti  dabo  nianna  abs- 
conditutn.,  »  Glossa  :  «  Meipsum,  qui  sum 
panis  vitae,  quod  manna,  et  si  nunc  manet 
absconditum,  tune  fiet  manifestum  habens 
omnis  saporis  suavitatem.  »  Hinc  dicit 
Collecta  :  «Perfïciant  in  nobis,  Domine, 
sacramenta  quod  continent,  ut  quse  specie 
gerimus,  rerum  veritate  capiamus ,  »  id 
est,  Ghristi  corpore  manifesta  visione  per- 
fruamur,  secundum  illud  :  «  Qui  diligit 
me,  diligitur  a  Pâtre  meo .,  qui  est  in  cœ- 
lis;  »  inilJa  Domini  visione  erit  nobis  om- 


nis boni  pleua  fruitio.  Psalm.  XVI  :  «  Ad- 
implebis  me  hetitia  cum  vultu  tuo,  satia- 
bor  cum  apparuerit  gloria  tua.  » 

CAPUT   V. 

De  lerlia  causa  inslitutionis  ,  quœ  est  cibus 
hominis. 

«  Caro  mea  vere  est  cibus ,  »  etc.  Thema 
proprium,  quod  corpus  datur  in  cibum. 
Tertia  causa  institutionis  est  cibus  homi- 
nis. Circa  hoc  quod  Dominus  corpus  suum 
dat  in  cibum,  triplex  potest  ratio  sapien- 
tiae  Dei  assignari ,  scilicet  divinae  liberali- 
tatis  magnitudo.  Cum  enim  summe  sit  bo- 
nus, summa  eum  decet  liberalitas;  sed 
nulla  bac  major  esse  potest.  Probatur  au- 


SUR   LE    SACREMENT   DE   i/ AUTEL.  461 

de  libéralité  plus  grande  que  celle-là.  Ce  fait  prouve  sa  libéralité  par 
rapport  à  trois  choses,   qui  sont  :  1°  la  magnificence  du  don;  2°  la 
noblesse. du  donateur;  3°  l'utilité  de  celui  qui  reçoit.  1"  Cotte  action 
prouve  la  libéralité  de  celui  qui  donne  quant  à  la  magnificence  du 
don,  parce  que  (celui  de  qui  viennent  tous  les  biens  se  donne  lui- 
même  dans  ce  sacrement,  et  il  le  fait  avec  la  plus  grande  largesse, 
parce  qu'il  donne  son  propre  corps  eu  nourriture ,  comme  il  le  dit  : 
«  Prenez  et  mangez.  »  C'est  là  le  plus  haut  degré  de  la  largesse  di- 
vine quant  au  don.  On  peut  dire  ici  quelques-uns  des  degrés  delà  lar- 
ge^Jivine,  par  lesquels  elle  a  départi  à  l'homme  tous  les  ifèns~qïTîl 
possède,  et  on  démontrera  par  là  que  c'est  ici  le  degré  le  plus  parfait  de 
cette  même  largesse.  Le  premier  degré  de  cette  largesse  consiste  en 
ce  que  Dieu  a  aceordgjt  l'homme  le  ciel  et  la  iejrr£,et  qu'il  lui  a  aussi 
donné  pour  le  servir  toutes  les  créatures  privées  de  raison .  On  lit, 
Ecclésiastique,  chap.  XVII  :  «  Dieu  a  créé  l'homme  de  la  terre,  et  il  lui 
a  donné  pouvoir  sur  tout  ce  qui  se  trouve  sur  la  terre.  »  Il  est  écrit 
dans  la  Genèse,  chap.  II  :  «  Faisons  l'homme  à  notre  image  et  res- 
semblance. »  On  lit  dans  le  Deutéronome,  chap.  IV  :  «Dieu  a  créé  le 
soleil,  la  lune  et  tous  les  astres  du  ciel  pour  le  service  de  toutes  les 
nations.  »  Il  est  dit  dans  saint  Matthieu  ,  chap.  V  :  «  Dieu  fait  lever 
son  soleil  sur  les  bons  et  sur  les  méchants.  »  Il  est  écrit  au  livrp  des 
Actes,  chap.  XIII  :  «  Dieu  s'est  rendu  témoignage  à  lui-même,  faisant 
du  bien,  faisant  tomber  la  pluie  du  ciel,  donnant  un  temps  propre  à 
faire  croître  les  fruits  de  la  terre  et  remplissant  nos  cœurs  de  joie,  et 
accordant  les  aliments  nécessaires.  »  Dieu  faisant  du  bien  s'est  rendu 
témoignage  ;  c'est-à-dire  qu'il  l'a  fait  par  ses  bienfaits ,  et  il  a  prouvé 
qu'il  étoit  et  le  Dieu  et  le  libérateur  de  la  créature.  On  lit ,  Psaume 
XVIII  :  «  Qu'est-ce  que  l'homme  pour  que  vous  vous  souveniez  de  lui?  » 
Le  second  degré  de  cette  largesse  divine,  c'est  que  par  elle  il  a  donné 


tem  ejus  liberalitas  in  hoc  facto  quantum 
ad  tria.  Primo,  quantum  ad  magnificen- 
tiam  doni  ;  secundo,  quantum  ad  nohilita- 
tem  dantis;  tertio,  quantum  ad  utilitatem 
accipientis.  Primo ,  quantum  ad  magnifi- 
centiam  doni ,  quia  largitor  omnium  bo- 
norum  in  hoc  sacramento  tiat  seipsum,  et 
hoc  largissime ,  quia  dat  proprium  corpus 
in  cibum,  secundum  quod  dicit  :  «  Acci- 
pite  et  comedite.  »  Hic  est  summus  gradus 
divinœ  largitatis  quantum  ad  donum.  Hic 
gradus  quidam  proponi  possunt  divinae  lar- 
gitatis, quibus  homini  largitus  est  omnia 
bona  sua,  et  sic  patebit,  quod  hic  est  sum- 
mus. Primus  gradus  est,  quod  largitus  est 
homini  cœlum  et  terram,  et  omnes  irra- 
tionabiles  creaturas  ad  serviendura.  Eccli., 


XVII  :  «  Deus  creavit  de  terra  hominem, 
et  dédit  ei  potestatem  eorum  quœ  sunt  su- 
per terram.  »  Gen.,  II  :  «  Faciamus  ho- 
minem ad  imaginem  et  similitudinem 
nostram.  »  Deut.,  IV  :  «  Solem  et  Lunam, 
et  omnia  astra  cœli  creavit  Deus  in  mi- 
nisterium  cunctis  gentibus.  »  Matth.,  V  : 
«  Deus  solem  suum  facit  oriri  super  bonos 
et  malos.  »  Ad.,  XIII  :  «  Deus  non  sine  tes- 
timonio  semetipsum  benefaciens ,  de  cœlo 
dans  pluvias  et  temporà  fructifera,  implens 
cibo  et  laetitia  corda  nostra,  non  sine  tes- 
timonio  se  reliquit  benefaciens,  »  id  est, 
per  bénéficia,  et  creatune  se  Deum  et  libe- 
ratorem  testatus  est.  Psalm.  XVIII  : 
«  Quid  est  homo  quod  memor  es  ejus.  » 
Secundus  gradus  est,  quod  homini  largitus 


462  OPUSCULE    LYII,    CHAPITRE    5. 

à  l'homme  pour  le  servir,  les  plus  nobles  des  créatures  raisonnables 
et  célestes  qui  sont  les  saints  anges.  Il  est  dit,  aux  Hébreux,  chap.  I  : 
«  Tous  les  Anges  ne  sont-ils  pas  des  esprits  destinés  pour  servir,  et  en- 
voyés pour  exercer  leur  ministère  en  faveur  de  ceux  qui  doivent  être 
les  héritiers  du  salut.  »  On  lit  dans  saint  Matthieu ,  chap.  XVIII  : 
«  Leurs  anges  voient  toujours  la  face  du  Père.  »  On  leur  donne  le  nom 
d'ange ,  parce  qu'il  est  donné  à  chacun  au  moment  de  sa  naissance 
un  ange  pour  le  servir.  C'est  pourquoi  on  lit  dans  les  Ecritures ,  que 
souvent  ils  ont  rendu  des  services  aux  hommes,  et  qu'ils  en  rendent 
chaque  jour,  parce  qu'ils  convertissent  les  pécheurs,  en  préservent 
plusieurs  des  maux  qui  les  menacent  et  conduisent  les  justes  au  ciel. 
On  lit  dans  l'Exode,  chap.  XIV  :  «  Voici  que  j'envoie  mon  ange  pour 
qu'il  marche  devant  vous;  »  à  savoir  pour  qu'il  vous  fasse  connoître 
la  vertu ,  qu'il  vous  garde  pendant  le  chemin ,  qu'il  vous  défende 
contre  le  feu  du  purgatoire,  et  que  vous  conduisant  vers  les  astres  du 
royaume  céleste  il  vous  y  introduise. 

Le  troisième  degré  de  la  largesse  divine,  c'est  celui  par  lequel  Dieu 
s'est^onné_ltii,-méme .  On  lit  dans  saint  Luc,  chap.  I  :  «  Béni  le  Sei- 
gneur  Dieu  d'Israël.  »  Maisil  s'esl  donné  de  plusieurs  manières.  1"  Il 
s'est  fait  le  compagnon  de  notre  pèlerinage.  Il  est  écrit  dans  Baruch, 
chap.  III  :  «  C'est  lui  qui  est  notre  Dieu;  c'est  lui  qui  a  trouvé  la 
science ,  et  qui  l'a  donnée  à  Israël  son  bien-aimé ,  et  après  cela  il  a 
été  vu  sur  la  terre,  etc...  »  C'est  absolument  comme  s'il  disoit  : 
«  Parce  qu'il  a  tracé  à  l'homme  la  voie  de  son  pèlerinage,  lui  donnant 
des  préceptes  pour  ne  jamais  s'écarter  d'une  vie  honnête,  et  pour  que 
la  voie  ne  parut  pas  un  fardeau  trop  lourd  à  l'homme  ,  Dieu  s'est  fait 
homme,  et  s'est  par  là  associé  à  notre  pèlerinage  ici-bas.  »  On  ht  dans 
saint  Luc  ,  chap.  VIII  :  «  Jésus  parcouroit  les  villes  et  les  hameaux, 
prêchant  et  évangélisant  le  royaume  de  Dieu,  ayant  avec  lui  ses  douze 


est  illa  nobilissimas  creaturas  rationabiles 
et  cœlestes,  scilicet  sanctos  angelos  ad  mi- 
nistrandum.  Hebr.,  I  :  «Omnes  suntadmi- 
nistratorii  spiritus  in  ministerium  missi, 
propter  eos ,  qui  haereditatem  capiunt  sa- 
lutis.  »  Matth.,  XVIII  :  «  Angeli  eorum 
semper  vident  faciem  Patris.  »  Angeli  di- 
cuntur,  quia  unicuique  a  nativitate  datus 
est  angélus  ad  ministrandum.  Hinc  legun- 
tur  hominibus  saepe  obsequia  impendisse 
et  faciunt  quotidie  peccatores  converten- 
do,  multos  a  malis  defendendo  ,  justos  ad 
cœlos  deducendo.  Exod.,  XIV  :  «  Ecce 
ego  mitto  angelum  meum  ,  qui  prœcedet 
te,  scilicet  lumen  virtutum  ostendendo,  et 
custodiat  in  via,  in  igné  purgatorii  defen- 
dendo ,  et  introducat  te  ad  sidéra  cœlestis 


regni  perducendo.  Tertius  gradus  est  , 
quod  largitus  est  seipsum.  Luc..,  I  :  «Be- 
nedictus  Dominus  Deus  Israël.  »  Dédit  au- 
tem  se  multis  modis.  Primo,  in  socium 
nostrae  peregrinationis.  Baruch,  III  :  «  Hic 
etiam  Deus  noster ,  qui  adinvenit  omnem 
viam  disciplinée ,  et  tradidit  illam  Israël 
dilecto  suo,  et  post  haec  in  terris  visus 
est,  »  etc.,  quasi  diceret  :  Quia  Deus  fecit 
homini  vias  peregrinationis,  dans  mandata 
bonae  conversationis  ne  deficiat ,  et  ne  via 
homini  videretur  gravis  nimis,  factus  ho- 
mo  est  Deus,  et  per  hoc  socius  vice  et  pere- 
grinationis. Luc.,  VUE  :  «  Iter  faciebat  Jé- 
sus per  castella  et  civitates ,  prtedicans  et 
evangelizans  regnum  Dei,  et  duodecim 
cum  illo ,  et  mulieres  quae  erant  curatae  a 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  463 

apôtres,  il  étoit  aussi  accompagné  des  femmes  qui  avoient  été  délivrées 
des  esprits  impurs ,  de  Marie  Magdeleine  ,  de  Jeanne  ,  de  Susaune  et 
de  plusieurs  autres  ;  et  la  foule  vint  à  lui.  »  Véritablement  bon  par  lui- 
même,  il  se  fit  bon  compagnon,  parce  qu'il  reconforta  par  des  dis- 
cours excellents  ses  compagnons  fatigués,  il  les  délivra  des  dangers 
auxquels  ils  étoient  exposés,  ilguérit  les  malades,  ressuscita  les  morts. 
Le  quatrième  degré  de  la  libéralité  divine,  c'est  qu'il  s'est  fait  notre 
serviteur  dans  nos  besoins.  Il  est  écrit  aux  Philippiens,  chap.  II  :  «  Il 
s^esTabaissé  lui-même  prenant  la  forme  d'un  esclave,  etc..  »  Par 
suite  de  cela,  il  a  donné  à  boire  à  ceux  qui  avoient  soif,  à  manger  à 
ceux  qui  avoient  faim ,  et  il  a  lavé  les  pieds  de  ses  apôtres.  On  lit  dans 
saint  Matthieu  ,  chap.  XX  :  «  Le  Fils  de  l'homme  n'est  pas  venu  pour 
être  servi,  etc..  »  Et  dans  saint  Luc,  chap.  XXII  :  «  Je  suis  au  milieu 
de  vous  comme  celui  qui  sert.  » 

Le  cinquième  degré  consiste  en  ce  qu'il  s'est  fait  le  prix  de  notre 
rédftmptinnJl  est  écrit  aux  Philippiens,  chap.  II  :  «  Jésus-Christ  nous 
a  aimé,  et  il  s'est  livré  pour  nous  à  Dieu  son  Père  comme  une  hostie  et 
une  oblation  d'agréable  odeur.  »  On  lit  dans  saint  Matthieu,  chap.  XX  : 
«  Le  Fils  de  l'homme  est  venu  donner  sa  vie  pour  en  racheter  un  grand 
nombre.  » 

Le  sixième  et  le  plus  parfait  degré  de  cette  libéralité ,  consiste  en 
ce  qu'il  donne  sou  corps  à  l'homme  en  nourriture.  On  lit  dans  Osée, 
ch.  XI  :  «  Je  me  suis  rendu  comme  le  père  nourricier  d'Ephraïm,  et 
je  leur  ai  présenté  de  quoi  manger.  »  Il  est  écrit  dans  saint  Jean ,  ch. 
VI  :  «  Le  pain  que  je  donnerai.  »  Saint  Grégoire  dit  :  «  Le  Seigneur 
qui  est  le  bon  pasteur  a  donné  sa  vie  pour  ses  brebis,  pour  changer 
son  corps  et  son  sang  en  notre  sacrement,  pour  rassasier  de  l'aliment 
de  sa  chair  les  brebis  qu'il  avoit  rachetées;  et  c'est  ici  l'expression  de 
la  libéralité  la  plus  grande  et  de  l'amour  le  plus  intense.  »  C'est  beau- 
coup, sans  doute,  que  de  se  faire  le  compagnon  de  notre  pèlerinage, 


spiritibus  immundis,  et  Maria  Magdalena, 
et  Joanna,  et  Susanna,  et  aliae  mnltœ,  »  et 
turba  multa  venit  ad  eum.  Et  vere  bonus 
se  dédit  in  bonum  socium,  quia  socios  viae 
lassos  optimis  verhis  confortavit ,  in  peri- 
culis  liberavit ,  infirmos  curavit,  mortuos 
suscitavit.  Quartus  gradus,  quod  dédit  se 
in  servum  nostrae  necessitatis.  Ad  Philipp., 
II  :  «  Exinanivit  semetipsum  formam  servi 
accipiens  ,  »  etc.  Hinc  sitientes  potavit , 
esurientes  pavit,  discipulorum  pedes  lavit. 
Matth.,  XX  :  Filius  hominis  non  venit  mi- 
nistrari,  »  etc.  Luc.,  XXII  :  «  Ego  in  me- 
dio  vestrum  sum ,  sicut  qui  ministrat.  » 
Quintus  gradus  est,  quod  dédit  se  in  pre- 
tium  redemptionis  nostne.  Ad  Philipp.,  II  : 


«  Christus  dilexit  nos,  et  tradidit  se  pro 
nobis  hostiam  et  oblationem  Deo  ,  in  odo- 
rem  suavitatis.  »  Matth.,  XX  :  «  Filius  ho- 
minis venit  dare  animam  suam  in  redemp- 
tionein  pro  multis.  »  Sextus  gradus  est,  et 
summus,  quod  dat  homini  corpus  suum 
in  cibum.  Osée,  XI  :  «  Ego  quasi  nutricius 
Ephraim,  et  declinavi  ad  eum  ,  ut  vesce- 
tur.  »  Joan.,  VI  :  «  Panis  quem  ego  dabo.» 
Gregorius  :  «  Bonus  pastor  Dominus  ani- 
mam pro  ovibus  posuit,  ut  in  sacramento 
nostro  corpus  suum ,  et  sanguinem  verte- 
ret,  et  oves  quas  redemerat,  carnis  suae  ali- 
mente satiaret,  et  in  hoc  est  expressio  sum- 
mae  largitatis,  et  prœcipui  amoris.  Magnum 
est  enim  dare  se  in  socium  peregrinationis, 


404  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    5. 

notre  serviteur  dans  nos  besoins,  c'est  plus  encore  de  se  faire  notre 
rédemption  ;  ce  don  néanmoins  laisse  une  séparation  entre  le  donateur 
et  celui  auquel  il  se  donne  ;  mais  lorsqu'il  se  donne  en  nourriture  ,  il 
n'\  a  plus  ombre  de  séparation,  I!  5  a  union  parfaite.  La  nourriture 
et  relui  qui  la  prend  s'unissent  en  effet  en  union  de  corps.  11  est  écrit 
dans  saint  Jean,  chap.  YI  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair  demeure  en 
moi,  etc..  »  Il  est  par  conséquent  évident  d'après  cela  que  ce  don  est 
l'expression  la  plus  parfaite  de  la  libéralité  de  la  bonté  divine^ 

Secondement,  cette  action  constate  aussi  l'excellence  de  la  largesse 
de  Dieu  quant  à  la  noblesse  de  celui  qui  donne.  La  largesse  de  Dieu 
dans  ce  sacrement  va  si  loin  ;  qu'il  donne  son  corps  avec  profusion  et 
sans  mesure  ;  parce  que  ce  n'est  pas  à  ses  amis  et  à  ceux  qui  en  sont 
dignes  seuls  auxquels  il  le  donne  ,  il  ne  le  soustrait  même  pas  à  ceux 
qui  en  sont  indignes ,  aux  méchants  et  à  ses  ennemis.  On  lit  Psaume 
XXYI  :  «  Ceux  qui  veulent  me  perdre  sont  prêts  à  fondre  sur  moi, 
comme  pour  me  manger  tout  vivant.  »  Celui  qui  a  permis  aux  mains 
des  méchants  de  le  crucifier  une  fois,  permet  aux  méchants  de  le  tou- 
cher de  leurs  mains ,  il  permet  à  ses  ennemis  et  aux  hommes  impurs 
de  déchirer  son  corps  de  leurs  propres  dents.  Aussi  est-il  dit  dans  les 
Ecritures,  qu'il  donne  à  Judas  son  ennemi,  à  Judas  qui  le  trahit,  son  corps 
dans  la  cène,  comme  il  le  donne  aux  autres  disciples.  Il  fait  lever  la 
vérité  de  sa  présence  sur  les  bons  et  sur  les  méchants  comme  il  le  fait 
du  soleil  ;  il  se  donne  dans  ce  sacrement  et  à  ceux  qui  en  sont  dignes 
et  à  ceux  qui  n'en  sont  pas  dignes ,  bien  que  les  effets  n'en  soient  pas 
les  mêmes  pour  tous,  il  produit  dans  ceux  qui  le  reçoivent  avec  les  dis- 
positions voulues  lés  mêmes  effets.  Celui  qui  a  les  dispositions  voulues, 
reçoitles  effets  de  la  bonté  de  Dieu,  pendant  qu'il  ne  produit  dans  l'in- 
digne que  la  sévérité;  il  en  est  de  lui  comme  du  soleil  par  rapport  à  l'œil 
sain  et  à  l'œil  malade.  Il  faut  remarquer ,  que  c'est  une  grande  chose 
que  de  faire  de  grands  dons  à  des  amis  et  à  des  proches  ;  que  c'en  est 


et  in  servum  necessitatis ,  majus  in  pretium 
redemptionis,  tamen  taie  donum  ad  hue  est 
in  aliqua  separatione  ab  eo  cui  datur,  sed 
cum  datur  in  cibum,  datur  non  ad  separa- 
tionem  aliquam,  sed  ad  omnimodam  uiiio- 
nem.  »  Uniuntur  enim  in  unitate  corporis 
eibus  et  sumens.  Joann.,  VI  :  «Qui  mandu- 
cat  meam  carnem,  in  me  manet,  »  etc.  Et 
sic  apparet  in  tali  dono  summa  largitas  di- 
Tinee  bonitatis. 

Secundo,  probatur  excellens  liberalitas 
Dei  in  hoc  facto,  quantum  ad  nobilitatem 
dantis ,  quse  tam  excellens  est  in  hoc  sa- 
cramento,  ut  corpus  suum  largiatur  large 
et  diffuse,  quia  non  soluin  dat  illud  dignis 
et  amicis,  sed  non  subtrahit  indignis,  ma- 


lignis,  et  inimicis.  Psal.  XXVI  :  «  Appro- 
priant super  me  nocentes,  ut  edant,  »  etc. 
Qui  enim  se  permisit  manibus  malignorum 
semel  crucifigi,  permittit  se  sceleratorum 
manibus  tractari ,  et  inimicorum ,  et  im- 
mundorum  dentibus  in  sacramento  lace- 
rari.  Hinc  hosti,  et  traditori  suo  Judœ,  in 
cœna  cum  aliis  dicitur  corpus  suum  dédis- 
se. Veritatem  enim  pra?sentise  suae  ad  ins- 
tar solis  oriri  facit  super  bonos  et  malos, 
exhibens  se  in  hoc  sacramento  dignis,  et  in- 
dignis, licet  non  ab  omnibus  effectus  sus- 
cipiatur  œqualis.  Nam  dignus  effectus  sus- 
cipiatur  œqualis.  Nam  dignus  effectus  bo- 
nitatis Dei  suscipit,  indignus  severitatis, 
exemplum  de  sole,  et  oculo  œgro,  et  sano. 


SUR   LE   SACREMENT   DE   L'AUTEL.  465 

une  plus  grande  de  les  faire  à  des  serviteurs  et  des  servantes ,  que 
c'est  une  chose  plus  grande  encore  de  les  faire  à  des  inconnus  et  à 
des  étrangers,  mais  que  les  faire  à  des  ennemis  voilà  qui  est  le  comble 
de  toute  chose.  C'estce  qui  les  fait  accuser  d'une  ingratitude  profonde. 
On  lit  dans  Job ,  chap.  XIX  :  «  Pourquoi  me  persécutez-vous  comme 
Dieu  et  vous  plaisez-vous  à  vous  rassasier  de  ma  chair  ?  »  L'Apôtre 
dit,  Rom.,  chap.  II  :  «  Est-ce  que  vous  méprisez  les  richesses  de  sa 
bonté,  de  sa  patience  ,  et  de  sa  longue  tolérance  ?  Ignorez-vous  que 
la  bonté  de  Dieu  vous  invite  à  la  pénitence?  »  La  bonté,  la  bénignité, 
la  libéralité  immenses  de  la  noblesse  de  Dieu,  qui  font  qu'il  accorde 
tant  de  biens  à  ses  ennemis  et  à  une  foule  de  personnes  qui  prêchent 
contre  lui ,  éclatent  plus  encore  lorsqu'il  leur  permet  de  prendre  son 
propre  corps  afin  de  les  convertir  par  cette  libéralité  sans  bornes. 

Troisièmement  on  prouve  son  excellence  par  l'utilité  immense  qu'il 
a  pour  celui  quile  reçoit  ;  celui  en  effet  qui  reçoit  Dieu  dans  ce  Sacre- 
ment avec  de  saintes  dispositions  lui  devient  semblable;  c'est-à-dire 
qu'il  devient  en  quelque  sorte  semblable  à  Dieu ,  par  la  grâce  de  la 
bonté  et  par  l'imagination  de  l'imitation.  On  lit  dans  saint  Jean , 
chap.  I  :  «  Mais  à  tous  ceux  qui  le  reçurent,  etc..  »  C'est-à-dire  qu'ils 
sont  semblables  à  Dieu  parla  grâce  de  la  bonté.  Saint  Ambroise  dit  : 
«  Parce  que  notre  Seigneur  Jésus-Christ  est  Dieu  et  homme,  vous  qui 
recevez  sa  chair,  vous  devenez  par  cet  aliment  participant  de  sa 
substance ,  mais  la  substance  divine  est  la  bonté.  »  Donc  participer 
par  cet  aliment  à  la  substance  divine,  c'est  être  assimilé  par  la  grâce 
à  la  bonté  divine.  On  lit  dans  les  Proverbes,  chap.  XII  :  «  Celui  qui 
est  bonpuiséra  la  grâce  du  Seigneur.  »  Mais  la  grâce  est  l'influence 
de_]a.bon.té  divine  sur  l'ame  ;  la  grâce  par  cette  bonté  assimile  l'ame 
à  Dieu,  et  la  rendra  digne  de  la  vie  éternelle.  Il  ne  suffit  pas  à  la  li- 
béralité divine ,  dans  ce  sacrement  ou  cette  nourriture,  d'illuminer 


Nota,  quod  magnum  est  dare  magna  doua 
proximis  et  amicis,  majus  dare  servis  et 
ancillis,  maximum  ignotis  et  peregrinis, 
sed  nimis  inimicis.  Unde  arguuntur  de  ma- 
gna ingratitudine ,  Job,  XIX  :  «  Quare  me 
prosequimini  sicut  Deus,  et  carnibus  meis 
saturamini  ?  »  Ad  Rom.,  II  :  «  An  divitias 
bonitatis  Dei,  et  patientiae,  et  longanimita- 
tis  contemnis?  Ignoras,  quoniam  benignitas 
Dei  ad  pœnitentiam  te  addueit?  »  Copiosa 
bônitas,  et  benignitas,  et  liberalitas  nobih- 
tatis  Dei,  quae  inimicis,  et  multis  contra 
enm  peccantibus  tôt  bona  facit,  maxime 
cum  taies  corpus  ejussumere  permittit,  ut 
tanta  eos  liberalitate  convertat. 

Tertio,  probatur  quantum  ad  utilitatem 
suscipientis,  quia  in  hoc  sacramento  digne 
suscipiens,  efficitur  deiformis,  id  est ,  per 


gratiam  bonitatis,  sive  per  imaginationem 
imitationis  Deo  quodammodo  similis. 
Jofui.,  I  :  «  Quotquot  autem  receperunt 
eum,  »  etc.,  id  est,  per  gratiam  bonitatis 
Deo  similes.  Ambrosius  :  «  Quia  Dominus 
Jésus  consors  est  divinitatis,  et  corpori  s;  et 
tu  qui  accipis  carnem  ejus,  divinae  ejus  sub- 
stantiœ  in  illo  participas  alimento,  divina 
substantia  bonitas  est.  »  In  hoc  ergo  ali- 
mento divinae  substantiae  participare,  est 
assimilari  per  gratiam  divinae  bonitati. 
Proverb.,  XII  :  «  Qui  bonus  est,  hauriet  sibi 
gratiam  a  Domino  :  »  gratia  vero  est  in- 
fluentia  divinae  bonitatis  in  animam ,  per 
quam  assimilata  Deo  fit  ei  gratia ,  et  vitae 
œternee  digna.Non  enim  sufiicitliberalitati 
divinae,  quod  in  sacramento,  vel  in  cibo 
intellectum  illuminât ,   quod  effectuai  sa- 

30 


466  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE   6. 

l'intellect,  de  guérir  le  mal  fait,  de  réjouir  la  mémoire  ,  de  recon- 
forter l'homme  tout  entier  dans  le  bien ,  de  l'associer  à  son  corps  my- 
stique; cette  libéralité  l'assimile  encore  à  Dieu  par  la  grâce  dans  la 
vie  présente ,  et  le  lui  assimilera  par  la  gloire  dans  la  vie  future  :  il  n'est 
pas  possible  de  la  pousser  plus  loin. 

CHAPITRE  VI. 

Des  deux  autres  raisons  pour  lesquelles  le  Christ  nous  donne  son  corps  en 

aliment. 

«  Venez,  mangez,  etc.,  »  et  les  autres  preuves  comme  plus  haut. 
La  seconde  raison  pour  laquelle  le  Seigneur  nous  donne  son  corps  en 
aliment,  c'est  la  corruption  de  la  nature  humaine  qui  avoit  besoin  du 
remède  d'une  telle  nourriture,  et  cela  pour  trois  choses.  Premièrement, 
pour  que  le  commencement  de  la  guérison  fût  convenable;  parce  que 
comme  la  corruption  et  la  mort  avoient  commencé  par  le  fruit'défendu, 
savoir  par  le  fruit  de  la  science  du  bien  et  du  mal,  de  même  le  principe 
de  la  justification  et  de  la  vie  devoit  venir  d'une  nourriture,  à  savoir  de 
l'arbre  de  vie,  c'est-à-dire  du  corps  du  Seigneur.  Il  est  écrit  de  la  pre- 
mière de  ces  choses,  Genèse,  ch.  VIII  :  «  De  l'arbre  de  la  science,  etc. . .» 
Il  est  écrit  de  la  seconde,  Jean,  ch.  VI  :  «  Si  vous  ne  mangez  la  chair  du 
Fils  de  l'homme,  etc..  »  Secondement,  la  guérison  complète  de  cette 
corruption  exigeoit  une  telle  nourriture.  Le  serpent  infernal  répandit 
dans  l'homme  tout  entier  par  le  poison^du  fruit  défendu  une  triple  cor- 
ruption :  dans  l'ame ,  ce  furent  les  ténèbres  de  l'ignorance  ,  dans  la 
chair  la  maladie  de  la  mauvaise  concupiscence,  et  la  mort  dans  l'une 
et  l'autre.  Il  est  écrit  Genèse,  ch.  III  :  «  Le  serpent  m'a  trompé,  etc.  » 
Il  est  dit  du  premier  de  ces  maux.  Psaume  XLVIII  :  «  Lorsque  l'homme 


nat,  quod  memoriam  delectat,  quod  totum 
hominem  in  bono  confortât,  et  corpori  suo 
mystico  associât,  quin  insuper  Deo  assimi- 
let  in  praesenti  per  gratiam,  et  in  futuro 
per  gloriam  :  non  enim  potest  ulterius 
promoveri. 

CAPUT  VI. 

De   duabus   aliis  rationibus,   quibus   datur 
corpus  Christ i  in  cibum. 

a  Venite,  comedite,  »  etc.,  et  alia  the- 
mata,  ut  supra.  Secunda  ratio,  quare  Do- 
minus  corpus  suum  dat  in  cibum?  est  hu- 
manse  naturae  corruptio ,  quae  hujusmodi 
cibi  exigebat  medicamentum,  et  hoc  quan- 
tum ad  tria.  Primo,  quantum  ad  congruam 
curationis  inchoationem,  quia  sicut  iuitium 


corruptionis  et  mortis  ccepit  a  cibo  vetito, 
scilicet  a  ligno  scientiae  boni  etmali,sic 
initium  justificationis  et  vitœ,  incipere  de- 
buit  a  cibo ,  scilicet  ligno  vitae ,  id  est ,  a 
corpore  dominico.  De  primo,  Gènes.,  Il  : 
«  de  ligno  scientiae ,  »  etc.  De  secundo , 
Joom.j  VI  :  «  Nisi  manducaveritis  carnem 
lilii  hominis,  »  etc.  Secundo,  exigebat  ta- 
lem  cibum  quantum  ad  integram  corrup- 
tionis curationern.  Serpens  enim  malignus 
infudit  homini  per  venenum  pomi  vetiti, 
triplicem  corruptionem,  in  anima  tenebras 
ignorante,  in  carne  morbum  pravaa  con- 
cupiscentiae,  et  mortem  in  utroque.  Gènes ^ 
III  :  «  Serpens  decepit  me.  »  De  primo. 
Psaim.j,  XLVIII  :  «  Homo  cum  in  honore  es- 
|  set,  »  etc.  Gen.,  I  :  «  Tenebrœ,  id  est,  igno- 


SUR   LE   SACREMENT   DE   L'AUTEL.  467 

étoit  en  honneur,  etc.  »  On  lit  dans  la  Genèse,  ch.  T  :  «  Les  ténèbres;  » 
c'est-à-dire  l'ignorance,  «  planoient  sur  la  face  de  l'abîme,  »  c'esti- 
dire  du  cœur  de  l'homme  trompé  par  le  démon.  Il  est  dit  du  second  de 
ces  maux,  Galat.,  chap.  V  :  «  La  chair  convoite  contre  l'esprit;»  dans 
l'épître  aux  Romains,  ch.  VII  :  «  Je  vois  dans  mon  corps  une  autre  loi 
opposée  à  celle  de  mon  esprit.  »  La  loi  du  corps  et  la  maladie  de  la  con- 
cupiscence qui  pousse  ce  même  corps  aux  actes  mauvais.  Il  est  dit  du 
troisième,  Sagesse,  chap.  II  :  «La  jalousie  du  démon  a  introduit  la 
mort  dans  le  monde.  »  Saint  Augustin  dit  de  tous  ces  maux  ensemble  : 
a  Si  l'ange  qui  s'étoit  précipité  lui-même  hors  du  ciel  n'eut  point  été 
écouté,  nous  n'eussions  point  été  précipités  nous-mêmes  dans  la  mort; 
le  serpent  fatigué  vint  du  ciel  dehors,  et  il  répandit  son  propre  venin, 
il  parla  de  lui-même;  goûtez,  leur  dit-il,  et  vous  serez  comme  des  dieux; 
et  ceux-ci,  désirant  être  ce  qu'ils  n'étoient  pas ,  perdirent  ce  qu'ils 
avoient  reçu ,  à  savoir  la  vie  inteilective ,  la  vie  de  justice,  et  la  possi- 
bilité de  ne  pas  mourir.  Par  conséquent,  comme  le  démon  avoit  ré- 
pandu une  triple  corruption  au  moyen  d'un  fruit  vénéneux,  il  fut  né*- 
cessaire  pour  la  guérir  complètement  que  le  médecin,  c'est-à-dire  notre 
Sauveur  nous  donnât  une  nourriture  médicinale  contre  ces  trois 
genres  de  corruptions,  et  cette  nourriture  c'est  son  corps;  il  chasse  les 
ténèbres  de  l'ignorance  de  l'esprit  de  ceux  qui  le  reçoivent  avec  piété, 
il  guérit  la  maladie  de  la  concupiscence  mauvaise  ,  il  triomple  en  dé- 
truisant la  mort  elle-même.  Quant  au  premier  des  Mens  qu'il  produit, 
il  est  dit,  Psaume  XXYI  :  «  Le  Seigneur  est  ma  lumière;  »  il  est  aussi 
dit,  Psaume  XXXIII  :  «  Approchez-vous  de  lui  et  il  vous  éclairera.  » 
Le  corps  de  Jésus-Christ  est  le  Verbe  de  Dieu ,  c'est-à-dire  la  vraie  lu- 
mière dans  la  chair  humaine  comme  dans  un  flambeau ,  parce  qu'il 
illumine  l'ame  fidèle.  Quant  au  second,  il  est  dit,  Psaume  LXXYII  : 
«  Il  a  fait  pleuvoir  la  manne  pour  les  nourrir,  etc. . .  On  ht  dans  l'Exode, 


rantiee  erant  super  faciem  abyssi,  »  id  est, 
humani  cordis  ex  diaboli  deceptione.  De 
secundo,  Ad  Gai.,  V  :  «  Caro  concupiscit 
adversus  spiritum.  »  Ad  Rom.,  VII  :  «  Video 
aliam  legem  in  membris  meis,  repugnan- 
tem  legi  mentis  meœ.  »  Lex  in  membris 
est  morbus  concupiscentiae,  movens  mem- 
bra  ad  actum  malitiae.  De  tertio;  Sap.,  II  : 
«  Invidia  diaboli  mors  introivit  in  orbem 
terrarum.  >•  De  omnibus.  Augustinus  :  «  Si 
angélus  de  proprio  ruens  paradiso  n6n  es- 
set  auditus,  non  prsecipitaremur  in  mor- 
tem,  sed  venit  de  cœlo  lassus  serpens  lo- 
ris, et  emisit  venenum  de  proprio,  locutus 
est  de  suo,  gustate ,  et  eritis  sicut  dii,  et 
illi  appetentes  quod  non  erant ,  amiserunt 
quod  acceperant,  »  scilicet  vim  intellecti- 


vam,  vitae  juslitiam,  non  moriendi  possi- 
bilitatem.  Quia  ergo  per  cibum  veneno- 
sum,  triplicem  infudit  corruptionem,  ne- 
cesse  fuit,  ut  ad  integram  curationem  me- 
dicus,  id  est,  salvator  noster,  cibum  medi- 
cinalem  contra  haec  tria  daret,  et  hoc  est 
corpus  suum,  quod  pie  recipientium ,  igno- 
rantiae  tenebras  illuminât,  morbum  pravae 
concupiscentiae  sanat,  et  mortem  destruen- 
do  triumphat.  De  primo,  Ps.,  XXVI  :  «  Do- 
minus  illuminatio  mea,  »  etc.  et  Psal., 
XXXIII  :  «  Accedite  ad  eum  et  îlluminami- 
ui.  »  Corpus  Christi  est  verbum  Dei,  id  est, 
vera  lux  in  carne  humana  quasi  iu  lucer- 
na;  quia  illuminatur  fidelis  anima.  De  se- 
cundo, Psalm.,  LXXVII  :  «  Pluit  illis  nian- 
na  ad  manducandum,  »  etc.  Exod.,  XVI  : 


468  OPUSCULE    LVH,    CHAPITRE    6. 

chap.  XVI  :  «  Et  le  matin  la  terre  autour  du  camp  fut  couverte  d'une 
rosée  semblable  à  delà  neige.  »  Le  pain  du  ciel  ressembloit  donc  à 
de  la  neige  et  à  de  la  rosée ,  et  cela  ,  parce  que  le  corps  du  Seigneur 
refroidit  la  concupiscence  mauvaise.  Il  est  dit  du  troisième,  saint  Jean, 
chap.  VI  :  «  Vos  pères  mangèrent  la  manne  dans  le  désert  et  ils  sont 
morts.  C'est  là  le  pain  descendu  du  ciel ,  si  quelqu'un  mange  de  ce 
'  pain  il  ne  mourra  pas  ;  »  par  conséquent  ce  pain|détruit  la  mort.  Il  a  été 
question  de  ces  trois  choses  un  peu  plus  haut  vers  la  fin  du  discours. 
Troisièmement,  la  conservation  parfaite  de  cette  santé  exigeoit  une  telle 
nourriture.  Il  est  en  effet  certains  hommes  qui  se  repentent  pendant 
un  temps  de  leurs  péchés  et  qui  sont  en  quelque^orte  guéris,  mais  au 
temps  de  la  tentation  ils  récidivent ,  et  sont  encore  corrompus.  On  lit 
Psaume  XXXVII  :  «  Elles  se  sont  corrompues  et  se  sont  remplies  de 
pourriture  ,  etc...  »  Mais  cette  nourriture  sert  à  la  conservation  de  la 
santé  de  l'ame,  et  préserve  la  bonne  vie  de  la  corruption.  Il  est  écrit  aux 
Cantiques,  chap.  I  :  «  Mon  bien-aimé  est  pour  moi  comme  un  faisceau 
de  myrrhe.  »  Comme  la  myrrhe  préserve  les  corps  de  la  corruption,  de 
même  le  corps  du  Seigneur  pris  avec  piété  en  préserve  les  cœurs. 

La  troisième  raison  de  la  sagesse  divine ,  qui  a  porté  le  Seigneur  à 
donner  son  corps  à  l'homme  en  aliment  ;  c'est  la  condition  de  la  na- 
ture humaine  qui  a  été  créée  raisonnable  et  qui  a  été  unie  à  un  corps. 
On  peut  considérer  la  créature  raisonnable  sous  trois  points  de  vue 
divers  ;  ce  qui  fait  qu'elle  a  besoin  en  même  temps  d'une  triple  nour- 
riture. Et  d'abord,  on  la  considère  autant  qu'elle  est  incorporelle,  et 
purement  spirituelle,  comme  la  nature  angélique.  On  la  considère 
secondement,  comme  étant  unie  à  un  corps,  c'est-à-dire  comme 
choses  dissemblables  unies  ensemble,  l'esprit  uni  à  la  chair.  La  troi- 
sième manière  delà  considérer,  c'est  en  tant  que  les jlfiiix. natures, 
l'ame  et  le  corps,  sont  unies  dans  chaque  personne  humaine  par  un 


«  Mane  ros  jacuit  in  similitudine  pruinae 
super  terram.  »  Panis  igitur  cœlestis  in 
similitudinem  pruinae,  rorisque  apparebat, 
quia  corpus  Domini  a  fervore  pravee  con- 
cupiscentiee  réfrigérât.  De  tertio,  Joan.,  VI  : 
«  Patres  vestri  manducaverunt  manna  in 
deserto  et  mortui  sunt.  »  Hic  est  paiiis  de 
cœlo  descendens,  ut  si  quis  manducaverit 
ex  ipso  non  morietur,  et  sic  iste  cibus 
mortem  destruit.  De  his  tribus  supra  in 
sermone  circa  linem  actum  est.  Tertio, 
exigebat  talem  cibum  quantum  ad  firmain 
sanitatisconservationem.  Quidam  enim  ad 
tempus  de  peccatis  compunguntur,  et  quo- 
dammodo  curantur,  sed  tempore  tentatio- 
nis  per  recidivum  iterum  corrumpuntur. 
Psalm., XXXVII:  «Putruerunt,  et  corruptae 
sunt  »  etc.  Ad  conservationem  autem  sani- 


tatis  animae,  et  incorruptionis  bona;  vita?, 
valet  cibus  iste.  Cunt.,  I  :  «  Fasciculus  myr- 
rhae  dilectus  meus  mihi.  »  Sicut  enim 
myrrha  incorrupta  servat  corpora,  sic  cor- 
pus Domini  pie  sumptum,  corda. 

Tertia  ratio  sapientiee  Dei,  qua  Dominus 
dat  homini  corpus  suum  in  cibum,  est  hu- 
manse  naturse  conditio  quee  rationalis 
creata  est,  et  corpori  conjuncta.  Rationalis 
autem  creatura  potest  tribus  modis  consi- 
dérai-}, et  secundum  hoc  indiget  Iriplici 
cibo.  Primo  modo,  consideratur  secundum 
quod  est  incorporea,  et  pure  spiritualis,  ut 
natura  angelica.  Secundo- modo,  secundum 
quod  est  corpori  conjuncta,  sicut  dissimilis 
dissimili,  spiritus  carni.  Tertio  modo,  se- 
cundum quod  illae  duoe  naturœ,  scilicet 
corpus  et  anima  in  singulis  personis  ho- 


SUR  LE  SACREMENT  DE  L' AUTEL.  469 

amour  admirable  et  formant  une  société  intime.  Mais  quel  que  soit 
celui  de  ces  trois  modes  sous  lequel  on  considère  la  créature  raison- 
nable ,  elle  a  besoin  d'un  aliment  approprié  à  sa  condition.  Considérée  s**X 
de  la  première  manière,  elle  a  besoin  d'un  aliment  qui  la  fasse  vivre 
et  subsister,  et  c'est  le  Verbe  éternel  de  Dieu,  incorporel  par  nature,  et 
qui  est  la  sagesse  éternelle  de  Dieu.  On  lit  dans  Ipbie,  eh.  XII  :  «  J'use 
d'une  nourriture  invisible,  et  d'un  breuvage  que  l'on  ne  peut  pas  voir. 
H  est  écrit,  Proverbes,  cli.  III  :  «  Elle  est  un  arbre  de  vie  pour  ceux  qui 
l'aiment,  »  c'est-à-dire  la  sagesse  de  Dieu.  L'Ecclésiastique  dit,  ch.  I  : 
«  La  source  de  la  sagesse ,  c'est  le  Verbe  de  Dieu  qui  rassasie  au  plus 
haut  des  cieux ,  »  c'est-à-dire  qui  rassasie  les  anges  dans  le  ciel.  La 
créature  raisonnable  envisagée  sous  le  second  mode,  en  tant  qu'elle 
est  unie  au  corps  comme  une  chose  dissemblable  à  une  chose  dissem- 
blable ,  l'esprit  à  la  chair,  une^chose  vile  à  une  chose  précieuse,  a 
besoin  d'une  nourriture  en  rapport  avec  les  besoins  de  chaque  nature, 
mais  dissemblable  ;  parce  que  l'esprit  a  besoin  d'une  nourriture  spi- 
rituelle comme  les  anges ,  et  le  corps  d'une  nourriture  corporelle 
comme  la  brute.  Quant  à  la  première  de  ces  nourritures ,  on  Ut , 
Psaume  LXXVII  :  «  Le  pain  des  ange*,  etc..  »  Il  est  écrit  I  Cor.,  ch.  X  : 
«  Nos  pères  mangèrent  tous  la  même  nourriture  spirituelle  ,  etc..  » 
Il  est  écrit ,  Sagesse,  chap.  IX  :  «  Car  encore  que  quelqu'un  paroisse 
consommé  parmi  les  enfants  des  hommes ,  il  sera  néanmoins  consi- 
déré comme  rien  si  votre  sagesse  n'est  point  avec  lui;  »  parce  que 
celui  qui  manquera  de  la  nourriture  spirituelle  qui  est  la  sagesse  de 
Dieu,  perdra  la  vie  spirituelle.  On  lit  dans  l'Ecclésiastique,  chap.  XV  : 
«  Le  Seigneur  l'a  nourri,  etc..  »  Il  est  dit  de  la  seconde  au  second 
livre  des  Rois,  chap.  XII  :  «  Un  pauvre  avoit  une  brebis  qui  mangeoit 
de  son  pain.  »  Il  est  écrit  Ecclésiastique,  ch.  XXXIX  :  «  Le  commen- 
cement des  choses  nécessaires  à  la  vie  de  l'homme ,  sont  le  lait  et  le 


minum  surit  familiari  societate ,  miroque 
amore  conjunctae.  Sed  quoeumque  istorum 
trium  modorum  consideratur  rationalis 
creatura  secundum  conditionem  suam  con- 
venienti,  indiget  alimonia.  Primo  modo 
exigit  alimentum,  per  quod  vivat,  et  sub- 
sistât, scilicet  verbum  Dei  aeternum  secun- 
dum se  incorporeum,  quod  est  aeterna  Dei 
sapientia.  Tob.,  XII  :  «  Ego  cibo  invisibili 
et  potu  qui  ab  hominibus  videri  non  po- 
test,  utor.  »  Proverb.,  Iil  :  «  Lignum  vitae 
est  his  qui  apprehenderint  eam ,  »  scilicet 
Dei  sapientiam.  Eccles.,  I  :  «  Fons  sapien- 
tia; verbnm  Dei  in  excelsis  reficiens,  »  sci- 
licet angelos  in  cœlis.  Secundo  modo  con- 
siderata  rationalis  creatura,  ut  est  corpori 
conjuncta,  sicut  dissimilis  dissimili,  spiritus 
carni,  pretiosum   vili,  secundum  conditio- 


nem utriusque  naturae  indiget  pro  utroque 
cibo  convenienti  sibi,  sed  dissimili,  quia 
spiritus  spirituali  ad  modum  angeU,  corpus 
'corporali  ad  modum  bruti.  De  primo, 
Psal.,  LXXVII  :  «  Panem  angelorum,  »  etc. 
I  ad  Cor.,  X  :  «  Patres  nostri  omues  ean- 
dem  escam  spiritualem  manducaverunt,  » 
etc.  Sap.,  IX  :  «  Si  quis  erit  consummatus 
inter  filios  hominum,  si  ab  illo  effugerit 
sapientia  tua,  in  nihilum  computabitur  :  » 
quia  qui  spirituali  cibo,  qui  est  Dei  sapien- 
tia caruerit,  a  vita  spirituali  deficiet.  Ec~ 
clesiast.,  XV  :  «  Cibavit  eum  Dominus,  » 
etc.  De  secundo,  II  Regum,  Xll  :  «  Pauper 
quidam  habebat  oviculam  de  pane  suo 
comedens.  »  Ecclesiast.,  XXXIX  :  «  Ini- 
tium  necessariae  rei  vitœ  hominum,  lac  et 
panis,  mel  et  uvae,  et  oleum,  »  hœc  omnia 


470  OPUSCULE   LVH,    CHAPITRE    6. 

pain,  le  miel  et  le  vin,  el  L'huilé  ;  toutes  ces  choses  se  changent  en 
bien  pour  les  bons,  et  en  mal  pour  les  impies.  »  On  lit  de  l'une  et  de 
l'autre  de  ces  nourritures,  Deutéronome,  chap.  "VIII,  et  saint  Matthieu, 
chap.  IV  :  «  L'homme  ne  vit  pas  seulement  de  pain,  etc..  »  Saint 
Augustin  dit:  «  Comme  l'ame  est  la  vie  du  corps,  mais  qu'elle  ne  le 
vivifie  pas  sans  la  nourriture  corporelle  ;  de  même  Dieu  est  la  vie  de 
l'ame  ,  mais  il  ne  la  vivifie  pas  sans  la  nourriture  spirituelle  ;  c'est-à- 
dire  sans  le  Verbe  de  Dieu,  et  ainsi  ces  deux  natures  de  l'homme, 
dissemblables  entre  elles,  vivent  d'une  nourriture  dissemblable,  elles 
ne  mangent  pas  de  la  même  manière ,  et  il  y  a  une  grande  distance 
entre  les  aliments  qu'elles  mangent  ;  la  nourriture  du  corps  ne  con- 
vient point  à  l'esprit,  ni  celle  de  l'esprit  au  corps.  » 

La  créature  raisonnable  considérée  sous  le  troisième  mode  en  tant 
que  ces  deux  natures,  c'est-à-dire  l'ame  et  le  corps,  sont  dans  chaque 
personne  humaine  unies  d'un  amour  parfait  et  dans  une  société  in- 
time; ils  ont  dès-lors  besoin,  pour  leur  salut  éternel,  d'un  aliment 
propre  à  l'homme  tout  entier;  c'est-à-dire  qui  convienne  à  l'une  et 
à  l'autre  nature  d'un  aliment  spirituel  en  même  temps  que  corporel  ; 
c'est-à-dire  du  Verbe  fait  chair,  qn'ils  mangent  sous  un  certain  sacre- 
ment, afin  que  ,  par  sa  vertu  ,  l'ame  parvienne  des  misères  de  la  vie 
présente  à  la  béatitude  de  la  vie  éternelle,  et  que  le  corps  qui  demeure 
pendant  un  peu  de  temps  conservé  dans  la  terre,  pour  enfin  ressusciter 
glorieux.  Saint  Jean  dit  de  cette  nourriture,  ch.  VI  :  «  Ma  chair,  c'est- 
à-dire  la  chair  de  Dieu,  la  chair  humaine  unie  au  Verbe  de  Dieu  ,  est 
une  vraie  nourriture  ayant  la  propriété  de  nourrir  tout  l'homme ,  et 
l'ame  et  le  corps.  »  On  lit  dans  l'Ecclésiastique,  chap.  I  :  «  Le  Très- 
Haut  est  le  seul  créateur  de  toutes  choses;  c'est  lui  qui  a  créé  la  sa- 
gesse de  son  esprit,  et  il  la  donne  à  ceux  qui  l'aiment,  selon  son 
propre  don.  »  II  a  créé  la  sagesse  de  son  esprit;  c'est-à-dire  que,  par 


sanctis  in  bona,  et  impiis  in  mala  conver- 
tentur.  De  utroque,  Deut.,  VIII  et  Matth., 
IV  :  «  Non  in  solo  pane,  »  etc.  Augusti-* 
nus  :  «  Sicut  anima  vita  est  corporis ,  sed 
non  vivificat  sine  cibo  corporali  :  ita 
Deus  vita  est  animae,  sed  non  vivificat  illam 
sine  cibo  spirituali,  id  est,  sine  verbo  Dei, 
et  sic  haec  et  illa  natura  hominis  sibi  dissi- 
miles,  dissimilem  cibum  habuerunt,  et  alio 
modo,  et  longe  ab  invicem  comederunt, 
nec  cibus  cerporis  congruebat  spiritui,  nec 
cibus  spiritus  corpori.  » 

Tertio  modo,  considerala  rationalis  crea- 
tura  secundum  quod  illae  duae  naturœ,  id 
est,  corpus  et  anima  sunt  in  singulis  perso- 
nis  hominum  f'amiliari  societate,  et  miro 
amore  conjunctae,  tune  exigitur  ad  seter- 


nam  salvationem  utrorumque  unus  cibus 
toti  homini,  idest,  utrique  natura?  conve- 
niens  spiritualis  simul  et  corporalis,  scili- 
cet  :  Verbum  caro  factum,  quem  simul  sub 
quodam  sacramento  comedant ,  cujus  vir- 
tute  anima  de  prsesenti  miseriaad  vitam 
seternae  beatitudinis  perveniat,et  corpus  ad 
modicum  tempus  servatur  in  terra,  ut  tan- 
dem gloriose  resurgat.  De  hoc  cibo,  Joan., 
VI  :  «  Caro  mea,  id  est,  caro  Dei,  caro  hu- 
mana  unita  Dei  verbo  vere  est  cibus,  » 
scilicet  totius  hominis  valens  animae  et  cor- 
pori :  Ecclesiastici,  I  :  «  Unus  est  altissi- 
mus  creator  omnium,  ipse  creavit  sapien- 
tiam  spiritu  suo ,  et  secundum  datum 
suum  prœbet  illam  diligentibusse.  »  Crea- 
vit sapientiam  spiritu  suo ,  id  est ,  virtute 


SUR  LE   SACREiMENT  DE    L'AUTEL.  471 

sa  puissance,  il  a  pris  la  créature  de  la  chair  de  la  Vierge,  et  il  l'a 
m  lit;  à  sa  sagesse;  selon  son  don;  c'est-à-dire  qu'il  la  donne  selon 
sa  libéralité  à  ceux  qui  l'aiment ,  c'est-à-dire  aux  fidèles ,  pour  qu'elle 
serve ,  comme  nous  l'avons  dit ,  à  l'ame  et  au  corps.  C'est  de  ce  ban- 
quet du  corps  et  de  l'ame  dont  parle  Isaïe ,  chap.  IX  :  «  Le  veau  et 
l'ours  mangeront  ensemble.  »  Le  veau  signifie  le  corps  qui ,  dans  le 
sacrifice,  doit  être  immolé  à  Dieu;  l'ours  signifie  l'esprit,  qui  doit 
ètrejerrible  P0lir  les  mœurs  et  les  mouvements  brutaux ,  comme 
l'ours  l'est  pour  les  bêtes  fauves.  Ils  mangerout  ensemble  la  nourri- 
ture véritable ,  c'est-à-dire  la  chair  de  Jésus-Christ ,  pour  que  cette 
nourriture  serve  en  même  temps  et  à  l'ame  et  au  corps.  Saint  Jean  dit 
de  la  première,  chap.  VI  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair,  etc.;  »  du 
second  :  «  Et  je  le  ressusciterai,  etc..  » 


CHAPITRE  VII. 

De  la  forme  de  la  donation,  c'est-à-dire  quelle  est  la  cause  pour  laquelle 
il  nous  donne  ce  sacrement  voilé. 

«  Venez,  mangez  le  pain,  etc..  »  Argument  spécial  ;  «  Comment 
peut-il  nous  donner  sa  chair,  etc..  »  Argument  propre  :  «  Il  est  bon 
de  tenir  caché  le  secret  du  roi ,  »  Tobie,  chap.  XII.  Il  faut  en  second 
lieu  observer  surtout,  par  rapport  à  ce  sacrement ,  la  forme  sous  la- 
quelle il  nous  le  donne,  et  relativement  à  cette  même  forme  il  y  a 
trois  considérations  à  faire.  La  première,  c'est  que  le  Seigneur  nous 
donne  son  corps  voilé.  La  seconde  ,  c'est  qu'il  le  donne  voilé  sous  les 
espèces  du  pain.  La  troisième ,  c'est  qu'il  le  donne  voilé  sous  les  es- 
pèces du  pain  de  froment.  Il  importe  de  savoir  pour  ce  qui  est  du 
premier  point ,  qu'il  nous  le  donne  voilé  et  non  à  découvert,  d'après 
les  paroles  suivantes ,  Apocalypse,  chap.  II  :  «  Je  donnerai  la  manne 


sua,  scilicet  creaturam  carnis  de  Virgine 
sumpsit,  et  sapientiae  suae  univit,  et  secun- 
dum  datum  suum,  id  est,  liberalitatem 
praebet  illam  in  cibum  diligentibus  se,  sci- 
licet fidelibus,  ut  prosit,  sicut  dictum  est, 
corpori  et  animae.  De  hoc  convivio  corpo- 
ris  et  animae,  Isa.,  IX  :  «  Vitulus  et  ursus 
pascentur  simul.  »  Vitulus  signiiicat  cor- 
pus, quod  in  sacrifiSio  Deo  est  maotandum  : 
ursus  spiritum,  qui  sicut  ursus  bestiis,  sic 
terribilis  esse  débet  bestialibus  motibus  et 
moribus.  Hi  pascentur  simul,  scilicet  vero 
cibo,  id  est,  carne  Christi,  ut  prosit  animae 
et  corpori.  De  primo,  Joan.,  VI  :  «  Qui  man- 
ducat  carnem  meam,  »  etc.  De  secundo  se- 
quitur  :  «  Et  ego  resuscitabo   eum ,  »  etc. 


CAPUT  VII. 

De  forma  donalionis,  videlieet  qua  ex  causa 
detur  velatum  hoc  sacramentum. 

«  Venite,  comedite  panem,»  etc.  Thema 
spéciale.  «  Quomodo  potest  nobis  carnem 
suam  dare,  »  etc.  Thema  proprium  :  «  Sacra- 
mentum régis  abscondere  bonum  est.  » 
Tobiœ,  XII  :  Secundum  principaliter  circa 
sacramentum  dominicum  notandum,  est 
forma  donationis,  et  circa  hanc  tria  sunt 
consideranda.  Primum,  quod  Dominus  cor- 
pus suum  dat  velatum  :  secundum ,  quod 
dat  velatum  sub  specie  panis.  Tertium, 
quod  dat  velatum  sub  specie  panis  triticei. 
Circa  primum  sciendum,  quod  datur  vela- 
tum non  nudum ,  secundum  illud  Apocn- 
hjp.,  II  :  «  Dabo  manna  absconditum  quasi 


472  OPUSCULE  LVII,    CHAPITRE    7. 

cachée  comme  une  nourriture  céleste  voilée.  »  Mais  parce  que  le  sens 
humain  hésite  et  est  étonné ,  puisqu'il  voit  autre  chose ,  le  Seigneur 
emploie  ce  voile  pour  quatre  raisons.  La  première ,  c'est  l'indi- 
gnité des  méchants  qui  exige  qu'il  soit  voilé,  comme  l'œil  malade 
veut  être  privé  des  rayons  du  soleil  et  de  toute  autre  lumière  :  en 
cela  la  miséricorde  du  Sauveur  agit  avec  la  plus  grande  bonté  envers 
eux;  car  si  les  méchants  le  voyoient  à  découvert ,  et  qu'ils  le  vissent 
manger  aux  fidèles ,  à  cet  aspect  ils  seroient  scandalisés ,  et  ils  péri- 
roient  misérablement  de  trois  manières  ;  dans  leur  cœur  par  l'hor- 
reur, dans  leur  bouche  par  la  détraction ,  dans  leur  ame  par  la  mort 
spirituelle.  Et  d'abord  ils  périroient  par  l'horreur  que  leur  inspireroit 
cet  aliment.  On  lit  dans  saint  Jean,  chapitre  YI,  où  le  Seigneur  dit  : 
«  Ma  chair  est  une  véritable  nourriture,  etc.,  »  il  suit  :  «  A  ces 
mots  plusieurs  de  ses  disciples  se  retirèrent ,  »  ayant  horreur  de  ces 
paroles,  comme  si  elles  leur  eussent  imposé  l'obligation  de  manger 
de  la  chair  humaine.  On  lit  dans  saint  Ambroise  :  «  Yous  direz  peut- 
être  :  Comment  est-ce  un  sang  véritable  ?  parce  que  vous  ne  voyez 
pas  la  forme  de  la  chair  ;  mais  considérez  les  paroles  de  Jésus-Christ  : 
entendant  qu'il  donnoit  sa  chair  à  manger,  ils  se  retiraient  ;  Pierre 
seul  dit  :  Seul  vous  avez  les  paroles  de  la  vie  éternelle,  vers  qui 
irons-nous  ?  »  Par  conséquent ,  pour  empêcher  la  foule  de  se  scanda- 
liser, et  comme  si  on  avoit  éprouvé  quelque  horreur  de  la  chair  hu- 
maine, et  pour  que  la  gloire  du  Rédempteur  fût  plus  grande ,  vous  le 
recevez  sous  la  forme  de,sacrement ,  mais  vous  obtenez  la  gloire  et  la 
vertu  de  la  vraie  nature.  Il  est  parlé  du  second  genre  de  mort  auquel 
ils  seroient  exposés,  dans  le  même  endroit;  là  où  le  Seigneur  dit  : 
«  Le  pain  que  je  vous  donnerai ,  c'est  ma  chair,  etc.  C'est  pourquoi 
les  Juifs  discutoient  entre  eux,  etc.  »  Mais  cette  discussion,  c'est  le 
murmure  et  la  détraction;  et  c'est  pourquoi  il  dut  être  voilé.  On  lit, 
Psaume  LIY  :  «  Si  celui  qui  me  haïssoit,  etc.  »  On  lit  du  troisième 

cibum  cœlestem  velatum  :  »  sed  quia  hic  verba  de  humana  carne  comedenda.  Am- 
humanus  sensus  hsesitat ,  et  miratur  cum  brosius  :  «  Forte  dices  :  Quomodo  verus 
aliud  videtur,  hujus  velaminis  quadruplex  sanguis?  quia  similitudinem  non  vides  car- 
est  ratio.  Prima  est  indignitas  malorum ,  nis.  Attende  verba  Christi  :  Audientes, 
quœ  exigit  ut  veletur,  sicut  aeger  oculus  ut  quod  carnem  suam  daret  manducare,  re- 
sibi  sol,  et  quodlibet  lumen  tegatur,  et  in  cedebant,  solus  Petrus  dixit  :  Verba  vita^ 
hoc  benignissime  agit,  cum  eis  misericor-  seternse  habes,  ad  quenf  ibimus  ?  »  Ne  erg'  i 
dia  Salvatoris,  si  pravi  nudum  aspicerent,  j  plures  scandalizentur,  et  velut  quidam  es- 
ethoc  afidelibusmanducari,  ex  ipso  aspectu  j  set  horror  humanœ  carnis,  sed  magis  ma- 
scandalizerentur ,  et  tripliciter  maie  péri-  neret  gloria  redemptoris,  ideo  insimilitu- 
rent,  videlicet  in  corde  per  horrorem ,  in  dine  accipis  sacramentum  :  sed  verse  natune 
ore  per  detractionem ,  in  anima  per  spiri- 1  gloriam  virtutemque  consequeris.  De  se- 
tualem  mortem.  De  primo,  Joan.,  VI  :  Ubi  cundoin  eodem,  ubi  Dominus  dixit  :  «  Pa- 
Dominus  dicit  :  «  Caro  mea  vere  est  ci-  nis  quem  ego  dabo,  caro  mea  est,  »  etc.  Liti- 
bus,  »  etc.  Sequitur  :  Ex  hoc  multi  disci-  gabant  ideo  Judaei  etc.  Litigatio  lwec  niur- 
puli    abierunt     retro^    quasi   abhorrentes   mur  et  detractio  est ,  et  ideodebnit  velari. 


SUR  LE   SACREMENT   DE  l'aUTEL.  473 

genre  au  livre  des  Nombres,  chap.  IV  :  «  Aaron  et  son  fils  entreront, 
ils  disposeront  eux-mêmes  les  œuvres,  »  c'est-à-dire  ils  couvriront  les 
choses  secrètes ,  et  il  ne  leur  est  permis  de  les  voir  avant  qu'elles  ne 
soient  dérobées  à  la  vue  sous  aucun  autre  prétexte  de  curiosité  ,  au- 
trement ils  mourroient.  On  lit  au  premier  livre  des  Rois ,  chap.  VI  : 
«  Le  Seigneur  en  frappa  un  grand  nombre  ,  parce  qu'ils  avoient  vu 
l'arche  du  Seigneur;  »  et  cela  parce  qu'il  ne  leur  étoit  pas  permis  de 
la  voir  découverte.  L'arche  est  la  figure  du  corps  de  Jésus-Christ  qui 
doit  être  voilé  aux  méchants ,  pour  les  empêcher  de  mourir  spirituel- 
lement, s'ils  le  voyoient;  car  leur  aveuglement  le  leur  fcroient  re- 
garder comme  fantastique..  On  lit  dans  l'Ecclésiaste,  chap.  III  :  «  Il 
est  plusieurs  des  œuvres  de  Dieu  qui  ne  doivent  pas  piquer  votre 
curiosité.  »  Il  n'est  pas  nécessaire  que  vous  voyez  de  vos  propres  yeux 
les  choses  cachées. 

La  seconde  raison  pour  laquelle  on  le  reçoit  voilé,  c'est  la  foi  des 
bons ,  et  cette  raison  en  renferme  trois  autres  pour  lesquelles  il  doit 
être  voilé;  ces  raisons  sont  que  voilé  il  est  l'objet  de  la  foi ,  il  est  un 
véritable  remède  contre  l'infidélité  mauvaise ,  il  rend  aussi  la  foi  mé- 
ritante. 1°  Pour  que  la  foi  existe  réellement ,  ii  faut  que  le  corps  de 
Jesûs-Christ  nous  soit  donné  voilé.  Il  est  écrit  aux  Hébreux ,  chap.  X  : 
«  La  foi  a  pour  objet  les  choses  cachées.  »  La  foi ,  comme  le  dit  saint 
Augustin  ,  consiste  à  croire  ce  que  vous  ne  voyez  pas ,  c'est-à-dire  à 
croire  sur  parole  une  chose  cachée  qui  existe  réellement ,  et  que  ce- 
pendant on  ne  voit  pas  de  l'œil.  Nous  avons  plutôt  la  science  que  la 
foi  des  choses  que  nous  voyons.  On  lit  dans  la  première  Epître  de  saint 
Pierre  ,  chap.  I  :  «  Vous  croyez  à  Jésus-Christ,  bien  que  maintenant 
vous  ne  le  voyiez  pas.  »  2°  L'infidélité  exige  comme  remède  que  le 
corps  de  Jésus-Christ  soit  voilé ,  et  cela  pour  que  le  mode  de  satisfac- 
tion soit  en  rapport  avec  la  faute  d'infidélité.  Ce  qui  fait  que  comme 


Psalm.  LIV  :  «  Si  is  qui  oderat  me,  »  etc.  ;  des  bonorum  ,  et  haec  ratio  potest  in  tria 
De  tertio,  Num.,  IV  :  «  Aaron  et  filais  ejus  !  distingua,  quœ  exigunt  hoc  velari,  scilicet 


intrabunt,  ipsique  disponent  opéra,  »  id 
est,  operient  sacramenta,  alia  nulla  curiosi- 
tate  yideant  quœ  sunt  in  sanctuario  prius- 
quam  involvantur ,  alioquin  morientur.  I 
Regum,\[  :  «  Percussit  Dominus  multos,  eo 
quod  vidissent  arcam  Donnai,  »  quia  scili- 
cet non  licebat  eis  videre  eam  detectam. 
Arca  signitîcat  corpus  Christi,  quod  mali- 
gnis  est  velandum,  ne  spiritualiter  morian- 
tur  si  videant  :  quia  causa  suae  cœcitatis 
putarent  esse  phantasticum.  Ecclesiastes  , 
III  :  «  In  pluribus  operibus  Dei  non  f'ueris 
curiosus.  »  Non  est  enim  tibi  necessarium 
ea  qufe  abscondita  sunt  videre  oculis  tuis. 
Secunda  ratio  quare  velatum  datur,  est  11- 


iidei  esse  verum  intidelitatis  pravee  reme- 
dium,  fîdei  meritum.  Primo  lidei  esse  ve- 
rum exigit,ut  velatum  detur  corpus  Christi. 
Ad  Hebr.,  X  :  «  Fides  est  rerum  non  ap- 
parentium,  »  ut  dicit  Augustinus  :  «  Fides 
est  credere,  quod  non  vides,  scilicet  cre- 
dere  verbis  de  re  occulta  qua;  vere  est,  et 
tamen  eam  oculis  non  vides.  Nam  de  re 
quam  videmus  scientiam  potius  quam  11- 
dem  habemus.  »  I  Petr.,  I  :  «  Chrislus  est 
in  quera  non  videntes  creditis.  »  Secundo, 
infidelitatis  remedium  exigit  ut  vcletur 
corpus  Christi,  quatenus  culpœ  infidelitatis 
ivspiMiïJeat  modus  congruus  satisfactionis. 
Unde  sicut  primorum  parentum  increduli- 


474  ,  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    7. 

l'incrédulité  de  nos  premiers  parents  vient  de  ce  qu'ils  entendirent  la 
parole  du  démon ,  qui  leur  persuadoit  de  manger  une  nourriture  qui 
renfermoit  cachée  en  elle  la  mort,  et  que  leurs  sens  se  délectèrent 
vainement  dans  cette  nourriture  ;  de  même  il  convient  que  la  foi  de 
ceux  qui  doivent  être  sauvés  ait  son  principe  dans  l'audition  de  la 
parole  du  Sauveur,  qui  conseille  une  nourriture  qui  contient  cachée 
en  elle  la  vie  véritable ,  nourriture  qui  trompe  tous  nos  sens ,  sauf 
l'ouïe  ,  puisque  la  foi  vient  de  l'ouïe  et  non  de  la  vue ,  ni  des  autres 
sens  ;  elle  vient  de  l'ouïe  qui  nous  transmet  la  parole  de  Jésus-Christ. 
Une  figure  parfaite  de  ceci ,  c'est  la  bénédiction  de  Jacob ,  Genèse , 
chap.  XXYII,  où  les  sens  d'Isaac  sont  trompés,  car  il  pense  sentir 
Esau  pendant  qu'il  sent  Jacob  qui ,  voilé  ,  lui  ressemble.  Il  importe 
aussi  de  savoir  que  dans  cette  figure  du  corps  du  Seigneur,  il  y  avoit 
deux  'personnes,  Isaac  et  Rébecca;  l'homme  et  la  femme  comme  si- 
gnifiant les  deux  natures  qui  existent  en  nous,  c'est-à-dire  l'ame  et 
le  corps  ;  l'homme  qui  d'ordinaire  est  plus  en  évidence  ,  et  qui  s'oc- 
cupe davantage  des  affaires  extérieures ,  est  la  figure  de  l'homme 
extérieur,  c'est-à-dire  du  corps  avec  ses  sens  ;  la  femme  qui  demeure 
à  la  maison  et  qui  dirige  la  famille ,  est  la  figure  de  l'homme  inté- 
rieur, c'est-à-dire  de  l'ame  qui  prend  soin  de  son  salut  et  de  celui  des 
autres.  Jacob  bon  et  beau,  habitant  les  tentes  qu'aime  Rébecca, 
c'est-à-dire  Fame_fidèle ,  signifie  le  vrai  corps  de  Jésus-Christ.  Esaiï 
qu'aimoit  Isaac  ,  c'est-à-dire  le  corps  qui  se  nourrit  d'une  nourriture 
qui  lui  est  propre  ,  signifie  la  substance  du  pain  avec  ses  accidents , 
savoir  la  couleur,  la  saveur,  etc..  C'est  pourquoi  pendant  qu'Isaac  , 
comme  homme  extérieur,  c'est-à-dire  prêtre ,  doit  bénir  Esaû ,  c'est- 
à-dire  la  substance  du  pain  ,  elle  s'éloigne ,  il  ne  reste  que  l'appa- 
rence d'Esatt,  à  savoir  les  habits  avec  l'odeur,  les  peaux  avec  leurs 
poils ,  la  nourriture  avec  sa  saveur,  c'est-à-dire  les  accidents  du  pain 


tas  incœpit  ex  auditu  verbi  diaboli,  sua- 
dentis  cibum  habentem  mortem  velatam, 
et  in  eo  sunt  sensus  eorutn  varie  delectati, 
sic  congruit  ut  fides  salvandorum  meipiat 
ex  auditu  verbi  Salvatoris,  suadentis  cibum 
habontem  veram  vitam  absconditam,  et  in 
quo  nostri  sensus  pie  sunt  decepti  prater 
auditum,  ut  sit  fides  ex  auditu  tantum  et 
non  ex  visu  vel  aliis  sensibus,  auditus  au- 
tem  per  verbum  Christi.  Hocpulchre  figu- 
ratur,  Gen.,XXVlI,  in  benedictione  Jacob, 
ubi  sensus  Isaac  sunt  decepti  putantis  sen- 
tire  Esau  ,  dura  sentit  simiUtudinem  ejus, 
qui  velatus  erat ,  Jacob.  Unde  seiendum  , 
quod  in  illa  figura  dominici  corporis  duae 
erant  personse,  scilicet  Isaac  et  llebecca, 
quasi  rnasculus  et  i'œinina  significant  duas 
naturas  in  nobis,  id  est  corpus  et  animam, 


rnasculus  qui  magis  solet  esse  manifestus, 
et  exterioribus  plus  intendit,  signiiicat  ex- 
teriorem  horninem,  id  est  corpus  cum  suis 
sensibus  ;  fœrnina,  quae  domi  residet  et  fa- 
miliara  régit,  interiorem  hominem,  id  est 
animam  quae  saluti  suae  et  aliorum  gerit 
curam.  Jacob  bonus  et  formosus  habitans 
in  tabernaculis ,  quem  diligit  Rébecca  ,  id 
est  fidelis  anima  ,  significat  verum  corpus 
Christi.  Esau  quem  atnabat  Isaac,  id  ort 
corpus  eo  quod  de  cibis  suis  vescitur,  si- 
gnificat substantiam  panis  cum  suis  acci- 
dentibus,  scilicet  colore,  sapore,  et  caeteris. 
Dum  itaque  Isaac  quasi  homo  exterior ,  id 
est  sacerdos  beneficere  débet ,  Esau,  id  est 
substantia  panis,  recedit  ,  sed  similitudo 
Esau,  scilicet  vestes  cum  odore,  pertes  pi- 
losee,  cibus  cum  sapore,  id  est  accidentia 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  475 

ou  la  similitude  ;  Jacob  conserve  autour  de  lui  la  couleur,  l'odeur,  la 
Saveur,  la  fermeté,  et  nos  sens  sont  trompés.  La  vue  obscurcie  d'Isaac 
est  trompée  en  ce  point,  c'est-à-dire  la  vue  débile  de  notre  corps, 
qui  fait  qu'il  se  figure  avoir  devant  lui  Esau,  c'est-à-dire  l'espèce  ou 
apparence  ,  et  que  Jacob  est  caché  sous  le  voile  de  cette  même  appa- 
rence ,  Jacob ,  c'est-à-dire  le  corps  de  Jésus-Christ.  Le  goût  est  ici 
trompé  ,  parce  qu'il  croit  manger  la  nourriture  d'Esau ,  c'est-à-dire 
le  pain  ,  et  qu'il  n'en  goûte  que  l'apparence.  Ici  l'odorat  est  trompé  , 
parce  qu'il  croit  sentir  l'odeur  d'Esau ,  c'est-à-dire  du  pain  qui  n'y  est 
réellement  pas  ;  il  ne  sent  que  l'odeur  de  ses  habits ,  c'est-à-dire  la 
forme  du  pain  dont  est  revêtu  Jacob,  c'est-à-dire  le  corps  de  Jésus- 
Christ.  Isaac  étoit  sage  ,  mais  son  jugement  étoit  en  défaut  dans  la 
connoissance  qu'il  croyoit  avoir  d'Esau  ;  de  même  notre  homme  exté- 
rieur est  en  défaut  dans  le  jugement  qu'il  porte  sur  le  pain  de  l'autel , 
l'ouïe  seule  éclaire  ;  c'est  pour  cela  qu'il  dit  :  La  voix  à  la  vérité  est 
la  voix  de  Jacob,  etc.,  les  mains  que  je  touche  sont  les  mains 
d'Esau;  il  n'y  a  rien  de  plus  faux;  mais  la  voix  que  j'entends  me 
dire,  c'est  moi,  est  la  voix  de  Jacob,  rien  n'est  plus  vrai.  Pareille- 
ment, le  sacrement  que  je  touche,  c'est  la  substance  du  pain  ;  il  n'y 
a  rien  de  plus  faux;  la  voix  de  Jésus-Christ  me  dit  :  Ceci  est  mon 
corps ,  il  n'y  a  rien  de  plus  vrai.  L'infidélité  exige  donc  d'abord 
comme  remède  que  nous  recevions  le  corps  de  Jésus-Christ  sous  un 
voile ,  parce  que  comme  les  sens  du  premier  homme  prenoient  un 
yain_plaisir  à  manger  le  fruit  de  perdition ,  il. faut  que  les  sens  de 
notre  corps  soient  trompés  sur  l'aliment  de  bénédiction  ,  comme  le 
furent  ceux  d'Isaac  ;  ils  doivent  l'être  toutefois  de  manière  que  Ré- 
becça,  c'est-à-dire  l'aine,  ne  le  soit  pas  clans  sa  foi.  L'ame  croit  en  effet 
que,  dans  la  bénédiction  sainte,  se  trouve  Jacob,  c'est-à-dire  le  corps  du 
Christ  voilé  sous  comme  Esati  ,  c'est-à-dire  l'espèce  du  pain.  Troisiè- 


panis,  sive  similitude»,  scilicet  color,  sapor, 
odor,  durities  marient  circa  Jacob  et  sensus 
nostri  falluntur.  Ibi  fallitur  visus  Isaac  ca- 
liginosus,  id  est ,  debilis  corporis  nostri, 
quia  putat  prae  oculis  habere  Esau,  id  est, 
panem  et  tantum  vestes  ejus ,  scilicet  spe^ 
ciem  panis,  et  sub  illa  latet  Jacob  velatus, 
id  est  corpus  Christi.  Ibi  fallitur  gustus, 
quia  putat  comedere  cibum  Esau,  id  est 
panem,  et  gustat  tantum  similitudinem 
ejus.  Ibi  fallitur  olfactus  ,  quia  putat  sen- 
tire  odorem  Esau ,  id  est  panis ,  qui  vere 
non  est  ibi;  sed  sentit  odorem  vestimen- 
torum  ejus ,  id  est  formam  panis ,  quibus 
vestitus  est  Jacob,  id  est  corpus  Christi. 
Sapiens  erat  Isaac,  sed  in  judicio  cognos- 
cendi  Esau  fallebatur,  sic  homo  noster  ex- 
terior  in  judicio  panis  altaris  fallitur  pra> 


terquam  auditu,  unde  ait  :  Vox  quidem  vox 
Jacob  ,  etc.,  manus  quas  tango  sunt  Esau, 
nihil  falsius;  sed  vox  quam  audio  dicen- 
tem,  ego  sum,  vox  est  Jacob,  nihil  verius. 
Similiter  sacramentum  quod  tango  .  sub- 
stantia  panis  est,  nihil  falsius;  vox  Christi 
dicentis  :  Hoc  est  corpus  meum,  nihil  ve- 
rius. Primo  igitur  infidelitatis  remedium 
exigit,  quod  corpus  Christi  velatum  detur, 
ut  quia  sensus  primi  hominis  in  cibo  per- 
ditionis  vane  delectabantur  ,  sensus  nostri 
corporis  in  cibo  benedictionis  ad  instar 
Isaac  decipiantur,  ita  tamen  quod  Rebecca, 
id  est  anima  in  lide  sua  non  fallatur.  Cré- 
dit enim  vere  in  benedictione  sacra  esse 
Jacob,  id  est  corpus  Christi  velatum  simi- 
litudine  Esau,  id  est  specie  panis. 
Tertio,  fldei  meritum  exigit,  ut  veletur 


476  •  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    7. 

mement  pour  que  la  foi  soit  méritante,  il  faut  que  nous  rece- 
vions le  corps  de  Jésus-Christ  sous  un  voile  ,  parce  que  ,  comme  dit 
saint  Grégoire ,  la  foi  n'a  aucun  mérite  dès  que  la  raison  humaine 
fournit  une  preuve  qui  la  supplée  suffisamment.  Dieu  a  voulu  nous 
donner  son  corps  sous  un  voile  ,  parce  qu'il  a  voulu  qu'il  y  eût  pour 
nous  un  grand  mérite  à  nous  en  rapporter  plutôt  à  sa  parole  qu'à  nos 
sens.  On  lit  dans  saint  Jean,  chapitre  XX,  vers.  29  :  «  Bienheureux 
ceux  qui  n'ont  pas  vu.  »  Le  mérite  ou  le  fruit  de  cette  foi  est  de  trois 
espèces  ;  ce  sont  :  l'abondance  parfaite  des  biens  spirituels ,  l'abon- 
dance des  biens  temporels ,  et  la  surabondance  des  biens  éternels. 
C'est  ce  qui  fait  dire  à  Rébecca,  c'est-à-dire  à  l'ame  fidèle  :  «  Que 
cette  malédiction  retombe  sur  moi ,  mon  fils ,  »  c'est-à-dire  cette 
triple  bénédiction  :  «  Que  Dieu  fasse  pleuvoir  sur  toi  la  rosée  du  ciel ,  » 
voilà  pour  la  première  ;  «  qu'il  te  donne  l'abondance  de  la  graisse  de 
la  terre ,  »  voilà  pour  la  seconde  ;  «  qu'il  te  donne  avec  profusion  le 
froment ,  le  vin  et  l'huile ,  »  voilà  pour  la  troisième.  Il  est  écrit  de  la 
première ,  saint  Jean ,  chap.  VII  :  «  Celui  qui  croit  en  moi ,  les 
fleuves,  etc..  »  On  lit  dans  Osée,  chap.  XIV  :  «Je  serai  comme  la  ro- 
sée, etc.  »  Il  est  écrit  de  la  seconde,  Hébreux,  chap.  XI  :  «  C'est  par  la 
foi  que  les  saints  ont  reçu  les  promesses,  etc.;  »  à  savoir  des  biens 
temporels.  On  lit  dans  Isaïe,  chap.  I  :  «  Si  vous  le  voulez  et  si  vous 
m'écoutez,  vous  mangerez  les  biens  de  la  terre.  »  On  lit  dans  saint 
Matthieu,  ch.  VI  :  «  Cherchez  d'abord  le  royaume  de  Dieu,  »  par  une 
foi  droite  :  et  sa  justice,  par  une  vie  juste;  et  toutes  ces  choses,  etc. . .  » 
Quant  à  la  troisième,  il  est  écrit  I  Pierre,  chap.  I?«  Croyant  en  Jésus- 
Christ  que  vous  ne  voyez  point  maintenant ,  vous  tressaillerez  d'une 
joie  ineffable  et  pleine  de  gloire;  remportant  le  salut  de  vos  âmes 
comme  le  prix  de  votre  foi.  »  On  lit  au  livre  des  Proverbes,  chap.  I  : 
«  Celui  qui  aura  écouté  ,  reposera  sans  terreur,  il  jouira  de  l'abon- 
dance, à  l'abri  de  la  crainte  de  toute  espèce  de  maux.  » 


corpus  Christi,  quia  ut  dicit  Gregorius,  fi- 
des  non  habet  meritum,  cui  humana  ratio 
prœbet  experimentum ,  supple  sufïiciens. 
Vclatum  dare  voluit  Dominus  corpus  suum 
quia  in  hoc  potius  credere  verbis  suis  quam 
sensibus  nostris  magnum  habet  meritum. 
Joan.,  XX  :  «  Beati  qui  non  vider unt.  » 
Hujus  meritum  fidei ,  sive  fruetus  triplex 
est,  scilicet  spiritualium  bonorum  plena 
copia,  temporalium  abundantia,  aeternc— 
rum  supereffluentia.  Hinc  ait  Rebecca ,  id 
est  hdelis  anima  :  «  In  me  sit  ista  male- 
dictio,  fili  mi,  »  id  est,  hœc  triplex  bene- 
dictio.  Det  tibi  Deus  de  rore  cœli ,  quan- 
tum ad  primant,  et  de  pinguedine  terrae 
abundantiam  ,  quantum  ad  secundain  ; 
abundantiam  i'rumenti,  vini  et  olei,  quan- 


tum ad  tertiam.  De  primo,  Joan.,,  VII  : 
«  Qui  crédit  in  me  ,  flumina,  »  etc.  Osée, 
XIV  :  «  Ero  quasi  ros ,  »  etc.  De  secundo, 
ad  Hebr.,  XI  :  «  Sancti  per  fidem  adepti 
sunt  repromissiones,  »  scilicet  temporabum. 
Isa.,  I  ■:  «  Si  volueritis  et  audieritis  me, 
bona  terra?  comedetis.  »  Matth.,  VI  : 
«  Primum  quaerite  regnum  Dei ,  »  recte 
credendo,  «  et  justitiam  ejus,  »  juste  vi- 
vendo,  «  et  heec  omnia,  »  etc.  De  tertio  , 
I  Petr.,  I  :  «  Gredentes  in  Christum  quem 
non  videtis,  exultabitis  laititia  inenarrabili 
et  glorificata ,  reportantes  linem  fidei  ves- 
traj  salutem  animarum  vestrarum.  »  P/ov., 
I  :  «  Qui  audieril,  absque  terrore  requies- 
cet,  et  abundantia  perfruetur,  timoré  ma- 
lorum  sublato.  » 


SUR   LE    SACREMENT    DE    L'AUTEL.  477 


CHAPITRE  VIII. 


Des  deux  autres  raisons  pour  lesquelles  nous  recevons  le  corps  de  Jésus- 
Christ  sous  un  voile. 

«  Venez,  mangez...  Comment  le  secret  du  roi  peut,  etc..  »  La  Lot 
lHËÏ2!î_4es  mœurs,  est  la  troisième  raison  qui  fait  que  Jésus-Christ 
nous  donne  son  corps  sous  un  voile.  On  lit  dans  Job ,  chap.  XXVIII  : 
<c  La  sagesse  a  une  origine  secrète  d'où  elle  se  tire.  »  Ce  sacrement  ren- 
ferme trois  choses  secrètes  qui  concourent  à  former  les  mœurs;  ce 
sont,  la  personne  du  Sauveur,  la  beauté  de  celle  brillante  lumière, 
et  l'œuvre  admirable  du  Tout-Puissant.  Isaïe  dit  de  la  première, 
cKap.  XLV  :  «  Vous  êtes  vraiment  un  Dieu  cache,  le  Dieu  sauveur  d'Is- 
raël. »  Le  même  Isaïe  dit  de  la  seconde,  chap.  VII  :  «  J'attendrai  le 
Seigneur,  parce  qu'il  a  voilé  sa  face.  »'I1  est  dit  de  la  troisième,  Ecclé- 
siastique, chap.  XLIII  :  «  Il  est  beaucoup  de  choses  cachées  qui  sont 
plus  grandes  que  celles-ci,  nous  n'en  avons  vu  qu'un  petit  nombre.  » 
Ces  trois  choses  nous  apprennent  que  parfois  aussi  la  vertu  peut  nous 
faire  cacher  trois  choses,  qui  sont  notre  personne /la  beauté  de  notre 
corps  r::  l'intention  de  nos  bonnes  œuvres.  Nous  devons  soustraire  la 
première' à  la  fureur  des  persécuteurs;  la  seconde  aux  regards  indis- 
crets des  insensés;  la  troisième  à  la  faveur  des  hommes.  1°  Le  juste 
apprend  à  cacher  sa  personne  pour  trois  raisons  ;  c'est  pour  laisser  le 
persécuteur  en  repos,  pour  accomplir  dans  toute  sa  perfection  le  pré- 
cepte du  Seigneur  }  et  pour  acquérir  une  couronue  plus  glorieuse.  Il 
est  dit  de  la  première  de  ces  choses  dans  Isaïe ,  chap.  XXVI  :  «  Allez 
mon  peuple,  tenez-vous  un  peu  caché  pour  un  moment  jusqu'à  ce  que 
ma  colère  soit  passée;  »  on  lit  de  plusieurs  justes  qu'ils  se  sont  con- 
duits de  la  sorte.  Il  est  écrit  de  la  seconde,  II  Cor.,  chap.  XI  :  «  Etant 


GAPUT  VIII. 

De  duabus  aliis   rationibus,   quibus   dalur 
corpus  velatum. 

«  Venite ,  comedite ,  etc.  Quomodo  po- 
testsacramentum  régis.  »  Tertia  ratio,  quare 
corpus  suum  dat  velatum ,  est  instructio 
morum.  Job,  XXVIII  :  «  Trahitur  sapientia 
de  occultis.  »  Tria  vero  in  hoc  sacramento 
occultantur,  in  quibus  mores  instruuntur, 
scilicet  persona  Salvatoris,  pulchritudo  ma- 
gnse  claritatis,  mirum  opus  omnipotentis. 
De  primo,  Isa.,  XLV  :  «  Vere  tu  es  Deus 
absconditus,  Deus  Israël  salvator.  »  De  se- 
cundo ,  Isa.,  VII  :  «  Expectabo  Dominum, 
qui  abscondit  faciem  suam.  »  De  tertio, 


Eccles.,  XLIII  :  «  Multa  abscondita  sunt 
majora  his,  pauca  enim  vidimus.  »  In  his 
discimus  in  nobis  quandoque  tria  virtuose 
abscondi  posse,  nostram  personam,  pul- 
chritudinem  corporalem,  bonorum  operum 
intentionem.  Primum  a  persecutorum  fu- 
rore  ,  secundum  a  stultorum  inspectione  , 
tertium  ab  humano  favore.  Primo  discit 
justus  abscondere  personam  propter  tria , 
ut  scilicet  persecutor  quiescat,  ut  prœcep- 
tum  a  Domino  opus  perficiat,  ut  gloriosio- 
rem  coronam  acquirat.  De  primo,  Isa., 
XXVI  :  «  Vade ,  popule  meus ,  abscondere 
modicum  ,  donec  pertranseat  indignatio 
mea  in  persecutore ,  quod  multi  justorum 
leguntur  fecisse.  »  De  secundo,  II  Cor.,  XI  : 


478  OPUSCULE    LVH,    CHAPITRE    8. 

à  Damas,  etc. . .  »  On  lit  pareillement  de  Tobie  que  le  roi  ayant  ordonné 
de  le  mettre  à  mort,  il  prit  la  fuite  sans  rien  emporter  et  qu'il  se  cacha 
afin  de  pouvoir  accomplir  les  œuvres  de  miséricorde  qu'il  avoit  com- 
mencées. Quant  à  la  troisième ,  il  est  écrit  I  Rois,  ch.  XXVI  :  «  David 
fuyant  la  présence  de  Saûl  se  cache  dans  la  vallée  d'Alchilé;  »  c'est- 
à-dire  dans  le  Seigneur.  Alchilé  veut  dire,  celui  qui  le  reçoit,  d'où 
viennent  ces  mots  :  «  Seigneur,  c'est  vous  qui  me  recevez.  »  Mais  il  se 
cache  dans  le  Seigneur,  pour  conserver  par  les  faits  brillants  et  glo- 
rieux de  son  règne,  la  couronne;  On  lit  dans  saint  Jean,  chap.  "VIII  : 
«  Les  Juifs  prirent  des  pierres  pour  les  lui  jeter,  etc..  »  2°  Le  juste 
apprend  aussi  par  la  à  soustraire  la  beauté  de  son  corps  aux  regards 
indiscrets  de  la  foule;  parce  que  la  beauté  extérieure  et  la  parure  furent 
pour  plusieurs  une  occasion  de  chute.  La  beauté  corporelle  se  dérobe 
aux  regards  de  trois  manières,  qui  sont  la  pauvreté  des  habits,  l'austé- 
rité des  jeûnes,  l'assiduité  à  faire  de  bonnes  œuvres.  On  lit  de  la  pre- 
mière de  ces  trois  choses  dans- Job,  chap.  XYI  :  «  J'ai  étendu  un  sac 
sur  ma  chair,  et  j'ai  couvert  ma  tète  de  cendres.  »  On  lit  dans  la  Ge- 
nèse, chap.  XXIV  :  «  Rébecca  en  présence  d'Isaac,  prit  son  voile  et 
s'en  couvrit.  »  Il  est  écrit  I  Cor.,  chap.  XI  :  «  La  femme  doit  avoir  le 
visage  voilé  à  cause  des  anges ,  »  c'est-à-dire  des  bons.  On  lit  de  la 
seconde,  Galat.,  chap.  YI  :  «  Le  monde  m'est  crucifié  et  moi  je  le  suis 
au  monde;  »  ce  qui  est  comme  s'il  disoit  :  le  monde  est  pour  moi 
digne  de  mépris,  à  cause  du  châtiment  qui  est  réservé  à  sa  propre  sol- 
licitude; et  moi  je  suis  digne  de  mépris  aux  yeux  du  monde,  parce  que 
je  châtie  mon  corps.  Saint  Augustin  dit  :  «  Domptez  votre  chair,  etc.» 
Il  est  écrit  de  la  troisième ,  Psaume  XXXY1II  :  «  Vous  avez  fait  dessé- 
cher son  ame  comme  l'araignée,  etc..  »  Comme  l'araignée  tire  de  ses 
entrailles  l'œuvre  qui  est  de  sa  nature,  ceci  la  fait  maigrir;  de  même 
le  juste  qui  par  charité  se  livre  continuellement  à  des  œuvres  pénibles 


«  Damasci  praepositus,  »  etc.  Similiter  To- 
bias  cum  eum  rex  juberet  occidi ,  fugiens 
nudus  latuit,  nt  scilicet  opéra  misericor- 
diae  quae  cœperat,  impleret.  De  tertio ,  I 
Reg.,  XXVI,  cum  fugeret  David  a  facie 
Saul,  absconditus  est  in  colle  Alchile,  id  est 
in  Domino.  Alchila  interpretatur  eum  sus- 
cipiens ,  unde  Dominus  susceptor  meus. 
Absconditus  est  autem  in  Domino ,  ut  per 
inclyta  opéra  gloriosa  regni  sibi  restaret 
corona.  Joan.,  VIII  :  «Tulerunt  lapides 
Judaei,  ut  jacerent,  »  etc.  Secundo  disoit 
justus  abscondere  pulchritudinem  corpora- 
lem  ab  omnium  inspectione,  quia  exterior 
pulchritudo  et  ornatus  multis  fuit  occasio 
casus.  Décor  ergo  corporalis  absconditur 
tribus  modis ,  per  habitus  vilitatem  ,  per 
jejuniorum  austeritatem,  per  boni  operis 


assiduitatem.  De  primo,  Job,  XVI  :  «  Sac- 
cum  consui  super  cutem  meam,  et  operui 
cinere  carnem  meam.  »  Gen.,  XXIV  :  «  Ré- 
becca, conspecto  Isaac,  tollens  pallium  ope- 
ruit  se.  »  I  ad  Cor.,  XI  :  «  Mulier  débet 
habere  velamen  super  caput ,  propter  an- 
gelos,  »  id  est  propter  bonos.  De  secundo, 
Galat.,  VI  :  «  Mihi  mundus  cruciflxus  est, 
et  ego  mundo  ,  »  quasi  diceret  :  Vilis  est 
mihi  mundus  propter  pœnam  suœ  sollici- 
tudinis,  et  ego  vilis  mundanis  propter  cor- 
poris  mei  maçerationem.  Augustinus  : 
«  Carnem  vestram  domate,  »  etc.  De  tertio, 
Psalm.  XXXVIII  :  «  Tabescere  fecisti  sicut 
araneam ,  »  etc.  Sicut  aranea  ex  suis  vis- 
ceribus  trahens  opus  naturae,  tabescit  ex- 
inde ,  sic  justus  frequentans  opéra  laboriosa 
ex  vera  charitate ,  maceratur  et  pallescit 


SLR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  479 

maigrit  et  son  corps  pâlit.  On  lit  dans  l'Ecclésiastique,  chap.  XXXIII  : 
«  Le  joug  et  les  cordes  font  courber  le  col  le  plus  dur,  et  le  travail 
continuel  rend  l'esclave  souple.  »  Il  est  écrit,  Cant.,  chap.  I  :  «  Ne 
considérez  pas  que  je  suis,  etc.,  »  le  soleil,  effet  de  la  chaleur  la  plus 
brûlante ,  c'est-à-dire  œuvre  de  l'amour,  Jésus  -  Christ  a  pris  la  forme 
d'un  esclave  ,  et  sous  cette  forme  il  a  caché  la  clarté  de  sa  divinité. 
Isaïe  dit  à  cette  occasion ,  ch.  XXXIII  :  «  Il  n'a  ni  éclat,  ni  beauté,  etc.  » 
Son  visage  est  voilé  et  couvert  d'opprobre. 

Troisièmement,  le  juste  apprend  par  là  à  dérober  l'intention  de  ses 
bonnes  œuvres  à  la  faveur  du  monde.  On  lit  dans  saint  Matthieu,  ch. 
•XIII  :  «  Le  royaume  des  cieux  est  semblable  ;  »  la  gloire ,  c'est-à-dire 
la  conversation  des  justes;  «  à  un  trésor,  »  c'est-à-dire  à  une  bonne 
œuvre,  «  caché  dans  un  champ,  »  c'est-à-dire  dans  le  cœur.  Saint 
Grégoire  dit  :  «  Que  la  bonne  œuvre  que  l'on  fait  en  public  soit  telle  que 
l'intention  en  demeure  secrète  pour  donner  au  prochain  l'exemple  des 
bonnes  œuvres,  et  n'avoir  pourtant  que  le  désir  de  plaire  à  Dieu  seul,  ce 
qui  doit  nous  en  faire  désirer  le  secret.  »I1  est  surtout  trois  espèces  de 
biens  que  nous  devons  désirer  de  soustraire  à  la  faveur  des  hommes; 
ce  sont  l'aumône .  le  jeune  et  la  prière.  Il  est  dit  du  premier  de  ces 
biens,  Matth.,  ch.  Y  :  ce  Quand  vous  faites  l'aumône,  ne  faites  point  son- 
ner de  la  trompette  devant  vous  ;  »  la  trompette  de  l'orgueil  et  de  la  jac- 
tance, comme  le  font  les  hypocrites,  qui  désirent  être  vus  des  hommes. 
«  Je  vous  dis  en  vérité  qu'ils  ont  reçu  leur  récompense.  Mais  pour 
vous,  quand  vous  faites  l'aumône,  que  votre  gauche  ne  sache  pas,  etc.  » 
"Votre  gauche ,  c'est-à-dire,  l'intention  mauvaise,  ce  que  fait  votre 
droite,  c'est-à-dire  l'intention  pure  ;  «  pour  que  votre  aumône  se  fasse 
en  secret,  etc..  »  Quant  au  second,  il  est  écrit  dans  saint  Matthieu , 
ch.  V  :  «  Lorsque  vous  voudrez  prier,  entrez  dans  votre  chambre,  etc. .  ;  » 
c'est-à-dire  dans  le  secret  de  votre  esprit,  a  et  il  vous  rendra.  »  Il  est 


in  corpore.  Ecoles.,  XXXIII  :  «  Jugum  et 
lora  curvant  collum  durum,  et  servutn  in- 
clinant operationes  assiduae.  »  Cant.,  I  : 
«  Nolite  me  considerare,  »  etc.  Sol  effectus 
ardoris,  id  est  opus  amoris ,  Christ  us  i'or- 
mam  servi  accepit ,  in  qua  claritatem  di- 
•viuitatis  abscondit.  Unde  Isa.,  XXXI11  : 
«  Non  est  species  ei,  neque  décor ,  »  etc., 
et  absconditur  vultus  ejus,  et  despectus. 
Tertio,  dicit  abscondere  virtutum  et  bono- 
rum  operum  intentionem  ab  humano  fa- 
vore.  Matth.,  XIII  :  «  Simile  est  regnum 
cœlorum,  »  gloria,  id  est  conversatio  jus- 
toi  um ,  «  thesauro,  »  id  est  bono  operi, 
«  abscondito  in  agro ,  »  id  est  in  corde. 
Gregorius  :  «  Sic  sit  opus  in  publico,  qua- 
tenus  intentio  maneat  m  occulto,  ut  de 
bono  opère  proximis  preebeamus  exem- 


plum,  et  tamen  per  intentionem,  qua  soli 
Deo  placere  cupimus,  semper  optemus  se- 
cretura.  »  Triplex  \ero  bonuin  pracipue 
debemus  abscondere  a  favore  hominum  , 
scilicet  eleemosynam  ,  orationem  et  jeju- 
nium.  De  primo,  Matth.,  V  :  «  Guin  lacis 
eleemosynam ,  noli  tuba  canere  ante  te, 
tuba  tumoris  et  jactantiœ,  sicut  hypocritas 
faciunt,  ut  videantur  ab  hominibus.  Amen 
dico  vobis  receperunt  mercedeui  suam.  Te 
autem  faciente  eleemosynam,  nesciat,  »  etc. 
sinistra,  id  est  intentio  prava  ;  dextera,  id 
est  dilectio  pura ,  «  ut  sit  eleemosyna  tua 
in  abscondito,  »  etc.  De  secundo,  Matth., 
V  :  «Et  cum  oraveris,  intra  cubicu- 
lum,  »  etc.,  id  est  secretum  mentis,  «  et 
clauso  ostio  ,  ora  Patrem  tuum  in  abscon- 
dito intentiouis,  et  reddet  tibi.  »  De  tertio 


480  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    8. 

dit  du  troisième  de  ces  biens,  au  même  endroit  :  «  Lorsque  vous  jeû- 
nez, oignez  votre  tête;  »  c'est-à-dire,  reconfortez  Jésus-Christ,  en  dis- 
tribuant à  ses  membres,  c'est-à-dire  aux  pauvres,  les  œuvres  de  mi- 
séricorde par  lesquelles  vous  vous  enlevez  à  vous-mêmes  ce  qui  vous 
appartient  :  «  Lavez  voire  visage  ;  c'est-à-dire ,  purifiez  les  péchés 
du  cœur  et  des  sens  par  les  larmes  de  la  pénitence  ,  de  peur  que  les 
hommes  ne  sachent  que  votre  jeûnez  ;  et  que  votre  Père  seul  en  soit 
instruit.  » 

La  quatrième  raison  pour  laquelle  nous  le  recevons  sous  un  voile , 
c'est  la  foiblesse  de  notre  raison.  La  foiblesse  des  hommes  exigeoit 
qu'il  en  fût  ainsi,  et  on  le  prouve  de  trois  manières.  Et  d'abord  on  le 
prouve  par  une  figure  tirée  du  livre  de  la  Loi  ;  on  lit  dans  l'Exode , 
chap.  XXXIII  :  «  Les  enfants  d'Israël  voyant  l'éclat  de  la  figure  de 
^oïse_à  la  suite  de  son  entretien  avec  Dieu,  craignirent  de  s'approcher 
de  lui;  »  ce  qui  fit  qu'il  se  voiloit  la  face  quand  il  leur  parloit.  La  face 
de  Moïse  reçut  des  rapports  fréquents  et  familiers  qu'il  eut  avec  la 
lumière  divine  un  tel  éclat,  qu'elle  paroissoit  rayonnante  aux  yeux 
des  hommes,  ce  qui  faisoit  qu'ils  ne  pouvoient  pas  en  soutenir  l'éclat 
à  moins  qu'elle  ne  fût  voilée.  Ainsi  assurément  et  à  bien  plus  forte 
raison,  le  corps  de  Jésus-Christ  glorifié  et  spiritualisé  par  sa  résurrec- 
tion, devenu  semblable  à  Dieu  ou  déiforme,  ne  peut  être  vu  d'aucun 
œil  mortel  s'il  n'est  caché  sous  une  espèce  étrangère.  On  le  prouve  en 
second  lieu, par  ce  qui  arriva  à  Marie  mère  de  Dieu  qui  ne  put  soutenir 
l'éclat  de  la  présence  de  son  Fils,  non  plus  que  sa  gloire,  sans  qu'il  fût 
voilé.  Mais  il  a  été  possible  à  la  Vierge  et  il  nous  est  possible  à  nous, 
de  voir  la  majesté  divine  voilée  par  la  chair  qui  vient  de  la  Vierge  et 
qui  est  l'œuvre  de  l'Esprit  saint;  c'est  pourquoi  le  Verbe  s'est  fait 
chair.  Mais  cette  chair  après  la  passion  ayant  été  glorifiée  par  la  ré- 
surrection ,  et  clarifiée  à  l'image  de  Dieu,  comme  le  dit  saint  Jean, 


ibidem,  «  cum  jejunas,  unge  caput  tuum,  » 
id  est,  refice  Christum  operibus  misericor- 
diae,  quod  tibi  subtrahis,  membris  ejus,  id 
est,  pauperibus  largiendo  ;  et  faciem  tuam 
lava,  peccata  cordis  et  sensuum  lacrymis 
pœnitentiee  purgando  ,  ne  videaris  ab  ho- 
minibus  jejunans,  sed  Patri  tuo.  »  Quarto, 
datur  velatum  ratione  imbecillitatis  nostrse. 
Hoc  enim  exigebat  imbecillitas  hominum, 
quod  probatur  tribus  modis.  Primo,  a  fi- 
gura legali,  Exod.,  XXX  :  «  Videntes  filii 
Israël  ex  consortio  Domini  cornutam  fa- 
ciem Moysi ,  timuerunt  prope  accedere, 
unde  posuit  velamen  super  faciem  suam, 
cjuando  loquebatur  ad  eos.  »  Faciès  enim 
Moysi  tam  magnam  recepit  radiositatem 
ex  frequenti  et  familiari  appropinquatione 


ad  divinum  lumen,  quod  videbatur  huma- 
nis  oculis  quasi  cornuta ,  unde  non  pote- 
rant  claritatem  vultus  ejus  sustinere  nisi 
velatam  ;  sic  nimirum,  immo  multo  magis 
corpus  Christi  in  resurrectione  ejus  glori- 
ficatum  et  spirituale  ac  déiforme  factum, 
nullus  potest  mortalibus  inspicere  oculis, 
nisi  alia  specie  velatum.  Secundo,  probatur 
ex  hoc  quod  accidit  matri  Dei  Marias,  qua? 
non  potuit  sustinere  claritatem  prœsentiae 
filii  et  gloriam,  nisi  esset  obumbrata.  Carne 
autem  virginis  velata,  majestas  Spiritus 
sancti  operatione  facta  est  possibilis  a  Vir- 
gine,  et  etiarn  a  nobis  videri,  unde  verbum 
caro  factum  est.  Sed  carne  illa,  post  pas- 
sionem  per  resurrectionem  glorificata  ,  et 
ad  similitudinem  Dei  clarificata,  secundum 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  484 

chajj^XVII  :  (c^lorifiej-moi  mon  Père  ;  »  est  passée  à  un  état  tel  que 
les  yeux  ne  peuvent  la  voir  sous  sa  forme  propre  et  naturelle ,  si  elle 
QlesLxaiLée  sous  quelque  espèce  visible.  On  lit  dans  l'Ecclésiastique, 
chap.  XI  :  «  Les  œuvres  du  Très-Haut  sont  admirables,  elles  sont 
pleines  de  gloire,  elles  sont  secrètes,  elles  sont  immenses.  »  Il  est  écrit 
dans  l'Exode,  cbap.  XXXII  :  «  L'homme  ne  me  verra  pas  et  il  vivra,)) 
à  savoir  dans  sa  propre  espérance.  L'Apôtre  dit,  I  Cor.,  chap.  XIII  : 
«  Nous  le  voyous  maintenant  à  travers  un  miroir;  »  le  miroir  de  la 
raison,  et  en  énigme,  c'est-à-dire  sous  la  figure  du  pain.  On  le  prouve 
en  troisième  lieu  par  une  raison  de  nature  ,  qui  est  ïa  différence  im- 
mense qu'il  y  a  entre  la  lumière  de  notre  œil  et  la  clarté  de  la  lumière 
du  corps  de  Jésus-Christ.  Notre  œil  en  effet  est^de  peu  d'étendue,  ma- 
ladif et  corruptible.  Mais  la  clarté  du  corps  de  Jésus-Christ  est  incor- 
ruptible, elle  est  en  quelque  sorte  immense,  comme  il  a  été  dit  de  ce 
qui  n'a  pas  de  forme.  La  raison  par  laquelle  une  lumière  quelconque 
est  visible,  c'est  la  ressemblance  de  celui  qui  voit  avec  cette  lumière. 
Et  plus  il  y  a  de  similitude  avec  une  lumière  infinie ,  plus  aussi 
la  vision  est  douce  et  limpide.  Voilà  pourquoi  l'œil  qui  n'est  point 
malade  ,  peut  jusqu'à  un  certain  point  voir  le  corps  nu  du  soleil,  et 
qu'il  ne  peut  pas  voir  le  corps  de  Jésus-Christ;  car  il_y_a  entre  l'œil  et 
le  soleil  quelque  similitude  de  lumière  et  de  çorruptibilité ,  que  le 
corps  de  Jésus-Christ  n'a  point.  Si  l'œil  en  effet  ne  ressembloit  pas 
par  quelque  côté  à  la  lumière  céleste ,  il  ne  pourroit  pas  la  voir, 
non  plus  que  l'oreille ,  le  doigt ,  ou  l'œil  privé  de  la  lumière,  et  cela  à 
cause  de  la  dissemblance  qui  existeroit  entre  eux.  Par  conséquent , 
comme  notre  foiblesse  et  la  trop  grande  lumière  du  corps  de  Jésus- 
Christ  ,  lumière  qui  a  été  glorifiée  et  qui  est  devenue  incorruptible,  ne 
nous  permettent  pas  de  voir  de  deux  manières  d'œil  à  œil  l'éclat  du 
corps  du  Seigneur,  nous  devons  au  moins  le  contempler  de  l'œil  de 


illud  Joann.,  XVII  :  «  Clarifica  me  Pater,  » 
facta  est  impassibilis  ab  oculis  mortalium 
in  propria  forma  nuda  videri ,  nisi  esset 
velata  aliqua  specie  visibili.  Eccles.,  XI  : 
«  Mirabilia  opéra  Altissimi,  et  gloriosa,  et 
absconsa,  et  immensa.  »  Exod.,  XXXII  : 
«  Non  videbit  me  homo,  et  vivet,  »  scili- 
cet  in  spe  propria.  I  ad  Cor.,  XIII  :  «  Vi- 
demus  nunc  per  spéculum,  »  scilicet  ra- 
tionis,  «  et  .in  senigmate,  »  id  est  figura 
panis.  Tertio,  probatur  idem  ratione  natu- 
rali ,  quae  est  nimia  dissimilitudo  luminis 
oculi  nostri  claritatem  luminis  corporis 
Christi.  Oculus  enim  noster  angustus,  œger 
et  corruptibilis  est.  Illius  vero  claritas  in- 
corruptibilis  et  quodammodo  immensa,  ut 
dictum  est  de  informis.  Haec  est  enim  ratio 
visibilitatis  omnis  luminis  similitudo  aliqua 

V. 


videntis  ad  lumen.  Et  quanto  major  simi- 
litudo ad  lumen  maximum,  tanto  limpi- 
dior  et  dulcior  est  visio.  Hinc  est  quod  sa- 
nus  oculus  potest  aliquatenus  videre  nu- 
dum  corpus  sons ,  et  non  corpus  Christi  ; 
quia  cum  illo  habet  aliqualem  similitudi- 
nem  luminis  et  corruptibilitatis,  quam  non 
habet  corpus  Christi.  Nisi  enim  oculus  ex 
aliqua  parte  cœlesti  luminis  similis  esset, 
nequaquam  illud  videre  posset ,  sicut  nec 
auris,  aut  digitus,  aut  etiam  oculus  caecus, 
scilicet  propter  nimiam  dissimilitudinem. 
Quia  ergo  ob  nostram  imbecillitatem  et 
corporis  Christi  nimiam  claritatem  magni- 
flcatam,  et  usque  ad  incorruptionem  robo- 
ratam ,  non  possumus  videre  dupliciter 
oculo  ad  oculum  dominici  corporis  clarita- 
tem, saltem  oculo  mentali,  id  est  pura 

31 


482  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    9. 

l'esprit;  c'est-à-dire  avecJa pureté  d'intention  du  cœur,  comme  nous 
l'apprennent  les  paroles  suivantes  de  saint  Luo,  chap.  XI  :  «  Si  votre 
œil.  est  simple  ;  »  c'est-à-dire  si  l'intention  de  votre  cœur  est  pure , 
«votre  corps  tout  entier  sera  lumineux  pour  voir  la  clarté  de  Jésus- 
Christ,  »  Saint  Jean  dit,  I  Jean.,  chap.  III  :  «Nous  savons  que  lorsqu'il 
aura  apparu,  nous  serons  semblables  à  lui,  et  que  nous  le  verrons  tel 
qu'il  est.  »  Il  paroît  juste  en  effet  que  la  vérité  pénètre  dans  notre 
ame  par  la  partie  de  nos  yeux  la  plus  clairvoyante.  Mais  ceci,  ô  mon 
ame  !  nous  est  réservé  pour  l'avenir,  lorsque  nous  le  verrons  face  à 
face.  Et  cette  vision  est  la  vie  éternelle. 


CHAPITRE  IX. 

De  la  forme  du  don  ,  qui  nous  est  fait  sous  l'espèce 
du  pain. 

«  Venez ,  mangez ,  etc.  »  Argument  propre.  «  Il  l'a  nourri  de 
pain,  etc..  »  Le  Commentaire  intérimaire  ajoute,  c'est-à-dire  du  corps 
de  Jésus-Christ.  Secondement,  le  Seigneur  nous  donne  son  corps  sous 
l'espèce  du  pain  pour  trois  raisons.  On  peut  prouver  qu'il  a  été  déter- 
miné à  le  donner  sous  l'espèce  de  pain  plutôt  que  sous  toute  autre 
espèce  de  nourriture ,  parce  que  le  pain  convient  mieux  que  toute 
autre  nourriture,  vu  les  propriétés  qu'il  possède  et  cela,  tant  par  rap- 
port à  ceux  qui  le  reçoivent  que  pour  ceux  qui  l'administrent.  Cette 
manière  d'agir  repose  sur  les  trois  considérations  suivantes.  Pre- 
mièrement,  parce  qu'il  est  plus  facile  de  trouver  l'espèce  du  pain 
en  tout  temps  et  en  tout  lieu  que  tout  autre  aliment.  Secondement , 
parce  que  s'il  faut  le  conserver,  le  porter,  l'élever,  on  peut  le  faire 


cordis  intentione  ipsum  debemus  respicere, 
secundum  illud  Luc,  XI  :  «  Si  oculus  tuus 
simplex   fuerit ,  »   id  est  intentio  cordis 


CAPUT  IX. 

De  forma  donalionis ,  quœ  dalur  sub  specie 


pura,  «  totum  corpus  tuum  lucidum  erit  ad  j  pants 


videndam  claritatem  Ghristi.  »  I  Joann 
III  :  «  Scimus  quoniam  cum  appartient , 
similcs  illi  erirnus ,  et  videbimus  eum  si- 
cuti  est.  >i  Dignum  quidem  videtur ,  per 
superiores  oculorum  fenestras  veritatem 
intrare  debere  ad  aniniam.  Sed  hoc  nobis, 
o  anima,  servatur  in  posterum,  cum  vide- 
bimus eum  facie  ad  faciem.  Et  haec  visio 
erit  vita  œterna. 


«  Venite,  comedite,  »  Thema  proprium, 
cibavit  eum  pane,  etc.  Glossa  interhnearis, 
id  est  corpore  Christi.  Secundo  dat  Domi- 
nus  corpus  suum  sub  speciem  panis  prop- 
ter  tria.  Propter  collatam  sibi  prœ  caeteris 
cibis  habilitatem.  Sub  una  enim  alia  spe- 
cie cibi,  tam  respectu  ministrantium  quam 
accipientium  posset  actus  exhiberi.  Et  hoc 
triplici  consideratione.  Primo  scilicet  quan- 
tum ad  inventionem  habilior  est  species 
panis,  quam  cibi  alterius,  quia  omni  loco, 
omni  tempore  facilius  invenitur  quam 
alius  cibus.  Item,  quantum  ad  conserva- 
tionem  habilior  est ,  quia  si  débet  levari, 


SUR  LE   SACREMENT   DE   L' AUTEL.  483 

plus  commodément  sous  l'espèce  du  pain  que  sous  celle  de  toute  autre 
nourriture.  IL  est  écrit  Psaume  CIX  :  «  Le  Seigneur  a  juré  et  il  ne  se 
repentira  point,  vous  êtes  prêtre  pour  l'éternité  selon  l'ordre  de  Mel- 
chisédech,  »  qui  n'a  offert  ni  des  brebis,  ni  des  bœufs,  ni  des  chèvres, 
mais  le  pain  et  le  vin.  Troisièmement,  il  convient  mieux  pour  l'ad- 
ministrer, parce  qu'on  peut  le  toucher  avec  plus  de  décence  et  de 
propreté;  sur  l'autel ,  on  peut  plus  facilement  le  diviser;  il  peut  être 
reçu  avec  plus  de  convenance  et  par  ceux  qui  se  portent  bien  et  par 
les  malades  que  toute  autre  nourriture. 

Il  se  donne  secondement  à  nous  sous  l'espèce  du  pain,  afin  de  nous 
donner  la  connoissance  et  la  foi  du  signe  par  lequel  il  se  manifeste  à 
nous.  «  Le  signe,  dit  saint  Augustin,  est  une  chose  qui,  outre  l'espèce 
quelle  laisse  apercevoir  aux  sens,  fait  connoître  d'elle-même  quelque 
autre  chose.  »  Il  y  a  trois  espèces  de  signes,  qui  sont  le  signe  naturel, 
le  signe  artificiel  et  le  signe  sacramentel.  Le  signe  naturel  exprime  la 
chose  naturelle  ,  comme  la  fumée  signifie  le  feu ,  la  rougeur  du  ciel 
le  soir,  signifie  le  beau  temps.  On  lit  dans  saint  Matthieu,  chap.  XVI: 
«  Lorsque  le  soir  est  venu,  vous  dites  :  il  fera  beau  demain,  parce  que 
le  ciel  est  rouge.  »  Le  signe  artificiel  signifie  ce  que  les  hommes  veulent 
lui  faire  signifier,  et  il  est  de  deux  espèces.  L'un  ne  contient  pas  ce 
qu'il  signifie,  comme  le  cercle,  le  vin.  L'autre  contient  ce  qu'il  signifie, 
comme  l'instrument  qui  reçoit  les  pluies,  les  signifie  et  les  contient, 
le  pâté  signifie  et  contient  les  viandes.  Les  signes  sacramentels  signi- 
fient ce  que  Dieu  veut  qu'ils  expriment,  ils  sont  aussi  de  deux  espèces. 
Les  uns  ne  contiennent  pas  ce  qu'ils  signifient,  comme  les  sacre- 
ments légaux,  comme  le  serpent  d'airain  élevé  dans  le  désert  qui 
signifioit  le  Sauveur ,  mais  il  ne  le  contenoit  pas ,  comme  le  cercle 
suspendu  devant  la  maison  signifie  le  vin  que  cependant  il  ne  con- 


portari  sive  custodiri,  commodius  sit  sub 
specie  panis  quam  cibi  alterius.  Psalm. 
CIX  :  «  Juravit  Dominus,  et  non  pœnitebit 
eum,  tu  es  sacerdos  in  œternum  secundum 
ordinem  Melchisedech,  »  qui  nec  oves,  nec 
boves ,  nec  capras  ,  sed  panera  et  vinum 
obtulit.  Item ,  quantum  ad  administratio- 
nem  habilior  est ,  quia  mundius  et  hones- 
tius  tractari  potest,  in  altari  meîius  dividi, 
convenientius  a  sanis  et  infirmis  sumi  po- 
test,  quam  alius  cibus.  Secundo  ,  dat  sub 
specie  panis  propter  faciendum  signationis 
suae  cognitionem  et  fidem.  Augustinus  : 
«  Signum  est  res  praeter  speciem  quam  in- 
gerit  sensibus,  aliquod  aliud  ex  se  faciens 
in  agnitionem  venire.  »  Signorum  autem 
tria  sunt  gênera,  naturale,  artificiale  ,  sa- 
cramentale.  Signum  naturale  secundum 
naturam  significat ,  sicut  furaus  significat 


ignera  ;  rubor  cœli  vespertinus  significat 
futuram  serenitatem.  Matth.,  XVI  :  «Fac 
to  vespere,  dicitis  serenum  erit,  rubicun- 
dum  est  enim  cœlum.  »  Signum  artificiale 
secundum  impositionem  hominis  significat, 
et  hoc  est  duplex.  Aliud  enim  non  conti- 
net  quod  significat,  ut  circulus  vini.  Aliud 
continet  quod  significat,  ut  pluviarum  con- 
tinet  pluvias  et  significat  eas,  pastillum 
significat  carnes  et  continet.  Signa  sacra- 
mentalia  secundum  impositionem  Dei  si- 
gnificant ,  et  sunt  similiter  dupucia.  Alia 
enim  non  continent  quod  significant ,  ut 
sacramenta  legalia,  sicut  serpens  aeneus 
erectus  in  eremo,  significabat  quidem  Sal- 
vatorem ,  sed  non  continebat  eum  ,  sicut 
circulus  suspensus  ante  domum  significat 
vinum,  quod  tamen  non  est  content um. 
Num.,  XXI  :   «  Fecit  Moyses  serpentera 


484  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    9. 

lient  pas.  On  lit  au  livre  des  Nombres,  chap.  XXI  :  «  Moïse  fit  un  ser- 
pent d'airain,  et  il  le  plaça  comme  un  signe,  et  ceux  qui  étoient 
frappés  et  qui  le  regardoient  étoient  guéris.  »  Il  est  écrit  au  livre  de 
la  Sagesse,  chap.  XYI  :  «  Ayant  un  signe  de  salut,  ce  n'étoit  pas 
parce  qu'ils  le  voyoient  qu'ils  étoient  guéris ,  mais  ils  l'étoient  par 
vous  qui  êtes  le  Sauveur  de  tous  les  hommes.  »  L'agneau  pascal  et  la 
circoncision  signifioient  pareillement  une  chose  figurée,  mais  ils  ne  la 
contenoient  pas,  parce  qu'ils  ne  justifioient  pas  par  eux-mêmes.  L'A- 
pôtre dit  aux  Romains ,  chap.  III  :  «  Nul  homme  ne  sera  justifié  de- 
vant Dieu  par  les  œuvres  de  la  loi.  »  Il  y  a  aussi  des  signes  sacramen- 
tels qui  ne  signifient  que  ce  qu'on  a  voulu  leur  faire  signifier;  comme 
les  sacrements  évangéliques ,  tels  que  le  Baptême  et  l'Eucharistie. 
Hugues  dit  :  «  Le  sacrement  évangélique  est  un  élément  matériel,  pro- 
posé extérieurement  d'une  manière  sensible,  représentant  par  simili- 
tude, signifiant  par  institution,  et  contenant  par  sanctification  quelque 
grâce  spéciale.  »Le  baptême  signifie  la  purification  de  l'ame,  et  la  con- 
tient réellement,  parce  qu'il  produit  ce  qu'il  figure,  à  savoir  la  rémis- 
sion des  péchés.  Il  est  écrit  au  livre  des  Actes,  chap.  II  :  «  Pierre  dit: 
«  Que  chacun  de  vous  soit  baptisé  au  nom  de  Jésus-Christ  pour  la  ré- 
mission des  péchés.  »  Le  sacrement  de  l'autel  signifie  pareillement  le 
vrai  corps  de  Jésus-Christ  et  le  contient  en  réalité ,  parce  qu'après  la 
consécration  du  pain,  sous  l'espèce  du  pain,  c'est-à-dire  sous  ce  signe 
du  pain,  que  Dieu  a  déterminé  pour  signifier  le  corps  du  Seigneur,  est 
le  Christ  tout  entier;  comme  dans  le  signe  positif  de  l'homme,  à  savoir 
dans  un  pâté ,  sont  des  chairs  cachées.  On  ht  dans  saint  Matthieu , 
chap.  XXYI  :  «  Jésus  prit  du  pain,  le  bénit,  et  dit  :  Ceci  est  mon  corps,  » 
signifié  sous  l'espèce  du  pain.  Il  est  écrit  dans  saint  Jean  ,  chap.  V  : 
«  Le  Fils  de  l'homme  vous  donnera  un  pain  qui  demeure  éternelle- 
ment. »  Dieu  a  signifié  ce  pain.  Donc  si,  lorsque  je  vois  un  signe  po- 


œneum,  et  posuit  eum  pro  signo,  quem  si 
percassi  aspiciebant,  sanabantur.  »  Sap., 
XVI  •.  «  Habentes  signùm  salutis  non  per 
hoc  quod  videbant  sanabantur,  sed  per  te 
omnium  Salvatorem.  »  Similiter  agnus 
paschalis,  et  circumcisio  signiflcabant  rem 
figuratam,  sed  non  continebant ,  quia  se- 
cundumse  non  justificabant.  Ad  Rom.,  III  : 
«  Ex  operibus  legis  non  justifîcabitur  om- 
nis  caro  coram  Deo.  »  Item,  alia  surit  signa 
sacramentalia,  quae  etiam  secundum  impo- 
sitionem  signilicant  :  ut  sacramenta  evan- 
gelica  ,  sicut  baptismus  et  eucharislia. 
Hugo  :  «  Saeramentum  evangelicum  est 
materiale  elementum  foris  sensibiliter  pro- 
positum  ex  similitudine  reprœsentans ,  et 
ex  institutione  significans,  et  ex  sanctifica- 
tione  continens  aliquam  gratiam  specia- 


lem.  »  Baptismus  significat  animae  purifi- 
cationem ,  et  contmet  eam  ,  quia  efficit 
quod  figurât ,  scilicet  remissionem  pecca- 
torum.  Act.,  II  :  «Petrus  ait  :  Baptizetur 
unusquisque  vestrum  in  nomine  Jesu  Christi 
in  remissionem  peccatorum.  »  Similiter 
Saeramentum  altaris  significat  vere  corpus 
Christi,  et  vere  continet  illud,  quia  post 
consecrationem  panis  sub  specie,  id  est  sub 
illo  signo  panis ,  quod  Deus  posuit  ad  si- 
gnificandum  corpus  Domini,  totus  est 
Christus,  sicut  sub  signo  positivo  hominis, 
scilicet  in  pastillo,  sunt  occultatae  carnes. 
Mattli.,  XXVI  :  «  Accepit  Jésus  panem,  et 
benedixit,  et  ait  :  Hoc  est  corpus  meum , 
significatura  sub  specie  panis.  »  Joan.,  V  : 
«  Filius  hominis  dabit  vobis  panem  ,  qui 
permanet  in  vitam  seternam.  »  Hune  pa- 


SUR  LE   SACREMENT  DE   l' AUTEL.  485 

sitif  de  l'homme ,  je  crois  que  là,  sous  une  couche  légère  de  pain  se 
trouve  de  la  viande ,  à  bien  plus  forte  raison  lorsque  je  vois  un  signe 
positif  de  Dieu,  tel  que  le  sacrement  de  l'autel ,  je  dois  croire  que  là, 
sous  l'espèce  du  pain,  se  trouve  le  vrai  corps  du  Christ  à  cause  de  la 
similitude  des  choses  qui  sont  ici  signifiées.  Trois  choses  sont  ici  si- 
gnifiées, et  cette  espèce  du  pain  en  est  le  sacrement  ou  le  signe ,  et  il 
contient  en  lui-même  une  similitude  parfaite  de  ces  mêmes  choses. 
La  première  chose  signifiée,  c'est  le  corps  naturel  du  Seigneur,  et  il 
y  est  contenu.  La  seconde  chose  signifiée,  c'est  son  corps  mystique  , 
il  £e.st_ signifié,  mais  il  n'y  est  point  contenu.  La  troisième  chose  si- 
gnifiée, c'est  l'effet  qu'opère  le  sacrement  dans  l'ame  fidèle.  1°  L'es- 
pèce du  pain  possède  la  similitude  de  la  première  chose  signifiée  ici, 
c'est-à-dire  du  vrai  corps  de  Jésus-Christ,  non  pas  par  elle-même,  mais 
à  cause  du  sujet  qu'elle  contenoit  avant  la  consécration,  c'est-à-dire 
du  pain  qui  exista  d'abord.  Comme  ce  pain  est  composé  de  grains 
nombreux  et  purs;  de  même  le  corps  de  Jésus-Christ  consiste  dans  la 
réunion  de  plusieurs  membres  purs  et  sans  tache.  On  Ut  au  livre  des 
Cantiques,  chap.  VII  :  «  Votre  ventre  est  comme  un  monceau  de  fro- 
ment entouré  de  lis.  »  Il  est  écrit  Exod.,  chap.  XXV  :  «  Faites  une 
arche  de  bois  de  Sétim;  »  le  Commentaire  ajoute  :  l'arche  signifie  le 
corps  de  Jésus-Christ.  L'arche  est  construite  avec  des  bois  de  Sétim 
qui  ne  se  pourrissent  pas,  parce  que  le  corps  de  Jésus-Christ  est  com- 
posé de  membres  très-purs  et  exempts  de  toute  espèce  de  vice.  2°  L'es- 
pèce du  pain  est  aussi  la  ressemblance  de  la  seconde  chose  signifiée, 
c'est-à-dire  du  corps  mystique  de  Jésus-Christ ,  à  savoir  de  l'Eglise  , 
qui  est  la  réunion  des  fidèles.  Car  comme  un  seul  pain  est  composé 
d'un  grand  nombre  de  grains  purs;  de  même  l'unité  de  l'Eglise  con- 
siste dans  la  multitude  des  fidèles  purs  et  exempts  de  péché  mortel, 


nem  significavit  Deus.  Igitur  si  eu  m  video 
signum  positivum  hominis,  credo  ibi  sub 
tenui  pane  esse  carnes  ,  multo  magis  cum 
video  signum  positivum  Dei,  ut  Sacramen- 
tum  altaris,  credere  debeo  ibi  sub  specie 
panis  esse  verum  corpus  Christi  propter  re- 
rum  ibi  signifleatarum  similitudinem.  Très 
enim  ibi  res  significantur,  quarum  species 
illa  panis  est  Sacramentum,  id  est  sacrum 
signum  ,  expressam  habens  in  se  illarum 
similitudinem.  Prima  res  ibi  significata  est 
naturale  corpus  Domini,  quod  ibi  contine- 
tur.  Secunda  res  corpus  ejus  mysticum, 
quod  ibi  significatur ,  et  non  continetur. 
Tertia  res  est  effectus  Sacramenti  in  anima 
fideli.  Primo  ,  species  panis  primae  rei  ibi 
significatae ,  id  est  veri  corporis  Christi , 
habet  similitudinem  non  ratione  sui,  sed 
ratione  subjectif  quod  habuit  ante  conse- 


crationem,  id  est  panis  qui  prius  fuit.  Si- 
cut  enim  ex  pluribus  et  puris  granis  confi- 
citur,  sic  corpus  Christi  ex  pluribus  mem- 
bris  puris  et  immaculatis  consistit.  Cant., 
VII  :  «  Venter  tuus  sicut  acervus  tritici , 
vallatus  liliis.  »  Exod.,  XXV  :  «  Arcam 
de  ligms  sethim  compingite.  »  Glossa  : 
«  Arca  corpus  Christi  significat.  »  Haec  fit 
de  lignis  sethim  imputribilibus,  quia  cor- 
pus Christi  consistit  ex  membris  purissimis 
et  ab  omni  vitio  mundis.  Secundo,  species 
panis  secundse  rei  ibi  significatae  tene.t  si- 
militudinem, id  est  mystici  corporis  Christi 
significati,  scilicet  Ecclesiœ,  quœ  est  imitas 
fidelium.  Sicut  enim  ex  multis  granis  pu- 
ris conficitur  unus  panis,  sic  ex  multis  fi- 
delibus  puris  a  culpa  mortali  mundis ,  et 
vinculo  charitatis  unitis,  ecclesiastica  uni- 
tas  consistit.  I  ad  Cor.,  IX  :   «Hic  est 


486  OPUSCULE  LVII,    CHAPITRE   9. 

unis  ensemble  par  les  liens  de  la  charité.  I  Cor.,  chap.  IX  :  «  Il 
importe  ici  de  savoir  que  l'on  observe  une  triple,  union  dans  le 
pain ,  triple  union  qui  signifie  la  fraternité  ou  la  cause  et  le  lien  de 
l'amour  qui  doit  exister  entre  les  fidèles.  1°  On  recueille  des  grains 
beaux  et  semblables.  2°  On  arrose  la  farine  avec  l'eau  et  on  en  fait  de 
la  pâte.  3°  Pour  solidifier  le  pain  on  le  fait  cuire  au  feu.  1°  Les  grains 
semblables  signifient  la  fraternité  et  l'amour  naturel,  parce  que  nous 
sommes  tous  nés  d'un  seul  premier  père.  2°  La  pâte  qui  n'est  autre 
chose  que  de  la  farine  arrosée  d'eau  ,  signifie  la  fraternité  sacramen- 
telle ,  parce  que  nous  sommes  tous  régénérés  clans  un  même  sacre- 
ment du  baptême.  3°  Le  pain  solidifié  par  le  feu  signifie  la  fraternité 
spirituelle,  parce  que  le  même  esprit  nous  réunit  tous  dans  une  même 
religion ,  qui  est  la  religion  chrétienne.  On  lit  du  premier  de  ces 
points,  Gen.,  chap.  XLII  :  «  Les  frères  de  Joseph  vinrent  en  Egypte 
pour  y  acheter  du  blé;  »  parce  que  les  fidèles  s'humilièrent  afin  d'ac- 
quérir l'amour  naturel  de  tous  les  hommes.  Il  est  écrit  Ecclésiastique, 
chap.  XIII  :  «  Tout  animal  aime  son  semblable,  et  tout  homme  a  de 
l'affection  pour  son  prochain.  »  Il  est  écrit  du  second,  I  Cor.,  chap.  V  : 
«  Afin  que  vous  soyez  une  pâte  toute  nouvelle,  comme  vous  êtes  vrai- 
ment les  pains  purs  et  sans  levain  ;  »  c'est-à-dire  une  seule  et  même 
chose  par  la  fraternité  sacramentelle.  Il  est  dit  dans  la  première  Epître 
de  saint  Jean,  chap.  IV  :  «  Nous  avons  reçu  de  Dieu  ce  commande- 
ment, c'est  que  celui  qui  aime  Dieu,  aime  aussi  son  prochain.  »  On  ht 
du  troisième  de  ces  points,  Exode,  chap.  XII  :  «  Ils  firent  cuire  la  fa- 
rine convertie  en  pâte ,  et  ils  firent  des  pains;  »  c'est-à-dire  qu'ils  en 
vinrent  jusqu'à  l'amour  spirituel.  Il  est  écrit  dans  saint  Jean,  ch.  XIV  : 
«  Ceci  est  mon  commandement,  etc..  »  Saint  Augustin  dit  :  «  Il  n'est 
pas  charnel ,  mais  il  est  spirituel.  »  3°  L'espèce  du  pain  en  tant  qu'il 
étoit  pain  a  en  soi  la  similitude  de  la  troisième  chose  qui  y  est  signi- 


sciendum,  quod  in  pane  triplex  unio  at- 
tenditur,  per  quam  triplex  fraternitas,  sive 
causa  et  vinculum  amoris ,  quod  inter  fi- 
dèles esse  débet  ,  significatur.  »  Primo, 
grana  nobilia  et  similia  colliguntur.  Se- 
cundo, farina  conspergitur  per  aquam  ,  et 
pasta  conficitur.  Tertio,  ut  panis  solidus 
fiât,  igné  decoquitur.  Primum,  grana  si- 
milia significant  fraternitatem  et  amorem 
naturalem  ,  quia  omnes  de  uno  et  primo 
parente  sumus  nati.  Secundum ,  scilicet 
pastà,  quse  est  farina  aqua  perfusa,  sacra- 
mentalem,  quia  uno  sacramento  baptis- 
mali  sumus  regenerati.  Tertium,  scilicet 
panis  igné  solidatus,  spiritualem,  quia  uno 
spiritu,  scihcet  ad  unam  christianam  reli- 
em  sumus  congregati.  De  primo,  Gen., 
«  Descenderunt  fratres  Joseph  ,  ut 


emerent  frumenta  in  iEgypto,  quia  humi- 
liaverunt  se  fidèles,  ut  amorem  naturalem 
omnium  hominum  acquirerent.  »  Eccles., 
XIII  :  «  Omne  animal  diligit  sibi  simile  et 
omnis  homo  diligit  proximum  suum.  » 
De  secundo ,  I  ad  Cor.,  V  :  «  Sitis  nova 
conspersio,  sicut  estis  azymi,  »  id  est  unum 
quid  per  dilectionem  sacramentalem.  I 
Joan.j  IV  :  «  Hoc  mandatum  habeinus  a 
Deo ,  ut  qui  diligit  Deum ,  diligat  et  fra- 
trem  suuin.  »  De  tertio,  Exod.,  XII  :  «  Co- 
xerunt  farinam  conspersam  ,  et  fecerunt 
panes,  »  id  est,  profecerunt  usque  ad  dilec- 
tionem spiritualem.  Joan.,  XIV  :  «  Hoc  est 
prœceptum,  »  etc.  Augustinus  :  «  Non  au- 
tem  carnalis,  sed  spiritualis,  »  etc.  Tertio, 
species  panis  secundum  quod  erat  panis, 
habet  in  se  similitudinem  tertiœ  rei  ibî  si- 


SUR  LE  SACREMENT  DE  L'AUTEL.  487 

fiée;  c'est-à-dire  de  l'effet.que  produit  le  sacrement  dans  l'ame  fidèle. 
Car  comme  le  pain  produit  trois  effets,  il  nourrit,  rassasie  et  conserve 
la  vie  ;  de  même  le  pain  du  sacrement  donne  à  l'ame  fidèle  la  force  de 
se  débarrasser  du  péché,  il  la  rassasie  pour  la  dégoûter  du  monde,  il 
lui  conserve  la  vie  pour  lui  faire  toujours  louer  Dieu.  Il  est  dit  du 
premier  de  ces  effets,  Psaume  CIII  :  «  Le  pain,  pour  qu'il  fortifie  le 
cœur  de  l'homme ,  »  pour  éviter  toute  espèce  de  vices.  C'est  pour 
cela  qu'il  est  écrit  Psaume  XVII  :  «  Je  vous  aimerai,  Seigneur,  etc.... 
Vous  qui  m'avez  donné  la  force  pour  le  combat.  »  Il  est  écrit  du  se- 
cond ,  Psaume  CIV  :  «  Il  les  a  rassasiés  du  pain  du  ciel  ;  »  afin  de  leur 
inspirer  du  dégoût  pour  le  monde.  On  lit  au  livre  des  Proverbes, 
ch.  XXVII  :  «  L'ame  rassasiée  foulera  aux  pieds  le  rayon  de  miel.  »  Il 
est  écrit  du  troisième  ,  Ecclésiastique,  chap.  XXXIII  :  «  Le  pain  des 
malheureux  est  la  vie  des  pauvres,  »  pour  leur  faire  continuellement 
louer  Dieu.  On  lit,  Psaume  CXLV  :  «  Loue  le  Seigneur,  ô  mon  ame  !  » 
Et  dans  le  deuxième  livre  des  Paralipomènes ,  vers  la  fin  :  «  Je  vous 
louerai  toujours  Seigneur,  je  vous  louerai  pendant  tous  les  jours  de 
ma  vie ,  parce  que  toutes  les  vertus  du  ciel  vous  louent.  » 

CHAPITRE  X. 

De  la  forme  du  don  qui  nous  est  fait  sous  l'espèce  du  pain  de  froment. 

«  Venez,  mangez,  etc..  »  Argument  propre.  «  Ils  se  convertiront 
et  ils  vivront  du  pur  froment  »  Osée,  chap.  XIV;  ou  toute  autre  chose 
semblable  sur  le  blé  ou  le  pur  froment.  Il  faut  observer  en  troisième 
lieu,  relativement  à  la  forme  du  don  du  corps  du  Seigneur,  qu'il  nous 
le  donne  sous  l'espèce  du  pain  de  froment  pur,  et  non  de  toute  autre 
espèce  de  pain,  il  agit  de  la  sorte  pour  trois  raisons.  1°  C'est  parce 


gnatae,  id  est,  effectus  sacramenti  in  anima 
fideli.  Sicut  enira  panis  tria  facit ,  scilicet 
confortât,  satiat,  vitam  conservât  ;  sic  pa- 
nis sacramenti  animam  fidelem  confortât 
ad  peccatum  dimittendum,  satiat  ad  fasti- 
dium  mundi  faciendum,  in  vita  conservât 
ad  Deum  semper  laudandum.  De  primo, 
Psalm.  CM  :  «  Panis  cor  hominis  confir- 
mât ,  ad  omne  vitium  devincendum.  » 
Unde  Psalm.  XVII  :  «  Diligam  te ,  Do- 
mine, »  etc.,  qui  scilicet  praecinxisti  me 
virtute  ad  bellum.  De  secundo,  Psalm. 
CIV  :  «  Pane  cœli  saturavit  eos.  »  Ad  mun- 
di fastidium  faciendum.  Prov.,  XXVII  : 
«  Anima  saturata  calcabit  favum.  »  De 
tetrio,  Eccles.,  XXXIII  :  «Panis  egentium, 
vita  pauperum  est.  »  Ad  Deum  laudandum. 


scilicet  semper.  Psalm.  CXLV  :  «  Lauda 
anima  mea  Dominum ,  »  etc.  II  Paralip., 
in  fine  :  «  Laudabo  te  Domine  semper 
omnibus  diebus  vita?  meœ ,  quoniam  te 
laudat  omnis  virtus  cœlorum.  » 

CAPUT  X. 

Déforma  donalionit,  quœ  dalur  sub  tpecie 
panis  triticei. 

«  Venite,  comedite ,  »  etc.  Thema  pro- 
prium ,  Convertentur,  et  vivent  tritico, 
Osée,  XIV  :  «  Vel  aliud  simile  de  frumen- 
to,  vel  tritico.  »  Tertio,  circa  formam  do- 
nationis  corporis  considèrandum  est,  quod 
Dominus  dat  illud  sub  specie  panis  triticei, 
et  non  alterius,  et  hoc  propter  tria.  Pri- 
mo, propter  hujus  grani  prae  cœteris  natu- 


488  OPUSCULE  LVII,    CHAPITRE    10. 

que  ce  pain  est  naturellement  fait  du  plus  noble  de  tous  les  grains. 
Trois  choses  prouvent  qu'il  en  est  ainsi;  ce  grain  est  en  effet  très-pur, 
il  sert  à  faire  un  pain  d'un  usage  général;  et  il  nourrit  la  chair  d'une 
manière  parfaite.  Et  d'abord,  le  grain  de  froment  est  très-pur;  parce 
que  cette  espèce  seule  entre  toutes  les  autres  atteint  le  complément  de 
la  pureté,  c'est-à-dire  qu'il  atteint  la  pureté  la  plus  grande.  Car  comme 
le  disent  les  Alchimistes,  c'est-à-dire  les  affineurs,  dans  certaines 
espèces  qui  semblent  en  admettre  plusieurs  autres,  il  y  en  a  toujours 
une  qui  parmi  elles  atteint  le  complément  de  la  perfection,  et  les  autres 
diffèrent  de  celle-ci  par  quelque  infériorité,  comme  c'est  une  chose 
prouvée  pour  l'or;  car  on  dit  que  tout  métal,  soumis  à  une  purifica- 
tion matérielle  assez  grande  se  change  en  or.  Nous  voyons  pareille- 
ment pour  ce  qui  concerne  les  grains ,  que  la  qualité  de  la  terre  pu- 
rifie le  blé,  et  qu'elle  en  fait  le  froment  le  plus  pur.  C'est  pourquoi  le 
pain  de  pur  froment  est  à  cause  de  son  excellence  et  de  sa  qualité  su- 
périeure, simplement  et  absolument  parlant  le  pain.  Secondement,  le 
grain  de  pur  froment  sert  à  faire  le  pain  le  plus  commun ,  parce  que 
ce  pain  convient  et  aux  malades  et  à  ceux  qui  se  portent  bien  ;  il  est 
même  bon  pour  tout  animal  qui  mange  du  pain.  Le  pain  de  pur  fro- 
ment convient  aux  oiseaux,  comme  le  prouve  l'exemple  des  colombes, 
il  convient  mieux  aux  animaux,  tel  qu'aux  chiens,  parce  que  les  uns 
et  les  autres  le  mangent  plus  volontiers  ;  par  conséquent  le  pain  de 
froment  est  véritablement  le  pain  commun  à  cause  de  la  noblesse  de 
sa  convenance.  Troisièmement,  le  grain  de  froment  pur  a  la  propriété 
de  nourrir  d'une  manière  spéciale  la  chair,  parce  que  par  sa  pureté 
naturelle ,  par  sa  convenance  commune  et  par  sa  viscosité ,  lorsqu'on 
le  prend  en  nourriture ,  il  s'attache  d'une  manière  particulière  aux 
membres,  et  ces  trois  propriétés  font  qu'il  nourrit  et  reconforte  d'une 
manière  particulière.  Par  conséquent  le  pain  de  froment  est  un  pain 
pur,  le  grain  de  pur  froment  est  de  tous  les  grains  le  plus  noble,  il  est 


ralem  nobilitatem.  Quod  probatur  a  tribus, 
quia  hoc  granum  est  purissimum,  quia  ad 
panera  communissimum ,  quia  ad  carnem 
maxime  nutritivum.  Primo,  granum  tritici 
est  maxime  purum ,  quia  heec  species  sola 
inter  alias  attingit  complementum,  id  est, 
summam  puritatem.  Nam  utdicunt  Alchi- 
mici,  id  est,  aurifices,  in  speciebus  quibus- 
dam  licet  multae  species  esse  videantur,  ta- 
men  una  est  quae  attingit  complementum, 
et  aliae  sunt  différentes  ab  ea  quibusdam 
œgritudinibus ,  sicut  patet  de  auro.  Nam 
omne  metallum  purgatione  materise  in  au- 
rum  dicitur  transmutari.  Sic  etiam  vide- 
mus  de  granis,  quod  bonitate  terrée  pur- 
gatur  siligo,  et  in  triticum  nobilitatur.  Et 
deo  simpliciter  et  absolute  panis  triticeus 


est  panis  propter  excellente  puritatem, 
sive  nobilitatem.  Secundo,  granum  tritici 
est  ad  panem  communissimum,  quia  com- 
petit  sanis  et  inflrmis,  immo  omni  animali 
panem  comedenti.  Avibus,  ut  patet  in  co- 
lumbis  :  bestiis,  ut  catulis  magis  compctit 
panis  triticeus,  quia  libentiuseo  vescuntur, 
et  ideo  panis  triticeus  vere  est  panis  prop- 
ter communis  convenientiœ  nobilitatem. 
Tertio,  granum  tritici  est  ad  carnem  ma- 
xime uutritivum,  quia  puritate  naturali,et 
competibilitate  communi,  et.  viscositate  sui 
maxime  membris  adhaeret  nutrimentum 
exinde  sumptum,  et  quo  ad  haec  tria  ma- 
xime nutrit  et  confortât  :  et  sic  panis  triti- 
ceus est  purus,  et  granum  ejus  prœcipue 
nobilitatis,  propter  communis  convenien- 


SUR  LE   SACREMENT   DE   l' AUTEL.  489 

aussi  à  cause  de  sa  noblesse  une  nourriture  d'une  convenance  com- 
mune. Cette  raison  fait  qu'il  convient  que  les  enfants  de  Dieu  re- 
çoivent sous  la  forme  du  plus  noble  des  pains  le  plus  noble  des  corps 
comme  la  plus  noble  des  nourritures. 

2°  Jésus-Christ  nous  donne  son  corps  sous  l'espèce  du  pain  de  fro- 
ment pur,  pour  montrer  qu'il  signifie  exactement  les  fidèles.  Car 
comme  le  froment  peut  être  considéré  dans  trois  états  divers,  l'en- 
semble des  fidèles  à  continuer  d'être  distingué  en  trois  états  différents. 
3°  On  le  considère  en  tant  qu'il  est  debout  dans  les  champs ,  en  tant 
que  les  grains  sont  séparés  de  la  paille  et  en  tant  que  déjà  purifié  on 
le  place  dans  les  greniers.  Il  y  a  pareillement  parmi  les  fidèles  trois 
états  divers  ;  ce  sont,  celui  de  ceux  qui  commencent,  celui  de  ceux  qui 
progressent,  et  celui  de  ceux  qui  sont  arrivés  à  la  perfection.  Le  fro- 
ment qui  est  debout  dans  les  champs  signifie  les  premiers ,  celui  qui 
est  séparé  de  la  paille  les  seconds ,  celui  que  l'on  place  dans  les  gre- 
niers exprime  les  troisièmes.  Les  premiers  désirent  que  les  prédica- 
teurs les  instruisent,  les  seconds  désirent  la  purification  fréquente;  les 
troisièmes  le  repos  éternel  des  bienheureux.  On  lit  du  premier  de  ces 
points,  Job,  chap.  XXXVII  :  «  Le  froment  désire  les  nuages,  et  les 
nuages  répandent  autour  d'eux  leur  lumière ,  et  ils  arrosent  tout  ce 
qui  se  trouve  autour  d'eux.»  Saint  Grégoire  dit  :  «Les  élus  sont  le  fro- 
ment de  Dieu  qui  doit  être  amassé  dans  les  greniers  du  ciel.  Le  fro- 
ment désire  les  nuages;  parce  que  chacun  des  élus  désire  la  présence 
des  saints  prédicateurs  ;  ils  répandent  la  lumière ,  par  laquelle  les 
saints  prédicateurs  répandent  au  loin  les  exemples  d'une  sainte  vie  et 
par  leur  conduite  droite  et  par  leurs  saintes  exhortations.  Les  nuages 
arrosent  tout  ce  qui  les  entoure;  parce  que  la  lumière  de  la  prédication 
éclaire  jusqu'aux  confins  du  monde.  Il  est  écrit  du  second  au  livre  des 
Juges ,  chapitre  VI  :  «  Lorsque  Gédéon  étoit  occupé  à  battre  du  blé 


tiee  nobilitatem.  Et  hac  ratione  congruum 
est,  ut  nobilissimum  corpus,  quasi  nobilis- 
simus  panis  filiorum  Dei  detur  filiis,  sub 
specie  nobilissimi  panis.  Secundo,  dat  cor- 
pus suum  sub  specie  panis  triticei,  propter 
fidelium  discretam  in  eo  significationem. 
Sicut  enim  triticum  secundum  triplicem 
statum  habet  considerari,  sic  fidelium  uni- 
versitas  in  très  status  solet  distingui.  Ter- 
tium  autem  consideratur,  secundum  quod 
stat  in  agris,  vel  secundum  quod  grana  se- 
parantnr  a  paleis,  vel  secundum  quod  jam 
purgata  locantur  in  granariis.  Similiter  in- 
ter  fidèles  très  differentiœ  sunt,  incipien- 
tium,  proficientium,  perfectorum.  Primi 
significantur  per  triticum  stans  in  agris  : 
secundi,  per  grana  quee  purgantur  a  paleis  : 


tertii,  per  grana  purgata  quae  locantur  in 
granariis.  Primi,  desiderant  doctrinam 
praedicatorum  :  secundi,  frequentem  pur- 
gationem  :  tertii,  eeternam  requiem  bea- 
torum.  De  primo,  Job,  XXXVII  :  «  Fru- 
mentum  desiderat  nubes,  et  nubes  spargunt 
lumen  suum,  quœ  lustrant  cuncta  per  cir- 
cuitum.  »  Gregorius  :  «  Electi  sunt  fru- 
mentum  Dei  cœlestibus  horreis  recondeu- 
di  :  frumentum  nubes  desiderat,  quiaelec- 
tus  quisque  preesentiam  sanctorura  praedi- 
catorum exoptat  :  lumen  spargunt ,  quia 
prœdieatores  sancti  exempla  vitœ  et  bene 
agendo  ,  et  loquendo  dilatant.  Nubes  au- 
tem cuncta  per  circuitum  lustrant ,  quia 
prœdicationis  luce,  mundi  fines  illuminant. 
De  secundo ,  Judic,  VI  :  «  Cum  Gedeon 


490  OPUSCULE  LVII,    CHAPITRE    10. 

dans  le  pressoir,  et  à  le  vanner  pour  fuir  ensuite  devant  les  Madia- 
uites  ,  l'ange  du  Seigneur  lui  apparut.  »  Gédéon  signifie  chacun  des 
élus,  qui  avec  l'ombre  de  la  croix,  la  rectitude  du  jugement,  le  bâton 
de  la  confession  ,  séquestre  pour  ainsi  dire  de  son  cœur  la  paille  des 
vices  ,  et  la  consolation  divine  le  fortifie  contre  les  tentations  du  dé- 
mon. On  lit,  Ecclésiastique ,  chap.  IV  :  «  Ceux  qui  craignent  le  Sei- 
gneur, prépareront  leurs  cœurs  et  sanctifieront  leurs  âmes  en  sa  pré- 
sence. »  Il  est  écrit  du  troisième  point,  Job,  chap.  V  :  «  Ne  rejetez 
donc  pas  le  jugement  de  Dieu ,  et  vous  entrerez  riche  dans  le  tom- 
beau, etc.  »  Le  sépulcre,  c'est-à-dire,  le  lieu  qui  vous  est  préparé  dans 
le  royaume  de  Dieu  ;  comme  un  monceau  de  blé  qui  est  serré  dans  son 
temps  ;  c'est-à-dire  le  reste  de  la  multitude  des  bienheureux.  On  lit 
dans  saint  Luc  ,  chap.  III  :  «  Il  en  viendra  un  après  moi  qui  est  plus 
fort  que  moi ,  il  prendra  le  van  en  main,  et  il  nettoiera  son  aire,  et  il 
amassera  son  blé  dans  son  grenier,  et  il  brûlera  la  paille  dans  un  feu 
qui  ne  s'éteindra  jamais.  » 

3°  Jésus-Christ  nous  donne  son  corps  sous  l'espèce  du  pain  de  fro- 
ment pour  exprimer  la  similitude  parfaite  qu'il  y  a  entre  le  pain  et 
son  corps.  On  peut  en  effet  considérer  le  froment  sous  trois  autres  as- 
pects; à  savoir  en  tant  qu'il  est  en  monceau,  en  tant  qu'il  tombe  dans 
le  champ ,  en  tant  qu'il  est  en  complément  dans  le  pain.  Considéré 
sous  le  premier  aspect ,  il  signifie  le  corps  de  Jésus-Christ  conçu  dans 
le  sein  de  !a  Yiergej  -nus  le  second,  il  signifie  ce  même  corps  souffrant 
dans  le  monde  pour  nous  ;  sous  le  troisième ,  il  nous  le  représente 
glorifié  dans  le  ciel.  Dans  le  premier  la  Mère  de  Jésus-Christ  est  sin- 
gulièrement honorée  ;  dans  le  second ,  le  pécheur  est  délivré ,  dans  le 
troisième  le  bienheureux  trouve  une  joie  parfaite.  Il  est  dit  du  pre- 
mier, Cgntiq.,  chap.  YII  :  «  Yotre  ventre  est  comme  un  monceau  de 
blé_;  »  le  ventre  signifie  le  corps  de  la  bienheureuse  Yierge.  On  lit 


excuteret,  et  purgaret  frumenta  in  torcu- 
lari,  ut  fugeret  Madian ,  apparuit  ei  An- 
gélus Domini.  »  Gedeon  eleclum  quemque 
significat,  qui  cum  umbra  sanctae  crucis, 
rectitudine  judicii,  conf'essionis  virga, 
quasi  cor  suuni  a  vitiorum  paleis  séques- 
trât, consolatio  eum  divina  contra  tentatio- 
nes  daemonum  confortât.  Ecclesiast.,  II  : 
«  Qui  timent  Dominum,  prseparabunt  cor- 
da sua,  et  in  conspectuilliussanctificabunt 
animas  suas.  »  De  tertio,  Job,  V  :  «  Incre- 
pationem  Domini  ne  reprobes,  et  ingredie- 
ris  in  abundantia.  »  Sepulchrum,  id  est  lo- 
cum  in  regno  Dei  praeparatum  ,  sicut  iii- 
fertur  acervus  tritici  in  tempore  suo,  id 
est,  cyetera  multitudo  beatorum.  Luc.,  III  : 
«  Veniet  fortior  mepostme,  cujus  ventila- 


brum  in  manu  sua,  et  congregabit  triti- 
cum  in  horreum  suum  :  paleas  autem 
comburet  igni  inextinguibili.  »  Tertio  dat 
corpus  suum  sub  specie  pauis  triticei,  pro- 
pter  corporis  sui  expressamsimilitudiuem. 
Triticum  enim  potest  considerari  tribus 
aliis  modis,  scilicet  ut  jacens  in  acervo,  ut 
cadens  in  agro,  ut  in  panis  complemento. 
Pênes  primum  modum,  significat  corpus 
Christi  in  Virgine  conceptum  :  pênes  se- 
cundum,  ut  in  mundo  pro  nobis  passum  : 
pênes  tertium,  ut  in  cœlo  gloriticatum.  In 
primo  mater  Christi  multum  honorifica- 
tur  :  in  secundo  peccator  liberatur  :  in 
tertio  beatus  delectatur.  De  primo,  Cantic., 
VII  :  «  Venter  tuus  sicut  acervus  tritici,  » 
venter  est  corpus  beatae  Virginis,  Lvx.,  II  : 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  491 

dans  saint  Luc,  chap.  XI  :  «  Bienheureux  le  sein  qui  vous  a  porté.  » 
Le  monceau  de  blé  signifie  les  membres  purs  de  Jésus-Christ,  en 
tant  qu'ils  sont  conservés  dans  un  sein  virginal  -.Jgsjis  signifient  la 
beauté  de  la  chasteté  parfaite  qui  orne  les  membreseTTes  sens  de  la 
bjnheureuse  Vierge.  On  lit  du  second  ,  saint  Jean  ,  chap.  XII  :  :  «  A 
moins  que  le  grain  de  blé,  etc..  il  produit  beaucoup  de  fruit.  » 
Jésus-Christ  par  sa  mort  a  en  effet  délivré  le  genre  humain  de  la  mort 
éternelle.  L'Apôtre  dit,  Romains ,  chap.  V  :  «  Mais  ce  qui  fait  éclater 
davantage  l'amour  de  Dieu  pour  nous,  c'est  que  lors  même  que  nous 
étions  pécheurs,  Jésus-Christ  n'a  pas  laissé  de  mourir  pour  nous.  » 
Par  là  même  que  le  Seigneur  dit  qu'il  est  le  grain  de  blé ,  il  s'ensuit 
que  c'est  là  la  seule  espèce  sous  laquelle  l'Eglise  peut  consacrer  le 
corps  du  Seigneur.  Il  est  écrit  du  troisième,  Zach.,  ch.  IX  :  «  Qu'est- 
ce  que  le  Seigneur  a  de  bon  et  d'excellent,  sinon  le  froment  des  élus?» 
Le  corps  de  Jésus-Christ  est  en  effet  dans  la  gloire  pour  les  bienheu- 
reux, le  pain  le  plus  beau  ,  le  plus  doux  et  le  plus  noble.  C'est  pour- 
quoi il  importe  de  savoir  qu'il  procurera  aux  bienheureux  un  triple 
don;  il  les  préparera  à  jouir  de  toute  espèce  de  délices ,  ils  y  trouve- 
ront l'accomplissement  de  tous  leurs  désirs ,  ainsi  que  la^jouissance 
sûreet  éternelle  de  tous  les  biens.  On  lit  du  premier  de  ces  dons , 
$  Genèse,  chap.  XLIX  :  «  Le  pain  d'Aser  est  gras  ,  et  les  rois  y  trouve- 
roritJejursjléUçes.  »  On  lit  Psaume  LXVII  :  «  Vous  avez,  ô  Dieu  !  pré- 
paré par  un  effet  de  votre  douceur,  une  nourriture  pour  le  pauvre;  » 
et  dans  le  livre  de  la  Sagesse,  chap.  XVI  :  «  Vous  leur  avez  fait  pleu- 
voir du  ciel  un  pain  préparé  sans  aucun  travail ,  qui  renfermoit  en 
soi  tout  ce  qu'il  a  de  délicieux  et  tout  ce  qui  peut  être  agréable  au 
goût  ;  »  dans  la  première  Epître  aux  Corinthiens ,  chap.  II  :  «  L'œil 
n'ajaas  vu,  l'oreille  n'a  pas  entendu,  etc..  »  Il  est  écrit  du  second, 
iPsaume  CXLVII  et  CIII  :  «  Jérusalem  loue  le  Seigneur,  etc.,  et  il  le 
rassasie  de  la  graisse  du  froment.  »  On  Ut  encore  :  «  Béni  le  Seigneur 


«  Beatus  venter  qui  te  porta  vit  :  »  acervus 
tritici,  munda  membra  Christi,  ut  conser- 
vata  in  utero  virginali  :  lilia,  décor  omni- 
modae  castitatis,  quo  ornantur  membra  et 
sensus  beatse  Virginis.  De  secundo,  Joan., 
XII  :  «  Nisi  granum  frumenti,  »  etc.  (us- 
que  multum  fructumaffert.)  Christusenim 
per  mortem  suam,  genus  humanum  de  al- 
terna morte  liberavit.  Ad  Rom.,  V  : 
«  Gommendat  suam  charitatem  Deus  in 
nobis,  quoniam  cum  adhuc  peccatores  es- 
semus,  Christus  pro  nobis  mortuus  est.  » 
Ex  hoc  quod  Dominus  dicit  se  granum 
frumenti ,  habet  Ecclesia  quod  sub  nulla 
specie  alia  consecrat  corpus  Christi.  De  ter- 
tio, Zach.,  IX  :  «  Quid  bonum  ejus,  et 
quid  pulchrnm,    nisi  frumentum  electo- 


rum?  quia  panispulcherrimus,  dulcissimus, 
et  nobilissimus  est  corpus  Christi  in  gloria 
beatorum.  »  Hinc  sciendnm,  quod  beati 
habebunt  in  eo  triplex  donum,  omnium  de- 
litiarum  praeparationem ,  omnium  deside- 
riorum  impletionem ,  omnium  bonorum 
securam  etaeternam  fruitionem.  De  primo, 
Gènes.,  XLIX  :  «  Aser,  pinguis  panis  prae- 
bebit  delitias  regibus.  »  Psal.  LXVII  : 
«  Parasti  in  dulcedine  tua  pauperi  Deus.  » 
Sap.,  XV  :  «  Paratum  panem  de'  cœlo 
prœstitisti  eis  sine  labore  ,  omne  delecta- 
mentum  in  se  habentem,  et  omnis  saporis 
suavitatem.  »  I  Cor.,  IL  «  Oculus  non  vi- 
dit,  nec  auris  audivit,  »  etc.  De  secundo, 
Psal.  CXLVII  et  CIII  :  «  Lauda  Hierusa- 
lem  Dominum,  »  etc.  et  :  «  Adipe  frumenti 


492  OPUSCULE   LVII  ,    CHAPITRE    1 1 . 

ô  mon  âme  !  »  Il  est  écrit  dans  Jérémie,  chap.  .XXXI  .  «  J'enivrerai  et 
engraisserai  l'ame  des  prêtres,  et  mon  peuple  sera  tout  rempli  de  mes 
biens;  »  et  dans  le  livre  de  la  Sagesse.,  chap.  XVI  :  «  Vous  faisiez  voir 
combien  est  grande  votre_sagesse  et  votre  douceur  envers  vos  enfants; 
puisque,  s' accommodant  à  ia  volonté  de  chacun  d'eux,  elle  se  changeoit 
en  touf  ce  qui  leur  plaisoit.  »  On  lit  du  troisième,  Luc ,  chap.  XIV  : 
«  Bienheureux  celui  qui  mange  du  pain  dans  le  royaume  de  Dieu ,  » 
bienheureux,  parce  qu'il  possédera  là  en  paix  la  jouissance  sans  fin  de 
tous  les  biens.  Il  est  écrit  dans  Isaïe,  chap.  LXII  :  «  Le  Seigneur  a  juré 
sur  sa  droite.  Je  ne  donnerai  plus  dorénavant  votre  froment  en  nourri- 
ture à  des  ennemis,  les  enfants  des  étrangers  ne  boiront  plus  le  vin  que 
vous  aurez  récolté;  parce  que  ceux  qui  le  recueillent  le  mangeront, 
et  ceux  qui  le  transportent  le  boiront  dans  mes  saints  tabernacles.  »  Ici 
les  bons  mangeront  avec  les  méchants,  niais  là  les  méchants  en  seront 
empêchés  par  un  arrêt  éternel,  pendant  que  les  bons  participeront 
éternellement  et  en  paix  au  banquet  du  Seigneur.  On  lit  Psaume  XV  : 
«  Vous  me  remplirez  de  joie.  » 

CHAPITRE  XI. 

Des  trois  merveilles  qui  s'opèrent  dans  la  consécration. 

«  Venez,  mangez  etc..  »  Argument  propre.  «  Vos  œuvres  sont  ad- 
mirables, et  mon  àme  les  connoîtra  parfaitement;  »  ou  toute  autre 
chose  semblable  des  œuvres  admirables  de  Dieu ,  ou  de  ses  miracles. 
La  troisième  chose  qui  doit  surtout  fixer  notre  attention  relativement 
au  sacrement  du  corps  du  Seigneur,  ce  sont  les  merveilles  de  l'opé- 
ration divine  ,  tels  que  les  miracles  ou  les  merveilles  de  la  puissance 
divine.  Ces  merveilles  ou  miracles  de  l'opération  divine  doivent  être 


satiat  te.  »  Item,  «Benedic  anima  mea  Do- 
minum.»  Hier.,  XXXI  :«Inebriabo  animam 
sacerdotis  pinguedine,  et  populus  meus  bo- 
nis meis  adimplebitur.  »  Sap.,  XVI  :  «  Sa- 
pientiam  tuam  et  dulcedinem  quam  in  filios 
habes,  ostendebas  :  et  deserviens  uniuscu- 
jusque  voluntati,  ad  quod  quisque  volebat, 
convertebatur.  »  De  tertio,  Luc.,  XIV  : 
«  Beatus  qui  manducat  panem  in  regno 
Dei,»  scilicet  propter  omnium  bonorum  se- 
curam  sine  fine  fruitionem.  Isaiœ,  LXII  : 
«  Juravit  Dominus  in  dextra  sua.  Si  dedero 
triticum  tuum  ultra  cibum  inimicis  luis,  et 
si  biberint  filii  alieni  vinum  tuum  in  quo 
laborasti,  quia  qui  cougregant  illud  corne- 
dent,  et  qui  comportant  illud,  bibent  in 
atriis  sanctis  meis.  Hic  comedunt  mali  cum 


bonis,  ibi  erunt  mali  sub  seterno  interdicto, 
et  boni  securo  et  seterno  Christi  convivio.  » 
Psal.  XV  :  «  Adimplebis  me  laetitia.  » 

CAPUT  XI. 

De  tribus  mirabilibus,   quœ  fiunt  in  conse- 
cratione. 

«  Venite ,  comedite ,  »  etc.  Thema  pro- 
prium.  Mirabilia  opéra  tua,  et  anima  mea 
cognoscet  nimis.  Vel  aliquid  simile  de  mi- 
rabilibus  operibus  Dei,  vel  signis.  Tertium 
principaliter  notandum  circa  dominici  cor- 
poris  sacramentum,  sunt  mirabilia  divinse 
operationis  tanquam  signa,  sive  mirabilia 
divinse  virtutis.  Haec  mirabilia  signa  divi- 
ns operationis,  consideranda  sunt  in  tri- 


SUR  LE   SACREMENT   DE   L'AUTEL.  493 

considérés  dans  trois  choses  différentes,  elles  doivent  l'être  dans  la 
consécration  du  corps  du  Seigneur ,  dans  la  possession  de  ce  même 
corps  et  dans  l'acte  par  lequel  il  se  donne  à  nous.  1°  Nous  le  consa- 
crons ;  2°  nous  le  possédons;  3°  nous  le  recevons. 

1°  Dans  la  consécration,  il  faut  considérer  et  croire  trois  merveilles 
de  l'opération  divine.  Premièrement,  c'est  que  là  sous  l'espèce  du 
pain  sejrouyeje  vrai  corps  de  Jésus-Christ.  Secondement,  c'est  que 
2- lajubs^aj^^^i^s£cKange "au"  corps  de  Jésus-Christ.  Troisiè- 
mement, c  est  queVtoute  la  substance  du  pain  se  change  au  corps  de 
Jésus-Christ,  de  manière  toutefois  que  les  accidents  du  pain  de- 
meurent. La  première  de  ceslîEoses  est  admirable ,  la  seconde  l'est 
pîusencore,  la  troisième  ne  peut  pas  l'être  davantage.  Nous  parlerons 
ici  des  deux  premières,  et  nous  traiterons  de  la  troisième  dans  le  cha- 
pitre suivant. 

Le  premier  miracle  qui  s'opère  dans  la  consécration  du  sacrement 
de  l'autel ,  c'est  que  là  sous  l'espèce  du  pain  se  trouve  le  vrai  corps  de 
Jésus-Christ,  qu'il  a  pris  dans  le  sein  de  la  Yierge.  Et  cette  vérité  se 
démontre  de  trois  manières.  1°  On  la  démontre  par  des  témoignages 
dignes  de  foi.  2°  Par  le  témoignage  de  signes  positifs.  3°  On  la  dé- 
montre par  des  miracles.  1°  On  prouve  cette  première  merveille  par 
des  témoignages  dignes  de  foi ,  conformément  à  ce  qui  est  écrit  dans 
la  loi,  Deut.,  ch.  XIX  :  «  Sur  la  déposition  de  deux  ou  trois,  etc..  » 
On  entend  donc  des  témoins  véridiques  et  suffisamment  aptes  à  établir 
cette  vérité.  Saint  Augustin  dit  :  «  La  parole  se  joint  à  l'élément  et  le 
sacrement  existe  :  »  c'est-à-dire  la  parole  de  Dieu  désignée  par  Jésus- 
Christ  se  prononce  sur  le  pain,  et  bientôt  il  y  a  un  secret  sacré,  à  savoir 
le  corps  du  Sauveur  sous  l'espèce  du  pain.  Saint  Augustin  dit  encore: 
Voici  ce  que  nous  nous  sommes  efforcé  d'établir  de  toutes  les  manières; 
c'est  que  le  sacrement  de  l'Eglise  est  composé  de  deux  choses  ;  de 


bus.  In  dominici  corporis  eonsecratione  : 
secundo,  in  ejusdem  possessione  :  tertio,  in 
perceptione.  Primo  enim  corpus  consecra- 
mus,  secundo  possidemus,  tertio  percipi- 
mus.  Primo  in  eonsecratione  consideranda 
sunt  et  credenda  tria  mirabilia  signa  divi- 
nse  operationis.  Primum,  quod  ibi  sub  spe- 
cie  panis  est  verum  corpus  Christi.  Secun- 
dum, quod  tota  substantia  panis  mutatur 
in  corpus  Christi.  Tertium,  quod  mutatur 
in  corpus  Christi  tota  substantia  panis,  ita 
tamen  quod  manent  accidentia  panis.  Pri- 
mum est  mirabile,  secundum  mirabilius, 
tertium  mirabilissimum.  De  duobus  pri- 
mis  hic  potest  dici,  de  tertio  in  sequenti. 
Primum  mirabile  signum  in  eonsecratione 
Sacramenti  altaris  est,  quod  ibi  sub  specie 
panis  est  verum  corpus  Christi,  quod  de 


Virgine  sumpsit.  Ex  hoc  probatur  tribus 
modis.  Primo,  probatur  .testimonio  fide 
dignorum  :  Secundo,  testimonio  signorum 
positivorum  :  Tertio,  demonstratione  mira- 
culôrum.  Primo,  probatur  primum  mira- 
bile testimonio  fide  dignorum,  secundum 
quod  lex  dicit ,  Deutcron.,  XIX  :  «  In  ore 
duorum,  aut  trium,  »  etc.  Audiuntur  ergo 
testes  veraces,  et  idonei  sufïicientes.  Au- 
gustinus  :  «  Accedit  verbum  ad  elemen- 
tum,  et  fit  sacramentum,  hoc  est  :  Dei  ver- 
bum institutum  a  Christo,  profertur  super 
panem,  et  mox  fit  sacrum  secretum,  scili- 
cet  corpus  Salvatoris  sub  specie  panis.  » 
Item  Augustinus  :  «  Hoc  est  quod  omnibus 
modis  probare  contendimus,  sacramentum 
Ecclesise  duobus  constare,  visibili  elemen- 
torum  specie,  et  invisibili  carne  Christi  et 


OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    11. 

l'espèce  visible  des  éléments,  et  de  la  chair  et  du  sang  invisible  du 
Christ,  comme  la  personne  de  Jésus-Christ  est  l'ensemble  de  Dieu  et 
de  l'homme.  »  Saint  Ambroise  dit  :  «Ce  pain  que  nous  prenons  dans  le 
mystère  ,  comme  je  l'entends,  est  celui  qui  le  Saint-Esprit  a  formé  de 
ses  mains  dans  le  sein  de  la  Vierge ,  et  qui  a  été  cuit  par  le  feu  de  la 
passion  sur  l'autel  de  la  croix.  Le  pain  des  anges  est  en  effet  devenu  le 
pain  des  hommes.  »  Saint  Grégoire  dit  :  «  Ce  mystère  est  grand  et  re- 
doutable, parce  que  autre  est  ce  que  l'on  voit,  autre  ce  que  l'on  entend. 
On  voit  la  figure  du  pain  et  du  vin ,  et  par  l'opération  divine  on  en- 
tend le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  »  Eusèbe  dit  :  «  Hostie  vraiment 
unique  et  parfaite  de  l'Eglise  ,  que  l'on  aoTTâpprécierpar  la  foi ,  et 
non  par  l'apparence  ;  qui  ne  doit  pas  être  cjonsidérée.  d'après  la  vue 
extérieure,  mais  bien  par  l'intellect  intérieur  ,  ce  qui  fait  que  l'auto- 
rité du  ciel  confirme  cette  vérité  :  «  Prenez  et  mangez,  etc..  »  Comme 
l'auteur  du  don  est  lui-même  le  témoin  de  la  vérité ,  le  doute  de  l'in- 
fidélité doit  par  conséquent  disparaître.  2°  On  prouve  encore  cette 
vérité  par  le  témoignage  de  signes  positifs.  La  raison  des  signes  posi- 
tifs est  que  la  chose  est  telle  que  le  signe  lui-même.  Mais  il  y  a  deux 
espèces  de  signes;  ce  sont  celui  de  l'homme  et  celui  de  Dieu;  le  signe 
de  l'homme  est  artificiel;  celui  de  Dieu  est  sacramentel.  Le  signe  po- 
sitif de  l'homme  ne  signifie  que  ce  qu'il  veut  lui  faire  signifier ,  et  il 
est  de  deux  espèces.  L'un  ne  contient  pas  ce  qu'il  signifie,  comme  le 
cercle  le  vin;  l'autre  contient  ce  qu'il  signifie,  comme  le  petit  pâté  qui 
signifie  la  viande ,  en  contient  réellement  de  cachée  dans  son  inté- 
rieur. Pareillement  le  signe  positif  de  Dieu  qui  se  trouve  dans  les  sa- 
crements ,  signifie  ce  que  Dieu  a  voulu  lui  faire  signifier  ;  il  est  lui 
aussi  de  deux  espèces.  L'un  ne  contient  pas  ce  qu'il  signifie ,  tel  que 
les  sacrements  légaux,  qui  ne  produisent  pas  ce  qu'ils  figurent;  comme 
l'agneau  pascal  et  les  autres  du  même  genre.  L'autre  contient  ce  qu'il 


sanguine,  sicut  persona  Christi  constat  ex 
Deo  et  homine.  »  Ambrosius  :  «  Panem  is- 
tum  quem  sumimus  in  mysterio ,  utique 
intelligo,  qui  manu  Sancti  Spiritus  forma- 
tus  est  in  utero  Virginis,  et  igné  passionis 
decoctus  in  ara  crucis.  Panis  enitn  angelo- 
rum  faetus  est  cibus  hominum.  »  Grego- 
rius  :  «  Magnum  atque  pavendum  est 
mysterium,  quia  aliud  videtur,  aliud  intel- 
ligitur.  Figura  panis  et  vini  videtur,  et  fa- 
ciente  Domino ,  corpus  et  sanguis  Christi 
intelligitur.  »  Eusehius  :  «  Vere  unica  et 
perfecta  Ecclesiae  hostia ,  fide  aestimanda , 
non  specie,  neque  exteriori  censenda  visu, 
sed  interiori  intellectu,  unde  cœlestis  con- 
firmât authoritas  :  Accipite ,  et  corne- 
dite,  etc.  Recédât  ergo  omne  infidelitatis 
dubium,  quia  qui  author  muneris,  ipse  est 


testis  veritatis.  »  Secundo,  probatur  idem 
ratione  signorum  positivorum  :  ratio  au- 
tem  eorum  est  rem  ita  esse  ut  signum.  Est 
autem  signum  duplex,  scilicet  hominis,  et 
Dei  :  hominis  artificiale,  Dei  sacramen- 
tale.  Signum  positivum  hominis  secun- 
dum  impositionem  hominis  significat,  et  est 
duplex.  Nam  aliud  non  continet  quod  si- 
gnificat, ut  circulus  vini  :  aliud  continet 
quod  significat,  ut  pastillum  quod  signifi- 
cat carnes,  et  continet  carnes  intus  abscon- 
ditas.  Similiter  signum  positivum  Dei, 
quod  est  in  sacramentis  secundum  imposi- 
tionem Dei,  significat,  et  est  etiam  du- 
plex. Nam  aliud  non  continet  quod  signi- 
ficat, ut  sacramenta  legalia,  quœ  non  efii- 
ciunt  quod  figurant,  sicut  agnus  paschalis, 
et  similia.  Et  aliud  continet  quod  signifi- 


SUR  LE   SACRE  MENT    DE   L  AUTEL.  495 

signifie,  tels  sont  les  sacrements  de  l'Evangile,  comme  l'Eucharistie 
Elle  signifie  en  effet,  d'après  la  signification  que  Dieu  lui  a  imposé 
une  chose  sacrée,  à  savoir  le  corps  de  Jésus-Christ,  et  elle  le  contient 
réellement;  d'où  il  dit  :  «  Ceci  est  mon  corps.  »  Le  signe  extérieur 
demeure,  à  savoir  l'espèce  du  pain,  et  sous  ce  signe  se  trouve  le  corps 
du  Sauveur.  On  lit  dans  l'Ecclésiastique,  chapitre  III  :  «  Renouveliez 
vos  signes,  changez  vos  merveilles  ;  »  ce  qui  est  comme  s'il  disoit  : 
parce  que  les  anciens  signes  ne  contenoient  pas  la  grâce  qu'ils  figu- 
roient  ;  faites-en  de  nouveaux  qui  contiennent  ce  qu'ils  figurent.  Saint 
Augustin  dit  :  «  On  les  appelle  sacrements  parce  qu'ils  sont  les  signes 
d'une  chose  sacrée;  parce  qu'on  voit  en  eux  autre  chose  que  ce  que 
l'on  entend.  »  Ce  que  l'on  voit  a  une  apparence  corporelle;  ce  que  l'on 
entend  produit  un  fruit  spirituel.  Sous  les  espèces  du  pain  et  du  vin 
que  nous  voyons ,  nous  honorons  des  choses  invisibles  ,  à  savoir  le 
C0£H.^JÊ..sa.ng  de  Jésus-Christ.  Saint  Augustin  traite  cette  question 
plus  haut ,  vers  le  milieu  de  son  neuvième  Sermon.  3°  On  prouve  en- 
core cette  vérité  par  les  miracles.  Il  est  écrit  Exode,  ch.  XXXIV  :  «  Je 
ferai  des  prodiges  qui  n'ont  jamais  été  vus  sur  la  terre,  ni  dans  aucune 
nation,  etc.. .  »  Pasclmsedit:  «  Il  n'est  personne  de  ceux  qui  ont  lu  les 
vies  ou  jes  exemples  des  saints  qui  ignore  que  souvent  les  sacrements 
du  corps  eTdu  sang  de  Jésus-Christ  n'aient  été  rendus  visibles,  soit  à 
cause  de  ceux  qui  doutoient ,  soit  à  cause  de  ceux  dont  l'amour  étoit 
plus  brûlant,  jsous  l'apparence  d'un  agneau,  ou  sous  la  forme  d'un  petit 
enfant,  ou  encore  avec  la  couleur  de  la  chair  et  du  sang;  et  cela,  pour 
qu'un  miracle  mît  à  nu  ce  qu'un  mystère  déroboità  la  vue.  »  Saint  Ba- 
sile célébrant  les  saints  mystères,  un  jour  de  Pâques,  un  Juif  se  glissa 
parmi  le  peuple  fidèle ,  dans  l'intention  de  découvrir  le  mystère  de 
l'office  :  il  vit  dans  les  mains  de  Basile  un  enfant  qui  fut  partagé,  il 
le  vit  recevoir  par  tous  ceux  qui  communièrent  ;  il  vint  lui-même  à  la 


cat,  ut  sacramenta  evangelica,  sicut  Eucha- 
ristia.  Significat  enim  secundum  imposi- 
tionem  Dei  rem  sacram,  scilicet  corpus 
Christi,  et  continet  illud.  Unde  ait  :  Hoc 
est  corpus  meum.  Signum  mansit  foris , 
scilicet  species  panis,  et  intus  erat  corpus 
Salvatoris.  Ecclesiast.,  III  :  «  Innova  signa, 
et  immuta  mirabilia,  »  quasi  diceret  :  Quia 
vetera  signa  non  continebunt  gratiam 
quam  figurabant,  fac  nova,  quee  continent 
quod  figurant.  Augustinus  :  «  Ideo  dicun- 
tur  sacramenta  quasi  sacrae  rei  signa,  quia 
in  eis  aliud  videtur,  aliud  intelligitur. 
Quod  videtur,  speciem  habet  corporalem  : 
quod  intelligitur,  fructum  habet  spiritua- 
lera  :  In  specie  enim  panis  et  vini  quam 
videmus,  res  invisibiles  carnem  ghristi  et 
sanguinem  honoramus.  »  De  hoc  supra  ser- 


mone,  IX  ,  circa  médium.  Tertio,  probatur 
idem  demonstratione  miraculorum.  Exod., 
XXXIV  :  «  Signa  faciam  ,  quae,  nunquam 
sunt  visa  super  terram,  nec  in  ullis  genti- 
bus,  »  etc.  Paschasius  :  «  Nemo  qui  sancto- 
rum  vitas  et  exempta  legerit,  ignorât  quod 
sœpe  corporis  Christi  et  sanguinis  sacra- 
menta aut  propter  dubios,  aut  certe  prop- 
ter  ardentius  amantes  visibili  specie  in 
agni,  vel  pueri  forma,  aut  in  carnis  et 
sanguinis  colorem  monstrata  sint,  ut  quod 
latebat  mysterio,  patesceret  in  miraculo.  » 
Beato  enim  Basilio  in  die  Pasche  mysteria 
celebranti.  Hebrœus  quidam  se  sicut  Chris- 
tianus  populo  comnuscuit,  oflicii  volens  ex- 
plorare  mysterium  :  qui  vidit  infantem 
partiriin  manibus  Basilii,  et  communican- 
tibus  omnibus,  venit  ipse,  et  data  ei  hostia 


496  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    11. 

table  de  la  communion  ,  et  l'hostie  qu'il  reçut  devint  une  chair  véri- 
table. Conservant  ce  qui  restoit ,  il  revint  dans  sa  maison,  le  montra 
à  son  épouse,  et  lui  raconta  ce  qu'il  avoit  vu  de  ses  propres  yeux. 
Croyant  donc,  il  s'écria  :  «  Le  sacrement  des  chrétiens  est  horrible,  mais 
en  même  temps  digne  d'admiration.  »  Le  lendemain,  il  vint  trouver 
Basile  et  il  reçut  le  baptême  avec  toute  sa  famille.  On  lit  encore  :  un 
prêtre  du  nom  d'Egidius,  homme  fort  religieux,  qui  menoit  une 
sainte  vie,  se  mit  à  demander  à  Dieu  dans  ses  ferventes  prières,  de 
lui  faire  voir  la  nature  du  corps  et  du  sang  du  Seigneur.  Il  arriva  donc 
un  jour  que  ce  même  prêtre,  comme  il  en  avoit  l'habitude,  célébroit 
les  saints  mystères;  et  après  ces  mots,  Agneau  de  Dieu,  fléchissant 
le  genou  :  Créateur,  dit-il,  et  Rédempteur,  Dieu  tout-puissant,  montrez- 
moi  dans  ce  mystère  qui  paroît  si  peu  de  chose,  la  nature  du  corps  de 
Jésus-Christ,  afin  qu'il  me  soit  permis  de  la  voir  sous  la  forme  de  l'en- 
fant qui  reposa  autrefois  vagissant  sur  le  sein  de  sa  mère.  Et  voici 
qu'un  ange,  du  ciel  lui  dit  :  Levez-vous,  hâtez-vous,  si  vous  voulez 
voir  Jésus-Christ ,  il  est  là  présent ,  revêtu  d'un  voile  corporel ,  et  il 
porte  la  pourpre  sacrée.  Or  le  prêtre  tremblant  se  lève,  et  voit  un  en- 
fant  assis  sur  l'autel.  L'Ange  lui  dit  :  Parce  que  vous  avez  désiré  voir 
Jésûs^nrisUjïïë  vous  avez  consacré  par  des  paroles  mystiques ,  sous 
l'espèce  du  pain,  voyez-le  maintenant  de  vos  propres  yeux,  touchez- 
le  de  vos  mains.  Le  prêtre  fortifié  alors  par  un  rayon  de  la  lumière  cé- 
leste, ô  merveille  !  reçoit  l'enfant  dans  ses  bras  tremblants,  il  joint  sa 
poitrine  à  la  poitrine  de  Jésus-Christ,  le  pressant  ensuite  dans  ses  bras, 
il  le  couvre  de  doux  baisers ,  il  presse  de  ses  lèvres  les  lèvres  sacrées 
de  Jésus-Christ.  Après  cela  il  repose  l'enfant  sur  l'autel ,  se  prosterne 
de  nouveau  à  terre ,  et  prie  le  Seigneur  de  vouloir  reprendre  sa  pre- 
mière forme.  Se  levant  il  trouve  que  le  corps  de  Jésus-Christ  a  repris 


vere  caro  est  facta.  Et  servans  reliquias, 
abiit  in  domum  suam  ostendens  uxori  sua? , 
narrans  quse  propriis  oculis  viderat  :  Cre- 
dens  ergoait  :  Vere  horribile,  et  admira- 
bile  est  Christianorum  sacramentum.  In 
crastino  venit  ad  Basilium  :  et  baptizatus 
est  cum  omni  dorno  sua.  »  Idem  :  «  Qui- 
dam presbyter  erat  Jïgidius  nomine,  reli- 
giosus  valde,  qui  cum  sanctam  duceret  vi- 
tam,  cœpit  piis  precibus  pulsare  Deum,  ut 
sibi  monstraret  naturam  corporis  et  san- 
guinis  Domini.  Venit  ergo  dies  ut  idem 
more  sohto,  divina  celebraret,  et  ■post 
Agnus  Dei  procumbens  genibus  :  Creator , 
inquit ,  et  redemptor ,  omnipotens  Deus, 
pande  mibi  exiguo  in  hoc  mysterio  natu- 
ram corporis  Christi ,  ut  mihi  liceat  eam 
prospicere  in  forma  pueri,  quem  olim  si- 
nus matris  tulit  vagientem.  Et  ecce  Ange- 


j  lus  de  cœlo  veniens ,  affatur  :  Surge ,  pro- 
I  pera,  si  vis  Christum  videre  :  Adest  prae- 
I  sens  corporeo  vestitus  amictu,  quem  sacra 
purpura  gessit.  At  presbyter  pavidus  sur- 
gens, vidit  super  aram  puerum  sedentem  : 
Cai  angélus.  Quia  Christum  videre  placuit, 
quem  sub  specie  panis,  verbis  sacrasti  mys- 
ticis,  nunc  oculis  inspice,  et  tracta  mani- 
bus.  Tune  cœlesti  lumine  sacerdos  fretus 
(quod  mirum  dictu  est)  in  ulnis  trementi- 
bus  puerum  accepit ,  et  pectus  proprium 
pectori  Christi  adjunxit,  deinde  perfusus 
inamplexus  dat  dulcia  Deo  oscula,  et  suis 
labiis  pressit  pia  labia  Christi.  Quibus  ita 
peractis,  restituit  puerum  in  altari,  et  rur- 
sus  humi  prostratus  deprecatur  Dominum, 
ut  dignetur  ipse  verti  in  speciem  pristi- 
nam.  Et  surgens  invenit  corpus  Christi  re- 
measse  in  formam  priorem,  et  sic  sub  spe- 


SUR  LE  SACREMENT  DE  L' AUTEL.  497 

sa  forme  première,  et  il  communie  à  ce  même  corps  sous  la  forme 
voulue. 

^  Le  second  miracle  qui  s'opère  dans  la  consécration  du  sacrement  de 
l'autel ,  c'est  que  la  substance  du  pain  se  change  au  corps  que  Jésus- 
Christ  a  pris  clans  le  sein  de  la  Vierge;  et  cela  se  fait  par  la  puissance 
du  Verbe  ou  parole  de  Dieu.  On  prouve  de  trois  manières  que  cela 
peut  se  faire;  on  le  prouve  par  ce  que  peuvent  un  pouvoir  semblable, 
un  pouvoir  inférieur  et  un  pouvoir  supérieur.1!0  On  le  prouve  par  ce 
que  peut  un  pouvoir  identique;  parce  que  le  Verbe  de  Dieu  a  changé 
une  substance  en  une  autre;  ce  qui  fait  que  l'on  lit,  saint  Jean, 
chap.  II  :  «  Que  le  Seigneur  changea  l'eau  en  vin  aux  noces  de  Cana.  » 
Par  conséquent  ce  qu'il  peut  là,  il  le  peut  ici  ;  on  juge  des  choses  sem- 
blables de  la  même  manière  ;  là  où  une  puissance  semblable  donne 
le  même  ordre  ,  il  doit  y  avoir  un  même  effet.  2°  On  le  prouve  par  ce 
que  peut  un  pouvoir  inférieur  :  c'est  de  ce  que  les  choses  qui  sont 
moins  puissantes  que  le  Verbe  de  Dieu  changent  une  substance  en 
une  autre.  C'est  pour  cela  qu'il  importe  de  savoir  que  la  Providence 
de  Dieu  a  voulu  que  les  choses  changeassent  de  trois  manières ,  en 
dehors  des  changements  opérés  par  le  Verbe  de  Dieu.  Ces  modes  sont 
13^la  nature  et  la  &race-  L'art  de  l'homme  change  en  effet  une  sub- 
stance en  une  autre,  comme  le  prouve  l'exemple  du  fabricant  de  verre, 
qui  change  une  vile  poussière  en  une  verre  beau  et  éclatant.  Donc  à 
plus  forte  raison  la  puissance  de  la  parole  de  Dieu  peut-elle  changer 
le  pain  en  son  corps  et  le  vin  en  son  sang.  On  lit  dans  l'Ecclésiastique, 
chap.  VIII  :  «  La  parole  de  Dieu  est  toute  puissante,  et  personne  m>, 
peut  lui  dire,  pourquoi  faites-vous  cela?  wEusèbe  dit  :  «Le  prêtre  in- 
visible change  les  créatures  visibles  en  la  substance  de  son  corps  et  de 
son  sang ,  par  sa  parole,  en  vertu  d'une  puissance  secrète,  et  les  fait 
ce  même  corps,  ce  même  sang.  La  nature  change  pareillement  une  sub- 


cie  débita  communicavit  eidem.  »  Secun- 
dum  miraculum  in  consecratione  Sacra- 
menti  altaris  est,  quod  substantia  panis 
mutatur  in  corpus  Christi ,  quod  sumpsit 
de  Virgine,  et  hoc  fit  potestate  verbi  Dei  : 
quod  probatur  tribus  modis  fieri  posse,  a 
potestare  simili,  a  minori,  a  majori.  Primo, 
a  potestate  simili,  quia  verbi  Dei  substan- 
tiam  unam  in  aliam  commutavit.  Hinc  le- 
gitur  Joann.,  II,  quod  Dominus  ad  nuptias 
aquam  in  vinum  commutavit  :  sicut  ergo 
potuit  ibi,  potest  et  hic.  In  similibus  enim 
simile  est  judicium  :  ubi  similis  praecipit 
virtus,  similis  obedit  effectus.  Secundo, 
probatur  a  minori,  eo  quod  res  quse  minus 
possunt  quam  verbum  Dei,  unam  substan- 
tiam  mutant  in  alteram.  Unde  sciendum, 


V. 


quod  providentia  Dei  mutationes  rerum 
tribus  modis  fieri  voluit,  praeter  quas  verbo 
Dei  facit,  arte,  natura,  gratia.  Ars  enim 
hc/minis  unam  substantiam  mutât  in  aliam, 
ut  patet  in  vitrifiée,  qui  vilem  cinerem 
mutât  in  praeclarum,  et  nobile  vitrum. 
Ergo  multo  magis  virtus  verbi  Dei  potest 
panem  in  corpus  ejus,  et  vinum  in  sangui- 
nem  commutare.  Eccles.,  VIII  :  «  Sermo 
Dei  potestate  plenus  est ,  nec  dicere  ei 
quisquam  potest;  quare  ita  facis?  »  Euse- 
bius  :  «  Invisibilis  sacerdos,  visibiles  crea- 
luras  in  substantiam  corporis  et  sanguinis 
sui,  verbo  suo  sécréta  potestate  facit,  et 
commutât.  »  Item,  natura  unam  substan- 
tiam mutât  in  aliam,  sicut  in  vite  aqua 
mutatur  in  vinum,  et  opéra  apum  succus 

32 


498  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    12. 

stance  en  une  autre  ;  ainsi  dans  la  vigne  l'eau  se  change  en  vin,  et  le 
travail  des  abeilles  change  le  suc  des  fleurs  en  rayons  de  miel  par  un 
secret  de  la  nature.  Le  pain  que  nous  mangeons  tous  les  jours,  par  un 
changement  semblable  se  convertit  aussi  en  notre  propre  chair.  Donc 
à  plus  forte  raison  la  puissance  de  la  parole  de  Dieu  peut  changer 
le  pain  en  la  substance  de  son  corps.  La  grâce  que  reçoit  l'homme 
change  aussi  une  substance  en  une  autre.  Ainsi  Moïse  en  vertu  d'une 
grâce  spéciale  changea  la  verge  en  serpent,  et  l'eau  en  sang.  Donc  à 
plus  forte  raison  la  puissance  de  la  parole  de  Dieu  peut-elle  changer 
le  pain  en  son  corps  et  le  vin  en  son  sang.  Saint  Ambroise  dit  :  «  Moïse 
prit  la  verge,  la  jeta  à  terre  et  elle  se  changea  en  serpent.  »  Vous 
voyez  par  conséquent  qu'elle  fut  transformée  par  la  grâce  prophétique, 
et  que  la  puissance  de  la  grâce  est  plus  grande  que  celle  de  la  nature. 
Si  la  bénédiction  a  été  assez  puissante  pour  changer  la  nature ,  que 
dirons-nous  de  la  consécration  divine  elle-même ,  où  les  paroles 
mêmes  du  Sauveur  opèrent?  Par  conséquent,  si  vous  demandez  com- 
ment il  peut  se  faire  que  le  pain  devienne  le  corps  de  Jésus-Christ ,  je 
réponds  que  cela  s'opère  par  la  consécration  qui  se  fait  par  la  parole 
de  Jésus-Christ.  3°  On  prouve  cette  même  vérité  par  ce  que  peut  une 
plus  grande  puissance;  le  Verbe  de  Dieu  fait  et  peut  en  effet  faire  des 
choses  bien  plus  grandes  que  de  transformer  le  pain  au  corps  de  Jésus- 
Christ.  C'est  ce  que  prouve  tout  ce  qui  se  lit  depuis  ces  mots  :  «  Au 
commencement  étoit  le  Verbe;  »  jusqu'à  ces  autres  :  «  Et  tout  a  été 
fait  par  lui.  »  Saint  Ambroise  dit  •  «  On  lit  de  toutes  les  œuvres  du 
monde  :  Il  a  dit,  et  tout  a  été  fait,  etc..  »  La  parole  qui  peut  faire  de 
rien  ce  qui  n' existait  pas ,  ne  peut-elle  donc  pas  changer  ce  qui  existe 
en  ce  qui  n'était  pas?  Ne  faut-il  pas  autant  de  puissance  pour  donner 
aux  choses  de  nouvelles  natures  que  pour  changer  celles  qui  existent  ? 
Et  ainsi ,  ce  qui ,  avant  la  consécration  ,  étoit  du  pain ,  est  devenu  le 


florum  per  sécréta  naturae,  mutatur  in  fa- 
vum.  Similiter  in  nobisipsis  panem,  quem 
manducamus  quotidie,  per  naturam  mute- 
tur  in  carnem.  Ergo  multo  magis  virtus 
verbi  Dei  mutare  potest  panem  in  substan- 
tiam  corporis  sui.    Item,  gratia  hominis 


ipsa  consecratione  divina,  ubi  ipsa  verba 
Salvatoris  operantur  ?  Si  ergo  quœris,  quo- 
modo  potest  quod  panis  est  fieri  corpus 
Christi  ;  Respondeo,  consecratione,  quae  fit 
Christi  sermone.  »  Tertio  probatur  idem  a 
majori,  quia  verbum  Dei  multo  facit  ma- 


mutat  uuam  substantiam  in  alteram.  Hinc   jora,  et  facere  potest,  quam   quod  panem 


Moyses  per  gratiarn  specialem  mutavit  vir- 
gam  in  serpentera,  et  aquam  in  sangui- 
nem,  ergo  multo  magis  virtus  verbi  Dei 
potest  mutare  panem  in  corpus  suum,  et 
vinum  in  sanguinem.  Ambrosius  :  «  Yir- 
gam  tenuit  Moyses,  et  projecit  in  terram, 
et  facta  est  serpens,  et  sic  vides  prophetica 
gratia  mutatam  esse  naturam,  et  majoris 
esse  potentiae  gratiarn ,  quam  naturam. 
Quod  si  tantum  valuit  benedictio  humana 
ut   naturam  converteret,  quid  dicemus  de 


in  corpus  Christi  mutet.  Unde  in  principio 
erat  Verbum  (usque  omnia  per  ipsum  facta 
sunt.)  Ambrosius  :  «  De  totius  mundi  ope- 
ribus  legitur,  quod  ipse  dixit,  et  facta 
sunt,  »  etc.  Sermo  ergo  qui  potest  facere 
ex  nihilo  quod  non  erat,  non  potest  ea  quae 
sunt  mutare  in  id  quod  non  erat.  Non  enim 
minus  est  dare  rébus  novâs  quam  mutare 
naturas,  et  sic  quod  erat  panis  ante  conse- 
crationem ,  jam  corpus  Christi  factum  est 
post  consecrationem ,  quia   fermo  mutât 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  499 

corps  de  Jésus-Christ  après,  parce  que  la  parole  a  changé  la  créature. 
Par  conséquent,  lorsqu'une  créature  irrationnelle  et  inanimée,  à  savoir 
le  pain ,  est  changée  en  une  créature  meilleure ,  qui  est  le  corps  de 
Jésus-Christ ,  Verbe  de  Dieu  ;  il  est  étonnant  que  la  vie  mauvaise  de 
l'homme  pécheur  ne  puisse  être  changée  en  une  vie  meilleure  par  de 
nombreux  avertissements ,  de  grands  bienfaits ,  le  blâme  et  les  pro- 
messes réitérées? 

CHAPITRE  XII. 

Du  troisième  miracle  qui  s'opère  dans  la  consécration. 

a  Venez,  mangez,  etc..  »  Argument  propre.  «  Vos  œuvres  sont 
admirables,  etc..  »  La  troisième  merveille,  bien  plus,  le  prodige 
le  plus  étonnant  qui  s'accomplisse  dans  la  consécration  du  sacrement 
de  l'autel,  c'est  que  toute  la  substance  du  pain  se  change  au  corps  de 
Jésus-Christ ,  de  telle  manière  toutefois  que  les  accidents  du  pain , 
c'est-à-dire  la  saveur,  l'odeur,  la  couleur,  etc.,  demeurent.  Ce  qui 
entoure  le  corps  de  Jésus-Christ  est  exposé  à  l'appréciation  de  nos 
sens.  Il  a  été  déjà  prouvé  que  le  pain  se  change  au  corps  de  Jésus- 
Christ  ;  que  les  accidents  demeurent  exposés  a  l'appréciation  des  sens 
de  l'homme ,  c'est  une  chose  évidente.  Un  tel  changement  est  sur- 
naturel ,  on  l'appelle  proprement  conversion  ou  transsubstantiation  ; 
car  on  ne  trouve  rien  dans  la  nature  qui  puisse  lui  être  comparé.  On 
peut  cependant  démontrer  la  possibilité  de  cette  conversion  dans  le 
sacrement  de  l'Eucharistie,  par  une  triple  similitude  de  comparaison. 
La  première  similitude  par  laquelle  on  établit  que  la  substance  du 
pain  se  convertit  au  corps  de  Jésus-Christ ,  de  telle  sorte  que  les  acci- 
dents restent,  se  tire  de  la  grâce  accordée  aux  prophètes.  A  cette 
occasion  il  est  écrit ,  IV  Rois,  chap.  Hj  «  Elh.see.jeta  du  sel  dans  les 
eaux  amères,  et  elles  devinrent  douces."»  Quatre  choses  doivent 


creaturam.  Cum  itaque  irrationalis  crea- 
tura  et  inanimata ,  scilicet  panis  mutatur 
in  melius,  scilicet  in  corpus  Christi  verbi 
Dei,  mirum  quod  peccator  homo  nec  mul- 
tis  verbis,  nec  beneiiciis,  nec  comminatio- 
ne,  nec  promissione  converti  potest  mala 
vita  in  bonam. 

GAPUT  XII. 

De  tertio  mirabili  quod  fit  in  consecratione. 

«  Venite,  comedite,  »  etc.  Thema  pro- 
prium.  «Mirabilia  opéra  tua,  «etc.  Tertium 
mirabile,  imo  mirabilissimum  signura  in 
consecratione  Sacramenti  altaris  est,  quod 
mutatur  in  corpus  Christi  tota  substantia 


panis,  sic  tamen  quod  manent  panis  acci- 
dentia,  id  est  color,  sapor,  et  hujusmodi. 
Christi  corpus,  circumstantia  et  nostris 
sensibus  objecta.  Quod  enim  in  consecra- 
tione mutatur  panis  in  corpus  Christi,  jam 
probatum  est,  et  quod  manent  humanis 
sensibus  accidentia,  patet.  Talis  mutatio 
est  supernaturalis,  et  dicitur  proprie  con- 
versio,  sive  transsubstantiatio ,  quia  similis 
ei  per  omnia  non  invenitur  in  natura.  Quod 
tamen  ita  tieri  possit  in  hoc  sacramento, 
triplici  potest  ostendi  similitudine.  Prima 
similitudo  quod  substantia  panis  possit 
mutari,  ita  quod  accidentia  maneant,  su- 
mitur  de  gratia  prophetali.  Hinc  est  quod, 
IV.  Reg.,  II  :  «  Elisseus  misit  sal  in  aquas 


500  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    12. 

être  considérées  concernant  cette  conversion  ;  on  doit  considérer  le 
contenant,  le  contenu  ,  celui  qui  opère  et  l'œuvre  opérée^  Le  conte- 
nant ,  c'est  cette  apparence  ou  éclat  extérieur  ;  le  contenu ,  c'est  l'a- 
mertume intérieure  qui  passe  et  se  change  en  la  quatrième  ,  à  savoir 
l'œuvre  opérée,  c'est-à-dire  la  douceur,  et  cela  se  fait  par  la  troisième, 
à  savoir  celui  qui  opère  ,  c'est-à-dire  par  la  grâce  dont  jouit  le  pro- 
phète. Il  en  est  en  quelque  sorte  de  même  dans  le  changement  du  pain 
au  corps  de  Jésus-Christ.  La  première  chose ,  à  savoir  le  contenant , 
c'est-à-dire  l'apparence  extérieure  du  pain  demeure.  La  seconde ,  à 
savoir  le  contenu  ,  c'est-à-dire  la  substance  du  pain  se  change  en  la 
quatrième ,  qui  est  le  corps  de  Jésus-Christ ,  et  cela  s'opère  par  la 
troisième  ,  ou  celle  qui  opère  ,  c'est-à-dire  par  le  Verbe  de  Dieu.  La 
seconde  similitude  qui  sert  à  établir  la  possibilité  de  cette  conversion, 
se  tire  de  la  conversion  spirituelle  dont  il  est  parlé  au  premier Jiyre 
des  Rois ,  chap.  X^,  où  Sajymj^jjlitJL§&ul ,  qui  est  la  personnification 
du  pécheur  :  «  L'esprit  se  répandra  sur  vous ,  et  vous  serez  chaugé 
en  un  autre  homme.  »  On  peut  faire  sur  cette  conversion  ou  change- 
ment les  quatre  mêmes  considérations  qui  ont  été  déjà  faites  ,  savoir, 
que  l'on  peut  considérer  le  contenant ,  le  contenu  ,  celui  qui  opère  et 
la  chose  opérée.  Dans  l'jétat  de  péché,  en  effet,  notre  homme  extérieur 
est  sain  et  beau  ;  mais  notre  homme  intérieur  est  plein  d'amertume  ; 
il  est  infecté  du  venin  du  péché  ,  il  est  malade.  Pendant  que  l'esprit 
de  Dieu  le  change,  l'apparence  extérieure  du  corps  demeure  la  même, 
mais  l'amertume  et  la  langueur  intérieure  du  péché  se  changent  en 
la  douceur  et  en  la  santé  de  la  grâce. 

La  première  ,  à  savoir  l'apparence  extérieure  du  corps  demeure;  la 
seconde,  à  savoir  l'amertume  intérieure  du  péché  se  change  en  la 
quatrième ,  qui  est  la  douceur  de  la  grâce  ;  et  ceci  s'opère  par  la  troi- 
sième ,  à  savoir  par  l'esprit  de  Dieu;  il  se  fait  la  même  chose  dans  la 


amaras ,  et  conversee  sunt  in  dulces  :  »  in 
qua  conversione  quatuor  consideranda 
sunt,  scilicet  continens  et  contentum,  ope- 
rans  et  operatum.  Continens  est  illa  spe- 
cies,  sive  claritas  exterior  ;  contentum  ama- 
ritudo  interior,  quae  transit  atque  muta- 
tur  in  quartum,  scilicet  operatum,  id  est 
in  dulcedinem,  et  hoc  per  tertium,  scilicet 
operans,  id  est  per  gratiam  prophetalem. 
Sic  est  quodammodo  in  mutatione  panis  in 
corpus  Christi.  Primum,  scilicet  continens, 
id  est  species  panis  exterior  manet.  Secun- 
dum,  scilicet  contentum,  id  est  substantia 
panis  mutatur  in  quartum,  scilicet  in  cor- 
pus Christi ,  et  hoc  per  tertium,  scilicet 
operans,  id  est  per  verbum  Dei.  Secunda 
similitudo  ejusdem  sumitur  a  conversione 
spirituali,  de  qua  I.  Reg.,  X  :  dicit  Samuel 


ad  Saul,  qui  significat  peccatorem.  «  Insiliet 
in  te  spiritus  Domini ,  et  mutaberis  in  vi- 
rum  alium,  »  in  qua  conversione,  sive  muta- 
tione quatuor  jam  supra  dicta  conside- 
randa sunt ,  scilicet  continens  et  conten- 
tum, operans  et  operatum.  In  statu  enim 
peccati  noster  homo  exterior  pulcher  et 
sanus  :  sed  homo  interior  amaritudine  et 
peccati  veneno  plenus  est  et  œgrotus.  Hic 
dum  per  spiritum  Dei  convertitur,  specie 
corpons  manente  exterior;  amaritudo,  et 
languor  peccati  interior  in  dulcedinem  et 
sanitatem  gratiœ  commutatur.  Primum, 
scilicet  species  corporis  exterior  manet  : 
secundum,  scilicet  amaritudo  peccati  inte- 
rior transit  in  quartum,  scilicet  dulcedi- 
nem gratiae,  et  hoc  per  tertium,  scilicet 
per  spiritum  Dei,  et  sic  fit,  ut  dictum  est , 


SUR  LE   SACREMENT   DE   L'AUTEL.  501 

consécration  du  corps  du  Seigneur,  comme  nous  l'avons  dit  précé- 
demment. Eugène  écrit  à  une  personne  récemment  convertie  :  ((Qu'ils 
sont  grands,  qu'ils  sont  dignes  d'être  célébrés  les  bienfaits  opérés  par 
la  force  de  la  bonté  divine;  vous  ne  devez  tenir  ni  pour  nouveau  ni 
pour  impossible  que  les  choses  terrestres  se  changent  en  la  substance 
de  Jésus-Christ  ;  interrogez-vous  vous-même  ,  vous  qui ,  après  avoir 
déposé  votre  ignominie  passée,  vous  êtes  tout-à-coup  revêtu  d'une 
bonté  nouvelle;  vous  ne  vous  êtes  rien  ajouté  extérieurement,  et  tout 
votre  intérieur  a  été  changé.  » 

La  troisième  similitude  qui  sert  à  établir  la  possibilité  de  cette 
transsubstantiation,  se  tire  des  changements  qui  s'opèrent  dans  la 
nature.  Nous  voyons,  en  effet ,  que  les  œufs  placés  sous  un  oiseau , 
sous  une  poule  ou  sous  une  colombe,  se  changent,  par  la  puissance 
de  la  nature,  en  chair,  se  changent  même,  ce  qui  est  plus  extraordi- 
naire ,  en  un  petit  oiseau  vivant.  On  peut  pareillement  trouver  dans 
le  changement  qui  s'opère  ici  les  quatre  choses  dont  nous  avons  parlé. 
Là,  en  effet,  se  trouvent  le  contenant,  c'est  la  coquille,  qui  est 
comme  l'apparence  extérieure  de  l'œuf;  le  contenu,  à  savoir  le  jaune 
de  l'œuf,  qui  est  comme  la  substance  intérieure  de  l'œuf;  celui  qui 
opère ,  à  savoir  la  nature ,  et  l'œuvre  accomplie ,  à  savoir  la  chair  du 
petit  poulet.  La  première ,  à  savoir  la  coquille ,  qui  est  l'apparence 
extérieure,  demeure;  la  seconde,  le  jaune  d'oeuf,  ou  la  substance  inté- 
rieure, passe  et  se  change  en  la  quatrième,  le  corps  vivant  du  poulet; 
et  cela  s'opère  par  la  troisième,  savoir  la  nature  qui  opère.  La  simili- 
tude est  ici  admirable,  parce  que  la  chose  extérieure  paroît  pendant 
quelques  jours  entière,  comme  si  ce  qui  n'est  pas  un  œuf,  mais  le 
corps  vivant  d'un  poulet ,  voilé  sous  une  coquille,  étoit  véritablement 
un  œuf.  Comme  donc  ici  la  colombe  opère  par  la  nature ,  de  même 
dans  le  sacrement  de  l'autel  le  Saint-Esprit  opère  par  sa  toute-puis- 
sance. Donc ,  si  vous  placez  un,  ou  deux,  ou  plusieurs  œufs  sous  ces 


in  consecratione  corporis  Christi.  Eugenius 
ad  quemdam  conversum  :  «  Quanta,  et 
quam  celebranda  bénéficia  vis  divinae  bo- 
nitatis  operatur,  et  quod  non  tibi  novum 
et  impossibile  esse  debeat,  quod  in  Christi 
substantiam  terrena  convertuntur,  teipsum 
interroga,  qui  praeterita  vilitate  deposita , 
subito  novam  indutus  es  bonitatem,  in  ex- 
teriori  nihil  additum,  totum  est  in  interiori 
mutatum.  »  Tertia  sirnilitudo  ejusdem  su- 
mitur  de  mutatione  naturali.  Viderans 
enim  quod  ova  ponuntur  sub  ave  ,  ut  sub 
gallina,  sub  columba,  et  per  naturam  mu- 
tantur  in  carnem,  imo  inaviculam  vivam. 
In  bac  mutatione  similiter  illa  quatuor, 
quœ  jam  dicta  sunt ,  possunt  inveniri.  Ibi 


enim  est  continens,  scilicet  testa,  quasi  spe- 
cies  ovi  exterior,  et  contentum,  scilicet  vi- 
tellum  quasi  substantia  ovi  interior,  et 
operans,  scilicet  natura,  et  operatum,  scili- 
cet caro  pulli.  Primum,  scilicet  testa  spe- 
cies  exterior  manet,  secundum  vitellum, 
sive  substantia  interior  transit  et  mutatur 
in  quartum,  scilicet  in  corpus  pulli  vivi,  et 
hoc  per  tertium,  scilicet  operantem  natu- 
ram. Et  mira  sirnilitudo ,  quia  diebus  ali- 
quibus  intégra  exterius  videtur,  quasi  ad- 
huc  sit  ovum,  quod  non  est  ovum,  sed  vivi 
pulli  integrum  corpus  testa  velatum.  Sicut 
ergo  in  bac  re  columba  per  naturam ,  sic 
in  Sacramento  altaris  spiritus,  scilicet  per 
suam  omnipotentem  virtutem.  Si  ergo  sub 


502 


OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    12. 


oiseaux  ;  il  les  change ,  aidé  de  la  nature  ,  intérieurement  en  chair,  et 
la  coquille  extérieure  demeure;  le  Saint-Esprit,  par  sa  puissance, 
change  intérieurement  d'une  manière  subite  et  bien  plus  parfaite  au 
corps  de  Jésus-Christ,  une  ou  plusieurs  hosties  de  pain  ,  bien  qu'elles 
conservent  l'apparence  de  ce  même  pain  :  remarquez  que  le  verset  où 
il  est  parlé  du  corps  de  Jésus-Christ  ne  dit  pas  de  la  substance  du  pain, 
qu'elle  est  la  matière  du  corps  de  Jésus-Christ,  mais  que  le  pain  se 
change  au  corps  de  Jésus-Christ.  Le  corps  qui  se  trouve  ici  sous  le 
pain  est  le  corps  né  de  la  Vierge.  Le  premier  vient  d'un  changement 
opéré  dans  le  pain,  mais  le  second  est  matériel.  On  peut  ici  faire  cette 
observation  morale  :  Quand  la  créature  irrationnelle,  à  savoir  le  pain, 
est  changé  en  quelque  chose  de  plus  parfait  par  le  Verbe  de  Dieu  et 
de  son  esprit ,  combien  est  grande  la  dureté  du  pécheur  que  ne 
peuvent  convertir  ni  plusieurs  paroles,  ni  les  œuvres  du  Saint-Esprit. 
On  lit  dans  Jérémie,  chap.  V  :  «  Ils  ont  rendu  leurs  fronts  plus  durs 
que  le  rocher,  et  ils  n'ont  point  voulu  revenir  à  vous.  »  Cet  endurcis- 
sement ,  c'est  l'impénitence  finale  qui  procède  d'une  triple  cause.  La 
première ,  c'est  une  longue  habitude  de  pécher.  La  seconde ,  c'est 
l'incrédulité  sur  la  justice  de  Dieu.  La  troisième,  la  séduction  de 
l'ennemi.  Il  est  écrit  de  la  première  au  livre  de  la  Sagesse ,  ch.  XIV  : 
«  Cette  coutume  mauvaise  s' étant  de  plus  en  plus  autorisée ,  l'erreur 
fut  observée  comme  une  loi.  »  On  lit  dans  Jérémie,  chap.  XIII  :  «  Si 
un  Ethiopien  peut  changer  sa  peau ,  ou  le  léopard  la  variété  de  ses 
couleurs,  vous  pourrez  aussi  faire  le  bien ,  vous  qui  n'avez  appris  qu'à 
faire  le  mal.  »  Le  commentaire  ajoute  :  «  L'habitude  de  pécher 
devient  en  quelque  sorte  nature.  Mais  ce  qui  est  impossible  à  l'homme 
est  possible  à  Dieu  ;  il  peut  se  faire  que  l'Ethiopien  ne  le  soit  plus , 
comme,  que  le  léopard  cesse  de  l'être,  à  savoir  que  les  vieux  pécheurs 
paroissent  changer  par  eux-mêmes  leur  nature  ;  mais  c'est  Dieu  qui 


ave  ponis  unum ,  vel  duo ,  vel  plura  ova, 
vertit  ea  per  naturam  interius  in  came 
testa  manente  exterius ,  quanto  magis 
unam  hostiam  panis ,  vel  plures  in  altari 
manente  specie  panis  exterius,  Spirilus 
sanctus  ea  repente  interius  in  corpus  Christi 
sua  virtute  convertit  :  Nota  versus  de  cor- 
pore  Christi,  de  hoc  quod  dicit  de  substan- 
tia  panis,  non  quod  sit  materia  corporis 
Ghristi,  sed  quod  panis  convertitur  in  cor- 
pus Ghristi.  Corpus  de  pane,  corpus  de  Vir- 
gine  natum.  Primum  conversum ,  sed  ma- 
teriale  secundum.  Hic  moraliter  notandum 
est,  cum  irrationalis  creatura,  scilicet  pa- 
nis, perverbumDei  spiritus  ejus  in  melius 
convertitur,  quanta  sit  peccatoris  duritia, 
qui  multis  verbis,  et  Spiritus  sancti  opera- 
tionibus  ad  conversionem  non  perducitur  : 


Hieremiœ,  V  :  «  Induraverunt  faciès  suas 
supra  petrarn,  et  noluerunt  reverti.  »  Hœc 
induratio  finalis  inipœnitentia  est,  cujus 
triplex  est  causa.  Prima,  longa  consuetudo 
peccandi.  Secunda,  incredulitas  de  justitia 
Dei.  Tertia,  seductio  inimici.  De  primo 
Sapieniiœ,  XIV  :  «  Invalescente  iniqua  eon- 
suetudine  error  tanquam  lex  custoditus 
est.  »  Hieremiœ,  XIII  :  «  Si  potest  ^Ethiops 
mutare  pellemsuam,  aut  pardus  varietates 
suas,  et  vos  potestis  bene  agere  cum  didi- 
ceritis  malum.  »  Glossa  :  «  Consuetudo 
peccandi  quodammodo  in  naturam  tran- 
sit. »  Sed  quod  hominibus  impossibile  est, 
Deo  possibile  est,  utnon^Ethiops,  vel  par- 
dus, longeevi  scilicet  peccatores  suam  natu- 
ram per  se  mutare  videantur,  sed  Deus  qui 
in  illis  operatur.  Augustinus  :  «  Vocabas 


SUR   LE   SACRE^ŒNT    DE   I/AUTEL.  503 

produit  en  eux  ce  résultat.  »  Saint  Augustin  dit  :  «  Vous  m'appeliez, 
Seigneur,  et  je  soupirois  ;  mais  j'étois  lié ,  ce  n'étoit  pas  par  un  fer 
étranger,  mais  bien  par  ma  propre  volonté.  L'ennemi  s'étoit  em- 
paré de  ma  volonté  ,  il  en  avoit  fait  une  chaîne ,  et  il  m'en  avoit  en- 
lacé ;  car  la  passion  mauvaise  est  le  fruit  d'une  volonté  perverse ,  et 
pendant  qu'on  est  asservi  à  cette  passion  mauvaise,  on  contracte  l'ha- 
bitude, et  tant  qu'on  ne  résiste  pas  à  l'habitude,  elle  devient  une 
nécessité.  » 

Il  est  dit  de  la  seconde ,  dans  Sophonie,  chap.  I  :  «  Et  je  visiterai 
dans  ma  colère  ceux  qui  se  sont  enfoncés  dans  leurs  ordures  ;  qui 
disent  dans  leurs  cœurs,  le  Seigneur  ne  fera  ni  bien,  ni  mal,  »  le  Com- 
mentaire ajoute  :  «Ils  anéantissent  la  providence  du  Seigneur,  pensant 
qu'il  ne  peut  pas  récompenser  les  bons  de  leurs  bonnes  œuvres ,  et 
punir  les  méchants  du  mal  qu'ils  ont  fait,  mais  que  tout  est  régi  par 
le  hasard.  »  On  lit,  Psaume  XIII  :  «  L'insensé  a  dit  dans  son  cœur,  il  n'y 
a  pas  de  Dieu,  de  juste  juge,  qui  juge  les  péchés;  »  ce  qui  fait  que  le 
Psalmiste  ajoute  immédiatement  :  «  Ils  se  sont  corrompus  et  sont 
devenus  abominables  dans  toutes  leurs  affections  et  leurs  désirs  dé- 
réglés. 

Il  est  écrit  de  la  troisième  dans  Osée,  chap.  V  :  «  Ils  ne  permettront 
pas  à  leurs  pensées  de  se  reporter  vers  le  Seigneur,  parce  que  l'esprit 
de  fornication  est  au  milieu  d'eux ,  et  qu'ils  n'ont  pas  connu  le  Sei- 
gneur; »  c'est  comme  si  le  Prophète  disoit  :  Le  méchant  esprit  les 
assiège  ,  les  aveugle,  pour  les  empêcher  de  connoître  le  Seigneur,  il 
les  séduit  par  des  promesses  fallacieuses,  ce  qui  fait  que  leur  conver- 
sion est  impossible.  On  Ut,  Ecclésiastique ,  ch.  XXIX  :  «.  L'engage- 
ment à  répondre  mal  à  propos  en  a  perdu  plusieurs.  »  11  est  écrit  Gen.,  ' 
chap.  XXXIV  :  «.  Dina  étant  sortie  pour  voir  les  femmes  du  pays,  Si- 
chem,  prince  de  ce  pays,  la  vit,  »  c'est-à-dire  le  démon,  il  l'aima,  l'en- 
leva, dormit  avec  elle  et  la  viola,  et  son  ame  demeura  attachée  à  Dina 


me  Domine,  et  suspirabam  ligatus  non 
ferro  alieno,  sed  mea  propria  voluntate. 
Velle  enim  meum  tenebat  inimicus,  et  in- 
de  catenam  fecerat  et  constrinxerat  me, 
quippe  ex  voluntate  perversa  facta  est  li- 
bido, et  dum  servitur  libidini ,  facta  est 
consuetudo,  et  dum  consuetudini  non  re~ 
sistitur,  facta  est  nécessitas.  »  De  secundo, 
Sophon.,  I  :  «  Visitabo  super  viros  defixos 
in  fœcibus  suis,  qui  dicunt  in  cordibus  suis, 
nonfacietbeneDominus,etnonfacietmale.» 
Glossa:  «TolluntDomini  providentiam  pu- 
tantes  quod  nec  bonis  bona,  nec  malismala 
possit  reddere ,  sed  omnia  casu  regantur.  » 
Psalm.  XIII  :  «  Dixit  insipiens  in  corde 
suo,  non  est  Deus,  justus  judex,  qui  judi- 


cat  peccata.  »  Unde  sequitur  :  «  Corrupti 
et  abominabiles  facti  sunt  in  iuiquitatibus 
suis.  »  De  tertio,  Osée,  V  :  «  Non  dabunt 
cogitationes  suas  ut  revertantur  ad  Domi- 
num,  quia  spiritus  fornicationis  in  medio 
eorum,  et  Dominum  non  cognoverunt  ?  » 
quasi  diceret ,  quia  spiritus  malignus  ob- 
sedit  eos  et  excœcat,  ut  Dominum  non 
agnoscant,  et  promissionibus  falsis  seducit, 
ideo  converti  non  possunt.  Ecc/es.,  XXIX  : 
«  Repromissio  nequissima  plurimos  perdit.» 
Gen.,  XXXIV  :  «  Egressa  Dina  ut  videret 
mulieres  regionis  illius.  Et  vidit  eam  Si- 
chem ,  princeps  terra?  ,  »  id  est  diabolus, 
«  adamavit ,  rapuit ,  dormivit  cum  ea ,  et 
conglutinata  est  anima  ejus  cum  ea,  tris- 


504  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    13. 

par  les  liens  d'une  passion  violente ,  et  la  voyant  triste ,  il  tâcha  de 
la  gagner  par  ses  caresses  ;  il  lui  promit  les  prospérités  du  monde, 
des  fautes  légères ,  une  longue  vie,  mais  ce  n'étoit  là  que  mensonge. 
Michée  dit  au  troisième  livre  des  Rois ,  chap.  XXII  :  «  Mais  l'esprit 
malin  étant  sorti,  il  dit  :  Je  tromperai  Achab;  j'irai,  et  je  serai  un 
esprit  de  mensonge  dans  la  bouche  de  tous  ses  Prophètes;  »  ses  Pro- 
phètes lui  disoient  :  «  Montez  dans  Ramoth-Galaad,  et  allez,  vous  serez 
heureux,  le  Seigneur  livrera  vos  ennemis  en  vos  mains,  »  et  c'est  en 
en  quoi  il  le  trompa  :  «  Car  étant  parti  pour  livrer  bataille,  quelqu'un 
ayant  lancé  une  flèche  sans  viser ,  cette  même  flèche  l'atteignit  entre 
le  poumon  et  l'estomac  et  le  blessa  grièvement,  et  il  mourut  le  même 
soir.  » 

CHAPITRE  XIII. 

Des  trois  merveilles  que  l'on  doit  considérer  dans  la  possession  du  corps 

de  Jésus-Christ. 

ce  Venez,  mangez.  Vos  œuvres  sont  admirables,  etc.  »  Nous  allons 
ici  parler  des  trois  merveilles  qui  s'opèrent  par  la  puissance  et  la  per- 
fection de  la  consécration ,  qui  s'observent  dans  la  possession  de  ce 
même  corps,  et  que  nous  possédons  encore  après  la  consécration.  La 
première  merveille  qui  s'opère  dans  la  possession  du  corps  du  Sei- 
gneur, c'est  qu'une  chose  aussi  grande  que  l'est  le  corps  du  Seigneur, 
soit  contenue  sous  l'apparence  d'un  si  petit  pain  ;  on  donne  de  cela 
trois  raisons.  La  première  raison,  c'est  la  manifestation  de  la  gran- 
deur de  la  sagesse  de  l'auteur  d'une  chose  si  merveilleuse,  à  savoir  de 
l'Esprit  saint.  Nous  voyons  en  effet  que  plus  les  artistes  sont  habiles 
dans  l'art  de  sculpter,  plus  les  images  qu'ils  sculptent  sont  petites  et 


teraque  blanditiis  delinivit,  »  qui  mundi 
prospéra,  peccata  levia,  longam  vitam  false 
promittit.  III  Reg.,  XXII,  dicit  Michaeas  : 
«  Egressus  spiritus  ,  ait ,  ego  decipiam 
Achab.  Egrediar,  et  ero  spiritus  mendax 
in  ore  omnium  Prophetarum  ejus,  qui  di- 
cebant  régi  :  Ascende  in  Ramoth  Galaad, 
et  vade  prospère,  et  tradet  Dominus  ini- 
micos  tuos  in  manus  tuas ,  et  in  hoc  est 
deceptus.  Ingressus  enim  prœlium,  quidam 
percussit  eum  casu  sagitta  inter  pulmo- 
nem  et  stomachum,  et  graviter  vulneratus, 
mortuus  est  vesperi.  » 


GAPUT  XIII. 

De  tribus  mirabilibus,   quœ  considerantur 
in  corporis  possessione. 

«  Venite  ,  comedite.  Mirabilia  opéra 
tua,  »  etc.  Hic  dicendum  est  de  tribus  mi- 
rabilibus, quœ  fiunt  virtute  et  perfectione 
consecrationis,  et  attenduntur  in  ejusdem 
possessione,  et  post  consecrationem  adhuc 
nobiscum  habemus.  Primum  mirabile  si- 
gnum ,  quod  in  possessione  dominici  cor- 
poris magna  res ,  scilicet  corpus  Domini, 
continetur  sub  tam  parva  specie  panis,  cu- 
jus  assignatur  triplex  ratio.  Prima  ratio 
est  demonstratio  magnitudinis  sapientiae 
artiticis  tantae  rei,  scilicet  Spiritus  sancti. 
Videmus  enim  quod  artifices,  quanto  sunt 
in  arte  sculpendi  peritiores,  tanto  sculpunt 


SUR  LE  SACREMENT  DE  L' AUTEL.  505 

délicates.  Ce  qui  fait  que  si  l'on  présente  aux  artistes  une  pierre  pré- 
cieuse ,  ou  un  morceau  de  métal  fort  petit,  et  qu'on  les  prie  d'y  faire 
une  fort  petite  figure,  l'artiste  moins  habile  répondra,  qu'il  ne  lui  est 
pas  possible  de  la  faire,  pendant  qu'un  artiste  fort  habile  l'y  fera  faci- 
lement. Ainsi  pour  prouver  la  sagesse  du  Saint-Esprit,  il  lui  est  facile 
de  faire  que  le  corps  de  Jésus-Christ  tout  entier  réside  sous  la  plus 
petite  espèce  de  pain.  C'est  pour  cela  qu'il  est  écrit  au  livre  de  la  Sa- 
gesse, ch.  VII  :  «  Il  est  dit  de  l'Esprit  saint  qu'il  est  subtile.  »  Il  n'est 
pas  possible  en  effet  de  placer  sur  l'autel  une  parcelle  de  pain  si  petite, 
qu'il  ne  sache  et  qu'il  ne  puisse  la  convertir  au  vrai  corps  de  Jésus- 
Christ.  Saint  Damascène  expliquant  ces  paroles  :  à  Comment  cela  se 
fera-t-il,  dit  la  Vierge,  parce  que  je  ne  connois  aucun  homme,  l'ange 
lui  répondit  :  l'Esprit  saint  viendra  en  vous,  etc..  »  dit  :  «  Et  vous, 
vous  demandez  comment  le  pain  se  change  au  corps  de  Jésus-Christ  ; 
et  moi  je  vous  dis  :  Le  Saint-Esprit  viendra,  et  il  opérera  lui-même 
ce  prodige  qui  surpasse  à  la  fois  et  la  nature  et  l'intelligence.  » 

La  seconde  raison  pour  laquelle  il  en  est  ainsi ,  c'est  la  parité  qui 
existe  entre  la  puissance  de  Jésus-Christ  et  celle  de  Dieu.  TouVce  que 
peut  en  effet  par  nature  le  Fils  de  Dieu ,  le  Fils  de  l'homme  ïe  peut 
pareillement  en  vertu  de  l'unité  de  personne.  On  lit  dans  saint  Mat- 
thieu, ch.  ult.  :  «  Tout  pouvoir  m'a  été  donné,  etc.  »  Saint  Ambroise 
expliquant  ces  paroles  :  «  Celui-ci  sera  grand,  et  il  sera  appelé  le  Fils 
du  Très-Haut,  »  s'exprime  ainsi  :  «  C'est  pourquoi  il  sera  grand  non  pas 
parce  qu'il  ne  l'aura  pas  été  avant»l'enfantement  de  la  Vierge;  mais  il 
le  sera,  parce  qu'il  recevra  dans  le  temps  la  puissance  qu'il  avoit  natu- 
rellement avant  le  temps  comme  Fils  de  Dieu;  parce  que  comme  le  Fils 
de  Dieu  et  le  Fils  de  l'homme  seront  confondus  dans  une  seule  personne; 
de  même  il  n'y  aura  qu'une  seule  et  même  puissance  du  Fils  de  Dieu  et 
jdeThomme  :  mais  le  Verbe  Fils  de  Dieu  a  reçu  du  Père  la  puissance  de 


imagines  subtiliores.  Unde  si  artificibus  os- 
tenditur  gemma  vel  metalli  maleria  valde 
parva,  et  rogetur  in  ea  imago  fieri  subti- 
lissima,  minus  subtilis  artifex  respondebit, 
quod  eam  facere  non  possit,  quod  maxime 
subtilis  in  arte  facile  facit.  Sic  ad  demons- 
trandam  sapientiam  Spiritus  sancti,  sub 
minima  specie  sacramenti  facile  esse,  facit 
totum  corpus  Christi.  Hinc  Sap.,  VII  : 
«  Spiritus  sanctus  dicitur  esse  subtilis.  » 
Non  enim  potest  ei  tam  subtilem  partem 
panis  proponere  in  altari ,  quin  sciât  et 
possit  eam  in  verum  corpus  Christi  conver- 
tere.  Damascenus  :  «  Quomodo  fiet  hoc,  ait 
Virgo,  quoniam  virum  non  cognosco.  Res- 
pondit  :  Spiritus  sanctus  superveniet  in 
te,  etc.,  et  tu  quœris,  quomodo  panis  Hat 
corpus  Christi  ?  Et  ego  dico  tibi ,  Spiritus 


sanctus  superveniet,  et  ipse  faciet  haec, 
quœ  super  naturam  sunt  et  super  intelli- 
gentiam.  »  Secunda  ratio  ad  idem  est  si- 
militudo  potentiœ  Christi  cum  potentia 
Dei.  Quicquid  enim  potest  Dei  Filius  per 
naturam,  hoc  potest  Filius  hominis  propter 
personae  unitatem.  Matth.,  ult.  :  «  Data 
est  mihi  omnis  potestas  ,  »  etc.  Ambrosius 
super  illud  :  «  Hic  erit  magnus,  et  Filius 
Altissimi  vocabitur.  Non  ideo  erit  magnus, 
quod  ante  partum  Virginis  magnus  non 
fuerit,  sed  quia  potentiam ,  quam  Dei  Fi- 
lius ante  tempora  naturaliter  habuit  ,  hic 
erit  ex  tempore  accepturus,  quia  sicut  m 
unam  personam,  ita  in  unam  potentiam 
conveniunt  Dei  Filius  et  hominis  ;  sed  Dei 
Filius  verbum,  Patris  illam  habuit  poten- 
tiam, quod  minima  parte  corporis .  opère 


506  OPUSCULE   LVH,    CHAPITRE    13. 

se  revêtir  et  de  s'enfermer  sous  cette  partie  infiniment  petite  du  corps 
de  la  Vierge  qui  en  fut  séparé  par  la  puissance  du  Saint-Esprit;  comme 
le  prouvent  ces  paroles  :  «  Et  le  Verbe  s'est  fait  chair.  »  Donc  le  Christ- 
homme  a  reçu  un  semblable  pouvoir,  à  savoir  le  pouvoir  de  renfermer 
son  corps  sous  la  plus  petite  espèce  de  pain.  On  lit ,  Psaume  XCVIII  : 
«  Le  Seigneur  est  grand  dans  Sion.  »  Sion  s'interprète  d'un  miroir, 
comme  le  disent  Papias  et  saint  Augustin.  Il  n'y  a  pas  de  doute  qu'une 
image  ne  soit  aussi  fidèlement  et  aussi  intégralement  reproduite  par 
lin  petit  que  par  un  grand  miroir.  On  dit  donc,  le  Seigneur  est  grand 
dans  Sion  ;  c'est-à-dire  dans  un  miroir,  parce  que  c'est  avec  justesse 
que  l'on  croit  que  le  vrai  corps  de  Jésus-Christ  est  aussi  intégralement 
sous  la  plus  petite  espèce  du  pain  que  sous  la  plus  grande. 

La  troisième  raison  pour  laquelle  il  en  est  ainsi;  c'est  qu'il  y  a  ici  une 
cause  suffisante  d'atteindre  la  fin  du  sacrement.  La  fin  du  sacrement, 
c'est  de  nourrir  spirituellement  l'ame  fidèle ,  de  la  fortifier  dans  le 
bien,  et  deTâ*prémunir  contre  le  mal.  Le  corrjs_de  Jésus-Christ  est  la 
cause  efficiente  qui  doit  produire  cet  effet";  et  il  peut  tout  aussi  bien  le 
produire  sous  une  petite  espèce  de  pain  que  sous  une  grande ,  parce 
qu'il  est  aussi  bien  uni  à  Dieu  sous  l'une  que  sous  l'autre,  et  que  c'est 
de  lui  que  découle  toute  la  force  du  sacrement.  Quelque  petite  en  eiïet 
que  soit  l'espèce  du  pain  ,  le  corps  de  Jésus-Christ  y  est  tout  entier 
par  conversion,  son  sang  par  connexion,  son  ame  par  conjonction, 
el  sa  divinité  tout  entière  par  union;  ce  qui  fait  qu'il  a  tout  ce 
qu'il  faut  pour  nourrir  spirituellement,  et  pour  conforter  l'ame.  On  lit 
dans  l'Exode,  chap.  XVI  :  «  Celui  qui  avoit  moins  recueilli  de  manne 
en  trouve  autant  que  celui  qui  en  avoit  plus  recueilli.  »  Saint  Hilaire 
dit  :«Là  où  se  trouve  une  partie  du  corps,  c'est-à-dire  la  plus  petite 
partie  du  sacrement;  là  est  le  corps  tout  entier.»  Il  y  a  pour  le  corps  du 
Seigneur  la  même  raison  que  pour  la  manne,  qui  le  précéda  et  qui  en 


Spiritus  sancti  de  virtute  separata  se  vesti- 
vit ,  et  illi  se  inclusit ,  secuudum  illud  : 
«  Verbum  caro  factum  est.  »  Ergo  simi- 
lem  potestatem  dédit  homini  Ghristo,  sci- 
licet  ut  possit  facere  corpus  suum  esse  sub 
minima  panis  specie.  Psalm.  XCVIII  : 
«  Dominus  in  Sion  magnus.  »  Sion  inter- 
pretatur  spéculum,  ut  dicit  Papias  et  Au- 
gustinus.  Et  dubium  non  est,  quod  magna 
imago  tam  expresse,  tam  intègre  apparet 
in  parvo  speculo,  sicut  in  magno.  Magnus 
ergo  Dominus  in  Sion  ,  id  est  in  speculo, 
esse  dicitur,  quia  verum  corpus  Christi 
tain  integraliter  esse  sub  parva  specie  panis 
sicut  sub  magna  recte  creditur.  Tertia  ra- 
tio ad  idem  ,  est  sufiieiens  causa  ad  iinem 
sacramenti.  Finis  sacramenti  est  anirnam 
iîdelem  spiritualiter  cibare ,  et  contra  raa- 


lum  et  ad  bonum  confortare.  Causa  hujus 
efficiens  est  corpus  Christi ,  et  id  potest 
tam  plene  esse  sub  specie  panis  parva,  sic- 
ut sub  magna,  quia  sub  utraque  aequaliter 
unitum  est  Deo,  ex  quo  fluit  omnis  virtus 
in  sacramento.  Quantacumque  enim  parva 
sit  species  illa  panis,  ibi  est  totum  corpus 
Christi  per  conversionem,  sanguis  per  con- 
nexionem,  anima  per  conjunctionem  et  di- 
vinitas  intégra  per  unionem  :  uude  certum 
est,  quod  habet  plenam  rationem  cibaridi 
spiritualiter  et  confortandi  animam.  Exod., 
XVI  :  «  Qui  minus  collegerat  non  reperit 
minus  de  manna ,  quam  qui  plus  cofiege- 
rat.  »  Hilarius  :  «  Ubi  pars  corporis,  id  est 
minirna  pars  sacramenti,  ibi  est  et  totum 
corpus.  »  Eadem  enim  ratio  est  in  corpore 
Domini,  quse  in  manna,  quod  in  ejus  figura 


SUR   LE   SACREMENT   DE  L'AUTEL.  507 

étoit  la  figure,  et  de  laquelle  il  est  dit  :  «  Celui  qui  en  recueille  plus 
n  en  a  pas  davantage  ,  et  celui  qui  en  avoit  moins  préparé  en  a  au- 
tant. »  Ce  n  est  pas  la  quantité  visible  qu'en  ceci  il  faut  apprécier,  mais 
bien  la  vertu  spirituelle  ;  ce  qui  fait  que  celui  qui  consacre  beaucoup 
de  pains  ou  qui  en  consacre  un  grand  ne  reçoit  rien  de  plus  que  le 
vrai  corps  de  Jésus-Christ  pour  son  salut. 

Le  second  prodige  qu'il  faut  ici  considérer,  c'est  que  le  seul  et 
même  corps  se  trouve  en  plusieurs  lieux  à  la  fois;  et  ceci  se  prouve  de 
trois  manières.  1°  On  le  prouve  par  les  paroles  suivantes  du  prophète 
Jalachifi^chap.  I,  adressées  aux  Juifs  :  «  Mon  affection  n'est  point  en 
vous,  dit  le  Seigneur,  je  ne  recevrai  point  de  présents  de  votre  main 
Car  depuis  l'Orient  jusqu'à  l'Occident,  mon  nom  est  grand  parmi  les 
nations,  et  Ton  me  sacrifie  en  tous  lieux,  et  l'on  offre  a  mon  nom  une 
oblation  toute  pure.  »  Il  exprime  ici  plusieurs  lieux  et  il  ne  parle  que 
d'une  seule  oblation  .pure,  son  Fils.  On  lit  dans  l'Exode,  chap.  X\  : 
«  Partout  où  l'on  conservera  le  souvenir  de  mon  nom,  je  viendrai 
vers  vous,  et  je  vous  bénirai.  »  Le  souvenir  du  nom  du  Seigneur,  c'est 
le  sacrifice  de  l'autel,  à  savoir  le  corps  de  Jésus-Christ,  qu'il  a  ordonné 
de  consacrer  en  mémoire  de  lui;  ceci  se  fait  dans  un  grand  nombre 
d'endroits ,  et  dans  cette  consécration  vient  un  seul  Seigneur  pour 
nous  bénir. 

2°  Ceci  se  prouve  par  une  raison  péremptoire  ;  c'est  que  le  Fils  de 
l'homme  participe  à  la  puissance  du  Fils  de  Dieu  en  vertu  de  l'union 
de  personne.  Saint  Ambroise  dit  :  «  Comme  le  Fils  de  Dieu  et  le  Fils 
de  l'homme  n'ont  qu'une  personnalité,  ils  n'ont  de  même  qu'une  seule 
et  même  puissance.  »  Ce  qui  fait  que  comme  le  Fils  de  Dieu  est  par 
essence  ep  toutes  choses,  il  a  pareillement  été  donné  au  Fils  de 
l'homme  que  son  eorps  pût  être  en  plusieurs  lieux  sous  le  sacrement. 
Saint  Augustin  dit  :  «  On -doit  entendre  que  lé  corps  de  Jésus-Christ 


prsecessit,  de  quo  dicitur  :  Qui  plus  colle- 
git,  non  habet  amplius ,  neque  qui  minus 
paraverat ,  habuit  minus.  Non  enim  aesti- 
manda  est  quantitas  in  hoc  visibilis ,  sed 
virtus  spiritualis  :  unde  qui  multum  vel 
magnum  panem  consecrat,  non  habet  am- 
plius quarn  verum  corpus  Christi  ad  salu- 
tem  suam.  Secundum  signum  mirabile  est 
quod  unum  et  idem  corpus  est  in  pluribus 
locis,  in  pluribus  hostiis,  in  pluribus  por- 
tionibus  ;  et  hoc  probatur  tribus  modis. 
Primo,  per  prophetam  Malach.,  I ,  ad  Ju- 
daeos  :  «  Non  est  mihi  voluntas  in  vohis , 
ait  Uominus ,  et  munus  non  suscipiam  de 
manu  vestra.  Ab  ortu  enim  solis  usque  ad 
occasum ,  magnum  nomen  meum  in  gen- 
tibus,  et  in  omni  loco  sanctiiicatur,  et  of- 
fertur  nomini  meo  oblatio  munda.  »  Ecce 


loca  plurima  exprimit,  et  unam  oblatio- 
nem  mundam  fidelium  dicit.  Exod.,  XX  : 
«  In  omni  loco,  in  quo  fuerit  memoria  no- 
minis  mei,  veniam  ad  te,  et  benedicam 
tibi.  »  Memoria  nominis  Domini ,  sacrifi- 
cium  est  altaris,  scilicet  corpus  Christi, 
quod  iîeri  jussit  in  commemcratinnem 
ejus,  hoc  fit  in  multis  locis  et  in  hoc  venit 
unus  Dominus  ad  benedicendum  nobis.  Se- 
cundo, probatur  hoc  per  manifestam  ra- 
fionem,  quae  est,  quod  filius  hominis  par- 
ticipât potentiam  Filii  Dei  propter  personae 
unitatem.  Ambrosius  :  «  Sicut  in  unam 
personam  ,  ita  in  unam  potentiam  conve- 
iriunt  Dei  et  hominis  Filius.  »  Unde  sicut 
Dei  Filius  est  essentialiter  in  omnibus  ré- 
bus ;  ita  dédit  filio  hominis,  ut  corpus  ejus 
sacramentaliter  esse  possit  in  pluribus  lo- 


508  OPUSCULE  LVII,    CHAPITRE    13. 

est  dans  un  seul  lieu;  c'est-à-dire  qu'il  est  au  ciel,  où  il  est  monté  à  la 
droite  du  Père;  c'est-à-dire  qu'il  y  est  sous  la  forme  humaine  et  visible. 
Sa  vérité  toutefois,  <  'est-à-dire  sa  divinité  est  partout.  Quant  à  sa  vé- 
rité, c'est-à-dire  son  véritable  corps,  il  est  sacramentellement  sur  tout 
autel  où  se  célèbre  le  sacrifice.  »  Innocent  III  dit  :  «  La  profondeur 
des  conseils  célestes  a  fait  que,  comme  les  trois  personnes,  à  savoir  le 
Père,  le  Fils,  et  le  Saint-Esprit,  ne  font  qu'un  par  l'essence,  de  même 
il  a  été  statué  que  trois  substances  fussent  confondues  en  unité  de 
personnel,  à  savoir  la  clivinité  de  Jésus-Christ,  son  corps  et  son.ame.  » 
Par  conséquent,  comme  Jésus-Christ  existoit  de  trois  manières  dans  les 
créatures  en  tant  que  Dieu,  à  savoir  qu'il  existoit  en  toutes  choses  par 
essence,  dans  les  seuls  justes  par  la  grâce,  et  dans  l'homme  dont  il 
s'est  revêtu  par  union ,  il  a  voulu  exister  lui-même  selon  la  nature 
humaine  de  trois  manières.  Dans  le  ciel  d'une  manière  locale,  dans  la 
parole  ou  verbe  personnellement ,  et  sur  l'autel  sacramentellement. 
D'où  il  suit  que  ,  comme  il  est  par  essence  en  toutes  choses  selon  la 
divinité  ,  de  même  il  est  sacramentellement  tout  entier  en  plusieurs 
lieux  selon  l'humanité. 

3°  On  prouve  la  même  vérité  par  une  similitude  visible ,  et  qui  se 
produit  pour  tous  devant  un  miroir.  Car  si  vous  placez  plusieurs  mi- 
roirs en  face  de  vous ,  votre  visage  sera  intégralement  et  également 
reproduit  dans  tous  les  miroirs  ;  et  si  vous  brisez  un  de  vos  miroirs 
en  plusieurs  petits  morceaux ,  chacun  de  ces  morceaux  reproduira 
pareillement  d'une  manière  adaequate  votre  figure.  Et,  bien  que  le 
miroir  soit  brisé  en  plusieurs  morceaux,  votre  figure  demeure  pour- 
tant une  dans  chacun  de  ces  morceaux,  et  elle  n'est  pas  changée.  Il  en 
est  absolument  de  même  dans  le  sacrement  de  Jésus-Christ,  que  l'on 
appelle  le  miroir  et  l'image  de  sa  bonté.  Par  conséquent  si  le  miroir, 
c'est-à-dire  la  forme  du  pain  est  divisée  en  plusieurs  parties,  dans  cha- 


cis.  Angustinus  :  «  Intelligendum  est  cor- 
pus Christi  esse  in  uno  loco,  id  est  in  cœlo, 
ubi  ascendit  ad  dexteram  Patris,  idest, 
visibiliter  in  forma  humana.  Veritas  ta- 
raen  ejus  ,  id  est  ,  divinitas  ,  ubique  est. 
Veritas  tamen  ejus,  id  est  verum  corpus, 
in  omni  altari  sacramentaliter  est  ubi  ce- 
lebratur.  »  Innocentius  III  :  «  Disposuit 
cœlestis  altitudo  consilii ,  sicut  très  perso- 
nae  sunt  in  unitate  essentiœ,  scilicet  Pater 
et  Filius  et  Spiritus  sanctus,  ita  très  essent 
substantiae  in  unitate  personee,  scilicet  di- 
vinitas Christi,  corpus  et  anima.  Cum  ergo 
Christus  secundum  naturam  divinam  tribus 
modis  existeret  in  rébus,  scilicet  in  omni- 
bus per  essentiam,  in  solis  justis  per  gra- 
tiam,  in  homine  assumpto  per  unionem , 
voluit  ut  idem  ipse  secundum  humanam 


naturam  etiam  tribus  modis  existeret.  In 
cœlo  localiter  ;  in  verbo  personaliter  ;  in 
altari  sacramentaliter.  »  Unde  sicut  secun- 
dum divinitatem  essentialiter  est  in  omni- 
bus rébus,  ita  secundum  humanitatem  sa- 
cramentaliter totus  est  in  pluribus  locis. 
Tertio,  probatur  idem  per  visibilem  simili- 
tudinem,  quae  cunctis  in  speculo  declara- 
tur.  Nam  si  faciei  tuae  plura  proponas  spé- 
cula, in  omnibus  aequaliter  et  integraliter 
una  apparebit  faciès,  et  si  unum  spéculum 
in  plura  frusta  etiam  parva  confringas , 
perfecta  tua  faciès  in  singulis  erit.  Et  licet 
spéculum  infringatur  in  plura ,  faciès  tua 
tamen  manet  in  omnibus  una,  nec  muta- 
tur.  Sic  est  rêvera  in  sacramento  Christi, 
quod  spéculum  dicitur,  et  imago  bonitatis 
illius.  Si  ergo  spéculum,  id  est  forma  pa- 


SUR   LE    SACREMENT    DE   l' AUTEL.  509 

cune  de  ces  parties  la  forme  se  trouvera  unie  à  Dieu ,  c'est-à-dire  que 
là  se  trouvera  le  véritable  corps  de  Jésus-Christ.  Saint  Jérôme  dit  : 
«  Chacun  des  fidèles  reçoit  Jésus-Christ  tout  entier,  et  il  se  trouve  tout 
entier  dans  chaque  partie  ;  il  ne  reçoit  aucun  amoindrissement  de  la 
réception  de  chacun,  mais  il  se  donne  tout  entier  à  chaque  individu.  » 
Le  troisième  prodige  qui  doit  en  ce  point  fixer  noire  attention,  c'est 
que  le  corps  du  Seigneur,  bien  qu'il  soit  en  plusieurs  lieux,  dans  plu- 
sieurs hosties  ou  parties  d'hosties  à  la  fois,  n'est  nullement  divisé  par 
parties ,  mais  demeure  tout  entier  et  parfaitement  uni  en  lui-même. 
On  lit,  I  Cor.,  chap.  I  :  «  Le  Christ  est  divisé,  »  ce  qui  est  abso- 
lument comme  s'il  disoit,  le  Christ  n'est  pas  divisé;  car  bien  qu'il  soit 
localement  dans  le  ciel,  spirituellement  dans  le  cœur  du  juste,  en 
plusieurs  lieux  sacramentellement,  il  ne  forme  cependant  qu'un  en 
lui-même;  et  la  raison  de  ce  prodige,  c'est  l'union  ineffable  de  l'homme 
et  de  Dieu,  de  la  chair  et  du  Verbe.  Il  suit  de  là  que,  comme  le  Verbe 
de  Dieu  est  partout,  et  qu'il  remplit  et  le  ciel  et  le  monde  tout  entier, 
tout  en  restant  un,  il  a  accordé  la  même  faculté  au  corps  qu'il  a  pris  de 
la  Vierge,  et  il  l'a  donné  aux  apôtres.  La  divinité  qui  est  en  effet  par- 
tout, remplit  tout,  elle  fait  de  tout  une  seule  chose ,  et  elle  fait  que 
comme  elle  n'est  qu'un,  de  même  la  vérité  du  corps  de  Jésus-Christ 
ne  soit  en  réalité  qu'un  seul  corps;  Saint  Augustin  dit  :  «  Quand  nous 
mangeons  Jésus-Christ  nous  ne  le  divisons  pas ,  mais  il  arrive  dans  le 
sacrement,  que  chacun  le  reçoit  véritablement  tout  entier.  »  Chacun 
reçoit  sa  part  dans  le  sacrement,  et  il  demeure  tout  entier  en  lui- 
même.  Il  demeure  tout  entier  dans  le  ciel ,  et  il  demeure  tout  entier 
dans  votre  cœur.  Il  étoit  tout  entier  dans  le  Père  quand  il  vint  dans 
la  Vierge r  il  la  remplit  de  lui-même,  et  il  ne  quitta  pas  le  ciel.  Il  se 
fit  chair  pour  que  les  hommes  le  mangeassent,  et  il  demeuroit  tout 
entier  dans  le  Père,  pour  rassasier  les  anges.  Nous  devons  donc  dé- 


nis in  partes  plures  dividatur ,  in  singnlis 
erit  unita  Deo,  id  est  verum  corpus  Christi. 
Hieronymus  :  «  Singuli  fidelium  accipiunt 
Christum  totum,  et  in  singulis  portionibus 
totus  est ,  nec  per  singulos  minuitur  ,  sed 
integrum  se  prrebet  in  singulis.  »  Tertium 
mirabile  est,  quod  corpus  Domini,  licet  sit 
in  pluribus  locis,  vel  hostiis,  aut  portioni- 
bus, tamen  per  partes  non  est  divisum,  sed 
manet  in  se  integrum  et  conjunctum. 
I  Cor.,  I  :  «  Divisus  est  Christus  ?  »  quasi 
diceret,  non  est  divisus,  quia  licet  in  cœlo 
sit  localiter,  in  corde  justi  spiritualiter,  in 
multis  locis  sacramentaliter  ;  tamen  manet 
in  se  conjunctus,  et  est  hujus  mirabilis  roi 
ratio,  ineffabilis  unio  hominis  et  Dei,  car- 
nis  et  verbi.  Uiide  sicut  verbum  Dei  ubique 


est,  et  totum  replet  cœlum  et  mundum, 
manens  indivisum ,  sic  dédit  corpori  quod 
assumpsit  de  Virgine ,  et  dédit  Apostolis. 
Divinitas  enim  quae  ubique  est,  replet  illud 
et  conjungit,  et  facit  ut  sicut  ipsa  una  est, 
ita  veritas  corpons  Christi  unum  corpus  sit 
in  veritate.  Augustinus  :  «  Quando  man- 
ducamus  Christum,  partes  de  illo  non  fa- 
cimus ,  sed  in  sacramento  lit  hoc,  unus- 
quisque  quod  accipit.  Accipit  unusquisque 
partem  suam  in  sacramento,  et  manet  to- 
tus integer  in  seipso.  Manet  integer  totus 
in  cœlo,  manet  integer  totus  in  corde  tuo. 
Totus  enim  erat  apud  Patrem  quando  venit 
in  Virginem,  implevit  illam,  non  recessit 
ab  illo.  Venit  in  carnem,  ut  eum  homines 
manducarent ,  et  manebat  integer  apud 


510  OPUSCULE   LVII,    CHAHTRE    14. 

mander  au  Seigneur  clans  nos  prières  que ,  bien  que  divisés  les  uns 
des  autres  corporellement,  nous  soyons  toujours  spirituellement  unis 
dans  la  charité  ,  et  qu'il  nous  rassasie  dignement  par  son  sacrement 
dans  la  vie  présente  et  qu'il  nous  comble  de  la  plénitude  de  sa  vue 
avec  les  anges  dans  la  vie  future.  Ainsi  soit-il. 

CHAPITRE  XIV. 

Des  trois  merveilles  qui  s'opèrent  dans  la  perception  du  corps  de 

Jésus-Christ. 

«  Venez,  mangez,  etc..  Vos  œuvres  sont  admirables,  etc..  »  Nous 
allons  ici  traiter  des  trois  dernières  merveilles  qu'il  faut  considérer 
relativement  à  la  perception  du  corps  de  Jésus-Christ.  La  première 
merveille  ,  c'est  que  le  corps  du  Seigneur,  quand  on  le  mange ,  n'en 
souffre  aucun  amoindrissement,  et  cette  proposition  est  contre  les  hé- 
rétiques qui  soutiennent  que  quand  même  le  corps  du  Seigneur  eut  été 
aussi  grand  qu'une  montagne,  les  clercs  l'auroient  absorbé  tout  entier. 
Le  prodige  si  étonnant  de  l'inconsumptibilité  du  corps  de  Jésus-Christ 
dans  la  manducation  peut  s'interpréter  parles  trois  raisons  suivantes. 
La  première  de  ces  raisons,  c'est  le  pouvoir  de  consacrer  tous  les  jours  ; 
car  nous  pouvons,  d'après  le  précepte  de  Jésus-Christ,  consacrer  tous  les 
jours  et  dans  tous  les  lieux  où  il  y  a  des  fidèles,  sous  tout  autant  d'hosties 
qu'il  en  faut  pour  les  fidèles,  son  vrai  et  unique  corps;  c'est  pourquoi 
quand  nous  le  mangeons,  nous  ne  pouvons  ni  le  consumer,  ni  même 
le  diminuer  quant  à  la  quantité.  Car  comme  le  salut  éternel  qui  est  le 
fruit  de  la  manducation  de  ce  corps  est  toujours  en  nous  une  cause 
de  le  manger;  comme  l'effet  qu'il  produit  en  nous  subsiste  toujours , 
il  doit  en  être  de  même  du  pouvoir  de  le  consacrer;  et  lorsque  nous 
le  mangeons  après  qu'il  a  été  consacré,  nous  ne  l'amoindrissons  nul- 


Patrem,  ut  angelos  pasceret.  Rogandus  est 
ergo  Dominus  ,  licet  simus  corporaliter  ab 
invicem  divisi ,  ut  simus  semper  spiritua- 
liter  in  charitate  conjuncti,  et  digne  nos 
pascat  in  prsesenti  suo  sacramento,  et  plena 
cum  angelis  sui  visione  in  futuro.  »  Amen. 

GAPDT  XIV. 

De  tribus  mirabilibus ,  in  corporis  Christi 
perceptione. 

«  Venite,  comedite,  etc.  Mirabilia  opéra 
tua,  »  etc.  Hic  est  dicendum  de  tribus  ul- 
timis  considerandis  in  corporis  Christi  per- 
ceptione. Primum  mirabile  est ,  quod  cor- 
pus Domini  dum  manducatur,  non  rainui- 


tur.  Et  hoc  est  contra  hœreticos ,  qui  di- 
cunt  :  Si  corpus  Domini  omni  monte  ma- 
jus  esset5  jam  diu  clerici  illud  cor.sump- 
sissent.  Hujus  tam  mirae  rei,  scilicet  in- 
consumptibilitatis  corporis  Christi  in  man- 
ducatione  ,  triplex  est  ratio.  Prima  ratio 
est  quotidiana  potestas  consecrandi  ;  nam 
quia  omnibus  diebus  et  omnibus  fidelium 
locis,  et  sub  tôt  hostiis  quot  sufïicîunt  fi- 
delibus ,  verum  et  unicum  corpus  Christi 
ex  prœcepto  ejus  consecrare  possumus,  id- 
circo  dum  illud  manducamus ,  consumere 
vel  minuere  non  valemus.  Sicut  enim  in 
nobis  causa  salutis  aeternse  semper  manet 
effectus  illud  manducaudi,  sic  et  potestas  et 
eiFectus  consecrandi,  et  cum  jam  consecra- 


SUR  LE   SACREMENT   DE  l' AUTEL.  M\ 

lement;  parce  que  ce  qui  demeure  toujours  véritablement  entier  en 
soi,  pour  ne  pas  manquer  dans  l'Eglise,  doit  continuellement  être 
conservé  sous  la  forme  du  pain  ,  et  nous  conservons  le  sacrement  en 
le  renouvelant  et  comme  en  le  nourrissant  ;  les  pains  de  propositions 
sont  de  ceci  une  figure  admirable.  On  lit  dans  l'Exode  ,  chap.  XXV  : 
«  Placez  continuellement  sur  ma  table  en  ma  présence  les  pains  de 
proposition.  »  Et  comme  il  est  écrit  dans  le  Lévitique,  chap.  XXIV  : 
«  Vous  prendrez  douze  pains  et  vous  les  placerez  sur  ma  table,  pour 
qu'ils  soient  un  souvenir  de  l'oblation  du  Seigneur;  par  une  alliance 
éternelle  on  les  changera  à  chaque  sabbat.  »  Il  en  est  dit  autant  du 
feu  dans  le  Lévitique  ,  chap.  VI  :  «  Le  feu  brûlera  toujours  sur  mon 
autel,  le  prêtre  l'alimentera ,  et  il  y  mettra  du  bois  chaque  matin.  » 
Ce  feu  brûlera  toujours  sur  l'autel,  mais  cet  autel  des  Juifs  manquera 
avec  les  pains,  et  le  feu  manquera  avec  l'autel.  Quoi  donc?  Dieu  a-t-il 
menti  !  assurément  non,  mais  l'ombre  s'évanouit ,  la  vérité  persévère 
dans  la  synagogue ,  elle  se  conserve  aussi  dans  l'Eglise.  Car  notre 
prêtre  entretient  toujours  le  sacrement  par  la  consécration,  et  le  corps 
de  Jésùs-Ghrist  qui  dans  ce  sacrement  demeure  toujours  le  même,  ne 
s'épuise  jamais  par  la  manducalion  des  fidèles. 

La  seconde  raison  de  Vinconsumptibilité  du  corps  de  Jésus-Christ, 
c'est  l'incorruptibilité  véritable  de  ce  même  corps,  qui  est  ressuscité 
glorifié,  immortel,  immuable  et  impassible,  et  qui  ne  peut  pas  se  cor- 
rompre. On  lit,  Psaume  XV  :  «  Vous  ne  laisserez  pas  votre  saint  se 
corrompre.  »  C'est  ce  qui  fait  que  quand  nous  le  mangeons,  il  ne  se 
corrompt  pas  comme  toute  autre  espèce  de  nourriture,  mais  il  déverse 
en  nous  un  aliment  spirituel  sans  se  corrompre  lui-même.  Une  figure 
parfaite  de  cette  incorruptibilité ,  c'est  ce  qui  se  lit  au  troisième  livre 
des  Rois,  chap.  XVII ,  où  il  est  parlé  de  cette  petite  quantité  de  farine 


tum  manducamus ,  nequaquam  illud  mi- 
nuimus;  quia  quod  semper  in  se  veraciter 
integrum  persévérât,  ne  sacramentaliter  in 
Ecclesia  possit  deficere,  semper  consecran- 
do  in  forma  panis,  quasi  sacramentum  nu- 
triendo  et  renovando  conservamus;  quod 
pulchre  figuratum  est  in  panibus  proposi- 
tionis.  Exod.,  XXV  :  «  Pone  super  men- 
sam  meam  panes  propositionis  in  conspectu 
meo  semper.  »  Et  quomodo  dicitur  Levit., 
XXI V  :  «  Accipies  panes  duodecim  ,  et 
statues  eos  super  mensam  meam ,  ut  sint 
panes  in  monimentum  oblationis  Domini. 
Per  singula  sabbata  mutabuntur  fœdere 
sempiterno.  »  Similiter  de  igné  dicitur, 
Levit.,  VI  :  «  Ignis  in  altari  meo  semper 
ardebit,  quem  nutriet  sacerdos,  subjiciens 
ligna  mane  per  singulos  dies.  »  Ignis  iste 
nunquam  deficiet  in  altari,  sed  mensa  illa 


Judaeorum  cum  panibus,  et  ignis  cum  al- 
tari déficit.  Quid  ergo  ?  mentitus  est  Deus  ? 
Absit,  sed  umbra  déficit ,  in  synagoga  Ve- 
ritas manet,  nec  déficit  in  Ecclesia.  Sacer- 
dos enim  noster  semper  sacramentum  al- 
taris  consecrando  nutrit,  et  corpus  Christi, 
quod  in  illo  semper  idem  est,  nunquam 
manducatione  fidelium  déficit.  Secuuda  ra- 
tio est  incorruptibilitas  vera  corporis  hu- 
jus,  quod  surrexerit  glorificatum,  immor- 
tale,  immutabile*  et  impassibile,  nec  potest 
corrumpi.  Psalm.XV  :  «Non  dabissanc- 
tum  tuum  videre  corruptionem.  »  Unde 
cum  dlud  manducamus ,  non  sicut  alius 
cibus  corrumpitur,  nec  mutatur  in  corpus 
nostrum,  sed  influit  nobis  sine  corruptione 
sui  spirituale  nutrimentum.  Hoc  figuratur 
III  Reg.,  XVII  :  «  Ubi  pugillus  farinae  non 
déficit  in  domo  viduae,  per  multos  dies  ci- 


512  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    14. 

qui  restoit  dans  la  maison  de  la  veuve,  et  qui  conformément  aux  pa- 
roles d'Elie  servit  à  nourrir  pendant  longtemps  sa  famille  tout  en- 
tière. Saint  Augustin  dit  :  «  Celui  qui  me  mange,  dit  le  Seigneur,  vivra 
pour  moi;  »  car  quand  on  mange  ce  pain,  on  mange  la  vie;  on  ne  lui 
donne  pas  la  mort  en  le  mangeant,  il  ne  tue  pas,  mais  il  vivifie  les 
morts.  Il  vit  quand  il  est  mangé,  parce  qu'il  est  ressuscité  après  avoir 
été  mis  à  mort.  «  On  le  compare  encore  pour  cette  raison  à  la  pierre 
précieuse ,  de  laquelle  il  s'échappe  une  vertu  ;  comme  de  mettre  en 
fuite  les  fantômes,  de  dissiper  les  tumeurs  ou  d'opérer  d'autres  choses 
de  ce  genre,  sans  rien  perdre  de  sa  substance.  On  lit  au  Deutéronome, 
chap.  XXXII  :  «Il  a  établi  l'homme  pour  sucer  le  miel  de  la  pierre,  et 
tirer  l'huile  des  plus  durs  rochers.  »Mais  Jésus-Christ  était  la  pierre. 
ICor.,  chap.  X.  Comme  donc  la  pierre  précieuse  ne  souffre  aucun 
amoindrissement  tout  en  répandant  sa  puissance  ;  de  même  le  corps 
de  Jésus-Christ  en  nous  nourrissant  ne  perd  rien  non  plus. 

La  troisième  raison  de  l'inconsumptibilité  du  corps  de  Jésus-Christ, 
c'est  la  cause  infinie  de  nourrir;  ceux  en  effet  qui  peuvent  s'approcher 
de  lui,  trouvent  de  quoi  se  nourrir,  ce  qui  fait  qu'on  l'appelle  une 
fontaine,  la  lumière  véritable.  On  lit  dans  la  Genèse  de  la  première , 
/îhJLI  :  «  Une  fontaine  mon  toit  de  la  terre;  »  c'est-à-dire  Jésus-Christ  .(Le 
Commentaire  ajoute  :  «  Arrosant  la  surface  delà  terre  tout  entière  \  » 
c'est-à-dire,  soufflant  dans  le  cœur  des  inspirations  utiles  et  honnêtes. 
Il  est  écrit  dans  Jérémie,  en.  II  :  «  Ils  m'ont  abandonné  moi  la  source 
d'eau  vive.  »  De  la  seconde,  il  est  dit  dans  saint  Jean,  chap.  I  :  «  Il 
étoit  la  lumière  véritable,  etc..  »  Donc,  comme  la  fontaine  arrose  la 
terre,  et  qu'elle  nourrit,  sans  rien  perdre  de  son  abondance,  des  herbes 
et  des  arbres  sans  nombre  ;  de  même  Jésus-Christ  nourrit  son  Eglise. 
Pareillement,  comme  le  soleil  ne  perd  rien  de  sa  propriété  tout  en 
éclairant  le  monde  tout  entier,  de  même  Jésus-Christ  conserve  son  in- 
tégrité en  nourrissant  l'Eglise  tout  entière.  On  peut  aussi  prendre 


bans  familiam  totam,  juxta  verbum  Elise.  » 
Augustinus  :  «  Qui  mandueat  me ,  dicit 
Dominus,  vivet  propter  nie.  Quanclo  enim 
manducatur  hic  panis ,  vita  manducatur, 
nec  occiditur  quando  manducatur  ;  non 
occidit,  sed  mortuos  viviiicat.  Vivit  man- 
ducatus,  quia  surrexit  occisus.  »  Hinc  etiam 
lapidi  pretioso  comparatur  ,  de  quo  virtus 
exit,  ut  phantasmata  fugandi  vel  inflationes 
sedandi  ,  vel  alia  sine  diminutione  sui. 
Deut.,  XXXII  :  «  Constituit  hominem  ut 
sugeret  mel  de  petra ,  oleumque  de  saxo 
durissimo.  »  «  Petra  autem  erat  Christus,  » 
I  Cor.,  X.  Sicut  ergo  gemma,  virtutem 
suam  eflïmdendo,  non  minuitur  :  sic  cor- 
pus Domini  nos  pascendo  non  minoratur. 


Tertia  ratio  ad  idem,  infinita  causa  pas- 
cendi,  qui  enim  ad  eum  accedere  possunt, 
pastum  suffîcienter  inveniunt,  hinc  fons  et 
lux  vera  dicitur.  De  primo,  Gen.,  II  :  «  Fons 
ascendebat  a  terra,  »  id  est  Christus.  Dicit 
Glossa  :  «  Irrigans  universam  superficiem 
teme ,  id  est  inspirans  cordi  utilia  et  ho- 
nesta.  »  Jerem.,  II  :  «  Dereliquerunt  me 
fontem  aquœ  vivae.  »  De  secundo ,  Joan., 
I  :  «  Erat  lux  vera,  »  etc.  Sicut  ergo  fons 
terram  rigat ,  et  sine  sui  diminutione  her- 
bas  innumeras  et  arbores  nutrit,  sic  Chris- 
tus Ecclesiam  pascit.  Item ,  sicut  Sol  non 
déficit  toti  mundo  lumen  suum  commu- 
nicando,  sic  nec  Christus  Ecclesiam  totam 
pascendo.  Item,  exemplum  de  candela,  in 


SUR  LE  SACREMENT  DE  L' AUTEL.  513 

par  exemple  le  feu  d'une  chandelle ,  de  laquelle  on  peut  prendre  des 
milliers  de  fois  autant  de  feu  qu'elle  en  a,  sans  pour  cela  diminuer  sa 
lumière.  Donc  à  plus  forte  raison,  le  Christ  nous  nourrit  de  son  propre 
corps  sans  rien  perdre  pour  cela.  On  lit,  Psaume  CXLIV  :  «  Les  yeux  de 
tous  les  hommes  espèrent  en  vous,  Seigneur,  »  on  lit  encore,  Psaume 
CI  :  «  mais  vous  êtes  vous-même,  etc..  » 

La  seconde  merveille  qui  s'opère  dans  la  perception  du  corps  du 
Seigneur,  c'est  qu'il  diminue  en  quelque  sorte  si  on  ne  le  mange  pas. 
Pour  comprendre  une  merveille  si  extraordinaire,  il  nous  faut  savoir 
qu'il  y  a  deux  corps  mystiques  dans  ce  monde  ;  ce  sont  :  le  corps  mys- 
tyque  de  Jésus-Christ ,  et  le  corps  mystique  du  démon  ou  antechrist  ; 
tous  les  hommes  qui  sont  sur  la  terre  appartiennent  a  l'un  de  ces  corps! 
Le  corps  mystique  de  Jésus-Christ,  c'est  la  sainte  Eglise,  elle  est  comme 
son  épouse  chaste  et  fidèle  ;  il  est  son  chef,  et  chacune  des  personnes 
des  fidèles  exempts  de  péchés  graves  sont  ses  membres ,  et  tous  ceux 
qui  reçoivent  dignement  son  corps  deviennent  ses  propres  membres. 
On  lit,  I  Cor.,  chap.  X  :  «  Nous  ne  sommes- tous  ensemble  qu'un  seul 
corps,  parce  que  nous  participons  tous  au  même  pain.  »  Le  corps  mys- 
tique du  démon ,  c'est  l'ensemble  des  méchants;  il  lui  sert  comme 
de  nourrice  adultère ,  il  est  le  chef  de  ce  corps,  et  chaque  personne 
méchante  est  un  de  ses  membres.  Job  dit,  chap.  XLI  :  «  Son  corps  est 
semblable  à  des  boucliers  d'airain  fondu  ,  et  couvert  d'écaillés  qui  se 
serrent  et  qui  se  pressent.  «Saint  Grégoire  dit  :  «Le  corps  du  démon, 
ce  sont  tous  les  méchants ,  qui,  à  cause  de  leur  endurcissement  qui 
vient  de  leur  obstination  et  de  la  fragilité  de  leur  vie,  sont  comparés  à 
des  boucliers  d'airain  fondu.  »  Il  importe  de  savoir  que  comme  le 
Christ  par  lui-même  et  par  les  siens  s'applique  continuellement  à  re- 
trancher les  membres  du  démon  ,  et  à  les  incorporer  à  ses  propres 
membres,  ainsi  que  nous  l'apprennent  les  paroles  suivantes  du  Livre 


qua  millesies  tantus  ignis  sumi  potest, 
quantus  in  ea  est,  nec  propter  hoc  minui- 
tur  lumen  ejus.  Igitur  multo  potius  Do- 
minus  nos  seipso  pascit,  nec  tamen  déficit. 
Psalm.  CXLIV  :  «  Oculi  omnium  in  te 
sperant,  Domine.  »  Idem,  Psalm.  CI  :  «  Tu 
autem  ipse  es,  »  etc.  Secundum  mirabile 
signum  in  perceptione  corporis  Domini  est, 
quod  si  non  manducatur,  quodam  modo 
minuitur.  Ad  intelligentiam  tam  mirœ  rei 
sciendum  quod  duo  sunt  corpora  mystica 
in  hoc  mundo,  scilicet  corpus  mysticum 
Christi ,  et  corpus  mysticum  diaboli ,  sive 
Antichristi,  ad  quorum  alterum  pertinent 
omnes  hommes  mundi.  Corpus  mysticum 
Christi  sancta  est  Ecclesia,  tanquam  ipsius 
munda  et  fidelis  sponsa,  cujus  ipse  caput 

V. 


est,  et  singulœ  personae  iidelium  sine  culpa 
criminali  sunt  ipsius  membra,  et  omnes 
qui  corpus  ejus  digne  sumimt,  ipsius  mem- 
bra fiunt.  I  ad  Corinth.,  X  :  «  Unum  cor- 
pus multi  sumus,  qui  de  uno  pane  partici- 
pamus  :  »  Corpus  diaboli  universitas  est 
iniquorum,  tanquam  illius  nutrix  adultéra, 
cujus  ipse  caput  est,  et  singulœ  personœ 
malorum  ejus  membra.  Job,  XLI  :  a  Cor- 
pus ejus  scuta  fusilia  compactum  squamis 
se  prementibus.  »  Gregorius  :  «  Corpus 
diaboli  sunt  omnes  iniqui ,  qui ,  quia  per 
obstinationem  duri  sunt ,  et  per  vitam  fra- 
giles, scutis  fusilibus  comparantur.  »  Scien- 
dum, quod  sicut  Christus  per  se,  et  per 
suos  semper  studet  membra  diaboli  praes- 
cindere,  et  suis  membris  incorporare,  se- 

33 


514  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    14. 

des  Actes,  ch.  III  :  «  Levez-vous,  Pierre,  tuez  et  mangez;  »  de  même, 
le  démon  fait  par  lui-même  ou  par  les  siens  tous  ses  efforts  pour  en- 
lever les  membres  de  Jésus-Christ ,  et  les  unir  aux  membres  dégoû- 
tants de  sa  prostituée.  On  lit,  I  Petr.,  chap.  V  :  «  Soyez  sobres  et  veil- 
lez, etc...,»  et  dans  le  Deutéronome,  ch.  XXXI  :  «  Ce  peuple  deviendra 
fornicateur  à  la  suite  des  dieux  étrangers,  il  m'abandonnera.  »  Il  est 
écrit  I  Cor.,  chap.  VI  :  «  Ne  savez-vous  pas  que  vos  corps  sont  les 
membres  de  Jésus -Christ.  Arracherai-je  donc  à  Jésus -Christ  ses 
propres  membres ,  pour  en  faire  les  membres  d'une  prostituée  ?  » 
C'est  comme  s'il  disoit  :  A  Dieu  ne  plaise  que  je  me  rende  cou- 
pable d'un  si  grand  forfait.  C'est  pourtant,  hélas!  ce  dont  se  rendent 
coupables  un  grand  nombre  de  personnes.  Saint  Augustin  dit  :  «  Ils 
ne  peuvent  pas  être  en  même  temps  membres  de  Jésus- Christ,  et 
membres  de  la  prostituée.  On  ne  doit  pas  dire  d'eux  qu'ils  mangent 
spirituellement  le  corps  de  Jésus-Christ,  quand  bien  même  ils  le  man- 
geroient  sacramentellement.  Mais  ils  ne  mangent  pas  spirituellement 
le  corps  de  Jésus-Christ ,  et  en  vivant  mal ,  ils  enlèvent  à  Jésus-Christ 
ses  membres,  et  ils  en  font  les  membres  du  démon,  et  par  conséquent 
ils  diminuent  autant  qu'ils  le  peuvent  le  corps  de  Jésus-Christ.  Ce  que 
le  démon  gagne  sur  les  âmes ,  Jésus-Christ  le  perd  ;  et  ainsi  le  corps 
mystique  de  Jésus-Christ  s'amoindrit.  » 

La  troisième  merveille  qui  s'opère  dans  la  perception  du  corps  de 
Jésus-Christ,  c'est  que  quand  les  fidèles  le  mangent,  il  augmente. 
On  prouve  cette  vérité  de  deux  manières  ;  et  par  la  raison ,  et  par  une 
comparaison.  Et  d'abord  on  la  prouve  par  cette  raison  :  c'est  que 
quand  on  mange  le  corps  de  Jésus-Christ ,  on  ne  le  convertit  pas  en 
son  propre  corps  comme  cela  se  pratique  pour  les  autres  aliments, 
au  contraire,  celui  qui  le  mange  véritablement,  se  convertit  et  se 
change  spirituellement  en  lui;  car  le  Seigneur  fait  membre  de  son 


\ 


cundum  illud  Actor.,  II:  «  Surge,  Petre, 
occide  et  manduca  :  »  sic  diabolus  per  se 
et  per  suos  conatur  membra  Ghristi  tôliè- 
re, et  membris  suœ  meretricis  vilibus  uni- 
re.  I  Petr.,  V  :  «  Sobrii  estote,  et  vigilate,» 
etc.  Deuter.,  XXXI  :  «  Populus  iste  forni- 
cabitur  post  deos  alienos ,  derelinquet 
me.  »I  ad  Corinth.,  VI  :  «  Nescitis,  quo- 
niam  corpora  vestra  membra  sunt  Christi  ? 
Tollens  ergo  membra  Ghristi,  faciam  mem- 
bra meretricis  ?  »  quasi  diceret  :  Absit,  ut 
faciam  tantum  nefas.  Quod.  tamen,  heu  ! 
multi  faciunt.  Augustinus  :  «  Non  possunt 
simul  esse  membra  Christi,  et  membra  me- 
retricis. Nec  dicendi  sunt  manducare  cor- 
pus Christi  scilicet  spiritualiter ,  etsi  man- 
ducant  sacramentaliter.   Sed  non  mandu- 


cando  spiritualiter  corpus  Christi,  et  maie 
vivendo,  tollunt  Christi  membra,  et  faciunt 
ea.  membra  diaboli,  et  sic  diminuunt,  quan- 
tum in  se  est ,  corpus  Christi.  Quod  enim 
diabolo  in  animabus  accrescit ,  Christo  de- 
crescit.  Et  sic  corpus  Christi  mysticum 
diminuitur.  »  Tertium  mirabile  signum  in 
perceptione  Domini  corporis  est,  quod 
dum  manducatur  a  lidelibus,  tune  augmen- 
tatur.  Hocprobatur  dupliciter,  ratione,  et 
similitudine.  Primo,  probatur  ea  ratione 
quod  dum  manducatur  corpus  Christi,  non 
ipsum  ut  alius  cibus  in  manducantem  con- 
vertitur,  sed  econverso  vere  manducans,  in 
aliud  spiritualiter  convertitur  et  mutatur. 
Nam  manducantem  se  Dominus  sui  corpo- 
ris mystici  membrum  facit  sibi ,  eum  et 


SUR   LE   SACREMENT  DE    l' AUTEL.  515 

corps  mystique  celui  qui  le  mange ,  et  il  se  l'incorpore  avec  le  corps 
qu'il  a  pris  de  la  Vierge,  il  n'en  fait  en  quelque  sorte  qu'un  seul  corps. 
«  Bien  que  nous  soyons  plusieurs  qui  participons  au  pain,  nous  ne  fai- 
sons qu'un  seul  corps.  »  On  lit  encore ,  I  Cor.,  XIV  :  «  Vous  êtes  le 
corps  de  Jésus-Christ  et  les  membres  les  uns  des  autres.  »  Saint  Au- 
gustin dit  :  «  Jésus-Christ  a  confié  à  ce  sacrement  son  corps  et  son 
sang,  et  nous  a  fait  nous-mêmes  son  corps;  car  nous  sommes  devenus 
nous-mêmes  son  corps.  »  Notre  chair  en  effet  est  unie  à  sa  chair,  elle 
lui  est  incorporée,  notre  corps  ne  fait  qu'un  avec  le  sien.  On  lit'dans 
Osée ,  chap.  ult.  :  «  Ils  se  convertiront,  et  ils  se  reposeront  sous  son 
ombre,  ils  vivront  de  pur  froment;  »  ce  qui  est  comme  s'il  disoit  :  les 
fidèles  vivront  du  pur  froment,  c'est-à-dire  du  sacrement  du  corps  du 
Seigneur.  Ce  sacrement  s'appelle  l'ombre  de  Jésus-Christ ,  parce  que 
dans  ce  sacrement  il  ne  se  donne  pas  dans  la  splendeur  de  sa  lumière, 
mais  sous  un  voile;  ceux  qui  le  mangent  dans  cet  état  se  convertiront, 
parce  qu'ils  seront  changés  au  corps  de  Jésus-Christ.  Il  est  par  con- 
séquent démontré  que ,  si  un  grand  nombre  de  fidèles  mangent  le 
corps  de  Jésus-Christ,  ils  sont  changés  en  ce  corps,  et  deviennent 
les  membres  de  ce  même  corps ,  et  que  le  corps  de  Jésus-Christ,  loin 
de  diminuer  quand  on  le  mange,  prend  de  l'accroissement.  Seconde- 
ment, on  prouve  cette  vérité  en  la  comparant  à  la  science  humaine; 
car  plus  un  homme  répand  les  sciences  qu'il  possède,  plus  aussi  cette 
science  s'accroît.  On  lit  dans  saint  Matthieu,  chap.  XXV  :  «  Seigneur, 
vous  m'avez  donné  cinq  talents,  en  voici  cinq  autres,  etc. . .  »  La  science, 
dit  Boëce,  est  une  noble  propriété  de  l'esprit,  qui  dédaigne  le  posses- 
seur avare.  Si  on  ne  la  publie  pas,  elle  s'en  va,  si  on  la  répand  au 
contraire,  elle  prend  de  l'accroissement.  De  même  la  sagesse  divine 
incarnée,  donnée  en  nourriture,  fait  des  sages,  et  elle  change  en  quel- 
que sorte  en  elle  ceux  qui  la  reçoivent;  ce  qui  fait  que  loin  de  dimi- 


incorporans  cum  suo  corpore,  quod  de  Vir- 
gine  sumpsit,  quodammodo  unum  efficit.  I 
ad  Corinth.,  XII  :  «  Unum  corpus  multi 
sumus,  qui  de  uno  pane  participamus.  » 
Idem  I  Corinth.,  XII  :  «  Vos  estis  corpus 
Christi,  et  membra  de  membro.  »  Augusti- 
nus  :  «  Commendavit  Ghristus  in  hoc  sa- 
cramento  corpus  et  sanguinem  suum,  quod 
et  fecit  nosipsos  :  nam,  et  nosipsi  sumus 
facti  corpus  ejus.  Caro  enim  nostra  carni 
ejusunila  et  incorporata,  unum  cum  illo 
eiïicitur.  »  Osée  :  «  Convertentur  sedentes 
in  umbra  ejus,  vivent  tritico,  »  quasi  di- 
ceret  :  Fidèles  vivent  tritico,  id  est,  Domi- 
nici  corporis  sacramento.  Quod  sacramen- 
tum  dicitur  umbra  Christi,  quia  dat  se  ibi 
non  in  sua  luce,  sed  in  velamine,  quod  sic 


comedentes  converterentur,  quia  in  corpus 
Christi  mutabuntur.  Et  sic  patet,  dum 
multi  fidelium  comedunt  corpus  Christi,  et 
in  illud  ipsi  mutantur,  et  membra  ejus  effi- 
ciuntur,  quod  corpus  Christi  dum  mandu- 
catur,  augmentatur.  Secundo,  probatur 
idem  similitudine  humanae  scientiae  :  nam 
quanto  magis  homo  scientiam  suam  aliis 
distribuit,  tanto plus crescit.  Matth.,XXV  : 
«  Domine,  quinque  talenta  tradidisti  mihi  : 
ecce  alia  quinque,»»  etc.  lîoetius  :  «  Scien- 
tia  est  nobilis  animi  possessio,  quœ  avarum 
dedignatur  possessorem.  Nisi  enim  pi  il  il  i- 
cetur,  elabitur,  et  distributa  suscipit  incre- 
mentum.  »  Similiter  divina  sapientia  in- 
carnata  multis  m  cibum  donata,  sapientes 
facit,  et  in  se  quodammodo  couvertit,  et 


516  OPUSCULE   LVII,    CHAPITRE    15. 

nuer  quand  on  la  mange,  elle  augmente.  Il  est  écrit  dans  l'Ecclésias- 
tique ,  chap.  I  :  «  Le  créateur  de  toutes  choses  a  créé  la  sagesse  par 
l'esprit;  à  savoir  qu'il  l'a  fait  s'incarner,  et  il  la  donne  selon  le  par- 
tage qu'il  en  a  fait  à  ceux  qui  l'aiment.  »  Ce  qui  fait  que  la  sagesse 
de  Dieu  croît  tout  en  faisant  croître  en  sagesse  un  grand  nombre  de 
personnes.  On  lit,  Ephes.,  chap.  IV  :  «  Que  nous  croissions  en  toutes 
choses  en  Jésus-Christ ,  qui  est  notre  tête ,  et  c'est  de  lui  qu'est  com- 
posé tout  le  corps  dont  les  parties  sont  jointes  ensemble  ;  »  à  savoir 
par  la  foi ,  et  liées  par  la  charité  ,  selon  la  mesure  qui  est  propre  à 
chaque  membre,  afin  qu'il  se  forme  et  s'édifie  par  la  charité. 

CHAPITRE  XV. 

Qualités  de  la  préparation  requise  de  nous  pour  recevoir  ce  sacrement. 

«  Venez,  mangez...  »  Argument  spécial.  «  Que  l'homme  s'éprouve 
lui-même,  etc.  »  I Cor. ,  ch.  XI  :  «Que  l'homme  s'éprouve;  »  c'est-à-dire, 
qu'il  se  prépare  ,  qu'il  s'examine ,  qu'il  se  purifie.  Autre  argument  : 
«  Préparez  vos  cœurs  pour  le  Seigneur,  »  I  Rois.,  chap.  VII.  La  qua- 
trième chose  qui  mérite  surtout  de  fixer  notre  attention  relativement 
à  la  réception  du  sacrement  du  corps  du  Seigneur,  c'est  la  qualité 
de  notre  préparation.  Il  est  parfaitement  juste  que  nous  ne  nous  appro- 
chions pas  sans  pr^ration  et  sans  dévotion  d'un  aliment  si  digne 
de  respect  et  de  vénération,  et  qui  n'est  autre  que  le  Seigneur  de  tous 
les  hommes  en  personne;  il  faut  au  contraire  que  nous  ne  nous  appro- 
chions de  lui  qu'après  nous  y  être  préparés  d'une  manière  conve- 
nable. On  lit  dans  l'Exode,  chap.  XIX  :  «  Que  les  prêtres  qui  s'ap- 
prochent du  Seigneur  se  sanctifient ,  de  peur  qu'il  ne  les  frappe  ;  »  il 


sic  dum  comeditur,  non  minuitur,  sed 
augmentatur.  Ecoles.,  I  :  «  Creator  om- 
nium creavit  sapientiam  spiritu,  scilicet 
incarnari  fecit ,  et  secundum  datum  suum 
praîbet  illam  diligentibus  se.  »  Et  in  hoc 
sapientia  Dei  crescit,  dum  multos  in  sa- 
pientia  crescere  facit.  Ad  Ephes.,  IV  : 
«  Crescamus  in  illo  per  omnia,  qui  est  ca- 
put  nostrum  Christus  :  »  ex  quo  totum 
corpus  compactum,  scilicet  per  fîdem,  et 
connexum  per  charitatem ,  in  mensuram 
unius  cujusque  membri*  augmentum  cor- 
poris  facit  in  œdificationem  sui  in  chari- 
tate. 


CAPDT  XV. 

De  qualitale  nostrœ  prœparationù  ad  sacra- 
menlum. 

«  Venite,  comedite,  »  etc.  Thema  spécia- 
le. «  Probet  autem  seipsum  homo,  »  etc., 
I  Corinth.,  II.  Probet,  id  est,  praeparet  se, 
examinet,  purget.  Item,  aliud  thema  : 
«  Prseparate  corda  \estra  Domino.  »  I  Ré- 
gion, VIT.  Quartum  principaliter  circa  sa- 
cramentum  Dominici  corporis  notandum. 
est  qualitas  nostrse  prœparationis.  Nam 
valde  justum  est,  ut  ad  tam  dignum  et  ve- 
nerandum  cibum,  scilicet  ad  ipsum  Domi- 
num  omnium  non  incurate  et  indevote, 
sed  aliquo  competenti  modo  praeparari  ac- 
cedamus.  Exod.,  XIX  :  «  Sacerdotes  qui 
accedunt  ad  Dominum,  sanctificentur,  ne 


SUR   LE   SACREMENT   DE   L' AUTEL.  517 

faut  que  les  .autres  en  fassent  autant.  Notre  préparation  peut  être  con- 
sidérée par  rapport  à  trois  choses.  Elle  peut  l'être  par  rapport  à  la  di- 
gnité du  corps  sacré  du  Seigneur.  Comme  ce  corps  est  d'une  pureté 
parfaite,  qu'il  est  uni  et  qu'il  est  plein  du  Dieu  vivant,  il  faut  par  con- 
séquent que  celui  qui  veut  le  recevoir  s'y  prépare  par  trois  choses  ; 
à  savoir  par  la  plénitude  de  la  foi.  On  lit  épître  aux  Hébreux ,  ch.  X  : 
«  Approchons-nous  de  lui  avec  un  cœur  vraiment  sincère,  et  avec  une 
pleine  foi  :  »aiv:c  un  cœur  sincère,  c'est-à-dire,  avec  un  intellect  libre 
de  toute  erreur;  avec  une  foi  pleine,  c'est-à-dire,  ayant  une  pleine  foi 
en  ce  que  nous  ne  voyons  pas,  à  savoir  que  sous  l'espèce  de  pain  se 
trouve  Jésus-Christ  tout  entier,  le  vrai  homme  et  le  Dieu  véritable.  Le 
mérite  immense  de  cette  foi  fait  qu'il  est  dit,  II  Petr.,  ch.  I  :  «  Croyant 
en  Jésus-Christ  que  vous  ne  voyez  pas,  vous  tressaillerez  d'une  iné- 
narrable joie.  »  * 

La  seconde  raison  de  nous  préparer  à  le  recevoir,  c'est  sa  pureté 
parfaite  ;  il  convient  en  effet  que  le  vase  qui  va  recevoir  un  corps  in- 
finiment pur,  soit  pur  lui  aussi.  Il  est  écrit  dans  l'Exode,  chap.  XXI  : 
«  Prenez  un  vase ,  et  mettez-y  la  main.  »  Un  vase,  comme  étant  pur 
d'une  manière  particulière  et  parfaite.  L'Apôtre  dit  à  cette  occasion, 
Hebr.,  chap.  IX  :  «  Que  ce  vase  est  une  urne  d'or.  »  Il  convient  en 
effet  que  le  cœur  qui  doit  recevoir  le  pain  céleste ,  soit  semblable  par 
sa  pureté  parfaite  à  l'or  le  plus  épuré.  Le  pape  Alexandre  dit  :  «  Il  ne 
peut  rien  y  avoir  dans  les  sacrifices  de  plus  grand  que  le  corps  et  le 
sang  de  Jésus-Christ;  nulle  oblation  ne  lui  est  préférable,  il  l'emporte 
sur  toutes,  il  faut  pour  l'offrir  une  conscience  pure,  de  même  que  pour 
la  recevoir,  il  faut  un  esprit  sans  souillures.  »  Hugues  dit  :  c  La  con- 
science est  pure  quand  le  passé  n'offre  aucune  accusation  juste  qui 
pèse  sur  elle,  quand  présentement  elle  n'est  atteinte  d'aucune  délec- 
tation injuste  ,  et  que  pour  l'avenir  sa  volonté  est  juste.  »  On  Ut  dans 


percutiat  eos,  similiter  et  alii.  »  Praepara- 
tio  nostra  considerari  potest  in  tribus.  In 
dignitate  ipsius  corporis  sacri.  Nam  quia 
mundissimum  et  Deo  vivo  plénum  et  uni- 
tum,  necesse  est  illud  suscipienti  per  tria 
praeparari,  scilicet  per  fidei  plenitudinem. 
Ad  Hebr.,  X  :  «  Accedamus  cum  vero 
corde  in  fidei  plenitudine  :  »  cum  vero 
corde,  id  est,  cum  vero  intellectu  sive  er- 
rore.  In  plenitudine  fidei ,  id  est,  in  plena 
fide  credentes  quae  non  videmus.  scilicet 
sub  specie  panis  esse  totum  Christum,  ve- 
rum  hominem,  et  verum  Deum.  Propter 
hujus  fidei  magnum  meritum ,  dicitur 
II  Pétri,  I  :  «  Credentes  in  Christum  quem 
non  videtis,  exultabitis  laetitia  inenarrabi- 
li.  »  Secundum  piœparativum  est  mundi- 
tiee  magnitudo,  quia  congruum  est,  ut  vas 


suscepturum  corpus  mundissimum ,  sit 
mundum.  Exod.,  XXI  :  «  Sume  vas  unum, 
et  mitte  manum  ibi.  »  Vas  unum  quasi 
singulariter  et  excellenter  mundum.  Hinc 
Apostolus,  Hebrœor.,  IX.  Vas  istuddicit  esse 
urnam  auream.  Decet  enim  cor  quasi  au- 
rum  esse  purissimum  per  magnam  mundi- 
tiam,  quod  capere  débet  cœlestem  panem. 
Alexander  Papa  :  «  Nihil  in  sacriliciis  ma- 
jus  esse  potest  quam  corpus  et  sanguis 
Christi,  nec  ulla  oblatio  hac  potior  est,  sed 
omnes  praecellit,  qua;  pura  conscientia  of- 
ferenda  est,  et  pura  mente  sumenda.  » 
Hugo  :  «  Pura  conscientia  est  quando  non 
habet  de  prasterito  justam  accusationem , 
de  praesenti  injustam  dclectationem ,  sed 
de  futuro  justam  voluntatem.  »  Mutth., 
XXV II  :  «  Joseph  petiit  a  Pilato  corpus 


518  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    15. 

saint  Matthieu,  chap.  XXVII  :  «Joseph  demanda  à  Pilate  le  corps  de 
Jésus ,  et  l'ayant  reçu,  il  l'enveloppa  d'un  suaire  sans  tache.  »  Le  Com- 
mentaire ajoute  :  «  Celui-là  enveloppe  le  corps  de  Jésus  d'un  suaire 
sans  tache  qui  le  reçoit  dans  une  arae  sans  souillure.  »  C'est  encore 
pour  cette  raison  que  l'Eglise  est  dans  l'usage  de  célébrer  le  sacre- 
ment de  l'autel  sur  un  linge  pur,  et  non  sur  la  soie ,  ou  une  étoffe  de 
couleur.  Par  les  trois  choses  qui  rendent  blanc  le  corporal  de  lin ,  on 
entend,  les  trois  choses  qui  procurent  notre  propre  pureté.  Premiè- 
rement, on  le  lave,  secondement,  on  le  tord,  troisièmement,  on  le  fait 
sécher.  Si  quelqu'un  veut  acquérir  une  pureté  parfaite  pour  recevoir 
le  Seigneur,  il  doit  d'abord  se  purifier  par  l'eau  des  larmes;  seconde- 
ment se  tordre  par  les  œuvres  de  la  pénitence  ;  troisièmement  sécher 
l'humidité  des  désirs  de  la  chair  par  la  ferveur  de  l'amour  de  Dieu,  Il 
est  dit  de  la  première  de  ces  choses,  Hebr.,  chap.  X  :  «  Approchons- 
nous  de  lui  avec  un  cœur  purifié  des  souillures  de  la  mauvaise  con- 
science ,  après  que  notre  corps  a  été  lavé  dans  l'eau  pure  ;  »  c'est-à- 
dire  purifiés  par  les  larmes  des  péchés  du  cœur  et  du  corps.  Il  est  écrit 
dans  l'Exode,  chap.  XXX  :  «  Aaron  et  ses  fils  laveront  leurs  mains  et 
leurs  pieds;  »  c'est-à-dire  leurs  œuvres  et  leurs  pensées,  dans  l'eau  de 
la  componction  et  de  la  confession ,  quand  ils  devront  approcher  de 
l'autel,  de  peur  qu'ils  ne  meurent.  »  Jérémie  dit,  chap.  IV  :  «  Jérusa- 
lem, lave  ton  cœur  de  sa  méchanceté  pour  que  tu  sois  sauvée;  jusqu'à 
quand  les  pensées  mauvaises  persévéreront-elles  en  toi.  »  On  lit, 
Psaume  XXXI  :  «  J'arroserai  chaque  nuit,  »  c'est-à-dire  pour  chacun 
de  mes  péchés,  «mon  lit,  »  c'est-à-dire  ma  conscience,  etc..  Il  est 
dit  de  la  seconde,  Exod.,  chap.  XXVI  :  «  Vous  ferez  les  courtines  du 
tabernacle,  »  c'est-à-dire  les  ornements  de  l'ame,  «  de  fin  lin  retors,  » 
c'est-à-dire  par  les  œuvres  de  la  pénitence,  les  jeûnes,  les  prières,  les 
châtiments,  »  etc..  On  lit,  I  Cor.,  ch.  XII  :  «  Je  châtie  mon  corps,  etc.» 


Jesu.  Et  accepto  corpore,  involvit  in  sin- 
done  munda.  »  Glossa  :  «  Sindone  munda 
involvit  Jesum,  qui  pura  inente  eum  sus- 
cipit.  »  Hinc  etiam  mos  ecclesiae  habet,  ut 
sacramentum  altaris  non  serico,  non  panno 
tincto,  sed  puro  linteo  celebretur.  In  tri- 
bus vero,  quœ  perducunt  corporale  lin- 
teura  ad  eandorem,  intelliguntur  tria,  quae 
taciunt  ad  nostram  mundificationem.  Pri- 
mo enim  lavatur,  secundo  torquetur,  ter- 
tio exsiccatur.  Siquisad  suscipiendum  Do- 
minum  bene  inundus  vult  fieri,  primo  dé- 
bet per  aquam  lacrymatum  emundari  : 
secundo,  per  opéra  pœiiitentiae  torqueri  : 
tertio,  per  fervorem  amoris  Dei  a  carna- 
lium  desideriorum  humore  siccari.  De  pri- 
mo, Ad  Hebr.,  X  :  «  Accedamus  aspersi 
corda  a  conscientia  mala,  et  abluti  corpus 


aqua  munda,  id  est ,  mundati  lacrymis  a 
peccatis  cordis  et  corporis.  »  Exod.,  XXX  : 
«  Lavabunt  Aaron  et  filii  ejus  manus  et  pe- 
des,  »  id  est,  opéra  et  cogitationes,  «  aqua 
compunctionis,  et  confessionis,  quando  ac- 
cessuri  sunt  ad  altare,  ne  moriantur.  »  Je- 
rem.,  IV  :  «  Lava  a  malitia  cor  tuum  Jé- 
rusalem, ut  salva  fias,  usquequo  morabun- 
tur  in  te  cogitationes  noxiae?  »  Psaltn. 
XXXI  :  «  Lavabo  per  singulas  noctes,  »  id 
est,  prosingulis  peccatis,  «  lectum  meum,  » 
id  est,  conscientiam ,  etc.  De  secundo, 
Exod.,  XXVI  :  «  Cortinastabernaculi,  »  id 
est,  ornatus  animœ ,  «  faciès  de  bysso  re- 
torta,  idest,  de  operibus  pœnitentiae,  jeju- 
niis,  orationibus,  ai'flictionibus ,  et  hujus 
modi.  »  Ad  Corint/i.,  IX  :  «  Castigo  corpus 
meum,  »  etc.  Eccles.,  XXXIll  :  Servo  ma- 


SUR  LE   SACREMENT   DE   L'AUTEL.  519 

Dans  l'Exode,  chap.  XXXIII  :  «Au serviteur  malveillant,  »  c'est-à-dire 
au  corps  la  torture  et  les  chaînes;  «  appliquez-le  au  travail,  pour  qu'il 
ne  soit  pas  oisif.  »  Dans  le  Psaume  XXXIII  :  «  Les  tribulations  des 
justes  sont  nombreuses.  »  Il  est  écrit  de  la  troisième ,  Ps^ujneJJII  : 
«  ILajdacé  satente  dans  le  soleil^)  et  c'est  afin  de  se  sécher  par  l'a- 
mour divin,  afin  de  devénifentierement  pur  et  beau;  dans  le  Cantique 
des  Cantiques,  ch.  IV  :  «  Vous  êtes  toute  belle  ma  bien-aimée,  etc...,» 
et  c'est  parce  que  vous  êtes  bien  lavée,  bien  tordue  et  bien  séchée.  On 
lit  dans  le  livre  des  Nombres,  chap.  IX  :  «  Sanctifiez-vous ,  demain 
vous  mangerez  des  viandes.  » 

La  troisième  raison  de  nous  préparer,  c'est  la  dévotion  ou  le  dévoue- 
ment de  la  prière.  On  lit,  Psaume  CIY  :  «  Ils  demandèrent  et  le  Sei- 
gneur leur  envoya  des  cailles,  et  il  les  rassasia  avec  le  pain  du  ciel;  » 
dans  Job,  chap.  III  :  «  Je  soupire  avant  de  manger.  »  C'est  pour  cela 
que  Marie-Magdeleine  et  les  autres  saintes  femmes  portoient  des  par- 
fums lorsqu'elles  cherchoient  le  corps  du  Seigneur,  Luc,  chap.  XXII: 
C'est  ainsi  que  nous  devons ,  quand  nous  sommes  sur  le  point  de 
nous  approcher  du  corps  du  Seigneur,  faire  précéder  cet  acte  de  la 
dévotion  de  la  prière ,  afin  que  si  par  hasard  nous  n'étions  pas  assez 
préparés  par  le  jeûne  et  la  confession ,  l'oblation  des  parfums  spiri- 
tuels, c'est-à-dire  des  prières,  y  suppléât.  On  ht  au  second  hvre  des 
Paralipomènes,  chap.  XXX  :  «  Une  grande  partie  du  peuple  qui  ne 
s'étoit  point  non  plus  sanctifié,  ne  laissa  pas  que  de  manger  laPàque, 
et  le  roi  Ezéchias  pria  pour  eux,  disant  :  «  Le  Seigneur  est  bon,  il  fera 
miséricorde  à  tous  ceux  qui  le  cherchent  de  tout  leur  cœur,  et  il  ne 
leur  imputera  pas  leur  défaut  de  sanctification.  »  Saint  Augustin  dit  : 
«  Celui  qui  est  souillé  par  le  péché  véniel  doit,  bien  qu'il  ait  lavolonté 
de  ne  plus  pécher,  satisfaire  par  ses  larmes  et' ses  prières,  et  ensuite  il 
peut  s'approcher  avec  confiance  et  courage  de  l'Eucharistie ,  s'aban- 
donnant  sans  réserve  à  la  miséricorde  du  Seigneur.  » 


levolo,  id  est,  corpori  tortura  et  compedes, 
mitte  illum  in  operationem  ne  vacet.  » 
Psalm.  XXXIII  :  «  Multae  tribulationes 
justorum.  »  De  tertio  ,  Psalm.  XVIII  : 
«  In  sole  posuit  tabernaculum  suum,  »  sci- 
lieet  ad  siccandum  per  amorem  divinum, 
ut  fiât  valde  mundum  et  pulchrura.  Canti- 
corum,  IV  :  «  Tota  pulchra  es  amica 
mea,  »  etc.  quia  scilicet  bene  Iota,  torta, 
et  exsiccata.  Numeri,  IX  :  «  Sanctificami- 
ni,  cras  comedetis  carnes.  »  Tertium  prae- 
parativum  est  orationis  devotio.  Psalm. 
CIV  :  «Petierunt,  et  venit  coturnix,  et 
pane  cœli  saturavit  eos.  »  Job,  III  :  «  An- 
tequam  comedam,  suspiro.  »  Hinc  Maria 
Magdalena,  et  aliœ  devotœ  portabant  aro- 
mata,   dum    quaerebant   corpus  Domini, 


Luc,  XXXIII.  Sic  nobis  accessuris  ad  cor- 
pus Domini  praelibanda  est  orationis  devo- 
tio, ut  quod  forte  minus  parati  sumus  per 
jejunium,  et  cpnfessiones,  suppléât  spiri- 
tualium  aromatum ,  id  est ,  orationum 
oblatio.  II  Parai.,  XXX  :  «  Magna  parspo- 
puli,  quœ  sanctificata  non  f uerat,  comede- 
rat  Phase,  et  oravit  pro  eis  Rex  Ezéchias, 
dicens  :  Dominus  bonus  propitiabitur 
cunctis,  qui  in  toto  corde  requirunt  eum, 
et  non  imputabit  eis  quod  minus  sanctifi- 
cati  sunt.  »  Augustinus  :  «  Quamvis  qui 
peccato  mordeatur  veuiali,  peccandi  tamen 
de  caetero  non  habeat  voluntatem ,  satisfa- 
ciat  lacrymis,  et  orationibus,  et  confidens 
de  Domini  miseratione,  accédât  ad  Eucha- 
ristiam  intrepidus  et  securus.  »  Secundus 


520  OPUSCULE   LVH,    CHAPITRE    15. 

Le  second  mode  de  notre  préparation  se  tire  de  la  considération 
de  l'hostie  qui  est  de  pain.  Car  comme  les  grains  de  froment,  au 
moyen  de  l'art  de  l'homme  ,  arrivent  par  gradation  jusqu'à  un  pain 
parfait  ;  de  même  l'ame  pécheresse  parvient ,  aidée  de  la  grâce  de 
Dieu,  jusqu'à  un  état  de  sainteté  tel,  qu'il  lui  est  permis  de  recevoir 
licitement  le  corps  du  Seigneur.  Les  grains  desquels  est  composée 
l'hostie  signifient  pour  trois  raisons  l'état  du  pécheur.  Ils  sont  durs , 
ils  sont  recouverts  d'une  espèce  d'écorce  ou  crasse  ,  ils  sont  distincts 
les  uns  des  autres  ;  le  pécheur  pareillement  est  dur  par  son  cœur,  vu 
qu'il  ne  veut  pas  se  convertir  de  son  iniquité  au  Seigneur  qui  est  la 
douceur  même.  Jérémie  dit ,  chap.  V  :  «  Ils  ont  rendu  leurs  fronts 
plus  durs  que  le  rocher,  et  ils  n'ont  point  voulu  revenir  à  vous.  »  Le 
pécheur  est  aussi  couvert,  par  la  difformité  du  péché ,  comme  d'une 
espèce  de  crasse.  On  lit  dans  Jérémie,  chap.  II  :  «  Que  vous  êtes  de- 
venue méprisable  en  retombant  dans  vos  premiers  égarements  !  »  Le 
pécheur  est  encore  séparé  de  son  prochain ,  parce  qu'il  n'a  pas  la 
charité.  Il  est  écrit  dans  Osée ,  chap.  X  :  «  Leur  cœur  est  divisé , 
maintenant  ils  sont  morts.  »  Quant  à  l'état  où  se  trouvent  les  grains 
dans  l'hostie,  voilà  comment  ils  y  parviennent.  1°  Leur  dureté  est 
broyée  par  la  meule ,  ils  sont  réduits  en  parties  excessivement 
minces.  2°  Ils  sont  séparés  de  leur  écorce  ou  crasse.  3°  La  farine  est 
pétrie  ensemble  au  moyen  de  l'eau ,  elle  est  cuite  au  feu ,  et  devient 
un  pain  solide  ;  de  même  le  pécheur  qui  veut  être  digne  de  recevoir 
le  corps  du  Seigneur,  doit  s'y  préparer  par  les  trois  choses  que  signifie 
ce  que  nous  venons  de  dire  :  il  doit  s'y  préparer  par  la  contrition , 
par  la  confession  orale,  et  par  l'amour  du  prochain.  Il  est  écrit  de  la 
première  dans  Isaïe ,  chap.  XLVII  :  Tournez  la  meule,  et  faites  moudre 
la  farine.  »  Ce  qui  équivaut  à  dire  :  Faites  en  vous  un  moulin  spi- 
rituel au  moyen  de  deux  meules,  et  cela  en  considérant  la  miséri- 


modus  nostrae  prseparationis  consideratur 
in  hostia  panis.  Sicut  enim  grana  frumenti 
arte  humana  gradatim  proficit  ad  panis 
complementum  :  sic  anima  peccatrix,  gra- 
tia  Dei  proficit  ad  bonum  statum,  in  quo 
licenter  suspicit  corpus  Dominicum  :  gra- 
na ex  quibus  fit  hostia,  signant  statum  pec- 
catoris  propter  tria.  Sunt  enim  dura ,  et 
furfure  operta,  et  ab  invicem  distincta,  sic 


charitatis  privatione.  Osée,  X  :  «  Divisum 
est  cor  eorum,  nunc  interierunt  :  sed  gra- 
na ad  statum,  in  quo  sunt  in  hostia ,  per 
hune  modum  sunt  deducta.  »  Primo,  con- 
trita  est  eorum  durities  per  molam,  et  in 
minimas  partes  redacta  :  secundo ,  a  fur- 
fure sunt  mundatc.  :  tertio ,  commixta  est 
farina  adinvicem  per  aquani,  et  per  ignem 
decocta,  et   in  panem  solidata;  sic  pecca- 


peccator  durus  est  in  corde,  qui  non  vult  ]  tor,  qui  dignus  erit  sumere  corpus  Domi- 


converti  ad  dulcem  Deum  de  sua  iniqui- 
.tate.  Jerem.,  V  :  «  Induraverunt  faciès 
suas  supra  petram,  et  noluerunt  converti.» 
Item,  peccator  opertus  est  quasi  furfure 


ni,  débet  se  per  tria ,  quae  in  his  signantur, 
prœparare ,  per  cordis  contritionem ,  per 
oris  confessionem,  per  proximi  dilectionem. 
De  primo,  Isaiœ ,  XLVII  :  «Toile  molam, 


peccati  deformitate.  Jerem.,  II  :  «  Quam  mole  farinam,  »  quasi  diceret,  fac  in  te 
vilis  facta  es  nimis,  iterans  vias  tuas?  »  |  molam  spiritualem,  de  duobus  molaribus 
Item,  peccator  divisus  est  a  proximo  suo  j  considerando  misericordiam  Dei,  et  justi- 


SUR  LE   SACREMENT   DE   l' AUTEL.  »2I 

corde  de  Dieu  et  sa  justice  ,  et  ce  sera  pour  amollir  la  dureté  de  votre 
cœur;  considérez  la  miséricorde  comme  la  pierre  supérieure  qw 
maintenant  opère  et  tourne  ,  mais  qui  cessera  d'agir  après  cette  vie. 
On  lit,  Psaume  LXXXY  :  «  Grande  a  été  votre  miséricorde  pour 
moi ,  etc.  »  On  peut  aussi  considérer  la  justice  comme  la  pierre  infé- 
rieure ,  qui  maintenant  est  privée  de  mouvement  et  est  couchée,  mais 
qui ,  après  cette  vie ,  est  élevée ,  agit  et  tourne.  On  lit  dans  Osée , 
chap.  VIII  :  «  Je  vous  jugerai  d'après  vos  actions,  mon  œil  ne  vous 
épargnera  pas ,  je  serai  sans  pitié  ;  »  dans  saint  Matthieu ,  ch.  XXI  : 
«  Celui  sur  qui  tombera  cette  pierre  ,  elle  l'écrasera  ;  »  dans  l'Epître 
aux  Romains,  ch.  XI  :  «  Considérez  la  bonté  de  Dieu  et  sa  sévérité;  » 
dans  Job ,  chap.  V  :  «  Dieu  a  amolli  mon  cœur,  et  le  Tout-Puissant  a 
jeté  en  moi  le  trouble.  »  Il  est  de  la  nature  de  Dieu  d'être  miséricor- 
dieux; il  est  tout-puissant,  et  c'est  lui  qui  doit  juger  avec  justice.  Il 
est  écrit ,  Psaume  Y  :  «  Un  esprit  brisé  de  douleur  est  un  sacrifice 
digne  de  Dieu.  »  Il  est  écrit  de  la  seconde  dans  Amos,  chapitre  IX  : 
«  Car  je  m'en  vais  donner  mes  ordres  ,  et  je  ferai  que  la  maison  d'Is- 
raël sera  agitée  parmi  toutes  les  nations ,  comme  le  blé  est  remué 
dans  le  crible  ;  »  dans  le  crible  où  le  grain  est  séparé  de  la  balle ,  ce 
qu'il  y  a  de  pur  de  ce  qu'il  y  a  d'impur  ;  de  même,  par  la  confession , 
l'ame  se  purifie  de  la  laideur  du  péché.  (On  lit,  Psaume  XCV  :  «  La 
confession  et  la  beauté,  etc..  »  On  lit  au  premier  livre  des  Macha- 
bées,  chap.  III  :  «  Judas  dit  et  ses  frères  dirent  avec  lui  ;  »  c'est-à-dire 
ceux  qui  se  confessent  :  «  Yoici  que  nos  ennemis  sont  terrassés,  mon- 
tons maintenant  à  Jérusalem  purifier  ce  que  nous  avons  de  saint.  »,I1 
est  écrit ,  Ecclésiaste,  chap.  II  :  «  Ceux  qui  craignent  le  Seigneur  pré- 
pareront leurs  cœurs,  et  ils  sanctifieront  leurs  âmes  en  sa  présence;  s» 
le  Commentaire  ajoute  :  «  Heureuse  l'ame  qui ,  chaque  jour,  purifie 
son  cœur,  pour  y  faire  habiter  son  Dieu  ;  celui  qui  le  possède  ne 


tiam  ad  emolliendam  cordis  tui  duritiam  : 
misericordiam  quasi  superiorem  lapidem, 
qui  nunc  operatur  et  circuit;  sed  post 
hanc  vitam  operari  cessabit.  »  Psalm. 
LXXXV  :  «  Misericordia  tua  magna  est 
super  me,  »  etc.  Item,  considerando  justi- 
tiam ,  quasi  inferiorem  lapidem,  qui  nunc 
jacet,  et  quiescit,  sed  post  hanc  vitam  ele- 
vatur,  operatur  et  circuit.  Osée,  VIII  : 
«  Judicabo  te  juxta  vias  tuas,  non  parcet 
oculus  meus,  et  non  miserebor.  »  Matth., 
XXI  :  «  Super  quem  ceciderit  lapis  iste, 
conteret  eum.  »  Roman.,  II  :  «  Vide  Dei 
bonitatem ,  et  severitatem.  »  Job,  V  : 
«  Deus  emollivit  cor  meura,  etomnipotens 
conturbavit  me.  »  Deus,  cui  proprium  est 
misereri,  oninipotens,  quem  oportet  juste 
judicare.    Psalm.    L  :    «  Sacriticium  Deo 


spiritus  contribulatus.  »  De  secundo, 
Amos,  IX  :  «  Ecce  ego  mandabo  et  concu- 
tiam  domum  Israël,  sicut  concutitur  triti- 
cum  in  cribro ,  ubi  scilicet  furfures  sepa- 
rantur  a  nucleo,  impurum  a  puro  :  sic  per 
confessionem  mundatur  anima  a  vili  pec- 
cato.  »  Psalm.  XCV  :  «  Conl'essio  et  pul- 
chritudo,  »  etc.  I  Mâchai.,  111  :  «  Dixit 
Judas  ad  fratres  ejus,  id  est,  conlitentes  : 
Ecce  contriti  sunt  inimici  nostri,  ascenda- 
mus  nunc  mundare  sacramenta  nostra.  » 
Ecclesiast.,  II  :  «Qui  timent  Doininuin, 
praeparabunt  corda  sua,  et  in  conspectu 
ejus  sanctificabunt  animas  suas.  »  Glossa  ; 
«  Félix  anima,  quee  quotidic  mundat  cor 
suum,  ut  suscipiat  habitatorem  Deuni,  cu- 
jus  possessor  nullius  eget  bono ,  quia  om- 
nium bonorum  authorem  in  se  habet.  » 


522  OPUSCULE    LVII,    CHAPITRE    15. 

manque  d'aucun  bien,  puisqu'il  possède  l'auteur  même  de  tous  les 
biens.  »  Il  est  écrit  de  la  troisième  dans  la  Genèse  ,  chapitre  XVIII  : 
«  Hàtez-vous  ,  mêlez  trois  mesures  de  fleur  de  farine ,  et  faites  des 
pains  cuits  sous  la  cendre  ;  »  et  cela  pour  manger  avec  eux  un  veau 
très-gras.  Celui  qui  veut  manger  le  veau  très-gras,  c'est-à-dire  le 
corps  de  Jésus-Christ ,  doit  d'abord  préparer  avec  trois  sacs  de  fleur 
de  farine  un  pain ,  et  lui  donner  de  la  solidité  en  le  faisant  cuire  au 
feu  ;  c'est-à-dire  qu'il  doit  être  animé  d'une  charité  sincère  pour  les 
hommes  qui  se  trouvent  dans  les  conditions  qui  suivent  :  pour  ses 
supérieurs ,  ses  égaux  et  ses  inférieurs.  Il  est  écrit,  I.  Cor.,  chap.  X  : 
«  Nous  ne  sommes  tous  ensemble  qu'un  seul  pain  et  un  seul  corps , 
parce  que  nous  participons  tous  à  un  même  pain  et  à  un  même  calice.  » 
Saint  Augustin  dit  :  «  Celui  qui  reçoit  le  mystère  de  l'unité  ,  et  qui  ne 
conserve  pas  le  lien  de  l'unité,  ne  reçoit  pas  le  mystère  pour  soi,  mais 
contre  soi.  »  Il  est  dit  dans  saint  Matthieu ,  chap.  XX  :  «  Le  roi  entra 
pour  voir  ceux  qui  étoient  à  table ,  et  il  en  vit  un  qui  n'étoit  pas 
revêtu  de  la  robe  nuptiale  ;  »  c'est-à-dire  qui  n'avoit  pas  la  charité  ; 
«  et  il  dit  à  ses  serviteurs  :  Liez-lui  les  pieds  et  les  mains  ,  etc..  »  Ou 
lit  encore  clans  le  même ,  ch.  V  :  «  Si  vous  offrez  votre  présent,  etc.  » 
Le  Commentaire  ajoute  :  «  Si  vous  avez  offensé  votre  frère ,  réconci- 
liez-vous avec  lui  ;  quand  il  seroit  votre  ennemi ,  soyez-lui  bien- 
veillant pour  en  faire  votre  ami ,  et  alors  vous  offrirez  votre  présent  ; 
par  ce  moyen  vous  le  rendrez  agréable  à  Dieu.  »  C'est  à  cause  des  ob- 
servations que  nous  venons  de  faire  qu'il  est  écrit  dans  l'Exode , 
chap.  XII  :  «  Vous  mangerez  les  azimes ,  »  c'est-à-dire  le  pain  sans 
levain;  «  il  sera  comme  un  signe  dans  votre  main,  et  comme  un  mo- 
nument devant  vos  yeux ,  »  à  savoir  qu'il  signifie  ce  que  nous  avons 
dit,  c'esl-à-dire  la  contrition  du  cœur,  la  confession  de  bouche,  et  l'a- 
mour du  prochain,  qui  sont  les  moyens  que  nous  devons  employer  pour 
nous  préparer  à  nous  approcher  dignement  du  corps  de  Jésus-Christ. 


De  tertio,  Gènes.,  XVII l  :  «  Accéléra,  tria 
sata  similœ  commisce,  et  fac  subcineritios 
panes ,  ut  sic  vitulum  optimum  cum  illis 
coraederet.  »  Qui  enim  vitulum  optimum, 
id  est ,  corpus  Christi  sumere  vult ,  prius 
débet  tribus  satis  simila:  panem  igné  co- 
quendo  solidare  id  est,  ad  très  hominum 
difterentias ,  scilicet  superiores ,  aequales , 
inf  eriores  veram  dilectiouem  servare.  I  Cor- 
rinth.,  X  :  «  Unus  panis,  et  unum  corpus, 
multi  sumus  qui  de  uno  pane ,  et  de  uno 
calice  participamus.  »  Augustinus  :  «  Qui 
accipit  mysterium  unitatis,  et  non  tenet 
vinculum    pacis,    non  mysterium   accipit 


id  est,  cbaritatem  ;  «  et  ait  ministris  :  Li- 
gatis  manibus,  et  pedibus,  »  etc.  Item  ejus- 
dem  V  :  «  Si  offers  munus  tuum,  »  etc. 
Glossa  :  «Si  fratrem  laesisti,  reconciliatc 
ei,  etiam  si  adversarius  fuerit ,  esto  bene- 
volus,  ut  fiât  amicus,  et  tune  olïeres  munus 
tuum,  ut  sit  Deo  gratum.  »  Propter  prae- 
dicta  in  pane  notanda  dicitur  Ezod.,  XII  : 
«  Azyma  comedes,  »  id  est,  panem  sine 
fermento,  «et  erit  quasi  signurn  in  manu 
tua,  et  quasi  monimentum  ante  oculos 
tuos,  »  quod  scilicet  significatur  in  eo, 
quod  dictum  est ,  cordis  contritio ,  oris 
confessio,  proximi  dilectio  ;  quibus   debe- 


pro  se,  sed  contra  se.  »  Matth.,  XX  :  «In-  j  mus  nos  praeparare,  ut  digne  possimus  ad 
travit  rex  ut  videret  discumbentes,  et  vidit  I  Christi  corpus  accedere. 
unum  non  habentem  vestem  nuptialem,  »  I 


SUR   LE    SACREMENT    DE    I/AIÏ  Kl. 


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CHAPITRE  XVI. 

De  notre  préparution  à  un  troisième  point  de  vue,  ou  en  huit  </vr  I  agneau 
pascal  est  la  figure  du  sacrement  eucharistique. 

«  Venez,  mangez,  »  ou  encore,  «  que  l'homme  s'éprouve  lui- 
même.  »  Argument  spécial.  «  Sanctifiez-vous,  demain  vous  mangerez 
les  viandes,  »  Nombres,  chap.  IX.  Argument  propre.  «  Voici  l'agneau 
de  Dieu,  »  S.  Jean,  chap.  I.  Nous  allons  dire  ici  comment  doit  étee 
considéré  le  mode  de  notre  préparation,  en  tant  que  l'agneau  pascal 
est  la  figure  du  corps  de  Jésus-Christ  ;  ligure  de  laquelle  il  est  parlé 
dans  l'Exode,  ch.  XII.  «Cette  figure  doit  être  divisée  en  trois  parties.  » 
La  première  partie ,  c'est  l'agneau  qui  doit  être  mangé  ;  la  seconde  , 
les  mets  qui  doivent  être  mangés  avec  lui;  la  troisième,  le  costume 
de  ceux  qui  doivent  le  manger.  La  première  nous  apprend  à  nous  y 
préparer  par  l'intégrité  de  la  foi ,  la  seconde  nous  apprend  à  nous 
préparer  par  la  force  de  l'esprit ,  la  troisième  par  la  décence  de  la 
vie.  J^t première  partie  de  cette  figure,  c'est  l'agneau  lui-même  qui 
doit  être  mangé ,  suivant  la  prescription  de  làHoi ,  et  sur  ce  point  il 
faut  considérer  trois  choses.  Premièrement,  le  temps  où  il  doit  être 
mangé  ;  c'étoit  pendant  la  nuit ,  dans  un  moment  où  l'on  ne  voyoit 
parparfaitement  l'agneau  lui-même  ;  et  ceci  signifie  que  nous  devons 
croire  que  le  corps  de  Jésus-Christ  a  dû  nous  être  donné  présentement, 
non  pas  à  découvert  à  nous,  mais  bien  yoil&sous  le  sacrement.  On  lit 
dans  Tobie,  chapitre  XII  :  «  Il  est  bon  de  cacher  le  secret  ou  sacre- 
ment du  roi;  »  dans  le  troisième  livre  des  Rois ,  chapitre  VIII  :  «  Le 
Seigneur  a  dit  qu'il  habiteroit  dans  une  nuée.  »  Secondement,  c'est 
qu'on  n'en  mangeroit  aucune  partie  de  crue;  ce  qui  signifie  que  nous 
ne  devons  pas  croire  que  Jésus-Chris!  est  un  pur  homme.  Pareille- 


CAPUT  XVI. 

De  prœparalione  nostra  in   tertio ,  scilicel 
agno  paschali. 

«  Venite,  comedite.  »  Item  :  «  Probet  au- 
tein  seipsum  homo.  »  Thema  spéciale. 
«  Sanctificamiui,  cras  comedetis  carnes.  » 
Numer.,  IX.  Theraa  proprium  :  «  Ecce 
agnus  Deij»  Jounn.,  I.  Hic  dicendum  est, 
qualiter  ex  figura  agni  paschalis  considere- 
tur  nostree  praeparationis  modus,  de  qua 
Exod.,  XII,  legimus  :  «  Haec  figura  in  très 
partes  est  dividenda.  »  Prima  pars  est  ipse 
agnus  edendus,  seçunda  fercula  cum  qui- 
bus  est  edendus,  tertia  personarum  eden- 


tium  habitus.  In  prima  discimus  praeparari 
per  fidei  integritatem,  in  secunda  perani- 
mi  virtuositatem ,  in  tertia  per  vitae  ho- 
nestatem.  Prima  pars  istiusest  ipse  agnus, 
qui  secundum  legem  manducatur,  et  in  hoc 
tria  considerantur.  Primo,  quand.» 
dendus  est,  quia  in  nocte,  cuui  ns  pfaae 
non  videtur,  in  quo  credendum  signitica- 
tur,  quod  corpus  Christi  in  pressenti  nobis 
dad  datait,  mm  mimil'estum,  sedinsacra- 
meuto  velatum.  Tolriœ,  Xll  :  Sacnun.'ii- 
tum  régis  abscondere  bonum  est.  »  111 
Heguni,  VIII  :  «  Dominus  dixit  ut  habita- 
retin  nebula.  »  In  secundo,  scilicel,  quod 
non  comeditur  exeo  cruduin,  si^iiiticatur, 
quod  non  debemus  credere ,  Ghristum  esse 


524  OPUSCULE    LVH,    CHAPITRE    15. 

ment,  parce  qu'on  ne  le  mange  pas  cuit  dans  l'eau,  cela  signifie  que 
nous  ne  devons  pas  croire  que  Jésus-Christ  ait  été  conçu,  ni  qu'il  soit 
né,  comme  sont  conçus  et  comme  naissent  les  autres  hommes.  Comme 
ïïslemangèrent  seulement  rôti  au  feu  ,  cela  signifie  que  nous  devons 
croire  que  l'incarnation  et  la  consécration  sont  l'oeuvre  de  la  puissance 
du  Saint-Esprit.  Troisièmement,  de  ce  qu'il  est  ordonné  de  le  manger 
entier,  la  tête  avec  les  pieds  et  les  intestins  ;  ceci  signifie  que  nous 
sommes  obligés  de  croire  que  Jésus-Christ  est  tout  entier  sous  le 
sacrement,  qu'il  y  est  avec  sa  divinité,  son  corps  et  son  ame ,  et 
qu'on  le  reçoit  aussi  tout  entier.  La  seconde  partie  de  cette  figure,  ce 
sont  les  trois  mets  qu'ils  avoient  coutume  de  manger  avec  l'agneau , 
savoir  des  laitues  sauvages,  des  pains  azimes,  et  le  sang  de  l'agneau. 
Oh  lit  dans  l'Exode,  chap.  XII  :  «  Vous  mangerez  les  chairs  de  l'a- 
gneau et  les  pains  azimes ,  avec  des  laitues  sauvages  ;  et  ils  prendront 
du  sang  de  l'agneau,  et  ils  en  mettront  sur  les  deux  jambages  et  sur 
les  linteaux  de  la  porte  des  maisons.  »  Le  premier  mets,  savoir  les 
laitues  sauvages  ,  sont  la  figure  de  la  douleur  des  péchés  ;  le  second , 
savoir  les  pains  azymes,  signifient  l'intention  pure  unie  aux  bonnes 
G3uvres;  le  troisième,  savoir  le  sang  de  l'agneau,  exprime  la  mémoire 
et  l'imitation  de  la  passion  du  Seigneur,  par  lesquelles  l'ame  fidèle 
doit  être  préparée.  Saint  Grégoire  dit  du  premier  de  ces  mets,  en  ex- 
pliquant les  paroles  suivantes  du  livre  de  l'Exode ,  chap.  XII  :  «  Les 
laitues  sauvages  sont  très-amères  ,  mais  il  faut  manger  les  chairs  de 
l'agneau  avec  elles  ;  parce  que ,  lorsque  nous  recevons  le  corps  de 
Jésus- Christ,  nous  devons  être  pleins  du  repentir  de  nos  pé- 
chés, afin  que  l'amertume  de  la  pénitence  nous  purifie  de  l'amour 
d'une  vie  perverse.  On  lit  dans  Isaïe,  chap.  XXXVIII  :  «  Je  vous  rap- 
pellerai le  souvenir  de  toutes  les  années  de  ma  vie,  etc.  »  Il  est  écrit 
du  second,  I  Cor.,  chap.  V  :  «  Célébrons  le  festin  de  la  Pàque,  non 


hominem  puruin.  Item,  quod  non  come- 
ditur  aqua  coctum ,  significat ,  quod  non 
debemus  credere,  Christum  secundum 
cornmunern  hominum  consuetudinem  con- 
ceptum,  aut  natum.  Item  ,  quod  comede- 
runt  eum  tantum  assum  igni,  significat, 
quod  Christ  i  incarnatio  ,  et  ejus  corporis 
consecratio,  credenda  est  celebrari  per  po- 
tentiam  Spiritus  sancti.  In  tertio,  scilicet, 
quod  caput  agni  cum  pedibus  et  intestinis 
vorari  praecipitur,  significatur  esse  creden- 
dum,  quod  in  hoc  sacramento  totus  Chris- 
tus  cura  divinitate  et  corpore,  et  anima 
continetur  et  sumitur.  Secunda  pars  hujus 
figura?  surit  fercula  tria,  cum  quibus  sole- 
bant  agnum  manducare,  scilicet,  lactucœ 
agrestes,  panes  azymi ,  et  sanguis  agni. 
Exod.j  XII  :  «  Edetis  carnes  agni ,  et  azy- 


mos  panes  cum  lactucis  agrestibus  :  et  su- 
ment  de  sanguine  agni,  et  ponent  super 
utrumque  postem,  et  in  superliminaribus 
domorum.  »  Primum  ferculum ,  scilicet 
lactucae  agrestes,  significant  dolorem  de 
peccatis  :  secundum ,  scilicet  panes  azymi, 
intentionem  puram  cum  operibus  bonis  : 
tertium,  scilicet  sanguis  agni ,  memoriam 
et  imitationem  dominicae  passionis,  quibus 
praeparari  débet  anima  fidelis.  De  primo 
Gregorius  super  illud ,  Exod.,  XII  :  «  Lac- 
tucœ  agrestes  valde  amarae  sunt ,  carnes 
vero  agni  cum  his  comedendœ  sunt  :  quia 
cum  corpus  Christi  aocipimus,  compungi 
pro  peccatis  debemus,  ut  amaritudo  pœni- 
tentiae  abstergat  amorern  perverste  vitœ.  » 
lsniœ,  XXXVIII  :  «  Recogitabo  tibi  omnes 
annos  rneos,  »  etc.  De   secundo,   I  Cor- 


SUR  LE  SACREMENT  DE  l' AUTEL.  525 

avec  le  vieux  levain,  c'est-à-dire  dans  la  corruption  de  l'orgueil,  qui 
s'élève  contre  Dieu,  ni  avec  le  levain  de  la  malice  qui  s'élève  contre  le 
prochain  et  de  la  corruption  qui  nous  atteint  nous-mêmes;  mais  avec 
les  pains  sans  levain  de  la  sincérité  et  de  la  vérité  ;  c'est-à-dire  avec  la 
sincérité  qui  ne  connoît  pas  le  vice,  la  vérité  des  bonnes  œuvres,  et 
cela  pour  que  nous  nous  appliquions  à  vivre  d'une  vie  nouvelle,  com- 
plètement exempte  de  la  fraude  du  vieux  levain.  »  On  lit  dans  saint 
Grégoire  :  «  Il  mange  des  pains  sans  levain  celui  qui  fait  des  bonnes 
œuvres  exemples  de  la  corruption  de  l'orgueil  que  produit  le  levain  de 
la  méchanceté.  »  Pareillement,  il  mange  des  pains  sans  le  levain  de 
la  malice,  celui  qui  fait  les  œuvres  de  la  miséricorde  sans  y  mêler  le 
péché ,  et  qui  se  garde  d'enlever  injustement  ce  qu'il  dispense  avec 
l'apparence  de  la  justice.  Le  prophète  Amos  dit  à  cette  occasion  par 
forme  de  blâme,  chap.  IV  :  «  Offrez  avec  du  levain  des  sacrifices 
d'action  de  grâces.  »  Celui-là  offre  un  sacrifice  d'action  de  grâce  avec 
du  levain,  qui  tient  le  sacrifice  qu'il  offre  au  Seigneur  de  la  rapine  et 
du  levain  de  l'iniquité.  On  lit  dans  l'Exode,  chap.  XII  :  «  Celui  qui 
mangera  du  pain  levé  périra  du  milieu  d'Israël.  »  Manger  du  pain 
levé,  c'est  se  délecter  de  la  corruption  du  péché  que  l'on  commet  dans 
son  cœur.  Il  est  écrit,  Psaume  XXIII  :  «  L'injuste  a  dit  pour  pé- 
cher, etc.  » 

Saint  Grégoire  s'exprime  comme  il  suit  à  l'égard  du  troisième  mets, 
dont  il  a  été  parlé  plus  haut  :  «  On  met  le  sang  de  l'agneau  sur  l'un 
et  l'autre  jambage,  quand  ce  n'est  pas  seulement  par  la  bouche  du 
corps  que  l'on  puise  ce  sang,  mais  qu'on  le  puise  encore  avec  la 
bouche  de  l'esprit,  et  que  l'on  pense  de  toute  la  force  de  son  esprit  a 
imiter  la  passion  du  Seigneur.  »  Car  celui  qui  reçoit  le  sang  du  Sei- 
gneur et  qui  n'est  pas  disposé  à  inuleiLsa  pa^giûflU  ne  P^ace  ce  san8* 
que  sur  l'un  des  jambagesTll  faut  aussi  placer  le  sang  de  l'agneau 


rintfi.,  V  :  «  Epulemur  non  in  fermento 
veteri ,  id  est ,  in  corruptione  superbiae, 
quae  sit  in  Deum  :  neque  in  fermento  ma- 
litiee  ,  quae  sit  in  proximum ,  et  nequitiae, 
quae  sit  in  seipsum  :  sed  in  azymis  sîneeri- 
tatis,  id  est,  in  sinceritate  a  vitiis,  et  veri- 
tate  bonorum  operum,  ut  scilicet  studea- 
mus  esse  in  novitate  vitse  sine  omni  fraude 
de  fermento  veteri.  »  Gregorius  :  «  Panes 
sine  fermento  comedit,  qui  recta  opéra  si- 
ne corruptione  inanis  gloriae  facit  de  fer- 
mento malitiœ.  »  Idem  :  «  Panes-sihe  fer- 
mento malitise  manducat,  qui  opéra  mise- 
ricordiae  sine  peccati  admixtione  exhibet, 
ne  perverse  rapiat,  quod  quasi  recte  dispen- 
sât :  »  unde  per  Amos,  V  ,  increpando  di- 
citur  :  «<  Sacrificate  de  fermento  laudem.  » 


De  fermento  enim  laudem  immolât ,  qui 
Domini  sacrificium  de  rapina  portât  de 
fermento  nequitiae.  Exod.,  XII  :/«  Qui  co- 
mederit  fermentatum,  peribit  anima  ejus 
de  cœtu  Israël.  »  Fermentatum  comedere, 
est  delectari  peccati  corruptione,  quod 
committitur  in  se.  Psalm.  XXIII  :  «  Dixit 
injustus,  ut  delinquat,  »  etc.  De  tertio  fer- 
culo  supradicto,  Gregorius  :  «  Sanguis  agni 
super  utrumque  postem  ponitur,  quando 
non  solum  ore  corporis ,  sed  etiam  ore 
mentis  hauritur,  et  ad  imitationem  intenta 
mente  cogitatur.  »  Nam  qui  sie  Redemp- 
toris  sanguinem  accipit,  ut  imitari  passio- 
nem  needum  velit,  in  uno  tantum  poste 
sanguinem  ponit.  Item,  in  superliminari- 
bus  ponendus  est  sanguis  agni ,  quia  non 


526  OPUSCULE    LVH,    CHAPITRE    16. 

sur  les  linteaux  des  portes,  car  ce  n'est  pas  seulement  dans  la  mémoire 
qu'il  faut  porter  la  croix  de  la  passion  de  Jésus-Christ ,  il  est  encore 
nécessaire  de  la  porter  ostensiblement.  Il  est  écrit,  Gai.,  chap.  ult.  : 
aA  Dieu  ne  plaise  que  je  me  glorifie,  etc.  »  D'où  je  porte  les  stigmates 
de  Jésus-Christ  dans  mon  corps. 

La  troisième  partie  de  cette  figure,  c'est  le  costume,  ou  les  trois  in- 
signes de  ceux  qui  mangèrent  l'agneau  ;  savoir ,  la  ceintnrjMjui  cei- 
gnoit  leurs  reins,  la  chaussure  qu'ils  avoient  aux^îëcîsT^tle  bâton 
qu'ils  tenoient  à  la  main.  Il  est  dit  dans  l'Exode,  chap.  XII  :  «  Vous 
mangerez  ainsi  l'agneau,  vous  ceindrez  vos  reins,  vous  mettrez  vos 
chaussures  à  vos  pieds,  vous  tiendrez  un  bâton  à  la  main.  »  La  pre- 
mière de  ces  choses  signifie  la  continence  de  la  chair  et  de  l'esprit;  la 
seconde  que  nous  devons  suivre  l'exemple  de  nos  pères;  la  troisième 
que  nous  devons  corriger  nos  vices  ;  et  c'est  ce  qui  est  exigé  pour  la 
préparation  de  ceux  qui  communient.  Le  premier  moyen  de  se  prépa- 
rer, c'est  d'être  continent  dans  la  chair  et  dans  l'esprit ,  et  c'est  cette 
continence  que  figure  la  ceinture  qui  ceint  les  reins.  Saint  Grégoire  dit  : 
«  La  délectation  de  la  chair  vient  des  reins  ;  »  ce  qui  fait  qu'il  est  dit , 
Ps.  XXV  :  «  Brûlez  mes  reins  et  mon  cœur.  »  Par  conséquent,  que  ce- 
lui qui  mange  la  Pàque  ceigne  ses  reins.  Parce  que  celui  qui  reçoit  le 
corps  du  Seigneur  dompte  la  volupté  ,  et  met  un  frein  à  la  luxure  ; 
cette  préparation  de  la  continence  doit  être  considérée  par  rapport  à 
trois  genres  d'hommes,  qui  sont  les  hommes  mariés,  ceux  qui  se  re- 
pentent de  leur  incontinence,  et  les  hommes  spirituels.  Les  premiers 
doivent  garder  quelque  petite  continence  avant  de  communier,  les  se- 
conds doivent  la  garder  plus  longtemps,  et  les  troisièmes  doivent  la 
garder  continuellement.  Il  est  dit  concernant  David,  à  la  première  de 
ces  choses,  I  Rois  ,  chap.  XXI  :  «  Si  les  enfants  sont  purs,  surtout  du 
côté  des  femmes,  qu'ils  mangent,  savoir  le  pain  sanctifié.  »  David  ré- 


tantum  in  memoria,  sed  in  manifesto 
portari  débet  crux  passionis  Christi.  Gâ- 
tât., ult  :  «  Mini  absit  gloriari,  »  etc.  un- 
de  et  stigmata  Domini  Jesu  in  corpore  meo 
porto.  Tertia  pars  hujus  iigurœ  est  habi- 
tus,  sive  tria  insignia  illorum  qui  mandu- 
caverunt  agnum,  scilicet  cingulus  renum, 
calceamenla  pedum ,  baculus  manuum. 
Exod.,  XII  :  «  Sic  manducabitis  agnum. 
Renés  vestros  accingetis,  calceamenta  habe- 
bitis  in  pedibus,  tenentes  baculos  in  mani- 
bus.  »  Primum  désignât  carnis  et  mentis 
continentiam  :  secundum  exemplorum  Pa- 
trum  custodiam  :  tertium  vitiorum  nostro- 
rnm  correctionem ,  et  exiguntur  ad  com- 
municantiurn  prœparationem.  Primum 
pra'parathum  est  mentis  et  carnis  conti- 


nentia  in  cingulo  renum  figurata.  Grego- 
rius  :  «  In  renibus  accipitur  carnis  delecta- 
tiOj  unde  Psaîm.  XXV  :  «  Ure  renés  meos, 
et  cor  meum.  Qui  ergo  Pascha  comedit,  re- 
nés accingat  :  quia  qui  corpus  Domini  ac- 
cipit,  voluptatem  domat,  luxuriam  refrœ- 
nat,  haec  prœparatio  continentiae  attenden- 
da  est,  quantum  ad  tria  gênera  hominum, 
scilicet  conjugatos,  et  de  incontinentia  pre- 
nitentes,  et  spirituales.  »  Primum  ante  sa- 
cram  communionem  continentiam  de- 
bent  servare  aliquantam  :  secundi  longio- 
rem  :  tertii  continuam.  De  primo  dicitur 
ad  David,  I  Reg,,  XXI  :  «  Si  pueri  mundi 
sunt  maxime  a  mulieribus,  manducent,  » 
scilicet  panem  sanctum.  Respondil  David  : 
«  Si  de  mulieribus  agitur,  continuimns  nos 


SUR    LE    SACREMENT    DE    L'AUTEL.  527 

pondit:  «  S'il  est  question  des  femmes,  nous  nous  en  sommes  abstenus 
depuis  hier  et  avant-hier.  »  Le  prêtre  leur  donna  donc  le  pain  saiirii- 
fié.  On  lit  dans  l'Exode ,  ch.  XIX  :  «  Le  Seigneur  descendit  en  pré- 
sence de  tout  le  peuple  sur  le  mont  Sinaï ,  et  il  le  fit  au  milieu  des 
éclairs  dans  l'épaisseur  des  nuages  :  Soyez  donc  prêts  pour  le  troi- 
sième jour  et  ne  vous  approchez  point  de  vos  épouses.  »  Si  pour  la  li- 
gure on  a  gardé  une  telle  continence,  à  combien  plus  forte  raison  est- 
on  obligé  de  la  garder  pour  la  vérité  du  corps  de  Jésus-Christ.  Quant 
à  la  seconde,  il  est  écrit  au  livre  du  Lévitique,  chap.  XIII  :  «  L'homme 
qui  aura  été  lépreux,  ou  qui  aura  éprouvé  une  perte  de  sang;  »  c'est- 
à-dire,  celui  qui  aura  péché  par  l'incontinence  de  la  chair,  «  ne 
mangera  pas  de  ce  qui  aura  été  sanctifié  pour  moi  jusqu'à  ce  qu'il 
soit  guéri  par  la  pénitence.  »  C'est  pour  cette  raison  que  l'on  a  établi 
quarante  jours  de  pénitence  avant  Pâques  ;  afin  qu'après  les  avoir  pas- 
sés dans  les  jeûnes,  la  prière,  la  continence  et  les  autres  bonnes 
œuvres,  les  pénitents  puissent  alors  communier  avec  les  autres  bons 
chrétiens.  C'est  ce  qui  fait  que  saint  Augustin  expliquant  les  paroles 
suivantes,  I  Cor.,  chap.  XI  :  «  Si  nous  nous  jugions  nous-mêmes,  etc.  » 
s'exprime  comme  il  suit  :  «  L'esprit  du  pénitent  doit  prononcer  contre 
lui-même  une  sentence  telle ,  qu'il  se  juge  indigne  de  participer  au 
corps,  au  sang  du  Seigneur;  de  manière  qu'en  vertu  de  la  discipline 
ecclésiastique  il  soit  séparé  pour  un  temps  du  sacrement  du  pain  cé- 
leste. Celui-là  le  reçoit  en  effet  indignement,  qui  le  reçoit  lorsqu'il 
devroit  faire  pénitence  ;  c'est-à-dire,  quand  il  commence.  Il  faut  donc 
d'abord  se  juger  soi-même,  afin  qu'après  s'être  jugé,  on  ne  le  soit  pas 
par  le  Seigneur.  »  Quant  à  la  troisième,  savoir  la  continence  perpétuelle 
et  éternelle,  c'est-à-dire,  la  chasteté  complète  et  perpétuelle  qu'il  faut 
garder,  on  lit  dans  le  Lévitique,  chap.  XXI  :  «Les 'prêtres  seront 
saints  pour  le  Seigneur ,  et  ils  ne  souilleront  point  son  nom  ;  car  ils 


al)  heri  et  nudius  tertius.  »  Dédit  ergo  eis 
sacerdos  sanctificatum  panem.  Exod., 
XIX  :  «  Descendit  Dominus  coram  omui 
plèbe  super  montem  Sinai,  scilicet  in  igné, 
et  nubis  caligine.  Estbte  ergo  parati  in 
diem  tertium,  et  ne  appropinquetis  uxori- 
bus  vestris.  »  Si  talis  continentia  servata 
est  ad  figuram,  quanto  magis  servanda  est 
ad  corporis  Christi  veritatem  ?  De  secundo, 
Levil.,  XIII  :  «  Homo  qui  fuerii  leprosus, 
aut  patiens  fluxuin  seminis,  »  id  est,  pec- 
cans  per  incontinentiam  carnis,  «  non  ves- 
cetur  de  his,  qua;  sanctificata  sunt  mihi, 
donec  sanetur,  scilicet  per  pœnitentiam.  » 
Hinc  statuti  sunt  ante  Pascba  quadraginta 
dies  pœnitentiœ,  ut  hisperactisinjejuniis, 
et  orationibus,   et  continentia,  et  bonis 


operibus,  tune  possint  communicare  pœni- 
tentes  cum  aliis  bonis  Christianis.  Hinc  su- 
per illud,  F  Corinth.,  II  :  «  Si  nosmetipsos 
dijudicaremus,  »  etc.,  dicit  Augustin»*  : 
«  Ab  ipsa  mente  pœnitentis  talis  sententia 
proferatur,  ut  seindignum  judicet  partici- 
patione  corporis  et  sanguinis  Doraini ,  ut 
ad  tempus  per  ecclesiasticam  discipliiiam 
a  sacramento  cœlestis  panis  separetur.  In- 
digne enim  accipit ,  si  tune  accipit  cum 
débet  agere  pœnitentiam ,  id  est,  qtuutdo 
incipit.  Ergo  se  prius  judicet,  ut  a  se  judi- 
catus  non  judicetur  a  Domino.  »  De  ter- 
tio, scilicet  de  continentia  continua  et 
sempiterna,  scilicet  omnimodam  et  perpe- 
tuam  castitatem  conservare.  Levit.,  XXI  : 
«  Sacerdotes  sancti  erunt  Domino  suu  .  .1 


528  OPUSCULE    LVH,    CHAPITRE    16. 

offrent  l'encens  du  Seigneur  et  les  pains  de  leur  Dieu,  c'est  pourquoi 
ils  seront  saints.  »  Bède  dit  :  «  Si  les  prêtres  de  l' Ancien-Testament 
qui  dévoient  entrer  dans  le  temple  pour  y  offrir  des  victimes  suivant 
l'ordre  de  leur  fonction,  étoient  tenus  de  s'abstenir  de  leurs  épouses,  a 
combien  plus  forte  raison,  nos  prêtres  qui  doivent  toujours  être  prêts 
à  consacrer  le  corps  sacré  du  Seigneur,  sont-ils  tenus  de  garder  une 
continence  perpétuelle  et  absolue?  » 

Le  deuxième  moyen  de  se  préparer,  c'est  d'imiter  l'exemple  des 
pères,  figuré  par  la  chaussure  de  leurs  pieds.  Saint  Grégoire  dit: 
«  Avoir  sa  chaussure  à  ses  pieds,  c'est  contempler  la  vie  des  pères  qui 
ne  sont  plus,  et  préserver  nos  pas  des  blessures  du  péché.  »  On  lit  au 
livre  des  Cantiques,  chap.  YII  :  «  Que  vos  démarches  sont  belles,  ô  fille 
du  Prince!  »  à  cause  de  V agrément  de  votre  chaussure;  les  démarches 
expriment  les  progrès  faits;  à  cause  de  la  chaussure,  c'est-à-dire  à 
cause  de  l'observation  attentive  de  la  vie  des  pères. 

Le  troisième  moyen  de  se  préparer,  consiste  dans  sa  propre  correc- 
tion, figurée  par  le  bâton  que  les  pères  tenoient  à  leurs  mains.  Le  bâ- 
ton signifie  la  rectitude  de  justice  avec  laquelle  nous  devons  juger 
nous-mêmes  nos  excès  avant  de  communier.  On  lit,  Ps.  XLIV  :  «  Le 
sceptre  de  votre  règne  sera  un  sceptre  de  rectitude  et  d'équité.  » 
Ps.  II  :  «Embrassez  étroitement  la  discipline,  etc.  »  I  Cor.,  chap.  XI  : 
«  Celui  qui  mange  et  boit  indignement,  etc.  Que  si  nous  nous  jugions 
nous-mêmes,  etc.  »  Saint  Augustin  s'exprime  sur  ce  point  comme  il 
suit  :  «  Montez  ici  sur  le  tribunal  de  votre  esprit  contre  vous-même, 
et  ayant  établi  un  jugement  dans  votre  cœur ,  que  votre  pensée  soit 
l'accusateur,  votre  conscience  le  témoin,  et  la  crainte  du  Seigneur  le 
bourreau,  ce  qui  fait  que  le  sang  de  l'âme  de  celui  qui  s'avoue  coupable 
coule  pour  ainsi  dire  par  les  larmes ,  et  ainsi  la  vengeance  divine  est 
arrêtée  dans  son  cours,  lorsque  l'aveu  et  le  châtiment  surpassent  ce 


non  polluent  nomen  ejus.  »  Incensumenim 
Domini,  et  panes  Dei  sui  offerunt  ;  et  ideo 
sancti  erunt.  Beda  :  «  Si  vetens  testamenti 
sacerdotes  secundum  ordinem  vicis  suse, 
intraturi  templum  ad  off'erendas  légales 
hostias,  a  propriis  uxoribus  oportuit  absti- 
nere,  quanto  magis  nostri  sacerdotes,  quos 
ad  consecrandum  sacrosanctum  corpus  Do- 
mini paratos  sernper  esse  oportet,  et  con- 
tinuam,  et  sempiternam  semper  debent 
castitatem  conservare  ?  »  Secundum  prae- 
parativum  est  exemplorum  patrum  custo- 
dia  per  calceamenta  pedum  figurata.  Gre- 
gorius  :  «  Calceamenta  in  pedibus  habere, 
est  mortuorum  patrum  vitam  aspicere,  et 
nostra  vestigia  a  peccati  vulnere  custo- 
dire.  »  Cunt.,  VII  :  «  Quam  pulchri  surit 
gressus  tui  in  calceamentis,  filia  principis  !» 


gressus  sunt  profectus  operum  in  calcea- 
mentis, id  est ,  in  consideratione  vitae  pa- 
trum. Tertium  praeparativum  est  correc- 
tionis  disciplina  in  baculis  manuum  ligu- 
rata.  Baculus  enim  significat  rectitudinem 
justitiae,  qua  debémus  nosmetipsos  de 
nostris  excessibus  ante  communionem  ju- 
dicare.  Psalrn.  XLIV  :  «  Virga  directionis, 
virga  regni  tui,  etc.  Apprchendite  discipli- 
nam,  »  etc.  I  Corinth.,  II  :  «  Qui  manducat 
et  bibit  indigne,  quod  si  nosmetipsos  diju- 
dicaremus,  »  etc.  Augustinus  :  «  Ascendas 
hic  adversus  te  tribunal  mentis  tuœ,et 
constituto  in  corde  judicio  adsit  accusatrix 
cogitatio,  et  testis  conscientia,  et  carnifex 
timor  Domini,  inde  quidam  sanguis  animée 
conûtentis  per  lacrymas  profluat,  et  sic 
cessât  vindicta  divina,  cum  confessio   et 


/ 


SUR  LE   SACREMENT   DE   l'àUTEL.  529 

qu'il  y  a  d'humain,  et  par  ce  moyeu  l'homme  se  rend  digne  de  rece- 
voir présentement  le  corps  de  Jésus-Christ  dans  le  Sacrement  et  de 
jouir  de  lui  d'une  manière  parfaite  dans  la  vie  future.  »  Il  est  écrit  de 
la  première  de  ces  choses  au  Deutéronome,  chap.  VIII  :  a  Le  Seigneur 
vous  a  affligé  parla  détresse,  et  il  vous  a  donné  la  manne  pour  nour- 
riture ;  ce  que  vous  ignoriez.  »  Il  vous  a  affligé,  c'est-à-dire,  il  a  fait 
que  vous  vous  affligeassiez  et  que  vous  vous  corrigeassiez  ;  par  la  dé- 
tresse, c'est-à-dire  par  le  châtiment  de  votre  volonté  et  par  la  priva- 
tion de  ce  qui  vous  délectoit,  et  alors  il  vous  a  donné  le  pain  céleste 
de  son  corps.  Il  est  dit  de  la  seconde,  Héb.,  chap.  XII  :  «  Or  tout  châti- 
ment, lorsqu'on  le  reçoit,  semble  être  un  sujet  de  tristesse  et  non  de 
joie  ;  »  mais  ensuite  il  fait  recueillir  en  paix  les  fruits  de  la  justice  à 
ceux  qui  auront  été  ainsi  exercés. 

La  mandu^aUonjpirituelle  peut  pareillement  être  un  moyen  de  se 
préparerli  recevoir  le~corps— du  Seigneur ,  en  tant  que  ceux  qui  sont 
parfaits  le  mangent  par  le  moyen  de  la  rjaéolitation.  Nous  traiterons 
de  ce  moyen  dans  le  dix-neuvième  discours,  et  avant  etau  milieu  de  ce 
même  discours. 


correctio  praecedit  humana  ,  et  sic  homo 
dignus  erit  ad  sumendum  corpus  Christi 
nunc  in  sacramento ,  et  perfecta  fruitione 
in  futuro.  »  De  primo,  Beuteronom.,  VIII  : 
«  Afflixit  te  Dominus  penuria,  et  dédit  tibi 
cibum  Manna,  quod  ignorabas  :  »  afflixit 
te,  id  est,  fecit  ut  affligeres  et  corrigeres  : 
penuria,  id  est,  pœna  voluntatis  tuae,  et  vo- 
luptatis  carentia,  et  tune  dédit  tibi  cœles- 
tem  panem  corporis  sui.  De  secundo ,  ad 


Hebr,,*X\\  :  «  Omnis  disciplina  in  prœsenti 
non  videtur  gaudii,  sed  mœroris  :  »  postea 
autem  fructum  pacatissimum  exercitatis 
per  eam  reddet  justitiœ.  Item,  praeparati- 
vum  ad  corpus  Domini  suscipiendum  esse 
potest  manducatio  spiritualis  :  secundum 
quod  perfecti  manducant  ratione  medita- 
tionis  devotae,  de  quo  infra  sermone  deci- 
mo  nono  ante  médium,  et  in  medio. 


FIN  DU  CINQUIÈME   VOLUME. 


V. 


34 


\ 


TABLE 


MATIÈRES  CONTENUES  DANS  LE  CINQUIÈME  VOLUME. 


OPUSCULE  XLII. 

1 

De  saint  Thomas,  sur  les  puissances  de  l'amk. 

Chapitre  premier.  —  Combien  il  y  a  d'aines  ,  combien  de  degrés  d'êtres  vivants, 

combien  de  genres  de  puissances  de  l'ame ,  et  d'abord  dé  l'ame  végétative.       page  1 

Chap.  II.  —  De  l'ame  végétative  et  de  ses  puissances.  5 

Chap.  III.  —  De  la  puissance  sensitive  et  des  cinq  sens  extérieurs.  7 

Chap.  IV.  —  Des  quatre  puissances  sensitives  intérieures  suivant  leurs  natures.  10 

Chap.  V.  —  De  la  vertu  motive  sensitive  de  l'animal.  16 

Chap.  VI.  —  De  la  puissance  intellective.  18 

Chap.  VII.  —  De  la  volonté  et  du  libre  arbitre  qui  sont  une  même  chose.  25 
Chap.  VIII.  —  Dans  quelles  puissances  de  l'ame  se  trouve  le  péché ,  et  quelles 

sont  celles  où  il  n'est  pas.  27 

OPUSCULE  XLIII. 

DU     MÊME    DOCTEUR,     SU»    LE    TEMPS. 

Chapitre  premier.  —  Le  temps  a  l'être  en  dehors  de  la  matière.  81 

Chap.  II.  —  Le  temps  n'est  pas  un  mouvement,  mais  quelque  chose  du  mouve- 
ment. 38 

Chap.  III.  —  Quelles  sont  les  choses  qui  sont  mesurées  par  le  temps  et  celles  qui 
ne  le  sont  pas.  *3 

Chap.  IV.  —  De  la  différence  de  l'éternité,  de  Yœvum  et  du  temps;  ce  que  c'est 
que  chacune  de  ces  choses. 


M 


OPUSCULE  XLIV. 

DU  MÊME  DOCTEUR  ,   SUR  LA  PLURALITÉ  DES  FORMES.  ** 


OPUSCULE  XLV. 

Di  saint  Thomas,  commençant  par  ces  mots,  Postquam  de  principiis. 

OPUSCULE  XLVI. 

Du  même  docteur,  sur  la  nature  des  syllogismes. 


ss 


ibid. 


\ 


532  TABLE   DES   MATIÈRES 

OPUSCULE  XLVII. 

StJR   LA   SOMME   DE  TOUTE   LA  LOGIQUE   D'ARISTOTE. 

Chapitre  premier.  —  Ce  que  c'est  que  l'universel,  et  d'où  il  tire  son  origine.  102 
Chap.  II.  —  Ce  que  c'est  que  le  genre,  et  d'où  il  tire  son  origine.  104 
Chap.  III.  —  Ce  que  c'est  que  l'espèce,  et  d'où  elle  tire  son  origine.  108 
Cum>.  IV.  —  De  l'origine  de  la  différence ,  et  ce  que  c'est  suivant  la  chose  et  l'in- 
tention. 110 
■ 

Chap.  V.  —  Du  genre  le  plus  général  et  du  genre  subalterne  ;  un  être  ne  peut  pas 
être  genre.  115 

Chap.  VI.  —  De  l'origine  du  propre,  et  comment  il  se  trouve  dans  tout  individu 
de  l'espèce  et  toujours.  118 

Chap.  VII.  —  Le  propre  est  inhérent  à  la  seule  espèce,  et  se  dit  d'elle  récipro- 
quement. 122 

Chap.  VIII.  —  De  l'origine  de  l'accident  et  exposition  de  sa  cause.  124 

TRAITÉ  II. 

DU  MÊME   DOCTEUR,   DES   PRÉDICAMENTS. 

Chapitre  premier.  —  Des  divers  modes  de  prédication.  128 

Chap.  LI.  —  Ce  que  c'est  que  la  substance  suivant  l'intention  logique.  133 
Chap.  III.  —  De  la  première  et  de  la  seconde  substance  ;  ce  que  c'est;  de  l'ordre 

de  la  substance.  137 
Chap.  IV. —  La  substance  ne  reçoit  point  la  contrariété,  ni  le  plus  et  le  moins,  quoi- 

.    qu'elle  soit  sujet  de  l'un  et  de  l'autre  par  le  changement  qui  s'opère  en  elle.  140 

TRAITÉ  III. 

DU  PRÉDICAMENT  DE  LA   QUANTITÉ. 

Chapitre  premier.  —  Du  nombre  qui  est  une  quantité  discrète.  147 

Chap.  II.  —  De  la  seconde  espèce  de  la  quantité  discrète,  c'est-à-dire  du  langage.  150 

Chap.  III.  — Delà  quantité  continue  en  commun  suivant  l'intention  logique.  152 
Chap.  IV.  —  De  la  quantité  qui  a  u.ie  position,  et  de  ce  qui  est  requis  par  rapport 

à  cette  position.  153 
Chap.  V. —  Des  espèces  de  la  quantité  continue,  et  d'abord  de  la  ligue.  154 
Chap.  VI.  —  Du  lieu  qui  est  une  espèce  de  la  quantité  continue.  157 
Chap.  VII.  —  Du  temps,  comment  c'est  une  quantité  successive.  158 
Chap.  VIII.  —  Que  la  quantité  ne  reçoit  ni  le  plus,  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  con- 
trariété ,  mais  une  chose  est  dite  égale  ou  inégale  à  une  autre  suivant  l'être.  166 

TRAITÉ  IV. 

Du   PRÉDICAMENT   DE  LA   QUALITÉ. 

Chapitre  premier.  —  Ce  que  c'est  que  la  qualité  en  général.  163 

Chap.  II.  —  De  la  première  espèce  de  qualité,  qui  est  l'habitude  et  la  disposition.     164 
Chap.  III.  —  De  la  seconde  espèce  de  la  qualité,  qui  est  la  puissance  ou  l'impuis- 
sance naturelle.  166 
Chap.  IV.  —  De  la  troisième  espèce  de  la  qualité,  qui  est  la  passion  ou  la  qualité 

passible.  168 

Chap.  V.  —  De  la  quatrième  espèce  de  la  qualité  ,  qui  est  la  forme ,  ou  la  figure 
constante  dans  une  chose.  170 


189 


DU   CINQUIÈME   VOLUME.  533 

Chap.  VI.  —  De  la  qualité  et  des  conditions  d'après  ses  trois  modes.  172 

Chap.  VII.  —  Des  communautés  et  des  propriétés  de  la  qualité.  173 

TRAITÉ  Y. 

DO  PRÉDICÀMENT   AD   ALIQUID. 

Chapitre  premier.  —  Ce  qu'est  ad  aliquid,  suivant  l'intention  logique.  174 

Chap.  II.  —  De  la  seconde  définition  des  relatifs  qui  convient  aux  relatifs  suivant 

l'être,  et  aux  relatifs  réels.  17G 

Chap.  III.  —  Que  la  relation  ne  diffère  de  son  fondement  que  par  la  réalité  extrin- 
sèque. 178 
Chap.  IV.  —  Que  l'entité  des  relatifs  se  tire  des  fondements.  179 
Chap.  V.  —  Des  communautés  et  des  propriétés  des  relatifs.  180 
Chap.  VI.  —  Des  six  autres  prédicaments  et  de  leur  prédication  en  commun.  181 
Chap.  VII.  —  Ce  que  c'est  que   l'action  suivant  la  raison  prédicamentale  dans  les 

deux  opinions.  1 84 

Chap.  VIII.  —  Quelle  est  l'action  qui  reçoit  le  plus  et  le  moins  avec  la  contrariété, 

quelle  est  celle  qui  ne  reçoit  rien  de  cela.  187 

Chap.  IX.  —  Le  propre  de  l'action  est  de  produire  la  passion  par  soi.  188 

Chapitre  premier.  —  Ce  que  c'est  que  la  passion  formellement ,  comme  prédi- 

cament.  *^«d- 

Chap.  II.  —  Que  la  dénomination  de  la  passion  se  fait  formellement  ab  extrin- 

seco. 
Chapitre  pemier.  —  Ce  que  c'est  que  le  prédicameut  quando ,  c'est  le  temps  en 

tant  qu'il  dénomme  une   chose  temporelle ,  ou  le  rapport  du  temps  aux  choses 

temporelles  qu'il  mesure.  10° 

Chap.  II.  —  Que  quando  n'est  pas  le  rapport  de  la  chose  mesurée  au  temps,  mais 

tout  le  contraire.  '(J'* 

Chap.  III.  —  Que  quando  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  contraire, 

qu'il  se  trouve  dans  tout  ce  qui  commence  d'être.  195 

TRAITÉ  VI. 

^  De  ubi. 

Chapitre  premier.  —  Du  prédicament  ubi,  ce  que  c'est  formellement,  et  en  quoi  il 

se  trouve  subjectivement. 
Chap.  II.  —  Ubi  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins ,  il  n'a  pas  la  contrariété     cl  se 

trouve  dans  le  corps  terminé  par  une  surface. 

TRAITÉ  VII. 

De  la  position. 

Chapitre  premier.  —  Du  prédicament  de  position  ;  est-il  quelque  chose  suivant  la 
raison  formelle. 

Chap.  II.  —  La  position  est  la  dénomination  ou  le  rapport  tiré  des  parties  du  lieu  a 
raison  des  parties  de  la  chose  localisée. 

Chap.  III.  —  La  situation  ne  reçoit  ni  le  plus  ni  le  moins,  et  n'a  pas  de  contra- 
riété :  ce  qui  lui  est  propre ,  c'est  d'assister  à  la  substance  d'une  manière  pro- 
chaine. 

TRAITÉ  VIII. 

De  l'habitude. 

Chapitre  premier.  -  De  Vhabitus  en  tant  que  prédicament ,  ce  que  c'est    formel- 
lement. 
Chap.  II.  —  h'lutbitus  peut  se  fonder  immédiatement  dans  la  substance. 


19» 

201 


203 
205 

206 


207 
209 


534  TABLE   DES   MATIÈRES 

Chap.  III.  —  h'habitus  reçoit  le  plus  ou  le  moins,  mais  non  tout  habitus,  il  n'a  pas 
la  contrariété.  212 

Chap.  IV.  —  Le  propre  de  Vhabitus  est  d'exister  tant  dans  le  corps  que  dans  ce 
qui  enveloppe  le  corps  suivant  la  division  des  parties.  214 

TRAITÉ  IX. 

De  l'interprétation  ou  énonciation. 

Chapitre  premier.  —  Ce  que  c'est  que  le  nom  suivant  l'intention  logique.  216 

Chap.  II.  —  Ce  que  c'est  formellement  que  le  Verbe  suivant  la  description  logique.  220 

Chap.  II!.  —  Ce  que  c'est  que  le  discours,  et  quelles  sont  les  espèces.  222 

Chap.  IV.  —  Ce  que  c'est  que  renonciation,  ce  que  c'est  que  le  vrai  et  le  faux.  224 

Chap.  V.  —  La  vérité  et  la  fausseté  ne  sont  que  dans  l'énonciation ,  et  pourquoi  ?  226 

Chap.  VI. —  De  renonciation  catégorique,  hypothétique,  affirmative  et  négative.  229 
Chap.  VII.  —  De  la  quantité  des  propositions  catégoriques  sur  V inesse,  savoir  de 

l'universelle,  de  la  particulière,  de  l'indéfinie  et  de  la  singulière.  232 
Chap.  VIII.  —  De  l'opposition  des  propositions  catégoriques  existant  en   figure, 

relativement  aux  énonciations  de  inesse.  235 

Chap.  IX.  —  Des  équipollences  des  énonciations  catégoriques  de  inesse.  238 
Chap.  X.  —  Comment  les  énonciations  catégoriques   de  inesse  se  rapportent  à  la 

vérité  et  à  la  fausseté.  241 

Chap.  XI.  —  Ce  que  c'est  que  la  proposition  modale,  et  de  sa  quantité.  244 
Chap.  XII.  —  De  la  qualité  des  propositions  modales  quant  à  l'affirmation  et  à  la 

négation.      -  247 

Chap.  XIII.  —  De  l'opposition  et  de  l'équipollence  des  énonciations  modales.  268 

Chap.  XIV.  —  De  renonciation  hypothétique  et  de  ses  trois  espèces.  252 

TRAITÉ  X. 

DO  SYLLOGISME  SIMPL1CITER. 

Chapitre  premier. —  Ce  que  c'est  que  le  syllogisme,  ce  qui  doit  entrer  dans  sa  con- 
stitution. 256 
Chap.  II.  —  De  la  conversion  des  propositions  de  inesse  et  de  ses  espèces.  260 
Chap.  III.  — Des  conversions  des  propositions  modales  et  de  leur  différent  mode.  264 
Chap.  IV.  —  Des  syllogismes  osfensifs  de  inesse  relativement  au  mode  et  au  signe.  268 
Chap.  V.  —  Des  syllogismes  inutiles  dans  toute  figure.  273 
Chap.  VI.  —  Des  syllogismes  de  la  première   figure  concluant  directement,  et  des 

syllogismes  de  la  seconde  figure.  275 

Chap.  VIL  —  Des  syllogismes  de  la  troisième  figure  et  de  la  réduction  de  tous  les 

syllogismes  aux  deux  premiers  modes  de  la  première  figure.  280 

Chap.  VIII.  —  Des  syllogismes  à  conclusion  indirecte  et  de  leur  réduction.  283 

Chap.  IX.  —  De  l'invention  du  moyen  terme  pour  les  syllogismes  de  toutes  les 

figures,  tant  affirmatifs  que  négatifs.  287 

Chap.  X.  —  De  la  différence  qui  existe  entre  le  syllogisme  ad  impossibile  et  le  syllo- 
gisme ostensif.  291 
Chap.  XL  —  Dans  quels  modes  et  dans  quelles  figures  se  font  les  syllogismes  ad 

impossibile.  292 

Chap.  XII.  —  Comment  les  syllogismes  ad  impossibile  se  ramènent  aux  syllogismes 

ostensifs.  296 

Chap.  XIII.  —  Des  syllogismes  à  propositions  modales,  relativement  aux  proposi- 
tions de  necessario.  299 
Chap.  XIV.  —  Des  syllogismes  contingents.                                                                 303 
Chap.  XV.  —  De  la  combinaison  du  contingent  et  du  nécessaire  dans  trois  figures 

de  syllogisme.  308 

Chap.  XVI.  —  Des  syllogismes  conditionnels  des  propositions  simples.  311 


DU   CINQUIÈME   VOLUME.  535 

Chap.  XVII.  —  Des  syllogismes  conditionnels  avec  des  propositions  hypothétiques 
composées.  3^3 

Chap.  XVIII.  —  Des  syllogismes  disjonctifs  et  des  propositions  réduplicatives,  de  la 
conversion  par  comparaison.  317 

TRAITÉ  XI. 

DU    MÊME   ACTEUR  ,   DU  SYLLOGISME  DÉMONSTRATIF. 

Chapitre  premier.  —  Ce  que  c'est  que  le  syllogisme  démonstratif.  321 

Chap.  II. —  Ce  que  c'est  que  dici  de  omni  premièrement  de  soi,  ou  universellement.  322 
Chap.  III.  —  Que  la  démonstration  procède  de  choses  vraies  et  nécessaires.  325 

Chap.  IV.  —  Que  la  démonstration  procède  de  prémices  où  elle  se  trouve  per  se  et 

non  per  accidens.  32t; 

Chap.  V.  —  Que  la  démonstration  procède  de  choses  premières  et  immédiates.  328 

Chap.  VI.  — Que  la  démonstration  procède  de  choses  propies,  et  non  d'étrangères 

ni  de  communes.  329 

Chap.  Vil.  —  Que  la  démonstration  procède  de  choses  connues  par  elles-mêmes.  33/» 
Chap.  VIII.  —  Que  la  démonstration  procède  des  causes  de  la  conclusion.  330 

Chap.  IX.  —  Que  la  démonstration  principale  affirmative  ne  se  fait  que  dans  la  pre- 
mière figure  et  dans  son  premier  mode.  339 
Chap.  X.  —  Que  la  démonstration  principale  négative  doit  se  faire  dans  le  second 

mode  de  la  seconde  figure.  Ml 

Chap.  XI.  —  Que  la  démonstration  quia  procède  de  l'effet  de  la  cause,  ou  des  causes 

éloignées  à  l'effet.  344 

Chap.  XII.  —  Que  dans  une  démonstration  il  ^  a  quelque  chose  de  connu  avant  la 

conclusion,  et  quelque  chose  après  que  la  démonstration  est  faite.  347 

Chap.  XIII.  —  Que  la  science  qui  procède  par  la  cause  et  qui  dit  la  forme  est  plus 

certaine  que  celle  qui  procède  par  l'effet  et  dit  la  matière.  351 

Chap.  XIV.  —  Que  l'unité  formelle  de  la  science  se  tire  de  l'unité  formelle  du  sujet 

suivant  la  nature  de  l'objet  de  la  science.  353 

OPUSCULE  XLYIII. 

Du  sens  par  rapport  aux  choses  singulières,  et  de  l'intellect  par  rapport 

AUX  UNIVERSELLES.  "*■>»■ 

OPUSCULE  XLÏX. 

DU  MÊME   DOCTEUR  ,   DE   L'INVENTION   DU  MOYEN  TERME.  3^8 

OPUSCULE  L. 

DU  MÊME  DOCTEUR  ,   DE  LA  NATURE  DE  LA  LUMD2RE. 

OPUSCULE  LI. 

DU  MÊME  AUTEUR  ,  DE  LA  NATURE  DU  LIEU. 

OPUSCULE  LU.  ] 

Du  MÊME  AUTEUR  ,  SUR  L'INTELLECT  ET  L'INTELLIGIBLE. 

OPUSCULE  LUI. 

DU  MÊME  DOCTEUR  ,  DE  QUO  EST  ET  QUOD  EST. 


■       362 


3ti8 


380 


388 


536  TABLE   DES   MATIÈRES   DU   CINQUIÈME   VOLUME. 

OPUSCULE  LIV. 

DU   MÊME   DOCTEUR.    SUR   LES   UMVERSAUX.  :{<)., 

OPUSCULE  LV. 

Second  traité  sur  les  umversai  \.  ;o'i 

OPUSCULE  LVI. 

1)1     Ml  Mi:    DOCTEUR.    OFFICE    DE    LA    FETE    DU    CORPS   DE    JÉSUS-CHRIST,    COMPOSE    SUR   LORDRE 

du  pape  Urbain  IV,  qui  a  établi  cette  fête.  ,',1<; 

OPUSCULE  LVII. 

Dp  même  docteur,  sur  le  sacrement  adorable  de  l'autel. 

Chapitre  premier.  —  Des  trois  causes  de  l'institution  du  sacrement  du  corps  du 
Sauveur.  «  435 

Chap.  IL  —  La  première  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement,  c'est  le  souvenir  du 
Sauveur,  en  lui-même,  et  la  préparation  à  son  jugement.  443 

Chap.  III.  —  De  la  seconde  cause  de  l'institution  du  sacrement  de  l'Eucharistie  ,  à 
savoir  du  sacrifice  de  l'autel.  ,',/,s 

Chap.  IV.  —  Troisième  observation  à  faire  sur  le  sacrifice  ,  ou  excellence  de  notre 
sacrifice.  45s 

Chap.  V  —  Troisième  cause  de  l'institution  de  ce  sacrement;  c'est  la  nourriture 
de  l'homme.  460 

Chap.  VI.  —  Des  deux  autres  raisons  pour  lesquelles  le  Christ  nous  donne  son  corps 
en  aliment.  4Gf> 

Chap.  VIL  —  De  la  forme  de  la  donation ,  c'est-à-dire  quelle  est  la  cause  pour  la- 
quelle il  nous  donne  ce  sacrement  voilé.  471 

Chap.  VIII.  —  Des  deux  autres  raisons  pour  lesquelles  nous  recevons  le  corps  de  Jé- 
sus-Christ sous  un  voile.  .',77 

Chap.  IX.  —  De  la  forme  du  don,  qui  nous  est  fait  sous  l'espèce  du  pain.  482 

Chap.  X.  De  la  forme  du  don  nui  nous  est  fait  sous  l'espèce  du  pain  de  froment.        487 

Chap.  XL  —  Des  trois  merveilles  qui  s'opèrent  dans  la  consécration.  492 

Chap.  XII.  —  Du  troisième  miracle  qui  s'opère  dans  la  consécration.  499 

Chap.  XIII.  —  Des  trois  merveilles  que  l'on  doit  considérer  dans  la  possession  du 
corps  de  Jésus-Christ.  50 '1 

Chap.  XIV.  —  Des  trois  merveilles  qui  s'opèrent  dans  la  perception  du  corps  de 
Jésus^Christ.  510 

Chap.  XV.  —  Qualités  de  la  préparation  requise  de  nous  pour  recevoir  le  sa- 
crement. 510 

Chap.  XVI.  —  De  notre  préparation  à  un  troisième  point  de  vue ,  ou  en  tant  que 
l'agneau  pascal  est  la  figure  du  sacrement  eucharistique.  523 


FIN   DE   LA  TABLE  DES  MATIÈRES  DU  CINQUIÈME    VOLUME. 


BESANÇON,  TYPOGRAPHIE  D  ODTHENIN-CHALANDRE   FILS. 


THOMAS  AQUIHAS,  St.  ^ 

Opuscules.  .JJk 

.F6 
v.5