OPUSCULES
DE
SAINT THOMAS D'AQUIN.
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BESANÇON, TYPOGRAPHIE D'OI'THENIN-CHALANDRE Fil *.
OPUSCULES
DE
SAINT THOMAS D'AOUIN
TRADUITS
I. VÉDRINE, Cirkd'Arsac-la-Poste.
I. BANDEL, Ciré de Saint-Sulpice-Ies-Feuilles,
M. F011RNET, (iI-rk dk IHaimiat.
TOME CINQUIEME.
EX U5*!*
ST, BAS! L'a ^uiIUlaSIICi
PARIS,"*
^=i&*l T~*a
LIBRAIRIE DE LOUIS VIVES, ÉDITEUR,
RUE CASSETTE, 23.
1858.
SFP 15 toft
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OPUSCULES
DE
SAINT THOMAS D'AOUIN.
OPUSCULE XLII.
DU MÊME DOCTEUR, SUR LES PUISSANCES DE i/AME.
CHAPITRE PREMIER.
Combien il y a cl' âmes , combien de degrés d'êtres vivants, combien de
genres de puissances de l'ame , et d'abord de l'ame végétative.
Pour mieux voir le secours accordé à l'homme et le progrès du
péché, nous allons faire quelques considérations sur l'ame et ses
puissances. Avant tout, il faut supposer avec Aristote, dans le livre II
de l'Ame, que l'ame est le premier principe de vie dans les choses
inférieures. Car nous appelons vives les choses animées, et non-vives
les choses inanimées. Cette vie, en effet, se manifeste par une double
opération, savoir par la connoissance et le mouvement. C'est pour-
quoi les philosophes ont recherché la nature de l'ame à l'aide de ces
deux choses. Mais je ne l'appelle le premier principe de la vie que
parce que , bien que un corps puisse être le principe d'une opération
vitale, comme l'œil de la vision, et le cœur d'une opération vitale, il
OPUSCULUM XLII.
EJUSDEM DOCTORIS, DE POTENTHS ANIMiE.
CAPUT PR1MUM.
Quoi sunt animœ , quot gradus vitentiujn,
quot gênera polentiarum animœ. Et primo
déterminai de vegelativa.
Ut adjutorium homini collatum et pro-
gressum peccati plenius videamus, de ani-
ma et ejus potentias aliquid consideremus.
In primis ergo oportet supponere eu m Phi-
losophe^ in II. De anima, quod anima est
V.
primum principium vitse in istis rébus in-
ferioribus. Animata enim viva dicimus ,
inanimata vero non viva. Ista enim vita
duplici operatione manifestatur, cognitione
scilicet et motu. Unde et Philosophus, ut
patet I. De anima, per ista duo animae na-
turam investigaverunt. Pro tanto autem
dico primum principium vitœ , quia licel
aliquod corpus possit esse principium vi-
talis operationis, ut oculus visionis et cor
2 OPUSCULE XLII, CHAPITRE \.
n'en est pas néanmoins le premier, parce que cela ne leur convient
pas en tant que corps, mais en tant que corps (Tune certaine façon,
c'est-à-dire corps vivants, qualité qu'ils tiennent del'ame, parce ce que
C^_qui est tel en acte tient cette qualité de quelque principe qui est son
acte. Donc l'ame qui est le premier principe de la vie, n'est pas un
corps, mais un acte du corps et quelque chose de plus élevé que le
corps. Or, il en est ainsi maintenant, suivant Aristote, dans le second
livre du Ciel et du Monde , que les choses infîmes dans les êtres ne
peuvent pas acquérir une bonté parfaite, mais elles en acquièrent une
imparfaite par un petit nombre de mouvements, tandis que les choses
supérieures acquièrent une bonté plus parfaite par un grand nombre
de mouvements; les choses encore supérieures acquièrent la bonté
parfaite par un petit nombre de mouvements. Enfin , la souveraine
perfection se trouve en ce qui possède parfaitement la bonté sans au-
cun mouvement. Comme donc la nature humaine est placée entre la
nature corporelle et la nature angélique , elle est ordonnée pour un
plus grand bien que la nature corporelle qui est ordonnée pour un
bien particulier quelconque, parce qu'elle est faite pour le même bien
que les anges, savoir le bonheur ; en conséquence elle a un plus grand
nombre de vertus et d'opérations que les êtres corporels qui sont or-
donnés pour un bien particulier, et que les anges qui l'excèdent dans
les choses naturelles. Il y a donc dans l'ame plusieurs puissances qui
lui ont été données pour acquérir la béatitude pour laquelle elle est
finalement ordonnée. Or, ces puissances sont distinguées parles puis-
sances et les objets, comme il est dit dans le second livre de l'Ame.
Car la puissance, en tant qu'elle est puissance, est ordonnée pour
l'acte, c'est pourquoi elle doit tirer le caractère de puissance de l'acte
pour lequel elle est ordonnée. D'où il résulte que lorsque le caractère
vitalis operationis, non tamen est primum, j bonitatem. Quia ergo natura humana est
quia hoc non convemt eis in quantum inter corporalem et angelicam naturam
sunt corpora, sed in quantum sunt talia constituta, ad majus bonum est ordinata,
corpora , scilicet viva , quod habent per quam natura corporalis, quse ordinatur ad
animam, quia quod est actu taie, hoc ha- aliquod particulare bonum, quia ad œquale
bet ab aliquo principio, quod est actus ! cum angelis, scilicet ad beatitudinem,
ejus. Anima ergo qua? est primum princi- j idcirco plures habet virtutes et operationes
pium vitae, non est corpus, sed actus cor- j quam corporalia quee ordinantur ad bonum
poris, et aliquid corpore altius. Nunc au- particulare, et quam angeli qui jam in na-
tem sic est secundum Philosophum, in II. ' turalibus excedunt. Sunt ergo in anima
Cœli et Muncli , quod ea quee sunt infîma < humana plures potentiae ad hoc ut conse-
in entibus, non possunt consequi perfectam qui possit beatitudinem, ad quam finaliter
bonitatern, sed aliquam imperfectam con- ! ordinatur. IsUe autem potentiae per actus
sequuntur paucis motibus. His vero supe- ! et objecta distinguuntur, ut dicitur II. De
riora consequuntur perfectiorem bonita- \ anima. Potentia enim secundum id quod
tem motibus multis, superiora vero bis ! est potentia , ordinatur ad actum , unde
perfectam adipiscuntur bonitatem motibus '' oportet rationem potentiœ accipere ex
paucis. Summa vero perfectio invenitur in ' actu ad quem ordinatur : unde ubi diver-
eo, qui absque allô motu perfecte possidet sificatur ratio actus, oportet quod diveisi-
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 3
de l'acte est diversifié, le caractère de la puissance doit l'être. Or, le
caractère de l'acte est diversifié suivant le caractère de l'objet, comme
il est dit au même endroit. En effet , l'acte de la puissance active est
comparé à l'objet comme à son terme et à sa fin , comme étant la
fin de l'action augmentative et le terme tout entier. L'acte, au con-
traire, de la puissance passive est comparé à l'objet comme au prin-
cipe des actes, comme la vue à la couleur; or, tout acte tire son
espèce du principe et de la fin. Il est donc évident que les puissances
de l'ame se distinguent par les actes et les objets. Comme donc vé-
géter, sentir et comprendre sont des actes différents par rapport aux
différents objets, parce que végéter est quantité par rapport à l'objet,
sensibilité qualité, et^ntelligence quiddité de la chose, il est clair que
l'ame possède trois genres de puissances en général , savoir la puis-
sance végétative, la puissance sensitive , et la puissance intellective.
Et qu'on ne cherche pas à savoir , pour le présent, si elles existent
dans uke seule espèce de l'ame ou dans plusieurs, parce que de quel-
que manière qu'on le dise, elles sont toujours dites d'une manière
quelconque puissances de l'ame humaine, parce que, quoique trois
substances, elles ne sont cependant pas trois âmes. Mais Aristote
semble être d'un sentiment différent, dans le livre II de l'Ame, où il
dit : « Nous appelons les puissances de l'ame puissances végétative,
sensitive, appétitive, motive quant au lieu , et intellective. » Mais il
ne faut pas s'en inquiéter, car, à proprement parler il y a trois âmes,
quatre modes de vivre et cinq genres de puissances de l'ame. En effet,
la diversité des âmes se lire de ce que l'opération de l'ame surpasse
l'opération de la nature corporelle. Car on juge que j'ame est plus ou
moins noble et plus ou moins pjirfaite, suivant que l'opération de
l'ajne-^st-pIûrs_oujnc>ins a^ejidâûteudu^corpj^ Or, l'ame raisonnable
ficetur ratio potentiœ, ratio autem actus
secundura diversam rationem objecti di-
versificatur , ut dicitur in eodem. Actus
enim potentise activre comparatur ad ob-
jecturn ut ad terrninum et finem ejus, ut
actionis augmentativae est finis, et termi-
nus est ipsum quantum. Actus autem po-
tentiee passives comparatur ad objectum ,
ut ad principium activum, ut visus ad co-
lorem; ex principio autem et fine omnis
actus recipit speciem. Patet ergo quod po-
tentiae animes distinguuntur per actus et
objecta. Quia ergo vegetare, sentire et in-
telligere sunt diversi actus respectu diver-
sorum objectorum , quia vegetare est
quanti ut objecti, et sensus qualis, iutel-
lectus autem quidditas rei , patet quod
anima habet tria gênera potentiarum in
generali, scilicet vegetativum , sensitivum
et inteUectivum. Nec ad pressens fiât vis,
utrum sint in una essentia animae , vel in
diversis , quia qualitercumque dicatur ,
semper aliquo modo dicuntur potentias
animas humanae, quia etsi sint très sub-
stantiae, non tamén très animse. Sed contra
hoc videtur esse Philosophus, II. De anima,
ubi dicit, potentias autem animse dicimus
vegetativum, sensitivum, appetitivum, mo-
tivum secundum locum et inteUectivum.
Sed istud non moveat nos, quia si volutnus
proprie loqui, très sunt animas et quatuor
modi vivendi , et qumque gênera poten-
tiarum animée. Diversitas enim animarum
accipitur secundum quod operatio animas
supergreditur operationem natures corpo-
ralis. Secundum enim quod operatio ipsius
animas magis aut minus dependet a cor-
pore , secundum hoc nobilior aut imper-
fectior anima judicatur. Anima autem ra-
tionalis in tantum excedit naturam corpo-
4 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 1.
excède la nature corporelle, par cela qu'elle exerce son opération
propre sans organe corporel. Mais l'ame sensible dépend davantage
de la matière corporelle, parce qu'elle ne peut exercer son opération
sans organe corporel ; néanmoins elle n'exerce pas cette opération au
moyen d'une qualité corporelle, d'où il suit que les sens n'exercent pas
leur action au moyen du chaud , de l'humide, du froid et du sec,
quoique ces qualités soient requises pour la composition ou la dispo-
sition de l'organe par le moyen duquel s'exerce l'opération. Quant à
l'ame végétative, elle est tellement plongée dans la matière qu'elle
exerce son opération corporelle par un organe et une qualité corpo-
relle. Elle excède néanmoins la nature corporelle en ce que elle est le
principe intrinsèque des opérations des êtres vivants, tandis que les
opérations des corps inanimés procèdent d'un principe intrinsèque.
Que l'opération de l'ame végétative s'opère par une qualité corporelle,
c'est ce que l'on voit, en propres termes, dans le livre second de
l'Ame, où il est dit, que la digestion et toutes les suites de la diges-
tion s'opèrent par le moyen de la chaleur régularisée par l'ame; c'est
donc par cette considération que les âmes sont distinguées. Pour les
modes de vivre, ils sont distingués suivant les divers degrés des êtres
vivants. En effet, il y a certaines choses qui n'ont que la vertu végé-
tative , comme les plantes ; il en est d'autres dans lesquelles avec la
force végétative se trouve la puissance sensitive sans mouvement,
comme les animaux imparfaits, les eoquillages et autres choses de
cette nature. Il en est d'autres qui à ces qualités ajoutent le mouve-
ment local , comme les animaux parfaits, tels que le cheval et autres
de ce genre. Il en est d'autres en qui se trouve l'intelligence , comme
dans les hommes, et par cette considération l'appétitif ne constitue
pas un degré d'êtres vivants, parce qu'il se trouve partout où se trouve
ralern, quod propriam operationem suam
exercet sine organo corporali. Anima au-
tem sensibilis dépendit a raateria corporali
plus, quia suam operationem exercere non
potest sine organo corporali , sed tamen
istam operationem non exercet , mediante
qualitate corporea, unde sensus suam ope-
rationem non exercet mediante calido, hu-
mido, frigido et sicco, licet istœ qualitates
requirantur ad compositionem, seu dispo-
sitionem organi, per quod operationem
suam exercet. Anima vero vegetabilis ita
est immersa materiœ , quod per organum
corporale et per qualitatem corpoream
suam operationem exercet. In hoc tamen
excedit naturam corporalem, quia est prin-
cipium intrinsecum operationum vivorum,
operationes vero corporum inanimatorum
sunt a principio extrinseco. Quod autem
operatio animée vegetativee fiât per quali-
tatem corpoream, aperte habetur II. De
anima, ut dicitur, quod digestio et omnia
quae digestionem consequuntur , fiunt vir-
tute caloris ab anima regulati; per hanc
ergo considerationem animae distinguuntur.
Modi vero vivendi distinguuntur secundum
gradus diversos viventium. Sunt enim
qusedam quae solum habent vegetativum,
ut planta) ; qusedam, in quibus cum vege-
tativo invenitur sensitivum tantum sine
motu, ut animalia imperfecta immobilia,
ut conchilia et hujusmodi. Alia sunt,
quae cum istis habent motum localem ,
ut animalia perfecta , ut equus et hu-
jusmodi. Alia sunt, in quibus invenitur
intellectus, ut in hominibus, et per istam
considerationem appetitivum non consti-
tuit aliquem gradum viventium , quia in
SUR LES PUISSANCES DE l'aaIE. 5
le sensitif, comme on voit dans le livre second de l'Ame. Mais si nous
considérons les genres des puissances , elles se trouvent distinguées
par la diversité des objets. En effet , moins la puissance a rapport à
un objet universel, plus elle est inférieure. C'est pourquoi le végétatif
se rapporte au corps uni, parce qu'il ne circule que par ce corps. Le
sensitif, au contraire , ne se rapporte pas seulement au corps uni,
mais à un corps sensible uni ou non. Pour l'intellectif, il se rapporte
généralement à tout être, par cela que tout être est intelligible. C'est
pourquoi la puissance végétative est inférieure, la puissance sensitive
supérieure, mais la puissance intellective suprême, et nous avons
ainsi trois puissances de l'ame prises suivant les rapports de l'union
des choses avec l'ame. Au contraire, suivant que l'ame est unie aux
choses, nous avons deux puissances, parce que suivant que l'ame est
inclinée à une chose extrinsèque , comme à sa fin, qui est le principe
dans l'intention '", ou trouve l'appétitif; le mobile, quant au lieu, se
reconnoît lorsque l'ame est inclinée vers une chose extérieurej comme
au terme de son opération et du mouvement. Nous allons parler
d'abord de l'ame et de la puissance végétative.
CHAPITRE II.
De l'ame végétative et de ses puissances.
Il faut d'abord remarquer que l'ame végétative est ainsi appelée
de^ége'ier_.oil^vivifœr. En effet, vivre se prend de deux manières,
comme il est dit dans le second livre de l'Ame. Premièrement, vivre
est l'acte premier de l'être vivant , et dans ce sens vryre^asi la même
chose que avoir la vie, ou être vivant, et ainsi vivre pour les vivants
c'est être, comme il est dit au second livre de l'Ame. Dans un autre
quibuscumque invenitur sensitivum, inve-
nitur appetitivum, ut patet in II. De ani'
ma. Si vero consideremus gênera potentia-
rum, sic distinguuntur secundum diversi-
tatem objectorum. Quanto enim potentia
respicit minus universale objectum , tanto
est inferior : unde vegetativum est respec-
tu corporis uniti, quia non currit, nisi
corpus sibi unitum. Sensitivum autem non
solum corpus sibi unitum, sed corpus sen-
sibile respicit sivc unitum , sive non. In-
tellectivum autem respicit omne ens gene-
raliter, eo quod omne ens est intelligibile ;
ideo inferior est potentia vegetativa , su-
perior sensitiva, sed suprema intellectiva ,
et sic habemus très potentias animœ ac-
ceptas secundum quod res eonjungitur ipsi
animte. Secundum vero quod e contrario
anima eonjungitur ipsis rébus , habemus
duas potentias , quia secundum quod ani-
ma inclinatur ad rem extrinsecam , ut ad
finem, qui est principium in intentione, ac-
cipitur appetitivum. Secundum vero, quod
inclinatur ad rem extra, ut in terminum
suae operationis et motus , accipitur moti-
vum secundum locum. De vegetativa ani-
ma et potentia prius considerandum est.
CAPUT II.
De anima vegetativa et ejus potentiis.
Advertendum tamen prius, quod dicitur
anima vegetabilis a vegetando sive vivili-
cando. Vivere enim , ut II. De anima ha-
betur , dupliciter accipitur. Uno modo,
vivere est actus primus ipsius viventis, et
secundum hoc vivere idem est quod ha-
bere vitam, vel vivum esse , et sic vivere
viventibus est esse, ut dicitur II. De anima.
6 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 2.
sens vivre signifie user de la vie, ou exercer les œuvres de la vie.
Vivre, dans le premier sens, provient de l'ame végétative en tant
qu'elle est une forme substantielle et un acte du corps ; mais dans le
second sens , elle provient du végétatif en tant que puissance. En
conséquence, en parlant du végétatif comme puissance, Aristote dit,
dans le second livre de l'Ame, que §es_orjérations sont la génération,
l'usage des aliments et l'accroissement. Car, ainsi qu'on l'a dit, la
puissance végétative a pour objet le corps où elle est, auquel corps
trois choses sont nécessaires. La première, qu'il possède l'être, et c'est
à quoi est ordonnée la puissance génératrice ; la seconde qu'il possède
l'être parfait, c'est à cela qu'est ordonnée la puissance d'accroisse-
ment; ta troisième, qu'il soit conservé dans l'état convenable, et c'est
à quoi èsf coordonnée la puissance nutritive. Or entre ces puissances
la puissance génératrice est la plus noble, comme il est dit dans le
second livre de l'Ame, parce que les puissances nutritive et augmen-
tative servent à la puissance générative, et la puissance nutritive à.
l'augmentative. De même, parce que la puissance génératrice exerce
en quelque sorte son opération sur le corps cTune manière extérieure,
puisque elle n'engendre pas le corps dans lequel elle se trouve , mais
un autre, ellese rapproche davantage de la génération de l'ame sen-
sitive, qui a son opération dans les choses extérieures. La puissance
nutritive, <\\ù esl L' principe de la conservation «les êtres vivants en
réparant les déperditions, possède quatre forces qui sont appelées
naturelles, savoir, la force d'attraction qui attire l'aliment nutritif
du corps; la force de rétention qui le retient jusqu'à ce que il soit di-
géré; la force de, digestion qui digère ce que la puissance attractive a
attiré, et la puissance de rétention a retenu; la force de répulsion
qui expulse le résidu inutile des aliments. Ces forces opèrent par le
Alio modo, dicitur vivere uti vita , vel
exercere opéra vitae. Vivere primo modo
dictum est ab anima vegetativa prout est
forma substantialis et actus corporis , sed
secundo modo acceptum est a vegetativo ,
prout est potentia. Loquendo ergo de ve-
getativo ut est potentia, dicit Philosophus,
II. De anima, quod ejus operationes sunt
generare, alimento uti , et augmentum.
Sicut enim dictum est, potentia vegetativa
habet pro objecto corpus in quo est , ad
quod corpus tria sunt necessaria. Unum
est quod habet esse , et ad hoc ordinatur
generativa. Aliud est , quod habeat esse
perfectum ; et ad hoc ordinatur aug-
mentativa. Aliud est, quod in statu de-
bito conservetur, et ad hoc ordinatur nu-
tritiva. Inter istas autem potentias genera-
tiva est nobilior, ut dicitur II. De anima,
quia nutritiva et augmentativa deserviunt
generativae , nutritiva vero augmentativae.
Item , quia generativa exercet suam ope-
rationem quodammodo in corpus exterius,
quia non générât corpus in quo est, sed
aliud magis accedit ad generationem anima?
sensitivae, quae habet operationem suam in
res exteriores. Nutritiva , quae est princi-
pium conservation is viventium per restau-
rationem deperditi, habet quatuor vires,
quae naturales appellantur, scilicet attrac-
tivam, quae attrahit aiimentum nutritivum
corporis; retenti vam, quae illud retinet do-
nec digeratur ; digestivam , quae illud di-
gerit quod attractiva attraxit et retentiva
retinuit ; expulsivam , quae residuum ex
nutrimento superfluum expellit. Hee per
quatuor qualitates primas operantur. At-
tractiva enim operatur per calidum et
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 7
moyen de quatre qualités premières. La force d'attraction opère par
le chaud et le suc , la force de rétention par le froid et le sec ; la force
de digestion par le chaud et l'humide, et la force d'expulsion par le
froid et l'humide. La force augmentative est le principe de l'accrois-
sement du corps et de la perfection de la quantité voulue. La force
génératrice est le principe de la production de son semblable tel que
l'on est, comme l'homme de l'homme , la plante de la plante. Cette
puissance génératrice possède trois forces suivant Avicenne. La pre-
mière est la force jéminale qui produit la semence dans les mâles et
les femelles ; la seconde est la force translormairice ^ui produit le
mélange des qualités qui existent dans les semences en les appro-
priant à la complexion de chaque membre du corps à former ; la troi-
sième est la force formatrice qui , de ces semences ainsi mélangées,
forme des membres et leur donne leur configuration respective.
CHAPITRE III.
De la puissance sensitive et des cinq sens extérieurs.
Après avoir parlé de la puissance végétative, nous allons passer à
la puissance sensitive. Or cette puissance sensitive se divise en force
appréhensive et force motrice.' La force sensitive appréhensive se di-
vise en appréhensivé extérieurement et appréhensive intérieurement.
L'appréRensive extérieurement se divise en cinq sens extérieurs. La
distinction 'des sens, suivant Aristote, doit se tirer de ce qui ap-
partient par soi au sens. Or, ce qui appartient par soi au sens est
l'objet extérieur ou sensible par lequel le sens est destiné à être
changé. C'estpourquoi ces cinq sens sont déterminés par la diversité des
transformations du sens par l'objet sensible. Il y a Qjeux transforma-
sjccum. Retentiva per frigidum et siccum.
Digestiva per calidum et humidum. Ex-
pulsiva per frigidum et humidum. Vis
vero augmentativa est principium cre-
menti corporis et perfectionis debitae
quantitatis. Vis autem generativa est
principium producendi de se taie quale
ipsum est, ut ex homine hominem , plan-
tain ex planta. Heec vis generativa habet
très vires secundum Avicennam. Prima est
seminativa, quae in masculis et fœminis
semen générât. Secunda est immutativa,
quae virtutes quae sunt in seminibus per-
miscet , contemperando secundum quod
complexioni cujuslibet membri corporis
formandi convenit. Tertia est formativa,
quae ex sic permixtis seminibus membra
format et configurât.
CAPUT III.
De polenlia sensiliva, et quinque sensibus ex-
terioribus.
Viso de potentia vegetabili, videamus de
sensibili potentia. Hœc autem potentia sen-
sibilis dividitur, quoniam quaedam est ap-
prehensiva, et quaedam motiva. Appreben-
siva autem sensibilis dividitur in appre-
hensivam deforis et in apprehensivam
deintus. Apprehensiva deforis dividitur in
quinque sensus exteriores. Horum autem
distinctio secundum Philosophum acci-
pienda est secundum illud, quod per se ad
sensum pertiuet. Illud autem quod per se
ad sensum pertinet, est objectum exterius,
scilicet sensibile , a quo sensus natus est
immutari. Unde secundum diversitatem
immutationum sensus ab exteriori sensi-
OPUSCULE XLII, CHAPITRE 3.
tions : l'une, en tant que forme AHmmutation ou similitude de forme,
est reçue dans la chose transformée suivant l'être naturel , comme la
chaleur dans l'objet réchauffé. L'autre est une immutation spirituelle,
comme, par exemple, lorsque la similitude de l'être transformant est
reçue dans l'objet transformé suivant l'être spirituel, comme la res-
semblance de la couleur dans la prunelle qui n'en est pas colorée. Or,
l'im mutation spirituelle est essentielle au sens, parce que sans cela il
n'y a point de sens; c'est pour cela que les corps spirituels ne sentent
pas, quoiqu'ils soient transmués naturellement , et parce qu'ils ne le
sont pas spirituellement. Il y a donc des sens dans lesquels on trouve
l'immutation purement spirituelle, comme dans la vue. Dans d'autres,
au contraire, avec l'immutation spirituelle on trouve aussi l'immuta-
tion naturelle. Or cela peut arriver ou du côté de l'organe ou du côté
de l'objet. Du côté de l'objet l'immutation naturelle peut se faire de
deux manières, ou relativement au son, comme on le voit dans l'ouïe,
dont l'objet est le son qui est produit par la percussion et l'ébranle-
ment de l'air. L'immutation du côté de l'objet peut arriver d'une
autre manière par l'altération , comme on le voit dans l'odorat, dont
l'objet est l'odeur qui est produite en lui, parce que la chaleur altère
un corps spécial qui exhale une odeur dont il est le signe, parce que
l'odeur se fait sentir davantage dans l'été. L'immutation naturelle
peut se faire d'une autre manière du côté de l'organe , et c'est ce qui
arrive dans le tact et legoùt. Car la main qui touche un objet chaud
devient chaude elle-même, et la langue s'humecte par l'humidité de
la saveur.
Or la distinction de ces deux sens se tire de ce que, quoique le sens
du goût suive le sens du tact dans la langue, il ne le fait pas néan-
moins toujours et partout. Ou bien nous pouvons dire que l'organe
bili, accipiuntur isti quinque sensus. Est
autem duplex immutatio. Una , in quan-
tum forma irnmutationis , vel similitudo
forma? accipitur in immutato secundum
esse naturale, ut calor in calefacto. Alia
est spiritualis immutatio , scilicet quando
similitudo immutantis recipitur in immu-
tato secundum esse spirituale , ut simili-
tudo coloris in pupilla , quae non sit per
heec colorata. Spiritualis autem immutatio
essentialis est sensui, quia sine illa non est
sensus, propter quod naturalia corpora non
sentiunt , licet immutentur naturaliter,
quia non immutantur spiritualiter. Est
ergo aliquis sensus, in quo invenitur im-
mutatio spiritualis solum ut in visu. In
quibusdam autem cum immutatione spiri-
tuali invenitur immutatio naturalis; hoc
autem potest esse vel ex parte organi vel
ex parte objecti. Ex parte objecti potest
esse immutatio naturalis dupliciter , vel
secundum sonum, ut patet in auditu, cujus
objectum est sonus , qui causatur ex per-
cussione et aeris commotione. Alio modo
potest contingere immutatio ex parte ob-
jecti secundum alterationem , ut patet in
olfactu, cujus objectum est odor, qui cau-
satur ex eo , quod calidum altérât corpus
ad hoc, quod spiret odorem, cujus signum
est, quod odor magis sentitur in sestate.
Alio modo potest esse immutatio naturalis
ex parte organi, et hoc contingit in tactu
et gustu. Manus enim tangens calidum ca-
lefit , et lingua humectatur per humidita-
tem saporis.
Horum autem duorum sensuum distinc-
tio ex hoc sumitur , quod licet sensus gus-
tus comitetur sensum tactus in lingua,
non tamen ubique. Vel possumus dicere,
quod organum tactus immutatur primo et
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 9
du tact est immué d'abord et par soi par la qualité qui lui est ob-
jectée proprement, tandis que l'organe du goût ne l'est que par celle
qui lui est préliminaire, ce qui fait que la langue ne devient pas
douce ou amère, mais numide ou sèche. La vue est ainsi définie par
Damascène, livre II , chap. 18 : « La vue est le premier sens, dont les
organes sont les nerfs et les yeux, parce qu'ils procèdent du cerveau;
il sent suivant la première raison de la couleur , mais il distingue le
corps coloré de la couleur. » Or, il est dit le premier sens, non par
rapport à la constitution de l'animal , car dans ce sens le tact est le
premier sens, comme il est dit dans le second livre de l'Ame, mais
par rapport h l'appréhension , et aussi parce qu'il est le premier en
dignité. D'où il est évident que les yeux sont l'organe le plus pro-
chain e l intrinsèque de la vue; mais les nerfs visuels sont l'organe
intrinsèque et premier, et son objet est la couleur. L'ouïe est la force
ordonnée dans les nerfs tendres procédant du cerveau , pour saisir le
son produit par la commotion de l'air interposé entre la cause et
l'objet de la percussion. Or l'objet de l'ouïe est le son , qui doit im-
muer l'ouïe par cela qu'il doit toucher l'air à l'état de repos' dans la
cavité du nerf auditif. L'odorat est la force ordonnée dans la partie
antérieure du cerveau, dont les organes sont les narines, et deux par-
ties molles semblables à des mamelons J par le moyen desquelles il
renvoie au cerveau l'odeur qui lui a été transmise par l'air, auquel
cette odeur vient se mêler. Le goût est la force ordonnée dans le nerf
qui tapisse toute la surface de la langue pour saisir les différentes
saveurs qui émanent des corps en contact avec elle. Le tact est la force
disséminée dans les os, la chair et la peau. C'est par lui que l'on
éprouve la chaleur, le froid, l'humidité, la sécheresse, la dureté, le
moelleux, l'aspérité, la finesse. Aristote dit, dans le second livre de
per se a qualitate, quas objicitur sibi pro-
prie, sed organum gustus ab illa quœ pne-
ambula est illi. Unde lingua non fit dulcis,
vel amara, sed humectosa vel sicca. Visus
sicdiffinitura Damasceno, lib. Il, cap. xvni:
« Visus est prim us sensus, cujus organasunt,
quia ex cerebro progrediuntur nervi et
oculi , et sentit secundum rationem pri-
mant coloris, dignoscit autem et cum co-
lore coloraturn corpus. » Dicitur autem pri-
mus sensus , non in constituendo animal,
quia sic tactus est primus sensus, ut dici-
tur II. De anima, sed in apprehendendo,
et etiam quia prior est dignitate. Unde
patet quod organum proximum et extrin-
secum visus sunt oculi ; primum autem et
intrinsecum sunt nervi visuales, istius au-
tem objectum est color. Auditus est vis
ordinata in nervis mollibus a cerebro pro-
cedentibus ad apprehendendum sonum cau-
satum ex aeris commotione constricti inter
percutiens et percussum. Objectum autem
auditus est sonus, qui habet immutare
auditum per hoc quod habet tangere ae-
rem quietum collectum in concavitate
nervi auditus. Olfactus est vis ordinata in
anteriori parte cerebri , cujus organi sunt
nares et dua? mollities similes capitibus
mamillarum , per quas remittit ad cere-
brum odorem sibi oblatum ab aère, cui
hujusmodi odor permiscetur. Gustus est
vis ordinata in nervo expanso supra cor-
pus linguae , ad apprehendendum diversos
sapores resolutos ex corporibus contingen-
tibus ipsum. Tactus est vis diffusa per ossa,
carnem et cutem, per quem apprehenditur
calor, frigus, humiditas , siccitas, durities
et mollities, asperitas et lenitas. De uni-
10 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 4.
l'Ame, relativement à l'unité du tact, qu'il est un dans le genre, mais
qu'il est divisé en plusieurs, suivant l'espèce, et qu'il renferme par
conséquent plusieurs contrariétés. Il peutnéamoins être dit ud, parce
que, bien qu'il renferme plusieurs contrariétés, elles sont toutes con-
tenues dans une contrariété qui nous est inconnue et innommée.
Comme il arrive dans la vue qui a un organe unique, apparent à l'ex-
térieur, savoir la prunelle , et un autre à l'intérieur où se forme le
jugement, ainsi que le veut Aristote dans le livre De Sensu etsensato,
il en est de même dans le tact, parce que l'organe où se fait la per-
ception est la chair, et toute partie d'un égal mélange. Mais ce en
quoi se fait le jugement en dernière analyse , c'est le nerf intérieur et
le cerveau, lequel tout sensible qu'il est par soi, est néanmoins pour
le nerf lui-même le principe de la sensation. La chair dans le tact est
l'organe et le moyen, mais pour des raisons différentes, parce que
elle est organe à raison de l'égalité de la commixtion qui est en puis-
sance par rapport à toute excellence des qualités; mais elle est moyen
à raison de l'égalité d'une commixtion semblable existant en elle,
dont elle est le véhicule.
CHAPITRE JY,.
Des quatre puissances sensitives intérieures suivant leurs natures.
Après avoir parlé de la vertu sensitive appréhensive extérieure-
ment, il faut parler de llappréhensive à l'intérieur. La nature n'étant
pas défectueuse dans les choses nécessaires, comme il est dit dans le
troisième livre de l'Ame, il doit y avoir dans l'animal autant de puis-
sances et d'opérations qu'il en faut pour la vie de l'animal parfait.
Or , il est nécessaire pour la vie de l'animal parfait qu'il saisisse la
tate tactus dicit Philosophus, II. De anima,
quod est unus in génère , et dividitur in
multos secundum speciem, et ideo plurium
contrarietatum est.Tamen potest dici unus,
quia , etsi sit plurium contrarietatum,
omnes tamen continentur sub una contra-
rietate nobis ignota et innominata. Sicut
autem est in visu, quod unum habet orga-
num publicum extra , scilicet pupillam,
aliud intra, in quo fit judicium, sicut vult
Philosophus , in lib. De sensu et sensato,
rum, quia ratione œqualitatis commixtio-
nis, quae est in potentia respectu cujuslibet
excelîentiae quatitatum , est organum ; ra-
tionem vero aequalitatis commixtionis
consimilis existentis in ea , est médium
illud deferens.
CAPUT IV.
De quatuor potentiis sensitivis inlerioribus,
secundum earumnaturas.
Viso de virtute sensitiva apprehensiva
ita est et in lactu , quia organum in quo i deforis, videndum est de apprehensiva dé-
fit apprehensio , est caro et quaelibet pars intus. Cum enim natura non deficiat in
secundum aequalitatem mixta. Illud autem ! necessariis , ut dicitur in III. De anima,
n quo ultimo fit judicium, est nervus in- ' tôt potentias et operationes oportet esse
terior, et cerebrum , quod licet sit de se in animali, quot requiruntur ad vitaux
insensibile , est tamen principium sentiendi ■ animalis perfecti. Requiritur autem ad vi-
ipsi nervo. Est autem caro in tactu, et or- ' tam animalis perfecti , ut non solum ap-
ganum, et médium , sed ratione diverso- : prehendat rem cum actu est preesens, sed
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 11
chose non-seulement lorsqu'elle est présente en acte , mais encore
lorsqu'elle est absente en acte; parce que n'ayant pas unies à lui
toutes les choses nécessaires , il a besoin d'être mû vers la distance.
Mais comme il est mû par l'appréhension, il ne pourroit être mû vers
une chose distante et absente, s'il ne saisissoit la chose absente. Puis-
qu'il saisit cette chose par les sens extérieurs, seulement quant à sa
présence, il a dû nécessairement avoir la vertu sensitive par le moyen
de laquelle il saisiroit la chose absente, et retiendroit son espèce.
Donc, comme les sens propres et le sens commun sont ordonnés pour
l'appréhension des formes sensibles dans la présence de la chose, il en
est de même des autres forces dans l'absence de la chose. Or, ces
forces appréhensives sont les- cinq sens suivant Avicenne, mais quatre
suivant Averrhoès, La première est le sens commun, la seconde est la
fantasia, la troisième force est imaginative , la quatrième estimative
ou cogitative, la cinquième mémorative. Mais suivant Averrhoès, la
fantasia et l'imaginative sont la même puissance. Néanmoins, il est
plus vrai de dire qu'elles sont au nombre de quatre. Le sens com-
mun, suivant Avicenne, est une vertu à laquelle se rapportent toutes
les choses sensées. C'est donc le sens commun d'où dérivent les sens
propres, c'est à lui que toutes leurs impressions vont aboutir, c'est
en lui que toutes se réunissent. Son organe est la première concavité
du cerveau, où naissent les nerfs des sens particuliers; et c'est là la
raison pour laquelle, relativement à la distinction de l'esprit animal,
les sens propres dérivent du commun ; pour ce qui est de l'appréhen-
sion et de la renonciation du sens commun, elle se fait en acte par les
sens propres , parce que elle ne saisiroit rien si les sens propres ne
revenoient à lui avec leurs profits, comme dit Avicenne. Or, cette
puissance est nécessaire à l'animal , pour trois opérations que doit
etiara cum actu est absens, quia cum non
habeat omnia necessaria sibi conjuncta,
oportet quod moveatur ad distantiam. Cum
autem moveatur per apprehensionem, non
posset moveri ad rem distantem et absen-
tem , nisi rem absentem apprehenderet.
Cum ergo per sensus exteriores appréhen-
dât rem , solum quantum ad sui praesen-
tiam, necesse habuit habere virtutem sen-
sitivam , per quam rem absentem appre-
henderet, et ejus speciem retineret. Sicut
ergo sensus proprii et sensus com munis
ordinantur ad apprehensionem formarum
sensibilium in rei prœsentia , sic et alise
vires in rei absentia. Istee autem vires ap-
prehensivœ sunt quinque sensus secundum
Avicennam , sed quatuor secundum Aver-
rhoem. Prima est sensus communis, se-
cunda est phantasia , tertia imaginativa,
quarta œstimativa seu cogitativa , quinta
memorativa. Secundum autem Averrhoem
phantasia et imaginativa sunt eadem po-
tentia. Verius tamen dicitur quod sunt
quatuor : sensus communis secundum Avi-
cennam est virtus cui redduntur omnia
sensata. Est ergo sensus communis a quo
omnes sensus proprii derivantur, et ad
quem omnis impressio eorum renuntiatur
et in quo omnes conjunguntur. Ejus enim
organum est prima concavitas cerebri , a
quo nervi sensuum particularium oriuntur,
et hinc est quod quantum ad distinctionem
spiritus animalis, sensus proprii derivantur
a communi ; quantum vero ad apprehen-
sionem et renuntiationem sensus commu-
nis, fit in actu per proprios, quia nihil
apprehenderet, nisi per hoc, qu.od sensus
proprii redeunt ad ipsum cum suis lucris,
ut dicit Avicenna. Ista autem potentia est
animali necessaria propter tria, quœ habet
12 OPUSCULE XLH, CHAPITRE 4.
faire le sens commun. La première c'est de percevoir toutes les sen-
sations communes que ne saisit pas le sens propre ; car le sens propre
ne perçoit pas de première main et par soi la figure ou le mouvement,
mais bien comme par accident. Mais le sens commun perçoit par soi
les choses sensibles communes qui sont au nombre de cinq , suivant
Aristote, dans le second livre de l'Ame, savoir : le mouvement, le
repps, la grandeur, la figure, le nombre. Car, dit ce "Philosophe au
même endroit, le sensible est de trois espèces. L'un est propre et
n'est point senti par un ajitre sens et il ne se produit pas d'erreur
dans le sens propre par rapport à lui, comme la vue par rapport à la
couleur, l'ouïe par rapport au son. Un autre est commun et se divise
en cinq branches qui répondent au sens commun, ainsi que nous
l'avons dit. Le troisième est dit sensible par accident. Le second acte
du sens commun est de percevoir plusieurs sensibles propres , ce que
ne peut pas un sens propre quelconque. En effet, un animal ne peut
pas juger que le blanc est doux ou nel'estpas, ou établir une différence
entre les sensations propres, sans qu'il y ait un sens qui-connoisse
toutes les sensations propres, et c'est là le sens commun. Le troisième
acte est de sentir les actes des sens propres , comme lorsque je sens
que je vois ; car le sens propre n'a pas cette aptitude, comme on le
prouve dans le lirre II de l'Ame, parce que l'objet d'un sens propre
est un objet unique. C'est pourquoi l'acte et l'objet de la vue, savoir
la couleur, étant deux objets de cognition, lejugement de l'un et de
l'autre n'appartient pas à un seul sens propre. La seconde force inté-
rieure estlajantasia, qui est un mouvement produit par le sens sui-
vant l'acte, comme il est dit dans le troisième livre de l'Ame, parce
que la fantasia est une puissance mue par une espèce sensible , par
facere sensus communis. Primum est quod
habet apprehendere omiiia sensata com-
munia , quae sensus proprius non appre-
hendit. Non enim sensus proprius primo
et per seapprehendit figuram vel motum,
sed quasi per accidens ; sensus autem com-
munis per se apprehendit sensibilia com-
munia., quae sunt quinque secundum Phi-
losophum, II. De anima, scilicet motus,
quies, magnitudo, figura, numerus. Est
enim triplex sensibile, ut ibidem dicit Phi-
losophus. Unum est proprium , quod scili-
cet non contingit alio sensu sentîri , et
circa quod non contingit sensum proprium
errare , ut visas circa colorem , auditus
circa sonum. Aliud est commune, quod
dividitur in quinque, ut dictum est, quae
per se respondent sensui communi. Ter-
tium dicitur sensibile per accidens, ut al-
bum, quod est Darii filius, quia album
sentitur per se , cui accidit Darii filium
esse. Secundus actus sensus communis est
apprehendere plura sensibilia propria ,
quod non potest aliquis sensus proprius.
Non enim potest animal judicare album
esse dulce vel non esse , vel ponere diver-
sitatem inter sensata propria , nisi sit ali-
quis sensus qui cognoscat omnia sensata
propria, et hic est sensus communis. Ter-
tius vero actus est sentire actus proprio-
rum sensuum , ut cum sentie me videre.
Non enim potest hoc sensus proprius , ut
probatur II. De anima, quia unius sensus
proprii unum est objectum. Unde cum
actus et objectum visus, scilicet color, sint
duo cognoscibilia, judicium utriusque non
pertinet ad unum seusum proprfum. Se-
cunda vis interior est phantasia , quse est
motus factus a sensu secundum actum, ut
dicitur III. De anima , quia phantasia est
potentia mota a specie sensibili, per quam
et sensus proprius et sensus communis fit
SUR LES PUISSANCES DE i/AME. 13
le moyen de laquelle le sens commun et le sens propre sont mis en
acte.. Mais elle n'est pas seulement mue par cette espèce, eUe__la
retient encore dans l'absence de la chose que reçoit le sens commun.
Or recevoir et retenir dans les corps, c'est deux opérations qui se rat-
tachent à des principes différents. Car l'humide reçoit bien et retient
mal. Le sec, au contraire , retient bien et reçoit mal. Donc la puis-
sance sensitive étant un acte d'un organe corporel, il faut qu'il y ait
une autre puissance qui reçoit les espèces des sensibles et les con-
serve, et cet organe se trouve derrière l'organe du sens commun dans
la partie du cerveau qui ne contient pas autant d'humidité que sa
partie antérieure où est situé l'organe du sens commun, et elle peut
conséquëmment mieux retenir les formes sensibles en l'absence de la
chose. La troisième force sensitive est esiimativû, et sa nécessité est
aussi évidente. En effet, l'animal est non-seulement impressionné
par ce qui peut lui occasionner du plaisir ou de la peine suivant les
sens, parce qu'ainsi il ne seroit pas nécesaire de supposer en lui autre
chose, si ce n'est l'appréhension et la rétention des formes dans les-
quelles les sens trouvent du plaisir ou de la répulsion; mais il en est
qui évitent ou recherchent certaines choses à cause des diverses autres
commodités, ou utilités et dangers, comme la brebis fuit le loup, non à
cause de sa couleur et de sa figure qui ne lui conviennent pas, mais
comme un ennemi de sa nature. De même , l'oiseau ramasse des
pailles, non parce qu'elles lui plaisent, mais parce qu'elles lui sont
utiles pour construire son nid. Il faut donc placer dans l'animal quel-
que principe de perception des intentions de ce genre, différent de la
fantaisie, dont l'immutation se fait par la forme sensible et non la
perception de cette sorte d'intentions, et cette vertu est estimative en
même temps qu'appréhensive des intentions qui ne sont pas reçues
in actu. Non solura autem movetur ab illa
specie, sed etiam ipsani in absentia rei re-
tinet, quam sensus communis recipit. Re-
cipere autem et retinere in corporibus re-
ducuntur ad diversa principia. Nam humi-
dum bene recipit et maie retinet. Siccum
vero e contrario bene retinet et rnale reci-
pit. Cum ergo potentia sensitiva sit actus
organi corporalis , oportet esse aliam po-
tentiam quœ recipit species sensibilium et
quœ conservât, et hujus organum est post
organum sensus communis in parte cere-
bri, quae sic non abundat humido , sicut
prima pars cerebri, in qua situm est orga-
num sensus communis, et ideo melius po-
test retinere formas sensibiles re absente.
Tertia vis sensitiva est œstimativa et bujus
nécessitas sic patet. Animal enim non so-
lum movetur propter delectabile et con-
tristabile secundum sensum , quia sic non
esset necesse ponere in eo, nisi per appre-
hensionem et retentionem formarum , in
quibus sensus delectatur vel horret; sed
aliquando fugit vel quœrit aliqua propter
diversas alias commoditates, vel militâtes,
et nocumenta, sicut ovis fugit lupum non
propter indecentiam coloris vel figurée, sed
quasi inimicum suae naturœ. Similiter avis
colligit paleam, non quia delectat sensum,
sed quia utilis est ad nidificandum. Opor-
tet ergo ponere in animali aliquod princi-
pium perceptionis hujusmodi intentionum
ahud quam phantasiam , cujus immutatio
est a forma sensibili, non autem perceptio
hujusmodi intentionum. Et hujusmodi vir-
tus est œstimativa , quœ est apprehensiva
intentionum quœ per sensum non acci-
piuntur. Unde Algazel dicit : « iEstimativa
14 OPUSCULE XLI1, CHAPITRE 4.
par les sens. C'est ce qui fait dire à Àlgazel : « Cette vertu est estima-
tive qui perçoit d'un objet sujet à sênSatiori ce qui n'est pas suscep-
tible de sensation , comme la brebis pour l'hostilité du loup. » En
effet, elle ne le fait pas par le moyen de la vue, mais par une autre
vertu qui est dans les brutes, et qui est l'intelligence dans les hommes.
De même que l'on connoît par l'intelligence ce que l'on ne connoît
pas par les sens, quoique cette connoissance ne s'opère qu'au moyen
des sens, cette action est estimative quoique d'une manière infé-
rieure. Or l'organe de cette puissance dans les brutes est placé dans
l'hémisphère postérieur du cerveau. Dans les hommes , au contraire,
il est placé dansja^ cellule_jniéiliane du cerveau, appelée syllogisti-
que. D'où il arrive que, bien que quant aux formes sensibles , il n'y
ait pas de différence entre l'homme et les autres animaux, parce
qu'elles s'opèrent par infusion provenant des choses sensibles exté-
rieures, il y a néanmoins une différence quant aux intentions, comme
certains animaux perçoivent des intentions particulières à l'homme
par le seul instinct naturel, tel que ce qui est bon, convenable, nui-
sible. Mais l'homme, en outre de cela, est favorisé d'une certaine
collation, aussi cette force, qui dans les animaux est appelée estima-
tive naturelle , s'appelle cogitatiye dans l'jiomine , en lui procurant
des intentions par une certaine collation ; elle est aussi appelée raison
particulière, parce qu'elle confère les intentions individuelles, comme
la raison universelle confère les intentions universelles. Àvicenne a
placé une autre puissance entre l'estimative et la fantaisie , dont le
rôle est d'opérer la composition et la division entre les formes ima-
ginées , comme lorsque de la forme de l'or et de la forme de mon-
tagne que nous avons dans l'imagination, nous composons une autre
forme de montagne d'or que nous n'avons jamais vue. Mais comme
nous n'avons vu cette opération que dans les hommes, nous ne devons
est virtus apprehendens de sensato quod
non est sensatum, sicut ovis inimicitias
lupi. » Hoc enim non facit per oculum, sed
per aliam virtutem quœ est in brutis , hoc
quod est intellectus in hominibus ; sicut
enim aliquis cognoscit per intelleetum,
quod non cognoscit per sensum , licet non
cognoscat nisi accipiendo a sensu, ita œsti-
mativa, licet modo inferiori. Organumau-
tem hujus potentiœ ponitur in brutis in
posteriori parte mediœ partis cerebri. In
hominibus autem ejus organum ponitur
média cellula cerebri, quœ syllogistica ap-
pellatur. Unde licet quantum ad formassen-
sibiles , non lit differentia inter hominem et
alia animalia, eo quod fiunt per infusionem
a sensibilibus exterioribus , tamen quan-
tum ad inlentiones est differentia aliqua: si-
cut aliqua animalia percipiunthujusmodiin-
tentiones, quœ sunt bonum, et conveniens, et
nocivum solo instinctu naturali. Homo au-
tem ultra hoc per quamdam collationem,
et ideo quœ in aliis animalibus dicitur
œstimativa naturalis, in homine dicitur co-
gitativa , quœ per quamdam collationem
hujusmodi intentiones adinvenit , quœ
etiam ratio particularis dicitur, quia scili-
cet est collativa intentionum individua-
lium, sicut ratio universalis intentionum
universalium . Avicenna vero posuit imam
potentiam inter œstimativam et phanta-
siain, cujus sit componere et dividere in-
ter formas imaginatas, sicut cum ex forma
auri imaginati et montis , componimus
unam formam montis aurei, quam nun-
quam vidimus. Sed quia hanc operationem
SUR LES PUISSANCES DE l'âME. 15
pas pour cela supposer une nouvelle puissance sensitive. îl suffit
pour cela dans l'homme de la force imaginative ou fantaisie, comme
dit Averrhoès, dans son livre De Sensu et sensato. La quatrième force
sensitive intérieure est la mémorative ou mérn.oire. Suivant AlgazeL
la mémoire est la force conservatrice des intentions que perçoit l'es-
timative, et par conséquent elle est le réservoir dès intentions ; de
môme que la fantaisie ou imagination est la conservatrice des formes
et leur réservoir , et ces intentions ne sont pas sensées, mais prove-
nant des sens. Or l'organe de cette puissance se trouve dans la con-
cavité postérieure du cerveau. C'est pourquoi Avicenne dit dans le
livre YI, De naturalibus : « La force mémoriale est celle qui est placée
dans la concavité pnatérjejirejdii^erveau_contenant ce qui est perçu
par la force d'estimation, relativement aux intentions non sensées des
choses singulières et sensibles.» 11 en est autrement dans les hommes
que dans les brutes, parce que dans les brutes il n'y a que la mé-
moire d'une manière propre, et la réminiscence plus improprement.
Suivant Avicenne et Algazel , dans les brutes l'instinct de la nature
tient lieu de l'inquisition, de sorte que par l'intention propre il passe
à la propre forme sensible , et de la forme sensible et de la propre
imagination à la chose qui l'a reçue dans le passé , et c'est ainsi que
les brutes épient le moment de se venger, se souviennent des injures
et des bienfaits, et cette réminiscence est subite. Dans les hommes,
au contraire , non-seulement il y a mémoire , mais même réminis-
cence qui s'opère par une certaine collation des intentions indivi-
duelles préliminaires aux formes, en discourant syllogistiquement
jusqu'au dernier objet cherché.jOr, la puissance estimative et la puis-
sance mémorative n'ont pas celte excellence dans l'homme par ce qui
est propre à la partie sensitive , mais par affinité et proximité de la
non vidimus nisi in hominibus, non debe-
mus propter hoc ponere novam potentiam
sensitivam. Ad hoc enim sufïicit in homine
virtus imaginativa vcl phantasia, ut dicit
Âverrhoes in libro suo De sensu et sensato.
Quarta vis sensitiva interior est memora-
tiva vel mcmoria. Est autem memoria,
secundum Aigazelem, vis conservativa ha-
rum intentionum , quas apprehendit œsti-
mativa, et ideo est arca intentionum ;
sicut phantasia vel imaginativa est con-
servatrix formarum et arca illarum, et istae
intentiones non sunt sensatae , sed a sensi-
bus elicitœ. Organum autem hujus poten-
tiae est in posteriori concavitate cerebri.
Unde Avicenna, , VI. De naturalibus , vis
memoralis est quas est ordinata in poste-
riori concavitate cerebri , continens quod
apprehendit vis œstimationis de intentio-
nibus non sensatis singularium et sensibi-
lium. Differenter est autem in hominibus
et in brutis, quia in brutis memoria sola
proprie ; reminiscentia autem minus pro-
prie , quia secundum Avicennam et Alga-
calem, in brutis instinctus naturae est loco
inquisitionis, ut per propriam intentionem
veniat in propriam illius formam sensibi-
lem, et ex forma sensibili et propria ima-
ginatione in rem , a qua est accepta in
praeterito , et sic bruta observant tempus
vindictae et memorantur injuriarum et be-
neficiorum, et illa recordatio subita est.
In hominibus vero non solum est memoria,
sed etiam reminiscentia, quœ fit per quam-
dam collationem intentionum individua-
lium pracviarum ad formas syllogistice
discurrendo usque ad ultimo quaesiturn.
Istam autem excellentiam non habent in
homine festimativa et memorativa per id
quod est proprium parti sensitivœ, sed per
1G OPUSCULE XLII, CHAPITRE 5.
raison universelle par une certaine influence. Car, la vertu inférieure
est toujours fortifiée par son union avec une vertu supérieure , parce
que ce qu'il y a de plus élevé dans la nature inférieure atteint ce qu'il
y a de plus bas dans la nature inférieure, comme dit Denis. D'après
cela on voit l'excellence qui se trouve dans les puissances de l'ame
sensitive. Carie sens propre ne peut pas saisir tout d'abord et par soi
les choses sensées communes, mais bien par accident, tandis que le
sens commun le fait. Le sens propre ne peut saisir qu'une seule chose
sensée, tandis que le sens commun peut en saisir plusieurs. Le sens
propre ne peut connoître un acte propre, ce que fait le sens commun.
De son côté le sens commun ne peut saisir une chose sans la présence
extérieure de la chose, tandis que la fantasia retient la forme d'une
chose en l'absence de cette même chose. La fantasia ne peut saisir et
retenir que les formes tirées des choses sensibles ; tandis que la puis-
sance estimative peut saisir les intentions relatives à ces formes. Mais
quoique la puissance estimative puisse saisir ces sortes d'intentions,
elle ne peut pas cependant les retenir, comme le fait la puissance mé-
morative , et outre cela la puissance sensitive ne peut pas saisir la
forme de la chose et l'abstraire des conditions matérielles, c'est pour-
quoi la forme saisie par le sens extérieur sans l'intérieur est toujours
particulière.
CHAPITRE V.
De la vertu motive sensitive de l'animal.
Nous allons parler maintenant de la vertu sensitive motive. La
vertu sensitive motive se divise eh naturelle et animale. La naturelle
est celle qui ne subsiste pas par l'appréhension, et n'est pas soumise
affinitatem et propinquitatem ad rationem
universalem per quamdam influentiam.
Semper enim virtus inferior fortificatur
ex conjunctione sui cum virtute superiori,
eo quod supremum naturae inferioris attin-
git infimum naturae superioris, ut dicit
Dionysius. His visis, patet quomodo est
excellentia in poteutiis anima? sensitivse.
Sensus enim proprius non potest appré-
hendera sensata communia primo et per
se, sed quasi per accidens ; sensus autem
communis potest. Item , sensus proprius
non potest apprehendere nisi unum sensa-
tum ; sensus vero communis plura. Item,
sensus proprius non potest actum pro-
prium cognoscere, quod facit sensus com-
munis. Item sensus communis non potest
aliquid apprehendere , nisi ad prœsentiam
rei extra. Phantasia autem formam rei re-
tinet, re absente. Item, phantasia non po-
test apprehendere nec retinere, nisi formas
a sensibilibus acceptas'. iEstimativa autem
potest intentiones circa hujusmodi formas
apprehendere. ^Estimativa vero, licet pos-
sit hujusmodi intentiones apprehendere,
non tamen retinere , quod habet memora-
tiva, et ultra hoc non potest virtus sensi-
tiva formam rei apprehendere et abstra-
here a conditionibus mateiïalibus, ideo
semper forma apprehensa a sensu exteriori
sine interiori, est particularis.
CAPUT V.
De virtute animait? J motiva sensilira.
Viso de virtute sensitiva apprehensiva,
videndum est de virtute motiva. Motiva
autem sensitiva dividitur , quia quaedam
est naturalis , quaedam animalis. Naturalis
est, quae non manet per apprehensionein,
nec est subjecta imperio rationis, et talis
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 17
à l'empire de la raison ; telle est la force vitale et pulsative qui fait
battre les artères et le cœur par le moyen de la dilatation et de la
constrietion , et cette puissance est dans le cœur comme dans son or-
gane propre; c'est pour cela qu'elle n'a l'être que dans les animaux
parfaits qui ont les poumons et le cœur. Cette force, par le moyen de
l'aspiration et de la respiration , tempère convenablement la .chaleur
du cœur et du corps. La force motive animale est celle qui meut par
appréhension, qui subit une division ; une meut par manière dejcUreç-
tion_, une autre par manière de commandement, une troisième par
manièr^d,exécatioiTJEâ~forcë" motive par manière de direction c'est
la fantasia et l'estimative , en tant qu'elles montrent à l'appétit, la
formeou^'iBt^SîiL convenable ou non convenable. En effet, la fan-
tasia meut en montrant les formes sensibles, l'estimative en mon-
trant les intentions, et lés motives en commandant ou produisant le
mouvement, comme le concupiscible, l'irascible qui sont des parties
de l'appétit sensitif. Le concupiscible, en effet, est la force qui com-
mande le mouvement pour produire le rapprochement des choses qui
sont jugées nécessaires ou utiles, et cela par l'attrait du plaisir. 1/i-
rascihl&est la force commandant le mouvement pour repousser ce qui
est jugé nuisible ou dangereux, et cela par l'ardeur de la vengeance
ou du triomphe. La force qui exécute ce mouvement est une force
extérieure répandue dans les muscles, les bras et ïes nerfs des
membres. Il faut néanmoins remarquer qu'il y a de la différence entre
la sensibilité et la sensualité, parce que la sensibilité comprend toutes
les forces sensitives, tant apprébensives'qu'appétitives; tandis que la
sensualité ne signifie proprement que la partie de l'âme sensible qui
produit le mouvement pour rechercher ou fuir ce qui paroît propre
ou non à la volupté de l'animal, et c'est suivant l'ordre au comman-
est virtusvitalis et pulsativa quae movet arte-
rias et cor secundum dilatationem et con-
strictionem. Et hujusmodi est in corde sicut
in proprio organo ; unde solum habet esse in
animalibus perfectis pu'monem et cor haben-
tibus. Et haec vis per spirationem et respira-
tionem est principium contemperandi calo-
rem cordis et corporis. Motiva animalis est
quae movet per apprehensionem, et haeedivi-
ditur, quia quaedam movet per modum
dirigentis, quaedam per modum imperantis,
quaedam per modum exequentis. Motivae
per modum dirigentis sunt phantasia et
aestimativa, in quantum appetitivi osten-
dunt formam vel intentionem convenien-
tem vel disconvenientem. Phantasia enim
movet ostendendo formas sensibiles, aesti-
mativa ostendendo intentiones ; motivae
autem imperantes et facientes motum, sicut
concupiscibilis et irascibilis , quae sunt
partes appetitus sensitivi. Concupiscibilis
enim est vis imperans motum , ut appro-
pinquetur ad ea quss putantur necessaria,
vel utilia, et hoc appetitu delectandi. Iras-
cibilis est vis imperans motum ad repel-
lendum id quod putatur nocivum vel cor-
rumpens, et hoc appetitu vindicandi aut
vincendi. Vis exequens motum istum est
vis exterior, quae diffusa est in musculis,
et lacertis, et nervis membrorum. Adver-
tendum tamen est quod sensibilitas et sen-
sualitas différant, quia sensibilitas eom-
prehendit omnes vires sensitivas tam ap-
prehensivas quam appetitivas ; sensualitas
autem dicit proprie partent animae sensi-
bilis, per quam est motus ad prosequen-
dum vel fugiendum, quod apparet con-
sentaneum vel dissentaneum voluptati ani-
malis , et hoc est secundum ordinem ad
imperium rationis. Unde sensualitas licet
2
18 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 6.
dément de la raison. C'est pourquoi , quoique la sensualité exige
préalablement les forces sensitives appréhensives comme prélimi-
naires , elles n'appartiennent cependant pas à son essence , il n'y a
que l'appétit sensitif. L'estimative même est très-voisine de la sen-
sualité, laquelle confine avec elle, parce que la sensualité dit un cer-
tain ordre à la raison. On voit par là que dans les brutes il n'y a pas
de sensualité portant au péché ; cela n'a lieu que dans les hommes en
qui, à cause de son ordre par rapport à la raison , elle est la porte de
la corruption et de la culpabilité.
CHAPITRE VI.
De la puissance intellective.
Après avoir parlé de la puissance végétative et de la puissance sen-
sitive , nous allons traiter de l'intellect. Or cette puissance dans sa
première division se partage en appréhensive et motive ou appétitive.
Ces deux puissances ne se trouvent que dans les substances spirituelles
et intellectuelles, comme le dit le commentateur sur le livre II de la
Métaphysique. La raison de cette division est que toute forme est sui-
vie par quelque inclination différente. De même donc que l'inclina-
tion ou l'appétit naturel suit la forme naturelle et l'appétit sensitif la
forme sensible, de même aussi l'appétit intellectuel suit la forme uni-
verselle et intellectuelle appréhendée ; et comme l'appétit intellectuel
suit l'appréhension, nous devons parler des appréhensives avant de
parler des appétitives. Deux principes sont nécessaires pour l'appré-
hension intellectuelle, savoir l'intellect par lequel on a tout à faire,
c'est-à-dire ^intellect actif, et l'intellect par lequel tout doit être fait,
c'est-à-dire l'intellect possible, comme il est dit dans le troisième livre
de l'Ame. Car, comme dans chaque nature il y a des principes suffi-
prœexigat vires sensitivas apprehensivas
quasi praeambulas , tamen ad essentiam
ejus non pertinent, sed appetitus sensitivus.
Jistimativa etiam valde propinqua est sen-
sualitati, quia sibi confinis est , quia sen-
sualitas dicit ordinem quemdam ad ratio-
nem. Ex quo patet quod in brutis non est
sensualitas vocans ad peccatum ; sed in solis
hominibus in quibus propter ordinem ejus
ad rationem, est porta corruptionis et
janua culpœ.
CAPUT VI.
De potentia inlellcctiva.
Viso de potentia vegetativa et sensitiva,
dicendum est de intellectu. Potentia autem
hsec prima sui divisione dividitur in ap-
prehensivam et motivam vel appetitivam.
Hee duae potentia? solum inveniuntur in
substantiis spiritualibus et intellectualibus,
ut dicit Commentator super II. Metapkys.
Ratio hujus divisionis est quia quarnlibet
formam sequitur aliqua varia inclinatio.
Sicut ergo formam naturalem sequitur in-
clinatio vel appetitus naturalis, et formam
sensibilem sequitur appetitus sensitivus, ita
formam universalern vel intellectualem
apprehensam sequitur appetitus intellec-
tualis ; et quia appetitus intellectualis se-
quitur apprehensionem , ideo prius dicen-
dum est de apprehensivis, quam de appeti-
tivis. Ad apprehensionem intellectualem
duo principia sunt necessaria , scilicet in-
tellectus quo est omnia facere, id est intel-
lectus agens, et intellectus quo est onmia
fieri, id est intellectus possibilis, ut dicitur
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 19
sants pour la génération propre ou l'opération , il en est aussi de
même dans Famé. Mais l'acte de l'intellection ne peut s'accomplir par
une seule et même puissance, parce que l'ame ne comprend rien sans
informer l'espèce à l'égard de laquelle elle est en puissance , comme
la prunelle par rapport aux couleurs. Mais elle ne peut pas être mise
en acte par cette puissance, il faut qu'elle le soit par une autre chose
qui est en acte, et par rapport à l'intellect possible , et par rapport à
l'espèce intelligible. Mais comme l'espèce n'estpas reçue dans l'intellect
possible avant d'avoir été dégagée des sensibles matériels, et que cela
ne peut se faire que par ce qui est immatériel en acte , il est évident
que outre l'intellect possible il faut placer dans l'ame un intellect ac-
tif , de sorte que l'ame est en puissance par une force et en acte par
une autre par rapport aux espèces intelligibles, comme, par exemple,
le feu, quand il agit sur l'eau, il agit par le moyen de la chaleur qu'il
a en acte, et subit l'action de l'eau par le froid qu'il a en puissance,
tandis que l'eau l'a en acte ; de même l'ame étant immatérielle en
acte, est en acte par rapport à une espèce immatérielle et en puis-
sance par rapport à une espèce matérielle qu'elle peut mettre en acte
quand elle veut, et cela par l'intellect actif.1 Or, il est en puissance par
rapport à l'espèce , en tant qu'il ne l'a pas en acte , et qu'il peut en
recevoir la passion. On voit par là quelle est l'opération de l'intellect
actif , d'abstraire les espèces de la matière et des sensibles matériels.
Mais il ne faut pas concevoir cette abstraction suivant la chose mais
suivant la raison. Car ainsi que nous voyons dans les puissances sen-
sitives, que quoique certaines choses soient unies suivant la réalité ,
la vue ou tout autre sens de ces êtres, ainsi conjoints, peut saisir une
chose sans saisir l'autre , comme la vue perçoit la couleur du fruit
III. De anima. Sicut enim in qualibet na-
tura sunt principia suffîcientia ad genera-
tionem propriam vel operationem , ita in
anima. Per unam autem et éamdem po-
tentiam non potest actus intelligendi ex-
pleri, quia anima nihil intelligit msi infor-
metur spem, ad quam est in potentia, si-
cut pupilla ad colores. Per illam potentiam
autem per unam recipit, non potest educiin
actum, sed oportet quod educatur in ac-
tum per aliud, quod est in actu, et respectu
intellectus possibilis et respectu speciei
intelligibilis. Gurn autem species non re-
cipiatur in intellectu possibili nisi depure-
tur a sensibilibus materialibus, et hoc non
possit fieri nisi per id quod est actu im-
materiale, patet quod oportet ponere ultra
intellectum possibilem , intellectum agen-
tem in anima , ita quod anima per aliam
potentiam est in potentia et per aliam est
in actu respectu specierum imelligibilium,
sicut videmus quod ignis quando agit in
aquam, agit in eam per caliditatem quam
habet actu, et patitur ab aqua per frigidi-
tatem quam habet in potentia , et aqua
habet eam actu ; ita anima quia actu est
immaterialis, est in actu respectu speciei
immaterialis, et in potentia respectu spe-
ciei materialis , et cum vult potest eam
actu facere , et hoc per intellectum agen-
tem. Est autem in potentia respectu speciei
in quantum non habet eam actu , et in
tantum potest ab ea pati; ex quo patet
quae sit operatio intellectus agentis, quia
abstrahere species a materia et a sensibi-
libus materialibus. Ista autem abstractio
non est intelligenda secundum rem, sed
secundum rationem. Sicut enim videmus
in potentiis sensitivis , quod licet aliqua
sint conjuncta secundum rem , tamen illo-
rum sic conjunctorum visus vel abus sen-
sus, potest unum apprehendere altero non
20 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 6.
sans en percevoir la saveur unie à la couleur, il peut en être de même à
bien plus forte raison dansla puissance intellective; parce que, bien que
les principes de l'espèce ou du genre ne soient que dans les individus,
un peut être saisi sans que l'autre le soit, ce qui fait que l'animal peut
être perçu sans l'homme, l'âne et les autres espèces, et que l'homme
peut être perçu sans Sortes ou Platon, et aussi la chair, les osetl'ame
sans percevoir telles chairs, tels os en particulier , et de cette manière
l'intellect perçoit les formes abstraites, c'est-à-dire les supérieurs sans
les inférieurs. Néanmoins l'action de l'intellect n'est pas fausse, parce
qu'il ne juge pas que telle chose existe sans telle autre , mais il saisit
une chose et en juge sans porter un jugement sur l'autre. Or, l'objet
qui est requis pour l'intellection est l'image et la similitude d'une
chose particulière, qui est dans l'organe de l'imagination. C'est pour-
quoi, de même que la vision corporelle se complète par trois choses,
savoir , par la couleur exposée à la vue, par la vue qui reçoit la simi-
litude de la couleur , par l'action de la lumière qui se projette sur la
couleur et change ce qui est visible en puissance en visible en acte ;
de même l'intellection s'opère par l'intellect possible , comme rece-
vant la ressemblance de l'image, et par l'opération de l'intellect actif
abstrayant l'espèce immatérielle de l'image , et par l'image même
imprimant sa ressemblance dans l'intellect possible. Il faut cependant
observer que l'image ne se perçoit pas comme la couleur se voit, mais
qu'il est dit seulement objet de l'intellect, parce que celui-ci n'exerce pas
son opération sans l'image. Or, l'objet propre de l'intellect possible
est ce qui est quelque chose, c'est-à-dire la quiddité de la chose même,
comme il est dit dans le livre III de l'Ame. Car, comme il y a des
degrés dans les puissances , il y en a aussi dans les objets ; parce
apprehenso, ut visus apprehendit colorem
pomi, qui tamen saporem colori conjunc-
tum non apprehendit ; sic multo fortius
potest esse in potentia intellectiva, quia
licet principia speciei vel generis nun-
quam sint nisi in individuis, tamen potest
apprehendi unum , non apprehenso altero,
unde potest apprehendi animal sine ho-
mine, asino et aliis speciebus, et potest ap-
prehendi homo non apprehenso Sorte vel
Platone ; et caro, et ossa, et anima non ap-
prehensis his camibus et ossibus, et sic
semper intellectus formas abstractas, id est
superiora sine inferioribus intelligit. Nec
tamen falso intelligit intellectus, quia non
judicat hoc esse sine hoc , sed apprehendit
et judicat de uno, non judicando de altero.
Objectum autem quod requiritur ad intel-
ligendum, est phantasma et similitudo rei
particularis, quod est in organo phantasiœ.
Unde sicut visio corporalis complet ur per
tria, scilicet per colorem visui objectum ,
per visum recipientem similitudinem co-
loris, per actum lucis super colorem irra-
diantis, et de potentia visibili actu visibile
facientis ; ita intelligere fit per intellectum
possibilem, ut recipientem similitudinem
phantasmatis et per operationem intellec-
tus agentis speciem immaterialem a phan-
tasmate abstrahentis, et per ipsum phan-
tasma suam similitudinem in intellectum
possibilem imprimentis. Advertendum ta-
men quod phantasma non intelligitur sicut
color videtur, sed pro tanto dicitur objec-
tum intellectus, quia suam operationem
non exercet sine phantasmate. Proprium
autom objectum ipsius intellectus possi-
bilis, est quod quid est , id est quidditas
ipsius rei, ut dicitur III. de Anima. Sicut
enim est gradus in potentiis, ita in objec-
tis , quia sicut sensus exterior non tantum
potest, quantum sensus interior, nec inte-
SUR LES PUISSANCES DE l'àME. 21
que comme le sens extérieur ne peut pas autant que le sens inté-
rieur, et le sens intérieur que l'intellect, de même l'objet du sens
extérieur qui est les qualités de la troisième espèce de qualités, sa-
voir les qualités passibles, n'est pas aussi élevé que l'objet propre du
sens intérieur, savoir le sens commun de la fantaisie et de l'imagina-
tion, ce qui est la quantité immédiatement adhérente à la substance.
Mais la substance de la chose surpasse tout cela, parce que de même
que la qualité ne peut pas être sans la quantité, de même aussi l'une
et l'autre ne peut être sans la substance. Donc la substance de la chose
est ce que l'intellect perçoit. La ressemblance de cette chose qui est
dans l'âme est ce par quoi l'intellect perçoit formellement la chose
extérieurement. L'image est ce par quoi l'intellection s'opère comme
effectivement en acquérant la science. L'intellect actif est celui qui
produit et fait toutes ces choses en acte. L'intellect possible, au con-
traire, est celui qui reçoit l'espèce et excite l'acte de l'intellection, et
ainsi celui-là est seul intellect possible qui est le sujet d'une grande
science acquise. L'intellect actif est celui qui ne reçoit rien, mais qui
est la puissance de l'ame, par lequel celle-ci rend intelligibles en acte
les choses qui par leur nature ne sont intelligibles qu'en puissance,
ayant une matière qui fait obstacle à l'intellect, parce que chaque
chose est perçue en tant qu'elle possède l'être immatériel.] Or, l'in-
tellect possible auquel seul il appartient de recevoir l'espèce intelli-
gible , peut être considéré sous quatre rapports. Le premier suivant
!• qu'il est tout-à-fait en puissance relativement à la science, et ainsi il
précède l'intellection , et dans ce sens il est appelé , par les philo-
sophes, matériel, c'est-à-dire potentiel , comme n'étant en acte d'au-
-^•cune manière. En second lieu il peut" être considéré, selon qu'il a
quelque disposition à la science, mais incomplète, comme lorsqu'il a
rior, sicut intellectus , ita objectum sensus
exterioris, quae sunt qualitates, de tertia
specie qualitatis , scilicet passibiles quali-
tates, non est ita altura sicut proprium ob-
jectum sensus interioris , scilicet sensus
communis phantasiae et imaginativae, quod
est quantitas quœ immédiate adhaeret sub-
stantif. Omnia autem ista excellit sub-
stantia rei, quia sicut qualitas non potest
esse sine quantitale , ita nec utraque sine
substantia. Substantia ergo rei est id quod
intellectus intelligit. Similitudo autem
illius rei, quae est in anima, est illud quo
formaliter intellectus rem extra intelligit.
Phantasma autem est illud quo quasi effec-
tive intelligit in acquirendo scientiam.
Intellectus autem agens est, qui omnia illa
actu agit et facit. Intellectus vero possibilis
est , qui speciem recipit et actum intelli-
gendi elicit , et sic solus intellectus possi-
bilis est, qui est subjectum scientiae maxi-
me acquisitae. Intellectus autem agens est,
qui nihil recipit , sed est potentia animée,
quo omnia facit actu intelligibilia , quae
per naturam suam sunt potentia solum in-
telligibilia, cum habeant materiam quae
intellectum impedit , quia unumquodque
intelligitur, in quantum habet esse imma-
teriale. Intellectus autem possibilis, cujus
solius est recipere speciem intelligibilem ,
quadrupliciter potest considerari. Uno
modo, secundum quod est omnino in po-
tentia ad scientiam, et sic est ante intelli-
gere , et hoc modo appellatur a Philosophis
materialis , id est potentialis quasi nullo
modo actu. Secundo modo potest conside-
rari , ut habet aliquam dispositionem ad
scientiam, sed incompletam, ut cum habet
22 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 6.
des principes connus par soi de quelque science , et en ce sens il est
appelé intellect disposé. Il peut être considéré, en troisième lieu, selon
qu'il a l'habitude de la science , sans user néanmoins de cette habi-
tude, et dans ce sens il est appelé intellect parfait en habitude. En
quatrième lieu suivant qu'il considère en acte selon l'habitude ,
et dans ce sens il est appelé acquis en acte , et c'est de cet intellect
que certains veulent entendre ces mots d'Aristote, dans le livre III de
l'Ame, que l'intellect exerce l'intellection en certains cas , pas dans
d'autres, mais toujours. Quoique cet intellect impossible reçoive dif-
férents noms, suivant ses différentes perfections et opérations, il ne
peut néanmoins en aucune manière être multiplié suivant la sub-
stance de la puissance; la raison en est, comme il a été dit, que la
puissance ne se diversifie que suivant la raison de l'objet. Or, voilà
ce qui se fait , lorsqu'une puissance quelconque est ordonnée à quel-
que objet sous la raison d'un objet universel, cette puissance n'est
pas diversifiée suivant la diversité des différences particulières de
l'objet. C'est pourquoi la vue , en percevant la couleur sous la raison
universelle de la couleur, n'est pas diversifiée suivant la différence du
blanc et du noir, parce qu'elle ne considère le blanc et le noir qu'en
tant que coloré. Or, comme c'est par l'intellect possible que tout doit
être fait, comme il est dit dans le livre III de l'ame, il considère l'objet
sous la raison commune de l'être, et par conséquent la puissance in-
tellective appréhensive ne peut être diversifiée suivant aucune diffé-
rence de l'être. Néanmoins l'intellect actif et l'intellect possible sont
diversifiés à l'égard de cet objet, parce qu'il doit y avoir par rapport
au même objet une puissance active et une autre passive, comme il a
été dit. On voit par là. que l'intellect spéculatif et l'intellect pratique
sont la même chose ; la raison en est que ce qui a trait accidentelle-
principia per se nota alicujus scientiae , et
sic appellatur intellectus dispositus. Tertio
modo potest considerari , prout habet ha-
bitum scientiee, non tamen utitur habitu,
et sic appellatur intellectus perfectus in
habitu. Quarto modo , secundum quod
actu, considérât secundum habitum, et sic
dicitur intellectus adeptus in actu , et de
isto intellectu volunt quidam intelligi illud
verbum Philosophi in III. De anima, quod
intellectus quandoque intelligit , quando-
que non, sed semper. Iste autem intellec-
tus impossibilis licet secundum diversas
ejus perfectiones et operationes diversi-
mode nominetur, non tamen potest aliquo
modo multiplicari secundum substantiam
potentia1, cujus ratio est quia, ut dictum
est, potentia non diversificatur nisi secun-
dum diversam rationem objecti. Nunc au-
tem sic est quod quando potentia aliqua
ordinatur ad aliquod objectum sub ratione
universali objecti, non diversificatur po-
tentia illa secundum diversitatem particu-
larium differentiarum objecti. Unde visus
quia respicit colorem sub universali ra-
tione coloris, non diversificatur secundum
diversitatem albi et nigri, quia nec album
nec nigrum considérât , nisi in quantum
coloratum. Cum autem intellectus possi-
bilis sit, quo est omnia iieri, ut dicitur III.
De anima , respicit objectum sub ratione
communi entis , et ideo secundum nullam
differentiam entis potest diversificari po-
tentia intellectiva apprehensiva. Respectu
tamen istius objecti diversificatur intellec-
tus agens et intellectus possibilis , quia
respectu objecti ejusdem oportet esse aliam
potentiam activam et aliam passivam , ut
dictum est. Ex hoc patet quod idem sit
intellectus speculativus et practicus, cujus
SUR LES PUISSANCES DE L'AME. 23
ment à la raison de l'objet que regarde une puissance quelconque, ne
diversifie pas cette puissance. En effet, parce qu'il arrive à un objet
coloré d'être grand ou petit, homme ou âne , tous ces accidents n'en
sont pas moins perçus par la même puissance visuelle. Or, il est
constant que c'est un accident d'une chose perçue par l'intellect d'être
ordonnée ou non à une œuvre; c'est pourquoi l'intellect spéculatif et
l'intellect pratique diffèrent, en ce que la fin de l'intellect spéculatif
est la vérité seule, et l'œuvre celle de l'intellect pratique, comme il
est dit dans le livre II de la Métaphysique. Il est évident qu'ils ne sont
qu'une même puissance , ce que prétend ouvertement Aristote , dans
le troisième livre de l'Ame , où il dit : « Que l'intellect spéculatif
devient pratique par l'extension de la chose perçue à l'œuvre, ce
qui montre qu'ils diffèrent par la fin seule. » On voit aussi par là que
l'intellect et l'intelligence ne sont pas des puissances différentes, mais
diffèrent dans le sens adopté par Aristote, non pas à la vérité comme
la puissance de la puissance, mais comme l'acte de la puissance.
Car l'intellection est l'acte de l'intellect , qui est intelligence, suivant
ce que dit Aristote, dans le livre III de l'Ame. L'intelligence appar-
tient aux indivisibles en qui le faux ne se trouve pas. Cependant in-
telligence est prise quelquefois, par certains philosophes, pour nature
ou substance séparée , qui est dite intelligence , parce qu'elle com-
prend toujours. Mais l'intellect ne peut différer de la raison , ce qui
est évident, si l'on considère leurs actes avec soin. Comprendre, c'est
considérer la vérité par une simple intuition. Mais raisonner, c'est
passer d'une chose comprise à une autre, pour connoître la vérité in-
telligible , ce qui fait que la raison commence toujours par l'intellect
et se termine à lui. C'est pourquoi il est clair que raisonner et com-
prendre diffèrent comme être en mouvement et être en repos. Or ,
secundum quod intelligentia accipitur a
Philosophe, non quidem sicut potentia a
potentia, sed sicut actus a potentia. Intel-
ligentia euim est actus ipsius intellectus,
qui est intelligentia , juxta illud Philoso-
phi, III. De anima. Indivisibilium intelli-
gentia est, in quibus non est falsum. In-
telligentia tamen aliquando a Philosophis
accipitur pro natura vel substantia sepa-
rata, quae intelligentia dicitur , quia sem-
per intelligit. Intellectus autem a ratione
differre non potest , quod patet, si eorum
actus diligenter consideretur. Intelligere
est veritatem simplici intuitu considerare.
Ratiocinari autem est de uno intellectu ad
aliud procedere , ad veritatem intelligibi-
lem cognoscendam , unde ratio incipit
semper ab intellectu et ad intellectum ter-
minatur. Unde patet quod ratiocinari et
intelligere differunt, sicut moveri et quies-
ratio est, quia illud quod accidentaliter
habet se ad rationem objecti, quam respicit
aliqua potentia , non diversificat potentiam,
quia enim accidit colorato , quod sit ma-
gnum aut parvum, homo vel asinus, ideo
omnia ista per unam potentiam visivam
apprehenduntur. Constat autem quod acci-
dit apprehenso per intellectum, quod ordi-
netur ad opus vel non ordinetur : unde
cum secundum hoc différant intellectus
speculativus et practicus, quia finis specu-
lativi est sola veritas, practici vero opus,
ut dicitur II. Metaph., manifestum est,
quod sunt una potentia , quod aperte vult
Philosophus, III. De anima, ubi dicit quod
intellectus speculativus extensione, scilicet
apprehensi ad opus fit practicus, ex quo
patet quod solo fine differunt. Ex hoc etiam
apparet quod intellectus et intelligentia
non sunt diversae potentiœ, sed differunt
24 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 6.
d'après Aristote , dans le deuxième livre du Ciel et du monde, il est
constant, dans les choses corporelles, qu'une chose se meut vers
un lieu ou repose dans un lieu par la même puissance. Donc à
plus forte raison, dans les choses spirituelles, c'est par la même puis-
sance que nous raisonnons et que nous comprenons , que nous cher-
chons la vérité, et que nous la concevons après l'avoir trouvée. Il ne
peut pas même y avoir une raison supérieure et inférieure d'une
puissance diverse, parce que la raison inférieure est dite ainsi à cause
qu'elle a trait aux choses inférieures , et la raison supérieure aux
choses supérieures. Or, il y a deux manières d'avoir trait aux choses
supérieures, la première en les considérant en elles-mêmes, la se-
conde en prenant d'elles des règles pour faire les choses inférieures.
Mais ces deux objets, savoir les choses temporelles et les choses éter-
nelles, sont comparés de deux manières à notre connoissance. La
première suivant la voie de l'invention, et ainsi les choses temporelles
sont pour nous le chemin qui mène aux choses éternelles , suivant ce
passage de la première Epître aux Romains : «Xes choses invisibles
de Dieu sont comprises et connues par le moyen des choses créées.»
La seconde par voie de résolution et de jugement, et ainsi nous dispo-
sons des choses temporelles par le moyen des choses éternelles. 11 en est
ainsi maintenant que, bien que le moyen et ce à quoi l'on arrive par
le moyen puissent appartenir à différentes habitudes, ils n'appar-
tiennent jamais à des puissances différentes, mais à la même. D'où il
suit que quoique les principes et les conclusions appartiennent à des
habitudes différentes , parce que les principes regardent l'habitude
des principes de l'intellect, et les conclusions l'habitude des conclu-
sions de la science, les uns et les autres néanmoins appartiennent à la
même puissance! Donc la considération des choses éternelles, quoique
appartenant à une habitude autre que la considération des choses
cere. Constat autem secundum Philoso-
phum, II. Cœli et mundi, quod per eam-
dem potentiam movetur aliquid ad locum
et quiescit in loco in corporalibus. Ergo
multo fortius in spiritualibus per unam et
eamdcm potentiam ratiocinamur et intel-
ligimus, veritatem inquirimus et inventam
intelligimus. Ratio etiam superior et in-
ferior diversae potentiae esse non possunt,
quia ratio inferior ex hoc dicitur , quod
rébus inferioribus intendit, ratio superior,
quia superioribus. Superioribus autem in-
tendere potest dupliciter : uno modo spe-
culando ea in seipsis ; alio modo accipiendo
ex ipsis régulas inferiorum agendorum.
Ista autem duo objecta, scilicet temporalia
et œterna, comparantur ad cognitionem
nostram dupliciter. Uno modo , secundum
viam inventionis, et sic temporales sunt
nobis via deveniendi in aeterna, juxta illud
Rom., I : «Invisibilia Dei per ea quœ facta
sunt intellecta conspiciuntur. » Alio modo
per viam resolutionis et judicii, et sic per
rationes œternorum , temporalia disponi-
mus. Nunc autem sic est quod licet mé-
dium, et illud ad quod per médium deve-
nitur, possint ad diversos babitus pertinere,
nunquam tamen ad diversas potentias, sed
ad eamdem : onde licet principia et con-
clusiones pertineant ad diversos habitus,
quia principia ad habitum intellectus prin-
cipiorum, conclusiones ad habitum scientiae
conclusionum , tamen utraque pertinet ad
eamdem potentiam. Ergo consideratio ae-
ternorum, licet ad alium habitum perti-
neat quam consideratio ternporalium, quia
SUR LES PUISSANCES DE l'âME. 25
temporelles, parce que celle-ci regarde la sagesse qui a rapport aux
choses éternelles, et celle-ci la science qui a rapport aux choses tem-
porelles, néanmoins il faut que la considération des unes et des autres
appartienne à la même puissance. On dit cependant partie supérieure
et partie inférieure, parce que partie "vient de partage, et là, quoiqu'il
n'y ait point partage de puissance, il y a néanmoins partage d'habi-
tudes et d'offices, aussi saint Augustin les appelle- t-il deux parties.
CHAPITRE VII.
De la volonté et du libre arbitre qui sont une même chose.
Après avoir parlé de la- puissance appréhensive intellective, nous
allons parler de la puissance motive ou appétitive qui est appelée vo-
lonté. Or la volonté est double; l'une naturelle , l'autre délibérative.
En effet, la volonté peut être mue par un mouvement naturel comme
les autres puissances , et cela pour le salut de la nature, et ainsi elle
est appelée volonté naturelle. Elle peut, d'une autre manière, être mue
vers quelque chose suivant qu'elle abonde plus que les autres en li-
berté en suivant son moteur qui est ljintellect , ou la fantasia , et dans
ce sens elle est indéterminée par rapport aux intelligibles , ce qui fait
que dans ce sens elle est délibérative. 11 n'y a pas cependant diffé-
rentes volontés, mais une seule volonté diversement mue ou se mou-
vant elle-même. Mais cette volonté ne se divise pas par l'irascible et
le concupiscible, comme l'appétit sensitif , parce qu'elle considère le
bien sous la raison particulière du bien, comme le sens saisit la raison
particulière du bien, en raison de quoi les appétits sensitifs sont di-
versifiés suivant les raisons particulières des biens. Car le concupis-
cible regarde la raison propre du bien en tant qu'il est délectable sui-
vant les sens, et convenable à la nature. Virascible, au contraire,
illa ad sapientiam quee est de seternis, ista
ad scientiam qua; est de temporalibus, ta-
men oportet quod ad eamdcm potentiam
pertineat utrorumque consideratio. Dicitur
tamen pars superior et inferior , quia pars
a partitione dicitur; ibi aulem, licet non
sit partitio potentiarum , tamen partitio
habituum et officiorum est ibi, et ideo di-
cuntur ab Augustino duœ partes.
CAPUT VII.
De voluntate et libero arbilrio , quod sunt
idem.
Viso de apprehensiva intellectiva, videa-
mus de motiva vel appetitiva, qua? dicitur
voluntas. Voluntas autem est duplex. Una
naturalis, alia deliberativa. Potest enim
voluntas moveri motu naturali sicut aliae
potentise, et hoc ad salvationem naturse,
et sic dicitur voluntas naturalis. Alio modo
potest moveri ad aliquid, secundum quod
abundat ab aliis in libertate , sequendo
suum motorem qui est intellectus vel phaii-
tasia, et sic est indeterminata , respectu
intelligibilium , unde sic est deliberativa.
Nec tamen sunt divers® voluntates , sed
una diversimode mota vel movens seipsam.
Ista autem voluntas per irascibilem et con-
cupiscibilem non dividitur, sicut appetitus
sensitivus , quia respicit bonum sub parti-
culari ratione boni , sicut et sensus parti-
cularem rationem boni apprehendit ; ideo
secundum particulares rationes bonorum
diversificantur appetitus sensitivi. Concu-
piscibilis enim respicit propriam rationem
boni, in quantum est delectabile secundum
26 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 7.
regarde la raison particulière du bieu , en tant qu'il le repousse et le
combat, ce qui occasionne un préjudice. Or, la volonté considère le
bien sous la raison universelle du bien , aussi les puissances ne sont
pas diversifiées en elle suivant les raisons diverses des biens particu-
liers, suivant le concupiscible et l'irascible. La volonté délibérative et
le libre arbitre ne sont qu'une même chose. Elle ne peut pas, en effet,
être une habitude, comme certains l'ont dit, car par les habitudes
nous nous portons vers les passions d'une manière déterminée en
bien ou en mal, comme il a été dit dans le second livre des Ethiques;
tandis que le libre arbitre se porte indifféremment à bien ou mal agir,
c'est ce qui fait dire qu'il est une même puissance avec la volonté.
Néanmoins il ne dénomme pas la volonté d'une manière absolue, mais
bien par comparaison à la raison, en tant que, par exemple , la vertu
de la raison délibérante demeure en elle ; c'est pourquoi , comme
vouloir est de la volonté, d'une manière absolue, de même choisir est
du libre arbitre , en tant que la force de la raison demeure en elle.
Mais, bien qu'elle soit une puissance, elle est quelquefois dénommée
par son acte, ce qui fait qu'elle est appelée libre arbitre, comme libre
jugement de la raison. Elle est aussi appelée faculté, parce que c'est
une puissance disposée à l'opération. Elle est également appelée ha-
bitude, par saint Bernard, non pas en tant que l'habitude est séparée
de la puissance , mais en tant qu'il signifie une habitude quelcon-
que, par laquelle on se porte à l'acte de la même manière ; c'est pour-
quoi le libre arbitre est brièvement comparé à la volonté de la même
manière que la raison à l'intellect ; parce que de même que la raison
acquiert des connoissances en discourant d'une chose à une autre, ce
que l'intellect fait simplement et d'une manière absolue , de même
aussi le libre arbitre est un appétit pour acquérir quelque chose, c'est
serisum et conveniens naturee. Irascibilis
autem respicit particularem rationem boni
secundum quod est repulsivura et pugna-
tivum ejus, quod infert nocumentum. Vo-
luntas autem respicit bonum sub univer-
sali ratione boni, et ideo non diversifi-
cantur in ea potentiœ secundum diversas
particularium bonorum rationes , secun-
dum concupiscibilem et irascibilem. Vo-
luntas autem deliberativa et liberum. ar-
bitrium idem sunt. Non enim potest esse
habitus, ut quidam dixerunt, quia per ha-
bitus nos habemus determinate ad passio-
nes et actus bene vel maie , ut dicitur II.
Ethù:. Liberum autem arbitrium indiffe-
renter se habet ad bene agendum vel
maie, unde oportet dicere quod sit poten-
tia eadem scilicet cum voluntate. Non ta-
men nominat voluntatem absolute, sed per
comparationem ad rationem, in quantum
scilicet manet in ea virtus rationis délibé-
rante : unde sicut velle est voluntatis, ab-
solute, ita eligere est liberi arbitra, in
quantum in ea manet virtus rationis. Licet
autem sit potentia, tamen per actum suum
aliquando nominatur, unde dicitur liberum
arbitrium , quasi liberum de ratione judi-
cium. Facultas etiam dicitur, quia poten-
tia est expedita ad operandum. Dicitur
etiam habitus a Bernardo, non prout ha-
bitus dividitur contra potentiam, sed prout
dicit aliquam habitudinem, per quam ali-
quis eodem modo se habet ad actum, unde
breviter eodem modo comparatur liberum
arbitrium ad voluntatem, sicut ratio ad
intellectum , quia sicut ratio per discur-
sum unius ad alterum cognoscit, quod in-
tellectus simpliciter et absolute facit , sic
liberum arbitrium est appetitus alicujus ad
aliquid consequendum , unde est eorum
SUR LES PUISSANCES DE l'àME. 27
pour cela qu'il est des choses qui regardent la fin. Mais la volonté est
rapjpétit de la chose d'une manière absolue ; c'est pourquoi elle est
dite être de la fin qui estappétée pour elle-même.
CHAPITRE VIII.
Dans quelles puissances de l'ame se trouve le péché, et quelles sont celles
où il n'est pas.
Après avoir parlé des puissances de l'ame , il faut examiner dans
lesquelles le péché peut être ou n'être pas. Il faut donc dire , suivant
saint Grégoire, que toute créature est comprise nominativement sous
le nom d'homme , parce que celui-ci a quelque chose de commun
avec toutes les créatures. Il a, en effet, l'être avec les pierres, la vie
avec les arbres, la sensibilité avec les bêtes, l'intelligence avec les
anges. Mais le mouvement ne lui convient pas par la raison par la-
quelle il a l'être, parce qu'alors le mouvement conviendroit à tous les
êtres. Mais en vertu de la raison par laquelle il vit, sent et conçoit,
un triple mouvement lui convient , savoir le mouvement naturel, le
mouvement animal et le mouvement rationnel. Or, le mouvement na-
turel existe suivant une inclination nécessaire en dehors de l'appré-
hension de quelque chose de délectable, et comme lorsqu'il y a incli-
nation nécessaire , il n'y a ni soumission, ni obéissance à la raison ;
en conséquence le mouvement naturel dans l'homme, tel que le mou-
vement de nutrition, d'accroissement, de génération, en tant que ces
mouvements suivent la nécessité de la nature et précèdent l'appré-
hension, ils ne peuvent être sujets du péché, parla raison que le péché
est volontaire en quelque manière et sujet à la raison , c'est pourquoi
il ne peut pas y avoir de péché dans les actes de la partie végétative.
Le mouvement animal suit l'appréhension du délectable et a l'être
quae sunt ad finem. Voluntas autem est
appetitus rei absolute : unde dicitur esse
ipsius finis, qui propter se appetitur.
CAPUT VIII.
In quibus potenliis animœ est peccalum , et
in quibus non.
Viso de potentiis animœ, videndura est
in quibus potest esse peccatum, et in qui-
bus non. Dicendum est ergo secundum
Gregorium, quod omnis creatura, nomine
homo intelligitur, quia cum omni creatura
habet aliquid commune. Habet enim esse
cum lapidibus, vivere cum arboribus, sen-
tire cum bestiis , intelligere cum angelis.
Ratione vero qua homo habet esse, non
convenit ei aliquis motus, quia sic motus
conveniret omnibus entibus. Ratione vero
qua vivit , sentit et intelligit, convenit ei
aliquis motus , quia sic motus conveniret
omnibus entibus. Ratione vero qua vivit,
sentit et intelligit, convenit ei triplex mo-
tus, scilicet naturalis,animalis et rationalis.
Motus autem naturalis est secundum ne-
cessariam inclinationem prseter alicujus
delectabilis apprehensionem , et quia ubi
necessaria est inclinatio , ibi nulla subjec-
tio vel obedientia ad rationem ; ideo motus
naturalis in homine sicut est motus nutri-
tive , augmentativœ , generativee , secun-
dum quod sequuntur riaturae necessitatem
et antecedunt apprehensionem , non pos-
sunt esse subjectum peccati, eo quod pec-
catum aliquo modo est voluntarium et
rationi subjectum , unde in actibus partis
végétative , non potest esse peccatum.
Motus vero animalis sequitur delectabilis
apprehensionem et habet esse in appetitu
28 OPUSCULE XLII, CHAPITRE 8.
dans l'appétit sensitif qui est rationnel par participation, ce qui fait
dire à Aristote, sur la fin du premier livre de YEthique, qu'il est en
quelque sorte soumis à la raison , quoi qu'il ne le soit pas simpliciter
à cause de la corruption et de l'infection. D'où il suit que le péché,
étant un acte moral et ordonné, peut se trouver dans la puissance qui
est soumise d'une certaine façon au principe moral, c'est-à-dire à la
volonté. Néanmoins, comme ces actes ou mouvements animaux ne
sont pas entièrement soumis à l'empire de la volonté , parce qu'ils ne
sont ni produits , ni commandés par la volonté , comme les mouve-
ments qui comportent la délibération, mais sont seulement permis
par la raison et la volonté , quoiqu'ils aient le caractère de péché, ce
n'est que de péché incomplet , cependant, qui est le péché véniel,
mais non complet, ce qui est le péché mortel. Donc, parce que le
péché est attribué comme au sujet de la puissance qui le commet ou
qui est son principe, conséquemment dans la sensualité qui dénomme
l'appétit sensitif dans l'homme, comme il a été dit dans la distinction
des puissances de l'ame, il peut y avoir péché véniel comme dans le
sujet, mais non péché mortel. Le mouvement rationnel est celui qui
est libre suivant la raison par laquelle un acte doit être ordonné vers
sa fin légitime. C'est pourquoi, s'il est détourné de sa fin légitime,
l'acte a le caractère de péché, parce que c'est le propre de la raison
d'ordonner ses actes. Or la raison a un double acte, un selon soi, par
comparaison à son objet qui est de connoître quelque vérité propre;
il est désordonné quand la raison ne fait pas convenablement son of-
fice comme elle le doit, et ainsi le désordre est occasionné par l'igno-
rance.1 La raison a un autre acte comme directrice des actes humains,
et cet acte consiste à domirer et à réprimer les forces inférieures, et
elle pèche par cet acte , quand elle commande ce qu'elle ne doit pas
sensitivo , qui-est rationalis per participa-
tionem, unde dicit Philosophus, I. Ethic,
in fine. Est itaque aliquo modo obedibile
rationi , et si non simpliciter propter cor-
ruptionem et infectionem. Unde, quia pec-
catum est actus rnoralis et ordinalus , po-
test esse in illa potentia quae subjacet ali-
quo modo principio morali, id est voluntati.
Quia tamen actus isti vel motus animales
non omniuo subsnnt imperio voluntatis,
quia non eliciuntur, nec imperantur a vo-
luntate , sicut motus deliberationem su-
mentes, sed solum perniittuntur a ratione
et volunjate ; ideo licet habeant rationem
peccati, tamen incompleti , quod est pec-
catum veniale, non autem completi, quod
est mortale. Quia ergo peceatum attribui-
tur ut subjecto potentiae, quae ipsum elicit
vel est principium ejus; ideo in sensuali-
tate quae nominat appétit um sensitivum
in homine, ut dictum est in distinctione
potentiarum animae, potest esse peceatum
veniale, tanquam in subjecto, non autem
peceatum mortale. Motus autem rationalis
est qui est secundum rationem liber um,
per quam débet actus ordinari in debitum
finem. Unde si deordinetur a debito fine,
habet actus rationem peccati, cum rationi
sit actum suum ordinare. Ratio autem ha-
bet duplicem actum. Unum secundum se ,
per comparationem ad objeclum suum,
quod est cognoscere aliquod propriuni ve-
rum, qui est tune inordinatus, quando ra-
tio non recte se habet circa ea ad quae te-
netur et débet, et sic inordinatio causatur
ex ignorantia. Alium actum habet ratio,
in quantum est directiva humanorum ac-
tuum, et iste actus est imperare vel coer-
cere vires inferiores, et per istum actum
peccat, quando imperat quod non débet
SUR LES PUISSANCES DE l'aME. 29
commander, ou ne réprime pas ce qu'elle doit réprimer. Il n'est pas
contraire à cette doctrine de dire que le péché est dans la volonté ; car
la raison précède la volonté d'une certaine façon, et de même celle-ci
la raison, parce que la raison dirige la volonté, et la volonté meut la
raison,' et par conséquent le mouvement de la volonté est appelé ra-
tionnel, et le mouvement de la raison volontaire. Dans la raison même
supérieure il peut y avoir péché tant mortel que véniel. Car la raison
supérieure doit se montrer dans l'objet propre et dans les objets des
forces inférieures. Elle ne_^enorte dans les objets des forces infé-
rieures qu'en consultant sur eux les lois éternelles, c'est pourquoi
elle se porte en eux par mode de délibération , d'où il arrive que si
l'objet des forces inférieures est de sa nature péché mortel , l'acte de
la raison supérieure est aussi mortel. Si, au contraire, cet objet est
de la nature du péché véniel , il sera véniel , comme on voit lorsque
l'on consent aune parole oiseuse. Quant à l'olnjeJjDropxe, la raison su-
périeure a un double mouvement, l'un qui est une simple intuition
de son objet, et ce mouvement peut être subit dans les choses divines
et désordonné, et parce que un désordre, subit sans délibération, n'est
pas péché mortel, un tel acte est par conséquent péché véniel, comme
un mouvement subit d'infidélité, quoique l'infidélité soit péché mortel. •
Il y a un autre acte de, la raison supérieure relativement à l'objet
propre par délibération , comme lorsqu'il arrive un mouvement de
doute touchant la résurrection des morts et qu'on se rappelle en
même temps que la résurrection des morts est révélée par la loi de
Dieu. Si après le souvenir connu de la loi de Dieu on a un mouvement
de doute , alors ce mouvement est délibéré , et c'est un péché d'in-
fidélité complet et mortel.! Il est ainsi évident que la raison inférieure
peut pécher véniellement et mortellement , mais non sans le consen-
imperare , vel non coercet quod débet
coercere. Nec contra istud est, quod pecca-
tum dicitur esse in voluntate. Ratio enim
quodammodo prœcedit voluntatem , quo-
dammodo voluntas rationem, quia ratio
dirigit voluntatem , et voluntas raovet ra-
tionem, et ideo motus voluntatis dicitur
rationalis, et motus rationis voluntarius.
In ratione etiam superiori potest esse pec-
catum tam mortale quam veniale. Ratio
enim superior habet fieri in objectum pro-
prium et in objecta virium inferiorum.
In objecta virium inferiorum non fertur,
nisi in consulendo eis leges aeternas, et
ideo in ea fertur per modum deliberatio-
nis , unde si objectum virium inferiorum
est de génère suo mortale peccatum, actus
etiam motus superioris rationis est mor-
tale peccatum. Si autem sit in génère pec-
cati venialis, erit veniale , ut patet cum
quis consentit in verbum otiosum. Girca
proprium autem objectum habet ratio su-
perior duplicem motum , unum scilicet
simplicem intuitum sui objecti, et iste
motus potest esse subitus circa divina et
inordinatus , et quia inordinatio subita,
sine deliberatione, non est peccatum mor-
tale, ideo talis actus est peccatum veniale,
ut subitus motus infidelitatis, quamvis in-
fidelitas sit peccatum mortale. Alius est
actus superioris rationis circa objectum
proprium per deliberationem, ut cum oc-
currit motus infidelitatis de resurrectione
mortuorum , et statim occurrat resurrec-
tionem mortuorum a lege Dei traditam , si
post conscientiam legis habeat motum in-
fidelitatis, tune ille motus deliberatus est,
et est peccatum. infidelitatis completum et
mortale. Et sic patet quod ratio inferior
potest peccare venialiter et mortaliter, sed
30 OPUSCULE XLII, CHAP. 8, SUR LES PUISSANCES DE L'AME.
tement ou la négligence de la raison supérieure. La raison supérieure
de son côté peut pécher quelquefois véniellement , d'autres fois mor-
tellement et dans la comparaison avec les objets des forces inférieures,
et dans la comparaison avec l'objet propre. Or la volonté a son
être principalement sujet du péché , parce qu'aucun acte n'est péché,
sans être volontaire en quelque manière, comme un acte de la volonté
de son ame, puisqu'il n'y a point d'acte proprement bon ou mauvais
d'une bonté ou d'une malice morale , comme l'acte de la volonté, et
parce que l'acte de la volonté ne passe pas dans la matière extérieure,
mais demeure dans l'agent dont il est le plus parfait , un tel acte est
par conséquent dans la volonté comme dans le sujet. C'est pourquoi
c'est dans la volonté que se trouve le plus complètement le péché , et
dans les autres puissances en raison de leur soumission à la volonté,
ainsi qu'on a pu le voir.
Fin du quarante-deuxième opuscule de saint Thomas d'Aquin sur
les puissances de Vame.
L'Abbé VÉDRINE.
non sine consensu vel negligentia superio-
ris. Ratio vero superior, quandoque venia-
liter, quandoque mortaliter et in compa-
ratione ad objecta viriura inferiorum, et
in comparatione ad objectum' proprium.
Ipsa autein voluntas maxime subjectum
peccati habet esse , quia nullus actus est
peccatum, nisi aliquo modo sit voluntarius,
gicut actus animae ipsius voluntatis, cum
nullus actus sit ita proprie bonus vel ma-
lus bonitate vel malitia morali, si eut actus
voluntatis. Et quia actus voluntatis non
transit in exteriorem materiam, sed manet
in agente, cujus est perfectior, ideo talis
actus est in voluntate sicut in subjecto.
Unde et in voluntate completissime habet
esse peccatum , et in aliis potentiis secun-
dum quod voluntati subduntur , ut visum
est.
Explicit Opusculum qmdragesimum se-
cundum divi Thomœ Aquinatis, de potentat
OPUSCULE XLIII, SUR LE TEMPS. 31
OPUSCULE XLIII.
DU MÊME DOCTEUR, SUR LE TEMPS.
CHAPITRE PREMIER.
Le temps a l'être en dehors de la matière.
Au sentiment d'Aristote, au deuzième livre de la Métaphysique, la
difficulté dans la connoissance de la vérité a deux causes, dont l'une
vient de nous et l'autre des choses qui sont l'objet de la cognition.
Car toute chose étant connue suivant ce qu'elle est en acte , les choses
qui sont le plus en acte en elles-mêmes, sont celles qui sont le plus sus-
ceptibles d'être connues. C'est pourquoi, sinotreintellectnepeut parve-
nir aies atteindre, cela vient de nous et non pas d'elles. Celles, au con-
traire, qui ont la plus petite entité en elles-mêmes, sont celles qui sont
le moins susceptibles d'être connues. Si nous les ignorons, cela vient
non-seulement de nous, mais aussi d'elles. Or, de telles choses sont
matière première laquelle n'est pas en soi être en acte; ce sont des choses
successives qui n'ont pas une existence complète par soi , mais une
existence par quelque chose indivisible de soi ; du nombre de ces
choses est le temps. Il suit de là qu'il est dificile de savoir ce que c'est
que le temps. Néanmoins, pour connoître ce qu'il est, il faut connoître
s'il est, parce qu'il est impossible de connoître ce qu'est une chose, si
on ignore si elle est. On doute donc d'abord si le temps existe, et il
OPUSCULUM XLIII.
Ejusdem doctoris, de tempore.
CAPUT PRIMUM.
Quod tempus habet esse extra materiam.
Sicut vult Philosophus, II. Metaph., dif-
ficultas in cognoscendo veritatem , causa-
tur ex duobus , quia causatur quandoque
ex parte nostra, quandoque ex parte rerum
cognoscibilium. Cum enim unumquodque
cognoscatur secundum quod est in actu,
quse secundum se sunt maxime actu , se-
cundum se sunt maxime cognoscibilia.
Unde quod intellectus noster ad eorum co-
gnitionem non attingat , hoc non est ex
se, sunt minime cognoscibilia. Unde quod
ea ignoremus, hoc non solum est ex parte
nostra , sed etiam ex parte eorum. Talia
autem sunt materia prima, quœ secundum
se non est eus in actu, et omnia successiva,
quae secundum se tota non extant, sed se-
cundum aliquid indivisibile sui , de nu-
méro quorum est tempus. Ex quo sequi-
tur quod difficile est cognoscere quid sit
tempus. Ad cognoscendum tamen quid sit,
oportet cognoscere an sit, quia impossibile
est cognoscere de aliquo quid sit, ignorato
an sit. Dubitatur ergo primo an tempus sit,
parte eorum, sed ex parte nostra. 111a vero et videtur quod non, quia illud quod com-
quee minimarn entitatem habent secundum I ponitur ex partibus quœ non sunt , vide-
32 OPUSCULE XLI1I, CHAPITRE 1.
paroît que non, parce que ce qui se compose de parties qui n'existent
pas semble n'avoir pas d'existence. Car l'entité d'un tout semble ré-
sulter de l'entité des parties; or le temps se compose du passé et de l'a-
venir qui n'existent pas, le passé a existé et n'existe plus, et l'avenir
n'existe pas encore; il semble donc que le temps ne possède pas l'être.
Et on ne peut pas dire qu'une partie du temps existe maintenant en soi,
parce qu'il n'y a pas dans le moment présent une partie du temps.
Car toute partie prise une fois sert à mesurer le tout, ou du moins
toute partie tombe dans la composition du tout. Mais ce qui est pris
présentement en plusieurs fois ne sert pas à mesurer le temps, et le
temps n'en est pas composé non plus, comme on le prouve dansée
livre YI de la Physique, par la raison qu'une chose continue ne peut
être composée d'indivisibles. D'où il est évident que le moment pré-
sent n'est pas une partie du temps. Il n'y a donc rien du temps qui
soit partie du temps. Je réponds qu'il faut dire que l'existence du
temps est nécessaire , ce qui est évident puisque toutes les choses gé-
nérables et corruptibles s<»nt mesurées par le temps, car elles tirent
du temps le principe et la fin de leur être, ainsi que le veut Aristote,
livre IV delà Physique. Si donc le temps n'existoit pas, il n'y auroit
rien degénérable ou d'incorruptible, ce qui ne peut se dire. Il s'est
cependant trouvé des philosophes qui , pour les raisons alléguées ci-
dessus , ont affirmé que le temps n'existoit que dans l'ame , et ils
donnent deux raisons pour prouver leur assertion. La première, c'est
que le temps étant un nombre mû, ou il existe dans la matière numé-
rable, ou dans l'ame qui nombre; la première supposition ne peut
pas se faire, parce que la matière numérable du temps n'est autre
chose que la priorité ou la postériorité dans le mouvement, en quoi il
ne peut pas être, puisque ce sont des non-êtres. Il s'ensuit donc que
tur non esse. Entitas enim totius videtur
consurgere ex entitate partium ; tempus
autem componitur ex prœterito et futuro,
quœ non sunt , prœteritum enim fuit et
non est, futurum autem nondum est, vi-
detur ergo tempus non esse. Nec potest
dici, quod aliqua pars temporis sit, scilicet
ipsum nunc, quia nunc pars temporis non
est. Omnis enim pars aliquoties accepta
mensurat totum, aut saltem omnis pars
cadit in compositione totius. Nunc autem
multoties acceptum , non mensurat totum
tempus , nec iterum ex ipsis non compo-
nitur tempus, ut probatur VI. Phys., eo
quod ex indivisibilibusnon potest componi
aliquod continuum. Unde manifestum est
quod nunc non est pars temporis. Nihil
ergo quod sit pars temporis , de tempore
existit. Respondeo dieendum, quod neces-
sarium est tempus esse ; quod patet quia
omnia generabilia et corruptibilia tempore
mensurantur. Accipiunt enim principium
et finem sui esse in tempore, ut vult Phi-
losophus, IV. Phys. Si ergo tempus non
esset, nihil esset generabile vel corrupti-
ble, quod est inconveniens , tempus ergo
est. Fuerunt tamen quidam , qui propter
rationem superius inductam , dixerunt
tempus non esse nisi in anima, qui ad con-
firmandam suam positionem adducunt duas
rationes. Prima est, quia cura tempus sit
numerus motus, aut erit in materia nume-
rabili, aut in anima numerante ; non pri-
mum, quia materia numerabilis temporis
non est nisi prius et posterius in motu, in
quibus nihil potest esse, cum ipsa sint non
entia. Sequitur ergo quod tempus solum
sit in anima numerante. Secunda est ratio,
SUR LE TEMPS. . 33
le temps existe seulement dans l'ame numératrice. La seconde raison
est que si le temps existoit dans une chose ab extra, comme le nombre
d'un mouvement extérieur , il s'ensuivroit alors que celui qui ne
saisiroit pas le mouvement extérieur, ne saisiroit pas non plus le
temps, ce qui est contraire au sentiment d'Aristote , qui dit au qua-
trième livre de la Physique, que si étant dans les ténèbres nous n'é-
prouvons rien par la vue des choses extérieures visibles, et nous ne
sentons pas quelque mouvement des corps extérieurs, pourvu néan-
moins qu'il se fasse quelque mouvement dans l'ame par la succession
des pensées et des imaginations, nous avons toujours le sentiment du
temps. Il suit de là que le temps suit toujours le mouvement qui est
dans l'ame, et qu'il n'existe que dans l'ame. C'étoit l'opinion deGalé-
nus admise aussi en partie par Averrhoès, lorsqu'il a dit que le temps
étoit hors de l'ame sous un certain rapport, mais seulement dans
l'ame quant à son complément. Cela ne peut être vrai , parce que le
temps étant un nombre mû et un nombre nombre, il est ainsi nécessaire
que le temps existe comme existe le mouvement. Or, il est constant
que le mouvement est dans la chose ab extra , donc le temps existe
ab extra dans la chose. De même une quantité continue est une vraie
chose hors de l'ame; or le temps est une vraie quantité continue, donc
il est impossible qu'il soit dans l'ame ; il faut donc dire par conséquent
que le temps est dans la chose ab extra. Pour comprendre cela il faut
considérer que le nombre étant dans les choses nombrées, comme
l'être des choses nombrées dépend de l'intellect numérateur, il en
est de même du nombre , tandis que l'être des choses nombrées ne
dépend pas de notre intellect, mais bien de l'intellect qui est la cause
des choses, comme l'intellect divin. Donc le nombre des choses ne
dépend pas non plus de notre intellect. Or, le temps est* un nombre
quia si tempus esset in re extra , tanquam
numerus alicujus motus exterioris, tune
sequitur quod qui non apprehenderet mo-
tum exteriorem , non apprehenderet tem-
pus, cujus oppositum vult Philosophus,
IV. Phys., qui dicit, quod sisumus in te-
nebris et nihil patiamur per visum ab exte-
rioribus visibilibus, nec sentiamus aliquem
motum exteriorum corporum, dum tamen
fiât aliquis motus in anima per successio-
nem cogitationum vel imaginationum ,
semper sentimus tempus. Ex quo sequitur
quod tempus semper sequatur motum qui
est in anima, et quod solum sit in anima.
Hujus opinionis fuit Galenus, cui etiam in
tantum consensit Averrhoès, quod dixit,
tempus secundum quid esse extra animam,
secundum vero complementum sui, esse
solum in anima. Tstud non potest habere
veritatem , quia cum tempus sit numerus
motus et sit numerus numeratus, sic est
necesse esse tempus, sicut et motus. Con-
stat autem quod motus est in re extra.
Ergo et tempus est in re extra. Item, quan-
titas continua est vera res extra animam,
tempus autem est vera quantitas continua,
ergo impossibile est quod sit in anima. Et
ideo dicendum, quod tempus sit in re ex-
tra. Ad cujus intellectum considerandum
est, quod cum numerus sit in rébus nume-
ratis, sicut dependet esse rerum numera-
tarum ab intellectu numeraute, ita et nu-
merus. Esse autem rerum numeratarum
non dependet ab intellectu nostro, sed ab
intellectu qui est causa rerum , sicut est
intellectus divinus. Ergo nec numerus re-
rum dependet ab intellectu nostro. Tem-
pus autem numerus motus est, et ideo sicut
V.
34 OPUSCULE XLIII, CHAPITRE 1.
mû, et conséquemment comme le mouvement ne dépend pas de notre
intellect, il en est de même du temps, lly en a cependant qui disent que
le mouvement dépend aussi de Famé , parce que le mouvement étant
quelque chose de successif, ses parties qui sont l'antériorité et la pos-
tériorité, n'ont pas l'être ab extra dans la chose, mais seulement dans
l'ame comparant la première disposition du mohile à la disposition
suivante, et par conséquent il n'a l'être dans l'ame que simpliciter et
quant à son être parfait. Mais dans la chose ab extra il n'a l'être que
suivant quelque chose d'indivisible de soi, et cet être est un être im-
parfait secundum quid; ils en disent de même du temps. Cette asser-
tion ne peut tenir, parce que ce en quoi le mouvemrnt existe suivant
son être complet et parfait, se meut d'une manière nécessaire. Donc,
si le mouvement existoit dans l'ame suivant son être complet, l'ame
auroit un mouvement nécessaire, ce qui ne peut pas être. C'est pour-
quoi il faut comprendre que tout être vient de l'acte. Or, l'acte est
divisible, comme le veut Aristote, livre IX de la Métaphysique. Car
il y a un acte existant tout entier et simultanément, comme l'ame ou
la blancheur. Il y a un autre acte successif, comme le jour, l'agonie,
l'infini, le vide, au nombre desquels sont le mouvement et le temps.
Donc, comme l'être suit l'acte, le mode d'être suivra le mode d'acte.
Donc l'être qui vient de l'acte premier est d'être simultanément , et
un tel être est l'être complet qui est dû à une chose perfectionnée par
l'acte premier. Au contraire, l'être qui vient de l'acte second, c'est-à-
dire de l'acte successif, est un être successif. Et tel est l'être parfait
qui est dû à un tel acte ou à une chose perfectionnée par un tel acte ;
par conséquent l'être parfait du mouvement et du temps , qui est dû
à l'un et à l'autre suivant la raison de sa propre espèce , n'est pas un
être simultanément existant, comme ils disent, maisbien un être ensuc-
motus non dependet ab intellectu nostro,
ita nec tempus. Sunt tamen quidam, qui
dicunt etiam motus dependere ab anima,
quia cum motus sit aliquod successivum ,
partes ejus quae sunt prius et posterius,
non habent esse in re extra , sed solum in
anima comparante priorem dispositionem
mobilis ad posteriorem , et ideo solum ha-
bet esse in anima simpliciter , et quantum
ad esse suum perfectum. In re autem extra
habet esse solum secundum aliquod indi-
visible sui, et istud esse est imperfectum
esse et secundum quid, et idem dicunt ipsi
de tempore. Istud non potest stare , quia
illud in quo motus est secundum esse suum
completum et perfectum , necessario mo-
vetur. Si ergo motus secundum esse suum
completum esset in anima , anima neces-
sario moveretur, quod est inconveniens, et
ideo intelligendum est quod omne esse ab
actu est. Actus autem est divisibilis , ut
vult Philosophus, IX. Metaph. Est enim
actus quidam totus simul existens , sicut
anima aut albedo. Et est alius actus suc-
cessivus, ut dies et agon, infinitum et va-
cuum, de numéro quorum sunt et motus
et tempus. Cum ergo esse sequatur actum
et modus essendi sequetur modum actus ,
esse igitur quod est ab actu primo, est esse
simul, et taie est esse completum quod de-
betur rei perfectae per primum actum. Esse
vero quod est ab actu secundo , scilicet ab
actu successivo , est esse successivum. Et
taie est esse perfectum , quod debetur tali
actui vel rei perfectae per talem actum , et
ideo esse perfectum ipsius motus et tem-
poris, quod debetur utrique secundum ra-
tionem propriae speciei, non est esse simul
existens , sicut ipsi dicunt , sed est esse in
successione , quod est secundum aliquid in-
SUR LE TEMPS. 35
eession, ce qui est suivant quelque chose d'indivisible de soi. La solu-
tion estévidenteponr les raisonsopposées. A la première assertion il faut
dire, que le passé et le futur ne sont pas pour exister simultanément, et
celan'estpasrequispour l'être du temps, puisqu'il est successif, comme
on l'a dit. Il a néanmoins l'être par quelque chose d'indivisible de soi
qui les continue présentement. Aux autres raisons qui prouvent que le
temps existe dans l'ame il faut répondre : lorsqu'on dit, le temps étant
nombre possède l'être dans la matière numérable qui est l'antériorité
et la postériorité, il faut dire que le temps a l'être dans l'antériorité et
la postériorité du mouvement. Et lorsque vous dites que ces choses
n'existent pas, c'est vrai sous l'être permanent , elles ont néanmoins
l'être successif, comme il a été dit. A l'autre assertion il faut répondre
que le temps suit un mouvement extérieur, savoir le premier mouve-
ment ; il n'y a pas d'empêchment à cela dans ce que en saisissant
tout mouvement, le mouvement premier est aussi compris au moins
virtuellement, parce qu'il est la cause de toute transmutation. Mais
parce qu'on a dit que le temps étant successif ne possède l'être tjue
par le moyen de quelque chose indivisible de soi qui est le présent, ce
n'est pas sans raison que l'on doute si le moment présent est le même
dans le même temps, ou s'ilest successivementdifferent.il semble qu'il
est absolument le même,' car de même qu'il est impossible que deux
parties de temps existent ensemble à moins qu'une ne contienne
l'autre, comme l'année contient le mois, le mois la semaine, la se-
maine le jour; de même aussi il est impossible que deux instants pré-
sents existent en même temps dans le temps, puisque l'un ne renferme
pas l'autre; si donc le premier moment présent ne peut pas être en
même temps que le suivant, il faut nécessairement que le premier
soit anéanti. Or, tout ce qui est altéré l'est dans quelque instant pré-
divisibile ipsoruin. Ad rationes in opposi-
tum patet solutio. Ad primum dicendum ,
quod prateritum et futurum non sunt sic,
ut simul sint , nec hoc requiritur ad esse
temporis , eu m sit successivum , ut decla-
ratum est ; habet tamen esse per aliquid
indivisibile sui, quod continuât ea, scilicet
per ipsum nunc. Ad alias rationes proban-
tes tempus esse in anima dicendum est.
Cum arguitur , tempus cum sit numerus,
aut habet esse in materia numerabili quse
sunt prius et posterais, dicendum quod
tempus habet esse in priori et posteriori
motus. Et cum dicis, quod hœc non sunt, ve-
rum est sub esse permanenti, habent tamen
esse successivum , ut dictum est. Ad aliud
dicendum, quod tempus sequitur motum
exteriorem aliquem , scilicet primum mo-
tum ; nec obstat hoc, quia apprehenso quo-
cumque motu, comprehenditur motus pri-
mus saltem virtualiter , eo quod ipse est
causa omnis transmutationis. Quia vero
dictum est, quod tempus cum sit successi-
vum, habet esse solum per aliquod indivi-
sibile sui, quod est nunc, non irrationabi-
liter dubitatur, utrum sit unum et idem
nunc in eodem tempore, an aliud et aliud.
Videtur enim, quod sit unum et idem, quia
sicut impossibile est duas partes temporis
simul esse, nisi una contineat aliam , sicut
annus mensem, mensis seplimanam, septi-
mana diem ; ita impossibile est duo nunc
in tempore simul esse, cum unum non con-
tineat alterum; si ergo primum nunc non
potest simul esse cum posteriori, necesse
est primum esse corruptum. Omne autem
quod est corruptum , corruptum est in
aliquo nunc. Nunc ergo quod est corrup-
36 OPUSCULE XLIII, CHAPITRE 1.
sent. Donc le présent qui est altéré, ou est altéré en lui-même ou dans
quelque instant présent postérieur, parce que cela seroit ou dans
le présent médiat ou dans le présent immédiat ; ce n'est pas dans le
présent immédiat, parce que l'instant présent n'est pas la continuation
d'un autre instant présent , de même que un point ne continue pas
un autre point, comme on le prouve dans le sixième livre de la Phy-
sique. Il ne peut pas non plus être corrompu dans le moment présent
médiat, parce qu'il y a un temps moyen entre deux présents, de
même qu'il y a une ligne médiane entre deux points. Or, dans tout
temps il y a une infinité de moments présents. Si donc le présent
antérieur é toit altéré dans le présent postérieur médiat, il s'ensui-
vroit qu'il auroit l'être avec une infinité de présents moyens , ce qui
est impossible. Il est donc impossible qu'il y ait dans le temps deux
moments présents. Il y a à cela une double objection. D'abord, parce
que chaque continu fini a au moins deux termes. Or, le présent est le
terme du temps, et pour déterminer un temps limité. Donc il y a au
moins deux présents dans le temps. La seconde c'est qu'on dit que des
choses existent ensemble lorsqu'elles existent dans le même temps
présent. Si donc il n'y avoit pas plusieurs présents dans le temps,
mais bien un seul , il s'ensuivroit que les choses qui se feront dans
mille ans existeroient en même temps que les choses qui existent au-
jourd'hui. Or c'est impossible. Il faut remarquer qu'ainsi qu'il a été
dit, l'existence des choses successives consiste en ce qu'elles existent
suivant quelque chose d'indivisible de soi qui peut être mani-
festé , parce que chaque partie d'une chose successive est divisible
en différentes parties. Si donc il existoit quelque chose de successif,
non-seulement suivant quelque chose d'indivisible de soi , mais sui-
vant quelque partie de soi , il s'ensuivroit qu'un grand nombre de
parties d'une chose successive existeroient en même temps, ce qui est
tum, aut est corruptum in seipso aut in
aliquo posteriori ; non in seipso, quia nunc
est, nec in aliquo posteriori , quia aut hoc
esset in nunc mediato, aut in nunc imme-
diato : non in nunc immediato, quia unum
nunc , non est continuura alii nunc, sicut
nec punctus puncto, ut probatur VI. Phys.
Nec potest corrurnpi in nunc mediato ,
quia inter quaelibet duo nunc, est tempus
médium, sicut inter quaîlibet duo puncta,
est linea média. In quolibet autem tem-
pore sunt infinita nunc. Si ergo nunc prius,
corrumperetur in nunc posteriori mediato,
sequitur quod haberet esse cum infinitis
nunc mediis, quod est impossibile. Impos-
sible est ergo, duo nunc esse in tempore.
Oppositum hujus videtur dupliciter. Primo
quia cujuslibet continui finiti sunt duo ter-
mini ad minus ; nunc autem terminus tem-
poris est , et est accipere tempus finitum,
ergo ad minus sunt duo nunc in tempore.
Secundo, quia illa dicuntur simul esse, quae
sunt in eodem nunc temporis. Si ergo non
essent plura nunc in tempore , sed unum
tantum, sequitur quod ea quœ fient post
millesimum annum , simul essent cum his
quas sunt hodie ; hoc autem est impossi-
bile. Intelligendum quod, sicut dictum est,
esse successivorum consistit in hoc quod
existant secundum aliquid indivisibile sui,
quod manifestari potest , quia quœlibet
pars cujuslibet successivi divisibilis est in
diversas partes. Si ergo aliquod successi-
vum existeret non solum secundum aliquid
indivisibile sui, sed secundum aliquam sui
partem , sequitur quod multa? partes ali-
SUR LE TEMPS. 37
contraire à la condition des choses successives. Nous pouvons prouver
cela plus particulièrement à l'égard du temps, parce que chaque par-
tie du temps est temps. Si donc il existoit quelque partie du temps, il
s'ensuivroit que le temps existerait en soi, ce qui est faux. Donc le
temps existe en quelque chose de divisible de soi, qui est le moment
présent. Cela supposé, il faut dire que le seul et même présent se trouve
dans tout le temps selon la substance , différent quant à l'être et la.
raison. La raison de cela est que au moment présent qui est dans le
temps succède ou un autre présent ou quelque partie, et non un autre
présent; parce que un moment présent ne peut pas être continué par
un autre ; ce n'est pas non plus quelque partie de temps , parce que
nulle partie de temps ne peut exister en soi, comme il a été prouvé.
Donc il est impossible qu'un présent succède à un autre présent dans
le temps. En outre, il en est du présent, relativement au temps, comme
de ce qui est porté au mouvement, de même que nous connoissons le
mouvement par ce qui y est porté , aussi bien que l'antériorité et la
postériorité dans le mouvement en voyant les différentes positions de
ce qui est mû , ainsi sont déterminées par le présent dans le temps
l'antériorité et la postériorité. Mais ce qui est porté au mouvement est
identiquement le même dans tout le mouvement, mais différent
quant à l'être, en raison du changement de position. Donc, le présent
est identiquement le même dans tout le temps suivant la substance et
différent quant à l'être selon qu'il est considéré dans les différentes
successions de temps. Et les raisons alléguées d'abord ne valent rien.
Car lorsqu'on dit que chaque fini a au moins deux termes, il faut dire
que chaque fini continu permanent a deux termes différents quant à
la chose , mais pour le continu fini successif il n'est pas nécessaire
cujus successivi simul essent, quod est
contra rationem successivorum. Specialius
autem possumus hoc probare de tempore,
quia quœlibet pars temporis est tempus. Si
ergo aliqua pars temporis existeret, sequi-
tur quod tempus secundum se existeret ,
quod est falsum. Existit ergo tempus se-
cundum aliquid sui indivisibite , illud au-
tem est nunc. Hoc supposito dicendum est
quod unum et idem nunc est in toto tem-
pore secundum substantiam, différais se-
cundum esse et rationem. Cujus ratio est,
quia ipsi nunc , quod est in tempore , aut
succedit aliud nunc , aut aliqua pars tem-
poris, non aliud nunc; quia unum nunc
non potest continuari alii nunc ; non ali-
qua pars temporis , quia nulla pars tem-
poris secundum se existere potest , ut pro-
batum est. Ergo impossibile est quod unum
nunc succédât alii nunc in tempore. Pra>
terea , sicut se habet illud quod fertur ad
motum , ita nunc ad tempus , quia sicut
per illud quod fertur, cognoscimus motum
et prius et posterius in motu, in quantum
videmus illud quod movetur, aliter et ali-
ter se habere , ita per nunc cleterminatur
prius et posterius in tempore. Sed quod
fertur unum est et idem secundum sub-
stantiam in toto motu , aliud et aliud se-
cundum esse in quantum est alibi et alibi.
Ergo et ipsum nunc unum et idem est in
toto tempore secundum substantiam, aliud
et aliud secundum esse , in quantum scili-
cet consideratur in alio et alio successu
temporis. Nec valent rationes prius ad-
ducta?. Cum enim dicitur quod cujuslibet
finiti sunt duo termini ad minus , dicen-
dum quod cujuslibet continui finiti per-
manentis, sunt duo termini différentes se-
cundum rem, continui vero finiti successivi
non oportet quod sint duo termini secun-
dum subjectum, sed solum secundum ra-
38 OPUSCULE XLIII, CHAPITRE 2.
qu'il y ait deux termes suivant le sujet, mais bien suivant la raison.
C'est pourquoi il est faux de supposer qu'il y a un temps limité . En
effet, il ne faut pas prendre un temps fini en acte et limité par le pré-
sent , si ce n'est clans notre imagination , ou par rapport à quelque
mouvement qui est limité dans le temps. Car tout le temps est continu
en soi et il n'y a actuellement nulle partie séparée de l'autre. À l'autre
objection, il faut répondre que l'on ne dit pas exister simultanément
suivant le temps les choses qui sont dans le même présent quant à la
substance, mais bien celles qui sont dans le même présent quant à
l'être et à la raison. Mais les choses qui arriveront dans mille ans et
celles qui existent aujourd'hui, quoiqu'elles soient dans le même pré-
sent quant à la substance , elles n'y sont pas quant à l'être , on ne
doit donc pas dire qu'elles existent simultanément.
CHAPITRE II.
Le temps n'est pas un mouvement, mais quelque chose du mouvement.
Après avoir reconnu que le temps existe, il faut rechercher ce qu'il
est. Or, il faut considérer que le temps n'est pas un mouvement
comme certains ont cru que le temps étoit un mouvement du ciel ap-
pelé circulation, parce que toute partie du temps est temps. Si donc
le temps étoit une circulation, il s'ensuivroit que toute partie de la cir-
culation seroit circulation, ce qui est cependant faux. De même, tout
mouvement est prompt ou lent, or le temps n'est ni rapide ni lent,
donc le temps n'est pas un mouvement. La mineure est évidente, car
la rapidité et la lenteur sont déterminées par le temps, mais le temps
n'est pas déterminé par le temps, ni quant à la quantité, ni quant à la
qualité. Secondement, il faut considérer que quoique le temps ne soit
tionem. Et praeterea falsum supponit ratio
in hoc quod ponit quod est dare tempus
finitura. Non enim e§t accipere aliquod
tempus actu finitum et terminatum per
nunc, nisi secundum imaginationem nos-
tram, vel per relationem ad aliquem mo-
tum, qui in tempore terminatur. Totum
enim tempus secundum se continuum est,
nec est actualiter una pars divisa ab alia.
Ad aliud dicendum, quod non dicuntur esse
simul secundum tempus, quaecumque sunt
in nunc eodem secundum substantiam, sed
quae sunt in eodem nunc secundum esse et
secundum rationem. Illa autem quae fient
post millesimum annum et quae sunt ho-
die, licet sint in eodem nunc secundum
substantiam, non tamen sunt in eodem se-
cundum esse, et ideo non oportet quod di-
catur esse simul.
CAPUT II.
Quod lempus non est motus, sed aliquid
ejus.
Viso ergo quod tempus sit, inquiren-
dum est quid sit. Est autem consideran-
dum , quod tempus non est motus , sicut
quidam opinati sunt tempus esse motum
cœli, qui circulatio dicitur , quia quaelibet
pars temporis est tempus. Si ergo tempus
esset circulatio, sequeretur quod quaelibet
pars circulationis esset circulatio, quod ta-
men falsum est. Item omnis motus est ve-
lox vel tardus , tempus autem nec tardum
est, nec velox. Ergo tempus non est motus.
Minor patet, quia velox et tardum deter-
minantur tempore, tempus autem non de-
terminatur tempore , nec quantum ad
qualitatem. Secundo considerandum, quod
SLR LE TEMPS. 39
pas un mouvement, il n'est pas cependant sans mouvement. En effet,
comme nous ne nous transformons pas dans notre cognition par la
succession des choses susceptibles de cognition, nous ne saisissons
pas alors le temps, parce que nous ne saisissons pas le mouvement,
comme il arriva aux dormeurs de Sardes de la fable. Là, par le moyen
de certains enchantements, on rendoit insensibles des hommes qui,
à leur réveil , disoient avoir vu des merveilles. Ces personnes en
s'éveillant ne tenoient pas compte du temps qui s'étoit écoulé, parce
qu elles joignoient l'instant présent où elles s'étoient endormies à l'ins-
tant présent où elles s'étoient réveillées, comme s'il n'y avoit pas eu de
temps intermédiaire. De même donc que s'il n'y avoit rien eu d'in-
termédiaire entre ces deux instants présents , il n'y auroit pas eu de
temps, ainsi elles ne percevoient pas le temps, parce qu'elles ne perce-
voient pas l'intermédiaire ; donc de même , nous ne percevons pas le
temps, parce que nous ne percevons pas le mouvement. Mais lorsque
nous percevons le mouvement et que nous déterminons en lui l'anté-
riorité et la postériorité, alors nous percevons le temps. Il reste donc à
dire que quoique le temps ne soit pas un mouvement , il n'est pas
néanmoins sans mouvement. Donc comme nous connoissons en
" même temps le mouvement et le temps, il est évident que le temps est
quelque chose du mouvement lui-même. Or, le mouvement suit la
grandeur sous deux rapports, quant à la continuité et quant à l'anté-
riorité et à la postériorité, et il en est de même du temps à l'égard du
mouvement. Mais la priorité et la postériorité du mouvement, quoi-
qu'elles soient subjectivement la même chose avec le mouvement, en
diffèrent néanmoins en raison, par la raison que dans la définition du
mouvement elles sont déterminées dans le liv. IV de la Physique. Consé-
quemment il reste à chercher en raison de quoi le temps suit le mou-
vement, si c'est absolument en raison du mouvement ou de l'antério-
licet tempus non sit motus, non tamen est
sine motu. Cum enim nos non transmuta-
mur secundum cognitionem nostram per
successionem cognoscibibum, tune non ap-
prehendimus tempus, quia nec apprehen-
dimus motum, sicut accidit his quos fa-
bulantur dormisse in Sardo apud Heroes.
Ibi enim reddebantur aliqui insensibiles
propter quasdam incantationes, quod exci-
tati dicebant se vidisse quaedam mirabilia.
Taies autem qui excitabantur , non perci-
piebant tempus quod fiuxerat, eo quod co-
pulabant primum nunc in quo dormire
cœperant, posteriori nuuc, in quo excitati
fuerant, ac si non fuisset tempus médium.
Sicut ergo si nihil fuisset médium inter
illa duo nunc, non fuisset tempus, ita quia
non percipiebant médium, non percipie-
bant tempus , sic ergo non percipimus
tempus, quia non percipimus motum. Cum
autem percipimus motum et determina-
mus prius et posterius in ipso , tune perci-
pimus tempus. Relinquitur ergo, quod licet
tempus non sit motus, non tamen est sine
motu. Quia ergo simul cognoscimus mo-
tum et tempus, manifestum est quod tem-
pus est aliquid ipsius motus. Motus autem
sequitur magnitudinem quantum ad duo ,
scilicet quantum ad continuitatem et quan-
tum ad prius et posterius, et similiter
tempus motum. Prius autem et posterius
motus, licet sint idem subjecto cum motu,
differunt tamen ratione , eo quod in diffi-
nitione motus assignantur in IV. Physic.
Et ideo restât inquirere, ratione cujus
tempus sequitur motum, utrum scilicet ra-
40 OPUSCULE XLIH, CHAPITRE 2.
rite et Je la postériorité. Il faut dire que c'est à raison de l'antériorité
et de la postériorité, parce que c'est par là que le temps se reconnoît.
Donc le temps suit le mouvement à raison de la priorité et de l'anté-
riorité, sur quoi il faut comprendre que l'antériorité et la postériorité
dans le mouvement peuvent être considérées sous un double point de
vue. Le premier suivant qu'elles sont sous la forme de continu d'une
manière absolue, et de cette manière en coimoissant l'antériorité et la
postériorité, nous connoissons en même temps le mouvement. Le se-
cond, suivant qu'elles sont sous une forme discrète, en tant que, par
exemple, l'ame dit que la postériorité est différente de l'antériorité ,
que ce sont deux choses diverses, et une seule chose, et ainsi le temps
n'est pas absolument le mouvement, ni absolument non plus l'antério-
rité et la postériorité du mouvement, mais c'est l'antériorité et la pos-
tériorité du mouvement dénombrées , comme il a été dit. Nous pou-
vons tirer de là une définition du temps, que le temps est le nombre
mû suivant l'antériorité et la postériorité. Que le temps soit un nombre,
c'est évident. C'est par le nombre en effet que nous jugeons du plus
ou du moins d'une chose, et c'est par le temps que nous jugeons du
plus ou du moins dans le mouvement; donc le temps est un nombre.
Or, il y a deux sortes de nombres, le nombre absolu qui sert à la nu-
mération, comme un, deux, trois, et le nombre nombre, comme le
nombre dix hommes. Le temps, en effet, n'est pas un nombre servant
à la numération, mais un nombre nombre, c'est l'antériorité et la pos-
tériorité en tant que nombrées dans le mouvement. Et quoique le
nombre servant àla numération soit quelque chose de discret, le temps
est cependant quelque chose de continu , comme dix aunes de drap
sont continues, quoique le nombre dix soit quelque chose de discret.
Le temps étant donc quelque chose de discret et quelque chose decon-
tione motus absolute aut ratione prioris et
posterions. Dicendum , quod hoc est ra-
tione prioris et posterions, quia ex priori
et posteriori in motu cognoscitur tempus.
Ergo tempus sequitur motum ratione
prioris et posterioris, juxta quod intelli-
gendum est, quod prius et posterius in
motu possunt considerari dupliciter. Uno
modo, prout sunt sub forma continui ab-
solute , et sic cognoscendo prius et poste-
rius , simul cognoscimus motum. Alio
modo , ut sunt sub forma discreta , in
quantum scilicet anima dicit posterius esse
aliud a priori , et ipsa esse duo et unum ,
et sic tempus non est motus absolute, nec
prius ac posterius motus absolute , sed est
prius et posterius motus ut nuinerata sunt.
Ex quo possumus concludere diffinitionem
temporis, quod tempus est numerus motus
secundum prius et posterius. Quod autem
tempus sit numerus patet. Numéro enim
judicamus aliquid plus vel minus, tempore
autem judicamus motus esse minorem et
majorem. Ergo tempus est numerus. Nu-
merus autem est duplex. Est enim nume-
rus absolute quo numeramus , ut unum ,
duo, tria, etc. Et numerus numeratus , ut
numerus decem hominum. Tempus enim
non est numerus quo numeramus, sed nu-
merus numeratus; est enim prius et poste-
rius , ut numerata sunt in motu. Et licet
numerus quo numeramus , sit aliquid dis-
cretum, tamen tempus est aliquid conti-
nuum, sicut decem ulna? panni sunt con-
tinua?, licet numerus denarius sit aliquid
discretum. Quia ergo tempus et est aliquid
discretum et aliquid continuum, relinqui-
tur quod in tempore est dare aliquo modo
SUR LE TEMPS. 41
tinu, il reste à reconnoître dans le temps un nombre minime dans un
sens et non dans un autre. Car dans un nombre on peut simplement
prendre le plus petit comme l'unité, ou un des plus petits comme le
nombre deux, qui a la raison de nombre. Mais dans le nombre nombre,
comme dans la multitude des lignes, il faut prendre le moindre suivant
la multitude, comme une ou deux lignes. Mais suivant la grandeur il
ne faut pas prendre la plus petite ligne, parce que toute ligne est divi-
sible en d'autres lignes. Comme aussi dans le temps il faut prendre le
plus petit temps suivant la multitude, comme par exemple un jour ou
deux jours dans le genre des jours ; mais il ne faut pas prendre le plus
petit suivant la grandeur, parce que tout temps est divisible à l'infini,
ainsi que tout continu. Or, parce que le temps est nombre et qu'il est
aussi continu, voilà pourquoi on dit qu'il est abondant et rare, long et
court, mais non rapide ou lent. L'abondance et la rareté sont des pas-
sions du nombre, et c'est pour cela que le temps étant nombre est dit
abondant ou rare. Long ou court sont des passions du continu, c'est
pour cela que l'on dit de la ligne qu'elle est longue ou courte, et c'est
pour cela qu'étant continu le temps est dit long ou court. Il n'est pas
dit rapide ou lent, parce qu'étant un nombre mû, si le temps étoit dit
rapide ou lent, ce seroit à raison ou du nombre ou du mouvement. Ce
ne seroit pas à raison du nombre, parce que le nombre n'est dit ni ra-
pide ni lent, ce ne seroit pas à raison du mouvement, parce que, quoique
le temps soit quelque chose du mouvement, on ne peut pas dire que
le temps soitle mouvement. C'est pourquoi il ne faut pas attribuer au
temps les passions du mouvement qui sont rapide et lent, parce que
rapide et lent sont déterminés par le temps , et c'est pour cela que le
temps n'est dit ni rapide ni lent. Mais la continuité dans le temps vient
de la continuité du mouvement, non de toute espèce de mouvement,
numerum minimum, et aliquo modo non.
In numéro enim simpliciter est dare mini-
mum, sicut unitatem, vel minimum quod
habet rationem numeri, sicut est binarius.
In numéro autem numerato, sicut in mul-
titudine linearum est dare minimum se-
cundum multitudinem, sicut unam lineam
aut duas ; secundum magnitudinem autem
non est dare minimam lineam, eo quod
omnis linea divisibilis est in alias lineas.
Sicut etiam in tempore est dare minimum
tempus secundum multitudinem : puta,
unam diem vel duos dies in génère die-
rum ; minimum autem tempus secundum
magnitudinem non est dare, eo quod omne
tempus divisibile est in infinitum, sicut et
quodlibet continuum. Quia autem tempus
et est numerus et est continuum, inde est
quod dicitur multum et paucum, brève et
longum, non autem velox vel tardum.
Multum enim et paucum sunt passiones
numeri et ideo tempus , quia est numerus,
dicitur multum et paucum. Longum autem
et brève sunt passiones continui, unde linea
dicitur longa vel brevis , et quia tempus
est continuum, ideo dicitur longum vel
brève. Velox autem aut tardum non dici-
tur, quia cum tempus sit numerus motus,
si diceretur velox aut tardum , aut hoc es-
set ratione numeri aut motus ; non ratione
numeri, quia numerus neque velox neque
tardus dicitur ; neque ratione motus, quia
licet tempus sit aliquid motus, non est ta-
men dicere quod tempus sit motus. Et
ideo non oportet passiones motus , quae
sunt velox et tardum, dici de tempore,
quia velox et tardum determinantur tem-
pore, et ideo tempus non dicitur velox nec
tardum. Continuitas autem in tempore est
ex continuitate motus, non cujuscumque,
42 OPUSCULE XLIII , CHAPITRE 2.
mais du premier ; et en conséquence parce que le premier mouve-
ment est un, le temps est quelque chose de un mesurant tous les mou-
vements faits en même temps. Or l'antériorité et la postériorité du
temps sont diverses comme dans le mouvement. D'où il arrive que de
même que la même circulation est réitérée suivant l'espèce, mais non
suivant le nombre, ainsi le temps se réitère suivant l'espèce, mais non
suivant le nombre. Or, nous mesurons le mouvement par le temps et
le temps par le mouvement, entant que nous déterminons la quantité
de l'un par la quantité de l'autre. En effet, nous mesurons le mouve-
ment par le temps, parce que le temps, suivant ce qu'il est, est un
nombre mû ; nous mesurons aussi le temps en tant que nous détermi-
nons sa quantité par la quantité du mouvement qui nous est connue.
Nous disons, en effet, que le temps est abondant, parce que le mouve-
ment qui s'est fait dans le temps est considérable, et cela se fait
rationnellement. Car le mouvement suit la grandeur quant à la conti-
nuité et à l'antériorité et à la postériorité, et le temps suit de même le
mouvement. Or, nous mesurons le mouvement par la grandeur et
vwe versa. Nous disons, en effet, que le mouvement est considérable,
parce que la grandeur sur laquelle s'effectue le mouvement est consi-
dérable; et de même nous disons que la grandeur est considérable,
parce que un grand mouvement s'est opéré sur la grandeur. C'est pour
cette raison et de la même manière que nous déterminons la quan-
tité du temps par le mouvement, et la quantité du mouvement par le
temps.
sed primi ; et ideo quia motus primus
unus est , tempus est unum mensurans
omnes motus simul factos. Prius autem et
posterius temporis altéra sunt , sicut prius
et posterius motus. Unde sicut reiteratur
eadem circulatio secundum speciem et non
secundum numerum , ita tempus reiteratur
idem secundum speciem et non secundum
numerum. Mensuramus autem motum tem-
pore, et tempus motu, in quantum deter-
minamus quantitatem unius per quantita-
tem alterius. Motum enim mensuramus
tempore , quia tempus secundum id quod
est, est numerus motus; tempus etiam
mensuramus , in quantum scilicet per
quantitatem motus nobis notam determi-
namus quantitatem temporis. Dicimus
enim quod tempus est multum, quia mo-
tus qui t'actus est in tempore est multus,
et hoc rationabiliter accidit. Motus enim
sequitur magnitudinem quantum ad conti-
nuitatem et prius et posterius , et tempus
similiter motum. Per magnitudinem au-
tem mensuramus motum , et e converse
Dicimus enim quod motus est multus, quia
magnitudo supra quam est motus , est
multa, et similiter dicimus, quod magni-
tudo est multa , quia motus supra magni-
tudinem factus est multus. Quare et simi-
liter determinamus quantitatem temporis
per motum et quantitatem motus per
tempus.
SUR LE TEMrS.
43
CHAPITRE III.
Quelles sont les choses qui sont mesurées par le temps et celles gui ne le
sont pas.
Après avoir déterminé ce qui est relativement au temps en soi , il
faut considérer ce qui en est dans les rapports aux choses qui sont me-
surées par le temps. Or, il faut considérer que le temps est comparé
d'une manière différente avec le mouvement et avec les autres choses.
En effet, le mouvement étant essentiellement continu et successif, il
n'est pas seulement mesuré par le temps quant à son être et sa succes-
sion ou durée, mais encore quant à ce qu'il est, parce que son essence
consiste dans la succession. Mais les choses mobiles ne sont pas mesu-
rées par le temps, par rapport à ce quelles sont, comme l'homme ou la
pierre, parce que leur essence est dans chaque instant présent du
temps et n'a ni antériorité, ni postériorité ou succession, c'est pour-
quoi c'est l'instant présent du temps et non le temps qui leur corres-
pond. Mais elles sont mesurées par le temps quant à leur être et à leur
succession ou durée, parce que leur durée n'existe pas toute en même
temps. De même donc que pour le mouvement être dans le temps ,
c'est être mesuré par le temps quant à ce qu'il est et quant à sa durée -y
ainsi pour les autres choses être dans le temps c'est être mesurées par
le temps, non quanta ce qu'elles sont, mais quant à leur durée; et la
vérité de cela saute aux yeux. En effet, être dans le temps, ou c'est
être pendant que le temps dure, ou être comme dans un nombre; or
être dans le temps, n'est pas être quand le temps dure , de même que
être dans un lieu n'est pas être pendant la durée du lieu; car il s'en-
suivroit que toutes choses serpient dans le même lieu, tandis que tout
est quand un seul lieu est; comme il s'ensuivroit aussi que le ciel se-
CAPUT III.
Quœ sunt Ma quœ mensurantur lempore et
quœ non.
Determinatio de tempore, secundum se
considerandum est de ipso secundum rela-
tionem ad ea quae tempore mensurantur.
Est autem considerandum , quod aliter
comparatur tempus ad motjum et ad alias
res. Cum enim motus sk continuus et suc-
cessivus essentialiter, ideo non solum men-
suratur tempore quantum ad suum esse,
et suam successionem vel durationem;
sed etiam quantum ad id quod est, quia
ejus essentia in successione consistit. Mo-
bilia vero quantum ad id quod sunt, sicut
homo aut lapis non mensurantur tempore,
quia essentia eorum est in quolibet nunc
temporis, nec habet prius nec posterius,
sive successionem, unde his respondet
nunc temporis et non tempus. Mensuran-
tur autem tempore quantum ad suum esse
et suam successionem vel durationem ,
quia duratio eorum non est tota simul.
Sicut ergo motum esse in tempore, est
ipsum mensurari tempore quantum ad id
quod est et quantum ad suam durationem,
ita alias res esse in tempore, est ipsas men-
surari tempore non quantum ad id quod
sint, sed quantum ad suam durationem,
et quod hoc sit verum patet. Esse enim
in tempore , aut est esse dum tempus est,
aut est esse sicut in numéro ; esse autem
in tempore non est esse quando tempus
est, sicut nec esse in loco est esse quando
locus est. Sic enim sequeretur, quod om-
nia essent in eodem loco , cum omnia sint
quando unus locus est ; sicut etiam seque-
44 OPUSCULE XLIII, CHAPITRE 3.
roit dans un grain de mil; parce que le ciel existe en même temps que
le grain de mil. Mais être dans le temps c'est être mesuré et renfermé
par le temps, de même que être dans un lieu c'est être mesuré et ren-
fermé dans ce lieu. C'est pourquoi il s'ensuit que être dans le temps,
c'est être comme dans un nombre. Or, une chose est de deux manières
dans un nombre , ou elle est quelque chose de ce nombre , comme
l'unité, pair ou impair, ou parce qu'elle est son nombre, comme d'une
chose nombrée. Ainsi donc le temps étant un nombre, on dit que des
choses sont dans le temps , parce qu'elles sont quelque chose de ce
temps, comme le présent, le passé, l'avenir. D'autres choses sont dans
le temps, non parce qu'elles sont quelque chose du temps, mais parce
qu'elles sont mesurées par le temps et sont renfermées dans le temps,
comme les choses qui sont dans un nombre sont renfermées dans ce
nombre. Donc, puisque être dans le temps c'est être comme dans un
nombre et donner un plus grand nombre à tout ce qui est dans le
nombre , il s'ensuit que c'est donner un temps plus grand à tout ce
qui est dans le temps. C'est donc là la première condition de toutes les
choses qui sont mesurées par le temps. Leur seconde condition, c'est
que toutes les choses qui sont dans le temps souffrent dans le temps,
comme nous avons coutume de dire que le temps flétrit et corrompt
les choses qui sont dans le temps et que le temps engendre Poubli. 11 y
a deux causes de cela. La première, c'est que nous voyons certaines
choses se corrompre dans le temps sans qu'il apparoisse aucun agent
extérieur de corruption, comme il arrive dans la corruption qui pro-
vient de la vieillesse que nous attribuons surtout au temps. Or rien
ne se fait dans le temps sans qu'il paroisse quelque agent extérieur,
c'est pour cela que nous ne disons pas que le temps est cause de la
génération , comme de la corruption , ou que le temps est cause de la
retur , quod cœlum esset in grano milii,
quia cœlum est quando granum milii est;
sed esse in tempore est mensurari et con-
tineri a tempore , sicut esse in loco est
mensurari et contineri loco. Propter quod
sequitur quod esse in tempore est esse si-
cut in numéro. In numéro autem aliquid
est dupliciter , aut enim est aliquid ipsius
numeri, sicut unitas, par vel impar; aut
quia numerus est ejus, sicut rei nume-
ratae. Sic ergo cum tempus sit numerus,
aliqua dicuntur esse in tempore, quia sunt
aliquid ipsius temporis , ut nunc, prius et
posterius. Aliqua autem sunt in tempore ,
non quia sunt aliquid ejus, sed quia men-
surantur tempore et continentur sub tem-
pore , sicut ea quae sunt in numéro conti-
nentur sub numéro ; quia ergo esse in tem-
pore est sicut in numéro , omni autem eo
quod est in numéro est dare majorem nu-
merum, inde est quod est dare tempus ma-
jus omni eo quod est in tempore. Hsec est
ergo prima conditio omnium eorum quae
tempore mensurantur. Secunda conditio
eorum est, quod quaecumque sunt in tem-
pore patiuntur sub tempore, sicut consue-
vimus dicere quod tempus tabefacit et
corrumpit ea quae sunt in tempore et quod
oblivio fit propter tempus. Hujus autem
causa est duplex. Prima est, quiavidemus
aliqua corrumpi jn tempore, dato quod
non appareat nobis aliquod exterius cor-
rumpens, sicut est in corruptione quae fit
ex senio, quam maxime attribuimus tem-
pori. Nihil autem fit in tempore nisi ap-
pareat aliquid exterius faciens, propter
quod non dicimus quod tempus sit causa
generationis, sicut corruptionis , aut quod
SUR LE TEMPS. 4o
science, comme il est cause de l'oubli, parce que personne ne devient
savant par la raison qu'il vit longtemps. La seconde cause est que le
temps est un nombre mû; or le mouvement produit l'éloignement
de ce qui est mobile de la position où il étoit d'abord et est une cause
de plus de la corruption et de la génération, à quoi on assigne une
triple cause. La première, c'est que le mouvement éloigne ce qui est
mû de sa première position, comme il a été dit. Or cette distance est
déterminée par rapport au terme qui est corrompu dans le mouve-
ment, et par conséquent le mouvement est par soi une cause de cor-
ruption. Mais que le mouvement produise quelque terme ad quem,
ce n'est pas absolument de l'essence du mouvement , mais cela lui
convient en tant qu'il est limité. Or, il a le caractère de fini, d'après
l'intention déterminée du moteur , dont le rôle est de mouvoir à un
but déterminé. C'est ce qui fait que la génération d'un terme ad quem
doit être plutôt attribuée à la forme du moteur lui-même, à raison du-
quel le moteur imprime le mouvement, qu'au mouvement lui-même.
La seconde raison, c'est que la chose qui est mue n'est en aucune ma-
nière pendant le mouvement ni dans le terme a quo, ni dans le terme
ad quem, mais est étrangère à l'un et à l'autre. Et par conséquent le
mouvement est de soi la cause pourquoi ce qui est mû est privé du
terme a quo et du terme ad quem. Or , lorsque ce qui est mobile est
constitué sous le terme ad quem, il n'y a plus alors de mouvement, et
par conséquent le mouvement est plus la cause de la corruption de
chaque terme , pendant qu'il existe , que de la génération du terme
ad quem, parce que lorsque le terme ad quem est produit, il n'y a plus
alors de mouvement. La troisième raison , c'est que , ainsi qu'on le
voit dans le troisième livre de la Physique, le mouvement est conduit
à la condition d'acte, suivant qu'il est considéré ut ab hoc, et à la con-
tempus sit causa disciplinas, sicut est causa
oblivionis , quia ex hoc solo quod aliquis
diu vivit, non efficitur sciens. Secunda
causa est , quod tempns est numerus mo-
tus , motus autem facit distare mobile a
dispositione in qua prius erat, et est magis
causa corruptionis et generationis , cujus
ratio signatur triplex. Prima ratio est,
quia motus facit id quod movetur distare
a prima dispositione sua, ut dictum est.
Ha;c autem distantia attenditur respectu
termini a quo, qui corrumpitur in motu,
et ideo motus per se est causa corruptionis.
Quod autem per motum generetur aliquis
terminus ad quem, hoc non est de ratione
motus absolute, sed convenit ci ut linitus
est. Rationem autem finiti habet ex deter-
minata intentione moventis, cujus est mo-
vere ad aliquem determinatum terminum.
Unde generatio termini ad quem magis est
attribuenda formae ipsius moventis, ra-
tione cujus movens movet, quam ipsi mo-
tui. Secunda ratio est, quia illud quod mo-
vetur, dum movetur, neque est omnino in
termino a quo, neque in termiuo ad quem,
sed déficit ab utroque ; et ideo motus de
se est causa quare mobile sit sub priva-
tione termini a quo et termini ad quem.
Cum autem mobile factum est sub ter-
mino ad quem , tune non est motus , et
ideo motus magis est causa corruptionis
utrisque termini dum est , quam genera-
tionis termini ad quem , quia cum termi-
nus ad quem generatus est, tune motus
non est. Tertia ratio est, quia ut patet ex
III. Pays., motus trahitur ad rationem ac-
tionis, secundum quod consideratur ut ab
hoc, ad rationem autem passionis trahitur,
46 OPUSCULE XLIII, CHAPITRE 3.
dition de passion, selon qu'il est considéré ut in hoc. Or, il est cons-
tant que tout accident a une relation plus vraie au sujet qu'à la cause
agissante, c'est pourquoi la considération du mouvement sous la
raison de passion est plus vraie que sous la raison d'action. Or, la pas-
sion est par soi une cause de corruption. Car il est de son essence de
perdre de la substance à proportion du développement qu'elle prend.
Or, la production est plutôt attribuée à l'action. Et parce que, comme
il a été dit, le mouvement est considéré d'une manière plus vraie sous
le caractère de passion que sous celui d'action, il s'ensuit que le mouve-
ment est plus une cause de corruption que de génération. Or, comme
il a été dit, le temps est la mesure du mouvement , et il est par con-
séquent plutôt cause de corruption que de génération , ainsi que le
mouvement. Néanmoins il n'est cause par soi ni de l'une ni de l'autre.
De ces deux conditions qui paroissent dans les choses qui sont dans le
temps, nous pouvons conclure que les choses qui existent toujours
ne sont pas dans le temps. D'abord, parce que, comme le dit la pre-
mière condition, c'est la destinée de tout ce qui est dans le temps de
recevoir un temps plus grand ; mais pour les choses sempiternelles
il n'y a pas à recevoir un temps plus grand, puisqu'elles existent
toujours; donc les choses qui existent toujours ne sont pas dans
le temps. En outre , comme porte la seconde condition , les choses
qui sont dans le temps sont passives dans le temps, sont corrom-
pues dans le temps ; mais les choses qui existent toujours ne sont
pas passives dans le temps , elles ne se corrompent ni ne vieillis-
sent; c'est pourquoi il est clair qu'elles ne sont pas dans le temps.
On pourroit croire, d'après tout ce qui a été dit, que les choses qui
sont dans le repos conservant toujours la même physionomie pen-
dant leur repos , comme les choses sempiternelles, ne sont pas me-
ut consideratur ut in hoc. Constat autem
quod omne accidens veriorem habet com-
parationem ad subjectum, quara ad cau-
sant agentem, ideo verior est consideratio
motus sub ratione passionis, quam sub
ratione actionis. Passio autem est causa
corruptionis per se. De ratione enim ejus
est , quod ipsa magis facta plus , et plus
abjiciat a substantia ; factio autem magis
attribuitur actioni. Et quia sicut dictum
est, verius consideratur motus sub ratione
passionis, quam sub ratione actionis, inde
est quod motus magis est causa corruptio-
nis quam generationis. Tempus autem , ut
dictum est , est mensura motus , et ideo
magis est causa corruptionis quam genera-
tionis, sicut et motus ; neutrius tamen est
causa per se. Ex his duabus conditionibus
quœ apparent in rébus quœ sunt in tem-
pore, possumus concludere, quod ea quœ
sunt semper, non sunt in tempore. Primo,
quia sicut dicit prima conditio, omni eo
quod est in tempore, est accipere tempus
majus ; sempiternis autem non est aliquid
majus tempus accipere , cum ipsa semper
sint ; ergo ea quœ semper sunt, non sunt
in tempore. Prœterea, sicut dicit secunda
conditio, ea quœ sunt in tempore patiun-
tur in tempore , corrumpuntur in tempore,
ea autem quœ semper sunt, non patiuntur
a tempore , nec corrumpuntur , neque ?e-
nescunt, quare manifestum est quod non
sunt in tempore. Ex his autem quae dicta
sunt, posset aliquis credere, quod ea quœ
quiescunt, cum semper dum quiescunt si-
militer se habeant sicut sempiterna, quod
non mensurarentur tempore : hoc autem
est falsum. Et ideo dicendum est , quod
SUR LE TEMPS. 47
surées par le temps ; or cela est faux. Et par conséquent il faut dire
que, de même que le temps est la mesure par soi du mouvement, il
est aussi la mesure par accident du repos. Car, en effet, il ne faut pas
que tout ce qui est dans le temps soit mû actu, comme il est nécessaire
que tout ce qui est en mouvement soit mû actuellement, parce que le
temps n'est pas le mouvement, quoiqu'il soit un nombre mû. Or, il
convient que dans le nombre du mouvement il y ait non-seulement ce
qui est mû, mais aussi ce qui est en repos ; car on ne dit pas en repos
tout ce qui n'est pas en mouvement, mais bien tout ce qui n'est pas
en mouvement malgré l'aptitude native à recevoir le mouvement, et
toute chose semblable est mobile. Donc l'être d'une chose en repos
est l'être d'une chose mobile ; or l'être d'une chose mobile est me-
suré par le temps, donc il en est de même de l'être d'une chose en
repos. Mais ce qui est en repos et ce qui est en mouvement se mesure
quant à la quantité du repos ou du mouvement, le mouvement par
soi, mais le repos par accident. Nous disons, en effet, qu'une chose a
été en repos pendant un jour , parce qu'elle a été privée de mouve-
ment pendant un jour. D'après cela il faut comprendre que ce qui est
mobile peut être considéré de deux manières , ou selon sa substance
ou son essence , ou selon son être. Si on le considère dans sa sub-
stance, ce n'est point mesuré par le temps, par la raison qu'une sub-
stance mobile existe dans tout instant présent du temps et n'a point de
succession ni d'antériorité et de postériorité. Si, au contraire , on le
considère sous le rapport de son être, on peut le faire de deux ma-
nières, ou quant à l'être substantiel, ou quant à l'être qu'il a dans le
mouvement qui est son aptitude au mouvement. Si on le considère de
la première manière, ce n'est pas mesuré par le temps, tandis qu'il en
est ainsi de la seconde manière. Car le mouvement n'est pas un tout
sicut tempus est mensura motus per se , ita
est mensura quietis per accidens. Non enim
oportet quod omne quod est in tempore,
actu moveatur , sicut omne quod est in
motu necesse est actualiter moveri, quia
tempus non est motus , hcet sit numerus
motus. In numéro autem motus convenit
esse non solum illud quod movetur, sed
etiam illud quod quiescit. Quiescens enim
non dicitur quodcumque quod non move-
tur , sed quod non movetur aptum tamen
natum moveri , et omne taie est mobile.
Esse ergo rei quiescentis est esse rei mo-
bilis; esse autem rei mobilis mensuratur
tempore, ergo et esse rei quiescentis. Men-
suratur autem id quod quiescit et id quod
movetur quantum ad quantitatem quietis
vel motus ; motus tamen per se, quies au-
tem per accidens. Dicimus enim quod ali-
quid quievit uno die, quia cessa vit a motu
una die. Juxta quod intelligendum est
quod mobile potest considerari dupliciter,
vel quantum ad suam substantiam seu es-
sentiam , vel quantum ad suum esse. Si
consideratur quantum ad suam substan-
tiam, sic non mensuratur tempore, eo quod
substantia mobilis in quolibet nunc tem-
poris est, nec habet successionem, nec prius
nec posterius. Si autem consideretur quan-
tum ad suum esse, hoc potest esse duplici-
ter, quia aut considerari potest quantum
ad suum esse substantiale aut quantum ad
suum esse, quod habet in motu, quod est
suum moveri. Si consideretur primo modo,
sic non mensuratur tempore, secundo au-
tem modo mensuratur tempore. Msveri
enim mobilis non est totum simul , sed
successivum. Viso ergo quod non omnia
48 OPUSCULE XLIII , CHAPITRE 4.
simultané, mais successif de ce qui est mobile. Reconnoissant donc
que tous les êtres ne sont pas dans le temps, et que tous les non-êtres
n'y sont pas non plus, et comprenant cela en peu de mots, il faut dire
que tous les non-êtres qui sont dans l'impossibilité de passer à l'être,
ne sont pas mesurés par le temps. Et la raison en est que, comme nous
l'avons dit, tout ce qui est dans le temps est destiné à prendre un
temps plus grand. Or il est constant que l'entité des choses qui ne
peuvent passer à l'être n'a pas à prendre un temps plus grand, et par
conséquent de tels non-êtres ne sont pas dans le temps. Quant aux
choses qui peuvent être et ne pas être, elles sont dans le temps, parce
que leur entité et leur non-entité sont susceptibles de recevoir un
temps plus grand.
CHAPITRE IV.
De la différence de l'éternité, de /'œvum et du temps ; ce que c'est que
chacune de ces choses.
Après avoir parlé du temps en lui-même et par résolution à l'égard
des choses temporelles , il faut le considérer dans ses rapports avec
les autres mesures qui sont l'éternité et Y œvum. Il faut voir d'abord
si l'éternité existe et ce qu'elle est. Il y en a qui doutent si l'éternité
existe , et ils prouvent la négative , par la raison que l'infini en tant
qu'infini n'a pas de mesure; mais la cause première est infinie et a
l'éternité pour mesure. Donc il semble que l'éternité ne peut exister
dans le genre de mesure ; donc l'éternité n'est rien. De même toute
mesure accuse une quantité quelconque ; or la cause première n'a au-
cune quantité, donc l'éternité ne peut pas être la mesure de la cause
première, ni par conséquent être quelque chose , puisqu'on ne sup-
pose l'être que dans le geme démesure. Autre raison : Rien de ce qui
conserve la même condition ne peut servir de mesure ; or, l'éternité
entia sunt in tempore, et quod non omnia
non entia sunt in tempore, et hoc breviter
comprehehdamus , dicendum est quod illa
non entia quœ impossibile est esse, non
mensurantur tempore. Et ratio hujus est ,
quia sicut dictum est, omni eo quod est in
tempore est accipere majus tempus. Constat
autem quod non est accipere majus tem-
pus entitate eorum quœ impossibile est
esse , et ideo non entia talia non sunt in
tempore. Ea autem quœ possunt esse et
non esse , sunt in tempore , quia est dare
tempus majus entitate eorum et non en-
titate.
CAPUT IV.
Ve differ entia œternitatis œvi et tempori$,
et quid sit unumquodque eorum.
Viso ergo de tempore secundum se et per
resolutionem ad temporalia , consideran-
dum est per relationem ad alias mensuras,
quae sunt œternitas et œvum. Primo ergo
videndum an œternitas sit et quid sit. Du-
bitant enim aliqui an œternitas sit, et pro-
bant ipsi quod non, quia infiniti in quan-
tum infinitum est, non est mensura : causa
autem prima infinita est , cujus mensura
ponitur œternitas. Ergo videtur quod œter-
nitas non possit esse in génère mensurœ.
Ergo œternitas nihil est. Item omnis men-
sura certificat aliquam quantitatem : causa
autem prima nullam quantitatem habet.
Ergo œternitas non potest esse mensura
causœ primœ , nec per consequens aliquid
esse, cum non ponatur esse nisi in génère
mensurœ. Item, nihil uno modo se habens,
potest mensurare; œternitas autem est
uno modo se habens , ergo non potest ha-
SUR LE TEMPS. 49
est toujours la même, donc elle ne peut avoir le caractère de mesure.
Or l'éternité n'est établie que comme une sorte de mesure; donc l'é-
ternité n'existe pas. Il faut remarquer que l'éternité se prend en trois
sens. Dans le premier sens l'éternité est dite la mesure de la durée
d'une chose qui conserve toujours la même condition, sans acquérir
rien pour l'avenir, et sans rien perdre dans le passé, et l'éternité est
ainsi prise dans le sens le plus strict. Dans le second sens l'éternité est
dite la mesure de la durée d'une chose qui a un être fixe et stable,
mais qui admet néanmoins des vicissitudes dans ses opérations , et
dans ce sens l'éternité s'appelle proprement œvum. Ucwum est la me-
sure des choses dont l'être est stable, qui ont néanmoins une succes-
sion dans leurs œuvres, comme les intelligences. Dans le troisième
sens l'éternité est dite la mesure de la durée successive ayant une
antériorité et une postériorité, mais sans principe ou sans fin, ou sans
fin mais avec un commencement, et de ces deux manières on suppose
un monde éternel, quoique dans la réalité il soit temporel, et dans ce
sens c'est d'une manière tout à fait impropre qu'on l'appelle éternité,
car l'antériorité et la postériorité répugnent au caractère de l'éternité.
Mais dans l'un et l'autre cas l'éternité a une entité très-réelle, et il ne
signifie rien de dire que l'infini en tant qu'infini n'a pas de mesure ;
parce que, bien que la cause première soit infinie par la raison qu'elle
n'a ni commencement ni fin, elle est néanmoins très-finie par la rai-
son que subsistant en elle-même, elle n'a rien de soi en dehors d'elle.
Quant à ce que l'on objecte que toute mesure constate une quantité
quelconque, il faut répondre que ce n'est pas universellement vrai, à
moins de prendre la quantité dans un sens très-large pour la quantité
de force et de grandeur. Or, quoique la première cause n'ait pas la
quantité de grandeur , elle a néanmoins la quantité de vertu , et cela
bere rationem mensurœ , non ponitur au-
tem esse œternitas, nisi ut mensura quœ-
dam ; ergo œternitas non est. Intelligen-
dum, quod œternitas tripliciter accipitur.
Uno modo dicitur œternitas mensura du-
rationis rei semper similiter se habentis ,
nihil acquirentis in futuro et nihil admit-
tentis in prœterito, et sic propriissime su-
mitur œternitas. Secundo modo dicitur
aeternitas mensura durationis rei habentis
esse fixum et stabile , recipientis tamen
vices in operationibus suis, et œternitas
sic accepta proprie dicitur œvum. iEvum
enim est mensura eorum quorum esse est
stabile , quœ tamen habent successionem
in operibus suis, sicut intelligentiœ. Tertio
modo dicitur œternitas mensura durationis
successivœ habentis prius et posterius, ca-
rentis tamen principio et fine, vel carentis
fine et tamen habentis principium, et ulro-
que modo ponitur mundus œternus, licet
secundum veritatem sit temporalis, et ist'o
modo impropriissime dicitur œternitas,
rationi enim œternitatis répugnât prius et
posterius. Utroque autem istorum modo-
rum dicta œternitas verissimam entitatem
habet. Nec valet illud quod arguitur, quod
infiniti in quantum infinitum est, non est
mensura ; quia licet causa prima infinita
sit, eo quod careat principio et fine, tamen
finitissirna est, eo quod in se ipsa manens
nihil sui habet extra se. Ad aliud cum di-
citur quod omnis mensura certificat ali-
quam quantitatem , dicendum quod non
est universaliter vcrum,* nisi accipiatur
quantités valde large pro quantitate vir-
tutis et magnitudinis. Licet autem prima
causa non habeat quantitatem magnitu-
dinis , habet tamen quantitatem virtutis ,
et hoc sufïicit. Ad aliud, cum dicitur, illud
50 OPUSCULE XLIII, CHAPITRE 4.
suffît. A ce que l'on objecte que ce qui conserve toujours la même
physionomie ne sert pas de mesure, il faut répondre qu'il est vrai que
cela ne sert pas de mesure comme nombre , mais comme unité , c'est
pour cela que l'éternité doit plutôt être dite unité d'une chose éter-
nelle que nombre. Maintenant il faut examiner ce que c'est que l'é-
ternité. Pour cela il faut considérer que l'éternité signifie une cer-
taine interminoMlité. On dit éternel comme existant sans limites. Or,
ainsi que le dit Aristote dans le huitième livre de la Physique , dans
tout mouvement il y a quelque génération et quelque altération en
tant que le mobile cesse d'être dans le terme a quo et commence
d'être dans le terme ad quem. Il est évident, d'après cela, que toute
mutabilité répugne à l'éternité. Donc l'éternité renferme non-seule-
ment Yiiiîerminabilité d'être, mais encore l'immobilité • or c'est par
le mouvement que se produisent l'antériorité et la postériorité dans le
temps, et, par conséquent, le mouvement répugnant à l'éternité, par
suite il lui répugne d'avoir l'antériorité et la postériorité. C'est pour-
quoi Boëce définit ainsi l'éternité : l'éternité est la possession simul-
tanée entière et parfaite d'une vie interminable; Donc toutes les choses
qui, avec l'indéfectibilité de l'être, possèdent l'immobilité et sont sans
succession temporelle , sont dites exister éternellement et sont me-
surées par l'éternité. C'est pourquoi il en est qui définissent l'éternité
comme le retard elle non-retard du temps, mais elle est dite le retard
de l'être, c'est-à-dire l'indéfectibilité. Au contraire l'espace est tout
ce qui environne tout l'être indéfectible. Mais le continu est appelé
ainsi, non parce qu'il a des parties, mais parce qu'il ne manque ja-
mais, n'a jamais manqué, ne manquera jamais; il est appelé aussi
non-entrefait, parce qu'il n'a point de parties qui passent de la puis-
sance à l'acte, comme le temps dont la partie antérieure est passée,
quod uno modo se habet, non mensurat,
dicendum quod verum est. quod non men-
surat ut numerus, sed ut unitas, unde aeter-
nitas magis dicenda est unitas rei œternee,
quara numerus. Nunc ergo considerandum
est quid sit seternitas. Ad quod sciendum,
considerandum est, quod eeternitas dicit
interminabilitatem quamdam. Dicitur
enim aHernum quasi extra terminos exis-
tens. Sicut autem dicit Philosophus, VIII.
Phys., in omni motu est aliqua generatio
et aliqua corruptio , in quantum mobile
définit esse in termino a quo incipit esse
in termino ad quem; ex boc patet, quod
omnis mutabilitas répugnât aeternitati. In-
cluait ergo seternitas non solum intermi-
nabilitatem essendi , sed etiam immobili-
tatem; ex motu autem causatur prius et
posterius in tempore. Et ideo cum motus
repugnet a'ternitati, ex consequenti répu-
gnai ei habere prius et posterius. Propter
quod Boetius diffinit œternitatem, dicens :
« iEternitas est interminabilis vitœ tota
simul et perfecta possessio. » Quœcumque
ergo cum indeficientia essendi habent im-
mobilitatem et sunt absque successione
temporali , ipsa dicuntur esse œternaliter
et mensurantur aeternitate. Unde a qui-
busdam difïinitur aternitas., quod est mora
et non mora temporis , sed dicitur mora
essendi, id est indeficientia. Spatium vero
dicitur eo quod arnbit totum esse indefi-
ciens. Continuum vero dicitur, non eo
quod habeat partes , sed quia nunquam
deest , nunquam defuit , nunquam deerit;
non interf ectum vero dicitur , quia non
habet partes quae exeant de potentia ad
actum, sicut tempus, cujus pars prior prœ-
SUR LE TEMPS. 51
et la partie postérieure arrivera. C'est pourquoi Boëce dit que l'éter-
nité est produite par ce qui est présentement stable et ne s'écoule pas.
A cette occasion il y en a qui ne savent comment les locutions de
temps passé et d'avenir se vérifient à l'égard de Dieu. A cela il faut
répondre que l'éternité est la mesure d'une chose indéfectible, comme
on l'a dit. Il arrive cependant que l'éternité est comparée au passé ou
au futur, et c'est à cette comparaison ou concomitance , produite par
son indéfectibilité, que se rapportent les termes de temps passé ou
futur. C'est pourquoi la cause première est dite avoir été dans le passé
parce qu'elle n'a jamais manqué dans tout le temps passé; elle est
dite devoir être dans l'avenir, parce qu'elle ne manquera jamais.
D'après ce qui a été dit on peut assigner la différence qui existe entre
l'éternité, Yœvum et le temps; l'éternité est la mesure d'une chose in-
commutable n'admettant point de changement dans son opération.
L'œvum est la mesure d'une chose dont l'être est incommutable, mais
qui admet néanmoins des changements dans ses opérations; le temps
est la mesure d'une chose muable et successive en toute manière. Or,
il est constant que l'éternel qui est immuable est la cause de Yœvum
éternel , qui est immuable quant à l'être , mais admet des change-
ments dans ses opérations, et de même Yœvum éternel est la cause
du temporel. Et il est dans leurs instruments comme là, parce que
l'éternité est la cause exemplaire de Yœvum lui-même. Car Yœvum
imite l'éternité tant qu'il peut, mais il est défectueux à l'égard de
l'éternité. Vœvum à son tour est la cause exemplaire du temps, par
la raison que le temps imite Yœvum tant qu'il peut , mais est défec-
tueux aussi de ce côté. C'est pourquoi il n'est pas douteux que comme
le temps est d'abord la mesure d'une chose, savoir le premier mo-
bile, qui est le plus rapide, et l'éternité est en premier lieu la mesure
teriit, et pars posterior futura est. Propter
quod dicit Boetius, quod nunc stans et non
fluens causât œternitatem. Occasione hujus
dubitant aliqui , quomodo verba prœteriti
temporis et futuri verificantur de Deo. Ad
quod dicendum est , quod aeternitas est
mensura rei indeficientis, sicut dictum est.
Huic tamen accidit , quod comparetur ad
praeteritum vel futurum, et hanc compa-
rationem vel concomilantiam ex indefi-
cientia ejus causatam, dicunt verba prœ-
teriti et futuri temporis. Unde prima
causa dicitur fuisse in prseterito , quia iu
toto tempore praeterito nunquam defuit ,
et dicîtur fore in futuro , quia nunquam
deerit. Ex bis quœ dicta sunt , potest assi-
gnait differentia inter œternitatem, œvum
et tempus, quia aeternitas est mensura rei
incommutabilis j non recipientis vices in
operatione ; ;evum autem est mensura
rei cujus esse est incommutabile, quod ta-
men recipit vices in suis operationibus ;
tempus vero est mensura rei secundum
omnem modum mutabilis et successives.
Constat autem quod œternum quod immu-
tabiliter se habet, causa est seviterni, quod
incommutabiliter se habet quantum ad
esse, recipit tamen vices in suis operatio-
nibus, et similiter œviternum causa est
temporalis. Et sicut est in his, sic et in
instruments eorum, quia œternitas causa
est exemplaris ipsius aevi. iEvum enim
imitatur aîternitatem quantum potest, dé-
ficit tamen ab feternitate. JSvum autem
est causa exemplaris ipsius temporis, eo
quod tempus imitatur œvum quantum
potest, déficit tamen ab sevo. Unde non est
dubium , quod sicut tempus est primo
mensura unius, scilicet primi mobilis, qui
est velocissimus ; et aaternitas primo est
52 OPUSCULE XLII1, CHAPITRE 4.
du premier être , qui est de l'essence la plus simple, de même Vœ-
vum est en premier lieu la mesure de quelque chose d'un, qui, tout
en admettant des vicissitudes dans ses opérations, est néanmoins très-
proche du premier acte. Et conséquemm'ent, quoi qu'on dise, comme
il n'y a qu'un temps et une éternité , il n'y a aussi qu'un œvum. Par
là se trouve réfutée l'erreur de ceux qui disent que le présent de l'é-
ternité et celui du temps sont le même, erreur qu'ils s'efforcent de
prouver en disant que ce qui est stable et ce qui est mobile ne semblent
pas différer quant à la substance, mais quanta la raison. Or, le présent
de l'éternité est stable, et le présent du temps s'écoule, c'est pourquoi
ils ne semblent différer que parla raison seule. Cela ne peut être vrai
en vertu de ce qui a été établi. Nous avous vu, en effet, que l'éternité
et le temps diffèrent essentiellement , parce que le présent de l'éter-
nité et celui du temps sont essentiellement différents. Autre raison :
Les choses qui se produisent comme cause et effet sont essentiellement
différentes. Or, le présent de l'éternité ne diffère de l'éternité que par
la seule raison qu'il est la cause du temps et son présent, comme il a
été dit. C'est pourquoi le présent du temps et celui de l'éternité sont
essentiellement différents. Outre cela, le présent du temps et celui de
l'éternité sont essentiellement différents, parce que le présent du
temps est la continuation du passé dans l'avenir , comme on le voit
dans le quatrième livre de la Physique. Mais le présent de l'éternité
n'est pas la continuation du passé dans l'avenir, parce que dans l'é-
ternité il n'y a ni antériorité, ni postériorité, ni passé, ni futur, mais
l'éternité existe simultanément tout entière. Il n'y a non plus aucune
valeur dans la raison qui allègue que ce qui est stable et ce qui est
passager ne diffère pas par essence. La vérité est qu'il y a une diffé-
rence par essence dans tout ce qui est stable et. ce qui est passager,
mensura primi esse , quod est essentiœ
simplicissimœ , ita œvum est primo men-
sura alicujus unius , quod licet recipiat
vices in operationibus suis, est tamen pro-
pinquissimum primo actui. Et ideo quid-
quid dicatur , sicut est unum tempus et
una œternitas, ita et unum aevum. Ex hoc
confutatur error quorumdam dicentium .,
quod est idem nunc œternitatis et tem-
poris quod nituntur probare quia stans et
movens se non videtur differre secundum
substantiam , sed solum secundum ratio-
nem ; nunc autem œternitatis est stans,
et nunc temporis fluens, quare non videtur
differre nisi ratione sola. Istud non potest
habere veritatem, secundum ea quœ deter-
minata sunt. Visum est enim quod œter-
nitas et tempus essentialiter différant,
quia nunc œternitatis et nunc temporis es-
sentialiter différant. Item, quœcumque se
habent ut causa et causatum essentialiter
différant ; nunc autem œternitatis cum
non différât ab œternitate nisi sola ratione
causa est temporis et nunc ipsius , ut dic-
tum est. Quare nunc temporis et nunc œ-
ternitatis essentialiter différant. Prœterea,
nunc temporis et nunc œternitatis essen-
tialiter différant, quia nunc temporis est
continuativum prœteriti cum futuro , ut
patet IV. Physic. Nunc autem œternitatis
non est continuum prœteriti cum futuro,
quia in œternitate non est prius , nec pos-
terais, nec prœteritum, nec futurum, sed
tota œternitas est tota simul. Neque valet
ratio in oppositum , cum dicitur quod
stans et fluens non différant per essentiam.
Verum est in omni ,eo quod contingit et
stare et fluens esse, tamen stans quod
SUR LE TEMPS. 53
qui ne s'écoule en aucune manière en restant stable, et ne devient en
aucune manière stable en s'écoulant; c'est là le présent de l'éternité
et celui du temps. Et en outre, si le présent du temps et celui de l'é-
ternité étoient la mesure d'une seule et même chose, qui est stable et
devient passagère, ils différeroient néanmoins d'une manière essen-
tielle, parce qu'une seule et même chose peut être mesurée sous diffé-
rents rapports par des mesures différentes, parce que nous voyons,
au contraire, que diverses choses mesurables, qui ont la même con-
dition, peuvent être mesurées avec la même mesure, comme le chan-
gement de lieu et l'altération qui sont mesurés par le temps en tant
qu'ils s'accordent dans le caractère de succession , ayant une antério-
rité et une postériorité. C'est pourquoi il est évident que les choses
mesurables qui diffèrent en tant que mesurables, diffèrent en elles-
mêmes ; or, ce qui est passager et ce qui est stable , quoique pouvant
être une seule et même chose quant à la substance , parce qu'ils ne
diffèrent qu'en ce que être stable est autre qu'être passager, et ce qui
est passager, en ce que être passager est différent d'être stable , par
cette raison ils sont mesurés avec une mesure différente en tant que
stable et passager. Conséquemment le présent de l'éternité qui est la
mesure d'une chose comme stable, et le présent du temps qui est la
mesure d'une chose comme passagère, sont nécessairement différents
l'un de l'autre.
Fin du quarante -troisième opuscule de saint Thomas d'Aquin,
sur la mesure du temps.
L'abbé VÉDRINE.
nullo modo contingit fluere, et fluens qùod
nullo modo contingit stare , differunt per
essentiam, talia autem sunt mine seterni-
tatis et nunc temporis. Et praeterea , si
nunc temporis et nunc aeternitatis essent
mensura unius et ejusdem rei quae con-
tingit stare et fluere , tamen adhuc differ-
rent essentialiter, eo quod unum et idem
secundum aliam et aliam rationem men-
surari potest alia et alia mensura, quia nos
videmus in opposito, quod diversa mensu-
rabilia quae tamen participant unam ra-
tionem, possunt mensurari eadem men-
sura , sicut loci rnutatio et alteratio quae
mensurantur tempore , in quantum con-
veniunt in ratione successivi , habentes
prius et posterius. Unde manifestum est ,
quod quorum mensurabilia differunt in
quantum mensurabilia sunt et ipsa diffe-
runt ; fluens autem et stans , licet possint
esse unum et idem secundum substantiam,
quia non differunt nisi in eo quod stans
est aliud a fluente , et fluens in eo quod
fluens, est aliud a stante, ideo mensuran-
tur alia et alia mensura, in eo quod stans
et fluens. Et ideo nunc eeternitatis quod
est mensura rei ut stans, et nunc temporis
quod est mensura rei ut fluens, de necessi-
tate differunt ab invicem.
Explicit Opusculum quadragesimum
tertium beati Thomœ de Aquino , de na-
tura temporis.
54
OPUSCULE XLIV.
OPUSCULE XLIV.
DU MÊME DOCTEUR, SUR LA PLURALITÉ DES FORMES.
Comme c'est une sainte pratique d'honorer la vérité plus que ses
amis, ainsi que le dit Aristote, dans le premier livre des Ethiques, les
hommes vertueux ne craignent pas de déplaire à leurs amis en faveur
de la vérité, en reprouvant les choses qu'ils jugent contraires à la vé-
rité; mais la plupart du temps ne distinguant pas bien le vrai du faux,
parce qu'il y a certaines choses fausses qui sont plus probables que
d'autres qui sont vraies, ils estiment quelquefois vrai ce qui est faux,
à raison d'une certaine ressemblance au vrai, aussi en pensant s'é-
loigner du faux, ils s'y attachent comme à un ami et repoussent la
vérité. Puisque, en effet, entre les vérités sur les principes de la na-
ture, sur l'unité de forme dans un seul individu, elle s'étend à plu-
sieurs autres vérités, il en est qui la reconnoissent, mais la regardant
comme une fausseté, ils la traitent sans respect et finissent par la
répudier tout-à-fait. Comme de sa connoissance découle une foule de
conséquences, il semble expédient de la faire connoître aux amateurs
de la vérité, afin qu'étant connue par eux, elle ne soit plus combattue,
mais honorée comme le plus précieux des amis, et afin qu'eux-
mêmes puissent s'aider de sa lumière pour découvrir d'autres vérités.
Il n'est cependant pas nécessaire d'apporter des raisons nouvelles
pour la manifester ; il doit suffire pour le moment de mettre en avant
certaines raisons communes, employées par les écrivains, de les
OPïïSCULUM XLIV.
EJUSDEM DOCTORIS, DE PLURALITATE FORMARUM.
Quoniam sanctum est honorare verita-
tem prae cseteris amicis , ut dicit Philoso-
phus in I. Ethic. , ideo virtuosi homines
non dimittunt propter veritatern amicis
displicere, ea quae contraria reputant veri-
tati reprobando. Sed plerumque verum a
falso non recte discernentes, eo quod quse-
dam falsa probabiliora sunt quibusdam
veris , falsum quandoque judicant verum
propter apparentiam veri, ac per hoc dum
putant falsum prosequi , ipsum tanquam
amicum prosequuntur et répugnant veri-
tati. Inter veritates siquidem de principiis
naturœ, de unitate formée in uno individuo
ad plurimas se extendit veritates , quam
agnoscunt aliqui, sed ipsam esse falsitatem
putantes, tractaverunt irreverenter et pe-
nittis repudiaverunt. Quod vero ex ejus
cognitione multa dépendent consequentia,
expediens videtur ipsam manifestare ama-
toribus veritatis, ut ab eis agnita non am-
plius impugnetur , sed potius tanquam
praecipua arnica honoretur, ipsi autem per
ejus cognitionem ad videndurn multas ve-
ritates illustrentur. Nec tamen oportet
novas adducere rationes ad sui manifesta-
tionem, sed sufficiat ad prœsens quasdam
rationes communes in scriptis adductas,
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 55
mettre à l'abri de la plaisanterie, de les étayer de l'autorité d'Aristote
et de son commentateur, et enfin de détruire les raisons qui enchaînent
certaines intelligences et les empêchent d'apercevoir cette même
vérité. Je me propose donc de renfermer mon présent travail en trois
points. Le premier traite de la distinction des formes entre elles; le
second de la raison de l'entité; le troisième de la raison de l'unité.
On s'accorde communément sur le premier point, parce que les formes
des choses sont comme les nombres et les figures, en ce qu'une forme
ajoute une perfection à une autre , de même qu'un nombre ajoute à
un autre, et une figure à une autre figure et la contient virtuellement,
et par conséquent la forme plus parfaite contient virtuellement la
forme moins parfaite. Donc la forme plus parfaite établie, il est inu-
tile d'en produire une moins parfaite ; donc, comme il n'y a rien
d'inutile dans la nature, la nature ne permet pas qu'il y ait dans le
composé deux formes dont une soit plus parfaite que l'autre. Pour
mettre cela en évidence il faut considérer que les formes substantielles
ne sont pas distinguées entre elle, comme la couleur et la saveur qui
appartiennent à des genres divers physiquement parlant. Mais toutes
les formes matérielles sont distinguées comme les figures qui sont du
même genre physique. Il faut donc établir ainsi la principale raison :
Il est impossible que deux formes du même genre physique con-
courent simultanément à parfaire un même sujet; mais toutes les
formes substantielles sont du même genre physique , donc il est im-
possible que deux formes substantielles concourent simultanément à.
parfaire la même matière. Il faut d'abord poser la seconde proposi-
tion de cette raison , parce que c'est nécessaire pour démontrer la
première. Or, on la prouve de trois manières. D'abord, par la transmu-
tation des formes entre elles. En effet, ces formes sont du même genre
dem composito sint dues formée , quarura
una sit perfectior alia. Ad hujus rationis
evidentiam considerandum est quod formes
substantialesnon distinguuntur ab invicem,
sicut distinguuntur calor et sapor, quas
sunt di versorum generum physice loquendo,
sed omnes forma! materiales distinguuntur
sicut figuras quas sunt ejusdem generis
physici. Formetur ergo principalis ratio
sic. Impossibile est duas formas ejusdem
generis physici simul perficere idem sub-
jectum; sed omnes formas substantiales
sunt ejusdem generis physici. Ergo impos-
sibile est duas formas substantiales simul
perficere eamdem materiam. Hujus ratio-
nis primo declaranda est secunda propo-
sitio , quia ejus declaratio utilis est ad os-
tensionem primas. Probatur autem tripli-
citer. Primo quidem per transmutationem
formarum ab invicem. III33 enim formas
contra cavillationes fortificare , authorita-
tibus scilicet Philosophi et sui Commenta-
toris, eas confirmare, et tandem rationes
dissolvere, quas mentes aliquorum ligant,
ne dictam videant veritatem. Ostenditur
autem propositum tribus viis ad preesens.
Prima sumitur ex distinctione formarum
a se invicem. Secunda, ex ratione entitatis.
Tertia, ex ratione unitatis. Secundum pri-
mam viam arguitur communiter, quia for-
mas rerum sunt sicut numeri et figuras
quantum ad hoc quod una forma addit
perfecticnem super aliam, sicut unus nu-
merus addit super alium , et sicut una fi-
gura super aliam , et virtute continet ip-
sam, forma ergo perfectior virtute continet
formam imperfectiorem ; posita ergo forma
perfection , superfluit ponere imperfectio-
rem. Cum ergo in natura nihil sit super-
flimm, non permittit natura quod in eo-
56 OPUSCULE XLIV.
physique entre lesquelles il y a transmutation par soi , de telle ma-
nière, par exemple, que l'une soit terme a quo par soi et non par ac-
cident, à savoir par son adjonction avec le terme a quo , et l'autre un
terme ad quem par soi et non par accident, par la raison qu'il est ad-
joint à quelque autre chose. Par exemple : Quand le blanc se change
en noir, s'il se change en même temps en doux , il y a transmutation
de blanc en doux par accident, mais de blanc en noir par soi, et cela
par la raison que blanc et noir sont dans le même genre. C'est ce qui
fait dire à Aristote , dans le deuxième livre de la Métaphysique, que
les choses qui sont diverses en genre n'ont pas de voie , c'est-à-dire
de transmutation de l'une à l'autre; tandis qu'il y a transmutation
par soi entre les formes substantielles. Et cela est évident à l'égard
des formes, que tout le monde s'accorde à reconnoître comme spéci-
fiques. Car il est évident ici qu'une forme est dépouillée quand l'autre
est revêtue, et cela n'est pas par accident à l'égard du dépouillement
ou du revêtement d'autres formes qui sont les termes de la transmu-
tation par soi, comme par soi il se fait du feu de l'eau, ou réciproque-
ment, ou de la pluie de la vapeur. En effet, la génération qui est dans
la substance ne vient pas par soi de quelque accident , comme du
blanc, et même celle qui est par soi ne se termine pas à quelque acci-
dent, comme au noir.
Il ne reste donc plus que d'être par soi entre deux formes substan-
tielles, dont l'une est dépouillée et l'autre revêtue. Donc toutes les
formes substantielles sont du même genre. Mais , si l'on reconnoit
quelques formes qui ne soient pas spécifiques, ainsi que certains re-
connoissent dans l'homme une forme de corps différente de l'ame, il
faudra encore, par cette maison, admettre qu'une telle forme est du
même genre que les autres qui sont spécifiques, parce qu'il y a trans-
sunt ejusdem generis physici, inter quas
est transmutatio per se , ita scilicet quod
una sit terminus a quo per se , non autem
per accidens, scilicet cum adjunctione sui
cum termino a quo , et alia sit terminus
ad quem per se non per accidens , ex hoc
quod adjungitur alicui alteri. Yerbi gratia:
Quando album mutatur in nigrum, si illud
etiam mutetur in dulce , est transmutatio
albi in dulce per accidens , sed albi in ni-
grum per se , et hoc ideo , quia album et
nigrum sunt in eodem génère. Unde dicit
Philosophus, X. Metaph,, quod ea quae
sunt diversa génère, non habent viam , id
est transmutationem ad invicem, nunc au-
tem inter formas substantiales per se est
transmutatio. Et hoc manifestum est de
formis quas omnes concedunt esse speci-
ficas. In talibus enim manifestum est, quod
una abjicitur in inductione alterius, et hoc
non est per accidens ad inductionem et
abjectionem aliarum quae sunt termini
transmutationis per se , sicut per se sit
ignis ex aqua vel e converso, vel pluvia ex
vapore. Non enim generatio quae est in
substantia est*per se ex aliquo accidente ut
ex albo, vel etiam quae est per se , terrni-
natur ad aliquod accidens , puta ad ni-
grum.
Relinquitur ergo quod sit per se inter
duas formas substantiales , quarum una
abjicitur et alia inducitur. Omnes ergo
formas substantiales sunt ejusdem generis.
Si vero ponantur aliquae forma? quai non
sint spécifie» , sicut aliqui ponant in ho-
mine formata corporis aliam ab anima,
adhuc oportebit per illam rationem ponere
talem esse ejusdem generis cum aliis quae
sunt specificae , eo quod inter illas formas
et formas specificas est per se transmutatio.
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 57
mutation par soi entre ces formes et les formes spécifiques. Car le
corps de l'homme qui tombe en putréfaction après la mort se résout
dans les éléments , parce que le corps est produit par la semence, la
semence par les aliments et les aliments par les éléments. Car c'est
par eux que nous sommes nourris et que nous existons. Donc la forme
du corps est du même genre que les formes des éléments, et les
formes des éléments du même genre que les autres formes spécifiques.
Donc la forme du corps dans l'animal est aussi du même genre uni-
versellement que les autres formes spécifiques. Outre cela , qu'il n'y
ait pas de persistance dans une forme matérielle quelconque, quant à
cela, on le démontre par cette raison , que dans les substances la gé-
nération d'une chose est toujours la corruption d'une autre, et réci-
proquement , comme le dit Aristote, dans le livre sur la Génération
et la corruption, où il traite de la génération et de la corruption en
général. Généralement donc il y a transmutation entre les formes sub-
stantielles, de manière que dans le revêtement de l'une il y a dé-
pouillement de l'autre, et vice versa; or ce revêtement et ce dépouil-
lement ne peuvent être par accident, relativement au revêtement et
au dépouillement des autres choses qui sont par soi des termes de
génération et de corruption , parce que dans la génération et la cor-
ruption d'une substance il n'y a qu'une forme substantielle qui puisse
être terme par soi. Il y a donc transmutation entre certaines formes
d'une manière générale. Il faut donc dire généralement qu'elles sont
toutes du même genre, et c'est là la première preuve de la proposi-
tion. La seconde se tire de la définition. Le philosophe Aristote dit
dans le livre Y de la Métaph., que les choses qui n'ont pas le même
susceptif sont diverses en genre. Donc tous les actes qui ont le même
susceptif sont de même genre. C'est évident, tant à l'égard des acci-
Corpus enim hominis quod post mortem
putrescit, resolvitur in elementa; fit enim
corpus taie ex semine , et semen ex ali-
mente, et alimentum ex alimentis. Ex eis-
dem enim nutrimur et sumus. Forma
ergo corporis est ejusdem generis cum
formis elementorum ; formae autem ele-
mentorum sunt ejusdem generis cum aliis
formis specificis. Ergo et forma corporis
in animali est ejusdem generis universa-
liter cum aliis formis specificis. Pratcrea,
quod non sit instantia in aliqua forma ma-
teriali, quantum ad hoc, ostenditur per
hoc quod in substantiis semper generatio
umus est corruptio alterius, et e converso,
ut dicit Philosophus in libro De générât,
et corrupt. , ubi déterminât de generatione
et corruptione in universali. Universaliter
ergo inter formas substantiales est trans-
mutatio, sic quod in inductione unius est
abjectio alterius, et e converso. Talis au-
tem inductio et abjectio non potest esse
per accidens ad inductionem et abjectio-
nem aliorum quee sunt per se termini ge-
uerationis et corruptionis , quia in gene-
ratione substantiae vel corruptione nihil
potest per se esse terminus, nisi forma
substautialis. Est ergo transmutatio inter
quascumque formas universaliter. Oportet
ergo dicere universaliter , qucd omnes
sunt ejusdem generis , et hœc est prima
probatio propositionis. Secundo probatur
per locum a diffinitione. Dicit enim Philo-
sophus, V. Metaph., quod diversa gênera
sunt quae non habent idem susceptivum.
Omnes ergo actus qui habent idem suscep-
tivum sunt ejusdem generis. Hoc est ma-
nifestum tam de accidentibus transeunti-
58 OPUSCULE XLIV.
dents passagers, qui sont les opérations, qu'à l'égard des formes per-
manentes,. En effet, la vue du blanc et la vue du rouge sont des actes
de même genre, puisqu'elle sont le même susceptif prochain , à savoir la
puissance visuelle. De même la blancheur et la rougeur sont des formes
du même genre , puisqu'elles se trouvent dans le même susceptif y
c'est-à-dire dans la superficie d'un corps limité. La raison en est que
les puissances sont distinguées par les actes, de façon que les actes de
divers genres ont des puissances diverses. Or le susceptif prochain de
tout acte est la puissance destinée à être perfectionnée par cet acte;
d'où il suit que tous les actes , qui ont le même susceptif prochain,
sont nécessairement du même genre. Or toutes les formes substan-
tielles ont le même susceptif, parce qu'elles sont des perfections de la
même puissance. En effet, la matière est ce qui est une certaine puis-
sance ordonnée pour toutes les formes matérielles , comme pour
ses perfections , elle est susceptible de toutes les formes matérielles ,
comme le bois est susceptible de toutes les formes artificielles ,
comme il est dit dans le Ier livre de Phys. Donc toutes les formes ma-
térielles sont du même genre. Mais on peut opposer à cette preuve le
fait de l'ame , qui est l'acte d'un corps physique organique. Car elle
ne paroît pas être un acte de la matière première comme d'une puis-
sance immédiatement ou prochainement, mais seulement comme
d'une manière éloignée, tandis qu'elle semble être un acte du corps,
comme immédiatement. C'est ce qui fait dire à Aristote, dans le livre II
de l'Ame , que du corps et de l'ame il se fait une chose unique comme de
la puissance et de l'acte, et il semble ainsi que le susceptif immédiat de
ce composé est différent du susceptif des autres formes, quoique le sus-
ceptif éloigné soit le même. Et de là semble suivre ce que nous avons
dit que l'ame n'est pas du même genre que les formes matérielles,
bus, quae sunt opérât iones, quam de formis
permanentibus. Visio enim albi et visio
rubri sunt actus ejusdem generis, cum ha-
beant idem proximum susceptivum, scili—
cet potentiam visivam. Similiter albedo et
rubedo sunt formae ejusdem generis, cum
sint in eodem susceplivo, scilicet in super-
ficie corporis terminati. Et hujus ratio est,
quia potentiae distinguuntur per actus, ita
quod actus diversorum generum habent
diversas potentias. Proximum autem sus-
ceptivum cujuslibet actus est potentia nata
perfici per illum actum : unde oportet
quod omnes actus qui habent idem sus-
ceptivum proximum, sint ejusdem generis:
nunc autem omnes formae substantiales
habent idem susceptivum , quia sunt per-
fectiones ejusdem potentiae. Materia enim
est illud* quod est potentia quœdam-ordi-
nata ad formas omnes materiales tanquam
ad suos actus, sive perfectiones, et est sus-
ceptiva omnium formarum materialium,
sicut lignum est susceptivum omnium for-
marum artificialium , ut dicitur I. Physic.
Omnes ergo formas materiales sunt ejus-
dem generis. Sed huic probationi potest
obviari de anima, quae est actus corporis
physici organici. Non enim videtur esse
actus primae materiœ tanquam potentiae
immédiate vel proxime, sed solum tan-
quam remote : videtur autem esse actus
corporis tanquam immédiate. Unde Philo-
sophus dicit in II. De anima,, quod ex cor-
pore et anima sit unum tanquam ex po-
tentia et actu, et sic videtur quod ejus sus-
ceptivum immediatum sit alterum a sus-
ceptivo aliarum formarum , licet idem
habeant susceptivum remotum.
Et ex hoc videtur sequi praedictum ,
quod anima non sit ejusdem generis cum
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 59
puisque les choses qui n'ont pas le même susceptif prochain sont di-
verses en genre. Il ne faut pas, en effet, que les choses qui ont le
même susceptif éloigné soient de même genre ; car dans ce cas la,
couleur et la saveur seroient de même genre puisqu'elles sont dans la
même substance. Or la puissance n'est pas tout principe de l'acte,
mais son principe immédiat. Donc de ce que la matière est puissance
ou susceptif des autres formes, il ne s'ensuit pas qu'elle l'est de l'ame;
il s'ensuit donc, comme on voit, que l'ame est d'un autre genre que
les autres formes. Il faut répondre à cela qu'il est nécessaire que l'ame
ait le même susceptif que les autres formes. Si, en effet, nous pre-
.nons le corps en acte par une autre forme que l'ame, et ce corps,
suivant quelques-uns , subsistant après la mort , un tel corps ne peut
être, puissance par rapport à l'ame, parce que s'il en étoit ainsi, il
pourroit recevoir l'ame après la mort, par la raison que tant que la
puissance subsiste elle peut être naturellement amenée à l'acte par un
agent, de même, tant que la puissance visuelle subsiste dans l'œil, elle
peut être amenée à l'acte de la vision. Or, présentement le corps mort
ne peut recevoir l'ame parle moyen d'aucun agent naturel, mais seu-
lement par un agent surnaturel qui est Dieu. En effet, un mort ne
revient naturellement à la vie que par résolution à la matière pre-
mière. Or un corps mort n'a jamais été avec l'identité numérique
puissance par rapport à l'ame. On peut argumenter de la même ma-
nière à l'égard de toute chose composée reçue dans un corps mort,
car il ne peut être reçu rien de semblable qui puisse devenir vivant
sans corruption. Caria résolution du corps mort se fait jusqu'à la ma-
tière première avant que quelque chose de vivant soit engendré de
lui, il ne reste donc plus qu'à dire que la matière première est puis-
sance immédiate par rapport à l'ame , en prenant l'ame suivant son
formis materialibus , cum illa sint diversa
génère, quœ non habent idem susceptivum
proximum. Non enim oporlet quod illa
quae habent idem susceptivum remotum,
sint ejusdem generis ; sic enim color et
sapor essent ejusdem generis, cum sint in
eadem substantia. Potentia autem dicitur
non quodeumque principium actus, sed
principium immediatum ipsius. Materia
ergo si sit potentia, sive susceptivum alia-
rum formarum, non sequitur quod sit ani-
mai, sequitur ergo ut videtur, quod anima
sit alterius generis ab aliis formis. Ad hoc
dicendum , quod necesse est idem suscep-
tivum esse animée et aliarum formarum.
Si enim accipiamus corpus in actu per
aliam formam quam sit anima, quod qui-
dem corpus maneat post mortem secun-
dum aliquos, taie corpus non potest esse
potentia respectu anima?, quia si sic, pos-
set post mortem suscipere animam, quia
quamdiu manet potentia , tamdiu potest
per agens duci ad actum naturaliter, sicut
quamdiu in oculo manet potentia visiva ,
potest duci ad actum videndi ; nunc autem
corpus mortuum per nullum agens natu-
rale potest animam suscipere, sed tantum
per agens supernaturale , quod est Deus.
Ex mortuo enim non fit vivum naturaliter
nisi per resolutionem ad primam mate-
riam; corpus autem mortuum nunquam
fuit idem numéro potentia respectu ani-
ma?. Eodem modo etiam potest argui de
quoeumque accepto in corpore mortuo,
quod sit compositum; nihil enim taie po-
test accipi, quod possit fieri vivum sine
corruptione. Fit enim resolutio corporis
mortui usque ad primam materiam, ante-
quam ex ipso generetur vivum, et ita re-
linquitur quod materia prima sit potentia
60 OPUSCULE XLIV.
caractère propre, de même qu'elle est puissance immédiate par rap-
port aux autres formes. .Néanmoins , si nous considérons le corps en
acte par le moyen de l'ame même, alors le corps ainsi considéré est
puissance par rapport à l'ame, en tant qu'elle communique la qualité
de "vivant, de sensible et ainsi de suite.
Aristote, dans le second livre de l'Ame , parle dans ce sens, lors-
qu'il dit que du corps et de l'ame il se fait quelque chose d'unique ,
comme de la puissance et de l'acte. De même , lorsqu'il dit au même
endroit que l'ame est un acte du corps , il s'exprime ainsi, parce que
dans la définition de la forme, il faut mettre la matière en tant qu'elle
est appropriée à cette forme , et non en tant qu'elle lui est commune
avec les autres. C'est aussi dans le même sens que l'on dit : L'ame est
un acte du corps , comme si l'on disoit , la chaleur est un acte de
l'objet échauffé, et ce dont la chaleur est l'acte n'est pas qualifié par
une autre qualité antérieure à la chaleur, parce que la chaleur appar-
tient aux quatre premières qualités, mais on entend que c'est
qualifié par la première chaleur, qui est son acte. Et on ne peut pas
dire que la disposition du susceptif, par laquelle la puissance est
appropriée à l'acte , donne le caractère de puissance au susceptif lui-
même , de manière , par exemple , qu'après la destruction de cette
disposition , elle ne soit plus puissance par rapport à une telle forme ;
comme si l'on disoit que l'harmonie propre fait que le corps est puis-
sance par rapport à l'ame, et que par conséquent, après la destruction
ou la résolution de cette harmonie, elle n'est plus puissance, c'est-
à-dire susceptif à son égard. Si , en eifet , cela étoit vrai , il y auroit
autant de puissances que d'actes, et une seule puissance nerépondroit
pas aux divers actes du même genre, parce que les différents actes
demandent des dispositions diverses dans la puissance susceptive.
imrnediata respectu animée, si accipiamus
animam seeundum suam propriam ratio-
nem, sicut est potentia imrnediata respectu
aliarum formarum. Tamensi consideremus
corpus in actu per ipsam animam , tune
ipsum corpus sic consideratum, est poten-
tia respectu animée, et seeundum quod ipsa
dat esse vivum et sensitivum , et sic dein-
ceps ; et sic loquitur Philosophus in II. De
anima, cum dicit, quod ex corpore et ani-
ma fit unum sicut ex potentia et actu, et
similiter quando dicit ibi quod anima est
actus corporis , ideo autem sic loquitur,
quia in difiinitione formée débet poni ma-
teria prout appropriata est illi formée, non
autem seeundum quod communis est sibi
et aliis; similis est modus loquendi curn
dicitur : Anima est actus corporis , ac si
diceretur , calor est actus calefacti , non
autem id cujus calor est actus , est quali-
ficatum alia qualitate priori quam sit ca-
lor, quia calor est de primis quatuor qua-
litatibus, sed intelligitur quod sit qualifi-
catum primo calore , qui est actus ejus.
Nec potest dici, quod dispositio susceptivi,
per quam appropriatur potentia actui , det
ipsi susceptivo rationem potentiee , ita sci-
licet quod illa dispositione destructa, non
sit amplius potentia respectu talis formée :
sicut si diceretur quod propria harmonia
facit, quod corpus est potentia respectu
animée, et ideo ipsa harmonia destructa
vel soluta jam non est potentia , scilicet
susceptiva respectu ipsius. Si enim hoc es-
set verum, tôt essent potentiœ quot actus,
et non responderet una potentia diversis
actibus ejusdem generis, quia diversi actus
requirunt diversas dispositiones in potentia
SUR LA. PLURALILÉ DES FORMES. 61
Nous voyons, en effet, que les actes des actifs se trouvent dans le
patient et le disposé , comme il est dit' au livre second de l'Ame. C'est
ce qui fait aussi que les formes des éléments qui ont évidemment le
même susceptif prochain , demandent dans leur susceptif des dispo-
sitions contraires , savoir, la forme du feu la chaleur, la forme de
l'eau la fraîcheur. Peu importe de dire que cela se fait à raison du
défaut de l'agent naturel , parce que cette puissance passive , qui est
un corps mort, ne peut être amenée à l'acte de la vie, par la raison
que à toute puissance passive répond une puissance active quelconque
qui puisse l'amener à l'acte, autrement cette puissance passive seroit
oisive. C'est pourquoi , de ce qu'il n'y a point de puissance naturelle
qui puisse disposer un corps mort à l'acte de la vie , il s'ensuit qu'il
n'est pas puissance par rapport à un tel acte , et par conséquent aussi
le corps mort n'est pas le même qu'il étoit vivant , quant à la forme.
En effet, ce corps vivant étoit puissance par rapport à l'ame , mais
l'ame communique la qualité de vivant avec les perfections ulté-
rieures, quoique la matière soit la puissance, en tant qu'elle constitue
l'être substantiel et l'être corporel , comme il a été dit. Il faut donc
ainsi que toutes les formes matérielles soient du même genre , parce
qu'elles ont toutes le même susceptif prochain, c'est-à-dire la matière
première : voilà la preuve de la seconde proposition. On démontre
également cela d'après l'habitude des formes entre elles, quant à
leurs essences. Pour mettre cela en évidence , il faut considérer que
les formes des différents genres sont telles , que l'une n'a rien dans sa
nature de la vertu* de l'autre , mais qu'elles sont tout-à-fait d'une
nature différente, n'étant pas contenues l'une dans l'autre : par
exemple la couleur et la saveur, dont aucune n'est en vertu dans
l'autre , et qui sont par là diverses, quant au genre. Mais les formes
susceptiva. Videmus enim actus activorum
esse in patiente et disposito, ut dieitur II.
De anima. Unde etiam formae elementorum,
de quibus raanifestum est quod habent
idem susceptivum proximum, requirunt
in suo susceptivo dispositiones contrarias :
puta , forma ignis calorem, forma aquae
frigiditatem. Nec valet si dicatur, quod hoc
fit propter defectum agentis naturalis, quia
illa potentia passiva quae est corpus mor-
tuum, non potest duci ad actum vitse, quia
cuilibet potentiœ passiva; respondet aliqua
potentia activa, quae possit eam ducere ad
actum ; alioquin illa potentia passiva esset
otiosa. Unde ex hoc quod non est aliqua
potentia naturalis , quae possit disponere
corpus mortuum ad actum vitœ , sequitur
quod ipsum non est potentia respectu talis
actus, et per consequens etiam non est
idem corpus secundum formam, quod fuit
vivum. IUud enim corpus vivum erat po-
tentia respectu animae, sed anima dat esse
vivum et ulteriores perfectiones, licet ma-
teria sit ejus potentia, secundum quod con-
stituit esse substantiale et esse corporeum,
sicut dictum est. Sic ergo oportet quod
omnes formae materiales sint ejusdem ge-
neris, eo quod omnes habent idem suscep-
tivum proximum, scilicet materiam.pri-
mam, et hoc est secundae propositionis pro-
batio. Ostenditur hoc idem ex habitudine
formarum ad se invicem quantum ad suas
essentias. Ad cujus evidentiam consideran-
dum est, quod formae diversorum geue-
rum sic se habent , quod una nihil habet
in sui natura de virtute alterius , sed sunt
penitus diversœ naturae, quarum nulla con-
tinetur in alia ; puta, color et sapor, quo-
rum neutrum est virtute in altero , et ex
hoc sunt diversa secundum genus; sed
62 OPUSCULE XLIV.
du même genre sont telles , que l'une contient toujours l'autre en
vertu , savoir, celle qui est plus parfaite contient en elle celle qui
l'est moins avec une addition , de même que nous voyons qu'une
figure en contient une autre avec quelque chose de plus. En effet, le
tétragone renferme le trigone, avec un angle de plus; le pentagone
renferme le tétragone, avec un angle en sus, et ainsi des autres; et
il en est des autres genres comme du genre des figures rectilignes.
Comme , en effet , en tout genre il y a quelque chose de premier, qui
est la mesure de toutes les choses qui sont dans ce genre, il faut
nécessairement que les diverses formes du même genre soient dis-
tinctes entre elles , en s'éloignant de ce qui est premier dans leur
genre , et que par-là même elles soient multipliées en s'éloignant les
unes plus , les autres moins , de façon qu'il y ait autant de formes
que de modes d'éloignement. Par exemple , dans le genre de couleur
il y a autant d'espèces qu'il y a de modes d'éloignement dans le genre
de la couleur de ce qu'il y a de premier dans ce même genre , et de
la mesure qui renferme toute la perfection du genre. C'est pourquoi
Aristote dit dans le dixième livre de la Métaphysique , que le noir,
qui s'éloigne le plus du blanc, est la privation du blanc, par la raison
qu'il manque totalement de la perfection du blanc , et il en est ainsi
à l'égard des autres contraires. En effet, tous les contraires sont dans
le même genre , d'où il résulte qu'un des contraires est toujours pri-
vation par rapport ta un autre qui est habitude , parce qu'il contient
toute la perfecfion ue son genre. On peut conclure de là que toutes
les formes qui sont telles , à l'égard les unes des' autres, que la plus
parfaite contient en ella celle qui l'est moins , en y ajoutant quelque
chose , sont du même gerre. Il en est ainsi de toutes les formes sub-
stantielles, dans ce cas elles sont comme les nombres dont les espèces
forma? ejusdem generis sic se habent,
quod semper una virtute continet aliam,
illa scilicet qua? est perfectior in se conti-
net imperfectiorem cum alio addito, sicut
videmus quod una figura continet aliam
et aliquid amplius. Tetragonum enim con-
tinet trigonum et addit unum angulum;
pentagonum continet tetragonum et addit
unum angulum , et ita de ca?teris, et sicut
est in génère rectilinearum figurarum, ila
est in aliis generibus. Cum enim in omni
génère sit unum primum quod est men-
sura omnium , quae sunt in illo génère,
oportct quod diverse forma; ejusdem ge-
neris, sint ab invicem distincts per reces-
sum a primo sui generis, et quod multipli-
centur secundum quod multum recedunt
al) illo primo, qusedam minus et qua?dam
magis, ut scilicet tôt sint forma? , quot mo-
dis sit recessus ab illo primo : puta , in gé-
nère coloris tôt sunt species , quot modis
sit recessus ab illo primo in génère coloris
et mensura totarn perfectionem sui gene-
ris comprebendente. Onde et Philosophus,
X. Méfaph.j nigrum , quod maxime distat
ab albo, dicit esse privationem albi, eo
quod minime habet perfectionem coloris
albi , et ita est in abis contrariis. Omnia
enim contraria sunt in eodem génère, unde
unum contrariorum semper est privatio
respectu alterius quod est habitus, eo quod
continet totam perfectionem sui generis.
Ex his concludi potest, qua?cumque forma?
sic se habent ad invicem, quod semper
perfectior continet in se imperfectiorem
et super eam addit aliquid , sunt ejusdem
generis. Sic se habent omnes forma? sub-
stantiales, tune enim forma? sunt ut nu-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 63
résultent de ce que le plus grand ajoute une unité au plus petit ,
comme il est dit aux VIIIe et IXe livres de la Métaphysique. Donc,
toutes les formes substantielles matérielles sont du même genre. De
même, en effet, que les différents nombres se forment en progressant
naturellement de l'unité , de manière que le premier nombre ajoute
une unité à l'unité, et ainsi de suite, de même les formes maté-
rielles se prennent en raison d'un certain éloignemént de la matière
relatif au plus ou moins de perfection. Les formes des éléments sont
très-proches de la matière première , et par-là même très-imparfaites,
suivant le Commentateur, et comme s' éloignant peu de la matière.
C'est ce qui fait que les corps élémentaires sont appelés premiers
corps, comme constitués par les premières formes et la matière pre-
mière. Ces formes, à cause de leur proximité de la matière, ne sont
suivies d'aucune opération excédant les qualités actives et passives.
Et par conséquent elles s'éloignent davantage de l'imperfection et de
la potentialité de la matière première de la forme des corps mixtes ,
comme ayant en elles quelque chose de la forme des éléments et
quelque chose en sus , ce qui fait qu'elles déterminent des opérations
excédant les qualités actives et passives des éléments. Par exemple ,
l'aimant attire le fer, le jaspe arrête le sang, et ainsi des autres ; et
dans ces métaux il y a encore plusieurs degrés. On peut également
comparer les plantes aux êtres inanimés, parce que les formes des
plantes excèdent la forme de toutes les choses inanimées , à raison de
quoi elles ont en elles-mêmes le principe actif de leur mouvement ,
savoir de la nutrition, de l'accroissement , ce qui ne convient à aucun
être inanimé. De même les formes des animaux excèdent les formes
des plantes, et s'éloignent davantage de la terrestréité de la matière ,
parce qu'elles ont en elles le principe de leur mouvement, et en outre
meri, quorum species résultant , per hoc
quod major acklit unitatem supra mino-
rerai , sicut dicitur VIN. Metaph. et IX.
Omnes ergo forma? substantiales materiales
sunt ejusdem generis. Sicut enim numeri
diversi résultant secundum progressionem
naturalem ab unitate, ita quod primus nu-
merus super unitatem addit unitatem , et
sic deinceps , ita forma? materiales acci-
piuntur secundum quemdam a materia re-
cessum secundum perfectius et imperfec-
tius. Forma; siquidem elementorum sunt
propinquissima? materia? prima;, et sic im-
periectissima? secundum Commentatorem,
et quasi parum a materia recedentes.
Unde corpora elementaria dicuntur prima
corpora tanquam a primis formis et ma-
teria prima constituta. Istas autem formas
propter sui propinquitatem ad materiam
non sequitur aliqua operatio excédons qua
litates activas et passivas. Consequenter
autem magis recedunt ab imperfectione et
potentialitate materiae prima? forma? mix-
torum, utpote habentes in se quidquid ha-
bent forma? elementorum , et adhuc am-
plius, unde et ipsas consequuntur opera-
tiones, excedentes qualitates activas et
passivas elementorum, puta, adamas trahit
ferrum, jaspis restringit sanguinem, et sic
de aliis , et in istis etiam sunt multi gra-
dus. Similis est etiam comparatio planta>
rum ad inanimata, quod scilicet forma?
plantarum excedunt omnium inanimato-
rum formam , ex quo quidem excessu ha-
bent in seipsis principium sui motus acti-
vum, puta, nutritionis et augmentationis,
quod nulli inanimato competit. Similiter
etiam forma? animalium excedunt formas
plantarum, et plus elongantur a terrestrei-
tate materia?, propter quod habent in se
64 OPUSCULE XLIV.
les connoissances des autres choses. Mais l'ame humaine est la plus
parfaite de toutes les formes reçues dans la matière. C'est pourquoi
elle est non-seulement un principe de cognition s'opérantpar l'organe
corporel, mais parce qu'elle est élevée au-dessus de la matière, elle a
naturellement une cognition et une intelligence séparée de la matière,
ce qui fait qu'elle doit être immortelle , comme l'insinue Aristote au
chap. XII de la Métaph., parce que, entre toutes les formes, elle sub-
siste seule après la corruption du corps. Ainsi donc , comme elle est
la plus parfaite entre toutes les formes matérielles, et qu'elle contient
virtuellement la forme végétative de la plante et la forme scnsitive de
la brute , elle doit nécessairement contenir virtuellement toutes les
autres formes matérielles, et ainsi quant à ce qu'elle est une perfection
du corps , elle est du même genre que les autres formes corporelles
ou matérielles; et ainsi on peut remarquer que la forme substantielle,
qui est plus parfaite , renferme en elle la moins parfaite et quelque
chose de plus, il faut donc admettre qu'elles sont toutes du même
genre : c'est là la troisième et dernière preuve de la proposition. La
première proposition de la même question se prouve par ce qui a été
dit. Et d'abord par la transmutation des formes entre elles.
En effet, si deux formes quelconques concourent ensemble à par-
faire le même sujet, elles sont contingentes et ne présentent aucune
répugnance. Or la transmutation par soi ne se produit pas entre des
formes contingentes ; car le contingent ne provient du contingent que
par accident , et par conséquent ne se résout en contingent que par
accident, comme il est dit au livre Ier de la Phys. Or, si la transmu-
tation par soi ne se produit pas entre les formes qui existent simul-
tanément dans un sujet, il s'ensuit qu'elles ne sont pas du même
genre , parce que la transmutation par soi se produit entre les formes
principium sui motus, sed et cognitiones
aliarum rerum. Anima vero humana inter
omnes formas receptas in materia perfec-
tissima est. Unde non solum est princi-
pium cognitionis, quœ est per organum
corporale, sed quia elevata est super ma-
teriam , naturaliter habet cognitionem et
intelligentiam separatam a materia . unde
oportet quod sit perpétua , sicut innuit
Philosophus, XII. Metaph.j quod inter om-
nes formas ipsa sola manet post corporis
corruptionem. Sic ergo cum sit perfectis-
sima inter omnes formas materiales , et
contineat virtualiter vegetativam plantse
et sensitivam bruli, oportet quod contineat
virtute omnes alias formas materiales , et
ita quantum ad hoc quod est perfectio
corporis , est ejusdem generis cum aliis
formis corporalibus vel materialibus , et
sic considerari potest quod semper forma
substantialis quse est perfectior, continet
in se imperfectiorem et amplius, et ita re-
linquitur, quod omnes sunt ejusdem gene-
ris, et haec est tertia et ultima probatio
propositionis. Prima vero propositio ejus-
dem rationis probatur ex his quae dicta
sunt. Primo quidem per transmutationem
formarum ad invicem. Si enim aliquae duae
formae perficiunt simul idem subjectum,
illee sunt contingentes nullam repugnan-
tiam habentes. Inter formas autem con-
tingentes non cadit trausmutatio per se.
Contingens enim non fit ex contingenti
nisi per accidens, nec per consequens cor-
rumpitur in contingens nisi per accidens,
sicut dicitur I. Phys. Si autem inter for-
mas quœ simul sunt in subjecto , non ca-
dit trausmutatio per se, sequitur quud non
sint ejusdem generis , quia inter formas
ejusdem generis cadit transmutatio per se,
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 65
du même genre , comme on Ta démontré. Il est donc impossible que
deux formes du même genre concourent ensemble à parfaire un même
sujet. La seconde preuve se tire de ce que les formes du même genre
ont le même susceptif immédiat. Or, il n'est pas possible que deux
formes aient à la fois numériquement le même susceptif immédiat ,
parce qu'il doit y avoir un ordre naturel entre les formes , et deux
formes pareilles ne sont mises dans le même sujet qu'en tant que
l'une est coordonnée à l'autre ; et encore nulle d'elles ne sera perfec-
tionnée par l'autre, parce que ce qui est perfectible précède la per-
fection. Si donc l'on dit que de deux formes l'une perfectionne le sus-
ceptif par le moyen de l'autre , il s'ensuit qu'elles n'ont pas le même
susceptif immédiat , et par conséquent qu'elles ne sont pas du même
genre. Donc il est impossible que deux formes perfectionnent d'une
manière quelconque le même susceptif. Peu importe de dire qu'une
forme est la disposition au susceptif , et l'autre en est l'acte , parce
que les diverses formes du même genre demandent différentes dispo-
sitions par le moyen desquelles le réceptif leur soit approprié ; et
quoique , dans l'ordre de la génération , l'une dispose à l'induction de
l'autre, néanmoins, dans l'ordre de l'être, la disposition propre de
l'une répugne à l'autre. Car si la disposition de l'une subsistoit avec
la disposition de l'autre, cette disposition seroit commune, et ne
seroit propre à aucune. Or il n'y a point de forme dans la matière ,
sans qu'elle soit disposée et propre. S'il y avoit simultanément deux
formes dans la matière, aucune d'elles n'auroit une disposition propre;
car toute la disposition de la matière seroit commune à l'une et à
l'autre, par cela que l'une et l'autre forme subsiste avec cette dispo-
sition. Donc il est non-seulement vrai qu'une forme n'appartient pas
à la disposition propre de l'autre , mais encore qu'elle n'en souffre
ut prius ostensum est. Impossibile est ergo
duas formas ejusdem generis simnl perfi-
cere idem subjectum. Secundo ostenditur
idem per hoc quod forma? ejusdem generis
habent idem susceptivum immediatum.
Non est autem possibile, quod dua? forma?
habeant idem susceptivum numéro imme-
diatum simul , quia oportet esse ordinem
naturalem inter formas, nec etiam ponun-
tur duae forma? taies in eodem subjecto,
nisi in quantum una est ordinata ad
aliam ; neulra etiam perticietur per aliam,
eo quod perfectibile prœsupponitur per-
fectioni. Si ergo dicatur quod duarum
formarum una perficit susceptivum rae-
diante alia , sequïtur quod non habent
idem susceptivum immediatum, et per con-
sequens quod non sint ejusdem generis.
Impossibile est ergo duas formas aliquo
modo perficere idem susceptivum. Nec
etiam valet si dicatur, quod una forma
est dispositio ad susceptivum , et alia est
actus ejusdem , quia diversa? forma? ejus-
dem generis requirunt diversas disposi-
tiones, per quas receptivum eis approprie-
tur, et licet in via generationis una dispo-
nat ad inductionem alterius, tamen in via
essendi dispositio propria unius répugnât
alteri. Si enim dispositio unius staretcum
dispositione alterius, jam esset communis
dispositio et nullius propria. Forma autem
non est in materia, nisi sit disposita et
propria.
Si essent dua? forma? in materia simul,
neutra haberet propriam dispositionem :
tota enim dispositio materia? esset commu-
nis utrique, ex quo utraque forma stat cum
illa dispositione. Non solum ergo verum
est quod una forma non pertinet ad dis-
positionem alterius propriam , sed nec
66 OPUSCULE XLIV.
pas d'autre avec elle dans le même sujet. Et on peut trouver là la
troisième preuve tirée de l'impossibilité de la coexistence des dispo-
sitions. En quatrième lieu , on peut établir ainsi la preuve. La forme
la plus parfaite renferme toujours la plus imparfaite , comme dans
les nombres et les figures , où le nombre cinq renferme le nombre
quatre, et le pentagone le tétragone , ainsi que nous l'avons fait voir.
Donc la forme plus parfaite existant dans la matière , ce seroit inuti-
lement que s'y trouveroit la forme moins parfaite , puisqu'elle est
contenue dans la forme plus parfaite , et qu'elle est avec elle du même
genre dans le même sujet. La cinquième preuve se tire de ce qui
paroîtànos sens. Nous remarquons dans les formes sensibles qui sont
du même genre , qu'elles ne se souffrent pas mutuellement dans le
même sujet. Un corps, en effet, n'est pas, dans la même partie,
rouge et blanc, pas plus que froid et chaud, et nous remarquons cela
non-seulement dans les choses où il y a contrariété, mais encore dans
les autres. Un corps ne peut effectivement être tout à la fois triangu-
laire et quadrangulaire. Donc, puisque nous nous élevons par le
moyen des sensibles à la connoissance des intelligibles, il est impos-
sible que les formes du même genre, qui ne sont pas sensibles, telles
que sont les formes substantielles , puissent compatir entre elles dans
le même sujet. On peut encore établir ainsi une autre preuve. Dans
les formes où l'on trouve la contrariété, par exemple dans les couleurs
et les saveurs , il y a deux choses à remarquer, savoir, qu'elles va-
rient d'intensité , et qu'elles sont du même genre. Or il est évident
que dans de telles choses deux formes sont simultanément et relative-
ment impossibles. Donc ou elles sont impossibles ainsi à raison de
leur augmentation ou diminution d'intensité , ou parce qu'elles sont
du même genre. On ne voit pas d'autre cause de cette incompossibilité.
etiam compatitur secum aliam ia eodem
subjecto. Et hœc potest esse tertia pro-
batio sumpta ex incompossibilitate dispo-
sitioxium. Quarto, ostenditur idem sic.
Semper forma perfectior continet imper-
fectiorem, sicut est in numeris et figuris,
quod quinarius continet quaternarium, et
pentagonus tetragonum, ut prius ostensum
est. Forma ergo perfectiore existente in
materia, frustra esset in ea forma imper-
fection ex quo continetur in forma per--
fectiore , et sit cum forma imperfectiore
ejusdem generis in eodem subjecto. Quinto
persuadetur sic per ea quae apparent sen-
sui. Videmus enim in formis sensibilibus,
quœ sunt ejusdem generis, quod non com-
patiuntur se in eodem subjecto. Non enim
idem corpus in eadem sui parte est album
et rubeum , nec etiam calidum et frigi-
dum, et sic etiam videmus non solum ia
illis ubi est contrarie tas, sed etiam in aliis.
Non enim aliquod corpus potest esse simul
triangulare et quadrangulare. Cum ergo
per sensibilia elevemur ad cognitionem
intelligibilium, impossibile est quod formae
ejusdem generis quee non sunt sensibiles,
cujusmodi sunt formée substantiales, com-
patiantur se in eodem subjecto. Sexto,
probatur idem sic. In formis ubi inveni-
tur contrarietas, puta, in coloribus et sa-
poribus, duo est considerare, scilicet quod
intenduntur et remittuntur, et quod sunt
ejusdem generis. Manifestum est autem
quod in talibus duœ formae sunt incompos-
sibiles ad invicem. Aut ergo sunt incom-
possibiles , quia intenduntur et remittun-
tur, aut quia sunt ejusdem generis; nec
apparet aliqua alia causa incompossibili-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 67
Mais on ne peut pas dire qu'elles sont incompossibles à raison de
l'augmentation ou de la diminution d'intensité, parce que, par Vin-
tension ou la remission de la forme dans le sujet, il se fait en quelque
sorte une transition à une autre forme du même genre, ou plus par-
faite , ou moins parfaite , et par ce moyen disparoît quelque chose de
l'impossibilité de l'une à l'égard de l'autre. Il ne reste donc plus qu'à
dire qu'elles sont incompossibles par cette raison qu'elles sont du
même genre. Donc, puisqu'en posant la cause on admet l'effet, il
faut en général que toutes les formes qui sont du même genre soient
incompossibles par cette raison. La septième preuve se déduit ainsi.
La forme moins parfaite d'un genre quelconque se distingue de celle
qui est plus parfaite, non à raison de quelque chose de positif existant
en elle, et n'existant pas dans celle qui est plus parfaite, parce que ,
ainsi qu'il a été dit, la plus parfaite contient totalement celle qui l'est
moins , et quelque chose de plus. Elle en est donc distinguée par cela
que la forme plus parfaite introduit dans le sujet quelque chose dont
la moins parfaite produit la négation. Donc , comme il est impossible
qu'un sujet possède et soit privé en même temps de quelque chose de
positif, il est impossible qu'une forme plus parfaite et une forme
moins parfaite existent en même temps dans le même sujet. Huitième
preuve. Un acte quelconque, tant qu'il perfectionne sa puissance , la
perfectionne, l'occupe et la contient totalement. Car il est de l'essence
de4'acte de parfaire, de limiter et de compléter sa puissance. Mais un
susceptif occupé et complet n'admet rien de plus avant d'avoir subi une
évacuation. Donc les formes de même genre ayant le même susceptif,
il est impossible à celui-ci de recevoir une forme après l'autre, sans
être débarrassé de la première. Neuvième et dernière preuve. Toute
transmutation par soi se fait de l'opposé à l'opposé , car on fait le
tatis , nisi alterum istorum. Sed non po-
test dici quod sunt incompossibiles , quia
intenduntur et remittuntur , quia per in-
tentionem et remissionem formée in sub-
jecto fit quodarnmodo accessus ad aliam
formam ejusdem generis, vel perfcctiorem
vel imperfectiorem, et sic per hoc tollitur
aliquid impossibilitatis unius ad alteram.
Relinquitur ergo quod sint incompossibiles
propter hoc, quia sunt ejusdem generis.
Cum ergo posita causa, ponatur effectus ,
oportet universaliter quod omnes formée
quae sunt ejusdem generis, sint ex hoc in-
compossibiles. Scptimo, arguitur sic. For-
ma imperfectior alicujus generis distin-
guitur a perfectiore non secundum aliquid
positivum quod sit in ea et non in perfec-
tiore, quia sicut dictum est, perfectior con-
tinet imperfectiorem totaliter et adhuc
amplius.'Per hoc ergo distinguitur ab ea ,
quod forma perfectior aliquid point in
subjecto , cujus privationem ponit imper-
fectior. Cum ergo impossibile sit aliquod
subjectum simul habere in se aliquod posi-
tivum , et privationem ejusdem , impossi-
bile est ergo quod forma perfectior et im-
perfectior ejusdem generis simul sint in
eodem subjecto. Octavo , arguitur. Omnis
actus quamdiu suam potentiam perficit,
totaliter eam perficit, et occupat,et continet.
De ratione enim actus est periicere , ter-
minare et complere suam potentiam ; sed
susceptivum occupatum et completum ,
nihil suscipit quousque evacuetur. Ergo
cum forma? ejusdem generis habeant idem
susceptivum, impossibile est quod recipiat
unam formam post uliam , nisi priore ab-
jecta. Nono et ultimo arguitur. Omnis
transmutatio per se est de opposito in op-
positum, de non albo enim fit album , et
68 OPUSCULE XLIV.
blanc de ce qui n'est pas blanc , le feu de ce qui n'est pas du feu ;
mais il y a transmutation par soi entre deux formes de même genre,
comme on l'a dit. Donc une forme produit une dénomination diffé-
rente de celle qui accompagnoit une autre forme de même genre, et
c'est ce qui se voit dans les formes sensibles. En effet, un corps rouge
est non blanc , et non noir, et non vert ; pareillement le blanc est non
rouge et non vert, et ainsi des autres. Si donc deux formes de même
genre concouroient ensemble à perfectionner le même sujet, il se
trouveroit simultanément dans le même sujet des choses opposées.
Par exemple , si dans le même sujet il y avoit blancheur et rougeur,
le même sujet seroit qualifié non blanc par la rougeur, et blanc par
la blancheur, et ainsi il seroit blanc et non blanc. Or c'est là l'opposé
du premier principe, et on a ainsi suffisamment montré que diffé-
rentes formes du même genre ne peuvent concourir simultanément à
parfaire le même sujet ; d'un autre côté, on a prouvé précédemment
que toutes les formes substantielles sont du même genre ; il ne reste
donc plus qu'à conclure qu'un sujet ne peut être perfectionné simul-
tanément par divers modes substantiels , mais par un seul. Cette mé-
thode est prise dans l'opinion d'Aristote formulée en divers endroits ,
et surtout dans le livre X de la Métaph., où il dit que comme dans les
couleurs il y a quelque chose de premier qui est la mesure de toutes
les couleurs , savoir la couleur blanche, dans les tons il y a quelque
chose de premier, savoir le dièse , dans les figures rectilignes il y a
aussi quelque chose de premier, savoir le trigone. Il en est de même
dans les autres genres, et, cela étant , il doit en être de même dans
les passions , les qualités et les substances. Car la même chose a lieu
en tout.
Ces paroles du Philosophe expriment formellement que toutes les
de non igné ignis ; sed inter duas formas
ejusdem generis est per se transmutatio,
sicut dictum est. Ergo una forma denomi-
nat ipsum opposita denominatione a prima
qua denominat ipsnm alia forma ejusdem
generis , et hoc apparet in formis sensibi-
lités. Corpus enim quod est rubeum , est
non album, et est non nigrum, et non vi-
ride ; eodem etiam modo album est non
vubeum et non viride , et sic de aliis. Si
ergo duee formée ejusdem generis simul
perficerent idem subjectum, opposita simul
inessent eidem subjecto : puta , si in eo-
dem subjecto esset albedo et«rubedo , de-
nominaretur idem subjectum per rubedi-
nern non album et per albedinem album,
et ita esse album et non album : hoc au-
tein est oppositHm primi principii, et ita
suflicienter ostensum est, quod diversee
formes ejusdem generis non possunt simul
perficere idem subjectum ; prius autem
probatum est , omnes formas substantiales
esse ejusdem generis. Relinquitur ergo
quod non est possibile aliquod subjectum
simul perfici diversis modis substantialibus,
sed una sola. Sumpta est autem heec via ex
sententia Philosophi in diversis locis, et
preecipue ex X. Metaph., ubi dicit quod
sicut in coloribus est unum primum, quod
est mensura omnium colorum, scilicet co-
lor albus, et in vocibus est unum primum
illius generis , scilicet diesis, et in figuris
rectilineis est unum primum , scilicet tri-
gonum ; ita est in aliis generibus, et si ita
sit, in passionibus, et qualitatibus, et sub-
stanths, necesse est similiter se habere . Si-
militer enim se habet in omnibus.
Ex istis verbis Philosophi habetur ex-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 69
substances dont il parle ici appartiennent à un seul genre physique.
Or il parle des substances matérielles, parce qu'il n'est pas encore ar-
rivé à traiter des substances immatérielles. Il dit aussi au même en-
droit, que la privation est un principe de contrariété, et qu'un des
contraires est la privation à l'égard d'un autre. Le commentateur dit
également , sur le même passage , que toutes les choses contraires
sont opposées à raison de la privation et de l'habitude. Car il arrive
que l'un des contraires est la privation de perfection , parce que l'un
des contraires est l'habitude parfaite, et l'autre diminuée. Or, la rai-
son de ces deux auteurs , Aristote et son commentateur , est que les
contraires sont dans le même genre et qu'ils sont par conséquent dis-
tingués par la privation et l'habitude de leur genre , comme on l'a
exposé plus haut. La conséquence est donc que les formes de même
genre, lorsqu'il n'y a pas de contrariété, sont distinguées de la même
manière, comme dans les figures ^t les substances, de manière que
l'une perfectionne toujours le sujet avec la privation de l'autre. Mais
un des contraires est comme la privation , à cause de sa grande dis-
tance à son contraire , qui est l'habitude la plus parfaite du même
genre, de même les milieux entre deux contraires venant des con-
traires eux-mêmes , ont quelque chose de la privation, et quelque
chose de l'habitude à raison du plus et du moins, c'est pourquoi cha-
cun d'eux est incompossible avec l'autre dans le même sujet. Donc la
même cause se trouvant dans les composés et dans les autres genres
où il n'y a pas de contrariétés, deux formes du même genre ne
pourront pas concourir ensemble à perfectionner le même sujet.
Aristote dit aussi dans le même livre, qu'il n'y a point de transmuta-
tion d'un genre en un autre, si ce n'est par accident, et plus cet autre
genre est plus parfait , plus il est simple et moins composé , comme
presse, quod substantise omnes , de quibus
hic loquitur , surit un'ms generis physici,
loquitur autem de substantiis materialibus,
quia nondum pervenit ad determinandum
de substantiis ircimaterialibus. Dicit etiam
in eodem , quod privatio est principium
contrarietatis, et quod unum contrariorum
est privatio respectu alterius. Ubi etiam
dicit Commentator, quod omnia contraria
opponuntur secundum privationem et ha-
bitum. Uni enim contrariorum accidit ut
sit privatio perfectionis, quia alterum con-
trariorum est perfectus habitus, et alte-
rum diminutus. Ratio autem istorum dic-
torum Philosophi et sui Gommentatoris
est, quia contraria sunt in eodem génère ,
et ideo distinguuntur secundum privatio-
nem et habitum sui generis , ut supra ex-
positum est. Consequens ergo est, quod
eodem modo distinguantnr formœ ejusdem
generis , ubi non est contrarietas , utpote
in figuris et in substantiis, ut semper una
perficiat subjectum cum privatione alte-
rius; sed unum contrariorum est ut pri-
vatio , propter sui maximam distantiam a
suo contrario, quod est habitus perfectissi-
mus ejusdem generis , ita et média inter
duo contraria cum sint ex ipsis contrariis,
aliquid habent de privatione , et aliquid de
habitu secundum magis et minus, propter
quod quodlibet eorum est incompossibile
alteri in eodem subjecto. Cum ergo eadem
causa in compositis reperiatur et in aliis
generibus, ubi non est contrarietas, non po-
terunt duse formse ejusdem generis simul
pertîcere idem subjectum. Dicit etiam Phi-
losophus in eodem libro, quod non est per-
mutatio ex uno génère in aliud genus, nisi
per accidens ; et quanto aliud est perfec-
tius, tanto est simplicius et minus compo-
70 OPUSCULE XLIV.
on le voit dans les formes accidentelles du même genre. En effet , la
blancheur qui est la couleur la plus parfaite est plus simple , et les
autres couleurs sont plus ou moins composées et plus ou moins
simples , selon qu'elles s'en éloignent ou s'en approchent. Outre cela,
dans les formes du même genre l'une contient l'autre virtuelle-
ment, la plus parfaite la moins parfaite, et si la moins parfaite
étoit unie à la plus parfaite, elle ne lui apporteroit aucune perfection,
et cette union seroit inutile. Mais il n'y a rien d'inutile dans la na-
ture; il ne sera donc pas possible de faire dans les espèces aucune
addition de manière à ce qu'une forme préexistante subsiste avec une
seconde qui sera survenue. Il faut donc entendre la comparaison sus-
dite en ce sens que la forme préexistente s'altère lorsqu'il en survient
une plus parfaite, de sorte que dans un composé il ne reste qu'une
seule forme, laquelle néanmoins contient celle qui est moins parfaite
et quelque chose de plus, et par conséquent lui ajoute quelque chose.
De sorte que, ainsi que le nombre plus grand contient en soi le
nombre moindre séparé de lui, et y ajoute quelque chose , comme le
nombre quatre renferme virtuellement le nombre trois entièrement
distinct et y ajoute l'unité ; de même la forme plus parfaite ajoute
quelque perfection à la forme moins parfaite qu'elle contient virtuel-
lement. Donc quoique dans les nombres on puisse ajouter au nombre
trois une nouvelle unité laquelle, avec les trois autres unités , forme
le nombre quatre, qui est le nombre plus grand, néanmoins ce mode
n'est pas possible dans les formes, et la forme survenant ne peut cons-
tituer une forme plus parfaite avec celle qui préexiste dans la ma-
tière. Il y a deux raisons de cette différence , la première, c'est que
l'addition d'un nombre à un autre nombre se fait suivant les parties
intégrales ou quantitatives, en tant qu'un nombre en excède un autre.
situm, ut patet in formis accidentalibus
ejusdem generis. Albedo enim quœ est co-
lor perfectissimus est simplicior ; et alii
colores in quantum ab eo distant vel ei
appropinquant sunt compositiores vel sim-
pliciores. Et prœterea, formarum ejusdem
generis una continet aliam virtualiter, sci-
licet perfectior imperfectiorem , et imper-
fectior si conjungeretur cum perfectiore,
nullam perfectionem daret, sed esset frus-
tra. In natura autem nihil est frustra, non
ergo sic poterit fieri additio in speciebus,
ut forma prseexistens maneat cum alia su-
perveniente. Oportet ergo similitudinem
prœdictam sic intelligere, ut forma perfec-
tiore adveniente, corrumpatur preeexistens,
ut semper in composite maneat una forma
tantum , continens tamen imperfectiorem
et amplius, et per consequens addens super
ipsam ; ut sicut numerus major continet in
se numerum minorem seorsum ab eo exis-
tentem, et addit super ipsum, ut quater-
narius continet in se virtualiter quantita-
tive seorsum ab eo existentem ternarium
et addit unitatem ; ita forma perfectior
super formam imperfectiorem , quasi vir-
tualiter continet , addit aliquam perfectio-
nem. Iicet ergo in numeris sit quod mi-
nori numéro; puta ternario potest fieri
additio unitatis novae , quse cum tribus
unitatibus constituât quaternarium , qui
est numerus major , tamen ille rnodus in
formis non est possibilis, ut forma adve-
niens cum forma preeexistente in materia
constituât perfectiorem formam. Et hujus
diversitatis ratio est duplex , quia additio
numeri super numerum est secundum
partes intégrales vel quantitatives _, in
quantum unus numerus excedit alium. Ad
talem autem excessum habendum nihil re-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 71
Mais pour avoir cet excédant, peu importe qu'en prenant le nombre
moindre on y ajoute quelque chose en faisant de ce nombre une partie
du plus grand, ou qu'on prenne le plus grand nombre tout à fait en
dehors de toutes les unités. Des deux manières un nombre surpasse
l'autre en quantité. Mais l'addition d'une forme à une autre forme du
même genre se fait par rapport à la perfection. Or toute la perfection
qui est dans la forme est moins parfaite dans la forme plus parfaite
par soi, il n'y auroit donc pas acccroissement de perfection par l'u-
nion de la forme moins parfaite avec celle qui est plus parfaite, et par
conséquent toute forme est simple, et il n'en est aucune composée de
formes, et la forme est d'autant plus simple qu'elle est plus grande
et plus parfaite, quoiqu'il en soit tout le contraire dans les nombres,
parce que plus un nombre est grand plus il est composé, et consé-
quemment il ne peut se faire d'addition à la forme existante , comme
dans les nombres on ajoute à un nombre préexistant. La seconde rai-
son de cette différence c'est que le nombre n'est pas quelque chose de
simplement un , mais c'est quelque chose d'un par l'aggrégation des
unités. Par conséquent il peut convenablement avoir plusieurs parties
dont chacune est en acte, et conséquemment, de quelque manière que
se fasse l'addition d'une partie à une autre partie , il en résulte un
nombre plus grand ; mais la substance matérielle est quelque chose
d'un simplement, ce qui fait qu'il ne peut pas y avoir en elle plu-
sieurs actualités, comme on le dira plus bas; en conséquence, lorsqu'il
survient une forme substantielle, Fautre doit nécessairement céder la
place. Pour cette raison il vaut mieux comparer les formes aux
figures qu'aux nombres, parce que la figure suit la forme du continu;
Aristote établit cette comparaison, dans le livre II de l'Ame, lorsqu'il
dit : « Il en est de même pour ce qui est des figures lesquelles sont en
fert utrum accepto minore numéro adda-
mus aliquid faciendo ipsum minorem nu-
meruin partem majoris, vel quod accipia-
mus majorem numerum seorsum omnino
ex omnibus unitatibus. Utroque enim modo
unus numerus excedit alium secundum
quanlitatem. Sed additio formée super
formam ejusdem generis est secundum
perfectionem ; tota autem perfectio quae
est in forma, imperfectior est in forma
perfectiore per se , et ita nulla perfectio
cresceret ei ex forma imperfectiore , si po-
neretur cum perfectiore, et ideo omnis
forma est simplex , et nulla est composta
ex formis, et tanto forma est simplicior,
quanto major est et perfectior, licet in nu-
meris sit e contrario , quia quanto numerus
est major, tanto est compositior , et ideo
non potest fieri additio formée existenti,
sicut fit in numeris additio numéro prae-
existenti. Alia ratio hujus diversitatis est,
quia numerus non est quid unum simpli-
citer , sed unum aggregatione unitatum.
Et ideo sibi competit habere plures partes,
quarum quœlibet est inactu, et ideo quo-
cumque modo fiât additio partis ad partem,
résultat numerus major, sed substantia
materialis est unum quid simpliciter, et
ideo non possunt in ea esse plures actua-
litates , ut infra dicetur ; et ideo adve-
niente una forma substantiali , necesse est
aliam cedere. Et secundum hoc convenien-
tior est similitudo formarum ad figuras ,
quam ad numéros , eo quod figura sequi-
tur formam continui, quam similitudinem
ponit Philosophus, in II. De anima, sic in-
quiens : « Similiter se habent ei quod de
figuris est et quœ secundum animam
72 OPUSCULE XLIV.
rapport avec l'ame. » En effet , il y a toujours dans ce qui est d'une
manière conséquente une puissance qui est antérieurement dans les
figures et daus les choses animées , comme le trigone dans le tétra-
gone , le végétatif dans le sensitif. Or, dans les figures il est évident
que pour avoir une espèce plus grande dans le trigone, il ne faut pas
lui ajouter une ligne quelconque pour avoir le tétragone, parce que
de quelque manière que l'on ajoute cette ligne il n'y auroit pas une
figure plus grande, parce qu'elle ne sera pas fermée d'une manière
différente. On ne peut pas non plus ajouter à un trigone préexistant
un nouveau quaternaire pour former avec lui une figure plus grande,
parce que deux figures du même genre ne peuvent coexister numéri-
quement dans le même sujet ou corps, mais il faut, pour que le corps
trigone devienne tétragone, opérer une section dans le corps pour
détruire la figure triangulaire , il devient ou flexible ou ductile , et il
y a une autre opération à faire pour avoir quatre angles en détruisant
les premiers angles qui se trou voient dans la figure triangulaire.
Ainsi donc il est nécessaire qu'il se fasse une addition ou une sous-
traction daus les substances des choses de telle sorte que la figure qui
préexistoit s'altère lorsqu'il en survient une nouvelle, comme on le
voit dans les figures, et de même dans les nombres dont l'un est pris
après l'autre en dehors de toutes les autres unités, un nombre conte-
nant plus d'unités que l'autre et le surmontant ainsi. Il est aussi évi-
dent que cet ordre procède suivant l'opinion d'Aristote, parce que les
propositions dont nous avons étayé nos assertions, viennent de lui, et
sont prises dans son sens. Mais il reste un doute à éclaircir, considé-
rant comme prouvé qu'il n'y a pas plusieurs formes substantielles
dans l'homme, parce que l'ame raisonnable étant incorruptible ne
paroît pas être du même genre que les choses matérielles qui sont
sunt. » Semper enim in eo quod est conse-
quenter, est potentia quod prius est in fi-
guris et in animatis f ut in tetragono qui-
dem trigonum, in sensitivo autem vegeta-
tivuni. Manifestum est autem in figuris ,
quod ad habendum speciem majorera tri-
gono manenti , non est illi addenda aliqua
liuea ut habeatur tetragonus , quia quali-
tereumque addatur illa linea non esset fi-
gura major, quia non esset alia clausio
quam prius. Nec etiam trigono prœexis-
tenti potest addi novum quaternarium, ad
constituendum cum ipso majorem figuram,
quia non compatiuntur se in eodem sub-
jecto sive corpore secundum numerum
duae figura? ejusdem generis, sed oportet
ad hoc quod corpus trigonum fiât tetrago-
num, amovere per decisiouem de corpore,
ut destruatur iigura triangularis , vel sit
flexibilis vel ductibilis oportet in ipso
aliam curationem facere, ut habeantur
quatuor anguli destructis primis angulis
qui fuerunt in figura triaugulaiï. Sic ergo
necesse est additionem vel subtractionem
in substantiis rerum fieri , ut adveniente
nova forma corrumpatur illa quee praeexis-
tebat, sicut in figuris patet et sicut in nu-
meris quorum unus accipitur post alium
seorsum ex aliis unitatibus omnibus, cum
unus plures unitates contineat quam alter,
et sic cadit super ipsum. Patet etiam quod
tota illa via procedit secundum sentent ia m
Philosophi , quia propositiones ex quibus
ostensum est propositum, ab eo sumptee
sunt et secundum sensum quem intellexit.
Sed unum dubium restât videre , quia vi-
detur esse probatum, quod inhomine non
sint plures formœ substantiales, quia anima
rationalis cum sit incorruptibilis , non vide-
tur esse ejusdem generis cum aliis mate-
SUR LÀ PLURALITÉ DES F0RA1ES. 73
corruptibles , puisque le corruptible et l'incorruptible diffèrent en
genre, comme il est dit au livre X de la Métaph., et ainsi l'ame rai-
sonnable admet avec soi certaines formes corporelles dans l'homme,
de façon qu'il y ait deux formes dans l'homme, savoir , l'ame raison-
nable et la forme du corps. A cela il faut dire que c'est à cause de cela
que l'ame a été constituée sur les limites des substances séparées qui
sont incorporelles, et des formes matérielles qui sont corporelles. Car
elle est la plus basse des formes incorruptibles et la plus élevée des
formes corruptibles; c'est pour cela qu'elle est en partie séparée de
la matière et en partie dans la matière; suivant l'intellect et la vo-
lonté, elle est séparée et incorruptible, et sous ce rapport, elle appar-
tient au genre des substances séparées , mais suivant les autres puis-
sances elle estun acte de la matière, et sous ce rapport elle est corruptible
et appartient ainsi au genre des formes matérielles qui sont corrup-
tibles. Tout cela est évident par la raison que par ces puissances, sa-
voir la puissance sensitive et la puissance végétative, elle contient la
perfection qui se trouve dans les formes des brutes, mais dans un
degré plus éminent. C'est pourquoi il est impossible qu'elle puisse
coexister avec une autre dans le même sujet, étant du même genre
que chacune des autres, de la même manière que toutes les autres
formes sont incompossibles par la raison qu'elles sont du même genre,
comme on l'a prouvé.
Nous allons passer au second moyen de démonstration qui se tire
de la puissance essentielle de la forme substantielle , à savoir de ce
que chaque forme substantielle constitue un être simplement; et pour
écarter toute dispute de mots, j'appelle être simplement ce qui est une
chose déterminée et subsistante. En effet, une chose déterminée sub-
sistante ne dépend de rien dans l'existence; ce qui est dépendant, c'est
rialibus quee sunt corruptibiles , quia cor-
ruptibile et incorruptibile differunt secun-
dum genus , ut dicitur X. Metaph., et ita
anima rationalis compatitur secum quas-
dam formas corporales in homine, ut sint
dus; formée in homine , scilicet anima ra-
tionalis et forma corporis. Ad hoc dicen-
dum est quod propter hoc anima consti-
tuta est in confinio substantiarum separa-
tarum quae sunt incorporales, et formarum
materialium quœ sunt corporales. Est enim
iniima formarum incorruptibilium et su-
prema formarum corruptibilium ; et prop-
ter hoc est partim separata a materia, et
partim in materia , secundum intellectum
namque et voluntatem separata et incor-
ruptibilis est, et quantum ad hoc pertinet
ad genus substantiarum separatarum , sed
secundum alias potentias est actus mate-
riee,, et secundum illas est eorruptibilis, et
sic pertinet ad genus formarum materia-
lium quae sunt corruptibiles. Quod patet
ex hoc quod per potentias illas , scilicet
sensitivam et vegetativam , continet per-
fectionem quee reperitur in formis bruto-
rum, sed eminentius. Unde impossibile est
quod compatiatur secundum aliam in eo-
dem subjecto, cum sit ejusdem generis
cum unaquaque, sicut et omnes formée
aliee sunt incompossibiles propter hoc ,
quod sunt ejusdem generis, ut ostensum
est.
Sequitur de secunda via ostendendi pro-
positum , quae sumitur ex potestate essen-
tiali formée subslantialis , ex hoc scilicet
quod queelibet forma substantialis consti-
tua ens simpliciter ; et ne liât disceptatio
de vocabulo , voco ens simpliciter illud,
quod est hoc aliquid et subsistens. Hoc
aliquid enim subsistens a nullo dependet
74 OPUSCULE XLIV.
un être secundum quid ; c'est pourquoi Aristote appelle accidents les
êtres secundum quid, et substance les êtres simplement. Il appelle de
même la génération des accidents genre secundum quid, et le genre
des substances genre simplement. Que toute forme substantielle cons-
titue un être subsistant, on pourroit le prouver par le premier moyen
en supposant l'incompossibilité des formes. Il s'ensuit , en effet, tout
d'abord, que tout subsistant matériel étant un sujet, n'ayant qu'une
matière, il n'y a pour chacun qu'une forme qui le rend subsistant.
Néanmoins, pour montrer que ce moyen est suffisant en soi, nous
allons procéder par les ressources propres qu'il fournit. Il faut d'abord
mettre en principe que toute forme naturelle est le principe de quelque
mouvement naturel et de repos. Donc toute forme naturelle qui se pro-
duit dans la matière se constitue un corps naturellement apte à recevoir
un mouvement naturel; or tel est un corps mesurable pesant ou léger,
dur ou mou. Donc toute forme qui se produit d'abord dans la matière
est suivie de quelques accidents qui sont nécessaires au mouvement ;
mais de pareils accidents sont nécessairement fondés sur quelque
substance subsistante ; donc toute forme matérielle substantielle , qui
est immédiatement unie à la matière , constitue un être subsistant.
Outre cela, tout ce qui se meut par soi, est un être par soi, et subsis-
tant par soi. Chaque chose, en effet, opère en raison de ce qu'elle est,
mais toute forme qui se produit d'abord dans la matière constitue un
être qui se meut par soi, savoir un corps physique. Donc c'est un être
subsistant par soi , et il faut surtout remarquer cela à l'égard de la
forme du corps humain , que certains supposent être différente de
l'ame. Car , comme suivant l'opinion commune , cette forme du
corps subsiste dans la matière après la mort, il semble, d'après le sens
in essendo ; quod autem dependet est ens
secundum quid , unde Philosophais acci-
dentia vocat entia secundum quid, sub-
stantias autem entia simpliciter ; similiter
generationem accidentium vocat genus se-
cundum quid, genus substantiarurn genus
simpliciter. Quod autem quselibet forma
substantialis constituât ens subsistons, pos-
set probari ex prima via supposita incom-
possibilitate formarum. Ex hoc enim sta-
tim sequitur, quod omne subsistens mate-
riale, cura sit unum subjectum , unam
tantum habens materiam quod tantum sit
una forma cujuslibet, quse faciat eum esse
subsistons ; sed tamen ut appareat , quod
ista via in se sit sufiiciens, ideo ex propriis
hujus vise est procedendum. Pro principio
autem hujus via} sumendum est, quod om-
nis forma naturalis est principium alicu-
jus motus naturalis et quietis. Omnis ergo
forma naturalis quse primo advenit mate-
riae , constituit aliquod corpus aptum na-
tum moveri aliquo motu naturali ; taie au-
tem est corpus dimensionatum grave vel
levé, durum vel molle. Ergo ad quam-
cumque formam primo advenientem raa-
terisesequuntur aliqua accidentia quse sunt
necessaria ad motum ; sed talia accidentia
nocessario fundantur in aliqua substantia
subsistente. Ergo omnis forma naturalis
substaitialis quse immédiate unitur mate-
rise , constituit ens subsistens. Prseterea,
omne quod per se movetur, est per se ens
et per se subsistens. Unumquodque enim
sicut est, ita operatur; sed omnis forma
primo adveniens materise constituit ens
quod pei se movetur, scilicet corpus phy-
sicum. Ergo est ens per se subsistens, et
hoc specialiter considerandum est de forma
corporis humani, quam quidam ponunt
esse aliam ab anima. Cum enim secundum
omnes forma illa corporis maneat in ma-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 75
commun, qu'un tel corps est quelque chose de subsistant; il s'ensuit
un être subsistant par soi. En outre , on le démontre ainsi de toute
forme substantielle. Comme la forme substantielle , par cela qu'elle
est forme ou acte, constitue quelque chose en acte, de même, par cela
qu'elle est substantielle, elle doit constituer une substance ; donc par
la raison qu'elle est forme substantielle elle doit constituer une sub-
stance en acte et par conséquent donner l'être subsistant; mais l'être de
la substance est de subsister, comme l'être de l'accident c'est d'exister
dans un être. Donc toute forme substantielle constitue une substance
subsistante. Outre cela, on le prouve par un exemple. Nous voyons
les formes imparfaites, telles que les formes des éléments, suivant les
philosophes, de même la forme de la vapeur, de la pluie , de la grêle
et d'autres choses imparfaites de ce genre , constituer quelque chose
de subsistant. Or, plus la forme est parfaite, plus l'être qu'elle donne
est parfait, et l'être subsistant est plus parfait que l'être par lequel
une chose ne subsiste pas. Il est donc contraire à la raison de dire que
les formes plus parfaites, telles que les formes des êtres mixtes, ne
doivent pas être subsistantes. Nous avons donc démontré ainsi que
toutes les formes substantielles rendent une chose subsistante. Il faut
considérer de plus que tout ce qui survient dans une chose subsistante
doit être accident, et on le prouve par ce que nous avons dit. Et d'a-
bord, si toute forme substantielle constitue un être subsistant, aucune
forme substantielle ne pourra se produire dans un subsistant préexis-
tant. Mais elle constitue nécessairement quelque chose de subsistant,
et par conséquent quelque suppôt, et ainsi elle ne se produit pas dans
un suppôt préexistant. Donc tout ce qui survient dans une chose sub-
sistante, comme l'informant, est accident. Outre cela, tout ce qui
teria post mortem , apparet autem sensui,
quod taie corpus est quoddam subsistons,
sequitur quod ipsa eonstituit ens per se sub-
sistens. Praeterea, hoc ostenditur universa-
liter de omni forma substantiali sic. Forma
substantialis, sicut ex hoc quod est forma
vel actus, aliquid in actu eonstituit, ita ex
hoc quod substantialis est , substantiam
débet constituere. Ex hoc ergo quod est
forma substantialis débet constituere sub-
stantiam in actu, et per consequens dare
esse subsistens ; sed esse substantiae est
subsistere , sicut esse accidentis alteri in-
esse. Omnis ergo forma substantialis eon-
stituit substantiam subsistentem. Pra;te-
rea hoc persuade tur per signum. Videmus
enim formas imperfectas, cujusmodi sunt
formas elementorum secundum Philosophes,
similiter formam vaporis , phiviee, grandi-
nis et hujusmotli imperî'ectorum consti-
tuere hoc aliquid subsistens; quanto au-
tem forma est perfectior , tanto dat esse
perfectius , perfectius autem est esse sub-
sistens, quam esse quo aliquid non subsis-
tit. Irrationale ergo est dicere, quod formée
perfectiores, cujusmodi sunt formas mix-
torum, non debeant esse subsisterites. Sic
ergo ostensum est, quod omnes formas
substantiales faciunt rem subsistere. Ulte-
rius considerandum est , quod omne quod
advenit rei subsistenti oportet esse acci-
dens, et hoc probatur per praemissa. Primo
si enim omnis forma substantialis eonsti-
tuit ens subsistens , nulla forma substan-
tialis poterit advenire subsistenti praeexis-
tenti ; sed necessario eonstituit aliquod
subsistens et per consequens aliquod sup-
positum, et sic non advenit supposito pree-
existenti. Omne ergo quod advenit rei
subsistenti, tanquam ipsam informans ac-
cidens est. Piasterea, omne quod advenit
rei subsistenti, et consequitur esse substan-
76 OPUSCULE XLIV.
survient dans une chose subsistante et suit l'être substantiel , ne peut
pas être de l'essence de la chose, parce que toute l'essence de la chose
se conçoit comme le principe de l'être susceptif de l'être même ; car
l'essence est comparée à l'être comme la puissance à l'acte. Donc toute
l'essence de la chose, ou la substance est préconçue avant l'être même.
Donc ce qui survient dans la chose subsistante n'est pas de l'essence
de la chose, ce sera donc par accident. Il y en a qui s'imaginent à tort
détruire ces raisons en disant qu'il y a quelque chose de subsistant
complet dans l'être spécifique, et tout ce qui lui survient, puisqu'il a
l'être complet, est en dehors de sa substance , et en est l'accident. Il
y a aussi quelque chose de subsistant incomplet, n'ayant point par
soi l'être spécifique; par conséquent il se produit en cela une forme
substantielle complétant son existence et son essence. Mais cela a été
suffisamment exclu par ce qui a été dit. En effet , tout subsistant,
quelque incomplet qu'il soit, est séparé quant à l'être de tout autre
subsistant. Donc comme deux formes substantielles constituent deux
subsistants, ainsi qu'on l'a montré, il s'ensuit qu'aucune des deux ne
s'ajoute à l'autre dans le même individu , mais qu'elles constituent
deux individus séparés quant à l'être. Car deux subsistants, quelque
incomplets qu'ils soient, sont deux individus distincts. Outre cela, les
genres ne subsistent que clans leurs espèces. Donc l'être subsistant,
quelque incomplet qu'il soit, possède l'être spécifié, et par conséquent
l'essence complète , autant qu'il est possible suivant son degré. Pour
cette raison, certains imaginent une autre plaisanterie et disent,
que la forme substantielle complète parfaite survenant dans une chose
subsistante lui donne un nouvel être de subsistance , mais l'être qui
existoit d'abord n'existe plus , parce qu'il y auroit ainsi deux sub-
sistances , et ils disent en conséquence que le premier être s'altère
tiale, non potest esse de essentia rei , quia
tota essentia rei intelligitur ut principium
susceptivum ipsius esse, comparatur enim
essentia ad esse, sicut potentia ad actum.
Tota ergo essentia rei sive substantia prœ-
intelligitur ipsi esse. Non ergo quod adve-
nit rei subsistenti est de essentia rei, erit
ergo per accidens. Istas autem rationes
putant quidam fallaciter infringere di-
cendo, quod aliquid est subsistens comple-
tum in esse specifico, et omne quod ad-
venit tali cum habeat esse completum, est
extra ejus substantiam, et est accidens ip-
sius. Aliquid autem est subsistens incom-
pletum non habens secundum se esse spe-
cificum; et ideo sibi advenit forma sub-
stantialis complens ejus existentiam et
ejus essentiam. Sed istud sufficienter ex-
clusum est per prœdicta. Omne enim sub-
sistens quantumcumque incompletum Bit ,
separatur secundum esse ab alio subsis-
tente. Cum ergo dua? formae substantiales
constituant duo subsistentia , ut ostensum
est , sequitur quod neutra alteri advenit
in eodem individuo, sed constituunt duo
individua separata secundum esse. Duo
enim subsistentia quantumcumque incom-
pleta sint, sunt duo distincta individua.
Et prœterea, gênera non subsistunt, nisi
in suis speciebus. Esse ergo subsistens
quantumcumque incompletum sit , habet
esse specificatum et per consequens essen-
tiam completam , quantum possibile est se-
cundum gradum suum. Propter hoc qui-
dam adinveniunt aliam cavillationem , di-
cendo quod forma substantialis compléta
perfecta adveniens rei subsistenti , dat ei
novum esse subsistentia? , sed non manet
esse quod prafuit, quia sic essent duee sub-
sistentia?, -et ideo dicunt , quod primum
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 77
dans la production de la seconde forme, et que par conséquent il n'y a
qu'un seul subsistant. Mais c'est encore plus contraire à la raison
parce que l'être par soi suit la forme plus immédiatement même que
la première passion ne suit son objet propre, car l'être est l'actualité
de la forme. Or, ce qui par soi suit quelque chose ne peut être enlevé
par la nature tant qu'il y a subsistance. D'où il suit que la passion
propre ne peut être séparée par la nature de son sujet, tant que le
sujet persiste , quoique peut-être cela puisse arriver par miracle , ce
qui n'entre pas dans notre sujet. Donc toute forme qui est suivie de l'être
ne peut le perdre sans subir une destruction radicale. Outre cela ac-
quérir l'être n'est pas autre chose pour une forme que de passer à
l'acte ou être engendrée, d'où il suit qu'être engendré est non-seule-
ment la voie qui mène à l'être , mais encore à la forme. Car la forme
est le terme de la génération. Donc la corruption étant opposée à la
génération, acquérir l'être pour une forme n'est autre chose qu'être
détruite ou corrompue. Cela étant bien compris , il est évident que
l'existence de deux formes substantielles dans un individu est impos-
sible. On pourroit déplus en déduire les inconvénients évidents qui en
résulteroient. En effet, il s'ensuit d'abord que la forme que l'on sup-
pose se produire dans un subsistant et être substantielle, est substan-
tielle, d'après l'hypothèse, et n'est pas substantielle, mais acciden-
telle, comme on l'a montré ; et ainsi on affirmeroit d'elle deux choses
contradictoires, car elle sera accident et non accident, substance et
non substance; il suit qu'elle est accident, puisqu'on suppose qu'elle
survient dans un corps constitué dans l'être par une autre forme. De
plus encore, si la forme substantielle est accident, si d'un autre côté
l'induction de la forme substantielle est simplement une génération
esse corrumpitur iu adventu formai se-
cundee, et ideo est tantum unum subsistens.
Sed illud est magis irrationale , quia esse
per se consequitur formam immediatius
etiaiu quam prima passio suum subjectum
proprium : esse enim est actualitas formée,
quod autem per se consequitur aliquid ,
non potest auferri per naturam ipso ma-
nente. Unde nec propria passio potest sé-
parait per naturam a suo subjecto , dum
subjectum manet , licet forte per miracu-
lum hoc possit fieri , quod non est ad pro-
poQitum. Non ergo forma aliqua, ad quam
sequitur esse, potest illud esse amittere
absque sui fundamenti destructione. Prae-
terea, nihil aliud -est formam acquirere
esse, quam ipsam ad actum produci vel
generari, unde generari non solum est via
ad esse, sed etiam ad formam. Forma enim
Iest terminus generationis. Ergo cum cor-
ruptio opponatur generationi , nihil aliud
est formam acquirere esse , quam ipsam
destrui vel corrumpi. Istis ergo sufficienter
intellectis manifestum est, quod impossi-
bile est in uno individuo esse duas formas
substantiales. Ulterius etiam possunt con-
cludi manifestissima inconvenientia ex
istis. Statim enim sequitur quod forma
quse ponitur advenire subsistenti , et esse
substantialis, est substantialis ex hypothesi
et non substantialis , sed accidentalis , ut
ostensum est ; et ita de ipsa dicentur duo
contradictoria. Erit enim accidens et non
accidens , substantia et non substantia ; et
praesertim de anima, quee ponitur ab om-
nibus esse substantia ; sequitur quod sit
accidens , cum ponatur advenire corpori
constituto in esse per aliam (ormam. Ulte-
rius etiam si forma substantialis sit acci-
dens, inductio autem forma? substantialis
sit generatio simpliciter , inductio vero
acidentis sit alteratio , sequitur quod gène-
78 OPUSCULE XLIV.
et l'induction de l'accident une altération, il s'ensuit que la généra-
tion simplement devient altération en étendant le nom d'altération à
la production de tout accident par lequel peut s'opérer un chan-
gement d'individu dans une chose , comme on dit que Sortes sur la
place publique est différent de Sortes sur le théâtre. Néanmoins ce
n'est proprement qu'une altération quant à la qualité. Ce genre de
preuves est tiré du sentiment d'Aristote et de son commentateur dans
la plupart de ses écrits, et dans différents passages suivant les di-
verses questions qui en ont été extraites et prouvées. Quant à ce qui a
été prouvé d'abord que toute forme substantielle constitue une chose
réelle , c'est tiré du livre II de l'Ame, aux premières pages où ce Phi-
losophe divise la substance en trois choses, savoir : la matière, la forme
et le composé; la matière qui par soi n'est pas quelque chose de con-
stitué, la forme par laquelle elle acquiert cette qualité, et la troisième
chose qui provient des deux autres, savoir un être constitué. C'est ce
qui fait dire au commentateur , que toutes les choses desquelles se
dit la substance se présentent sous trois modes, dont l'un est qu'il y
ait la matière première , qui n'est point formée par elle-même , ni
quelque chose par soi en acte. Le second est la forme par laquelle se
constitue tel individu ; le troisième est ce qui résulte des deux autres.
Le commentateur pense donc que la substance ne se dit que de la
forme par le moyen de laquelle une chose est un individu , laquelle
chose est dite formée des deux autres, savoir de telle forme et de telle
matière, mais non de ces deux choses et d'une antre forme quelcon-
que. Car cette division d'Aristote à l'égard de la substance seroit in-
suffisante surtout pour ses conclusions relativement àl'ame, s'il y
avoit une forme qui constitueroit un individu et une autre qui ne le
constitueroit point, à moins qu'il ne l'eût mis dans sa division. Par
ratio simpliciter fit alteratio extendendo
nomen alterationis ad productionem cu-
juslibet accidentis , pênes quod potest at-
tendi aliqua alteritas in re, sicut Sortes in
foro dicitur alter a seipso intheatro; pro-
prie tamen alteratio est secundum quali-
tatem. Sumpta est autem ista via probandi
propositum a sententia Philosophi et sui
commentarios in plerisque locis et diversis
quantum ad diversa quee assumpta sunt
et prubata. Quod enim^primo probatum
est, quod omnis forma substantialis con-
stituit hoc aliquid , hoc acceptum est a
principio II. De anima, ubi dividit Philo-
sophus substantiam in tria, scilicet mate-
riam, formam et compositum. In mate-
riam quidem , quae secundum se non est
hoc aliquid ; et formam secundum quam
jarn est hoc aliquid , et tertimn quod est
ex his, scilicet hoc aliquid. Unde dicit
Commentator, quod omnia de quibus di-
citur substantia , sunt tribus modis , quo-
rum unus est , ut sit materia prima , quœ
per se non est formata , nec aliquid per se
in actu. Secundum autem est forma per
quam habet esse hoc individuum. Tertium
autem est, quod fit ex istis ambobus. Yult
ergo Commentator , quod substantia non
dicitur de aliqua forma , nisi de illa per
quam individuum est hoc aliquid , quod
quidem hoc aliquid dicitur fieri ex istis
ambobus, scilicet forma et materia tali, et
non dicitur ipsum fieri ex istis ambobus et
aliqua alia forma. Insufliciens enim esset
haec divisio Philosophi de substantia , ma-
xime ad propositum suum concludendum
de anima, si esset aliqua forma quœ con-
stitueret hoc aliquid, et aliqu;e quœ non
constitueret hoc aliquid , nisi hoc poneret
in sua divisione. Gonsequenter Commen-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 79
conséquent le commentateur le met expressément dans le même en-
droit. Car pour montrer que l'ame est une substance qui est une forme,
il se sert, pour le prouver, de ce que la forme substantielle diffère de
l'accident en cela que le sujet de l'accident est composé de matière et
de forme, et est quelque chose d'existant en acte qui n'a pas besoin
d'accident dans son être; tandis que le sujet de la forme substantielle
n'a l'être en acte que par cette forme, et a besoin de forme pour être
en acte; et ensuite dans quelques intercallations, il dit que les formes
naturelles sont des substances, parce que par leur ablation se perd
aussi le nom qui détermine l'être, en tant qu'il est un individu de
substance , et par la même la définition qui se fait suivant ce nom,
parce que le genre et la différence sont ôtés, et il ne reste rien qui soit
un individu, et cela est évident au dernier point, comme il le dit dans
les formes des choses simples, puisque la forme enlevée il ne reste
plus rien. Il faut remarquer sur ces paroles du commentateur que,
quoiqu'il ne soit pas aussi évident pour l'ame que pour les autres
formes que son sujet n'est quelque chose en acte que par Famé, et
que l'ame étant enlevée il ne reste plus rien dans la matière, il fait
néanmoins servir tout cela à opérer une connoissance spéciale de
l'ame, comme on le voit clairement par son procédé. Il admet que l'ame
est la première perfection du corps , comme il le dit lui-même en
définissant l'ame, et il suit de là qu'il n'y point de forme antérieure
constitutive du corps. Car s'il y avoit un acte antérieur, le sujet de
l'ame seroit composé de matière et de forme et ainsi l'ame seroit un
accident, suivant la différence qu'il a assignée précédemment entre la
substance et l'accident, et le corps n'auroitpas l'être par le moyen de
l'ame. Cela étant impossible , il ne reste plus qu'à dire qu'elle est la
première perfection du corps, de telle sorte qu'il n'y en a point d'an-
tator in eodem loco hoc ponit expressius.
Volens enim ostendere quod anima sit sub-
stantia quœ est forma, accipit ad ejus pro-
bationem quod forma substantialis in hoc
differt ab accidente , quod subjectum ac-
cidentis est compositum ex materia et for-
ma, et est aliquid existens in actu , quod
non indiget in suo esse accidente ; subjec-
tum autern formée substantialis non habet
esse actu nisi per illam formam, et indiget
forma ut sit actu, et postea in quibusdam
interpositis dicit , quod forma? naturales
sunt substantiae, quia cum fuerint ablatae,
aufertur nomen quod demonstrat ens se-
cundum quod est individuum substantiae,
et similiter diffinitio, quae fit secundum
illud nomen, quia auferuntur genus et
differentia , et nihil remanet quod sit ali-
quod individuum , et hoc valde manifes-
tatur, ut dicit in formis rerum simpli-
cium, quoniam cum forma fuerit ablata,
nihil remanet. Circa ista verba Commen-
tatoris considerandum est, quod quamvis
non sit ita manifestum de anima, sicut de
aliis formis, quod subjectum ejus non sit
aliquid actu nisi per animam, et quod ipsa
ablata nihil remaneat in materia , tamen
omnia ista adducit ad habendum cogni-
tionem de anima specialiter, ut patet ex
processu suo. Accipit enim quod anima est
prima perfectio corporis , sicut ipse dicit
in diffiniendo* animam, et ex hoc sequitur,
quod non sit aliqua forma prior, per quam
sit corpus. Si enim esset aliquis actus
prior, subjectum animœ esset compositum
ex materia et forma , et ita anima esset
accidens secundum differentiam quam prius
assignavit inter substantiam et accidens,
nec habcret corpus esse per animam ; quod
cum sit impossihile , relinquitur quod sit
80 OPUSCULE XLIV.
térieure dans le corps et que son sujet n'a d'être que par elle et a
besoin de l'ame pour être en acte. Le même commentateur le dit en-
core plus expressément sur la fin du livre VIII de la Métaph., que le
corps et l'ame ne sont pas deux choses diverses, et que le corps
n'existe pas sans l'ame. Le commentateur prétend donc que, en gé-
néral , le sujet de toute forme substantielle ne devient en acte, sous
tous les rapports, que par le moyen de cette forme, et il prouve spé-
cialement cela pour la substance de l'ame , et il faut bien le remar-
quer, parce qu'il y en a qui le nient formellement du sujet de l'ame.
Quant à ce que nous avons conclu plus haut que tout ce qui survient
à une chose à la suite d'une forme substantielle est accident, le com-
mentateur le dit assez. En effet, il dit dans le livre Ier de la Physique,
que si la matière avoit une forme substantielle qui lui fût propre, elle
n'en pourroit recevoir une autre tant que la première subsisteroit,
mais se corromproit aussitôt qu'une autre seroit produite , et peu
après il dit, que si elle avoit une autre forme , ou ce seroit des acci-
dents de la forme, ou une forme de la forme. Toutes ces choses ne s'en-
suivroient pas s'il y avoit quelque forme qui pût recevoir immédiate-
ment une autre. Si, en effet, il y avoit une telle matière propre, se-
roit-elle même de la substance de la matière, elle ne devroit pas se
corrompre par l'apparition d'une autre forme, mais elle en seroit
plutôt perfectionnée, et la forme qui surviendroit ne devroit pas non
plus être un accident. Or, pour que ces paroles soient vraies , il faut
qu'il n'y ait point de forme qui ne constitue pas un individu, de sorte
que toute forme qui survient soit accident. C'est pour cela que les an-
ciens, supposant que le principe matériel est un corps , le feu, par
exemple, ou l'air, ont dit qu'il falloit admettre comme une consé-
quence nécessaire, que toutes les formes étoient des accidents. C'est
quence
prima perfectio corporis, ita quod nulla
sit prior in corpore , et quod subjectum
ejus nullum esse habeat nisi per ipsam,
sed indigeat anima, ut sit in actu ; et hoc
magis expresse dicit idem Commentator in
V11I. Metoph., in fine , quod corpus et ani-
ma non est duo diversa et corpus non exis-
tit sine anima. Vult ergo Commentator,
quod universaliter subjectum cujuslibet
formée substantialis , nihil sit in actu nisi
per illam formam , et speciaiiter hoc pro-
bat de substantia animée, et hoc bene con-
siderandum est, quia hoc de subjecto ani-
mée ab aliquibus preecipue negatur. Quod
autem conclusum est superius, quod omne
quod rai advenit post quamcumque for-
mam substantialem, sit accidens hoc satis
dicit Commentator. Dicit enim I. Phjsic,
quod si materia haberet aliquarn formam
substantialem sibi propriam, nullam aliarn
reciperet ipsa pressente , sed statim cor-
rumperetur, quam cito alia generaretur.
Et paulo post dicit , quod si haberet ali-
quarn formam vel formée essent accidentia
vel formée esset forma; ista autem non
sequerentur, si esset aliqua forma quee pos-
set aliam formam immédiate super se re-
cipere. Si enim esset aliqua talis propria
materia, etiamsi esset de substantia mate-
rias , non oporteret eam corrunipi in ad-
ventu alterius formée , sed potius periîce-
retur ; nec etiam oporteret formam super-
venientem esse accidens. Ad hoc autem,
ut dictum suum habeat veritatem, oportet
quod nulla forma sit quee non constituât
hoc aliquid , ita quod omnis forma adve-
niens sit accidens. Et propter hoc antiqui
ponentes principium materiale esse corpus
aliquod, puta ignem aut aerem , dixerunt
tanquam necessarium suum consequens
SLR LA PLURALITÉ DES FORMES. 81
ce qui fait dire au commentateur, dans le livre III de la Plrys., que
si les formes des éléments restoient en acte différentes des autres
formes , il faudroit nécessairement qu'aucun être ne fût produit par
elles avec une diversité dans la forme substantielle , mais seulement
dans les accidents. Pour ce qui est de la conclusion qu'on a tirée plus
haut relativement à l'ame qu'elle seroit un accident si elle s'ajoutoit
à une autre forme, cela se déduit assez des paroles du commentateur
déjà citées au livre II de l'Ame. Quant à la conclusion ultérieure, que
la génération seroit une altération, on peut le tirer assez au long des
paroles d'Aristote. Il dit , en effet, dans le Ie* livre de la Génération,
donnant son opinion, qu'il faut généralement traiter de la génération,
de la corruption , de l'altération et des autres transmutations. Et il
faut noter qu'il le dit d'une manière générale, pour qu'on ne dise pas
que les choses qui suivent ne s'étendent pas à toutes les choses géné-
râmes, mais bien à quelques-unes; et il ajoute immédiatement après
que tous ceux qui ont pensé que tout provient d'un principe matériel,
qui est un corps, comme l'air ou le feu , doivent nécessairement ad-
mettre que la génération est une altération et que ce qui est généré
d'abord n'est ensuite qu'altéré , et il en donne ensuite la cause en di-
sant : « suivant eux, en effet, il reste toujours un et même sujet en
acte, et nous disons qu'un tel sujet s'altère. » D'où se montrant consé-
quents avec leurs principes ils disoient que la génération n'est autre
chose que l'altération, comme il est dit au même endroit. Aristote
estime donc que dans toute transmutation où il reste un sujet en acte,
cette transmutation est une altération, et si l'on prétend que cette
transmutation est une génération , la génération est appelée altéra-
tion. C'est encore rendu évident par le procédé suivant d'une manière
plus expresse , parce qu'il suit de là qu'il s'agit généralement de la
poni , quod omnes formse essent acciden-
tia. Unde Commentator in III. Phys. dixit,
quod si formae elemeutorum remarièrent
in actu différentes ab aliis formis, necesse
esset ut nullum ens generaretur ab eis di-
versum in forma substantiali, sed tantum
in accidentibus. Quod autem conclusum
est superius de anima, quod ipsa esset ae-
cidens si adveniret alieui formae, hoc satis
habetur ex verbis Commentatoris jam
dictis, II. De Anima. Quod autem ulterius
concludebatur , quod generatio esset alte-
ratio, satis diffuse diffamari potest ex ver-
bis Pbilosophi. Dicit enim I. De générât.,
dans intentionem suam, quod universaliter
determinandum est de generatioue, et cor-
ruptione, et alteratione , et caeteris trans-
mutationibus. Ubi notandum quod hoc di-
cit universaliter, ne quis dicat quod quœ
sequuntur non se extendant ad omnia ge-
V.
nerabilia, sed ad quœdam; et cito post
subjungit, quod quicumque putaverunt
omnia ex uno aliquo principio materiali,
quod sit corpus, puta ignis vel aer, necesse
habebant ponere generationem alteratio-
nem esse , et quod prius generatur solum
alterari, cujus causam assignat postea di-
cens : « Semper enim manet secundum
eos, unum et idem subjectum in actu,
taie autem alterari dicimus. » Unde ipsi
ponentes consequenter suis principiis ge-
nerationem nil aliud esse dicebant , quam
alterationem, ut ibidem dicitur. Vult ergo
Philosophus, quod in quacumque trans-
mutatione manet subjectum aliquod in
actu, illa transmutatio est alteratio ; et si
ponatur quod illa transmutatio est gene-
ratio, generatio dicitur alteratio. Istud pa-
tet etiam ex processu sequenti magis ex-
presse, quia sequitur ibi universaliter ergo
6
§2 OPUSCULE XLIV.
génération et de la corruption de ce qui est simple. Il donne , en
effet la raison pourquoi on a parlé en général de toute génération, en
disant que Platon n'a pas traité la question d'une manière suffisante ;
car il n'a point étendu ses recherches à toute génération et corrup-
tion mais seulement à celle des éléments. Les paroles d'Aristote
montrent donc clairement que ce qu'il a dit de la génération appar-
tient généralement à la génération de toute substance. D'un autre
côté il a expliqué dans le même endroit d'une manière évidente son
sentiment personnel, que ce d'où proviennent la génération ou la
corruption n'est qu'une substance en puissance, sans rien être ni
en quiddité, ni en quantité, ni en qualité, et ainsi du reste. Or, une
telle chose n'est que la matière conçue sans aucune forme, et il faut
par conséquent, dans l'opinion de ce Philosophe, qu'il ne reste dans
ce qui produit la génération aucune forme dans la génération, ni sub-
stantielle, ni accidentelle. Car ce qui reste est ce qui produit la géné-
ration. C'est pourquoi il enseigne que ce qui produit la génération
est un non-être , et que ce n'est pas un des contraires , mais la ma-
tière, et par suite, dans les substances la génération d'une chose est
la corruption de l'autre et réciproquement. C'est ce qui lui fait dire
que rien dans la génération ne demeure en acte , ce qui est évident
d'après les conséquents , car en assignant logiquement la différence
entre la génération et l'altération , il dit que l'altération se produit
lorsque, la substance sensible persistant , il se fait une transmutation
dans les passions, comme par exemple , quand un corps sain devient
quelque chose de languissant en restant le même, quand, au con-
traire , il s'opère une transmutation du tout , sans qu'il reste rien de
sensible dans le même sujet, comme toute la semence est employée à
la formation de l'animal , comme l'air se forme de l'eau , c'est alors
de generatione et corruptione simplicis.
Assignat enim causam, quare universaliter
sit dictum de generatione omni , dicens
quod Plato insufficienter determinavit de
eis. Non enim scrutatus est de omni gene-
ratione et corruptione , sed de ea quae est
elementorum. Ex vertus ergo Philosopha
patet, quod ea quae ibi determinavit de
generatione, sunt universaliter ad genera-
tionem cujuslibet substantiœ pertinentia.
Ibi autem secundum sententiam propriam
determinavit manifeste, quod id ex quo
est generatio , et id ex quo est corruptio ,
est substantia in potentia tantum , nec est
actu quid, nec quantum, nec quale , et sic
de aliis. Taie autem non est aliquid, nisi
materia intellecta sine forma omni, et ideo
oportet per inventionem Philosophi , quod
in illo ex quo generatio est , nulla forma
remanet apud generationem , nec substan-
tialis , nec accidentalis. Illud enim quod
manet est illud ex quo est generatio. Unde
vult, quod illud ex quo est generatio , est
non ens, et quod illud non est alterum con-
trariorum, sed mnteria, et ideo semper in
substantiis , nnius generatio est alterius
corruptio, et e contrario. Unde dicit, quod
nihil actu manet apud generationem et
quod patet ex consequentibus , quia con-
sequenler assignans differeutiam inter ge-
nerationem et alterationem, dicit quod al-
leratio est quando manente substantia sen-
sibili, fit transmutatio in passionibus, puta
quando corpus sanum fit languidum unum
et idem manens; quando autem totum
transmutatur non manente aliquo sensibili
in eodem subjecto, sicut ex semine toto fit
animal, et ex aqua acr , tune est ejus ge-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 83
une génération d'une chose et la corruption d'une autre, et il ajoute en
propres termes : quand il ne reste rien dont l'autre chose soit la pas-
sion , ou l'accident , ou la génération et la corruption , c'est propre-
ment la matière et surtout un sujet susceptible de génération et de
corruption. On voit d'après ce procédé, et surtout suivant le sentiment
d'Aristote, que jamais dans une génération quelconque une forme ne
se produit dans un sujet existant en acte par le moyen de la première
forme qui subsiste, mais qu'il faut qu'une forme soit dépouillée quand
l'autre est revêtue, et que la matière seule soit sujet, autrement la
génération seroit une corruption. Or, on peut montrer que c'est bien
là le sentiment d'Aristote, en considérant comment , au livre V de la
Phys., il établit que la génération n'est pas un mouvement parla
raison que ce qui n'est pas généré n'est pas un être. Il distingue , en
effet, d'abord le non-être en disant, que tout changement se fait de
sujet à sujet, ou de sujet à non-sujet, ou de non-sujet à sujet, et que
le non-sujet ou le non-être se dit de deux manières, Y une simpliciter,
l'autre secundum quid, afin que l'on voie mieux de quel être il parle,
ou lequel il a en vue, et parmi les autres modes il met le non-être
pour ce qui n'est pas en acte. D'où il est évident qu'il ne peut pas être
mû, et il raisonne ainsi : ce qui n'est pas quelque chose en acte, mais
simplement un non-être , ne reçoit pas le mouvement. Or, ce qui est
généré est simplement un non-être , donc ce qui est généré ne reçoit
pas de mouvement, et par conséquent la génération n'est pas un mou-
vement. Pour que cette raison soit bonne il faut que ce qui estgénéré
soit simplement un non-être de manière qu'il ne soit pas mobile. Mais
s'il étoit un être par quelque forme quelque imparfaite qu'elle fût,
qui constituerait un corps, ce seroit en quelque manière un être qui
pourrait recevoir le mouvement, quoique n'étant pas dans une espèce
neratio et alterius corruptio, et addit ex-
presse postea sic. Quando nihil manet, cu-
jus alterum sit passio, vel accidens , vel ge-
neratio , et corruptio est mateiïa proprie,
et maxime subjectum generationis et cor-
ruptionis susceptibile. Ex isto processu ha-
betur maxime secundum sententiam Phi-
losophi , quod nunquam in generatione
aliqua una forma advenit alicui subjecto
existenti in actu per priorem formam quœ
remanet, sed oportet cum inductione unius
esse abjectionem alterius , et solam mate-
riam esse subjectum , alioquin generatio
esset alteratio. Istud autem potest ostendi
esse de mente Philosophi , si consideremus
quomodo V. Phys., ostendit generationem
non esse motum propter hoc quod illud
quod generatur non est ens. Distinguit
enim primo non ens : dicens , quod omnis
mutatio est de subjecto in subjecum , vel
de subjecto in non subjectum, vel de non
subjecto in subjectum , et quod non sub-
jectum sive non ens dicitur dupliciter,
uno modo simpliciter, alio modo secun-
dum quid, ut apparet magis de quo ente
dicat vel intendat, et inter alios modos ac-
cipit non ens, quod nihil est in actu. Unde
manifestum est quod non potest moveri ,
et ex hoc sic arguit. Illud quod non est
aliquid in actu , sed simpliciter non ens ,
non movetur ; quod autem generatur est
non ens simpliciter. Ergo quod generatur
non movetur , et per consequens generatio
non est motus. Ad hoc autem quod illa
ratio valeat oportet quod illud quod gene-
ratur sit non ens simpliciter sic ut non sit
mobile. Si autem esset ens per aliquam
formam quantumcumque imperfectam, quae
constitueret corpus, jam esset aliquo modo
ens, sic ut moveri posset , licet non esset
84 OPUSCULE XLIV.
complète. Il faut donc que ce qui est généré n'ait pas de forme dans la
matière, de façon qu'il soit simplement un non-être, et il ne restera
ainsi que de la matière dans la génération sans aucune forme de ce
qui est généré; et pour mettre cela dans un plus grand jour, j'écar-
terai la futilité qui, suivant quelques philosophes, semble mettre obs-
tacle à cet ordre de choses. Il y en a qui disent qu'Aristote n'entend
pas dire que ce qui persiste dans la génération est simplement un
non-être ; mais que ce qui est ainsi généré est simplement un non-être
en acte. Quoique parfois un corps persistant soit préexistant à la gé-
nération et soit perfectionné par elle ; néanmoins ce corps préexistant
n'est pas le corps qui est généré, sinon en puissance , mais étant gé-
néré il est en acte par le moyen du composé provenant du sujet
préexistant, et la forme se produit par la génération. Tout cela n'est
rien; parce qu'à le bien considérer, il n'y a pas de différence pour
notre proposition, à dire dans le sens d'Aristote, que le sujet de la
génération est simplement un non-être, ou à s'exprimer de la troisième
manière , ou à énoncer que le susceptif de la forme qui persiste dans
la génération est simplement un non-être, parce que, quoi que l'on
dise, la raison que l'on donne, pour être bonne , doit procéder de la
non-entité de ce qui persiste. Car la raison ne peut point procéder du
non-être généré suivant cette forme seule qui est revêtue par la gé-
nération , de façon à être conçu non-être par la seule raison qu'il en
est privé, et qu'il soit un être par une autre forme. Il en est ainsi, en
effet, dans tout mouvement, que tout ce qui est produit , ne l'est pas
encore par la forme , qui est le terme du mouvement. Par exemple,
lorsqu'un homme devient sain, il n'est pas sain tant que s'opère le
mouvement qui le porte à la santé, parce que la sauté, qui est le terme
du mouvement, fait défaut; mais néanmoins cette non-entité ne suffit
in specie compléta. Oportet ergo , quod
ipsius quod generatur , nulla sit forma in
materia, ut sic sit simpliciter non ens , et
ite sola materia remanebit apud genera-
tionem, et nulla forma ejus quod genera-
tur. Et ut istud manifestius appareat, ex-
cludam cavillationem quae istum proces-
sum impedire videtur secundum quosdam.
Dicunt enim aliqui, quod ratio Philosophi
non accipit , quod illud quod remanet in
generatione , sit simpliciter non ens, sed
quod illud quod generatur sic , sit simpli-
citer non eus actu. Licet autem praeexistat
generationi quandoque quoddam corpus
quod manet et per generationem perfici-
tur ; tamen illud corpus prseexistens non
est illud corpus quod generatur , nisi po-
tentia tantum ; generatum autem actu est
per ipsum compositum ex praeexistente
subjecto, et forma per generationem. Sed
ista verba vana sunt , quia si recte consi-
deremus, non differt quantum ad proposi-
tum , utrum accipiatur in ratione Philo-
sophi, quod subjectum generationis sit non
ens simpliciter, vel tertio modo, vel quod
illud susceptivum forma? , quod manet
apud generationem, sit non ens simpliciter
quia quodcumque dicatur , oportet quod
ratio ad hoc quod valeat, procédât ex non
entitate ejus quod manet. Non enim po-
test ratio procedere ex non ente generato ,
secundum illam formam solam , quae in-
ducitur per generationem , ut intelligatur
non ens solum propter carentiam illius, ita
quod sit ens per aliam formam. Sic enim
est in omni motu, quod id quod produci-
tur , nondum est per formam , quae est
terminus motus. Puta cum. sit homo sanus,
dum movetur ad sanitatem, non est sanus,
quia déficit sanitas quae est terminus mo-
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 85
pas pour montrer que la guérison n'est pas un mouvement , par la
raison que le susceptif de la santé , qui persiste dans la guérison , est
un être susceptible de mouvement , puisque c'est un homme. Donc
une telle non-entité ne fait pas que la transmutation, qui lui esf con-
tingente, ne soit pas un mouvement. La raison d'Aristote est donc
tirée de l'être généré simplement lequel n'a rien en acte qui persiste
dans la génération , c'est ce qui résulte du texte même de ce Philo-
sophe ; car il dit qu'il y a quelque chose non-être , ou non-blanc ou
non-sain à qui il arrive de se mouvoir par accident , l'homme par
exemple. Pour ce qui est simplement un non-être en acte , ou non
quelque chose, ce n'est jamais dans le cas de recevoir le mouvement.
Or il dit cela pour montrer que sa raison ne procède pas d'un non-
être tel qu'il est sous un rapport quelque chose en acte, quoique sous
un autre rapport il soit un non-être , autrement sa raison seroit de
nulle valeur. Si, en effet, il restoit quelque corps dans la génération,
ce seroit un être dans une disposition passive au mouvement. Quant à
la considération rationnelle que ce qui est engendré n'est pas dans
une espèce complète avant sa génération, mais encore que son acte
n'est en aucune manière ce qui persiste dans la génération , cela est
vrai, et cela n'est rien en acte , mais doit être soumis à la génération
par la seule matière. Et c'est ce que le commentateur dit au même
endroit, que l'être de la matière n'étant pas adjoint en acte par un
mélange , il est impossible qu'il reçoive le mouvement. Et il ajoute
un peu plus loin , que la génération dans la substance n'est pas le
mouvement, parce que ce qui est généré en elle est simplement un
non-être, et un être en puissance, parce qu'il est transformé et qu'il
passe de la puissance à l'acte. Il n'en est pas de même de la généra-
tion de l'accident, car ce qui est transformé en elle est être en acte,
tus ; sed tamen illa non entitas non sufïi-
cit ad ostendendum , quod sanatio non est
motus, eo quod îllud susceptivum sanita-
tis quod rnanet in sanatione, sit ens quod
moveri possit, cum sit homo. Talis ergo
non entitas non excluait transrautationem
sibi contingentem non esse niotum . Proce-
dit ergo ratio Philosopha ex non entitate
gcnerati simpliciter , ut scilicet nihil ejus
sit in actu quod maneat in generatione, et
hoc patet ex littera Pbilosophi ibidem.
Dicit enim quod aliquid est non ens, aut
non album , aut non sanum , quod tamen
contingit moveri per accidens , est enim
homo. Quod autem simpliciter est non ens
actu, vel non aliquid , hoc nullo modo
contingit moveri. Hoc autem ideo dicit ut
appareat, quod ratio sua non procedit de
non ente tali , quod uno modo est aliquid
actu, licet alio modo sit non ens, alias ra-
tio sua nulbus esset vigoris. Si enim ma-
neret aliquod corpus apud generationem,
illud esset ens ad motum se habens passi-
ve. Quod autem accipitur in ratione, quod
id quod generatur, ante generationem suam
non sit in specie compléta, sed etiam quod
nullo modo actus ejus sit quod maneat
apud generationem , verum est , et hoc est
nihil in actu, sed per solam materiam sub-
jici generationi oportet. Et hoc est quod
Commentator dicit ibidem, quod cum esse
materiee primée non admisceatur actibus ,
impossibile est quod moveatur. Et paulo
post addit , quod generatio in substantia
non est motus, quoniam quod generatur in
ea est non ens simpliciter, et ens in poten-
tia, quoniam transmutatur et exit de po-
tentia inactum. Et non est ita de gênera-
86 OPUSCULE XLIV.
quoiqu'il soit transformé suivant ce qu'il est en puissance. Yoilà que,
suivant le commentateur , le raisonnement d'Aristote procède par la
cause, etconséquemment par raison démonstrative la génération n'est
pas mouvement, comme il le dit au même endroit. Donc celui qui
accorde que la génération n'est pas mouvement et que cependant il
reste dans la génération quelque chose en acte, celui-là accorde l'effet
et en nie la cause. D'autres font une argutie en disant que la propo-
sition d'Aristote, savoir , que ce qui est généré est non-être, est sim-
plement vraie dans les choses animées, mais non dans les choses ina-
nimées quant à la génération, qui est l'induction de la forme dernière.
Mais cela est impossible, soit parce que la science du livre des choses
physiques traite des universaux de la nature, et s'étend ainsi tant
aux choses animées qu'aux inanimées , soit même parce que c'est la
conclusion évidente qu'il faut tirer de son texte. En effet, après avoir
montré que la génération et la corruption ne sont pas mouvement,
mais des changements par contradiction, il en conclut qu'il est seu-
lement nécessaire que ce changement soit un mouvement qui va d'un
sujet à un autre sujet. Or, il dit qu'un tel mouvement se fait seule-
ment entre des contraires, ou des médianes, et ainsi, comme dans les
substances il n'y a jamais contrariété , il s'ensuit qu'en général on
peut appliquer à toutes les substances la preuve qui établit que leur
génération n'est pas mouvement. Outre cela, le texte du Philosophe a
déjà détruit cette argutie en disant la même chose au sujet de la gé-
nération. Il est donc évident , d'après Aristote , qu'il faut dire que
nulle forme ne persiste dans la génération, pour éviter l'inconvénient
de dire que la génération est nne altération. En effet, le commentateur
dit en plusieurs endroits, dans le sens du Philosophe, au livre Ier des
choses physiques, que si la matière première avoit quelque forme qui
tione accidentis, transmutatum enim in ea
est ens in actu, licet transmutetur secun-
dum quod est in potentia. Ecce secnndum
Commentatorem , quod ratio Philosophi
procedit per causam , et per consequens
démonstrative generatio non est motus, ut
ibidem dicit. Qui ergo concedit, quod ge-
neratio non est motus , et tamen apud ge-
nerationem manet aliquid in actu , ipse
concedit effectum et negat causam ipsius.
Aliam cavillationem alii ponunt , dicentes
propositionem Philosophi, scilicet. Quod
generatur est non ens, simpliciter veram
esse in rébus animatis, non autem in ré-
bus inanimatis, quantum ad generationem
quae est inductio ultimae formée. Sed illud
est impossibile , tum quia scientia libri
Physicorum est de universalibus naturae,
et ita se extendit tam ad animata quam
ad inanima ta ; tum etiam quod littera sua
hoc manifeste concludit. Postquam enim
ostendit quod generatio et corruptio non
sunt motus, sed rnutationes per contradic-
tionem , concludit ex hoc quod tantum
necesse est illam mutationem esse motum,
qui est ex subjecto in subjectum ; talem
autem dicit solum esse inter contraria vel
média, et ita cum in substantiis nunquam
sit contrarietas , sequitur quod universali-
ter probatum sit de omnibus substantiis,
quod generatio earum non est motus. Et
prœterea, illa cavillatio prius expulsa est
per litteram Philosophi, 1. De generatione,
ubi dicit hoc idem. Patet ergo secundum
Philosophum , quod oportet dicere quod
nulla forma maneat in generatione, ut vi-
temus hoc inconveniens , scilicet genera-
tionem esse alterationem. Commentator
enim in multis locis ad intentionem Phi-
losophi dicit I. Phys., quod si materia
SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. 87
lui fut proportionnée, alors la génération dans la substance seroit une
altération. Car il dit dans le livre de la substance de l'univers, que
la génération et l'altération diffèrent en ce qu' Aristote appelle la trans-
mutation des individus dans leurs substances, contraignant leur sujet
à n'être pas être en acte, et à n'avoir pas de forme sous ajoutée; parce
que s'il avoit une forme , il n'en recevroit une autre qu'après la des-
truction de la première. 'Car il est impossible qu'un sujet ait plus
d'une forme. Le commentateur en donne pour raison que la matière
ayant une forme, ne peut pas en recevoir une autre , parce qu'il est
impossible qu'un sujet ait plus d'une forme; cette raison a été déve-
loppée précédemment, parce que l'une renferme la privation de
l'autre dans la matière. Dans son livre de la Génération il s'étend lon-
guement sur cette question, comme aussi dans le livre des choses
physiques. Mais comme il est du même sentiment- que les auteurs
cités plus haut, je n'en parlerai pas, pour ne pas ennuyer le lecteur
par la*multitude des autorités.
Fin du quarante-quatrième opuscule de saint Thomas d'Aquin, sur
la pluralité des formes.
L'abbé VÉDRINE,
prima haberet aliquam formam sibi pro-
portionatam , tune gèneratio in substantia
esset alteratio. Dicit enim in libro De sub-
stantia orbis, quod gèneratio et alteratio
différant in hoc quod Aristoteles vocat
transmutationem individuorum in suis sub-
stantiis cogère suum subjectum non esse
ens actu et non habere formam quae sub-
jiciatur. Si enim haberet formam, nullam
aliam reciperet, nisi illa destructa. Unum
enim subjectum habere nisi unam formam
impossibile est. Ecce quod Commentator
assignat causam, quia materia dum habet
unam formam, non potest recipere aliam ,
quia impossibile est , quod unum subjec-
tum habeat nisi unam formam ; et hujus
ratio supradicta est , quia scilicet una in-
cluait privationem alterius in materia. In
libro autem suo De generatione , multa
dicit ad istam quœstionem, et similiter in
lib. Phys. Sed quia eadem est sententia
cum supradictis, ideo pertranseo ne prop-
ter multitudinem authoritatum , lectori
fastidium generetur.
Explicit Opusculum quadragesimum
quartum S. Thomœ de Aquino, de plurali-
tate formarum.
88
OPUSCULE XLVI.
OPUSCULE XLV.
De saint Thomas, commençant par ces mots, postquam de principiis.
Ce traité est le même que l'Opuscule XXXI qui se trouve plus
haut, et qui est intitulé: De la nature de la matière et des dimensions
illimitées ; voyez-le. Comme maître Pierre de Bergame partage cet
Opuscule en deux chapitres distincts intitulés , Vun de la nature de la
matière, et l'autre des dimensions illimitées, nous avons mis ici ce
titre pour observer le même ordre et garder le même numéro.
OPUSCULE XLVI.
DU MÊME DOCTEUR , SUR LA NATURE DiES SYLLOGISMES.
Savoir, c'est comioître la cause d'une chose; or les causes de tout
être sont au nombre de quatre , savoir, la cause efficiente , matérielle,
formelle et finale. Pour avoir la connoissance parfaite de chaque
chose, il faut connoître ces quatre causes. Il y a donc une cause effi-
ciente du syllogisme, gt une autre rationnelle qui le constitue. Car le
syllogisme est un acte de raison. La matière du syllogisme est trois
OPUSCULUM XLV.
S. THOM.E, DE DIMENSIONIBCS INTERMINATIS, QUOD INCIP1T, POSTQUAM DE PRINCIPIIS.
Hic tractatus est idem cnm opu-sculo xxxi
superius posito, qui de natura materiœ et
dimensionibus interminatis intitulatur, re-
quire ibidem. Et quia magister Petrus de
Bergamo in tabula sua hoc opusculum di-
vidit in duos distinctos titulos, scilicet de
natura materiœ seorsum et de dimensio-
nibus interminatis seorsum, ideo ad ejus
ordinem et numerum observandum , hune
titulum hinc interscruimus.
OPUSCULUM XLVI.
EjUSDEH DOCTORIS , DE NATURA SYLLOGISMORUM.
Quoniam scire est causam rei cognos-
cere, causae autem cujuslibet entis per se
sunt quatuor, scilicet efficiens, materialis,
f'ormalis et finalis , ad perfecte cognoscen-
dum unumquodque oportet has quatuor
causas cognoscere. Est ergo causa efïiciens
syllogismi anima rationalis fonoans ipsum ;
unde syllogismus est actus rationis. Mate-
SUR LA NATURE DES SYLLOGISMES. . 89
termes, comme matière éloignée , et deux propositions, comme ma-
tière prochaine. Elle est dans les syllogismes comme dans les autres
choses composées de matière et de forme , où l'on peut trouver la
double matière dont on vient de parler. Sa fin est de convaincre ou de
faire connoître une conclusion inconnue. Sa forme est la vertu ou
puissance de déduire une conclusion des prémisses; elle se trouve
dans la définition du syllogisme. Cette forme se revêt de la figure et
du mode. La figure est la disposition du moyen terme , suivant la
subjection et l'attribution ; cette disposition se fait de trois diverses
manières , parce que le moyen terme est ou sous-ajouté ou attribué
une fois dans les prémisses, et alors c'est la première figure. Or celte
disposition est appelée première figure , parce que le moyen terme a
le caractère plus parfait de moyen , en ce qu'il participe de la nature
des extrêmes dans la subjonction du petit extrême et du grand dans la
prédication. Ou il est attribué deux fois, et alors il est seconde figure,
appelée seconde parce qu'elle perd la perfection du moyen. Car dans
la première figure , le moyen est moyen suivant la raison et suivant
la position ; tandis que dans la seconde il est premier par position ,
puisqu'il est avant les extrêmes. Ou il est sous-ajouté deux fois, et
alors il est la troisième figure , appelée troisième parce que le moyen
est troisième par position , étant après les extrêmes. Or il faut savoir
que la figure se trouve proprement et en réalité dans les mathéma-
tiques, tandis qu'elle n'est dans le syllogisme que par transsomption,
par analogie avec le triangle. Car, comme le triangle est la conclusion
de trois lignes dans trois angles, de même le syllogisme est le concours
de trois propositions, majeure, mineure, conclusion dans trois termes.
Le mode est la qualité et la quantité déterminée des propositions pré-
ria vero ejus sunt très termini ut materia
remota , et duae propositions ut propin-
qua. Et haec similiter est in syllogismo,
sicut in aliis rébus constantibus ex mate-
ria et forma, quod scilicet est in eis repe-
rire duplicem materiarn , quae dicta est.
Finis autem ejus est facere fidem seu noti-
tiam ignolae conclusionis. Forma vero
ejus est virtus seu potestas inferendi con-
clusionem ex prœmissis ; et haec tangitur
per difïinitionem syllogismï. Hanc autem
formam circumloquuntur figura et modus.
Figura enim est dispositio medii secundum
subjectionem et praedicationem , quae sci-
licet dispositio tripliciter variatur, quia
aut médius terminus subjicitur et preedi-
catur semel in praemissis, et sic est prima
figura. Dicitur autem haec dispositio prima
figura , quia médium habet perfectiorem
rationem medii, quod participât naturam
extremorum in subjiciendo minoris extre-
mitatis et majoris in praedicando. Aut prae-
dicatur bis, et sic est secunda figura, quae
secunda dicitur, quia déficit a perfectione
medii. In prima enim figura médium est
médium secundum rationem et secundum
positionem ; in secunda autem est pri-
mum secundum positionem, cum sit supra
extremitates. Aut subjicitur bis, et sic est
tertia figura, quae dicitur tertia, quia mé-
dium est tertium secundum positionem,
cum sit infra extremitates. Sciendum au-
tem, quod figura proprie reperitur in ma-
thematicis, transumptive autem in syllo-
gismo , et hoc ad similitudinem figurai
tiïangularis. Nam sicut triangulus est
clausio trium linearum in tribus angulis,
ita syllogismus est concursus trium positio-
num, scilicet majoris , minoris et conclu-
sionis in tribus terminis. Modus autem est
determinata qualitas et quantitas propo-
sitionum prœmissarum ad hoc , ut ex eis
90 OPUSCULE XLVI.
misses pour qu'il en résulte une conclusion, laquelle est tirée d'après
certaines règles établies par Aristote, et dont quelques-unes sont
communes aux trois figures, quelques-unes spéciales. Les communes
sont au nombre de deux. La première, c'est que de pures particu-
lières , ou indéfinies , ou singulières , on ne conclue rien dans une
figure, en comprenant sous le nom de particulière tant l'indéfinie
qui , dans la matière contingente , équivaut à la particulière , comme
le dit Aristote, que la singulière. Il faut donc, comme il le dit, que
l'autre soit universelle. La raison de cette règle est qu'il ne s'ensuit
pas de ce que deux choses participent particulièrement à quelque
moyen terme, qu'elles soient les mêmes entre elles. Par exemple :
Blanc et grammairien participent au même moyen qui est homme,
puisqu'il y a des hommes blancs et grammairiens; mais il ne s'ensuit
pas de là que blanc et grammairien soient simplement la même chose.
C'est pourquoi le raisonnement suivant ne vaut rien. Un certain
homme est grammairien, or un certain blanc est homme, donc un
certain blanc est grammairien , la conséquence est même fausse
secundum quid et simpliciter. Il y a une autre raison alléguée par
Aristote, c'est que, ou il n'y aura pas de syllogisme, et cela parce
qu'il y aura pétition de principe, ou elle n'ira pas au but. De même
si l'on vouloit prouver cette proposition, la musique est attrayante,
et prendre ces prémisses, quelque volupté est attrayante. Or la mu-
sique est une volupté, donc, etc.. La majeure étant particulière, elle
se prendra pour cette volupté particulière , qui est la musique , et
alors il y a pétition dans la proposition à prouver; ou elle se prendra
pour quelque autre volupté, et alors il y aura bien un syllogisme,
mais qui n'aboutira pas à la conclusion que l'on vouloit tirer. Ainsi
donc il faut que l'une des prémisses soit prise universellement pour
sequatur conclusio, quae quidem ex certis
regulis traditis a Philosophe» in I. Priorum
colligitur, quarum quaedam sunt commu-
nes tribus figuris, quœdam spéciales. Com-
munes sunt duse. Primo , quod ex puris
particularibus vel indefinitis vel singulari-
bus nihil sequitur in aliqua figura, sub
particulari intelligendo tam indefinitam,
quae in materia contingenti aequipollet
particulari , ut Philosophus dicit , quam
singularem. Oportet ergo ut dicit alteram
esse universalem. Ratio hujus regulae est,
quia non sequitur, quod si aliqua duo
participant aliquod médium particulariter,
quod propter hoc illa duo sint eadem.
Verbi gratia : Album et grammaticum
participant idem médium quod est homo,
cum quidam homo sit albus et gramma-
tieus, sed ex hoc non sequitur, quod al-
bum et grammaticum sint eadem simpli- !
citer. Unde non valet haec argumentatio :
Quidam homo est grammaticus; quidam
albus est homo ; ergo quoddam album est
grammaticum, immo est fallacia conse-
quentis vel secundum quid et simpliciter.
Alia ratio potest esse quam Philosophus
inducit, quia aut non erit syllogismus , et
hoc quia petetur principium , aut non
erit ad propositum. Ut sit haec conclusio
probanda : Musica est studiosa , et assu-
mantur haï preemissae. Quaedam voluptas
est studiosa ; musica est voluptas; ergo, etc.
Major cum sit particularis , aut stabit pro
illa voluptate particulari, quœ est musica,
et tune petitur conclusio probanda ; aut
stabit pro aliqua alia , et tune syllogismus
erit quidem, sed non ad conclusionem in-
tentam. Sic ergo oportet quod altéra prae-
missarum capiatur universaliter, ut sit syl-
logismus. Sed contra dictam [regulam vi-
SUR LA NATURE DES SYLLOGISMES. 91
qu'il y ait un syllogisme. Mais Aristote semble être contraire à cette
règle, en donnant la manière d'argumenter d'après de pures parti-
culières , par le moyen du syllogisme expositoire dans la troisième
figure. Il faut dire à cela que lorsqu'on dit qu'on ne fait pas de syllo-
gisme d'après de pures particulières , on entend dans la réalité et
simplement le syllogisme qui a le parfait caractère de syllogisme. En
effet , le syllogisme expositoire n'est pas un vrai syllogisme , mais
bien plutôt une certaine démonstration sensible, ou une certaine
résolution faite au sens, à cette fin que la conséquence, qui étoit
vraie suivant la connoissance intellectuelle, soit déclarée dans le
sensible. La seconde règle, c'est que de deux pures négatives, il ne
s'ensuit rien, et il n'y a pas de syllogisme. La raison de cela peut
être que tout syllogisme ou affirme une chose d'une autre, et il est
affirmatif, ou nie une chose d'une autre, et il est négatif. S'il affirme
une chose d'une autre dans la conclusion , que ce soit par quelque
chose de convenable, laquelle chose sera un moyen terme, et par
conséquent, l'une et l'autre des prémisses sera nécessairement affir-
mative. Mais s'il écarte une chose d'une autre , il faut que ce soit par
quelque chose de tertiaire convenant à l'une de ces choses et répu-
gnant à l'autre, laquelle chose sera ainsi moyen terme. Il est clair
d'après cela que, dans le syllogisme négatif, il faut que l'une des
prémisses soit affirmative. Il y en a qui rectifient la première figure
et établissent deux règles; d'autres la seconde et établissent aussi
deux règles ; il en est d'autres qui rectifient la troisième et n'établissent
qu'une règle. Dans la première figure, la première règle est que la
majeure doit être universelle, autrement il n'y auroil pas de syllo-
gisme. La raison en est que, la majeure étant particulière, il arrive-
roit que le moyen duquel, pris particulièrement , le grand extrême
detur esse Philosophus , qui docet syllogi-
zare ex puris particularibus per syllogis-
mum expositorium in tertia figura. Ad hoc
dicendum, quod cum dicitur ex puris par-
ticularibus non fieri syllogismum^ intelli-
gitur vere et simpliciter syllogismum, qui
habet perfectam rationem syllogismi. Syl-
logismus enim expositorius non est vere
syllogismus , sed magis quaedam sensibilis
demonstratio, seu quaedam resolutio facta
ad sensum , ad hoc ut consequentia , quœ
vera erat secundum intellectualem cogni-
tionem , declaretur in sensibili. Secunda
régula est , quod ex puris negativis nihil
sequitur nec fit syllogismus. Hujus autem
ratio potest esse , quia omnis syllogismus
aut affirmât aliquid de aliquo, et est affir-
matives; aut negat aliquid ab aliquo, et
est negativus. Si affirmât aliquid de aliquo
in conclusione, oportet quod hoc fit per
aliquid conveniens, quod quidem erit mé-
dium , et ideo utraque prœmissarum ne-
cessario erit afïîrmativa. Si autem remo-
veat aliquid ab aliquo, oportet quod hoc
sit per aliquod tertium conveniens uni
illorum et repugnans alteri, quod sic qui-
dem erit médium. Et sic patet quod in
syllogismo negativo oportet alteram esse
affirmativam. Sunt autem quaedam quae
rectificant primam tîguram , et sunt duae
régulas ; quaedam secundam, et sunt etiam
duae ; quaedam tertiam, et est una. In
prima figura régula prima est , quod ma-
jor débet esse universalis , alias non fieret
syllogismus. Cujus ratio est , quia majori
existente particulari, contingeret médium
esse communius extremis , de quo parti-
culariter sumpto , posset praedicari major
«*2 OPUSCULE XL VI.
pouvant se dire affirmativement ou négativement, seroit plus étendu
que les extrêmes. Si c'étoit affirmativement , il arriveroit qu'il com-
prendroit des extrêmes répugnant au moyen terme , et alors il s'en-
suivroit une vraie conclusion affirmative, comme par exemple, si
l'on disoit, quelque animal est âne, tout homme est animal, on
devroit tirer cette conclusion , donc quelque homme est âne , laquelle
seroit fausse, malgré les vérités des prémisses. D'un autre côté, si on
les prend négativement et particulièrement, il arriveroit qu'ils seroient
susceptibles de conversion, comme ci-dessus ou ci-après, et alors ce
seroit faussement qu'une chose seroit niée de l'autre dans la conclu-
sion , quand néanmoins une conclusion négative devroit être tirée de
la qualité des prémisses , par exemple un certain animal n'est pas
homme; tout lisible est animal, on devroit tirer cette conclusion,
donc quelque risible n'est pas homme, laquelle seroit bien fausse,
quoique les prémisses soient vraies. Il est donc évident que lorsque ,
avec une telle disposition, il résultera une conclusion fausse, malgré
des prémisses vraies, ce ne sera pas suivant la forme du syllogisme.
En effet , toute disposition faite suivant les règles des syllogismes ,
déduit toujours la même conclusion dans toute matière , si les pré-
misses sont vraies. La seconde règle est que, dans la première figure,
la mineure ne doit pas être négative, la raison en est que s'il se faisoit
autrement, il en résulteroit la fausseté du conséquent, à savoir en
niant le moyen du petit extrême , qui est inférieur pour en venir à la
négation du grand extrême, qui est supérieur au moyen ; par exemple,
tout homme est animal , aucun âne n'est homme , il ne s'ensuivroit
pas, donc aucun âne n'est animal. On pourroit assigner une autre
raison à ces deux règles , savoir, que les syllogismes de la pf emière
figure sont parfaits par l'affirmation du tout et par l'affirmation du
extremitas affirmative vcl négative. Si af-
firmative, contingeret capere extrema cum
medio repugnantia, et tune non sequere-
tur vera conclusio affirmativa , ut si fieret
sic : Quoddam animal est asinus ; omnis
homo est animal, deberet sequi haec con-
clusio, ergo quidam homo est asinus, quœ
esset falsa praemissis existentibus veris.
Rursus, si eapiantur négative et particula-
riter, eontinget esse convertibilia , vel ut
superius et inferius, et tune falso negare-
tur unum de altero in conclusione, cum
tamen ex qualitate praemissarum deberet
sequi conclusio negativa , ut si fiât sic :
Qaoddam animal non est homo; omne »i-
sibile est animal, ex lus deberet sequi haec
conclusio : ergo quoddam risibile non est
homo, quae quidem esset falsa , prsemissae
tamen ver». Patet ergo , ex quo cum tali
dispositione aliquando cum praemissis veris
stabit conclusio falsa, quod non est secun-
dum formam syllogismi. Omnis quidem
dispositio facta secundum régulas syllogis-
morum semper eamdem conclusionem
syllogizat in omni materia , si praemissee
sint verœ. Secunda régula est , quod in
prima figura minor non débet esse nega-
tiva, cujus ratio est, quia si aliter fieret ,
accideret fallacia consequentis, procedendo
scilicet cum negatione medii de minort
extremitate, quod quidem est inferius, ad
negationem majoris extremitatis , quai est
superior ad médium, ut si fiât sic : Omnis
homo est animal ; nullus asinus est homo,
non sequeretur, ergo nullus asinus est ani-
mal. Posset autem utriusque reguke alia
communis ratio assignari , quia scilicet
syllogismi primae figuras perfieiuntur per
dici de omni et dici de nullo ; his autem
praemissis répugnât majorem esse particu-
SUR LA NATURE DES SYLLOGISMES. 93
rien. Or il répugne à ces prémisses que la majeure soit particulière,
ou la mineure négative , comme on le voit clairement en considérant
les raisons des principes sus-énoncés. Dans la seconde figure , la pre-
mière règle est que la majeure doit être universelle. La raison en est
que les syllogismes de cette figure viennent des syllogismes de la pre-
mière figure, par la conversion de la majeure dans les termes, et,
par conséquent, comme la majeure doit être ici universelle , elle doit
aussi l'être là. On peut même démontrer la nécessité de cette règle
par l'instance dans les termes, comme on l'a dit plus haut. Car si la
majeure est prise particulièrement, il arrivera que le grand extrême
l'emportera sur le moyen et sur le petit extrême. En effet , rien n'em-
pêche que ce qui est inférieur se dise de ce qui est supérieur, pris par-
ticulièrement , et ainsi le moyen pourrait se dire particulièrement du
grand extrême , et il arriverait que les extrêmes seraient convertibles
ou auraient les rapports de supériorité et d'infériorité , et alors il n'en
résulte pas une conclusion négative vraie. Il ne peut pas non plus
s'ensuivre une conclusion affirmative , parce que dans cette figure on
conclut toujours négativement, par exemple, quelque animal n'est
pas homme, tQut ce qui est raisonnable est homme, il ne s'ensuit pas
que rien de ce qui est raisonnable ne soit homme. La seconde règle
est qu'il faut que l'une ou l'autre des prémisses soit négative , parce
que de deux affirmatives il ne s'ensuit rien dans la seconde figure. La
raison de cela, c'est que si les deux prémisses sont affirmatives, le
moyen sera supérieur alors aux extrêmes disparates , dont aucun ne
se dit de l'autre dans la conclusion. Car, de ce qu'une chose convient
à deux , il ne s'ensuit pas qu'elle convienne à une troisième. Une chose
supérieure pourrait même être affirmée de deux choses inférieures,
dont l'une serait subordonnée à l'autre , et , dans ce cas , une chose
larem vel minorem negativam, ut patet in-
tuenti rationes dictorum principiorum. In
secunda figura prima régula est , quod
major débet esse universalis ; cujus ratio
est quia ejus syllogismi descendunt a syl-
logismis primae figurœ , per conversionem
majoris in terminas, et ideo sicut ibi opor-
tet majorem esse univcrsalem , ita et hic.
Vel potest ostendi nécessitas hujus régulée
per instantiam in terminis , ut dictum est
supra. Nam si major capiatur particulari-
ter, continget majorem extremitatem esse
supra médium et supra minorem extremi-
tatem. Nihil enim prohibet inferius prœ-
dicari de superiori particulariter sumpto ,
et ita médium posset praedicari de majoui
extremitate particulariter , et contingeret
extrema esse convertibilia , vel se habere,
ut superius et inferius, et tune non sequi-
tur conclusio negativa vera. Affirmativa
autem non potest sequi, quia in hac figura
semper concluditur négative, ut si fiât sic :
Quoddam animal non est homo ; omne ra-
tionale est homo, non sequitur quod nul-
lum rationale sit animal. Secunda régula
est, quod oportet alteram prœmissarum
esse negativam., quia ex utrisque affirma-
tivis in secunda figura nihil sequitur. Cu-
jus ratio est , quia si utraque sit affirma-
tiva, tune médium erit superius ad ex-
trema disparata , quorum neutrum de al-
tero preedicatur in conclusione. Non enim
sequitur. Si aliquod unum inest duobus,
quod propter hoc unum insit alteri. Posset
etiam unum superius affirmari de duobus
inferioribus , quorum unum esset sub al-
tero, et ita non posset unum de altero ne-
gari, et ita non sequitur conclusio affir-
94 oprscuLE xlvi.
ne pourroit être niée de l'autre, et ainsi il ne peut donc pas y avoir de
conclusion affirmative ou négative , lorsque les deux prémisses sont
affirmatives. Mais on demande alors s'il faut que l'une soit négative,
pourquoi n'est-ce pas positivement la majeure ou la mineure, mais
indifféremment l'une ou l'autre. On répond que c'est parce que, sans
rien déterminer, le moyen se rapporte également aux deux extrêmes,
comme lui étant subordonnés , et pour cette raison , quant au syllo-
gisme, peu importe à quoi se réfère l'affirmation ou la négation. Car
le syllogisme est bon des deux manières, quoique diverses. Dans la
troisième figure il n'y a qu'une règle , savoir, que la mineure est
toujours affirmative, la raison en est que de ce qu'une chose infé-
rieure répugne à une troisième, il ne s'ensuit pas que ce qui est supé-
rieur répugne aussi, ce qui devroit avoir lieu ici, si la mineure étoit
négative, comme on le voit. En effet, le moyen est subordonné aux
extrêmes : or la majeure est au-dessus du moyen et du petit extrême,
• et, par conséquent, il n'est pas nécessaire que la majeure lui répugne
dans la conclusion, par exemple, tout homme est animal, aucun
homme n'est àne , on ne peut pas conclure , donc quelque âne n'est
pas animal , et ainsi il ne s'ensuit pas une conclusion négative vraie.
Il en est de même pour une affirmative , car il peut se faire que les
extrêmes se répugnent, comme cela est évident, si l'on prend ces
termes animal, pierre , homme. La raison de cela peut être aussi que
la troisième figure vient de la première par la conversion de la mi-
neure; et, par conséquent, comme la mineure devroit être ici affir-
mative , elle doit l'être là aussi. Mais il ne faut pas se dissimuler qu'il
arrive parfois que le syllogisme conclut légitimement en opposition à
ces règles ; mais ce n'est pas par une nécessité de la forme syllogis-
tique, mais bien par une nécessité de la matière, parce que, par
mativa nec negativa, ubi utraque.praemis-
sarum sit affirmativa. Sed tune quœritur,
si oportet alteram esse negativam , quare
non determinate major vel minor, sed in-
differenter alteram? Dicitur quod hujus
ratio est , quia et non determinato altero,
médium œqualiter respicit extrema lan-
quam sub se posita , et ideo quantum ad
syllogismum non refert de quo affirmetur
vel negetur. Utroque enim modo fit syllo-
gismus, licet diversimode. In tertia figura
est una régula, scilicet quod minor semper
est affirmativa, cujus ratio est, quia non
sequitur , quod si aliquod inferius sit re-
puguans alicui tertio, quod propter hoc et
superius, quod oporteret fieri hic, si minor
esset negativa , quod sic patet. Médium
enim est sub extremitatibus; major autem
est supra médium et minorem extremita-
tem, et ideo non oportet quod eidem re-
pugnet major in conclusione, ut si fiât sic.
Omnis homo est animal ; nullus homo est
asinus , non sequitur, ergo quidam asinus
non est animal , et sic non sequitur con-
clusio negativa vera. Item nec aflirmativa
quia potest esse quod extrema sibi répu-
gnent, ut patet si capiantur hi termini,
animal, lapis, homo. Vel potest esse hujus
ratio, quia tertia figura descendit a prima
per conversionem minoris; et ideo sicut
oportebat ibi minorem esse affirmativam,
ita et hic. Non autem lateat nos, quod ali-
quando contingit syllogismum contra prœ-
dictas régulas concludere veram conclusio-
nem ; sed hoc non erit exnecessitate formas
syllogistica? , sed ex necessitate materiae,
quia scilicet vel termini sunt convertihiles ,
ut quando concludetur conclusio affirma-
SUR LA NATURE DES SYLLOGISMES. 95
exemple , ou les termes sont convertibles, comme dans la conclusion
affirmative, ou ils se répugnent , comme dans la conclusion négative.
Nous allons ajouter à ces règles quelques autres qui regardent plutôt
la conclusion que les prémisses , et dont les unes sont communes , et
les autres propres. Les communes sont au nombre de deux. La pre-
mière est pour toute figure. Si une des prémisses est particulière, la
conclusion doit être particulière , la raison peut en être que lors-
qu'une des prémisses est particulière, le moyen convient à l'autre
extrême, particulièrement dans cette prémisse; et comme il n'y a de
convenance entre les autres extrêmes que par la nature du moyen , un
des extrêmes n'aura pas plus de convenance avec l'extrême particulier,
que l'autre extrême avec le moyen. C'est pourquoi, dans la conclu-
sion , un extrême doit s'accorder avec l'autre extrême particulière-
ment, ainsi que, dans la prémisse, le moyen s'accordoit particuliè-
rement avec l'autre extrême. Il en est de même si c'est une particulière
négative , parce qu'un extrême s'écarte de l'autre extrême particuliè-
rement clans la conclusion , de même que le moyen s'écarte de l'ex-
trême dans la prémisse. Voici la seconde règle. Si l'une des prémisses
est négative, la conclusion doit être négative, la raison en est que les
choses qui sont en désaccord avec une troisième doivent nécessaire-
ment l'être entre elles. Donc les extrêmes se trouvant en désaccord dans
le moyen , parce que ce qui convient à l'un répugne à l'autre , ils sont
nécessairement en désaccord entre eux. C'est pourquoi , comme la
conclusion provient des extrêmes, il faut les séparer l'un de l'autre ,
et ainsi la conclusion sera négative , l'une des prémisses étant néga-
tive. Mais quelques-unes des prémisses ont trait à la première figure,
d'autres à la seconde, et d'autres à la troisième. Il y en a deux pour
la première. La première, c'est que la conclusion est toujours assi-
liva ; vel répugnantes , ut quando conclu-
detur negativa. Addantur autem dictis re-
gulis quaedam alise respicientes magis con-
clusionem quam praemissas, quarum quae-
dam sunt communes , quaedam propriœ.
Communes sunt duae. Prima in omni
figura. Si aliqua praemissa est particularisa
oportet conclusionem esse particularem ,
cujus ratio esse potest, quia si altéra prae-
missarum est particularis, médium con-
venit alteri extremitati particulariter in
illa praemissa. Et quia non est convenientia
inter extremitates, nisi per naturam medii,
non plus conveniet extremitas cum extre-
mitate particulari, quam altéra extremitas
cum medio. Unde in conclusione oportet
extremitatem extremitati convenire parti-
culariter, sicut in praemissa médium con-
veniebat particulariter alteri extrernita-
tum. Idem est, si sit particularis negativa,
quia extremitas disconvenit ab extremitate
particulariter in conclusione, sicut médium
ab extremitate in praemissa. Secunda ré-
gula est. Si altéra preemissarum est ne-
gativa, oportet conclusionem esse negati-
vam , cujus ratio est , quia quae disconve-
nant in tertio , oportet quod inter se dis-
convenant. Cum ergo extremitates dis-
conveniant in medio, quia quod uni con-
venit alteri répugnât , necessario inter se
disconveniunt, quare cum conclusio sit ex
extremitatibus , oportet unam ab alia re-
movere , et sic conclusio erit negativa,
altéra preemissarum existente negativa.
Sed praemissarum quœdam spectant ad
primam figuram, quaedam ad secundam,
et quaedam ad tertiam. Pro prima sunt
duae. Prima est quod conclusio semper as-
90 OPUSCULE XLV1.
milée à la majeure clans la qualité , et à la mineure dans la quantité.
La raison en est que la conclusion est une partie de la majeure quant
au prédicat , car elle a le même prédicat que la majeure , et elle fait
partie de la mineure quant au sujet; or la qualité est la disposition du
prédicat comme de la forme , et la quantité est la disposition du sujet
comme de la matière. C'est pourquoi la conclusion participant au
prédicat par la majeure et au sujet par la mineure , est assimilée à la
majeure dans la disposition du prédicat, et à la mineure dans la dis-
position du sujet. La seconde règle est que tous les problèmes con-
cluent par la première figure , et cela tant sous le rapport universel
que particulier, tant affirmatif que négatif/Dans la seconde figure il
n'y a qu'une règle , savoir, qu'il n'y a en elle que des conclusions
négatives. La raison de cela, c'est qu'il faut qu'une des prémisses soit
négative, comme on l'a montré, et lorsqu'il en est ainsi, la conclusion
doit nécessairement être négative. Dans la troisième figure il n'y a
non plus qu'une règle, savoir, que toute conclusion est particulière
et jamais universelle; la raison en est que, bien que deux choses s'ac-
cordent en une troisième , et que même cette troisième chose leur
convienne universellement, il ne s'ensuit pas nécessairement que ces
deux choses doivent totalement s'accorder ou être la même chose. Il
en est ainsi , parce qu'il arrive que le grand extrême est moindre que
la mineure. C'est pourquoi , dans la conclusion , la majeure ne sera
pas appliquée à la mineure universellement. Par exemple, tout homme
est risible, tout homme est animal; il ne s'ensuit pas que tout animal
est risible, mais bien que quelque animal est risible.
Après avoir tracé les règles qui apprennent à bien construire les
syllogismes relativement à l'in-ètre avec leurs raisons , il reste à
exposer sommairement celles qui concernent leur valeur par rapport
similatur majori in qualitate et minori in
quantitate; cujus ratio est quia conclusio
est pars majoris quantum ad praedicatum,
habetenim idem praedicatum cum majori,
et minoris quantum adsubjectum , qualitas
autem est dispositio prœdicati, quasi for-
mée , quantitas autem est dispositio sub-
jecti, quasi n\ateriae. Unde cum conclusio
participet praedicatum a majori et subjec-
tutn a minori , assimilatur majori in dis-
position prsedicati et minori in disposi-
tione subjecti. Secunda régula est , quod
omnia problemata concluduntur per pri-
mam figuram, hoc est tam universale
quam parliculare, tam aflirniativum quam
negativum. In secunda figura est una ré-
gula, scilicet quod in ea non concluditur
nisi négative; cujus ratio est, quia oportet
alteram praemissarum esse negativam , ut
ostensuni est , et quando ita est , necesse
est conclusionem esse negativam. In tertia
est una similiter, scilicet quod omnis con-
clusio est particularis et nunquatn univer-
salis ; cujus ratio est , quia licet duo con-
venant in uno tertio , etiam quod univer-
saliter tertium illis conveniat , non ideo
oportet £ uod illa duo inter se totaliter con-
veniant, vcl sint idem ; quod ideo est quia
contingit majorem extremitatem in minus
esse, quam minorem. Unde in conclusione
major non praedicabitur de minori univer-
salités Ut, omnis homo est risibilis ; omnis
homo est animal, non sequitur, ergo omne
animal est risibile , sed bene , ergo quod-
ilam animal est risibile.
Haliitis ergo regulis cum suis rationibus,
quee rectificant syllogismos de inesse, restât
breviter tangere régulas rectificantes syllo-
SUR LA NATURE DES SYLLOGISMES. 97
au mode. Pour mettre ceci en lumière , il faut savoir qu'il y a trois
espèces de syllogismes. L'un est formé de propositions de simple
inhérence, c'est celui dont nous avons parlé, un autre est formé de
deux prémisses de modo, un troisième d'une prémisse de modo , et de
l'autre de inesse, et s'appelle syllogisme mixte. S'il est constitué avec
deux prémisses modales , ou elles seront toutes deux de necessario, ou
toutes deux de contingenti. Or on entend par de necessario l'impos-
sible pris en sens contraire , c'est-à-dire avec une négation adjointe
au mot. Il est nécessaire qu'il soit, ou il est impossible qu'il ne soit
pas, est tout-à-fait la même chose; car c'est le même jugement de
part et d'autre. Il faut aussi savoir qu'ici , tant dans les prémisses que
dans la conclusion, on prend toujours un contingent non nécessaire
qui est dit dans le contingent né et indéfini , c'est-à-dire indifférent.
Si donc le syllogisme est forme de deux prémisses de necessario, sauf
les règles exposées pour chaque figure , il peut être un bon syllogisme
en concluant de necessario , et par conséquent de inesse. Si au con-
traire il est composé de deux prémisses de contingenti, c'est toujours
dans la première , soit qu'elles soient toutes deux affirmatives , ou
toutes deux négatives, ou l'une ou l'autre seulement, en exceptant
seulement que si la majeure est universelle, la conclusion sera de
contingenti , et non de inesse. Mais si les deux prémisses sont néga-
tives , en changeant la mineure ou l'une et l'autre en affirmative , il
y aura un syllogisme. Or, il faut savoir que toutes les propositions
de contingenti n'ont pas nécessairement une figure affirmative et se
convertissent réciproquement, les affirmatives en négatives, et vice
versa, comme le démontre Aristote. Dans la seconde figure , il ne se
fait pas de syllogisme avec deux prémisses de contingenti , la raison
en est tirée de ce qui a été dit plus haut, savoir, que de pures affir-
gismos de modo. Ad cujus evidentiam
sciendum est , quod triplex est syllogis-
mus. Quidam constat ex propositionibus
simplicis inheerentiœ, de quo dictum est ;
quidam constat ex utraque prœmissa de
modo ; quidam ex altéra de modo et altéra
de inesse, et dicitur syllogismus mixtus. Si
ex utraque modali, aut erit ex utraque de
necessario, aut ex utraque de contingenti.
Sub necessario autem intelligitur, et im-
possibile contrarie sumptum , id est cum
negatione apposita verbo. Unde idem est,
necesse est esse, et impossibile est non esse,
idem enim est judicium utriusque. Scien-
dum etiam, quod hic tam in prœmissis,
quam in couclusione semper accipitur con-
tingens non necessarium , quod dicitur in
contingenti nato et indeflnito , seu ad
utrumlibet. Si ergo lit syllogismus ex
utraque de necessario, salvatis regulis prae-
V.
habitis in omni figura , potest fieri bonus
syllogismus concludens de necessario et
per consequens de inesse. Si vero fiât ex
utraque de contingenti, semper fit in prima,
seu ambœ sint affirmativae seu négatives ,
seu altéra tantum , hoc solo excepto quod
si major sit universalis , conclusio erit de.
contingenti et non de inesse. Si autem fue-
rint ex utraque negativa, conversa mi-
nori, vel utraque in affîrmativam erit syl-
logismus. Est autem sciendum , quod om-
nes propositiones de contingenti non ne-
cessario habent affîrmativam figuram et
convertuntur ad se invicem affirmativae
negativis, et e contra, ut probat Philoso-
phus , I. Priorum. In secunda autem figura,
ex utrisque de contingenti non fit syllo-
gismus, cujus ratio ex superioribus patet,
quia scilicet ex puris affirrnativis in se-
cunda figura non est syllogismus. Proposi-
98 OPUSCULE XLVI.
mauves il ne résulte pas de syllogisme dans la seconde figure. Or les
propositions de eontingenti , comme on l'a dit, sont toutes affirmatives
dans la seconde figure. Dans la troisième figure, on ne fait pas de
syllogisme avec deux propositions de eontingenti, à moins que l'une
et l'autre soit particulière. Mais s'il se fait un syllogisme mixte, ou
c'est avec une de inesse , et l'autre de necessario , ou avec une de
eontingenti, et l'autre de inesse, ou avec une de necessario, et
l'autre de eontingenti. Car la mixtion ne se fait pas de plusieurs
manières. Il faut donc savoir que dans toute mixtion semblable ,
c'est-à-dire de Y inesse et de eontingenti , de inesse doit toujours se
prendre simplement, et non de inesse, comme présentement. On
appelle proposition de inesse simplement celle dans laquelle le pré-
dicat est inhérent au sujet , qu'il soit de sa quiddité , quant au
premier mode par soi , ou non , mais qu'il découle de ses principes ,
comme lorsque la passion propre se dit du sujet , quant au second
mode. Elle se dit aussi de inesse simplement , quand on attribue
quelque accident commun qui suit toute l'espèce , suivant tout le
temps, comme la noirceur se trouve dans le corbeau et dans l'Ethio-
pien. Mais quand une chose ne se dit du sujet d'aucune de ces manières,
la proposition est de inesse ut nune , comme celle-ci , tout homme
court. Si donc il y a mixtion de inesse et de necessario dans la pre-
mière figure , voici la règle. Lorsque la majeure est de necessario et
la mineure de inesse simplement , et non ut nune , il s'ensuit une
conclusion de necessario. Si c'est le contraire qui a lieu , savoir, si la
majeure est de inesse, et la mineure de necessario , la conclusion est
de inesse , et non de necessario ; la raison de cela c'est que la con-
clusion participant avec la majeure dans le prédicat , comme on l'a
dit , et le mode de nécessité et de contingence étant la disposition du
prédicat dans la comparaison au sujet , la conclusion participera de
tiones autem de eontingenti, ut dictum
est, affirmativae sunt omnes in secunda fi-
gura. In tertia vero figura, ex utrisque de
eontingenti non fit syllogismus, nisi utra-
que sit particularis. Si vero fiât syllogis-
mus mixtus , aut est ex una de inesse et
altéra de necessario , aut ex una de eon-
tingenti et altéra de inesse , aut ex una de
necessario et altéra de eontingenti. Pluri-
lms enim modis non fit mixtio. Sciendum
ergo, quod in omni tali mixtione, scilicet
de inesse et eontingenti, semper de inesse
débet accipi simpliciter , et non de inesse
ut nune. Dicitur autem propositio de inesse
simpliciter, in qua prœdicatum per se inest
subjecto, seu sit de quidditate ejus
quantum ad primum modum per se, seu
non, sed fluat ex principiis ejus , ut cum
propria passio dicitur de subjecto , quan-
tum ad secundum modum. Dicitur etiam
de inesse simpliciter, quando prsedicatur
aliquod accidens commune , quod sequitur
totam speciem secundum omne tempus,
sicut nigredo inest corvo et ^Ethiopi.
Quando autem nullo istorum modorum
prœdicatur aliquid de subjecto, est de in-
esse ut nune, ut haec : Omnis homo currit.
Si ergo sit mixtio de inesse, et necessarii
in prima figura , est talis régula. Majore
existente de necessario , et minori de inesse
simpliciter, et non ut nune, sequitur con-
clusio de necessario. Si autem e converso
fiât , scilicet majore de inesse , et minore
de necessario, sequitur conclusio de inesse
et non de necessario , quorum ratio est
quia cum conclusio participet cum majore
in praedicato, ut dictum est, modus autem
necessitatis et contingentée sit dispositio
SUR LÀ NATURE DES SYLLOGISMES. 99
la même manière , ce qui ne peut se faire quand la mineure est de
necessario et la majeure de inesse , mais néanmoins il s'ensuit bien
alors une conclusion de inesse. Car il y a plus dans inesse simplement
que nécessairement. Car les choses qui sont inhérentes nécessairement
le sont simplement, mais non pas réciproquement. Voici la règle
dans la seconde figure. Lorsque l'universelle négative est de necessario,
et l'autre de inesse , la conclusion est de necessario. S'il en est autre-
ment, la conclusion n'est pas de necessario, parce que si l'affirmative
est de necessario et la négative de inesse , il s'ensuit une conclusion
de inesse. La raison de cela est que la seconde figure , dans tous ses
modes , provient du mode de la première figure dans lequel la ma-
jeure est universelle négative , et revient à lui , comme on voit. Et ,
par conséquent , comme il falloit pour une telle conclusion que l'uni-
verselle négative , qui est la majeure , fût de necessario , de même
dans cette figure il faut qu'une pareille négative soit majeure , après
la réduction de la première. On voit par là que dans le quatrième mode
de la seconde figure il ne peut pas se faire une mixtion universelle
quant à la conclusion de necessario , puisqu'il n'y a pas d'universelle
négative. Dans la troisième figure , voici la règle sur le mode d'affir-
mation et de négation. Lorsque l'universelle affirmative ou négative
est de necessario, il en résulte une pareille conclusion, autrement non.
On peut donner de cela la même raison que dessus , que , après la
réduction à la première figure, l'universelle deviendra majeure,
laquelle doit être de necessario dans la première. On voit par là que
dans le premier et le second mode de la troisième figure on fait quatre
syllogismes universellement mixtes , en prenant de part et d'autre de
necessario. Voici la suite de la seconde mixtion, savoir, de inesse et de
contingenti. Pour élucider cela, il faut savoir que, comme le dit
prœdicati in comparatione ad subjectum,
conclusio participabit eodem modo quod
non potest fieri quando minor est de ne-
cessario et major de inesse, bene tamen
tune sequitur conclusio de inesse. In plus
enim est inesse simpliciter quamnecessario.
Quœ enim necessario insunt, insunt simpli-
citer, et non e contra. In secunda vero fi-
gura est talis régula. Universali negativa
de necessario existente , et altéra de inesse,
sequitur conclusio de necessario. Si vero
aliter fiât, non sequitur de necessario, quia
si affirmativa fuerit de necessario , et ne-
gativa de inesse , sequitur conclusio de
inesse ; cujus ratio est, quia secunda figura
quantum ad omnes suos modos descendit
a secundo modo primée figurae , in quo
major est universalis negativa, et in ipsum
reducitur, ut supra patet. Et ideo , sicut
ibi oportebat universalem negativam, quee
est major esse de necessario, ut sequeretur
talis conclusio , ita in hac figura oportet
quod talis negativa post reductionem in
prima sit major. Ex quo patet quod in
quarto secundae figurae non potest fieri
universalis mixtio , quantum ad conclu-
sionem de necessario, cum non habeat ali-
quam universalem negativam. In tertia
figura est talis régula in modum affirma-
tionis et negationis. Universali affirmativa
vel negativa existente de necessario , se-
quitur conclusio talis, aliter non, cujus
potest reddi eadem causa quœ et supra,
quia post reductionem ad primam figuram
universalis fiet major , quam oportet in
prima esse de necessario. Per quod patet,
quod circa primum et secundum tertiœ
fîunt quatuor syllogismi universaliter
mixti, accipiendo utrobique de necessario.
Sequitur de secunda mixtione scilicet de
JOO OPUSCULE XLVI.
Aristote , le contingent se prend d'une manière , de telle façon que
même le nécessaire est dit contingent, c'est-à-dire non impossible,
et d'une autre manière , comme aussi non nécessaire. Or le contingent
se dit de ces deux manières équivoquement , comme de deux signes
signifiés. Il se prend d'une autre manière comme persistant dans sa
communauté sans regarder telle ou telle chose , mais dans un état
indifférent, non qu'il soit cependant la troisième chose signifiée. Pris
dans ce sens , il est dit contingent possible , ou suivant la raison de sa
communauté , de même que , en parlant plus clairement , animal
peut se prendre de trois manières. L'une comme raisonnable , l'autre
comme irraisonnable, ces deux manières sont ses différences. La troi-
sième manière, c'est de le considérer non sous tel ou tel rapport,
mais seulement suivant sa forme universelle, uniquement en tant
qu'animal. Que le nécessaire soit contingent , c'est ce qu' Aristote
prouve dans le livre Périherménias. Comment cela se fait-il? On peut
l'expliquer ainsi. Par rapport au contingent , ce qui est dit du néces-
saire et du non nécessaire, c'est seulement qu'il a la potentialité à
l'être sans autre différence , comme il dit du genre. Or dans l'un et
l'autre des deux cas que nous avons exposés , il y a cette potentialité ,
quoique d'une manière équivoque, parce que le nécessaire a toujours -
la potentialité jointe à l'acte , et l'autre séparée de l'acte; c'est pour-
quoi l'un et l'autre est appelé contingent. Or ce nécessaire a deux
espèces. L'une est le contingent-né qui a une cause pour laquelle il
peut être ; mais comme cette cause rencontre quelquefois des obstacles,
il est non nécessaire , comme blanchir dans la vieillesse. L'autre est
le contingent infini , c'est-à-dire indéterminé , ou incertain , ou in-
différent. 11 est ainsi appelé , parce qu'il n'a pas de raison pour se
inesse et contingenti. Ad cujus evidentiam
sciendum, quod ut dicit Philosophus , I.
Priorum, contingens capitur uno modo, ut
etiam necessarium dicitur contingens, id
est non impossibile , alio modo ut etiam
non necessarium. De his autem duobus
modis dicitur contingens œquivoce , sicut
de duohus signis signiticatis ; alio modo
capitur ut stat in sua communitate , non
respiciens hoc vel aliud tantum, sed indif-
ferenter utrumque , non tamen quod sit
tertium significatum. Et hoc modo captum
dicitur contingens possibile, seu secundum
rationem suée communitatis, sicut clarius
loquendo, animal potest capi tribus modis.
Uno modo pro rationali, et alio modo pro
irrationali, isti duo modi sunt ejus diffe-
rcnti;r:. Tertio modo potest considerari, non
pro hoc aut pro illo tantum , sed pro sua
forma universali , in quantum scilicet est
animal solum. Quod autem necessarium sit
contingens , probat Philosophus in libro
Périherménias. Quomodo autem hoc fit,
sic potest ostendi. De ratione contingentis
quod dicitur de necessario et non neces-
sario, est solum quod habeat potentialita-
tem ad esse sine positione alterius diffe-
rentiee, sicut dicitur de génère. Utrumque
autem dictorum habet hanc potentialita-
tem, licet eequivoce, quia necessarium ha-
bet possibilitatem semper actui conjunc-
tam , aliud vero distantçm ab actu , ideo
utrumque dicitur contingens. Hoc autem
necessarium duas habet species. Una est
contingens natum, quod quidem habet
causam quare possit esse ; sed quia talis
causa aliquando impeditur, est non neces-
sarium, sicut canescere in senectute. Alia
est contingens infinitum, id est indeter-
minatum vel ineertum, sive ad utrumlibet.
Dicitur autem sic, quia nullam causam
habet, quare magis se habeat ad unam
OPUSCULE XLVII, SUR LA LOGIQUE d' ARISTOTE. 101
porter vers une partie plutôt que vers l'autre , comme le contingent
de la nature , comme il peut être et n'être pas. Aristote dit qu'il ne
tend pas au nécessaire.
Fin de l'Opuscule de la nature des syllogismes.
L'Abbé U D RI NE.
OPUSCULE XLVIL
Sur la somme de toute la logique d' Aristote.
Tous les hommes sont naturellement désireux de savoir. Or savoir
est le résultat de la démonstration , car la démonstration est le syllo-
gisme qui produit le savoir. Pour satisfaire ce désir naturel dans
l'homme , la démonstration devient nécessaire ; car l'effet , comme
tel, ne peut pas exister sans la cause. Et comme, ainsi que nous l'a-
vons dit, la démonstration est le syllogisme, pour la connoître il faut
préalablement connoître le syllogisme. Or, le syllogisme étant un
certain tout formé de parties, on ne pourra le connoître, si l'on
ne connoît pas les parties. Donc, pour connoître le syllogisme, il faut
d'abord connoître ses parties. Or des parties du syllogisme quelques-
unes sont prochaines, comme les propositions et la conclusion, qui
toutes sont appelées énonciations. D'autres sont éloignées, comme les
termes qui sont les parties de renonciation. Il faut donc traiter de ces
choses, savoir de renonciation et des termes, avant de parler du syl-
logisme. Or tout terme qui se dit sans complexion signifie la substance,
partem, quam ad aliam, sicut habet con- 1 Veriher., quod non sequitur ad necessarium.
tingens naturae ; qualiter enim potest esse et I Explicit Opusculum B. Thomœ Aquina-
non esse. Et de isto dicit Aristoteles in libro | Us, de natura syllogismorum.
OPUSCULUM XLVIL
EJUSDEM DOCTORIS , DE TOTIUS LOGIC* ArISTOTEMS SUMMA.
Omnes homines natura scire desiderant.
Scire autem est effectus demonstrationis ;
«st enim demonstratio syllogismus, Apo-
dicon, 1, faciens scire. Ad hoc autem quod
taie desiderium naturale compleatur in
homine , necessaria est demonstratio ; non
enim potest esse effectus in quantum hu-
jus sine causa. Et quia ut dictum est, de-
monstratio est syllogismus ad cognoscen-
dum eam , necesse est praecognoscere syl-
logismum. Syllogismus autem , cum sit
quoddam totum aggregatum ex partibus,
cognosci non poterit partibus ignoratis.
Ad cognoscendum ergo syllogismum opor-
tet primo cognoscere partes ejus ; partium
autem syllogismi quaedam sunt propinquae,
ut propositiones , et conclusio quae omnes
enuntiationes dicuntur. Quaedam vero sunt
remotae ut termini qui sunt partes enun-
tiationis, ideo ista oportet tractare, scilicet
de enuntiatione et de terminis, antequam
de syllogismo tracte tur. Quilibet autem
terminus , qui sine complexione dicitur ,
signiflcat substantiam aut quantitatem aut
102 OPUSCULE XLYII, CHAPITRE 1.
ou la quantité , ou la qualité , ou quelque chose des autres prédica-
ments; c'est pourquoi, avant de traiter de renonciation, il faut
s'occuper des prédicaments. Et parce que le prédicament , dans le
sens que nous entendons ici , n'est autre chose que la disposition des
choses prédicables dans l'ordre prédicamental , pour connoître les
prédicaments , il faut d'abord connoître les choses prédicables. Donc,
pour parvenir à la science qui est l'objet des désirs de tous , tel doit
être l'ordre que nous garderons avec le secours de Dieu; nous traite-
rons d'abord des cinq choses prédicables, secondement des dix pré-
dicaments, troisièmement de renonciation, quatrièmement du syllo-
gisme simpliciter, cinquièmement du syllogisme appliqué à la matière
démonstrative ou de la démonstration. Quant au syllogisme appliqué
à la matière probable , lequel appartient à la partie de la logique
appelée dialectique , dont il est question dans le livre des Topiques ,
et au syllogisme appliqué à la matière sophistique , qui est opposé au
syllogisme dialectique dont on parle dans le livre Elenchorum, je
n'ai pas intention de m'en occuper pour le moment.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'est que l'universel et d'où il tire son origine.
Pour connoître les cinq universaux ou prédicables qu'établit Por-
phyre , il faut savoir que , notre intellect étant séparé de la matière
(car ce n'est pas une puissance attachée à un organe corporel ou ma-
tériel , et tout ce qui est reçu en une chose y est reçu par le mode de
récipient), il faut en conséquence que ce qui est représenté objective-
ment à l'intellect par un acte droit soit dégagé de la matière et des
conditions de la matière qui existent présentement. Et quand je dis
Topic.j et de syllogisino applicato ad ma-
teriam sophisticam , qui opponitur syllo-
erismo dialectico. de auo tractatur in libro
qualitatem, aut aliquid aliorum praedica-
mentorum, et ideo antequam de enuntia-
tione tractetur, oportet determinare de
prœdicamentis. Et quia praedicamentum
ut hic sumitur , nihil aliud est quam or-
dinatio preedicabilium in ordine praedica-
mentali , ideo ad cognoscendum praedica-
menta , oportet prœcognoscere praedica-
bilia. Ad hocergo ut perveniamus ad ipsum
scire ab omnibus naturaliter desideratum,
iste débet esse ordo quem cum auxilio Dei
tenebimus, ut primo tractetur de quinque
praedicabilibus ; secundo, de deeem prœdi-
camentis; tertio, de enuntiatione ; quarto,
de syllogismo simpliciter; quinto, de syl-
logismo applicato ad materiam demonstra-
tivam , seu de demonstratione. De svllo-
gismo vero applicato ad materiam proba-
bilem, qui pertinet ad partem logicae quae
dialectica dicitur , de quo tractatur in lib.
gismo dialectico, de quo tractatur in iinro
Elench., nonintendo me ad praesens intro-
mit.tfirfi.
ici laiii su^uioii^aui , *|ui uppumiu
gismo dialectico, de quo tractatur in ïibro
Elench.j ""
mittere.
CAPUT PRIMUM.
Quid sit universale, et quomodo originelur.
Ad cognoscendum quinque universalia
seu praedicabilia , quœ Porphyrius ponit ,
sciendum est, quod quia intellectus noster
est separatus a materia ( non enim est po-
tentia affixa organo corporali seu materiali,
et omne quod recipitur in aliquo recipitur
per modum recipientis ) , ideo illud quod
objective in actu recto intellectui reprae-
sentatur, oportet esse denudatum a mate-
ria et a conditionibus materiae , quae sunt
hic et nunc. Et dico hic denudatum a ma-
teria , non simpliciter ab omni materia ,
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 103
dégagé de la matière, ce n'est pas simplement de toute matière,
mais de la matière spécialisée. En effet, les choses naturelles sont
conçues avec la matière , c'est pour cela qu'on dit que cet objet doit
être dégagé des conditions de la matière; par exemple, dans notre
imagination il y a la fantasia ou forme représentant tel homme , sui-
vant ce qu'il a été extérieurement , laquelle forme , par la vertu de
l'intellect actif , agit sur l'intellect possible , comme les couleurs , en
vertu de la lumière , agissent sur la puissance visuelle , et alors il se
produit dans l'intellect possible une certaine forme , qui est appelée
espèce intelligible , ou suivant les autres actes d'intellection , ou la
parole, et cette forme représente l'homme, non cependant tel qu'il
est présentement, mais abstrait de telles conditions, c'est là ce
qu'on appelle être universel. C'est pourquoi il y a deux choses à con-
sidérer dans l'homme ainsi conçu , savoir, la nature humaine elle-
même ou ce qui la possède , et l'universalité ou abstraction des
susdites conditions de la matière. Quant au premier rapport, homme
dit la chose , à l'égard du second , il dit l'intention. Car dans la réa-
lité , il ne se trouve pas d'homme qui ne soit pas hic et nunc , et la
nature dans ce sens est dite être la première intention. Mais comme
l'intellect se réfléchit sur lui-même et sur les choses qui sont en lui
soit subjectivement, soit objectivement, il considère encore l'homme
ainsi conçu par lui en dehors des conditions de la matière , et voit
que cette nature conçue avec une telle universalité ou abstraction ,
peut être attribuée à tel ou tel individu, et qu'elle est réellement dans
tel ou tel individu , il forme en conséquence une seconde intention
sur une telle nature , et il l'appelle universelle ou prédicable , ou
quelque chose de semblable. Donc , suivant ce que nous venons de
dire , une chose en tant que conçue est dite universelle , mais en tant
sed a materia signata. Res enirn naturales
intelliguntur cum materia, et propter hoc
dictum est , quod débet esse denudatum a
conditionibus materiee , verbi gratia. In
nostra phantasia est phantasia, seu forma
repraesentans hune hominem, secundum
quod fuit in aliquo sensu exteriori, quse
forma virtute intellectus agentis agit in
intellectum possibilem , sicut colores vir-
tute luminis agunt in potentiam visivam,
et causatur tune • in intellectu possibili
quaedam forma, quoa dicitur species intel-
ligibilis, vel secundum alios actus intelli-
gendi, vel verbum, quae forma reprsesentat
hominem, non tamen ut hic et nunc , sed
abstractum a talibus conditionibus, et hoc
dicitur esse universale. Unde in homine sic
intellecto, est duo considerare , scilicet ip-
sam naturam humanam, seu habens eam,
et ipsam umversalitatem seu abstractionem
a dictis conditionibus materiae. Quantum
ad primum , homo dicit rem , quantum
vero ad secundum dicit intentionem. Non
enim in re invenitur homo qui non fit hic,
et nunc, et ipsa natura, ut sic dicitur esse
prima intentio. Sed quia intellectus reflec-
titur supra seipsum et supra ea quae in eo
sunt sive subjective sive objective, consi-
dérât iterum hominem sic a se intellectum
sine conditionibus materiae, et videt quod
talis natura cum tali universalitate seu
abstractione intellecta potest attribui huic
et illi individuo, et quod realiter est in hoc
et illo individuo , ideo format secundam
intentionem de tali natura, et hanc vocat
universale seu praedicabile, vel hujusmodi.
Secundum ergo praedicta res ut est intel-
lecta dicitur universalis, secundum autem
104 OPUSCULE XLYII, CHAPITRE 2.
que l'intellect considère cette universalité en quoi il s'attribue quelque
chose suivant l'être en plusieurs , ou l'attribution à plusieurs, et ainsi
elle est dite seconde intention. Nous allons parler maintenant de ces
secondes intentions, ou des cinq universaux ou prédicables qui sont
appelés universaux en tant que l'intellect leur attribue l'être en plu-
sieurs; ils sont appelés prédicables, à raison de ce que l'intellect les
fait appliquer à plusieurs. Ce sont le genre, la différence, l'espèce,
le propre et l'accident.
CHAPITRE II.
Ce que c'est que le genre et d'où il tire son origine.
Le genre , tel que nous l'entendons ici , est ce qui est affirmé
de plusieurs choses différentes en espèces in eo quod quid. Or,
pour comprendre les divers points de cette description , il faut
savoir que le genre se dit de plusieurs espèces, ou se divise en
plusieurs espèces. Mais comme il n'est pas un être en réalité , mais
seulement suivant la raison, sa division ne s'opère pas en réalité.
Et comme encore le genre n'est pas quelque chose de réel , les par-
ties subjectives ou les espèces en lesquelles il se divise , sont réel-
lement diverses et distinctes entre elles, il faut en conséquence
qu'elles aient en elles quelque chose de réel , par quoi l'une est
différente de l'autre. Il faut remarquer ici qu'une même chose a,
par son essence avec l'essence d'une autre chose , quelque conformité
ou convenance et quelque difformité réelle , laquelle conformité ou
difformité peut être plus grande ou plus petite par comparaison à
diverses choses , par exemple : Sortes, par son essence qui est de telle
ame et de tel corps , est conforme à Platon , à ce cheval et à cette
plante. 'En effet , Sortes par son essence est raisonnable , sensible et
quod intellectus talem universalitatem
considérât , secundum hoc attribuit sibi
aliquid secundura esse in pluribus, vel dici
de pluribus, et sic dicitur secunda intentio.
De quibus secundis intentionibus nunc di-
cemus , scilicet de quinque universalibus
seu praedicabilibus , quae universalia di-
cuntur prout intellectus attribuit eis in
pluribus; prœdicabilia vero dicuntur prout
intellectus attribuit eis dici de pluribus.
Sunt autem hœc, genus, species, differen-
tia, propriura et accidenjs.
CAPUT II.
Quid sit genus et unde originem habeal.
Genus ut hic sumitur, est quod prœdi-
catur de pluribus differentibus specie in eo
quod quid. Ad videndum autem part iculas
hujus descriptionis , sciendum est , quod
genus dicitur pnedicari de pluribus specie-
bus, seu dividitur in plures species. Et
cum non sit unum re, sed solum secun-
dura rationera , ideo non dividitur secun-
dum rera. Et quia genus non est unum re,
ideo partessubjectivaeseu species in quas di-
viditur , sunt realiter diversae et distinctes
inter se , ideo oportet quod aliquod reale
habeant in se, per quod reale una sit di-
versa ab alia. Uni nota , quod una et ea-
dem res per suam essentiam cum essentia
alterius rei habet aliquam conformitatem
seu convenientiam, et aliquam difïbrmita-
tem realem , quae conformitas vel diffor-
mitas potest esse major vel minor per
comparationem ad diversas res , verbi
gratia. Sortes per essentiam suam quae est
ex hac anima et hoc corpore, conformatur
Platoni , et huic equo, et huic plantœ.
Sortes enim per suam essentiam est ratio-
nalis, sensibilis et vivus; in omnibus his
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 105
vivant; dans ces trois choses il est conforme à Platon. Il est conforme
à ce cheval en deux choses , savoir dans le sensible et dans le vivant,
et il est difforme en une chose , parce qu'il est réellement raisonnable,
ce qui n'est pas dans le cheval; il est conforme à la plante , savoir
dans le vivant. Mais comme notre intellect peut distinguer les choses
qui sont unies en réalité, quand une de ces choses ne tombe pas sous
la raison de l'autre , et lorsque le raisonnable, considéré en soi, n'est
point de la raison du sensible , et le sensible de la raison du vivant ,
c'est pour cela qu'il prend ces choses séparément dans Sortes , sous
différents rapports , comme nous l'avons dit. Donc , quand l'intellect
considère en réalité ce en quoi une chose convient à d'autres choses,
il attribue à cette chose conçue une intention d'universalité. Et comme
dans chaque chose singulière il faut considérer quelque chose , qui
est le propre de cette chose, en tant qu'elle est cette chose , de même
que dans Sortes il faut considérer quelque chose qui est tellement le
propre de Sortes , en tant qu'il est tel homme, qu'il ne convient à nul
autre. Donc l'intellect attribue à une chose ainsi conçue une intention
de singularité , et il appelle cela singulier ou individuel , et ces se-
condes intentions sont l'universalité et la singularité. Aussi , bien
qu'on ait dit plus haut que les intentions sont le produit de l'intellect,
il faut néanmoins qu'elles aient quelque fondement dans les choses
extérieures. Car il répond à l'intention de singularité en dehors de ce
qui est le propre de Sortes , en tant qu'il est tel homme , et à l'inten-
tion d'universalité extérieurement, comme le fondement dans lequel
Sortes est conforme aux autres choses. Donc , comme les choses qui
sont conformes en une chose sont difformes en une autre , pourvu
qu'une telle difformité soit selon la forme et non selon la matière
caractérisée, ou selon ce qui est propre à tel individu, en tant que tel,
tribus est conformis Platoni. Huic autem
equo est conformis in duobus , scilicet in
sensibili et in vivo , et in uuo est diffor-
mis, quia in eo est realiter rationale, quod
non est in hoc equo ; huic vero plantœ con-
formis est in uno, scilicet in vivo. Quia
vero intellectus noster ea quse in re sunt
conjuncta , potest distinguere , quando
unum eorum non cadit in ratione alterius ,
et cum rationale in se consideratum non
sit de ratione sensibili, nec sensibile de
ratione vivi. ideo ea in Sorte separatim ac-
cipit , ut dictum est per respectum ad di-
versa. Quando ergo intellectus considérât
in re illud in quo convenit cum aliis rébus ,
illi rei concepts attribuit intentionem uni-
versalitatis. Et quia in qualibet re singu-
lari est considerare aliquid , quod est pro-
prium illius rei, in quantum est haec res,
sicut in Sorte est considerare aliquid quod
est ita proprium Sortis in quantum est
hic homo , quod nulli alii convenit. Rei
ergo sic conceptse attribuit intellectus in-
tentionem singularitatis, et vocat illud sin-
gulare vel individuum, et hse secunda? in-
tentiones sunt , scilicet universalitas et
singularitas. Unde licet supra dictum fuerit
quod intentiones fiunt ab intellectu , ta-
men oportet quod aliquod fundamentum
habeant in re extra. Nam intentioni sin-
gularitatis respondet , extra illud quod est
proprium Sortis, in quantum est hic
homo ; intentioni vero universalitatis res-
pondet extra , ut fundamentum illud in
quo Sortes est conformis cum aliis rébus.
Cum igitur ea quœ in uno conformantur ,
et in alio sunt difformia , dummodo talis
difformitas sit secundum formam et non
secundum materiam signatam, vel secun-
dum illud quod est proprium huic indivi-
106 OPUSCULE XL VII, CHAPITRE 2.
l'intellect attribue l'intention de genre à ce en quoi ces choses s'ac-
cordent , et l'appelle genre. Il faut remarquer ici , suivant Avicenne ,
qu'il y a deux formes; l'une qui est partie du composé, comme l'ame
est la forme de l'homme, car l'homme se compose de corps et d'ame.
Pour l'autre , elle suit tout le composé , comme l'humanité , qui est
aussi la forme de l'homme , et prise dans ce sens la forme s'appelle
quiddité, et elle est ce que l'intellect conçoit de la chose. Donc , quand
l'intellect conçoit la forme susdite ou la quiddité , comme celle-ci est
déterminée à cette matière , savoir l'humanité , comme elle se trouve
dans cette matière spéciale , dans celte chair, dans ces ossements , et
autre chose de ce genre , alors en produisant le concret , savoir un
tel homme , il conçoit le singulier et lui attribue une intention de
singularité. Mais s'il conçoit cette forme non comme déterminée à
telle matière , parce que toute forme pareille est de soi ylurificable à
telle ou telle matière , l'intellect attribue à ce qui a une telle forme
une intention d'universalité , par laquelle l'homme est un universel.
Et si les choses qui s'accordent dans cette forme n'ont pas entre elles
la difformité qui regarde la susdite forme, mais si elles sont seule-
ment difformes par la matière spéciale de telle ou telle chose , dans
laquelle ladite forme déterminée est dans telle ou telle chose , suivant
le mode dont il sera parlé dans le traité sur l'espèce , ces choses sont
dites ne différer que numériquement, et le substantif concret de cette
forme reçue , en tant qu'il peut être plurifié , par exemple , l'homme
est appelé une espèce très-spéciale. Mais si les choses qui s'accordent
dans quelque forme flurifieable ; comme on a dit, sont difformes
entre elles , non-seulement quant à la matière caractérisée , comme
on l'a dit, mais quant à la difformité spécifique, par exemple, parce
duo, in quantum hujusmodi illi uni in
quo talia conveniunt, attribuit intellectus
intentionem generis , et vocat genus. Ubi
nota secundum Avicennam , quod duplex
est forma. Queedam est, quee est pars com-
positi, sicut anima est forma hominis. Ex
anima enim et corpore componitur homo.
Quaedam autem sequitur totum composi-
tum, ut humanitas, quae et est forma ho-
minis, et isto modo sumpta forma dicitur
quidditas, et est illud quod intellectus in-
telligit de re. Quando ergo intellectus in-
telligit praedictam formam seu quiddita-
tem, ut est determinata ad hanc materiam,
puta humanitatem , ut est in hac materia
signata scilicet in his carnibus et in his os-
sibus, et hujusmodi, tune faciendo concre-
tum. puta hune hominem , intelligit sin-
gulare , et huic attribuit intentionem sin-
gularitatis. Si vero dictam formam intel-
ligit, non ut est determinata ad hanc ma-
teriam, quia omnis talis forma de se plu-
rificabilis est ad hanc et ad illam materiam,
habenti talem formam intellectus, attri-
buit intentionem universalitatis , unde
homo est universale. Et si ea quœ in hac
forma conveniunt , non habent inter se
difformitatem pertinentem ad dictam for-
mam, sed solum sunt difformia per mate-
riam signatam istius vel illius, in qua dicta
forma determinata est in isto vel in illo se-
cundum modum , qui dicetur in tractatu
de specie, illa dicuntur solum differre nu-
méro, et concretum substantivum, hujus-
modi formœ acceptée, ut plurificari potest,
puta, homo dicitur species specialissima.
Si vero ea quae conveniunt in aliqua forma
pluriheabili , ut dictum est, sunt inter se
difformia non solum quantum ad mate-
riam signatam , ut dictum est , sed quan-
tum ad difformitatem specificam , puta,
quod talis forma est animalitas, in qua
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 107
qu'une telle forme est l'animalité en laquelle s'accordent Sortes et tel
cheval, qui sont difformes entre eux, non-seulement quant à la chair
et les os , mais en ce que cet homme a la forme d'humanité , et ce
cheval celle d'équinité ; de telles choses sont dites différer en espèce ,
et telle forme en laquelle elle s'accorde est prise en concret, par
exemple animal et genre ; et parce que, ainsi que nous l'avons dit ,
une telle nature , prise en concret , peut se dire de plusieurs choses
formellement différentes qui sont dans diverses espèces , il s'ensuit
qu'une intention de genre peut être attribuée à une telle nature. C'est
pour cela qu'on dit que le genre s'affirme , c'est-à-dire est prédicable
de plusieurs choses différentes d'espèce , ou qu'il se divise en plu-
sieurs espèces. Et ce que nous venons de dire, pris au concret, ne
s'entend que dans le prédicament de la substance ; dans les autres
prédicaments , et surtout dans les absolus , le genre et l'espèce se
prennent abstractivement. Or le genre s'affirme substantivement,
suivant les grammairiens, en ce qui constitue une chose, comme
animal, qui se dit de l'homme et du cheval, est substantif et non
adjectif. Car le sensible qui se dit de l'animal , quoique étant de l'es-
sence de l'animal , ne se dit pas sous le rapport de la quiddité , mais
de la qualité , et c'est la raison pour laquelle il est adjectif. Or il faut
savoir que les choses qui se disent sous le rapport de la quiddité sont
de l'essence ou de la quiddité des choses desquelles elles sont affir-
mées , par conséquent s'affirmer sous le rapport de la quiddité , non-
seulement peut s'appeler mode de signification , comme on l'a dit ,
mais il désigne encore la quiddité de l'objet de l'affirmation , et il est
évident que c'est le genre.
conveniunt Sortes et hic equus, qui inter
se non solum surit difformes quantum ad
has carnes et hœc ossa ; sed in hoc , quia
hic homo habet formam humanitatis et
511e equinitatis , talia dicuntur differre
specie, et talis forma in qua conveniunt in
concreto sumpta , puta animal, est genus,
et quia ut dictum est talis natura sumpta
in concreto de pluribus formaliter diffe-
rentibus, quse sunt in diversis speciebus,
dici potest ; hinc est quod tali naturse in-
tentio generis potest attribui; ideo dicitur
quod genus praedicatur, id est, prœdicabile
est- de pluribus differentibus specie, seu
dicitur dividi in plures species. Et hoc
quod dictum est in concreto sumptum, in-
telligitur solum in praedicamento substan-
tiœ ; in aliis vero praedicamentis et maxi-
me in absolutis , sumitur genus et species
in abstracto. Dicitur autem genus praedi-
cari in eo, quod quid est, id est, substan-
tive secundum grammaticos , ut animal ,
quod de homine et de equo praedicatur,
est substantivum et non adjectivum. Sen-
sibile enim quod de animali praedicatur,
quamvis sit de essentia ainm.ilis , non
tamen dicitur praedicari in quid , sed in
quale, et causa est , quia est adjectivum.
Sciendum est autem, quod quia ea ques in
quid prœdicantur, sunt de essentia, seu
quidditate eorum de quibus praedicantur,
ideo praedicari in' quid non solum potest
dicere modum significandi, ut dictum est,
sed etiam dicit quidditatem ipsius de quo
praedicatur, et patet quid sit genus.
108 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 3.
CHAPITRE III.
Ce que c'est que l'espèce et d'où elle tire son origine.
L'espèce est ce qui se dit de plusieurs choses différentes numéri-
quement in eo quod quid. Quoique cette définition de l'espèce puisse
être conçue d'après ce que nous avons dit, néanmoins pour plus de
développement il faut savoir que , bien que le principe d'individua-
tion propre provienne de la matière spécifiée, il ne faut pourtant pas
entendre qu'il ne vient pas de la forme sous quelque rapport. Remar-
quez que la distinction d'une chose d'une autre par la forme peut se
faire de deux manières. Premièrement, quand une telle distinction se
fait par la forme à raison de la forme, suivant qu'il y a différents de-
grés dans les formes, et les choses qui sont distinguées de cette ma-
nière doivent nécessairement différer d'espèce , comme il a été dit.
Secondement, une chose peut être distinguée d'une autre par la forme,
non suivant la raison absolue de la forme, mais suivant qu'elle est
telle forme, et c'est ainsi que diffèrent en nombre deux quantités sé-
parées, soit qu'elles soient séparées par l'intellect, comme en mathé-
matique, soit qu'elles soient séparées de la matière quant à la chose
par la puissance. divine, comme la quantité de deux hosties consa-
crées. Car la quantité est une certaine forme; et c'est encore ainsi que
diffèrent les âmes séparées numériquement. En effet, elles ne diffèrent
pas. par la matière qu'elles n'ont pas et à laquelle elles ne sont pas
unies , ni par relation à la matière à laquelle elles sont susceptibles
d'être unies, puisque la relation est postérieure à son objet. Remar-
quez que toute forme qui renferme plusieurs choses en soi, c'est-à-
dire qui est prise universellement, a une certaine latitude ; car elle se
trouve en plusieurs, et se dit de plusieurs. Or, il peut y avoir dans
caput m.
Quid sit species , et unde sumal originem.
Species est, quue praedicatur de pluribus
differentibus numéro in eo quod quid.
Licet autem haec praedicta descripto speciei
ex dictis possit intelligi ; tamen ad majo-
rera declarationem aliquorum quee supra
dicta sunt , sciendum est quod licet prin-
cipium individuationis proprium sit a ma-
teria siguata, ut supra dictum est, non ta-
men est intelligendum , quod aliqualiter
non sit a forma. Ubi nota , quod aliquid
distingui ab aliquo per formam, dupliciter
potest esse. Uno modo quod talis distinctio
sit per formam ratione forma;, secundum
quod in formis diversi gradus inveniuntur,
et quae sic distinguuntur necesse est ut
différant specie, ut supra dictum est. Alio
modo, potest aliquid distingui ab alio per
formam , non secundum .absolutam ratio-
nem forma?, sed secundum quod est haec
forma, et sic differunt numéro duae quan-
titates separatae, sive sint separatae per in-
tellectum , ut in mathematicis ; sive sint
separatae a materia secundum rem virtute
divina, utquantitasduarum hostiarum con-
secratarum. Quantitas enim quœdam forma
est ; et sic etiam differunt anima? separatae
numéro. Non enim differunt per materiam
quam non habent , nec ei conjunguntur,
nec per relationem ad materiam cui con-
jungibiles sunt , cum relatio sit posterior
ipsi relato. Ubi nota , quod omnis forma
sub se habens multa, id est, quae universa-
liter sumitur, habet quamdam latitudincm.
Nam invenitur m pluribus et dicitur de
pluribus. Duplex autem potest esse lati-
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 109
les formes une double latitude. L'une suivant les degrés formels, dont
l'un est en soi plus noble et plus parfait que l'autre, et cette latitude
est, comme nous l'avons dit , une latitude de genre sous lequel il y a
différents degrés formels spécifiquement différents. Il y a une autre
latitude suivant la plurification numérale dans le même degré ; et
parce que cette latitude n'est pas suivant la raison absolue de la
forme, il faut que la forme en laquelle est une telle latitude importe
dans sa raison quelque chose par quoi une telle latitude lui convienne
et qui soit différent de la raison absolue de la forme. Et si nous par-
lons de cette forme qui est une partie du composé , par exemple , de
l'ame raisonnable, ce par quoi une telle latitude lui convient, est une
certaine imperfection , en raison de ce qu'elle est destinée à avoir le
caractère de partie d'un tout quelconque, non-seulement comme par-
tie suivant la raison, parce que les formes spécifiques elles-mêmes
sont parties suivant la raison , mais comme partie suivant la chose.
Car l'ame raisonnable est une partie réelle de l'homme , et la blan-
cheur est une partie réelle de l'homme blanc. C'est pourquoi, afin que
de telles formes se multiplient sous l'espèce , il faut qu'elles aient
cette potentialité qui fait des parties réelles, et à raison de cela cette
potentialité, par le moyen de laquelle l'ame raisonnable est destinée
par son essence à faire partie d'un composé, lui confère une certaine
latitude de multiplicatiou suivant le même degré, quoiqu'elle soit sé-
parée, et qu'elle n'informe pas en acte la matière. Et parce qu'une
telle potentialité ne convient pas à l'essence des anges, les anges pour
cette raison ne diffèrent pas numériquement entre eux , mais chaque
ange fait une espèce par lui-même. Car la nature ou l'essence de
l'ange n'a pas une aptitude naturelle à faire partie d'un composé, qui
lui donne l'espèce , comme l'ame humaine. Donc la potentialité de
tudo in formis. Una secundum gradus for-
mates, quorum unus secundum se nobilior
et perfectior est altero, et haec, ut dictum
est, latitudo generis est , sub quo sunt di-
versi gradus formates spécifiée différentes.
Alia latitudo est secundum plurifïcationem
numeralem iri eodem gradu ; et quia ista
latitudo non est secundum absolutam ra-
tionem formae, oportet quod forma, in qua
est talis latitudo, importet in sua retione
aliquid per quod conveniat sibi talis lati-
tudo, quod sit aliud ab absoluta ratione
formse. Et si loquamur de illa forma, quse
est pars compositi , puta de anima ratio-
nali, illud propter quod sibi talis latitudo
convenit, est imperfectio qusedam, secun-
dum scilicet quod nata est habere ratio-
nem partis alicujus totius, non solum quod
sit pars secundum rationem, quia etiam
formas specifleee sunt partes secundum ra-
tionem , sed quod sit pars secundum rem.
Nam anima rationalis est pars realis homi-
nis, et albedo est pars realis hominis albi.
Unde ad hoc quod taies formse multipli-
centur sub specie , oportet quod habeant
illam potentialitatem quse facit partes
reaies , et secundum hoc illa potentialitas
per quain anima rationalis per essentiam
suam nata est esse pars compositi , dat ei
quamdam latitudinem mulliplicationis
secundum eumdem gradum, non obstante
quod sit separata , et actu non informet
materiam. Et quia talis potentialitas non
competit essentise angelorum , ideo angeli
non différant inter se numéro, sed quilibet
angélus facit speciem per se. Non enim est
apta nata natura seu essentia angeli esse
pars compositi, ex qua compositione con-
sequatur speciem , sicut anima humana.
Potentialitas ergo formae quam forma ha-
110 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 4.
forme que possède la forme pour se joindre à la matière, produit en
elle la multiplication des individus , et c'est ainsi que l'on doit en-
tendre ce qui a été dit plus haut, que l'humanité qui est la forme qui
suit un tout composé , si on la considère sous le rapport de sa déter-
mination à telle matière spécifiée, produit le singulier. Car humanité,
comme on l'a dit , dit ame et corps , d'où il suit qu'en disant tel
corps, telle ame, elle énonce un singulier. Et parce que l'ame existant
dans le même degré ne peut être divisée en plusieurs, comme il a été
dit, si ce n'est à raison de la potentialité qu'elle possède pour l'union
à une matière spécifiée, il faut dire par conséquent que la matière
spécifiée est un principe d'individuation , tandis que la forme ne l'est
que par la matière pour laquelle elle a une puissance naturelle d'u-
nion, et l'on voit ainsi ce que c'est que l'espèce. Il faut savoir néan-
moins que, bien que la forme spécifique, comme on l'a dit , soit plu-
rificable de soi à cause de la potentialité qu'elle a pour s'unir à la
matière, cette plurification est cependant empêchée quelquefois acci-
dentellement , par exemple si tous les hommes venoient à mourir et
qu'il n'en restât qu'un seul , l'humanité alors n'existeroit pas dans
plusieurs matières. Elle peut aussi être empêchée par la condition de
la matière, comme il n'y a présentement qu'un seul soleil, non qu'il
répugne à la nature solaire de se trouver dans plusieurs sous le rap-
port de la forme, mais parce qu'il y a une autre matière qui n'est pas
susceptible d'une telle forme. C'est pourquoi le soleil est une espèce
en un seul individu.
CHAPITRE IV.
De l'origine de la différence et ce que c'est' suivant la chose et l'intention.
La différence , dans le sens où elle est prise ici , se définit de deux
manières, dont voici la première. La différence est celle qui se dit de
bet, scilicet ut jungatur materiae, facit sub
ea multiplicari individua, et sic débet in-
telligi quod supra dictum est, quod scilicet
humanitas quae est forma sequens totum
compositum, si consideretur ut est deter-
miuata ad'hanc materiam signatam facit
singulare. Humanitas enim . ut dictum est,
dicit animam et corpus ; unde dicendo, hoc
corpus , et hanc animam, dicit singulare.
Et quia anima in eodem gradu existens
nouposset dividi in plura, ut dictum est,
nisi propter potentialitatem quam habet ut
uniatur materiae signatœ , ideo dicendum
est , quod materia signata est principium
individuationis, forma autem non nisi per
materiam , ad quam habet naturalem po-
tentiam ut sibi uniatur , et sic patet quid
est species. Sciendum tamen est, quod licet
forma specifica, ut dictum est , de se plu-
rificabilis fit propter potentialitatem quam
habet ut materiae uniatur, tamen aliquan-
do talis plurificatio accidentaliter impedi-
tur , puta , si omnes homines morerentur,
ut unus solus remaneret , tune humanitas
non esset in pluribus materiis. Vel potest
impediri propter conditionem materiae, si-
cut modo est unus tantum Sol, non quod
repugnet naturœ solari esse in pluribus se-
cundum considerationem formae, sed quia
est alia materia non susceptiva talis formae ;
unde Sol est species in uno individuo.
CAPUT IV.
De origine différentiel, et quid ipsa sit se-
cundum rem et intenlionem.
Differentia , ut hic sumilur , dupliciter
describitur. Primo sic : Differentia est quae
prœdicatur de pluribus differentibus specie
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. lîl
plusieurs choses différentes en espèce m eo quod quale. La seconde est
la différence qui abonde du genre. Pour comprendre la première dis-
position il faut savoir que, comme il a été dit plus haut, dans quelques
formes il peut y avoir une latitude dans les mêmes formes suivant les
degrés formels dont l'un en soi est plus noble et plus parfait qu'un
autre, et c'est de cette forme que se tire le genre. Remarquez que
dans les êtres il y a différents degrés d'existence , soit que ce soit des
degrés substantiels ou accidentels. Quoique ces degrés soient disper-
sés dans quelques êtres, il se trouve néanmoins quelquefois quelque
chose d'un qui renferme plusieurs degrés de perfection substantiels
ou accidentels, par exemple : végétative, sensible, raisonnable, sont
des degrés substantiels d'êtres. Car une plante est substantiellement
végétative, un chien substantiellement sensible , et l'homme substan-
tiellement raisonnable, et ces degrés dispersés dans plusieurs se
trouvent quelquefois dans un seul, par exemple , dans l'homme. Car
l'homme, par sa forme substantielle qui est dans une , possède ces
trois perfections, il est végétatif, sensible et raisonnable. C'est pour-
quoi Sortes, par son essence, est conforme à la plante, au chien et à
Platon, comme il a été dit. Or cette conformité de Sortes avec la
plante peut être une des deux. Comme en effet la similitude de deux
choses noires est une des deux, de l'une comme sujet, de l'autre
comme terme, de même aussi est la conformité de Sortes comme sujet,
et de la plante comme terme. Je ne dis pas pour cela qu'une telle
conformité soit une relation suivant l'être , mais elle est une relation
suivant l'application comme fondement de la relation suivant l'être.
Or une telle conformité, qui est réellement une, comme il a été dit,
meut notre intellect à une idée, vivant, par exemple, de laquelle idée
in eo quod quale. Secundo sic : Differentia
est qua species abundat a génère. Ad vi-
dendum autem primam descriptionem ,
sciendum est quod , ut supra dictum est,
in aliquibus formis potest esse latitudo in
eadem forma secundum gradus formates,
quorum unus secundum se est nobilior et
perfectior alio , et ab hac forma sumitur
genus. Ubi nota , quod in entibus sunt di-
versi gradus essendi, sive sint gradus sub-
stantiales , sive accidentâtes , qui gradus
licet in aliquibus entibus sint dispersi, ta-
men aliquando invenitur aliquod unum
plures gradus perfectionis substantiales vel
accidentâtes comprebendens. Verbi gratia :
Vegetabile , sensibile , rationale, sunt gra-
dus entium substantiales. Planta enim sub-
stantialiter est vegetabilis ; canis vero sub-
stantialiter est sensibilis, et homo substan-
tialiter est rationalis, et isti gradus dispersi
in multis , aliquando inveniantur in uno
solo , puta in homine. Homo namque per
suam formam substantialem quee est in
una habet omnes istas très perfectiones,
nam est vegetabilis, et est sensibilis, et est
rationabilis. Unde Sortes per unam suam
essentiam conformatur plauUe , et cani, et
Platoni, ut supra dictum est. Hœc autem
conformitas, quse est Sortis ad plantam,
potest esse una duorum. Sicut enim simili-
tudo duorum nigrorum est una amborum,
quia unius ut subjecti, et alterius ut ter-
mini ; sic talis conformitas est Sortis ut
subjecti , et illius plantse ut termini. Nec
propter hoc dico quod talis conformitas
sit relatio secundum esse , sed est relatio
secundum dici, ut fundamentum relationis
secundum esse. Talis autem conformitas
quse realiter una est, ut dictum est, movet
intellectum nostrum ad unam conceptum,
puta vivum , a quo conceptu sumitur ge-
nus vel aliquando species, ut ex supra die-
1J2 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 4.
se tire le genre, ou quelquefois l'espèce, comme on peut l'induire de
ce quia été dit plus haut; c'est pourquoi cette conformité se rapporte
au genre comme fondement éloigné. Mais l'idée de vivant à laquelle
une telle conformité porte l'intellect, se rapporte au genre comme
fondement prochain, et ainsi, quoique l'unité de genre soit l'unité de
raison, néanmoins elle doit se fonder en quelque manière sur une
chose suivant la réalité. Quant à la difformité qui existe entre Sortes
et la plante, elle consiste en ce que Sortes a le sentiment et non la
plante, et de cette difformité se tire la différence qui sépare la chose
qui est commune à l'homme et à la plante. D'où l'on voit par cette
différence que la qualité de vivant se trouve dans un sujet qui pos-
sède quelque autre perfection qui n'est pas dans la plante. Et parce
que dans cette perfection , savoir la sensibilité , Sortes est en conve-
nance avec le chien , il y a de même entre eux une conformité qui
porte à une idée de laquelle , si on la prend au concret substantive-
ment, de telle sorte que ce concret dise explicitement de ce qu'il si-
gnifie et vivant et sensible, se tire un autre genre, savoir animal. Si,
au contraire, elle est est prise au concret adjectivement, de telle sorte
qu'elle dise explicitement de la chose qu'elle signifie cette seule per-
fection, savoir sensible, il s'en tire la différence, savoir, en tant qu'elle
est dite sensible , et ainsi des autres jusqu'à la dernière différence
spécifique, au-dessous de laquelle il n'y a point de perfection for-
melle. Donc, comme on peut dire sensible tout ce qui est dit animal,
et que animal, qui est le genre, se dit de plusieurs choses différentes
en espèce, de même sensible, qui est la différence, se dit de plusieurs
choses différentes dans l'espèce. Il faut remarquer que la forme sub-
stantielle a un double être; l'un objectivement dans l'intellect , et en
raison de cet être l'intellect s'attribue un nom abstrait. Car l'intellect
tis haberi potest, unde talis conformitas se \ substantive , ita quod taie concretum de
habet ad genus, utfundamentumremotum. suo siguificato dicat explicite et vivum, et
Conceptus vero vivi , ad quetn talis con- sensibile, sumitur aliud genus, scilicet ani-
forrnitas movet intellectum , se habet ad mal. Si vero suraatur in concreto adjec-
genus, ut fundamentum propinquum, et tive , ita quod de suo significato dicat so-
sie licet unitas generis sit unitas rationis, lam illam perfectionem explicite, scilicet
tamen aliquo modo habet fundari in uno sensibile , sumitur differentia , puta in
secundum rem. Difïbrmitas vero quae est quantum dicatur sensibile , et sic de aliis
inter Sortem et plantam , est quia Sortes : usque ad ultimam differentiarn specifieam,
sentit, non autem planta, a qua difformi- j infra quam non est perfectio formalis.
tate sumitur differentia, quae dividit unum j Cum ergo de tôt possit dici sensibile , de
quod commune est homini et plantas. Unde i quot dicitur animal , sed animal quod est
per hanc differentiarn ostenditur, quod vi- ; genus, prœdicatur de pluribus differentibus
vum inveuitur in habentem aliquam aliam specie, similiter et sensibile quod est diffe-
perfectionem , qu;e non est in planta. Et rentia, praedicatur de pluribus differentibus
quia in tali perfectione , puta sensibihy specie. Notandum quod forma substantia-
convenit Sortes cum cane , similiter inter lis habet duplex esse. Unum est objective
eos est una conformitas movens ad unum in intellectu, et secundum hoc esse intel-
conceptum , a quo si sumatur in concreto lectus attribuit sibi nomen abstractum.
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 113
la considère, non pas en observant la matière où elle se trouve , et à
cause de cela il se donne un nom abstrait, comme humanité. Elle a
un autre être dans la matière, pour laquelle elle a une double habi-
tude. La première c'est qu'elle lui adhère comme sauvée en ellefet
ainsi elle a, en quelque sorte, le mode d'accident, et ainsi l'intellect
lui donne un nom concret adjectif, tel qu'un nom d'accident, comme
humain. La seconde est la comparaison qu'elle a avec la matière,
comme la complétant et la perfectionnant, et ainsi elle n'a pas le
mode d'accident, mais bien le mode de substance, et ainsi l'intel-
lect lui donne un nom concret substantif, comme homme. Il faut
noter que animal diffère de sensible, parce que animal provient d'ame
sensible, et sensible se dit à raison de la sensibilité. Et parce que
l'ame par rapport à la sensibilité est comme la puissance à l'acte,
conséquemment la différence est plus actuelle que ce dont elle est la
différence, quoique se trouvant dans le même cercle l'un et l'autre. Or
on dit que la différence s'applique à la qualité , c'est-à-dire adjective-
ment. En voici la raison : Comme on l'a dit, en effet, la différence di-
visive de quelque genre se tire de la perfection que n'ont pas toutes
les choses qui sont sous le genre, laquelle perfection , comparée à ce
d'où se tire le genre , se montre comme quelque chose de parfait, et
par conséquent comme formel , et parce que les adjectifs se tirent
communément des formes , obligés qu'ils sont de s'adjoindre à la
forme; conséquemment pour désigner que la différence se tire du seul
formel, et ne dit explicitement que cela seul, la différence est parfaite
parle mode adjectif dans son attribution. Pour connoître de même
la seconde définition de la différence, il faut savoir qu'il est impossible
que la partie se dise du tout , mais que ce qui se dit en toute vérité
d'une autre chose doit dire le tout. Lorsqu'on dit de Sortes qu'il est
Considérât enim eam intellectus non con-
siderando materiam in qua est, et propterea
dat sibi nomen abstractum, ut humanitas.
Aliud esse habet in materia, ad quam habet
duplicem habitudinem. Una est, quia in-
hœret ei tanquam salvata in ipsa, et sic
aliquo modo habet modum accidentis , et
sic dat ei intellectus nomen concretum
adjectivum, quale est nomen accidentis,
ut humanum. Secunda comparatio quam
habet ad materiam, ut complens et perfi-
ciens ipsam, et sic non habet modum acci-
dentis, sed modum substantise , et sic dat
ei intellectus nomen concretum snbstanti-
vum, ut homo. Notandum quod animal
differt a sensibili, quia animal dicitur ab
anima sensibili ; sensibile autem dicitur a
sensibilitate. Et quia anima a sensibilitate
se habet , sicut potentia ad actum ; ideo
differentia magis est actualis, quam id cu-
jus est differentia, licet tantum ambiant
ambo. Dicitur autem differentia prœdicari
in qualè, id est adjective ; hujns ratio est.
Ut enim dictum est , differentia divisiva
alicujus generis sumitur a perfectione ,
quam non habent omnia quae sunt sub gé-
nère , quse perfectio comparata ad illud ,
unde sumitur genus, se habet ut quoddam
perfectum et per consequens ut formate ,
et quia adjectiva communiter a formis su-
muntur, quse forma) habent adjacere, ideo
ad designandum quod differentia sumitur
a solo formali , et illud solum dicit ex-
plicite, perfecta est differentia per modum
adjectivum in sui prœdicatione. Ad viden-
dum autem secundam difïinitionem diffe-
rentia? , sciendum quod impossibile est
partem de toto prœdicari, sed quidquid de
alio. vere prœdicatur , oportet quod dicat
totum. Cum autem de Sorte praedicetur
H4 OPUSCULE XL VII, CHAPITRE 4.
homme, et animal , et raisonnable , homme doit dire le tout formel
qui est dans Pierre; je dis formel, parlant de la forme qui suit le tout
composé. Il faut de même qu'animal dise le tout formel, de même
auSsi raisonnable le tout formel , mais de différentes manières. Car
raisonnable dit tout ce que dit homme, non pas cependant explicite-
ment, mais implicitement. Raisonnable dit, en effet, ayant la raison ;
c'est pourquoi il dit seulement raison de la chose principale qu'il si-
gnifie ; mais parce qu'il dit ayant la raison, en disant ayant, on com-
prend implicitement l'homme quel qu'il soit, et il dit ainsi tout ce que
dit homme, quelque chose cependant explicitement, et quelque chose
implicitement. De même aussi animal dit tout ce que dit homme,
non pas cependant explicitement, car animal dit ayant la vie et la sen-
sibilité : c'est pourquoi il ne dit du principal objet qu'il signifie que
la vie et la sensibilité, mais dans ce qu'il dit on entend implicitement
l'homme. Homme, au contraire, dit explicitement le tout formel
qui est dans Sortes; car il dit ayant l'humanité, laquelle humanité dit
explicitement le mouvement et la sensibilité que dit animal, et laraison
que dit raisonnable , ce qui fait que homme dit de l'objet principal
qu'il signifie animal raisonnable ; car en comparant les objets qu'ils
signifient explicitement, le genre et la différence ne signifiant qu'une
partie de chacun d'eux, et l'espèce signifiant explicitement ce qu'elle
signifie , il s'ensuit que les deux choses signifiées explicitement par
l'espèce excèdent l'objet signifié explicitement du genre dans l'objet si-
gnifié explicitement de la différence. Il excède de même l'objet signifié
de la différence dans l'objet signifié du genre. C'est donc à bon droit
que l'on dit dans la susdite définition que la différence est ce par quoi
l'espèce surabonde du genre, parce que l'espèce abonde, c'est-à-dire
excède dans l'objet qu'elle signifie, même ce que l'espérance signifie
homo , et animal , et rationale, oportet
quod homo dicat totum formale, quod est
in Petro , et dico formale , loquendo de
forma quœ sequitur totum compositum.
Similiter oportet quod animal dicat totum
formale, et similiter rationale dicat totum
formale, sed diversimode. Nam rationale
dicit totum illud quod dicit homo, non
tamen explicite , sed implicite. Rationale
enim dicit habens rationem. Unde de suo
principali significato dicit solum rationem,
sed quia dicit habens rationem, in hoc quod
dicit, habens, intelligitur implicite homo
quicumque sit ille, et sic dicit totum quod
dicit homo, aliquid tamen explicite et ali-
quid implicite. Similiter etiam animal dicit
totum quod dicit homo, non tamen expli-
cite, dicit enim animal habens vitam et
sensu m : unde de suo principali significato
solum dicit vitam et sensum , sed in hoc
quod dicit , habens implicite , intelligitur
homo. Homo vero dicit explicite totum
formale quod est in Sorte. Nam dicit ha-
bens humanitatem , quae humanitas dicit
explicite motum et sensum , quod dicit
animal, et rationem quam dicit rationale,
unde homo de suo principali significato
dicit animal rationale ; comparando enim
significata istorum explicite, cum genus et
differentia , ut dictum est, non significent
quodlibet eorum nisi partem, species vero
explicite significet illud quod significat ;
utrumque ergo significatum explicitum
speciei , excedit significatum explicitum
generis in significato explicito differentise.
Similiter etiam excedit significatum diffe-
rentiae in significato generis. Bene ergo
dicitur in prœdicta descriptione, quod dif-
ferentia est, qua species abundat a génère,
quia species abundat, id est, excedit in suo
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 115
explicitement , et l'on voit ainsi ce que c'est que la différence dans
son caractère propre.
CHAPITRE V.
Du genre le plus général et du genre subalterne; un être ne peut pas être
genre.
Le genre se divise en genre très-général et genre subalterne. Le
genre le plus général est celui en qui ne survient pas un autre
genre; ce qui doit être entendu de cette manière. Ainsi que nous l'a-
vons dit, en effet, le genre se tire de l'idée de conformité de certaines
choses qui sont difformes dans certaines autres perfections formelles,
desquelles se tirent les différences. Comme animal est genre, parce
qu'il dit mouvement et sensibilité , en quoi l'homme et le cheval sont
conformes , tout en étant difformes dans d'autres perfections , par la
raison , par exemple , qu'il y a dans l'homme la raison qui n'est pas
dans le cheval, d'où se tire la différence, savoir le raisonnable.
L'homme est aussi conforme à la plante dans le vivant; de cette con-
formité se tire un autre genre, savoir le corps animé, et cette confor-
mité est moindre que la première , parce que corps animé s'étend à
plus de choses qu'animal, aussi c'est un genre supérieur. Il est encore
conforme à la pierre dans la corporéité , d'où se tire un autre genre
supérieur, savoir le cor'ps. Il est conforme à l'ange dans la substance ,
qui est une conformité plus éloignée , d'où se tire encore un autre
genre, savoir la substance. Si l'homme étoit difforme vis-à-vis d'une
chose en substance , il ne resteroit entre eux d'autre conformité que
l'entité. Or l'être ne pouvant pas être genre , comme on le dira , la
substance doit être le genre le plus général. Quant aux autres genres
que nous avons dit être sous la substance, savoir corps , corps animé
significato etiam illud, quod explicite si-
gnificat differentia , et sic patet quid est
differentia secundum sui rationem.
CAPUT V.
De génère generalissimo , et subalterno , et
quod ens non potest esse genus.
Dividitur autem geuus in genus genera-
lissimum et genus subalternum. Genus ge-
neralissimum est illud, supra quod non est
aliud superveniens genus ; quod sic débet
intelligi. Ut enim dictum est , genus sumi-
tur a conceptu conformitatis aliquorum ,
qua) in aliquibus aliis perfectionibus for-
malibus sunt difformia , a quibus perfec-
tionibus forrnalibus sumuntur differentiae.
Sicut animal est genus , quia dicit motum
et sensum , in quibus homo et equus con-
formantur, qui tamen sunt difformes in
aliquibus aliis perfectionibus, puta, quia in
homine est ratio quœ non est in equo, a
qua sumitur differentia , scilicet rationale.
Conformatur etiam homo cum planta in
vivo, ex qua conformitate sumitur aliud
genus , scilicet animatum corpus , et hœc
est minor conformitas quam prima, et quia
ad plura se extendit animatum corpus
quam animal, ideo hoc est superius genus
Cum lapide vero conformatur in corporei-
tate, a qua sumitur aliud genus superius ,
scilicet corpus. Cum angelo vero confor-
matur in substantia, quce adhuc est remo-
tior conformitas , a quo sumitur aliud ge-
nus, scilicet substantia. Si vero esset homo
difformis alicui rei in substantia, nulla eis
conformitas remaneret, nisi entitas. Cum
autem ens non possit esse genus, ut dice-
tur, restât quod substantia sit genus gène-
ralissimum; reliqua vero gênera quae sub
substantia diximus , scilicet corpus , ani-
H6 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 5.
et animal, sont des genres subalternes qui quelquefois sont regardés
comme genres, d'autres fois comme espèces. Chacun d'eux, en effet, est
espèce relativement au genre supérieur , et genre relativement à l'es-
pèce inférieure. On peut voir par là comment une seule et même dif-
férence est divisive et constitutive. Si, en effet, animé qui est diffé-
rence est ajouté à corps, comme ce qui signifie corps se trouve dans
les choses qui n'ont pas cette perfection qui est animé, cette diffé-
rence divise corps qui toutefois est genre et constitue une espèce,
qui n'ont pas cette perfection qui est animé. D'où il arrive que
cette différence animé est tantôt divisive du genre et tantôt consti-
tutive de l'espèce , et c'est aussi ce qui doit se faire dans les autres
genres jusqu'aux espèces les plus spéciales, dont il n'y a pas de diffé-
rences divisives. Mais quelles sont les espèces les plus spéciales , on
peut le connoître d'après ce qui a été dit. Qu'un être ne puisse pas
être genre, le voici; en effet, ainsi qu'on l'a dit , cela est genre qui
est dans cette condition par rapport à sa différence divisive , que la
différence signifie quelque chose explicitement que ne signifie pas le
genre lui-même, quoique implicitement les deux disent le tout, c'est
pourquoi le genre se trouve en dehors de l'intellect des différences;
en voici un exemple dans les choses composées de matière et de
forme. Le feu et l'eau sont en convenance dans la matière première,
mais diffèrent dans la forme, parce que la forme substantielle du feu
est différente de celle de l'eau; d'où il suit que le feu et l'eau sont en
convenance dans la matière , parce que la matière est leur partie es-
sentielle , mais la forme du feu et l'eau s'accordent dans la matière,
comme dans quelque chose différent de leur essence , mais détermi-
nable par elles. C'est ainsi crue les espèces ont dans le genre un mode
de convenance que n'ont pas les différences. Car les espèces s'ac-
matum corpus et animal, sunt gênera sub-
alterna, quœ aliquando ponuntur esse gê-
nera, et aliquando species. Quodlibet enim
eorum est species, respectu superioris ge-
neris, et est genus respectu inferioris spe-
ciei. Ex his potest patere quomodo una et
eadem differentia est divisiva et constitu-
tiva. Si enim animatum quod est diffe-
rentia addatur corpori, cum illud quod si-
gnificat corpus , inveniatur in non haben-
tibus hanc perfectionem quœ est animatum,
haec differentia dividit corpus, quod modo
est genus, et constituit unam speciem, sci-
licet animatum corpus. Unde haec diffe-
rentia, animatum, modo est divisiva gene-
ris et constitutiva speciei , et sic est acci-
perc in aliis generibus , usque ad species
specialissimas, quarum non sunt differen-
isivae. Qua3 autem sint species spe-
t ialisMince , ex dictis haberi potest. Quod
autem ens non possit esse genus, sic patet,
ut enim dictum est, illud est genus, quod
ita se habet ad suam differentiam divisi-
vam, quod differentia significat aliquid
explicite, quod non significat ipsum genus,
licet implicite ambo totum dicant, unde
genus est extra intellectum differentiarum ;
et datur exemplum in rébus compositis
ex materia et forma. Ignis enim et aqua
conveniunt in materia prima, differunt
autem in forma, quia alia est forma sub-
tantialis ignis , et alla aquae : unde ignis
et aqua sic conveniunt in materia, quod
materia est pars essentialis eorum , forma
vero ignis et aqua conveniunt in materia,
sicut in quodam diverso ab essentia eorum,
determinabili tamen per ipsas. Sic suo
modo species aliter conveniunt in génère,
quam differentiœ. Nam species conveniunt
in génère, sicut in eo quod includit in ra-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 117
cordent dans le genre comme dans ce qui est contenant dans leur
condition et dans leur principal objet signifié, car dans la raison de
l'homme et dans son principal objet signifié, se trouve renfermé ani-
mal. Les différences, au contraire, s'accordent dans le genre comme
dans quelque chose de déterminable par elles rationnellement , qui
est en dehors de leur intellect, comme raisonnable et irraisonnable
s'accordent dans animal. Donc comme il ne peut rien se trouver en
dehors de l'intellect de quoi il y ait être, rien ne pourra être la diffé-
rence de l'être, et par conséquent l'être ne pourra pas non plus être
genre. On donne aussi une autre raison pourquoi l'être n'est pas
genre, c'est parce qu'il ne peut pas être univoque à l'égard de la sub-
stance et de l'accident. Il faut remarquer que dans l'exemple proposé
ci-dessus la matière est prise dans un autre sens qu'on la prenoit
d'abord, quand on a dit (jue les individus sont distingués par la ma-
tière, et que la matière est un principe d'individuation. Il y a, en
effet , la matière première et la matière spécifique , savoir celle qui
est caractérisée par la quantité et par les autres accidents qui opèrent
l'individuation. Or, on appelle matière première ce qui est» en puis-
sance à l'égard de toutes les formes substantielles, et qui n'est consi-
dérée que dans sa pure potentialité, qui est appelée une par l'éloigne-
ment de toutes les formes en tant qu'on considère une nature poten-
tielle perfectible par les formes , abstraction faite de ce qu'elle est
parfaite par l'acte, et c'est de cette matière que nous parlions dans
l'exemple mentionné plus haut. Quant à la matière spécifique , elle
est ainsi appelée, suivant qu'elle a l'être avec telle quantité, telle qua-
lité, et avec tels accidents, et sous ce rapport elle n'est pas une pour
tout, mais elle est divisée par des individus quelconques, comme sont
divisés les accidents susdits de chaque individu. Et parce que tous les
individus et chacun a une partie de la matière première, en considé-
tione ipsarum et in earum principali signi-
ficato, in ratione enim hominis, et in ejus
principali significato includitur animal. Sed
differentiœ conveniunt in génère , sicut in
•quoddam determinabili secundum ratio-
nem per eas , quod est extra intellectum
earum , sicut rationale et irrationale con-
veniunt in animali. Cum ergo nihil possit
inveniri extra , cujus intellectum sit ens,
nihil poterit esse differentia entis, nec per
consequens ens poterit esse genus. Assi-
gnatur etiam alia ratio, quare ens non sit
genus , quia non potest esse univocum ad
substantiam et accidens. Notandum, quod
in preedicto exemplo aliter sumitur ma-
teria quam sumebatur primo , quando dic-
tum est, quod individua distinguuntur per
materiam, et quod materia est principium
individuationis. Est enim materia prima
et materia signata, seu hœc quse videlicet
quantitate signatur et aliis accidentibus
individuantibus. Dicitur autem materia
prima illud quod est in potentia ad omnes
formas substantiales quse consideratur so-
lum in sua nuda potentialitate, quœ dici-
tur una per remotionem omnium forma-
rum, in quantum consideratur una quidem
natura potentialis perfectibilis per formas
absque hoc , quod actu perfecta sit , et de
ista materia loquebamur in exemplo supra-
posito. Materia vero signata seu haec dici-
tur prout habet esse cum hac quantitate et
hac qualitate, et in aliis accidentibus ; et
sic considerata non est una omnium , sed
per quœlibet individua est divisa, sicut di-
visa sont prœdicta accidentia uniuscujus-
que individui. Et quia omnia individua et
quodlibet eorum habet partem primae
118 OPUSCULE XL VII, CHAPITRE 6.
rant cette partie , non en tant que caractérisée par tels ou tels acci-
dents, on dit que l'eau et le feu s'accordent dans une matière, comme
dans l'exemple ci-dessus. Il est donc évident à l'égard des trois pré-
dicables essentiels qui concourent à ordonner un prédicament, sa-
voir : le genre, l'espèce et la différence qui sont appelés essentiels,
qu'ils sont de l'essence des choses auxquelles ils sont appliqués.
CHAPITRE VI.
De l'origine du propre, et comment il se trouve dans tout individu de
l'espèce et toujours.
Nous allons parler maintenant des deux prédicables "accidentels ,
savoir du propre et de l'accident. Ils sont appelés accidents, parce
qu'ils ne sont pas de la substance ou de l'essence des sujets auxquels
ils sont appliqués. Il faut observer que l'être réel se divise en sub-
stance et accident, c'est pourquoi en prenant ainsi l'accident en tant
qu'il se divise d'avec la substance, le propre est accident, et se compte
parmi Iqs accidents ; car il n'est pas de la substance de ce dont il est
le propre, et ne peut pas se trouver dans le prédicament de la sub-
stance. L'accident est pris dans un autre sens, non en tant qu'il se
divise d'avec la substance, mais comme étant l'un des cinq prédi-
cables, et dans ce sens le propre n'est pas accident , bien plus il en
est séparé. Or, le propre se définit ainsi : le propre est ce qui se
trouve dans une seule chose, et toujours, et se dit réciproquement de
la chose. Or pour bien connoître les points de cette définition, parce
qu'il nous est grandement nécessaire de connoître le propre, qu'Aris-
tote appelle une passion propre, parce que dans une démonstration
on ne conclut rien autre chose du sujet que la propre passion, il faut
dicitur ignis et aqua convenire in una
materia , ut in dicto exemplo dictum est.
Patet ergo de tribus prœdicabilibus essen-
tialibus, quae concurrunt ad ordinandum
praedicamentum , scilicet de génère , et
specie, et differentia, quae dicuntur essen-
tialia , quia sunt de essentia eorum , de
quibus praedicantur, etc.
GAPUT VI.
De origine proprii, et quomodo inest omni
individuo speciei , et temper.
Nunc dicendum est de duobus praedica-
bilibus accidentalibus, scilicet de proprio
et accidente. Dicuntur autem accidentàlia,
quia non sunt de substantia , sive de es-
sentia subjectorum de quibus prasdicantur.
Notandum, quod ens reale dividitur in
materia , considerando illam partem non
ut est signata ex bis vel his accidentibus,
substantiam et accidens, unde sic sumendo
accidens prout dividitur contra substan-
tiam, proprium est accidens, et inter acci-
dentia computatur ; non enim est de sub-
stantia ejus, cujus est proprium, nec potest
esse in preedicamento substantia?. Alio
modo sumitur accidens , non ut dividitur
contra substantiam , sed ut est unum de
quinque praedicabilibus , et sic proprium
non est accidens , immo contra illud divi-
ditur ; describitur autem proprium sic :
Proprium est quod inest uni, soli, et sem-
per, et conversim praedicatur de re. Ad vi-
dendum autem particulas hujus dilïini-
tionis , quia valde est nobis necessarium
scire proprium, quod Philosophuspropriam
passionem vocat, quia in demonstratione
nibil aliud concluditur, nisi propria passio
de subjecto. Sciendum , quod aliquid de
aliquo dici seu prœdicaiï contingit dupli-
SUE LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 119
savoir qu'il arrive qu'une chose est dite d'une autre ou appliquée à
une autre de deux manières, savoir, par soi et par accident. La prédi-
cation par accident peut se faire de trois manières; la première quand
l'accident se dit du'sujet, comme l'homme est blanc; la seconde
quand le sujet se dit de l'accident, comme le blanc est homme; la
troisième, quand l'accident se dit de l'accident, comme le blanc est
harmonieux. Par soi la prédication se fait de plusieurs manières,
ainsi qu'on le verra dans le traité de la démonstration. Le second de
ces modes de prédication par soi a lieu quand le propre se dit de ce
dont il est propre, comme l'homme est risible. Donc comme le propre
se dit du sujet, parce que ce n'est pas par accident, comme on l'a dit
des accidents à l'égard de leurs sujets , il a par soi vis-à-vis de son
sujet une autre habitude que n'ont pas les accidents communs. Car
ceux-ci n'ont d'habitude à l'égard de leurs sujets que comme à la
cause matérielle, en prenant cette matière pour sujet, qui est en puis-
sance par rapport aux accidents , comme à certains actes qui lui sont
inhérents. D'où il suit que si le propre n'avoit que cette habitude à
l'égard du sujet, savoir que le sujet fût seulement passif et son ré-
ceptif, dans ce cas, comme ce qui n'est que le réceptif d'une chose,
n'impose pas la nécessité d'être à la chose vis-à-vis de laquelle il est
dans un tel rapport, il s'ensuit que le propre ne suit pas nécessaire-
ment le sujet, et que par conséquent par soi il ne pourroit être appli-
qué, et cependant nous avons vu le contraire. Nous voyons, en effet,
dans les choses naturelles certaines opérations qui conviennent tou-
jours à toutes les choses qui sont de la même espèce , comme attirer
le fer convient toujours à l'aimant quel qu'il soit, c'est pourquoi il faut
que ces opérations suivent quelque principe intrinsèque permanent
dans ces corps. Néanmoins ce principe est appelé puissance en vertu,
citer, scilicet per se et per accidens. Pree-
dicatio per accidens potest lîeri tripliciter.
Uno modo, quando accidens preedicatur de
subjecto, ut homo est albus. Alio modo,
quando subjectura pradicatur de acci-
dente, ut album est homo. Tertio modo ,
quando accidens preedicatur de accidente,
ut album est rnusicum. Praerlicatio vero
per se sit multipliciter, ut patebit in trac-
tatu de demonstratione. Quorum secundus
modus dicendi per se est, quando proprium
prœdicatur de eo cujus est proprium , ut
homo est risibilis. Cuin ergo proprium
pnedieatur de subjecto , quia non praedi-
catur per accidens, sicut dictuin est de ac-
cidentibus respectu suorum subjectorum,
sed per se aliam habitudiuem habet ad
subjectum suum quam habeant accidentia
communia. Ma namque nullam habitudi-
uem habent ad sua subjecta , nisi ut ad
causam materialem, sumendo hic materiam
pro subjecto, quod est in potentia ad acci-
dentia, sicut ad quosdam actus sibi inhé-
rentes. Unde si proprium solam hanc ha-
bitudinem haberet ad subjectum , ut sci-
licet subjectum solummodo esset passivum
et receptivum ejus, tune cum illud , quod
est receptivum tantum alicujus, non im-
ponat necessitatem esseudi ei, respectu cu-
jus est taie , sequitur quod proprium non
de necessitate sequatur subjectum, nec per
consequens per se posset prœdicari, et ta-
men vidimus oppositum. Nam in rébus na-
turalibus videmus quasdam operationes,
quae conveniunt semper omnibus quse sunt
ejusdem speciei, sicut attrahere ferrum
semper convenit omni magneti : unde
oportet quod taies operationes sequantur
aliquod principium intrinsecum permanens
in illis corporibus. Hoc tamen principium
120 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 6.
parce que la vertu est la puissance qui est portée à la dernière chose
qui peut se faire. Donc un tel principe tient la puissance d'être de la
forme spécifique de cette chose. Et on ne peut pas dire que le sujet
n'impose pas à une pareille vertu la nécessité d'être, mais un généra-
teur, parce que si le sujet n'a aucune habitude nécessaire à un tel
propre, quelque grand générateur que le sujet produise avec cette
passion , cette passion propre cependant seroit par accident par rap-
port au sujet, et non par soi, et de cette manière elle ne pourroit être
démontrée, le contraire se verra plus bas. Il reste donc maintenant
que le sujet ait à l'égard de son propre l'habitude de cause efficiente,
ce que l'on peut établir ainsi. En effet, les qualités propres agissent
comme instruments de formes substantielles, car elles agissent pour
produire les formes substantielles, comme la chaleur du feu agit sur
le bois pour produire le feu , ce qu'elle ne pourroit pas faire , si elle
n'étoit l'instrument de la forme substantielle de cet agent. Il en est
ainsi , parce qu'elles reçoivent des formes substantielles la vertu de
produire un tel effet, et ces qualités ne reçoivent pas des formes sub-
stantielles une vertu quelconque différente d'elles; elles ne reçoivent
donc rien de plus qu'elles-mêmes ; donc les formes substantielles des
sujets sont la cause effective de leurs propres. Mais il s'élève à cet égard
un grand doute , car il s'ensuit que le même sujet est sous le même rap-
port agent et patient et cause d'action et de passion , au moins dans les
substances séparées, qui n'ont pas une partie en dehors de la partie ;
c'est pourquoi la même substance de l'ange, comme indivisible, seroit
sous le même rapport effective de la passion propre , et réceptive en
même temps', ce qui ne paroît pas convenable. Pour l'intelligence de cela
il faut savoir qu'une chose se produit à sa manière dans l'action ainsi
dicitur potentia sive virtus, quia virtus est
potentia quae fertur ad ultinmm , quod
fieri potest. Taie ergo principium necessi-
tatem essendi habet a forma specifica illius
rei. Nec potest dici quod tali virtuti sub-
jectum non imponat necessitatem essendi,
sed generans , quia si subjectum nullam
habeat necessariam habitudinem ad taie
proprium, qmntumcumque generans sem-
per generet subjectum cum tali passione,
tamen talis propria passio per respectum
ad subjectum esset per accidens et non
per se, et sic non posset demonstrari, cujus
oppositum infra patebit. Restât ergo quod
subjectum habeat ad suum proprium ha-
bitudinem causae efficientis, quod sic po-
test patere. Nam propriœ qualitates agunt
ut instrumenta fonnarum substantialium,
agunt enim ad productionem formarum
substantialium , sicut calor ignis agit in
ligna ad generandum ignem , quod non
posset facere , nisi esset instrumentum
forma? substantialis hujus agentis ; hoc
ergo est, quia recipiunt virtutem a formis
substantialibus agendi hoc , nec recipiunt
taies qualitates, a formis substantialibus
aliquam virtutem differentem ab eis, nibil
ergo aliud recipiunt , nisi seipsas , formae
ergo substantiales subjectorum sunt causa
effectiva suorum priorum. Verum circa
hoc videtur magnum dubium, nam sequi-
tur quod idem subjectum sit secundum
idem agens et patiens , et quod idem sit
causa agendi et patiendi respectu ejusdem,
ad minus in substantiis separatis, quœ non
habent partem extra partem : unde ea-
dem substantia angeli secundum idem ,
quia indivisibilis est , esset causa effectiva
propriee passionis , et receptiva , quod vi-
detur inconveniens; ad quod intelligendum
sciendum est , quod sicut se habet res iu
patiendo, sic suo modo se habet in agendo;
SUR LA LOGIQUE d'arISTOTE. 121
que dans la passion ; or, dans la passion on appelle passif non-seule-
ment ce qui reçoit, mais encore ce qui dispose à recevoir, par exemple :
la cire qui reçoit la figure est appelée passive à l'égard de la figure,
et non-seulement la cire est dans un état passif par rapport à la figure,
mais aussi la mollesse qui dispose la cire à recevoir une semblable
impression est également dans un état passif par rapport à la figure ;
car , quoique ce ne soit point la mollesse qui reçoive la figure comme
étant la condition réceptive, cette disposition est néanmoins en quel-
que façon une condition susceptive , et encore à sa manière un prin-
cipe donnant naissance à quelque chose dans un certain ordre, et par
une certaine connexion nécessaire par le moyen de quelque autre
chose, produit quelque chose , et ce qui est produit est dans un état
actif par rapport au principe producteur. Comme un clou enfoncé
dans une poutre, si le mouvement étoit toujours imprimé à la poutre
au moyen du clou, quoique tout le mouvement vînt effectivement de
l'homme vivant qui imprimeroit le mouvement, savoir à la poutre et
au clou, cependant le clou seroit dans une disposition active au mou-
vement par rapport à la poutre , il se montre de même à l'égard du
sujet par rapport à sa propre passion. Car le sujet est comme le clou,
la passion comme la poutre , produisant et faisant mouvoir l'un et
l'autre, et donnant l'être à l'un et à l'autre, savoir au sujet et à la pas-
sion, comme le mouvement est imprimé par le moteur dans le clou
et dans la poutre. De cette manière les deux opinions sont sauvegar-
dées, et tout doute est résolu. Ce que nous venons de dire peut donc
établir deux points de la définition du propre. Savoir que le propre
se trouve dans tout et toujours. En effet, si le propre a une connexion
nécessaire et naturelle avec la forme spécifique , comme il a été dit,
il doit se trouver nécessairement dans toutes les choses qui ont une
in patiendo autera non solum dicitur pas-
sive se habere illud quod recipit aliud, sed
etiam illud quod illud disponit ad hoc re-
cipiendum . Verbi gratia : Cera quse recipit
figuram, dicitur passive se habere ad figu-
ram, et non solum ipsa cera passive se ha-
bet respectu figurée , sed etiam mollities
disponens ceram ad talem, receptionem,
passive se habet respectu figurae ; licet
enirn mollities non sit in quo recipiatur
figura, sicut in eo quod est ratio recipien-
di, est tamen aliquo modo dispositio ratio
suscipiendi, sic etiam suo modo principium
originans aliquid quodam ordine et quadam
necesL-aria connexione , mediante aliquo
alio, aliquid producit , etiam illud quod
producit respectu illius quod producitur,
se habet active ; sicut clavus infixus trabi,
si semper motus daretur trahi mediante
clavo, quamvis totus motus effective esset
ab homine movente utrumque , scilicet
trabem et clavum, tamen clavus ad motum
se haberet active, respectu trabis, sic suo
modo se habet de subjecto , respectu suse
propriae passionis. Nam subjectum est sicut
clavus, passio sicut trabs , generans sicut
movens utrumque , et dans esse utrique ,
scilicet subjecto et passioni, sicut motus in
clavo et trabe causatur a movente, et sic
salvatur utraque opinio et omne dubium
removetur. Ex dictis ergo possunt patere
duee particulae diffinitionis proprii, scilicet
quod proprium inest omni et semper. Si
enim proprium necessariam et naturalem
connexionem habet ad formam specificam,
ut dictum est, oportet quod inveniatur in
omnibus in quibus est forma specifica, sed
forma specifica invenitur in omnibus indi-
122 OPUSCULE XL VII, CHAPITRE 7.
forme spécifique, mais la forme spécifique se trouve dans tous les in-
dividus de la même espèce; donc le propre convient à tout ce qui est
contenu dans l'espèce , et il se convient toujours, tant qu'il'participe
à la forme spécifique ; ainsi se trouvent établis deux points de la défi-
nition du propre , etc.
CHAPITRE VII.
Le propre est inMrent à la seule espèce , et se dit d'elle réciproquement.
Pour concevoir un autre point de la définition du propre, savoir
comment il convient à une seule espèce, il faut savoir, ainsi que nous
l'avons dit , qu'il y a différents degrés de perfection dans les êtres
qu'Aristote compare aux nombres , dans le livre VIII de la Métaph.
C'est ce qui lui fait dire que les espèces des choses sont comme les
nombres, et en conséquence comme les nombres par rapport à l'u-
nité ont divers degrés formels , comme le degré du quaternaire est
différent de celui du quinaire et ainsi des autres : de même les degrés
formels des espèces des choses sont différents par rapport à tout pre-
mier principe incomposé, et on ne peut pas trouver deux espèces dans
le même degré pas plus que deux nombres d'espèce différente. Donc
dans toute espèce il y a une forme spécifique n'existant en aucune
manière dans le degré d'être ou d'opération de la forme spécifique,
d'une autre espèce. Or, ainsi que nous l'avons dit, le propre , sui-
vant les principes propres de l'espèce , ne peut être que dans
une espèce , c'est pour cela qu'on dit dans la définition qu'il est
inhérent à une seule chose. Mais il faut savoir que le propre pris dans
le sens le plus étroit , bien qu'il ne convienne qu'à une espèce très-
spéciale, néanmoins rien n'empêche, dans un sens plus large, que le
propre convienne aussi à une espèce subalterne , qui peut être un
genre, par exemple. Nous disons, en effet, que le propre du triangle
viduis ejusdem speciei ; ergo proprium
competit omni contento sub specie, et sem-
per sibi convertit , quamdiu formam illam
specificara participait, et sic patent duœ
particulœ diflhiitioms proprii , etc.
CAPUT VII.
Quod proprium inesl soli speciei^ et conver-
tim de ipsa prœdicatur.
Ad videndum autem aliam particulam
diflinitionis proprii, scilicel quomodo con-
venu uni soli speciei , sciendum quod , ut
supra dictum est, diversi sunt gradus per-
fectionis in entibus, quos Philosophus, VIII.
Metuph., comparât numeris. Unde dicit,
quod species rerum sunt sicut nurneri, et
ideo sicut numeri, respectu unitatis ,'di-
versos habent gradus formates, sicut alius
est gradus quateruarii, quam quinarii , et
sic de aliis; ita diversi sunt gradus for-
males specierum rerum per respectum ad
quodcumque primum principium incoin-
positum ; nec est invenire duas species in
eodem gradu, sicut nec duos numéros spe-
cie différentes, in qualibet ergo specie est
una forma specifica , nullo modo existens
in gradu essendi vel operandi forma? spe-
cificae alterius speciei. Cum autem, ut dic-
tum est , proprium sequatur propria prin-
cipia speciei , nec potest esse nisi in una
specie , propter hoc in difhnitione dicitur
quod inest uni. Sciendum est autem, quod
licet proprium stricto modo sumptum, so-
lum conveniat uni speciei specialissimœ,
tamen largo modo nihil prohibet proprium
etiarn convenire speciei subalterna; , quae
videlicet potest esse genus. Dicimus euim
quod proprium trianguli est habere très
SLR LA L0G1QLE D'aRISTOTE. 123
est d'avoir trois angles égaux à deux droits, et cependant le triangle
renferme en soi plusieurs espèces. On comprend par là ce que dit
Porphyre, que le propre convient d'abord à l'espèce et ensuite aux
individus, ce qui est le contraire dans l'accident commun. Car si le
propre regarde les individus, en tant qu'ils participent à la forme spé-
cifique , il se vérifie donc relativement à l'espèce qu'il regarde d'a-
bord antérieurement aux individus, et par conséquent il convient aux
individus parce qu'il convient à l'espèce; l'accident , au contraire, ne
regardant le sujet qu'à raison de l'inhérence, doit, selon les conve-
nances , se manifester dans les individus avant de le faire dans les
secondes substances, comme on le dira plus bas ; donc l'accident con-
vient à l'espèce à raison de l'individu. Ensuite , dans la définition du
propre on met cette particularité, savoir , qu'il se dit de la chose par
mode de conversion. Remarquez bien , comme nous le dirons plus
bas, qu'il y a une certaine différence entre la prédication par soi et la
prédication de prime abord. La prédication par soi s'effectue à l'égard
des choses qui ont une connexion nécessaire avec les SLijets dont elles
sont affirmées, tandisque la prédication première se fait à l'égard des
choses qui sont l'objet de la prédication dont nous avons parlé , et où
le prédicat a la même étendue que le sujet. C'est pourquoi , quoique
risible se dise par soi de Sortes , ce n'est pas néanmoins de prime
abord,* parce que le propre, comme il a été dit, regarde l'espèce avant
l'individu ; et le propre ayant la même étendue que les espèces est dit
s'affirmant d'abord ou par mode de conversion de l'espèce. Il est à
remarquer que, quoique le propre convienne à une espèce, rien n'em-
pêche néanmoins que le propre d'une espèce par participation convienne
à plusieurs autres espèces, comme il est propre au feu d'être chaud,
et néanmoins cette qualité convient à beaucoup d'autres espèces , en
angulos aequales duobus rectis , et tamen
triangulus multas continet sub se species.
Ex dictis patet illud quod dicit Porphyrius,
quod proprium prius convenit speciei et
posterius individuis , quod oppositura au-
tem est de accidente communi. Si enim
proprium respicit individua, in quantum
participant formant specificam , per prius
ergo verificatur de specie , quam primo
respicit, quam de individuis, et per conse-
quens individuis convenit , quia convenit
speciei ; accidens autem cum non respiciat
subjectum, nisi ratione inhaerentiœ, et per
prius convenit substare individuis, quam
secundis substantiis, ut infra dicetur, ac-
cidens ergo convenit speciei ratione indi-
\idui. Deinde in diffinitione proprii po-
nitur ista particula, quod scilicet conver-
sim prœdicatur de re. Uni nota, quod u"t
infra dicetur , differt aliquo modo praedi-
cari per se et preedicari primo. Ea enim
per se praedicantur , quœ necessariam ha-
bent connexionem ad subjecta de quibus
praedicantur, sed ea praedicantur primo,
quae praedicantur dicto modo , et tantum
ambit praedicatum quantum subjectum.
Unde licet risibile per se praedicetur de
Sorte, non tamen primo , quia proprium ,
ut dictum est , per prius respicit speciem
quam individua ; et cum tanti ambitus sit
proprium quanti sunt species, ideo dicitur
praedicari primo, seu conversim de specie.
Notandum quod licet proprium uni speciei
conveniat, tamen nihil prohibet proprium
unius speciei participatione , multis aliis
speciebus convenire , sicut proprium est
igni, quod sit calidus , et tamen multis
aliis speciebus hoc convenit , in quantum
124 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 8.
tant qu'elles tirent du feu la participation à cette qualité. Il faut aussi
savoir , que le propre d'une espèce quelconque se prend quelquefois
sous un seul nom et dans un seul objet signifié , comme risible est le
propre de l'homme; quelquefois, au contraire, sous deux opposés avec
disjonction, comme c'est le propre du nombre d'être pair ou impair,
il en est évidemment de même du propre, etc.
CHAPITRE VIII.
De l'origine de l'accident et exposition de sa cause.
C'est un accident qu'il arrive d'être et de ne pas être dans la même
chose sans la corruption du sujet. Pour l'intelligence de cela il faut
savoir qu'une chose peut dépendre de l'autre de deux manières; la
première c'est d'en dépendre comme d'une chose qui lui est anté-
rieure au moins en nature , et dans ce sens une chose dépend de
l'autre de quatre manières encore , et sous ce rapport il y a quatre
causes. Dans l'homme le corps dépend de l'ame comme de la forme,
et l'ame du corps comme de la matière, et l'homme de Dieu comme
de la cause efficiente, et de la béatitude comme de |a cause finale. Se-
condement, une chose peut dépendre d'une autre comme de ce qui
se rapporte à elle consécutivement, comme le corps dépend de la
figure, et la ligne de la rectitude ou de la courbure. Car on ne peut
pas trouver de corps où il n'y ait pas de figure, ni une ligne où il n'y
ait pas de rectitude ou de courbure, et dans ce sens tout sujet dépend
de sa propre passion. C'est pourquoi quelque dépendance qu'il y ait
dans les choses, soit causale, soit consécutive, et une chose dépend
d'une autre de telle manière que son être ne peut se conserver ni en
acte, ni en aptitude sans une telle chose , il est certain que cette chose
sans cette autre dont elle dépend ainsi ne peut être conçue existante;.
hoc participant ab igné. Sciendum est
etiam quod proprium alicujus speciei ali-
quando sumitur sub uno nomine et in uno
significato, ut risibile est proprium homi-
nis. Aliquando vero sub duobus oppositis
cura disjunctione, ut proprium est numeri,
quod sit par vel impar , et sic patet de
proprio, etc.
CAPUT VIII.
De origine accidenlis , et dictione ipsius.
Accidentis vero est , quod contingit ei-
dem inesse et non inesse praeter subjecti
corruptionem. Ad quod intelligendum ,
sciendum est , quod unum potest depen-
dere ab alio dupliciter. Uno modo , sicut
ab eo quod est prias eo ad minus natura
et isto modo una res dependet ab alia
quatuor modis , secundum quod quatuor
surit causée. Dependet enim in homine
corpus ab anima sicut a forma, et anima a
corpore sicut a materia , et homo a Deo
sicut a causa efficiente , et a beatitudine
sicut a causa finali. Alio modo potest esse
dependentia alicujus rei ab alia sicut ab
eo, quod se habet ad ipsam consécutive.
Sicut corpus dependet a figura, et linea a
rectitudine vel curvitate. Non enim potest
inveniri corpus , in quo non sit figura vel
linea in qua non sit rectitudo vel curvitas,
et isto modo dependet omne subjectum a
propria passione. Unde quêecumque de-
pendentia sit in rébus , sive causalis , sive
consecutiva, et una res ita dependet ab al-
téra, quod esse suum nec actu nec aptitu-
dine sine tali re possit conservari , certum
est quod illa sine illa a qua sic dependet,
non potest intelligi esse ; non enim posset
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 125
car on ne pourroit pas concevoir que la matière existât sans la forme.
Il faut remarquer à ce sujet qu'il peut arriver de deux manières que
l'on conçoit une chose sans une autre ; premièrement, dans la première
opération de l'intellect dans laquelle l'intellect conçoit l'objet signifié
du terme; secondement, dans la seconde opération de l'intellect dans
laquelle il conçoit en composant ou en divisant par l'être et par le non-
être, comme lorsque je conçois que pierre est ou n'est pas blanc. Or,
dans la première intellection je puis concevoir un corps sans figure,
et tout sujet sans sa passion propre, car la figure n'est pas de l'essence
du corps, puisque le corps est dans le genre de la quantité, et la
figure dans le genre de la qualité ; c'est pourquoi l'intellect peut con-
cevoir un corps sans concevoir la figure. Il ne pourroit pas néanmoins
concevoir un corps de cette manière sans concevoir le continu, parce
que le continu est de l'essence du corps. Mais dans la seconde opéra-
tion de l'intellect je ne puis pas concevoir qu'un corps soit sans figure,
parce qu'un corps ne peut jamais être sans figure, ni un sujet sans sa
passion propre, comme il a été dit. Or, le sujet n'a pas une pareille
dépendance de l'accident commun ; car il ne suit pas nécessairement
le sujet comme la figure suit les principes essentiels du corps, car s'il
est corps il a nécessairement une position des parties dans le tout ,
comme on le dira plus loin , parce que la position est la différence de
la quantité. Or, celle-ci entraîne nécessairement la figure, ce qui n'ar-
rive pas à l'égard de l'accident commun , par rapport à son objet.
Donc le sujet peut être conçu sans concevoir l'accident commun , et il
peut être conçu existant sans concevoir l'accident commun. Mais il ne
peut pas être conçu existant sans l'accident propre, puisqu'il ne peut
exister sans l'accident propre , car si on enlève la figure il n'y a plus
de situation de parties, et par conséquent plus de corps; donc il ne
intelligi materia esse sine forma. Ubi nota,
quod intelligere aliqûam rem sine alia po-
test dupliciter contingere. Uno modo in
prima operatione intellectus, in qua scilicet
intellectus intelligit solum signiiicatum
termini. Alio modo in secunda operatione
intellectus , in qua intelligit componendo
vel dividendo per esse vel non per esse, si-
cut cum intelligo Petrum esse vel non esse
album. In prima autem intellectione pos-
suni intelligere corpus sine figura, et omne
subjectum sine propria passione ; non enim
figura est de essentia corporis, cum corpus
sit in génère quantitatis , figura vero in
génère qualitatis ; et ideo intellectus po-
test intelligere corpus., non intellecta fi-
gura. Non tamen posset intelligere corpus
isto modo non intellecto continuo , quia
continuum est de essentia corporis ; in se-
cunda vero operatione intellectus, non pos-
sum intelligere corpus esse sine figura,
quia corpus nunquam potest esse sine fi-
gura, nec subjectum sine propria passione,
ut dictum est. Cum autem subjectum non
habeat talem dependentiam ab accidente
communi ; non enim necessario sequitur
subjectum, sicut figura sequitur principia
essentialia corporis, nam si corpus est, ne-
cessario habet positionem partium in toto,
ut infra dicetur . quia positio est diffe-
rentia quantitatis ; ad hanc autem neces-
sario sequitur figura , quod non contingit
de accidente communi, respectu sui ob-
jecti. Ergo subjectum potest intelligi non
intellecto accidente communi, et potest in-
tellligi esse non intellecto accidente com-
muni. Sine accidente vero proprio , non
potest intelligi esse , cum sine accidente
proprio esse non possit; nam ablata figura,
non erit situatio partium , et per conse-
126 OPUSCULE XLVII, CHAPITRE 8.
pourra donc pas être conçu sans lui existant. Donc l'accident peut s'y
trouver et ne pas s'y trouver en dehors de la corruption du sujet,
parce que l'être du sujet ne dépend pas en quelque manière de son
être ainsi qu'il a été dit. Ainsi se trouve expliquée la susdite descrip-
tion du sujet. Il faut néanmoins savoir qu'il peut se trouver quelque
accident commun qui est dans un tel rapport avec ce sujet singulier
qu'il provient de ses principes essentiels , comme , par exemple , la
noirceur du corbeau , qui est nécessairement produite par cette ma-
tière caractérisée du corbeau. En parlant donc d'un semblable acci-
dent, je dis que l'on ne pourroit pas concevoir que ce sujet existât
sans lui, et c'est ce qu'on appelé un accident inséparable qui est au
principe singulier comme l'aecident propre au principe de l'espèce.
Et comme la matière caractérisée est en dehors de l'intellect de l'es-
pèce, car cela est de l'intellect de l'homme qu'il a l'humanité, et pas
davantage. Mais qu'une pareille chose soit telle ou telle chose carac-
térisée, cela n'est pas de l'intellect explicite de l'homme , comme les
différences sont en dehors de l'intellect du genre, ainsi qu'il a été dit
plus haut , c'est pour cela qu'on peut concevoir que le corbeau ou
l'espèce du corbeau soit sans noirceur , et même avec la blancheur;
c'est pourquoi l'accident inséparable est classé avec l'accident com-
mun et non avec le propre, quoique dans un sens il convienne à l'un
et à l'autre, comme nous l'avons dit. Ainsi donc il y a des accidents
inséparables et des accidents séparables. A l'accident inséparable
convient la susdite définition de l'accident, savoir que le sujet peut
être conçu existant sans lui, s'il est pris pour l'espèce, et non pour le
singulier. Or, il faut savoir que quoique le sujet puisse être séparé
d'un autre accident, comme il a été dit, l'accident néanmoins ne peut
pas être séparé du sujet en acte ou en aptitude, je dis en aptitude, car
quens non erit corpus. Ergo non poterit
intelligi esse sine eo. Potest ergo accidens
inesse et non inesse praeter subjecti cor-
ruptionem , cura esse subjecti non depen-
deat aliquo modo ab esse suo, ut dictum
est; et sic patet prœdicta descriptio acci-
dentis. Sciendum tamen est , quod aliquod
accidens commune potest inveniri , quod
respectu hujus subjecti siugularis ita se
habet, quod causatur ex principiis essentia-
libus ejus, puta nigredo corvi, quae cau-
satur ab hac, sive ex hac materia signata
corvi necessario. Loquendo igitur de tali
accidente , dico , quod non posset intelligi
hoc subjectum esse sine eo, et hoc dicitur
accidens inseparabile, quod ita se habet ad
principium singulare , sicut accidens pro-
prium ad principium speciei. Et quia ma-
teria signata est extra intellectum speciei
(de intellectu enim hominis est habens hu-
manitatem, et non plus. Utrum autein taie
habens sit hoc signatum vel illud, non est
de intellectu explicito hominis, sicut diffe-
rentiae sunt extra intellectum generis , ut
supra dictum est , ideo potest intelligi
corvus sive species corvi esse sine nigre-
dine vel etiam cum albedine , et propter
hoc accidens inseparabile collocatur cum
accidente communi et non cum proprio,
licet aliquo modo conveniat cum utroque,
ut dictum est. Sic ergo accidens quoddam
est inseparabile et quoddam est separabile.
Accidenti inseparabili convenit praxlicia
dillinitio accidentis, scilicet quod subjec-
tum potest intelligi esse sine eo , si suma-
tur subjectum pro specie et non pro sta-
gulari. Sciendum est autem , quod licet
subjectum possit separari ab alio accidente,
ut dictum est , non tamen accidens potest
separari a subjecto actu vel aptitudine, et
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 127
quoique Dieu puisse séparer un accident du sujet , comme on l'en-
seigne communément des accidents de l'hostie consacrée, il est néan-
moins impossible que ces accidents n'aient pas une aptitude au sujet.
Car ce qui appartient à la raison propre d'une chose ne peut pas en être
séparé, mais être en acte ou en aptitude dans le sujet, est de la raison
propre de l'accident, car l'être de l'accident est Y inêtre, donc il ne
peut pas en être séparé. Tout cela peut recevoir un nouveau jour de
cequi a été dit relativement à l'espèce. En effet, les accidents et toutes
les formes substantielles n'étant pas un acte pur, lequel de soi n'est
pas plurificable , s'ils sont plurifiés numériquement , c'est à raison
de la potentialité qu'ils possèdent essentiellement de manière à
être une partie réelle d'un composé substantiel ou accidentel. D'où il
résulte que , comme la matière et la forme sont des parties substan-
tielles de la chose , de même les accidents sont des parties acciden-
telles de la chose, comme la blancheur qui est une partie de ce com-
posé qui est un homme blanc. Or, tous les accidents étant tels, il faut
nécessairement qu'ils adhèrent au sujet en acte ou en aptitude. Voilà
ce qui concerne l'accident et les cinq prédicables, etc.
Fin du premier traité des cinq universaux relativement à la chose
et à V intention logique.
dico aptitudine. Nam licet Deus possit ali-
quod accidens separare a subjecto, ut com-
muniter tenetur de accidentibus hostiae
consecratse, tamen quod illa accidentia non
habeant aptitudinera ad subjectum , hoc
est impossibile. Quod enim est de ratione
propria alicujus, ab eo separari non potest,
sed inesse actu vel aptitudine subjecto est
de ratione propria accidentis, quia acci-
dentis esse est inesse. Ergo ab eo separari
non potest. Hoc autem potest patere ex his
quae supra dicta sunt de specie. Cum enim
accidentia et omnes forma; substantiales
non sint actus purus , qui de se plurifica-
bilis non est, si ipsa plurificentur numéro,
hoc est propter potentialitatem quam ha-
bent essentialiter, ut scilicet sint pars rea-
lis alicujus compositi sive substantialis sive
accidentalis. Unde sicut materia et forma
sunt partes rei substantiales, ita accidentia
sunt partes rei accidentales , sicut albedo,
quae est pars hujus compositi, quod est
homo albus ; cum autem omnia accidentia
sint talia. Ergo necessario oportet quod
insint subjecto actu vel aptitudine ; et sic
patet de accidente et de quinque praedica-
bilibus, etc.
Explicit Tractatus primus de quinque
universalibus secundum rem et secundum
intentionem logicam.
128
OPUSCULE XLVI1, TRAITÉ 2, CHAPITRE i
TKAITE II.
Dl! MÊME DOCTEUR, DES PRÉDJCAMEXTS.
CHAPITRE PREMIER.
Des divers modes de prédication.
Nous allons nous occuper maintenant des prédicaments ; comme le
prédicament s'entend de quelques prédicables disposés dans un ordre
prédicamentel, il faut examiner de combien de manières s'opère la
prédication. Notez qu'une chose se dit d'une autre de trois façons,
univoquement , équivoquement et dénominativement. On dit que la
prédication se fait d'une manière univoque pour les choses qui con-
viennent à celles dont elles se disent non-seulement quant au nom ,
mais encore quant à la raison des essences; et j'appelle ici raison ce
qui est dit par la définition ou est signifié par elle , ou par quelque
chose pris à la place de la définition , comme animal se dit de l'homme
et du bœuf. D'où il résulte que non-seulement ce mot animal convient
à l'homme et au bœuf , mais encore sa définition essentielle , qui est
corps animé sensible. En effet , non-seulement il est vrai de dire que
l'homme est animal , mais encore que l'homme est un corps animé ,
sensible , et il en est de même du bœuf. On dit , au contraire, que la
prédication se fait d'une manière équivoque pour les choses qui se
disent de plusieurs , quant au même mot , mais non cependant sous
la même raison, et de cette manière le chien se dit de celui qui aboie
et de celui qui est. marin. Quoique, en effet, le chien se dise de l'un
et de l'autre sous le rapport du même mot, c'est néanmoins pour une
raison qu'il convient au chien aboyant et au marin. Car la raison du
TRACTATHS II.
Ejlsdem doctoris, de PR^DICAMEXTIS.
CAPUT PRIMUM.
De diversis modis prœdicandi.
Nunc dicendura est de praedicamentis :
quia praedieamentum dicit quaedam prae-
dicabilia ordinata in ordine praedicamen-
tali , videndum est quot modis fit praedi-
catio. Ubi nota quod aliquid de aliquo
dicitur praedicari tripliciter, id est uni voce,
aequivoce et denominative. Univoce dicun-
tur praedicari, quae non solum con veniunt his
de quibus praedicantur quantum ad nomen,
sed etiam quantum ad rationem essentia-
rum ; et dico hic rationem illud quod per
difiinitionem dicitur, seu signifkatur, vel
per aliquid quod sumatur loco diflfinitionis,
sicut animal praedicatur de homine et de
bove. (Jnde non solum hoc nomen animal
convenit homini et bovi, sed etiam difli-
nitio ejus essentialis, quae est corpus ani-
matum sensibile. Non solum enim vere
dicimus quod homo est animal , sed etiam
quod homo est corpus animatum sensibile,
et similiter est de bove. ^Equivoce vero
dicuntur prœdicari, quae de pluribus prœ-
dicantur secundum idem nomen, non ta-
men secundum eamdem rationem , et isto
modo praedicatur canis de latrabili et de
raarino. Licet enim secundum idem nomen
canis de utroque praedicetur, tamen alia
ratione convenit cani latrabili, quam ma-
rino. Ratio enim latrabilis est, quod est
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 129
chien aboyant, qui est d'être un animal à quatre pieds marchant,
ne convient pas au marin. Or, il est bon de savoir que les analogues
sont compris sous la désignation des équivoques. Effectivement les
analogues se disent de plusieurs , en tant qu'ils se rapportent à un ,
comme sain se dit de l'animal primairement et proprement. Car le
sain est adéquate dans les humeurs, ce qui ne peut être que dans l'a-
nimal. Sain se dit néanmoins de l'urine et de la médecine. Nous
disons effectivement , cette urine est saine , parce qu'elle est le signe
de la sanité qui est dans l'animal; on dit aussi, cette médecine est
saine, parce qu'elle est la cause de la santé qui est dans l'animal. D'où
il suit que, bien que ce mot sain se dise de l'animal et de l'urine,
néanmoins la raison de sain ne peut se dire de l'urine. Car l'urine
n'est pas adéquate dans les humeurs, mais elle est un signe de cette
adéquation , et de cette manière la prédication analogue s'accorde
avec l'équivoque , comme on l'a dit , en quelque façon , et de même
avec l'univoque. En effet , quoique sain, qui se dit de l'urine , n'ex-
prime pas sa raison suivant l'adéquation des humeurs dans l'urine,
il n'en exprime pas cependant une autre , mais il exprime la même
adéquation des humeurs dont l'urine est le signe. On dit enfin que la
prédication s'opère dénominativement pour les choses qui sont con-
crètes adjectivement, et reçoivent leur dénomination de certains
accidents abstraits ou en dérivent , comme blanc se dit dénominati-
vement de l'homme et du cheval ; parce que blanc dérive de cette
chose abstraite, qui est la blancheur, laquelle est dans l'homme , et
qui, prise ainsi abstractivement, ne pourroitpas se dire de l'homme.
Car, ainsi que nous l'avons dit , nulle partie ne peut se dire du tout.
Et la blancheur est une certaine partie accidentelle de l'homme blanc
qui, pour cette raison , ne pourroit se dire de lui. Or elle devient con-
animal gressibile quadrupes, quœ non con- j cum univoca. Licet enim sanum , quod de
venit marino. Sciendum est autem quod ; urina dicitur, non dicat suam rationem,
sub sequivocis comprehenduntur analoga. scilicet adœquationem humorum in urina,
Praedicantur enim analoga de pluribus, in ; non tamen dicit aliam rationem, sed eam-
quantum dicuntur ad unum, ut sanum di- j dem adaequationem humorum dicit, cujus
citur de animali primo et proprie. Est enim ; urina est signum. Denominative vero di-
sanum adasquatum in humoribus, quod \ cuntur praedicari, qua? concreta sunt adjec-
tive, et ab aliquibus accidentibus abstractis
denominantur , seu derivantur, ut album
de homine prœdicatur, et de equo deno-
minative : quia album derivatur ab hoc
abstracto , quœ est albedo quae est in ho-
mine , quse sic in abstracto sumpta de ho-
mine praedicari non posset. Nulla enim pars,
ut supra dictum est, potest de toto prœdi-
cari. Albedo enim est quaedam pars acci-
dentalis hominis albi, et sic de eo pnedieari
non posset. Concernitur autem, et dicitur
album , quod idem est quod habens albe-
non potest esse nisi in animali. Dicitur ta-
men sanum de urina et medicina. Nam
dicimus , haec urina est sana , quia est si-
gnum sani quod est in animali ; et haec
medicina est sana, quia est causa sani quod
est in animali. Unde licet hoc nomen sanum
de animali et de urina dicatur, tamen ratio
sani non potest dici de urina. Non enim
urina est adeequata in humoribus, sed est
signum talis adaequationis, et sic prœdica-
tio analoga aliquo modo convenit cum
aequivoca, ut dictum est, et aliquo modo
] 30 OPUSCULE XLVII , TRAITÉ 2 , CHAPITRE 1 .
crête , et elle est appelée blanc , ce qui est la même chose qu'ayant la
blancheur, et ainsi elle peut se dire de l'homme. Pour concevoir les
prédicaments , il faut savoir que le prédicament , ou le genre le plus
général , peut se prendre de deux manières. La première pour l'in-
tention prédicamen telle elle-même ou d'universalité; la seconde,
pour la chose elle-même sur laquelle une telle intention se fonde ,
comme il a été dit. Dans le premier cas, le prédicament est un être
de raison ; dans le second , c'est un être réel. Or, pour mieux com-
prendre cela , il est bon de savoir que l'être , dans la plus grande
universalité, se divise en métaphysique, en être par accident, et
en être par soi. L'être par accident se divise d'autant de manières
qu'une chose se dit d'une autre par accident, comme nous avons
dit plus haut. L'être par soi se divise aussi , parce qu'il y a quelque
chose dans l'ame et hors de l'ame. Pour savoir ce que c'est que
l'être dans l'ame , il faut remarquer qu'une chose peut être dans
l'ame de trois manières; la première effectivement, comme nous
disons que l'édifice est dans l'esprit de l'architecte avant qu'il soit
fait; la seconde subjectivement, comme nous disons que la science
est dans l'ame , ou l'acte de l'intellection, ou le verbe qui sont dans
l'ame, comme l'accident dans le sujet. Troisièmement , on dit qu'une
chose est objectivement dans l'ame, comme le bois, objet de l'in-
tellect, est dit être dans l'ame objectivement. Dans les deux premiers
cas, l'être dans l'ame est un être réel , et je dis réel non en tant que
le mot res vient de reor, reris , mais bien de ratits , rata , ratum ,
c'est-à-dire positif. Dans l'être pris de la troisième manière , c'est-
à-dire comme étant objectivement dans l'ame , nous pouvons consi-
dérer deux choses, savoir, ce qui est objectivement dans l'iniellect ,
comme le bois , et cela est encore une chose , ou ce qui convient seu-
lement au bois, comme étant objectivement dans l'intellect, et ne
dinem, et taie potest de homine preedicari. i quid sit ens in anima, nota quod tripliciter
Ad videndum praedicamenta, sciendum est I aliquid potest esse in anima. Uno modo
quod pra:dicamentum, seu genus gênera- i effective, sicut dicimus quod arca est in
lissimum dupliciter potest accipi. Uno modo, mente artificis antequam fiât. Alio modo
pro ipsa intentione prœdicamentali , seu l subjective, sicut dicimus quod scientia est
universalitatis. Alio modo, pro ipsa re, in j in anima, vel actus intelligendi , vel ver-
qua talis intentio fundatur , ut dictum est.
Primo modo , prœdicamentum est ens ra-
tionis ; secundo modo , est ens reale. Ad
majorem autem notificationem horum
sciendum est, quod ens in sua maxima
universalitate dividitur, V. Jdetaphys., m
ens per accidens, et in ens per se. Eus au-
tem per accidens tôt modis dividitur, quot
modis aliquid preedicatur per accidens, de
quibus supra dictum est. Ens per se divi-
ditur. quia quoddam est in anima, et quod-
dam extra animam. Ad sciendum autem
bum, quœ sunt in anima sicut accidens in
subjecto. Tertio modo aliquid dicitur esse
in anima objective , sicut lignum intellec-
tus dicitur esse in anima objective. Duobus
primis modis ens in anima est ens reale ;
et dico reale, non ut hoc nomen res dicitur
a reor reris, sed ut dicitur a ratus rata
ratum, id est firmum. Tertio modo sumpto
ente, scilicet ut est objective in anima, in
eo possumus duo considerare , scilicet id
quod est objective in intellectu, puta li-
gnum, et istud adhuc est res; vel illud
SUR LA LOGIQUE d'aMSTOTE. 131
lui convient pas suivant l'être réel, savoir l'être abstrait de tel ou
tel bois, et , dans ce cas, l'être dans l'ame n'est pas une chose, mais
une intention à laquelle, en dehors de l'ame , rien ne correspond -, si
ce n'est pour le fondement éloigné, et c'est ainsi que l'être est attribué
au non-être. Car nous disons que la cécité est dans l'œil. Or la cécité
étant un non-être, comment a-t-elle l'être qui nous fait dire, c'est la
cécité ? Il est certain que ce n'est que l'être d'intention qui n'a rien à
faire avec l'être réel , mais est en opposition manifeste avec lui. Et si
on demande où se trouve subjectivement un tel être, on répond qu'il
n'est nulle part. Si, en effet, il étoit en quelque chose subjectivement,
ce seroit un accident , et par conséquent un être réel , mais il n'a
l'être qu'objectivement. L'être réel se divise en dix prédicaments ,
qui sont les dix genres des choses. Et comme une chose est le fonde-
ment éloigné de l'intention , les prédicaments peuvent néanmoins
être pris de deux manières , suivant cette double division. Mais pour
bien connoître les prédicaments, il faut diviser l'être réel. Il faut
observer ici que, quoique l'être ne puisse pas être genre, parce qu'il
ne se trouve pas de différence contractive , il est néanmoins contracté
par les modes d'être. Or, le mode d'être d'une chose peut se prendre
de deux manières. Premièrement , en tant qu'il est la propriété réelle
de quelque chose différente de lui, comme nous disons de quelqu'un,
cet homme a un bon caractère, parce qu'il est doux et conciliant. Or,
il est constant que la douceur et la concorde , que nous appelons des
modes, sont des choses différentes de celui auquel elles appartiennent.
Secondement, le mode est dit la chose conçue, en tant qu'elle est
conçue sous un rapport relativement à elle-même, et dans un autre
sens que les divers modes à considérer ne se prennent pas dans les
modifications diverses qui se trouvent dans une chose , mais de l'ha-
quod convenit ligno solum, ut est objective
in iutellectu, et non convenit sibi secun-
dum esse reale, scilicet esse abstractum ab
hoc ligno et ab illo , et hoc modo ens in
anima non est res , sed intentio ; cui ei
nihil extra auiniam respondet nisi pro fun-
damento remoto, et sic attribuitur esse
non enti. Dicimus enim quod caecitas est
in oculo. Cum autem ceecitas sit non ens,
quomodo ergo habet esse, quia dicimus
cœcitas est? certe solum esse intentionis,
quod nihil habet facere cum ente reali,
sed opposito ab eo dividitur. Et si quaera-
tur de tali ente ubi sit subjective , dicitur
quod est nusquam. Si enim esset in aliquo
subjective, esset accidens, et per consequens
ens reale , sed solum habet esse objective.
Ens autem reale dividitur in decem prae-
dicamenta, quee sunt decem gênera rerum.
Et quia res est fundamentum intentionis
remotum, tamen secundum istam duplicem
divisionem possunt dupliciter accipi pree-
dicamenta. Ad sciendum autem prœdica-
menta, oportet dividere ens reale. Ubi nota
quod licet ens non possit esse genus, quia
non invenitur difïerentia contrahens, illud
tamen contrahitur per modos essendi.
Modus autem essendi alicujus rei potest
accipi dupliciter. Uno modo, ut est pro-
prietas realis alicujus realiter differens ab
eo, sicut dicimus de aliquo : Iste habet
bonum modum, quia est mansuetus vel
concors. Constat autem quod mansuetudo
et concordia, quas diximus modos, res sunt
différentes ab eo cujus sunt. Secundo modo
dicitur modus res concepta : uno modo
respectu sui ipsius, ut est concepta; alio
modo, qui quidem diversi modi conside-
132 OPUSCULE XLVH, TRAITÉ 1, CHAPITRE 1.
bitude à diverses choses sous laquelle la chose est comprise. Par
exemple la substance, en tant qu'elle est le sujet des accidents, est
signifiée par le mode de substance , parce que substance vient de
substare; mais en tant qu'elle ne dépend de rien d'antécédent sur quoi
elle s'appuie, elle se comprend comme un être par soi , et ces modes
sont ce qu'est la substance ne différant que parla seule raison de l'ame
qui la conçoit suivant les diverses habitudes ; cette raison n'est pas
fictive , mais elle est prise de la chose, car elle est ainsi dans la chose.
La substance , en effet , est supposée aux accidents et ne s'appuie sur
aucun , néanmoins ce ne sont pas deux choses distinctes, il n'y a qu'une
distinction de raison. C'est ce qui fait que ces modes sont un être
réel , savoir la substance , laquelle est supposée aux accidents sans
s'appuyer sur aucun, la distinction néanmoins est toute de raison.
D'un autre côté , l'être se contracte par les modes , non que le mode
soit quelque différence qui le contracte , mais parce que dans l'être
réel , pris communément , se trouvent quelques êtres ayant entre eux
divers modes d'être auxquels ne répond pas une seule et même chose,
si ce n'est peut-être l'être en général. Or, les premiers modes par les-
quels l'être est contracté sont, être par soi et être dans un autre. Etre
par soi est le mode de prédicament de la substance , et être dans un
autre est le mode des neuf autres prédicaments. L'être se contracte
encore d'une autre manière par deux modes , dont l'un est d'être
pour être , et ce mode comprend les trois prédicaments absolus ,
savoir la substance , la quantité et la qualité. Le second est d'être
pour autre chose, et ce mode comprend les sept prédicaments respec-
tifs, savoir, la relation, l'action, la passion, l'époque, le lieu, la
situation et la possession, toutes choses dont nous déterminerons
plus bas les différences. Or, il faut observer que la division de l'être
randi non sumuntur ex diversis in re exis-
tentibus, sed ex habitudine ad diversa,
sub qua habitudine res intelligitur. Verbi
gratia , substantia secundum quod est sub-
jectum accidentium , signilicatur per mo-
dum substantiae, quia substantia dicitur a
substando; secundum autera quod a nullo
priori dependet cui innitatur, significatur
ut ens per se ; et isti modi sunt idipsum
quod substantia, différentes sola ratione
animae concipientis ipsara secundum diver-
sas habitudines; quae ratio non est ficta,
sed accipitur a re, ita enim in re est. Nam
et substantia substat accidentibus, et nulli
innititur; tamen ista? non sunt duae res
distinctae , sed distinctio inter ista solum
est ex ratione. Unde taies modi sunt ens
reale, scilicet substantia, quae et substat
accidentibus , et nulli innititur, distinctio
tamen totum est a ratione.* Gontrahitur
autem ens per modos, non quod modus sit
aliqua differentia contrahens ipsum, sed
quia in ente reali communiter sumpto in-
veniuntur aliqua entia habentia inter se
diversos modos essendi , quibus non res-
pondet una et eadem res, nisi forte ipsum
ens in universali. Primi autem modi quibus
contrahitur ens, sunt esse per se, et esse in
alio. Esse autem per se est modus praedi-
camenti substantia; ; esse vero in alio est
modus aliorum novem praedicamentorum.
Alio modo adhuc contrahitur ens per duos
modos , quorum unus est esse ad esse ; et
iste modus comprehendit tria praedicamenta
absoluta, scilicet substantiam, quantitatem
et qua'.itatem. Secundus est esse ad aliud,
et iste modus comprehendit septem praedi-
camenta respectiva, scilicet relationem,
actionem, passionem, quando, ubi, situm
et habere : quae omnia qualiter inter se
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 133
en dix prédicaments n'est pas une division d'univoque , mais d'ana-
logie. En effet, l'être se dit analogiquement de ceux-ci, car il se dit
per prius de la substance qui sauvegarde surtout sa réalité , tandis
qu'il ne se dit des autres qu'en tant qu'ils sont quelque chose de la
substance même ; la quantité est effectivement la matière étendue ou
l'extension de la substance, et la qualité en est l'affection, c'est-à-dire
la disposition, et ainsi des autres. C'est pourquoi l'être se dit d'eux ,
comme sain se dit de l'animal , de l'urine , de la médecine. L'être se
divise donc en dix prédicaments , qui sont la substance , la quantité ,
la qualité, la relation, l'action, la passion, l'époque, le lieu, la
situation et l'habitude , dont nous allons parler succinctement. Nous
commencerons par la substance.
, CHAPITRE II.
Ce que c'est que la substance suivant l'intention logique.
La substance est un être existant par soi. Pour concevoir ce qu'il
y a de spécial dans cette définition, il est bon de savoir que, malgré
tout ce qui a été dit de l'être, c'est néanmoins ce qui se présente tout
d'abord à notre intelligence. Car nous sommes raisonnables, c'est-
à-dire discoureurs, et c'est presque toujours par le mode discursif
que se forment les conceptions dans notre intellect. Ce sont d'abord
des choses confuses qui se présentent à notre intelligence. En effet,
nous sommes conduits de la puissance à l'acte par un moyen , c'est-
à-dire par un acte imparfait , par lequel l'intellect ne conçoit pas une
chose déterminée et se détermine en discourant à la perfection,
comme il est possible qu'une chose soit comprise ; Aristote tire à ce
sujet un exemple des choses sensibles dans le livre I de la Phys. En
différant, dicetur infra. Notandum est au-
tem quod divisio entis in decem praedica-
menta non est divisio univoci, sed analogi.
Ens enim analogice dicitur de eis, per prius
enim dicitur de substantia in qua maxime
salvatur sua realitas ; de ahis vero dicitur
in quantum sunt aliquid ipsius substantiae.
Quantitas enim est materia extensa, vel
extensio substantiae. Qualitas vero est ejus
affectio, id est dispositio, et sic de aliis.
Unde de eis prœdicatur ens, sicut sanum
praedicatur de animali urina et medicina.
Dividitur ergo ens in decem praedicamenta,
quœ sunt substantia, quantitas, qualitas,
relatio, actio, passio, quando, ubi, si tus
et habere seu habitus, de quibus sigillatim
dicendum est, et primo de substantia.
CAPUT II.
Quid sil substantia secundum inlenlionem
logicam.
Est autem substantia ens perse existens.
Ad videndum particulam hujus descrip-
tionis, sciendum quod licet de ente plura
dicta sint, tamen ens est quod primo oc-
currit nos*tro intellectui. Nos enim sumus
rationales, id est discursivi ; quicquid enim
intelligimus , fere eu m discursu intelligi-
mus. Occurrunt autem intellectui noslro
primo magis confusa. De potentia enim
reducimur ad actum per médium, scilicet
per actum imperfectum , quo intellectus
non intelligit determinatam rem , et dis-
currendo déterminât se ad perfectionem
sicut possibile est intelligi rem , ut ponit
Philosophus, I. Physic, exemplum in sen-
134 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 2, CHAPITRE 2.
apercevant quelque chose à une grande distance , je reconnois d'a-
bord que c'est un corps , ensuite , en approchant je vois que c'est
autre chose , je reconnois plus tard que c'est un homme , enfin que
c'est Pierre. 'C'est ainsi que discourt notre intellect dans l'opération
intellective. D'abord il conçoit que la chose est un être, ensuite
qu'elle «st une substance , plus tard qu'elle est un corps , et ainsi jus-
qu'à l'espèce la plus spéciale ; mais ce qui est conçu le plus confusé-
ment, c'est l'être. Donc l'être est ce qui s'offre de prime-abord à notre
intelligence. Et l'on voit ainsi de quelle manière se prend l'être dans
la définition susdite de la substance. Mais comme on a dit que la sub-
stance est un être par soi , il faut observer qu'elle se divise au con-
traire par accident , comme nous disons que l'homme est animal par
.soi ; or il est blanc par accident, et de cette matière il est pris présen-
tement par soi; car la quantité et la qualité ne sont pas des êtres par
accident , mais par soi , comme il a été dit , parce que l'être par soi
se divise en dix prédicaments , l'être par soi se divise d'une autre
manière par opposition à l'être dans un autre. Ce n'est que de cette
seconde manière que l'être par soi convient à la substance , et c'est
là son mode propre. Encore on peut dire que la substance est un être
existant par soi , parce qu'il lui convient proprement d'exister, tandis
qu'il convient aux autres accidents d'exister par elle. Comme le
feu est chaud par soi, parce que toutes choses deviennent chaudes
par lui , car sa propriété est d'être chaud. Mais il faut savoir que la
substance se divise en matière, forme et composé. On ne dit pas pro-
prement de la matière qu'elle est par elle-même , puisqu'elle n'a l'être
que par la forme. De même on ne dit pas de la forme qu'elle est par
soi , puisqu'elle n'a l'être que dans la matière. On dit au contraire du
composé qu'il est par soi , je dis le composé avec toutes ses parties ,
sibilibus. Videndo enim in magna distantia
aliquid, primo percipio quod sit corpus,
deinde accedendo video quod sit aliud,
deinde cognosco quod sit homo, deinde
quod sit Petrus. Sic intelligendo discurrit
intellectus noster. Primo enim de re con-
cipit quod sit ens, deinde quod sit substan-
tia, deinde quod sit corpus, et sic usque ad
speciem specialissimam. Gonfusius autem
quod intelligipotest, est ens. Ens ergo est
illud quod primo occurrit intellectui nostro.
Et sic patet qualiter in praedicta notifica-
tione substantiae sumitur ens. Sed quia'
dictum est quod substantia est ens per se,
notandum quod per se dividitur contra per
accidens, sicut dicimus quod homo est
animal per se , est autem al bus per acci-
dens, et hoc modo nunc sumitur hic per
s?. Nam quantitas et qualitas non sunt
entia per accidens, sed per se, ut dictum
est, quia ens per se dividitur in decem
prsedicamenta. Alio modo esse per se divi-
ditur contra esse in alio. Secundo modo
solum substantiae convenit esse perse, et
iste est modus proprius ejus. Vel potest
dici quod substantia est ens per se existens,
eo quod sibi proprie convenit existere ; aliis
vero accidentibus convenit existere per eam.
Sicut ignis per se est calidus, quia oninia
sunt calida per eum, est enim ejus pro-
prietas esse calidum. Sciendum tamen est
quod substantia dividitur in mateiïam ,
formam et compositum. Materia enim non
dicitur proprie esse per se, cum non habeat
esse nisi per formam. Similiter etiam
forma non dicitur esse per se, cum solum
habeat esse in materia. Compositum autem
proprie dicitur esse per se, et dico compo-
situm, scilicet integratum ex suis partibus;
licet enim partes intégrales sint composites,
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. . 135
car, quoique les parties intégrales soient composées, on ne dit pas
néanmoins qu'elles sont par soi. Le composé est directement dans le
prédicament , comme le dit Boëce dans le commentaire des prédica-
ments , malgré même qu'on puisse dire que la forme , la matière et
les parties intégrales sont par soi , parce qu'elles ne sont pas dans un
autre , comme l'accident dans un sujet. Il faut observer que quoique
on décrive ici la substance composée , la substance peut cependant
être composée de deux manières , savoir, la nature et le suppôt. Or,
j'appelle cela nature, comme l'humanité, quant au suppôt, je ne le
prends pas ici pour le singulier dans le genre de la substance , mais
pour le concret de la nature, comme est l'homme. L'humanité,
quoiqu'elle soit appelée forme, est cependant composée de matière et
de forme , comme il a été dit plus haut; car l'humanité dit corps et
ame. Cependant l'humanité ou une nature quelconque dit forme sub-
stantielle et matière , de sorte que , relativement à l'objet principal
qu'elle signifie, elle écarte toute autre chose de la forme susdite et de
la matière ; mais il n'en est pas de même du suppôt qui est homme.
L'homme , en effet , relativement à l'objet principal qu'il signifie , dit
ayant l'humanité, ou ayant une telle forme et une telle matière que
signifie l'humanité. Et comme ce qui a l'humanité peut être un suppôt
non humain, comme on le voit de l'humanité du Christ, qui est
fondée sur le suppôt divin, ou avoir d'autres choses, par exemple des
accidents que l'humanité sépare complètement; c'est pourquoi le
suppôt et la nature sont différents dans les créatures. Et comme la
nature , par exemple l'humanité , est quelque chose de spécial exis-
tant dans celui qui l'a, quoiqu'elle soit composée , il ne lui convient
pas cependant d'être par soi. C'est donc proprement qu'est dite être
par soi la substance composée qui est suppôt , et celle-là est la cause
non tamen dicuntur proprie esse per se.
Compositum enim directe est in praedica-
mento, ut Boetius in Commentario Prœ-
dicamentorum dicit , licet etiam possit dici
quod forma, et materia et partes intégrales
sint per se , quia non sunt in alio , sicut
accidens in subjecto. Notanduro quod licet
hic describatur substantia composita, tamen
dupliciter potest esse substantia composita,
scilicet natura et suppositum. Dico autem
hoc naturam, ut est humanitas, suppositum
autem non sumo hic pro singulaiï in génère
substantiae, sed pro concreto naturae, ut
homo. Humanitas enim licet forma dicatur,
est tamen composita ex materia et forma,
ut supra dictum est ; dicit enim humanitas
animam et corpus. Ita tamen humanitas,
sive quaecumque natura dicit formam sub-
stanlialem et materiam, quod de suo prin-
cipali significato preescindit omne aliud a
praedicta forma et materia ; non autem sic
est de supposito quod est homo. Homo
enim de suo principali significato dicit ha-
bens humanitatem > seu habens talem for-
mam et materiam, quam dicit humanitas.
Et quia habens humanitatem potest esse
suppositum non humanum , ut patet de
humanitate Ghristi, quae suppositatur sup-
posito divino, vel potest habere aliqua alia,
puta accidentia , quae humanitas omnino
preescindit, ideo in creaturis differunt sup-
positum et natura. Et quia natura , puta
humanitas , est quid habitum existens in
habente, licet sit composita, tamen sibi
non proprie convenit esse per se. Proprie
ergo ens per se dicitur substantia compo-
sita, quae est suppositum, et haec est causa
quare gênera et species substantiae sumun-
136 . OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 2, CHAPITRE 2.
pourquoi les genres et les espèces de la substance sont pris au con-
cret et non abstractivement , tandis qu'il n'en est pas de même des
autres prédicaments. Mais la forme substantielle, qui est une partie
du composé , ne soutient pas de soi les accidents , mais bien le com-
posé; au contraire la forme , qui est nature, essence et humanité,
quoiqu'elle soit composée de matière et de forme , se suppose cepen-
dant aux accidents dans l'objet qu'elle caractérise. Les autres acci-
dents sont tels que leurs genres et leurs espèces sont des formes ,
quoiqu'elles ne forment pas avec le sujet une unité par soi. C'est dit
ensuite quelque chose d'existant. Il faut observer ici que , dans les
créatures, l'être de l'essence et l'être de l'existence actuelle diffèrent
réellement, comme deux choses diverses. En voici la preuve : ce qui
est en dehors de l'essence d'une chose en diffère réellement; or l'être
de l'existence actuelle est en dehors de l'existence de la chose, car la
définition indique toute l'essence de la chose; or l'être de l'existence
actuelle est en dehors de la définition , car dans la définition on ne
met que le genre et la doctrine, et l'on ne dit nullement si la chose
définie existe ou n'existe pas. La chose devient encore plus évidente.
Il est impossible de concevoir quelque chose sans concevoir les choses
qui sont de son essence. Cependant il est constant que je conçois une
rose sans concevoir si elle est ou non actuellement. Donc être en
acte ou l'être de l'existence actuelle diffère réellement de l'essence.
C'est pourquoi , sous le premier rapport, il y a une composition de
l'être et de l'essence, qui n'est pas la composition de la matière et de
la forme , mais bien la composition de deux principes du suppôt dont
l'essence est la puissance, et l'être l'acte , d'où l'être, par rapport à
l'essence , est dit accident , parce qu'il est en dehors de l'essence de
la chose , et est appelé substance , parce qu'il est dans le genre de la
tur in concreto , et non in abstracto , non
autem aliorum praedicamentorum. Forma
autem substantialis , quae est pars compo-
sai, de se non substat accidentibus, sed
compositum ; forma vero quae est natura
seu essentia, et humanitas, quamvis sit
composita ex materia et forma , tamen in
suo significato praescindit substare acciden-
tibus. Alia vero accidentia ita se habent,
quod eorum gênera et species sunt formae,
cum tamen ex eis cum subjecto non sit
unum per se. Dicitur autem postea quid
existens. Ubi nota quod in creaturis esse
essentiae et esse actualis existentiae différant
realiter, ut duœ diversae res. Quod sic pa-
tet : illud enim quod est extra essentiam
alicui, differt realiter ab ea; esse autem
actualis existentiae est extra essentiam rei,
narn difïinitio indicat totam essentiam rei ;
esse autem actualis existentiae est extra dif-
finitionem, quia in diffinitione ponitur so-
lum genus et doctrina, et nulla fit mentio ,
utrum res diffinita existât vel non existât.
Apparet etiam hoc manifeste. Nam impos-
sible est possq intelligere aliquam rem,
non intelligendo ea quae sunt de essentia
ejus; tamen constat quod ego intelligo
rosam non intelligendo utrum actu sit vel
non. Ergo actu esse, vel esse actualis exis-
tentiae differt realiter ab essentia. Unde
circa primum in quacumque substantia
creata est compositio esse et essentia, quae
non est compositio materiae et formae, sed
est compositio duorum principiorum sup-
posai, quorum essentia est potentia, et esse
est actus; unde esse respectu essentiae dici-
tur accidens, quia est extra essentiam rei,
et dicitur substantia, quia est in génère
SUR LÀ LOGIQUE d'aRISTOTE. 137
substance, comme principe du suppôt, et il est simplement acte,
parce que, dans le genre de la substance, quoiqu'il ne soit point
forme, laquelle est acte de la matière et* un acte secundum quid, parce
que l'essence en laquelle il survient n'est pas une pure puissance
comme est la pure matière. Néanmoins il est bon de savoir que l'être
de l'essence convient à priori aux espèces, parce que , comme il a été
dit, la seule espèce est définie , et la définition signifie l'être de l'es-
sence , et se dit à posteriori de l'individu, ou autrement lui convient.
Or l'être de l'existence convient à priori aux individus. En effet, si
l'on enlève l'être des individus, il est impossible qu'il reste autre
chose , comme le dit Aristote dans le livre des Prédicaments ; il con-
vient à posteriori aux espèces elles-mêmes. C'est pourquoi exister se
dit du genre et de l'espèce, comme des accidents communs. De même,
en effet, qu'on dit, l'homme existe, parce que Pierre existe, de
même aussi l'homme court , parce que Pierre court.
CHAPITRE III.
De la première et de la seconde substance; ce que c'est; de l'ordre
de la substance.
La substance se divise en première et seconde. La substance pre-
mière est celle qui est dite subsister proprement , principalement et
dans la plus grande compréhension , qui n'est pas dans le sujet et ne
se dit pas de lui. Pour comprendre cette définition , il faut savoir que
subsister se dit en deux sens , savoir, subsister sous les accidents ,
ainsi que nous le disons , parce que la substance subsiste sous les
accidents , et subsister sous les universaux , comme nous disons que
ce qui est moins universel subsiste sous ce qui est plus universel ;
car cette subsistance est dans l'ordre prédicamentel. Si l'on prend le
mot subsister dans le premier sens , la substance première subsiste
substantiœ sicut principium suppositi, et
est actus simpliciter, quia in génère sub-
stantiœ; licet non sit forma, quœ est actus
materiœ, et est actus secundum quid, quia
essentia cui advenit, non est pura potentia,
sicut est pura materia. Sciendum tamen est
quod esse essentiae per prius convenit spe-
ciebus, quia ut supra dictum est, sola spe-
cies diffînitur, et diffinitio significat esse
essentiae, et per posterius dicitur de indivi-
duo, seu convenit ei. Esse autem existentiae
per prius convenit individuis. Ablato enim
esse individuorum , impossibile est aliquid
aliud remanere, ut Philosophus dicit in
Hb. Prœdicamentorum ; posterius autem
convenit ipsis speciebus. Unde existere sic
de génère et specie dicitur, sicut accidentia
communia. Sicut enim dicitur, homo exis-
tit, quia Petrus existit ; sicut homo currit,
quia Petrus currit.
GAPUT III.
De prima et secunda substanlia ., quid sini >
et de ordine substantiœ.
Dividitur autem substantia in primam
et secundarn. Est autem prima substantia,
quœ proprie, principaliter et maxima dici-
tur substare , quœ nec in subjecto , nec de
subjecto dicitur. Ad videndum autem prœ-
dictam descriptionem , sciendum est quod
substare dicitur dupliciter, scilicet pro sub-
stare accidentibus, sicut dicimus quod sub-
stantia substat accidentibus ; et pro substare
universalibus , sicut dicimus quod minus
universale substat magis universali, stat
enim sub eo in ordine prœdicamentali.
138 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 2, CHAPITRE 3.
proprement. En effet, ainsi que nous l'avons dit plus haut, une
chose est proprement inhérente à une autre qui lui est inhérente par
soi, et non par une autre , comme la chaleur est proprement inhé-
rente au feu , de même il est inhérent à la substance première de
subsister sous les accidents. Car, quoique la superficie subsiste sous
la couleur, la ligne sous la courbure , elle n'a point une telle manière
de subsister par soi, mais bien par une autre, savoir la substance pre-
mière. En enlevant, en effet, à la superficie et à la ligne l'inhérence
qu'elle a relativement à la substance en acte et en aptitude, il n'y aura
plus ni superficie , ni ligne. Elles subsistent donc sous les accidents ,
parce que la substance première leur est subsistante. Donc le propre
de la substance première est de subsister sous les accidents. D'où il
suit que subsister sous les accidents est une qualité qui convient prin-
cipalement et avant tout à la substance première. En effet , une chose
convient avant tout à une autre qui lui convient à elle-même et non
par une autre. Car il ne convient pas primairement à Pierre d'être
risible , parce que cela lui convient par autre chose , c'est-à-dire
par homme , d'où il convient à l'homme primairement d'avoir la
faculté de rire. Ainsi, quoique subsister sous les accidents convienne
à la substance première et à la seconde , cela néanmoins ne convient
que secondairement aux substances secondes, savoir aux genres et aux
espèces, parce que cela leur convient par des individus, qui sont les
substances premières. En effet, l'homme ne court que parce que Pierre
ou Sortes court, et l'on voit par là de quelle manière la substance pre-
mière subsiste proprement et principalement. Mais on dit qu'elle sub-
siste surtout , et l'on prend subsister dans le second sens , c'est-à-dire
pour être sous une autre , comme ce qui est moins universel sous ce
qui est plus universel. Or, comme les substances premières sont sou-
Unde majus universale de minus universali
praedicatur. Si substare sumatur primo
modo, sic prima substantia proprie substat.
Sicut enim supra dictum est, illud inest
alicui proprie, quod inest per se ei, et non
per aliud, sicut calor proprie inest igni,
sic eodem modo inest primas substantia?
substare accidentibus. Licet enim superfi-
cies substet colori, et linea curviiati, taie
substare habet non per se, sed per aliud,
scilicet per substantiam primam. Remota
enim inhaerentia superficiel et lineae, quam
habet ad primam substantiam actu et ap-
titudine, non erit superficies nec linea.
Substant igitur accidentibus, quia substan-
tia prima substat eis. Proprium ergo prima?
substantiam est substare accidentibus. Ex
quo sequitur quod substare accidentibus
insit principaliter et primo substantia?
primae. Illud enim primo convenit alicui ,
quod convenit sibi, et non per aliud. Petro
enim non convenit primo esse risibile, quia
sibi per aliud, scilicet per hominem, unde
homini convenit primo esse risibile. Sic
licet substare accidentibus conveiùat sub-
stantia?. prima? et secundae, tamen secundis
substantiis, scilicet generibus et speciebus,
convenit secundario, quia convenit eis per
individua, qua? sunt prima? substantia?.
Non enim homo currit, nisi quia Petrus
vel Sortes currit, et sic patet qualiter
prima substantia substat proprie et prin-
cipaliter. Sed dicitur quod substat maxime,
et sumitur substare secundo modo, scilicet
pro esse sub alio , sicut minus universale
sub magis universali. Cum autem prima?
substantia? subjiciantur omnibus speciebus
et generibus qua? sunt supra se , species
SUR LA. LOGIQUE d'aRISTOTE. 139
mises à toutes les espèces et à tous les genres qui sont au-dessus
d'elles , et comme les espèces et les genres ne subissent pas une sub-
jection égale, il s'ensuit que les substances premières sont dites dans
ce sens subsister, surtout par rapport aux substances secondes. On dit
ensuite qu'elles ne se disent pas du sujet , parce qu'elles ne sont pas
prédicables des autres , comme les espèces et les genres , et ne sont
pas dans le sujet , parce qu'elles ne sont pas des accidents. Car les
accidents seuls sont dans le sujet, dans le sens que l'on prend être
dans le sujet, et c'est ainsi que s'explique la définition de la substance
première ou de l'individu. On appelle substances secondes les espèces
et les genres qui sont dans le prédicament de la substance. Quant aux
différences qui tombent de côté , on ne les nomme pas proprement
des substances, parce qu'elles ne sont pas proprement dites existant
dans le prédicament , si ce n'est peut-être d'une façon réductive.
Elles sont appelées substances secondes, parce qu'elles subsistent
secondairement sous les accidents , comme il a été dit. Or, parmi les
substances secondes , les espèces sont regardées comme possédant la
qualité de substance plus que les genres, non que la substance reçoive
plus et moins , comme il sera dit plus loin , mais bien parce que les
espèces sont plus subsistantes que les genres dansl'ua et l'autre mode
de subsistance , comme on peut le déduire de ce qui a été dit. Pour
les espèces les plus spéciales, elles sont également dites substances ,
parce qu'elles ont une subsistance égale pour tout; tel est l'ensei-
gnement relativement aux premières et aux secondes substances.
Quant à l'ordre qui existe dans le prédicament de la substance , on
peut le voir dans l'arbre de Porphyre que nous plaçons ici, quoique
nous ne l'estimions pas d'une vérité complète, car animal raisonnable
n'est pas genre, comme il le suppose, et les dieux ne sont pas raison-
nables , ainsi qu'il le dit.
vero et gênera non subsunt tôt. Ergo prima?
substantiae respectu secundarum isto modo
maxime dicuntur substare. Dicitur postea
quod non dicuntur de subjecto, quia non
surit prsedicabilia de aliis , sicut species et
gênera, et non sunt in subjecto , quia non
sunt accidentia. Sola enim accidentia sunt
in subjecto , ut hic sumitur esse in sub-
jecto , et sic patet descriptio primse sub-
stantiae seu individui. Secundœ vero sub-
stantiae dicuntur species et gênera, quae
sunt in praedicamento substantiae. Differen-
tiae vero, quae cadunt ex latere, non proprie
dicuntur substantiae, quia non proprie di-
cuntur esse in praedicamento, nisi forte ré-
ductive. Dicuntur autem secundae substan-
tiae, quia secundo, ut dictumest, substant
accidentibus. Inter secundas autem sub-
stantias dicuntur magis substantiae species
quam gênera, non quod substantia suscipiat
magis et minus, ut infra dicetur, sed quia
utroque modo substandi magis substant
species quam gênera, ut ex dictis haberi
potest. Species vero specialissimœ dicuntur
aequaliter substantiae , quia aequaliter om-
nibus substant , et sic patet de primis et
secundis substantiis. Qualiter autem prae-
dicamentum substantiae sit ordinatum ,
patet in arbore Porphyrii, quam gratia
exempli ponimus, licet non in toto repe-
riarri eam veram. Nam rationale animal
non est genus, ut ipse ponit, nec dii sunt
rationales, ut ipse dicit.
140 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 2, CHAPITRE 4.
Genns
differen-
tia
species
suoalter-
t:. na
differen-
tia
species
subalter-
CHAPITRE IV.
La substance ne reçoit point la contrariété , ni le plus et le moins, quoi-
qu'elle soit sujet de l'un et de l'autre par le changement qui s'opère en
elle.
Il reste maintenant à parler des communautés et des propriétés de
la substance. La substance a deux choses communes avec quelques ac-
CAPUT IV.
Quod substantia non suseipit conlrarielalem,
née magis et minut , Hcet sit subjectum
utriusque per sui mutationem.
Restât nunc dicere de communitatibus
et proprietatibus substantiae. Habet autem
substantia duo communia cum aliquibus
accidentibus, scilicet quod non suseipit
contrarietatem, et quod non suseipit magis
et minus. Ad quae intelligenda sciendum
est, quod quaedam formfe habent in se la-
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 141
cidents, elle ne prend pas de contrariété, ni le plus et le moins. Pour
comprendre cela il faut savoir que certaines formes ont en soi de la
latitude, tandis qu'il en est d'autres qui n'en ont pas , et ces formes
qui ont de la latitude ont par là même la contrariété , quoique cela ne
soit pas toujours vrai en toutes. Pour connoître cette latitude, il faut
remarquer que dans les choses spirituelles l'augment se transfère de
la quantité corporelle ; or on appelle grand dans la quantité corporelle
ce qui conduit à la perfection normale de la quantité. C'est pour cela
qu'une quantité est réputée grande dans l'homme , tandis qu'elle ne
l'est pas dans l'éléphant. De même dans les formes on appelle une
chose grande en raison de la perfection. Or, on peut considérer de
deux manières la perfection d'une forme, ou par rapport à la forme
elle-même, ou par rapport à la participation du sujet. Sous le premier
rapport, la forme est dite petite ou grande, comme une petite blan-
cheur. Sous le second rapport elle est dite plus ou moins, comme
plus ou moins blanc. Donc les formes qui sont d'elles-mêmes indéter-
minées, comme étant plus ou moins, plus parfaitement ou moins par-
faitement dans le sujet , ces formes sont dites avoir la latitude dont
nous avons parlé, et les degrés d'intention ou de rémission que nous
avons dit. Pour savoir quelles sont ces formes, remarquez bien qu'on
peut considérer trois choses dans une forme; d'abord, si l'agent peut
avoir différents rapports avec elle; secondement, si le sujet qui la
reçoit a parfois plus ou moins de dispositions pour elle; troisième-
ment, la manière dontcette forme participe au sujet. C'est pourquoi les
formes dans lesquelles l'agentn'apas divers rapports, et dans lesquelles
le sujet est quelquefois plus, d'autres fois moins disposé, ces formes,
dis-je, n'ont point la latitude susdite; mais elles sont toujours reçues
dans le sujet dans la dernière perfection de leur espèce, par exemple :
titudinem, quasdam vero non, et quia
queedam formée habent preedictam latitu-
dinem, ideo habent contrarietatenl , licet
non seraper sit rerum in omnibus. Ad
sciendum autem preedictam latitudinem,
nota quod in rébus spiritualibus augmen-
tum tranfertur a quantitate corporali, di-
citur autem in quantitate corporali aliquid
magnum, secundum quod ad debitam per-
fectionem quantitatis perducitur. Unde
aliqua quantitas reputatur magna in ho-
mme , quee non reputatur magna in ele-
phante. Sic etiam in formis dicitur aliquid
magnum ex hoc quod est perfectum ; per-
fectio autem formas dupliciter potest con-
siderari, vel secundum ipsam formam, vel
secundum participationem subjecti. Primo
modo, dicitur ipsa forma parva vel magna,
ut parva albedo. Secundo modo dicitur
magis vel minus, ut magis vel minus al-
bum. Formée ergo qnee de se indeterminatee
sunt, ut magis vel minus, seu perfectius
et imperfectius sint in subjecto, illee formée
dicuntur preedictam habere latitudinem,
et preedictos gradus intensionis et remis-
sionis; ad sciendum autem quee sint illee
formée, nota quod in forma tria possumus
considerare. Primo, si agens potest se di-
versimode habere ad eam. Secundo, si sub-
jectum eam recipiens, aliquando sit magis
vel minus dispositum ad ipsam. Tertio,
qualiter ipsa forma participatur a subjecto.
Unde in illis formis in quibus agens non
se habet diversimode, nec aliquando sub-
jectum est magis, et aliquando minus dis-
positum : illee formée non habebunt pree-
dictam latitudinem , sed in ultima perfec-
tione suce speciei, semper recipiuntur in
142 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 2, CHAPITRE 4.
si l'air étoit toujours disposé de la même manière à recevoir la lu-
mière et si l'agent qui illumine l'air étoit toujours dans le môme état,
l'air ne recevroit jamais plus ou moins de lumière et ne seroit jamais
plus ou moins illuminé ; mais comme il y a des variations dans ces
deux choses, il y en a aussi dans la lumière. Or, comme dans les
formes substantielles l'agent est toujours dans le même état, et le
sujet qui est la matière première dans des dispositons identiques, la
forme substantielle n'a point la latitude susdite. Il n'est pas nécessaire
de prouver que la matière première est toujours également disposée,
parce que c'est évident. C'est également évident pour l'agent ou pro-
ducteur de la forme substantielle. En effet, quoique cet agent se pro-
duise sous différents rapports en écartant les dispositions contraires de
la matière elle-même , et qu'il le fasse en vertu des formes acciden-
telles ou qualités , il introduit néanmoins la forme substantielle en
vertu de sa forme substantielle qui est toujours uniforme dans toutes
les choses générales de la même espèce. On peut déduire la même
chose et de la même manière relativement aux passions propres qui
se produisent toujours avec le sujet; et à leur égard le sujet revêt une
certaine activité, comme il a été dit plus haut. Telles sont donc les
formes tant substantielles que les propres passions, parce que l'agent
ne change pas d'état pour les produire , et parce que le sujet qui les
reçoit est toujours disposé de la même manière relativement à la
forme, quand même l'agent seroit dans des rapports différents, il faut
considérer la troisième chose qui a été dite, savoir quelle est la par-
ticipation de la forme avec le sujet. Car si la participation s'opère sous
le rapport de l'indivisibilité , cette forme ne recevra ni le plus ni le
moins, comme il est évident à l'égard des espèces du nombre qui
consistent dans une indivisible unité, et à l'égard des espèces de la
subjecto. Verbi gratia, si enim aer esset
semper eodern modo dispositus ad recipien-
dum lucera , et illuminans aerem eodem
modo semper sehaberet, nunquam lumen
in aère reciperetur magis nec minus, nec
aer esset magis vel minus illuminatus; sed
quia aliquod istorum variatur, ideo aliter
se habet de lumine. Cum autem in formis
substantialibus semper eodem modo se ha-
beat agens, et subjectum, quod est materia
prima, sit semper aeque dispositum, forma
ergo substantialis non habebit latitudinem
praedictam. Quod ipsa materia prima sit
semper aeque disposita , non oportet pro-
bare quia clarum est. De agente vero seu
producente formam substantialem patet.
Licet enim taie agens diversimode se ha-
beat abjiciendo disponens contrarias ab
ipsa materia, et hoc faciat virtute forma-
rum accidentalium seu qualitatum, tamen
formam substantialem introducit virtute
suae formaî substantialis quae uniformiter
se habet in omnibus generalibus ejusdem
speciei. Et idem et eodem modo potest
concludi de propriis passionibus , quae si-
mul cum subjecto producuntur, etsubjee-
tum respectu earum aliquo modo se habet
active , ut supra dictum est. Taies igitur
formae, tam substantiales quam proprie
passiones, quia agens ad eas producendas
non se habet diversimode, et quia subjec-
tum eas recipiens semper eodem modo
dispositum, ad formam vel agens adhuc
diversimode se haberet, oportet cons.derare
tertium quod dictum est, scilicet qualiter
ipsa forma participatur a subjecto. Nam
si participatur secundum rationem indivi-
sibilitatis, talis forma nan suscipiet inagis
nec minus, sicut patet de speciebus numeri,
quae consistunt in indivisibili unitate. Et
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 143
quantité suivant les nombres, comme la double, la triple coudée, de
quelques relations, comme le double , la moitié , des figures, comme
le trigone, le tétragoné ; et comme toutes les quantités et figures sont
reçues de cette manière dans le sujet, il s'ensuit que la quantité, les
figures et ces relations ne reçoivent ni le plus, ni le moins. Et ce n'est
pas seulement des quantités ainsi considérées , mais tout simplement
de la quantité, comme la ligne, la surface et le corps qu'il est vrai de
dire qu'elle ne reçoit ni le plus, ni le moins. La raison en est que la
perfection et l'imperfection de la quantité se prend suivant l'exten-
sion plus ou moins grande , en vertu de laquelle une chose est dite
plus ou moins; or, le plus ou le moins de grandeur de l'extension ne
suffit pas pour faire dire qu'une chose est plus ou moins, parce qu'on
ne le dit pas suivant l'extension , ainsi qu'on le voit dans les autres
formes dans lesquelles il y a extension et non intention , comme dans
les formes des êtres inanimés et des brutes dont les formes ont de
l'extension, et ne se disent pas suivant le plus et le moins. On voit donc
quelles sont les formes qui reçoivent le plus et le moins et celles qui
ne le reçoivent pas, parce que ce sont celles qui, ayant la latitude sus-
dite, reçoivent le plus et le moins. On connoît de suite par là quelles
sont les formes qui reçoivent la contrariété et celles qui ne la
reçoivent pas, car nulle forme ne reçoit la contrariété si elle ne reçoit
le plus et le moins. Sur quoi il faut remarquer que parmi les formes
qui ont la latitude susdite, quelques-unes ne l'ont qu'en conservant la
même espèce, et d'autres dans le genre et l'espèce. Car les degrés de
latitude sont tels jusqu'au dernier où la forme se conserve ; si la forme
dépasse ce degré elle changera l'espèce, et le genre restera le même;
dans cette espèce aussi elle a un degré, jusqu'à ce qu'elle arrive au
dernier , et si elle venoit à le dépasser , elle ne seroit plus dans la
de speciebus quantitatis continua?, secun-
dum numéros, ut bicubitum, tricubitum ,
et de aliquibus relatiotdbus, ut duplum et
dimidium, et de jiguris, ut trigonum et
tetragonum ; et quia omnes quantitates et
figura? sic recipiuntur in subjectis, ideo
quantitas et figurae et hae relationes non
suscipiunt magis nec minus. Non solum
autem de quantitatibus sic consideratis ,
sed simpliciter loquendo de quantitate, ut
linea, superficies et corpus, verum est quod
non suscipit magis nec minus. Gujus ratio
est , quia pert'ectio et imperfectio quanti-
tatis est secundum majorem vel minorem
extensionem, secundum quam aliquid di-
citur magis aut minus, non autem major
"vel minor extensio est causa sulïiciens quod
aliquid dicatur magis vel minus, quia non
dicitur esse secundum extensionem, ut pa-
tet in aliis formis, in quibus est extensio,
et non intensio , sicut in formis inanima-
torum et brutorum , quorum formae sunt
extensœ, et non dicuntur secundum magis
et minus. Patet ergo quœ formse suscipiunt
magis et minus, et quae non, quia videlicet
habentes praedictam latitudinem suscipiunt
magis et minus. Ex bis scitur statim quas
formée recipiunt contrarietatem , et quae
non , nulla enim forma quae non recipit
magis et minus, recipit contrarietatem.
Ubi nota quod formarum , quae habent la-
titudinem praedictam, quaedam habent eam
solam servando eamdem speciem, quaedam
vero in génère et in specie. Nam taies
gradus latitudinis sunt usque ad ultimum,
in quo salvatur species illa, quem gradum
si transeat forma variabit speciem , et re-
manebit sibi idem genus, et in ista secunda
specie habet etiam gradum, quamdiu per-
veniat ad ultimum, quem si transcenderet,
144 OPUSCULE XL VII, TRAITR 2, CHAPITRE 4.
même espèce. Par exemple, il y a des degrés dans lacouleur jaune, qui
peut devenir de plus en plus jaune jusqu'à ce qu'elle arrive au rouge,
et quoique le rouge soit d'une espèce différente du jaune, ces deux
couleurs sont néanmoins du même genre. Elles s'accordent en ce
qu'elles participent de la lumière incorporée, et du rouge on passe
au noir jusqu'au dernier degré de noir , lequel ne peut être dépassé
dans le même genre. Si l'on affoiblit la couleur jaune, elle devient
pâle, puis blanche, et ces formes de ces deux degrés, savoir la blan-
cheur et la noirceur, sont contraires. Remarquez que plusieurs mo-
dernes pensent que deux degrés font une contrariété-, comme la blan-
cheur et la rougeur, le blanc et le plus blanc. Suivant eux il y a deux
sortes de contrariété, savoir la complète et l'incomplète. La première
existe entre les extrêmes les plus éloignés, savoir la plus grande blan-
cheur et la plus grande noirceur ; la seconde se trouve entre les
degrés mitoyens, parce que deux degrés numériquement distincts, ne
sont pas compatibles ensemble et dénominativement dans la même
partie du sujet, comme les degrés de dualité et les degrés de trinité,
et ainsi de chacun des autres. C'est pourquoi cette latitude , qui
consiste à participer au sujet plus ou moins parfaitement, suit les
formes ou à raison de la forme , ou à raison du sujet. A raison
de la forme, ainsi qu'on le voit dans les couleurs, car la lumière
incorporée produit les espèces contraires par le plus ou le moins
de participation. Car l'espèce qui participe le plus à cette lu-
mière, comme la blancheur, est contraire à l'espèce qui y participe
plus imparfaitement, comme la noirceur, et ici il y a contrariété.
Quand elle ne participe pas dans cette latitude à raison de la forme ,
mais seulement à raison du sujet , comme on le voit dans ce qui est
plus ou moins illuminé , une telle forme alors , quoique recevant le
non esset in eadem specie. Verbi gratia,
croceum habet gradus , et fit magis cro-
ceum quamdiu veniat et fiât rubeum , et
licet rubedo sit alia species quam croceitas,
sunt tamen ejusdem generis. Conveniunt
enim in hoc quod est participare lucem in-
corporatam, et de rubeo venitur ad nigrum
usque ad ultimum gradum nigri , qui in
eodem génère transcendi non potest. Si
etiam croceitas remittatur, fit palliditas,
et postea albedo, et istae formae istorum
duorum graduum, scilicet albedo et ni-
gredo, sunt contrariée. Nota quod multi
moderni tenent quod duo gradus faciunt
unam contrarietatem , sicut albedo et ru-
bedo, albus et magis albus. Et apud ipsos
duplex est contrarietas, scilicet compléta
et incompleta. Prima est inter extrema
maxime distantia, scilicet inter albedinem
siimmam etnigredinem summam. Secunda
est inter gradus medios, qnia duo gradus
distincti numéro non compatiuntur se ad
invicem et denominative in eadem parte
subjecti, sicut gradus ut duo et gradus ut
tria, et sic de singulis. Dnde talis latitude,
scilicet perfectius et imperfectius, partici-
pai a subjecto sequitur formas aut ratione
formae, aut ratione subjecti. Ratione formée,
ut patet in coloribus, nain lux incorporata
magis vel minus participata causât species
contrarias. Nam species, quœ perfectius
participât de tali luce , puta albedo , est
contraria speciei , quœ imperfectius talem
lucem participât, puta nigredo, et in tali-
bus invenitur contrarietas. Quando vero
taU latitudine non participât ratione formae,
sed solum ratione subjecti, ut patet de ma-
gis vel minus illuminato, tune talis formai
licet recipiat magis vel minus, tamen non
habet contrarium , lumini enim nihil est
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. i 45
plus et le moins, n'a néanmoins rien de contraire, parce que rien n'est
contraire à la lumière, et pourtant il est constant que l'air est parfois
plus et parfois moins illuminé. Car partout où il y a contrariété, il y
a plus et moins , avec la latitude susdite dans les formes. Partout où
cette latitude ne se trouve pas, il n'y a pas de vraie contrariété ; je dis
de vraie contrariété , parce qu'on appelle contraires certaines choses
qui sont opposées suivant l'état et la privation, comme raisonnable et
irraisonnable, pair et impair, ainsi que nous l'avons dit, et dans cha-
que genre il y a une première contrariété, qui n'est pas vraiment une
contrariété, mais bien plutôt habitude et privation; ce que je dis là r je
le dis aussi de tous les contraires immédiats, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas
une opposition de contrariété, quoiqu'ils soient l'habitude et la privation .
C'est de cette manière que la santé et la maladie sont opposées , car
si la santé est l'équilibre des humeurs, et la maladie l'absence de
cet équilibre, comme il y a opposition de privation entre ce qui est
égal et ce qui est inégal , il seroit plus juste de dire que la santé et
la maladie sont opposées par manière d'état et de privation que par
contrariété; c'est pour cela qu'on ne leur reconnoît pas de moyen
terme.
Il est bon de savoir que bien que, comme il a été dit, on trouve en
quelques choses la latitude et le degré, il ne faut pas néanmoins com-
prendre que lorsqu'une forme prend de l'intensité, cet accroissement
se fait par l'addition d'un degré à un autre, de manière qu'il y ait
deux degrés distincts, dont l'un est ajouté à l'autre et pourroit être
distinctement désigné, tandis que cet accroissement s'opère dans ce
sens qu'une forme imparfaite devient parfaite , de sorte que cette
forme parfaite a quelque chose de plus qu'avant, non quant aux par-
ties susceptibles de désignations distinctes, mais virtuellement, de ma-
nière que le premier degré est contenu dans le second virtuellement,
contrarium ; et tamen constat quod aer est
aliquando magis illuminatus et aliquando
minus. Ubicumque enira est contraietas,
ibi est magis et minus, et latitudo praedicta
in formis. Ubicumque vero talis latitudo
non est, ibi non est vera contrarietas. Et
dico vera contraietas, quia qusedam dicun-
tur contraria, quae opponuntur secuudum
habitum et privationem, sicut rationale et
irrationale,par et impar, sicut dicimus, et
in unoquoque génère est una prima con-
trarietas, quae non est vere contrarietas,
sed magis est habitus et privatio , et hoc
idem dico de omnibus contrariis immedia-
tis, scilicet quod non opponuntur vere con-
trarie, licet sint habitus et privatio. Sanitas
enim et segritudo sic opponuntur; nam, si
sanitas est humorum aequalitas, et aegri-
tudo inœqualitas, et quia aequale et inse-
quale opponuntur privative , melius dice-
retur quod sanitas et œgritudo opponuntur
per modum habitus et privationis quam
contrarie , et hgec est causa quare non di-
cuntur habere médium.
Sciendum est autem, licet, ut dictum
est , in aliquibus inveniatur latitudo et
gradus, non tamen est intelhgendum, quod
cum una forma intenditur , augeatur per
additionem gradus ad gradum, ita quod
sint ibi duo gradus distincti quorum unus
addatur alteri , et posset ab eo distincte
signari , sed fit taie augmentum in quan-
tum forma imperfecta sit perfecta, ita
quod ipsa perfecta habet plusquam prius
non secundum partes signabiles diversas,
sed virtute, ita quod primus gradus conti-
10
146 OPUSCULE XLVÎI, TRAITÉ 2, CHAPITRE 4.
comme l'imparfait est contenu dans le degré parfait. On voit par là
que, comme la substance ne reçoit pas le plus ou le moins, ainsi qu'il
a été dit, il n'y a rien de contraire à la substance. Ainsi se connoissent
les communautés de la substance. Le propre de la substance est d'être
susceptible des contraires suivant son changement. Or , on dit que
c'est là le propre de la substance parce que cela ne convient qu'à elle
seule par soi. Car s'il est certaines choses auxquelles on attribue cette
qualité de recevoir les contraires , comme la ligne est appelée droite
ou courbe, néanmoins la ligne ne reçoit ces modifications qu'à raison
de la substance. On allègue encore le langage et l'opinion qui sont
vrais quelquefois et d'autres fois faux. A cela Aristote répond que cela
n'arrive pas à raison du changement du langage ou de l'opinion,
parce que le laugage et l'opinion ne changent pas, si Socrate étant
assis, vient à se lever, mais bien la chose, car ce n'est pas par un chan-
gement opéré en elle que la substance est dite susceptible des con-
traires , mais par un changement de la chose significative. Une sem-
blable propriété ne convient donc qu'à la substance, et si elle convient
à d'autres choses, c'est à raison de la substance dans laquelle elles
ont leur être , comme on le voit par rapport à la superficie qui est
susceptible de blancheur et de noirceur , à l'essence de laquelle il
appartient d'être dans la substance en acte ou en aptitude, ainsi qu'on
l'a dit plus haut ; tel est le prédicament de la substance.
netur in secundo virtute , sicut imperfec-
tum continetur in secundo virtute , sicut
imperfectum continetur in gradu perfecto.
Ex istis patet quod, quia substantia non
suscipit magis vel minus , ut dictum est ,
quod substantia nihil est contrarium. Et
sic patent communitates substantise. Pro-
prium autem substantiae est, quod secun-
dum sui rautationera sit susceptibilis con-
trariorura. Dicitur autem hoc esse pro-
prium substantise, quia sibi soli per se
convenit. Nam si aliqua dicuntur suscipere
contraria, sicut linea dicitur recta vel curva,
tamen linea non suscipit ista hisi ratione
substantise. Datur enim instantia de ora-
tione et opinione, quae eadem manens, ali-
quando est vera , aliquando est falsa. Ad
quam respondet Philosophus, quod hoc
non fit secundum mutationem orationis vel
opinionis, non enim mutatur oratio vel
opinio , /lum Socrates sedet eo surgente ,
sed mutatur res , non enim per sui muta-
tionem oratio vel opinio dicitur esse sus-
ceptibilis contrariorum , sed per mutatio-
nem rei significativae. Soli ergo substantiee
hujusmodi convenit , et si aliis convenit ,
hujusmodi est ratione substantiae , in qua
habent esse, ut patet de superficie, quae
est susceptibilis albedinis et nigredinis, de
cujus essentia est actu vel aptitudine esse
in substantia, ut supra dictum est, et sic
patet de praedicamento substantiae, etc.
SLR LA. LOGIQUE D ARISTOTE.
147
TRAITÉ III.
DU PRÉDICAMENT DE LA QUANTITÉ.
CHAPITRE PREMIER.
Du nombre qui est une quantité discrète.
La quantité se divise en continue et en discrète. On appelle discrète
la quantité dont les parties sont séparées et ne sont pas unies pour
un but commun. En effet , les parties du nombre dix ne sont unies
pour aucun but commun. Car dans le nombre dix il ne se trouve au-
cune particule en vue de laquelle les autres soient unies, puisqu'elles
sont toutes séparées l'une de l'autre. On appelle , au contraire, con-
tinue la quantité dont les parties sont unies pour un but commun,
parce qu'elles sont toutes unies entre elles , et ne sont pas actuelle-
ment séparées, mais sont susceptibles de l'être, comme on le dira
plus bas. La quantité discrète se divise en nombre et langage , or le
nombre est la réunion de plusieurs unités. Le nombre se définit en-
core d'une autre manière : le nombre est une collection mesurée
par l'unité. Pour comprendre ces définitions il faut savoir que l'u-
nité se prend pour l'être , et l'unité est le principe du nombre. Or
l'unité prise dans la première acception n'est autre chose que l'être
indivis. L'unité ajoute à l'être la négation ou la privation de division,
et comme tout être est une unité dans ce sens, l'unité en conséquence
prise dans ce sens, est non-seulement dans le genre de la quantité,
mais aussi dans tous les genres comme l'être , c'est pourquoi l'unité
se rapporte aux transcendants , comme la collection produite par l'u-
TRACTATUS 111.
De pr^dicamento quantitatis.
CAPUT PR1MUM.
De numéro , qui est quantitas discrela.
Quantitas dividitur in continuam et dis-
cretam. Dicitur autem discreta quantitas,
cujus partes inter se ita se habent, quod
sunt separatœ , et ad unum communem
terminum non copulantur. Partes enim
hujus numeri, qui est decem ad nullum
communem terminum copulantur. Non
enim in numéro, qui est decem, invenitur
aliqua particuîa ad quam copulentur alise
particulae , cum omnes particulee ejus sint
separatœ una ab alia .Continua vero quantitas
dicitur, cujus partes ad unum communem
terminum copulantur, quia omnes sunt
conjunctœ, et non sunt actu separatre, sed
sunt separabiles, ut infra dicetur. Dividi-
tur autem quantitas discreta in numerum
et orationem , est autem nurnerus multi-
tudo ex unitatibus aggregata. Aliter autem
diffinitur numerus sic : Nurnerus est mul-
titudo mensurata per unum . Ad videndum
autem praedictas diffinitiones, sciendum
est, quod unum convertitur cum ente , et
unum est principium numeri. Unum au-
tem primo modo sumptum nihil aliud est
quam eus indivisum. Addit autem unum
supra ens negationem seu privationem di-
visionis, et quia omne ens est unum isto
modo sumptum, ideo unum sic sumptum
non solum est in génère quantitatis, sed in
omnibus generibus sicut et ens, ideo unum
est de transcendentibus, et multitudo eau-
148 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 3, CHAPITRE 1.
nité dans ce sens n'est pas le nombre qui est une espèce de quan-
tité, mais se rapporte aux transcendants. Nous disons , en effet , qu'il
y a quatre anges ou trois personnes en Dieu, et cependant il n'y a
de quantité ni dans les anges, ni en Dieu. L'unité, qui est le prin-
cipe du nombre, ajoute à l'unité qui se prend pour l'être non par une
chose quelconque, mais elle l'affecte en lui ajoutant deux rapports,
parce qu'elle exprime non toute indivision, c'est-à-dire qu'elle n'ex-
prime pas tout être en tant qu'indivis , mais bien l'être indivis de la
quantité continue ; elle exprime aussi le rapport de la mesure discrète.
Comme le nombre qui est une espèce de la quantité , est produit par
la diction du continu, supposons une ligne divisée en plusieurs par-
ties, chaque partie de la ligne ainsi divisée étant indivise, la ligne
ainsi considérée est une unité; c'est pourquoi la ligne n'est autre chose
que le continu indivis. Donc l'unité qui est convertie avec l'être , si-
gnifie un être indivis quel qu'il soit. Or, l'unité qui est le principe du
nombre, dit un être continu indivis, et le nombre se compose de sem-
blables unités , lorsqu'il y a plusieurs continus séparés entre eux et
indivis en eux-mêmes. Le second rapport qu'ajoute l'unité, principe
du nombre, à l'unité qui admet la conversion avec l'être , est le rap-
port de mesure discrète, en quoi il faut remarquer que la mensuration
discrète peut se prendre de deux manières. La première c'est la même
chose que de s'assurer intellectuellement du nombre de certaines
choses, connoissance qui s'acquiert en redoublant une unité un cer-
tain nombre de fois, et prise dans ce sens la mesure est une propriété
accidentelle du nombre lui-même, et elle convient aussi à l'unité qui
se convertit avec l'être. De la seconde manière mesurer se prend pour
produire formellement tant de choses , comme la blancheur produit
sata per unum , isto modo sumptum non
est numerus, qui est species quantitatis,
sed est de transcendentibus. Dicimus enim
esse quatuor angelos vel très personas in
divinis, et tamen nec in angelis nec in Deo
est quanti tas. Unum autem quod est prin-
cipium numeri, addit super unum quod
convertitur cum ente non rem aliquam,
sed concernit illud addendo sibi duas ra-
tiones, scilicet quia dicit non omnem indi-
visionem , id est , non dicit omne ens in
quantum est indivisum, sed dicit ens indi-
visum quantitatis continuae , et dicit ra-
tionem mensune discrets. Quia enim nu-
merus, qui est species quantitatis, causatur
ex dictione continui, supponatur quod vi-
deremus unam lineam in multas partes,
cum quaelibet pars lineae, quae sic dividitur
sit indivisa, et linea sic considerata est
unum : unde unum nihil aliud est quam
continuum indivisum. Unum ergo quod
convertitur cum ente, dicit ens indivisum,
quodcumque sit illud. Unum autem quod
est principium numeri , dicit ens conti-
nuum indivisum , et numerus ex talibus
unitatibus aggregatur, ubi sunt multa con-
tinua divisa ab invicem et in se indivisa.
Secunda ratio quam addit unum, quod est
principium numeri, supra unum quod con-
vertitur cum ente, est ratio mensurœ dis-
cretae , ubi nota quod mensurari discreto
potest sumi dupliciter. Uno modo, ut idem
sit quod certificari apud intellectum, quot
sunt aliquse res in quantum aliquis per
unum aliquotiens replicatum certificat ur de
numéro illorum quae numerat , et isto
modo sumpta, mensura est proprietas acci-
dentalis ipsius numeri et convenit etiam
uni quod convertitur cum ente. Alio modo,
sumitur mensurare pro eo quod est facere
tôt res formaliter, sicut albedo formaliter
facit album, el talis mensura est de ratione
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 149
formellement le blanc , et cette mesure appartient au rapport de l'u-
nité ou du nombre. Nous savons donc ce que c'est que l'unité dont
l'assemblage forme le nombre, et ce qu'est la mesure essentiellement
et accidentellement. Pour comprendre ce qu'est la multitude il faut
savoir, ainsi que nous l'avons dit plus haut, que ce que notre intellect
conçoit d'abord c'est l'être , et secondairement la négation de l'être,
lorsqu'on comprend qu'une chose n'est pas tel être. On conçoit tout
de suite d'après cela une division , d'où il résulte que la division est
la distinction par l'être et le non-être. En troisième lieu, on conçoit
une unité qui ne comporte pas la division. Il y a, en effet, un être en
qui ne se rencontre pas la division susdite , et ainsi l'idée de l'unité
est postérieure à celle de la division, comme l'idée de la privation est
postérieure à celle de l'habitude qui subit la privation. Quatrième-
ment, on conçoit la multitude , qui dit deux négations, dont l'une
consiste en ce que telle chose n'est pas telle autre, et l'autre en ce que
chacune de ces choses n'est pas divisée ; c'est pourquoi la multitude
se définit par l'unité, parce qu'il n'y a jamais multitude, sans que
chacune des choses qui composent cette multitude ne soit une unité
ou un être indivis. Et il faut prendre dans la quantité comme nous
avons pris dans les transcendants, l'être, la division, l'unité et la mul-
titude, de sorte que nous prenions le continu de la même manière
que nous prenions l'être, quoiqu'il y ait entre eux quelque différence,
comme nous l'avons dit. Il faut savoir que cette multitude , qui est
dans la quantité, est l'assemblage de plusieurs continus , dont l'un
n'est pas l'autre et dont chacun est indivis en soi ou un, ce qui est la
même chose, et ainsi s'explique la première définition du nombre, le
nombre est un assemblage de plusieurs unités, aussi bien que la
seconde, le 'nombre est une multitude mesurée par l'unité , parce
unius vel nuraeri. Habemus ergo quid est
unum, ex cujus aggregatione fit numerus,
et qualiter sit mensura essentialiter et ac-
cidentaliter. Ad videndum autera quid sit
multitudo, sciendum quod , ut supra dic-
tum est , primum quod intellectus noster
intelligit , est ens , secundo vero intelligit
negationem entis, prout intelligitur aliud
non esse hoc ens. Ex his duobus statirn in-
telligit divisionem , unde divisio est dis-
tinctio per ens et non ens. Tertio intelligit
unum, quod privât divisionem. Est enim
unum ens in quo non est prœdicta divisio,
et sic intellectus unius posterior est intel-
lectu divisionis , sieufr intellectus privatio-
nis posterior est intellectu habitus quem
privât. Quarto intelligit multitudinem ,
quae dicit duas negationes , quarum una
est , quod hoc non sit illud : et altéra est,
quod quodlibet eorum non sit divisum et
per cousequens sit unum, et propterea
multitudo difïinitur per unum ; quia nun-
quam dicuntur multa, nisi quodlibet eorum
sit unum seu ens indivisum. Et sicut modo
sumpsimus ens , et divisionem , et unum ,
et multitudinem in transcendentibus , sic
sumatur in quantitate , ita quod sicut su-
mebatur ens , ita hic sumatur continuum,
licet aliqua differentia sit inter ea , ut su-
pra dictum est. Sciendum, quod heec mul-
titudo quœ est in quantitate , est multa
continua, quorum unum non est aliud , et
quodlibet eorum est indivisum in se , sive
unum, quod idem est, et sic patet prima
diffinitio numeri , scilicet : Numerus est
multitudo ex unitatibus aggregata. Patet
etiam secunda diffinitio, scilicet : Numerus
est multitudo mensurata per unum. Nain
150 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 3, CHAPITRE 2.
que l'unité plusieurs fois redoublée, produit la multitude, et nous
constatons par là la grandeur discrète de la multitude , c'est ainsi
que l'unité est la mesure de la multitude , c'est évident pour le
nombre, etc.
CHAPITRE II.
De la seconde espèce de la quantité discrète, c'est-à-dire du langage.
Le discours est un mot formé de syllabes distinctes qui le mesurent
et qui n'a point de permanence dans ses parties. Pour comprendre
celte définition , il faut savoir que mot n'est pas pris ici pour la qua-
lité, car le mot est dans la troisième espèce de la qualité , comme on
le verra par la suite, mais pour quelque chose qui a été dans le mot,
parce que dans tel mot il y a plusieurs dictions et syllabes, qui, quoi-
que indivisibles, sont néanmoins successives, car l'une succède à
l'autre ; c'est pourquoi il y a deux choses à considérer dans ces syl-
labes, savoir leur indivisibilité et leur succession. Cette indivisibilité
n'est pas une indivisibilité d'unité , autrement le discours seroit un
nombre, mais une indivisibilité qui mesure la durée, suivant que plu-
sieurs syllabes indivisibles durent plus qu'une ; c'est pourquoi si dans
le discours nous considérons l'indivisibilité des syllabes nous trouvons
que par là il y a convenance avec le nombre. D'un autre côté , si nous
considérons la mesure de la durée , qui cependant n'est pas perma-
nente, mais successive, nous voyons qu'en cela elle s'accorde avec le
temps qui est une mesure successive, aussi bien que des choses suc-
cessives, comme il sera démontré plus loin. Néanmoins le discours
n'est pas un nombre simplement, mais un nombre appartenant à la
mesure de la durée ; ce n'est pas non plus un temps continu , lequel
n'est autre chose qu'une succession continue, toujours divisible, mais
quia unum multotiens replicatum causât
multitudinem , per hoc certificamur de
multitudine quanta sit discrète, et sic unum
est mensura multitudinis , et patet de nu-
méro, etc.
CAPUT II.
De secunda specie quanlilalit discrelœ , sci-
licet de oralione.
Oratio est vox aggregata ex distinctis
syllabis eam mensurantibus et in partibus
suis non habens permanentiam. Ad intelli-
gendum autem praedictam difiinitionem ,
sciendum , quod vox non ponitur hic pro
qualitate. Est enim \ox in tertia specie
qualitatis, ut infra patebit, sed pro aliquo,
quod fuit in voce ; quia in tali voce sunt
mu lue dictiones et syllabaj , quae licet in-
divisibles sint , tamen successive. Nain
una succcdit altcri : unde in tablais svl-
labis est duo considerare , scilicet indivisi-
bilitatem earum et successionem. Talis au-
tem indivisibilitas non est indivisibilitas
unitatis, alioquin oratio esset numerus ;
sed est indivisibilitas mensurans duratio-
nem, secundum quod taies plures syllabaj
indivisibiles plus durant quam una ; unde
si in oratione consideramus indivisibili-
tatem syllabarum , per hoc convenit cum
numéro. Si vero ubi consideratur mensura
durabilitatis , quae tamen non est semper
stans, sed est successiva, in hoc convenit
cum tempore , quod est mensura successiva
et successivorum, ut infra patebit. Non ta-
men oratio est numerus simpliciter, sed est
numerus pertinens àd mensuram duratio-
nis; nec est tempus continuurn, quod ni-
hil aliud est quam successio continuata
semper divisibilis, sed etiam successio ali-
quorum indivisibiliam . puta syllabarum.
SUR LA LOGIQUE d'AIUSTOTE. 151
c'est encore la succession de quelques indivisibles, des syllabes. Or, il
faut savoir qu'Aristote, dans son livre des Prédicaments , dit , Que le
discours se mesure par la syllabe brève et la syllabe longue. Un autre
texte porte que la syllabe brève et la syllabe longue se mesurent par
le discours. Or, le discours se mesure par la syllabe de la même ma-
nière, comme nous l'avons dit, que le nombre est mesuré par l'unité,
qui comme telle est indivisible. Quand on dit qu'une telle syllabe est
brève ouloogue, il ne faut pas regarder cette brièveté ou cette longueur
comme appartenant au temps continu , de telle sorte que le discours
soit un assemblage de temps continus, autrement ce ne seroit pas une
espèce différente du temps; car les parties du temps produisent une
espèce différente du temps ; mais le temps continu coexiste quelque-
fois avec la durée indivisible d'une syllabe, c'est-à-dire qu'il y a exis-
tence simultanée, parce que le temps est quelquefois court et d'autres
fois long ; c'est pourquoi le temps continu est la mesure des succes-
sifs dans le mouvement. Mais les syllabes existent dans quelque chose
d'indivisible et sans mouvement , quoiqu'elles admettent le change-
ment et la succession, dans une certaine mesure toutefois, comme il
a été dit. D'où il suit que la mesure qui est le temps et la mesure de
la syllabe , quoique des mesures diverses de la durée ou des choses
durables, peuvent néanmoins coexister , et ainsi la syllabe sera dite
brève ou longue, non d'une longueur ou d'une brièveté continue
existant en elle, puisqu'elle est indivisible , mais de la longueur ou
de la brièveté du temps continu, qui lui est coexistant. Néanmoins il
en est qui disent que les syllabes, sans être le mouvement, s'opèrent
par le mouvement, et comme tout mouvement se mesure par le temps
continu , c'est pour cela que les syllabes sont appelées longues ou
brèves, de la longueur ou de la brièveté du temps continu mesurant
Sciendum est autem , quod Philosophus ,
lib. Prœdicament., dicit, quod oratio men-
suratur syllaba brevi et longa. Aliustextus
habet, quod syllaba brevis et longa men-
suratur oratione. Mensuratur autem oratio
syllaba eo modo sicut dictum est , quod
numerus mensuratur unitate qua) indivi-
sibilis est , in quantum bujusmodi. Sinii-
liter etiam oratio mensuratur syllaba, qua)
ut dictum est, indivisibilis est. In hoc au-
tem, quod dicitur talis syllaba brevis est
vel longa, non est intelligendum, quod ta-
lis brevitas vel longitudo pertineat ad
tempus continuum, ita videlicet quod ora-
tio sit aggregata ex multis temporibus
continuis, alioquin non esset alia species a
tempore. Partes enim temporis faciunt
aliam speciem a lempore , sed indivisibili
durationi syllaba) aliquando coexistit
tempus contiinmm, seu simul cum eo exis-
tit, quod tempus aliquando est brève et
aliquando longum : unde tempus conti-
nuum est mensura successivorum , quae
sunt in motu. Syllabae vero existunt in
quodam indivisibili et sine motu, licet sint
cum mutatione et successione , sub aliqua
tamen mensura , ut dictum est. Unde
mensura, quae est tempus, et mensura,
quœ est ipsius syllaba) , licet sint divers»
mensura) durationum seu durabilium , ta>
men possunt simul existere , et sic syllaba
dicetur brevis vel longa, non ex longitu-
diiïe vel brevitate continua, quae sit in ea,
cum ipsa sit indivisibilis ; sed ex longitu-
dine et brevitate temporis continui, quod
ei coexistit. Aliqui tamen dicunt , quod
licet syllabae non sinf motus , tamen fiunt
per inotuin ; cum autem omnis motus
mensuretur tempore continua proptcr hoc
syllabae dicuntur longer , vel brèves ex
152 OPUSCULE XLV1I, TRAITÉ 3, CHAPITRE 3.
les mouvements qui les produisent. D'autres tiennent un langage dif-
férent. Suivant eux , le nombre étant produit par la division du con-
tinu, et n'ajoutant au continu rien autre chose que la division en la-
quelle chaque chose est indivise, il est néanmoins une espèce de la
quantité différente de la continue ; il en est de même du discours re-
lativement au temps. Car le discours est l'assemblage de plusieurs
temps divisés, dont chacun est indivis, et néanmoins c'est une espèce
différente du temps, telle est la quantité discrète, etc.
CHAPITRE III.
De la quantité continue en commun suivant l'intention logique.
La quantité continue est celle dont les parties sont liées pour un
but commun. Il faut observer qu'il en est qui conçoivent la chose dans
ce sens que les parties du continu sont bées pour un but commun.
Car les parties de la ligne se terminent au point qui la limite en acte,
et non au point en puissance; de même les parties de la surface sont
liées pour former la ligne qui la termine en acte , et les parties du
corps pour la superficie qui le limite. Pour comprendre ceci, il faut
savoir que nous devons imaginer un point indivisible dans la ligne
comme étant en mouvement, lequel produit la ligne par son mouve-
ment, que la ligne soumise au mouvement produit la surface , que la
surface soumise au mouvement produit le corps, et que le mouvement
ensuite produit le temps. Par cette supposition de causes agissant
de cette manière, quoiqu'il n'en soit pas réellement ainsi, nous com-
prendrons cette définition. En effet, si le point soumis au mouvement
produit la Ligne, toutes les parties de la ligne sont liées par le point ,
et comme dans toute partie de la ligne, comme nous venons de le dire,
il faut imaginer un point auquel se rapporte une autre particule sans
longitudine vel brevitate temporis conti-
nui mensurantis motus per quos syllabae
fiunt. Alii dicunt aliter de oratione. Se-
cundum enim eos cum numërus causetur
ex divisione continui et nihil addat supra
continuum nisi divisionem in qua quod-
libet est indivisum, et tamen est alia spe-
cies quantitatis quam continua, ita accidit
de oratione respectu temporis. Nam oratio
est multa tempora divisa , quorum quod-
libet est indivisum , et tamen est alia spe-
cies a tempore , et sic patet de quantitate
discreta, etc.
CAPUT III.
De quantitate continua in communi secun-
dum logicam intenlionem.
Continua vero quantitas est cujus partes
ad murai communem terminum copulan-
ttir. Notandmn, qnod aliqui sic intelligunt
hoc, scilicet quod partes continui copu-
lentur ad unum terminum communem.
Nam partes lineœ terminantur ad unum
punctum , quae actu eam terminât non ad
punctum in potentia ; similiter superficiei
partes copulantur ad lineam , quse actu
eam terminât, et partes corporis ad su-
perficiem terminantem illud. Ad quod in-
telligendum , sciendum est , quod nos de-
bemus imaginari punctum , quod est indi-
visible in linea moveri, et motu suo cau-
sare lineam, et lineam motam causare
superficiem, et superficiem motam causare
corpus , et nunc motum causare tempus.
Quibus sic causatis et imaginatis, licet non
ita sit reabter, intelligemus prœdictam
difhnitionem. Si enim punctus motus cau-
sât lineam , onmes partes lineœ per punc-
tum copulantur ; et quia in qualibet parte
liniv est imaginari Becundum istara viani.
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. , 153
autre déviation , il résulte que la ligne est dite continue. Il en est de
même de la superficie par rapport à la ligne que nous supposons la
produire par le mouvement qu'elle subit. Il en est aussi de même du
corps pai» rapport à la surface, et comme le lieu est une espèce de
surface, il a un terme commun pour ses particules de la même ma-
nière que la superficie. Il est bon pourtant de savoir qu'Aristote dit,
dans ses Prédicarnents, que les parties du lieu sont liées par le même
terme qui est le but de la liaison des parties du corps , ce qui ne se
comprend pas très-bien , si le lieu est une surface d'un corps de ca-
pacité. En effet, la superficie étant le terme commun des parties d'un
corps, il s'ensuit que le terme d'un lieu est la superficie , et ainsi le
terme de la superficie sera le terme de la superficie. En quoi il faut
observer que le lieu peut se considérer de deux manières;' première-
ment, pour la surface du corps contenant, et alors le terme de ses
parties est appelé ligné, ainsi qu'il a été dit ; secondement, le lieu se
prend pour tout le corps locatif , comme l'air est dit le lieu de l'eau,
et le feu le lieu de l'air, et c'est dans ce sens qu'Aristote dit que les
parties d'un lieu sont liées en vue du même terme que les parties du
corps. Or, les parties du temps sont liées pour le moment présent,
telle est l'explication de la quantité continue.
CHAPITRE IY.
De la quantité qui a une position , et de ce qui est requis par rapport à
cette position.
La quantité continue a une position, quoiqu'il s'en trouve qui n'en
ont pas. Il faut observer que la position est la même chose que l'ordre
des parties dans un lieu, et c'est là un des dix prédicarnents qui est
aussi appelé situation ; il en sera question plus loin. On dit aussi que
punctum aliquem ad quem se continue
habet alia particula sine alia decisione ,
ideo dicitur linea esse continua. Eodem
modo se habet de superficie respectu lineae
a qua mota , ut dictum est , imaginamur
eam causari. Nam partes ejus per lineam
et ad lineam continuantur. Similiter etiam
se habet de corpore respectu superficiel, et
quia locus superficies queedara est, eodem
modo habet terminum communem suarum
particularum , sicut superficies. Sciendum
tamen est, quodPhilosophus, lib. Prœdic,
dicit , quod partes loci copulantur ad
eumdem terminum , ad quem copulantur
partes corporis. Quod non bene intelligitur
si locus est superficies corporis continentis.
Cum enim terminus communis partium
corporis sit superficies, sequitur quod ter-
minus loci sit superficies, et sic superficies
erit terminus superficiel. Ubi nota quod
locus potest dupliciter considerari. Uno
modo, pro superficie corporis continentis,
et tune terminus partium ejus dicitur linea,
ut dictum est. Alio modo sumitur locus
pro toto corpore locante, sicut aer dicitur
esse locus aquse , et ignis locus aeris , et
isto modo dicit Philosophus quod partes
loci copulantur ad eumdem terminum, ad
quem copulantur partes corporis. Partes
autem temporis copulantur ad nunc, et sic
patet de diffinitione quantitatis continuée.
CAPUT IV.
De quantitale habenle positionem , et de re-
quisilis ad ipsam.
Habet autem quantitas continua posi-
tionem, licet non omnis. Notandum, quod
positio idem est quod ordo partium in loco
et haec est unum de decem preedicamentis
quac etiam dicitur situs, de quo infra di-
154 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 3, CHAPITRE 5.
la position est l'ordre des parties dans le tout, et dans ce sens la po-
sition est la différence de la quantité. Pour que la quantité ait une
position, trois choses sont requises. Il faut d'abord qu'elle ait ses par-
ties continues marquées et non marquées ; secondement, quien vertu
de cette désignation, elle ait ses parties coordonnées entre elles, c'est-
à-dire l'une après l'autre ; troisièmement, que ces parties possèdent
la permanence. Relativement à la première qualité , le nombre dont
les parties ne sont pas signables mais désignées , quel que soit leur
ordre, comme deux après un , trois après deux et ainsi de suite, n'a
pas déposition. Relativement à la troisième qualité, quoique le temps
ait des parties signables et non marquées et ordonnées, comme néan-
moins elles n'ont pas de permanence, elles n'ont pas pour cette raison
de position entre elles. Le discours, d'autre part, dont les parties ne
sont ni continues, ni permanentes, comme il a été dit, n'a pas à cause
de cela de position dans ses parties. Donc les espèces de la quantité
qui ont une position sont la ligne , la surface , le corps , le lieu; et
quoique le point ne soit pas une quantité , parce qu'il est quelque
chose d'indivisible et le principe de la quantité, parce qu'il est le prin-
cipe de la ligne et qu'il est ordonné pour les parties de la ligne, il est
dit avoir une position. Car, comme on dit communément, le point est
quelque chose d'indivisible ayant une position , puisqu'il est la fin de
la première partie et le commencement de la seconde, tandis que l'u-
nité est quelque chose d'indivisible et n'a pas de position , on voit
ainsi quelles sont les quantités qui ont une position et celles qui n'en
ont pas.
CHAPITRE V.
Des espèces de la quantité continue , et d'abord de la ligne.
Nous allons parler maintenant de ces espèces de la quantité conti-
cetur. Alio modo dicitur positio ordo par-
tium in toto , et sic positio est differentia
quantitatis ; ad hoc autem quod quantitas
habeat positionem requiruntur tria. Primo,
quod habeat partes suas continuas signatas
et non signatas. Secundo, quod secundum
hanc signabilitatem habeat partes in ter se
ordinatas , unam videlicet post aliam.
Tertio, quod partes illse habeant perma-
nentiam. Ratione primi, numerus qui ha-
bet partes suas non signabiles sed signatas,
quantumcumque habeat eas ordinatas ,
pu ta duo post unum et tria post duo , et
sic de aliis, non habet positionem. Ratione
tertii, licet tempus habeat partes continuas
signabiles, et non signatas , et ordinatas ,
quia tamen non habet eas permanentes,
ideo non habent inter se positionem. Ora-
tio vero partes suas neque continuas lia! et
nec etiam permanentes, ut dictum est :
ideo non habet positionem in partibus suis.
Species ergo quantitatis habentes positio-
nem, sunt linea, superficies, corpus, locus-,
et licet punctus non sit quantitas, quia est
quid indivisibile et principium quantitatis,
quia est principium lineae, quia tamen ha-
bet ordinem ad partes lineae , dicitur ha-
bere positionem. Nam ut cominuniter di-
citur, punctus est indivisibile habens po-
sitionem, cum sit liais piloris partis et
initium posterions. L'nitas vero est indivi-
sibile, non habens positionem, et sic patet
quae quantitas habet positionem , et quœ
non.
CAPCT V.
De speciebus quantilalis continuWj cl primn
de linea.
Nonc dicendum est de pncdiclis spede-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 155
nue, et d'abord de la ligne. Or la ligne est une longueur sans largeur
ni profondeur terminée par deux points. Pour comprendre cela, il
faut savoir que la quantité étant une mesure, ou extension de la sub-
stance , comme il a été dit, une substance corporelle , comme telle,
peut être mesurée ou étendue de trois manières sans plus , suivant la
façon dont s'opère l'interjection des diamètres dans les angles droits.
Car si l'un doit couper l'autre à angles droits, ce doit être en forme
de croix , suivant la figure suivante , dans laquelle se trouvent deux
angles droits dans la partie supérieure et deux dans la partie infé-
rieure.
On appelle angle droit celui qui se forme en
tirant une ligne perpendiculaire sur une ligne
droite , de sorte que si cette ligne tombe sur le
milieu, elle forme deux angles droits, comme il a
été dit. Nous avons donc deux diamètres qui se
coupent à angles droits dans la forme de la croix.
Pour qu'un troisième diamètre coupe les deux pre-
miers à angles droits , il faut qu'il passe par le
point où se réunissent les quatre angles droits.
Un quatrième diamètre ne peut couper les trois
autres sans former un angle droit. L'un de ces
diamètres s'appelle longueur, le second largeur,
le troisième profondeur , que l'on nomme les trois
dimensions. De sorte qu'en considérant la lon-
gueur sans les autres deux dimensions , elle s'ap-
pelle ligne. Les extrémités de la ligne , si elle en
a, ce que je dis à cause de la ligne circulaire
qui n'en a pas, sont deux points , car ils terminent la ligne jusqu'à
l'indivisibilité suivant cette dimension. En effet, si la division étoit
bus et primo de linea. Est autem linea
longitudo sine latitudine et profunditate,
cujus extrema sunt. duo puncta. Ad quod
intelligendum , sciendum est quod cum
quantitas sit raensura sive extensio sub-
stantif , ut supra dictum est , substantia
corporea , in quantum hujus tripliciter
mensurari seu extendi potest , secundum
quod tripliciter diametri in angulis rectis
possunt se intersecare , et non pluries. Si
euim unus diameter débet intersecare alium
in angulis rectis, oportet quod sit ad rao-
dum crucis sic.
Ubi sunt duo anguli recti ex parte su-
periori , et duo ex parte inferiori. Dicitur
autem angulus rectus, qui causatur ex
ductu linesc perpendiculariter cadentis su-
per lincam rectam sic. Undc si talis linea
cadit in medio, causât duos angulos rectos,
ut dictum est. Habemus ergo duos dia-
metros, se in angulis rectis in cruce suppo-
sita intersecantes. Si vero tertius diameter
débet prsedictos duos diametros intersecare
in angulis rectis, oportet quod transeat per
punctum , ubi quatuor anguli recti jun-
guntur. Nec potest quartus diameter pra±-
dictos très diarnetros intersecare , quin
causet angulum rectum. Unus ergo diame-
ter dictarum trium dicitur longitudo, se-
cundus latitudo , tertius vero profunditas,
quee dicuntur très dimensiones : unde
si consideretur longitudo sine aliis duabus
dimensionibus dicitur linea. Extrema vero
linea, si habet extrema, quod dico propter
lineam circularem, quœ non babet extre-
ma, sunt duo puncta ; terminant enim li-
neam ad indivisibile secundum illam di-
mensionem . Si enim semper esset darc cfi-
156 OPUSCULE XLVII , TRAITÉ 3, CHAPITRE 5.
toujours possible dans cette dimension, cette dimension étant une
ligne, dans ce cas la ligne seroit sans limites. La surface contient
deux des susdites dimensions , savoir la longueur et la largeur, dont
les extrémités sont deux lignes, ou une, je dis cela à cause de la sur-
face circulaire qui est limitée par une seule ligne. En effet, ainsi que
nous l'avons dit, pour borner une ligne il faut que la limite atteigne
l'indivisibilité dans cette dimension, de sorte que la limite de la surface
doit aller à l'indivisibilité en largeur, ce qui est la ligne. Un corps
renferme les trois dimensions ci-dessus , ou en d'autres termes , un
corps est une triple dimension , comme la surface est une double di-
mension, et la ligne une seule. Or, le corps se termine à la surface
qui est indivisible en profondeur, ou à la ligne qui l'est en largeur. Il
faut observer que quoique le corps soit une triple dimension, savoir,
longueur, largeur et profondeur, le corps ne tient son caractère de
perfection que de la profondeur. De même , quoique la surface con-
tienne deux dimensions , la longueur et la largeur , néanmoins sa
raison spécifique n'est complétée que par la largeur, comme la rai-
son spécifique de l'homme n'est complétée que par la rationalité,
quoiqu'il soit doué de la sensibilité et de la vie. La raison spécifique
de la brute est complétée par la sensibilité, quoiqu'elle jouisse aussi
de la vie. Quant à la ligne, c'est la longueur qui fait la perfection spé-
cifique. Et comme la quantité continue a la propriété d'être toujours
divisible, si le corps, tant que corps, doit se terminer à l'indivi-
sible , ce sera à la surface , laquelle, quoique divisible, ne l'est pas
cependant en profondeur en quoi consiste la raison spécifique du
corps, comme il a été dit, il en est de même de la surface par rapport
à la ligne. Telles sont les trois espèces de la quantité continue.
visibile secundum illam dimensionem, cum
hujusmodi dimensio sit iinea , ut dictum
est, tune linea nunquam terminaretur.
Superficies vero continet duas dimensiones
de praedictis, scilicet longitudinem et lati-
tudinem , cujus extrema sunt duae lineae
vel una; quod dico propter superficiem
circularem , quae una linea terminatur.
Sicut enim dictum est , ad hoc quod linea
terminetur , oportet quod terminetur ad
iudivisibile secundum illam dimensionem ,
sic oportet quod superficies terminetur ad
indivisibile secundum latitudinem, et hsec
est linea. Corpus autem continet omnes
praedictas très dimensiones, seu ipsum cor-
pus est ipsa trina dimensio , sicut superfi-
cies est duplex dimensio, et linea una.
Terminatur autem corpus ad superficiem,
quae indivisibilis est secundum profundi-
tatem vel ad lineam, quae indivisibilis est
scciiiiiluin latitudinem. Notaudum, quod
licet corpus sit trina dimensio, scilicet
longitudo , latitudo et profunditas, tamen
ratio corporis perficitur ex sola profundi-
tate. Similiter etiam licet superticies con-
tineat duas dimensiones, scilicet longitu-
dinem et latitudinem , tamen ratio ejus
specifica completur ex sola lalitudine., sicut
ratio specifica hominis completur ex ratio-
nali; quamvis homo sit sensibilis et vivus.
Ratio vero bruti ex sensibili completur,
licet etiam cum hoc sit vivum. Lineae vero
ratio specifica perficitur ex sola longitu-
dine. Et quia quanti tas continua boc ha-
bet, quod semper sit divisibilis , si corpus
in quantum corpus terminan débet ad in-
divisibile , terminabitur ad superficiem ,
quae licet sit divisibilis, non tamen secun-
dum profunditatem in qua consistit ratio
specifica corporis, ut dictum est, et similiter
de superficie respectu lineae. Et sic patet
de tribus speciebus quantitatis continus?.
SUR LA LOGIQUE D ARISTOTE.
157
CHAPITRE Vf.
Du lieu gui est une espèce de la quantité continue.
Nous passo?is au lieu. Le lieu est la surface d'un corps contenant im-
mobile. En effet, quoique le lieu soit une surface, il ne s'ensuit pas qu'il
soit dans le genre de la surface, mais c'est un autre genre de quantité à
raison d'une autre différence spécifique surajoutée qui ne convient
pas à la surface , en tant que surface , et n'est pas disparate à son
égard, quoiqu'il soit immobile. 11 faut savoir que , comme il n'y a
point de vide dans la nature , il faut qu'un corps soit enveloppé d'un
autre corps. Laissons pour le moment la dernière sphère. C'est pour-
quoi la surface du corps, qui enveloppe celle qui est contiguë au
corps enveloppé, est appelée lieu. Néanmoins cette surface n'est pas
appelée lieu par la raison qu'elle enveloppe, autrement le vaisseau
qui suit le cours du fleuve étant toujours entouré de la surface de la
même eau, parce qu'il suit le courant de l'eau, pourroit être regardé
comme restant dans le même lieu, ce qui est faux. De même aussi le
vaisseau amarré au bord du fleuve , changeant continuellement de
surface par le flux de l'eau, changeroit à chaque instant de lieu dans
ce cas, ce qui est également faux. Donc la nature du Heu n'est pas
celle de la surface, ni réciproquement; la nature du lieu consiste en
ce qu'il est immobile par rapport à l'univers; c'est pourquoi, en sup-
posant que le monde fût vide , qu'il n'y eût que le ciel pour contenir
le vide et qu'une pierre fût au centre, quand bien même elle ne seroit
pas enveloppée par la surface d'un corps contenant, elle seroit malgré
cela dans un lieu, parce qu'elle seroit dans une place qui, par rapport
à l'univers ou le ciel, seroit immobile. Ainsi s'explique le lieu.
CAPUT VL
De loco qui est species quantitatis continues.
Sequitur de loco. Est autem locus super-
ficies corporis continentis immobilis. Licet
enim locus sit superficies , non tamen se-
quitur quod locus sit in génère superficiel,
sed estaliud genus quanti tatis propter aliam
differentiam specificam superadditam ,
quae non convenit superficiel in quantum
superficies est, nec sibi disconvenit, scilicet
immobilis. Sciendum , quod cum non sit
dare vacuum in natura, oportet omne cor-
pus alio corpore circumdari. Dimittamus
modo de ultima sphsera. Unde superficies
corporis circumdantis illam, quse contigua
est corpori circumdato , dicitur esse locus.
Nec propter hoc talis superficies dicitur
locus, quia circumdat, alioquin navis, quœ
vadit cum flumine , cum semper sit cir-
cumdata superficie ejusdem aquœ, eo quod
ipsa semper descendit sicut aqua descendit,
diceretur esse in eodem loco, quod tamen
falsum est. Similitef etiam navis ligata ad
ripam fluminis, cum propter fluxum aquae
semper mutet superficiem, tune semper
mutaret locum, quod etiam falsum est.
Non ergo ratio loci est ratio superficiei,
nec e converso , sed ratio loci consistit in
hoc quod est immobilis, scilicet secundum
situm universi : unde dato, quod mundus
esset vacuus, et esset solum cœlum conti-
nens vacuum, et unus lapis esset in centro
quantumeumque non circumdaretur su-
perficie corporis continentis, tamen adhuc
esset in loco, quia esset in parte, quœ per
respectum ad situm universi seu cœli esset
immobilis, et sic patet de loco.
458
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 3, CHAPITRE 7.
CHAPITRE VIL
Du temps, comment c'est une quantité successive.
Le temps est le nombre du mouvement du premier mobile suivant
Ja priorité et la postériorité. Pour comprendre cette définition, il faut
savoir qu'il y a deux sortes de nombres, l'un qui sert à la numéra-
tion, comme deux, trois et ainsi de suite , et c'est là la première es-
pèce de la quantité discrète dont nous avons parlé. La seconde espèce
est ce qu'on appelle nombre nombre , ce sont les choses auxquelles
nous appliquons ce nombre dans la numération, comme deux chiens,
trois lignes, et c'est dans ce sens que nous prenons ici le nombre.
Il faut savoir aussi que dans tout mouvement il y a une quantité suc-
cessive qui le produit formellement, sous le rapport de quantité suc-
cessive, laquelle quantité successive n'est pas le mouvement, mais un
de ces accidents. Or, le mouvement du premier mobile, savoir du
dernier ciel, étant le plus régulier et le plus simple de tous les mou-
vements, il s'ensuit que sa quantité successive est la plus régulière et
la plus simple de toutes les autres quantités successives ; c'est pour-
quoi, en l'appliquant à tous les autres mouvements, lesquels, comme
on l'a dit, sont successifs, nous nous assurons de leur durée, c'est ce
que nous avons appelé mesurer. Mais comme l'ame , dans cette suc-
cession du mouvement du premier mobile, considère la priorité et la
postériorité, cette succession ainsi nombrée ou mesurée par l'ame par
le moyen de l'antériorité et de la postériorité, est ce qu'on appelle le
temps. De même que nous appelous jour la succession d'une partie
du mouvement du premier mobile, en tant que ses parties se meuvent
d'Orient en Occident. C'est pourquoi cette antériorité dans la succes-
sion suivant qu'une partie du premier mobile avoit son mouvement
CAPOT VII.
De lempore, quotnodo est quanlilas succès-
si va.
Tempus autem est numerus motus primi
mobilis secundum prius et posterius. Ad
intelligendum autem praedictam diffinilio-
nem , scieudum quod duplex est numerus
scilicet quo numeramus , ut duo , tria et
hujusmodi, et ista est prima species quan-
titatis discretœ , de qua dictum est. Alius
est numerus numeratus , scilicet istae res ,
quibus nos istum numerum applicamus
in quantum numerantur, ut duo canes vel
très lineœ, et isto modo sumitur hic nu-
merus. Sciendum quod in omni motu est
quantitas successiva, faciens ipsum forma-
liter quantum quantitate successiva , quse
quantitas successiva non est motus, sed ac-
cidens ejus. Motus autem primi mobilis,
scilicet ultimi cœli, quia est regularissimus
et simplicissimus omnium motuum , ideo
quantitas ejus successiva est regularissima
et simplicissima omnium aliarum quanti-
tatum successivarum ; et ideo applicando
illam ad omnes alios motus , qui', ut dic-
tum est, successivi sunt , certificamur de
duratione ipsorum , et hoc est mensurari,
ut supra dictum est. Quia vero anima in
illa successione motus primi mobilis con-
sidérât prius et posterius, illa successio sic
numerata vel mensurata ab anima per
prius et posterius , dicitur esse tempus.
Sicut diem vocamus successionem unius
partis motus primi mobilis , prout scilicet
partes ejus moventur ab Oriente in Occi-
dente. Unde taie prius in successione, prout
scilicet pars primi mobilis movcbatur in
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 159
vers l'Orient, et cette postériorité selon que cette partie étoit en mou-
vement vers l'Occident , considérées par l'ame , produisent le temps
ci-dessus, savoir le jour , et ainsi des autres. Et en appliquant ce
temps, comme nous l'avons dit , à toutes les choses successives, nous
constatons leur durée dans cette succession. On voit donc de quelle
manière le temps est le nombre du mouvement suivant l'antériorité
et la postériorité. Il faut observer, qu'ainsi que nous l'avons dit,
comme le temps est subjectivement dans le mouvement du premier
mobile, de même que la passion dans son sujet, nous disons de cer-
taines choses qu'elles sont dans le temps suivant qu'elles sont dans ce
mouvement. C'est pourquoi il faut considérer dans le mouvement le
mobile et l'indivisible du mouvement , qui s'appelle changement , et
qui est au mouvement comme le point est à la ligne ; et comme dans
toute partie de la ligne il faut imaginer un point, de même dans
chaque partie du mouvement il faut considérer une mutation ; car
tout mouvement terminable se termine à la mutation , comme à un
terme intérieur, comme la ligne au point. D'où il résulte que le
temps répond à ce mouvement de deux manières, comme sa pas-
sion , puisqu'il en est la succession, et comme sa mesure. Car le
temps ne mesure pas seulement les autres mouvements , il mesure
encore les parties du mouvement du premier mobile. Nous di-
sons, en effet, qu'une révolution s'est opérée en un jour. Quant à la
mutation d'être qui est l'indivisible dans le mouvement, ce qui lui
répond c'est dans le temps le présent qui est l'indivisible du temps,
ou le même en réalité, quoiqu'il pût y avoir une différence déraison,
et dans tout temps il faut noter le présent, et si le temps avoit un
terme, il se termineroit au présent. Voilà ce qui regarde le temps.
Oriente, et taie posterius prout scilicet pars
movebalur in Occidente , considerata ab
anima faciunt dictum tempus, puta diem,
et sic de aliis; et hoc tempus, ut dictum
est, applicando ad omnia successiva, de eis
certificamur quantum ad ipsorum dura-
tionem intali successione. Patet ergo qua-
liter tempus est numerus motus secun-
dum prius et posterius. Notandum quod
quia ut dictum est, tempus est subjective
in motu primi mobilis , sicut est passio in
suo subjecto , secundum ea quee sunt in
illo motu, dicimus aliqua esse in tempore,
Unde in motu est considerare mobile et
indivisibile ipsius motus, quod dicitur mu-
tatum esse, quod se habet ad motum , si-
cut punctus ad lineam , et sicut in qualibet
parte lineœ est imaginari punctum, sic in
qualibet parte motus est considerare mu-
tatum esse, omnis enim motus si termina-
bilis est, terminatur ad mutatum esse , si-
cut ad terminum intraneum, sicut linea ad
punctum. Unde illi motui respondet tem-
pus dupliciter , quia et sicut ejus passio ,
quia est successio ejus , ut dictum est , et
sicut ejus mensura. Non enim tempus so—
lum mensurat alios motus, sed etiam partes
motus primi mobilis ; dicimus enim quod
una circulatio facta est in una die. Ipsi
vero mutato esse, quod est indivisibile in
motu , respondet in tempore nunc , quod
est indivisibile temporis vel est idem re,
licet posset ratione differre, et in omni
tempore est signare nunc , sicut in linea
punctum, et si tempus terminaretur, utique
ad nunc terminaretur. Patet ergo de tem-
pore.
160
OPUSCULE XL VII , TRAITÉ 3 , CHAPITRE 8.
CHAPITRE VIII.
Que la quantité ne reçoit ni le plus, ni le moins, et n'a pas de contra-
riété , mais une chose est dite égale ou inégale à une autre suivant
l'être.
Toutes les quantités ont cela de commun qu'elles ne reçoivent pas
le plus et le moins , pas plus que la contrariété. Nous avons dit com-
ment il faut l'entendre en parlant du prédicament de la substance.
Or il faut savoir qu' Aristote, dans son livre des Prédicaments, fait une
objection relativement à la grandeur et à la petitesse qui semblent
être dans la quantité, et qui paroissent être contraires. Il répond d'a-
bord que la grandeur et la petitesse ne sont pas dans le genre de la
quantité, bien qu'elles en soient des passions, mais dans le genre de la
relation. Car une chose n'est pas appelée grande d'une manière abso-
lue, autrement on ne diroit pas un grand arbre et une petite montagne,
si ce n'est par rapport à un autre arbre ou à une grande montagne.
Il répond en second lieu qu'en accordant que le grand et le petit
sont dans le genre de la quantité, ils ne seroient pas néanmoins
contraires. Car la même chose ne pourroit pas être contraire à soi-
même , et cependant une seule et même quantité est dite grande
par rapport à une plus petite, et petite par rapport à une plus
grande. Or le propre de la quantité est qu'une chose soit dite égale
ou inégale par rapport à elle. Pour comprendre cela, il faut savoir
qu'une quantité peut se prendre de deux manières; d'abord pour la
grandeur de la masse , en second lieu pour la grandeur de la per-
fection. Dans le premier sens elle appartient à ce prédicament, car
c'est là la première et la plus connue acception de la quantité. Dans le
second sens la quantité appartient aux transcendants, car elle se trouve
CAPUT VIII.
Quod quantitas non suscipit magis nec mi-
nus, nec habet conlrarielalem, sed secun-
dum esse aliquid dicitur œquale vel inœ-
quale al ter i.
Commune est autem omni quantitati
non suscipere magis et minus, nec susci-
pere contrarietatem. Quod qualiter intelli-
gatur, supra de prsedicamento substantiae
dictum est. Sciendum autem quod a Phi-
losopho, lib. Prœdicam., ponitur instantia
de magno et parvo , quae videntur esse in
quantitate et videntur esse contraria. Et
respondet primo, quod maguum'et parvum
non sunt in génère quantitatis , licet sint
passiones ipsius quantitatis, sed sunt in
génère relationis. Non enim magnum di-
citur aliquid absolnte, alinquin non dice-
retur milium magnum et mons parvus, nisi
per respectum ad aliud milium vel per res-
pectum ad montem magnum. Secundo res-
pondet quod dato quod magnum et parvum
essent in génère quantitatis, non tamen
essent contraria. Idem enim non potest esse
contrarium sibiipsi , et tamen una et ea-
dem quantitas dicitur magna per respec-
tum ad minorem et parva per respectum
ad majorem. Proprium autem quantitatis
est secundum eam œquale vel inœquale
dici. Ad quod intelligendum, sciendum est
quod quantitas dupliciter potest sumi. Uno
modo pro magnitudine molis , alio modo
pro magnitudine perfectionis. Primo modo
quantitas pertinet ad hoc praedicamentum,
quia ista est prior et notior acceptio quan-
titatis. Secundo modo , quantitas est de
transcendentibus, quia in multis generibus
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 161
dans plusieurs genres , comme le parfait. Nous disons , en effet, cet
homme est un grand médecin , c'est-à-dire un médecin parfait , et
c'est là une grande similitude; une chose est dite aussi égale ou iné-
gale suivant la quantité prise dans les deux sens. Nous disons , en
effet, que deux lignes sont égales et deux blancheurs aussi , et parce
que la quantité dans le premier sens est plus connue et plus propre.
Dans le second sens elle est dite transumptivement, et c'est pourquoi
l'égalité ou l'inégalité se disent proprement de la quantité dans le
premier sens. Il faut observer que l'unité se convertit avec l'être, et
ainsi tout ce qui est être est un. Or la substance, la quantité, la qua-
lité étant des êtres, il faut que chacun d'eux soit un ; et comme dans
la substance, la quantité et la qualité, il peut y avoir plusieurs êtres,
il peut donc y avoir en elles plusieurs choses, dont chacune est une,
et qui présentent la multiplicité. Donc dans chacun de ces prédica-
ments il y a unité et multiplicité. Dans la substance c'est sur l'unité
qu'est fondée la relation qui s'appelle identité, dans la quantité c'est
la relation qui est appelée similitude , mais néanmoins d'une façon
différente. Car l'unité se prend en trois sens différents, l'unité numé-
rique, comme Socrate, Platon, chacun est effectivement numérique-
ment un. L'unité d'espèce , comme Socrate et Platon sont un dans
l'homme. L'unité de genre , comme l'homme et le cheval sont un
dans l'animal. Or, l'identité qui est fondée sur l'unité dans la sub-
stance, n'est pas fondée sur l'unité dans le genre, ni dans l'espèce,
mais bien dans le nombre, comme s'il y avoit deux substances. Ce
qui est un numériquement est identique à soi-même , dans le sens où
nous prenons ici l'identité, quoiqu'on puisse le dire identique dans la
substance et dans le genre; ce n'est pas néanmoins dans ce sens que
nous venons de prendre l'identité. C'est pourquoi une semblable
invenitur, sicut et perfectum. Dicimus
enim iste est magnus medicus, id est per-
fectus, et ista est magna similitude-, et se-
cundum quantitatem utroque modo sump-
tam dicitur aequale et inaequale. Dicimus
enim duas lineas esse sequales et duas al-
bedines similiter, et quia quantitas primo
modo est notior et magis propria. Secundo
autem modo dicitur transumptive ab illa,
ideo aequale vel inaequale dicitur proprie
secundum quantitatem primo modo sump-
tam. Notandum quod unum convertitur
cum ente, et sic quidquid est ens, est
unum ; cum autem substantia, quantitas,
qualitas sint entia, oportet quodlibet eo-
rum esse unurn , et cum in substantia,
quantitate et qualitate possunt esse plura
entia, ergo in eis possunt esse plura, quo-
rum quodiibet est unum, quae sunt multa,
V.
in quolibet ergo istorumpraedicamentorum
est unum, et multa. In uno autem in sub-
stantia fundatur relatio, quae dicitur iden-
titas. In uno vero in quantitate fundatur
relatio, quae dicitur similitudo, diversimode
tamen. Nam unum dicitur tripliciter , sci-
licet unum numéro , ut Sortes vel Plato.
Quilibet enim per se est unus numéro.
Aliud est unum specie, ut Sortes et Plato
sunt unum in homine. Aliud est unum gé-
nère , ut homo et equus sunt unum in
animali. Identitas autem quœ fundatur in
uno in substantia, non fundatur in uno in
génère, nec in uno in specie , sed in uno
in numéro, ac si essent duae substantiœ.
Unum vero numéro est idem sibiipsi, prout
nunc sumitur idem , licet etiam in sub-
stantia possit dici idem specie et idem gé-
nère, tamen non sic modo sumitur iden-
11
162 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 3, CHAPITRE 8.
identité n'est pas une relation réelle , mais Bien une relation de rai-
son , comme on le dira plus loin. L'égalité et la similitude ne se
fondent pas sur l'unité suivant le nombre, parce que rien n'est égal
ou semblable à soi-même , mais elles se fondent sur l'unité suivant
l'espèce, parce que nous disons que deux lignes sont égales , et deux
blancheurs semblables. Il faut observer que l'égalité et la similitude
se prennent communément pour les deux fondements de l'égalité
comme pour ses deux termes. En effet , l'égalité se rapporte à deux
choses, à l'une fondamentalement , à l'autre comme terme , et vice
versa; pour la similitude, elle est multiple dans les termes. Car il
suffît à la similitude de la participation de la qualité suivant la même
espèce. En effet, les choses qui sont blanches sont semblables, et
celles qui participent à diverses qualités quant à l'espèce sont dissem-
blables, comme le blanc et le noir; il n'en est pas de même de l'éga-
lité. Il ne suffit pas, en effet, pour l'égalité, qu'il y ait deux quantités
de même espèce, autrement toutes les lignes, qui sont de même es-
pèce, seroient égales, ce qui est néanmoins faux; il faut, au contraire,
qu'il y ait deux quantités de même espèce avec l'exclusion d'une plus
grande ou d'une plus petite, de telle sorte que l'une ne soit en aucune
manière ni plus grande ni plus petite que l'autre. Mais l'inégalité ne
se prend pas suivant les diverses espèces de quantités , comme on l'a
dit de la similitude en quantité , mais bien dans les choses qui sont
de la même espèce sans l'exclusion d'une plus grande ou d'une plus
petite. On voit de cette manière ce que c'est que l'identité , l'égalité et
la similitude. Il faut savoir que. bien que la substance soit le fonde-
ment de l'identité, comme il a été dit, elle peut néanmoins se dire des
autres prédrcaments et se fonder sur eux. Nous disons, en effet, que
cette blancheur est identique à elle-même, cette ligne identique à elle-
titas. Unde talis ictentitas non est relatio
realis, sed rationis, utinfradicetur. iEquale
vero et simile, non fundatur in uno secun-
dum numerum, quia nihil est sequale vel
simile sibiipsi, sed fundatur in uno secun-
dum speciem; nain duas lineas dicimus
œquales, et duas albedines similes. Notan-
dum quod œquale et simile sumuntur
communiter , scilicet pro utroque funda-
mento aequalitatis et utroque ejus termino.
JEqualitas enim est duorum, unius funda-
mentaliter et alterius ut termini, et e con-
verso ; similitudo autem est multa termi-
nis. Nam ad similitudinem sufficit parti-
cipatio qualitatis secundum eamdem spe-
ciem. Quœ enim sunt alba , sunt similia ,
et quee participant diversas qualitates
quantum ad speciem, sunt dissimilia, ut
album et nigrum, non est autem sic de
aequalitate. Non enim sufficit ad aequali-
tatem, quod sint duee quantitates ejusdem
speciei, alioquin omnes lineae, quœ sunt
ejusdem speciei, essent œquales , quod ta-
men falsum est ; sed reqniritur quod sint
duse quantitates ejusdem speciei cum pri-
vatione majoris et minoris, ut scilicet una
omnino non sit major nec minor altéra.
Insequale vero non sumitur secundum di-
versas species quantitatis, ut dictum est
de simili in quantitate , sed in eis , quai
sunt ejusdem speciei sine privatione ma-
joris et minoris, et sic patet quid sit idem,
quid «quale, quid simile. Sciendum quod
licet fundamentum ideatitatis sit substan-
tia , ut dictum est , tamen potest dici de
aliis prœdicamentis , et in eis fundari. Di-
cimus enim quod naec albedo est eadem
sibiipsi et hsec linea est eadem sibiipsi, et
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 163
même, c'est pourquoi ce n'est pas le propre de la substance que l'i-
dentité et la diversité se disent d'elle, puisque ces qualités conviennent
aux autres prédicaments , quoiqu'ils conviennent principalement à la
substance. La première propriété de la quantité est donc que l'égalité
ou l'inégalité se disent d'elle , car on n'appelle égal ou inégal que ce
qui est suivant elle; le propre, au contraire , de la qualité est que la
similitude ou la dissemblance se disent suivant elle. Tel est le prédi-
cament de la quantité.
TRAITÉ IV.
Du PRÉDICAMENT DE LA QUALITÉ.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'est que 'la qualité en général.
Nous allons parler maintenant du prédicament delà qualité. On dé-
finit ainsi la qualité : la qualité est ce qui sert à qualifier. Il faut sa-
voir que les prédicaments ne peuvent pas être définis. En effet, comme
on met dans la définition le genre et la différence de la chose définie,
et que les genres les plus généraux, tels que la substance, la quantité,
la qualité , n'ont pas de genre au-dessus d'eux, comme on l'a dit, il
s'ensuit qu'ils ne peuvent pas être définis. Ils peuvent néanmoins être
décrits et expliqués par le moyen de certaines choses qui nous sont
plus connues. Il faut observer, ainsi qu'on peut le déduire de ce qui
a été dit, que notre intelligence abstrait non-seulement l'universel du
particulier, mais encore la forme du sujet de cette forme. Car il con-
çoit l'humanité sans concevoir précisément l'être revêtu de l'huma-
ideo non est proprium substantise secun-
dum eam dici idem vel diversum, cum hœ
conveniant aliis prœdicamentis , licet con-
venant substantiœ principaliter. Primum
autem quantitatis est secundum eam dici
aequale vel inœquale, quia nihil dicitur
œquale vel inœquale, nisi secundum quan-
titatem. Proprium vero qualitatis est se-
cundum eam dici simile vel dissimile , et
sic patet de prœdicamento quantitatis.
TIUCTATliS IV.
De pr^edicamento qualitatis.
CAPUT PRIMUM.
Quid sit qualitas in génère.
Nunc dicendum est de prœdicamento
qualitatis. Describitur autem qualitas sic.
Qualitas est secundum quam quales dici-
mur. Sciendum, quod prœdicamenta difii-
niri non possunt. Cum enim in diffinitione
ponatur genus et differentia diffiniti ; gê-
nera autem generalissima, cujusmodi sunt
substantia, quantitas , qualitas et hujus-
modi non habeant genus supra se, ut su-
pra dictum est. Ergo difïiniri non possunt.
Possunt autem per aliqua nobis magis nota
describi seu notificari. Notandum quod , ut
ex supradictis colligi potest , intellectus
noster non solum abstrahit universale a
particularibus , sed etiam formam ab ha-
bente talem formam. Intelligit enim huma-
nitatem précise non intelligendo cum ea
164 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 4, CHAPITRE 2.
nité, c'est-à-dire l'homme, en qui se trouve non-seulement l'humanité,
mais encore plusieurs autres êtres, tels que la blancheur et autres. II
conçoit de la même manière la blancheur en l'abstrayant de son sujet
que nous appelons blanc. C'est pourquoi, bien que la blancheur ne se
rencontre pas sans sujet , l'intellect la conçoit néanmoins en l'abs-
travant du sujet, qui reste en dehors de la conception, et c'est pour
cela qu'elle appartient plutôt à l'intellect agissant dans l'abstrait que
dans le concret, et comme nos connoissances nous viennent des sens,
les choses les moins sensibles nous sont aussi les moins connues.
Or, les choses abstraites, comme on l'a dit, sont moins sensibles, c'est
donc avec convenance que nous arrivons à en acquérir la connoissance
par les choses concrètes comme étant connues antérieurement. On a
donc bien donné la notion de la qualité qui est abstraite par l'être
qualifié, en disant : la qualité est ce quii sert à qualifier. Il faut savoir
qu'il existe une différence entre la qualité et les autres accidents, car
le concret s'y dit de l'abstrait. En effet, nous disons : cette ligne est
grande, ce qui n'arrive pas dans les autres prédicaments des acci-
dents ; car on ne peut pas dire cette blancheur a telle qualité, c'est
pour cela que la quantité dans l'abstrait n'est pas définie , mais dé-
crite par le concret. Car si une chose se dit de l'autre et réciproque-
ment, il y aura une chose mal connue comme le reste. Telle est la
description de la qualité.
CHAPITRE II.
De la première espèce de qualité, qui est l'habitude et la disposition.
Il y a quatre espèces de qualités qui sont les genres subalternes.
La première est l'habitude ou la disposition. Sur quoi il faut savoir
que la disposition est le genre par rapport à l'habitude. Car toute
habentemhumanitatem, scilicet hominem,
in quo non solum est humanitas, sed etiam
multa alia entia , scilicet albedo et hujus-
raodi. Eodem modo intelligit albedinem
abstrahendo ab babente ipsam , quod vo-
camus album. Unde licet albedo non in-
"veniatur sine subjecto , tamen intellectus
eam intelligit abstrahendo a subjecto , eo
■videlicet non intellecto, et secundum hoc
magis pertinet ad intellectum accidens in
abstracto , quam in concreto. Et quia co-
gnitio nostra ortum habet a sensu , minus
sensibilia sunt nobis minus nota ; abstracta
autem , ut dictuin est , sunt minus sensi-
bilia. Ergo convenienter notiticantur per
concreta, sicut per prius nota. Bene ergo
data fuit notificatio qualitatis, qune est abs-
tracta per quale quod est concretum , di-
ceudo : Qualitas est secundum quam qua-
les dicimur. Sciendum est quod est diffe-
rentia inter quantitatem et alia acciden-
tia ; nam in ea prœdicatur concretum de
abstracto. Dicimus enim : Hœc linea est
quanta , quod non contingit in aliis prae-
dicamentis accidentium. Non enim potest
dici, quod hœc albedo est qualis , et inde
est , quod quantitas in abstracto non diffi-
nitur seu describitur per concretum. Si
enim unum de alio preedicatur conversim,
ita erit maie notum unum, sicut reliquum,
et sic patet de descriptione qualitatis.
CAPUT II.
De prima specie qualitatis, quœ est habitut
et disposilio.
Sunt autem quatuor species qualitatis,
quse sunt gênera subalterna. Prima est ha-
bitus seu dispositio. Ubi sciendum est quod
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 165
habitude est disposition , mais toute disposition n'est pas habitude,
parce que la qualité facilement mobile est disposition , et non pour-
tant habitude. C'est pourquoi si l'on prend la disposition pour la qua-
lité qui est facilement mobile , elle est alors une espèce de qualité
condivise avec l'habitude. Si, au contraire, la disposition est prise en
tant qu'elle se dit soit de la qualité facilement mobile ou de celle qui
est difficilement mobile , alors elle est genre relativement à l'habi-
tude et à la disposition qui se divise avec l'habitude. Or, l'habitude
se définit ainsi , V Métaph. : « L'habitude est une disposition par la-
quelle on est disposé bien ou mal, soit par rapport à soi, soit par
rapport à autre chose. » Pour comprendre cette définition , il faut sa-
voir que la disposition est Tordre d'une chose qui a des parties
non-seulement quantitatives, mais encore essentielles ou potentielles.
C'est pourquoi l'ordre de ces parties entre elles, ou relativement à
autre chose, s'appelle disposition. Plusieurs choses sont requises pour
l'habitude, soit que ce soit des parties, des puissances ou des actes qui
sont respectivement commensurables de diverses manières , de sorte
qu'on puisse trouver en elles un certain moyen de commensuration
mitoyen, et un tel moyen s'appelle habitude. Par exemple, la santé
est la mesure des humeurs respectivement et diversement commen-
surables , lesquelles néanmoins sont ramenées à la santé comme à un
moyen déterminé de commensuration, et c'est pour cela que la santé
est une habitude. Car comme les qualités élémentatives se mesurent
dans les éléments suivant un seul mode et non suivant plusieurs, il
n'y a pas pour cette raison en eux habitude. C'est donc avec raison
que l'on dit que l'habitude est une disposition ou un ordre des parties
diversement commensurables bien ou mal , c'est-à-dire suivant un
mode mitoyen déterminé. Mais, comme on dit par rapport à soi ou à
dispositif) est genus ad habitum. Omnis
enim habitus est dispositio , non tamen
omnis dispositio est habitus; nam qualitas
facile mobilis est dispositio, non tamen est
habitus. Unde si sumatur dispositio pro
qualitate, quae est facile mobilis , tune est
una species qualitatis condivisa habitui.
Si vero sumatur dispositio, prout dicitiir
tam de qualitate facile mobili, quam de
difficile mobili, tune est genus ad habitum
et dispositionem , quae habitui condividi-
tur. Diffinitur autem habitus, V. Metaph.,
sic : « Habitus est dispositio qua aliquis
disponitur bene vel maie , sive secundum
se, sive ad aliud. » Ad quam difhnitionem
intelligendam sciendum est, quod disposi-
tio est ordo rei habentis partes non solum
partes quantitativas , sed etiam essentiales
vel potentiales. Unde ordo istarum partium
inter se vel ad aliquid aliud, dicitur dispo-
tio. Ad rationem quidem habitus requi-
ritur plura sive sint partes , sive potentiae ,
vel actus , quae sunt ad invicem commen-
surabilia diversis modis, ita quod in eis
possit inveniri aliquis modus médius com-
mensurationis et talis modus dicitur ha-
bitus. Verbi gratia : Sanitas est débita
commensuratio humorum diversimode ad-
invicem commensurabilium , quae tamen
reducuntur ad sanitatem , sicut ad deter-
minatum modum commensurationis , et
ideo sanitas est habitus. Nam quia quali-
tates elementales in ipsis elementatis se-
cundum unum modum mensurantur, et
non diversimode, ideo in eis non est ha-
bitus. Bene ergo dicitur, quod habitus est
dispositio seu ordo partium diversimode
commensurabilium bene vel maie, id est,
secundum modum médium determinatum.
Sed quia dicitur sive secundum se , sive
166 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 4, CHAPITRE 3.
quelque autre chose , il faut savoir qu'il y a une double habitude ;
l'une , qui est la disposition de la chose suivant le mode et la nature
de la chose intrinsèquement, suivant que les parties naturelles se me-
surent respectivement suivant un mode mitoyen, comme on l'a dit de
la santé, qui est la mesure légitime dans quatre humeurs. De même
la beauté qui est la légitime commensuration des membres, et c'est là
ce qui est appelé dans la définition, habitude par rapporta soi. Le se-
cond mode d'habitude est la disposition de la chose relativement à la
fin ; et comme la fin des puissances se trouve être les opérations, le
mode mitoyen se détermine suivant qu'elles sont bien ou mal ordon-
nées à l'égard de leurs opérations, comme sont les vertus et les vices;
et c'est pour cela que dans la définition de l'habitude on dit , soit par
rapport à autre chose , c'est-à-dire , la fin , et ces habitudes sont diffi-
cilement mobiles. En effet, une habitude vertueuse qui se contracte
par la répétition des actes, n'est pas pour cette raison facilement mo-
bile, tandis que celui qui n'auroit contracté que par un petit nombre
d'actes un commencement de disposition ou d'habitude pour la vertu,
seroit dit avoir une disposition facilement mobile en parlant de la dis-
position non en tant qu'elle est genre par rapport à l'habitude , mais
suivant qu'elle est une espèce condivise à elle-même; c'est là la pre-
mière espèce de la qualité, etc.
CHAPITRE III.
De la seconde espèce de la qualité qui est la puissance ou l'impuissance
naturelle.
La seconde espèce de la qualité est la puissance ou l'impuissance
naturelle de faire ou de souffrir facilement quelque chose. Pour con-
cevoir cette espèce de la qualité , il faut savoir que la puissance peut
se prendre de deux manières. La première comme étant des transcen-
ad aliquid aliud , sciendum quod duplex
habitus invenitur. Unus dispositio rei se-
«undum modum et naturam rei intra,
prout partes naturales ad invicem secun-
dum unum modum médium commensu-
rantur, ut dictum est de sanitate, quae est
débita commensura in quatuor humorum.
Similiter pulchritudo, quœ est débita com-
mensuratio membrorum , et hoc quod di-
citur in diflinitione habitus , scilicet se-
cundum se. Alius modus habitus est, qui
est dispositio rei in ordine ad finem ; et
quia finis potentiarum sunt operationes ,
médius modus determinatur secundum
quod ad suas operationes bene vel maie
ordinantur, sicut sunt virtutes et vitia, et
propter hoc in diflinitione habitus dicitur
sive ad aliud , scilicet ad finem , et taies
habitus sunt difficile mobiles. Quia enim
habitus virtuosus ex multis actibus iteratis
generatur , ideo non est ita de facili mo-
bilis; qui vero ex paucis actibus inciperet
vel disponi vel habituari ad virtutem, ille
diceretur habere dispositionem quae facile»
mobilis est loquendo de dispositione , non
prout est genus ad habitum , sed ut est
species sibi condivisa , et sic patet de pri-
ma specie qualitatis, etc.
CAPUT III.
De secunda specie qualitatis, quœ est nalu-
ralis polenlia vel impolentia.
Secunda species qualitatis est naturalis
potentia vel impotentia aliquid facile fa-
ciendi vel patiendi. Ad intelligendum au-
tem hanc speciem qualitatis , sciendum
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 167
dants. En effet, la puissance et l'acte se partagent tout l'être , comme
on le voit, V de la Métaph., et dans le genre où il y a acte il y a aussi
puissance. Car si la ligne en acte est dans le genre de la quantité, elle
est aussi en puissance dans ce même genre. Ce n'est pas de cette puis-
sance que nous voulons parler pour le moment. La puissance se prend
dans un autre sens suivant qu'elle est le principe de transmutation
d'une chose comme telle , ou le principe de transmutation d'un état
en un autre. Il faut remarquer que de même qu'un agent artificiel a
besoin d'un instrument pour agir , et ne peut à raison des bornes de
sa force avoir en même temps ce qui en lui et dans l'instrument est
nécessaire pour agir, ainsi nulle substance créée ne peut être par soi
un principe suffisant d'action et d'être; c'est pourquoi il faut en elle
un autre principe qui ait immédiatement trait à l'opération, et c'est
ce principe que nous appelons puissance. S'il est actif comme sont
les puissances nutritives dans l'être animé, il est appelé puissance ac-
tive, laquelle est le principe de transmutation d'une chose en tant que
telle. Et je dis en tant que telle , car rien ne peut être en même
temps actif et passif à l'égard d'une même chose. Si, au con-
traire , ce principe est passif , comme sont les puissances sensi-
tives dans l'animal, il est alors le principe de transmutation d'une
chose en tant qu'elle est autre chose; à cette espèce de la qualité
appartiennent le dur, le mou, l'athlète , le coureur et autres choses
semblables. De sorte que l'athlète n'est pas pris de l'art du pu-
gilat, parce que alors il seroit dans la première espèce de la qualité,
mais bien pour la puissance naturelle ; telle est la seconde espèce de
la qualité.
quod potentia potest sumi dupliciter. Uno
modo, ut est de transcendentibus. Potentia
erùm et actus dividunt omne ens, ut patet
V. Metaph., et in eo génère in quo est ac-
tus , est etiam potentia ; nam si linea in
actu est in génère quantitatis, et sic linea
in potentia est in eodem génère ; de tali
autem potentia non loquimur modo. Alio
modo sumitur potentia , prout est princi-
pium transmutandi aliud in quantum
aliud, vel quod est principiu m transmu-
tandi ab alio , in quantum cliud. Notan-
dum, quod sicut agens artificiale requirit
instrumentum per quod agat , et propter
lirnitationem suae virtutis non potest ha-
bere simul illud quod est in ipso , et in
instrumento necessarium ad agendum, ita
et nulla substantia creata potest esse per
se suiïiciens principium ad agendum et es-
sendum : unde requiritur aliud principium
in ea, quod immédiate se habeat ad ope-
rationem , et hoc principium dicimus po-
tentiam ; quod quidem si activum est, si-
cut sunt potentia? nutritivse in animato ,
dicitur potentia activa, quee est princi-
pium transmutandi aliud, in quantum est
aliud ; et dico, in quantum aliud, quia ni-
hil simul potest esse activum et passivum
respectu ejusdem. Unde si potentia activa
est principium transmutandi , non erit
principium transmutandi se, sed aliud in
quantum aliud. Si vero taie principium sit
passivum, ut sunt potentiae sensitivse in
animali, tune est principium transmutandi
ab alio in quantum est aliud , et ad hanc
speciem qualitatis pertinet durum et molle,
pugillator et cursor, et hujusmodi. Ita
quod non sumitur pugillator ab arte pu-
gillandi, quia sic esset in prima specie qua-
litatis, sed pro potentia naturali , et sic
patet de secunda specie qualitatis.
168
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 4, CHAPITRE 4.
CHAPITRE IV.
De la troisième espèce de la qualité, qui est la passion ou la qualité
passible.
La troisième espèce Je la qualité s'appelle passion , ou qualité pas-
sible. Il faut observer que la passion , étant dans le mouvement, est
un des dix prédicaments, et de cette manière elle n'est pas prise pour
une passion, mais elle est appelée passion ou qualité passible, parce
qu'elle est occasionnée par quelque passion prise dans le premier
sens, ou parce qu'elle en produit quelqu'une. Par exemple, lacbaleur
et le froid sont appelés des qualités passibles, parce qu'ils produisent
dans le sens du tact une certaine passion. Mais la blancheur et la
noirceur sont appelées qualités passibles, parce qu'elles sont produites
par quelques passions accidentelles. En effet, les Ethiopiens sont noirs
à cause de l'intensité de la chaleur qui agit sur leurs corps, et les Ger-
mains sont blancs à raison du froid, quoiqu'on puisse appeler qualités
passibles la blancheur et la noirceur, parce qu'elles produisent une
passion dans le sens de la vue, car voir c'est supporter quelque chose.
Sur quoi il faut observer que , bien que certains êtres ne soient pas
constitués quant à l'espèce par quelque chose d'extrinsèque , ce n'est
pas de leur essence et ils sont distingués par eux-mêmes, comme on
le voit dans les choses simples. La blancheur, en effet, se distingue
réellement par elle-même de la noirceur ou de toute autre partie in-
trinsèque à elle-même , comme l'homme se distingue du cheval et
réciproquement parleurs formes ; car rien d'extrinsèque, qui soit un
caractère de l'essence de la chose, ne constitue ou ne distingue spéci-
fiquement une chose d'une autre. Rien néanmoins n'empêche que quel-
quefois certaines choses soient distinguées par des causes extrinsè-
GAPUT IV.
De tertia specie qualitatis quœ est passio vel
passibilis qualitas.
Tertia vero species qualitatis dicitur
passio vel passibilis qualitas. Notandum,
quod passio, ut est in motu , est unum de
decem prœdicamentis, et sic non sumitur
hic passio, sed dicitur passio, vel passibilis
qualitas, quia infertur per aliquam passio-
nem primo modo sumptam , vel quia in-
fert aliquam passionem. Verbi gratia :
Calor et frigus dicuntur passibiles qualita-
tes, eo quod inferunt sensui tactus ali-
quam passionem; sed albedo et nigredo
dicuntur passibiles qualitates , quia gene-
rantur ex aliquibus passionibus illatis.
Propter enim magnum sestum agentem in
corpora Jïthiopum , ^Ethiopes sunt nigri,
Germani sunt albi propter frigus , licet
etiam albedo et nigredo possint dici pas-
sibiles qualitates, eo quod inferunt passio-
nem sensui visus : videre enim est quod-
dam pati. Ubi nota , quod bcet quaedam
entia absoluta non hàbeant speciem ab ali-
quo extrinseco , quod non est de essentia
eorum, et quod distinguantur se ipsis , ut
patet in simplicibus. ( Albedo enim se ipsa
distinguitur realiter a nigredine, vel ab
aliqua parte intrinseca sui, sicut homo dis-
tinguitur ab equo, et e contrario per for-
mas eorum. Nihil enim extrinsecum quod
nota est de essentia rei, constituit vel dis-
tinguit aliud ab alio spécifiée) tamen nihil
prohibet, quin aliquando aliqua distin-
guantur causis extrinsecis, scilicet finali et
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. # 169
ques, savoir par la cause finale ou efficiente. Comme nous disons que
les puissances sont distinguées par les actes comme par des fins, et
les actes par les objets, comme par les causes efficientes , et quoique
de cette manière les choses extrinsèques qui opèrent la distinction ne
soient pas de l'essence des choses distinguées, néanmoins leur raison
spécifique se connoît par ces distinctions. En effet, la puissance est
définie par les actes , parce qu'elle est un principe de transmutation,
ainsi qu'il a été dit, comme par la manifestation de sa raison spécifi-
que, et les actes sont définis par les objets, ainsi que nous le disons,
parce que voir c'est avoir la vue mue par la couleur. Il en est ainsi
dans l'exemple proposé. Quoique , en effet, la passion et la qualité
passible, comme formes simples , soient par elles-mêmes dans l'être
spécifique, certaines néanmoins sont définies par les actes comme par
des fins, parce qu'elles doivent produire la passion dans le sens, quel-*
quefois, il est vrai, par les causes efficientes, parce qu'elles doivent
être produites par les passions. Or la passion et la qualité passible dif-
fèrent en ce que la passion passe vite ; comme la rougeur produite par
la pudeur, et la pâleur qui provient de la crainte sont appelées pas-
sions, parce qu'elles passent vite ; on n'appelle pas rouge ou pâle dans
la langue grecque a raison de cette rougeur ou de cette pâleur, quoi-
que peut-être il n'en soit pas ainsi dans la nôtre, mais dans le moment
présent on appelle rouge celui qui est sous l'impression de la honte,
et pâle celui qui éprouve de la crainte ; et comme la colère , l'amour,
la haine et autres sentiments semblables, qu'Aristote appelle des pas-
sions, se produisent avec quelque passion et une certaine transmuta-
tion du corps et durent peu , elles sont classées dans cette catégorie
de passions. On appelle , au contraire , qualité passible celle qui ne
passe pas rapidement, comme il a été dit du froid et de la chaleur.
Mais si la colère, l'amour, la haine et tout ce qu'Aristote appelle pas-
efliciente. Sicut dicimus quod potentiae
distinguuntur per actus tanquam per fines
et actus distinguuntur per objecta tanquam
per causas efficientes, et licet hoc modo ex-
trinseca distinguentia non sint de essentia
distinctorum, tamen per taies distmetiones
cognoscitur ratio specifica eorum ; per ac-
tus enim diffinitur potentia, quia est prin-
cipium transmutandi, ut dictum est, sicut
per manifestationem suse rationis specificae,
et per objecta diffiniuntur actus, sicut di-
cimus, quod videre est visum moveri a co-
lore ; sic est in proposito. Licet enim
passio et passibilis qualitas, ut formae sim-
plices, se ipsis sint in esse specifico , tamen
quaedam diffiniuntur per actus sicut per
fines, quia scilicet habent causare passio-
nem in sensu, quandoque vero per causas
efficientes, quia scilicet habent causari ex
passionibus. Differunt autem passio et pas-
sibilis qualitas , quia passio cito transit,
sicut rubedo, quae fit ex verecundia, et
palliditas, quae fit ex timoré, dicuntur pas-
siones, quia cito transe unt, nec per talem
rubedinem vel palliditatem in lingua graeca
denominantur rubei vel pallidi, licet forte
non sic in lingua nostra, sed pro nunc de-
nominatur verecundans rubeus et timens
pallidus, et quia ita amor, et odiura, et
hujusmodi, quae omnia Philosophus, II.
Ethic, passiones vocat , fiunt cum aliqua
passione et transmutatione corporis et pa-
rum durant , sub istis passionibus compu-
tantur. Passibilis vero qualitas dicitur, quae
non cito transit , sicut dictum est de fri-
gore et calore. Si vero ira, amor, odium
170 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 4, CHAPITRE 5.
sions relativement à l'ame , duraient longtemps , on les nommerait
qualités passibles.
CHAPITRE Y.
De la quatrième espèce de la qualité , qui est la forme , ou la figure
constante dans une chose.
La quatrième espèce de la qualité est la forme ou figure constante
d'une chose. Il faut savoir que la forme peut se prendre de deux ma-
nières. La première comme un acte, et ainsi elle appartient aux
transcendants, parce qu'elle se trouve dans plusieurs prédicaments.
La forme est encore des transcendants, parce qu'elle se trouve dans le
prédicament de la substance, de la quantité et de la qualité et autres,
et ce n'est pas dans ce sens qu'elle se prend ici. Pour comprendre ce
qui provient ici de la forme, occupons-nous d'abord de la figure qui
nous est plus connue. Sur ce il faut savoir , qu'ainsi qu'il a été dit
plus haut, le propre de tout le prédicament de la quantité est l'affir-
mation de l'égalité ou de l'inégalité à son égard. D'où elle-même
* d'abord , et secondairement toute chose est affectée de grandeur. La
raison de cela c'est que l'on appelle le propre d'une chose ce qui est
produit immédiatement par les principes de son essence; mais comme,
en supposant deux quantités de même espèce , il s'ensuit immédiate-
ment qu'elles sont éaales ou inégales, cette conséquence se manifeste
comme l'effet immédiat des principes essentiels. Donc l'égalité ou
l'inégalité de la quantité, à quelque degré qu'elles se produisent dans
le genre de la relation, sont néanmoins le propre de la quantité. Il en
est donc ainsi de la figure par rapport à la quantité continue ayant
une position, telles que la ligne, la surface, le corps et le lieu. Car il
est de la ligne d'être droite, courbe; de la surface d'être triangulaire,
quadrangulaire , ainsi de suite; du corps d'être pyramidal, cubique
et hœc quee hic Philosophus passiones se-
cundum animam vocat, diu durarent, pas-
sibiles qualitates dicerentur.
CAPUT V.
De quarla specie qualitatis , quœ est forma,
vel circa aliquid constans figura.
Quarta vero species qualitatis est forma
vel circa aliquid constans figura. Sciendum
quod forma potest sumi dupliciter. Uno
modo, ut est actus quidam , et sic est de
transcendentibus , quia in pluribus praedi-
camentis invenitur ; ideo etiam forma est
de transcendentibus , quia invenitur in
prœdicamento substantiae , quantitatis et
qualitatis, et hujusmodi, et isto modo non
sumitur forma hic. Ad videndum quid im-
portatur hic per formam, primo videamus
de figura, qua: est nobis magis nota. Unde
sciendum, quod ut supra diclum est, pro-
prium totius prajdicamenti quantitatis est
secundum eam œquale vel inéequale dici :
unde ipsa primo vel secundario omnis res
quanta est. Ratio est , quia illud dicitur
esse proprium alicujas, quod immédiate
causa Sur a principiis suse essentise ; sed
quia positis duabus quantitabus ejusdem
speciei, statim sequitur, quod sunt œquales
vel inœquales, hoc statim sequitur tan-
quam immédiate causatum ex principiis
essentialibus ; quantitatis ergo œquale et
inaequale quantumcumque sint in génère
relationis, tamen sunt proprium quanti-
tatis. Sic ergo se habet figura respectu
quantitatis continuée habentis positionem ,
cujusmodi sunt linea , superficies , et cor-
pus, et locus. Nam ad lineam sequitur
rectum vel curvum. Ad superficiem se-
quitur triangulare et quadrangulare, et hu-
jusmodi. Ad corpus sequitur pyramidale,
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. , 171
et ainsi de suite; pour le lieu pris matériellement, sa figure change
suivant ce qu'il contient. Or, toutes ces choses sont des figures qui
appartiennent à la quatrième espèce de la qualité. Car la figure n'est
pas une quantité, mais une qualité produite immédiatement par les
espèces ci-dessus de la quantité. C'est pour cela que la figure nous
fait mieux connoître la substance tant individuelle que spécifique,
que tout autre accident. Or, la quantité , quoique le fondement des
autres accidents, suit néanmoins la matière, et comme la matière par
elle-même n'est pas une cause de cognition, mais bien la seule forme,
il s'ensuit que la quantité ne nous fait pas bien connoître la substance
où elle se trouve. Mais comme la figure est quelque chose de formel,
et comme la forme a trait d'une manière absolue et immédiate à la
quantité qui ne peut être complétée par elle-même , ainsi qu'il a été
dit, ce qui n'a pas lieu pour les autres espèces de la quantité , il en
résulte que la figure nous fait plus parfaitement connoître la sub-
stance, comme on le voit clairement dans les figures sculptées des
hommes et des animaux ; tel est ce qui concerne la figure ; pour ce
qui est de la forme dans le sens où elle est prise ici, elle diffère de la
figure, quoiqu'elles appartiennent l'une et l'autre au même genre.
Car, ainsi que nous l'avons dit, la figure suit la quantité continue
ayant une position , tandis que la forme suit l'ame dans certains sa-
cremens. En effet, il y a un caractère imprimé dans l'essence de l'ame
par la réception de certains sacrements, lequel sert à distinguer ceux
qui ont reçu et ceux qui n'ont pas reçu ce sacrement; ainsi la forme
qui est dans la quatrième espèce de la qualité, ne pourroit pas être
appelée figure, parce qu'il n'y a pas de quantité continue. Il en est
néanmoins qui disent que toute figure peut être appelée forme, et que
ces deux choses sont comme synonymes.
cubicum et hujusmodi. Ad locum materia-
liter sumptum sequitur variatio figurae se-
cundurn variationem contenti ; omnia au-
tem praedicta figurae sunt , quae sunt in
quarta specie qualitatis. Non enim figura
est quantitas, sed qualitas immédiate cau-
sata a preedictis speciebus quantitatis ; et
inde est quod figura magis ducit nos in
cognitionem substantiae tam individualis
quam specificae, quam aliquod aliud acci-
dens. Quantitas autem licet sit fundamen-
tum aliorum accidentium, tamen sequitur
materiam, et quia materia de se non est
causa cognitionis , sed sola forma ; ideo
quantitas non bene 'ducit nos in cognitio-
nem substantiae in qua est. Sed quia figura
est tanquam quid formale , et forma ab-
solute se habet immédiate ad quantitatem,
a qua non potest absolvi quantitas, ut dic-
tum est, quod non est sic de aliis speciebus
quantitatis ; ideo figura perfectius ducit in
cognitionem substantiae , ut clare patet de
figuris animalium vel hominum sculptis,
et sic patet de figura- forma autem, ut hic
sumitur, differt a figura, licet ad idem
genus reducantur. Figura enim, ut dictum
est , sequitur quantitatem continuam ha-
bentem positionem , forma vero sequitur
animam habentem aliqua sacramenta.
Character enim impressus est in essentia
animae ex receptione aliquorum sacramen-
torum, quod est signum distinctionum in-
ter habentes illud sacramentum et non
habentes; sic forma quae est in quarta
specie qualitatis , non posset dici figura ,
quia ibi non est quantitas continua. Licet
aliqui dicant, quod omnis figura etiam
forma dici possit , et quod sint sicut syno-
nyma.
172
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 4, CHAPITRE 6.
CHAPITRE VI.
De la qualité et de ses conditions d'après ses trois modes.
Quel vient de qualité. Pour comprendre ceci il faut savoir que dans
tous les prédicaments il y a deux modes d'intellection et de significa-
tion , l'un abstrait et l'autre concret. Car tout ce que nous concevons
ou connoissons ut quo est, est habitude , ou, ut quod est , est l'être
qui en est revêtu. En effet, l'humanité se comprend comme une chose
par quoi est quelque chose, c'est par l'humanité que l'homme est
homme. Il en est de même de la blancheur; en effet, c'est par la
blancheur qu'une chose est blanche , et l'homme et la blancheur se
conçoivent ut quod est, et comme ayant l'humanité et comme ayant la
blancheur. Le quale s'explique ainsi : le quale est ce qui est dénommé
suivant la qualité. Il faut savoir que logiquement blanc est dénommé
par la blancheur, mais non vice versa, car les choses vraiment déno-
minatives doivent avoir trois propriétés , la première c'est de s'ac-
corder dans les termes avec la chose qui les dénomme , comme dans
le principe, la seconde de différer dans la fin, la troisième de signifier
la même chose , l'une cependant ut quo aliquid est , l'autre ut quod
est, et comme possédant, ainsi qu'il y a lieu pour la blancheur. En
effet, blancheur et blanc s'accordent dans le principe quant au terme,
et diffèrent à la fin , et signifient la même chose , quoique de diffé-
rentes manières. Il faut savoir que certaines choses qualia possèdent
parfaitement ces trois propriétés , comme blanc , et d'autres qui dif-
fèrent des choses qui les dénomment dans la signification , comme
coureur, athlète, en tant qu'elles sont dans la seconde espèce de la
qualité. En effet, le coureur et l'athlète sont dénommés par la course
et le pugilat et non par la puissance, car une telle puissance n'a pas
CAPUT VI.
De qualitale et conditionibus ejusdem ex
tribus modis ejus.
Quale autem sumitur a qualitate. Ad
quod intelligendum scieudum est, quod
omnium praedicamentorum duplex est
modus intelligendi vel siguificandi , scilicet
abstractus et concretus. Omne euim quod
intelligimus vel cognoscimus , ut quo est,
est habitum ; vel ut quod est , est habens.
Humanitas enim intelligitur ut quo est ali-
quid; humanitate enim homo est homo.
Similiter se habet de albedine ; albedine
enim aliquid est album , homo vero , et
album intelligitur ut quod est , et ut ha-
bens humanitatem et ut habens albediuem.
De scribitur autem quale sic. Quale est,
quod secundum qualîtatem denominatur.
Sciendum enim logicum album denomi-
natur ab albedine et non e converso ; nam
vere denominativa tria debent habere.
Primo, quod conveniant in voce cum eo a
quo denominantur , scilicet in principio.
Secundo , quod différant in fine. Tertio ,
quod idem significent, unum tamen ut quo
aliquid est et alterum ut quod est et ut
habens, sicut se habet de albedine et albo.
Conveniunt enim albedo et album in prin-
cipio quantum ad vocem , et differunt in
fine vociSj et significant idem , licet diver-
sis modis. Sciendum , quod qusedam sunt
qualia quse omnia ista tria perfecte habent,
ut album ; quœdam vero sunt qualia quae
differunt ab his, a quibus denominantur in
significatione , sicut cursor et pugilator,
prout sunt in secunda specie qualitatis.
Cursor enim et pugilator denominantur
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 173
de nom, ou ils sont dénommés par la course et le combat qui ne sont
pas dans la seconde espèce de la qualité, c'est pour cela qu'ils ne s'ac-
cordent pas dans la signification avec les choses qui servent à les dé-
nommer. Il est d'autres qualia qui sont appelés dénominatifs, lesquels
ne s'accordent avec les choses qui les dénomment, ni dans le terme,
ni dans le principe , ni dans la fin, ni dans la signification , comme
quand on dit studieux à raison de la vertu. Ainsi ces deux derniers
modes du qualis sont appelés diminutifs, parce qu'ils ne se disent pas
dénominativement d'une manière parfaite ; voilà ce qui regarde la
qualité.
CHAPITRE VII.
Des communautés et des propriétés de la qualité.
Il y a contrariété dans la qualité, mais non dans toute. Nous avons
dit dans le prédicament de la substance comment il faut entendre
ceci. Or, Aristote dit que l'on doute si la qualité prend le plus et le
moins, mais il n'en est pas de même du qualis, car on doute si la
justice est quelque chose de plus ou de moins , mais on n'a pas ce
doute sur le juste, qui est appelé justior ou plus juste. Nous avons
dit au même endroit comment il faut l'entendre. Le propre de la qua-
lité consiste à être dit par rapport à elle semblable ou dissemblable,
ce que nous avons expliqué dans le prédicament de la quantité, etc.
ab arte currendi et pugilandi , et non a po-
tentia, quia non est nonien impositum tali
potentiœ. Vel dicuntur denominative a
cursu et pugna , quse non sunt in secunda
specie qualitatis, et ideo non conveniunt
in signiflcatione cum his a quibus deno-
minantur. Aliqua vero qualia dicuntur de-
nominativa, quœ cura his a quibus deno-
minantur , nullo modo conveniunt nec in
voce, nec in principio, nec in fine, nec in
signiflcatione , ut a -virtute dicitur studio-
sus. Et sic praedicti duo ultimi modi qua-
lis, diminute dicuntur , quia non dicuntur
perfecte denominative , et sic patet de
quautate.
CAPUT VII.
De comunilalibus el proprielalibus qua-
litatif.
Inest autem qualitati contrarietas , licet
non omni, quod qualiter intelligatur, dic-
tum est in prsedicamento substantiae. Dicit
autem Philosophus, quod dubitatur, utrum
qualitas suscipiat magis, et minus, non au-
tem dubitatur de quali, nam dubitatur
utrum justitia sit magis, vel minus, non
autem utrum justus , quia dicitur justior,
seu magis justus, quod qualiter intelligatur,
ibidem dictum est. Proprium vero quali-
tatisest secundum eam simile, veldissimile
dici, quod in prœdicamento quantitatis de-
claratum est, et sic patet, etc.
174 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 5, CHAPITRR 1.
TRAITÉ V.
DU PRÉDICAMENT AD ALIQUID.
CHAPITRE PREMIER.
Ce qu'est ad aliquid, suivant V intention logique.
Après avoir traité des prédicaments absolus, il faut parler des pré-
dicaments relatifs , et d'abord de la relation. Il faut observer que,
comme la relation a peu de chose de l'entité, Aristote ne s'en occupe
pas, mais seulement des relatifs qui, à raison de leur concrétion, sont
susceptibles d'être mieux connus de nous, car il les appelle relatifs à
quelque chose et les définit ainsi : Ad aliquid talia dicuntur, quœ-
cumque hoc ipswn quod sunt , aliorum dicuntur, vel quomodoiïbet
aliter ad aliud. Pour comprendre cette définition il faut savoir qu'il
y a certaines choses relatives suivant l'attribution , d'autres suivant
l'être; d'autres sont relatives réellement , d'autres suivant la raison.
On appelle relative suivant l'attribution les choses qui disent de l'objet
principal qu'elles signifient ce qui concerne un autre prédicament, et
secondairement la relation ou le rapport. Comme la science dit l'ha-
bitude de l'ame du principal sujet qu'elle désigne , et elle se trouve
ainsi dans la première espèce de la qualité; secondairement, elle dit
le rapport à ce qui est susceptible d'être appris, et les sens relative-
ment au sensible, c'est une certaine puissance dans la seconde espèce
de la qualité , tels sont les relatifs suivant la signification. Les relatifs
suivant l'être sont ceux qui à l'égard de l'objet principal qu'elles dé-
signent signifient le rapport à un autre. Les relatifs réels sont ceux
qui doivent réellement être rapportés par tout acte circonscrit de
TRACTATIS Y.
DE PR.EDICAMENTO AD ALIQUID.
CAPUT I.
Quid sit ad aliquid secundum intentionem
logicam.
Dicto de praedicamentis absolutis, dicen-
dum est de respectivis. Et primo de rela-
tioDe. Notandum, quod quia relatio parum
habet de entitate, ideo de ipsa non tractât
Philosophus, sed solura de relativis, quae
propter concretionem magis a nobis pos-
sunt cognosci , vocat enim relativa ad ali-
quid, et diffînit ea sic. Ad aliquid talia di-
cuntur, quaeeumque hoc ipsum quod sunt,
aliorum dicuntur, -vel quomodolibet aliter
ad aliud. Ad intelligentiam hujusdilîinitionis
sciendum, quod qusedam sunt relativa secun-
dum dici, quœdam secundum esse, quœdam
sunt relativa realia, quœdam veru secun-
dum rationem. Relativa secundum dici ea
dicuntur, quae de suo principali siguificato
dicunt rem alterius prœdicamenti , secun-
dario autem dicunt relationem, seu dicunt
respectum, sicut scientia de suo principali
signato dicit habitum animœ, et sic est in
prima specie qualitatis , secundario autem
dicit respectum ad scibile, et sensus ad
sensibile, quae est quœdam potentia in se-
cunda specie qualitatis , et talia sunt rela-
tiva secundum dici. Relati va vero secundum
esse sunt qu;e de suo principali siguificato
significant respectum ad alium. Relativa
realia sunt, quae habent referri realiter cir-
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 175
l'intelligence, comme le père, le fils. En effet, le père est rapporté au
fils, et le fils au père par tout acte circonscrit de l'intelligence , parce
que le père a réellement engendré le fils , et le fils a réellement été
engendré par le père. Il faut observer que, pour que la relation soit
réelle, cinq choses sont requises, deux du côté du sujet, deux du côté
du terme, et une du côté des choses qui sont l'objet de la relation. Et
d'abord du côté du sujet, il faut que la relation suppose quelque fon-
dement réel en ce qui lui appartient comme sujet. Ainsi le non-être
ne peut pas avoir de relation réelle. La seconde chose du côté du sujet,
c'est qu'il y ait en lui une raison fondamentale , cause et motif de la
relation, de sorte que l'objet de la relation renferme quelque chose
de réel, comme le moteur dans ce qu'il fait mouvoir renferme une
puissance active en vertu de laquelle il peut agir. D'où il suit qu'à
raison du défaut de cette condition la chose comprise n'est pas rap-
portée réellement à celui qui comprend, parce que la chose comprise
en ce qui le concerne est dénommée par l'acte de l'intellection qui ne
met réellement rien dans la chose comprise, mais bien dans celui qui
comprend. La troisième chose requise, la première du côté du terme,
c'est que le terme qui est l'objet de la relation soit une chose quelcon-
que. La quatrième, c'est que le terme soit réellement différent d'un
autre corrélatif, car il n'y a pas de relation réelle d'une chose à' elle-
même. La cinquième , qui regarde les corrélatifs , c'est qu'ils soient
du même ordre, c'est-à-dire qu'ils soient tous deux limités au genr^
et à l'espèce, ou qu'ils soient l'un et l'autre hors du genre, de sorte que
la raison du genre et de l'espèce réponde également à tous deux.
Quelle que soit celle de ces conditions qui manque dans tout relatif,
il n'y aura pas de relatif réel , mais seulement un relatif de raison.
C'est pourquoi il n'y a pas de relation réelle de Dieu à la créature,
cumscripto omni actu intellectus, ut pater,
et filius. Circumscripto enim omni actu in-
tellectus, pater refertur ad filium, et filius
ad patrem, quia realiter pater genuit filium,
et filius a pâtre fuit genitus. Notandum,
quod ad hoc ut relatio sit realis, quinque
requiruntur, duo ex parte suhjecti, duo ex
parte termini, et unum ex parte relatorum.
Primum ex parte subjecti est, quod relatio
supponat aliquod fundamentum reale in
eo , cujus est ut subjecti , unde non entis
non potest esse relatio realis. Secundum ex
parte subjecti est, quod in eo sit ratio fun-
damentalis quare referatur, ut videlicet
illud secundi quod dicitur referri , inclu-
dat aliquod reale, sicut movens in eo quod
movet, includit potentiam activam secun-
dum quam potest agere, unde propter de-
fectum hujus conditionis res intellecta non
refertur realiter ad intelligentem, quia res
intellecta in eo, quod hujus , denominatur
ab açtu intelligendi , qui nihil secundum
rem ponit in re intellecta, sed solum in in-
telligente. Tertium quod requiritur, est
primum ex parte termini, est, quod termi-
nus ad quem est relatio; sit res qu*edam.
Quartum est, quod terminus sit diversus
realiter ab alio correlativo, quia ejusdem
ad se ipsum non est relatio realis. Quintum
autem, quod ratio ex parte correlativorum
est, quod sint ejusdem ordinis, ita videlicet
quod ambo sint limitata ad genus, et spe-
ciem, vel ambo sint extra genus, ita quod
ex œquo respondeat eis ratio generis , aut
speciei. Quacunque autem harum conditio-
num non existente in quocunque relativo,
non erit relativum reale, sed secundum
rationem, unde Dei ad creaturam non est
176 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 5, CHAPITRE 2.
parce que tout ce qui est en Dieu n'est pas dans le genre de relation.
D'où il résulte que, bien que Dieu soit réellement le maître de toutes
les créatures, et les créatures ses sujettes, néanmoins le maître n'est
pas en Dieu un relatif réel , parce que ce domaine n'est pas dans le
genre de la relation ex œquo comme l'espèce opposée correspondante
à la servitude de la créature. Il a été traité fort au long des autres
quatre conditions. Il faut remarquer que le domaine du côté de Dieu
est quelque chose d'infini, à quoi ne peut pas correspondre d'une ma-
nière adéquate la servitude de la créature qui est bornée. Or, l'infini
ne correspond pas au fini, parce qu'il est plus étendu. Donc le do-
maine de Dieu est une relation de raison , tandis que la servitude de
la créature est bien une relation réelle; ainsi s'explique ce qui re-
garde les corrélatifs mentionnés plus haut. En effet, la formule ren-
ferme tous les relatifs, tant les relatifs suivant l'attribution , que les
relatifs suivant l'être, les relatifs réels comme les relatifs de raison.
Car ils sont tous dits ad alia , c'est-à-dire aux corrélatifs , soit dans
l'habitude du cas appelé génitif, comme le père est père du fils, soit
de toute autre manière, c'est-à-dire dans l'habitude de toute espèce
de cas, comme le semblable est semblable au semblable, soit du géni-
tif, comme une grande montagne relativement à une petite , soit de
l'ablatif , comme le supérieur est plus grand que le supérieur. Telle
est la première définition.
CHAPITRE II.
De la seconde définition des relatifs qui convient aux relatifs suivant
l'être, et aux relatifs réels.
Voici secondement la définition de ad aliquid. On appelle ad ali-
quid les choses dont l'être est de se rapporter en quelque manière à
une autre chose. Cette définition ne convient qu'aux relatifs suivant
relatio realis, quia quicquid est in Deo, non
est in génère relationis. Unde licet Dens
realiter sit dominus creaturae; et creatura
realiter serva, tamen dominus non est in
Deo relativum reale, quia illud dominium
non *st in génère relationis ex œquo ut
opposita species servituti creaturae corres-
pondons. De aliis quatuor conditionibus
jam examplificatum est. Notandum , quod
dominium ex parte Dei est quid infmitum,
cui non adaequatur ut possit correspondere
servitus craturae , quœ est Imita, infmitum
autem non correspondet finito , quia plus
habet. Dominium ergo Dei est relatio ra-
tionis, servitus vero creaturae est relatio
realis , ex his patet descriptio relativorum
supra posita. Nam ipsa comprehendit om-
nia relativa tam secundum dici quam se-
cundum esse, tam relativa realia, quam re-
lativa rationis. Omnia namque dicuntur ad
alia, scilicet ad correlativa , vel in habitu-
dine casus genitivi , propter quod dicit ,
aliorum dicuntur, ut pater filii pater, sive
quomodolibet aliter, id est , in habitudine
cujuscunque casus, sive dicti, ut similis si-
mili similis , sive accusativi , ut mons ma-
gnusad parvum montem, sive ablativi, ut
majus majore majus, et sic patet prima
diffinitio.
GAPUT II.
De secunda diffinilione relativorum , quœ
convenil relalivis secundum esse , et rea-
libus.
Diflinitur secundo. Ad aliquid sic. Ad
aliquid sunt, quibus hoc ipsum est esse, ad
aliud quodammodo se hahere, hœc diiïini-
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 177
l'être, et aux relatifs réels. Car leur être consiste à se rapporter à une
autre chose. Il faut remarquer que pour constituer une relation deux
choses sont requises, l'une comme fondement, l'autre comme terme,
sans lesquelles la relation non-seulement ne pourroitpas exister, mais
ne pourroit pas même être conçue. Par exemple : La similitude de-
mande deux objets blancs réels , dont l'un est fondement et l'autre
terme. En effet, la ressemblance de Socrate blanc avec Platon blanc
est dans la.blancheur de Socrate en fondement, et comme en terme
dans la blancheur de Platon. Il en est réciproquement de même de la
ressemblance de Platon avec Socrate , car dans deux choses sem-
blables il y a deux ressemblances, l'une comme le fondement de
l'autre, et comme terme de l'autre, il en est ainsi réciproquement de
la seconde. Or, quand je dis que la ressemblance de Socrate a sa blan-
cheur comme fondement, il ne faut pas entendre que la ressemblance
de Socrate soit en lui quelque chose de différent de la blancheur elle-
même ; ce n'est que la blancheur en tant qu'elle se rapporte à la blan-
cheur de Platon comme au terme. Si, en effet, la similitude ajoutoit
quelque chose à la blancheur de Socrate, personne ne pourroit res-
sembler à un autre sans subir un changement dans sa personne; or
on peut ressembler à un autre sans subir aucun changement, la chose
est évidente, car si un Indien devenoit blanc, il deviendroit semblable
à moi, et moi à lui, sans éprouver aucun changement. En effet, la
similitude n'ajoute en moi à la blancheur rien qui y soit réellement,
comme on le voit évidemment.
tio eonvenit solum relativis secundum esse,
et realihus, eorum namque esse est ad aliud
se habere. Notandum, quod ad constitutio-
nem relationis duo requiruntur. Unum ut
fundamentum, aliud ut terminus, sive qui-
bus relatio non solum non posset esse, sed
etiam non posset intelligi. Verbi gratia.
Similitudo requirit duo alba realia, quo-
rum unum est fundamentum, alterum ter-
minus. Similitudo enim Sortis albi ad Pla-
tonem album, in albedine Sortis est ut in
fudamento, in albedine vero Platonis est ut
in termino. E conversose habet de similitu-
dine Platonis ad Sortem, semper enim in
duobus similibus sunt duœ similitudines.
Una uuius ut fundamentum, et alterius ut
terminus, et alia est e converso : cum autem
dico, quod similitudo Sortis habet albedi-
nem ejus ut fundamentum, non est intel-
ligendum, quod similitudo Sortis sit aliqua
res in Sorte alia ab ipsa albedine, sed so-
lum est ipsa albedo, ut se habet ad albe-
dinem Platonis ut ad terminum. Si enim
similitudo adderet supra albedinem Sortis
aliquam rem, nullo modo posset aliquis
alicui tieri similis sine sui mutatione; fit
autem homo similis alicui sine sui muta-
tione, ut patet ; nam si quis in India iieret
modo albus, fieret similis mihi, çt ego sibi,
nulla in me facta mutatione. Similitudo
enim in me nullam rem addit supra albe-
dinem, qua) realiter sit in me, ut patet.
12
178
OPUSCULE XL VU, TRAITÉ 5, CHAPITRE 3.
CHAPITRE III.
Que la relation ne diffère de son fondement que par la réalité
extrinsèque.
Il ge produit ici un cloute. En effet, les dix prédicaments étant dix
genres de choses réellement différents entre eux, si la relation n'a-
joute rien au fondement, il s'ensuivra qu'elle n'est pas différente du
fondement, et de cette manière la similitude et la blancheur ne seront
pas dans un fondement différent, ce qui est complètement faux. Il
faut dire que la division de l'être en dix prédicaments est une division
en dix choses différentes réellement, ou quant à ce qu'ils signifient
différentes choses intrinsèqument et réellement, comme la substance,
la quantité, la qualité qui se comparent entre elles comme choses dif-
férentes, ou quant à ce qu'ils signifient diverses choses extrinsèque-
ment, parce que l'un importe une chose différente qui est étrangère
au reste , et ainsi la relation diffère de son fondement parce qu'elle
importe une opposition de relatif. En effet, de même que nous disons
que le tout est différent de sa partie, non pas comme une chose d'une
autre, mais comme quelque chose qui importe plus que la partie, car
l'homme diffère de l'ame, parce qu'il importe la matière , ce que ne
fait pas l'ame, ainsi la relation diffère de son fondement, parcequ'elle
signifie une chose de fondement , et un terme opposé que n'exprime
pas le fondement. Tel est l'exposé de la seconde définition des relatifs.
Si, en effet, le véritable être des relatifs consiste en cela qu'ils im-
portent quelque chose comme fondement et quelque chose de plus,
savoir un terme , il s'ensuit que leur être consiste dans des rapports
ad aliud.
caput m.
Quod relatio differt a suo fundamenlo rea-
litate extrinseca solum.
Sed hic oritur dubium. Cum enim de-
cem prœdicamenta sint decem gênera re-
rum inter se realiter differentia, si relatio
nullam rem addit supra fundamentum,
ergo non erit alia res a fundamento, et sic
non erit in alio génère similitude, quam
albedo quod, omnino falsum est. Dicendum,
quod divisio entis in decem prœdicamenta
est divisio in decem diversa secundum rem,
vel quantum ad hoc, quod dicunt diversas
res intrinsece, et realiter, sicut substantia,
quantitas,et qualitas, quœ comparata ad in-
vicern, sicut diversœ res; vel in quantum
dicunt diversas res extrinsece, quia unum
importât aliquam rem diversam, quam non
importât reliquum, et sic relatio differt a
suo fundamento, quia importât oppositum
relativi. Sicut enim dicimus, quod totum
differt a sua parte, non sicut res a re, sed
sicut illud quod importât plus quam pars
(homo enim differt ab anima, quia impor-
tât materiam, quam non importât anima),
sic relatio differt a suo fundamento , quia
relatio dicit rem fundamenti , et opposi-
tum terminum quam non dicit fundamen-
tum. Ex his patet secunda diffinitio relati-
vorum. Si enim verum esse relativorum
in hoc consistit, scilicet quod importât ali-
quid ut fundamentum, et aliquid ultra,
scilicet terminum, esse ergo eorum est ad
aliud se habere.
SUR LA LOGIQUE D ÀRISTOTE.
179
CHAPITRE IY.
Que l'entité des relatifs se tire des fondements.
Et comme l'entité des relatifs vient en quelque sorte toute des fon-
dements, il faut donc examiner en quoi la relation peut se fonder. Il
faut observer , ainsi qu'on le dit communément, que les relatifs se
fondent sur trois choses, savoir, l'action et la passion, la mesure et
l'objet mesuré, et l'unité ; rien néanmoins n'empêche que la relation
ne puisse se fonder immédiatement sur la substance, puisque la ma-
tière selon son essence et non pas quelque chose qui lui soit ajouté se
rapporte à la forme, et de même la créature au Créateur; mais com-
munément la relation est fondée sur les trois choses que nous venons
de dire. En effet , le fondement de la paternité est une action, c'est-à-
dire la génération par laquelle un homme engendre un fils; et le
fondement de la filiation est une passion ou une génération passive,
par laquelle un être est engendré. Il en est de même du maître et du
serviteur. D'autre part le double, la moitié , le triple , le quadruple,
ainsi de suite sont fondés sur la mesure et sur l'objet mesuré. Il en
est de même de la relation qui existe entre le sens et le sensible , la
science et son objet, laquelle est fondée sur la mesure et l'objet me-
suré. En effet, l'objet de la science se rapporte à la science, ce qui
est sensible au sens comme la mesure à l'objet mesuré. Dans la sub-
stance c'est sur l'unité qu'est fondée l'identité , de même que l'égalité
dans la quantité, et la similitude dans la qualité, ainsi qu'il a été dit,
c'est pourquoi on peut établir diverses espèces de relatifs suivant ces
divers fondements. On peut aussi assigner différemment leurs espèces,
sur la position, par exemple, comme le père et le maître, sur la sup-
position, comme le fils et le serviteur, sur l'équivalant, comme égal
et semblable, etc.
CAPUT IV.
Quod enlitas relativorum sumilur a funda-
mentis.
Et quia entitas relativorum quasi tota
est a fundamentis, ideo videndum est in
quibus possit relatio fundari. Notandum
quod ut communiter dicitur, relativa fun-
dantur in tribus, scilicet in actione et pas-
sione, in mensura et mensurato, et in uno,
nihil tamen obstat quin relatio non possit
fundari immédiate in substantia, cum ma-
teria secundum suam essentiam non per
aliquid sibi additum referatur ad formam,
et creatura similiter ad creatorem , sed
communiter relatio in tribus praedictis fun-
datur. Fundamentum enim paternitatis est
actio , scilicet generatio qua quis genuit
iîlium, et fundamentum filiationis est pas-
sio, scilicet generatio passiva, qua quis ge-
nitus est, et similiter se habet de domino,
et servo. Duplum vero , et dimidium, et
triplum, et subtriplum, et hujusmodi fun-
dantur in mensura, et mensurato, similiter
et relatio quae est inter sensum et sensi-
bile, et scientiam , et scibile, fundatur su-
per mensura , et mensurato. Scibile enim
ad scientiam , et sensibile ad sensum , se
habent ut mensura et mensuratum. In uno
vero in substantia , fundatur identitas , in
uno in quantitate, «qualitas, in uno in qua-
litate, similitude ut supra dictum est.
Unde secundum illa diversa fundamenta
possnnt sumi divers* species relativorum,
possunt et assignari aliter eorum species,
scilicet super positionem ut pater et do-
minus; suppositionem, ut filius etservus,et
sequiparantiam, ut œqualis, et similis, etc.
180
OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 5, CHAPITRE 5.
CHAPITRE Y.
Des communautés et des propriétés des relatifs.
Pour ce qui est des relatifs qui reçoivent le plus et le moins et la
contrariété , et ceux qui ne reçoivent rien de tout cela , il faut savoir
que les relatifs reçoivent le plus et le moins et la contrariété quand
leurs fondements et leurs termes le reçoivent , et que ceux dont les
fondements et les termes ne reçoivent rien de cela, n'en reçoivent pas
non plus. Il faut observer que certains relatifs qui sont fondés sur
l'unité reçoivent le plus et le moins, comme plus inégal, ainsi qu'il a
été dit , à quelque degré que leurs fondements se refusent à le rece-
voir, et ils sont ainsi fondés sur l'unité quant à l'espèce , et cela s'a-
joutant avec la privation de plus grand ou de plus petit, et cette pri-
vation ne consistant pas dans le divisible et pouvant recevoir intention
ou rémission , il s'ensuit que égal reçoit plus ou moins et ainsi des
autres. Tous les relatifs se disent en conversion, comme le père père
du fils, le fils fils du père, et cela convient à tous les relatifs, et il
n'est pas nécessaire que la conversion se fasse toujours dans tous les
cas semblables. En effet, la science est dite scibilis scientia, et scibile
scientia scibile, et non scientiœ. Pour cette conversion , il faut qu'elle
se fasse ad aliud et suivant le nom à raison duquel elle est dite ad
aliud, car la tête ne se dit pas par conversion par rapport à l'animal.
En effet , si la tête de l'animal est dite tête, l'animal ne peut pas néan-
moins être dit l'animal de la tête, parce que la tête ne se rapporte pas
à l'animal suivant le nom qui est animal, mais suivant un autre qui
est muni de tète. C'est pourquoi on dit pour la conversion, caput ca-
caput v.
De communitatibus et proprielatibus relali-
vorum.
Quse autem relativa suscipiunt magis, et
minus, et contrarietatem, et quae non,
sciendum quod cum relativa quorum fun-
damenta , et termini suscipiunt magis,, et
minus, et contrarietatem, ipsa etiam susci-
piunt magis, et minus, et contrarietatem,
quorum vero fundamenta, et termini non
suscipiunt magis, et minus, nec contrarie-
tatem, nec et ipsa suscipiunt. Notandum,
quod queedam relativa, quœ fundantur in
uno, quantumcumque non suscipiant ipso-
rum fundamenta magis , nec minus , ipsa
tamen suscipiunt magis, vel minus, ut inae-
qualior , ut dictum est , et ita fundantur
in uno secundum speciem, et cum hoc ad-
datur cum privatione majoris, ut minoris,
et quia talis privatio non consistit in divi-
sibili, sed potest intendi et remitti, inde est
quod aequale suscipit magis , et minus , et
sic de aliis. Dicuntur autem omnia relativa
ad convertentiam , ut pater filii pater, et
fdius patris filius, et hoc convenit omnibus
relativis , nec oportet , quod convertentia
fiât semper in omnibus casibus similibus.
Dicitur enim scientia scibilis seientia , et
scibile scientia scibile, et non dicitur scien-
tiee. Ad hoc autem quod talis convertentia
liât, oportet quod fiât ad aliud , et secun-
dum id nomen , secundum quod ad aliud
dicitur, non enim dicitur secundum con-
vertentiam caput ad animal. Sic enim dici-
tur caput aniinalis caput , non tamen po-
test dici animal capitis animal , quia non
refertur caput ad animal , secundum hoc
nomen quod est animal, secundum aliud
nomen, scilicet capitatum. Unde hœc di-
cuntur ad convertentiam , caput capitati
caput , et capitatum capite capitatum , et
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 181
pitati caput, etcapitatum capite capitatum. Aussi quand on ne trouve
pas de terme semblable , il est permis de le forger , comme remus ne
se dit pas navis remus , hé bien inventons un mot et nous dirons
remus rei remitœ remus, et c'est ainsi que se traitent tous les relatifs
pour la conversion. Or tous les relatifs sont vrais de leur nature ; en
effet, si l'être du relatif est de se rapporter ad aliud, comme il a été
dit, en établissant un relatif on établit immédiatement son corrélatif,
et par conséquent posita se ponunt, et perempta se perimunt. Le
propre des relatifs est qu'en connoissant définitivement une chose, on
sache définitivement le reste. Car si la définition est un discours ex-
pliquant ce qu'est l'être de la chose, et il faut nécessairement un cor-
rélatif à l'être d'un relatif, celui qui connoît l'être d'un relatif, doit
nécessairement connoître l'être de son corrélatif. Tel est le prédica-
ment ad aliquid.
CHAPITRE VI.
Des six autnes prédicaments et de leur prédication en commun.
Nous allons nous occuper maintenant des six autres prédicaments
qui sont appelés principes. Il est à remarquer que comme les prédica-
ments sont les ordonnances des prédicables, ainsi qu'il a été dit, ils
sont conséquemment connus par la prédication ou dénomination; or,
une chose peut se dire d'une autre de deux manières dénominative-
ment, ou la dénommer. La première manière, c'est que cette prédica-
tion ou dénomination se fasse par quelque chose qui soit intrinsèque
à ce qui est l'objet de cette prédication ou dénomination, c'est-à-dire
qui le complète soit par identité , soit par inhérence , et cela encore
arrive de deux façons. Premièrement , lorsque cette dénomination se
fait d'une manière absolue et en elle-même , et c'est ainsi que dé-
ideo si aliquando taie nomen non invenitur,
licet illud fingere , ut remus non dicitur
navis remus, sed fingamus nomen, et dica-
mus remus rei remit* remus, et sic om-
nia relativa dicentur ad couver tentiam.
Sunt autem omnia vera relativa simul na-
tura , si enim esse relativi est ad aliud
se habere, ut dictum est, posito uno rela-
tivo, statim ponitur suum correlativum ,
et ideo posita se ponunt , et perempta se
perimunt. Proprium autem relativorum
est, ut qui diffiniti novit unum, diflinite
noscat et reliquum. Si enim difïinitio est
oratio quid est esse rei significans, ad esse
autem unius relativi requiritur necessario
correlativum, qui ergo cognoscit esse unius
relativi, oportet quod cognoscat esse sui
correlativi , et sic patet de praedicamento
ad aliquid, etc.
CAPUT VI.
De sex prwdicamentis,et eorum prœdicalione
in communi.
Nunc dicendum est de aliis sex prœdica-
mentis, quae sex principia dicuntur. No-
tandum, quod quia prœdicamenta sunt or-
dinationes prœdicabilium, ut supra dictum
est, ideo per prsedicari , seu denominare
cognoscuntur, dupliciter autem potest ali-
quid de alio prœdicari denominative , sive
illud denominare. Uno modo, quod talis
praedicatio, seu denominatio fiât ab aliquo
quod sit intrinsecum et de quo fit talis
praedicatio, seu denominatio, quod videli-
cet ipsum perficiat sive per identitatem,
sive per inhœrentiam , et hoc adhuc con-
tingit dupliciter. Uno modo, quod talis de
nominatio fiât absolute, et in se, et sic de
182 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 5, CHAPITRE 6.
nomment les trois prédicaments absolus, savoir, la substance, la
quantité et la qualité. C'est pourquoi nous disons Socrate est une sub-
stance par identité , ou il est quantus et qualis par inhérence ; secon-
dement , quand cette dénomination est ab intrinseco, en important
néanmoins quelque chose d'extrinsèque , comme le terme auquel se
rapporte ce qui est dénommé, c'est de cette manière que dénomme la
relation ; comme lorsque nous disons Socrate est égal ou semblable à
Platon. La seconde manière, lorsque la dénomination se fait ab ex-
trinseco, c'est-à-dire par ce qui n'est pas dans le dénommé formel,
mais qui est quelque chose d'absolu extrinsèque par quoi la dénomi-
nation se fait; comme lorsqu'on dit Socrate est agent, cette dénomi-
nation vient de la forme fluente qui est acquise dans l'être passif; car
la chaleur produite dans l'être passif a l'effet de dénommer quelque
chose de chaud, laquelle dénomination est extrinsèque, ne demande
rien autre chose pour en être dénommée que le sujet lui-même en qui
elle existe. Mais pour la dénomination de telle chose,.comme celui qui
se chauffe, une autre chose est requise du sujet de toute nécessité,
savoir la cause effective de la chaleur, parce qu'il faut aussi l'être
passif en qui se fait réchauffement. Il en est aussi de même du lieu
qui est une superficie, une superficie en effet pour dénommer ce dont
elle est la superficie ne demande que le sujet en qui elle existe ,
savoir un corps contenant, mais pour dénommer quelque chose,
comme le heu locaîum, elle demande autre chose différent du sujet
de la surface. C'est de cette manière que dénomment les six prédica-
ments dont nous nous occupons, et ces prédicaments qui dénomment
d'une dénomination extrinsèque importent une réalité différente de
la chose dénommée, que n'importent pas les autres prédicaments qui
dénomment extrinsèquement, quoique les choses d'où se tire cette
nommant tria praedicamenta absoluta, sci-
licet substantia, quantitas et qualitas. Unde
dicimus Sortes est substantia per identita-
tem, vel est quantus , et qualis per inhae-
rentiam. Alio modo, quod talis denomina-
tio sit ab intrinseco, importando tamen
aliquid extrinsecum ut terminum, ad quem
se habet illud quod denominatur , et ,isto
modo dénommât relatio, ut cum dicimus:
Sortes est aequalis, vel similis Platoni. Se-
cundo modo fit denominatio ab extrinseco,
scilicet ab eo quod non est in denominato
formali, sed est aliquod absolutum extrin-
secum , a quo fit talis denominatio , ut
cum dicitur , Sortes est agens , talis deno-
minatio est ab ipsa forma fluente, quae in
passo acquiritur, calor namque causatus in
passo ad hoc, quod denominet aliquid cali-
dum, quae denominatio est intrinseca, nihil
aliud requirit ut sic denominetur per ipsum,
nisi subjectum in quo est. Sed ad hoc ut
denominetur taie aliquid, puta calefaciens,
de necessitate requirit aliarn rem a sub-
jecto, scilicet causam effectivam caloiis,
quia requirit passum in quo est talis cale-
factio. Similiter est etiam de loco qui est
superficies quaedam; superficies enim ad
hoc ut denominet illud cujus est superfi-
cies, non requirit nisi subjectum in quo est,
scilicet corpus continens, sed ad hoc ut de-
nominet aliquid , sicut loeus locatum, re-
quirit aliud a subjecto superficiel. Et isto
modo denominant illa sex praedicamenta ,
et talia sic denominantia denominatione
extrinseca important aliam realitatem,
quam rem denominatam, quam non impor-
tant alia praedicamenta quœ extrinsece de-
nominant, licet ipsee res a quibus accipitur
talis denominatio sint eaedem , et talis di-
versitas sulïicit ad distinguendum praedica-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 183
dénomination soient les mêmes , et cette différence suffit pour dis-
tinguer les prédicaments ; c'est aussi de cette manière que ces six
prédicaments sont distingués des quatre premiers, c'est-à-dire par
les choses extrinsèques qu'ils dénomment, ce que ne font pas les
quatre premiers. Or, il faut savoir que la dénomination ab extrinseco,
demande quelque rapport par soi entre l'extrinsèque dénommant et
l'être dénommé par lui , parce qu'il est nécessaire que par soi et par
la condition des choses, ce mode de dénomination atteigne les choses,
c'est pour cela qu'il faut que ce qui opère cette dénomination soit
par soi le fondement de quelque habitude. Et comme l'habitude des
choses n'est point par soi le fondement d'une habitude, autrement on
iroit jusqu'à l'infini, aussi cette dénomination ne se fait point par le
rapport. Car avoir quelque chose de produit par soi qui appartient à
l'action, signifie un certain rapport, et avoir un lieu, et ainsi de suite.
Cependant ces prédicaments ne disent pas ces rapports, parce que ce
rapport appartient au genre de la relation. Mais les prédicaments sus-
dits ne disent que l'absolu, comme ce qui dénomme extrinsèquement.
En effet, réchauffement qui est une action dit la chaleur, qui est la
forme absolue et dénomme la cause efficiente', savoir celui qui se
chauffe et ainsi de suite. Il en est qui sont d'un autre avis. Car, suivant
eux, le rapport est des transcendants, et tout rapport n'est pas dans le
genre de la relation, mais le rapport se dit de sept prédicaments, sa-
voir de la relation et des six principes. C'est là la différence qui existe
entre le rapport qui est dans les relatifs et celui qui est dans les six
principes. Car dans les relatifs tout rapport exige en même temps
dans le terme ad quem un autre rapport qui lui corresponde, je dis
dans les vrais relatifs, tandis que dans les six principes le rapport ne
demande pas dans le terme ad quem un rapport quelconque qui lui
menta, et isto modo ista sex praedicamenta
a primis quatuor distinguuntur , scilicet
per res extrinsecas, quas dénommant, quod
non faciunt illa quatuor. Sciendum est
autem, quod denominatio ab extrinseco
requirit aliquem per se respectum mter ex-
trinsecHm denominans , et denominatum
ab eo, quia oportet quod per se et ex con-
ditione rerum talis modus denominandi
consequatur res, et ideo oportet, quod illud
a quo fit talis denominatio, sit fundarnen-
tum per se alicujus habitudinis, et quia ha-
bitudo rerum non est per se fundamentum
habitudinis, alioquin iretur in infinitum,
ideo talis denominatio non fit a respectu.
Habere enim aliquid a se productum, quod
pertinet ad actionem , dicit quemdam res-
pectum , et habere locum , et sic de aliis.
Ista tamen praedicamenta non dicunt hos
respectus, quia iste respectus pertinet ad
genus relationis,sedpraedicta praedicamenta
solum dicunt absolutum , ut denominans
extrincese. Calefactio enim quae est actio,
dicit calorem qui est forma absoluta, et
denominat causam efficientem scilicet ca-
lefacientem, et sic de aliis. Alii vero aliter
dicunt. Secundum enim eos respectus est
de transcendentibus, et non omnis respec-
tus est in génère relatioins, sed dicitur res-
pectus de septem praedicamentis scilicet de
relatione, et de sex principiis. Haec est au-
tem differentia inter respectum qui est in
relativis, et in sex principiis. Nam in rela-
tivis omnis respectus coexigit in termino
ad quem alium respectum sibi correspon-
dentem , et dico in veris relativis, sed in
sex principiis respectus non requirit in ter-
mino ad quem aliquem respectum sibi
correspondentem. Actio enim prout est
unum de sex principiis, dicit respectum
184 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 5, CHAPITRE 7.
corresponde. En effet, l'action, comme un des six principes, dit le
rapport dans le mouvement relativement à l'agent. C'est pourquoi ce
qui s'effectue entre l'agent et le patient , c'est-à-dire le mouvement
s'appelle raison à l'égard de l'agent, et passion à l'égard du patient;
néanmoins ce n'est ni dans l'agent ni dans le patient un rapport au
mouvement susdit , quoique ce soit un rapport de l'agent au patient,
et réciproquement, ces rapports ne sont pas action et passion , mais
bien deux relations, c'est-à-dire deux passifs et actifs. Il en est de
même dans le rapport du temps à la chose temporelle, et ainsi de suite.
CHAPITRE VII.
Ce que c'est que l'action suivant la raison prédicamentale dans les deux
opinions.
L'action est la forme suivant laquelle nous sommes dits agir dans
ce qui nous est soumis. Pour comprendre cela il faut savoir qu'il y a
deux actions. L'une qui est appelée action immanente, comme être
chaud. L'autre qui est appelée transitoire, comme échauffer. L'action
immanente n'est pas la cause effective d'une chose qui la mette en
acte, mais c'est la même chose qu'être en acte. En effet, être chaud
c'est la même chose qu'être dans l'acte de la chaleur , et en vertu de
cette action il est dit que l'on fait quelque chose qui est formellement
tel , comme la chaleur fait ou rend formellement chaud ce en quoi
elle se trouve. Car être chaud se compare à la chaleur comme l'acte
second au premier. Il est bon de remarquer que l'on peut prendre de
trois manières l'acte second et l'acte premier. La première manière
c'est que l'acte premier est une forme quelconque et l'acte second
l'action transitoire qui en diffère réellement , dans le même rapport
que la chaleur du feu et réchauffement qu'elle produit ; et dans ce
sens être chaud n'est pas l'acte second de la chaleur. Dans le second
in motu ad agens. Unde illud quod fit inter
agens , et patiens , scilicet motus respectu
agentis dicitur ratio, respectu vero patien-
tis dicitur passio,tamen nec in agente, nec
in patiente est respectus ad motum prae-
dictum , licet sit respectus agentis ad pa-
tiens, et e converso, qui respectus non sunt
actio, et p&ssio, sed duse relationes scilicet
activi, et passivi. Similiter etiam quando
dicit respectum temporis ad rem tempora-
lem, et sic de aliis, ut patet.
CAPUT VII.
Quid sit actio secundum rationem prœdica-
mentalem, juxta ulramqne opinionem.
Actio est forma secundum quam in id
quod subjicitur, agere dicimur. Ad quod
intelligendum sciendum , quod duplex est
actio. Una quae vocatur actio immanens,
ut calere. Alia quae dicitur transiens, ut
calefacere. Actio immanens non est causa
effectiva rei, ut sit in actu, sed est idem
quod esse in actu. Calere enim idem est,
quod esse in actu caloris, et secundum ta-
lem actionem dicitur agere aliquid quod
est formaliter taie, sicut calor facit, seu
agit formaliter calidum illud in quo est.
Calere enim comparatur ad calorem , sicut
actus secundus ad primum. Notandum ,
quod actus primus, et secundus potest dici
tripliciter. Uno modo sic, quod actus pri-
mus sit forma aliqua, et actus secundus sit
actio transiens, differens realiter ab ea, si-
cut se habet calor ignis, et ejus calefactio,
et isto modo calere non est actus secundus
caloris. Secundo modo dicitur actus pri-
SUR LA LOGIQUE d'âIUSTOTE. 185
sens l'acte premier est dit la forme qui est subordonnée, et acte
second l'acte qui lui est inhérent , comme sont la surface et la cha-
leur; dans ce sens être chaud n'est pas non plus l'acte second de la
chaleur. Dans le troisième sens l'acte premier et second sont pris sui-
vant qu'un seul et même acte peut être pris diversement selon qu'il
est considéré en lui-même ou dans quelqu'un où il existe actuellement,
comme l'on considère la chaleur suivant qu'elle est une certaine
forme en elle-même ; mais être chaud importe la même forme dans
l'habitude relativement à quelque chose qui en est affecté , parce que
être chaud c'est avoir la chaleur, ou être dans la chaleur. Pareillement,
concevoir et sentir sont des actions immanentes, parce qu'elles ex-
priment l'acte de la conception ou de la sensation, l'être en acte dans
celui qui conçoit ou qui sent. Or cette action immanente n'est pas
directement dans le prédicament de l'action, c'est pourquoi nous nous
en tiendrons là pour ce qui la concerne. La seconde action qui est
appelée transitoire constitue le prédicament de l'action. Il faut re-
marquer qu'ainsi qu'il est dit dans le livre III de la Phy s., l'action, la
passion et le mouvement sont une seule et même chose. C'est pour-
quoi réchauffement n'est autre chose que la chaleur en écoulement,
c'est-à-dire en tant qu'elle est un acte de ce qui existe en puissance,
ce qui est la même chose que le mouvement. Par exemple : supposons
de l'eau réchauffée par le feu, il est certain qu'il y a en elle une cha-
leur produite par la chaleur du feu , laquelle chaleur considérée sui-
vant son être est une forme, qui est la qualité dans la troisième espèce
de la qualité. Suivant qu'elle est en écoulement elle est appelée mou-
vement parce qu'elle entre de plus en plus en participation avec l'eau.
Elle est appelée action en tant qu'elle dénomme le feu qui réchauffe.
Car le feu à raison de la chaleur est dit réchauffant dans la première
mus forma quee subditur , et actus ei in-
hserens dicitur actus secundus ut sunt su-
perficies et calor, nec etiam isto modo
calere est actus secundus caloris. Tertio
modo, dicitur actus primus, et secundus,
secundum quod unus et idem actu potest
accipi ut consideratur in se, et prout con-
sideratur ut alicujus habentis ipsum actua-
liter. Sicut consideratur calor ut est quœ-
dam forma in se , calere vero importât
eamdem formam in habitudine ad aliquod
habens, quia calere est habere calorem, vel
esse in actu caloris. Similiter intelligere ,
et sentire sunt actiones immanentes, quia
dicunt actum intelligenti , vel sentiendi ,
esse actu in intelligente, vel sentiente. H;i'c
autem actio immanens non est directe in
pradicamento actionis, ideo de ipsa satis
dictum sit. Secunda vero actio, quje dici-
tur transiens facit prsedicamentum actio-
nis. Notandum, quod ut habetur, III Physic,
actio et passio, et motus sunt una et eadem
res. Unde calefactio nihil aliud est quam
calor ut est in fluxu , prout scilicet est ac-
tus existentis in potentia, quod idem est
quod motus. Verbi gratia. Dato quod aqua
calefieret ab igné, certum est , quod in ea
esset aliquis calor causatus a calore ignis,
qui calor quantum ad esse suum conside-
ratus, est forma, quae est qualitas in tertia
specie qualitatis. Secundum autem quod
est in fluxu, scilicet quia magis, et magis
participatur in aquam, dicitur motus. Se-
cundum autem quod denominat ignem
calefacientem, dicitur actio. Nam ignis se-
cundum eum dicitur calefaciens juxta pri-
mam opinionem, et secundum quod habet
respectum ad ignem ut ad causam efli-
186 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 5, CHAPITRE 7.
opinion, et en tant qu'elle a un rapport avec le feu, comme à la cause
efficiente , c'est une action suivant la seconde opinion, et réchauffe-
ment est dit action. Mais réchauffement est dit passion en tant qu'il
dénomme ou importe un rapport à quelque chose qui reçoit en com-
paraison avec ce dont elle reçoit. C'est pourquoi la raison de l'action,
comme prédicament , consiste en ce que action dit forme en mouve-
ment , ou un changement, ainsi qu'il y a lieu par la cause efficiente.
Aussi la cause efficiente qu'elle dénomme ou à laquelle elle se rap-
porte est de la nature de l'action. Il s'ensuit de là que l'action, quoi-
que la même fondamentalement que la chaleur , étant dans le même
prédicament avec réchauffement , comme elle est une passion , ainsi
qu'il a été dit plus haut dans le prédicament de la relation , quoique
la similitude soit la même chose que la blancheur, néanmoins comme
la similitude importe quelque chose que n'importe pas la blancheur,
savoir un terme ad quem, elle se trouve dans un autre prédicament
que la blancheur; de même dans le cas proposé, quoique échauffe-
ment comme action dise chaleur en mouvement , parce qu'elle se
dit action en tant qu'elle dénomme l'agent dans la première opinion,
ou exprime le rapporta l'agent, suivant la seconde opinion, auquel
n'ont aucun rapport la chaleur ni réchauffement comme passion , il
s'ensuit que réchauffement action se trouve dans un autre prédica-
ment que la chaleur ou réchauffement passion. Ainsi s'explique cette
description de l'action ; l'action est la forme suivant laquelle nous
sommes dits faire ce qui est soumis. C'est, en effet, la forme, qui est
en mouvement ou en mutation , suivant laquelle nous sommes dési-
gnés ou dénommés comme agents dans la première opinion, ou qui a
un rapport avec nous qui agissons comme à la cause efficiente, par la
raison que nous agissons sur la chose qui nous est soumise , c'est-à-
cientem, est actio juxta secundam opinionem
et dicitur calefactio actio. Galefactio vero
passio dicitur, ut denominat , vel importât
respectum ad aliquod recipiens in compa-
ratione ad id, a quo recipit. Unde ratio ac-
tionis prout est praedicamentum , consistit
in hoc quod actio dicit formam in motu,
vel mutatione ut est a causa efficiente. Unde
causa efficiens quam denominat, vel ad
quam habet respectum , est de ratione ac-
tionis, propter hoc sequitur, quod actio
quamvis sit eadem fundamentaliter cum
calore, quod sit in eodem praedicamento
cum calefactione, ut est passio, sicut etiam
supradictum est in praedicamento relatio-
nis, licet similitude sit eadem res cum al-
bedine, tamen quia similitudo importât
aliquid aliud quod non importât albedo,
scilicet terminum ad quem, est in alio praa-
dicamento qjsam sit albedo. Sic in propo-
sito, licet calefactio ut est actio, dicat ca-
lorem in motu , quia tamen dicitur actio
ut denominat agens, juxta primam opinio-
nem, vel dicit respectum ad agens , juxta
secundam opinionem, ad quod habet res-
pectum calor, nec calefaction ut est passio,
ideo calefactio actio est in alio praedica-
mento, quam calor , vel calefactio passio.
Ex his patet descriptio actionis supraposita,
scilicet. Actio est forma secundum quam
idquod subjicitur, agere dicimur. Est enim
forma, quae est in motu, seu in mutatione,
secundum quam dicimur seu denomina-
mur agentes juxta primam opinionem, vel
quae habet respectum ad nos, qui agimus,
sicut ad causam efficientem , scilicet quia
agimus in rem, quae subjicitur, idest in rem
quae patitur, juxta secundam opinionem,
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 187
dire sur la chose qui subit la passion suivant la seconde opinion ; on
voit ainsi ce que c'est que l'action. Il faut savoir que l'auteur des six
principes dit quelque chose de l'action corporelle ou incorporelle que
je regarde purement et simplement comme faux, ou demandant quel-
que explication à raison de son ambiguïté. Il dit, en effet, que l'ac-
tion corporelle se trouve nécessairement avec le mouvement de l'a-
gent, ce que je ne crois pas vrai dans toutes les actions des corps, car
l'aimant, sans avoir aucune espèce de mouvement, attire le fer ; on
pourroit observer la même chose à l'égard d'une multitude d'autres
agents, c'est pourquoi je ne dirai rien des autres raisons de même va-
leur qui sont alléguées.
CHAPITRE VIII.
Quelle est l'action qui reçoit le plus et le moins avec la contrariété,
quelle est celle qui ne reçoit rien de cela.
L'action reçoit le plus et le moins avec la contrariété , mais il n'en
est pas ainsi de toute action. Il faut observer que ou l'action exprime
la forme qui est en mouvement, comme réchauffement, qui ne signifie
que la chaleur en mouvement, comme dénommant l'agent ou pré-
sentant un rapport ad aliud; ou elle exprime la forme qui est en mu-
tation et non en mouvement , comme la génération de la substance,
et la création. Et comme, ainsi qu'il a été dit, l'action n'ajoute rien à
la forme qu'elle exprime, et ne fait que dénommer, suivant la pre-
mière opinion, ou exprimer le rapport à l'agent suivant la seconde ,
si la forme qu'elle exprime est en mouvement, on dit que l'action
reçoit plus ou moins, ou l'agent qui est concret, comme on a dit dans
le prédicament de la qualité que les choses abstraites ne reçoivent pas
le plus et le moins , mais bien les concrètes ; on dit de même dans
celui-ci que quelque chose , c'est-à-dire la caléfaction reçoit le plus
et sic patet quid est actio. Sciendum, quod
author sex principiorum quœdam dicit de
actione corporea, vel incorporea, quœ vel
simpliciter reputo falsa, vel extorta indi-
gent expositione. iDicit enim quod actio
corporea necessario est cum motu agentis,
quod non reputo verum in omnibus actio-
nibus corporum. Magnes enim non mota
ullo génère motus, attrahit ferrum, et de
multis aliis agentibus posset hoc inveniri,
ideo omnia talia, quse ille ibi ponit preeter-
mitto.
GAPUT VIII.
Quœ aclio suscipit magis et minus, et con-
trarietatem et quœ non.
Recipit autem actio magis, et minus, et
contrarietatem, non tamen omnis. Notan-
dum, quod actio vel dicit formam, quœ est
in motu , ut calefactio , quœ solum dicit
calorem in motu, ut denominat agens , vel
ut habet respectum ad aliud, vel dicit for-
mam , quœ est in mutatione, et non in
motu, ut generatio substantiœ , et creatio.
Et quia ut dictum est, actio supra formam
quam dicit, nihil addit nisi quia denomi-
nat, juxta primam opinionem, vel dicit
respectum ad agens , juxta secundam opi-
nionem, si forma quam dicit, est in motu,
dicitur actio suscipere magis vel minus,
vel ipsum agens quod est concretum, sicut
in prœdicamento qualitatis dictum est,
quod abstracta non suscipiunt magis, et mi-
nus, sed concretà, ita in isto dicitur ali-
quid, scilicet calefacere, suscipere magis
vel minus, quia est magis, vel minus cale-
188 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ O, CHAPITRE 9, 4.
ou le moins, parce qu'elle échauffe plus ou moins. Si, au contraire,
la forme qu'exprime l'action n'est pas en mouvement mais seulement
en mutation, une telle forme n'étant pas propre à recevoir le plus ou
le moins, ni par conséquent la contrariété , en prenant la contrariété
dans un sens propre, cette action ne reçoit pas non plus le plus et le
moins , ni par conséquent la contrariété , en la prenant dans le sens
propre. C'est pourquoi celui qui engendre ou qui crée n'est pas dit
engendrant ou créant plus ou moins, ainsi s'explique, etc.
CHAPITRE IX.
Le propre de l'action est de produire la passion par soi.
C'est le propre de l'action de produire d'elle-même la passion. Il
faut observer que, bien que l'action et la passion et les formes, cause
du mouvement d'une chose , soient une seule chose, elles sont néan-
moins des prédicaments différents à raison de la dénomination diverse
ou à cause du divers rapport importé. Voici l'ordre qui existe entre
l'action et la passion , car la passion suit l'action qui se produit au-
dehors. En effet, si agir n'est autre chose qu'occasionner dans le sujet
passif la forme avec le mouvement, et éprouver la passion rien autre
chose que recevoir une telle forme , il en résulte nécessairement que
toute action est suivie de la passion et que agir est suivi de sentir la
passion. On a donc eu raison de dire que le propre de l'action est
de produire la passion dans le sujet passif. Voilà ce qui concerne
l'action.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'est que la passion formellement, comme prédicament.
La passion est l'effet et le produit de l'action. Il faut remarquer que
l'action et la passion sont une seule et même chose , savoir la forme
faciens. Si vero forma quam dicit actio,
non sit in motu , sed in sola mutatione,
cum talis forma non sit apta suscipere ma-
gis, vel minus, nec per consequens, con-
trarietatem, sumendo contrarietatem pro-
prie, nec etiam talis actio suscipit magis,
vel minus, nec per consequens contrarieta-
tem, sumendo contrarietatem proprie. Unde
generans, vel creans non dicitur magis,
vel minus generans, vel creans , et sic pa-
tet, etc.
CAPUT IX.
Quod proprium aclionis est ex te inferre
passionem.
Est autem proprium actionis ex se in-
ferre passionem. Notandum, quod licet ac-
tio, et passio, et forma qua aliquid move-
tur , sint una res, tamen propter diversam
denomiuationem quam importât, vel prop-
ter diversuin respectum importatum, sunt
diversa prœdicamenta. Habent antem se
actio', et passio in hoc ordine , nam ad
omnem ac'tionem egredientem ad extra,
sequitur passio. Si enim agere nihil aliud
est , quam causare formam in passo cum
motu, et pati nihil aliud est quam talcm
formam recipere, necessario sequitur, quod
ad omnem actionem sequitur passio, ad
omne agere sequitur pati. Bene ergo dic-
tum est, quod proprium est actionis cau-
sare passionem in passio , et sic patet de
actione.
CAPUT I.
Quid sit passio formaliler , ut est prœdicar-
mentum.
. Passio est effectus, illatioque actionis.
Notandum, quod actio, et passio sunt una
res, et eadem, scilicet forma, quae est in
SUR LÀ LOGIQUE d'arISTOTE. 189
qui est en flux ou in fieri , c'est pourquoi on ne voit pas que la pas-
sion soit un effet de l'action. En effet, si on les considère comme étant
une forme, dans ce cas comme la même chose ne peut être cause et
effet d'elle-même, la passion ne sera pas l'effet de l'action. Si au con-
traire on les considère comme deux choses, parce que l'action dé-
nomme l'agent et la passion le patient, il ne s'en suit pas encore que
la passion soit un effet de l'agent. Donc la passion n'est pas l'effet de
l'action même. Il faut savoir qu'une chose peut être dite effet d'une
autre de deux manières, la première proprement , en tant qu'elle est
ou a été produite par elle , et dans ce sens la passion n'est pas l'effet
de l'action. La seconde manière c'est quand ces deux choses se font,
elles se produisent simultanément de telle sorte que l'on comprenne
par une connexion nécessaire que l'une vient après l'autre. D'où il
résulte que la première est dite en quelque façon cause efficiente à
l'égard de la seconde, comme dans le traité du propre on a dit du
clou et du bois dans lequel il est enfoncé quel est leur rapport avec le
mouvement, il en est ainsi dans son espèce de la passion par rapport
à l'action. Car l'action et la passion sont constituées par l'agent dans
un certain ordre nécessaire. Car on conçoit l'agent agissant avant
de concevoir ce qu'il fait subir, et ainsi la passion est dite effet de
l'action.
CHAPITRE II.
Que la dénomination de la passion se fait formellement ab extrinseco.
Il s'élève un doute au sujet de ce qui a été dit, savoir que ces six
principes dénomment extrinsèquement la substance. Nous avons dit,
en effet, que l'action, qui est subjectivement dans le patient, dé-
nomme l'agent ; cela ne semble pas vrai à l'égard de la passion, car
elle dénomme le sujet passif en qui elle est formellement et subjecti-
fluxu , vel fieri , unde non videtur , quod
passio sit effectus actionis. Si enini conside-
rantur in quantum sunt una forma, tune
cum idem non possit esse causa, et effectus
suiipsius, passio non erit effectus actionis.
Si vero considerentur in quantum sunt duo,
quia actio denominat agens, et passio pa-
tiens, nec adhuc sequitur , quod passio sit
effectus ipsius agentis, non ergo passio, est
effectus ipsius actionis. Sciendum , quod
aliquid potest dici effectus alicujus dupli-
citer, uno modo proprie, prout scilicet cau-
satur, vel causatum est ab eo, et isto modo
passio non est effectus actionis. Alio modo,
quia quando utrumque fit, ita fiunt simul,
quod unum necessaria connexione intelli-
gitur esse post aliud. Unde primum dici-
tur esse quodam modo causa efficiens res-
pectu secundi , quemadmodum in tractatu
de proprio dictum est de clavo, et ligno cui
insigitur , qualiter se habeant ad motum,
sic suo modo se habet de passione respectu
actionis. Nam actio, et passio sunt ab ipso
agente ordine quodam necessario. Prius
enim intelligitur agens agere, quam aliquid
a se pati , et sic passio dicitur effectus ac-
tionis.
CAPUT II.
Quod denominatio passionis est formaliler
ab extrinseco.
Dubium autem oritur contra ea quse
dicta sunt, videlicet quod ista sex principia
denominant substantiam extrinsece. Dic-
tum est enim quod actio , quee subjective
est in patiente, denominat agens, hoc enim
non videtur esse verum de passione, nam
ipsa denominat passum in quo est forma-
liter et subjective. Dicendum, quod forma
190 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ O, CHAPITRE 1.
vement. Il faut dire que la forme en flux , qui est le mouvement lui-
même, prise en elle-même, est dans le prédicament absolu , la cha-
leur, par exemple, qui se produit dans l'eau comme étant en flux, se
trouve dans le prédicament de la qualité, parce que le mouvement
est dans le prédicament de son terme ad quem et il est dit mouvement
comme étant en flux. Mais en tant qu'il a telle chaleur , c'est-à-dire
que l'eau qui se réchauffe est transmuée par le feu, cette dénomina-
tion appartient à la passion comme prédicament. On ne dit pas, en
effet, que l'eau devient chaude, parce qu'il y a de la chaleur en elle,
mais parce que cette chaleur lui vient de l'agent qui l'échauffé. C'est
pourquoi s'il n'y avoit pas d'agent échauffant , quelque chaleur qu'il
y eût dans l'eau, on ne diroit pas pour cela qu'elle devient chaude,
ou subit une passion , mais on dit qu'elle s'échauffe et subit une pas-
sion, en tant que cette chaleur est produite par un agent échauffant.
Donc cette dénomination ou rapport du sujet passif vient formelle-
ment ab extrinseco , par la raison qu'elle importe un agent qui est
extrinsèque. Ainsi donc la passion dénomme extrinsèquement le
sujet, ou exprime un rapport ab extrinseco. Or la passion reçoit le
plus et le moins avec la contrariété de la même manière que nous
avons dite de l'action. Ce qu'il faut comprendre suivant ce qui a été
exposé plus haut de l'action ; tel est le prédicament de la passion, etc.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'eut que le prédicament quando , c'est le temps en tant qu'il
dénomme une chose temporelle , ou le rapport du temps aux choses
temporelles qu'il mesure.
Quando est ce qui reste de l'adjacence du temps. Or on appelle ici
adjacence du temps sa mesure , suivant que le temps est la mesure
des choses temporelles. Pour comprendre les termes de cette défini-
in fluxu, quae est ipse motus, secundum se
accepta, est in prsedicamento absoluto,
puta calor, qui causatur in aqua prout est
in fluxu, est in praedicamento qualitatis,
quia motus est in prsedicamento termini
ad quem est, pout autem est in fluxu di-
catur motus , prout vero habens talem ca-
lorem, scilicet aqua quse calent, transmu-
tatur ab igné calefaciente., talis denominatio
pertinet ad passionem prout est praedica-
mentum. Non enim aqua dicitur calefieri,
quia in ea est calor, sed quia talis calor est
a calefaciente. Unde si non esset calefa-
ciens, quantumcumque calor esset in aqua
non propter hoc diceretur calefieri , vel
pati, sed dicitur calefieri, et pati in quan-
tum talis calor est a calefaciente. Talis ergo
denominatio , vel respectus passi est for-
maliter ab extrinseco, ex quo importât
agens quod est extrinsecum. Sic ergo pas-
sio extrinsece denominant subjectum , vel
dicit respectum ab extrinseco. Recipit au-
tem passio imagis, vel minus, et contrarie-
tatem eodem modo quo dictum est de
actione; quod intelligitur sicut supra de
actione expositum est, et sic patet de prae-
dicamento passionis, etc.
CAPUT I.
De prœdicamento quando quid sit, quia est
tempus, ul denominat temporale, seu res-
pectus temporis ad lemporalia, qua men-
surat.
Quando est quod ex adjacentia temporis
relinquitur. Vocatur autem hic adjacentia
temporis mensura ejus, prout scilicet ip-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 191
tion et ce que c'est que quando, il faut observer qu'il est de la nature
de la mesure de donner d'une manière certaine la quantité des choses
mesurées lorsqu'on l'applique à ces choses par l'opération de l'intellect,
et comme il y a deux quantités, savoir l'extension et la perfection , il
y a aussi une mesure pour l'une et l'autre. Nous disons, en effet, que
la blancheur est la mesure de toutes les couleurs ; car la blancheur
contenant plus de perfection et de participation à la lumière que les
autres couleurs, en l'appliquant par l'intellect aux autres couleurs,
nous acquérons d'une manière certaine la connoissance de la quan-
tité de perfection qui est en eux, mais non de la quantité d'extension.
De même en appliquant au drap une règle de deux coudées, nous con-
noissons la quantité de son extension. D'un autre côté le temps n'é-
tant autre chose qu'une quantité successive du mouvement, peut être
pris à raison de cela en deux sens. Premièrement dans un sens large
pour toute quantité successive du mouvement ; il y a autant de temps
que de mouvements, parce que tout mouvement a une quantité suc-
cessive qui le constitue formellement en extension de quantité suc-
cessive, et cette quantité n'est pas un mouvement, mais un accident
du mouvement qui le constitue formellement en extension , ou c'est
un accident du mobile qui existe en lui par le moyen du mouvement,
comme une qualité quelconque , ainsi la couleur se trouve dans la
substance par le moyen de la superficie, comme il a été dit plus haut,
et c'est à cause de cette succession qu'Aristote , au livre V de la Mé-
taphysique, a mis le mouvement dans le genre de la quantité , c'est
pourquoi le mouvement n'est dans les autres genres que par la raison
du terme du mouvement, suivant ce que nous disons que l'augmen-
tation et la décroissance sont dans la quantité non par la raison qu'elles
sont mouvement , mais par la raison du terme auquel elles se rap-
sum tempus est mensura temporalium. Ad
sciendum autem particulas prsedictte de-
scriptionis, et quid est quando, notandum,
quod de ratione mensura est, quod appli-
cata per intellecturn ad mensurata certificet
nos de ipsorum quantitate, et quia duplex
est quantitas, scilicet extensionis et perfec-
tionis, ideo utrobique invenitur mensura.
Dicimus enim quod mensura omnium co-
lorum est albedo. Quia enim albedo plus
continet de perfectione, et participatione
lucis, quam alii colores appHcando ipsam
ad abos colores per intellecturn , certifica-
mur de quantitate perfectionis ipsorum,
non tamen de quantitate extensionis. Si-
militer per lineam bicubitalem applicatam
ad pannum, certilicamur de quantitate suae
extensionis. Cum autem tempus nihil aliud
sit, quam quantitas successiva ipsius motus,
secundum hoc tempus potest accipi dupli-
citer. Uno modo large, scilicet pro omni
quantitate successiva motus , etiam acci-
piendo tempus, quot sunt motus, tôt sunt
tempora, quia omnis motus habet quanti-
tatem successivam facientem ipsum forma-
liter, quantum quantitate sucessiva, et talis
quantitas non est motus, sedaccidens ejus
faciens ipsum esse quantum formaliter, vel
est accidens ipsius mobilis inexistens ei me-
diante motu, sicut qualitas abqua, scilicet
color inest substantiee mediante superficie,
ut supra dictum est, et propter hanc suc-
cessionem Philosophus, V Metaph. , posuit
motum iu' génère quantitatis, unde motus
non est aliis generibus , nisi forte ratione
termini motus, prout dicimus, quod aug-
mentum et decrcmentum sunt in quanti-
tate non ratione qua motus sunl , sed ra-
tione termini ad quem sunt. Sed ejus suc-
cessio dicitur tempus, large sumpto tem-
1 92 OPUSCULE XL VII , TRAITÉ V, CHAPITRE 1 .
portent. Mais la succession s'appelle temps dans un sens large, et par
ce temps, comme une mesure intrinsèque mesure tous les mouve-
ments, parce que le mouvement est tel que ses successions, elle donne
la connofcsance certaine de sa quantité , et comme parfois cette suc-
cession nous est plus connue , nous mesurons par son moyen la suc-
cession du premier mobile, comme le dit Aristote, livre IV de la Phy-
sique , nous mesurons le temps par nos actions, et notre vie s'écoule
par une aussi grande voie, donc il s'est écoulé tant d'heures de temps.
Le temps se prend dans un autre sens plus strict et plus propre
pour la quantité successive du premier mouvement , ou pour le mou-
vement du premier mobile , et cette succession est la plus uniforme
et la plus simple, et par conséquent elle est apte à nous faire connoître
ce qui concerne les autres quantités successives en la leur appliquant,
suivant ce que nous avons dit qu'une chose a duré une heure, un
jour ; et comme cette succession est une numériquement , il n'y a
par conséquent , pour toutes les choses temporelles numériquement ,
qu'un temps par lequel sont mesurés les autres mouvements en tant
que successifs, comme par une mesure extrinsèque. Il faut savoir que
tous les autres mouvements sont mesurés par cette succession du pre-
mier mouvement comme par une mesure extrinsèque, aussi bien que
les parties du mouvement du premier rÉobile , de sorte qu'une partie
de ce mouvement est mesurée par une partie du temps , par une me-
sure intrinsèque, comme nous disons, cette évolution céleste s'est
opérée tel jour, celle-là tel autre, et ainsi des autres mouvements qui
sont mesurés dans leurs successions par une mesure intrinsèque. Il
faut savoir que la mesure de chaque chose peut se considérer de deux
manières. Premièrement dans un sens absolu, c'est-à-dire selon
qu'elle est applicable , secondement en tant qu'elle est appliquée à la
chose susceptible d'être mesurée. Or, le temps étant une certaine
pore, et tali tempore, sicut mensura intrin-
seca habet omnes motus mensurari, quia
tantus est motus, quantum ejus successio-
nes , certificat de ejus quantitate , et quia
aliquando talis successio est nobis magis
nota, ideo per eam mensuramus successio-
nem'primi mobilis, ut Philosophus, IV.
Phys., dicit : Mensuramus enim tempus per
nostras actiones, ut per tantam viam vivi-
mus, ergo tôt temporis horae transierunt.
Alio modo tempus stricte, et magis pro-
prie dicitur quantitas successiva primi
motus, seu motus primi mobilis, quae suc-
cessio est uniformissima , et simplicissima,
et per consequens est apta nata nos certi-
ficare de aliis quantitatibus successivis ap-
plicata ad eas, juxta quod dicimus, quod
duravit per boram, vel per diem, et quia
talis successio est una numéro, ideo est
iinum numéro tempus omnium tempora-
lium. per quod mesurantur sicut mensura
extrinseca, omnes alii motus , ut successivi
sunt. Sciendum, quod prœdicta successione
primi motus meosurantur omnes alii mo-
tus, ut mensura extrinseca, et mensurantur
partes motus primi mobilis, ut scilicet pars
illius motus mensuretur parte temporis
mensura intrinseca, sicut dicimus haec cir-
culatio cœli fuit in ista die, et illa fuit in
illa die , sicut est de aliis motibus , qui
mensurantur suis successionibus raenson
intrinseca. Sciendum, quod mensura unius-
cujusque potest considérai! dupliciter. Uno
modo absolute, scilicet prout applicabilis
est ; alio modo , prout applicatur ad ipsum
mensurabile. Cum autem tempus sit quse-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 193
mesure, pourra être considéré de deux manières, absolument, et dans
ce sens il s'appelle temps, et dans le second sens, appliqué aux mou-
vements successifs, soit qu'ils soient des parties du mouvement du
premier mobile, soit qu'ils soient d'autres mouvements, ou aux
choses mobiles en tant que mobiles. Et comme ces choses ainsi me-
surées par le temps sont appelées mesurées, comme nous disons une
promenade d'aujourd'hui, c'est en conséquence de cet absolu, c'est-
à-dire le temps ainsi dénommant, que se tire le prédicament quando,
suivant la première opinion; dans la seconde opinion, c'est lorsqu'il
est le rapport du temps comme mesure à la chose temporelle, c'est
pour cela que l'on dit que quando est ce qui reste de l'adjacence ou
de la mesure du temps. Car le temps, en tant que mesurant une chose
temporelle, la dénomme d'une dénomination extrinsèque, et c'est
cela qu'il laisse, cela qui est appelé quando dans la première opinion.
Dans la seconde, au contraire, quando reste de l'adjacence du temps,
car il reste de la mensuration qui s'opère par le temps le rapport du
temps qui mesure à la chose mesurée , lequel est appelé quando , et
de même que le temps a des parties comme le présent, le passé et le
futur, de même aussi quando a des parties, parce que les choses tem-
porelles sont dénommées par toutes ces parties. Nous disons en effet,
voilà ce que nous avons fait aujourd'hui, hier, ce que nous ferons
demain. On voit ainsi ce que c'est que quando, ce n'est autre chose
qu'une forme absolue, qui est le temps dénommant une chose tem-
porelle. Ou bien, suivant la seconde opinion, quando n'est autre
chose que le rapport absolu de la forme susdite aux choses temporelles
qu'il mesure.
dam mensura, poterit his duobus modis
considerari , uno modo absolu te , et sic di-
citur tempus, alio modo applicata ad mo-
tus successivos, sive sint partes motus pri-
mi mobilis , sive sint alii motus , vel ad
mobilia, in quantum mobilia sunt. Et quia
talia ut sic mensurata a tempore sic mer.-
suratae denominantur, sicut dicimus am-
bulationem hodiemam, ideo atali absoluto,
scilicet tempore sic dénommante, sumitur
praedicamentum quando , juxta primam
opinionem , juxta vero secundam opinio-
nem, quando est respectus temporis ut
mensurantis ad ipsum temporale, propterea
dicitur, quod quando est quod relinquitur
ex adjacentia, seu mensura temporis. Tem-
pus enim ut mensurat temporale, deno-
minatilluddenominationee xtrinsec<},et hoc
relinquit, et hoc dicitur, quando juxta
primam opinionem. Juxta vero secundam,
quando relinquitur ex adjacentia temporis,
qui i ex mensuratione, qua; est a tempore , re-
linquitur respectus temporis mensurantis ad
mensuratum, quod dicitur quando, et sicut
sunt partes ipsius temporis, scilicet pres-
sens , prœteritum , et futurum , sic etiam
sunt partes quando, quia ab omnibus tali-
bus partibus denominantur temporalia.
Dicimus enim, heec est operatio hodierna,
crastina , vel hesterna. Et sic patet quid
est quando, quia nihil aliud est quam for-
ma absolu ta, quee est tempus prout de-
nominat temporale ; vel juxta secundam
opinionem, quando nihil aliud est quam
respectus preedictee formas absolute ad tem-
poralia, quee mensurat.
V.
13
194
OPUSCULE XLVH, TRAITÉ 0, CHAPITRE 2.
CHAPITRE II.
Que quando n'est pas le rapport de la chose mesurée au temps , mais
tout le contraire.
Il faut savoir qu'il y eu a qui disent que quando n'est pas le rapport
du temps qui mesure à la chose temporelle , mais , au contraire , le
rapport de la chose mesurée au temps lui-même. Je ne regarde pas
cela comme vrai, parce que, suivant ces philosophes, quando ne
seroit pas une dénomination extrinsèque, mais intrinsèque, et de
cette manière il ne seroit pas un des six principes qui dénomment
extrinsèquement, comme nous l'avons dit plus haut, et il s'ensuivroit,
suivant la seconde opinion , que quando seroit une relation , parce
qu'il seroit un rapport ab extrinseco, ce qui est faux. Il faut savoir
que la succession du premier mouvement, qui est appelé temps,
peut être la mesure des parties du mouvement du premier mobile, de
cette manière elle est une mesure intrinsèque , et c'est d'après une
telle mesure que se fait la dénomination qui appartient au prédica-
ment quando, comme quand nous disons que telle évolution s'est
faite hier ou se fait aujourd'hui. De cette manière , quando se trouve
en ce en quoi est le temps; parce que le temps est subjectivement
dans le mouvement du premier mobile, et, par conséquent, cette
dénomination est dans ses parties qui sont dénommées par les parties
du mouvement, comme il a été dit , ou suivant la première opinion,
le temps est dans le premier mouvement, quant au fondement du
rapport qui est quando. Il y a aussi là le terme du rapport lui-même,
c'est-à-dire les parties mesurées du mouvement qui sont le terme de
ce rapport, et c'est là ce que veut dire l'auteur des six principes,
quand il dit que quando se trouve dans ce en quoi est le temps. Dans
un autre sens, le temps peut être la mesure extrinsèque des autres
CAPUT II.
Quod quando non est respectus rei tnensu-
ratœ ad tempuSj sed e conversa.
Sciendnm , qnod aliqui dicunt , quod
quando non est respectus temporis mensu-
rantis ad rem temporalem, sed econ verso
est respectus rei mensuratae ad ipsum tem-
pus. Hoc non reputo verum , quia secun-
dum istos, quando non esset denominatio
extrinseca, sed intrinseca, et sic non esset
unurn de sex principiis, quae extrinsece dé-
nommant, ut supra dictum est. Et sequeretur
juxta secundam opinionern , quod quando
esset relatio, quia esset respectus ab iutrin-
seco, quod falsum est. Sciendum, quod
successio primi motus, quae tempus dici-
tur, potest esse mensura partiurn motus
primi mobilis, et isto modo est mensura
intrinseca, et ex tali mensura fit denomi-
natio, quae pertinet ad praedicamentum
quando, sicut dicimus quod haec circulatio
est hodierna, vel fuit hesterna. Et isto
modo in quo est tempus, in eo etiam
quando, quia in motu primi mobilis est
tempus subjective, et ideo talis denomina-
tio est in partibns ejus, quae denominan-
tur a partibus motus , ut dictum est , vel
juxta primam opinionern in primo motu
est tempus, quod ad fundamentum respec-
tus, qui est quando. Etiam in eo est termi-
nus ipsius respectus , partes scilicet motus
mensuratae , quae sunt terminus talis res-
pectus, et hoc est, quod dicit auihorsex
principiorum, quod in quo est tempus, in
eo est etiam quando. Alio modo tempus
SUR LA LOGIQUE d'aïUSTOTE. 1 9o
mouvements, et alors c'est d'après lui que se fait la dénomination
qui appartient au prédicament quando; c'est ainsi que nous disons,
cette promenade s'est faite hier, et de cette manière quando ne se
trouve pas dans ce en quoi est le temps, parce que le temps est sub-
jectivement dans le mouvement du premier mobile, et la dénomination
qui provient de lui se trouve dans la promenade. Ou bien, suivant la
seconde opinion, quando est le rapport fondé dans le temps, dont
néanmoins le terme est dans la promenade, et ainsi, en quelque façon,
il ne se trouve pas dans ce en quoi est le temps , etc..
CHAPITRE III.
Que quando ne reçoit ni le plus ni le moins, et n'a pas de contraire,
qu'il se trouve dans tout ce qui commence d'être.
Quando ne reçoit ni le plus ni le moins, et n'a pas de contraire.
Car ce prédicament se tire de la forme absolue dénominative , ou il
est le rapport de cette forme , et comme le temps d'où se tire quando
ne reçoit pas le plus ou le moins, et n'a pas de contraire, il en sera
par conséquent de même de quando. Mais c'est le propre de quando
de se trouver dans tout ce qui commence d'être. Il faut remarquer
qu'une chose commence d'être de quatre manières. Il y en a qui com-
mencent par le mouvement seul , comme la chaleur dans l'eau qui se
réchauffe commence d'être par le mouvement de la caléfaction , bien
plus le mouvement est placé dans le genre de ces choses. En effet, l'al-
tération se trouve dans le genre de la qualité dans laquelle se ren-
contre l'altération. D'autres commencent d'être par le changement
qui suit nécessairement le mouvement, comme la forme substantielle
est introduite dans la matière par la génération qui suit l'altération
dont elle est le terme au moins extrinsèque. D'autres, au contraire ,
potest esse mensura aliorum motuum ex-
trinseca, ex quo tune fit denominatio, quse
pertinet ad prœdicamentum quando , sic
dicimus, haec ambulatio fuit hesterna, et
sic quando non est in eo in quo est tem-
pus , quia tempus est subjective in motu
primi mobilis, et denominatio facta ab eo
est in ambulatione. Vel juxta secundam
opinionem , quando est respectus fundatus
in tempore, cujus tamen terminus est am-
bulatio , et sic aliquo modo non est in ea,
in quo est tempus, etc.
CAPUT III.
Quod quando non suscipit magis nec minus,
noc habet contrarium, et quod quando est
in omni eo quod incipil esse.
Non suscipit autem quando magis , vel
minus, nec etiam ipsi quando est aliquid
contrarium. Nam hoc praedicamentum su-
mitur a forma absoluta dénommante, vel
est respectus talis forma? , et quia tempus
a quo sumitur quando non suscipit magis,
vel minus, nec habet contrarium, igitur
nec quando ista suscipiet. Est autem pre—
prium quando esse in omni eo quod incipit
esse. Notandum quod res quadrupliciter
incipit esse. Quœdam enim incipit per me—
tum solum , ut calor in aqua quae calefit,
incipit esse per motum calefactionis. Imo
motus ponitur in génère talium. Alteratio
enim est in génère qualitatis, in qua alte-
ratio invenitur. Quaedam vero incipit esse
permutationem sequentem motum neces-
sario, sicut forma substantialis inducitur in
materiam per generationem sequentem al-
terationem, cujus ipsa est terminus saltem
extrinsecus. Quœdam autem incipit esse
196 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 5, CHAPITRE 3.
commencent d'être par la mutation qui suit le mouvement , mais non
pas de nécessité , comme le matin l'illumination de notre hémis-
phère qui est précédée du mouvement local du soleil par le moyen
duquel elle s'offre à nous , mais ce changement n'est pas nécessaire-
ment précédé du mouvement, car dès le premier instant de la création
du soleil , l'air fut illuminé par le soleil sans aucun mouvement pré-
cédent de cet astre. Il y en a qui commencent d'être par une simple
émanation , et non par mouvement ou par mutation , comme les
choses qui sont créées. Or, il faut savoir que le temps , soit continu ,
soit partagé , ou Yœvum , constitue certaines mesures par lesquelles
certains actes sont destinés à être mesurés , parce qu'ils doivent avoir
telle ou telle durée. Or il est des actes dans lesquels , existant numé-
riquement dans l'unité , se trouve une succession , et leur durée
consiste à prendre une partie après l'autre ; tels sont ceux dont j'ai
dit qu'ils commencent d'être par le mouvement seul , et ces actes ,
lorsqu'ils se font ou lorsqu'ils ont été faits, c'est-à-dire lorsqu'ils sont
en repos , sont mesurés parle temps continu. Car, par rapport à eux,
le fieri est le mouvement , et le factum esse est le repos. Or le mouve-
ment et le repos se mesurent par le temps continu , et quando se
trouve dans tout acte semblable , comme clans le temps , ainsi qu'il a
été dit. Et c'est le propre de quando de se trouver dans tout acte sem-
blable qui commence ainsi d'être. Car cet acte étant proprement
mesuré par le temps, il en résulte que la dénomination est aussi pro-
prement prise du temps , de sorte qu'on dit de la promenade qu'elle
s'est faite hier ou aujourd'hui, et c'est là quando, comme nous l'a-
vons dit. Ou , suivant la seconde opinion , le temps , comme mesure
propre , a un rapport à ces actes , et ce rapport est quando. Donc le
propre de quando est de se trouver dans tout acte semblable qui com-
per mutationem sequentem motum, sed
non ex necessitate , sicut illuminatio nos-
tri hemisphserii de mane quam illumina-
tionem praecedit motus localis solis, per
quetn nobis praesens fit , talem autem mu-
tationem non ex necessitate praecedit mo-
tus, quia in primo instanti quando creatus
est sol, nullo praecedente motu solis fuit aer
illuminatus a sole. Quœdam autem incipit
esse per simplicem emanationem, et non
per motum, nec per mutationem. Sicut illa,
quae creantur. Sciendum est autem, quod
tempus sive sit continuum, sive discetum,
et «vum, sunt quaedam mensurae secun-
duna quas actus quidam nati sunt mensu-
rari, quia scilicet habent durare, tantum
vel tantum , quidam autem actus est in
quo uno numéro existente est successio, et
ejus duratio consistit in accipiendo partem
post partem, sicut sunt ea de quibus dic-
tum est , quod incipiunt esse solum per
motum, et taies actus quando fiunt, sive
quando facti sunt, cum scilicet sunt in
quiète , mensurantur tempore continue
Eorum enim fieri est motus, et factum
esse est quies. Motus autem, et quies men-
surantur tempore continuo. In omni autem
tali actu est quando, sicut tempore ut dic-
tum est. Et hoc est proprium quando esse
in omni tali actu, qui sic incipit esse , talis
enim actus, quia proprie tempore mensu-
ratur, proprie etiam sumitur deiiominatio
a tempore , ut dicatur de ambulatione ho-
dierna, vel hesterna, et hoc est quando, ut
dictum est. Ve! juxta secundam opinionem,
tempus ut mensurans proprie habet res-
pectum ad actus taies, et hic respectus est
quando. Proprium ergo quando est esse in
omni tali actu, qui sic incipit esse ut in
termino, ut dictum est. Aliquis vero actus
SUR LA LOGIQUE d'aïUSTOTE. 197
menée d'être ainsi comme dans un terme. Il est d'autres actes dont la
durée ne consiste pas à prendre successivement une partie après l'autre,
mais en ce que le même indivisible reste permanent , et cet acte est
double. En effet , il y a certains actes indivisibles dans lesquels il ne
se trouve aucune succession , il y a néanmoins d'autres actes destinés
à leur succéder, et ces actes eux-mêmes sont destinés à succéder à
d'autres , comme les formes substantielles corruptibles , les pensées
et les volitions successives des anges. Chacun de ces actes est indivi-
sible , et l'un succède à l'autre. Car une forme succède à l'autre dans
la matière première, et néanmoins l'être de cette forme est dans l'in-
divisible , et il en est ainsi des pensées et des volitions des anges dont
nous venons de parler. D'où il résulte que ces actes sont mesurés par
le temps discret. Car chacun de ces actes est mesuré par le moment
présent du temps discret , et la succession qui existe entre ces actes
est mesurée par le temps discret ; or le temps discret se trouve dans
le genre de la quantité discrète où l'on place le discours. Car le dis-
cours n'est pas pris ici pour le son , puisque le son est une qualité , ni
pour le nombre des syllabes , parce qu'ainsi il ne seroit pas une es-
pèce différente du nombre , ni pour plusieurs temps continus de
syllabes, parce que, de cette manière, il ne seroit pas une espèce
différente du temps continu. En effet , plusieurs parties de temps ne
font pas une espèce différente du temps , comme il a été dit ; mais il
se prend pour la mesure de la prolation de ce son. Car ici il ne s'agit
pas seulement de donner plusieurs choses, mais de produire une plus
longue durée , suivant que plusieurs choses indivisibles durent plus
qu'une seule; c'est pourquoi il faut établir ici un nombre apparte-
nant à la mesure de durée quelconque ; or, c'est une chose discrète
dans ce qui commence d'être ainsi. Et ce qui a ainsi l'être , ce n'est
est, cujus duratio non consistit in acci-
piendo successive partera post partem, sed
consistit in hoc, quod idem indivisibile ma-
nens stat, et iste actus est duplex. Quidam
enim actus indivisibilis , in quo nulla est
successio, tamen natus est ei alius actus
succedere et ipse natus est succedere alteri
sicut formae substantiales corruptibiles, co-
gitationes et volitiones successives angelo-
rum. Horum enim actuum unusquisque est
indivisibilis, et unus succedit alleri. Una
namque forma succedit alteri in materia
prima, et tamen esse talis formae in indi-
visibili est, et sic est de dictis cogitationi-
bus et volitionibus angelorum. Unde taies
actus mensurantur tempore discrète. Unus-
quisque enim talium actuum mensuratur
nunc temporis discreti , et successio , quae
est inter taies actus , mensuratur tempore
discreto , tempus autem discretum est in
illo génère quantitatis discret» in quo po-
nitur oratio. Non enim oratio ibi ponitur
pro sono, cum sonus sit qualitas , nec pro
numéro syllabarum, quia sic non esset alia
species a numéro nec pro pluribus tempo-
ribus continuis syllabarum , quia sic non
esset alia species a tempore continuo. Plu-
res enim partes temporis non faciunt aliam
speciem tempore, ut supra dictum est, sed
ponitur pro mensura prolationis illius soni.
Ibi enim non solum est dare plura, sed est
dare plus durare secundum quod talia plura
indivisibilia plus durant quam unum, ideo
oportet ibi ponere aliquem numerum per-
tinentem ad mensuram alicujus durationis;
hoc autem est discretum in talibus , quae
sic incipiunt esse. Et quae sic habent esse,
non est quando , secundum quod hic su-
198 OPUSCULE XL Vil, TRAITÉ 5, CHAPITRE 3.
pas quando en tant qu'il est pris ici comme restant de l'adjacence du
temps continu , et si on y trouvoit quando de l'adjacence du présent
du temps discret , il seroit d'une autre nature que quando dont il
s'agit ici. Il y a d'autres actes indivisibles qui ne sont pas propres à
succéder à d'autres , ni réciproquement , comme l'acte d'être des
auges , de l'ame raisonnable et des corps célestes , et l'intellection de
l'ange par laquelle il se comprend, laquelle n'est pas successive, la
vision béatifique des anges et des âmes. Ces actes sont mesurés par
Vœvum , qui est tout à la fois. D'où il suit que, bien que ces actes
aient commencé d'être par une simple émanation , quando n'est pas
cependant en eux , car ils ne se mesurent pas par le temps. Or, nous
pouvons dire que quando se trouve dans tous ces actes par une cer-
taine coexistence du temps continu avec leur durée. Nous disons , en
effet, quand fut l'ange, hier ou aujourd'hui , non pas néanmoins que
l'ange, quant à son être, soit mesuré par le jour d'hier ou le jour
d'aujourd'hui, mais parce que le jour d'hier ou le jour d'aujourd'hui
a existé en même temps que la durée de l'ange, c'est-à-dire avec son
cevum , ou parce que son œvum a coexisté avec le temps d'hier ou
d'aujourd'hui , et ainsi de suite. Tel est le prédicament quando.
mitur quando prout relinquitur ex adja- j non enim habent mensurari tempore. Pos-
centia temporis continui , et si in eis esset ! sumus autem dicere quod in omnibus dic-
tis actibus sit quando per quamdam coexis-
tentiam, quam habet tempus continuum
cum durationibus eorum. Dicimus enim
quando fuit angélus, et respondetur heri
vel hodie ; non tamen quod angélus quan-
tum ad suum esse mensureretur die hes-
terno vel hodierno , sed quia dies hesterna
vel hodierna simul fuit cum dicta dura-
tione angeli, scilicet cum suo sevo, vel
œvuum suum simul coexistit tempori hes-
terno vel hodierno. Et sic de aliis, et patet
de quando.
quando ex adjacentia ipsius nunc temporis
discreti esset alterius rationisquam quando,
de quo nunc igitur. Alius vero actus indi-
visibili est, qui non est aptus natus succe-
dere alteri, nec alius sibi , sicut est actus
essendi angelorum, et anima? rationalis et
corporum cœlestium, et intellertio angeli,
qua videlicet intelligit se , quee non est
successiva, et beata visio angelorum et
animarum. Et taies actus mensurantur
œvo, quod est totum simul. Unde licet ta-
ies actus incœperit esse per simplicem ema-
nationem, tamen in eis non est quando,
SUR LA LOGIQUE D ARISTOTE.
199
TKAIÏE VI.
De ubi.
CHAPITRE PREMIER.
Du préclicarnent Ubi, ce que c'est formellement , et en quoi il se trouve
subjectivement.
Ubi est la circonscription d'un corps provenant de la circonscrip-
tion de lieu. Pour comprendre cette définition et ce que c'est que ubi,
il faut savoir que le lieu est la surface d'un corps contenant immo-
bile ; or une chose peut être dans un lieu de deux manières , savoir,
définitivement et descriptivement. Des choses sont définitivement dans
un lieu quand , sans être douées de vastes dimensions , ni par elles-
mêmes, ni par accident, elles ne se trouvent pas néanmoins partout,
mais sont dans une partie du monde , de telle sorte qu'elles ne sont
pas dans une autre , comme les anges et les âmes séparées, d'où l'on
dit qu'elles sont dans un lieu définitivement, c'est-à-dire détermina-
tivement, parce qu'elles ont une position tellement déterminée dans
une partie du monde, qu'elles ne sont pas alors dans une autre partie,
et par rapport à elles on ne peut pas dire proprement de ubi qu'il est
in, parce que les choses qui sont en ubi sont contenues dans un lieu.
Mais ces choses contiennent bien plutôt le lieu qu'elles ne sont conte-
nues dans le lieu, elles ne sont donc pas proprement dans ubi. On dit
de toutes les choses qui ont une dimension qu'elles sont circonscrip-
tivement dans un lieu. Ne disons rien pour le moment de la manière
dont la dernière sphère est dans le lieu. Il résulte de laque la quantité
qui rend formellement subjective la matière étendue , la constitue en
un lieu comme cause efficiente; c'est pourquoi un corps localisé par
TIUCTATIS YI.
De ubi.
CAPUT PRIMUM.
De prœdicamento Ubi quid sit formaliter et
in quo sit subjective.
Ubi est circumscriptio corporis a loci
circumseriptione proveniens. Ad intelli-
gendatn prœdictam descriptionem, et quid
est, ubi sciendum , quod locus est superfi-
cies corporis coutinenlis immobilis, dupli-
citer autem potest aliquid esse in loco ,
scilicet diffniitive et descriptive. Difïini-
tive sunt in loco ea, quse licet quanta non
sint, nec per se nec per accidens, tamen
non sunt ubique, sed ita sunt in una parte
mundi , quod non sunt in alia, sicut sunt
angeli et anima? separatœ. Unde dicuntur
esse in loco diffinitive, id est determina-
tive, quia ita determinatse sunt in una
parte mundi, quod tune non sunt in alia,
et de talibus non potest proprie dici ubi
esse in. Nam ea quee in ubi continentur in
loco. Sed hujusmodi magis continent lo-
cum, quam contineantur a loco ; non ergo
proprie sunt in ubi. Circumscriptive vero
dicuntur esse in loco omnia quanta. Di-
mittamus modo de ultima sphaera qualiter
sit in loco. Unde quantitas, quse formaliter
facit subjectam materiam quantam, effi-
cienter facit eam esse in loco. Unde cor-
pus locatum per suam superficiem tangit
200 OPl'SCULE XL VII , TRAITÉ 6 , CHAPITRE 1 .
sa surface touche la surface du corps qui contient , et comme la sur-
face du corps localisé est déterminée, il en est de même de la surface
du lieu contenant. Or on peut considérer sous deux rapports la sur-
face du corps qui renferme; premièrement, comme étant dans le
corps contenant et le dénommant, telle la quantité; secondement,
comme dénommant le corps localisé , et elle constitue ainsi le prédi-
cament ubi qui n'est réellement autre chose que le lieu en tant qu'af-
fectant la chose localisée d'une dénomination extrinsèque, comme on
dit citoyen de cité , Praguéen de Prague. Ou suivant la seconde opi-
nion, le prédicament ubi est un rapport du lieu qui circonscrit la
chose localisée. On voit par ce qui précède que le mouvement local
n'est pas dans un lieu comme tel, mais il est dans le prédicament ubi;
or le mouvement se trouve subjectivement dans ce qui est mû, c'est-
à-dire dans ce qui est mobile. On dit que le mouvement est dans le
genre de la forme qui s'acquiert par le mouvement, laquelle est le terme
du mouvement ; mais le lieu ne se meut pas, puisqu'il est le terme du
contenant immobile, tandis que la chose localisée se meut. Or le lieu
comme tel n'est pas la forme qui s'acquiert dans la chose localisée ,
mais bien la forme du contenant. Rien ne s'acquiert donc dans la
chose mobile, si ce n'est ubi, qui est le rapport du lieu à la chose
localisée , comme la circonscrivant. Ou bien c'est la domination sup-
posant le susdit rapport dans la première opinion. Or ce rapport se
trouve terminativement dans la chose localisée , suivant l'extension
du lieu dont il est le rapport, de même que le fondement s'acquiert
dans la chose tendant vers des ubi successifs, jusqu'au terme du
mouvement. On voit par là que dans les autres espèces du mouvement
dans le mobile lui-même, il s'acquiert une forme intrinsèque. Car
dans l'altération qui se fait du froid à la chaleur, la chaleur, qui est la
superficiem corporis locantis. Et sicut est
signata superficies corporis locati , ita et
superficies locantis. Superficies autem cor-
poris locantis potest dupliciter considerari.
rjno modo ut est in corpore locante, et
denominat illud , et sic est quantitas. Alio
modo, nt denominat corpus locatum, et sic
facit preedicamentum Ubi , quod' nihil
aliud est secundum rem quam locus, ut
denominat locatum denominatione extrin-
seca, sicut dicitur civis a civitate , et Pra-
gensis a Praga. Vel juxta secundam opi-
nionem praedicamentum ubi est respectus
loci circumscribentis locatum. Ex praedictis
patet , quod motus localis non est in loco
in quantum hujusmodi, sed est in praedica-
mento ubi, motus autem subjective est in
eo quod movetur, seu in mobili. Dicitur
autem motus esse in génère forma? , quae
acquiritur per motum , quae est terminus
motus, non autem movetur locus cum sit
terminus continentis immobilis : movetur
autem locatum , locus autem in quantum
hujusmodi non est forma quae acquiratur
in locato, sed est forma locantis. Nihil er-
go acquiritur in re mobili nisi ubi quod
est respectus loci ad locatum , ut circum-
scribit illud. Vel est dominatio supponens
prasdictum respectum juxta primam «pi-
nionem. Hic autem respectus terminative
est in ipso locato , et secundum extensio-
nem loci, cujus est talis respectus, ut fun-
damentum acquiritur in re , quae movetur
ad aliud , et aliud ubi usque ad terminum
motus. Ex his patet, quod in aliis specie-
bus motus in ipso mobili acquiritur forma
intrinseca. Nain in alteratioue , quae lit de
frigore ad calorem acquiritur calor qui est
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 201
forme intrinsèque inhérente à l'objet échauffé , se trouve acquise.
Dans l'augmentation et la décroissance, il s'acquiert une certaine
quantité qui est aussi la forme intrinsèque inhérente; mais dans le
mouvement local , ce qui s'acquiert , c'est ubi qui dénomme extrinsè-
quement. Ou bien, suivant la seconde opinion, c'est un rapport ex-
trinsèque fondé sur le contenant et terminé dans la chose localisée ,
comme il a été dit. On comprend donc la définition de ubi, c'est-
à-dire que c'est la circonscription d'un corps , ou la dénomination
d'un corps localisé circonscrit , provenant de la circonscription du
lieu, c'est-à-dire du lieu qui circonscrit. Ou suivant la seconde opi-
nion, c'est la circonscription d'un corps localisé, c'est-à-dire le rap-
port terminé dans un corps circonscrit , provenant de la circonscrip-
tion du lieu, on fondé dans le lieu, comme circonscrivant la chose
localisée.
CHAPITRE II.
Ubi ne reçoit ni le plus ni le moins , il n'a pas la contrariété , et se
trouve dans le corps terminé par une surface.
Ubi ne reçoit ni le plus, ni le moins, ni la contrariété. Car, ainsi
que nous l'avons dit, ubi n'est autre chose que le lieu comme dénom-
mant la chose localisée qu'il circonscrit. Ou bien , sur, ant la seconde
opinion, c'est un rapport extrinsèque fondé dans le lieu qui circon-
scrit, et terminé dans la chose localisée. Ce rapport n'ajoute rien de
réel au fondement , si ce n'est le terme ad quem , comme il a été dit
plus haut au sujet de la relation. C'est pourquoi il ne signifie rien de
différent du lieu. Mais le lieu ne reçoit ni le plus, ni le moins, et il
n'y a rien de contraire au lieu , comme on l'a dit. Donc ubi ne reçoit
ni le plus, ni le moins, ni la contrariété. Or le propre de ubi, c'est
forma intrinseca inhaerens ipsi calefacto. Et
in augmente» et décrémente acquiritur certa
quantitas, quee etiam est forma inhaerens
intrinsece. Sed in motu locali acquiritur
ubi, quod denominat extrinsece. Vel juxta
secundam opinionem est respectus extrin-
secus fundatus in locante et terminatus in
locato , ut dictum est. Patet ergo descrip-
tio ipsius ubi, scilicet quod est circum-
scriptio corporis, id est, denominatio cor-
poris locati circumscripti proveniens a cir-
cumscriptione loci , id est, ab ipso loco
circumscribenle. Vel juxta secundam opi-
nionem est circnmscriptio corporis locati ,
id est, respectus terminatus in corpore cir-
cumscripto, proveniens a circumscriptione
loci, id est fundatus in loco prout circum-
scribit locatum.
CAPUT II.
Quod Vbi non suscipit magis nec minus, nec
habst contrarietatem , et quod est in cor-
pore terminalo superficie.
Ubi vero non suscipit magis nec minus
et non suscipit contrarietatem. Ut enim
dictum est, ubi nihil aliud est quam locus
ut denominans rem locatam , quam cir-
cumscribit. Vel juxta secundam opinio-
nem est respectus extrinsecus fundatus in
loco circumscribente , et terminatus in re
locata ; qui respectus nihil reale addit su-
pra fundamentum, nisi terminum ad quem,
ut supra de relatione dictum est. Unde
nullam rem dicit diversam a loco. Sed lo-
cus non recipit magis vel minus, nec loco
aliquid est contrarium , ut supra dictum
est, ergo nec ubi suscipit magis vel rmnu
nec contrarietatem. Proprium autem ub
202 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 6, CHAPITRE 2.
d'être dans tout corps terminé ou dénominativement, ou dans la
seconde opinion terminativement , bien qu'il y ait dans un corps cer-
tains autres accidents, comme la chaleur, la douceur, etc., et que cer-
tains rapports se terminent au corps, comme l'égalité et l'inégalité ,
néanmoins ils ne conviennent pas au corps aus;si proprement qu'à
ubi ; car le corps est ce qui est limité par une surface ou par des sur-
faces, et c'est là la nature du corps en tant que corps. Mais comme la
nature a horreur du vide , il faut nécessairement qu'elle s'adjoigne
immédiatement une autre superficie qui , comme immobile, est ap-
pelée lieu et le circonscrit, c'est ubi. C'est pourquoi ubi est propre-
ment dans le corps , parce qu'il suit immédiatement le corps comme
tel. Je dis que le propre de ubi est d'être dans tout corps, ajoutez et
non dans une autre chose , parce qu'il n'est pas dû de lieu à l'indivi-
sible comme tel. Si , en effet, le lieu est une quantité continue, il doit
être indivisible. Or la chose localisée et le lieu sont dans un rapport
adéquat , d'où il résulte que si quelque indivisible étoit lieu, il s'en-
suivroit que ce lieu seroit indivisible. Remarquez qu'on peut prendre
l'indivisible sous deux rapports. D'abord mathématiquement , et sous
ce rapport le point seul est indivisible, et, comme il a été dit, il ne
lui est pas proprement dû de heu. En second lieu, l'indivisible se
prend naturellement , car on peut arriver à la plus petite parcelle de
chair, laquelle étant divisée, il n'y aura plus de chair. Néanmoins cet
indivisible est étendu , tandis que le point ne l'est pas , et rien n'em-
pêche que cette sorte d'indivisible soit dans un heu ; il admet donc
ubi. Je dis aussi que ubi est dans un corps terminé; si, en effet, il y
avoit un corps infini, comme les anciens philosophes supposoient
qu'il y en avoit un hors du ciel, ce corps ne seroit pas dans ubi. Tel
est ce qui concerne ubi.
est esse in omni corpore terminato vel de- j eus est quantitas continua , oportet quod
nominative, veljuxta secundam opinionem j sit indivisibilis. Locatum autem et locus
terminative , licet euim qusedam alia ac- i adaequantur. Uude si alicujus indivisibilis
cidentia sint in corpore, ut calor, dulcedo | esset locus, sequeretur quod locus ille esset
et hujusmodi , et quidam etiam respectus J indivisibilis. Notandum quod indivisibile
terminentur ad corpus, ut œqualitas et in- j dupliciter potest sumi. Uno modo mathe-
œqualitas , tamen non ita proprie conve- matice, et sic solus punctus est indivisi-
niunt corpori , sicut ubi. Corpus enim est j bilis , et cui , ut dictum est , non debetur
quod superficie vel superficiebusterminatur, proprie locus. Alio modo sumitur indivisi-
et hoc est de ratione corporis in quantum ; bile naturaliter, est enim devenire ad mi-
est corpus. Sed quia natura non sustinet j nimam carnem, quae si dividatur, non erit
vacuum, oportet quod statim sibi conjun- I amplius caro. Hoc tamen indivisibile est
gatur alia superficies, quae ut immobilis est, quantum, et non punctus, et nullus prohi-
locus dicitur et circumscribit illud, et hoc bet taie indivisibile esse in loco : igitur in
est ubi. Unde proprie ubi est in corpore eo est ubi. Dico etiam quod ubi est in cor-
quia immédiate sequitur ipsum corpus in | pore terminato. Si enim esset corpus infi-
quantum hujusmodi. Et dico , quod pro- j nitum, ut ponebant primi Philosophi esse
prium est ubi esse in omni corpore, supple, extra cœlum, taie corpus non esset in ubi ,
et non in alio , quia indivisibili in quantum et sic patet de ubi, etc.
hujusmodi non debetur locus. Si enim lo- !
SUR LA LOGIOUE D ARISTOTE.
203
TRAITE VIL
De la position.
CHAPITRE PREMIER.
Du prédicament de position ; est-il quelque chose suivant la raison
formelle ?
La position est l'ordre ou la disposition des parties dans le lieu.
Pour comprendre cela , il faut savoir que la partie est prise comme le
tout d'une manière multiple. En effet, il y a un triple tout, le tout
universel, potentiel et intégral, et lorsqu'on parle d'un autre tout,
comme le tout dans la quantité, le tout dans le temps , le tout dans
le lieu , ils se rapportent à ces trois premiers. Or on appelle tout uni-
versel un genre dont les parties subjectives sont des espèces; le tout
potentiel est quelque chose où il y a des puissances qui ne peuvent
être appelées ni parties intégrales, ni parties subjectives, comme
l'ame est un tout potentiel par rapport à ses puissances, et chacune
de ses puissances est appelée force potentielle. Le tout intégral est de
deux sortes. L'un qui est constitué par les parties intégrantes de l'es-
sence de la chose composée. Chacune de ces parties, prise en elle-
même , n'est pas destinée à exister naturellement sans l'autre, comme
la forme et la matière. Il y a un autre tout intégral dont les parties
séparées du tout peuvent naturellement exister par elles-mêmes,
comme un morceau de bois étant divisé en deux fragments, chacune
des parts peut exister par elle-même, et c'est là, comme on dit en méta-
physique , passio quanti in eo quod quantum est. Et comme ces par-
ties sont divisibles, elles peuvent être déterminées par l'intellect,
TRACTATliS VII.
De situ.
GAPUT PRIMUM.
De prœdicamenlo si lus > an aliquid sil se-
cundum rationem formatera.
Positio est ordo seu ordinatio partium
in loco. Ad intelligendum autem prœdictam
descriptionem , sciendum est , quod pars
multipliciter dicitur sicut et totum. Est
enim triplex totum, scilicet universale,
potentiale et intégrale. Et si aliud totum
dicatur, ut totum in quantitate, totum in
tempore, totum in loco , ad ista tria redu-
cuntur. Dicitur autem totum universale
genus, cujus partes subjectivse sunt species,
totum vero potentiale dicitur aliquid , in
quo sunt potentiae , quee nec partes inté-
grales dici possunt, nec partes subjectivse,
sicut anima respectu suarum potentiarum
est totum potentiale, et qutelibet ejus po-
tentia dicitur vis potentialis. Totum vero
intégrale est duplex. Unum est, quod con-
stituitur ex partibus integrantibus essen-
tiam rei composites. Quarum partium una-
quaeque per se accepta non est nata esse
naturaliter sine alia , sicut sunt forma et
materia. Aliud vero totum intégrale est ,
cujus partes sunt natae divisée a loto quœ-
libet per se esse, sicut diviso ligno toto in
duo ligna unaquœque partium potest per
se esse, et haec est passio quanti in eo quod
quantum est, ut dicitur V Metaph. Et quia
taies partes sicut sunt divisibiles, ita per
204 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 7, CHAPITRE 1.
quoiqu'elles ne soient pas séparées , et parce que , considérées en
elles-mêmes, elles ont un certain ordre dans le tout, l'une étant con-
sidérée proprement comme étant le centre du tout, une autre comme
venant ensuite, et ainsi des autres, un tel ordre est appelé puissance,
laquelle est la différence de la quantité, comme il a été dit. Il ne faut
pas croire cependant qu'un pareil ordre , qui est appelé puissance ,
soit une relation , parce que la différence de la quantité ne peut pas
être dans un prédicament différent de la quantité , mais elle peut être
une relation secundum dici, comme nous disons que la science est
une relation ou un relativus secundum dici. Car la science est dans la
première espèce de la qualité par antériorité, et secondairement elle
désigne un certain rapport à ce qui est susceptible d'être connu par
la science. On peut aussi considérer sous un autre point de vue les
parties intégrales dont nous venons de parler dans leur comparaison
avec le lieu, en tant, par exemple, qu'une partie du lieu correspond
à chacune des parties ainsi coordonnées dans le tout ; et cet ordre ou
disposition des parties dans le lieu s'appelle position , qui est le pré-
dicament situs. Il faut remarquer que le tout localisé et tout le lieu
restant les mêmes, les diverses parties de la chose localisée peuvent
être appliquées aux différentes parties du lieu, il y a par conséquent
quelque différence entre la comparaison du tout localisé avec le tout
localisé , et la comparaison des parties avec les parties , et ainsi la
puissance qui désigne l'ordre des parties de la chose localisée , relati-
vement aux différentes parties du lieu, est un prédicament différent
du prédicament ubi, qui signifie la circonscription de la chose loca-
lisée par le lieu. Il faut observer que la superficie du corps contenant,
qui est appelé lieu , et la superficie du corps contenu coexistent simul-
tanément , et telle est la figure du corps contenu , telle est aussi la
figure du lieu ou la superficie du corp6 contenant , et par conséquent
intellectum signari possunt , quamvis non
sint divisée, et quia in se consideratae inter
se habent aliquem ordinem in toto, quia
una consideratur proprie esse centrum to-
tius, et alia post aliam, et sic. de aliis, talis
ordo dieitur potentia, quae est differentia
quantitatis, ut supra dictum est. Née ta-
men est credendum, quod talis ordo , qui
dieitur potentia, sit relatio, quia differen-
tia quantitatis non potest esse in alio prae-
dicamento a quantitate, sed potest esse re-
latio secundum dici, sicut dicimus, quod
scientia est relatio, vel relatum secundum
dici. Est enim scientia in prima specie
qualitatis per prius, secundario autem dicit
quemdam respectum ad scibile. Alio modo
possunt considerari praedictae partes inté-
grales, ut comparantur ad locum , prout,
scilicet cuilibet parti sic ordinatae in toto
correspondet pars loci, et talis ordo, seu
ordinatio partium in loco dieitur positio ,
quae est praedicamentum situs. Notandum,
quod manente eodem toto locato et eodem
toto loco, possunt partes diverse lecati di-
versis partibus loci applicari , et ideo est
aliqua diversitas inter comparationem to-
tius locati ad totum locatum, et inter com-
parationem partium ad partes , et sic po-
tentia, quae dicit ordinem partium locati
ad diversas partes loci , est aliud praedica-
mentum quam praedicamentum Ubi, quod
dicit circumscriptionem locati a loco. No-
tandum , quod superficies corporis conti-
nents , quae locus dieitur , et superficies
corporis contenti sunt simul, et secundum
quod est figura corporis contenti , sic est
SUR LÀ LOGIQUE d'aRISTOTE. 205
il faut que le lieu ait une habitude différente par rapport à la chose
localisée, suivant la situation des parties et sa différence dans le corps
localisé. C'est pourquoi du lieu contenant ainsi diversement les par-
ties de la chose localisée on dénomme cette chose même à raison de
ses parties. Le prédicament de situation ou de position est ainsi ap-
pelé, comme on dit un homme assis, parce que les parties du lieu
circonscrivent de cette manière les parties de la chose localisée. Ou ,
suivant la seconde opinion , le rapport fondé sur la chose localisée , à
raison de ses parties, est la position ou situation. On voit donc par là
ce que c'est.
CHAPITRE II.
La position est la dénomination ou le rapport tiré des parties du lieu
à raison des parties de la chose localisée.
Il faut savoir qu'il en est qui disent que la situation ou position
n'est pas la dénomination ou le rapport tiré des parties du lieu à
raison des parties de la chose localisée , mais bien plutôt un rapport
tiré des parties de la chose localisée relativement aux parties du lieu.
Si on leur objecte que s'il en étoit ainsi, il s'ensuivroit que cette
dénomination ne seroit pas ab exlrinseco, parce que le rapport fondé
sur les parties de la chose localisée, suivant la première opinion,
laquelle est le prédicament de situation , ne se trouve pas en dehors
du tout localisé , d'où il suivroit que la situation seroit une relation.
Ils répondent à cela qu'il arrive pour la situation ce que nous avons
dit plus haut pour la passion , laquelle, quoique étant subjectivement
dans l'objet qui la' subit , dénomme néanmoins le patient d'une dé-
nomination extrinsèque , parce qu'elle ne le dénomme qu'à raison de
l'agent , qui est extérieur, et ainsi ils disent que les parties de la chose
figura loci, seu superficies continentis , et
ideo secundum situationem partium et
ejus diversitatem in corpore locato, neces-
se est locum diversam habitudinem habere
ad locatum. Unde a prœdicto loco sic di-
versimode locante partes locati deno minant
ipsum locatum ratione suarum partium.
Dicitur prsedicamentum situs seu positio-
nis, sicut dicitur homo sedens, quia partes
loci sic circumscribunt partes locati. Vel
juxta secundam opinionem respectus fun-
datus in locato ratione suarum partium ,
est positio seu situs. Patet ergo quid est
situs seu positio.
CAPUT II.
Quod positio est denominalio seu respectus
sumptus a parlibus loci, ratione partium
locati.
Sciendum est, quod quidam dicunt, quod
quidam dicunt, quod situs seu positio non
est denominatio sive respectus sumptus a
partibus loci ratione partium locati, sed
potius est respectus sumptus a partibus lo-
cati ad partes loci. Et si objiciatur eis,
quod si hoc esset, sequeretur quod talis
denominatio non esset ab extrinseco, quia
respectus fundatus in partibus locati juxta
secundam opinionem , ad quam sequitur
talis denominatio juxta primam opinio-
nem quae est prœdicamentum situs, non
est extra totum locatum. Unde sequetur
quod situs esset relatio. Ad hoc respondent
quod de situ accidit sicut de passione supra
dictumest, quœ licet sit subjective in passo,
tamen ab ea denominatur patiens deno-
minatione extrinseca, quia non denominat
illud nisi ratione agentis, quod est extra, et
sic dicunt, quod partes locati sic ordinataî
non denominant lotum in praedicamento
206 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 7, CHAPITRE 3.
localisée ainsi coordonnées, ne dénomment le tout dans ce prédica-
ment qu'à raison des parties du lieu auxquelles elles se rapportent.
Et comme, ainsi que nous l'avons dit plus haut, Aristote n'a point
établi ces prédicaments , et que celui qui l'a fait n'a pas une grande
autorité, ni un partisan de quelque valeur, il en résulte que chacun
aujourd'hui peut en penser et en dire ce qui lui plaît. Néanmoins les
deux opinions pourroient se soutenir, mais la première a plutôt pour
but d'établir que ce prédicament signifie la forme survenant extrinsè-
quement, tandis que la seconde paroît se fonder sur la signification
des locations qui importent la position. Carsessio et cubatio semblent
signifier plutôt la disposition des parties de la chose localisée par
rapport aux parties du lieu, que vice versa. Il en est de même de
âpre et doux, car cela est âpre dont les parties se présentent égale-
ment. Quelle est la plus probable de ces opinions, j'en laisse le juge-
ment au lecteur.
CHAPITRE III.
La situation ne reçoit ni le plus ni le moins, et n'a pas de contrariété ,
ce qui lui est propre, c'est d'assister à la substanee d'une manière pro-
chaine.
Le situs ou position ne reçoit ni le plus, ni le moins, soit qu'elle
soit le rapport des parties du lieu aux parties de la chose localisée ou
vice versa , parce que ni les parties du lieu , ni les parties de la chose
localisée ne reçoivent le plus et le moins , par conséquent ni le situs
non plus. De même ce situs ne reçoit pas la contrariété , comme oii
peut le déduire de ce qui a été dit. C'est le propre du situs d'assister
d'une manière prochaine à la substance matérielle. Pour comprendre
cela, il faut savoir qu' assister, dans le sens où on prend ici ce mot ,
c'est être en rapport. Il faut noter que la quantité affecte la chose ma-
isto, nisi ratione partium loci, ad quas ha-
beîit respeclum. Et quia, ut supra dictum
est, ista prœdicamenta non fecit Aristote-
les, et ille qui fecit, non fuit tant* aueto-
ritatis, nec habuit aliquem expositorem ali-
cujus auctoritatis, ideo de eis quilibet itio-
dernorum dicît, sicut sibi videtur. Utraque
tamen opinio posset salvari , sed prima
magis stat ad salvandum quod hoc praedi-
camentum dicat formam extrinsecus ad-
venientem. Secunda vero videtur magis
stare cum significato dictionum , quœ im-
portant positionem. Nam sessio et cubatio
magis videntur dicere dispositionem par-
tium locati per respectum ad partes loci ,
quam e converso. Et sinùliter se habet de
aspero et leni , asperum enim est cujus
partes œqualiter porriguntur. Quae autem
istarum ophnonum sit probabilior, legen-
tis judicio relinquo, etc.
CAPUT III.
Quod situs non suscipit magis nec minmt'A
nec habet conlrarielatem, et quod pro-
prium ejus est proxime assistere sub-
stantiœ.
Situs autem, seu positio non recipit ma-
gis nec minus , sive sit respectus partium
loci ad partes locati, sive e converso, quia
nec partes loci nec partes corporis locati
suscipiunt magis vel minus; ideo nec situs
suscipit magis vel minus. Similiter nec re-
cipit contrarietatem , ut ex supra dictis
potest patere. Est autem proprium situs
proxime assistere substantif materiali. Ad
quod intelligendum , sciendum est quod
assistere, ut hic sumitur, est esse respecti-
vum. Notandum quod quantitas afïicit rem
materialem prius quam aliquod accidens.
Unde primam materiam prius natura m-
SUR LÀ LOGIQUE d'aRISTOTE. 207
térielle avant aucun accident. C'est pourquoi la forme substantielle
qui donne l'être informe la matière première avant la nature. Pour
cette information , la quantité passe naturellement avant quelque
autre accident; or, comme on l'a dit, la passion propre de la quan-
tité , c'est d'être divisible en parties intégrales; c'est pourquoi , dans
le chap. Y de la Métaph., Aristote en donne cette définition. Quantum
est ce qui est divisible en parties toujours divisibles. Le situs, qui est
un certain rapport, se termine à ses parties intégrales, quoiqu'il soit
fondé sur le lieu, ou , suivant d'autres, sur les parties de la quantité,
et se termine aux parties du lieu, lequel rapport est suivi de la déno-
mination qui constitue le prédicament situs, suivant la première opi-
nion. Donc le plus prochain rapport de la substance matérielle , soit
termina tivement, soit fondamentalement, c'est le situs ou position.
TRAITE VIII.
De l'habitude.
CHAPITRE PREMIER.
De Thabitus en tant que 'prédicament , ce que c'est formellement.
Vhabitus est l'adjacence des corps et de ce qui les environne. Pour
comprendre ceci, il faut savoir que avoir quelque chose signifie un
certain rapport. On dit que certains sujets ont certaines choses , mais
entre le sujet qui a ces choses et les choses elles-mêmes, il n'y a
qu'un rapport de raison , comme quand on dit que quelque chose a
une substance ou une partie de substance, le pied, la main, ou
format forma substantialis, quae dat sibi
esse. Ad quam informationem prius natura
sequitur quantitas, quam aliquod aliud ac-
cidens: ut autem supra dictum est, propria
passio quantitatis est quod sit divisibilis in
partes intégrales. Et ideo V Metaph. a Phi-
losopho sic describitur. Quantum est quod
est divisibile in semper divisibilia. Ad
quas partes intégrales terminatur situs qui
est rcspectus quidam, licet fundetur in
loco vel secundum alios fundatur in par-
tibus quantitatis et terminatur ad partes
loci, ad quem respectum sequitur denomi-
natio , quee facit prsedicamentum situs ,
juxta primam opinionem. Proximus ergo
respectus substantise materialis sive termi-
native , sive fundamentaliter est situs sive
positio , etc.
TRACTATIS VIII-
De HAB1TU.
CAPUT PR1MUM.
De habilu secundum quod est prœdicameu-
(um quid sit formuliter.
Habitus est corporum, et eorum quœ
circa corpus sunt adjacentia. Ad intelli-
gendum autem prcedictam descriptionem ,
sciendum, quod habere aliquid dicit quem-
dam respectum. Quaedam enim dicuntur
habere aliquas rcs, sed inter habentem et
res habitas est solus respectus rationis , ut
cum aliquid dicitur habere substantiam,
208 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 8, CHAPITRE 1.
qu'elle a une quantité ou une qualité; et cependant entre le sujet et
la chose possédée , il n'y a aucun rapport réel , mais seulement un
rapport de raison. C'est pourquoi cette manière d'avoir appartient
aux prédicaments absolus. Il y a d'autres sujets qui sont dits avoir
certaines choses, de manière qu'entre le sujet et ces choses il existe
un rapport réel et conversif , comme le père est dit avoir un fils, et
le fils un père , le maître un esclave ou un domaine , et l'esclave et le
domaine un maître. Or du père au fils et du fils au père, il y a un rap-
port réel; il en est de même du maître et de l'esclave, et celte ma-
nière d'avoir appartient au prédicament de relation. D'autres sujets
sont dits avoir certaines choses ; et entre ces sujets et les choses pos-
sédées, il y a un rapport réel, mais non conversif, mais bien un
rapport du sujet à la chose , et c'est dans ce sens qu'on dit que le
temps a les choses temporelles , le lieu l'objet localisé , les parties du
lieu les parties de l'objet localisé, et le contenant le contenu; et cette
manière d'avoir appartient aux prédicaments quando , ubi et situs.
Car on dit que ce qui possède de cette manière a le contenu , ce qui
revient au prédicament quando et la chose située , ce qui revient au
prédicament situs. Le vase en effet est un lieu mobile , et le lieu est
est un vase immobile , comme il est au livre IY de la Phys. D'autres
sujets sont dits avoir certaines choses, et entre ces sujets et ces
choses, il existe un rapport réel , non conversif, de manière qu'un
tel rapport est le rapport de la chose possédée au sujet qui la possède,
comme on dit que l'homme a une tunique , et le rapport est de la
tunique à l'homme qui la possède , mais non réciproquement. Cette
manière d'avoir appartient à ce prédicament, je veux dire Yhahilus.
Remarquez, ainsi que le dit Aristote, chap. XV des Animaux, que
la nature a pourvu de vêtements et d'armes les autres animaux.
vel partes substantiœ, sicut pedem vel ma-
num, vel habere quantitatem vel qualita-
tem, et tamen inter habens et res habitas
nullus est respectus realis , sed solum ratio-
iiis. Unde hoc habere pertinet ad prœdica-
menta absoluta. Quœdam vero dicuntur
habere aliquas res, ita quod inter haben-
tem et res habitas est respectus realis et
conversivus , sicut pater dicitur habere fi-
lium, et filius patrem, et dominus ser-
vum, vel possessionem, et servus vel pos-
eessio domiuum. Patris autem ad filium,
et filii ad patrem est respectus realis, et si-
militer est de domino et servo, et istud
habere pertinet ad prœdicamentum rela-
tionis. Quœdam autem dicuntur habere
aliquas res et inter habentia et res habitas
est respectus realis , sed non conversivus ,
sed est respectus habentis ad rem habitam,
et isto modo tempus dicitur habere tem-
poralia , et locus locatum , et partes loci
partes locati, et continens contentum. Est
istud habere pertinet ad prœdicamenta
quando , et ubi , et situs. Nam continens
ita dicitur habere contentum, quod redu-
citur ad prœdicamentum quando, et situs
situatum, quod pertinet ad prœdicamen-
tum situs. Nam vas est locus mobilis , et
locus est vas immobile, ut dicitur IV Phys.
Quœdam autem dicuntur habere aliquas
res, et inter habentia et res habitas est
respectus realis, non conversivus, ita vi-
delicet quod respectus talis est rei habita?
ad ipsum quod habet eam, sicut homo di-
citur habere tunicam, et respectus est tu-
nicae ad ipsum hominem habentem, et non
e converso. Et hoc habere pertinet ad is-
tud prœdicamentum, scilicet habitus. No-
tandum, quod ut Philosophus dicit, XV De
animal., natura providit ahis aninialibus,
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 209
Quelques-uns ont pour vêtement des poils , d'autres un cuir épais ,
ou une carapace , ou quelque chose de ce genre. De même elle a
donné à quelques-uns pour armes des dents , aux autres des cornes,
aux autres des griffes et autres choses semblables ; pour l'homme ,
elle ne lui a rien donné de tout cela , mais en revanche elle lui a
donné l'intelligence et des mains , afin que par ce moyen il pût se
pourvoir de ce qui lui est nécessaire et se faire avec les choses exté-
rieures des vêtements et des armes. C'est pourquoi dans les ani-
maux les vêtements comme les armes sont des parties substantielles
de ces mêmes animaux ; et entre les sujets qui possèdent et les objets
possédés , il n'y a pas de rapport réel , mais un rapport de raison ,
comme il a été dit. C'est pourquoi la dénomination qui se fait par
rapport à eux , à raison de leurs vêtements ou de leurs armes natu-
relles, n'appartient pas à ce prédicament. Mais entre notre vêtement,
nos armes et nous , il y a un rapport réel , aussi nos vêtements et nos
armes , en tant qu'ils nous dénomment comme les possédant, sont le
prédicament habitus. Ou bien , suivant la seconde opinion, leur rap-
port à nous est le prédicament habitus. C'est pour cela que ce prédi-
cament ne convient qu'aux hommes. Jl est vrai aussi que nous revê-
tons et armons certains animaux avec des vêtements et des armes qui
leur sont étrangers ; en effet , nous habillons les singes et nous har-
nachons un cheval , et sous ce rapport ce prédicament peut leur ap-
partenir. Tel est ce prédicament,
CHAPITRE II.
Z'habitus^ew^ se fonder immédiatement dans la substance.
On n'est pas certain si ce prédicament est la dénomination qui suit
le rapport, ou dans la seconde opinion le rapport lui-même, comment
de vestirnentis et de armis. Unde quœdam
pro vestimento habent pilos, quœdam vero
corium grossum, vel corticem, vel aliquid
hujusmodi. Similiter etiam aliquibus pro
armis dentés dédit, aliis cornua, aliis vero
ungues, et hujusmodi, homini autem nihil
horum dédit , sed dédit ci intellectum et
manus, ut per eas posset sibi providere,
et de rébus exterioribus faeeret sibi vesti-
menta et arma. Unde in aliis animalibus
tam vestimenta quam etiam arma sunt
partes substantiales eorum, et interhabentia
et habita non est aliquis respeclus realis,
sed solum rationis, ut dictum est. Unde
denominatio, quae fit in eis vel a vesti-
rnentis, vel ab armis eorum naturalibus
non pertinet ad hoc prœdicamentum. Sed
rnter vestimenta et arma nostra et nos est
V.
respectus realis, et ideo vestimenta et arma
prout denominant nos habentes ea sunt
prœdicamentum habitus. Vel juxta seeun-
dam opinionem respectus eorum ad nos
est prœdicamentum habitus. Unde hoc prse-
dicamentum solum convenit hominibus.
Verum est autem, quod etiam quœdam
animalia vestimus et armamus vestirnentis
et armis exterioribus. Vestimus enim simias
et falleramus equos : et isto modo hoc
praedicamentum potest ad ea pertinere. Et
sic patet, etc.
GAPUT II.
Quod habitus polest immédiate fundari in
subslantia.
Videtur autem esse dubium, sive hoc
prœdicamentum sit denominatio sequens
14
210 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 8, CHAPITRE 2.
il peut appartenir aux genres des accidents. Il est en effet constant que
les vêtements comme les armes sont dans le genre de la substance. Or
la dénomination prise de la substance ne se met pas dans un genre
différent de la substance, ou, suivant la seconde opinion, comment le
rapport sera-t-i] fondé daus la substance immédiatement, puisqu'il
n'ajoute rien de réel au fondement, comme il a été dit; il s'ensuit donc
ou que la substance sera accident, ou que Y habitus ne sera pas acci-
dent. 11 faut dire, ce qui ne répugne pas, que le rapport réel est fondé
dans la substance. En effet, la substance créée comme telle se rap-
porte réellement au créateur, et ce rapport est immédiatement fondé
en elle, et la substance n'est pas pour cela rapport ou accident. Notez
que l'accidentalité de la quantité et de la qualité, qui sont des accidents
absolus, est différente de l'accidentalité des sept autres prédicaments.
Car l'accidentalité des absolus consiste en ce qu'ils surviennent dans
l'être en acte par inhérence, et de cette manière la substance ne peut
pas être accident, au contraire, l'accidentalité des sept autres prédica-
ments consiste en ce qu'il arrive à la forme ou au sujet de la forme
d'avoir un terme ad quem. Et comme une forme substantielle, ou une
substance composée peut avoir un semblable terme, rien n'empêche
que de cette manière elle soit un accident, de sorte qu'elle se produise
accidentellement dans un sujet, d'où il arrive au vêtement de devenir
adjacent au corps et d'avoir un tel rapport avec lui : Et de cette ma-
nière, soit que le vêtement soit pris comme dénommant, il lui arrive
de dénommer ainsi, et il est accident : ou dans la seconde opinion il
arrive au vêtement d'avoir le corps pour terme auquel il se rapporte
comme adjacent. Ou on peut dire qu'on ne fait pas indifféremment des
respectum, sive juxta secundam opinionem
sit ipse respectus , quomodo hoc prœdica-
mentum pertinebit ad gênera accidentium.
Constat enim quod vestimenta sive arma
sunt in génère substantiae. Denominatio au-
tem sumpta a substantia non ponitur in
alio génère a substantia, sive juxta secun-
dam opinionem quomodo fundabitur res-
pectus immédiate in substantia, eum res-
pectus nihil reale addat supra fundamen-
tum , ut supra dictum est ; ideo sequitur,
quod substantia vel erit accidens, vel quod
habitus non erit accidens. Ad quod dicen-
durn, quod non est inconveuiens , quod
respectus realis in substantia fundetur.
Substantia enim creata in quantum hujus
realiter refertur ad creatorem, et talis res-
pectus immédiate in ea fundatur , nec
propter hoc substantia est respectus vel
accidens. Notandum, quod differt acciden-
talitas quantitatis et qualitatis qua? sunt
accidentia absoluta , ab accidentalitate
aliorum septem preedicamentorum. Nain
accidentalitas absolutorum consistit in hoc
quod adveniunt enti in actu per inha?ren-
tiam , et isto modo substantia non potest
esse accidens. Accidentalitas autem aliorum
septem preedicamentorum consistit in hoc,
quod accidit formée seu subjecto formas
habere terminum ad quem. Et quia forma
substantialis seu substantia composita po-
test habere talem terminum , isto modo
non est inconveniens quod sit accidens, id
est ut accidenlaliter alteri adveniat , unde
accidit vestimento ut adjacent çorpori , et
ut talem respectum habeat ad ipsum; et
sic sive sumatur vestimentum, ut denomi-
nans, accidit sibi sic denominare, et sic est
prœdicamentum habitus juxta primam
opinionem , et est accidens : vel juxta se-
cundam opinionem accidit vestimento
habere corpus pro termino, ad quem ut
adjacens habet respectum. Vel potest dici,
quod non ex omni substantia iudifforenter
SLR LA LOGIQUE d'aMSTOTE. 211
vêtements et des armes de toute espèce de substance , mais que pour
faire des armes on prend une substance qui a une certaine qualité ,
comme la dureté. De même, on ne fait pas indifféremment des vête-
ments avec toute espèce de substance , mais on prend une substance
qui a telle qualité, comme la mollesse, la facilité de se plier, etc., et le
rapport qui est YhaMtus se fonde sur ces quantités, ou à raison de ces
SLibstances, en tant qu'elles ont ces qualités. Donc Vhabitus est l'adja-
cence des corps et des choses qui les environnent, ce qui se conçoit
ainsi : Vhabitus est l'adjacence, c'est-à-dire la dénomination des corps
comme choses qui sont dénommées, et des choses qui environnent le
corps, c'est-à-dire des choses qui opèrent une semblable dénomina-
tion, comme l'homme vêtu est désigné et dénommé par les vêtements
qui l'enveloppent. Ou bien, suivant la seconde opinion , Vhabitus est
l'adjacence ou le rapport des corps terminativement. Car ce rapport,
c'est-à-dire le rapport du vêtement se termine au corps vêtu, et il ap-
partient aux choses qui sont fondamentalement autour du corps. En
effet, le fondement de ce rapport est le vêtement lui-même, comme on
l'a dit ; ainsi s'explique Vhabitus. Il faut observer que, quoique cette
dénomination appartienne au tout de ce qui a cet habitus , car on dit
que l'homme est vêtu et chaussé, néanmoins elle convient à elle-
même à raison de Vhabitus qui est adjacent à la partie. Car, quoique
l'homme soit dit chaussé, c'est néanmoins à raison de la chaussure
qui est adjacente au pied, lequel est une partie intégrante de l'homme,
puisque tout le corps n'est pas vêtu , c'est à raison de la partie à
laquelle le vêtement est adjacent, voilà ce qui concerne Vhabitus.
fiunt arma, et vestimenta, sed arma finnt
ex substantia habente aliquam qualitatem,
puta durïtiem et hujusmodi. Similiter ves-
timenta fiunt non ex qualibet substantia
indifferenter, sed ex habente talem quali-
tatem , puta mollitiem et plicabilitatem,
vel hujusmodi , et super his quantitatibus
fundatur respectus, qui est habitus , vel a
dictis substantiis, in quantum babent taies
qualitates. Est ergo habitus adjacentia cor-
porum , et eorum quae eirca corpus sunt,
quod sic intelligitur. Habitus est adjacen-
ia, id est denominatio corporum , sicut
eorum quœ denominantur , et eorum mise
sunt circa corpus, id est eorum a quitus
fit talis denominatio , sicut a vestimentis ,
quœ sunt circa corpus, dicitur et denomi-
natur homo vestitus. Vel jtvxta secundam
opinionem , habitus est adjacentia , id est
respectus corporum terminative. Talis enim
respectus , scilicet vestimenti , terminatur
ad corpus vestitum, et est eorum quae sunt
circa corpus fundamentaliter. Nam funda-
mentum talis respectus est ipsum vesti-
mentum, ut dictum est, et sic patet des-
criptio habitus. Notandum, quod licet talis
denominatio sit totius habentis talem ha-
bitum, nam homo dicitur vestitus et cal-
ciatus, tamen convenit sibi ratione habitus
qui adjacet parti. Licet enim homo dicatur
calciatus, tamen dicitur ratione calcia-
menti, quod adjacet pedi, qui est pars in-
tegralis hominis , cum totum corpus non
sit vestitum, sed ratione illius partis cui
adjacet vestimentum. Patet ergo de ha-
bitu. etc.
212
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 8, CHAPITRE 3.
CHAPITRE III.
Z/habitus reçoit le plus et le moins , mais non tout habitus , il n'a pas la
contrariété.
L'habitus reçoit le plus et le moins, mais il y a des exceptions. Mais
on ne sait pas parfaitement quel est celui qui reçoit le plus et le moins.
En effet , si les rapports reçoivent le plus et le moins dans la même
proportion que les fondements reçoivent l'intension et la rémission, et
suivant ces rapports les termes sont appelés rapports plus ou moins.
Comme on dit qu'une chose échauffe plus ou moins selon la chaleur
plus ou moins grande qu'elle produit. Mais le fondement de Yhabitus
étant la substance, comme on l'a dit, laquelle ne reçoit ni le plus, ni
le moins, il s'ensuit que Yhabitus ne reçoit ni le plus, ni le moins.
Pour comprendre cela il faut savoir que , comme il a été dit , ces six
préilicamentsne désignent que l'absolu en tant qu'il dénomme quelque
chose d'extrinsèque, laquelle dénomination suit quelque rapport réel
qui existe entre la chose qui dénomme et la chose dénommée et qui
est cependant un rapport dans le genre de la relation. Ou l'on désigne
ce rapport suivant la seconde opinion, et il est commun aux six prin-
cipes susdits. C'est pourquoi telle chose dénommée est dite plus ou
moins d'après l'intension ou la rémission de l'absolu qui dénomme,
ainsi qu'on l'a dit. Quelquefois la dénomination plus ou moins ne se
fait pas d'après l'intension ou la rémission du sujet dénominateur,
mais par la présence de plusieurs dénominateurs de même nature par
lesquels l'objet dénommé se trouve l'être par ce qui est respectif à
chacun; comme nous disons que le feu qui échauffe trois morceaux de
bois les échauffe plus que s il n'en échauffoit que deux du même de-
gaput m.
Quod habitus suscipit magis et minus * licel
non omnis , el quod habitus non habet
contrarietatem .
Recipit autem habitus magis et minus,
licet non omnis. Qualiter autem habitus
recipit magis et minus , videtur esse du-
bium. Si enim respectus in tantum reci-
piunt magis et minus, in quantum funda-
menta recipiunt intensionem , et remissio-
nem, et secundum istos respectus denomi-
nantur termini respectus magis vel minus.
Sicut dicitur magis, vel minus calefaciens
a majori, vel minori calore quem efiicit.
Sed cum fundamentum habitus sit sub-
stantia, ut dictum est, quae non suscipit
magis vel minus : ergo nec habitus suscipit
magis vel minus. Ad quod intelligendum,
sciendum est, quod ut dictum est, ista sex
prsedicamenta nihil aliud dicunt nisi abso-
lutum, ut dénommai aliquid extrinsecum,
quœ denominatio sequitur aliquem respec-
tum realem , qui est inter denominaus et
denominatum, qui tamen respectus est in
génère relationis. Vel juxta secundam
opinionem dicunt prsedictum respectum,
et talis respectus est communis dictis sex
principiis. Unde taie denominatum dicitur
magis vel minus ab intensione vel remis-
sions illius absoluti denominantis, ut dic-
tum est. Aliquando vero denominatur ma-
gis, vel minus, non ab intensione vel re-
missione denominantis, sed si plura fuerunt
denominativa ejusdem rationis, a quibus
denominatum secundum unuinquodque
quod est , eo denominatur , sicut dicimus ,
quod ignis calefaciens tria ligna magis ca-
lefacit, quam si calefaceret duo eodem
gradu caloris. Constat enim quod omnes
SLR LÀ LOGIQUE d'aRISTOTE. 213
gré de chaleur. Il est sûr, en effet, que ces trois caléfactions sont de
même nature et que le feu agit sur elles suivant une seule puissance
caléfactive , et de cette manière la caléfaction peut se dire plus ou
moins, quoique dans les caléfactions comme dans quelques autres ac-
tions que ce soit on n'ait pas l'habitude de dire plus ou moins dans
ce sens; il en est de même dans la seconde opinion, car si plusieurs
rapports de môme nature auxquels répond un seul terme dénomment
le terme plus, tandis qu'un plus petit nombre le dénomment moins,
Yhabitus ne reçoit point le plus ou le moins de la première manière.
En effet, on ne dira jamais que quelqu'un est plus ou moins vêtu ou
plus ou moins chaussé à raison d'une seule chaussure ou d'un seul
vêtement, et on conçoit par là que tout habitus ne reçoit pas le plus ou
le moins, parce que le vêtement, ni la chaussure ne reçoivent ni in-
tension, ni rémission. Mais Yhabitus reçoit le plus et le moins de la
seconde manière , car on peut dire d'un homme qu'il est plus vêtu ,
s'il a plusieurs vêtements, et moins vêtu, s'il en a moins, et ainsi de
suite. Cela ne convient pasauprédicament quantum, puisque le temps
qui dénomme est l'unique parmi les choses temporelles. Cela ne con-
vient pas non plus au prédicament wôi, puisqu'il n'y a qu'un lieu pour
un corps , pas plus qu'au prédicament situs , puisqu'il n'y a qu'une
partie du lieu qui réponde à chaque partie de la chose localisée. Mais
cette manière de désigner le plus ou le moins pourroit convenir à
quelque relatif, ou a quelque agent, ou à quelque patient; on voit par
là comment Yhabitus reçoit ou ne reçoit pas le plus ou le moins , ou
bien il faut dire que le rapport habitus n'est pas fondé immédiatement
dans la substance, comme il a été dit, que par le moyen de quelque
qualité, comme la dureté , la mollesse et autres pareilles , lesquelles
qualités sont le fondement de ce rapport. Or, comme les susdites qua-
istae très calefactiones simt ejusdem ratio-
nis, quibus respondet ignis secundum unam
potentiam calefactivam , et isto modo ca-
lefaciens potest dici magis vel minus, licet
in calefactionibus vel in quibuscumque ac-
tionibus non sit consuetum dicere isto
modo magis vel minus, et simile est si su-
matur hic juxta secundam opinionem, quia
si plures respectus unius rationis, quibus
unus respondet terminus, dénommant ter-
minum magis, pauciores vero minus, ha-
bitus primo modo non suscipit magis vel
minus. Ab uno enim vestimento vel cal-
ciamento scilicet uno numéro nunquain
aliquis dicetur magis , vel minus vestitus,
vel calciatus, et sic intelligitur, quod non
omnis habitus suscipit magis vel minus,
quia nec vestimentum , nec calciamentuin
suscipit intensionem vel remissionein. Se-
cundo vero modo habitus suscipit magis,
vel minus, quia unus et idem homo a plu-
ribus vestimentis potest denominari magis
vestitus, et a paucioribus minus vestitus,
et sic de aliis. Hoc autem non convenit
prœdicamento quando, cum tempus deno-
minans sit unum omnium temporalium.
Nec autem convenit prœdicamento ubi, cum
unius corporis unus tanturn sit locus. Nec
prseilicamento situs, cum cuilibet uni parti
locati una respondeat pars loci. Potest au-
tem convenire iste modus dicendi magis vel
minus alicui relativo et alicui agenti, vel
patienti , et sic patet qualiter habitus sus-
cipit magis, vel minus, et qualiter non. Vel
dicendum, quod respectus habitus non im-
médiate fundatur in substantia, ut supra
dictum est, nisi mediante aliqua qualitate,
puta duritie vel mollilie, et hujusmodi,
quie qualitates sunt fundamentum talis res-
pectus, cum autem dictée qualitates susci-
214 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 8, CHAPITRE 4.
lités reçoivent le plus et le moins, il en est par conséquent de même de
Vhabitus. 11 ne reçoit pas néanmoins la contrariété. En effet , c'est par
la réception du plus et du moins que s'effectue la contrariété quand le
plus et. le moins se trouve suivant un certain degré d'intension et de
rémission dans les espèces d'un genre, comme on le voit pour le blanc
elle noir , or cette intension ne se trouve pas dans Vhabitus, comme
nous l'avons dit. Donc il n'y a pas de contrariété dans Vhabitus.
CHAPITRE IV.
Le propre de /'habitus est d'exister tant dans le corps que dans ce qui en-
veloppe le corps suivant la division des parties.
Il faut savoir que le propre de Vhabitus est d'exister tant dans le
corps que dans les clioses qui enveloppent le corps en plusieurs suivant
la division des parties. Nous avons dit de quelle manière il faut l'en-
tendre. Une chose est dénommée par Vhabitus par cela que Vhabitus
est adjacent à quelque partie intégrale déterminée , comme l'homme
est dit chaussé par les pieds, coiffé par la tête et ainsi de suite ; or cela
ne convient à aucun autre des prédicaments. En effet, quoique dans
le prédicament de situs la dénomination du tout se fasse à raison des
parties auxquelles sont adjacentes les parties du lieu , non pas néan-
moins à raison de quelque partie déterminée, mais bien à raison de
toutes auxquelles sont adjacentes les parties du lieu, tantôt d'une ma-
nière, tantôt d'une autre. Mais dans le prédicament habitus la déno-
mination du tout se fait par une partie déterminée à laquelle est adja-
cent un habitus particulier. Et parce que, comme l'on considère dans
ce prédicament le corps ayant un habitus relativement à ses parties
organiques déterminées, de même les habitus des parties déterminées
sont différents et séparés, car dans Vhabitus d'un homme la partie du
piant magis et minus ; ergo et habitus , non
tamen recipit habitus contrarietatem. Ut
enim supradictum est ex receptione magis
et minus, causatur contrarietas , quando
magis et minus est secundum gradurn in-
tensionis et remissionis in speciebus unius
generis, ut patet de albo et nigro, talis
autem intensio non est in habitu , ut dio
tum est. Ergo in habitu non est contra-
rietas.
CAPUT IV.
Quod proprium habitus est existere tam in
corpore, quam in his, quœ circa corpus
sunt secundum divisionem partium.
Est autem sciendum, quod proprium ha-
bitus est existere tam in corpore , quam
in his quae circa corpus sunt in pluribus
secundum divisionem partium. Hoc autem
qualiter intelligatur , dictum est. Denorni-
natur enim aliquid ab habitu secundum
quod habitus adjacet alicui parti integrali
signatae, sicut dicitur homo calceatus a pe-
dibus, et galeatus a capite , et sic de aliis,
hoc autem nulli aliorum prsedicamentorum
convenit. Licet enim in preedicamento situs
fiât denominatio totius ratione partium
quibus adjacent partes loci, non tamen ra-
tione alicujus partis signata?, sed ratione
omnium, quibus adjacent partes loci ali-
quando uno modo, et aliquando aH». Sed
in prœdicamento habitus fit denominatio
totius ab una parte signata , cui adjacet
singularis babitus. Et quia sicut conside-
ratur in hoc pradicamento corpus habens
habitum quantum ad suas partes organicas
signata?, sic habitus partium signatarum
sunt diverti et divisi. Nain m habitu unius
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 215
vêtement est différente de la chaussure, et ainsi de chacun. C'est pour-
quoi on dit que le propre de Yhahitus est d'exister suivant la division
des parties du corps qui en est revêtu, et suivant la division des choses
qui enveloppent le corps relativement à la division de Yhahitus : tel
est ce prédicament , comme les autres également. Notez que les prédi-
caments appartiennent ta la première opération de l'intellect , dans la-
quelle il île se fait aucune composition par l'être, ni aucune division
par le non-être. Or on peut considérer de deux manières les choses
qui appartiennent à cette opération première. D'abord, relativement
aux choses conçues, et nous en avons déjà parlé. Toutes les choses qui
appartiennent à cette opération première sont signifiées par les dix
prédicaments, comme on le voit par ce qui a été dit. La seconde ma-
nière dont on peut les considérer , est relative au mouvement de si-
gnification, en tant qu'elle est signifiée par les noms, par les paroles
et par les autres parties du discours, nous allons nous en occuper tout
à l'heure. C'est pourquoi la logique n'est pas seulement une science
rationnelle , comme lorsqu'il s'agit du syllogisme qui appartient au
discours delà raison, mais c'est aussi une science argumenta tive. Elle
traite en effet du syllogisme et de ses parties , relativement au mode
de signification, en établissant ce -que c'est que le nom , ce que c'est
que la parole, et en établissant les signes universels- et particuliers,
qui appartiennent tous au mode de signification, dont nous allons par-
ler bientôt.
Heureuse fin du traité des dix prédicaments qui sont appelés les
genres des choses.
hominis diversa est pars vestimenti a cal-
ciamento , et sic de singulis : ideo dicitur
esse proprium habitus existere secundum
divisionem partium corporis, scilicet ha-
bentis, et secundum divisionem eorum,
quai sunt circa corpus secundum divisio-
nem habitus, et sic patet de praedicamento
habitus, et de omnibus praedicamentis hoc
modo. Notandum, quod prsedicamenta per-
tinent ad primam operationem intellectus,
in qua nulla sit compositio per esse , nec
divisio per non esse. Quae autem pertinent
ad talem primam operationem, possunt du-
pliciter considerari. Uno modo, quantum
ad res intellectas, et sic de eis jam dietum
est. Omnia enim quae sic pertinent ad talem
primam operationem, per decem prœdica-
menta significantur, ut ex dictis patet. Alio
modo possunt considerari quantum ad mo-
tum significandi , in quantum scilicet si-
gnificatur per nomina, et per verba, et per
alias partes orationis, et de lus dicetur im-
médiate : propterea logica non solum est
scientia rationalis, ut puta de syllogismo
qui pertinet ad discursum rationis, sed est
etiam scientia sermocinalis. Tractât enim
de syllogismo, et partibus ejus quantum ad
mortum significandi, ponendo quid est no-
men, et quid est vcrbum, et ponendo signa
universalia et particularia, quae omnia ad
rnodum significandi pertinent , de quibus
omnibus infra dicetur.
De decem praedicamentis , quœ gênera
rerum dicimtur, tractatus féliciter finis.
210
OPUSCULE XLVTI , TRAITÉ 9, CHAPITRE 1
TRAITE IX.
De l'interprétation' ou énoxciation.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'est que le nom suivant l'intention logique..
Après avoir parlé des choses qui, quant à l'objet de la signification,
appartiennent à l'opération première de l'intellect, laquelle est l'intel-
ligence des choses indivisibles, comme il est dit dans le liv. III de
l'Ame : « Parce qu'une chose est connue par sa quiddité ; » nous al-
lons traiter maintenant des choses qui appartiennent à la seconde opé-
ration de l'intellect, laquelle est appelée ici composition ou division,
et par le moyen de laquelle notre intellect compose une chose avec
une autre, ou la sépare d'une autre par l'être ou le non-être. Ce traité
est appelé de renonciation ou de la proposition prise dans un sens
large; car si elle étoit prise dans un sens strict, renonciation seroit
son genre. En effet, la proposition ne se dit que des prémisses du syllo-
gisme, tandis que l'énonciation se dit tant des prémisses que de la pré-
conclusion. Pour connoître ce que- c'est que renonciation il faut parler
d'abord avec Aristote de ses parties, savoir du nom, du verbe et de
son genre, qui est le discours. Le nom est une voix intentionnellement
significative sans mesure de temps , dont aucune partie ne signifie
des choses séparées, limitées et droites. Dans cette définition du nom
le mot voix est mis pour le genre. Il faut observer, ainsi qu'il est dit
dans le liv. II de la Métaphysique, que c'est là la différence qui existe
entre la définition des suppôts et la définition des formes soit substan-
TRACTATIS IX.
DE INTEnPR.ETATIONE , 6ED ENINTIATIONE.
CAPUT PRÏMUM.
De nomine quid sil secundum inlcntionem
logicam.
Dicto de his, quae quantum ad rem si-
gnificatam pertinent ad primam operatio-
nem intellectus, quae est mdivisibilium in-
telligentia, ut in III De anima dicitur, quia
videlicet res cognoseitur quantum ad suam
quidditatem : nunc diecndum est de Iiis ,
quae pertinent ad secundam operationem
intellectus , quae ibi compositio vel divisio
nominatur, qua scilicet intellectus noster
unam rem eum alia componit, vel an alia
eaiu divktit, per esse scilicet et non esse.
Et dicitur tractatus iste de enuntiatione.
seu propositione, large sumpta proposition1.
Si enim stricte sumeretur, tune enuatiatio
esset genus ejus. Propositio enim solum di-
citur de prœmissis ipsius syllogismi , sed
enuntiatio dicitur tam de prœmissis quam
de piœconclusione. Ad cognoscendum au-
tem dictam enuntiationem , dicendum est
primo cum Aristotele de partibus suis, sci-
licet de nomine, et verbo, et de ejus gé-
nère, quod est oratio. Nomen est vox signi-
fioativa ad placitum sine tempore , cujus
nulla pars significat separata , imita, et
recta. In isla nomiuis diflinitione ponitur
vox pro génère. Notandum, quod nt habe-
tur II M et a j, h., hœc est differentia inter
difïinitionem suppositorum , et difïinitio-
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 217
tielles, soit accidentelles. Car dans la définition des suppôts on ne met
rien qui soit en dehors de l'essence du défini , et toutes les particules
de la définition sont de l'essence de la chose définie. Les formes ne
pouvant exister par elles-mêmes, mais bien dans un sujet ou dans la
matière, demandent dans leur définition un sujet ou de la matière,
lesquels néanmoins ne sont pas de l'essence des choses, aussi leurs dé-
finitions sont dites faites par additamenta , c'est pourquoi les formes
accidentelles veulent un sujet dans leurs définitions, c'est là la diffé-
rence qui se trouve dans leurs définitions. Car les formes abstraites
demandent un sujet dans leurs définitions d'une autre manière que
les formes prises au concret, les formes abstraites veulent un sujet à
la place de la différence , comme lorsque nous disons : La crépitude
est la contraction des cheveux, définition où les cheveux, qui sont le
sujet delà crépitude, sont misa la place de la différence; au concret,
au contraire, elles veulent le sujet à la place du genre, comme lorsque
nous disons, crépu, c'est le cheveu contracté. Cela posé, il faut savoir
que le nom, le verbe et le discours sont des choses artificielles, et par
conséquent des accidents ; leur sujet est la voix qui est quelque chose
de naturel. En effet, l'art dans la voix comme dans un sujet forme les
noms, les verbes et les discours, c'est pourquoi dans leurs définitions
on doit mettre la voix comme sujet; et comme ce sont des êtres con-
crets on doit mettre la voix pour le genre. Or la voix est dite significa-
tive pour la distinguer des voix non significatives, quelles qu'elles
soient, qui sont proférées pour rien. On dit intentionnellement, à ren-
contre des voix significatives naturellement, comme sont les aboie-
ments des chiens, qui signifient la colère, d'après l'impulsion de la
nature, parce qu'ils ne sont pas significatifs par institution humaine.
nem furmarum sive substantialium , sive
accidentalium. Nam in difïinitione suppo-
sitorum nihil poaitur , quotl sit extra es-
sentiam diffiniti, sed omnes particulae dif—
finitionis sunt de essentia diffiniti. Formas
vero, quia non possnnt per se esse, sed in
alio, scilicet in subjecto, vel in materia in
sui difïinitione requirunt subjectum , vel
materiam, qiue tamen non sunt de essentia
earum , et ideo ipsarum difïinitiones di-
cuntur esse per additamenta, unde formée
accidentales in sui difïinitione requirunt
subjectum. Heec est autem ditYerentia inter
eas difïiniendo. Nam formée abstractae ali-
ter requirunt subjectum in earum difïini-
tionibus , quam formas sumptae in eon-
creto, formée abstractae requirunt subjec-
tum loco differentiee , ut cum dicimus :
crispitiido est contractio capillorum , ubi
capilli , qui sunt subjectum crispitudinis,
ponuntur loco diflerentiœ. In concreto vero
requirunt subjectum loco generis, ut cum
dicimus crispum est capillus contractus.
Hoc habito sciendum est , quod nomen,
verbum, et oratio sunt queedam artificialia,
et per consequens accidentia , eorum au-
tem subjectum est vox, quae est quid na-
turale. Ars enim in voce , ut in subjecto
format nomina, verba et orationes, et ideo
in eorum difïinilionibus débet poni vox ut
subjectum. Et quia concreta sunt, ideo in
eorum difiinitionibus ponitur vox pro gé-
nère. Dicitur autem vox significàtiva, ad
differentiam vocum non signilîcativarum
quœcumque sint illee , quae videlicet pro
nihilo proferuntur. Ad placitum autem
dicitur, ad doctrinam vocum signilîcativa-
rum naturaliter , ut sunt latratus canum,
qui significant iram, prout natura dictavit
eis, quoniam non significat secundum in-
stitutionem humanam. Sine tempore vero
dicitur ad doctrinam verbi et participa.
218 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 1.
On dit sans mesure de temps pour faire connoîlre le verbe et le parti-
cipe. Remarquez ici, comme nous l'avons dit dans un autre traité, que
l'action, la passion et le mouvement sont une seule chose; or le verbe
signifie par manière d'action ou de passion , et par conséquent par
manière de mutation. Or la première chose à mesurer par le temps
c'est le mouvement, mais le verbe signifie avec mesure de temps. Il
faut savoir que l'action et la passion peuvent être signifiées de deux
manières, ou par un mode abstrait, comme sont certaines choses , et
alors elles ne signifient pas avec mesure de temps, car elles signifient
par mode (Yhabitus, de repos , c'est-à-dire sans mouvement , et ainsi
elles sont signifiées par le nom. Elles sont signifiées d'une autre ma-
nière par mode d'action en tant qu'elles sortent du sujet, et elles sont
signifiées comme mouvements ou mutations et par conséquent comme
étant mesurées par le temps, et elles le sont par les verbes pris formel-
lement et non matériellement et même par les participes, mais non
par le nom; donc le nom signifie sans mesure de temps. On dit ensuite
qu'aucune partie du nom n'est significative séparément pour faire con-
naître le discours dont les parties sont significatives séparément. Re-
marquez que la signification est au nom comme sa forme, tandis que la
lettre ou les syllabes en sont la matière ou les parties intégrales. Mais
comme il n'y a dans le tout aucune partie qui ait la forme du tout,
aussi nulle partie séparée n'aura d'autre signification par elle-même
que celle du tout. C'est pourquoi dans les noms composés , comme
terre-neuve, castrum-Joannis , si la chose signifiée étoit divisée , si par
exemple on entendoit de la terre qu'elle est neuve , ce ne seroit plus
alors un nom, mais un discours; mais si la chose signifiée étoit une
seule chose, comme une villa ou autre chose semblable, alors ce sera
des noms. On dit ensuite limitée, à la différence des noms infinis ,
Ubi nota , quod ut supra in alio tractatu
dictum est, actio, passio et motus sunt una
res, verbum autem significat per modum
actionis, vel passionis, et per consequens
per modum motus, seu mutationis. Primum
autem, quod habet mensuraiï tempore, est
motus , verbum vero significat cum tem-
pore. Sciendum, quod actio et passio du-
pliciter possunt significari, vel per modum
abstractum, ut sunt quaedam res, et tune
non significant cum tempore, significant
enim per modum habitus et quietis, scili-
cet sine motu, et sic significantur a no-
mine. Alio modo significantur per modum
actionis prout sunt egredientes a sulijecto,
et sic significantur ut motus vel mutatio-
nes, et per consequens, ut mensurantur
tempore, et sic significantur a vertus for-
maliter et non materialiter sumptis ; et
etiam a participas , non a nomine , nomen
ergo significat sine tempore. Deinde dicitur
quod nominis nulla pars significat separata,
ad doctrinam orationis, cujus parte-
ficant separatae. Ubi nota, quod signitîcatio
se habet ad nomen, ut forma ejus, littera
vero, et syllabse sunt ut materia ejn
ut partes intégrales. Cum autem nulla pars
sit quae non habeat formarn totius in toto,
ideo nulla pars separata habebit per
gnificationem , nisi solum illam quaui ha-
bet totum. Undfi in nominibus compositis,
ut sunt terranova, castrumjoannis, si signi-
ficatum esset divisum, puta quod intellige-
retur pro terra quse esset nova , tune non
esset nomen, sed oratio, si vero significa-
tum suum esset una res , puta villa vel
hujusmodi; lune erunt nomina. Deinde di-
citur fînita , ad difierentiam nominum in-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 219
comme le nom homme. Sur quoi il faut observer que tout nom , en
prenant même le pronom pour le nom , ou signifie une nature déter-
minée , comme l'homme, ou une personne déterminée, comme vous
et moi, ou une nature déterminée et une personne, comme Socrate,
Platon. Or comme le nom infini ne signifie rien de tout cela, il ne
pourra pas vraiment être appelé nom. Qu'il ne signifie rien de tout
cela, c'est évident, car le nom qui est imposé par la privation demande
au moins un sujet existant, car aveugle ne se dit pas du nom d'animal,
mais suppose que ce qui est aveugle possède l'aptitude à avoir des
yeux. Mais le nom infini étant imposé par la négation , ne suppose
rien, car il peut se dire de l'être comme du non-être. Nous disons que
la chimère est un non homme, comme le cheval est un non homme;
d'où il résulte que ces choses ne signifient que par mode de nom, parce
que c'est au moins un suppôt en compréhension. On dit ensuite droite
à la différence des cas obliques qui viennent du droit ou nominatif
par une certaine origine de déclinaison. Car le nominatif seul est ap-
pelé nom principalement, parce que c'est par lui que s'est faite l'im-
position du nom pour une autre signification. Or les cas obliques
n'appartiennent pas directement à la logique qui s'occupe du vrai et du
faux, parce que ces cas avec le verbe je suis, tu es, il est, dans lequel
tous les autres se confondent, ne disent pas le vrai et le faux. Rien
n'empêche cependant de les joindre avec quelques autres verbes im-
personnels et ils signifieront alors ou la vérité ou la fausseté, comme je
m'ennuie de la lecture; telle est l'explication du nom, etc.
finitorum , sicut est non homo. Ubi nota,
quod orane nomen accipiendo etiam pro-
nomen pro nomine, aut significat determi-
natam naturam, ut homo, aut determina-
tam personara , ut ego et tu, aut determi-
natam naturam et personam, ut Sortes,
Plato : cum autem nomen infinitum nihil
horum signifîcet, non vere poterit dici no-
men. Quod autem nihil horum signifîcet ,
patet. Nam nornen, quod imponitur a pri-
vatione ad minus requirit suhjectum exis-
tens , non enim ciecum dicitur nomine
animalis, sed supponit, quod illud quod est
caecum, sit aptuvn natum hahere oculos.
Nomen autem infinitum cum a negatione
imponatur , nihil supponit , potest enim
dici de ente, sicut de non ente. Dicimus
enim quod chimera est non homo , ut
equus est non homo, unde talia significant
solum per modum hominis, quia ad minus
est suppcsitum in comprehensione. Deinde
dicitur recta, ad differentiam casuum obli-
quorum, qui cadunt a recto seu nomina-
tivo per quamdam originem declinationis.
Solus enim nominativus 'dicitur nomen
principaliter, quia per ipsum facta est im-
positio nominis ad aliud significandum.
Non autem pertinent obliqui directe ad lo-
gicum, qui versatur circa verum et falsum,
quia taies casus, scilicet obliqui, cum hoc
verbo : sum, es, est, in quod omnia verba
resolvuntur, non dicunt verum vel falsum.
Nihil tamen prohibet eos , cum aliquibus
verbis impersonalibus jungi , et significare
verum vel falsum, ut taedet raelectionis, et
sic patet de nomine, etc.
220
OPUSCULE XLV1I, TRAITÉ 9, CHAPITRE 2.
CHAPITRE II.
Ce que c'est formellement que le verbe suivant la description logique.
Le verbe est une voix significative intentionnellement, dont aucune
partie ne signifie des choses séparées, limitées et droites; il est toujours
significatif des choses affirmées d'autres choses. La première partie de
cette définition est entendue dans le même sens que pour le nom.
Elle est appelée limitée à la différence des verbes infinis, comme sont,
il ne court pas, il n'aime pas, qui ne sont pas proprement des verbes.
Sur quoi il faut observer que c'est le propre du verbe de signifier
quelque chose par manière d'action et de passion, comme il a été dit.
Or les locutions susdites ne le sont pas , bien plus elles écartent l'ac-
tion ou la passion, plutôt qu'elles signifient quelque action ou passion
déterminée; donc ce ne sont pas proprement des verbes. Il faut savoir
que bien que ce ne soit pas proprement des verbes , cependant il y a
quelque chose dans la définition du verbe qui leur convient, d'abord
parce qu'elles signifient avec mesure de temps. Comme agir et souffrir
sont dans le temps, il en est de même de la privation de l'action et de
la passion, d'où il résulte que le repos est mesuré par le temps ; or ces
locutions signifient la privation d'action et de passion , comme on l'a
dit. Secondement , parce qu'il y a dans la définition du verbe ce qui
se trouve toujours du côté du prédicat, d'être significatif des choses
qui s'affirment d'autres choses, ce qui s'entend ainsi. Comme, en ef-
fet, le sujet de renonciation est signifié, comme une chose à laquelle
une autre chose est inhérente, et que le verbe signifie l'action par ma-
nière d'action dont la nature est d'être inhérente ; il s'ensuit qu'on le
trouve toujours du côté du prédicat, parce que même il faut qu'il y
CAPUT II.
De verbo quid sit formaliler secundum in-
tenlioncm logicam.
Verbum est vox significativa ad placi-
tum, cujus nulla pars significat separala,
iinita et recta, et semper est sigaificativuin
eorum, quee de altero prœdicanlur. In ista
diflinitionc, vox significativa ad placituin,
cujus nulla pars significat separata, intelli-
guntur eodem modo quo in nornine dicta
sunt. Dicitur autem iinita ad diflerentiam
verborum infinitorum, ut sunt : non currit,
non amat , quae non proprie sunt verba.
Ubi nota, quod proprium est verbi sighifi-
care aliquid per modum actionis et passio-
nis, ut supra dictuin est. Pranlicta; autem
dictiones hoc non faciunt, irnmo reinovent
actioneni vel passionem potius quarn ali—
quam determinatam actionem vel passio-
nem significent : non ergo proprie sunt
verba. Sciendum, quod licet haec proprie
non sint verba, tamen aliqua posita in dif-
linitione verbi eis conveniunt, primo quia
significant cum tempore. Sicut enim agere
et pati sunt in teinpore, ità etiam privatio
eorum, unde et quies tempore mensuratur,
dictiones autem prœdictœ significant priva-
tionem actionis et passionis, ut dictum est.
Secundum est, quia ponitur in diflinitionc
verbi, quod semper ponitur ex parte prae-
dicati, quia est significativum eorum, quae
de altero prœdicantur , quod sic intelligi-
tur. Quia enim subjectum enuntiationis si-
gnificatur, ut id cui aliquid ioheeret , ver-
bum autem significat actionem per modum
actionis, ut dictum est, de cujus ralione
est, quod inhaereat : ideo semper ponitur
ex parte prœdicati , etiam quia in onmi
prœdicatione oportet , quod sit verbum,
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 221
ait un verbe dans toute prédication, puisque le verbe emporte la com-
position au moyen de laquelle le prédicat se combine avec le sujet.
C'est pourquoi, comme les verbes en signifiant l'action ou la passion ,
signifient quelque chose comme existant dans une autre, en raison de
quoi ils sont toujours placés du côté du prédicat, de même aussi les
susdits verbes indéfinis , signifiant exclusion d'action ou de passion,
sont toujours mis du côté du prédicat. Car la négation se ramène au
genre d'affirmation. Il faut savoir que les verbes du mode infinitif
sont quelquefois mis du côté du sujet, comme lorsque nous disons :
courir c'est se mouvoir, et la raison de cela c'est qu'ils ont la force
d'un nom. C'est pourquoi les Grecs leur adjoignent des articles comme
aux noms , ce que nous faisons nous aussi dans la logique vulgaire.
Car nous disons, el corere mio ou el est article pour ly. En effet, notre
intelligence saisit la manifestation de l'action ou de la passion ou son
inhérence dans le sujet, et elle la produit comme étant une chose quel-
conque, ce qui lui donne la force d'un nom. Mais si les verbes des
autres modes sont mis quelquefois du côté du sujet, comme lorsque
nous disons, je cours , est un verbe , le verbe alors n'est pas pris for-
mellement, mais matériellement en tant qu'il signifie la voix elle-
même qui est prise comme une certaine chose ; c'est pourquoi les
verbes , le discours et toutes les parties du discours , ainsi posés ma-
tériellement, se prennent dans la force du nom. On dit ensuite dans la
définition droite, à cause de la différence des verbes obliques, c'est-à-
dire, du prétérit et du futur , qui ne sont pas simplement des verbes.
En effet, les verbes proprement dits, signifiant l'action ou la passion,
il n'y aura proprement de verbe que ce qui signifie l'action ou la pas-
sion en acte, ce qui est agir ou souffrir simplement; c'est là la signifi-
cation des verbes du temps présent, tandis que agir ou souffrir dans le
cum verbum importet compositionem qua
prsedicatum componitur subjecto. Unde si-
cut verba significando actionem , vel pas-
sione significant aliquid ut in alio existens,
propter quod semper ponuntur ex parte
prœdicati , ita etiam prœdicta verba infi-
nita, quia significant remotionem actionis
vel'passionis, semper ponuntur ex parte
prsedicati. Negatio enim reducitur ad genus
aflirmalionis. Seiendum , quod verba inti—
nitivi modi aliquando ponuntur ex parte
subjectif ut cum dicimus currere est mo-
veri , et hoc est , quia habent vim nomi-
nis. Unde Grœci addunt eis articulos , sicut
nominibus, hoc idem facimus nos in logica
vulgari. Nam dicimus, el corere mio , ubi
ly, el, est articulus. lntellectus enim noster
processum actionis vel passionis, seu inhœ-
rentiam ejus in subjecto apprehendit et
significat, ut est res quœdam, et sic habet
vim nominis. Si autem verba aliorum mo-
dorum aliquando ponuntur ex parte sub-
jecti , ut cum dicimus curro est verbum ,
tune non sumitur verbum formaliter , sed
materialiter, secundum quod significat ip-
sam vocem, quae accipitur ut res queedam,
unde verba, et orationes, et omnes partes
orationis, quando sic ponuntur materialiter,
sumuntur in vi nominis. Deinde ponitur in
difïinitione recta, ad differentiam veibo-
rum obliquorum , scilicet preeteriti et fu
turi temporis, quae non sunt simpliciter
verba. Cum enim verba proprie dicta signi-
îicent agere vel pati, hoc erit proprie ver-
bum, quod significat agere vel pati in actu,
quod est agere vel pati simpliciter, hic
autem significant verba prœsentis temporis,
agere autem vel pati in prœterito vel iu
222 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 3.
passé ou dans le futur ce n'est que secundum quid, aussi les verbes du
passé ou du futur ne sont pas simplement des verbes, mais bien secun-
dum quid. Mais ils sont dits des cas du verbe du présent, parce qu'ils
signifient en quelque manière le temps présent. Car on dit le prétérit
elle futur par rapport au présent, car le passé est ce qui a été présent
et le futur ce qui sera présent, et de même les verbes des autres
modes, tout en étant des verbes du mode indicatif, sont appelés les
cas du verbe, parce que leur variation regarde l'action ou la passion,
comme la différence des temps ; et comme la variation des verbes dans
le nombre et la personne ne regarde ni l'action , ni la passion, mais
seulement le sujet auquel est inhérente l'action ou la passion, c'est
pour cela qu'ils ne font pas des cas du verbe, etc.
CHAPITRE III.
Ce que c'est que le discours, et quelles sont ses espèces.
Le discours est une voix intentionnellement significative dont les
parties sont significatives séparément. Nous avons dit dans la défini-
tion du nom comment il faut entendre les parties de cette définition.
Le discours se divise en parfait et imparfait. On appelle discours im-
parfait celui qui ne produit qu'un sens imparfait dans l'esprit de l'au-
diteur , sur quoi il faut remarquer, comme il est dit de la Métaphy-
sique : « Cela est parfait à quoi il ne manque rien dans son genre. »
Or, il manque quelque chose au sens que le discours imparfait pro-
duit dans l'esprit de l'auditeur, la composition ou la division. En
effet, si je dis, l'homme blanc, ce qui est un discours imparfait, je ne
dis pas qu'il a ou qu'il n'a pas quelque chose, et par conséquent le sens
de ce discours tient l'esprit en suspens, parce qu'il lui manque quelque
futuro est secundum quid, et ideo verba
praeteriti et futuri temporis non sunt sim-
pliciter verba, sed secundum quid. Dicun-
tur autem casus verbi praesentis temporis,
quia aliquo modo significant tempus prœ-
sens. Prœteritum enim et futurum tempus
dicuntur per respectum ad preesens. Est
enim prœteritum tempus, quod fuit prae-
sens : et futurum, quod erit praesens, et
similiter verba aliorum modorum, quam
sit verbum indicativi modi , casus verbi
dicuntur, quia earum variatio respicit ip-
sam actionem , vel passionem, sicut et va-
riatio temporum : et quia variatio verbo-
rum in numéro, et persona non respicit
ij.saiu actionem, vel passionem, sed solum
subjeclum, cui actio vel passio inhaeret,
ideo non faciunt casus verbi etc.
CAPUT III.
De oratione quid sit, et de speciebus ejus.
Oratio est vox significativa ad placitum,
cujus partes significant separatae. Qualiter
autem hujus diffinitionis particule sint
intelligendae, dictum est in diffînitione no-
minis. Dividitur autem oratio in imperfec-
tam, et perfectam. Oratio imperfecta dici-
tur, quae imperfectum sensum générât in
animo auditoris, ubi nota, quod ut dicitur
V. Metaphysicœ ; « Perfectum est cui nihil
deestin génère suo : » sensui autem quem
générât oratio imperfecta in animo audito-
ris aliquid deest, quia deesl sibi composi-
tio, vel divisio. Si enim dico, homo albus,
quee est oratio imperfecta, nihil dico sibi
inesse, vel non inesse , et per consequens
I sensus hujus orationis facit stare animum
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 223
chose, c'est pour cela qu'il est imparfait. Il faut savoir cependant que
ce n'est pas sans raison qu'on détermine la perfection ou l'imperfec-
tion du discours par la production d'un sens. Sur quoi il faut observer
que , bien que le discours et chacune de ses parties soient des choses
artificielles et non quelque chose de naturel , ils ne sont pas non plus
des instruments de la vertu interprétative, comme disoit Platon. Car
les instruments naturels de cette vertu sont le poumon , le gosier , le
palais, la langue, les dents et les lèvres, ce sont cependant les instru-
ments de l'intellect lui-môme, qui n'est pas une force matérielle , mais
bien au-dessus de toute nature corporelle. Or l'instrument se définit
par sa fin, laquelle est l'usage, et l'usage de la voix significative est
de faire connoître à celui qui écoute les conceptions de l'intelligence
de celui qui parle. C'est donc à bon droit qu'on définit le discours par-
fait et le discours imparfait par la production d'un sens ou par la si-
gnification. C'est pourquoi on appelle parfait le discours qui produit
un sens parfait dans l'esprit de l'auditeur à cause de la complexion
qu'il exprime. Or, il y a cinq espèces de discours parfaits, savoir l'es-
pèce énonciative, la vocative, l'interrogative, l'impérative et la dépré-
cative. Il faut savoir que non-seulement la raison conçoit les choses
elles-mêmes , mais qu'elle dirige et ordonne autre chose par sa con-
ception ; en concevant les choses en elles-mêmes elle forme le discours
indicatif ou énonciatif, en ordonnant les autres choses, elle forme les
autres discours. On est dirigé et coordonné par quelqu'un à trois
choses . d'abord à appliquer son esprit, et à cela appartient le discours
vocatif; secondement, à répondre de la voix, et à cela appartient le
discours interrogatif ; troisièmement, à faire une œuvre, et à cela ap-
partient, pour les inférieurs, le discours impératif, et pour les supé-
rieurs le discours déprécatif , auquel se rapporte le discours optatif,
suspensum, quia sibi aliquid deest, ideo est
imperfectus. Sciendum tamen, quod non
sine causa oratio perfecta et imperfecta dif-
finitur per generare sensum. Ubi nota :
quod licet oratio, et quœlibet ejus parssint
quœdam res artificiales , et non naturales ,
nec etiam sint instrumenta naturalia virtu-
tis interprétative , ut Plato dicebat. Ejus
namque virtutis instrumenta naturalia sunt
pulmo, guttur, palatum, lingua, dentés, et
labia, sunt tamen instrumenta ipsius intel-
lectus, qui non est -virius materiahs, sed
supra omnem naturam corpoream : instru-
mentum autem diffinitur ex fine , qui est
usus ejus, usus autem vocis signififcativae
est signifîcare audienti conceptum intellec-
tus dicentis. Bene ergo diffinitur oratio per-
fecta et imperfecta per generare sensum,
seu significare. Unde oratio perfecta dici-
tur, qua3 perfectum sensum générât in
animo auditoris propter complexionem,
quam dicit. Orationum autem perfectarum
quinque suntspecies, scilicet enuntiativa,
vocativa, interrogativa, imperativa, et de-
precativa. Sciendum quod ratio non solum
concipit ipsas res : sed etiam per suum
conceptum alia dirigit, et ordinat, conci-
piendo autem res in se format orationem
indicativam, seu enuntiativam : ordinando
autem alia, format alias orationes. Dirigi-
tur autem et ordinatur aliquisabaliquoad
tria. Primo ad mente attendendum, et
ad hoc pertinet oratio vocativa. Secundo ,
ad voce respondendum , et ad hoc per-
tinet oratio interrogativa. Tetrio, ad opus
exequendum , et ad hoc pertinet quantum
ad inferiores oratio imperativa, quantum
vero ad superiores oratio deprecativa, ad
224 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 4.
car l'homme n'a point de force naturelle vis-à-vis de son supérieur, si
ce n'est par l'expression de son désir : le discours suppositif , c'est-à-
dire conditionnel, et ie dubitatif rentrent dans l'interrogatif. Et
comme ces quatre espèces de discours ne signifient pas le vrai et le
faux mais un certain ordre qui y tend , elles n'appartiennent point
par conséquent au sujet présent qui a un rapport direct avec la
science démonstrative, dans laquelle l'oreille de l'homme est amenée
à considérer le vrai d'après ce qui est propre à la chose. Klles appar-
tiennent plutôt à la rhétorique ou à la poétique qui produisent l'as-
sentiment par la disposition de l'auditeur. Il n'y a que le discours
énonciatif qui signifie le vrai ou le faux, qui appartienne à l'objet
qui nous occupe, aussi bien que les autres discours qui peuvent s'y
rattacher.
CHAPITRE IY.
Ce que c'est que renonciation, ce que c'est que le vrai et le faux.
L'énonciation est un discours qui signifie le vrai et le faux. Pour
comprendre cette définition il faut d'abord considérer ce que c'est que
le vrai et le faux , en second lieu pourquoi il ne convient qu'à renon-
ciation de signifier le vrai et le faux. Relativement au premier point,
il faut savoir que, comme l'on dit communément, la vérité est l' adé-
quation de la chose à l'intellect, suivant Isaac, le vrai est dit adœquat,
et le faux inadœquat. Or cette adœquation, ou conformité, ne peut pas
être une relation réelle , autrement le vrai ne pourroit se convertir
avec l'être. Car ce qui n'est que dans un prédicament n'appartient
pas aux transcendentaux. C'est donc une relation de raison, et ainsi le
vrai est relatif suivant la raison, ce qui n'empêche pas qu'il soit dans
quam reducitur oratio optativa, quia res-
pecta superioris homo nonhabet vim inna-
tam , nisi per expressionem sui desiderii :
suppositiva vero, id est conditionalis, et
dubitativa reducuntur ad interrogativara.
Et quia istae quatuor species orationis non
signifîcant verum, vel falsum, sed quemdam
ordinem ad ista consequentem , ideo non
pertinet ad prœsens negotium, quod directe
ordinatur in scientiamdemonstiativam, in
qua auris hoininis per rationem adducitur
ad considerandum veruni ex his qure sunt
propria rei : sed magis pertinent ad rheto-
ricam, vel poeticum , qiue inducunt ad as-
sentiendum per disposilionem audientis.
Sola autem enunthitiva , qua3 signiiieat
verum vel falsum , ad hoc negotium spec-
tat, et si quœ alite orationes ad eam reduci
possunt.
GAPUT IV.
De enuniialione quid sit et quid est verum,
et falsum.
Enuntiatio est oratio verum vel falsum
significans. Ad intelligendum autem hanc
diffinitionem, primo videndum est quid sit
verum vel falsum : secundo videndum est
quare soli enuntiationi convenit signilieare
verum vel falsum. Quantum ad piïinum
seiendum, quod ut communiter dicitur,
veritas est adaequatio rei ad intellectum,
secundum Isaac, verumdicitur adaequatum,
falsum vero non adœquatum. Haee autern
adœqualio, seu conformitas non potest esse
relatio realis : alioquin verum non conver-
teretur cum ente. Quod enim est in uno
prœdicamento tantum , non potest esse de
transcendentibus, est ergo relatio rationis,
et sic verum est relativum secundum ra-
tionem, quod nihil prohibet ipsum esse in
SUR LA LOGIQUE d'arISTOTE. 225
plusieurs prédicaments et même daus tous, pour ce qui est de cette
conformité, je dis que certaines choses sont subjectivement, dans l'in-
tellect, comme les actes de l'intellection et autres de ce genre;
d'autres choses y sont objectivement, comme celles que conçoit l'in-
tellect. Donc, quand la chose qui se trouve objectivement dans l'intel-
lect est conforme à elle-même , suivant ce qu'elle est dans la nature
des choses, alors cette conformité s'appelle vérité. C'est pourquoi la
vérité consiste en ce qu'une chose est perçue par l'intellect telle qu'elle
est dans la nature des choses, et au contraire la fausseté consiste dans
la non conformité de la chose telle qu'elle est conçue par l'intellect
dans sa nature, et c'est pour cela qu'Aristote dit dans le liv. IV de la
Métaphysique , « que le vrai consiste à être ce qu'il est et à ne pas-
être ce qu'il n'est pas, le faux à être ce qu'il n'est pas et à ne pas être
ce qu'il est. Aussi quand l'intellect comprend qu'une chose est ce
qu'elle est réellement dans la nature des choses , ou qu'elle n'est pas
ce qu'elle n'est réellement pas, cette conformité c'est la vérité. Quand
au contraire , l'intellect conçoit qu'une chose est ce qu'elle n'est pas
ou n'est pas ce qu'elle est, c'est la fausseté. Il faut savoir que dans
cette conformité qui s'appelle vérité , il y a quatre choses à considé-
rer, la chose telle qu'elle est conçue ou telle qu'elle est objectivement
dans l'intellect, et l'intellect qui la conçoit et l'acte de l'intellection
qui est subjectivement dans l'intellect et la chose telle qu'elle est dans
sa nature. Or la vérité se trouve dans la chose telle qu'elle est conçue
ou telle qu'elle est objectivement dans l'intellect avant d'être dans
l'intellect, ou dans l'acte de l'intellection ou dans la chose telle qu'elle
est dans sa nature. Car l'intellect et l'acte de l'intellection ne sont dits
vrais qu'en tant qu'ils s'appliquent à un objet vrai. En effet, l'intel-
lect est appelé vrai, parce qu'il saisit le vrai, et l'acte de l'intellection
pluribus prsedicamentis , vel in omnibus.
Quae autem sit hsec conformitas, dico quod
in intellectu queedam sunt subjective, ut
species intelligibles, actus intelligendi , et
hujusmodi : qusedam sunt objective, ut ea
quse intellectus intelligit. Quando ergo res
quee est in intellectu objective, est confor-
mis sibi ipsi, ut est in rerum natura, tune
talis conformitas dicitur veritas. Unde in
hoc consistit veritas, quod res sic apprehen-
ditur ab intellectu sicut est in rerum na-
tura, et per oppositum falsitas est in dif-
formitate rei,ut apprehensa est ab intellectu
ad se ipsurn , ut est in natura sua, et prop-
ter hoc Philos. IV. Metaph. dicit, quod ve-
rum est esse quod est, et non esse quod
non est : falsum vero est esse quod non
est, et non esse quod est. Unde quando in-
rerum natura, vel non esse sicut non est ,
talis conformitas dicitur veritas. Quando
vero apprehendit tem esse ut non est , vel
non esse ut est, tune falsitas. Scienduin,
quod in tali conformitate quae veritas dici-
tur, est considerare quatuor, scilicet rem
ut est intellecta ; seu ut est in intellectu
objective, et ipsum intellectum eam intel-
ligentem, et actum intellligendi , qui est
subjective in intellectu, et rem ut est in
natura sua. In re autem ut est intellecta,
seu ut est objective in intellectu est perprius
veritas , quam sit in intellectu , vel quam
sit in actu intelligendi, vel quam sit in re; ut
est in sua natura. Intellectus enim, et ac-
tus intelligendi, non dicuntur veri, nisi quia
sunt de vero objecto. Intellectus enim dici-
tur verus,quia apprehendit verum, et actus
tellectus intelligit rem sic esse sicut est in intelligendi dicitur verus, quia est appre-
v. 15
22G OPUSCULE XLVII , TRAITÉ 9, CïïAPlTRE 5.
est appelé vrai, parce qu'il est la conception de quelque vérité, et une
chose dans sa nature est appelée vraie, parce qu'elle est propre à dé-
terminer dans l'intellect une conception conforme à son entité. Re-
marquez que cette conformité d'une chose en tant que conçue relati-
vement à elle-même et telle qu'elle est dans sa nature, peut se trouver
ou dans un intellect pratique ou dans un intellect spéculatif. Dans un
intellect pratique, quand la chose est réellement par sa forme telle que
l'artisan l'a conçue dans son art. Or, comme toutes les choses natu-
relles sont par leurs formes conformes à elles-mêmes et qu'elles ont
été conçues par l'art divin, en conséquence chaque chose est appelée
vraie , suivant qu'elle a sa forme propre, et c'est ainsi que le vrai et
l'être se convertissent réciproquement. Cette conformité se trouve dans
l'intellect spéculatif, parce que l'intellect conçoit la chose telle qu'elle
est. Car l'intellect ne conçoit pas la chose comme elle est dans l'intel-
lect pratique , mais il la conçoit telle qu'elle est réellement ; c'est
pourquoi l'intellect pratique se compare aux choses artificielles, comme
la mesure à la chose mesurée : au contraire l'intellect spéculatif se
compare aux choses qu'il conçoit comme la chose mesurée à la me-
sure. Il faut observer qu'il y en a qui pensent que la vérité est la con-
formité de la chose avec l'intellect informé par la similitude de la
chose; la fausseté au contraire est la non conformité de l'intellect ainsi
informé avec la chose. Cette opinion est probable. Voilà ce que c'est
que la vérité et la fausseté.
CHAPITRE V.
La vérité et la fausseté ne sont que dans renonciation, et pourquoi?
Pour ce qui est du second point , c'est-à-dire, pourquoi la vérité et
la fausseté ne sont que dans renonciation , il faut savoir que la vérité
hensio alicujus veril, et res in natura sua
dicitur vera, quia nata est apud intellectum
causare apprehensionem eonformem enti-
tati suœ. Notandum quod talis conformitas
rei, ut intellecta est ad seipsam, ut est in
natura sua , potest esse vel in intellectu
practico , vel in intellectu spéculative In
intellectu quidem practico quando scilicet
sic est res per suam formam, sicut appre-
hendit eam artifex per artem suam. Cum
autem omnesres naturales per formam suam
sint conformes sibi ipsis, ut apprehensee
sunt ab artedivina, ideo quaelibet res se-
cundum quod habet propriam formam di-
citur vera , et sic verum et ens convertun-
tur. In intellectu vero speculativo est talis
conformitas, quia intellectus intelligit rem
sicut est. Non enim intellectus sic intelli-
git_, sicut res in intellectu practico, sed quia
sicut res est, ita eam intelligit intellectus :
et ideo intellectus practicus comparatur ad
artificialia, ut mensura ad mensuratum,
econverso autem intellectus speculativus
comparatur ad ea quee intelligit ut mensu-
ratum ad mensuram. Notandum quod ali-
qui tenent, quod veritas est conformitas rei
ad intellectum informatum similitudine
rei : falsitas vero est diffurmitas intellectus
sic informati ad rem. Et hœc opinio pro-
babiliter potest teneri. Sic ergo patet quid
est veritas et falsitas etc.
CAPUT V.
Quod verilas et falsitas sunt tantum in enun-
tialione,et quare.
Quantum ad secundurn, scilicet quare ve-
ritas et falsitas sunt in enuntiatione tan-
. SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 227
n'est dans une voix significative, soit que ce soit un nom , un verbe
ou un discours , que comme dans un signe ; or il y a de ces signes des
conceptions de l'intellect. Donc , suivant que le vrai ou le faux se
trouveront dans les conceptions de l'intellect, on dira qu'ils sont dans
les signes eux-mêmes. Il faut savoir, comme on le dit en troisième
lieu de l'ame , qu'il y a deux opérations de l'intellect , savoir l'intel-
ligence des indivisibles , quand l'intellect conçoit la quiddité d'une
chose en elle-même , et la composition et la division , c'est-à-dire
quand il compose par l'être une chose conçue , ou la division quand
il la divise par le non-être , et la vérité se trouve dans l'une et l'autre
de ces opérations de l'intellect. Sur quoi il faut remarquer, ainsi qu'il
a été dit , que la vérité est une relation de raison ; or les êtres de
raison ne se trouvent jamais subjectivement, si ce n'est dans un sens
large , suivant ce à quoi la raison attribue ce rapport de raison ; donc
la vérité n'a l'être qu'objectivement , j'en dis autant de la fausseté.
Donc si nous considérons ce qui est vrai en premier lieu , c'est-à-dire
la chose telle qu'elle est conçue, et que nous l'appelions vrai , je dis
que ce vrai peut se trouver dans la première opération de l'intellect.
Car l'intellect conçoit la chose même telle qu'elle est en soi , et il
conçoit ainsi le vrai : or l'intellect ne conçoit point le vrai dans son
opération première , parce que , ou il atteint la nature de la chose ,
et alors il conçoit le vrai , ou il ne l'atteint pas, et alors il l'ignore ,
et il n'y a pas là proprement une non conformité de la chose conçue
avec sa nature , parce que cette chose n'a pas été conçue , mais bien
quelque autre; c'est pourquoi il n'y a point là la fausseté qui emporte
proprement la déception et non pas l'ignorance seule. C'est la raison
pour laquelle Aristote dit dans le livre III de l'Ame, que l'intellect
qui comprend la quiddité d'une chose est toujours vrai. Or ce n'est
pas là comprendre parfaitement la vérité qui est la conformité de
tum, sciendum quod veritas non est in
voce significativa, sive sit nomen, vel ver-
bum , vel oratio , nisi sicut in signo : sunt
autem hujusmodi signa conceptionum in-
tellectus. Secundum ergo, quod in concep-
tionibus intellectus erit verum, vel falsum,
sic dicetur esse in ipsis signis. Sciendum
quod ut dicitur III de Anima, duplex est
operatio intellectus , scilicet indivisibilium
intelligentia ; quando scilicet intellectus m-
telligit quidditatem rei in se : et composi-
tio et divisio , scilicet quando unam rem
conceptam componit per esse ; vel divisio
quando dividit per non esse , et in utraque
operatione intellectus invenitur veritas.
Ubi nota, quod sicut dictum est, veritas est
relatio rationis , entia autem rationis nus-
quam sunt subjective, nisi largo modo in-
telligatur, secundum illud cui ratio attri-
buit talem respectum rationis , habet ergo
vérité^ solum esse objective , et similiter
dico de falsitate. Unde si consideramus illud
quod primo verum est, scilicet rem ut est
intellecta et vocemus verum, dico quod taie
verum potest esse in prima operatione in-
tellectus. Nam intellectus intelligit ipsam
rem, ut est in se , et sic intelligit verum :
falsum autem non intelligit intellectus in
prima operatione sua, quia vel attingit na-
turam rei, et tune intelligit verum, aut non
attingit , et tune ignorât ; et non est ibi
proprie difformitas rei intellects ad natu-
ram ejus, quia nec talis res est intellecta :
sed aliqua alia, et ideo non est ibi falsitas,
quse proprie importât deceptionem, et non
ignorantiam solam : et inde est quod Phi-
losophus III de Anima dicit, quod intellec-
tus comprehendens quod quid est , semper
228 OPUSCULE XL VII , TRAITÉ 9, CHAPITRE 5.
l'une et l'autre chose , savoir, de la chose telle qu'elle a été conçue et
de la chose dans sa nature , mais c'est connoître une chose conforme
ou vraie. Mais objectivement la vérité se trouve parfaitement et com-
plétivement dans la seconde opération de l'intellect. Car saisir la
vérité , c'est saisir la conformité de la chose conçue avec elle-même ,
suivant sa nature , comme on l'a dit. Or cela se fait en comparant une
chose à l'autre , ou la même chose à elle-même , suivant une autre
chose et un autre être , ce qui ne peut se faire que par la seconde
opération de l'intellect. Donc la vérité ne se trouve parfaitement que
dans l'intellect composant ou divisant, j'en dis autant de la fausseté.
Mais les choses seront plus claires en suivant la seconde opinion dont
nous avons parlé. Car si la vérité est la conformité de la chose avec
l'intellect informé par la similitude de cette chose, le vrai se trouvera
dans la première opération de l'intellect, parce qu'il s'y trouvera
cette conformité, mais alors le vrai ne sera pas dans l'intellect comme
dans un sujet connoissant le vrai. En effet l'intellect ne connoît le vrai
qu'en composant ou en divisant, suivant son jugement, et si ce juge-
ment est d'accord avec les choses, il sera vrai, c'est-à-dire , lorsque
l'intellect juge qu'il est informé par la similitude de la chose telle
quVlle est. C'est tout le contraire par rapport au faux , et tout cela
appartient à la seconde opération de l'intellect , et non à la première.
D'après ce que nous venons de dire , on peut voir clairement que la
vérité ou la fausseté ne se trouvent que dans renonciation , comme
dans un signe. En effet , si la seule énonciation est le signe des choses
qui sont objectivement dans la seconde opération de l'intellect , et si
le vrai et le faux ne sont que là , le vrai ou le faux ne se trouveront
que dans renonciation , et non dans toute autre voix , soit locution ,
soit discours. Telle est renonciation.
est verus. Hoc autem non est perfecte com-
prehendere veritatem, quae est conformitas
utriusque, scilicet rei, ut intellecta est , et
rei in sua natura, sed est cognoscere unum
conforme, seu verum. In secunda vero ope-
ratione intellectus est perfecte, et complé-
tive veritas objective. Nam apprehendere
veritatem, est apprehendere conformitatem
rei intellects ad se ipsam secundum suam
naturam, ut dictum est : hoc autem fit
comparando unum alteri, vel idem ad seip-
sum secundum aliud, et aliudesse, quod
non potest fieri nisi per secundam opéra -
tionem intellectus. Ergo perfecte veritas non
est, nisi in intellectu componente, vel di-
vidente , et similiter dico de falsitate. Te-
nendo vero secundam opinionem pradic-
tam, erunt clariora. Nam si veritas est
conformitas rei ad intellectum informatum
similitudine rei, in prima operatione in-
tellectus erit verum, quia erit ibi talis con-
formitas, non tamen erit verum tune in
intellectu, ut in cognoscente verum. Non
enim intellectus aliter cognoscit verum,
nisi componendo, vel dividendo secundum
suum judicium , quod judicium si conso-
net rébus, erit verum, putacum intellectus
indicat se esse informatum similitudine rei,
ut res est. Et oppositum est de falso, et hoc
totum pertinet ad secundam operationem
intellectus, et non ad primain. Ex dictis
potest patere, quod in sola cnuntiatione sit
veritas, vel falsitas, ut in signo. Si enim
sola enuntiatio est signum eorum quae sunt
objective in secunda operatione intellectus,
et solum in illum est verum et falsuin, in
enuntiatione erit verum , vel falsum , et
non in aliqua alia voce, sive sit dictio,
sine oratio : et sic patet quid est enun-
tiatio.
SUR LA LOGIQUE D ARISTOTE.
229
CHAPITRE VI.
De renonciation catégorique , hypothétique, affirmative et négative.
Aristote divise renonciation de trois manières, d'abord comme l'a-
nalogue dans son analogue. Car il dit qu'il y a une énonciation sim-
plement une, et une autre une par conjonction. L'énonciation simple-
ment une est renonciation catégorique ou prédicative. L'énonciation
catégorique est celle qui a un sujet et un prédicat comme principales
parties d'elle-même, comme l'homme est un animal, homme est sujet,
animal est prédicat ,, comme le troisième adjacent est affirmé, ce verbe
est appelé conjonction ou copule verbale. L'énonciation hypothétique
ou suppositive est appelée une par conjonction , comme si l'homme
est il est animal. Cette division de l'énonciation se fait aussi de l'ana-
logue en son analogue, dont il est dit par priorité ou par postériorité,
car une chose est simplement antérieure à une autre par conjonction.
Secondement il divise l'énonciation comme un genre en ses espèces ;
car il la divise en affirmation et négation , qui sont des espèces de
l'énonciation. En effet, quoique l'affirmation soit antérieure à la né-
gation , ce n'est pas néanmoins pour cela que l'énonciation se dit
d'elles analogiquement, comme il a été dit qu'elle s'affirme d'une
chose simplement une , et d'une chose une par conjonction. Il faut
observer qu'une des choses qui divisent quelque chose de commun
peut être antérieure à l'autre de'deux manières. La première , suivant
les caractères ou natures propres des diviseurs , la seconde suivant la
majeure partie de l'objet commun qui est divisé en elle. Or la pre-
mière n'enlève pas l'univocation de genre , comme c'est évident dans
les nombres dans lesquels le nombre deux est naturellement , suivant
CAPDT VI.
De enunliatione categorica, et hypothelica,
afftrmativa, et negativa.
Dividitur autem ab Aristotele enuntiatio
Iripliciter, et primo, ut analogum in sua
analogata. Dicit enim quod enuntiationum
qusedam estuna simpliciter, quaedam con-
junctione una. Enuntiatio una simpliciter
est enuntiatio categorica, seu praedicativa.
Est autem enuntiatio categorica quae ha-
bet subjectum et prsedicatum principales
partes sui , ut homo est animal, homo est
subjectum, animal est prsedicatum, hoc ver-
bum est, quia prœdicatur tertium adja-
cens, dicit ur conjunctio, seu copula verba-
lis. Conjunctione vero una dicitur enuntia-
tio hypothetica, seu suppositiva, ut si homo
est, animal est.Hœc etiam divisio enuntia-
tionisest analogi in sua analogata, de qui-
bus per prius et posterius dicitur, nam
unum simpliciter est prius uno conjunc-
tione. Secundo dividit enuntiationem, ut
genus in suas species : dividit enim eam in
aftirmationem et negationem, quœ sunt
species enuntiationis. Licet enim affirmatio
sit prior negatione, non tamen propter hoc
enuntiatio de eis analogice prœdicatur, si-
cut dictum est, quod praedicatur de sim-
pliciter una , et conjunctione una. Notan-
dum quod unum dividentium aliquod
commune, potest esse prius altero duplici-
ter. Uno modo, secundum proprias rationes,
aut naturas dividentium. Alio modo, se-
cundum majorem participationem rationis
illius communis, quod in ea dividitur.
Primum autem non tollit univocationem
generis, ut manifestum est in numeris, in
230 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 6.
sa propre nature , antérieur au nombre trois , néanmoins ils partici-
pent également à la nature commune, c'est-à-dire à la nature du
nombre. Car ainsi le nombre trois comme le nombre deux, c'est la
multiplicité mesurée par l'unité. Or la seconde priorité empêche l'u-
nivocation de genre, et à cause de cela l'être ne peut pas être le genre
de la substance ni de l'accident , car la substance qui est l'être par soi
a , dans la nature de l'être , l'existence avant l'accident qui est l'être
dans un autre ou dans une autre chose. De même dans la proposition ;
quoique l'affirmation de la première manière , c'est-à-dire suivant sa
nature , soit antérieure à la négation , il n'en est pas de même de la
seconde manière, bien plus, elles participent également à la nature
de renonciation, car l'une et l'autre est un discours signifiant le vrai
ou le faux. Or, suivant sa nature , l'affirmation est antérieure à la
négation. Car l'affirmation est renonciation d'une chose à l'égard
d'une autre , comme l'homme est un animal ; et la négation est re-
nonciation d'une chose par une autre, comme l'homme n'est pas une
pierre. Or renonciation, ainsi qu'il a été dit , étant une voix signifi-
cative , ne signifie pas une chose immédiatement , mais au moyen de
la conception de l'intelligence. C'est pourquoi il faut considérer trois
choses dans toute énonciation , savoir, la voix elle-même , qui est le
signe de la conception de l'intelligence , et la conception elle-même
de l'intelligence , qui est la similitude de la chose, et enfin la chose
même. Relativement à la voix, l'affirmation est antérieure à la néga-
tion, parce qu'elle a moins de la composition que la négation; car il
y a plus de mots dans Socrate ne court pas, que dans Socrate court ,
et, par conséquent, elle est plus composée. Du côté de l'intellect,
l'affirmation qui signifie composition est antérieure à la négation qui
signifie division. Car la division est postérieure à la composition ,
quibus binarius secundum propriam ratio-
nem naturaliter est prior ternario , sed ta-
men aequaliter participant rationem com-
munis, scilicet numeri. Nanti ita ternarius
sicut et binarius est multitudo mensurata
per unum. Secunda autem prioritas impe-
dit univocationem generis, et propter hoc
ens non potest esse genus substantif, et ac-
cidentis, quia in ratione entis prius habet
esse substantia, quae est ens per se , quam
accidens, quod est ens in alio , vel in aliud.
Sic in proposito. Licet afiirmatio primo
modo , scilicet secundum suam naturam ,
sit prior negatione, non tamen secundo
modo, immo aequaliter participant ratio-
nem enuntiationis , utraque enim est ora-
tio, verum vel falsum significans. Est au-
tem secundum suam naturam afiirmatio
prior negatione. Nam affirmatio est enun-
tiatio alicujus dealiquo, ut bomo est ani-
mal : negalio vero est enuntiatio alicujus
ab aliquo, ut homo non est lapis. Ciftn au-
tem enuntiatio , ut dictum est , sit vox si-
gnificativa, non immédiate signiflcat rem,
sed mediante conceptu intellectus. Unde
in omni enuntiatione est tria considerare,
scilicet ipsam vocem, quae est signum con-
ceptus intellectus, etipsum conceptum in-
tellectus, qui est ipsa similitudo rei, et ip-
sam rem. Quantum ad vocem, prior est
affirmatio negatione, quia minus habet de
compositione, quam negatio, plures enim
dictiones sunt, Sortes non currit quam Sor-
tes currit, et per consequens est magis com-
posita. Ex parte intellectus prior est affir-
matio, quœ significat compositionem, quam
negatio, quœ significat divisionem. Poste-
rior enim est divisio compositione, sicut
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 231
comme il n'y a de corruption que dans les êtres engendrés , il n'y a de
division que dans les êtres composés. Du côté même de la chose, l'af-
firmation qui signifie l'être est antérieure à la négation qui signifie le
non-être, comme Yhabitits est naturellement antérieur à la négation.
La troisième division de renonciation se fait en universelle , particu-
lière , indéfinie et singulière. Or la suffisance de ces divisions peut
être prise ainsi. En effet, dans renonciation il faut considérer toute
son entité qui vient du sujet et du prédicat avec leur conjonction. Et
comme tout ce qui est existe, parce que c'est un numériquement,
c'est pour cela que l'on considère si elle est simplement une , ou une
par conjonction, et on dit que cette division appartient à la substance
de renonciation. Secondement , il faut considérer en elle le pré-
dicat , en tant qu'il est combiné avec le sujet sans négation ou avec
négation ; et comme le prédicat est la partie formelle de renon-
ciation, c'est pour cela qu'on dit que cette' division appartient
à la qualité de renonciation , qualité essentielle , suivant que la diffé-
rence signifie quale quid , comme il a été dit. En troisième lieu , il
faut considérer en elle le sujet lui-même, en tant que prédicable de
plusieurs choses ou d'une, et ainsi se fait la troisième division, que
l'on dit appartenir à la quantité de renonciation, car la quantité suit
la matière. D'où le vers :
Quae , ca. vel hyp. qualis, ne. vel aff. u. quanta par. in sin.
Ce vers s'explique ainsi. Il y a trois noms interrogatifs , savoir, quœ ,
qui questionne sur la substance , qualis , qui le fait de la qualité , et
quanta, qui interroge sur la quantité. C'est pourquoi quand l'inter-
rogation se fait par quœ , en s'informant de la substance de renon-
ciation, on répond par la catégorique ou l'hypothétique. Quand
non est corruptio nisi generatorum, sic non
est divisio nisi compositorum. Ex parte
etiam rei affirmatio, quae significat esse,
prior est negatione quœ significat non esse,
sicut habitus naturaliter prior est nega-
tione. Tertia vero divisio ipsius enuntiationis
est in universaleni, particularem, indefini-
tam, et singularem. Sufïicientia autem dic-
tarum divisionum , potest sic sumi. In ipsa
enim enuntiatione est considerare totam
suam entitatem quœ est ex subjecto, et
prœdicato , et ipsorum conjunctionem. Et
quia orane quod est, ideo est quia unum
numéro est, ideo considéra tur utrum sit
una simpliciter, vel una conjunctione, et
ista divisio dicitur pertinere ad substan-
tiam enuntiationis. Secundo est in ea con-
siderare ipsum prœdicatum, ut coraponitur
subjecto ,sine negatione, vel cura nega-
tione : et quia prœdicatum est pars forma-
lis enuntiationis , ideo heec divisio dicitur
pertinere ad qualitatem enuntiationis, qua-
litatemscilicet essentialem, secundum quod
differentia significat quale quid, ut supra
dictum est. Tertio est in ea considerare ip-
sum subjectum, prout scilicet est prœdica-
bile de pluribus, vel de uno, et sic sit ter-
tîa divisio, et hœc dicitur pertinere ad
quantitatem enuntiationis, nam quantitas
sequitur materiam. Unde versus :
Ouse, ca. vel hyp. qualis, ne. Tel alT. u quanta par. in
sin.
Hic autem versus sic intelligitur. In eo nam-
que sunt tria nomma interrogativa, scili-
cet. Quœ, quod quœrit de substantia. Qua-
lis, quod quœrit de qualitate. Et quanta,
quod quœrit de quantitate. Unde quando
fit interrogatio per quœ , quœrendo, scilicet
de substantia enuntiationis, respondetur
232 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 7.
l'interrogation se fait par qualis , la réponse est négative ou affirma-
tive; quand elle se fait par quanta, la réponse est universelle , parti-
culière, indéfinie ou singulière. Nous parlerons de la première
division de renonciation dans le traité des énonciations hypothétiques.
Nous avons assez parlé de sa seconde division.
CHAPITRE VII.
De la quantité des propositions catégoriques sur Z'inesse , savoir de l'u-
niverselle, de la particulière , de l'indéfinie et de la singulière.
Il nous reste à parler de la troisième division qui est suivant la
quantité. Remarquez bien que parmi les énonciations catégoriques,
il y en a qui sont de inesse , et d'autres modales. L'énonciation est
dite de inesse , lorsqu'elle offre une simple inhérence du prédicat au
sujet ; comme l'homme est un animal. L'énonciation modale est celle
dans laquelle l'inhérence du prédicat au sujet est modifiée, comme ,
il est possible que Socrate coure, l'homme est nécessairement un
animal. C'est pourquoi nous allons parler d'abord de la quantité ,
des équipollences , des oppositions qui suivent la quantité dans les
énonciations de inesse, et secondement dans les énonciations modales.
Pour connoître la quantité de ces énonciations de inesse, il faut savoir
que dans les choses que l'intellect conçoit, il en est d'universelles ,
c'est-à-dire, qui sont propres à se trouver dans plusieurs, d'autres
singulières , qui ne peuvent se trouver que dans une seule chose. Or
on peut considérer ce qui est universel de deux manières ; première-
ment, comme séparé des choses singulières, c'est-à-dire, suivant
l'être qu'il a objectivement dans l'intellect, secondement, suivant
categorica , vel hypothetica. Quando sit
înterrogatio per qualis, respondetur nega-
tiva, vel affirmativa. Quando vero sit inter-
rogatio per quanta , respondetur universa-
lis, particularis, indéfini ta, vel singularis.
De prima divisione enuntiationis dicetur
in tractatu de enuntiationibus hjpotheticis.
De secunda vero ejus divisione, satis diclum
est.
CAPUT VIL
De quanlitale propositionum calegoricarum
de inesse, scilicel de universali, parlicu-
lari, indefinila, et singulari.
• Restât dicere de tertia divisione, quae est
secundum quantitatem. IJbi nota, quod
enuntiationum eathegoricarum , quaedam
sunt de inesse, quaedam vero modales. Di-
citur autem enuntiatio de inesse , quae est
de simplici inhœrentia praedicati ad subjec-
tum, ut homo est animal. Modalis vero in
qua inhserentia praedicati ad suhjectum
modificatur , ut Sortem currere est possi-
bile, vel homo est animal necessario. Unde
primo dicendum est de quanlitate , œqui-
pollentiis, oppositionibus , quae quantita-
tem sequuntur in enuntiationibus de inesse,
secundo de eis in enuntiationibus modali-
bus. Ad videndum autem quantitatem
ipsarum enuntiationum de inesse, scien-
dum quod ea quae intellectus apprehendit,
quaedam sunt universalia, videlicet, quae
apta nata sunt in pluribus inveniri : quae-
dam sunt singularia, videlicet quœ non
sunt apta inveniri nisi in uno. Universale
autem potest dupliciter considerari. Uno
modo quasi separatum a singularibus, scili-
cet secundum esse quod habet in intellectu
objective : alio modo secundum esse quod
habet in singularibus. Primo modo consi-
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 233
l'être qu'il a dans les choses singulières. L'universel étant considéré
sous le premier point de vue , une chose peut être énoncée de lui de
deux manières encore ; la première , quand on lui attribue quelque
chose qui n'appartient qu'à l'action de l'intellect , comme lorsque
nous disons, l'homme est prédicable de plusieurs, ou l'homme est
universel , ou l'homme est une espèce. Car l'intellect forme ces sortes
d'intentions et les attribue à la nature conçue , comme à l'homme ,
suivant qu'il la compare aux choses qui sont hors de l'ame. En second
lieu , on énonce quelque chose de l'universel ainsi pris , quand on
lui attribue quelque chose , selon que la nature conçue est saisie par
l'intellect comme une unité, néanmoins ce qui lui est attribué n'ap-
partient pas à l'acte de l'intellect, mais à l'être qu'a la nature conçue
elle-même dans les choses qui sont hors de l'ame , comme si l'on
disoit , l'homme est la plus digne des créatures , car cela convient à
la nature humaine en tant qu'elle se trouve dans les singuliers.
Chaque homme en particulier est en effet plus digne que les autres
créatures privées de raison : néanmoins tous les hommes en particu-
lier ne sont pas un homme hors de l'ame , comme il est dit dans la
précédente énonciation , l'homme est la plus digne des créatures ,
dans laquelle homme est pris pour chacun en particulier ; mais il
n'est qu'un dans l'acception de l'intellect. Et comme on ne comprend
pas communément que les universels subsistent hors des singuliers ,
le langage commun n'a pas de terme ou de signe pour l'ajouter à
l'universel , suivant les différents modes par lesquels une chose est
affirmée de lui. Mais Platon qui a enseigné que les universels subsis-
toient hors des singuliers , imagine certains termes qu'il appliquoit
aux universels dans ces modes de prédication. Car il disait, par soi
l'homme est une espèce , ou l'homme prédicable est une espèce. Se-
derato universali, aliquid de eo potest du-
pliciter enuntiari. Uno modo , quando ei
attribuitur aliquid , quod pertinet ad so-
lam actionem intellectus, ut cum dici-
mns : homo est praedicabilis de rnultis, vel
homo est universale, vel homo est species.
Hujusmodi enim intentiones format intel-
lectus, et attribuit eas natura intellectse,
puta homini secundum quod comparât ip-
sam ad res quse sunt extra animam. Alio
modo, enuntiatur aliquid de universali sic
sumpto, quando attribuituc. sibi aliquid
prout ipsa natura intellecta apprehenditur
ab intellectu ut unum, illud tamen quod ei
attribuitur, non pertinet ad actum intellec-
tus , sed ad esse quod habet : ipsa natura
intellecta in rébus quae sunt extra ani-
mam, puta si dicatur, homo est dignissima
creaturarum, hoc enim convenit naturae
humanee, secundum quod est in singulari-
bus. Nam quilibet homo singularis est di-
gnior aliis creaturis irrationalibus : sed
tamen omnes homines singulares non sunt
unus homo extra animam, ut dicitur in
praedicta enuntiatione, homo est dignissima
creaturarum , ubi ly homo, stet pro omni-
bus singularibus, sed solum in acceptione
intellectus est unus. Et quia communiter
non est apprehensum quod universalia extra
singularia subsistant, ideo communis usus
loquendi non habet aliquam dictionem, seu
aliquod signum , quod addatur universali,
secundum dictos modos,quibus aliquid de
eo prœdicatur. Sed Plato qui posuit univer-
salia subsistere extra singularia, invenitur
quasdam dictiones, quas addebat universa-
libus in talibus modis praedicandi. Dicebat
enim per se homo est species, vel homo
234 OPUSCULE XLVII , TRAITÉ 9, CHAPITRE 7.
condernent , une chose est énoncée de l'universel , suivant qu'il se
trouve dans les singuliers , et cela de deux façons ; la première ,
quand on lui attribue quelque chose à raison de l'universel lui-même,
laquelle chose appartient à son essence , ou suit ses principes essen-
tiels , comme lorsqu'on dit, l'homme est un auimal, ou l'homme est
risible ; la seconde manière , c'est quand on lui attribue quelque
chose à raison du singulier où il se trouve , c'est-à-dire quand on lui
attribue quelque accident individuel , comme lorsqu'on dit , il ne se
promène pas. Et comme cette manière d'énoncer quelque chose de
l'universel est à la portée de l'intelligence de tous les hommes , on a
imaginé certains termes pour désigner la manière d'attribuer quelque
chose à l'universel ainsi pris. C'est pourquoi si on lui attribue quelque
chose de la première manière , c'est-à-dire à raison de lui-même en
tant qu'universel , parce que c'est lui attribuer quelque chose univer-
sellement , on a trouvé ce signe tout , qui exprime que le .prédicat est
attribué universellement au sujet, suivant tout ce qui est contenu
dans le sujet. Dans les prédications négatives , on a inventé pour la
même fin ce terme nul , qui signifie que le prédicat est exclu du sujet
universellement , suivant tout ce qui est contenu en lui. Si , au con-
traire, on lui attribue quelque chose de la seconde manière, c'est-
à-dire à raison du singulier, pour le désigner dans les affirmatives ,
on a trouvé un signe particulier, savoir, quelque , qui désigne que le
prédicat est attribué universellement au sujet, à raison du particulier.
Mais comme il désigne d'une manière indéterminée la forme d'un sin-
gulier, il désigne de même l'universel avec une sorte d'indétermina-
tion. Aussi s'appelle-t-il un individu vague. Pour les négations , on
n'a pas trouvé d'autre terme ou d'autre signe , mais nous disons ,
prsedicabilis est species. Secundo modo
enuntiatur aliquid de universali, secundum
quod est in ipsis singularibus, et hoc du-
piieiter. Uno modo cum attribuitur sibi
aliquid ratione ipsius universalis, quod vi-
delicet ad essentiam ipsius pertinet, vel
consequitur principia essentialia ipsius, ut
cum dicitur : homo est animal , vel homo
est risibilis. Alio modo, quando attribuitur
ei aliquid ratione singularis, in quo inve-
nitur scilicet quando attribuitur sibi ali-
quod accidens individuale, ut cum diçitur :
non ambulat. Et quia iste modus enun-
tiandi aliquid de universali, cadit in com-
muai apprehensione hominum , ideo in-
ventai sunt queedam dictiones ad designan-
dum modum aUribuendi aliquid universali
sic accepto. Unde si attribuitur sibi aliquid
primo modo, scilicet ratione ipsius, ut uni-
versale est, quia hoc est universaliter de
eo aliquid praedicari, ideo adinventum est
hoc signum , omnis , quod désignât, quod
preedicatum attribuitur subjecto universa-
liter quantum ad totum illud quod sub-
jecto continetur. In negativis vero preedi-
cationibus ad idem inventa est hœc dictio,
nullus, per quam significatur quod praedi-
catura removetur subjecto universaliter
secundum totum quod continetur sub eo.
Si vero attribuitur ei aliquid secundo
modo, scilicet ratione singularis, ad hoc
designandum in affirmativis, inventum est
signum particulare, scilicet haec dictio,
quidam, vel aliquis, per quam designatur,
quod praedicatum attribuitur universali
subjecto ratione ipsius particularis. Sed
quia indeterminate formam alicujus sin-
gularis significat , ideo désignât universale
sub quadam indeterminatione. Unde et di-
citur individuum vagum. In negativis vero
non est inventa aliqua dictio seu aliquod
aliud signum, sed dicimus , quidam homo
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 235
quelque homme ne court pas. Ainsi donc , il y a trois genres d'affir-
mations dans lesquelles une chose se dit de l'universel; l'une par
laquelle une chose se dit universellement de l'universel, comme tout
homme est animal ; la seconde par laquelle une chose se dit en parti-
culier de l'universel , comme quelque homme est hlanc. La troisième
par laquelle quelque chose se dit de l'universel sans détermination
universelle ou particulière , comme l'homme est animal. La première
énonciation s'appelle universelle, la seconde particulière, la troisième
indéfinie; si à ces trois on ajoute la singulière, par laquelle une chose
se dit d'un singulier, comme Socrate court, il y aura quatre modes
dénonciations , susceptibles d'être négatives comme elles sont affir-
matives. Tel est, etc..
CHAPITRE VIII.
De l'opposition des propositions catégoriques existant en figure , relati-
vement aux énonciations de inesse.
Nous allons dire maintenant quelle est l'opposition de ces énon-
ciations , universelles , particulières et indéfinies. Remarquez qu'une
chose peut être opposée à une autre de quatre manières , 1° relative-
ment, comme le père et le fils; 2°contradictoirement, comme Socrate
court , Socrate ne court pas ; 3° privativement , comme la vue et la
cécité; 4° contrairement, comme la blancheur et la noirceur. Nous
avons parlé des oppositions relatives dans le prédicament de relation.
La contradiction est une opposition qui n'admet par elle-même aucun
milieu. Pour qu'il y ait contradiction entre certaines choses , sept
conditions sont requises. D'abord il faut deux propositions opposées,
noncurrit, vel nonnullus homo currit. Sic
ergo sunt tria gênera afïirmationum in qui-
bus de universali aliquid praedicatur. Una,
in qua de universali aliquid praedicatur
universaliter, ut omnis homo est animal.
Secunda in qua de universali aliquid prae-
dicatur particulariter, ut quidam homo est
albus. Tertia, in qua aliquid de universali
praedicatur absque determinatione univer-
sali vel particulari , ut homo est animal.
Prima enuntiatio dicitur universalis ; se-
cunda particularis; tertia indefinita , qui-
bus si addatur singularis, in qua aliquid de
singulari praedicatur , ut Sortes currit ,
erunt quatuor modi enuntiationum , quee
possunt esse negativae, sicut sunt affirma-
tivee. Et sic patet, etc.
CAPUT VIII.
De oppositione proposilidhum calhegorica-
rum existentium in figura quantum ad
enuntialiones de inesse.
Nunc dicendum est qualiter praedictae
enuntiationes universales, particulares et
indefinitae opponantur. Notandum, quod
aliquid alicui quatuor modis potest opponi.
Uno modo, relative, ut pater et filius ; alio
modo contradictorie, ut Sortes currit, Sor-
tes non currit ; tertio modo, privative, ut
visus et caecitas ; quarto modo contrarie ,
ut albedo et nigredo. De oppositis relative
dictum est inpraedicamentorelationis. Con-
tradictio vero est oppositio cujus secundum
se non est médium. Inter esse enim et non
esse non est médium. Ad hoc autem quod
sit contradictio inter aliqua , requiruntur
septem. Primo, quod opponantur duae pro-
positiones, quarum una sit aflirmativa, et
236 OPUSCULE XLVII , TRAITÉ 9, CHAPITRE 8.
dont l'une affirmative et l'autre négative ; 2° que ces énonciations
regardent le même sujet; 3° qu'elles se rapportent au même prédica-
ment ; 4° que la prédication ne se fasse pas par rapport à diverses
parties du sujet , comme quand on dit , Socrate a les dents blanches ,
et Socrate n'a pas la main blanche ; 5° qu'il n'y ait pas une manière
différente du côté du prédicat, comme lorsqu'on dit, Socrate court
lentement et Socrate ne court pas rapidement ; 6° qu'il n'y ait pas de
différence du côté de la mesure du lieu et du temps; 7° qu'il n'y ait
pas de diversité dans Yhabitus, relativement à quelque chose d'extrin-
sèque, comme lorsqu'on dit, dix hommes font un grand nombre dans
une maison , et ne font pas un grand nombre dans un théâtre. La
privation est négative dans un sujet doué d'une aptitude propre. En
effet, quoique la cécité exclue la vision, elle ne le fait pas simplement,
mais bien dans un sujet susceptible naturellement de voir. Car on dit
bien un animal aveugle, mais non pas une pierre aveugle. Il y a con-
trariété d'opposition dans les choses qui, placées dans le même genre,
sont très-éloignées les unes des autres , et se trouvent tour-à-tour dans
le même sujet. Car la blancheur n'est pas opposée à la blancheur,
mais bien la noirceur, choses qui sont très-distantes l'une de l'autre.
Il faut savoir que l'opposition ne se dit pas des susdites oppositions,
comme le genre de ses espèces , mais bien comme l'analogue de son
analogue. La vraie opposition , en effet , est l'opposition simpliciter,
qui s'appelle contradiction. Les autres oppositions sont des opposi-
tions secundum quid, et ne sont des oppositions qu'en tant qu'elles
expriment en quelque sorte contradiction, savoir, l'être et le non-
être. Il faut savoir aussi que dans la contradiction la négation est
opposée à l'affirmation, de telle sorte qu'elle ne suppose rien. Mais
dans la privation , la privation est opposée à Yhabitus , de manière à
altéra negativa. Sfecundo, quod taies enun-
tiationes sint ejusdem subjecti. Tertio,
quod sint ejusdem praidicamenti. Quarto,
quod non fiât praedicatio secundum diversas
partes subjecti , sicut cum dicitur , Sortes
est albus dentés, et Sortes non est albus
manum. Quinto , quod non sit diversus
modus ex parte prœdicati, sicut cum dici-
tur : Sortes currit tarde , et Sortes non
currit velociter. Sexto, quod non sit diver-
sitas ex parte mensuras loci et temporis.
Septimo , quod non sit diversitas ex habi-
tudine ad aliquid extrinsecum, sicut cum
dicitur, decem hommes sunt multi in do-
mo, et non sunt multi in theatro. Privatio
vero est negatio in subjecto apto nato. Licet
enim cœcitas neget visurn, non tamen sim-
pliciter , sed in subjecto nato apto videre.
Bene enim dicitur animal caecum, sed non
lapis caecus. Contrarie autem opponuntur,
quae in eodem génère posita maxime a se
distant, et vicissim eidem subjecto insunt.
Non enim albedini opponitur albedo, sed
nigredo, quae a se maxime distant. Scien-
dum, quod oppositio non praedicatur de
dictis oppositionibus sicut genus de suis
speciebus, sed ut analogum de suis analo-
gatis. Vera namque oppositio est oppositio
simpliciter, quœ dicitur contradictio. Alla?
vero dicuntur oppositiones secundum quid,
et in tantum sunt oppositiones in quantum
aliquo modo dicunt contradictionem , sci-
licet esse et non esse. Sciendum etiam est,
quod in contradictione ita opponitur ne-
gatio afïirmationi, quod nihil ponit. In
privatione autem ita opponitur privatio
habitui, quod supponit subjectum. In con-
trarietate vero ita est oppositio, quod sup-
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 237
supposer le sujet. Dans la contrariété , l'opposition est telle qu'il y a
supposition du sujet et de quelque fosme ; en effet , la blancheur est
opposée à la noirceur, de telle manière qu'elle suppose quelque sujet
à raison de quoi l'on dit qu'elles se succèdent tour à tour, et la blan-
cheur produit une forme que ne constituent ni la négation, ni la
privation. Il faut savoir que l'universelle affirmative est opposée à
l'universelle négative du même sujet et prédicat contrairement. C'est
pourquoi, tout homme est blanc et nul homme n'est blanc, sont des
propositions contraires. La raison en est en ce que les choses très-dis-
tantes entre elles ont une opposition contraire. Car on n'appelle pas
une chose noire par cela seul qu'elle n'est pas blanche , mais parce
qu'à la privation de blancheur qui exprime l'exclusion du blanc , elle
ajoute le noir, suprême exclusion du blanc. Donc ce qui est affirmé
par cette énonciation , tout homme court, doit être exclu par cette
négation, tout homme ne court pas; car il faut que la négation écarte
le mode dont le prédicat se dit du sujet désigné par ce signe tout;
mais à cette exclusion cette proposition, nul homme ne court, ajoute
l'exclusion la plus extrême. C'est donc à bon droit qu'on appelle con-
traires ces propositions , tout homme court , nul homme ne court. La
particulière affirmative et la particulière négative ne sont nullement
opposées contrairement , c'est-à-dire d'une opposition contraire. Car
les choses contraires sont séparées par une grande distance, et la par-
ticulière affirmative et la particulière négative se trouvent être des
milieux entre les contraires; or les milieux ne sont pas contraires , et
n'offrent même pas une opposition contradictoire. En effet, ainsi
qu'il a été dit , ce signe quelque, qui constitue une proposition parti-
culière , désigne l'universel ou le terme commun d'une manière in-
déterminée ; c'est pourquoi il ne le détermine pas à telle ou telle
ponitur subjectum et aliqua forma , ita
enim albedo opponitur nigredini , quod
supponit aliquod subjectum, propter quod
dicitur, vicissim insunt, et albedo etiam
ponit aliquam formam, quod non facit
negatio nec privatio. Sciendum, quod uni-
"versalis affirmativa opponitur universali
negativee ejusdem subjecti et prœdicati
contrarie. Unde omnis homo est albus , et
nullus homo est albus, gunt contraria. Ratio
est , quia ut dictum est , contrarie oppo-
nuntur,'quse maxime a se distant. Non
enim nigrum dicitur aliquid ex hoc solo,
quod non est album , sed super hoc , quod
est non esse album , quod significat remo-
tionem albi. addit nigrum extremam re-
motionem ab albo. Sic ergcvid quod affir-
matur per hanc enuntiationem, omnis ho-
mo currit , oportet quod removeatur per
hanc negationem, non omnis homo currit,
oportet enim quod negatio removet mo-
dum quo prsedicatum dicitur de subjecto,
quem désignât hoc signum, omnis ; sed su-
per hanc remotionem addit hœc enuntia-
tio, nullus homo currit, totalem remotio-
nem quae est in extrema distantia. Merito
ergo dicuntur contraria, omnis homo currit
et nullus homo currit. Particularis autem
affirmativa, et particularis negativa nullo
modo opponuntur contrarie , id est , con-
traria oppositione. Contrarie namque dif-
férant extrema distantia , particularis au-
tem affirmativa, et particularis negativa, se
habent sicut média inter contraria ; média
autem non sunt contraria, nec etiam op-
ponuntur contradictoriœ. Ut enim dictum
est, hoc signum, quidam , quod facit pro-
positionem esse particularem, désignât uni-
versale, seu terminum communem inde-
terminatc , unde non déterminât illud ad
238 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 9.
chose singulière. Et pour cette raison l'affirmation et la négation ne
se trouveront pas dans le même sujet singulier, ce qui est requis,
comme on l'a dit plus haut; aussi il n'y aucune opposition. Elles
s'appellent cependant sous-contraires , parce qu'elles sont renfermées
sous des contraires. L'universelle affirmative et la particulière néga-
tive, l'universelle négative et la particulière affirmative8 sont opposées
contradictoirement. La raison en est que la contradiction consiste
dans la seule exclusion de l'affirmation par la négation ; or l'univer-
selle affirmative est exclue par la seule négation particulière , et il ne
faut rien de plus. Comme par cette proposition , quelque, homme ne
court pas, est exclue celle-ci, tout homme court. Mais la particulière
affirmative ne peut être exclue par la particulière négative , parce
qu'elle ne lui est pas opposée, comme il a été dit; il faut donc qu'elle
le soit par l'universelle négative. Ainsi donc ces propositions , tout
homme court, quelque homme ne court pas, et nul homme ne
court, quelque homme court, sont contradictoires. Toute particulière
est subalterne de son universelle. Telles sont les oppositions des pro-
positions , où se trouvent des signes et des singulières. Les indéfinies
suivent la règle des particulières.
CHAPITRE IX.
Des éguipollences des énonciations catégoriques de inesse.
Il nous reste maintenant à parler des équipollences de ces énoncia-
tions, en quoi il faut observer que la négation mise avant le signe et
par conséquent avant toute renonciation, est équivalente à sa contra-
dictoire , placée au contraire après le signe dans la composition de
hoc singulare, vel ad id est. Et propter
hoc aflirmatio et negatio non erunt in eo-
dem subjecto singulari, quod requiritur in
contradictione, ut supra dictum est, ideo
nullo modo sibi opponitur. Dicuntur ta-
men subcontrariae, quia sub contrariis con-
tinentur. Universalis autem ailirmativa et
particularis negativa, universalis negativa
et particularis affirmativa opponuntur
contradictorie. Gujus ratio est, quia con-
tradictio consistit in sola rernotione affir-
mationis per negationem, universalis autem
affirmativa removetur per solam negatio-
nem particularem, nec aliquid aliud ex ne-
cessitate exigitur. Sicut per hanc, quidam
homo non currit, removetur hœc omnis
homo currit. Particularis autem affirma-
tiva non potest removeri per particularem
negativam , quia sibi non opponitur , ut
dictum est ; oportet ergo, quod removea-
tur per universalem negativam. Sic ergo
istae, scilicet omnis homo currit, quidam
homo non currit, et nullus homo currit,
quidam homo currit, sunt contradictorise.
Quselibet autem particularis dicitur subal-
terna suae universalis. Et patet de opposi-
tionibus propositionum , in quibus sunt
signa, et singularium. Indefinitœ autem se-
quuntur regulam particularium.
CAPUT IX.
De œquipollentiis enuntiationum categori-
carum de inesse.
Restât nunc dicere de œquipollentiis dic-
tarum enuntiationum , ubi nota quod ne-
gatio prseposita ante signum, et per conse-
quens ante totam enuntiationem , ;equi-
pollet sua? contradictorise. Posita vero post
signum in cornpositione , scilicet enuntia-
tionis, f'aeit eam aequipollere suae contrarias,
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 239
renonciation , elle la rend équivalente à sa contraire , avant et après
elle la rend équivalente à sa subalterne ; voici la cause de ces équi-
pollences. En effet, dans les énonciations il faut considérer la quan-
tité, c'est-à-dire, l'universalité , la particularité et la qualité , c'est-à-
dire, la négation et l'affirmation; il est de la nature de la négation de
nier et d'exclure tout ce qui se trouve après elle. Ainsi donc cette
énonciation , tout homme court , est universelle et affirmative , si on
la fait précéder par la négation , c'est-à-dire, tout homme ne court
pas, cette négation détruit l'universalité et ainsi elle reste particulière
ou indéfinie, c'est-à-dire sans signe, elle équivaut à la particulière, elle
enlève l'affirmation et par conséquent reste négative. Elle est donc
équivalente à celle-ci, quelque homme ne court pas, qui étoit sa con-
tradictoire. De même soit cette énonciation, nul homme ne court, il
est certain que si à cette proposition universelle et négative on ajoute
la négation et on dit, quelque homme court, la négation détruit l'uni-
versalité ; ce sera donc une particulière : elle détruit aussi la négation
et elle sera ainsi affirmative , quelque homme court , ce qui étoit sa
contradictoire , il en sera de même des particulières. En effet , cette
proposition, non quidam homo currit, équivaut à celle-ci, nullus homo
currit, et pour la même raison celle-ci, non quidam homo non currit,
équivaut à celle-ci , quilibet homo currit. De même en prenant cette
énonciation, omnis homo currit, et mettant la négation après le signe
universel de cette manière, omnis homo non currit , la négation ne
trouvant pasle signe après elle, ne le nie pas, et par conséquent renon-
ciation reste universelle : mais la négation détruit l'affirmation et de
cette façon renonciation devient négative et universelle, elle équivaut
donc à sa contraire, c'est-à-dire à celle-ci, nullus homo currit. De
Prœposita vero et postposita -facit eam
œquipollere suae subalternes. Causa autem
istarum aequipollentiarum est. Nam in
enuntiationibus pradictis est considerare
quantitatem , videlicet universali tatem,
particularitatem et qualitatem, scilicet ne-
gationem et affirmationem, hoc est a na-
tura negationis, ut neget , et tollat totum
quod invenit post se. Sic ergo ista enun-
tiatio, omnis homo currit, est universalis et
affirmativa, cui si praeponatur negatio, sci-
licet non omnis homo currit , ista negatio
tollit universalitatem, et sic remanet parti-
cularis vel indefinita , scilicet sine signo ,
quee aequipollet particulari , et tollit affir-
mationem, et per consequens remanet ne-
gativa. iÉquipollet ergo huic , scilicet
quidam homo non currit , quse erat sua
contradictoria. Similiter sit hœc enuntiatio,
nullus homo currit , certum est quod hoc
est, cui scilicet universali et negativee pree-
ponatur sibi negatio, et dicatur, nonnullus
homo currit, negatio tollit universali tatem.
Ergo erit particularis. Tollit etiam nega-
tionem, et sic erit affirmativa, haec scilicet,
quidam homo currit, quae erat sua contra-
dictoria. Et idem erit de particularibus.
Nam haec, non quidam liomo currit, aequi-
pollet huic, nullus homo currit, et propter
hanc causam hœc, non quidam homo non
currit, eequipollet huic , scilicet quilibet
homo currit. Similiter etiam si sumatur
haec enuntiatio , omnis homo currit , et
postponatur negatio signo universali , et
ponatur ad compositionem sic, omnis homo
non currit , quia negatio non invenit post
se signum, non negat illud, et per conse-
quensremanet universalis enuntiatio, aufert
autem negatio affirmationem, et sic facta
est enuntiatio negativa et universalis, aequi-
pollet ergo suée contrariée , scilicet huic,
nullus horno currit. Similiter heec, nullus
240 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 9.
même celle-ci, nullus homo currit, est universelle et négative, car le
signe négatif nie la composition de renonciation.
Que l'on mette donc après la négation et qu'on dise , nullus homo
non currit, la négation n'ayant pas de signe après elle reste une énon-
ciation universelle, et comme elle étoit négative dans la composition,
elle détruit la négation et reste affirmative, omnis homo currit, ce qui
étoit sa contraire. Qu'on prenne également celle-ci, omnishomo currit,
qui est universelle et affirmative, qu'on la fasse précéder et suivre de
la négation, de cette manière , non omnis homo non currit, il est cer-
tain que la seconde négation nie sa composition. C'est pourquoi en
supposant qu'elle fût négative, omnishomo non currit, il s'ensuit que
la négation précédente trouve après elle l'universalité qu'elle détruit
et la rend ainsi particulière, elle trouve également la négation qu'elle
détruit et la rend affirmative , et elle devient celle-ci, quidam homo
currit, qui étoit sa subalterne. Il en est de même de toutes les autres
en les faisant précéder et suivre de la négation, parce qu'elles équiva-
lent à leur subalterne qu'il soit universel ou particulier. Il faut obser-
ver qu'il arrive quelquefois qu'il se rencontre dans la même énoncia-
tion deux signes universels négatifs, l'un dans le sujet et l'autre dans
le prédicat, comme dans celle-ci, nullus homo nullum animal est, je
dis que cette proposition équivaut à cette autre , omnis homo aliquod
animal est. La raison en est que chacun de ces signes est universel et
renferme en soi la négation ; et comme la négation ne précède pas le
premier signe, renonciation reste universelle. Donc la négation ren-
fermée dans le premier signe qui est un signe universel et négatif
précède la négation ou le second signe qui est un signe universel et un
signe négatif; et comme elle trouve l'universalité , il s'ensuit qu'elle
homo currit , est universalis et negativa ;
nam signura negativum negat compositio-
nem euuntiationis.
Postponatur ergo ei negatio, et dicatur,
nullus homo non currit, quia negatio non
habet signum post se , remanet enuntiatio
universalis, et quia erat negativa quantum
ad compositionem, aufert negationem , et
remanet afflrmativa hœc, scilicet omnis
homo currit, quœ eratsua contraria. Si-
niiliter etiam sumatur ista , omnis homo
currit, quœ est universalis et affirmativa,
et praeponatur sibi, et postponatur negatio
sic, non omnis homo non currit, certum
est, quod secunda negatio negat ejus com-
positionem. Onde dato quod illa esset ne-
gativa , hœc scilicet, omnis homo non
currit, prœposita ergo negatio invenit post
se universalitatem quam tollit, et sic J'acit
eam particularem ; invenit et negationem
quam tollit, et l'acit eam afïirmativain , et
erit hœc, scilicet quidam homo currit, quee
erat sua subalterna. Et sic est de omnibus
aliis si praeponatur , et postponatur in eis
negatio ; quia eequipollent suo subalterno
sive sit universalis , sive particulâris. No-
tandum quod aliquando coutingit, quod
in eadem enuntiatione sunt duo signa uni-
versalia negativa, unum videlicet in suh-
jecto, et alterumin prœdicato, sicut in hac,
nullus homo nullum animal est, dico, quod
ista cequipollet huic , omnis homo aliquod
animal est. Ratio est , quia quodlibet dic-
torum signorum et est uuiversale et habet
in se negationem • et quia non prœponitur
negatio primo signo, remanet enuntiatio
universalis. Ergo negatio inclusa in primo
signo, quod est signum universale, et ne-
gativum prœponitur negationi, seu secundo
signo, quod est signum universale , et si-
gnum negativum ; et quia invenit universa-
litatem, destruit ergo universalitatem, et
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 241
détruit cette universalité et reste particulière; elle détruit aussi la né-
gation et de cette manière elle reste une énonciation affirmative, omnis
homo aliquod animal est. Que l'on dise , comme on le fait communé-
ment, que nullus non équivaut à omnis, et je dis que non est la néga-r
tion renfermée dans le second signe, tandis que non nullus équivaut
à quodclam, et je prends nullus non pour la négation qui est dans le
premier signe, et il reste ainsi cette proposition , omnis homo aliquod
animal est. On fait de toutes ces équipollences le vers suivant :
Prae contradic post contra, pree postque subalter.
lequel s'explique ainsi ; prœ, c'est-à- dire la négation précédente, le con-
tradic., fait équivaloir à son contradictoire; post , la négation mise
après fait équivaloir à son contraire, prœ postque, la négation qui
précède et qui suit fait équivaloir à son subalterne. Telles sont les équi-
pollences des énonciations catégoriques.
CHAPITRE X.
Comment les énonciations catégoriques de. inesse se rapportent à la vérité
et à la fausseté.
Nous allons dire maintenant quels sont les rapports de ces énoncia-
tions à la vérité et à la fausseté. Remarquez bien, ainsi qu'il a été dit,
qu'une chose peut-être énoncée de l'universel en tant qu'il se trouve
dans les singuliers de deux manières, affirmativement, et être écartée né-
gativement, la première quand on lui attribue quelque chose à raison
de l'universel même, soit que cela appartienne à son essence ou suive
ses principes essentiels , comme lorsqu'on dit : homo est animal risi-
remanet particulare, destruit negationem,
et sic remanet enuntiatio affirmativa, haec
scilicet, omnis homo aliquod animal est.
Vel dicatur, sicut communiter dicitur,
quod nullus non , œquipollet ei, quod est
omnis, et dico non scilicet negationem quae
continetur in secundo signo, non nullus
vero aequipollet ei quod est quoddam, et
nullus non , sumo pro negatione ; quae est
in primo signo, et sic remanet, omnis ho-
mo aliquod animal est. De omnibus his
œquipollentiis datur versus :
Prœ contradic. post contra, pra' postque subalter.
Qui sic intelligitur pree, id est negatio pra>
posita; contradic. id est facit œquipollerc
suo contradictorio ; post, id est negatio post-
posita, facit aequipollere suo contra id est
contrario. Prœ postque id est negatio quae
praeponitur et postponitur facit aequipollere
suo subalterno. Et sic palet de aequipol-
lentiis categoricarum.
CAPUT X.
Quomodo enunliaiiones categoricœ de inesse
sita in figura , se habet ad veritatem et
fahilalem.
Modo dicendum est quomodo se habent
praedictae enuntiationes quantum ad verum
et falsum. Ubi nota, quod sicut supra dic-
tum est, de universali secundum quod est
in ipsis singularibus, dupliciter potest ali-
quid enuntiari, scilicet affirmative , et re-
moveri négative. Uno modo quando attri-
buitur sibi aliquid ratione ipsius universa-
lis, vel quod pertineat ad ejus essentiam ,
vel quod sequatur principiaejus essentialia,
ut cum dicitur , homo est animal risibile,
16
242 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 10.
bile, et c'est ce qu'on appelle la matière naturelle ou nécessaire. Ce
qui est exclu de l'universel cle cette manière à raison de la nature
même, c'est-à-dire de l'universel , est appelé matière éloignée ou im-
possible, comme homo est asinus. En second lieu, quand on lui attri-
bue quelque chose à raison de quelque singulier où se trouve cette
nature de l'universel, comme lorsqu'on dit», homo currit , et c'est ce
qu'on appelle matière contingente. Il faut savoir que dans la matière
naturelle et dans la matière éloignée, si une des contraires est vraie ,
l'autre est fausse et réciproquement. La raison en est que si la matière
qui se trouve en rapport avec la nature de l'universel est appelée ma-
tière naturelle, il s'ensuit qu'elle convient à tout ce qui est contenu
en lui, de telle façon que l'universelle affirmative sera vraie, et l'uni-
verselle négative qui exclut cette matière de tout ce qui est contenu
en lui, sera nécessairement fausse. Car elle dit que ce qui est n'est
pas, et c'est là la fausseté, dire que ce qui est n'est pas ou que ce qui
n'est pas est. De même dans la matière éloignée l'universelle négative
est vraie, parce qu'elle écarte tel prédicat de tout ce qui est contenu
sous tel universel. Donc l'universelle affirmative sera aussi alors dite
fausse, parce qu'elle dit que ce qui n'est pas est, et il en sera de même
par rapport à elle pour ses subalternes particulières. Comme en effet,
la matière naturelle convient à tout ce qui est contenu sous l'univer-
sel, il en résulte que dans cette matière la particulière affirmative sera
vraie, et la négative fausse : le contraire aura lieu dans la matière
éloignée, au contraire dans la matière contingente les deux contraires
peuvent être fausses; on peut en trouver la raison dans ce que nous
avons dit. Si, en effet, dans cette matière on n'attribue quelque chose
à l'universel qu'à raison de quelque particulier contenu en lui, il est
et hsec vocatur materia naturalis seu ne-
cessaria. Quod autem isto modo ab univer-
sali removetur ratione ipsius naturse , sci-
licet universalis , dicitur materia remota ,
seu impossibilis, ut homo est asinus. Se-
cundo modo, quando attribuitur sibi ali-
quid ratione alicujus singularis, in quo haec
natura universalis invenitur , ut cum dici-
tur, homo currit, et heec dicitur materia
contingens. Seiendum, quod in materia
naturali et in materia remota, si una con-
trariarum est vera , reliqua est falsa , et e
converso. Et causa haec est, quia si illa di-
citur materia naturalis , qua; provenit se-
cundum naturam universalis, ipsa ergo
convenit omni contento sub eo , sic quod
universalis affirmativa erit vera , univer-
salis autem negativa , qua; removet hanc
materiam ab omni contento sub eo, neces-
sario erit falsa • dicit enim non esse quod
est , quod est falsum , scilicet dicere non
esse quod est, vel esse quod non est. Simi-
liter etiam in materia remota, universalis
negativa est vera , quia removet taie prse-
dicatum ab omni contento sub tali univer-
sali. Universalis ergo affirmativa , tune
etiam dicetur falsa, quia dicit esse quod
non est ; et simili modo se habebit de suis
particularibus sibi subalternis. Materia
enim naturalis, quia omnibus contentis
sub universali convenit, ideo in tali ma-
teria particularis affirmativa erit vera, ne-
gativa vero falsa ; contra se habebit in
materia remota. In materia vero contin-
genti, ambse contraria? possunt esse falsae,
et causa potest haberi ex dictis. Si enim
in tali materia non attribuitur universali
aliquid nisi ratione particularis alicujus
contenti sub eo , affirmare iilud de omni-
bus particularibus falsum est, quia dicitur
SUR LA LOGIQUE d'aHISTOTE. 243
faux de l'affirmer de tous les particuliers, parce qu'on dit être ce qui
n'est pas ; il est également faux de le nier de tous les particuliers ou
singuliers, parce qu'on dit que ce qui est n'est pas. Elles sont donc
toutes deux fausses, les particulières, au contraire, sont toutes deux
vraies , parce que chacune peut se conserver dans une singulière.
Aristote en donne une autre raison : Les contraires, dit-il, s'excluent
mutuellement. Ces deux contraires ne pourront donc pas subsister
ensemble , ce qui est vrai, néanmoins rien n'empêche que leurs exclu-
sions s.ubsistent ensemble ; de même que le blanc et le noir ne peu-
vent subsister ensemble , cependant rien n'empêche que leurs exclu-
sions subsistent ensemble, car le faux est l'exclusion des deux qualités.
Dans toute matière soit naturelle , soit éloignée , soit contingente , si
une des contradictoires est vraie, l'autre est fausse et réciproquement.
En effet, ou les énonciations contradictoires sont singulières, comme
il a été dit, ou l'une est universelle et l'autre particulière et sont telles
que l'une exclue l'autre. C'est pourquoi si l'une est négative , l'autre
est affirmative , et si l'affirmative est vraie, elle dit que ce qui est est
réellement, ce qui est le vrai, comme il est dit au liv. IV de la Méta-
physique : Car le vrai est que ce qui est soit réellement , et que ce
qui n'est pas ne soit réellement pas. Le faux, au contraire, est que
ce qui est ne soit pas, et que ce qui n'est pas soit. La négative contra-
dictoire sera fausse parce qu'elle dit que ce qui est n'est pas, pareille-
ment si la négative est vraie, elle dit que ce qui est n'est pas, et l'affir-
mative dit alors que ce qui n'est pas est réellement, ce qui est faux.
Et comme il n'y a pas de milieu entre être et ne pas être et que l'un
exclut l'autre, parce qu'on ne peut dire du même sujet des choses im-
possibles et que l'être et le non-être ne peuvent être vrais en même
temps, il en est de même des contradictoires, parce que l'une attribue
l'être et l'autre le non-être au même sujet; c'est pour cela que l'une
quod non est esse; similiter etiam illud
negare ab omnibus particularibus seu sin-
gularibus falsum est , quia dicitur , quod
est non esse. Ambae ergo sunt falsae. Par-
ticu lares vero, quia quaelibet potest salvari
in una singulari, amba? surit verae. Aliam
rationem assignat Aristoteles. Nam ut dicit,
contraria mutuo se expellunt , ambœ istae
contrariai non poterunt simul esse, quod est
verum, remotiones tamen earum nihil pro-
hibet simul esse sicut album et nigrum
non possunt esse ^imul , remotiones tamen
amborum nihil prohibet esse simul, falsum
enim est remotio amborum. In omni ma-
teria sive naturali sive remota , seu con-
tingent^ si una contradictoriarum est vera,
reliqua est falsa et e converso. Contradic-
toriae enim enuntiationes , vel sunt singu-
lares, ut dictum est, vel una est universalis
et altéra particularis, et hoc habent, quia
una removet aliam. Unde si una est nega-
tiva, altéra est aflirmativa, et si affirmativa
erit vera, dicit esse quod est , et hoc est
verum, ut dicitur IV Meiaph., verum enim
est esse quod est, et non esse quod non est.
Falsum autem est non esse quod est , et
esse quod non' est. Negativa vero sibi con-
tradictoria, quia dicit non esse, quod est,
erit falsa. Similiter si negativa est vera,
dicit non esse quod non est , et affirmativa
tune dicit esse quod non est, quod est fal-
sum. Et sicut inter esse et non esse non est
médium, et unum removet alterum, quia
impossibilia est dici de eodem, et verificari
| simul esse et non esse , sic etiam contra-
I dictoriœ, quia una ponit de eodem esse, et
244 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE H.
exclut toujours l'autre. Comme le vrai et le faux* consistent dans cet
être et ce non-être, comme il a été dit , il n'y a donc pas de milieu , si
l'une est -vraie, l'autre est fausse et réciproquement. Voilà en quoi con-
siste la vérité ou la fausseté des propositions de inesse, etc.
CHAPITRE XI.
Ce que c'est que la proposition modale, et de sa quantité.
Nous allons parler maintenant des propositions modales. Le mode,
dans le sens où il est pris ici, est une détermination adjacente -à la
chose, c'est-à-dire une détermination faite par un adjectif. Or il y a
deux sortes d'adjectif, l'adjectif de nom, comme blanc et noir, et l'ad-
jectif de verbe, tels que les adverbes. Comme l'adverbe est joint au
verbe et s'appuie toujours sur lui, il s'appelle pour cette raison adjec-
tif du verbe. Il y aura donc ainsi deux modes, le mode nominal,
comme lorsqu'on dit une course rapide ; et le mode adverbial, comme
lorsqu'on dit il court rapidement. Il faut observer que les adverbes
peuvent déterminer les verbes de plusieurs manières : quelques-uns
les déterminent à raison de l'action ou de la passion qui signifie le
verbe, comme je cours rapidement, ou j'agis courageusement, et
c'est ce que font les adverbes qualificatifs. Quelques-uns à raison du
temps, comme les adverbes temporaux; d'autres à raison du mode ,
comme les adverbes vocatifs ou optatifs. D'autres déterminent le
verbe à raison de la composition qu'il opère dans le discours, et
ceux-ci sont au nombre de six , savoir : necessario , impossibilité)' ,
jtossibiliter , contingenter, vero et falso. En effet, lorsqu'on dit : So-
crate court rapidement , on exprime que sa course est rapide ; mais
altéra de eodem non esse, ideo una semper
removet alterara. Et quia in tali esse , vel
non esse consistit verum vel falsum , ut
dictum est. Ergo sine medio si una est
vera, reliqua est falsa, et e converso. Et
sic patet de veritate et falsitate dictarum
propositionum de inesse, etc.
GAPUT XI.
Quid si: proposilio modalis, et de ejus quan-
litale.
Nunc restât ponere vel dicere de propo-
sitionibus modalibus. Modus autem, ut hic
sumitur, est adjacens rei determinatio , id
est determinatio facta per adjectivum. Est
autem adjectivum duplex, scilicet nominis,
ut album et nigrum, et verbi, cujusmodi
suut adverbia : quia enim advcrbium stat
juxta verbum, et semper nititur verbo,
ideo dicitnr esse adjectivum verbi. Et sic
modus erit duplex, scilicet nominalis , ut
cum dicitur, cursus velox, et adverbialis,
ut cum dicitur , currit velociter. Notan-
dum, quod adverbia multipliciter possunt
determinare verba. Quœdam déterminant
ipsum rationes actionis vel passionis, quam
verbum significat, ut curro velociter , vel
ago fortiter , et hoc faciunt adverbia qua-
litativa. Quœdam vero ratione temporis, ut
adverbia temporalia. Alia vero ratione
modi . ut adverbia vocandi et optandi.
Quaedam vero déterminant verbum ratione
compositionis quam facit in oratione , et
ista sunt sex, scilicet necessario , impossi-
bilité^ possibilités contingenter, vero et
falso. Cum enim dicitur, Sortes currit ve-
lociter, ^ignatur quod cursus ejus sit velox;
sed cum dicitur , necessario Sortes currit,
SUR LA. LOGIQUE d'aRISTOTE. 245
lorsqu'on dit : Socrate court nécessairement, on ne veut pas dire que
sa course soit nécessaire , mais bien que cette composition , Socrate
court, est nécessaire, et de même des cinq autres adverbes précités. Il
faut savoir que ces six adverbes sont de vraies énonciations modales,
parce qu'ils peuvent faire des propositions modales pris adverbiale-
ment, comme lorsqu'on dit : Socrate court nécessairement, et nomi-
nalement, comme lorsqu'on dit qu'il est nécessaire que Socrate coure,
et ainsi des autres. Il est vrai que deux de ces modes, savoir : vero et
faisane diversifient pas renonciation relativement aux oppositions,
aux équipollences et autres choses de ce genre, mais ils ont les mêmes
rapports ou sont pris ici comme dans les catégoriques de inesse , aussi
nous n'en dirons rien. Mais nous allons parler des quatre autres ad-
verbes, savoir : possibiliter, impossibiliter, necessario, contingenter,
parce qu'ils diversifient les susdites énonciations. Nous nous occupe-
rons pour le moment de quatre choses à ce sujet, de la quantité, de la
qualité, des oppositions et équipollences, parce qu'il sera question de
leur conversion dans le traité des syllogismes où l'on parlera égale-
ment de la conversion des énonciations de inesse. Or , pour connoître
leur quantité, il faut observer qu'il y a des propositions modales de dic-
tion, comme Sortent currere est necesse, dans lesquelles la diction est
sousajoutée et le mode énoncé : et celles-ci sont vraiment modales,
parce qu'ici le mode détermine le verbe à raison de la composition ,
comme il a été dit plus haut. Il en est d'autres qui sont modales de re,
dans lesquelles le mode est interposé à la diction , comme Sortem ne-
cesse est currere. En effet, le sens n'est pas que cette diction est né-
cessaire, je veux dire sortem currere, mais le sens est qu'il y a» dans
Socrate la nécessité de courir. La chose est plus claire dans le pos-
non significatur quod cursus ejus sit ne-
cessaiius, sed quod ista compositio, scilicet
Sortes currit , sit necessaria, et sic de aliis
quinque adverbiis jam dictis. Sciendum,
quod prœdicta sex adverbia faciunt veras*
enuntiationes modales : quia possunt facere
propositions modales adverbialitersumpta,
ut cum dicitur Sortes currit necessario ; et
nominaliter, ut cum dicitur, Sortem cur-
rere est necesse, et sic de aliis. Verum est
autem, quod duo istorum modorum, scili-
cet vero et falso , non variant enuntiatio-
nem quantum ad oppositiones , aequipol-
lentias, et hujusmodi, sed eodem modo se
habent, seu eodem modo sumuntur in eis,
sicut in catégoriels de inesse , ideo de eis
praetermittamus. Sed quia alia quatuor ad-
verbia, scilicet possibiliter , impossibilité^
necessario, contingenter , prœdictas enun-
tiationes variant , ideo de ipsis dicamus.
De his autem ad prœsens videbimus qua-
tuor, scilicet quantitatem, qualitatem, op-
positiones et eequipollentias , quia de con-
versione ipsarum dicetur in tractatu de
syllogismis, ubi etiam dicetur de conver-
sione enuntiationum de inesse. Ad sciendum
autem earum quantitatem, notandum qued
quœdam sunt propositiones modales de
dicto, ut Sortem currere est necesse, in
quibus sedicet dictum subjicitur et modus
preedicatur ; et ista} sunt vere modales,
quia modus hic déterminât verbum ratione
compositionis, ut supra dictum est. Quae-
dam autem sunt modales de re, in quibus
videlicet modus interponitur dicto , ut
Sortem necesse est currere, non enim modo
est sensus , quod hoc dictum sit necessa-
rium, scilicet Sortem currere, sed hujus
sensus est, quod in Sorte sit nécessitas ad
currendum. Et clarius apparet de possibili.
246 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 11.
sible, car lorsqu'on dit Sortent currere est possihile, le sens est que
cette diction Sortent currere est possible ; mais lorsqu'on dit Sortent
possibile est currere, le sens est qu'il y a dans Socrate la possibilité de
courir. 11 y a encore d'autres énonciations qui paroissent modales et
qui ne le sont pas, quand le mode est sousajouté et la diction énoncée,
comme possibile est Sortent currere. La raison en est que la dénomina-
tion doit se tirer de la forme; or dans renonciation le formel est le
prédicat et doit par conséquent être dénommé par le prédicat : donc,
quand dans renonciation la prédication tombe sur le mode , elle est
modale, quand c'est sur la diction, elle ne l'est pas. Il faut savoir que
toutes les énonciations modales de clicto sont singulières, quel que
soit en elles le signe universel. C'est pourquoi celle-ci, onmem hominem
currere , est singulière, et ainsi de toutes les autres. La raison, c'est
que, comme il a été dit, renonciation est appelée singulière, parce
qu'il y a en elle un singulier, ou un terme singulier comme Socrate
court. Mais dans ces énonciations on insère cette diction déterminée ,
omnem hominem currere, qui est prise tout entière pour un terme dé-
terminé. Donc touts ces énonciations sont singulières. Mais dans les
modales d£ re et dans celles qui paroissent modales sans l'être, la
quantité est prise suivant qu'il y a dans la diction des termes et des
signes. C'est pourquoi celle-ci, possihile est omnem hominem currere,
est universelle ; et celle-ci, possibile est aliquem hominem currere,
est particulière; ainsi en est-il des modales de re. Telle est leur
quantité.
Cum enim dicitur, Sortem currere est
possibile, sensus est, quod hoc diotum, sci-
licet Sortem currere est possibile. Sed cum
dicitur Sortem possibile est currere , sensus
est quod in Sorte sit possibilitas currendi.
Sunt autem et alise enuntiationes, quse vi-
dentur modales et non sunt, quando vide-
licet modus subjicitur et dictum prœdica-
tur, ut possibile est Sortem currere. Ratio
hujus est, quia denominatio débet sumi a
forma, formale autem in enuntiatione est
prœdicatum , et ideo a praedicato débet de-
nominari. Cum ergo in enuntiatione prse-
dicatur modus, erit modalis; cum vero
praedicatur dictum , non erit modalis.
Sciendum quod omnes enuntiationes mo-
dales de dicto sunt singulares, quantum-
cumque sit in eis signum universale. Inde
haec , omnem hominem currere est possi-
bile, est singularis, et sic de omnibus aliis.
Ratio hujus est. Nam ut supra dictum est,
enuntiatio dicitur singularis quia in ea sub-
jicitur singulare , seu terminus singularis
ut Sortes currit. Sed in talibus enuntiatio-
nibus subjicitur hoc dictum signatum, soili-
cet omnem hominem currere, quod totum
accipitur pro uno termino signato, omnes
ergo taies enuntiationes sunt singulares. In
modalibus vero de re, et in his quee viden-
tur modales, et non sunt, sumitur quanti-
tas secundum quod in dicto sunt termini,
et signa. Onde heec , possibile est omnem
hominem currere, est universalis : et ha?c,
possibile est aliquem hominem currere, est
particularis, et sic se habet de modalibus
de re. Patet ergo de earum quantitate.
SUR LA LOGIQUE D ARISTOTE.
247
CHAPITRE XII.
De la qualité des propositions modales quant à l'affirmation et. à la
négation.
Quant à leur qualité , il faut noter que dans les énonciations de
inesse , il y a trois choses à considérer, savoir, le sujet , le prédicat
et la combinaison de l'un et de l'autre , qui quelquefois ont des rap-
ports , comme dans les choses naturelles. Dans l'homme il faut consi-
dérer le corps, l'ame et l'humanité. Le corps est la matière, l'ame est
la forme qui est une partie du composé , c'est pourquoi elle est forme
par rapport au corps , et l'humanité est forme par rapport à l'un et à
l'autre, c'est-à-dire au corps et à l'ame. Ainsi, dans la proposition
ci-dessus , dans renonciation , le sujet est comme la matière , le pré-
dicat comme la forme qui est une partie du composé. C'est pourquoi
il est comme forme à l'égard du sujet , tandis que la composition est
forme à l'égard de l'un et de l'autre. Aussi l'affirmation et la négation
y sont-elles prises suivant la composition ou la division , lorsqu'il y a
négation. C'est pourquoi lorsqu'il n'y apas de négation dans la com-
position , renonciation est affirmative, mais s'il y a négation , renon-
ciation est négative. Le mode est pour les modales ce qu'est le prédicat
pour celles de inesse, parce qu'il est comme la forme par rapport à
la diction; aussi, si le mode se combine avec la phrase d'une manière
affirmative, la modale sera affirmative, si c'est négativement, la pro-
position sera négative. Celle-ci, en effet, Sortem non currere est pos-
sibile, est affirmative, parce que la combinaison est quelque peu affir-
mée par la phrase. Mais cette autre , Sortem currere non est possibile,
est négative , parce que cette composition est niée. On le voit claire-
GAPUT XII.
De qualilale proposilionum modal iu m qua-
nd affirtnationem et negationem.
Sequitur de ipsarum qualitate. Ubi nota,
quod in euuntiationibus de inesse, est tria
considerare , scilicet subjectum , prsedica-
tum, et compositionem utriusque, quœ ita
se habent quodammodo , sicut in naturali-
bus. In homine eniin est considerare cor-
pus, et animant , et humanitatem. Corpus
est materia : anima est forma, quae est
pars compositi, unde forma est respectu
corporis, humanitas vero est forma respectu
utriusque, scilicet respectu corporis, et ani-
ma?. Sic in proposito, in enuntiatione sub-
jectum est sicut materia : praedicatum vero
sicut forma, qaae est pars compositi. Unde
est quasi forma respectu subjecti , composi-
tio vero est forma utriusque. Unde in eis
affirmatio , et negatio sumitur secundum
compositionem, vel divisionem: ubi est ne-
gatio. Unde quando in compositione non
est negatio, erit enuntiatio affirmativa : si
vero in ea est negatio, est enuntiatio nega-
tiva. In modalibus autem sicut se habet in
illis de inesse praedicatum, sic se habet mo-
dus, quia est, ut forma respectu dicti : et
ideo si modus componitur cum dicto affir-
mative , modalis erit affirmativa : si vero
négative, propositio erit negativa. Hœc
enim, Sortem non currere est possibile : est
affirmativa, quia compositio modicum dicto
affirmatur. Hœc autem, Sortem currere
non est possibile , est negativa, quia talis
compositio negatur. Et hoc clare apparet in
248 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 13.
ment dans leur vérité et leur fausseté. En effet , l'affirmation sur le
même singulier est opposée contradictoirement à la négation, et par
conséquent , si l'une est vraie, l'autre est fausse. Mais celles-ci, Sor-
tem currere est possibile , Sortent non currere est possibile, sont toutes
deux vraies , parce que Socrate peut courir et peut ne pas courir, et
la possibilité est vraie à l'égard de l'une et l'autre phrase. Donc l'une
n'est pas affirmative et l'autre négative. Il faut savoir que , bien que
renonciation modale soit dite affirmative ou négative du mode affirmé
et nié , chacuDe peut néanmoins se diversifier de quatre manières ,
parce qu'elle aura et la diction affirmée, comme, Sortem currere est
possibile, ou l'un et l'autre nié, comme , Sortem non currere non est
possibile, ou la diction niée et le mode affirmé, comme, Sortem non
currere est possibile , ou la diction affirmée et le mode nié , comme ,
Sortem currere non est possibile. Telle est la qualité.
CHAPITRE XIII.
De l'opposition et de l'équipollence des cnonciations modales.
Nous allons parler maintenant de leur opposition. Notez bien que
les modales de cette espèce sont différentes suivant l'affirmation et la
négation dans la diction et dans le mode , comme on vient de le dire ,
et c'est ainsi qu'elles produisent des oppositions entre elles. Mais
comme les différents modes sont opposés les uns aux autres , nous
allons d'abord nous occuper des oppositions des modales suivant les
différents modes , ensuite nous ramènerons un mode à un autre , et
l'on verra ainsi clairement les oppositions. Il faut observer que le
possible peut se prendre de deux manières ; ou dans son tout signifié ,
et alors il comprend le nécessaire et le contingent , et ainsi ce qui a la
veritate, et falsitate earum. Affirmatio
enim de eodem singulari opponitur con-
tradictorie negationi, et per consequens si
una est vera , reliqua est falsa : sed ista :
Sortem currere est possibile. Sortem non
currere est possibile, ambae sunt verae, quia
Sortes potest currere, et potest non cur-
rere, et de utroque dicto verificatur possi-
bilités : non ergo est una affirmativa , et
alia negativa. Sciendum, quod licet enun-
tiatio modalis dicatur affirmativa et nega-
tiva a modo affirmato , et negato , tamen
quaelibet potest quadrupliciter variari :
quia, vel habebit utrumque, scilicet dic-
tum , et modum affirmatum . ut Sortem
currere est possibile. Vel utrumque nega-
tum, ut Sortem non currere non est possi-
bile, vel dictum negatum, et modum
affirmatum, ut Sortem non currere est
possibile. Vel dictum affirmatum, et modum
negatum, ut Sortem currere non est pos-
sibile. Et sic patet de ejus qualitate.
GAPUT XIII.
De oppositione et œquipollentia enuntiatio-
num modalium.
Nunc videndum est de earum opposi-
tione. Ubi nota , quod modales hujusmodi
variantur secundum affirmationem et ne-
gationem in dicto, et in modo sicut immé-
diate dictum est , et sic faciunt inter se
oppositiones. Sed quia diversi modi sibi
invicem opponuntur, ideo primo dicendum
est de oppositionibus modalium secundum
diversos modos : postea reducemus unum
modum ad alium per aequipollentias, et sic
patebunt omnium oppositiones. Notandum,
quod possibile dupliciter potest gumi, vel
in toto suo significato, et tune comprehen-
dit necessarium, et contingens, et sic, quod
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 249
nécessité d'être a la possibilité d'être , et ce "qui est contingent dans
l'être a la possibilité d'être. De la seconde manière il n'est pris que
pour le contingent , et c'est ainsi qu'il est pris dans ces oppositions.
C'est pourquoi, quoiqu'il y ait quatre énonciations modales, il n'y en
a que trois qui opèrent une diversité dans les oppositions et les équi-
pollences, parce qu'on prend pour la même une chose du contingent,
et une autre chose du possible. Disons donc quelque chose de ces
trois modes, savoir, le nécessaire, le possible, i'impossi))le. Et
quoique, quand la prédication se fait substantiellement de la diction
et du mode , renonciation ne soit point modale , elle est néanmoins
ramenée promptement à la modale , et c'est ainsi que nous nous ser-
virons bientôt de ces énonciations. Il faut savoir que, comme on l'a dit
dans les énonciations de inesse, ce signe tout signifie que le prédicat
de renonciation est attribué au sujet , suivant tout ce qui est contenu
en lui. Au contraire , ce signe nul exclut du sujet tout ce qui est con-
tenu en lui, et c'est pour cela que l'universelle affirmative et l'uni-
verselle négative sont contraires. De même, dans ces énonciations
modales , ce mode necesse fait signifier toute l'inhérence du sujet au
prédicat , parce que ce qui est nécessairement inhérent est inhérent à
telle chose tout entière , et tient par conséquent la même place ,
c'est-à-dire la modale affirmative de necessario, et l'universelle affir-
mative de inesse. Et comme aucun n'exclut le tout, il en est de même
de l'impossible, parce que ce qui inest impossibiliter , nulli tali inest,
et par conséquent la proposition de l'impossible tient lieu de l'univer-
selle négative. Et comme en affirmant on ne met pas toute l'inhérence,
de même en niant on n'exclut pas tout ce qui est contenu sous le
sujet; ainsi ce mode possibile, parce que ce qui possibiliter inest,
n'est pas inhérent à tout , et ce qui possibiliter non inest , non inest
necesse est esse, possibile est esse, et quod
contingens est esse, possibile est esse. Alio
modo sumitur solum pro contingenti, et sic
sumitur in istis oppositionibus. Unde licet
quatuor sint enuntiationes modales, très
tamen earum faciunt diversitatem in op-
positionibus et aequipollentiis,' quia illa de
contingenti , et illa de possibili pro eadem
sumuntur. De istis ergo tribus modis dica-
mus, scilicet necesse, impossibile, possibile.
Et licet ut dictum est, quando modus
substantialiter, et dictum prœdicatur, enun-
tiatio non sit modalis, tamen cito reduci-
tur ad modalem, et sic modo enuntiationi-
bus illis utemur. Sciendum, quod sicut
dictum est in enuntiationibus de inesse,
hoc signum omnis désignât , quod prsedi-
catum enuntiationis attribuitur subjecto
quantum ad totum illud, quod sub eo con-
tinetur : hoc vero signum nullus removet
a subjecto totum quod sub eo continetur ,
et propter hoc universalis affirmativa, et
universalis negativa, sunt contrarise. Sic in
istis enuntiationibus modalibus iste modus
necesse, facit significare totaminhaerentiam
subjecti ad preedicatum, quia quod neces-
sario inest, omni tali inest, et ideo tenet
eumdemlocum, scilicet modalis affirmativa
de necessario, et universalis affirmativa de
inesse. Et sicut nullus totum removet, ita
etiam impossibile, quia quod impossibili-
ter inest, nulli tali inest, et ideo proposi-
tio de impossibili tenet locum universalis
negativœ. Et sicut quidam affirmando non
totam inhaerentiam ponit , similiter etiam
negando non totum, quod sub subjecto
continetur, removet , sic iste modus possi-
bile, quia quod possibiliter inest, non inest
250 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 13.
nulli , aussi le possible en affirmant tient la place de la particulière
affirmative , et le possible en niant tient lieu de la particulière néga-
tive. Donc , suivant ce que nous venons de dire, ces énonciations , il
est nécessaire d'être , et il est impossible d'être sont contraires ; — il
est nécessaire d'être et il est possible de ne pas être sont contradic-
toires; — il est impossible d'être et il est possible d'être sont contra-
dictoires; — il est possible d'être et il est possible de ne pas être sont
sous-contraires; — il est nécessaire d'être et il est possible d'être sont
subalternes ; — il est impossible d'être et il est possible de ne pas
être sont subalternes , comme on le voit dans la figure suivante :
Possibile \„ L . . /Possioile
. dubcontranae ,
est esse L \es!: non esse/
En voyant cette figure on comprend de suite ce que sont les équi-
pollences et les oppositions des propositions, quand elles sont diffé-
omni , et quod possibiliter non inest , non
inest nulli, et icleo possibile aftirmando te-
net locum particularis affirmativae, et pos-
sibile negando tenet locum particularis
negativae. Secundum ergo praedicta, istae
enuntiationes : Necesse est esse , et impos-
sible est esse, sunt contrariai. Necesse est
esse, et possibile est non esse, surit contra-
dictoriae. Impossibile est esse, et possibile
est esse, sunt contradictoriae. Possibile est
esse, et possibile est non esse, sunt subcon-
trariae. Necesse est esse, et possibile est
esse, sunt subalternae. Impossibile est esse,
et possibile est non esse, sunt subalternae ,
ut patet in figura sequenti.
His visis statim patebit de sequipollentiis
earum, et de oppositionibus ipsarum :
quando variantur per negationes positas in
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 251
ren liées par les négations placées dans la diction ou dans le mode.
Car les équipollences des modales s'opèrent de la même manière que
dans les énonciations de inesse , suivant ce vers :
Prœ contradic. posl contra, prœ postque subalter.
En effet la négation préposée au mode le rend équipollent à son
contradictoire , d'où cette proposition , non necesse est esse , est équi-
valente à celle-ci , possibile est non esse, et cette autre , non impossi-
bile est esse, est équivalente à celle-ci, possibile est esse. Mais la néga-
tion placée après le mode le rend équipollent à son contraire, d'où cette
proposition necesse est non esse , équivant à celle-ci , impossibile est
esse; et cette autre , impossibile est non esse , équivant à celle-ci , ne-
cesse est esse, prœ postque subalter, c'est-à-dire, la négation placée
avant et après le mode le rend équipollent à son subalterne. D'où cette
proposition , non necesse est non esse , équivant à celle-ci , possibile
est esse , et de même cette autre , non impossibile est non esse , équi-
vant à celle-ci, possibile est non esse. D'après ce que l'on vient de dire
on peut voir de quelle manière les oppositions des propositions de
même mode sont variées par les négations. Par exemple dans les énon-
ciations de necessario , celle-ci , necesse est esse , et cette autre , non
necesse est esse, sont contradictoires : et celle-ci, non necesse est non
esse, et, necesse est esse, sont subalternes, et il en est de même de
chacune des autres énonciations modales , par ce vers :
Amabimus edentuli : illiace, purpurea.
dicto, velinmodo. iEquipollentiae namque
modalium, eodem modo fiunt sicut in
enuntiationibus de inesse, secundum vide-
licet versum illum :
Prie contradic. post contra, prœ postque subalter.
Negatio enim praeposita modo, facit aequi-
pollere suo contradictorio , unde haec non
necesse est esse , aequipollet huic, possibile
est non esse. Et haec, non impossibile est
esse, aequipollet huic, possibile est esse.
Negatio vero postposita, scilicet modo, fa-
cil aequipollere suo contrario, unde haec,
necesse est non esse, sequipollet huic, im-
possibile est esse. Et haec, impossibile est
non esse, aequipollet huic, necesse est esse.
Prae postque subalter, idest, negatio prae-
posita, et postposita modo facit aequipol-
lere suo subalterno : unde haec, non
necesse est non esse, sequipollet huic, pos-
sibile est esse : et similiter haec , non im-
possibile est non esse, aequipollet huic,
possibile est non esse. Ex dictis potest pa-
tere qualiter oppositiones propositionum
ejusdem modi variantur per negationes.
Verbi gratia, de enuntiationibus de neces-
sario, ista, necesse est esse, et haec, non
necesse est esse, sunt contradic toriae : et
istae, scilicet non necesse est non esse , et
necesse est esse, sunt subalternae, et sic se
habet de singulis aliis enuntiationibus mo-
dalium , per hune versum ut satis patet •
Amabimus edentuli : illiace, purpurea.
252
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 14.
CHAPITRE XIV.
De renonciation hijpolhétique et de ses trois espèces.
Il nous reste maintenant à parler des énonciations hypothétiques
ou suppositives, ce qui est la même chose. L'énonciation hypothé-
tique se définit ainsi : L'énonciation hypothétique est celle qui a
deux de ses parties principales catégoriques comme, si l'homme
court, l'homme se meut; il est évident que celle-ci, l'homme
court, est une énonciation catégorique, et celle-là, l'homme se meut,
en est une autre. Je dis parties principales , parce que les termes
sont les. parties principales de la proposition catégorique , et ne sont
pas cependant les parties principales de la proposition hypothétique,
mais des parties éloignées , comme les pierres sont les parties éloi-
gnées de la maison , et c'est en quoi renonciation hypothétique
diffère de l'énonciation catégorique. Car les parties principales de re-
nonciation catégorique sont les termes , et les parties principales de
l'hypothétique sont les deux catégoriques. Il y a aussi une autre dif-
férence entre les propositions catégoriques et les propositions hypothé-
tiques. Car dans la proposition catégorique le sujet prend le nom de ,
prédicat. En effet lorsqu'on dit , l'homme est un animal, l'homme
reçoit le nom d'animal, puisque on dit que l'homme est un animal.
Il n'en est pas de même dans les hypothétiques , parce que l'un ne
se dit pas de l'autre, on dit seulement qu'une chose est si une autre
chose est également. Par exemple, lorsqu'on dit, si elle a enfanté,
elle a eu des relations avec un homme ; le sens n'est pas que, enfanter
c'est avoir des relations avec un homme, mais bien que l'enfantement
n'auroitpu avoir lien, s'il n'y avoit pas eu de relations avec un homme.
GAPUT XIV.
De enunliatione hypothetica et de tribus spe-
ciebus ejus.
Restât nunc dicere de enuntiationibus
hypotheticis, seu suppositivis, quod idem
est. Diflinitur autem enuntiatio hypothetica
sic. Enuntiatio hypothetica est quee habet
duas categoricas principales partes sui, ut
Si homo currit, homo movetur : patet
quod haec, homo currit, est una enuntiatio
categorica, et illa, homo movetur, est al-
téra. Et dico principales partes, quia ter-
mini sunt principales partes propositionis
categoricae, non tamen sunt principales
partes propositionis hypotheticae, sed re-
motae, sicut lapides sunt partes domus re-
motae, et in hoc differt enuntiatio hypo-
thetica ab enuntiatione categorica. Nam
principales partes categoricae sunt ter-
mini : principales autem partes hypothe-
ticae sunt duae categoricae. Alia etiam
differentia est inter propositiones catego-
ricas et hypotheticas. Nam in categorica
subjectum suscipit nomen prœdicati. Cum
emm dicitur homo est animal, homo reci-
pit nomen animalis, cum homo dicatur esse
animal. Non autem sic in hypotheticis :
quia unum de altero non praedicatur : sed
tantum aliquid dicitur esse, si alterum fue-
rit. Verbi gratia. Cum dicitur si peperit,
cum viro concubuit : non est sensus, quod
parère sit cum viro concubere : sed est
sensus, quod partus esse non potuisset, nisi
cum viro concubuisset. Similiter etiam
cum dicimus, si homo est, animal est : non
SUR LA LOGIQUE d'aIUSTOTE. 253
De même lorsque nous disons, s'il est homme , il est animal , le sens
n'est pas que l'homme est animal, mais bien que si une chose est
homme , il est nécessaire que cette chose soit animal . Or la proposition
hypothétique se divise en trois espèces , l'une conditionnelle , l'autre
disjonctive et la troisième copulative. La conditionnelle est celle dans
laquelle deux propositions catégoriques sont unies par .cette conjonc-
tion si, comme, s'il est homme, il est animal; or cette conditionnelle
peut s'opérer tant du côté- du sujet que du côté du prédicat. Du côté
du sujet, comme si l'on dit, si l'homme ne court pas , et du côté du
prédicat, comme si l'on dit, si l'homme court, l'homme se meut. La
première proposition ou énonciation catégorique qui se trouve dans
ces énonciations hypothétiques, s'appelle antécédent ; la seconde con-
séquent, et pour cette raison, conséquence. Les rationnelles sont ame-
nées à la conditionnelle, comme, Socrate est homme, donc Socrate est
animal. Il en est de même delà causale, comme, parce que Socrate est
homme, Socrate est animal ; de toute proposition temporelle, comme,
quand Socrate est homme, Socrate est animal, et toutes les autres de
ce genre. Il faut observer que Hamonius établit une double hypothèse,
l'une quand on suppose quelque chose d'impossible, laquelle entraîne
nécessairement quelque autre chose impossible. Par exemple, supposé
que quatre soit trois, le nombre quatre sera un nombre impair. Il est
constant, en effet, que l'hypothèse suppose l'impossible, et amène
l'impossible , et l'impossible est une conséquence nécessaire pendant
la durée de l'hypothèse. On peut comprendre parla que la condition-
nelle peut êlre vraie et ses deux parties fausses néanmoins. C'est pour-
quoi cette proposition est vraie, si l'homme est un âne, l'homme est
susceptible de braire, cependant chacune des catégoriques est fausse.
La seconde hypothèse a lieu quand on dit qu'une chose est ou n'est
est sensus quod homo sit animal, sed est
sensus : quod si aliqua res est homo, ne-
cesse est quod aliqua res sit animal : Divi-
dilur autem propositio hypothetica in très
species : quia qusedam est conditionalis,
quaedam disjunctiva, et quaedam copula-
tiva. Conditionalis est illa in qua conjun-
guntur duae propositiones catégories per
hanc conjunctionem si, ut si homo est,
animal est, haec autem conditionalis potest
fieri tam ex parte subjecti qnam ex parte
prœdicati. Ex parte subjecti, ut si dicatur,
si homo non currit , ex parte vero praedi-
cati, ut si dicatur : si homo currit , homo
movetur. Prima autem propositio, sive
enuntiatio categorica quae est in his enun-
tiationibus hypotheticis, dicitur antece-
dens. Secunda vero dicitur consequens, et
propter hoc dicitur consequentia. Ad con-
ditionalem autem reducuntur rationales,
ut Sortes est homo, ergo Sortes est ani-
mal. Et omnis causalis : ut quia Sortes est
homo, Sortes est animal : et temporalis, ut
quando Sortes est homo, Sortes est ani-
mal, etomneshujusmodi. Notandum, quod
Hamonius ponit duplicem hypothesin, una
est quando supponitur aliquod impossibile,
ad quod tamen necessario sequitur aliud
impossibile. Verbi gratia. Supposito quod
quatuor sint tria : quaternarius numerus
erit impar. Constat enim quod hypothesis
supponit impossibile, et impossibile subin-
fert : tamen stanle hypothesi necessario
infertur. Ex quo potest intelligi , quod si
conditionalis potest esse vera, et tamen
ambœ ejus partes sunt falsae. Unde ista est
vera, si homo est asinus : homo est rudibi-
lis, tamen utraque categoricarum est
falsa. Secunda vero hypothesis est quod
quandoque aliquid dicitur esse, vel non
254 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 9, CHAPITRE 14.
pas , si une autre chose a été ou n'a pas été rcomme s'il est homme ,
il est animal, ou s'il est homme, il n'est pas une pierre. On peut com-
prendre par ce que nous venons de dire que la vérité de renonciation
hypothétique se trouve dans la conséquence des termes qui sont dans
le conséquent , relativement aux termes qui sont dans l'antécédent,
parce que en effet animal suit nécessairement de l'homme : il est cer-
tain que tout ce qui sera homme sera animal. Et si se mouvoir est
une suite de courir, il s'ensuit que tout ce qui court se meut. Si donc
il est homme, il est animal, et s'il court, il se meut. Donc le mouve-
ment sera attribué à tout ce à quoi on attribuera la course avec vérité
ou avec fausseté. C'est pourquoi cette proposition est vraie, si l'im-
mobile court , l'immobile se meut. C'est pour cela que l'on dit que
pour qu'elle soit vraie il faut que l'antécédent ne puisse être vrai sans
le conséquent, parce qu'il y a des rapports tellement nécessaires entre
l'antécédent et le conséquent , qu'il en est du conséquent comme de
l'antécédent. S'il en étoit autrement, si par exemple l'antécédent étoit
vrai et le conséquent faux , la, conséquence seroit fausse , parce que
le terme placé dans le conséquent n'auroit pas une liaison nécessaire
avec le terme placé dans l'antécédent, comme ici, si l'homme est blanc,
l'homme est musicien, il est certain que cette proposition est fausse,
car la qualité de musicien ne suit pas de la qualité de blanc. Il s'en-
suit de là que toute conditionnelle vraie est nécessaire, et que toute
conditionnelle fausse est impossible , parce que , comme il a été dit ,
le terme du conséquent suit nécessairement le terme de l'antécédent.
Nous dirons de quelle manière la conditionnelle est diversifiée par
l'affirmation et la négation, lorsque nous traiterons des syllogismes
hypothétiques. La distinct' ve est celle dans laquelle deux énonciations
catégoriques sont unies par les conjonctions de l'espèce distinctive,
esse , si quid fuerit , vel non fuerit, ut si I antecedens : quod sicut se habet antece-
homo est, animal est, vel si homo est, | dens, itase habet consequeus. Si vero aliter
lapis non est. Ex dictis potest patere, quae • se haberet scilicet quod antecedens esset
veritas enuntiationis hypotheticae est in | verum, et consequens falsum : falsa esset
consequentia terminorum qui sunt in con- ■ consequentia , quia terminus in conse-
sequente : ad terminos qui sunt in antece- quente positus non necessariam haberet
dente, quia enim animal necessario sequi- ] connexionem cum termino posito in ante-
tur ad hominem : certum est quod quic- i cedente, ut hic : si homo est albus : homo
quid fuerit homo, erit animal : et si ad ■ est musicus, certum est quod hsec falsa
currere sequitur moveri, sequitur ergo est, non enim necessario ad album sequitur
quod quicquid currit movetur. Si ergo est
homo, est animal , et si currit movetur.
Cuicumque ergo vere, vel false attribuetur
currere, attribuetur et moveri. Unde ista
est vera : si immobile currit immobile
movetur. Et propter hoc dicitur, quod ad
veritatem ejus requiritur quod antecedens
non possit esso verum sine conséquente ,
quia tanta est nécessitas consequentis ad
musicum. Et inde est quod omnis condi-
tionalis vera est necessaria, et omnis falsa
est impossibilis, quia ut dictum est, ter-
minus consequentis necessario sequitur ter-
minum antecedentis. Qualiter autem con-
ditionalis varietur per affirmationem , et
negationem, dicetur, cum de syllogismis
hypotheticis agetur. Disjunctiva vero est
illa in qua conjunguntur duœ enuntiatio-
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 255
comme ici , l'animal ou est sain, ou il est malade. La vérité de cette
énonciation consiste en ce que si on met une chose il faut exclure
l'autre , et que si l'on exclut une chose on prenne l'autre. D'où l'on
voit que cette proposition, ou il est malade, a la même valeur que
cette conditionnelle , s'il n'est pas sain il est malade. Et quoique ce
soit vrai dans la matière précédente, ces deux propositions ne sont pas
également vraies dans toute matière, car la conditionnelle niée d'une
part et affirmée de l'autre se trouve sauve dans les contradictoires ,
les contraires et les disparates, et elle sera toujours vraie. En eflet,
celle-ci est vraie , s'il est blanc , il n'est pas noir , néanmoins celle-ci
est fausse , ou il est blanc ou il est noir , car il pourroit y avoir quel-
que chose qui ne seroit ni blanc ni noir. Il en est de même des propo-
sitions disparates. En effet la disjonctive diffère de telle conditionnelle ;
c'est pourquoi afin que la disjonctive soit vraie, il faut qu'elle soit de
telle matière dans laquelle une chose est posée d'une manière absolue
et une autre exclue de la même manière, ou vice versa, c'est pour
cela qu'il est nécessaire pour qu'elle soit vraie que son autre partie
soit vraie. Et si l'une et l'autre de ces deux parties étoit vraie , ou
fausse , renonciation disjonctive seroit fausse. L'énonciation copula-
tive est celle dans laquelle deux énonciations. catégoriques sont unies
par la conjonction copulative, comme Socrate court et se meut; dans
cette énonciation il n'est mis aucune condition, mais seulement une
conjonction de renonciation ; et comme une conjonction copulative
doit toujours unir des choses semblables , si l'antécédent est vrai ,
il faut nécessairement que le conséquent le soit , et réciproquement.
On voit ainsi quels sont les rapports des énonciations hypothétiques à
la vérité. Caria conditionnelle peut être vraie quoique ses deux parties
soient fausses. La disjonctive est vraie quoique une de ses parties soit
nés catégories , per coujunctiones speciei
disjunctivee, ut hic, animal aut est sanum
aut est aegrum. Veritas autem praedictae
enuntiationis est , quod si unum ponitur ,
alterum removetur, et si unum removea-
tur, alterum sumatur. Unde videtur quod
tantum valeat ista, aut est aegrum : quan-
tum ista conditionalis, Si non est sanum
est aegrum. Et licet in prœdicta materia
verum sit, tamen non semper in omni ma-
teria istae duœ sibi asquipollent in veritate.
Nam conditionalis ex una parte negata, et
ex altéra affirmata salvatur in contradicto-
riis, contrariis, et disparatis, et erit sem-
per vera. Vera enim est ista, si est album
non est nigrum , ista tamen est f alsa , aut
est album aut est nigrum, posset enim ali-
quid esse quod nec album esset, nec nigrum :
et sic etiam est de disparatis. Differt enim
disjunctiva a tali conditionali. Unde ad ve-
ritatem disjunctive requiritur quod de tali
materia sit, in qua unum omnino ponatur,
et alterum removeatur : vel econverso, et
propter hoc ad ejus veritatem requiritur
quod altéra ejus pars sit vera. Et si utra-
que pars ejus erat vera, vel falsa , ipsa
enuntiatio disjunctiva erit falsa. Copulativa
vero enuntiatio est illa in qua conjungun-
tur dure enuntiationes catégories per
conjunctionem copulativam, ut Sortes cur-
rit, et movetur; in ista enuntiatione nulla
ponitur conditio , sed solum conjunctio
enuntiationis. Et quia copulati\a conjunc-
tio semper débet similia copulare, siante-
cedens erit verum, etiam consequens ne-
cesse est quod sit verum et econverso. Et
sic patet qualiter dictas enuntiationes hy-
pothetiese se habent ad veritatem. Nam
conditionalis potest esse vera : utraque ejus
parte existente falsa. Disjunctiva est vera
256 OPUSCULE Y.LVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 1.
fausse. Quant à la copulative , par cela même qu'elle est vraie , ses
deux parties doivent l'être nécessairement; tel est ce qui regarde les
énonciations hypothétiques. On parlera en traitant des syllogismes
hypothétiques de ce qui aura été omis à leur sujet.
Fin du traité de renonciation.
TRAITE X.
DU SYLLOGISME SIMPLICITER.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'est que le syllogisme , ce qui doit entrer dans sa constitution.
Nous allons parler maintenant de la troisième partie , c'est-à-dire
des choses qui appartiennent à la troisième opération de l'intellect.
Quoique en effet , comme l'a dit Socrate , on suppose deux opérations
de l'intellect, savoir, l'intelligence des choses simples et l'opposition
ou division , on en ajoute néanmoins une troisième qui est le discours
d'une chose composée ou divisée à une autre , ce qui se fait par l'ar-
gumentation. Or l'argumentation est l'expression significative de l'o-
pération discursive de la raison allant du connu à l'inconnu , ou du
plus connu au moins connu. Il y a quatre espèces d'argumentation,
savoir, le syllogisme, l'euthymème, l'induction et l'exemple. Peu im-
porte que cette division soit du genre en ses espèces, ou de l'analogue
una ejus parte existente falsa. Gopulativa
vero ad hoc quod sit vera : utraque ejus
pars necessario débet esse vera, et sic pa-
tet de enuntiationibus bypotheticis. Siqui-
dem autem hoc de ipsis omissum est,
dicetur cum de syllogismis hypotheticis
agetur, etc.
De enuntiatione tractatus féliciter finis.
TRACTATIS X.
De syllogismo simpliciter.
CAPUT I.
Quid sil syllogismus , et quœ ad ipsum re-
quirunlur conslituendum.
Modo dicendum est de tertia parte, vi-
delicet de his quae pertinent ad tertiam
operationem inteîlectus, licet enim, ut dic-
tum est à Philosopho, ponantur duse ( ope-
rationes inteîlectus, scilicet simplicium in-
telligentia, et oppositio, vel divisio, tamen
additur tertia operatio quœ est discursus
ab uno composito, vel diviso ad aliud :
hoc autem sit per argumentationem. Est
autem argumentatio oratio signifîcativa
discursus rationis ab uno cognito ad aliud
incognitum, vel a magis incognito ad mi-
nus cognitum. Sunt autem argunientatio-
nis quatuor species, scilicet syllogismus,
entbimema, inductio, et exeinplum. Sive
haec divisio sit generis in suas speeies, vel
SLR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 257
en ses analogues. Et comme la plus parfaite est le syllogisme auquel
se ramènent les autres espèces d'argumentation, c'est de lui que nous
allons parler. Voici la définition du syllogisme. Le syllogisme est un
discours dans lequel certains principes étant posés et accordés, il doit
suivre un résultat par ce qui a été posé et accordé. Discours ici est le
genre du syllogisme , car, comme il a été dit dans le traité de renon-
ciation , rien n'empêche qu'il y ait pluralité dans le discours et unité
comme dans le syllogisme. En disant , certains principes posés , elle
touche les propositions du syllogisme lui-même ; en disant qu'î7 doit
nécessairement s'ensuivre un résultat , elle touche la conclusion. C'est
pourquoi il faut savoir ce que c'est que la proposition. La proposition,
dans le sens où elle se prend ici, est une énonciation qui, étant posée,
en entraîne une autre. Car toute énonciation n'est pas une proposition,
il n'y a de telle que celle qui est posée dans quelque espèce d'argu-
mentation , de laquelle dérive une conclusion. Par exemple, lorsqu'on
dit , tout homme est animal , tout ce qui est susceptible de rire est
homme, donc tout ce qui est susceptible de rire est animal. Ces mots,
tout homme est animal , sont une proposition , de même ceux-ci , tout
ce qui est susceptible de rire est homme ; elles sont posées pour en
déduire celle-ci , tout ce qui est susceptible de rire est animal. Celle-
ci, tout ce qui est susceptible de rire est animal, quoiqu'elle soit une
énonciation , puisqu'elle a des termes , n'est cependant pas une pro-
position. Or le terme est ce en quoi se résout la proposition , comme
le sujet et le prédicat. En effet, lorsque je dis , l'homme est animal ,
homme est le terme qui est appelé sujet , animal est le terme qui est
appelé prédicat. Il est bon de savoir que , bien que la proposition soit-
composée de termes en lesquels elle se résout, ce n'est pas néanmoins
analogi in sua analogata, nihil ad proposi-
tion. Et quia syllogismus perfectior est
omnibus aliis, ad quem alise species argu-
mentations reducuntur, sicut imperfectum
ad perfectum, ideo de ipso dicendum est.
Diflinitur autem syllogismus sic. Syllogis-
mus est oratio in qua quibusdam positis, et
concessis necesse est aliud evenire per ea
quae posita sunt, et eoncessa. Oratio hic est
genus syllogismi , ut enim in tractatu de
enuntiatione dictum est, nihii prohibet
orationem esse plures, et unam cujusmodi
est ia syllogismo. In hoc autem quod dicit
quibusdam positis, tangit propositiones ip-
sius syllogismi. Per hoc quod dicit, necesse
est aliud evenire, tangit conclusionem.
Unde oportet scire quid est propositio. Est
autem propositio, ut hic sumitur enuntia-
tio, qua posita ad eam aliquid sequitur.
Non enim omnisenuntiatio, est propositio :
T.
sed solum illa quee pouitur in aliqua specie
argumentationis, ad quam sequitur con-
clusio. Verbi gratia. Cum dicitur omnis
homo est animal, omne risibile est homo,
ergo omne risibile est animal, ista omnis
homo est animal : est propositio, et simi-
li ter illa omne risibile est homo : propo-
nuntur enim ut ad eas sequatur illa, omne
risibile est animal. Ha?c autem omne risi-
bile est animal , licet sit enuntiatio , con-
stat enim ex terminis, non tamen est pro-
positio. Est autem • terminus in quem
resolvitur propositio, utsubjectum, et prae-
dicatum. Cum enim dico, homo est ani-
mal, homo est terminus qui dicitur subjec-
tum, animal est terminus qui dicitur
praedicaturn. Sciendum quod licet proposi-
tio ex terminis componatur, et in eis resol-
vatur, non tamen in diffinitione termini
pouitur compositio propositions, sed reso-
17
258 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 1.
dans la définition du terme que se place la composition de la propo-
sition, mais bien la résolution dont elle est cause. Car, comme le dit
Boëce dans sa Topique, la logique a deux parties, savoir, la partie
inventive et la partie judicative. L'invention est l'imagination des
choses vraies ou vraisemblables, qui rendent probable l'autre partie
de la contradiction. Le probable est ce qui est regardé comme tel par
tous les hommes , ou par un grand nombre , ou par les sages , et sur-
tout par ceux qui sont les plus connus. Cette partie de la logique a
deux livres , savoir, Topicorum et Elenchorum. Le jugement, dans le
sens où il est pris ici , est la juste détermination de la raison dans les
choses auxquelles se rapporte le jugement. Or la raison opère une
détermination juste , quand elle résout les principes en principiata ,
et par conséquent la science, qui est la juste détermination des
choses susceptibles d'être sues , s'effectue par les causes , c'est-à-dire
lorsque la raison résout causata in causas; aussi cette partie de la
logique , c'est-à-dire la partie judicative , est appelée analytique ou
résolutive, parce qu'elle résout principiata in principia. Cette partie
de la logique a aussi deux livres , savoir, priorum et posteriorum. Et
parce que nous avons en vue ici la matière du livre priorum , nous
définissons le terme par la résolution de la proposition. Or le sujet est
ce dont on affirme quelque chose. Le prédicat est ce qui est affirmé
d'une autre chose , soit que ce soit une affirmation de l'esprit , de la
raison , de la bouche ou de la voix. Le terme est ainsi appelé , parce
qu'il termine la proposition de telle sorte qu'elle ne va pas plus loin.
Nous ne parlerons dans ce traité que du syllogisme simpliciter. Or le
syllogisme simpliciter est celui dans lequel on ne considère pas la
matière dans laquelle s'effectue tel ou tel syllogisme , c'est-à-dire si
telle matière est probable ou nécessaire , mais où l'on considère seu-
lutio hujus causa est. Nanti logica, ut Boe-
tius in sua Topica dicit, duas hahet partes,
scilicet inventivam, et judicativam. Estau-
tem inventio excogitatio rerurn verarum ,
aut verisimilium , quae alteram partem
contradictionis probabilem redduat. Proba-
ble autem est quod videtur omnibus aut
pluribus aut sapientibus, et his scilicet sa-
pientibus, dut omnibus aut pluribus ma-
xime notis. Huic autem parti logicae de-
serviunt duo libri : scilicet Topicorum, et
Elenchorum. Indicium autem ut hicsumi-
tur, est recta determinatio rationis, in his
quorum est judicium. Recte autem déter-
minât ratio quando principiata resolvit in
principia. Et ideo scientia quse est recta
determinatio scibilium est per eau
licet cum ratio resolvit causotain causas :
et propterea haec pars logica?, scilicet judi-
cativa dicitur analytica, seu resolutoria,
quia resolvit principiata in principia. Huic
autem parti logicae deserviunt duo libri,
scilicet Priorum,, et Posteriontm. Et quia
de inateria libri priorum hjc intendimus,
ideo hic diffînitur terminus per resolutio-
nem propositions. Est autem subjeetum de
quo aliquid dicitur. Preedicatum vero
quod de altero dicitur, seu sit dicere men-
tis, vel rationis, seu sit oris, vel vocis. Di-
citur autem terminus eo quod sic per ip-
snm terminatur propositio, quod non
ultra progreuitur. In hoc autem tractatu di-
cemus de syllogismo simpliciter. Est autem
syllogismus simpliciter, in quo non consi-
deratur materia in qua talis vel talis syllo-
gismus sit . id est non consideratur utrum
talis materia sit probabilis, vel necessaria,
sed soluiii consideratur svllr^ismus ad
.Y
SLR LA LOGIQUE D'iRlSTOTE. 259
lement le syllogisme relativement à son ordination ; or dans toiite
matière, quand les prémisses sont vraies ou probables, la conclusion
est toujours vraie ou probable. Que cet ordre soit bon , on le prouve
par deux principes connus par eux-mêmes. J'appelle principes ici des
propositions connues par elles-mêmes. Or ces principes sont dici de
omni et dici de nullo. Dici de omni , c'est ne rien prendre clans le
SLijet qui ne reçoive l'affirmation du prédicat ; dici de nullo , c'est ne
rien prendre dans le sujet qui n'exclue le prédicat ; mais nous en par-
lerons plus tard plus au long. Il faut savoir que , comme les syllo-
gismes sont variés par diverses figures , ainsi qu'on le dira plus bas ,
il s'ensuit que quelques syllogismes ne peuvent pas se prouver immé-
diatement par les deux principes susdits , et en conséquence ces
syllogismes ont besoin d'un autre principe par lequel ils puissent être
ramenés à dici de omni , ou à dici de nullo. Voici ce principe. Quand
de l'opposé du conséquent on déduit l'opposé de l'antécédent de la
première conclusion, alors la première conséquence a été bonne.
C'est pourquoi tous les syllogismes où l'on ne peut pas exactement
conserver dici de omni ou dici de nullo, sont ramenés par ce troisième
principe à la forme dans laquelle se conserve dici de omni ou dici de
nullo. Cette réduction est appelée par quelques philosophes par l'im-
possible ; Aristote la désigne par le syllogisme conversif. Ces syllo-
gismes, sont aussi ramenés aux deux principes dont nous avons parlé
par la conversion des propositions. Mais comme on ne peut prouver
la bonté de ces conversions que par le- troisième principe, il faut donc
dire que ces syllogismes ne sont ramenés aux deux principes qu'en
vertu du troisième principe. Nous allons dire comment se font ces
conversions , et comment leur bonté se prouve par le troisième prin-
suamordinationem, in omni autem mate-
ria existentibus veris, vel probabilibus pra>
missis semper sequitur conclusio vera vel
probabilis. Quod autem talis ordinatio sit
bona , probatur per duo principia per se
nota. Dico autem principia hic primas pro-
positions per se notas. Heec autem princi-
pia sunt dici de omni et dici de nullo. Est
autem dici de omni , quando nihil est su-
mere sub subjecto , de quo non dicatur
prœdicatum. Dici vero de nullo est, quan-
do nihil est sumere sub subjecto, a quo
non removeatur preedieatum, de his autem
ini'erius melius dicetur. Sciendum , quod
quia syllogismi variantur per diversas fi-
guras, ut infra dicetur, ideo aliqui syllo-
gisir.i non possunt immédiate probari per
dicta duo principia, et propterea taies syl-
logismi indigent uno alio principio, per
quod possunt reduci ad dici de omni vel
ad dici de nullo. Hoc autem principium
est. Quando ex opposito consequentis in-
fertur oppositum antecedentis primai con-
clusionis, tune prima consequentia fuit
bona. Unde omnesilli syllogismi, in quibus
non potest recte salvari dici de omni vel
dici de nullo, cum dicto tertio principio
reducuntur ad formam in qua salvatur
dici de omni vel dici de nullo ; et hœc re-
ductio vocatur ab aliquibus per impossi-
ble, a Philosopho vero per syllogismum
conversivum. Similiter etiam reducuntur
praedicti talis syllogismi ad praedicta duo
principia per conversionem propositionurn.
Sed quia conversiones non pronantur esse
bona;, nisi per tertium principium, ideo
dicendum est , qui syllogismi reducuntur
ad illa duo principia solum in virtute
tertii principii. Qualiter autem liant con-
vei-siones, et per dictum tertium princi-
200 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 2.
cipe : nous nous occuperons d'abord des propositions de inesse , et
ensuite des propositions modales.
CHAPITRE II.
De la conversion des propositions de inesse, et de ses espèces.
La conversion des propositions , comme on l'entend ici, consiste à
faire du sujet le prédicat , et du prédicat le sujet , de telle sorte que la
proposition convertie étant vraie, celle en laquelle elle a été convertie
se trouve également vraie. Par exemple, cette proposition, tout
homme est animal , si on la convertit en cette autre , tout animal est
homme , on fait bien du prédicat le sujet, et du sujet le prédicat,
néanmoins la première proposition est vraie et la seconde fausse , par
conséquent cette conversion n'est pas bonne. Or il y a dans les propo-
sitions des termes finis dont nous nous occupons ici une double con-
version, savoir, une conversion simple et une conversion per accidens.
On appelle conversion simple celle dans laquelle on fait du prédicat
le sujet, et du sujet le prédicat , la seconde proposition restant dans
la même qualité et quantité que la première. 11 y a conversion par
accident quand du sujet on fait le prédicat et, réciproquement, la
qualité de la proposition restant la même , tandis que la quantité est
changée. C'est de la première manière que se convertissent les propo-
sitions universelle négative et particulière affirmative. L'universelle
affirmative et , suivant quelques philosophes , l'universelle négative
se convertissent de la seconde manière , il n'est pas néanmoins néces-
saire de l'établir. Si en effet de cette proposition , nul homme n'est
pierre , découle cette autre , nulle pierre n'est homme , et qu'elle soit
vraie , il s'ensuit nécessairement que celle-ci , quelque pierre n'est
pium probentur, dicamus; et primo in
propositionibus de inesse, deinde in propo-
sitionibus modalibus.
CAPUT II.
De conversione propositionum de inesse et
de speciebus ejus.
Gonversio autern propositionum , ut hic
sumitur , est facere de subjecto praedica-
tum, et de praedicato subjectum , ita quod
existente conversa vera, etiam ea in quam
oonvertitur, sit vera. Verbi gratia , ista
propositio : Omnis homo est animal , sic
convertitur in istam : Omne animal est
homo, bene sit de praedicato subjectum et
de subjecto praedicatum ; tamen prima
propositio est vera , secunda vero falsa,
ideo talis conversio non est bona. Est au-
tern in propositionibus terminorum fini—
torum, de quibus hic intendimus , duplex
conversio, scilicet simplex, et per accidens.
Dicitur autem conversio simplex . quando
de praedicato lit subjectum et de subjecto
praedicatum, manente secunda propositione
in eadem qualitate etquantitate cum prima.
Per accidens vero dicitur, quando de sub-
jecto fit prsedicatum , et e con verso, ma-
nente eadem qualitate propositionis , sed
mutata quantitate. Primo modo conver-
tuntur propositiones , universalis negativa
et particularis afïirmativa. Secundo modo,
convertuntur universalis affirmativa, et ut
aliqui dicunt, universalis negativa, tamen
non est necessarium hoc ponere. Si enini
ad banc : Nullus homo est lapis, sequitur,
imitas lapis est homo, et ista est vera, ne-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 261
pas homme , est vraie également. Car, comme nous l'avons dit plus
haut , les universelles étant vraies , les particulières sont toujours
vraies, mais non vice versa. Commençons par la conversion simpliciter
des universelles d'abord. Comme, ainsi que nous l'avons dit, pour
ces sortes de syllogismes et leurs propositions , on ne s'occupe pas de
la matière , nous nous servirons de termes transcendants , à la place
desquels on peut mettre quelques termes que ce soit. Soit à convertir
cette proposition : aucun B n'est A. Il faut toujours supposer que
pour B et A on prend des termes significatifs , de manière à varier la
proposition , comme si pour B on prend homme et pierre pour A ; je
dis donc que cette proposition se convertit en cette autre : aucun A n'est
B, ce que je prouve ainsi par le troisième principe. Quand de l'opposé
du conséquent se déduit l'opposé de l'antécédent, la première consé-
quence a été bonne, mais il en est amsi dans l'exemple proposé.
Donc etc.... Lors donc que je dis, aucun B n'est A, donc aucun A
n'est B, je tire une conséquence dont l'antécédent est aucun B n'est A,
et le conséquent aucun A n'est B. Voyons maintenant si de l'opposé
du conséquent se déduit vraiment l'opposé de l'antécédent. Cette pro-
position , nul A n'est B qui est conséquent , peut avoir un double
opposé , savoir le contraire et le contradictoire. Prenons donc son
contradictoire , c'est-à-dire quelque A est B , car la particulière affir-
mative et l'universelle négative sont contradictoires : or cette propo-
sition , quelque A est B , est suivie de celle-ci , quelque B est A , ainsi
que je le prouverai. Mais cette proposition, quelque B est A, et celle
qui étoit antécédent , savoir aucun B n'est A , sont opposées contra-
dictoires. Donc de l'opposé du conséquent suit l'opposé de l'antécé-
dent. Donc la conséquence que nous appelons conversion étoit bonne.
cessario sequitur hanc esse veram, quidam
lapis non est homo. Ut enim supradictum
est, existentibus universalibus veris, sem-
per particu lares sunt verae, licet non e con-
verso. Primo probemus conversionem sim-
pliciter , et primo universaliuin. Et quia,
ut dictum est, in talibus syllogismis et eo-
rum propositionibus non curatur in qua
materia sint, ideo utemur terminas trans-
cendentibus , loco quorum possunt poni
termini quicumque. Sit ergo propositio
convertenda ista. Nullum b. est a. Et sem-
per supponatur quod pro b. et pro a. su-
mantur taies termini significativi qui fa-
ciant propositionem variam : sicut si pro
b. sumatur homo, et pro a. lapis, dico ergo
quod prœdicta propositio convertitur in
islam : Nullum a. est b., quod probo per
dictum tertium priueipium sic. Quando ex
opposito consequentis infertur oppositum
antecedentis, prima consequentia fuitbona,
sed sic est in proposito. Ergo , etc. Cum
ergo dico, nullum b. est a., ergo nullum a.
est b., facio consequentiam, cujus antece-
dens est, nullum b. est a., consequens vero
est , nullum a. est b., modo videamus si
ex opposito consequentis infertur opposi-
tum antecedentis vere. Huic autem propo-
sition!, scilicet nullum a. est b. , quœ est
consequens, potest esse duplex oppositum,
scilicet contrarium et contradictorium, su-
mamus ergo contradictorium ejus, scilicet
quoddam a. est b., parlicularis enim affîr-
mativa et universalis negativa sunt contra-
dictoriae, ad istam autem , scilicet quod-
dam a. est b., sequitur ista, scilicet quod-
dam b. est a., ut probabo ; sed hœc quod-
dam b. est a., et illaquœ fuit antecedens,
scilicet nullum b. est a., sunt opposite
contradictoriœ. Ergo ex opposito conse-
quentis sequitur oppositum antecedentis;
prima ergo consequentia quam vocamus
262 OPUSCULE XLMI, TRAITÉ 10, CHAPITRE 2.
Maintenant il faut prouver comment cette proposition , quelque A est
B, est suivie de cette autre , quelque B est A , et on le prouve par le
syllogisme expositoire. Mettons donc les propositions dont nous venons
de parler en termes significatifs ; et comme nous disons quelque A est
B, disons quelque homme est animal, et comme nous disons quelque
B est A, disons quelque animal est homme. Prenons la première,
savoir quelque homme est animal. Désignons cet homme et cet ani-
mal, car si celle-ci , quelque homme est animal , est vraie , elle doit
être nécessairement vraie dans un homme désigné , comme Socrate ,
Platon , et si elle n'est vraie dans aucun homme désigné, elle ne sera
vraie en aucune manière. Désignons donc la chose qui renferme l'a-
nimalité et l'humanité , et appelons-la Socrate , et étahlissons ainsi le
syllogisme expositoire : Socrate est cet homme , Socrate est cet
animal, donc cet animal est cet homme, et par conséquent quelque
animal est homme, donc cette proposition quelque animal est homme,
qui remplaçoit celle-ci, quelque B est A , est suivie de celle-ci,
quelque A est B , donc la proposition quelque A est B est suivie de
celle-ci, quelque B est A, et c'est précisément ce que nous voulions
dire. On voit ainsi comment se fait la conversion de l'universelle né-
gative. La particulière affirmative se convertit simplement , comme
quelque B est A, donc quelque A est B , et se prouve par le même
principe. Donc de l'opposé du conséquent se déduit l'opposé de l'an-
técédent. Donc la première conséquence ou la conversion a été bonne.
Cette conversion peut se prouver par le syllogisme expositoire, comme
on l'a (Ut. L'universelle affirmative se convertit per accidens, de cette
manière : tout B est A , quelque A est B , et se prouve de la même
manière. En effet , l'opposé de cette proposition quelque A est B est
celui-ci, aucun A n'est B , qui se convertit en cette autre , aucun B
conversionem, fuit bona. Nunc oportet
probare quomodo ad illam, quoddam a. est
b., sequitur illa , quoddam b. est a., hoc
autem probatur per syllogismum exposito-
rium. Ponam ergo propositions primas in
terminis significativis , et sicut dicimus,
quoddam a. est b. , dicamus, quidam homo
est animal, et sicut dicimus , quoddam b.
est a., dicamus , quoddam animal est
homo. Accipiamus primam, scilicet quidam
homo est animal, signetur iste homo , et
hoc animal. Si enim ista est vera, quidam
homo est animal, oportet quod ipsa sit
vera in aliquo homine signato, puta Sorte
vel Platone, et si in nullo homine signato
erit vera, nullo modo erit vera. Signetur
ergo illa res in qua animalitas et humanitas
signatur, et vocetur Sortes, modo fiât syl-
logismus expositorius sic : Sortes est hic
homo, Sortes est hoc animal , ergo hoc ani-
mal est hic homo, et per consequens,
quoddam animal est homo. Ergo ad hanc,
quidam homo est animal, quse sumebatur
loco hujus, quoddam b. est a., sequitur,
quoddam a. est b. Ergo ad hanc, quoddam
a. est b., sequitur , quoddam b. est a., et
hoc est quod volebamus dicere. Et sic pa-
tet de conversione universalis negativae.
Particularis afïirmativa convertitur simpli-
citer, sicut quoddam b. est a. Ergo quod-
dam a. est b., et probatur per idem prin-
cipium. Ex opposito ergo consequentis
infertur oppositum antecedentis. Prima
ergo consequentia seu conversio fuit bona.
Potest autem probari h;ec conversio per
syllogismum expositorium, ut dictum est.
Universalis autem afïirmativa convertit!*
per accidens sic : Omne b. est a., quoddam
a. est b. Et probatur eodem modo. Oppo-
situm enim hujus, quoddam a, est b., est
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. . 263
n'est A ; or celte dernière est contraire à la première, qui étoit tout B
est A ; donc de l'opposé du conséquent se déduit l'opposé de l'anté-
cédent , donc la première conséquence ou la conversion étoit bonne.
La particulière négative ne se convertit pas, parce que l'opposé de
l'antécédent ne se déduit pas de l'opposé du conséquent. Par exemple,
soit cette proposition à convertir, quelque B n'est pas A , qu'on la
convertisse donc ; il faut qu'elle le soit ou en universelle négative, ou
en particulière négative. En universelle négative, de cette manière,
quelque B n'est.pas A, donc aucun A n'est B : son opposé est ou tout
A est B , ou quelque A est B , mais l'une et l'autre de ces deux pro-
positions , savoir, tout A est B ou quelque A est B se convertit en cette
autre, quelque B est A, laquelle n'est pas l'opposé de l'antécédent
qui étoit quelque B n'est pas A , parce que la sous-contrariété n'est
pas une opposition, comme on l'a vu plus haut, donc cette conversion
ne vaut rien. La même chose arrivera si on la convertit en particu-
lière , savoir en celle-ci , quelque A n'est pas B , dont l'opposé est
tout A est B, laquelle se convertit en cette autre, quelque B est A, qui
n'est pas proprement opposée, comme on l'a dit. Or il est évident que
cette conversion ne vaut rien, car elle n'embrasse pas toute la matière,
et peut être exposée en termes significatifs. En effet, quoiqu'il suive
quelque pierre n'est pas homme, donc quelque homme n'est pas
pierre, néanmoins il ne s'ensuit pas quelque animal n'est pas homme,
donc quelque homme n'est pas animal , bien plus , tout homme est
animal. On a fait le vers suivant au sujet de ces conversions :
Fcci simpliciter convertitur, eva per accid.
par A on entend ici l'universelle affirmative , par E l'universelle né-
hoc, nullum a. est b., quse convertitur in
illam, nullum b. est a. Hœc autem est con-
traria primée, qude erat, omne b. est a. ex
opposite Ergo consequentis infertur op-
positum antecedentis. Prima ergo conse-
quentia seu conversio fuit bona. Particu-
laris vero negativa non convertitur , quia
ex opposito consequentis non infertur op-
positum antecedentis. Verbi gratia. Sit
propositio convertenda ista, quoddam b.
non est a. , convertatur ergo ; quia vel
converteretur in universalem negativam ,
vel in particularem negativam. In univer-
salem negativam sic, quoddam b. non est
a. Ergo nullum a. est b., hujus oppositum
est, vel omne a. est b., vel quoddam a. est
b., sed utraque istarum propositionum ,
scilicet omne a. est b. vel quoddam a. est
b., convertuntur in istam, quoddam b. est
a. quae non est oppositum antecedentis,
quod erat, quoddam b. non est a., quia
subcontrarietas non est oppositio, ut supra
patuit, ergo non valet ista conversio. Idem
etiam sequitur si converteretur in parti-
cularem, scilicet in illam, quoddam a. non
est b., cujus oppositum est , omne a. est
b., quœ convertitur in hanc, quoddam b.
est a., quae proprie non est opposita , ut
dictum est. Quod etiam talis conversio non
valeat, patet, quia non tenet in omni ma-
teria, et potest ostendi in terminis signifi-
cativis. Licet enim istud sequatur, quidam
lapis non est homo . ergo quidam homo
non est lapis, tamen istud non sequitur,
quoddam animal non est homo ; ergo qui-
dam homo non est animal , imo omnis ho-
mo est animal. Fit autem de pr&dictis
conversionibus quidam versus sic :
Feci simpliciter coiiTcrtitur, eva pir accid.
Per s. enim hic sumitur universalis afïir—
mativa, per e. universalis negativa , per i,
*
264 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 3.
gative, par I la particulière affirmative, par 0 la particulière négative.
Le vers se construit ainsi : ffi, c'est-à-dire l'universelle négative, cl,
c'est-à-dire la particulière affirmative, se convertissent simplicité)'.
E , c'est-à-dire l'universelle négative , vA , c'est-à-dire l'universelle
affirmative , se convertissent per accidens. Telle est la conversion des
propositions de inesse.
CHAPITRE III.
Des conversions des propositions modales et de leur différent mode.
Nous allons parler maintenant des conversions des propositions
modales. Il faut savoir qne les propositions de necessario et impossi-
bili se convertissent de la même manière que les propositions de
inesse, et se prouvent de la même manière par le même principe. Au
contraire , les propositions de possibili et contingenti ne se conver-
tissent pas de la même manière. Mais comme les oppositions ne se
prennent pas dans les propositions modales de la même manière que
dans les propositions de inesse, il est bon conséquemment de faire
cor.noître les preuves de ces propositions ; et ce que nous avons fait
pour les propositions de necessario , nous le ferons pour les proposi-
tions de impossibili. Soit donc à convertir cette proposition : il est
nécessaire que nul B ne soit A qui se convertit en cette autre , il est
nécessaire que nul A ne soit B , parce que de l'opposé de la seconde
proposition se déduit l'opposé de la précédente ; en effet , l'opposé de
celle-ci, il est nécessaire que nul A ne soit B , est celui-là, il n'est pas
nécessaire que nul A ne soit B ; mais cette proposition équivaut à
celle-ci , il est possible que quelque A soit B. Car n'être pas néces-
saire de ne pas être équivaut à , il est possible d'être, parce que nim-
particularis affirmativa, per o. particularis
negativa. Construitur autem versus sic.
Fe., id est universalis negativa, ci, id est,
particularis affirmativa convertuntur sim-
pliciter. E., id est universalis negativa, va.,
id est universalis affirmativa , cunvertun-
tur per accidens. Et sic patet de conver-
sione propositionum de inesse.
CAPOT III.
De conversionibus propositionum modalium
et differenli modo earum.
N'unc dicendum est de conversionibus
propositionum modalium. Sciendum quod
propositiones de necessario et impossibili
eodem modo convertuntur, sicut proposi-
tiones de inesse , et per idem principium
probantur. Propositiones vero de possibili
et contingenti non eodem modo conver-
tuntur. Sed quia oppositiones non eodem
raodo sumuutur in propositionibus moda-
libus , sicut in propositionibus de inesse,
ideo oportet manifestare probationes prœ-
dictarum propositionum; et sicut ostendi-
mus de propositionibus de necessario , sic
erit de propositionibus de impossibili. Sit
ergo propositio ista convertenda. Necesse
est nulium b. esse a., quae convertitur in
hanc, necesse est nulium a. esse b., quia
ex opposito secundae propositionis infertur
oppositam prœcedentis , opposituin enim
istius. Necesse est nulium a. esse b. est is-
tud, non necesse est nulium a. esse b., sed
ista œquipollet huic , possibile est aliquod
b. Nara non necesse non osse aequi-
pollet huic quod est possibile esse ; quia
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 265
nullus équivaut à aliquis. Donc cette proposition , il n'est pas néces-
saire que nul A ne soit B, est équivalente à celle-ci , il est possible
que quelque A soit B. Cette dernière proposition est suivie de cetie
autre , il est possible que quelque B soit A , qui peut se prouver par
le syllogisme expositoire, comme on l'a dit plus haut de la particulière
affirmative. Mais celle-ci, il est possible que quelque B soit A , est la
contradictoire de la précédente qui étoit , il est nécessaire que nul B
ne soit A ; donc de l'opposé du conséquent se déduit l'opposé de l'an-
técédent, donc la première conséquence ou la conversion a été bonne.
La particulière affirmative se convertit de la même manière et se
prouve par le même principe , de cette façon. Il est nécessaire que
quelque B soit A , donc il est nécessaire que quelque A soit B , dont
l'opposé est, il n'est pas nécessaire que quelque A soit B, ce qui
équivaut à cette proposition , il est possible que nul A ne soit B. Car
possible ne se prend pas ici comme étant la même chose que contin-
gent , parce qu'il ne se convertit pas, ainsi qu'on le verra plus bas ;
mais possible se prend dans tout ce qu'il signifie, comme comprenant
le nécessaire et le contingent, ainsi qu'on l'a dit dans un autre traité.
Or cette proposition, il est possible que nul B ne soit A, est la contra-
dictoire de celle-ci, il est nécessaire que quelque B soit A, laquelle
étoit l'antécédent. C'est tout comme la première conversion de l'uni-
verselle affirmative per accidens , c'est-à-dire par conversion faite per
accidens. Bemarquez que c'est la différence qui existe entre les con-
crets accidentels affirmés, et les substantiels ou leurs sujets, car du
côté du prédicat ils disent la forme, et du côté du sujet ils disent ce
qui a cette forme. En effet , lorsque je dis Socrate est blanc , blanc
dit la forme seule de blancheur; mais lorsque je dis , quelque blanc
nonnullus sequipollet huic quod est aliquis.
Ergo ista, non necesse est nullum a. esse
b. œquipollet huic possibile est aliquod a.
esse b. Ad hanc autem sequitur, possibile
est aliquod b, esse a. quod potest probari
per syllogismum expositorium, ut supra
dictum est de particulari affirmativa; sed
ista, possibile est aliquod b. esse a. est
contradictoria antecedentis, quae erat, ne-
cesse est nullum b. esse a. Et opposito
ergo consequentis infertur'oppositum an-
tecedentis. Prima ergo consequentia seu
conversio fuit bona. Particularis affirma-
tiva cnnvertitur eodem modo, et probatur
per idem principium sic. Necesse est quod-
dam b. esse a., ergo necesse est quoddam
a. esse b. Cujus oppositum est, non necesse
est aliquod a. esse b., qvav œquipollet huic,
possibile est nullum a. esse b., quae con-
vertitur in istatn , possibile est nullum b.
esse a. Non enim sumitur hic, possibile,
prout idem est quod contingens, quia non
convertitur, sicut infra patebit ; sed sumi-
tur modo possibile in suo toto significato ,
ut comprehendit necessarium , et contin-
gens ut supra in alio tractatu dictum est.
Ha?c autem, possibile est nullum b. esse a.
est contradictoria huic, necesse. est quod-
dam b. esse a., quae erat antecedens. Eo-
dem etiam modo prior conversio univer-
salis affirmatives per accidens , scilicet per
conversionein per accidens factam. Ne—
tandum quod haec est differentia inter con-
creta accidentalia prœdicata et substantia-
lia, seu ipsorum subjecta. Nam ex parte
praedicati dicunt formam , ex parte vero
subjecti dicunt illud quod habet illam for-
main . Cum enim dico, Sortes est albus, ly
albus dicit solam formam albedinis ; sed
cum dico : Quoddam album est Sortes, ly
266 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 3.
est Socrate , blanc dit ce qui a la blancheur. Donc dans cette matière
la conversion des propositions modales est défectueuse ; car cette pro
position , il est nécessaire que quelque blanc soit corps , et néanmoins
celle-ci est fausse , il est nécessaire que quelque corps soit blanc ,
parce qu'elle est contingente. Telles sont les propositions de necessa-
rio. C'est le même mode pour celles de impossibili , dans leur tout
signifié. Les conversions des propositions de contingenti et depossibili,
en tant que la même chose que le contingent , se font dans les termes,
comme par exemple , il est contingent que nul B n'est A , cette pro-
position se convertit en cette autre, il est contingent que toutB est A,
d'où ces conversions se rapportent d'une manière différente et opposée
aux conversions des propositions de inesse et des propositions mo-
dales dont nous avons parlé ; car dans ces propositions le prédicat se
fait toujours du sujet, et vice versa, et la même qualité se conserve
toujours, quoiqu'il n'en soit pas de même de la quantité. Mais dans
celles-ci , ce qui a été sujet ou prédicat reste le même, et la qualité
est changée. La raison de cela, c'est que, comme il a été dit , cette
conversion est bonne dans laquelle la vérité , qui étoit dans la propo-
sition convertie, se retrouve dans celle en laquelle elle est convertie.
Mais si la proposilion de contingenti se convertissoit de telle sorte que
du sujet l'on fît le prédicat , et du prédicat le sujet, elle ne se trou-
veroit pas .vraie en toute matière, mais dans certaine matière l'anté-
cédent seroit vrai et le conséquent faux, donc la conversion seroit
mauvaise. Par exemple : En termes significatifs , il arrive que nul
homme n'est blanc, celte proposition est vraie, parce que cela pourroit
arriver ; si elle est convertie de cette manière, il arrive que nul blanc
n'est homme, elle est fausse. Supposons donc maintenant que Socrate
soit blanc , parce qu'il est blanc il ne pourra jamais arriver que
album dicit habens albedinera. In tali ergo
materia déficit conversio môdalium aîïir-
mativarum. Nam haec est vera, necesse est
quoddam album esse corpus, et tamen haec
est falsa, necesse est quoddam corpus esse
album, quia heec est contingens. Et sic pa-
tet de couversionibus propositionum de ne-
cessario. Eodem modo fiunt illa; de impos-
sibili in suo toto significato. Gonversiones
autem propositionum de contingenti et de
possibili, ut est idem quod contingens,
fiunt in terminis, scilicet ut, contingit
nullum b. esse a. convertitur in hanc, con-
tingit ornne b. esse a. Unde istee conver-
siones alio modo et opposito se habent ad
conversiones propositionum de inesse et
môdalium dictarum. Nam in illis semper
de subjecto fit praedicatum , et e converso,
et semper in eis servatur eadem qualitas,
licet non semper eadem quantitas. In istis
vero , quod fuit subjectum , \el praedica-
tum, eodem modo remanet et mutatur
qualitas. Ratio horum est : quia ut dictum
est, illa est bona conversio , in qua sicut
est veritas in propositione conversa, ita est
in illa in quam convertitur. Si autem pro-
positio de contingenti converteretur sic,
quod de subjecto fieret praedicatuni et
e converso, non inveniretur in omni ma-
teria vera, sed in aliqua materia esset an-
tecedens verum , et consequens falsum.
Ergo mala esset conversio. Verbi gratia :
In terminis signiiicativis contingit nullum
hominem esse album , haec est vera , quia
contingere hoc posset , si convertatur sic,
contingit nullum album esse hominem, haec
est falsa. Ponatur ergo modo quod Sortes
esset albus. quia est albus, nunquam pote-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 267
Socrate ne soit pas homme. Or cette conversion se fait dans une qua-
lité différente. Il y a un triple contingent, ad utrumlihet , comme il
est contingent que l'homme ait deux yeux , ut in plurihus , comme il
est contingent que l'homme ait deux yeux, ut in paucioribus, comme
il est contingent que l'homme n'ait qu'un œil. Le contingent ad utrum-
lihet s'appelle ainsi , parce que tout ce qui peut se trouver présent
peut aussi être exclu , donc les affirmatives et les négatives sont simul-
tanément vraies. Le contingent ut in plurihus ne se convertit pas en
contingent ut in plurihus, mais bien en contingent ut in paucioribus.
C'est pourquoi cette proposition , il est contingent que nul homme
n'est aveugle, se convertit en celle-ci, il est contingent que tout
homme est aveugle. La première , en eiret, est un contingent ut in
plurihus, la seconde ut in paucioribus. Le contingent ut in paucio-
ribus se convertit comme le contingent ut in plurihus, et leur con-
version se prend, comme nous l'avons dit, des contingents ad utrum-
lihet. Car s'il y a contingence in plurihus , il y a défection in paucio-
ribus , et s'il y a contingence in paucioribus , il y a défection in plu-
rihus ; telles sont les conversions des modales. Il faut observer qu'il
se rencontre des propositions qui manquent de conversion , puis-
qu'elles ne font rien pour le but proposé , aucunes d'elles ne pouvant
se placer dans quelqu'un des syllogismes qui doivent être réduits, de
telle manière qu'elles aient besoin de conversion, et ainsi il est inutile
d'en parler.
rit contingere Sortem non esse hominem.
Fit autem ista conversio in diversa quali-
tate. Nam triplex est contingens, vel ad
utrumlibet , ut contingit hominem lubere
duos oculos ; vel ut in pluribus, ut contin-
git hominem habere duos oculos ; vel ut
in paucioribus, ut contingit hominem esse
monoculum. Contingens autem ad utrum-
libet dicitur ; quia quot possunt inesse, tôt
possunt removeri. Ergc negativa et affir-
ribus, secunda \ero ut in paucioribus.
Eodem modo convertitur contingens ut in
paucioribus , sicut contingens ut in pluri-
hus, et eodem modo sumitur eorum con-
versio, sicut dictum est de contingentibus
ad utrumlibet. Nam si contingit in pluri-
hus, déficit in paucioribus, et si contingit
in paucioribus, déficit in pluribus , et sic
patet de conversionibus modalium. No-
taudum quod aliquœ propositions • ponun-
mativa sunt simul vera. Contingens autem ] tur, quae carent conversione, cum nihil
ut in pluribus, non convertitur in contin- j i'aciant ad propositum , quia nulla earum.
gens ut in pluribus, sed in contingens ut posset poni in aliquo syllogismorum qui
in paucioribus. Unde illa, contingit nullum reducendi sunt, ita videlicet quod illae in-
hominem esse caecum , convertitur in is- digeant conversione , et sic de dictis trac-
tam, contingit omnem hominem esse cse- tare est superfluum.
cum. Prima enim est contingens ut in plu- '
268
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 4.
CHAPITRE IV.
Des syllogismes ostensifs de inesse relativement au mode et au signe.
Cela posé, nous allons parler maintenant des syllogismes, et d'abord
des syllogismes de inesse , secondement de modalibus, troisièmement
des hypothétiques. Parmi les syllogismes de inesse quelques uns sont
ostensifs, quelques autres ad impossibile , c'est pourquoi nous allons
parler d'abord des syllogismes ostensifs. Il faut savoir que tout syllo-
gisme ostensif se compose de trois parties dont deux sont appelées
propositions ou prémisses , et la dernière conclusion. Par exemple :
Tout animal est une substance , tout homme est animai, donc tout
homme est substance. Ces deux , tout animal est une substance , et
tout homme est animal , sont deux propositions dont la première,
c'est-à-dire, tout animal est une substance, s'appelle majeure, la
seconde s'appelle mineure ou assumpta , la troisième , c'est-à-dire ,
tout homme est substance, s'appelle conclusion. Quoique ces trois
phrases soient parfaites, ayant un sujet et un prédicat, -elles n'ont
cependant que trois termes qui sont homme, animal^ et substance. La
cause en est que tous ces termes sont pris deux fois , d'où le terme
pris deux fois dans les prémisses s'appelle moyen. Le terme pris dans
la proposition majeure avec le moyen s'appelle grand extrême ; le
terme pris dans la proposition mineure avec le moyen s'appelle petit
extrême. Dans la conclusion le grand extrême est pris de nouveau avec
le petit extrême, de manière que si la conclusion est directe, le grand
extrême se dit du petit; c'est le contraire si elle est indirecte. Aussi
le moyen terme ne se trouve jamais dans la conclusion. PoUrconnoître
capui iv.
De syllogismis ostensivis de ineste quoad
modum et signum.
His habitis, modo dicendum est de syl-
logismis, et primo de syllogismis de inesse,
secundo de modalibus, tertio de hypothe-
ticis. Syllogismorum autem de inesse
quidam sunt ostensivi , quidam vero ad
impossibile, unde primo dicendum est de
syllogismis ostensivis. Sciendum , quod
omnis syllogismus ostensivus constat ex
tribus orationibus , quarum duae vocantur
propositiones seu praemissae, ultima vero
dicitur conclusio. Verbi gratia : Omne
animal est substantia , omnis homo est ani-
mal, ergo omnis homo est substantia. Istae
duae, scilicet omne animal est substantia,
et omnis homo est animal , sunt dues pro-
pusitiones , quarum prima , scilicet omne
animal est substantia, dicitur major; se-
cunda vero dicitur minor seu assumpta ;
tertia vero oratio, scilicet omnis homo est
substantia, dicitur conclusio. Et licet prœ-
dietae très orationes sint perfectae constantes
ex subjecto et praedicato, non tamen ha-
bent nisi très terminos, qui sunt, homo,
animal, et substantia. Et causa est , quia
omnesisti termina sumuntur bis, unde ter-
minus bis sumptus in praemissis , dicitur
médium. Terminus in majori proposait me
sumptus cum medio, dicitur major extre-
mitas. Terminus vero sumptus in minori
propositione cum medio, dicitur minor
extremitas. In conclusione vero iterum su-
mitur major extremitas cum minori , ita
scilicet quod conclusio est directa , major
extremitas preedicatur de minori. Si vero
indirecta, fit e converso. Unde médium
nunquam ponitur in conclusione. Ad scien-
SUR LÀ LOGIQUE D'ARISTOTE. 269
la raison de ces termes, il faut savoir que l'homme est raisonnable.
Il est appelé raisonnable et non intellectuel parce que l'intellect saisit
sans discourir tout ce qui tombe sous son action. Au contraire la raison,
quoiqu'elle ne soit pas une puissance différente de l'intellect , est né-
anmoins appelée raison, parce que ce n'est qu'en discourant qu'elle
s'approprie ce qu'elle saisit. Aussi ne parvient-elle à posséder par-
faitement la connoissance d'une chose qu'en allant du plus connu au
moins connu. Par exemple, pour connoître parfaitement ce que c'est
que l'homme , nous concevons d'abord ce que c'est que l'être, ensuite
ce que c'est que la substance , puis ce que c'est que le corps , ensuite
ce que c'est que le corps animé, ensuite ce que c'est que l'ame, ce que
c'est que raisonnable , et nous arrivons ainsi en discourant à la con-
noissance de l'homme. Or si cette discursion se fait, sans complexion,
c'est-à-dire en concevant l'être substance corps, en n'ajoutant pas
le mot est , comme si l'on ne dit pas cela est homme , ou si elle se
fait avec complexion , peu importe , il suffit que l'on conçoive en dis-
courant, et cette discursion se fait du plus connu au moins connu.
Or ce qui nous est plus connu est plus universel , comme on dit dans
le premier livre de la Physique, parce que c'est plus confus ; en con-
séquence notre action discursive dans notre cognition va donc des plus
universels aux moins universels. C'est pourquoi nous conrioissons
mieux et plutôt l'être que la substance , la substance mieux que le
corps , le corps mieux que le corps animé , le corps animé mieux que
l'animal et l'animal mieux que l'homme. C'est sur celte discursion
que roule le syllogisme qui n'est autre chose qu'un discours ou un as-
semblage de discours , comme dit Boëce , sur lesquelles s'effectue la
discursion. Bien que dans cette discursion il puisse se trouver plu-
sieurs moyens et plusieurs prémisses tendant à la même conclusion ,
dum autem causas dictorum nominum,
sciendum quod homo est rationalis. Dici-
tur autem rationalis et non inlellectualis ,
quia intellectus apprehendit quidquid ap-
prehendit sine discursu, ratio vero licet
non sit alia potentia quam intellectus, ta-
men dicitur ratio ; quia quicquid appre-
hendit , apprehendit cum discursu , non
ergo venit ad perfectam apprehensionem
alicujus rei, nisi discurrat a inagis nota ad
minus notum. Verbi gratia, ad cognoscen-
dum perfecte quid sit homo, primo intelli-
gimus quod sit ens, deinde quod sit sub-
stantia, deinde quod sit corpus , deinde
quod sit animatum corpus , deinde anima,
deinde rationalis, et sic veniemus in cogni-
tionem hominis discurrendo. Si autem talis
discursus fiât sine complexione , scilicet
intelligendo ens substantiam corpus , non
ponendo ibi est , ut scilicet non dicamus
hoc est homo ; vel fiât cum complexione,
nihil ad propositum , sufiicit quod discur-
rendo intelligimus, et talis discursus est a
magis noto nobis ad minus notum. Magis
autem nota nobis surit magis universalia,
ut I Physic. dicitur, quia sunt magis con-
fusa. Discursus ergo noster in nostra co-
gnitione est a magis universalibus ad mi-
nus universalia. Unde magis et prius co-
gnoscimus ens quam substantiam , et sub-
stantiam quam corpus, et corpus quam
animatum corpus , et animatum corpus
quam animal, et animal quam hominem.
De tali autem discursu est syllogismus , qui
nihil aliud est quam oratio seu congregatio
orationum, ut Boetius dicit, in qua est
talis discursus. Et licet in tali discursu
multa possint esse média , et multce pra>
270 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 4.
par exemple , toute substance est un être , tout homme est une sub-
stance, qui est le corps, lequel est animal, donc touthomme est un être,
néanmoins comme le moyen est toujours moyen de deux extrêmes,
nous comprenons plusieurs syllogismes dans cette discursion. Tl n'y
a donc qu'un syllogisme avec un moyen et deux extrêmes. Comme
dans la précédente discursion , le premier des termes qui est le plus
universel et par conséquent le plus connu se présente d'abord à l'in-
tellect, il est appelé grand extrême : il est appelé extrême parce qu'il
se présente d aborda l'intellect, et grand parce qu'il est plus universel
et plus connu. Le second terme qui se présente à l'intelligence est celui
qui n'est pas aussi universel , mais qui tient néanmoins la seconde
place après le premier dans l'universalité , comme le corps après la
substance ; nous savons déjà que dans ce second terme se trouve le
premier , et cette proposition s'appelle majeure, parce qu'elle est an-
térieure dans la cognition. Mais comme nous ne savons pas encore
que le second terme se trouve dans un autre moins universel , la
raison continue de discourir et reconnoît que le corps se trouve dans
l'animal , elle s'y arrête et c'est là la mineure, et immédiatement elle
reconnoît que la substance se trouve dans l'animal , et voilà la con-
clusion. Certainement dans ces termes le moyen c'est le corps , et il a
été la cause qui nous a amenés à connoître que la substance se trouve
dans l'animal. Le dernier terme dans la discursion précédente c'est
animal, la raison s'y est arrêtée, et c'est pour cela qu'il s'appelle petit
extrême. Il est appelé extrême , parce que l'action discursive de la
raison s'est arrêtée là , et petit extrême parce qu'il est moins uni-
versel et par conséquent moins connu de nous. Nous connoissons donc
la cause de ces noms et les raisons des termes , des prémisses et de la
conclusion. On peut comprendre d'après cela ce que dit Àristote dans
missae ad unam conclusionem. Verhi gra-
tia : Omnis substantia est eus, omnis homo
est. substantia , quœ est corpus , quod est
animal. Ergo omnis homo est eus , tamen
quia médium semper duarum extremita-
tum est médium , in tali discursu multos
comprehendimus syllogismos. Unus ergo
est syllogismus unius medii et duarum ex-
tremitatum. Et quia in praedictp discursu
terminorum primus qui universalior est ,
et per consequens magis notus , primo in-
tellectui occurrit, dicitur major extremitas ;
extremitas enim dicitur, quia primo oc-
currit intellectui , et major , quia univer-
salior et magis nota. Secundus autem ter-
minus qui intellectui occurrit, est qui non
est ita universalis, tamen secundum locum
tenet post primum in universalitate, ut est
corpus post substantiam , huic autem se-
cundo termine jam scimus inesse primum
terminum , et haec dicitur major proposi-
tio , quia prior cognitione. Sed quia non-
dum scimus secundum inesse alicui minus
universali termino, discurrit adhuc ratio ,
et cognoscit corpus iuesse animali , ubi
sistit, et haec est minor propositio , et sta-
tim cognoscit substantiam inesse animali,
et haec est conclusio. Certe in istis termi-
nis médium fuit corpus, et ipsum fuit
causa quod nos sciremus substantiam inesse
animali ; ultimus autem terminus in prae-
dicto discursu fuit animal, ubi stetit ratio,
et propter hoc dicitur minor extremitas.
Extremitas enim dicitur, quia ibi stetit
discursus rationis ; minor vero dicitur ,
quia minus universalis, et per consequens
miuus nota nobis. Habemus ergo causas
dictorum nominum , et rationes termino-
rum, e: pramissarum, et conclusionis. Ex
dictis pot*'st paterc quod dicit Philosophas ,
SUR LA. LOGIQUE D'.VRISTOTE. 271
le premier livre Posteriorum que la proposition majeure se connaît
d'abord par la conclusion, la nature, et le temps. Par la nature, parce
que ses termes sont plus universels, comme on l'a dit; par le temps,
parce que dans l'action discursive de la raison j'ai plutôt connu que
la substance est dans le corps que dans l'animal. La proposition mi-
neure se connaît d'abord par la nature , mais non par le temps. Par
la nature, parce que la cause est antérieure à la chose causée; or
les propositions sont la cause de la conclusion , et même parce que
l'action discursive de la raison s'est exercée d'abord du moyen au petit
extrême, elle n'est pas cependant connue d'abord par le temps. En
effet en connoissant que la substance est dans le corps , j'ai connu au
même instant que la substance est dans l'animal ; tel est ce quiregarde
les parties du syllogisme et leurs noms.
Les syllogismes ont des figures et des modes. On appelle figure l'ordre
de trois termes suivant la subjectionetla prédication. En effet, comme
les termes des lignes en mathématique placés de telle ou telle manière
varient les espèces des figures, car trois points disposés en triangle et
placés à une égale distance respective formeront une espèce de triangle
appelé équilatéral ou hysopleure; s'il y en a deux également, distants
entre eux et dont la distance respective soit plus ou moins grande
relativement au troisième, c'est une espèce de triangle appelée isocèle;
si tous les points se trouvent inégalement distants , c'est une espèce
de triangle que l'on appelle gradué ou scalène. De même suivant la
variété de ces termes dans la subjection ou la prédication , il s'opère
trois figures de syllogismes, quoique d'une autre manière que dans les
figures de surface dont nous avons parlé. En effet si le moyen se trouve
par subjection dans une proposition et par prédication dans l'autre ,
on dit qu'il est dans la première figure, et avec raison : parce qu'alors
I. Posteriorum, quocl major propositio est
prius nota conclusione natura et tempore.
Natura quia termini ejus sunt magie uni-
versales, ut dictum est. Tempore vero,
quia in discursu rationis prius scivi sub-
stantiam inesse corpori , quam inesse ani-
mali. Minor vero propositio est prius nota
natura, non tamen tempore. Natura, quia
causa prior est causato ; propositiones au-
tem sunt causa conclusionis , et quia etiam
iste fuit prior discursus rationis, de medio,
scilicet ad minorem extremitatein , non
tamen est prius nota tempore. Qui enim
scieham substantiam inessc corpori, in eo-
dem instanti in quo scivi corpus inesse
animali , scivi substantiam inesse animaji,
et sic patet de partibus syllogismi et no-
minibus earum. Habent autem syllogismi
figuras et modos. Dicitur autem hic figura
ordo trium terminorum secundum subjec-
tionem et prœdicationem, Sicut enim ter-
mini linea'rum in mathematicis aliter et
aliter situati , variant species figurarum
(nam tria puncta qua3 faciunt triangulum,
si inter se aequaliter distabunt, erit species
trianguli, quae dicitur aequilaterus sive hy-
sopleuros; si vero duo œqualiter distabunt
a tertio, quorum distantia inter se est
minor vel major distantia eorum ad ter-
tium, est species trianguli, quse dicitur hy-
socheles ; si vero omnes distantia? puncto-
rum sint ina.'quales, est species trianguli
quœ dicitur gradatus, sive scalenon) sic se-
cundum diversitatem istorum trium ter-
minorum in subjiciendo et piaedicando
fiunt très figura syllogisinorum, licet alio
modo quam in figuris superlicialibns jam
dictis. Si enim médium in una proposi-
' tione subjicilur , et in altéra praedicatur,
dicitur esse prima figura, et mento; quia
272 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 4.
le moyen est vraiment moyen, ayant la nature des deux extrêmes, du
sujet et du prédicat : car il y a par rapport à lui prédication et sub-
jection. Si au contraire le moyen est affirmé dans les deux proposi-
tions, on dit que c'est la seconde figure, parce que, bien que le moyen
ne soit pas véritablement un moyen ayant la nature de la subjection
et de la prédication , néanmoins, comme il est plus digne de prédica-
tion que de subjection , cette figure occupe la seconde place. Si le
moyen est en subjection dans les deux propositions , c'est la troisième
et dernière figure, parce que ici le moyen n'est pas au milieu comme
dans la première et se trouve toujours en subjection , ce qui est plus
indigne. Il, ne peut pas y avoir plusieurs figures, parce que dans les
propositions les trois termes ne peuvent offrir plusieurs variations ,
d'où l'on a fait le vers suivant :
Sub prœ prima , bis prœ secunda , tertia sub bis.
Lequel s'explique ainsi; prima, c'est-à-dire dans la première ligure
il se fait pour le moyen sub, subjection et prœ prédication ; secunda,
c'est-à-dire dans la seconde figure, il y a deux fois prœ prédication
pour le moyen daus chacune des prémisses; tertia, c'est-à-dire dans la
troisième figure,, il y a deux fois subjection pour le moyen dans cha-
cune des prémisses. Pour ce qui est du mode dans le sens où on le
prend ici, c'est l'ordre de deux propositions dans une certaine qualité
et quantité, et il est appelé mode, parce que c'est une certaine déter-
mination accidentelle des propositions du syllogisme, etc..
tune médium vere est médium, quia sapit
naturam utriusque extremi , scilicet sub-
jecti et prœdicati ; prsedicalur emm et sub-
jicitur, ut dictum est. Si vero médium in
utraque propositione prœdicatur, dicitur
esse secunda figura , quia lic.et médium
non sit vere médium sapiens naturam
subjectionis et prœdicationis, tamen quia
dignius est prœdicari quam subjici, ideo
haec figura secundum locum tenet. Si vero
médium in utraque propositione subjici-
tur, dicitur tertia figura et ultima , quia
in ea médium non stat in inedio , sicut in
prima, et subjicitur semper quod est indi-
gnius. Plures figura? non possunt esse, quia
très termini in duabus propositionibus
non possunt pluries variari , unde versus :
Sub prie prima, bis prœ secunda, tertia sub bit.
Qui sic construitur. Prima, id est in prima
figura médium sub, id est subjicitur, et prae
id est prsedicatur. Secunda , id est in se-
cunda figura médium prœ, id est pnedica-
tur bis, id est in utraque prœmissarum.
Tertia, id est in tertia figura médium sub,
id est subjicitur bis, id est in utraque
praemissarum. Modus vero ut hic sumitur,
est ordinatio duarum propositionum in
certa qualitate et quantitate, et dicitur
modus, quia est quœdam accidentalis de-
terminatio ipsarum propositionum syll • —
gismi, etc.
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 273
CHAPITRE Y.
Des syllogismes inutiles dans toute figure.
Il reste à parler maintenant des syllogismes en eux-mêmes. Re-
marquez bien, comme nous l'avons dit plus haut, que l'on s'occupe
dans ce traité du syllogisme simpliciter , c'est-à-dirè de la forme du
syllogisme lui-même , en tant que syllogisme, sans l'appliquer à une
matière quelconque, par conséquent la vraie forme du syllogisme sera
celle qui étant appliquée à toute matière aura pour résultat d'offrir
une conclusion vraie si les prémisses le sont. Mais si dans quelque
matière les prémisses étant vraies il s'ensuit une conclusion fausse,
quoique dans quelque autre matière il s'en soit suivi une conclusion
vraie, ce ne sera plus alors un vrai syllogisme , on l'appelle un en-
chaînement inutile. De ces assemblages inutiles quelques uns peuvent
se faire dans toutes les figures , d'autres dans deux seulement ou en
une. Ceux qui se font dans toutes les figures sont au nombre de quatre.
Le premier, lorsque les deux prémisses sont négatives; le second ,
lorsque les deux prémisses sont particulières; le troisième, lorsqu'elles
sont toutes deux indéfinies; le quatrième, quand elles sont toutes
deux singulières. En effet, ces syllogismes, quelle que soit la figure ,
peuvent avoir dans certaine matière une conclusion vraie , et en une
autre une conclusion fausse , c'est pour cela qu'ils sont appelés inu-
tiles. Par exemples : de deux négatives dans la même figure il résulte
quelquefois une conclusion vraie de cette manière : nul homme n'est
pierre , nul àne n'est homme, donc nul àne n'est pierre. D'autres fois
la conclusion est fausse , de cette manière : nul homme n'est pierre,
nulle perle n'est homme , donc nulle perle n'est pierre. Cette conclu-
caput v.
De syllogismis inulilibus in omni figura.
Restât tune dicere de ipsis syllogismis.
Ubi nota quod , ut supra dictum est , in
hoc opère tractatur de syllogismo simplici-
ter, scilicet de forma ipsius syllogismi , in
quantum syllogismus est , non applicando
ad aliquam materiam , et ideo illa erit
vera forma syllogismi, quae applicata cui-
cumque materise semper si preemissse erunt
verse , sequetur ex eis conclusio vera. Si
vero syllogismus in aliqua materia existen-
tibus preemissis veris , sequitur conclusio
falsa , licet in aliqua alia materia sequatur
conclusio vera , talis non erit verus syllo
quasdam possunt fieri in omnibus figuris,
qusedamvero in duabus vel solum in una
figura. Quas fiunt in omnibus figuris sunt
quatuor. Prima est si ambse prœmissae sint
negativœ. Secunda , si ambœ praemissre
sint pardculares. Tertia , si ambœ sint in-
defmitee. Quarta , si ambœ sint singulares.
Taies enim syllogismi sive conjugationes
in quacumque figura fiant , iu aliqua ma-
teria possunt concludere verum, et in alia
falsum, et propter hoc dicuntur inutiles.
Verbi gratia : De ambabus negativis in
prima figura aliquando concluditur verum
sic : Nullus homo est lapis ; nullus asinus
est homo ; ergo nullus asinus est lapis.
Aliquando concluditur falsum sic, nullus
gismus, sed dicitur inutilis conjugatio. homo est lapis ; nulla margarita est homo;
Harum autem inutilium conjugationum I ergo nulla margarita est lapis ; falsa est
v. 18
27 i OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 5.
sion est fausse, parce que toute perle est pierre. La même chose peut
se rencontrer dans la seconde et la troisième figure. De cet assemblage
et des trois autres inutiles on déduit cette règle générale. Dans toute
figure , de trois pures négatives particulières indéfinies et singulières
il ne résulte aucune conséquence. Les assemblages inutiles qui parfois
ne se trouvent pas dans toutes les figures , mais seulement dans quel-
ques-unes , sont au nombre de deux. Il y en a un qui convient à la
première et à la troisième figure , quand la mineure est négative. Le
second convient à la première et à la seconde figure , quand la ma-
jeure est particulière, et il s'en déduit deux règles générales savoir :
dans la première eHa troisième figure, quand la mineure est négative,
il n'y a aucune conséquence. Il faut observer que dans la première
figure on doit entendre ici les syllogismes directement concluants. Car
il y a dans cette figure deux modes de syllogismes concluants indirec-
tement, dans lesquels la mineure est négative, et ce ne sont pas néan-
moins des assemblages inutiles. Seconde règle. Dans la première et la
seconde règle, quand la majeure est particulière, il n'y a aucune con-
séquence. De même dans la première figure on entend les syllogismes
directement concluants. 11 y a encore deux autres règles générales dont
voici la première : si l'une des prémisses est négative , la conclusion
est aussi négative. La seconde est celle-ci : si l'une des prémisses est
particulière , la conclusion est aussi particulière. La raison de cela
c'est que, comme il a été dit, le grand extrême se trouve dans le petit
dans la conclusion en vertu du moyen , c'est-à-dire en tant qu'il se
trouve dans le moyen dans la majeure et que le moyen se trouve dans
le petit extrême dans la mineure , soit que l'on prenne d'une autre
manière l'inhérence de ces termes , comme il se fait dans les autres
figures, de telle manière que le moyen se trouve dans quelqu'un des
conclusio , quia omnis margarita est lapis, i syllogismorum indirecte concludentes, in
Et sic potest fieri in secunda et tertia fi- 1 quibus minor est negativa, nec tamen sunt
gura. De hac et de tribus dictis inutilibus j inutiles conjugationes. Secunda régula :
conjugationibus datur una régula gênera- J In prima et secunda figura majori exis-
lis, scilicet : In omnibus figuris ex puris I tente particulari, nihil sequitur. Et simi-
negativis particularibus indelinitis et sin- j liter in prima intelligitur de coneluden-
gularibus nihil sequitur. Inutiles vero con- J tibus directe. Dantur autem alise duee re-
jugationes , quse aliquando non sunt in j gulœ générales, quarum prima est : Si al-
omnibus figuris, sed in aliquibus sunt duae
Una est quee convenit primée et tertise
figurée, scilicet quando minor propositio
est negativa. Secundo vero convenit prima?
et secundee figurée, scilicet quando major
propositio est particularis, et de eis dantur
régulée générales, scilicet in prima et tertia
figura minori existente negativa, nihil se-
quitur. Notandum quod in prima figura
hic débet intelligi de syllogismis directe
concludentibus. Nam sunt in ea duo modi
tera preemissarum est negativa, etiam con-
clusio est negativa. Secunda est : Si altéra
preemissarum fuerit particularis, conclusio
erit particularis. Causa est , ut enim dic-
tum est, major extremitas inest minori in
conclusione in virtute medii, in quantum
scilicet inest medio in majori propositione,
et médium inest minori extremitati in
minori propositione, sive alio modo suma-
tur mhâerentia dictorum terminorum, si-
cut fit in aliis figuris eo modo quo me--
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 275
extrêmes, ou vice versa , un des extrêmqs se trouvera dans l'autre.
Mais si l'une des prémisses est particulière, le moyen doit se trouver
dans l'extrême ou l'extrême dans le moyen d'une manière particulière.
Donc la conclusion qui dit que l'extrême doit se trouver dans l'extrême,
sera particulière. Cela suffit pour les syllogismes affirmatifs relative-
ment à la seconde règle. Quant aux syllogismes négatifs, la conclusion
se fait de la même manière en vertu du moyen. En effet, si le moyen
se trouve dans un des extrêmes, et s'il est exclu de l'autre, il faut né-
cessairement que l'extrême soit exclu de l'extrême, et de cette manière
la conclusion sera négative : voilà pour la première règle. Dans les
mêmes syllogismes, si le moyen se trouve d'une manière particulière
dans un extrême ou en est exclu de la même manière, il s'ensuit né-
cessairement que l'extrême est exclu de l'extrême d'une manière par-
ticulière , et ainsi la conclusion sera particulière négative. Donc les
règles qui ont été établies sont vraies.
CHAPITRE VI.
Des syllogismes de la première figure concluant directement , et des
syllogismes de la seconde figure.
Nous allons parler maintenant des syllogismes utiles , et d'abord
de ceux qui sont dans la première figure au nombre de quatre. Le
premier a lieu lorsque la majeure et la mineure sont universelles af-
firmatives, et qu'il suit une conclusion universelle affirmative de cette
manière en nous servant de termes transcendants. Tout B est A, tout
C est B , donc tout C est A. Ce syllogisme se prouve par ce principe
dici de omni. Ainsi que nous l'avons dit , dici de omni a lieu quand
dium inerit alicui extremitati, tel e con-
verso, una extremitas inerit alteri. Sed si
aliqua prtemissarum fuerit particularis,
débet médium inesse extremitati, vel ex-
tremitas in medio particulariter. Ergo
conclusio quae dicit extremitatem inesse
extremitati, erit particularis. Et hoc in syl-
logismis affirmativis sufficit quantum ad
secundam regulam. In syllogismis autem
negativis eodem modo virtute medii con-
cluditur. Si enim médium uni extremitati
inest , et e converso ab altéra removetur ,
necesse est extremitatem ab extremitate
removeri, et sic erit conclusio negativa, et
hoc quantum ad primam regulam. In eis-
dem etiam syllogismis , si médium parti-
culariter inerit vel e converso, vel parti-
culariter removeatur ab aliqua extremitate
vel e converso, necessario sequitur extre-
mitatem ab extremitate particulariter re-
moveri , et sic conclusio erit particularis
negativa. Verse itaque sunt regulae pra?-
dictœ, etc.
GAPUT VIII.
De syllogismis primœ figures directe con-
cludenlibus, et de syllogismis secundw
figurœ.
Nunc dicendum est de syllogismis utili-
bus. Et primo de his qui sunt in prima fi-
gura, hi autem sunt quatuor. Primus est
quando major et minor propositiones sunt
universales affirmative, et sequitur con-
clusio universalis affirmativa sic , ponendo
in terminis transcendentibus. Omne B est
A, omne G est B, ergo omne C est A.
Probatur autem syllogismus per hoc prin-
cipium quod est dici de omni : ut enim
dictum est, dici de omni est, quando nihil
est sumere sub subjecto , de quo non di-
276 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 8.
il n'y a rien à prendre dans le sujet dont ne se dise pas le prédicat. Or
il en est ainsi dans l'exemple proposé, donc, etc.. Etablissons-le
maintenant en termes significatifs, soit animal pour B, substance
pour A, homme pour C, posons ainsi le syllogisme : Tout animal est
substance, tout homme est animal , donc tout homme est subslance;
il est certain que si cette proposition est vraie , tout animal est sub-
stance , il n'y a rien à prendre dans animal dont ne se dise pas sub-
stance : si donc tout homme est animal , tout homme se trouve alors
dans auimal ; il doit donc être pris ainsi, comme substance se dit d'a-
nimal, elle se dira de même de l'homme. Le second mode a lieu quand
d'une majeure universelle négative et d'une mineure universelle af-
firmative on tire une conclusion universelle affirmative , de cette ma-
nière : Nul B n'est A, tout C est B , donc nul C n'est A , on le prouve
par l'autre principe dici de nullo. On le met ainsi en termes signifi-
catifs : soit B animal, A pierre, C homme; si en effet nul animal n'est
pierre , il n'y aura rien à prendre dans animal dont pierre ne soit pas
exclu. En effet comme tout qui est un signe universel affîrmatif est
distributif , et distribue affirmativement pour chaque chose contenue
dans ce à quoi il est joint, de même aussi nullus nul distribue néga-
tivement pour chacune de ces choses. Le troisième mode c'est quand
d'une majeure universelle affirmative et d'une mineure particulière
affirmative on tire une conclusion particulière affirmative de cette ma-
nière : tout B est A, quelque C est B, donc quelque C est A, on le prouve
par efo'ci deomni. Le quatrième mode se présente quand d'une majeure
universelle négative et d'une mineure particulière affirmative on tire
une conclusion particulière négative, de cette manière : nul B n'est A,
quelque C est B, donc quelque C n'est pas A , on le prouve par dici
catur praedicatum ; sic enim in proposito
est, ergo, etc. Ponamus ergo in terminis
significativis, et sit B animal, A vero sub-
stantia, C autem sit homo ; fiât ergo syl-
logismus sic : Omne animal est substantia,
omnis homo est animal; ergoomnis homo
est substantia, certum est quod si ista est
vera : Omne animal est substantia, nihil
erit sumere sub animali de quo non dica-
tur substantia; si ergo omnis homo est
animal, tune omnis homo est sub animali ;
débet ergo sumi, sicut substantia praedica-
tur de animali , ita praedicabitur de ho-
inine. Secundus modus est, quando ex ma-
jori universali negativa, et ex minori uni-
versali affîrmativa, concluditur universalis
negativa sic : Nullum B est A , omne C
est B , ergo nullum G est A , et probatur
per alterum principium quod est dici de
uullo. In terminis autem significativis os-
tenditur sic : Sit B animal, A vero lapis,
C autem sit homo, si enim nullum animal
est lapis ; nihil erit sumere sub animali, a
quo non removeatur lapis. Sicut enim om-
nis quod est signum universale affirmati-
vum , est distributivum , et distribuit affir-
mative pro singufis contentis sub eo cui
jungitur ; ita etiam nulius pro singulis ta-
libus distribuit négative. Tertius modus
est , quando ex majori universali affirma-
tiva, et ex minori particulari affîrmativa
concluditur particularis affirmativa sic :
Omne B est A , quoddam C est B , ergo
quoddam C est A, et probatur per dici de
omni. Quartus modus est , quando ex ma-
jori universali negativa , et minori parti-
culari affirmativa concluditur particularis
negativa sic , nullum B est A , quoddam
G est B, ergo quoddam C non est A. Et
probatur per dici de uullo. Sciendum,
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 277
de nullo. Il faut savoir que quoique ces deux derniers syllogismes
puissent se prouver par dici de omni et par dici de nullo , comme il
a été dit , néanmoins Aristote dans son livre I Priorum les ramène
aux deux premiers modes où se conservent plus véritablement dici de
omni et dici de nullo à cause de l'universalité de leur mineure, et c'est
ce que nous ferons à la fin de tous. La seconde figure a quatre modes.
Le premier se forme d'une majeure universelle négative et d'une mi-
neure universelle affirmative, d'où l'on tire une conclusion universelle
négative , de cette manière : nul B n'est A , tout C est A , donc nul C
n'est B. On ne peut montrer dans ce syllogisme dici de nullo, parce
que dans B auquel est joint le signe universel nul on ne prend rien
d'où le sujet puisse être exclu, et par conséquent pour qu'il soit prouvé
par dici de nullo , il faut le ramener au second mode de la première
figure , ce qui peut se faire de deux manières , ou par la simple con-
version de la majeure en disant , nul A n'est B , tout C est A , donc
nul C n'est B. Et aussi par le troisième principe dont nous avons parlé
qui étoit que lorsque de l'opposé du conséquent se déduit l'opposé de
l'antécédent , la première conséquence est bonne. Il faut savoir que
tout syllogisme est une certaine conséquence dans laquelle les deux
prémisses sont l'antécédent et la conclusion le conséquent , d'où il
suit que si de l'opposition de la conclusion avec l'une des prémisses
on déduit l'opposition de l'autre prémisse dans l'ordre où se conserve
dici de omni ou dici de nullo , la première conséquence ou le syllo-
gisme seront bons. Car dans l'exemple proposé, le conséquent ou la
conclusion est, nul C n'est B, où il v a deux opposés , savoir le con-
traire et la contradiction. Prenons son contraire, tout C est B, prenons
aussi la majeure du susdit syllogisme , nul B n'est A , et que l'oppo-
quod licet isti duo ultimi syllogismi pro-
bari possint per dici de omni et per dici
de nullo , ut dictum est ; tamen Philoso-
phas, I Prionirn, reducit eos ad duos mo-
dos primos, in quibus verius salvatur dici
de omni et dici de nullo , propter univer-
salitatem minoris propositionis eorum , et
hoc faciemus in fine omnium. Secunda
figura quatuor habet modos. Primus con-
stat ex majori universali negativa et mi-
nori universali affirrnativa, ex quibus se-
quitur conclusio universalis negativa sic :
Nullum B est A ,• omne C est A , ergo
nullum G est B. In isto enim syllogismo
non potest ostendi dici de nullo , quia sub
B cui jungitur signum universale , scilicet
nullum , nihil sumitur a quo possit remo-
veri subjectum , et ideo ad hoc quod pro-
betur per dici de nullo , reducatUr ad se-
cundum modum primée figurée, hoc autem
dupliciter potest fieri, vel per conversionem
majoris simpliciter, ut dicatur sic, nullum
A est B, omne G est A, ergo nullum G
est B. Et propter etiam per tertium prin-
cipium supradictum quod erat, quando ex
opposito consequentis infertur oppositum
antecedentis, prima consequentia est bona.
Sciendum , quod omnis syllogismus est
quaedam consequentia , in qua antecedens
sunt ambae prœmissœ, consequens vero est
conclusio, unde si ex opposito conclusionis
cum altéra praemissaruni, infertur opposi-
tum alterius prsemissae in ordinatione in
qua solvatur dici de omni, vel dici de
nullo, prima consequentia seu syllogismus
erit bonus. Sic enim in proposito. Conse-
quens enim sive conclusio est , nullum C
est B, quœ duo habent opposita, *scilicet
conlrarium et contradictio ; sumatur ejus
contrarium, scilicet, omne G est B ; su-
matur modo major praedicti syllogismi ,
scilicet, nullum B est A, et opposita
278 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 6.
sée contraire de la conclusion devienne la mineure de cette manière :
nul B n'est A, tout C est B, donc nul C n'est A, ce syllogisme est dans
le second mode de la première figure , et de l'opposé du conséquent
ou de la conclusion se déduit celle-ci , nui C n'est A qui est l'opposée
de l'une des prémisses, c'est-à-dipe de la mineure, parce qu'elle est
contraire à la mineure du premier syllogisme qui étoit tout C est A;
donc de l'opposé du conséquent avec une des prémisses se déduit l'op-
posé de l'autre prémisse, donc la première conséquence ou le syllo-
gisme étoit bon. Le second mode a lieu quand de la majeure univer-
selle affirmative et d'une mineure universelle négative on tire une
conclusion universelle négative , de cette manière : tout B est A , nul
Ç n'est A , donc nul C n'est B ; ce syllogisme se ramène au second
mode de la première figure par la simple conversion delà mineure et
par la transposition des prémisses , de façon que celle qui étoit la ma-
jeure devienne la mineure de cette manière. Nul A n'est C, tout B est
A, donc nulB n'est C. La majeure de ce syllogisme est celle en la-
quelle a été convertie la mineure du premier syllogisme qui étoit, nul
C n'est A. Par le troisième principe, c'est-à-dire par le syllogisme
conversif on peut ramener cette argumentation au premier mode de
la première figure de cette manière. Prenons la proposition contraire
à la conclusion qui est , tout C est B et faisons ainsi la mineure , tout
B est A , tout C est B , donc tout C est A. La conclusion de se second
syllogisme, tout C est A est contraire à celle-ci, nul C n'est A, qui étoit
la mineure de l'opposé du conséquent. Le troisième mode se reconnoît
quand d'une majeure universelle négative , et d'une mineure parti-
culière affirmative on tire une conclusion particulière négative , de la
manière suivante : nul B n'est A , quelque C est A , donc quelque C
contraria conclusionis fiât minor, et dica-
tur sic : Nullum B est A, ornne C est
B, ergo nullum G est A. Iste syllogismus
est in secundo modo primée figurae , et ex
opposito consequentis seu conclusionis in-
fertur illa , nullum G est A, quae est op-
posita unius praemissae, scilicet minoris,
quia est contraria minori primi syllogismi,
quae erat, omne G est A. Ergo ex opposito
consequentis cum una praemissarum infer-
tur oppositum alterius prsemissae; prima
ergo consequentia seu syllogismus fuit
bonus. Secundus modus constat ex majori
universali affirmativa , et minori univer-
sali negativa ex quibus sequitur conclusio
universalis negativa sic : Omne B est A,
nullum G est A, ergo nullum C est B.
Iste syllogismus reducitur ad secundum
modum primae figurœ per conversionem
minoris simpliciter et per transpositionem
praemissarum, ut scilicet ista quae erat ma-
jor, fiât minor sic : Nullum A est G, omne
B est A, ergo nullum B est C. Major istius
syllogismi fuit illa in qua conversa fuit
minor primi syllogismi, quae erat, nullum
C est A. Per tertium vero principium seu
per syllogismum conversivum reducitur ad
secundum modum primae figurae sic , su-
matur propositio contraria conclusioni
quae est, omne C est B, et fiât minor sic :
Omne B est A , omne G est B, ergo omne
G est A. Haec autem quae concluditur in
isto secundo syllogismo, scilicet omne G
est A, est contraria huic, nullum C est A,
quae erat minor ex opposito consequentis.
Tertius modus est, quando ex majori uni-
versali negativa et minori particulari af-
firmativa concluditur particularis negativa
sic : Nullum B est A, quoddam G est A,
ergo quoddam C non est B. Hic reducitur
SUR LA. LOGIQUE d'aRISTOTE. 279
n'est pas B. Le syllogisme se ramène au quatrième mode de la pre-
mière figure par la simple conversion de la majeure. Nul A n'est B,
quelque C est A , donc quelque C n'est pas B. 11 se ramène par le syl-
logisme conversif au second mode de la première figure. En eflet,
l'opposé de la conclusion qui est , quelque C n'est pas B , et celui-ci
tout C est B. On fera donc la mineure de cette manière, nul B n'est A,
tout C est B, donc nul C n'est A, laquelle est l'opposée de la mineure
du premier syllogisme qui étoit quelque C est A. Le quatrième mode
a lieu quand d'une majeure universelle affirmative et d'une mineure
particulière négative on tire une conclusion particulière négative de
cette manière : tout B est A, quelque C n'est pas A, donc quelque
C n'est pas B. Ce syllogisme peut être ramené par la conversion des
prémisses , car la majeure , qui est universelle affirmative, ne peut se
convertir qu'en une particulière affirmative , et la mineure est parti-
culière. Or, comme nous l'avons dit,- il n'y a pas de conséquence de
plusieurs particulières. 11 se ramène donc par le syllogisme appelé
quelquefois per impossibile , comme ont été réduits les trois autres
syllogismes exposés plus haut, et il se ramène au premier mode de la
première figure. En effet, l'opposé de la conclusion qui étoit, quel-
que C n'est pas B , est celui-ci tout C est B , qu'on fasse donc ainsi la
mineure ; tout B est A , tout C est B , donc tout C est A. Or c'est là
l'opposée de la mineure qui étoit , quelque C n'est pas A. Tel est ce
qui concerne le syllogisme de la première et de la seconde figure.
ad quartum modum primse figura per
conversionem majoras simpliciter. Nullum
A est B , quoddam C est A ; ergo quoddam
C non est B. Reducitur autem per syllo-
gismum conversivum ad secundum mo-
dum primée figurae. Oppositum enim con-
clusionis quod est , quoddam G non est B,
est istud, omne C est B, et fiât minor sic,
nullum B est A, omne G est B, ergo nullum
C est A, quae est opposita minons syllo-
gismi primi, quae erat, quuddam G est A.
Quavtus modus est, quando ex majori uni-
versali affirmativa, et ex minori particu-
lari negativa concluditur particularis ne-
gativa sic : Omne B est A, quoddam G
non est A, ergo quoddam G non est B. Iste
syllogismus potest reduci per conversionem
praemissarum, major enim quae est univer-
salis affirmativa, non potest converti nisî
in particularem afïirmativam, et minor est
particularis. Ex pluribus autem particula-
ribns. ut dictum est, nihil sequitur ; redu-
citur ergo per syllogismum quod aliquando
vocatur per impossibile, sicut reducti fue-
runt cseteri très syllogismi supradicti , et
reducitur ad primum modum prima? figu-
rae. Oppositum enim conclusions, quae
erat, quoddam G non est B, istud, omne G
est B, quod fiât minor sic : Ornne B est A,
omne G est B, ergo omne G est A. Haec au-
tem est opposita minoris quae erat, quod-
dam C non est A. Et sic patet de syllogis-
mo primae et secundae figurae.
280
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 7.
CHAPITRE VII.
Des syllogisme* de la troisième figure , et de la réduction de tous les syl-
logismes aux deux premiers modes de la première figure.
La troisième figure a six modes. Le premier a lieu lorsque d'une
majeure universelle affirmative et d'une mineure universelle affirma-
tive on déduit une conclusion particulière affirmative de cette manière ;
Tout B est A, tout B est C , donc quelque C est A. Ce syllogisme se
ramène de cette manière au troisième mode de la première figure par
la conversion per accidens de la mineure : Tout B est À , quelque C
est B , donc quelque C est A. On le ramène au second mode de la pre-
mière figure parle syllogisme conversif. Prenons, en effet, l'opposé
de la conclusion qui est , nul C n'est A, et faisons ainsi la majeure :
Nul C n'est A , tout B est C , donc nul B n'est A ; or c'est là la con-
traire de la majeure du premier syllogisme , qui étoit , tout B est A.
Il faut savoir que dans la réduction par le syllogisme conversif il y a
cette différence entre les syllogismes de la seconde et de la troisième
figure: dans les syllogismes de la seconde figure, de l'opposé delà
conclusion on fait la mineure et on déduit l'opposé de la mineure, tan-
dis que dans les syllogismes de la troisième figure , de l'opposé de la
conclusion on fait la majeure et on déduit l'opposé de la majeure. Le
second mode se connoît lorsque d'une majeure universelle négative
e t d'une mineure universelle affirmative découle une conclusion par-
ticulière négative de la manière suivante : nul B n'est A, tout B est
C , donc quelque C n'est pas A. On ramène ainsi cette argumentation
au quatrième mode de la première figure par la conversion per acci-
CAPUT VII.
De syllogismis terliœ figurœ, et de reduc-
tione omnium syllogismorum ad duos
orimos modos primœ figurœ.
Tertia vero figura sex habet modos. Pri-
mus constat ex majori universali affirma-
tiva, et ex minori universali affirmativa,
ad quas sequitur conclusio particularis af-
firmativa sic : Omne B est A, omne B est
C, ergo quoddam G est A. Iste syllogismus
per conversionem minoris per accidens re-
ducitur ad lertium modum primœ figurai
sic : Omne B est A, quoddam G est B, ergo
quoddam C est A. Per syllogismum vero
conversivum reducitur ad secundum mo-
dum primae figurae. Sumatur enini oppo-
situm conclusionis quod est , nullutn C est
A, et fiât major sic : Nullum G est A,
omne B est C., ergo nullum B est A. Hœc
autem est contraria majoris primi syllo-
gismi, quœ erat, omne B est A. Sciendum
quod in reductione per syllogismum con-
versivum hœc differentia est inter syllo-
gismos secundœ et tertiœ figurée. Nam in
syllogismis secundœ figurée ex opposito
conclusionis fit minor propositio, et infer-
tur oppositum minoris propositionis , in
syllogismis vero tertiœ figurœ ex opposito
conclusionis fit major propositio, et infer-
tur oppositum majoris propositionis. Se-
cundus modus constat ex majori universali
negativa, et ex minori universali affirma-
tiva, ad quas sequitur conclusio particu-
laris negativa sic : Nullum B est A , omne
B est G, ergo quoddam C non est A. Hœc
per conversionem minoris per accidens re-
ducitur ad quartum modum primœ figurœ
SÏÏR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 281
dens de la mineure; nul B n'est A , quelque C est B , donc quelque G
n'est pas A. Mais parle syllogisme conversif on la ramène au premier
mode de la première figure en prenant l'opposé delà conclusion et en
faisant ainsi la majeure : tout G est A , tout B est C , donc tout B est
A. Cette conclusion est contraire à la majeure du premier syllogisme.
Le troisième mode se compose d'une majeure particulière affirmative
et d'une mineure universelle affirmative d'où découle une conclusion
particulière affirmative , de cette manière : quelque B est A , tout B
est G , donc quelque C est A. On ramène cela par conversion au troi-
sième mode de la première figure en convertissant simplement la ma-
jeure et en transportant les propositions de la manière suivante : tout
B est C , quelque A est B , donc quelque A est C ; on le ramène ainsi
au second mode de la première figure par le syllogisme conversif :
nul C n'est A, tout B est C, donc nul B n'est A ; cette conclusion est
la contradictoire de la majeure , qui étoit quelque B est A. Le qua-
trième mode vient d'une majeure universelle affirmative et d'une mi-
heure particulière affirmative suivies de cette manière d'une conclu-
sion particulière affirmative : tout B est A, quelque B est C, donc
quelque C est A. On ramène ainsi cette argumentation au troisième
mode de la première figure par la conversion de la mineure : tout B
est A , quelque C est B , donc quelque C est A. Par le syllogisme con-
versif on la ramène au quatrième mode de la première figure de cette
manière : nul C n'est A , quelque B est C , donc quelque B n'est pas
A. Cette conclusion est la contradictoire de la majeure du premier
syllogisme, qui étoit, tout B est A. Le cinquième mode provient d'une
majeure particulière négative et d'une mineure universelle affirmative
suivies de cette manière d'une conclusion particulière négative. Quel-
que B n'est pas A , tout B est C, donc quelque C n'est pas A. Cette ar-
sic : Nullum B est A, quoddam G est B,
ergo quoddam G non est A. Sed per syllo-
gismum conversivum reducitur ad primum
modum primée figurée si accipiatur oppo-
situm conclusionis , et fiât major sic :
Omne C est A, omne B est C, ergo omne
B est A. Heec conclusio est contraria majori
primi syllogismi. Tertius modus constat ex
majori particulari affirmativa et minori
universali affirmativa, ex quibus sequitur
conclusio particularis affirmativa sic :
Quoddam B est A, omne B est G, ergo quod-
dam G est A. Heec per conversionem re-
ducitur ad tertium modum primée figurée
convertendo majorem simpliciter et trans-
ponendo propositiones sic : Omne B est C,
quoddam A est B , ergo quoddam A est G ,
per syllogismum vero conversivum reduci-
tur ad secundum modum primée figurée sic:
Nullum C est A, omne B est C, ergo nul-
lum B est A. Heec conclusio est contradic-
toria majoris, quee erat, quoddam B est A.
Quartus modus constat ex majori univer-
sali affirmativa et minori particulari affir-
mativa concludentibus particularem affir-
mativam sic : Omne B est A, quoddam B
est C, ergo quoddam C est A. Heec per
conversionem minoris reducitur ad tertium
modum primée figurée sic : Omne B est A,
quoddam G est B, ergo quoddam C est A.
Per syllogismum vero conversivum redu-
citur ad quartum primée sic : Nullum G est
A, quoddam B est C, ergo quoddam B non
est A. Heec conclusio est contradictoria
majoris primi syllogismi, quee erat , omne
B est A. Quintus modus constat ex ma-
jori particulari negativa et minori univer-
sali affirmativa concludentibus particula-
rem negativam sic : Quoddam B non est
A, omne B est C, ergo quoddam G non est
282 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 7.
gumentation ne peut se ramener par conversion , parce que sa ma-
jeure étant particulière négative ne peut se convertir, et la mineure
se convertit en particulière. Or on ne peut rien conclure de simples
particulières. Mais par le syllogisme conversif on la ramène ainsi au
premier mode de la première figure : toutC est A, tout B estC, donc
tout B est A, et c'est là la contradictoire de la majeure du premier
syllogisme qui étoit, quelque B n'est pas A. Le sixième mode provient
d'une majeure universelle négative et d'une mineure particulière af-
firmative suivies d'une conclusion particulière négative, de cette ma-
nière : Nul B n'est A, quelque B est C, donc quelque C n'est pas A.
Cette argumentation se ramène ainsi par la conversion de la mineure
au quatrième degré de la première figure , nul B n'est A , -quelque C
est B , donc quelque C n'est pas A. Elle se ramène par le syllogisme
conversif au troisième mode de la première figure. Tout C est A, quel-
que B est C, donc quelque B est A, et c'est là la contradictoire de la
majeure du premier syllogisme qui étoit nul B n'est A. Tel est l'ex-
posé des syllogismes à conclusion directe dans toutes les figures et
de leurs preuves. Aristote ramène tous les syllogismes à deux uni-
versels de la première figure. C'est pourquoi par le syllogisme con-
versif il ramène le troisième mode de la première figure au second
mode de la seconde figure , et le quatrième mode de la même pre-
mière figure au premier de la secondait* ceux-ci sont ramenés à deux
modes universels de la première figure, comme il a été dit. Donc tous
sont ramenés à deux modes universels de la première figure dans les-
quels se conservent parfaitement dici de omni et dici de nullo. Que
ces deux modes de la première figure soient ramenés aux universels
de la seconde, comme au troisième de la première figure, on le prouve
A. Heec non potest reduci per conversio-
nem, quia major ejus non potest converti
cum sit particularis negativa , minor vero
convertitur in particularem. Ex puris au-
tem particularités nihil sequitur. Per syl-
logismum vero conversivum reducitur ad
primum primas sic : Omne G est A, omne
B est G , ergo omne B est A , et hase est
contradictio majoris primi syllogismi quas
erat, quoddam B non est A. Sextus modus
constat ex majori universali negativa et
minori particulari affirmativa concluden-
tibus particularem negativam sic : Nullum
B est A, quoddam B est C, ergo quoddam
C non est A. Haec per conversionem mino-
ris reducitur ad quartum primée sic : nul-
lum B est A, quoddam G est B, ergo quod-
dam C non est A. Per syllogismum vero
conversivum reducitur ad tertium primée
sic : Omne C est A, quoddam B est C, ergo
quoddam B est A , quas est contradictoria
majoris primi syllogismi, quas erat, nullum
B est A. Et sic patet de syllogismis directe
concludentibus in omnibus tiguris , et de
eorum probationibus. Philosophus autem
reduxit omnes syllogismos ad duos univer-
sales primas figuras. Unde tertium modum
primée figurée reduxit per syllogismum
conversivum ad secundum modum secun-
das figurée , et quartum modum ejusdem
primée figuras reduxit per syllogismum
conversivum ad primum secundas, illi au-
tem reducuntur ad duos modos universales
primée figurée, ut dictum est. Omnes ergo
reducuntur ad duos modos universales
primée figurée, in quibus salvatur perfecte
dici de omni et dici de nullo. Quod autem
reducantur praedicti duo modi primée fi-
gurée ad universales secundee , puta tertio
primée figurée, patet sic : Omne B est A,
SUR LA LOGIQUE d'arLSTOTE. 283
de cette manière : tout B est A, quelque C est B , donc quelque C est
A. L'opposé de la conclusion est, nul C n'est A, qu'on en fasse la mi-
neure , et qu'on établisse le syllogisme dans le second mode de la se-
conde figure de cette manière : tout B est A, nul C n'est A, donc
nul C n'est B , ce qui est l'opposée de la mineure qui étoit , quelque
C est B. Le quatrième se ramène au premier; voici en effet le qua-
trième mode , nul B n'est A , quelque C est B , donc quelque C n'est
pas A. L'opposé de la conclusion est , tout C est A; qu'on eu fasse la
mineure, et qu'on construise le syllogisme dans le premier degré de
la seconde figure de cette manière, nul B n'est A, tout C est A , donc
nul C n'est B. On voit donc de quelle manière tous les syllogismes se
ramènent à deux modes universels de la première figure.
CHAPITRE VIII.
Des syllogismes à conclusion indirecte et de leur réduction.
Il nous reste maintenant à parler des syllogismes à conclusion in-
directe. 11 y a conclusion indirecte quand le petit extrême se dit du
grand dans la conclusion. Ces syllogismes sont au nombre de dix;
cinq sont dans la première figure , deux dans la seconde et trois dans
la troisième. Il faut savoir que tout syllogisme qui présente une con-
clusion par laquelle il peut être converti , peut également en avoir
une autre en laquelle il soit converti. Toutes les conclusions de ces
syllogismes étant susceptibles d'être converties , à l'exception des
particulières négatives , il s'ensuit que tous ces syllogismes pourront
avoir une conclusion indirecte. Il y en a trois de ce genre dans la pre-
mière figure , savoir, le premier, le second et le troisième mode ; il y
quoddam C est B, ergo quoddanv G est A.
Oppositum conclusionis est , nullum C est
A, qute liât minor , et fiât syllogismus in
secundo secundse figurée sic : Omne B est
A, nullum C est A, ergo nullum G est B,
qua? est opposita minoris, quae erat, quod-
dam G est B. Quartus vero r'educitur ad
primum. Est enim quartus modus sic :
Nullum B est A, quoddam C est B, ergo
quoddam G non est A. Oppositum conclu-
sionis est, omne G est A , quae fiât minor,
et fiât syllogismus in primo secundœ figu-
rée sic : Nullum- B est A , omne C est A,
ergo nullum C est B. Patet ergo qualiter
omnes syllogismi reducantur ad duos mo-
dos universales primée figurae.
GAPUT VIII.
De jyllogismis indirecte concludentibw , et
de reductione ipsorum.
Restât nunc dicere de syllogismis indi-
recte concludentibus. Est autem indirecte
concludere minorem extremitatem praedi-
cari de majorï in conclusione. Taies autem
syllogismi sunt numéro decem, quinque
enim sunt in prima figura,, duo in secunda
figura, et très in tertia figura. Sciendum
quod omnis syllogismus concludens ali-
quam conclusionem quo converti potest,
etiam potest concludere illam in quam
convertitur. Cum ergo omnes conclusiones
dictorum syllogismorum possunt converti,
exceptis particularibus negativis, omnes
taies syllogismi poterunt concludere indi-
recte. Taies autem in prima figura sunt
très, scilicet primus modus, secundus et
284 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 8.
en a deux dans la seconde , savoir, le premier et le second; il y en a
trois dans la troisième , savoir, le premier, le troisième et le qua-
trième. Qu'on introduise dans la première figure deux modes, qui
sont contre les deux principes ou les règles données dans la première
figure. Car ils ont tous deux la mineure négative, ce qui est contraire
à cette règle. Dans la première figure, quand la mineure est négative,
il n'y a pas de conclusion, et l'un des deux a la majeure particulière
contre l'autre règle. Or les savants modernes , entre autres Boëce, en
omettant cinq, c'est-à-dire ceux de la seconde et de la troisième figure,
n'ont parlé que des cinq de la première figure. Le premier est formé
d'une majeure universelle affirmative et d'une mineure universelle af-
firmative , suivies d'une conclusion indirecte particulière affirmative,
de cette manière, tout B est A, tout C est B, donc quelque A est C. Or
il se ramène au premier mode de la première figure, en convertissant la
conclusion particulière en universelle. Le second est formé d'une ma-
jeure universelle négative et d'une mineure universelle affirmative ,
suivies d'une conclusion indirecte universelle négative , de cette ma-
nière : nul B n'est A, tout C est B, donc nul A n'est C. Il se ramène au
second mode de la première figure par une conversion simple de la con-
clusion. Le troisième mode se forme d'une majeure universelle affir-
mative et d'une mineure particulière affirmative, suivies d'une con-
clusion indirecte particulière affirmative, de cette manière : tout B est
A, quelque C est B, donc quelque A est C ; il se ramène au troisième
mode de la première figure par une simple conversion de la conclusion.
Le quatrième mode se forme d'une majeure universelle affirmative et
d'une mineure universelle négative , suivies d'une conclusion indirecte
particulière négative, de cotte manière , tout B est A , nul C n'est B,
donc quelque A n'est pas C. Il se ramène au quatrième mode de la
tertius. In secunda sunt duo , scilicet pri-
mus et secundus. In tertia sunt très , sci-
licet primus, et tertius, et quartus. Addu-
cantur autem in prima figura duo modi ,
qui sunt contra duo principia sive régulas
datas in prima figura. Nam ambo habent
minorem negativam, quod est contra il-
lam regulam : In prima figura minori exis-
tente negativa*, nibil sequitur. Et alter
eorum habet majorem particularem contra
aliam regulam. Doctores autem modérai ,
scilicet Boetius, prsetermissis quinque, sci-
licet secundae et tertiœ iîgurœ, de solis
quinque primée figura? fecerunt mentio-
nem. Quorum primus constat ex majori
universali affirmativa, et minori univer-
sali affirmativa concludentibus indirecte
particularem affirmativam sic : Omne 13 est
A, omne G est B, ergo quoddam À est C.
Reducitur autem ad primum prima? , si
conclusio particularis convertatur in uni-
versalem. Secundus constat ex majori uni-
versali negativa, et minori universali affir-
mativa, concludentibus indirecte universa-
lem negativam sic : Nullum B est A, omne
C est B, ergo nullum A est C. Reducitur
ad secundum primae, conversa conclusione
simpliciter. Tertius modus constat ex ma-
jori universali affirmativa et minori parti-
culari affirmativa concludentibus indirecte
particularem affirmativam sic : Omne B
est A, quoddam C est B, ergo quoddam A
est G. Reducitur ad tertium primae , con-
versa conclusione simpliciter. Quartus mo-
dus constat ex majori universali affirma-
tiva et minori universali negativa conclu-
dentibus indirecte particularem negativam
sic : Omne B est A, nullum G est B, ergo
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 285
première figure par la conversion de la mineure par accident , et de
la mineure simplement , et par la transposition des propositions , de
sorte que de la mineure se fasse la majeure , et vice versa de cette
manière : nul B n'est C, quelque A est B , donc quelque A n'est
pas C. Le cinquième mode se forme d'une majeure particulière affir-
mative et d'une mineure universelle négative , suivies d'une conclu-
sion indirecte particulière négative , de cette façon : quelque B est A,
nul C n'est B, donc quelque A n'est pas C. Il se ramène au quatrième
mode de la première figure par la conversion simple de chacune des
propositions , et par leur transposition de la manière suivante : nul B
n'est C , quelque A est B , donc quelque A n'est pas C. Voilà ce qui
concerne les syllogismes à conclusion indirecte. Pour mieux se res-
souvenir de ces- syllogismes , on a imaginé les vers suivants :
Barbara , celarent , darii , ftrio , baralipton,
Celantes , dabitis , fapesmo , frisesomorum ,
Caesare , camestres , festino , baroco , darapti ,
Felapton , disamis, datisi , bocardo , ferison.
On les explique ainsi. Il y a dans ces vers dix-neuf manières de dire dix-
neuf ou mots qui se rapportent à dix-neuf modes de syllogismes suivant
leur ordre respectif , savoir, neuf modes de la première figure , dont
quatre sont à conclusion directe et cinq à conclusion indirecte, quatre
de la seconde figure, et six de la troisième figure. Tous ces mots sont
des trissylabes dont la première syllabe désigne la majeure, la seconde
la mineure , la troisième la conclusion. Les syllabes de plus qui se
trouvent dans quelques mots ne sont pas nécessaires , elles ne sont là
que pour la mesure. Or, dans ces syllogismes il y a quatre voyelles,
A, E , I, 0, qui signifient A l'universelle affirmative , E l'universelle
négative, I la particulière affirmative, 0 la particulière négative.
quoddam A non est G. Et redueitur ad
quartum primae, conversa majori per acci-
dens, et minori simpliciter, et transpositis
propositionibus, ut de minori fiât major et
de majori minor sic : Nullum B est G,
quoddam A est B, ergo quoddam A non
est C. Quintus modus constat ex majori
particulari af iirmativa et minori universali
negatiya concludentibus indirecte particu-
larem negativam sic : Quoddam B est A,
nullum C est B , ergo quoddam A non est
C. Et redueitur ad quartum primae per
conversionem simpliciter utriusque propo-
sitions, et transpositis utrisque sic : Nul-
lum B est C, quoddam A est B, ergo quod-
dam A non est C. Et sic patet de syllogis-
mis indirecte concludentibus. Sciendum
autem quod ad memoriter tenendum prae-
dictos syllogismos, inventi sunt quidam
versus qui taliter designantur :
Barbara, celarent, darii, ferio , baralipton,
Celantes, dabitis, fapesmo, frisesomorum,
Caesare, camestres, festino, baroco, darapti,
Felapton, disamis, datisi, bocardo, ferison.
Quorum intellectus talis est. In his ver-
sibus sunt xix dictiones quae secundum or-
dinem suum deserviunt xix modus syllogis-
morum , scilicet novem modis primae fi-
gura? , quatuor concludentibus directe , et
quinque indirecte , et quatuor secundae
figuras, et sex tertiae figurée. Omnes autem
hae dictiones sunt trisyllabae , quorum
prima syllaba doservit majori proposition^
secunda minori, tertia conclusioni. Et si in
aliqua dictione inveniuntur plures syllabae,
non sunt necessariœ , sed ponuntur causa
metri. In praedictis autem syllogismis sunt
quatuor vocales, scilicet A, E, I, 0, quae
sic significat : A significat universalem af-
firmativam , E universalem negativam ,
286 OPUSCULE XLVH, TRAITÉ 10, CHAPITRE 8.
C'est pourquoi barbara, qui se rapporte au premier mode de la pre-
mière figure , a un A dans toutes ses syllabes , parce que toutes ses
propositions sont universelles affirmatives. Tous ces mots commencent
par ces quatre consonnes B, C, D, F. Or les quatre premiers mots
qui répondent aux quatre modes de la première figure à conclusion
indirecte , commencent par ces quatre consonnes. C'est pourquoi si
quelques autres mots commencent par quelqu'une de ces consonnes ,
cela veut dire que ces syllogismes doivent être ramenés au mode de
la première figure , à laquelle répond le mot qui commence par cette
consonne. Par exemple : Cœsare, qui répond au premier mode de la
seconde figure , commence par cette consonne C , et signifie que ce
mode se ramène , par la conversion de la majeure , au second mode
de la première figure à laquelle répond le mot qui commence par C ,
c'est-à-dire celarent , et ainsi des autres. Dans ces syllogismes on ren-
contre aussi quelquefois la lettre S après la voyelle , ce qui signifie
que cette proposition ou conclusion à laquelle répond la syllabe doit
se convertir simplement. D'autres fois on trouve P, et cela signifie que
la proposition ou la conclusion à laquelle répond la syllabe , doit se
convertir per accidens. Quelquefois on trouve la lettre M, et cela veut
dire que les prémisses de ce syllogisme doivent être transposées de
manière à faire la mineure de la majeure , et réciproquement. Quel-
quefois on trouve C , ce qui veut dire que ce syllogisme ne peut être
réduit par conversion, mais seulement par le syllogisme conversif,
et cela n'arrive que dans deux syllogismes, savoir, baroco et bocardo,
comme on l'a dit. Il faut savoir que toutes ces règles , à l'exception de
celle sur la lettre C , ne s'entendent que de la réduction des syllo-
I particularera affirmativam , 0 particula-
rem negativam. Unde Barbara qui deservit
primo modo primae figurae , in omnibus
syllabis habet A, quia omnes ejus proposi-
tions sunt uuiversales affirmativae. Omnes
praedictae dictiones incipiunt ab his qua-
tuor consonantibus, scilicet B, C, D, F;
primée autem quatuor dictiones quae de-
serviunt quatuor modis primae figurae di-
recte concludentihus a praedictis quatuor
consonantibus incipiunt. Unde si quœ aliae
dictiones incipiunt a quacumque harum
consonantium , significat quod taies syllo-
gismi sunt reducendi ad illum modum
primae figurae, cui deservit dictio incipiens
ab illa consonante. Verbi giatia : Caesare
quae deservit primo modo secundœ figurae,
incipit ab ista consonante C, et significat,
quod talis modus per conversionem majoris
reducitur ad secundum modum primae fi-
gurae, cui deservit dictio incipiens a C , sci-
licet Celarent, et sic de singulis. In prae-
dictis etiain syllogismis aliquando invenitur
ista littera S post vocalem , et significat
quod illa propositio vel conclusio, cui de-
servit syllaba , débet converti simpliciter.
Aliquando vero invenitur P, et significat
quod illa propositio vel conclusio , cui de-
servit syllaba, débet converti per accidens..
Aliquando vero invenitur AI, et significat
quod praemissae illius syllogismi debent
transponi, ut de majori fiât minor , et e
converso. Aliquando invenitur G, et signi-
ficat quod iste syllogismus non potest re-
duci per conversionem, sed solum per syl-
logismurn conversivum, et hoc solum acci-
dit in duobus syllogismis , scilicet Baroco
et Bocardo, ut dictum est. Sciendum quod
prœdictœ regulae praeterquam régula de
littera C,-intelliguntur solum de reductione
syllogisinorum facta per conversionem , et
non de ea quae facta est per syllogismum
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 287
gismes par conversion , et non de celle qui se fait par le syllogisme
conversif. Tel est ce qui regarde les syllogismes conversifs de inesse.
CHAPITRE IX.
De l'invention du moyen terme pour les syllogismes de toutes les figures,
tant affirmait f s que négatifs.
Cela connu, pour pouvoir plus facilement tirer une conclusion et
argumenter, il est bon de savoir que toute conclusion renferme les
deux extrêmes , comme il a été dit. Or tout syllogisme se compose de
trois termes. Lors donc que l'on a une conclusion à tirer, pour com-
pléter le syllogisme il faut un autre terme qu'on appelle moyen terme.
Voyons comment on trouve ce moyen terme. Sur cela il faut re-
marquer qu'Aristote , dans son livre I. Priorum , se sert de trois
dénominations de termes, savoir l'antécédent, le conséquent et le
neutre. On appelle antécédent le terme susceptible de subjectivité ,
comme homme est antécédent d'animal; on appelle conséquent le
terme qui peut se dire d'une autre chose , et ainsi animal est consé-
quent d'homme. Et comme les termes susceptibles de conversion
peuvent échanger entre eux la subjectivité et la prédication , comme
le propre qui peut se dire de l'espèce et l'espèce du propre, il en est
de même de la définition et du défini , il s'ensuit que l'un , par rap-
port à l'autre , est appelé antécédent et conséquent réciproque-
ment. Le terme neutre est celui qui n'est susceptible à l'égard d'un
autre, ni de subjectivité ni de prédication , comme homme et âne qui
se trouvent réciproquement dans ce cas. Il faut savoir que les modes
des syllogismes à conclusion directe, comme nous l'avons dit, sont
au nombre de quatorze, savoir, quatre dans la première figure,
conversivum. Et sic patet de syllogismis
de inesse conversivis.
CAPUT IX.
De invenlione medii termini syllogismis
omnium figurarum tam affirmativis ,
quam negalivis.
Scitis syllogismis, ut facilius possimus
quamcumque conclusionem ccncludere et
syllogizare, sciendum quod omnis conclu-
sio in se continet ambas extremitates, ut
dictum est : totus autem syllogismus ex
tribus terminisfit. Habita ergo quacumque
oratione concludenda ad complendum syl-
logismum, egemus uno termine-, scilicet
medio. Qualiter autem talis médius termi-
nus inveniatur, videamus. Ubi nota , quod
Philosophus primo Prioiiim tribus utitur
nominibus terminorum , scilicet antécé-
dente, conséquente et répugnante. Dieitur
autem terminus antecedens qui potest
subjici, ut homo est antecedens ad animal,
consequens autem dieitur terminus, qui
potest de alio praedicari , et sic animal est
consequens ad hominem. Et quia termini
convertibiles inter se et subjici et praedi-
cari possunt, ut proprium quod potest
praedicari de specie, et species de ipso , et
similiter se habet de diffinitione et diffi-
nito, ideo unus respectu alterius, et dieitur
antecedens, et dieitur consequens. Repu-
gnans vero terminus dieitur, qui alteri
subjici non potest, nec de eo praedicari, ut
homo et asinus, quorum neuter de alteio
potest praedicari, nec sibi subjici. Sciendum
quod modi syllogismorum directe conclu-
dentium , ut dictum est , sunt quatuorde- «
cim , scilicet quatuor in prima figura , qua-y
288 OPLSCLLE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 9.
quatre dans la seconde , et six dans la troisième, car je ne m'occupe
pas ici de ceux qui sont à conclusion indirecte. Il y a donc dans la pre-
mière figure deux modes affîrmatifs à conclusion directe , savoir, le
premier et le troisième, et deux négatifs, savoir, le second et le
quatrième. Pour trouver le moyen terme dans les modes affîrmatifs ,
il faut considérer un terme qui soit antécédent par rapport au prédicat,
et conséquent par rapport au sujet. Par exemple, si l'on veut mettre
en forme cette proposition, tout homme est substance , on a déjà le
grand et le petit extrême. Le conséquent par rapport au sujet, et
l'antécédent par rapport au prédicat, c'est animal. Donc il est moyen
terme par ce syllogisme dans le premier mode de la première figure ,
de cette manière : tout animal est substance, tout homme est animal,
donc tout homme est substance. Mais si la conclusion doit être celle-
ci , quelque homme est substance , animal sera moyen terme dans le
troisième mode de la même figure , et on fera ainsi le syllogisme :
tout animal est substance , quelque homme est animal , donc quelque
homme est substance. Dans les syllogismes négatifs de la même figure,
on prend pour moyen terme celui qui est neutre à l'égard du pré-
dicat , et qui est conséquent par rapport au sujet. Par exemple , si la
conclusion doit être celle-ci , nul homme n'est pierre , ou quelque
homme n'est pas pierre , on prendra animal pour moyen terme ; car
il y a répugnance entre animal et pierre , tandis qu'animal peut se
dire de l'homme; on fera donc le syllogisme dans le second mode de
la première figure , de cette manière , nul animal n'est pierre , tout
homme est animal, donc nul homme n'est pierre. Dans le quatrième,
on procédera ainsi, nul animal n'est pierre, quelque homme est
animal, donc quelque homme n'est pas pierre. Voilà comment se
trouve le moyen terme dans la première figure. Dans la seconde figure,
tuor in secunda, et sex in tertia : quia de
indirecte concludentibus hic non me intro-
mitto. In prima igitur figura sunt duo
modi afiïrmativi directe concludentes, sci-
licet primus, et tertius : et duo negativi,
scilicet seeundus, et quartus. Ad invenien-
dum médium in afïirmativis, considerandus
est unns terminus, qui sit antecedens ad
pradicatum , et consequens ad subjectum.
Verbi gratia. Si débet syllogizari heec, sci-
licet omnis homo est substantia, jam habe-
tur minor et major extremitas. Consequens
autem ad subjectum, et antecedens ad
pradicatum est animal, ergo est médius
terminus per hune syllogismum in primo
modo primœ figura sic. Omne animal est
substantia , omnis homo est animal, ergo
omnis homo est substantia; si \ero débet
concludi hœc , quidam homo est substan-
tia : in tertio modo ejusdem figura est
médius terminus animal , et fiet syllogis-
mus sic. Omne animal est substantia, qui-
dam homo est animal, ergo quidam homo
est substantia. In syllogismis vero negativa
ejusdem figura sumiiur pro medio repu-
gnans prœdicato, et consequens ad subjec-
tum. Verbi gratia. Si débet concludi h;«c :
nullus homo est lapis. Vel quidam homo
non est lapis . sumatur pro medio animal.
Répugnât enim animal lapidi, et potest
pradicari de homine : fiât ergo syllogismus
in secundo modo prima? sic. Nullum ani-
mal est lapis, omnis homo est animal,
ergo nullus homo est lapis. In quarto vero
sic, nullum animal est lapis, quidam homo
est animal, ergo quidam homo non est la-
pis. Et sic patet de inventione medii tor-
mini in prima figura. In secunda autem
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 289
il y a quatre modes tous négatifs , dont le premier et le troisième ont
la majeure négative et la mineure affirmative. C'est tout le contraire
pour le second et le quatrième qui ont la majeure affirmative et la
mineure négative , aussi le moyen terme se prend différemment de
part et d'autre. C'est pourquoi dans le premier et le troisième on
prend pour moyen le terme qui répugne au prédicat et qui est consé-
quent par rapport au sujet. Par exemple, si l'on doit avoir cette con-
clusion, nul homme n'est pierre, ou celle-là, quelque homme n'est
pas pierre , on prendra l'un pour moyen terme , et on établira le syl-
logisme dans le premier mode de la seconde figure, de cette manière :
nulle pierre n'est animal, tout homme est animal , donc nul homme
n'est pierre. Dans le troisième mode on fera ainsi , nulle pierre n'est
animal , quelque homme est animal , donc quelque homme n'est pas
pierre. Dans le second et le quatrième mode on prendra pour moyen
terme le conséquent ou prédicat , et ce qui répugne au sujet. Par
exemple, si on veut avoir cette conclusion, nul homme n'est pierre,
ou celle-ci, quelque homme n'est pas pierre, on prendra pour moyen
inanimé , qui peut se dire de la pierre et qui répugne à l'homme , et
on établira ainsi le syllogisme dans le second mode , toute pierre est
inanimée , nul homme n'est inanimé , donc nul homme n'est pierre.
Dans le quatrième mode on fera de cette manière : toute pierre est
inanimée, quelque homme n'est pas inanimé, donc quelque homme
n'est pas pierre. On voit ainsi comment se prend le moyen terme dans
la seconde figure. Dans la troisième figure il y a six modes tous à conclu-
sion particulière, dont trois sont affirmatifs, trois négatifs. Dans les af-
matifs, savoir, le premier, le troisième et le quatrième, on prend pour
moyen celui qui est l'antécédent des deux autres. Par exemple, si l'on
doit conclure dans le premier mode, quelque animal est substance,
figura sunt quatuor modi omnes negativi ,
quorum primus et tertius habent majorera
propositionem negativam, minorem vero
alïirmativam. Secundus autem et quartus
econverso majorera habent afïirmativam ,
minorem vero negativam, et ideo aliter
utrobique sumitur médium. Unde in primo
et tertio sumitur pro medio repugnans prœ-
dicato, et consequens ad subjectum. Verbi
gratia. Si débet concludi ista. Nullushomo
est lapis, vel illa, quidam homo non est
lapis : pro medio sumatur alter, et syllo-
gizetur in primo secundœ sic. Nullus lapis
est animal, omnis homo est animal, ergo
nullus homo est lapis. In tertio modo sic,
nullus lapis est animal, quidam homo est
animal, ergo quidam homo non est lapis.
In secundo vero, et quarto modo sumatur
pro medio consequens ad preedicatum et
V.
repugnans subjecto. Verbi gratia: Si débet
concludi ista. Nullus homo est lapis, vel
ista, quidam homo non est lapis, sumatur
pro medio inanimatum, quod potest prae-
dicari de lapide et répugnât homini , et
syllogizetnr in secundo modo sic : Omnis
lapis est inanimatus, nullus homo est ina-
nimatus, ergo nullus homo est lapis. In
quarto modo sic : Omnis lapis est inanima-
tus, quidam homo non est inanimatus,
ergo quidam homo non est lapis. Et sic
patet de inventione medii termini in se-
cunda figura. In tertia vero figura sunt
sex modi omnes concludentesparticulariter,
quorum très sunt affirmative, et très néga-
tive. In quibus afïirmativis, scilicet primo,
tertio, quarto, sumitur pro medio antece-
dens ad utrumque. Verbi gratia : Si débet
concludi haec in primo modo, scilicet
19
290 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 9.
on prendra pour moyen homme dont peuvent se dire animal et
substance , et on raisonnera ainsi : tout homme est substance , tout
homme est animal, donc quelque animal est substance; on raison-
nera ainsi dans le quatrième : tout homme est substance , quelque
homme est animal, donc quelque animal est substance. Dans les trois
négatifs on prend pour moyen le terme qui répugne au prédicat et
qui est antécédent du sujet. Par exemple, si l'on doit conclure,
quelque animal n'est pas pierre , on prendra pour moyen homme qui
répugne à pierre et duquel se dit animal , et on fera le syllogisme
dans le second mode de cette manière : nul homme n'est pierre , tout
homme est animal, donc quelque animal n'est pas pierre. Dans le cin-
quième on procédera ainsi : quelque homme n'est pas pierre , tout
homme est animal, donc quelque animal n'est pas pierre. On voit par
là comment se trouve le moyen dans la troisième figure. Remarquez
que pour trouver tout d'abord l'antécédent et le conséquent , les
termes convertibles peuvent être indifféremment antécédent ou consé-
quent , parce que définition , description et interprétation sont des
termes qui se convertissent avec défini , décrit et interprété. Prenez
le terme dont vous voulez trouver l'antécédent et le conséquent , dé-
finissez-le, décrivez-le ou interprétez-le , employez ensuite les règles
dont nous avons parlé. Par exemple, si vous voulez avoir dans le pre-
mier mode de la première figure cette conclusion , tout ce qui court
se meut , dans laquelle vous devez prendre l'antécédent du prédicat ,
définissez , ou décrivez , ou interprétez se mouvoir de cette manière :
se mouvoir, c'est changer de lieu dans le temps; mais tout ce qui
court change de lieu dans le temps, donc tout ce qui court se meut.
quoddam animal est substantia , sumatur
pro medio homo , de quo animal et sub-
stantia prœdicari possunt, et syllogizetur
sic : Omnis homo est substantia , omnis
homo est animal , ergo quoddam animal
est substantia; in tertio modo sic : Quidam
homo est substantia, omnis homo est animal,
ergo quoddam animal est substantia : in
quarto vero sic : Omnis homo est substantia,
quidam homo est animal, ergo quoddam ani-
mal est substantia. In tribus vero negativis
sumitur pro medio repUgnans praedicato, et
antecedëns ad subjectum. Verbi gratia, si dé-
bet concludi haec, quoddam animal non est
lapis, sumatur pro medio homo quod répu-
gnât lapidi, et de quo animal praedicatur, et
syllogizetur etiam in secundo modo sic :
Nullus homo est lapis, omnis homo est
animal, ergo quoddam animal non est la-
pis. In quinto vero sic : Quoddam homo
non est lapis, omnis homo est animal ergo
quoddam animal non est lapis. In sexto
autem sic : Nullus homo est lapis, quidam
homo est animal, ergo quoddam animal
non est lapis. Et sic patet de inventione
medii in tertia figura. Notandum quod ad
inveniendum cito antecedëns et consequens
termini convertibiles possunt esse antece-
dëns et consequens indifferenter, quia dif-
finitio, et descriptio, et interpretatio sunt
termini convertibiles cum diffinito , des-
cripto et interpretato. Accipias terminum
cujus vis invenire antecedëns et conse-
quens, et diflinias ipsum, vel descrihas, vel
interpreteris, postmodum utere regulis su-
pradictis. Verbi gratia, si vis concludere in
primo modo prima? figuras istam , omne
currens movetnr , ubi debes sumere ante-
cedëns ad praedicatum, diffinias vel descri-
bas, vel interpreteris moveri quod descri-
bitur sic : moveri est mutare locum in
tempore, sed omne currens mutât locum
in tempore, ergo omne currens movetur.
Et sic potest lieri de diffinitione et inter-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 291
On pourra en faire autant à l'égard de la définition et de l'interpréta-
tion. Voilà comment se trouve le moyen dans les syllogismes ostensifs
de inesse.
CHAPITRE X.
De la différence qui existe entre le syllogisme ad impossibile et le
syllogisme ostensij.
Après avoir parlé des syllogismes ostensifs et de la manière de
trouver leur moyen terme , nous allons traiter des syllogismes ad im-
possibile. Le syllogisme ad impossibile diffère de l'ostensif. Car le syl-
logisme ostensif tire une conclusion vraie de deux prémisses vraies ;
tandis que le syllogisme ad impossibile ne fait pas ainsi , mais d'une
prémisse fausse il tire une conclusion évidemment fausse; ensuite,
par la contradiction de la conclusion fausse , il tire de nouveau une
conclusion contradictoire à la prémisse fausse. Par exemple : Suppo-
sons qu'un adversaire émette cette proposition fausse, tout homme
court, j'argumenterai contre cette proposition par le syllogisme
ostensif de cette manière, en prenant deux prémisses vraies et en
tirant une conclusion contradictoire à la proposition susdite : Celui
qui est en repos ne court pas , quelque homme est en repos , donc
quelque homme ne court pas. Cette conclusion contredit la propo-
sition de l'adversaire, quiétoit, tout homme court, et comme la
sienne est fausse, la mienne se trouve vraie, et vice versa. Si d'un
autre côté je veux la réfuter par le syllogisme ad impossibile , je la
prends avec une autre proposition vraie , et j'en fais les prémisses
d'un syllogisme d'où je tire une conclusion évidemment fausse , je
prends ensuite la contradictoire de cette conclusion fausse , et j'en
déduis une autre conclusion contradictoire de la prémisse fausse , de
cette manière : tout ce qui court se meut , tout homme court , donc
pretatione. Et sic patet de inventione me-
dii in syllogismis de inesse ostensivis.
GAPUT X.
De differenlia syllogismi ad impossibile ab
ostensivo.
Dicto de syllogismis ostensivis, et de in-
ventione medii eorum, dicendum est de
syllogismis ad impossibile. Dicitur enim
syllogismus ad impossibile ab ostensivo.
Nam ostensivus ex duabus preemissis veris
concludit conclusionem veram. Syllogis-
mus vero ad impossibile non sic facit , sed
ex altéra praemissarum falsa concludit fal-
sum evidenter. Deinde ex contradictioiie
falsa conclusio iterum concludit contradic-
tionem pewariasœ falsee. Verbi gratia , de
utroque. Dato quod adversarius diceret
hanc propositionem falsam , scilicet omnis
homo currit ; contra eam per syllogismum
ostensivum arguo sic, quia sumo duas prae-
missas veras , et concludo contradictionem
propositionis prœdictae sic : Nullum quies-
cens currit , quidam homo quiescit , ergo
quidam homo non currit. Haec conclusio
contradicit propositioni adversarii , quae
erat, omnis homo currit , et quia sua est
falsa, mea est vera, et e converso. Si vero
volo eam reprobare per syllogismum ad
impossibile, sumo eam cum altéra proposi-
tione vera, et facio eas praemissas alicujus
syllogismi, et concludo conclusionem fal-
sam evidenter , et assumo contradictorium
istius conclusionis falsœ, et ex ea concludo
contradictoriarn fais* praemissœ sic : Omne
currens movetur, omnis homo currit, ergo
292 OPUSCULE XLVIÏ , TRAITÉ i 0, CHAPITRE i 1 .
tout homme se meut , mais quelque homme ne se meut pas , donc
quelque homme ne court pas. De cette manière, par la fausseté de
cette prémisse , je démontre la vérité de ma proposition , et par la
vérité de celle-ci je démontrera fausseté de l'autre. La raison pour
laquelle cette dernière conclusion du syllogisme ad impossibile est
vraie, c'est que dans les syllogismes ordonnés dans le mode et la
figure , la conclusion n'est jamais fausse , à moins que quelqu'une
des prémisses ne le soit. Or on tire d'abord ostensivement une con-
clusion fausse, savoir, tout homme se meut. Donc la proposition de
l'adversaire , tout homme court , est fausse , donc sa contradictoire ,
quelque homme ne court pas, qui est la dernière conclusion du syllo-
gisme ad impossibile différent de l'ostensif , est vraie.
CHAPITRE XI.
Dans quels modes et dans quelles figures se font les syllogismes
ad impossibile.
Nous allons dire maintenant dans quelles figures et dans quels
modes peuvent se faire les syllogismes ad impossibile. Il faut savoir
d'abord , comme on l'a dit , que la conclusion du syllogisme ad im-
possibile n'est pas la conclusion fausse qui se tire d'abord par le syl-
logisme ostensif, mais bien la dernière, c'est-à-dire celle qui est la
contradictoire de la prémisse fausse de l'adversaire. Elle doit toujours
être contradictoire et non pas contraire , parce que , comme on l'a dit
plus haut dans un autre traité , la loi des contradictoires est telle que,
si l'une est vraie, l'autre est fausse, mais non pas vice versa. C'est
pourquoi si la prémisse citée de l'adversaire est fausse, il s'ensuit
toujours qu'elle est vraie si la conclusion du syllogisme ad impossibile
omnis homo movetur ; sed quidam homo
non movetur, ergo quidam homo non cur-
rit. Modo ex falsitate hujus prsemissse os-
tendo veritatem hujus meae propositions,
et ex istius veritate ostendo falsitatem
illius. Ratio enim veritatis istius ultimae
conclusionis syllogismi ad impossibile est ;
quia in syllogismis ordinatis in modo et in
figura nunquam couclusio erit falsa , nisi
aliqua prsemissarum fuerit falsa. Conclu-
ditur autem primo ostensive conclusio falsa
scilicet omnis homo movetur, aliqua ergo
prsemissarum fuit falsa , non mea , scilicet
omne currens movetur, ergo propositio ad-
versarii , scilicet omnis homo currit , est
falsa, ergo ejus contradictoria, scilicet qui-
dam homo non currit, quse est ultima con-
clusio syllogismi ad impossibile ab osten-
sivo, est vera.
CAPUT XI.
De syllogismis ad impossibile , in quibus
modis, et in quibus figuris fiant.
Nunc dicendum est in quibus figuris et
in quibus modis syllogismi ad impossibile
possunt fieri. Ubi primo sciendum, sicut
dictum est, quod conclusio syllogismi ad
impossibile non est illa quse per syllogis-
mum ostensivum primo falsse concluditur,
sed quse ultimo concluditur , scilicet con-
tradictoria prsemissae adversarii falsse. Dé-
bet autem semper esse contradictoria et
non contraria , quia ut supra in alio trac-
tatu dictum est, lex contradictoriarum talis
est, quod si una est vera, reliqua est falsa,
et non e converso. Unde si prsemissa as-
sumpta adversarii quse est falsa semper
sequitur, si conclusio syllogismi ad impos-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 293
est sa contradictoire. Mais si c'étoit le contraire , quelque fausse que
fût celle-ci, il ne s'ensuivroit pas nécessairement que l'autre est
"vraie. Car deux contraires peuvent être fausses en même temps. Donc
suivant ce que nous avons dit , comme il n'y a dans la première figure
aucun syllogisme qui ait une de ses prémisses particulière négative ,
il ne pourra pas y avoir dans la première figure une conclusion per
impossibile, mais une conclusion universelle. Mais comme dans le
premier mode de la première figure les deux prémisses sont des uni-
verselles affirmatives, dont les opposées sont des particulières néga-
tives , il ne peut conséquémment y avoir qu'une particulière négative,
si on prend d'abord une majeure fausse, par exemple, tout homme est
pierre, tout ce qui est susceptible de rire est homme , donc tout ce qui
est susceptible de rire est pierre ; mais il y quelque chose susceptible
de rire qui n'est pas pierre , donc quelque homme n'est pas pierre. Si
l'on prend une mineure fausse, la conséquence est la même. Exemple:
Tout ce qui est susceptible de rire est homme; toute pierre est suscep-
tible de rire. Donc toute pierre est homme , mais quelque pierre n'est
pas homme, donc quelque pierre n'est pas susceptible de rire. Au
contraire dans le second mode de la première figure on peut tirer une
conclusion particulière affirmative, et une particulière négative de
cette manière : nul homme n'est animal , tout ce qui est susceptible
de rire est homme , donc rien de ce qui est susceptible de rire n'est
animal ; mais il y a quelque chose susceptible de rire qui est animal ,
donc quelque homme est animal. La particulière négative se tire
ainsi : nul homme n'est pierre, toute perle est homme, donc nulle
perle n'est pierre, mais quelque perle est pierre, donc quelque perle
n'est pas homme. Dans le troisième mode de la première figure on
tire per impossibile une conclusion particulière négative, et une uni-
sibile est sibi contradictoria quod sit vera.
Si vero esset sibi contraria quantumcum-
que illa foret falsa, non tamen necessario
sequeretur istam esse veram. Duae enirn
contrariée possunt sirnul esse falsae, ut su-
pra dictum est. Secundum ergo dicta cum
in prima figura nullus syllogismus sit qui
habeat aliquam praemissarum particularem
negativam , conclusio in prima figura non
poterit coacludi per impossibile , sed uni-
versalis. Quia vero in primo modo primes
figurse ambre preemissae surit universales
affirmativae, quarum oppositae sunt parti -
culares negativa?, ideo in ea non potest
concludi nisi particularis negativa, si su-
matur primo major falsa , scilicet , Omnis
homo est lapis, omne risibile est homo,
ergo omne risibile est lapis; sed quoddam
risibile non est lapis, ergo quidam homo
non est lapis. Si sumatur minor falsa, idem
sequitur sic : Omne risibile est homo ,
omnis lapis est risibilis , ergo omnis lapis
est homo ; sed quidam lapis non est homo,
ergo quidam lapis non est risibilis. In se-
cundo vero modo primée figurae potest con-
cludi particularis affirmativa et particularis
negativa sic, nullus homo est animal, omne
risibile est homo , ergo nullum risibile est
animal; sed quoddam risibile est animal,
ergo quidam homo est animal; particu-
laris negativa sic : Nullus homo est lapis,
omnis margarita est homo, ergo nulla
margarita est lapis; sed queedam marga-
rita est lapis, ergo quaedam margarita non
est homo. In tertio vero modo primas fi-
gurée concluditur per impossibile particu-
laris negativa et universalis negativa. Par-
ticularis negativa sic : Omnis homo est la-
294 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 11.
verselle négative. La particulière négative se tire ainsi : tout homme
est pierre, quelque chose susceptible de rire est homme, donc quel-
que chose susceptible de rire est pierre; mais rien de ce qui est sus-
ceptible de rire n'est pierre , donc quelque homme n'est pas pierre.
L'universelle négative de cette manière : tout homme est animal,
quelque pierre est homme , donc quelque pierre est animal ; mais
nulle pierre n'est animal, donc nulle pierre n'est homme. Dans le
quatrième mode on tire une conclusion particulière affirmative de
cette manière ; nul animal n'est substance, quelque perle est animal,
donc quelque perle n'est pas pierre ; mais toute perle est pierre, donc
nulle perle n'est animal. Tels sont les syllogismes ad impossibile qui
peuvent se faire dans la première figure. Ils peuvent se faire de la
même manière dans les deux autres figures, de sorte que de l'opposé
de la fausse conclusion se déduise l'opposé de la fausse prémisse ,
c'est-à-dire l'opposé de la prémisse fausse qui est son contradictoire.
C'est pourquoi , comme dans le premier mode et le second de la se-
conde figure les prémisses sont une universelle affirmative et une
universelle négative , dont les opposées sont la particulière négative
et la particulière affirmative, il s'ensuit que l'on y peut tirer par le
syllogisme ad impossibile une conclusion particulière affirmative , et
une conclusion particulière négative; une particulière affirmative,
en prenant une majeure fausse; une particulière négative, en prenant
une mineure fausse. Il faut faire ainsi dans tous les autres modes tant
de la seconde que de la troisième figure. Il faut savoir que l'univer-
selle affirmative per impossibile ne peut avoir de conclusion que dans
le quatrième mode de la seconde figure et dans le cinquième de la
troisième , c'est-à-dire dan^ les modes dont on a dit plus haut qu'ils
pis, quoddam risibile est homo, ergo quod-
dam risibile est lapis; sed nullum risibile
est lapis, ergo quidam homo non est lapis.
Universalis negativa sic : Omnis homo est
animal, quidam lapis est homo, ergo qui-
dam lapis est animal ; sed nullus lapis est
animal, ergo nullus lapis est homo. In
quarto vero modo concluditur particularis
afiîrmativa sic : Nullum animal est sub-
stantia , quidam homo est animal , ergo
quidam homo non est substantia; sed om-
nis homo est substantia , ergo quoddam
animal est substantia. Universalis vero ne-
gativa sic : Nullum animal est lapis, quœ-
dam margarita est animal , ergo quidam
margarita non est lapis ; sed omnis mar-
garita est lapis , ergo nu lia margarita est
animal. Et sic patet de syllogismis ad im-
possibile, qui possunt fieri in prima figura.
Et eodem modo possunt fieri in aliis dua-
bus figuris, ut scilicet ex opposito falsae
conclusionis inferatur oppositum falsae
praemissae, oppositum scilicet falsae prae-
missae , quod est contradictorium ejus.
Unde quia in primo modo et secundo
modo secundee figurae praemissae sunt uni-
versalis affirmativa et universalis negativa,
quarum oppositae sunt particularis negativa
et particularis affirmativa; ergo in eis po-
test concludi per syllogismum ad impossi-
bile particularis affirmativa et particularis
negativa. Particularis affirmativa, si su-
matur major falsa ; negativa vero si suma-
tur minor falsa. Et sic fiât in omnibus aliis
modis tam secundae quam tertiae figurae.
Sciendum, quod universalis affirmativa per
impossibile non potest concludi, nisi in
quarto modo secundae figurae et in quinto
terthf , in his videlicet modis de quibus
supradictum est , quod per conversiones
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 295
ne pouvoient se ramener aux modes de la première figure par les con-
versions des propositions. La raison de cela c'est que ces deux modes
seuls ont une prémisse particulière négative , je veux parler des syl-
logismes à conclusion directe. Nous allons donner un exemple des
deux manières dont on tire dans ces syllogismes une conclusion per
impossibile universelle affirmative dans le quatrième mode de la se-
conde figure. Tout homme est animal, quelque chose susceptible de
rire n'est pas animal, donc quelque chose susceptible de rire n'est pas
homme ; mais tout ce qui est susceptible de rire est homme , donc
tout ce qui est susceptible de rire est animal. Pour le cinquième mode
de la troisième figure. Quelque homme n'est pas animal , tout homme
est susceptible de rire , donc quelque chose susceptible de rire n'est
pas animal; mais tout ce qui est susceptible de rire est animal, donc
tout homme est animal. Il faut remarquer qu'Aristote dans son livre
secundo Priorum ne fait qu'une prémisse fausse dans tout mode de
toute figure , et ne déduit dans chacun qu'une seule conclusion par
le syllogisme ad impossibile, tandis que nous nous prenons dans
chacun deux prémisses fausses , et nous tirons per impossibile la
conclusion opposée à chacune. Notez bien qu'il est mieux de prendre
une mineure fausse dans la première et la seconde figure , parce que
ce qui se trouve par subjection dans l'opposé de la conclusion fausse
se trouve de la même manière ensuite dans la conclusion du syllo-
gisme ad impossibile. Par exemple dans la première figure : tout
homme est animal, toute pierre est homme, donc toute pierre est
animal, mais quelque pierre n'est pas animal, donc quelque pierre
n'est pas homme; de cette manière pierre est sujet dans l'opposé de
la conclusion fausse , et dans la dernière conclusion. Mais si on prend
une majeure fausse, on peut la colorer, comme nous l'avons dit, et
propositionum non poterant reduci ad mo-
dos prima? figurée. Et causa est , quia so-
lum isti duo modi habent pramissam par-
ticularem negativam , et non alii , et dico
de syllogismis directe concludentibus. Po-
namus exemplum de utroque modo quali-
ter in eis concludatur per impossible uni-
versalis affirmativa in quarto modo secun-
dae figurae sic : Omnis homo est animal,
quoddam risibile non est animal, ergo
quoddam risibile non est homo ; sed omue
risibile est homo ; ergo omne risibile est
animal. In quinto modo tertiee figurée sic :
Quidam homo non est animal; omnis ho-
mo est risibilis, ergo quoddam risibde non
est animal; sed omne risibile est animal,
ergo omnis homo est animal. Notandum
quod Philosophus, II Priorum, facit solum
unam preemissam falsam in quolibet modo
! omnium figurarum, et concludit per syllo-
gismum ad impossibile in quolibet solum
unam conclusionem, et tamen nos in quo-
libet modo dicimus utramque falsam , et
concludemus per impossibile oppositam
utriusque. Notandum quod in prima et
secunda figura magis congrue ponitur mi-
nor falsa, quia quod subjicitur in opposita
conclusionis falsee, subjicitur postea in con-
clusione syllogismi ad impossibile. Verbi
gratia in prima figura sic : Omnis homo
est animal, omnis lapis est homo, ergo
omnis lapis est animal; sed quidam lapis
non est animal; ergo quidam lapis non est
homo ; modo lapis est subjectum in oppo-
sita conclusionis falsee et in conclusione
ultima ; si vero ponitur major falsa, colo-
rari potest, ut dictum est , et communiter
sic utimur. Patet ergo qui syllogismi ad
OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 12.
c'est ce qui se fait communément. On voit donc ce que c'est que les
syllogismes ad impossibile, et dans quels modes et quelles figures ils
se font.
CHAPITRE XII.
Comment les syllogismes ad impossibile se ramènent aux syllogismes
ostensifs.
Comme tous les syllogismes ad impossibile se ramènent aux syllo-
gismes ostensifs, nous allons voir comment cela se fait. Il faut savoir
que les syllogismes qui se font ad impossibile dans la première figure,
sont ostensifs dans la seconde et la troisième figure. En effet si la
conclusion est l'opposée de la majeure fausse , il se fait un syllogisme
ostensif dans la troisième figure de cette manière ; comme par exem-
ple dans le premier mode de la première figure lorsqu'on tire une
conclusion qui est l'opposé de la majeure. Tout homme est pierre ,
tout ce qui rit est homme , donc tout ce qui rit est pierre ; mais quel-
que chose qui rit n'est pas pierre, donc quelque homme n'est pas
pierre. Cette conclusion, quelque homme n'est pas pierre , a été pré-
cédée de quatre énonciations , dont deux étoient fausses, savoir la
majeure, et la conclusion de ce syllogisme ostensif: deux étoient
vraies, savoir la mineure de ce syllogisme, et l'opposée de la conclu-
sion de ces deux vraies dans la troisième figure se déduit la conclusion
susdite, quelque homme n'est pas pierre, de telle façon que l'op-
posée de la conclusion devienne la majeure, et que la mineure du
syllogisme ostensif reste mineure de cette manière : Quelque chose
qui rit n'est pas pierre, tcut ce qui rit est homme, donc quelque
homme n'est pas pierre ; c'est là le cinquième mode de la troisième
figure. Quand la conclusion est per impossibile l'opposé de la mineure,
impossibile , et in quibus modis et figuris
fiant.
CAPUT XII.
De syllogismis ad tm; ossibile , qualiter re-
ducanlur ad syllogismos oslensivos.
Et quia omnes syllogismi ad impossibile
reducuntur ad syllogismos ostensivos, ideo
videndum est qualiter id fiât. Sciendum
quod syllogismi qui fiunt ad impossibile
in prima figura sunt ostensivi in secunda
et tertia figura. Si enim concluditur oppo-
sita majoris propositionis falsae , fit syllo-
gismus ostensivus in tertia figura sic. Verbi
gratia, in primo modo primœ figurae quam
concluditur oppositum majoris sic : Omnis
homo est lapis, omne risibile est homo,
ergo omne risibile est lapis; sed quoddam
risibile non est lapis, ergo quidam homo
non est lapis. Hanc conclusionem , scilicet
quidam homo non est lapis, quatuor enun-
tiationes pracesserunt , quarum duae fue-
runt laisse , scilicet major, et conclusio
illius syllogismi ostensivi ; duae vero fue-
runt verse, scilicet minor illius syllogismi,
et opposita conclusionis. Ex bis duabus
veris in tertia figura sequitur pradicta
conclusio , scilicet quidam homo non est
lapis ; ita quod opposita conclusionis fiât
major et minor syllogismi ostensivi rema-
neat minor sic : Quoddam risibile non est
lapis, omne risibile est homo, ergo quidam
homo non est lapis ; hic est quintus modus
tertiœ figura. Quando vero per impossi-
bile concluditur oppositum minoris , fit
syllogismus ostensivus in secunda figura.
SIR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 297
on fait un syllogisme ostensif dans la seconde figure. Par exemple,
soit ce syllogisme adimpossibile, tout homme est animal, toute pierre
est homme , donc toute pierre est animal ; mais quelque pierre n'est
pas animal, donc quelque pierre n'est pas homme. Retranchons les
deux propositions fausses , savoir la mineure et la conclusion du syl-
logisme ostensif, et construisons le syllogisme dans le quatrième mode
de la seconde figure de cette manière : Tout homme est animal ,
quelque pierre n'est pas animal, donc quelque pierre n'est pas
homme. On fait de même dans les autres modes de la première figure,
de telle sorte que si dans le syllogisme ad impossibile la conclusion
est l'opposé de la majeure , il se ramène à la troisième figure , l'op-
posée de la conclusion étant la majeure avec une mineure vraie. Si
au contraire la conclusion est l'opposée de la mineure, c'est un syllo-
gisme ostensif dans la seconde figure , de manière que l'opposé de la
conclusion soit la mineure, et que la majeure vraie reste majeure.
Les syllogismes ad impossibile qui se font dans la seconde figure sont
ostensifs dans la première et la troisième. En effet si la conclusion
per impossibile est l'opposé de la majeure, c'est un syllogisme ostensif
dans la troisième figure. Par exemple soit ce syllogisme ostensif :
nul homme n'est animal, tout ce qui rit est animal, donc rien de
ce qui rit n'est homme ; mais quelque chose qui rit est homme, donc
quelque homme est animal. Retranchons les propositions fausses, et
faisons un syllogisme dans le quatrième mode de la troisième figure.
Tout ce qui rit est animal , quelque chose qui rit est homme , donc
quelque homme est animal. Il faut savoir que quand dans la première
figure le syllogisme avoit pour conclusion l'opposé de la majeure, il
étoit réduit et devenoit un syllogisme ostensif dans la troisième figure,
et l'opposé de la conclusion du premier syllogisme ostensif devenoit
Verbi gratia, fit syllogismus ad impossibile
iete : Omnis homo est animal, omnis lapis
est homo, ergo omnis lapis est animal ; sed
quidam lapis non est anixnal, ergo quidam
lapis non est homo. Auferantur duee falsœ,
scilicet minor et conclusio syllogismi os-
tensivi, et fiât syllogismus in quarto modo
secundœ figurse sic : Omnis homo est ani-
mal, quidam lapis non est animal, ergo qui-
dam lapis non est homo. Et sic fit in aliis
modis primae figurse, ut videlicet si in syl-
logismo ad impossibile concluditur opposi-
tum majoris, reducitur ad tertiam figuram,
opposita conclusionis existente majori et
cum minori vera. Si vero concluditur op-
positum minoris, fit talis syllogismus osten-
sivus in secunda figura, ita quod opposi-
tum conclusionis fit minor propositio et
major vera remaneat major. Syllogismi
vero ad impossibile quae fiunt in secunda
figura, sunt ostensivi in prima figura et in
tertia. Si enim concluditur per impossibile
oppositum majoris, sit ostensivus in tertia
figura. Verbi gratia, sit syllogismus ad im-
possibile iste : Nullus homo est animal,
omne risibile est animal , ergo nullum ri-
sibile est homo ; sed quoddam risibile est
homo, ergo quoddam homo est animal.
Auferantur falsae , et fiât syllogismus in
quarto modo tertiœ figurœ. Omne risibile
est animal : quoddam risibile est homo,
ergo quidam homo est animal. Sciendum
quod quando in prima figura syllogismus
ad impossibile concludebat oppositum ma-
joris, reducebatur, et fiebat syllogismus os-
tensivus in tertia figura, et oppositum
conclusionis primi syllogismi ostensivi fie-
bat major in secundo syllogisme, et minor
OPUSCULE XLVIl, TRAITÉ 10, CHAPITRE 12.
majeure clans le second syllogisme, et la mineure de ce même syllo-
gisme restoit mineure dans le second syllogisme. Mais il n'en est pas
de même, la mineure du premier syllogisme devient majeure dans le
second. Mais si la conclusion per impossibile est l'opposé de la mi-
neure, on fait un syllogisme ostensif dans la première figure de cette
manière : nul homme n'est pierre, tout ce qui rit est pierre, donc
rien de ce qui rit n'est homme ; mais quelque chose qui rit est homme,
donc quelque chose qui rit n'est pas pierre. Retranchons toutes les
fausses propositions , et faisons un syllogisme dans le quatrième mode
de la première figure de cette manière : nul homme n'est pierre ,
quelque chose qui rit est homme , donc quelque chose qui rit n'est
pas pierre. On procède de la même manière pour les syllogismes os-
tensifs des autres modes de la seconde figure. C'est pourquoi si la
majeure est fausse et la mineure vraie , alors la mineure devient ma-
jeure, et l'opposé de la conclusion devient mineure. Si au contraire
la majeure est vraie et la mineure fausse, alors la majeure reste ma-
jeure, et l'opposé de la conclusion devient mineure. Les syllogismes
ad impossibile , qui sont dans la troisième figure , sont ostensifs dans
la première et la seconde. C'est pourquoi si la conclusion per impos-
sibile est l'opposé de la majeure, il y a un syllogisme ostensif dans la
première figure, de manière que l'opposé de la conclusion du pre-
mier syllogisme devienne la majeure dans le second syllogisme , et
la mineure qui étoit vraie reste mineure de cette manière : tout homme
est pierre , tout homme rit , donc quelque chose qui rit est pierre ;
mais rien de ce qui rit n'est pierre, donc quelque homme n'est pas
pierre. Faisons un syllogisme ostensif dans la première figure de cette
manière : rien de ce qui rit n'est pierre, tout homme rit, donc nul
homme n'est pierre. L'universelle vraie est bien suivie de sa particu-
lière vraie. C'est pourquoi si cette proposition est vraie , nul homme
ejusdem -syllogismi remanebat minor in
secundo syllogisme-. Sed hic non fit ita,
sed minor primi syllogismi fit major in
secundo syllogisme Si vero concluditur
per impossibile oppositum minoris, fit syl-
logismus ostensivus in prima figura sic :
Nullus homo est lapis, omne risibile est la-
pis, ergo nullum risibile est homo, sed
quoddam risibile est homo, ergo quoddam
risibile non est lapis. Auferantur omnes
falsae, et liât syllogismus in quarto modo
primée figurée sic. Nullus homo est lapis,
quoddam risibile est homo, ergo quoddam
risibile non est lapis. Eodem modo syllo-
gismi ostensivi aliorum modorum secundœ
figurse. Unde si major est falsa, et minor
vera, tune minor sit major, et oppositum
conclusions fit minor. Si vero major sit
vera, et minor falsa, tune major remanet
major, et oppositum conclusionis fit mi-
nor. Syllogismi vero ad impossibile qui
sunt in tertia figura, sunt ostensivi in
prima figura, et secunda. Unde si per im-
possibile concluditur opposita majoris : fit
ostensivus in prima figura, ita videlicet
quod oppositum conclusionis primi syllo-
gismi fiât major propositio in secundo syl-
logismo, et minor quae fuit vera remaneat
minor sic : Omnis homo est lapis, omnis
homo est risibilis, ergo quoddam risibile
est lapis, sed nullum risibile est lapis,
ergo quidam homo non est lapis : fiât au-
tem ostensivus in prima figura sic : Nullum
risibile est lapis, omnis homo est risibilis,
ergo nullus homo est lapis. Ad uni ver sa-
lem veram bene sequitur sua particularis
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 299
n'est pierre, laquelle est'la conclusion de ce second syllogisme, cette
autre sera vraie aussi, quelque homme n'est pas pierre, laquelle
étoit la conclusion du syllogisme ad impossibile. Mais si la conclusion
per impossibile est l'opposée delà majeure, on fera un syllogisme
ostensif dans la seconde figure, de telle sorte que l'opposée de la con-
clusion du premier syllogisme devienne majeure dans le second, et
la majeure du premier syllogisme mineure de cette manière : tout
homme est animal, tout homme est pierre , donc quelque pierre est
animal ; mais nulle pierre n'est animal , donc quelque homme n'est
pas pierre ; on fera donc un syllogisme ostensif de cette manière :
nulle pierre n'est animal, tout homme est animal , donc nul homme
n'est pierre. Cette proposition est suivie de cette autre , quelque
homme n'est pas pierre. Il faut procéder de la même manière dans
les autres modes de la troisième figure. Tel est ce qui regarde les
syllogismes ad impossibile. 11 faut savoir qu'Aristote dans son livre
Priorum expose plusieurs autres genres de syllogismes, savoir les irré-
guliers, les conversifs, ceux ex oppositis , etc.. Mais comme il n'y a
en usage parmi les modernes que ces deux sortes de syllogismes de
inesse, je ne m'occuperai pas des autres. Yoilà donc ce qui concerne
les syllogismes de inesse.
CHAPITRE XIII.
Des syllogismes à propositions modales , relativement aux propositions
de necessario.
Nous allons parler maintenant des syllogismes modaux. Sur cela
il faut savoir que les propositions de necessario et impossibili et celles
de possibili et contingenti se prenant de la même manière, comme on
vera. Unde si haec est vera : nullus horao
est lapis, quae est conclusio istius secundi
syllogismi, erit etiam haec vera, quidam
homo,, non est lapis : quae fuit conclusio
syllogismi ad impossibile. Si vero per im-
possibile concluditur opposita minoris, fiât
syllogismus in secunda figura ostensivus :
ita quod opposita conclusions primi syllo-
gismi fiât major in secundo syllogismo , et
major primi syllogismi fiât minorsic : Om-
nis homo est animal, omnis homo est lapis :
ergo quidam lapis est animal : sed nullus
lapis est animal , ergo quidam homo non
est lapis : fiât ergo syllogismus ostensivus
sic : Nullus lapis est animal , omnis homo
est animal, ergo nullus homo est lapis. Ad
quam sequitur, quidam homo non est la-
pis. Eodem modo fiât in aliis modis tertias
figura. Et sic patet de syllogismis ad im-
possibile. Sciendum quod Philosophus in
libro Priorum multa alia gênera syllogis-
morum ponit, scilicet irregulares, conver-
sivos, ex oppositis, et multa alia. Sed quia
solum ista duo gênera syllogismorum de
inesse apud modernos sunt in usu, de
aliis non me intromisi. Patet ergo de syl-
logismis de inesse, etc.
CAPUT XIII.
De syllogismis modalibus,qnantum ad pro-
positiones de necessario.
Nunc dicendum est de syllogismis moda-
libus. Ubi sciendum , quod quia eodem
modo sumunlur propositiones de necessario
et impossibili , et illœ de possibili et con-
tingenti, ut supra in tractatu de conversio-
300 OPUSCULE XL VII , TRAITÉ 10, CHAPITRE 13.
l'a dit plus haut dans le traité des conversions, il y a deux manières
différentes dont se font les syllogismes modaux. Nous parlerons d'a-
bord des syllogismes de necessario auxquels peuvent se ramener ceux
de impossilili : Secondement nous nous occuperons des syllogismes de
contingenti auxquels se ramènent ceux de possibili pris d'une manière
contingente. Il faut savoir que les syllogismes de necessario ont quel-
ques-uns deux propositions nécessaires, et alors dans quelque figure
ou modes qu'ils le fassent, la conclusion est toujours nécessaire. Par
exemple , il est nécessaire que tout homme soit animal , il est néces-
saire que tout ce qui rit soit homme, donc il est nécessaire que tout
ce qui rit soit animal , et ainsi des autres. Remarquez qu'il y a né-
cessaire de deux manières, le nécessaire simplement, quand une
chose se trouve dans une autre simplement et non suivant un temps,
un lieu et autres choses de ce genre , comme il est nécessaire que
l'homme soit animal. Il y a un autre nécessaire secundum qaid, ou
suivant le temps , comme nous disons que tout ce qui existe doit né-
cessairement exister quand cela existe , ou suivant le lieu , ou tout
autre chose de ce genre. Et ce n'est pas de cette manière que se prend
la proposition nécessaire. Car quand Socrate court, il court nécessai-
rement, et cependant cette proposition Socrate court, n'est pas né-
cessaire mais contingente. Si les syllogismes de necessario ont une
proposition nécessaire , et une autre de inesse , quoiqu'ils concluent
toujours que le grand extrême se trouve dans la mineure, la conclusion
n'est pas toujours nécessaire; mais bien quelquefois oui, et quel-
quefois non. Sur quoi il faut observer que dans la première figure
la majeure étant nécessaire et la mineure de inesse, il s'ensuivra
toujours une conclusion nécessaire. Mais si la majeure est de inesse ,
quelque nécessaire que soit la mineure , la conclusion ne sera pas
nibus dictum est, ideo duobus modis fiunt
syllogismi modales inter se différentes.
Primo dicemus de syllogismis de necessario,
ad quos reduci possunt illi de impossibili.
Secundo de syllogismis de contingenti, ad
quos reducuntur illi de possibili contingen-
ter sumpto. Sciendum quod syllogismi de
necessario aliqui habent ambas propositio-
nes necessarias , et tune in quacunque fi-
gura, vel modo fiant, semper conclusio est
necessaria. Verbi gratia : Necesse est om-
nem hotninem esse animal , necesse est
omne risibile esse hominem , ergo necesse
est omne risibile esse animal, et sic "de sin-
gulis, etc. Notandum, quod duplex est ne-
cessarium, scilicet necessarium simpliciter,
quando aliquid inest alicui simpliciter, et
non secundum aliquod tempus, vel locum,
vel hujusmodi, sicut necessarium est homi-
nem esse animal. Aliud est necessarium se-
cundum quid, vel secundum tempus, sicut
dicimus quod omne quod est quando est,
necesse est esse, vel secundum locum, vel
secundum aliquod hujusmodi. Et isto modo
non sumitur propositio necessaria. Sortes
enim quando currit , necessario currit , et
tamen haec propositio , Sortes currit , non
est necessaria, sed contingens. Si vero
syllogismi de necessario alteram proposi-
tionem, habent necessariam, et alteram de
inesse : licet semper concludant majorem
extremitatem inesse minori , non tamen
semper concludunt ex necessitate : sed
quandoque sic, et quandoque non. Ubi
nota, quod in prima figura majori proposi-
tione existente necessaria, et minori de
inesse : sequetur semper conclusio necessa-
ria. Majori vero existente de inesse : quan-
tumeumque minor sit necessaria : non ta-
men conclusio erit necessaria : quia inve-
SUR LA. LOGIQUE d'aRISTOTE. 301
nécessaire, car il se trouve des termes où elle l'est et d'autres où elle
rie l'est pas. Par exemple : tout homme est animal , tout ce qui rit est
nécessairement homme , donc tout ce qui rit est nécessairement ani-
mal. Voilà des termes où il en est ainsi , en -voilà d'autres où ce n'est
pas de même. Tout homme est hlanc , tout ce qui rit est nécessaire-
ment homme, donc tout ce* qui rit est nécessairement hlanc. Cette
conclusion n'est pas nécessaire simplement. Il en est ainsi des autres
modes de la première figure, tant affirmatifs , que négatifs. Dans la
seconde figure, dans les trois premiers modes négatifs, la majeure
ou la mineure étant nécessaire, la conclusion sera nécessaire. Mais
l'affirmative étant nécessaire, et la négative de inesse, il ne s'ensuit
pas une conclusion nécessaire. On peut le voir fort clairement en ra-
menant ces syllogismes aux modes de la première figure , car dans
les syllogismes réduits , la majeure est négative. Mais dans la pre-
mière figure, comme il a été dit, si la majeure est nécessaire, la
conclusion l'est aussi; si elle ne l'est pas, ni la conclusion non plus.
Dans le quatrième mode de la seconde figure , quelle que soit la pro-
position nécessaire , soit l'affirmative , soit la négative , pourvu que
l'une ou l'autre soit de inesse , il ne s'ensuit pas toujours une con-
clusion nécessaire. Car si l'universelle affirmative n'est pas nécessaire,
on fera un syllogisme dans les mômes termes que le second mode de
la même figure, l'universelle affirmative étant nécessaire. Mais, comme
il a été dit, si l'affirmative est nécessaire, il ni s'ensuit pas une con-
clusion nécessaire , ce qui se voit par la réduction au second mode
de la première figure; donc il n'y en a pas ici non plus. Mais si la par-
ticulière négative est nécessaire , il ne s'ensuit pas toujours une con-
clusion nécessaire , comme on le voit dans ces termes ; tout blanc est
homme , quelque âne nécessairement n'est pas homme , on ne peut
niuntur termini ubi est sic, et ubi non est
sic. Verbi gratia : Oninis homo est animal,
omne risibile necessario est homo, ergo
omne risibile necessario est animal. Isti
autem sunt termini ubi sic. Termini vero
ubi non sunt isti. Omnis homo est albus :
omne risibile necessario. est homo, ergo
omne risibile necessario est album. Haec
autem conclusio non est necessaria simpli-
citer. Et sic est de aliis modis primae figu-
ras, tam aflirmativis quam negativis. In se-
cunda vero iigura in tribus primis modis
negativis propositione existente necessaria,
sive sit major, sive sit minor, conclusio erit
necessaria, ipsa existente de inesse. Aflir-
mativa vero existente necessaria , et nega-
tiva de inesse, non sequitur conclusio ne-
cessaria. Et hoc clare potest apparere redu-
cendo praedictos syllogismos ad modos
primœ figurai. Nam semper in syllogismis
reductis, negativa erit major. In prima
autem figura, ut dictum est, si major est
necessaria, et conclusio : si vero non, nec
conclusio. In quarto vero modo secundae
figura? quacumque propositione necessaria
sive affirmativa, sive negativa : dum modo
altéra sit de inesse, non semper sequitur
conclusio necessaria. Nam si universalis af-
firmativa non erit necessaria in eisdem
terminis, fiet syllogismus in quibus fict se-
cundus modus ejusdem figurai universali,
affirmativa existente necessaria : sed ut
dictum est, si affirmativa est necessaria,
non sequitur conclusio necessaria, quod
patet per reductionem ejus ad secundum
modum primae figura?, ergo nec hic sequi-
tur. Si vero particularis negativa est ne-
cessaria : non sequitur semper conclusio
necessaria, ut patet in his terminis, scili-
cet : Omne album est homo, quidam asinus
302 OPUSCULE XL Vil, TRAITÉ 10, CHAPITRE 13.
cependant pas conclure quelque àne nécessairement n'est pas blanc.
Dans la troisième figure il y a des syllogismes affîrmatifs, il y en a
de négatifs. Parmi les affîrmatifs quelques-uns ont leurs deux propo-
sitions universelles, et d'autres n'ont que l'une ou l'autre. Ceux qui
ont les deux propositions universelles, cruelle que soit celle des deux
qui est universelle , majeure ou mineure , ceux-là ont une conclusion
nécessaire, ce que l'on voit en les réduisant à la première figure.
Ceux qui n'ont que l'une des deux universelle , celle-ci étant néces-
saire, majeure ou mineure, ceux-là ont une conclusion nécessaire.
Si la particulière est nécessaire, il ne résulte pas une conclusion né-
cessaire , parce que en la ramenant à la première figure, la majeure
se trouve être de inesse , ou , comme on l'a dit, il n'y a pas de con-
clusion nécessaire. Parmi les syllogismes négatifs quelques-uns ont
une proposition négative universelle , quelques autres en ont une par-
ticulière. C'est pourquoi ceux qui ont une proposition négative uni-
verselle , celle-ci étant nécessaire , il ne s'ensuit pas une conclusion
nécessaire. Ceux qui ont une particulière négative et une universelle
affirmative, quelle que soit celle des deux qui est nécessaire, il ne
s'ensuit pas une conclusion nécessaire. Par exemple : quelque homme
ne veille pas, tout homme nécessairement est animal, donc quelque
animal nécessairement ne veille pas, et c'est là avec l'affirmative né-
cessaire. On procède ainsi avec la négative nécessaire : quelque blanc
nécessairement n'est pas animal, tout blanc veille, il ne s'ensuit pas,
donc quelque chose qui veille nécessairement n'est pas animal, puis-
que tout ce qui veille est nécessairement animal. Tel est ce qui con-
cerne les syllogismes modaux de necessario.
necessario non est homo, tamen non sequi-
tur, ergo quidam asiuus necessario non est
albus. In tertia vero figura sunt syllogismi
affirmativi, et sunt negativi. Affirmativo-
rum autem quidam habent ambas proposi-
tiones universales ; quidam vero alteram.
Qui habent ambas propositiones universa-
les, quacumque earum existente necessa-
ria, sivc majori, sive minori, sequitur con-
clusio necessaria, quod patet per reductio-
nem ejus ad primam figuram. Qui vero
habent alteram universalem, ea existente
necessaria sive majori, sive minori, sequi-
tur conclusio necessaria. Si vero particula-
ris sit necessaria , non sequitur conclusio
necessaria, quia si reducitur ad primam fi-
guram, major est de in esse : obi, ut dic-
tum est, non sequitur conclusio necessaria.
Negativorum vero quidam habent propo-
sitionem negativam universalem , quidam
autem particularem. Unde qui habent pro-
positionem negativam universalem , ea
existeute necessaria, non sequitur conclusio
necessaria. Qui vero habent negativam par-
ticularem, et aiïirmativam universalem,
quacumque earum existente necessaria,
non sequitur conclusio necessaria. Verbi
gratia sic : Quidam homo non vigilat, omnis
homo necessario est animal, ergo quoddam
animal necessario non vigilat, et hoc est
affirmativa existente necessaria. Negativa
autem existente necessaria sic : Quoddam
album necessario non est animal, omne al-
bum vigilat, non sequitur. Ergo quoJdam
vigilans necessario non est animal, cum
omne vigilans necessario sit animal : Et
sic patet de syllogismis modalibus de ne-
cessario.
SUR LA LOGIQUE D AR1ST0TE.
303
CHAPITRE XIV.
Des syllogismes contingents.
Nous allons traiter des syllogismes contingents. Remarquez ici qu'il
y a un double contingent, savoir le contingent quod inest et le con-
tingent qui peut inesse. On appelle ici contingent quod inest lorsque le
prédicat, sans être de l'essence du sujet ou son propre , est néanmoins
le terme qui peut être affirmé et nié du sujet, quoiqu'il soit affirmé
présentement actu. Et cette proposition, quoique de matière contin-
gente, est néanmoins dite du contingent quod inest. D'un autre côté ,
on dit qu'il y a contingent qui peut inesse , lorsque le prédicat est du
contingent, comme blanc par rapport à homme, cependant dans la
proposition il n'est pas dit actu inesse , mais d'une manière possible ,
comme lorsque je dis, il arrive que l'homme est blanc, le sens n'est
pas que l'homme soit blanc, mais qu'il peut être blanc. Il faut savoir
que dans la première figure, lorsque les deux propositions sont de con-
tingenti, la conclusion l'est aussi, de cette manière : il arrive que
tout blanc est musicien , il arrive que tout homme est blanc, donc il
arrive que tout homme est musicien , et il en est ainsi des autres
modes. Dans la seconde figure, si les deux propositions sont de contin-
genta, soit qu'elles soient affirmatives , ou l'une négative, soit qu'elles
soient universelles , ou l'une particulière , la conclusion ne sera jamais
de contingenti. Par exemple : il arrive que nul homme n'est blanc,
il arrive que tout ce qui rit est blanc , donc il arrive que rien de ce
qui rit n'est homme ;'on ne peut pas tirer cette conclusion , parce que
nécessairement tout ce qui rit est homme, et ainsi de tous les autres.
CAPUT xiv.
De syllogismis conlingentibus,
Sequitur de syllogismis contingentibus.
Ubi nota quod duplex est contingens, scili-
cet contingens quod inest, et contingens
quod potest inesse. Dicitur autem hic con-
tingens quod inest, quando praedicatum li-
cet non sit de essentia subjecti , vel pro-
prium ejus, tamen est terminus qui potest
prsedicari, et negari desubjecto, licet nunc
actu de eo pradicelur. Et talis propositio
licet sit de materia contingenti, tamen di-
citur de contingenti quod inest. Contin-
gens autem, quod potest inesse, dicitur
cum pradicatum est de contingenti, sicut
de albo respectu hominis, tamen in propo-
sitione non dicitur actu inesse , sed possibi-
lité!', ut cum dico, contingit hominem esse
album, non est sensus , quod homo sit al-
bus, sed quod potest esse albus. Sciendum
quod in prima figura utraque propositione
existente de contingenti, etiam conclusio
erit de contingenti sic : Contingit omne al-
bum esse musicum , contingit omnem ho-
minem esse album : ergo contingit omnem
hominem esse musicum , et sic est de aliis
modis. In secunda vero figura, si ambae pro-
positiones sunt de contingenti, sive sint af-
firmativae, srve altéra earum sit negativa,
sive sint universales, sive altéra earum sit
particularis, nunquam conclusio erit de
contingenti. Verbi gratia : Contingit nul-
lum hominem esse album : contingit omne
risibile esse album, ergo contingit nullum
risibile esse hominem, non sequitur, quia
necesse est omne risibile esse hominem, et
sic de omnibus aliis. In tertia vero figura,
304 OPUSCULE XLVIl, TRAITÉ 10, CHAPITRE 14.
Dans la troisième figure, quand les prémisses sont de contingenta ,
soit qu'elles soient affirmatives , ou l'une négative , soit qu'elles soient
universelles ou particulières, il s'ensuit toujours une proposition de
contingenti , comme il arrive que tout homme est blanc , il arrive
que tout homme est musicien , donc il arrive que tout musicien est
blanc, et il en est de même dans tous les autres modes. Si au con-
traire une des prémisses est de contingenti et de l'autre de inesse, il
ne s'ensuit pas- toujours une conclusion de contingenti. C'est pour-
quoi dans la première figure, quand la majeure est de contingenti ,
soit qu'elle soit affirmative ou négative , et la mineure simplement de
inesse, il suit toujours une conclusion de contingenti, comme, il
arrive que tout homme est blanc , tout ce qui rit est homme , donc il
arrive que tout ce qui rit est blanc. Mais quand la majeure est de
inesse , et la mineure de contingenti , il ne suit pas toujours une con-
clusion de contingenti pour que le syllogisme soit bon de cette ma-
nière : tout ce qui est sain est animal, il arrive que tout cheval est
animal. Il faut savoir que dans toute proposition de contingenti on
peut conserver de deux manières dici de omni suivant son double sens
exposé plus haut. C'est pourquoi lorsque je dis , il arrive que tout
homme est blanc , je prends l'homme par rapport à tout ce dont il
peut être dit ou suivant l'être du blanc lui-même , de manière que le
sens soit, il arrive que tout ce qui est homme est blanc actu; ou sui-
vant l'inhérence possible , de façon que le sens soit celui-ci, il arrive
que tout ce qui est homme peut être blanc. La proposition de inesse
n'a qu'un seul dici de omni, c'est-à-dire suivant la comparaison de
sujet à ses inférieurs selon l'inhérence actuelle du prédicat, et il
s'ensuit que en vertu de dici de omni , la proposition de inesse peut
se prendre sous celle de contingenti , car il y a un dici de omni sous
pnemissis existentibus de contingenti sive
sint affirmativas , sive altéra earum sit ne-
gativa, sive universales, sive particulares,
semper sequitur conelusio de eontingenti :
ut contingit omnem hominem esse album :
contingit omnem hominem esse musicum,
ergo contingit musicum esse album, et sic
est in aliis modis. Si vero altéra praemissa-
rum sit de contingenti, et altéra de inesse,
non semper sequitur conelusio de contin-
genti. Unde in prima figura majori exis-
tante de contingenti, sive sit afiirmativa,
sive negativa, minori vero de inesse sim-
pliciter, semper sequitur conelusio de con-
tingenti. Ut contingit omnem hominem
esse album : omne risibile est homo , ergo
contingit omne risibile esse album. Majori
vero existeate de inesse, et minori de con-
tingenti, non semper sequitur conelusio de
contingenti, ut perfectus sit syllogismus
sic : Omne sanum est animal : contingit
omnem equum esse animal. Sciendum,
quia in qualibet propositione de contin-
genti potest salvari dupliciter dici de omni
secundum duplicem ejus sensum supradic-
tum. Unde cum dico, contingit omnem
hominem esse album, computo hominem
ad dici, de quibus potest prœdicari, vel
secundum esse ipsius albi, ut sit sensus,
omne quod est homo, contingit actu esse ■
album. Vel secundum possibilem inhaeren-
tiam , ut sit sensus, omne quod est homo,
contingit posse esse album. Propositio de
inesse habet solum unum dici de omni,
scilicet secundum comparationem subjecti
ad sua inferiora secundum actualem inhae-
rentiam prœdicati, et ex his sequitur, quod
virtute dici de omni illa, de inesse potest
sumi sub illa de contingenti. Unum enim
dici de omni sub duobus, quia ad minus in
SLR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 305
deux, parce que la conséquence est au moins en un. Mais la proposi-
tion de contingenti ne peut se prendre sous celle de inesse ; car deux
dici de omnine se trouvent pas contenus sous un. Et c'est là la raison
pourquoi, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de inesse,
il ne s'ensuit pas une proposition de contingenti par la force syllogis-
tique, quoique cela arrive à la faveur de la matière. Il faut savoir
qu'il y a deux sortes de propositions de inesse , l'une de inesse ut mmc,
quand le prédicat ne se trouve dans le sujet que ut nunc, comme So-
crate court , et l'autre de inesse simpliciter. Aussi pour qu'il résulte
une conclusion de contingenti , quand la mineure est de inesse , elle
doit être de inesse simpliciter , parce que le prédicat suit toujours le
sujet; il s'ensuit conséquemment que tout ce qui est contingent dans
le prédicat, l'est aussi dans le sujet. Mais comme dans la proposition
de inesse ut nunc le prédicat ne suit pas toujours le sujet, il ne sera
pas toujours vrai que tout ce qui est contingent dans le prédicat l'est
aussi dans le sujet. Il ne serviroit de rien de dire que si la mineure
étoit de contingenti , laquelle auroit la même valeur que celle de
inesse ut nunc , et si la majeure étoit de contingenti , il y auroit une
conclusion ; car si la mineure étoit de contingenti , le prédicat est
toujours contingent dans le sujet, parce que cette proposition, il
arrive que l'homme court, est toujours vraie , parce qu'il est toujours
contingent que l'homme court, celle-ci cependant , l'homme ne court
pas, n'est pas toujours vraie; aussi il en est tout différemment de
l'une et de l'autre. Dans la seconde figure, dans les trois premiers
modes , lorsque la négative est de contingenti et l'affirmative de inesse,
on ne fait pas de syllogisme. La raison en est que les syllogismes
n'ont de conclusion qu'en tant qu'ils sont ramenés à la première figure
où se trouve dici de omni et dici de nullo ; or ces syllogismes ne peu-
uno est consequentia. Sed illa de contin-
genti non potest sumi sub iila de inesse.
Duo enim dici de omni non continetur sub
uno.Etista est causa quare major existente
de contingenti, minori vero de inesse non
sequitur conclusio de contingenti virtute
syllogistica, licet sequatur gratia materia3.
Sciendum quod propositio de inesse est
duplex, scilicet de inesse ut nunc, scilicet
quando prœdicatum ut nunc solum inest
subjecto, ut Sortes currit, et de inesse sim-
pliciter. Unde ad hoc quod sequatur con-
ciliai) de contingenti, minori existente de
inesse , débet esse de inesse simpliciter ,
quia praedicatum semper sequitur subjec-
tuin : ideo sequitur quod quicquid contin-
git prœdicato, contingit subjecto. Sed quia
in propositione de inesse ut nunc, pnedica-
tum non semper sequitur subjectum, non
V.
erit semper verum quod quicquid contingit
prœdicato , contingit subjecto. Nec est in-
stantia quod si minor esset de contingenti,
quœ tantum valet quantum illa de inesse,
ut nunc, et major esset de contingenti, se-
quitur conclusio. Nam si minor est de
contingenti , semper prœdicatum contingit
subjecto; nam haec, contingit hominem
currere, semper est vera, quia semper con-
tingit hominem currere, tamen ista, homo
non currit, non semper est vera : ideo ali-
ter se habet de utralibet. In secunda autem
figura in tribus primis' modis negativa
existente de contingenti, ai'firmativa vero
de inesse, non sitsyllogismus. Et causa est,
quia omnes syllogismi in tantum eonclu-
dunt, in quantum reducuntur ad primam
figurûm , ubi est dici de omni , et dici de
nullo : talcs autem syllogismi non possunt
20
306 OPUSCULE XLVH, TBAITÉ 10, CHAPITRE 14.
sent se ramener à la première figure. Car on ne convertit pas F uni-
verselle négative de contingenti de manière à faire du sujet le pré-
dicat, et du prédicat le sujet, comme on l'a dit, mais la conversion
se fait dans les termes. C'est pourquoi celle-ci, il arrive que nul
homme n'est blanc, se convertit en celle-ci , il arrive que tout homme
est blanc. D'où il résulte en conséquence que lorsque l'universelle
négative est de contingenti dans ces trois modes , on ne fait pas de
syllogisme, parce qu'on ne peut pas prouver par dici de omni. Au
contraire , lorsque l'affirmative est de contingenti et la négative de
inesse, on fait un syllogisme , parce que ce syllogisme peut se ramener
à la première figure par la proposition négative également convertie,
il n'y aura pas cependant de conclusion de contingenti , comme il a
été dit. Dans le quatrième mode, on ne fait de syllogisme en aucune
façon, soit que la majeure ou la mineure soient de contingenti. Ce
syllogisme, en effet, ne peut se ramener à la première figure par
conversion , mais par le syllogisme conversif , quelle que soit la pro-
position de contingenti et celle de inesse, cette réduction ne peut se
faire, il ne s'ensuit donc rien. Que cette réduction ne puisse se faire
quand la majeure est de contingenti , c'est évident : soit ce syllogisme,
il arrive que tout homme est blanc , quelque pierre n'est pas blanche,
donc quelque pierre n'est pas homme , dont l'opposé est, toute pierre
est homme. Faisons donc un syllogisme dans la première figure de
cette manière : il arrive que tout homme est blanc , toute pierre est
homme , donc il arrive que toute pierre est blanche. Mais celle-ci
n'est pas opposée à cette autre , quelque pierre n'est pas blanche , qui
étoit la mineure. Car, comme il a été dit dans la proposition de
contingenti, ou conserve dici de omni suivant toute l'inhérence pos-
sible ; il pourroit en effet être vrai dans l'avenir que toute pierre de-
reduci ad priuiam figuram. Non enim con-
vertitur universalis negativa de contin-
genti, ut de subjecto fiât prsedicatum, et
de preedicato fiât subjectum , ut supradic-
tum est, sed convertitur in terminis. Unde
ha;c, contingit nullum hominem esse al-
bum, convertitur inhanc, contingit om-
nem hominem esse album. Unde secun-
dum hoc universali negativa existente de
contingenti in tribus, videlicet modis, non
lit syllogismus , quia non potest probari per
dici de omni. Affirmativa vero existente de
contingenti , et negativa de inesse, lit syl-
logismus, quia potest reduci talis syllogis-
mus ad primam figuram, per propositio-
nemnegativam similiter conversam, tamen
non erit conclusio de contingenti, ut supra
dictum est. In quarto autem modo, nullo
modo lit syllogismus, sivc major, sive mi-
ner sit de contingenti. Talis enim syllogis-
mus non potest reduci ad primam figuram
per conversionem , sed per syllogismum
conversivum, sed quacumque existente de
contingenti , et altéra de inesse , non po-
test fieri talis reductio, ergo ex eo mhil se-
quitur. Quod autem majori existente de
contingenti talis reductio fieri non possit,
patet, sit talis syllogismus. Contingit om-
nem hominem esse album, quidam lapis
non est albus, ergo quidam lapis non est
homo, cujus oppositum est, omnis lapis est
homo, liât ergo syllogismus in prima figura
sic : Contingit omnem bominem esse al-
bum, omnis lapis est homo, ergo contingit
omnem lipidem esse album. Sed haec non
opponitur huic, quidam lapis non est albus,
quae erat minor. Nam ut dictum est , in
propositione de contingenti salvatur dici de
omni secundum possibilem inhœrentiam :
in futuro enim posset esse verum, quod
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 307
vînt blanche, comme maintenant quelque pierre n'est pas blanche,
et île cette manière l'enchaînement ne vaut rien. On voit également
qu'un semblable syllogisme ne vaut rien. Car de propositions vraies
il suit quelquefois une conclusion fausse de cette manière : il arrive
que tout homme est blanc , quelque chose qui rit n'est pas blanc , il
suit , donc il arrive que quelque chose qui rit n'est pas homme , ce
qui se fait simpliciter. De même, si la mineure est de contingenti , il
ne s'ensuit rien et on fait le syllogisme de cette manière : tout homme
est animal, il arrive que quelque chose de blanc n'est pas animal,
donc il arrive que quelque chose de blanc n'est pas homme; un œuf
par exemple qui est blanc, il arrive que quelquefois il sera animal et
d'autres fois non, lorsque suit cette proposition de inesse , quelque
blanc n'est pas homme, il n'y a rien ; car son opposée est, tout blanc
est homme, donc tout blanc est animal, laquelle n'est pas opposée à
celle-ci, il arrive que quelque blanc n'est pas animal, comme on l'a
dit plus haut. Si au contraire on prend une conclusion de contingenti,
par exemple, il arrive que quelque blanc n'est pas animal, dont l'op-
posée est, il est nécessaire que tout blanc soit animal, la conclusion
est la même, et on fera le syllogisme dans la première figure de cette
manière : tout homme est animal , il est nécessaire que tout blanc
soit homme, il suit, donc tout blanc est animal, comme on l'a dit
plus haut des combinaisons du nécessaire et de inesse, laquelle n'est
pas opposée à cette mineure , il arrive que quelque blanc n'est pas
animal, et de cette façon cet assemblage est inutile. Dans la troisième
figure, lorsque la majeure est de contingenti et la mineure de inesse ,
il en résulte une conclusion de contingenti ; car la mineure étant con-
vertie dans les cinq modes des syllogismes , on fait la réduction à la
première figure. Par exemple faisons ainsi un syllogisme : Il arrive
omnis lapis fieret albus, et quod modo qui-
dam lapis non sit albus, et sic isto modo
non valet conjugatio. Apparet etiam quod
talis syllogismus non valet. Nam proposi-
tionibus existentibus veris, aliquando se-
quitur conclusio falsa sic : Contingit om-
nein hominem esse album , quoddam risi-
bile non est album, sequitur, ergo contin-
git quoddam risibile non esse hominem,
quod est simpliciter. Similiter si minor
est de contingenti nihil sequitur, et fit syl-
logismus sic : Omnis homo est animal, con-
tingit quoddam album non esse animal,
ergo contingit quoddam album non esse
hominem, ut puta ovum, quod est album,
contingit quod aliquando erit animal, ali-
quando non erit, si sequitur hœc de inesse,
scilicet quoddam album non est homo,
non tenet. Opposita enim ejus est , omne
album est homo, ergo omne album est ani-
mal, quai non opponitur huic, contingit
quoddam album non esse animal , ut su-
pradictum est. Si vero sumatur conclusio
de contingenti , scilicet : Contingit quod-
dam album non esse animal, cujus opposita
est. Necesse est omne album esse animal ,
idem sequitur, et fiât syllogismus in prima
figura sic : Omnis homo est animal : ne-
cesse est omne album esse hominem, se-
quitur, ergo omne album est animal , ut
supra de mixtionibus necessarii, et de
inesse dictum est, qaiv non opponitur i 111
minori, scilicet, contingit quoddam album
non esse animal, et sic est inutilis conju-
gatio. In tertia vero figura majori exis-
tente de contingenti, minori vero de
inesse , sequitur conclusio de contingenti.
Nam conversa minori in quinque modis
syllogismorum, fit reductio ad prinuun fi-
guram. Verbi gratia, fiât syllogismus sic :
308 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 15.
que tout homme est blanc; tout homme est animal, donc il arrive que
quelque animal est blanc; la mineure étant changée per accidens, le
troisième mode de la troisième figure devient ceci : 11 arrive que
tout homme est blanc; tout homme est animal, donc il arrive que
quelque animal est blanc , et ainsi des autres quatre modes. Le cin-
quième mode de la troisième figure se ramène à la première par le
syllogisme conversif de cette manière : il arrive que quelque homme
n'est pas blanc , tout homme est animal , donc il arrive que quelque
animal n'est pas blanc , dont l'opposé est, il est nécessaire que tout
animal soit blanc ; plaçous-là la mineure du premier syllogisme ,
c'est-à-dire , tout homme est animal , il suit , donc il est nécessaire
que tout homme soit blanc, laquelle proposition est la contradictoire
de la majeure du premier syllogisme. Telle est la combinaison des
propositions de contingenîi et de inesse dans trois figures.
CHAPITRE XV.
De la combinaison du contingent et du nécessaire dans trois figures
de syllogismes.
Nous allons parler de la combinaison du contingent et du néces-
saire. Il faut observer que dans la première figure selon les modes
affîrmatifs, lorsque la majeure est de contingenîi et la mineure de
necessario, il y a un syllogisme parfait, et la conclusion doit être
de contingenîi. Par exemple , il arrive que tout animal est blanc , il
est nécessaire que tout homme soit animal, donc il arrive que tout
homme est blanc. Mais si c'est le contraire, c'est-à-dire, si la majeure
est de necessario et la mineure de contingenîi , il n'y aura pas de syl-
logisme. La raison en est que la proposition nécessaire auroit un dici
Contingit omnem hominem esse album :
omnis homo est animal, ergo contingit
quoddam animal esse album, conversa mi-
nori per accidens, fittertius modus primœ
figurae sic : Contingit omnem hominem
esse album : omne animal est homo , ergo
contingit quoddam animal esse album, et
sic est de aliis quatuor modis. Quintus au-
tem rnodus tertiee figurae reducitur ad pri-
mara per syllogismum conversivum sic :
Contingit quemdam hominem non esse al-
bum : omnis homo est animal, ergo con-
tingit quoddam animal non es?e album.
Cujus oppositurn est, necesse est omne ani-
mal esse album; deinde ponatur sub ea
tninor primi svllugismi, scilicet omnis
homo est animal, et scquitur, ergo necesse
est omnem hominem esse album, quœ est
cont radie toria majoris primi syllogismi.
Et sic patet de mixtione propositionum
de contingenti, et de inesse in tribus fîgu-
ris etc.
CAPOT XV.
De mixtione contingentis et necessarii in
tribus figuris sylfogisrnorum.
Sequitur de mixtione contingentis et ne-
cessarii. Notandum quod in prima figura
quantum ad modos aflirmativo? , majori
existente de contingenti , minori vero de
necessario, syllogismus erit perfectus, et
concludet coaelusionem de contingenti.
Verbi gratia. Contingit omne animai esse
album : necesse est oumem hominem esse
animal, ergo contingit omnem hominen
esse album. Si vero sit econverso, scilicet
majori existente de necessario, et minori de
contingenti, nullus fiet syllogismus. Causa
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 309
de omni suivant l'inhérence actuelle du prédicat au sujet et à ce qu'il
renferme ; mais celle de contingenti a un double dici de omni, comme
il a été dit; celle-ci ne peut donc pas être prise en l'autre de neces-
sario par la vertu du principe qui est dici de omni. Il faut savoir que
dans ce syllogisme, quoique la conclusion se tire par dici de omniy
on peut néanmoins tirer une conclusion de contingenti de possibile ,
lequel se rapporte communément au nécessaire et au contingent en
vertu de cette règle , lorsqu'un sujet se trouve essentiellement dans
un prédicat, tout ce qui est contingent dans ce sujet l'est aussi dans
le prédicat. Mais dans les syllogismes négatifs , lorsque la proposition
affirmative est nécessaire et la négative de contingenti , il en résulte
une conclusion de contingenti, de cette manière : il arrive que nul
homme n'est blanc , il est nécessaire que tout ce qui rit soit homme ,
il suit, donc il arrive que rien de ce qui rit n'est blanc. Si , au con-
traire , la proposition négative est nécessaire, et l'affirmative contin-
gente, il en résulte deux conclusions, quelquefois de contingenti , et
d'autres fois de inesse, ce qu'il est facile de voir. Car de l'opposé de
la conclusion avec une prémisse on déduit l'opposé de l'autre pré-
misse. La raison pour laquelle il y a deux conclusions à une négative
de necessario , c'est que non-seulement le prédicat n'est pas dit inhé-
rent au sujet, mais qu'il ne peut même pas l'être. Aussi le syllogisme
signifie que le sujet n'est pas dans le prédicat et ne peut y être. C'est
pourquoi lorsqu'on met quelque chose d'une manière contingente en
un tel sujet, cela veut dire que ce prédicat est exclu actu de tout ce
qui est contingent dans le sujet, et de cette manière la conclusion
sera de contingenti , parce que ce qui est exclu d'une manière contin-
gente fait une énonciatioii contingente, ce qui signifie qu'il ne peut
est quia propositio necessaria haberet
unum dici de omni, secundum scilicet ac-
tualem inhaerentiam praedicati ad subjec-
tum , et ad contenta sub eo : sed illa de
contingenti habet duplex dici de omni, ut
supradietum est, non ergo potest illa surni
sub illa de necessario per virtutem princi-
pii quod est dici de omni. Sciendum quod
in praedicto syllogismo, licet concludatur
per dici de omni , potest tamen concludi
conclusio de contingenti de possibile, quod
scilicet comuiuniter se habet ad necessa-
rium, et contingcns in virtute istius regu-
lae. Si aliquod subjectum sit essentialiter
sub aliquo pradicato, quicquid contingit
sub subjecto, contingit sub prtedicato. In
syllogismis autern negativis propositione
afthmativa existente necessaria, negati va
vero de contingenti, sequitur conclusio de
contingenti sic : Contingit nutlum homi-
nem esse album : necesse esse omne risibile
esse hominem , sequitur , ergo contingit
nullum risibile esse album. Si vero propo-
sitio negativa sit necessaria, affirmativa
vero contingens, sequuntur duœ conclusio-
nes, scilicet aliquando de contingenti, ali-
quando de inesse, quod potest patere. Nam
ex opposito utriusque conclusionis, cum
altéra prœmissarum, infertur oppositum
alterius prœmissee. Ratio autem quare
utraque conclusio sequatur ad unam nega-
tivam de necessario est , quia non solum
praedicatum non dicitur inesse subjecto,
sed nec etiam potest inesse. Unde syllogis-
mus signiiieat quod subjecto non insit prae-
dicatum, nec possit inesse. Undc cum ali-
quid contingenter ponitur sub tali subjecto,
siguificatur quod taie praedicatum remo-
veatur actu ab eo quod contingenter poni-
tur sub subjecto, et sit erit conclusio de
contingenti, quia quod actu contingenter
removetur, facit enuntiationem contingen-
310 OPUSCULE XLVII, TIUITÉ 10, CHAPITRE 15.
s'y trouver en aucune manière,' et ainsi non-seulement il n'y est pas
d'une manière contingente , mais il n'y est en aucune manière , si
c'est une énonciation de inesse. Dans la seconde figure dans les trois
premiers modes, lorsque la négative est de necessario et l'affirmative
de contingenti, il suit aussi une double conclusion, l'une de contin-
genti et l'autre de inesse , parce qu'il y a réduction à la première
figure par la conversion de la proposition. Dans le quatrième mode,
lorsque l'affirmative est de contingenti et la négative de necessario,
ou vice versa, l'assemblage ne produira rien. Dans la troisième figure,
pour les syllogismes affirmatifs ayant des propositions universelles ou
quelqu'une universelle, lorsque la majeure est de contingenti et la
mineure de necessario, il suit une conclusion de contingenti. En con-
vertissant donc la mineure , on fait un syllogisme dans la première
figure. Si au contraire la majeure est de necessario et la mineure de
contingenti possilrili , comme les propositions de contingenti possibili
peuvent se convertir, de même que celles de necessario, en convertis-
sant la mineure on fait la première figure, comme il a été dit, parce
que lorsque la majeure est de necessario et la mineure de contingenti,
il suit une conclusion de contingenti possibili , quoique ce ne soit
point par dici de omni, mais bien par la première règle. Quant aux
syllogismes affirmatifs qui ont une prémisse particulière , si la ma-
jeure est universelle , elle suit les règles dont nous avons parlé ; mais
si la majeure est particulière, elle Suit la seconde règle. Pour ce qui
est des syllogismes négatifs, je dis que quant aux deux modes qui ont
une majeure universelle négative, lorsque la majeure est de contin-
genti et la mineure de necessario, il suit une conclusion de contin-
genti, et on les ramène à la première figure par la conversion de la
mineure. Si au contraire la majeure est de necessario et la mineure
tem, et significatur, quod nullo modo pos-
sit sibi inesse, et sic non solum contingen-
ter non inest, imo nullo modo inest ei, si
sit enuntiatio de inesse. In secunda autem fi-
gura in tribus primis modis negativa exis-
tente de necessario , affirmativa vero de
contingenti, sequitur etiam duplex conclu-
sio, scilicet de contingenti, et de inesse,
quia per conversionem propositionis neces-
sariee reducuntur ad primam figuram. In
quarto vero modo affirmativa existente de
contingenti , negativa vero de necessario,
vel econ verso, inulilis erit conjugatio. In
tertia vero figura quantum ad syllogismes
affirma ti vos universales prepositiones, vel
aliquam universalem habentes, majori
existente de contingenti, minori vero de
necessario, sequitur conclusio de contin-
genti. Conversa ergo minori fit syllogis-
mus in prima figura. Si autem major sit
de necessario, minor vero de contingenti
possibili, quia propositiones de contingenti
possibili convertuntur, sicut ille de neces-
sario, minori conversa, fit prima figura, si-
cut dictum est, quod majori existente de
necessario, major vero de contingenti, se-
quitur conclusio de contingenti possibili,
licet non per dici de omni, sed per primam
regulam. Quantum autem ad syllogismos
affirmativos habentes aliquam pneinissam
particularem, si major est universalis, se-
quitur régulas praedictas. Si vero major
est particularis , sequitur secundam regu-
lam. Quantum autem ad syllogismes néga-
tives, dico quod quantum ad duos modos
habentes majorem universalem negativam,
majori existente de contingenti, minori
vero de necessario, sequitur conclusio de
contingenti, et reducuntur ad primam fi-
guram per conversionem minoris. Si au-
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 311
de contingenti , on ne peut faire de syllogisme, car il ne pourroit être
ramené à la première figure. Mais si la mineure étoit de contingenti
possihili, pouvant être convertie comme celle de necessario, on feroit
un syllogisme dans la première figure, ou il y auroit une double con-
clusion, de inesse et de contingenti, comme il a été dit plus haut.
Dans le syllogisme négatif dont la majeure est particulière négative ,
quand celle-ci est de contingenti et la mineure de necessario , il suit
une conclusion de contingenti , et il se ramène à la première figure
par le syllogisme conversif; mais lorsque la majeure est de necessario,
on ne peut faire de syllogisme. Tels sont les syllogismes modaux.
CHAPITRE XVI.
Des syllogismes conditionnels des propositions simples.
Après avoir parlé des syllogismes catégoriques , nous allons traiter
des syllogismes hypothétiques. Il y a donc , comme il a été dit , trois
espèces de propositions hypothétiques , savoir, la conditionnelle , la
copulative et la disjonctive. Les syllogismes qui sont formés de pro-
positions copulatives procèdent comme les syllogismes catégoriques ,
aussi nous n'en dirons rien. Mais comme les syllogismes avec des pro-
positions conditionnelles et disjonctives se font autrement qu'avec les
propositions catégoriques, nous nous en occuperons, et nous com-
mencerons par les conditionnels. Il faut remarquer que les propositions
conditionnelles sont simples ou composées. J'appelle simples celles
qui ne sont formées que de deux catégoriques, comme celle-ci, s'il
est homme, puisqu'il est animal, il est substance. Cette composition
tem major erit de necessario, minor vero
de contingenti, non fit syllogismis : non
enim posset reduci ad primam fîguram. Si
vero minor esset de contingenti possibili,
quia converti posset, sicut illa de necessa-
rio, fieret syllogismus in prima figura, uhi
concluderetur duplex conclusio, scilicet de
inesse, et de contingenti, ut supra dictum
est. Syllogismus autem negativus, cujus
major est particularis negativa , ea exis-
tente de contingenti , et minori existentc
de necessario, sequitur conclusio de contin-
genti, et reducitur ad primam figuram per
syllogismum conversivum , majori vero
existente de necessario , non fit syllogis-
mus. Et sic patet de syllogismis mo-
dalibus.
CAPUT XVI.
De syllogismis conditionalibus ex proposilio-
nibus simplicibus.
Dicto de syllogismis catégoriels, nunc
dicendum est de hypotheticis. Ut autem
supra dictum est, très sunt species propo-
sitionum hypotheticarum , scilicet condi-
tionalis, copulativa et disjunctiva. Syllo-
gismi autem qui sunt ex propositionibus
copulativis, eodem modo se habent, sicut
et syllogismi categorici, et ideo de eis prae-
termittamus. Sed quia ex propositionibus
conditionalibus et distinctivis aliter fiunt
syllogismi qnam in propositionibus caté-
goriels, ideo de eis dicendum est, et primo
de conditionalibus. Notandum , quod pro-
positioncs conditionales, vel sunt simplices,
vel compositse. Dico autem simplices , quse
tantum ex duabus categoricis componun-
tur, ut hœc, si est homo , cum sit animal,
312 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 16.
peut se faire de trois manières ; ou ce sera une proposition composée
de deux, la conditionnelle et la catégorique, comme, celui-ci, s'il est
homme, puisqu'il est animal, il est substance; ôirvice versa elle sera
composée d'une catégorique et d'une conditionnelle, de cette manière :
si tu es animé , tu es homme ou tu es animal ; ou elle sera composée
de deux conditionnelles, comme, celui-ci, s'il est homme, il est animé,
s'il est animal. Et comme les syllogismes qui se font de propositions
simples se comprennent mieux que ceux qui se font avec des proposi-
tions composées , nous nous occuperons d'abord des syllogismes
simples, nous montrerons ensuite en peu de mots, suivant leur simi-
litude , de quelle manière se font les syllogismes avec des propositions
composées. Il faut savoir que les propositions simples conditionnelles
sont au nombre de quatre. En effet , ou elles ont leurs deux parties
affirmatives, savoir l'antécédent et le conséquent, comme celle-ci,
s'il est homme , il est animal ; ou l'antécédent est affirmatif et le con-
séquent négatif , comme celle-ci , s'il est homme, il n'est pas pierre ;
ou le conséquent est affirmatif et l'antécédent négatif, comme celle-ci,
si l'animal n'est pas bien portant, il est malade ; ou les deux sont né-
gatifs, comme celle-ci, s'il n'est pas animal, il n'est pas homme. Or il
faut que les syllogismes qui se font avec ces propositions soient cer-
taines conséquences , «comme -dit Aristote , II. Topic, il y a une
double conséquence, savoir dans la position, quand on procède selon
la position de l'antécédent, et dans le contraire, quand on procède par
la destruction du conséquent. Donc, en conséquence de cela, les
figures qui se font avec ces propositions , dans l'une desquelles on
procède de la position de l'antécédent, et dans l'autre de la des-
truction du conséquent , ont chacune quatre modes , suivant quoi il
y a quatre propositions , comme nous l'avons dit. Le premier mode
est substantia. Hae autem composites tribus ■ flrmatum et consequens negalum, ut haec,
modis fieri possunt; quia vel erit propositio ! si est homo, non est lapis. Aut consequens
composita ex duabus , conditionali et ca- afïirmatum , et antecedens negatum , ut
tegorica, ut hic, si est homo , cum sit ani- j haec , si animal non est sanum est tegrum.
mal, est substantia; vel e converso , erit i Aut ambo negata, ut haec, si non est ani-
composita ex categorica et conditionali sic : mal non est homo. Syllogismi autem qui
Si tu es animatum, tu es homo, aut es ani- ; ex his propositionibus fiunt , oportet quod
mal ; vel erit composita ex duabus condi- ! sint consequentiae quaedam. Ut autem dicit
tionalibus, ut hic , si est homo est anima- j Philosophus, Il Topic.,, duplex est conse-
tum, si est animal. Et quia syllogismi qui j quentia, scilicet in positione, scilicet quali-
fiant ex simplicibus , facilius sciuntur illis j do proceditur pro positione antecedentis ,
qui iiunt ex compositis, ideo primo pone- ! et in contraria, scilicet quand o proceditur
mus syllogismos simplices , et postea bre- ■ a destructione consequentis. Secundum
viter osteudemus secundum eorum simili- j ergo ista ex praedietis propositionibus quai
tudinem, qualiter fiunt syllogismi ex coin- j fiunt figura?, in quarum una proceditur a
positis. Sciendum quod simplices propo- 1 positione antecedentis , in altéra vero a
sitiones conditionales sunt quatuor. Aut ' destructione consequentis, quarum quaeli-
enim habent ambas partes affirmativas, j bet quatuor habet modos, secundum quod
scilicet antecedens et consequens, ut haec, { quatuor sunt propositiones, ut dictum est.
si est homo est animal. Vel antecedens af- i Primus modus primae figura? est , si est
SLR LA. LOGIQUE d'aRISTOTE. 313
de la première figure est , s'il est homme , il est animal , mais il est
homme , donc il est animal. Le second est, s'il est homme, il n'est
pas pierre, mais il est homme, donc il n'est pas pierre. Le troisième
est, si l'animal n'est pas bien portant, il est malade, mais l'animal
n'est pas bien portant , donc il est malade. Le quatrième est, s'il n'est
pas animal, il n'est pas homme, mais il n'est pas animal, donc il n'est
pas homme. Il faut savoir que ces syllogismes se font avec ce relatif
qui , ou avec ce pronom quiconque , car ces mots produisent l'opposi-
tion de l'antécédent, de cette manière : tout homme qui court se
meut, mais Pierre court, donc Pierre se meut, ou quiconque, etc.,
par la destruction du conséquent, de cette manière : tout homme qui
court , ou quiconque court se meut , mais Sortes ne se meut pas, donc
Sortes ne court pas. 11 en est de même dans tous les autres modes de
ces figures. Tels sont les syllogismes conditionnels dans les proposi-
tions simples.
CHAPITRE XVII.
Des syllogismes conditionnels avec des propositions hypothétiques
composées.
Voici les syllogismes conditionnels composés , dont deux parties,
comme il a été dit , se composent de trois catégoriques ; la troisième
de quatre. Mais les trois propositions catégoriques peuvent varier de
huit manières suivant l'affirmation ou la négation. Premièrement,
elles peuvent être toutes affirmatives; secondement, toutes négatives;
troisièmement, les deux premières affirmatives et la troisième néga-
tive; quatrièmement, les deux premières peuvent être négatives et la
troisième affirmative; cinquièmement, la première affirmative et les
deux dernières négatives; sixièmement, la première négative et les
homo, est animal ; sed est homo, ergo est
animal. Secundus est, si est homo, non est
lapis; sed est homo, ergo non est lapis.
Tertius est, si animal non est sanum, est
œgrum , sed animal non est sanum, ergo
est gegrum. Quartus est, si non est animal,
non est homo; sed non est animal, ergo
non est homo. Sciendum quod isto modo
fiunt syllogismi cum hoc relativo qui , vel
cum hoc nomine , quicumque faehint
enim prœdicta nomina connotantia oppo-
sitionem antecedentis sic : Omnis qui cur-
rit inovetur, sed Petrus currit, ergo Petrus
movetur , vel quicumque, etc. A deslruc-
tione consequentis sic : Omnis qui currit,
vel quicumque currit, movetur ; sed Sortes
non movetur, ergo Sortes non currit. Et
sic habet se in omnibus aliis modis dicta-
rum figurarum. Patet ergo de syllogismis
conditionalibus ex propositionibus simpli-
cibus.
CAPUT XVII.
De syllogismis conditionalibus ex propositio-
nibus hypolhelicis composais.
Sequitur de conditionalibus cornpositis,
quarum duae, ut dictum est, consistunt ex
tribus categoricis. Tertia vero ex qua-
tuor. Sed très propositiones catégorie»} se-
cundum affirmationem et negationem octo
modis possunt variari. Primo, possunt om-
nes esse affirmativœ, secundo omnes nega-
tivœ, tertio duae primai affirmative et
tertia negativa, quarto duœ primai possunt
esse negativœ et tertia affirmaliva , quitito
prima affirmativa et duai ultima.' negativae,
314 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 17.
deux dernières affirmatives ; septièmement, la première et la dernière
affirmatives et la moyenne négative ; huitièmement , la première et
la dernière négatives et la moyenne affirmative; il peut donc s'opérer
une variante dans chacune, et ces variantes sont au nombre déliait.
La troisième conditionnelle composée de deux conditionnelles qui ont
quatre catégoriques, peuvent varier de différentes manières. J'ai
parlé fort au long de toutes ces propositions composées et de leurs
différences dans les syllogismes qui en sont formés, dans mon livre
sur les syllogismes hypothétiques, je m'abstiendrai donc de m'en
occuper ici, et je parlerai uniquement des modes d'argumentation
dans chacune d'elles. Or suivant chacune de ces propositions il se fait
deux figures, dans l'une desquelles on procède de la position de l'an-
técédent, et dans l'autre de la destruction du conséquent. En effet,
la première proposition , comme il a été dit, se compose d'une condi-
tionnelle et d'une catégorique, de celte manière s'il est homme, puis-
qu'il est animé , il est animal ; mais il est homme , donc puisqu'il est
animé , il est animal. Ce syllogisme se construira de la même ma-
nière, si quelqu'une de ses parties ou toutes sont négatives de cette
manière : s'il est homme, comme il* n'est pas inanimé, il est sensible;
mais il est homme , donc comme il n'est pas inanimé, il est sensible.
Par la destruction du conséquent on procède ainsi : s'il est homme ,
comme il est animé, il n'est pas sensible > donc il n'est pas homme.
Dans la négative de cette manière : s'il est homme, comme il n'est
pas inanimé , il est sensible ; mais comme il n'est pas quelque chose
d'inanimé, il n'est pas quelque chose de sensible, donc il n'est pas
homme. La seconde proposition est composée d'une catégorique et
d'une conditionnelle de cette manière, si comme il est quelque chose
d'animé, il est animal, il est homme. On fait ainsi les syllogismes de
sexto prima negativa et diue ultimae affir-
mative, septimo prima et ultima affirma-
tive, et média negativa , octavo prima et
ultima negativa? et média affirmativa, ideo
in qualibet dictarum potest fieri variatio,
et sic sunt octo. Tertia vero conditionalis
composita ex duabus conditionalibus quae
quatuor haheut categorieas, multipliciter
habet variari. De quibus omnibus compo-
sitis propositionibus , et earum varietate
syllogismis qui ex eis fiunt, diffuse dixi in
libro quem feci de hypotheticis syllogismis,
ideo diffuse de eis nunc tractare prater-
mitto , sed videamus solum modos syllogi-
zandi in qualibet earum. Fiunt autem se-
cundum quamlibet dictarum propositionum
duee figura , in quarum uria proceditur a
positiniie antecedentis, in altéra a destruc-
tione consequentis. Prima enim propositio,
ut dictum est, componitur ex conditionali
et categorica sic : Si est homo cum sit ani-
matum , est animal , sed est homo , ergo
cum sit animatum est animal. Et consimi-
liter fiet talis syllogismus, si aliqua pars
ejus, vel omnes sint negativa? sic : Si est
homo, cum non sit inanimatus est sensibi-
lis; sed est homo, ergo cum non sit inani-
matum est sensibile. A destructione vero
consequentis sic : Si est homo cum sit ani-
matum , non est sensibile , ergo non est
homo. In negativa sic : Si est homo cum
non sit inanimatus est sensibilis; sed cum
non sitinanimatum, non est seasibile, ergo
non est homo. Secunda vero propositio, ut
dictum est, compusita ex categorica et con-
ditionali sic, si cum est animatum est ani-
mal, est homo. Fiunt autem ex tribus pro-
positionibus syllogismi a positione antece-
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 315
trois propositions par la position de l'antécédent, si comme il
est quelque chose d'animé, il est homme, il est animal ; mais comme
il est quelque chose d'animé, il est homme, clone il est animal. En
niant une partie, on fait ainsi : si comme il est quelque chose d'animé,
il est homme , il n'est pas cheval. On procède ainsi par le destruction
du conséquent, si comme il est quelque chose d'animé, il est homme,
il est animal; mais il n'est pas animal, donc comme il est quelque
chose d'animé , il n'est pas homme. Avec une partie négative de cette
manière, si comme il est quelque chose d'animé, il est homme, il n'est
pas cheval ; maisil est cheval, donc comme il est quelque chose d'animé,
il n'est pas homme. Et comme , ainsi que nous l'avons dit , chacune
de ces propositions peut admettre huit variantes, on peut faire avec
chacune d'elle seize syllogismes, huit par la position de l'antécédent
et huit par la destruction du conséquent. La troisième proposition ,
comme il a été dit, est composée de deux conditionnelles de cette
manière : s'il est homme , il est animal , s'il est animal , il est sub-
stance. Cette proposition peut offrir trois variantes suivant les varia-
tions des termes ; car il y a en elle un terme pris deux fois; or comme
il y a deux conditionnelles , ce terme est quelquefois antécédent dans
l'une et l'autre de cette manière : s'il est homme, il est animal, s'il
n'est pas homme, il est insensible. Quelquefois il est conséquent
dans l'une et l'autre de cette manière : s'il est homme, il est animal,
s'il est pierre, il n'est pas animal. D'autres fois il est conséquent dans
l'une et antécédent dans l'autre de cette manière, s'il est homme , il
il est animal, s'il est animal, il est substance. En conséquence de
cela il y a trois variations dans les syllogismes qui se font avec ces
sortes de propositions , et néanmoins chacune de ces propositions se
diversifie de huit manières suivant les affirmations ou les négations
de ses parties, et il en résulte seize modes de syllogismes. Mais quand
dentis sic : Si cum est animatum est homo,
est animal , sed cum est animatum , est
homo, ergo est animal. Negando vero ali-
quam pa^em sic , si cum est animatum,
est homo, non est equus. A destructione
vero consequentis sic : Si cum est anima-
tum, est homo , est animal ; sed non est
animal, ergo cum sit animatum non est
homo. Cum parte vero negativa sic : Si
cum est animatum , est homo , non est
equus; sed est equus, ergo curn sit anima-
tum non est homo. Et quia ut dictum est,
quaelibet illarum propositionum habet va-
riari octo modis, ex qualibet possunt iieri
sexdccim syllogismi, scilicet octo a posi-
tione antecedentis et octo a destructione
consequentis. Tertia vero propositio , ut
dictum est, composita est ex duabus condi-
tionalibus sic : Si est homo est animal, si
est animal est substantia. Potest autem haec
propositio variari tripliciter secundum tri-
plicem variationem terminorum. Nam in
ea est unus terminus bis sumptus , cum
autem sint dua3 conditionales , talis termi-
nus aliquando est antecedens in utraque
sic : Si est homo, est animal, si non est
homo, est insensibile. Aliquando est conse-
quens in una et antecedens in alia sic : Si
est homo est animal, si est animal est sub-
stantia. Et secundum hoc tripliciter va-
riantur syllogismi, qui fiunt ex hujusmodi
proposilionibus, et tamen quœlibet istarum
propositionum multiplicatur in octo se-
cundum at'firmatiunes et negationes par-
tium ejus , ex quibus fiunt sexdccim modi
syllogismorum. Quando vero idem termi-
316 OPUSCULE XLVI1, TRAITÉ 10, CHAPITRE 17.
le même terme est conséquent dans une et antécédent dans l'autre ,
oif construit les syllogismes de cette manière : s'il est homme, il est
animal, s il est animal, il est substance; mais il est homme,- donc
il est substance , et ces sortes de syllogismes se font par la position
de l'antécédent. Par la destruction du conséquent de cette manière :
s'il est homme, il est animal, s'il est animal, il est substance; mais
il n'est pas substance, donc il n'est pas homme. Et Boëce appelle
cette figure la première de ces propooitions. La seconde figure a heu
quand l'antécédent est le même dans les deux propositions, dans quel
cas on fait un syllogisme de cette manière par la position de l'antécé-
dent: s'il est homme , il est animal, s'il n'est pas homme , il est insen-
sible; mais il est homme , donc il n'est pas insensible; ou de cette
manière , s'il est homme il est animal, s'il n'est pas homme, il n'est
pas raisonnable; mais il est homme , donc il est raisonnable. Parla
destruction du conséquent on procède ainsi : s'il est homme il est ani-
mal , s'il n'est pas homme il est insensible; mais il n'est pas animal,
donc il est insensible ; ou de cette manière , s'il est homme il est ani-
mal, s'il n'est pas raisonnable, il n'est pas homme; mais il n'est pas
animal , donc il n'est pas raisonnable. En effet, en détruisant animal,
on détruit homme dont la destruction entraîne celle de raisonnable.
La troisième figure se produit quand on n'argumente pas par la des-
truction du conséquent, mais seulement par la position de l'antécé-
dent de cette manière : s'il est homme, il est animal, s'il est pierre il
n'est pas animal; mais il est homme, donc il n'est pas pierre. Tels
sont les syllogismes conditionnels.
nus in una est consequens, et in altéra est
antecedens, finnt syllogismi sic : Si est
homo est animal, si est animal est sub-
stantia ; sed est homo, ergo est substantia,
et hujusmodi fiunt a positione anteceden-
tis, a destructione conseqnentis sic : Si est
homo, est animal, si est animal est sub-
stantia ; sed non est substantia , ergo non
est homo. Et haec dicitur a Boetio prima
figura istarum propositionum. Secunda fi-
gura secundum eum fit, quando idem est
antecedens in utraque , ex quo fit syllogis-
mus a positione antecedentis sic : Si est
homo est animal, si non est homo est in-
sensibilis ; sed est homo , ergo non est in-
sensibilis; vel sic : Si est homo est animal,
si non est homo non est rationalis , sed est
homo , ergo est rationalis. A destructione
consequentis sic : Si est homo est animal.,
si non est homo est insensibilis ; sed non
est animal , ergo est insensibilis. Vel sic :
Si est homo est animal , si non est ratio-
nalis non est homo , sed non est animal,
ergo non est rationalis. Destructo enim
animali destruitur homo , quo destructo
destruitur rationale. Tertia liguai secun-
dum eum est, quando non arguitur a des-
tructione consequentis , sed solum a posi-
tione antecedentis sic : Si est homo est
animal, si est lapis non est animal ; sed est
homo, ergo non est lapis. Et sic patet de
syllogismis conditionalibus.
SUR LA LOGIQUE D ARISTOTE.
317
CHAPITRE XVIII. •
Des syllogismes disjonctifs et des propositions réduplicatives , de la con-
version par comparaison.
Nous allons parler des syllogismes disjonctifs. Remarquez que comme
une proposition conditionnelle se multiplie suivant l'affirmation ou
la négation de ses parties , quoique au nombre de quatre , il en est de
même de la proposition disjonclive , parce que , ou les deux parties
sont affirmatives , comme ou il est sain , ou il est malade , ou les deux
parties sont négatives, comme ou il n'est pas sain, ou il n'est pas ma-
lade, ou la première est affirmative et la seconde négative, comme ou
il est sain , ou il n'est pas malade , ou la première est négative et la
seconde affirmative, comme ou il n'est pas sain, ou il est malade.
Pour faire des syllogismes de ces propositions, il faut examiner d'a-
bord laquelle de ces propositions équivant à une simple conditionnelle,
ensuite il faut faire le syllogisme avec cette disjonclive dans le même
sens qu'on le faisoit avec la conditionnelle simple, comme il a été dit.
Pour reconnoître cela , il faut supposer qu'afin que la proposition dis-
jonctive soit vraie , il faut toujours que l'autre partie soit fausse , de
telle sorte que la première partie soit fausse et la seconde vraie. Et
comme pour vérifier toute proposition fausse il faut le faire par son
opposée, par exemple, si celle-ci, il n'est pas homme, est fausse,
elle se vérifie par celle-ci , il est homme , et vice versa , il faut pour
cette raison examiner la première partie dans la proposition disjonc-
tive et voir si elle est affirmative ou négative. Si la première partie
est affirmative, elle équivant à l'antécédent nié de la conditionnelle.
Car comme on suppose que l'antécédent de la conditionnelle doit être
GAPUT XVIII.
De syllogismiit disjunctivis et de propositio-
nibus reduplicativis s et de conversione
per comparalionem.
De syllogismis disjunctivis nunc dicen-
dum est. Ubi nota quod sicut una propôsi-
tio condilionalis secundum aflirmationem
vel negationera suarum partium rnultipli-
catur, et si sunt quatuor, ita etiara se ha-
bet de propositione disjunctiva sic, quia aut
amba? partes sunt afïirmativae, ut aut est
sanum , aut est segrurn ; vel ambee partes
sunt negativa?., ut aut non est sanum, ant
non est aegrum ; vel prima est aflirmativa
etsecunda negativa, ut aut est sanum, aut
non est a?grum; vel prima negativa et se-
cunda aflirmativa, ut aut non est sanum,
aut est ajgruin. Ad faciendum autem syllo-
gismos de praedictis propositionibus, primo
oportet videre qua? dictarum propositio-
num uni simplici conditionali œquipollet ,
postea secundum quod fiebat syllogismus
ex illa conditionali simplici, ut supra dic-
tum est, sic fiât de ista disjunctiva. Ad hoc
enim videndum oportet supponere quod ad
hoc ut propositio disjunctiva sit vera, sem-
per oportet quod altéra pars sit falsa , ita
videlicet quod prima pars sit falsa et se-
cunda vera. Et quia posita quacumque
propositione falsa si verilicatur, débet ve-
rificari per suam oppnsitam. Verbi gratia,
si haec est falsa, non est homo, verilicatur
per hanc, est homo, et e converso ; ideo vi-
deamus in propositione disjunctiva partem
primam , ntrum sit aflirmativa vel nega-
tiva. Si prima pars est aff'nmativa, œqui-
pollet antecedenti conditionalis negato.
:US OPUSCULE XLVil, TRAITÉ 10, CHAPITRE 18.
vrai pour que toute la conditionnelle soit vraie, de même la première
proposition catégorique , que nous appelons antécédent dans la dis-
jonctive, doit toujours être fausse. Afin que ces deux antécédents
soient équipements , il faut que si l'un est affirmé , l'autre soit nié,
perce que dans les deux propositions, conditionnelle et disjonctive,
le conséquent est vrai. C'est pourquoi, afin qu'il y ait équipollejice
entre eux, il faut que si l'un est affirmé, l'autre le soit, si l'un est
nié, l'autre le soit aussi. Par exemple, soit cette disjonctive, ou il
est sain , ou il est malade, dont l'antécédent et le conséquent sont al-
firmatifs , pour qu'elle soit équivalente à une conditionnelle vraie,
la conditionnelle doit avoir un antécédent nié et un conséquent affirmé
de cette manière : s'il n'est pas sain, il est malade, et ainsi des autres.
Ceci posé , il est facile de connoitre les syllogismes disjonctifs, car,
comme il a été dit , quatre syllogismes conditionnels se font par la
position de l'anlécédent, et quatre par la destruction du conséquent.
C'est la môme chose dans ces propositions. En effet, la première pro-
position conditionnelle d'où se tiroit le premier mode, étoit celle-ci :
s'il est homme, il est animal; suivant donc ce que nous avons dit elle
a pour équivalente celle-ci : ou il n'est pas homme , ou il est animal.
Faisons donc un syllogisme disjonctif de celte manière : ou il n'est pus
homme, ou il est animal; mais il est homme, donc il est animal. La
seconde proposition du second mode étoit celle-ci, s'il est homme il
n'est pas pierre , laquelle a pour équivalente cette autre, ou il n'est
pas homme, ou il n'est pas pierre; et faisons un syllogisme disjonctif
de cette manière : ou il n'est pas homme, ou il n'est pas pierre ; mais
il est homme , donc il n'est pas pierre. La troisième proposition étoii
celle-ci : si l'animal n'est pas bien portant, il est malade , à laquelle
Nam sicut antecedens conditionalis suppo-
nitur-, quod débet esse verum, ad hoc quod
tota conditionalis si t vera , ita prima pro-
positio categorica , quam vocamus in dis-
junctiva antecedens , semper débet esse
fiiUi. Ad hoc vero quod isla duo autece-
dentia seqoipolieant, oportet quod si unum
est .ii'iirmatini), quod ulterum sit negatum,
quia in utraque , scilicet conditi iiali et
disjunctivu, consequens est verum; ideoad
hoc, quod inter se œquipolleant , oportet
quod si unum estal'linnaluiu, et reliquum,
et si unmii est aegatuai , et reliquum.
Verbi gratia , sit disjuncliva ista , aut est
sanuiu, aut est ;r-gruin, que babet antece-
dens et consequens alliianativa , ad lmc
quod squipolleat conctitionali vera- , débet
conditionalis habere antecedens Degatnm,
•■'(liions allirinatum sic : Si non est
saiium est segruin, et sic de aliis. His ba-
bil is, faciliter possunt sciri syllogismi dis-
junctivi, ut eniin gupradictum est, quatuor
syllogismi conditionales fiunt a positioae
anlecedcntis , et quatuor a dostructione
cousequentis. Eodem modo in tstis prepo-
Bitionibus. Prima enim propositio conditio-
nalis, ex qua sumebatur primus modm,
arat ista, si est horao est animal, secun-
dum ergu dicta, lmic œquipoUet i>ta : aut
non est hoino , aut est animal. Fiai
sylldgismus disjunctivns sic : Aut non Bft
homo, aut esl animal; Red est boiBO, ergo
est animal. Secunda propositio seeun.li
modi erat ista , si est homo non est lapis,
oui aeqaipollet ista, aut non est horao, aut
lion est lapis, et liât syllogismus disjuneti-
\us sic : Au! mm est homo , aut BOB esl
lapis ; sed est lnmio, ergo non est lapis.
Tertii propositio erat ista, si animal n ai
est sauum, est legi'inn, cui sequjpollet ista:
I
SUR LA LOGIQt F. d'aRISTOTE. 319
équivaut celte autre : ou il est bien portant, ou il est malade, el l'u-
sons un syllogisme disjonctif de cette manière : ou il est sain , ou il
est malade; mais il n'est pas sain, donc il est malade. La quatrième
proposition étoit celle-ci : s'il n'est pas animal, il n'est pas homme,
laquelle a pour équivalente celle-ci : ou il est animal, ou il est
homme, et taisons un syllogisme disjonctif de cette manière : ou il
est animal, ou il est homme ; mais il n'est pas animal, donc il n'est
pas homme. Dans la seconde figure on procède par la destruction du
conséquent et l'on fait de celte manière le premier syllogisme : Ou
il n'est pas homme , ou il n'est pas animal ; mais il n'est pas anim;il,
donc il n'est pas homme ; on fait ainsi le second : ou il n'est pas homme,
ou il n'est pas pierre ; mais il est pierre , donc il n'est pas homme ;
on fait ainsi le troisième : ou il est bien portant, ou il est malade;
mais il n'est pas malade, donc il est bien portant. Le quatrième se fait
ainsi : ou il est animal , ou il n'est pas homme ; mais il est homme ,
donc il est animal. Tels sont les syllogismes disjonctifs. Tenons-nous-
en donc là pour ces syllogismes. Je ne m'occuperai pas des autres
espèces d'argumentation. Il faut observer qu'afin que la proposition
réduplicative soit vraie , il faut que les quatre propositions qui l'ex-
posent, savoir trois catégoriques et une hypothétique, soient vraies,
et si l'une d'elles étoit fausse, elle seroit fausse elle-même. Et comme
ces propositions se font quelquefois à raison de la concomitance, comme
si on disoit, l'homme est coloré en tant que corporel : quelquefois à
raison de la cause, comme, le feu est échauffant en tant que chaud.
C'est pourquoi la proposition réduplicative à raison de la cause requiert
pour être vraie , non-seulement que les quatre qui l'exposent soient
vraies, mais encore que ce sur quoi tombe le redoublement exprime
la cause de ce qui est emporté par le prédicat, ou soit ce en quoi ré-
Aut est sanum, aut est regrum, et liât syl-
logismus disjunctivus sic : Aut est sanum
aut est a?grum ; secl non est sanum , ergo
est œgrum. Quarta propositio crat ista : Si
non est animal, non est homo , cui a-qni—
pollet ista : Aut est animal, aut est homo,
et Hat syllogismus disjunctivus sic : Aut
est animal aut est homo ; sed non est ani-
mal, ergo non est homo. Fn secunda vero
figura procedil'.ir a destructione conséquen-
ts et fit piïmus syllogismus sic : Aut non
est homo, aut non est animal ; sed non est
animal, ergo non est homo. Kecuiidus sic :
Aut non est homo, aut non est lapis; sed
est lapis, ergo non est homo. Tcrtius sic :
Aut est sanum , aut est œgrum ; sed non
est aegrum, ergo est sanum. Quartus sic :
Aut est animal, aut non est homo ; sed est
homo, ergo est animal. Et sic patet de syl-
logismis disjunctivis. Dictum ergo sit de
syllogismis hoc modo. De aliis auteni spe-
cii'lms argumentations non me intromitto.
Notandum ad hoc quod propositio redu-
plicativa sit vera, requiritur quod quatuor
propositiones exponentes ipsam, scilicet
très catégorie» et una hypothetica sint
verae, et si aliqua ipsarum esset falsa, ipsa
esset falsa. Et quia taies propositiones ali-
quando liunt gratia codeomitaotia , ut si
dicatur , homo in quantum corporeus est
coloratus. Aliquando gratia causai, ut ignis
in quantum calidus est calefactivus. Et ideo
reduplicativa gratia OHMKB »d veritatem
suam non solum requirit quod quatuor
ejus exponentes sint vera , sed quod illud
super quod cadit reduplicatio , exprimât
causam importati per praîdicatum , vol
quod sit illud cui primo inest pnedicatum
320 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 10, CHAPITRE 18.
side d'abord le prédicat principal. Par exemple pour l'une et l'autre
des susdites propositions. En effet, pour que cette proposition,
l'homme est coloré en tant que corporel, soit vraie, il faut que celles-
ci soient également vraies, l'homme est coloré, l'homme est corporel,
et tout ce qui est corporel est coloré , et si quelque chose est corporel
c'est en effet coloré. De même pour la vérité de celle-ci, le feu est
échauffant en tant que chaud , il est vrai que le ' feu est échauffant ,
que le feu est chaud , que tout ce qui est chaud est échauffant, s'il y
a quelque chose de chaud c'est échauffant, et le chaud est la cause de
lacaléfaction. La réduplicative se convertit de cette manière : le feu
est échauffant en tant que chaud , une chose qui est échauffante en
tant que chaude c'est le feu , et non de cette manière : ce qui est
échauffant en tant que chaud est le feu. Il faut observer que la propo-
sition universelle affirmative se convertit simplement en changeant
les termes finis en termes infinis ; il en est de même de la particulière
négative. La raison en est que la proposition universelle affirmative
en termes finis ne se convertit pas simplement, parce que il se trouve
des termes où elle est comme, tout homme est susceptible de rire, et
tout ce qui est susceptible de rire est homme. Il se trouve aussi des
termes contraires comme , tout homme est animal, il ne s'ensuit pas,
donc tout animal est homme , car animal dit plus qu'homme; mais
comme le terme qui dit pins que l'autre terme, si on le rend infinité-
simal, dira plus ensuite que l'autre qui disoit moins d'abord. Car
non animal se dit de moins de choses que non homme, parce que non
animal se dit de tous, les êtres excepté des animaux. Non homme se
dit de tous les êtres et des animaux, excepté de l'homme ; la conversion
peut donc se faire. Mais il n'y a pas de conversion dans la particulière
principale. Verbi gratia, de utraque dicta-
rum propositionum. Ad hoc enim quod
ista sit vera, homo in quantum corporeus
est coloratus, requiritnr quod hœ ont
vcrie, ^cilicet homo est coloratus, homo est
corporeus et omne rorporeum, est colora-
tum, et si aliquid est corporeum enim co-
lora tum. Similiter ad veritatem istius ,
ignis in quantum calidus est calefactivus.
Verum est quod ignis est calefactivus et
quod ignis est calidus, et omne calidum
est calefactivum, et si aliquid est calidum
id est calefactivum, et calidus est causa ca-
lefactionis. Et convertitur reduplicaliva
sic : Ignis in quantum calidus est calefac-
tivus; aliquid quod in quantum calidum
est calefactivum est ignis, et non sic : Ca-
lefaclivum in quantum calidum est ignis.
Kotandum quod propositio universalis af-
firmativa convertitur simpliciter mutatis
terminis finitis in terminos inûnitos , con-
similiter est etiarn de particulari negativa.
Causa est, nam propositio univers-alis affir-
mativa in terminis fimtis non convertitur
simpliciter, quia inveniuntur termini in
quibus sit, ut omnis homo est risibilis, et
omne risibile est homo. Inveniuntur etiam
termini in quibus non, ut omnis homo est
animal, non sequitur , crgo omne animal
est homo , quia in plus se habet animal
quam homo. Sed quia terminus qui in
plus se habet quam alius terminus, si in-
finitetur, se habet in minus quam ille, qui
in minus se habebat. Nam de pauciuribns
praedicatur non animal, quam non homo,
quia non animal praedicalm- de omnibus
entibus, praterquam de animalibus. Non
bomo vero praedicatw de omnibus entibus
et de animalibus, praeterquam de homine,
potest ergo iieri conversio. In particulari
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 321
négative en termes finis , parce qu'il se trouve des termes où il y a
négation, quand par exemple une espèce se dit négativement de son
genre , comme quelque animal n'est pas homme , mais non vice
versa; mais si l'on vérifie les termes, savoir l'homme n'est pas blanc,
non blanc dit plus que non homme, donc on peut faire la conversion,
savoir quelque chose non blanc n'est pas non homme. Tels sont les
syllogismes, etc..
Fin du traite' du syllogisme simpliciter.
TRAITE XI.
Du MÊME AUTEUR , DU SYLLOGISME DÉMONSTRATIF.
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c'est que le syllogisme démonstratif .
Nous allons parler maintenant de la démonstration. En effet, la
science étant l'habitude de la conclusion démontrée acquise par la
spéculation , pour savoir ce que c'est que la science et comment on
l'acquiert, il est nécessaire de savoir ce que c'est que la démonstration.
Or la démonstration est un syllogisme procédant de choses vraies, né-
cessaires , premières de soi , propres , connues par elles-mêmes , im-
médiates et causes de la conclusion. Il faut savoir que parmi les dé-
ver o negativa in terminis finitis non fit
conversio , quia inveniuntur termini in
quibus non, quando videlicet aliqua species
prœdicatur négative de suo génère, ut
quoddam animal non est homo, sed non e
converso ; sed si veriiicantur termini, sci-
licet homo non est albus, in plus se habet
non albus quam non homo ; ergo potest
fieri conversio , sciiicet quoddam non al-
bum non est non homo. Et sic patet de
syllogismis, etc.
De syllogismo simpliciter tractatus féli-
citer finis.
TRACTATUS XL
Ejusdem doctoris, de syllogismo demonstrativo.
CAPUT PRIMDM.
De syllogismo demonstrativo quid sit.
Restât nunc dicere de demonstratione.
Cum enim scientia sit habitus conclusions
demonstratee acquisitus ex ipsius specula-
V.
tione , ad sciendum quid sit scientia et
quomodo acquiratur, necesse est scire quid
est demonstratio. Est autem demonstratio
syllogismus procedens ex veris, necessariis,
per se primis, propriis, per se notis, imme-
diatis, et causis conclusionis. Sciendum
21
322 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 2.
monstrations il y en a une propter quid, et une quia, c'est pourquoi
]a définition précédente ne convient qu'à la démonstration propter
quid. Dans cette définition il y a des choses qui appartiennent à la
forme de la démonstration , en ce qui est dit être le syllogisme ,
d'autres qui appartiennent à la matière de la démonstration , c'est-à-
dire qu'il procède de choses vraies, nécessaires, etc.. C'est pourquoi
j'exposerai d'abord les particules qui appartiennent à la matière objet
delà démonstration; secondement j'établirai ce qui appartient à sa
forme , c'est-à-dire dans quelle figure et dans quel mode ce syllo-
gisme doit être fait. Que la démonstration procède de choses vraies ,
nécessaires, etc., on peut le voir clairement par sa fin, qui est de
savoir, puisque savoir n'est autre chose que connoître la cause d'une
chose quelconque , et non-seulement la cause en tant que cause , mais
en tant que cause actu de cette chose. En effet, connoître la cause
d'une chose , et ne pas connoître l'effet de son être en acte, c'est con-
noître l'effet virtuellement : or ce n'est pas là connoître l'effet si?n-
pliciter , c'est le connoître seulement secundum quid. De plus, comme
savoir c'est connoître d'une manière certaine, il faut que cet effet suive
nécessairement cette cause. Donc la conclusion de la démonstration ,
dont l'habitude est la science, ou de savoir habitualiter, doit procéder
nécessairement de prémisses qui soient les causes vraies et nécessaires
de la conclusion.
CHAPITRE II.
Ce que c'est que dici de omni premièrement de soi , ou universellement.
Pour explorer les susdites particules de la définition de la démons-
tration qui appartiennent à la matière objet de la démonstration, il est
quod demonstrationum quaedam est prop-
ter quid; et quaedam est quia, unde dicta
diffinitio solum convenit démonstration!
propter quid. In praedicta autem diffini-
tione quaedam sunt quae pertinent ad for-
mam demonstrationis, in hoc quod dicitur
esse syllogismus, quaedam sunt quae perti-
nent ad materiam, demonstrationis scilicet
quod sit procedens ex veris, necessariis, etc.
Unde primo exponam particulas pertinen-
tes ad materiam de qua est demonstratio.
Secundo ponam ea quae pertinent ad ejus
formam, scilicet in qua figura vel modo
talis syllogismus debeat fieri. Quod enim
demonstratio procédât ex veris , necessa-
riis, etc., hoc potest patere per fniem suum
qui est scire. Cum enim scire nihil aliud
sit quam cognoscere causam alicujus rei,
et non solum causam ut causa est, sed ut
est causa illius rei actu. Cognoscere enim
causam alicujus rei et non cognoscere ef-
fectum ejus esse in actu , est cognoscere
effeetum in virtute; hoc autem non est
scire effeetum simpliciter, sed est scire so-
lum secundum quid. Eliam quia scire est
per certitudinem cognoscere, oportet prae-
dictum effeetum necessario semper ad il-
lam causam sequi. Conclusio ergo demons-
trationis , cujus habitus est scientia , seu
scire habitualiter , oportet quod procédât
ex talibus praetnissis, quae sint verae et ne-
cessante causae conclusionis.
CAPUT II.
Quid sit dici de omni per se primo, seu
universaliter.
Ad investigandum autem dictas parti-
culas dil'fmitionis demonstrationis perti-
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 323
nécessaire de faire quelques observations préliminaires. Comme les pré-
misses de la démonstration sont universelles, il faut savoir par consé-
quent ce que c'est que dici de omni, et comme le prédicat s'y dit par
soi du sujet , il faut savoir ce que c'est que per se et primo. Dici de
omni, dans le sens où on le prend ici, c'est lorsqu'il n'y a rien à prendre
dans le sujet dont le prédicat ne se dise pas, ni un temps dans lequel
le prédicat ne convienne pas à ce sujet. La différence qui existe entre
dici de omni dont on parle ici et celui dont on a parlé dans le traité du
syllogisme, c'est qu'on le prenoit dans le premier cas pour toutes les
fois qu'une chose se dit universellement de quelque sujet, soit que le
prédicat soit inhérent au sujet nécessairement, et en tout temps, soit
qu'il ne le soit que d'une manière contingente, comme ici. C'est pour-
quoi dans cette proposition , tout homme court, dici de omni se con-
serve de cette manière. Mais ici dici de omni se prend pour ce qui est
toujours inhérent au sujet, comme tout homme est animal : car il ne
peut pas y avoir de temps où l'homme ne soit pas animal ; on voit
donc ce que c'est que dici de omni. Ver se se dit de quatre manières;
premièrement quand le prédicat est la définition ou quelque partie de
la définition du sujet, comme, tout homme est un animal raisonnable
mortel, ou tout homme est animal; secondement quand le prédicat
est la propre passion du sujet, dans laquelle définition se trouve le
sujet, comme, tout homme est susceptible de rire. En effet homme se
trouve dans la définition susceptible de rire non comme partie essen-
tielle, mais comme quelque chose hors de son essence, sans quoi il ne
pourroit être connu. Car l'être de l'accident dépendant du sujet, il faut
que la définition qui signifie son être, contienne le sujet en elle. Troi-
sièmement on dit qu'une chose est par soi quand elle signifie quelque
nentes ad materiam , de qua est démon-
stration prœmittenda sunt quaedam neces-
saria. Quia enim preemissae demonstratio-
nis sunt universales , ideo oportet scire
quid est dici de omni ; et quiâ in eis prae-
dicatum dicitur per se de subjecto , ideo
oportet scire quid est per se, et quid pri-
mo. Est autem dici de omni ut hic sumi-
tur, quando nihil est sumere sub subjecto,
de quo non dicatur praedicatum), nec est
sumere aliquod tempus , in quo prœdica-
tum tali subjecto non conveniat. Hœc est
autem differentia inler hoc dici de omni,
et illud quod in tractatu syllogismi dic-
tum fuit, nam ibi sumebatur dici de
omni , quandocumque aliquid prœdicatur
universaliter de aliquo subjecto , sive sub-
jecto insit pnedicatum necessario et omni
tempore , sive contingenter, ut nunc. Unde
iu illa propositione , omnis homo currit,
salvatur hoc modo dici de omni. Sed nunc
sumitur dici de omni de eo quod semper
inest subjecto, ut omnis homo est animal;
non enim est dare aliquod tempus , in quo
homo non sit animal, patet ergo de dici de
omni. Per se autem dicitur quadrupliciter.
Primo modo, quando prœdicatum est dif-
finitio vel aliqua pars difîinitionis ipsius
subjecti, ut omnis homo est animal ratio-
nale mortale, vel omnis homo est animal.
Secundo modo dicitur per se, quando
pnedicatum est propria passio ipsius sub-
jecti, in cujus diffinitione ponitur subjec-
tum, ut oinnis homo est risibilis. In diffi-
nitione enim risibilis ponitur homo non ut
pars ejus essentialis, sed ut aliquid extra
essen'iiam suam , sine quo cognosci non
posset. Cum enim esse accidentis dependeat
a subjecto, oportet quod difhnitio quœ si-
gnificat esse ipsius , contineat in se sub-
jectum. Tertio modo dicitur aliquid esse
per se , quando significat aliquid solita-
324 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 2.
chose de solitaire, comme singulier dans le genre de la substance , tel
que Sortes , Platon ; blanc ou ambulant de cette manière n'est pas dit
m v se , puisque on n'entend pas quelque chose de solitaire existant
par soi. Car en disant blanc, je dis l'accident et le sujet ; mais quand
je dis Sortes je dis quelque chose de solitaire , et c'est ainsi dit per se.
Or il faut savoir que ce mode n'est pas un mode de prédication per se,
mais c'est un mode d'être. La quatrième manière de prédication per
se, c'est lorsqu'on dit d'une chose une autre chose qui en est la cause
immédiate et nécessaire, comme quand nous disons que l'assassiné est
mort par l'assassinat. C'est là ce qu'on appelle per se. On dit que la pré-
dication se fait primo quand le prédicat et le sujet sont tellement adé-
quats que le prédicat ne peut se trouver hors du sujet, ni le sujet hors
du prédicat, comme lorsque nous disons, l'homme est susceptible de
rire. En effet la faculté de rire est tellement attachée à l'homme que
l'on peut appeler homme tout ce que l'on peut dire susceptible de rire
et réciproquement. C'est pourquoi en disant : Sortes a la faculté de
rire , quoique susceptible de rire se dise de Sortes dans le second mode
de prédication per se, on ne le dit pas néanmoins dans le premier,
parce que susceptible de rire se dit d'un plus grand nombre que de
Sortes. Néanmoins Aristote appelle universel , ce que l'on dit primo ,
non pas dans le sens où on a pris ce mot dans le premier traité , mais
bien parce que le prédicat peut se dire universellement du sujet, et le
sujet du prédicat. On voit par là ce que signifient ces trois choses,
dici deomni, perse et universelle. Tout ce qui se dit primo et univer-
saliter , ne se dit pas per se, mais non réciproquement. En effet,
susceptible de rire se dit primo per se de l'homme , quoique cela se
dise per se de Sortes, ce n'est pas néanmoins primo. De même aussi
rium, sicut siugulare quod est in génère
substantiae, ut Sortes et Plato, album vel
ambulans, isto modo non dicitur per se,
cum non intelligatur aliquid solitariurn per
se existens. Dicendo enim album, dico ac-
cidens et subjectum ; sed cum dico Sortes,
dico aliquid solitariurn , et sic dicitur per
se. Sciendum est autem quod iste modus
non est modus praedicandi per se , sed est
modus essendi. Quarto modo praedicatur
aliquid per se , quando aliquid dicitur de
aliquo , quod est immediata et necessaria
causa ipsius, sicut dicimus quod interfec-
tus interiit interfectione. Interfectio enim
est immediata et necessaria causa ipsius
intérims, et sic patet de per se. Primo au-
tem dicitur aliquid praedicari, quando prae-
dicatum et subjectum ita sunt adsequata ,
ut praedicatum non possit inveniri extra
subjectum, nec subjectum extra praedica-
tum, sicut cum dicimus, homo est îisibilis.
Ita enim se habet risibile ad hominem,
quod de quoeumque dicitur risibile, de
eodem dicitur et homo, et e converse. Inde
dicendo : Sortes est risibilis, licet modo ri-
sibile praedicetur de Sorte in secundo modo
dicendi per se, non tamen pradicatur pri-
mo, quia risibile de pluribus praedicatur
quam de Sorte. Philosophus tamen hoc
quod dictum est praedicari primo, vocat
universale, non taie universale de quo in
primo tractatu dictum est, sed quia prae-
dicatum de subjecto, et subjectum de prae-
dicato potest universaliter praedicari. Ex
his patet quomodo se habent ista tria, sci-
licet dici de omni , per se et universale.
Neque omne quod primo, seu universaliter
praedicatur, praedicatur per se , non tamen
e converso. Risibile enim primo per se
praedicatur de homine. Licet autem risibile
praedicetur per se de Sorte , non tamen
praedicatur primo. Similiter etiam quod
SUR LA LOGIQUE d\\RISTOTE. 325
ce qui se dit per se , se dit de omni, cependant tout ce qui se dit de
omni ne se dit pas per se; car en disant, tout animal est homme, c'est
une prédication de omni et non pas néanmoins per se.
CHAPITRE TII.
Que la démonstration procède de choses vraies et nécessaires.
Voyons maintenant les parties de la définition de la démonstration
que nous avons énumérées. On dit en effet que la démonstration pro-
cède de prémisses -vraies. Nous avons dit plus haut ce que c'est que le
vrai. Or pour que la conclusion soit vraiment déduite des prémisses
comme de ses causes, il faut que les prémisses soient vraies; car quoi-
que l'on puisse tirer une conclusion vraie de prémisses fausses, néan-
moins la vérité de la conclusion provient des prémisses. Nous disons,
en effet, tout homme est pierre, toute perle est homme, donc toute
perle est pierre; cette conclusion est vraie, quoique les prémisses
soient fausses. Et comme toute cause s'assimile son effet , la fausseté
de ces propositions ne peut pas être la cause de la vérité de la conclu-
sion; c'est pourquoi dans lé Ier Priorum Arïstote dit qu'une conclusion
vraie de prémisses fausses se produit non propter quid , mais quia.
On voit donc que la démonstration procède de choses vraies. On dit
ensuite que la démonstration procède de prémisses nécessaires ; or
nous avons dit dans le traité des syllogismes ce que c'est qu'une pro-
position nécessaire. Il faut noter qu'une proposition démontrée doit
être nécessaire. Car si science dit une certitude qui ne peut venir de
contingents en tant que contingents , mais seulement de choses né-
cessaires , la conclusion dont l'habitude est la science , doit être né-
per se prsedicatur , dicitur de omni , non
tamen omne quod dicitur de omni, dicitur
per se. Nam dicendo , omne animal est
homo, est praedicatio de omni, non tamen
per se.
CAPIJT m.
Quod demonstratio procedit ex veris et ne-
cessariis.
His visis videamus partes diffinitionis
demonstrationis supra positae. Dicitur enim
ibi, quod demonstratio procedit ex prœ-
missis veris. Quod autem sit verum , dic-
tum est supra. Ad hoc autem quod con-
clusio sit vera ex prœmissis sicut ex causis,
oportet prsemissas esse veras. Licet enim
ex falsis possit concludi verum, tamen Ve-
ritas conclusionis est ex praemissis. Dici-
mus enim, omnis homo est lapis, omnis
margarita est homo, ergo omnis margarita
est lapis; conclusio modo est vera , licet
prœmissae sint falsœ. Et quia omnis causa
assimilât sibi effeetum , falsitas dictarum
propositionum non potest esse causa veri-
tatis conclusionis , et ideo in I Priorum,
dicit Philosophus, quod verum concluditur
ex falsis, non propter quid, sed quia. Patet
ergo quod demonstratio procedit ex veris.
Deinde dicitur , quod demonstratio proce-
dit ex prœmissis necessariis ; quœ autem fit
propositio necessaria , dictum est in trac-
tatu syllogismorum. Notandum quod con-
clusio demonstrata, oportet quod sit ne-
cessaria. Si enim scientia dicit certitudi-
nem , quœ non potest esse de contingenti-
bus, ut contingentia sunt , sed solum de
necessariis, oportet quod conclusio , cujus
habitus est scientia , sit necessaria. Hoc
320 OPUSCULE XLVH, TRAITÉ U, CHAPITRE 4.
cessaire. Cela posé, il faut savoir que, bien qu'on puisse avoir une
conclusion nécessaire de prémisses contingentes, ou au moins d'une,
comme il a été dit , on ne peut néanmoins pas avoir la science avec
des prémisses contingentes, mais bien avec des prémisses nécessaires.
En effet , si savoir, comme nous Pavons dit , c'est connoître la cause
nécessaire d'une chose, et si le moyen terme se rapporte aux extrêmes
d'une manière contingente, il ne sera pas nécessaire, et par conséquent
il pourra être exclu de la conclusion qui restera nécessaire; il ne sera
donc pas la cause de la conclusion. Donc pour qu'il soit la cause de
la conclusion , il doit avoir un rapport nécessaire avec les deux ex-
trêmes, et de cette manière les deux prémisses seront nécessaires. On
voit donc que la démonstration procède de prémisses nécessaires.
CHAPITRE IV.
Que la démonstration procède de prémisses où elle se trouve per se et non
per accidens. .
On dit ensuite que la démonstration procède de choses qui sont per
se et non per accidens. Il faut savoir que dans la démonstration affir-
mative principale le moyen est la définition du sujet en même temps
que la définition de la passion. C'est pourquoi dans la majeure la pas-
sion se dit de la définition du sujet, dans laquelle sont exprimés les
principes de la passion même. En effet, comme il a été dit dans le
premier traité , le sujet est comparé à la première passion, non-seule-
ment en raison de la cause matérielle , mais même en raison de la
cause efficiente. Donc la définition du sujet, prise en même temps que la
définition de la passion , exprime la cause efficiente immédiate et né-
supposito sciendum est, quod licet conclu-
sio necessaria possit concludi ex praemissis
contingentibus, vel ex altéra ad minus, ut
supra dictum est , non tamen potest sciri
ex praemissis contingentibus, sed ex neces-
sariis. Si enirn scire , ut supra dictum est,
est causam rei necessariam cognoscere , si
médium contingenter se habebit ad extre-
mitates , non erit ei necessarium , et per
consequens poterit removeri conclusione
necessaria stante ; non ergo erit causa con-
clusions. Ad hoc ergo quod sit causa con-
clusions . necessario débet se habere ad
ambas extremitates, et sic ambae prœrnis-
sae erunt necessaria?. Patet ergo quod de-
monstratio procedit ex praemissis neces-
sariis.
CAPUT IV.
Quod demonstratio procedit ex prœmissis,
in quibus est per se et non per acci-
dens.
Deinde dicitur, quod demonstratio pro-
cedit ex his quœ sunt per se , et non per
accidens. Sciendum quod in demonstra-
tione affirmativa potissima médium est
difhnitio subjecti simul supra cum diffini-
tione passionis. Unde in majori proposi-
tione passio prœdicatur de diffinitione sub-
jecti, in qua exprimuntur principia ipsius
passionis. Ut enim primo tractatu dictum
est, subjectum comparatur ad primam pas-
sionem non solum in ratione causae mate-
rialis, sed etiam in ratione causae efficien-
tis. Diffinitio ergo subjecti simul sumpta
cum diffinitione passionis, exprimit causam
efficientem ipsius passionis immediatam e
SUR LA LOGIQUE d'ARISTOTE. 327
cessaire de la passion môme ; or c'est là le quatrième mode de dire
per se, comme on l'a dit plus haut. Dans la mineure, la définition se
dit du sujet , et c'est le premier mode de dire per se. Dans la conclu-
sion , la propre passion se dit de son sujet , et c'est le second mode
de dire per se. Par exemple : si nous voulions démontrer que tout
nombre quatre est pair, nous le ferions ainsi : tout assemblage mesuré
par l'unité , qui n'a pas de moyen per se , est pair ; mais tout nombre
quatre est un assemblage de ce genre , donc tout nombre quati'e est
pair. Ici le sujet est le nombre quatre , sa passion est pair ou parité ,
et le moyen qui a été pris dit la définition du nombre , qui est un
assemblage mesuré par l'unité, et dit aussi la définition de pair,
parce que pair n'a pas de moyen suivant soi. Dans la majeure, la
passion se dit de la définition du sujet dans laquelle est exprimée sa
propre définition, et c'est là le quatrième mode de dire perse. Dans la
mineure , la définition du sujet se dit de son sujet, et c'est le premier
mode de dire per se. Dans la conclusion, la propre passion se dit de
son sujet , et c'est le second mode de dire per se. On voit donc que la
démonstration procède de choses qui sont per se. La raison commune
de cela s'établit ainsi. Le syllogisme qui procède de choses nécessaires,
ne procède pas de choses qui sont per accidens , mais de choses qui
sont per se; mais, ainsi que nous l'avons dit, la démonstration pro-
cède de choses nécessaires , donc la démonstration procède de choses
qui sont per se.
necessariam : hic autem est quartus modus
dicendi per se , ut supra dictum est. In
minori autem proposition* prsedicatur dif-
finitio de subjecto , et hic est primus mo-
dus dicendi per se. In conclusione vero
praedicatur propria passio de suo subjecto,
et hic est secundus modus dicendi per se.
Verbi gratia : Si vellemus demonstrare
quod omnis quaternarius numerus est par,
sic sit : Omnis multitudo mensurata per
unum, cujus per se non est médium, est
par; sed omnis quaternarius numerus est
talis multitudo , ergo omnis quaternarius
est par. Hic subjectum est quaternarius
numerus ; passio vero ejus est par seu pa-
ritas : médium vero quod fuit sumptum
dicit diffinitionem numeri, quae est multi-
tudo mensurata per unum , et dicit diffi-
nitionem paris , quia paris secundum se
non est médium. In majori propositions
passio praedicatur de difiinitione subjecti,
in qua exprïmitur diffinitio sua, et sic est
quartus modus dicendi per se. In minori
propositione diffinitio subjecti praedicatur
de suo subjecto , et sic est primus modus
dicendi per se. In conclusione vero praedi-
catur propria passio de suo subjecto, et est
secundus modus dicendi per se. Patet ergo
quod demonstratio procedit ex his quas
sunt per se. Ratio communis hujus lit sic.
Syllogismus qui procedit ex necessariis,
non procedit ex his quae sunt per acci-
dens, sed ex his quae sunt per se ; sed ut
dictum est , demonstratio procedit ex ne-
cessariis; ergo demonstratio procedit ex
his quae sunt per se.
328
OPUSCULE XLVII, TRAITÉ H, CHAPITRE 5.
CHAPITRE V.
Que la démonstration procède de choses premières et immédiates.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses premières.
Remarquez que dans la démonstration principale la propre passion se
dit du sujet dans la conclusion. Dans les prémisses où la prédication
de la définition se fait du sujet , ou celle de la propre passion se fait
de la définition du sujet ou de la sienne. Or toutes ces choses sont
convertibles, et c'est là la prédication première, comme il a été dit.
Et à raison de cela la démonstration établie plus haut n'est pas prin-
cipale; en effet, on conclut du nombre quatre qu'il est pair, mais le
mot pair a plus d'étendue que le nombre quatre , puisqu'il se dit du
nombre six , du nombre huit et des autres. Pair convient d'une ma-
nière adéquate à quelque nombre commun qui est innommé , et s'il
avoit un nom, la prédication seroit per se et prima; et on pourroit
faire à son égard une démonstration principale. C'est ainsi que nous
disons qu'avoir trois angles égaux à deux droits convient per se primo
au triangle, parce qu'il y a conversion. Car tout triangle a trois angles,
et tout ce qui a trois angles est triangle. Mais cela ne convient pas
primo à l'isocèle, parce que tout ce qui a trois angles n'est pas isocèle.
Ces propositions de démonstrations sont immédiates. En effet , une
proposition médiate est celle dans laquelle le prédicat est inhérent au
sujet à raison de quelque affirmation qui convient antérieurement au
sujet , comme la faculté de rire à Sortes, parce que cette qualité con-
vient antérieurement à l'homme. La proposition immédiate est celle
dans laquelle le prédicat ne convient pas au sujet à raison d'une autre,
comme la faculté de rire convient à la définition de l'homme, et toute
caput v.
Quod demonslratio procedit ex primis et
irnmediatis.
Deinde dicitur, quod demonstratio pro-
cedit ex primis. Ubi nota, quod in de-
monstratione potissima praedicatur propria
passio de subjecto in conclusione. In prae-
missis autem vel praedicatur diffinitio de
subjecto, vel propria passio de diffînitione
subjecti et sua. Haec autem omnia conver-
tibilia sunt, et hoc est praedicari primo, ut
supra dictum est. Et propter hoc demons-
tratio superius posita non est potissima ;
concluditur enim par de numéro quater-
nario , in plus enim se habent par quam
numerus quaternarius, quia dicitur de se-
nario, octonario, et caeteris. Convenit au-
tem par adœquare alicui communi numéro
qui est innominatus, et de illo si haberet
nomen, praedicatur per se et primo , et de
illo posset fieri demonstratio potissima.
Sicut dicimus quod habere très angulos
aequales duobus rectis , convenit per se
primo triangulo, quia convertuntur. Omnis
enim triangulus habet très angulos , et
omne habens très angulos est triangulus.
Non autem convenit hysocheli primo, quia
non omne habens très angulos est hyso-
cheles. Taies propositiones demonstratio-
num sunt immediatae. Mediata enim pro-
positio est illa, in qua praedicatum inest
subjecto propter aliquid praedicatum, quod
subjecto per prius convenit , sicut risibile
Sorti, quia per prius convenit homini.
Immediata autem propositio est illa, in
qua praedicatum non propter aliud conve-
nit subjecto , sicut risibile convenit diffi-
SUR LA LOGIQUE d'aRISTOTE. 329
propre passion à la définition de son sujet et à la sienne. Il est donc
évident, que la démonstration procède de principes premiers et immé-
diats. Il faut savoir qu'il y a une différence entre premier et immé-
diat; car tout ce qui est primairement inhérent n'est pas dit immédiat.
Effectivement, la qualité de rire est primairement inhérente à l'homme,
mais non immédiatement, parce qu'elle est inhérente per prius à la
définition de l'homme et à la sienne, autrement la définition ne seroit
pas un moyen pour attribuer par voie de conclusion la qualité de rire
à l'homme. De même tout ce qui est inhérent immédiatement ne l'est
pas primairement. En effet , homme est immédiatement inhérent à
Sortes, mais non primairement ; car homme s'applique à un plus grand
nombre d'individus que Sortes; c'est pourquoi les prémisses démon-
stratives doivent renfermer l'un et l'autre. 11 faut savoir aussi que les
premiers principes dans la démonstration étant quelquefois médiats,
parce qu'ils peuvent être démontrés par quelque moyen , l'argumen-
tateur néanmoins les prend comme immédiats et indémontrables. En
effet, ils ne sont pas démontrables dans la science où s'opère la dé-
monstration , mais dans une science supérieure ; et conséquemment,
quoiqu'ils aient un moyen, ils sont cependant pris comme immédiats.
CHAPITRE VI.
Que la démonstration procède de choses propres , et non d'étrangères ,
ni de communes.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses propres.
Remarquez qu'on appelle quelquefois une chose propre lorsqu'elle
n'est pas étrangère , et quelquefois parce qu'elle n'est pas commune.
Or la démonstration procède des deux manières de choses propres ,
parce qu'elle ne le fait pas de choses étrangères, ni de choses com-
nitioni hominis, et omnis propria passio
diffinitioni sui subjecti et suae. Patet ergo
quod demonstratio procedit ex primis prin-
cipiis et immediatis. Sciendum quod dif-
fert primum et immediatum ; nam non
omne quod primo inest, dicitur imme-
diatum. Risibile enim primo inest homini,
sed non immédiate, quia per prius inest
diffinitioni hominis, et suae, aliter diffînitio
non esset médium ad concludendum risi-
bile de homine. Similiter etiam non omne
quod immédiate inest primo inest; homo
enim immédiate inest Sorti , non tamen
primo, quia de pluribus dicitur homo quam
Sortes : unde preemissae demonstrationes
oportet quod utrumque habeant. Scien-
dum etiam quod cum prima principia in
demonstratione aliquando sint mediata,
quia per aliquod médium possunt demon-
strari , tamen demonstrator accipit ea , ut
immediata et indemonstrabilia. Non enim
sunt demonstrahilia in illa scientia, de qua
est demonstratio, sed in scientia superior :
et ideo licet habeant médium, tamen acci-
piuntur ut immediata.
GAPUT VI.
Quod demonstratio procedit ex propriis , et
non ex extraneis , nec ex communibus.
Deinde dicitur, quod demonstratio pro-
cedit ex propriis. Ubi nota quod proprium
aliquando dicitur esse ahquid , quia non
est extraneum, et aliquando dicitur esse
proprium, quia non est commune. Utroque
330 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 6.
munes. Pour comprendre qu'elle ne procède pas de choses étrangères,
il faut savoir qu'il y a trois termes dans la démonstration comme dans
tout syllogisme , savoir, le grand extrême , qui est la passion propre,
le petit extrême , qui est le sujet , et le moyen terme , qui est la défi-
nition du sujet avec la définition de la passion. Or, si le moyen terme
étoit étranger au grand extrême ou au petit extrême , qui ne seroit
pas la définition renfermant l'un et l'autre , le grand extrême alors
ne seroit pas dit de lui per se., et il ne seroit pas dit lui-même du
sujet per se; mais on a prouvé que dans la majeure le grand extrême
se dit per se du moyen dans le quatrième mode de dire per se , et que
dans la mineure le moyen se dit du petit extrême per se dans le pre-
mier mode de dire per se ; donc la démonstration ne procède en au-
cune manière de choses étrangères , mais bien de choses propres. Il
faut savoir que, bien que dans les démonstrations il n'y ait pas tran-
sition d'un genre à un genre étranger, néanmoins rien n'empêche que
quelquefois le sujet d'une démonstration ne soit contenu sous le sujet
d'une autre démonstration et le contracte. Par exemple : supposons
que l'on démontre cette passion, savoir le sensitif, parla définition
d'animal appliquée à l'animal même , si cette même passion étoit
démontrée relativement à l'homme par le même moyen terme , ou
par un moyen contracté dans la définition de l'homme , il se feroit
alors une démonstration sous une autre , et ce seroit un sujet sous un
autre sujet. Il faut aussi savoir qu'une semblable contraction est quel-
quefois dans le même genre simpliciter, comme on l'a dit de l'animal
et de l'homme , parce qu'elle s'opère quelquefois dans l'homme par
quelque différence étrangère. Quelquefois cette contraction ou transi-
tion s'opère dans le même genre secundum quid , parce que le sujet
se contracte par une différence étrangère, comme visuel est étranger
autem modo procedit demonstratio ex pro-
priis, quia non ex extraneis nec commu-
nibus. Quod autem non procédât ex extra-
neis , seiendum quod in demonstraiione
sunt très termini , sicut in quolibet syllo-
gismo, scilicet major extremitas, quse est
propria passio , minor extremitas quae est
sulijcctum , et médium quod est diffinitio
subjecti cum diffinitione passionis. Si au-
tem médium esset extraneum a inajori vel
minori extremitate, quod scilicet non esset
diffinitio utrumque comprehendens ; tune
major extremitas non prœdicatur de eo per
se, nec ipsum de subjecto per se prœdica-
retur;sed probatum est, quod in majori
propositione major extremitas prœdicatur
per se de medio in quarto modo dicendi
per se, et in minori propositione prœdi-
catur médium de minori extremitate per
se in primo modo dicendi per se; ergo
nullo modo demonstratio procedit ex ex-
traneis, sed ex propriis. Seiendum quod
licet in demonstrationibus non sit descen-
sus ex uno génère in aliud genus extra-
neum, tameu nihil prohibet aliquando sub-
jectum unius demonstrationis contineri
sub subjecto alterius demonstrationis , et
contrahere illud. Verbi gratia , dato quod
demonstraretur hœc passio, scilicet sensiti-
vum , per diffinitionem animalis de ipso
animali, si eadem passio demonstraretur de
homine per idem médium, vel per médium
contractum ad diffinitionem hominis, tune
una demonstratio fieret sub alia demons-
tratione, et esset subjectum sub subjecto.
Seiendum etiam est, quod talis contractio
aliquando est in eodem génère simpliciter,
sicut dictum est de animali et de homine,
quia aliquando contrahitur ad hominem
per aliquam differentiam extraneam. Ali-
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 331
au genre de la ligne, et le son est étranger au genre du nombre. C'est
pourquoi la ligne qui est simplement un sujet de géométrie , et la
ligne visuelle qui est un sujet de perspective ne sont pas simplement
du même genre, mais seulement secundam quid, il en est de môme
du nombre qui est un sujet de l'Arithmétique et du nombre sonore
qui est un sujet de la Musique. C'est pourquoi quand les choses
qui appartiennent simplement à la ligne sont appliquées à la ligne
visuelle, il se fait en quelque sorte une transition à un autre genre.
Aussi dans la démonstration qui s'effectue dans la science de la per-
spective et dans la musique , on procède en quelque façon de prin-
cipes étrangers. On voit donc de quelle manière la démonstration
procède de 'principes ou prémisses propres et non étrangères. Pour
concevoir qu'elle procède aussi de choses propres et non communes ,
il faut savoir que dans la démonstration certains principes concourent
actuellement , et d'autres virtuellement. Il y a certains principes qui
sont la formule des communes conceptions de l'ame, parce que notre
intellect est naturellement porté par sa lumière à les connoître , par
la raison que les termes étant connus, il connoît immédiatement ces
principes, comme, le tout est plus grand que sa partie. Car aussitôt
que la raison connoît ce que c'est qu'un tout et ce que c'est qu'une
partie, elle reconnoît la vérité de ce principe que le tout est plus grand
que le partie. Or ces principes ou propositions premières sont plus et
moins communs. C'est pourquoi ce principe commun , l'être ou le
non-être se dit de toutes choses, est commun dans tout être; mais
celui-ci , le tout est plus grand que sa partie , ne convient qu'à
l'être corporel, et non aux substances séparées qui n'ont ni tout, ni
quando vero talis contractio seu descensus i demonstratione quaedam principia concur-
sit in eodem génère secundum quid, quia runt actualiter , quaedam vero virtualiter.
subjectum contrahitur per diffcrentiam ex- : Quaedam vero principia dicuntur digni-
traneam, sicut visuale est extraneum a ge- i tates, seu communes animi cqnceptiones,
nere lineae , et sonus est extraneus a ge- ; quia ita naturaliter intellectus noster incli-
nere numeri. Unde linea quae est simplici- j natur per lumen suum ad ea cognoscenda,
ter subjectum geometriae, et linea visualis ! quod statim cognitis terminis cognoscit illa
quae est subjectum perspectivae , non sunt : principia ut : Omne totum est majus sua
simplicitcr unius generis, sed solum secun- ! parte. Nam statim quod ratio cognoscit
dum quid , et similiter se habet de nu- ' quid est totum et quid est pars, cognoscit
mero, qui est subjectum arithmeticae , et . hoc esse verum , scilicet omne totum est
de numéro sonoro, qui est subjectum mu- ! majus sua parte. Ista autem principia, seu
sicae. Et ideo quando ea quae sunt lineae ! propositions primée sunt majus et minus
simpliciter , applicantur ad lineam visua- J communia. Unde illud principium com-
lem, fit quodammodo descensus in aliud ! mune : De quolibet dicitur esse vel non
genus. Unde in demonstratione quae fit in | esse, est commune in omni ente; sed istud
scient ta perspectiva, et in musica procedi- j principium , omne totum est majus sua
tur quodammodo ex principiis extraneis. ! parte, solum convenit enti corporeo, et non
Patet ergo qualiter demonstratio procedit ! substantiis separatis quae nec totum ha-
ex principiis seu prœmissis propriis, et non bent, nec partem , et sic se habet mulris
extraneis. Quod etiam procédât ex propriis j aliis. Unde dicta principia non intrant actu
et non ex communibus, sciendum quod in i demonstrationes quae fiunt in scientiis, sed
332 OPUSCULE XLVH, TRAITÉ 11, CHAPITRE 6.
parties , et ainsi de plusieurs autres. C'est pourquoi les principes ci-
dessus n'entrent pas actuellement , mais bien virtuellement clans les
démonstrations qui se font dans les sciences. Car dans toute proposi-
tion que je fais, il y a tout d'abord introduction virtuelle. En effet,
lorsque je dis Pierre court, il est certain ou qu'il y a un homme , ou
qu'il n'y en a pas. Donc ce principe, l'être ou le non-être se dit de
toute chose , se trouve virtuellement dans chacune des prémisses de
la démonstration ; il en est de même des autres principes moins com-
muns , par rapport aux démonstrations dans lesquelles ils se trouvent
virtuellement. C'est pourquoi dire que les démonstrations ne pro-
cèdent pas virtuellement de ces principes, c'est une fausseté. Mais je
dis que ces principes communs n'entrent pas actuellement dans la
démonstration. En conséquence celui qui voudroit démontrer la qua-
drature du cercle parles principes communs de cette manière , là où
se trouve le plus et le moins se trouve aussi l'égal ; mais il se trouve
un carré plus grand que le cercle et moindre que le cercle , donc on
trouve aussi l'égal ; celui-là feroit une mauvaise démonstration. La
raison en est , ainsi qu'on l'a prouvé plus haut, que la démonstration
procède de choses premières et immédiates ; mais en usant de ces
principes, les deux propositions de la démonstration ne seront pas
immédiates et premières , parce que être plus grand ou plus petit que
le cercle convient non-seulement au carré , mais encore au triangle
et à plusieurs autres figures ; il n'y a donc pas dans cette proposition
ce qui est premier, ou ce qui est inhérent primairement. Elle n'est pas
non plus immédiate, parce que celapourroit se prouver par plusieurs
moyens termes; donc ce n'est pas delà que procède la démonstration.
11 y a d'autres principes de démonstration qui entrent actu dans la
démonstration , lesquels sont-aussi appelés positions , suppositions et
définitions. Pour comprendre ces termes , il faut observer que tout ce
virtute ; quando enim dico quameumque
propositionem, primum intrat in eam vir-
tute. Cum enim dico : Petrus currit, cer-
tum est vel quia homo est , vel non est,
ergo hoc principium, scilicet, de quolibet
dicitur esse vel non esse , virtute est in
qualibet praemissarum demonstrationis, et
sic est de aliis principiis minus communi-
bus respectu demonstratiunum , in quibus
sunt virtute. Unde dicere , quod démons-
trations non procedunt ex his principiis
virtute , falsum est. Sed dico , quod talia
principia communia actu non intrant de-
monstrationem. Unde illi qui voluit de-
monstrare quadraturam circuli per prin-
cipia communia sic arguendo. Ubi inveni-
tur majus et minus, ibi invenitur pequale ;
sed invenitur quadratum majus circulo et
minus circulo , ergo invenitur aequale ;
maie demonstravit. Ratio est, nam ut supra
probatum est , demonstratio procedit ex
primis et immediatis, sed utendo istis prin-
cipiis, ambaî propositiones demonstrationis
non erunt immédiat» et primée, quoniam
esse majus vel minus circulo non solum
convenit quadrato, sed etiam triangulo et
multis aliis iiguris ; non ergo in ista pro-
positione est primum seu quod primo in-
est. Nec est immediata , quia per multa
média posset hoc probari, non ergo ex ta-
libus procedit demonstratio. Alia vero prin-
cipia demonstrationis sunt qua3 actu in-
trant demonstrationem, quae etiam dicun-
tur positiones, suppositiones etdiffinitiones.
Ad sciendum autem haec nomina, nota
quod quidquid in demonstratione ante con-
SUR LA LOGIQUE d'âRISTOTE. 333
qui est placé dans la démonstration avant la conclusion , est appelé
position, parce que c'est placé avant la conclusion. Jl est certaines
positions qui ne prennent point l'être ou le non-être , telle est la défi-
nition. Car ceci n'est pas une définition, l'homme est un animal
raisonnable mortel ; la définition n'est que cela , ,animal raisonnable
mortel , c'est-à-dire ce qui ajoute l'être ou le non-être , et cette défi-
nition est une position. Quelquefois la position prend l'être ou le non-
être , comme lorsque nous disons , l'homme est un animal raisonnable
mortel, et c'est ce qu'on appelle une supposition. 11 faut savoir que
ce n'est pas sans cause que ces suppositions sont appelées suppositions.
Remarquez qu'on appelle proposition connue per se celle dans la-
quelle le prédicat est de la nature du sujet; telles doivent être les
prémisses des démonstrations , comme nous le dirons plus loin. Il
faut savoir que les termes de quelques propositions ont une notoriété
commune; tels que être, vrai, lien, un, chose, et autres semblables
qui appartiennent aux premières conceptions de l'intellect , et sont
connus au premier mot. C'est pourquoi les propositions dont ces
choses sont la matière non-seulement sont connues par elles-mêmes
en elles-mêmes , mais encore par rapport à nous , comme être et non-
être se dit de toute chose ; aussi ces propositions ne sont pas appelées
suppositions. Il y a d'autres propositions où , quoique le prédicat soit
de la définition du sujet, cette définition du sujet n'est pas néanmoins
connue à tout le monde , et par conséquent il n'est pas connu de tout
le monde que le prédicat est de sa définition , comme celle-ci : tous
les angles droits sont égaux, car égal est de la définition d'angle droit.
En effet , l'angle droit est celui qui est produit par une ligne droite
tombant perpendiculairement sur une autre ligne droite , de manière
qu'il y ait des deux côtés des angles égaux. En conséquence , comme
clusionem ponitur, dicitur positio, eo quod
posita est ante conclusionem. Positionum
autera quaedam non assumunt esse vel non
esse, et talis est diftiuitio; non enim dici-
tur diffmitio ista , homo est animal ratio-
nale mortale; sed diffmitio solum est hoc,
scilicet animal rationale mortale, sive h»c
quod addatur sibi esse vel non esse, et ta-
lis diffmitio est positio. Aliquando positio
assurait esse vel non esse, ut cum dicimus,
homo est animal rationale mortale, el haec
dicitur suppositio. Sciendum quod taies
suppositiones non sine causa dicuntur sup-
positiones. Ubi nota quod propositio per
se nota dicitur, in qua praedicatum est de
ratione subjecti, taies autem debent esse
praemissae demonstrationum, ut infra dice-
tur. Sciendum quod aliquarum propositio-
num termini sunt in communi omnium
notitia, ut sunt ens, verum, bouum, unum,
aliquid et res, et hujusmodi quae pertinent
ad primas conceptiones intellectus, qu;e
statim ut audiuntur , cognoscuntur. Unde
propositiones quae ex eis liunt, nou solum
sunt per se nota} in se, sed etiam quoad
nos , ut de quolibet dicitur esse vel non
esse , unde taies non dicuntur suppositio-
nes. Alise vero propositiones sunt , in qui-
bus licet praedicatum sit de difhnitione
subjecti, tamen diffmitio subjecti non est
omnibus nota , et per consequens non est
omnibus notum , quod praedicatum sit de
ejus diffinitione, sicut ista : Omnes anguli
recti sunt aequales; aequale enim est de
diflinitione anguli recti. Est enim angulus
rectus , qui causatur ex linea recta per-
pendiculariter cadente super lineam rec-
tam, itaquod exutraque parte anguli red-
dantur squales. Quia ergo non omnes hoc
sciunt, scilicet quod aequale sit de diffini-
334 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 7.
tout le monde ne sait pas cela , c'est-à-dire que égal appartient à la
définition d'angle droit , on le suppose , et pour cette raison on l'ap-
pelle supposition. La proposition de la démonstration peut être appelée
supposition dans un autre sens , car il y a certaines propositions qui
se prouvent par les principes d'une science supérieure , comme on le
montrera plus bas , et par conséquent il faut supposer la science infé-
rieure. Et comme c'est de pareils principes ou prémisses propres que
procède la démonstration , parce qu'ils entrent en elle actu , elle pro-
cède conséquemment de choses propres et non communes. On voit
donc comment la démonstration procède de choses propres , etc.
CHAPITRE Vil.
Que la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes.
On dit ensuite que la démonstration procède de choses connues par
elles-mêmes. On appelle propositions connues par elles-mêmes celles
où le prédicat appartient à la définition du sujet ou vient immédia-
tement de ses principes. Mais les choses d'où procède la démonstra-
tion sont de ce genre. Car dans la majeure la propre passion se dit de
la définition du sujet et de la science , qui est sa cause immédiate, ou
exprime ses principes immédiats; dans la mineure au contraire la dé-
finition se dit du sujet. Donc la démonstration procède de choses
connues par elles-mêmes. Il faut savoir qu'il y a certaines proposi-
tions connues par elles-mêmes en elles-mêmes , et non par rapport à
nous , comme celle-ci : quiconque a la fièvre a le pouls accéléré. En
effet, quoique cela soit connu en soi, par ce que la fièvre est une cause
de l'accélération du pouls, néanmoins ce n'est pas connu par rapport
à nous, au contraire nous connoissons la fièvre par l'accélération du
pouls. Ce n'est pas de semblables choses connues par elles-mêmes que
tione anguli recti , ideo hoc supponitur, et
propter hoc dieitur suppositio. Alio modo
propositio demnstrationis potest dici sup-
positio, nam quaedam propositions sunt,
quae probantur per principia superioris
scientise, ut infra ostendetur, et ideo in-
ferior scientia oportet quod supponatur.
Et quia ex talibus principiis seu prœmissis
propriis, procedit demonstratio, quia actu
intrant in eam, ideo procedit ex propriis,
non ex communibus. Patet ergo quornodo
demonstratio procedit ex propriis., etc.
GAPUT VII.
Quod demonstratio procedit ex per se nolis.
Deinde dieitur, quod demonstratio pro-
cedit ex per se notis. Per se notse enim
dicuntur propositiones , in quibus prœdi-
catum est de diffinitione subjecti , vel im-
médiate causatur ex principiis ejus ; sed
ea ex quibus procedit demonstratio sunt
hujusmodi. Nam in majori propositione
pradicatur propria passio de diffinitione
subjecti et sua, quse est immediata causa
sui , seu exprimit immediata principia
ejus; in ininori vero praedicatur diffinitio
de subjecto; ergo demonstratio procedit
ex per se notis. Sciendum quod qusedam
propositiones sunt per se nota? in se et non
quoad nos , sicut hsec : Omnis febricitans
habet pulsum excitatum. Licet enim hoc
sit notum in se , quia febris est causa ex-
citations pulsus, tamen non est per se no-
tum quoad nos, sed e converso cognosci-
mus febrem per excitationem pulsus; ex
talibus autem per se notis non procedit
SUR LA LOGIQUE d'arISTOTE. 33o
procède la démonstration. Car si la raison d'une chose est plus claire
que cette chose, les conclusions nous sont connues à cause des pré-
misses, il faut donc que les prémisses nous soient plus connues. C'est
pourquoi nous ne pourrions connoîlre les conclusions en aucune ma-
nière , si les prémisses ne nous étoient pas plus connues. Or on fait
des démonstrations afin d'arriver à la connoissance des conclusions;
donc les démonstrations procèdent de choses plus connues par rap-
port à nous. Il y a certaines propositions connues par elles-mêmes et
en elles-mêmes et par rapport à nous , comme tout nombre qui n'a
pas de moyen par soi est pair, parce que tout nombre qui n'a point
par soi de moyens est appelé pair et vice versa, c'est de telles choses
que procède la démonstration. Il est donc évident que la démonstra-
tion procède de choses connues par soi et qui nous sont plus connues.
On peut conclure de ce qui précède que la démonstration et la science,
qui est l'habitude d'une conclusion démontrée, roule toujours sur des
choses incorruptibles et sempiternelles. En effet, il faut que ce qui
conserve dici de omni soit incorruptible et sempiternel. Car, comme
il a été dit plus haut , on appelle dici de omni quod non aliquando
inest, et aliquando non inest, sed semper inest. Or les choses corrup-
tibles ne sont pas toujours en cela, donc dici de omni ne se conserve
que dans les choses sempiternelles. Mais dans la démonstration prin-
cipale qui a ses deux propositions universelles, dici de omni se con-
serve dans toutes. Donc la démonstration roule sur les choses incor-
ruptibles et sempiternelles. Il semble aussi que la définition appartient
aux sempiternelles. En effet , quoique les choses corruptibles soient
définies, elles ne sont pas définies néanmoins entant que corruptibles.
Il n'y a de corruptibles que les choses particulières, or le particulier
ne se définit pas. C'est pourquoi la définition roule per accidens sur
demonstratio. Si enim propter quod unum-
quodque et illud magis ; propter praemissas
autem innotescunt nobis conclusiones; ergo
oportet quod prasmissas sint nobis magis
notas. Unde conclusiones nullo modo pos-
sent nobis fieri nota?, nisi prasmissas essent
magis nobis notas; demonstrationes autem
fiunt , ut conclusiones fiant nobis notas ;
ergo demonstrationes procedunt ex notio-
ribus quoad nos. Quœdam autem proposi-
tiones sunt per se notas et in se et quoad
nos, ut omnis numerus cujus per se non est
médium, est par ; quia omnis numerus qui
non habet secundum se médium , dicitur
par, et e converso, et ex talibus procedit
demonstratio. Patet ergo quod demons-
tratio procedit ex per se notis et notiori-
bus nobis. Ex prasdictis potest concludi ,
quod demonstratio et scientia quas est ha-
bitus conclusionis demonstratas , semper sit
de incorruptibilibus et sempiternis. Dbi
enim salvatur dici de omni, oportet quod
illud sit incorruptibile et sempiternum. Si-
cut enim supra dictum est, dici de omni,
dicitur quod non aliquando inest , et ali-
quando non inest, sed semper inest; cor-
ruptibilia autem non sunt semper in eis;
ergo non salvatur dici de omni, sed solum
in sempiternis. Sed in demonstratione po-
tissima quas habet ambas propositiones
universales, salvatur in omnibus dici de
omni; ergo demonstratio est de incorrup-
tibilibus et sempiternis; apparet etiam
quod diffinitio est sempiternorum. Licet
enim corruptibilia diffiniantur, non tamen
diffiniuntur in quantum corruptibilia sunt.
Solum enim particularia sunt corrupti-
bilia, particulare autem non diflinitur.
336 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ II, CHAPITRE 8.
les choses corruptibles, et per se sur les choses sempiternelles. Il faut
savoir que certaines choses sempiternelles ou éternelles, comme il
appartient au but de la démonstration, ne sont pas toujours telles
suivant le temps, elles le sont par comparaison à la cause ; parce que
il n'y a jamais de défection sans qu'en posant une telle cause on ne
pose l'effet , comme la défection du soleil ne s'opère jamais sans que
la lune s'interpose entre lui et nous ; cependant cette défection du
soleil ne dure pas toujours, mais seulement dans ce moment. Quel-
ques autres ne sont sempiternelles, ni par comparaison au temps, ni
par comparaison à la cause, lesquelles peuvent être naturalisées. En
effet la semence humaine ne produit pas toujours un homme avec
deux yeux, il y a quelquefois une défectuosité à raison de quelque
obstacle du côté de la cause agissante ou de la matière. Dans les deux
cas, il faut ordonner les démonstrations de manière qu'elles roulent
sur les sempiternelles, et de sorte qu'on tire une conclusion univer-
selle de propositions universelles , en écartant les choses où il peut y
avoir défectuosité, soit du côté du temps, soit du côté de la cause. On
voit donc que la démonstration roule sur des choses sempiternelles
tant dans les prémisses que dans la conclusion. Donc la science qui
est l'habitude de la conclusion démonstrative roule sur des choses
sempiternelles.
CHAPITRE VIII.
Que la démonstration procède des causes de la conclusion.
On dit ensuite que la démonstration procède des causes de la conclu-
sion , ce qui peut s'entendre de deux manières. Premièrement que
les prémisses sont cause que le grand extrême se trouve dans le petit,
et cela est vrai non-seulement dans la démonstration, mais encore
Unde diffinitio est corruptibilium per acci-
dens , sempiternorum autem est per se.
Sciendum quod quaedam sempiterna seu
aeterna, ut ad proposituni demonstrationis
pertinet, non sunt semper secundum tem-
pus, sunt autem per comparationem ad
causam ; quia nunquam déficit quin posita
tali causa ponatur effectus , sicut defectus
solis nunquam déficit , quin interposita
luna in ter nos et solem sit , tamen defec-
tus solis non est semper , nisi tune. Quœ-
dam vero non sunt semper nec per com-
parationem ad tempus, nec per compara-
tionem ad causam , quae impediri potest.
Non enim semper ex semine hominis ge-
neratur homo cum duobus oculis ; sed
quandoque déficit propter impedimentum
causae agentis vel materise. In utriusque
autem sic ordinandae sunt demonstrationes
ad hoc quod sint ex sempiternis, ut ex uni-
versalibus propositionibus inferatur con-
clusio universalis, removendo illa, in qui-
bus potest esse defectus, vel ex parte tem-
poris, vel ex parte causse. Patet ergo quod
demonstratio est ex sempiternis tam in
preemissis quam in conclusione. Scientia
ergo quee est habitus conclusionis demons-
trationis, est ex sempiternis.
GAPUT VIII.
Quod demonstratio procedit ex causis con-
clusionis.
Deinde dicitur quod demonstratio proce-
dit ex causis conclusionis, quod duplicitër
potest intelligi. Uno modo, quod praemis-
sae sint causa quod major extremitas insit
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 337
dans tout syllogisme où on conclut la vérité de choses "vraies. Par
exemple, dans ce syllogisme : tout homme court, Sortes est homme,
donc Sortes court, en supposant qu'il soit vrai que tout homme court,
et que Sortes soit homme , il s'ensuit nécessairement, comme effet,
que Sortes court. Secondement on peut entendre que les prémisses
sont la cause de la conclusion , parce qu'elles contiennent la cause
tant du sujet que du prédicat de la conclusion , et dans ce sens cela
ne convient qu'à la démonstration. Il faut remarquer, ainsi qu'il a été
dit, que savoir étant connoître la cause d'une chose, le moyen qui
appartient à la démonstration et qui est un syllogisme produisant la
science, est la définition du sujet et de la passion. Or toute bonne dé-
finition se donne par une cause quelconque , donc le moyen qui se
trouve dans les prémisses, est la cause du sujet et de la passion, d'une
manière différente néanmoins. Sur quoi il faut savoir que, comme il
y a quatre causes, savoir : la finale, l'efficiente , la formelle et la ma-
térielle, la définition .peut se tirer de laquelle que ce soit, par exemple,
en disant : la maison est un abri formé de pierres , de ciment et de
bois, c'est une définition par la cause matérielle ; si l'on dit, la maison
est un abri carré , long et haut , c'est une définition par la cause for-
melle ; en disant, la maison est un abri construit par un artisan avec
des marteaux , des tuiles , et du plomb , c'est une définition par la
cause efficiente; si l'on dit, la maison est un abri qui nous garantit de
la pluie, du froid et du chaud, c'est une définition par la cause finale.
Donc le sujet pouvant être défini par tant de causes, le moyen qui est
sa définition , comme il a été dit , sera en rapport avec lui dans l'ha-
bitude de toutes ses causes. À l'égard de la passion , le rapport du
moyen est dans l'habitude de deux causes, savoir la cause matérielle
minori ; et hoc non solum est verum in
demonstratione, sed etiam in orani syllo-
gismo, in quo ex veris concluditur verum.
Unde in iato syllogismo , scilicet : Omnis
homo currit, Sortes est homo, ergo Sortes
currit, dato quod hoc sit verum scilicet
omnis homo currit, et Sortes est homo, se-
quitur necessario , ut effectus, quod Sortes
currit. Alio modo intelligi potest quod
prœmissœ sint causa conclusionis , quia in
eis continetur causa tam subjecti , quam
etiam prœdicati ipsius conclusionis, et sic
hoc solum convenit démonstration!. Scien-
dum quod quia, ut supra dictum est, scire
propter quod est causam rei cognoscere,
médium autem quod est de demonstratione
qui est syllogismus faciens scire, est diffi-
nitio subjecti et passionis : omnis autem
bona diffinitio datur per aliquam causam ;
ergo médium quod stat in prœmissis , est
causa subjecti et passionis, aliter tamen
V.
subjecti, et aliter passionis. Ubi sciendum
est, quod cum quatuor sint causa? scilicet
materialis, formalis, efliciens, et fmalis, a
qualibet harum potest sumi diffinitio.
Verbi gratia, dicendo : Domus est cooperi-
mentum cum lapidibus, cemeuto, et li-
gnis, est diffinitio per causam materialem.
Si vero dicatur, Domus est eooperimen-
tum quadratum, longum et altum, erit
diffinitio per causam formalem. Si vero di-
catur, Domus est cooperimentum factum
ab artifice cum martellis, tegulis et
plumbo, erit diffinitio per causam efficien-
tem. Si vero dicatur, Domus est cooperi-
mentum prohibens nos à pluviis, frigore et
calore , erit diffinitio per causam finalem.
Cum ergo subjectum per tôt causas possit
diffiniri, médium quod est ejus diffinitio,
ut dictum est, se habebitad illud in habi-
tudine tôt causarum. Respectu vero pas-
sionis habet se médium in habitudine dua-
22
338 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 9.
et la cause efficiente. En effet, comme nous l'avons dit, le sujet se
compare à la passion propre, et comme sujet, et comme efficient; il
en est de même de la définition du sujet à l'égard de la passion. Il
faut savoir que les causes ayant un ordre entre elles , la raison de
l'une se tire de l'autre. De la forme on tire la raison de la matière ,
parce que la matière doit être telle que le demande la forme. L'effi-
ciente est la raison de la forme; comme en effet tout agent produit
quelque chose de semblable à lui , le mode de la forme qui provient
de l'action doit être conforme au mode de l'agent. De la fin se tire la
raison de l'efficient ; parce que tout agent agissant pour une fin , il
faut conséquemment que la définition qui se tire de la fin soit la raison
et la cause probante des autres définitions tirées des autres causes ,
laquelle est tirée de l'agent des deux autres, qui est tiré de sa forme,
lequelle est tirée de la matière. En conséquence la définition qui se
tire de la matière peut être démontrée par la cause finale, et ainsi des
autres. C'est pour cela qu'Aristote dit, dans le Ier livre Posteriorum,
que la définition est ou la conclusion de la démonstration, c'est-à-dire
quand elle se fait par une cause de telle sorte qu'on peut conclure de
la définition ce qui se fait par une autre cause , ou le principe de la
démonstration, savoir quand elle se fait au contraire par la cause qui
est la raison et la cause probante d'une autre , ou c'est une démons-
tration différant seulement par la position ou l'ordre , c'est-à-dire
quand elle renferme ces deux causes. Ainsi s'explique ce qui con-
cerne les parties de la définition de la démonstration que contient sa
matière.
rum causarum, scilicet materialis et efii-
cientis. Subjectum enim, ut dictum est,
comparatur ad propriam passionem et ut
subjectum, et ut efficiens, et eodem modo
se habet difflnitio subjecti respectu passic-
nis. Sciendum quod quia causa? habent or-
dinem ad invicem , ex una sumitur ratio
alterius. Ex forma enim sumitur ratio ma-
teria?, quia talem oportet esse materiam,
qualem forma requirit. Efficiens autem est
ratio forma? : quia enim omne agens agit
sibi simile, oportet quod secundum modum
agentis sit modus forma? quse ex actione
sequitur. Ex fine vero sumitur ratio effi-
cientis, quia omne agens agit propter fi-
nem, oportet ergo quod diffînitio quae su-
mitur a sive, sit ratio et causa probativa
aliarum diffinitionum , quae sumuntur ex
aliis causis, et quae sumitur ab agente alia-
rum duarum, et quae sumitur a forma
ejusqua? sumitur a materia : ideo diffînitio
quae sumitur a materia, potest demonstrari
percausam finalem, et sic de anis. Et prop-
ter hoc dicit Philosophus I Posteriorum,
quod diffînitio vel est conclusio demonstra-
tionis, scilicet quando est per talem cau-
sam , quae concludi possit ex diffinitione ,
quae fiant per aliam causam : vel est prin-
cipium demonstrationis, scilicet quando est
e converso ex causa quae sit ratio, et causa
probativa alterius : vel est demonstratio
sola positione, seu ordinatione differens,
scilicet quando taies duas causas compre-
hendit. Et sic patet de partibus difflni-
tionis demonstrationis, quas commet ejus
materia.
te
SUR LA LOGIQUE D ARISTOTE.
339
CHAPITRE IX.
Que la démonstration principale affirmative ne se fait que dans la
première figure et dans son premier mode.
Il nous reste à parler maintenant de la forme; car dans sa définition
nous avons dit qu'elle est un syllogisme. Sur quoi il faut remarquer
que la démonstration est quelquefois affirmative et quelquefois néga-
tive. Parmi les démonstrations tant affirmatives que négatives, quel-
ques-unes sont principales, d'autres ne le sont pas. On appelle prin-
cipales celles dans lesquelles on observe sans rien omettre tout ce qui
a été dit de la démonstration; si en effet on omettoit quelque chose ,
ce ne seroit plus une démonstration principale. C'est pourquoi il faut
considérer dans quelles figures se font les démonstrations principales
et d'abord les affirmatives. Il faut savoir que la démonstration prin-
cipale affirmative ne doit se faire que dans la première figure et dans
son premier mode, ce que l'on peut rendre évident de cette manière.
En effet dans cette figure et dans son mode, la démonstration doit se
faire en raison de ce qui présente un moyen qui est la cause de la
passion et du sujet, de sorte que les prémisses soientper se telles que
le moyen puisse y être assigné comme cause de la passion et du sujet;
mais cela ne peut se faire .que dans la première figure. Car dans la
seconde figure il n'y a pas de conclusion affirmative; dans la troisième
figure , quoi qu'il puisse y avoir une conclusion affirmative , néan-
moins comme le moyen des deux propositions est une subjection dans
la mineure ou le sujet se diroit de sa définition, il ne pourrait y avoir
de prédication dans quelque mode de dire per se, ce qui n'arrive pas
CAPUT IX.
Quod demonslratio potissimi affirmativa sit
solum in prima figura , et in primo modo
ejus.
Nunc restât dicere de ejus forma. Nara
in ejus diffinitione dictum est quod est syl-
logismus. Ubi nota, quod demonstratio ali-
quando est affirmativa, aliquando nega-
tiva. Demonstrationum autem tam affir-
mativarum, quam negativarum quœdam
sunt potissimœ , quœdam vero non potis-
simœ. Potissimœ dicuntur illœ, in quibus
observantur omnia illa quœ de demonstra-
tione dicta sunt nuilo omisso : si vero ali-
quid omitteretur , non esset potissima.
Unde videndum est in quibus figuris liant
demonstrationes potissimœ, et primo affir-
mative. Sciendum quod demonstratio po-
tissima affirmativa débet fieri solum in
prima figura, et in primo modo ejus : quod
sic potest patere. Nam in ea figura, et in
eo modo ejus demonstratio débet fieri
propter quid, ubi médium est causa pas-
sionis et subjecti , ita quod prœmissœ sint
per se, in quibus convenienter potest mé-
dium assignari causa passionis et subjecti,
sed hoc non potest fieri nisi in prima fi-
gura. Nam in secunda figura non concludi-
tur affirmativa : in tertia vero figura etsi
concludi potest affirmativa, tamen quia
médium in utraque propositione sub-
jicitur in minori propositione, in qua
subjectum prœdicaretur de sua diffinitione,
non posset praedicatio in aliquo modo di-
cendi per se, quod non contingit in prima
figura, in qua in minori propositione prœ-
dicatur dillinitio de subjecto, ut dictum
340 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 10.
dans la première figure où , comme nous l'avons dit, la définition se
dit du sujet dans la mineure. Donc ce n'est que dans la première
figure que se fait la démonstration principale affirmative. Elle doit
aussi se faire dans son premier mode, car, comme nous l'ayons dit
dans la démonstration principale dici de omni se conserve tant dans
les prémisses que dans la conclusion, comme aussi le primum, ce qui
ne pourroit se faire sans qu'elles fussent toutes universelles; mais cela
ne se fait que dans le premier mode de la première figure. Donc ce
n'est que dans ce mode que peut se faire la démonstration principale.
Quant à celles qui ne sont pas principales , elles peuvent se faire et
dans le troisième mode de la première figure , et dans la troisième
figure dans les modes qui concluent affirmativement. On voit donc
dans quel mode et dans quelle figure peut se faire la démonstration
principale affirmative.
CHAPITRE X.
Que la démonstration principale négative doit se faire dans le second
mode de la seconde figure.
Pour savoir comment doit se faire la démonstration principale né-
gative , il faut considérer si cette démonstration peut exister. Je dis
que , bien que dans la démonstration négative il ne puisse y avoir ni
se conserver tout ce qui a été dit de la démonstration (car il ne peut
y avoir de prédication per se dans la proposition négative , puisque
dici per se appartient à l'affirmative), il suffit cependant que dans cette
démonstration les prémisses soient nécessaires et immédiates. Com-
ment les affirmatives et los négatives sont nécessaires , nous l'avons
dit dans le Traité des syllogismes , et nous avons dit plus haut com-
ment l'affirmative est immédiate. Il reste donc à dire comment elle
est ; ergoinsola prima figura fit démonstra-
tif) potissima affîrmativa. Etiam oportet
quod fiât in primo modo ejus, ut enim su-
pra dictum est, in demonstratione potissi-
ma tam in preemissis, quam in conclusione
salvatur dici de omni : et primum , quod
non posset fieri nisi omnes essent universa-
les, sed hoc solum fit in primo modo pri-
mée figurée , ergo solum in eo potest fieri
demonstratio potissima. Domonstrationes
vero non potissimee possunt fieri et in ter-
tio modo primée figurée, et in tertia figura
in modis concludentibus affirmativam. Pa-
tet ergo in qua figura, et in quo modo
potest iieri demonstratio potissima affirma-
tiva.
CAPUT X.
Quod demonstratio potissima negaUva débet
fieri in secundo modo secundœ figures.
Ad sciendum autem qualiter debeat fieri
demonstratio potissima negativa, videamus
utruni talis demonstratio possit esse. Dico
quod licet in demonstratione negativa non
possint esse , nec servari omnia supradicta
de demonstratione (non euim potest in
propositione negativa aliquid per se preedi-
cari, cum dici per se sit affirmativee) ta-
men sufficit in tali demonstratione quod
preemissee sint necessarice et immediatee.
Qualiter autem tam affirmative, quam
negativee sint necessariee , dictum est in
tractatu syllogismorum f et qualiter affir-
mativa sit immediata, dictum est supra.
SUR LA LOGIQUE d'àRISTOTE. 341
est médiate ou immédiate. Il faut observer que lorsque une chose est
niée d'une autre et vice versa et que l'on peut dire universellement
d'un terme ce qui peut être nié de l'autre, alors la proposition uni-
verselle négative formée des deux premiers termes peut se démontrer
par le moyen de celui qui se dit universellement affirmativement de
l'autre terme. Par exemple, l'homme peut se nier de la pierre et vice
versa, comme, nul homme n'est pierre, et comme quelque chose peut
se dire universellement de l'homme, c'est-à-dire animal, car nous di-
sons, tout homme est animal, pierre peut être niée de l'animal, donc
cette proposition , savoir nul homme n'est pierre , est médiate. Elle
peut en effet se prouver ainsi par le moyen terme; nul animal n'est
pierre , tout homme est animal, donc nul homme n'est pierre. Il en
résulte la même conséquence si l'on peut dire universellement de la
pierre quelque chose qui puisse être nié de l'homme , ou de quoi
homme puisse être nié, ce sera donc une proposition négative immé-
diate, quand deux termes niés l'un de l'autre seront tels que aucun
d'eux n'aura quelque chose qui se dise de lui universellement et qui
puisse être nié de l'autre terme ou de quoi l'autre terme puisse être
nié. Par exemple, nulle substance n'est quantité; cette proposition est
immédiate, car aucun terme ne peut se dire universellement de la
substance tout en étant nié de la quantité , car être se dit universel-
lement de la substance, et n'est cependant jjas nié de la quantité. De
même aussi deux définitions de deux espèces contenues immédia-
tement sous un genre quelconque font une proposition négative im-
médiate, comme celle-ci : nul animal raisonnable mortel n'est animal
irraisonnable mortel , car animal raisonnable mortel est la définition
de l'homme, tandis que animal irraisonnable mortel est la définition
Restât ergo dicere , qualiter «egativa sit
mediata, vel immediata. Notandum, qnod
quando aliquid negatur de aliquo, et
econverso , et de altero termino aliquid
potest universaliter prœdicari, de quo aller
terminus potest negari , tune propositio
universalis negativa formata ex primis duo-
bus terminis, potest demonstrari mediante
illo qui praedicatur universaliter affirmati-
ve de altero illorum terminorum. Verbi
gratia : Homo potest negari de lapide , et
econverso, ut : Nullus hoino est lapis, et
quia de homine potest prœdicari aliquid
universaliter, scilicet animal, dicimus'
enim, omnis homo est animal , et de ani-
mali potest negari lapis, ergo illa proposi-
tio, scilicet nullus homo est lapis, est me-
diata. Potest enim probari per médium
sic : Nullnm animal est lapis; omnis homo
est animal, ergo nullus homo est lapis. Et
idem sequitur, si aliquid potest prœdicari
universaliter de lapide quod possit negari
de homine, vel de quo posset homo ne-
gari, erit ergo propositio negativa imme-
diata quando duo termini negati ab invi-
cem ita se habebunt, quod neuter eorum
habebit aliquid ; quod de ipso universali-
ter prœdicetur, quod ab altero tertnino
negari possit, vel ille terminus ab eo.
Verbi gratia : Nulla substantia est quanti-
tas, ista est immediata, nullus enim termi-
nus potest universaliter prœdicari de sub-
stantia, qui negetur de quantitate, de sub-
stantia enim praedicatur universaliter ens,
quod tamen non negatur de quantitate.
Similiter etiam duae diffinitioues duarum
specierum sub aliquo génère immédiate
contentarum, faciunt propositionem nega-
tivam immediatam, ut est ista. Nullum
animal rationale mortale est animal irra-
tionale mortale, animal enim rationale
mortale est diffinitio hominis, animal vero
342 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 10.
de la brute , or la brute et l'homme se trouvent immédiatement dans
animal. Il en sera de même de deux différences opposées divisant le
même genre, comme, rien de raisonnable n'est irraisonnable. Il en
est tout autrement des espèces constituées par ces différences, comme,
nul homme n'est brute, parce qu'il y a au-dessus de l'homme quelque
chose qui pourroit être nié de la brute , savoir raisonnable , et au-
dessus de la brute il y a quelque chose qui pourroit être nié de
l'homme, savoir irraisonnable ; c'est pourquoi elles sont immédiates,
quoique à proprement parler on ne puisse pas dire que raisonnable est
au-dessus de l'homme , et irraisonnable au-dessus de la brute , aussi
ne sont-elles pas proprement immédiates. Ceci reconnu, on peut savoir
tout d'abord comment se fait la démonstration négative, et dans
quelle figure. Cette démonstration principale ne peut se faire clans la
troisième figure, parce qu'il n'y a pas de conclusion universelle néga-
tive. C'est pourquoi , comme dans la première et la seconde figure il
peut y avoir une conclusion universelle négative , on peut faire dans
l'une et l'autre une démonstration avec une conclusion semblable ;
mais il n'y a que la principale qui puisse se faire dans le second mode
de la seconde figure. La raison en est que, quoique la science soit du
vrai, elle n'est pas néanmoins de tout le vrai, quelque argumentation
que l'on fasse de propositions immédiates. C'est pourquoi en disant,
toute habitude est une qualité , toute vertu est habitude , donc toute
vertu est une qualité ; quoique cette conclusion soit vraie , et formée
de propositions immédiates, nécessaires et per se, néanmoins cette
science ne sera pas produite per se. Il n'y a que dans les démonstra-
tions affirmatives que la science est produite par des conclusions
vraies, dont les prémisses sont vraies et immédiates, et de telle sorte,
comme nous avons dit , que dans leurs conclusions la propre passion
irrationale mortale est diSinitio bruti, bru-
tnm autem et homo immédiate sunt sub
animali. Et idem erit de duabus differen-
tiis ex opposito dividentibus idem genus,
ut : Nullum rationale est irrationale. Secus
autem est de speciebus per illas diflerentias
constituas, ut : Nullus homo est brutum,
quia supra hominem est aliquid quod pos-
set negari de bruto, seilicet rationale, et
supra brutum est aliquid quod posset de
homine negari, seilicet irrationale, ideo
sunt mediatee, licet non proprie possit dici
quod rationale sit supra hominem : nec ir-
rationale supra brutum , et ideo non pro-
prie sunt mediatse. His habitis statim po-
test sciri qualiter fiât demonstratio nega-
tiva, et in qua figura. In tertia enim figu-
ra, quia non concluditur universalis nega-
tiva, in ea non potest fieri talis demonstra-
tio potissima. Unde quia in prima, et
secunda figura potest concludi universalis
negativa, in utraque potest fieri talis de-
monstratio eam concludens : sed potissima
solum potest fieri in secundo modo secun-
dae figurée. Ratio est, quia licet scientia sit
de vero, non tamen de omni vero , quan-
tumeumque syllogizetur ex immediatis.
Unde dicendo sic : Omnis habitus est qua-
litas : omnis virtus est habitus, ergo omnis
virtus est qualitas, licet talis cottelusio sit
vera, et ex veris immediatis, et necessariis,
et per se, non tamen per se ea causabitur
scientia : sed in demonstrationibus affir-
mativis solum causatur scientia ex conclu-
sionibus veris, quarum prsemissae sunt ve-
rse, et immediatse, et hujusmodi, ut dictum
est, in quarum conclusionibus pradicatur
propria passio de subjecto proprio. Sic
SUR LA. LOGIQUE d'aRISTOTE. 343
se dise du propre sujet. De même aussi dans la démonstration néga-
tive la science ne sera pas produite par l'habitude de sa conclusion ,
supposé que la conclusion soit vraie et se tire de propositions immé-
diates , à moins que la propre passion ne soit vraiement niée de ce
qui n'est pas son sujet, ou par ce qui n'exprime pas sa cause, comme
l'exprime la définition du sujet propre , et ce sera vraiment là une
démonstration principale ; mais elle ne pourra être formée de propo-
sitions immédiates que dans le second mode de la seconde figure de
cette manière : tout ce qui a la faculté de rire est un animal aspirant
et ouvrant la bouche pour respirer et saisir ce qui lui convient, mais
rien de ce qui est irraisonnable n'est un tel animal pour l'appréhen-
sion, donc rien de ce qui est raisonnable n'a la faculté de rire. Il est
certain que la majeure est immédiate, car la définition de la passion
et du sujet s'y dit de la passion même. La mineure est immédiate
aussi, comme nous l'avons dit. Dans la conclusion la passion est
écartée de ce qui n'est pas son sujet. Or cela ne pourroit pas se faire
dans la première figure, ni dans le premier mode de la seconde figure.
En effet, si on disoit dans la première figure, rien de ce qui est irrai-
sonnable n'a la faculté de rire , toute brute est irraisonnable , donc
nulle brute n'a la faculté de rire, la majeure ne seroit pas immédiate.
Et si on faisoit un syllogisme dans le premier mode de la seconde
figure, quoique les prémisses pussent être immédiates, la conclusion
ne se feroit pas néanmoins en écartant la passion du sujet, mais bien
dans un sens contraire de cette manière : rien d'irraisonnable n'est
un animal raisonnable , mais tout ce qui a la faculté de rire est un
animal raisonnable, donc rien de ce qui a la faculté de rire n'est un
animal déraisonnable. Ou peut faire aussi une démonstration parti-
culière négative dans le quatrième mode de la seconde figure. Voilà
etiam in demonstratione negativa non cau-
sabitur scientia ex habitu ejus conclusio-
ns, dato quod conclusio sit vera, et con-
cludatur immediatis, nisi propria passio
vere negetur de eo , quod non est sibi sub-
jeetum, vel ab eo quod non exprimit cau-
sain suam, sicut exprimit diffinitio proprii
subjecti, et talis vere erit demonstratio po-
tissima : heec autera non poterit fieri ex
propositionibus immediatis, nisi in secundo
modo secundae figura? sic : Omne risibile
est animal rationale ad apprehensionem
convenientis, emittens spiritum dilatando
os : sed nullum irrationale est taie animal
rationale ad apprehensionem, ergo nullum
irrationale est risibile. Gertum est quod
major est immediata : nam in ea prœdica-
tur difïinitio passionis et subjecti de ipsa
passione. Minor etiam est immediata, ut
dictum est. In conclusione veroremovetur
passio ab eo quod non est sibi subjectum :
hoc autem non posset fieri in prima figu-
ra, nec in primo modo secundae figurae. Si
enim in prima figura diceretur sic : Nul-
lum irrationale est risibile ; omne brutum
est irrationale, ergo nullum brutum est ri-
sibile, tune major non esset immediata. Et
si fieret syllogismus in primo modo secun-
dae figurae, licet praemissae possent esse im-
médiates, non tamen concluderelur remo-
vendo passionem a subjecto, sed econverso
sic. Nullum irrationale est animal ratio-
nale : sed omne risibile est animal ratio-
nale, ergo nullum risibile est irrationale.
Potest etiam fieri demonstratio particula-
ris negativa in quarto modo secunda; figu-
rae. Et sic patet de forma demonstratio-
nis, in quibus figuris et modis fieri de-
34 i OPUSCULE XEVII , TRAITÉ 1 1 , CHAPITRE 1 1 .
quelle est la forme de la démonstration, dans quelles figures et dans
quels modes elle doit se faire. Tel est ce qui concerne la démonstra-
tion propter quid.
CHAPITRE XI.
Que la démonstration quia procède de l'effet à la cause, ou des causes
éloignées à l'effet.
Nous allons parler maintenant de la démonstration quia. Il faut
d'abord examiner ce que l'on veut dire par ces mots propter quid, et
par celui-ci quia. Il faut remarquer que nous pouvons savoir quatre
choses d'une chose savoir, ce qu'elle est , si elle est , parce qu'elle est,
pourquoi elle est. Pour comprendre cela , il faut savoir que la science
ne se composant que de vérités, il y a conversion entre le vrai et l'être,
la science roulera donc sur l'être. Or, ainsi que nous l'avons dit dans
les prédicaments, on trouve dans les choses un double être, savoir les
essences, et l'être de l'existence actuelle, et comme l'être de l'essence
s'appelle quiddité , ou ce qu'est la chose, aussi lorsque nous connois-
sons l'être de l'essence d'une chose, nous disons que nous savons ce
qui en est de cette chose : l'être de l'existence actuelle est tout autre
dans la substance que dans l'accident. En effet, comme l'être de l'ac-
cident est l' inesse, connoître l'être de l'existence actuelle du sujet,
c'est savoir seulement qu'il est actu, et c'est savoir de lui s'il est;
mais connoître l'être de l'existence actuelle d'un accident, c'est savoir
de \uiquia est, d'où savoir quia est n'est autre chose que savoir que
telle chose est inhérente à telle autre. Et comme quelquefois une chose
est inhérente à une autre pour quelque cause , connoître cette cause
c'est savoir propter quid. On voit donc que savoir d'une chose quia
est , c'est savoir que cette chose est inhérente à une autre tout en en
beat. Patet ergo de demonstratione propter
quid.
CAPUT XI.
Quod demonslralto quia, procedit ab affectu
ad causant, vel a causis remotis ad a/fec-
tum.
Nunc dicendum est de demonstratione
quia. Ubi primo videndum est quid signi-
ficetur per hoc quod dicitur, propter quid,
et quid per hoc quod dicitur, quia. Notan-
dum quod de re quatuor scire possumus,
scilicet quid est, an est, quia est, et pro-
pter quid est. Ad quae intelligenda, scien-
dum est quod cum scientia non sit nisi
verorum, verum autem et ens convertun-
tur, de esse ergo erit scientia. Ut autem
dictum est in tractatu de prcedieamentis ,
duplex esse inveniturin rébus, scilicet es-
sentiae, et esse actualis existentiae , et quia
esse essentiee dicitur quidditas, seu quid
est res, ideo cum scimus esse cssentias ali-
cujus rei, dicimus scire quid est de ipsa :
esse autem actualis existentiœ , aliter se
habet in substantia , et aliter in accidente.
Quia enim accidentis esse est inesse, scire
autem esse actualis existentiae subjecti, est
solum scire quod actu sit, et hoc est scire
de ipso an est : sed scire de accidente esse
actualis existentiee, est scire de ipso, quia
est , unde scire quia est , nihil aliud est
quam scire hoc inesse huic. Et quia ali-
quando aliquid inest alicui propter aliquam
causam , ideo scire illam causam est scire
propter quid. Patet ergo quod scire quia
est de aliqua re, est scire ipsam inesse ali-
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 345
ignorant la cause ; savoir propter quid c'est savoir qu'une chose est
inhérente à une autre , en même temps qu'on en connoît la cause.
Donc la démonstration propter quid est celle où l'on manifeste la cause
pour laquelle le prédicat est inhérent au sujet dans la conclusion. Quoi-
que l'on dise que cette démonstration est celle où l'on conclut qu'une
chose est inhérente à quelque sujet, ou n'en assigne pas néanmoins la
raison. Or, comme on l'a dit plus haut, il est requis pour la démon-
stration propter quid qu'elle procède de causes et de choses immé-
diates ; il ne suffit pas , en effet , de connoître une cause , il faut en-
core savoir quelle est la cause de ce que l'on fait , si elle est cause im-
médiate. La démonstration quia sera donc telle ou parce qu'elle ne
procède pas de causes, ou parce qu'elle ne procède pas de choses immé-
diates, mais de causes éloignées. Quant au premier point il faut savoir,
ainsi que nous l'avons dit, que la démonstration est une cause de co-
gnition , c'est-à-dire un moyen de connoître une conclusion par les
prémisses : or cela ne pourroit avoir lieu si les prémisses ne nous
étoient pas plus connues, il est en conséquence nécessaire que la dé-
monstration procède de choses plus connues par rapport à nous. Il
arrive quelquefois que l'effet immédiat nous est plus connu que la
cause, c'est pourquoi en pareil cas il est nécessaire que la démon-
stration procède de l'effet à la cause. Par exemple, se mouvoir et sentir
c'est un effet immédiat de tout être qui a une ame sensitive, et il nous est
plus connu qu'une chose ait le mouvement et le sentiment, parce que
nous le sentons, que le fait d'avoir une ame sensitive; par conséquent
en procédant ainsi , tout ce qui se meut et sent a une ame sensitive ,
mais tout animal se meut et sent, donc tout animal a une ame sensi-
tive , on conclut de l'animal qu'il a une ame sensitive , non cependant
cui ignorando causam quare insit : scire
autem propter quid, est scire aliquam rem
inesse alicui, et scire causam quare sibi in-
sit. Demonstratio ergo propter quid est illa,
in qua manifestatur causa quare praedica-
tum inest subjecto in conclusions De-
monstratio vero quia dicitur illa, in qua
concluditur aliquid inesse subjecto alicui,
non tarnen assignatur causa quare sibi inest.
Ut autem dictum est supra, ad demonstra-
tionem propter quid requiritur quod procé-
dât ex causis, et ex immediatis : non enim
suflicit scire causam, sed quoniam est causa
ejus quod scitur, si erit causa immediata.
Demonstratio ergo quia, erit vel quia non
procedit ex causis, vel quia non procedit
ex immediatis, sed ex causis remotis.
Quantum ad primum, sciendum quod ut
dictum est, demonstratio dicitur causa in-
notescendi, scilicet ut per praemissas nobis
innotescat conclusio : hoc autem lieri non
posset. nisi prœmissse essent nobis magis
notœ, et ideo hoc est necessarium, ut scili-
cet demonstratio procédât ex notioribus
quo ad nos. Contingit autem aliquando, ut
immediatus effectus sit nobis magis notus
quam causa, ideo in talibus oportet de-
monstrationem procedere ab effectu ad
causam. Verbi gratia, moveri et sentire est
immediatus effectus habentis animam sen-
rsitivam, et est magis notum nobis quod
aliquid moveatur, et sentiat, quia hocsen-
timus, quam hoc quod habeat animam
sensitivam : et ideo si procedatur sic : Omne
quod movetur et sentit, habet animam
sensitivam ; sed omne animal movetur et
sentit, ergo omne animal habet animam
sensitivam. Modo concluditur de animali,
quod habet animam sensitivam, non tamen
per causam, sed per effectum, qui est me-
346 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ H, CHAPITRE 11.
par la cause , mais par l'effet qui est de se mouvoir et de sentir. Mais
si l'on faisoit une démonstration et une conclusion , ce seroit une dé-
monstration propter quid de cette manière : tout ce qui a une ame
sensitive se meut et sent, mais tout animal a une ame sensitive, donc
tout animal se meut et sent. Il faut savoir que ces démonstrations quia
sont quelquefois dans des termes tels qu'elles sont convertibles entre
elles, comme le moyen terme, le grand extrême et le petit extrême ,
ainsi que dans les termes précédents. Car tout animal se meut, sent
et a une ame sensitive , et tout ce qui se meut et sent et a une ame
sensitive est animal , et tout ce qui a une ame sensitive est animal ,
se meut et sent, et c'est dans ces termes que se font les démonstrations
universelles. D'autres fois il arrive que le moyen terme, savoir l'effet
se mouvoir et sentir ont plus d'extension que le petit extrême, et
néanmoins on. fait encore un syllogisme ou une démonstration conve-
nable de cette manière , tout ce qui se meut et sent a une ame sensi-
tive , mais tout homme se meut et sent , donc tout homme a une ame
sensitive, homme en effet a moins d'extension que tout ce qui se meut
et sent. Mais si le moyen terme a moins d'extension que le petit
extrême , il n'y a pas de démonstration de cette manière; tout ce qui
se meut et sent a une ame sensitive, tout corps se meut et sent; cette
démonstration est fausse. Au contraire, si le moyen terme a moins
d'étendue que le grand extrême , la démonstration se fait de cette
manière : tout ce qui se meut et sent est corps ; tout animal se meut
et sent, donc tout animal est corps. Mais si le moyen terme a plus
d'étendue que le grand extrême, il n'y a pas de démonstration. Ef-
fectivement, d'un effet qui se trouve dans plusieurs causes on n'en
peut pas conclure pour une seule; du mouvement et de la sensibilité
veri et sentire. Si vero fieret demonstratio
et conclusio propter quid sic : Omne habens
animam sensitivam movetur et sentit •. sed
omne animal habet animam sensitivam, ergo
omne animal movetur et sentit. Sciendum
quod taies demonstrationes, quia, ali-
quando sunt in talibus terminis quse omnes
sunt convertibiles inter se, scilicet mé-
dium, major extremitas, et minor extremi-
tas, sicut est in terminis praedictis. Omne
enim animal movetur, et sentit, et habet
animam sensitivam, et omne quod movetur
et sentit , et habet animam sensitivam est
animal , et omne quod habet animam
sensitivam est animal , et movetur , et
sentit , et in talibus terminis fiunt de-
monstrationes universales. Aliquando au-
tem accidit, quod médium scilicet efteotus,
puta moveri et sentire , se habent in plus
quam minor extremitas, et adhuc fit syllo-
gismus, sive demonstratio conveniens sic :
Omne quod movetur et sentit, habet ani-
mam sensitivam : sed omnis homo move-
tur et sentit, ergo omnis homo habet ani-
mam sensitivam , homo enim in minus se
habet, quam quod movetur sentit. Si vero
médium in minus se habet quam minor
extremitas, non sit demonstratio sic : Omne
quod movetur et sentit, habet animam
sensitivam : omne corpus movetur et sen-
tit, haec est falsa. Econtrario autem si mé-
dium se habet in minus quam major ex-
tremitas, fit demonstratio sic : Omne quod
movetur et sentit, est corpus ; omne ani-
mal movetur et sentit, ergo omne animal
est corpus. Si vero médium in plus se ha-
bet quam major extremitas , non fit de-
monstratio. Ex effectu enim qui est in
pluribus causis, non potest concludi una
causa sic, ex moveri et sentire non posset
concludi rationale. Patet ergo de demons-
tratione quia, qua? procedit ab effectu ad
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 347
on ne peut conclure la rationalité. On voit donc ce que c'est que la
démonstration quia qui procède de l'effet pour conclure la cause. La
démonstration quia procède de causes éloignées dans la même science
et dans diverses choses. Dans la même science, comme la démonstration
d'Anacharsis ainsi conçue : où il n'y a pas de vignes , il n'y a pas
d'histrions et de chanteurs; or chez les Scythes il n'y a pas de vignes,
donc il n'y a chez les Scythes ni histrions ni chanteurs. Certes, quoique
les vignes soient la cause du chant , c'est cependant une cause hien
éloignée. Car les vignes sont la cause des raisins , les raisins la cause
du vin , le vin la cause de la joie, et la joie la cause du chant; il est
certain que cette démonstration est une démonstration quia. En effet,
en démontrant de cette manière nous ne pouvons pas connoître par
une cause immédiate pourquoi les Scythes ne chantent pas, mais par
le moyen de plusieurs autres démonstrations intermédiaires, de cette
manière par cette démonstration on ne fait pas propter quid , mais
bien quia, etc..
CHAPITRE XII.
Que dans une démonstration il y a quelque chose de connu avant la con-
clusion, et quelque chose après que la démonstration est faite.
Pour comprendre comment la démonstration quia se fait dans les
autres sciences , il faut savoir que dans toute démonstration , quelle
que soit la science où elle se fait , avant que la conclusion soit tirée ,
il y a quelque chose que nous savons d'avance , et quelque chose que
nous ne savons qu'après. En effet, ainsi que nous l'avons dit, il y a
trois termes dans la démonstration, savoir le sujet, la passion et la
définition de l'un et de l'autre , laquelle est le moyen terme ; il y a
aussi en elle les premiers principes ou les dignités en vertu. C'est
concludendum causam. Ex causis autem
remotis procedit demonstratio quia in ea-
dem scientia, et in diversis. In eadem
scientia, sicut demonstratio Anacharisidis,
quœ talis fuit. Ubicnuque non sunt vites,
non sunt sibyllatores, seu cantores : sed
apud Scythas non sunt vîtes , ergo apud
Scythas non sunt sibyllatores., seu canto-
res. Certe licet vites sint causa cantus, ta-
men sunt causa multum remota. Vites
enim sunt causa uvarum, quœ vero sunt
causa vini, vinum autem causa est lœti-
tiœ, et lœtitia est causa cantus, certum est
quod talis demonstratio, est quia. Non
enim demonstrando cognoscere possumus
per causam immediatam, quare Scythe'
non cantant : sed per multas alias demons-
trationes intermedias factas, et sic per
eam nescitur propter quid , sed quia, etc.
CAPUT XII.
Quod in démon sir alione aliqua sunt prœco-
gnila anle conclusionem , et aliqua sunt
cognila postquam demonslrata est.
Ad cognoscendum autem qualiter fiât
demonstratio , quia , in aliis scientiis :
sciendum est quod in qualibet demonstra-
tione in quacumque scientia, fiât, ante-
quam conclusio demonstretur , aliquid
praescimus, et aliquid de ea scimus post-
quam demonstrata est. Ut enim dictum
est, in demonstratione sunt très termini,
scilicet subjectum, passio, et diffînitio
utriusque, quœ est médium, et sunt in ea
prima principia, seu dignitates in virtute.
348 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 12.
pourquoi avant de démontrer nous savons d'abord à l'égard des
dignités qu'elles sont vraies. Les choses complexes ne peuvent se dé-
finir, or les dignités étant complexes ne peuvent se définir; nous ne
pouvons donc pas savoir ce qu'elles sont, ni par conséquent ce qu'il
en est d'elles avant la démonstration. Mais nous savons d'elles quelles
sont; elles doivent en effet être tenues pour vraies, car elles sont
tellement connues par la lumière de la raison naturelle que , les
termes connus , nous connoissons qu'elles sont vraies, comme il a été
dit; mais nous ne savons pas relativement à elles propter quid, puis-
qu'elles sont les premières conceptions de l'esprit. Quant à la passion,
nous savons d'avance ce quelle est, parce qu'elle a une définition qu'il
faut connoître préalablement avant de faire la démonstration. En effet,
si celui qui démontre ne connoît d'abord le moyen terme , il ne
pourra jamais argumenter; or dans la démonstration le moyen est la
définition du sujet et de la passion. Pour la passion, nous ne pouvons
pas savoir d'avance quia est , c'est-à-dire l'être de son existence
actuelle. Effectivement, l'être de l'accident étant Yinesse, savoir d'a-
vance qu'elle inhère, c'est connoître l'être de son existence actuelle ,
et ainsi , avant de la démontrer, nous connoîtrions sa démonstration.
Car la démonstration ne démontre autre chose , sinon que la passion
est inhérente au sujet , comme il a été dit : or cela est faux. Donc nous
ne savons pas d'abord à son égard quia est. Pour ce qui est du sujet ,
nous savons d'avance ce qu'il est; car par rapport à lui , ce qui n'est
pas encore actu peut être connu , je dis actu tant en lui-même que
dans ses causes. En effet, quoique la rose n'existe pas encore actuy
comme néanmoins elle existe dans sa cause, nous pouvons démontrer
quelque passion à son sujet. On voit donc ce qui est préalablement
connu dans la démonstration, et ce que nous savons d'elle après
Unde antequam demonstremus, praescimus
de dignitatibus, quia verse sunt. Non enim
possunt complexa diffiniri , cum autem di-
gnitates sint complexa;, ergo non possunt
difïiniri, de eis ergo non possumus scire
quid sunt, nec per consequens ante de-
monstrationem praescire quid est de ipsis :
sed praescimus de eis quia sunt, debent
enim credi esse vera , ita enim sunt nota
lumine naturalis rationis, quod cognitis
terminis coguoscimus, quia vera sunt, ut
supra dictum est, nec scimus de eis propter
quid, cum sint primée animi conceptiones.
De passione autem praescimus quid est,
quia dillinitionem habet, quam oportetpne-
cognoscere antequam iîat demonstratio.
Nisi enim demonstrator preesciat médium,
nunquam syllogizabit , médium autem in
demonstratione est difiinitio subjecti et
passionis. De ipsa passione autem non pos-
sumus praescire quia est scilicet esse actua-
lis existentiae ipsius. Cum enim accidentis
esse sit inesse , praescire illam inesse , est
scire ipsius esse actualis existentiae, et sic
antequam demonstremus eam, sciremus
demonstrationem ipsius. Nam demonstratio
nihil aliud ostendit, nisi passionem inesse
subjecto, ut dictum est : hoc autem est
falsum, non ergo de ea praescimus quia est.
De subjecto autem praescimus quid est,
quia jam oportet praescire médium, ut dic-
tum est, ejus autem difiinitio simul cum
dillinitione passionis est médium. Praesci-
mus etiam de ipso quia est , de ipso enim
quod acctu non est , sciri potest , et dico
esse actu tam in se, quam in suis causis.
Licet enim rosa jam actu non sit, quia ta-
men est in causa sua, possumus de ipsa ali-
quatn passionem demonstrare. Patel ergo
quid in demonstratione praescimus : quid
SUR LA. LOGIQUE d'arISTOTE. 349
qu'elle a été faite. Pour le concevoir clairement, il faut observer que
dans la démonstration il y a des prémisses et une conclusion. Or ou
les prémisses sont premières dans la science , ou secondaires. Par
exemple , dans la science des animaux , le premier principe est , tout
corps animé sensible se meut et sent ; il n'y a rien d'antérieur à ce
principe , et l'universalité dans la même science , si ce n'est les di-
gnités , lesquelles , comme il a été dit , n'entrent pas actu dans la dé-
monstration ; aussi ne sont-elles pas contenues dans la même science
mais dans une science commune. Les principes secondaires sont ceux
qui sont démontrés par les premiers ; ce sont d'abord des conclusions,
ensuite ils sont pris pour principes dans la même scieiîce , pour
démontrer d'autres choses. Par exemple, je fais d'abord une première
démonstration de cette manière : tout corps animé sensible se meut
et sent , tout animal est un corps de ce genre , donc tout animal se
meut et sent. Ensuite , je prends cette conclusion et j'en fais une pré-
misse de cette manière : tout animal se meut et sent , tout homme est
animal , donc tout homme se meut et sent. C'est là un principe secon-
daire. Relativement aux premiers principes dans la science , on sait
seulement qu'ils existent. Car si on savoit propter quid sunt, il fau-
drait le démontrer, ce qui ne pourroit se faire que par des principes
antérieurs , ce qui prouverait qu'ils n'étoient pas premiers principes.
Mais en supposant qu'ils étoient premiers principes , il s'ensuit qu'on
ne peut savoir d'eux dans cette science propter quod surit. En consé-
quence , on dit communément qu'aucune science ne prouve ses prin-
cipes; mais s'ils doivent être prouvés, on le fait par une science supé-
rieure, comme la science naturelle prouve les principes de la science
des animaux. Car la science, naturelle traite de tout corps mobile.
Tout au moins on peut les prouver par la science mathématique ou
autem de ipsa scimus post quam facta est.
Ad hoc videndum , nota quod in demons-
tratione sunt praemissse , et est conclusio.
Prsemissae autem vel sunt primœ in scien-
tia, vel sunt secundariee. Verbi gratia : in
scientia de animalibus primum principium
est : Omne corpus animatum sensibile mo-
vetur, et sentit, supra istud principium nul-
lum invenitur prius; et universalitas in ea-
dem scientia, niai dignitates, quae ut dic-
tum est, non actu intraut demonstratio-
nem , unde non continentur in eadem
scientia , sed in scientia communi. Secun-
daria vero principia sunt quae per prima
demonstrantur, et sunt primo conclusiones,
postea in eadem scientia sumuntur ut prin-
cipia ad demonstrandum alia. Verbi gra-
tia, facio primam demonstrationem sic :
Omne corpus animatum sensibile movetur
et sentit. Postea accipio istam conclusio-
nem, et facio eam prcemissam sic : Omne
animal movetur et sentit ; omnis homo est
animal, ergo omnis homo movetur et sen-
tit. Istud dicitur principfum secundarium.
De primis autem principiis in scientia sci-
tur solum, quia sunt. Si enim sciretur
propter quid sunt, oportet demonstrari,
quod non posset fieri nisi per aliqua priora,
non ergo fuissent prima ; sed suppositum
est, quod erant prima; ergo de eis non po-
test sciri propter quod sunt in ista scientia.
Et propter hoc communiter dicitur, quod
nulla scientia probat sua principia; sed si
probari debent, probantur per scientiam
superiorem, sicut naturalis scientia probat
principia scientiae de animalibus. Est enim
naturalis de omni corpore mobili. Vel ad
minus possunt probari per mathematicam
350 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ il, CHAPITRE 12.
par la dialectique qui sont des sciences communes à tout , et qui
prouvent les principes de toutes les sciences ; mais la science mathé-
matique prouve démonstrativement, la dialectique d'une manière pro-
bable ou opinative. Relativement aux principes secondaires , dans la
science on connoît le propter quid , car ces principes sont prouvés
ailleurs, ainsi qu'on l'a dit. On voit donc ce que nous savons des prin-
cipes dans la démonstration. Pour la conclusion dans la démonstration
propter quid, nous connoissons le propter quid. Mais dans la dé-
monstration quia, nous ignorons propter quid, parce que ou le
moyen terme n'est pas la cause, mais l'effet de la conclusion , comme
on l'a dit,' ou porte qu'il en est la cause éloignée. Remarquez que deux
sciences peuvent s'occuper du même sujet , l'une formellement et
l'autre naturellement, comme la géométrie traite de la ligne formel-
lement , et la perspective traite de la ligne , non comme ligne , mais
comme visuelle. C'est pourquoi en démontrant quelque chose de la
ligne visuelle par les principes de la ligne en tant que ligne , pour
cette conclusion le géomètre connoîtroit le propter quid , et le dessi-
nateur saurait seulement quia. Par exemple, faisons cette démonstra-
tion : toute longueur sans largeur où le milieu est semblable aux ex-
trémités est droite , mais une ligne qui passe par une table carrée est
une longueur de ce genre , donc la ligne des tables carrées est droite.
Dans cette conclusion le géomètre connoît le propter quid, parce qu'il
sait la cause de la rectitude des lignes ; mais le dessinateur la suppose,
parce qu'il en ignore la cause , et par conséquent il connoît le quia ,
et non le propter quid , et ainsi des autres. Alors la science inférieure
s'appelle subalterne , parce qu'elle est matérielle, et la science supé-
rieure subalternanle , parce qu'elle est formelle. Il faut savoir qu'il
arrive quelquefois qu'une science subalternée par rapporta une autre
vel per dialecticam, quae sunt scientiae om-
mnibus communes, et probant principia
omnium scientiarum; sed mathematica
démonstrative, dialectica vero probabiliter
seu opinative. De secundariis vero princi-
pes in scientia scitur propter quid, illa
enim alibi probantur, ut dictum est. Patet
ergo quid in demonstratione scimus de
principiis ; de conclusione autem in de-
monstratione propter quid, scimus propter
quid , in demonstratione vero , quia nesci-
mus propter quid , quia médium vel non
est causa conclusionis, sed effectus, ut dic-
tum est ; vel quia est causa remota. No-
tandum , quod duae scientiae possunt esse
de eodem subjecto , una formaliter , alia
naturaliter, sicut geometria est de linea
formaliter , perspectiva vero est de linea,
non in quantum linea, sed in quantum est
visualis. Unde quicumque per principia li-
neae in quantum est linea, demonstraret
aliquid de linea visuali, de conclusione illa
sciret geometra propter quid, perspectivus
vero sciret solum quia. Verbi gratia, fiât
talis dernonstratio. Omnis longitudo sine
latitudine , in qua médium non discrepat
ab extremis, est recta; sed linea transiens
per tabellas quadratas, est hujusmodi lon--
gitudo ; ergo linea tabellarum quadrata-
rum est recta. De ista conclusione scit
geometra propter quid , quia scit causam
rectitudinis linearum ; sed perspectivus
eam supponit , quia ignorât causam , et
ideo de praedicta conclusione scit quia , et
non propter quid , et sic de aliis ; et tune
scientia inferior vocatur subalterna , quia
scilicet est materialis ; superior vero dici—
tur subalternans, quia est formalis. Scien-
dum , quod aliquam contingit scientiam
subalternatam respectu alterius scientiae
SUR LA LOGIQUE d'arISTOTE. 351
est subalternante , comme la perspective par rapport à la géométrie
est subalternée , et subalternante par rapport à l'optique. En effet, la
science de l'optique étant une partie de la science naturelle, elle prend
les principes de la perspective pour prouver quelque conclusion , et
ainsi elle ne cormoît sur cette conclusion que le quia , tandis que la
perspective en connoît le propter quid. Il faut savoir qu'il y a des
sciences qui n'ont pas de sujet pris matériellement sous le formel , et
cependant on prend les principes d'une autre science dans quelque con-
clusion , et on sait sur cette conclusion le quia et non le propter quid.
Par exemple c'est une conclusion en médecine que les blessures cir-
culaires sont longtemps à guérir ; le sujet de cette conclusion ne se
trouve pas sous le sujet de la géométrie , et néanmoins cette conclu-
sion se prouve par les principes de la géométrie, qui sont que les parties
d'un cercle n'ayant point d'angles sont plus distantes les unes des
autres, il s'ensuit que ces blessures sont plus longtemps à guérir.
Voilà ce qui concerne les démonstrations propter quid et quia.
CHAPITRE XIII.
Que la science qui procède par la cause et qui dit la forme est plus cer-
taine que celle qui procède par l'effet et dit la matière.
Après avoir parlé des démonstrations , nous allons dire quelque
chose des sciences qui en sont les effets. Sur cela il faut considérer
deux choses : premièrement , ce qui est requis pour qu'une science
soit certaine, secondement , ce qui est requis pour qu'elle soit une. A
l'égard du premier point, il faut savoir qu'on appelle simplement plus
certaine la science qui procède de choses simplement plus connues ,
esse subalternantem, sicut perspectiva res-
pectu geometriee est subalternata, respectu
vero scientiœ de iride est subalternans.
Cum enim scientia de iride sit pars scien-
tiae naturalis, assurait principia perspec-
tiva? ad aliquam conclusionem probandam ,
et sic de iîla conelusione solum scit quia,
perspectiva vero propter quid. Sciendum
quod aliquae scientiae non habent subjec-
tura materialiter sumptum sub formali et
tamen in aliqua conelusione accipiuntur
principia alterius scientiae, et de iîla con-
elusione sciunt quia, et non propter quid.
Verbi gratia, quod vulnera circularia tar-
dius sanentur , est conclusio in medicina ,
sibi appropinquant ; ex hoc sequitur quod
talia vulnera tardius sanentur. Patet ergo
de demonstrationibus propter *quid , et
quia, etc.
CAPUT XIII.
Quod scientia quœ est per causant et quœ
dicil formant, est certior quant illa quœ
dicil e/fedum, et quœ dicit maleriam.
Dicto de demonstrationibus, dicenda sunt
aliqua de scientiis , quse suut effectus ea-
rum. Circa hoc videnda sunt duo. Primo,
quid requiritur ad hoc quod scientia sit
certa. Secundo , quid requiritur ad hoc
quod scientia sit una. Quantum ad primum
cujus subjectum non est sub subjecto geo- ; sciendum, quod illa scientia simpliciter di-
metnae, et tamen haec conclusio probatur ' citur certior, quœ procedit ex notioribus
per principia geometriae , quœ sunt quod simpliciter , et ex notioribus quoad nos.
partes circuli , qui carent angulis , minus Dupliciter autem potest esse aliquid notius
352 OPUSCULE XL VII, TRAITÉ H, CHAPITRE 13.
et plus connues par rapport à nous. Or une chose peut être plus connue
qu'une autre simplement de deux manières ; suivant la première , la
cause est simplement plus connue que l'effet ; suivant la seconde , la
forme est simplement plus connue que la matière. En effet , le prin-
cipe pour connoître la matière vient de la forme ; donc les sciences
qui disent la cause et propter quid, comme nous l'avons dit des
sciences subalternantes , sont plus certaines que celles qui disent la
matière. C'est pourquoi la géométrie , qui traite de la ligne par rap-
port à ses principes formels, est plus certaine que la perspective
qui traite de la ligne visuelle, ou la science du triangle que celle
qui traite du triangle d'airain. Et comme , ainsi qu'il est dit dans
le liv. Vil de la Métaphysique, il y a une double matière, savoir la
matière sensible ou la matière naturelle, et la matière intelligible,
comme la continuité , il s'ensuit que la science qui forme abstraction
des deux matières est plus certaine que celle qui ne fait abstraction
que d'une. En effet, la géométrie fait abstraction de la matière sen-
sible , et quoique elle traite du corps comme la science naturelle, elle
est néanmoins plus certaine que la science naturelle qui ne fait pas
abstraction de la matière sensible. De son côté l'arithmétique, qui fait
abstraction delà matière sensible et de la continuité, laquelle, comme
nous l'avons dit, est la matière intelligible, est conséquemment plus
certaine que la géométrie. Il y a trois genres de sciences certaines.
D'abord, celles qui disent la cause et propter quid sont plus certaines
que celles qui disent l'effet et quia. Secondement, celles qui disent la
forme sont plus certaines que celles qui concernent la matière sensible.
Troisièmement, celles qui disent la forme de, telle sorte qu'elles ne
concernent même pas la matière intelligible sont plus certaines que
celles qui concernent une semblable matière. Tel est ce qui regarde
la certitude des sciences etc..
alio simpliciter. Uno modo causa est sim-
pliciter notior effectu ; alio modo forma
est simpliciter notior materia. Principium
enim cognoscendi materiam est ex forma,
illae ergo scientiae quœ dicunt causara , et
propter quid, sicut dictum est de scientiis
subalternantibus , sunt certiores illis quœ
dicunt materiam. Unde certior est geome-
tria, quœ est de linea quantum ad sua
principia formalia, quam perspectiva quœ
est de linea visuali, vel scientia de trian-
gulo, quam illa quœ est de triangulo aeneo.
Et quia ut VII Metaph. dicitur, duplex est
materia, scilicet materia sensibilis vel ma-
teria naturalis et materia intelligibilis, ut
continuitas, ideo scientia quœ ab utraque
materia abstrahit, est certior illa quse non
abstrahit nisi ab una. Geometria enim abs-
trahit a materia sensibili, et licet tractet
de corpore, sicut et scientia naturalis , ta-
men certior est scientia naturali, quœ non
abstrahit a materia sensibili. Arithmetica
autem quœ abstrahit a materia sensibili et
continuitate, quœ, ut dictum est , materia
intelligibilis est, ideo certior est geometria.
In triplici enim génère sunt scientiœ cer-
tiores. Primo, illœ quœ dicunt causam , et
propter quid, sunt certiores eis quœ dicunt
effectum et quia. Secundo, illœ quœ dicunt
formam,suntcertioresillis quœ couccnnmt
materiam sensibilem. Tertio , illœ quœ ita
dicunt formam quod nec etiam concernunt
materiam intelligibilcm, sunt certiores eis
quœ talem materiam concernunt. Patet
ergo de certitudine scientiarum, etc.
SUR LA. LOGIQUE D ARISTOTE.
353
CHAPITRE XIY.
Que l'unité formelle de la science se tire de l'unité formelle du sujet sui-
vant la nature de l'objet de la science.
Pour ce qui est du second point , c'est-à-dire l'unité de la science,
il faut savoir qu'il y a deux choses à considérer dans la science , le
sujet même objet de la passion, et les principes au moyen desquels se
fait la démonstration pour conclure la passion du sujet. Or pour que
le sujet soit susceptible d'être connu par nous, il doit avoir des parties
antérieures à lui-même. Remarquez bien ici que le procédé de la
science est comme un certain mouvement de la raison. Or il y a deux
choses à considérer dans le mouvement, le principe et la fin : le terme
qui limite la science est le sujet sur lequel roule la science, parce que
dans les sciences spéculatives on ne cherche autre chose que la con-
noissance du sujet; ainsi dans la géométrie on ne cherche autre chose
que la connoissance de la grandeur. Dans les sciences pratiques on ne
cherche que la construction du sujet lui-même ; comme clans la science
de l'architecture on n'a en vue que la construction du bâtiment. Le
sujet est donc le terme de ce mouvement : le principe de ce mouve-
ment se tire des premiers principes du sujet, qui sont ses propres par-
ties, comme le principe du procédé de la science naturelle vient de la
matière et de la forme. C'est pourquoi s'il se trouve une chose qui n'ait
pas ces principes antérieurs d'où la raison puisse procéder, il n'existe
pas de science de cette chose dans le sens où nous la prenons ici,
en tant qu'effet de la démonstration. Aussi il ne peut pas y avoir de
science prise dans ce sens relativement aux choses séparées, parce
que nous ne pouvons pas connoître leurs quiddités par le moyen des
CAPUT XIV.
Quod unitas formalis scienliœ sumilur ab
unitate formait subjecti secundum ratio-
nem sciai lis.
Quantum ad secundum , scilicet quan-
tum ad unitatem scientiae , sciendum est ,
quod in scientia est duo considerare, scili-
cet ipsum subjectum de quo est passio, et
ipsa principia ex quibus fit demonstratio
ad concludendum passionem de subjecto.
Ad hoc autem quod subjectum sit scibile a
nobis, oportet quod habeat partes priores
se. Ubi nota quod processus scientiae est
quasi quidam motus rationis. In motu au-
tem est duo considerare, scilicet princi-
pium et terminuin ; terminus autem ad
quem scientia terminatur , est subjectum,
V.
circa quod est scientia, quia in speculativis
scientiis nihil aliud queeritur, nisi cognitio
subjecti, sic in geometria nihil aliud quae-
ritur nisi cognitio magnitudinis. In prac-
ticis autem nihil aliud quaeritur quam
constructio ipsius subjecti, sicut in scientia
axlificatoria intenditur constructio domus.
Subjectum ergo est terminus tahs motus;
principium autem talis motus est a primis
principiis subjecti, quœ sunt propriae par-
tes ejus, sicut principium processus scien-
tiae naturalis est a materia et a forma.
Unde si quœ res est quee non habeat talia
principia priora, ex quibus ratio procedere
possit, ejus non est scientia secundum
quod hic sumitur scientia, ut est demons-
trationis effectus. Unde de substantiis se-
paratis non potest esse scientia isto modo
23
354 OPUSCULE XLVII, TRAITÉ 11, CHAPITRE 14.
sciences démonstratives. En effet, quoique les substances séparées
soient par elles-mêmes accessibles à l'intellect proportionné à cet acte,
néanmoins on ne peut pas recueillir par quelque chose d'antérieur
les notions qui font connoître leur quiddité, mais on peut bien, par le
moyen des sciences spéculatives, savoir si elles existent et ce qu'elles
ne sont pas suivant la similitude trouvée dans les choses inférieures ,
et alors nous nous servons pour arriver à leur connoissance des choses
postérieures et antérieures, lesquelles, quoique postérieures par rap-
port à la nature , sont néanmoins antérieures par rapport à nous. Donc
le sujet de la science, dans le sens où elle est prise ici, doit avoir des
parties antérieures d'où l'on procède pour le connoître : et ceci doit se
comprendre des parties intégrales du sujet , comme les lettres et les
syllabes sont les parties du discours, qui est le sujet de la grammaire.
Il faut savoir que , quoiqu'il ait été dit que le terme qui limite le pro-
cédé de la science est sujet, il ne faut pas néanmoins entendre que ce
soit le dernier terme , mais le dernier terme où s'arrête l'examen de
la science , pour manifester la passion du sujet. Ces considérations
faites, il faut savoir que cette science est une qui est du même genre
du sujet formellement pris auquel appartiennent les parties et les pas-
sions , et qui a les mêmes premiers principes , non pas simplement ,
mais dans la science : car les choses qui ont des principes divers sont
elles-mêmes diverses. On peut déduire de ce que nous avons dit que
l'unité de la science doit se tirer de l'unité du sujet : en effet, l'unité du
mouvement se tire du terme; or le sujet est le terme du mouvement de
la raison dans le procédé de la science, comme on l'a déjà dit; le sujet
doit être un formellement en tant que tel. Remarquez que quant à cela
le sujet est par rapport à la science comme l'objet à la puissance; or ce
sumpta, quia per scientias demonstrativas terminatur processus scientiae sit subjec-
non possumus scire ipsarum quidditates. [ tum , non est tamen intelligendum , quod
Licet enim substantise separatœ sint per se \ sit terminus ultimus ; sed ultimus terminus
ipsas intelligibiles ab intellectu ad hoc pro- j ad quem terminatur consideratio scientiae,
portionato, non tamen congregatur earum ■ est ut passio subjecti manifestetur. His ha-
notitia qua cognoscitur quod quid est ip- : bitis, sciendum est , quod illa scientia est
sarum per aliqua priora , sed bene potest una, quae est unius generis subjecti forma-
per scientias speculativas sciri de eis an | liter sumpti , cujus sunt partes, et passio-
sint et quid non sint, ad similitudinem in- 1 nés, et eadem habet principia prima , non
ventam in rébus inferioribus , et tune ad ] simpliciter , sed in scientia; divers* vero
earum cognitionem utimur posterioribus ) sunt, quae habent diversa principia. Quod
et prioribus , quae licet sint posteriora j autem imitas scientiae debeat sumi ab uni-
quoad naturam, sunt tamen priora quoad j tate subjecti, potest patere ex dictis ; uni-
nos. Subjectum ergo scientiae, prout hic ' tas enim motus sumitur a termino ; sub-
sumitur scientia, oportet quod habeat par-
tes priores, a quibus fiât processus ad ejus
cognitionem , et hoc intelligendum est de
partibus integralibus subjecti, sicut litterae
et syllabae sunt partes dictionis, quae est
subjectum grammaticae. Sciendum quod
licet dictum sit quod terminus ad quem
jectum autem est terminus motus rationis
in processu scientiae , ut jam dictum est ;
taie autem subjectum débet esse unum
formaliter, in quantum hujus. Ubi nota
quod quantum ad hoc sic se habet suo
modo subjectum ad scientiam , sicut ob-
jeetum ad potentiam ; malerialis autem
SUR LA LOGIQUE D'ARISTOTE. 355
n'est point la diversité matérielle de l'objet qui diversifie la puissance,
mais bien la diversité formelle. Ainsi la diversité matérielle des choses
susceptibles d'être apprises ne diversifie pas la science, mais bien la di-
versité formelle. Or la raison formelle de l'objet de la science se prend
de la même manière que la raison formelle de ce qui est visible. La
raison formelle de ce qui est visible se tire de la lumière , par le
moyen de laquelle on voit tout; de même la raison formelle de l'objet
de la science se tire conformément aux principes qui produisent la
science. C'est pourquoi quelque divers que soient les objets de la science
suivant leur nature , pourvu que la connoissance en soit acquise par
le moyen de ces mêmes principes, ils appartiennent à la même science,
par la raison qu'ils ne sont pas divers en tant qu'objets de la science,
car ils sont susceptibles d'être appris par le moyen de leurs principes :
comme il est évident que les voix humaines diffèrent matériellement
beaucoup des sons des corps inanimés, néanmoins, comme c'est suivant
les mêmes principes que l'on considère eu elles la consonance , aussi
la musique, qui appartient aux deux ordres de sujets, est la même.
Au contraire, si les objets delà science sont les mêmes en nature et si
on les considère suivant différents principes , ils appartiennent à des
sciences diverses, comme un corps mathématique n'est pas séparé du
sujet par un corps naturel ; néanmoins, comme un corps mathématique
est connu par les principes de la quantité , et le naturel par les prin-
cipes du mouvement, la science mathématique et la science naturelle
ne sont pas pour cette raison une même science. Donc l'unité et la di-
versité des sciences viennent de l'unité et de la diversité formelle du
sujet, laquelle formalité se prend d'après la nature de l'objet de la
science , c'est-à-dire , suivant l'identité et la diversité des principes.
Pour cette raison c'est la même chose d'avoir le même sujet formel et
les mêmes principes, et de différer suivant les principes que d'avoir des
diversitas objecti nou diversiiicat poten-
tiam, sed formalis. Sic materialis diversitas
scibilium non diversiiicat scientiam , sed
formalis. Sumitur autem ratio formalis
scibiliSj sicut ratio formalis visibilis. For-
malis autem ratio visibilis sumitur a lu-
mine , per quod omnia videntur ; etiam
formalis ratio scibilis sumitur secundum
principia ex quibus aliquid scitur. Unde
quantumcumque sint diversa scibilia se-
cundum suam naturam, dummodo per ea-
dem principia sciantur, ad unam tamen
pertinent scientiam ; quia non sunt diversa,
in quantum sunt scibilia. Suntenim scibilia
per sua principia; sicut patet quod voces
humanœ multum differunt secundum suam
materiam a sonis corporum inanimatorum,
tainen quia secundum eadem principia at-
tenditur consonantia in eis, ideo musica
quse est de utriusque, est eadem. Et per
oppositum , si sunt eadem scibilia secun-
dum naturam, et tamen per diversa prin-
cipia considerentur , pertinent ad diversas
scientias, sicut corpus mathematicum nou
separatur subjecto a corpore naturali ; quia
tamen corpus mathematicum cognoscitur
per principia quantitatif naturale vero per
principia motus, propterea non est eadem
scientia, scilicet mathematica et naturalis.
Unitas ergo et diversitas scientiarum est
ex unitate et diversitate formali subjecti,
quœ formalitas consistit secundum ratio-
nem scibilis, id est, secundum identitatem
et diversitatem principiorum. Et propter
hoc idem est dicere , habere idem subjec-
tum formale, et habere eadem principia , et
356 OPUSCULE XL VIII.
sujets formellement divers. Or il faut savoir que les principes dont
nous parlons, sont les principes qui sont les premiers dans la science,
et les sciences sont plus ou moins communes suivant la communauté
de ces principes. Les premiers principes se connoissent dans le genre
de l'objet de la science suivant la définition du sujet, comme on l'a
dit. Tel est ce qui concerne l'unité des sciences. Grâces soient rendues
à Dieu auteur de tout bien.
Fin du dernier traité de la démonstration qui complète la logique
de saint Thomas d'Aquin, de l'ordre des frères prêcheurs.
L'Abbé VÉDRINE.
OPUSCULE XLVIII.
DU SENS PAR RAPPORT AUX CHOSES SINGULIÈRES, ET DE L'INTELLECT
PAR RAPPORT AUX UNIVERSELLES.
Relativement au sens, pourquoi il appartient aux choses singu-
lières, et l'intellect aux universelles , et comment les choses univer-
selles sont dans l'ame ; il faut savoir sur la première question que le
sens est une vertu résidant dans l'organe corporel, tandis que l'intel-
lect est une vertu tout-à-fait immatérielle, et non l'acte de quelque
differre secundum principia , quod habere
diversa subjecta formaliter. Sciendum est
autera quod principia, de quibus loquimur,
sunt principia qnae sunt prima in scientia,
et secundum communitatem dictorum
principiorum, scientia; suntmagis vel minus
communes. Cognoscuntur autem prima
principia in génère scibilis secundum diffi-
nitionem subjecti, ut dictum est. Et sic
patet de unitate scientiarum. Gratias Deo
bonorum omnium largitori.
De demonstratione tractatus ultimus, in
quo compléter Logica sancti Thomœ de
Aquino, ordinis Prœdicatorum féliciter ex-
plicit.
OPUSCULUM XLVIII.
Ejusdem doctoris, de sensu respectu singularium, et intellectu respectu
universalium.
Girca considerationem sensns, quare sit
singularium, et intellectus universalium, et
quomodo universalia sint in anima, scien-
dum est circa primum , quod sensus est
virtus in organo corporali, intellectus au-
tem est virtus penitus immaterialis, et non
DU SENS ET DE L'INTELLECT. 357
organe corporel. Or chaque chose est reçue dans un autre suivant son
mode d'être. Toute connoissance s'opère par ce qui est connu de celui
qui est le sujet de la cognition , c'est-à-dire suivant la similitude, car
le sujet de la cognition en acte est la chose connue en acte. Il faut
donc que le sens reçoive corporellement la ressemblance de la chose
qui est sentie , l'intellect de son côté reçoit la similitude de la chose
qu'il conçoit d'une manière immatérielle et incorporelle. Or l'iudivi-
duation de la nature commune dans les choses matérielles et corpo-
relles est renfermée dans la matière corporelle sous des dimensions
déterminées : l'universel s'effectue par l'abstraction de cette matière
et des conditions qui opèrent l'individuation. Il est donc clair que la
similitude de la chose reçue dans le sens représente cette chose en
tant qu'elle est singulière ; mais celle qui est reçue dans l'intellect re-
présente la chose suivant la condition de la nature universelle. Yoilà
pourquoi le sens connoît les choses singulières; et l'intellect les
choses universelles , auxquelles appartiennent les sciences. Quant à
la seconde question, il faut savoir que l'universel peut être pris de
deux manières. Premièrement pour la nature commune, étant subja-
cente à l'intention d'universalité : et secondement pour l'intention en
elle-même, comme blanc peut être dit ce à quoi il arrive d'être blanc
ou ce qui est déjà soumis à la blancheur. Or la nature à laquelle sur-
vient l'intention d'universalité, comme la nature de l'homme, a un
double être ; l'un matériel comme étant dans la nature matérielle ,
l'autre immatériel comme étant dans l'intellect. Il ne peut pas lui
survenir d'intention universelle dans le premier mode, parce que il est
individué par la matière. Donc l'intention universelle survient en
raison de l'abstraction de la matière individuelle ; mais il ne peut
est actus alicujus organi corporalis. Unum-
quodque autem recipitur in aliquo secun-
dum modum sui. Omnis autem cognitio
fit per hoc quod cognitum est aliquo mo-
do in cognoscente, scilicet secundum simi-
litudinem ; nam cognoscens in actu est ip-
sum cognitum in actu. Oportet ergo quod
sensus corporaliter recipiat similitudinem
rei , quse sentitur. Intellectus autem reci-
pit similitudinem ejus quod intelligit im-
materialiter et incorporaliter. Individuatio
autem naturse comrnuuis in rébus mate-
riaiibus et corporalibus, est ex materia cor-
porali sub determinatis dimensionibus con-
tenta; universale autem est per abstractio-
nem ab hujusmodi materia , et materiali-
bus conditionibus individuantibus. Patet
ergo quod similitude rei quœ recipitur in
sensu, représentât rem secundum quod
est singularis ; sed recepta in intellectu ,
reprœsentat rem secundum rationem natu-
rse universalis. Et inde est quod sensus
cognoscit singularia, intellectus autem uni-
versalia , quorum sunt scientiae. Circa se-
cundum sciendum est , quod universale
potest capi dupliciter. Uno modo pro ipsa
natura commuai, ut subjacet intention!
universalitatis ; aiio modo pro ipsa inten-
tione secundum se, sicut album potest dici
illud cui accidit esse album, vel ipsum se-
cundum quod jam subest albedini. Ipsa
autem natura cui accidit intentio univer-
salitatis, puta, natura hominis , habet du-
plex esse. Unum quidem materiale, secun-
dum quod est in materia naturali ; aliud
autem immateriale, secundum quod est m
intellectu. Primo quidem modo non potest
ei advenire intentio universalitatis, quia
per materiam individuatur. Advenit ergo
universalis intentio , secundum quod abs-
358 OPUSCULE XLVHI, DU SENS ET DE L'iNTELLECT.
pas y avoir d'abstraction réelle de la matière individuelle , comme
l'ont supposé les platoniciens. En effet , il n'existe pas d'homme sans
de la chair, sans des ossements , comme le prouve Aristote dans le
liv. VII de la Métaphysique. Il reste donc à dire que la nature humaine
n'a pas l'être en dehors des principes d'individuation, si ce n'est seu-
lement dans l'intellect. Néanmoins l'intellect n'est point faux en con-
cevant la nature commune en dehors des principes d'individuation sans
lequels elle ne peut être dans la nature des choses. En effet , l'intel-
lect ne conçoit pas que la nature commune existe sans les principes
d'individuation ; mais il conçoit la nature commune sans concevoir
les principes d'individuation, et en cela il n'y a pas de fausseté. Comme
si l'on séparoit la blancheur d'un homme blanc de façon que l'intel-
lect conçût qu'il n'est pas blanc, ce seroil une fausse conception; mais
si l'on sépare la blancheur de l'homme blanc de manière à concevoir
l'homme sans concevoir la blancheur, ce ne sera plus une conception
fausse. Car il n'est pas exigé pour la vérité d'une conception que celui
qui conçoit une chose conçoive en même temps toutes les choses qui
lui sont inhérentes. Ainsi donc l'intellect abstrait sans fausseté le genre
de ses espèces , en tant qu'il conçoit la nature du genre sans conce-
voir les différences. De même il abstrait l'espèce des individus en tant
qu'il conçoit la nature en espèce , sans concevoir les principes d'in-
dividuation. 11 est donc évident de cette sorte que l'intention d'uni-
versalité ne peut être attribuée à la nature commune autrement que
suivant l'être qu'elle a dans l'ame et dans l'intellect. Il ne s'opère donc
d'unité de plusieurs que par la conception en dehors des principes
d'individuation, aussi bien que l'unité dans plusieurs, comme dans
les individus ou les inférieurs qui sont un dans la supériorité. Il reste
donc à dire que les choses universelles, en tant qu'universelles, ne
trahitur a materia individuali ; non potesl
autem abstrahi a materia individuali rea-
liter, sicut platonici posuerunt. Non enim
est homo, nisi in his carnibus , et in his
ossibus, sicut Philosophus probat, VII Me-
taph. Relinquitur ergo quod natura hu-
mana non habet esse praeter principia in-
dividuantia, nisi in solo intellectu. Nec ta-
men injellectus est falsus, dum apprehendit
naturam communem prœler principia in-
dividuantia, sine quibus esse non potest in
rerum natura. Non enim apprehendit in-
tellectus , quod natura communis sit sine
, principhs indi viduantibus ; sed apprehendit
naturam communem , non apprehendendo
principia individuantia , et hoc non est
falsum. Sicut si ab homine albo separetur
albedo hoc modo, quod intellectus intelli-
gat eum non esse album, esset apprehen-
sio falsa. Si autem sic separetur albedo ab
homine albo, quod apprehenclatur homo
non apprehensa albedine, non esset appre-
hensio falsa. Non enim exigitur ad verita-
tem apprehensionis, quod qui apprehendit
rem aliquam, appréhendât omnia quae rei
insunt. Sic ergo intellectus absque falsitate
abstrahit genus a speciebus , in quantum
intelligit naturam generis, non intelligendo
differentias. Et similiter abstrahit speciem
ab individuis in quantum intelligit natu-
ram specie, non intelligendo principia in-
dividuantia. Si ergo patet, quod naturae
communi non potest attribui intentio uni-
versalitatis, nisi secundum esse quod habet
in anima et intellectu. Sic ergo solum est
unum de multis, prout intelligitur praeter
principia individuantia, et unum in multis,
ut individuis vel inferioribus quee in supe-
OPUSCULE XLIX, DE L'INVENTION DU MOYEN-TERME. 359
se trouvent que dans l'ame; tandis que les natures auquelles survient
l'intention d'universalité, sont dans les choses. C'est pour cela que
les noms communs qui signifient les natures mêmes se disent des in-
dividus, mais non ceux qui signifient les intentions. En effet, Sortes
est un homme, mais il n'est pas une espèce.
Fin du quarante-huitième Opuscule de saint Thomas d'Aquin sur
le sens par rapport aux singuliers , et l'intellect par rapport aux
universels.
L'abbé VÉDRINE.
OPUSCULE XLIX.
Du MÊME DOCTEUR, DE i/lNVENTlON DU MOYEN TERME.
Comme le moyen terme est le principe pour réduire une propo-
sition en syllogisme , afin donc d'avoir pour chaque proposition un
mode d'argumentation , nous allons déterminer la manière de trouver
le moyen terme. En conséquence les propositions étant les unes uni-
verselles , les autres particulières , et parmi les universelles les unes
affirmatives , les autres négatives , nous allons d'abord nous occuper
de la manière de trouver le moyen terme pour mettre en syllogisme
l'universelle affirmative. Il faut donc dire que, pour réduire en syllo-
riori sunt unum. Unde relinquitur quod
universalia secundum quod universalia ,
non sunt nisi in anima ; ipsœ autem natu-
rse, quibus accidit intentio universalitatis,
sunt in rébus. Et propter hoc nomina
communia significantia naturas ipsas pree-
dicantur de individuis , non autem nomina
significantia intentiones. Sortes enim est
homo, sed non est species.
Explicit Opusculum quadragesimum oc-
tavum divi Thomœ Âquinatis , de sensu
respectu singularium, et intellectu respectu
universalium.
OPUSCULUM XLIX.
EJUSDEM DOCTORIS, DE INVENTIONE MEDH.
Quoniam principium syllogizandi unam-
quarnque propositionem est médius termi-
nus, ideo ut possimus habere modum syl-
logizandi ad unamquamque propositionem,
de inventione medii termini nunc est de-
terminandum. Cum igitur propositionum
alia sit universalis, alia particularis; et uni-
versalium a lia affirmativa, alia negativa,
de inventione medii ad syllogizandum uni-
versalem aflirmativam prius est dicendum.
360 OPUSCULE XLIX.
gisme l'universelle affirmative, il faut prendre pour moyen ce qui
suit le sujet et précède le prédicat. En voici la raison : c'est que l'u-
niverselle affirmative ne se met en syllogisme que dans le premier
mode de la première figure ; mais il faut en cela que dans le syllo-
gisme le moyen précède le prédicat de la proposition , puisqu'il lui
est soumis universellement, et suive le sujet de la même proposition,
puisqu'il se dit universellement de lui. Par exemple, si l'on a à ré-
duire en syllogisme cette proposition : tout homme est animal , son
moyen convenable sera susceptible de rire , parce que cela suit tou-
jours le sujet dans la conséquence, et précède le prédicat, et l'on
dira, tout ce qui est susceptible de rire est animal, tout homme est
susceptible de rire, donc tout homme est animal. Pour mettre en syl-
logisme l'universelle négative, il faut prendre pour moyen ce qui
suit le sujet et répugne au prédicat, et cela par rapport au second
mode de la première figure et au premier de la seconde ; ou bien ce
qui répugne au sujet et suit le prédicat par rapport au second mode
de la seconde figure, et la raison de cela est que l'universelle néga-
tive ne se met en syllogisme que dans ces trois modes, et dans les
deux premiers modes le moyen terme suit le sujet et répugne au pré-
dicat. Dans le troisième le moyen répugne au sujet et suit le prédicat.
Par exemple, si l'on veut mettre en syllogisme cette proposition : nul
homme n'est pierre , son moyen convenable dans les deux premiers
modes est susceptible de rire , parce qu'il suit le sujet et répugne au
prédicat. Dans le troisième syllogisme le moyen convenable est in-
sensible, parce qu'il répugne au sujet et suit le prédicat. Pour mettre
en syllogisme la particulière affirmative , il faut prendre pour moyen
Ce qui suit le sujet et précède le prédicat, et précède le sujet et le pré-
Est ergo dicendum, quod adsyllogizandurn
universalem affirmativam , sumendum est
pro medio id quod sequitur subjectum, et
antecedit praedicatum. Cujus causa heec
est, quia universalis affirmativa non syllo-
gizatur nisi in primo modo primée figurée,
sed in hoc oportet médium antecedere
praedicatum propositionis syllogizando cum
universaliter subjiciatur ei , et sequi sub-
jectum ejusdem, cum universaliter praedi-
cetur de ipso. Verbi gratia, si haec propo-
sitio est syllogizanda. Omnis homo est ani-
mal, conveniens médium ipsius est risi-
bile, quia id semper sequitur secundum
consequentiam ipsum subjectum, et ante-
cedit praedicatum , ut dicatur , omne risi-
bile est animal, omnis homo est risibilis,"
ergo omnis homo est animal. Ad syllogi-
zandum universalem negativam, sumendum
est pro medio id quod sequitur subjectum.
et répugnât prsedicato, et hoc quoad secun-
dum modum primée figurée , et primum
secundae ; vel quod répugnât subjecto , et
sequatur praedicatum, quoad secundum
modum secundae figurée , cujus causa hœc
est, quia universalis negativa non syllogi-
zatur nisi in tribus modis praedictis, et in
duobus primis modis médius terminus se-
quitur ad subjectum , et répugnât preedi-
cato. In tertio médius répugnât subjecto ,
et sequitur ad praedicatum. Verbi gratia,
si beec propositio est syllogizanda : Nullus
homo est lapis, conveniens médium ipsius
in duobus primis modis est risibile , quia
id sequitur ad subjectum, et répugnât pree-
dicato. In tertio vero syllogismo , conve-
niens médium est insensibile , quia id ré-
pugnât subjecto , et sequitur ad praedica-
tum. Ad syllogizandum autem particula-
rem affirmativam , sumendnm est pro
medio consequens ad subjectum , et ante-
cedens ad praedicatum , et antecedens ad
DE L'INVENTION DU MOYEN- TERME. 36 i
dicat. La raison de cela, c'est que la particulière affirmative ne con-
clut que dans la première et la troisième figure; et pour qu'elle con-
clue dans la première il faut que le milieu précède le prédicat et lui
soit soumis , il faut aussi qu'il suive le sujet lorsqu'il se dit de lui.
Mais si l'on conclut dans la troisième figure il faut que le moyen pré-
cède l'un et l'autre , c'est-à-dire, le sujet et le prédicat, puisqu'il est
soumis k l'un et à l'autre. Par exemple , pour mettre en syllogisme
cette proposition : quelque animal est substance, le moyen convenable
dans la première figure est sensible , parce qu'il suit le sujet et pré-
cède le prédicat. Dans la troisième figure le moyen convenable est
homme , parce qu'il précède le sujet et le prédicat. Pour réduire en
syllogisme la particulière négative, il faut prendre pour moyen ce
qui suit le sujet et répugne au prédicat , ou ce qui répugne au sujet
et suit le prédicat, et en voici la raison , c'est que la particulière né-
gative se conclut dans toute figure , et si l'on tire la conclusion dans
la première, il faut que le moyen suive le sujet, puisque il se dit de lui,
et répugne au prédicat , puisqu'il en est écarté. Mais si l'on conclut
dans la seconde figure, il faut que le moyen suive le sujet et répugne
au prédicat , par rapport au troisième mode , ou qu'il répugne au
sujet et suive le prédicat par rapport au quatrième. Si l'on conclut
dans la troisième, il faut que le moyen précède le sujet, puisqu'il lui
est soumis , et qu'il répugne au prédicat, puisque le prédicat en est
écarté. Par exemple, si l'on veut mettre en syllogisme cette proposi-
tion : quelque homme n'est pas âne , le moyen convenable dans la
première figure et même dans le troisième mode de la seconde figure
est susceptible de rire , lequel suit le sujet et répugne au prédicat.
Dans le quatrième mode de la seconde figure le moyen convenable
subjectum et praedicatum. Gujus causa haec
est : quia particularis affîrmativa non con-
cluent, nisi in prima et tertia figura, et ut
concludatur in prima, oportet quod mé-
dium antecedat praedicatum, et subjiciatur
ei , et quod sequatur subjectum cum prae-
dicatur de eo. Si vero concludatur in
tertia, oportet médium antecedere utrum-
que, scilicet subjectum, et praedicatum
cum subjiciatur utrique. Verbi gratia , si
haec propositio est syllogizanda. Quoddam
animal est substantia, conveniens médium
ejus in prima figura est sensibile , quia id
sequitur subjectum et antecedit praedica-
tum. In tertia vero figura conveniens mé-
dium est homo , quia antecedit utrumque,
scilicet subjectum et praedicatum. Ad syl-
logizandum autem particularem negati-
vam, sumendum est pro medio id quod se-
quitur subjectum , et répugnât prœdicatn,
vel id quod répugnât subjecto, et sequitur
praedicatum, cujus causa haec est ; quia
particularis negativa concluditur in omni
figura, et sic concludatur in prima, oportet
médium sequi subjectum cum praedicetur
de eo, et repugnare praedicato cum remo-
veatur ab eo. Si autem concludatur in se-
cunda, oportet médium sequi subjectum,
et repugnare praedicato quoad tertium
modum , vel repugnare subjecto et sequi
praedicatum quoad quartum modum. Si
vero concludatur in tertia, oportet médium
antecedere subjectum, cum subjiciatur ei,
et répugnât praedicato cum praedicatum
removeatur ab ipso. Verbi gratia, si hœc
propositio est syllogizanda : Quidam homo
non est asinus, conveniens médium ejus in
prima figura , et etiam in tertio secundae
figurée est risibilc quod sequitur ad sub-
jectum et répugnât praedicato. In quarto
autem secundae figurae conveniens médium
est risibile, quod répugnât subjecto, et se-
362 OPUSCULE L.
est susceptible de rire qui répugne au sujet et suit le prédicat. Le
moyen convenable dans la troisième figure est susceptible de rire,
qui précède le sujet et répugne au prédicat. Car les choses conver-
tibles précèdent et suivent celles avec lesquelles elles sont conver-
tibles, c'est pour cela que susceptible de rire précède et suit l'homme.
Fin du quarante-neuvième Opuscule de saint Thomas d'Aquin sur
la manière de trouver le moyen terme.
L'abbé VÉDRINE.
OPUSCULE L.
Du MÊME DOCTEUR, J)E LA NATURE DE LA LUMIÈRE.
Nous allons nous occuper de la nature de la lumière , de sa néces-
sité pour voir, et de la nature du diaphane. Sur le premier article , il
y a plusieurs opinions. Quelques-uns ont dit que la lumière est un
corps , déterminés à cette fausse opinion par certaines locutions dont
on se sert en parlant de la lumière. En effet, nous avons coutume de
dire que le rayon traverse l'air, que les rayons sont réverbérés , que
les rayons opèrent une intersection, toutes choses qui semblent être le
fait des corps. Cette opinion ne peut pas être soutenue pour les raisons
qu'allègue Aristote dans le livre de l'Ame ; et il est facile d'en apporter
quitur prœdicatum. Gonveniens vero mé-
dium in tertia figura est risibile, quod an-
tecedit subjectum et répugnât prsedicato.
Convertibilia enim antecedunt et sequun-
tur ea, cum quibus surit convertibilia, ideo
risibile antecedit et sequitur hominem.
Explicit Opusculum quadragesimum no-
num divi Thomœ Aquinatis, de inventione
medii.
OPUSCULUM L.
EJUSDEM DOCTOR1S, DE NATURA LUMINIS.
Considerandum est de natura luminis, et
de ejus necessitate ad videndum, et de na-
tura diaphani. Circa primum sciendum est,
quod diversimode opinati sunt. Nam qui-
dam dixerunt lumen esse corpus, ad quod
falso suntmoti ex quibusdam locutionibus,
quibus utuntur loquentes de lumine. Con-
suevimus enim dicere, quod radius transit
per aerem, et quod radii reverberantur , et
quod radii intersecant, quœ omnia videu-
tur esse corporum. Quae quidem opinio
stare non potest propter rationes quas Phi-
losophus ponit in lib. De Anima, et plures
alias facile est adducere. Non enim facile
DE LA. NATURE DE LA LUMIÈRE. 363
d'autres. Il n'est pas facile, en effet, d'expliquer comment un corps
de cette nature se répand en un clin-d'œil dans tout notre hémisphère,
comment il se produit et se détériore , comment même la seule inter-
position d'un corps opaque désorganise le corps dans une autre partie
du diaphane. Ce que l'on dit du mouvement de la lumière ou de sa
réverbération se dit métaphoriquement, de la même manière que
nous pourrions dire que la chaleur procède lorsque certaines choses
se réchauffent de nouveau , ou qu'elle est réverbérée lorsqu'elle ren-
contre un obstacle. D'autres ont dit que la lumière est une certaine
nature étrangère, une qualité spirituelle, se fondant sur ce que,
dans les choses intellectuelles , nous nous servons du terme de lu-
mière. Nous disons, en effet, qu'il y a dans les substances intellec-
tuelles une certaine lumière intellectuelle ou intelligible. Mais cela
est encore impossible. Il est effectivement impossible qu'une nature
spirituelle et intellectuelle tombe sous les sens ; car les sens , étant
corporels , ne peuvent connoître que les choses corporelles. Si l'on
disoit que la lumière spirituelle est différente de celle que les sens
perçoivent, on pourroit l'accorder, pourvu qu'il fût bien entendu que
la lumière perçue par les sens n'est pas une nature spirituelle. Rien
n'empêche , en effet , de donner un nom commun à des choses tout-
à-fait différentes. Que si dans les choses spirituelles nous nous servons
du mot de lumière et autres termes qui appartiennent à la vision ,
cela se fait à raison de la noblesse du sens de la vue qui est de tous
les sens le moins matériel , ce qui devient évident pour deux raisons.
D'abord par son objet, car il est certaines choses qui tombent sous la
vue à raison de propriétés par lesquelles les corps inférieurs commu-
niquent avec les corps célestes. Le tact perçoit les propriétés qui sont
propres aux éléments , savoir le chaud , le froid , et autres choses
est assignare, quomodo hujusmodi corpus
per totum hemisphaerium nostrum subito
multiplicatur, aut generatur, aut corum-
patur, quomodo etiam sola interpositio
corporis opaci esset causa corruptionis hu-
jus corporis in alia parte diaphani. Quod
autem dictum est de motu luminis, aut
réverbéra tione ipsius, metaphorice dictum
est, sicut et possemus dicere, quod calor
procedit dum aliqua de novo calefiunt, vel
reverberatur dum habet obstaculum. Qui-
dam vero alii dixerunt quod lux est quae-
dam alia natura, vel qualitas spiritualis,
argnmentum sumentes ex hoc quod in ré-
bus intellectualibus utimur nomine lumi-
nis. Dicimus enim in substantiis intellec-
tualibus esse quoddam lumen intellectuale,
seu intelligibile. Sed hoc est impossibile.
Jmpossibile enim est, quod aliqua spiritua-
lis natura et intellectualis cadat in appre-
hensione sensus : cum enim sensus sit pars
corporea , non potest esse cognitivus nisi
corporalium rerum. Si quis autem dicat,
quod aliud est lumen spirituale ab eo quod
sensus percipit, cum eo est consentiendum,
dummodo hoc habeatur, quod lumen quod
visus percipit , non est natura spiritualis.
Nihil enim prohibet cummune nomen im-
poni rébus quantumcumque diversis. Quod
autem lumine et his quœ ad visum perti-
nent, utimur in rébus spiritualibus, con-
tingit ex nobilitate sensus visus, qui est spi-
ritualior inter omnes sensus, quod patet ex
duobus. Primo quidem ex objecto suo :
uam aliqua cadunt sub visu secundum pro-
prietates, in quibus communicant inferiora
corpora cum cœlestibus. Tactus autem est
perceptivus proprietatum, quœ sunt propriae
364 OPUSCULE L.
semblables. Le goût et l'odorat perçoivent les propriétés qui con-
viennent aux corps mixtes, suivant la nature différente du chaud et
du froid, du sec et de l'humide. Le son est produit par le mouvement
local, qui est commun aussi aux corps célestes et aux corps infé-
rieurs ; mais l'espèce de mouvement qui produit le son ne convient pas
aux corps célestes, suivant Aristote. On voit donc , d'après la nature
de l'objet, que la vue est le plus élevé des sens, que l'ouïe vient après,
et que les autres sens en sont plus éloignés. Secondement, il semble
que le sens de la vue est plus spirituel d'après le mode d'immutation ;
car dans tous les autres sens , il n'y a point d'immutation spirituelle
sans une immutation naturelle. J'appelle immutation naturelle la ré-
ception de la qualité dans le patient, suivant l'être naturel, comme
lorsqu'une chose se refroidit, ou s'échauffe, ou se meut respective-
ment au lieu. Il y a immutation spirituelle, lorsque l'espèce est reçue
dans l'organe du sens par mode d'intension , et non par mode de
forme naturelle ; car l'espèce sensible n'est pas reçue dans le sens
suivant l'être qu'elle a dans la chose sensible. On voit que dans le tact
et le goût , qui est une espèce de tact , il se fait une altération natu-
relle. En effet , une chose s'échauffe ou se refroidit par le contact d'un
objet chaud et froid, et il ne se fait pas seulement une immutation
spirituelle ; de même l'immutation de l'odeur s'opère par une certaine
évaporation de fumée ; l'immutation du son se fait avec un mouve-
ment local; mais il n'y a que l'immutation de la vue qui soit une im-
mutation spirituelle ; d'où il résulte qu'entre tous les sens la vue est
le plus spirituel , et que l'ouïe vient ensuite. C'est pour cela que ces
deux sens sont les plus spirituels et les seuls susceptibles d'être disci-
plinés. C'est assez pour ce qui concerne la vue. D'autres disent que la
elementis, scilicet calidi, et frigidi, et his
similium. Gustus vero et olfactus proprie-
tatum, quae competunt mixtis secundum
diversam rationem calidi et frigidi, sicci et
humidi Sonus autem causaturex motu lo-
cali, qui est communis etiam corporibus
cœlestibus, et inferioribus : sed species mo-
tus, quœ causât sonum, non competit cor-
poribus cœlestibus secundum sententiam
Aristotelis. Unde ex ipsa natura objecti ap-
paret, quod visus est altior inter sensus ,
et auditus ei propinquior, et alii sensus ma-
gis remoti. Secundo apparet quod sensus
visus est spiritualior ex modo immutatio-
nis : nam in quolibet alio sensu non est
immutatio spiritualis sine naturali. Dico
autem immutationem naturalem, prout
qualitas recipitur in patiente secundum
esse naturale, sicut cum aliquid infrigida-
tur, aut calent, ant movetur secundum lo-
cum. Immutatio vero spiritualis est, secun-
dum quod species recipitur in organo sen-
sus per modum intensionis, et non per mo-
dum formas naturalis : non enim sic reci-
pitur species sensibilis in sensu, secundum
illud esse quod habet in.re sensibili : Patet
autem quod in tactu et gustu, qui est tac-
tus quidam, fit alteratio naturalis. Calefit
enim et infrigidatur aliquid per tactum
calidi, et frigidi, et non fit immutatio spi-
ritualis tantum : similiter immutatio odo-
ris fit cum quadam fumali evaporatione,
immutatio soni fit cum motu locali : sed
immutatio visus, sola est immutatio spiri-
tualis : uude patet, quod visus inter om-
nes sensus est spiritualior, et post hune
auditus. Et propter hoc hi duo sensus sunt
maxime spirituales, et soli sunt disciplina-
biles : et hœc de his quœ pertinent ad vi-
sum. Alii vero dicunt , quod lux non est
DE LA NATURE DE LA LUMIÈRE. 365
lumière n'est autre chose que l'évidence de la couleur. Mais cette
assertion paroît fausse dans les choses qui luisent la nuit , et dont la
couleur est néanmoins cachée. D'autres disent que la lumière est la
forme substantielle du soleil , une lumière venant de la lumière , et
ayant un être intentionnel , comme la couleur dans l'air. Or ces deux
choses sont fausses. La première d'abord, parce que nulle forme sub-
stantielle n'est sensible par elle-même, elle n'est compréhensible que
par l'intellect. Et si l'on dit que ce qu'on voit du soleil n'est pas la
lumière , mais une splendeur, on peut bien accorder le mot, pourvu
que ce que nous disons être saisi par la vue ne soit pas une forme
substantielle. La seconde chose est également fausse , parce que les
choses qui n'ont que l'être intentionnel n'opèrent pas de transmutation
naturelle ; or les rayons des corps célestes transforment toute la ma-
tière inférieure. C'est pourquoi nous disons que , de même que les
corps élémentaires ont des qualités actives par lesquelles ils agissent ,
de même la lumière est la qualité active d'un corps céleste par laquelle
il agit, et elle est dans la troisième espèce de la qualité. Or, comme
elle est la qualité d'un premier corps altérant , elle n'a pas de con-
traire ; et comme il n'y a rien de contraire à la lumière , elle ne peut
pas conséquemment trouver de disposition contraire dans ce qui la
reçoit. A cause de cela, son passif , c'est-à-dire le diaphane, est tou-
jours dans la dernière disposition à la forme, c'est pour cela qu'il
s'illumine instantanément. Au contraire , ce qui est susceptible de
caléfaction , n'ayant pas de disposition contraire , n'est pas toujours
pour cette raison dans la dernière disposition à sa forme , et c'est
pour cela que ce qui est susceptible de caléfaction ne s'échauffe pas
instantanément. Donc la participation de la lumière opérée dans le
diaphane s'appelle lumière , et s'effectue suivant la ligne droite au
nisi evidentia coloris. Sed hoc apparet fal- sicut corporea elementaria habent qualita-
tes activas per quas agunt, ita lux est qua-
litas activa corporis cœlestis per quain agit,
et est in tertia specie qualitatis. Cum au-
tem sit qualitas primi corporis alterantis,
non habet contrarium, et quia luci nihil
est contrarium, ideo in suo susceptibili
non potest habere contrariant dispositio-
nem. Et propterhoc suumpassum, scilicet
diaphanum semper est in ultiraa disposi-
tione ad formam, et propter hoc statim il-
luminatur. Galefactibile autem, quia habet
contrariam dispositionem, propter hoc non
est semper in ultiraa dispositione ad for-
mam, et ideo non statim calefactibile cale-
fit. Ipsa ergo participatio lucis effecta iu
diaphano, vocatur lumen, et fit secundum
lineam rectam ad corpus luciduni, et tune
vocatur radius. Si autem causatur ex re-
sum in his, quse de nocte lucent , et tamen
eorum color occultatur. Alii vero dicunt ,
quod lux est forma substantialis solis , et
lumen a luce descendens, habet esse in-
tentionale, sicut color in aère : utrumque
autem horum est falsum. Primum qui-
dem, quia nulla forma substantialis est
sensibilis per se , sed solo intellectu com-
prehensibilis. Et si dicatur, quod id quod
videtur de sole non est lux, sed splendor,
bene concedendum est de nomine, dum-
modo hoc quod dicimus, quod visu com-
prehenditur, non sit forma substantialis.
Secundum similiter est falsum , quia quœ
solum habent esse intentionale, non faciunt
transmutationem naturalem , radii autem
corporum cœlestium transmutant totam
materiam inferiorem. Unde dicimus, quod
366 OPUSCULE L.
corps lucide , et s'appelle alors rayon. Mais si elle est produite par la
réverbération du rayon au corps lucide , elle s'appelle splendeur. Or
la lumière est commune à tout effet de la lueur dans le diaphane.
Après ces considérations sur la nature de la lumière , on voit facile-
ment la raison pourquoi certains corps sont lucides actu , certains
autres diaphanes , et d'autres opaques. Car la lumière étant une qua-
lité du premier altérant , qui est le plus parfait , et formel dans les
corps , les corps qui sont les plus formels et les plus mobiles sont
lucides actu; ceux qui les approchent sont réceptifs de la lumière,
comme les diaphanes; et ceux qui sont tout-à-fait matériels, n'ont
pas la lumière dans leur nature, et ne sont pas réceptifs de la lumière,
mais ils sont opaques. On remarque cela dans les éléments, car le
feu a la lumière dans sa nature , mais sa lumière ne nous est appa-
rente que dans une matière étrangère à raison de sa subtibilité. L'air
et l'eau sont moins formels que le feu, aussi ils ne sont que diaphanes.
La terre, qui est le plus matériel des éléments, est opaque. Néanmoins,
il faut savoir que quelques physiciens ont dit que la lumière est
nécessaire pourvoir du côté de la couleur. Or ils disent que la couleur
n'a la force de mouvoir le diaphane que de près; ils donnent pour
preuve de cela que celui qui est dans l'obscurité voit les choses qui
sont dans la lumière , mais non réciproquement. Ils donnent encore
une autre raison , c'est que la vue étant une, il faut que ce qui est
visible ne le soit que par un moyen , ce qui ne seroit pas si la couleur
étoit visible par elle-même. Mais cela est évidemment contraire à ce
que dit Aristote , livre II de l'Ame , que la couleur a en elle-même
une cause d'être visible. C'est pourquoi , suivant le sentiment d'Aris-
tote , il faut dire que la lumière pour voir est nécessaire non du côté
de la couleur, par la raison qu'elle met les couleurs en acte , comme
verberatione radii ad corpus lucens, voca-
tur splendor. Lumen autem est commune
ad omnem effectum lucis in diaphano. His
visis secundum naturam lucis de facili ap-
paret ratio, quare quœdam corpora sunt
lucidaactu, quaedam diaphana, et quaedam
opaca. Nam curn lux sit qualitas primi al-
terantis, quod est maxime perfectum , et
formale in corporalibus , illa corpora quae
sunt maxime formalia et mobilia, sunt actu
lucida : quae autem sunt propinqua his,
sunt receptiva luminis, sicut diaphana;
quce autem sunt maxime materiala, neque
habent lumen in sui natura , neque sunt
luminis receptiva, sed sunt opaca. Ista pa-
tent in elementis, nam ignis habet lucem
in sui natura, sed ejus lux non apparet no-
biscum, nisi inmateria aliéna propter ejus
subtilitatem. Aer autem, et aqua sunt mi-
nus formalia quam ignis , et ideo sunt tan-
tum diaphana. Terra autem quae est ma-
xime materialis, est opaca. Tamen est scien-
dum, quod quidam dixerunt, quod lux est
necessaria ad videndum ex parte ipsius co-
loris. Dicunt autem quod color non habet
virtutem ut moveat diaphanum, nisi pro-
pe : et hujus signum dicunt , quia ille qui
est in obscuro , videt quae sunt in lumine,
et non econverso. Rationem etiam addu-
cunt ad hoc, quod oportet cum visas sit
unus , quod visibile non sit nisi per unam
rationem , quod non esset , si color esset
per se visibile. Sed hoc est manifeste con-
tra Aristotelem , Il de Anima, qui dicit,
quod color habet in se causam essendi visi-
bile. Unde secundum sententiam Aristote-
lis dicendum est, quod lumen ad videndum
est necessarium non ex parte coloris, eo
DE LA. NATURE DE LA LUMIÈRE. 367
disent certains , car elle n'est qu'en puissance lorsqu'elle est dans les
ténèbres, mais bien du côté du diaphane en tant qu'elle le met en
acte, comme dit Aristote. Pour comprendre l'évidence de cela, il faut
considérer que toute forme, comme telle , est un principe de produc-
tion de quelque chose semblable à elle , d'où il suit que la couleur
étant une certaine forme tient d'elle-même de quoi produire sa res-
semblance. Il faut néanmoins savoir qu'il y a une puissance parfaite
et une puissance imparfaite. Car la forme qui a une vertu parfaite
dans l'action, peut non-seulement introduire sa ressemblance dans
son susceptible, mais encore disposer le patient à être son propre sus-
ceptif, ce que ne peut faire la forme imparfaite, puisque elle n'a
qu'une vertu imparfaite. Il faut donc dire que la vertu de la couleur
dans l'action réside dans la nature parfaite de la lumière. Car la cou-
leur n'est autre chose que la lumière obscure sous certains rapports
par l'admixtion d'un corps , ce qui fait qu'elle n'a pas la puissance
d'illuminer le diaphane, effet que produit cependant la lumière pure.
On voit aussi par là que la lumière étant en quelque façon la sub-
stance de la couleur, tout ce qui est visible en acte se ramène à elle;
et il n'est pas nécessaire que la couleur devienne visible actu, par la
lumière extrinsèque. Ce qui fait que les couleurs illuminées se voient
de celui qui est dans l'obscurité , c'est que le milieu est illuminé , et
cela suffit pour l'immutation de la vue.
Fin du cinquantième Opuscule de saint Thomas d'Aquin sur la
nature de la lumière.
L'abbé VÉDRINE.
quod facit colores esse actu, ut quidam di-
cunt, est eiiim tantum in potentia cum est
in tenebris : sed est ex parte diaphani , in
quantum facit ipsum esse in actu, ut dicit
Aristoteles. Ad cujus evidentiam conside-
randum est, quod omnis forma, in quantum
hujusmodi, est principium agendi sibi si-
mile, unde cum color sit quaedam forma,
ex se habet quod causet sui similitudinem
in medio. Sed tamen sciendum est, quod
differentia est inter virtutem perfectam et
imperfectam. Nam forma quae est perfec-
tae virtutis in agendo, non solum potest in-
ducere suam similitudinem in suo suscep-
tibili, sed etiarn disponere patiens ut sit
proprium ejus susceptivum, quod quidem
non potest facere forma imperfecta, cum
sit imperfectse virtutis. Dicendum est ergo,
quod virtus coloris in agendo est in per-
fecta ratione luminis. Nam color nihil aliud
est, quam quaedam lux quodammodo obs-
cura ex admistione corporis, unde non ha-
bet virtutem ut possit illuminare diapha-
num, quod tamen potest facere lux pura.
Ex quo etiam patet, quod cum lux sit quo-
dammodo substantia coloris, ad eam redu-
citur omne visibile actu : nec oportet, quod
color per lumen extiïnsecum fiât actu visi-
bilis. Quod autem colores illuminati \i-
dentur ab eo qui est in obscuro , contingit
ex hoc, quod médium illuminatur, et hoc
sufficit ad visusimmutationem..
Explicit Opusculum quinquagesimum ,
S. Thomœ Aquinatis, de natura luminis.
368
OPUSCULE LI.
OPUSCULE LI.
DU MÊME AUTEUR, DE LA NATURE DU LIEU.
Pour cormoître la nature du lieu, il faut considérer qu'on ne cher-
cheroit pas de lieu s'il n'existoit pas quelque mouvement relatif au
lieu. En effet , comme d'après la transmutation des diverses formes
par rapport à la matière nous connoissons que la matière est diffé-
rente des autres formes, de même d'après la transmutation des divers
corps relativement au même lieu, nous savons que le lieu est quelque
chose comme le réceptacle des corps différent de tous les corps. Or le
lieu naturel ne désigne pas seulement un contenant, mais contenant,
conservant et formant les choses localisées, en raison de quoi chaque
corps se meut naturellement vers son lieu comme vers ce' qui doit
conserver son être. Le lieu suivant ce qu'il est n'est ni la matière , ni
la forme de la chose localisée , parce que la matière et la forme ne
sont pas séparées de la chose. Or le lieu peut se séparer de la chose
localisée, et non l'espace dimensionné existant en-dessous des limites
du corps contenant , parce qu'il n'y a rien en-dessous des limites du
corps contenant qui soit circonscrit par la grandeur du corps de ce
qui est contenu. La raison en est que si ce qui est circonscrit par la
grandeur du corps contenu étoit un espace en-dessous des limites
du corps contenant, cela auroit des dimensions de longueur, de
OPUSCULUM LI.
EJUSDEM DOCTORIS, DE NATURA LOGI.
Ad sciendum naturam loci, considerare
oportet, quod non quœreretur locus, nisi
esset aliquismotus secundum locum. Sicut
enim ex transmutatione diversarum forma-
rum circa materiam, scimus materiam esse
aliud ab omnibus for mis, sic ex transmu-
tatione diversorum corporum circa eum-
dem locum, scimus locum aliquid essetan-
quam receptaculum corporum aliud ab
omnibus corporibus. Locus autem natura-
lis non nominat solum aliquid continens,
sed continens , et conservans , et formans
locata, propter quod unumquodque cor-
pus naturaliter movetur ad locum suum,
tanquam ad conservativum esse sui. Locus
vero secundum id quod est , nec materia
est, nec forma locati, quia materia et
forma non separantur a re : locus autem
separabilis est a locato, nec etiam spatium
dimensionatum infra terminos corporis
continentis existens, quia nihil est infra
terminos corporis continentis circumscripta
magnitudine corporis contenti. Cujus ratio
est, quia si circumscripta magnitudine cor-
poris contenti esset aliquod spatium infra
terminos corporis continentis, taie esset di-
mensionatum longitudine, latitudine, et
profunditate : dimensiones autem sunt ac-
DE LA NATURE DU LIEU. 369
largeur et de profondeur; or les dimensions sont des accidents, puis-
qu'elles sont des quantités, donc elles ne peuvent être dans d'autre
sujet qu'un corps. Si donc il y avoit un espace en-dessous des limites
du corps contenant en dehors de la grandeur du corps contenu, il s'en-
suivroit qu'il y a des accidents sans sujet, ce qui est impossible. Donc
le lieu n'est ni une matière, ni une forme, ni un espace contenu en-
dessous des limites du corps contenant. Qu'il n'est pas un espace,
on le prouve ainsi d'une autre manière : si le lieu étoit un espace
en-dessous des limites du corps contenant, il s'ensuivroit que des
lieux infinis existeroient en même temps, ainsi que le déduit Aristote,
parce que l'air, l'eau et tout corps quelconque aussi bien que les
parties d'un corps ayant des dimensions propres et des distances
propres , toutes les parties font dans le tout ce que fait la totalité de
l'eau dans le vase , parce que suivant la supposition de ceux qui
pensent que l'espace est un lieu, lorsque l'eau est dans le vase, outre
les dimensions de l'eau, il y a d'autres dimensions de l'espace qui pé-
nètrent les dimensions de l'eau. Or il est constant que la partie est
contenue dans le tout de la même manière que l'eau dans le vase,
si ce n'est que la chose localisée est séparée du lieu ; tandis que la
partie n'est pas actuellement séparée du tout. Si donc on sépare la
partie du tout , outre les dimensions de la partie , il y aura d'autres
dimensions du tout pénétrant les dimensions des parties. Il est évident
que la division ne crée pas de nouvelles dimensions , elle ne fait que
séparer celles qui existoient déjà. Or comme après la séparation il y
a d'autres dimensions du tout pénétrant les divisions des parties , il y
en aura de même avant la séparation. Autant donc que l'on prendra
de parties dans un tout se contenant l'une l'autre, autant il y aura de
dimensions se pénétrant réciproquement : mais dans un tout continu
cidentia, cum sint quantitates, ergo non
possunt esse insubjecto, nisi incorpore. Si
ergo esset aliquod spatium infra terminos
corporis continentis preeter magnitudinem
corporis contenti , sequitur quod esset ali-
quod acculens sine subjecto, quod est im-
possibile. Locus ergo neque est materia,
neque forma, neque spatium infra termi-
nos corporis continentis contentum. Quod
non sit spatium, probatur aliter sic : quia
si locus eset spatium infra terminos corpo-
ris continentis, sequitur quod infinita loca
essent simul, sicut deducit Philosophus,
quia cum aer, et aqua, et quodlibet cor-
pus, et quaelibet partes corporis habeant
proprias dimensiones, et proprias distan-
tias, idem faciunt omnes partes in toto
quod tota aqua in vase, quia secundum
positionem eorum qui tenent sententiam
Y.
de spatio quod sit locus, cum aqua est in
vase, praeter dimensiones aquae sunt ibi
aliae dimensiones spatii pénétrantes dimen-
siones aquae. Constat autem quod eodem
modo pars continetur in toto , sicut aqua
in vase , nisi quod locatum est divisum a
loco : pars autem non est actu divisa a
toto. Si ergo dividatur pars a toto prœter
dimensiones partis essent ibi aliœ dimen-
siones totius, pénétrantes dimensiones par-
tium. Manifestum est autem, quod divisio
non facit de novo esse ibi dimensiones,
sed pneexistentes dividit. Sicut autem post
divisionem sunt ibi alise dimensiones to-
tius, pénétrantes dimensiones partium, sic
erunt ante divisionem. Quot ergo partes
convenit accipere in aliquo toto , quarum
una continet aliam, tôt erunt dimensiones
se invicem pénétrantes : sed in aliquo toto
24
370 OPUSCULE LI.
il y a à prendre des parties infinies, dont l'une contient l'autre, par la
raison qu'un tout continu est divisible à l'infini. Donc dans un tout
continu il y aura des dimensions infinies se pénétrant réciproque-
ment. Si donc les dimensions sont un lieu, il s'ensuit qu'il y a en-
semble des lieux infinis, ce qui est impossible. Donc de ce jque le
lieu n'est ni matière, ni forme, ni espace, il s'ensuit qu'il est une
quatrième chose, savoir la limite du corps contenant. Or le lieu n'est
pas seulement la limite du corps contenant, mais il est encore immo-
bile, et il y en a qui considèrent cette immobilité comme existant à
l'égard de la chose localisée. En effet, quoique le lieu subisse le mou-
vement du corps contenant, parce qu'il est son dernier terme, il ne
subit pas néanmoins le mouvement de la chose localisée. Cela n'est
pas suffisamment établi et n'est pas conforme à ce que veut Aristote,
que de même que le vase est un lieu mobile, le lieu est aussi un vase
immobile. Il faut donc donner une plus grande immobilité au lieu
naturel qu'au vase. Le vase étant donc immobile par le mouvement
de ce qui est dans le vase , et le lieu étant plus immobile que le vase,
il s'ensuit que le lieu n'est pas immobile par le mouvement de ce qui
est contenu , mais même de ce qui contient. Ce qui le confirme c'est
que par rapport à une chose contenue restant immobile, comme une
maison ou un arbre, il se fait un changement du contenant, comme
de l'air. Donc si le lieu subissoit le mouvement du contenant, il en
résultèrent que restant immobile il se produirait en divers lieux , ce
qui est impossible. Donc le lieu ne subit pas le mouvement du corps
localisé, mais il ne subit pas non plus celui du contenant. C'est pour-
quoi Aristote dit, que le navire qui se trouve dans les eaux d'un fleuve
qui se meuvent, s'y trouve plutôt comme dans un vase que comme
dans un lieu qui le contient. Car il est de la nature du lieu d'être im-
continuo est accipere inflnitas partes, qua- eus mobilis, ita locus est vas immobile,
rum una continet aliam , eo quod quodli- Majorem ergo immobilitatem oportet dare
bet totum contimuim divisibile est in infi- loco naturali, quam vasi. Cum ergo vas sit
niturn , ergo in aliquo toto continuo erunt immobile motu ejus quod est in vase, et lo-
infinitse dimensiones se invicem penetran- eus sit magis immobilis, quam vas, sequi-
tes. Si ergo dimensiones sunt locus, sequi- tur, quod locus non sit immobilis motu
tur quod iniinita loca sunt simul , quod contenti, sed etiam continentis. Et confir-
est impossibile. Ex quo ergo locus non est matur, quod circa aliquod contentum ma-
materia, nec forma, nec spatiurn, sequitur nens immobile, puta circa domurn, vel ar-
quod sit quartum, scilicet terminus corpo- 1 borem, contingit mutationem fieri conti-
ns continentis. Locus autem non solum ' nentis, puta aeris. Si ergo locus moveretur
est terminus corporis continentis, sed motu continentis, sequitur quod idem
etiam est immobilis, et hanc immubilita- , manens immobile fleret in diversis locis,
tem quidam intelhgunt esse respectu lo- j quod est impossibile. Locus ergo non so-
cati. Locus enim liect moveaturmotu con- j lum est immobilis motu locati, sed etiam
tineutis, quia ejus ultimumest, non tamen j motu continentis. Propter quod dicit Phi-
movetur motu locati. lstud est insufficien- j losophus, quod si Davis sit in aqua tluvii
ter dictum, nec est secundum mentem quae movetur, magis utitur ea tanquam
Puilosophi qui vult, quod sicut vas est lo- j vase, quam sicut loco continente. De na-
DE LA. NATURE DU LIEU. 371
mobile. Aussi tout le fleuve qui dans sa totalité est immobile , doit
plutôt être dit le lieu du navire que cette eau qui s'écoule et se meut.
En effet, tout le fleuve n'est pas le lieu propre, mais bien le lieu com-
mun du navire, il faut donc prendre le lieu propre du navire dans le
fleuve par rapport à tout le fleuve qui est immobile. Il faut donc
prendre le lieu propre dans le fleuve, non suivant cette eau qui coule
et se meut, mais suivant l'ordre et la position qu'il a à l'égard de tout
le fleuve, lesquels restent dans l'eau qui vient les mêmes qu'ils étoient
dans l'eau qui s'en va, par rapport à tout le fleuve. Quoique, en effet,
l'eau s'écoule matériellement, néanmoins, comme l'ordre et la posi-
tion restent les mêmes par rapport à tout le fleuve, il en est de même
du lieu. C'est de cette manière que nous devons comprendre que les
extrémités des corps naturels sont un lieu parle rapport, l'ordre et la
position qu'elles ont relativement à tout le corps du ciel qui est le pre-
mier contenant, conservateur et localisateur. En effet, quoique la sur-
face de l'air ou de l'eau se meuve suivant qu'elle est la limite dernière
de tel ou tel corps , il succède néanmoins un autre corps qui a la
même situation et le même ordre selon la nature relativement au
premier ordonnateur ou locateur qui est le ciel , en raison de quoi il
reste numériquement le même lieu. Par là se trouve détruite cette
objection que l'on fait. Le lieu est la dernière limite du contenant ,
mais le contenant se meut, donc le lieu se meut aussi; cet argument
seroit bon si la dernière limite du contenant qui le constitue tel étoit
un lieu. Mais cela n'est pas vrai, car elle n'a aucun caractère de lieu
ou de locateur que par comparaison au premier locateur. Que la di-
versité des surfaces ne soit pas un obstacle à l'unité du lieu, c'est évi-
dent, parce qu'à une chose localisée numériquement répond numéri-
tura eiiim loci est, quod fit immobilis
Unde totus fluvius, qui secundum se totum
est immobilis, magis débet dici locus navis,
quam hœc aqua quœ fluit et movetur. To-
tus enim fluvius- non est locus proprius
navis, sed communis, et ideo locum pro-
prium navis in fluvio oportet accipere per
comparationem ad totum fluvium , qui est
immobilis. Est ergo accipere locurn pro-
prium in fluvio non secundum hanc aquam
quae fluit, et movetur, sed secundum ordi-
nem et situm quem habet ad totum flu-
vium. qui quidem ordo et situs manet in
aqua succedente, qui erat in aqua rece-
dente respectu totius fluvii. Quamvis enim
aqua rnaterialiter fluat , tamen quia ma-
net idem ordo et situs respectu totius flu-
vii, manet etiam idem locus. Et secundum
hune modum debemus intelligere, quod
extremitatescorporum naturalium sint lo-
cus, scilicet per comparationem, et ordi-
nem, et situm, quem habent ad totum cor-
pus ipsius cœli, quod est primum conti-
nens, et conservans, et locans. Quamvis
enim moveatur superficies aeris, vel aquae
secundum quod est ultimum hujuscorporis,
vel illius, succedit tamen aliud corpus,
quod eumdem situm et ordinem secundum
naturam habet ad primum ordinans , sive
locans, quod est cœlum, propter quod ma-
net idem locus numéro. Unde cessât objec-
tio quam faciunt aliquisic : Locus est ulti-
mum continentis ; sed continens movetur,
ergo locus movetur. Hœc enim ratio bene
procederet, si ultimum continentis secun-
dum quod hoc continens est, esset locus.
Hoc autem non est verum, quia nihil ha-
bet rationem loci, vel locantis, nisi per
comparationem ad primum locans. Quod
autem diversitas superficierum non impe-
diat unitatem loci, patet, quia uni locato
secundum numerum correspondet unus lo-
372 OPUSCULE LI.
quement un lieu simul et semel. Mais un bâton étant à moitié dans
l'eau et à moitié dans l'air est quelque chose d'un localisé numéri-
quement. Donc il se trouve dans un lieu unique numériquement,
mais il est en même temps dans des superficies diverses d'air et d'eau.
Donc la diversité des surfaces n'est pas un obstacle à la diversité de
lieu. Il faut donc prendre l'unité du lieu suivant l'ordre et la position
relativement au premier locateur. La raison de tout cela c'est que ,
ainsi qu'on l'a dit plus haut , le lieu n'est pas seulement contenant ,
mais il est contenant et conservateur : or rien n'a un caractère de con-
servation que par la vertu et l'influence d'un corps céleste qu'il reçoit
suivant qu'il se trouve dans une position et une distance déterminées.
Voilà la raison pourquoi une chose a le caractère de lieu, c'est par
comparaison au premier locateur. Le lieu est immobile, parce que le
milieu du ciel, qui est le centre, et la dernière superficie du corps
circulaire, qui est le ciel, sont disposés de manière qu'on dit que telle
chose est en haut et telle autre en bas , ce qui fait deux différences de
heu; car ces deux, choses sont tout-à-fait immobiles. Le centre est
toujours immobile : quant au ciel, quoiqu'il soit toujours en mouve-
ment , il est toujours à la même distance par rapport à nous. Ce que
nous avons dit du lieu , nous l'entendons du lieu naturel , qui con-
serve les corps naturels , et ce lieu est dû d'abord aux éléments élé-
mentés par les éléments. En effet, le lieu naturel du feu est la surface
concave de l'orbe de la lune qui est toujours à la même distance du
feu, et qui pour cette raison est dite immobile. Le lieu de l'air est la
superficie concave du feu, et ainsi des autres choses dans leur genre.
Le lieu de toutes les choses élémentées est un lieu inférieur , parce
que la terre est supérieure suivant la quantité à toute chose élémentée.
eus secundum numerum simul , et semel :
sed baculus unus dimidius existens in aqua,
et dimidius iu aère , est aliquod unum lo-
catum secundum numerum, ergo est in ali-
quo uno loco secundum numerum : sed est
in diversis superficiebus aeris et aquae, ergo
diversitas superficierum non impedit unita-
tem loci. Unitas ergo loci accipienda est
secundum ordine m, et situm ad primum
locans. Et causa omnium istorum est , quia
sicut dictum est prius, locus non solum est
continens, sed est continens et conservans :
nihil autem habet rationem conservantis
alium, nisi per virtutem et influentiam
corporis cœlestis , quam recipit secundum
qiuil est in determinato situ, et in deter-
minata distantia. Et haec est causa quare
aliquid habet rationem loci , scilicet per
comparationem ad primum locans. Quia
vero locus immobilis est, propter hoc mé-
dium cœli, quod est centrum, et ultima
superficies corporis circularis, quae est cœ-
lum, sic se habent , quod hoc dicitur sur-
sum , illud vero deorsum, quse sunt duse
loci differentiae : hax enim maxime ma-
nent immobilia. Centrum semper est im-
mobile : cœlum autem licet semper mo-
veatur, tamen semper est in eadem distan-
tia ad nos. Hoc autem quod dictum est de
loco, intelligimus de loco naturali, qui est
conservativus corporumnaturalium, et iste
locus naturalis primo debetur démentis
elementatis per elementa. Locus enim na-
turalis ignis est superficies concava orbis
lunœ, quae manet semper in eadem distan-
tia ad ignem, et ideo dicitur esse immobi-
lis. Locus autem aeris est superficies con-
cava ignis, et sic de aliis suo modo. Locus
autem omnium elementatorum est locus
deorsum , quia in omni elementato domi-
natur terra secundum quantitatem. Contra
ea quœ dicta sunt, potest objici, quod scili-
DE LA NATURE DU LIEU. 373
On peut objecter contre ce qui a été dit que le lieu de la terre n'est
pas l'extrémité de l'eau, ni le lieu de l'eau l'extrémité de l'air, parce
que tout corps naturel est en mouvement vers son lieu. Or la terre ne
se meut pas vers la superficie de l'eau, mais bien vers le centre; donc
la superficie de l'eau n'est pas le lieu de la terre , mais bien plutôt le
centre. Outre cela , si la terre changeoit de place , elle descendroit ,
comme le veut Aristote, IV Mundi et Cœli. De même l'air prendroit
la place de l'eau, si l'eau se retiroit. Donc le lieu de l'eau n'est pas la
surface concave de l'air, ni le lieu de l'air la surface concave du feu ,
ce qui est contraire aux précédentes conclusions. Pour la solution de
ces difficultés, il faut entendre que dans le lieu il n'y a pas seulement
la contenance de la chose localisée , mais une vertu conservatrice et
formatrice du lieu. C'est pour cela que Alpharabius dit, que la raison
pourquoi la terre est formée d'une partie de la matière, et de l'autre
Peau, ou l'air ou le feu, n'est autre chose que le lieu avec une vertu
céleste. En effet, comme le froid est produit par la distance qui existe
de la circonférence au centre, il rencontre dans le lieu de la terre cette
partie de la matière , la condense et l'épaissit fortement de manière
à en exprimer l'humidité, et en forme un élément sec et froid, qui
est la terre. Le froid qui épaissit la matière, de façon cependant qu'il
n'exprime pas proprement l'humidité, mais la fait couler vers soi, en-
gendre l'eau , n'est qu'à la même distance de la circonférence que le
lieu de l'eau. En effet, la chaleur ne consumant pas l'humidité, mais
la combinant avec soi , engendre l'air , et cette chaleur est produite
par l'orbe à la même distance qu'elle est elle-même du lieu de l'air.
Car le feu , étant extrêmement chaud et produit dans un lieu immé-
diat de la sphère de la lune par un mouvement qui désaggrège et
cet locus terrse non sit ultimum aquae, nec
locus aquae sit ultimum aeris, quiaunum-
quodque corpus naturale movetur ad lo-
ttim suum : terra autem non movetur ad
superficiem aqua}, sed movetur ad cen-
trum, ergo superficies aqure non est locus
terra, sed potius centrum. Prœlerea, si
terra moveatur a loco suo , a quo descen-
dent, ut vult Philosophus, IV Cœli et
Mundi, et similiter aer in locum aquœ si
amoveretur aqua, ergo locus aquae non est
superficies concava aeris, nec locus aeris
est superficies concava ignis, quod est con-
tra prius determinata. Prosolutione horum
intelligendum est, quod in loco non est
tantum continentia locati, sed est ibi vir-
tus conservans et formans locum. Et prop-
ter hoc dicit Alpharabius , quod causa
quare ex hac parte materise generatur
terra, et ex alia aqua vel aer, vel ignis,
non est nisi locus cum virtute cœlesti. Quia
enim frigiditas, tanta quanta causatur ex
distantia , quee est ex orbe usque ad cen-
trum, invenit hanc partem materiae in loco
terra, propter hoc inspissat eam inspissa-
tione vehementi, ita quod exprimit ex ea
humidum, et facit elementum siccum , et
frigidum , quod est terra. Frigiditas verô
inspissans materiam , sic tamen quod non
est ex ea exprimens humidum : sed faciens
ad se fluere, générât aquam, et heec frigi-
ditas est solum in tanta distantia , quanta
est locus aquœ ab orbe. Galiditas enim non
consumens humidum , sed secum compa-
tiens, générât aerern, qine quidem caliditas
causatur ab orbe in tanta distantia quee est
ejus ad locum aeris. Ignis enim cum sit
summe calidus , generatur in loco immé-
diate spheera lunée ex motu disgregante et
calefaciente materiam. Hoc supposito in-
374 OPUSCULE Ll.
échauffe la matière. Cela supposé, il faut entendre que le mouvement
de la chose localisée ne se fait pas vers la surface du locateur à raison
de la surface, mais à cause de la vertu conservatrice et formatrice de
la chose localisée. En conséquence , la vertu formatrice de la terre
étant le froid, produit par la distance du premier caléfacteur, qui est
le ciel , son commencement est une vertu résidant dans la concavité
de l'eau, et sa perfection se trouve dans le centre, par conséquent la
terre se meut vers le centre et non vers la superficie de l'eau ; voilà
pourquoi la terre est simplement pesante. La vertu formatrice du feu
■est la chaleur parfaite, qui s'opère complètement dans la concavité de
l'orbe de la lune , c'est pour cela que le feu est simplement léger. La
vertu formatrice de l'air commence dans la concavité du feu, et se
termine à la connexité de l'eau, tandis qu'elle est parfaite dans le mi-
lieu , et il en est de même de l'eau à sa manière ; par conséquent le
mouvement de l'eau se fait de la terre et de l'air vers son milieu , et
le mouvement de l'air suivant la nature se fait de l'eau et du feu vers
le heu moyen ; aussi l'eau et l'air ne sont pas simplement légers ni
pesants, mais seulement sous certains rapports. On voit donc par là la
raison pourquoi la terre se meut simplement en bas et non vers la
concavité de l'eau , quoique ce soit son lieu, parce que c'est l'effet de
la vertu formatrice qui réside dans le lieu et en raison de laquelle
chaque chose localisée se meut vers son lieu. Alpharabius répond de
nouveau, que le mouvement de l'air vers le lieu de la terre n'est pas
le mouvement naturel de l'air ou de l'eau , mais que c'est un mou-
vement violent, ce qui est évident, puisqu'il corrompt l'un et l'autre.
Car lorsque l'eau se meut vers le lieu de la terre, elle est condensée
et épaissie par le froid du lieu plus qu'il ne faut pour la forme de
l'eau, c'est pour cela qu'elle se convertit en terre. De même quand l'air
telligendum est, quod motus locati non
est ad ipsam superficiem locantis propter
superficiem , sed propter virtutem conser-
vativam et formativam locati. Et ideo cum
virtus formativa terrae sit frigiditas, quae
causatur ex tanta distantia ad primum ca-
lefaciens, quod est coelum, et inchoatio
hujus virtus est in concavo aquae, perfec-
tio autem ejus est in centro , ideo terra
movetur ad centrumet non ad superficiem
aquae :etinde est, quod terra est simplici-
ter gravis. Virtus autem formativa ignis
est caliditas perfecta, quae est compléta in
concavo orbis lunae, propter quod ignis est
simpliciter levis. Virtus autem formativa
aeris, incipit in concavo ignis, et déficit in
connexo aquae, perfecta autem est in me-
dio, et sic est de aqua suo modo, et ideo
motus aquae est a t-jrra et ab aère ad me-
■ dium ejus, et motus aeris secundum natu-
ram est ab aqua et igné ad médium locum,
propter quod aqua et aer non sunt sim-
pliciter levés, neque graves, sed mrespec-
tu. Sic igitur patet causa, quare terra mo-
vetur deorsum simpliciter, et non ad con-
cavum aquae, licet sit locus ejus, quia hoc
facit virtus formativa quœ est in loco,
propter quam unumquodque locaturn mo-
vetur ad locum suum. Ad aliam rationem
respondet Alpharabius, quod motus aeris
ad locum terrae non est motus naturalis ae-
ris, vel aquee, sed est violentus, quod patet,
quia est corruptivus utriusque. Nam cum
aqua movetur ad locum terrae, inspissatur
a frigiditate ipsius loci majori inspissa-
tione, quarn requiratur ad formam aquae,
unde convertitur in terram. Similiter cum
aer descendit ad locum aquœ, infrigidatur
DE LA NATURE DU LIEU. 375
descend au lieu de l'eau, il est refroidi par le froid qui y réside, et se
convertit en eau. Comment, malgré cela, dit-on d'abord que l'eau est
froide et non la terre, quoique celle-ci soit produite par un- froid plus
grand, on le voit dans le liv. II De generatione.
Comment la dernière sphère se trouve dans un lieu.
De ce que nous avons dit que le lieu est l'extrémité du contenant,
nous pouvons conclure que le corps auquel il y a quelque chose d'in-
hérent hors du contenant, est tel dans le lieu. Mais ce qui n'a point
de corps hors du contenant, une telle chose dans le lieu n'est pas une
chose unique, comme l'a dernière sphère ; c'est pourquoi la dernière
sphère ne paroît pas être dans le lieu. Mais il s'élève ici un doute,
puisque rien ne paroît se mouvoir dans le lieu sans être dans le lieu, si
la dernière sphère n'est pas dans le lieu, son mouvement ne sera point
local , ce qui n'est pas convenable. C'est pour cette raison et quelques
autres que Jean le grammairien dit, que le lieu n'est point la limite du
contenant , mais l'espace qui est en-dessous des limites du corps de la
contenance, par suite de quoi il affirme que le ciel estp ar soi dans un
lieu, et se meut par soi dans un lieu, parce qu'il a avancé qu'il étoit par
soi dans tel espace. Tout cela ne peut être vrai d'après ce que nous
avons établi sur le lieu, puisque nous avons montré que le lieu n'est pas
un espace, mais la limite du contenant. C'est aussi contraire à l'opinion
d'Arislote, qui dit que le ciel n'est pas dans un lieu par soi, mais par
accident. C'est pour cela qu'Alexandre a dit, que le ciel n'est dans un
lieu ni par soi, ni par accident, et ne se meut pas dans un lieu, parce
qu'il n'est pas de la nature d'un corps d'être dans un lieu, puisque le
lieu n'est pas mis dans la définition du corps. Comme néanmoins tout
mouvement doit être contenu sous quelque espèce de mouvement,
a frigidatione loci illius , et convertitur in
aquam. Qualiter autem hoc non obstante
aqua dicatur frigida primo , et terra non,
quamvis causetur ex majori frigiditate,
patet ex II De generatione.
Quomodo ultima sphœra sit in loco.
Ex his quae dicta sunt de loco, quod lo-
cus est ultimum continentis , concludere
possumus, quod corpus cui inest aliquid
extra ipsum continens , taie est in loco.
Cui autem non est corpus extra continens,
ipsum taie in loco non est unum solum,
scilicet ultima sphœra, propter quod ultima
sphaera non videtur esse in loco. Sed hic
est dubitatio , cum nihil videatur moveri
in loco nisi sit in leco , si ultima sphaera
non est in loco, motus ejus non erit loca-
lis, quod est inconveniens. Propter hanc
rationem et quasdam alias, Joannes Gram-
maticus dixit : Locum non esse terminum
continentis, sed spatium quod est infra
terminos corporis continentiae , unde dixit
cœlum per se esse in loco , et per se mo-
veri in loco, quia per se dixit ipsum esse
in tali spatio. Istud non potest habere ve-
ritatem secundum ea quae determmata
sunt de loco, cum ostensum sit quod locus
non est spatium sed terminus continentis.
Est etiam contra intentionem Philosophi
qui dicit cœlum non esse in loco per se ,
sed per accidens. Propter quod dixit Alex-
ander cœlum non esse in loco nec per se,
nec per accidens, nec moveri in loco , quia
non est de ratione corporis ut sit in loco,
cum locus non ponatur in diffinitione cor-
poris. Quia tamen oportet omnem motum
contineri sub aliqua specie motus, ideo
376 OPUSCULE LI.
Avicenne après lui a dit , que le mouvement du ciel n'étoit pas dans
un lieu , mais dans la position ou en rapport avec la position. Cette
opinion est contraire à la doctrine d'Aristote, livre V de la Physique,
où il dit que le mouvement n'est que dans trois genres , savoir : la
quantité, la qualité et ubi. Mais on voit clairement la fausseté de cela,
par la raison que le mouvement n'appartient à aucun genre dont la
nature des espèces ne réside dans l'indivisible. C'est pourquoi nous
disons qu'il n'y a pas de mouvement à l'égard de la substance, parce
que la nature de la substance réside dans l'indivisible; il n'en est pas
de même de la nature de la blancheur, parce qu'elle peut participer
du sujet suivant le plus et le moins ; or maintenant il est constant
que la nature de la position réside dans l'indivisible. Donc il n'y a
pas de mouvement à l'égard de la situation. En outre la position ca-
ractérise l'ordre des parties dans le lieu, donc le lieu est mis dans la
définition de la position. Donc le mouvement qui ne peut pas s'effec-
tuer à l'égard du lieu, ne peut le faire par rapport à la position. Mais
suivant eux, le mouvement du ciel ne s'effectue pas par rapport au
lieu, donc il ne s'effectue pas non plus à l'égard de la position. C'est
ce qui a fait dire à Avempace, que la ligne droite et un corps droit
sont de soi indéterminés et ont besoin de quelque chose qui les ter-
mine, les limite et les contienne. Au contraire, la ligne circulaire est
terminée par elle-même , et le corps circulaire aussi , c'est pourquoi
ils n'ont besoin de rien pour les borner et les contenir, il a dit en con-
séquence qu'il n'étoit pas nécessaire pour un corps circulaire d'être
dans un lieu, et que le ciel n'est pas dans un lieu et n'a pas de mou-
vement local. C'étoit l'opinion d'Alpharabius , cité par Avempace à
l'appui de son assertion. Mais cette doctrine ne me paroît pas conve-
nable, parce que, comme ?e prétend Aristote, liv. YIII de la Physique,
le mouvement local est le premier des mouvements ; mais comme il
Avicenna secutus eum , dixit motum cœli
non esse in loco, sed in situ vel ad situm.
Hsec est contra intentionem Philosophi,
X PJiys., ubi dicit motum tantum esse in
tribus generibus, scilicet quantitate, qua-
litate et ubi. Sed quod illud sit falsum ,
patet quia ad nullum genus est motus, cu-
jus specierum ratio consistit in indivisibili ;
propter quod dicimus quod ad substantiam
non est motus, quia ratio substantiœ in in-
divisibili consistit, non sic autern ratio al-
bedinis, quia potest participare secundum
magis et minus a subjecto , nunc autem
ita est, quod ratio situs in indivisibili con-
sistit; ergo ad situm non est motus. Pra>
terea, situs nominat ordinem partium in
loco, locus ergo ponitur in dif'fînitione si-
tus. Motus ergo qui non potest esse ad lo-
cum, non potest esse ad situm ; sed motus
cœli secundum eos non est ad locum ; ergo
non est ad situm. Ideo aliter dixit Avem-
pace. Dixit enim quod linea recta et cor-
pus rectum utrumque indeterminata sunt
de se, et ideo indigent aliquo fmiente , et
terminante , et continente. Linea autem
circularis per se ipsam finitur, et similiter
corpus circulare, et ideo non indigent ali-
quo fmiente et continente, propter quod
dixit non esse de necessitate corporis cir-
cularis ut sit in loco , ideo dixit quod cœ-
lum non est in loco, nec habet motum lo-
calem. Hujus enim opinionis fuit Alpha-
rabius, quem adducit Avempace pro testi-
monio sui dicti. Sed hoc dictum videtur
inconveuiens, quia sicut vult Philosophus,
VIII Phys., motus localis est primus mo-
DE LA NATURE DU LIEU. 377
dit au même endroit , le mouvement du ciel est le premier mouve-
ment. Donc il est local. Outre cela , Aristote dans le IVe livre de la
Physique , prétend que le ciel est dans un lieu , au moins par acci-
dent. C'est pourquoi Thémistius a dit d'une autre manière, que le ciel
est dans un lieu par parties. Pour comprendre cela, il faut considérer
qu'il n'y auroit pas de lieu s'il n'y avoit pas de mouvement relatif au
lieu. Quoiqu'en effet le lieu ne soit pas de la nature du corps , il est
de la nature du corps mû localement; c'est pourquoi en raison de ce
que les corps divers se succèdent dans le même lieu, une chose mue
localement doit avoir un lieu. Il y a en effet des choses qui se meuvent
en sens direct, comme les choses légères et les choses pesantes. Ces
choses changent de lieu dans leur totalité , et par conséquent elles
sont dans leur totalité dans un lieu. Il y a d'autres choses qui ont un
mouvement circulaire, et ces choses ne changent pas de lieu suivant
leur totalité, mais seulement suivant la raison , elles changent néan-
moins de lieu quant à leurs parties , et occupent un autre lieu suivant
le sujet; en raison de quoi , ce qui a un mouvement circulaire ne se
trouve pas nécessairement dans un lieu suivant sa totalité , mais uni-
quement relativement à ses parties. C'est pour cela que la dernière
sphère , se mouvant circulairement, n'est pas dans un lieu par elle-
même, mais hien par ses parties. Mais cela semble être faux, car il
convient à un tout de se mouvoir et d'être en acte et non en parties.
Donc il convient au tout d'être dans un lieu et non aux parties, parce
que le lieu convient h une chose comme le mouvement. C'est pour-
quoi il faut dire , que quoique il ne convienne pas aux parties de la
dernière sphère d'être dans un lieu actu , elles y sont cependant en
puissance, parce que si la partie est séparée du tout, elle sera dans le
tout comme dans un lieu. Ainsi donc il convient au ciel ou à la sphère
tuum ; sed sicut dicit ibidem , motus cœli
estprimus motus, ergo est localis. Prsete-
rea, Philosophus, IV Phys., vult quod cœ-
lum sit in loco saltem per accidens. Prop-
ter hoc dixit aliter Thémistius, quod cœ-
lum est in loco per partes. Ad cujus intel-
lectum considerandum est quod non esset
locus, nisi esset aliquis motus secundum
locum. Licet enim de ratione corporis non
sit locus ; est tamen de ratione corporis
moti localiter. Unde secundum quod di-
versa corpora succedunt sibi in eodem loco,
.seeundum hoc dehetur locus alicui moto
localiter. Aliqua enim inveniuntur moveri
motu recto, sicut sunt levia et gravia. Et
haec secundum se tota mutant locum, et
ideo secundum se tota sunt in loco. Quœ-
dam autem sunt quœ moventur motu cir-
culari, et hœc secundum se tota non mu-
tant locum nisi secundum rationem , sed
secundum partes mutant locum , et fiunt
in alio loco secundum subjectum , propter
quod illud quod movetur circulariter, non
de necessitate est in loco secundum se to-
tum, sed solum secundum partes. Et prop-
ter hoc ultima sphrera cum moveatur cir-
culariter , non est in loco per se , sed per
partes suas. Sed hoc videtur esse falsum,
quia toti convenit moveri, et esse in actu
et non in partibus ; ergo et toti convenit
esse in loco et non partibus, quia sicut
convenit alicui motus, sic et locus. Prop-
ter hoc dicendum est, quod partibus sphae-
rœ ultimœ, licet non competat esse in loco
actu, sunt tamen in loco in potentia, quia
pars si dividatur a toto, erit in toto, sicut
in loco. Sic igitur convenit cœlo vel sphae-
rae, quod sit in loco per partes , quibus
378 OPUSCULE LI.
d'être dans un lieu par ses parties auxquelles il ne convient d'y être
qu'en puissance. En conséquence pour prendre ce que cette opinion
contient de vérité , nous pouvons dire que le ciel n'est simplement
dans un lieu que par accident, parce qu'il est cirea locum. Pour com-
prendre cela, il faut savoir qu'ainsi que le prétend Averrhoès, tout ce
qui est naturellement en repos est nécessairement dans un lieu, mais
tout ce qui se meut n'y est pas nécessairement. La raison de cela,
c'est que tout ce qui est naturellement en repos est dans un contenant
de même nature que lui , à raison de quoi il est nécessairement dans
un lieu. Mais ce qui est un mouvement n'est pas nécessairement dans
un lieu , parce que parmi les choses qui se meuvent il eu est qui ont
besoin du mouvement pour leur être et leur perfection : telles sont
celles qui sont dans un contenant de nature différente, c'est pourquoi
elles se meuvent vers un contenant de même nature , et toutes les
choses de ce genre sont nécessairement dans un lieu. Il y en a d'autres
qui n'ont pas besoin de mouvement pour leur être, ni pour leur con-
servation,-comme un corps céleste, et un tel corps ne se meut pas vers
un contenant de même nature , ni dans un contenant de même na-
ture ; mais il est mû par l'intelligence à cause du développement de
la causalité de la première cause ; un tel corps n'est pas nécessaire-
ment dans un lieu. En effet, être dans un lieu n'est pas seulement
être contenu par le lieu, c'est être contenu et conservé, et consé-
quemment ce qui n'a pas besoin de conservateur , comme un corps
céleste et toute chose incorruptible, n'est pas nécessairement dans un
lieu. Il s'élève une double question sur ce que nous venons de dire.
La première, pourquoi les sphères inférieures sont-elles dans un lieu,
puisqu'il n'y a pas de nécessité pour un corps céleste d'être dans un
lieu? La seconde, pourquoi le mouvement du ciel est-il dit local,
convenit solum in potentia esse in loco.
Et ideo si volumus accipere illud veritatis
quod continet heec opinio , possumus di-
cere , quod cœlum simpliciter in loco non
est, nisi per accidens , quia est circa lo-
cum. Ad cujus intellectum sciendum est,
quod sicut vult Averrhoès, omne natura-
liter quiescens de necessitate est in loco,
non tamen omne motum de necessitate est
in loco. Cujus ratio est? quia omne quod
quiescit naturaliter est in continenti sibi
connalurali , propter quod de necessitate
est in loco. Illud autem quod movetur non
de necessitate est in loco, quia eorum quœ
moventur quaedam indigent motu ad suum
esse et ad suani perfëctionem ; et talia
sunt, quaesunt in continente non connatu-
rali, propter quod moventur ad continens
sibi connaturale , et omnia talia de neces-
sitate sunt in loco. Alia sunt quae non in-
digent motu ad suum esse, nec ad sui con-
servationem , sicut est corpus cœleste , et
taie non movetur ad continens sibi conna-
turale, nec in continente sibi connaturali;
sed movetur ab intelligentia propter ex-
plicationem causalitatis primae causae, et
taie non de necessitate est in loco. Esse
enim in loco non est solum contineri a
loco, sed contineri et conservari; et ideo
quod non indiget conservante , cujusmodi
est corpus cœleste , et quodeumque incor-
ruptible, non de necessitate est in loco.
Sed secundum praedeterminata oritur du-
plex dubitatio. Prima est, quare orbes in-
feriores sunt in loco , cum non sit de ne-
cessitate corporis cœlestis esse in loco. Se-
cunda est , propter quid motus cœli dicatur
localis , cum corpus cœleste saltem prima
DE LÀ NATURE DU LIEU. 379
puisque un corps céleste, au moins la première sphère n'est pas dans
un lieu? Il faut répondre à la première, qu'il arrive aux ornes infé-
rieurs d'être dans un lieu , sans que ce soit une nécessité pour eux ,
puisqu'ils n'ont pas besoin de conservateur, comme a dit Avempace ;
c'est pour cela que les orbes inférieurs sont dits équivoquement être
dans un lieu, aussi bien que les éléments, parce qu'on ne dit que
les orbes inférieurs sont dans un lieu que parce qu'ils sont dans quel-
que chose d'extérieur qui les contient. Les éléments et les choses élé-
mentées sont dans un lieu comme dans quelque chose qui les contient
et les conserve. La solution de la seconde difficulté est évidente : c'est
que le mouvement n'est pas dit local par cela seul qu'il se fait dans un
lieu , mais il est encore appelé local parce qu'il est circa locum. C'est
pourquoi le Philosophe dit , liv. I Cœli et Mundi , qu'il y a un triple
mouvement local savoir, à medio, ad médium, circa médium. Le mou-
vement à medio, regarde les choses légères, le mouvement ad médium,
les choses pesantes, et le mouvement circa médium est celui du corps
céleste ; c'est là l'opinion du Commentateur , liv. IV de la Physique.
Mais il reste encore un doute suivant ce qui a été dit. La superficie
d'un corps contenant étant dite un lieu, comment peut-on dire que le
lieu et la superficie sont diverses espèces de la quantité? Je réponds
en laissant de côté toutes les opinions émises sur ce sujet , que le ca-
ractère propre de la quantité qui lui convient comme telle, c'est celui
de mesure, à raison de quoi Averrhoès dit que les quantités sont des
différences de mesures. Il y a en effet une différence dans la manière
de mesurer extrinsèquement et intrinsèquement , et par conséquent
l'extrémité du contenant en tant que mesure extrinsèque du conte-
nant, s'appelle superficie, et comme mesure extrinsèque du contenu
et du localisé , c'est le lieu. En conséquence , la superficie et le lieu,
sphœra non sit in loco. Ad primum dicen-
dum, quod accidit orbibus inferioribus,
quod sint in loco , nec est de necessitate
eorum, cum non indigeant conservante ,
ut dixit Avempace, propter quod dicuntur
œquivoce orbes inferiores esse in loco , et
elementa, quia orbes inferiores solum di-
cuntur esse in loco, quia sunt in aliquo ex-
teriori continente. Elementa autem et ele-
mentata sunt in loco tanquam in conti-
nente et conservante. Ad secundum patet
solutio ; quia motus non dicitur localis, eo
solum quod fit in loco , sed etiam dicitur
motus localis, eo quod est circa locum.
Propter quod dicit Philosopbus , I Cœli et
Mundi, quod motus localis est triplex, sci-
licet a medio , ad médium et circa mé-
dium. Motus a medio est levium , motus
ad médium est gravium, motus circa mé-
dium est corporis cœlestis, et haec est in-
tentio Commentatoris IV Phys. Sed juxta
haec quœ dicta sunt, remanet unum du-
bium. Cum superficies corporis continentis
dicatur locus, quomodo locus et superficies
dicantur esse diverses species quantitatis.
Respondeo omissis omnibus aliis opinioni-
bus, quee sunt circa hoc, dicendum est,
quod propria ratio quantitatis, quœ com-
petit quantitati, ut quantitas est, ratio est
mensurœ, propter quod dicit Averrhoès,
quod quantitates sunt differentias mensu-
rarum. Alia est enim ratio mensurandi ali-
quid extrinsece, et intrinsece, et ideo ulti-
mum continentis, ut mensura est continen-
tis intrinseca, dicitur superficies, ut autera
mensura contenti et locati extrinseca , est
locus. Et ideo superficies et locus licet sint
unum materialiter quantum ad id quod quod
380 opuscule lu.
quoique matériellement la même chose relativement à ce qui est
l'extrémité du contenant, sont néanmoins des espèces diverses consti-
tuées par diverses conditions formelles. Nous n'en dirons pas davan-
tage sur ce qui concerne le lieu.
Fin de V Opuscule sur la nature du lieu.
L'abbé VEDRINE.
OPUSCULE LU.
Du MÊME AUTEUR, SUR L'INTELLECT ET L'INTELLIGIBLE.
Il faut savoir qu'il est de la nature de l'intellection d'être concevant
et conçu. Or ce qui est conçu par soi n'est pas cette chose dont la con-
noissance s'acquiert par l'intellect , puisque cette chose n'est quel-
quefois conçue qu'en puissance, et se trouve hors de celui qui conçoit,
comme lorsque l'homme conçoit les choses naturelles , la pierre ou
l'animal ou quelque chose de semblable ; comme néanmoins il faut
que l'intellect soit dans celui qui conçoit et ne fasse qu'un avec lui,
ce qui est conçu n'est pas pour cela par soi pas plus que l'image de la
chose conçue qui informe l'intellect pour l'intellection. En effet , l'in-
tellect ne peut concevoir qu'en tant qu'il est mis en acte par cette si-
militude, de même qu'il ne peut faire rien autre chose suivant qu'il
est cependant en puissance , mais bien suivant qu'il est mis en acte
Ubet est ultimumcontinentis,tamen divers* I rationes. Et haec de loco dicta sufficiant.
sunt species constitutae per diversas formales j Explicit Opusculum de natura loci.
OPUSCULUM LU.
EJCSDEM DOCTORIS, DE 1NTELLECTU ET 1NTELLIG1BILI.
Sciendum, quod de ratione ejus quod
est intelligere , est quod sit intelligens, et
intellectum. Id autem quod est per se in-
tellectum non est res illa, cujus notitia per
intellectum habetur, cum illa sit intellecta
quandoque in potentia tantum, et sit extra
intelligentem, sicut cum homo intelligit res
naturales, et lapidem, vel animal, vel ali-
quid hujusmodi, cum tamen oporteat quod
intellectum sit in intelligente , et unnm
cum ipso, nec etiam intellectum per se est,
et similitudo rei intellects, per quam in-
formatur intellectus ad intelligendum. In-
tellectus enim non potest intelligere , nisi
secundum quod fit actu per hanc similitu-
dinem, sicut nihil aliud potest operari, se-
cundum quod est tantum in potentia; sed
secundum quod fit actu per aliquam for-
sur l'lntellect et l'intelligible. 381
par quelque forme. Cette similitude est donc dans l'intellection, comme
le principe de rintellection , de même que la chaleur est le principe
de la caléfaction , mais non comme le terme de l'intellection. Donc ce
que l'intellect conçoit en lui-même de la chose conçue est conçu pri-
mairement et par soi, soit que ce soit une définition ou une énoncia-
tion , suivant que l'on suppose deux opérations de l'intellect, comme
il est dit dans le IIIe liv. de l'Ame JCe qui est ainsi conçu par l'intellect
s'appelle verbe intérieur , car c'est ce qui est signifié par la voix. Car
la parole extérieure ne signifie pas l'intellect même, ou sa forme in-
telligible , ou l'intellection , mais bien le concept de l'intellect par le
moyen duquel il signifie une chose, comme lorsque je dis homme,
ou l'homme est un animal , et quant à cela que l'intellect se conçoive
lui-même ou qu'il conçoive une chose étrangère à lui, il n'y a pas de
différence. En effet, de même que lorsqu'il conçoit une chose étran-
gère à lui , il ne forme que le concept de la chose qu'il manifeste par
la voix ; de même aussi lorsqu'il se conçoit lui-même il forme son
propre concept qu'il peut aussi exprimer par la voix. De même dans
notre intellect autre chose est de concevoir et d'être conçu, c'est
pourquoi le verbe conçu dans notre intellect ne lui est pas uni en na-
ture, mais seulement dans celui qui conçoit. Il faut savoir que dans
la nature intellectuelle il n'y a que deux opérations , savoir concevoir
et vouloir. Or il se trouve quelque chose procédant suivant chacune
de ces opérations lorsqu'ellessont parfaites par l'intellect. L'intellection,
en effet , n'est autre chose que la production intellectuelle dans l'es-
prit de celui qui comprend et conçoit d'une chose qui s'appelle verbe.
Car avant qu'une conception ne se soit établie dans notre ame, on ne
dit pas que nous concevons une chose , mais plutôt que nous la con-
noissons en la percevant : Le vouloir se parfait aussi dans l'amant par
raara, Haec igitur similitude» se habet in
intelligeudo, sicut iutelligendi principium,
ut calor est principium calefactionis , non
sicut intelligendi terminus. Hoc est igitur
primo et per se intellectum, quod intellec-
tus in seipso concipit de re intellecta, sive
illud sit difhnitio , sive aliqua enuntiatio ,
secundum quod ponuntur duae operationes
intellectus, ut dicitur in III De anima. Hoc
autem sic ab intellectu conceptum dicitur
verbum interius : hoc enim est quod si-
gnificatur per vocem. Non enim vox ex-
terior significat ipsum intellectum , aut
forrnam ipsius intelligibilem , aut ipsum
intelligere, sed conceptum intellectus, quo
mediante significat rem , cum dico , homo
vel homo est animal , et quantum ad hoc
non differt utrum intellectus intelligit se
vel alia a se. Sicut eiùm cum intelligit
aliud a se, format sui conceptum illius rei
quam voce significat ; ita cum intelligit
seipsum, format sui conceptum quem etiam
voce potest exprimere. Item, in intellectu
nostro aliud est esse intellectum , et ideo
verbum conceptum in intellectu nostro,
non unitur ei natura, sed solum in intelli-
gente. Sciendum quod in natura intellec-
tuali sunt duae solum operationes, scilicet
intelligere et velle ; secundum autem
utramque harum invenitur aliquid proce-
de.ns, cum hae operationes perficiuntur per
ipsum. Ipsum enim intelligere non est
aliud nisi aliquid in mente intelligentis et
concipiontis , intelligatur et concipiatur,
quod dicitur verbum. Non enim dicimur
intelligere , sed cognoscere potius aliqui
intelligendo, antequam conceptio aliqua in
mente nostra stabiliatur ; ipsum etiam
382 opuscule m.
la volonté précédente , puisque l'amour n'est autre chose que la sta-
bilité de la volonté dans le bien voulu. Nous recevons donc la connois-
sance intellectuelle des choses extérieures, et par notre volonté nous
tendons à quelque chose d'extérieur comme à une fin : en conséquence
notre intellection s'opère eu égard au mouvement des choses à l'ame
ou de l'ame aux choses. Il faut observer que dans l'intellection l'in-
tellect peut se rapporter à quatre choses; savoir à] la chose qui est
conçue, secondement à l'espèce intelligible qui met l'intellect en acte,
troisièmement à son intellection , quatrièmement aux conceptions de
l'intellect, laquelle conception diffère des trois choses dont nous
venons de parler , d'abord de la chose conçue , parce que la chose
concue_se trouve quelquefois hors de l'intellect, tandis que la con-
ception de l'intellect n'existe que dans l'intellect, et puis la conception
de l'intellect se rapporte à la chose conçue comme à une fin. Car l'in-
tellect forme en lui la conception d'une chose, pour connoître la chose
conçue. La conception diffère aussi de Fespèce intelligible ; car l'es-
pèce intelligible qui met l'intellect en acte est considérée comme le
principe de l'action de l'intellect, puisque tout agent agiï suivant
qu'il est en acte parle moyen de quelque forme qui doit être le prin-
cipe de l'action. La conception diffère aussi de l'action de l'intellect
qui est de concevoir , parce que la conception est considérée comme
le terme de l'action, et comme quelque chose constitué par lui. En
effet l'intellect forme par son action la définition de la chose, ou même
la proposition affirmative ou négative : or cette conception de l'intel-
lect s'appelle proprement en nous verbe, car c'est ce qui est signifié
par le verbe extérieur. En effet la parole extérieure ne signifie ni l'in-
tellect lui-même, ni l'espèce intelligible, ni l'acte de l'intellect, mais
velle perficitur ab amante per voluntatem
praecedentem , cum amor nihil aliud sit
quam stabilimentum volimtatis in bono
volito. Nos igitur cognitionem intellectua-
lem a rébus exterioribus accipimus, et per
■voluntatem nostram in aliquid exterius
tendimus tanquam in finem; et ideo intel-
ligere nostrum est secundum moturn a
rébus ad animam , velle autem secundum
motum ab anima ad res. Notandum quod
intellectus intelligendo ad quatuor potest
habere ordinem , scilicet ad rem qute in-
telligitur; secundo, ad speciem intelligi-
bilem qua fit intellectus in actu ; tertio,
ad suum intelligere ; quarto , ad concep-
tiones mtellectus, quae quidem conceptio a
tribus praediciis differt, a re quidem intel-
lecta, quia res intellecta est interdum extra
intellectum , conceptio autem intellectus
non nisi in intellectu ; et iterum concep-
tio intellectus ordinatur ad rem intellec-
tam sicut ad finem. Ipse enim intellectus
conceptionem rei in se format, ut rem in-
tellectam cognoscat. Differt etiam concep-
tio a specie intelligibili ; nam species in-
telligibilis qua fit intellectus in actu, con-
sideratur ut principium actionis intellectus,
cum omne agens agat secundum quod est
in actu per aliquam formam, quam opor-
tet esse actionis principium. Difîèrt etiam
conceptio ab actione intellectus quae est
intelligere, quia prsedicta conceptio consi-
deratur ut terminus actionis, et quasi qui-
dam per ipsum constitutum. Intellectus
enim suà actione format rei diffinitionem,
vel etiam propositionem affirmativam seu
negativam ; haec autem conceptio intellec-
tus in nobis proprie dicitur verburn, hoc
enim est quod verbo exteriori significatur.
Yox enim exterior neque significat ipsum
intellectum, neque speciem intelligibilem,
neque actum intellectus, sed conceptionem,
sur l'intellect et l'intelligible. 383
bien lajconception au moyen de laquelle elle se rapporte h la chose.
Donc celte conception ou verbe par lequel notre intellect conçoit une
chose qui lui est étrangère, provient d'une chose et en représente une
autre : elle vient de l'intellect par son acte, tandis qu'elle est la simi-
litude de la chose conçue le représentant. Lorsque l'intellect se conçoit
lui-même, le verbe ou conception est la propagation ou similitude de
ce même intellect se concevant lui-même. Et cela arrive parce que
l'effet est assimilé à sa cause par sa forme , or la forme de l'intellect
est la chose conçue, et conséquemment le verbe qui vient de l'intel-
lect est la similitude de la chose conçue, qu'il soit ou non le même
que l'intellect. Or ce verbe de notre intellect est comme extrinsèque à
l'être de l'intellect lui-même ; car il n'est pas de son essence, mais il
en est comme une passion; il n'est pas néanmoins extrinsèque à l'in-
tellection de l'intellect, puisque l'inteTIëctionnepeutse compléter sans
ce verbe. Il faut savoir que l'intellect possède en lui le verbe suivant
l'intelligence intérieure et s'appelle intelligence intérieure qui appar-
tièTTtlU'ame en soi, en tant qu'elle est quelque chose de subsistant;
maisiî ne le possède pas toujours suivant l'intelligence extérieure, et
il s'appelle intelligence extérieure suivant la connoissance extérieure.
Celle-ci appartient proprement à l'homme à raison de ce qu'il em-
brasse par la pensée les fantômes mêmes, qui sont intelligibles en
jouissance , et de cette manière l'intellecTa toujours on lui le verBe
informe ; or le verbe ne se forme pas toujours. Le verbe est. dit in-
forme à cause de la connoissance indistincte et confuse , et aussi parce
qu'il n'est pas extérieurement manifesté par une connoissance exté-
rieure : mais l'homme ne s'aperçoit pas que l'intellect ait toujours en
soi le verbe informe , d'abord à raison de son extmnéité à l'égard de
l^J
qua mediante refertur ad rem. Hujusmodi
igitur conceptio sive verbum, quando in-
tellectus noster intelligit rem aliam a se ,
ab alio exoritur, et aliud représentât ; ori-
tur quidem ab intellectu per suum actum ,
est vero similitudo rei intellects ipsum re-
prœsentans. Cum vero intellectus seipsum
intelligit, verbum prœdictum, sive concep-
tio ejusdem est propagatio et similitudo,
scilicet intellectus seipsum intelligentis; et
hoc ideo contingit, quia effectus similatur
causœ per suam formam, forma autem in-
tellectus est res intellecta, et ideo verbum
quod exoritur ab intellectu, est similitudo
rei intellects, sive sit idem quod intellec-
tus, sive sit aliud. Hujusmodi autem ver-
bum nostri intellectus est quasi extrinse-
cum ab esse ipsius intellectus; non enim
est de essentia ejus, sed est quasi quaedam
passio ipsius, non tamen est extrinseca ab
ipso intelligere intellectus, cum ipsum in-
telligere compleri non possit sine verbo
prsedicto. Sciendum autem quod intellec-
tus semper habet apud se verbum secun-
dum interiorem intelligentiam , et dicitur
interior intelligentia, quae est ipsius animae
secundum se, prout est quid subsistens,
non autem habet illum semper secundum
exteriorem intelligenliam, et dicitur exte-
rior intelligentia secundum exteriorem co-
gnitionem, et ista proprie est hominis se-
cundum quod convertit se cogitando super
ipsa phantasmata, quae sunt potentia intel-
ligibilia, et sic intellectus semper habet
apud se verburn informe, non autem ver-
bum semper formatur. Dicitur autem ver-
bum informe propter indistinctarn et con-
fusara cognitionem. lterum etiam , quia
non est productum ad exteriorem manifes-
tationem per exteriorem cognitionem ;
sed homo non percipit , quod intellectus
habeat semper apud se verbum illud in-
OPUSCULE LU.
l'intellect , secondement à cause de sa profondeur , troisièmement à
cause de sa subtilité et cela du côte de Famé, il n'en est pas de même
du côté du corps , parce que l'âme opprimée par une masse de chair
ne perçoit point cela, et parce qu'elle est plongée dans les ténèbres
des choses matérielles. Remarquez qu'il y a trois verbes, le verbe du
cœur ou le verbe intellectuel, le verbe de l'imagination ou imaginable,
le verbe de la bouche ou vocal ; le premier émane, le second dispose,
le troisième opère. Il faut aussi observer que dans les trois parties de
l'image il y a l'ordre de la nature, et l'ordre du temps, de_ sorte : que
la mémoire précède l'intelligence intérieure, comme en étant la cause,
lui offrant ou lui montrant l'espèce qu'elle a , et naturellement cette
faculté précède l'intelligence par la nature et par le temps. De même
l'intelligence intérieure précède naturellement la volonté intérieure :
la raison c'est qu'avant de vouloir concevoir, il faut préconcevoir ce
que c'est que de concevoir, et de cette manière l'intelligence précède
naturellement la volonté, et la mémoire précède l'une et l'autre, et la
volonté intérieure précède l'intelligence extérieure. Il faut savoir que
la puissance intelîective saisit d'abord simplement une chose , et cet
acte s'appelle intelligence. En second lieu elle dispose ce qu'elle saisit
pourconnoitre ou opérer une autre chose, et c'est là l'intention. Tant
qu'elle persiste 'ans la recherche de ce qu'elle a eu vue, on l'appelle
pensée ; lorsqu'elle examine ce qu'elle a pensé pour quelques motifs
de certitude , on appelle cela savoir , être sage , ce qui appartient à la
phrénose ou sagesse , car être sage c'est juger , comme il est dit dans
le liv. I de la Met. Quand elle a acquis la certitude sur une chose, elle
songe comment elle pourra la manifester aux autres , c'est là la dis-
position du langage intérieur d'où procède le langage extérieur. Il
forme; primo propter extraneitatem sui
ad intellectum ; secundo propter sui pro-
funditatein ; tertio propter sui subtilitatem
et hoc ex parte animée; similiter non ex
parte corporis, quia anima est mole carnis
oppressa, et ideo non percipit hoc : iterum
quia est materialium caligine obscurata.
Notandum etiam quod triplex est verbum,
verbum cordis, sive intellectuale; verbum
imaginationis, sive imaginabiliter ; verbum
oris, sive vocale , primum est manans , se-
cundum disponens , tertium operans. No-
tandum etiam , quod in tribus partibus
imaginis est ordo naturae, et ordo temporis,
ita quod memoria prœcedit intelligentiam
interiorem, prout est gignitiva ipsius, offe-
rens vel osteiulens ei speciem quam habet,
et hœc naturaliter pruicedit intelligentiam,
et natura, el tempore. Item, intelligentia
interior preecedit naturaliter voluntatem
interiorem; et ratio est, quia oportet an-
tequam aliquis velit intelligere, quod prse-
concipiat quid est intelligere , et sic intel-
ligentia naturaliter prœcedit voluntatem ,
memoria vero utramque , voluntas autem
interior praecedit intelligentiam exterio-
rem. Sciendum quod potentia intellectiva
primo simpliciter aliquid apprehendit , et
hic actus dicitur intelligentia ; secundo
vero id quod apprehendit, ordinat ad ali-
quid aliud cognoscendum vel operandum ,
et hœc vocatur intentio. Dum vero persistit
in inquisitione illius quod intenditur , vo-
catur excogitatio; dum vero id quod est
excogitatum examinât ob aliqua certa, di-
citur scire vel sapere , quod est phrenosis,
id est sapientiae , quia sapere est judicare,
ut dicitur in l Metaph. Ex quo autem ha-
bet aliquid pro certo examinatum, cogitât
quomodo possit illud aliis manifestare , et
hoc est dispositio interioris sermonis , ex
qua procedit interior locutio. Sciendum,
sur l'intellect et l'intelligible. 385
faut savoir que comme, suivant l'action qui tend à la matière exté-
rieure, il y a unejjrocession ad extra , de même , suivant l'action qui
reste dans J'afiëntTïl y a une procession ad intra, et cela se voit sur-
tout dans l'intellect dont l'action, c'est-à-dire l'intellection reste dans
l'agent. En effet, celui qui conçoit , par là même qu'il conçoit, jjto-
cède vers quelque chose au dedans de lui-même qui esl la conception
de la chose conçue procédant de sa connoissance , laquelle conception
est signifiée par la voix et s'appelle verbe du cœur marqué par le verbe
de la voix. Il faut savoir aussi que l'intellect , en tant qu'il est en acte
par le moyen de l'espèce intelligible , se considère d'une manière ab-
solue : il en est de même de l'intellection qui est à l'intellect, comme
l'être en puissance est à l'être en acte. Car concevoir ne dénomme pas
l'actionpar l'être intelligent s'éloignant, mais dans l'intellect, ou l'être
intelligent restant. Lors donc que l'on dit que le verbe est une con-
noissance, on ne prend pas le mot connoissance pour l'acte de l'in-
tellect qui connoît, ou pour quelqu'une de ses habitudes , mais pour
ce que conçoit l'intellect en connaissant. Il faut savoir que la différence
qu'il y a entre l'intellect et la volonté, c'est que l'intellect est en acte
par cela que la chose conçue est dans l'intellect suivant son image; la
volonté au contraire est mise en acte , non parce que quelque simili-
tude de la chose voulue se trouve dans celui qui veut, mais bien parce
que la volonté a une certaine inclination pour la chose voulue. Or la
procession considérée suivant l'action de la volonté ne l'est pas suivant
la similitude, mais bien suivant la nature de ce qui pousse et meut vers
quelque chose. C'est pourquoi, quoique la similitude tienne à l'amour
comme au verbe , néanmoins elle n'appartient pas à l'amour de la
même manière qu'au verbe. Car elle appartient au verbe en tant que
quod sicut secundum actionem, quae tendit
in exteriorem materiam , est aliqua pro-
cessio ad extra ; ita secundum actionem
quse manet in agente, est quaedam pro-
cessio ad intra , et hoc maxime patet in
intellectu , cujus actio , scilicet întelligere
manet in agente. Quicumque enim intelli-
git, ex hoc ipso quod intelligit, procéda ad
aliquid intra ipsum, quod est conceptio rei
intellects ex ejus notitia procédons, quam
quidem conceptionem vox signiricat, et di-
citur verbum cordis signatum verbo vocis.
Sciendum, quod intellectus secundum quod
est in actu per speciem intelligibilem ,
consideratur absolute ; et similiter intelli-
gere, quod ita se habet ad intellectum, si-
cut ens in poteutia ad ens in actu. Non
enim intelligere actionem nominat ab in-
telligente exeunte, sed in intellectu , sive
intelligente manente. Cuin ergo dicitur,
V.
quod verbum est notitia, non accipitur no-
titia pro actu intellectus cognoscentis , vel
pro aliquo ejus habitu, sed pro eo quod
intellectus concipit cognoscendo. Scien-
dum, quod haec est difïerentia inter intel-
lectum et voluntatem, quod intellectus sit
in actu per hoc quod res intellecta est in
intellectu secundum suam similitudinem;
voluntas fit in actu non per hoc quod ali-
qua similitudo voliti sit in volente , sed ex
hoc quod voluntas habet quamdam incli-
nationem ad rem volitam. Processio au-
tem quie attenditur secundum actionem
voluntatis, non consideratur secundum si-
militudinis, sed magis seenndum rationem
impellentis et moventis in aliquid. Unde
quamvis similitudo sit de ratione amoris,
sicut de ratione verbi, tamen aliter perti-
net ad verbum et ad amorcm. Nam ad
verbum pertinet in quantum ipsum est
25
386 OPUSCULE XXIII.
celui-ci est une certaine similitude de la chose conçue , comme l'être
engendré est l'image de celui qui l'a engendré. Mais elle appartient à
l'amour , non que l'amour soit une similitude , mais en tant que la si-
militude est le principe de l'amour. De même, comme l'être suit la
forme, de mèmé'aussi l'intellection suit l'espèce intelligible. Il faut
savoir que lorsqu'on dit que l'intellect est en acte il se trouve deux
choses importantes, savoir la chose qui conçoit, et être conçu. Donc
la nature qui se trouve être conçue n'existe que dans les singuliers,
mais ce qui est être conçu se trouve dans l'intellect, il faut savoir que
l'intellect et la raison diffèrent quant au mode de connoître, en ce que
l'intellect connoît par une simple intuition, et la raison en passant
d'une chose à une autre. Néanmoins la raison parvient à connoître
par le discours ce que l'intellect connoît sans cela , c'est-à-dire l'uni-
versel. Le Philosophe dit dans le livre I de la Métaphysique que les
choses les plus universelles sont difficiles à connoître aux hommes, ce
qui est contraire à ce qui a été dit dans le Ier livre de la Physique, que
les choses confuses sont plus connues par rapport à nous, telles que
sont les choses universelles. A cela il faut dire que les choses plus uni-
verselles sont d'abord connues suivant la simple appréhension ; car
c'est d'abord l'être qui tombe dans l'intellect, comme dit Avicenne,
et animal tombe plutôt dans l'intellect qu'homme. De même clans la
génération de la science l'animal est conçu dans l'intellect avant
l'homme; mais quant à l'investigation des propriétés universelles et
des causes , les choses moins communes sont connues les premières
par la raison que nous arrivons aux causes universelles par le moyen
des causes particulières , qui sont d'un seul genre ou d'une seule es-
pèce. Or les choses qui sont universelles dans la génération des causes
quaedam similitudo rei intellectae, sicut ge-
nitum est similitudo generantis. Sed ad
amorem pertinet, non quod ipse amor sit
similitudo, sed in quantum similitudo est
principium amandi. Item, sicut esse con-
sequitur formam , ita intelligere conse-
quitur speciem intelligibilem. Sciendum,
quod cum dicitur intelleetum in actu exis-
tere duo importantia , scilicet res quae in-
telligit , et hoc ipsum quod est intelligi.
Ipsa igitur natura cui accedit intelligi, non
est nisi in singularibus, sed hoc ipsum quod
est intelligi, est in intellectu. Sciendum ,
quod intellectus et ratio in hoc differunt
quantum ad modum cognoscendi, quia sci-
licet intellectus cognoscit simplici intuitu,
ratio vero discurrendo de uno ad aliud.
Sed tamen ratio per discursum pervenit
ad cognoscendum illud quod intellectus
sine discursu cognoscit, scilicet universa-
lem. Sciendum , quod Philosophus dicit
I Metaph., quod difïicilia sunt hominibus
ad cognoscendum, quae sunt maxime uni-
versalia , quod est contra illud , quod dic-
tum est in I Physic, quod confusa sunt
magis nota quoad nos, qualia sunt univer-
salia. Ad quod dicendum, quod magis uni-
versalia, secundum simplicem apprehen-
sionem sunt primo nota; nam primo in
intellectu cadit ens , ut dicit Avicenna, et
prius intellectu cadit animal quam homo.
Ita et in generatione scientiae prius in in-
tellectu concipitur animal, quam homo;
sed quantum ad investigationem universa-
lium proprietatum et causarum , prius
sunt nota minus communia , eo quod per
causas particulares quae sunt unius gene-
ris vel speciei, pervenimus in causas uni-
versales. Ea autem quae sunt universalia in
causando, sunt posterius nota quoad nos,
sur l'intellect et l'intelligible. 387
sont connues postérieurement par rapporta nous, quoique elles soient
connues antérieurement suivant la nature , quoique les choses univer-
selles par le moyen de la prédication soient en quelque sorte connues
par rapport à nous avant les moins universelles, mais non avant les
singulières. Car la connoissance du sens, qui appartient aux choses
singulières, précède en nous la cognition intellective , qui appartient
aux universelles. Il faut donc s'appuyer sur ce qu'Aristote ne dit pas
que les choses les plus universelles sont simplement les plus difficiles,
mais presque les plus difficiles. En effet, parce qu'il dit les plus univer-
selles , on comprend les choses qui sont universelles par essence , ou
celles qui sont totalement séparées de la matière suivant l'être, comme
les substances immatérielles. Celles-ci, en effet, sont plus difficiles à
connoître pour nous-mêmes que les choses les plus universelles suivant
la prédication.
Fin du cinquante-deuxième Opuscule de saint Thomas d'Aquin sur
l'intellect et V intelligible. ,
L'abbé VÉDRINE.
:\
licet sint prius nota secundum naturam,
quamvis universalia per prsedicationem
sint aliquo modo prius nota quoad nos,
quam minus universalia, sed non prius
nota quam singularia. Nam cognitio sensus,
quge est singularium , in nobis prœcedit
cognitionem intellectivam , quae est uni-
versalium. Facienda est autem vis in hoc
quod dicit maxime universalia non sim-
pliciter esse difficillima, sed fere. Per hoc
enim quod dicit maxime universalia, intel-
liguntur, quœ sunt universalia per essen-
tiam, vel sunt illa quae sunt penitus a ma-
teria separata secundum esse, sicut sub-
stantiae immateriales. Istae enim sunt ma-
gis difficiles ad cognoscendum nobis, quam
etiam universalissima quaecumque secun-
dum prsedicationem.
Explicit Opusculum quinquagesimum se-
cundum de intellectu et intelligibili, se-
cundum S. Thomam Aquinatem.
388
OPUSCULE LUI.
OPUSCULE LUI.
DU MÊME DOCTEUR, DE QUO EST ET QUOD EST.
Dans toutes les choses où il y a composition de matière et de forme,
il y a composition ex quo et quodest. Dire quod c'est dans la matière,
parce que quod est dit un suppôt ayant l'être ; mais la matière n'a pas
l'être , mais ce qui est composé de matière et de forme dans de tels
composés. Quo est peut se dire de trois manières , de la forme même
qui donne l'être à la matière ; il peut aussi être dit le mode d'être quo
est; la nature même qui reste de l'union de la forme avec la matière,
comme l'humanité, principalement suivant ceux qui supposent que
la forme , qui est le tout , est la quiddité et non la forme de la partie,
au nombre desquels est Avicenne. Comme à raison de la quantité de
l'essence elle est composée ou suivant une composition , il pourra se
trouver et être conçue une quiddité simple ne suivant pas la compo-
sition de la forme et de la matière. Or si nous trouvons quelque
quiddité qui ne soit pas composée de matière et de forme, cette
quiddité est ou l'être ou le non-être. Si elle est l'être, comme l'es-
sence divine qui est son être, elle e^t la plus simple de toutes ; si elle
n'est pas l'être , il faut qu'elle tienne son être d'une autre chose ,
telle est toute quiddité créée. Et comme cette quiddité n'est pas des-
tinée à subsister dans la matière , elle n'acquiert pas l'être daus une
OPUSCULUM LUI.
EJCSDEM DOCTORIS , DE QUO EST ET QUOD EST.
In omnibus, in quibus est compositio ex
materia et forma, est compositio ex quo,
et quod est. Dicere autern quod est in ma-
teria, quia quod dicitur suppositum ha-
bens esse , materia autem non hahet esse,
sed compositum ex materia , et forma in
talibus compositis. Quo est, potest dici tri-
pliciter, potest enim quo est dici ipsa for-
ma, quee dat esse materiae ; potest etiam
dici ipse modus essendi quo est , ipsa na-
tura quae relinquitur ex conjunctione for-
mae cum materia, ut humanitas praecipue
secundum ponentes, quod forma quae est
totum, est quidditas, non autem forma par-
tis, de quibus est Avicenna. Cum autem
ratione quantitatis essentiae cum sit com-
posite, vel compositionem sequens, poterit
inveniri et intelligi quidditas aliqua sim-
plex non consequens compositionem formae
et materiae. Si autem invenimus aliquam
quidditatem , quae non sit composita ex
materia et forma, illa quidditas aut est esse
aut non esse. Si est esse, sic est essentia di-
vina, qu;e est suum esse, est omnium sim-
ple ; si non est esse, oportet quod habeat
suum esse acquisitum ab alio , et sic est
omnis quidditas creata. Et quia quidditas
posita est non suhsistere in materia, non
DE QUO EST ET QUOD EST. 389
autre, comme pour les quiddités composées, elle acquiert l'être en
soi , et la quiddité sera ce qui est son être et quo est. Et comme tout
ce qui a quelque chose n'est pas possible à se , par rapport à cette
quiddité tenant l'être d'un autre , ces choses seront possibles par rap-
port à cet être et par rapport à l'être donl elles le tiennent , en qui il
n'y a nulle puissance semblable ; de cette manière , dans cette quid-
dité se trouve la puissance et l'acte , suivant quoi la quiddité est pos-
sible , et son être est la combinaison de la puissance et de l'acte , de
quo est et quod est. C'est pourquoi l'ange ou l'ame peuvent être appelés
quiddités ou nature , ou forme simple , en tant que leur quiddité
n'est pas composée de diverses choses , et qu'ils réunissent la combi-
naison de ces deux choses , la quiddité et l'être.
Cet Opuscule n'est pas termine', et il est fortement altéré , par la
faute sans doute des éditeurs qui l'ont imprimé en Allemagne ; pour
ne pas porter atteinte à V ordre de l'ouvrage, nous l'insérons ici tel
que nous l'avons trouvé, n'ayant pu nous procurer un exemplaire
moins imparfait que celui-ci.
Fin de l'Opuscule cinquante-quatrième de quo est et quod est.
L'abbé VÉDRINE.
Le saint Docteur avoit écrit sur les Universaux. A-t-il composé un ou
plusieurs Opuscules? C'est ce que nous ne pouvons décider. Il ne seroit
pas étonnant en effet que , sur la demande des étudiants , il en eût
écrit un certain nombre sur cette matière , puisqu'on en trouve plu-
sieurs de lui sur le sujet du verbe.
acquiritur ei esse in altero , sicut quiddi-
tatibus compositis, imo acquiritur ei esse
in se, et ipsa quidditas erit hoc quod est
suum esse et quo est ; et quia omne quod
habet aliquid non a se est possibile . res-
pectu iliius hujusmodi quidditatis, cum ha-
beant esse ab alio, erunt possibiles respec-
tu iliius esse, et respectu ejus a quo habent,
in quo nulla eadem potentia, et ita in tali
quidditate invenitur potentia, et actus se-
cundum quod ipsa quidditas est possibilis,
et est esse ejus compositio potentiae et ac-
tus, de quo est, et quod est, unde angélus
vel anima potest dici quidditas, vel natura,
vel forma simplex , in quantum eorum
quidditas non componitur ex diversis, cum
advenit ei compositio horum duorum, sci-
licet quidditas et esse.
Nota quod hoc Opusculum est imper fec-
tum et valde corruptum, ut puto vitio im-
prcssorum, qui illud in Alemania impres-
serunt, ne autem ordo totius libri destitue-
retur, ipsum etiam prout illud invenimus,
reliquimus, quia nullibi inveniebatur aliî
copia , qua melius emendari potuisset.
Explicit Opusculum quinquagesimum
tertium, De quo est et quod est.
Et sciendum Doctorem sanctum scripsisse
de uuiversalibus. Utrum tamen unum aut
plura de eis scripserit opuscula, sub dubio
relinquimus. Nec mirum si diversis studen-
tibus ad eorum petitionem diversa sub ea-
dem materia conscripsit opuscula, cum
plura etiam super materia de verbo inve-
niuntur S. Thomae opéra.
390
OPUSCULE LIV.
OPUSCULE LIV.
DU MÊME DOCTEUR, SUR LES UNIVERSAUX.
L'opinion des philosophes est différente sur les universaux. Quel-
ques-uns , comme les Epicuriens , n'admettant pas qu'il n'y a de
distinction que suivant le sens , et disant que la volupté est le souve-
rain bien.., affirmoient que ce qui se voit et se sent n'est rien , d'où ils
disoient qu'il n'y a rien d'universel. Ils enseignoient aussi que l'ame
est une sorte de corps subtil et périt avec le corps. Comme cette opi-
nion est évidemment improbable et .contraire au bon sens et à toute
raison , il n'est pas nécessaire de la réfuter; aussi a-t-on appelé pour-
ceaux les philosophes qui soutenoient une semblable opinion. Néan-
moins on pourroit ainsi raisonner contre eftx : Tous les hommes
o^irjenUîirtiH^^ comme l'enseigne Aristote, livre Ier de
la Métaphysique; mais un tel désir n'est pas faux, on peut donc
acquérir la science ; mais toute science appartient aux universaux ;
donc il y a des universaux. La mineure se prouve ainsi : ce qui est
infini ne peut être connu , autrement ce seroit fini ; mais les singu-
liers sont infinis, donc il n'y a pas de science des singuliers , et par
conséquent il n'y en a que des universaux. D'autres admettant les uni-
versaux , tombent dans de nombreux inconvénients , et ces philo-
sophes ne s'accordent pas , parce que quelques-uns ont prétendu que
OPUSCULUM LIV.
EJCSDEM DOCTOR13, TRACTATUS FRIMUS DE TNIVERSALIBUS.
Circa universalia multiplex fuit, et di-
versorum Philosophorum opinio. Quidam
enim , sicut Epicuraei , non ponentes dis-
tinctionem esse nisi secundum sensum, di-
centes summum bonum esse voluptatem,
posuerunt nihil esse quod sentitur et vide-
tur, unde dicebant quod nihil est univer-
sale. Dicebant etiam animam esse quod-
dam corpus subtile , et perire cum corpore.
Horum autem opinio, quia improbabilis
est manifeste, et contra sensum, et intel-
lectum omnem, non est necessarium eam
refellere , et ideo Philosophi taies qui sic
posuerunt, appellaverunt porcos. Sed con-
tra eos posset sic argui : Omnes homines
natura scire desiderant, ut vult Philoso-
phus, I Metapk.j sed taie desiderium non
est frustra ; contingit ergo habere scien-
tiam; sed omnis scientia est universalium,
ergo universalia sunt. Minor sic ostendi-
tur : Quse sunt infiuita non possunt sciri,
alioquin essent finita ; sed singularia sunt
inflnita, ergo ipsorum non est scientia , et
per consequens universalium. Alii autem
ponentes universalia, incidunt in multa
inconvenientia , et isti sunt diversi , que—
niam quidam posuerunt ea esse et subsis-
tera prœter singularia et praeter intellec-
PREMIER TRAITÉ SUR LES UNIVERSAUX. 391
les uoiversaux existoient et subsistaient en dehors des singuliers et de
l^ëîlëct ; tels furentTès Platoniciens qui avoient Platon pour chef.
Ce philosophe voyant qu'il s'opéroit dans les choses une grande et
continuelle transformation et corruption, fut amené à dire que les
universaux existoient par eux-mêmes et étoient incorruptibles; il les
appeloit idées, lesquelles idées ils regardèrent comme les causes
exemplaires et effectives des singuliers , Aristote anéantit cette opi-
nion dans le livre VII de la Métaphysique. C'est pourquoi il dit par
dérision contre Platon, dans le livre Posteriorum, que les genres et les
es^èœsjejréjouissent, ce sont des monstres. [Etablissons donc l'argu-
ment u'Âvicenne contre lui. L'universel que nous avons en vue s&dit.
de tous les inférieurs dont chacun est lui-même. Or l'universel que
Platon supposoit séparé, ne se dit pas de ses individus, et aucun
d'eux n'est lui. Donc , ou il ne faut pas admettre d'universel, ou il ne
faut pa_s le dire séparé, comme faisoit Platon. En conséquence il s'en
est trouvé d'autres qui ont prétendu que les universaux n'étoient que
dans l'intellect , ce qui est entièrement opposé à l'opinion de Platon,
et ceux-ci ne s'accordent pas non plus. Quelques-uns d'entre eux ont
prétendu que les universaux nous étoient innés et qu'ils étoient con-
crets, et que les universaux ne s'effectuoient pas par l'épuration et
l'abstraction de l'action intellectuelle , ils s'appuient sur ce que dit
Aristote dans le livre II de l'Ame , que nous concevons lorsque QOUI
voulons , ce qu'il n'eut pas dit si les universaux ne nous étoient pas
innés et se présentoient toujours actuellement à Y ame.j Aristote est
entièrement opposé à ce qu'ils allèguent pour leur défense. Car il d\t
formellement sur la fin du livre II Posteriorum , que l'universel ve~
naiav sensus par le moyen delà mémoire et de l'expérience, êtlë
Commentateur_d.it à leur encontre dans le prologue de l'Ame , que
tum, et isti fuerunt platonici, quorum ca-
put fuit Plato. Hic siquidem videns ma-
gnam et contiuuam transmutationem et
corruptionera fieri in rébus ipsis , inductus
fuit ponere universalia stare per se, et in-
corruptibilia esse, quae vocabat ideas, quas
quidem dixerunt esse causas exemplares
et effectivas istorum singularium. Hanc
autem opinionem in VII Metaph., et mul-
tis aliis locis destruit Philosophus. Unde
dicit contra Platonem deridendo eum in
libro Poster. Gaudeant gênera et species,
monstra enim sunt. Sumamus autem ne-
cessarium argumentum, quod format Avi-
cenna contra eum sic. Universale quod in-
tendimus, praedicatur de omnibus inferio-
ribus , quorum unumquodque est ipsum ;
taie autem universale quod Plato ponebat
separatum, non praedicatur de suis indivi-
duis, uec aliquod ipsorum est ipsum, ergo
aut non est ponere universale, aut non est
sic ponere separalum, sicut Plato ponebat.
Et ideo fuerunt aliqui qui posuerunt uni-
versalia solum esse in intellectu, totum op-
positum positioni Platonis, et adhuc isti
diversificantur. Nam quidam posuerunt
universalia nobis innata et concreta , et
non fieri universalia per actionem intellec-
tus depurantis et abstrahentis , et fulciunt
positionem suam per dictum Philosophi, in
II De anima, ubi dicit, quod iutelligimus
eum volumus, quod non esset dictum, nisi
ipsa nobis universalia innata esset, et sem-
per actu praesentarent ipsi animae. Contra
quod est etiam Philosophus, per quem pu-
tant se defendere. Dicit enim ipse in fine
II Poster., quod universale venatur sensus
via mémorise et experientiœ , et Commen-
tator super proœmio De anima, dicit contra
eos, quod « intellectus agens facit univer-
392 OPUSCULE LIV.
l'intellect .actif produit l'universalité dans les choses. Ce dont ils pré-
tendent s'étayer doit à coup sûr être entendu dans ce sens , que Aris-
tote a voulu dire qu'il y a en nous un intellect actif par lequel tout
se fait, et qui peut par conséquent quand il veut s'emparer de fan-
tômes, les illuminer et les rendre intelligibles en acte. D'autres de
leur côté ont prétendu que lcsibimes. intellectuelles passent de l'in-
tellect actif dans notre esprit. Ils affirmoient que l'intellect actif n'est
pas en nous, mais bien hors de nous, et ils disoient que c'étoit un
Dieu ou une intelligence. Aristote lesjéfute sur ces deux points dans
le Ijy^Uyj^deJL\me. Il dit, ""en effet, que cet intellect est dans notre
ame, il dit aussi que c'est la lumière qui rend intelligibles en acte les
fantômes intelligibles en puissance, de même que la lumière rend
visibles en acte les couleurs visibles en puissance ; c'est ainsi qu'il y
a eu diverses erreurs sur les universaux. Après tout c'est le sentiment
d' Aristote qui est le vrai, savoir que l'universel se trouve dans la plu-
ralité, qu'il est un en dehors de la multitude; par ces mots on touche
au douille être de l'universel, l'un en tant qu'il est' dans les choses ,
l'autre suivant qu'il est dans l'ame. Quant à l'être de raison , il a la
nature île prédicable; quant à l'autre être, c'est une certaine nature,
et il n'est pas universel en acte, mais bien en puissance, parce que la
puissance a la vertu de rendre une telle nature universelle par l'ac-
tion de l'intellect, et c'est pour cela que Boëce appelle universel ce que
l'on conçoit et singulier ce que l'on sent , parce que cette même na-
ture qui étoit singulière et qui est individuée par la matière dans
chaque homme , devient ensuite universelle par l'action de l'intellect
qui les dégage des conditions qui existent Mç et mine , ce qui fait
qu'elle reçoit de l'intellect lui-même le caractère d'universelle et de
salitatem in rébus ipsis. » Dictum autem
quod inducunt pro se , sane est intelligen-
drim, quod ideo hoc Philosophus dicit,
quia in nobis est mtellectus agens quo est
omnia facere , et ideo quando vult potest
se convertere supra phantasmata, et illus-
trare ea, et facere actu intelligibilia. Alii
vero posuerunt, quod formée intellectuales
effluunt in mentera nostram ab intellectu
agente. Ponebant autem intellectum agen-
tem non esse in nobis, sed extra nos, et di-
cebant istum esse Deum , vel aliquam in-
telligentiam. Contra istos est Philosophus,
in III De anima, quantum ad utrumque.
Dicit enim ibi quod in anima nostra est in-
tellectus iste, et dicit etiam quod est lu-
men quod facit phantasmata potentia in-
telligibilia, intelligibilia actu, sicut lumen
facit colores potentia visibiles, visibiles
actu, et sic diversimode erratum est circa
universalia. Sententia tamen Aristotelis
vera est , scilicet quod universale est in
multis, et unum prœter multa, et tangitur
in hoc duplex esse universalis, unum se-
cundum quod est in rébus, aliud seenn-
dum quod est in anima. Et quantum ad
istud esse quod est rationis, habet ratio-
nem praedicabilis ; quantum vero ad aliud
esse, est qusedam natura , et non est uni-
versale actu, sed potentia; quia potentia
habet , ut talis natura fiât universalis per
actionem intellectus, et ideo dicit Boetius
universale dum intelligitur, singulare dum
sentitur, quia una et eadem natura , quae
singularis erat, et individualur per mate-
riam in singularibus hominibus, efficitur
postea universalis per actionem intellectus
deputantis ipsam a conditionibus quae sunt
hic et nunc : unde rationem universalis et
praedicabilis accipit ab ipso intellectu , ut
PREMIER TRAITÉ SUR LES UNIVERSAUX. 393
prédicable, ainsi que nous l'avons dit. Et qujoigu' elle reçoive de Pâme
elle-même le caractère d'universelle, elle n'est pâgjaéanmoins. en. elle
suivant son essence, niais suivant sa similitude et son espèce; c'est ce
quTi'ait dire alïTÏÏilôsophe : « Ce n'es>t pas la pierre qui est dans l'ame,
mais l'espèce de la pierre. »pr cette similitude ou espèce existant dans
l'ame est numériquement une et singulière. Son universalité ne vient
pas de ce qu'elle est dans l'ame , mais de ce qu'elle est comparée
à plusieurs singuliers estimés tels. Leur jugement sur elle est
le même, et il n'y a rien de déraisonnable en cela, parce que de
même qu'une chose peut être genre et espèce sous divers rapports,
de même aussi cette chose peut être universelle , particulière ou sin-
gulière pour des espèces diverses. Elle est effectivement singulière
dans l'intellect seul, et elle est universelle en tant qu'elle a un carac-
tère uniforme à l'égard de tous les individus qui sont hors de l'ame ,
suivant qu'elle est également l'image de tous , amenant à leur con-
noissance , comme on peut le voir dans un exemple. En effet , s'il y
avoit une forme corporelle représentant plusieurs nommes, il est con-
stant que eette forme , ou figure, ou espèce de statue auroit un être
singulier propre suivant qu'il auroit l'être dans la matière; mais elle
auroit le caractère de communauté , en tant qu'elle seroit commune
par la représentation de plusieurs. Quoique l'on ait dit que cette na-
ture , qui est universelle, est numériquement une, il n'est pourtant
pas nécessaire qu'elle soit l'essence unique des espèces diverses dont
elle est le genre , car le genre procède de l'indétermination ou indif-
férence, non pas néanmoins de telle sorte que ce qui est signifié par
le genre soit numériquement une même espèce dans toutes les diffé-
rentes espèces, à laquelle s' ajoutant une chose qui est la différence,
dictum est. Et quamvis ab ipsa anima reci-
piat rationem universalis, tamen non est
in ipsa secundum suam essentiam , sed se-
cundum suam similitudinem et speciem :
unde et Philosophus ait : « Lapis non est
in anima , sed species lapidis. » Haec au-
tem siinilitudo sive species existens in ani-
ma est una numéro , et est singularis.
Ejus autem universalitas non est ex hoc,
quod est in anima, sed ex hoc quod com-
paratur ad multa singularia se habentia
opinata. Eorum igitur judicium quantum
ad ipsam'est idem ; nec hoc est inconve-
niens, quia sicut aliquid diversis respecti-
bus potest esse genuset species, ita aliquid
diversis speciebus potest esse universale et
particulare, sive singulare. Est enim illa
in solo intellectu singularis, et est univer-
salis in quantum habet rationem unifor-
mem ad omnia individua, quae sunt extra
animam , prout aequaliter est similitudo
omnium ducens in omnium cognitionem,
sicut potest apparere in exemplo. Nam si
esset una forma corporalis repraesentans
multos homines, constat quod illa forma,
vel species , vel figura statua? haberet esse
singulare proprium secundum quod haberet
esse in hac materia ; sed haberet rationem
communitatis , secundum quod haberet
com munis per repraesentationem plurium.
Quamvis autem dictum sit quod iila na-
tura quae est universalis, in quantum est
in anima, sit una numéro, non tamen
oporlet quod diversarum specierum , qua-
rum est idem genus, sit una essentia, quia
unitas generis ex ipsa indeterminatione
procedit, vel indifferentia , non autem ita
quod id quod significatur per genus , sit
una essentia numéro in omnibus specie-
bus vel diversis, cui superveniens res aliqua
quœ est differentia, determinet ipsam, si-
cut forma déterminât materiam quae est
394 OPUSCULE LIV.
la détermine , comme une forme détermine la matière qui est une
numériquement par la privation de toutes les formes : mais comme
le genre signifie les formes, non pas cependant d'une manière déter-
minée telle ou telle que la doctrine exprime d'une manière déter-
minée , laquelle n'est pas différente de celle qui étoit signifiée par le
genre d'une manière indéterminée! C'est pourquoi le Commentateur
dit sur le Ier livre de la Métaphysique , que la matière première est
dite une par la privation de toutes les formes ; mais le genre est dit
un par la communauté des formes signifiées; aussi en ajoutant la dif-
férence , et écartant l'indétermination qui étoit la cause de l'unité de
genre , les espèces différentes par l'essence subsistent et demeurent ,
et c'est ce que dit Àviceune dans sa Métaphysique : « Il est impossible
qu'une seule et même chose numériquement se dise de .plusieurs , de
tèlïe sorte que chacun soit elle-même. » Cependant Boëce semble dire
le contraire dans le Commentaire où il dit, que « l'universel est com-
mun de telle manière , que le tout est en même temps dans les di-
verses choses dont il constitue naturellement l'essence , et comme il
est universel en espèce, il devient singulier par les doctrines qui sur-
viennent ou par les formes sans lesquelles il subsiste naturellement
en lui-même, et sans lesquelles il n'a nulle permanence actuelle. »I1
appuie cette assertion par un exemple pris de la cire , comme si l'on
fait avec de la cire tantôt une statue d'homme , tantôt une statue de
bœuf, en adaptant ces diverses formes à la même essence vraiment et
entièrement permanente, il importe cependant que ce ne soit pas dans
le même temps ; mais voici l'inconvénient qui résulte de cette suppo-
sition , c'est que le même animal seroit raisonnable et déraisonnable
s'il y avoit dans les diverses espèces la même essence de genre. On
voit donc par là ce qu'il faut dire des universaux , et quels sont leurs
una numéro, per privationem omnium for-
marum ; sed quia genus significat formas,
non tamen hanc vel illam determinate,
quam determinate doctrina exprimit, quae
non est alia ab illa quae indeterminate si-
gnificabatur per genus. Unde dicit Com-
mentator super I Metaph., quod materia
prima dicitur una per privationem om-
nium formarum ; sed genus dicitur unum
per communitatem formarum signifi-
catarum, unde per adjectionem differen-
tiae , remota illa indeterminatione , quae
erat causa unitatis generis , rémanent
species per essentiam di versée , et hoc est
quod dicit Avicenna in sua Metaph., « Im-
possible est , scilicet quod una et eadem
res numéro sit presdicata de multis, ita
quod unumquodque sit ipsa. » Videtur ta-
men Boetius dicere contrarium m com-
mento , ubi ait , quod « universale ita est
commune, ut eodem tempore totum sit in
diversis, quorum essentiam naturaliter con-
stituât, et cum in specie sit universale, per
advenientes doctrinas vel formas fit singu-
lare, sine quibus naturaliter in se subsistit
et absque eis actualiter nullatenus per-
manet. » Huic autem dicto adaptât exem-
plum de cera, sicut si ex cera modo sta-
tuam hominis, modo bovis facias, diversas
formas eidem essentiœ vere penitus ma-
nenti adaptando , hoc tamen refert quod
non eodem tempore , sed inconveniens
quod sequitur ex ista posilione est istud
quod idem animal esset rationale et irra-
tionale, si eadem essentia generis esset in
diversis speciebus. Sic igitur patet quid
dicendum sit de ipsis universalibus , et
quomodo habeant se, quia aliquo modo
PREMIER TRAITÉ SUR LES UNIVERSAUX. 395
rapports , comme ils ont en certains cas et non dans d'autres l'être
extrinsèque de l'ame, par conséquent, je dis que les universaux , par
cela qu'ils sont universaux, n'ont pas l'être par soi dans les choses
sensibles, parce que l'universalité elle-même est dans l'ame et nulle-
ment dans les choses.) Or lorsque nous disons que la nature univer-
selle a l'être dans ces choses sensibles ou singulières , nous n'enten-
dons pas que la nature qui a l'universalité tienne l'être de ces choses
caractérisées. On voit donc comment l'universel est corporel, et com-
ment aussi il est incorporel; parce que, suivant ce que dit Boëce , ce
cmj^SJLincoiTjorel et insensible s'entend dans la simplicité de son uni-
versalité Jtandis que ce qui est corporel et sensible subsiste par les
aiCclclents. Ainsi donc se trouvent établies les questions énumérées
par Boëce sur les universaux. Mais l'universel peut-il exister après la
destruction des singuliers; suivant A.vicenne, il faut dire qu'oui; parce
que l'universel est ce que suivant l'intellect il est impossible de ne pas
dire de plusieurs , quoique nulle de ces choses n'ait l'être en effet.
Comme l'intention, qui est universelle, existe en dehors du singulier,
parce qu'il est de sa nature de se dire de plusieurs , mais il n'est pas
nécessaire que ces choses ou quelqu'une d'elles existent.) L'universel
est-il substance ou accident, il faut dire que par son rapport de com-
paraison avec l'ame, il est accident, c'est une certaine disposition dans
Vame^ c'est un des individus des sciences ou formations. Cependant
Averrhoès dit sur le livre Ier de l'Ame, que« l'universel est une qualité
existant dans l'ame, » je dis une qualité substantielle, qui n'est ni sub-
stance, ni accident, mais quelque chose de mitoyen, ce qui n'est pas
déraisonnable , quoique ce soit quelque chose de mitoyen par rapport
au logicien , et non par rapport au métaphysicien et au naturaliste ,
4,
habent esse animée extrinsecum, et aliquo
modo non. Consequenter dico , quod uni-
versalia ex hoc quod sunt universalia non
habent esse perse in sensibilibus, quia uni-
versalitatis ipsa est îa anima, et nullo mo-
do in rébus. Cum autem dicimus , quod
natura universalis habet esse in his sensi-
bilibus sive singularibus , non intelligimus
ex hoc quod natura cui accidit universa-
litas habet esse istis signatis. Patet ergo
quomodo universale sit corporale , et quo-
modo sit incorporale ; quoniam secundum
quod dicit Boetius, incorporale, et insen-
sible in simpiieitate suée universalités in-
telligitur, corporeum autem et sensibiliter
per accidentia subsistunt. Sic igiturdecla-
ratae sunt quaestiones quas enumerat Boe-
tius de universalibus. Utrum autem possit
esse destructis singularibus, dicendum se-
cundum Avicennam, quod sic : quia uni-
versale est illud, quod secundum intellec-
tum impossibile est non preedicari de mul-
tis, et si nullum eorum habet esse in ef-
fectu ; sicut intentio est praeter singulare,
quee universalis est , eo quod ejus natura
est preedicari de multis ; sed non est ne-
cesse esse illa multa, imo nec aliquod illo-
rum. Utrum autem sit substantia vel acci-
dens, dicendum quod per compara tionem
quam habet ad animara est accidens, et est
dispositio queedam in anima, et est unum
de individuis scientiarum vel formationem.
Averrhoès tamen dicit super I De anima,
quod « universale est qualitas existens in
anima, » et hoc dico substantialis, quae
quidem non est substantia, nec accidens,
sed médium, quod non est iuconveniens.
Quamvis enim quoad Logicum, non tamen
quoadMetaphysicum, et naturalem est mé-
dium inter ea, ut vult Commentator in
396 OPUSCULE LIV.
comme le veut le Commentateur. Ainsi donc en considérant l'uni-
versel en tant qu'universel, c'est-à-dire suivant qu'une nature quel-
conque a une intention d'universalité, c'est-à-dire suivant que l'on
considère l'animal ou l'homme comme étant un en plusieurs, les uni-
versaux ne sont pas des substances , et c'est de cette manière que sur
la fin du livre VII de la Métaphysique , Aristote attaque la doctrine
que les universaux ne sont pas des substances , ainsi que les platoni-
ciens ont prétendu que l'animal et l'homme étoient des substances
dans leur quiddité. Car animal commun et homme commun ne sont
pas des substances clans la nature des choses; mais la forme de l'ani-
mal ou de l'homme a cette communauté suivant quelle est dans l'in-
tellect, lequel reçoit une forme commune en plusieurs, en tant qu'il la
retire de tous les agents d'individuation. On peut encore considérer
d'une autre manière l'universel, c'est-à-dire la nature à qui l'intellect
a donné un caractère d'universalité , et de cette sorte les universaux,
comme le genre et l'espèce, signifient les substances des choses, et se
disent in quid. En effet animal signifie la substance de ce dont il se
dit? et l'homme également; et c'est ce que dit Aristote dans les Pré-
dicaments , que le genre et l'espèce des substances premières sont des
substances secondes. Il faut parler différemment des universaux des
accidents, parce que ces universaux, soit pour le rapport qu'ils ont
dans l'ame, soit pour celui qu'ils ont dans leurs inférieurs, ne sont
pas des substances en tant que la substance est séparée de l'accident,
mais ils sont substance , en tant que substance est pris pour essence
dans ses inférieurs. C'est pourquoi comme les accidents universels
sont essentiels à leurs inférieurs, ils peuvent pour cette raison être
appelés substances. Mais l'universel est-il avant le singulier , à cela il
multis locis. Sic igitur considerando uni-
versale in quantum universale est, scilicet
secundum quod aliqua natura habet in-
tentionein universalitatis, id est secundum
quod consideratur animal vel homo , ut
unum in multis, universalia non sunt sub-
stantia?, et hoc modo reprobat Philosophus
circa finem VII Metaph.. quod universalia
non sunt substantiae, sicut platonici posue-
runt animal et hominem in sua quidditate
esse substantias. Nam animal commune et
homo communis non sunt aliquae substan-
tiae in rerum natura ; sed hanc communi-
tatem habet forma animalis vel hominis
secundum quod est in intellectu, qui unam
formam accipit in multis communem, in
quantum eam subtrahit ab omnibus indi-
viduantibus. Alio modo potest considerari
universale, scilicet ipsa natura cui intel-
lectus rationem universalitatis attribuit,
et sic universalia, ut genus et species, sub-
stantias rerum significant , et praedicatur
in quid. Animal enim significat substan-
tiam ejus de quo praedicatur, et similiter
homo ; et hoc est quod dicit Philosophus
in Praedic, quod genus et species prima-
rum substantiarum sunt substantiae secun-
dae. De universalibus autem accidentium
accipienda est alia ratio, quoniam talia
universalia, et quantum ad respectum quem
habent in anima , et quantum ad respec-
tum quem habent in suis inferioribus , sub-
stantiae non sunt, prout substantia dividi-
tur contra accideus , sed sunt substantia,
prout substantia accipitur pro essentia in
suis inferioribus. Unde, quod universalia
accidentia sunt essentialia suis inferioribus,
hoc modo possunt dici substantia? . Utrum
autem universale sit prius quam singulare,
dicendum quod universale esse prius, con-
PREMIER TRAITÉ SUR LES UNI VERS AUX. 397
faut dire que l'Jtre universel antérieur arrive de deux manières , sa-
voir : l'universel in essendo, et l'universel m cognosccndo. Si c'est in
essendo , alors l'universel se prend pour l'espèce qui est dans l'âme
abstraite des conditions matérielles qui sont hic et nunc , la forme et
la figure. Il est donc ainsi évident que le_singulier duquel une sem-
blable forme est abstraite se trouve antérieur, il faut donc comprendre
de~cette façon ce qui est de l'aine. L'universel ou n'est rien ou est
postérieur. On considère l'universel d'une autre manière, en tant qu'il
est une forme réellement existante dans les choses , et cela de deux
manières. En effet , ou il se rapporte à l'opération de la nature ou à
l'intention. Si c'est de la première mànière,[ou nous parlons de l'uni-
versel de l'espèce la plus spéciale, ou du supérieur qui lui est relatif.
Si c'est dusûperieur, ou il est comparé ^ son propre singulier, qui est
médiatement contenu en lui ; s'il est comparé au propre , suivant
qu'animal est cornjparéà tel animal , clans ce cas tel animal est anté-
rieur à anlmâTclansT op ération de la nature., parce que l'opération de
la nature se termine a tel animal avaut animal, par la raison que
toute opération appartient -aux singuliers; mais ensuite lorsque nous
prenons tel animal, l'intellect attentif, avant que nous arrivions à la
forme de l'homme, saisit la forme de l'universel dans tel individu,
savoir l'animal. Mais ensuite avant que la nature opère à l'égard de
la forme de l'homme, animal a précédé dans l'observation de l'intel-
lect, et puis tel animal par l'opération de la nature, et par conséquent
si nous formons alors l'universel supérieur à l'égard du singulier non
propre , comme animal à l'égard de tel homme, de celte façon dans
l'opération de la nature l'universel précède le singulier. On voit ainsi
ce qu'il faut dire si nous parlons de l'universel supérieur. Mais si
nous parlons de l'universel inférieur, comme de l'espèce la plus spé-
tingit dupliciter , scilicet universale in es-
sendo, et universale in cognoscendo : si in
essendo, tune universale accipitur pro spe-
cie qute est in anima abstracta a conditio-
nibus materialibus, quœ sunt hic et nunc,
forma et figura. Et sic isto modo patet,
quod prius est singulare, a quo abstrahitur
talis forma, et sic est intelligendum quod
dicitur de anima. Universale aut nihil est,
aut pusterius est. Alio modo consideratur
universale , prout est forma l'éaliter exis-
tens in rébus, et hoc dupliciter. Aut enim
refertur ail operationem nature vel ad in-
tentionem, si primo modo, aut loquiinur
de universali speciei specialissimaj , aut de
superiori ad ipsam. Si de superiori , aut
comparatur ad suum proprium singulare,
quod médiate continetur ab ipso; si ad
proprium, prout animal comparatur ad hoc
animal , sic prius est in operatione nature
hoc animal quam animal , quia prius ter-
minatur operatio naturae ad hoc animal,
quam ad animal , eo quod omnis operatio
est singularinm , sed ulterius cum habe-
mus hoc animal intellectus considerans
antequam deveniamus ad formam hominis,
apprehendit formam universalis in hoc in-
dividuo, scilicet animal. Sed ulterius aute-
quam operetur natura ad formam homi-
nis, pracessit animal per considerationem
intellectus, et hoc animal per operationem
naturae, et ideo si tune formamus univer-
sale superius ad singulare non proprium,
ut animal ad hune hominem, sic in ope-
ratione nature universale pracedit singu-
lare; et sic patet quid sit dicendum si lo-
quamur de universali superiori. Si autem
loquamur de universali înferiori, ut de
specie specialissiina , sic quantum ad ope-
rationem natura) singulare preecedit uni-
398 OPUSCULE LIV.
çiale, dans ce cas, relativement à l'opération de la nature, le singulier
précède- l'universel, comme la nature engendre Sortes avant l'homme.
D'un autre côté, si nous rapportons l' universel à l'intention de la na-
ture , il faut encore distinguer , parce que ou nous parlons'-de l'uni-
versel supérieur, comme du genre j^u de l'inférieur, comme de l'es-
pèce la plus spéciale : si nous parlons de l'universel supérieur,^ comme
de l'animal relativement à l'intention universelle de la nature, je dis
dans ce cas que l'universel, savoir animal, et tel animal ne tiennent
pas de la nature leur singulier propre , parce que s'il en étoit ainsi
son opération cesserait d'abord dans l'animal, et n'arriveroit jamais à
Sortes, et de cette manière rien n'arriveroit à une génération par-
;, faite. Si au contraire nous parlons de l'universel inférieur comme de
l'espèce la plus spéciale , comme c'est là que tend d'abord la nature
particulière , il faut dire que par l'intention de la nature l'universel
est antérieur au particulier, et c'est ce que dit Aristote dans le second
livre de l'Ame :« Notre vertu se trouve dans tout, parfait et imparfait,
de sorte que l'animal engendre l'animal, la plante engendre la plante,
quoiqu'ils participent à l'être divin dans la mesure de ce qui leur est
possible. »En effet, c'est là le désir et le but de tout ce qui agit suivant
la nature, laquelle a eu en vue par elle-même l'être divin, c'est-à-dire
l'immortalité, comme il l'expose lui-même. Quant à l'opération de
la nature le singulier est antérieur, dans ce sens que la nature pro-
duit Sortes avant de produire l'homme, et on voit de la sorte ce qu'il
faut dire de l'universel relativement à son être. Mais si nous parlons
de l'universel relativement à sacognition, ou peut le considérer de
deux manières, parce qu'il y a quelque chose qui est plus connu par
rapport à nous, et d'autres choses qui sont plus connues simpliciter,
ou par rapport à la nature, parce que la même chose est plus connue
versale, sicut natura prius générât Sortem
quam hominem. Si autem referamus uni-
versale quantum ad intentionem naturae,
sic adhuc distinguendum est, quia aut le—
quimur de universali superiuri , ut de gé-
nère; aut de inferiori, ut de specie spe-
cialissima ; si loquamur de universali su-
periori, ut de animali quantum ad inten-
tionem naturae universalem, sic dico quod
universale, scilieet animal, et hoc animal
singulare suum proprium non intenduntur
a natura, quia si sic statim in ipso animali
sua operatio cessaret, et nunquam perve-
niretur usque ad Sortem, et sic nihil per-
fecte generaretur. Si autem de universali
inferiori, ut de specie specialissima loqui-
mur, cum illud sit primo intentum a na-
tura particulari, dicendum quod intentione
naturae prius est universale quam partie u-
lare, et hoc est quod Philosophus dicit in
II De anima : « Nostra virtus inest omnibus
quae perfecta, et ut imper fecta, ut animal
générât animal, et planta plantam, quam-
vis ipsum esse divinum participent secun-
dum quod possunt. » Omnia enim illud ap-
petunt, et illius causa agunt , quaecumque
agunt secundum naturam quae intendit per
se esse divinum, id est sempiternum, sicut
ipsemet exponit. Quantum ad operationem
naturae sic singulare est prius, sicut na-
tura prius générât Sortem quam hominem,
et sic patet quid sit dicendum de univer-
sali quantum ad esse suurn. Si autem lo-
quamur de universali quantum ad cogni-
tionem suam , hoc potest esse dupliciter,
quia est aliquid notius quoad nos , et est
aliquid notius simpliciter, sive quoad na-
turam, quia idem est notius secundum na-
PREMIER TRAITÉ SUR LES UNIVERSAUX. 399
suivant la nature et simpliciter. Or les choses connues per se. sont
plus connues simplwiter. Celles-là le sont plus per se qui ont plus de
l'entité, car chaque chose devient l'objet de la cognition en tant
qu'elle est être ; or les choses qui sont plus en acte sont êtres davan-
tage : c'est pourquoi ces choses sont plus susceptibles d'être connues
par la nature, non que la nature les connoisse davantage, mais parce
qu'elles sont connues en elles-mêmes et suivant leur nature propre.
Ainsi donc les natures les plus spéciales sont plus connues suivant la
nature, comme existant par elles-mêmes, et ayant une cognition dis-
tincte. Or ce qui est complet mtu est antérieur en nature et posté-
rieur en temps : Les genres au contraire connus sont antérieurs par
rapport à nous, et postérieurs par rapport à la nature, comme ayant
une cognition confuse en puissance : mais ce qui est en puissance est
antérieur en temps et postérieur en nature , comme sont les genres
plus universels et en puissance , et plus confus, parce que les univer-
saux contiennent en eux leurs inférieurs en puissance, et celui qui sait
une chose en général la connoît d'une manière confuse. La connois-
sance en devient plus claire, quand chacune des choses contenues en
puissance dans l'universel vient à être à demi connue en acte. Par
exemple , celui qui connoît l'animal ne connoît la rationalité qu'en
puissance; car il arrive que l'on connoît plutôt l'animal que l'homme.
Et c'est ainsi qu'il faut entendre ce qui est dit, livre Ier de la Physique,
qu'une chose existe plutôt en puissance qu'en acte. En conséquence
suivant le mode par lequel nous procédons de la puissance à l'acte et
du plus commun au moins commun , il est antérieur par rapport à
nous de connoître l'animal plutôt que l'homme ; c'est encore ainsi
qu'il faut entendre, livre Ier de la Physique, que les universaux nous
sont antérieurement connus par rapport à nous et moins connus à la
turam et simpliciter. Simpliciter autem
nota sunt, quœ per se sunt nota. Sunt au-
tem plus per se, quae plus habent de enti-
tate , quia unumquodque cognoscibile est
quantum est ens, magis autem entia sunt,
qua? sunt magis in actu : unde ista sunt
magis cognoscibilia a natura, non quod na-
tura magis cognoscat ea, sed quia sunt
nota secundum se et secundum naturam
propriam. Sic igitur species speeialissimae
sunt notiores secundum naturam, utpote
per se existentes , et distinctam habentes
cognitionem. Quod autem completum est
actu, est prius natura et postenus tempore,
gênera vero nota sunt priore quoad nos et
posteriora quoad naturam, utpote habentia
cognitionem confusam in potentia; quod
autem est potenlia , est prius tempore ,
natura autem posterius , sicut sunt gênera
universaliora et in potentia, et magis con-
fusa , quia universalia continet in se sua
inferiora in potentia, et qui scit aliquid in
universali, scit illud indistincte ; tune au-
tem distinguitur ejus cognitio , quand o
unumquodque eorum qua? continentur in
universali in potentia , semi actu cognos-
cunt. Verbi gratia, qui scit animal non scit
rationale nisi in potentia. Prius autem con-
tingit scire animal, quam hominem, et sic
intelligendum est illud in I Phys. Aliquid
prius est in potentia , quam in actu. Se-
cundum hune igitur modum quo procedi-
mus de potentia ad actum , et de magis
communi ad minus commune , prius est
quoad nos scire animal quam hominem, et
sic intelligendum est , quando dicitur
I Phys., quod universalia sunt nobis prius
nota quoad nos, et minus nota naturœ;
400 OPUSCULE LIV.
nature : c'est tout le contraire pour les singuliers, parce que là il n'y
a point d'acception simple, mais bien secundum quid ; comme est
l'espèce à l'égard du genre. Mais si l'on prend le singulier simple*
citer comme il est pris, in I Posteriorum, il faudra dire que par rap-
port à nous les singuliers sont plus connus suivant que la cognition
sensitive précède en nous la cognition intellective qui appartient aux
universaux : mais les universaux sont plus connus suivant la nature
et en eux simpliciter , parce que la connoissance universelle est plus
parfaite. Or les universaux sont intelligibles en acte , mais non les
singuliers, étant matériels comme ils sont. Remarquez qu'il y a de
la différence à dire animal en tant qu'animal, et animal en tant qu'u-
niversel ; et de même homme en tant qu'homme, et homme en tant
qu'espèce ; parce que l'animal^jj jlant qu'animal n'est qu'animal, et
désigne une essence simple, qui n'est pas une par elle-même pas plus
que multiple, n'existaut pas dans ce qui tombe sous les sens, ni dans
différence, pas plus que l'animalité un genre ou humanité une espèce,
et de cette manière on ne peut rien dire de vrai d'elle si ce n'est qu'elle
se convient en tant que telle : d'où il résulte que tout autre attribu-
tion qui lui sera faite sera une attribution fausse , par exemple : ani-
mal raisonnable convient à l'homme en tant qu'homme aussi bien
que les autres choses qui tombent dans sa définition; tandis que blanc
ou noir ou autre chose semblable qui n'appartient pas à l'humanité
ne convient pas à l'homme en tant qu'homme. C'est pourquoi si l'on
demande si cette nature ainsi considérée peut se dire une ou multiple,
singularia autem c converso, quia ibi non
accipitur simpliciter , sed secundum quid,
sicut est species respectu generis. Si autem
accipiatur singulare simpliciter, sicut acci-
pitur iu I Poster., sic dicendum quod
quoad nos singularia sunt noliora secun-
dum quod cognitio t-ensiliva in nobis pree-
cedit intelleclivam, quœ est univeisalium;
sed universalia sunt notiora secundum na-
turam et secundum se simpliciter , quia
cognitio universalis est pijrfectior. Univer-
salia autem sunt intelligibilia in actu, non
autem singularia, cum sint materialia. No-
tanduin etiam , quod aliud est dicere ani-
mal in quantum animal, et animal in quan-
tum universale. Et similiter homo in
quantum homo, et homo in quantum spe-
cies, quia animal in quantum animal est
animal Boium, et significat essentiam sim-
plicem, quœ de se non est una, nec multa
nec existens in his sensibilibus, nec in ani-
ma, nec aliquod horum potentia vel actu.
Unde significat quamdam essentiam, quae
nec est universalis , nec particularis ; et
ideo dicit Avicenna quod rationalitas non
est difïerentia, et similiter animalitas non
est genus, nec humanitas species, et hoc
modo nihil est verum de ea dici, nisi quod
convenit sibi secundum quod hujusmodi ;
unde quidquid aliorum sibi attributum
fuerit, falsa erit attributio, verbi gratia :
Homini ut homini convenit animal ratio-
nale , et alia quae in difîinitione ejus ca-
dunt. Album veto aut nigrum , aut quid-
quid hujusmodi est, quod non est de ra-
tione humanitatis, non convenit homini
secundum quod homo est. Unde si quaera-
tur, utrum ista natura sic considerata pos-
sit dici una, vel plures, neutrum conce-
dendum est; quia utrumque eorum est
PREMIER TRAITÉ SUR LES UNIVERSAIX. 401
il faudra répondre négativement pour l'une et l'autre chose, parce
que chacune de ces choses se trouve en dehors de l'intellect de l'homme
ou de l'humanité, et que l'une et l'autre peut arriver. Si en effet la
pluralité étoit de son intellect, elle ne pourroit jamais être dite une ,
quoique cependant elle soit une en tant qu'elle se trouve dans Sortes.
De même si l'unité étoit de son intellect, elle seroit alors la seule et
même essence de Sortes et de Platon , et ne pourroit se vérifier dans
plusieurs; et comme il ne convient pas à la nature suivant sa consi-
dération absolue d'être dans l'ame ni dans les singuliers , il est faux
de dire que }a nature de l'homme comme telle a l'être dans tel sin-
gulier, parce que si l'être dans tel singulier convenoit à l'homme
comme homme, comme homme il seroit hors de tel singulier. De
même , si n'être pas dans tel singulier convenoit à l'homme en tant
qu'homme, en tant qu'homme cela s'y trouveroit : mais il est vrai de
dire, que l'homme en tant qu'homme n'a pas l'être en tel ou tel sin-
gulier ou dans l'ame. Il est donc évident que la nature de l'homme, con-
sidérée d'une manière absolue, abstrait de tout être quelconque, de telle
sorte néanmoins qu'il n'y ait précision d'aucun, et de sorte aussi que,
ne convenant pas à l'humanité dans sa considération absolue , elle se
dise de Sortes ; c'est pourquoi le caractère d'espèce ne lui convient
pas suivant la considération absolue , parce que l'unité et la commu-
nauté sont de la nature de l'universalité. Or ni l'un ni l'autre ne con-
vient à la nature humaine suivant sa considération absolue. En effet,
si la communauté étoit de l'intellect de l'homme, on rencontreroit la
communauté partout où se trouveroit l'humanité , ce qui est faux ,
parce qu'on ne trouve nulle communauté dans Sortes, et tout ce qu'il
y a en lui est individué , il faut donc qu'elle appartienne aux acci-
extra intellectum honrinis seu humanitatis,
et utrumque potest sibi acciciere. Si enim
pluralitas esset de intellectu ejus, nun-
quam posset dici una , cum tamen una sit
secundum quod est in Sorte. Similiter , si
imitas esset de intellectu ejus , tune esset
una et eadern Sortis et Platonis essentia ,
nec posset in pluribus verificari , et cum
ipsi naturae secundum suam absolutam
considerationem non conveniat esse in ani-
ma, nec esse in singularibus, falsum est
dicere, quod natnra hominis in quantum
hujusmodi , habeat esse in hoc singulari ,
quia si esse in hoc singulari conveniret
homini in quantum homo, in quantum
homo esset extra hoc singulare. Similiter,
si conveniret homini in quantum homo
non esse in hoc singulari , in quantum ho-
mo esset in eo ; sed verum est dicere quod
homo in quantum homo non habet esse in
V.
hoc singulari, vel in illo aut in anima.
Ergo patet quod natura hominis absolute
considerata abstrahit a quolibet esse, ita
tamen quod non fiât prsecisio alicujus eo-
rum , et quia humanitati secundum suam
absolutam considerationem non convenit,
quod praedicetur de Sorte, ideo ratio spe-
ciei non convenit sibi secundum suam ab-
solutam considerationem , quia de ratione
universalitatis est unitas et communitas.
Naturse autem humanae secundum suam
absolutam considerationem neutrum con-
venit. Si enim communitas esset de intel-
lectu hominis, tune in quoeumque inveni-
retur humanitas, inveniretur communitas,
quod falsum est , quia in Sorte nulla in-
venitur communitas , sed quidquid in eo
est, est individuatum ; et ideo oportet ,
quod sit de accidentibus quœ consequun-
tur eam secundum esse quod habet in in-
26
402 opuscule liv.
dents qui l'accompagnent suivant l'être qu'elle a dans l'intellect , et
par conséquent le nom d'espèce ne se dit pas de Sortes, de sorte qu'on
dise, Sortes est une espèce , ce qui néanmoins arriveroit de toute né-
cessité, si la nature d'espèce convenoit à l'homme suivant l'être qu'il
a dans Sortes ou suivant sa considération absolue, c'est-à-dire en tant
qu'il est homme. Car tout ce qui convient à l'homme en tant qu'homme
convient et se dit de Sortes. Elle peut être considérée d'une autre
manière suivant l'être qu'elle a dans tel ou tel, et ainsi il y a à son
égard prédication per accidens , à raison de ce en quoi il est , comme
on dit que l'homme est blanc, parce que Sortes est blanc, quoique
cette qualité ne convienne pas à l'homme en tant qu'homme. De cette
manière elle a un double être, l'un dans les singuliers et l'autre dans
l'ame, et les accidents suivent cette nature selon l'un et l'autre être,
comme dans les singuliers ils ont un être multiple suivant la diversité
des singuliers. Suivant l'être qu'elle a dans les singuliers on ne peut
pas dire que la nature de quelque genre ou espèce survienne à une
nature, car il ne se rencontre pas dans les individus suivant l'unité
quelque chose d'un convenable à tout, que demande la nature d'uni-
versel. Il reste donc à dire que la nature du genre ou d'espèce sur-
vient dans une nature suivant l'être qu'elle a dans l'intellect. Par
exemple : la nature humaine a dans l'intellect un être abstrait de tous
les agents d'individuation, c'est pourquoi elle a un caractère d'uni-
formité vis-à-vis de tous les individus qui sont hors de l'ame , selon
qu'elle est essentiellement une image universelle faisant çonnoUre
tous les individus en tant qu'ils existent en elle, parce que son opéra-
tion à l'égard de tout individu passé, présent et futur est une , et de
quelque manière qu'il ait été d'abord placé dans l'intellect , il subira
tellectu, et ideo nomen speciei non prœdi-
catur de Sorte, ut dicatur, Sortes est spe-
cies, quod tamen de necessitate accideret,
si ratio speciei conveniret homini secun-
dum esse quod habet in Sorte, -vel secun-
dum suam absolutam considerationem ,
scilicet in quantum est homp. Quidquid
enim convenit homini, in quantum homo,
prœdicatur de Sorte. Alio modo potest con-
siderari secundum esse quod habet in hoc
vel in illo, .et sic de ipso aliquid prœdica-
tur per accidens rationé ejus in quo est ,
sicut dicitur quod homo est albus , quia
Sortes est albus , quamvis hoc non conve-
niat homini in quantum homo. Hoc au-
tem modo duplex habet esse, unum in sin-
gularibus, et aliud in anima , secundum
utrumque esse consequuntur hanc naturam
accidentia, et in singularibus habent mul-
tiplex esset secundum singularium diversi-
tatem. Secundum autem hoc esse quod ha-
bet in singularibus , non potest dici quod
ratio alicujus generis vel speciei accidat
alicui naturae, quia non invenitur in indi-
\iduis secundum unitatem , ut sit unum
quid omnibus conveniens, quod ratio uni-
versalis exigit. Relinquitur ergo quod ra-
tio generis vel speciei accidit alicui natu-
rae secundum esse quod habet in intellec-
tu. Vcrbi gratia : Ipsa natura humana iu
intellectu habet esse abstractum ab omni-
bus individuantibus, et ideo habet unifor-
mem rationem ad omnia individua quœ
sunt extra animam , prout est essentialiter
similitudo omnium ducens in omnium co-
gnitionem in quantum sunt in eo , quia
ejus operatio ad omne individuum quod
fuit, et est , et erit, est una, et qualiter-
cumque primum positum fuerit in intel-
lectu, hanc depurationem habebit, et aliud
PREMIER TRAITÉ SUR LES ILNIVERSÀUX. 403
cette dépuration et ne produira aucune augmentation. On voit donc
par là que ce n'est pas la même chose de dire un animal en tant qu'a-
nimal, ou un homme de la même manière, ou un animal en tant
qu'universel , car animal comme tout autre universel est seulement
animal, c'est une forme intelligible suivant la forme que nous expri-
mons, c'est une nature dont on peut dire que son être est antérieur à
l'être naturel, comme le simple est antérieur au composé, et son être
individuel n'est proprement dit être qu'autant que cet être d'où pro-
vient l'animal, appartient à l'intention. Mais l'être avec les accidents,
et l'être de tel individu , malgré la détermination de l'intention , est
attribué à une nature particulière. Donc l'animal, entant qu'animal,
n'est ni genre, ni espèce, ni individu, ni unité, ni multiplicité en tant
que de soi , quoiqu'il accompagne nécessairement un être déterminé
en eux. Néanmoins animal et homme peuvent être considérés en eux-
mêmes , quoiqu'étant avec un autre différent d'eux-mêmes; mais
animal en tant qu'universel, n'est pas seulement animal , mais il est
animal, et une autre chose encore non animal : considéré en soi il est
quelque chose de moyen entre animal et non animal; il sera alors
animal en cela comme sa partie, et de même de l'homme. Donc l'uni-
versel comme universel est quelque chose en quoi survient la plura-
lité, et de plus quelque autre chose. Il est dès lors évident, d'après ce
qui a été dit, de quelle manière le caractère de genre et d'espèce con-
vient à une nature, c'est-à-dire qu'il ne lui convient pas suivant une
considération absolue, et ne provient pas des accidents qui l'accom-
pagnent suivant l'être qu'elle a hors de l'ame , comme la blancheur
ou la noirceur , mais il appartient aux accidents qui l'accompagnent
suivant l'être qu'elle a dans l'intellect, et de cette manière le caractère
superveniens non augebit. Sic igitur patet,
quod aliud est dicere animal in quantum
animal, et homo similiter, et aliud est di-
cere, animal in quantum universale, nam
animal et similiter quodhbet aliud univer-
sale est animal solum, et est forma intelli-
gibilis secundum formam quam dicimus,
et est natura, de qua potest dici quod esse
ejus est prius quam esse naturale , sicut
simplex prius est composite, et ipsum ejus
esse individuum proprie dicitur esse, quan-
tum taie esse ex quo est animal, est de in-
tentione. Ipsum vero esse cum accidenti-
bus Bt ipsum esse hujus individui, quamvis
determinata intentio attribuitur tamen na-
ture particulari. Animal ergo in quantum
est animal, nec est genus, nec species, nec
individuum, nec unum, nec multa quan-
tum de se est, licet concomitetur illud esse
aliquod illorum de neeessitate. Possunt ta-
men animal et homo per se considerari,
quamvis sit cum alio a se ; sed animal in
quantum universale non est animal solum,
sed est animal, et aliud non animal; con-
sidérât iim in se est médium , quod cum
fuerat animal, et aliud, quod non est ani-
mal, tune erit animal in hoc tanquam pars
ejus et homo similiter. Ergo universale ex
hoc quod universale est quoddam oui acci-
dit pluralitas , et est quoddam aliud. Ex
prsedictis jam manifestum est, qualiter ra-
tio generis et speciei conveniant alicui na-
turae, quoniam non conveniunt ei secun-
dum suam absolu tam considerationem ,
nec est de accidentibus quae sequuntur
eam secundum esse, quod habet extra ani-
mam , utpote albedo vel nigredo ; sed est
de accidentibus quae sequuntur eam secun-
dum esse quod habet in intellectu, et per
hune modum convenit sibi ratio generis;'
404 OPUSCULE LV.
de genre , d'espèce , de différence et des autres intentions lui con-
vient parfaitement.
Fin du cinquante-quatrième Opuscule t sur les universaux.
L'abbé fïiami
OPUSCULE LY.
Second traité sur les universaux.
Comme , suivant Aristote dans son livre I. Posteriorum , la science
roule sur les choses sempiternelles et sur celles qui sont connues et
qui ne peuvent être autrement , choses quisont des universaux , j'es-
time en conséquence qu'il est utile d'en dire quelque chose à raison
de l'universalité , afin que la nature de ce qui constitue l'être étant
une fois connue, il soit plus facile de connoître les autres universaux
dans ce qui les constitue. Je dis donc que Funiversel en tant qu'uni-
versel comprend une première chose, de nature à être par soi en plu-
sieurs , suivant la seconde intention. Mais j'appelle intention seconde
ce que l'intellect conçoit secondairement de la chose , à raison de
quoi il faut entendre que les choses étant matérielles et particulières
en dehors de l'ame , et chaque chose étant intelligible en tant qu'elle
vel speciei, vel differentise et aliarum in- 1 Explicit Opusculum quinquagesimum
tentionum. I quartum S. Thomœ de unwersalibus.
OPUSCULUM LV.
EJUSDEM DOCTORIS , TRACTATUS SECUKDUS DE UMVERSALIBUS.
Quoniam dicit Aristoteles I Posterio-
î'wrwyScientia est senipiternorum , et eo-
rum quee nota sunt, et quae impossibile est
aliter se habere, haec autem sunt universa-
lia : ideo utile esse existimo aliquid nar-
i are de eis secundum quod universale est,
ut cognita natura ejus secundum quod est,
facilius etiam alia universalia secundum
quod sunt cognoscantur. Dico ergo quod
universale secundum quod universale,
comprehendit primam rem, quae de se nata
est in pluribus esse secundum intentionem
secundam. Sed intentionem secundam ap-
pello illud quod intellectus secundo intelli-
git de re, propter quod intelligendum est,
quod cum res sint materiales, et particu-
lares extra animam, et unumquodque sit
intelligibile secundum quod est a materia
SECOND TRAITÉ SUR LES UNIVERSAUX. 405
peut être séparée de la matière , il est évident qu'on ne peut concevoir
une chose selon qu'elle est dans une matière particulière , à moins de
l'abstraire de toutes les conditions individuantes.lOn ne peut, en
effet , concevoir une pierre sans l'abstraire , par l'intellect , de telle
et telle chose. Mais comme l'intellect abstrait des sens l'objet de son
intellection , la pierre doit être connue d'abord par la puissance ima-
ginative ou fantastique , qui est plus active sous ce rapport que les
autres puissancëssensitives. Or cela ne peut se faire que par le moyen
de^qijdq^Jirnage ; il faut conséquemment pour cela que l'intellect
conçoive la nature de la pierre., qu'il abstraie son espèce intelligible
de son image , de sorte que la première intention qui vient de la
plerrcTësl dans l'intellect l'espèce de la pierre , laquelle convient à la
pierre eiTtânt que pierre, et le mot pierre a été imposé par cette pre-
mière intention, pour signifier la nature de la pierre 5111 est hors de
Famé, ce qui arrive par la raison que l'espèce de la pierre n'est pas ce
qui est conçu , mais ce par quoi s'opère la conception , lorsque l'in-
tellect conçoit la nature de la pierre. Comme l'espèce du corps , par
laquelle s'opère la vision, se trouve dans l'œil, et c'est cette espèce
par laquelle le terme a ou n'a pas de signification ; cela deviendra
plus tard évident. 11 faut maintenant voir plus loin : puisque l'intellect
conçoit la nature de la pierre par le moyen d'une espèce intelligible ,
parce qu'il ne lui répugne pas d'être dans plusieurs. En second lieu,
il la conçoit en tant qu'elle est l'objet d'une participation multiple,, et
il la conçoit ainsi diversement , suivant les différents modes de parti-
cipation. Car, comme objet de participation de la part de plusieurs
choses différentes d'espèce , il la conçoit sous l'intellect de genre , et
sous l'intellect d'espèce , si ce sont des choses différentes de nombre.
separabile, manifestum est quod res secun-
dutn quod est in materia particulari , in-
telligi non potest, nisi abstrahatur ab om-
nibus conditionibus individuantibus. Lapis
enim non potest intelligi, nisi perintellec-
tum abstrahatur ab hoc, et nune, et aliis
hujusmodi : sed quia intellectus illud quod
intelligit, abstrahit a sensu , oportet quod
lapis prius cognoscatur a virtute imagina-
tiva, sive phantastica, quee abstractior est
reliquis virtutibus sensitivis. Hoc autem esse
non potest, nisi mediante aliquo phantas-
mate, kleo oportet ad hoc quod intellectus
intelligat naturam lapidis, quod abstrahat
suam speciem intelligibilem a suo phan-
tasmate. Tta quod prima intentio quae de
lapide est, in intellectu est species lapidis,
qua; competit lapidi secundum quod lapis,
et ab ista prima intentione hœc vox lapis,
imposita est ad significandum naturam la-
pidis, quae est extra animam , et hoc acci-
dit ex hoc, quod species lapidis non est id
quod intelligitur, sed quo intelligitur,
cum intellectus intelligit naturam lapidis :
sicut species copporis in oculo est, qua vi-
susvidet, et species illa est, qua vox ali-
quid signilicat, et non significat, hoc alibi
erit manifestum. Tune videndum est ulte-
rius, cum intellectus intelligit naturam la-
pidis mediante specie intelligibfli , quia
sibi non répugnât esse in pluribus : se-
cundo intelligit eam ut est participabilis a
pluribus, et secundum diversum participa-
tionis modum sic diversimode intelligit.
Nam in quantum est participabilis a pluri-
bus differentibus specie, intelligit eam sub
intellectu generis, et si solum participabilis
est a pluribus differentibus numéro, intel-
ligit eam sub intellectu speciei. Hoc autem
inferius plenius apparebit, et sic patet quod
406 OPUSCULE LV.
Tout cela s'éclaircira encore ; on voit donc par là qu'il y a une diffé-
rence d'intellect entre concevoir la pierre comme pierre , et la conce-
voir comme objet de participation universelle ou particulière , et cet
intellect est antérieurement ce qu'il est, parce que la puissance d'une
chose et son aptitude ne sont pas de l'essence du terme , comme la
puissance de l'ame n'est pas de l'essence de l'ame. C'est pourquoi l'ap-
titude à être en plusieurs n'est pas de l'essence de l'homme , parce
qu'alors l'homme qui est dans Sortes seroit apte à la participation de
plusieurs , ce qui est impossible. Comme toute chose peut être
abstraite de ce qui n'est pas de son essence , elle peut en conséquence
être conçue sans l'intelligence de sa participation avec plusieurs. En
effet , l'homme en tant qu'homme n'est ni universel , ni particulier ;
car si l'homme comme homme étoit universel , il ne pourroit plus
être particulier, et s'il étoit particulier, il ne seroit pas universel en
tant qu'homme. De même que Sortes , qui est singulier en tant que
Sortes , ne pourroit être universel. C'est donc un accident pour lui
d'être ou singulier, ou universel. Mais vous devez savoir que l'homme
n'est dit universel que parce qu'il est considéré, universellement. Or
il arrive que cette considération est de l'homme, non en tant qu'il est
extérieurement dans la matière , car sous ce rapport il y est indivi-
duellement, et l'être universel n'est pas contingent à l'homme en
tant qu'individu , car alors i' opposé surviendrait dans l'opposé , il ne,
lui est contingent que suivant l'être qu'il a dans l'intellect. Donc l'u-
niversel est un et multiple : multiple en tant qu'il se trouve dans plu-
sieurs , autrement il ne pourroit se dire de plusieurs , comme homme
en réalité est multiple , parce qu'il se dit de plusieurs ;, mais il est un
dans la cognition , parce que quoique la pluralité , comme pluralité ,
alius intellectus est intelligere lapidem se-
cundum quod lapis, et alius intellectus cum
intelligit lapidem secundum quod partiei-
patur universaliter , vel particulariter , et
ille intellectus est prius quod est, quia po-
tentia rei et habilitas rei non sunt de es-
sentia tennini, sicut potentia animae non
est de essentia animae. Unde habilitas es-
sendi in pluribus non est de essentia homi-
nis, quia tune homo qui est in Sorte, esset
habilis ad participationem plurium , quod
est impossibile. Et quia unumquodque po-
test abstrahi ab eo quod non est de essen-
tia ejus, ideo potest intelligi absque hoc
quod intelligatur, quod sit participabilis a
pluribus. Homo enim secundum quod ho-
mo, nec est universalis, nec particularis ,
quia si homo secundum quod homo est
universalis, jam non posset esse particula-
ris, et si esset particularis, non esset univer-
salis secundum quod homo : sicut Sortes
qui est singularis secundum quod Sortes,
non posset esse universalis ; ergo accidit si-
bi, quod sit singularis, vel universalis. Sed
debes scire, quod homo non dicitur uni-
versalis, nisi quia consideratur universali-
ter. Haec autem consideratio accidit esse
hominis, non secundum quod est in mate-
ria extra; nam secundum quod est in mate-
ria extra , est individualiter , et homini
secundum quod est individuum, non acci-
dit esse universale , quia tune oppositum
accideret opposite , sed solum accidit ho-
mini secundum esse quod habet in intel-
lectu. Universale ergo est unum, et plura :
plura in quantum in pluribus est,aliuquin
non posset praedicari de pluribus , ut ho-
mo in re est plura, quia de pluribus pnedi-
catur. Est autem unum incognitione, quia
licet plura secundum quod plura, non con-
stituunt unum intellecturn , tamen plura
secundum quod similia sunt , constituunt
SECOND TRAITÉ SUR LES UNIVERSA.UX. 407
ne constitue pas un intellect , néanmoins plusieurs choses en tant que
semblables constituent un intellect, Je telle sorte que l'intellect ne
peut se distinguer entre des choses semblables en tant que semblables.
C'est pourquoi l'intellect saisit l'homme et l'ame en tant qu'ils s'ac-
cordent dans une opération, c'est-à-dire qu'il les saisit dans un unique
intellect sensitif , et quoique en réalité ils soient multiples, cette unité
n'est pas opposée à la multiplicité.! Et comme une chose est être et une
par là même , et vice versa , il faut que l'universel soit universel par
cette susdite unité , de manière que cette cognition de la nature fait
que l'être universel est universel en acte , et c'est quelque chose de
formel dans l'universel. \On voit parla que l'intellect produit l'uni-
versalité dans les choses, comme dit le Commentateur, parce que cette
universalité viènTde l'intellect; mais comme cette universalité lire
son origine de la chose , Aristote dit que l'universel ou n'est rien ou
est postérieur, parce que cette universalité n'est rien en réalité. On
demande si l'universel est substance ou accident; cette question trouve
sa solution en ce que en parlant de l'universel en tant qu'universel ,
il est seulement dans l'ame et est accident : mais en parlant d'une
chose exprimée on dit qu'il est quelquefois substance et quelquefois
accident suivant la diversité des universaux, et on voit de même par
là comment il faut entendre cette proposition : l'universel est ce qui
peut se dire de plusieurs , car la seconde intention que renferme l'u-
niversel ne se trouve dans l'ame que formellement. Or ce qui est dans
l'ame ne se dit pas d'une chose hors de l'ame , puisqu'il faut que le
prédicat se trouve dans le sujet. Mais l'universel peut se dire suivant
la nature réelle qu'il renferme matériellement, de manière que lors-
qu'on dit : l'universel se dit de plusieurs , le sens est que la chose
unum intellectum, ita quod intellectus
non potest distingui intcr similia in quan-
tum sunt similia : et ideo intellectus ap-
prehendit hominem et asinum in quantum
conveniunt in una operatione, scilicet sen-
sitjvo unico intellectu apprehendit , et si
in re sint multa, talis tamen uniias non
apponitur illi multitudini : et quia res
per idem est ens et unum, et econverso ,
oportet quod universale sit universale per
prœdictam unitatem , ita quod naturœ ta-
lis cognitio facit universale esse in actu
universale , et est quoddam formale in
universali. Ex quo patet quod intellectus
facit universalitatem in reljus, sicut dicit
Commentator, quia illa universalitas est
ab intellectu : sed quia talis universalitas
are sumitprinciDium, ideo dicit Aristoteles
quod universaleciut nihil est, aul posterais
est, quoniam talis universalitas in re nihil
est. Quœritur autem utrum universale sit
substantia, vel accidens, et per hoc solvi-
tur ista quaestio, quoniam loquendo de uni-
versali secundum quod universale, est se—
lum in anima, et est accidens : sed loquendo
de re subjecta dicitur, quod quandoque est
substantia, et quandoque accidens secun-
dum diversitatem universalium, et simili-
ter per hoc patet qualiter débet intelligi
illud diclum. Universale est quod potest
prœdicari de pluribus, nam secunda inten-
tio quam universale includit formaliter so-
lum est in anima. Illud autem quod est in
anima non prœdicatur de re extra ani-
mam, cum oporteat prœdicatum inesse
subjecto /sed universale prœdicari potest
secundum naturam realem, quam includit
materialiter, ita quod quando dicitur :
Universale prœdicatur de pluribus, sensus
est, quod res subjecta universalitati praedi-
408 OPUSCULE LV.
soumise à l' universalité se dit de plusieurs, comme homme, âne. La
chose est claire , parce que si homme ou âne se disoit de plusieurs ,
comme de Sortes ou Platon , selon l'universalité , alors Sortes seroit
universel. 11 reste donc à dire qu'il n'y a que cette seule nature expri-
mée qui se dise universellement. Car on a dit, quoique l'homme soit
particulier dans une chose extérieure , cela arrive néanmoins suivant
que l'homme pourra être considéré sans cette qualité de particulier,
et de cette manière homme est dans plusieurs et se dit de plusieurs ,
non pas cependant homme numériquement un , mais un en espèce :
car homme qui se dit de Sortes est le même que Sortes , et celui qui
se dit de Platon est le même que Platon, puisque le prédicat se trouve
dans le sujet, et qu'il est impossible qu'une chose numériquement se
trouve dans plusieurs différentes numériquement, quoique homme ne
se dise pas de Sortes suivant qu'il est particulier. La raison de cela,
c'est que la prédication d'un terme dit la même chose que sa signifi-
cation. Donc la prédication a la même valeur que la signification ,
parfois ce terme homme signifie la nature sans nulle participation et
sans raison particulière. Donc il la désignera ainsi, mais il ne le fait
pas de la sorte universellement , parce que, comme nous l'avons dit
plus haut, l'intellect de l'homme en tant qu'homme est différent de
son universalité. Mais il faut remarquer une chose , c'est que lors-
qu'on parle delà prédication d'une chose soumise à la seconde inten-
tion, il ne faut pas entendre que cette chose est soumise à l'intention
de telle sorte qu'elle se trouve en elle comme l'accident dans le sujet,
de même que le sujet de la science n'est pas dit sujet dans ce sens que
la science est en lui comme dans un sujet , elle ne s'y trouve que
comme dans l'objet. En effet la science ne se trouve pas dans ce qui
est susceptible d'être su, mais dans celui qui sait, d'où à proprement
catur de pluribus, ut homo , vel asinus,
quod patet, quia si homo, vel asinus pree-
dicaretur de pluribus, ut de Sorte vel Pla-
tone secundum quod universale, tune Sor-
tes esset universale. Relinquitur ergo quod
sola illa natura subjecta universaliter prae-
dicetur. Nam dictum est, licet homo sit in
re extra particularisa tarnen hoc accidit
secundum quod homo poterit considerari
absque hoc quod sit particularis, et sic
homo est in pluribus, et praedicatur de
pluribus, non tamen unus homo in numé-
ro, sed unus in specie : nam homo qui prae-
dicatur de Sorte , idem est quod Sortes :
et qui prsedicatur de Platone, idem est
terminus idem preedicat quod significat,
ergo qualiter significat , taliter praedicat.
Modo iste terminus homo , significat natu-
ram humanam absque omni participatione,
et particulari ratione, ergo sic prasdicabit
eam, non tamen preedicat sic eam univer-
saliter, quia sicut dictum est supra, intel-
lectus hominis secundum quod homo,
alius est a sua universalitate. Sed unum
est advertendum, quod cum dicitur res sub-
jecta intentioni secundae praedicatur, non
est intelligendum quod res illa ita sit sub-
jecta intentioni, quod sit in ea tanquam
accidens in subjecto , sicut subjectum
scientiac non dicitur hoc modo subjectum,
quod Plato, cum praedicatum insit subjec- j ut scientia sit m eo tanquam in subjecto,
to, et impossibile sit unam rem in numéro sed in eo est tanquam in objecto. Scientia
esse in pluribus numéro differentibus, licet ; enim non est in scibili, sed in sciente, unde
homo non praedicetur de Sorte secundum | proprie loquendo non dicitur subjectum,
quod est particularis. Cujus ralio est, quia ' sed objectum scientiae, et similiter res sub-
SECOND TRAITÉ SUR LES UMVERSAUX. 409
parler on ne dit pas sujet mais objet de la science, et de même la
chose soumise à cette intention n'est pas dite proprement subjecta
mais objecta. On voit par là que l'universel est un et n'est pas un. Il
n'est pas un dans la substance, puisque il s'aggrège l'accident, c'est-
à-dire la seconde intention, et la chose qui est hors de l'ame, laquelle
est quelquefois accident, comme la blancheur, et quelquefois sub-
stance, comme homme. Il n'est pas un par accident, ou accidentelle-
ment, puisque l'accident est dans le sujet. L'universel est donc un de
l'universalité de cognition, de sorte que pour la nature d'universel on
ne requiert que cette unité rationnelle, et c'est pour cela qu'Aristote
dit qu'il est un , c'est-à-dire connu en plusieurs. Or nous avons dit
comment une chose est connue en plusieurs. C'est pourquoi on ne
peut dire que l'universel est un par relation , puisque les intentions
secondes ne se rapportent pas aux choses, mais plutôt à elles-mêmes
réciproquement, comme l'espèce est dite espèce par rapport au genre
et non par rapport à la nature objectée. Tout cela deviendra encore
plus clair ; on voit par là qu'il est impossible de déterminer une seule
et même science de l'universel per se relativement à ces deux natures,
qu'elle renferme , mais bien plutôt de uno per se et de alio per acci-
dens. Donc la logique, en considérant l'universel , ne le considère pas
relativement à la nature 'supposée per se, car elle ne considère pas
l'homme en tant qu'homme, mais en ce qu'il est espèce , et ainsi des
autres animaux , et par conséquent la logique appartient principale-
ment aux secondes intentions. Mais comme les secondes intentions se
tirent principalement des propriétés des choses par le moyen des pre-
mières, comme on l'a vu, c'est pour cela qu'Avicenne dit dans le
livre Ier de sa Métaphysique, que le logicien ne considère pas la chose
supposée per se, ce qui vient de ce que la logique appartient aux se-
jecta illi intentioni non dicitur proprie
subjecta, sed objecta. Ex hoc patet quo-
niara universale est unum, et quoniam non
est unum. Non enim est unum in substan-
tia, cum aggreget in se accidens, scilicet
intentionem secundam , et rem extra ani-
mam, quœ quandoque est accidens ut al-
bedo, quandoque substantia ut homo :
nec est unum per accidens , sive acciden-
taliter, cum accidens sit in subjecto. Est
igitur universale unum unitate cognitionis,
itaquod de ratione universalis non requiri-
tur nisi illa unitas rationalis, et propter
hoc dicit Aristoteles quod est unum in
multis, scilicet cognitum. Qualiter unum
cognitum sit in multis , dictum est. Unde
non potest aliquis dicere, quod universale
sit unum relatione, cum secundœ intentio-
nes non referantur ad res, sed potius ad se
invicem, ut species dicitur species respectu
generis, et non respectu naturœ objecta?.
Hoc autem inferius melius apparebit, et
ex hoc patet, quod impossibile est unam, et
eamdem scientiam determinare de univer-
sali per se , quantum ad illas duas naturas
quas includit : sed potius de uno per se, et
de alio per accidens; ergo Logica cum con-'
siderat universale, non considérât ipsum
quantum ad naturam subjectam per se,
non enim considérât hominem in eo quod
homo, sed in eo quod species, et sic de aliis
animalibus, et ideo Logica pi incipaliter est
de secundis intentionibus. Sed quia secun-
dœ intentiones principaliter accipiuntur a
proprietatibus rerum mediantibus primis,
sicut visum est, ideo dicit Avicenna primo
suse Metaph., quod logica est de secundis
intentionibus adjunctis primis, et sic patet
quod logicus non considérât rem subjec-
tam per se. Alise autem scientire conside-
41 0 OPUSCULE LV.
condes intentions avec l'adjonction des premières. Les autres sciences
au contraire considèrent l'universel relativement à la chose supposée,
car le naturaliste ne considère pas le corps mobile en tant que genre,
mais en tant que corps mobile, et la musique ne considère pas le son
en tant qu'accident, mais comme tel. On voit par là que ces sciences
ne considèrent pas l'universel sous la première condition d'universel,
puisque elles ne considèrent pas ce qui fait formellement l'universel,
mais elles doivent considérer l'universel , parce qu'elles considèrent
les choses, non comme particulières , mais comme singulières. Tous
devez savoir que de même qu'une intention est genre et espèce sous
divers rapports , de même aussi une intention est universelle et sin-
gulière par rapport aux choses diverses. Car par cela qu'une inten-
tion est universelle en tant qu'elle a une relation à plusieurs choses,
comme l'intention de l'homme qui est dans l'ame, comme elle est
comparée à plusieurs choses elle est par là même universelle, et quoi-
qu'il en soit ainsi, cette intention est néanmoins dans l'ame , elle est
quelque chose de singulier qui vient de ce que chaque chose est
reçue dans un autre suivant le mode de ce qui reçôTTètnôn pas le
mode de la chose reçue. L'ame étant donc singulière, comme on le
dira ailleurs, il faut que tout ce qui est reçu dans l'ame le soit d'une
manière singulière et soit singulier par rapport à elle ; il ne s'ensuit
pasneanmoins que cette intention ne soit pas intelligible, car la sin-
gularité, par là même qu'elle est singularité, n'empêche pas l'action
de l'intellect, autrement les intelligences étant singulières ne pour-
raient être conçues, ce qui est faux. Je ne veux pas que la singularité,
par là même qu'elle est singularité , soit intelligible , parce qu'alors
Sortes seroit intelligible. Il lui arrive donc comme telle d'être de telle
ou telle manière ; elle n'est donc opposée à l'action de l'intelligible
raiit universale quantum ad rem subjec-
tam, nam Philosophus naturalis non con-
sidérât corpus mobile inquantum genus,
sed in quantum mobile corpus , et musica
non considérât sonum in quantum accidens,
sed in quantum sic. Ex quo patet quod hu-
jusmodi scientiee non considérant univer-
sale sub prima ratione universalis, cum non
considèrent illud quod facit formaliter uni-
versale, sed dicuntur considerare universale,
quia considérant res, non ut particulares ,
sed ut singulares. Sed debes scire , sicut
una intentio est genus et species diversis
respectibus, ita una intentio est universalis
etsingularis respectu diversorum. Nam ex
hoc aliqua intentio est universalis, in quan-
et licet hoc sit, tamen hujusmodi intentio
est in anima, et est quid singulare, quod
est quia unnmquodque recipitur in alio se-
cundum modum recipientis, et non per
modum rei receptae. Cum ergo anima sit
singularis, ut alibi declarabitur, oportet
quod quicquid recipitur in anima, singula-
riter recipiatur, et sit respectu ejus singu-
lare, tamen propter hoc non sequitur,
quod hujusmodi intentio non sit intelligi-
bilis, nam singularitas ex hoc quod est
singularitas, nonimpedit actionem intellec-
tus, aliter intelligentise cum sint singula-
res, non possent intelligi, quod falsum est :
nec volo quod singularitas ex hoc quod sit
singularitas, sit intelligibilis, quia tune
tum relationem habet ad multa, ut inten- Sortes esset intelligibilis, igitur accidit et
tio hominis qua: est apud animam , quia in quantum hujusmodi, quod sit sic, vel
comparatur ad multa, ideo est universalis, ' sic, ergo non opponitur actioni intelligihi-
SECOND TRAITÉ SUR LES UMVERSAUX. 411
que lorsqu'elle est avec la matière : mais dégagée de la matière elle
sera intelligible. Or maintenant l'intention qui est dans l'ame est
immatérielle , et il faut qu'elle y soit suivant son mode , comme il a
été dit plus haut. Et quoique l'ame conçoive les choses matérielles
d'une manière immatérielle, elle comprend néanmoins matériellement
qu'elles sont, parce qu'autrement elle ne concevroit pas leurs natures
matérielles; ceci deviendra plus clair ailleurs. On voit par là com-
ment il faut entendre cette parole de Boëce : Tout ce qui existe, existe
parce que c'est un numériquement, ce qui est évident dans les choses
particulières ; mais dans les choses universelles quelques-uns l'ont
nié, d'autres ont dit que l'universel étoit numériquement un par la
numérosité de l'essence, or ceci est faux; car l'unité de l'essence n'est
pas requise pour l'unité de l'universel, parce que le genre ne dit pas
une seule essence, mais plusieurs, comme on le verra en consé-
quence : mais on dit que l'universel est un numériquement, parce que
cette intention qui-est dans l'ame et qui fait que l'universel est uni-
versel , comme nous l'avons dit, est numériquement une par rapport
à l'ame. Or il ne faut pas négliger de rechercher si toute chose sou-
mise à l'universalité est nécessairement ou non hors de l'ame. Pour
comprendre cela il faut savoir qu'Avicenne dit dans le cinquième
livre de sa Métaphysique , qu'il y a trois sortes d'universel ^premiè-
rement on appelle une chose universelle selon qu'elle se dit de
plusieurs en acte , de façon qu'elle se trouve en plusieurs , comme
homme. Secondement, on appelle universel ce qu'il est possible d'at-
tribuer à plusieurs, mais non en acte, et qui ne se trouve pas eu
plusieurs, ni_en quelque sorte hors de l'ame, comme une maison
octangulaire, laquelle n'existe que dans l'esprit de l'architecte. Troi-
sièmement on appelle universel ce qui n'est pas en plusieurs , mais
lis, nisi cum sit cum materia : sed cum
denudatur a materia , erit intelligibilis.
Nunc autem intentio quae est in anima,
immaterialis est, et oportet quod sit in ea
per modum ejus, ut supradictum est. Et
licet anima intelligat res materiales im-
materialiter, tamen intelligit eas esse ma-
terialiter, quia eas non intelligeret naturas
earum materialiter, hoc alibi magis appa-
rebit. Et per hoc patet quomodo débet in-
telligi illud verbum Hoetii , quo dicitur.
Omne quod est, ideo est, quia unum nu-
méro est, quod planum est in particulari-
bus : sed in universalibus aliqui negave-
runt, et aliqui dixerunt, quod universale
esset unum numéro numerositate essen-
tiee, hoc autem falsum est. Nam non re-
quiritur ad unitatem universalis unitas es-
sentise., quoniam genus nondicit essentiam
unam , sed plures , sicut patebit conse-
quenter : sed ideo dicitur universale unum
numéro, quia intentio illa quœ est in ani-
ma, quae facit universale esse universale,
sicut dictum est , respectu animae est una
in numéro. Non est autem praetermitten-
dum investigare, utrum quamlibet rera
subjectam universalitati oporteat esse extra
animam, vel non. Ad quœ intelligendum
sciendum est, quod Avicenna, V Metaph.
suae dicit, quod tribus modis dicitur uni-
versale. Uno modo dicitur universale se-
cundum quod praedicatur de multis in actu,
ita quod in multis reperitur, ut homo. Alio
modo dicitur universale, quod possibile est
prœdicari de multis, non tamen praedicatur
in actu, nec est in multis, nec aliquo mo-
do extra animam, ut domus octangula,
quae solum est in mente artificis. Tertio
modo dicitur universale , quod non est in
pluribus, sed in uno iudividuo est , tamen
3
412 OPUSCULE LV.
bien dans un seul individu , sans répugnance néanmoins à être en
plusieurs, comme le soleil, la lune et autres choses semblables. Pour
comprendre cela, il faut savoir que certaines choses tiennent l'être de
la nature et d'autres de l'art, comme les choses artificielles. Mais nous
ne pouvons connoître les choses naturelles si elles ne préexistent pas,
par la raison que notre science est produite par elles et leur est pos-
térieure, parce que notre intellect ne les conçoit que par le moyen de
leurs images. Or l'image d'une chose lui est postérieure, et pour qu^il
y ait un effet, il faut que la cause persiste. D'où il résulte que , les
choses étant détruites, la science elle-même est détruite aussi, et il ne
sert de rien de dire que les images sont restées dans l'aine. Car la
science ne s'occupe pas de ces images, mais bien des choses dont elles
sont les images. Et sur cela, je dis que si la science consiste dans
les images des choses, il s'ensuit encore que, les choses étant détruites,
la science est détruite aussi , par la raison que la science est fondée
sur le vrai. Or l'image est appelée vraie, parce qu'elle représente vrai-
ment la chose dont elle est l'image; comme elle est maintenant l'image
des choses existantes dont la nature est d'être hors.de l'ame , elle les
représente comme existant , autrement ce ne seroit pas une image
vraie, on comprend qu'alors la chose soit détruite hors de l'ame, s'il
y avoit persistance des mêmes images qui représentoient d'abord les
choses telles qu'elles étoient, et c'est là une représentation fausse,
puisqu'elle représente comme existantes des choses qui n'existent pas.
Et si l'on dit que ces images ne sont pas les mêmes qu'auparavant,
ou qu'elles ne représentent pas les choses comme auparavant, il s'en-
suit alors que la science n'est pas la même qu'auparavant , et il en
résulte de la sorte que, les choses étant détruites, la science, celle de
ces choses est également détruite. C'est ce que donne à entendre
sibi non répugnât esse in pluribus, ut sol,
et luna, et similia. Ad quorum intelligen-
tiam est sciendum, quod quœdam res ha-
bent esse a natura, et quemdam ab arte,
ut artificialia. Sed de rébus naturalibus co-
gnitionem habere non possumus nisi pré-
existant, quod est quia nostra scientia cau-
sata esf ab ipsis, et posterior est ipsi , quia
noster intellectus non intelligit eas, nisi
per similitudines earum. Similitudo au-
tem rei posterior est ipsa re, et ad hoc
quod sit effectus, oportet qnod prœexistat
causa. Ex quo sequitur, quod destructis ré-
bus, destruitur scientia, et non valet di-
cere quod similitudines remanserunt apud
animarn. Nam de similitudinibus illis non
est scientia, sed rébus, quantum sunt illae
similitudines. Et ad hoc dico, quod si scien-
tia sit de similitudinibus rerum, sequitur
etiam quod destructis rébus destruatur
scientia, cujus ratio est , quia scientia est
verorum, nunc autem similitudo dicitur
vera, quia vere repraesentat rem cujus est
similitudo, sicuti est modo similitudo re-
rum existentium, de quarum ratione est
extra animam esse, représentât eas ut
existentes, alioquin non esset similitudo
vera, tune componitur quod res extra ani-
mam destruatur, si eœdem similitudines
remanerent quae prius repraesentabat res
sicut prius, et hsec est falsa reprœsentatio,
cum repraesentat res existentes, quae non
existunt. Et si tu dicas, quod non réma-
nent eœdem similitudines sicut prius, vel
non eodem modo représentant sicut prius,
tune sequitur quod non remanet eadem
scientia quee prius, et sic sequitur quod
destruatur scientia destructis rébus, scilicet
scientia illarum rerum. Et hoc est quod
innuit Aristoteles in libro prœdicabilium,
SECOND TRAITÉ SLR LES UNIVERSAUX. 413
Aristote dans son livre des Prédicables où il dit , que les premières
substances étant détruites, il est impossible qu'il reste quelque chose
des autres, c'est-à-dire des universaux, ou des secondes substances.
Or les universaux sont les sujets des sciences, et les sujets des sciences
étant détruits, elles sont elles-mêmes détruites. Donc, etc. Mais il n'en
est pas ainsi des choses artificielles , car leur destruction n'entraîne
pas nécessairement la destruction de leur science. La raison de cela
c'est que l'espèce d'une chose artificielle qui est dans l'ame est le
principe de la chose artificielle hors de l'ame, de sorte que la science
d_e l'artiste est la cause des choses artificielles. Or la destruction de
l'effet ne nécessite pas celle de la cause ; c'est pourquoi l'artiste pou-
voit avoir la connoissance de la chose artificielle sans qu'elle fût effec-
tuée, parce que quand on connoît la cause, on connoît l'effet; il pourra
avoir dans l'esprit l'image d'une maison ayant tant d'angles, parce
qu'elle peut se trouver en plusieurs, quoiqu'elle ne se trouve dans rien
de ce que connoît l'architecte/ C'est là la solution de la question propo-
sée, qu'il n'est pas nécessaire que toutes les choses soumises aux se-
condes intentions existent hors de l'ame. Car bien que ce soit requis
dans les choses naturelles, ce n'est pas nécessaire dans les artificielles,
et en général clans toutes les choses de l'intelligence les secondes in-
tentions ne peuvent pas être soumises à d'autres secondes intentions,
comme le syllogisme est genre ou l'espèce est accident , l'accident est
genre selon qu'il est diversement comparé , car l'espèce , quoiqu'elle
soit l'espèce du genre , est cependant accident par rapport à l'ame. Il
en est de même des autres secondes intentions. Néanmoins elles n'ont
l'être que dans l'ame , comme le prouve évidemment ce qui précède.
On voit par là comment la logique est une science incertaine , parce
ubi dicit quod destructis primis substan-
tiis, impossibile est aliquod aliorum rema-
nere, scilicet universalium , vel secunda-
rum substantiarum. Cniversalia autem sunt
subjecta scientiarum, et destructis subjec-
tis scientiarum destruuntur et ipsee. Igitur,
etc. Sed de rébus artificialibus non est ita,
nam destructis ipsis, non oportet scientiara
earum destrui. Quod est , quia species rei
artificialis quse est apud animam, est prin-
cipium rei artificialis extra animam , ita
quod scientia artificis est causa rerum arti-
ficialiura : destructo autem causato, non
oportet causam destrui : ideo poteratarti-
fex habere cognitionem rei artificialis abs-
que hoc, quod res artificialis sit in effectu,
quia cognita causa cognoscitur effectus, po-
terit autem apud se habere similitudinem
donms habentis tôt angulos, quia potest
reperiri in pluribus, et si in nullo repetia-
tur, de qua artifex habebit scientiam. Ex
quo patet solutio quœstioiùs propositae ,
quod non oportet omnes res quae sunt sub-
jectœ secundis intentionibus , esse extra
animam. Nam licet in rébus naturalibus
exigantur, in artificialibus tamen non
oportet, et generaliter in omnibus rébus
quse sunt ab intellectu non possunt esse se-
cundse intentiones subjectae aliis secundis
intentiombus, sicut syllogismus est genus,
vel species est accidens, accidens est ge-
nus, hoc est secundum quod diversimode
comparatur : nam species licet sit species
generis, tamen respectu animae accidens
est. Et similiter de aliis intentionibus se-
cundis. Et tamen solum habent esse in
anima, sicut ex praecedentibus manifestum
est. Et ex hoc patet qualiter incertitudina-
liter logica est scientia, quia ipsa inter
omnes alias scientias incertior est, quod
414 OPUSCULE LV.
qu'elle est plus incertaine que les autres, par la raison que la certitude
de la science dépend de la certitude du sujet. La Métaphysique est
dite très-certaine, parce qu'elle a un sujet très-certain, comme l'être
en tant qu'être et ses premiers principes très-certains sont connus.
Mais entre tous les sujets des sciences le plus foible et le plus incer-
tain, c'est le sujet de la logique , parce que chaque chose a une dose
de vérité et de certitude en raison directe de son entité , comme dit
Aristote au livre II de la Métaphysique , et maintenant les intentions
secondes n'ont l'être que dans l'ame, d'où il résulte qu'elles ont l'être
le plus foible. Car parmi tous les genres d'êtres, ceux qui sont dans
l'ame participent moins à l'entité , comme on le voit dans plusieurs
passages d'Asistote, et on l'établira ailleurs; donc ils participent moins
à la vérité : et comme leur certitude est la vérité , on ne peut en avoir
une pleine connoissance que par les premières intentions. Car on
n'aurait jamais connu l'intention de l'homme qui est l'espèce sans
connoître que l'homme en tant qu'intellect étoit participable de plu-
sieurs d'une différence seulement numérique d'où l'ame tire cette in-
tention qui est l'espèce, par conséquent i\ est impossible de connoître
la logique sans être savant et expert dans les autres sciences, et spé-
cialement dans la Métaphysique qui en tout être comme tel produit
une démonstration à laquelle n'arrive pas le logicien , comme logi-
cien. Mais néanmoins comme ces secondes intentions sont communes
dans tous les êtres, la logique est pour cette raison commune à toutes
les sciences et peut argumenter en toute science, car les secondes in-
tentions conduisent à la connoissance des premières en tant que fon-
dées sur elles , de sorte que par l'intention qui est l'espèce , elles
peuvent connoître l'homme non en tant qu'homme, mais en tant qu'il
est, quia certitude) scientiœ dependet a
certitudine subjecti : Dicitur enim meta-
physica certissima, eo quod habet subjec-
tum certissimum , ut ens in quantum ens,
et prima principia certissima etiam nota
sunt : sed inter omnia subjecta scientia-
rum debilissimum et incertissimum est
subjectum logicae, quia unumquodque
quantum habet de entitate, tantum habet
de veritate, et certitudine, ut dicit Aristo-
teles. II Metaphysicœ, nunc autem secun-
do intentiones solum habent esse in ani-
ma, ex quo sequitur, quod habent debilis-
simum esse. Nam inter omnia gênera en-
tium, entia qu* sunt in anima minus par-
ticipant de entitate, ut patet in multis locis
ah Aristotele, et alibi declarabitur, ergo
minus participant de veritate, et quia eo-
rum certitudo est veritas, ad plénum sciri
non piitest, nia per primas intentiones :
nam nunquam cognita fuisset hominis in-
tentio quae est species, nisi cognito , quod
homo secundum quod intellectus participa-
bilis erat a pluribus differentibus solum
numéro , a quo accipit anima hanc inten-
tionem quœ est species, ideo impossibile est
logicam scire, nisi fuerit sciens , et exper-
tus in aliis scientiis, et specialiter in
Metaphys.j quae in quolibet ente in quan-
tum hujusmodi facit demonstrationem ad
quam logicus in quantum hujusmodi de-
monstrationem non attingit. Verumtamen
quia hujusmodi secundœ intentiones com-
munes sunt in omnibus entibus : ideo lo-
gica est communis omnibus scientiis, et
potest arguere in qualibet scientia : nam
secundae intentiones ducunt in cognitio-
nem primarum, in quantum fundataesunt
in eis , ita quod per istam intentionem
quae est species, possunt cognoscere homi-
nem non m quantum homo, sed in quan-
tum de pluribus differentibus numéro pree-
SECOND TRAITÉ SUR LES UNIVERSAUX. 415
se (lit de plusieurs choses numériquement différentes, et de même les
autres espèces des autres sciences par le moyen des autres intentions.
Mais comme ces secondes intentions sont appliquées aux choses ab
extrinseco , parce qu'elles viennent de l'ame et surviennent dans les
choses , ce n'est conséquemment que par elles que l'on peut argu-
menter d'une manière probable. Car ainsi qu'on le verra dans les To-
piques, argumenter d'une manière probable c'est faire connoître une
chose par les accidents et par les propriétés communes. On voit par
là que comme les accidents contribuent beaucoup à faire connoître
quod quid est , et les accidents propres dont le logicien fait connoître
la propriété, ainsi qu'on le verra dans le chapitre propre, la logique
devroit conséquemment être ramenée aux autres sciences, et il est
évident que la logique fait connoître tous les êtres en commun d'une
manière probable ; or notre connoissance commence aux choses les
plus communes pour arriver aux moins communes , comme dit Aris-
tote, livre Ier de la Physique, et nous arrivons ultérieurement à l'es-
sence de la chose par la connoissance des accidents, laquelle connois-
sance a son principe dans le sens dont les accidents sont l'objet. C'est
pourquoi il faut étudier la logique avant toutes les autres sciences,
afin que dans les autres sciences on procède d'elle comme d'une con-
noissance préexistante.
Fin du cinquante-cinquième Opuscule, ou du second Traite' sur les
universaux.
L'abbé VÉDRINE.
Pï
dicatur, et sic per alias intentiones alias
species aliarum scientiarum. Sed quia hu-
jusmodi secundee intentiones applicantur
rébus ab extrinseco, quia a"b anima, et ac-
cidunt rébus, et ideo per eas solum potest
arguere probabiliter. Nam sicut patebit in
TopiciSj arguere probabiliter est notificare
rem per accidentalia , et per proprietate^-
communes. Ex quo patet quod quia acci-
dentia magnam partem conférant ad co-
gnoscenduin quod quid est , et accidentia
propria, ut propria notïficat logicus, ut pa-
tebit capitulo de proprio, ideo logica esset
ad alias scientias adducenda, et hoc mani-
festum est, quod logica notum f'aciat de
omnibus entibus in communi probabiliter,
nostra autem cognitio incipit a communio-
ribus devenire ad minus communia, ut di-
cit Aristoteles, I Physic, quod deveniemus
essentiam rei per cognitionem acciden-
tium, quœ incipit a sensu, cujus accidentia
sunt objectum. Ideo logica débet addisci
prius omnibus aliis scientiis, ut ex ipsa
tanquam ex prœexist'ente cognitione in
aliis scientiis procedatur.
Explicit Opusculum quinquagesimum
quintum , videlicet tractalus secundus de
universalibus.
416
OPUSCULE LVi.
OPUSCULE LVI.
DU MÊME DOCTEUR SAINT THOMAS, OFFICE DE LA FÊTE DU CORPS DE
Jésus -Christ, composé sur l'ordre du pape Urrain IV, qui a
ÉTABLI CETTE FÊTE.
On lit ce qui suit clans la chronique qui porte le nom de supplément
des chroniques.
Urbain IV, ayant été élevé au souverain Pontificat, institua la so-
lennité tlu corps de Jésus-Christ, ainsi que les processions et les oc-
taves, avec obligation pour les fidèles de les célébrer, et il accorda à
ces fins de nombreuses indulgences ; il confia à saint Thomas le soin
d'en composer l'office au moyen des figures tirées de l'ancien Testa-
ment. On lit la même chose dans la légende du saint et dans plusieurs
autres chroniques, telle que celle de Ptolémée de Luque, du bienheu-
reux Antonin, archevêque de Florence, etc.. C'est aussi ce qui fut
prouvé dans le consistoire apostolique, en présence du pape Urbain V,
lorsqu'on agitoit la question de la translation du corps du même doc-
teur saint Thomas, et qui se tint en l'année 1379. Son saint corps fut
alors transporté dans le couvent que les frères-prêcheurs possédoient
à Toulouse. Il avoit reposé depuis sa bienheureuse mort jusqu'à ce
jour dans le monastère de Fosse-Neuve. Et comme il composa cet
office sur les instances du Pontife de Rome , il le composa d'après les
règles de la cour de Rome.
OPUSCULÏJM LVI.
Ejusdem doctoris, officium de festo corporis Chris»i , ad mandatum Urbani pape IVf
DICTUM FESTUM INST1TUENTIS.
Ex Chronica qua appellalur supplementum
chronicarum.
Urbanus Papa IV, pontificatu suscepto, in-
stituit solemnitatem corporis Christ! cum
processionibus, et octavis a cunctis fidelibus
celebrari, pro quibus indulgentias maximas
concessit, ejusque officium ex veteris tes-
tamenti figuris per divum Thomam Aqui-
natem censuitesse fiendum. Hoc idem ha-
betur in ejusdem beati Thomae legenda et
in pluribus aliis chronicis, videlicet, Ptolo-
maei Lucensis, beati Antouini, Archiepiscopi
Florentini, et abbi. Hoc etiam probatum
fuit in Apostolico Consistorio, in pra?sentia
domini Papse Urbani V , dum de transla-
tione corporis ejusdem doctoiïs S. thomae
tractaretur quod fuit anno Domini 1379. Et
tune ejus corpus sanctissimum ad conven-
tum Tholosanum ordinis prœdicatorum
translatum fuit. Nam ab ejus obitu felici
usque ad illud tempus, in monasterio Fos-
sse novae sub deposito jacuerat. Et quia ad
instantiam romani Pontificis illud ofiicium
dictavit, ideo secundum morem romanae
curiaî ipsum composuit.
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. *
417
FETE DU CORPS DE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST.
PREMIÈRES VÊPRES.
1" Antienne. Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech, le Sei-
gneur Jésus-Christ offrit le pain et le vin. Psaume. Le Seigneur a
dit à mon Seigneur. 2e Antienne. Le Seigneur miséricordieux et clé-
ment, en souvenir de ses merveilles, a donné la nourriture nécessaire
à ceux qui le craignent. Psaume : Je vous louerai Seigneur, etc.
3e Antienne. Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le nom du
Seigneur. Psaume : J'ai cru, etc. 4e Antienne. Que les enfants soient
autour de la table du Seigneur comme les jeunes plants d' oliviers de
l'Eglise. Psaume. Bienheureux tous ceux, etc. 5e Antienne. Le Seigneur
nous rassasie du plus pur froment, lui qui a établi la paix dans l'Eglise
entière. Psaume. Jérusalem loue le Seigneur.
Capitule.
Le Seigneur Jésus - Christ pendant la nuit où on le livroit à ses
ennemis, prit le pain, et rendant grâce, il le rompit et dit : Prenez,
et mangez. « Ceci est mon corps , qui sera livré pour vous. » à), que
Dieu en soit béni.
à). Un homme fit un grand festin, et il envoya son serviteur à l'heure
du repas dire à ceux qui étoient invités, de venir, parce que tout étoit
prêt. f. Venez et mangez mon pain ; et buvez mon vin que je vous ai
préparé. Parce que, etc.. Gloire soit, etc. Parce que, etc..
I\ FESTO CORPORIS CHRIST!.
AD PRIMAS VESPERAS.
Antiphona. Sacerdosin aeternum Christus
Dominus secundum ordinem Melchisédech,
panem et vinum obtulit. Psal. Dixit Do-
minus. Antiph. Miserator et misericors
Dominus escam dédit timentibus se inme-
moriam suorum mirabilium. Psalm. Con-
fitebor. Antiph. Calicem salutaris accipiam,
et sacrificabo hostiam laudis. Psal. Credidi.
Antiph. Sicut novellse olivarum ecclesise
fllii sint in circuitu mensae Domini. Psalm.
Beati omnes. Antiph. Qui oacem ponit fines
Ecclesiœ, frumenti adipe satiat nos Domi-
nus. Psal. Lauda Hierusalem.
CapiCulum.
Dominus Jésus, in qua nocte tradebatur,
accepit panem, et gratias agens, fregit et
dixit. Accipite et manducate. « Hoc est cor-
pus meum, quod pro vobis tradetur. »
^. Deo gratias.
i$. Homo quidam fecit cœnam magnam,
et misit servum suum hora cœnae dicere
invitatis, ut venirent : Quia parata sunt
omnia. y. Venite, comedite panem meum,
et bibite vinum meum, quod miscui vobis.
Quia. Gloria.
V.
27
418
OPUSCULE LVI.
Hymne.
Publie, ô ma langue, le mystère du corps glorieux et du sang pré-
cieux, que le roi des nations fruit d'un sein généreux a répandu
pour racheter le monde ! Il nous a été donné , il flous est né d'une
Vierge très-pure. Répandant la semence de la parole il a conversé avec
les hommes, et il a terminé d'une manière merveilleuse son séjour
ici-bas. Assis au milieu de ses disciples pendant cette nuit de la cène
suprême, ayant observé la loi dans toute sa plénitude pour les mets
quelle prescrit, il se donne de ses propres mains comme aliment à la
foule des douzes Apôtres. Le Verbe fait chair change par sa parole
un pain véritable en sa propre chair, et le vin en son sang précieux;
bien que les sens soient impuissants à le voir, la foi seule suffit, pour
affermir le cœur sincère. Incliné profondément , adorons donc un si
grand sacrement , et que l'enseignement ancien fasse place au culte
nouveau ; que la foi supplée à l'insuffisance des sens. Au Père et au
Fils, louange et jubilation, salut, honneur, puissance et bénédiction;
louange pareillement à celui qui procède de l'un et de l'autre. Amen.
f. Vous leur avez donné, Seigneur, un pain céleste, fi. Qui a en lui toute
espèce de charmes. Magnificat. Antienne. Oh! qu'il est doux, Sei-
gneur, votre esprit, qui, pour que vous fissiez connoître à vos enfants
l'étendue de votre douceur, rassasierez les bons qui ont faim d'un pain
délicieux descendu du ciel et enverrez sans satisfaire leur appétit les
riches fastidieux.
Oraison.
Dieu qui nous avez laissé dans ce sacrement admirable le souvenir
de votre passion, faites, nous vous en supplions, que nous ayons pour
les saints mystères de votre corps et de votre sang un respect tel que
Hymnus.
Pange linguagloriosicorporis mysterium,
Sanguinisque pretiosi, quem in mundi pre-
tium : Fructus ventris generosi rex effudit
gentium. Nobis datus, nobis natus ex in-
tacta Virgine, et in mundo conversatus
sparso verbi semine, sui moras incolatus
miro clausit ordine. In supremae nocte cœ-
nae recumbens cum fratribus, Observata
lege plene cibis in legalibus, Cibum turbae
duodenœ se dat suis mauibus. Verbum caro
pauem verum, verbo carnem efticit : Fit-
que sanguis Ghristi merum, et si sensus dé-
ficit, ad firmamdum cor sincerum sola si-
des sufficit. Tantum ergo sacramentum
veneremur cernui , et antiquum documen-
tum novo cedat ritui, praestet fides supple-
mentum sensuum defectui. Genitori, geni-
toque laus et jubilatio, salus honor, virtus
quoque sit et benedictio, procedenti ab
utroque compar sit laudatio. Amen. y. Pa-
neni de cœlo prsestitisti eis. $. Omne de-
lectamentum in se habentem. Ad Magnifi-
cat. Antiph. O quam suavis est , Domine ,
spiritus tuus, qui ut dulcedinem tuam in
filios demonstrares, pane suavissimo de
cœlo prsestito esurientes replens bonis, fas-
tidiosos divites dimittes inanes.
Oralin.
Deus qui nobis sub sacramento mirabili
passionis tuse memoriam reliquisti, tribue
quœsumus, ita nos corporis et sanguinis
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. 419
nous jouissions intérieurement et continuellement des fruits de votre
rédemption. Yous qui vivez, etc. A complies, etc. Antienne, ayez
pitié, etc. Psaume. Lorsque j'invoquois, etc. Faites, Seigneur, que je
quitte, etc. Antienne. Louez Dieu , louez Dieu. Le pain que je vous
donnerai, Louez Dieu. Ma chair est pour la vie du monde. Louez Dieu,
louez Dieu.
A Matines. Invitatoire. Adorons le Christ roi qui domine les nations
et qui engraisse l'esprit de ceux auxquels il se donne en aliment.
Psaume, venez, etc.
Hymne.
Que la joie accompagne ces solennités saintes, et que les cœurs fassent
retentir les cris d'allégresse ; que tout ce qui étoit ancien disparoisse;
que tout soit nouveau, les cœurs, le langage et les œuvres. Cette fête
rappelle la cène suprême accomplie en cette nuit où la foi nous enseigne
que Jésus-Christ donna à ses frères l'agneau Pascal et le pain azime
conformément aux lois sous lesquelles vivoient les anciens Pères. Après
l'agneau typique , le festin étant achevé , les disciples ayant reçu le
corps du Seigneur , nous confessons qu'il se donna de ses propres
mains tout entier à tous , comme il se donna tout entier à chacun. Il
servit à ceux qui étoient débiles son corps en aliment, et donna à ceux
qui étoient tristes la coupe de son sang , disant : Prenez le calice que
je vous donne et buvez en tous. C'est ainsi qu'il institua le sacrifice
dont il voulut que les prêtres seuls fussent les ministres et auxquels il
convient si bien qu'ils le prennent pour eux et le donnent aux autres.
Le pain des anges devient le pain des hommes ; ce pain céleste est la
réalisation des anciennes figures. 0 ! chose indicible ! le pauvre, l'es-
clave , l'homme le plus foible mange son Seigneur. Divinité trine et
une , nous vous le demandons. Yisitez-nous comme nous vous hono-
tui sacra mysterïa venerari, ut redemptio-
nis tuae fructum in nobis jugiter sentia-
mus. Qui vivis, etc. Ad Complet. Antiph.
Miserere. Psal. Cum invocarem, cum cœte-
ris. Ad nunc dimittis. Antiph. Alléluia,
Alléluia. Panis quem ego dedero, Allé-
luia. Caro mea est pro mundi vita, Allé-
luia, A'teluia.
Ad Matutinas. Invitato. Christurn regem
adoremus dominantem gentibus. Qui se
manducantibus dat spiritus pinguedinem.
Psalm. Venite.
Hymnus.
Sacris solemniis juncta sint gaudia, et ex
prœcordiis sonent praeconia, recédant vêle-
ra, nova sint omnia, corda, voces, et opéra.
Noctis recolitur cœna novissima, qua
Ghristus creditur agnum, et azirna dédisse
fratribus juxta légitima, priscis indulta pa-
tribus. Post agnum typicum expletis epulis,
corpus dominicum datum discipulis, sic to-
tum omnibus quodtotum singulisejusfate-
mur manibus.Dedit fragilibus corporis fercu-
lum, dédit et tristibus sanguinis poculum,
dicens, accipite quod trado vasculum, om-
nes ex eo bibite. Sic sacritieium instituit,
cujus oflicium committi voluit solisprœsby-
teris, quibus sic congruit , ut sumant, et
dent ceeteris. Panis angelicus fit panis ho-
minum , dat panis cœlitus figuris termi-
num. 0 res mirabilis, manducat dominum
pauper, servus, et humilis. Te trina Deitas
unaque poscimus, sic nos tu visitas , sicut
420 OPUSCULE LVI.
rons; conduisez-nous par vos sentiers vers notre fin, à la lumière que
vous habitez. Ainsi soit-il.
Au premier nocturne. Antienne. Le Seigneur au temps de sa mort
donna à goûter le fruit du salut. Psaume. Bienheureux l'homme, etc.
Antienne. Les fidèles multipliés par le fruit du froment et du vin re-
poser! t dans la paix de Jésus-Christ. Psaume. Lorsque j'invoquois le
Seigneur. Antienne. Le Seigneur nous a réunis par la communion du
calice dans laquelle on reçoit Dieu, et non par le sang des jeunes
taureaux. Psaume. Conservez, etc.. f. Il leur a donné le pain du
ciel. ^. Il a mangé le pain des anges.
LEÇON I.
Les bienfaits immenses que la largesse divine a départis au peuple
chrétien lui confèrent une dignité inestimable. Il n'est pas et il n'y eut
jamais en effet de nation si grande qu'elle eût des dieux qui l'appro-
chassent de si près que notre Dieu s'approche de nous. Le Fils unique
de Dieu voulant en effet nous rendre participants de sa divinité, a pris
notre nature, et il s'est fait homme pour nous faire des dieux. Et de
plus, tout ce qu'il a pris de notre nature, il nous l'a tout conféré pour
notre salut , car c'est pour notre réconciliation qu'il a offert à Dieu
le Père son corps comme une hostie sur l'autel de la croix. Il a versé
son satfg à la fois comme le prix de notre salut et comme un bain sa-
lutaire , afin que rachetés de la triste servitude à laquelle nous étions
réduits, nous fussions purifiés de tous nos péchés. i$. La multitude des
enfants d'Israël immolera un chevreau le soir de la Pàque. Ils en man-
geront les chairs et le pain azime. jh Le Christ, notre Pàque, s'est im-
molé , c'est pourquoi faisons un festin avec les azimes de la sincérité
et de la vérité. Et ils mangeront, etc..
te colimus, per tuas semitas duc nos quo
tendimus , ad lucem quam inhabitas.
Amen.
In primo nocturno, Antiph. Fructum sa-
lutiferum gustandum dédit Dominus mor-
tis sua? tempore. Psal. Beatus vir. Antiph.
A fructu fruraenti, et vini multiplicati fi-
dèles in pace Christi requiescunt. Psalm.
Cum invocarem. Antiph. Communione ca-
licis, quo Deus ipse sumitur, non vitulo-
rum sanguine congregavit nos dominus.
Psal. Conserva, y. Panem cœli dédit eis.
$. Panem angelorum manducavit.
LECT10 I.
Immensa divinae largitatis bénéficia exhi-
bita populo christiano inœstimabilem ei
conferunt dignitatem. Neque enim est, aut
fuit aliquando tam grandis natio , quae ha-
beat Deos appropinquantes sibi, sicut ad-
est nobis Deus noster. Unigenitussiquidem
Dei Filius suae divinitatis volens nos esse
participes, naturam nostram assumpsit, ut
hommes deos faceret, factus homo. Et hoc
insuper quod de nostro assumpsit, totum
nobis contulit ad salutem. Corpus namque
suum pro nostra reconciliatione in ara cru-
cis hostiam obtulit Deo Patri.Sanguinem
suum fudit in pretium simul et lavacrum,
ut redempti a miserabili servitute, a pec-
catis omnibus mundaremur. i$. Immolabit
hœdum multitude filiorum Israël ad ves-
peram paschœ. Et edent carnes, et azymos
panes, y. Pascha nostrum immolatus est
Christus, itaque epulemur in azymis sin-
ceritatis, et veritatis. Et edent.
OFFICE DU CORPS DE JESUS-CHRIST.
421
LEÇON IL
Mais pour conserver parmi nous le souvenir perpétuel d'un si grand
bienfait , il laissa son corps et son sang aux fidèles pour qu'ils les
prissent comme une nourriture et comme un breuvage sous les appa-
rences du pain et du vin. Oh! festin précieux ! admirable, salutaire ,
plein de toute espèce de suavité ! Que peut-il en effet y avoir de plus
précieux que ce festin, dans lequel on ne nous propose pas de prendre
comme autrefois sous la loi, la chair des boucs et des veaux, mais bien
de nous nourrir de Jésus-Christ Dieu véritable ? Qu'y a-t-il de plus
merveilleux que ce sacrement? Dans ce sacrement en effet la substance
du pain et du vin se changent substantiellement au corps et au sang de
Jésus-Christ; c'est pourquoi le Christ, Dieu véritable et homme parfait,
est renfermé sous les espèces d'un peu de pain et de vin. r). Vous man-
gerez les chairs et vous serez rassasiés par le pain. C'est ici le pain que
le Seigneur vous a donné pour votre nourriture, f. Moïse ne vous a
pas donné le pain céleste ; mais mon Père vous donne le vrai pain du
ciel. C'est ici, etc..
LEÇON III.
C'est pourquoi les fidèles le mangent et ne le mettent point en pièce,
il demeure même tout entier après la division du sacrement sous
chaque particule qui provient de cette division. Quant aux accidents
ils subsistent dans le même sujet, pour exercer la foi , lorsque le vi-
sible est pris invisiblement, étant caché sous une apparence étrangère
et pour que les sens qui ne jugent que des accidents qui leur sont
connus ne soient pas trompés. Il n'y a pas de sacrement plus salutaire
lectio n.
Ut autem tanti beneficii jugis in nobis
maneret memoria , corpus suum in cibum,
et sanguinem suum in potum sub specie
panis et vini sumendura , fidelibus dereli-
quit. 0 pretiosum et admirandura convi-
vium, salutiferum, et omni suavitate re-
pletum. Quid enim hoc convivio pretiosus
esse potest,in quo non carnes vitulorum et
hyrcorum, ut ohm in lege , sed nobis su-
mendus proponitur Christus verus Deus ?
Quid hoc sacramento mirabilius? In ipso
namque panis et vinum inChristi corpus et
sanguinem substantialiter convertuntur :
Ideoque Christus Deus, et homo perfectus,
sub modici panis et vini specie, contine-
tur. ^. Comedetis carnes, et saturabimini
panibus. Iste est panis, quem dédit vobis
Dominus ad vescendum. ?. Non Moyses
dédit vobis panem de ccelo, sed paier
meus dat vobis panem de cœlo verum.
Iste.
LECTIO III.
Manducatur itaque a fidelibus, sed mi-
nime laceratur, quinimo diviso sacro inte-
ger sub qualibet divisionis particula persé-
vérât. Accidentia autem subjecto in eodem.
subsistunt, ut fides locum habeat, dum vi-
sibile invisibiliter sumitur aliéna specie oc-
cultatum , et sensus a deceptione reddan-
tur immunes, qui de accidentibus judicaut
sibi notis. Nullum etiam sacramentum est
isto salubrius, quo purgantur peccata, vir-
422 OPUSCULE LVI.
que celui-là, pour purifier les péchés, pour donner des forces nouvelles
et engraisser l'esprit de l'abondance de tous les dons spirituels. On
l'offre dans l'Eglise pour les vivants et pour les morts, afin qu'il serve
à tous, étant institué pour le salut de tous.
q). Héli regarda le pain cuit sous la cendre qui se trouvoit derrière
sa tête ; se levant il mangea et il but , et il marcha fortifié par cette
nourriture. Jusqu'à la moutagne du Seigneur, f. Si quelqu'un mange
de ce pain il vivra éternellement. Et il marcha, etc.. Gloire au, etc.
Jusqu'à, etc.
2e Nocturne. Antienne. Que le Seigneur se souvienne de notre sa-
crifice, et que notre holocauste soit pour lui d'agréable odeur. Psaume.
Que le Seigneur vous exauce, etc.. Antienne. Le Seigneur nous pré-
pare sa table contre tous ceux qui nous attristent. Psaume. Le Seigneur
me dirige, etc.. Antienne. Prenant part au banquet magnifique du
Seigneur, les airs retentiront de leurs cris d'allégresse. Psaume. De
même que le cerf, etc.. y. Il les a nourris du plus pur froment. ^. Et
il les a rassasiés du miel des rochers.
LEÇON IV.
Personne enfin ne sauroit exprimer la suavité de ce sacrement qui
fait goûter à sa source même la douceur spirituelle , et qui rappelle
le souvenir de celui dont le Christ au moment de sa passion a fait con-
noître la charité infiniment parfaite. C'est pour cela qu'afin de graver
plus profondément dans les cœurs des fidèles l'immensité de cette cha-
rité, dans la cène suprême, après avoir célébré la Pàque avec ses dis-
ciples, devant quitter la terre pour retourner à son Père , il institua
ce sacrement comme le souvenir perpétuel de sa passion, comme l'ac-
complissement des anciennes figures, et comme le plus grand des
tûtes augentur, et mens omnium spiritua-
lium charismatum abundantia impingua-
tur. Offertur in Ecclesia pro vivis et mor-
tuis, ut omnibus prosit, quod est pro salute
-omnium institutum. i$. Respexit Helias ad
caputsuumsubcinericium panem, qui sur-
gens comedit et bibit, et ambulavit in for-
titudine cibi illius. Usque ad montem
Dei. y. Si quis manducaverit ex hoc
pane, vivet in aeternum. Et ambulavit.
iïloria. Usque.
In II noct. Antiph. Memor sit Dominus
■sacrificii nostri, et holocaustum nostrum
-pingue bat. Ps. Exaudiat. Antiph. Paratur
nobis mensa Domini adversus omnes qui
tribulant nos. Ps. Dominus régit. Antiph.
In voce exultationis resonent epulantes in
mensa Domini. Ps. Quemadmcdum. t. Ci-
baviteos ex adipe frumenti. ri. Et de petra
melle saturavit eos.
LECTIO IV.
Suavitatem denique hujus sacramenti
nullus exprimere sufficit, per quod spiri-
tualis dulcedo in suo fonte gustatur, et re-
colitur rnemoria illius, quam in sua pas-
sione Christus monstravit. excellentissimae
charitatis. Unde ut arctius hujusmodi cha-
ritatis immensitas fidelium cordibus infi-
geretur, in ultima cœna quando pascha
cum discipulis celebrato, transiturus erat
de hoc mundo ad Patrem, hoc sacramen-
tum instituit tanquarn passionis suae me-
moriale perenne , figurarum veterum im-
pletivum , miraculorum ab ipso factorum
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. 423
miracles opérés par lui ; il laissa aussi ce sacrement comme le moyen
le plus propre pour consoler ceux que son absence attristoit.
r). Le pain que je vous donnerai , c'est ma chair immolée pour la
vie du monde ; les Juifs discutoient donc entre eux disant : Comment
peut-il nous donner sa chair à manger? jh Le peuple a parlé contre le
Seigneur. Nous sommes dégoûtés de cette nourriture trop légère.
Comment peut-il.
LEÇON V.
C'est pourquoi il convient à la dévotion des fidèles de rappeler so-
lennellement l'institution d'un sacrement et si salutaire et si admi-
rable , afin que nous vénérions le mode ineffable dont Dieu est pré-
sent dans un sacrement visible ; et afin de louer la puissance de Dieu
qui opère dans ce sacrementt tant de choses merveilleuses : c'est aussi
pour rendre à Dieu les actions de grâces qui lui sont dues pour un
bienfait et si salutaire et si doux. Mais bien qu'au jour de la cène ,
jour où l'on sait qu'a été institué ce sacrement, on fasse de son insti-
tution une mention spéciale pendant la solennité des messes qui se
célèbrent; tout le reste de l'office du jour néanmoins est consacré à la
passion de Jésus-Christ , passion à la vénération de laquelle l'Eglise
se livre pendant tout ce temps. Mais afin que tous les fidèles célébrassent
l'institution d'un si grand sacrement par l'office tout entier d'une so-
lennité, le Pontife de Rome Urbain IY., poussé par sa dévotion à ce
sacrement, a pieusement établi que tous les fidèles célébreroient la
mémoire de son institution la première cinquième férié après l'Octave
de la Pentecôte; afin que nous, qui usons pendant tout le cours de
l'année de ce sacrement pour notre salut, nous célébrions spécialement
son institution en ce temps, qui est celui où le Saint-Esprit a appris
maximum, et de sua contristatis absentia
solatium singulare reliquit. i$. Panis quem
ego dabo, caro mea est pro mundi vita, li-
tigabant ergo Judaei dicentes : Quomodo
potest hic nobis dare carnem suam ad man-
ducandum. y. Locutus est populus contra
Dominum, Anima nostra nauseat super
cibo isto levissimo. Quomodo.
LECTIO V.
Convenit itaque devotioni fidelium so-
lemniter recolere institutionem tam salu-
tiferi, tamque mirabilis sacramenti, ut
ineffabilem modum divinae prœsentiœ in sa-
cramento visibili veneremur et laudetur
Dei potentia, quœ in sacramento eodem
tôt mirabilia operatur : nec non et de tam
salubri, tamque suavi benefîcio exolvantur
Deo gratiarum debitœ actiones. Verum et
si in die cœnae, quando sacramentum prœdic-
tum noscitur institutum, inter missarum
solemnia de institutions ipsius , specialis
mentio habetur, totum tamen residuum
ejusdem diei ofïicium ad Ghristi passionem
pertinet, circa eu jus venerationem Eccle-
sia illo tempore occupatur. Ut autem inte-
gro celebritatis oiïicio institutionem tanti
sacramenti recoleret plebs fidelium, Ro-
manus Pontifex UrbanuslV, hujns sacra-
menti devotione affectus, pie statuit prae-
fatae institutionis memoriam prima quinta
feria post octavas Pentecostes a cunctis fî-
delibus celebrari , ut qui per totum anni
circulum hoc sacramento utimur ad salu-
tem, ejus institutionem illo tempore spe-
cialiter recolamus, quo Spiritus sanctus
424 OPUSCULE LVI.
aux cœur» des disciples à connoître pleinement les mystères de ce
même sacrement. C'est en effet en ce temps que les fidèles commen-
cèrent à fréquenter ce sacrement.
ql. Pendant qu'ils soupoient, Jésus prit le pain, le bénit, le rompit,
le donna à ses disciples , et dit : Prenez et mangez. « Ceci est mon
corps. » f. Les hommes de ma tente s'écrièrent : qui nous donnera de
sa chair pour que nous nous en rassasions. Prenez , etc..
LEÇON VI.
Le pontife de Rome dont nous venons de parler, pour faire célébrer
avec plus de pompe la mémoire de cette salutaire institution , le jour
de la cinquième férié indiquée et pendant l'octave suivante , et pour
en rendre la solennité plus célèbre , au lieu des distributions maté-
rielles qui se font dans les églises cathédrales à ceux qui assistent aux
heures canoniales de la nuit et du jour, accorda , par une largesse
apostolique, à ceux qui assisteroient en personne pendant cette solen-
nité à ces mêmes heures canoniales dans les églises, des largesses
spirituelles , afin que les fidèles se réunissent en plus grand nombre
et avec plus d'empressement à la solennité d'une si grande fête. A
tous ceux donc qui sont véritablement pénitents , qui se seront con-
fessés , et qui assisteront en personne et dans l'église à l'office de
Matines de cette fête, il accorde cent jours d'indulgences, il en accorde
autant à ceux qui assisteront à la Messe ; il en accorde cent pareille-
ment à ceux qui assisteront aux premières Vêpres de la même fête.
Quant à ceux qui assisteront aux secondes Vêpres , il leur en accorde
pareillement cent. Il en accorde aussi quarante jours à ceux qui assis-
teront à prime , tierce , sexte , none et compiles , et cela pour cha-
cune de ces heures. Quant à ceux qui , pendant les octaves de cette
corda discipulorum edocuit ad plene co-
gnoscendahujus mysteriasacramenti. Nam
et in eodem tempore cœpit hoc sacramen-
tum a fidelibus frequentari. M- Cœnantibus
illis accepit Jésus panem , et benedixit ac
fregit, deditque discipulis suis, et ait. Ac-
cipite, et comedite. Hoc est corpus meum.
f. Dixeruut viri tabernaculi mei : quis -det
camibus ejus ut saturemur. Accipite.
LEGTIO VI.
Ut autem praedicta quinta feria , et per
octavassequentes ejus salutaris institutionis
honorificentius agatur raemoria, et solem-
nitas de hoc celebrior habeatur , loco dis-
tributionum materialium, quae in ecclesiis
cathedralibus largiuntur, existentibus horis
canonicis nocturnis pariterque diurnis ,
prœfatus romanus Pontifex eis qui hujus-
modi horis in hac solemnitate personaliter
in ecclesiis interfuerint, stipendia spiritua-
lia apostolica largitione concessit, quatenus
per heec fidèles ad tanti festi celebritatem
avidius et copiosius convenirent. Omnibus
igitur vere pœnitentibus et confessis , qui
matutinali offîcio hujus festi praesentialiter
in ecclesia ubi celebrabitur aderunt , cen-
tum dies, quivero Missee totidem. Illis au-
tem qui interfuerint in primis ipsius festi
vesperis, similiter centum. Qui vero in se-
cundis totidem. Eis quoque qui primae,
tertiœ, sextœ, et nonse ac completorii ade-
runt officiis, pro qualibet ipsarum quadra-
ginta. Illis vero qui per ipsius festi octavas
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. 425
fête, assisteront aux offices de matines, à la messe, à ceux des vêpres
et des autres heures , il leur accorde pour chacun des jours de ces
mêmes octaves, pour remettre les pénitences dont ils sont chargés,
une indulgence de cent jours , et à perpétuité.
â). Jésus prit le calice après avoir soupe , et dit : « Ce calice est la
nouvelle alliance dans mon sang. Faites ceci en mémoire de moi. »
f. Je repasserai toujours ces choses dans ma mémoire , et mon ame
séchera de douleur, « Ce calice, etc.. » Gloire soit, etc.. Faites, etc.
3e Nocturne. Antienne. « J'entrerai jusqu'à l'autel de Dieu , et je
prendrai le Christ qui renouvelle ma jeunesse. » Psaume. « Jugez-
moi, mon Dieu. » Antienne. Il nous a nourris du plus pur froment, et
il nous a rassasiés du miel des rochers. Psaume. Réjouissez-vous en
louant Dieu, etc. Antienne. Seigneur, nous prenons le Christ de votre
autel , et il fait tressaillir de joie notre cœur et notre chair. Psaume.
Que vos tabernacles sont chers , etc.... f. Tirez le pain de la terre ;
r). et que le vin réjouisse le cœur de l'homme.
LEÇON VII.
Evangile selon saint Jean.
En ce temps-là Jésus dit à ses disciples et à la foule des Juifs : Ma
chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breu-
vage, etc.. Homélie du bienheureux évêque Augustin. Comme les
hommes demandent à la nourriture et à la boisson qu'ils prennent
qu'elles les empêchent d'avoir faim et soif, il n'y a véritablement que
cette nourriture et ce breuvage qui aient ce résultat ; ils rendent im-
mortelles et incorruptibles ceux qui les prennent , c'est-à-dire qu'ils
en font la société même des saints où régnera la paix et l'unité pleine
in matutinalibus vespertinis Missse ac ho-
rarum prsedictarum officiis prœsentcs exti-
terint, singulis diebus octavarum ipsarum
centum dies de injunctis sibi pœnitentiis
relaxando , indulgeutiam tribuit perpetuis
temporibus duraturam. $. Accepit Jésus
calicem postquam cœnavit dicens : Hic ca-
lix novura testamentum est in meo san-
guine : Hoc facile in meam commemora-
tionem. y. Memoria memor ero, et tabes-
cet in mea nimamea. Hic, etc. Gloria. Hoc. In
tertio noctur. Antiph. Introibo ad altare
Dei, sumam Christum qui rénovât juven-
tutem meam. Psal. Judica me Deus. An-
tiph. Cibavit nos Dominus ex adipe fru-
menti, et de petra melle saturavit nos.
Psal. Exultate Deo. Antiph. Ex altari tuo,
Domine, Christum sumimus, in quem cor
et caro nostra exultant. Psalm. Quam di-
lecta. y. Educas panem de terra. i$. Et vinum
lsetificet cor hominis.
LECTIO VII.
Secundum Joannem.
In illo tempore, dixit Jésus discipulis suis
et turbis Judaeorum : Caro mea vere est
cibus, et sanguis meus vere est potus. Et
reliqua. Homilia beati Augustini Episcopi.
Cum enim cibo et potu id appelant homi-
nes ut non esu riant neque sitiant, hoc ve-
raciter non prœstat nisi iste cibus et potus
qui eos a quibus sumitur, immortales et
incorruptibiles facit , id est ipsa societas
sanctorum , ubi pax erit et unitas plena
atque perfecta. Propterea quippe, sicut
426 OPUSCULE LVI.
et parfaite. C'est pour cela, comme le comprirent avant nous les
hommes de Dieu, que notre Seigneur Jésus-Christ confia son corps et
son sang à des choses qui ne forment qu'un tout. Un pain est en effet
composé d'un grand nombre de grains, et le vin provient d'un grand
nombre de grappes de raisins.
rç). « Celui qui mange ma chair et -qui boit mon sang demeure en
moi et moi en lui. » Jr. « 11 n'y a pas d'autre nation si grande qui ait
des dieux qui s'approchent d'elle si près, que notre Dieu s'approche de
nous. En moi, etc.. »
LEÇON VIII.
Enfin il expose comment se fait ce qu'il dit, et ce que c'est que
manger son corps et boire son sang. « Celui qui mange ma chair
et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Manger cette
nourriture et boire ce breuvage n'est donc pas autre chose que de-
meurer en Jésus-Christ et que de l'avoir en soi comme un hôte. Par
conséquent , celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ , et en qui il
n'habite pas lui-même, ne mange assurément pas spirituellement sa
chair, bien que charnellement et visiblement il presse sous ses dents
les sacrements du corps et du sang du Christ. Mais il mange et boit
plutôt à sa condamnation ce grand sacrement celui qui , sans s'être
purifié, ose s'approcher du sacrement de Jésus-Christ; puisque celui-là
seul le reçoit dignement, qui est pur. C'est de ceux-là qu'il est dit :
Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu'ils verront Dieu.
i$. « Mon Père qui m'a envoyé est vivant , et moi je vis pour mon
Père , de même celui qui me mange vivra pour moi. » jL « Le Sei-
gneur l'a nourri du pain de la vie et de l'intelligence. »
ante nos intellexerunt homines Dei , Do-
minus noster Jésus Christus corpus et san-
guinem suum in eis rébus commendavit,
quae ad unum aliquid rediguntur. Ex mul-
tis namque granis unus panis conficitur, et
ex multis racemis vinum confluit. g. Qui
manducat meam carnem , et bibit meum
sanguinem : in me manet , et ego in illo.
y. Non est alia natio tam grandis, quae ha-
beat deos appropinquantes sibi, sicut Deus
noster adest nobis. In me.
LECTIO VIII.
Denique jam exponit quomodo id fiât
quod loquitur , et quid sit manducare cor-
pus ejus, et sanguinem bibere. Qui man-
ducat meam carnem, et bibit meum san-
guinem , in me manet et ego in eo. Hoc
est ergo manducare illam escam et illum
bibere potum, in Christo manere et illum
manentem in se habere. Ac per hoc qui
non manet in Christo, et in quo non ma-
net Christus , proculdubio non manducat
spiritualiter ejus carnem, licet carnaliter et
visibiliter premat dentibus sacramenta
corporis et sanguinis Christi. Sed magis
tantae rei sacramentum ad judicium sibi
manducat et bibit, qui immundus preesu-
mit ad Christi accedere sacramentum,
quod alius non digne sumit, nisi qui muu-
dus est , de quibus dicitur : Beati mundo
corde, quoniam ipsi Deum videbunt. h. Mi-
sit me vivens Pater, et ego vivo propter
Patrem : Et qui manducat me, vivet prop-
ter me. y. Cibavit eum Dominus pane
vitœ et intellectus. Et qui.
OFFICE DU COKPS DE JESUS-CHRIST.
427-
LEÇON IX.
Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant , et moi je vis pour
lui , de même celui qui me mange vivra pour moi. Le Fils ne devient
pas meilleur par sa participation avec le Père , puisqu'il lui est égal ;
comme nous devenons meilleurs , nous , par la participation du Fils ,
par l'union du corps et du sang que signifie cette action de manger et
de boire. Lorsque nous le mangeons, nous vivons donc pour lui,
c'est-à-dire par Jésus-Christ, recevant la vie éternelle que nous ne
possédons pas en nous. Quant à lui , il vivra pour lé Père qui l'a en-
voyé, parce qu'il s'est abaissé lui-même, s'étant fait obéissant jusqu'à
la mort , et la mort de la croix. Comme mon Père qui est vivant m'a
envoyé , et moi je vis pour mon Père , de même celui qui me mange
vivra pour moi. C'est comme s'il disoit : Et moi je vis pour mon Père.
C'est-à-dire, il faut que je lui rapporte ma vie comme étant plus
grand. Il a fait l'abaissement dans lequel il m'a envoyé ; mais ce qui
fait que chacun vit pour moi , c'est qu'il participe à moi en me man-
geant. Quant à moi, humilié , je vis pour mon Père , et lui , dans sa
grandeur, vit pour moi. Il ne dit pas cela de cette nature par laquelle
il est toujours égal au Père , mais bien de celle en laquelle il lui est
inférieur, et dont il a dit plus haut : Comme le Père a la vie en soi ,
de même il a donné au Fils de l'avoir aussi en lui-même.
î$. Nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et un seul
corps, parce que nous participons tous à un même pain et à un même
calice. Jr. Vous avez préparé, ô Dieu ! par un effet de votre douceur,
une nourriture pour le pauvre ; vous les faites habiter tous dans votre
maison. Tous, etc.. Gloire soit, etc.. Nous participons tous , etc..
LECTIO IX.
Sicut me misit, inquit, vivens Pater, et
ego vivo propter Patrem : et qui manducat
me , et ipse vivet propter me. Non enim
Filius participatione Patris fit melior , qui
est Patri aequalis, sicut participatione
Filii per unitatem corporis et sanguinis,
quam illa manducatio potatioque signifieat,
nos efificit meliores. Vivimus ergo nos
propter ipsum , manducantes eum , id est,
per Christum , accipientes vitam aeternam,
quam non habemus ex nobis. Vivet autem
ipse propter Patrem missus ab eo, quia se-
metipsum exinanivit, factus obediens usque
ad mortem , mortem autem crucis. Sicut
misit me vivens Pater, et ego vivo propter
Patrem, et qui manducat me, et ipse vivet
propter me; ac si diceret, et ego vivo prop-
ter Patrem, id est , ut ad illum tanquam
ad majorem referam vitam meam. Exina-
uitio mea fecit , in qua me misit : ut au-
tem quisque vivat propter me, participatio
facit qua manducat me. Ego autem humi-
liatus vivo propter Patrem, et ille erectus
vivit propter me. Non de ea natufa dixit,
quia semper est aequalis Patri , sed de ea
in qua minor factus est Pâtre, de qua
etiam superius dixit. Sicut Pater habet vi-
tam in semetipso, sic dédit et Filio vitam
habere in semetipso. ni. Unus panis et
unum corpus multi sumus. Omnes qui de
uno pane et de uno calice participamus.
y. Parasti in dulcedine tua paupen Deus,
habitare facis unanimes in domo. Omnes.
Gloria. Participamus. y. Comedi favum
meum cum melle meo. b). Bibi vinum
meum cum lacté meo. In laudibus. Antiph.
428 . OPUSCULE LVI.
'}. J'ai mangé mon rayon avec mon miel; if), j'ai bu mon vin avec
mon lait.
A Laudes. La Sagesse s'est édifié une maison , elle a mêlé le vin ,
et elle a dressé la table. Louez Dieu. Psaume. Le Seigneur a régné, etc.
Antienne. Vous avez nourri votre peuple avec le pain des anges , et
vous lui avez donné le pain du ciel. Louez Dieu. Antienne. Le pain
du Christ est un pain gras , et les rois y trouveront leurs délices.
Louez Dieu. Antienne. Les prêtres de Dieu offrent à Dieu le pain et
l'encens. Louez Dieu. Antienne. Je donnerai au victorieux la manne
cachée et un nom nonveau. Louez Dieu. Capitule. Seigneur Jésus, etc.
Comme aux premières Vêpres.
Hymne.
Le Verbe divin naissant vient accomplir son œuvre tout en demeu-
rant à la droite de son Père , il poursuit sa course jusqu'au terme de
la vie. Un de ses disciples devant le livrer à ses ennemis pour être mis
à mort , il se donne d'abord à ses disciples en aliment de vie. Il leur
donna sa chair et son sang sous deux espèces , afin que de sa double
substance il alimentât tout l'homme. Naissant il se fit notre frère , il
partagea les mets qui nous nourrissent ; mourant il se fit le prix de
notre rédemption , régnant il fut notre récompense. 0 hostie salu-
taire , qui nous ouvrez le ciel , nous sommes pressés par les combats
de nos ennemis ; donnez-nous la force , venez à notre secours. Au
Seigneur un et trois gloire éternelle, et qu'il nous donne une vie sans
fin dans la céleste patrie. Ainsi soit-il. f. Il a établi la paix jusqu'à tes
confins ; i$). et il t'a nourri du plus pur froment. Au : Béni soit le Sei-
gneur, etc.. » Antienne. « Je suis le pain de vie qui suis descendu
du ciel ; si quelqu'un mange de ce pain il vivra éternellement. » L'o-
raison est comme aux premières vêpres.
Sapientia œdificavit sibi domum , miscuit
vinum et posuit mensam. Alléluia. Psalm.
Dominus regnavit. Antiph. Angelorum
esca nutrivisti populum tuum , et panem
de cœlo prœstitisti eis. Alléluia. Antiph.
Pinguis est panis Christi, et preebebit deli-
cias regibus. Alléluia. Antiph. SacerdotesDei
incensum et panes offerunt, Dec-, Alléluia.
Antiphona. Vincenti dabo manna abscondi-
tum, et nomen novum. Alléluia. Capit.
Dominus Jésus, etc., ut in primis vesperis.
Bymnus.
Verbum supernum prodiens , nec Patris
linquens dexteram, ad opus suum exiens,
venit ad vitae vesperam. lu raortem a dis-
cipulo suis tradeudus eemulis, prius in vitae
ferculo se tradidit discipuhs. Quibus sub
bina specie carnem dédit et sanguinem,
ut duplicis substautiae totum cibaret ho-
minem. Se nascens dédit socium, conves-
cens in edulium, se moriens in pretium, se
regnaus dat in prœmium. 0 salutaris hos-
tia, quse cœli pandis ostium, bella premunt
hostilia, da robur, fer auxilium. Uni tri-
noque Domino sit sempiterna gloria, qui
vitam sine termino nobis donet in patria.
Amen. y. Posuit fines tuos pacem. $. Et
adipe frumenti satiat te. Adbenedictionem.
Antiphona. Ego sum panis vivus , qui de
cœlo descendi : si quis manducaverit ex hoc
pane, vivet in œternum. Oratio ut in pri-
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. 429
A Prime et aux autres heures , les antiennes sont les mêmes que
celles de Laudes, excepté la quatrième, r). «Jésus-Christ, etc...»
f. « Qui est né de la Vierge Marie. » Ce verset doit se dire pendant
toute l'octave.
A Tierce. Capitule. Seigneur, Jésus, etc.. r). Il leur a donné le
pain du ciel , louez Dieu. f. L'homme a mangé le pain des anges ,
louez Dieu, louez Dieu. Gloire soit, etc.. Le pain des, etc.. Il les a
nourris, etc..
A Sexte. Capitule. Toutes les fois que vous mangerez ce pain et
que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jus-
qu'à ce qu'il vienne, r). Il lésa nourris, etc.. Louez Dieu, louez Dieu.
f. Et du miel de la pierre, etc. . . Gloire soit, etc. . . Il les a nourris, etc. . .
f. Tirez le pain, etc..
A None. Capitule. Quiconque mangera le pain, et boira le calice du
Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Sei-
gneur, r). Tirez le pain, etc.. Louez Dieu, louez Dieu. f. Et que le
vin réjouisse, etc.. Louez Dieu, louez Dieu. Gloire soit, etc.. Tirez
le pain, etc.. Il a établi la paix jusqu'à ses confins, fy Et il te rassasie
du plus pur froment.
A Vêpres, les Antiennes pour chaque Psaume sont les mêmes qu'à
Laudes. Les Psaumes , le Capitule , l'Hymne et le Verset sont les
mêmes qu'aux premières Vêpres.
Au Magnificat. Antienne. 0 bouquet sacré dans lequel on reçoit
Jésus-Christ; où l'on célèbre la mémoire de sa passion, dans lequel
l'esprit est rempli de la grâce et où nous recevons le gage de la gloire
future! Louez Dieu, louez Dieu! L'Oraison est la même qu'aux pre-
mières Vêpres. Pendant l'Octave. Invitatoire. Venez, adorons Jésus-
Christ qui est le pain des anges et des hommes. Au : Béni soit, etc..
Antienne. Je suis le pain de vie, qui suis descendu du ciel; celui qui
mange de ce pain vivra éternellement. Au Magnificat : « Le Seigneur
mis vesperis. Ad primam et ad omnes ho-
ras Antiphonae. Laudum quarta excepta.
$. Jesu Christe. y. Qui natus est de Virgine
Maria , et dicatur per totam ootavam.
Ad tertiam. Cap. Dominus Jésus. $. Pa-
nem cœli dédit eis. Alléluia, Allel. y. Pa-
nem angelorum manducavit homo. Allel.,
Alléluia. Gloria. Panem. y. Cibavit eos, etc.
Ad sextam. Gap. Quotiescumque inan-
ducabitis pauem hune, et calicem bibetis,
mortem Domini annuntiabitis donec ve-
niat. S). Cibavit eos, etc. Alléluia, Alléluia.
y. Et de petra, etc. Allel., Alléluia. Gloria.
Cibavit. y. Educas panem.
Ad nonam. Cap. Quicumque manduca-
■verit panem et biberit calicem Domini in-
digne, reus erit corporis et sanguinis Do-
mini. i}. Educas panem, etc. Alléluia, Allé-
luia, y. Et vinum laetificet, etc. Alléluia,
Alléluia. Gloria. Educas. y. Posuit fines
tuos pacem. $. Et adipe frumenti satiat te.
Ad vesperas super Psalm. Antiph. Lau-
dum. Psalm. Cap. Hym. y. sicut in primis
vesperis.
Ad Magmf. Antiph. 0 sacrum convivium,
in quo Christus sumitur, recolitur memo-
ria passionis ejus, mens impletur gratia, et
futurse gloriae nobis pignus datur. Alléluia,
Alléluia. Oratio, ut in primis vesperis. Per
oct. Invitator. Christum panem Angelorum
et hominum : Venite adoremus. Ad Bene-
dictus. Antiph. Ego sum panis vivus , qui
de cœlo descendi , qui manducat ex hoc
pane, vivet in œternum. Ad Magn. Antiph.
430 OPUSCULE LVI.
qui est miséricordieux et plein de clémence, a rappelé la mémoire de
ses merveilles, et il a donné la nourriture à ceux qui le craignent. »
Tout le reste se fait comme au jour de la Fête.
MESSE.
Le Seigneur les a nourris du plus pur froment, louez Dieu, et il les
a rassasiés du miel du rocher , louez Dieu , louez Dieu , louez Dieu.
y. Réjouissez - vous en louant Dieu notre protecteur; chantez dans
de saints transports les louanges du Dieu de Jacob., Gloire soit au
Père, etc..
Gloire à Dieu au plus haut des cieux , etc..
Prière. Dieu qui nous avez laissé sous ce sacrement admirable le
souvenir de votre passion , faites /nous vous en supplions, que nous
ayons pour les mystères de votre corps et de votre sang un respect
tel , que nous jouissions intérieurement et continuellement des fruits
de votre rédemption. Vous qui vivez et régnez, etc..
Epître de l'apôtre saint Paul aux Corinthiens.
Mes Frères. Car c'est du Seigneur que j'ai appris ce que je vous ai
enseigné; savoir, que le Seigneur Jésus, la nuit même qu'il devoit
être mis à mort, prit du pain, et ayant rendu grâces, le rompit, et dit
à ses disciples : Prenez et mangez ; « Ceci est mon corps » qui sera
livré pour vous; faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même le
calice après avoir soupe, en disant : « Ce calice est la nouvelle alliance
de mon sang; » faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous
le boirez. Toutes les fois en effet que vous mangerez ce pain , et que
Memoriam fecit mirabilium suorum, mise-
ricors et miserator Dominus escam dédit
timentibus se. Caetera omnia fiant, sicut in
die.
AD M1SSAM.
Cibavit eos ex adipe frumenti, Alléluia :
et de petra raelle saturavit eos, Alléluia,
Alléluia, Allel. y. Exultate Deo adjutori
nostro , jubilate Deo Jacob. Gloria Patri,
et cœtera.
Gloria in excelsis , etc.
Oratio. Deus qui nobis sub sacramento
imrabili passionis tuae memoriam reliquisti,
tribue queesuinus, ita nos corporis et san-
guinis tui sacra mysteria venerari , ut re-
demptionis tua? fructum, in nobis jugiter
sentiamus, Qui vivis, etc.
Lectio Epislolœ beali Pauli Aposloli ad Co-
rinlhios.
Fratres : Ego enim accepi a Domino ,
quod et tradidi vobis, quoniam Dorninus
Jésus in qua nocte tradebatur, accepit pa-
nem," et gratias agens fregit et dixit : Ac-
cipite , et manducate : Hoc est corpus
meum, quod pro vobis tradetur : hoc fa-
cite in meam commemorationem. Simili-
ter et calicem postquam cœnavit , dicens :
Hic calix novum testamentum est in meo
sanguine : hoc facite quotiescumque su-
mitis in meam commemorationem. Quo-
tiescumque enim manducabitis panem
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST. 431
tous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à
ce qu'il Tienne. C'est pourquoi quiconque mangera ce pain , ou boira
le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du
sang du Seigneur. Que l'homme donc s'éprouve lui-même , et qu'il
mange ainsi de ce pain et boive de ce calice. Car quiconque en mange
et en boit indignement, mange et boit sa propre condamnation ne<
faisant pas le discernement qu'il doit du corps du Seigneur, â. Tous
Seigneur, ont les yeux tournés vers vous; et ils attendent de vous que
vous leur donniez leur nourriture dans le temps opportun. f. Yous
ouvrez votre main, et vous remplissez tout ce qui respire des effets de
votre bonté. Louez Dieu. f. Ma chair est vraiment une nourriture et
mon sang est véritablement un breuvage ; celui qui mange ma chair
et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en lui.
Séquence.
Sion , loue ton Sauveur, ton chef et ton pasteur, loue-le dans tes
hymnes et tes cantiques. Ose pour le faire tout ce que te permettront
tes forces , parce qu'il est au-dessus de toutes louanges , et que tu ne
peux le louer comme il le mérite. On nous propose aujourd'hui comme
objet spécial de nos louanges le pain vivant et vivifiant. Il est certain
que ce pain fut donné aux douzes apôtres à la table de la sainte cène.
Que notre louange soit parfaite , quelle soit retentissante , quelle soit
aimable; que la jubilation dé notre esprit soit digne de Dieu. Ce jour
solennel est en effet celui où l'on célèbre la mémoire de la première
institution de ce banquet. A cette table du nouveau roi , la nouvelle
Pâque de la nouvelle loi, met un terme à la Pâque ancienne. Ce rit
nouveau abolit le rit ancien, la vérité dissipe l'ombre, la lumière
éclaire la nuit. Ce que Jésus-Christ fit dans la cène, il nous a ordonné
hune, et calicera liibetis : mortem Domini
annuntiabitis donec veniat. Itaque quieum-
que manducaverit panem vel biberit cali-
cem Domini indigne, reus erit corporis et
sanguinis Domini. Probet autem seipsum
homo, et sic de pane illo edat , et de ca-
lice bibat. Qui enim manducat et bibit in-
digne , judicium sibi manducat et bibit,
non dijudicans corpus Domini.
$. Oculi omnium in te sperant Domine,
et tu das illis escam in tempore opportuno.
$). Aperis tu manum tuam, et impies omne
animal in benedictione, Alléluia, y. Caro
mea vere est cibus , et sanguis meus vere
est potus : qui manducat meam carnem,
et bibit meum sanguinem , in me manet,
et ego in eo.
Sequenlia.
Lauda Sion Salvatorem, lauda Ducem et
Pastorem in hymnis et canticis. Quantum
potes, tantum aude, quia major omni
laude , nec laudare sufficis. Laudis thema
specialis , panis vivus et vitalis hodie pro-
ponitur. Quem in sacras mensa cœnee, tur-
bae fratrum duodenœ, datum non ambigi-
tur. Sit laus plena, sit sonora, sit jucunda,
sit décora mentis jubilatio. Dies enim so-
lemnis agitur, in qua mensae prima recoli-
tur hujus institutio. In hac mensa novi
régis, novum Pascha novae legis, phase vê-
tus terminât. Vetustatem novitas, umbram
fugat veritas, noctem lux éliminât. Quod
in coena Ghristus gessit, faciendum hoc ex-
432 OPUSCULE LVI.
de le faire en mémoire de lui. Instruits par son saint exemple , nous
consacrons le pain et le vin en hostie du salut. C'est un article de foi
pour les chrétiens que le pain se change en chair et le vin en sang.
Ce que vous ne comprenez pas, ce que vous ne voyez pas , la foi qui
ne se laisse pas décourager vous l'assure comme supérieur a l'ordre
de la nature. Sous les différentes espèces , qui sont des signes et non
des choses réelles, sont cachés les dons les plus parfaits. Sa chair est
une nourriture, son sang est un breuvage, Jésus- Christ cependant
demeure tout entier sous chaque espèce. Celui qui le prend, ne le
rompt pas, ne le brise pas, non plus qu'il ne le divise, mais il le prend
tout entier. Un seul le reçoit, mille le reçoivent ; ceux-ci en prennent
autant que celui-là; pris il n'est point consommé, les bons et les mé-
chants le reçoivent; mais leur sort est différent î les uns y trouvent la
vie, les autres- la mort. Il est la mort des méchants, la vie des bons ;
voyez combien sont différents les résultats qu'il produit dans ceux qui
le prennent également. Le sacrement enfin étant rompu, n'hésitez
pas , mais rappelez-vous qu'il se trouve tout entier sous la partie
comme sous la totalité de l'espèce. L' apparence seulement est rompue
et non la chose, et cette rupture ne diminue en rien la grandeur ou
l'état de la chose signifiée. Yoici le pain des anges , qui est devenu le
pain des voyageurs, le véritable pain des enfants, qui ne doit point
être jeté aux chiens. Il est annoncé en figure' à l'avance par l'immo-
lation d'Isaac; il le fut dans l'agneau pascal et la manne donnée
à nos pères. Bon pasteur, pain véritable, Jésus ayez pitié de nous,
soyez notre nourriture , notre soutien , faites que nous voyons les
biens véritables dans la terre des vivants. Vous qui savez et pouvez
tout, qui nous nourrissez ici-bas où nous sommes mortels, faites que
là nous soyons les Commensaux, les cohéritiers et les compagnons des
saints habitants du ciel. Ainsi soit-il.
pressit in sui memoriam. Docti sacris ins-
tituas, panem, vinum, in salmis cousecra-
mus hostiam. Dogma datur Christianis,
quod in carnem transit panis, et vinum in
sanguinem. Quod non capis, quod non vi-
des, animosa firmat fides praeter rerum or-
dinem. Sub diversis speciebus, signis tan-
tum et non rébus, latent res eximiae. Caro
cibus, sanguispotus, manet tamen Christus
totus sub utraque specie. A sumente non
concisus, non confractus, non divisus, in-
teger assumitur. Sumit unus , sumunt
mille : quantum isti, tantum ille, nec sump-
tus consumitur sumunt boni, sumunt
mali, sorte tamen inaequali vitae vel in-
teritus. Mors est malis, vita bonis, vide
paris sumptionis quam sit dispar exitus.
Fracto demum sacramento, ne vacilles,
sed mémento tantum esse sub fragmento,
quantum toto tegitur. Nulla rei fit scissura,
signi tantum fit fractura, qua nec status,
nec statura signati minuitur. Ecce panis
angelorum, factus cibus viatorum, vere pa-
nis filiorum, non mittendus canibus. In fi-
guris prsesignatur , cum Isaac immolatur,
agnus Paschae deputatur , datur manna pa-
tribus. Bone pastor, panis vere, Jesu nostri
miserere, tu nos pasce, nos tuere , tu nos
bona fac videre, in terra viventium. *Tu
qui cuncta scis et vales, qui nos pascis hic
mortales, tuos ibi commensales, cohseredes
et sodales , fac sanctorum civium. Amen.
OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST.
Evangile selon saint Jean.
433
En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples et à la foule des Juifs : Ma
chair est une véritable nourriture , et mon sang un vrai breuvage.
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi
en lui. Comme mon Père qui m'a envoyé est vivant'et que je vis pour
mon Père , de même celui qui me mange , vivra lui aussi pour moi.
C'est ici le pain qui est descendu du ciel, il n'est pas comme la manne
que mangèrent vos pères, et qui ne les empêcha pas de mourir; celui
qui mange ce pain vivra éternellement.
Je crois en Dieu, etc...
Offertoire. Les prêtres du Seigneur présentent l'encens et offrent à
Dieu le pain; c'est pourquoi ils seront saints devant lui et ne souille-
ront point son nom. Louez Dieu.
Secrète.
Nous vous en supplions, Seigneur, soyez favorable à votre Eglise
et donnez-lui la paix et l'unité que désignent mystiquement les dons
qui vous sont offerts par Notre-Seigneur.
Préface. Par le mystère du Verbe incarné, etc. Le mystère saint et
divin y est exprimé , et l'esprit orgueilleux des infidèles frappé de
cécité, l'espérance inébranlable des croyants fortifiée par la foi.
Saint. La foi consiste surtout à croire eii Dieu , à manger le pain
divin, et à le consacrer; nous commandant de le faire, il dit : Prenez,
ceci est mon corps. Saint. On ne voit d'abord que du pain , mais lors-
qu'on le consacre , il se change en la chair de Jésus-Christ ; comme
Secundum Joannem.
In illo tempore : Dixit Jésus discipulis
suis et turbis Judœorum : Caro mea vere
est cibus, et sanguis meus vere est potus.
Qui manducat raeam carnera et bibit meum
sanguinem, in me manet , et ego in illo.
Sicut misit me vivens Pater, et ôgo vivo
propter Patrem : et qui manducat me, et
ipse vivet propter me. Hic est panis qui de
cœlo descendit , non sicut manducaverunt
patres vestri manna , et mortui sunt ; qui
manducat hune panem, vivet in aeternum.
Credo.
Offertorium. Sacerdotes incensum Do-
iriini et panes offerunt Deo, et ideo sancti
erunt Deo suo, et non polluent nomen
ejus, Alléluia.
Secrela.
Ecelesiae tua? , quœso , Domine , unitatis
et pacis propitius dona concède , quae sub
oblatis muneribus mystice designantur.
Prœfatio. Quia per incarnati. Sanctum
divinum mysterium semper declaratur, et
mens inlidelium tumens excœcatur, firma
spes credentium fide roboratur. Sanctus.
Fides est summopere credere in Deum, pa-
nem sanctum edere, et tractare eum : ju-
bens dicit, Sumite : Hoc est corpus meum.
Sanctus. Panis prius cernitur, sed dum
V.
43 4 OPUSCULE LVI , OFFICE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST.
il se change , de même il se transsubstantie , et c'est Dieu qui opère.
Seigneur Dieu des armées. Il en est de même du vin lorsqu'on le bé-
nit; il devient véritablement alors le sang de Jésus-Christ , nous de-
vons croire communément comme vraie cette parole , et non comme
simulée. Le ciel et la terre sont pleins de votre gloire, gloire à Dieu
au plus haut des cieux. Que ce sacrement soit être pour nous qui le
célébrons de même que pour les fidèles qui le reçoivent un aliment, et
qu'il soit la cause de la ruine des Juifs qui le nient. Béni soit celui
qui vient au nom du Seigneur; gloire à Dieu au plus haut des cieux.
Communion. Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que
vous boirez ce calice , vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à
ce qu'il \ienne. C'est pourquoi, quiconque mangera le pain et boira
]e calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang
du Seigneur. Louez Dieu.
Postcommunion. Faites, nous vous en conjurons, Seigneur, que nous
soyons remplis de la jouissance éternelle de votre divinité; jouissance
que nous représente la réception temporelle de votre corps et de votre
sang précieux; Dieu qui vivez et régnez avec Dieu le Père dans l'unité
du Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Fin du cinquante-sixième Opuscule de saint Thomas.
L'abbé FOURSET.
consecratur , caro Christi , sic mutatur ,
quomodo convertitur, Deus operatur. Do-
minus Deus Sabaoth. De vino similiter si
sit benedictum, et tune est veraciter san-
guis Christi, dictumeredamuscommuniter
Yerum, et non fictum. Pleni su'\t cœli et
terra gloria tua, Hosanna in excelsis. Nobis
celebrantibusistudsacramentum, et cunctis
iidelibus fiât nutrimentum , Judœis negan-
tibus sit in detrimentum. Benedictus qui
venit in nomine Domini, Hosanna in excel-
sis. Communio. Quotiescumquemanducabi-
tispanem hune, et calicem bibetis, mor-
tem Domini annuntiabitis donec veniat.
Itaque , quicumque manducaverit panem,
vel biberit calicem Domini indigne, reus
erit corporis et sanguinis Domini, Alléluia.
Postcommunion. Fac nos, quaesumus, Do-
mine, divinitatis tuœ sempiterna fruitione
repleri, quam pretiosi corporis et sangui-
nis tui temporalis perceptio preefigurat :
Qui vivis et régnas cum Deo Pâtre in uni-
tate Spiritus sancti Deus : Per omnia sae-
cula saeculorum. Amen.
Explicit Opusculum Quinquagesimum
sextum S. Thomœ de Aquino.
OPUSCULE LVII , SUR LE SACREMENT DE L AUTEL.
435 -^3:
DlJ MÊME DOCTEUR SAINT THOMAS, SUR LE SACREMENT ADORABLE
DE L'AUTEL.
CHAPITRE PREMIER.
Des trois causes de l'institution du sacrement du corps du Seigneur.
« Venez, mangez le pain que je vous donne, buvez le vin que je
vous ai préparé. » Prov., chap. IX. Le Seigneur par ces paroles nous
convie au banquet salutaire clans lequel il nous a préparé un aliment
précieux, à savoir son corps et son sang, conformément à ces paroles
des Proverbes, chap. YI : « Traitez votre affaire avec votre ami, et ne
révélez point votre secret à un étranger. » L'affaire secrète , c'est le
sacrement de l'Autel, c'est comme un secret sacré , dont laicause ne
doit pas se révéler aux infidèles , mais aux fidèles seuls. Remarquez
que trois causes ont contribué à l'institution de ce sacrement. Ce sont,
le souvenir du Sauveur , le sacrifice de l'autel , la nourriture de
l'homme. La sagesse divine a disposé ces trois choses dans ce sacre-
ment en opposition avec les maux anciens , à savoir contre l'oubli de
Dieu, contre la dette fruit de la rapine du bien d'autrui, contre la
corruption qui découle du fruit mortifère. Nos premiers parents
trompés par la ruse du serpent tombèrent dans ces trois espèces de
maux, et par eux la dépravation passa à leurs successeurs. Quant au
OPUSCULUM LVII.
Ejusdem doctoris, de venerabili sacramehto altaris.
CAPUT I.
De tribus causis instilulionis sacramcnti
corporis Christi.
« Venite, Comedite panem meum, et bi-
bite •vinum quod miscui vobis. » Proverb.,
IX. His verbis Dominus nos invitât ad sa-
lutare convivium , in quo prseparavit pre-
tiosum cibum, scilicet corpus et sanguinera
suum, juxta illud Proverb., VI : « Causam
tuam tracta cum amico tuo : et secretum
ne révèles extraneo. » Res sécréta est alta-
ris sacrementum, quasi sacrum secretum,
cujus causa non infidelibus, sed fidelibusest
revelanda. Nota, quod causa institutionis
est triplex, scilicet memoria Salvatoris, sa-
crificium altaris, cibus hominis. Haec tria
disposuit in hoc sacramento divina sapien-
tia contraria, vetera mala, scilicet contra
oblivionem Dei, contra debitum rapinœ
alienae rei, contra corruptiones pomi mor-
tiferi. Primi enim parentes in haec tria
malainciderunt, serpentina fraude decepti,
et per eos successores sunt depravati. De
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436 OPUSCULE LYII, CHAPITRE 1.
premier, il est écrit Eccl., chap. X : « Le commencement de l'orgueil
de l'homme fut de commettre une apostasie à l'égard de Dieu; parce
que son cœur se retira de celui qui l'a créé; » ceci est le résultat de
l'oubli qui précède les soins qu'il donne à une affaire coupable qu'il
traite avec le serpent ; c'est encore ce qui a coutume d'arriver à cer-
tains insensés. Quant au second, il est écrit Gen., chap. III : « La
femme donc voyant que le fruit de cet arbre étoit bon à manger et
agréable à la vue en prit , en mangea , et en donna à son mari
qui en mangea comme elle; » ils se rendirent par là coupables l'un
et l'autre de rapine. Ils se rendent coupables d'une rapine semblable,
ceux qui dans l'usage des créatures et des choses outrepassent les
bornes de la justice par un autre côté. Quant au troisième, il est écrit
Gen., chap. II : « Ne mangez point du fruit de l'arbre de la science
du bien et du mal ; quel que soit le jour où vous en mangerez , vous
mourrez de mort; » et quant au bien de l'immortalité du corps, il
est écrit Ps. XIII : « Ils se sont corrompus , et sont devenus abomi-
nables, etc. »Ceux pareillement qui emploient le poison du péché,
tuent les âmes, et les corrompent. Ce sacrement a par conséquent été
institué contre ces trois maux anciens. Il est écrit dans saint Luc ,
chap. XXII : «Prenez et mangez, ceci est mon corps qui sera livré
pour vous : faites ceci en mémoire de moi. » FaUesjçeci , dit-il , en
mémoire çhmoi. Yoici la première cause; à savoir le souvenir du Sau-
veur, pour préserver de l'oubli. Qui sera livre' pour vous; c'est-à-dire,
pour que l'agneau de Dieu fut offert , et c'est ici la seconde cause , à
savoir le sacrifice de l'autel contre la rapine. « Prenez et mandez, »
voici la troisième cause; à savoir, unêTnourriture médicinale contre
la corruption. La première cause est donc le souvenir du Sauveur
contre l'oubli auquel nous pourrions nous laisser aller; et cela afin
qu'avertis, nous nous soustrayons aux maux qui pourroient nous
primo, Eccles., X : « Initium superbiœ ho-
minis apostatare a Deo, quoniam ab eo qui
fecit illum, recessit cor ejus, » scilicet per
oblivioîiera in occupatione damnosae nego-
tiationis cum serpente; quod saepe adhuc
quibusdam stultis solet evenire. De secun-
do, Gen ., III : « Videns mulier lignum quod
esset bonum ad vescendum, et pulchrum
oculis, aspectuque delectabile, tulit de
fructu, et comedit, deditque viro suo, » et
sic ainbo rapinam commiserunt. Hujus ra-
pinae similitudinem faciunt, qui in usu
creaturarum, et rerum per alium justitise
mensuram excedunt. De tertio , Gen., II :
« De ligno scientise boni et mali ne come-
das : in quacumque enirn die comederis ex
eo, morte morieris, » et in bouo immorta-
litatis corporis. Psalm. XIII : « Corrupti
sunt , et abominabiles facti sunt. » Sic qui
peccati venenum in usum sumunt, animas
occidunt et corrumpunt. Igitur contra tri-
plex vêtus malum institutum est hoc sa-
cramentum. Luc, XXII : « Accipite et co-
medite, Hoc est corpus meum , quod pro
vobis tradetur : hoc facite in meam com-
merationem. » Hoc facite, inquit, in meam
commémorât ionem. Ecce prima causa, sci-
licet memoria Salvatoris contra oblivio-
nem : Quod pro vobis tradetur, id est, ut
agnus Dei ofïerretur. Eccesecunda causa ,
scilicet sacrificium altaris contra rapinam.
Accipite et comedite. Ecce tertia, scilicet
cibus medicinalis contra corruptionem.
Memoria ergo Salvatoris contra oblivio-
uem est prima causa, ut hoc scilicet ad-
moniti, totam mentem. et omnes sensus
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 437
atteindre , et crue nous reportions entièrement à Dieu tous nos sens et
tout notre esprit que nous détournons de lui , et que parfois nous
laissons divaguer dans des pensées et des délectations mauvaises.
De là il dit : Faites ceci en mémoire de moi. Eusèbe dit : « Parce que
après la manducation de son corps , le Seigneur devoit disparoitre
de devant les regards des hommes, et être emporté dans les cieux,
il étoit par conséquent nécessaire qu'au jour de la cène, il nous
consacrât le sacrement de son corps et de son sang, pour que l'on
offrît perpétuellement en mystère ce corps et ce sang qu'il offroit
une fois comme rançon, et que la mémoire de cette victime perpétuelle
se^conseryàt , et qu'elle lut continuellement présente par la grâce. »
Il faut remarquer que la charité du Sauveur nous pousse par trois
raisons, à ne jamais l'oublier ; ce sont la rémission des péchés , le ra-
chat de ceux qui étoient insolvables , et la continuation de ses bien-
faits. Quant à la première , il est écrit dans Tsaïe , XLIII : « C'est moi
qui efface vos iniquités pour l'amour de moi, et je ne me souviendrai
plus de vos péchés, ressouvenez-vous de moi. » Quant à la seconde,
il est écrit Ecclésiastique, chap. XXIX :*« N'oubliez jamais la grâce
que vous fait celui qui répond pour vous , de manière que vous l'ai-
miez à cause d'elle , et que vous lui rendiez par vos prières et vos
bonnes œuvres ce que vous lui devez. » On lit au livre des Cantiques,
chap. V : « Ouvrez-moi, ma sœur, mon amie , parce que ma tête est
chargée de rosée, et mes cheveux des gouttes de la nuit. » Ouvrez-
moi, c'est-à-dire recevez-moi dans votre esprit, dans votre mémoire
et votre affection; parce que ma tête, c'est-à-dire ma divinité, est pleine
de rosée, c'est-à-dire de miséricorde pour remettre les péchés; et mes
cheveux, c'est-à-dire mon humanité, des gouttes de la nuit, c'est-à-dire
de la sueur des larmes que j'ai versées, et du sang que j'ai répandu
pendant ma passion , pour racheter votre héritage qui étoit insol-
nostros quos a Deo avertimus, et cum pra-
vis quandoque cogitationibus et delectatio-
nibus vagari permisimus, a noxiis abstra-
hentes, integraliter ad Deum referamus.
Hinc dicit, « Hoc facite in meam comme-
morationem. » Eusebius : « Quia corpus
assumptum , Dorainus ablaturus erat ab
oculis, et illaturus syderibus , necessarium
erat ut die cœnœ sacramentum nobis sui
corporis et sanguinis consecraret , ut offer-
retur jugiter per mysterium, quod offere-
batur semel in pretium, et perennis victi-
ma viveret in memoria, et semper praesens
esset in gratia. »
Nota, ad habendam semper memoriam
Salvatoris, cogunt nos tria argumenta sua:
charkatis, scilicet remissio peccatorum, re-
demptio impignoratorum, continuatio be-
neficiorum. De primo, lsaiœ, XLIII : « Ego
sum qui deleo iniquitates tuas propterme,
et peccatorum tuorum non recordabor, re-
duc me in memoriam. » De secundo, EccL,
XXIX : « Gratiam fidejussoris tui ne obli-
viscaris, quin scilicet eum pro ea diligas, et
quin orationibus et bonis operibus debitum
ei reddas. » Cant., V : « Aperi mini soror
mea, arnica mea, quia caput meum plénum
est rore, et cincinni mei guttis noctium. »
Aperi mihi, id est , suscipe me in nientem
tuam, in memoriam et dilection>;m , quia
caput meum, scilicet divinitas, plénum est
rore, id est, misericordia ad diinittendurn
peccata : et cincinni mei, id est, humanitas :
guttis noctium, id est, effusione sudoris la-
crymarum, et sanguinis passionum, ad re-
dimendum hœreditatem tuam pro satisfac-
438 OPUSCULE LVIÏ, CHAPITRE 1.
vable et pour la satisfaction de vos péchés. Quant à la troisième, il est
écrit au Deutéronome , chap. YIII : « Prenez garde avec un soin tout
particulier de n'oublier jamais le Seigneur votre Dieu, et de ne point
négliger ses préceptes ; de peur qu'après que vous aurez mangé , que
vous aurez bu, que vous serez rassasié, et que vous aurez eu de toutes
espèces de choses, votre coeur ne s'élève et que vous ne vous ressou-
veniez plus du Seigneur votre Dieu. » Le Commentaire de l'Ecclésias-
tique, chap. XVII, dit : g Comme il n'est pas un instant où l'homme
n'use de la bonté de Dieu, il doit aussi l'avoir toujours présent à la
mémoire. » ) ,Lpî>
La seconde cause de l'institution de ce sacrement, c'est le sacrifice
de l'autel, contre une certaine rapine quotidienne de nos péchés, afin
que comme le corps du Seigneur a été offert une fois sur la croix
pour le péché originel, il soit pareillement offert sans interruption sur
l'autel pour nos péchés de tous les jours, et qu'en cela l'Eglise ait pour
apaiser Dieu un don qui soit et plus précieux et agréable que tous les
sacrifices de la loi. Il est écrit dans Malachie, chap. III : « Le sacrifice
de Juda et de Jérusalem sera agréable au Seigneur, comme celui du roi
et de la milice ; » c'est-à-dire de l'Eglise du Christ. Le pape Alexandre
dit : « Il ne peut rien y avoir de plus grand dans les sacrifices de l'Eglise
que le corps et le sang de Jésus-Christ. Il n'est pas d'oblation qui puisse
lui être préférée , celle-ci l'emporte sur toutes les autres; il faut pour
l'offrir à Dieu que la conscience soit pure, comme il faut un cœur pur
pour la recevoir. Comme ce sacrifice l'emporte en excellence sur les
autres, il est aussi plus digne de notre vénération. » Pour approuver
ce sacrifice , il faut observer qu'il y eut trois raisons de changer l'an-
cien sacrifice.
La première se tire de la puissance de l'auteur de notre sacrifice ,
à savoir de Jésus-Christ; qui non-seulement parce qu'il est Dieu et roi
de toute la terre, mais encore parce que le souverain sacrifice a été
tione peccatorum tuorum impignoratam. j beat in hoc Ecclesia munus ad placandura
De tertio, Deut., VIII : « Observa, et cave, ! sibi Deum , super omnia legis sacrificia
ne quando obliviscaris Domini Dei tui, et pretiosum et acceptum. Malac.,\\l : « Pla-
negligas mandata ejus, ne postquam corne- j cebit Domino sacrificium Juda, et Hierusa-
deris, et biberis, et satiatus fuetis, habue- |lem, quasi régis et militiae,» id est,
risque cunctarum rerum copiam , elevetur Christi Ecclesiœ. Alexander Papa : « Nihil
cor tuum, et non reminiscaris Domini Dei
tui. » Glos. Eccl., XVII : « Sicut nullum mo-
mentum est, quo non utitur homo Dei
bonitate, ita semper débet esse in memoria
prœsens. »
Secunda causa institutions, est sacrificium
altaris contra quamdan quotidianam delic-
torum nostrorum rapinam, ut sicut corpus
Domini semel oblatum est in cruce pro
debito originali, sic offeratur jugiter pro
nostris quotidianis delictis in altari, et ha-
in sacrificiis ecclesiœ majus esse potest
quam corpus et sanguis Christi. Nec ulla
oblatio hac potior est, sed omnes prœcel-
lit, quœ pura conscientia Deo offerenda est,
et pura mente sumenda. Et sicut potior
est prœcœteris, ita potius venerari débet. »
Ad hoc sacrificium approbandum, notatur
triplex ratio mutandi vêtus sacrificium.
Prima authoris nostri sacrificii potentia
scilicet Christi, qui non solum ex eo quod
est Dominus et rex univers* terne , sed ex
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 439
transféré sur lui , a pu et dû changer le sien en un sacrifice plus par-
fait. Il est écrit Ps. CIX : « Le Seigneur a juré, et il ne se repentira pas,
etc.» Il ne dit point selon l'ordre d'Aaron, ou selon le rit des Lévites
qui offrirent les chairs des boucs et des taureaux ; niais selon l'ordre
de Melchisédech qui offrit le pain et le \in. Il est écrit , Hébreux ,
chap. VIII : (c Qu'il fut nécessaire qu'un nouveau sacerdoce selon
l'ordre de Melchisédech surgît, et qu'il ne devoit pas être selon l'ordre
d'Aaron. » Le sacerdoce ayant été transféré , la loi devoit nécessaire-
ment l'être aussi. Mais il est évident que le Seigneur est sorti de la
tribu de Juda, à laquelle d'après la loi n'appartenoient pas les prêtres.
La seconde cause qui fit changer le sacrifice, c'est l'exigence de nos
dettes. La dette de nos premiers parents étoit si grande , soit à cause
de la rapine et de l'ingratitude du ravisseur, soit à cause de la gran-
deur de celui qui avoit été lésé, à savoir le Créateur, que non-seule-
ment les sacrifices de la loi, mais que le monde entier avec toutes les
créatures qu'elle contient , étoit insuffisant à payer cette même dette.
Il est écrit dans l'épître aux Hébreux , chap. X : « Le Christ entrant
dans le monde dit : Vous avez rejeté les hosties et les oblations , et
vous m'avez donné un corps; » le Commentaire ajoute ; entrant dans
le monde , c'est-à-dire , s'étant fait homme , dit : « Vous avez rejeté
l'hostie des animaux, et les oblations des autres choses; » c'est-à-dire,
elles ne vous ont pas été agréables; mais vous m'avez donné un corps
qui l'emporte sur tous les autres sacrifices, parce qu'il est exempt de
péché; vous me l'avez adapté, c'est-à-dire que vous me l'avez donné
apte et propre à vivre , de manière qu'il pût être offert pour la ré-
demption de tout ce qui existe. Il est écrit Ps. LYIII : « Ce que je n'ai
point dérobé, je le payois alors; » c'est-à-dire que je le payois
lorsque j'offrois sur la croix un sacrifice suffisant pour payer la dette
de tous.
summi sacrificii ad eum translatione, potuit
et debuit suum in melius sacrificium com-
mutare. Psalm. CIX : « Juravit Dominus,
et non pœnitebit eum, » etc. Non dicit se-
cundum ordinem Aaron vel secundum ri-
tum Levitarum, qui obtulerunt carnes
hircorum et taurorum, sed secundum or-
dinem Melchisédech, qui obtulit panem et
■vinum. Hebr., VIII : « Quod fuit necessa-
rium secundum ordinem Melchisédech,
alium exsurgere sacerdotem, et non secun-
dum ordinem Aaron. » Translato enim sa-
«erdotio, necesse est utlegis translatio fiât.
Manifestum est autem, quod ex tribu
Juda ortus est Dominus, de qua secundum
legem non erant sacerdotes. Secunda est
debitorum nostrorum exigentia. Tarn ma-
gnum enim erat debitum primorum paren-
tum ex rapinse magnitudine, ex raptoris
ingratitudine, ex laesi, scilicet creatoris
majestate, quod non solum legis sacrificia,
sed totus mundus eum omni creatura non
suflicit pro satisfactione. Ad Hebr., X :
« Ghristus ingrediens mundum, dicit :
HostianTet oblationem noluisti, corpus au-
tem aptastimihi.» Glos. : Ingrediens, id est,
homo factus dicit : Hostiam de animalibus,
et oblationem de aliis rébus noluisti, id est
non placuerunt tibi : corpus autem quod
prse omnibus sacrificiis est, quia sine pec-
cato, aptasti mihi, id est, aptum et ido-
neum dedisti mihi vivendo, quod omni re -
demptione valeat offerri. Psalm. LVIII :
«Quae non rapui , tune exsolvebam , quan-
do,» scilicet pro debitis omnium sufliciens
sacrificium in cruce offerebam. Tertia ratio
440 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 1.
La troisième raison de changer le sacrifice , c'étoit l'insuffisance
des sacrifices de la loi; et cela se prouve par trois raisons : à savoir
parce qu'ils n'étoient pas agréables à Dieu , parce qu'ils n'effaçoient
pas le péché, et parce qu'ils ne conféroient pas la grâce. Et d'abord,
Jérémie dit, chap. VI : «Vos holocaustes ne me sont point agréables,
vos victimes ne m'ont pas plu. » Il est dit dans Osée , chap. VI :
« C'est la miséricorde que je veux et non le sacrifice. » Le Psalmiste
dit, XXIX de la seconde : « Vous n'avez pas demandé d'holocauste pour
le péché. » L'Apôtre dit, Rom., chap. III : « Nul homme ne sera jus-
tifié devant Dieu par les œuvres de la loi. » Le même Apôtre dit aux
Hébreux, chap. X : « Le sang des boucs et des taureaux est impuissant
à effacer les péchés. » Ezéchiel XX dit de la troisième , : « Je leur ai
donné des préceptes qui ne sont pas bons, et des ordonnances où ils
ne trouveront pas la vie ; » je leur ai donné des préceptes qui ne sont
pas bons, c'est-à-dire qui sont moins bons, et des sacrifices, c'est-à-dire
des rits , où ils ne trouveront pas la vie; parce que ces sacrifices ne
conféreroient pas la vie de la grâce. L'Apôtre dit, Hébreux, chapitre
XII : « Que l'ancienne loi a été aussi réprouvée à cause de son inuti-
lité et de sa foiblesse, elle l'a pour ainsi dire été à cause de sa stérilité
et parce qu'elle ne conféroit pas la grâce . »
La troisième cause de l'institution de ce sacrement, c'est l'aliment
de l'homme. Aliment, dirai-je, efficace contre la corruption du fruit
mortifère ; corruption qui s'étoit si bien insinuée dans les premiers
parents du genre humain, qu'elle eut été incurable, si on n'eût pas eu
recours à un remède si efficace que la prudence de Dieu seul pouvoit
le procurer. Il est écrit Ecclésiast., chap. XXXVIil : « Le Très-Haut
a créé un remède de la terre , » c'est-à-dire de la chair de la Vierge,
« et l'homme prudent n'en aura pas horreur.» Saint Ambroise dit : « Le
corpi~urè7esus-Cnrist est an remède spirituel, qui pris avec respect
mutandi est ipsorum sacrificiorum legis
insuffîcientia. Et hoc probatur a tribus,
q"uia scilicet Deo non placuerunt, quia pec-
cata non abstulerunt, quia gratiam non
contulerunt. De primo. Hier., VI : « Holo-
causta vestra non sunt accepta , victimœ
vestrae non placuerunt mihi. » Osec , VI :
« Misericordiam volo, et non sacrificium.»
De secundo, Psal. XXIX : « Holocaustum et
pro peccato non postulasti. » Ad Hou:., III :
« Ex operibus legis, non justificabiturom-
nis caro coram Deo. » Ad Heb., X . « Impos-
sible est sanguine hircorum et taurorura
auferri peecata. » De tertio, Ezech., XX :
« Dedi prœcepta non bona , et judicia in
quibiis non vivent; » prsecepta non bon,
id est, minus bona et sacrificia, scilicet
c«remonialia , in quibus non vivent quia
vitam gratise non conferebant. Ad Heb.,
XII : « lleprobatio quoque fit preecedentis
mnndati propter infirmitatem ejus, et inu-
tilitatem, quasi propter ejus sterilitatem,
quia non conferebat gratiam. » Tertia in-
stitutions causa est cibus hominis. Cibus,
inquam, medicinalis contra pomi mortiferi
corrup!.ioi;em, quae tain prava infusa est
per primos parentes humano generi. ut es-
set incurabilis, nisi subveniretur medicina
optima, quam posset facere prudentia Dei.
Eccl., XXXVIII : « Altissirnus de terra, id
est, carne Virginis, creavit medicinam, et
vir prudens non abhorrebit ea. » Ambre—
sius : « Corpus Chiisti medicina spiritualis
est, quœcum reverentia degustata, sibide-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 441
purifie ceux qui lui sont dévoués. » Pour connoître la raison de la né-
cessité du remède du corps de Jésus-Christ, en tant que le serpent
infernal a insinué dans l'homme par le poison du fruit défendu , il
faut savoir qu'il a insinué en lui une trip]e_corruption ; à savoir, les
ténèbres de l'ignorance dans l'ame^dans le corps la maladie d'une
coo£uj^encje^ûvà^e, et la mort dans l'un et l'autre. C'est contre
cette triple corruption qu'a été institué comme remède le sacrement
du corps de Jésus-Christ; il chasse les ténèbres de l'ignorance , il
guérit de la maladie de la concupiscence , et donne la mort à notre
mort On peut à cause de ces effets le comparer à une nourriture tri-
plement douce et médicinale ; à savoir aujrmel à cause du premier,
au fruit fin figuier pour le second, et au fruit de la vigne pour le troi-
sième. Quant au premier , il est écrit Proverbes, chapitre XXXIV :
« Mange, mon fils, le miel, parce qu'il est bon. »La douceur du miel
signifie celle du corps de Jésus-Christ. Celui-ci est bon parce qu'il
illumine les ténèbres de l'esprit. Il est écrit I Rois, chap. XIV : « Vous
avez vu que mes yeux ont été éclairés, parce que j'ai goûté un peu
de miel. » Jsaïe dit, chap. VII : « Quiconque aura été laissé, mangera
le beurre et le miel pour qu'il sache réprouver le mal et choisir le
bien. » On lit, Ps. XXVI : « Le Seigneur est ma lumière, etc.. Appro-
chez-vous de lui, et il vous éclairera. » Quant au second , il est dit
dans Jérémie, chap. XXIV : « Le figuier produit de bonnes figues, des
figues excellentes. » Ce mot figue répété deux fois exprime la douceur
du corps de Jésus -Christ Dieu et homme en même temps. Ces deux
choses sont parfaites l'une et l'autre, parce qu'elles guérissent l'esprit
et la chair de la maladie de la concupiscence mauvaise. On lit,
IV Rois, chap. XX : « Isaïe fit apporter une quantitéjae figue s , dès
qu'il les eut placées sur l'ulcère du roi, il fut guéri. » L'ulcère du roi
signifie la concupiscence de la chair, la quantité de figues le corps de
votos purificat. Ad cognoscenclum ratio- , num est, quia tenebras mentis illuminât
nem necessitatis medicinse corporis Chris- I Regum., XIV : « Vidistis, quoniam illumi-
ti, secundum quod serpens malignus infu- nati sunt oculi mei , eo quod gustaverim
dit homini per venenum cibi vetiti, tripli- j paululumde melle. » Esa., VII : « Butyrum
etmel manducabit omnis qui relictus fue-
rit, » ut scilicet sciât reprobaremalum, et
eligere bonum. Psal. XXVI : «Dominusil-
luminatio mea, » etc. « Accedite ad eum,
et illuminamini.» De secundo, Hier., XXIV :
« Ficus, ficus bonus, bonas valde. » Ficus bis
dicta?, dulce corpus Christi Dei, et hominis
significant. Hae bis bonœ sunt valde, quia
mentem et carnem a morbo pravae concu-
piscentiae sanant. » IV lleyum, XXI : « Esaias
jussit aflerri massam ficorum, quam curn
posuit super ulcus régis, curatusest.»Ulcus
régis est concupiscentia carnalis, massa fi-
cem corruptionem in anima, scilicet tene-
bras ignorantiee, in corpore morbum pra-
vae concupiscentiae, et mortem utrobique. »
Contra hoc institutum est corporis Christi
medicamentum, tenebras ignorantiai illus-
trans , rnorbum concupiscentiae sanans , et
mortem nostram mortiflcans. Propter haec
tria potest comparari triplici dulci cibo et
xnedicinali, scilicet melli propter priinum,
ficui propter secundum, fructui uvae prop-
ter tertium. De primo Proverb., XXXIV :
« Comede, fili, mel, quoniam bonum est.»
Mel corpus Christi dulce significat. Hoc bo-
s
442 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 2.
Jésus-Christ qui contient la douceur d'une infinité dejnens propres à
guérir les mauvais désirs. Pour ce qui est du troisième, il écrit dans
saint Luc, chap. I : « Béni le fruit de voire ventre; » à savoir le corps
de Jésus-Christ , qui est le fruit de vie , fruit assez puissant pour dé-
truire l'enfer et procurer la vie éternelle. On lit, Proverbes, chap. III :
« Il est l'arbre dejyie pour ceux qui l'auront saisie, » c'est-à-dire pour
ceux qui auront obtenu la sagesse incarnée de Dieu. C'est pour cela
qu'il est dit dans Osée , chap. XIII : « Je serai ta mort , ô mort! » Il
est dit dans saint Jean, chap. YI : « Je suis le pain de vie, etc.. Celui
qui mange ma chair, etc.. » Il est encore dit : « Celui qui me mange
vivra pour moi. » Saint Hilaire dit : « Lorsqu'on a reçu la chair de
Jésus-Christ et qu'on a bu son sang, il en résulte que nous sommes en
lui , et qu'il est en nous. » La source de notre vie vient donc de ce
que Jésus-Christ, qui est véritablement la vie, demeure en nous qui
sommes charnels , par sa chair, et que nous devons vivre par lui ,
comme il vit lui-même par son Père qui demeure en lui.
CHAPITRE IL_
La 'première cause de l'institution de ce sacrement, c'est le souvenir du
Sauveur, en lui-même, et la préparation à son jugement.
« Venez, mangez le pain de vie, etc.. Votre affaire, etc.. » Argu-
ment spécial. Il est aussi écrit : « En souvenir éternel. Faites ceci en
mémoire de moi, » et dans saint Luc, chap. XXII : « L'objet , etc.. »
Il est aussi écrit : « Soyez prêts, car à l'heure que vous ignorez, »
Luc , chap. XII. La première cause de l'institution du sacrement du
corps du Seigneur, c'est le souvenir du Sauveur. On peut sur ce point
rechercher quatre choses. 1° Quel mal il résulte de l'oubli du Sei-
corum corpus Christi , continens dulcedi-
nem multorum bonorum ad medicinam
malorum desideriorum. De tertio, Luc., I :
« Benedictus fructus ventris tui, » corpus,
scilicet Christi, quod est fructus vitse, va-
lensad destructionem gehennse, etacquisi-
tionem vitse seternae. Proverb., III : «Lignum
vitee est his, qui apprehenderint eam, »
scilicet, sapieiitiam Dei incarnatam. Hinc
dicitur Osée , XIII : « Ero mors tua o mors.
Joun., VI : « Ego sum panis vitee, etc. Qui
manducat meam carnem, » etc. Item :
« Qui manducat me, vivet propter me. »
Hilarius : « Accepta carne Dornini, et haus-
to sanguine, id efficitur ut nos in ipso, et
ipse in nobis sit. » Haec est ergo causa vitee
nostrœ, quod in nobis carnalibus per car-
nem Christum , qui vere vita est , ma.
nentem habemus , victuri per eum ea
conditioue, qua vivit ipse per Patrem qui
in eo est.
CAPUT II.
De prima causa inslilulionis per se memoria
Salvatoris , et de prœparatione ejus ad
judicium.
« Venite, comedite panem, » etc., cau-
sant tuam, etc. Spéciale. Item, in memo-
ria aeterna. « Hoc facite in meam comme-
morationem, » Luc, XXII : Thema. Item,
« Estote parati, quia qua hora. » Luc, XII -
Prima causa institutionis sacramenti domi-
nici corporis, est memoria Salvatoris,
circa quam tria possunt queeri. Primo, quid
» SUR LE SACREMENT DE l'âUTEL. 443
gneur. Il faut répondre qu'il en résulte trois espèces de maux , qui
sont la perte de la grâce divine, la soumission au pouvoir du démon,
et la difformité énorme du péché. Quant au premier mal, il est écrit
dans le Deutéronome, chap. XXXII : « C'est Dieu qui vous a engendré,
et vous l'avez abandonné, etc.. » Et il dit :« Je cacherai ma face, et
je considérerai , » c'est-à-dire je retirerai ma grâce. Là où te source
se tarit, le ruisseau dessèche. Isaïe dit, chap. XVII : « Tu seras déserte,
parce que tu as oublié Dieu ton créateur. » Il est écrit Ecclésiastique,
chap. XX : « La prière des insensés s'écoulera comme l'eau. » Quant
au second mal, il est écrit au livre des Juges, chap. IV : « Ils ont
oublié leur Dieu et il les a livrés aux mains de Sisara; » c'est-à-dire au
pouvoir du démon. Tobie dit , chap. VI : « Ceux qui contractent ma-
riage de manière à éloigner Dieu et d'eux et de leur esprit ; c'est sur
ceux-là que le démon a pouvoir. » Pour ce qui est du troisième mal
qui résulte de cet oubli, l'Apôtre dit, Rom., chap. I : « Comme ils n'ap-
prouvèrent, » c'est-à-dire ne voulurent pas connoître Dieu, « il les a
abandonnés à leur sens réprouvé, pour qu'ils fassent ce qu'ils ne con-
vient pas; » et ceci, hélas! a souvent lieu jusqu'à la mort. On lit,
Ps. IX : « Il n'y a pas de Dieu à ses yeux, etc.. » Et dans Joël, ch. I :
« Les bêtes de somme sont pourries dans leurs ordures. » Les bêtes
de somme impudiques et privées de sens , sont les hommes insensés
et charnels, qui n'ont jamais Dieu présent à leurs yeux. Pourrir de la
sorte sur ses ordures, c'est terminer sa vie dans la luxure et les autres
péchés.
2° On demande quelles sont les choses concernant le Sauveur dont il
ne faut pas perdre le souvenir. On répond qu'il y en a trois, ce sont le
passé, le présent et l'avenir. Pour ce qui concerne le passé, il faut se
rappeler le Sauveur comme notre rédempteur; parce que son infinie
charité l'a fait nous délivrer par sa mort d'une mauvaise mort. Pour
mali sequitur,si memoriaDominifuerit re-
licta. Et dicendum quod triplex, scilicet
amissio gratiae divinœ, subjectio potestatis
diabolicae, magna deformitas culpœ. De
primo, Deut., XXXII : « Deum qui te ge-
nuit, dereliquisti, » etc. Et ait, « Abscon-
dam faciem meam, et considerabo, » idest
subtraham gratiam. Ubi [fons périt, rivus
arescit. Esaiœ, XVII : « Eris déserta, quia
oblita es Dei creatoris tui. » Ecclesiastici,
XX : « Oratio fatuorum effundetur. » De
secundo, Judic, IV : « Obliti sunt Dei sui,
et tradidit eos in manus Sisarae, » id est,
potestati diaboli. Tobiœ, VI : « Qui conjugia
ita suscipiunt ut Deum a se et a sua
mente excludant, in his habet potestatem
dsemon. » De tertio ad Rom., I : «Sicut non
probaverunt, » id est noluerunt Deum ha-
bere in notitia, « tradidit illos in reprobum
sensum, ut faciant ea quae non conveniunt.
Et heu ! hoc ssepe fit usque ad mortem. »
Psal. IX : « Non e§t Deus in conspectu
ejus, » etc. Ioel, I : « Gomputruerunt ju-
menta in stercore suo. » Jumenta impu-
dica, et insipientia sunt homines stulti,
carnales, Deum pvae oculis non habentes.
Hujusmodi stercore suo putrescere, est in
luxuria et aliis peccatis vitam finire.
Secundo, quaeritur de quibus de nostro
Salvatore memoria sit habenda : Et dicen-
dum de tribus, de praeterito, de praesenti,
de futuro. De praeterito, ut nostri redemp-
toris, quia propter nimiam charitatem a
morte mala', morte sua liberavit nos. De
444 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 2.
le présent, il faut se le rappeler comme voyant tout, comme voyant
toujours par sa présence cachée toutes nos actions. Pour ce qui est de
l'avenir, il faut nous le rappeler comme un juge équitable, qui par sa
toute puissance jugera toute mauvaise action qui n'aura pas été expiée.
Pour le premier point, il est écrit dans Jérémie , Lament., chap. III :
<c Souvenez-vous de la pauvreté où je suis, de l'excès de mes maux, »
c'est-à-dire de ma profonde humiliation , de l'absynthe et du fiel où
je suis plongé; c'est-à-dire de l'amertume de ma passion. Ezéchiel
dit, chap. IX : « Marquez un signe Thau sur le front des hommes
qui gémissent et qui sont dans la douleur de voir toutes les abomina-
tions qui se commettent dans cette ville. » Le Thau a la figure de la
croix, c'est-à-dire qu'il rappelle la passion du Christ que les bons ne
doivent jamais bannir de leur esprit. Quant au second point, il est écrit
Psaume XCIX • « Sachez que le Seigneur lui-même est Dieu, à savoir
qu'il est partout , qu'il voit tout et que tout lui est connu. » C'est ce
qui faisoit dire au Psalmiste, Ps. XV : « Je regardois le Seigneur, et
Pavois toujours présent devant les yeux. » Il est écrit Ecclésiastique,
chap. XXXIX : « L'œuvre de toute chair est présent à la vue du Sei-
gneur, et rien n'est caché à ses yeux. » On lit dans le Cantique des
Cantiques, chap. II : « Voici qu'il se tient mi-même derrière notre
muraille ; » c'est-à-dire qu'il est revêtu du mur de notre chair ; « il
regarde à travers les fentes ; » parce que bien que caché intérieure-
ment et que nous ne puissions pas le voir, il voit néanmoins toutes nos
œuvres. Pour ce qui est du troisième point , le prophète Isaïe dit,
chap. XXX : « Voilà la majesté du Seigneur qui vient de loin , il pa-
roîtra dans une fureur ardente dont nul ne pourra soutenir l'effet. »
Voilà qu'il vient; c'est-à-dire tenez-vous sur vos gardes, car bientôt il
viendra pour le juste jugement. Il est dit dans saint Matthieu, chap.
XXIV : « Veillez, etc.. » Saint Jérôme s'exprime en ces termes :
prœsenti, ut omnium inspectons, qui per
occultam praesentiam omnia nostra semper
cernit. De futuro, ut justi judicis, qui per
omnipotentiam suam omne pravum incor-
rectum districtejudicabit. De primo, Tre-
norum, III : « Recordare paupertatis meee,
et transgressionis, » id est, maximae hu-
imliationis. « Absynthii et i'ellis, » id est ,
amarœ passioiùs. Ezech., IX : « Signa Thau
super frontes virorum dolentium , et ge-
mentium super cunctis abominationibus,
quœ fiunt in civitate hac. » Thau, figuram
crucis habet, id est, passionis Christi, quae
semper est bonis in mente ferenda. De se-
cundo, Psalm. XCIX : « Scitote quoniam
Dominus ipse est Deus omnia scilicet im-
plens, omnia videns, ubique preesens. »
Hinc ait : « Providebam Dominum in
conspectu meo semper. » Psalm. XV :
Eccl., XXXIX : « Opéra ornnis carnis coram
Domino, et non est quicquam absconditum
ab oculis ejus. » Cant., II : « En ipse stat
post parietem nostrum, » id est, indutus
pariete carnis nostrae : « prospiciens per
cancellos, » quia licet intus degens occultus
a nobis videri non possit, tamen omnia
nostra videt.
De tertio, . Isai., XXX : « Ecce nomen
Domini venit de longinquo , ardens furor
ejus et gravis ad portandum.» Ecce venit,
id est attendite , quia cito veniet ad des-
trictum judicium. Matth., XXIV : « Vigi-
late, etc. » Hieronymus : « Sive comedo,
sive bibo, sive aliquid aliud facio , semper
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 445
« Que je boive, que je mange, quelque chose que je fasse , j'entends
toujours retentir à mes oreilles comme le bruit éclatant de la trom-
pette, cette voix terrible : levez-vous morts, venez au jugement. » Il
est dit en même temps de ces trois points, Psaume CX : « Le Seigneur
a rappelé la mémoire de ses merveilles , » comme s'il disoit : Le
Seigneur nous a donné une nourriture , c'est-à-dire qu'il s'est donné
lui-même pour perpétuer le souvenir de ses merveilles : de ses mer-
veilles passées , de nous avoir racheté ; de ses merveilles présentes,
parce qu'il voit tout ce qui se passe en nous; des merveilles futures]
de ce qu'enfin il jugera sévèrement.
3° On demande à quoi sert le souvenir de notre Sauveur. On répond
qu'il sert à trois choses. Le souvenir de la première de ces choses , à
savoir de la passion de Jésus-Christ, sert à enflammer notre cœur de
son amour. Le souvenir de la seconde , à savoir de la vue continuelle
qu'il a sur nous , sert à nous préserver du péché. Le souvenir de la
troisième , c'est-à-dire du jugement sévère , nous fait faire des efforts
pour nous préparer au jugement futur. Le souvenir de la première de
ces choses nous fait aimer le bien , celui de la seconde nous fait dé-
tester le mal , celui de la troisième nous fait précautionner contre un
danger imminent. Quant au premier souvenir, saint Luc dit, ch. XII :
« Je suis venu apporter le feu sur la terre, mon désir n'est-il pas qu'il
brûle? » Je suis venu apporter le feu, c'est-à-dire , j'ai apporté sur la
terre comme cause d'amour le bienfait de ma passion ; si on en con-
serve un pieux souvenir, elle enflammera le cœur d'un amour im-
mense. Il est dit Psaume, XXXVIII : « Mon cœur s'est enflammé au
dedans de moi, etc.. » Saint Bernard s'exprime en ces termes : « Le
calice que vous avez bu, œuvre de ma rédemption, vous a rendu
pour moi, ô bon Jésus ! aimable par-dessus toute chose. » Le même
saint dit encore : « Plus le Seigneur s'est abaissé pour moi , plus il
m'est devenu cher. » Pour ce qui est du souvenir de la seconde , il
dum. Tertiœ rei , scilicet district! judicis,
valet ad excitandum nos ut praepareinur
contra futurum judicium. Primum facit
nos bonum diligere ; secundurn, malum
intonat in auribus meis quasi tuba vehe-
mens, vox illa terribilis : Surgite mortui,
venite ad judicium. » De omnibus tribus
simul, Psalm. GX : « Memorium fecit mi-
rabilium suorum , » quasi diceret : Domi- 1 odire ; tertium, imminens periculum prae
nus dédit nobis escam, scilicet seipsum ad I cavere. De primo, Luc, XII : « Ignem veni
memoriam suorum mirabilium praeterito- I mittere in terram, etquid volo nisi.utar-
rum, quod nos redemit ; prœsentium, quod deat ? » Ignem veni, id est, causam amoris
omnia nostra respicit ; futurorum , quod | misi in mundum beneiicio passionis , quae
districte tandem judicabit. Tertio, quseri- j si pie recordata fuerit , amore magno cor
tur quid valeat memoria nostri Salvatoris. j accendit. Psalm. XXXVIII : « Concaluit
Dicendum ad tria. Primœ enim rei mémo- ] cor meum intra me, » etc. Bernardus :
ria, scilicet passionis Christi, valet ad cor | « Super omnia te mihi reddit amabilem,
nostrum ejus amore inflammandum. Se- 1 Jesu bone , calix quem bibisti , opus re-
cundae rei , scilicet ejus continua? inspec- j demptionis meœ. » Idem : « Quanto pro
tionis, valet ad nos a peccato custodien-l me Dominus factus est vilior , tanto mihi
446 OPUSCULE LVI, CHAPITRE 2.
est écrit Prov. , chap. VIII : « La crainte du Seigneur fait haïr le mal. »
La crainte, dirai-je, par laquelle l'esprit considère Dieu comme toujours
présent et comme voyant toute chose préserve du péché, et vice versa.
Il est écrit Eccli., ch. XXIII : « Tout homme qui viole la foi du lit cou-
jugal, méprise son ame; » et il dit : « Qui est-ce qui me voit ? Les té-
nèbres m'environnent, les murailles me couvrent, etc. » il ne com-
prend pas cet homme là, comment l'œil de Dieu voit tout, et il bannit
de son cœur la crainte de ce même Dieu. Ezéchiel.dit, chap. VIII :
« Fils de l'homme , vous avez vu d'une manière certaine ce que les
vieillards font dans les ténèbres. Car ils disent : Le Seigneur ne voit
pas. » Le Commentaire ajoute : « Si nous nous rappellions sans cesse
que le Seigneur est toujours présent, qu'il voit tout, qu'il juge tout,
nous ne pécherions jamais ou presque jamais. » Boëce dit : « Nous
sommes dans la nécessité de bien vivre, puisque tout ce que nous fai-
sons, s'accomplit sous les yeux d'un juge à qui rien n'échappe. » Pour ce
qui est du souvenir de la troisième chose, il est écrit Exode, ch. XIX :
« Sanctifiez le peuple ; et qu'ils soient prêts pour le troisième jour;
car le troisième jour le Seigneur descendra en présence de tout le
peuple. » Ce qui est comme s'il disoit : Souvenez-vous que le Sei-
gneur irrité viendra pour le jugement rigoureux; préparez-vous donc
pour le troisième jour. Le premier jour est celui de notre naissance,
le second le temps que nous passons sur la terre , le troisième , celui
de notre mort, où de l'arrivée du jugement rigoureux. Saint Luc dit,
chap. XII : « Soyez prêts. » On doit remarquer trois choses relativement
à la préparation au jugement; ce sont le mode, la prévision d'échap-
per aux châtiments réservés à ceux qui ne sont pas préparés, l'avan-
tage qu'il y a de posséder la vie éternelle avec ceux qui sont préparés.
Quant au premier point, il est écrit Ecclésiastique, chap. XVIII :
« Avant le jugement, rendez-vous la justice propice; » à savoir en fai-
factus est carior. » De secundo , Prov.,
VIII : « Timor Domini odit malum. » Ti-
mor, inquam, quo mens semper Deum
praesentem et omnia videntem attendit, a
peccato custodit, hinc e converse Eccles.,
XXIII : « Omnis homo qui transgreditur
lectum suum , contemnens in animam
suam, dicens : Quis me videt ? tenebrse
circumdant me , non inteliigit quoniam
omnia videt oculus Domini, et expellit a se
timorem Dei. » Ezech., VIII : « Certe vi-
disti, fili hominis, quse seniores faciunt in
tenebris. Dicuntenim, non videt Dominus.»
Glossa : « Si Dominum praesentem et om-
nia videntem et judicantem , semper cogi-
taremus, aut vix aut nunquam peccare-
mus. » Boetius : « Magna nobis indicta est
nécessitas bene vivendi , cum agamus om-
nia ante oculos judicis cuncta cernentis. »
De tertio, Exod., XIX : « Sanctifica popu-
lum , et sint parati in diem tertium ; die
enim tertio descendet Dominus coram om-
ni plèbe , » quasi diceret : Mementote,
quia Dominus terribilis descendet ad dis-
trictum judicium, et ideo estote parati in
diem tertium. Primus dies est dies nostrae
nativitatis, secundus nostrœ conversationis,
tertius dies mortis, vel adventus districti
judicii. Lac., XII : « Estote parati. » In
praeparatione ad judicium debent tria no-
tari , scilicet modus, providentia non prae-
paratorum pœnam evadere , lucrum cum
prœparatis vitam aeternam possidere. De
primo, Eccles., XVIII : «Ame judicium
praepara justitiam tibi , » scilicet pœniten-
tiam agendo. Matth., III : « Pœnitentiam
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 447
saut pénitence. Il est dit dans saint Matthieu , cli. III : « Faites péni-
tence, le royaume du ciel est proche; » c'est-à-dire le jugement équi-
table du roi du ciel. Joël dit, chap. II : « Le jour du Seigneur est
grand, il est terrible, qui pourra le supporter ? » Le Seigneur dit donc
maintenant, « convertissez-vous à moi, etc.. » comme s'il disoit : Pré-
parez-vous au jour du Seigneur par la pénitence et par la fuite des
péchés du monde. Pour ce qui est du second; il est écrit dans l'A-
pocalypse, chap. XVIII : « Sors deBabylone, ô mon peuple! pour ne
pas participer à ses crimes, et pour échapper à ses châtiments! »
Sortez de Babylone , c'est-à-dire préparez-vous au jugement par la
pénitence et par la fuite des péchés du monde; c'est par une telle pré-
voyance que vous échapperez à ses châtiments. On Ut dans saint Luc,
chap. XII : « Si le père de famille savoit, etc.. » Le Commentaire
ajoute : « L'ignorance du père de famille fait que le voleur fait inva-
sion dans la maison ; parce que pendant que l'esprit ne veille point
à sa propre garde, la mort de la chair que l'on ne prévoyoit pas s'em-
pare de la demeure et précipité l'ame dans les supplices. » Mais il résis-
teroit au voleur, s'il veilloit, et s'il se précautionnoit contre l'arrivée
secrète et imprévue du juge, s'il alloit à sa rencontre par la pénitence ;
et par là il échapperoit au châtiment de ceux qui dorment , c'est-à-
dire qui ne sont pas préparés . Quant au troisième , on ht dans saint
Matthieu, chap. XV : « Pendant que les vierges folles, » c'est-à-dire ,
les âmes qui ne sont pas préparées , allèrent acheter au marché du
démon avec Eve , ou Diane ; à ce marché où l'on donne beaucoup de
besogne pour peu de chose, l'époux vint, et celles qui étoient
prêtes, etc.. Voici le triple avantage que procure la préparation au
jugement; ce sont, la possession du royaume du ciel, la société inef-
fable de l'époux, et la jouissance de toute espèce de biens. On peut
ici remarquer trois choses ; premièrement, elles entrèrent, seconde-
agité. Appropinquabit enim regnum cœlo-
rum, » idest, régis cœlestis judicium jus-
tum. Joël, II : « Magnus dies Domini et
terribilis valde, quis sustinebit eum ? Nunc
ergo dicit Dominus : Convertimini ad
me, » etc., quasi diceret : Apparate vos
ad diem Domini pœnitentiam agendo , et
peccata mundi non faciendo. De secundo,
Apoc, XVIII : « Exite de Babylone , popule
meus, et ne participes sitis delictorum
ejus, et de plagis ejus non accipietis. »
Exite de Babylone, id est , praeparate vos
ad judicium pœnitentiam agendo, et pec-
cata mundi non faciendo ; et per talem
providentiam evadetis ejus pœnam. Luc.,
XII : « Si sciret paterfamilias , » etc.
Glossa : « Nesciente patrefamilias, domum
fur perfodit, quia durn a sui custodia spi-
ritus dormit, improvisa mors carnis habi-
tacuium irrumpit, et animam ad supplicia
trahit. » Furi autem resisteret, si vigilaret
et adventum judicis occulte prsevenien-
tem praecavens, judici pœnitendo occurre-
ret, et sic utique dormientium, id est, non
praeparatorum pœnam evaderet. De tertio,
Matth., XXV : « Cum fatuae virgines, » id
est , animée non paratœ , irent eniere ad
forum diaboli cum Eva , vel cum Diana ,
ubi pro modica re dant multa bona, venit
sponsus, et quœ paratae erant, » etc. Ecce
triplex lucrum prœparationis ad judicium,
çcilicet possessio cœleslis regni , societas
âmabilis sponsi , deliciœ totius boni. Pri-
mum notatur ibi, Intraverunt ; secundum
448 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 3.
ment, avecV époux , troisièmement, aux noces. _U est dit de la pre-
mière dans saint Matthieu, chap. XXV : « Venez les bénis de mon
Père. » Il est dit de la seconde, I Thés., chap. IV : « Nous serons tou-
jours avec le Seigneur, sans lui nulle part on n'est bien, avec lui nulle
part on ne pourra être mal. » On lit dans saint Jean, chap. XVII :
«Mon Père, ceux que vous m'avez donnés, je veux, etc., qu'ils
voient la lumière que vous m'avez donnée. » Il est dit de la troisième
dans Isaïe , chap. LXVI : « Réjouissez-vous avec Jérusalem ; » c'est-
à-dire , avec la société pacifique et délicieuse de tous les bienheureux,
fpour que vous soyez remplis par le lait de la consolation tiré de ses
pamelles. ]
CHAPITRE III.
De la seconde cause de l'institution du sacrement de l'Eucharistie, à savoir
du sacrifice de l'autel.
« Venez, mangez, etc.. Pareillement, votre affaire, etc.. » thème
ou argument propre. Le sacrifice de Juda est comme celui du roi et
de la milice, c'est-à-dire, de l'Eglise de Jésus-Christ, Malachie ,
chap. III. La seconde cause de l'institution du sacrement du corps du
Seigneur, c'est le sacrifice de l'autel. Trois choses sont à observer
touchant ce sacrifice ; ce sont la forme , la question du sacrifice légal
et l'excellence de notre sacrifice. Nous traiterons les deux premières
questions dans ce chapitre et nous laisserons la troisième pour le cha-
pitre suivant. La première chose à considérer c'est la forme , et elle
est triple. La première est celle des anciennes oblations qui le figu-
roientà l'avance. La seconde consiste dans la vérité de la forme hu-
maine , la troisième consiste dans les espèces du pain et du vin. La
première fut confiée à la synagogue sous la loi; la seconde, offerte sur
la croix , est celle de la chanté divine ; la troisième, consacrée sur la
ibi, Gum eo ; tertium ibi , Ad nuptias. De
primo, Matth., XXV : « Venite benedicti
patris mei. » De secundo, I Thess., -IV :
« Seinper cum Domino erimus , sine quo
nulli bene, cum quo nulli maie esse pote-
rit. » Joann., XVII : « Pater, quos dedisti
mihi, volo, etc. Ut videant claritatem quam
dedisti mihi. » De tertio, Isa., LXVI :
« Gaudete cum Hierusalem , id est cum
beatorum omnium pacifica et jucunda so-
cietate , ut repleamini ab uberibus conso-
lationis ejus. »
CAPUT lit.
De secundo, causa inslilulionis sacramenli
Eucharistiœ , scilicel sacrificio allaris.
«Venite, comedite, » etc. Item causam
tuam, etc. Thema proprium. Sacrificium
Juda, quasi régis et militiœ, id est Christi
et Ecclesiœ, Malach., III. Secunda causa
institutionis sacramenti dominici corporis,
est sacrificium aUaris. Circa quod sacrifi-
cium notantur tria, scilicet forma oiFeren-
di, quaestio de sacrificio legali et excellen-
lia nostri sacrificii. De duobus primis hic
potest dici , de tertio in sequenti. Primo
notatur forma, et hsec est triplex. Prima
in oblationum veterum pnefiguratione ; se-
cunda in humanaj forma? veritate ; tertia
in parus et vini specie. Prima est synago-
gae commendata sub lege ; secunda chari-
tatis divinee oblata in cruce; tertia fidelis
anima? consecrata in mensa ecclesiae. Pri-
ma data est in signum , secunda in pre-
SUR LE SACR3MENT DE L' AUTEL. 449
table de l'Eglise , est celle Je l'àme fidèle. La première fut donnée en
figure ; la seconde comme le prix de l'homme, la troisième comme une
consolation. Il est écrit de la première, Lévit., chap. IV : « Si tout
Israël a péché par ignorance , qu'il offre un veau pour son péché; »
c'est-à-dire le Christ, ajoute le Commentaire : ceci se faisoit en figure
et non en personne : l'agneau sans tache que les Juifs immoloient pour
laPàque et dont ils mangeoient les chairs, Exode, chap. XII, étoit
aussi la figure de Jésus-Christ, dit saint Grégoire. Isaïe dit de la se-
conde forme, chap. LUI : a II a été conduit à la mort comme une
brebis, il a été couvert de plaies à cause, etc. .. Il a été offert parce qu'il
l'a voulu. »Ceci s'est véritablement réalisé sur la croix quant à la forme
humaine. Il est écrit aux Hébreux, chap. X : « Nous sommes sanctifiés
une fois par l'oblation du corps de Jésus-Christ; » à savoir sur la croix.
Quant à la troisième, il est dit, Psaume CIX : « Vous êtes prêtre pour
l'éternité, etc.. » Lequel, comme il est dit dans la Genèse, chap. XIV :
« Offrit le pain et le vin. » De même le Christ donne son corps et son
sang dans le sacrifice de l'autel, sous les espèces du pain et du vin.
On lit dans saint Matthieu, chap. XXVI : « Jésus prit le pain, le bénit
et dit : Ceci est mon corps ; » il prit aussi le calice , c'est-à-dire un
petit vase avec du vin, il rendit grâce, disant : « Ceci est mon
sang, etc.. »
On remarque en second lieu la question peu importante du sacrifice
légal, et en traitant cette question on fait trois choses. 1° On fait con-
noître les difficultés que l'on oppose contre l'insuffisance imputée au
sacrifice légal. 2° On résout ces difficultés. 3° On assigne la cause de ce
même sacrifice. 1° On oppose à l'insuffisance imputée à ces sacrifices,
à savoir qu'ils n'ont pas été agréables à Dieu , qu'ils n'effacèrent pas
les péchés, d'après ces paroles de Jérémie, chap. VI : « Je n'ai point
eu pour agréables vos sacrifices, vos victimes ne m'ont pas plu, etc. »
tium, tertia in solatium. De prima, Levit.,
IV : « Si omnis Israël per ignorantiam
peccaverit , offerat pro peccato suo vitu-
lum , » id est Christum , dicit Glossa :
« Hoc autera non erat in persona, sed in
figura. » Exod., XII : « Similiter agnus
immaculatus, quem occidebant in Pascha,
et ejus carnes edebant, figura Christierat, »
ut dicit Gregorius. De secunda forma Isa.,
LUI : « Sicut ovis ad occisionem ductus ,
vulneraturus est propter, » etc. Oblatus
est, quia ipse voluit. Hoc vere secundum
formam humanam in cruce. Hebr., X :
« Sanctiiicati sumus per oblationem corpo-
ris Jesu Christi semel, » scilicet in cruce.
De tertia, Psalm. CIX : « Tu es sacerdos
in œternum , » etc. Qui ut dicitur Gen.,
V.
XIV : « Obtulit panem et vinum, » sic
Christus dat corpus et sauguinem suum in
sacrificium altaris sub panis et vini spe-
ciem. Matth., XXVI : « Accepit Jésus pa-
nem, et.benedixit, et ait : Hoc est corpus
meum. Et accipiens calicem, id est vascu-
lum cum vino, gratias egit dicens : Hic est
sanguis meus , » etc. Secundo notatur
brevis quaestio de sacriflcio legali , in qua
tria fiunt. Primo , contra insufficieutiam
quae imponitur sacrificiis legalibus, oppo-
nitur ; secundo, contraiïetas solvitur ; ter-
tio, causa illius sacrificii assignatur. Primo
contra insutïicientiam , quod Deo non pla-
cuerunt, et quod peccata non abstulerunt
secundum illud Jerem., VI : « Holocausta
vestra non sunt accepta , victime vestrae
29
450 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 3.
et autres raisons semblables; les paroles suivantes du Lévitique,
ch. IV : « Si quelqu'un d'entre le peuple a péché, etc., il offrira une
chèvre sans défaut, etc..., le prêtrela brûlera sur l'autel, devant le
Seigneur, comme un parfum qui lui est agréable , et sa faute lui sera
pardonnée. » Il est donc démontré par là que le Sacrifice légal fut
agréable à Dieu et que par conséquent il remit les péchés. L'Apôtre
dit aux Hébreux, chap. XI : « Tous les péchés sont presque purifiés
par le sang suivant la loi ; et le sang des animaux immolés remet les
péchés de ceux qui s'en rendent coupables. » Donc les sacrifices légaux
furent agréables à Dieu et ils remirent les péchés.
2° On peut répondre comme il suit à ces difficultés. Il y eut toujours
trois choses dans le sacrifice ; ce sont le sacrifice lui-même , les per-
sonnes qui l'offrent, et la rémission des péchés. Deux choses dévoient
être observées dans celles que nous venons d'indiquer. Dans le sacri-
fice , on devoit considérer la chair et le sang de l'animal que l'on
offroit ; on devoit en outre considérer, ce qui valoit beaucoup mieux,
à savoir la chose spirituelle qu'il signifioit; par exemple le Christ, que
signifioient l'agneau et le veau, la pénitence représentée par la chèvre,
la vie robuste et active exprimée par le bœuf, la vie sublime et con-
templative signifiée par l'oiseau, etc.. Les personnes qui offrent sont
pareillement de deux espèces, les unes dignes, les autres indignes. Les
personnes indignes étoient celles qui, ne considéroient dans les sacri-
fices que la partie charnelle. Les personnes dignes au contraire étoient
celles qui envisageoient dans les sacrifices la partie spirituelle, et qui
croyoient explicitement ou implicitement au Christ figuré par eux ; et
qui conformoient leur vie à cette intelligence spirituelle qu'ils en
avoient. On peut aussi dire , que là il y avoit rémission des péchés
en deux choses ; il y avoit rémission quant à la peine , c'est-à-dire
quant à l'irrégularité légale ; ou quant à la faute, c'est-à-dire quant à
non placuerunt mihi, et contra his similia
opponitur.» Levit.,lV : « Si peccaverit bu-
tem quis de populo terrae, offeret capram
immaculatam , et adolebit eam sacerdos
super altare in odorem suavitatis Domino,
et dimittetur ei. » Ergo videtur, quod vê-
tus sacrificium placuerit Deo, et propter
hoc peccala dimisit. Eebr., XI : « Omnia
pêne sanguine mundantur secundum le-
gem, et per sanguinem animalium sacrifi-
catorum remittuntur peccata deliquen-
tium. » Ergo illa sacrificia Deo placuerunt
et peccata dimiserunt. Secundo , horum
contrarietas sic potest soivi. In sacrificio
semper tria fuerunt, scilicet ipsum sacri-
iîcium , personne offerentium , peccatorum
remissio. In singulis istorum duo attende-
bantur in sacrificio, caro et sanguis ani-
malis quod offerrebatur. Et praeterea,
multo melius, scilicet res spiritualis, quae
ibi figurabatur , ut in agno vel vitulo
Christus, in capra pœnitentia, in bove vita
robusta et activa, in ave sublimis et con-
templativa, et sic de ceeteris. Item, personae
offerentium duse sunt species, aliae dignae,
aliee indignœ. Indigni erant qui illa sacri-
ficia tantum carnaliter attendebant. Digni
autem qui ea spiritualiter attendebant, et
in eis Christum fîguratum, vel explicite,
vel implicite credebant , et secundum in-
tellectum spiritualem vitam suam rege-
bant. Item , ibi erat remissio peccatorum,
et hoc quantum ad duo , scilicet quantum
ad pcenam , id est quantum ad legis irre-
gularitatem , vel quantum ad culpam , id
est quantum ad conscientiee maculam. His
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 451
la souillure de la conscience. Ceci étant établi, il n'est pas difficile de
résoudre les difficultés que les Ecritures semblent contenir relati-
vement aux sacrifices. Véritablement, en effet, ces sacrifices en eux-
mêmes, à savoir opéra operata, c'est-à-dire, les chairs et le sang
des boucs ne furent pas agréables à Dieu , et ce ne fut pas à cause de
ces mêmes sacrifices que la faute fut remise quant à la faute elle-
même, c'est-à-dire quant à la souillure de la conscience ; cependant
aux yeux des hommes elle étoit considérée comme remise quant à la
peine légale. C'est ce qui fait que quand l'Apôtre dit dans un endroit :
« Il est impossible que le sang des boucs efface les péchés, » et dans
un autre : « Tous les péchés sont presque effacés dans le sang d'après
la loi, » on peut interpréter le premier de ces passages de la souillure
de l'ame ; et le second de la peine de la chair. C'est ce qui lui fait
dire aux Hébreux, chapitre IX : « Le sang des boucs, des taureaux,
et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse, sanctifient
ceux qui ont été souillés , en leur donnant une pureté extérieure et
charnelle. » Le Commentaire «ajoute : « Sanctifié, c'est-à-dire purifié du
péché , » ou pour parler plus exactement , de la peine légale, ils ne
sont propres en effet qu'à purifier la chair et non l'ame. Les sacrifices
des justes néanmoins, non pas en eux-mêmeS, comme nous venons de
le dire , mais à cause de la foi qu'ils avoient dans le Sauveur, dont
ces mêmes sacrifices figuroient la venue , et qu'ils croyoient eux de-
voir être le Rédempteur du monde, plaisoient à Dieu sous ce rapport
et leur procuroient la rémission des péchés, et quant à la peine dont
nous avons parlé , et quant à la coulpe ou souillure de l'ame. L'A-
pôtre dit, Galat., chap. III : « Les œuvres de la loi ne justifièrent
l'homme que par la foi en Jésus-Christ. » Le même Apôtre dit aux
Hébreux, chap. XI : « C'est par la foi qu'Abel offrit à Dieu une hostie
plus excellente que Caïn, » plus excellente, c'est-à-dire plus agréable,
visis, facile solvuntur quae de sacrifions in
Scripturis sacris contraria dici videntur.
Rêvera enim illa sacrificia secundum se,
scilicet opéra operata, id est, carnes et
sanguis hircorum nec placuerunt Deo, nec
propter ea remisit culpam, quantum ad
culpam, id est conscientiae maculam ; sed
tamen apud homines remissa reputabantur
quantum ad quamdam legis pœnam. Unde
cum Apostolus uno loco dicat : « Impossi-
bile est sanguine hircorum auferri pecca-
ta, » et in alio : « Omnia pêne in sanguine
mundantur secundum legem. » Primum
intelligendum est quantum ad animœ cul-
pam. Secundum quantum ad carnis pœ-
nam : unde ad Hebr., IX : « Sanguis hir-
corum et vitulorum, et cinis vitulae asper-
sus, inquinatos sanctificat ad emundatio-
nem carnis. » Glossa : « Sanctificat, id est,
a peccato mundat, id est a pœna legis ad
emundationem valent non animae, sed car-
nis. » Verumtamen justorum sacrificia non
secundum se , ut dictum est, sed propter
fidem Salvatoris, quem in illis venturum,
et pro redemptione mundi credebant, Deo
placebant , et eis remissionem peccatorum
quantum ad pœnam supradictam, et quan-
tum ad culpam animœ valebant. Ad Gai.,
III : « Ex operibus legis non jusiificabitur
homo, nisi per fidem Jesu Ghristi. » Heb>\,
XI : « Fide plurimam hostiam Abel, quam
Cain, obtulit Domino ; » plurimam, id est
acceptabiliorem , et plus sibi valentem.
Intellexit enim et credidit, quem in agno
452 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 3.
et qui lui fut plus profitable. Il comprit en effet et il crut par l'agneau
qu'il offrit à Dieu à une hostie plus salutaire, c'est-à-dire le Sauveur;
ce que ne comprirent ni Caïn , ni les autres personnes indignes , qui
offrirent des sacrifices. On lit dans la Genèse , chap. X : « Dieu jeta
ses regards sur Abel et ses présents. »
Troisièmement, nous allons ici faire connoître la cause de l'insti-
tution des sacrifices légaux. Comme ces sacrifices ont été en effet in-
stitués par Dieu qui ne fait rien sans cause , et que pourtant ils dé-
voient être changés, on peut rechercher la raison qui les fit instituer.
Pour cela faire, nous dirons en peu de mots, que, bien que ces sacri-
fices n'eussent pas par eux-mêmes la propriété de remettre la coulpe
ou souillure , ils furent néanmoins d'un grand avantage pour l'ensei-
gnement de la sagesse. On les donne en effet temporairement à des
esclaves, comme la figure de sacrifices meilleurs; et presque comme
on donne aux enfants les caractères imprimés sur les livres; afin
qu'aidés par les propriétés de ces mêmes sacrifices et par les règles
employées pour les offrir, ils fissent des progrès dans la science de la
vraie foi ; et qu'après avoir acquis la science véritable, les éléments
disparussent, que les ombres et les figures fussent dissipées par la vé-
rité reçue par ce moyen. Il est écrit au Deutérondme, chap. XI :
« Imprimez ces paroles que je vous dis dans vos cœurs et dans vos
esprits, tenez-les attachées à vos mains, écrivez-les sur les jambages
et sur les portes de vos maisons. » Gravez dans vos cœurs les sacri-
fices légaux, gravez-les y, en tant qu'ils touchent à la morale, puis-
qu'il faut toujours en ce point être fidèle à les offrir. Tenez-les attachés
à vos mains ; en ce qui concerne les tabernacles édifiés de main
d'homme, et les autres choses de ce genre qui doivent être enlevées
dans un temps ; écrivez sur les jambages et sur les portes de vos mai-
sons les sacrifices, à savoir les brebis et les bœufs; comme les lettres
que l'on donne aux petits enfants; on apprendra par ce moyen une
foule de bonnes choses; ce seront surtout lajtqi auJSauveur, la règle
Deo obtulit hosliam meliorem, id est Sal-
vatorem, quod non Cain et caeteri indigni.
Gen., X : « Respexit Dominus ad Abel, et
ad munera ejus. » Tertio, causa institutio-
ms legalium sacrifîciorum est assignanda.
Cum enim a Deo instituta sint , qui nihil
sine causa facit, et tamen mutanda erant,
qua?ri potest causa institutioniseorum. Ad
hoc breviter dicendum , quod licet per se
non valuerat ad remissionem culpee, tamen
multum utilia fuerunt ad doctrinam sa-
pientise. Data suntquippe servis ad tempus
tanquam signa rerum meliorum, et quasi
parvulis tanquam characteres librorum, in
quorum proprietatibus et modulis offeren-
di, proficerent in disciplina verse fidei, ut
adepta vera scientia , deficerent elementa
et collata veritate cessarent umbrœ, et si-
gna. Deut.j XI : « Ponite verba mea in
cordibus vestris, et suspendite pro signo in
manibus, et scribite ea in postibus et ja-
nuis. » Ponite in cordibus legalia , scilicet
quantum ad moralia, quse semper sunt ser-
vanda ; suspendite ea pro signo in mani-
bus , quantum ad manufacta tabernacula,
et hujusmodi, quae pro tempore sunt tol-
lenda : scribite in postibus et januis sacri-
ficia, scilicet oves et boves quasi litteras
parvulorum, in quibus multa bona sunt dis-
cenda , et preecipue scilicet fides Salvatoris,
SUR LE SACREMENT DE l'aLTEL. 453
des mœurs^et l'espérance des bieus célestes. Ils pouvoient apprendre
la première de ces choses par les sacrifices des brebis • la seconde par
le sacrifice des taureaux- la troisième par celui des animaux que l'on
lojrûloîJL en dehors des camps. Isaïe dit du premier de ces sacrifices ,
cBâp. LUI : «'Comme une brebis, etc.. . «Ils pouvoient par conséquent,
lorsqu'on offroit une brebis, apprendre trois choses de la véritable foi;
ce sont, l'innocence du Sauveur, la mansuétude du genre humain, et
la rédemption opérée par Jésus-ChristlDaniel dit du second, ch. III :
t( Enjesjoirit d'humilité, etc., comme dans les holocaustes des béliers
efaes taureaux. » Par conséquent, lorsqu'on offroit pour l'holocauste
les animaux cornus, c'est-à-dire lorsqu'on les offroit pour les réduire
en cendres par le feu ; ils pouvoient apprendre trois choses concernant
les bonnes mœurs; ces choses sont, qu'il faut résister aux démons et
à tous les vices; qu'il faut brûler de l'amour de Dieu et du prochain,
et qu'il est nécessaire de conserver en toutes choses l'humilité du
cœur et du corps. Quant au troisième, il est dity Lé vi tique, chap. IV ;
Hébreux, chap. XII : « Que le sang des animaux est porté par le Pon-
tife dans le Saint des saints pour leurs péchés, et que les corps de ces
animaux sont brûlés en dehors du camp. » De l'exécution de ces
choses, ils pouvoient recueillir trois enseignements relatifs à l'espoir
d'obtenir la gloire céleste; ce sont la pénitence des vivants, le devoir
du Sauveur, et le suffrage des bons. Ce sacrifice nous apprend en
premier lieu, que les corps étoient brûlés en dehors du camp ; et cette
action de brûler les corps en dehors du camp figure les fidèles qui
font pénitence loin des délices et des voluptés du monde. Secondement,
la translation du sang clans le Saint des saints par le Pontife repré-
sente la translation des âmes des justes dans le ciel après cette vie par
Jésus-Christ. Troisièmement, ce sacrifice nous apprend que si le sang
transporté par le Pontife dans le Saint des saints eut le pouvoir de
Ê
forma de moribus , spes de cœlestibus.
Primum poterant discere de sacritîciis
ovium; secundum in sacrificio taurorum;
tertium in sacrificio animalium extra cas-
tra combustorum. De primo , Isa., LUI :
« Sicut ovis, » etc. Cum ergo ovis offere-
batur, poterant tria de vera fide discere,
scilicet Salvatoris innocentiam, mansuetu-
dinem humani generis, per mortem Christi
redemptionem. De secundo , Dan., III :
'« In spiritu humilitatis, » etc. Sicut in ho-
locaustis arietum et taurorum. Cum ergo
cornuta animalia in holocaustuui , id est,
per ardorem ignis in cinerem redigenda
offerebantur , poterant de bonis moribus
tria discere, scilicet ut daemonibus et vitiis
résistèrent, Dei et proxitni amore ardèrent,
cordis et corporis humilitatem in omnibus
conservarent. De tertio, Levit., IV, Hebr.,
XII : « Quorum animalis infertu/ sanguis
pro peccato in sancta per Pontificem , ne—
rum corpora cremantur extra castra ; »
sanguis animalium significat animas justo-
rum. Cum haec fiebant, poterant tria dis-
cere de spe obtinendae cœlestis gloriœ, quae
sunt pœnitentia viventium , Salvatoris of-
ficium, bonorum suffragium. Primum dis-
cimus in illo, quod corpora extra castra
cremabantur, quia ibi corpora cremare est
fidèles extra delicias et voluptates sœculi
pœnitentiam agere. Secundum in eo quod
sanguis inferebatur per Pontificem in sancta
sanctorum, quia hoc est animas justorum,
post hanc vitam beneficio Christi in cce-
lum assumi. Tertium in eo , quod sanguis
per Pontificem in sancta delatus, valuit ad
454 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 3.
remettre les péchés des hommes vivants; ceci nous représente que les
âmes des justes qui ont été déjà conduites dans le ciel par Jésus-Christ
peuvent prier pour les péchés de ceux qui sont encore sur cette terre
d'exil. L'Apôtre dit, quant au premier point, Tim. II, ch. II : « C'est une
vérité très-certaine que si nous mourons avec Jésus-Christ en faisant
pénitence, nous vivrons avec lui en recevant la vie éternelle, si nous
souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui. » Il dit aussi, Rom.,
chap. VIII : « Les souffrances de la vie présente n'ont pas de propor-
tions, etc. » Voici que faire pénitence, supporter les maux qui nous
arrivent, nous donnent l'espoir d'ohtenirla gloire du ciel. Pour ce qui
est du second , il est écrit dans saint Jean , chap. XIV : « Je viens de
nouveau vers vous, et je vous recevrai auprès de moi , » et ici le de-
voir de la piété donne l'espérance des hiens célestes. On lit ce qui suit
dans le livre des Cantiques , chap. V : « Où est allé votre bien-aimé ,
ô la plus belle des femmes ! » La bienheureuse Vierge répond : « Mon
bien-aimé est descendu dans son jardin, vers le carreau des parfums,
pour se nourrir dans ses jardins et y cueillir des lis; » c'est-à-dire
pour enlever du monde et les conduire au ciel les âmes chastes et bien-
heureuses. Il est dit du troisième dans Osée, chap. I : « J'exaucerai
les cieux, et ils exauceront la terre, » c'est-à-dire que les prières des
saints qui sont dans le ciel sauvent ceux qui demeurent sur la terre ;
voici en quoi les prières des saints sont propres à nous douner l'espé-
rance des biens du ciel. Il est écrit dans l'Apocalypse, chap. VIII : « La
fumée des parfums composés des prières des saints , s'élèvant de la
main de l'ange, monta devant Dieu; » ceci arrive, parce que les saints
offrent à Jésus-Christ pour nous leurs prières , et qu'il les offre lui à
son Père, pour nous faire obtenir la rémission de nos péchés, et pour
nous associer à eux.
remissionem peccatorum hominum vivo-
rum ; quia hoc est animas bonorum jam
per Christum in cœlum sublevatas, inter-
cédera pro peccatis exulum adhuc in
mundo relictorum. De primo, II Tim., II :
« Fidelis sermo. » Nam si commortui su-
raus, scilicet agendo pœnitentiam : et vi-
vemus recipiendo vitam œternam, si sus-
tinebimus et conregnabimus. Ad Roman.,
VIII : « Non sunt condignae passiones, » etc.
Ecce quod pœnitentiam agere , et mala in
mundo sustinere, valet ad spem obtinendse
cœlestis gloriœ. De secundo, Joan., XIV :
« Iterum venio , et accipiam vos ad me, »
ecce quod Domini pietatis officium valet
ad spem cœlestium. Cant., Y , dicunt hu-
jusmodi : « Quo abiit dilectus tuus, o pul-
cherrima mulierum ? » respondit beata
Virgo. « Dilectus meus descendit in hor-
tum suum ad areolam aromatum, ut pascat
in hortis, et lilia colligat, » id est animas
beatas vel castas de mundo assumât, et ad
cœlestia perducat. De tertio, Osée, I : «Ego
exaudiam cœlum, et illi exaudiant ter-
rain, » id est, sanctorum precibus qui sunt
in cœlis, salvantur qui habitant in terris ;
ecce orationes sanctorum valent ad spem
cœlestium. Apoc, VIII : «Ascendit fumus
aromatum de orationibus, scilicet de manu
angeli coram Deo, quia scilicet sancti offe-
runt orationes pro nobis Christo, et Chris-
tus Patn suo, ut peccatorum recipiamus
remissionem, et ad eorum perveniamus so-
cietatem.
SUR LE SACREMENT DE L AUTEL.
455
CHAPITRE IV.
Troisième observation à faire sur le sacrifice, ou excellence de notre
sacrifice.
«Venez et mangez, etc... » On remarque en troisième lieu, l'excel-
lence de notre sacrifice qui est le sacrifice du corps de Jésus- Christ ;
excellence qui l'emporte sur celle de tous les sacrifices légaux , sous
trois rapports , qui sont, celui de l'honnêteté quant au siècle, de la
dignité quant à Dieu, et de la puissance par rapport aux effets de son
excellence. Il l'emporte premièrement sous le rapport de l'honnêteté,
et ceci se prouve de trois manières ; par son apparence extérieure ,
par son origine, toute, virginale, et par sa douceur spirituelle. On
prouve d'abord cette honnêteté par son apparence extérieure; il n'eut
pas été possible en effet, quelle qu'eût été la qualité de la nourriture
employée, de l'administrer d'une manière et si convenable, et si belle,
et si pure que sous les espèces du pain et du vin. Il n'est pas en effet
accompagné de tous les inconvénients inséparables des sacrifices san-
glants de la loi. On lit au livre des Proverbes , chap. XIV : « Mieux
vaut un peu de pain sec avec la joie, qu'une maison pleine de victimes
avec la discorde. » La bouchée de pain sec , c'est notre sacrifice sous
l'espèce pure et décente du pain. Zacharie dit, ch. IX : « Car qu'est-ce
que le Seigneur a de bon et d'excellent, sinon le froment des élus et
le vin qui fait germer les vierges. » On prouve, en second lieu, sa dé-
cence par son origine, car il vient d'une fleur virginale , et n'est en-
tachée d'aucune corruption. Il est écrit dans l'Ecclésiastique, chap.
XXIV : « Mes fleurs portent des fruits d'honneur, etc.. » Ce qui est
comme s'il disoit ; les fleurs de la chasteté et de la virginité se sont
changées au fruit de la lignée la plus décente et la plus noble. Saint
Augustin dit : « La noblesse de la Mère lui vient de la divinité de son
• CAPUTIV.
De tertio circa sacrificium notando, scilicet
sacrificii nostri excellenlia.
« Venite, comedite, » etc. Tertio notatur
nostri sacrificii, scilicet corporis Christi ex-
cellentia, quae praecellit omnia legis sacri-
ficia triplici ratione , scilicet honestatis,
quoad saeculum; dignitatis, quoad Deum;
virtutis, quoad suae bonitatis effectum.
Primo excellit ratione honestatis, quod
probatur a tribus , ab exteriori specie, a
virginali origine , a spirituali dulcedine.
Primo , probatur hujusmodi honestas ab
exteriori specie, quia sub nulla alia quali-
tate cibi posset tam munde, tam pulchre,
tam honeste ministrari, sicut sub specie
panis et vini. Non enim sequuntur hoc in-
convenientia multa , quae sequebantur illa
cruenta legis sacriticia. Prov., XIV : « Me-
lior est buccella sicca cuin gaudio , quam
domus plena victimis cum jurgio. » Buc-
cella sicca est sacrificium nostrum sub
munda specie panis, et honesta. Zachar.,
IX : « Quid bonum et quid pulchrum ejus,
nisi frumentum electorum, et vinum ger-
minans virgines ? » Secundo, probatur ho-
nestas ejus, quod a nulla corruptione, sed
a virginali flore sumpsit exordium. Eccli.,
XXIV : « Flores mei fructus honoris, » etc.
Quasi diceret : Flores pudicitiee et virgini-
tatis versi sunt in fructum nobilissimœ ho
456 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 4.
enfant, et celle de l'enfant de la virginité de sa mère. » On lit au livre
des Cantiques, chap. III : « Sortez , etc.. » Le Commentaire ajoute :
de l'ignorance, de l'infidélité, et voyez le roi, c'est-à-dire Jésus-Christ;
sous son diadème , c'est-à-dire sous la chair dont sa mère l'a cou-
ronné, c'est-à-dire l'a embelli parce qu'elle est Vierge. On prouve, en
troisième lieu , l'honnêteté de ce sacrifice par la douceur spirituelle
de la piété par laquelle il attire à lui tous les chrétiens. Comme le dit
Tullius, « Cela est honnête qui par sa propre force nous attire et nous
>^-. entraîne., » tel par exemple, que ce qui a de la vertu; mais il n'y a rien
déplus propre à atteindre ce but que ce en quoi abonde la douceur
de la piété, et c'est précisément ce qu'est le sacrement du corps du
Seigneur. On lit dans l'Ecclésiastique, chap. XLIX : «La mémoire
de Josias est comme un parfum d'une odeur délicieuse composé par
un parfumeur habile. » La mémoire de Josias, c'est le souvenir du
Sauveur, ou le sacrifice de l'autel. Ceci est l'œuvre d'un parfumeur,
c'est-à-dire est le résultat des œuvres de sa divinité et de son huma-
nité , afin que par l'odeur très-suave de l'honnêteté et de la piété, il
attire à lui tous les fidèles de l'Eglise. On lit dans le Cantique des Can-
tiques , chap. I : « Votre nom est une huile répandue. » C'est ce qui
fait que ceux qui croient véritablement, viennent fréquemment et
pleins de ferveur à l'Eglise, poussés qu'ils y sont par l'espérance de
la grâce et de la dévotion, pour voir ce sacrifice et l'adorer.
Il excelle secondement à cause de sa dignité; et ce qui le prouve
ce sont les trois choses excessivement précieuses qui le constituent,
à savoir la chair infinimentnure de Jésus-Christ , son ame parfaite-
■ i 7 -4
ment juste ci sa divinité très-grande. Ces trois; choses étoient figurées
dans l'agneau pascal, et elles se trouvent dans toute leur perfection
dans notre sacrifice. On lit dans l'Exode, chap. XII : « Vous mangerez
la .tête de l'agneau avec les pieds et les intestins. » La tète de l'agneau
*
nestissimae prolis. Augustinus : « Nobilitas
matris est ex deitate prolis, nobilitas pro-
lis ex virginitate matris.» Cant., III :
« Egredimiui, » Glossa, ab ignorantia infi-
delitatis, « et videte regem, » id est Jesum
Christum, «in diademate,» id est carne,
« quo coronavit eura mater sua , » id est,
honestavit in hoc quod est virgo. Tertio
probatur honeslas hujus sacrificii a spiri-
tuali dulcedine pietatis, qua cunctos Chris-
tianos ad se attrahit. Ut enim dicit Tullius:
« Honestum est , quod sua vi nos ad se
trahit et alhcit , » ut scilicet res virtuosa,
maxime vero talis qui abundat dulcedine
pietatis, et talis res est sacramentum do-
minici corporis. Eccles., XLIX : « Memoria
Josise in compositione odoris facta opus
pigmentarii, » memoria Josife est memo-
riale Salvatoris , vel sacrificium altaris.
Hoc factum est opère pigmentarii, scilicet
ex pretiosis operibus divinitatis et huma-
nitatis suae , ut suavissimo honestatis et
pietatis odore ad se trahat fidèles Ecclesice.
Cantic, I : « Oleum effusum nomen
tuum. » Hinc omnes qui vere credunt , ob
spem gratiaî et devotionis ad hoc sacrifi-
cium videndum et adorandum ad eccle-
siam fréquenter et ferventer accurrunt.
Secundo excellit ratior.e dignitatis , quod
probatur a tribus rébus pretiosissinvs , ex
quibus consistit , scilicet ex carne Christi
mundissima , anima justissima, deitate al-
tissima. Haec tria in agno pasehali lîgurata
sunt , in nostro sacrificio vere perfecta
sunt. Exod., XII : « Caput agni cum pe-
dibus et intestinis vorabitis. » Caput agni
SUR LE SACRE MEiNT DE L'AUTEL. 457
signifie la divinité, les intestins l'ame, les pieds la chair : voici en
Jésus-Christ : Dieu, l'ame et le corps ; ce qui fait que l'on dit : « Sa-
lut, Sauveur du monde , Divinité parfaite, Homme véritable composé
de chair et d'ame. » L'excellence de cette dignité infinie fait que
notre sacrifice jouit d'une triple prérogative que n'ont pas les autres
sacrifices. Il est agréable à Dieu en lui-même, il est digne de la véné-
ration des Anges et il mérite aussi l'adoration des hommes. Il est
digne de la première, parce que son ame est juste; la pureté de sa
chair le rend digne de la seconde, et sa divinité souveraine fait qu'il
mérite la troisième. Malachie dit de la première de ces prérogatives,
chap. III : « Le sacrifice de Juda sera agréable à Dieu; » c'est-à-dire
le sacrifice de Jésus-Christ qui est le roi juste. Le sacrifice de Juda
plaît au Seigneur, parce que Dieu le père approuve l'oblation du
corps de Jésus-Christ: corps dans lequel il est profondément humilié
et qu'il a rendu obéissant à son Père jusqu'à la mort; par lequel il a
triomphé du démon et a racheté le genre humain. L'Ecclésiastique
dit, chap. XXX : « Le sacrifice du juste est agréable à Dieu, il est
d'une agréable odeur en présence du Très-Haut. » Saint Matthieu dit
de la seconde, chap. XXII : « Quelque part que soit le corps, là les
aigles s'assembleront. » Le pape saint Léon dit : « Les aigles qui
volent autour du corps du Seigneur sont celles qui volent sur des
ailes spirituelles, » c'est-à-dire les saints Anges_, les esprits purs,
amantsde la pureté et qui protègent de leur présence les-fidèles. On lit
dans saint Grégoire : « Quel est celui des fidèles qui pourroit douter
qu'au moment de l'immolation les cieux s'ouvrent, que les chœurs
des anges assistent à ce mystère de Jésus-Christ, et que lejnel s'as-
socie à Ja terre? » Le Palmiste dit de la troisième, Ps. XCY : « Adorez
l'escabeau, etc. » Isaïe, chap. LXYI, s'exprime comme il suit : «Mais
la terre est l'escabeau de mes pieds. » La terre escabeau des pieds de
significat deitatem, intestina animam, pe-
des carnem, ecce in Ghristo Deus, anima
et corpus, propter quod dicitur : Ave salus
mundi , deitas intégra , verus homo , ex
carne scilicet et anima , propter tantae di-
gnitatis excellentiam , habet sacrificium
nostrum prae aliis triplicem prœrogativam.
Deo namque secundum se acceptum est,
angelis reverendum , hominibus adoran-
dum. Primum est propter animam justarn,
secundum propter carnem mundam, ter-
tium propter divinitatem summam. De
primo, Malach., III : « Placebit Deo sacri-
ficium Juda, » id est Christi justi régis.
Sacrificium Juda Domino placet, quia cor-
pus Christi oblatum Deus Pater approbat,
triumphando , et genus humanum redi-
mendo. Eccles., XXX : « Sacrificium justi
acceptum est , et odor suavitatis in cons-
pectu Altissimi. De secundo, Matth., XXII :
« Ubicumque fuerit corpus, ibi congrega-
buntur et aquilae. » Léo Papa : « Circa cor-
pus Domini aquilœ sunt quae spiritualibus
alis circumvolant , videlicet angeli sancti,
spiriLus mundi, munditiam amantes, mun-
dum corpus Domini vénérantes, et présen-
tes fidèles protegentes. » Gregorius : « Quis
fidelium dubium habere possit in ipsa ho-
ra immolationis cœlos aperiri, et in illo
Christi mysterio angelorum adesse choros,
summa et ima sociari. » De tertio, Psalm.
XCV : « Adorate scabellum. » Et Isa,,
in quo scilicet se maxime humiliavit us- LXVI , dicitur : « Terra autem scabellum
que ad mortem Patri obediendo, de diabolo | pedum meorum. » Terra scabellum Dei si-
%
458 opuscule lvii, chapitre 4.
Dieu, signifie la chair de Jésus-Christ, qui tire son origine de la terre.
Nous devons l'adorer parce qu'elle est sainte, parce qu'elle est unie à
la divinité. Saint Augustin dit : « Il nous importe de savoir qu'il n'y
a pas d'impiété à adorer la terre, c'est-à-dire la chair en Jésus-Christ.»
Celui, en effet, qui adore la terre, n'a pas en vue la terre, mais bien
plutôt celui dont elle est l'escabeau, et qui est cause qu'on l'adore.
On lit dans saint Augustin : « Les hérétiques disent : comment se
fait-il que vous adoriez sa chair, que vous reconnoissez être une
créature, et que vous l'adoriez avec la divinité, et que vous lui rendiez
le même culte qu'à celle-ci? Je réponds : ce qui fait que j'adore la
chair du Seigneur , qui est l'humanité parfaite , c'est parce que la
divinité l'a prise et qu'elle se l'est unie en union de personne. Si vous
séparez l'homme de Dieu, je cesse de croire à lui, je ne le sers plus.
Il en est comme si quelqu'un trouvoit étendue à terre la pourpre ou
le diadème d'un roi, il ne leur rendra pas les honneurs dus au roi. Mais
lorsque le roi en est revêtu, il s'expose à la mort, s'il dédaigne de lui
rendre en même temps qu'au roi l'honneur qui lui est dû. Dans
Jésus-Christ pareillement, ce n'est pas l'humanité seule et une que
nous adorons , c'est l'humanité unie à la divinité , à savoir le Fils
unique de Dieu , Dieu véritable et vrai homme, et si quelqu'un dé-
daigne de l'adorer il mourra pour l'éternité. Le pape Alexandre dit :
« il ne peut y avoir rien de plus grand dans les sacrifices que le corps
et le sang de Jésus-Christ. »
Il l'emporte troisièmement sur les autres sacrifices par sa puissance,
c'est-à-dire parles effets i de, sa. -honte- Il produit trois espèces de biens
dans les trois états des fidèles ; dans le monde , dans le purgatoire et
dans le ciel. Dans le premier de ces états , il délivre des péchés , dans
le second, il allège la gravité du châtiment, dans le troisième il est la
source d'une joie sans bornes. C'est ce qui fait que l'on célèbre des
gnificat carnem Christi, quae originaliter
de terra est. Hœc est nobis adoranda, quia
sancta , quia Deo unita. Augustinus :
« Sciendum quia in Christo terra, id est
caro, sine impietate adoratur. » Qui enim
terram adorât, non terram intuetur, sed
illum potius, cujus scabellum est , propter
quam adorât. Augustinus': « Dicunt hœ-
retici, quid est quod carnem illius, quam
creaturam non negas, cum divinitate ado-
ras, et ei non minus quam divinitati de-
servis ? Respondeo. Dominicain carnem
perfectam humanitatem ideo adoro , quia
a divinitate suscepta , et divinitati in uni-
tate personae unita. Si hominem separave-
iïs a Deo, illi non credo nec servio. Velut
si quis purpuram vel diadema régis per se
jacens inveniat, nunquam eam adorabit.
Cum vero ea rex fuerit indutus, periculum
mortis incurrit , si eam cum rege adorare
contempserit. Sic etiam in Christo huma-
nitatem non solam vel nudam, sed divini-
tati unitam , scilicet unum Filium Dei ,
verum Deum et verum hominem si quis
adorare contempserit, œternaliter rnorie-
tur. » Alexander Papa : « Nihil in sacrifi-
ciis majus esse potest, quam corpus et san-
guis Christi. » Tertio, excellit ratione vir-
tutis , id est propter effectum suae bonita-
tis. Habet enim triplicem bonum actum
in triplici statu fidelium, in mundo, in.
purgatorio , in cœlo. In primo statu pec-
cata relaxât ; in secundo pœnam gravem
alleviat ; in tertio gaudium magnum géné-
rât. Hinc est, quod tripliciter Missae cele-
brari soient , pro salute vivorum , pro re-
SUR LE SACREMENT DE l'âUTEL. 459
messes pour trois fins, pour le salut des vivants, pour le corps des
défunts et pour la gloire des bienheureux. C'est aussi pour démontrer
la puissance du sacrifice du corps du Seigneur sur ce triple état que
l'hostie est rompue en trois parties. Quant au premier de ces biens, on
litûans le Lévitique, chap. V : «L'ame qui aura péché par igno-
rance, offrira un bélier sans tache, » c'est-à-dire Jésus-Christ. Voilà,
dit le Commentaire , la raison pour laquelle on chante « agneau de
Dieu, etc.. » Saint Grégoire dit : « Le Seigneur nous a donné ce sa-
crement du salut , pour que, comme il ne peut plus mourir pour
nous, et que nous péchons tous les jours, nous obtenions par ce
même sacrement la rémission de nos péchés. » Quant au second, il
est dit dans le Lévitique, chap. XVII : « Je vous ai donné le sang, afin
que vous l'offriez. sur l'autel pour l'expiation de vos âmes, et que ce
sang vous serve d'expiation. » C'est pourquoi, on offre avec justice
le corps et le sang de Jésus-Christ pour les âmes des défunts, afin de
les délivrer des peines du purgatoire , où les ont fait reléguer les
restes de pénitence qu'ils avoient à faire. Saint Augustin dit : « Il
n'est pas douteux que les prières et les aumônes de la sainte Eglise et
le sacrifice salutaire ne soulagent les âmes des défunts , pour que le
Seigneur agisse plus miséricordieusement envers elles, qu'elles ne le
méritèrent en ce monde par leurs péchés. » Pour ce qui est du troi-
sième , il est écrit dans le Lévitique , chap. X : « Vous mangerez,
vous, votre fils et vos filles avec vous, dans un lieu très-pur, la poi-
trine qui a été offerte. » La poitrine qui est ce qu'il y a de meilleur
et de plus succulent dans l'animal , signifie la douceur du corps de
Jésus-Christ, en ce qu'il est pour les bienheureux un objet de délices
dans le ciel, parce que le souvenir du Rédempteur , l'aspect de notre
salut, l'admiration que produit en eux la bonté divine , font que ce
sacrifice leur fait éprouver la plus grande joie et le bonheur le plus
quie defunctorum, et pro gloria beatorum.
Unde et hostia in très partes frangitur , ut
virtus sacrificii corporis Domini in prae-
dicto triplici statu dernonstretur. De primo,
Levit., Y : «Anima quae peccaverit per
ignorantiam , ofïeret arietem immacula-
tum, » id est Christum. Glossa : « Unde
canitur : Agnus Dei , » etc. Gregorius :
«Dominus dédit nobis saeramentum salutis,
ut quia quotidie peccamus, et ille jam pro
nobis mori non potest, per hoc saeramen-
tum remissionem consequamur. » De se-
cundo, Levit., XVII : « Dedi vobis sangui-
nem , ut super altare meum expieftis pro
animabus vestris, et sanguis pro animœ
piaculo sit, et ideo caro et sanguis Ghristi,
recte pro animabus defunctorum offerun-
tur, ut a pœna purgatorii. qua pro residuo
pœnitentiae legati sunt, absolvantur. » Au-
gustinus : « Orationibus et eleemosynis
sanctte Ecclesiœ, et sacrificio salutari non
est dubium defunctorum animas relevari,
ut cum eis misericordius agatur a Domino,
quam eorum peccata meruerunt in hoc
mundo. » De tertio, Levit., X : « Pectus-
culum sacrificii , quod oblatum est , edetis
in loco mundissimo, tu, et fllii tui, et fîliae
tuae tecum. » Pectusculum , quod scilicet
optimum est, et dulcissimum animalis, si-
gnificat dulcedinem corporis Christi, in
quantum comeditur in loco mundissimo,
id est, in quantum delectat beatos incœlo,
in eo quod plurimum gaudent, et congra-
tulantur in hoc sacrificio, de momoria re-
demptoris , de aspectu nostrae salutis , de
admiratione divinae bonitatis. Vel certe
460 OPUSCULE LYII, CHAPITRE 5.
parfait. La raison pour laquelle on mangera la poitrine dans un lieu
très-pur, c'est peut-être parce que les bienheureux jouissent dans le
ciel d'une vue manifeste de la douceur du corps du Seigneur, dont
nous nous nourrissons ici-bas sous le voile du sacrement. On lit, Apo-
calypse, chap. II : « Je donnerai au vainqueur la manne cachée; » le
Commentaire ajoute : « Je me donnerai moi-même, moi qui suis le
pain de vie; » que si maintenant il demeure une manne cachée,
alors il sera apparent et plein d'une saveur indicible. C'est pour cela
que la Collecte s'exprime en ces termes : « Que les sacrements pro-
duisent en nous, Seigneur, ce qu'ils contiennent ; afin que nous jouis-
sions réellement et en vérité de ce que nous portons en espèce. » C'est-
à-dire que nous jouissions du corps de Jésus-Christ par une vue
claire et manifeste ; comme le disent les paroles suivantes : « Celui
qui m'aime, mon Père qui est dans les cieux l'aimera. » Cette vision
du Seigneur fera que nous jouirons pleinement de toute espèce de
biens. Il est écrit , Psaume XYI : a Yotre présence me remplira de
joie, j'en serai rassasié lorsque votre gloire m'aura apparu. »
CHAPITRE V.
Troisième cause de l'institution de ce sacrement; c'est la nourriture de
l'homme.
« Ma chair est une véritable nourriture, etc.. » Yoilà la raison
pour laquelle il donne son corps en aliment. La nourriture de
l'homme est la troisième cause de l'institution de ce sacrement. On
peut assigner trois raisons à la sagesse de Dieu , par rapport à l'acte
par lequel le Seigneur donne son corps en aliment. Ce sont la gran-
deur de la libéralité divine , comme il est le souverain bien, il lui
convient d'être souverainement libéral; mais il ne peut pas y avoir
pectusculum comedetnr in loco mundissi-
mo, quia dulcedine corporis Domini , qua
hic pascimur in velamine et sacramento,
ea fruuntur beati visione manifesta in cœ-
lo. Apoc, II : « Vincenti dabo nianna abs-
conditutn., » Glossa : « Meipsum, qui sum
panis vitae, quod manna, et si nunc manet
absconditum, tune fiet manifestum habens
omnis saporis suavitatem. » Hinc dicit
Collecta : «Perfïciant in nobis, Domine,
sacramenta quod continent, ut quse specie
gerimus, rerum veritate capiamus , » id
est, Ghristi corpore manifesta visione per-
fruamur, secundum illud : « Qui diligit
me, diligitur a Pâtre meo ., qui est in cœ-
lis; » inilJa Domini visione erit nobis om-
nis boni pleua fruitio. Psalm. XVI : « Ad-
implebis me hetitia cum vultu tuo, satia-
bor cum apparuerit gloria tua. »
CAPUT V.
De lerlia causa inslitutionis , quœ est cibus
hominis.
« Caro mea vere est cibus , » etc. Thema
proprium, quod corpus datur in cibum.
Tertia causa institutionis est cibus homi-
nis. Circa hoc quod Dominus corpus suum
dat in cibum, triplex potest ratio sapien-
tiae Dei assignari , scilicet divinae liberali-
tatis magnitudo. Cum enim summe sit bo-
nus, summa eum decet liberalitas; sed
nulla bac major esse potest. Probatur au-
SUR LE SACREMENT DE i/ AUTEL. 461
de libéralité plus grande que celle-là. Ce fait prouve sa libéralité par
rapport à trois choses, qui sont : 1° la magnificence du don; 2° la
noblesse. du donateur; 3° l'utilité de celui qui reçoit. 1" Cotte action
prouve la libéralité de celui qui donne quant à la magnificence du
don, parce que (celui de qui viennent tous les biens se donne lui-
même dans ce sacrement, et il le fait avec la plus grande largesse,
parce qu'il donne son propre corps eu nourriture , comme il le dit :
« Prenez et mangez. » C'est là le plus haut degré de la largesse di-
vine quant au don. On peut dire ici quelques-uns des degrés delà lar-
ge^Jivine, par lesquels elle a départi à l'homme tous les ifèns~qïTîl
possède, et on démontrera par là que c'est ici le degré le plus parfait de
cette même largesse. Le premier degré de cette largesse consiste en
ce que Dieu a aceordgjt l'homme le ciel et la iejrr£,et qu'il lui a aussi
donné pour le servir toutes les créatures privées de raison . On lit,
Ecclésiastique, chap. XVII : « Dieu a créé l'homme de la terre, et il lui
a donné pouvoir sur tout ce qui se trouve sur la terre. » Il est écrit
dans la Genèse, chap. II : « Faisons l'homme à notre image et res-
semblance. » On lit dans le Deutéronome, chap. IV : «Dieu a créé le
soleil, la lune et tous les astres du ciel pour le service de toutes les
nations. » Il est dit dans saint Matthieu , chap. V : « Dieu fait lever
son soleil sur les bons et sur les méchants. » Il est écrit au livrp des
Actes, chap. XIII : « Dieu s'est rendu témoignage à lui-même, faisant
du bien, faisant tomber la pluie du ciel, donnant un temps propre à
faire croître les fruits de la terre et remplissant nos cœurs de joie, et
accordant les aliments nécessaires. » Dieu faisant du bien s'est rendu
témoignage ; c'est-à-dire qu'il l'a fait par ses bienfaits , et il a prouvé
qu'il étoit et le Dieu et le libérateur de la créature. On lit , Psaume
XVIII : « Qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui? »
Le second degré de cette largesse divine, c'est que par elle il a donné
tem ejus liberalitas in hoc facto quantum
ad tria. Primo, quantum ad magnificen-
tiam doni ; secundo, quantum ad nohilita-
tem dantis; tertio, quantum ad utilitatem
accipientis. Primo , quantum ad magnifi-
centiam doni , quia largitor omnium bo-
norum in hoc sacramento tiat seipsum, et
hoc largissime , quia dat proprium corpus
in cibum, secundum quod dicit : « Acci-
pite et comedite. » Hic est summus gradus
divinœ largitatis quantum ad donum. Hic
gradus quidam proponi possunt divinae lar-
gitatis, quibus homini largitus est omnia
bona sua, et sic patebit, quod hic est sum-
mus. Primus gradus est, quod largitus est
homini cœlum et terram, et omnes irra-
tionabiles creaturas ad serviendura. Eccli.,
XVII : « Deus creavit de terra hominem,
et dédit ei potestatem eorum quœ sunt su-
per terram. » Gen., II : « Faciamus ho-
minem ad imaginem et similitudinem
nostram. » Deut., IV : « Solem et Lunam,
et omnia astra cœli creavit Deus in mi-
nisterium cunctis gentibus. » Matth., V :
« Deus solem suum facit oriri super bonos
et malos. » Ad., XIII : « Deus non sine tes-
timonio semetipsum benefaciens , de cœlo
dans pluvias et temporà fructifera, implens
cibo et laetitia corda nostra, non sine tes-
timonio se reliquit benefaciens, » id est,
per bénéficia, et creatune se Deum et libe-
ratorem testatus est. Psalm. XVIII :
« Quid est homo quod memor es ejus. »
Secundus gradus est, quod homini largitus
462 OPUSCULE LYII, CHAPITRE 5.
à l'homme pour le servir, les plus nobles des créatures raisonnables
et célestes qui sont les saints anges. Il est dit, aux Hébreux, chap. I :
« Tous les Anges ne sont-ils pas des esprits destinés pour servir, et en-
voyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être
les héritiers du salut. » On lit dans saint Matthieu , chap. XVIII :
« Leurs anges voient toujours la face du Père. » On leur donne le nom
d'ange , parce qu'il est donné à chacun au moment de sa naissance
un ange pour le servir. C'est pourquoi on lit dans les Ecritures , que
souvent ils ont rendu des services aux hommes, et qu'ils en rendent
chaque jour, parce qu'ils convertissent les pécheurs, en préservent
plusieurs des maux qui les menacent et conduisent les justes au ciel.
On lit dans l'Exode, chap. XIV : « Voici que j'envoie mon ange pour
qu'il marche devant vous; » à savoir pour qu'il vous fasse connoître
la vertu , qu'il vous garde pendant le chemin , qu'il vous défende
contre le feu du purgatoire, et que vous conduisant vers les astres du
royaume céleste il vous y introduise.
Le troisième degré de la largesse divine, c'est celui par lequel Dieu
s'est^onné_ltii,-méme . On lit dans saint Luc, chap. I : « Béni le Sei-
gneur Dieu d'Israël. » Maisil s'esl donné de plusieurs manières. 1" Il
s'est fait le compagnon de notre pèlerinage. Il est écrit dans Baruch,
chap. III : « C'est lui qui est notre Dieu; c'est lui qui a trouvé la
science , et qui l'a donnée à Israël son bien-aimé , et après cela il a
été vu sur la terre, etc... » C'est absolument comme s'il disoit :
« Parce qu'il a tracé à l'homme la voie de son pèlerinage, lui donnant
des préceptes pour ne jamais s'écarter d'une vie honnête, et pour que
la voie ne parut pas un fardeau trop lourd à l'homme , Dieu s'est fait
homme, et s'est par là associé à notre pèlerinage ici-bas. » On ht dans
saint Luc , chap. VIII : « Jésus parcouroit les villes et les hameaux,
prêchant et évangélisant le royaume de Dieu, ayant avec lui ses douze
est illa nobilissimas creaturas rationabiles
et cœlestes, scilicet sanctos angelos ad mi-
nistrandum. Hebr., I : «Omnes suntadmi-
nistratorii spiritus in ministerium missi,
propter eos , qui haereditatem capiunt sa-
lutis. » Matth., XVIII : « Angeli eorum
semper vident faciem Patris. » Angeli di-
cuntur, quia unicuique a nativitate datus
est angélus ad ministrandum. Hinc legun-
tur hominibus saepe obsequia impendisse
et faciunt quotidie peccatores converten-
do, multos a malis defendendo , justos ad
cœlos deducendo. Exod., XIV : « Ecce
ego mitto angelum meum , qui prœcedet
te, scilicet lumen virtutum ostendendo, et
custodiat in via, in igné purgatorii defen-
dendo , et introducat te ad sidéra cœlestis
regni perducendo. Tertius gradus est ,
quod largitus est seipsum. Luc.., I : «Be-
nedictus Dominus Deus Israël. » Dédit au-
tem se multis modis. Primo, in socium
nostrae peregrinationis. Baruch, III : « Hic
etiam Deus noster , qui adinvenit omnem
viam disciplinée , et tradidit illam Israël
dilecto suo, et post haec in terris visus
est, » etc., quasi diceret : Quia Deus fecit
homini vias peregrinationis, dans mandata
bonae conversationis ne deficiat , et ne via
homini videretur gravis nimis, factus ho-
mo est Deus, et per hoc socius vice et pere-
grinationis. Luc., VUE : « Iter faciebat Jé-
sus per castella et civitates , prtedicans et
evangelizans regnum Dei, et duodecim
cum illo , et mulieres quae erant curatae a
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 463
apôtres, il étoit aussi accompagné des femmes qui avoient été délivrées
des esprits impurs , de Marie Magdeleine , de Jeanne , de Susaune et
de plusieurs autres ; et la foule vint à lui. » Véritablement bon par lui-
même, il se fit bon compagnon, parce qu'il reconforta par des dis-
cours excellents ses compagnons fatigués, il les délivra des dangers
auxquels ils étoient exposés, ilguérit les malades, ressuscita les morts.
Le quatrième degré de la libéralité divine, c'est qu'il s'est fait notre
serviteur dans nos besoins. Il est écrit aux Philippiens, chap. II : « Il
s^esTabaissé lui-même prenant la forme d'un esclave, etc.. » Par
suite de cela, il a donné à boire à ceux qui avoient soif, à manger à
ceux qui avoient faim , et il a lavé les pieds de ses apôtres. On lit dans
saint Matthieu , chap. XX : « Le Fils de l'homme n'est pas venu pour
être servi, etc.. » Et dans saint Luc, chap. XXII : « Je suis au milieu
de vous comme celui qui sert. »
Le cinquième degré consiste en ce qu'il s'est fait le prix de notre
rédftmptinnJl est écrit aux Philippiens, chap. II : « Jésus-Christ nous
a aimé, et il s'est livré pour nous à Dieu son Père comme une hostie et
une oblation d'agréable odeur. » On lit dans saint Matthieu, chap. XX :
« Le Fils de l'homme est venu donner sa vie pour en racheter un grand
nombre. »
Le sixième et le plus parfait degré de cette libéralité , consiste en
ce qu'il donne sou corps à l'homme en nourriture. On lit dans Osée,
ch. XI : « Je me suis rendu comme le père nourricier d'Ephraïm, et
je leur ai présenté de quoi manger. » Il est écrit dans saint Jean , ch.
VI : « Le pain que je donnerai. » Saint Grégoire dit : « Le Seigneur
qui est le bon pasteur a donné sa vie pour ses brebis, pour changer
son corps et son sang en notre sacrement, pour rassasier de l'aliment
de sa chair les brebis qu'il avoit rachetées; et c'est ici l'expression de
la libéralité la plus grande et de l'amour le plus intense. » C'est beau-
coup, sans doute, que de se faire le compagnon de notre pèlerinage,
spiritibus immundis, et Maria Magdalena,
et Joanna, et Susanna, et aliae mnltœ, » et
turba multa venit ad eum. Et vere bonus
se dédit in bonum socium, quia socios viae
lassos optimis verhis confortavit , in peri-
culis liberavit , infirmos curavit, mortuos
suscitavit. Quartus gradus, quod dédit se
in servum nostrae necessitatis. Ad Philipp.,
II : « Exinanivit semetipsum formam servi
accipiens , » etc. Hinc sitientes potavit ,
esurientes pavit, discipulorum pedes lavit.
Matth., XX : Filius hominis non venit mi-
nistrari, » etc. Luc., XXII : « Ego in me-
dio vestrum sum , sicut qui ministrat. »
Quintus gradus est, quod dédit se in pre-
tium redemptionis nostne. Ad Philipp., II :
« Christus dilexit nos, et tradidit se pro
nobis hostiam et oblationem Deo , in odo-
rem suavitatis. » Matth., XX : « Filius ho-
minis venit dare animam suam in redemp-
tionein pro multis. » Sextus gradus est, et
summus, quod dat homini corpus suum
in cibum. Osée, XI : « Ego quasi nutricius
Ephraim, et declinavi ad eum , ut vesce-
tur. » Joan., VI : « Panis quem ego dabo.»
Gregorius : « Bonus pastor Dominus ani-
mam pro ovibus posuit, ut in sacramento
nostro corpus suum , et sanguinem verte-
ret, et oves quas redemerat, carnis suae ali-
mente satiaret, et in hoc est expressio sum-
mae largitatis, et prœcipui amoris. Magnum
est enim dare se in socium peregrinationis,
404 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 5.
notre serviteur dans nos besoins, c'est plus encore de se faire notre
rédemption ; ce don néanmoins laisse une séparation entre le donateur
et celui auquel il se donne ; mais lorsqu'il se donne en nourriture , il
n'\ a plus ombre de séparation, I! 5 a union parfaite. La nourriture
et relui qui la prend s'unissent en effet en union de corps. 11 est écrit
dans saint Jean, chap. YI : « Celui qui mange ma chair demeure en
moi, etc.. » Il est par conséquent évident d'après cela que ce don est
l'expression la plus parfaite de la libéralité de la bonté divine^
Secondement, cette action constate aussi l'excellence de la largesse
de Dieu quant à la noblesse de celui qui donne. La largesse de Dieu
dans ce sacrement va si loin ; qu'il donne son corps avec profusion et
sans mesure ; parce que ce n'est pas à ses amis et à ceux qui en sont
dignes seuls auxquels il le donne , il ne le soustrait même pas à ceux
qui en sont indignes , aux méchants et à ses ennemis. On lit Psaume
XXYI : « Ceux qui veulent me perdre sont prêts à fondre sur moi,
comme pour me manger tout vivant. » Celui qui a permis aux mains
des méchants de le crucifier une fois, permet aux méchants de le tou-
cher de leurs mains , il permet à ses ennemis et aux hommes impurs
de déchirer son corps de leurs propres dents. Aussi est-il dit dans les
Ecritures, qu'il donne à Judas son ennemi, à Judas qui le trahit, son corps
dans la cène, comme il le donne aux autres disciples. Il fait lever la
vérité de sa présence sur les bons et sur les méchants comme il le fait
du soleil ; il se donne dans ce sacrement et à ceux qui en sont dignes
et à ceux qui n'en sont pas dignes , bien que les effets n'en soient pas
les mêmes pour tous, il produit dans ceux qui le reçoivent avec les dis-
positions voulues lés mêmes effets. Celui qui a les dispositions voulues,
reçoitles effets de la bonté de Dieu, pendant qu'il ne produit dans l'in-
digne que la sévérité; il en est de lui comme du soleil par rapport à l'œil
sain et à l'œil malade. Il faut remarquer , que c'est une grande chose
que de faire de grands dons à des amis et à des proches ; que c'en est
et in servum necessitatis , majus in pretium
redemptionis, tamen taie donum ad hue est
in aliqua separatione ab eo cui datur, sed
cum datur in cibum, datur non ad separa-
tionem aliquam, sed ad omnimodam uiiio-
nem. » Uniuntur enim in unitate corporis
eibus et sumens. Joann., VI : «Qui mandu-
cat meam carnem, in me manet, » etc. Et
sic apparet in tali dono summa largitas di-
Tinee bonitatis.
Secundo, probatur excellens liberalitas
Dei in hoc facto, quantum ad nobilitatem
dantis , quse tam excellens est in hoc sa-
cramento, ut corpus suum largiatur large
et diffuse, quia non soluin dat illud dignis
et amicis, sed non subtrahit indignis, ma-
lignis, et inimicis. Psal. XXVI : « Appro-
priant super me nocentes, ut edant, » etc.
Qui enim se permisit manibus malignorum
semel crucifigi, permittit se sceleratorum
manibus tractari , et inimicorum , et im-
mundorum dentibus in sacramento lace-
rari. Hinc hosti, et traditori suo Judœ, in
cœna cum aliis dicitur corpus suum dédis-
se. Veritatem enim pra?sentise suae ad ins-
tar solis oriri facit super bonos et malos,
exhibens se in hoc sacramento dignis, et in-
dignis, licet non ab omnibus effectus sus-
cipiatur œqualis. Nam dignus effectus sus-
cipiatur œqualis. Nam dignus effectus bo-
nitatis Dei suscipit, indignus severitatis,
exemplum de sole, et oculo œgro, et sano.
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 465
une plus grande de les faire à des serviteurs et des servantes , que
c'est une chose plus grande encore de les faire à des inconnus et à
des étrangers, mais que les faire à des ennemis voilà qui est le comble
de toute chose. C'estce qui les fait accuser d'une ingratitude profonde.
On lit dans Job , chap. XIX : « Pourquoi me persécutez-vous comme
Dieu et vous plaisez-vous à vous rassasier de ma chair ? » L'Apôtre
dit, Rom., chap. II : « Est-ce que vous méprisez les richesses de sa
bonté, de sa patience , et de sa longue tolérance ? Ignorez-vous que
la bonté de Dieu vous invite à la pénitence? » La bonté, la bénignité,
la libéralité immenses de la noblesse de Dieu, qui font qu'il accorde
tant de biens à ses ennemis et à une foule de personnes qui prêchent
contre lui , éclatent plus encore lorsqu'il leur permet de prendre son
propre corps afin de les convertir par cette libéralité sans bornes.
Troisièmement on prouve son excellence par l'utilité immense qu'il
a pour celui quile reçoit ; celui en effet qui reçoit Dieu dans ce Sacre-
ment avec de saintes dispositions lui devient semblable; c'est-à-dire
qu'il devient en quelque sorte semblable à Dieu , par la grâce de la
bonté et par l'imagination de l'imitation. On lit dans saint Jean ,
chap. I : « Mais à tous ceux qui le reçurent, etc.. » C'est-à-dire qu'ils
sont semblables à Dieu parla grâce de la bonté. Saint Ambroise dit :
« Parce que notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu et homme, vous qui
recevez sa chair, vous devenez par cet aliment participant de sa
substance , mais la substance divine est la bonté. » Donc participer
par cet aliment à la substance divine, c'est être assimilé par la grâce
à la bonté divine. On lit dans les Proverbes, chap. XII : « Celui qui
est bonpuiséra la grâce du Seigneur. » Mais la grâce est l'influence
de_]a.bon.té divine sur l'ame ; la grâce par cette bonté assimile l'ame
à Dieu, et la rendra digne de la vie éternelle. Il ne suffit pas à la li-
béralité divine , dans ce sacrement ou cette nourriture, d'illuminer
Nota, quod magnum est dare magna doua
proximis et amicis, majus dare servis et
ancillis, maximum ignotis et peregrinis,
sed nimis inimicis. Unde arguuntur de ma-
gna ingratitudine , Job, XIX : « Quare me
prosequimini sicut Deus, et carnibus meis
saturamini ? » Ad Rom., II : « An divitias
bonitatis Dei, et patientiae, et longanimita-
tis contemnis? Ignoras, quoniam benignitas
Dei ad pœnitentiam te addueit? » Copiosa
bônitas, et benignitas, et liberalitas nobih-
tatis Dei, quae inimicis, et multis contra
enm peccantibus tôt bona facit, maxime
cum taies corpus ejussumere permittit, ut
tanta eos liberalitate convertat.
Tertio, probatur quantum ad utilitatem
suscipientis, quia in hoc sacramento digne
suscipiens, efficitur deiformis, id est , per
gratiam bonitatis, sive per imaginationem
imitationis Deo quodammodo similis.
Jofui., I : « Quotquot autem receperunt
eum, » etc., id est, per gratiam bonitatis
Deo similes. Ambrosius : « Quia Dominus
Jésus consors est divinitatis, et corpori s; et
tu qui accipis carnem ejus, divinae ejus sub-
stantiœ in illo participas alimento, divina
substantia bonitas est. » In hoc ergo ali-
mento divinae substantiae participare, est
assimilari per gratiam divinae bonitati.
Proverb., XII : « Qui bonus est, hauriet sibi
gratiam a Domino : » gratia vero est in-
fluentia divinae bonitatis in animam , per
quam assimilata Deo fit ei gratia , et vitae
œternee digna.Non enim sufiicitliberalitati
divinae, quod in sacramento, vel in cibo
intellectum illuminât , quod effectuai sa-
30
466 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 6.
l'intellect, de guérir le mal fait, de réjouir la mémoire , de recon-
forter l'homme tout entier dans le bien , de l'associer à son corps my-
stique; cette libéralité l'assimile encore à Dieu par la grâce dans la
vie présente , et le lui assimilera par la gloire dans la vie future : il n'est
pas possible de la pousser plus loin.
CHAPITRE VI.
Des deux autres raisons pour lesquelles le Christ nous donne son corps en
aliment.
« Venez, mangez, etc., » et les autres preuves comme plus haut.
La seconde raison pour laquelle le Seigneur nous donne son corps en
aliment, c'est la corruption de la nature humaine qui avoit besoin du
remède d'une telle nourriture, et cela pour trois choses. Premièrement,
pour que le commencement de la guérison fût convenable; parce que
comme la corruption et la mort avoient commencé par le fruit'défendu,
savoir par le fruit de la science du bien et du mal, de même le principe
de la justification et de la vie devoit venir d'une nourriture, à savoir de
l'arbre de vie, c'est-à-dire du corps du Seigneur. Il est écrit de la pre-
mière de ces choses, Genèse, ch. VIII : « De l'arbre de la science, etc. . .»
Il est écrit de la seconde, Jean, ch. VI : « Si vous ne mangez la chair du
Fils de l'homme, etc.. » Secondement, la guérison complète de cette
corruption exigeoit une telle nourriture. Le serpent infernal répandit
dans l'homme tout entier par le poison^du fruit défendu une triple cor-
ruption : dans l'ame , ce furent les ténèbres de l'ignorance , dans la
chair la maladie de la mauvaise concupiscence, et la mort dans l'une
et l'autre. Il est écrit Genèse, ch. III : « Le serpent m'a trompé, etc. »
Il est dit du premier de ces maux. Psaume XLVIII : « Lorsque l'homme
nat, quod memoriam delectat, quod totum
hominem in bono confortât, et corpori suo
mystico associât, quin insuper Deo assimi-
let in praesenti per gratiam, et in futuro
per gloriam : non enim potest ulterius
promoveri.
CAPUT VI.
De duabus aliis rationibus, quibus datur
corpus Christ i in cibum.
a Venite, comedite, » etc., et alia the-
mata, ut supra. Secunda ratio, quare Do-
minus corpus suum dat in cibum? est hu-
manse naturae corruptio , quae hujusmodi
cibi exigebat medicamentum, et hoc quan-
tum ad tria. Primo, quantum ad congruam
curationis inchoationem, quia sicut iuitium
corruptionis et mortis ccepit a cibo vetito,
scilicet a ligno scientiae boni etmali,sic
initium justificationis et vitœ, incipere de-
buit a cibo , scilicet ligno vitae , id est , a
corpore dominico. De primo, Gènes., Il :
« de ligno scientiae , » etc. De secundo ,
Joom.j VI : « Nisi manducaveritis carnem
lilii hominis, » etc. Secundo, exigebat ta-
lem cibum quantum ad integram corrup-
tionis curationern. Serpens enim malignus
infudit homini per venenum pomi vetiti,
triplicem corruptionem, in anima tenebras
ignorante, in carne morbum pravaa con-
cupiscentiae, et mortem in utroque. Gènes ^
III : « Serpens decepit me. » De primo.
Psaim.j, XLVIII : « Homo cum in honore es-
| set, » etc. Gen., I : « Tenebrœ, id est, igno-
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 467
étoit en honneur, etc. » On lit dans la Genèse, ch. T : « Les ténèbres; »
c'est-à-dire l'ignorance, « planoient sur la face de l'abîme, » c'esti-
dire du cœur de l'homme trompé par le démon. Il est dit du second de
ces maux, Galat., chap. V : « La chair convoite contre l'esprit;» dans
l'épître aux Romains, ch. VII : « Je vois dans mon corps une autre loi
opposée à celle de mon esprit. » La loi du corps et la maladie de la con-
cupiscence qui pousse ce même corps aux actes mauvais. Il est dit du
troisième, Sagesse, chap. II : «La jalousie du démon a introduit la
mort dans le monde. » Saint Augustin dit de tous ces maux ensemble :
a Si l'ange qui s'étoit précipité lui-même hors du ciel n'eut point été
écouté, nous n'eussions point été précipités nous-mêmes dans la mort;
le serpent fatigué vint du ciel dehors, et il répandit son propre venin,
il parla de lui-même; goûtez, leur dit-il, et vous serez comme des dieux;
et ceux-ci, désirant être ce qu'ils n'étoient pas , perdirent ce qu'ils
avoient reçu , à savoir la vie inteilective , la vie de justice, et la possi-
bilité de ne pas mourir. Par conséquent, comme le démon avoit ré-
pandu une triple corruption au moyen d'un fruit vénéneux, il fut né*-
cessaire pour la guérir complètement que le médecin, c'est-à-dire notre
Sauveur nous donnât une nourriture médicinale contre ces trois
genres de corruptions, et cette nourriture c'est son corps; il chasse les
ténèbres de l'ignorance de l'esprit de ceux qui le reçoivent avec piété,
il guérit la maladie de la concupiscence mauvaise , il triomple en dé-
truisant la mort elle-même. Quant au premier des Mens qu'il produit,
il est dit, Psaume XXYI : « Le Seigneur est ma lumière; » il est aussi
dit, Psaume XXXIII : « Approchez-vous de lui et il vous éclairera. »
Le corps de Jésus-Christ est le Verbe de Dieu , c'est-à-dire la vraie lu-
mière dans la chair humaine comme dans un flambeau , parce qu'il
illumine l'ame fidèle. Quant au second, il est dit, Psaume LXXYII :
« Il a fait pleuvoir la manne pour les nourrir, etc. . . On ht dans l'Exode,
rantiee erant super faciem abyssi, » id est,
humani cordis ex diaboli deceptione. De
secundo, Ad Gai., V : « Caro concupiscit
adversus spiritum. » Ad Rom., VII : « Video
aliam legem in membris meis, repugnan-
tem legi mentis meœ. » Lex in membris
est morbus concupiscentiae, movens mem-
bra ad actum malitiae. De tertio; Sap., II :
« Invidia diaboli mors introivit in orbem
terrarum. >• De omnibus. Augustinus : « Si
angélus de proprio ruens paradiso n6n es-
set auditus, non prsecipitaremur in mor-
tem, sed venit de cœlo lassus serpens lo-
ris, et emisit venenum de proprio, locutus
est de suo, gustate , et eritis sicut dii, et
illi appetentes quod non erant , amiserunt
quod acceperant, » scilicet vim intellecti-
vam, vitae juslitiam, non moriendi possi-
bilitatem. Quia ergo per cibum veneno-
sum, triplicem infudit corruptionem, ne-
cesse fuit, ut ad integram curationem me-
dicus, id est, salvator noster, cibum medi-
cinalem contra haec tria daret, et hoc est
corpus suum, quod pie recipientium , igno-
rantiae tenebras illuminât, morbum pravae
concupiscentiae sanat, et mortem destruen-
do triumphat. De primo, Ps., XXVI : « Do-
minus illuminatio mea, » etc. et Psal.,
XXXIII : « Accedite ad eum et îlluminami-
ui. » Corpus Christi est verbum Dei, id est,
vera lux in carne humana quasi iu lucer-
na; quia illuminatur fidelis anima. De se-
cundo, Psalm., LXXVII : « Pluit illis nian-
na ad manducandum, » etc. Exod., XVI :
468 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 6.
chap. XVI : « Et le matin la terre autour du camp fut couverte d'une
rosée semblable à delà neige. » Le pain du ciel ressembloit donc à
de la neige et à de la rosée , et cela , parce que le corps du Seigneur
refroidit la concupiscence mauvaise. Il est dit du troisième, saint Jean,
chap. VI : « Vos pères mangèrent la manne dans le désert et ils sont
morts. C'est là le pain descendu du ciel , si quelqu'un mange de ce
' pain il ne mourra pas ; » par conséquent ce pain|détruit la mort. Il a été
question de ces trois choses un peu plus haut vers la fin du discours.
Troisièmement, la conservation parfaite de cette santé exigeoit une telle
nourriture. Il est en effet certains hommes qui se repentent pendant
un temps de leurs péchés et qui sont en quelque^orte guéris, mais au
temps de la tentation ils récidivent , et sont encore corrompus. On lit
Psaume XXXVII : « Elles se sont corrompues et se sont remplies de
pourriture , etc... » Mais cette nourriture sert à la conservation de la
santé de l'ame, et préserve la bonne vie de la corruption. Il est écrit aux
Cantiques, chap. I : « Mon bien-aimé est pour moi comme un faisceau
de myrrhe. » Comme la myrrhe préserve les corps de la corruption, de
même le corps du Seigneur pris avec piété en préserve les cœurs.
La troisième raison de la sagesse divine , qui a porté le Seigneur à
donner son corps à l'homme en aliment ; c'est la condition de la na-
ture humaine qui a été créée raisonnable et qui a été unie à un corps.
On peut considérer la créature raisonnable sous trois points de vue
divers ; ce qui fait qu'elle a besoin en même temps d'une triple nour-
riture. Et d'abord, on la considère autant qu'elle est incorporelle, et
purement spirituelle, comme la nature angélique. On la considère
secondement, comme étant unie à un corps, c'est-à-dire comme
choses dissemblables unies ensemble, l'esprit uni à la chair. La troi-
sième manière delà considérer, c'est en tant que les jlfiiix. natures,
l'ame et le corps, sont unies dans chaque personne humaine par un
« Mane ros jacuit in similitudine pruinae
super terram. » Panis igitur cœlestis in
similitudinem pruinae, rorisque apparebat,
quia corpus Domini a fervore pravee con-
cupiscentiee réfrigérât. De tertio, Joan., VI :
« Patres vestri manducaverunt manna in
deserto et mortui sunt. » Hic est paiiis de
cœlo descendens, ut si quis manducaverit
ex ipso non morietur, et sic iste cibus
mortem destruit. De his tribus supra in
sermone circa linem actum est. Tertio,
exigebat talem cibum quantum ad firmain
sanitatisconservationem. Quidam enim ad
tempus de peccatis compunguntur, et quo-
dammodo curantur, sed tempore tentatio-
nis per recidivum iterum corrumpuntur.
Psalm., XXXVII: «Putruerunt, et corruptae
sunt » etc. Ad conservationem autem sani-
tatis animae, et incorruptionis bona; vita?,
valet cibus iste. Cunt., I : « Fasciculus myr-
rhae dilectus meus mihi. » Sicut enim
myrrha incorrupta servat corpora, sic cor-
pus Domini pie sumptum, corda.
Tertia ratio sapientiee Dei, qua Dominus
dat homini corpus suum in cibum, est hu-
manse naturse conditio quee rationalis
creata est, et corpori conjuncta. Rationalis
autem creatura potest tribus modis consi-
dérai-}, et secundum hoc indiget Iriplici
cibo. Primo modo, consideratur secundum
quod est incorporea, et pure spiritualis, ut
natura angelica. Secundo- modo, secundum
quod est corpori conjuncta, sicut dissimilis
dissimili, spiritus carni. Tertio modo, se-
cundum quod illae duoe naturœ, scilicet
corpus et anima in singulis personis ho-
SUR LE SACREMENT DE L' AUTEL. 469
amour admirable et formant une société intime. Mais quel que soit
celui de ces trois modes sous lequel on considère la créature raison-
nable , elle a besoin d'un aliment approprié à sa condition. Considérée s**X
de la première manière, elle a besoin d'un aliment qui la fasse vivre
et subsister, et c'est le Verbe éternel de Dieu, incorporel par nature, et
qui est la sagesse éternelle de Dieu. On lit dans Ipbie, eh. XII : « J'use
d'une nourriture invisible, et d'un breuvage que l'on ne peut pas voir.
H est écrit, Proverbes, cli. III : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui
l'aiment, » c'est-à-dire la sagesse de Dieu. L'Ecclésiastique dit, ch. I :
« La source de la sagesse , c'est le Verbe de Dieu qui rassasie au plus
haut des cieux , » c'est-à-dire qui rassasie les anges dans le ciel. La
créature raisonnable envisagée sous le second mode, en tant qu'elle
est unie au corps comme une chose dissemblable à une chose dissem-
blable , l'esprit à la chair, une^chose vile à une chose précieuse, a
besoin d'une nourriture en rapport avec les besoins de chaque nature,
mais dissemblable ; parce que l'esprit a besoin d'une nourriture spi-
rituelle comme les anges , et le corps d'une nourriture corporelle
comme la brute. Quant à la première de ces nourritures , on Ut ,
Psaume LXXVII : « Le pain des ange*, etc.. » Il est écrit I Cor., ch. X :
« Nos pères mangèrent tous la même nourriture spirituelle , etc.. »
Il est écrit , Sagesse, chap. IX : « Car encore que quelqu'un paroisse
consommé parmi les enfants des hommes , il sera néanmoins consi-
déré comme rien si votre sagesse n'est point avec lui; » parce que
celui qui manquera de la nourriture spirituelle qui est la sagesse de
Dieu, perdra la vie spirituelle. On lit dans l'Ecclésiastique, chap. XV :
« Le Seigneur l'a nourri, etc.. » Il est dit de la seconde au second
livre des Rois, chap. XII : « Un pauvre avoit une brebis qui mangeoit
de son pain. » Il est écrit Ecclésiastique, ch. XXXIX : « Le commen-
cement des choses nécessaires à la vie de l'homme , sont le lait et le
minum surit familiari societate , miroque
amore conjunctae. Sed quoeumque istorum
trium modorum consideratur rationalis
creatura secundum conditionem suam con-
venienti, indiget alimonia. Primo modo
exigit alimentum, per quod vivat, et sub-
sistât, scilicet verbum Dei aeternum secun-
dum se incorporeum, quod est aeterna Dei
sapientia. Tob., XII : « Ego cibo invisibili
et potu qui ab hominibus videri non po-
test, utor. » Proverb., Iil : « Lignum vitae
est his qui apprehenderint eam , » scilicet
Dei sapientiam. Eccles., I : « Fons sapien-
tia; verbnm Dei in excelsis reficiens, » sci-
licet angelos in cœlis. Secundo modo con-
siderata rationalis creatura, ut est corpori
conjuncta, sicut dissimilis dissimili, spiritus
carni, pretiosum vili, secundum conditio-
nem utriusque naturae indiget pro utroque
cibo convenienti sibi, sed dissimili, quia
spiritus spirituali ad modum angeU, corpus
'corporali ad modum bruti. De primo,
Psal., LXXVII : « Panem angelorum, » etc.
I ad Cor., X : « Patres nostri omues ean-
dem escam spiritualem manducaverunt, »
etc. Sap., IX : « Si quis erit consummatus
inter filios hominum, si ab illo effugerit
sapientia tua, in nihilum computabitur : »
quia qui spirituali cibo, qui est Dei sapien-
tia caruerit, a vita spirituali deficiet. Ec~
clesiast., XV : « Cibavit eum Dominus, »
etc. De secundo, II Regum, Xll : « Pauper
quidam habebat oviculam de pane suo
comedens. » Ecclesiast., XXXIX : « Ini-
tium necessariae rei vitœ hominum, lac et
panis, mel et uvae, et oleum, » hœc omnia
470 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 6.
pain, le miel et le vin, el L'huilé ; toutes ces choses se changent en
bien pour les bons, et en mal pour les impies. » On lit de l'une et de
l'autre de ces nourritures, Deutéronome, chap. "VIII, et saint Matthieu,
chap. IV : « L'homme ne vit pas seulement de pain, etc.. » Saint
Augustin dit: « Comme l'ame est la vie du corps, mais qu'elle ne le
vivifie pas sans la nourriture corporelle ; de même Dieu est la vie de
l'ame , mais il ne la vivifie pas sans la nourriture spirituelle ; c'est-à-
dire sans le Verbe de Dieu, et ainsi ces deux natures de l'homme,
dissemblables entre elles, vivent d'une nourriture dissemblable, elles
ne mangent pas de la même manière , et il y a une grande distance
entre les aliments qu'elles mangent ; la nourriture du corps ne con-
vient point à l'esprit, ni celle de l'esprit au corps. »
La créature raisonnable considérée sous le troisième mode en tant
que ces deux natures, c'est-à-dire l'ame et le corps, sont dans chaque
personne humaine unies d'un amour parfait et dans une société in-
time; ils ont dès-lors besoin, pour leur salut éternel, d'un aliment
propre à l'homme tout entier; c'est-à-dire qui convienne à l'une et
à l'autre nature d'un aliment spirituel en même temps que corporel ;
c'est-à-dire du Verbe fait chair, qn'ils mangent sous un certain sacre-
ment, afin que , par sa vertu , l'ame parvienne des misères de la vie
présente à la béatitude de la vie éternelle, et que le corps qui demeure
pendant un peu de temps conservé dans la terre, pour enfin ressusciter
glorieux. Saint Jean dit de cette nourriture, ch. VI : « Ma chair, c'est-
à-dire la chair de Dieu, la chair humaine unie au Verbe de Dieu , est
une vraie nourriture ayant la propriété de nourrir tout l'homme , et
l'ame et le corps. » On lit dans l'Ecclésiastique, chap. I : « Le Très-
Haut est le seul créateur de toutes choses; c'est lui qui a créé la sa-
gesse de son esprit, et il la donne à ceux qui l'aiment, selon son
propre don. » II a créé la sagesse de son esprit; c'est-à-dire que, par
sanctis in bona, et impiis in mala conver-
tentur. De utroque, Deut., VIII et Matth.,
IV : « Non in solo pane, » etc. Augusti-*
nus : « Sicut anima vita est corporis , sed
non vivificat sine cibo corporali : ita
Deus vita est animae, sed non vivificat illam
sine cibo spirituali, id est, sine verbo Dei,
et sic haec et illa natura hominis sibi dissi-
miles, dissimilem cibum habuerunt, et alio
modo, et longe ab invicem comederunt,
nec cibus cerporis congruebat spiritui, nec
cibus spiritus corpori. »
Tertio modo, considerala rationalis crea-
tura secundum quod illae duae naturœ, id
est, corpus et anima sunt in singulis perso-
nis hominum f'amiliari societate, et miro
amore conjunctae, tune exigitur ad seter-
nam salvationem utrorumque unus cibus
toti homini, idest, utrique natura? conve-
niens spiritualis simul et corporalis, scili-
cet : Verbum caro factum, quem simul sub
quodam sacramento comedant , cujus vir-
tute anima de prsesenti miseriaad vitam
seternae beatitudinis perveniat,et corpus ad
modicum tempus servatur in terra, ut tan-
dem gloriose resurgat. De hoc cibo, Joan.,
VI : « Caro mea, id est, caro Dei, caro hu-
mana unita Dei verbo vere est cibus, »
scilicet totius hominis valens animae et cor-
pori : Ecclesiastici, I : « Unus est altissi-
mus creator omnium, ipse creavit sapien-
tiam spiritu suo , et secundum datum
suum prœbet illam diligentibusse. » Crea-
vit sapientiam spiritu suo , id est , virtute
SUR LE SACREiMENT DE L'AUTEL. 471
sa puissance, il a pris la créature de la chair de la Vierge, et il l'a
m lit; à sa sagesse; selon son don; c'est-à-dire qu'il la donne selon
sa libéralité à ceux qui l'aiment , c'est-à-dire aux fidèles , pour qu'elle
serve , comme nous l'avons dit , à l'ame et au corps. C'est de ce ban-
quet du corps et de l'ame dont parle Isaïe , chap. IX : « Le veau et
l'ours mangeront ensemble. » Le veau signifie le corps qui , dans le
sacrifice, doit être immolé à Dieu; l'ours signifie l'esprit, qui doit
ètrejerrible P0lir les mœurs et les mouvements brutaux , comme
l'ours l'est pour les bêtes fauves. Ils mangerout ensemble la nourri-
ture véritable , c'est-à-dire la chair de Jésus-Christ , pour que cette
nourriture serve en même temps et à l'ame et au corps. Saint Jean dit
de la première, chap. VI : « Celui qui mange ma chair, etc.; » du
second : « Et je le ressusciterai, etc.. »
CHAPITRE VII.
De la forme de la donation, c'est-à-dire quelle est la cause pour laquelle
il nous donne ce sacrement voilé.
« Venez, mangez le pain, etc.. » Argument spécial ; « Comment
peut-il nous donner sa chair, etc.. » Argument propre : « Il est bon
de tenir caché le secret du roi , » Tobie, chap. XII. Il faut en second
lieu observer surtout, par rapport à ce sacrement , la forme sous la-
quelle il nous le donne, et relativement à cette même forme il y a
trois considérations à faire. La première, c'est que le Seigneur nous
donne son corps voilé. La seconde , c'est qu'il le donne voilé sous les
espèces du pain. La troisième , c'est qu'il le donne voilé sous les es-
pèces du pain de froment. Il importe de savoir pour ce qui est du
premier point , qu'il nous le donne voilé et non à découvert, d'après
les paroles suivantes , Apocalypse, chap. II : « Je donnerai la manne
sua, scilicet creaturam carnis de Virgine
sumpsit, et sapientiae suae univit, et secun-
dum datum suum, id est, liberalitatem
praebet illam in cibum diligentibus se, sci-
licet fidelibus, ut prosit, sicut dictum est,
corpori et animae. De hoc convivio corpo-
ris et animae, Isa., IX : « Vitulus et ursus
pascentur simul. » Vitulus signiiicat cor-
pus, quod in sacrifiSio Deo est maotandum :
ursus spiritum, qui sicut ursus bestiis, sic
terribilis esse débet bestialibus motibus et
moribus. Hi pascentur simul, scilicet vero
cibo, id est, carne Christi, ut prosit animae
et corpori. De primo, Joan., VI : « Qui man-
ducat carnem meam, » etc. De secundo se-
quitur : « Et ego resuscitabo eum , » etc.
CAPUT VII.
De forma donalionis, videlieet qua ex causa
detur velatum hoc sacramentum.
« Venite, comedite panem,» etc. Thema
spéciale. « Quomodo potest nobis carnem
suam dare, » etc. Thema proprium : « Sacra-
mentum régis abscondere bonum est. »
Tobiœ, XII : Secundum principaliter circa
sacramentum dominicum notandum, est
forma donationis, et circa hanc tria sunt
consideranda. Primum, quod Dominus cor-
pus suum dat velatum : secundum , quod
dat velatum sub specie panis. Tertium,
quod dat velatum sub specie panis triticei.
Circa primum sciendum, quod datur vela-
tum non nudum , secundum illud Apocn-
hjp., II : « Dabo manna absconditum quasi
472 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 7.
cachée comme une nourriture céleste voilée. » Mais parce que le sens
humain hésite et est étonné , puisqu'il voit autre chose , le Seigneur
emploie ce voile pour quatre raisons. La première , c'est l'indi-
gnité des méchants qui exige qu'il soit voilé, comme l'œil malade
veut être privé des rayons du soleil et de toute autre lumière : en
cela la miséricorde du Sauveur agit avec la plus grande bonté envers
eux; car si les méchants le voyoient à découvert , et qu'ils le vissent
manger aux fidèles , à cet aspect ils seroient scandalisés , et ils péri-
roient misérablement de trois manières ; dans leur cœur par l'hor-
reur, dans leur bouche par la détraction , dans leur ame par la mort
spirituelle. Et d'abord ils périroient par l'horreur que leur inspireroit
cet aliment. On lit dans saint Jean, chapitre YI, où le Seigneur dit :
« Ma chair est une véritable nourriture, etc., » il suit : « A ces
mots plusieurs de ses disciples se retirèrent , » ayant horreur de ces
paroles, comme si elles leur eussent imposé l'obligation de manger
de la chair humaine. On lit dans saint Ambroise : « Yous direz peut-
être : Comment est-ce un sang véritable ? parce que vous ne voyez
pas la forme de la chair ; mais considérez les paroles de Jésus-Christ :
entendant qu'il donnoit sa chair à manger, ils se retiraient ; Pierre
seul dit : Seul vous avez les paroles de la vie éternelle, vers qui
irons-nous ? » Par conséquent , pour empêcher la foule de se scanda-
liser, et comme si on avoit éprouvé quelque horreur de la chair hu-
maine, et pour que la gloire du Rédempteur fût plus grande , vous le
recevez sous la forme de,sacrement , mais vous obtenez la gloire et la
vertu de la vraie nature. Il est parlé du second genre de mort auquel
ils seroient exposés, dans le même endroit; là où le Seigneur dit :
« Le pain que je vous donnerai , c'est ma chair, etc. C'est pourquoi
les Juifs discutoient entre eux, etc. » Mais cette discussion, c'est le
murmure et la détraction; et c'est pourquoi il dut être voilé. On lit,
Psaume LIY : « Si celui qui me haïssoit, etc. » On lit du troisième
cibum cœlestem velatum : » sed quia hic verba de humana carne comedenda. Am-
humanus sensus hsesitat , et miratur cum brosius : « Forte dices : Quomodo verus
aliud videtur, hujus velaminis quadruplex sanguis? quia similitudinem non vides car-
est ratio. Prima est indignitas malorum , nis. Attende verba Christi : Audientes,
quœ exigit ut veletur, sicut aeger oculus ut quod carnem suam daret manducare, re-
sibi sol, et quodlibet lumen tegatur, et in cedebant, solus Petrus dixit : Verba vita^
hoc benignissime agit, cum eis misericor- seternse habes, ad quenf ibimus ? » Ne erg' i
dia Salvatoris, si pravi nudum aspicerent, j plures scandalizentur, et velut quidam es-
ethoc afidelibusmanducari, ex ipso aspectu j set horror humanœ carnis, sed magis ma-
scandalizerentur , et tripliciter maie péri- neret gloria redemptoris, ideo insimilitu-
rent, videlicet in corde per horrorem , in dine accipis sacramentum : sed verse natune
ore per detractionem , in anima per spiri- 1 gloriam virtutemque consequeris. De se-
tualem mortem. De primo, Joan., VI : Ubi cundoin eodem, ubi Dominus dixit : « Pa-
Dominus dicit : « Caro mea vere est ci- nis quem ego dabo, caro mea est, » etc. Liti-
bus, » etc. Sequitur : Ex hoc multi disci- gabant ideo Judaei etc. Litigatio lwec niur-
puli abierunt retro^ quasi abhorrentes mur et detractio est , et ideodebnit velari.
SUR LE SACREMENT DE l'aUTEL. 473
genre au livre des Nombres, chap. IV : « Aaron et son fils entreront,
ils disposeront eux-mêmes les œuvres, » c'est-à-dire ils couvriront les
choses secrètes , et il ne leur est permis de les voir avant qu'elles ne
soient dérobées à la vue sous aucun autre prétexte de curiosité , au-
trement ils mourroient. On lit au premier livre des Rois , chap. VI :
« Le Seigneur en frappa un grand nombre , parce qu'ils avoient vu
l'arche du Seigneur; » et cela parce qu'il ne leur étoit pas permis de
la voir découverte. L'arche est la figure du corps de Jésus-Christ qui
doit être voilé aux méchants , pour les empêcher de mourir spirituel-
lement, s'ils le voyoient; car leur aveuglement le leur fcroient re-
garder comme fantastique.. On lit dans l'Ecclésiaste, chap. III : « Il
est plusieurs des œuvres de Dieu qui ne doivent pas piquer votre
curiosité. » Il n'est pas nécessaire que vous voyez de vos propres yeux
les choses cachées.
La seconde raison pour laquelle on le reçoit voilé, c'est la foi des
bons , et cette raison en renferme trois autres pour lesquelles il doit
être voilé; ces raisons sont que voilé il est l'objet de la foi , il est un
véritable remède contre l'infidélité mauvaise , il rend aussi la foi mé-
ritante. 1° Pour que la foi existe réellement , ii faut que le corps de
Jesûs-Christ nous soit donné voilé. Il est écrit aux Hébreux , chap. X :
« La foi a pour objet les choses cachées. » La foi , comme le dit saint
Augustin , consiste à croire ce que vous ne voyez pas , c'est-à-dire à
croire sur parole une chose cachée qui existe réellement , et que ce-
pendant on ne voit pas de l'œil. Nous avons plutôt la science que la
foi des choses que nous voyons. On lit dans la première Epître de saint
Pierre , chap. I : « Vous croyez à Jésus-Christ, bien que maintenant
vous ne le voyiez pas. » 2° L'infidélité exige comme remède que le
corps de Jésus-Christ soit voilé , et cela pour que le mode de satisfac-
tion soit en rapport avec la faute d'infidélité. Ce qui fait que comme
Psalm. LIV : « Si is qui oderat me, » etc. ; des bonorum , et haec ratio potest in tria
De tertio, Num., IV : « Aaron et filais ejus ! distingua, quœ exigunt hoc velari, scilicet
intrabunt, ipsique disponent opéra, » id
est, operient sacramenta, alia nulla curiosi-
tate yideant quœ sunt in sanctuario prius-
quam involvantur , alioquin morientur. I
Regum,\[ : « Percussit Dominus multos, eo
quod vidissent arcam Donnai, » quia scili-
cet non licebat eis videre eam detectam.
Arca signitîcat corpus Christi, quod mali-
gnis est velandum, ne spiritualiter morian-
tur si videant : quia causa suae cœcitatis
putarent esse phantasticum. Ecclesiastes ,
III : « In pluribus operibus Dei non f'ueris
curiosus. » Non est enim tibi necessarium
ea qufe abscondita sunt videre oculis tuis.
Secunda ratio quare velatum datur, est 11-
iidei esse verum intidelitatis pravee reme-
dium, fîdei meritum. Primo lidei esse ve-
rum exigit,ut velatum detur corpus Christi.
Ad Hebr., X : « Fides est rerum non ap-
parentium, » ut dicit Augustinus : « Fides
est credere, quod non vides, scilicet cre-
dere verbis de re occulta qua; vere est, et
tamen eam oculis non vides. Nam de re
quam videmus scientiam potius quam 11-
dem habemus. » I Petr., I : « Chrislus est
in quera non videntes creditis. » Secundo,
infidelitatis remedium exigit ut vcletur
corpus Christi, quatenus culpœ infidelitatis
ivspiMiïJeat modus congruus satisfactionis.
Unde sicut primorum parentum increduli-
474 , OPUSCULE LVII, CHAPITRE 7.
l'incrédulité de nos premiers parents vient de ce qu'ils entendirent la
parole du démon , qui leur persuadoit de manger une nourriture qui
renfermoit cachée en elle la mort, et que leurs sens se délectèrent
vainement dans cette nourriture ; de même il convient que la foi de
ceux qui doivent être sauvés ait son principe dans l'audition de la
parole du Sauveur, qui conseille une nourriture qui contient cachée
en elle la vie véritable , nourriture qui trompe tous nos sens , sauf
l'ouïe , puisque la foi vient de l'ouïe et non de la vue , ni des autres
sens ; elle vient de l'ouïe qui nous transmet la parole de Jésus-Christ.
Une figure parfaite de ceci , c'est la bénédiction de Jacob , Genèse ,
chap. XXYII, où les sens d'Isaac sont trompés, car il pense sentir
Esau pendant qu'il sent Jacob qui , voilé , lui ressemble. Il importe
aussi de savoir que dans cette figure du corps du Seigneur, il y avoit
deux 'personnes, Isaac et Rébecca; l'homme et la femme comme si-
gnifiant les deux natures qui existent en nous, c'est-à-dire l'ame et
le corps ; l'homme qui d'ordinaire est plus en évidence , et qui s'oc-
cupe davantage des affaires extérieures , est la figure de l'homme
extérieur, c'est-à-dire du corps avec ses sens ; la femme qui demeure
à la maison et qui dirige la famille , est la figure de l'homme inté-
rieur, c'est-à-dire de l'ame qui prend soin de son salut et de celui des
autres. Jacob bon et beau, habitant les tentes qu'aime Rébecca,
c'est-à-dire Fame_fidèle , signifie le vrai corps de Jésus-Christ. Esaiï
qu'aimoit Isaac , c'est-à-dire le corps qui se nourrit d'une nourriture
qui lui est propre , signifie la substance du pain avec ses accidents ,
savoir la couleur, la saveur, etc.. C'est pourquoi pendant qu'Isaac ,
comme homme extérieur, c'est-à-dire prêtre , doit bénir Esaû , c'est-
à-dire la substance du pain , elle s'éloigne , il ne reste que l'appa-
rence d'Esatt, à savoir les habits avec l'odeur, les peaux avec leurs
poils , la nourriture avec sa saveur, c'est-à-dire les accidents du pain
tas incœpit ex auditu verbi diaboli, sua-
dentis cibum habentem mortem velatam,
et in eo sunt sensus eorutn varie delectati,
sic congruit ut fides salvandorum meipiat
ex auditu verbi Salvatoris, suadentis cibum
habontem veram vitam absconditam, et in
quo nostri sensus pie sunt decepti prater
auditum, ut sit fides ex auditu tantum et
non ex visu vel aliis sensibus, auditus au-
tem per verbum Christi. Hocpulchre figu-
ratur, Gen.,XXVlI, in benedictione Jacob,
ubi sensus Isaac sunt decepti putantis sen-
tire Esau , dura sentit simiUtudinem ejus,
qui velatus erat , Jacob. Unde seiendum ,
quod in illa figura dominici corporis duae
erant personse, scilicet Isaac et llebecca,
quasi rnasculus et i'œinina significant duas
naturas in nobis, id est corpus et animam,
rnasculus qui magis solet esse manifestus,
et exterioribus plus intendit, signiiicat ex-
teriorem horninem, id est corpus cum suis
sensibus ; fœrnina, quae domi residet et fa-
miliara régit, interiorem hominem, id est
animam quae saluti suae et aliorum gerit
curam. Jacob bonus et formosus habitans
in tabernaculis , quem diligit Rébecca , id
est fidelis anima , significat verum corpus
Christi. Esau quem atnabat Isaac, id ort
corpus eo quod de cibis suis vescitur, si-
gnificat substantiam panis cum suis acci-
dentibus, scilicet colore, sapore, et caeteris.
Dum itaque Isaac quasi homo exterior , id
est sacerdos beneficere débet , Esau, id est
substantia panis, recedit , sed similitudo
Esau, scilicet vestes cum odore, pertes pi-
losee, cibus cum sapore, id est accidentia
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 475
ou la similitude ; Jacob conserve autour de lui la couleur, l'odeur, la
Saveur, la fermeté, et nos sens sont trompés. La vue obscurcie d'Isaac
est trompée en ce point, c'est-à-dire la vue débile de notre corps,
qui fait qu'il se figure avoir devant lui Esau, c'est-à-dire l'espèce ou
apparence , et que Jacob est caché sous le voile de cette même appa-
rence , Jacob , c'est-à-dire le corps de Jésus-Christ. Le goût est ici
trompé , parce qu'il croit manger la nourriture d'Esau , c'est-à-dire
le pain , et qu'il n'en goûte que l'apparence. Ici l'odorat est trompé ,
parce qu'il croit sentir l'odeur d'Esau , c'est-à-dire du pain qui n'y est
réellement pas ; il ne sent que l'odeur de ses habits , c'est-à-dire la
forme du pain dont est revêtu Jacob, c'est-à-dire le corps de Jésus-
Christ. Isaac étoit sage , mais son jugement étoit en défaut dans la
connoissance qu'il croyoit avoir d'Esau ; de même notre homme exté-
rieur est en défaut dans le jugement qu'il porte sur le pain de l'autel ,
l'ouïe seule éclaire ; c'est pour cela qu'il dit : La voix à la vérité est
la voix de Jacob, etc., les mains que je touche sont les mains
d'Esau; il n'y a rien de plus faux; mais la voix que j'entends me
dire, c'est moi, est la voix de Jacob, rien n'est plus vrai. Pareille-
ment, le sacrement que je touche, c'est la substance du pain ; il n'y
a rien de plus faux; la voix de Jésus-Christ me dit : Ceci est mon
corps , il n'y a rien de plus vrai. L'infidélité exige donc d'abord
comme remède que nous recevions le corps de Jésus-Christ sous un
voile , parce que comme les sens du premier homme prenoient un
yain_plaisir à manger le fruit de perdition , il. faut que les sens de
notre corps soient trompés sur l'aliment de bénédiction , comme le
furent ceux d'Isaac ; ils doivent l'être toutefois de manière que Ré-
becça, c'est-à-dire l'aine, ne le soit pas clans sa foi. L'ame croit en effet
que, dans la bénédiction sainte, se trouve Jacob, c'est-à-dire le corps du
Christ voilé sous comme Esati , c'est-à-dire l'espèce du pain. Troisiè-
panis, sive similitude», scilicet color, sapor,
odor, durities marient circa Jacob et sensus
nostri falluntur. Ibi fallitur visus Isaac ca-
liginosus, id est , debilis corporis nostri,
quia putat prae oculis habere Esau, id est,
panem et tantum vestes ejus , scilicet spe^
ciem panis, et sub illa latet Jacob velatus,
id est corpus Christi. Ibi fallitur gustus,
quia putat comedere cibum Esau, id est
panem, et gustat tantum similitudinem
ejus. Ibi fallitur olfactus , quia putat sen-
tire odorem Esau , id est panis , qui vere
non est ibi; sed sentit odorem vestimen-
torum ejus , id est formam panis , quibus
vestitus est Jacob, id est corpus Christi.
Sapiens erat Isaac, sed in judicio cognos-
cendi Esau fallebatur, sic homo noster ex-
terior in judicio panis altaris fallitur pra>
terquam auditu, unde ait : Vox quidem vox
Jacob , etc., manus quas tango sunt Esau,
nihil falsius; sed vox quam audio dicen-
tem, ego sum, vox est Jacob, nihil verius.
Similiter sacramentum quod tango . sub-
stantia panis est, nihil falsius; vox Christi
dicentis : Hoc est corpus meum, nihil ve-
rius. Primo igitur infidelitatis remedium
exigit, quod corpus Christi velatum detur,
ut quia sensus primi hominis in cibo per-
ditionis vane delectabantur , sensus nostri
corporis in cibo benedictionis ad instar
Isaac decipiantur, ita tamen quod Rebecca,
id est anima in lide sua non fallatur. Cré-
dit enim vere in benedictione sacra esse
Jacob, id est corpus Christi velatum simi-
litudine Esau, id est specie panis.
Tertio, fldei meritum exigit, ut veletur
476 • OPUSCULE LVII, CHAPITRE 7.
mement pour que la foi soit méritante, il faut que nous rece-
vions le corps de Jésus-Christ sous un voile , parce que , comme dit
saint Grégoire , la foi n'a aucun mérite dès que la raison humaine
fournit une preuve qui la supplée suffisamment. Dieu a voulu nous
donner son corps sous un voile , parce qu'il a voulu qu'il y eût pour
nous un grand mérite à nous en rapporter plutôt à sa parole qu'à nos
sens. On lit dans saint Jean, chapitre XX, vers. 29 : « Bienheureux
ceux qui n'ont pas vu. » Le mérite ou le fruit de cette foi est de trois
espèces ; ce sont : l'abondance parfaite des biens spirituels , l'abon-
dance des biens temporels , et la surabondance des biens éternels.
C'est ce qui fait dire à Rébecca, c'est-à-dire à l'ame fidèle : « Que
cette malédiction retombe sur moi , mon fils , » c'est-à-dire cette
triple bénédiction : « Que Dieu fasse pleuvoir sur toi la rosée du ciel , »
voilà pour la première ; « qu'il te donne l'abondance de la graisse de
la terre , » voilà pour la seconde ; « qu'il te donne avec profusion le
froment , le vin et l'huile , » voilà pour la troisième. Il est écrit de la
première , saint Jean , chap. VII : « Celui qui croit en moi , les
fleuves, etc.. » On lit dans Osée, chap. XIV : «Je serai comme la ro-
sée, etc. » Il est écrit de la seconde, Hébreux, chap. XI : « C'est par la
foi que les saints ont reçu les promesses, etc.; » à savoir des biens
temporels. On lit dans Isaïe, chap. I : « Si vous le voulez et si vous
m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre. » On lit dans saint
Matthieu, ch. VI : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu, » par une
foi droite : et sa justice, par une vie juste; et toutes ces choses, etc. . . »
Quant à la troisième, il est écrit I Pierre, chap. I?« Croyant en Jésus-
Christ que vous ne voyez point maintenant , vous tressaillerez d'une
joie ineffable et pleine de gloire; remportant le salut de vos âmes
comme le prix de votre foi. » On lit au livre des Proverbes, chap. I :
« Celui qui aura écouté , reposera sans terreur, il jouira de l'abon-
dance, à l'abri de la crainte de toute espèce de maux. »
corpus Christi, quia ut dicit Gregorius, fi-
des non habet meritum, cui humana ratio
prœbet experimentum , supple sufïiciens.
Vclatum dare voluit Dominus corpus suum
quia in hoc potius credere verbis suis quam
sensibus nostris magnum habet meritum.
Joan., XX : « Beati qui non vider unt. »
Hujus meritum fidei , sive fruetus triplex
est, scilicet spiritualium bonorum plena
copia, temporalium abundantia, aeternc—
rum supereffluentia. Hinc ait Rebecca , id
est hdelis anima : « In me sit ista male-
dictio, fili mi, » id est, hœc triplex bene-
dictio. Det tibi Deus de rore cœli , quan-
tum ad primant, et de pinguedine terrae
abundantiam , quantum ad secundain ;
abundantiam i'rumenti, vini et olei, quan-
tum ad tertiam. De primo, Joan.,, VII :
« Qui crédit in me , flumina, » etc. Osée,
XIV : « Ero quasi ros , » etc. De secundo,
ad Hebr., XI : « Sancti per fidem adepti
sunt repromissiones, » scilicet temporabum.
Isa., I ■: « Si volueritis et audieritis me,
bona terra? comedetis. » Matth., VI :
« Primum quaerite regnum Dei , » recte
credendo, « et justitiam ejus, » juste vi-
vendo, « et heec omnia, » etc. De tertio ,
I Petr., I : « Gredentes in Christum quem
non videtis, exultabitis laititia inenarrabili
et glorificata , reportantes linem fidei ves-
traj salutem animarum vestrarum. » P/ov.,
I : « Qui audieril, absque terrore requies-
cet, et abundantia perfruetur, timoré ma-
lorum sublato. »
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 477
CHAPITRE VIII.
Des deux autres raisons pour lesquelles nous recevons le corps de Jésus-
Christ sous un voile.
« Venez, mangez... Comment le secret du roi peut, etc.. » La Lot
lHËÏ2!î_4es mœurs, est la troisième raison qui fait que Jésus-Christ
nous donne son corps sous un voile. On lit dans Job , chap. XXVIII :
<c La sagesse a une origine secrète d'où elle se tire. » Ce sacrement ren-
ferme trois choses secrètes qui concourent à former les mœurs; ce
sont, la personne du Sauveur, la beauté de celle brillante lumière,
et l'œuvre admirable du Tout-Puissant. Isaïe dit de la première,
cKap. XLV : « Vous êtes vraiment un Dieu cache, le Dieu sauveur d'Is-
raël. » Le même Isaïe dit de la seconde, chap. VII : « J'attendrai le
Seigneur, parce qu'il a voilé sa face. »'I1 est dit de la troisième, Ecclé-
siastique, chap. XLIII : « Il est beaucoup de choses cachées qui sont
plus grandes que celles-ci, nous n'en avons vu qu'un petit nombre. »
Ces trois choses nous apprennent que parfois aussi la vertu peut nous
faire cacher trois choses, qui sont notre personne /la beauté de notre
corps r:: l'intention de nos bonnes œuvres. Nous devons soustraire la
première' à la fureur des persécuteurs; la seconde aux regards indis-
crets des insensés; la troisième à la faveur des hommes. 1° Le juste
apprend à cacher sa personne pour trois raisons ; c'est pour laisser le
persécuteur en repos, pour accomplir dans toute sa perfection le pré-
cepte du Seigneur } et pour acquérir une couronue plus glorieuse. Il
est dit de la première de ces choses dans Isaïe , chap. XXVI : « Allez
mon peuple, tenez-vous un peu caché pour un moment jusqu'à ce que
ma colère soit passée; » on lit de plusieurs justes qu'ils se sont con-
duits de la sorte. Il est écrit de la seconde, II Cor., chap. XI : « Etant
GAPUT VIII.
De duabus aliis rationibus, quibus dalur
corpus velatum.
« Venite , comedite , etc. Quomodo po-
testsacramentum régis. » Tertia ratio, quare
corpus suum dat velatum , est instructio
morum. Job, XXVIII : « Trahitur sapientia
de occultis. » Tria vero in hoc sacramento
occultantur, in quibus mores instruuntur,
scilicet persona Salvatoris, pulchritudo ma-
gnse claritatis, mirum opus omnipotentis.
De primo, Isa., XLV : « Vere tu es Deus
absconditus, Deus Israël salvator. » De se-
cundo , Isa., VII : « Expectabo Dominum,
qui abscondit faciem suam. » De tertio,
Eccles., XLIII : « Multa abscondita sunt
majora his, pauca enim vidimus. » In his
discimus in nobis quandoque tria virtuose
abscondi posse, nostram personam, pul-
chritudinem corporalem, bonorum operum
intentionem. Primum a persecutorum fu-
rore , secundum a stultorum inspectione ,
tertium ab humano favore. Primo discit
justus abscondere personam propter tria ,
ut scilicet persecutor quiescat, ut prœcep-
tum a Domino opus perficiat, ut gloriosio-
rem coronam acquirat. De primo, Isa.,
XXVI : « Vade , popule meus , abscondere
modicum , donec pertranseat indignatio
mea in persecutore , quod multi justorum
leguntur fecisse. » De secundo, II Cor., XI :
478 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 8.
à Damas, etc. . . » On lit pareillement de Tobie que le roi ayant ordonné
de le mettre à mort, il prit la fuite sans rien emporter et qu'il se cacha
afin de pouvoir accomplir les œuvres de miséricorde qu'il avoit com-
mencées. Quant à la troisième , il est écrit I Rois, ch. XXVI : « David
fuyant la présence de Saûl se cache dans la vallée d'Alchilé; » c'est-
à-dire dans le Seigneur. Alchilé veut dire, celui qui le reçoit, d'où
viennent ces mots : « Seigneur, c'est vous qui me recevez. » Mais il se
cache dans le Seigneur, pour conserver par les faits brillants et glo-
rieux de son règne, la couronne; On lit dans saint Jean, chap. "VIII :
« Les Juifs prirent des pierres pour les lui jeter, etc.. » 2° Le juste
apprend aussi par la à soustraire la beauté de son corps aux regards
indiscrets de la foule; parce que la beauté extérieure et la parure furent
pour plusieurs une occasion de chute. La beauté corporelle se dérobe
aux regards de trois manières, qui sont la pauvreté des habits, l'austé-
rité des jeûnes, l'assiduité à faire de bonnes œuvres. On lit de la pre-
mière de ces trois choses dans- Job, chap. XYI : « J'ai étendu un sac
sur ma chair, et j'ai couvert ma tète de cendres. » On lit dans la Ge-
nèse, chap. XXIV : « Rébecca en présence d'Isaac, prit son voile et
s'en couvrit. » Il est écrit I Cor., chap. XI : « La femme doit avoir le
visage voilé à cause des anges , » c'est-à-dire des bons. On lit de la
seconde, Galat., chap. YI : « Le monde m'est crucifié et moi je le suis
au monde; » ce qui est comme s'il disoit : le monde est pour moi
digne de mépris, à cause du châtiment qui est réservé à sa propre sol-
licitude; et moi je suis digne de mépris aux yeux du monde, parce que
je châtie mon corps. Saint Augustin dit : « Domptez votre chair, etc.»
Il est écrit de la troisième , Psaume XXXY1II : « Vous avez fait dessé-
cher son ame comme l'araignée, etc.. » Comme l'araignée tire de ses
entrailles l'œuvre qui est de sa nature, ceci la fait maigrir; de même
le juste qui par charité se livre continuellement à des œuvres pénibles
« Damasci praepositus, » etc. Similiter To-
bias cum eum rex juberet occidi , fugiens
nudus latuit, nt scilicet opéra misericor-
diae quae cœperat, impleret. De tertio , I
Reg., XXVI, cum fugeret David a facie
Saul, absconditus est in colle Alchile, id est
in Domino. Alchila interpretatur eum sus-
cipiens , unde Dominus susceptor meus.
Absconditus est autem in Domino , ut per
inclyta opéra gloriosa regni sibi restaret
corona. Joan., VIII : «Tulerunt lapides
Judaei, ut jacerent, » etc. Secundo disoit
justus abscondere pulchritudinem corpora-
lem ab omnium inspectione, quia exterior
pulchritudo et ornatus multis fuit occasio
casus. Décor ergo corporalis absconditur
tribus modis , per habitus vilitatem , per
jejuniorum austeritatem, per boni operis
assiduitatem. De primo, Job, XVI : « Sac-
cum consui super cutem meam, et operui
cinere carnem meam. » Gen., XXIV : « Ré-
becca, conspecto Isaac, tollens pallium ope-
ruit se. » I ad Cor., XI : « Mulier débet
habere velamen super caput , propter an-
gelos, » id est propter bonos. De secundo,
Galat., VI : « Mihi mundus cruciflxus est,
et ego mundo , » quasi diceret : Vilis est
mihi mundus propter pœnam suœ sollici-
tudinis, et ego vilis mundanis propter cor-
poris mei maçerationem. Augustinus :
« Carnem vestram domate, » etc. De tertio,
Psalm. XXXVIII : « Tabescere fecisti sicut
araneam , » etc. Sicut aranea ex suis vis-
ceribus trahens opus naturae, tabescit ex-
inde , sic justus frequentans opéra laboriosa
ex vera charitate , maceratur et pallescit
SLR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 479
maigrit et son corps pâlit. On lit dans l'Ecclésiastique, chap. XXXIII :
« Le joug et les cordes font courber le col le plus dur, et le travail
continuel rend l'esclave souple. » Il est écrit, Cant., chap. I : « Ne
considérez pas que je suis, etc., » le soleil, effet de la chaleur la plus
brûlante , c'est-à-dire œuvre de l'amour, Jésus - Christ a pris la forme
d'un esclave , et sous cette forme il a caché la clarté de sa divinité.
Isaïe dit à cette occasion , ch. XXXIII : « Il n'a ni éclat, ni beauté, etc. »
Son visage est voilé et couvert d'opprobre.
Troisièmement, le juste apprend par là à dérober l'intention de ses
bonnes œuvres à la faveur du monde. On lit dans saint Matthieu, ch.
•XIII : « Le royaume des cieux est semblable ; » la gloire , c'est-à-dire
la conversation des justes; « à un trésor, » c'est-à-dire à une bonne
œuvre, « caché dans un champ, » c'est-à-dire dans le cœur. Saint
Grégoire dit : « Que la bonne œuvre que l'on fait en public soit telle que
l'intention en demeure secrète pour donner au prochain l'exemple des
bonnes œuvres, et n'avoir pourtant que le désir de plaire à Dieu seul, ce
qui doit nous en faire désirer le secret. »I1 est surtout trois espèces de
biens que nous devons désirer de soustraire à la faveur des hommes;
ce sont l'aumône . le jeune et la prière. Il est dit du premier de ces
biens, Matth., ch. Y : ce Quand vous faites l'aumône, ne faites point son-
ner de la trompette devant vous ; » la trompette de l'orgueil et de la jac-
tance, comme le font les hypocrites, qui désirent être vus des hommes.
« Je vous dis en vérité qu'ils ont reçu leur récompense. Mais pour
vous, quand vous faites l'aumône, que votre gauche ne sache pas, etc. »
"Votre gauche , c'est-à-dire, l'intention mauvaise, ce que fait votre
droite, c'est-à-dire l'intention pure ; « pour que votre aumône se fasse
en secret, etc.. » Quant au second, il est écrit dans saint Matthieu ,
ch. V : « Lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre chambre, etc. . ; »
c'est-à-dire dans le secret de votre esprit, a et il vous rendra. » Il est
in corpore. Ecoles., XXXIII : « Jugum et
lora curvant collum durum, et servutn in-
clinant operationes assiduae. » Cant., I :
« Nolite me considerare, » etc. Sol effectus
ardoris, id est opus amoris , Christ us i'or-
mam servi accepit , in qua claritatem di-
•viuitatis abscondit. Unde Isa., XXXI11 :
« Non est species ei, neque décor , » etc.,
et absconditur vultus ejus, et despectus.
Tertio, dicit abscondere virtutum et bono-
rum operum intentionem ab humano fa-
vore. Matth., XIII : « Simile est regnum
cœlorum, » gloria, id est conversatio jus-
toi um , « thesauro, » id est bono operi,
« abscondito in agro , » id est in corde.
Gregorius : « Sic sit opus in publico, qua-
tenus intentio maneat m occulto, ut de
bono opère proximis preebeamus exem-
plum, et tamen per intentionem, qua soli
Deo placere cupimus, semper optemus se-
cretura. » Triplex \ero bonuin pracipue
debemus abscondere a favore hominum ,
scilicet eleemosynam , orationem et jeju-
nium. De primo, Matth., V : « Guin lacis
eleemosynam , noli tuba canere ante te,
tuba tumoris et jactantiœ, sicut hypocritas
faciunt, ut videantur ab hominibus. Amen
dico vobis receperunt mercedeui suam. Te
autem faciente eleemosynam, nesciat, » etc.
sinistra, id est intentio prava ; dextera, id
est dilectio pura , « ut sit eleemosyna tua
in abscondito, » etc. De secundo, Matth.,
V : «Et cum oraveris, intra cubicu-
lum, » etc., id est secretum mentis, « et
clauso ostio , ora Patrem tuum in abscon-
dito intentiouis, et reddet tibi. » De tertio
480 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 8.
dit du troisième de ces biens, au même endroit : « Lorsque vous jeû-
nez, oignez votre tête; » c'est-à-dire, reconfortez Jésus-Christ, en dis-
tribuant à ses membres, c'est-à-dire aux pauvres, les œuvres de mi-
séricorde par lesquelles vous vous enlevez à vous-mêmes ce qui vous
appartient : « Lavez voire visage ; c'est-à-dire , purifiez les péchés
du cœur et des sens par les larmes de la pénitence , de peur que les
hommes ne sachent que votre jeûnez ; et que votre Père seul en soit
instruit. »
La quatrième raison pour laquelle nous le recevons sous un voile ,
c'est la foiblesse de notre raison. La foiblesse des hommes exigeoit
qu'il en fût ainsi, et on le prouve de trois manières. Et d'abord on le
prouve par une figure tirée du livre de la Loi ; on lit dans l'Exode ,
chap. XXXIII : « Les enfants d'Israël voyant l'éclat de la figure de
^oïse_à la suite de son entretien avec Dieu, craignirent de s'approcher
de lui; » ce qui fit qu'il se voiloit la face quand il leur parloit. La face
de Moïse reçut des rapports fréquents et familiers qu'il eut avec la
lumière divine un tel éclat, qu'elle paroissoit rayonnante aux yeux
des hommes, ce qui faisoit qu'ils ne pouvoient pas en soutenir l'éclat
à moins qu'elle ne fût voilée. Ainsi assurément et à bien plus forte
raison, le corps de Jésus-Christ glorifié et spiritualisé par sa résurrec-
tion, devenu semblable à Dieu ou déiforme, ne peut être vu d'aucun
œil mortel s'il n'est caché sous une espèce étrangère. On le prouve en
second lieu, par ce qui arriva à Marie mère de Dieu qui ne put soutenir
l'éclat de la présence de son Fils, non plus que sa gloire, sans qu'il fût
voilé. Mais il a été possible à la Vierge et il nous est possible à nous,
de voir la majesté divine voilée par la chair qui vient de la Vierge et
qui est l'œuvre de l'Esprit saint; c'est pourquoi le Verbe s'est fait
chair. Mais cette chair après la passion ayant été glorifiée par la ré-
surrection , et clarifiée à l'image de Dieu, comme le dit saint Jean,
ibidem, « cum jejunas, unge caput tuum, »
id est, refice Christum operibus misericor-
diae, quod tibi subtrahis, membris ejus, id
est, pauperibus largiendo ; et faciem tuam
lava, peccata cordis et sensuum lacrymis
pœnitentiee purgando , ne videaris ab ho-
minibus jejunans, sed Patri tuo. » Quarto,
datur velatum ratione imbecillitatis nostrse.
Hoc enim exigebat imbecillitas hominum,
quod probatur tribus modis. Primo, a fi-
gura legali, Exod., XXX : « Videntes filii
Israël ex consortio Domini cornutam fa-
ciem Moysi , timuerunt prope accedere,
unde posuit velamen super faciem suam,
cjuando loquebatur ad eos. » Faciès enim
Moysi tam magnam recepit radiositatem
ex frequenti et familiari appropinquatione
ad divinum lumen, quod videbatur huma-
nis oculis quasi cornuta , unde non pote-
rant claritatem vultus ejus sustinere nisi
velatam ; sic nimirum, immo multo magis
corpus Christi in resurrectione ejus glori-
ficatum et spirituale ac déiforme factum,
nullus potest mortalibus inspicere oculis,
nisi alia specie velatum. Secundo, probatur
ex hoc quod accidit matri Dei Marias, qua?
non potuit sustinere claritatem prœsentiae
filii et gloriam, nisi esset obumbrata. Carne
autem virginis velata, majestas Spiritus
sancti operatione facta est possibilis a Vir-
gine, et etiarn a nobis videri, unde verbum
caro factum est. Sed carne illa, post pas-
sionem per resurrectionem glorificata , et
ad similitudinem Dei clarificata, secundum
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 484
chajj^XVII : (c^lorifiej-moi mon Père ; » est passée à un état tel que
les yeux ne peuvent la voir sous sa forme propre et naturelle , si elle
QlesLxaiLée sous quelque espèce visible. On lit dans l'Ecclésiastique,
chap. XI : « Les œuvres du Très-Haut sont admirables, elles sont
pleines de gloire, elles sont secrètes, elles sont immenses. » Il est écrit
dans l'Exode, cbap. XXXII : « L'homme ne me verra pas et il vivra,))
à savoir dans sa propre espérance. L'Apôtre dit, I Cor., chap. XIII :
« Nous le voyous maintenant à travers un miroir; » le miroir de la
raison, et en énigme, c'est-à-dire sous la figure du pain. On le prouve
en troisième lieu par une raison de nature , qui est ïa différence im-
mense qu'il y a entre la lumière de notre œil et la clarté de la lumière
du corps de Jésus-Christ. Notre œil en effet est^de peu d'étendue, ma-
ladif et corruptible. Mais la clarté du corps de Jésus-Christ est incor-
ruptible, elle est en quelque sorte immense, comme il a été dit de ce
qui n'a pas de forme. La raison par laquelle une lumière quelconque
est visible, c'est la ressemblance de celui qui voit avec cette lumière.
Et plus il y a de similitude avec une lumière infinie , plus aussi
la vision est douce et limpide. Voilà pourquoi l'œil qui n'est point
malade , peut jusqu'à un certain point voir le corps nu du soleil, et
qu'il ne peut pas voir le corps de Jésus-Christ; car il_y_a entre l'œil et
le soleil quelque similitude de lumière et de çorruptibilité , que le
corps de Jésus-Christ n'a point. Si l'œil en effet ne ressembloit pas
par quelque côté à la lumière céleste , il ne pourroit pas la voir,
non plus que l'oreille , le doigt , ou l'œil privé de la lumière, et cela à
cause de la dissemblance qui existeroit entre eux. Par conséquent ,
comme notre foiblesse et la trop grande lumière du corps de Jésus-
Christ , lumière qui a été glorifiée et qui est devenue incorruptible, ne
nous permettent pas de voir de deux manières d'œil à œil l'éclat du
corps du Seigneur, nous devons au moins le contempler de l'œil de
illud Joann., XVII : « Clarifica me Pater, »
facta est impassibilis ab oculis mortalium
in propria forma nuda videri , nisi esset
velata aliqua specie visibili. Eccles., XI :
« Mirabilia opéra Altissimi, et gloriosa, et
absconsa, et immensa. » Exod., XXXII :
« Non videbit me homo, et vivet, » scili-
cet in spe propria. I ad Cor., XIII : « Vi-
demus nunc per spéculum, » scilicet ra-
tionis, « et .in senigmate, » id est figura
panis. Tertio, probatur idem ratione natu-
rali , quae est nimia dissimilitudo luminis
oculi nostri claritatem luminis corporis
Christi. Oculus enim noster angustus, œger
et corruptibilis est. Illius vero claritas in-
corruptibilis et quodammodo immensa, ut
dictum est de informis. Haec est enim ratio
visibilitatis omnis luminis similitudo aliqua
V.
videntis ad lumen. Et quanto major simi-
litudo ad lumen maximum, tanto limpi-
dior et dulcior est visio. Hinc est quod sa-
nus oculus potest aliquatenus videre nu-
dum corpus sons , et non corpus Christi ;
quia cum illo habet aliqualem similitudi-
nem luminis et corruptibilitatis, quam non
habet corpus Christi. Nisi enim oculus ex
aliqua parte cœlesti luminis similis esset,
nequaquam illud videre posset , sicut nec
auris, aut digitus, aut etiam oculus caecus,
scilicet propter nimiam dissimilitudinem.
Quia ergo ob nostram imbecillitatem et
corporis Christi nimiam claritatem magni-
flcatam, et usque ad incorruptionem robo-
ratam , non possumus videre dupliciter
oculo ad oculum dominici corporis clarita-
tem, saltem oculo mentali, id est pura
31
482 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 9.
l'esprit; c'est-à-dire avecJa pureté d'intention du cœur, comme nous
l'apprennent les paroles suivantes de saint Luo, chap. XI : « Si votre
œil. est simple ; » c'est-à-dire si l'intention de votre cœur est pure ,
«votre corps tout entier sera lumineux pour voir la clarté de Jésus-
Christ, » Saint Jean dit, I Jean., chap. III : «Nous savons que lorsqu'il
aura apparu, nous serons semblables à lui, et que nous le verrons tel
qu'il est. » Il paroît juste en effet que la vérité pénètre dans notre
ame par la partie de nos yeux la plus clairvoyante. Mais ceci, ô mon
ame ! nous est réservé pour l'avenir, lorsque nous le verrons face à
face. Et cette vision est la vie éternelle.
CHAPITRE IX.
De la forme du don , qui nous est fait sous l'espèce
du pain.
« Venez , mangez , etc. » Argument propre. « Il l'a nourri de
pain, etc.. » Le Commentaire intérimaire ajoute, c'est-à-dire du corps
de Jésus-Christ. Secondement, le Seigneur nous donne son corps sous
l'espèce du pain pour trois raisons. On peut prouver qu'il a été déter-
miné à le donner sous l'espèce de pain plutôt que sous toute autre
espèce de nourriture , parce que le pain convient mieux que toute
autre nourriture, vu les propriétés qu'il possède et cela, tant par rap-
port à ceux qui le reçoivent que pour ceux qui l'administrent. Cette
manière d'agir repose sur les trois considérations suivantes. Pre-
mièrement, parce qu'il est plus facile de trouver l'espèce du pain
en tout temps et en tout lieu que tout autre aliment. Secondement ,
parce que s'il faut le conserver, le porter, l'élever, on peut le faire
cordis intentione ipsum debemus respicere,
secundum illud Luc, XI : « Si oculus tuus
simplex fuerit , » id est intentio cordis
CAPUT IX.
De forma donalionis , quœ dalur sub specie
pura, « totum corpus tuum lucidum erit ad j pants
videndam claritatem Ghristi. » I Joann
III : « Scimus quoniam cum appartient ,
similcs illi erirnus , et videbimus eum si-
cuti est. >i Dignum quidem videtur , per
superiores oculorum fenestras veritatem
intrare debere ad aniniam. Sed hoc nobis,
o anima, servatur in posterum, cum vide-
bimus eum facie ad faciem. Et haec visio
erit vita œterna.
« Venite, comedite, » Thema proprium,
cibavit eum pane, etc. Glossa interhnearis,
id est corpore Christi. Secundo dat Domi-
nus corpus suum sub speciem panis prop-
ter tria. Propter collatam sibi prœ caeteris
cibis habilitatem. Sub una enim alia spe-
cie cibi, tam respectu ministrantium quam
accipientium posset actus exhiberi. Et hoc
triplici consideratione. Primo scilicet quan-
tum ad inventionem habilior est species
panis, quam cibi alterius, quia omni loco,
omni tempore facilius invenitur quam
alius cibus. Item, quantum ad conserva-
tionem habilior est , quia si débet levari,
SUR LE SACREMENT DE L' AUTEL. 483
plus commodément sous l'espèce du pain que sous celle de toute autre
nourriture. IL est écrit Psaume CIX : « Le Seigneur a juré et il ne se
repentira point, vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Mel-
chisédech, » qui n'a offert ni des brebis, ni des bœufs, ni des chèvres,
mais le pain et le vin. Troisièmement, il convient mieux pour l'ad-
ministrer, parce qu'on peut le toucher avec plus de décence et de
propreté; sur l'autel , on peut plus facilement le diviser; il peut être
reçu avec plus de convenance et par ceux qui se portent bien et par
les malades que toute autre nourriture.
Il se donne secondement à nous sous l'espèce du pain, afin de nous
donner la connoissance et la foi du signe par lequel il se manifeste à
nous. « Le signe, dit saint Augustin, est une chose qui, outre l'espèce
quelle laisse apercevoir aux sens, fait connoître d'elle-même quelque
autre chose. » Il y a trois espèces de signes, qui sont le signe naturel,
le signe artificiel et le signe sacramentel. Le signe naturel exprime la
chose naturelle , comme la fumée signifie le feu , la rougeur du ciel
le soir, signifie le beau temps. On lit dans saint Matthieu, chap. XVI:
« Lorsque le soir est venu, vous dites : il fera beau demain, parce que
le ciel est rouge. » Le signe artificiel signifie ce que les hommes veulent
lui faire signifier, et il est de deux espèces. L'un ne contient pas ce
qu'il signifie, comme le cercle, le vin. L'autre contient ce qu'il signifie,
comme l'instrument qui reçoit les pluies, les signifie et les contient,
le pâté signifie et contient les viandes. Les signes sacramentels signi-
fient ce que Dieu veut qu'ils expriment, ils sont aussi de deux espèces.
Les uns ne contiennent pas ce qu'ils signifient, comme les sacre-
ments légaux, comme le serpent d'airain élevé dans le désert qui
signifioit le Sauveur , mais il ne le contenoit pas , comme le cercle
suspendu devant la maison signifie le vin que cependant il ne con-
portari sive custodiri, commodius sit sub
specie panis quam cibi alterius. Psalm.
CIX : « Juravit Dominus, et non pœnitebit
eum, tu es sacerdos in œternum secundum
ordinem Melchisedech, » qui nec oves, nec
boves , nec capras , sed panera et vinum
obtulit. Item , quantum ad administratio-
nem habilior est , quia mundius et hones-
tius tractari potest, in altari meîius dividi,
convenientius a sanis et infirmis sumi po-
test, quam alius cibus. Secundo , dat sub
specie panis propter faciendum signationis
suae cognitionem et fidem. Augustinus :
« Signum est res praeter speciem quam in-
gerit sensibus, aliquod aliud ex se faciens
in agnitionem venire. » Signorum autem
tria sunt gênera, naturale, artificiale , sa-
cramentale. Signum naturale secundum
naturam significat , sicut furaus significat
ignera ; rubor cœli vespertinus significat
futuram serenitatem. Matth., XVI : «Fac
to vespere, dicitis serenum erit, rubicun-
dum est enim cœlum. » Signum artificiale
secundum impositionem hominis significat,
et hoc est duplex. Aliud enim non conti-
net quod significat, ut circulus vini. Aliud
continet quod significat, ut pluviarum con-
tinet pluvias et significat eas, pastillum
significat carnes et continet. Signa sacra-
mentalia secundum impositionem Dei si-
gnificant , et sunt similiter dupucia. Alia
enim non continent quod significant , ut
sacramenta legalia, sicut serpens aeneus
erectus in eremo, significabat quidem Sal-
vatorem , sed non continebat eum , sicut
circulus suspensus ante domum significat
vinum, quod tamen non est content um.
Num., XXI : « Fecit Moyses serpentera
484 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 9.
lient pas. On lit au livre des Nombres, chap. XXI : « Moïse fit un ser-
pent d'airain, et il le plaça comme un signe, et ceux qui étoient
frappés et qui le regardoient étoient guéris. » Il est écrit au livre de
la Sagesse, chap. XYI : « Ayant un signe de salut, ce n'étoit pas
parce qu'ils le voyoient qu'ils étoient guéris , mais ils l'étoient par
vous qui êtes le Sauveur de tous les hommes. » L'agneau pascal et la
circoncision signifioient pareillement une chose figurée, mais ils ne la
contenoient pas, parce qu'ils ne justifioient pas par eux-mêmes. L'A-
pôtre dit aux Romains , chap. III : « Nul homme ne sera justifié de-
vant Dieu par les œuvres de la loi. » Il y a aussi des signes sacramen-
tels qui ne signifient que ce qu'on a voulu leur faire signifier; comme
les sacrements évangéliques , tels que le Baptême et l'Eucharistie.
Hugues dit : « Le sacrement évangélique est un élément matériel, pro-
posé extérieurement d'une manière sensible, représentant par simili-
tude, signifiant par institution, et contenant par sanctification quelque
grâce spéciale. »Le baptême signifie la purification de l'ame, et la con-
tient réellement, parce qu'il produit ce qu'il figure, à savoir la rémis-
sion des péchés. Il est écrit au livre des Actes, chap. II : « Pierre dit:
« Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour la ré-
mission des péchés. » Le sacrement de l'autel signifie pareillement le
vrai corps de Jésus-Christ et le contient en réalité , parce qu'après la
consécration du pain, sous l'espèce du pain, c'est-à-dire sous ce signe
du pain, que Dieu a déterminé pour signifier le corps du Seigneur, est
le Christ tout entier; comme dans le signe positif de l'homme, à savoir
dans un pâté , sont des chairs cachées. On ht dans saint Matthieu ,
chap. XXYI : « Jésus prit du pain, le bénit, et dit : Ceci est mon corps, »
signifié sous l'espèce du pain. Il est écrit dans saint Jean , chap. V :
« Le Fils de l'homme vous donnera un pain qui demeure éternelle-
ment. » Dieu a signifié ce pain. Donc si, lorsque je vois un signe po-
œneum, et posuit eum pro signo, quem si
percassi aspiciebant, sanabantur. » Sap.,
XVI •. « Habentes signùm salutis non per
hoc quod videbant sanabantur, sed per te
omnium Salvatorem. » Similiter agnus
paschalis, et circumcisio signiflcabant rem
figuratam, sed non continebant , quia se-
cundumse non justificabant. Ad Rom., III :
« Ex operibus legis non justifîcabitur om-
nis caro coram Deo. » Item, alia surit signa
sacramentalia, quae etiam secundum impo-
sitionem signilicant : ut sacramenta evan-
gelica , sicut baptismus et eucharislia.
Hugo : « Saeramentum evangelicum est
materiale elementum foris sensibiliter pro-
positum ex similitudine reprœsentans , et
ex institutione significans, et ex sanctifica-
tione continens aliquam gratiam specia-
lem. » Baptismus significat animae purifi-
cationem , et contmet eam , quia efficit
quod figurât , scilicet remissionem pecca-
torum. Act., II : «Petrus ait : Baptizetur
unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi
in remissionem peccatorum. » Similiter
Saeramentum altaris significat vere corpus
Christi, et vere continet illud, quia post
consecrationem panis sub specie, id est sub
illo signo panis , quod Deus posuit ad si-
gnificandum corpus Domini, totus est
Christus, sicut sub signo positivo hominis,
scilicet in pastillo, sunt occultatae carnes.
Mattli., XXVI : « Accepit Jésus panem, et
benedixit, et ait : Hoc est corpus meum ,
significatura sub specie panis. » Joan., V :
« Filius hominis dabit vobis panem , qui
permanet in vitam seternam. » Hune pa-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 485
sitif de l'homme , je crois que là, sous une couche légère de pain se
trouve de la viande , à bien plus forte raison lorsque je vois un signe
positif de Dieu, tel que le sacrement de l'autel , je dois croire que là,
sous l'espèce du pain, se trouve le vrai corps du Christ à cause de la
similitude des choses qui sont ici signifiées. Trois choses sont ici si-
gnifiées, et cette espèce du pain en est le sacrement ou le signe , et il
contient en lui-même une similitude parfaite de ces mêmes choses.
La première chose signifiée, c'est le corps naturel du Seigneur, et il
y est contenu. La seconde chose signifiée, c'est son corps mystique ,
il £e.st_ signifié, mais il n'y est point contenu. La troisième chose si-
gnifiée, c'est l'effet qu'opère le sacrement dans l'ame fidèle. 1° L'es-
pèce du pain possède la similitude de la première chose signifiée ici,
c'est-à-dire du vrai corps de Jésus-Christ, non pas par elle-même, mais
à cause du sujet qu'elle contenoit avant la consécration, c'est-à-dire
du pain qui exista d'abord. Comme ce pain est composé de grains
nombreux et purs; de même le corps de Jésus-Christ consiste dans la
réunion de plusieurs membres purs et sans tache. On Ut au livre des
Cantiques, chap. VII : « Votre ventre est comme un monceau de fro-
ment entouré de lis. » Il est écrit Exod., chap. XXV : « Faites une
arche de bois de Sétim; » le Commentaire ajoute : l'arche signifie le
corps de Jésus-Christ. L'arche est construite avec des bois de Sétim
qui ne se pourrissent pas, parce que le corps de Jésus-Christ est com-
posé de membres très-purs et exempts de toute espèce de vice. 2° L'es-
pèce du pain est aussi la ressemblance de la seconde chose signifiée,
c'est-à-dire du corps mystique de Jésus-Christ , à savoir de l'Eglise ,
qui est la réunion des fidèles. Car comme un seul pain est composé
d'un grand nombre de grains purs; de même l'unité de l'Eglise con-
siste dans la multitude des fidèles purs et exempts de péché mortel,
nem significavit Deus. Igitur si eu m video
signum positivum hominis, credo ibi sub
tenui pane esse carnes , multo magis cum
video signum positivum Dei, ut Sacramen-
tum altaris, credere debeo ibi sub specie
panis esse verum corpus Christi propter re-
rum ibi signifleatarum similitudinem. Très
enim ibi res significantur, quarum species
illa panis est Sacramentum, id est sacrum
signum , expressam habens in se illarum
similitudinem. Prima res ibi significata est
naturale corpus Domini, quod ibi contine-
tur. Secunda res corpus ejus mysticum,
quod ibi significatur , et non continetur.
Tertia res est effectus Sacramenti in anima
fideli. Primo , species panis primae rei ibi
significatae , id est veri corporis Christi ,
habet similitudinem non ratione sui, sed
ratione subjectif quod habuit ante conse-
crationem, id est panis qui prius fuit. Si-
cut enim ex pluribus et puris granis confi-
citur, sic corpus Christi ex pluribus mem-
bris puris et immaculatis consistit. Cant.,
VII : « Venter tuus sicut acervus tritici ,
vallatus liliis. » Exod., XXV : « Arcam
de ligms sethim compingite. » Glossa :
« Arca corpus Christi significat. » Haec fit
de lignis sethim imputribilibus, quia cor-
pus Christi consistit ex membris purissimis
et ab omni vitio mundis. Secundo, species
panis secundse rei ibi significatae tene.t si-
militudinem, id est mystici corporis Christi
significati, scilicet Ecclesiœ, quœ est imitas
fidelium. Sicut enim ex multis granis pu-
ris conficitur unus panis, sic ex multis fi-
delibus puris a culpa mortali mundis , et
vinculo charitatis unitis, ecclesiastica uni-
tas consistit. I ad Cor., IX : «Hic est
486 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 9.
unis ensemble par les liens de la charité. I Cor., chap. IX : « Il
importe ici de savoir que l'on observe une triple, union dans le
pain , triple union qui signifie la fraternité ou la cause et le lien de
l'amour qui doit exister entre les fidèles. 1° On recueille des grains
beaux et semblables. 2° On arrose la farine avec l'eau et on en fait de
la pâte. 3° Pour solidifier le pain on le fait cuire au feu. 1° Les grains
semblables signifient la fraternité et l'amour naturel, parce que nous
sommes tous nés d'un seul premier père. 2° La pâte qui n'est autre
chose que de la farine arrosée d'eau , signifie la fraternité sacramen-
telle , parce que nous sommes tous régénérés clans un même sacre-
ment du baptême. 3° Le pain solidifié par le feu signifie la fraternité
spirituelle, parce que le même esprit nous réunit tous dans une même
religion , qui est la religion chrétienne. On lit du premier de ces
points, Gen., chap. XLII : « Les frères de Joseph vinrent en Egypte
pour y acheter du blé; » parce que les fidèles s'humilièrent afin d'ac-
quérir l'amour naturel de tous les hommes. Il est écrit Ecclésiastique,
chap. XIII : « Tout animal aime son semblable, et tout homme a de
l'affection pour son prochain. » Il est écrit du second, I Cor., chap. V :
« Afin que vous soyez une pâte toute nouvelle, comme vous êtes vrai-
ment les pains purs et sans levain ; » c'est-à-dire une seule et même
chose par la fraternité sacramentelle. Il est dit dans la première Epître
de saint Jean, chap. IV : « Nous avons reçu de Dieu ce commande-
ment, c'est que celui qui aime Dieu, aime aussi son prochain. » On ht
du troisième de ces points, Exode, chap. XII : « Ils firent cuire la fa-
rine convertie en pâte , et ils firent des pains; » c'est-à-dire qu'ils en
vinrent jusqu'à l'amour spirituel. Il est écrit dans saint Jean, ch. XIV :
« Ceci est mon commandement, etc.. » Saint Augustin dit : « Il n'est
pas charnel , mais il est spirituel. » 3° L'espèce du pain en tant qu'il
étoit pain a en soi la similitude de la troisième chose qui y est signi-
sciendum, quod in pane triplex unio at-
tenditur, per quam triplex fraternitas, sive
causa et vinculum amoris , quod inter fi-
dèles esse débet , significatur. » Primo,
grana nobilia et similia colliguntur. Se-
cundo, farina conspergitur per aquam , et
pasta conficitur. Tertio, ut panis solidus
fiât, igné decoquitur. Primum, grana si-
milia significant fraternitatem et amorem
naturalem , quia omnes de uno et primo
parente sumus nati. Secundum , scilicet
pastà, quse est farina aqua perfusa, sacra-
mentalem, quia uno sacramento baptis-
mali sumus regenerati. Tertium, scilicet
panis igné solidatus, spiritualem, quia uno
spiritu, scihcet ad unam christianam reli-
em sumus congregati. De primo, Gen.,
« Descenderunt fratres Joseph , ut
emerent frumenta in iEgypto, quia humi-
liaverunt se fidèles, ut amorem naturalem
omnium hominum acquirerent. » Eccles.,
XIII : « Omne animal diligit sibi simile et
omnis homo diligit proximum suum. »
De secundo , I ad Cor., V : « Sitis nova
conspersio, sicut estis azymi, » id est unum
quid per dilectionem sacramentalem. I
Joan.j IV : « Hoc mandatum habeinus a
Deo , ut qui diligit Deum , diligat et fra-
trem suuin. » De tertio, Exod., XII : « Co-
xerunt farinam conspersam , et fecerunt
panes, » id est, profecerunt usque ad dilec-
tionem spiritualem. Joan., XIV : « Hoc est
prœceptum, » etc. Augustinus : « Non au-
tem carnalis, sed spiritualis, » etc. Tertio,
species panis secundum quod erat panis,
habet in se similitudinem tertiœ rei ibî si-
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 487
fiée; c'est-à-dire de l'effet.que produit le sacrement dans l'ame fidèle.
Car comme le pain produit trois effets, il nourrit, rassasie et conserve
la vie ; de même le pain du sacrement donne à l'ame fidèle la force de
se débarrasser du péché, il la rassasie pour la dégoûter du monde, il
lui conserve la vie pour lui faire toujours louer Dieu. Il est dit du
premier de ces effets, Psaume CIII : « Le pain, pour qu'il fortifie le
cœur de l'homme , » pour éviter toute espèce de vices. C'est pour
cela qu'il est écrit Psaume XVII : « Je vous aimerai, Seigneur, etc....
Vous qui m'avez donné la force pour le combat. » Il est écrit du se-
cond , Psaume CIV : « Il les a rassasiés du pain du ciel ; » afin de leur
inspirer du dégoût pour le monde. On lit au livre des Proverbes,
ch. XXVII : « L'ame rassasiée foulera aux pieds le rayon de miel. » Il
est écrit du troisième , Ecclésiastique, chap. XXXIII : « Le pain des
malheureux est la vie des pauvres, » pour leur faire continuellement
louer Dieu. On lit, Psaume CXLV : « Loue le Seigneur, ô mon ame ! »
Et dans le deuxième livre des Paralipomènes , vers la fin : « Je vous
louerai toujours Seigneur, je vous louerai pendant tous les jours de
ma vie , parce que toutes les vertus du ciel vous louent. »
CHAPITRE X.
De la forme du don qui nous est fait sous l'espèce du pain de froment.
« Venez, mangez, etc.. » Argument propre. « Ils se convertiront
et ils vivront du pur froment » Osée, chap. XIV; ou toute autre chose
semblable sur le blé ou le pur froment. Il faut observer en troisième
lieu, relativement à la forme du don du corps du Seigneur, qu'il nous
le donne sous l'espèce du pain de froment pur, et non de toute autre
espèce de pain, il agit de la sorte pour trois raisons. 1° C'est parce
gnatae, id est, effectus sacramenti in anima
fideli. Sicut enira panis tria facit , scilicet
confortât, satiat, vitam conservât ; sic pa-
nis sacramenti animam fidelem confortât
ad peccatum dimittendum, satiat ad fasti-
dium mundi faciendum, in vita conservât
ad Deum semper laudandum. De primo,
Psalm. CM : « Panis cor hominis confir-
mât , ad omne vitium devincendum. »
Unde Psalm. XVII : « Diligam te , Do-
mine, » etc., qui scilicet praecinxisti me
virtute ad bellum. De secundo, Psalm.
CIV : « Pane cœli saturavit eos. » Ad mun-
di fastidium faciendum. Prov., XXVII :
« Anima saturata calcabit favum. » De
tetrio, Eccles., XXXIII : «Panis egentium,
vita pauperum est. » Ad Deum laudandum.
scilicet semper. Psalm. CXLV : « Lauda
anima mea Dominum , » etc. II Paralip.,
in fine : « Laudabo te Domine semper
omnibus diebus vita? meœ , quoniam te
laudat omnis virtus cœlorum. »
CAPUT X.
Déforma donalionit, quœ dalur sub tpecie
panis triticei.
« Venite, comedite , » etc. Thema pro-
prium , Convertentur, et vivent tritico,
Osée, XIV : « Vel aliud simile de frumen-
to, vel tritico. » Tertio, circa formam do-
nationis corporis considèrandum est, quod
Dominus dat illud sub specie panis triticei,
et non alterius, et hoc propter tria. Pri-
mo, propter hujus grani prae cœteris natu-
488 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 10.
que ce pain est naturellement fait du plus noble de tous les grains.
Trois choses prouvent qu'il en est ainsi; ce grain est en effet très-pur,
il sert à faire un pain d'un usage général; et il nourrit la chair d'une
manière parfaite. Et d'abord, le grain de froment est très-pur; parce
que cette espèce seule entre toutes les autres atteint le complément de
la pureté, c'est-à-dire qu'il atteint la pureté la plus grande. Car comme
le disent les Alchimistes, c'est-à-dire les affineurs, dans certaines
espèces qui semblent en admettre plusieurs autres, il y en a toujours
une qui parmi elles atteint le complément de la perfection, et les autres
diffèrent de celle-ci par quelque infériorité, comme c'est une chose
prouvée pour l'or; car on dit que tout métal, soumis à une purifica-
tion matérielle assez grande se change en or. Nous voyons pareille-
ment pour ce qui concerne les grains , que la qualité de la terre pu-
rifie le blé, et qu'elle en fait le froment le plus pur. C'est pourquoi le
pain de pur froment est à cause de son excellence et de sa qualité su-
périeure, simplement et absolument parlant le pain. Secondement, le
grain de pur froment sert à faire le pain le plus commun , parce que
ce pain convient et aux malades et à ceux qui se portent bien ; il est
même bon pour tout animal qui mange du pain. Le pain de pur fro-
ment convient aux oiseaux, comme le prouve l'exemple des colombes,
il convient mieux aux animaux, tel qu'aux chiens, parce que les uns
et les autres le mangent plus volontiers ; par conséquent le pain de
froment est véritablement le pain commun à cause de la noblesse de
sa convenance. Troisièmement, le grain de froment pur a la propriété
de nourrir d'une manière spéciale la chair, parce que par sa pureté
naturelle , par sa convenance commune et par sa viscosité , lorsqu'on
le prend en nourriture , il s'attache d'une manière particulière aux
membres, et ces trois propriétés font qu'il nourrit et reconforte d'une
manière particulière. Par conséquent le pain de froment est un pain
pur, le grain de pur froment est de tous les grains le plus noble, il est
ralem nobilitatem. Quod probatur a tribus,
quia hoc granum est purissimum, quia ad
panera communissimum , quia ad carnem
maxime nutritivum. Primo, granum tritici
est maxime purum , quia heec species sola
inter alias attingit complementum, id est,
summam puritatem. Nam utdicunt Alchi-
mici, id est, aurifices, in speciebus quibus-
dam licet multae species esse videantur, ta-
men una est quae attingit complementum,
et aliae sunt différentes ab ea quibusdam
œgritudinibus , sicut patet de auro. Nam
omne metallum purgatione materise in au-
rum dicitur transmutari. Sic etiam vide-
mus de granis, quod bonitate terrée pur-
gatur siligo, et in triticum nobilitatur. Et
deo simpliciter et absolute panis triticeus
est panis propter excellente puritatem,
sive nobilitatem. Secundo, granum tritici
est ad panem communissimum, quia com-
petit sanis et inflrmis, immo omni animali
panem comedenti. Avibus, ut patet in co-
lumbis : bestiis, ut catulis magis compctit
panis triticeus, quia libentiuseo vescuntur,
et ideo panis triticeus vere est panis prop-
ter communis convenientiœ nobilitatem.
Tertio, granum tritici est ad carnem ma-
xime uutritivum, quia puritate naturali,et
competibilitate communi, et. viscositate sui
maxime membris adhaeret nutrimentum
exinde sumptum, et quo ad haec tria ma-
xime nutrit et confortât : et sic panis triti-
ceus est purus, et granum ejus prœcipue
nobilitatis, propter communis convenien-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 489
aussi à cause de sa noblesse une nourriture d'une convenance com-
mune. Cette raison fait qu'il convient que les enfants de Dieu re-
çoivent sous la forme du plus noble des pains le plus noble des corps
comme la plus noble des nourritures.
2° Jésus-Christ nous donne son corps sous l'espèce du pain de fro-
ment pur, pour montrer qu'il signifie exactement les fidèles. Car
comme le froment peut être considéré dans trois états divers, l'en-
semble des fidèles à continuer d'être distingué en trois états différents.
3° On le considère en tant qu'il est debout dans les champs , en tant
que les grains sont séparés de la paille et en tant que déjà purifié on
le place dans les greniers. Il y a pareillement parmi les fidèles trois
états divers ; ce sont, celui de ceux qui commencent, celui de ceux qui
progressent, et celui de ceux qui sont arrivés à la perfection. Le fro-
ment qui est debout dans les champs signifie les premiers , celui qui
est séparé de la paille les seconds , celui que l'on place dans les gre-
niers exprime les troisièmes. Les premiers désirent que les prédica-
teurs les instruisent, les seconds désirent la purification fréquente; les
troisièmes le repos éternel des bienheureux. On lit du premier de ces
points, Job, chap. XXXVII : « Le froment désire les nuages, et les
nuages répandent autour d'eux leur lumière , et ils arrosent tout ce
qui se trouve autour d'eux.» Saint Grégoire dit : «Les élus sont le fro-
ment de Dieu qui doit être amassé dans les greniers du ciel. Le fro-
ment désire les nuages; parce que chacun des élus désire la présence
des saints prédicateurs ; ils répandent la lumière , par laquelle les
saints prédicateurs répandent au loin les exemples d'une sainte vie et
par leur conduite droite et par leurs saintes exhortations. Les nuages
arrosent tout ce qui les entoure; parce que la lumière de la prédication
éclaire jusqu'aux confins du monde. Il est écrit du second au livre des
Juges , chapitre VI : « Lorsque Gédéon étoit occupé à battre du blé
tiee nobilitatem. Et hac ratione congruum
est, ut nobilissimum corpus, quasi nobilis-
simus panis filiorum Dei detur filiis, sub
specie nobilissimi panis. Secundo, dat cor-
pus suum sub specie panis triticei, propter
fidelium discretam in eo significationem.
Sicut enim triticum secundum triplicem
statum habet considerari, sic fidelium uni-
versitas in très status solet distingui. Ter-
tium autem consideratur, secundum quod
stat in agris, vel secundum quod grana se-
parantnr a paleis, vel secundum quod jam
purgata locantur in granariis. Similiter in-
ter fidèles très differentiœ sunt, incipien-
tium, proficientium, perfectorum. Primi
significantur per triticum stans in agris :
secundi, per grana quee purgantur a paleis :
tertii, per grana purgata quae locantur in
granariis. Primi, desiderant doctrinam
praedicatorum : secundi, frequentem pur-
gationem : tertii, eeternam requiem bea-
torum. De primo, Job, XXXVII : « Fru-
mentum desiderat nubes, et nubes spargunt
lumen suum, quœ lustrant cuncta per cir-
cuitum. » Gregorius : « Electi sunt fru-
mentum Dei cœlestibus horreis recondeu-
di : frumentum nubes desiderat, quiaelec-
tus quisque preesentiam sanctorura praedi-
catorum exoptat : lumen spargunt , quia
prœdieatores sancti exempla vitœ et bene
agendo , et loquendo dilatant. Nubes au-
tem cuncta per circuitum lustrant , quia
prœdicationis luce, mundi fines illuminant.
De secundo , Judic, VI : « Cum Gedeon
490 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 10.
dans le pressoir, et à le vanner pour fuir ensuite devant les Madia-
uites , l'ange du Seigneur lui apparut. » Gédéon signifie chacun des
élus, qui avec l'ombre de la croix, la rectitude du jugement, le bâton
de la confession , séquestre pour ainsi dire de son cœur la paille des
vices , et la consolation divine le fortifie contre les tentations du dé-
mon. On lit, Ecclésiastique , chap. IV : « Ceux qui craignent le Sei-
gneur, prépareront leurs cœurs et sanctifieront leurs âmes en sa pré-
sence. » Il est écrit du troisième point, Job, chap. V : « Ne rejetez
donc pas le jugement de Dieu , et vous entrerez riche dans le tom-
beau, etc. » Le sépulcre, c'est-à-dire, le lieu qui vous est préparé dans
le royaume de Dieu ; comme un monceau de blé qui est serré dans son
temps ; c'est-à-dire le reste de la multitude des bienheureux. On lit
dans saint Luc , chap. III : « Il en viendra un après moi qui est plus
fort que moi , il prendra le van en main, et il nettoiera son aire, et il
amassera son blé dans son grenier, et il brûlera la paille dans un feu
qui ne s'éteindra jamais. »
3° Jésus-Christ nous donne son corps sous l'espèce du pain de fro-
ment pour exprimer la similitude parfaite qu'il y a entre le pain et
son corps. On peut en effet considérer le froment sous trois autres as-
pects; à savoir en tant qu'il est en monceau, en tant qu'il tombe dans
le champ , en tant qu'il est en complément dans le pain. Considéré
sous le premier aspect , il signifie le corps de Jésus-Christ conçu dans
le sein de !a Yiergej -nus le second, il signifie ce même corps souffrant
dans le monde pour nous ; sous le troisième , il nous le représente
glorifié dans le ciel. Dans le premier la Mère de Jésus-Christ est sin-
gulièrement honorée ; dans le second , le pécheur est délivré , dans le
troisième le bienheureux trouve une joie parfaite. Il est dit du pre-
mier, Cgntiq., chap. YII : « Yotre ventre est comme un monceau de
blé_; » le ventre signifie le corps de la bienheureuse Yierge. On lit
excuteret, et purgaret frumenta in torcu-
lari, ut fugeret Madian , apparuit ei An-
gélus Domini. » Gedeon eleclum quemque
significat, qui cum umbra sanctae crucis,
rectitudine judicii, conf'essionis virga,
quasi cor suuni a vitiorum paleis séques-
trât, consolatio eum divina contra tentatio-
nes daemonum confortât. Ecclesiast., II :
« Qui timent Dominum, prseparabunt cor-
da sua, et in conspectuilliussanctificabunt
animas suas. » De tertio, Job, V : « Incre-
pationem Domini ne reprobes, et ingredie-
ris in abundantia. » Sepulchrum, id est lo-
cum in regno Dei praeparatum , sicut iii-
fertur acervus tritici in tempore suo, id
est, cyetera multitudo beatorum. Luc., III :
« Veniet fortior mepostme, cujus ventila-
brum in manu sua, et congregabit triti-
cum in horreum suum : paleas autem
comburet igni inextinguibili. » Tertio dat
corpus suum sub specie pauis triticei, pro-
pter corporis sui expressamsimilitudiuem.
Triticum enim potest considerari tribus
aliis modis, scilicet ut jacens in acervo, ut
cadens in agro, ut in panis complemento.
Pênes primum modum, significat corpus
Christi in Virgine conceptum : pênes se-
cundum, ut in mundo pro nobis passum :
pênes tertium, ut in cœlo gloriticatum. In
primo mater Christi multum honorifica-
tur : in secundo peccator liberatur : in
tertio beatus delectatur. De primo, Cantic.,
VII : « Venter tuus sicut acervus tritici, »
venter est corpus beatae Virginis, Lvx., II :
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 491
dans saint Luc, chap. XI : « Bienheureux le sein qui vous a porté. »
Le monceau de blé signifie les membres purs de Jésus-Christ, en
tant qu'ils sont conservés dans un sein virginal -.Jgsjis signifient la
beauté de la chasteté parfaite qui orne les membreseTTes sens de la
bjnheureuse Vierge. On lit du second , saint Jean , chap. XII : : « A
moins que le grain de blé, etc.. il produit beaucoup de fruit. »
Jésus-Christ par sa mort a en effet délivré le genre humain de la mort
éternelle. L'Apôtre dit, Romains , chap. V : « Mais ce qui fait éclater
davantage l'amour de Dieu pour nous, c'est que lors même que nous
étions pécheurs, Jésus-Christ n'a pas laissé de mourir pour nous. »
Par là même que le Seigneur dit qu'il est le grain de blé , il s'ensuit
que c'est là la seule espèce sous laquelle l'Eglise peut consacrer le
corps du Seigneur. Il est écrit du troisième, Zach., ch. IX : « Qu'est-
ce que le Seigneur a de bon et d'excellent, sinon le froment des élus?»
Le corps de Jésus-Christ est en effet dans la gloire pour les bienheu-
reux, le pain le plus beau , le plus doux et le plus noble. C'est pour-
quoi il importe de savoir qu'il procurera aux bienheureux un triple
don; il les préparera à jouir de toute espèce de délices , ils y trouve-
ront l'accomplissement de tous leurs désirs , ainsi que la^jouissance
sûreet éternelle de tous les biens. On lit du premier de ces dons ,
$ Genèse, chap. XLIX : « Le pain d'Aser est gras , et les rois y trouve-
roritJejursjléUçes. » On lit Psaume LXVII : « Vous avez, ô Dieu ! pré-
paré par un effet de votre douceur, une nourriture pour le pauvre; »
et dans le livre de la Sagesse, chap. XVI : « Vous leur avez fait pleu-
voir du ciel un pain préparé sans aucun travail , qui renfermoit en
soi tout ce qu'il a de délicieux et tout ce qui peut être agréable au
goût ; » dans la première Epître aux Corinthiens , chap. II : « L'œil
n'ajaas vu, l'oreille n'a pas entendu, etc.. » Il est écrit du second,
iPsaume CXLVII et CIII : « Jérusalem loue le Seigneur, etc., et il le
rassasie de la graisse du froment. » On Ut encore : « Béni le Seigneur
« Beatus venter qui te porta vit : » acervus
tritici, munda membra Christi, ut conser-
vata in utero virginali : lilia, décor omni-
modae castitatis, quo ornantur membra et
sensus beatse Virginis. De secundo, Joan.,
XII : « Nisi granum frumenti, » etc. (us-
que multum fructumaffert.) Christusenim
per mortem suam, genus humanum de al-
terna morte liberavit. Ad Rom., V :
« Gommendat suam charitatem Deus in
nobis, quoniam cum adhuc peccatores es-
semus, Christus pro nobis mortuus est. »
Ex hoc quod Dominus dicit se granum
frumenti , habet Ecclesia quod sub nulla
specie alia consecrat corpus Christi. De ter-
tio, Zach., IX : « Quid bonum ejus, et
quid pulchrnm, nisi frumentum electo-
rum? quia panispulcherrimus, dulcissimus,
et nobilissimus est corpus Christi in gloria
beatorum. » Hinc sciendnm, quod beati
habebunt in eo triplex donum, omnium de-
litiarum praeparationem , omnium deside-
riorum impletionem , omnium bonorum
securam etaeternam fruitionem. De primo,
Gènes., XLIX : « Aser, pinguis panis prae-
bebit delitias regibus. » Psal. LXVII :
« Parasti in dulcedine tua pauperi Deus. »
Sap., XV : « Paratum panem de' cœlo
prœstitisti eis sine labore , omne delecta-
mentum in se habentem, et omnis saporis
suavitatem. » I Cor., IL « Oculus non vi-
dit, nec auris audivit, » etc. De secundo,
Psal. CXLVII et CIII : « Lauda Hierusa-
lem Dominum, » etc. et : « Adipe frumenti
492 OPUSCULE LVII , CHAPITRE 1 1 .
ô mon âme ! » Il est écrit dans Jérémie, chap. .XXXI . « J'enivrerai et
engraisserai l'ame des prêtres, et mon peuple sera tout rempli de mes
biens; » et dans le livre de la Sagesse., chap. XVI : « Vous faisiez voir
combien est grande votre_sagesse et votre douceur envers vos enfants;
puisque, s' accommodant à ia volonté de chacun d'eux, elle se changeoit
en touf ce qui leur plaisoit. » On lit du troisième, Luc , chap. XIV :
« Bienheureux celui qui mange du pain dans le royaume de Dieu , »
bienheureux, parce qu'il possédera là en paix la jouissance sans fin de
tous les biens. Il est écrit dans Isaïe, chap. LXII : « Le Seigneur a juré
sur sa droite. Je ne donnerai plus dorénavant votre froment en nourri-
ture à des ennemis, les enfants des étrangers ne boiront plus le vin que
vous aurez récolté; parce que ceux qui le recueillent le mangeront,
et ceux qui le transportent le boiront dans mes saints tabernacles. » Ici
les bons mangeront avec les méchants, niais là les méchants en seront
empêchés par un arrêt éternel, pendant que les bons participeront
éternellement et en paix au banquet du Seigneur. On lit Psaume XV :
« Vous me remplirez de joie. »
CHAPITRE XI.
Des trois merveilles qui s'opèrent dans la consécration.
« Venez, mangez etc.. » Argument propre. « Vos œuvres sont ad-
mirables, et mon àme les connoîtra parfaitement; » ou toute autre
chose semblable des œuvres admirables de Dieu , ou de ses miracles.
La troisième chose qui doit surtout fixer notre attention relativement
au sacrement du corps du Seigneur, ce sont les merveilles de l'opé-
ration divine , tels que les miracles ou les merveilles de la puissance
divine. Ces merveilles ou miracles de l'opération divine doivent être
satiat te. » Item, «Benedic anima mea Do-
minum.» Hier., XXXI :«Inebriabo animam
sacerdotis pinguedine, et populus meus bo-
nis meis adimplebitur. » Sap., XVI : « Sa-
pientiam tuam et dulcedinem quam in filios
habes, ostendebas : et deserviens uniuscu-
jusque voluntati, ad quod quisque volebat,
convertebatur. » De tertio, Luc., XIV :
« Beatus qui manducat panem in regno
Dei,» scilicet propter omnium bonorum se-
curam sine fine fruitionem. Isaiœ, LXII :
« Juravit Dominus in dextra sua. Si dedero
triticum tuum ultra cibum inimicis luis, et
si biberint filii alieni vinum tuum in quo
laborasti, quia qui cougregant illud corne-
dent, et qui comportant illud, bibent in
atriis sanctis meis. Hic comedunt mali cum
bonis, ibi erunt mali sub seterno interdicto,
et boni securo et seterno Christi convivio. »
Psal. XV : « Adimplebis me laetitia. »
CAPUT XI.
De tribus mirabilibus, quœ fiunt in conse-
cratione.
« Venite , comedite , » etc. Thema pro-
prium. Mirabilia opéra tua, et anima mea
cognoscet nimis. Vel aliquid simile de mi-
rabilibus operibus Dei, vel signis. Tertium
principaliter notandum circa dominici cor-
poris sacramentum, sunt mirabilia divinse
operationis tanquam signa, sive mirabilia
divinse virtutis. Haec mirabilia signa divi-
ns operationis, consideranda sunt in tri-
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 493
considérés dans trois choses différentes, elles doivent l'être dans la
consécration du corps du Seigneur , dans la possession de ce même
corps et dans l'acte par lequel il se donne à nous. 1° Nous le consa-
crons ; 2° nous le possédons; 3° nous le recevons.
1° Dans la consécration, il faut considérer et croire trois merveilles
de l'opération divine. Premièrement, c'est que là sous l'espèce du
pain sejrouyeje vrai corps de Jésus-Christ. Secondement, c'est que
2- lajubs^aj^^^i^s£cKange "au" corps de Jésus-Christ. Troisiè-
mement, c est queVtoute la substance du pain se change au corps de
Jésus-Christ, de manière toutefois que les accidents du pain de-
meurent. La première de ceslîEoses est admirable , la seconde l'est
pîusencore, la troisième ne peut pas l'être davantage. Nous parlerons
ici des deux premières, et nous traiterons de la troisième dans le cha-
pitre suivant.
Le premier miracle qui s'opère dans la consécration du sacrement
de l'autel , c'est que là sous l'espèce du pain se trouve le vrai corps de
Jésus-Christ, qu'il a pris dans le sein de la Yierge. Et cette vérité se
démontre de trois manières. 1° On la démontre par des témoignages
dignes de foi. 2° Par le témoignage de signes positifs. 3° On la dé-
montre par des miracles. 1° On prouve cette première merveille par
des témoignages dignes de foi , conformément à ce qui est écrit dans
la loi, Deut., ch. XIX : « Sur la déposition de deux ou trois, etc.. »
On entend donc des témoins véridiques et suffisamment aptes à établir
cette vérité. Saint Augustin dit : « La parole se joint à l'élément et le
sacrement existe : » c'est-à-dire la parole de Dieu désignée par Jésus-
Christ se prononce sur le pain, et bientôt il y a un secret sacré, à savoir
le corps du Sauveur sous l'espèce du pain. Saint Augustin dit encore:
Voici ce que nous nous sommes efforcé d'établir de toutes les manières;
c'est que le sacrement de l'Eglise est composé de deux choses ; de
bus. In dominici corporis eonsecratione :
secundo, in ejusdem possessione : tertio, in
perceptione. Primo enim corpus consecra-
mus, secundo possidemus, tertio percipi-
mus. Primo in eonsecratione consideranda
sunt et credenda tria mirabilia signa divi-
nse operationis. Primum, quod ibi sub spe-
cie panis est verum corpus Christi. Secun-
dum, quod tota substantia panis mutatur
in corpus Christi. Tertium, quod mutatur
in corpus Christi tota substantia panis, ita
tamen quod manent accidentia panis. Pri-
mum est mirabile, secundum mirabilius,
tertium mirabilissimum. De duobus pri-
mis hic potest dici, de tertio in sequenti.
Primum mirabile signum in eonsecratione
Sacramenti altaris est, quod ibi sub specie
panis est verum corpus Christi, quod de
Virgine sumpsit. Ex hoc probatur tribus
modis. Primo, probatur .testimonio fide
dignorum : Secundo, testimonio signorum
positivorum : Tertio, demonstratione mira-
culôrum. Primo, probatur primum mira-
bile testimonio fide dignorum, secundum
quod lex dicit , Deutcron., XIX : « In ore
duorum, aut trium, » etc. Audiuntur ergo
testes veraces, et idonei sufïicientes. Au-
gustinus : « Accedit verbum ad elemen-
tum, et fit sacramentum, hoc est : Dei ver-
bum institutum a Christo, profertur super
panem, et mox fit sacrum secretum, scili-
cet corpus Salvatoris sub specie panis. »
Item Augustinus : « Hoc est quod omnibus
modis probare contendimus, sacramentum
Ecclesise duobus constare, visibili elemen-
torum specie, et invisibili carne Christi et
OPUSCULE LVII, CHAPITRE 11.
l'espèce visible des éléments, et de la chair et du sang invisible du
Christ, comme la personne de Jésus-Christ est l'ensemble de Dieu et
de l'homme. » Saint Ambroise dit : «Ce pain que nous prenons dans le
mystère , comme je l'entends, est celui qui le Saint-Esprit a formé de
ses mains dans le sein de la Vierge , et qui a été cuit par le feu de la
passion sur l'autel de la croix. Le pain des anges est en effet devenu le
pain des hommes. » Saint Grégoire dit : « Ce mystère est grand et re-
doutable, parce que autre est ce que l'on voit, autre ce que l'on entend.
On voit la figure du pain et du vin , et par l'opération divine on en-
tend le corps et le sang de Jésus-Christ. » Eusèbe dit : « Hostie vraiment
unique et parfaite de l'Eglise , que l'on aoTTâpprécierpar la foi , et
non par l'apparence ; qui ne doit pas être cjonsidérée. d'après la vue
extérieure, mais bien par l'intellect intérieur , ce qui fait que l'auto-
rité du ciel confirme cette vérité : « Prenez et mangez, etc.. » Comme
l'auteur du don est lui-même le témoin de la vérité , le doute de l'in-
fidélité doit par conséquent disparaître. 2° On prouve encore cette
vérité par le témoignage de signes positifs. La raison des signes posi-
tifs est que la chose est telle que le signe lui-même. Mais il y a deux
espèces de signes; ce sont celui de l'homme et celui de Dieu; le signe
de l'homme est artificiel; celui de Dieu est sacramentel. Le signe po-
sitif de l'homme ne signifie que ce qu'il veut lui faire signifier , et il
est de deux espèces. L'un ne contient pas ce qu'il signifie, comme le
cercle le vin; l'autre contient ce qu'il signifie, comme le petit pâté qui
signifie la viande , en contient réellement de cachée dans son inté-
rieur. Pareillement le signe positif de Dieu qui se trouve dans les sa-
crements , signifie ce que Dieu a voulu lui faire signifier ; il est lui
aussi de deux espèces. L'un ne contient pas ce qu'il signifie , tel que
les sacrements légaux, qui ne produisent pas ce qu'ils figurent; comme
l'agneau pascal et les autres du même genre. L'autre contient ce qu'il
sanguine, sicut persona Christi constat ex
Deo et homine. » Ambrosius : « Panem is-
tum quem sumimus in mysterio , utique
intelligo, qui manu Sancti Spiritus forma-
tus est in utero Virginis, et igné passionis
decoctus in ara crucis. Panis enitn angelo-
rum faetus est cibus hominum. » Grego-
rius : « Magnum atque pavendum est
mysterium, quia aliud videtur, aliud intel-
ligitur. Figura panis et vini videtur, et fa-
ciente Domino , corpus et sanguis Christi
intelligitur. » Eusehius : « Vere unica et
perfecta Ecclesiae hostia , fide aestimanda ,
non specie, neque exteriori censenda visu,
sed interiori intellectu, unde cœlestis con-
firmât authoritas : Accipite , et corne-
dite, etc. Recédât ergo omne infidelitatis
dubium, quia qui author muneris, ipse est
testis veritatis. » Secundo, probatur idem
ratione signorum positivorum : ratio au-
tem eorum est rem ita esse ut signum. Est
autem signum duplex, scilicet hominis, et
Dei : hominis artificiale, Dei sacramen-
tale. Signum positivum hominis secun-
dum impositionem hominis significat, et est
duplex. Nam aliud non continet quod si-
gnificat, ut circulus vini : aliud continet
quod significat, ut pastillum quod signifi-
cat carnes, et continet carnes intus abscon-
ditas. Similiter signum positivum Dei,
quod est in sacramentis secundum imposi-
tionem Dei, significat, et est etiam du-
plex. Nam aliud non continet quod signi-
ficat, ut sacramenta legalia, quœ non efii-
ciunt quod figurant, sicut agnus paschalis,
et similia. Et aliud continet quod signifi-
SUR LE SACRE MENT DE L AUTEL. 495
signifie, tels sont les sacrements de l'Evangile, comme l'Eucharistie
Elle signifie en effet, d'après la signification que Dieu lui a imposé
une chose sacrée, à savoir le corps de Jésus-Christ, et elle le contient
réellement; d'où il dit : « Ceci est mon corps. » Le signe extérieur
demeure, à savoir l'espèce du pain, et sous ce signe se trouve le corps
du Sauveur. On lit dans l'Ecclésiastique, chapitre III : « Renouveliez
vos signes, changez vos merveilles ; » ce qui est comme s'il disoit :
parce que les anciens signes ne contenoient pas la grâce qu'ils figu-
roient ; faites-en de nouveaux qui contiennent ce qu'ils figurent. Saint
Augustin dit : « On les appelle sacrements parce qu'ils sont les signes
d'une chose sacrée; parce qu'on voit en eux autre chose que ce que
l'on entend. » Ce que l'on voit a une apparence corporelle; ce que l'on
entend produit un fruit spirituel. Sous les espèces du pain et du vin
que nous voyons , nous honorons des choses invisibles , à savoir le
C0£H.^JÊ..sa.ng de Jésus-Christ. Saint Augustin traite cette question
plus haut , vers le milieu de son neuvième Sermon. 3° On prouve en-
core cette vérité par les miracles. Il est écrit Exode, ch. XXXIV : « Je
ferai des prodiges qui n'ont jamais été vus sur la terre, ni dans aucune
nation, etc.. . » Pasclmsedit: « Il n'est personne de ceux qui ont lu les
vies ou jes exemples des saints qui ignore que souvent les sacrements
du corps eTdu sang de Jésus-Christ n'aient été rendus visibles, soit à
cause de ceux qui doutoient , soit à cause de ceux dont l'amour étoit
plus brûlant, jsous l'apparence d'un agneau, ou sous la forme d'un petit
enfant, ou encore avec la couleur de la chair et du sang; et cela, pour
qu'un miracle mît à nu ce qu'un mystère déroboità la vue. » Saint Ba-
sile célébrant les saints mystères, un jour de Pâques, un Juif se glissa
parmi le peuple fidèle , dans l'intention de découvrir le mystère de
l'office : il vit dans les mains de Basile un enfant qui fut partagé, il
le vit recevoir par tous ceux qui communièrent ; il vint lui-même à la
cat, ut sacramenta evangelica, sicut Eucha-
ristia. Significat enim secundum imposi-
tionem Dei rem sacram, scilicet corpus
Christi, et continet illud. Unde ait : Hoc
est corpus meum. Signum mansit foris ,
scilicet species panis, et intus erat corpus
Salvatoris. Ecclesiast., III : « Innova signa,
et immuta mirabilia, » quasi diceret : Quia
vetera signa non continebunt gratiam
quam figurabant, fac nova, quee continent
quod figurant. Augustinus : « Ideo dicun-
tur sacramenta quasi sacrae rei signa, quia
in eis aliud videtur, aliud intelligitur.
Quod videtur, speciem habet corporalem :
quod intelligitur, fructum habet spiritua-
lera : In specie enim panis et vini quam
videmus, res invisibiles carnem ghristi et
sanguinem honoramus. » De hoc supra ser-
mone, IX , circa médium. Tertio, probatur
idem demonstratione miraculorum. Exod.,
XXXIV : « Signa faciam , quae, nunquam
sunt visa super terram, nec in ullis genti-
bus, » etc. Paschasius : « Nemo qui sancto-
rum vitas et exempta legerit, ignorât quod
sœpe corporis Christi et sanguinis sacra-
menta aut propter dubios, aut certe prop-
ter ardentius amantes visibili specie in
agni, vel pueri forma, aut in carnis et
sanguinis colorem monstrata sint, ut quod
latebat mysterio, patesceret in miraculo. »
Beato enim Basilio in die Pasche mysteria
celebranti. Hebrœus quidam se sicut Chris-
tianus populo comnuscuit, oflicii volens ex-
plorare mysterium : qui vidit infantem
partiriin manibus Basilii, et communican-
tibus omnibus, venit ipse, et data ei hostia
496 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 11.
table de la communion , et l'hostie qu'il reçut devint une chair véri-
table. Conservant ce qui restoit , il revint dans sa maison, le montra
à son épouse, et lui raconta ce qu'il avoit vu de ses propres yeux.
Croyant donc, il s'écria : « Le sacrement des chrétiens est horrible, mais
en même temps digne d'admiration. » Le lendemain, il vint trouver
Basile et il reçut le baptême avec toute sa famille. On lit encore : un
prêtre du nom d'Egidius, homme fort religieux, qui menoit une
sainte vie, se mit à demander à Dieu dans ses ferventes prières, de
lui faire voir la nature du corps et du sang du Seigneur. Il arriva donc
un jour que ce même prêtre, comme il en avoit l'habitude, célébroit
les saints mystères; et après ces mots, Agneau de Dieu, fléchissant
le genou : Créateur, dit-il, et Rédempteur, Dieu tout-puissant, montrez-
moi dans ce mystère qui paroît si peu de chose, la nature du corps de
Jésus-Christ, afin qu'il me soit permis de la voir sous la forme de l'en-
fant qui reposa autrefois vagissant sur le sein de sa mère. Et voici
qu'un ange, du ciel lui dit : Levez-vous, hâtez-vous, si vous voulez
voir Jésus-Christ , il est là présent , revêtu d'un voile corporel , et il
porte la pourpre sacrée. Or le prêtre tremblant se lève, et voit un en-
fant assis sur l'autel. L'Ange lui dit : Parce que vous avez désiré voir
Jésûs^nrisUjïïë vous avez consacré par des paroles mystiques , sous
l'espèce du pain, voyez-le maintenant de vos propres yeux, touchez-
le de vos mains. Le prêtre fortifié alors par un rayon de la lumière cé-
leste, ô merveille ! reçoit l'enfant dans ses bras tremblants, il joint sa
poitrine à la poitrine de Jésus-Christ, le pressant ensuite dans ses bras,
il le couvre de doux baisers , il presse de ses lèvres les lèvres sacrées
de Jésus-Christ. Après cela il repose l'enfant sur l'autel , se prosterne
de nouveau à terre , et prie le Seigneur de vouloir reprendre sa pre-
mière forme. Se levant il trouve que le corps de Jésus-Christ a repris
vere caro est facta. Et servans reliquias,
abiit in domum suam ostendens uxori sua? ,
narrans quse propriis oculis viderat : Cre-
dens ergoait : Vere horribile, et admira-
bile est Christianorum sacramentum. In
crastino venit ad Basilium : et baptizatus
est cum omni dorno sua. » Idem : « Qui-
dam presbyter erat Jïgidius nomine, reli-
giosus valde, qui cum sanctam duceret vi-
tam, cœpit piis precibus pulsare Deum, ut
sibi monstraret naturam corporis et san-
guinis Domini. Venit ergo dies ut idem
more sohto, divina celebraret, et ■post
Agnus Dei procumbens genibus : Creator ,
inquit , et redemptor , omnipotens Deus,
pande mibi exiguo in hoc mysterio natu-
ram corporis Christi , ut mihi liceat eam
prospicere in forma pueri, quem olim si-
nus matris tulit vagientem. Et ecce Ange-
j lus de cœlo veniens , affatur : Surge , pro-
I pera, si vis Christum videre : Adest prae-
I sens corporeo vestitus amictu, quem sacra
purpura gessit. At presbyter pavidus sur-
gens, vidit super aram puerum sedentem :
Cai angélus. Quia Christum videre placuit,
quem sub specie panis, verbis sacrasti mys-
ticis, nunc oculis inspice, et tracta mani-
bus. Tune cœlesti lumine sacerdos fretus
(quod mirum dictu est) in ulnis trementi-
bus puerum accepit , et pectus proprium
pectori Christi adjunxit, deinde perfusus
inamplexus dat dulcia Deo oscula, et suis
labiis pressit pia labia Christi. Quibus ita
peractis, restituit puerum in altari, et rur-
sus humi prostratus deprecatur Dominum,
ut dignetur ipse verti in speciem pristi-
nam. Et surgens invenit corpus Christi re-
measse in formam priorem, et sic sub spe-
SUR LE SACREMENT DE L' AUTEL. 497
sa forme première, et il communie à ce même corps sous la forme
voulue.
^ Le second miracle qui s'opère dans la consécration du sacrement de
l'autel , c'est que la substance du pain se change au corps que Jésus-
Christ a pris clans le sein de la Vierge; et cela se fait par la puissance
du Verbe ou parole de Dieu. On prouve de trois manières que cela
peut se faire; on le prouve par ce que peuvent un pouvoir semblable,
un pouvoir inférieur et un pouvoir supérieur.1!0 On le prouve par ce
que peut un pouvoir identique; parce que le Verbe de Dieu a changé
une substance en une autre; ce qui fait que l'on lit, saint Jean,
chap. II : « Que le Seigneur changea l'eau en vin aux noces de Cana. »
Par conséquent ce qu'il peut là, il le peut ici ; on juge des choses sem-
blables de la même manière ; là où une puissance semblable donne
le même ordre , il doit y avoir un même effet. 2° On le prouve par ce
que peut un pouvoir inférieur : c'est de ce que les choses qui sont
moins puissantes que le Verbe de Dieu changent une substance en
une autre. C'est pour cela qu'il importe de savoir que la Providence
de Dieu a voulu que les choses changeassent de trois manières , en
dehors des changements opérés par le Verbe de Dieu. Ces modes sont
13^la nature et la &race- L'art de l'homme change en effet une sub-
stance en une autre, comme le prouve l'exemple du fabricant de verre,
qui change une vile poussière en une verre beau et éclatant. Donc à
plus forte raison la puissance de la parole de Dieu peut-elle changer
le pain en son corps et le vin en son sang. On lit dans l'Ecclésiastique,
chap. VIII : « La parole de Dieu est toute puissante, et personne m>,
peut lui dire, pourquoi faites-vous cela? wEusèbe dit : «Le prêtre in-
visible change les créatures visibles en la substance de son corps et de
son sang , par sa parole, en vertu d'une puissance secrète, et les fait
ce même corps, ce même sang. La nature change pareillement une sub-
cie débita communicavit eidem. » Secun-
dum miraculum in consecratione Sacra-
menti altaris est, quod substantia panis
mutatur in corpus Christi , quod sumpsit
de Virgine, et hoc fit potestate verbi Dei :
quod probatur tribus modis fieri posse, a
potestare simili, a minori, a majori. Primo,
a potestate simili, quia verbi Dei substan-
tiam unam in aliam commutavit. Hinc le-
gitur Joann., II, quod Dominus ad nuptias
aquam in vinum commutavit : sicut ergo
potuit ibi, potest et hic. In similibus enim
simile est judicium : ubi similis praecipit
virtus, similis obedit effectus. Secundo,
probatur a minori, eo quod res quse minus
possunt quam verbum Dei, unam substan-
tiam mutant in alteram. Unde sciendum,
V.
quod providentia Dei mutationes rerum
tribus modis fieri voluit, praeter quas verbo
Dei facit, arte, natura, gratia. Ars enim
hc/minis unam substantiam mutât in aliam,
ut patet in vitrifiée, qui vilem cinerem
mutât in praeclarum, et nobile vitrum.
Ergo multo magis virtus verbi Dei potest
panem in corpus ejus, et vinum in sangui-
nem commutare. Eccles., VIII : « Sermo
Dei potestate plenus est , nec dicere ei
quisquam potest; quare ita facis? » Euse-
bius : « Invisibilis sacerdos, visibiles crea-
luras in substantiam corporis et sanguinis
sui, verbo suo sécréta potestate facit, et
commutât. » Item, natura unam substan-
tiam mutât in aliam, sicut in vite aqua
mutatur in vinum, et opéra apum succus
32
498 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 12.
stance en une autre ; ainsi dans la vigne l'eau se change en vin, et le
travail des abeilles change le suc des fleurs en rayons de miel par un
secret de la nature. Le pain que nous mangeons tous les jours, par un
changement semblable se convertit aussi en notre propre chair. Donc
à plus forte raison la puissance de la parole de Dieu peut changer
le pain en la substance de son corps. La grâce que reçoit l'homme
change aussi une substance en une autre. Ainsi Moïse en vertu d'une
grâce spéciale changea la verge en serpent, et l'eau en sang. Donc à
plus forte raison la puissance de la parole de Dieu peut-elle changer
le pain en son corps et le vin en son sang. Saint Ambroise dit : « Moïse
prit la verge, la jeta à terre et elle se changea en serpent. » Vous
voyez par conséquent qu'elle fut transformée par la grâce prophétique,
et que la puissance de la grâce est plus grande que celle de la nature.
Si la bénédiction a été assez puissante pour changer la nature , que
dirons-nous de la consécration divine elle-même , où les paroles
mêmes du Sauveur opèrent? Par conséquent, si vous demandez com-
ment il peut se faire que le pain devienne le corps de Jésus-Christ , je
réponds que cela s'opère par la consécration qui se fait par la parole
de Jésus-Christ. 3° On prouve cette même vérité par ce que peut une
plus grande puissance; le Verbe de Dieu fait et peut en effet faire des
choses bien plus grandes que de transformer le pain au corps de Jésus-
Christ. C'est ce que prouve tout ce qui se lit depuis ces mots : « Au
commencement étoit le Verbe; » jusqu'à ces autres : « Et tout a été
fait par lui. » Saint Ambroise dit • « On lit de toutes les œuvres du
monde : Il a dit, et tout a été fait, etc.. » La parole qui peut faire de
rien ce qui n' existait pas , ne peut-elle donc pas changer ce qui existe
en ce qui n'était pas? Ne faut-il pas autant de puissance pour donner
aux choses de nouvelles natures que pour changer celles qui existent ?
Et ainsi , ce qui , avant la consécration , étoit du pain , est devenu le
florum per sécréta naturae, mutatur in fa-
vum. Similiter in nobisipsis panem, quem
manducamus quotidie, per naturam mute-
tur in carnem. Ergo multo magis virtus
verbi Dei mutare potest panem in substan-
tiam corporis sui. Item, gratia hominis
ipsa consecratione divina, ubi ipsa verba
Salvatoris operantur ? Si ergo quœris, quo-
modo potest quod panis est fieri corpus
Christi ; Respondeo, consecratione, quae fit
Christi sermone. » Tertio probatur idem a
majori, quia verbum Dei multo facit ma-
mutat uuam substantiam in alteram. Hinc jora, et facere potest, quam quod panem
Moyses per gratiarn specialem mutavit vir-
gam in serpentera, et aquam in sangui-
nem, ergo multo magis virtus verbi Dei
potest mutare panem in corpus suum, et
vinum in sanguinem. Ambrosius : « Yir-
gam tenuit Moyses, et projecit in terram,
et facta est serpens, et sic vides prophetica
gratia mutatam esse naturam, et majoris
esse potentiae gratiarn , quam naturam.
Quod si tantum valuit benedictio humana
ut naturam converteret, quid dicemus de
in corpus Christi mutet. Unde in principio
erat Verbum (usque omnia per ipsum facta
sunt.) Ambrosius : « De totius mundi ope-
ribus legitur, quod ipse dixit, et facta
sunt, » etc. Sermo ergo qui potest facere
ex nihilo quod non erat, non potest ea quae
sunt mutare in id quod non erat. Non enim
minus est dare rébus novâs quam mutare
naturas, et sic quod erat panis ante conse-
crationem , jam corpus Christi factum est
post consecrationem , quia fermo mutât
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 499
corps de Jésus-Christ après, parce que la parole a changé la créature.
Par conséquent, lorsqu'une créature irrationnelle et inanimée, à savoir
le pain , est changée en une créature meilleure , qui est le corps de
Jésus-Christ , Verbe de Dieu ; il est étonnant que la vie mauvaise de
l'homme pécheur ne puisse être changée en une vie meilleure par de
nombreux avertissements , de grands bienfaits , le blâme et les pro-
messes réitérées?
CHAPITRE XII.
Du troisième miracle qui s'opère dans la consécration.
a Venez, mangez, etc.. » Argument propre. « Vos œuvres sont
admirables, etc.. » La troisième merveille, bien plus, le prodige
le plus étonnant qui s'accomplisse dans la consécration du sacrement
de l'autel, c'est que toute la substance du pain se change au corps de
Jésus-Christ , de telle manière toutefois que les accidents du pain ,
c'est-à-dire la saveur, l'odeur, la couleur, etc., demeurent. Ce qui
entoure le corps de Jésus-Christ est exposé à l'appréciation de nos
sens. Il a été déjà prouvé que le pain se change au corps de Jésus-
Christ ; que les accidents demeurent exposés a l'appréciation des sens
de l'homme , c'est une chose évidente. Un tel changement est sur-
naturel , on l'appelle proprement conversion ou transsubstantiation ;
car on ne trouve rien dans la nature qui puisse lui être comparé. On
peut cependant démontrer la possibilité de cette conversion dans le
sacrement de l'Eucharistie, par une triple similitude de comparaison.
La première similitude par laquelle on établit que la substance du
pain se convertit au corps de Jésus-Christ , de telle sorte que les acci-
dents restent, se tire de la grâce accordée aux prophètes. A cette
occasion il est écrit , IV Rois, chap. Hj « Elh.see.jeta du sel dans les
eaux amères, et elles devinrent douces."» Quatre choses doivent
creaturam. Cum itaque irrationalis crea-
tura et inanimata , scilicet panis mutatur
in melius, scilicet in corpus Christi verbi
Dei, mirum quod peccator homo nec mul-
tis verbis, nec beneiiciis, nec comminatio-
ne, nec promissione converti potest mala
vita in bonam.
GAPUT XII.
De tertio mirabili quod fit in consecratione.
« Venite, comedite, » etc. Thema pro-
prium. «Mirabilia opéra tua, «etc. Tertium
mirabile, imo mirabilissimum signura in
consecratione Sacramenti altaris est, quod
mutatur in corpus Christi tota substantia
panis, sic tamen quod manent panis acci-
dentia, id est color, sapor, et hujusmodi.
Christi corpus, circumstantia et nostris
sensibus objecta. Quod enim in consecra-
tione mutatur panis in corpus Christi, jam
probatum est, et quod manent humanis
sensibus accidentia, patet. Talis mutatio
est supernaturalis, et dicitur proprie con-
versio, sive transsubstantiatio , quia similis
ei per omnia non invenitur in natura. Quod
tamen ita tieri possit in hoc sacramento,
triplici potest ostendi similitudine. Prima
similitudo quod substantia panis possit
mutari, ita quod accidentia maneant, su-
mitur de gratia prophetali. Hinc est quod,
IV. Reg., II : « Elisseus misit sal in aquas
500 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 12.
être considérées concernant cette conversion ; on doit considérer le
contenant, le contenu , celui qui opère et l'œuvre opérée^ Le conte-
nant , c'est cette apparence ou éclat extérieur ; le contenu , c'est l'a-
mertume intérieure qui passe et se change en la quatrième , à savoir
l'œuvre opérée, c'est-à-dire la douceur, et cela se fait par la troisième,
à savoir celui qui opère , c'est-à-dire par la grâce dont jouit le pro-
phète. Il en est en quelque sorte de même dans le changement du pain
au corps de Jésus-Christ. La première chose , à savoir le contenant ,
c'est-à-dire l'apparence extérieure du pain demeure. La seconde , à
savoir le contenu , c'est-à-dire la substance du pain se change en la
quatrième , qui est le corps de Jésus-Christ , et cela s'opère par la
troisième , ou celle qui opère , c'est-à-dire par le Verbe de Dieu. La
seconde similitude qui sert à établir la possibilité de cette conversion,
se tire de la conversion spirituelle dont il est parlé au premier Jiyre
des Rois , chap. X^, où Sajymj^jjlitJL§&ul , qui est la personnification
du pécheur : « L'esprit se répandra sur vous , et vous serez chaugé
en un autre homme. » On peut faire sur cette conversion ou change-
ment les quatre mêmes considérations qui ont été déjà faites , savoir,
que l'on peut considérer le contenant , le contenu , celui qui opère et
la chose opérée. Dans l'jétat de péché, en effet, notre homme extérieur
est sain et beau ; mais notre homme intérieur est plein d'amertume ;
il est infecté du venin du péché , il est malade. Pendant que l'esprit
de Dieu le change, l'apparence extérieure du corps demeure la même,
mais l'amertume et la langueur intérieure du péché se changent en
la douceur et en la santé de la grâce.
La première , à savoir l'apparence extérieure du corps demeure; la
seconde, à savoir l'amertume intérieure du péché se change en la
quatrième , qui est la douceur de la grâce ; et ceci s'opère par la troi-
sième , à savoir par l'esprit de Dieu; il se fait la même chose dans la
amaras , et conversee sunt in dulces : » in
qua conversione quatuor consideranda
sunt, scilicet continens et contentum, ope-
rans et operatum. Continens est illa spe-
cies, sive claritas exterior ; contentum ama-
ritudo interior, quae transit atque muta-
tur in quartum, scilicet operatum, id est
in dulcedinem, et hoc per tertium, scilicet
operans, id est per gratiam prophetalem.
Sic est quodammodo in mutatione panis in
corpus Christi. Primum, scilicet continens,
id est species panis exterior manet. Secun-
dum, scilicet contentum, id est substantia
panis mutatur in quartum, scilicet in cor-
pus Christi , et hoc per tertium, scilicet
operans, id est per verbum Dei. Secunda
similitudo ejusdem sumitur a conversione
spirituali, de qua I. Reg., X : dicit Samuel
ad Saul, qui significat peccatorem. « Insiliet
in te spiritus Domini , et mutaberis in vi-
rum alium, » in qua conversione, sive muta-
tione quatuor jam supra dicta conside-
randa sunt , scilicet continens et conten-
tum, operans et operatum. In statu enim
peccati noster homo exterior pulcher et
sanus : sed homo interior amaritudine et
peccati veneno plenus est et œgrotus. Hic
dum per spiritum Dei convertitur, specie
corpons manente exterior; amaritudo, et
languor peccati interior in dulcedinem et
sanitatem gratiœ commutatur. Primum,
scilicet species corporis exterior manet :
secundum, scilicet amaritudo peccati inte-
rior transit in quartum, scilicet dulcedi-
nem gratiae, et hoc per tertium, scilicet
per spiritum Dei, et sic fit, ut dictum est ,
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 501
consécration du corps du Seigneur, comme nous l'avons dit précé-
demment. Eugène écrit à une personne récemment convertie : ((Qu'ils
sont grands, qu'ils sont dignes d'être célébrés les bienfaits opérés par
la force de la bonté divine; vous ne devez tenir ni pour nouveau ni
pour impossible que les choses terrestres se changent en la substance
de Jésus-Christ ; interrogez-vous vous-même , vous qui , après avoir
déposé votre ignominie passée, vous êtes tout-à-coup revêtu d'une
bonté nouvelle; vous ne vous êtes rien ajouté extérieurement, et tout
votre intérieur a été changé. »
La troisième similitude qui sert à établir la possibilité de cette
transsubstantiation, se tire des changements qui s'opèrent dans la
nature. Nous voyons, en effet , que les œufs placés sous un oiseau ,
sous une poule ou sous une colombe, se changent, par la puissance
de la nature, en chair, se changent même, ce qui est plus extraordi-
naire , en un petit oiseau vivant. On peut pareillement trouver dans
le changement qui s'opère ici les quatre choses dont nous avons parlé.
Là, en effet, se trouvent le contenant, c'est la coquille, qui est
comme l'apparence extérieure de l'œuf; le contenu, à savoir le jaune
de l'œuf, qui est comme la substance intérieure de l'œuf; celui qui
opère , à savoir la nature , et l'œuvre accomplie , à savoir la chair du
petit poulet. La première , à savoir la coquille , qui est l'apparence
extérieure, demeure; la seconde, le jaune d'oeuf, ou la substance inté-
rieure, passe et se change en la quatrième, le corps vivant du poulet;
et cela s'opère par la troisième, savoir la nature qui opère. La simili-
tude est ici admirable, parce que la chose extérieure paroît pendant
quelques jours entière, comme si ce qui n'est pas un œuf, mais le
corps vivant d'un poulet , voilé sous une coquille, étoit véritablement
un œuf. Comme donc ici la colombe opère par la nature , de même
dans le sacrement de l'autel le Saint-Esprit opère par sa toute-puis-
sance. Donc , si vous placez un, ou deux, ou plusieurs œufs sous ces
in consecratione corporis Christi. Eugenius
ad quemdam conversum : « Quanta, et
quam celebranda bénéficia vis divinae bo-
nitatis operatur, et quod non tibi novum
et impossibile esse debeat, quod in Christi
substantiam terrena convertuntur, teipsum
interroga, qui praeterita vilitate deposita ,
subito novam indutus es bonitatem, in ex-
teriori nihil additum, totum est in interiori
mutatum. » Tertia sirnilitudo ejusdem su-
mitur de mutatione naturali. Viderans
enim quod ova ponuntur sub ave , ut sub
gallina, sub columba, et per naturam mu-
tantur in carnem, imo inaviculam vivam.
In bac mutatione similiter illa quatuor,
quœ jam dicta sunt , possunt inveniri. Ibi
enim est continens, scilicet testa, quasi spe-
cies ovi exterior, et contentum, scilicet vi-
tellum quasi substantia ovi interior, et
operans, scilicet natura, et operatum, scili-
cet caro pulli. Primum, scilicet testa spe-
cies exterior manet, secundum vitellum,
sive substantia interior transit et mutatur
in quartum, scilicet in corpus pulli vivi, et
hoc per tertium, scilicet operantem natu-
ram. Et mira sirnilitudo , quia diebus ali-
quibus intégra exterius videtur, quasi ad-
huc sit ovum, quod non est ovum, sed vivi
pulli integrum corpus testa velatum. Sicut
ergo in bac re columba per naturam , sic
in Sacramento altaris spiritus, scilicet per
suam omnipotentem virtutem. Si ergo sub
502
OPUSCULE LVII, CHAPITRE 12.
oiseaux ; il les change , aidé de la nature , intérieurement en chair, et
la coquille extérieure demeure; le Saint-Esprit, par sa puissance,
change intérieurement d'une manière subite et bien plus parfaite au
corps de Jésus-Christ, une ou plusieurs hosties de pain , bien qu'elles
conservent l'apparence de ce même pain : remarquez que le verset où
il est parlé du corps de Jésus-Christ ne dit pas de la substance du pain,
qu'elle est la matière du corps de Jésus-Christ, mais que le pain se
change au corps de Jésus-Christ. Le corps qui se trouve ici sous le
pain est le corps né de la Vierge. Le premier vient d'un changement
opéré dans le pain, mais le second est matériel. On peut ici faire cette
observation morale : Quand la créature irrationnelle, à savoir le pain,
est changé en quelque chose de plus parfait par le Verbe de Dieu et
de son esprit , combien est grande la dureté du pécheur que ne
peuvent convertir ni plusieurs paroles, ni les œuvres du Saint-Esprit.
On lit dans Jérémie, chap. V : « Ils ont rendu leurs fronts plus durs
que le rocher, et ils n'ont point voulu revenir à vous. » Cet endurcis-
sement , c'est l'impénitence finale qui procède d'une triple cause. La
première , c'est une longue habitude de pécher. La seconde , c'est
l'incrédulité sur la justice de Dieu. La troisième, la séduction de
l'ennemi. Il est écrit de la première au livre de la Sagesse , ch. XIV :
« Cette coutume mauvaise s' étant de plus en plus autorisée , l'erreur
fut observée comme une loi. » On lit dans Jérémie, chap. XIII : « Si
un Ethiopien peut changer sa peau , ou le léopard la variété de ses
couleurs, vous pourrez aussi faire le bien , vous qui n'avez appris qu'à
faire le mal. » Le commentaire ajoute : « L'habitude de pécher
devient en quelque sorte nature. Mais ce qui est impossible à l'homme
est possible à Dieu ; il peut se faire que l'Ethiopien ne le soit plus ,
comme, que le léopard cesse de l'être, à savoir que les vieux pécheurs
paroissent changer par eux-mêmes leur nature ; mais c'est Dieu qui
ave ponis unum , vel duo , vel plura ova,
vertit ea per naturam interius in came
testa manente exterius , quanto magis
unam hostiam panis , vel plures in altari
manente specie panis exterius, Spirilus
sanctus ea repente interius in corpus Christi
sua virtute convertit : Nota versus de cor-
pore Christi, de hoc quod dicit de substan-
tia panis, non quod sit materia corporis
Ghristi, sed quod panis convertitur in cor-
pus Ghristi. Corpus de pane, corpus de Vir-
gine natum. Primum conversum , sed ma-
teriale secundum. Hic moraliter notandum
est, cum irrationalis creatura, scilicet pa-
nis, perverbumDei spiritus ejus in melius
convertitur, quanta sit peccatoris duritia,
qui multis verbis, et Spiritus sancti opera-
tionibus ad conversionem non perducitur :
Hieremiœ, V : « Induraverunt faciès suas
supra petrarn, et noluerunt reverti. » Hœc
induratio finalis inipœnitentia est, cujus
triplex est causa. Prima, longa consuetudo
peccandi. Secunda, incredulitas de justitia
Dei. Tertia, seductio inimici. De primo
Sapieniiœ, XIV : « Invalescente iniqua eon-
suetudine error tanquam lex custoditus
est. » Hieremiœ, XIII : « Si potest ^Ethiops
mutare pellemsuam, aut pardus varietates
suas, et vos potestis bene agere cum didi-
ceritis malum. » Glossa : « Consuetudo
peccandi quodammodo in naturam tran-
sit. » Sed quod hominibus impossibile est,
Deo possibile est, utnon^Ethiops, vel par-
dus, longeevi scilicet peccatores suam natu-
ram per se mutare videantur, sed Deus qui
in illis operatur. Augustinus : « Vocabas
SUR LE SACRE^ŒNT DE I/AUTEL. 503
produit en eux ce résultat. » Saint Augustin dit : « Vous m'appeliez,
Seigneur, et je soupirois ; mais j'étois lié , ce n'étoit pas par un fer
étranger, mais bien par ma propre volonté. L'ennemi s'étoit em-
paré de ma volonté , il en avoit fait une chaîne , et il m'en avoit en-
lacé ; car la passion mauvaise est le fruit d'une volonté perverse , et
pendant qu'on est asservi à cette passion mauvaise, on contracte l'ha-
bitude, et tant qu'on ne résiste pas à l'habitude, elle devient une
nécessité. »
Il est dit de la seconde , dans Sophonie, chap. I : « Et je visiterai
dans ma colère ceux qui se sont enfoncés dans leurs ordures ; qui
disent dans leurs cœurs, le Seigneur ne fera ni bien, ni mal, » le Com-
mentaire ajoute : «Ils anéantissent la providence du Seigneur, pensant
qu'il ne peut pas récompenser les bons de leurs bonnes œuvres , et
punir les méchants du mal qu'ils ont fait, mais que tout est régi par
le hasard. » On lit, Psaume XIII : « L'insensé a dit dans son cœur, il n'y
a pas de Dieu, de juste juge, qui juge les péchés; » ce qui fait que le
Psalmiste ajoute immédiatement : « Ils se sont corrompus et sont
devenus abominables dans toutes leurs affections et leurs désirs dé-
réglés.
Il est écrit de la troisième dans Osée, chap. V : « Ils ne permettront
pas à leurs pensées de se reporter vers le Seigneur, parce que l'esprit
de fornication est au milieu d'eux , et qu'ils n'ont pas connu le Sei-
gneur; » c'est comme si le Prophète disoit : Le méchant esprit les
assiège , les aveugle, pour les empêcher de connoître le Seigneur, il
les séduit par des promesses fallacieuses, ce qui fait que leur conver-
sion est impossible. On Ut, Ecclésiastique , ch. XXIX : «. L'engage-
ment à répondre mal à propos en a perdu plusieurs. » 11 est écrit Gen., '
chap. XXXIV : «. Dina étant sortie pour voir les femmes du pays, Si-
chem, prince de ce pays, la vit, » c'est-à-dire le démon, il l'aima, l'en-
leva, dormit avec elle et la viola, et son ame demeura attachée à Dina
me Domine, et suspirabam ligatus non
ferro alieno, sed mea propria voluntate.
Velle enim meum tenebat inimicus, et in-
de catenam fecerat et constrinxerat me,
quippe ex voluntate perversa facta est li-
bido, et dum servitur libidini , facta est
consuetudo, et dum consuetudini non re~
sistitur, facta est nécessitas. » De secundo,
Sophon., I : « Visitabo super viros defixos
in fœcibus suis, qui dicunt in cordibus suis,
nonfacietbeneDominus,etnonfacietmale.»
Glossa: «TolluntDomini providentiam pu-
tantes quod nec bonis bona, nec malismala
possit reddere , sed omnia casu regantur. »
Psalm. XIII : « Dixit insipiens in corde
suo, non est Deus, justus judex, qui judi-
cat peccata. » Unde sequitur : « Corrupti
et abominabiles facti sunt in iuiquitatibus
suis. » De tertio, Osée, V : « Non dabunt
cogitationes suas ut revertantur ad Domi-
num, quia spiritus fornicationis in medio
eorum, et Dominum non cognoverunt ? »
quasi diceret , quia spiritus malignus ob-
sedit eos et excœcat, ut Dominum non
agnoscant, et promissionibus falsis seducit,
ideo converti non possunt. Ecc/es., XXIX :
« Repromissio nequissima plurimos perdit.»
Gen., XXXIV : « Egressa Dina ut videret
mulieres regionis illius. Et vidit eam Si-
chem , princeps terra? , » id est diabolus,
« adamavit , rapuit , dormivit cum ea , et
conglutinata est anima ejus cum ea, tris-
504 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 13.
par les liens d'une passion violente , et la voyant triste , il tâcha de
la gagner par ses caresses ; il lui promit les prospérités du monde,
des fautes légères , une longue vie, mais ce n'étoit là que mensonge.
Michée dit au troisième livre des Rois , chap. XXII : « Mais l'esprit
malin étant sorti, il dit : Je tromperai Achab; j'irai, et je serai un
esprit de mensonge dans la bouche de tous ses Prophètes; » ses Pro-
phètes lui disoient : « Montez dans Ramoth-Galaad, et allez, vous serez
heureux, le Seigneur livrera vos ennemis en vos mains, » et c'est en
en quoi il le trompa : « Car étant parti pour livrer bataille, quelqu'un
ayant lancé une flèche sans viser , cette même flèche l'atteignit entre
le poumon et l'estomac et le blessa grièvement, et il mourut le même
soir. »
CHAPITRE XIII.
Des trois merveilles que l'on doit considérer dans la possession du corps
de Jésus-Christ.
ce Venez, mangez. Vos œuvres sont admirables, etc. » Nous allons
ici parler des trois merveilles qui s'opèrent par la puissance et la per-
fection de la consécration , qui s'observent dans la possession de ce
même corps, et que nous possédons encore après la consécration. La
première merveille qui s'opère dans la possession du corps du Sei-
gneur, c'est qu'une chose aussi grande que l'est le corps du Seigneur,
soit contenue sous l'apparence d'un si petit pain ; on donne de cela
trois raisons. La première raison, c'est la manifestation de la gran-
deur de la sagesse de l'auteur d'une chose si merveilleuse, à savoir de
l'Esprit saint. Nous voyons en effet que plus les artistes sont habiles
dans l'art de sculpter, plus les images qu'ils sculptent sont petites et
teraque blanditiis delinivit, » qui mundi
prospéra, peccata levia, longam vitam false
promittit. III Reg., XXII, dicit Michaeas :
« Egressus spiritus , ait , ego decipiam
Achab. Egrediar, et ero spiritus mendax
in ore omnium Prophetarum ejus, qui di-
cebant régi : Ascende in Ramoth Galaad,
et vade prospère, et tradet Dominus ini-
micos tuos in manus tuas , et in hoc est
deceptus. Ingressus enim prœlium, quidam
percussit eum casu sagitta inter pulmo-
nem et stomachum, et graviter vulneratus,
mortuus est vesperi. »
GAPUT XIII.
De tribus mirabilibus, quœ considerantur
in corporis possessione.
« Venite , comedite. Mirabilia opéra
tua, » etc. Hic dicendum est de tribus mi-
rabilibus, quœ fiunt virtute et perfectione
consecrationis, et attenduntur in ejusdem
possessione, et post consecrationem adhuc
nobiscum habemus. Primum mirabile si-
gnum , quod in possessione dominici cor-
poris magna res , scilicet corpus Domini,
continetur sub tam parva specie panis, cu-
jus assignatur triplex ratio. Prima ratio
est demonstratio magnitudinis sapientiae
artiticis tantae rei, scilicet Spiritus sancti.
Videmus enim quod artifices, quanto sunt
in arte sculpendi peritiores, tanto sculpunt
SUR LE SACREMENT DE L' AUTEL. 505
délicates. Ce qui fait que si l'on présente aux artistes une pierre pré-
cieuse , ou un morceau de métal fort petit, et qu'on les prie d'y faire
une fort petite figure, l'artiste moins habile répondra, qu'il ne lui est
pas possible de la faire, pendant qu'un artiste fort habile l'y fera faci-
lement. Ainsi pour prouver la sagesse du Saint-Esprit, il lui est facile
de faire que le corps de Jésus-Christ tout entier réside sous la plus
petite espèce de pain. C'est pour cela qu'il est écrit au livre de la Sa-
gesse, ch. VII : « Il est dit de l'Esprit saint qu'il est subtile. » Il n'est
pas possible en effet de placer sur l'autel une parcelle de pain si petite,
qu'il ne sache et qu'il ne puisse la convertir au vrai corps de Jésus-
Christ. Saint Damascène expliquant ces paroles : à Comment cela se
fera-t-il, dit la Vierge, parce que je ne connois aucun homme, l'ange
lui répondit : l'Esprit saint viendra en vous, etc.. » dit : « Et vous,
vous demandez comment le pain se change au corps de Jésus-Christ ;
et moi je vous dis : Le Saint-Esprit viendra, et il opérera lui-même
ce prodige qui surpasse à la fois et la nature et l'intelligence. »
La seconde raison pour laquelle il en est ainsi , c'est la parité qui
existe entre la puissance de Jésus-Christ et celle de Dieu. TouVce que
peut en effet par nature le Fils de Dieu , le Fils de l'homme ïe peut
pareillement en vertu de l'unité de personne. On lit dans saint Mat-
thieu, ch. ult. : « Tout pouvoir m'a été donné, etc. » Saint Ambroise
expliquant ces paroles : « Celui-ci sera grand, et il sera appelé le Fils
du Très-Haut, » s'exprime ainsi : « C'est pourquoi il sera grand non pas
parce qu'il ne l'aura pas été avant»l'enfantement de la Vierge; mais il
le sera, parce qu'il recevra dans le temps la puissance qu'il avoit natu-
rellement avant le temps comme Fils de Dieu; parce que comme le Fils
de Dieu et le Fils de l'homme seront confondus dans une seule personne;
de même il n'y aura qu'une seule et même puissance du Fils de Dieu et
jdeThomme : mais le Verbe Fils de Dieu a reçu du Père la puissance de
imagines subtiliores. Unde si artificibus os-
tenditur gemma vel metalli maleria valde
parva, et rogetur in ea imago fieri subti-
lissima, minus subtilis artifex respondebit,
quod eam facere non possit, quod maxime
subtilis in arte facile facit. Sic ad demons-
trandam sapientiam Spiritus sancti, sub
minima specie sacramenti facile esse, facit
totum corpus Christi. Hinc Sap., VII :
« Spiritus sanctus dicitur esse subtilis. »
Non enim potest ei tam subtilem partem
panis proponere in altari , quin sciât et
possit eam in verum corpus Christi conver-
tere. Damascenus : « Quomodo fiet hoc, ait
Virgo, quoniam virum non cognosco. Res-
pondit : Spiritus sanctus superveniet in
te, etc., et tu quœris, quomodo panis Hat
corpus Christi ? Et ego dico tibi , Spiritus
sanctus superveniet, et ipse faciet haec,
quœ super naturam sunt et super intelli-
gentiam. » Secunda ratio ad idem est si-
militudo potentiœ Christi cum potentia
Dei. Quicquid enim potest Dei Filius per
naturam, hoc potest Filius hominis propter
personae unitatem. Matth., ult. : « Data
est mihi omnis potestas , » etc. Ambrosius
super illud : « Hic erit magnus, et Filius
Altissimi vocabitur. Non ideo erit magnus,
quod ante partum Virginis magnus non
fuerit, sed quia potentiam , quam Dei Fi-
lius ante tempora naturaliter habuit , hic
erit ex tempore accepturus, quia sicut m
unam personam, ita in unam potentiam
conveniunt Dei Filius et hominis ; sed Dei
Filius verbum, Patris illam habuit poten-
tiam, quod minima parte corporis . opère
506 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 13.
se revêtir et de s'enfermer sous cette partie infiniment petite du corps
de la Vierge qui en fut séparé par la puissance du Saint-Esprit; comme
le prouvent ces paroles : « Et le Verbe s'est fait chair. » Donc le Christ-
homme a reçu un semblable pouvoir, à savoir le pouvoir de renfermer
son corps sous la plus petite espèce de pain. On lit , Psaume XCVIII :
« Le Seigneur est grand dans Sion. » Sion s'interprète d'un miroir,
comme le disent Papias et saint Augustin. Il n'y a pas de doute qu'une
image ne soit aussi fidèlement et aussi intégralement reproduite par
lin petit que par un grand miroir. On dit donc, le Seigneur est grand
dans Sion ; c'est-à-dire dans un miroir, parce que c'est avec justesse
que l'on croit que le vrai corps de Jésus-Christ est aussi intégralement
sous la plus petite espèce du pain que sous la plus grande.
La troisième raison pour laquelle il en est ainsi; c'est qu'il y a ici une
cause suffisante d'atteindre la fin du sacrement. La fin du sacrement,
c'est de nourrir spirituellement l'ame fidèle , de la fortifier dans le
bien, et deTâ*prémunir contre le mal. Le corrjs_de Jésus-Christ est la
cause efficiente qui doit produire cet effet"; et il peut tout aussi bien le
produire sous une petite espèce de pain que sous une grande , parce
qu'il est aussi bien uni à Dieu sous l'une que sous l'autre, et que c'est
de lui que découle toute la force du sacrement. Quelque petite en eiïet
que soit l'espèce du pain , le corps de Jésus-Christ y est tout entier
par conversion, son sang par connexion, son ame par conjonction,
el sa divinité tout entière par union; ce qui fait qu'il a tout ce
qu'il faut pour nourrir spirituellement, et pour conforter l'ame. On lit
dans l'Exode, chap. XVI : « Celui qui avoit moins recueilli de manne
en trouve autant que celui qui en avoit plus recueilli. » Saint Hilaire
dit :«Là où se trouve une partie du corps, c'est-à-dire la plus petite
partie du sacrement; là est le corps tout entier.» Il y a pour le corps du
Seigneur la même raison que pour la manne, qui le précéda et qui en
Spiritus sancti de virtute separata se vesti-
vit , et illi se inclusit , secuudum illud :
« Verbum caro factum est. » Ergo simi-
lem potestatem dédit homini Ghristo, sci-
licet ut possit facere corpus suum esse sub
minima panis specie. Psalm. XCVIII :
« Dominus in Sion magnus. » Sion inter-
pretatur spéculum, ut dicit Papias et Au-
gustinus. Et dubium non est, quod magna
imago tam expresse, tam intègre apparet
in parvo speculo, sicut in magno. Magnus
ergo Dominus in Sion , id est in speculo,
esse dicitur, quia verum corpus Christi
tain integraliter esse sub parva specie panis
sicut sub magna recte creditur. Tertia ra-
tio ad idem , est sufiieiens causa ad iinem
sacramenti. Finis sacramenti est anirnam
iîdelem spiritualiter cibare , et contra raa-
lum et ad bonum confortare. Causa hujus
efficiens est corpus Christi , et id potest
tam plene esse sub specie panis parva, sic-
ut sub magna, quia sub utraque aequaliter
unitum est Deo, ex quo fluit omnis virtus
in sacramento. Quantacumque enim parva
sit species illa panis, ibi est totum corpus
Christi per conversionem, sanguis per con-
nexionem, anima per conjunctionem et di-
vinitas intégra per unionem : uude certum
est, quod habet plenam rationem cibaridi
spiritualiter et confortandi animam. Exod.,
XVI : « Qui minus collegerat non reperit
minus de manna , quam qui plus cofiege-
rat. » Hilarius : « Ubi pars corporis, id est
minirna pars sacramenti, ibi est et totum
corpus. » Eadem enim ratio est in corpore
Domini, quse in manna, quod in ejus figura
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 507
étoit la figure, et de laquelle il est dit : « Celui qui en recueille plus
n en a pas davantage , et celui qui en avoit moins préparé en a au-
tant. » Ce n est pas la quantité visible qu'en ceci il faut apprécier, mais
bien la vertu spirituelle ; ce qui fait que celui qui consacre beaucoup
de pains ou qui en consacre un grand ne reçoit rien de plus que le
vrai corps de Jésus-Christ pour son salut.
Le second prodige qu'il faut ici considérer, c'est que le seul et
même corps se trouve en plusieurs lieux à la fois; et ceci se prouve de
trois manières. 1° On le prouve par les paroles suivantes du prophète
Jalachifi^chap. I, adressées aux Juifs : « Mon affection n'est point en
vous, dit le Seigneur, je ne recevrai point de présents de votre main
Car depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, mon nom est grand parmi les
nations, et Ton me sacrifie en tous lieux, et l'on offre a mon nom une
oblation toute pure. » Il exprime ici plusieurs lieux et il ne parle que
d'une seule oblation .pure, son Fils. On lit dans l'Exode, chap. X\ :
« Partout où l'on conservera le souvenir de mon nom, je viendrai
vers vous, et je vous bénirai. » Le souvenir du nom du Seigneur, c'est
le sacrifice de l'autel, à savoir le corps de Jésus-Christ, qu'il a ordonné
de consacrer en mémoire de lui; ceci se fait dans un grand nombre
d'endroits , et dans cette consécration vient un seul Seigneur pour
nous bénir.
2° Ceci se prouve par une raison péremptoire ; c'est que le Fils de
l'homme participe à la puissance du Fils de Dieu en vertu de l'union
de personne. Saint Ambroise dit : « Comme le Fils de Dieu et le Fils
de l'homme n'ont qu'une personnalité, ils n'ont de même qu'une seule
et même puissance. » Ce qui fait que comme le Fils de Dieu est par
essence ep toutes choses, il a pareillement été donné au Fils de
l'homme que son eorps pût être en plusieurs lieux sous le sacrement.
Saint Augustin dit : « On -doit entendre que lé corps de Jésus-Christ
prsecessit, de quo dicitur : Qui plus colle-
git, non habet amplius , neque qui minus
paraverat , habuit minus. Non enim aesti-
manda est quantitas in hoc visibilis , sed
virtus spiritualis : unde qui multum vel
magnum panem consecrat, non habet am-
plius quarn verum corpus Christi ad salu-
tem suam. Secundum signum mirabile est
quod unum et idem corpus est in pluribus
locis, in pluribus hostiis, in pluribus por-
tionibus ; et hoc probatur tribus modis.
Primo, per prophetam Malach., I , ad Ju-
daeos : « Non est mihi voluntas in vohis ,
ait Uominus , et munus non suscipiam de
manu vestra. Ab ortu enim solis usque ad
occasum , magnum nomen meum in gen-
tibus, et in omni loco sanctiiicatur, et of-
fertur nomini meo oblatio munda. » Ecce
loca plurima exprimit, et unam oblatio-
nem mundam fidelium dicit. Exod., XX :
« In omni loco, in quo fuerit memoria no-
minis mei, veniam ad te, et benedicam
tibi. » Memoria nominis Domini , sacrifi-
cium est altaris, scilicet corpus Christi,
quod iîeri jussit in commemcratinnem
ejus, hoc fit in multis locis et in hoc venit
unus Dominus ad benedicendum nobis. Se-
cundo, probatur hoc per manifestam ra-
fionem, quae est, quod filius hominis par-
ticipât potentiam Filii Dei propter personae
unitatem. Ambrosius : « Sicut in unam
personam , ita in unam potentiam conve-
iriunt Dei et hominis Filius. » Unde sicut
Dei Filius est essentialiter in omnibus ré-
bus ; ita dédit filio hominis, ut corpus ejus
sacramentaliter esse possit in pluribus lo-
508 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 13.
est dans un seul lieu; c'est-à-dire qu'il est au ciel, où il est monté à la
droite du Père; c'est-à-dire qu'il y est sous la forme humaine et visible.
Sa vérité toutefois, < 'est-à-dire sa divinité est partout. Quant à sa vé-
rité, c'est-à-dire son véritable corps, il est sacramentellement sur tout
autel où se célèbre le sacrifice. » Innocent III dit : « La profondeur
des conseils célestes a fait que, comme les trois personnes, à savoir le
Père, le Fils, et le Saint-Esprit, ne font qu'un par l'essence, de même
il a été statué que trois substances fussent confondues en unité de
personnel, à savoir la clivinité de Jésus-Christ, son corps et son.ame. »
Par conséquent, comme Jésus-Christ existoit de trois manières dans les
créatures en tant que Dieu, à savoir qu'il existoit en toutes choses par
essence, dans les seuls justes par la grâce, et dans l'homme dont il
s'est revêtu par union , il a voulu exister lui-même selon la nature
humaine de trois manières. Dans le ciel d'une manière locale, dans la
parole ou verbe personnellement , et sur l'autel sacramentellement.
D'où il suit que , comme il est par essence en toutes choses selon la
divinité , de même il est sacramentellement tout entier en plusieurs
lieux selon l'humanité.
3° On prouve la même vérité par une similitude visible , et qui se
produit pour tous devant un miroir. Car si vous placez plusieurs mi-
roirs en face de vous , votre visage sera intégralement et également
reproduit dans tous les miroirs ; et si vous brisez un de vos miroirs
en plusieurs petits morceaux , chacun de ces morceaux reproduira
pareillement d'une manière adaequate votre figure. Et, bien que le
miroir soit brisé en plusieurs morceaux, votre figure demeure pour-
tant une dans chacun de ces morceaux, et elle n'est pas changée. Il en
est absolument de même dans le sacrement de Jésus-Christ, que l'on
appelle le miroir et l'image de sa bonté. Par conséquent si le miroir,
c'est-à-dire la forme du pain est divisée en plusieurs parties, dans cha-
cis. Angustinus : « Intelligendum est cor-
pus Christi esse in uno loco, id est in cœlo,
ubi ascendit ad dexteram Patris, idest,
visibiliter in forma humana. Veritas ta-
raen ejus , id est , divinitas , ubique est.
Veritas tamen ejus, id est verum corpus,
in omni altari sacramentaliter est ubi ce-
lebratur. » Innocentius III : « Disposuit
cœlestis altitudo consilii , sicut très perso-
nae sunt in unitate essentiœ, scilicet Pater
et Filius et Spiritus sanctus, ita très essent
substantiae in unitate personee, scilicet di-
vinitas Christi, corpus et anima. Cum ergo
Christus secundum naturam divinam tribus
modis existeret in rébus, scilicet in omni-
bus per essentiam, in solis justis per gra-
tiam, in homine assumpto per unionem ,
voluit ut idem ipse secundum humanam
naturam etiam tribus modis existeret. In
cœlo localiter ; in verbo personaliter ; in
altari sacramentaliter. » Unde sicut secun-
dum divinitatem essentialiter est in omni-
bus rébus, ita secundum humanitatem sa-
cramentaliter totus est in pluribus locis.
Tertio, probatur idem per visibilem simili-
tudinem, quae cunctis in speculo declara-
tur. Nam si faciei tuae plura proponas spé-
cula, in omnibus aequaliter et integraliter
una apparebit faciès, et si unum spéculum
in plura frusta etiam parva confringas ,
perfecta tua faciès in singulis erit. Et licet
spéculum infringatur in plura , faciès tua
tamen manet in omnibus una, nec muta-
tur. Sic est rêvera in sacramento Christi,
quod spéculum dicitur, et imago bonitatis
illius. Si ergo spéculum, id est forma pa-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 509
cune de ces parties la forme se trouvera unie à Dieu , c'est-à-dire que
là se trouvera le véritable corps de Jésus-Christ. Saint Jérôme dit :
« Chacun des fidèles reçoit Jésus-Christ tout entier, et il se trouve tout
entier dans chaque partie ; il ne reçoit aucun amoindrissement de la
réception de chacun, mais il se donne tout entier à chaque individu. »
Le troisième prodige qui doit en ce point fixer noire attention, c'est
que le corps du Seigneur, bien qu'il soit en plusieurs lieux, dans plu-
sieurs hosties ou parties d'hosties à la fois, n'est nullement divisé par
parties , mais demeure tout entier et parfaitement uni en lui-même.
On lit, I Cor., chap. I : « Le Christ est divisé, » ce qui est abso-
lument comme s'il disoit, le Christ n'est pas divisé; car bien qu'il soit
localement dans le ciel, spirituellement dans le cœur du juste, en
plusieurs lieux sacramentellement, il ne forme cependant qu'un en
lui-même; et la raison de ce prodige, c'est l'union ineffable de l'homme
et de Dieu, de la chair et du Verbe. Il suit de là que, comme le Verbe
de Dieu est partout, et qu'il remplit et le ciel et le monde tout entier,
tout en restant un, il a accordé la même faculté au corps qu'il a pris de
la Vierge, et il l'a donné aux apôtres. La divinité qui est en effet par-
tout, remplit tout, elle fait de tout une seule chose , et elle fait que
comme elle n'est qu'un, de même la vérité du corps de Jésus-Christ
ne soit en réalité qu'un seul corps; Saint Augustin dit : « Quand nous
mangeons Jésus-Christ nous ne le divisons pas , mais il arrive dans le
sacrement, que chacun le reçoit véritablement tout entier. » Chacun
reçoit sa part dans le sacrement, et il demeure tout entier en lui-
même. Il demeure tout entier dans le ciel , et il demeure tout entier
dans votre cœur. Il étoit tout entier dans le Père quand il vint dans
la Vierge r il la remplit de lui-même, et il ne quitta pas le ciel. Il se
fit chair pour que les hommes le mangeassent, et il demeuroit tout
entier dans le Père, pour rassasier les anges. Nous devons donc dé-
nis in partes plures dividatur , in singnlis
erit unita Deo, id est verum corpus Christi.
Hieronymus : « Singuli fidelium accipiunt
Christum totum, et in singulis portionibus
totus est , nec per singulos minuitur , sed
integrum se prrebet in singulis. » Tertium
mirabile est, quod corpus Domini, licet sit
in pluribus locis, vel hostiis, aut portioni-
bus, tamen per partes non est divisum, sed
manet in se integrum et conjunctum.
I Cor., I : « Divisus est Christus ? » quasi
diceret, non est divisus, quia licet in cœlo
sit localiter, in corde justi spiritualiter, in
multis locis sacramentaliter ; tamen manet
in se conjunctus, et est hujus mirabilis roi
ratio, ineffabilis unio hominis et Dei, car-
nis et verbi. Uiide sicut verbum Dei ubique
est, et totum replet cœlum et mundum,
manens indivisum , sic dédit corpori quod
assumpsit de Virgine , et dédit Apostolis.
Divinitas enim quae ubique est, replet illud
et conjungit, et facit ut sicut ipsa una est,
ita veritas corpons Christi unum corpus sit
in veritate. Augustinus : « Quando man-
ducamus Christum, partes de illo non fa-
cimus , sed in sacramento lit hoc, unus-
quisque quod accipit. Accipit unusquisque
partem suam in sacramento, et manet to-
tus integer in seipso. Manet integer totus
in cœlo, manet integer totus in corde tuo.
Totus enim erat apud Patrem quando venit
in Virginem, implevit illam, non recessit
ab illo. Venit in carnem, ut eum homines
manducarent , et manebat integer apud
510 OPUSCULE LVII, CHAHTRE 14.
mander au Seigneur clans nos prières que , bien que divisés les uns
des autres corporellement, nous soyons toujours spirituellement unis
dans la charité , et qu'il nous rassasie dignement par son sacrement
dans la vie présente et qu'il nous comble de la plénitude de sa vue
avec les anges dans la vie future. Ainsi soit-il.
CHAPITRE XIV.
Des trois merveilles qui s'opèrent dans la perception du corps de
Jésus-Christ.
« Venez, mangez, etc.. Vos œuvres sont admirables, etc.. » Nous
allons ici traiter des trois dernières merveilles qu'il faut considérer
relativement à la perception du corps de Jésus-Christ. La première
merveille , c'est que le corps du Seigneur, quand on le mange , n'en
souffre aucun amoindrissement, et cette proposition est contre les hé-
rétiques qui soutiennent que quand même le corps du Seigneur eut été
aussi grand qu'une montagne, les clercs l'auroient absorbé tout entier.
Le prodige si étonnant de l'inconsumptibilité du corps de Jésus-Christ
dans la manducation peut s'interpréter parles trois raisons suivantes.
La première de ces raisons, c'est le pouvoir de consacrer tous les jours ;
car nous pouvons, d'après le précepte de Jésus-Christ, consacrer tous les
jours et dans tous les lieux où il y a des fidèles, sous tout autant d'hosties
qu'il en faut pour les fidèles, son vrai et unique corps; c'est pourquoi
quand nous le mangeons, nous ne pouvons ni le consumer, ni même
le diminuer quant à la quantité. Car comme le salut éternel qui est le
fruit de la manducation de ce corps est toujours en nous une cause
de le manger; comme l'effet qu'il produit en nous subsiste toujours ,
il doit en être de même du pouvoir de le consacrer; et lorsque nous
le mangeons après qu'il a été consacré, nous ne l'amoindrissons nul-
Patrem, ut angelos pasceret. Rogandus est
ergo Dominus , licet simus corporaliter ab
invicem divisi , ut simus semper spiritua-
liter in charitate conjuncti, et digne nos
pascat in prsesenti suo sacramento, et plena
cum angelis sui visione in futuro. » Amen.
GAPDT XIV.
De tribus mirabilibus , in corporis Christi
perceptione.
« Venite, comedite, etc. Mirabilia opéra
tua, » etc. Hic est dicendum de tribus ul-
timis considerandis in corporis Christi per-
ceptione. Primum mirabile est , quod cor-
pus Domini dum manducatur, non rainui-
tur. Et hoc est contra hœreticos , qui di-
cunt : Si corpus Domini omni monte ma-
jus esset5 jam diu clerici illud cor.sump-
sissent. Hujus tam mirae rei, scilicet in-
consumptibilitatis corporis Christi in man-
ducatione , triplex est ratio. Prima ratio
est quotidiana potestas consecrandi ; nam
quia omnibus diebus et omnibus fidelium
locis, et sub tôt hostiis quot sufïicîunt fi-
delibus , verum et unicum corpus Christi
ex prœcepto ejus consecrare possumus, id-
circo dum illud manducamus , consumere
vel minuere non valemus. Sicut enim in
nobis causa salutis aeternse semper manet
effectus illud manducaudi, sic et potestas et
eiFectus consecrandi, et cum jam consecra-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. M\
lement; parce que ce qui demeure toujours véritablement entier en
soi, pour ne pas manquer dans l'Eglise, doit continuellement être
conservé sous la forme du pain , et nous conservons le sacrement en
le renouvelant et comme en le nourrissant ; les pains de propositions
sont de ceci une figure admirable. On lit dans l'Exode , chap. XXV :
« Placez continuellement sur ma table en ma présence les pains de
proposition. » Et comme il est écrit dans le Lévitique, chap. XXIV :
« Vous prendrez douze pains et vous les placerez sur ma table, pour
qu'ils soient un souvenir de l'oblation du Seigneur; par une alliance
éternelle on les changera à chaque sabbat. » Il en est dit autant du
feu dans le Lévitique , chap. VI : « Le feu brûlera toujours sur mon
autel, le prêtre l'alimentera , et il y mettra du bois chaque matin. »
Ce feu brûlera toujours sur l'autel, mais cet autel des Juifs manquera
avec les pains, et le feu manquera avec l'autel. Quoi donc? Dieu a-t-il
menti ! assurément non, mais l'ombre s'évanouit , la vérité persévère
dans la synagogue , elle se conserve aussi dans l'Eglise. Car notre
prêtre entretient toujours le sacrement par la consécration, et le corps
de Jésùs-Ghrist qui dans ce sacrement demeure toujours le même, ne
s'épuise jamais par la manducalion des fidèles.
La seconde raison de Vinconsumptibilité du corps de Jésus-Christ,
c'est l'incorruptibilité véritable de ce même corps, qui est ressuscité
glorifié, immortel, immuable et impassible, et qui ne peut pas se cor-
rompre. On lit, Psaume XV : « Vous ne laisserez pas votre saint se
corrompre. » C'est ce qui fait que quand nous le mangeons, il ne se
corrompt pas comme toute autre espèce de nourriture, mais il déverse
en nous un aliment spirituel sans se corrompre lui-même. Une figure
parfaite de cette incorruptibilité , c'est ce qui se lit au troisième livre
des Rois, chap. XVII , où il est parlé de cette petite quantité de farine
tum manducamus , nequaquam illud mi-
nuimus; quia quod semper in se veraciter
integrum persévérât, ne sacramentaliter in
Ecclesia possit deficere, semper consecran-
do in forma panis, quasi sacramentum nu-
triendo et renovando conservamus; quod
pulchre figuratum est in panibus proposi-
tionis. Exod., XXV : « Pone super men-
sam meam panes propositionis in conspectu
meo semper. » Et quomodo dicitur Levit.,
XXI V : « Accipies panes duodecim , et
statues eos super mensam meam , ut sint
panes in monimentum oblationis Domini.
Per singula sabbata mutabuntur fœdere
sempiterno. » Similiter de igné dicitur,
Levit., VI : « Ignis in altari meo semper
ardebit, quem nutriet sacerdos, subjiciens
ligna mane per singulos dies. » Ignis iste
nunquam deficiet in altari, sed mensa illa
Judaeorum cum panibus, et ignis cum al-
tari déficit. Quid ergo ? mentitus est Deus ?
Absit, sed umbra déficit , in synagoga Ve-
ritas manet, nec déficit in Ecclesia. Sacer-
dos enim noster semper sacramentum al-
taris consecrando nutrit, et corpus Christi,
quod in illo semper idem est, nunquam
manducatione fidelium déficit. Secuuda ra-
tio est incorruptibilitas vera corporis hu-
jus, quod surrexerit glorificatum, immor-
tale, immutabile* et impassibile, nec potest
corrumpi. Psalm.XV : «Non dabissanc-
tum tuum videre corruptionem. » Unde
cum dlud manducamus , non sicut alius
cibus corrumpitur, nec mutatur in corpus
nostrum, sed influit nobis sine corruptione
sui spirituale nutrimentum. Hoc figuratur
III Reg., XVII : « Ubi pugillus farinae non
déficit in domo viduae, per multos dies ci-
512 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 14.
qui restoit dans la maison de la veuve, et qui conformément aux pa-
roles d'Elie servit à nourrir pendant longtemps sa famille tout en-
tière. Saint Augustin dit : « Celui qui me mange, dit le Seigneur, vivra
pour moi; » car quand on mange ce pain, on mange la vie; on ne lui
donne pas la mort en le mangeant, il ne tue pas, mais il vivifie les
morts. Il vit quand il est mangé, parce qu'il est ressuscité après avoir
été mis à mort. « On le compare encore pour cette raison à la pierre
précieuse , de laquelle il s'échappe une vertu ; comme de mettre en
fuite les fantômes, de dissiper les tumeurs ou d'opérer d'autres choses
de ce genre, sans rien perdre de sa substance. On lit au Deutéronome,
chap. XXXII : «Il a établi l'homme pour sucer le miel de la pierre, et
tirer l'huile des plus durs rochers. »Mais Jésus-Christ était la pierre.
ICor., chap. X. Comme donc la pierre précieuse ne souffre aucun
amoindrissement tout en répandant sa puissance ; de même le corps
de Jésus-Christ en nous nourrissant ne perd rien non plus.
La troisième raison de l'inconsumptibilité du corps de Jésus-Christ,
c'est la cause infinie de nourrir; ceux en effet qui peuvent s'approcher
de lui, trouvent de quoi se nourrir, ce qui fait qu'on l'appelle une
fontaine, la lumière véritable. On lit dans la Genèse de la première ,
/îhJLI : « Une fontaine mon toit de la terre; » c'est-à-dire Jésus-Christ .(Le
Commentaire ajoute : « Arrosant la surface delà terre tout entière \ »
c'est-à-dire, soufflant dans le cœur des inspirations utiles et honnêtes.
Il est écrit dans Jérémie, en. II : « Ils m'ont abandonné moi la source
d'eau vive. » De la seconde, il est dit dans saint Jean, chap. I : « Il
étoit la lumière véritable, etc.. » Donc, comme la fontaine arrose la
terre, et qu'elle nourrit, sans rien perdre de son abondance, des herbes
et des arbres sans nombre ; de même Jésus-Christ nourrit son Eglise.
Pareillement, comme le soleil ne perd rien de sa propriété tout en
éclairant le monde tout entier, de même Jésus-Christ conserve son in-
tégrité en nourrissant l'Eglise tout entière. On peut aussi prendre
bans familiam totam, juxta verbum Elise. »
Augustinus : « Qui mandueat me , dicit
Dominus, vivet propter nie. Quanclo enim
manducatur hic panis , vita manducatur,
nec occiditur quando manducatur ; non
occidit, sed mortuos viviiicat. Vivit man-
ducatus, quia surrexit occisus. » Hinc etiam
lapidi pretioso comparatur , de quo virtus
exit, ut phantasmata fugandi vel inflationes
sedandi , vel alia sine diminutione sui.
Deut., XXXII : « Constituit hominem ut
sugeret mel de petra , oleumque de saxo
durissimo. » « Petra autem erat Christus, »
I Cor., X. Sicut ergo gemma, virtutem
suam eflïmdendo, non minuitur : sic cor-
pus Domini nos pascendo non minoratur.
Tertia ratio ad idem, infinita causa pas-
cendi, qui enim ad eum accedere possunt,
pastum suffîcienter inveniunt, hinc fons et
lux vera dicitur. De primo, Gen., II : « Fons
ascendebat a terra, » id est Christus. Dicit
Glossa : « Irrigans universam superficiem
teme , id est inspirans cordi utilia et ho-
nesta. » Jerem., II : « Dereliquerunt me
fontem aquœ vivae. » De secundo , Joan.,
I : « Erat lux vera, » etc. Sicut ergo fons
terram rigat , et sine sui diminutione her-
bas innumeras et arbores nutrit, sic Chris-
tus Ecclesiam pascit. Item , sicut Sol non
déficit toti mundo lumen suum commu-
nicando, sic nec Christus Ecclesiam totam
pascendo. Item, exemplum de candela, in
SUR LE SACREMENT DE L' AUTEL. 513
par exemple le feu d'une chandelle , de laquelle on peut prendre des
milliers de fois autant de feu qu'elle en a, sans pour cela diminuer sa
lumière. Donc à plus forte raison, le Christ nous nourrit de son propre
corps sans rien perdre pour cela. On lit, Psaume CXLIV : « Les yeux de
tous les hommes espèrent en vous, Seigneur, » on lit encore, Psaume
CI : « mais vous êtes vous-même, etc.. »
La seconde merveille qui s'opère dans la perception du corps du
Seigneur, c'est qu'il diminue en quelque sorte si on ne le mange pas.
Pour comprendre une merveille si extraordinaire, il nous faut savoir
qu'il y a deux corps mystiques dans ce monde ; ce sont : le corps mys-
tyque de Jésus-Christ , et le corps mystique du démon ou antechrist ;
tous les hommes qui sont sur la terre appartiennent a l'un de ces corps!
Le corps mystique de Jésus-Christ, c'est la sainte Eglise, elle est comme
son épouse chaste et fidèle ; il est son chef, et chacune des personnes
des fidèles exempts de péchés graves sont ses membres , et tous ceux
qui reçoivent dignement son corps deviennent ses propres membres.
On lit, I Cor., chap. X : « Nous ne sommes- tous ensemble qu'un seul
corps, parce que nous participons tous au même pain. » Le corps mys-
tique du démon , c'est l'ensemble des méchants; il lui sert comme
de nourrice adultère , il est le chef de ce corps, et chaque personne
méchante est un de ses membres. Job dit, chap. XLI : « Son corps est
semblable à des boucliers d'airain fondu , et couvert d'écaillés qui se
serrent et qui se pressent. «Saint Grégoire dit : «Le corps du démon,
ce sont tous les méchants , qui, à cause de leur endurcissement qui
vient de leur obstination et de la fragilité de leur vie, sont comparés à
des boucliers d'airain fondu. » Il importe de savoir que comme le
Christ par lui-même et par les siens s'applique continuellement à re-
trancher les membres du démon , et à les incorporer à ses propres
membres, ainsi que nous l'apprennent les paroles suivantes du Livre
qua millesies tantus ignis sumi potest,
quantus in ea est, nec propter hoc minui-
tur lumen ejus. Igitur multo potius Do-
minus nos seipso pascit, nec tamen déficit.
Psalm. CXLIV : « Oculi omnium in te
sperant, Domine. » Idem, Psalm. CI : « Tu
autem ipse es, » etc. Secundum mirabile
signum in perceptione corporis Domini est,
quod si non manducatur, quodam modo
minuitur. Ad intelligentiam tam mirœ rei
sciendum quod duo sunt corpora mystica
in hoc mundo, scilicet corpus mysticum
Christi , et corpus mysticum diaboli , sive
Antichristi, ad quorum alterum pertinent
omnes hommes mundi. Corpus mysticum
Christi sancta est Ecclesia, tanquam ipsius
munda et fidelis sponsa, cujus ipse caput
V.
est, et singulœ personae iidelium sine culpa
criminali sunt ipsius membra, et omnes
qui corpus ejus digne sumimt, ipsius mem-
bra fiunt. I ad Corinth., X : « Unum cor-
pus multi sumus, qui de uno pane partici-
pamus : » Corpus diaboli universitas est
iniquorum, tanquam illius nutrix adultéra,
cujus ipse caput est, et singulœ personœ
malorum ejus membra. Job, XLI : a Cor-
pus ejus scuta fusilia compactum squamis
se prementibus. » Gregorius : « Corpus
diaboli sunt omnes iniqui , qui , quia per
obstinationem duri sunt , et per vitam fra-
giles, scutis fusilibus comparantur. » Scien-
dum, quod sicut Christus per se, et per
suos semper studet membra diaboli praes-
cindere, et suis membris incorporare, se-
33
514 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 14.
des Actes, ch. III : « Levez-vous, Pierre, tuez et mangez; » de même,
le démon fait par lui-même ou par les siens tous ses efforts pour en-
lever les membres de Jésus-Christ , et les unir aux membres dégoû-
tants de sa prostituée. On lit, I Petr., chap. V : « Soyez sobres et veil-
lez, etc...,» et dans le Deutéronome, ch. XXXI : « Ce peuple deviendra
fornicateur à la suite des dieux étrangers, il m'abandonnera. » Il est
écrit I Cor., chap. VI : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les
membres de Jésus -Christ. Arracherai-je donc à Jésus -Christ ses
propres membres , pour en faire les membres d'une prostituée ? »
C'est comme s'il disoit : A Dieu ne plaise que je me rende cou-
pable d'un si grand forfait. C'est pourtant, hélas! ce dont se rendent
coupables un grand nombre de personnes. Saint Augustin dit : « Ils
ne peuvent pas être en même temps membres de Jésus- Christ, et
membres de la prostituée. On ne doit pas dire d'eux qu'ils mangent
spirituellement le corps de Jésus-Christ, quand bien même ils le man-
geroient sacramentellement. Mais ils ne mangent pas spirituellement
le corps de Jésus-Christ , et en vivant mal , ils enlèvent à Jésus-Christ
ses membres, et ils en font les membres du démon, et par conséquent
ils diminuent autant qu'ils le peuvent le corps de Jésus-Christ. Ce que
le démon gagne sur les âmes , Jésus-Christ le perd ; et ainsi le corps
mystique de Jésus-Christ s'amoindrit. »
La troisième merveille qui s'opère dans la perception du corps de
Jésus-Christ, c'est que quand les fidèles le mangent, il augmente.
On prouve cette vérité de deux manières ; et par la raison , et par une
comparaison. Et d'abord on la prouve par cette raison : c'est que
quand on mange le corps de Jésus-Christ , on ne le convertit pas en
son propre corps comme cela se pratique pour les autres aliments,
au contraire, celui qui le mange véritablement, se convertit et se
change spirituellement en lui; car le Seigneur fait membre de son
\
cundum illud Actor., II: « Surge, Petre,
occide et manduca : » sic diabolus per se
et per suos conatur membra Ghristi tôliè-
re, et membris suœ meretricis vilibus uni-
re. I Petr., V : « Sobrii estote, et vigilate,»
etc. Deuter., XXXI : « Populus iste forni-
cabitur post deos alienos , derelinquet
me. »I ad Corinth., VI : « Nescitis, quo-
niam corpora vestra membra sunt Christi ?
Tollens ergo membra Ghristi, faciam mem-
bra meretricis ? » quasi diceret : Absit, ut
faciam tantum nefas. Quod. tamen, heu !
multi faciunt. Augustinus : « Non possunt
simul esse membra Christi, et membra me-
retricis. Nec dicendi sunt manducare cor-
pus Christi scilicet spiritualiter , etsi man-
ducant sacramentaliter. Sed non mandu-
cando spiritualiter corpus Christi, et maie
vivendo, tollunt Christi membra, et faciunt
ea. membra diaboli, et sic diminuunt, quan-
tum in se est , corpus Christi. Quod enim
diabolo in animabus accrescit , Christo de-
crescit. Et sic corpus Christi mysticum
diminuitur. » Tertium mirabile signum in
perceptione Domini corporis est, quod
dum manducatur a lidelibus, tune augmen-
tatur. Hocprobatur dupliciter, ratione, et
similitudine. Primo, probatur ea ratione
quod dum manducatur corpus Christi, non
ipsum ut alius cibus in manducantem con-
vertitur, sed econverso vere manducans, in
aliud spiritualiter convertitur et mutatur.
Nam manducantem se Dominus sui corpo-
ris mystici membrum facit sibi , eum et
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 515
corps mystique celui qui le mange , et il se l'incorpore avec le corps
qu'il a pris de la Vierge, il n'en fait en quelque sorte qu'un seul corps.
« Bien que nous soyons plusieurs qui participons au pain, nous ne fai-
sons qu'un seul corps. » On lit encore , I Cor., XIV : « Vous êtes le
corps de Jésus-Christ et les membres les uns des autres. » Saint Au-
gustin dit : « Jésus-Christ a confié à ce sacrement son corps et son
sang, et nous a fait nous-mêmes son corps; car nous sommes devenus
nous-mêmes son corps. » Notre chair en effet est unie à sa chair, elle
lui est incorporée, notre corps ne fait qu'un avec le sien. On lit'dans
Osée , chap. ult. : « Ils se convertiront, et ils se reposeront sous son
ombre, ils vivront de pur froment; » ce qui est comme s'il disoit : les
fidèles vivront du pur froment, c'est-à-dire du sacrement du corps du
Seigneur. Ce sacrement s'appelle l'ombre de Jésus-Christ , parce que
dans ce sacrement il ne se donne pas dans la splendeur de sa lumière,
mais sous un voile; ceux qui le mangent dans cet état se convertiront,
parce qu'ils seront changés au corps de Jésus-Christ. Il est par con-
séquent démontré que , si un grand nombre de fidèles mangent le
corps de Jésus-Christ, ils sont changés en ce corps, et deviennent
les membres de ce même corps , et que le corps de Jésus-Christ, loin
de diminuer quand on le mange, prend de l'accroissement. Seconde-
ment, on prouve cette vérité en la comparant à la science humaine;
car plus un homme répand les sciences qu'il possède, plus aussi cette
science s'accroît. On lit dans saint Matthieu, chap. XXV : « Seigneur,
vous m'avez donné cinq talents, en voici cinq autres, etc. . . » La science,
dit Boëce, est une noble propriété de l'esprit, qui dédaigne le posses-
seur avare. Si on ne la publie pas, elle s'en va, si on la répand au
contraire, elle prend de l'accroissement. De même la sagesse divine
incarnée, donnée en nourriture, fait des sages, et elle change en quel-
que sorte en elle ceux qui la reçoivent; ce qui fait que loin de dimi-
incorporans cum suo corpore, quod de Vir-
gine sumpsit, quodammodo unum efficit. I
ad Corinth., XII : « Unum corpus multi
sumus, qui de uno pane participamus. »
Idem I Corinth., XII : « Vos estis corpus
Christi, et membra de membro. » Augusti-
nus : « Commendavit Ghristus in hoc sa-
cramento corpus et sanguinem suum, quod
et fecit nosipsos : nam, et nosipsi sumus
facti corpus ejus. Caro enim nostra carni
ejusunila et incorporata, unum cum illo
eiïicitur. » Osée : « Convertentur sedentes
in umbra ejus, vivent tritico, » quasi di-
ceret : Fidèles vivent tritico, id est, Domi-
nici corporis sacramento. Quod sacramen-
tum dicitur umbra Christi, quia dat se ibi
non in sua luce, sed in velamine, quod sic
comedentes converterentur, quia in corpus
Christi mutabuntur. Et sic patet, dum
multi fidelium comedunt corpus Christi, et
in illud ipsi mutantur, et membra ejus effi-
ciuntur, quod corpus Christi dum mandu-
catur, augmentatur. Secundo, probatur
idem similitudine humanae scientiae : nam
quanto magis homo scientiam suam aliis
distribuit, tanto plus crescit. Matth.,XXV :
« Domine, quinque talenta tradidisti mihi :
ecce alia quinque,»» etc. lîoetius : « Scien-
tia est nobilis animi possessio, quœ avarum
dedignatur possessorem. Nisi enim pi il il i-
cetur, elabitur, et distributa suscipit incre-
mentum. » Similiter divina sapientia in-
carnata multis m cibum donata, sapientes
facit, et in se quodammodo couvertit, et
516 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 15.
nuer quand on la mange, elle augmente. Il est écrit dans l'Ecclésias-
tique , chap. I : « Le créateur de toutes choses a créé la sagesse par
l'esprit; à savoir qu'il l'a fait s'incarner, et il la donne selon le par-
tage qu'il en a fait à ceux qui l'aiment. » Ce qui fait que la sagesse
de Dieu croît tout en faisant croître en sagesse un grand nombre de
personnes. On lit, Ephes., chap. IV : « Que nous croissions en toutes
choses en Jésus-Christ , qui est notre tête , et c'est de lui qu'est com-
posé tout le corps dont les parties sont jointes ensemble ; » à savoir
par la foi , et liées par la charité , selon la mesure qui est propre à
chaque membre, afin qu'il se forme et s'édifie par la charité.
CHAPITRE XV.
Qualités de la préparation requise de nous pour recevoir ce sacrement.
« Venez, mangez... » Argument spécial. « Que l'homme s'éprouve
lui-même, etc. » I Cor. , ch. XI : «Que l'homme s'éprouve; » c'est-à-dire,
qu'il se prépare , qu'il s'examine , qu'il se purifie. Autre argument :
« Préparez vos cœurs pour le Seigneur, » I Rois., chap. VII. La qua-
trième chose qui mérite surtout de fixer notre attention relativement
à la réception du sacrement du corps du Seigneur, c'est la qualité
de notre préparation. Il est parfaitement juste que nous ne nous appro-
chions pas sans pr^ration et sans dévotion d'un aliment si digne
de respect et de vénération, et qui n'est autre que le Seigneur de tous
les hommes en personne; il faut au contraire que nous ne nous appro-
chions de lui qu'après nous y être préparés d'une manière conve-
nable. On lit dans l'Exode, chap. XIX : « Que les prêtres qui s'ap-
prochent du Seigneur se sanctifient , de peur qu'il ne les frappe ; » il
sic dum comeditur, non minuitur, sed
augmentatur. Ecoles., I : « Creator om-
nium creavit sapientiam spiritu, scilicet
incarnari fecit , et secundum datum suum
praîbet illam diligentibus se. » Et in hoc
sapientia Dei crescit, dum multos in sa-
pientia crescere facit. Ad Ephes., IV :
« Crescamus in illo per omnia, qui est ca-
put nostrum Christus : » ex quo totum
corpus compactum, scilicet per fîdem, et
connexum per charitatem , in mensuram
unius cujusque membri* augmentum cor-
poris facit in œdificationem sui in chari-
tate.
CAPDT XV.
De qualitale nostrœ prœparationù ad sacra-
menlum.
« Venite, comedite, » etc. Thema spécia-
le. « Probet autem seipsum homo, » etc.,
I Corinth., II. Probet, id est, praeparet se,
examinet, purget. Item, aliud thema :
« Prseparate corda \estra Domino. » I Ré-
gion, VIT. Quartum principaliter circa sa-
cramentum Dominici corporis notandum.
est qualitas nostrse prœparationis. Nam
valde justum est, ut ad tam dignum et ve-
nerandum cibum, scilicet ad ipsum Domi-
num omnium non incurate et indevote,
sed aliquo competenti modo praeparari ac-
cedamus. Exod., XIX : « Sacerdotes qui
accedunt ad Dominum, sanctificentur, ne
SUR LE SACREMENT DE L' AUTEL. 517
faut que les .autres en fassent autant. Notre préparation peut être con-
sidérée par rapport à trois choses. Elle peut l'être par rapport à la di-
gnité du corps sacré du Seigneur. Comme ce corps est d'une pureté
parfaite, qu'il est uni et qu'il est plein du Dieu vivant, il faut par con-
séquent que celui qui veut le recevoir s'y prépare par trois choses ;
à savoir par la plénitude de la foi. On lit épître aux Hébreux , ch. X :
« Approchons-nous de lui avec un cœur vraiment sincère, et avec une
pleine foi : »aiv:c un cœur sincère, c'est-à-dire, avec un intellect libre
de toute erreur; avec une foi pleine, c'est-à-dire, ayant une pleine foi
en ce que nous ne voyons pas, à savoir que sous l'espèce de pain se
trouve Jésus-Christ tout entier, le vrai homme et le Dieu véritable. Le
mérite immense de cette foi fait qu'il est dit, II Petr., ch. I : « Croyant
en Jésus-Christ que vous ne voyez pas, vous tressaillerez d'une iné-
narrable joie. » *
La seconde raison de nous préparer à le recevoir, c'est sa pureté
parfaite ; il convient en effet que le vase qui va recevoir un corps in-
finiment pur, soit pur lui aussi. Il est écrit dans l'Exode, chap. XXI :
« Prenez un vase , et mettez-y la main. » Un vase, comme étant pur
d'une manière particulière et parfaite. L'Apôtre dit à cette occasion,
Hebr., chap. IX : « Que ce vase est une urne d'or. » Il convient en
effet que le cœur qui doit recevoir le pain céleste , soit semblable par
sa pureté parfaite à l'or le plus épuré. Le pape Alexandre dit : « Il ne
peut rien y avoir dans les sacrifices de plus grand que le corps et le
sang de Jésus-Christ; nulle oblation ne lui est préférable, il l'emporte
sur toutes, il faut pour l'offrir une conscience pure, de même que pour
la recevoir, il faut un esprit sans souillures. » Hugues dit : c La con-
science est pure quand le passé n'offre aucune accusation juste qui
pèse sur elle, quand présentement elle n'est atteinte d'aucune délec-
tation injuste , et que pour l'avenir sa volonté est juste. » On Ut dans
percutiat eos, similiter et alii. » Praepara-
tio nostra considerari potest in tribus. In
dignitate ipsius corporis sacri. Nam quia
mundissimum et Deo vivo plénum et uni-
tum, necesse est illud suscipienti per tria
praeparari, scilicet per fidei plenitudinem.
Ad Hebr., X : « Accedamus cum vero
corde in fidei plenitudine : » cum vero
corde, id est, cum vero intellectu sive er-
rore. In plenitudine fidei , id est, in plena
fide credentes quae non videmus. scilicet
sub specie panis esse totum Christum, ve-
rum hominem, et verum Deum. Propter
hujus fidei magnum meritum , dicitur
II Pétri, I : « Credentes in Christum quem
non videtis, exultabitis laetitia inenarrabi-
li. » Secundum piœparativum est mundi-
tiee magnitudo, quia congruum est, ut vas
suscepturum corpus mundissimum , sit
mundum. Exod., XXI : « Sume vas unum,
et mitte manum ibi. » Vas unum quasi
singulariter et excellenter mundum. Hinc
Apostolus, Hebrœor., IX. Vas istuddicit esse
urnam auream. Decet enim cor quasi au-
rum esse purissimum per magnam mundi-
tiam, quod capere débet cœlestem panem.
Alexander Papa : « Nihil in sacriliciis ma-
jus esse potest quam corpus et sanguis
Christi, nec ulla oblatio hac potior est, sed
omnes praecellit, qua; pura conscientia of-
ferenda est, et pura mente sumenda. »
Hugo : « Pura conscientia est quando non
habet de prasterito justam accusationem ,
de praesenti injustam dclectationem , sed
de futuro justam voluntatem. » Mutth.,
XXV II : « Joseph petiit a Pilato corpus
518 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 15.
saint Matthieu, chap. XXVII : «Joseph demanda à Pilate le corps de
Jésus , et l'ayant reçu, il l'enveloppa d'un suaire sans tache. » Le Com-
mentaire ajoute : « Celui-là enveloppe le corps de Jésus d'un suaire
sans tache qui le reçoit dans une arae sans souillure. » C'est encore
pour cette raison que l'Eglise est dans l'usage de célébrer le sacre-
ment de l'autel sur un linge pur, et non sur la soie , ou une étoffe de
couleur. Par les trois choses qui rendent blanc le corporal de lin , on
entend, les trois choses qui procurent notre propre pureté. Premiè-
rement, on le lave, secondement, on le tord, troisièmement, on le fait
sécher. Si quelqu'un veut acquérir une pureté parfaite pour recevoir
le Seigneur, il doit d'abord se purifier par l'eau des larmes; seconde-
ment se tordre par les œuvres de la pénitence ; troisièmement sécher
l'humidité des désirs de la chair par la ferveur de l'amour de Dieu, Il
est dit de la première de ces choses, Hebr., chap. X : « Approchons-
nous de lui avec un cœur purifié des souillures de la mauvaise con-
science , après que notre corps a été lavé dans l'eau pure ; » c'est-à-
dire purifiés par les larmes des péchés du cœur et du corps. Il est écrit
dans l'Exode, chap. XXX : « Aaron et ses fils laveront leurs mains et
leurs pieds; » c'est-à-dire leurs œuvres et leurs pensées, dans l'eau de
la componction et de la confession , quand ils devront approcher de
l'autel, de peur qu'ils ne meurent. » Jérémie dit, chap. IV : « Jérusa-
lem, lave ton cœur de sa méchanceté pour que tu sois sauvée; jusqu'à
quand les pensées mauvaises persévéreront-elles en toi. » On lit,
Psaume XXXI : « J'arroserai chaque nuit, » c'est-à-dire pour chacun
de mes péchés, «mon lit, » c'est-à-dire ma conscience, etc.. Il est
dit de la seconde, Exod., chap. XXVI : « Vous ferez les courtines du
tabernacle, » c'est-à-dire les ornements de l'ame, « de fin lin retors, »
c'est-à-dire par les œuvres de la pénitence, les jeûnes, les prières, les
châtiments, » etc.. On lit, I Cor., ch. XII : « Je châtie mon corps, etc.»
Jesu. Et accepto corpore, involvit in sin-
done munda. » Glossa : « Sindone munda
involvit Jesum, qui pura inente eum sus-
cipit. » Hinc etiam mos ecclesiae habet, ut
sacramentum altaris non serico, non panno
tincto, sed puro linteo celebretur. In tri-
bus vero, quœ perducunt corporale lin-
teura ad eandorem, intelliguntur tria, quae
taciunt ad nostram mundificationem. Pri-
mo enim lavatur, secundo torquetur, ter-
tio exsiccatur. Siquisad suscipiendum Do-
minum bene inundus vult fieri, primo dé-
bet per aquam lacrymatum emundari :
secundo, per opéra pœiiitentiae torqueri :
tertio, per fervorem amoris Dei a carna-
lium desideriorum humore siccari. De pri-
mo, Ad Hebr., X : « Accedamus aspersi
corda a conscientia mala, et abluti corpus
aqua munda, id est , mundati lacrymis a
peccatis cordis et corporis. » Exod., XXX :
« Lavabunt Aaron et filii ejus manus et pe-
des, » id est, opéra et cogitationes, « aqua
compunctionis, et confessionis, quando ac-
cessuri sunt ad altare, ne moriantur. » Je-
rem., IV : « Lava a malitia cor tuum Jé-
rusalem, ut salva fias, usquequo morabun-
tur in te cogitationes noxiae? » Psaltn.
XXXI : « Lavabo per singulas noctes, » id
est, prosingulis peccatis, « lectum meum, »
id est, conscientiam , etc. De secundo,
Exod., XXVI : « Cortinastabernaculi, » id
est, ornatus animœ , « faciès de bysso re-
torta, idest, de operibus pœnitentiae, jeju-
niis, orationibus, ai'flictionibus , et hujus
modi. » Ad Corint/i., IX : « Castigo corpus
meum, » etc. Eccles., XXXIll : Servo ma-
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 519
Dans l'Exode, chap. XXXIII : «Au serviteur malveillant, » c'est-à-dire
au corps la torture et les chaînes; « appliquez-le au travail, pour qu'il
ne soit pas oisif. » Dans le Psaume XXXIII : « Les tribulations des
justes sont nombreuses. » Il est écrit de la troisième , Ps^ujneJJII :
« ILajdacé satente dans le soleil^) et c'est afin de se sécher par l'a-
mour divin, afin de devénifentierement pur et beau; dans le Cantique
des Cantiques, ch. IV : « Vous êtes toute belle ma bien-aimée, etc...,»
et c'est parce que vous êtes bien lavée, bien tordue et bien séchée. On
lit dans le livre des Nombres, chap. IX : « Sanctifiez-vous , demain
vous mangerez des viandes. »
La troisième raison de nous préparer, c'est la dévotion ou le dévoue-
ment de la prière. On lit, Psaume CIY : « Ils demandèrent et le Sei-
gneur leur envoya des cailles, et il les rassasia avec le pain du ciel; »
dans Job, chap. III : « Je soupire avant de manger. » C'est pour cela
que Marie-Magdeleine et les autres saintes femmes portoient des par-
fums lorsqu'elles cherchoient le corps du Seigneur, Luc, chap. XXII:
C'est ainsi que nous devons , quand nous sommes sur le point de
nous approcher du corps du Seigneur, faire précéder cet acte de la
dévotion de la prière , afin que si par hasard nous n'étions pas assez
préparés par le jeûne et la confession , l'oblation des parfums spiri-
tuels, c'est-à-dire des prières, y suppléât. On ht au second hvre des
Paralipomènes, chap. XXX : « Une grande partie du peuple qui ne
s'étoit point non plus sanctifié, ne laissa pas que de manger laPàque,
et le roi Ezéchias pria pour eux, disant : « Le Seigneur est bon, il fera
miséricorde à tous ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et il ne
leur imputera pas leur défaut de sanctification. » Saint Augustin dit :
« Celui qui est souillé par le péché véniel doit, bien qu'il ait lavolonté
de ne plus pécher, satisfaire par ses larmes et' ses prières, et ensuite il
peut s'approcher avec confiance et courage de l'Eucharistie , s'aban-
donnant sans réserve à la miséricorde du Seigneur. »
levolo, id est, corpori tortura et compedes,
mitte illum in operationem ne vacet. »
Psalm. XXXIII : « Multae tribulationes
justorum. » De tertio , Psalm. XVIII :
« In sole posuit tabernaculum suum, » sci-
lieet ad siccandum per amorem divinum,
ut fiât valde mundum et pulchrura. Canti-
corum, IV : « Tota pulchra es amica
mea, » etc. quia scilicet bene Iota, torta,
et exsiccata. Numeri, IX : « Sanctificami-
ni, cras comedetis carnes. » Tertium prae-
parativum est orationis devotio. Psalm.
CIV : «Petierunt, et venit coturnix, et
pane cœli saturavit eos. » Job, III : « An-
tequam comedam, suspiro. » Hinc Maria
Magdalena, et aliœ devotœ portabant aro-
mata, dum quaerebant corpus Domini,
Luc, XXXIII. Sic nobis accessuris ad cor-
pus Domini praelibanda est orationis devo-
tio, ut quod forte minus parati sumus per
jejunium, et cpnfessiones, suppléât spiri-
tualium aromatum , id est , orationum
oblatio. II Parai., XXX : « Magna parspo-
puli, quœ sanctificata non f uerat, comede-
rat Phase, et oravit pro eis Rex Ezéchias,
dicens : Dominus bonus propitiabitur
cunctis, qui in toto corde requirunt eum,
et non imputabit eis quod minus sanctifi-
cati sunt. » Augustinus : « Quamvis qui
peccato mordeatur veuiali, peccandi tamen
de caetero non habeat voluntatem , satisfa-
ciat lacrymis, et orationibus, et confidens
de Domini miseratione, accédât ad Eucha-
ristiam intrepidus et securus. » Secundus
520 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 15.
Le second mode de notre préparation se tire de la considération
de l'hostie qui est de pain. Car comme les grains de froment, au
moyen de l'art de l'homme , arrivent par gradation jusqu'à un pain
parfait ; de même l'ame pécheresse parvient , aidée de la grâce de
Dieu, jusqu'à un état de sainteté tel, qu'il lui est permis de recevoir
licitement le corps du Seigneur. Les grains desquels est composée
l'hostie signifient pour trois raisons l'état du pécheur. Ils sont durs ,
ils sont recouverts d'une espèce d'écorce ou crasse , ils sont distincts
les uns des autres ; le pécheur pareillement est dur par son cœur, vu
qu'il ne veut pas se convertir de son iniquité au Seigneur qui est la
douceur même. Jérémie dit , chap. V : « Ils ont rendu leurs fronts
plus durs que le rocher, et ils n'ont point voulu revenir à vous. » Le
pécheur est aussi couvert, par la difformité du péché , comme d'une
espèce de crasse. On lit dans Jérémie, chap. II : « Que vous êtes de-
venue méprisable en retombant dans vos premiers égarements ! » Le
pécheur est encore séparé de son prochain , parce qu'il n'a pas la
charité. Il est écrit dans Osée , chap. X : « Leur cœur est divisé ,
maintenant ils sont morts. » Quant à l'état où se trouvent les grains
dans l'hostie, voilà comment ils y parviennent. 1° Leur dureté est
broyée par la meule , ils sont réduits en parties excessivement
minces. 2° Ils sont séparés de leur écorce ou crasse. 3° La farine est
pétrie ensemble au moyen de l'eau , elle est cuite au feu , et devient
un pain solide ; de même le pécheur qui veut être digne de recevoir
le corps du Seigneur, doit s'y préparer par les trois choses que signifie
ce que nous venons de dire : il doit s'y préparer par la contrition ,
par la confession orale, et par l'amour du prochain. Il est écrit de la
première dans Isaïe , chap. XLVII : Tournez la meule, et faites moudre
la farine. » Ce qui équivaut à dire : Faites en vous un moulin spi-
rituel au moyen de deux meules, et cela en considérant la miséri-
modus nostrae prseparationis consideratur
in hostia panis. Sicut enim grana frumenti
arte humana gradatim proficit ad panis
complementum : sic anima peccatrix, gra-
tia Dei proficit ad bonum statum, in quo
licenter suspicit corpus Dominicum : gra-
na ex quibus fit hostia, signant statum pec-
catoris propter tria. Sunt enim dura , et
furfure operta, et ab invicem distincta, sic
charitatis privatione. Osée, X : « Divisum
est cor eorum, nunc interierunt : sed gra-
na ad statum, in quo sunt in hostia , per
hune modum sunt deducta. » Primo, con-
trita est eorum durities per molam, et in
minimas partes redacta : secundo , a fur-
fure sunt mundatc. : tertio , commixta est
farina adinvicem per aquani, et per ignem
decocta, et in panem solidata; sic pecca-
peccator durus est in corde, qui non vult ] tor, qui dignus erit sumere corpus Domi-
converti ad dulcem Deum de sua iniqui-
.tate. Jerem., V : « Induraverunt faciès
suas supra petram, et noluerunt converti.»
Item, peccator opertus est quasi furfure
ni, débet se per tria , quae in his signantur,
prœparare , per cordis contritionem , per
oris confessionem, per proximi dilectionem.
De primo, Isaiœ , XLVII : «Toile molam,
peccati deformitate. Jerem., II : « Quam mole farinam, » quasi diceret, fac in te
vilis facta es nimis, iterans vias tuas? » | molam spiritualem, de duobus molaribus
Item, peccator divisus est a proximo suo j considerando misericordiam Dei, et justi-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. »2I
corde de Dieu et sa justice , et ce sera pour amollir la dureté de votre
cœur; considérez la miséricorde comme la pierre supérieure qw
maintenant opère et tourne , mais qui cessera d'agir après cette vie.
On lit, Psaume LXXXY : « Grande a été votre miséricorde pour
moi , etc. » On peut aussi considérer la justice comme la pierre infé-
rieure , qui maintenant est privée de mouvement et est couchée, mais
qui , après cette vie , est élevée , agit et tourne. On lit dans Osée ,
chap. VIII : « Je vous jugerai d'après vos actions, mon œil ne vous
épargnera pas , je serai sans pitié ; » dans saint Matthieu , ch. XXI :
« Celui sur qui tombera cette pierre , elle l'écrasera ; » dans l'Epître
aux Romains, ch. XI : « Considérez la bonté de Dieu et sa sévérité; »
dans Job , chap. V : « Dieu a amolli mon cœur, et le Tout-Puissant a
jeté en moi le trouble. » Il est de la nature de Dieu d'être miséricor-
dieux; il est tout-puissant, et c'est lui qui doit juger avec justice. Il
est écrit , Psaume Y : « Un esprit brisé de douleur est un sacrifice
digne de Dieu. » Il est écrit de la seconde dans Amos, chapitre IX :
« Car je m'en vais donner mes ordres , et je ferai que la maison d'Is-
raël sera agitée parmi toutes les nations , comme le blé est remué
dans le crible ; » dans le crible où le grain est séparé de la balle , ce
qu'il y a de pur de ce qu'il y a d'impur ; de même, par la confession ,
l'ame se purifie de la laideur du péché. (On lit, Psaume XCV : « La
confession et la beauté, etc.. » On lit au premier livre des Macha-
bées, chap. III : « Judas dit et ses frères dirent avec lui ; » c'est-à-dire
ceux qui se confessent : « Yoici que nos ennemis sont terrassés, mon-
tons maintenant à Jérusalem purifier ce que nous avons de saint. »,I1
est écrit , Ecclésiaste, chap. II : « Ceux qui craignent le Seigneur pré-
pareront leurs cœurs, et ils sanctifieront leurs âmes en sa présence; s»
le Commentaire ajoute : « Heureuse l'ame qui , chaque jour, purifie
son cœur, pour y faire habiter son Dieu ; celui qui le possède ne
tiam ad emolliendam cordis tui duritiam :
misericordiam quasi superiorem lapidem,
qui nunc operatur et circuit; sed post
hanc vitam operari cessabit. » Psalm.
LXXXV : « Misericordia tua magna est
super me, » etc. Item, considerando justi-
tiam , quasi inferiorem lapidem, qui nunc
jacet, et quiescit, sed post hanc vitam ele-
vatur, operatur et circuit. Osée, VIII :
« Judicabo te juxta vias tuas, non parcet
oculus meus, et non miserebor. » Matth.,
XXI : « Super quem ceciderit lapis iste,
conteret eum. » Roman., II : « Vide Dei
bonitatem , et severitatem. » Job, V :
« Deus emollivit cor meura, etomnipotens
conturbavit me. » Deus, cui proprium est
misereri, oninipotens, quem oportet juste
judicare. Psalm. L : « Sacriticium Deo
spiritus contribulatus. » De secundo,
Amos, IX : « Ecce ego mandabo et concu-
tiam domum Israël, sicut concutitur triti-
cum in cribro , ubi scilicet furfures sepa-
rantur a nucleo, impurum a puro : sic per
confessionem mundatur anima a vili pec-
cato. » Psalm. XCV : « Conl'essio et pul-
chritudo, » etc. I Mâchai., 111 : « Dixit
Judas ad fratres ejus, id est, conlitentes :
Ecce contriti sunt inimici nostri, ascenda-
mus nunc mundare sacramenta nostra. »
Ecclesiast., II : «Qui timent Doininuin,
praeparabunt corda sua, et in conspectu
ejus sanctificabunt animas suas. » Glossa ;
« Félix anima, quee quotidic mundat cor
suum, ut suscipiat habitatorem Deuni, cu-
jus possessor nullius eget bono , quia om-
nium bonorum authorem in se habet. »
522 OPUSCULE LVII, CHAPITRE 15.
manque d'aucun bien, puisqu'il possède l'auteur même de tous les
biens. » Il est écrit de la troisième dans la Genèse , chapitre XVIII :
« Hàtez-vous , mêlez trois mesures de fleur de farine , et faites des
pains cuits sous la cendre ; » et cela pour manger avec eux un veau
très-gras. Celui qui veut manger le veau très-gras, c'est-à-dire le
corps de Jésus-Christ , doit d'abord préparer avec trois sacs de fleur
de farine un pain , et lui donner de la solidité en le faisant cuire au
feu ; c'est-à-dire qu'il doit être animé d'une charité sincère pour les
hommes qui se trouvent dans les conditions qui suivent : pour ses
supérieurs , ses égaux et ses inférieurs. Il est écrit, I. Cor., chap. X :
« Nous ne sommes tous ensemble qu'un seul pain et un seul corps ,
parce que nous participons tous à un même pain et à un même calice. »
Saint Augustin dit : « Celui qui reçoit le mystère de l'unité , et qui ne
conserve pas le lien de l'unité, ne reçoit pas le mystère pour soi, mais
contre soi. » Il est dit dans saint Matthieu , chap. XX : « Le roi entra
pour voir ceux qui étoient à table , et il en vit un qui n'étoit pas
revêtu de la robe nuptiale ; » c'est-à-dire qui n'avoit pas la charité ;
« et il dit à ses serviteurs : Liez-lui les pieds et les mains , etc.. » Ou
lit encore clans le même , ch. V : « Si vous offrez votre présent, etc. »
Le Commentaire ajoute : « Si vous avez offensé votre frère , réconci-
liez-vous avec lui ; quand il seroit votre ennemi , soyez-lui bien-
veillant pour en faire votre ami , et alors vous offrirez votre présent ;
par ce moyen vous le rendrez agréable à Dieu. » C'est à cause des ob-
servations que nous venons de faire qu'il est écrit dans l'Exode ,
chap. XII : « Vous mangerez les azimes , » c'est-à-dire le pain sans
levain; « il sera comme un signe dans votre main, et comme un mo-
nument devant vos yeux , » à savoir qu'il signifie ce que nous avons
dit, c'esl-à-dire la contrition du cœur, la confession de bouche, et l'a-
mour du prochain, qui sont les moyens que nous devons employer pour
nous préparer à nous approcher dignement du corps de Jésus-Christ.
De tertio, Gènes., XVII l : « Accéléra, tria
sata similœ commisce, et fac subcineritios
panes , ut sic vitulum optimum cum illis
coraederet. » Qui enim vitulum optimum,
id est , corpus Christi sumere vult , prius
débet tribus satis simila: panem igné co-
quendo solidare id est, ad très hominum
difterentias , scilicet superiores , aequales ,
inf eriores veram dilectiouem servare. I Cor-
rinth., X : « Unus panis, et unum corpus,
multi sumus qui de uno pane , et de uno
calice participamus. » Augustinus : « Qui
accipit mysterium unitatis, et non tenet
vinculum pacis, non mysterium accipit
id est, cbaritatem ; « et ait ministris : Li-
gatis manibus, et pedibus, » etc. Item ejus-
dem V : « Si offers munus tuum, » etc.
Glossa : «Si fratrem laesisti, reconciliatc
ei, etiam si adversarius fuerit , esto bene-
volus, ut fiât amicus, et tune olïeres munus
tuum, ut sit Deo gratum. » Propter prae-
dicta in pane notanda dicitur Ezod., XII :
« Azyma comedes, » id est, panem sine
fermento, «et erit quasi signurn in manu
tua, et quasi monimentum ante oculos
tuos, » quod scilicet significatur in eo,
quod dictum est , cordis contritio , oris
confessio, proximi dilectio ; quibus debe-
pro se, sed contra se. » Matth., XX : «In- j mus nos praeparare, ut digne possimus ad
travit rex ut videret discumbentes, et vidit I Christi corpus accedere.
unum non habentem vestem nuptialem, » I
SUR LE SACREMENT DE I/AIÏ Kl.
:,:>::
CHAPITRE XVI.
De notre préparution à un troisième point de vue, ou en huit </vr I agneau
pascal est la figure du sacrement eucharistique.
« Venez, mangez, » ou encore, « que l'homme s'éprouve lui-
même. » Argument spécial. « Sanctifiez-vous, demain vous mangerez
les viandes, » Nombres, chap. IX. Argument propre. « Voici l'agneau
de Dieu, » S. Jean, chap. I. Nous allons dire ici comment doit étee
considéré le mode de notre préparation, en tant que l'agneau pascal
est la figure du corps de Jésus-Christ ; ligure de laquelle il est parlé
dans l'Exode, ch. XII. «Cette figure doit être divisée en trois parties. »
La première partie , c'est l'agneau qui doit être mangé ; la seconde ,
les mets qui doivent être mangés avec lui; la troisième, le costume
de ceux qui doivent le manger. La première nous apprend à nous y
préparer par l'intégrité de la foi , la seconde nous apprend à nous
préparer par la force de l'esprit , la troisième par la décence de la
vie. J^t première partie de cette figure, c'est l'agneau lui-même qui
doit être mangé , suivant la prescription de làHoi , et sur ce point il
faut considérer trois choses. Premièrement, le temps où il doit être
mangé ; c'étoit pendant la nuit , dans un moment où l'on ne voyoit
parparfaitement l'agneau lui-même ; et ceci signifie que nous devons
croire que le corps de Jésus-Christ a dû nous être donné présentement,
non pas à découvert à nous, mais bien yoil&sous le sacrement. On lit
dans Tobie, chapitre XII : « Il est bon de cacher le secret ou sacre-
ment du roi; » dans le troisième livre des Rois , chapitre VIII : « Le
Seigneur a dit qu'il habiteroit dans une nuée. » Secondement, c'est
qu'on n'en mangeroit aucune partie de crue; ce qui signifie que nous
ne devons pas croire que Jésus-Chris! est un pur homme. Pareille-
CAPUT XVI.
De prœparalione nostra in tertio , scilicel
agno paschali.
« Venite, comedite. » Item : « Probet au-
tein seipsum homo. » Thema spéciale.
« Sanctificamiui, cras comedetis carnes. »
Numer., IX. Theraa proprium : « Ecce
agnus Deij» Jounn., I. Hic dicendum est,
qualiter ex figura agni paschalis considere-
tur nostree praeparationis modus, de qua
Exod., XII, legimus : « Haec figura in très
partes est dividenda. » Prima pars est ipse
agnus edendus, seçunda fercula cum qui-
bus est edendus, tertia personarum eden-
tium habitus. In prima discimus praeparari
per fidei integritatem, in secunda perani-
mi virtuositatem , in tertia per vitae ho-
nestatem. Prima pars istiusest ipse agnus,
qui secundum legem manducatur, et in hoc
tria considerantur. Primo, quand.»
dendus est, quia in nocte, cuui ns pfaae
non videtur, in quo credendum signitica-
tur, quod corpus Christi in pressenti nobis
dad datait, mm mimil'estum, sedinsacra-
meuto velatum. Tolriœ, Xll : Sacnun.'ii-
tum régis abscondere bonum est. » 111
Heguni, VIII : « Dominus dixit ut habita-
retin nebula. » In secundo, scilicel, quod
non comeditur exeo cruduin, si^iiiticatur,
quod non debemus credere , Ghristum esse
524 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 15.
ment, parce qu'on ne le mange pas cuit dans l'eau, cela signifie que
nous ne devons pas croire que Jésus-Christ ait été conçu, ni qu'il soit
né, comme sont conçus et comme naissent les autres hommes. Comme
ïïslemangèrent seulement rôti au feu , cela signifie que nous devons
croire que l'incarnation et la consécration sont l'oeuvre de la puissance
du Saint-Esprit. Troisièmement, de ce qu'il est ordonné de le manger
entier, la tête avec les pieds et les intestins ; ceci signifie que nous
sommes obligés de croire que Jésus-Christ est tout entier sous le
sacrement, qu'il y est avec sa divinité, son corps et son ame , et
qu'on le reçoit aussi tout entier. La seconde partie de cette figure, ce
sont les trois mets qu'ils avoient coutume de manger avec l'agneau ,
savoir des laitues sauvages, des pains azimes, et le sang de l'agneau.
Oh lit dans l'Exode, chap. XII : « Vous mangerez les chairs de l'a-
gneau et les pains azimes , avec des laitues sauvages ; et ils prendront
du sang de l'agneau, et ils en mettront sur les deux jambages et sur
les linteaux de la porte des maisons. » Le premier mets, savoir les
laitues sauvages , sont la figure de la douleur des péchés ; le second ,
savoir les pains azymes, signifient l'intention pure unie aux bonnes
G3uvres; le troisième, savoir le sang de l'agneau, exprime la mémoire
et l'imitation de la passion du Seigneur, par lesquelles l'ame fidèle
doit être préparée. Saint Grégoire dit du premier de ces mets, en ex-
pliquant les paroles suivantes du livre de l'Exode , chap. XII : « Les
laitues sauvages sont très-amères , mais il faut manger les chairs de
l'agneau avec elles ; parce que , lorsque nous recevons le corps de
Jésus- Christ, nous devons être pleins du repentir de nos pé-
chés, afin que l'amertume de la pénitence nous purifie de l'amour
d'une vie perverse. On lit dans Isaïe, chap. XXXVIII : « Je vous rap-
pellerai le souvenir de toutes les années de ma vie, etc. » Il est écrit
du second, I Cor., chap. V : « Célébrons le festin de la Pàque, non
hominem puruin. Item, quod non come-
ditur aqua coctum , significat , quod non
debemus credere, Christum secundum
cornmunern hominum consuetudinem con-
ceptum, aut natum. Item , quod comede-
runt eum tantum assum igni, significat,
quod Christ i incarnatio , et ejus corporis
consecratio, credenda est celebrari per po-
tentiam Spiritus sancti. In tertio, scilicet,
quod caput agni cum pedibus et intestinis
vorari praecipitur, significatur esse creden-
dum, quod in hoc sacramento totus Chris-
tus cura divinitate et corpore, et anima
continetur et sumitur. Secunda pars hujus
figura? surit fercula tria, cum quibus sole-
bant agnum manducare, scilicet, lactucœ
agrestes, panes azymi , et sanguis agni.
Exod.j XII : « Edetis carnes agni , et azy-
mos panes cum lactucis agrestibus : et su-
ment de sanguine agni, et ponent super
utrumque postem, et in superliminaribus
domorum. » Primum ferculum , scilicet
lactucae agrestes, significant dolorem de
peccatis : secundum , scilicet panes azymi,
intentionem puram cum operibus bonis :
tertium, scilicet sanguis agni , memoriam
et imitationem dominicae passionis, quibus
praeparari débet anima fidelis. De primo
Gregorius super illud , Exod., XII : « Lac-
tucœ agrestes valde amarae sunt , carnes
vero agni cum his comedendœ sunt : quia
cum corpus Christi aocipimus, compungi
pro peccatis debemus, ut amaritudo pœni-
tentiae abstergat amorern perverste vitœ. »
lsniœ, XXXVIII : « Recogitabo tibi omnes
annos rneos, » etc. De secundo, I Cor-
SUR LE SACREMENT DE l' AUTEL. 525
avec le vieux levain, c'est-à-dire dans la corruption de l'orgueil, qui
s'élève contre Dieu, ni avec le levain de la malice qui s'élève contre le
prochain et de la corruption qui nous atteint nous-mêmes; mais avec
les pains sans levain de la sincérité et de la vérité ; c'est-à-dire avec la
sincérité qui ne connoît pas le vice, la vérité des bonnes œuvres, et
cela pour que nous nous appliquions à vivre d'une vie nouvelle, com-
plètement exempte de la fraude du vieux levain. » On lit dans saint
Grégoire : « Il mange des pains sans levain celui qui fait des bonnes
œuvres exemples de la corruption de l'orgueil que produit le levain de
la méchanceté. » Pareillement, il mange des pains sans le levain de
la malice, celui qui fait les œuvres de la miséricorde sans y mêler le
péché , et qui se garde d'enlever injustement ce qu'il dispense avec
l'apparence de la justice. Le prophète Amos dit à cette occasion par
forme de blâme, chap. IV : « Offrez avec du levain des sacrifices
d'action de grâces. » Celui-là offre un sacrifice d'action de grâce avec
du levain, qui tient le sacrifice qu'il offre au Seigneur de la rapine et
du levain de l'iniquité. On lit dans l'Exode, chap. XII : « Celui qui
mangera du pain levé périra du milieu d'Israël. » Manger du pain
levé, c'est se délecter de la corruption du péché que l'on commet dans
son cœur. Il est écrit, Psaume XXIII : « L'injuste a dit pour pé-
cher, etc. »
Saint Grégoire s'exprime comme il suit à l'égard du troisième mets,
dont il a été parlé plus haut : « On met le sang de l'agneau sur l'un
et l'autre jambage, quand ce n'est pas seulement par la bouche du
corps que l'on puise ce sang, mais qu'on le puise encore avec la
bouche de l'esprit, et que l'on pense de toute la force de son esprit a
imiter la passion du Seigneur. » Car celui qui reçoit le sang du Sei-
gneur et qui n'est pas disposé à inuleiLsa pa^giûflU ne P^ace ce san8*
que sur l'un des jambagesTll faut aussi placer le sang de l'agneau
rintfi., V : « Epulemur non in fermento
veteri , id est , in corruptione superbiae,
quae sit in Deum : neque in fermento ma-
litiee , quae sit in proximum , et nequitiae,
quae sit in seipsum : sed in azymis sîneeri-
tatis, id est, in sinceritate a vitiis, et veri-
tate bonorum operum, ut scilicet studea-
mus esse in novitate vitse sine omni fraude
de fermento veteri. » Gregorius : « Panes
sine fermento comedit, qui recta opéra si-
ne corruptione inanis gloriae facit de fer-
mento malitiœ. » Idem : « Panes-sihe fer-
mento malitise manducat, qui opéra mise-
ricordiae sine peccati admixtione exhibet,
ne perverse rapiat, quod quasi recte dispen-
sât : » unde per Amos, V , increpando di-
citur : «< Sacrificate de fermento laudem. »
De fermento enim laudem immolât , qui
Domini sacrificium de rapina portât de
fermento nequitiae. Exod., XII :/« Qui co-
mederit fermentatum, peribit anima ejus
de cœtu Israël. » Fermentatum comedere,
est delectari peccati corruptione, quod
committitur in se. Psalm. XXIII : « Dixit
injustus, ut delinquat, » etc. De tertio fer-
culo supradicto, Gregorius : « Sanguis agni
super utrumque postem ponitur, quando
non solum ore corporis , sed etiam ore
mentis hauritur, et ad imitationem intenta
mente cogitatur. » Nam qui sie Redemp-
toris sanguinem accipit, ut imitari passio-
nem needum velit, in uno tantum poste
sanguinem ponit. Item, in superliminari-
bus ponendus est sanguis agni , quia non
526 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 16.
sur les linteaux des portes, car ce n'est pas seulement dans la mémoire
qu'il faut porter la croix de la passion de Jésus-Christ , il est encore
nécessaire de la porter ostensiblement. Il est écrit, Gai., chap. ult. :
aA Dieu ne plaise que je me glorifie, etc. » D'où je porte les stigmates
de Jésus-Christ dans mon corps.
La troisième partie de cette figure, c'est le costume, ou les trois in-
signes de ceux qui mangèrent l'agneau ; savoir , la ceintnrjMjui cei-
gnoit leurs reins, la chaussure qu'ils avoient aux^îëcîsT^tle bâton
qu'ils tenoient à la main. Il est dit dans l'Exode, chap. XII : « Vous
mangerez ainsi l'agneau, vous ceindrez vos reins, vous mettrez vos
chaussures à vos pieds, vous tiendrez un bâton à la main. » La pre-
mière de ces choses signifie la continence de la chair et de l'esprit; la
seconde que nous devons suivre l'exemple de nos pères; la troisième
que nous devons corriger nos vices ; et c'est ce qui est exigé pour la
préparation de ceux qui communient. Le premier moyen de se prépa-
rer, c'est d'être continent dans la chair et dans l'esprit , et c'est cette
continence que figure la ceinture qui ceint les reins. Saint Grégoire dit :
« La délectation de la chair vient des reins ; » ce qui fait qu'il est dit ,
Ps. XXV : « Brûlez mes reins et mon cœur. » Par conséquent, que ce-
lui qui mange la Pàque ceigne ses reins. Parce que celui qui reçoit le
corps du Seigneur dompte la volupté , et met un frein à la luxure ;
cette préparation de la continence doit être considérée par rapport à
trois genres d'hommes, qui sont les hommes mariés, ceux qui se re-
pentent de leur incontinence, et les hommes spirituels. Les premiers
doivent garder quelque petite continence avant de communier, les se-
conds doivent la garder plus longtemps, et les troisièmes doivent la
garder continuellement. Il est dit concernant David, à la première de
ces choses, I Rois , chap. XXI : « Si les enfants sont purs, surtout du
côté des femmes, qu'ils mangent, savoir le pain sanctifié. » David ré-
tantum in memoria, sed in manifesto
portari débet crux passionis Christi. Gâ-
tât., ult : « Mini absit gloriari, » etc. un-
de et stigmata Domini Jesu in corpore meo
porto. Tertia pars hujus iigurœ est habi-
tus, sive tria insignia illorum qui mandu-
caverunt agnum, scilicet cingulus renum,
calceamenla pedum , baculus manuum.
Exod., XII : « Sic manducabitis agnum.
Renés vestros accingetis, calceamenta habe-
bitis in pedibus, tenentes baculos in mani-
bus. » Primum désignât carnis et mentis
continentiam : secundum exemplorum Pa-
trum custodiam : tertium vitiorum nostro-
rnm correctionem , et exiguntur ad com-
municantiurn prœparationem. Primum
pra'parathum est mentis et carnis conti-
nentia in cingulo renum figurata. Grego-
rius : « In renibus accipitur carnis delecta-
tiOj unde Psaîm. XXV : « Ure renés meos,
et cor meum. Qui ergo Pascha comedit, re-
nés accingat : quia qui corpus Domini ac-
cipit, voluptatem domat, luxuriam refrœ-
nat, haec prœparatio continentiae attenden-
da est, quantum ad tria gênera hominum,
scilicet conjugatos, et de incontinentia pre-
nitentes, et spirituales. » Primum ante sa-
cram communionem continentiam de-
bent servare aliquantam : secundi longio-
rem : tertii continuam. De primo dicitur
ad David, I Reg,, XXI : « Si pueri mundi
sunt maxime a mulieribus, manducent, »
scilicet panem sanctum. Respondil David :
« Si de mulieribus agitur, continuimns nos
SUR LE SACREMENT DE L'AUTEL. 527
pondit: « S'il est question des femmes, nous nous en sommes abstenus
depuis hier et avant-hier. » Le prêtre leur donna donc le pain saiirii-
fié. On lit dans l'Exode , ch. XIX : « Le Seigneur descendit en pré-
sence de tout le peuple sur le mont Sinaï , et il le fit au milieu des
éclairs dans l'épaisseur des nuages : Soyez donc prêts pour le troi-
sième jour et ne vous approchez point de vos épouses. » Si pour la li-
gure on a gardé une telle continence, à combien plus forte raison est-
on obligé de la garder pour la vérité du corps de Jésus-Christ. Quant
à la seconde, il est écrit au livre du Lévitique, chap. XIII : « L'homme
qui aura été lépreux, ou qui aura éprouvé une perte de sang; » c'est-
à-dire, celui qui aura péché par l'incontinence de la chair, « ne
mangera pas de ce qui aura été sanctifié pour moi jusqu'à ce qu'il
soit guéri par la pénitence. » C'est pour cette raison que l'on a établi
quarante jours de pénitence avant Pâques ; afin qu'après les avoir pas-
sés dans les jeûnes, la prière, la continence et les autres bonnes
œuvres, les pénitents puissent alors communier avec les autres bons
chrétiens. C'est ce qui fait que saint Augustin expliquant les paroles
suivantes, I Cor., chap. XI : « Si nous nous jugions nous-mêmes, etc. »
s'exprime comme il suit : « L'esprit du pénitent doit prononcer contre
lui-même une sentence telle , qu'il se juge indigne de participer au
corps, au sang du Seigneur; de manière qu'en vertu de la discipline
ecclésiastique il soit séparé pour un temps du sacrement du pain cé-
leste. Celui-là le reçoit en effet indignement, qui le reçoit lorsqu'il
devroit faire pénitence ; c'est-à-dire, quand il commence. Il faut donc
d'abord se juger soi-même, afin qu'après s'être jugé, on ne le soit pas
par le Seigneur. » Quant à la troisième, savoir la continence perpétuelle
et éternelle, c'est-à-dire, la chasteté complète et perpétuelle qu'il faut
garder, on lit dans le Lévitique, chap. XXI : «Les 'prêtres seront
saints pour le Seigneur , et ils ne souilleront point son nom ; car ils
al) heri et nudius tertius. » Dédit ergo eis
sacerdos sanctificatum panem. Exod.,
XIX : « Descendit Dominus coram omui
plèbe super montem Sinai, scilicet in igné,
et nubis caligine. Estbte ergo parati in
diem tertium, et ne appropinquetis uxori-
bus vestris. » Si talis continentia servata
est ad figuram, quanto magis servanda est
ad corporis Christi veritatem ? De secundo,
Levil., XIII : « Homo qui fuerii leprosus,
aut patiens fluxuin seminis, » id est, pec-
cans per incontinentiam carnis, « non ves-
cetur de his, qua; sanctificata sunt mihi,
donec sanetur, scilicet per pœnitentiam. »
Hinc statuti sunt ante Pascba quadraginta
dies pœnitentiœ, ut hisperactisinjejuniis,
et orationibus, et continentia, et bonis
operibus, tune possint communicare pœni-
tentes cum aliis bonis Christianis. Hinc su-
per illud, F Corinth., II : « Si nosmetipsos
dijudicaremus, » etc., dicit Augustin»* :
« Ab ipsa mente pœnitentis talis sententia
proferatur, ut seindignum judicet partici-
patione corporis et sanguinis Doraini , ut
ad tempus per ecclesiasticam discipliiiam
a sacramento cœlestis panis separetur. In-
digne enim accipit , si tune accipit cum
débet agere pœnitentiam , id est, qtuutdo
incipit. Ergo se prius judicet, ut a se judi-
catus non judicetur a Domino. » De ter-
tio, scilicet de continentia continua et
sempiterna, scilicet omnimodam et perpe-
tuam castitatem conservare. Levit., XXI :
« Sacerdotes sancti erunt Domino suu . .1
528 OPUSCULE LVH, CHAPITRE 16.
offrent l'encens du Seigneur et les pains de leur Dieu, c'est pourquoi
ils seront saints. » Bède dit : « Si les prêtres de l' Ancien-Testament
qui dévoient entrer dans le temple pour y offrir des victimes suivant
l'ordre de leur fonction, étoient tenus de s'abstenir de leurs épouses, a
combien plus forte raison, nos prêtres qui doivent toujours être prêts
à consacrer le corps sacré du Seigneur, sont-ils tenus de garder une
continence perpétuelle et absolue? »
Le deuxième moyen de se préparer, c'est d'imiter l'exemple des
pères, figuré par la chaussure de leurs pieds. Saint Grégoire dit:
« Avoir sa chaussure à ses pieds, c'est contempler la vie des pères qui
ne sont plus, et préserver nos pas des blessures du péché. » On lit au
livre des Cantiques, chap. YII : « Que vos démarches sont belles, ô fille
du Prince! » à cause de V agrément de votre chaussure; les démarches
expriment les progrès faits; à cause de la chaussure, c'est-à-dire à
cause de l'observation attentive de la vie des pères.
Le troisième moyen de se préparer, consiste dans sa propre correc-
tion, figurée par le bâton que les pères tenoient à leurs mains. Le bâ-
ton signifie la rectitude de justice avec laquelle nous devons juger
nous-mêmes nos excès avant de communier. On lit, Ps. XLIV : « Le
sceptre de votre règne sera un sceptre de rectitude et d'équité. »
Ps. II : «Embrassez étroitement la discipline, etc. » I Cor., chap. XI :
« Celui qui mange et boit indignement, etc. Que si nous nous jugions
nous-mêmes, etc. » Saint Augustin s'exprime sur ce point comme il
suit : « Montez ici sur le tribunal de votre esprit contre vous-même,
et ayant établi un jugement dans votre cœur , que votre pensée soit
l'accusateur, votre conscience le témoin, et la crainte du Seigneur le
bourreau, ce qui fait que le sang de l'âme de celui qui s'avoue coupable
coule pour ainsi dire par les larmes , et ainsi la vengeance divine est
arrêtée dans son cours, lorsque l'aveu et le châtiment surpassent ce
non polluent nomen ejus. » Incensumenim
Domini, et panes Dei sui offerunt ; et ideo
sancti erunt. Beda : « Si vetens testamenti
sacerdotes secundum ordinem vicis suse,
intraturi templum ad off'erendas légales
hostias, a propriis uxoribus oportuit absti-
nere, quanto magis nostri sacerdotes, quos
ad consecrandum sacrosanctum corpus Do-
mini paratos sernper esse oportet, et con-
tinuam, et sempiternam semper debent
castitatem conservare ? » Secundum prae-
parativum est exemplorum patrum custo-
dia per calceamenta pedum figurata. Gre-
gorius : « Calceamenta in pedibus habere,
est mortuorum patrum vitam aspicere, et
nostra vestigia a peccati vulnere custo-
dire. » Cunt., VII : « Quam pulchri surit
gressus tui in calceamentis, filia principis !»
gressus sunt profectus operum in calcea-
mentis, id est , in consideratione vitae pa-
trum. Tertium praeparativum est correc-
tionis disciplina in baculis manuum ligu-
rata. Baculus enim significat rectitudinem
justitiae, qua debémus nosmetipsos de
nostris excessibus ante communionem ju-
dicare. Psalrn. XLIV : « Virga directionis,
virga regni tui, etc. Apprchendite discipli-
nam, » etc. I Corinth., II : « Qui manducat
et bibit indigne, quod si nosmetipsos diju-
dicaremus, » etc. Augustinus : « Ascendas
hic adversus te tribunal mentis tuœ,et
constituto in corde judicio adsit accusatrix
cogitatio, et testis conscientia, et carnifex
timor Domini, inde quidam sanguis animée
conûtentis per lacrymas profluat, et sic
cessât vindicta divina, cum confessio et
/
SUR LE SACREMENT DE l'àUTEL. 529
qu'il y a d'humain, et par ce moyeu l'homme se rend digne de rece-
voir présentement le corps de Jésus-Christ dans le Sacrement et de
jouir de lui d'une manière parfaite dans la vie future. » Il est écrit de
la première de ces choses au Deutéronome, chap. VIII : a Le Seigneur
vous a affligé parla détresse, et il vous a donné la manne pour nour-
riture ; ce que vous ignoriez. » Il vous a affligé, c'est-à-dire, il a fait
que vous vous affligeassiez et que vous vous corrigeassiez ; par la dé-
tresse, c'est-à-dire par le châtiment de votre volonté et par la priva-
tion de ce qui vous délectoit, et alors il vous a donné le pain céleste
de son corps. Il est dit de la seconde, Héb., chap. XII : « Or tout châti-
ment, lorsqu'on le reçoit, semble être un sujet de tristesse et non de
joie ; » mais ensuite il fait recueillir en paix les fruits de la justice à
ceux qui auront été ainsi exercés.
La mandu^aUonjpirituelle peut pareillement être un moyen de se
préparerli recevoir le~corps— du Seigneur , en tant que ceux qui sont
parfaits le mangent par le moyen de la rjaéolitation. Nous traiterons
de ce moyen dans le dix-neuvième discours, et avant etau milieu de ce
même discours.
correctio praecedit humana , et sic homo
dignus erit ad sumendum corpus Christi
nunc in sacramento , et perfecta fruitione
in futuro. » De primo, Beuteronom., VIII :
« Afflixit te Dominus penuria, et dédit tibi
cibum Manna, quod ignorabas : » afflixit
te, id est, fecit ut affligeres et corrigeres :
penuria, id est, pœna voluntatis tuae, et vo-
luptatis carentia, et tune dédit tibi cœles-
tem panem corporis sui. De secundo , ad
Hebr,,*X\\ : « Omnis disciplina in prœsenti
non videtur gaudii, sed mœroris : » postea
autem fructum pacatissimum exercitatis
per eam reddet justitiœ. Item, praeparati-
vum ad corpus Domini suscipiendum esse
potest manducatio spiritualis : secundum
quod perfecti manducant ratione medita-
tionis devotae, de quo infra sermone deci-
mo nono ante médium, et in medio.
FIN DU CINQUIÈME VOLUME.
V.
34
\
TABLE
MATIÈRES CONTENUES DANS LE CINQUIÈME VOLUME.
OPUSCULE XLII.
1
De saint Thomas, sur les puissances de l'amk.
Chapitre premier. — Combien il y a d'aines , combien de degrés d'êtres vivants,
combien de genres de puissances de l'ame , et d'abord dé l'ame végétative. page 1
Chap. II. — De l'ame végétative et de ses puissances. 5
Chap. III. — De la puissance sensitive et des cinq sens extérieurs. 7
Chap. IV. — Des quatre puissances sensitives intérieures suivant leurs natures. 10
Chap. V. — De la vertu motive sensitive de l'animal. 16
Chap. VI. — De la puissance intellective. 18
Chap. VII. — De la volonté et du libre arbitre qui sont une même chose. 25
Chap. VIII. — Dans quelles puissances de l'ame se trouve le péché , et quelles
sont celles où il n'est pas. 27
OPUSCULE XLIII.
DU MÊME DOCTEUR, SU» LE TEMPS.
Chapitre premier. — Le temps a l'être en dehors de la matière. 81
Chap. II. — Le temps n'est pas un mouvement, mais quelque chose du mouve-
ment. 38
Chap. III. — Quelles sont les choses qui sont mesurées par le temps et celles qui
ne le sont pas. *3
Chap. IV. — De la différence de l'éternité, de Yœvum et du temps; ce que c'est
que chacune de ces choses.
M
OPUSCULE XLIV.
DU MÊME DOCTEUR , SUR LA PLURALITÉ DES FORMES. **
OPUSCULE XLV.
Di saint Thomas, commençant par ces mots, Postquam de principiis.
OPUSCULE XLVI.
Du même docteur, sur la nature des syllogismes.
ss
ibid.
\
532 TABLE DES MATIÈRES
OPUSCULE XLVII.
StJR LA SOMME DE TOUTE LA LOGIQUE D'ARISTOTE.
Chapitre premier. — Ce que c'est que l'universel, et d'où il tire son origine. 102
Chap. II. — Ce que c'est que le genre, et d'où il tire son origine. 104
Chap. III. — Ce que c'est que l'espèce, et d'où elle tire son origine. 108
Cum>. IV. — De l'origine de la différence , et ce que c'est suivant la chose et l'in-
tention. 110
■
Chap. V. — Du genre le plus général et du genre subalterne ; un être ne peut pas
être genre. 115
Chap. VI. — De l'origine du propre, et comment il se trouve dans tout individu
de l'espèce et toujours. 118
Chap. VII. — Le propre est inhérent à la seule espèce, et se dit d'elle récipro-
quement. 122
Chap. VIII. — De l'origine de l'accident et exposition de sa cause. 124
TRAITÉ II.
DU MÊME DOCTEUR, DES PRÉDICAMENTS.
Chapitre premier. — Des divers modes de prédication. 128
Chap. LI. — Ce que c'est que la substance suivant l'intention logique. 133
Chap. III. — De la première et de la seconde substance ; ce que c'est; de l'ordre
de la substance. 137
Chap. IV. — La substance ne reçoit point la contrariété, ni le plus et le moins, quoi-
. qu'elle soit sujet de l'un et de l'autre par le changement qui s'opère en elle. 140
TRAITÉ III.
DU PRÉDICAMENT DE LA QUANTITÉ.
Chapitre premier. — Du nombre qui est une quantité discrète. 147
Chap. II. — De la seconde espèce de la quantité discrète, c'est-à-dire du langage. 150
Chap. III. — Delà quantité continue en commun suivant l'intention logique. 152
Chap. IV. — De la quantité qui a u.ie position, et de ce qui est requis par rapport
à cette position. 153
Chap. V. — Des espèces de la quantité continue, et d'abord de la ligue. 154
Chap. VI. — Du lieu qui est une espèce de la quantité continue. 157
Chap. VII. — Du temps, comment c'est une quantité successive. 158
Chap. VIII. — Que la quantité ne reçoit ni le plus, ni le moins, et n'a pas de con-
trariété , mais une chose est dite égale ou inégale à une autre suivant l'être. 166
TRAITÉ IV.
Du PRÉDICAMENT DE LA QUALITÉ.
Chapitre premier. — Ce que c'est que la qualité en général. 163
Chap. II. — De la première espèce de qualité, qui est l'habitude et la disposition. 164
Chap. III. — De la seconde espèce de la qualité, qui est la puissance ou l'impuis-
sance naturelle. 166
Chap. IV. — De la troisième espèce de la qualité, qui est la passion ou la qualité
passible. 168
Chap. V. — De la quatrième espèce de la qualité , qui est la forme , ou la figure
constante dans une chose. 170
189
DU CINQUIÈME VOLUME. 533
Chap. VI. — De la qualité et des conditions d'après ses trois modes. 172
Chap. VII. — Des communautés et des propriétés de la qualité. 173
TRAITÉ Y.
DO PRÉDICÀMENT AD ALIQUID.
Chapitre premier. — Ce qu'est ad aliquid, suivant l'intention logique. 174
Chap. II. — De la seconde définition des relatifs qui convient aux relatifs suivant
l'être, et aux relatifs réels. 17G
Chap. III. — Que la relation ne diffère de son fondement que par la réalité extrin-
sèque. 178
Chap. IV. — Que l'entité des relatifs se tire des fondements. 179
Chap. V. — Des communautés et des propriétés des relatifs. 180
Chap. VI. — Des six autres prédicaments et de leur prédication en commun. 181
Chap. VII. — Ce que c'est que l'action suivant la raison prédicamentale dans les
deux opinions. 1 84
Chap. VIII. — Quelle est l'action qui reçoit le plus et le moins avec la contrariété,
quelle est celle qui ne reçoit rien de cela. 187
Chap. IX. — Le propre de l'action est de produire la passion par soi. 188
Chapitre premier. — Ce que c'est que la passion formellement , comme prédi-
cament. *^«d-
Chap. II. — Que la dénomination de la passion se fait formellement ab extrin-
seco.
Chapitre pemier. — Ce que c'est que le prédicameut quando , c'est le temps en
tant qu'il dénomme une chose temporelle , ou le rapport du temps aux choses
temporelles qu'il mesure. 10°
Chap. II. — Que quando n'est pas le rapport de la chose mesurée au temps, mais
tout le contraire. '(J'*
Chap. III. — Que quando ne reçoit ni le plus ni le moins, et n'a pas de contraire,
qu'il se trouve dans tout ce qui commence d'être. 195
TRAITÉ VI.
^ De ubi.
Chapitre premier. — Du prédicament ubi, ce que c'est formellement, et en quoi il
se trouve subjectivement.
Chap. II. — Ubi ne reçoit ni le plus ni le moins , il n'a pas la contrariété cl se
trouve dans le corps terminé par une surface.
TRAITÉ VII.
De la position.
Chapitre premier. — Du prédicament de position ; est-il quelque chose suivant la
raison formelle.
Chap. II. — La position est la dénomination ou le rapport tiré des parties du lieu a
raison des parties de la chose localisée.
Chap. III. — La situation ne reçoit ni le plus ni le moins, et n'a pas de contra-
riété : ce qui lui est propre , c'est d'assister à la substance d'une manière pro-
chaine.
TRAITÉ VIII.
De l'habitude.
Chapitre premier. - De Vhabitus en tant que prédicament , ce que c'est formel-
lement.
Chap. II. — h'lutbitus peut se fonder immédiatement dans la substance.
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534 TABLE DES MATIÈRES
Chap. III. — h'habitus reçoit le plus ou le moins, mais non tout habitus, il n'a pas
la contrariété. 212
Chap. IV. — Le propre de Vhabitus est d'exister tant dans le corps que dans ce
qui enveloppe le corps suivant la division des parties. 214
TRAITÉ IX.
De l'interprétation ou énonciation.
Chapitre premier. — Ce que c'est que le nom suivant l'intention logique. 216
Chap. II. — Ce que c'est formellement que le Verbe suivant la description logique. 220
Chap. II!. — Ce que c'est que le discours, et quelles sont les espèces. 222
Chap. IV. — Ce que c'est que renonciation, ce que c'est que le vrai et le faux. 224
Chap. V. — La vérité et la fausseté ne sont que dans l'énonciation , et pourquoi ? 226
Chap. VI. — De renonciation catégorique, hypothétique, affirmative et négative. 229
Chap. VII. — De la quantité des propositions catégoriques sur V inesse, savoir de
l'universelle, de la particulière, de l'indéfinie et de la singulière. 232
Chap. VIII. — De l'opposition des propositions catégoriques existant en figure,
relativement aux énonciations de inesse. 235
Chap. IX. — Des équipollences des énonciations catégoriques de inesse. 238
Chap. X. — Comment les énonciations catégoriques de inesse se rapportent à la
vérité et à la fausseté. 241
Chap. XI. — Ce que c'est que la proposition modale, et de sa quantité. 244
Chap. XII. — De la qualité des propositions modales quant à l'affirmation et à la
négation. - 247
Chap. XIII. — De l'opposition et de l'équipollence des énonciations modales. 268
Chap. XIV. — De renonciation hypothétique et de ses trois espèces. 252
TRAITÉ X.
DO SYLLOGISME SIMPL1CITER.
Chapitre premier. — Ce que c'est que le syllogisme, ce qui doit entrer dans sa con-
stitution. 256
Chap. II. — De la conversion des propositions de inesse et de ses espèces. 260
Chap. III. — Des conversions des propositions modales et de leur différent mode. 264
Chap. IV. — Des syllogismes osfensifs de inesse relativement au mode et au signe. 268
Chap. V. — Des syllogismes inutiles dans toute figure. 273
Chap. VI. — Des syllogismes de la première figure concluant directement, et des
syllogismes de la seconde figure. 275
Chap. VIL — Des syllogismes de la troisième figure et de la réduction de tous les
syllogismes aux deux premiers modes de la première figure. 280
Chap. VIII. — Des syllogismes à conclusion indirecte et de leur réduction. 283
Chap. IX. — De l'invention du moyen terme pour les syllogismes de toutes les
figures, tant affirmatifs que négatifs. 287
Chap. X. — De la différence qui existe entre le syllogisme ad impossibile et le syllo-
gisme ostensif. 291
Chap. XL — Dans quels modes et dans quelles figures se font les syllogismes ad
impossibile. 292
Chap. XII. — Comment les syllogismes ad impossibile se ramènent aux syllogismes
ostensifs. 296
Chap. XIII. — Des syllogismes à propositions modales, relativement aux proposi-
tions de necessario. 299
Chap. XIV. — Des syllogismes contingents. 303
Chap. XV. — De la combinaison du contingent et du nécessaire dans trois figures
de syllogisme. 308
Chap. XVI. — Des syllogismes conditionnels des propositions simples. 311
DU CINQUIÈME VOLUME. 535
Chap. XVII. — Des syllogismes conditionnels avec des propositions hypothétiques
composées. 3^3
Chap. XVIII. — Des syllogismes disjonctifs et des propositions réduplicatives, de la
conversion par comparaison. 317
TRAITÉ XI.
DU MÊME ACTEUR , DU SYLLOGISME DÉMONSTRATIF.
Chapitre premier. — Ce que c'est que le syllogisme démonstratif. 321
Chap. II. — Ce que c'est que dici de omni premièrement de soi, ou universellement. 322
Chap. III. — Que la démonstration procède de choses vraies et nécessaires. 325
Chap. IV. — Que la démonstration procède de prémices où elle se trouve per se et
non per accidens. 32t;
Chap. V. — Que la démonstration procède de choses premières et immédiates. 328
Chap. VI. — Que la démonstration procède de choses propies, et non d'étrangères
ni de communes. 329
Chap. Vil. — Que la démonstration procède de choses connues par elles-mêmes. 33/»
Chap. VIII. — Que la démonstration procède des causes de la conclusion. 330
Chap. IX. — Que la démonstration principale affirmative ne se fait que dans la pre-
mière figure et dans son premier mode. 339
Chap. X. — Que la démonstration principale négative doit se faire dans le second
mode de la seconde figure. Ml
Chap. XI. — Que la démonstration quia procède de l'effet de la cause, ou des causes
éloignées à l'effet. 344
Chap. XII. — Que dans une démonstration il ^ a quelque chose de connu avant la
conclusion, et quelque chose après que la démonstration est faite. 347
Chap. XIII. — Que la science qui procède par la cause et qui dit la forme est plus
certaine que celle qui procède par l'effet et dit la matière. 351
Chap. XIV. — Que l'unité formelle de la science se tire de l'unité formelle du sujet
suivant la nature de l'objet de la science. 353
OPUSCULE XLYIII.
Du sens par rapport aux choses singulières, et de l'intellect par rapport
AUX UNIVERSELLES. "*■>»■
OPUSCULE XLÏX.
DU MÊME DOCTEUR , DE L'INVENTION DU MOYEN TERME. 3^8
OPUSCULE L.
DU MÊME DOCTEUR , DE LA NATURE DE LA LUMD2RE.
OPUSCULE LI.
DU MÊME AUTEUR , DE LA NATURE DU LIEU.
OPUSCULE LU. ]
Du MÊME AUTEUR , SUR L'INTELLECT ET L'INTELLIGIBLE.
OPUSCULE LUI.
DU MÊME DOCTEUR , DE QUO EST ET QUOD EST.
■ 362
3ti8
380
388
536 TABLE DES MATIÈRES DU CINQUIÈME VOLUME.
OPUSCULE LIV.
DU MÊME DOCTEUR. SUR LES UMVERSAUX. :{<).,
OPUSCULE LV.
Second traité sur les umversai \. ;o'i
OPUSCULE LVI.
1)1 Ml Mi: DOCTEUR. OFFICE DE LA FETE DU CORPS DE JÉSUS-CHRIST, COMPOSE SUR LORDRE
du pape Urbain IV, qui a établi cette fête. ,',1<;
OPUSCULE LVII.
Dp même docteur, sur le sacrement adorable de l'autel.
Chapitre premier. — Des trois causes de l'institution du sacrement du corps du
Sauveur. « 435
Chap. IL — La première cause de l'institution de ce sacrement, c'est le souvenir du
Sauveur, en lui-même, et la préparation à son jugement. 443
Chap. III. — De la seconde cause de l'institution du sacrement de l'Eucharistie , à
savoir du sacrifice de l'autel. ,',/,s
Chap. IV. — Troisième observation à faire sur le sacrifice , ou excellence de notre
sacrifice. 45s
Chap. V — Troisième cause de l'institution de ce sacrement; c'est la nourriture
de l'homme. 460
Chap. VI. — Des deux autres raisons pour lesquelles le Christ nous donne son corps
en aliment. 4Gf>
Chap. VIL — De la forme de la donation , c'est-à-dire quelle est la cause pour la-
quelle il nous donne ce sacrement voilé. 471
Chap. VIII. — Des deux autres raisons pour lesquelles nous recevons le corps de Jé-
sus-Christ sous un voile. .',77
Chap. IX. — De la forme du don, qui nous est fait sous l'espèce du pain. 482
Chap. X. De la forme du don nui nous est fait sous l'espèce du pain de froment. 487
Chap. XL — Des trois merveilles qui s'opèrent dans la consécration. 492
Chap. XII. — Du troisième miracle qui s'opère dans la consécration. 499
Chap. XIII. — Des trois merveilles que l'on doit considérer dans la possession du
corps de Jésus-Christ. 50 '1
Chap. XIV. — Des trois merveilles qui s'opèrent dans la perception du corps de
Jésus^Christ. 510
Chap. XV. — Qualités de la préparation requise de nous pour recevoir le sa-
crement. 510
Chap. XVI. — De notre préparation à un troisième point de vue , ou en tant que
l'agneau pascal est la figure du sacrement eucharistique. 523
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU CINQUIÈME VOLUME.
BESANÇON, TYPOGRAPHIE D ODTHENIN-CHALANDRE FILS.
THOMAS AQUIHAS, St. ^
Opuscules. .JJk
.F6
v.5