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Full text of "Opuscules d'un arabisant, 1868-1905: Antar; Le Coran; Ibn al-Kifti; La Haggâdâh de la Paque juive; Quatre lettres missives d'Alboacen; Michele Amari; Adolphe Franck; Maximin Deloche; Les Derenbourg; Bibliographie de H.D"

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ori  SCI  I  i;s  diin  ai{ai{|s\m 


iKC.S-l'.Ki: 


IlAUiwiG  DKRKMHOLUG 

Membre  de  l'Institut 


Opuscules 


d'un 


Arabisant 


1868-1905 


Antar.  —  Le  Coran.  —  Ihn  Al-Kiftî. 

—  La  Haggadah  de  la  Paqle  juive. 

—  Quatre  lettres  missives  d'Alboa- 
GEN.  —  Michèle  Amari.  —  Adolphe 
Krangk.  —  Maximin  Deloghe.  —  Les 

DeRENBOURG.     —     I3IBLIOGRAPHIE     DE 

H.  D. 


(^Pti-fP^^^"^^ 


PARIS 

CHARLES  CARRIXGTOX,  Libraire-Éditeur 

13,  Faubourg  Montmartre,  l'\ 

1905 


114b6G4 


A  mon  cher  cl  vcncvc  Confrcrc 
Monsieur  Henri  WKIL 

Membre  de  VlnslUut 


A  IHonimc!     An  Sfuuml  !     A  l'Anii! 


AVAM-PROPOS 


]^)iir(jii()i  ceci  plulnl  (iiiecclci?  P()iii'(|U()i  lu  Viu 
(le  Michèle  Anniri  pliilôl  (]ue  ki  Bio^i'aphie  de 
Silvestre  de  Saev  ?  ()ue  de  eiirieuses  ou  suhlik^ 
tliéories  je  pourrciis  émettre  pour  justifier  mes 
choix!  Klles  ne  sernienl  que  mimge  et  ficlion.  Les 
choses  se  sont  passées  plus  simplement:  j'ai  réim- 
primé les  morceaux  i)()ur  lesquels  mes  entrailles 
de  père  avaient  conçu  le  i)lus  d'afTection,  comme 
étant  mes  enfants  les  ])lus  oubliés  ou  les  plus 
ignorés, parexem|)le  «  Anlar))el  <(  la  (lomposilion  du 
(loran  »,  deux  péchés  de  jeunesse,  (<  Adolphe  Franck 
et  la  Société  des  études  juives»,  iVagmenI  d'un 
discours  |)ron()ncé  dans  une  séance  solennelle  de 
celle  Société  savante,  discours  enfoui  si  profondé- 
ment dans  les  annexes  de  sa  Hcinie  quil  avait 
écha[)pé  à  l'enquête  clairvoyante,  miiuilieuse,  bien 
informée  et  bien  conduile  du  dernier  biograi)he  de 
Franck,  mon  ami  trop  lot  disparu,  le  j)oéle  lùigéne 
Manuel'.  Ma  collaboration  au  Journal  des  Sdiuinls 

•  Eugène  Manuel,  Préface  (p    i-xxxii)    en    tèlc    de    Adolphe 
Franck,  Xoiwellcs  éludes  orientales,  Paris,  1896. 


VI  AVANT-PROPOS 


est  largement  représentée  dans  les  Opuscules 
duii  (wahlsant.  La  série  sur  ^lichele  Amari  v 
avant  été  interrompue  brusquement  par  des  cir- 
constances indépendantes  de  ma  volonté,  je  lui 
ai  ajouté  un  sup])lément  inédit,  conçu  dans  la 
même  pensée  d'admiration  pour  un  beau  caractère 
d'homme  et  pour  une  science  impeccable  d'érudit. 

Les  deux  derniers  chapitres  du  volume  risquent 
d^ètre  dénoncés  comme  empreints  d^un  individua- 
lisme outré.  Je  ne  nie  pas  qu'ils  pourraient  me  faire 
accuser  d'orgueil,  voire  même  d'outrecuidance,  je  ne 
méconnais  pas  qu'ils  auraient  donné  barre  contre 
moi  aux  malveillants  et  aux  détracteurs,  s'il  v  en 
avait  dans  ce  paradis  terrestre,  où  les  humains  sont 
si  bienveillants  les  uns  pour  les  autres.  Mon  opti- 
misme, héréditaire  et  inébranlable,  maintiendra 
jusqu'à  la  fin  sa  résidence  favorite,  sa  tour  d'ivoire, 
avec  la  compagne  qui  l'a  partagé,  entretenu, 
afFermi  et  sauvé  de  l'effondrement,  avec  ses  amis 
les  rêves,  avec  ses  amies  les  espérances,  que  le 
vulgaire  appelle  des  illusions. 

Je  n'ai  d'ailleurs  pas  réédité  Les  Derenbourg,  qui 
avaient  paru  en  Amérique  tronqués  et  écourtés,  ni 
prolongé  la  bibliographie  de  mes  livres,  brochures 
et  articles  jusqu'au  commencement  de  1905  pour 
mes  confrères  d'aujourd'hui  seulement^  mais  je  me 
suis  préoccupé  surtout  de  faciliter  la  tâche  à  mon 
successeur,  quel  qu'il  soit,  un  ami,  un  indifférent 
ou  un  inconnu,  en  tout   état  de  cause  condamné, 


AVANT-I'HOPOS 


VII 


(le  par  son  élection,  n  me  eonsaei'er  une  notice. 
Si  je  duie  (juelques  années,  je  prends  envers  ce 
savant,  dont  j'ignore  juscju'an  nom  et  ancfuel  je 
reurette  de  ne  pouvoir  donner  ma  Noix,  l'enuaue- 
ment  de  mettre  au  courant,  sans  trop  de  relard,  j)ar 
des  suj)i)léments  la  bil)liograplne  actuelle,  (]ui  lui 
est  particulièrement  destinée  par  son  prédécesseur. 


Briinij;,  ce  'Jô  juillet  li)()4. 


I 


I 


Le   poète  antéislamique  Antar 


Le  poète  antéislamique  Antar 


Anlar  est  pour  les  Aral)es  rincarnation  du  Héclouiii; 
le  Prophète  Mohammad  re<^rctte  de  ne  pas  l'avoir 
conuu  -  el,  après  lui,  les  i^énèralions  (pii  se  succèdent 
concentrent  sur  ce  héros  tous  les  souvenirs  (pie  leur  a 
légués  la  Iraililion  nationale.  La  légende  du  vieil  Antar, 
en  passant  de  bouche  en  bouche,  répétée  et  transfor- 
mée par  de  nond)reux  rhapsodes ''\  s'est  enrichie  ])en- 
dant  plusieurs  siècles  avant  d'être  fixée  ;  et  la  fan- 
taisie orientale  s'est  donné  libre  carrière,  ajoutant  un 
trait  à  la  physionomie  du  personnage,  un  fait  d'armes 
à  la  liste  de  ses  triomphes,  un  poème  à  la  collection 
de  ses  vers  K  Ainsi  s'est  formé  le  Sirat  'Anfara,  le  ro- 
man d'Antar  cpii,   par  l'étendue  variable  de  son  con- 


*  Journal  Asiatique  de  18G8,  II,  p.  454-4G2,  à  propos  de  Ilein- 
rich  Tiiorbeclvc,  Antarali,  ein  vorislamiclicr  Diclilcr,  Leipzig,  18G7. 
Dans  ces  quelques  pages,  j'ai  substitué  le  populaire  Antar  au 
scientifique  'Antara. 

'^  Caussin  de  l^erceval,  Essai  sur  iliisloire  des  Arabes  avant 
rislamisme,  II,  p.  521  ;  III,  p.  218. 

^  Il  v  avait  des  'anàtira,  c'est-à-dire  des  hommes  dont  le 
métier  était  de  colporter  et  de  réciter  les  exploits  d'Antar. 

^  Le  poète  et  orientaliste  Fr.  Hùckert  a  prouvé  qu'un  certain 
nombre  des  poésies  attribuées  à  Antar  dans  le  Homan  d'Antar 
sont  basées  sur  des  vers  qui  se  trouvent  dans  \q  Diivàn  du  poète 
et  qui  sont  réellement  de  lui  ;  cf.  Zeitscliri/t  der  deutsch.  morg. 
Gesellschaft,  II  (1848),  p.  202. 


Opiiscnli'S  d'iiu  aral)isaiit 


tenu  et  par  la  nature  des  récits  variés  et  divers  qui  s'y 
sont  glissés  tour  à  tour,  était,  comme  les  Mille  el  une 
nuils,  destiné  à  rester  anonyme.  Un  tel  ouvrage  est  de 
ceux  auxquels  toute  une  nation  a  collaboré,  dont 
personne  ne  se  prétend  l'auteur.  Les  noms  d'Al-Asma- 
'î,  d'Aboù  'Obaida,  de  Wahb  ibn  Mounabbih  ne  sont  cités 
en  tête  de  chaque  paragraphe  que  pour  donner  plus 
d'autorité  à  ces  aimables  fictions.  Leur  lecture,  qu'Aloïs 
Sprenger  se  plaignait  de  voir  trop  délaissée  ',  peut  être 
d'une  arande  utilité  comme  introduction  à  l'étude  des 
plus  anciens  poètes  arabes  -. 

Mais,  à  côté  de  ce  roman^  ou  plutôt  de  cette  épopée, 
dont  Antar  est  le  héros,  nous  avons  des  documents 
sur  son  histoire  et  un  recueil  contenant  vingt-sept  de 
ses  poésies  ^.  M.  Heinrich  Thorbecke,  ce  doux  géant 
qui,  le  3  janvier  1890,  a  été  terrassé  en  pleine  activité, 
enlevé  à  notre  amitié  et  à  notre  admiration,  avait  réuni 
dans  sa  substantielle  brochure  les  matériaux  qu'il  avait 
trouvés  sur  le  «  poète  antéislamique  ».  Et  il  avait  pris 
comme  base  de  son  exposé  le  chapitre  du  Kiiàh  al- 
agâni  sur  Antar  ^.  Les  douze  premières  pages  sont 
consacrées  au  texte  de  ce  chapitre,  qui  est  publié 
d'après  les  manuscrits  de  Gotha,  de  Paris  et  de  Berlin; 
la  dissertation  et  les  notes  occupent  les  pages  13-44. 
L'édition,  comme  la  biographie  d'Antar  et  les  notes 
qui  l'accompagnent,  témoignent  de  beaucoup  de  science 
et  d'érudition  :  on  sent  bien  que  les  comparaisons  et 
les  citations  sont  puisées  dans  un  riche  trésor  qui  n'a 

1  Sprenger,  Bas  Leheii  iiiid  die  Lehre  des  Mohammad,  III,  p.  548. 

-  Thorbecke,  Antarah,  p.  33. 

3  Une  partie  de  ces  documents  avait  déjà  été  utilisée  par  le 
baron  de  Slane  dans  sa  Notice  sur  Aiitava  [Journal  asiatique 
de  1838,  I,  p   445  et  suiv.) 

'*  Le  chapitre  a  été  traduit  un  peu  librement  par  Perron  dans 
le  Journal  Asiatique  de  1840,  II,  p.  515  et  suiv. 


Le  poète  antéisIaniKiiie  Aiitar 


pas  été  réuni  pour  la  circonstance,  mais  dans  lequel 
un  choix  heureux  a  été  fait  avec  discrétion  et  sûreté. 

Ahoii  Ma'àya  'Antara  (Antar)  i])n  Shaddàd  ibn  Mou- 
'âwya  était  le  fds  d'une  esclave  abyssine,  nommée 
Zabîba.  Aussi  la  couleur  de  ses  traits  fit-elle  mettre 
Antar  au  nombre  des  «  corbeaux  des  Arabes  »  ^ 

Condamné  par  l'obscurité  de  sa  naissance  à  l'escla- 
vage, il  ne  fut  reconnu  par  son  père  que  lorsque  ses 
exploits  eurent  rendu  son  nom  célèbre.  La  femme 
légitime  de  son  père,  Soumayya  (peut-être  Souhaiyya) 
le  persécutait  et  l'accusait  d'avoir  voulu  la  séduire. 
Schaddâd  s'irrita  contre  son  fils  et  le  frappa  violem- 
ment. Sur  ces  entrefaites,  Soumaiyya,  qui  l'avait 
accusé,  s'interposa  en  sa  faveur  et  pleura  sur  les 
blessures  qu'avaient  faites  ses  calomnies.  C'est  à  ce 
propos  que  le  poète  dit  les  vers  suivants  : 

Est-ce  que  les  larmes  qui  coulent  des  yeux  de  Sou- 
maiijya  sont  de  vraies  larmes  ?  Pourquoi  iiai-je  rien 
connu  de  semblable  chez  toi  avant  ce  jour  ? 

Alors  quelle  se  détournait  de  moi  sans  me  parler^  je 
croyais  voir  une  gazelle  de  'Ousfàn  impassible,  aux  yeux 
injectés. 

Elle  m'a  préservé  du  bâton  qui  tombait  sur  moi;  et  elle 
ni  est  apparue  comme  une  statue  vénérée  qu'on  visite 
souvent. 

*  L'époque  antéislasmique  compte  trois  «  corbeaux  des 
Arabes  »  ;  cf.  Ibn  Kotaiba,  Liber  poësis  et  poëlariim,  éd.  De 
Goeje,  p.  131  :  «  II  était  un  des  corbeaux  des  Arabes,  et  ils  sont 
trois  :  Antar,  Khoufàf  ibn  Nadba,  dont  la  mère  était  noire,  et 
qui  a  été  nommé  d'après  elle,  tandis  que  son  père  était  'Oumair, 
et  Soulaik  ibn  Soulaka  As-Sa'dî.  »  D'après  le  Kàmoùs,  le  sobri- 
quet de  corbeaux  fut  appliqué  également  un  peu  plus  tard  à  des 
hommes  remarquables  par  leur  teint  foncé,  par  exemple  aux 
deux  grands  poètes  Ta'abbata  Scharran  et  Schanfarà.  Thorbecke 
a  donné  une  savante  notice  sur  Khoufàf  ibn  Xadba  (p.  36,  note  13). 


6  Opuscules  d'un  arabisant 

Mon  bien  est  votre  bien  ;  esclave  que  je  suis,  je  suis 
votre  esclave.  Ta  punition  s  est-elle  donc  détournée  de 
moi? 

Oublies-tu  mon  courage,  quand  la  lutte  était  chaude 
et  que  se  précipitaient  cm  combat  les  juments  longues  et 
élancées  ? 

Elles  se  précipitcùent,  alors  que  leurs  selles  étaient  cou- 
vertes de  sueur,  tandis  que  leurs  cavaliers  les  poussaient 
en  avant,  les  narines  gonflées,  pleins  d'ardeur  ? 

Quand  je  me  mesurerai  avec  mon  ennemi,  je  le  frap- 
perai de  coups  qui  laissent  leurs  traces,  de  ces  coups  qui 
font  pâlir  la  main  de  celui  qui  les  reçoit  et  qui  l'épui- 
sent. 

Antar,  l'esclave  poète,  le  guerrier  juvénile  ^ ,  devait 
gagner  sa  liJ3erté  sur  le  champ  de  bataille.  Dans  une 
lutte  que  les  'Absites  soutenaient  contre  une  tribu  voi- 
sine^ son  père  lui  cria  «  Au  combat,  Antar  !  »  Antar 
répondit  :  «  Un  esclave  n'est  pas  fait  pour  combattre, 
mais  pour  traire  les  vaches  et  pour  lier  les  chamelles.  » 
Le  père  reprit  :  «  Au  combat  I  tu  es  libre.  »  Il  s'élança, 
en  disant  : 

Je  suis  Antar,  le  fils  d'une  esclave; 

Tout  homme  défend  le  ventre  de  sa  mère. 

Que  ce  ventre  soit  rouge  ou  noir. 

Même  Vhomme  dont  les  cheveux  sont  crépus. 

Antar  prit  alors  part  à  la  lutte  et  fd  preuve  d'une 
grande  bravoure.  Son  père  le  reconnut  et  l'inscrivit  sur 
ses  tables  généalogiques. 

C'est  de  ce  moment  que  date  la  vie  propre  du  poète. 

^  Antar  prit  plus  tard  en  horreur  les  luttes  et  les  combats.  On 
lui  dit  un  jour  :  «  Décris  la  guerre.  »  Il  répondit  :  «  Au  début, 
lamentations  ;  au  milieu,  mystère;  à  la  fin,  déboire  »  (Ibn  'Abd 
Rabbihi,  Al-'Ikd  al-farid,  I.  p.  36. 


Le  poète  antéislamique  Antar 


Il  fit  de  nombreuses  campagnes,  accomplit  des  prouesses 
et,  plus  tard,  on  reprochait  à  sa  tribu  d'avoir  eu  un 
noir  pour  défenseur.  Lui-même  se  vante  plus  d'une 
fois  de  son  origine,  il  se  considère  comme  un  parvenu 
c(  dont  la  mère  est  de  la  race  de  Cham  »,  mais  il  a  «  son 
épée  pour  se  défendre  ». 

Ses  exploits  peuvent  être  partagés  en  trois  groupes  : 
les  luttes  contre  les  ennemis  de  'Abs  au  jour  de  Dàhis, 
celles  contre  les  familles  de  Tamîm  et  celles  contre  les 
Tayyites.  Heinrich  Thorbecke,  à  qui  nous  empruntons 
cette  division,  ne  s'est  pas  contenté  de  nous  tracer 
les  contours  du  cadre  ;  il  l'a  rempli  grâce  au  Kitâb  al- 
agânî,  grâce  aussi  au  Diwân  '  et  aux  notes  qui  y 
sont  insérées  en  tête  de  chaque  poésie.  Ces  notes  peu- 
vent devenir  comme  un  commentaire  suivi,  parfois 
aussi  servir  de  contrôle  pour  les  notices  biographiques 
de  VAgâiiï. 

^  Heinrich  Thorbeclve  avait  en  1867  annoncé  une  édition 
critique  prochaine  du  Diwàn.  Avec  quelle  perfection  il  l'eût 
exécutée,  ses  Collectanea  conservés  à  la  Bibliothèque  de  la 
Société  asiatique  allemande  (voir  Zeitschrift  d.  dciifscheii  morg. 
Gesellschaft,XL\,  1891,  p.  465-492,  et  en  particulier  p.  472)  permet- 
traient de  le  présumer  même  à  ceux  de  mes  confrères  qui  n'ont 
pas  eu,  comme  moi,  la  chance  d'avoir  leurs  épreuves  revisées, 
leurs  éditions  améliorées  par  un  collaborateur  de  cette  puissante 
envergure.  Le  seul  regret  de  ma  reconnaissance  posthume  est 
d'avoir  accaparé  à  mon  profit  une  parcelle  d'une  existence  stu- 
dieuse qui  devait  être  de  si  courte  durée.  Ma  consolation,  c'est 
qu'aucun  crime  n'a  recruté  autant  de  complices  sans  scrupules. 
Thorbecke,  dans  son  abnégation  altruiste,  continuait  les  tradi- 
tions de  notre  maître  à  tous  deux,  Lcberecht  Fleischer.  Quant 
an  Diwàn  d'Antar,  Tun  des  nombreux  rêves  que  mon  ami  n'a 
pas  réalisés,  il  a  été  publié  presque  aussitôt  par  le  Nestor  de 
nos  études,  aujourd'hui  encore  sur  la  brèche,  le  professeur  \Y. 
Ahhvardt,  dans  ses  Divans  of  the  six  ancient  Arabie  poeis  (Lon- 
don,  1870),  auxquels  il  vient  de  donner  des  suppléments  pré- 
cieux dans  les  trois  volumes  de  sa  Sammliing  aller  arabiseher 
Diehler  (Berlin,  1902-1903). 


8  Opuscules  d'un  arabisant 

Anlar  doit  avoir  atteint  un  âge  très  avancé  puis- 
qu'une glose  parle  de  ses  cent  vingt  ans.  Il  a  dit  lui- 
même  : 

Ce  ne  sont  pas  les  fatigues  de  la  guerre  qui  m'ont 
épuisé,  mais  les  années  de  ma  vie  qui  se  sont  écoulées.... 

Il  y  a  dans  VAgânl  trois  versions  sur  les  circons- 
tances qui  accompagnèrent  sa  mort.  D'après  la  pre- 
mière, il  fut  tué  par  Wizr  ibn  Djâbir,  de  la  tribu  des 
Banoù  Xabhân  ;  selon  la  deuxième,  après  une  défaite 
de  sa  tribu,  il  tomba  de  cheval  au  moment  où  il  vou- 
lait fuir  et  fut  tué  par  les  avant-postes  des  Tayyites. 
Enfin,  on  raconte  que,  dans  sa  vieillesse^  réduit  à  la 
misère,  il  fut  obligé  de  mettre  tout  en  œuvre  pour 
vivre.  Ayant  à  réclamer  un  jeune  chameau  à  un  homme 
de  Gatafân,  il  partit  et  mourut  en  route,  frappé  par  un 
de  ces  vents  chauds  d*été  qui  ne  pardonnent  pas. 

A  ces  récits,  M.  Thorbecke  aurait  pu  ajouter  une 
autre  tradition  qui  est  rapportée  d'après  Aboû  TJbaida 
par  Ibn  Doraid  ^  «  Un  des  Banoù  'Abs  est  'Antara 
(Antar)  ibn  Shaddâd,  un  des  cavaliers  et  des  poètes 
arabes.  Il  fut  tué  par  un  Tayyite,  à  ce  que  pensent  les 
Arabes  et  la  plupart  des  savants.  Mais  Aboû  'Obaida 
le  nie  et  dit  :  (^  Il  mourut  de  froid  à  un  âge  très 
avancé.  » 

J'aime  mieux  pour  Antar  la  première  tradition  qui 
le  fait  mourir  sur  un  champ  de  bataille,  en  s'écriant^  : 

Cest  Ibn  Salmâ,  sachez-le  bien,  qui  a  versé  mon  sang. 
Hélas  !  il  ng  a  à  espérer  ni  de  mettre  la  main  sur  Ibn 
Salmû,  ni  de  venger  mon  sang. 

^  Ibn  Doraid,  Kllûb  (il-ischtikâk  (cd.  Wûstenfeld),  p.  17. 
2  Afjâiii,  VH,  p.  152;  Ahlwardt,  The  Divans,  p.  181. 


Lo  |)(>ôt(*  antéislaini(iii(»  Aiitar  9 

Lorsquil  s\ivancc  au  milicn  des  inonta(jncs  de  Tuijij 
à  la  hauteur  des  Pléiades,  il  est  inébraid(dde. 

Il  tira  sur  moi  sans  crainte,  avec  une  jtèche  bleuâtre, 
pénétrante,  au  soir  oii  F  on  campa  entre  un  pic  et  une 
colline. 

Mais  riiisloire  n'a  pas  à  se  préoccuper  d'embellir 
ses  personnages.  Or,  raulhenlieitê  de  ces  vers  est  loin 
d'être  garantie  par  des  preuves  irrécusables. 


Il 


La  composition  du  Coran 


La  composition  du  Coran  * 


Je  voudrais  essayer  de  montrer  ce  qu'est  le  Coran 
dans  son  ensemble  et  comment  s'est  formée  cette  vaste 
collection  de  114  sourates  ou  chapitres. 

Si  nous  considérions  le  (^oran  comme  une  (Luivre 
divine,  si  nous  avions  pour  la  parole  de  Mahomet  '^  la 
dévotion  qui  est  imposée  à  ses  adhérents,  la  piété  dimi- 
nuerait la  liberté  et  la  franchise  de  nos  aj)préciations, 
et  nous  n'apporterions  pas  dans  cette  étude  une  somme 
suffisante  d'impartialité  et  de  désintéressement.  Pour 
le  Musulman,  l'exégèse  du  Coran  tait  partie  de  la  reli- 
gion, car  ce  code  divin  émane  d'Allah,  qui  l'a  révélé 
au  Prophète.  Mais  nous,  en  étudiant  le  Coran,  nous 
ne  faisons  pas  de  la  théologie,  nous  jugeons  une  œuvre 
littéraire  et  nous  lui  assignons  sa  place  dans  l'histoire 
de  l'humanité,  sans  nous  laisser  entraîner  par  un  élan 
d'enlhousi^asme  fanaticjuc,  mais  aussi  sans  chercher  à 

'  Leçon  d'ouverture,  fiiite  au  commencement  de  février  1869, 
d'un  cours  litjre  sur  la  langue  et  la  littérature  arabes,  professé 
en  1869  et  187U  ù  la  Sorbonne  (salle  Gerson),  leçon  (jui  a  été 
publiée  dans  la  Revue  des  eoiirs  littcraires  de  la  Freinée  et  de 
rétranger,\\,  numéro5dul7avrill869.  Je  n'aipas  osé  transformer 
cet  exposé,  ancien  et  vieilli,  qui  a  des  rides  trop  visibles.  Sauf 
quelques  retouches  nécessaires,  je  n'ai  tenté  de  rajeunir  et 
d'améliorer  que  les  traductions  du  (^oran. 

-  Je  conserve  cette  prononciation  incorrecte,  imposée  par 
l'usage,  au  lieu  de  Mohammad.  De  même  pour  Coran. 


14  Opuscules  d  un  arabisant 

décrier  ou  à  ravaler  de  parti  pris  un  livre  adopté  et 
consacré  par  une  foi  vieille  aujourd'hui  de  douze 
siècles. 

La  critique  moderne  fut  naturellement  amenée  à 
faire  entrer  le  Coran  dans  le  cadre  de  ses  recherches. 
Il  y  avait  là  un  prohléme  digne  d'exciter  la  curiosité  et 
de  provoquer  la  méditation.  Le  Mahomet  de  la  légende 
et  le  Coran  de  la  tradition  devaient-ils  rester  dehout  ou 
céder  la  place  au  Mahomet  et  au  Coran  de  l'histoire? 
MM.  Weil,  Caussin  de  Perceval,  Muir,  Sprenger  et 
Nœldeke  ont,  chacun  pour  sa  part,  contrihué  à  corri- 
ger les  erreurs  accréditées  et  à  leur  suhstituer  une 
image  ressemhlante  du  Prophète.  Michèle  x\mari  nous 
donnera  un  jour  l'ouvrage  qu'il  a  composé  sur  le  même 
sujet  ',  et  que  rx\cadémie  des  inscriptions  et  helles- 
lettres  a  couronné  en  le  mettant  de  pair  avec  ceux  de 
maîtres  comme  MM.  Sprenger  et  Xœldeke.  L'exégèse 
du  Coran  est  aujourd'hui  une  science,  et  un  Anglais, 
M.  Pxodwell,  n'a  pas  craint,  dans  un  essai  peut-être 
prématuré,  de  puhlier  une  traduction  du  Coran,  dis- 
posé d'après  la  composition  présumée  des  divers  mor- 
ceaux '-.  MM.  Weil  et  Muir  ont  donné  des  listes  chrono- 
logiques des  sourates  \  La  saine  appréciation  du  Coran 
a  aussi  beaucoup  gagné  aux  articles  que  M.  Barthélémy 
Saint-Hilaire  a  insérés  dans  le  Journal  des  Savants 
de  1863  et  1864.  Ce  résumé  lucide  sert  fréquem- 
ment à  préciser  la  pensée  qu'il  analyse,  et  restera  long- 
temps la  meilleure  introduction  à  la  connaissance  du 
Coran  et  de  son  auteur. 

'  Amari  est  mort  en  1889,  sans  avoir  consenti  à  réaliser  mon 
vœu.  Voir  sa  biographie  dans  ce  volume,  p.  86  et  saiv. 

^  Londres,  1861,  in-12. 

3  M.  ^Yeil,  Mohammed  der  Prophet,  p.  364;  M.  Muir,  The  life  of 
Mahomet,  II,  p.  318. 


La  conipositioii  du  Coran  15 

Au  moment  où  Mnliomel  parut,  im  ffraïul  mouve- 
mciU  des  esprits  ai^itait  la  péninsule  aiahicpie.  La 
poésie  fut,  eomme  partout  ailleurs,  l'expression  j)re- 
mière  de  cette  excitation  nouvelle,  et  les  rythmes  les 
plus  savants  turent  inventés  spontanément  et  comme 
instinctivement  par  des  hommes  doués  d'une  oreille 
fine  et  d'un  sentiment  musical,  que  l'éducation  n'avait 
encore  ni  dévelo|)pé,  ni  altéré.  Chacpie  tiihu  [)osséda 
ses  chantres,  dont  elle  était  tière,  et  dont  les  nohles 
accents  retentissaient  dans  les  cojurs.  La  lermentation, 
encore  latente,  éclata  })ul)li(piement  au  contact  de 
l'ardeur  poéti([ue,  et  se  répandit  avec  fracas  de  toute 
part.  Révolution  dans  la  langue,  révolution  politique, 
révolution  religieuse,  telles  furent  les  conséquences 
lorcées  et  fatales  de  cet  entrainement  qui  se  commu- 
niquait de  proche  en  proclie,  et  auquel  aucune  force 
n'aurait  pu  résister. 

Parmi  les  idées  fécondes  qui  avaient  germé  dans 
ces  natures  jeunes  et  exubérantes,  l'idée  monothéiste 
parait  s'être  accusée  avec  le  plus  d'énergie.  On  ne  sait 
pas  à  quelle  époque  le  judaïsme  avait  pénétré  pour  la 
première  fois  en  Arabie.  La  question  est  assez  obscure 
pour  qu'un  savant  comme  M.  Dozy  ait  en  vain  cherché 
à  y  répondre  dans  ses  «.  Israélites  à  La  Mecque  »  L 
Mais,  en  tout  cas,  les  croyances  des  Juifs  avaient 
exercé  une  grande  et  salutaire  inlluence  sur  des  popu- 
lations qui  affirmaient  leur  communauté  d'origine 
avec  eux,  sur  des  populations  qui  se  disaient  issues 
d'Abraham  par  Ismaël,  comme  les  .Juifs  étaient  les 
descendants  d'Abraham  par  Isaac.  Un  prince  hymyarite, 
Dhoù  Nouwàs,  s'était  même  converti  au  judaïsme.  L'ac- 

»  Leipzig,  1864. 


16  Opuscules  d'uu  arabisant 

lion  de  l'idée  juive  sur  l'islamisme  naissant  *  a,  dès  1833, 
été  reconnue  et  démontrée  par  Abraham  Geiger  -, 
qui  a  ainsi  préludé  à  cette  série  de  travaux  importants, 
qui  rendent  son  nom  justement  célèbre  en  Europe.  Le 
christianisme  comptait  aussi  en  Arabie  de  nombreux 
adhérents  :  il  dominait  le  Nord  par  les  rois  de  Hîra  et 
de  Gassàn,  le  centre  par  Médine,  le  Sud  par  les  évêchés 
du  Yémen.  A  côté  de  ces  religions  qui  s'appuyaient  cha- 
cune sur  un  livre  révélé  et  qui  n'ont  pas  pris  racine 
sur  le  sol  de  l'Arabie,  il  se  constitua  des  groupes  de 
croyants,  qui  furent  des  Musulmans  avant  l'islamisme. 
Ce  sont  ceux  qu'on  appelle  les  hanîf,  littéralement 
d'après  les  uns  n.  les  pieux  »,  d'après  les  autres  «  ceux 
qui  inclinent  vers  les  idées  nouvelles  ».  Mahomet  com- 
prit quels  services  une  telle  secte,  si  j'ose  ainsi  dési- 
gner ces  monothéistes,  unis  entre  eux  par  leur  haine 
commune  de  l'idolâtrie,  pouvait  lui  rendre  pour  le  suc- 
cès immédiat  et  pour  le  triomphe  définitif  de  sa  pro- 
phétie .  Aussi  Abraham  lui-même  n'est-il  pour  Mahomet 
«  ni  un  juif,  ni  un  chrétien,  c'est  un  hanîf  d  3. 

Pour  que  ces  éléments  divers,  en  se  fondant  et  en  se 
pénétrant,  pussent  former  une  religion  appropriée  à 
ces  peuples  et  destinée  à  satisfaire  leurs  aspirations 
en  les  réglant,  il  fallait  qu'un  homme  se  fit  le 
représentant  de  ces  tendances   encore  mal  définies,  il 


^  Voir  maintenant  mon  petit  mémoire  :  Les  noms  de  personnes 
dans  l'Ancien  Testament  et  dans  les  inscriptions  himyarites,  dans 
la  Revue  des  études  juives,  I  (1880),  p.  56-60. 

"^  Was  hat  Mohammed  aus  dem  Judenthume  aufgenommen  :' 
Bonn,  1833.  Cette  monographie  a  eu  les  honneurs  d'une  réim- 
pression en  1902. 

2  Coran,  in,  60.  Les  Muhammedanische  Studien  d'Ignaz  Gold- 
ziher  (Halle,  1889-1890),  qui  établissent  avec  autorité  l'antithèse 
entre  l'islamisme  et  ce  qui  l'a  précédé  en  Arabie,  ont  profondé- 
ment modifié  mon  point  de  vue. 


La  composition  du  Coran  17 

fallait  qu'un  homme  sût  imposer  une  discipline  à  ces 
âmes  ardentes,  éprises  de  liberté  et  enivrées  par  la 
transformation  qui  s'accomplissait  autour  d'elles  et  en 
elles-mêmes.  Le  r()le  n'était  pas  plus  l'acile  dans  la  con- 
ception que  dans  l'exécution,  et  le  courant  ne  pouvait  être 
ni  contenu,  ni  arrêté  :  il  devait  être  dirigé.  On  sait  (jue 
Mahomet  a  pleinement  réussi,  et  que  le  Coran  est  au- 
jourd'hui le  livre  sacré  de  plus  de  100. ()()(). ()()()  d'hommes 
disséminés  dans  trois  ])arlies  du  monde  '. 

Pour  ap})récier  le  Coran  à  sa  valeur,  pour  en  saisir  la 
portée,  soit  comme  œuvre  littéraire,  soit  comme  in- 
strument de  prosélytisme,  il  y  a  deux  points  qu'il  faut 
examiner  :  sa  composition  successive  et  sa  rédaction 
officielle.  Comment  les  diverses  sourates  ont-elles  été 
composées,  dans  quel  ordre  et  à  quelle  époque  ? 
Comment  sont-elles  parvenues  jusqu'à  nous  ?  Les 
avons-nous  dans  leur  intégrité  ?  N'ont-elles  pas  été 
changées  et  retouchées  sous  des  influences  religieuses 
ou  politiques?  Le  Coran,  tel  que  nous  le  possédons, 
est-il  en  entier  l'œuvre  de  Mahomet,  ou  n'est-il 
arrivé  à  sa  forme  actuelle  que  par  une  série  de  modi- 
fications et  de  remaniements?  Telles  sont  les  questions 
principales  que  pose  l'exégèse  du  Coran,  et  les  limites 
où  doit  se  renfermer  notre  entretien  nous  permettront 
à  peine  de  les  aborder.  Mais  du  moins  pourrons-nous 
constater  l'intérêt  que  présentent  les  progrès  impor- 
tants réalisés,  les  résultats  obtenus  et  les  solutions 
données.  Aucune  recherche  ultérieure  n'aura  le  droit 
de  les  ignorer  et  l'on  sera  obligé  de  les  accepter,  même 
pour  les  continuer  et  pour  les  dépasser. 

L'authenticité  du  Coran  n'a  jamais  été  mise  en  doute, 

»  M.  Roûhî  Khàlidî,  le  savant  consul  de  Turquie  à  Bordeaux, 
évalue  le  nombre  actuel  des  Musulmans  à  300,000,000.  Cherchons 
la  vérité  entre  les  deux  chiffres. 

2 


tS  Opuscules  d  un  arabisant 


et  la  science  n'a  fait  que  confirmer  et  sanctionner  la 
tradition  qui  nommait  Mahomet  comme  l'auteur  du 
Livre  dans  tous  ses  chapitres  et  dans  tous  ses  versets. 
Les  contradictions  même  qui  abondent  dans  le  recueil 
actuel,  et  qui  auraient  pu  faire  contester  l'unité  de  la 
composition,  ont  paru  une  preuve  de  plus  en  faveur  de 
l'authenticité.  A  la  lumière  de  l'histoire,  on  a  vu  que 
ce  manque  d'harmonie  entre  les  diverses  parties  répond 
aux  dispositions  changeantes  qui  se  sont  succédé  dans 
l'esprit  du  Prophète.  Aussi  fut-il  permis  de  se  donner 
carrière  dans  l'interprétation,  mais  la  lettre  est  de 
bonne  heure  devenue  intangible.  Les  exégètes  musul- 
mans ne  se  seraient  jamais  permis  de  changer  une 
ligne  du  texte,  de  substituer  une  phrase  ou  même  un 
mot  à  un  autre.  Mais  ils  n'ont  pas  craint  de  tourmenter 
le  sens  pour  en  tirer  des  conclusions  forcées  et  favo- 
rables à  leurs  desseins.  Ces  erreurs  voulues,  ces 
contre-sens  prémédités  ont  été  pour  la  première  fois 
introduits  dans  l'explication  du  Coran  par  'Abd  AUàh 
Ibn  'Abbàs,  surnommé  «  le  rabbin  »  ou  <:<  l'interprète 
du  Coran  »  ^  Il  a  formé  de  nombreux  élèves  qui  ont 
poussé  jusqu'à  ses  dernières  limites  l'art  de  faire  vio- 
lence à  un  passage  pour  y  mettre  par  surprise  une  inten- 
tion qui  n'était  pas  dans  la  pensée  de  l'auteur.  Ce 
fut  le  caractère  de  l'exégèse  au  premier  siècle  de 
l'hégire.  Au  ne  siècle,  on  commença  à  étudier  les  mots 
en  eux-mêmes  et  à  protéger  le  Coran  contre  l'invasion 
de  la  langue  vulgaire,  qui  peu  à  peu  gagnait  du  terrain 
et  semblait  en  route  pour  usurper  partout  la  place  du 
vieil  arabe.  Après  avoir  cherché,  expliqué  et  détourné 
les  allusions  du  Coran,  on  en  était  venu  à  l'étudier  au 
point  de  vue  de  la  langue  même,  en  vue  d'en  faire  la 
base  de  la  grammaire  et  du  lexique,  1 

1  Nœldeke,  Gescliichlc  des  Qorans,  p.  xxv.  4* 


La  composition  du  Coran  19 

Et  cepciulanl   MalioniL'l   ilail   loin   d'Olre  un  Icllré  : 
orj)hclinde  bonne  heure,  il  n'avait  pas  eu  de  direelioii, 
et  il  ne  sut  j)robablenîent  jamais  ni  lii'e,  ni  éerire  '.  Mais 
les  voyages  nombreux  qu'il  avait  laits  avaient  donné  à 
sa  pensée  une  maturité  précoce  cl  Tourni  à  son  inlelli- 
(^ence  des  sujets  de  réllexion  où  elle  se  comi)laisail.  Le 
man({ue  d'instruction   parait   étie    un   garant    pour    la 
sincérité  de   la  })r()phétie  de  Mahomet.  Un  espiit  trop 
cultivé  et  d'où  l'éducation   aurait  chassé  la  naïveté  et 
la  spontanéité  i)remières,  auiait  été  mal  préparé  à  rece- 
voir les  inspirations  de  l'r^sprit-Saint  et  de  l'ange  (iabriel. 
Le  i)rophéte  qui  parle  en  inspiré  est  appelé  à  montrer 
un  mélange  d'enthousiasme  et  d'abandon  ((ui  n'exclut 
pas  l'élévation  et  la  grandeur  dans  les  idées,  mais  (jui 
serait  allaibli   par   les    raninements  de   la  civilisation 
et  par  la  j)récision  rélléchie  de  la  science.  L'idée  reli- 
gieuse doit  remplir  et  dominer  le  prophète  à  tel  j)()int 
qu  en  la  répandant,  il  se  croit  poussé  par  une  impulsion 
irrésistible  à  faire  connaître  la  i)arole  de  Dieu.  11  est 
telles  des  prophéties  de  Mahomet,  où  il  s'imaginait  enten- 
dre résonner  à  son  oreille  le  son  des  cloches,  annon- 
çant la  révélation.  Il  en  est  d'autres  où  il  pensait  voir 
Allah  face  à  face  et  s'entretenir  avec  lui,  soit   dans  ses 
veilles,  soit  pendant   les  heures  de  son  sonnneil.  La 
prophétie  a  i)lusou  moins  une  part  de  songe,  de  rêverie 
et  d'hallucination. 

Chez  Mahomet,  il  faut  aussi  tenir  grand  compte  de 
son  état  nerveux.  Dès  sa  première  jeunesse,  il  avait  eu 
de  terribles  attaques  d'épile])iîie.  Les  si)ectateurs  devaient 
s'emparer  de  ce  phénomène  physique,  si  iirégulier 
et  si  inconstant  dans  ses  effets,  pour  y  chercher  le  signe 
d'une  intervention  divine.  Mahomet  lui-même  ne  dou- 

*  M.  Sprenger  a  soutenu  le  contraire. 


I 


20  Opuscules  d'un  arabisant  î 

I 

tait  pas  que  les  accès  de  son  mal  ne  fussent  pour  lui     j 

un  avertissement,  et  c'est  au  sortir  de  telles  crises  qu'il  1 
lança  ses  premières  prédications,  empreintes  d'un 
accent  si  farouche  et  d'une  précipitation  si  agressive. 
Ce  sont  comme  des  cris  jetés  au  milieu  de  la  douleur, 
comme  les  vibrations  qu'un  corps  maladif  produit  dans 
une  âme  inquiète  et  agitée.  On  n'y  rencontre  pas  le 
calme  mesuré  des  chapitres  plus  modernes,  mais,  en 
revanche,  au  lieu  de  développements  longs  et  prolixes, 
nous  avons  encore  la  concision  vigoureuse  et  la  netteté  | 
éléf^ante.  Plus  tard,  la  variété  des  expressions  devien-  l 
dra  l'uniformité  plate  et  monotone  d'un  style,  oîi  les 
mêmes  mots  seront  sans  cesse  répétés,  où  le  charme 
du  langage  restera  seul,  mais  sera  impuissant  à  dissi- 
muler l'absence  des  idées  et  le  vide  de  la  conception. 
Le  Prophète  ne  sera  plus  visité  que  de  loin  en  loin  par 
le  souffle  divin,  il  sera  soulagé  de  ces  surexcitations  que 
la  maladie  lui  apportait,  et  il  dictera  tranquillement  à 
ses  disciples  et  à  ses  secrétaires  cette  série  de  longues 
homélies,  qui,  en  dehors  de  la  première  sourate,  for- 
ment le  commencement  du  Coran.  Bien  plus,  il  ajoutera 
lui-même,  il  intercalera,  il  changera,  mais  à  tête  repo- 
sée, et  sans  le  feu  sacré  de  la  révélation.  On  le  voit,  le 
point  de  vue  esthétique  servira  de  puissant  auxiliaire 
pour  une  saine  exégèse  du  Coran. 

Il  est  permis  de  poser  en  règle  générale  que,  dans  le  ^ 
Coran,  les  tirades  les  plus  belles,  les  plus  saillantes,  je 
dirai  même  les  plus  inspirées,  sont  aussi  les  plus 
anciennes.  La  critique  sans  doute  ne  saurait  admettre 
le  f^oùt  comme  le  seul  arbitre  chargé  de  prononcer  sur 
un  point  aussi  délicat  ;  mais  elle  ne  méconnaît  pas  non 
plus  les  droits  qu'il  fait  valoir  à  être  un  des  juges  appe- 
lés et  consultés.  Quant  à  l'ordre  où  les  sourates  du 
Coran  se  trouvent  aujourd'hui  dans  le  recueil,  il  n'a 


I 


La  composition  du  Coran  21 

aucune  valeur  historique  ou  chronolo^icjue,  et  les  Mu- 
sulmans eux-mêmes  ne  lui  en  ont  jamais  attribué  une 
semblable.  Divers  chapitres  ont  été  sinii)lement  juxta- 
posés, après  avoir  été  à  peu  près  ordonnés  d'après  la 
proportion  de  leur  longueur.  La  première  sourate  fait 
seule  exception  ;  c'est  une  courte  prière  placée  sur  le 
seuil  du  livre  comme  i)()ur  servir  d'introduction.  Mais 
les  autres  morceaux  de  moindre  étendue  ont  été  relé- 
gués à  la  fin,  comme  c'est  aujourd'hui  encore  un 
usage  h'équent  chez  les  Arabes,  lorsqu'ils  classent  un 
volume  de  poésies  pour  constituer  un  Dlivàn.  Les  inter- 
prètes du  Coran  ont  de  bonne  heure  compris  que 
l'ordre  des  sourates  est  artificiel,  et  ils  ont  eux- 
mêmes  composé  des  listes  où  ils  les  passent  en  revue 
d'après  la  notion  qu'ils  se  sont  faite  de  leur  compo- 
sition. Ces  tableaux  '  ne  peuvent  pas  être  admis  sans 
contrôle;  ils  n'ont  d'ailleurs  aucune  prétention  à  être 
inattaquables  ou  infaillibles.  L'accord  est  même  loin 
de  régner  entre  les  nombreuses  séries  parallèles  cpie 
nous  ont  transmises  les  savants  indigènes,  et,  à  côté 
de  leurs  opinions  divergentes,  il  y  a  place  pour  des 
études  plus  ap})rofondies  et  pour  des  trouvailles  plus 
importantes. 

La  première  difficulté  est  de  distinguer  entre  les  sou- 
rates révélées  à  La  Mecque  et  les  sourates  révélées  à 
Médine,  entre  celles  qui  précèdent  et  celles  qui  suivent 
l'hégire.  Les  données  de  la  tradition  sur  cette  question 
délicate  ont  pénétré  jusque  dans  les  textes  du  (]oran, 
La  mention   du  «  Dieu  clément,  miséricordieux  ^  )>  est 

'  En  dehors  des  classifications  citées  par  Nœldeke,  Gc- 
scliichle  des  Qorans,  p.  47  et  58,  et  par  Iluglics,  A  Dictionarij  of 
Islam,  p.  490-492,  voyez  celles  que  contient  le  Fihrist  (édition 
Fliigel),  I,  p.  25-28. 

■^  Je    ne    traduis   plus    ainsi,    l'adjectif  ralimàn    n'étant    pas 


22  Opuscules  d'un  arabisant 

toujours  précédée  d'une  indication  sur  l'endroit  où 
Allah  s'est  fait  entendre  au  Prophète^  puis  du  nombre 
des  versets  dont  se  compose  l'ensemble  du  morceau. 
Mais  nous  devons  examiner  ces  indications  avec  liberté 
et  ne  les  accepter  que  lorsqu'elles  sont  confirmées,  d'un 
côté  par  rhistoii;e,  de  l'autre  par  l'étude  impartiale 
du  chapitre  auquel  elles  se  rapportent.  Et  même,  quand 
elles  nous  paraissent  exactes,  il  faut  se  demander  si, 
vraies  pour  le  début  du  morceau,  elles  le  sont  égale- 
ment pour  les  autres  parties  agrégées.  Car,  les  longues 
sourates  ne  sont  pas  venues  d'un  seul  jet  et  le  travail 
de  soudure  n'a  pas  assez  relié  les  divers  fragments, 
dont  elles  sont  formées,  pour  qu'on  ne  puisse  pas  les 
décomposer,  les  analyser  et  en  retrouver  les  éléments. 
Nous  avons  dit  quelle  ardeur  sans  frein,  quelle  pas- 
sion inconsciente  entraînait  Mahomet  au  moment  où  il 
fut  appelé  à  prêcher  la  nouvelle  religion.  Cette  flamme 
intérieure  devait  se  répandre  au  dehors  et  embraser 
les  cœurs.  Dans  cette  première  période^  la  phrase  est 
courte,  hachée,  entrecoupée;  il  semble  que  le  Prophète 
s'arrête  sans  cesse  pour  écouter  la  parole  de  son  Maître. 
A  chaque  instant,  la  rime  résonne  comme  pour 
marquer  le  mouvement  rapide  de  la  pensée  et  du  lan- 
gage. On  ne  peut  pas  donner  en  français  une  idée  de 
ce  rythme  étrange,  qui  est  au  moins  égal  à  la  poésie, 
mais  avec  une  allure  plus  franche  et  moins  chargée 
d'entraves.  La  richesse  et  l'abondance  des  images 
produisent  parfois  une  certaine  obscurité,  mais  bien- 


employé  en  arabe  et  le  dieu  Ar-Rahmân  ayant  été,  dans  l'esprit 
de  Mahomet,  le  concurrent  qui  avait  longtemps  disputé  la  pré- 
séance au  victorieux  Allah.  La  formule  qui,  dans  le  canon 
musulman,  est  en  tête  de  toutes  les  sourates,  excepté  la  neu- 
vième, est  un  compromis  entre  les  deux  rivaux.du  monothéisme 
et  je  la  traduis  :  «  Au  nom  d'Allah,  le  Rahmàn  miséricordieux.  » 


La  composition  du  Coran  23 

tôt  ridée  se  dégage  avec  un  vif  éclat.  Mahomet  ne 
dissimule  peut-être  pas  non  plus  assez  la  crainte  qu'il 
éprouve  de  voir  sa  ])rophétie  traitée  de  mensonge  et 
d'imposture.  De  là  tant  de  serments  (pii  nousétonnent, 
où  il  invoque  le  ciel,  la  terre,  le  monde  entier,  les 
appelant  à  témoin  de  sa  mission  divine. 

La  tradition  musulmane  et  la  science  modei'ue  sont 
d'accord  pour  considérer  le  commencement  de  la  sou- 
rate xcvi  comme  la  première  prophétie  de  Mahomet, 
celle  où  son  Maître  s'adresse  à  lui  i)()ur  lui  faire  con- 
naître ses  destinées  :  «  Récite  au  nom  de  ton  Maitre  ', 
qui  a  créé,  qui  a  créé  l'homme  de  sang  coagulé. 
Récite,  car  ton  Maître  est  le  plus  nohle.  C'est  lui  qui  a 
enseigné  l'usage  du  kalnm,  qui  a  enseigné  à  l'homme 
ce  qu'il  n'avait  pas  appris.  »  Mahomet  croyait  avoir 
entendu  cet  appel  dans  une  promenade  sur  le  mont 
Hîra,  au  milieu  de  méditations  solitaires  :  un  ange 
lui  était  apparu,  lui  ordonnant  de  se  rappeler  et  de 
propager  les  paroles  révélées.  D'après  une  autre  ver- 
sion, c'est  dans  un  rêve  que  l'ordre  de  son  Maître 
aurait  été  comme  imprimé  dans  le  cœur  du  Prophète. 
Nous  devinerions,  si  nous  ne  les  connaissions,  les  com- 
bats qui  se  livrèrent  dans  l'àme  de  Mahomet  :  porté  à 
la  timidité  par  sa  nature,  excité  à  l'action  par  des  voix 
intérieures  qu'il  ne  pouvait  étouffer,  il  songea  un 
moment  à  se  donner  la  mort.  Tout  en  s'imposant  une 
retraite  de  trois  années,  il  semble  avoir  opéré  dès  cette 
époque  un  petit  nombre  de  conversions  dans  sa  famille 
et  parmi  ses  amis  les  plus  intimes. 

Lorsque  Mahomet  rompit  enfin  le  silence,  sa  pro- 
phétie, longtemps  comprimée,  jaillit  impétueusement 


^  Mahomet  ne  connaît  à  ce  moment  ni  Rahmàn,  ni  Allah,  mais 
seulement  son  Maître. 


24  Opuscules  d'un  arabisant 


dans  des  prédications,  qui  se  succédaient,  parait-il, 
presque  sans  interruption.  La  santé  de  Mahomet  ne  lui 
permettait  pas  de  sortir  sans  qu'il  fût  enveloppé  dans 
un  manteau  épais  qui  lui  couvrait  le  corps  entier.  «  0 
toi,  l'homme  au  manteau  (ainsi  l'interpelle  son  Maître), 
lève-toi,  puis  lance  des  avertissements.  Et  ton  Maître, 
honore-le  ;  tes  vêtements,  purifie-les  ;  l'idolâtrie,  ahan- 
donne-la  ;  ne  donne  pas  en  demandant  trop  en  retour. 
En  face  de  ton  Maître,  prends  patience.  »  Cette  sou- 
rate '  semble  avoir  été  vraiment  prononcée  à  La  Mec- 
que et  cet  exorde,  si  plein  de  vivacité,  appartient 
évidemment  aux  dél)uts  du  Prophète.  Quelle  énergie 
aussi  dans  la  malédiction  lancée  par  Mahomet  contre 
son  oncle  paternel  'Abd  al-'Ouzzà  ibn  'Abd  al-Mouttalib, 
surnommé  Aboù  Lahab,  dont  il  aurait  voulu  obtenir 
le  concours  et  qui  l'avait  repoussé  avec  obstination  -  : 
((.  Puissent  les  deux  mains  d'Aboù  Lahab  péiir  et  puisse- 
t-il  périr  !  Puissent  sa  fortune  et  ses  biens  acquis  ne 
lui  servir  de  rien  !  Oui,  il  sera  rôti  à  un  feu  enflammé, 
tandis  que  sa  femme  en  portera  l'aliment,  en  ayant  au 
cou  une  corde  formée  de  filaments  de  palmier.  » 

Plus  nous  avançons  dans  cette  première  période, 
plus  nous  avons  besoin,  pour  nous  diriger,  d'un  guide 
moins  mobile  et  moins  trompeur  que  le  goût.  Le 
même  morceau  peut  produire  sur  des  esprits  bien 
doués  une  variété  d'impressions  telle  qu'on  a  de  la 
peine  à  les  reconnaître  comme  les  reflets  dune  même 
image.  Aussi  ne  peut-on  étudier  le  Coran  d'une  manière 
profitable  sans  avoir  d'abord  une  connaissance  parfaite 
de  la  vie  de  Mahomet,  sans  en  avoir  suivi  les  péripéties, 
sans  en  avoir  exploré  les  grandeurs  et  les  petitesses. 


^  Sourate  lxxiv,  1-7. 
2  Sourate  cxi. 


La  composition  du  (loniii  2 


^•> 


La  liiot^n'aphic  csl  le  plus  piiissanl  auxiliaire  de  l'cxé- 
gèse.  Il  semble  (lifficile  de  les  séparer  l'une  de  l'autre. 
Le  Coran,  (vuvre  de  Mahomet,  est  le  doeument  le  plus 
sur  et  le  moins  eontesté  pour  son  histoire,  Thistoire  de 
Mahomet  est  un  commenlaii'e  pei'pétuel  du  Coran. 

Cc|)endant  les  sourates  les  plus  anciennes  expriment 
souvent  des  idées  tellement  générales  (pi'on  ne  peut  i)as 
exactement  fixer  la  date  de  leur  composition.  C'est  là 
que  le  style  seul  peut  d'ordinaire  nous  renseigner  sur 
répo((ue  où  elles  ont  été  prononcées.  Qui  hésiterait  à 
placer  dans  la  i)remière  étape  de  la  prédication  ces 
véhémentes  apostrophes  de  Mahomet  sur  le  jugement 
dernier  '  :  «  Le  choc,  (pie  sera  le  choc?  Qu'est-ce  qui  t'a 
fait  savoir  ce  que  sera  le  choc  au  jour  où  les  hommes 
seront  comme  les  papillons  disséminés,  et  où  les  mon- 
tagnes seront  comme  la  laine  bigarrée  répandue  en 
flocons?  Alors,  celui  en  faveur  de  qui  les  balances  pen- 
cheront, sera  dans  une  vie  de  félicité  et  celui  qui  n'aura 
pour  lui  (pie  des  poids  légers  sera  perdu  pour  sa  mère. 
Qu'est-ce  donc  qui  l'a  fait  savoir  ce  que  sera  le  choc? 
Ce  sera  un  feu  brûlant.  » 

Avant  de  quitter  la  première  épo(pie  de  la  vie  de 
Mahomet,  je  voudrais  donner  lecture  des  sourates  lxxxi 
et  Lxxxii,  qui  appartiennent  aux  inspirations  les  plus 
vivantes  du  Coran.  Je  cherche  à  reproduire  aussi  litté- 
ralement que  possible  les  expressions  et  aussi  le  mou- 
vement du  texte.  Seulement  j'intervertis  l'ordre  et  je 
commence  par  la  sourate  i.xxxn  intitulée  :  L'action  de 
se  fendre,  probablement  la  i)lus  ancienne  des  deux  : 
«  Lorsque  le  ciel  se  fendra,  et  que  les  étoiles  se  ré[)an- 
dront,  et  que  les  mers  seront  entr'ouvertes,  et  que  les 
tombeaux  seront  renversés  sens  dessus  dessous,  alors 

*  Sourate  ci. 


26  Opuscules  d'un  arabisant 

seulement  chaque  âme  humaine  reconnaîtra  ses  actes 
du  commencement  et  de  la  fin.  0  toi  homme,  qu'est- 
ce  qui  t'a  égaré  contre  ton  Maître  si  noble,  qui  t'a  créé, 
t'a  façonné,  puis  t'a  mis  en  équilibre,  puis  t'a  composé 
sous  une  forme  telle  qu'il  la  voulait?  Mais  vous,  vous 
traitez  la  religion  de  mensonge,  tandis  que  vous  avez 
des  gardiens  nobles,  inscrivant  et  sachant  ce  que  vous 
faites.  Aux  pieux  est  réservé  un  lieu  de  délices,  aux 
impies  un  feu  auquel  ils  seront  rôtis  le  jour  du  juge- 
ment, sans  qu'ils  puissent  y  échapper.  Qu'est-ce  qui 
t'a  fait  savoir  ce  qu'est  le  jour  du  jugement  ;  encore 
une  fois,  qu'est-ce  qui  t'a  fait  savoir  ce  qu'est  le  jour  du 
jugement,  ce  jour  où  aucune  âme  ne  pourra  rien  ordon- 
ner pour  aucune  autre,  le  droit  d'ordonner  n'étant  en 
ce  jour  qu'à  Allah  ?  » 

Voici  maintenant  la  sourate  lxxxi,  la  sourate  intitu- 
lée :  L'enroulement  :  «  Lorsque  le  soleil  sera  enroulé, 
et  que  les  étoiles  descendront,  et  que  les  montagnes 
seront  mises  en  mouvement,  et  que  les  chamelles  gros- 
ses de  dix  mois  goûteront  le  repos,  et  que  les  bêtes 
féroces  seront  assemblées,  et  que  les  mers  seront  gon- 
flées, et  que  les  âmes  seront  accouplées,  et  que  la  fille 
ensevelie  vivante  sera  appelée  à  dire  pour  quelle  faute 
elle  a  été  tuée,  et  aussi  lorsque  les  feuillets  seront 
déployés,  et  que  le  ciel  aura  été  changé  de  place,  et  que 
le  brasier  sera  enflammé,  et  que  le  paradis  sera  rap- 
proché, c'est  alors  que  chaque  âme  reconnaîtra  ce 
qu'elle  a  produit.  Oui  ^  je  le  jure  par  les  planètes 
occultées  qui  courent  vers  leurs  retraites,  et  par  la  nuit 
quand  elle  se  couvre  de  ténèbres,  et  par  l'aurore  avec 

*  Ici  et  dans  les  serments  analogues  du  Coran,  lvi,  74  ;  lxix, 
38;  Lxx,  40  ;  lxxv,  1  et  2;  lxxxiv,  16;  xc,  1,  je  considère  là  non 
pas  comme  une  négation,  mais  comme  un  «  rassasiement  » 
(ischba)  vocalique  de  la  particule  affirmative  la. 


La  composition  du  Coran  27 

le  souffle  (le  son  vent  uialinal,  ceci  est  la  parole  d'un 
noble  envoyé  ^  plein  de  force  et  d'influence  auprès  de 
Celui  qui  est  assis  sur  le  trône,  d'un  envoyé  qui  mérite 
votre  soumission  et  aussi  votre  conliance.  Cai",  votre 
compatriote,  qui  n'est  pas  possédé  des  djinns,  l'a  vu  jui 
firmament  distinct  et  il  n'en  ij[arde  pas  pour  lui  le 
mystère.  Ceci  n'est  pas  la  parole  d'un  Satan  lapidé.. 
Mais  vous,  où  allez-vous  ?  (A'ci  n'est  cpi'un  avertisse- 
ment [)()ur  les  mondes,  pour  ceux  d'entre  vous  qui  veu- 
lent marcher  droit.  Or,  vous  autres,  vous  ne  voulez  (juc 
ce  que  veut  Allah,  le  maître  des  mondes.  »  Quel  psaume, 
et,  je  ne  crois  pas  l'expression  trop  forte,  quel  psaume 
admirable,  d'une  beauté  et  d'une  puissance  incompa- 
rables ! 

Nous  pourrions  multiplier  ces  citations  et  traduire 
nombre  d'autres  passages  qui  sont  placés  par  tous  les 
exégètes  dans  la  première  période.  Nous  préférons  nous 
arrêter  seulement  à  un  morceau  qui  semble  être  à  la 
limite  entre  la  première  et  la  seconde  manière  de 
Mahomet.  C'est  la  courte  i<  prière  »  qui  ouvre  le  Coran  et 
qu'on  appelle  «  l'Ouvrante  »,  la  a  Suffisante  »,  la  «  Mère 
du  Coran».  Nulle  part  la  formule  de  l'islamisme  n'est 
mieux  exprimée  dans  sa  simplicité,  nulle  part  les 
rigueurs  du  monothéisme  ne  sont  affirmées  avec  plus 
de  netteté  :  «  Gloire  à  AUàh,  le  maître  des  mondes,  le 
Rahmàn  -,  le  miséricordieux,  qui  dirigera  le  jour  du  juge- 
ment. C'est  toi  que  nous  servons,  et  c'est  toi  que  nous 
appelons  à  notre  secours.  Conduis-nous  dans  la  voie  la 
plus  droite,  dans  la  voie  de  ceux  à  qui  tu  as  prodigué 
tes  faveurs,  dans  la  voie  de  ceux  sur  lescpiels  ne  pèse 
aucune  colère  et  qui  ne  s'égarent  pas.»  Encore  aujour- 

c: 

'  C'est-à-dire  d'un  ange  (maVak  qui  a  le  même  sens).  L'ange 
auquel  il  est  fait  allusion  est  l'ange  Gabriel. 
T-  Plus  haut,  p.  21,  n.  2. 


28  Opuscules  d'un  arabisant 


d'hiii  cette  courte  invocation,  si  saisissante,  occupe  la 
place  d'honneur  dans  le  rituel  des  Musulmans. 

L'exaltation  du  Prophète  ne  pouvait  pas  se  maintenir 
toujours  au  même  degré  d'intensité  fébrile.  Peu  à  peu 
le  calme  revenait  dans  son  esprit,  et  l'âge  avait  sans 
doute  arrêté  ïes  efïusions  débordantes  de  son  tempé- 
rament nerveux.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Mahomet 
avait  quarante  ans  au  moment  où  il  sentit  sa  vocation. 
La  deuxième  période  de  la  prophétie,  qu'on  en  fixe  le 
commencement  avec  Muir  à  l'an  10  de  la  révélation, 
ou  avec  Nœldeke  à  l'an  13,  représente  évidemment 
une  époque  de  transition  dans  la  vie  et  dans  la  prophétie 
de  Mahomet.  Elle  nous  fait  parcourir  les  degrés  qui 
séparent  l'éloquence  bouillante  de  ses  plus  anciennes 
prédications  et  la  froideur  glaciale  des  dernières.  Les 
mêmes  injonctions  qu'il  a  lancées,  soutenues  autrefois 
avec  chaleur,  s'alanguissent  chez  lui  avec  le  temps, 
quand  elles  ne  lui  deviennent  pas  tout  à  fait  indiffé- 
rentes. Le  Prophète  continuait  à  jouer  son  rôle,  mais 
en  politique  avisé  plus  qu'en  prédicateur  inspiré. 

Passons  à  la  troisième  période  mecquoise.  Nous  y 
retrouvons  l'écrivain, le  rhéteur  et  l'orateur;  le  poète  a 
disparu.  Parfois  un  écho  du  passé  se  laisse  percevoir 
et  l'on  reconnaît  dans  quelques  passages  heureux,  qu'il 
faut  chercher,  l'ancienne  éloquence,  aujourd'hui  éteinte, 
du  Prophète  communiquant  son  émotion  vraie  et 
proclamant  la  parole  d'Allah.  Un  caractère  particulier 
de  cette  troisième  période,  c'est  que  le  Prophète  apo- 
strophe sans  cesse  l'humanité  entière.  L'allocution  : 
«  0  hommes  »  généralise  pour  l'avenir  les  doctrines  du 
Coran.  Ce  sont  les  sourates  qui  ont  précédé  immédiate- 
ment l'hégire.  Mahomet  n'y  dissimule  pas  le  découra- 
gement qu'il  éprouve  en  voyant  combien  les  idolâtres 
de  la  Ka'ba  persistent  à  opposer  de  résistance  à  ses 


Lu  composition  du  Coran  29 

exhortations.  Les  convertis  sont  rares  et  appartiennent, 
soit  à  sa  famille,  soit  à  la  classe  la  moins  élevée,  celle 
qu'on  peut  le  plus  facilement  gagner  aux  croyances 
nouvelles. 

Il  fallait  frapper  un  grand  coup  ou  renoncer  à  pour- 
suivre l'œuvre  combattue  avec  un  tel  acharnement.  Les 
habitants  de  La  Mecque^  les  Koraischites,  restés  pour 
la  plu})art  fidèles  à  leurs  anciennes  superstitions,  accu- 
saieut  le  Prophète  d'imposture  et  le  menaçaient  de  leurs 
persécutions.  Mahomet  fit  d'abord  sortir  isolément  ou 
par  groupes  ses  principaux  adeptes;  puis  il  partit  lui- 
même  ou  i)liitôt  il  émigra  de  La  Mecque.  L'hégire  (Htté- 
ralement  l'émigration) fut  suivie  d'une  entiée  triomphale 
à  Yathrib,  qui  devait  bientôt  recevoir  le  nom  de  Madînat 
an-Nabi,  «  la  Ville  du  Prophète  »,  j)lus  brièvement  Al- 
Madîna,  Médine.  La  mission  religieuse  de  Mahomet  se 
transforma  dès  lors  en  un  prosélytisme  par  le  kalam 
et  surtout  par  l'épée,  et  ce  caractère  particulier,  l'appel 
à  la  guerre  sainte,  est  la  marque  des  sourates  compo- 
sées après  l'hégire.  Ici,  plus  que  partout  ailleurs,  l'his- 
toire et  l'exégèse  sont  étroitement  liées  et,  pour  indi- 
quer les  traits  qui  distinguent  cette  quatrième  période, 
il  faudrait  en  montrer  l'origine  historique  et  raconter  à 
grands  traits  les  événements  qui  ont  influé  sur  l'action 
et  sur  le  langage  de  Mahomet. 

Tandis  que  les  actes  les  moins  graves,  les  gestes  les 
plus  insignifiants  du  Prophète  étaient  interprétés,  em- 
bellis et  glorifiés,  les  sourates  de  Médine  sont  restées 
inaltérées  et  peuvent  seules  donner  la  note  juste  de 
l'histoire  dans  ce  concert  de  panégyriques,  où  la  vérité 
est  souvent  sacrifiée  à  l'orgueil  national.  Mahomet  était 
devenu  le  chef  temporel  et  spirituel  d'un  peuple  guer- 
rier, qui  reconnaissait  sa  suprématie  et  s'offrait  à  l'ai- 
der pour  apaiser  ou  pour  abattre  les  révoltes.  Nous 


30  Opuscules  d'un  arabisant 

avons  de  nouveau  le  style  calme  et  mesuré  de  la 
troisième  période  ;  mais  presque  chaque  mot  ren- 
ferme une  allusion  à  des  faits  connus,  et  le  classement 
chronologique  devient  à  la  fois  plus  facile  et  plus  exact. 
Mais  il  ne  faut  chercher  dans  ces  productions  ni  gran- 
deur,  ni  poésie.  L'homme  d'Etat,  si  j'ose  ainsi  parler, 
ne  laisse  plus  que  rarement  la  parole  au  Prophète. 

Si  nous  résumons  ces  considérations  trop  longues, 
nous  distinguerons  quatre  périodes  dans  la  prophétie 
de  Mahomet,  les  trois  premières  jusqu'à  l'hégire,  la 
quatrième  après  l'émigration  à  Médine.  Aux  défaillances 
pathologiques  et  aux  apostrophes  véhémentes  succè- 
dent les  prédications  réfléchies  et  les  paroles  compas- 
sées du  Prophète  désahusé  ;  mais,  entre  ces  périodes 
extrêmes,  il  y  a  une  série  de  transitions,  où  les  violences 
d'autrefois  se  combinent  peu  à  peu  avec  les  tendances 
finales.  A  Médine  commence  une  nouvelle  époque 
dans  l'existence  et  dans  le  langage  de  Mahomet  :  l'his- 
toire y  devient  le  seul  critérium  de  l'exégèse  ;  les  faits 
qui  dominent  la  situation  envahissent  peu  à  peu  l'esprit 
et  la  lettre  des  sourates  :  la  consolidation  d'une  puis- 
sance mal  assise,  la  conduite  à  tenir  à  l'égard  des 
adversaires,  les  nécessités  du  prosélytisme,  voilà  les 
préoccupations  du  moment.  La  vie  active  a  remplacé 
la  vie  contemplative,  la  politique  a  tué  la  conviction 
prophétique  du  Prophète. 

Il  y  a  bien  des  questions  que  soulève  le  Coran,  et 
dont  j'aurais  voulu  faire  l'objet  d'un  examen  rapide. 
Comment  de  ces  dictées  éparses  s'est  formée  la  collec- 
tion actuelle  du  Coran  ?  Quels  points  de  vue  ont  pré- 
valu dans  le  choix  des  morceaux  ?  Le  Coran  aurait- 
il  survécu  à  son  auteur,  s'il  n'avait  pas  été  d'abord  fixé 
par  l'écriture,  puis  définitivement  constitué  par  une 
sorte    de    canon  9    On    raconte    que,    du    vivant    de 


La  conipositioii  du  Coran  ;M 

Mahomet,  les  fragments  divers  étaient  reproduits  sur 
des  étoffes,  sur  des  feuilles  de  palmier,  sur  des  omo- 
plates de  chameau,  sur  de  larges  pierres,  quelques-uns 
même  confiés  à  la  mémoire  des  auditeurs.  Lorsque, 
sous  le  khalilat  dAboù  Bekr,  Omar  voulut  le  premier 
assurer  la  conservation  du  (À)ran,  lorsqu'il  entreprit 
de  le  publier,  il  dut  puiser  à  toutes  ces  sources  qu'on 
ne  pouvait  souvent  atteindre  qu'au  prix  de  longues  et 
pénibles  recherches.  La  même  révélation,  entenckie 
et  recueillie  par  plusieurs  compagnons  du  Prophète, 
avait  revêtu  des  formes  diverses  dans  les  souvenirs 
de  chacun  ;  comme  toujours,  Tintelligence  et  la  réllexion 
avaient  exercé  une  iniluence  fâcheuse  sur  la  pureté  de 
la  tradition  ;  tous,  involontairement,  et  sans  le  savoir, 
ils  avaient  touché  au  dépôt  qu'ils  croyaient  garder 
intact,  et  Omar  se  trouvait  en  face  de  variantes  nom- 
breuses et  importantes. 

Cette  édition  princeps  n'eut  jamais,  qu'on  me  par- 
donne l'expression,  d'autorité  ecclésiastique  ;  elle  resta 
la  propriété  de  Omar  et  d'Aboù  Bekr  comme  ces  ar- 
chives de  famille  qu'on  converve  religieusement,  mais 
qu'on  soustrait  aux  yeux  du  vulgaire.  La  propagation 
de  l'islamisme  ne  pouvait  cependant  pas  se  faire  seule- 
ment par  le  glaive  ;  il  fallait  que  la  nouvelle  foi  eût 
son  Livre  reconnu  et  accepté  par  tous.  Aussi  plusieurs 
versions  circulaient-elles  dans  la  péninsule,  et  les  villes 
se  prononçaient-elles  pour  l'une  ou  pour  l'autre.  C'était 
un  danger  pour  l'unité  de  l'islamisme  ;  Otlimàn  réso- 
lut de  faire  étal^lir  une  rédaction  seule  authentique 
du  Coran.  Ce  furent  Zaid  ilni  Thàbit  et  quelques 
Koraischites,  dont  le  dialecte  ressemblait  à  celui  du 
Prophète,  qui  furent  chargés  de  prendre  l'édition  d'Al^où 
Bekr  pour  base  de  leur  travail,  de  coUationner  les 
exemplaires  qu'ils  pourraient  trouver  et  de  restituer  avec 


32  Opuscules  diin  arabisant 


discernement  le  texte  primitif  intégral.  On  ne  se  permit  ni 
interpolations,  ni  changements,  même  quand  ils  auraient 
pu  être  favorables  à  l'hérédité  delà  famille  régnante. 
Et  pourtant  les  livres  sacrés  peuvent  devenir  une  arme 
trop  puissante  pour  qu'un  parti  au  pouvoir  ne  s'efforce 
pas  de  la  faire  servir  à  ses  desseins. 

Après  avoir  fixé  le  texte  canonique,  on  résolut 
d'anéantir  les  éditions  parallèles,  qui  avaient  cours  dans 
la  péninsule,  et  la  légende  nous  parle  d'un  immense 
au-to-da-fé. 

Le  texte  canonique  d'Othmân,  qui  est  parvenu  jus- 
qu'à nous,  a  aussi  son  histoire.  De  nouvelles  variantes 
y  ont  été  introduites  par  les  copistes,  d'anciennes  ont 
reparu  ;  mais  les  unes  et  les  autres  ne  peuvent  servir 
qu'à  montrer  la  supériorité  des  leçons  qui  leur  ont  été 
préférées.  La  récitation  du  Coran  devint  bientôt  une 
science,  qui  eut  ses  maîtres  et  ses  disciples.  Que  de 
problèmes,  auxquels  il  ne  m'est  loisible  de  toucher 
qu'en  les  effleurant  !  Et  les  copies  du  Coran,  où  tant 
d'art  et  d'habileté  ont  été  dépensés  !  Les  peuples,  qui 
reconnaissent  le  Coran  comme  leur  livre  sacré,  ont 
rivalisé  d'ardeur,  employant  dans  leurs  copies  les  res- 
sources de  prestigieuses  calligraphies.  Et  la  classification 
des  sourates,  et  leur  division  en  versets,  et  la  vocali- 
sation du  texte,  quels  sujets  d'étude  minutieuse,  sur  les- 
quels il  ne  m'est  pas  permis  de  m'arrêter  ! 

Et  même,  au  point  de  vue  de  la  langue,  quelle  impor- 
tance n'a  pas  le  Coran  !  Tous  les  auteurs  célèbres,  dont 
les  ouvrages  nous  ont  été  conservés,  prennent  pour 
modèle  la  langue  de  Mahomet  et  cherchent  à  s'en 
rapprocher;  ils  ont  tous  appris  par  cœur  et  retenu  les 
cent  quatorze  sourates  et  souvent  ils  en  répètent  les 
expressions,  qui  répondent  à  leur  pensée  ;  ils  croient 
composer  au  moment  où  ils  se  souviennent.  Aussi,  sans 


La  composition  du  Coran  33 

une  connaissance  approfondie  du  Coran,  n'esl-il  possi- 
l)lc  de  comprendre  pleinement  aucun  écrivain  arabe. 
Bien  plus,  l'étude  du  Coran  est  nécessaire  pour  expli- 
quer les  poètes  qui  nous  sont  restés  de  répo(|ue  antéis- 
lamique.  Cette  assertion,  ({ui  au  premier  abord  paraît 
un  paradoxe,  uqw  est  pas  moins  justifiée  et  confirmée 
par  les  textes,  tels  que  nous  les  possédons.  Or,  ces 
œuvres  ne  sont  pas  de  l)eaucou[)  antérieures  à  l'bé- 
gire,  et  certains  dires  populaires,  qui  étaient  répandus 
dans  les  masses,  sont  entrés  à  la  fois  dans  la  prose  rimée 
de  Mabomet  et  dans  les  cliants  ins})irés  des  grands 
poètes  '.  Les  grammairiens  de  Basra,  qui  ont  sauvé 
ces  précieuses  épaves  de  la  vieille  littérature  arabe, 
ont  souvent  changé  un  mot,  modifié  une  tournure 
pour  y  substituer  l'expression  ou  la  phrase  usitée  de 
leur  temps.  Ils  voulaient  faire  disparaître  la  moindre 
trace  des  anciens  dialectes  et  hâter  leur  absorption 
dans  l'unité  recherchée  et  réalisée  par  eux  de  la  lan- 
gue arabe.  On  peut  donc  affirmer  que  les  effets  du 
Coran  ont  été  non  seulement  éprouvés  dans  l'ensemble 
de  la  littérature  musulmane,  mais  que  les  anciennes 
productions,  qui  lui  étaient  antérieures,  en  ont  elles- 
mêmes  ressenti  la  répercussion. 

'  Ce  passage,  vieux  de  trente-six  ans,  a  été  reproduit  sans 
changement  dans  le  fond  et  dans  la  forme.  Mon  opinion  n'a 
pas  été  modifiée  par  la  contre-partie  habilement  présentée 
par  mon  collègue  et  ami,  M.  Clément  Huart,  d'abord  dans  sa 
Littcraliire  Arabe  (Paris,  1902),  p.  24,  ensuite  dans  une  commu- 
nication faite,  le  22  avril  1904,  à  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres,  résumée  dans  les  Comptes  rendus  de  1904,  p.  210- 
242  (La  poésie  arabe  aiitê islamique  et  le  Coran),  et  publiée  dans 
le  Journal  asiatique  de  1904,  II,  p.  125-167  (Une  source  nouvelle 
du  Qoràn).  Mon  point  de  vue  a  été,  indépendamment  de  ma 
leçon  oubliée  et  ignorée,  mis  en  pleine  lumière  par  David 
Margoliouth  dans  le  Journal  of  tlie  Royal  Asiatic  Society  of 
Great  Britain  and  Ireland  de  1904,  p,  572  et  573. 


o 


« 


I 


I 


J 


III 


L'histoire  des  philosophes 

attribuée  à  Ibn   Al-Kifti 

(il  72-1  248) 


L'histoire  des  philosophes  attribuée  à  Ibn  Al-Kiftî 

(1172-1248)  ' 


Nulle  édition  princcps  d'un  ouvrage  inédit  n'a  été 
autant  détlorée  que  celle  de  1'  «  Histoire  des  philoso- 
phes »  avant  son  apparition.  Les  morceaux  les  plus 
importants,  détachés  de  l'ensemble^  ont  donné  au  livre 
une  réputation  qu'il  mérite,  ont  fourni  à  l'histoire  lit- 
téraire des  documents  précieux  qu'elle  a  enregistrés  et 
utilisés,  se  sont  portés  garants  du  prix  que  les  érudits 
attachent  aux  notices  biographiques  et  bibliographi- 
ques dont  il  se  compose  ;  mais,  en  même  temps,  ils 
ont  fait  tort  évidemment  à  la  publication  actuelle  en 
lui  enlevant  une  grande  part  de  sa  nouveauté  et  par  là 
même  de  son  urgence.  N'exagérons  pas,  mais  ne  dissi- 
mulons pas  non  plus  la  déception  éprouvée.  Elle  ne 
provient  pas  seulement  des  fragments  de  l'œuvre^,  mis 
préventivement  à  notre  portée,  mais  aussi  de  l'identité 
fréquente  des  renseignements  donnés  et  de  ceux 
que  nous  ont  fournis  au  moins  quatre  ouvrages,  anté- 
rieurs ou  postérieurs,  qui  nous  sont  accessibles  depuis 
plusieurs  années  par  des  éditions  critiques  :  le  Fihrist 

'  Journal  des  Savants  de  novembre  1904,  p.  630-639,  à  propos 
de  Ibn  Al-Qiftî's  Ta'rih  al-Iuikamà,  auf  Grund  der  Yorarbeiten 
Aug.  Mûller's  herausgegeben  von  Prof.  D""  Julius  Lippert, 
Leipzig,  1903,  in-4('. 


38  Opuscules  d'uu  arabisant 

al-'ouloùni  «  Catalogue  des  sciences  »,  composé  par 
Mohammad  ibn  Ishàk  An-Nadîm  en  377  (988)  ;  les 
Classes  des  médecins,  par  Ibn  Abî  Ousaibi'a,  mort  en 
668  (1270);  l'Histoire  abrégée  des  dynasties,  par  Aboû 
'1-Faradj  Yoiihannâ  Bar  Hebrceiis  ',  mort  en  688(1289), 
dont  les  emprunts  à  1'  «  Histoire  des  philosophes  )> 
tiennent  du  plagiat;  enfin,  le  dictionnaire  bibliogra- 
phique de  Hâdjî  Khalifa,  mort  en  1068  (1658). 

Ibn  Al-Kifti,  «  le  fils  de  l'homme  de  Kift  )s  le  savant 
qui  a  eu  la  conception  del'  «  Histoire  des  philosophes», 
a  inspiré  une  monographie  excellente  et  documentée  à 
mon  regretté  ami  August  Mûller  dans  les  Actes  du  hui- 
tième congrès  international  des  Orientcdistes  tenu  en 
1889  à  Stockholm  et  à  Christiania'-.  M.  le  professeur 
Julius  Lippert  s'est  contenté,  dans  son  introduction, 
de  résumer  clairement  cet  exposé  lumineux.  J'ajoute- 
rai qu'un  illustre  contemporain  d'Ibn  Al-Kiftî,  Kamâl 
ad-Dîn  Ibn  Al-'Adîm,  mort  au  Caire  en  660  (1262)  ^,  a 
mentionné  son  vizirat  d'Alep  à  plusieurs  reprises  dans 
sa  Zoubdat  al-halah  fi  tarikh  Halah  «  La  crème  du 
lait  frais,  chronique  d'Alep  ^  ». 

Je  suppose  qu'on  accueillera  avec  faveur,  comme  un 
complément  original  aux  biographies  connues,  qui  se 
répètent  les  unes  les  autres,  relatives  à  Ibn  Al-Kiftî,  le 
passage  original  suivant   que  j'emprunte  au  Kitàb  ai- 


^  Je  ne  fais  pas  allusion  à  l'édition  si  méritoire  d'Ed.  Pocock 
(Oxford,  1663-1672),  avec  une  traduction  latine,  mais  au  texte 
fixé  par  le  P.  A.  Salhànî  (Beyrouth,  1890). 

2  August  Millier,  Vber  das  sogennanle  Târich  cl-hiikamù  des  Ibn 
el-Qifli,  dans  les  Actes,  etc.  Section  I  :  sémitique  (A),  ler  fasci- 
cule rLeide,  1891),  p.  17-36. 

3  Hartwig  Dcrenbourg,  Yie  d  Oiisàma,  p.  569-593. 

*  Manuscrit  1666  de  la  Bibliothèque  Nationale  ;  voir  la  traduc- 
tion française  de  M.  Edgard  Blochet  (Paris,  1900),  p.  89,  190, 
223,  224. 


I^  histoire  des  philosophes  31) 

tàli  as-sa'Ul  (il-iljàini  li-cisnuï  noudjuha  AsSaid 
«  Livre  inliliilé  :  L'iioioscope  licurciix,  ic'nlcrnKml  les 
noms  des  hommes  illiislres  de  la  Haute  K^yi)le  >-,  par 
Kamàl  ad-Diu  l)ja  lar  Al-AdloiiNvi,  ne  à  Kdlbii,  moil  au 
Caire  en  74tS  il.'MT).  Cq  dietionnaire  hicjgraphique, 
classé  d'après  les  initiales,  conlienl  la  notice  sui- 
vante '  : 

'Ali  ibn  Voùsouf  ibn  Ibrahim  ibn  Abd  al-\Vàhid  ibn 
Moùsà  ibn  Ahniad  ibn  Mohammad  ibn  Ishàk  ibn  Mobani- 
mad  ibn  Habi'a  Asch-Scbaibànî  Al-Kifti,  le  vizir,  Djaniàl 
ad-Din  Aboii  '1-IIasan  tut  auditeur  du  cours  de  traditions 
professé  à  Misr  par  Aboù  't-Tàhir  Ibn  Bannàn  -  et  suivit  à 
Halab  les  cours  de  plusieurs  maîtres.  Il  se  réclama  comme 
autorité  du  hàfilli  Al)où  't-Tàhir  As-Silafi,  en  vertu  d'un  di- 
plôme ^. 

Le  hàfilh  Aboù  Abd  Allah  Mohammad  Al-Bagdàdhi  * 
a  dit  :  J'ai  entretenu  des  relations  avec  lui  et  j'ai  constaté 
l'abondance  de  ses  supériorités,  la  richesse  de  ses  connais- 
sances, l'éclat  de  ses  talents,  sa  grande  autorité,  son  àme 

»  Manuscrit  21 18  de  la  Bibliothèque  Nationale,  fol.  179  v"-180 
r^.  Je  ne  donne  ici  que  la  traduction  française  ;  le  texte  arabe  a 
été  publié  dans  le  Journal  des  Savants  de  1904,  p.  031. 

-  Ou  bien  :  Ibn  Bounàn.  Les  deux  prononciations  sont  possi- 
bles pour  le  nom  de  ce  savant  oublié  dont  le  nom  est  donné 
plus  complètement  par  Mouhyî  ad-Dîn,  un  frère  d'Ibn  Al-Kil'lî  : 
le  kàdi  id-atliir  Mohammad  ibn  Mohammad  Ibn  Bannàn  (ou  Ibn 
Bounàn)  Al-Anbàrî.  Cf.  A.  MùUer,  ,lc/es,  etc.,  p.  34,  et  Yàkoùt, 
Mou'djani,  IV,  p.  711,  1.  17. 

•*  C.  Brockelmann,  Gcschichlc  der  Ai'abisclien  Liticraliir,  I, 
p.  305.  As-Silafî  étant  mort  en  570  (1180)  ou  en  578  (11S2),  Ibn 
Al-Kifti  aurait  eu  moins  de  huit  ou  de  dix  ans,  lorsque  le  cen- 
tenaire aurait  muni  lenfnnt  de  son  idjàza  à  son  école  d'Alexan- 
drie, Celte  précocité  orientale  n'est  pas  un  fait  isolé  :  un  petit- 
fils  {sibi)  d'As-Silafî,  né  deux  ans  après  Ibn  Al-Kiflî.  est  compté 
parmi  les  disciples  de  son  grand-père  (h\ns  As-Souyoùtî,  Iloiisn 
al-nwuliàdara,  I,  p.  214. 

'  C.  Brockelmann,  Geschichle  der  Arabischen  Lilleratiir,  I, 
p.  394. 


40  Opuscules  d'un  arabisant 

généreuse,  son  visage  épanoui,  ses  qualités  aimables.  Il  a 
eu  des  rapports  avec  les  maîtres  dans  toute  science  : 
grammaire,  vocabulaire,  jurisprudence,  tradition,  compa- 
raison des  sept  lectures  du  Coran,  principes  fondamentaux 
de  l'islam,  logique,  astronomie,  géométrie,  liistoire. 

Ibn  Ai-Kifti  a  étudié  la  grammaire  cliez  le  schcdkh,  chez 
le  savant  Sàlih  ibn  Gàdhî  i  et  il  a  reconnu,  dans  son  livre 
intitulé  :  Les  plus  illustres  grammairiens,  combien  il  a 
profité  de  son  contact  avec  lui.  Il  a  aussi  sa  valeur  litté- 
raire. Ses  panégyristes  sont  nombreux.  Yàkoùt  de  Hamâ^ 
et  d'autres  ont  fait  sou  éloge.  Il  fut  appelé  au  vizirat  d'Alep 
au  commencemeni  de  l'année  614  (avril  1217  de  notre  ère), 
puis  il  fut  destitué,  puis  réintégré. 

Parmi  ses  ouvrages  en  divers  genres,  je  citerai  :  1°  Les 
récits  sur  les  écrivains  et  leurs  écrits  ;  2^  La  notoriété 
donnée  aux  narrateurs  qui  traitent  des  plus  illustres 
poètes  ;  3''  La  chronique  du  Yémen  ;  4°  La  Chronique 
d'Egypte  jusqu'à  l'époque  de  Saladin  ;  ô^-  La  Chronique  des 
Boùyides  3  ;  Qo  La  Chronique  des  rois  Seldjoùkides  ; 
7^'  Les  poésies  de  ceux  qui  se  nomment  Yazîd  ;  etc. 

Né  à  Kift^  en  l'an  568  (1172),  il  mourut  à  Alep  en  l'an 
646  (1248).  Il  est  l'auteur  de  poésies  et  de  livres  de  littéra- 
ture.  Le   hàfith  'Abd  al-Mou'min^    l'a   mentionné  parmi 

^  Le  manuscrit  d'Oxford  a  Gàdî  ;  Mouhyi  ad-Dîn,  dans  A.  Mûlier, 
ibid.,  p.  34,  le  nomme  «  le  iurisccnsulte  (al-faklh)  As-Sâlih  ibn 

A 

'Adî  Al-'Abdànî  le  grammairien  (aii-nahwi),\e  ïeuirier (al-anmàti) 
de  Misr.  Sur  le  sens  du  mot  al-anmcdi,  voir  îbn  Khallikàn,  Bio- 
graphical  Diclionary,  II,  p.  186. 

■^  Cest  le  célèbre  géographe  Yâkoût  de  Hamâ,  mort  à  Alep  en 
626  (1229j;  cf.  Yàkoùt,  Moii'djam,  I,  p.  12,  1.  4-21  ;  262,  1.  17-19, 
et  les  autres  passages  cités  dans  l'Index,  VI,  p.  577,1.  5-6. 

^  Manuscrit  avec  un  ta  en  tête,  remplacé  par  un  bâ  d'après 
As-Souyoùtî,  Hoiisn  al-moiihàdara,  I,  p.  319,  1.  21,  et  d'après 
Hàdjî  Khalîfa,  Lexicon  bibliographiciim.  II,  p.  109,  n^  2146. 

*  Kift  est  un  bourg  du  Sa'îd,  de  la  Haute  Egypte. 

5  Ad-Dimyâtî  «  L'homme  de  Damiette  »,  ainsi  est  dénommé 
Scharaf  ad-Dîn  Aboû  Mohammad  'Abd  al-Mou'min  ibn  Khalaf 
ibn  Abî  '1-Hasan  At-Toûnî,  le  Schàfilte,  né  en  613  (1216),  mort  à 
la  fm  de  705  (1306).  Voir  As-Souyoùlî  (Adh-Dhahabî),  Tabakât 
al-houffâth,  éd.  Wûstenfeld,  III.  p.  65,  n»  7. 


L'histoire  des  pliilosoplies  'i  1 

ceux  qui  lui  ont  conféré  le  diplùiiic.  Ibn  Sa  id  '  a  parlé  de 
lui. 

La  notice  est  terniiiiéc  i)ar  une  citation  de  (juatre 
vers,  deux  d'Ibn  Al-Kifli  et  deux  d'ihn  Sa  id  au  sujet 
d'une  esclave  que  le  premier  avait  achetée. 

Dans  la  liste  des  œuvres  d'Ibn  AI-Kii'ti  dressée  par 
DjaTar  Al-Adfou\vî,  1'  «  Histoire  des  pliilosoplies  »  ne 
ti»^ure  j)as  ])lus  que  dans  les  seize  titres  énuinérés  pres- 
que à  la  même  épo([ue  par  Khalil  As-Safadi  -,  mort  en 
7()4  (1303),  ni  dans  les  dix-huit  donnés  |)ar  Ibn 
Schàkir  Al-Koutoubî  •',  mort  la  même  année.  On  peut 
en  conclure  que  l'ouvrage  circulait  avec  l'attribution  à 
un  autre  auteur  et  en  etfet  le  manuscrit  2112  de  Paris 
nomme  en  tête  et  dans  la  souscription  Mohammad  ibn 
'AU  ibn  Mohammad  Al-Kliatibî  Az-Zauzani  qui  date 
lui-même  sa  rédaction  de  ^yVl  ^  (1219).,  c'est-à-dire  de 
l'année  ([ui  suivit  la  mort  d'Ibn  Al-Kiftî.  Dans  un 
autre  manuscrit  entré  j)lus  tard  à  la  Bibliothèque  Na- 
tionale avec  la  Collection  Schefer  et  coté  5889,  les 
mêmes  origines  et  la  même  date  se  retrouvent,  avec 
le  titre  significatif  de  Al-Moiinldkluibàl  nui  l-inoultd- 
katât  (.<  Les  choix  et  les  extraits  ^  »,  comme  dans   plu- 


'  11)11  Sa'îd  est  Noùr  ad-I)în  Aboù  '1-IIasan  Ali  ibn  Moùsà  Al- 
'Anasi  Al-Andalousî  Al-(iarnàlî  Al-Maj^ribi,  né  près  de  (irenade 
en  OUI  (1214),  mort,  selon  les  uns,  à  Damas  en  073  (1274),  selon 
d'autres,  à  Tunis  eu  685  (1286)  ;  cf.  C.  Brockelmann.  Gescliiclile 
der  Arabischen  Litleratiir,  I,  p.  .336 -.337  ;  II,  p.  699. 

-  As-Safadî,  Al-Wàfi  bi-l-wafai]àt,  i)ublié  par  G.  Flii^el  dans 
Aboù '1-Fidà.  Hisloria  anteislniuica,  éd.  Fleischer,  p.  234,  et  par 
A.  Mùller,  dans  Aclcs,  etc.,  p.  36. 

^  Ibn  Schàkir  Al-Koutoubî,  Fawàl  al-wafaijàt.  II,  p.  97,  éd.  de 
Boûlàk  de  1299(1882). 

♦  Slane,  Calalogiie,  p.  375  a. 

^  Hartwig  Derenbourg,  Les  manuscrits  arabes  de  la  Collection 
^chefer  à  la  Bibliothèque  \ationale  (Paris,  1901),  p.  33. 


42  Opuscules  d  un  arabisant 

sieurs  exemplaires  et  dans  Hâdjî  Khalifa,  Lexicon 
bibliographicum,  VI,  p.  166^  n°  13107.  Or,  ces  «  choix 
et  extraits  »  nous  étant  seuls  parvenus^  y  a-t-il  lieu  de 
supposer  qu'ils  ont  été  empruntés  à  un  ouvrage  plus 
étendu,  con>posé  par  Ibn  Al-Kifti^  et  d'espérer  qu'une 
heureuse  trouvaille  nous  permettra  de  substituer  quel- 
que jour  l'original  perdu  à  l'abrégé  relégué  désormais 
parmi  les  antiquailles? 

Ma  conviction  est  établie  et  je  crois  pouvoir  sans 
témérité  affirmer  que  le  statu  quo  est  définitif.  Ibn  Al- 
Kifti  parait  avoir  eu  dans  les  sujets  qu'il  a  traités  l'esprit 
d'initiative  plutôt  que  l'esprit  de  suite.  Il  voyait  les 
lacunes  de  la  science,  se  préoccupait  de  les  combler, 
mais  ne  s'attardait  pas  à  terminer  la  tache  commencée 
lorsqu'il  en  apercevait  une  autre  de  nature  à  solliciter 
son  attention  et  à  satisfaire  sa  curiosité  toujours  en  éveil. 
Il  a  laissé  plus  d'un  livre  inachevé  *  :  son  répertoire 
des  grammairiens  naurait  pas  plus  vu  le  jour  que 
celui  des  philosophes,  s'il  ne  s'était  pas  rencontré  un 
Adh-Dhahabi,  mort  en  748  (1348  s  pour  mettre  au  point, 
dans  un  résumé  concis^  la  biographie  de  ceux-là  -, 
comme  un  siècle  plus  tôt,  il  s'était  rencontré  un  Az- 
Zauzani  pour  coordonner,  en  élaguant  le  superflu,  les 
notes  éparses  recueillies  sur  ceux-ci  par  Ibn  Al-Kifti  ^. 

^  As-Safadî  et  Ibn  Schàkir  Al-Koutoubî,  loc.  cit.,  affirment 
qu'Ibn  Al-Kiflî  n'a  terminé  ni  sa  «  Parole  »  sur  le  Moiiiuatla,  le 
code  de  la  doctrine  màlikite,  ni  celle  sur  le  Sahih  d'Al-Boukhàrî. 
Sa  Notice  sur  les  poètes  portant  le  nom  de  Mohammad,  conser- 
vée à  notre  Bibliothèque  Nationale  sous  le  n^  3335,  est  une 
œuvre  posthume  d'après  Slane,  Calaloyiie,  p.  583  a  et  b. 

-  L'autographe  d"Adh-Dhahabî  se  trouve  à  la  Bibliothèque  de 
l'Académie  de  Leide  sous  le  n^  87G  de  R.  Doz};,  Calalogiis,  II, 
p.  205-206;  cf.  Hàdji  Khalifa,  Lexicon  bibliographiciim,  I,  p.  441, 
no  1280  ;  IV,  p.  154,  n^-  7929. 

^  Je  crois  que  c'est  à  ces  feuilles  volantes  que  Mouhyî  ad-Dîn, 
frère  d'Ibn  Al-Kiftî,  fait  allusion  en  lui  attribuant  «  un  livre  qui 


L'histoire  des  pliilosophes  ^3 

Son  (iHivrc  posthume  a  ûlc  i)rcsenlL'c  au  puljlic  dus  le 
lendemain  de  sa  moit  par  un  éditeur  persan  sur  lecjuel 
nous  ne  possédons  aueun  rensei«^nement  et  (pii  a 
devaneé  de  plus  de  sept  sièeles  et  demi  le  jeune  édi- 
teur allemand,  M.  le  professeur  .î.  Lipperl. 

Rassembler  les  matériaux.  plul(")l  (jiie  les  mettre  en 
œuvre,  amasser  les  doeuments  dans  les  trésors  d'une 
bibliothèque  riche  en  raretés  et  accrue  sans  cesse  par 
une  suite  non  interrompue  d'accpiisitions  menées  avec 
une  habile  prodiij;alité  par  un  bibliomane  aussi  forcené 
qu'avisé,  consacrer  à  des  recherches  encyclopédicpies 
les  loisirs  d'un  vizirat,  d'un  ministère  des  finances 
intermittent,  subi  comme  une  corvée  pesante,  voilà 
quel  fut  le  lot  du  vizii",  du  <(  kàdi  le  plus  généreux»  ', 
fils  et  petit-fils  de  kàdis,  haut  dignitaire  qui  renonça 
spontanément  aux  avantages  de  la  propriété  et  de  la 
famille  pour  satisfaire,  sans  partage  de  son  fait,  son 
ardente  et  exclusive  passion  de  collectionneur.  Sa 
bibliothèque  contenait  maint  autographe  précieux 
qu'il  avait  disputé  à  prix  d'or  à  l'élite  des  amateurs. 
La  valeur  en  était  estimée  à  50,000  dinars,  c'est-à-dire 
à  près  de  700,000  francs.  Il  n'auiait  jamais  toléré  (pic 

conii)ren(l  les  récits  relatifs  aux  philosophes  »;  voir  A.  MiilkT 
dans  Actes,  etc.,  p.  3(),  1.  2  et  3. 

*  Ihn  Al-Kiftî  est  appelé  (il-iuazir  al-akram,  «  le  vizir  le  plus 
généreux  »,  le  j)lus  souvent  dl-kùdi  al-akrnm,  a  le  kndi  le  plus 
généreux  »,  ou  encore  al-akram,  «  le  plus  généreux  »  ;  voir  sa 
biograi)hie  par  son  frère  Mouhyî  ad  Dîn,  publiée  par  A.  Muller 
dans  Actes,  etc.,  p.  34,  1.  G  ;  Yàkoùt,  Moii'djanu  I,  p.  12.  1.  8  ;  202, 
1.  18;  II,  p.  28,  1.  18;  271),  1.  12;  .301),  1.  10;  510,  1.  14  ;  .VJl,  1.  18; 
934,  1.  20  ;  IV,  p.  152, 1.  15  ;  Kamàl  ad-Dîn  Ibn  Al-Adîm,  Zoiibda, 
tr.  Blochet.  p.  189,190,  223,  224;  Ibn  KhalhUàn,  Bionraphical 
Diclionarij,  II,  p.  491  ;  III,  p.  207;  IV,  p.  12;  Ibn  Schàkir  Al-Kou- 
toubî.  Fawàt,  II,  p.  90,  1.  2  a  f .  ;  Hàdjî  Khalîfa,  Lexicon  lnblio(jra- 
pliicum,  IV,  p.  154  ;  Ilartwig  Derenbourg,  Les  manuscrits  arabes 
de  la  Collection  Schefer,  p.  33. 


44  Opuscules  d'uu  arabisant 

SCS  livres  fussent  dispersés  et  il  les  légua,  par  un  testa- 
ment en  règle,  à  son  maître,  au  prince  Ayyoùbide 
d'Alep,  Al-Malik  An-Nàsir  Salàh  ad-Dîn  Yoùsouf,  l'ho- 
monyme et  l'arrière  petit-fils  de  Saladin  '.  On  com- 
prend qu'lbn  Al-Kiftî,  acheteur  insatiable  et  lecteur 
assidu  de  ses  acquisitions,  n'ait  pas,  surtout  à  l'époque 
de  sa  vie  politique,  réalisé  avec  son  kalam  tous  ses 
rêves  de  compositions  littéraires,  historiques  et  biogra- 
phiques. 

Si  des  coupures  ont  été  pratiquées  par  Az-Zauzani 
dans  les  brouillons  qui  lui  furent  confiés,  je  suppose 
qu'il  écarta  certains  noms  insignifiants  et  qu'il  suppri- 
ma nombre  de  détails,  qui  lui  paraissaient  du  rempli- 
sage,  dans  les  articles  qu'il  admit.  Mais  l'appareil  ])iblio- 
graphique  ne  se  prête  pas  aux  amputations  et  il  a  dû 
être  maintenu  dans  sa  plénitude.  Or,  c'est  là  le  point 
important  et  nous  pouvons  nous  réjouir  des  trésors  qui 
ont  été  conservés.  Nous  pourrions  apprécier  avec  plus 
de  certitude  encore  la  genèse  du  recueil  sans  la  perte 
regrettable  de  l'abrégé,  d'après  Az-Zauzanî  sans  doute, 
par  Al)OLi  Mohammad  Abd  Allah  ibn  Sa'd  ibn  x\hmad 
Ibn  Abi  Djamra  Al-Azdî  Al-Andalousî,  mort  au  Caire 
en  675  (1276)  "-.  C'est  par  suite  d'une  confusion  entre 
deux  écrits  d'ihn  Al-Kiftî  que  M.  le  professeur  Lippert 
parle  d'une  autre  rédaction  écourtée,  d'un  siècle  plus 


^  An-Nouwairî,  Xihàyat  al-arah,  d'après  Quatremèrc.  Mé- 
moire sur  le  goût  des  livres  chez  les  Orientaux,  publié  d'abord 
dans  le  Journal  asiatique  de  1838,  II,  p.  35-73  ;  reproduit  dans 
E.  Quatremère,  Mélanges  d'histoire  et  de  philologie  orientale, 
p.  1-39;  voir  surtout  p.  30-31. 

2  Hàdjî  Khalifa,  Lexicon  bihliographicum,  IV,  p.  135,  qui  com- 
plète C.  Brockelmann,  Geschichte  der  Arabischen  Lilteratur,  I, 
p.  372,  n^  15.  Ajoutez-y  également  pour  l'ouvrage  1  l'exemplaire 
de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Madrid,  coté  480  dans  Robles, 
Catàlogo,  p.  203  a. 


1 


L'histoire  des  (iliilosoplies  /lô 

moderne,  qui  aurait  eu  pour  auteur  l'àdj  ad-Din  Ahoù 
Molianimad  Aliniail  iliu  Ahd  al-Ivàdii"  Ibn  Maktoùin 
Al-Kaisi  le  llanalile,  mort  en  71'.)  (loKS)'. 

Ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  que  la  comniodili'  de 
l'ordre  aipliahéliciue  d'après  les  initiales  rend  Tusa'^e 
de  ee  dictionnaire  aisé,  les  classements  |)ar  matières 
étant  toujours  arbitraires  et  subjectils.  Aux  deux  index 
des  noms  propres  de  i)ersonnes  et  de  lieux  aurait 
pu  être  ajoutée  avec  profit  une  table  des  œuvres 
citées;  mais,  pour  utile  et  presque  nécessaire  (piellc 
eût  été,  elle  aurait  risciué  de  grossir  le  livre  démesu- 
rément. 11  a  iallu  accepter  ce  sacrifice,  mais  je  ne 
[)uis  assez  le  regretter.  Je  me  serais  plutôt  résigné  à 
un  tormat  plus  modeste,  à  des  marges  plus  resserrées, 
à  unv  pubHcation  d'un  prix  moins  exorbitant.  D'autre 
part,  l'amoureux  des  beaux  livres  qu'était  Ibn  Al-Killi, 
s'il  contemplait  et  maniait  un  aussi  magniiique  volume, 
se  sentirait  lieureux  de  posséder  et  d'admirer,  sur  un 
rayon  de  sa  bibliothèque  d'outre-tombe,  au  moins  un 
exemplaire  de  son  Histoire  des  philosophes,  adaptée 
par  Az-Zauzani,  publiée  dans  une  édition  de  luxe 
à  son  goût  et  à  son  usage  par  M.  le  professeur  Julius 
Lippert. 

Je  disais  en  commençant  combien  cette  mine  de 
richesses  scientifiques  avait  été  exploitée  au  préalable, 
avant  d'être  ouverte  dans  son  opulence  aux  recher- 
ches des  travailleurs.  Dans  la  seconde  moitié  du  dix- 
huitième  siècle,  le  prêtre  maronite  Micliaël  Casiri,  char- 
gé par  «  le  très  pieux  et  très  religieux  })rince  des 
Espagnes  »  Charles  III,  qui  régna  de  1731)  à  178cS,  de 
cataloguer  ses  manuscrits  arabes  de  l'Escurial,  connut 


'  J.  Lippert,  Eiiileitung,  p.  11  ;  cf.  G.  Brockelmann,  lieschichte 
der  Arabiscîien  Litleratur,  II,  p.  110,  ii'^  6. 


46  Opuscules  d'un  arabisant 

l'ouvrage  à  travers  un  seul  exemplaire  médiocre,  sans 
nom  d'auteur,  qui  porte  aujourd'hui  le  no  1778  (Casiri 
1773)  ' .  Il  en  tira  nombre  de  hors-d'œuvre  savoureux 
qui  coupaient  sa  description  au  grand  plaisir  des  lec- 
teurs ;  il  les  leur  ofïrit  d'après  la  Bibliotheca  philoso- 
phorumy  comme  il  appelle  cette  collection  anonyme 
de  monographies  -. 

Sur  400  articles  environ,  dont  se  compose  le 
recueil  complet,  Casiri  en  a  publié  115  ^  sans  s'a- 
streindre à  les  reproduire  intégralement.  Réduit  pour  ses 
extraits  à  un  seul  manuscrit  qui  n'est  pas  des  meilleurs, 
il  n'a  pas  pu  arriver  à  un  déchiffrement  et  à  une  éki- 
cidation  comparables  aux  résultats  qu'a  obtenus  M.  J. 
Lippert,  avec  le  riche  appareil  dont  il  disposait  et  avec 
la  préparation  que  l'état  des  études  arabes  en  Europe 
assure  aux  disciples  formés  par  l'élite  des  maîtres  con- 
temporains. Pour  les  emprunts  puisés  à  la  même 
source  que  ceux  de  Casiri,  M.  Lippert  cite  encore  Louis 
Amélie  Sédillot^,  Prolégomènes  des  tables  astronomiques 

^  M.  Casiri,  Bibliotheca  Arabico-Hispana  Esciirialeiisis,  Matrili, 
1760-1770,2  vol.  in-folio.  Casiri  mourut  à  Madrid  le  12  mars  1791  ; 
voir  Hartwig  Derenbourg,  Notes  critiques  sur  les  Manuscrits 
arabes  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Madrid  (Paris,  1904),  p.  11 
et  42. 

-  Le  copieux  index  qui,  dans  la  Bibliotheca,  suit  II,  p.  352, 
permet  d'j-  retrouver  chacune  des  monographies. 

^  Et  non  pas  33,  comme  l'a  prétendu  M.  Lippert,  en  ne  comp- 
tant probablement  que  les  morceaux  de  longue  haleine.  J'ai 
donné  la  liste  des  115  articles  en  suivant  l'ordre  où  ils  figu- 
rent dans  le  texte  complet.  Voir  le  Journal  des  Savants  de  1904, 
p.  636-637. 

^  M.  Lippert  a  omis  les  prénoms,  sans  se  douter  qu'il  y  a  eu 
deux  Sédillot,  «  des  mathématiciens  au  moins  autant  que  des 
arabisants  »,  comme  je  les  ai  caractérisés  dans  mon  Silvestre  de 
Sacy,  éd.  du  centenaire  de  l'Ecole  (Paris,  1895),  p.  59,  le  père, 
Jean-Jacques  Emmanuel  (1777-1832)  et  son  second  fils,  un  pâle 
reflet  du  père  (1808-1875). 


L  liist()ir«^  (les  philosoplies  47 

(TOloïKj  Bi'ij  (Paris,  1817)  cl  le  coninieiîlaiiv  crAiigusl 
Millier  dans  le  second  volume  de  (i.  FIii<^el,  Kilàh  al- 
filirist  (Leipzig,  1872).  Je  crois  que  celle  lisle  n'esl  pas 
complète  et  (pi'on  pourrait  y  ajouter  entre  autres 
\Venrich,  De  (iiuioruiu  (jnvconim  ucrsionihus...  com- 
mcntatii)  (Lij)si(r,  1812i;  D'  Lucien  Leclere,  Histoire 
de  lu  médeeine  ar(d)c  (Paris,  1870,  2  vol.);  M.  Stein- 
schneider,  Die  avcdnschen  Veherselziuujen  ans  dein  (irie- 
chischeii  (Lei])ziL>  et  Berlin,  1889-189())  '  ;  i\u  même, 
Ar(d)isclie  MidlienKdiker  mil  luiischluss  der  Aslronoiuen, 
dans  VOrientidislische  Zeitiiiuj  de  1901,  1902  et  1903; 
H.  Suler,  Die McdlieiiKdiker  iiiul  Aslrononieii  der  Aiaher 
iiiul  ilire  Werke  (Leipzig,  1900).  Que  de  prélihalions 
ont  pi'écédé  notre  jouissance  pleine  ! 

Aux  trois  groupes  de  manuscrits  décrits  et  classés 
par  M.  Lipj)ert  s'ajoutent  les  deux  parisiens  et  l'exem- 
plaire de  l'Escurial,  tous  trois  se  rattachant  à  la  série-/. 
Quant  au  manuscrit  R,  de  la  série  y,  qui  provient  de 
la  succession  Michèle  Amari,  il  appartient  maintenant 
à  la  Real  Accademia  dei  Lincei  à  Rome  -. 

La  puhlication  de  l'Histoire  des  philosophes,  rédigée 
par  Az-Zauzani  sur  les  notes  d'ibn  Al-Kitfî,  a  été  inter- 
calée par  mon  jeune  collègue^  M.  le  professeur  Julius 
Lippert,  au  milieu  de  travaux  consacrés  par  lui  aux 
procédés  et  au  développement  de  l'oculistique  arabe,  à 
l'instigation  et  avec  la  collaboration  d'un  illustre  spé- 
cialiste berlinois,  M.  le  professeur  D'' J.  Hirschberg.  De 
ce  fécond  laboratoire  sont  sortis  jusqu'ici:  Die  AïKjeu- 


'  Une  table  générale  de  cet  ouvrage,  publié  par  bribes  el  par 
morceaux,  a  paru  dans  la  Zeilschrift  der  dciils.  morg.  Gesellscha/t, 
L  (1896>,  p.  371-417. 

-  Al-Battani  sive  Albatenii  Opiis  aslronoiuicum...  ediluni,  latine 
versuni...  a  Carolo  Alphonso  Nallino.  Pars  prima  (Mediolani 
Insubrium,  1903),  p.  vni  et  lxvi. 


48  Opuscules  d'un  ai*al)isant 

heilkiindc  des  Ibii  Sina  (Leipzig,  1902);  il  y  a  peu  de 
mois  .1//  ibii  Isa  Erinnerungsbuch  fur  Aiigenœrtzte 
(Leipzig,  1904).  On  annonce,  comme  prêt  pour  l'impres- 
sion, un  nouveau  volume,  qui  débutera  par  ((.  Un  choix 
sur  le  traitement  des  maladies  de  l'œil»,  composé  vers 
l'an  1000  de  notre  ère  par  Aboù  '1-Kàsim  'Ammâr  ibn 
'Ali  de  Mausil.  On  voit  que  cette  branche  delà  littéra- 
ture arabe  médicale,  si  elle  chôme  en  Europe  depuis 
au  moins  un  quart  de  siècle,  recommence  à  y  être  cul- 
tivée, exploitée,  mise  en  valeur  '. 

^  M.  Lippert  n'est  pas  non  plus  étranger  à  J.  Hirschberg,  Ueber 
das  œllesie  arabische  Lehrbuch  der  Aagenheilkiiiide,  dans  les 
SitzLuigsberichte  de  l'Académie  de  Berlin  de  1903,  p.  1080-1094  ; 
tirage  à  part,  n»  XLIX. 


IV 


La    Haggâdàh   de    la   Pâque  juive 

et 

la  miniature  espagnole  juive 

à  partir  de   Pan    1300 


J 


La  Haggâdâh  de  la  Pâqiie  juive  et  la   miniature 
espagnole  juive  à  partir  de  Tan  1300  '. 


Parmi  les  éléments  dont  se  composent  les  deux 
Talmuds,  celui  de  Habylone  comme  celui  de  Jérusalem, 
on  dislinoue  d'une  part  la  Ilalàkhàh,  c'est-à-dire  l'aj)- 
plication  de  la  loi  mosaïque  à  la  condition  nouvelle 
des  Juifs  après  la  destruction  du  second  Temple  en 
70  et  après  la  dispersion,  d'autre  part  la  ll(uj(jàd(\h, 
vaste  répertoire  des  légendes,  paraboles  et  allégories 
qui  circulaient  autour  de  l'Ancien  lestament  et  de  ses 
personnages.  En  opposition  avec  la  ((  voie  »  légale  et 
obligatoire,  le  «  récit  »  s'inspirait  delà  tradition  popu- 
laire sans  formuler  de  prescription  religieuse  et  racon- 
tait, par  exemple,  la  jeunesse  d'Abraliam,  ses  luttes 
avec  Xenn'od,  son  opposition  violente  à  l'idolâtrie  de 
son  père  Térab  et  autres  liistoires  plus  ou  moins  édi- 
fiantes qui  n'ont  point  pénétré  dans  les  textes  cano- 
niques '-.  C'est  la  II(f(j(j(ï(l(iIi  qui   nous  a  conservé  les 

'  Journal  des  Savants  de  novembre  ISÎKS.  p.  657-()r>8,à  propos  de 
D.-H.  Millier  und  .T.  von  Schlosser.  Die  Ilaijijadah  von  Sarajevo, 
2  vol.  in-8o  Jésus,  \Vien,  Alfred  Ilolder.  181)8  :  Texlband,  iv  et  311 
pages,  avec  un  frontispice  en  couleurs,  XXXVIII  planches  en 
chromotypie,  10  gravures,  8  chromotypies  et  2  fac-similés  dans 
le  texte  ;  Tafelband,  avec  33  phototypies  et  2  chromotypies. 

-M.  Gûdemann  a  opposé  la  Ihtggàdàli  «  récit  oral  >,  non  pas 
à  la   Halàkhàh,   mais  au   Ketàb  «  récit  écrit  »   mentionné   dans 


o:^ 


2  Opuscules  d'un  arabisant 


trésors  du  folklore  juif.  Elle  n'a  que  le  nom  de  com- 
mun avec  la  Haggâdâli  copiée  et  illustrée  dans  le  ma- 
nuscrit du  musée  régional  de  Bosna-Seraï  ou  Sarajevo, 
la  capitale  de  la  Bosnie^  manuscrit  dont  MM.  D.-H. 
Millier  et  J.  von  Schlosser  viennent  de  publier  une 
description  savante  et  une  reproduction  luxueuse. 

hix  Haggàdàh,  le  «  Récit  »,  tel  est  le  titre  de  l'opus- 
cule que  les  juifs  récitent  dans  leurs  demeures  le  pre- 
mier soir  de  la  Pàque.  La  répétition  accoutumée  du 
second  soir  provient  seulement  d'une  erreur  possible 
dans  la  fixation  de  la  néoménie  par  rapport  à  la 
date  immuable  du  It  nîsàn.  A  l'exception  du  grand 
jeune  de  kippour,  et  pour  cause,  les  autres  fêtes  du 
calendrier  juif  ont  été  allongées  d'un  jour  en  vue  de 
parer  aux  conséquences  d'une  supputation  inexacte. 
La  cérémonie  publique  dans  la  synagogue  achevée, 
les  fidèles  rentrent  pour  prendre  part  à  une  réunion 
privée,  présidée  par  le  chef  de  la  famille,  organisée 
par  lui  et  chez  lui,  ouverte,  en  dehors  des  parents, 
à  quiconque  souffre  de  la  faim  et  est  dans  le  besoin, 
accueillante  à  tous  ceux  qui  se  considèrent  comme 
associés  eux-mêmes  à  la  sortie  d'Egypte  ^  à  tous  ceux 
qui  aspirent  à  en  célébrer  l'anniversaire  par  la  lecture 
du  ((  récit  »  tel  qu'il  est  donné  dans  la  Haggâdâli.  La 
raideur  est  bannie  de  l'assemblée  convoquée  pour  rap- 
peler ((i  avec  une  grande  joie  -  »  l'événement  capital 
quia  fondé  l'indépendance  d'Israël  après  les  430  années 
de  captivité  sur  les  bords  du  Xil.  La  prière  est  coupée 

Ézéchiel.  xiii,  9.  Son  mémoire,  intitulé  :  Haggada  und  Midrasch- 
Haggada  a  paru  dans  la  Jiibelschrift  ziim  90.  Gebiirtstag  von  L. 
Zanz  (Berlin,  1884);  cf.  Joseph  Derenbourg,  Haggada  el  légende, 
dans  la  Revue  des  études  juives,  IX,  p.  301-305. 

^  Exode,  XIII,  8. 

^Chroniques,  2e  livre,  xxx,  21. 


La  HaçHpidAli  de  la  Pàtiur  jui\r  r>3 


])ar  quatre  lasades  régulièrcnienl  espacées,  sans  parler 
(lu  dîner  qui  la  divise  en  deux  j)arliesà  peu  près  égales. 
L'ancienne  tète  du  prinlenq)s,  qui,  à  l'origine,  avait 
l'ait  appeler  le  mois  entier  «  le  mois  des  épis  '  »>  est 
devenue  la  tête  nationale.  C'est  le  souvenir  le  plus 
vivant  chez  Israël  de  ses  soutVrances  passées.  Le  Deea- 
loi>ue  ouvre  par  ces  mots  bien  si^uilicatits  -  :  «  Je  suis 
l'Éternel,  ton  Dieu,  qui  t'ai  lait  sortir  de  LL^ypte,  (k* 
la  terre  d'esclavai^e.  »  Et^eu  ellet,  les  Israélites,  après 
avoir  abandonné  la  Syrie  méridionale  pour  le  Delta, 
s'évadèrent  au  début  du  xnv-  siècle  avant  notre  ère  sous 
le  règne  de  Minéphlali  pour  se  réfugier  aux  solitudes 
d'Arabie.  Cette  borde  confuse,  fuyant  avec  ses  troupeaux, 
j)auvre,  mal  armée,  «  anéantie,  n'ayant  plus  de  graine  », 
comme  Minépbtah  la  caractériser  dans  son  chant  de 
victoire^,  emportait,  à  l'insu  du  roi  d'Lgypte,  des 
graines  abondantes,  vivaces  et  productives,  qu'elle 
planterait,  féconderait  et  ferait  fructifier  dans  les  ter- 
roirs les  plus  favorables  à  leur  développement. 

A  quelle  épocpie  l'oraison  de  la  Fàque,  la  lecture  de 
la  HiUjijàdàh,  est-elle  entrée  dans  la  liturgie  juive  pour 
y  remplacer  l'immolation  de  Fagneau  pascal,  abolie 
au  moment  de  l'exil,  ainsi  que  les  autres  sacrifices  ^  ?' 

^  Exode,  xui,  4;  xxni,  15;  xxxrv,  18;  Denté rotioine^  \vi,  i. 

'^Exode,  XX,  2;  Deiiléroiioine,  v,  6. 

^G.  Maspero,  Histoire  ancienne  des  penples  de  i Orient  classiquey 
II    Paris,  181)7),  p.  70,  71,  436,  437,  443. 

''La  première  édition  imprimée,  sans  voyelles,  avec  commcrv- 
taire  de  Don  Isaac  Abravanel  (Constantinople,  ir)!).'),  petit  in- 
folio), porte  le  titre  de  «  Sacrifice  de  la  Pàque  •>.  Il  en  est  de 
même  des  exemplaires  de  Venise,  ITA'i,  et  de  Histrowitz,  l.")*>2, 
décrits  par  M.  Steinschncider  dans  le  Calidogns  lihrornm  he- 
hrivornm  in  Bibliotlieca  Bodleinnci,  col.  412  et  413.  I/impression 
XA'-Iographiqiie  de  Prag,  152fi,  dont  MM.  MùHer  et  Von  Schlosser 
ont  publié  le  frontispice  (Textband,  p.  223»  et  dont  l'Alliance 
Israélite  de  Paris  possède  un  exemplaire,  débute  par  une  im'o— 
cation  sans  titre. 


54  Opuscules  d'un  arabisant 

M.  D.-H.  Millier,  dans  le  volume  de  texte  (p.  3-18),  a 
consacré  une  courte  monographie  aux  origines  et  à  la 
composition  de  ce  petit  livre.  Le  moi  Hag g âdâh  n'est 
ni  biblique,  ni  mischnique  ;  la  racine  est  déjà  biblique 
et  la  forme  verbale  dont  il  a  été  tiré  est  fréquente  dans 
l'Ancien  Testament  avec  le  sens  de  «  faire  connaître, 
raconter  '  ».  Il  apparaît  pour  la  première  fois  dans  le 
Talmud  -  pour  désigner  la  Haggddcih  de  la  Pâque.  Le 
rite  était  plus  ancien  que  cette  dénomination.  Elle 
n'avait  pas  cours  alors  que,  dès  le  début  du  ni^  siècle 
de  notre  ère,  Rabbî  Yehoudàh  An-Nâsî,  le  rédacteur 
de  la  Mischnàh,  consacrait  à  ces  actions  de  grâce  en 
commun  dans  l'intimité  du  foyer  domestique  une 
description  qui  ne  diffère  pas  sensiblement  du  tableau 
pittoresque  que  Henri  Heine  a  dépeint  d'après  ses  sou- 
venirs personnels  dans  Le  rabbin  de  Bacharach.  C'est  à 
M.  D.-H.  Millier  que  j'emprunte  l'idée  de  ce  rapproche- 
ment ingénieux.  Le  passage  de  la  Mischnàh,  qu'il  a 
traduit  sans  en  rien  omettre  ^,  méritait  d'être  rapporté 
et  élucidé  intégralement. 

Ce  passage  exhibe  déjà  la  scène  et  le  colloque  entre 
le  fils  qui  interroge  et  le  père  qui  répond.  Après  les 
bénédictions  initiales,  la  veillée  pieuse  commence 
de  nos  jours,  comme  alors  et  bien  auparavant  sans 
doute,  par  quatre  questions  que  le  plus  jeune  fils  ou, 
à  son  défaut,  un  autre  enfant  pose,  soit  au  maître  de  la 
maison,  soit  à  l'ancien  qui  le  supplée,  sur  «  ce  en  quoi 
cette  soirée  diffère   des  autres  soirées  ^  ».   L'officiant 

^  Cette  forme  verbale  est  spécialement  appliquée  aux  récits 
qui  concernent  la  Pâque  dans  Exode,  xii,  26;  xiii,  8. 

'^Talmud  de  Babylone,  Pesàhim,  115  b  et  116  b. 

^  Textband,  p.  5-9. 

*Les  deux  premiers  mots  de  cette  question  ont  été  adoptés 
comme  titre  par  plusieurs  éditions  allemandes  du  xvn^  siècle  ; 
cf.  Steinschneider,  loc.  cit. 


La  llaggi\di\ti  de  la  Pi\i[iie  juive  55 

amateur  entonne  alors  sa  mélopée,  soutenu  par  les 
voix  des  convives  (jui  rineilenl  à  j)resser  les  mouve- 
ments, afin  d'arriver  ])lus  vite  au  tliner.  Les  omissions 
volontaires  sont  lVé(|uentes  dans  cette  série  d'explica- 
tions ap|)uyées  sur  des  citations  bibliques,  sui"  des  dis- 
cussions ral)bini(iues,  sur  la  reconnaissance  des  l)ien- 
faits  prodigués  dans  le  passé,  sur  la  toi  dans  l'appui 
futur  du  «  Très  Saint  (béni  soit-il  !  )  ».  Les  dix  plaies 
d'Egypte  sont  énumérées,  ainsi  (|ue  les  miracles  accom- 
plis, dont  chacun  «  nous  aurait  sulli  »,  depuis  la  sortie 
d'Egypte  jusqu'à  la  réunion  des  tribus  dans  le  pays 
d'Israël.  Ce  prologue  est  terminé,  après  la  commémo- 
ration de  l'agneau  pascal,  des  pains  azymes  et  des 
herbes  améres  •%  par  deux  psaumes  de  l'euloge  connu 
sous  le  nom  de  liallcly  les  psaumes  113  et  114  du  texte 
hébraïque. 

Après  quelques  courtes  cérémonies  et  le  lavement 
des  mains,  le  repas  est  servi.  La  viande  rôtie  au  l'eu 
et  les  pains  azymes  y  figurent  de  i)ar  la  loi  '.  Il  est 
achevé.  On  })rocéde  aussitôt  à  la  «  bénédiction  de  la 
nourriture  >>,  on  récite  les  psaumes  115-118,  lin  du 
hallcl,  ainsi  que  le  psaume  130  proclamant  «  la  grâce 
éternelle  »  de  Dieu  ;  puis  on  s'enfonce  dans  des  réfle- 
xions philosophiques  sur  «  l'àme  de  tout  vivant  »,  em- 
pruntées aux  oilices  du  sabbat. 

En  dépit  delà  quatrième  coupe  de  vin  réservée  pour 
le  dénouement  et  de  la  bénédiction  (jui  l'accompagne 
«  sur  la  vigne  et  sur  le  IVuit  de  la  vigne  »  ',  l'épilogue 
mélancolique  parut,  dans  le  couis  des  temps,  présen- 
ter un  contraste  choquant  avec  la  «  grande  joie  »  que 
la  délivrance  des  ancêtres  suscitait  dans  les  cœurs,  avec 

^  Exode,  xn,  8. 

-Le  texte  de  cette  bénédiction  présente  quelques  variantes 
dans  la  Haggàdàh  de  Sarajevo  ;  voir  Texlband,  p.  "^A. 


56  Opuscules  d'un  arabisant 

l'allégresse  dont  les  assistants  débordaient  en  louant  le 
Sjeigneur,  avec  le  besoin*  d'épancliements  et  de  trans- 
ports bruyants  comme  conclusion  à  une  soirée  comr 
mencée  dans  le  recueillement  de  la  commémoration 
solennelle.  C'est  à  ce  sentiment  légitime^  au  désir  de 
se  séparer  sur  une  impression  de  bonne  humeur 
franche  et  expansive,  que  sont  dues  plusieurs  des  addi- 
tions introduites  après  coup  dans,  le  texte  adopté.Elles 
sont  postérieures  au  manuscrit  de  Sarajevo  ^  et  à  la 
plu]>art  des  manuscrits  anciens  ;  elles  n'ont  pénétré  ni 
dans  le  rituel  du  Yémen  -,  ni  dans  les  liturgies  orien- 
tales. Tels  sont  deux  poèmes  alphabétiques,  composés 
dés  le  XI'  siècle,  avec  la  Nuit  et  la  Pâque  nommées 
respectivement  au  bout  de  chaque  vers  ^.  Tels  aussi 
trois  morceaux,,  dont  le  premier,  antérieur  au  xye 
siècle  ^,  est  plus  répandu  que  les  autres,  qui  sont  pro- 
bablement du  XV-  siècle,,  tous  trois  d'origine  allemande 
ou  polonaise,  avec  des  couplets  que  l'officiant  articur 
lait.  et  des  refrains  que  l'assistance  reprenait  en  chœur. 
Tel  enfin  le  chant  du  chevreau,  un  appendice  inatten^ 
du„  sans  aucun,  lien  religieux  on  littéraire  a\^c  ce 
qui  précède  ^,  un   morceau   de    Haggûdâh,  ainsi  que 


^Textband,  loc.  cit. 

^\\^illiam  H.  Greenburg,  The  Haggadah  according  io  the  rite 
of  Yemen,  London,  1896. 

^Un  morceau  contemporain  ou  à  peu  près  constate  en  quel- 
ques lignes  que  la  prière  deila.  Pâque  est  terminée  et  qu'elle^  a 
été  régulièrement  faite., 

*Textband.  p.  15. 

°Ala  littérature  donnée  p.  15,  note  2,  il  convient  d'ajouter 
Gaston  Paris,  La  chansondu  Chevreau,  dans\aHomania,J,  p.  218- 
221,  article  omis  dans  la  table  décennale  de  ce  recueil,  reproduit 
dans  la  Revue  israélite,  III,  p.  325  328.  Parmi  les  contributions 
plus  récentes,  on  utilisera  avec  critique  G. -A.  Kohut,  Le  Had 
Gaxhja  et  tes  chansons  similaives^^  dans  la  R&vae:  des  études  juive^y 
XXXI  (1895)i  p.  240-^461 


La  lla(|(|:\(l.'\h  de  la  l*:Wpie  juive  57 

nous  l'avons  (loliiiic  vn  coininoni^-anl,  un  hors-cl'œuvre 
déplacé  dans  la  Haijijiulàh  de  la  Pà(iue.  Il  s'y  est  intro- 
dnil  j)ai'  eHïaclion  vers  le  milieu  du  wv  sièele  *  et  y  a 
été  délinilivemenl  ratlaehé  dans  h»  rite  allemand.  L'as- 
semblée n'avait  aueune  liàte  de  se  disperser  l'I  auiail 
volontiers  prolongé  la  séanee  juscpi'à  l'auhe,  a  l'exem- 
ple des  doeteurs  énumérés  prescpie  en  tête  de  la  Ihuiijà' 
dàh,  cpii  s'ouljlièrenl  la  première  nuit  de  la  Pàcjue  en 
racontant  à  leurs  disciples  la  sortie  d'Egypte,  au  point 
d'être  surpris  par  le  jour  (pii  eommeneail  à  |)ointlre 
et  par  l'appel  à  la  prière  du  malin. 

Le  manuscrit  conservé  à  Sarajevo  ne  contient  pas 
seulement  la  Haijifàdàh^  dans  sa  forme  concise  avant 
les  accroissements.  Elle  n'y  occupe  (pie  la  seconde 
place  (loi.  1-30,  d'après  nn  numérotage  spécial),  comme 
il  appert  de  la  description  tracée  avec  le  plus  grand 
soin  par  MM.  David  Heinrich  Millier  et  Jiilius  von 
Schlosser  (  7'tu/^a/î(/,  p.  19-92).  Si  l'exemplaire  n'avait 
soulevé  cpie  des  })roI)lèmes  palèographicpies  et  i)liilolo- 
giques,  M.D.H.Mùller,  un  maître  des  études  hèbraicpies 
et  arabes,  un  épigrapliiste  faisant  autorité  dans  les  do- 
maines divers  des  inscriptions  sémitiques,  se  serait 
passé  de  recourir  à  la  collaboration  de  l'arcbêologue 
qui  a  composé  un  Recueil  de  documents  pour  l'iiistoire 
de  l'art  occidental  au  moven  àt^e-.  L'illustration  très 
riclie  du  livre  réclamait  l'examen  d'un  spécialiste,  dont 
l'enquête  porterait  sur  la   technique,   la    comj'osition, 


^Dans  ce  résumé,  je  me  réclame  surtout  de  L.  Zunz,  Die  gol- 
tcsdiciistlichcn  Vortrâgc  der  Juden  (Berlin,  1832),  j).  126  et  suiv. 
La  seconde  édition  de  1892  (voir  p.  138  et  suiv.)  n'est  qu'une 
réimpression.  Jai  aussi  consulté  M.  l'riedmann,  I)as  Fvstbuch 
Haggadah  (Wicn,  1895). 

2J.  von  Sclîlosser,  Qiiellenbiich  ziir  Gesckichtc  des  cd)eiidUcn- 
dischen  Mitielalters  (Wien,  1896). 


58  Opuscules  d  un  arabisant 


l'orii^ine  et  la  date  des  miniatures  sous  le  contrôle  de 
l'orientaliste  qui  examinerait  la  calligraphie,  applique- 
rait les  règles  de  la  diplomatique,  apprécierait  les  notes 
éventuelles  de  copie  ou  de  vente,  noterait  et  au  besoin 
discuterait  les  légendes  explicatives  des  planches.  Plus 
le  point  de  départ  entre  les  deux  rédacteurs  était  éloi- 
gné, mieux  leur  accord  au  point  d'arrivée  assurait  la 
conquête  de  la  vérité.  Ils  l'ont  recherchée  avec  autant 
d'ardeur  que  de  succès  ;  nous  les  suivrons  en  pleine 
confiance,  en  profitant,  chemin  faisant,  des  résultats 
consignés  dans  le  chapitre  spécialement  consacré  par 
M.  J.  von  Schlosser  aux  images  inspirées  par  laHaggâ- 
dâliK  Ces  vues  générales  reposent  sur  la  comparaison 
de  la  Haggàdâli  de  Sarajevo  avec  les  exemplaires  ana- 
logues des  dépôts  européens.  Les  deux  auteurs  se  sont 
associés  dans  cette  tâche  surérogatoire  -  et  ont  mis 
dans  leur  livre  beaucoup  plus  que  le  titre  ne  per- 
mettait d'espérer.  Ils  sont  allés  plus  loin  encore  et  ont 
inséré,  pour  clore  et  pour  compléter  leur  œuvre,  un 
mémoire  du  regretté  professeur  David  Kaufmann  sur 
l'histoire  de  l'illustration  des  manuscrits  par  les  Juifs  ^. 
Il  y  a  en  effet  une  question  préjudicielle  qui  ne  pou- 
vait pas  être  éludée  sans  déconcerter  le  lecteur,  quelle 
que  fût  la  place  où  elle  serait  posée.  Les  Juifs  ne  vio- 
lent-ils pas  le  code  de  l'Ancien  Testament  par  les  re- 
présentations figurées  d'êtres  vivants,  hommes,  femmes, 
animaux  des  deux  sexes  ?  Le  deuxième  commandement 
du  Décalogue,  qui  proscrit  le  culte  des  images,  n'inter- 
dit-il pas  absolument  la  reproduction  de  l'homme,  que 
Dieu  a  fait  à  son  image,  à  sa  ressemblance  *,  et  de  tou- 


'Textband,  p.  209-252. 

^Ibid.,  p.  93-208. 

Ubid.,  p.  253-311. 

''Genèse,  i,  26;  cf.  i,  27;  v,  3;  ix,  6. 


La  Hagcjà(li\li  de  la  Pàqiie  juive  5ii 


tes  les  créatures?  Le  I)éeal()i;iie  i)()ile  expressément'  : 
((  Tu  ne  le  leias  point  d'idole,  ni  aneiine  li<^iire  des  cho- 
ses qui  sont  au  eieren  liant,  ou  sur  la  terre  en  bas,  ou 
dans  les  eaux  plus  bas  que  la  terre  ;  lu  ne  te  pioster- 
neras  pas  devant  elles,  ni  ne  les  atloreras.  »  Les  préju- 
gés d'un  rigorisme  outié  ont  pu  voir  dans  cette  délensc 
autre  chose  (ju'une  mise  en  garde  contre  l'idolâtrie  ;  en 
réalité,  si  elle  s'a})p]i(pie  à  la  statuaire  et  aux  reh'et's, 
elle  laisse  horsde  cause  le  dessin,  l'eiduminurc  et  hi  i)ein- 
ture.  Les  scribes  officiels  des  synagogues  occui)és  à  tra- 
cer les  lignes  de  l'écriture  carrée,  les  calligraphes  des 
accents  si  fins  et  si  délicats  qui  indiquent  les  nuances 
de  la  massore  ne  sont-ils  j)as  les  précurseurs  des  artis- 
tes juifs  qui  se  sont  crus  autorisés  à  illustrer  l'Ancien 
Testament  en  général,  le  rouleau  d'Hsther  et  la  II(«j(j(ï' 
dâh  en  particulier  ?  L'influence  chrétienne  a  i)récipité 
ce  mouvement  que  le  piétisme  essayait  encore  d'entra- 
ver et  d'enrayer  dans  la  seconde  moitié  du  xn*"  siècle. 
Ces  principes  ont  été  mis  en  pleine  lumière  par  David 
Kaufmann  dans  sa  dissertation,  pour  laquelle  il  n'a  eu 
qu'à  puiser  dans  sa  vaste  science  et  dans  sa  liche  bi- 
bliothèque. 

C'est  à  cette  tolérance  de  moins  en  moins  contestée 
qu'est  due  la  conception  réalisée  magnificjneme^it  dans 
le  manuscrit  de  Sarajevo.  Le  Musée  l'a  acquis  en  1894 
d'une  très  ancienne  tamille  juive  espagnole  établie  dans 
cette  ville.  Du  format  in-quarto,  mesurant  22  centimè- 
tres en  hauteur  sur  16  en  largeur,  divisé  en  cahiers  de 
8  feuillets,  il  a  été  écrit  sur  du  parchemin  italien  poli 
et  calciné.  En  tète  du  volume,  qui  commence  à  dioite 
pour  finir  à  gauche,  selon  l'ordre  sémiliciue,  un  ali)um 
de  66  compositions  sur  34  planches,  dont  les  2  premiè- 

^ Exode,  XX,  4  ;  Dcutéroiwnie,  v,  8.  Je  copie  la  traduction 
d'Edouard  Reuss,  Lliistoirc  sainte  et  la  loi,  II,  p.  55  et  288. 


60  Opuscules  d'un  arabisant 

res  et  la  26^  divisées  en  4  parties,  et  les  antres  en  2,  à 
l'exception  des  planches  30,  32  et  34  remplies  par  nn 
seul  petit  tableau.  Les  planches  sont  placées  face  à  face 
sur  le  verso  du  premier  feuillet,  puis  sur  le  recto  du 
second,  les  deux  pages  intermédiaires  restant  vides,  et 
ainsi  de  suite.  De  courtes  légendes  en  hébreu  indiquent 
les  sujets  traités,  les  principaux  épisodes  de  l'histoire 
sainte  depuis  et  y  compris  la  création  jusqu'à  la  béné- 
diction de  Moïse  au  moment  où  il  va  mourir  (fol.  1-31)  ; 
le  temple  de  l'avenir,  avec  le  tabernacle  et  les  deux 
tables  de  la  loi  (fol.  32);  le  père  de  famille  distribuant 
à  son  entourage  la  Haggâdàh  et  les  pains  azymes  (fol. 
33)  ;  enfin  ifol.  34)  la  synagogue,  dont  l'extérieur  laisse 
voir  un  mur  en  pierres  de  taille  régulièrement  coupées, 
quatre  fenêtres  cintrées  aux  grillages  entre-croisés  et 
une  large  baie,  également  cintrée,  permettant  de  recon- 
ntiître  à  l'intérieur  le  tabernacle  exhaussé  sur  un  pié- 
destal^ avec  ses  deux  portes  ouvertes^  avec  trois  rou- 
leaux de  la  loi  dans  leurs  manteaux  d'étoffes  voyantes, 
avec  deux  lampes  éternelles  suspendues  aux  deux  cô- 
tés. Tandis  qu'une  femme  restée  dans  le  sanctuaire 
avance  la  main  vers  l'un  des  rouleaux  sacrés  pour  le 
toucher  et  pour  baiser  ensuite  cette  main  bénie  par  le 
contact, "les  fidèles  sortent,  en  se  dirigeant,  comme  l'écri- 
ture, de  droite  à  gauche,  hommes,  femmes,  enfants, 
avec  des  houppelandes  rouges  et  bleues  surmontées  de 
capuchons  *. 

Je  viens  d'amplifier  la  notice  sommaire-  donnée 
à  la  fin  de  la  description  très  exacte  de   cette  illustra- 

^Voir  le  portrait  en  pied,  reproduit  en  couleurs,  de  Roven 
Salamo,  juii  espagnol,  de  1347,  ainsi  que  deux  autres  miniatures 
analogues,  l'une  en  couleurs,  l'autre  en  noir,  dans  la  Revue  des 
études  juives,  VI  (1883),  p.  268-269  ;  cf.  ibid.,  XY  (1887),  p.  115- 

^  Texlband,  p.  44. 


La  Ha()():i<!àli  de  la  Pà<|iir  juive  <>I 

tion'.  Je  lie  nie  i)crnieUrai  sur  celle  lahle  des  inalieres 
qu'une  seule  observation.  Kn  parlant  du  fol.  2(1,  les 
auteurs  disent  :  ««  Septième  jour.  Repos  du  Sabbat  de 
Dieu.  Jeliovab,  juvénileinenl  imberbe,  dinérant  abso- 
lument du  type  elirétion,  dans  une  lon^nie  robe  rouge 
avec  ca])ucbon,  assis  sur  un  banc  sous  un  arc  de 
feuilles  de  trèlle.  »  Si  peu  rêlVactaire  (jue  soit  l'Ancien 
Testament  aux  anthropomorphismes,  alors  même  cpie 
l'homme  v  est  considéré  comme  créé  à  rimaue  de 
Dieu,  j'ai  peine  à  admettre  la  divinité  de  cet  épbèbe 
insigniliant  dont  'SI.  J.  von  Sclilosser  lui-même  a  com- 
paré la  léte  sans  expression  à  celle  d'un  tiourant  de 
théâtre  '^.  Pour  moi,  l'artiste  a  au  contraire  voulu 
éviter  tout  ce  qui  le  rapprocherait  de  l'idolâtrie,  et  ce 
scrupule  l'a  induit  à  symboliser  le  septième  jour,  le 
jour  du  repos,  sous  les  traits  d'un  juif  quelconque  vêtu 
de  rou«>e,  semblable  d'aspect  et  de  costume  à  l'un  des 
personnages  qu'au  fol.  34  l'on  voit  sortir  de  la  syna- 
gogue, immobile  dans  son  calme  indifférent,  confor- 
mant son  inaction  et  sa  pose  nonchalante  au  qua- 
trième commandement  du  Décalogue  -K  Ce  qui  donne 
quelque  vraisemblance  à  mon  hypothèse,  c'est  que 
l'œuvre  des  six  jours  s'achève  sous  nos  yeux,  sans  que 
le  Dieu  créateur  y  intervienne  en  personne,  sans  qu'il 
apparaisse  autrement  que  par  les  manifestations  suc- 
cessives de  ses  volontés,  sans  que  son  image  vivante 
nous  montre  l'auteur  de  toutes  choses.  J'ajouterai  qu'il 
n'est  pas  moins  absent  de  la  scène  où  il  tire  la  fennne 
de  la  côte  de  l'homme  (fol.  3  v°),  ainsi  que  de  toute 
l'illustration  du  volume.  Comment  l'unicjue  exce])tion 
serait-elle  Dieu  se   délassant  de  ses  fatigues,  «  ayant 

^  Tcxlbaiid,  p.  33-44. 

Ubid  ,  p.  232. 

^ExodCf  XX,  11  ;  Deiitcronomc,  v,  12. 


G2  Opuscules  d'un  arabisant 

cessé  l'œuvre  de  sa  création  »  ',  quand  la  création 
s'est  déroulée  devant  nous  avec  l'intention  évidente  de 
laisser  dans  les  hauteurs  invisibles  Celui  qui  du  fir- 
mament dirigeait  ses  rayons  vers  la  terre  ronde  déga- 
gée du  chaos  ?  Je  ne  sais  si  je  m'abuse  ;  mais  la 
légende  hébraïque,  portant  simplement  «  le  jour  du 
Sa])hat  »,  alors  que  l'espace  vide  semblait  inciter  à  une 
rédaction  plus  longue,  me  paraît  un  argument  de  plus 
en  faveur  de  mon  interprétation. 

Sur  34  planches,  33  sont  rendues  par  des  héliogra- 
vures,  c'est-à-dire    par    des   photographies    en   noir, 
répondant  à  33  aquarelles.   Les  couleurs  de  l'original, 
or,  jaune,  rouge,  bleu  et  blanc,  ont  été  admirablement 
reproduites  dans  la  chromotypie  de  la   synagogue.   Ce 
spécimen    serait  insuffisant  comme  élément    d'appré- 
ciation sur  l'enluminure  du  volume,  si  MM.  D.  H.  Millier 
et    J.    von    Schlosser,    dans    la    dernière  planche   de 
l'atlas  et  dans  le  volume  de  texte,  ne  nous  en  avaient 
pas   fourni   des  exemples  nombreux   et  bien  choisis, 
empruntés  à  la  seconde  partie  du  manuscrit,  au  texte 
de  la  Haggâdàh.  Ils  ne  proviennent  peut-être  pas   du 
même  artiste  ou  des  mêmes  artistes,  mais  ils  appar- 
tiennent sans  aucun  doute  à  la  même  école,  au  même 
groupe  de  miniaturistes,  de  rubricateurs.  En  dehors  du 
fol.  25  annexé   à  l'atlas  et  représentant  sur  un   fond 
quadrillé  Rabbân  Gamli'êl  qui,  le  fouet  à  la  main,  ins- 
truit trois  élèves  munis  de  leurs  livres,    ce  sont  :  le 
fronnspice  devenu  le  frontispice  du  Textband ;  le  repas 
de  la  Pàque  avec  sur  le  devant  de  la  table  une  esclave 
noiie,    une   Mauresque  très  probablement   (p.  3);   un 
cartouche   avec  encadrement  portant  en  lettres   d'or 


^Genèse,  ii,  2  et  3.    Remarquez  cependant  que,  dans  l'un  et 
l'autre  verset,  le  verbe  Schàbat  est  appliqué  à  Dieu. 


ï.a  1Ia(|(jA(lAli  (1<*  la  l^à»ni(^  juive  iu\ 

hdttouschhàlinl  '  tl  siiiinonlanl  liois  colonnes,  cnlrr  les- 
quelles un  homme  et  urni  t'enime  oui  été  |)lus  laid 
dessinés  «frossièremenl  à  la  plume  en  altitude  de 
prière,  sans  doute  des  possesseurs  du  manuscrit  au 
xv<^  siècle  (p.  1<S)  ;  un  autre  cartouche  avec  hdlUilou,  le 
haut  des  (\(iu\  liuncd  seivanl  de  suppoit  à  daw  dra- 
gons opposés  l'un  à  l'autre,  tenant  dans  leuis  gueules 
des  hianches  d'épines  i  p.  21);  unarhre  imaginaire  avec 
des  rameaux  de  tantaisie  et  des  leuilles  de  vigne  (p.  92); 
deux  dragons  ailés  se  taisant  pendimt  en  sens  con- 
traire au  hout  de  lignes  courhes  ornementales,  termi- 
nées en  formes  d'ailes  (p.  9."));  la  tête  et  le  corps  d'un 
houlTon  avec  une  pèlerine  à  capuchon,  sur  deux  pattes 
de  chien,  au-dessus  des([uelles  émeige  une  ((ueuc 
d'animal  terminée  par  des  Heurs  (p.  207);  deux  dra- 
gons ailés  se  faisant  vis-à-vis,  leurs  longs  hecs  ouverts 
faisant  saillir  leurs  langues,  leurs  ([ueues  se  rejoignant 
symétricjuement  (p.  211);  deux  hommes  placés  face  à 
face^  avec  des  manteaux  rouges  et  des  cai)uchons 
bleus,  soutenant  avec  leurs  mains  sur  \\\\  fond  cpia- 
drillé  un  [)ain  a/yme  de  grande  dimension  avec  les 
mots  iu(tss('ili  zon  en  lettres  d'or  dans  un  cartouche 
rectangulaire,  les  espaces  vides  au-dessus  et  au-dessous 
étant  comblés  par  des  branches,  des  feuilles  et  des 
Heurs,  les  deux  tètes  d'hommes  étant  suiinontées  par 
deux  mots  empruntés  à  la  fhujçjàdàh  (p.  27)2). 

Ce  fond  (juadrillé,  comme  celui  du  folio  2."),  comme 
les  fonds  guillocliés,  échi([uetés,  losanges,  étoiles,  fleuris 
et  diaprés  en  or  ou  en  couleurs,  à  l'imilalion  des  étofTes 
et  des  tapisseries-,  sont  des  témoignages  d'origine,  ({ui 
permettent  de  dater  et  de  localiser  les   miniatures  qui 

^Nos  textes  de  la  Ilaggàdàh  ne   portent   pas  cette   forme  ara- 
méenne,  mais  la  forme  hcbraï(iiie  Initlisclibàhôt. 
'-Tajelband,  fol.  3-21,  28  b,  29  a,  30,  31,  33  et  34. 


04  Opuscules  d'uu  arabisant 


ornent  le  manuscrit  de  Sarajevo.  Le  procédé  du  dessin 
à  la  plume  colorié,  avec  un  embryon  de  perspective, 
avec  une  palette  réduite,  je  l'ai  dit,  aux  teintes  or,  jaune, 
rouge,  bleu  et  blanc,  avec  l'esquisse  d'un  paysage  ou 
d'une  forteresse,  quelquefois,  plus  souvent,  avec  un 
réseau  géométrique,  sur  lequel  se  détachent  les  per- 
sonnages, appartient  à  la  seconde  moitié  du  xni°  siècle 
pour  son  apparition,  à  la  première  du  xiv^  pour  son 
développement.  Quant  à  son  lieu  de  provenance,  c'est  le 
sud  de  la  France,  l'Aquitaine,  d'où  il  s'est  répandu  vers  le 
sud  en  Italie  et  en  Espagne.  Les  habitudes  d'ordre  hiéra- 
tique se  mêlèrent,  à  ces  époques  et  dans  ces  pays,  à 
l'esprit  satirique,  comme  sur  les  façades  des  églises 
gothiques.  Ce  sont  les  moines  qui,  dans  les  cloîtres, 
ont  été  les  artisans  de  la  renaissance  calligraphique 
d'abord,  picturale  ensuite,  où  le  profane  avait  envahi 
le  sacré  et  s'était  confondu  avec  lui  sous  l'influence  de 
la  chevalerie.  Dans  la  France  méridionale  et  en  Italie, 
le  christianisme,  après  avoir  renouvelé  cette  forme 
d'art  en  la  dégageant  du  type  byzantin  dont  elle  était 
l'héritière  directe,  en  avait  gardé  le  monopole  ^^  tandis 
qu'en  Espagne  des  artistes  juifs  s'inspiraient  des  maîtres 
chrétiens,  dont  ils  appliquaient  la  manière  au  Penta- 
teuque,  à  l'Ancien  Testament,  à  la  Haggâdâh. 

La  Haggâdâh  de  Sarajevo  est  le  plus  ancien  monu- 
ment qui  ait  survécu  au  naufrage  de  la  miniature  espa- 
gnole telle  qu'elle  semble  avoir  été  pratiquée  vers  l'an 
1300  de  notre  ère  par  les  Juifs  de  Tolède  et  de  Barce- 
lone. Sur  le  frontispice  du  manuscrit,  au  sommet,  entre 

^  Pour  cet  exposé,  j'ai  choisi  pour  guides  Auguste  Molinier, 
Les  iiKimiscrits  et  la  miniature  (Paris,  1892),  et  G.  Pawlowski, 
article  Miniature  dans  la  Grande  Encyclopédie,  XXIII  (1898), 
p.  1049-1055,  où,  à  la  page  1055,  on  trouvera  la  bibliographie  du 
sujet. 


La  Ha<|(|rHl:ili  de  la  Pàqiie  juive  C>5 

deux  clochers  byzantins,  au-dessus  d'une  tourelle  i)lus 
petite, qui  s'harmonise  avec  deux  autres  tourelles  placées 
horizontalement  aux  deux  extrémités,  on  dislin^ue  les 
armes  d'Ara^jon,  l'éeu    d'or  à  quatre  pals  de  ^Tueule. 
L'artiste  ou  plutôt  les  îutisles,  car  je  crois  reconnaître 
plusieuis  mains,  ont  été  les  précurseurs  du  Juif  l)a|)lisé 
qui,  au  xv  siècle,  a  présidé  à  la  décoration  de  la  Bible 
castillane  exécutée  pour  le  duc  de  l'Infantado  fms.  I. 
j.  3   de   THscurial)   et   ornée    de  soixante-six    ^naiules 
miniatures   représentant   l'histoire    bibli(jue    moins   la 
création,  depuis  Adam  et  Eve  jusqu'aux  Macchabées. 
Ils  ont  été  les   j)rimitifs   dont    a  dû  s'inspirer  en   les 
continuant   Kaby   Mosé  Arragel',  chargé  en   1422  par 
D.  Luiz  de  Guzman,  grand  maître  de  Calatrava,  de  gloser 
et  d'historier  une   bible  «   en   romance    »,  la  célèbre 
Bible  d'Olivarès,  conservée  au  palais  de  Liria  à  Madrid, 
parmi  les  trésors  de  la  Casa  de  Alba.  Samuel  Berger  a 
montré  dans  la  version  et   dans  les  peintures  l'œuvre 
collective,  achevée  en  1430,  du  rabbin  de  Maqueda  et 
de  savants  et  artistes  chrétiens,  parmi  lesquels  au  moins 
un  Franciscain  et  un  Dominicain-.  La  Haggâdàh  (|ui 


*  Arragcl  Qsi  une  transcription  du  nc()licl)raïque  hdrragil  s'i- 
gnifiant  l'habile,  l'expert,  souvent  joint  j)ar  la  copule  îxhdzzàkên 
«  le  vieux  »,  le  schaikh.  Dans  le  psaume  xlv,  2,  màhir  a  |)()ur 
équivalent  dans  la  version  chaldéenne  ragil.Cciie  inlerprétalion 
de  l'inexpliqué  Arvagcl  a  été  adoptée  par  mon  regretté  condis- 
ciple et  ami  Samuel  Berger  dans  son  mémoire  intitulé  ;  Les 
bibles  castillanes,  dans  la  Romaiiia,  XXVIII  (181)9),  p.  522. 

^Samuel  Berger,  Les  nianiiscrils  de  la  Bible  caslillane  enliuni- 
nés  en  Espagne  sons  la  direclion  des  Jnifs,  comnmnicalion  à  la 
Société  nationale  des  Anticpiaires  de  F'rance;  voir  Bullelin  dv 
1898,  p.  226-231.  Samuel  Berger,  pour  la  Bible  d'Albe,  renvoie  au 
livre  presque  introuvable  de  l'inquisiteur  Joaquim  de  Ville- 
nuova,  La  leccion  de  la  S.  Escriptnra  in  lingnas  vulgares  (Valen- 
ce, 1791,  in-folio)  et  à  la  notice  contenue  dans  le  Calàlogo  de  las 
colecciones  expueslas  en  las  vilrinas  del  palacio  de  Liria.  Le  pu- 

5 


66  Opuscules  d'un  arabisant 


nous  occupe  n'avait-elle  pas  également  provoqué  une 
collaboration  entre  chrétiens  et  juifs,  entre  les  initia- 
teurs et  les  initiés?  C'est  là  une  question  que  les  minia- 
tures anonymes,  trop  inégales  à  mon  sens  pour  ne  pas 
trahir  des  degrés  dans  les  mérites  des  auteurs,  ne  per- 
mettent plus  de  résoudre. 

Les  migrations  du  manuscrit,  avant  qu'il  parvînt 
dans  l'asile  inviolable  dun  dépôt  public,  peuvent  encore 
être  suivies  dans  quelques-unes  de  leurs  étapes.  En 
1510  ^  il  avait  été  l'olDJel  d'une  transaction,  et  l'acte  de 
vente  en  caractères  hébraïques  cursifs  révèle  paléogra- 
phiquement  une  plume  italienne.  Si  l'attribution  du 
manuscrit  aux  juifs  espagnols  n'est  pas  contestable,  il 
a  dû  voyager  de  l'ouest  à  l'est  sous  la  garde  de  juifs 
réfugiés,  cpii  avaient  adopté  la  voie  de  mer  pour  se 
rendre  d'Espagne  en  Italie.  Il  y  a  séjourné  quelque 
temps,  comme  l'atteste  le  visa  du  censeur  romain  Gio- 
vanni Domenico  Yictorini  apposé  en  1609.  L'ancienne 
famille  espagnole  de  Sarajevo,  qui  l'avait  en  sa  posses- 
sion, et  qui  est  établie  depuis  plusieurs  générations  en 
Bosnie,  semble  l'y  avoir  apporté,  à  travers  l'Adriatique, 
comme  un  héritage  de  ses  ancêtres. 

X  la  suite  de  la  Haggâdâh  (fol.  53-81  de  la  seconde 
pagination),  le  manuscrit  de  Sarajevo  contient  un  «  sup- 
plément poético-liturgique  »  composé  de  poèmes  en 
hébreu,  empruntés  pour  la  plupart  aux  maîtres  de  la 
période  espagnole-arabe.  Cette  anthologie  a  été  étudiée 
avec  méthode  et  rigueur  par  M.  D.-H.  Mûller  à  tous 
les  points  de  vue  :  provenance,  métrique,  langue,  sujets 

bllca  La  Duqiiesa  de  Berwick  ij  de  Alba,  Coiidesa  de  Sinicla 
(Madrid,  1898,  gr.  in-S^),  n^  32,  p.  40-42,  avec  deux  phototypies. 
^  Entre  les  deux  dates  possibles  d'après  le  fac-similé  (2V.v/- 
buch,  p.  26),  je  n'hésite  pas  à  me  prononcer  pour  la  seconde, 
1510  et  non  1314. 


La  lla4j<jà<l;ili  do  la   l^uiuc  juive;  <;7 

de  comparaison,  classcnienl  des  morceaux  ])ar  ordre 
alphal)éli(iue  des  initiales,  pui)liealion  tie  pièces  iné- 
diles et  Lradiiclioiis  en  vers  allemands,  signées  A.  M. 
et  S.  Heller,  de  poèmes  choisis.  I^  place  qu'occupe 
celte  sélection  dans  le  manuscrit  me  su^<^ère  la  j)ensct.' 
que,  dans  la  composition  du  volume,  on  s'était  préoc- 
cupé de  fournir  des  lectures  d'ordre  supérieui*  aux 
dévots  inlatii^ahles  qui,  après  les  éclats  de  voix  et  de 
rire  terminant  la  soirée  en  commun,  tenaient  à  pro- 
longer les  deux  premières  nuits  de  la  Pàciue,  isolés 
dans  la  prière  à  voix  basse  et  dans  la  méditation  silen- 
cieuse. C'est  à  eux  qu'était  destiné  ce  régal  de  stro])lies 
j)laintives  et  ardentes  au  goùl  du  jour. 

MM.  D.-H.  Millier  et  J.  von  Schlosser,  dans  leur 
féconde  collaboration,  ont  étendu  leur  enquête  aux 
autres  Haijijàdàhs  illustrées  manuscrites  (pii  leur 
paraissaient  mériter  cet  honneur.  Nous  nous  conten- 
terons de  marquer  leurs  itinéraires,  sans  nous  y  engager 
à  leur  suite.  Ils  ont  passé  tour  à  tour  par  les  exem- 
plaires espagnols,  français,  allemands  et  italiens,  appar- 
tenant à  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris  ',  au  British 
Muséum,  au  Musée  national  germanique  de  Nurem- 
berg, au  comte  de  Crawford  dans  son  château  de  Ilaigh 
Hall  à  Wigan,  dans  le  Lancashire,  à  David  Kaufmann 
qui  vivait  à  Budapest,  au  baron  Edmond  de  Bothschild 


'  Postérieure  à  1898  est  l'acquisilion  par  la  Bibliollièciue  Xalio- 
nale  d'une  haij(jàdùh  italienne,  écrite  sur  vélin,  abondamment 
et  richement,  illustrée  au  xvr-  siècle,  l'^llc  a  été  décrite  par 
M.  Moïse  Schwab;  voir  l'iic  luujcjddali  illustrée,  dans  la  Hcinic 
des  études  juives,  XLV  (1902),  p.  112-132,  avec  43  planches  en 
photogravure,  et  Le  manuseril  hébreu  N"  13S8  de  la  Bibliothèque 
Nationale  ^uiie  haggadah  j)ascale'  et  V iconographie  juive  au  temps 
de  la  renaissance,  dans  les  Xotices  et  extraits  des  manuscrits, 
XXXVIII,  première  partie  (1903),  p.  1-25. 


68  Opuscules  d'un  arabisant 

à  Paris,  à  M.  Albert  Wolf  à  Dresde  ^  Comme  on  le  voit 
par  cette  énumération,  les  auteurs  ont  élargi  leur  ter- 
rain bien  au  delà  du  petit  domaine  que,  d'après  le  titre 
de  leur  livre,  ils  s'étaient  assigné  tout  d'abord.  Ils  ont 
promis  peu  ;  ils  ont  tenu  beaucoup. 

*  M.  Moïse  Schwab,  dans  son  deuxième  mémoire  cité,  p.  4 
du  tirage  à  part,  signale  trois  autres  exemplaires  chez  le  baron 
David  de  Gùnzburg,  à  Saint-Pétersbourg.  Un  nouvel  organe 
scientifique,  La  Rivista  israelitica,  qui  paraît  à  Florence,  vient 
de  publier  dans  les  numéros  4  et  5  de  sa  première  année  (1904) 
un  intéressant  article,  intitulé  :  Le  miniature  delV  Agada  et 
signé  :  Ernst  Cohn  de  Berlin. 


V 


Quatre  lettres  missives 

éeritesdanslesannées  1470-1  475 

par  Abou  '1-Hasan  ^Alî, 

avant-dernier  roi  more 
de  Grenade 


Quatre  lettres  missives  écrites  dans  les  années 
1470-1475,  par  Aboù  'I-Hasan  Alî,  avant- 
dernier  roi  more  de  Grenade  '. 


INTRODUCTION 

Les  quatre  lettres  missives  sont  dociinients  d'ultime 
date  dans  l'histoire  de  l'Espagne  musulmane.  Lors- 
qu'elles furent  écrites  dans  les  années  entre  1 170  et 
1475,  la  chrétienté  avait  partout  repris  le  dessus,  ex- 
cepté dans  le  royaume  de  (irenade.  Les  princes  Nas- 
rides  n'avaient  pas  encore  été  dépossédés  et  chassés  de 
leur  Alhambra  ;  mais,  afTaiblis  par  l'hostilité  de  leurs 
voisins  et  par  l'indiscipline  de  leurs  sujets,  ils  ne  pos- 
sédaient plus  qu'une  autorité  de  nom  et  de  forme  sur 
les  cosas  de  Graiiada  -.  Aboù  '1-lIasan  Ali,  VAlboaceii  des 
chroniques  andalouses-^  en  était  réduit  à  mendier  des 

^Mélanges  oricnlaiix.  Textes  et  traductions  publiés  par  les 
professeurs  de  l'I^cole  des  langues  orientales  vivantes  à  l'occa- 
sion du  sixième  Congrès  international  des  orientalistes  réuni  à 
Leyde  (septembre  1883),  Paris,  1883,  p.  1-28.  L'introduction  a 
été  abrégée  et  le  texte  arabe  (p.  9-16)  a  été  omis. 

"J.  Millier,  Die  lelzteii  Zeiten  von  Granada  (Mûncben,  1863), 
p.  56. 

^Gayangos,  The  Hislorij  of  the  Mohammechm  Dijnasties  inSpain 
(London,  1840—1843,  2  vol.  in-4),  II,  p.  040.  ('e  même  roi  est 
appelé  Abulhazen  dans  la  Croiiica  de  los  rreyes  ccdùUcos  don  fer- 


72  Opuscules  d  un  arabisant 

alliances,  à  désavouer  ses  généraux,  à  s'humilier  de- 
vant ses  vassaux  et  ses  ennemis,  à  remercier  avec  effu- 
sion les  uns  et  les  autres  pour  le  moindre  témoignage 
de  bienveillance,  à  leur  promettre  et  à  leur  offrir 
un  concours  sans  réserves  et  sans  compensations. 
Les  quatre  lettres  d'Aboù  '1-Hasan  ont  beau  affecter  un 
style  pompeux  et  une  forme  déclamatoire.  L'agonie 
de  la  puissance  musulmane  en  Espagne  se  montre 
sous  l'aisance  affectée  du  langage.  En  1474,  Isabelle 
la  Catholique  et  Ferdinand  V  montèrent  sur  le  trône 
de  Castille,  après  la  rédaction  des  deux  premières 
lettres,  avant  l'envoi  des  deux  dernières  ;  dans  les 
premiers  jours  de  1492,  le  royaume  de  Grenade  suc- 
comba définitivement  ^  ;  son  dernier  prince,  le  fils 
d'x\boù  '1-Hasan,  Aboù  'Abd  Allah  Mohammad,  plus 
connu  sous  son  prénom  défiguré  de  Boabdil,  après 
avoir  poussé  «  un  dernier  soupir  »-,  prit  le  chemin  de 


nando  ij  dona  isabel  de  Hernando  de  Pulgar,  publiée  par  J,  Mûller 
d'après  le  manuscrit  III.  Y.  6  de  l'Escurial.  Voir  Op.  cit. 
p.  69,  82j  86,  etc.  A  la  fin  du  xvi^  siècle,  Luis  de  Mârmol  le 
nomme  Abil  Hascen  dans  son  Historia  de  la  rebelion  y  castigo 
de  los  moriscos.  Cf.  Simonet,  Descripciôn,  etc.  (2^  éd.,  Granada, 
1872),  p  257  et  258.  Aboù  '1-Hasan  'Alî,  le  dix-neuvième  des  rois 
Nàsrides,  occupa  le  trône  de  Grenade  une  première  fois  de  866 
à  887  de  l'Hégire  (1461—1482  de  notre  ère),  une  seconde  de  888 
à  890  (1483-1485). 

*  Ferdinand  V  fit  son  entrée  à  l'Alhambra  le  2  janvier  1492.  Cf. 
G.  Weil,  Geschichte  der  islamitischen  Vœlker  (Stuttgart,  1866),  p. 
295. 

^Boabdil  «a  poussé  hors  de  Grenade  conquise  ce  gémisse- 
ment historique,  el  idtimo  siispiro  del  Moro,  qui  a  baptisé  un  ro- 
cher de  la  Sierra  d'Elvire  »  Théophile  Gautier,  Voyage  en  Es- 
pagne (Tras  los  montes' ^  p.  221  (édition  de  1879).  Le  nom  que 
porte  encore  aujourd'hui  ce  point  de  la  Sierra  Nevada,  a  été 
complété  d'après  A.  Germond  de  Lavigne,  Itinéraire  général... 
de  l'Espagne  et  du  Portugal,  3«  éd.  (Paris,  1880),  p.  604. 


fjuîitri»  lettres  missives  7^ 


l'exil  '.   11  mourut  à  Fe/  en  910  de  l'Hégire  (1533  de 
notre  ère)  -. 

Des  ({uatre  pièces  dii)l()inali(iues,  traduites  dans 
Tordre  de  leurs  dates,  la  picniièie  est  conservée  à 
TAcadéniie  de  l'histoire  de  Madrid  dans  deux  cakjues 
d'autant  plus  exacts  ((u'ils  paraissent  pris  par  une  per- 
sonne incompétente,  qui  ne  possédait  ni  la  science,  ni 
la  prétention  d'expliquer  ou  de  contrôler  son  texte.  Si 
mes  souvenirs  sont  exacts,  la  charte  elle-même  appar- 
tenait à  l'archéologue  1).  Juan  de  Tro.  Les  originaux  des 
trois  autres  documents  sont  entrés  successivement  dans 


^  J.  Millier  a  publié,  d  après  le  manuscrit  1758  de  l'Escurial 
(Casiri  1753),  fol.  83  r»,  une  lettre  d'Itjn  Al-KoCiliyya,  datée  de 
896  de  l'Hégire  (1491  de  notre  ère)  sur  la  situation  faite  en  Afri- 
que aux  émigrés  de  (irenade.  Voir  Beilrœge  ziir  Geschichtc  (1er 
westlichen  Araber  (Munchen,  18G()— 1878,  2  Ilefte;,  l,  p.  42—44. 

'Al  Makkarî,  Analeclcs  sur  F  histoire  el  la  littéruUire  des  Ara- 
bes (V Espagne,  publiés  par  MM.  Dozy,  Dugat,  Krehl  et  Wright 
(Leide,  1855-1861, 2  vol.  in-4),  II,  p.  814  ;  cf.  Gayangos,  Mohammedan 
Dynasties,  11,  p.  390.  L'année  1538,  que,  dans  ce  dernier  passnge, 
une  faute  d'impression  a  substituée  à  1533,  a  été  reproduite 
dans  Weil,  Geschichte  der  islamitisclien  Vœlker,  p.  396.  La  date 
incontestable  de  1533  suffirait  pour  détruire  riiypothèse  de 
C  Hrosselard,  qui  a  cru  retrouver  à  Tlemcen  le  tombeau  de  Boab- 
dil.  L'épitaphe  qu'il  a  publiée,  ^  Journal  Asiatique  de  1876,  I,  p. 
159-197),  n'est  pas  celle  de  Boabdil,  le  «dernier  roi  de  Grenade», 
mais  celle  de  son  homonyme  Aboù  'Abd  AUàh  Mohammad, 
surnommé  Az-Zagal,  le  frère  et  non  le  fils  d'Aboù  '1-IIasan 
'AH.  L'étude  des  documents,  que  nous  publions  plus  loin, 
prouve  avec  évidence  qu'à  la  ligne  10  du  monumeni  (ibid.,  p. 
175)  il  faut  insérer  Abî  Nasr  ibn  al-amîr.  Un  maitre  ara- 
bisant, le  sénateur  D.  Francisco  Fernândez  y  Gonzalez,  a  traité 
cette  question  avec  ampleur  et  l'a  résolue  définitivement  dans 
son  mémoire  intitulé  :  (lorreccinn  a  una  noticia  de  el  Diario 
Asiàtico  de  Paris,  acerca  de  una  hipida  sépulcral  h(dlada  en 
Tremecén  y  atribuida  à  Boabdil,  uHimo  rey  de  Granada.  Voir 
Boletin  de  ta  Real  Acadeniia  de  la  Ilistoria,  tomo  I,  cuaderno  n 
(niayo  1878),  p.  140-150. 


74  Opuscules  d'uu  arabisant 

la  Bibliothèque  de  l'Académie  de  l'Histoire,  où  j'ai  été 
autorisé  à  les  étudier  et  à  les  copier.  La  deuxième  lettre 
a  été  acquise  la  dernière  ;  elle  a  été  longtemps  dans  les 
archives  du  comte  d'Altamira. 

L'Académie  de  l'Histoire  de  Madrid  se  proposait  de 
traduire  en  espagnol  ces  quatres  chartes  destinées  à 
accompagner  la  Crônica  latina  de  D.  Enriqiie  IV ^.  Ce 
plan  ancien  sera-t-il  jamais  exécuté  ^  ?  Vers  la  fin  de 
1834,  dans  une  séance  solennelle,  le  directeur  de  la 
compagnie^  en  quittant  le  fauteuil  de  la  présidence, 
parlait  à  ses  collègues  de  trois  chartes  (on  ne  connais- 
sait pas  encore  la  première),  traduites  par  D.  Francisco 
Antonio  Gonzalez  2.  Dans  le  cas  où  la  publication  an- 
noncée resterait  à  l'ordre  du  jour  et  devrait  aboutir, 
l'Académie  de  l'histoire  ne  manquerait  pas  de  pro- 
voquer un  remaniement  des  anciennes  traductions 
qu'elle  possède,  afin  de  les  mettre  au  niveau  des  pro- 
grès que  les  études  orientales  ont  faits  en  Europe  et  en 
Espagne  pendant  les  cinquante  dernières  années.  Un 
commentaire  paléographique  •',  historique  et  géogra- 
phique, où  aucune  source  d'information  n'aurait  été 
négligée,  serait  le  complément  naturel  de  cette  version 
officielle  et  définitive.  C'est  aux  arabisants  de  Madrid 

^  La  chonique  latine,  qui  doit  constituer  l'ouvrage  principal, 
est  intitulée  :  Alphonsi  Palentini  historiographi  gesta  llispanien- 
sîa  ex  annalibiis  suonim  dieriim  colligenlis.  Elle  doit  avoir  pour 
appendice  une  Colecclôn  diplomâlica  de  la  Crmiica  de  D.  En- 
riqiie  IV.  A  travers  de  nombreuses  péripéties,  Henri  IV  occupa 
le  trône  de  Castille  de  1454  à  sa  mort  en  1474. 

^Discurso  leido  à  la  Real  Academia  de  laHistoria  enJiinlade28 
de  Novienibre  de  183^i  por  su  Direclor  el  Excmo  SeiiorDon  Martin 
Fenvindez  de  Navarrete,  al  terminai'  el  trienio  de  sn  direcciôn 
(Madrid,  1835,  in-8).  On  y  lit,  p.  7  :  «estas  très  cartas  traduci- 
das  por  nuestro  compafiero  D.  Francisco  x\ntonio  Gonz.ilez.  » 

^L'écriture  (ai-je  besoin  de  le  dire?)  est  l'écriture  magrébine 
d'Espagne. 


Oiialro  h'ttiTs  inissivos  7."» 

qu'il   apparlic'iil    (l\'ciii(.'    celle    pa^c   de    leur    hisloii-e 
nationale. 


TRADUCTION  FUAXCAISI-: 


riu:Mu:nK  i.KTvnE  missivk 

Au  nom  crAllàh,  le  Raliniàn,  le  Miséricuitlieux  ! 
Puisse  Allah  réi)andre  ses  bénédielions  sur  Mohani- 
niad,  sur  sa  famille  et  sur  ses  c()ini)agnons  !  Puisse-l-il 
leur  donner  la  paix  I 

De  la  part  du  serviteur  d'Allah,  de  Téniir  des  Musul- 
mans '  'Ali  Al-(i(ilil)  Billàh-,  fds  de  notre  maitre  l'émir 
des  Musulmans  Ahoù  'n-Nasr  -^  lils  de  l'émir  sancti- 
lié  ^  Aboù   '1-Hasan  •"',   fils   de    l'émir  des    Musulmans 

-Le  litre  d'  «  émir  dus  Musulmans  »  est  une  variante  de  celui 
d'  «  émir  des  croyants  »  réservé  aux  khalifes  de  Bagdad.  Il  pa- 
raît (jue  le  premier  émir  des  Musulmans  fut  Yoùsouf  ibn  Tà- 
schouiîn,  le  deuxième  des  Almoravides  en  479  de  l'IIéj^ire  (1(I8G 
de  notre  ère)  Cf.  Ibn  Al-Athîr,  ('Jiruiiicon,  X,  p.  lOiJ;  I).  Francisco 
Codera,  Tilalos  ij  nombres  propios  en  his  nionedas  ArabicfO-Espci' 
l'iolas  (Madrid,  1878,  in-4<'),  p.  31  et  suiv,;  Tralado  de  luunisni'ilicay 
p.  194.  Les  rois  Xasrides  de  Grenade  ont  tous  adopté  ce  litre. 

■^Aboù  '1-Hasan  Ali  était  surnommé  Al-GùUb  JiiUàh  «  le  vain- 
queur par  Allah»,  comme  le  fondateur  et  la  plupait  des  mem- 
bres de  sa  dynastie.  Ci\  Ibn  Al-Khatib  dans  Casiri,  Uibliolheca 
Aiubieo-IIispuna  Esearialensis,  II,  p.  2()0  ;  Journal  Asi(ili(jue  de 
187(3,  I,  p.  175.  Ce  surnom  est  rappelé  par  la  devise  de  la  dynas- 
tie, telle  qu'elle  se  trouve  sur  les  monnaies  frajjpées  de  leur 
temps  et  sur  les  murs  de  l'Alhambra  :  Là  (jàlib  illà  Allùh  «  Il 
n'y  a  pas  de  vainqueur,  hors  Allah.  »  Voir  (Codera,  Tralado  de 
mimisniiilica,  p.  233. 

^  Aboù  Nasr  Sa'd  Al-Moiislain,  le  dix-huitième  des  rois  Nas- 
rides. 

'Le  prince  ainsi  désigné  n'a  pas  régné.  Cf.  l'insciiption  dans 
le  Journal  Asialique,  loc.  eil. 

^Aboù  '1-Hasan   Ali. 


76  Opuscules  d'un  arabisant  * 

— — .     j 

Aboù  '1-Hadjdjàdj  ^  fils  de  l'émir  des  Musulmans 
Aboii  'Abd  Allah  -,  fils  de  l'émir  des  Musulmans  Aboù  \ 
'1-Hadjdjàdj  ^  fils  de  l'émir  des  Musulmans  Aboù  '1-  ' 
Walîd  %  le  Nasride  (puisse  Allah  le  fortifier  par  son  ^ 
secours  ^  et  l'assister  de  son  indulgence  !)  aux  deux 
chevaliers  honorés,  estimés,  considérés,  glorifiés,  fidè-  i 
les,  le  maréchal  ^  Don  Diego  Herrandez  et  Martin 
Alfonso  "  de  Montemayor  ^,  seigneur  d'Alcaudi- 
que  9  (puisse  Allah  les  honorer  tous  deux  de  sa 
crainte  et  les  réjouir  par  sa  direction  !).  En  réponse  à 
votre  salut,  recevez  nombre  de  salutations  distinguées, 
que  Nous  vous  avons  adressées  de  Notre  Alhambra  ^^, 


^Aboû  '1-Hadjdjàdj  Yoùsoiif,  le  onzième  des  roisNasrides. 

^Aboù  'Abd  Allah  Mohammad  Al-Gànî  Billàh,  le  huitième  des 
rois  Xasrides. 

^Aboû  '1-Hadjdjâdj  Yoûsouf,  le  septième  des  rois  Nasrides. 

^Aboû  '1-Walid  Ismà'îl,  le  cinquième  des  rois  Nasrides. 

^11  3'  a  jeu  de  mots  entre  Nasr  et  binasrihi  du  texte  arabe. 

^Dans  les  lettres  deuxième  et  quatrième,  il  est  appelé  avec 
plus  de  précision  «  le  maréchal  de  Castille  ». 

'La  transcription  régulière  eût  été,  ici  et  plus  loin,  Alhon/o 
ou  Alonzo,  forme  populaire  pour  Alfonso. 

^  Sur  le  «  chàteau-fort  de  Montema3'or  »,  voir  Al-Idrisî,  De- 
scription de  r  Afrique  et  de  F  Espagne,  par  Dozj'  et  De  Gœje,  p.  183 
du  texte  ;  222  de  la  traduction  ;  Simonet,  Descripciôn  del  rcino 
de  Granada,  2e  éd.,  p.  132  et  210. 

^  Le  nom  d'Alcaudete  s'était  d'abord  présenté  à  mon  esprit  ; 
mais  Alcaudete  est  toujours  transcrit  en  arabe  par  Al-Kabdhàk; 
cf.  Al-Idrisî,  Description. ..  de  l'Espagne,  p.  204du  texte,  252de  la 
traduction  ;  Yàkoùt,  Mou'djam,  IV,  p  27  ;  Simonet,  Descripciôn, 
p.  13,  94  et  passim.  L'identification  d'Al-Kabdhîk  avec  Alcaudi- 
que  m'a  été  suggérée  par  Simonet,  ibid.  p.  151,  286,  302,  306. 

*'^0n  sait  que  l'Alhambra  signifie  le  Palais  Rouge.  «Cette  signi- 
fication, dit  M.  Girault  de  Prangey,  serait  parfaitement  confir- 
mée par  l'aspect  actuel  de  ses  murailles  et  de  ses  tours  con- 
struites en  tapia,  car  le  temps  etle soleil  lesontcoloréesdeteintes 
admirables».  Cf.  son  Essai  sur  V  architecture  des  Arabes  et  desMores, 
en  Espagne, en  Sicile,  et  en  Barbarie  (P£ivis,lH41),p  .124.  Cesldansce 
volume  que  Joseph  Derenbourg,  mon  regretté  père,  adonné  «  une 


Quatre  IcUrcs  missives 


qui  s'élève  n  Grenade  (puisse  Allah  le  ^ardei- î  Gloiie 
à  Allah,  j)ar  l'elVel  de  sa  faveur  et  de  sa  pioleeliou  !). 

Ht  maintenant,  sachez  tous  deux,  ùehevalieis  hono- 
rés, que  votre  écrit  Nous  l'st  j)aivenu,  ([U(*  Nous  avons 
compris  tout  ce  (pie  vous  y  avez  mentionné,  (pie  Nous 
vous  avons  été  reconnaissant  de  vos  indications  et  de 
votre  démarche,  que  Nous  nous  louons  de  votie  ami- 
tié et  de  vos  sentiments  alTectueux,  et  (pic  Nous  avons 
a])piis  avec  reconnaissance  votre  arrivée  à  Alcaudi(pie 
et  vos  lémoi^na»^es  publics  d'une  alVection  poui-  Nous, 
que  Nous  ne  mettons  pas  en  doute.  Vous  aussi,  Allah 
le  sait,  vous  comptez  parmi  nos  plus  tidéles  amis,  vous 
êtes  l'élite  de  Nos  familiers. 

Nous  avons  été  informé  que  Don  Allonso,  avec  ses 
cavaliers,  s'est  rendu  à  la  rencontre  du  vizir  de  Notre 
Majesté,  dans  la  direction  de  Guadix  ',  et  que  celui-ci 
s'est  avancé  ra])idement.  Mais,  de  même  (|ue  Nous 
n'avons  encore  reçu  aucune  nouvelle  sûre,  il  n'a  pu 
rien  vous  annoncer.  C'est  pour  ce  motif  que  Nous  vous 
invitons  à  ne  pas  cesser  de  Nous  faire  connaître  le  sur- 
plus de  ce  qui  auia  lieu  de  votre  ccjlé  ;  et,  par  contre, 
Nous  vous  communicjuerons  le  surplus  de  ce  (pii  aura 
lieu  chez  Nous.  Nous  chercherons  à  satisfaire  tous  les 
désirs  (jue  vous  Nous  exprimerez,  et  Allah  honorera 
en  vous  la  piété. 

révision  des  inscriptions  de  rAIlninibra  »  d'après  le  ninniiscril 
actuellement  coté  210G  à  la  Bibliothèque  Nationale,  (jui  conliiiil 
les  poésies  d'Ahniad  Al-Magribi,  le  neveu  d'Al-Miikkaii,  re|)ro- 
duitosen  arabesques  comme  encadrements  poéticjues  aux  hau- 
tes murailles  du  Palais  Houge.  Sur*  l'Alhambra  au  xv'  siècle, 
voir  iialael  Contreras,  EsUulio  descripUvo  de  loa  nioiiumiiilos 
arabes  de  Graïuida,  SevUla  y  Cordoba  (Madrid,  1878),  p.  l.')7-167. 
MVàdî  Âsch=:Guadix  ;  cf.  Al-Idrîsî,  Discriplion. ..  de  VEsjia- 
gne,  p.  175,202  et  203  du  texte;  209,  247  elsuiv.  de  la  traduction. 


78  Opuscules  d'uu  arabisant 


1 

i 

4 


Cet  écrit  a  été  rédi«"é  le    dix-neuf  du  mois  de  rabi' 

^  I 

iM'emier,  en  Tan  875  •.  1 

i 

La  cbarte  est  autlientique.  Fin  -. 

DEUXIÈME    LETTRE    MISSIVE  | 

! 

I 

Au    nom  d'Allah,   le   Rahmàn,    le  Miséricordieux  !     ; 
Puisse     Aliàh     répandre    ses    bénédictions   sur   notre 
maître   Mohammad,  sur  sa  famille  et  sur  ses  compa-    ! 
gnons  !  Puisse-t-il  leur  donner  la  paix  !  j 

Voici  ce  que  nous  portons  à  la  connaissance  de  qui-  " 
conque  lira  ou  entendra  lire  ce  noble  écrit,  Nous,  le  j 
serviteur  d'Allah,  l'émir  des  Musulnians,  'x\li  Al-Gàllb  ' 
Billâh,  fils  de  notre  maître  l'émir  des  Musulmans  Aboù  j 
'n-Nasr,  etc.  ^  \ 

Entre  Xous^  d'une  part  et  de  l'autre  le  chevalier  ' 
honoré,  estimé,  considéré,  glorifié,  modèle  de  fidélité,  j 
Don  Diego  Herrandez^  de  Cordoue,  comte  de  Cabra,  | 
vicomte  d'Iznajar,  seigneur  de  Baena  ^  et  gouverneur  ^  ! 
d'Alcala"  ;  le  chevalier  honoré,  estimé,  considéré,  ] 
glorifié,    Martin    Alfonso    de    Montemavor,    seigneur    i 

t 

■i 
'  Le  15  septembre  1470  de  notre  ère.  4. 

-   Le  signe,   qui  termine  cliacune   des    quatre  missives,  est 

abrégé  de  Iiitahà  «  C'est  fini  ».  | 

3  La  généalogie  se  poursuit  comme  dans  la  première  lettre.  j 

''  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  Don  Diego  Herrandez  avec  son  ■ 
fils,  le  maréchal  de  Castille,  cité  dans  la  première  lettre,  et  dont 

il  est  de  nouveau  question  plus  loin  dans  la  deuxième.  | 

'  Les  positions  respectives  de   Cabra,  Iznajar  et   Baena  sont  I 

indiquées  par  Al-Idrîsî,  Description,  etc.,  p.  204  et  205  du  texte  ;  î 
251   et  252  de  la  traduction.   Sur  Iznajar,  voir  aussi  Simonet, 

Descripciôn,  etc.,  p.  4,  128.  j 

®  Dans  Tarabe  d'Espagne,  kcïid  (espagnol  alcade  =  al-kcïid),  j 

signifie  surtout  un  gouverneur  militaire,  plutôt  un  commandant  1 
de  place  qu'un  général. 

■  Il  s'agit  d'Alcala  la  Real.  Voir  Simonet,  ibid.,  p.  222;  J.  Miil-  j 
1er,  Die  letzteii  Zeiten  von  Granada,  p.  121. 


Qiiatn'  h'ttrrs  missives  7l> 


(rAlcaii(li([iie  ;  oiilin  le  chevalier  honoré,  considéré, 
estimé,  glorifié,  I^^as  Vene^as,  seigneur  de  Liujue  et 
d'Alhendin  '  (puisse  Allah  les  honorer  de  sa  ciainle  !) 
a  existé  une  paix  constante,  nne  amitié  sincère,  et  une 
afïeetion  pure,  dont  témoi<^ne  un  traité  signé  pour  un 
temps  déterminé. 

Or,  comme  cette  amitié  entre  Notre  Majesté  et  les 
susdits  chevaliers  grandit  cIkhiuc  jour  et  à  chaciue  ins-  . 
tant,  et  (pie  Nous  désirons  lavoir  s'augmenter  encore, 
Nous  voulons  aujourd'hui  en  renouveler  l'expression 
et  faiie  entrer  dans  Notre  alliance  et  dans  Notre  amitié 
les  chevaliers  honorés,  Egas  Vcnegas,  seigneur  de 
Lu(pie  et  d'Alhentlin  ;  Don  Diego  Herrandez,  maréchal 
de  (.astillc  et  grand  vizir  de  Cordouc,  et  Don  Martin, 
commandeur  d'Kstepa  -,  tous  trois  fds  du  comte  de 
(lahia. 

Vous  saurez  donc,  ô  chevaliers  honorés,  ô  excellents 
amis.  Don  Diego  Herrandez  de  Cordoue,  comte  de 
('.ahra,  vicomte  d'Iznajar,  seigneur  de  Baena  et  gou- 
verneur d'Alcala  ;  Martin  Alfonso  de  Montemayor,  sei- 
gneur d'Alcaudique  ;  aussi  Egas  Venegas,  seigneur  de 
I.uciue  et  d'Alhendin  ;  Don  Diego  Herrandez,  maréchal 
de  Castille,  grand  vizir  de  Cordoue,  et  Don  Martin, 
commandeur  d'Estepa  (puisse  Allah  vous  honorer  de 
sa  crainte  !)  que  Notre  Majesté  nohle  renoue  et  renou- 
velle avec  vous  une  paix  cordiale,  gage  d'amitié  solide 
et  ])ure,  i)our  cette  année  solaire  et  neuf  autres  années 
consécutives,  à  partir  du  premier  janvier  1472  de  Tère 


'  Sur  Luque,cf.  Sinionet,  J )cscrij)ci<'n,\).  A, \)4, 12^) ; F,ur  Whcmlin, 
p.  299,  peut-être  aussi  p.  1(»7,  où  il  est  parlé  d'Albondon.  Luque 
est  aussi  mentionné  par  Yàkoût,  Moii'djcim,  IV,  p.  365. 

^  D'après  d'autres,  ce  serait  Teba.  Cf.  Dozy,  Recherches  sur 
ihisloire  et  la  littérature  de  r Espagne  pendant  le  moyen  âge 
(S'^  éd.,  Leyde,  1881,  2  vol.  in-8),  I,  p.  299. 


80  Opuscules  d'un  arabisant 


du  Messie  jusqu'au  Irente-et-un  décembre  1481  de  la 
même  ère  ^ 

Nous  nous  engageons  à  être  les  amis  de  vos  amis 
et  les  ennemis  de  vos  ennemis,  à  vous  appuyer  chaque 
fois  que  vous  en  aurez  besoin  pour  la  défense  de  votre 
territoire,  dans  la  mesure  de  Nos  ressources,  contre 
tous  vos  ennemis,  à  quelque  catégorie  qu'ils  appar- 
tiennent, et  pour  l'espace  de  temps  que  vous  détermi- 
nerez. Au  moment  même,  où  vous  Nous  transmettrez 
votre  demande  d'assistance,  ou  bien  que  vous  donne- 
rez mission  à  votre  envoyé  de  faire  appel  à  Notre  con- 
cours. Nous  vous  aiderons  dans  la  mesure  de  Nos  res- 
sources. 

De  même.  Nous  vous  ferons  savoir,  ô  chevaliers  ho- 
norés, tout  ce  que  Nous  saurons  et  tout  ce  que  Nous 
apprendrons,  que  ce  soit  secret  ou  public,  de  ce  qui 
sera  attentatoire  à  votre  honneur.  Nous  vous  informe- 
rons promptement  par  un  envoyé  sûr,  éprouvé,  afm 
que  vous  assuriez  le  salut  de  votre  pays  avant  le  ravage 
de  vos  champs  ".  Lorsque  Nous  distinguerons  un  mal 
qui  peut  vous  atteindre,  Nous  ferons  des  efforts  pour 
l'éloigner  de  vous  ;  lorsque  Nous  distinguerons  un 
avantage  ou  une  utilité  que  vous  pouvez  recueillir, 
Nous  ferons  des  efforts  pour  l'approcher  de  vous.  Nous 
conserverons  l'amitié  et  l'alliance,  stipulées  entre  Nous 
et  vous,  dans  les  paroles  et  dans  les  actes. 

Et  sachez,  6  chevaliers  honorés  susdits,  que  Nos  fds 
les  émirs  •'  (qu'Allah  leur  accorde  le  bonheur  !)  garde- 


^  Les  années  musulmanes  correspondantes  sont  876-88G. 

^  Le  sens,  que  nous  avons  donné  à  al-fasàd,  est  emprunté  à 
J.  MûUer,  Die  lelzten  Zeilen  von  Granada,  p.  117,  note  1. 

^  L'un  des  fils,  auxquels  il  est  fait  allusion  dans  ce  passage, 
est  précisément  Boabdil  ou,  en  d'autres  termes,  Aboû  'Abd 
Allah  Mohammad. 


Quatre  lettres  missives  SI 


ront  à  votre  égard  cette  paix,  cette  amitié  et  cette 
alliance,  comme  Nous  la  garderons.  Nous,  dans  le  pri- 
vilège de  Notre  Majesté  noble. 

Quant  à  vous,  par  égai'd  |)our  Nos  amis  fidèles  et 
purs,  et  en  vue  de  Nos  illustres  alliés,  cpie  vos  bonnes 
relations  avec  Nous  ne  se  démentent  jamais  et  {[ue 
votre  amitié  produise  une  alliance  durable,  où  Nous 
ne  mettrons  pas  en  doute  la  sincérité  de  votre  atTection 
et  la  réalité  de  vos  sentiments.  Pour  Nous,  le  pacte,  que 
Nous  contractons  avec  vous,  est  fondé  sur  la  vérité  de 
ce  que  Nous  vous  avons  exprimé,  et  Nous  vous  jurons 
par  Allàb  runi([ue,  le  juste,  (jue  tout  ce  (jue  Nous  vous 
avons  promis.  Nous  raccomj)lirons,  Nous  le  tiendrons, 
Nous  l'observerons  avec  sincérité  '  et  fidélité  en  tout 
temps,  sans  perfidie  et  sans  trabison. 

Et,  pour  que  cette  convention  lïit  valable  et  solide, 
Nous  l'avons  scellée  avec  Notre  anneau  bienbeureux, 
qui  émane  de  -  Notre  main  noble,  et  Nous  y  avons 
placé  notre  cacbet  puissant,  pour  bien  montrer  que 
rengagement  a  été  pris  par  Notre  noble  Majesté  dans 
les  premiers  jours  du  radjab  unicpie,  béni,  en  l'année 
870  -K  Allàb  a  connu  l'autorité  de  cet  engagement. 

La  cbarle  est  autbentique.  P'in. 

Sur  les  débris  du  cachet,  ou  lit  cucore  :  Allàb  '*. 

TROISIKMK   LETTF^E   MISSIVK 

Au    nom   d'Allàb,   le    Habmàn,    le    Miséricordieux  ! 

'  Je  lis  hrs-sidki,  sur  la  proposition  de  I).  .Iiilian  Hi!)cra,  cor- 
rection que  m'a  conimuniciuceen  son  nom  I).  Francisco  Codera, 
dans  une  lettre  du  9  mai  188t. 

-  J'ai  imprimé  min  ;  l'original  porte   an. 

^  Seconde  moitié  de  décembre  1471  de  notre  ère. 

'  Ou  Billàh,  qui  proviendrait  d'  Al-Gàlib  Dillàli,  surnom  liono- 
rifique  d'Aboù  '1-Hasan    Ali. 

6 


82  Opuscules  d'un  arabisant 


Puisse  Allah  répandre  ses  bénédictions  sur  notre  maî- 
tre Mohammad,  siu' sa  famille  et  sur  ses  compagnons 
Puisse-t-il  leur  donner  la  paix! 

De  la  part  du  serviteur  d'Allah,  de  l'émir  des  Musul- 
mans Alî  Al-Gàlib  Billâh,  fils  de  Notre  maître  l'émir 
des  Musulmans  Aboù  'n-Nasr S  etc.,  au  chevalier  honoré 
estimé,  considéré,  glorifié,  modèle  de  fidélité.  Don 
Diego  Herrandez  de  Cordoue,  comte  de  Cabra,  vicomte 
diznajar,  seigneur  de  Baena  et  gouverneur  d'Alcala 
(puisse  Allah  l'honorer  de  sa  crainte  et  le  réjouir  par  sa 
direction  !).  En  réponse  à  votre  salut,  recevez  nombre 
de  salutations  distinguées,  que  Nous  vous  avons  adres- 
sées de  Notre  Alhambra,  qui  s'élève  à  Grenade  (puisse 
Allah  le  garder  par  l'efïet  de  sa  faveur  et  de  sa  protec- 
tion! Gloire  à  Aîlàh  !). 

Sachez ,  ô  chevalier  honoré  et  comte  haut  placé,  que 
Nous  avons  reçu  votre  écrit,  qu'il  Nous  a  été  remis  par 
le  gouverneur  Juan  Inâda-,  que  nous  avons  exécuté 
entièrement  ce  que  vous  y  avez  mentionné,  et  que  nous 
avons  ordonné  au  vizir  de  Notre  noble  Majesté  (puisse 
Allah  le  combler  de  bonheur  !i  de  s'entretenir  avec 
votre  envové  et  de  lui  confirmer  les  intentions  de  Notre 
auguste  Majesté  (puisse  Allah  la  rendre  plus  auguste 
encore!),  ainsi  qu'il  vous  les  exposera. 

Quant  à  ce  que  vous  avez  dit  de  l'excursion  et  du 
voyage,  que  vous  projetez  chez  le  prince  de  Castille  ^, 
Notre  ami  (puisse  Allah  l'honorer  de  sa  crainte  !),  puis- 

^  Généalogie  comme  dans  la  première  et  dans  la  deuxième 
lettre.  • 

2  Tout  en  me  bornant  à  transcrire  ce  nom,  je  me  demande  si 
l'on  ne  devrait  pas  le  traduire  par  Ignacio.  La  comparaison  des 
chartes  espagnoles  contemporaines  et  une  connaissance  plus 
approfondie  de  l'onomastique  arabico-espagnole  peuvent  seules 
donner  la  solution  du  problème. 

3  A  ce  moment,  le  «  prince  de  Castille  »  était  déjà  Ferdinand  V. 


Onîiti*<»  loltres  missives  83 

que  vous  y  trouvez  voire  ink  rèl,  vous  vous  y  rendrez 
en  paix,  si  Allàli  le  veut. 

Kt  saehez,  ô  eonile  luiiil  placé,  (pie  Xotie  ami,  voire 
lils  le  maréchal  '  (puisse  Allah  l'honorer  de  sa  erainlel), 
et  voire  pays  sont  chers  à  Notre  cœur,  et  ([u'il  ne  veut 
rien  leur  faire  (pii  leur  soit  désa^^rcahle.  Mais,  ce  qui 
est  arrivé  n'a  eu  lieu  que  par  des  motifs  que  votre 
envoyé  vous  exjîosera.  Il  n'est  pas  douteux  -  que  parfois 
Nos  cavaliers  se  sont  laissés  égarer  par  un  mirage  ; 
mais  rall'eelion  ([ue  vous  Nous  inspirez  est  connue, 
n'en  doute/  pas,  et  n'ajoutez  i)as  foi  à  ceux  qui  vous 
diraient  le  contraire.  Notre  cœur  réclame  de  vous  (pie 
vous  recommandiez  aux  troupes  d'Alcala  d'éviter  les 
sorties  inutiles. 

Dans  toute  circonstance,  Nous  ferons  ce  qui  vous 
agréera  ;  et  Allah  honorera  en  vous  la  piété. 

Cette  lettre  a  été  écrite  le  vingt-qualre  du  premier 
rahi  ,  en  l'an  (S80  -K 

La  charte  est  authentique.  Fin. 

.1  VdiKjle  supérieur  du  rcclo,  on  lil  en  raraclrres 
(irabcs  : 

Le  gouverneur  d'Alcala  K 

On  Ut  au  verso  roinme  adresse  : 

Le  chevalier  honoré,  estimé,  considéré,  modèle  de 
fidélité,  Don  Diego  Ilerrandez  de  Cordoue,  comte  de 
Cahra,  vicomte  d'Iznajar,  seigneur  de  Baena  et  gou- 
verneur d'Alcala  (puisse  Allah  l'honorer  de  sacraintc!). 

^  Ce  lils  est  Don  Diego  Ilerrandez,  maréchal  de  (bastille  el 
grand  vizirde  Cordoue,  dont  il  est  également  parlé  dansla  pre- 
mière, dans  la  deuxième  et  dans  la  quatrième  missive. 

'^  Lisez  :  ivalà  schakka,  ainsi  que  porte  l'original. 

^  Le  21)  juillet  1475  de  notre  ère. 

»  Le  gouverneur  militaire  d'Alcali  la  Real,  c'est  Don  Diego 
Herrandez  de  Cordoue,  comte  de  Cabra,  vicomte  d'Iznajar  ; 
voir  plus  haut,  p.  78.  1.  16,  et  note  4;  et  p.  79,  1.  13  et  18. 


84  Opuscules  d'un  arabisant 

QUATRIÈME  LETTRE  MISSIVE 

Au  nom  d'Allah,  le  Rahmân,  le  Miséricordieux  ! 
Puisse  Allah  répandre  ses  bénédictions  sur  notre  maître 
Mohammad,  sur  sa  famille  et  sur  ses  compagnons  ! 
Puisse-t-il  leur  donner  la  paix  ! 

De  la  part  du  serviteur  d'Allah,  de  l'émir  des  Musul- 
mans 'Alî  Al-Gàlib  Billàh,û\s  de  notre  maître  l'émir  des 
Musulmans  Aboù  'n-Nasr,etc',  aux  deux  chevaliers  ho- 
norés, estimés,  glorifiés,  fidèles,  bien-aimésDon  Diego 
Herrandez,  maréchal  de  Castille,  et  Martin  Alfonso 
de  Montemayor,  seigneur  d'Alcaudique  (puisse  Allah 
les  honorer  de  sa  crainte  et  les  favoriser  de  sa  direc- 
tion !).  En  réponse  à  votre  salut,  recevez  nombre  de 
salutations  distinguées,  que  Nous  vous  avons  adres- 
sées de  Notre  Alhambra,  qui  s'élève  à  Grenade  (puisse 
Allah  le  garder  par  l'effet  de  sa  faveur  et  de  sa  protec- 
tion !  Gloire  à  Allah  !). 

Sachez  donc  tous  deux,  ô  chevaliers  honorés,  que 
Nous  avons  reçu  votre  écrit,  que  Nous  avons  exécuté 
entièrement  ce  que  vous  y  avez  mentionné,  et  que 
Nous  vous  avons  été  reconnaissant  tant  de  vos  inten- 
tions que  de  vos  sentiments  affectueux. 

Le  pacte,  que  vous  avez  demandé,  vous  fera  hon- 
neur à  vous-mêmes,  et  Nous  avons  ordonné  au  vizir  de 
Notre  auguste  Majesté  (puisse  xVllàh  le  combler  de 
bonheur!)  devons  écrire  clairement  quelle  sera  sa  ma- 
nière d'agir  à  votre  égard.  Sachez-le  ! 

Dans  toute  circonstance.  Nous  ferons  ce  qui  vous 
agréera  et  Allah  honorera  en  vous  la  piété. 

Cette  lettre  a  été  écrite  le  quatorze  du  premier  djou- 
m  à d  a ,  e  n  r a n  880  - . 

^  Généalogie  identique  à  celle  des  trois  premières  lettres. 
*  IG  septembre  1475  de  notre  èie. 


Quatre  lettres  missives  85 

La  charte  est  aiillK'nli(jiie.  Fin. 

A  laïujlc  supérieur  de  diuiley  un  lit  sur  le  recto,  en 
arabe  : 

Le  maréchal  cl  Martin  Alloiiso. 

On  m  (lu  verso  connue  adresse,  eu  arabe: 

Les  deux  chcvaHcrs  lioiiorcs,  estimés  Duii  Dieg(j 
Herrandez  le  maréchal  et  Martin  Altonso  de  Monte- 
mayor,  seigneur  (rAlcaudi(|ue  (puisse  Allah  les  hono- 
rer tous  deux  de  sa  crainte  !) 


4 

I 
I 


I 


VI 


Notice   biographique 

sur  Michèle  Amari 

(1806-1889) 


fj 


i 


Notice  biographique  sur  Michèle  Amari  ' 

(1<S()()-1S(S<.I) 


AVANT-PUOPOS 

I/éleclion  cii  décembre  11)01  (rAlcssautlro  D'Aïu-oiia 
parmi  les  correspoiulanls  étraiii^cis  de  IWeadémie  des 
inscrij)lions  et  ])elles-lellres  a  ravivé  en  moi  le  j)laisir 
que  m'avait  eaiisé  naguèie  sa  belle  j)ublicali()n  de  la 
Correspoiulanee  de  Michèle  Amari,  avec  sa  riche  anno- 
tation, une  véritable  encyclopédie  des  hommes  et  des 
choses  d'Italie  au  xix°  siècle.  Les  deux  volumes  -  ont 
paru  simultanément  en  1890.  Tls  sont  terminés  (II, 
p.  31 5-397) par  un  éloge  d'Amari,  lu  par  Alessandro  D'An- 
cona  à  Florence,  le  21  décembre  1(S9(),  dans  une  séance 
publique  tle  la  li.  Accademia  (kdla  Crusca.  Le  20  avril 
de  cette  même  année,  Oreste  Tonnnasini  avait  à  Rome 
rappel-'  devant  la  H.  Accademia  dei  Lincei  «  la  vie  et  les 
œuvres  »  de  son  illustre  contVère  ^.  Tous  deux  ont  mis 
à  j)rorit  des  Esquisses  autobiographiques  {Appiinti  auto- 
bioijvafici),  qu'Amaii  avait  tiacées  lui-même  en  1S<S1  à 
l'instigation  de  Leone  Carpi  et  cpie  M""'  Amari  conserve 
pieusement  dans  sa  villa  aux  environs  de  Florence.  Des 

^  Journal  des  Saïuints  de  19u2,  p.  2oi)-222  ;  iSf)- 198  ;  ()()«-()22. 

-  Alessandro  D'Ancona,  (larleijijio  di  Michèle  Amari  (Torino, 
189G),  2  vol.,  589  et  407  pages  in-H-. 

^  Oreste  Tommasini,  Scritti  di  sturia  e  critica  (Roma,  1891), 
p.  271-354. 


90  Opuscules  d'un  arabisant 

raisons  matérielles  l'ont  empêchée,  à  son  grand  regret 
et  au  mien,  de  les  mettre  actuellement  à  ma  disposi- 
tion et  j'ai  dû  me  résigner  à  les  entrevoir  à  travers  les 
citations  qui  en  ont  été  faites.  Je  ne  puis  pas  préjuger 
absolument  si  elles  ajouteraient  quelques  traits  à  la 
figure  que  je  vais  essayer  d'évoquer,  non  seulement 
grâce  aux  documents  que  je  viens  d'énumérer,  mais 
encore  grâce  à  une  biographie  un  peu  terne,  mais 
exacte,  de  Gustave  Dugat  (Paris,  1868)  ^  à  une  étude 
pénétrante  de  l'avocat  F.  G.  Vitale  (Milano,  1888)  \  à 
un  article  juvénile  et  alerte  de  Daniel  Halévy  (Paris, 
1897)  ^.  J'ai  aussi  utilisé  la  brochure  contenant  les 
Discours  prononcés  par  divers  orateurs  dans  une  des 
salles  de  l'Institut  Royal  des  études  supérieures  à  Flo- 
rence devant  le  cercueil  du  sénateur  Michèle  Amari  le 
18  juillet  1889^  ». 

Lorsque,  en  1866%  j'entrai  au  Cabinet  des  manus- 
crits de  la  Bibliothèque  Impériale,  j'y  fus  chargé  de 
reviser  et  de  continuer,  après  une  interruption  de  sept 
années,  le  catalogue  raisonné  des  manuscrits  arabes, 
qui  avait  était  commencé  par  Michèle  Amari.  Je  m'en- 
thousiasmai d'instinct  pour  le  travail  de  mon  prédé- 

'  Gustave  Dugat,  Histoire  des  orientalistes  de  VEurope  (Paris, 
1868-1870,  2  vol.  in-12),  I,  p.  12-24. 

2  //  Risorgimento  itcdiano,  biografie  storico-politiche  d'illustri 
Itatiani  contemporanei,  IV,  p.  459-478.  Je  n'ai  trouvé  à  Paris  aucun 
exemplaire  de  ce  recueil.  A  l'instigation  de  Mme  Amari,  mon 
confrère,  l'arabisant  G.  Schiàparelli  de  Rome,  élève  d'Amari, 
a  fait  copier  pour  moi  avec  la  machine  à  écrire  l'étude  de 
Vitale. 

3  La  Revue  de  Paris,  1"  mars  1897,  p.  69-86.  Get  article  a  été 
provoqué  par  la  publication  du  Carteggio. 

^  Parole  prominziate  da  diversi  oratori  sut  feretro  del  senatore 
Michèle  Amari  il  giorno  18  di  luglio  1889  in  nna  dette  sale  del 
R.  Istituto  di  sludi  siiperiori  in  Firenze  ,  Firenze,  1889,  38  p. 

^  Slane,  Catalogue,  Avertissement^  p.  m,  porte  à  tort  1867. 


Notice  sur  Michèle  Ainari  ÎM 


ccssciir  ;  je  deviiKii  la  prohiU-  do  ses  rochciTlies  cl  la 
justesse  (le  ses  eoiu'lusioiis,  je  considérai  comme 
imperlineiile  de  ma  pail  la  préleiilioii  de  soii<^er  alors 
à  des  reloiiehes  |)iématin'êes  cl  j'occMj)ai,  sans  la  rem- 
plir, la  <•  place  vide  aii|)rès  de  la([uelle,  en  ISliO,  Henan 
ne  passait  jamais  sans  éj)i()uver  un  vif  senlimenl  de 
regret  »  '.  Mon  and)iti()n  était  daeliever  l'ceuvre 
d'Amari,en  m'inspirant  de  son  esj)iil  et  de  son  exemple. 
Mon  admiration  n'a  lait  (pie  grandir  et  (|ue  s'étendre 
depuis  (pie  je  connais  et  (jue  je  eiois  avoir  eompris, 
non  seulement  le  savant  oiientalistc,  mais  encore 
riîomme,  le  patriote,  Téerivain,  riiistorien.  I)evais-je 
examiner  séparément  chaeune  des  laces  sous  les(|uelles 
Amari  s'est  montré  à  ses  contemj)()rains  et  est  entré 
de  son  vivan.t  dans  l'immortalité  ?  Je  ne  l'ai  pas  cru. 
Tout  se  tient  dans  son  existence  à  chacune  des  épo(jues 
(ju'elle  a  tiaversées,  des  étapes  ciuelie  a  parcourues. 
Ses  actes  ont  l'unité  d'une  (cuvre  bien  conçue,  aux 
nombreux  volumes.  Ses  livres  sont  des  actes.  L'évolu- 
tion de  sa  vie  ressortiia  le  mieux  de  sa  biographie  j)ar 
l'exposé  des  laits  et  des  idées  dans  l'ordre  chronolo- 
«»i(iue  de  leur  succession  -. 

Les  (|ualre  phases  de  son  développement  graduel  et 
continu  feront  le  partage  naturel  de  cette  notice  : 

^  Carlcgcfio,  II,  p.  8(). 

-  C'est  Tordre  clîronolo«^i([uc,  le  plus  logicpic  de  tous,  avec 
des  intercalations  et  des  parallèles.  (ju'Aniari  a  éj^alenient  pré- 
conis(}  en  Icte  de  la  Sloria  dei  Mfisiilinaiii  di  Sicilia,  I  (l.S3()), 
p.  xxxn.  Mon  élude  biographicpie  contient  de  larges  emprunts  à 
une  conférence  que  jai  laite  à  la  Sorbonne  devant  la  Société 
d'études  italiennes  le  1.')  mnrs  1902,  sous  le  titre  :  «Un  historien 
et  arabisant  d'Italie  :  Michcle  Aniari  ».  Ma  conférence,  provo- 
quée par  mon  ami  Charles  Dejob,  a  été  recueillie  excellemment 
par  M.  Eug.  Heymann,  sténographe  de  la  (>hambre  des  députés, 
auquel  j'adresse  publiquement  mes  remerciements,  avec  le 
témoignage  de  ma  reconnaissance. 


92  Opuscules  d'un  arabisant 

1"  Après  renfance  et  l'éducation^  Amari  est  avant 
tout  un  révolutionnaire  palermitain,  un  autonomiste 
sicilien. 

2*5  Le  partisan  des  libertés  locales  et  provinciales 
adopte  l'idée  de  la  fédération  italienne  sous  un  régime 
mixte,  où  aucune  région  ne  soit  absorbée  par  l'autre, 
où  cbacune  conserve  sa  pbysionomie  distincte  et  son 
gouvernement  propre. 

3°  Les  préférences  personnelles  cèdent  le  pas  à  la 
nécessité  inéluctable  de  l'unité  italienne,  dont  la  direc- 
tion ne  peut  être  assumée  que  par  la  dynastie  savoyarde 
des  rois  du  Piémont^  devenus  rois  d'Italie. 

4o  L'unité  atteinte,  elle  ne  peut  être  préservée  que 
par  un  concours  loyal  au  roi  et  aux  institutions  parle- 
mentaires. La  personnalité  d' Amari  est  arrivée  à  son 
entier  déploiement  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  atteinte  par 
la  décadence  et  que,  dans  un  recul  plus  rapide  que  la 
marche  en  avant,  elle  soit  anéantie  par  la  mort. 

C'est  dans  la  deuxième  période  que  l'arabisant  s'est 
greffé  sur  le  patriote,  pour  ne  plus  être  séparé  de  lui 
jusqu'au  dénouement  fatal.  Ils  sont  unis  par  un  lien 
constant,  se  prêtant  un  mutuel  appui,  poursuivant  le 
même  objet,  passant  par  les  mêmes  transformations  et 
les  mêmes  progrès,  s'élevant  dans  leurs  efforts  en  com- 
mun à  l'apogée  de  leur  puissance.  Les  prééminences 
d'un  Amari  autorisent  à  se  glorifier  d'être  homme. 


Notice  sur  Micliolc  Ainari  U:\ 


KNFANCK  HT  .IKl'NKSSK   d'aMAIU.  SA    I  llll.   I)i:  SICIM-: 

KT  SON  AHnivi':i:  a  pahis  kn  ISTi. 

MiclK'k'BciîC(k'lU)  (lactiuio  AiiKiri  ',  raîiK'ck'si'nraiils 
de  Ferdinaiulo  Aiiiaii  cl  (k'  (iiulia  VcnUiiclli,  lUKiiiit  à 
Pak'rine  le  7  juillet  18()G  dans  le  lo^is  de  sdh  ^rand-j)ère 
pak'riiel,  qui  hal)ilail  la  rue  principale,  apj)elée  au- 
jourd'hui oniciellenieiU  le  O)rso  Viltorio  I-jnanuele, 
sans  (jue  le  peuple  ait  renoncé  à  la  vieille  dénomina- 
tion arabe  de  Via  del  (lassaro,  «  rue  dn  Palais  ».  Son 
grantl-|)ère,  cpii  lui  aussi  s'appelait  Michèle  Aniari, 
occupait  un  troisième  étage  dans  une  maison  sise  au 
coin  de  la  ruelle  apj)elée  Strada  dclla  Mercede  «  rue 
de  la  >k'rci  ».  Il  exerçait  la  profession  d'avocat,  avait 
peu  de  k)rtune,  mais  se  taisait  des  revenus  assez  con- 
sidéi'ahles  par  son  activité  et  ses  succès  au  barreau. 
Quant  au  père  de  notre  Amari,  il  était  agent  comptable 
à  la  bancjue  municipale  de  Païenne,  k)nctionnaire  mal 
rétribué,  mécontent  de  son  sort^  aigri  par  la  misère, 
tribun  acharné  dans  les  discussions  j)oliti([ues  et 
religieuses,  voltaiiien  j)assionné  pour  la  philosophie 
iVançaise  du  xvnr-  siècle  et  pour  les  principes  de  la  Hévo- 
lulion,  tVondeur  asi)iranl  au  ré)le  de  conspirateur,  cause 
de  troubles  Iréquenls  pour  rintérieur  calme  et  paliiai- 

'  (iiovanni  Flecliia,  I)i  (ilcuiii  crilcrii  pcr  l'orifjiiuizione  dci 
cognomi  ilalidiii  (Honia.  1.S78),  considère  le  noiiid'Aniari  comme 
syncopé  delaforme  pleine  Aldon)ari,  é([iiivalenl  italien  du  nom 
propre  germanique  Aldemar  =  Adiiémar;  cf.  le  Carlcgyio,  II, 
p.  22(1. 


94  Opuscules  d'iiii  arabisant 


cal  qui  l'avait  recueilli  avec  sa  progéniture.  La  désa- 
grégation d'éléments  aussi  disparates  s'imposait.  Seul, 
le  petit  Michèle  fut  laissé  à  son  aïeul  ;  il  grandit  auprès 
de  lui  et  de  deux  vieilles  tantes  non  mariées,  éprises 
de  leur  jeune  neveu. 

Deux  souvenirs  de  son  enfance  avaient  persisté, 
comme  les  deux  premiers  ferments  de  sa  tendresse  om- 
brageuse pour  la  terre  natale.  A  deux  pas  de  sa  demeure 
étaient  l'église  et  le  couvent  délia  Mercede,  qui  avaient 
donné  leur  nom  ii  la  ruelle.  Or,  il  avait  le  souvenir  poi- 
gnant d'avoir  vu  dans  cette  église  le  duc  d'Orléans,  le 
futur  roi  de  France  Louis-Philippe,  avec  sa  femme,  la 
duchesse  Marie-Amélie,  deuxième  fille  du  roi  Ferdi- 
nand IV  ^  Le  duc  portait  un  costume  de  hussard, 
avec  la  culotte  blanche  collante.  Le  bambin,  que  ce 
spectacle  offusquait,  avait  bien  de  4  à  5  ans.  L'homme 
fait  rappelait  aussi  avec  mélancolie  une  compagnie  de 
fantassins  anglais,  qui,  en  1812,  s'étaient  postés  dans  la 
rue  du  Palais  avec  leurs  fusils  chargés  pour  contenir  la 
foule  sans  cesse  grossissante,  rendue  houleuse  par  les 
nouvelles  du  continent  et  par  la  terreur  de  la  peste 
qui  sévissait  à  Malte.  C'est  avec  un  sentiment  de  juste 
orgueil,  peut-être  avec  une  sincère  illusion,  qu'Amari 
vantait  beaucoup  plus  tard  les  mesures  hygiéniques  de 
précaution  qui  furent  prises  alors^  sans  qu'elles  fussent 
compromises  par  les  superstitions  en  vogue  des  amu- 
lettes et  des  recours  aux  saints. 

L'éducation  d'Amari  fut  confiée  à  des  prêtres  irre- 
spectueux envers  leurs  soutanes,  incapables  d'inculquer 
une  foi  dont  ils  étaient  dépourvus.  «Je  n'ai  jamais  eu, 


*  Ce  même  prince  fut  Ferdinand  IV  de  Naples,  Ferdinand  III 
de  Sicile,  Ferdinand  F'  des  Deux-Siciles.  Voir  O.  Tomniasini, 
Scritti  di  storia  e  critica,  p.  279. 


1 


N(>tico  sur  Miclide  Ainari  ;>i"i 

dit-il  liii-inéine  en  USSl  ',  crcdiuiUion  itli^icusc  j)io- 
prcmeiit  dite.  L'histoire  sainte,  les  réeils  siii- le  Christ 
étaient  donnés  j)()ur  des  tiadilions.  La  relii^ion  consis- 
tait à  réeiler  le  ehaj)elel,  à  jeûner,  à  laiie  niai^ne,  à 
aller  à  la  messe  et  à  ohsei'ver  l'ohli^alion  jiaseale.  Mon 
confessenr  ne  ni'enseii^na  pas  ])liis  le  ehrislianisnie 
que  ne  le  firent  mes  éducateurs  à  la  maison  ou  mes 
préeepleurs.  11  en  lut  aulremenl  poui'  la  morale  civicpie. 
Outre  l'exemple  des  nuiHirs  |)uies  des  lemmes  de  la 
iamille,  des  sentiments  de  piohilé,  de  justice  et  de 
modestie  m'étaient  ins})irés  par  les  paroles  de  toutes 
les  personnes  que  jefiTqucntais,  mon  |)ère,  mon  ^rand- 
père,  mes  précepteurs,  mes  ands  libéraux  et  illibéraux, 
par  les  livres  que  je  lisais.  Je  communiai  pour  la  der- 
nière fois  à  l'âge  de  douze  ans.  A  treize  ans,  étudiant 
la  métaphysi(jue  à  l'Université,  j'étais  matérialiste  de 
la  télé  à  la  pointe  des  pieds  ;  dans  les  discussions 
solennelles,  je  cond)altais  la  spiritualité  et  l'immorta- 
litc  de  l'àme  avec  une  telle  férocité  (pi'un  jour  mon 
professeur,  le  théatin  Li  Donni,  partisan  de  la  (Chro- 
nique '  en  i)olili(jue  et  peut-être  aussi  mécréant  pour 
son  compte,  mais  spiritualiste  en  chaii'c,  à  bout  d'argu- 
ments, lança  sur  moi  sa  barrette  à  trois  cornes.  » 

Après  avoir  reçu  deux  fois  par  Jour  du  prêtre  Quat- 
trocchi  des  leçons  particulières  de  latin,  d'italien  et  de 
géographie  et  avoir,  non  seulement  fait  sa  rhétorique, 
mais    appris    la    gymnastique   dans   une  école    privée 

^  Aniari,  Appiinli  aiilobioijrafici,  dans  le  Carle(jf/io,  II,  p.  .'>r)8-3()9. 

-Les  Siciliens  étaient  divisés  en  (^ronici  ci  Aiiticroiiici,  selon 
qu'ils  approuvaient  ou  blâmaient  la  politicfuc  du  journal  La 
Cronica  di  Sicilia,  fondé  le  2  septembre  hSK'i  pour  soutenir  le 
maintien,  pour  réclamer  au  besoin  le  rétablissement  de  la  con- 
stitution parlementaire  et  aristocratique,  modelée  sur  la  consti- 
tution anglaise,  octroyée  à  la  Sicile  en  1812,  sur  injonction  de 
l'Angleterre,  par  l'autocrate  napolitain  Ferdinand  IV. 


96  Opuscules  d'un  arabisant 

tenue  par  deux  prêtres,  Campione  et  Gianfalo,  Amari 
entra  à  l'âge  de  onze  ans  dans  ce  qu'on  appelait  pom- 
peusement l'Université,  dans  ce  qu'en  Italie,  comme  en 
France,  on  désignerait  sous  le  nom  de  lycée.  «  En 
première  année,  nous  dit  encore  Amari  en  1881  ',  j'étu- 
diai l'éloquence,  la  poétique  et  l'arithmétique,  expli- 
quant et  apprenant  par  cœur  Virgile,  Horace,  etc.  La 
deuxième  année  universitaire,  je  la  consacrai  de  nou- 
veau à  l'éloquence  latine  et  italienne,  sous  la  direction 
d'un  élégant  latiniste,  le  père  Nascè,  en  y  joignant  la 
philosophie,  la  géométrie  etl'histoire  naturelle.  Troisiè- 
me année  :  philosophie  encore,  droit  naturel,  mathéma- 
tiques supérieures  et  physique  expérimentale,  celle-ci 
exposée  par  Scinà.  Quatrième  année  :  économie  poli- 
tique et  physique  sous  Scinà  et  Casano.  Je  suis  resté 
leur  grand  ami,  parce  que  j'avais  et  que  j'ai  encore  un 
goût  très  prononcé  pour  les  sciences  naturelles.  » 

Les  temps  étaient  durs.  Il  fallut  renoncer  à  une  cin- 
quième année  d'Université.  Le  jeune  étudiant,  qui  au- 
rait aimé  devenir  officier  du  génie,  fut  pourvu  d'un 
emploi  civil  immédiatement  rétrihué.  Il  put  rester  à 
Palerme,  où  il  déhuta,  en  février  1828,  au  Ministère  de 
lintérieur.  Un  mois  après,  son  grand-père  mourut 
subitement  et  avec  lui  disparut  l'aisance  de  la  famille. 
Les  deux  bonnes  tantes  se  réfugièrent  dans  une  retraite 
cachée,  Michèle  dans  la  maison  de  son  père,  qu'il 
n'avait  jamais  habitée.  C'était  une  vie  nouvelle  dont 
la  révolution  politique,  qui  grondait  sourdement,  allait 
encore  augmenter  les  difficultés  et  aggraver  les  périls. 

Le  14  juillet  1820  au  soir,  la  fête  de  Sainte  Rosalie 
avait  attiré  le  peuple  de  Palerme  vers  les  illuminations 
de  la  rue  du  Palais.  Michèle  Amari  se  promenait  avec 

^  Amari,  Appunli  aiitobiografici,  dans  le  Caiteggio,  II,  ]).  3()9. 


Notice  sur  Micholc  Aiiiari  U7 

son  père  au  milieu  de  l;i  foule  <»rouillante.  I/insuiree- 
tion  d'I^spa^ne   el   la    proelaiiKiliou  d'une  eonslitulion 
à  Madrid,  avaient  allumé  de  proche  en  proche  juscju'à 
Naples   rincendie,    dont    la  pi()j)ai;alion  à    Palei'nie  se 
manilesla  en  ce  (pi'on  vil   tout   a  coup   les  nombreux 
aliiliés  arborer  les  insignes  tricolores  de  la  (Iharbonne- 
rie,   cette  Iranc-maçoinierie  des  opposants,   sur   leurs 
poitrines,  sur  leurs  chaj)eaux,  à  leurs  balcons.  Le  len- 
demain, au  iou*>e,  au  bleu  et  au  noii'  (pii  distinguaient 
les  «  bons  cousins  »  des  «  païens  »,  Amari  i)ere  et  lils, 
connue  les  autres  «  fendeurs  »,  adjoignirent   le   ruban 
jaune  avec  l'Aii^le  sicilien  et  la  devise  Indcpcnildiia'  on 
mort.  Des  aristocrates  de  Palerme  n'acceptaient  pas  la 
constitution  démocratique    espagnole,   que    le   roi    de 
Naples  s'était  résigné  à   i)roclamer.  Michèle,  en  dépit 
des  entraves   administratives,   prit  parti    ouvertement 
pour  la  rébellion  fomentée  par  les  amis  de  son  père, 
par  son  père  lui-même.  Pendant  trois  jours,  on  se  bat- 
tit dans  les  rues  de  Palerme  ;  les  régiments  napolitains 
tirèrent  sur  le  peuple,  mais  durent  céder  à  l'ardeur  et 
au  nombre  de  leurs  adversaires,  elle  jeune  homme  vit 
le  Cassa ro  encombré  par  les  cadavres  gisants,  par  les 
débris  d'armes  abandonnées,  par  les  vêtements  ensan- 
glantés des  morts  et  des  blessés^  tandis  qu'aux  râles  et 
aux  cris  de  douleur  se  mêlaient  les  chants  joyeux  des 
vainqueurs  et  les  cris  de  :  Vive  Sainte  Rosalie. 

Le  lieutenant  du  roi,  gouverneur  de  l'île,  ayant 
abandonné  son  poste,  le  gouvernement  ])rovisoire  fut 
attribué  à  une  Junte  de  sécurité  et  de  trancjuillité  publi- 
ques, qui,  réunie  au  Palais  de  l'archevêché,  fut  prési- 
dée par  le  cardinal  Gravina,  «parce qu'il  était  l'archevê- 
que H.  Michèle  Amari,  comme  les  autres  employés  du 

'  Amari,  Appunti  aalobiografici,  dans  O.  Tommasini,  Scrilti\ 
p.  282.      , 

7 


98  Opuscules  d'un  arabisant 

Ministère,  fut  affecté  au  secrétariat  de  la  Junte  et  v 
apprit  à  connaître  chez  Ruggero  Settimo,  l'un  des 
membres,  celui-là  même  qui  devait,  en  1848^  présider 
à  Palerme  le  gouvernement  sicilien,  «  ses  tendances 
favorables  à  la  Chronique,  ses  sympathies  pour  la  con- 
stitution anglaise  et  sa  modération  d'homme  qui  savait 
penser  au  lendemain  '».  La  capitulation  du  5  octobre, 
signée  sur  le  navire  anglais  «  Parker  »,  se  fit  à  des  con- 
ditions trop  avantageuses  à  la  Sicile  pour  ne  pas  être 
d'avance  annulées  par  des  restrictions  mentales. 

La  tyrannie  de  Naples  s'appesantit  de  nouveau  sur 
l'île  et  les  «  huttes  »  des  Charbonniers,  dans  leurs 
«  ventes  »,  ne  laissèrent  pas  clore  l'ère  des  conjura- 
tions. Michèle  avait  repris  son  modeste  emploi  au 
Ministère  elle  remplissait  avec  la  même  ponctualité  qu'il 
apportait  à  l'étude  des  actes  de  la  Junte,  tels  qu'il  les 
avait  recueillis  et  conservés.  De  même  qu'il  n'était  pas 
admis  aux  «  rites  bouffons  »  de  la  Charbonnerie,  il  ne 
fréquenta  pas  non  plus  les  conciliabules  de  1822,  dans 
lesquels  l'émeute  se  préparait  «  avec  une  étrange  im- 
prudence et  vanité  »  et  qui  comptaient  parmi  leurs 
discoureurs  les  plus  entraînés,  parmi  leurs  coopérateurs 
les  plus  actifs,  le  père  de  notre  Amari.  te  Un  jour,  écrit 
celui-ci  -,  en  revenant  de  la  secrétairerie,  je  trouvai,,  à 
la  porte,  des  soldats  autrichiens  et,  à  l'intérieur,  des 
sous-inspecteurs  de  la  police,  qui  fouillaient  les  armoi- 
res. Ils  ne  trouvèrent  ni  papiers  ni  armes,  parce  que 
mon  père  avait  brûlé  ceux-là  et  que  moi,  pendant  les 
jours  précédents,  j'avais  caché  sous  les  toits  les  armes 
et  la  collection  complète  des  documents  imprimés  rela- 
tifs à  1820.  »    Ferdinando  Amari,  un  des  chefs  de  la 

1  Amari,  Appiinti  aidobiografici,   dans  O.  Tommasini,  Scriltij 

loc.  cit. 

2  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  323. 


Notice  sur  Mii-liele  Aiiiari  Dli 

conjuration,  fut  arrêté  et  la  famille  se  (lis|)cMsa  clu'z  les 
parents.  «  Nous  n'avions,  ajoute  Michèle,  cju'une  niai- 
«re  subsistance  et  liés  peu  d'ar^eiil  (pii  se  réduisit  à 
rien  par  l'entretien  de  mon  père  v\\  prison.  A  17  ans» 
sans  autre  ressource  (pie  mes  a{)pointemenls  du  Minis- 
tère, je  restai  chef  d  une  famille  composée  de  ma  mère, 
de  deux  frères  et  de  deux  sœurs.  » 

Les  devoirs  élèvent  les  individus  à  leur  hauteui'  et 
l'école  la  plus  forliliante  pour  l'honnne,  c'est  la  lutte 
contre  l'étreinte  de  l'adversité.  On  ne  s'en  dé«^a<^e  (pi'au 
prix  de  combats  cpii  épuisent  les  débiles,  cpii  déve- 
loppent la  tremi)e  de  la  volonté  chez  les  forts.  Ferdi- 
nando  Amari,  ayant  avoué  son  crime,  ne  fut  ])as 
exécuté  comme  les  autres  meneurs  :  la  peine  capitale  fut 
commuée  pour  lui  en  trente  années  de  ba^ne  dans  l'ile 
de  San  Stephano.  Son  lils  Michèle  prit  conijé  de  lui, 
d^'abord  |)ar  une  visite  dans  son  cachot,  puis  par  des 
adieux  au  moment  du  départ,  quand  il  fut  embarcpié 
avec  les  fers  aux  pieds  pour  être  transporté  à  Na])les. 
Au  sujet  de  ces  deux  entrevues,  Amari  pourra  écrire 
sans  forfanterie,  vin^t-sept  ans  ])lus  tard,  en  1849": 
«Le  déchirement  fut  inexprimable,  mais  je  me  raj)pelle 
bien  que  la  haine  du  despotisme  et  des  Allemands, 
ainsi  que  le  désir  de  la  veni>eance,  remportèrent  de 
beaucoup  chez  moi  sur  l'affliction.  i> 

Michèle  avait  j)ris  des  résolutions  viriles.  Il  se  prêta 
à  lui-même,  il  prêta  peut-être  à  son  père  un  véritable 
serment  d'Annibal,  jurant  de  venj^^er  les  souffrances  de 
la  Sicile  et  du  forçat  expatrié.  Mais  il  eut  la  sai^esse 
d'attendre  le  moment  favorable  pour  assouvir  son  res- 
sentiment. Ferdinand  1%  étant  mort  le  4  janvier  182Ô, 
eut  pour  successeur  François  F>"  (1825-1830),  qui  laissa 
le  trône  à  son  fds,  Ferdinand  II,  le  roi  Bomba,  comme 

1  Amari,  dans  le  Caricggio,  IT,  p.  324. 


100  Opuscules  d'un  arabisant 


l'histoire  Ta  surnommé.  On  ne  peut  que  louer  la  tolé- 
rance de  ceux  qui,  sous  ces  trois  régnes,  maintinrent 
l'employé  suspecté  dans  ses  fonctions  et  la  conscience 
avec  laquelle  celui-ci  s'en  acquitta  pour  gagner  sa 
solde  de  35  ducats  par  mois  (400  francs  environ),  tan- 
dis que  son  esprit  vaguait  ailleurs  et  qu'il  rongeait  son 
frein  avec  indignation.  Son  éducation  physique  lui  pa- 
rut insulfisante  et  il  se  préoccupa  de  la  compléter  en 
y  consacrant  ses  jours  de  liherté  et  ses  heures  quoti- 
diennes de  loisir.  Les  courses  solitaires  dans  la  plaine, 
au  mont  Pellegrino,  à  Monreale  et  dans  les  environs 
de  Palerme,  les  nuits  passées  sur  la  dure,  la  natation, 
les  promenades  à  cheval,  le  tir  à  la  cihle,  où  il  était 
passé  maître,  et,  par-dessus  tout,  la  chasse  pour  la- 
quelle il  éprouva  jusqu'à  un  âge  très  avancé  une  fer- 
vente passion,  devinrent  ses  distractions  préférées  par 
lesquelles  il  se  préparait  à  la  guerre  de  guérillas  qu'il 
rêvait  pour  l'indépendance  de  son  cher  triangle  insu- 
laire. Dans  cette  période  de  sa  vie,  Naples  intercepte 
encore  sa  vision  de  l'Italie  et  son  horizon  ne  s'étend 
pas  au-delà  des  Deux-Siciles,  dont  il  voudrait  briser 
l'union  artificielle  pour  en  détacher  la  Sicile  unique. 
Il  a  noté  plus  tard  cette  impression  de  sa  jeunesse  dans 
un  style  pittoresque  :  «  A  cette  époque,  dit-il,  l'Italie 
d'au  delà  du  Garigliano  ne  se  voyait  pas  de  la  Sicile, 
parce  que  le  royaume  de  Naples  la  cachait,  parce  que 
le  menu  peuple  en  ignorait  jusqu'au  nom,  parce  que 
les  hommes  cultivés,  qui  le  trouvaient  dans  les  livres 
ne  pouvaient  pas  ressentir  d'affection  pour  des  frères 
dont  ils  ne  connaissaient  ni  la  face,  ni  le  son  de  la 
voix,  dont  ils  n'espéraient  rien,  avec  lesquels  ils  ne 
croyaient  jamais  pouvoir  coopérer  à  une  même  entre- 
prise ;  pour  des  frères  dont,  si  l'un  arrivait  en  Sicile 
pour  visiter  le  temple  de  Ségeste  ou  gravir  l'Etna,  il 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  lOl 

serait  Irailé  (rélraiigcrcoinnu'  les  t^cns  des  antres  pays, 
à  moins  (ju'il  ne  tïil  né  à  Naj)les,  an(|nel  cas  il  ne 
paraîtrait  pas  cii«^ne  de  ce  nom  honoriliqne  '.  v 

Le  dan^ei'  de  l'idée  fixe  lut  eonjnré  par  des  occnjia- 
tions  ré<j;nlières  d'une  j)arl  et  pai'  la  vie  en  j)lein  air 
d'antie  part  sons  nn  ciel  pnr  avec  nn  climat  tempéré.  Le 
rayon  de  soleil  de  l'amour  échaniVa  aussi  le  cœur  simj)le 
et  tendie,  ouvert  aux  plus  nobles  aspirations,  de  ce 
doux  athlète,  sain  de  coips  et  d'àme,  ardent  et  timide, 
téméraire  et  circonspect,  passionné  et  réservé.  Ses  con- 
fidences à  rarchéologne  Salinas  n'ont  voulu  compro- 
mettre que  lui-même.  Il  lui  })arle  d'un  amour  malheu- 
reux -  qui  l'aurait  ramené  dans  la  voie  des  études, 
regrette  son  ancien  manque  de  chasteté,  vertu  si  néces- 
saire aux  hommes  studieux,  et  met  certainement  (juel- 
que  exagération  dans  le  rappel  lointain  <les  passions 
politiques  et  erotiques  dans  lesquelles  il  aurait  consumé 
sa  jeunesse-^.  Je  ne  crois  pas  à  ces  tempêtes  incompa- 
tibles avec  le  caractère  et  l'existence  d'Amari.  Sa  ma- 
nière de  laiie  la  cour  aux  femmes  qui  ont  touché  son 
cœur  se  révèle  bien  plutôt  dans  cette  tiaduclion  en 
vers  italiens  de  Marmion,  i)oème  anglais  en  six  chants 
par  \Valter  Scott,  qu'il  lit  imprimer  à  Palerme  en  1832 
en  deux  élégants  volumes  pour  complaire  à  une  jeune 
fdle  noble  et  qui  lui  valut  les  félicitations  du  célèbre 
romancier,  a  n'osant  pas  lui  souhaiter  la  popularité 
qu'il  a  eu  lui  la  bonne  fortune  de  conquérir  »  *. 

'  Aniari,  Prefazionc  air  cdiz.  /ioreiiiiiia  del  Vcs/)ro  (ISôl), 
p.  XXV,  d'après  A.  D'Ancona  dans  le  Carteygio,  II,  p.  373-374  ;  cf. 
ïomniasini.  Scritli,  j).  275-27(». 

'  «  hinocent  et  niallieiireux  »,  dit  Amari  dans  ses  Appiinti 
autohiogru/ici  ;  cf.  Tomniasini,  Sciilti,  p.  284. 

3  Carteggio,  II,  p.  247;  cf.  p.  299. 

'»  Ibid.,  i,  p.  1-2. 


102  Opuscules  d'un  arabisant 


Michèle  Amari  avait  vingt-six  ans.  Il  avait  beaucoup 
lu,  médité  plus  encore,  et  s'était  mis  au  courant  de  la 
littérature  anglaise,  ancienne  et  moderne,  comme  des 
littératures  latine  et  italienne.  Mais  tout  à  coup  il  cesse 
de  composer  et  de  traduire  des  vers.  L'histoire  locale 
l'attire  et  la  politique  le  guette.  Il  s'est  abstenu  de  toute 
participation  active  aux  troubles  de  1831  provoqués  par 
la  révolution  française  de  1830,  et  s'est  contenté  d'in- 
tervenir en  faveur  des  plus  menacés  entre  ses  compa- 
triotes, dont  il  partageait  les  espérances  sans  admettre 
avec  eux  l'opportunité  du  mouvement.  Dès  1833,  il  a 
été  nommé  associé  de  l'Académie  d'Acireale,  ce  site 
maritime  délicieux  où  la  légende  a  placé  les  amours 
d'Acis  et  de  Galathée.  Ce  n'est  ni  de  Galathée,  ni  d'au- 
cune nymphe  qu' Amari  est  maintenant  épris.  La  Sicile 
s'est  de  nouveau  emparée  de  lui  et  il  s'est  consacré 
exclusivement  à  l'étude  de  son  passé  pour  assurer  son 
relèvement  dans  l'avenir.  Giuseppe  Del  Re  avait  publié 
à  Naples  en  1830  une  Description  topographique,  phy- 
sique, économique  ^politique  des  vrais  maîtres  de  ce  côté- 
ci  du  Faro  dans  le  roycuime  des  Deux-Siciles,  dans  la- 
laquelle  il  faisait  remonter  à  Roger  II,  grand-comte  de 
Sicile,  roi  des  Fouilles,  de  Calabre  et  de  Sicile  en  1130, 
les  droits  historiques  et  imprescriptibles  des  Bourbons 
sur  la  Sicile.  Amari  réfuta  cette  opinion  erronée  dans 
des  Observations  d'autant  plus  convaincantes  qu'elles 
étaient  appuyées  sur  la  critique  impartiale  de  docu- 
ments authentiques.  L'Académie  des  sciences  de  Pa- 
lerme,  qui  venait  d'élire  Amari,  publia  le  mémoire  en 
1833  dans  son  recueil  intitulé  :  Ephémérides  scientifi- 
ques et  littéraires  pour  la  Sicile. 

Amari  s'absorbait  dans  un  labeur  incessant  :  il  faisait 
réimprimer  avec  deux  de  ses  collègues  du  Ministère  et 


Notice  sni'  Michèle  Aiiiaci  ir>3 

augmentait  d'une  préface  et  cVadditions'  «  Un  ehoix  de 
quelques  mots  très  usités  (jui  ne  sont  pas  dans  les  voca- 
bulaires italiens  »:  il  s'occupait  surtout  à  compulser  les 
archives  et  les  livres  j)()ur  rédi<^er,  connne  suite  à  ses 
Observations,  une  monographie  des  Vêpres  siciliennes^. 
Mais  voici  que,  pendant  l'été  de  1837,  le  choléra,  im- 
porté de  Naples,  s'abattit  sur  la  Sicile  avec  une  telle 
violence  que  les  victimes  du  lléau  déi)assèrent  à  I^a- 
lerme  seule  trente  mille.  Amari  sacrifia  au  bien  |)ul)lic 
ses  recherches  et  ses  travaux  personnels  :  il  se  multiplia 
pour  calmer  la  terreur  panique  des  habitants  affolés, 
crédules  et  défiants,  superstitieux  et  accusateurs,  les 
uns  avant  rabnéijation  de  soigner  les  malades,  les 
autres  la  lâcheté  de  les  abandonner  à  leur  malheureux 
sort.  Les  premiers  cas  furent  constatés  dans  la  nuit  du 
6  au  7  juin.  Amari  écrivait  le  27''  :  «  Etant  presque  seul 
au  Ministère  à  diri^^er  les  mesures  imposées  par  l'état 
sanitaire,  je  suis  très  fatigué  et  j'envoie  un  déluge  de 

'  Païenne,  hS;}.").  Le  titre  italien  complet,  donné  par  D'Ancona 
d'après  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  390,  est  Elenco  di  (tienne 
parole  oggidi  frcqnenlemente  in  nsOj  le  quali  non  sono  ne'  voca- 
bulari  iUdiani  eon  la  eorrispondenza  di  (jnelle  elle  vi  sono  am- 
messe.  La  première  édition  (Milan,  1812),  que  les  trois  jeunes 
Palermitains  déclaraient  anonyme,  a  été  restituée  par  M.  D'An- 
cona  à  son  auteur,  G.  Bernardoni  ;  celui  ci  avait  voulu  com- 
battre l'invasion  des  gallicismes  dans  l'italien,  conséquence 
de  l'invasion  et  de  la  domination  françaises  en  Italie. 

-  Le  plan  d'une  étude  approfondie  sur  la  constitution  sicilienne 
de  1812  avait  été  précédemment  conçu,  réalisé  en  partie  par 
l'assemblage  des  matériaux,  abandonné  après  \\n  |)remier  brouil- 
lon, avant  la  mise  en  œuvre  déllnitive.  Ces  coi)eaux  provenant 
de  l'atelier,  pour  emprunter  le  langage  de  Max  Midler,  ont  été 
ramassés  plus  tard  et  utilisés  dans  les  pamphlets  rédigés  par 
Amari  à  Paris,  en  français,  sous  les  titres  de  :  1"  Qnehjues  obser- 
vations sur  le  droit  publie  de  la  Sieile  (Paris,  9  février  1848,  22  pa- 
ges) ;  2»  La  Sieile  et  les  Bourbons  (Paris,  janvier  1849,  hJ8  pages), 
avec  un  Post-scriptum   Paris,  29  mars  1849,  3U  pages). 

^  Amari,  Appuuti  aulobiografici,  dansTommasini,  Scritti,  p.  292. 


104  Opuscules  d'un  arabisant 

dépêches  qui  ne  disent  rien  et  qui  contiennent  rare- 
ment quelque  mesure  de  précaution,  quelque  remède 
énergique  et  efficace,  mais  toujours  des  paroles  et  des 
sornettes...  Le  choléra^  je  ne  le  crains  pas,  parce  que 
je  suis  solidement  bâti  et  que  je  n'ai  aucune  raison 
d'aimer  une  vie  sans  amour,  sans  gloire,  sans  divertis- 
sements, mais  non  sans  amertumes  et  sans  désagré- 
ments. L'émeute,  je  la  crains  encore  moins,  mais  l'un 
et  l'autre  m'afffigent  pour  mon  infortuné  pays  et  pour 
mes  amis  les  plus  chers. . .  Et,  à  vivre  dans  une  ville 
si  triste  et  si  exposée,  je  suis  naturellement  plein  de 
tristesse  et  d'ennui.  » 

Lorsque  le  choléra  bourbonien  cessa  d'être  déchaîné 
contre  Palerme  et  la  Sicile,  Amari  espéra  que  le  gou- 
vernement bourbonien  récompenserait  par  un  avance- 
ment mérité  le  zèle  qu'il  avait  déployé,  tandis  que  ses 
supérieurs  se  dérobaient.  Ses  actes  d'héroïsme  furent 
considérés  par  eux  comme  des  reproches  à  leur  adresse 
et  on  n'eut  garde  de  les  lui  pardonner.  Il  avait  servi  le 
pays  et  non  le  gouvernement  qui  ne  lui  était  redevable 
d'aucune  récompense.  Afin  d'éviter  les  protestations  de 
l'affection  et  de  l'admiration  populaires,  on  leur  enleva 
l'homme  qu'elles  acclamaient  et  on  le  comprit  dans  un 
chassé-croisé  entre  les  fonctionnaires  napolitains  et  si- 
ciliens. Le  9  mars  1838  fut  décrété  son  transfert  à 
Naples  et  le  9  juillet  son  attribution  au  bureau  des  af- 
faires civiles  près  le  Ministère  de  grâce  et  de  justice. 
«La  force  de  l'iniquité,  écrivait-il  de  Naples  le  12juini, 
m'a  arraché  à  ma  Palerme,  à  mes  parents  besogneux 
et  caducs  -,  à  mes  sœurs,  à  mes  frères,  à  mes  amis,  à  ce 

*  Carteggio,  I,  p.  29. 

"^  Ferdinando  Amari  avait  obtenu  en  février  1832  une  commu- 
tation de  sa  peine  en  deux  années  d'internement  dans  la  forte- 
resse de  Palerme.  La  grâce  royale  lui  fit    encore  remise  des 


Notice  sur  Michèle  Amari  1  Oô 

((u'on  a  (le  j)liis  cher  cl  de  phis  sjicrc'  iiii  inoiuk'  cl  j'ai 
dû,  pressé  et  contraiiil,  me  |)ré|)arer  à  changer  contre 
un  autre  séjour  le  sourire  de  ma  patrie,  hi  l'écondité 
malheureuse  de  hi  terre  où  je  suis  né,  les  tomhes  des 
miens,  les  commémorations  des  gloires  (hi  pavs,  la  vi- 
vacité des  visa«^es  de  mes  coneih)yens,  le  son  a«^réal)le 
de  l'idiome  ([ui  a  été  le  père  de  Tilalien,  cl  (jui  éveille 
mille  et  mille  souvenirs  très  chers  à  (jui  Ta  parlé  dans 
ses  jeunes  années  et  l'a  entendu  des  houches  de  ceux 
qu'il  a  le  plus  aimés,  l^^xilé,  sans  autre  péché  (jue 
d'aimer  mon  pays,  puni  au  moment  où  j'espérais  la  ré- 
munération des  sueurs  répandues,  des  riscpies  encou- 
rus, des  mérites  reconnus,  lorscpie  j'allendais  la  réali- 
sation d'amhilions  légitimes,  je  me  vois  maintenant 
dans  le  malheur  et  dans  la  désolation  :  l'espérance 
même,  que  jeune  et  fort,  j'avais  caressée,  s'assom- 
brit. ») 

Dans  l'exil  naj)olitain,  Amari  écrivit  d'abord  son  Ca- 
téchisme sicilien  anonyme,  j)ar  questions  et  par  répon- 
ses, (pii  ne  tarda  pas  à  circuler  dans  toute  l'ile,  écrit 
de  propagande  destiné  à  y  ranimer  la  loi  dans  un 
meilleur  avenir  '.  Puis  il  se  remit  à  ses  Vêpres  :  il  avait 
apporté  de  Palerme  plusieurs  chapitres  ébauchés  qu'il 
parht  à  Naples,  pourvu  des  trésors  mis  à  sa  disposition 
aux  Archives  de  l'Etat-.  Les  recherches  terminées, 
Amari,  à  force  de  démarches  et  de  supplications,  obtint^ 

deux  derniers  mois.  Il  mourut  en  1850.  J'emprunte  ces  détails 
au  (Airtcf/gio,  II,  p.  370,  note  13.  Je  ne  sais  pas  comment  M.  A. 
D'Ancona  concilie  remprisonnement  en  février  1832  avec  la  libé- 
ration signée  le  5  juillet  1834.  L'intervalle  entre  ces  deux  dates 
est  plus  long  que  les  vingt-deux  mois  assignés  à  iD  réclusion. 

'  Carteygio,  I,  p.  77. 

*  Ce  fut  un  privilège,  car  les  Archives  n'étaient  pas  ouvertes 
librement  aux  érudits  ;  cf.  Amari,  Sluria  dci  Musulmani  di  Sici- 
lia,  I,  p.  xxxn. 


106  Opuscules  d'un  arabisant 


le  22  septembre  1840,  sa  réintégration  à  Palerme  avec 
le  titre  de  «  fonctionnaire  de  première  classe  au  Minis- 
tère et  à  la  Secrétairerie  d'Etat  près  le  Lieutenant  gé- 
néral de  Sa  Majesté  dans  les  territoires  au  delà  du 
Faro  ».  Ses  appointements  mensuels,  qui  avaient  été 
précédemment  de  35  ducats,  furent  portés  à  45,  soit 
500  francs  environ. 

C'était  mieux  qu'il  n'avait  soubaité,  lui  qui  ne  deman- 
dait que  «  le  bonbeur  de  la  grenouille  qui  se  nourrit 
d'eau  et  de  limon,  mais  qui  cbante  à  son  gré  ».  Mais, 
pour  jouir  tranquillement  des  faveurs  qu'Amari  obte- 
nait enfin  comme  une  réparation  tardive,  il  aurait  dû 
arrêter  des  travaux  commencés,  enfouir  ses  documents, 
renoncer  à  ses  revendications,  garder  par  devers  soi 
dans  Tombre  l'œuvre  qu'il  avait  polie  avec  amour  pour 
la  faire  briller  en  pleine  lumière,  renoncer  à  la  per- 
spective d'améliorer  le  présent  de  la  Sicile  par  la  con- 
naissance de  son  passé,  aliéner  sa  liberté,  vendre  son 
servage  et  abdiquer  les  droits  de  sa  conscience.  Ce 
n'est  pas  un  Michèle  x\mariqui  eût  jamais  souscrit  à  un 
tel  accommodement.  Son  àmeaété  encore  émue  parle 
spectacle  que  lui  offre  Palerme  après  une  absenced'un 
an  et  demi  à  peine  ^  :  «  La  ville  dépeuplée,  les  indus- 
tries languissantes,  sur  de  nombreux  visages  la  faim, 
sur  tous  le  dédain  des  injustices  subies  et  le  souci  de 
celles  qui  vont  s'appesantir,  ma  mère  vieillie  de  dix 
ans  dans  un  si  court  espace  de  temps  ;  ma  famille  dans 
une  situation  que  je  n'ose  pas  décrire.  »  Le  sacrifice 
s'accomplira,  quelles  qu'en  soient  les  conséquences 
matérielles,  et  la  première  édition  des  Vêpres  sort  en 
mai  1842  de  la  typographie  Empédocle,  avec  le  titre 
anodin   de    Une   période   des   histoires   siciliennes    du 

*  Carteggio,  I,  p.  36. 


Notice  sur  Aïiclicle  Aiiiari  107 

xiif  siècle.  L'aiilciir,  en  ini|)iiiiKml  son  livre,  y  a  liii- 
nicnic  aUciuié  (jiiol(|Ucs  c\j)rc'ssi()ns  Irop  hardies,  mais 
le  censeur,  le  ehaiioine  Hossi,  a  donné  soiî  pUirvl  sans 
réclamer  la  suppression  d'une  virgule  '. 

A  l'ori^^inc,  Amaii  avait  voulu  écrire  un  roman  his- 
toriciue  à  la  manière  el  peul-élie  sous  rintluence  du 
Cimi  Mars  on  une  coujuvatiou  sous  Louis  A7//,  d'AHred 
deVi^ny.  La  venue  d'Alexandre  Dumas  a  Palerme  en 
1835  -  et  les  entretiens  cju'il  y  eut  avec  Amari  ont  pu 
ne  pas  être  étrangers  à  celle  conception.  Mais  Amari, 
lorsque,  et  avec  une  patience  de  bénédictin  »,  il  lut 
parvenu  à  dominer  son  sujet,  prit  le  parti  de  n'y  intro- 
duire aucun  élément  ficlifet  de  le  tiailer  <»ravemenlen 
historien.  11  ne  lui  suilisait  pas  d'écrire  un  Irsfo  di 
liiujua,  il  arriva  à  la  conviction  et  tint  à  la  i)()rter  dans 
les  esprits  que  le  soulèvement  des  populations  sicilien- 
nes contre  la  domination  de  Charles  d'Anjou,  frère  de 
Saint  Louis,  (pie  le  massacre  des  chevaliers  Francs  le 
deuxièmejour  de  Fàques  au  premier  coup  de  vêpres  le 
30  mars  1282,  ne  lurent  i)as  les  conséquences  d'une 
conspiration  ourdie  par  Giovanni  da  Procida,  médecin 
et  gentilhomme  de  Salerne,  avec  la  complicité  de  trois 
potentats,  mais  qu'ils  résultèrent  du  mécontentement 
universel,  donnant  le  branle  à  un  mouvement  «^  subit, 
uniforme,  irrésistible,  désiré  mais  non  tramé,  résolu 
et  exécuté  en  un  clin  d'œil  »  ^.  La  révolte  contre  la 
tyrannie  el  les  ignominies  des  con{[uérants  n'avait  pas 
été  l'œuvre  d'un  homme,  mais  d'un  peuple  en  fureur, 
brisant  ses  ters,  vengeant  son  esclavage  ])ar  l'extermi- 
nation de  ses  oppresseurs  étrangers,  versant  le  sang 
plutôt  que  de  subir  plus  longtemps  le  déshonneur. 

*  Car  te  g  g  io,  I,  p.  44. 

•^  Ibid.,  I  p.  16  et  II,  p.  178  et  380. 

^  Amari,  Vespro,  ibid..  Il,  p.  334. 


108  Opuscules  d'un  arabisant 

Pour  compléter  sa  démonstration,  Amari  poursuit  le 
récit  des  péripéties  brusques  et  sanglantes  qui  suivi- 
rent les  Vêpres  jusqu'à  ce  qu'en  1302  le  traité  de  paix, 
signé  à  Caltabellota,  ait  assuré  l'indépendance  de  la 
Sicile.  Le  savant  est  en  même  temps  un  écrivain  et  un 
évocateur  qui  frissonne  et  qui  fait  frissonner.  «  Aucun 
sujet,  dit  Amari',  ne  répondait  mieux  à  mes  inten- 
tions. Cinq  siècles  et  demi  d'antiquité  à  opposer  à  la 
censure;  une  révolution...  terrible,  victorieuse,  grâce 
à  laquelle  s'étaient  dissipées  les  haines  municipales 
qui  déchiraient  la  Sicile  vers  1282  et  qui  se  turent 
alors  pour  être  déchaînées  ensuite  de  nouveau  jus- 
qu'au delà  de  1820.  La  conscience  ou  la  vanité  me 
dirent  que  le  livre  pouvait  servir  la  chose  publique  et 
j'affrontai  en  connaissance  de  cause  le  danger  que  je 
vovais  clairement.  Telle  est  la  somme  de  mes  ruses.  » 

Les  allusions  à  la  situation  de  la  Sicile  en  1842 
étaient  transparentes.  On  souleva  les  masques  sous 
lesquels  étaient  cachés  les  contemporains  et  des  clefs 
coururent,  dont  l'exactitude  ne  laissait  subsister  aucun 
doute.  L'édition  de  mille  exemplaires  fut  vite  épuisée  ; 
Messine  en  acheta  plus  que  Palerme.  Le  succès  d'un 
tel  livre,  c'était  le  gain  d'une  bataille.  Le  gouverne- 
ment de  Naples  s'en  émut  comme  d'une  défaite  et 
interdit  la  réimpression  projetée-.  Le  censeur  com- 
plaisant fut  destitué,  ainsi  que  d'autres  victimes  de  ce 
succès  littéraire  qui  était  gros  d'émeutes.  Amari  fut 
destitué  de  ses  fonctions  et  appelé  à  Naples  le  20  oc- 
tobre pour  se  justifier.  Ses  amis  lui  conseillèrent  de  ne 
pas  se  rendre  à  un  appel  qui  était  la  prétace  d'un 
procès,  ou  encore  du  cachot,  peut-être  du  bagne  sans 

^  Id.,  Préface  de  l'édition  de  Florence  (1851j,  dans  Tommasini, 
Scritti,  p.  290. 

2  Carteggio,  I,  p.  62. 


X<>titM»  sur  Michèle  Ainari  lOÎ) 

procès.  Son  pèic  lui  avait  sans  doulc  (lci)cinl  souvent 
ses  s()nil)rcs  années  de  caplivitc.  Sa  nicre  était  moite 
le  .")  février  1  (S  12  et  il  s'était  senti  seul  dans  sa  maison, 
seul  au  monde'.  Lue  luite  |)!vcipitée,  hahik'inent  con- 
certée et  dissimulée,  valait  mieux  (pTun  suj)|)lice  iiui- 
tile(pii  aurait  privé  la  Sicile  d'une  télé,  d'un  bras  et 
d'une  âme-,  (l'est  sur  la  l-'iance  et  sur  Paris  (|u'Amari 
jeta  son  dévolu. 

L'accusé,  i)en(lant  cpie  les  ^endainies  le  recherchaient, 
s'end)arcpiait  furtivement  le  27)  ou  le  2G  octobre  sur  une 
tartane  française  en  destination  de  Mai'seille,  avec  un 
passeport  que  le  consul  de  France  à  Palerme  lui  avait 
délivré  au  nom  d'Alexandre  l)u|){)nt,  négociant.  Il 
n'arriva  i)as  à  destination  sans  encombre.  Le  bateau  à 
voiles,  apiés  avoir  (piitté  le  j)ort  de  l^alerme,  y  rentra 
bientôt  après,  rapportant  le  précieux  dépôt  (jui  lui 
avait  été  confié.  Le  pauvre  Amari  aurait  couru  un 
danger  sérieux  s'il  n'eût  été  caché  dans  un  grenier 
situé  à  l'écart,  où  il  resta  pendant  ([uinze  jours,  souf- 
frant de  la  faim,  de  la  diète,  de  la  mélancolie,  roulant 
dans  son  esprit  les  pensées  de  Machiavel  et  de  Ben- 
jamin Constant.  Il  fut  ensuite  transbordé  sur  un  autre 
bateau  français  qui  mit  à  la  voile  le  1 1  novend)re  au 
soir  pour  la  France -^  Le  4  décembre,  le  proscrit  dé- 
barqua à  Toulon*  et  de  là  gagna  Marseille  et  Paris. 

^  Carteggio,  I,  p.  43-44. 

'  «Tète  belle,  droite  et  robuste,  àiiie  très  <fénéreiisc  »,  dit 
Pielro  Giordani  en  parlant  d'Aniari  dans  une  lettre  du  9  no- 
vembre 1842;  cf.  le  (Àirlcggio,  1,  p.  ()2. 

^  Amari,  Appiiuti  aiilobiogra/ici,  dans  Tommasini,  Scritli,  p.  300, 

♦  Carteggio,  I,  p.  63. 


110  Opuscules  d'un  arabisant 


CHAPITRE  DEUXIEME 

AMARI  DEVENU  ARABISANT  A  PARIS  POUR  ÉCRIRE  l'hISTOIRE 
DE  LA  SICILE  MUSULMANE.  —  SON  MINISTÈRE  DES  FINANCES 
DANS  LE  GOUVERNEMENT  RÉVOLUTIONNAIRE  SICILIEN  DE 
1848.  —  DEUXIÈME  SÉJOUR  A  PARIS  DANS  LE  POSTE 
DE  COMMISSAIRE  SPÉCIAL  PRÈS  LA  RÉPUBLIQUE  FRAN- 
ÇAISE. —  RETOUR  A  PALERME,  BIENTOT  SUIVI  d'uN  TROI- 
SIÈME EXIL  A  PARIS  EN  MAI   1849. 

Paris  était  enseveli  sous  une  couche  épaisse  de  neige 
lorsque  la  malle-poste  y  déposa  l'exilé.  Sa  réputation 
d'écrivain  l'y  avait  précédé,  et  quelques  exemplaires 
des  Vêpres  siciliennes  étaient  parvenus  à  ceux  de  ses 
compatriotes,  qui  étaient  ses  frères  parles  idées  et  par 
les  espérances.  Les  deux  foyers  des  revendications 
siciliennes  étaient  Londres  et  Paris.  Selon  les  tempé- 
raments, les  goûts  et  les  affinités,  on  s'échauffait  et  on 
se  réchauffait  à  l'un  ou  à  l'autre,  souvent  à  l'un  et  à 
l'autre.  Il  s'était  établi  un  va-et-vient  continuel  à  tra- 
vers le  détroit,  et  il  semble  que  les  difficultés  des 
voyages  en  faisaient  valoir  les  attraits  à  une  époque  où 
ils  étaient  réservés  à  un  petit  nombre  de  privilégiés. 

Ce  ne  fut  pas  sans  avoir  un  serrement  de  cœur 
qu'Amari  vit  s'ouvrir  l'année  1843  sur  la  mansarde 
étroite,  sans  air  et  sans  feu,  où  le  reléguait  la  misère 
dans  la  grande  ville,  «  la  patrie  incontestable  de  tous 
les  persécutés  ^  ».  Cette  «  patrie  »  nouvelle  ne  s'était 
pas  présentée  tout  d'abord  à   Michèle  Amari   sous  sa 

^  Massimo  D'Azeglio,  dans  le  Carteggio,  1,  p.  96. 


Notice  sur  Miclielo  Ainari  111 

parure*  de  clianne  j)cnélranl  cjiii  liiiit  piw  insj)iri'r  un 
amour  spécial  à  ses  cnlanls  cl'adoijliou .  Le  temps 
n'avait  pas  lardé  à  redevenir  «  très  doux  et,  certains 
jours  peut-être,  à  la  température  de  Païenne  '  ». 
Mal^fié  la  noslal«^ûe  initiale,  Amari  ne  tarda  pas  à  s'ac- 
climater dans  ce  milieu  sympatliicpie,  où  les  h'rançais 
de  marque  lui  firent  une  réception  aussi  cordiale  que 
ses  compagnons  de  bannissement.  C.es  trans|)lantés 
comme  lui,  c'étaient  le  comte  Pellegrino  Uossi,  (iia- 
cinto  Clarini,  Terenzio  Mamiani,  le  baron  di  Friddani, 
les  deux  l\'pe,  Guglielmo  et  Ciiuseppe,  Filippo  (^anuti, 
Cesare  Airoldi,  le  marcjuis  Arconati  Visconti,  sans 
compter  les  lemmes  j)atriotes  et  aimables,  la  princesse 
di  lielgiojoso,  une  liéroïne  de  roman-,  et  la  marquise 
Arconati  Visconti,  une  correspondante  délicieuse  et 
attentive-*,  sans  compter  les  comparses  des  deux  sexes 
empressés  à  saluer  la  venue  et  à  recliercber  la  con- 
naissance d'im  liomme  jeune  encore  et  déjà  célèbre  K 
Guglielmo  Libri  seul,  après  s'être  montré  alTable,  cour- 
tois et  même  généreux  de  promesses,  avait  cbangé 
d'attitude  à  l'égard  d  Amari.  Celui-ci  s'en  étonne  naï- 
vement dans  une  lettre  à  Antonio  Panizzi  '  :  «  Je  sais 
bien  ({ue,  si  l'on  ne  me  connait  pas  personnellement, 
on  peut  émettre   une  opinion  délavorable  sur  ce  que 

'  Lettre  d'Amari,  du  19  janvier  1843,  ilana  le  Carteggio,],  p.  84. 

-  Sous  ce  titre  :  Une  princesse  italienne  à  Paris.  (Christine  Tri- 
milzio  BeUjiojosOy  Mademoiselle  Dora  Melegari  a  lincmenl  ana- 
lysé dans  le  Temps  du  1^^^'  août  1902  le  livre  de  Halliiello  Jiarbiera: 
La  principessa  di  Belgiojoso.  I  siioi  amici  e  nemici.  Il  suo  tempo. 
Sur  la  princesse,  voir  Amari  dans  le  (kirteggio,  I,  p.  81  et  537; 
D'Ancona,  ibid.,  I,  p.  81-82. 

^  Cinq  lettres  de  Costanza  Arconati  ont  été  insérées  ibid.^  I, 
p.  100,  151,  200,  202,  225. 

•  Voir  l'impression  qu'Amari  fil  sur  Giuseppe  Arcangeli,  ibid., 
II,  p.  380. 

^  Ibid.,  I,  p.  118. 


112  Opuscules  d'un  arabisant 


j'ai  écrit  et  se  montrer  mal  disposé  envers  moi.  Mais, 
une  fois  la  connaissance  ébauchée,  un  galant  homme 
(le  cas  serait  dilTérent  avec  une  femme,  plus  ditférent 
encore  avec  un  coquin),  un  galant  homme,  dis-je,  ne 
peut  qu'acquérir  de  l'amitié  pour  moi,  car  je  suis  cer- 
tainement un  honnête  homme.  »  Mais  c'est  précisé- 
ment ce  que  n'était  pas  Guglielmo  Libri,  pas  plus  qu'il 
n'était  un  galant  homme  ! 

Les    Français    qui    accueillirent    de    prime    abord 
l'étranger  n'étaient  pas   moindres  que   Thiers,   Yille- 
main,   Guizot,    Michelet,    Edgar    Quinet,   Augustin  et 
Amédée  Thierry,  Longpérier,  le  duc  de  Luynes,  Char- 
les Lenormant,  Hase,  Reinaud,  Buchon,  l'éditeur  du 
Panthéon  litiéraire,  Alexandre  Dumas  que,  nous  l'avons 
vu,  il  avait  déjà  connu  et  goûté  en  Italie.  Le  cours  de 
Michelet  au  Collège  de  France  n'avait  pas  d'auditeur 
plus  passionné  que  ce  jeune  historien,  plein  d'enthou- 
siasme pour  les  nationalités  mortes   dont  le   maître 
annonçait   en  prophète   la  résurrection  prochaine.  Il 
prenait  pour  la  Sicile  les  appels  chaleureux  que  son 
professeur  lançait  en  faveur  de  la  Pologne.   Mais  le 
dîner  que  lui  offrit  Thiers,  la  soirée  chez  le  ministre 
Villemain,  les  invitations  des  Thierry  et  de  la  colonie 
italienne,  l'assiduité  au  cours  de  Michelet,  les  succès 
de  bon  aloi  dans  les  salons  n'empêchaient  pas  Amari 
d'être  sans  ressources,  d'avoir  faim  et  froid,  d'aspirer 
à  ces  amitiés  intimes,  «qu'on  ne  prend  pas  et  qu'on  ne 
quitte  pas  comme  un  vêtement^  ».  Il  rencontra  heureu- 
sement, pour  le  tirer  d'affaire  en  attendant  une  meil- 
leure aubaine,  les  deux  frères  Baudry,  qui,  devançant 
leurs  temps,  avaient  fondé  une  «librairie  européenne  », 
destinée   à  répandre  en  France  la  connaissance  des 

*  Lettre  d'Amari,  du  22  février  1843,  dans  le  CarlegyiOy  I,  p.  86. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  ri:j 

langues  et  des  littératures  étranf^ères.  Les  Vè})res  sicilien- 
nes, arborant  cette  fois  leur  vrai  titre  devant  l'ancien, 
dans  une  réédition  (|ui  ne  serait  pas  une  simple  réim- 
pression, étaient  appelées  à  prendre  |)lace,  dés  le  mois 
d'avril  1813,  dans  leur  C<ollection  des  meilleurs  au- 
teurs italiens '.  Le  traité,  si<fné  le  t  mars,  stipulait  une 
somme  de  1,000  francs  attribuée  à  l'auteui .  L'année  ne 
se  passa  pas  sans  qu'une  contrefaçon  éhontée,  tour- 
nant le  livre  à  l'exaltation  de  la  cour  de  Home,  parût 
à  la  librairie  reli«^ieuse  de  Debécourt,  sous  le  litre  de  : 
I.es  Vêpres  siciliennes  ou  Ilisloire  de  l Italie  (ni  wiV siècle , 
par  IL  Possien  et  J.  (Jiantrel.  «Je  déclare  hautement, 
écrit  Amarià  latin  de  septembre -,  que,  sur  les  160  pages 
de  ce  livre,  390  ne  sont  qu'une  traduction  du  mien, 
très  littérale  ordinairement,  ((uelquelois  un  j)eu  libre, 
jamais  sans  erreurs.»  Amari  se  consola  de  ce  «pil- 
lage )'  par  la  vogue  de  sa  nouvelle  rédaction  que,  par 
une  revision  méticuleuse  du  style,  il  avait  réussi,  sans 
rien  changer  au  fond,  à  rendre  de  langue  moins  exclu- 
sivement sicilienne  et  plus  véritablement  italienne  '. 
L'exemple  des  frères  Baudry  ne  trouva  pas  d'imita- 


'  (loUezione  de'  iniffliori  aiitori  ilaliani  anticlii  o  mode r ni,  vol. 
XXXIX  et  XL,  contenant  Micliele  Amari,  La  yuerrii  del  Vesj)ro 
siciliano,  o  un  periodo  délie  islorie  siciliatie  del  seeolo  xni  ;  se- 
conda edizione  accrescinta  e  corretta  dall'  aiitore  e  corredata 
di  nuovi  docunienti,  I,  vni-3-18  p.;  II,  372  p.  La  préface  porte  à 
la  lin  :  <'  Parigi.  Aprile  1S43.  » 

-  (Aiiieggio,  I,  p.  127,  note  1. 

'  Amari,  en  parlant  de  cette  revision  littéraire,  se  demande 
s'il  est  parvenu  à  la  forme  qui,  à  lui-même,  lui  i)araitrait  la 
meilleure  (édition  de  Paris,  I,  p.  1).  Les  changements  apportés 
au  style  de  l'ouvrage  ont  obtenu,  malgré  les  défiances  de  l'au- 
teur, l'approbation  sans  réserve  d'un  Alessandro  Manzoni 
{Carteggio,  1,  p.  1.V2).  L'édition  deuxième  de  Paris  fut  reproduite 
sans  changement  dans  une  réimpression  clandestine  et  non  au- 
torisée par  l'auteur,  comme  3'^^  édition,  à  Lugano,  en  1844. 

8 


114  Opuscules  d'un  arabisant 


teurs  parmi  les  éditeurs  parisiens,  «  qui  n'achètent  que 
des  drames  ou  des  romans  '  ».  Quel  remède  apporter 
à  la  détresse  d'Amari,  puisque  les  circonstances  le  con- 
damnaient à  se  passer  des  relations  avec  les  personnes 
qu'il  avait  chéries  le  plus  vivement,  des  chasses  avec 
son  chien  Giaour  gardé  et  soigné  à  Palerme,  de  la  vue 
de  son  cher  Mont  Pellegrino,  des  courses  parmi  les 
arbres  et  les  édifices  qui  avaient  réjoui  son  enfance,  du 
contact  avec  ces  fripons  au  parler  et  à  l'accent  siciliens, 
qu'il  s'était  plu  naguère  à  écouter  devisant  sur  la  plage, 
de  la  lutte  avec  ces  paires  d'yeux  noirs  qui  l'avaient  si 
souvent  assailli  aussi  brusquement  que  le  démon  saint 
Antoine  dans  le  désert?  Amari,  exilé  de  son  pays,  se 
décida  à  en  étudier  le  passé  pour  s'y  réfugier  contre  les 
tristesses  présentes.  Il  se  proposa  de  remonter  au  delà 
de  l'époque  normande  jusqu'à  la  période  musulmane 
et  peut-être  jusqu'à  la  domination  byzantine.  Le  30 
mars,  veille  de  l'anniversaire  des  Vêpres  siciliennes,  il 
écrivait  de  Paris  à  Giovani  Notarbartolo  di  Sciarra,  resté 
à  Palerme-  :  «  Je  vais  très  bien.  Mon  pauvre  corps  (coi- 
picciiiolo)  résiste  à  dix  à  douze  heures  d'études  par  jour, 
comme  il  supportait  10  à  12  milles  de  courses  avec  mes 
chiens  sur  le  Mont  Pellegrino...  Je  ne  suis  ni  sourd  à 
quelques  éloges,  ni  indifférent  à  l'espoir  de  mettre  en 
lumière  le  passé  de  notre  malheureux  pays,  en  écri- 
vant son  histoire,  comme  personne  ne  l'a  fait  jus- 
qu'ici. » 

L'originalité  de  la  tentative  que  méditait  Amari  con- 
sistait dans  l'adjonction  des  documents  arabes  et  grecs 
aux  documents  italiens  dont  il  avait  tiré  les  éléments 

*  Lettre  d'Amari,  du  17  juillet  1843,  dans  le  Carfeggio,  I,  p.  110. 

2  Ibid.,  I,  p.  98.  C'est  d'une  combinaison  de  cette  lettre  avec 
d'autres  confidences  au  même  ami  (ibid.,  l,  p.  86)  qu'est  formé 
ce  paragraphe. 


Notice  sur  Michèle  Ainuri  115 

(le  sa  première  monographie.  C'est  pr()l)al)lemenl  l'il- 
lusion d'apprendre  pralitpiemenl  raral)e  (jui  l'avait 
poussé  à  vouloir,  dès  son  arrivée  en  France,  se  taire 
incorporer  dans  la  lésion  étrangère  à  Al<^er.  Le  ^ou- 
vernemenl  lui  aurait  assuré  les  vivres  et  le  coucher, 
même  une  solde,  |)our  insigniliante  ({u'elle  fût,  et  il  se 
serait  instruit  par  la  fréquentation  des  indigènes.  Par 
la  même  occasion,  il  eût  satisfait  son  l(oùI  ]:)our  la 
chasse,  <'  la  maladie  principale  de  sa  vie  ». 

On  le  sauva  de  cette  aventure  par  l'assurance  d'une 
suhvention  réi^ulière  et  par  l'insistance  amicale  de  con- 
seillers Judicieux.  Puis(pie  l'un  des  enfants  de  la  Sicile 
se  préparait  à  s'armer  de  tous  les  moyens,  dont  une 
saine  érudition  dispose,  pour  élucider  les  trois  siè- 
cles où  l'islamisme  y  prévalut,  n'était-ce  pas  un  devoir 
national  d'assurer  à  ce  patriotique  elfort  des  loisirs  stu- 
dieux sans  préoccupation  matérielle,  de  le  soustraire 
au  fléau,  (jui  le  menaçait,  des  leçons  d'italien  au  ca- 
chet '.  Amari  opposa  d'ahord  un  refus  au  projet  de 
souscription  à  son  profit.  On  veut,  dit-il  plaisamment, 
lui  donner  les  moyens  «  d'aller  courir  les  théâtres,  de 
caresser  les  griselles,  de  s'hahiller  en  dameret,  de  dîner 
en  gastronome-  ».  Quelle  ironie  d'orgueilleux  !  Il  capi- 
tulera, en  acceptant,  sous  forme  de  prêt,  l'avance  d'une 
pension  alimentaire,  qui  ne  prévoit  ni  les  spectacles, 
ni  la  luxure,  ni  la  toilette,  ni  les  excès  de  lahle.  On  se 
cotise  })our  suhvenir  sans  i)arcimonie  aux  hesoins  plus 
que  modestes  d'un  ascète  lahorieux  et  de  son  vieux 
père,  impotent  et  aigri,  qui  est  demeuré  en  arrière  à 
Palerme^.  Amari  nous  a  conservé  la  liste  de  ses  hien- 


*  Carteggio,  I,  p.  110. 

-  Lettre  d'Amari  à  Panizzi,  du  10  mars  1883,  ibid.,  I,  p.  89. 

^  Ibid.,  I,  p.  92  et  109. 


116  Opuscules  d'un  arabisant 


faiteiirs.  Mariano  Stabile,  «  par  délicatesse  et  par  gé- 
nérosité »,  ne  lui  a  révélé  leurs  noms  que  lorsque  tous 
deux  furent  exilés  ensemble  à  Paris  en  1850  ^  Amari  a 
ainsi  énuméré  les  souscripteurs  d'après  l'ordre  alpha- 
bétique ^  :  Cesare  Airoldi,  Massimo  D'Azeglio,  la  signe- 
ra Carpi,  le  baron  di  Friddani,  la  famille  Gargallo, 
Giovanni  Merlo,  Domenico  Peranni,  le  marquis  Ruffo, 
le  duc  di  San  Martino,  le  prince  di  Scordia,  le  comte 
de  Syracuse  '\  Mariano  Stabile,  Troysi,  Salvatore  Vigo. 
Cette  association,  que  favorisait  sans  souscrire  ouver- 
tement le  prince  di  Granatelli,  alors  président  de 
l'Académie  palermitaine  des  sciences  et  lettres,  main- 
tint son  action  réconfortante  de  1844  à  1846*,  et,  s'il  y 
eut  quelques  défections  ou  quelques  retards  dans  les 
payements,  les  deux  promoteurs,  le  baron  di  Friddani 
et  Césare  Airoldi,  surent  les  dissimuler  à  leur  ombrageux 

et  fier  ami. 

Celui-ci  s'était  laissé  convaincre  que,  sous  Reinaud 
et  Hase,  il  apprendrait  l'art  d'exploiter  «  l'immense  mine 
des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Royale^»  plus  fruc- 
tueusement que  par  des  séjours  prolongés  dans  les 
pays  musulmans  et  en  Grèce.  En  dehors  de  Reinaud,  il 
eut  la  bonne  tortune  de  fréquenter  deux  arabisants  aussi 
avisés  que  Noël  Des  Vergers  et  le  baron  Mac  Guckin  de 
Slane.  C'était  l'école  de  Silvestre  de  Sacy  dans  ses 
représentants  les  plus  autorisés''.   Bien  que   Reinaud 

1  Carte ggio,  II,  p.  15. 

-  Amari,  Storid  dei  Miisiilmaiii  di  Sîcilia,  I  (1854),  p.  xxxv. 

•^  Le  comte  de  Syracuse,  qui  vivait  à  Paris,  était  le  frère  cadet 
du  roi  Bomba,  de  Ferdinand  II  (voir  plus  haut,  p.  99). 

*  Peut-être  même  jusqu'en  1848,  d'après  Amari,  Solivan  et 
Mota  (Florence,  1851),  p.  viii. 

•^  Préface  de  l'édition  de  Paris  des  Vêpres  siciliennes,  I,  p.  ii. 

^  J'avais  un  remords  d'avoir  omis  Noël  Des  Vergers  parmi  les 
orientalistes  qui  ont  été  formés  par  Silvestre  de  Sacj^  ;  voir  mon 


Notice  siii*  Michèle  Aiiiari  117 

ait  été  lin  j)àlc"  rellcl  du  i^raïul  hoinnie  donl  il  eut  en 
183(S  le  j)éiilk'iix  honneur  de  continuer  les  leçons,  le 
prcsli«^e  de  l'I^cole  de  i^iris  eonliiuie  à  y  iiltirer  disciples 
et  auditeurs.  Les  successeurs  actuels  de  Caussin  de 
Perceval,  de  Defrénierv  et  de  Heinaud  s'apj)li(juent  et 
s'apj)li({uer()nl  à  mériter  ri  a  niaintenii"  le  bénéiice  de 
celle  aiHuence  persistante  cpii  leur  est  échue  par  voie 
d'héritai>e. 

La  méthode  direcle,  (pi'on  essaieaujourd'hui  d'expé- 
rimenter en  h^'ance,  n'y  exerçait  pas  encore  ses  rava- 
ges '.  La  u;rammaiie,  (pi On  traite  en  susj)ecte  et  (pii  se 
détendra.  Je  Tespére,  contre  les  menaces  d'élimination 
ou  de  déchéance,  régentait  maîtres  et  étudiants  sans  se 
heurter  à  aucune  opposition.  Amari  se  mit  à  l'école  à 
trente-six  ans  chez  Reinaud  et  à  trente-huit  chez  Hase, 
chez  «  papa  Hase-  »,  comme  il  api)elle  lamilièrement 
cet  helléniste  de  premier  ordre,  Allemand  éi^aré  à  Pa- 
ris qu'il  a  honoré  par  sa  science,  étonné  par  ses  allu- 
res, désavoué  i)ar  le  le*^s  de  sa  bi])liothéque  à  la  ville 
de  Breslau  ^ 

L'histoire    de    la   Sicile    bvzantine    ne    devant    être 


SHvcslrc  de  Sacij,  édition  du  centenaire  de  l'I^coie  des  langues 
orientales  vivantes  (I^aris,  octobre  KSI).")),  p.  56-59.  J'ai  comblé 
cette  lacune  dans  l'édition  publiée  au  (^aire  en  1901. 

^  Je  n'ai  pas  cliangé  d'opinion  depuis  l'exposé  de  mes  idées, 
que  j'ai  puljlié  dans  L'islainisme  cl  lu  science  des  religions 
(Paris,  lcS9G),  p.  87-93.  Mon  point  de  vue  a  eu  l'honneur  d'être 
adopté  par  un  homme  que  j'admire  et  (jue  j'aime,  D.  Kduardo 
Saavedra,  doyen  de  l'Académie  de  l'Histoire  à  Madrid.  11  a  tra- 
duit en  espagnol  cette  partie  de  mes  conférences  dans  la  ReuisUt 
de  (jeoyra/ia  comercial  (Madrid,  JuIio-.Sctiembre  de  1880),  p. 
96-98. 

-  Carle(j(jio,-\,  p.  179,  lettre  dWmari  du  ">  décembre  1845. 

^Michel  Bvédl,  La  Jeunesse  d\in  eiithousidsle.  La  jeunesse  de 
M.  Flase,  dans  la  Revue  des  deux  mondes  du  15  mars  1883, 
p.  347-367. 


118  Opuscules  d'un  arabisant 

abordée  par  Amari  que  par  régression  après  achève- 
ment de  ses  travaux  sur  la  domination  musulmane, 
il  commença  par  concentrer  son  activité  sur  la  culture 
intensive  du  champ  de  l'arabe.  Avant  son  départ  de 
la  Sicile,  il  lui  était  tombé  entre  les  mains  un  volume, 
qui  éveilla  d'abord  sa  jalousie,  comme  une  incur- 
sion étrangère  sur  le  terrain  de  son  choix.  M.  Noël 
Des  Vergers  avait  eu  l'audace  de  publier  et  de  traduire 
les  passages  relatifs  à  la  Sicile  de  l'Histoire  univer- 
selle, intulée  :  Les  exemples  (Al-'Ibar),  compilée  au 
xivû  siècle  de  notre  ère  par  le  Tunisien  Ibn  Khal- 
doùn  ^  Cette  lecture  avait  démontré  péremptoirement 
au  jeune  historien  la  nécessité,  qui  s'imposait  à  lui, 
d'étudier  à  fond,  dès  qu'il  en  trouverait  l'occasion,  la 
langue  et  la  paléographie  arabes,  s'il  voulait  avec  com- 
pétence remonter  dans  le  passé  de  son  ile  au  delà  des 
Vêpres  siciliennes.  On  ne  pouvait  s'en  tenir  à  «la  mai- 
gre récolte  »  faite  par  Rosario  Di  Gregorio  malgré  le 
titre  de  :  Reriiin  Arabicariim  qiiœ  ad  historiam  siciilam 
spectant  Ampla  Collectio  -,  L'essai  de  Noël  Des  Vergers 
renouait  la  chaîne  interrompue  depuis  1790  ',  Le  che- 
min était  de  nouveau  ouvert.  Amari  s'empressa  d'y 
entrer. 

^  Noël  Des  Vergers,  Histoire  de  V Afrique  sous  la  dyanstie  des 
Aghlabites  et  de  la  Sicile  sous  la  domination  musulmane.  Texte 
arabe  d'Ibn  Khaldoun,  accompagné  d'une  traduction  française 
et  de  notes.  Paris,  1841,  in-8o. 

^  Panormi,  1790,  un  volume  in-folio  ;  cf.  D'Ancona,  dans  le 
Carteggio,  I,  p.  199,  note  1.  Dans  cette  note,  M.  D'Ancona 
confond  les  deux  Caussin  de  Perceval,  le  père  et  le  fils. 

3  Je  ne  mentionne  que  pour  mémoire  l'Histoire  de  Sicile  tra- 
duite de  l'arabe  d'An-Nouwairî,  par  le  citoyen  J.-J.-A.  Caussin, 
publiée  en  1802  à  la  suite  des  Voyages  eu  Sicile,  par  le  baron  de 
Riedesel.  Ici,  comme  partout  ailleurs,  j'ai  substitué,  pour  le 
nom  de  l'auteur,  ma  transcription  à  celle  qui  est  emploj'ée  par 
les  uns  et  les  autres. 


Notice  sur  Michèle  Aniari  119 

L'élève  de  Ueiiiaïul  était  jugù  mûr  en  181.")  pour  im- 
primer et  traduire  en  français,  dans  \v  Joiinial  asialiqne, 
«  journal  de  paix  et  d'érudition  '  »,  la  Dcscriplion  de 
Païenne  au  milieu  du  x'*  siècle  de  1ère  uulçjcure,  par  Ibn 
Haukal  -.  A  la  lin  de  la  même  année,  il  élait  admis  à 
publier  dans  le  même  reeueil  le  Vnijiuje  en  Sicile  de 
Mohammad  Ihn  Djohair  de  Valenee  sous  le  réi»ne  de 
-Guillaume  le  Bon.  Au  texte  arai)e  il  ajoutait  «  une  tra- 
duction française  et  des  notes  ■'  ».  C.e  sont  des  œuvres 
de  début,  mais  non  de  débutant,  que  leur  auteur  a 
sans  doute  retouebées,  mais  dont  il  annonçait  déjà  la 
mise  au  point  le  28  juillet  1841  K  Pas  de  ces  incertitu- 
des qui  trabissent  les  premiers  pas  dans  une  voie  inex- 
plorée. L'bistorien  s'est  doublé  d'un  arabisant  et 
l'un  eslàla  bauteurdel'autre.  Celui-ci  du  reste  fréquente 
non  seulement  le  dépôt  de  la  Bibliotbéque  Royale, 
qu'il  sera  plus  tard  appelé  à  inventorier,  mais  il  va 
passer  le  mois  de  septembre  1845  à  Oxtord,  à  (^am- 
])ridge,  à  Londres  ' ,  où,  mis  en  présence  de  nombreux 

^  (Mrteggio,  I,  p.  159. 

-  Journal  asiatique  de  1845,  II,  p.  73-114;  cf.  celui  de  1846, 
p.  241-242.  Une  édition  complète  du  r(  Livre  intitulé:  Les  voies  et 
les  royaumes  >  par  Ibn  Haukal  a  été  donnée  par  M.  J.  De  Goeje, 
dans  sa  Bihliotheca  geographorum   arabicorum,  II  (Lcide,  1873). 

2  Journal  asiatique  de  1845,  II,  p.  507-545,  continué  dans  celui 
de  184G.  I,  p.  73-92  et  201-241.  Le  voyage  d'Ibn  Djobair  de  Gre- 
nade à  La  Mecque  pendant  les  années  578-581  de  Tliégire  (1182- 
1185  de  notre  ère)  a  été  publié  par  William  Wright  (Leide,  1852). 
Un  de  mes  disciples,  M.  Emmanuel  Thubert,  en  prépare  une 
traduction  intégralp.  Nous  espérons,  lui  et  moi,  qu'il  pourra 
coUationner  le  texte  de  Wright  avec  le  manuscrit  conservé  dans 
la  grande  mosquée  de  Fez  ;  voir  le  catalogue  manuscrit  4725  de 
la  Bibliothèque  Nationale,  cité  par  Ed.  Fagnan,  dans  llonienaje 
a  D.  Francisco  Codera  (Zaragoza,  1904),  p.  111.  n.  1.  Des 
((  fragments  »  (noubadh)  se  trouvent  aussi  à  l'Escurial  sous  le 
Jit>  488,  3^;  voir  mes  Manuscrits  arabes  de  l'Escurial,  I,  p.  328. 

'*  Carteggio,  I,  p.  145. 

''  lbid.,l,p.  171,  173  et  178. 


120  Opuscules  d'un  arabisant 


manuscrits  arabes,  il  les  déchiffre,  les  copie  et  les  dé- 
pouille avec  l'ardeur  et  la  fougue  d'un  novice,  avec  la 
perspicacité  et  la  sagesse  d'un  vétéran. 

Ni  la  description  de  Palerme  au  x'  siècle,  ni  celle  de 
la  Sicile  au\ni° n'absorbent  Amari  au  point  delui  laisser 
oublier  un  instant  les  maux  de  son  île  opprimée  au  xixS 
ou  de  lui  faire  considérer  comme  définitive  sa  c(  toute 
petite  hégire*  »,  ainsi  qu'il  a  rétrospectivement  appelé 
son  émigration  à  Paris  -,  en  se  comparant  au  Prophète 
des  Musulmans.  Il  désire  abréger  son  ce  hégire  »  et, 
comme  le  Prophète,  quitter  Médine  pour  La  Mecque 
reconquise.  Et  pourtant  le  séjour  à  l'étranger  a  modi- 
fié ses  conceptions.  Le  patriotisme  provincial,  dont  son 
cœur  déborde,  s'élargit  peu  à  peu,  maintenant  que  le 
cap  napolitain  ne  dérobe  plus  à  sa  vue  le  reste  de 
ritalie.  L'avènement  du  Pape  Pie  IX  en  1846  a  été,  à 
ses  yeux,  comme  aux  yeux  de  ses  compatriotes  et  de 
tant  d'autres  spectateurs  plus  désintéressés,  le  commen- 
cement d'une  ère  libérale,  d'une  aurore  de  salut  pour 
le  grand  pays  affaibli  par  ses  divisions.  Amari  ne  sou- 
haite pas  pour  cette  agglomération  d'hommes  l'unité 
politique  dans  laquelle  la  Sicile  risquerait  de  perdre  sa 
physionomie  particulière  et  de  se  confondre  dans  l'en- 
semble, mais  la  fédération  fraternelle  qui  permettra 
aux  forces  des  Etats  composant  la  grande  famille  ita- 
lienne de  se  coaliser  pour  la  défense  de  leurs  intérêts 


^  Amari.  Préface  à  la  neuvième  édition  du  \e^^^o  (Milan, 
1886,  3  vol.  in-8*'),  I,  p.  vni. 

■^  u  Émigration  »,  telle  est  la  traduction  exacte  du  mot  arabe 
hidjra,  que  nous  avons  transformé  en  hégire  et  qu'il  est  d'usage 
de  traduire  par  «  fuite  ».  Cette  erreur  traditionnelle  provient  des 
circonstances  pénibles  qui  imposèrent  au  Prophète  son  «  émi- 
gration »  de  La  Mecque  à  Yathrib,  comme  s'appelait  alors 
Médine.  Voir  plus  haut,  p.  29. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  11>I 

coniinuns^  Mais,  dans  cette  phase  de  son  évolution, 
Amari  n'admet  pas  qu'en  dehors  des  Autriehiens,  ces 
intrus  qu'il  faut  chasser,  on  touche  aux  possessions,  on 
discute  les  droits,  on  se  partage  les  territoires  d'aucun 
des  prinees  détenteurs  de  lautorité,  pourvu  (jue  la 
Sicile  soit  détaehée  et  rendue  indépendante  ilu  royau- 
me des  Deux-Siciles,  (jue  la  prépondérance  de  Xaplcs 
aurait  dû  faire  api)eler  j)lutôt  le  royaume  des  Deux- 
Naples.  Il  se  contenterait  à  la  ri*^ueur  d'une  union  a  la 
manière  de  la  Suède  et  de  la  Norvège,  non  pas  à 
l'image  de  l'Angleterre  et  de  l'Irlande-.  «  A  la  fin  de 
1817,  dit  Amari  -^  lorsque  se  produisit  le  houillonnc- 
ment  des  âmes  en  Italie  et  (pie  de  toute  part  on  parlait 
de  rétbrme,  j'avais  mis  un  peu  de  coté  les  Musulmans 
pour  traiter  des  Bourhons,  en  puhliant  l'teuvre  pos- 
thume de  Palmieri  sur  la  «  constitution  du  Royaume 
«  de  Sicile  jusqu'en  181(),  avec  une  introduction  et  de 
«  nombreuses  notes  ^  ». 

L'ouvrage  était  dédié  |)ar  son  auteur  au  Parlement 
anglais.  Amari  mit  son  introduction  anonyme,  datée  de 
Italiciy  décembre  1840,  et  })ul)liée  à  Lausanne  en  1847, 
sous  les  auspices  de  «  cet  autre  Parlement  sans  tête, 
sans  nom  et  sans  statuts,  (pii,  des  Al])es  à  la  pointe  de 
Lilybée,  commence  dès  maintenant  à  délibérer  sur  ses 

'  Carleijijio,  I,  p.  376,  381,  384,  395,  391),  etc. 

2  Ibici.,  i,  p.  191. 

^  Amari,  Solwaii  cl  Mota\  p.  xi. 

^  S(iç](jio  storico-polilico  siilUi  cosiilazionc  dcl  Regiio  di  Sicilùi 
infuio  (d  ISWy  cou  un'  Appendice  sulla  Rivolnzionc  dcl  ÎS^JO,  Opéra 
jwsluma  di  Niccolo  Palmieri,  con  nna  Introdiizione  e  Annotazion^ 
di  Anoninio  ;  Losanna,  lionamici,  1847.  Je  cite  d'après  l'exem- 
plaire de  la  Bibliothèque  Nationale,  coté  K,  12893  ;  voir  le  Cata- 
logue des  imprimés  de  la  Bibliothèque  Xationale,  Noms  d'auteurs, 
II,  col.  815.  La  fiction  d'une  Italia  imaginaire,  lieu  d'origine  de 
l'Introduction  rédigée  à  Paris,  est  caractéristique  de  l'évolution 
qui  s'était  accomplie  dans  les  idées  d'Amari. 


122  Opuscules  d'uu  arabisant 

propres  affaires  ».  Ce  pamphlet  de  politique  italienne 
contemporaine  *  »  fut  répandu  par  centaines  d'exem- 
plaires en  Sicile,  où  la  révolution  grondait,  n'attendant 
ciu'une  amorce  pour  s'enflammer.  Amari  la  lui  fournit; 
on  y  réimprima  secrètement  son  Introduction-  et  bien- 
tôt elle  fut  dans  toutes  les  mains,  échaufTant  tous  les 
cœurs,  sans  qu'aucune  indiscrétion  trahît  la  provenance 
-de  la  traînée  de  feu  et  de  lumière  qu'elle  propageait. 
Les  mobiles  les  plus  nobles  avaient  empêché  Amari 
de  proclamer  hautement  sa  collaboration  à  une  publi- 
cation séditieuse.  Il  ne  craignait  pas  de  se  compro- 
mettre, et  dailleurs  son  séjour  en  France  le  mettait  à 
l'abri  des  venoeances  bourboniennes.  C'est  sur  ses 
amis,  adeptes  de  ses  opinions,  hommes  d'opposition 
courageuse,  restés  au  pays,  appelés  à  retenir  ou  à  dé- 
chaîner le  courant  populaire,  que  s'exerceraient  les  re- 
présailles. Il  importait  que  ces  chefs  fussent  mainte- 
nus à  leur  poste  d'attente  et  de  préparation,  lorsqu'il 
faudrait  renoncer  à  toute  chance  d'un  dénouement  pa- 
cifique, d'un  accord  amiable  entre  la  Sicile  résignée, 
mais  non  satisfaite,  et  Ferdinand  II,  «  mal  conseillé, 
mais  non  disposé  à  trahir  sottement  la  cause  ita- 
lienne ^  ». 

La  révolte  éclate  à  Palerme  le  12  janvier  1848^,  le 


^  Carieggio,  I,  p.  194. 

2  D'Ancona,  d'après  le  marquis  diTorrearsa,  6.2ins\e  Carteggio, 
I,  p.  193,  notes.  D'Ancona.  ibid.,  signale  la  publication  à  Paler- 
me, en  1848,  de  la  partie  intitulée  Storia  délia  Rivoliizione  del 
1820,  con  note  critiche  di  Michèle  Amari.  Je  ne  sais  vraiment  ce 
qu'est  l'édition  de  Paris,  citée  par  0.  Toramasini,  Scrittij  p.  311» 
n.  1. 

^  Amari,  dans  le  Carieggio,  I,  p.  238. 

'*  G.  Romano-Catania,  Rosalino  Pilo  e  la  Rivoliizione  siciliana 
del  18^-18W  (Roma,  1904;  extrait  de  la  Nuova  Antologia),  p.  IS- 
IS. 


Notice  siii'  Michèle  Amari  12Î5 

jour  mcmo  de  la  fêle  du  roi  Ferdinand,  plus  d'un  mois 
avant  la  révolution  de  Paiis  contre  L()uis-lMHli|)i)e.  Les 
troupes  napolitaines,  l)lo(piées  par  le  peuple,  n'ont 
opposé  qu'un  siniulaere  de  résistance  tlu  12  au  26. 
C'est  l'eflondrenient  de  la  tyrannie,  la  perspeetivc  de 
rémanei])ation.  Les  événement  de  Sicile  |)réludent  à 
ceux  qui  se  préparent  dans  l^aris  surexeilé.  Ils  y  sont 
accueillis,  selon  les  opinions,  avec  sympathie  ou  avec 
indit>nation.  Amari  ron^e  son  IVein  et  se  désole  de  ne 
pas  faire  le  coup  de  feu  contre  les  suppcMsdu  roi  Jioin- 
h(i.  Les  lettres  qu'il  reçoit  attisent  encore  la  fièvie  qui 
le  dévore.  De  Florence,  Costanza  Arconali  lui  écrit  le 
18  janvier  '  :  «  Oui,  venez.  Je  me  fais  une  idée  très 
triste  de  la  vie  d'un  Italien  amoureux  de  la  patrie,  ah- 
sent  de  l'Italie  à  l'heure  i)résente.  Si  les  nouvelles  qui 
circulent  aujourd'hui  sont  vraies,  la  Sicile  aura  suivi 
votre  conseil.  Je  suis  chaque  jour  plus  émerveillée  de 
la  rapidité  avec  laquelle  s'avance  le  feu  italien.  )>  l^^t  de 
Palerme,  Mai'iano  Stahile  lui  adresse  le  24  ra[)pel 
vihrant  du  lutteur  lancé  dons  la  mêlée-  :  «  Nous 
sommes  depuis  le  12  en  pleine  révolution.  Nous  avons 
un  Comité  général  de  dépense  et  de  salut  puhlics  i)ré- 
sidé  par  le  maréchal  Settimo,  et  dont  je  suis  le  Secré- 
taire général...  Le  peuple  a  été  et  continue  à  être 
suhlime.  Les  hautes  classes  ont  montré  leur  confiance 
dans  le  peuple,  le  peuple  a  mis  sa  confiance  en  nous... 
Tout  le  monde  parle  de  toi  et  te  désire.  Le  jour  de  ton 
arrivée  sera  un  jour  de  fête  puhlique.  » 

Un  cas  de  force  majeure  empêchait  le  proscrit  d'ohéir 
à  l'élan  de  son  cœur,  aux  démarches  de  ses  amis.  Dans 
sa  nohle  discrétion,  dont  il  ne  s'est  jamais  départi, 
sans  que  son  àme  ouverte  manquât  jamais  à  l'expres- 

'  Cartcggio,  I,  p.  225. 
■^  Ibid.,  I,  p.  228  et  229. 


124  Opuscules  d'un  arabisant 


sion  franche  et  sincère  de  ce  qu'elle  ressentait,  il  n'ac- 
cuse personne,  il  ne  récrimine  pas  contre  les  individus 
qui  entravent  son  départ,  il  attaque  seulement  et 
«  maudit  le  destin  qui  le  retient  loin  de  la  Sicile,  pen- 
dant qu'on  y  combat  et  qu'on  y  meurt  pour  la  liberté  ^  ». 
Tout  en  criant  :  «  Vive  Palerme  et  la  Sicile  !  -  »,  Amari 
voit  maintenant  plus  loin.  Le  mouvement  insurrec- 
tionnel se  conmiunique  de  proche  en  proche  à  l'Italie 
entière  et  c'est  pour  tous  ses  frères,  pour  l'île  à  la  fois 
et  pour  la  péninsule,  qu'Amari  réclame  des  constitu- 
tions libérales  dans  une  ligue  dont  la  solidarité  sera 
affirmée  par  un  traité  d'union  ofTensive  et  défensive. 
L'arabisant  sicilien  a  changé  de  ton  en  regardant  la 
marche  des  événements  du  haut  de  son  observatoire 
parisien.  Le  27  janvier,  il  écrit  à  ses  éditeurs  Bona- 
mici  de  Lausanne  ^  :  «  Le  gouvernement  de  Naples 
jette  le  gant  à  toute  l'Italie,  à  toute  l'Europe  civilisée... 
Heureux  ceux  qui  combattent  en  Sicile  pour  la  liberté 
italienne,  tandis  que  d'autres  se  consument  de  désir  et 
d'anxiété  sur  la  terre  étrangère  !  La  guerre  étant  dé- 
chaînée, quel  que  soit  le  succès,  je  ne  veux  pas  que 
manque  aux  commentaires  sur  l'œuvre  de  Palmieri  le 
nom  de  Michèle  Amari.  »  L'auteur  revendique  haute- 
ment son  Introduction  comme  une  arme  de  guerre 
dont  il  connaît  le  maniement  et  dont  l'origine  divulguée 
augmentera  la  portée. 

Le  3  février,  Amari  adresse  une  sorte  de  proclama- 
tion collective  «  aux  amis  Siciliens  ^  »  pour  les  féliciter 
de  leur  valeur,  de  leur  bon  sens,  de  leur  constance  et 
de  leur  modération.  Il  a  enfin  réussi  à  se  procurer  un 

*  Amari  (24  janvier  1848),  dans  le  Carleggio,  I,  p   230. 
Md.,  ibid.,  I,  p.  237. 

Ud.,  z'^/rf.,  I,  p.  238. 

*  Id.,  ibid.,  I,  p.  239-240. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  125 


passeport'.  Mais  il  relarde  son  départ  pour  rédiger  au 
])liisvile  un  manifeste  destiné  à  démontrer  que  la  Sicile 
ne  demande  pas  au  roi  l'octroi  d'une  constitution  nou- 
velle, mais  la  convocation  de  son  Parlement,  le  retour 
à  la  loi  ])()liti(iue  de  1<S1(),  le  règlement  du  contrat  avec 
Naj)les. 

Dès  le  1),  cette   autre  aiine  était  aiguisée  et  Amari, 
(fui  espérait  le  concours  moral  de  la  France  en  faveur 
des  révoltés,  la  dégainait  sous  forme  d'une   phujuelte 
rédigée  en  français,  (pi'il    intitulait  :  Quelques  observa- 
valions  sur  le  droil  public  de  la  Sicile  -.  Après  avoir 
affirmé  (jue  h  le  |)euple  sicilien   a   été  le   premier  en 
Italie  à  remplacer  j)ar  ce  mot  de  constitution  celui  tort 
vague  de   réfoiine  »,  Amari  termine  sa  démonstration 
par  cette  éhxpienle  péroraison  :  ((  J'espère  que  les  nou- 
veaux   Ministres    de    Xaples,   soutenus   j)ar    l'opinion 
puhlicpie  de  Xaples,  de  toute  l'Italie,  de  toute  l'Europe, 
connnenceront  leur  gouvernement  par  un  acte  solennel 
de   justice    en    convoquant   le    Parlement   sicilien    cjui 
aurait  dû  siéger  dei)uis  longtemps  selon  l'article  10  de 
la   loi   du   11   décembre  liSlO.   Le   Parlement  sicilien, 
ap])elé  à  délibérer  sur  les  termes  de  l'union  j)()lilique 
de  la  Sicile   à  Xaples,  ne   fera   pas  défaut   à   la   cause 
italienne,  j'en  suis  sûr.  Je  le  sens  bien  dans  mon  cœur. 
Le  Parlement  sicilien  saura   remplir  sa  mission  aussi 
bien  (jue  le  peu|)le  a  rempli  la   sienne  les  armes  à  la 
main.  C'est  le  peuple  du  seul  état  d'Italie  qui,  après  le 
naufrage  de  LSlô,  sauva   une  plancbe  sur  lac(uelle  on 
lisait  encore  le  mot  de  Lnu:RTi':.  » 

Amari  croit  encore  à  la  possibilité  d'un  lien  fraternel 
entre  Xaples  et  Palerme  sous  un  même  roi  constitu- 

'  Amari,  dans  le  Caiieggio,  I,  p.  239  ;  cf.  p.  172. 
-  Paris,  imprimerie  de  Poussielgue,  1848,  22  p.,  sans  couver- 
ture et  sans  titre  autre  que  celui  qui  est  en  tète  de  la  |)age  1. 


12(>  Opuscules  d'un  aral)isant 


tionnel,  avec  des  garanties  suffisantes  pour  sauvegarder  : 

contre  les  excès  de  l'absolutisme  les  droits  des  deux  | 

pays  associés.  Il  sera  moins  disposé  à  entrer  en  com-  ^ 
position  avec  le  despote,  lorsqu'il  respirera  l'air  embrasé 

sur  le  tbéàtre  de  la  lutte.   «  Parti  le  17  février,  écrit  ] 

Amari',  je  fus  à  Palerme  le  matin  du   l^^'  mars  et,  le  | 

soir  du  même  jour,  ils  m'avaient  déjà  nommé  Membre  i 
du  Comité  révolutionnaire,  dans  lequel  ils  firent  ensuite 

de  moi  le  Yice'-Président  de  la  section  de  guerre  -.  Le  ; 

Parlement  ayant  alors  été  convoqué,  je  fus  élu,  parmi  ; 

les  députés  de  Palerme,  le  deuxième  par  le  nombre  des  \ 

suffrages  après  Ruggero  Settimo^;  ensuite,  après  Fou-  ! 

verture  des  Chambres,  je  fus  mis  en  croix  au  Ministère  | 

des  finances.  »  j 

Dans  rénumération  des  honneurs   dont  Amari  fut 

accablé  aussitôt  après  son  retour  et  que,  «  au  risque  j 

de  compromettre  sa  réputation,  il  accepta  ^  »,  il  oublie  j 
de  nous   dire   qu'un  des  premiers   actes  du  nouveau 

gouvernement  fut  de  l'appeler,  dès   le   2   mars,  à   la  | 

chaire,  vacante  depuis  la  mort  de  Rosario  Di  Gregorio,  ! 

de  droit  public  sicilien  et  qu'en  cette  qualité  il  prononça,  ; 
le  20  mars,  le  discours  d'ouverture  à  l'inauguration  solen- 
nelle de  l'Université^.  Ce  fut  une  journée  sans  lende- 

main,  le   professeur  improvisé   ayant  plus   d'aptitude  ! 
que  de  goût  pour  l'enseignement   public.  Cinq  jours 
plus  tard,  le  25  mars,  le  Parlement  était  ouvert  et  le 

Ministère,  présidé  par  Mariano  Stabile,   se  présentait  ' 

*  Amari,  lettre  de  Paris  du  24  novembre  1848,  dans  le  Cartcggio,  ' 

I,  p.  450-451,  1 

-  Le  8  mars.  ] 

3  Le  16  mars,  par  2.370  voix,   deux  de  moins   seulement  que  ' 

Ruggero  Settimo.  • 

^'  Amari,    Appiinti    aiitobiogrcifici,    passage    communiqué    par  j 

Tommasini,  Scritli,  p.  313.  ] 

»  D'Ancona,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  347.  \ 


Notice  sur  ^licliele  Aiiiari  127 

devant  la  «  Chanil)re  des  communes  >»  avec  une  décla- 
ration ([u'Amari,  dans  ses  Notes  aut()l)io«^ra|)hiques, 
reconnaît  avoir  i'édii>ée'.  Lors((ue,  le  2U,  il  vint  con- 
lirmer  son  accei)talion  dn  Ministère  des  linances,  il  le 
lit  avec  la  modestie  d\in  linancier  (jui  avait  à  Paris  un 
l)ud<>et  à  peine  supérieur  à  130  Irancs  j)ar  mois-,  (pii 
maintenant,  à  court  dapjîointements  et  de  subventions, 
en  était  réduit  à  loi>er  chez  son  heau-iVère  (iiusepj)e 
Del  Fiore  "*.  Si  le  Ministie  n'avait  pas  de  domicile,  il 
veillait  aux  destinées  d'une  caisse  cpii  n'avait  j)rescpie 
pas  de  ressources,  où  chacun  demandait  à  i)uiser,  où 
personne  ne  voulait  rien  verser.  «  On  se  relïisait  à  paver 
les  im[)ôls,  écrit  Amari  ^  ;  tous  voulaient  îles  emplois, 
par  injonction  du  peuple  souverain.  Dix-huit  heures 
par  jour  je  restais  au  travail,  à  me  sentir  déchirer  l'àme 
par  les  postulants  ou  les  oreilles  par  les  honorables 
Membres  des  deux  Cduunbres,  qui  ne  se  sentaient 
Membres  qu'à  condition  de  taire  opposition  au  Minis- 
tère pour  préserver  les  libertés  publicjues  menacées 
sans  trêve  par  les  Ministres,  par  moi,  j)ar  Mariano 
Stabile,  etc.,  nous  qui,  pendant  quinze  années,  avions 
mis  nos  tètes  sous  la  hache  pour  cette  cause.  A  dire 
vrai,  je  paraissais  personnellement  le  moins  usurpateur 
de  tous,  et  le  Ministère  tint  jusqu'en  août;  quand  moi 
et  mes  collègues  nous  nous  retirâmes,  ce  fut  par  suite 

'  Amari,  Appunti  aiilobiografici,  cités  par  D'Ancona,  dans  le 
Carlegijio.  II,  p.  383.  Aiiiari  a  donné  une  traduction  française  in 
iwiciiso  de  ce  «  Discours  hi  par  le  vc'nérat)le  Président  »>  dans  son 
«  mcuîoire  »,  intitulé  La  Sicile  cl  les  Bourbons  (Viwïs,  janvier  1849), 
p.74-87.  J'y  vois  une  raison  de  plus  de  lui  attriljuerl'oriifinal  italien. 

^  C'est  ce  que  j'infère  d'une  lettre  d'Amari,  dans  le  Carleggio, 
I,  p.  235. 

3   Amari,    Appunli   antobiografici ,   dans    Tommasini,    Scrilti 
p.  313.  no  3. 

'  Lettre  de  Paris,  citée  plus  haut,  du  24  novembre  1848  ;  voii 
le  Carleggio,  I,  p.  451. 


128  Opuscules  d  un  arabisant 

de  l'opposition  faite  par  la  Chambre  des  pairs  à  un 
projet  d'emprunt  que  j'avais  proposé  et  qui  avait  été 
consenti  à  l'unanimité  par  la  Chambre  des  com- 
munes. » 

L'amertume  du  pouvoir  dans  ces  temps  troublés 
n'avait  été  adoucie  pour  le  Ministre  des  finances  que 
par  le  sentiment  d'un  devoir  à  remplir,  d'un  service  à 
rendre.  Le  13  août,  il  quitta  sans  regret  des  fonctions 
qu'il  n'avait  pas  sollicitées,  mais  subies  «  par  ordre  du 
premier  citoyen  d'Italie  »,  qu'il  avait  essayé  de  résigner 
le  14  juin  ^,  sans  obtenir  alors  que  l'on  mît  fin  à  ses 
«  tortures  ».  Le  rêve  d'une  «  fédération  italienne  des 
Etats-Unis  dltalie  »  s'évanouissait  dans  les  brumes 
d'un  avenir  lointain  :  la  Sicile,  «  en  guerre  avec  le  roi 
de  Naples,  en  paix  avec  les  frères  italiens  du  royaume 
de  Naples-  »,  avait  vainement  offert,  le  10  juillet  1848, 
la  couronne  à  Ferdinand  de  Savoie,  duc  de  Gènes,  fils 
de  Charles-Albert,  roi  de  Piémont^,  «  par  une  sorte  de 
prévision  fatidique  de  la  domination  heureuse  qu'éta- 
blirait sur  l'île  la  dynastie  gardienne  des  Alpes*»; 
l'Europe  monarchique  regardait  avec  une  curiosité 
hostile  un  mouvement  qui  ne  rencontrait  une  neutra- 
lité plutcM  bienveillante  que  dans  la  France  républi- 
caine et  dans  l'Angleterre  parlementaire  ;  enfin,  le  roi 
de  Naples,  Ferdinand  II,  n'attendait  qu'une  occasion 
favorable,  un  temps  opportun,  la  répression  des  trou- 

'  A  m  a  ri,  dans  le  (Airteggio,  I.  p.  255. 

•^  Amari,  ibid.,  I,  p.  243  et  244. 

■^  La  lettre,  écrite  par  Ferdinand  de  Savoie  pour  «  ne  pas 
accepter  l'honneur  qu'on  veut  lui  faire  »,  datée  de  Milan  6  août 
1848,  adressée  par  le  prince  au  marquis  Lorenzo  Pareto,  minis- 
tre des  affaires  étrangères  du  Piémont,  a  été  publiée  par  M.  G. 
Romano  Caetana,  op.  cit.,  p.  19-20,  d'après  l'autographe  déposé 
au  Musée  de  Palerme. 

'  Tommasini,  Scrilti,  p.  314. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  12î> 

blés  qui  ravaieiit  menacé  dans  sa  résidence  de  Naples 
les  14  et  13  mai,  i)OLir  écraser  la  rébellion,  minée 
d'avance  par  sa  durée,  par  l'insuffisance  de  ses  res- 
sources, par  la  rivalité  de  ses  meneurs,  par  l'incapacité 
de  ses  généraux,  par  les  dissensions  intestines,  la 
mollesse  et  les  excès  de  leurs  soldats  désœuvrés. 

Ruggero  Setlimo,  président  du  gouvernement  de 
Sicile',  appela,  le  13  août  1818,  à  la  présidence  du 
nouveau  Ministère  Vincenzo  Fardella,  marquis  di  Tor- 
rearsa,  depuis  le  13  avril  président  de  la  (Miambre  des 
conmiunes-.  Ce  grand  seigneur,  ouvertement  affilié  à  la 
révolution  de  janvier,  se  réserva  le  double  portefeuille 
desafTaires  étrangères  et  du  commerce.  Alors  qu'Amari 
se  flattait  de  goûter  un  repos  chèrement  gagné,  alors 
que  sa  présence  éclairait  d'une  lueur  de  sérénité  la 
vieillesse  sombre  de  son  père,  qu'il  se  préparait  à  respirer 
librement  l'air  vivifiant  de  sa  ville  natale  et  à  reprendre 
ses  courses  dans  la  campagne  et  ses  ascensions  sur  son 
son  cher  mont  Pellegrino,  il  fut,  sans  délai  et  sans 
merci,  sollicité  d'apporter  à  l'étranger  un  concours 
immédiat  à  ses  successeurs,  arraché  à  sa  vie  de  famille, 
condamné  à  s'expatrier.  Son  premier  exil,  qui  lui  avait 
fait  voir  Paris  et  entrevoir  Londres,  suggéia  l'idée  de 
lui  infliger  le  deuxième,  qui  lui  permetli^ait  d'utiliser 
dans  ces  deux  villes,  au  profit  de  la  Sicile,  son  expé- 
rience des  hommes  et  des  choses.  Le  31  août,  Amari 
fut  muni  d'instructions  écrites  signées  par  le  marquis 
di  Torrearsa,  en  qualité  de  «  Commissaire  spécial  du 
Pouvoir  exécutif  du  royaume  de  Sicile  près  la  Képu- 
blique    française    et    près    le    Gouvernement    biitan- 

^  J'emprunte  ce  protocole  à  Amari,  La  Sicile  et  les  Bourbons, 
p.  88. 
-  D'Ancona,  dans  le  Carleggio,  I,  p.  287. 

9 


130  Opuscules  d'uu  arabisant 

nique*  ».  Il  doit  se  rendre  à  Londres,  en  passant  par 
Paris,  où  il  se  concertera  avec  le  «  représentant  »  offi- 
cieux de  la  Sicile,  son  ami  le  baron  di  Friddani.  On 
accrédite  le  Commissaire  spécial,  à  Paris,  auprès  du 
général  Cavaignac,  président  de  la  Piépublique,  et  du 
citoyen  Jules  Bastide,  ministre  des  afïaires  étrangères  ; 
à  Londres,  auprès  de  lord  Palmerston,  ministre  des 
affaires  étrangères  dans  le  cabinet  ^Ybig  présidé  par  le 
comte  John  Russell,  et  auprès  de  lord  Minto.  Le  jeune 
néaociateur  saurait-il  d'emblée  tenir  tête  aux  «  vieux 
renards  de  la  diplomatie»'-?  Ses  instructions  lui  inti- 
maient l'ordre  de  joindre  ses  efforts  à  ceux  de  ses 
collègues,  le  baron  di  Friddani  à  Paris,  Luigi  Scalia  et 
le  prince  Granatelli  à  Londres,  pour  obtenir  des  deux 
puissances  la  reconnaissance  officielle  de  la  Sicile, 
irrévocablement  séparée  du  royaume  de  Naples,  placée 
sous  la  souveraineté  offerte  par  le  vote  du  Parlement  au 
duc  de  Gènes,  qui  finira  par  l'accepter,  ou,  à  son  défaut, 
conférée  à  un  prince  de  la  maison  de  Toscane^;  une 
intervention  pressante  ou  au  moins  une  médiation  effi- 
cace pour  arrêter  le  roi  de  Naples,  si,  au  mépris  des  en- 
gagements qu'il  a  pris  avec  l'Angleterre  et  la  France, 
il  trame,  ainsi  que  l'affirme  lord  Napier,  une  expédition 
pour  chercher  à  usurper  de  nouveau  ses  anciennes  con- 
quêtes ;  enfin,  un  appui  moral  et  matériel  prêté  fran- 
chement au  Statut  nouveau  que  le  Commissaire  aura 
pour  mission  spéciale  de  défendre  à  Londres  en  ce 
qu'il  a  de  contraire  aux  idées  et  aux  usages  aristocra- 
tiques de  l'Angleterre. 

^  Ces  instructions  sont  reproduites  intégralement  dans  le  Car- 
te g  gio,  I,  p.  264-2G6. 

-  Expression  empruntée  à  ibicL,  I,  p.  362. 

2  La  clause  relative  au  prince  de  Toscane  devait  rester 
secrète  et  ne  pas  être  communiquée  par  Amari  à  ses  collègues. 
Voir  cependant  le  Carteggio,  I,  p.  297  et  298. 


Notice  sur  Michèle  Aniari  131 

Amari  s'ciiil)aiqiia,sansprok'slercl  sans  larder,  sur  un 
vapeur  de  guerre  anglais,  la  Porciipiiw.  Ce  fui  pour  lui  un 
déchirement  de  cœur  que  ce  dépari  hàliF,  mais  la  voix 
publique  l'avail  indicjué  à  un  Ministère  composé  exclu- 
sivement de  ses  amis  '.  Le  4  septembre,  il  est  en  rade 
dans  le  golfe  de  Naples,  à  la  barbe  du  tyran-,  y  a|)pjend 
avec  émotion  le  bombardement  par  le  roi  Bomba  et 
la  résistance  héroïque  de  Messine  ^^  arrive  à  Marseille 
le  7,  à  Paris  le  10  ^  L'arabisant  de  la  veille  et  du  len- 
demain n'y  fréquente  plus  avec  suite  ni  ses  anciens 
professeurs,  ni  les  manuscrits  tant  aimés  de  la  Biblio- 
thèque devenue  Nationale  '^.  On  le  rencontre  dans  les 
antichambres,  il  court  les  audiences,  il  assiste  et  il 
prend  i)art  aux  réceptions  officielles,  il  s'accroche  dans 
les  soirées  des  ministères  et  partout  ailleurs  aux  per- 
sonnages, qu'il  obsède  et  qui  essaient  en  vain  de  se 
dérober.  On  concède  à  son  insistance  des  promesses 
vagues  qui  al)outissent  le  plus  souvent  à  d'amers  dé- 
boires. Sa  santé  de  fer  lui  permet  de  faire  sans  relâche 
la  navette  entre  la  i^iare  du  Nord  à  Paris  et  celle  de 
London  Bridge  à  Londres''.  Ses  entretiens  çà  et  là 
développent  les  qualités  de  son  esprit  observateur. 
Dans  le  véritable  Lihro  Verde,  que  M.  D'Ancona  nous 
a  transmis  sur  cette  période  de  négociations  pénibles 
et  absorbantes  ",  que  de  croquis  vivants,  rapides,  res- 
semblants, malicieux  sans  aigreur,  spirituels  sans  pré- 

^  Cartcggio,  I,  p.  451 . 

2  Ibîd.,  I,  p.  274. 

3  Ibîd.,  I,  p.  273  et  281.  La  ville,  ravagée,  décimée  et  ruinée, 
capitula  le  7  septembre,  non  sans  avoir  inflif^c  des  pertes 
sérieuses  aux  assiégeants;  cf.  ibid.,  I,  p.  282  et  291 . 

'  Ibid.,  I,  p.  282. 

«  Ibid.,  I,  p.  547-548. 

«  Ibid.,  I,  p.  307,  310,  314,  etc. 

'  Ibid.,l,  p.  267-566. 


132  Opuscules  d'uu  arî\l)isant 

tcnlion,  Àmari  a  tracés  de  sa  plume  bien  taillée,  à 
rimage  de  F'erdinand  II,  «  le  roi  sacripant  ^  »,  de  lord 
Palmerston,  «  un  whig  aristocrate,  pratiquant  l'art 
d'écouter  en  silence  avec  autant  d'attention  que  de 
patience  -  »,  de  lord  Normanby,  «  le  vrai  roi  de 
France  à  l'époque  actuelle  »,  de  Thiers,  «  l'esprit  k 
plus  élevé  et  le  premier  orateur  qui  reste  à  la  France, 
ce  petit  avorton  »,  avec  sa  «  forte  odeur  de  parvenu, 
cette  miniature  de  réactionnaire^  »,  du  général  Cavai- 
gnac,  '(  chef  du  gouvernement  en  titre  et  de  fait  », 
toujours  aussi  loyal  et  de  plus  en  plus  impopulaire, 
aux  réparties  d  une  rondeur  et  d'une  brusquerie  solda- 
tesque ^,  du  ((  très  honnête  »  Bastide  •',  du  candidat 
Louis  Napoléon,  le  «  Napoléonide  »,  comme  Amari 
l'appelle  avec  irrévérence'',  parce  qu'il  le  juge  un 
homme  <i  inepte,  qui  n'a  ni  talents,  ni  habiletés,  ni 
qu-alités  autres  que  des  qualités  médiocres''  ».  La  cor- 
respondance diplomatique  d'Amari  contient  aussi  des 
jugements  sommaires  et  tranchants  sur  Mazzini,  «  excel- 
lent et  saint,  mais  nullement  politique^  »,  sur  Garibaldi, 
«  qui  n'a  jamais  été  un  général,  mais  un  chef  résolu  et 
rien  d'autre^  ->,  sur  ses  deux  «  amis  incrédules  et  répu- 
blicains ^'^  »,  Michelet,  «  aftblé  de  la  Sicile  ''  »,  et  Edgar 

'  Carteyglo,  I,  p.  310,  314,  315,  etc. 

^  Ibid.,  L  p.  297,  399,  560  et  561 . 

-'  Jbid.,l,  p.  285. 

*  Ibid.,  I,  p.  423  et  490.  Le  mot  (.<  parvenu  »  est  en  français; 
cl",  ibid.,  l,  p.  549. 

=  Ibid.,  I,  p.  316,  320,  336,  342,  400,  425,  note,  488  et  489. 

«  /&zV/.,  I,  p.  410. 

"  Ibid.,  I,  p.  313  et  347. 

«  Ibid.,  I,  p.  422. 

^  Ibid.,  I,  p.  431.  Aniari  ne  soupçonnait  pas  alors  le  rôle  qu'il 
jouerait  pour  seconder  Garibaldi  dans  la  libération  définitive  de 
la  Sicile.  Cf.  aussi  ibid.,  \,  p.  415. 

'''  Ibid.,\,  p.  480. 

^'  Ibid.,l,  p.  345. 


Notice  sur  Miclicle  Aiiiai'i  1:^3 

Qiiiiiel,  «  écrivain  pour  l'Ilalic  '  »,  |)()iir  ne  citer  (in'un 
pt'lit  nonihi'c  de  célébrités  incontestées. 

La  reprise  des  liostilités  entre  les  tioupes  du  tyian 
dépossédé  et  ses  anciens  sujets,  voilà  un  duel  fjn'il 
faut  éluder  à  tout  prix,  tout  en  se  préparant  a  ralVron- 
ler,  s'il  devient  inévitable.  L'n  double  remède  s'impose 
pour  j)arei'  aux  dangers  ({ue  couil  la  Sicile.  Amari  sent 
vivement  que,  d'une  paît,  il  impolie  d  accroitre  les 
forces  militaires  dont  elle  disj)ose,  alin  (ju'elle  soit 
en  état  de  se  défendre  contre  les  assaillants  et  de  les 
tenir  en  respect,  (jue,  d'autre  paît,  la  truande  famille 
italienne,  des  Alpes  à  Lilybée,  en  deçà  et  au  delà  du 
Phare,  doit  s'associer  dans  une  fédération  intime,  sans 
aucun  remaniement  de  territoire^  avec  l'admission  à 
titre  égal  de  toutes  les  subnalionalilés  géographicjucs, 
cthnicjues  ou  hislori(pies,  sous  le  palrona<i;e  de  rAuLjle- 
terre  et  tie  la  France  plul()l  ([ue  de  l'Autriche  et  de  la 
Russie  -. 

i*our  faire  fi^^ure  dans  ce  pacte,  qui  laissera  à  clKUfue 
étal  son  indépendance  ^,  la  Sicile  a  besoin  de  monti'er 
combien  son  concours  peut  devenir  précieux  et  recher- 
ché, combien  son  apj)()int  mérite  considération,  rpielle 
quantité  et  cpielle  cpialilé  d'auxiliaires  elle  mettra  en 
ligne  dans  l'intérêt  de  la  cause  commune.  La  diplo- 
matie ne  peut  })as  se  passer  d'une  victoire  sicilienne  K 
C'est  pourquoi,  tandis  (jue  les  deux  nations  amies  se 
bouchent   les   oreilles   pour  ne  rien  entendre,  Michèle 

'  (Àirtcgcfio,  I,  j).  34(>.  Voir  au  bas  de  celle  iiièiiie  |)af^e  la 
savante  et  judicieuse  note,  par  laquelle  M.  D'Ancona  démontre 
que  «  Quinet  mérite  vraiment  ce  nom, et  celui  d'ami  de  l'Italie  ». 
Voir  aussi  ibid.,  I,  p.  â.')!). 

^  Amari,  La  Sicile  elles  Bourbons  (Paris,  janvier  184*.)),  p.  Ul 
et  105;  Pos/-.sc/7>/ii/2i  (Paris,  29  mars  LS49).  p.  29-30. 

3  Amari,  La  Sicile,  p.  91  ;  cf.   Carteggio,  I,  p.  48G. 

'  Ibid.,  I,  p.  322. 


134  Opuscules  d'un  arabisant 

Amari  et  son  collègue,  le  baron  di  Friddani^  entament 
à  Paris,  leur  «  point  stratégique  ^  »,  des  pourparlers 
avec  plusieurs  officiers  disponibles  de  toute  arme  et 
de  toute  origine  :  ce  sont  le  vieux  général  français 
«  vert  et  valide  »,  Jacques  de  Trobriand,  ((  impatient 
de  faire  avec  nous  sa  dernière  campagne  -  »,  le  Polo- 
nais Louis  Mieroslawski,  le  condoltiere  né  des  soulève- 
ments européens  ^,  le  colonel  polonais  Wiercinski, 
«  l'bomme  de  la  chose  *  »,  le  colonel  Gccrtuer  de 
Brunswick  ^  et  d'autres,  bien  décidés  à  tenter  l'aven- 
ture. On  mettra  sous  leurs  ordres  des  combattants  de 
l'empire  encore  solides,  des  républicains  exaltés  avides 
de  transporter  au  dehors  leurs  personnes  et  leurs  idées, 
des  troupes  cosmopolites  à  la  solde  de  qui  les  enrôle  ^. 
Les  achats  de  canons,  de  fusils,  de  matériel  et  de  mu- 
nitions sont,  non  seulement  tolérés,  mais  encouragés  ''y 
et,  le  3  octobre  1848,  le  général  Cavaignac  se  laisse 
aller  à  promettre  «  un  petit  crédit  ^  ».  On  marchande 
et  on  se  dispose  à  équiper  le  vapeur  VHcllesponl  ^.  Les 
préparatifs  de  guerre  se  poursuivent  ouvertement  à 
Palerme  et  à  Paris,  sous  le  couvert  d'un  armistice 
arraché  au  roi  de  Naples  par  la  médiation  franco- 
anglaise,  qui  lui  lie  les  mains  ^^,  parfois  interrompus  et 
souvent  contrariés  par  la  disette  des  finances,  avec  la 

*  Carteggio,  I,  p.  410. 

2  Ibid.,  I,  p.  343,  344,  354,  391,  405,  417,  430,  431,  459,  514. 

3  Ibid.,  I,  p.  515,  568,  571  et  582. 

♦  Ibid.,  I,  p.  391,  405,  418,  429,  459,  472. 
s  Ibid.,  I,  p.  343-344. 

6  Ibid.,  I,  p.  308. 

'  Ibid.,  1,  p.  32-2,  364,  395,  426,  427;  cf.  p.  459. 

«  Ibid.,  I,  p.  34'i;  cf.  p.  413. 

9  Ibid.,  I,  p.  282,  307,  335,  351,  355,  356,  357,  373;  cf.,  sur  d'au- 
tres vapeurs  à  acquérir  ou  acquis,  ibid.,  I,  p.  302,  391,  427,  499, 
540  551;  II,  p.  1  et  2. 

"  Ibid.,  I,  p.  394. 


Notic€>  sur  Michèle  Ainari  KJ5 

connivence  avérée  des  deux  puissances  neiilres.  La 
Sicile  puise  un  regain  de  conliance  dans  l'ardeui'  impé- 
tueuse de  ces  recrues  bruyantes,  dans  rinaclioii  pro- 
longée du  roi  Bomba,  qui  se  réserve  j)our  le  printemps 
prochain,  dans  le  succès  éclatant  d'un  emi)iiinl  forcé 
qui  fui  couvert  sans  difficulté  dans  «  ce  pays  des 
miracles  >,  et  qui  remplit  pour  un  moment  les  caisses 
vides  des  Siciliens  à  Palerme  et  à  Paris  '. 

Un  sage  comme  Amari,  tout  en  co()|)érant  aux 
mesures  qui  relèvent  les  courages  de  ses  compatriotes, 
ne  se  dissimule  pas  la  nécessité  urgente  de  résoudre  à 
bref  délai  le  problème  de  l'union,  «puisque,  pour  le 
moment  et  pour  longtemps,  il  ne  sera  pas  question 
d'unité  en  Italie  -  ».  Il  faut  lire  d'un  bout  à  l'aulie  le 
remarquable  rapport  rédigé  en  français,  que  le  8  dé- 
cembre 1818,  Michèle  Amari  et  le  baron  di  Friddani 
adressèrent  au  ministre  Bastide  ^.  On  v  reconnaît  la 
précision  et  la  fermeté  de  pensée  et  de  langage  qui 
distinguent  les  écrits  d'Amari ,  scientifiques  ou  poli- 
tiques, historiques  ou  littéraires,  et  je  n'hésite  pas  à  le 
dénoncer  comme  le  rédacteur  du  manifeste,  signé  par 
lui  et  par  son  collègue  de  Paris,  qui  n'hésita  pas  à  sou- 
scrire les  termes  de  son  éloquente  déclaration. 

La  situation  est  ainsi  dépeinte  dans  un  tableau  sai- 
sissant, destiné  à  porter  la  conviction  dans  l'esprit  du 

'  (AirU'(j(jio,  I,p.499;  IctU-e  du  marquis  di  Torrcarsa  à  Amari  du 
19  décemljrc  1848.  L'emprunt  étatt  de  100.000  onze,  dit  la  lettre; 
Amari  (La  Sicile,  p.  39)  parle  d'un  million  et  demi  de  francs  cjui 
auraient  été  versés.  Uoiiza  sicilienne,  sur  laquelle  je  n'ai  pas 
trouvé  à  me  renseigner,  valait  donc  lô  francs.  Un  projet  d'em- 
prunt, à  contracter  à  Paris,  venait  d'échouer  misérablement 
après  des  remises  successives;  cf.  \c  Carleggio,  I,  p.  117,  458- 
459,  495-496,  etc. 

2  Amari,  La  Sicile  et  les  Bourbons,  p.  104. 

^  Carleggio,  I,  p.  485-488. 


130  Opuscules  d  un  arabisant 

Ministre  auquel  est  adressé  cet  exposé  lumineLix  '  : 
«  La  Sicile,  dans  sa  révolution  de  1848,  ne  s'est  pas  écartée 
un  seul  iustant  du  principe  de  l'union  nationale  de  l'Ita- 
lie. Les  objets  de  cette  révolution  ont  été  :  1"  d'abroger  un 
pouvoir  illégal  et  despotique  ;  2°  de  cliasser  un  prince 
sanguinaire,  l'ennemi  de  ses  peuples,  de  l'Italie  et  de 
la  civiHsation  ;  3«^  enfin  de  briser  non  pas  un  lien  frater- 
nel, mais  une  chaîne  d'esclavage,  forgée  par  les  traités 
de  1815...  Maintenant,  sous  le  coup  de  la  réaction  de 
la  Loml)ardie  et  de  Naples,  il  ne  reste  d'autre  parti 
à  prendre  que  de  consolider  au  plus  tôt  les  idées  de 
fédération.  Il  ne  paraît  pas  difficile  qu'on  tombe 
d'accord  sur  deux  points  essentiels  :  l'élection  ^popu- 
laire pour  la'Diète  Constituante  et  l'admission,  à  titre 
égal^  de  toutes  les  subnationalités  historiques  ou  géogra- 
phiques  :  Piémont, Lombardie  et  Vénétie, Toscane,  Etats 
Romains,  Naples,  Sicile.  Peut-être  les  différents  projets 
formés  en  Piémont,  en  Toscane,  à  Rome,  ne  tarderont- 
ils  pas  à  se  fondre  en  un  seul,  et  celui-ci  à  recevoir  la 
sanction  des  Parlements,  des  Princes  et  des  peuples... 
Personne  ne  peut  douter  de  l'etficace  coopération  de  la 
France  à  la  fédération  italienne,  quand  on  a  pour 
gages  les  principes  proclamés  par  la  République,  le 
haut  intérêt  politique  de  la  France  à  voir  l'ItaHe  con- 
stituée d'après  ces  principes,  les  déclarations  réitérées 
de  l'Assemblée  nationale  et  du  Pouvoir  exécutif  pour 
l'affranchissement  de  l'Italie.  Quant  à  la  Sicile  en  par- 
ticulier, ne  devrait-elle  pas  compter  sur  l'appui  de  la 
France  pour  devenir  un  des  membres  indépendants  de 

^  On  aura  profit  à  étudier  la  genèse  et  le  développement  de 
ce  point  de  vue,  qui  va  toujours  en  s'élargissant  dans  l'esprit 
clairvoyant  d'Amari,  en  lisant,  dans  l'ordre  où  ils  se  suivent,  les 
passages  suivants  publiés  dans  le  Carteggio,  I,  p.  376,  377,  381, 
384,  395-397,  462,  464,  466  (important),  470,  483,  492  et  499. 


Notice  sur  ^lichele  Aniari  i:$7 

la  fédération?  Les  hommes  d'Etat  aj)i)elés  aux  Conseils 
de  la  Répul)li(|iie  connaissent  trop  bien  l'histoire  et  la 
position  actuelle  de  la  Sicile  pour  ne  pas  être  convain- 
cus que  l'union  de  cette  île  à  Naples,  sous  Ferdinand 
de  Bourbon,  est  devenue  impossible,  et  ce  lien  IVa^ile 
et  odieux  ne  servirait  ({u'à  attirer  les  ambitions  de 
l'étranger  sur  la  Sicile  '.  La  Ué[)ul)li(jue  a  reconnu  de 
fait  l'indépendance  de  cette  ile;  le  canon  français  a 
salué  cent  fois  le  pavillon  sicilien.  La  France  ne  pourrait 
sourire  à  un  despote,  qui  le  foulerait  tout  sanij;lant  à 
sc^  pieds  ». 

Au  moment  où  Amari  s'évertuait  à  placer  sousla  sau- 
vegarde de  la  France  le  pavillon  sicilien  «  aux  trois 
couleurs  italiennes  -  »,  les  pensées  à  Paris  et  dans  les 
départements  convergeaient  vers  l'élection  présiden- 
tielle iixée  au  10  décembre  181(S.  Qui  l'emporterait, 
du  général  Cavaignac  ou  du  prince  Louis  Napoléon? 
Les  pronostics  les  plus  autorisés  étaient  d'accord 
pour  annoncer  avec  certitude  que  le  sutTrage  universel 
réservait  au  prince  une  majorité  écrasante.  Amaii  eut 
préféré  ne  {)as  croire  à  cette  issue  qu'il  considérait 
comme  une  calamité  |)our  la  F'rance  '-K  Mais  il  avait 
assisté  aux  progrés  des  «  idées  napoléoniennes  *  »  et  il 
se  rendait  à  l'évidence.  Il  s'indignait  déjà  en  prévoyant 

'  Le  28  février  1849,  Aiiinri,  à  in  pnge  30  et  (iernière  de  son 
Posl-scripliim  à  Im  Sicile  cl  les  Bourbons,  agitera  devant  la  France 
et  l'Anifletcrrc,  témoins  syn)i)atliiques,  niais  spectateurs  immo- 
biles, le  spectre  d'((  une  garnison  napolitaine,  croate  ou  cosaque, 
peu  importe  »,  mise  par  l'Autriche  ou  la  Russie  dans  «  l'ile  la 
plus  importante  de  la  Méditerranée,  qui,  dans  le  commerce 
comme  dans  la  guerre,  pouvait  devenir  la  clef  de  l'Italie  et  de 
l'Orient  ». 

■^  Caiieggio,  I,  p.  186. 

3  //)/(/.,  I,  p.  338,  lettre  d'Amari  du  30  octobre  1848. 

*  .l'emprunte  cette  expression  au  titre  d'un  des  premiers  opus- 
cules de  Louis  Napoléon  (  Paris,  1839j. 


138  Opuscules  d'un  arabisant 

que,  dans  les  rues  de  la  capitale,  «  la  neige  serait 
teinte  du  sang  versé  ^  »  et  que  les  protestations  des 
meilleurs  républicains  risquaient  d'amener  la  guerre 
civile.  Amari  n'entretint  jamais  aucune  relation  directe 
ni  avec  le  Prince  Président,  ni  plus  tard  avec  Napo- 
léon III,  empereur  des  Français. 

Drouvn  de  Liivs  avant  été  nommé,  le  20  décembre, 
Ministre  des  affaires  étrangères,  Friddani  et  Amari, 
admis  auprès  de  lui  le  25-,  essayèrent  de  le  gagner  à 
la  cause  de  leur  mallieureux  pays  avec  autant  de  cha- 
leur qu'ils  l'avaient  fait  auprès  de  son  prédécesseur,  le 
citoyen  Bastide,  et  trouvèrent  en  celui-là  un  interlocu- 
teur aussi  sourd  à  leurs  prières,  mais  moins  aimable 
et  plus  décourageant  que  ne  l'avait  été  celui-ci.  Le  Mi- 
nistère des  affaires  étrangères  n'a  pas  cessé  d'être,  dans 
les  pays  civilisés,  celui  dans  lequel  les  traditions  se 
perpétuent  avec  le  plus  de  continuité,  quel  que  soit  le 
régime,  royauté,  république  ou  empire.  Néanmoins, 
Drouyn  de  Luys  met  à  dessein  plus  de  raideur  et  de 
sécheresse  dans  son  accueil  pour  accentuer  plus  nette- 
ment l'attitude  désormais  inexorable  de  la  France 
envers  la  Sicile.  Le  baron  di  Friddani  ne  veut  plus 
gravir  les  marches  du  Ministère  ;  et  moi,  écrit  Amari  -^ 
((  je  vais  seul  subir  avec  dédain  toutes  ces  humilia- 
tions, qui  sont  pour  moi  un  sacrifice  fait  au  pays  ». 

Ce  fut  à  la  parole  écrite,  comme  à  un  instrument 
plus  efficace  d'action  sur  gouvernants  et  gouvernés, 
qu'Amari,  pour  s'épargner  le  retour  de  pareilles  «  humi- 
liations »,  résolut  d'avoir  recours  dans  l'accomplisse- 
ment de  sa  mission.  Il  organisa  une  propagande  active 


^  Carteggio,l,i).  410. 

^  Giovanni  Lucifora,  dans  les  Memorie  délia  Rivoliizione  sici- 
licina  (sur  cet  ouvrage,  voir  p.  150,  note  2),  I.  p.  229. 
^  Carteggio.,  I,  p.  532;  cf.  p.  563. 


Notice  sur  Michèle  Aiuari  i:{î> 

par  des  insertions  d'articles  dans  les  jonrnaux  français 
et  anglais,  ainsi  que  dans  celles  des  Revues  (|ui  donnent 
le  branle  à  l'opinion  publique  '.  A  ses  Qiicl(iiies  obser- 
valions  sur  le  droit  public  de  lu  Sicile,  vieilles  de  près 
d'une  année-,  il  médite  de  substituer  un  manuel  où  il 
mettra  en  parallèle  les  droits  saerés  de  la  Sicile  et  les 
méfaits  iniques  des  Bourbons.  Ferdinand  11  n'a-t-il  pas 
donné  réeeniment  de  nouveaux  gages  à  la  réaction  en 
recueillant,  le  25  novembre,  à  Gaètc,  le  Pape  Pie  IX, 
qui  a  été  mis  en  fuite  par  l'insurrection  romaine,  ses 
sujets  ne  lui  ayant  pas  pardonné  sa  volte-face  au  libé- 
ralisme de  ses  débuts  '^  ?  Amari  parle  d'abord  d'un 
«  opuscule  documenté  de  200  à  300  pages  ^  »,  qu'il  ne 
signera  pas  de  son  nom,  pour  ne  pas  froisser  les  con- 
venances parlementaires  ^,  et  finalement  il  condense  la 
matière  dans  une  plaquette  de  108  pages,  datée  de  jan- 
vier 1819,  en  tète  de  laquelle  on  lit  :  La  Sicile  et  les 
Bourbons,  par  Amari,  membre  du  Parlement  sicilien  ^. 
Le  29  mars,  «  malgré  la  répugnance  que  lui  inspire  ce 
blaspbème  contre  les  droits  sacrés  de  la  Sicile  »,  il 
reproduit  dans  un  Post-scriptum  '  le  projet  de  constitu- 
tion de  Gaète,  en  cinquante-six  articles,  proposé  à  la 
Sicile,  comme  ((  concession  royale  »,  par  Ferdinand  11  le 
28  février,  et  Amari,  conformément  à  ses  opinions  pro- 
fondément enracinées,  justifie  «  le  refus  de  ces  condi- 


'  Cartcgg'o,  I,  p.  350,356,  367,  371,  481,  etc. 

^  Les  Quelques  observations  sont  du  9  février  1848;  voir  plus 
haut,  p.  125. 

^  Cartcggio,  I,  p.  471.  «  Révolution  heureuse  à  Rome»,  avait 
écrit  Amari,  aussitôt  que  la  nouvelle  lui  en  était  parvenue;  cf. 
/7>zV/.,I,p.  453,  une  lettre  précisément  datée  du  25  novemhre  1848. 

►  Ihid.,  I,  p.  416.  Si  c'est  là  un  «  opuscule  »,  que  sera  un  livre? 

*  Ibid.,  I,  p.  41 4. 

«  Paris,  A.  Franck;  cf.  Carleggio,  I,  p.  521,  note,  527-528. 

■^  Paris,  Pion,  30  pages;  y  voir  p.  4-14. 


140  Opuscules  d'un  arabisant 

tions  par  le  Comité  sicilien  »,  et  juge  sévèrement  «  le 
refus  par  Ferdinand  des  conditions  que  le  Comité  lui 
proposait  à  son  tour  •  ».  Il  préconise  la  solution  des 
diflicultés  pendantes  dans  une  brochure  anonyme  dont 
le  titre  indique  suffisamment  rol)jet  :  La  médiation  fran- 
çaise dans  les  affaires  de  Sicile  -,  en  même  temps  que, 
sous  un  titre  analogue  ^,  il  publie  à  Londres,  en  la 
signant  de  son  nom,  une  traduction  anglaise  de  son 
Post-scriptiiin,  allégée  du  texte  de  la  «  charte  offerte  ». 
Devançons  Amari  en  Sicile,  dont  la  situation  s'est 
aggravée,  et  à  Païenne,  où  il  abordera  le  16  avril  1849  *. 
Pendant  qu'il  écrivait,  <(  comme  on  dit  en  Sicile,  avec 
le  sang  aux  yeux  ^  »,  les  événements  se  précipitaient 
et  la  catastrophe  finale  paraissait  imminente.  La  patience 
du  roi  Bomba  est  à  bout;  il  a  laissé  passer  l'hiver  l'arme 
au  bras,  sans  coup  férir,  non  pas  seulement  par  longa- 
nimité, mais  aussi  sur  les  instances  réitérées^  impé- 
rieuses, de  l'Angleterre  et  de  la  France.  Les  prétentions 
de  la  Sicile  ont,  dans  le  Prince  Président  et  dans  son 
Ministre  des  affaires  étrangères,  des  antagonistes  plu- 
tôt que  des  alliés.  Si  l'étiquette  républicaine  n'est  pas 
effacée  en  France,  le  gouvernement  se  solidarise  avec 
les  rois  pour  acheminer  le  pays  vers  la  restauration  de 
l'empire.  Il  y  a  plusieurs  mois  que  l'Angleterre,  ((  paci- 
fique et  réactionnaire  ^  »,  a  déçu  les  espérances  qu'avait 
mises  en  elle  Amari,  «à  l'origine  anglophile,  sinon  anglo- 

^  Amari,  Post-scriptiim,  p.  29. 

^  Paris,  Pion,  sans  date  (1849i,  14  pages  gr.  in-8t». 

^  The  anglo-french  Médiation  in  Sicilij  or  Post-scriptiim  to  Sicity 
and the  Bourbons,  London,  1849;  cf.  Tommasini,  Scritti,  p.  315, 
note.  La  Bibliothèque  de  l'Institut  de  France  possède  un  exem- 
plaire de  celte  traduction  anglaise. 

'  Carleggio,  I.  p.  569,  580,  582  et  586. 

°  Ibid.,  I,  p.  511. 

«  Ibid.,  I,  p.  389. 


Notice  sur  Michèle  Ainuri  141 

mane  ».  «  A  présent,  écrit-il  le  (>  décciiibrc  IH  IcS  ',  ne  inc 
parlez  pas  de  John  Bull.  »  La  crise  ministérielle  si  malen- 
contreuse qui,  à  Païenne,  renversa  du  pouvoir,  le  1.")  fé- 
vrier 1819,deslu)inniestels  (jue  le  mar(|uisdi  Torrearsaet 
ses  collègues,  dont  la  vertu  elle  dévouement  rehaussaient 
l'auloriléau  dedans  et  au  dehors,  aurait  pu  avoir  des  eon- 
sé({uenees  graves  pour  la  Sicile,  si  Pietro  Lanza,  prince 
di  Butera,  chef  du  nouveau  cabinet,  n'avait  pas  inspiré 
et  mérité  pleine  conliance -.  H  inaugura  ses  lonctions 
en  recevant  de  (iaéte  la  «  charte  octroyée  x),  datée  du 
28  février^,  accompagnée  d'un  ultimatum.  ^  Les  condi- 
tions ci-dessus,  dit  en  terminant  le  roi  de  Xaples  * ,  se- 
ront considérées  comme  non  avenues,  non  faites  et  non 
})romises,  si  la  Sicile  ne  se  soumet  pas  immédiatement 
à  l'auloiité  de  son  légitime  souverain.  Dans  le  cas  où 
l'armée  royale  se  verrait  dans  la  nécessité  d'agir  pour 
reprendre  possession  de  cette  partie  des  pays  du  Uoi^, 
la  Sicile  s'exposerait  à  tous  les  dommages  {|u'entraîne 
la  guerre  et  à  la  ])erte  des  avantages  que  lui  assurent 
les  présentes  concessions.  »  Cette  ])roclamation  aux 
Siciliens,  avec  les  ((  dispositions  »  que  le  Roi  «  se  ré- 
serve de  lornnder  à  la  lin  de  juin  de  l'année  courante  », 
commençait  i)ar  u\\<t  anmistie  ^.c  pour  tous  les  laits  et 
délits  politiques'^  ».  Amari,  dans  son  indignation  cour- 
roucée, avant  d'entreprendre  une  analyse  partiale  de  la 
«  charte   octroyée  »,   la    llétrit  comme  une  «  étrange 

'  Cartcggîo,  T,  p.  480. 

-  Aniari  n'approuve  pas  tous  les  choix  et  demande  «  un  chan- 
gement i)artiei  ».  Lettre  du  7  mars  1849,  ibid,,  I,  p.  ô4î).  M. 
D'Ancona,  ibid.,  note,  énumère  les  membres  du  Ministère  au 
15  février  et  ceux  qu'il  s'adjoignit  dans  un  remaniement  con- 
forme aux  vœux  d'Amari,  en  date  du  13  mars. 

^  Voir  plus  haut,  p.  139. 

*  Amari,  l'ost-scripliim,  p.  14. 

5  Ibid.,  p.  5  et  6. 


142  Opuscules  d'un  arabisant 


concession  royale  qui  commence  par  l'insulte  et  le 
mensonge  et  finit  par  la  menace  d'une  guerre  d'exter- 
mination ^   ». 

Au  cas  où  les  Siciliens  n'acquiesceraient  pas  au  par- 
don et  à  la  rentrée  en  grâce   accordés  au  «  pays  de 
Gérés  *  »  s'il  abandonne  les  armes   pour  la  charrue, 
l'ouverture  des  hostilités  serait  fixée  au  dixième  jour 
après  le  refus  des  propositions  ^  La  répression  énergi- 
que, implacable,   ne  chômerait  pas,   le  bourreau,  qui 
en  est  chargé,  n'étant  autre  que  le  généralissime  Carlo 
Filangieri,  prince  de   Satriano,  «  le  boucher  de  Mes- 
sine^ »,  qui  a  remis  l'ultimatum   aux  ministres  pléni- 
potentiaires anglais  et  français  à  Naples,   Sir  ^\^illiam 
Temple  et  Alphonse  de  Rayneval,  pour  qu'il  fût  com- 
muniqué au  Gouvernement  du  Royaume  de  Sicile  par 
les    amiraux  anglais    et  français  Parker    et  Baudin^. 
Amari  ne  se  soucie  plus  que  d'aller  immédiatement 
faire  le  coup  de  feu  à  Palerme,  où  le  sort  de  la  Sicile 
se  décidera,  comme  en  janvier  1848.  Sa  conscience  lui 
enjoint  de  s'associer  autrement  que  de  loin  aux  périls 
et  au  destin  de  ses  anciens  amis  politiques.  Au  premier 
coup  de  canon,  il  quittera  Paris  et  regagnera  son  poste, 
qui  peut  devenir  périlleux,  à  la  Ghambre  des  commu- 
nes, dans  les  rangs  de  la  Garde  nationale  mobilisée, 
dans  les  troupes  de  citoyens  qui  sortiront  à  la  rencon- 
tre de  l'ennemi.  Il  aspire  à  combattre  et  à  mourir  pour 

^  Amari,  Post-scripium,  p.  14. 

^  Expression  du  Roi  dans  sa  proclamation;  ibid.,  p.  5. 

3  Car  le  g  g  io,  \,  p.  551. 

^  Ihid.,  I,  p.  310  et  550;  Amari,  Post-scriptiim,  p.  4. 

3  D'Ancona,  dans  le  Caiieggio,  I,  p.  557.  C'est  l'amiral  Baudin 
qui  a  indiqué  expressément  la  durée  du  délai  au  prince  di 
Butera.  Quant  à  l'amiral  Parker,  il  n'avait  spécifié  aucune  date 
pour  la  rupture  de  l'armistice.  Lettre  du  prince  di  Butera  du  8 
mars  1849,  ibid.,  I,  p.  551. 


Notice  sur  Michèle  Ainari  I/i3 

la  nol)le  cause,  dont  il  espère  la  victoire,  en  conseillanl 
la  résistance  jusque  sous  le  couteau  '.  (le  n'est  pas  à 
Palerme,  où  ses  sentiments  les  plus  intimes  le  poussent 
à  exposer  sa  vie  allègrement,  c'est  à  Londres,  où  «  la 
conOanee  immense  »  du  prince  di  Imitera  lui  a  fait 
«  l'honneur  d'une  importante  mission-  »,  cpi'Amari  va 
se  rendre  tout  d'ahord .  II  part  le  8  mars  1<S19,  la  mort 
dans  l'àme,  pour  tenter  une  démarche  suprême  auprès 
de  lord  l^dmerston,  silencieux  et  impénétrahle  à  son 
ordinaire,  avec  la  complicité  active  de  lord  Minto, 
«  toujours  courtois  et  amoureux  comme  un  père  à 
l'égard  de  la  Sicile*^  >'.  Dans  ces  entretiens,  la  candi- 
dature éventuelle  de  Ferdinand  de  Savoie,  duc  de  Gê- 
nes, cà  la  royauté  de  la  Sicile,  est  de  nouveau  posée  et 
soutenue  par  Amari,  mais  sans  cpi'il  ohtienne  créance 
sur  l'acceptation  possihle  du  prince,  au  moment  où 
son  père,  ('diarles  Alhert,  roi  de  Sardaigne,  ahandonné 
à  lui-même  par  l'Angleterre  et  par  la  France,  était  com- 
haltu  sans  merci  par  l'Autriche  ^  Amari,  rentré  à  Pa- 
ris le  13  mars"',  n'y  rencontra  pas  de  dispositions  plus 
favorahles  à  la  Sicile.  La  «  crainte  des  rouges^  »  y 
prédominait.  Les  pro])ositions  «  très  inlàmes  »  du  roi 
Bomha  paraissaient  acceptahles,  et  le  mieux  serait  de 

'  Cdrlcfigio,  I,  p.  490,  519,  526,  528,  530,  537,  556,  562,  563,  566, 
58(1,582.  Ma  rcctaction  donne  le  sens  et  en  partie  les  termes  de 
ces  passages  écrits  pour  la  plupart  du  16  décembre  1848  au 
22  mars  1849. 

-  Ihid.,  I,  p.  54i). 

^  Ibid.,  I,  p.  552;  cf    p.  553  et  557. 

'  Ibid.yl,  p.  556,  560  et  566.  Les  hostilités  contre  le  royaume 
de  Sardaigne,  reprises  après  une  trêve  le  12  mars,  aboutirent 
le  23  à  la  défaite  de  Xovarre,  qui  eut  pour  conséquence  l'ab- 
dication de  Charles  Albert  en  faveur  de  son  lils  aîné,  Victor 
Emanucl  II. 

'"  Ibid..  I,  p.  556. 

^  Ibid.,  I,  p.  563. 


144  Opuscules  duii  arabisant 


s'y  résigner.  Amari  n'admet  pas  qu'on  transige  et,  le 
27,  il  écrit  de  Paris  au  marquis  di  Torrearsa  *  :  «  Notre 
politique  est  unique  et  très  claire,  et  l'on  ne  peut  s'y 
tromper.  Résister  et  nous  faire  égorger,  ne  jamais  cé- 
der, surtout  ne  jamais  faire  une  ligne  de  convention 
que  dans  l'avenir  on  puisse  alléguer  comme  une  renon- 
ciation à  nos  droits...  Combattons  sans  compter  sur 
aucun  appui.  » 

Le  principe  de  non-intervention  est  donc  invoqué 
parles  deux  Puissances  indiilérentes,  qui  donnent  carte 
blanche  au  roi  Bomba.  Après  avoir  vainement  attendu 
la  soumission  du  Gouvernement  sicilien,  il  donne  à 
son  armée  l'ordre  de  prendre  l'offensive.  Il  commence 
par  s'emparer  de  Taormina,  mal  défendu  par  Mieros- 
lawski'-.  Le  6  avril,  vers  le  soir,  c'est  Catane  qui  se 
rend  «  après  une  courte  résistance  traversée  par  mille 
malentendus  et  parce  qu'une  partie  de  la  troupe  s'est 
débandée^  ».  Ces  échecs  étaient  des  symptômes  de  la 
démoralisation  générale  qui,  d'avance,  condamnait  lile 
vaincue  à  de  nouvelles  souffrances  et  à  une  oppression 
pire  que  celle  du  passé.  Dès  le  9,  le  prince  di  Butera 
épanche  «  en  ami  et  confidentiellement  ^  »  sa  douleur 
et  son  désespoir  dans  le  cœur  d' Amari,  qui  souffre  plus 
que  jamais,  dans  cette  période  critique,  de  n'avoir  pas 
su  échapper  à  sa  servitude  parisienne.  Il  la  secoue  en- 
fui et  arrive  à  Palerme  le  16  avril. 

Le  spectacle  qui  le  trappe  et  qui  le  navre,  aussitôt 
qu'il  a  mis  le  pied  dans  sa  ville  natale  libi'e  encore  du 
joug  napolitain,  c'est  le  laisser-aller  qui  y  règne,  l'iner- 

1  Torrearsa,  dans  le  Carleggio,  I,  p.  558. 

2  IbicL,  I,  p.  565-566. 

■^  Ibid.,  I,  p.  568;  cf.  p.  571. 

''  Le  prince  di  Butera  à  Amari,  le  9  avril;  ibid.,  I,  p.  566;  cf. 
p.  568. 


Notice  sur  Michèle  Ainari  145 


lie  des  chefs,  riiuliscipline  des  soldats,  le  mauvais 
vouloir  de  la  bourgeoisie,  lasse  de  ({uiiize  mois  de  révo- 
lution dans  l'isolement  (Tune  île,  épouvantée  de  l'ap- 
parition et  des  progrès  du  choléra,  qui  y  choisit  le  plus 
souvent  ses  victimes.  Il  venait  payer  à  la  Sicile  le  tri- 
but de  son  sang  et  il  trouve  Palerme  à  la  veille  d'une 
catastrophe  dont  elle  ne  s'alarme  pas,  d'une  capitula- 
tion plus  désirée  que  redoutée,  d'une  redchlion  en  fa- 
veur de  hK[uelle  la  (iarde  nationale  et  le  Parlement 
sicilien  sont  disposés  favorablement  '.  Les  bateaux  à 
vapeur  fiançais  s'apprêtent  à  supprimer  leur  relâche  à 
Trapani,  sur  la  route  de  Marseille  à  Malte,  (f  II  faut 
absolument,  écrit  Amari  dès  son  débar({uement -,  con- 
server ce  service,  au  moins  tant  que  notre  bannière 
n'est  pas  abattue  à  Palerme...  S'il  cessait,  nous  per- 
drions l'unique  voie  de  communication  qui  nous  reste 
dans  les  conditions  présentes,  dont  nous  ne  pouvons 
pas  pressentir  la  durée  »  S'il  avait  connu  plus  tôt  la 
populace  dont  le  contact  l'effarouche  maintenant,  qu'il 
avait  crue  attachée  à  ses  droits  et  acharnée  contre  les 
Bourbons^  il  aurait  sans  doute  montré  quehjucs  défail- 
lances de  la  volonté  dans  l'accomplissement  de  son 
mandat  à  Paris  et  à  Londres.  Ce  qui  le  désole,  c'est 
que  le  grondement  du  canon  ne  couvre  pas  la  voix  de 
la  diplomatie  et  des  di})lomates,  que  «  la  Sicile  ne  veut 
j)lus  coml)attre  pour  sa  liberté^  ».  Il  n'a  plus  retrouvé 
le  Ministère  Butera  qui,  le  14  avril,  a  dû  céder  la  place 
à  un  «  fantôme  de  Ministère,  dont  l'àmc  est  le  baron 
Riso,  devenu  préteur  de  Païenne  ».  Comme  les  méde- 
cins se  succèdent  au  chevet  des  moribonds,  nombreux 
sont  les  cabinets  qui  président  l'un  après  l'autre  à  l'ago- 

^  Carteggio,  I,  p.  582, 
-  Ibid.f  I,  p.  Ô139-570. 
^  Ibid.,  I,  p.  570. 

10 


146  *      Opuscules  d"un  arabisant 

nie  du  Gouvernement  du  Royaume  de  Sicile.  Le  der- 
nier, le  ministère  de  la  ploutocratie,  des  appétits  et  de 
la  capitulation,  n'a  pas  laissé  les  meilleurs  souvenirs*. 
Le  20  avril,  Amari  assiste  à  un  (Conseil  extraordinaire 
des  notables,  convoqué  par  le  «  très  saint  »"-  et  véné- 
rable Président  du  Gouvernement,  Ruggcro  Settimo. 
Amari,  La  Farina  et  quelques  autres  parlent  contre  la 
reddition.  Une  autre  séance  est  tenue  le  lendemain. 
Amari  s'abstient  cette  fois  d'intervenir,  parce  qu'il  ne 
se  sent  soutenu  que  par  une  minorité  impuissante^. 

((  Tout  effort  de  ma  part^  écrivait  Amari  quatre  mois 
plus  tard,  après  avoir  eu  le  temps  de  la  réflexion  sur 
ce  qu'il  avait  vu  et  éprouvé  ^,  tout  effort  de  la  part 
d'un  autre  auraient  été  vains,  et  je  vous  confesse  qu'il 
nous  manqua  le  courage  de  déchaîner  une  guerre 
civile  comme  prélude  à  la  continuation  de  la  guerre 
contre  les  Croates  ou  les  Cosaques,  connue  vous  vous 
plaisez  à  les  appeler,  du  roi  de  Naples.  Le  peuple 
nous  aurait  suivis;  mais  qui  pouvait  'répondre  de  la 
modération  d'un  peuple  qui  avait  bu  les  premières 
gouttes  du  sang  de  ses  concitoyens,  d'un  peuple  qui, 
sous  l'empire  des  lois,  a  l'habitude  d'être  malheureu- 
sement trop  enclin  à  répandre  le  sang  ?  Le  rôle  de 
chef  d'une  multitude. ..  méfait  peur,  à  moins  que  je 
ne  voie  la  probabilité  d'une  issue  heureuse,  qui  justifie 
toujours  les  moyens  par  la  sainteté  de  la  cause  victo- 
rieuse.  Nous  nous  laissons,  pour  ainsi    dire,  chasser 

'  D'Ancona,  dans  le  Carleggio,  I,  p.  573,  note. 

■2  Amari,  ibid.,  l,  p.  563. 

^  Amari  et  D'Ancona,  ihid.,  I,  p.  576;  cf.  Giovanni  Liicifora, 
dans  les  Meniorie  délia  Rivoluzione  siciliana  (sur  cet  ouvrage, 
voir  p.  150,  noie  2),  I,  p.  227. 

^  Le  6  août  1849;  cf.  le  Carleggio,  l,  p.  582-583.  Nous  avons 
déjà  donné  des  fragments  de  cette  lettre  d'Amari  à  Giovanni 
Arrivabene. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  147 

par  la  Garde  nationale  ([iie  nous  aurions  pu,    en  une 
demi- journée,  renvoyer  dans  ses  fo\'ers.  » 

Amari,  déçu,  désenchanté,  réveillé  hruscpienient  de 
ses  illusions,  dé|)rimé  par  le  dégoût  de  tant  de  has- 
sesses  et  de  complaisances,  prescpie  «  chassé  »  par  ses 
compagnons  de  la  Garde  nationale,  éprouva  l'impa- 
tience de  s'éloigner  avec  la  même  intensité  avec  laquelle, 
naguère,  il  avait  rongé  son  h'ein,  lorsque  mille  causes 
avaient  dilleré  son  départ.  Il  avait  eu  la  consolation  de 
revoir  son  vieux  ])ére,  déhris  d'un  lointain  passé.  Une 
autre  diversion  aux  nausées  dont  il  souillait  lui  fut 
fournie  par  l'arahisant  qui  sommeillait  en  lui.  <'  Au 
bout  d'une  semaine,  dit-il,  dans  une  lettre  à  M.  Adrien 
de  Longpérier  écrite  à  la  fin  de  1819  ^  je  fus  obligé  de 
chercher  un  asile  à  l'étranger.  L'idée  me  vint  alors 
d'employer  les  deux  derniers  jours,  faute  de  mieux,  à 
l'estampage  de  l'inscription  de  laCouba..  .  Montés  sur 
des  échelles  jusqu'à  un  petit  escalier  tournant  en  pierre, 
que  je  crois  lîé  avec  le  château  -,  nous  gagnâmes  la 
terrasse  qui  sert  de  toit  et  d'où  l'on  jouit  d'une  vue 
magnifique.  On  estam])e  l'inscription  sous  nos  yeux, 
et  M.  Cavallari  se  charge  d'en  reprendre  les  traits  au 
crayon,  en  examinant  l'inscription  iV^n  bas  à  l'aide 
d'une  bonne  lunette.  C'est  ainsi  qu'a  été  pris  le  calque 

^  Revue  archéologique  de  1849,  p.  669-683.  Le  passage  cité  est 
p.  682. 

-  Le  palais  de  la  Couba  (correctement la  Koiibha  «la Coupole  »), 
le  Trianon  des  rois  de  Sicile,  aux  portes  de  l^alcrnie,  remonte 
au  xne  siècle  de  notre  ère,  ayant  été  construit,  d'après  le  texte 
de  l'inscription  arabe,  par  Guillaume  II  le  Bon,  vers  1180.  Le 
pluriel  se  rauporte  à  Amari  et  à  ses  deux  collaborateurs,  l'ha- 
bile artiste  Saverio  Cavallari  etie  colonel  (iiacinto  Carini,  «  mon 
ami  et  maintenant  mon  compagnon  d'exil  ».  Sur  le  premier,  voir 
D'Ancona,  dans  le  Carleygio,  II,  p.  62;  sur  le  second,  plus  haut, 
p.  111;  D'Ancona,  dans  le  Carteggio,  I,  p.  577;  G.  Pipitone 
Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez  durante  e  dopo  Vesilio 
(Palermo.  1904),  p.  55,  n.  1  ;  plus  bas,  p.  150. 


148  Opuscules  d'un  arabisant 

que  je  me  suis  empressé  de  vous  soumettre.  »  Amari 
racontera  plus  tard  au  professeur  Antonio  Salinas  ^ 
comment  il  avait  eu  «  la  folie  de  risquer  une  chute  de 
cette  hauteur  en  circulant  sur  les  poutres,  pendant  que 
la  milice  municipale^  commandée  par  le  patriote  Mor- 
tillaro  et  excitée  par  le  virus  de  Pllangieri,  voulait 
tailler  en  pièces  ces  révolutionnaires  qui  avaient  trou- 
blé la  paix  publique.  Mais,  dans  l'espace  d'une  semaine, 
j'échappai,  non  seulement  à  ces  deux  espèces  de  mort, 
mais  aussi  à  une  troisième  sur  l'écueil  des  Porcelli.  » 
Arrivé  à  Palerme  avec  une  charge  d'armes  pour 
V  faire  son  devoir,  Amari  en  repartait,  portant  sous  le 
bras  une  petite  cassette  où  étaient  déposés  ses  travaux 
arabes.  Il  les  avait  laissés  en  1848  chez  son  beau-frère 
Del  Fiore,  lorsque  avait  commencé  son  deuxième  exil. 
Il  y  avait  là  ses  copies  de  textes  arabes,  ^es  notes  et 
la  première  ébauche  de  l'histoire,  aux  trois  quarts  rédi- 
gée. Embarqué  sur  la  frégate  à  vapeur  VOdiii  le  23 
avril  1849,  où  il  fut  admis  à  se  réfugier  avec  trois  de  ses 
collègues,  Mariano  Stabile,  le  marquis  di  Torrearsa  et 
le  prince  di  Scordia,  Amari  fut  transbordé  le  lendemain 
dans  le  port  de  Trapani  sur  le  vapeur  français  le 
Rhamsès.  Une  demi-heure  après,  le  Rhamsès  donnait 
droit  contre  un  écueil  bien  connu  qui  s'élève  au-dessus 
des  eaux  dans  ces  parages,  et  cela  en  plein  midi,  en 
plein  cahiie.  UOdin  revint  en  arrière  pour  recueillir 
les  naufragés  et  les  transporter  à  Malte,  puis  de  là  à 
Marseille.  Amari^,  en  regagnant  dans  les  premiers  jours 
de  mai  Paris  où  il  était  acclimaté,  dut  sentir  son  àme 
soulagée  d'un  poids  qui  l'avait  oj^pressée  démesuré- 

*  Carteggio,  II,  p.  245-246,  lettre  du  5  mars  1879;  cf.  ibid.,  II, 
p.  18  et  114;  Amari,  Frammenti  delV  iscrizione  arabica  délia 
Cuba,  leliera  del  prof.  Michèle  Amari  al  prof .  A.  Salinas  ;  Palermo, 
B.  Virzi,  1877;  in-4o,  15  p.,  1  planche. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  149 

ment.  Il  n'avait  pas  ct>aré  la  précieuse  cassette,  la  seule 
marchandise  ([uil  lui  importât  de  sauver  '. 

Son  troisième  exil  avait  été  imposé  à  Michèle  Amari 
par  le  triomphe  de  la  réaction,  qui  jugeait  sa  présence 
à  Palerme  compromettante,  éventuellement  dange- 
reuse pour  les  intérêts  du  parti.  Et  cependant  sa  con- 
science timorée  lui  reprocha  sa  désertion,  lorsqu'il  fut 
informé  (ju'un  simulacre  de  résistance  s'organisait  à 
Palerme.  11  se  frappa  la  poitrine,  comme  si  spontané- 
ment il  s'était  sauvé  devant  le  danger.  Scrupules  admi- 
rahles  d'une  nature  supérieure,  qui  s'accuse  au  lieu  d'ac- 
cuser ceux  qui  s'étaient  rendus  coupahles  de  son  départ 
forcé  !  Dès  le  11  mai,  xVmari  écrit  de  Paris  à  Mariano 
Stahile,  réfugié  prés  de  Marseille,  au  Château  desMam- 
louks  -  :  «  Je  ne  saurais  l'exprimer  suffisamment  la 
douleur,  la  honte,  le  désespoir,  l'anéantissement  qui 
me  dévorent,  surtout  aujourd'hui.  La  nouvelle  de  ce 
qui  s'est  passé  à  Palerme  le  30,  que  tu  me  transmets, 
s'accorde  avec  celle  du  Daily  Xews  datée  de  Messine  du 
2  mai  et  reproduite  dans  le  Xalional  d'aujourd'hui. 
Tout  n'était  donc  pas  fini  à  Palerme  !  Nous  sommes 
donc  par  erreur  et  par  précipitation  des  déserteurs, 
des  déserteurs  à  la  cause  dont  nous  avons  été  les  pro- 
moteurs !  Bien  que  ma  conscience  ne  m'accuse  même 
pas  d'un  moment  d'égoïsme  ou  de  peur,  ce  mot  déser- 
teur sonne  à  mon  oreille  comme  la  trompette  du  juge- 
ment dernier  à  celle  d'un  croyant.  » 

Une  députation,  à  la  suite  des  résolutions  votées  le 
20  et  le  21  avril  1849  par  le  Conseil  extraordinaire  des 
notables  ^,  avait  été  envoyée  pour  faire  sa  soumission 

*  Ce  paragraplie  est  formé  par  la  combinaison  du  Carteggio, 
I,  p.  568,  580-581,  583  et  586  ;  II,  p.  246. 
'^  Ibid.,  I,  p.  571. 
3  Plus  haut,  p.  146. 


150  Opuscules  d'un  arabisant 

au  général  Filangicri  au  nom  de  la  ville,  traîtreusement 
((  dégarnie  de  toute  défense.  La  députation,  après  avoir 
couru  après  Filangieri  sans  avoir  pu  le  trouver,  s'en 
retourna  elle-même  furieuse.  La  mesure  de  l'indigna- 
tion étant  comble,  le  peuple  s'insurgea  le  29  avril, 
chassa  le  gouvernement  réactionnaire,  créa  un  autre 
gouvernement,  ouvrit  les  prisons,  s'empara  des  forts, 
et  une  partie  de  la  Garde  nationale  s'unit  à  lui.  Vous 
voyez  par  le  Constitutionnel  qu'on  a  continué  pendant 
huit  jours  sous  ce  nouveau  gouvernement.  Quel  malheur 
que  le  peuple  ait  attendu  une  semaine  pour  vouloir 
ce  qui  était  conseillé  par  Agnetta,  par  votre  serviteur 
Amari,  par  La  Farina,  Raeli,  Pisani,  Carini,  Ciaccio, 
etc.  !  Mais  personne  ne  nous  appuyait  et,  pour  mon- 
trer un  peu  de  bravoure,  ils  ont  attendu  l'éloignement 
de  500  personnes  environ,  parmi  les  meilleures  et  les 
pires.  A  présent,  que  fera-t-on  ?  Pourront-ils  résister  à 
la  longue  *  ?  » 

Le  15  mai  -,  Palerme  capitula,  La  Sicile  renoua  avec 

^  Michèle  Amari  et  le  baron  di  Friddani  à  Granatelli  et  Scalia, 
de  Paris,  le  17  mai  1849,  dans  le  Carteggio,  I,  p.  576-577. 

^  Giovanni  Lucifora,  Ricordi  délia  Rivohizione  siciliana  del 
t8U8.  Dal  13  gennaro  18^8  al  15  maggio  1849,  dans  les  Mcmorie 
délia  Rivoluzione  siciliana  delV  aimo  MDCCCXL  VIII  pubblicale  net 
cinqiiantesimo  anniversario  del  xn  gennaio  di  esso  anno  (Palermo, 
1898,  2  vol.  gr.  in-8û),  I,  284  pages,  avec  un  numérotage  spécial. 
Malgré  la  date  de  1898,  l'impression  de  cet  important  recueil  de 
documents  authentiques  et  de  mémoires  originaux  n"a  été  ter- 
minée que  le  31  octobre  1904,  comme  il  appert  d'une  suscription 
à  la  fin  du  second  volume.  Le  Municipio  di  Palermo  m'a  expédié, 
le  25  janvier  1905,  ces  deux  beaux  volumes  imprimés  aux  frais 
de  la  ville  par  décision  du  Consiglio  Communale ,  trop  lard  pour 
que  j'aie  pu  en  faire  état  dans  ma  narration,  sauf  pages  138, 
146  et  ici.  Voici  quelques  emprunts  additionnels  :  page  105, 
note  1,  ajoutez  :  Des  extraits  du  Catéchisme  sicilien  ont  été 
publiés  par  Alfonso  Sansone  dans  les  Memorie,  I,  p.  18-21.  — 
P.  12-2,  note  4,  ajoutez  :  Voir  aussi  Giuseppe  Lodi,  // 12  gennaio 


Notice  sur  Miclicle  Ainari  151 

le  royiimnc  de  Xaples  «  ce  lien  IVa^^ile  et  odieux  ", 
qui  êluil  pour  elle,  «  non  pas  un  lieu  iValernel,  mais 
une  eliaine  (l'esciavai^e  '  »  et  ([u'elle  avait  inutilement 
essayé  de  hiiser.  Amari  et  ses  «  très  ehers  collègues 
de  martyre-  »  se  réservèrent  poui'  une  occasion  plus 
propice.  Le  20  janvier  18r)(),  Amaii  écrit  a  Paris  au  i  é- 
dacteui-  eu  chel"  de  la  Drinocrdlic  paci fi(jnr  •'  :  <(  J'ai  loi 
dans  la  destinée  de  l'Italie,  et  je  vois  (pi'elle  a  IVappé 
d'un  aveut^lement  complet  un  pape  et  lui  roi,  pour  les 
atteler  à  son  char  et  les  pousser  en  avant  dans  sa 
propre  voie.  » 

1848,  dans  les  Meniorie,  I,  IG  pages.  —  P.  127,  note  2,  après 
Cartcijijio,  H,  p.  283,  insérez  :  Cf.  Giovanni  Liicifora,  Ricordi, 
dans  les  Mcinoric,  I,  p.  34  et  284.  —  P.  123,  ligne  17,  au  lieu  de 
la  couronne,  lisez  plutôt  :  «  le  trône  vacant  »,  d'après  Giovanni 
Lucifora,  Ricoidi,  dans  Mcinorie,  I,  p.  59.  —  P.  128,  note  3, 
ajoutez  :  La  même  lettre  a  été  aussi  publiée  d'après  l'autographe 
par  Giovanni  Lucifora,  lUcordi,  dans  les  Memorie,  I,  p.  IH). 

*  Plus  haut,  p.  13G,  d'après  Amari,  dans  le  Cartegyio,  I,  p. 
485. 

'2  Amari  appelle  ainsi  Granatelli  et  Scalia,  ibid.,  I,  p    574. 

^  Ihid  .  Il,  p.  7.  La  Dcmocralie  pacifique,  journal  quotidien, 
paraissant  à  Paris,  était  devenu  1  organe  des  revendications 
siciliennes;  il  s'était  engagé  à  insérer  chaque  semaine  au  moins 
un  article  consacré  à  leur  exposé  et  à  leur  justication  :  «  Il  nous 
a  paru  ])on,  écrit  Amari  à  Perez  le  6  novembre  1849,  cpie  l'élite 
des  émigrés  et,  autant  que  possible,  celle  des  restés  dans  la 
terre  de  Pharaon,  reçussent  ces  avis  siciliens,  qui  en  guise  de 
consolation,  qui  comme  réconfort,  qui  pour  son  instruction.  » 
Voir  G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Fraiicesco  Percz, 
p.  42  ;  cf.  p.  53. 


152  Opuscules  d'un  arabisant 


CHAPITRE  TROISIÈME  i 

Amari  devenu  partisan  résolu  de  l'unité  italienne. 

—  Il  commence  a  publier  son  Histoire  des  Musul- 
mans DE  Sicile  et  rédige  le  Catalogue  des  manu- 
scrits    ARABES     DE     LA     BIBLIOTHÈQUE     IMPÉRIALE    DE 

Paris.  —  En  1859,  Amari  a  Florence.  —  La  révolu- 
tion DE  1860  EN  Sicile  et  Garibaldi,  Amari  étant  a 
Florence  le  secrétaire  et  le  caissier  d'un  Comité 

DE  PROPAGANDE.  —  AmARI,  ENVOYÉ  PAR  LE  COMTE  DE 

Cavour  a  Palerme  vers  Garibaldi,  accepte  de  celui- 
ci    LE    PORTEFEUILLE    DE    l'iNSTRUCTION    PUBLIQUE,    PUIS 

celui  des  affaires  étrangères.  —  annexion  de  la 
Sicile  et  retour  d'Amaiu  a  Florence.  —  Amari  en 
1861  sénateur,  de  la  fin  de  1862  a  aout  1864 
Ministre  de  l'instruction  publique  du  royaume 
d'Italie.  —  Son  mariage  en  1865  avec  une  française. 

—  Rome  capitale  en  1871.  —  Amari  ÉxMigre  de  Flo- 
rence A  Rome  a  la  fin  de  1872,  après  avoir  achemî 
son  Histoire  des  Musulmans  de  Sicile. 

Amari,  rendu  à  sa  misère  parisienne  -,  «  prêt  à 
recommencer  la  lutte,  au  risque  de  se  rompre  les  liras 

'  Ce  qui  suit,  jusqu'à  la  fin  de  la  NoHce  biographique  sur 
Michèle  Amari,  est  inédit. 

^  Le  13  février  1850,  l'ancien  Ministre  du  gouvernement  révo- 
lutionnaire de  Sicile  écrit  à  Francesco  Ferez  quil  possède  deux 
francs  cinquante  ;  le  17  décembre  1855,  ii  ajoute  mélancolique- 
ment qu'une  loi  devrait  être  promulguée,  interdisant  aux  pau- 
vres détudier  autre  chose  que  l'abécé  et  l'arithmétique  ;  voir 
G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez  durante 
e  dopo  l'esilio,  p.  34,  53  et  70. 


Notice  sur  Michèle  Ainari  ir>3 


ou  de  se  fendre  le  eiàne  dans  un  nouvel  ellbrl  tenté 
avec  une  nuire  ehaleui"  el  moins  de  nioderalion  senti- 
nienlale  »,  resta  |)endanl  les  deux  premiers  mois  «  dans 
la  plus  cruelle  inertie,  dans  la  tristesse  et  dans  la  stu- 
pidité *  »,  sans  ((  savoir  prendre  sui*  lui  d  écrire  une 
lettre,  de  faire  unv  visite.  J'allais,  dit-il  -,  en  lietil- 
lant  comme  un  somnambule,  en  déliiant  dans  le  vaste 
clianij)  des  regrets.  »  Sa  santé  coipoielle  était  restée 
excellente,  mais  sa  bourse  persistait  a  restei*  «  phlisicpie, 
c'est-à-dire  très  maigre,  et  condamnée  irrévocable- 
ment à  mort'».  La  science,  celte  consolatrice  des 
tristesses  et  des  soutlVances  morales,  cette  libératrice 
des  cœurs  ulcérés  et  des  âmes  endolories,  j)()uvait 
seule  lui  a})p()rter  le  calme,  rapaisemenl,  le  lepos  des 
aventures  et  un  morceau  de  pain  ^  11  était  j)arli  de 
Paris  chargé  d'armes  pour  faire  son  devoir  en  Sicile  et 
il  rentrait  à  Paris,  l'apportant  [)our  toute  richesse  la 
petite  caisse  contenant  sjs  réserves  de  travaux  arabes^. 
L'éditeur  Le  ?ylonnier,  de  Florence,  s'était  substitué 
aux  amis  d'autrefois  pour  lui  assurer  le  strict  néces- 
saire''  dans  une  mansarde  de  vin^l  pieds  de    lon^  sur 

'  (ÀtrtccfgiOy  I,  p.  579  et  58,'). 

-  Ibid.,  i,  p.  5S3. 

3  Ibid.,  I,  p.  580. 

*  Ibid.,  I,  p.  579  et  583  ;  II,  p.  52.  En  1857,  Amari  se  résigne 
à  donner,  trois  fois  j)nr  semaine,  nnc  leçon  (l'italien.  «  Une 
heure  et  demie  ou  deux  de  perdues,  six  francs  de  gagnes.  »Voir 
ibid.,  II,  p.  50. 

^  //)/(/. ,  I,  p.  580. 

^  En  dehors  des  1.200  lire  que  valurent  au  traducteur  les 
Consolcdions  poliliqiies,  dont  il  va  être  parlé,  Le  Monnier,  à  l'ins- 
tigation du  baron  di  Friddani,  aciieta  d'avance  VHistoire  des  Mu- 
snlmaiis  de  Sicile,  moyennant  quinze  mille  lire,  sur  lesquelles 
Amari  en  touchait  deux  cents  par  mois.  Voir  O.  Tommasini, 
Scritti,  p.  319,  n.  3;  D'Ancona,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  351  et 
387.  Sur  les  stipulations  complémentaires  ultérieures,  voir 
G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez,  p.  57-66. 


154  Opuscules  d'un  arabisant 

douze  de  large,  sans  même  le  luxe  d'un  siège  pour 
quelque  visiteur  inattendu  '.  Le  premier  volume  de 
YHistoire  des  Musulmans  de  Sicile  nécessitant  encore 
plusieurs  années  de  recherches,  Amari,  pour  payer  un 
à-compte  sur  sa  dette  envers  son  éditeur,  lui  livra  le 
manuscrit,  prêt  pour  l'impression,  des  Conforti  politici 
di  Ibn  Zafer-.  Ces  «  Consolations  politiques  »  sont  dues 
à  un  polygraphe  sicilien  du  douzième  siècle,  «  réfugié 
et  famélique  »  comme  Amari,  «  mort  dans  la  paix 
d'Allah  et  avec  les  prières  du  Prophète  )).  Amari  écrit, 
le  6  novembre  1849,  à  Francesco  Ferez  -'  :  «  Je  t'assure 
que  la  dépouille  est  vraiment  précieuse  quant  à  la 
forme  et  quant  au  fond  et  que,  si  je  ne  devais  pas  la 
voler  pour  vivre,  je  la  pillerais  afin  de  la  montrer  à 
l'Italie,  qui  n'a  jamais  pensé  qu'un  de  ses  fds  circoncis, 
deux  siècles  et  demi  avant  Boccace,  ait  écrit  un  livre 
sur  le  même  sujet  que  lui,  dans  une  langue  aussi  élé- 
gante, sans  rien  de  lubrique,  livre  plus  élevé  que  celui 
de  l'auteur  toscan  dans  les  conceptions  politiques.  » 
La  science  orientale  n'a    pas   absorbé    les    pensées 

^  Le  réduit  qui  abritait  Amari  était  juché  sous  les  toits,  au  48, 
rue  de  Luxembourg,  la  rue  Cambon  actuelle.  En  1851,  les 
largesses  de  Le  Monnier  permirent  au  pauvre  Amari  d'occuper 
un  logement  plus  salubre,  11,  rue  du  Mont  Thabor  ;  voir 
G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez,  p.  38-52 
et  55-80 . 

2  Soliuan  el  Mota...  di  Ibn  Zafer...  Versione  ilaliana  di  Michèle 
Amari,  siil  leslo  arabico  inedito,  non  tradoUo  in  alcnna  lingua 
deir  Occidente.  Firenze,  Le  Monnier,  1851,  in-16.  L'original 
arabe  a  paru  depuis  lors  à  BoCilàk  en  1861,  à  Tunis  en  1862,  à 
Bej'roûth  en  1883.  Sur  un  exemplaire  arabe  de  ce  livre,  illustré 
de  superbes  miniatures,  voir  mes  Manuscrits  arabes  de  VEscnrial, 
I,  p.  355-358.  Sous  le  titre  de  Walers  of  Comfort,  une  traduction 
anglaise,  par  Miss  Percy,  calquée  sur  la  «  Version  italienne  », 
parut  dès  1853  à  Londres  en  2  vol.  ;  cf.  le  Carteggio,  II,  p.  56. 

^  G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez, 
p.  42  ;  cf.  p.  40,  43  et  55. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  155 

d'Aniiiri  an  poinl  de  lui  faire  oublier  ses  soueis  j)()ur 
l'avenir  de  la  Sieile.  Mais  son  Iioii/on  de  patriote  s'est 
élar<»i  et  s'étendra  désormais  à  la  péninsule  ilali(pie 
entière.  Voiei  en  (piels  termes  il  piésente  ee  livre  des 
ConsolalioiLs  politiques  pour  le  roi  parfait,  «  plus  sin- 
gulier ([ue  le  griffon,  plus  merveilleux  que  l'aleliimie, 
plus  rare  que  l'or  vermeil  '  »  : 

«  En  rendant  à  l'Italie  une  (l'uvre  polilicpie  écrite 
sur  son  territoire,  il  y  a  six  siècles,  je  n'ignoie  pas,  dit 
Amari  en  ISf)!  -,  ([ue  c'est  comme  si  je  lui  oilVais  l'arsenal 
du  roi  Roger,  l()rs(iue  notre  malheureuse  patrie  réclame 
des  fusils  à  percussion,  des  canons  Paixhanset  des  fré- 
gates à  vapeur  pour  se  soulever  contre  les  vainqueurs 
de  1849.  Nous  n'avons  pas  encore  fondé  la  ville  dont 
nous  sommes  les  citoyens.  Nous  vivons  dans  l'inter- 
valle entre  deux  guerres,  ou,  pour  mieux  dire,  entre 
deux  campagnes  d'une  même  guerre,  et,  à  cause  de 
cela,  avant  tout  autre  savoir,  nous  devons  api)rendre 
Tart  de  la  victoire,  étudier  nos  forces  et  celles  de 
l'ennemi,  étudier  les  erreurs  et  les  fatalités  qui  nous 
ont  perdus.  D'ailleurs,  les  faits  de  18  et  de  19  ont  bien 
montré  que  la  lame  italienne  tranchait,  mais  que,  si 
elle  ne  portait  pas  des  coups  mortels,  c'est  ([u'elle  ne 
trouvait  aucune  soudure  avec  la  poignée.  11  convient 
donc  de  travailler  aujourd'hui  à  la  poignée  de  l'épée 
qui  est  le  gouvernement  civil;  il  convient  ({ue  les  écri- 
vains italiens,  petits  et  grands,  dans  les  livres,  dans  les 
brochures,  dans  les  journaux,  traitent  sans  cesse  les 
problèmes  (juc  soulève  la  condition  politique,  reli- 
gieuse et  sociale  du  pays,  les  embarras  qui,  en  pai'lie, 
nous  ont  été  légués  par  l'histoire  et,  en  partie,  nous 
ont  été  causés  par  les  progrès  généraux  de  l'humanité. 

'  Citation  d'Ibn  Thafar,  dans  Amari,  Versione,  p.  iv  et  200. 
^  Commencement  de  Vlnlroduccione  au  Soliuaii  el  Mota\ 


156  Opuscules  d'un  arabisaut 

Heureusement  que  ces  travaux  préparatoires  abrége- 
ront au  moins  la  période  des  incertitudes  et  des  dis- 
sensions et  que  le  peuple  italien  s'acheminera  vers 
cette  unité  dévie  politique,  dans  laquelle  il  doit  entrer 
tôt  ou  tard .    » 

L'évolution  est  complète  :  le  séparatiste  et  le  fédéra- 
liste ont  fait  place  à  l'Italien  qui  écrit  le  18  juin  1852^  : 
«  Le  nom  d'Italie,  sacré  pour  tous  -  et  c'est  le  seul, 
mais  incommensurable  progrès  qu'a  fait  la  patrie  —  le 
nom,  dis-je,  d'Italie  unit  maintenant  dans  un  commun 
amour  les  compatriotes  nés  dans  quelque  province  que 
ce  soit.  C'est  ainsi  qu'au  lieu  de  l'ancienne  inimitié 
territoriale,  la  division  n'a  plus  subsisté  sur  le  but  à 
atteindre^,  mais  sur  les  moyens  de  parvenir  à  réaliser 
notre  régénération'-.  »  Aussi  Emerico  Amari,  son  ho- 
monyme, mais  non  son  parent,  lui  écrivit-il  de  Gènes, 
le  14  décembre  1853  ^,  à  la  nouvelle  qu'Amari  avait 
enfui  envoyé  à  Le  Monnier  le  premier  volume  de  sa 
Sloria  ciel  Miisulmani  di  Sicilia,  volume  publié  par 
celui-ci  en  1854  :  «  Je  me  réjouis,  comme  d'une  gloire 
nationale,  de  ce  que  tu  as  accompli  le  travail  d'Her- 
cule, que  seul  tu  étais  en  état  de  concevoir  et  de 
mettre  à  exécution.  Il  sera  un  monument  sicilien,  dû 
par  une  contradiction  originale  à  qui,  dit-on,  ne  pense 
plus  qu'il  y  ait  une  Sicile,  mais  pkitôt  je  ne  sais  quelle 
province  de  je  ne  sais  quelle  Italie.  En  pensant  combien 
en  1853  les  partis  se  sont  modifiés,  au  point  que  moi,  qui, 
en  1837,  était  maudit  par  toi  comme  un  ilalianiste,  je 
dois  lutter  aujourd'hui  avec  toi  pour  le  municipalisme, 

^  Carleggio,  II,  p.  19. 

"^  Bien  caractéristique  est  également  le  titre  d'un  instrument 
de  propagande  façonné  par  Amari  et  que  Mazzini  fit  impri- 
mer à  Londres  en  1852  :  hlruzione  populare  per  gli  Italiani  di 
Sicilia . 

3  Carleggio,  W,  p.  25-26;  cf.  p.  227. 


Notice  sur  Micliole  Amari  157 


ma  kHe   se  confond,   et  je  dis  en  nioi-inrnu'  :  Viiiiilé 
des  vanités,  el  nous  sommes   tous  vanité.  Quoi   (juil 
en  soil,  moi  municipalisle  el  loi    italianisle,   moi   Sici- 
lien juscju'au  bout  des  onnles  el   toi   Italien   jus({irà    la 
pointe  des  cheveux,  nous  sommes   IVères  et    je    t'aime 
comme    vieil     ami  ;    toi     auteui"    des     Vêpres    el     île 
V Histoire  des  Arabes,  je  le  vénère  comme  Thonneur  de 
la     Sicile  ;     toi    victime    de   la  colère    bourbonienne, 
je    le   vénère   comme    un    martyr   de    la     cause    siei- 
lienne   de   Sicile,  je  te  mets  au   nombre  des  pères  de 
la  patrie;   et,   aussi    vrai    qu'est    mon   entêtement,    je 
l'esi)ère    i)armi   les    plus    francs   défenseurs   de    noti'e 
indépendance  au  moment  voulu.    Tu  seras  Italien,  et 
je  crois  l'être  moi   aussi,   mais  j'attendrai   toujours  en 
vain  de  lire  de  mes  yeux  ou  d'entendre  de  mes  oreilles, 
et  de  la  main  et  de  ta  bouche,  que,  i)our  être  Italien, 
un  Sicilien  doive  acce])ter  le  baptême  na])olitain.  Tant 
([ue  lu  ne  me  le  diras  pas,  il  n'y  aura  entre  toi  et  moi 
d'autre  dillérence  que  celle  (pii  existe  entre  l'amoureux 
de  la  centralisation  française  et  le  partisan  de   la  fédé- 
ration américaine.   » 

Le  })remier  volume  de  Yllistoire  des  Musulmans  de 
Sicile,  précédé  par  (piekpies  hors  d'œuvre  de  moindre 
étendue,  d'égale  érudition  ',  parut  à  Reinaud  en  faveur 
de  son  élève  un  litre  suffisant  poui*  lui  confier,  vers 
la  lin  de  18ôt,  à  la  Bibliothèque  devenue  Impériale,  la 

'  Fin  1849.  Lettre  à  M.  Ad.  de  Longe  rie  r  sur  r  origine  du  palais 
de  la  Coiiba,  près  Palerme,  avec  une  planche  dounant  le  texte 
(le  l'inscription  arabe  (voir  p.  147,  noie  I)  ;  en  1830,  pour 
V Encyclopédie  nouvelle  de  Léon  Renier,  les  articles  Vcdas, 
Vehema,  Visigots  ;  en  1851,  la  belle  et  savante  Inlroduccione  de 
Lxxvii  pages  aux  Consolations  politiques;  en  1853,  les  Questions 
philosophiques  adressées  aux  savants  musulmans  par  ïempereur 
Frédéric  II,  avec  le  texte  arabe  d'Ibn  Sab'în,  dans  le  Journal 
asialique  de  1853,  I,  p.  245-274. 


158  Opuscules  d'un  arabisant 


refonte  du  Catalogue  des  maauscrits  arabes.  Amari, 
surtout  préoccupé  de  l'Italie  et  de  la  Sicile,  n'avait 
pas  protesté  ouvertement  en  1851  contre  le  coup 
d'État',  en  1852  contre  le  rétablissement  de  l'empire. 
Son  silence  prudent,  mais  non  calculé,  permit  de  lui 
oiTrir  un  emploi  qui,  s'il  était  une  consécration  offi- 
cielle de  sa  science,  n'apportait  qu'une  légère  augmen- 
tation de  son  pécule  :  cinq  francs  par  jour  pour  cinq 
heures  de  présence  effective  au  Cabinet  des  manuscrits, 
((  beaucoup  moins,  dit-il,  que  ce  dont  on  a  besoin  pour 
vivre  misérablement  à  Paris-  ».  Nos  budgets,  qui  s'en- 
flent tous  les  ans,  n'ont  pas  jusqu'à  présent  jeté  un 
regard  de  compassion  vers  ces  humbles  serviteurs  des 
hautes  études,  qui  acceptent  une  réclusion  claustrale 
sans  protester  contre  l'indifférence  à  leur  égard  de  ce 
que  l'on  appelle  les  pouvoirs  publics. 

Amari,  dès  son  arrivée  au  Cabinet  des  manuscrits, 
fut  présenté  par  Reinaud  à  un  jeune  orientaliste  de  33 
ans,  employé  modèle  et  ponctuel  qui  travaillait  dans 
une  embrasure  de  fenêtre,  comme  un  saint  dans  une 
niche,  au  dépouillement  des  manuscrits  syriaques  -^  Il  y 
avait  dans  l'accueil  qu'il  fit  au  nouveau  venu  un  reste 
de  manières  ecclésiastiques  onctueuses  qui  dénonçaient 
l'évadé  de  Saint-Sulpice,  un  accent  de  sincérité  cor- 

'  Amari,  dans  ses  Appiuili  aiitobiografici,  ne  se  gêne  pas  pour 
dire  finement  que  «  le  deux  décembre  est  devenu  le  jour  de  l'an 
des  Français  »  ;  voir  Tommasini,  Scrîtti,  p.  334. 

2  Carleggio,  II,  p.  33;  cf.  p.  42,  49,  53,  56,  164.  Amari,  malgré 
la  fatigue  de  ses  yeux,  avant  de  se  rendre  à  la  Bibliothèque,  tra- 
vaillait quatre  à  cinq  heures  chez  lui,  d'après  ce  qu'il  raconte 
à  son  ami  Ferez  le  2  décembre  1854;  voir  G.  Pipitone  Federico, 
Michèle  Amari  e  Frcincesco  Ferez,  p.  59. 

•^  Catalogue  des  maniiscriis  syriaques  de  la  Bibliothèque  Impériale^ 
p. 215  a,  n"  282.  Le  prédécesseur  d'Ernest  Renan  dans  cet  em- 
ploi subalterne  avait  été  Salomon  Munk,  son  successeur  fut 
Michel  Bréal,  Toussaint  Reinaud  demeurant  conservateur. 


!  i 


Notice  sur  Michclo  Aiiiari  ITïU 

dialt'  (iiii  laissail  pressentir  le  fiiliir  avocat  du  diiihle, 
comme  Aiii^ustiu  Tliierrv,  eilé  |)arAmaii  ',  a  lamilière- 
ment  appelé  Ernest  Renan.  L'iiilimilé  lut  vile  scellée 
entre  ces  deux  hommes  su|)érieurs  ((ui  aimaient  et 
poursuivaient  la  vérité -.Ses  études  surAverroès  avaient 
amené  Uenan  dans  le  nord  tle  l'Italie  et  à  liome.  Il 
avait  rapporté  de  deux  voyages  scientifiques  un  vif  en- 
thousiasme poui'  l'Italie,  ses  artistes  et  ses  penseuis. 
Que  n'a-t-on  lecueilli  les  [)aroles  qu'échangèrent  dans 
leurs  rencontres  quotidiennes  -^  deux  collègues,  (|ui 
s'échappaient  volontiers  de  l'Orient  i)our  deviser  sur 
lesdestinées  de  l'Occident.  Les  fragments  de  correspon- 
dance, que  nous  a  conservés  M.  D'Ancona  S  ne  sau- 
raient nous  dédommager  de  tant  de  paroles  intimes 
envolées  sans  avoir  été  saisies  au  |)assage. 

Notre  admirahle  collection  de  manuscrits  arabes  était 
alors  divisée  en  deux  parties  :  l'Ancien  fonds, de  1. 683 

'  Carlcggio.  II,  p.  162. 

^  A  la  fin  (le  1855,  Michèle  Amari  jjublia  dans  la  Rivista  Enci- 
clopcdicii  de  Turin  une  notice  sur  V Histoire  des  laïujues  scmi- 
tiqiies  de  Renan,  «  ce  chef-d'œuvre  de  l'école  sceptitiue  mo- 
derne, qui  anatoniise  la  Bible  comme  s'il  s'agissait  de  l'Histoire 
de  Tite-Live  ».  Voir  G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e 
Francesco  Perez,  p.  72. 

^  Amari,  minisire  du  royaume  d'Italie,  après  avoir  reçu  la  Vie 
de  Jésus,  écrivait,  en  français  à  Renan  le  28  juin  1863  (Carlcggio, 
II,  p.  164)  :  «  Mille  tonnerres  sur  le  minislère  et  la  politique  !  A 
l'heure  qu'il  est,  j'aurais  dévoré  votre  livre,  attendu  depuis 
quelques  mois,  désiré,  vous  en  rappelez-vous  ?  depuis  4  ou  5 
ans,  lorsque  je  quittais  pour  quelcfues  moments  mon  catalogue 
et  je  vous  poussais  contre  les  rayons  de  la  salle  en  vous  priant 
d'entreprendre  u  n  ouvrage  sur  les  origi  nés  duch  ri  stinnisme:  vous, 
le  seul  capable  d'aborder  un  tel  sujet.  .    » 

*  Carlcggio,  passages  cités  dans  les  index,   II,    p.   400  et  402, 
au  nom  de  Renan.  Lorsque  mes  amis  Psichari,  dans  leurs  hom- 
mages posthumes  à  la  mémoire  de  leur  père  et  beau-père,  abor- 
deront la  Correspondance,  ils   n'auront  garde  d'oublier  ces  36 
lettres,  les  unes  d'Ernest  Renan,  les  autres  de    Michèle  Amari. 


160  Opuscules  d'un  arabisant 

volumes,  de  1. 626  numéros,  composé  surtout  des  acqui- 
sitions qui,  au  xvic  et  au  xvn°  siècles,  avaient  été  faites  en 
Orient  à  l'instigation  du  cardinal  Mazarin,  du  chance- 
lier Séguier  et  du  contrôleur-général  Colbert,  par  des 
voyageurs  habiles  et  compétents  '  ;  le  Supplément, 
formé  peu  à  peu  par  les  apports  des  couvents  après 
la  révolution  de  1789,  de  l'Egypte  après  la  campagne 
de  Napoléon  P'",  des  bibliothèques  publiques  pari- 
siennes qui,  sous  l'empire,  furent  contraintes  à  cette 
amputation,  aussi  par  des  dons  qu'on  ne  saurait  trop 
encourager  lorsqu'ils  n'encombrent  pas  les  rayons  de 
non-valeurs  inaliénables,  enfin  par  un  choix  heureux 
d'acquisitions  intelligentes.  Pour  l'Ancien  fonds,  il 
n'existait  auparavant  que  le  Catalogue  suranné  de  1739-, 
préparé  par  des  feuillets  détachés  dont  le  plus  grand 
nombre,  signés  d'Ascari,  maintenant  insérés  dans  les 
manuscrits  eux-mêmes,  sont  datés  de  1735,  1736  et 
1737.  Quant  au  Supplément,  un  premier  déblaiement, 
opéré  par  le  baron  Mac  Guckin  de  Slane,  avait  con- 
tribué largement  à  l'inventaire  en  deux  volumes,  copié 
par  Ch.  Defrénery  en  1846  et  signé  «  par  M.  Reinaud  ^)). 
Amari  rédigea  des  l)ullelins  relatifs  aux  manuscrits  de 
l'Ancien  fonds,  qui  y  étaient  cotés  1-881  ;  du  Supplé- 
ment, qui  portaient  les  numéros  1-534,  885-954.  Ces 
notices  sont  aujourd'hui  conservées,  dans  le  Fonds 
arabe  unifié,  sous  les  numéros  4494-4501,  immédiate- 
ment avant  mes  bulletins  cartonnés  sous  les  numéros 

^  Léopold  Delisle,  Le  Cabinet  des  inaniiscrits  de  la  Bibliothèque 
Impériale,  I,  p.  279  et  suiv.  ;  p.  439  et  suiv.  ;  II,  p.  78  et  suiv.  ; 
Henri  Omont,  Missions  archéologiques  françaises  aux  XVII<^  et 
XVIII^  siècles,  2  parties,  Paris,  1902. 

2  Calalogus  codicum  inanuscriplorum  Bibliothecœ.  Regiie  (l'ari- 
siis,  1739),  I,  p.  99-2G9. 

3  Voir  Slane,  Catalogue  (Paris,  1883-1895),  p.  714  b  et  715  a, 
numéros  4482,  448G  à  4491,  surtout  4492  et  4493. 


Notice  sur  Micliele  Auiari  Kîl 


4502-ir)07,  ce  dernier  coiisliliianl  un  Supplrmcnl  au 
Slip  pleine  ni  arabe,  coiiiine  je  l'ai  naguère  inliliilé.  Plus 
de  mille  maniiserils,  entres  depuis  lors  au  (lahi- 
nel  (les  nianuserits,  liop  lard  pour  être  admis  dans  le 
Caialoijiie  imprimé,  allendenl  une  deseri|)tion  raison- 
née  qui  n'esl  méritée  ((ue  par  une  minoi'ilé,  vraiment 
supérieure',  de  ees  aceroissemenls,  qui  ne  sont  pas 
toujours  des  emiehissements-. 

Dans  le  CaUdocjiie,  parle  baron  de  SIane-',()n  lit  a  la 
page  87  à  propos  du  manuseril  coranique  321  :  «  1(S0() 
feuillets,  provenant  de  227  exemplaires  acquis  en  1<S.'U). 
Les  feuillets  ont  été  classés  par  M.  Amari.  »  (A'ile  con- 
statation sèche  n'a|)précie  pas  à  sa  valeur  l'ellort  intense 
et  rintuition  divinatoire  (pii  ont  été  oblii);atoires  pour 
dépouiller  les  éléments  dispersés  des  227  Corans,  pour 
leur  assigner  des  dates  approximatives  et  pour  suivre 
la  marche  de  l'éeriture  koùfique,  c'est-à-dire  de  l'écri- 
ture hiératique,  à  travers  ses  étapes  jusqu'à  sa  fusion 
dans  sa  sœur  laïciue,  dans  l'écriture  counmte,  \v  nashkl 
des  coj)ies  profanes.  Il  y  a  là  des  matériaux  pré- 
cieux pour  une  paléograi)hie  arabe,  [)our  hupielle 
des  exemples  ont  été  amassés,  qui  n'a  pas  encore  été 
codifiée  ^ 

'  J'ai  annoncé,  dans  le  Journal  des  Savants  de  19ol,  \).  179, 
que  je  renseignerais  le  monde  savant  sur  ces  richesses  cachées  ; 
j'esi)ère  être  mis  en  mesure  de  le  faire. 

-  A  propos  de  Berlin,  celle  plélhoie  malsaine  a  éié  diagnos- 
tiquée de  même  par  moi  dans  la  Hcviie  crili<iiic  de  188S.  I,  p.  41. 

•'  En  dépit  de  cette  êliquetle  bibliographique,  les  rédacteurs 
successifs  du  Catalocjiic  ont  été  Michèle  Amari  (ISÔÔ-lSÔDj.  Hart- 
wig  Derenbourg  (186()-1870),  le  baron  Mac  (iuckin  de  Slane 
(1871-1878),  enfin  Ilermann  Zotcnberg  (1878-180')),  qui  a  ici, 
comme  dans  les  autres  catalogues  de  nos  manuscrits  orientaux, 
achevé  l'œuvre  de  ses  prédécesseurs  pour  en  abréger  les  lon- 
gueurs et  pour  en  rendre  les  conclusions  accessibles  aux  tra- 
vailleurs. 

^  La  Paléographie  arabe  de  J.  J.  Marcel   (Paris,  1828,  in-folio) 

11 


162  Opuscules  d'un  arabisant 

Le  premier  résultat  du  séjour  d'Amari  à  la  Biblio- 
thèque Impériale  fut  sa  Bibliotheca  arabo-siculn,  plus 
de  sept  cents  pages  de  textes  arabes,  publiés  en  1857 
sous  les  auspices  de  Fleischer  à  Leipzig  par  la  Société 
asiatique  allemande,  laborieuse  compilation,  dont  il 
n'eut  «  d'autre  récompense  que  dix  exemplaires  et  la 
couronne  du  martyre  »  ^  Cette  besogne  terminée,  le 
récolement  des  Corans  et  l'espoir  de  «  devenir  sous 
peu  un  Crésus  »  -  lui  suggérèrent  l'ambition  de  con- 
courir pour  un  prix  de  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres,  qui  avait  proposé  comme  sujet  la  Chro- 
nologie du  Coran.  Je  suppose  que  Reinaud  avait  choisi 
cette  question  en  préjugeant  la  candidature  unique 
et  le  succès  certain  d'Amari,  qu'il  vo3ait  à  ses  côtés 
occupé  à  des  reconnaissances  préparatoires.  Les  con- 
currents imprévus  ne  furent  pas  moindres  que  Theo- 
dor  Nœldeke  et  Aloïs  Sprenger.  Le  prix,  décerné  le  6 
juillet  1859,  fut,  après  avoir  été  porté  de  2.000  à  3.000 


a  des  rides,  à  l'instar  des  planches,  publiées  autrefois  dans  la 
Grammaire  arabe  de  Silvestre  de  Sac}',  supprimées  avec  raison 
dans  la  réimpression  actuelle  entreprise  par  llnstitut  de  Car- 
thase.  Outre  les  bulletins  de  Michèle  Amari  sur  les  Corans  de 
la  Bibliothèque  Nationale,  on  pourra  utiliser,  comme  base  du 
manuel  que  je  préconise,  les  beaux  fac-similés  de  VOricntal  Pa- 
leographical  Society  (London,  1875-1883)  et  les  reproductions 
photographiques  qu'Ahhvardt  a  donnés  à  la  suite  de  son  vaste 
répertoire  en  dix  volumes  des  manuscrits  arabes  de  Berlin. 

^  Carleggio,  II,  p.  49.  Deux  suppléments  ont  paru  à  Leipzig  en 
1875  et  en  1887.  Amari  a  traduit  lui-même  ses  textes  arabes  en 
italien,  avec  des  notes  historiques,  comme  appendice  à  la 
réimpression  de  Muratori,  Reriim  italicariim  Scriplores,  dans  le 
même  format  grand  in-4o.  J'ai  sous  les  yeux  une  édition  in-8", 
Turin,  Bocca,  1880-1881,  2  vol.  Dès  1855,  Amari  avait  commencé 
la  traduction  italienne  et  rattachait  dans  sa  pensée  son  recueil 
à  celui  de  Muratori  ;  voir  le  Cartegcjio,  II,  p.  39  ;  cf.  p.  223,  225, 
226  et  245. 

2  Amari,  ibid.,  II,  p.  57,  lettre  du  31  janvier  1859,  où  il  parle 


Notice  sur  Michèle  Aniari  10:j 


francs,  paila^^c  é<,^alemenl  entre  les  trois  rivaux  ',  au- 
cun d'eux  n'élant  pi'oclanié  prinuis  iiifcr  pdi'cs.  Seul, 
des  trois,  la  mémoire  d'Amaii  dorl  iuédit  à  l'inslitut 
de  France,  ayant  été  Ju^é  insullisant  par  son  auteui*, 
qui  en  a  intei'dit  la  [)uhlicalion  et  qui,  en  18(Sj,  Ta 
qualifié  de  vieilli  '-. 

En  l(Sr)(S  avait  paru  le  deuxième  volume,  aussi  par- 
fait que  le  premier,  de  Vllisloirc  des  Musuliudiis  de, 
Sicile,  ce  chel-d'ceuvre  scientirupie  et  littéraire^,  aussi 
profondément  conçu  (juc  sagement  composé  et  hril- 
lannnent  écrit.  La  vie  de  Michèle  Amari  se  continuait, 
sans  secousse  et  sans  déplacement,  à  Paris  que,  atfir- 
mait-il  le  12  mars  1838  ^  ((je  n'ai  pas  quitté  une  seule 
journée  dcjuiis  le  court  voyage  que  je  fis  en  janvier 
18r)5  pour  des  recherches  historiques  au  Brilisli  Mu- 
sciiiUQi  à  la  Bodleienne  d'Oxt'ord  »^.  Avant  la  fin  de  1808, 
Amari  avait  dressé  pour  le  duc  Honoré  Théodoric 
d'All>ert  de  Luynes,  qui  avait  mis  à  contrihution  son 
invité  de  1811  ^,  une  Carie  comparée  de  la  Sicile  moderne 
avec  la  Sicile  du  xif  siècle  d\iprès  Edrisi  et  d'autres 
géographes  arabes,  qui  était  accompagnée  d'une  A^o//ce 
explicative  considérahle.  Carte  et  notice  parurent  en 
1839. 

Dès  janvier  1839,    une   nostalgie  dévorante   envahit 

évidemment  des  2,000  francs  qu'il  attendait  du  prix.  Le  9  février, 
Amari  comptait  encore  toucher  les  2,000  francs;  voir  G.  Pii)i- 
tonc  Federico,  Michèle  Amari  e  Fraiicesco  Ferez,  p.  75. 

*  Cil.  de  Clierrier  fit  entendre  contre  le  parta^^e  de  la  somme 
augmentée  une  protestation  injustement  passionnée  ;  voir  le 
Cartegyio,  II,  p.  00-62. 

■^D'Ancona,  /7)/(/.,  II,  p.  387.  Sprenger  n'a  ])as  publié  à  part  son 
mémoire  couronné,  mais  il  en  a  infusé  la  moelle,  les  membres 
et  la  chair  dans  son  livre  suggestif  :  Das  Lebeii  iind  die  Lelire  des 
Mohammed,  Berlin,  1861  1805,  3  vol.  in-8". 

^  Amari,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  49  et  53. 

♦  Amari,  ibid.,  II,  p.  51. 

^  Amari,  ibid.,  I,  p.  138  ;  cf.  I,  p.  156;  II,  p.  49. 


164  Opuscules  d  uu  arabisant 

l'àine  de  Michèle  Amari,  le  Sicilien  austère  et  résigné, 
qui,  «  comme  le  sublime  Manin,  conservait  gaiement 
sa  foi  dans  la  résurrection  de  son  pays,  qui  déjeu- 
nait avec  un  morceau  de  pain  et  qui  se  chauffait  en 
gardant  son  manteau  sur  les  épaules  '  ».  Ce  régime 
d'anachorète  convenait  à  sa  sobriété  et  les  mensualités 
de  l'éditeur  Le  Monnier,  jointes  aux  indemnités,  capri- 
cieusement rognées  -,  de  la  Bibliothèque  Impériale, 
suffisaient  largement  aux  maigres  besoins  d' Amari. 
Mais  il  étouffait  dans  sa  prison,  cherchait  un  moyen  de 
s'en  évader,  et  applaudissait  des  deux  mains,  dans  le 
feu  de  son  enthousiasme  surexcité,  à  l'appel  vibrant  que 
l'empereur  Napoléon  III  adressait  le  3  mai  à  son  armée 
avant  de  la  conduire  au  combat  pour  le  Principe  des  natio- 
nalités, afin  de  réaliser  avec  elle  «une  Italie  libre  jus- 
qu'à l'Adriatique  ».  Noble  conception,  dont  la  France 
démembrée  expie  cruellement  la  réussite  !  Nos  popu- 
lations avaient  de  sombres  pressentiments,  qui  ne  se 
sont  dissipés  qu'au  bruit  des  tambours  et  à  la  nouvelle 
répandue  que  les  Autrichiens  très  nombreux  et  très 
sanguinaires  menaçaient  le  Piémont^.  «  Les  républi- 
cains, ajoutait  Amari,  sont  a()solument  d'accord  avec  le 
gouvernement  sur  la  question  de  la  guerre  ;  quant  aux 
légitimistes  et  aux  orléanistes,  toujours  incurables,  ils 
sont  forcés  de  se  taire  et  de  se  poser  en  bons  Français.  » 
Amari  n'y  tient  plus,  il  est  saisi  d'une  «  fière  révolte 
contre  l'arabe  et  l'histoire,  les  livres,  la  petite  table,  le 
porte-plume  auxquels,  depuis  trop  longtemps,  l'habi- 
tude et  le  besoin  le  ramènent  »  ^. 


^  Lettre  de  Madame  Luisa  Amari,  veuve  de  Michèle,  datée  du 
6  mai  1902,  adressée  à  l'auteur  de  cette  notice. 
'^Ch.  de  Cherrier,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  62. 
^  Amari,  ibid.,  II,  p.  59;  cf.  p.  58  et  205. 
'  Amari,  ibid.,  II,  p.  54. 


Notice  sur  Michèle  A  ni  a  ri  105 


«Vers  le  20  mai  ',  A  ma  ri  n'est  plus  à  Paris,  mais  à 
Florence,  ayant  été  appelé  le  1  comme  i)r()fessenr  de 
lani>ue  et  histoire  arabes  à  l'Athénée  de  Pise  parle  Gou- 
vernement Provisoire  1  Oscan,  cpii,  aj)rès  avoir  expulsé 
le  grand  duc  Léopold  II  et  s'être  substitué  le  27  avril 
à  la  dynastie  des  cadets  de  la  maison  d'Autriche, 
s'honorait,  huit  jours  seulement  après  sa  constitution, 
en  rouvrant  les  portes  de  l'Italie  à  l'arabisant  sicilien-. 
Gelui-ci  est  à  Florence,  haleliint,  l'o'il  aux  aguets, 
l'oreille  tendue,  lesprit  agité,  à  l'alVùt  des  nouvelles. 
Elles  sont  lavoiables  à  la  cause  italienne  :  le  4  juin,  la 
victoire  des  troupes  IVanco-sardes  sur  les  Autrichiens  à 
Magenta,  le  8  l'entrée  de  Victor  Fmanuel  à  Milan,  le 
24,  la  victoire  décisive  de  Solferino.  Mais  soudain  la 
marche  en  avant  s'arrête  court,  les  pourparleis  s'en- 
gagent et  aboutissent  le  11  juillet  aux  i)réliminaires  de 
paix  signés  à  VillatVanca  di  Verona,  le  10  novendjre  à 
la  paix  de  Zurich.  L'em|)ereur  d'Autriche  François 
Joseph  ]•',  ce  vétéran  assis  aujourd'hui  encore  sur  un 
double  trône  d'épines  à  Vienne  et  à  Budapest,  cédait 
à  l'Empereur  Napoléon  III  la  Lombardie  que  celui-ci 
rétrocédait  aussitôt  à  Victor  Emanuel.  Les  Autri- 
chiens restaient  provisoirement  à  Venise  et  dans  le 
quadrilatère,  Ferdinand  II,  le  roi  Bomba,  à  Xai)les  et 
en  Sicile. 

Amari,  désappointé,  navré,  abasourdi,  retourne  à 
Paris,  sous  prétexte  de  ne  pas  y  laisser  en  souffrance 
et  d'y  régler  ses  grandissimes  afTaires  -K  11  y  est   pro- 

'  Aniari,  ilaiis  le  (Miicggio,  II,  p.  51).  Je  m'imn<^inc  que  cette 
lettre  à  François  Sal^atier  est  du  \)  plutôt  (juedu  1!)  mai  1859. 

-  Le  décret  portait  entre  autres  considérants  qu'Amari  «  avait 
tant  illustré  l'Italie  par  ses  écrits»;  voir  D'Ancona,  //)/(/.,  II,  p.  300; 
cf.  p .  58  et  59. 

^  Tommasini,  Scritti,  p.  336. 


166  Opuscules  d'un  arabisant 

bablemeiit  de  passage,  lorsque,  à  la  séance  du  vendredi 
6  juillet  1859,  la  Commission  le  désigne  avec  ses  deux 
copartageants  comme  lauréat  de  l'Institut  '.  Mais,  après 
une  courte  apparition  aux  alentours  de  la  rue  Riche- 
lieu -,  il  n'avait  pas  attendu,  avant  de  repartir,  son 
élection  par  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres  parmi  ses  correspondants  étrangers.  Elle  eut  lieu 
le  23  décembre  par  13  voix  contre  8  à  l'illustre  archéo- 
logique Gian  Battista  de  Rossi.  Toussaint  Reinaud 
lui  écrit  le  jour  même  du  vote  ^  qu'il  a  été  «vivement 
soutenu  par  M.  Hase,  M.  Victor  Leclerc,  M.  de  Long- 
périer,  M.  Jomard,  M.  Berger  de  Xivrey,  etc.»  Il  ne 
nomme  ni  Renan,  ni  lui-même,  parce  qu'ils  sont  les 
promoteurs  de  «  l'idée  ^  ».  Un  sentiment  peut-être 
inconscient  de  partialité  jalouse  empêche  Reinaud  de 
porter  sur  cette  liste  Jules  MohP,  à  qui  la  dictature  des 
études  orientales  en  France  avait  été  dévolue  sans 
conteste,  de  par  son  autorité  native,  de  par  la  supé- 
riorité de  son  caractère  et  de  son  intelligence,  de  par 
l'étendue  et  la  profondeur  de  son  savoir,  de  par 
un  consentement  tacite,  subi  par  certains  grincheux, 
accordé  de  bonne  grâce  par  les  confrères  les  plus  émi- 
nents  et  par  les  amateurs  soucieux  d'uns  saine  direc- 
tion. Mohl  n'a  jamais  laissé  passer  une   occasion    de 


•  Plus  haut,  p.  162-163. 

■^  La  Bibliothèque  occupe  un  quadrilatère  qui  avait  plusieurs 
enclaves,  annexées  depuis  lors,  formé  par  les  rues  de  Richelieu, 
Colbert,  Vivienne  et  des  Petits-Champs.  L'entrée  du  Cabinet  des 
manuscrits  était  et  est  rue  de  Richelieu. 

^  Reinaud,  dans  le  (larteggio,  II,  p.  67-70. 

'  Ibid.,  II,  p.  68,  1.  1. 

°  L'impartialité  sereine  de  Mohl  s'élève  à  la  plus  noble  bien- 
veillance dans  la  Notice  qu'il  a  consacrée  à  Reinaud  en  tête  du 
Catalogne  de  sa  bibliothèque  (Paris,  1868). 


Notice  sur  Micliele  Amari  l(>7 

louer  Aniari  et  ses  œuvres  '.  Il  lui  a  cerlaiueineiil  donné 
sa  voix  et  l'appui  de  son  inlluenee.  Reinaud,  en  excel- 
lent collègue  qu'il  était,  ne  cite  pas  non  plus  Léopold 
Delisle,  dont  je  soupçonne,  dont  je  n'ose  pas  affirmer 
la  connivence  au  trionii)he  de  son  zélé  collaborateur 
de  la  veille,  à  peine  échappé  de  celle  Bihliolliècpie  à 
laquelle  lui,  il  est  resté  lidèle,  qu'il  dirige  avec  autant 
d'amour  (pie  de  clairvoyance,  a[)résy  avoir  ^ravi  un  à 
un  les  degrés  de  la  hiérarchie  pour  })arvenii'  au  sommet. 
Dans  une  lettre  en  français,  datée  du  29  décembre 
1809-,  adressée  de  Florence  à  Ernest  Renan,  Amari 
exprime  naïvement  sa  surprise  et  chaleureusement  sa 
reconnaissance:  c' Vous  n'y  allez  pas  de  main  morte 
lorsqu'il  vous  passe  quelque  chose  par  la  tête;  voilà 
ma  nomination  ])rojetée  au  mois  d'octobre  et  obtenue 
au  mois  de  décembre,  nonobstant  des  difficultés  ([ue 
je  ne  me  dissimulais  pas,  dans  la  conviction  que  je 
pouvais  compter  plutôt  sur  l'amitié  des  membres  in- 
fluents de  l'Académie  que  sur  mes  propres  titres.  Je 
vous  en  remercie  bien  profondément;  d'abord,  parce 
qu'on  doit  être  infiniment  flatté  d'avoir  obtenu  une 
distinction  aussi  importante  que  le  patronage  de  Re- 
nan ;  ensuite,  parce  que  cette  nomination  me  place  très 
bien  dans  mon  propre  pays.  Vous  m'avez  obligé,  et  en 
même  temps  vousavez  rendu  heureux  mes  amis  et  des 
personnes  cpii  me  connaissent  à  peine,  mais  qui  sont 
flattées  de  ce  (ju'un  Italien  a  été  nommé  membre  coires- 
pondant  de  l'Institut^. 

'  Molli,  Vingt  années  (Vc Indes  orientales  (Paris,  1871)-18(SO,  2  vol.), 
I,  p.  500  ;  II,  p.  28,  160-1()2  et  454. 

'  Aniari,  dans  le  Carlegcjio,  II,  p.  64  et  Gô.  La  date  doit  être 
ainsi  rectifiée  d'après  celle  de  l'élection,  le  23  décembre,  et 
d'après  celle  du  Monitenr  toscan  du  25,  qui  y  est  cité  ;  voir  plus 
bas,  p.  169.  Voir  encore  Renan,  dans  le  (Airteggio,  II,  p.  85. 

'  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  comprend  40 


108  Opuscules  d'un  arabisant 

L'Italie  revoyait  chez  elle  l'un  de  ses  fils  les  plus 
aimants  et  les  plus  attachés  à  sa  grande  et  à  sa  petite 
patrie,  à  l'Italie  libérée  jusqu'à  l'Arno  et  à  la  Sicile 
toujours  asservie.  Revenu  dans  la  grande,  il  se  sentait 
mieux  placé  pour  servir  et  hâter  la  délivrance  de  la 
petite.  Le  Paris  de  l'empire  ne  s'aperçut  pas  qu'un 
grand  étranger,  inconnu  de  la  cour  et  ignoré  du  peuple, 
l'avait  quitté  sans  esprit  de  retour.  Ses  intimes  regret- 
tèrent pour  eux  son  départ  sans  oser  pour  lui  l'en  blâ- 
mer. Le  catalogue  des  manuscrits  arabes  revint  à  son 
état  de  stagnation,  jusqu'au  moment  où,  en  1866, 
M.  Taschereau,  administrateur  général  de  la  Biblio- 
thèque Impériale,  me  choisit  à  mes  débuts  en  vue  de 
le  remettre  en  mouvement.  Pour  impatient  qu'Amari 
fût  de  briser  sa  chaîne,  il  avait  décliné  en  janvier  1859 
une  chaire  de  géographie  et  de  statistique  que  des  amis 
lui  destinaient  à  l'Université  de  Turin.  Il  argua  de  son 
incompétence  en  ces  matières,  sa  conscience  ne  lui 
permettant  «  d'assumer  la  grave  charge  de  l'enseigne- 
ment »  que  si  on  lui  confiait  un  cours  sur  l'histoire  etla 
littérature  arabes,  les  deux  seules  spécialités  qu'il  eut 
faites  siennes  '.  Il  n'occupa  jamais  la  chaire  que,  nous 
l'avons  vu,  il  avait  acceptée  à  Pise,  bien  qu'elle  répon- 
dit à  ses  goûts  et  à  ses  aptitudes.  On  disposa  autrement 
de  celui  que  Fleischer  invitait  à  être  a  le  régénérateur 
de  la  science  de  l'Orient  parmi  ses  compatriotes  -  ». 
Pendant   qu'Amari,   dans  sa    dernière  fugue   à  Paris, 

membres  ordinaires,  10  membres  libres,  8  associés  étrangers, 
40  (alors  30)  correspondants  étrangers  et  30  (alors  20)  corres- 
pondants français.  Le  protocole  ignore  le  terme  de  membre 
correspondant,  qui  a  été  écarté  à  bon  droit,  bien  qu'il  soit  usuel 
ailleurs,  en  Allemagne,  par  exemple. 

*  Amari  à  D'Ancona,  dans  le  Carteggio.  II,  p.  54-56;  cf.  G.  Pi- 
pitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez,  p.  74-75. 

'^  Fleischer,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  64. 


Notice  sur  Micliole  A  mûri  Kîîl 

(levisîiit  avec  ses  nuMlleurs  amis  et  ({u'il  prenait  défini- 
tivemenl  conoé  d'eux  pour  aller  le  plus  tôt  i)ossil)le 
s'acquiller  de  ses  devoirs  à  rAthcnée  de  Pise\  il 
apprenait  tout  à  coup  son  changement  de  destination. 

Dans  l'intervalle,  1^'lorenee  avait  revendi(pié  et  obte- 
nu i)()ur  elle  Michèle  Amari.  Pise  dut  céder  sa  con- 
(pièle.  Cet  épisode  se  dénoua  à  son  détriment,  connue 
tant  d'autres  dans  l'histoire  de  la  rivalité  séculaire 
enlie  les  deux  villes  toscanes.  <(  Si  |)ar  hasard,  écrit 
Amari  à  Renan  en  IVancais  -,  il  vous  est  tombé  sous  les 
yeux  le  Moniteur  toscan  du  25  décembre,  vous  avez 
vu  avec  élonnement  la  création  d'un  Islilulo  d'Inse- 
(jndiuciilo  Siipcriorc-^  à  Florence,  dans  lequel  on  a  niché 
ma  chaiie  d'arabe.  A  pai't  le  décousu  et  les  duplica- 
tions ou  lacunes  (|u'on  remar(iue  dans  les  chaires,  on 
pourrait  blâmer  de  trop  de  luxe  le  i^ouvernemenl  d'un 
pays,  (pii  possède  les  Universités  de  Pise  et  de  Sienne 
et  (]ui  \  ienl  d'y  augmenter  le  nombre  des  chaires  et  le 
traitement  des  j)iotesseurs  (vous  savez  que  maintenant 
nous  avons  1.000  IVancs).  Mais,  après  tout,  on  a  agi 
avec  de  bonnes  intentions,  et  l'argent  que  l'on  dépense 
dans  l'instruction  publique  n'est  jamais  perdu.  » 

L'ouverture  du  nouvel  Istiliito  fut  célébrée  le  20  jan- 
vier 1800  par  un  Discorso  iiKuujiirdlr  d'Amari  qui  y 
adapta  sans  doule  les  matériaux  réunis  pour  sa  pre- 
mière leçon  préparée,  espérée  et  ajournée  de  Pise. 
«Après  avoir  brièvement  énuméré  les  victoires  delà  cul- 
ture italienne  depuis  le  moyen  âge,  dit  M.  D'Ancona  ^  et 

'  Plus  haut,  p.  165. 

-  (larlcggio,  II,  p.  6r)-(i(î. 

3  La  fondation  de  Hidolfi  s'appelait  et  s'apjielle  Vlslilnlo  di 
Stiidi  siiperiori  pralici  e  di  Pcrfczionamento,.  litre  copié  |>ar 
Duruy  en  1879  lorsqu'il  créa  VEcole.  pratique  des  Iiaiites-étiides 
de  Paris. 

*  D'Ancona,  dans  \e(Airteggio,  II,  p.  361. 


170  Opuscules  d'uu  arabisant 

insisté  plus  spécialement  sur  les  institutions  scolaires  de 
la  Toscane,  l'orateur  termina  en  augurant  que  la 
liberté  renouvelée  et  l'indépendance  restituée  à  la  patrie 
feraient  aussi  refleurir  les  disciplines  intellectuelles.  » 
Amari,  arabisant  de  premier  ordre,  n'était  pas  né  pro- 
fesseur et  n'avait  de  goût  que  pour  ce  que  les  Allemands 
appellent  des  privatissima  avec  un  seul  élève,  deux  ou 
trois  au  plus.  Il  n'a  jamais  dirigé  une  classe,  ni  présidé 
à  ces  colloques  lieureusement  renouvelés  du  moyen 
âge  éducateur  1,  mais  il  a  communiqué  sa  méthode,  ses 
principes  et  son  érudition  à  un  choix  de  disciples  triés, 
aimés,  dirigés,  ses  collaborateurs  d'élection -. 

*  Sur  l'histoire  de  ce  sj^stème  qui,  dans  un  auditoire  restreint, 
fournit  à  cliacun  l'occasion  d'affirmer  sa  vocation,  sa  compétence 
et  sa  valeur,  je  recommande  la  thèse  consciencieuse  et  exacte 
de  mon  ancien  collègue,  qui  vient  de  mourir  et  à  qui  j'adresse 
l'hommage  de  ma  plus  haute  estime,  Louis  Massebiau  ;  Les  collo- 
ques scolaires  du  seizième  siècle  et  leurs  auteurs  (1480-157U),  Paris, 
1878. 

-  Le  vénérable  Fausto  Lasinio,  successeur  d'Amari  dans  la 
chaire  de  Vlstituto,  n'était  pas  son  élève.  L'étaient  Lupo  Buo- 
nazia,  professeur  à  l'Université  de  Naples,  et  Celestino  Schiapa- 
relli,  professeur  d'arabe  à  l'Université  de  Rome,  qui,  en  1883, 
eut  l'honneur  de  signer  avec  Michèle  Amari  Vllalia  descritla  nel 
libre  del  Re  Ruggiero,  compilato  da  Edrisi,  testo  arabo  con  ver- 
sione  e  note.  Je  songe  ensuite  à  l'existence,  brisée  avant  l'âge  et 
avant  la  récolte,  d'Isaïa  Gliiron  (D'Ancona,  dans  le  Carteggio, 
II,  p.  313).  qui,  en  1868,  dédia  à  son  maître  les  Iscrizioni  arabe 
delta  R.  Armeria  di  Torino.  La  liste  des  dédicaces  agréées  par 
Amari,  liste  dressée  par  Tommasini,  Scritti,  p.  340,  n.  1,  révèle 
peut-être  quelques-uns  des  élèves  qu'il  avait  formés,  David 
Castelli  et  Angelo  de  Gubernatis  par  exemple.  Mon  ami,  Ignazio 
Guidi,  professeur  des  langues  sémitiques  à  l'Université  de  Rome, 
mis  au  premier  rang  en  Europe  comme  arabisant  et  comme 
sémitisant,  aussi  modeste  qu'érudit,  regrette  de  n'avoir  jamais 
été  l'élève  de  Michèle  Amari.  Nous  nous  sommes  rencontres,  lui 
et  moi,  vers  1860  à  Paris,  au  cours  de  Reinaud,  nous  nous  som- 
mes suivis  de  près  à  Leipzig,  lorsque,  dans  l'hiver  de  1865-1866, 
yy  ai  participé  aux  leçons  de  Fleischer  avec  Ethé,  Georg  Hof- 
mann,  Loth,  Prym,  Sachau,  Thorbecke,  Wùnsche  e  tutti  quanti. 


Notice  sur  Mirhele  Aiiiari  171 

Bien  vite,  Ainari  ii'appoile  à  sa  chaire  ([irune  alleii- 
tion  iiiteiinilleiile.  Son  cœur  bal  avec  celui  de  l'ilalie 
renaissanle  ',  ressiiscilée,  fréinissanle,  oubliant  ses 
querelles  locales,  tournant  ses  yeux  attendris  vers  le 
Piémont,  réclamant  avec  frénésie  son  unité  amorcée, 
ébauchée,  sui)ltement  entravée  dans  son  essor,  appe- 
lant à  ^H'ands  cris  Victor  Kmamiel  comme  son  libé- 
rateur et  comme  son  roi.  Amari  ai)prend  sans  étonne- 
menl,  mais  non  sans  émotion,  l'annexion  au  Piémont 
de  ri^milie,  c'est-à-dire  de  Parme,  Plaisance,  Modène, 
Regi^io,  b\'riare,  Bologne,  liavenne,  Forli,  sanctionnée 
par  le  plébiscite  du  12  mars  18()(),  puis  de  la  Toscane  i)ar 
celui  du  1j.  Le  teu  se  pr()[)age  et  finira  par  s  étendre, 
non  seulement  à  la  péninsule  entière,  mais  aussi  à 
l'ile  méridionale,  à  la  Sicile.  <(  Les  victoires  di'Ma<^enla 
et  de  Solt'erino  ont  été  saluées  à  Palerme,  à  Messine,  à 
Catane,  avec  les  mêmes  démonsi rations  qu'à  Xaples, 
Home  et  Venise  -.   » 

Au  commencement  de  mars,  Mariano  Slabile,  l'an- 
cien ministre  révolutionnaire  palermitain  "^  assagi  par 
les  épreuves  et  pnv  l'expérience,  demande  à  entrete- 
nir Xai)oléon  111  lui-même  })our  solliciter  son  inter- 
vention en  vue  d'alTranchir  la  Sicile,  maintenue  sous 
la  doir.inalion  autrichienne  par  piocuiation  ^  donnée 
au  roi  de  Xa})les  François  II  qui,  le  22  mai  LS.')!),  avait 
remplacé  sur  le  lré)ne  son  père  Ferdinand  II,  le  roi 
Bomba,  à  Sa  Majesté  Bond)icella  vassal  volontaire  de 


'  «  La  noble  renaissance  ([ui  semble  i)oin(lrc  de  toutes  parts 
pnrnii  vous  »,  expression  d'Ernest  Henan  dans  une  lein^e  du  17 
mai  1860  à  Amari,  dans  le  Cartc(/c/io,  II,  p.  85. 

-  Ibid.,  II,  p.  7G;  Amari  au  directeur  de  la  Xcizionc,  20  avril 
1860. 

^  Plus  haut,  p.  116,  123,  126,  127,  etc. 

^  Carteggio,  II,  p    76. 


172  Opuscules  d'un  aral)isant 


l'Autriche  *.  C'est  à  ce  sujet  que  Mariano  Stal)ile  écrit 
de  Paris  le  10  avril  à  Michel  Amari-:  «  x\près  plus  d'un 
mois  d'attente,  je  finis  par  recevoir  une  lettre  du  Grand 
Chamhellan  pour  m'avertir  que  l'empereur  ne  pouvait 
pas  m'accorder  l'audience,  mais  qu'il  l'avait  chargé  de 
me  recevoir  et  d'écouter  tout  ce  que  j'aurais  voulu  lui 
exposer.  Au  jour  et  à  l'heure  indiqués,  je  fus  donc  aux 
Tuileries,  et  mon  audience  dura  une  heure  et  demie. 
Le  duc  de  Bassano  fut  très  aimable  et  abonda  toujours 
dans  mon  sens.  Nous  convînmes  que  je  rédigerais  un 
mémoire  sur  toutes  les  choses  dites  et  qu'il  le  présen- 
terait aussitôt  à  l'empereur.  Mon  mémoire  terminé,  je 
le  fis  réviser  par  Madame  Cornu  et,  avec  une  sainte 
patience,  je  le  copiai  de  ma  meilleure  écriture...  Mon 
mémoire  fut  remis  un  jour  avant  celui  où  les  jour- 
naux publièrent  les  nouvelles  télégraphiques  d'une 
insurrection  en  Sicile.  » 

La  révolution  a  éclaté  le  9  avril  1860  aux  cris  de  : 
Yiva  Viltorio  Emamiele  /^  Le  comte  di  Cavour, renommé 
président  du  Conseil  des  ministres  le  16  janvier,  a  sous 
main  encouragé  les  rebelles  et  fourni  des  subsides  aux 
provocateurs  les  plus  ardents  et  les  plus  écoutés.  Ce 
serait  un  feu  de  paille,  rapidement  noyé  dans  le  sang 
après  avoir  flambé  inutilement,  sans  deux  aliments 
nécessaires  pour  en  prolonger  la  coml)ustion  :  l'argent 
italien  et  un  chef  populaire.  Le  héros,  ce  fut  Garibaldi 
qui  débarqua  le  11  mai  h  Marsala  ^  avec  ses  1.000,  ou 
plutôt  avec  ses  1.005  volontaires^,  «ramenant  l'humanité 


^  Caiieggio,  II,  p.  75. 
2  Ibid.,  II,  p.  72-73. 

-*  Amari,  ibid.,  II,  p.  76;  cf.  p.  71,  82  et  96. 
'  Ibid.,  II,  p.  86. 

^  770-r235;  voir  P.    Spangaro,  l'un  des    lieutenants  de  Gari- 
baldi, lettre  du  8  mai,  ibid.,  II,  p.  81. 


Xotice  sur  Michèle  Aniari  173 

aux  lenii)s  Ik'tohiiu's  et  j)ros({ue  à  la  niyllioloLjie  »  '. 
Quant  aux  tonds,  ils  liuviit  deiiiaiulés  à  une  sousciip- 
tion  nationak'  ouverte  vers  le  If)  avril,  à  la(|uelle  fuiTut 
appelés  à  contribuer,  non  seulement  les  sujets  de  \'ic- 
tor  lùnanuel,  non  seulement  les  habitants  de  la 
Sieile  ainsi  (pie  eeux  de  Xaples  et  Sicile,  mais  encore 
les  Italiens  séparés  de  leurs  tVères,  mais  unis  a  eux 
par  leurs  communes.  asj)irations,  leuis  concilovensdes 
états  ponlilicaux,  du  (piadrilatére  vénitien  et  derélran- 
ger.  Les  sommes  recueillies  devaient  être  mises  à  la 
disposition  d'un  (Comité  exécutif,  (pii  sié<^ail  à  (iénes 
et  dont  le  comte  Michèle  Amari  était  le  président,  par 
un  (lomilé  de  propagande  (jui  sié^^ait  à  Morcnce  et 
dont  Tarahisant  Michèle  Amari  avait  accei)té  d'être  le 
secrétaire  en  même  temps  que  le  caissier-. 

<f  Depuis  tantôt  deux  mois,  écrit  notre  Michèle  Amari 
en  français  à  Renan  le  4  juin'',  je  ne  suis  bon  (pi'à  faire 
la  chasse  aux  nouvelles  de  l'insuirection  ^,  à  procurer 
des  moyens  j)()ur  l'aider,  surtout  à  réunir  de  l'argent 
par  pièces  de  dix  sous,  de  vingt  francs,  etc.,  etc.  A  cet 
elVel,  Ton  organisa  à  Florence  un  (Comité  dont  je  suis 
le    secrétaire   et  le  caissier  ;  l'on  se  mit  en  correspon- 

'  Amari,  dans  le  Carie ggio,  II,  p.  00. 

*  «  Les  Italiens  de  toutes  les  provinces,  libres  ou  non  »,  écrit 
Michèle  Aniari  au  comte  Michèle  Amari  le  20  avril  (ibid.,  II,  p. 
73).  La  similitude  de  leurs  noms  et  prénoms,  leur  résidence 
simultanée  à  Florence  comme  sénateurs  du  royaume  d'Italie, 
ex|)li([uent  le  post-scriptum  d'ime  lettre  que  l'orientaliste  m'a 
fait  l'honneur  de  m'écrire  le  Ki  janvier  ISfuS  et  qu'on  trouvera 
plus  loin  :  «  Adresser  Professeur  et  Sénateur  pour  éviter  récjui- 
voque  d'un  homonyme.  »  A  la  mort  de  ce  Michèle  Amari  en 
janvier  1877,  la  mort  de  notre  Amari  fut  annoncée,  comme  aussi 
déjà  en  février  1870  lorsque  disparut  Emerico  Amari  ;  voir 
ibid.y  II,  p.  2-27. 

^Ibid.,  II,  p.  OL 

^  On  était  souvent  mieux  informé  à  Paris  qu'à  Florence;  voir 
Mariano  Stabile,  ibid.,  II,  p.  85. 


174  Opuscules  d'uu  arabisant 

dance  avec  Garibaldi  ;  Ion  organisa  tant  bien  que  mal 
la  première  expédition,  qui  a  eu  des  résultats  aussi 
prodigieux,  grâce  au  génie  du  célèbre  partisan  italien 
et  au  courage,  au  dévouement  et  à  la  constance  opi- 
niâtre de  mes  compatriotes  insulaires.  J'allais  prendre 
un  fusil  et  m'embarquer,  lorsque  la  prise  de  Palerme 
est  venue  me  dispenser  pour  le  moment  de  la  guerre 
sacrée.  Probablement  je  partirai  pour  la  Sicile  dans 
quelques  jours,  mais  en  voyageur,  pour  aller  voir  si 
ma  maison  est  brûlée,  si  mes  parents  sont  au  nombre 
des  vivants'.  »  Une  semaine  auparavant,  le  29  mai, 
Micbele  Amari,  écrivait  en  italien  au  comte,  son  homo- 
nyme- :  c(  Tu  sais  que  je  me  propose  de  partir  avec  la 
troisième  expédition.  Je  l'ai  promis  et  je  me  le  dois  à 
moi-même,  pouvant  encore,  avec  mes  53  ans  accomplis, 
taire  mes  trois  ou  quatre  étapes  et  tirer  mes  coups  de 
fusil  comme  les  autres.  Mais,  si  Garibaldi  est  entré  à 
Palerme  avant  le  départ  de  l'expédition,  je  ne  veux  pas 
aller  me  présenter  comme  candidat  au  ministère^  ou  à 
une  Commission.  Les  acteurs,  bons  ou  mauvais,  de 
1848  ne  doivent  pas  remonter  sur  la  scène  sans  y  être 
appelés.  » 

Or,  Garibaldi,  muni  par  les  soins  d'Amari  des  100,000 
lire,  que  la  souscription  nationale  avait  mises  à  sa  dispo- 
sition* «  au  nom  du  roi  Victor  Emanuel  II  »,  débarqua 

^  La  mère  d'Amari  était  morte  en  1842  et  son  père  en  1850; 
voir  plus  haut,  p.  99,  104,  109  et  147.  Son  beau-frère  Del  Fiore 
(plus  haut,  p.  127,  129  et  148)  vivait-il  encore?  Je  ne  sais  et  ne 
puis  préciser  à  quels  «  parents»  Amari  fait  allusion. 

^  Carteggio,  II,  p.  39. 

^  «  Je  ne  me  soucie  pas  plus  que  toi,  écrit  Amari  à  son  homo- 
nyme le  6  juin  1860,  de  me  coucher  une  seconde  fois  dans  ce  lit 
de  Procuste  d'un  Ministère  sicilien.  »  Ibid.,  II,  p.  94.  «  Je  refu- 
serai toute  part  au  gouvernement  »  ;  autre  lettre  du  13  juin  du 
même  au  même,  ibid.,  II,  p.  95. 

*  Ibid.,  II,  p.  79,  Giuseppe  Garibaldi  à  Michèle  Amari,  4  mai 
1860;  cf.  p.  84,  88,  90,  93,  221. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  175 


sur  la  côle  occidentale  de  l'ile  à  Maisala,  le  11  mai, 
avec  ses  «  chasseurs  des  Ali)es  '  »),  coiuine  il  avait  sur- 
nommé ses  volonlaiies,  s'arrooea  la  dietature  le  1  1, 
hattit  le  15  à  (^alalalimi  les  tr()ui)es  naj)()Iilaines  com- 
mandées par  Landi  et  prit  j)ossessi()n  de  Palerme  le 
27,  avant  l'entrée  en  eampa<^ne  de  la  troisième  expé- 
dition, de  celle  (pii  aurait  dû  ramener  Amari  dans  sa 
ville  natale,  (lelui-ei  dilléra  son  (léj)arl  de  h^orence, 
où  il  Juij;eait  sa  présence  utile  pour  y  mener  la  propa- 
gande auprès  de  «  ceux  ([ui  aiment  la  patrie  et  la 
liherté  »  en  faveur  d'  a  une  souscription  qu'aucune  loi 
ne  peut  interdire  chez  un  peuple  libre.  -»  Tout  mar- 
che à  souhait.  11  n'y  a  plus  de  Napolitains  qu'à 
Messine-^  »  Garihaldi  est  parti  pour  eonquérirles  (Pala- 
bres et  le  royaume  de  Xaples,  après  avoir  nommé 
Depretis  prodietaleur pour  la  Sieile-^  «Lu  grande  peur 
d'Amari,  républicain  de  la  veille  converti  par  raison 
comme  Ciaribaldi  au  royabsme,  est  qu'en  l'absence 
du  dietateur,  la  Sicile,  débarrassée  des  Bourbons,  ne 
veuille  taire  un  essai  de  république  démocratique  et 
sociale  pour  étendre  cet  essai  avec  Ledru-Iiollin  à  la 
France  et  avec  Kossulli  à  la  Hongrie."' »  Le  programme 


'  (Atrle(jfjio,  II,  p.  82,  Spangaro  à  Amari,  8  mai  18G0. 

-  Ibi(L,  II,  p.  84,  Amari  au  directeur  de  la  Xazione,  IG  mai 
1860. 

■'Le  28  juillet  18()(l,  Messine  fut  enfin  occupé  parles  volon- 
taires de  Garibaldi,  qui,  peu  de  jours  après,  «  fut  accueilli  avec 
enthousiasme  ».  (I)eprelisà  Amari,  ibicl.,  II,  p.  11.')).  La  citadelle 
ne  se  rendit  que  le  13  mars  18G1  au  général  italien  Cialdini. 

'  Ibid.,  II,  p.  107-1(18;  passage  très  intéressant  sur  Agostino 
Depretis  dont  Amari  loue,  dès  juillet  1800,  «  l'intelligence  et  la 
fermeté,  la  science  administrative,  la  i)ratique  des  affaires  et 
l'habileté  politique  ».  Amari,  admirateur  de  Depretis  (ibid..  Il, 
p.  108,  110,  112-1:^5),  lui  devint,  en  1879,  hostile  (ibid.,  II,  p.  243, 
246,  247,  etc.). 

'lbid.,U,  p.  93.  Michèle  Amari  au  comte  Michèle  Amari,  6 
juin  1860. 


170  Opuscules  d  uu  arabisant 

d'Amari  comporte  comme  premier  article  «  l'annexion 
au  Piémont  »,  comme  deuxième  article  «  l'Italie  une, 
mais  sans  administration  centralisatrice.  »  ^  Le  mi- 
nistre Farini  juge  à  propos  de  mander  x\mari  à  Turin 
au  milieu  de  juin  pour  le  présenter  au  comte  di  Cavour, 
à  la  recherche  d'un  patriote  sur  et  circonspect  qui 
puisse,  sans  le  compromettre,  se  charger  en  son  nom 
d'une  mission  confidentielle  auprès  de  Garibaldi.  Le 
comte  discerne  au  premier  coup  d'œil  quel  concours 
efficace  lui  apportera  «  l'illustre  auteur  des  Vêpres,  un 
homme  très  capable  qui  pourrait  rendre  quelques  ser- 
vices à  Garibaldi,  si  celui-ci  voulait  l'écouter-  ».  Une 
conférence,  présidée  par  Cavour  dans  son  domicile 
privé,  réunit  Amari  avec  plusieurs  Napolitains  de 
marque,  en  vue  d'une  consultation  sur  la  Sicile.  «  Etaient 
présents  La  Farina,  Francesco  Peiez,  le  prince  di  San 
Giuseppe  et  d'autres  -.  »  Amari,  d'accord  avec  Cavour 
sur  tous  les  points,  se  laissa  convaincre  par  lui 
qu'il  y  avait  urgence  à  son  expédition  pacifique  en 
Sicile,  où  sa  personne,  son  prestige,  sa  parole  aide- 
raient puissamment  à  y  faire  prévaloir  leurs  idées. 
Le  29  juin,  Amari  s'embarque  à  Gènes  et,  après  «  un 
bon  voyage  de  54  heures  »,  arrive  à  Palerme  <(  sain  et 
sauf  »  le  dimanche  L-i"  juillet,  à  sept  heures  du  soir  ^. 
Le  surlendemain,  Michèle  Amari  esquisse  ses  «  im- 


'  Carteggio,  II,  p.  95.  Amari  à  Amari,  13  juin  18G0. 

2  Lettre  de  Cavour  du  28  juin  au  contre-amiral  Di  Persano, 
pour  lui  recommander  Amari,  dans  Cavour,  Leltere,  ed  Chiala, 
(Torino,  1884),  III,  p.  276,  cité  d'après  Tommasini,  Scrilii,  p.  337, 
et  d'après  D'Ancona  dans  le  Carleggio,  II,  p.  389;  cf.  Amari, 
ihid,  II,  p.  97-98. 

^  Amari,  Appmiii  aiilobiografici,  communiqués  par  D'Ancona, 
ibid.,  II,  p    389. 

^  Ibid.,  II,  p.  96.  Lettre  d'x\mari  à  son  homon3'me,  datée  de 
Palerme,  3  juillet  1800;  cf.  ibid.,  II,  p.  107. 


I 


Notice  sur  Mirliele  Arnari  177 


pressions  de  la  première  journée  »  à  son  <(  très  elier  »  cori- 
fidenl,  avec  qui  il  a^il  de  concert  '  »  depuis  qu'il  a  foulé 
de  nouveau  le  sol  italien,  le  comte  Michèle  Amari  : 
<r  J'ai  vu  hier  Garihaldi...  Il  m'a  répété  très  clairement 
ne  vouloir  que  l'aFmexion  à  la  royauté  constitutionnelle 
de  Victor  F^manuel...,  le  régime  pour  le([nel  le  peuple 
s'est  prononcé  à  l'unanimilé. . .,  le  régime  le  plus 
avancé  dont  jouisse  aucun  |)euj)le,  y  compris  les  l^tals- 
Unis  d'Amérique...  Crispi  -  m'a  exj^rimé  les  mêmes 
idées...  Il  me  présenta  au  général  comme  un  des 
noires,  c'est-à-dire  des  vrais  Italiens,  etc.;  il  me  dit 
ensuite  que  Mazzini  ne  pouvait  rien  souhaiter  d'autre, 
([ue  lui-même  n'avait  jamais  désiré  et  ne  désirait 
aucune  solution  différente.  Sa  mauvaise  humeur 
n'éclatait  qu'au  sujet  de  La  Farina,  auquel,  selon 
Crispi,  le  général  ne  savait  pardonner  ni  son  vote 
dans  la  question  de  Nice,  ni  sa  servilité  à  l'égard  du 
Ministère.  Si  je  ne  me  trompe,  ces  heurts  proviennent 
plutôt  d'amhilions  et  de  rancunes  personnelles  que  de 
dissentimentssurla  direction  politique...  A  Palerme,  on 
ne  relate  ni  les  vols,  ni  les  homicides,  ni  les  autres  vio- 
lences de  1818^...  Fais-moi  la  faveur  d'accuser  réception 
de  sa  dépêche  au  comte  de  Cavour,  auquel  je  t'auto- 
rise à  communiquer  ce  que  j'ai  écrit.   » 

L'optimisme  d'Amari,  mieux  informé,  ne  lui  fait  pas 
fermer  les  yeux  sur  la  confusion  et  les  dilapidations 
de  l'administration  militaire,  non  plus  que  sur  les 
désordres  de  tout  genre   dans  les  provinces,  «   tandis 

'  Cartcggio,  II,  p.  117. 

2  Crispi  était  alors  secrétaire  de  la  Dictature.  Note  de  D'An- 
cona,  ihid.,  II,  p.  KX).  Cet  homme  d'État.  «  avec  ses  allures  de 
partisan  et  de  factotum  »,  n'a  jamais  éveillé  chez  Amari  une  vive 
sympathie,  ibid.,  II,  p.  101,  108,  113,  114,  117,  119,  121,  123,  126- 
128,  131  133,  135. 

3  Plus  haut,  p.  146  et  150. 

12 


178  Opuscules  d'un  arabisant 

qu'à  Païenne  la  sécurité  des  personues  et  des  transac- 
tions commerciales  est  assurée  comme  en  temps  de 
paix  *  ».  L'annexion  est  urgente,  et  «  Garibaldi  ne 
menace  plus  de  la  différer  jusqu'à  la  conquête  du  Vati- 
can et  de  la  place  Saint-Marc  »  -.  Mais,  avec  son  flair 
instinctif  des  nécessités  politiques,  le  «  dictateur  glo- 
rieux, populaire  et  ignorant  des  choses  de  c^'  monde  »  ^ 
devine  les  collaborateurs  dont  il  lui  faut  solliciter  et 
exiger  le  concours,  afin  que  son  œuvre,  loin  de  péri- 
cliter, s'affermisse  et  se  consolide.  Amari  est  du  nom- 
bre. Il  a  beau  se  défendre  et  refuser  d'entrer  à  l'aveu- 
gle dans  ce  qu'il  appelle  sévèrement  ((  un  ministère  de 
commis  »  *.  Garibaldi  ne  cache  pas  que,  «  si  les  hon- 
nêtes gens  »  ^  se  dérobent,  il  appellera  au  pouvoir 
les  officiers  de  son  état-major.  Ce  danger  triomphe  \| 
des  résistances  de  Michèle  Amari,  qui,  le  10  juillet, 
accepte  le  «  petit  »  portefeuille  de  l'instruction  publi- 
que  ^.  Le  13,  il  écrit  à  un  ami  anglais  en  français  :  \ 
(.(  Votre  lettre  du  22  juin  ne  m'a  pas  trouvé  précisé-  i 
ment  en  prison,  mais  dans  quelque  chose  de  sembla-  i 
ble  :  un  ministère  pendant  une  révolution...  Espérons  | 
que  la  nécessité  d'un   sacrifice  pareil  cesse  bientôt  et    | 


^  Carteggio,  II,  p.  109,  combiné  avec  ibid.^  II,  p.  98;  cf.  aussi 
p.  119. 

2  Ibid.,  II,  p.  99;  cf.  p.  136. 

3  Ibid.,  II,  p.  101. 

'  Ibid.,  loc.  cit.  La  lettre  CCCXLIV  {ibid.,  II,  p.  99-105)  est 
évidemment  d'un  jour  au  moins  antérieure  au  10  juillet,  puisque, 
le  10,  Amari  «  inconnu  et  austère  »,  comme  il  s'y  qualifie  lui- 
même,  céda  aux  instances  de  Garibaldi. 

*  Ibid.,  II,  p.  10G-107,  Amari  à  Cartwright.  A  cette  même  lettre 
sont  empruntés  les  autres  passages  entre  guillemets  de  ce  para- 
graphe. 

^  Les  Travaux  publics  avaient  été  rattachés  à  l'Instruction  ; 
cf.  Amari,  ibid.,  II,  p.  120;  Tommasini,  Scrilti,  p.  337;  D'Ancona, 
dans  le  Carteggio,  II,  p.  361. 


Notice  sur  Micliele  Aiiiari  1  7î> 


que  l'on  me  rende  à  ma  liberté.  Je  vous  avone  ((ue 
Garihaldi  est  un  homme  eharmanl»  séduisant,  un 
homme  de  Plutarciue,  fiane,  loyal,  aimable  et  d'un 
cœur  excellent,  aussi   bon  (jue  brave.  » 

Amari  se  sent  dépaysé,  surtout  dans  les  (juestions 
relatives  au  personnel  de  son  Ministère,  après  avoir 
été  absent  pendant  «  douze  ans,  pour  ne  pas  dire  (iix- 
huit  ».  11  aimerait  être  allégé  d'une  <'harL>e  (pii  lui 
pèse,  fuir  la  terreur  des  candidats  aux  fonctions  publi- 
ques et  le  supi^lice  des  audiences,  abandonner  une 
position  secondaire,  ne  plus  servir  sous  les  ordres  de 
Crispi,  retourner  à  sa  chaire  de  Florence  '.  Le  plébis- 
cite est  ajourné,  de  peur  qu'il  ne  «  lie  les  bras  à  dari- 
baldi  )>  dans  sa  campagne  naj)olitaine.  Kn  revanche, 
Crispi  a  imaginé  et  le  prodictateur  a  ordonné,  le  3  août, 
de  faire  prêter  serment  a  Victor  Emanuel  et  au  Statut 
par  les  fonctionnaires  de  tout  oi'dre,  et  c'est  ainsi  que, 
le  1),  les  magistrats  de  Palerme  ont  juré,  «  contrai- 
rement à  la  logi([ue  de  l'école,  mais  selon  la  logique 
de  la  politicpie  et  de  la  révolution  »  -.  Amari,  ministre 
récalcitrant,  a  été  transféré  par  Depretis  à  un  autre 
«  petit  portefeuille,  celui  des  alVaires  étrangères  »  •'.  Le 
18  août,  il  demande  à  le  résigner,  en  invoquant  auprès 
du  prodiclateur,  non  plus  seulement  des  raisons  de 
convenance  personnelle,  mais  aussi  la  crainte  de  «  ne 
pas  être  l'interprète  de  la  pensée  du  gouvernement  lui- 
même  dans  les  (piestions  de  politique  étrangère  »  *. 
Ayant  obtenu  satisfaction  siu*  le  point  en  litige,  Amàri 
n'insiste  pas  et  c'est  lui  qui,  le  4  septembre,  s'occupe 


'  Cartcggio,  II  p.  lo7;  combiné  avec  ibid.,  II,  ]).  114,  VU),  VU, 
140,  143. 
^  Ibid.,  II,  p.  115  et  116.  cf.  p.  121. 
3  Ibid.,  II    p.  120;  cf.  p.  124. 
♦  Ibid.,  II,  p.  124. 


180  Opuscules  d'un  arabisant 


de  rédiger  une  proclamation  au  peuple  sicilien  pour 
l'inviter  au  plébiscite  et  un  projet  de  décret  pour  en 
arrêter  la  date  prochaine,  les  considérants  et  la  for- 
mule ^  Les  partisans  de  la  convocation  d'une  assem- 
blée, «  les  indépendentistes  et  les  autonomistes  », 
d'accord  avec  les  «  faux  amis  de  Garibaldi  »  et  avec  les 
f(  mazziniens  plus  ou  moins  déguisés  »,  ont  «  mis  des 
entraves  à  l'annexion  »  -.  Le  ministère  Depretis  avait, 
dès  le  14  septembre,  menacé  Garibaldi  de  sa  démis- 
sion collective.  Elle  fut  aussitôt  acceptée  par  le  dicta- 
teur, venu  incontinent  à  Palerme  pour  imposer  sa 
volonté  et  pour  instituer  la  prodictature  d'Antonio 
Mordini.  Michèle  Amari,  s'il  y  consent,  est  sollicité  de 
conserver  son  portefeuille  à  l'exclusion  de  ses  collè- 
gues. Mais  il  se  solidarise  avec  eux  dans  ses  actes 
conformes  à  ses  opinions  et,  en  se  défendant  de  vouloir 
((  allumer  même  un  semblant  de  guerre  civile  »,  se 
déclare  l'avocat  intransigeant  des  mesures  révolution- 
naires, lorsque,  le  7  octobre,  il  écrit  en  français^: 
«  L'annexion  prononcée  par  les  insurgés,  confirmée 
par  les  municipalités,  est  le  vœu  certain  et  général 
de  la  Sicile.  Qu'un  plébiscite  lui  donne  une  forme 
légale,  et  la  conscience  la  plus  scrupuleuse  sera  satis- 
faite amplement.  » 

Le  prodictateur  Mordini,  après  avoir  «  joué  sa  der- 
nière carte  en  proclamant  pour  le  21  octobre  l'élection 
des  membres  d'une  assemblée  »  ^  fut  contraint  de 
s'infliger  un  démenti  à  lui-même  et  de  convoquer  par 
ordre,  pour  ce  même  jour,  le  peuple  sicilien  dans  ses 
comices  en  vue  d'accepter  ou  de  rejeter  le  plébiscite, 

'  Carie ggio,  II,  p.  131  et  137. 

■2  Ibid.,  II,  p.  134  et  135. 

3  Ibid.,  II,  p.  136. 

*  Ibid.,  loc.  cit. 


.    Notice  sur  Michèle  Aiiuiri  181 

tandis  que,  au  même  jour  étfalcnu'iil,  les  élcclcuis  du 
royaume  de  Xaples  avaient  été  appelés  aussi  à  se  pro- 
noncer pour  ou  contre  son  annexion  au  royaume  de 
Sardaigne.  Le  .')  novembre,  avant  la  proelamalion  du 
recensement  officiel,  Amari  constatait  déjà  en  Sieile 
400,000  oui  et  100  non  '.  Les  Deux-Sieiles  donnèrent  à 
Victor  Kmanuel  1,3()1,20(S  oui  en  face  de  10,327  non. 

Le  succès  était  éclatant  :  le  patriotisme  fou«^iieux 
d'Amari  avait  préparé  et  remporté  pour  son  lie  natale 
le  triomphe  décisif  de  ses  idées  et  de  ses  aspirations. 
Les  citoyens  de  Paleinie,  prêtres  et  laKjues,  s'étaient 
rendus  aux  urnes  «  avec  joie,  presc[ue  avec  frénésie  », 
sans  «  tionble  i){)ur  la  tian(juillité  et  l'oiclre  publics  »-. 
Le  gouvernement  loeal,  loin  de  tijarder  rancune  à 
l'intervention  heureuse  d'Amari,  avait,  (luelcjucs  jours 
auparavant,  le  17,  nommé  l'ancien  ministre  professeur 
émérite  de  littérature  arabe  à  l'Université  de  Palcrme, 
le  ramenant  ainsi,  sans  faire  peser  sur  lui  aueune 
charge,  dans  la  chaire  où  il  n'était  monté  qu'une  seule 
fois  après  y  avoir  été  appelé  par  le  Comité  sicilien  de 
1848  3.  Amari  se  réjouit  avec  une  entière  reconnais- 
sance d'accei)ter  le  titre  honorifique  qui  le  rattaehait 
à  l'Université  où  il  avait  fait  ses  premières  études  et  à. 
la  ville  où  il  était  né,  qu'il  avait  toujours  aimée  en  fils 
affectueux.  L'orientaliste  placé  au  Ministère  de  l'Ins- 
truction, l'abbé  Gregorio  Ugdulena  ^,  à  l'exemple  de 
Garibaldi  et  du  prodictateur  Mordini,  doublait,  triplait, 
centuplait  les  grades  et  les  emplois  '.  Or,  étant  mieux 

'  Amari,  dans  le  Carlegyîo,  II,  p.  130. 

3 Amari,  ibid.,  loc.  cit.  Palcrme  vota  l'annexion  presque  à 
l'unanimité, 36,  232  oui,  20  non,  15  bulletins  nuls  sur  36, 237  suffra- 
ges exprimés. 

3  Plus  haut,  p.   126. 

'*  D'Ancona.  dans  le  Carleggio,  II,  p.  102-103. 

^  Amari,  ibid.,  II,  p.  145. 


182  Opuscules  d  un  arabisant 

que  personne  à  même  d'apprécier  la  science  d'Amari, 
il  voulut  faire  violence  à  son  désintéressement  en  réta- 
blissant pour  lui,  par  le  même  arrêté,  les  vieilles  fonc- 
tions d'historiographe  de  la  Sicile,  avec  2.500  lire 
d'appointements.  Amari  craignit  d'aliéner  son  indépen- 
dance d'écrivain  «  dans  cette  république  sans  magis- 
trats, comme  il  convient  que  soit  celle  des  lettres  ».  Il 
refusa  catégoriquement  le  poste,  a  aussi  ridicule  que 
celui  d'un  poète  césarien  )),la((  sinécure  qui,  à  ses  yeux, 
était  un  anachronisme  ou  une  chinoiserie  ji),le  «  cadeau 
venant  du  parti  hostile  à  l'annexion  ».  Elle  était  heu- 
reusement consommée  et  l'arabisant,  avant  son  retour 
à  Florence,  eut  la  joie,  non  seulement  d'avoir  «  échappé 
miraculeusement  à  l'épreuve  de  faire  partie  du  gou- 
vernement de  la  Sicile  sous  Montezemolo  »,  nommé 
d'abord  commissaire  extraordinaire,  puis  gouverneur 
général  par  Cavour,  «  et  même  au  fardeau  d'une  croix 
de  SS.  Maurice  et  Lazare  »,  mais  encore  d'assister  en 
spectateur  enthousiaste  à  la  réception  que  le  peuple  de 
Palerme  fit,  le  l^i'  décembre  1860,  à  Victor  Emanuel 
et  en  convive  résigné  «  au  grand  dîner  que  donna  le 
roi  ».  En  décembre,  Amari  écrit  de  Florence  en  fran- 
çais :  «  Tout  ce  que  vous  en  avez  lu  dans  les  journaux 
reste  au-dessous  de  la  réalité...  J'ai  repris  mes  travaux 
et  ma  chaire,  bien  résolu  à  ne  reparaître  sur  la  scène 
de  la  politique  que  comme  député  de  Palerme  ou  de 
tout  autre  collège  électoral  »  ^ 

Amari,   revenu  à   ses  «  anciennes  amours  non  poli- 
tiques» -,  en  fut  bientôt  distrait  par  sa  nomination  dans 

^  Les  passages  de  ce  paragraphe,  placés  entre  guillemets,  sont 
empruntés  au  Cuiieggio,  II,  p.  137-141.    Ibid.,  II,  p.  144,  Amari 
«  avoue  qu'il  aimerait  à  entrer  comme  député  sicilien  au  Parle- 
ment national.  »  Voir  encore  Huillard-Bréholles,  ibid. ,11,  p.  149- 
150;  Cavour,  z7>ic/.,II,  p.  152;Tommasini,  Scrilti,  p.  338. 
^  Fleischer,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  146,  en  français. 


Notice  sur  Michèle  Aniari  IH'A 


une  fournée  de  sénateurs,  le  20  janvier  1<S()1  ',  lors  de 
la  convocation  du  premier  parlement  italien.  Camille  di 
Cavour,  «  le  «frand  ministre  italien  »,  eomme  raj)i)elle 
Amari  et  comme  il  est  fermement  convaincu  que  la 
postérité  le  nommera  -,  ne  nie  pas  (pi'il  a  contribué 
lui  aussi  à  léleetion  d'Amari  comme  sénateur  du 
royaume.  "  Il  m'a  paru,  écrit  Cavour  le  l  février  en 
réponse  aux  remerciements  du  très  cher  professeur  ^, 
et  il  me  parait  encore  que  notre  vSénal  ne  ré|)ondrait 
pas  pleinement  à  son  objet  de  réunir  en  son  sein  les 
plus  jji^randes  illustrations  italiennes,  si  vous  n\'i\  étiez 
l)as.  (^est  pour(|uoi  je  ne  saurais  vous  conseiller  de 
préférer  le  rôle  de  député  à  celui  de  sénateur.  Dans  le 
vrai  concept  de  la  hiérarchie  constitutionnelle,  le  Sénat 
représente  avant  tout  l'aristocratie  générale  de  l'intel- 
ligence. Aussi,  dans  la  grande  œuvre  de  la  réorganisa- 
tion italienne,  aura-t-il  une  part  non  moins  im])or- 
tanle  (jue  celle  (jui  revient  à  la  Chambre  des  députés. 
DaPiS  l'espoir  de  vous  voir  bientôt  à  Turin,  je  vous 
renouvelle  les  expressions  de  ma  considération  la  plus 
distiui^uée  ». 

L'appel  de  Cavour  fut  entendu  et  Michèle  Amari 
abandonna  de  nouveau  ses  «  chers  et  excellents  tra- 
vaux littéraires  »  ^  de  Florence  pour  la  vie  politi(jue 
de  Turin.  11  participa  au  vote  de  la  loi  (jui,  le  17  mars 
1861,  éleva  Victor  Emanuel  II,  roi  de  Sardaigne,  au 
rang  de  Victor  Emanuel  I'-,  roi  d'Italie.  Ce  titre  était 
tombé  en   désuétude   depuis  (ju'il  avait   été  porté  par 


^  D'Ancona,  dans  le  Carteijgio,  II,  p.  3()2. 

*  Amari,  ibid.,  II,  p.  143. 

^  Cavour  dans  Toniniasini,  Scrilli,  p.  338  et  339,  et  dans  le 
Cartegyio,  II.  p.  102. 

*  Ch.  de  Gherrier,  ibid.,  II,  p.  147. 


184  Opuscules  d'un  arabisant 


Napoléon  I^'  de  1805  cà  1815.  La  période  héroïque  des 
tergiversations,  des  atermoiements,  des  tâtonnements, 
dss  ballottements  dans  le  vide,  des  incertitudes,  des 
doutes  sur  une  situation  précaire  et  sur  un  avenir  mal 
assuré,  était  close  pour  l'Italie,  pour  son  nouveau  roi 
et    pour    le    sénateur   fraichement    éclos,    l'arabisant 

Michèle  Amari. 

Le  6  janvier  1861,  Ch.  de  Cherrier,  au  regret  d'être 
resté  célibataire^  écrivait  à  Michèle  Amari,  alors  âgé 
de  cinquante-quatre  ans  passés  '  :  «  Je  voudrais  vous 
voir  marié.  A  votre  âge,  la  chose  est  encore  possible  ; 
si  vous  tardez  beaucoup,  elle  ne  le  sera  plus.  Croyez- 
moi,  il  est  bien  triste  d'être  seul  quand  l'on  est  parvenu 
à  la  vieillesse.  Évitez  cet  isolement,  vous  ne  vous 
doutez  pas  de  l'ennui  qu'il  donne.  C'est  en  ami  que  je 
vous  parle  ;  si  vous  ne  m'écoutez  pas,  vous  vous  en 
repentirez  plus  tard.  Ne  pouvez-vous  trouver  à  Flo- 
rence une  femme  d'une  trentaine  d'années  avec  une 
certaine  fortune  ?  J'insiste  sur  ce  point,  ainsi  que 
M.  Reinaud,  qui  vous  aime  et  désire  comme  moi  vous 
savoir  heureux.  » 

Le  départ  d' Amari,  transféré  à  Turin  et  lancé  subi- 
tement dans  une  atmosphère  qu'il  n'avait  pas  encore 
respirée,  lui  fit  ajourner  tout  projet  matrimonial.  Ses 
«  objections  »  n'avaient  pas  été  une  fm  de  non  rece- 
voir; mais,  «  battu  par  l'orage  »  ",  il  ne  se  sentait 
pas  assez  rapproché  du  port.  Il  en  était  même  plus 
éloigné  que  jamais  par  l'apprentissage  qu'il  allait  faire 


*  Cti.  de  Clierrier,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  147.  Quelques  mois 
auparavant,  le  9  mai  1860,  Ch.  de  Clierrier,  qui  croj^ait  Amari 
a  arrivé  à  52  ans  »,  lui  disait  en  connaissance  de  cause  :  ft  Vous 
ne  pouvez  vous  figurer  combien  l'isolement  est  afïreux,  lorsque 
la  vieillesse  est  venue  »  (ibid.,  U,  p.  83). 

•^  Ibid.,  II,  p.  82. 


Notice  sur  Micli<*Ie  Aiiiari  185 

à  Turin  où,  dans  la  session  de  1<S()1-1S()2,  en  dehors  de 
ses  discours  en  nialière  d'iiislruelion  et  de  j)()lili(jue, 
il  ne  rédi<^ea  j)as  moins  de  ein(j  ia|)|)()rls,  loiis  sur  les 
obligations  contraelées  par  l'Ilalie  envers  la  piovince 
de  Sicile  '.  Poui*  consolider  la  coiHjuèle  et  l'union, 
Ratazzi  olliil  au  sicilien  Miehele  Aniari  le  porteleuille 
de  l'instruetion  |)ul)li(jue  dans  le  Ministère  (ju'il  par- 
vint à  constituer  le  .'>  mars  liSli'J.  (iavour  était  mort  le 
G  juin  18()1,  et  le  baron  Hieasoli,  son  «);ouverneur  de  la 
Toscane  a\anl  d  ètie  son  sueeesseui*  à  la  |)iési(lence 
du  (lonseil,  avait  déployé  au  pouvoir  plus  déneri^ie  (jue 
de  souplesse.  Amari  ne  se  laissa  j)as  persuader  celte 
fois  et  relusa  d'interrompre  sa  vie  paisible  et  labo- 
rieuse, partai^ée  entre  ses  éludes  de  prédilection  et  le 
mandat  cpii  lui  avait  été  conféré  par  le  roi.  Le  10  dé- 
cend)re,  le  cabinet  Peruzzi-Min^helli  triompha  de  ses 
résistances.  Cv  fut,  comme  à  son  ordinaiie,  par  raison 
et  non  par  inclination,  qu'il  céda  :  ce  mariage  avec  la 
direction  des  aiVaires  publiques  était  bien  dillérent  de 
celui  que  ses  amis  rêvaient  pour  sa  maturité  demeurée 
juvénile.  Le  bonheur  esj)éré  d'une  union  tardive  était 
différé  par  son  acceptation  forcée  d'un  Ministère  qui 
en  reculait  la  réalisation.  L'atteindrail-il  jamais? 

Voici  donc  Michèle  Amari  ledevcnu  f>xcellence  et, 
en  déj)it  des  «grandeurs,  «  toujours  le  même,  inlè<^re, 
désintéressé,  inébranlable  et  inCaliiiable  »  -.  Voici 
l'arabisant,  ainsi  qu'il  écrit  le  20  décembre  à  l'un 
de    ses    intimes,    à   François    Sabatier   ^,    <(    enchainé 


'  DAncona,  dans  le  Cartcggio,  II.  p.  .'i81). 

^  Fleischer,  ibicL,  II,  p.  14(5. 

^  Sur  François  Sabatier,  un  F'rançais  de  Montpellier  trans- 
planté à  Florence  et  sur  sa  femme,  la  célèbre  cantatrice  vien- 
noise d'ori<^ine,  Caroline  Ungher,  de  quinze  ans  j)lus  âgée  que 
lui,  voir  V Avant-propos  anonyme  qu'a  rédigé  la  seconde  femme 


18(>  Opuscules  d'un  arabisant 

depuis  dix  jours  à  un  poste,  d'où  il  regarde  une  lan- 
terne magique,  à  travers  laquelle  défilent  très  rapide- 
ment professeurs,  étudiants,  sénateurs,  députés,  amis 
et  non  amis,  présents  ou  absents,  ceux-là  avec  la  voix 
et  l'impétuosité  des  actes,  ceux-ci  avec  des  lettres,  tous 
demandant  pour  soi  ou  pour  d'autres  des  chaires,  de 
l'argent,  des  dispenses,  des  privilèges,  des  emplois,  ou 
donnant  des  conseils,  ou  se  plaignant  de  Matteucci 
et  du  règlemenl,  etc.,  etc.  Ce  spectacle  alterne  avec  la 
lanterne  magique  des  lettres  à  signer,  avec  les  faces 
de  la  bureaucratie  piémontaise,  qui  veut  mettre  dans 
son  lit  de  Procuste  l'enseignement  public  de  toutes  les 
autres  provinces,  commander  aux  instituteurs  et  aux 
professeurs  comme  à  autant  de  soldats  et  tirer  une 
infinité  de  cercles  concentriques  et  de  rayons  du  centre 
Turin  jusqu'à  la  circonférence  la  plus  éloignée.  Vous 
voyez,  conclut  Amari,  qu'il  y  a  de  quoi  devenir  fou, 
de  quoi,  ce  qui  est  pire,  me  crétiniser  A  présent,  si  je 
ne  me  trompe,  je  commence  à  distinguer  quelque  ligne 
et  quelque  couleur  dans  cet  arc-en-ciel  confus  de  la 
lanterne  magique.  Nombre  de  députés  et  de  sénateurs 
partent  en  hâte  pour  leurs  maisons  et  nous  ne  sommes 
plus  obligés  de  rester  trois  ou  quatre  heures  à  la 
Chambre.  11  me  plaît  d'espérer  que  mon  étourdisse- 
ment  se  calme.  Vous  voyez  que  déjà  je  vous  écris,  je 
l'espère,  sans  déraisonner'.  » 

Quinze  jours  plus  tard,  le  5  janvier  1863,  Amari  écrit 

de  Sabatier,  M""-  Maria  BoU-Jung,  comme  préface  à  la  publica- 
tion posthume  de  son  mari  :  Le  Faust  de  Grnthe  (Paris,  1893); 
voir  aussi  Alessandro  D'Ancona  dans  le  Caiiecjgio,  I,  p.  141-142. 
^  Amari,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  158-159;  cf.  Amari,  ibid.^  II, 
p.  167  et  176.  Après  le  refus  d'Amari,  Matteucci,  ancien  membre 
du  Sénat  piémontais  et  correspondant  de  l'Institut  de  France, 
avait  accepté,  occupé  et  réglementé  le  Ministère  de  l'instruction 
dans  le  Cabinet  Ratazzi. 


Notice  sur  Micliele  A  mari  187 

à  Percz  :  <  Jai  voulu  concentrer  la  concentration,  com- 
mencer sans  secrétaire  ijénéral,  rcdi^er  et  sii'ncr  toutes 
les  lettres...  11  fallait  connaître  par  soi-même  ce  quai- 
tier  (le  la  bureaucratie,  comme  les  curieux  ou  les  mora- 
listes vont  se  plonger  dans  les  mauvais  lieux  de  la 
Cité  de  Londres  pour  les  étudiei'.  .luscprà  présent,  j'ai 
fait  la  correspondance  plutôt  (pie  les  afTaires.  Sous 
peu  de  jours,  j'aurai  un  secrétaire  général  (|ui  allégera 
un  peu  ma  charité  '.  » 

Le  passage  d'Amari  au  Ministère  de  rinslruclion 
publicfue  se  prolongea  juscpi'en  septembre  1864.  A  cette 
épocpie  de  transition,  où  les  yeux  étaient  bra(piés  sur 
Venise  et  sur  Home,  (jui  mancjuaient  à  la  grande  patrie, 
(n  on  ne  pouvait  pas  se  llatter  (jue  le  sentiment  général 
prendrait  une  vive  part  aux  cboses  de  l'instruction 
pul)li(pie,  réservées  du  reste,  par  leur  nature,  à  la  mé- 
ditation des  sages  (jui  sont  toujours  la  minorité.  Je 
dirai  cependant,  à  l'éloge  d'xVmari,  ajoute  un  témoin 
oculaire  ([ui  a[)partient  à  l'élite  de  cette  minorité, 
M.  Alessandro  D'Ancona  -,  alors  déjà  professeur  titu- 
laire de  littérature  italienne  à  l'Université  de  Pise, 
qu'Amari,  pendant  son  Ministère,  ne  désorganisa  pas 
les  services  qui  lui  étaient  contiés  par  des  pro])ositi()ns 
intempestives  et  des  réformes  violentes,  mais  (ju'il 
cbercha  à  y  remettre  de  l'ordre,  de  la  justice,  de  l'bar- 
monie,  de  l'unité,  en  procédant  avec  circonspection  et 
pondération.  »  Le  ministre  ne  se  laissa  pas  oublier  du 
monde  savant.  Dans  l'intervalle  entre  sa  corvée  de 
Palerme  et  son  «  acte  d'abnégation  »  •*  de  Turin,  Amari 
avait   consacré  ses   loisirs  de  Florence  à  des  fouilles 

*  G.  Pipilone  Federico,  Michèle  Ainuri  e  Fraiicesco  Ferez,  p.  80. 
-  D'Ancona,  dans   le   Carleggio,  II,   p.   303.   Amari,   (ibid.,  II, 
p.  107)  écrit  :  «  J'ai  réglé  les  concours,  mais  je  les  ai  maintenus.  » 
^  Expression  d'Ernest  Renan,  ibid.,  II,  p.  103. 


188  Opuscules  d'un  arabisant 

dans  les  archives  de  cette  ville.  Il  en  publia  les  résul- 
tats ((  comme  Ministre  de  rinstruction  publique  de 
l'Italie  »  '.  Un  de  ses  meilleurs  élèves,  Isaia  Ghiron,  fut 
attaché  à  son  cabinet  pour  être  placé  à  la  portée  de 
ses  leçons  particulières  clandestines,  continuation  in- 
termittente de  son  enseignement  public"-.  Enfin,  le 
prêt  des  manuscrits  au  dehors,  «  qui  se  pratique  sur 
tout  le  continent  européen,  de  la  Russie  à  la  France  », 
eut  un  chaleureux  défenseur  dans  celui  qui,  «  pauvre 
et  exilé  en  France,  avait  eu  chez  lui,  de  1842  à  1859, 
tous  les  livres  et  manuscrits  qu'il  avait  voulus  de  la 
Bibliothèque  de  Paris  et  aussi  un  de  Saint-Péters- 
bourg ».  Aux  mesures  restrictives  et  illibérales  qu'une 
a  croisade  »  ^  essaye  de  lui  arracher,  Amari  répond  par 
l'offre  de  sa  démission  :  «  Deux  mots  d'interpellation, 
dit-il,  un  ordre  du  jour  contraire  ou  douteux  sur  ce 
point  et  tout  embarras  cessera  pour  mes  adversaires 
comme  pour  moi  K  » 

Amari  resta  prisonnier  du  Ministère  et  de  la  politique 
jusqu'à  la  chute  du  cabinet  dont  il  faisait  partie  et  qui, 
après  avoir  failli  se  disloquer  le  28  juin  1864%  se  dis- 


*  Amari  à  Ernest  Renan,  en  français,  dans  le  Carleggio,  II, 
p.  162,  en  lui  adressant  un  exemplaire  de  son  ouvrage  :  /  Di- 
plomi  Arabi  del  R.  Archiuio  Fiorenlino.  Testo  originale  con  la 
traduzione  letterale  e  illustrazioni.  Firenze,  1863,  in-4«.  Un 
Appendice  parut  en  1867. 

2  Tommasini,  Scritti,  p.  340. 

3  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  179. 

*  Amai'ijComparetti,  D'Ancona,  MonHnsen,dans  le  Cavleggio^ 
II,  p.  176-179.  La  cause  du  libre  échange  scientifique  n'a  pas 
jusqu'ici  remporté  la  victoire  partout  en  Europe,  l'Angleterre  et 
l'Espagne  étant  restées  protectionnistes  sur  ce  terrain,  où  les 
«  accords  internationaux  »  pourraient  si  aisément  s'augmenter 
d'un  codicille.  Je  l'appelle  de  tous  mes  vœux  dans  le  Journal 
des  Savants  de  janvier  1905,  p.  51. 

^  Minghetti  à  Amari,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  182. 


Notice  sur  Miciiele  Aiuari  1811 

soiulre  au  commencement  d'août',  ne  survécut  que 
quehjues  jouis  à  la  convention  du  1.')  septemhie  stipu- 
lant le  transfert  de  la  capitale  à  Florence,  'i'urin 
dépossédé  se  révolta  contre  les  arrangements  pris 
entre  remi)ereur  Napoléon  111  et  le  roi  Victor-Hma- 
nuel  I'''".  La  répression  violente  de  l'énieule  acheva  un 
Ministère  usé,  divisé,  qui  avait  terminé  sa  tache  et  cpii 
se  survivait  sans  force  et  sans  prestii^^e.  Un  des  der- 
niers actes  d'Amari,  avant  qu'il  tïit  libéré  de  cette 
i^alére-,  avant  (pfil  eût  «  tijlissé  dans  le  sang  de 
septembre  1<S()4,  comme  disent  les  liurgraves  de 
Turin  »  ''\  avait  été,  le  5  mai,  sa  résistance  à  Pascpuile 
Villari,  ([ui  demandait  Texemption  de  la  conscription 
pour  les  élèves  de  l'Hcole  normale  de  Pise.  Le  grand 
citoyen  Amari  ne  craint  ni  rimj)opularité,  ni  les 
atla(|ues  des  évincés  :  «  La  conscription,  écrit-il  cou- 
rageusement ^  est  la  base  de  l'Italie.  Aussi  aimerais-je 
echangei"  une  paire  d'élèves  de  l'Hcole  et  unt'  douzaine 
de  professeurs  de  renseignement  secondaire  contre 
un  seul  fantassin.  Traitez-moi  de  barbare  tant  que  vous 
le  voudrez.    » 

La  lutte  contre  les  sollicitations  et  contre  le  favori- 
tisme avait  été  menée  par  Amari  ministre,  unique- 
ment préoccupé  de  1  intérêt  général^,  sans  trêve,  sans 
merci  et  sans  capitulation.  11  savait  refuser  avec  obsti- 
nation et  courtoisie  ce  qui  lui  était  demandé  avec 
insistance  et  à  grand  renfort  d'arguments  persuasifs. 
Son  budget,  «  enflé  »  ^  ])ar  la  création,  antérieure  à  lui. 


'  L.  CJtjrario  à  Amari,  dans  le  Carteggio,  loc.  cil. 

•  Même  lettre,  ibid.,  loc.  cit. 

3  Amari  à  Renan,  ibid.^  II,  p.  181). 

*  Amari  à  Villari,  ibid.,  II,  p.  180. 

°  Amari  à  Fr.  Sabatier,  ibid.,  II,  p.  169. 
^  L.  Cibrario  à  Amari,  ibid.^  II,  p.  181. 


190  Opuscules  d'un  arabisant 

de  fonctions  innliles,  avait  besoin  d'être  dégonflé  par 
des  saignées  abondantes.  11  se  définit  lui-même,  au 
moment  où  il  pratique  cette  opération,  u  un  centaure 
avec  visage  de  sagesse  et  corps  d'économie  '  » .  C'est 
ainsi  que  son  ami  Antonio  Satinas,  désireux  de  faire 
prolonger  une  mission  en  Grèce,  est  sommé,  avec  des 
ménagements  de  forme  délicieux,  de  reprendre  dès 
l'automne  de  1863  ses  fonctions  à  YArchiuio  de  Pa- 
lerme,  en  attendant  une  cliaire  d'archéologie  à  l'Uni- 
versité, qu'il  ((  gagnera  à  la  pointe  de  la  baïonnette  », 
s'il  suit  «  la  voie  la  plus  digne  »  en  demandant  à  faire 
un  cours  libre-.  C'est  ainsi  qu'Henri  Martin,  Michelet  et 
Renan  s'étant  coalisés  avec  «  l'excellent  et  respectable 
M.  Dubois  »  et  avec  Yacherot  pour  faire  nommer  Chal- 
lemel-Lacour,  alois  âgé  de  trente-six  ans,  professeur 
de  littérature  française  à  Turin  ^,  Amari,  «  écrasé  par 
l'autorité  de  Renan  et  charmé  par  la  conversation  de 
M.  Challemel  lui-même  »,  se  soumet  «  honnêtement  » 
à  l'avis  contraire  de  l'Université,  qu'il  aurait  eu  le  droit 
d'annuler  en  vertu  de  son  pouvoir  discrétionnaire.  «  Je 
n'ai  donc,  écrit-il  à  Renan  en  français  '',    à    regretter 


1  Amari  à  Satinas,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  167. 

2  Même  lettre,  ibid.,  II,  p.  167-168. 

3  Ibid.,  II,  p.  169-173. 
*  Ibid.,  II,  p.  174.  Il  est  piquant  de  voir  Ernest  Renan  plaider 

alors  la  cause  de  Challemel-Lacour,  son  successeur  à  l'Acadé- 
mie française,  qui,  dans  son  discours  de  réception,  prononcé 
le  25  janvier  1894,  trahit  la  cause  de  son  modèle,  désappointa 
nombre  de  ses  auditeurs  et  de  ses  lecteurs  par  son  langage  qui 
dénotait  l'homme  de  parti  et  le  pamphlétaire,  plutôt  que  le  fin 
lettré,  «  plein  d'esprit  et  de  tact  »  (Michelet,  ibid.,  II,  p.  171),  et  \ 
conspira  ouvertement  avec  les  détracteurs  du  maître  penseur  ! 
et  du  maître  écrivain,  alors  qu'il  était  appelé  à  prononcer 
l'éloge  de  l'un  et  de  l'autre.  Gaston  Boissier,  dans  sa  réponse  au  ; 
récipiendaire,  a  tracé  de  son  ami  un  portrait  exact,  véridique,  ! 
vécu,  compris  et  saisissant  de  ressemblance.  i 


Notice  sut*  Michclt'  Aniari  IDl 


que  racc()inj)lisseiiiciit  d'un  devoir  dur  et  désagréable, 
mais  bien  un  devoir  (ra|)rèsiiia  conscience.  » 

L'altitude  d'Amari  au  Ministère  de    l'instruelion   i)U- 
blicpie    ne   sciait   pas   retiacée    sous  toutes    ses   laces, 
si  je  passais  sous  silence  son  boireur   du    cléricalisme 
et  des  congrégations,  sa  passion  pour  la  prédominance 
de  la  société  laïc[ue  sur  <  les  légions  mitrées  et  tonsurées 
du  Vicaire  sur  terre'  ».  Le  2(S  juin  ISC).),  il  éciit  à  ICrnest 
Renan   en    français-  :  «  Nous  allons    disculei"   aujour- 
d'iiui  dans  le  (Conseil  un  projet   de  loi  sm*    la    suj)pres- 
sion   des  ortires   religieux  dans  les  provinces  où  elles 
existent  encore  et  sur  le  règlement  des  biens  ecclésias- 
tiques dans  tout  le  royaiuiie.  Le  pays  est  parfaitement 
disposé  à  accepter  cette  loi    et   nous    n'avons  aucune 
raison  de  ménager  la  mauvaise  secte  cpii  nous  joue  les 
tours  les  plus  pendables  à   chaque    moment.  .    Il   est 
probable  (juc  les  hjnoraniins  seront  obligés  de  se  retirer 
de  toute  l'Italie  actuellement  italienne  avant   même   la 
séparation  des  ordres.   »  Le  19  mars  18()4,  Amari  écrit 
en  italien  à  ¥v.  Sabatier^  :  «  J'ai  jeté  ieu  et  llamme 
pour  chasser  lès  sœurs  de  la  Conception  (Concezionc), 
constituer  l'hôpital  et  y   assigner  aux  clinicpies  7(),(H)0 
francs  annuels  sur  les  biens  ecclésiastiques,  (le  qui  m*a 
réussi.  Le  joui*  de  ma  victoire  dans  celte  bataille  a  été 
l'unique  et  le  seul  où,  pendant  ces  quinze  mois^  je  me 
sois  réjoui  d'être  ministre.   » 

Une  joie  moins  courte  était  réservée  à  lex-minislre, 
lors([ue,  le  5  octobre  1864,  il  recouvra  son  «^  petit  j)a- 
radis  perdu  ^  >>,  sa  chaire  d'arabe  à  l'Institut  de  Flo- 
rence. Le  gouvernement,  placé  sous   la    direction    du 

*  Amari  à  Renan  en  français,  22  mai  1865,  dï>qs  le  Carlcggio, 
II,  p.  189. 

5  Ihid.,  II,  p.  165.  \ 

3  Ibid.,  II,  p.  178-179.  \ 

*  Fleischer,  ibid.^  II,  p.  171  ;  cf.,  le  même,  //)/(/.,  II,  p.  191. 


192  Opuscules  d'un  arabisant 

général  Lamormora,  1'}^  rejoignit  bientôt,  sans  se 
laisser  arrêter  par  l'encyclique  pontificale  du  22  dé- 
cembre. Victor-Enianuel  entra  dans  sa  nouvelle  capi- 
tale le  13  février  1865.  La  Chambre  des  députés  y 
établit  son  siège  le  28  avril  et  le  Sénat  le  14  mai. 

Le  séjour  à  Turin  pendant  la  session  de  1864  avait 
encore  fait  ajourner  des  espérances  que  la  réunion 
à  Florence  des  occupations  d'Amari  allaient  permettre 
enfin  de  réaliser.  Il  fréquentait  assidûment  chez  M.  et 
Mme  François  Sabatier  \  l'hiver  dans  le  palais  de  la 
rue  Renaï,  Tété,  surtout  pendant  les  vacances  parle- 
mentaires, dans  la  villa  Sabatier-Ungher,  dite  La  Con- 
cezione,  «  La  Conception  »,  située  aux  portes  de  Flo- 
rence '-.  Une  jeune  orpbeline  française,  Louise  Caroline 
Boucher,  avait  été  recueillie  dès  sa  plus  tendre  enfance 
par  ce  ménage  sans  enfants^,  adoptée  par  ce  couple 
«  de  grand  cœur,  de  belle  intelligence  »,  élevée  dans 
un  milieu  bospitalier  aux  savants,  aux  gens  de  lettres, 
aux  artistes  ^.  Le  3  novembre  1860,  Amari  s'informe 
par  lettre  de  ce  que  devient  «  l'aimable  Louise '^))  ;  le 
29  octobre  1865,  il  l'épouse  et  ses  noces  sont  célébrées 
en  l'église  paroissiale  de  Santa  Lucia  de'Magnoli,  à 
Florence,  les  témoins  étant  l'irlandais  John  Bail  et  le 
sicilien  Vito  Beltrani*^.  Le  nouveau  marié  avait  59  ans 

»  Plus  haut,  p.  185. 

-  Avanl-propos  placé  en  tète  de  Fr.  Sabatier,  Le  Faust  de 
Gœthe.  p.  vn. 

^D'Ancona,  dans  le  Carleggio,  \,  p.  142. 

♦  Avant-propos  cité,  p.  vu  et  vni. 

'  Amari  dans  le  Carteggio,  II,  p.  140. 

"  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  392.  John  Bail  est  l'objet  d'une  notice 
intéressante  dans  A.  De  Gubernatis,  Dictionnaire  international 
des  écrivains  du  jour  (Florence,  1891),  p.  135  t-136  a.  A  la  1.  11 
du  paragraphe,  lisez  février  1855  au  lieu  de  février  1865.  Quant 
à  Beltrani  et  à  ses  relations  de  1848  avec  Amari,  D'Ancona  a 
parlé  de  lui,  comme  d'un  «  ami  perdu»,  dans  le  Carteggio,  I,  p. 
135-136  et  587. 


Notice  sur  Mk'lirh'  Anmi-i  103 

sonnés,  innis  ses  li'aits  L'ncr<^i(iut's,  loin  d'cxprinici' nno 
lant^fourciisc  rési^iuilion,  ainionçaienl  un  honinu' ({ui  a 
pris  son  parti  cl  ([ui  ilil  :  «  Je  ne  veux  ni  ahandoinier 
mes  amis,  ni  loiniier  le  clos  à  mes  ennemis.  »  Su  pho- 
tographie (le  lin  1<S().'Î  Taisait  dire  à  Fleisehei' '  :  «  J'aime 
à  i)enser  (pie  la  sc-rcMiitc;  de  vos  traits  est  le  i  ellet  de 
celle  de  votre  intérieur,  el  je  piie  le  hon  Dieu  de  vous  les 
conserver  l'une  et  l'autre  dans  le  Minist(!'re  et  hors  du 
Minisl(l're.  » 

Louise  C.aroline  Houeher  avait  animé  i)ar  l'expan- 
sion de  sa  jeunesse,  de  sa  grâce  et  de  sa  heauté,  la  vie 
des  deux  êtres  sui)érieurs  cpii  avaient  aimé,  gâté, 
façonné  en  elle  une  fille  de  leur  choix;  Luisa  Amari 
se  manifesta  du  premier  au  dernier  jour  la  parure  et 
la  flamme  du  loyer,  dont  le  rayonnement  fut  une  source 
intarissahle  de  chaleur  pour  son  mari  el  pour  sa  mai- 
sonnée. Elle  lui  donna  les  joies  de  la  paternité.  Amari 
eut  deux  fdles,  les  sùjnoruie  C.arolina  et  Francesca,  et 
un  lils,  Michèle  qui,  avec  sa  veuve  inconsolée,  toujours 
vive  et  sémillante,  gardent  pieusement  et  honorent 
grandement  sa  mémoire. 

Le  i)léhiscite  du  21  et  du  22  oclohre  1800  ayant 
scellé  l'annexion  de  Venise  à  l'Italie,  Michelet  écrit 
presque  aussit()t  à  Amari  ce  joli  petit  mot-  :  «  Ma  joie 
a  été  douhle  de  savoir  :  Premièrement,  que  vous  êtes 
presque  complet,  que  vous  avez  Venise,  celte  chère 
fleur  de  notre  Italie,  qui  ferme  presque  sa  couronne  ; 
deuxièmement,  d'apprendre  que  votre  vie  si  agitée  a 
maintenant  un  foyer  et  un  nid.  —  Cela,  cl  la  j)atrie, 
quoi  de  plus  en  ce  monde?  » 

«  Ancré  dans  le  port  du  mariage,  voilà  Amari 
rejoignant    ses  chers    Bédouins  et    aspirant    à   ])Ieins 

*  Fieisclier,  clans  le  Carleggio,  II,  p.  171. 
^  Michelet,  ibid.,  II,  p.  193-194. 

13 


194  Opuscules  d'un  arabisant 

poumons  l'air  du  désert.  »  «Mais  apparemment,  lui 
écrit  Fleischer  avec  une  sympathie  souriante  ^  ces  chers 
Bédouins  seuls  ont-ils  laissé  quelque  vide  dans  votre 
àme,  pour  vous  faire  sentir  le  besoin  d'une  compagne 
non  bédouine.  »  Le  vœu  de  Charles  de  Cherrier  s'ac- 
complit. Après  avoir  crié  Bravo  sur  son  conseil  suivi 
et  sur  l'union  contractée,  il  ajoute-  :  «  Espérons  que 
l'orage  est  désormais  passé  et  que  la  seconde  moitié 
de  votre  vie  vous  dédommagera  du  malheur  de  la 
première  moitié.  ))  Avec  la  nature  placide  et  bonne 
d'Amari,  je  ne  crois  pas  qu'il  se  soit  jamais  considéré 
comme  la  victime  d'événements  funestes,  comme  la 
proie  d'infortunes  accablantes.  Mais  le  bonheur  parfait 
ne  s'est  réalisé  pour  l'homme  que  par  la  sollicitude  de 
la  femme  aimée,  pour  le  savant  que  par  l'apaisement 
de  la  recherche  et  de  la  découverte,  pour  le  patriote 
que  par  l'unité  italienne  avec  Rome  capitale. 

En  attendant  que  ce  rêve  devienne  une  réalité  en 
1871,  quels  beaux  jours  s'écoulent  à  Florence  dans  les 
délices  de  l'intimité  la  plus  confiante  en  pleine  lune  de 
miel,  dans  renchantement  de  l'étude  reconquise,  dans 
la  satisfaction  des  devoirs  strictement  remplis  à  l'In- 
stitut des  études  supérieures,  au  Sénat  et  à  la  prési- 
dence des  commissions  diverses  auxquelles  ses  com- 
pétences ne  lui  permirent  pas  de  se  dérober  ^  !  Son 
enseignement  ne  fut  pas  interrompu  par  ses  droits  à 
la  retraite  et  il  le  continua  sans  traitement  jusqu'à  la 
fui  de  1872.  Le  mari  amoureux  et  aimé  qui  «  a  mainte- 
nant un  foyer  et  un  nid  »  ^  vit  en  homme  d'étude  plutôt 
qu'en  membre  du  Parlement,  ne  va  pas  dans  le  monde 

1  Fleischer,  le  18  nov.  1865,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  190-191. 

■2  Cil.   de  Cherrier,  ibid.,  II,  p.  191. 

J  D'Ancona,  ibid,,  II,  p.  394. 

*  Michelet,  ibid.,  II,  p.  194;  cf.  plus  haut,  p.   193. 


Notice  sur  Michèle  Amari  195 


et  travaille  eu  désespéré  pour  achever  l'histoire  de  la 
Sicile  musulmane  ',  ayant  lenoncé  à  faire  désormais 
lui-même  celle  de  l'Italie  contemporaine.  Spectateur 
attentif  et  vigilant,  conseillei-  indépendant  et  piiident, 
savant  lal)orieux  et  prohe,  il  défend  son  ména<^e  con- 
tre les  cacpiets  et  les  indiscrétions.  La  France,  pour 
laquelle  il  a  été  parfois  injuste,  lui  parait  una  seconde 
patrie,  maintenant  cpi'il  a  épousé  une  femme  française, 
et  il  ne  se  souvient  plus  de  ses  déconvenues  lointaines, 
mais  seulement  des  gracieusetés  qui  lui  ont  été  prodi- 
guées pendant  prés  de  vingt  années  d'exil  parisien-. 

Ma  visite  chez  lui  en  septembre  1807,  pendant  un 
congé  de  la  Bibliothèque  Impériale,  amena  entre  nous 
un  échange  d'idées  sur  le  travail  qu'il  avait  commencé, 
sur  la  tâche  qu'après  lui  j'avais  eu  la  témérité  d'assu- 
mer. Mon  prédécesseur  m'intimida  par  son  allure 
solennelle,  sa  parole  calme  et  mesurée,  heurta  ma  fou- 
gue juvénile,  sa  vaste  science  me  parut  un  chàteau- 
fort  à  côté  de  mon  humble  cabane  et  la  fin  de  l'entre- 
tien me  produisit  un  effet  de  soulagement.  Comment 
le  pygmée  que  j'étais  avait-il  tenté  de  se  hausser  jus- 
qu'à un  travail  de  géant,  hors  de  sa  portée  et  au-des- 
sus de  ses  moyens  ?  L'impression  que  je  ressentis  se 
prolongea  jusqu'à  mon  retour  à  Paris  et,  après  cette 
leçon  de  modestie,  je  me  remis  à  l'œuvre  interrompue 
avec  une  moindre  dose  de  sécurité  en  mes  forces, 
avec  la  volonté  ferme  de  les  accroître. 

Excepté  lorsqu'il  me  parla  de  mon  père,  son  cadet, 
presque  son  contemporain,  la  courtoisie  charmante  de 
mon  hôte  ne  me  laissa  pas  oublier  un  seul  instant  qu'il 
éprouvait  le  sentiment  juste  de  sa  supériorité  sur  son 
continuateur. 

^  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  196. 

2  Amari,  ibid.,  II,  p.  198  ;  cf.  p,  263,  264,  272. 


196  Opuscules  d'un  arabisant 

J'étais  imprégné  de  celte  sensation,  plutôt  bienfai- 
sante qu'encourageante^  lorsque,  le  16  janvier  1868, 
Michèle  Amari  me  fit  l'honneur  de  m'écrire  de  Florence 
(7,  Piazza  dell'  Independenza),  en  français  : 

«  Monsieur.  En  bon  chrétien  que  je  suis,  et  même 
catholique,  apostolique  et  romain,  j'admets  l'identité 
du  père  et  du  fils,  et  je  m'adresse  à  vous  pour  votre 
propre  compte  ainsi  cpie  pour  celui  de  votre  père. 

«  Ab  joue  initiiim  K  Je  dis  donc  à  Monsieur  Joseph, 
mon  ancien  camarade  à  l'école  de  M.  Reinaud,  que  je 
le  remercie  pour  son  Essai  sur  r histoire  et  la  géogra- 
phie de  la  Palestine,  avec  toute  la  force  du  sentiment 
que  m'inspirent  l'importance  du  sujet  et  l'ancienne 
date  de  notre  connaissance,  un  quart  de  siècle  ni  plus 
ni  moins.  M.  Derenbourg  arrache  des  enveloppes 
obscures  d'un  galimatias  religieux  des  pages  d'histoire 
qui  ont  la  plus  haute  importance.  L'esprit  juif  a  été 
l'un  des  facteurs  [les]  plus  actifs  dans  la  civilisation  du 
moyen  âge,  soit  par  le  christianisme,  qui  se  ressent  un 
peu  trop  de  Jéhovah  et  de  la  théocratie,  soit  par  l'en- 
tremise de  nos  chers  amis  les  Musulmans.  Il  est  temps 
d'interpréter  l'histoire  des  Juifs  sans  préjugés  d'aucune 
espèce,  ni  mosaïstiques,  ni  chrétiens,  ni  même  philo- 
sophiques. 

((  Maintenant  c'est  votre  tour.  J'avais  déjà  approuvé, 
en  lisant  le  Journal  asiatique,  le  savoir  et  la  sagacité 
dont  vous  avez  donné  un  essai  aussi  heureux  dans 
votre  article  sur  les  pluriels  arabes.  Je  m'empresse 
d'ajouter  à  l'expression  de  ce  jugement  celle  de  la 
reconnaissance  que  je  vous  dois  pour  votre  cadeau. 

«  Je  profite  de  cette  occasion  pour  vous  prier  de  me 
donner  un  renseignement  que  vous  m'avez  promis   à 

•  Sic.  Amari  vont  dire  évidemment  :  A  Joue  principinm. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  Iî>7 

Florence.  Y  a-l-il  un  diclionnaiie  l)eil)ùie-rrançais 
autre  que  celui  de  Venlure  de  Paradis  ;  ou  seulement 
le  dictionnaire  français-berbère,  i)ul)lié  récemment  à  la 
suite  du  prix  j)ro|)osé  ])ar  loMinistèi'e  de  la  Guerre  ?... 
S'il  y  a  un  bon  dictionnaire  berbère-français,  Je  le  pré- 
fère... Vous  savez  peut-être  que  j'ai  besoin  de  consul- 
ter un  dictionnaire  berbère  pour  l'édition  (pie  l'un  de 
mes  élèves  fait  en  ce  moment  '  d'un  diclionnaiie  de 
pocbe  arabe-latin  et  latin-arabe  de  la  fin  du  xir'  au 
commencement  du  xn^'  siècle,  œuvre  d'un  italien, 
très  probablement  de  Pise,  résidant  à  Tunis  ou  Hout^ie, 
etc.  J'y  ai  trouvé  plusieurs  vocables  anarabi(jues. 

«  Puisque  je  vous  demande  une  lettre,  j'ose  encore 
ajouter  un  autre  ennui.  Benjamin  de  Tudèle,  que  je  ne 
connais  (pie  par  la  traduction  anglaise  de  Asber,  dit 
que  la  ville  de  Palerme  occupait  l'espace  de  2  milles 
carrés.  De  quelle  espèce  de  milles  se  sert-il,  le  vérita- 
ble ou  supposé  auteur  du  voyage  ?  Et  d'après  le  texte 
doit-on  interpréter  deux  carrés  d'un  mille  ou  bien  le 
carré  de  deux  milles  de  côté  ?  Je  penche  à  l'opinion 
qu'il  s'agit  de  milles  arabes  de  Sicile,  dont  se  servait 
Edrizi. 

«  Offrez  mes  salutations  afYectueuses  à  Monsieur  votre 
père,  ainsi  ({u'à  nos  amis  des  manuscrits  Delisle, 
Michelant,  Claude,  et  à  MM.  Taschereau  et  Ravenel.  Et 
votre  catalogue  avance-t-il  ? 

«  Adieu,  cher  M.  Derenbourg,  agréez  les  sentiments 
distingués  de  votre  dévoué  M.  Amari  '-.  » 


*  L'ouvrage  a  paru  en  1871  sous  le  titre  de  Vocabulista  in 
arabico,  pubblicato  per  la  prima  volta...  da  C.  Schiaparelli» 
alunno  del  R.  Istiluto  di  studi  superiori. 

^  Le  post-scriptum  indiquait  les  précautions  à  prendre  pour 
éviter  l'équivoque  de  l'homonymie  entre  les  deux  Michèle 
Amari  habitant  la  même  ville  ;  voir  plus  haut,  p.  173,  n.  2. 


198  Opuscules  d'un  arabisant 

Cette  lettre  condescendante  eut-elle  des  lendemains 
ou  des  surlendemains  ?  Je  répondis  de  mon  mieux  aux 
questions  qui  m'étaient  posées,  mais  je  ne  trouve 
trace,  ni  dans  mes  notes,  ni  dans  mes  souvenirs,  d'un 
commerce  épistolaire  entre  le  maitre  et  le  débutant. 
Mon  admiration  n'a  fait  que  grandir  à  mesure  que  j'ai 
pu  de  mieux  en  mieux  apprécier  les  mérites  de  mon 
correspondant  éphémère.  J'ai  essa3^é,  mais  sans  succès, 
de  le  revoir  à  Pise  en  1885,  alors  qu'il  habitait  la  Via 
Fibonacci,  12  ^ .  Notre  entrevue  de  1867  ne  devait  pas 
se  renouveler. 

Ce  n'est  pas  à  moi,  ce  n'est  pas  à  mon  père,  ce  n'est 
pas  à  Ernest  Renan,  nia  aucun  de  ses  amis  de  France, 
que,  le  13  mars,  aussitôt  après  la  guerre  de  1871 
et  les  préliminaires  de  paix,  Amari  exprime  sa  sympa- 
thie pour  la  nation  vaincue,  rançonnée,  démembrée, 
pantelante.  C'est  auprès  du  célèbre  bibliographe  alle- 
mand Otto  Hartwig  qu'il  épanche  son  indignation 
des  conditions  exorbitantes  imposées  par  l'i^Uemagne 
victorieuse,  conditions  «  que  n'excuse  pas  le  moins  du 
monde  à  ses  yeux  la  nécessité  de  s'assurer  pour  l'ave- 
nir ».  Amari,  qui  présage  le  relèvement  de  la  France, 
ajoute  -  :  «  L'égoïsme  national  me  porterait  à  bénir 
cette  guerre,  qui  nous  a  conduits  à  Rome  et  nous  a  déli- 
vrés d'un  timi  dangereux,  toujours  disposé  à  effacer 
les  bienfaits  par  les  offenses  et  singulièrement  désa- 
gréable avec  sa  tendance  à  la  religion  du  moyen  âge. 
Mais  les  divisions  entre  les  peuples  cultivés  me  cha- 
grinent comme  des  guerres  civiles.  » 

Cette  même  épître  d'((un  l)on  italien»  à  «un  bon 
allemand  >>  se  termine  par  un  gracieux  tableau  de  genre  : 


^  D'Ancona,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  278,  note  1. 
»  Ibid.,  II,  p.  199;  cf.  p.  204-205. 


Notice  hiir  Michèle  Aiiiari  lliU 

«Je  inc  rc'joiiis  de  loiil  cceiir  de  hi  naissance  de  voire 
Siegfried,  aïKjuel  j'augure  longue  vie  el  i)c']lcs  cjuali- 
tés.  Mon  excellente  femme,  fiançaise  de  naissance,  (juasi 
italienne  d'éducalion,  idenliliée  à  mes  pcnsers  politi- 
ques et  pliil()sophi(iucs,  a  été  juscprà  présent,  de  même 
que  la  meilleuie,  égalemenl  la  plus  heureuse  des  mè- 
res. Nos  trois  hamhins  sont  en  vie  el  grandissent  vigou- 
reusement sans  avoir  jamais  soulVert,  fût-ce  d\\n  mal 
de  tète.  Puisse-t-il  en  être  ainsi  des  vôtres!  » 

La  Française  (pii  anime  celte  scène  el  ({ui  réj)an(l  des 
flots  de  honlieur  sur  Taulomne  d'Amari,  (pi'il  «  aime 
et  estime  pour  son  esprit  comme  pour  ses  vertus  »,' 
dut  être  enchantée,  lorsque  son  mari,  le  'M)  juin  1871, 
fut  élu  memhre  associé  de  notre  Académie  des  inscrip- 
tions et  belles-lettres-.  Amari,  aussitôt  averti  de  sa 
nomination,  écrit  en  français  à  llenan  ^.  «  Je  ne  crois  pas 
me  tromper  en  taisant  tomber  sur  vous  la  j)artie  prin- 
cipale de  la  responsabilité  de  cet  acte,  par  lequel  la 

'  Carti'f/gio,  II,  p.  420. 

-  Madiuiie  Micliclct  écrit  de  Ilyères  à  Michèle  Aniari  le  26  jan- 
vier 1872  :  «  Combien  nous  avons  été  heureux  des  belles  justices 
(jui  vous  ont  été  faites,  et  comme  j'ai  vu  d'ici  le  visage  et  le 
cœur  de  votre  femme  s'épanouir!  »  Madame  Jules  Miclielet,  Les 
Chais,  p.  306.  On  trouve,  ibicL,  p.  300,  une  amusante  déclaration 
de  guerre  aux  chats,  faite  en  français  par  Amari  et  datée  de 
Florence  20  janvier  hS72  :  «  .Te  n'aime  pas  la  race  féline. 
Comme  Hercule  avec  le  serpent,  je  débutai  dans  mon  enfance 
par  assommer,  avec  une  barre  de  fer,  un  chat  qui  m'attaquait 
fort  lâchement.  Ma  haine  date  donc  d'un  demi-siécle.  Je  veux 
bien  fouiller  l'histoire  de  ce  détestable  animal,  mais  c'est  pour 
le  faire  détester  à  tout  le  monde.  Je  ferai  comme  M.  Hase  qui, 
en  travaillant  à  la  Bibliothèque  de  Paris  sur  les  vies  des  saints 
grecs,  me  disait  :  Ils  me  le  paieront.  Vous  savez  qu'il  était  alle- 
mand et  qu'il  faisait  du  voltairianisme  avec  ses  amis  fidèles.  » 
Suit,  ibid.,  p.  310-315,  une  curieuse  monographie  d'Amari  sur  la 
prédilection  des  Arabes  pour  les  chats,  surtout  d'après  le 
Hayàl  al-hayawàn  d'Ad-Damîrî. 

'-"  Carteggiu,  II,  p.  200. 


200  Opuscules  d'un  arabisant 

majorité  de  l'Académie  a  donné  un  témoignage  aussi 
brillant  d'estime  à  un  allié  de  Satan,  qui,  par-dessus  le 
marché,  a  contribué,  en  sa  qualité  de  membre  du 
Parlement  italien,  à  la  spoliation  du  Saint  Père,  comme 
les  cléricaux  ont  l'habitude  de  l'appeler.  »  Renan  répond 
de  Sèvres  le  16  juilet  *  :  «  Comme  vous  pouviez  bien  le 
croire,  j'ai  été  de  ceux  qui  ont  participé  au  crime  très 
noir  de  l'élection  de  1'  «  allié  de  Satan  »  que  vous  dites  ; 
mais  j'ai  trouvé  l'Académie  si  bien  disposée  à  entrer 
dans  cette  voie  de  perdition  que  je  n'ai  pas  eu  à  la 
pousser.  » 

Le  Sénat  italien  ayant  ouvert  sa  session  dans  Rome 
capitale  le  27  novembre  1871,  le  domicile  d'Amari  à 
Florence  n'était  plus  que  provisoire,  son  «  enseigne- 
ment gratuit-»)  de  l'arabe  que  temporaire.  Amari 
malade  ne  put  pas  se  rendre  à  Rome  pour  assister 
à  l'inauguration  du  Parlement,  pour  féliciter  de  vive 
voix  son  ami  F'rancesco  Perez  qui  venait  d'être  promu 
sénateur  ^\  La  caravane,  composée  du  père  et  de  la 
mère,  des  deux  petites  filles  et  du  garçonnet,  ne  tarde- 
rait pas  à  émigrer,  surtout  qu'un  changement  d'air 
avait  été  prescrit  par  Cipriani  *  à  la  nerveuse  et  fragile 
d'apparence  Luisa  Amari,  une  sensitive  flexible  et  pen- 
chée, exposée  sans  défense  aux  atteintes  de  la  tem- 
pérature variable,  des  émotions  passagères,  des  moin- 
dres chocs  qui  troublaient  sa  quiétude  instable.  Le 
déplacement  nécessaire  fut  cependant  ajourné  jus- 
qu'aux derniers  jours  de  1872  par  les  vacances  du 
Parlement,  par  des  raisons  de  famille  et  par  ces  ater- 

'  Carteggio,  II,  p.  201. 

2  Plus  haut,  p.  194. 

3  G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Perez, 
p.  116. 

*  Id.,  ibid.,  p.   118. 


Notice  sur  Micliele  Auiari  201 

moicnicnls  (jii'on  cluTche  volontiers  avanl  de  (juiller 
les  lieux,  témoins  de  la  vie  passée,  dépositaires  des 
souvenirs,  Le  8  septenihi'e  1(S72,  Aniaii  éerit  en  fran- 
eais  '  :  «  Mes  t'orees  ne  sont  pas  alVaihlies,  pas  plus  (pie 
mon  cœur  n'est  refroidi  aux  sentiments  de  la  i)aliie,  de 
l'amitié  et  de  la  ianiille.  .l'ai  même  le  bonheur  d'éprou- 
ver dans  mes  vieux  jours  l'allection  du  foyer  (juc  je  ne 
connaissais  pas,  et  de  sentir  (pie  la  patrie  est  un  être 
réel  et  vivant,  non  pas  une  espérance  lointaine  et  un 
germe  à  dévelopi)er.  » 

Le  retard  de  eette  nouvelle  héifirc  devait,  aux  veux 
d'Amari,  avoir  j)our  dernier  terme  l'aeliévemcnt  de 
l'Histoire  des  Musulmans  de  Sieile  avec  ses  eoj)ieux 
index.  La  seconde  partie  du  volume  troisième  parut 
eniin  en  1872,  dix-huit  ans  a})rès  l'apparition  du  pre- 
mier. Ce  grand  événement,  suivant  de  près  la  prise  de 
possession  de  Rome  par  l'Italie,  arrache  à  la  joie 
déhordaFite  de  l'heureux  Amari  un  cri  de  victoire 
retentissant  :  «  J'achève,  s'écrie-t-il  -,  dans  la  patrie 
unie  et  lihie,  \\\\  travail  au(piel  je  me  suis  préparé 
dans  l'exil  il  y  a  trente  ans,  mù  par  un  désir  irrésis- 
tible de  voir  clair  dans  les  ténèbres  (|ui  envel()pi)aient 
l'histoire  de  la  Sicile  avant  les  Normands  et  alléché 
par  les  faeilités  que  m'offraient  les  écoles  et  les  biblio- 
thèques de  Paris.  J  abordai  ce  sujet  avec  l'âme  d'un 
Sicilien  ({ui  souhaitait  ardemment  la  liberté  d'un  petit 
Etat  et  désiiait  l'union  de  l'Italie,  sans  l'espérer  pro- 
chaine. Je  termine  mon  œuvre,  pleinement  convaincu 
(juc  tous  ces  Italiens  fraternisent  de  plus  en  plus,  ([u'ils 
voient  dans  l'unité   et    dans  la  liberté  la   sécurité   et 

'  Carteggio,  II,  p.  209;  lettre  au  prince  Frédéric  de  Sclilcswig- 
Holstein. 

'  Amari,  Storia  dei  Miisnlmani  di  Sicilia,  III,  2  (Firenze,  1872), 
p.  895. 


202  Opuscules  d'un  arabisaut 

riionneiir  de  tous  et  de  chacun,  que  le  pays  va  croître 
en  sagesse,  en  prudence,  en  puissance,  en  richesse,  et 
que  la  Rome  nouvelle,  au  lieu  de  l'oppression  armée 
de  l'antiquité  et  des  crimes  du  moyen  âge,  propagera 
désormais  dans  le  monde  la  juste  liberté  du  travail  et 
la  liberté  illimitée  de  la  pensée.  » 

La  distribution  des  exemplaires  ne  se  fit  qu'au  com- 
mencement de  1873,  lorsque  l'auteur  avait  quitté  Flo- 
rence pour  Rome.  Ernest  Renan,  dans  son  accusé  de 
réception  du  11  janvier,  écrit  ^  :  ((J'ai  reçu  votre  beau 
et  savant  volume.  Gomme  vous  êtes  heureux  de  pou- 
voir dire  :  Exegi  monumeniiim  !  Je  vous  ai  lu  avec  le 
plus  vif  intérêt.  Voilà  de  la  grande  histoire,  aussi  solide 
par  le  fond  des  recherches  que  par  l'esprit  philoso- 
phique qui  les  a  inspirées  et  qui  les  anime.  » 

Le  2  décembre  1872,  Amari  avait  accompli  son  coup 
d'Etat  de  venir  habiter  Rome  capitale.  Le  5,  il  écrivait 
de  Rome  à  Francesco  Ferez  qui,  malgré  ses  devoirs 
de  sénateur,  était  à  Païenne  -  :  (^  Il  y  a  trois  jours  que 
je  suis  ici  avec  trois  poupons  et  sans  trois  douzaines 
de  mille  lire  qui  nous  seraient  nécessaires  pour  nous 
mettre  à  l'aise.  Or,  j'ai  trouvé  une  maison  meublée,  sise 
Via  di  Porta  Pinciana,  no  37,  au  deuxième  étage,  bien 
exposée,  pas  très  élégante,  mais  pas  très  chère  non 
plus.  » 

-1  Carteggio,  II,  p.  209-210;  cf.  Longpérier,  ibid.,  II,  p.  214. 

^  G.   Pipitone    Federico,    Michèle  Amari   e  Francesco  Ferez, 
p.  118. 


Notice  sur  Michèle  Ainuri  2(K5 


ciiAiM'nu-:  orAiiiii^MK 

Amaiu  a  llo.Mi:  ui:  iix  1S72  .ii'squ'ai   Miuia  di:  18{S2.  — 
Hl'Iïikmk  ht  nkl'vikmk  édition  i>r  Vr.srno  f.n  1S75  kt 

ISiSf),  CELLK-CI   ACIIKVKK  A  PiSK  OU  AmAIU  VKCIT  1)K  1S(S2 

A    1(SSS.   —  Amaiu    phksidi-:    i:n     1(S7S    m-:    qia  tiukmi-: 

C()N(.Hl":S  INTEHNATIONAL  DKS  OHIKNTALISilIS  A  Fl.OHIlNCi: 
ET  ASSISTE   EN    ISSl    AU  CINQUIÈME  A  BeHEIN.  Il    EST 

LE  30  MARS  1882  i/aME  de  la  SÉANCE  ACADÉMIQUE 
TENUE  A   PaLEHME   POUR   Li:   SIX    CENTIÈME   ANN1VEUSAIHI-: 

DES  Vêpres  Sicieiennes.  —  Retour  a  Rome  en  1888. 
—  Moin  d'Amari  a  Florence  le  10  .iuilli:t  1889.  — 
Translation  de  ses  cendres  a  Paeerme.  —  Son 
monumi:nt  y  est  a  l'église  San  Domenico. 

Qu'inipoitail  le  luxe  du  logis,  qui  alhiit  al)riter  ce 
couple  parfaitement  heureux,  en  camp  volaul  dans  un 
quartier  saluhre  de  Rome,  près  du  roi,  loin  du  i)ape, 
avec  les  terrasses  du  Pincio  et  les  vastes  jardins  de  la 
Villa  Médicis  puritiant  l'air  (jue  la  temme  hien-aimée 
respirerait?  Un  chan<>ement,  (piel  (pi'il  fût,  ne  ])nuvait 
être  que  sah'.laire  à  la  nature  mobile  de  Madame  Amari, 
cette  ennemie  irréconciliable  de  la  monotonie  et  de 
l'uniformité.  Quant  à  la  couvée,  elle  s'iiupiiétait  peu 
de  l'endroit  où  était  posé  le  nid,  pourvu  (pi'elle  pût  y 
gazouiller  bruyamment  et  s'y  ébattre  en  pleine  liberté 
à  la  satisfaction  de  parents  indulgents  et  tendres.  Par- 
tout où  la  caravane  établirait  son  foyer,  il  brûlerait  des 
mêmes  feux  purs  et  répandrait  autour  de  lui  le  même 
ravonnement  lumineux.  Le  roman  tardif  d'Amari  se 
déroule   sans  péripéties,  sans   secousses,  sans  heurts, 


204  Opuscules  d'un  aral)isa!it 

sans  incidents,  dans  une  atmosphère  chaude,  récon- 
fortante, avec  la  compagne  «  digne  d  adoration»',  pkis 
jeune  que  lui,  choisie  entre  toutes,  qui  a  répondu  à 
son  appel,  qui  lui  a  donné  une  lignée,  qui  veille  sur  lui 
à  l'instar  d'une  mère  non  moins  que  d'une  épouse,  qui 
s'efforce  de  conserver  et  de  prolonger  ses  jours,  à  grand 
renfort  de  soins,  de  sollicitude,  d'affection,  d'amour. 

L'enseignement,  même  piivé,  est  irrévocablement 
abandonné  à  Rome  par  le  professeur  émérite  de  VIsti- 
tiito  de  Florence.  La  deuxième  session  du  nouveau 
Sénat  romain  reconquiert  Amari  après  une  interrup- 
tion forcée  d'une  année.  L'ancien  pater  conscriptiis  ne 
laisse  pas  à  de  plus  jeunes  les  travaux  des  commis- 
sions et  la  rédaction  des  rapports.  Seulement,  de  plus 
en  plus,  il  se  confine  dans  les  affaires  siciliennes  et 
dans  les  questions  où  sont  intéressées  l'évolution  de 
l'instruction  publique  et  l'organisation  des  musées  -.  A 
Rome  même,  où  <(  des  écoles,  des  institutions  scien- 
tifiques et  littéraires  remplacent  les  couvents  ^  »,  l'ensei- 
gnement supérieur  italien  et  la  science  italienne  voient 
se  dresser  à  leurs  côtés  la  concurrence  d'émulés,  véri- 
tables collaborateurs,  dont  la  rivalité  pacifique  leur 
impose  une  recrudescence  tant  d'initiatives  hardies 
que  d'efforts  incessants.  La  France  témoigne  de  sa  vita- 
lité renaissante  en  créant  de  toutes  pièces  à  Rome  un 
organe  nouveau,  sans  compromettre  le  bon  état  de 
l'ancien,  l'Académie,  créée  en  1666,  installée  à  la  Villa 
Médicis  en  1802^,  où  vivent  côte  à  côte  en  commun  les 

1  Amari,  au  commencement  de  1881,  dans  le  Carteggio,  II, 
p.  250. 

2  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  390. 

3  Amari,  ibid.,  II,  p.  215. 

'  Alphonse  Bertrand,  L'art  français  à  Rome,  dans  la  Revue 
des  deux  mondes  du  l""*  février  1904,  p.  604. 


Notice  sni'  Micliele  Amai'i  *J()5 

archilccles,  les  j)eiiilres,  les  sculpleurs,  les  «graveurs  et 
les  iiuisieiens.  Amari  assiste  à  la  créalioii  iriiiie  lù'ole 
franV'^i''^*^'  (rarehéolo^ie,  inslituee  le  2.')  mars  1<S73  par 
un  décret  du  Président  de  la  Uépiihliciiie  Ihiers,  placée 
au  palais  Faruèse,  au-dessus  de  notre  Ambassade  près 
le  Quirinal,  el  diiigée  par  un  sage,  Auguste  Gellroy. 
Le  18  mai  1(S71,  un  décret  de  rem|)ereur  (luillaumc  I''', 
contresigné  par  le  prince  de  Bismarck,  léorganise  l'In- 
stitut allemand  de  correspondance  archéologicpie,  (pii 
datait  de  1829,  (jui  lut  officiellement  revendiqué  i)ar  la 
Prusse  le  2  mars  1871,  en  attendant  (pi'il  devînt  en  1874 
institution  de  l'empiie.  \Sn  mouvement  aussi  ra})ide, 
importé  du  dehors,  avait  communiqué  sa  vitesse  à 
celui  de  l'Italie.  D'une  i)art,  en  1871,  elle  modifia  son 
enseignement  supérieur  sur  un  rapport  de  Michèle 
x\mari  ;  d'autre  part,  elle  étendit  le  champ  d'action 
de  son  Accddcinid  (Ici  Liiicri,  l'ondée  le  3  juin  1817  à 
Rome  par  le  pa])e  Pie  IX. 

Jusqu'au  14  h'vrier  1875,  cette  académie  pontificale 
était  limitée  aux  «  sciences  'i)hysiques,  mathématiques 
et  naturelles  ».  Le  Ministre  de  l'instruction  publique 
da  royaume  d'Italie,  Huggero  Bonghi,  un  encycl()|)é- 
diste,  professeur  d'histoire  ancienne  à  l'Université  de 
Rome,  tout  en  maintenant  «  l'autonomie  »  de  la  classe 
antérieure,  lui  adjoignit  par  le  Statut  uul^  classe  des 
«  sciences  morales,  historiques  et  i)hilosophi(|ues  »'. 
La  nomination  y  précéda  la  cooptation  et  le  roi  Victor- 
Emanuel  y  appela  le  9  mai  1875  Michèle  Amari,  «  pro- 
fesseur émérite,  sénateur  du  royaume  »,  sur  la  même 

'  Des  rapports  étroits  se  nouèrent  ininiédialcnient  entre  cette 
classe f  «  qui  cultive  des  sciences  analogues  »,  et  llnstitut 
archéologique  allemand.  Voir  une  lettre  du  14  avril  1875, 
adressée  par  Quintino  Sella  à  Michèle  Amari,  dans  le  Car- 
te g  gio.  II,  p.  219. 


206  Opuscules  d'un  arabisant 

liste  que  Domenico  Comparetti  et  x\tto  Yannucci,  le 
13  mai  Terenzio  Mamiani.  Amari  prit  séance  le  6  juin 
parmi  ses  confrères  de  l'ancienne  c/as6e  ^  avant  que  la 
nouvelle  ne  fût  régulièrement  constituée. 

Michèle  Amari,  arrivé  à  Rome  à  la  fin  de  1872,  s'était 
logé  avec  les  siens,  au  commencement  de  1873,  d'une 
manière  moins  précaire,  dans  un  appartement  sis 
29,  Via  délie  Quatlro  Fonlane,  au  deuxième  étage,  en 
face  les  jardins  du  Quirinal'-.  La  deuxième  session  du 
Sénat  terminée,  comment  employer  ses  loisirs  de 
vacances  en  dehors  des  mois  brûlants  d'été  indolem- 
ment consacrés  à  la  cure  d'air  annuelle  à  La  Concezione, 
sur  les  coteaux  de  Fiesole,  dans  la  Via  Bolognese^'! 
L'historien  et  l'orientaliste  n'étaient  pas  encore  assez 
acclimatés  pour  renouveler  l'acier  de  la  plume  rouillée. 
La  convalescence  s'achevait,  mais,  la  crise  étant  con- 
jurée, le  repos  absolu  devenait  incompatible  avec  la 
santé  recouvrée,  avec  le  tempérament  robuste,  avec  la 
nature  ardente  d'Amari.  Il  s'enrôla,  sans  arrière-pensée 
et  sans  réserve,  parmi  l'es  adhérents  d'un  congrès 
scientifique  et  laïque,  que  son  ami,  le  comte  Terenzio 
Mamiani  délia  Rovere  proposait  d'ouvrir  à  Rome  même 
au  cours  de  l'été  1873,  pour  que  l'écho  des  communi- 
cations et  des  débats  résonnât  jusqu'au  Vatican.  Amari 
seconda  de  toutes  ses  forces,  de  tout  son  zèle  et  de 
toute  son  autorité  personnelle  son  collègue  militant 
de  la  Chambre  haute,    autrefois  l'un  de  ses   compa- 

^  Accademia  dei  Lincei.  Atti.j  série  2^,  II,  1874-1875  (Rom^, 
1875),  p.  Lvii. 

2  Amari  n'habitait  plus  là  en  1881,  mais  5,  Piazza  del  Esqui- 
lino;  voir  Carleggio,  II,  p.  260;  Yerhandlnngen  des  fiinften 
Orienlalislen-Congresses  gehalten  zii  Berlin  in  September  1881, 
p.  8. 

^  O.  Toramasini,  Scrilti,  p.  350,  plus  précis  que  mon  dire  de 
la  p.  192. 


Notice  sur  ^licliclc  Amari  207 


gnons  d'exil  à  Paris  ',  ancien  ministre  comme  Ini, 
son  futur  eonlVère  des  Lincci.  Il  s'associa  allègrement 
aux  démarches  multiples  (|ue  le  j)résident  désigné 
taisait,  d'une  part  auprès  {\\\  Ouirinal  et  des  Ministres, 
d'autre  {)art  auprès  des  adei)tes  dans  les  milieux  in- 
struits et  populaires,  en  vue  de  ressusciter  le  Coiujrcsso 
dexjli  Scicnziali-,  un  revenant  de  1839,  (pii  avait  tait  le 
mort  de  1819  à  1870,  qui  s'était  réveillé  de  sa  loninie 
léthargie  en  1870,  (pii  venait  de  tenir  à  Sienne  une 
session  préparatoire  à  la  manifestation  romaine,  anti- 
papale et  anticléricale,  de  1873  ^.  Amari,  épris  de 
l'idée,  essaya  de  lui  gagner  des  souscripteurs  et  des 
adhérents.  II  écrit  à  Renan  en  français  le  23  avriP  : 
«Pie  IX  a  lait  toujours  nos  affaires  à  merveille  :  il  les 
fait  par  ses  sots  discours,  comme  par  l'encouragement 
qu'il  donne  aux  jésuites.  »  Adrien  de  Long[)érier, 
qu'Amari  a  convié  imprudemment,  se  dérobe  par  des 
subterfuges  à  une  invitation  que  sa  famille,  ses  convic- 
tions et  ses  accointances  lui  interdisaient  d'accepter. 
((  L'Italie,  écrit-il  le  15  octobre  1873  •"',  en  ce  moment- 
ci,  fait  une  expérience.  Naturellement,  comme  tous  les 


<  Plus  haut,  p.  111. 

■^  Ces  renseignements  m'ont  été  fournis  gracieusement  par 
M.  A.  D'Ancona;  communication  du  7  janvier  1903. 

^  La  session  suivante  eut  lieu  à  Palerme  en  1875,  à  l'instiga- 
tion et  avec  la  coopération  prépondérante  de  Francesco  Ferez; 
voir  G.  IMpitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Perez,  p.  22. 
M.  A.  D'Ancona  m'a  informé  que  Gaston  Paris  assista  au  Con- 
gres de  Palerme  et  y  prononça  un  discours,  signalé  sous  le 
n^'  331  dans  .Joseph  Bédier  et  Mario  Roques,  Biblioyraphie  de 
Gasion  Paris,  Y'vkVis,  Société  amicale  Gaston  Paris,  1904,  p.  49. 

♦  Carteggio,  II,  p.  212.  Il  est  peu  probable  que  cette  lettre 
émane  de  Florence,  à  moins  qu'Amari  ne  l'ait  écrite  pendant  sa 
première  fugue  estivale  à  la  Coiicczione,  où  sa  femme  avait  été 
élevée  par  les  Sabatier  comme  leur  fille  adoptive. 

5  Ibid.,  II,  p.  214. 


208  Opuscules  d'un  arabisant  | 

chimistes  qui  ont  un  alambic  sur  le  fourneau,  elle  attend  ! 
avec  enthousiasme  le  résultat  de  la  coction.  Plus  tard,    \ 

I 

lorsque  l'alambic  et  l'enthousiasme  seront  un  peu  ; 
refroidis,  il  sera  plus  convenable  d'aller  causer  avec  elle  i 
sans  crainte  de  l'impatienter.  Je  crois  bien  que  je  ne  | 
mourrai  pas  sans  avoir  revu  l'Italie  dégermanisée.  »    i 

Il  y  a  plus  de  franchise  dans  les  regrets  sincèics  de  ' 
Renan  qui  aurait  vraiment  aimé  s'associer  aux  tra-  i 
vaux,  aux  débats  et  aux  réunions  des  Scienzali.  Il  écrit  ' 
<ie  Sèvres  le  19  octobre  '  :  ((  Il  faut  assurément  des  rai-  ' 
sons  impérieuses  pour  que  je  ne  me  sois  pas  rendu  au  \ 
Congrès  de  Rome.  C'est  bien,  comme  vous  le  dites,  un  ■ 
événement  dans  l'histoire  de  l'esprit  humain  que  ce  j 
fait  d'une  discussion  scientifique  libre  se  tenant  dans  \ 
la  vieille  capitale  de  la  science  orthodoxe,  c'est-à-dire  ■ 
de  la  science  faussée.  Le  royaume  dlialie,  n'aurait-il  ; 
pas  rendu  d'autre  service  à  la  libre  pensée,  aurait,  par  : 
cela  seul,  bien  mérité  de  ceux  qui  aiment  la  vérité,  l 
Présentez  mes  respects  à  M.  Mamiani,  à  tous  nos  amis,  | 
et  dites-leur  que  je  suis  avec  eux  d'esprit  et  de  cœur.  »    ; 

he  Congresso  degll  Scienzali  ïi'cWcâl  éié  qu'un  intcr-  i 
mède  bruyant  sur  un  vaste  théâtre,  qu'un  épisode  de  i 
propagande  à  ciel  ouvert,  qu'une  affirmation  publique  ; 
de  convictions  profondes  et  invétérées,  qu'une  bataille 
de  tribune,  en  contraste  avec  la  paix  d'une  vie  intime,  j 
calme  et  retirée,  que  le  mari  et  le  père  partageaient  de  j 
nouveau  avec  l'historien,  le  littérateur  et  l'arabisant, 
sans  parler  du  sénateur  et,  à  partir  de  1875,  de  l'aca- 
démicien. Ce  cumul  d'occupations  librement  entassées 
et  vaillamment  affrontées  se  conciliait  avec  les  habitudes 
immuables  d'Amari,  telles  qu'il  les  avait  contractées 
dans  les  temps  héroïques  du   surmenage  parisien -.  A 

^  Carteggio,  U,  p,  214. 

2  Plus  haut,  p.  158,  note  2. 


Notice  sur  Michèle  Ainari  20î> 


Rome,  comme  à  Paris,  à  Morenceet  à  fnrin,  le  travail- 
leur iulalii'able  et  poiicliiel  se  levait  à  qiialre  heures 
du  malin,  avec  la  seule  tlillrrenee  (|ue,  maiulenanl,  il 
marchait  sui-  hi  j)()iiite  des  pieds  pour  ne  pas  réveiller 
la  marniaille  endormie.  11  |)rûi)arail  lui-même  son  calé 
sans  bruit,  déjeunait  iaj)idem«'nl  et  se  j)réeipitait  au 
travail  comme  s'il  crai«^nait  que  sa  moil,  plusicuis  Ibis 
annoncée  et  heuieuscment  démentie  ',  ne  vint  à  l'im- 
proviste  le  sur|)i'endre  et  l'empêcher  de  remj)lii-  le  pio- 
i>ramme  qu'il  s'était  tracé.  La  seule  interruj)tion  ré^^u- 
lièrc  qu'il  admette,  c'est  le  moment  où  à  sept  heui'es 
'  la  bande  d'ici  à  cé)lé,  laissée  en  plein  sommeil,  va  se 
réveiller  ».  L'excellent  père  s'exprime  tendrement  -  : 
«  Ces  visages  frais,  ces  caresses,  ces  enrantillages  char- 
mants m'arracheront  à  mon  bureau,  je  ne  sais  pendant 
combien  de  temps.  » 

Le  13  janvier  LST."),  Amari,  en  renouveau  de  produc- 
tion, à  la  veille  de  ses  soixante-dix  ans,  précise  ainsi 
en  français  l'emploi  de  ses  matinées  commencées  avant 
rau])e  '  :  «  A  (pudre  heures  du  malin  il  faut,  après 
avoir  pris  mon  café,  proliler  du  silence  de  la  maison 
pour  travailler,  soit  à  l'Appendice  de  mes  textes  arabes 
que  l'on  imprime  en  Allemagne  ^  et  aux  corrections  que 
^L  Fleischer  m'impose  le  plus  souvent  à  raison  et 
quelquefois  à  tort;  soit  à  la  huitième  édition  de  mes 
Vêpres  siciliennes.  Ces  diables  d'Allemands  boulever- 
sent à  présent  tous  les  recueils  hisl()rir{ues,  toutes 
les  compilations  ;  ils  travaillent  à  la  démolition  par 
escouades  de  vingt  ou  de  cinciuante  docteurs  ;  ils  ne 

'  Plus  liant,  p.  173,  note  2. 

-  Cartcggio,  II,  p.  226;   lettre  d'Aiiiari,   de   Home,  du   11)  no- 
vembre 1876,  au  prince  Frédéric  de  Schleswig-IIolstein. 
'  Amari  au  même,  ibid.,  II,  p.  217  et  218. 
*  Appendice  \iuh\ïé  à  Lcipz'v^  en  ISlô;  voir  plus  haut,  p.  162,  n.l. 

14 


210  Opuscules  d'un  arabisant 

i 
laissent  aucun  événement  de  l'histoire    du  moyen  âge 

sans  une  nouvelle  monographie.  Vous  concevez  que  je  ; 

ne  veux  pas  rester  en  arrière,  quoiqu'il  me  coûte  beau-  '■ 

coup  de  lire  l'allemand,  ce  que  je  n'ai   commencé  à  I 

essayer  que  dans  ma  cinquante-huitième  année  i.  Ce  ; 

n'est  pas  trop  tôt,  je  l'espère.  En  attendant  il  m'a  fallu  | 

avaler  et,  qui  pis  est,   acheter  quatre  ou  cinq  livres  ; 

allemands  relatifs  de  près  ou  de  loin  à  mon  sujet.  Et  je  i 

n'ai  pas  encore  commencé  ma  nouvelle  préface.  »  j 

La  préface  datée  de  Roma,   ottobre  1875,  comprend  : 

une  liste  des  auteurs  allemands  consultés  pour  la  hui-  | 

tième  édition,  publiée  à  Florence  en  1876  -.  On  y  voit  ! 

figurer  A.    Busson,    A.    Dove^    F.   Gregorovius,    Otto 

Hartwig,  A.  von  Reùmont,  Scheffer-Boichorst.  Michèle  j 

Amari  s'est  enquis  et  s'est  servi  des  références^,  mises  à  | 

sa  portée  par  un  effort  persévérant,  pour  améliorer  et  i 

mettre  au  point  sa  précédente  révision  florentine  ^  de  j 

la  première  rédaction  palermitaire  '*.  S'il  touche  à  cer-  ; 

^  Ce  renseignement  paraît  plus  strictement  exact  que  les  j 
«  55  ou  56  ans  à  Florence  »,  indiqués  par  Amari  à  Otto  Hartwig 
dans  une  lettre  du  22  septembre  1881  (Carteggio,  II,  p.  255).  j 
Voir  aussi  (ibid.,  II,  p.  204)  une  lettre  au  même  du  12  septembre  i 
1871,  dans  laquelle  Amari  gémit  que  l'allemand  ne  soit  pas  t 
entré  dans  les  études  de  son  adolescence  et  qu'il  ne  puisse  le 
déchiffrer  qu'en  ayant  recours  au  dictionnaire.  UOportel  stii- 
diiisse  lui  revient  souvent.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  première 
citation  allemande  qu'ait  risquée  l'érudit  consciencieux  me 
paraît  être  de  1868,  dans  la  Storia  dei  Miisnlmaiii  di  Sicilia,  III, 
parte  prima,  p.  209,  note  3,  où  est  allégué  Zunz,  Ziir  Geschichte 
iind  Literalur.  En  1851,  Amari  n'avait  pas  pu  lire  la  version 
allemande  de  ses  Vêpres,  qui  parut  alors  à  Leipzig  d'après  la 
première  édition  florentine  de  même  date. 

-  2  vol.  in-16.  Cette  Prefazione  a  été  réimprimée  en  tête  de  la 
9^  édition  (Milano,  Hœpli,  1886,  3  vol.  in-16),  I,  p.  xli-l. 

^  Firenze,  1866,  2  vol.  in-16,  dont  on  trouvera  également  la 
Prefazione,  ibid.,  I,  p.  xxxvii-xl. 

'  Palermo,  1842;  voir  plus  haut,  p.  106-108. 


Notifia  sur  Aiiclich'  Aiiiari  211 

tains  détails  insi<i;iiifianls,  il  respccle  le  fond  et  la  forme, 
eoinine  si  ce  vénéi'ahle  leslo  di  liiujiKt  lui  paraissait  in- 
tangible, ^c  Plutôt,  dit  Aniari  scjuede  lapiéeei'  le  vêlement 
avec  du  drap  d'autre  main-trœuvre  et  d'autre  couleur, 
je  veux  donner  le  vieil  ouvra<j;e  j)res(pie  comme  il  ria- 
(juit  et  le  nouveau  ainsi  qu'il  peut  être.  »  Kn  d'autres 
termes,  les  additions  n'ont  j)as  pénétré  dans  le  texte, 
dont  elles  forment  parallèlement  «  un  commentaire  . 
suivi  ».  Le  remaniement  et  le  bouleversement  ont  été 
évités  cette  fois,  sans  que  les  exi<^ences  imposées  par 
«  les  progrés  de  la  criticpie  hisloricjue  »  aient  été  ajour- 
nées ou  repoussées. 

Sans  attendre  que  la  i)réface  de  la  huitième  édition 
f.U  rédigée,  pendant  que  l'imprimeur  composait  et  tirait 
les  feuilles  du  texte,  Michèle  Amari  s'accorda  en  février 
ou  mars  1875,  un  i)etit  voyage  à  Palerme  -  pour  se  rendre 
à  l'appel  de  la  Socielà  Siciliaiui  pcr  laStorut  Palvia  qui 
venait  de  l'élire  Président  d'honneur  ••.  (l'était  une  vic- 
toire éclatante  des  conciliatr'urs  sur  les  intransigeants, 
dont  les  suspicions  avaient  jusque-là  tenu  leur  compa- 
triote Amari  en  dehors  de  leur  Socielà  locale,  exclusive 
et  asservie  à  des  meneurs  défiants.  L'ostracisme  contre 
le  maitre  étant  levé,  il  écrit  de  Kome  le  11  février  à  son 
ami  Perez  qui  est  intervenu  efficacement  dans  la  lutte 
menée  sur  son  nom^  :  «  CherFrancesco^  je  n'ai  pas  en- 
core donné  mon  nom  à  la  Socictd  Sicilidiia,  parce  que 

'  Prcfazione  de  la  (S-  édition,  dans  la  [)'\  I,  p.  xlh. 

-  A  la  fin  de  1871,  Amari  avait  été  «  obligé  de  se  rendre  à 
Palerme,  à  cause  de  la  mort  de  son  beau-frère  »  Del  Fiore.  Voir 
une  lettre  d'Amari  à  Madame  Michelet,  du  29  janvier  1872,  dans 
Madame  Jules  Michelet,  Les  Cluds,  p.  208;  cf.  plus  haut,  p.  174, 
n.  1. 

^  Amari  et  d'Ancona,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  235,  269  et  392. 

■'  G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Franccsco  Ferez, 
p.  119. 


212  Opuscules  d'un  arabisant 

je  n'ai  pas  voulu  m'introduire,  avant  d'y  être  appelé, 
dans  une  compagnie,  où  j'ai  assurément  plusieurs  amis, 
mais  où  je  pouvais  me  douter  que  quelques  autres 
m'auraient  en  haine  à  cause  de  mes  défauts  et  peut-être 
aussi  de  quelque  bonne  qualité.  Je  suis  joyeux  de  l'in- 
vitation qui  me  vient  de  toi  et  je  remercie  la  Société  de 
l'honneur  qu'elle  veut  me  conférer,  honneur  que  j'ac- 
cepte avec  gratitude  du  pays  où  je  suis  né  et  où  j'ai 
passé  les  plus  belles  années  de  ma  vie.  Que  je  ne  t'aime 
pas,  c'est  ce  que  ne  peuvent  dire  que  les  calomniateurs, 
Bourboniens  ou  Sacristains.  » 

Michèle  Amari  ne  prévoyait  pas  alors  que  la  vie  lui 
serait  octroyée  avec  une  telle  prodigalité,  que  son  intel- 
ligence et  son  talent  persisteraient  avec  une  telle  pléni- 
tude qu'en  juillet  1885  il  ferait  éclore  une  neuvième 
édition  définitive,  transformée  et  recréée  par  le  créateur 
lointain  de  l'œuvre  primitive.  Il  ne  s'agissait  pas  cette 
fois  de  discuter  des  idées  sur  les  points  contestés,  ni  de 
mettre  au  courant  les  bibliographies  italienne  et  alle- 
mande. Une  nouvelle  édition  avait  été  rendue  nécessa-ire 
par  de  nouvelles  trouvailles  Deux  registres  «  intermi- 
nables »  et  «  très  importants  »  de  diplômes  inédits 
avaient  été  copiés  au  printemps  de  1882  par  le  chanoine 
Isidoro  Garini  à  Barcelone,  où  ïArchivio  de  la  Corona 
de  Aragon  le  dédommagea  des  quatre  mois  au  moins 
que  dura  sa  longue  «  déportation  »^  et  publiés  par  lui  à 
Palerme  en  1884.  -  Les  agissements  de  Pierre  III  d'Aragon 
dans  sa  lutte  contre  Charles  Ici^  d'Anjou  pour  la  posses- 


1  Le  mot  est  d'Amari,  19  avril  1882,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  275. 

-  Isidoro  Carini,  lettre  du  16  avril  188'2,  adressée  de  Barcelone 
à  Amari,  ibid.,  II,  p.  271  ;  voir  aussi  du  même,  Gli  Archivj  e  le 
Biblioleche  di  Spagna  iii  rapporta  alla  sloria  d'Ilalia  in  générale 
e  di  Sicilia  in  particolare,  Palermo,  Tip.  dello  Statuto,  1884, 
3  vol.,  daprès  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  2G8. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  213 

sion  (le  la  Sicile  venaient  d'être  <  dévoilés  ou  éclaircis  )> 
par  les  chartes  angevines  de  Xaples,  étudiées  et  éditées 
parGiuseppe  del  Giiidice  et  par  Camillo  Minieri  Riccio  '. 
Une  refonte  s'imposait  alin  d'embrasser  dans  un  récit 
continu  des  élénu'iits  d'origine  et  d'épotpie  diverses. 
Le  rajeunissemt'iil  tlu  tond  entiainait  loicément  le  ra- 
jeunissement de  la  torme.  \in  même  temi)s  ([u'Amari 
réformerait  ou  atténuerait  des  jugements  polili(pies  ••  ou 
erronés  ou  lrt)p  durs  »,  l'octogénaire,  ennemi  de  la 
routine,  remaniant  son  improvisation  juvénile  au  bout 
de  pres([ue  un  demi-siècle  écoulé,  loin  de  s'obstinei*  à 
son  jargon  sicilien  de  IS 12,  se  proposait  de  supprimer 
les  ])rovincialismes  et  les  archaïsmes  })our  substituer 
l'italien  moderne,  «  la  langue  d'aujourd'hui  »,  à  la  lan- 
gue d'hier  -. 

Dans  l'intervalle  entre  l'achèvement  des  deux  édi- 
tions, les  dix  années  entre  ISTô  et  IScSf)  furent  mar- 
quées pour  Amari  par  nombre  d'événements,  dont  il 
importe  de  narrer  les  princijianx.  Son  excursion  à 
Palerme  en  1873  l'avait  mis  en  goût.  11  y  retourna  en 
1877  et  trouva  la  ville  méconnaissable,  tant  elle  avait 
progressé  depuis  deux  ans,  tant  elle  était  améliorée  au 
point  de  vue  de  l'industrie,  de  la  richesse,  de  la  tran- 
quillité, tant  le  parti  libéral  —  modérés  et  progressistes 


'  Prcfdzionc  de  la  9*^  édition  (tu  Vcspro,  I,  p.  v.  Sur  le  titre, 
l'édition  est  donnée  comme  corretta  ed  accresciula  dalT  aulore 
secondo  recfistri  di  Jhircelloiui  cd  (dlri  dociiinenli  e  corredala  di 
alcani  tesli  parcdlcli.  Deux  ans  plus  lard.  Amari  ajouta  un  (jua- 
trième  volume,  de  même  format  (Milano,  Hœpii,  1.S87),  intitulé  : 
Altre  Xarrazioiii  del  Vcspro  Siciliaiio  scrilte  nel  buoii  sccolo  délia 
lingiia.  Appendice  cdla  noua  editione  del  Vespro  Sieiliano.  Voir 
ce  qu'Amari  en  écrit  de  Pise  à  Isidoro  Carini,  le  30  Juin  18«S6, 
dans  le  Caiieggio,  II.  p.  297,  et  la  réponse  de  Carini  (Homa, 
le  1er  juillet),  ibid.,  II,  p.  298. 

^  Vespro,  9^  édition,  I,  p.  vi-vni. 


214  Opuscules  d'uu  arabisant 

unis  —  y  gagnait  du  terrain  à  la  veille  d'un  triomphe 
imminent  '. 

L'année  précédente,  un  «  véritable  pavé  était  tombé 
sur  la  tête  »  d'Amari  :  la  présidence  du  quatrième  Con- 
grès des  orientalistes  à  Florence.  Il  écrit  à  Renan  en 
français,  le  3  octobre  1876-,  un  mois  environ  après 
que,  le  31  août,  son  «  acceptation  »  a  été  transmise  par 
Angelo  de  Gubernatis  dans  la  séance  de  clôture  du 
troisième  Congrès  à  Saint-Pétersbourg^  :  «  Vous  con- 
cevez que  je  n'aimerais  pas  que  cette  institution  ou, 
pour  mieux  dire,  cet  essai  expirât  en  Italie  entre  mes 
mains,  comme  il  a  failli  trouver  son  tombeau  à  Saint- 
Pétersbourg.  Je  ne  crois  pas  à  la  grande  utilité  des 
Congrès  des  puissances  ni  des  savants,  mais  je  recon- 
nais que  ces  derniers  gagnent  toujours  quelque  chose 
à  causer  et  à  s'amuser  ensemble.  »  Le  nouveau  roi 
Humbert  V\  sur  le  trône  depuis  le  9  janvier  1878,  avait  \ 
accepté,  dans  l'été  de  1877,  en  qualité  de  prince  royal,  I 
«  le  titre  de  protecteur  du  Congrès  »,  qu'il  ne  récusa  pas  i 
après  son  avènement  ^.  L'ouverture  solennelle  eut  lieu  [ 
le  12  septembre  1878,  en  présence  de  son  frère,  le  prince  i 
Amédée,  duc  d'Aoste,  qui  ne  put  assister,  le  18,  à  la  : 
séance  de  clôturer  Malgré  la  concurrence  de  notre  i 
Exposition  universelle  ^,  le  Congrès  de  Florence  fit  | 
bonne  figure  dans  la  série  qui  va  se  continuer  le  mer-  i 


*  Carleggio,  II,  p.  235,  Amari  à  Otto  Hartwig,  18  juillet  1877. 
2  Ibid.,  II,  p.  223. 

^  Bulletin  du  Congrès  international  des  orientalistes.  Session  de 
1876  à  Saint-Pétersbourg  (Saint-Pétersbourg,  1876),  p.  130-131. 

*  Carleggio,  II,  p.  223,  225,  237  et  238;  cf.  Atti  del  IV  Congresso 
iuternazionale  degli  orientalisti,  II  (Firenze,  1881),  p.  336,  347 
et  357. 

"  Ibid.,  II,  p.  344  et  357. 

^  Carleggio,  II,  p.  223.  Renan  et  Bréal  proposaient  «  de  re- 
mettre l'ouverture  au  mois  d'octobre  ».  Voir  ibid.,  II,  p.  238. 


Notice  sur  Miclicle  Ainari  1215 

credi  10  avril  lOO/i,  par  la  qualor/ièinc  session  (rAl«^L'r  '. 
On  n'y  verra  plus  ni  r'ranrois  Lonornianl,  ni  lùnesl 
Renan-,  ni  Charles  Schefer,  (pii  rcliaussèrenl  les  assises 
(le  Florence  par  les  concours  de  leurs  personnalités 
élevées,  dont  l'iiunianilé  et  la  science  déplorent  la  dis- 
parition. Mais,  parmi  les  T^-ançais,  bien  vivants  aujour- 
dhui,  ([ui  prii'ent  part  alors  à  ce  Congrès  dont  le  pré- 
sident Aniari  désespérait  (ju'il  attirât  à  l'iorence  des 
«  hôtes  orientalistes^  »,  je  signalerai  Henri  Cordier, 
Gaston  Maspero,  Jules  Oppert  et  le  fondateur  de  ces 
tournois  internationaux  Léon  de  Rosny  K  Sur  217  adhé- 
rents, italiens  et  étrangers,  il  y  eut  VU)  membres  pré- 
sents contre  1)1  absents"'.  Amari,  pleinement  rassuré, 
prononça  le  discours  de  bienvenue  à  la  séance  inau- 
gurale du  12  et  celui  de  congratulations  ultimes  à  la 
séance  finale  du  bS'J.  Remar(piable  surtout  est  le  pre- 
mier, où  il  trace  à  ses  confrères  d'une  semaine  un  pro- 
gramme tendanciel  mettant  au  premier  rang  l'Afrique 
septentrionale,  ainsi  ({ue  ses  populations  d'Arabes  et 
de  Berbères",  comme  complément  de  l'Extrême-Orient 
prépondérant  à  Paris,  des  études  ariennes  et  hami- 
tiques  ayant  prévalu   à   Londres,    de   l'Asie   centrale, 

'  Un  schisme  inomcntaiié  a  dédouljlé  la  9'  session  de  Lon- 
dres. Deux  Congrès  successifs,  indépendants  l'un  de  l'autre, 
ont  été  tenus  à  Londres,  sous  ce  même  numéro  d'ordre,  en 
1891  et  en  1892. 

■^  Madame  lù'nest  Renan,  cette  femme  de  grand  esprit  et  de 
noble  cœur,  avait  accompagné  son  mari  à  Florence,  comme  il 
appert  du  Carlcggio,  II,  p.  242. 

'  Ibid.,  II,  p.  223. 

^  Atli,  II,  p.  338-344. 

»  Ihid.,  II,  p.  337. 

«  Ibid.,  II,  p.  344-349  et  357-361. 

■'  Amari  était  curieux  de  «  la  langue  et  de  la  race  berbère  w; 
voir  le  Carlegcjio,  II,  p.  224,  et  plus  haut,  p.  197.  Il  était  déjà 
hanté  par  le  rêve  d'une  Italie  méditerranéenne,  rêve  qui,  en 


216  Opuscules  d'un  arabisant 


point  de  mire  politique  et  scientifique  à  la  réunion  de 
Saint-Pélersbourg "^ 

Aussitôt  descendu  du  fauteuil  de  la  Présidence  qu'il 
avait  exercée,  avec  autorité  et  discernement,  sur  «  notre 
secte  inolTensive  »  2,  Michèle  Amari  fut  désigné  par  le 
nouveau  Roi  "^  comme  Vice-Président  du  Sénat  pour  la 
rentrée  du  Parlement  au  20  décembre  1878  ^  Renommé 
en  1879,  Amari  se  vit  enlever,  en  1880,  de  par  la  volonté 
d'Agostino  Depretis,  le  titre  qui  lui  avait  été  conféré 
deux  ans  auparavant.  Le  sénateur  avait  démérité,  ayant 
osé  voter  contre  la  suppression  de  l'impôt  sur  la  mou- 
ture ^.  Plus  tard,  en  1886,  lorsqu'on  voulut  porter 
Amari  à  la  présidence  du  Sénat,  il  se  rappela  cette  dé- 
convenue pour  écarter  résolument  une  proposition 
tardive  ^. 

La  langue  allemande  écrite,  qu'Amari  était  arrivé  à 
lire,  à  comprendre  suffisamment  et  à  faire  entrer  dans 
ses  citations",  aurait  pu  lui  fournir,  avec  un  peu  d'exer- 
cice et  d'habitude,  un  instrument  maniable  de  conver- 


1881,  fut  troublé  par  notre  occupation  de  la  Tunisie.  Amari  à 
Renan,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  250-252;  cf.  p.  257,  268  n.  et 
271  n. 

*  Aiti,  II,  p.  347;  cf.  le  Carteggio,  II,  p.  221. 
^  Expression  d'Amari,  ibid.,  II,  p.  2-23. 

^  Les  relations  d'x\mari  avec  Humbert  1er  avaient  été  de  prime 
abord  très  cordiales  ;  voir  ibid.,  II,  p.  237;  cf.  p.  239.  Quant 
à  la  reine,  il  la  décrit  (ibid.,  II,  p.  244)  comme  «  aimable,  belle, 
cultivée  au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut  supposer,  aimée  de 
tous  ». 

*  Ibid.,  II,  p  240  et  242. 

»  Amari  et  d'Ancona.  ibid.,  II,  p.  246.  «  Le  Sénat  nommé  par 
le  roi,  ou  plutôt  par  les  ministres  »  ;  Amari,  ibid.,  II,  p.  253. 

6  Ibid.,  II,  p.  300.  Amari  octogénaire  n'était  plus  à  Rome, 
mais  commençait  en  «  invalide  ;),  à  Pise,  sa  quatre-vingt- 
unième  année. 

1  Ibid.,  II,  p.  253-254,  et  plus  haut,  p.  210. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  217 

sation,  lorsciiic,  en  scptcml)re  1<S81,  il  se  rendit,  en 
conipa<^nie  d'Ascoli  el  de  Fleeliia,  au  cin(|uiènie  Con- 
grès des  orientalistes,  dont  le  siè<,^e  était  Berlin.  l)'aj)rès 
ses  conlidenees  à  Olto  Hartwig',  il  voya^^ea  a  la  nia- 
nièie  d'nn  sourd-niiiel  et  hâta  d'autant  plus  son  retour 
à  Florence,  puis  à  Home,  que^  malgré  ki  courtoisie  des 
professeurs  allemands,  il  soufTrait  de  son  ignorance 
et  s'ennuyait  de  parler  par  interprète,  que  le  j)ère  de 
famille  s'accusait  de  faire  tort  à  ses  trois  enfants  si, 
après  avoir  refusé  les  subsides  du  ^hnistère,  il  ne  res- 
trei<4nait  pas  sa  dé[)ense  à  l'indispensable.  (>'est  en  veitu 
de  ces  considérations  ({u'il  ne  répondit  pas  à  l'invita- 
tion du  plus  lidèle  correspondant,  Otto  Hartwig,  et 
qu'il  s'abstint  de  faire  un  crochet  jiar  Halle,  où  il  aurait 
aimé  faire  sa  connaissance  personnelle,  lui  serrer  la 
main  et  parcourir  sa  riche  i)ibliolhèque.  Mais  il  ne  sut 
pas  résister  à  la  tentation  de  s'arrêter  au  retour  pour 
quel([ues  heures  à  Leij)zig  et  de  «  se  trouver  face  à  lace, 
dit  Amari  -,  avec  le  bon  b'ieischer,  ami  épistolaire,  et 
qui,  pour  cela,  ne  m'était  ni  moins  bienveillant,  ni 
moins  aimé  ^.  ;> 

Le  12  septembre,  à  la  séance  d'ouverture  coïncidant 
jour  pour  jour  avec  la  date  de  celle  qu'il  avait  présidée 
à  Florence  en  l(S7cS,  Amari  avait  ollert  au  Congrès  de 
Berlin  deux  primeurs  :  les  premiers  exem})laires,  sortis 
des  presses  depuis  peu  de  jours,  de  sa  Bibiioleca  Arabu- 

'  Cartcgyio,  II,  p  2ô5,  Michèle  Amari  à  Otto  Martwig,  de 
Florence,  22  septembre  1.S81  ;  cf.  p.  2.>7  et  258. 

■^  IbicL,  II,  p.  254,  même  lettre. 

^  Plus  haut,  p.  162  et  209.  Pleischer  avait  adhéré,  mais  n'avait 
pas  assisté  au  Congrès;  voir  Verhandluiujen  des  fiinflen  inler- 
nazioiuden  Orieiitali.slen-Coiigresses  geliallen  zu  Berlin  in  Sep- 
tember  ISSl  (Berlin,  Î8bl  j.  p.  4  et  19. 


218  Opuscules  d'un  arabisant 

Siciila,  traduite  en  italien  ^  et  de  ses  Epigrafi  arabiclie 
di  Sicilia,  recueil  d'épigraphes  tombales-. 

Le  six  centième  anniversaire  des  Vêpres  siciliennes 
allait  avoir  son  échéance  le  30  mars  1882.  La  commé- 
moration de  cette  délivrance  occupait  Amari  avant 
son  départ  pour  Berlin,  elle  l'absorbe  depuis  son  retour. 
Sa  crainte  la  plus  vive  est  que  le  souvenir  de  la  libé- 
ration aragonaise,  qui  a  affranchi  la  Sicile  de  la  domi- 
nation angevine,  ne  fournisse  une  occasion  aux  senti- 
ments anti-français  ^  de  s'épancher  par  des  provoca- 
tions inconsidérées.  A  propos  de  Charles  d'Anjou  ^,  les 
têtes  chaudes  et  les  révolutionnaires  comptaient  peut- 
être  dire  son  fait  à  la  Piépublique  voisine  et  à  ses 
hommes  d'Etat.  Une  solennité  «  académique  »  ^,  avec 
«  des  discours  lus  et  des  travaux  imprimés  g  »,  com- 
posés en  vue  de  la  circonstance  par  des  Siciliens,  avec 
des  hommages  aux  ancêtres  morts  pour  la  bonne  cause, 
avec  la  fierté  de  l'unité  nationale  englobant  désormais 
la  Sicile  italienne  et  l'Italie  sicilienne,  voici  quelle  était. 


^  Verhandliingen,  p.  46  et  126  ;  cf.  Carteggio,  II,  passages 
cités  plus  haut,  p.  162,  note  1.  C'était  l'édition  in-4o  dont  Amari 
avait  fait  hommage  au  Congrès  de  Berlin . 

■2  Documenli  per  servire  alla  Storia  di  Sicilia  piihblicali  a  cura 
délia  Società  Siciliana  per  la  Storia  Palria.  Terza  série.  Epi- 
grafia.  Vol.  I,  fasc.  2,  Palermo,  Virzi,  1881.  Le  premier  fascicule 
avait  paru  avec  la  même  estampille  en  1879.  Voir  le  Carteggio^ 
II,  p.  245  et  256. 

^  Amari,  dans  la  courte  introduction  de  «  l'auteur  au  lecteur», 
placée  en  tête  de  son  Racconlo  popolare  del  Vcspro  Siciliano 
(Roma,  1882)  et  reproduite  intégralement  en  note  dans  le 
Carteggio,  II,  p.  263-264;  cf.  Amari,  ibid.,  II,  p.  260,  263,  264, 
271-275. 

'*  Ibid.,  II,  p.  256,258,  271,  273,  275,  276,302. 

5  C'est  ce  qu' Amari  recommande  aux  schaikhs  palermitains  ; 
ibid.,  II,  p.  249'. 

^  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  268,  n. 


Notice  sur  Micliele  Aiiiari  211i 

aux  }'eux  (rAinari,  la  manière  la  |)liis  dimu'  d'un  peuple 
libre  de  faire  eouuailre  au\  géuéralions  nouvelles 
les  saerifices  sanglants  alIVontés  par  les  insurree- 
lions  aneiennes.  Aniari  lui-niènie  s'élail  assigné  ><  son 
trihul  '  »  d'hisloiien  patriote  dans  cet  échaiii^e  de  com- 
munications sur  un  même  sujet  (pii  serait,  à  ce  moment 
précis,  dans  tous  les  cœurs  et  sur  toutes  les  lèvres  :  la 
Narration  populaire  des  \'èj)res  siciliennes  était  résolue 
par  lui  dans  l'été  de  1881  et  Amari  avait  eu  rinlention 
d'en  éerire  aussitôt  le  commencement  dans  sa  villéi^ia- 
ture  de  la  Concczione  '-.  Il  ne  se  mit  à  Tcruvre  (pi'après 
son  retour  à  Rome,  au  commencement  d'octobre  :  le 
récit  sommaire,  qui  se  rattaclie  plutôt  à  la  8"  qu'à  la 
9"  édition  du  Vrspro,  puiscpi'il  est  antérieur  aux  acces- 
sions provenant  de  Barcelone  et  de  Nai)les,  lut  publié 
à  Rome  en  février,  assez  à  temps  pour  être  répandu  à 
Palerme  et  dans  l'île  avant  le  grand  jour  3. 

Les  massacres  émancipateurs  de  1282  ne  pouvaient 
être  prétextes  dilluminations  et  de  bals,  comme  d'au- 
cuns 1  auraient  voulu  '.  Le  sani^  versé  au  xui*^  siècle 
méritait  d'être  rappelé  sans  apoloi^ie  par  des  bommages 
funèbres  aux  victimes,  plulcU  ([ue  d'être  insulté  au 
xix^  par  des  réjouissances  publiques,  plus((  populaires  » 
que  le  Racconlo''  dans  les  rues  ([u'il  avait  douloureuse- 
ment et  eruellement  arrosées''.  La  Socicla  Siciliaiia  pcr 
la  Sloria  Pallia   organisa  jiour  le  30  mars  1882   une 


*  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  259. 
^  Amari,  ihid.,  II,  p.  250. 
3  Amari,  ihid.,  II,  p.  250,  259,  271. 
'*  Amari,  ibid.,  Il,  p.  259. 

■^  Le  titre  de  ce  résume  en  102  pages  est  :   Racconlo  popolare 
del  Vespro  Siciliaiio,  Homa,  Forzani,  1882. 
^  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  200. 


220  Opuscules  d'un  arabisant 

«  séance  extraordinaire^  »,  qui  serait  tenue  dans  la 
salle  des  pierres  du  Palais  de  ville  -,  sous  la  présidence 
du  marquis  de  Torrearsa^.  Cette  fête  politique,  locale 
et  littéraire  fut  ouverte  par  une  allocution  du  Prési- 
dent. Ensuite  Francesco  Lanza,  prince  di  Scalea,  aux 
applaudissements  unanimes  de  l'assistance  distinguée 
et  nombreuse,  offrit  solennellement,  en  qualité  de  Pré- 
sident de  la  commission  executive,  à  l'un  des  deux  Pré- 
sidents honoraires  de  la  Socieià  '%  à  l'auteur  du  Vespro, 
à  Michèle  Amari,  une  médaille  d'or  frappée  en  son 
honneur,  par  souscription  des  corps  savants  et  ensei- 
gnants, ainsi  que  des  Sociétés  et  députations  histo- 
riques d'Italie,  et  un  album  contenant  les  noms  des 
souscripteurs.  Le  marquis,  très  ému,  ajouta  quelques 
paroles  touchantes,  affectueuses  et  passionnément  dithy- 
rambiques pour  l'ancien  ami,  pour  l'exilé  d'autrefois,  le 
médaillé  du  jour.  Le  16  avril,  Isidoro  Carini  écrit  de  Bar- 
celone à  Michèle  Amari  ^  :  «  Je  comprends  l'émotion  du 
vénérable  marquis  di  Torrearsa.  Un  témoignage  donné 
d'un  commiin  accord  par  un  pays  entier  au  vrai^  mé- 

1  Sesio  centenario  ciel  Vespro.  Tornata  straordinaria  délia 
Società  Sicilioiia  per  la  Sloria  Palvia  iiel  di  XXX  marzo  1882. 
«  Fascicule  extraordinaire  »  (31  p.  in-4")  de  VArchivio  storico 
sicilianOy  nouvelle  série,  année  VII  (Palermo,  tipografia  del  gior- 
nale  «  Lo  Statuto  »,  1882.  Le  fascicolo  slraordinario  est  analysé 
par  D'Ancona,  dans  le  Carteggio,  II,  au  bas  de  la  p.  269. 

-  Sala  délie  lapididel  Palazzo  di  cilla. 

3  L'orthographe  du  nom  flotte  entre  Torrearsa  et  Torre  Arsa. 
En  un  seul  mot  dans  le  «  Fascicule  extraordinaire  »,  elle  est  en 
deux  mots  dans  la  liste  des  membres  du  bureau  pour  1881,  ibid., 
Nouvelle  série,  Année  VI  (Palermo,  1881),  p.  III.  De  même,  le 
plus  souvent,  dans  les  deux  volumes  des  Memorie  délia  Rivolii- 
zioiie  Siciliana  dell'  anno  MDCCCXLVIII  (plus  haut,  p.  150,  n.  2). 

»  L'autre  Président  honoraire  était  le  sénateur  Francesco 
Perez,  l'ami  et  le  correspondant  d'Amari. 

5  Carleggio,  II,  p.  268-269. 

*  Les  mots  imprimés  en  italiques  sont  soulignés  dans  l'ori- 
ginal. 


Notice  sur  Miclicle  Aiiiari  221 

rite,  voilà  ce  qui  se  voit  bien  rareinenl.  »  Le  l)el  ordre 
du  jour  portail  enliii,  pour  la  chMure,  la  lecture  par 
Ainari  d'un  discours,  coFUj)osé  expressément  par  lui, 
sur  r«  Ordonnance  de  la  Uépul)li(pie  sicilienne  de  12(S2  »>. 
La  belle  baranuiue  bistoricjue  se  termina  |)ar  des  sou- 
venirs j)lus  actuels  au  u  vaillant  et  loyal  N'ictor  l^^ma- 
nuel  »  et  à  «  Giuseppe  Garibaldi  dans  la  viirneur  de 
rà^e  » -.  Il  importait  (ju'en  pai'cil  moment,  ces  deux 
grands  noms,  omis  par  les  piécédents  orateurs,  ne 
fussent  ni  oubliés,  ni  passés  sous  silence. 

Micbelc  Amari,  (pii  fut  «  Tàme  •  »  de  ce  mémorial 
sat^e,  calme  et  rassurant  au  dedans  et  au  deliors,  se 
prodi^^uia  dans  les  réunions  privées  qui  suivirent  cet 
après-midi  d'ovations  ])our  les  services  lendus  par 
le  «vieux  patriote^»  qu'il  était.  Le  soir  même,  il  fit 
une  conférence  au  (k'rcle  pbilologique  de  Palerme 
«  sur  l'origine  de  la  dénomination  Vcspro  Siciliano  ^  ». 
Le  2  avril,  au  banquet  des  journalistes,  il  suscita  d'in- 
justes polémicpics  par  un  toast  inolïensif  (piil  i)orta  et 
c[ue  certains  auditeurs  dénoncèrent  comme  une 
olTense  aux  légitimes  susceptibilités  italiennes  vis-à-vis 
la  France.  La  presse  s'empara  de  l'incident  pour  le 
grossir,  le  dénaturer  et  renvenimer.  Amari,  troublé 
par  ce  malentendu,  protesta  contie  les  fausses  inter- 
prétations de  ses  pensées  et  de  ses  paroles,  reprocha 
vivement  à  ses  concitovens  leur  ingratitude  contre  leur 
alliée  de  1859  et  fil  un  tableau  enthousiaste  de  l'accueil 
sympathique  et  empressé  ([u'aussitôt  après  et  malgré 

*  Archiuio  storico  siciliano  de  1882,  Fascicolo  slraordinario, 
p.  31.  Sur  le  maintien  des  relations  personnelles  entre  Amari  et 
(raribaldi,  voir  le  Carteggio,  II,  p.  221. 

-  Expression  de  Tommasini,5c/7///,  p.  Ml. 

^  Amari,  dans  le  Carlcggio,  II,  p.  21)0. 

'  Tommasini,  .Scr////,  p.  346;  D'Ancona,  dans  le  Carlcggio,  II, 
p.  395. 


222  Opuscules  d'un  arabisant 

la  première  édition  du  Vcspro,  il  avait  reçu  des  Fran- 
çais les  plus  éminents^ 

Voici  en  quels  termes,  le  5  avril  1882,  Amari  fait  ses 
adieux  au  Syndic  de  Palerme  et  à  sa  ville  natale-  : 
«  Ma  conscience  me  dit  que  j'ai  été  comblé  de  trop 
d'honneurs  et  qu'ils  prouvent  l'àme  généreuse  des 
citoyens  dont  ils  émanent.  Mais^  je  ressens  de  plus 
au  fond  de  mon  cœur  combien  est  vrai  le  proverbe  : 
l'amour  se  paye  avec  de  l'amour.  Mes  concitoyens  ont 
deviné,  avec  leur  intuition  si  prompte  et  si  sûre,  mon 
attachement  à  cette  cité  splendideetà  ce  grand  peuple. 
Oh  !  quelle  joie  j'éprouve  chaque  fois  que  je  revois 
Palerme  toujours  plus  ornée,  plus  florissante  par  l'in- 
dustrie et  le  commerce,  plus  civilisée,  plus  digne  de  la 
liberté  dont  jouit  l'Italie,  plus  associée  au  sentiment 
national,  qui  est  la  gloire  et  la  protection  de  tous  !  » 

La  rentrée  à  Pxome  ne  fut  qu'une  halte  pour  y  pren- 
dre les  dernières  mesures  et  pour  y  faire  les  derniers 
préparatifs  du  départ  pour  Pise,  selon  un  projet  con- 
certé entre  le  mari  et  la  femme,  inspiré  par  le  désir  de 
relever  la  santé  défaillante  de  la  chétive  Luisa  Amari, 
réalisé  sans  remise  comme  sous  la  pression  d'une 
nécessité  urgente.  Et  pourtant  les  années  passées  à 
Rome  s'étaient  écoulées  dans  le  calme  et  dans  la 
sérénité. 

L'appartement,  dans  lequel  Amari  menait  une  vie 
claustrale  d'ermite  3,  mais  d'ermite  entouré  et  gâté 
par  son  entourage,  n'était  entre-bâillé  qu'au  profit   de 

1  Caiieggio,  II,  p.  232,  2ô3  et  270-275;  cf.  plus  haut,  p.  112. 
«  Jetons  autant  qu'il  dépend  de  nous  un  drap  mouillé  sur  ces 
matières  inflamm^ibles.  »  Renan  à  Amari,  le  22  avril  1882,  ibid., 
II,  p.  276. 

2  Ibid.,  II,  p.  266. 

3  Amari,  ibid.,  II,  p.  262.  Il  habita  jusqu'à  son  départs,  Piazza 
del  Esqiiiliiio  ;  voir  plus  haut,  p.  206,  n.  2. 


Notice  siii*  Miclich*  Aiiiari  *2*2l^ 

quelques  amis  inlinu-s  triés.  Oi',  dans  la  rue,  il  élail 
inq)ossil)le  de  ne  rencontrer  (jue  ces  privilégiés.  D'autres 
conlaels  lacheux  imposaient  à  sa  notoriété  au  moins 
des  politesses  dont  il  s'aecpiiltail  en  mau<>réant  :  «  Vrai 
diamant  (jue  la  civilisation  n'avait  pas  laeetté  au  détri- 
ment de  son  originalité,  il  conservait  une  ingénuité 
aimable  comme  tous  les  vrais  savants.  Scrupuleux  i)our 
tous  ses  devoirs,  il  était  intolérant  et  montrait  claire- 
ment son  mépris  aux  i)ersonnes  suspectes  de  peu 
d'honnêteté.  Souvent  un  salut  ostensible  pi'ovoquait 
cliez  lui  un  i>ro^ncmcnt  significatif  ([ui  amusait  fort  ses 
amis  présents.  *  » 

Pour  se  soustraire  au  dan<^er  des  impressions  désa- 
gréai)les,  Amari  se  réfugiait  dans  son  ermitage,  s'y  can- 
tonnait et  s'y  enfermait,  travaillait  toujours,  écrivait  et 
n'allait  plus  au  Sénat  (ju'aux  rares  jours  de  séance, 
parfois  aussi  quelques  minutes  pour  y  lire  un  journal 
ou  pour  y  consulter  un  livre  à  la  l^ibliothécpie-.  Apres 
sa  maladie  de  Florence  en  1872'^  il  avait  re])ris  l'écpii- 
libre  de  son  tem})érament  robuste,  de  sa  santé  de  fer, 
inaccessible  aux  refroidissements  et  aux  maux  de  tête  ^ 
ses  habitudes  de  lever  matinal,  de  travail  avant  l'aurore'', 
d'humeur  égale,  d'activité  sans  surmenage,  de  sorties 
quotidiennes,  sans  excès  de  fatigue,  dans  les  rues  et 
les  promenades  les  plus  désertes,  de  courses  à  la  cam- 


'  Extrait  d'une  Icllre  que  M'"*^^  Amari  m'a  fait  ilionncur  de 
m'écrirc  de  Home,  le  (î  mai  1902. 

-  Amari,  dans  le  (Aiiicggio,  II,  j).  2()2;  cf.  p.  259. 

^  Plus  haut,  p.  200. 

*  Amari,  dans  le  Carlcyyio,  II,  p.  217;  cf.  p.  209,  '215,  249,  25G. 
En  1878,  Amari  soullVit  à  l'œil  gauche  d'un  mal  extérieur  passa- 
ger, sans  péril,  mais  non  sans  douleur,  qui  interrompit  ses 
travaux:  cf.  ibid.,  II,  p.  240. 

^  Tommasini,  Scritli,  p.  348;  Carteggio,  II,  p.  22G;  cf.  p.  3o7  et 
plus  haut,  p.  158,  n.  2. 


224  Opuscules  d'un  arabisant 


pagne  avec  le  bambin',  d'internement  le  soir  dans  la 
douceur  suave  des  liens  familiaux,  dans  le  charme  des 
entretiens  intimes  avec  la  plus  délicieuse  des  épouses. 
Son  mariage  avec  elle  l'avait  transfiguré  -.  Celle-ci  se 
levait  très  tard,  vaquait  à  son  ménage,  faisait  ou  des 
courses  ou  des  visites,  lisait,  peignait^,  s'accordait  la 
sieste  de  midi  et  s'étendait  volontiers  quelques  heures 
pendant  l'après-midi  pour  réserver  le  soir  à  son  mari 
un  visage  frais  et  reposé,  une  société  réconfortante. 
Quant  aux  trois  enfants,  c'étaient,  au  dire  de  leur 
père,  qui  les  choyait  et  les  adorait  «  trois  diables  *  », 
qui  aimaient  avec  frénésie  les  jeux  et  les  gâteaux  %  qui 
«  poussaientà  vue  d'œil,  sains,  éveillés  et  excellents '')), 
qui  se  développaient  normalement  et  qui,  à  part  en 
1877  une  scarlatine  inquiétante  de  Michelino,  heureu- 
sement guéri  ",   n'avaient  jamais    été  malades.  Leurs 


1  Carteggio,  II,  p.  245. 

-  Lettre  de  M'"^  Amari,  du  6  mai  1902;  plus  haut,  p.  223,  n.  1. 
^  La    «  chère  artiste  »  (Madame   Michelet  à   Michèle  Amari, 

Hyères,  26  janvier  1872,  dans  Madame  Jules  Michelet,  Les  Chats, 
p.  306),  élève  d'Ary  Scheffer,  avait  obtenu,  en  1862,  à  l'exposition 
régionale  de  Florence  une  médaille  de  bronze  pour  une  nature 
morte. 

'*  Carteggio,  II,  p.  248. 

•^  Ibid.,  même  lettre  d'Amari  à  Tullo  Massarani,  du  23  dé- 
cembre 1880  :  ft  Chaque  année,  maintenant,  vous  jetez  dans  la 
maison  le  tison  de  la  révolte.  Hier,  à  l'arrivée  de  votre  triomphal 
pain  de  Milan,  il  s'éleva,  avant  les  cris  de  joie,  certains  cris  stri- 
dents comme  ceux  de  l'aigle  se  jetant  sur  sa  proie.  Mon  aînée 
redevint  une  gamine  de  six  ans;  Michèle  mit  de  coté  le  latin  et 
commença  à  distribuer  des  coups  de  poing  d'allégresse  à  ses 
sœurs,  qui,  à  leur  tour,  voulurent  prouver  qu'elles  sont  nées 
dans  le  siècle  de  l'égalité  (j'espère  bien  que  ce  ne  soit  pas 
l'émancipation)  de  la  femme.  En  somme  ce  fut  une  èbullition, 
une  diablerie,  une  ivresse  presque  féroce.  »  Charles  Dejob  m'in- 
forme que  le  panettone  est  un  gâteau  milanais  aux  raisins  de 
Corinthe. 

6  Jbid.,  II,  p.  262. 

-  Ibid.,  II,  p.  232. 


Notice  sur  Mîcliele  Aiiiuri  22.1 


éducations  allaient  subir  un  temps  d'arrêt  par  le  trans- 
iert  dans  une  résidence  nouvelle,  par  un  chanf^enienl 
de  direction  et  de  méthode  sous  d'autres  maitres,  pro- 
fesseurs publics  et  particuliers,  hommes  et  lemmes. 

Le  2.')  avril  1882,  l'ancien  Ministre  des  finances  Quin- 
tino  Sella  écrit  à  Michèle  Amari,  son  confrère  aux 
Lincci^  :  «  Je  considère  comme  un  désastre  pour  l'Aca- 
démie et  i)our  le  Sénat  que  tu  ((uittes  Home.  Mais  je 
n'ose  en  dire  davantai^e  devant  la  sainteté  des  raisons 
(pie  lu  nralk\i4ues  Tes  deux  ^^^entilles  demoiselles,  ton 
petit  si  pétulant,  dont  j'ai  vu  si  souvent,  avec  tant  de 
satisfaction,  les  faces  dans  la  Via  Xazioiudc,  m'intéres- 
sent trop,  moi  aussi,  pour  que  je  ne  prenne  pas  à  cœur 
tout  ce  qui  concerne  leur  bien.  » 

Le  besoin  impérieux  du  déplacement  fut  un  facteur 
déterminant  dans  la  résolution  prise  par  les  Amari  et 
réalisée  par  eux  le  3  juillet  1882  -.  I^nir  séjour  à  Pise, 
où  Amari  pensait  finir  sa  vie  '^,  dura  six  ans  et  demi. 
Ils  y  déménagèrent  au  moins  trois  fois  ^  avant  de 
reprendre  le  chemin  de  Rome,  sans  compter  les  départs 
annuels  pour  la  Concezione,  où  l'on  séjournait  chaque 
été  depuis  l'entrée  en  vacances  des  enfants  jusqu'en 
octobre  ^.  Une  fois  même,  en  1885,  on  s'évada  vers  les 
hauteurs  de    l'Abetone,   à    1294  mètres  au-dessus   du 


*  Caiicggio,  II,  p.  276. 

'^  Amari,  ibid.,  II,  p.  277. 

3  Amari,  ilnd.,  II,  p.  280. 

^  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  278,  n.  1.  Peu  durable  fut  rencliante- 
ment  produit  sur  Amari  par  sa  première  habitation,  Via  Lnvac/na, 
à  quelques  pas  de  l'église  San  Paoto  a  Ripa  dAriio.  o  C'est,  écrit 
Amari,  à  Tullo  Massarani  (ibid.,  II,  p.  277),  une  petite  villa  assez 
commode,  avec  un  jardin  comble  de  choux  et  de  radis  qui  vont 
être  extirpés  pour  céder  le  terrain  aux  Ileurs.  » 

=  Ibid.,  IL  p.  212,  234,  253,  255,  256,  300,  305;  G.  Pipitone 
Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez,  p.  118. 

le 


226  Opuscules  d'un  arabisant  i 

i 

! 

niveau  de  la  mer.  Les  voyageurs  montèrent  en  voiture     i 
à  Pracchia  le  26  juillet  à  deux  heures  et  arrivèrent  le     : 
soir  à  sept  heures  sur  les  sommets,  d'où  ils  ne  redes-     j 
cendirent  qu'à  la  fni  d'octobre.  Amari  venait  d'achever 
la  neuvième  édition  du    Vespro,  y  compris  la  Prefa- 
zione,  datée  de  Pisa,   liiglio    1885  K    L'éditeur   ne  le 
harcèlera  pas  dans  sa  retraite  et  dans  son  besoin  d'un 
repos   bien  gagné.  Amari  écrit   à  Tullo  Massarani  le     ; 
lendemain  de  son  ascension  ^  :  «  Des  fraises,  j'en  ai  vu     i 
et  mangé;  des  fleurs,  des  sapins,  j'en  ai  les  yeux  rem-    j 
plis,  mais  aucune  bergerette,  même  laide.  Par-dessus 
tout,  l'air  est  délicieux^  on  sent  la  vie  entrer  dans    les    i 
poumons  et  le  sang  circuler  plus  librement,  avec  plus 
de  vigueur.  Hélas  !   que  ne  me  rend-il  celle   de  mes    i 
vingt   ans,    ni   même    celle   de   mes  soixante  ans?  Je 
m'essaie  à  gravir  la  pente  et  je  retombe  en  bas.  Mais    i 
les  enfants  courent  sus  à  travers  la  montagne  et  à  Ira-    ; 
vers  le  bois,  qui  est  une  délice.  Louise  est  fort  contente    i 
de  l'air  qu'on  respire  ici.  )) 

De  retour  au  bercail  de  Pise,  Amari  reprit  allègre-  : 
ment  son  collier  de  labeur  incessant,  se  rendant  à  lui-  i 
même  la  justice  qu'il  «  travaille  à  peu  près  comme  dans 
sa  jeunesse,  quoique  la  80  année  s'approche,  prête  à 
tomber  sur  ses  épaules  ^  ».  Il  y  a  naturellement  des 
hauts  et  des  bas  chez  l'octogénaire.  D'une  part,  le 
30  juin  1886,  il  se  plaint  de  sa  «  santé  gravement  alté- 
rée depuis  deux  mois,  surtout  des  difficultés  qu'il 
ressent  à  marcher  vile,  ou  après  le  dîner  et  cela, 
d'après  les  médecins,  sans  lésion  au  cœur  ^  ».  «  L'inva- 
lide j^  5,  d'autre  part,  reconnaît  une  semaine  plus  tard 


'  Plus  haut,  p.  212,  et  Carleggio,  II,  p.  292. 

2  Ibid.,  II,  p.  294. 

^  Amari  à  Renan,  ibid.^  II,  p.  296. 

''  Amari,  ibid.,  II,  p.  297;  cf.  p.  299  et  301. 

5  Amari,  ibid.,  II,  p.  300  et  301. 


Notice  sur  Miciiele  Aiiiari  227 

que  ((  pour  le  reste  la  maeliiiie  va  de  ravaiit  coiiiine  le 
veut  la  physiologie  '  » . 

Le  7  juillet  18(S6,  Amari  fut  témoin  de  sa  lé^^itime 
apothéose,  sanetionnée  par  l'opinion  puhlicpie,  au 
quatre-vingtième  anniversaire  du  Jour  (pie  ses  j)èrc  cl 
mère,  dès  sa  première  enfance,  lui  avaient  indicpié 
comme  celui  de  sa  naissance,  leur  dire  étant  conliiiné 
par  les  registres  de  la  i)ar()isse  de  Sauf  Antonio  à 
Palerme  -.  Une  commission,  constituée  à  Palerme, 
s'était  réunie  le  25  février.  De  vieux  amis  d'Amari,  le 
mar(piis  di  Torrearsa  et  rarchéologue  Antonio  SaHnas 
y  siégeaient  avec  de  plus  récents  admirateurs  du  patiiote 
et  du  savant.  L'institution  d'un  Prix  Amaii,  réservé 
aux  études  d'histoire  sicilienne  et  de  lamjiues  orien- 
taies,  fut  décidé  à  l'unanimité  et  la  Faculté  phih)>o- 
phico-littérairc  de  l'Université  de  Palerme  fut  chargée 
de  le  décerner  •*^.  Une  souscription  puhlique  fut  orga- 
nisée, r^rnest  Renan  et  Gahriel  Monod  lancèrent  un 
appel  dans  la  Revue  historique  ^  pour  «  recommander 
celte  souscription  excellente  à  ceux  de  leurs  confrères 
qui  ont  le  goût  du  vrai  en  histoire  ».  Ernest  Renan  eut 
beau  montrer  «  la  trace  lumineuse  »  laissée  par 
Michèle  Amari  dans  les  études  sur  la  Sicile  musulmane, 
en  même  temps  qu'il  vantait  la  m  vive  imj)ression  » 
que  lui  avaient  fait  éprouver  «  son  courage,  sa  sérénité, 


*  Amari,  dans  le  CartC(/(/io,  II,  p.  299. 

2  Amari,  ibid.,  II,  p.  298. 

^  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  302-303.  Le  Premio  Amari  avait  été 
imaginé,  à  l'imitation  du  Flcisclii'r-Sli})cndiiim,ins['i[uc  ii  Lcipzij^ 
en  1874  au  cinquantième  anniversaire  du  doctorat  de  Fieischer. 
Sur  mon  illustre  maître,  voir  plus  haut,  p.  217,  et  la  récente 
biographie,  par  Ignaz  Goldziher,  dans  la  Allgemeiiie  Deuslche 
Biographie,  XLVIII  (Berlin,  1904),  p.  584-594. 

^  Revue  historique,  XXXIII  (Paris,  1887),  ]).  393,  reproduite  par 
D'Ancona  dans  le  Carteggio,  II,  p.  303. 


228  Opuscules  d'uu  arabisant 

sa  haute  philosophie,  qui  lui  rappelait  celle  de  Littré  »  ; 
il  eut  heau  retracer  sa  «  vie  si  pure,  si  noblement 
remplie  »  ;  Gabriel  Monod  eut  beau  insister  sur  ce  que 
<(  Michèle  Amari  a  prouvé,  lors  de  la  souscription 
ouverte  pour  le  monument  de  Michelet^  qu'il  n'avait 
pas  oublié  l'hospitalité  de  la  France,  ni  l'accueil  de  ses 
savants  ».  L'indifférence  et  l'oubli  firent  échouer  cette 
propagande  hardie  et  généreuse  de  deux  esprits  aussi 
nobles  que  persuasifs  en  faveur  d'un  de  leurs  rares 
pairs.  Si  je  suis  bien  informé,  une  seule  adhésion  se 
joignit  à  la  leur  :  celle  de  mon  ami  et  collègue  Henri 
Cordier. 

On  n'infligea  pas  cette  fois  au  vieillard  les  fatigues 
incompatibles  avec  sa  santé  délabrée  et  l'affaissement 
de  son  corps.  L'enthousiasme  ne  déborda  ni  dans  la 
rue,  ni  dans  le  théâtre  d'aucune  cérémonie  d'apparat. 
UAccademia  deiLincei  envoya  une  adresse  à  son  membre 
transfuge  pour  le  convier  à  revenir  partager  ses  travaux 
et  à  reprendre  son  assiduité  coutumière.  La  Criisca  ne 
resta  pas  muette.  La  Società  Sicilianaper  la  Stoiia  Patria 
de  Palerme  n'oublia  pas  ses  souhaits  à  l'un  de  ses  deux 
présidents  honoraires.  L'Université,  l'Ecole  normale 
supérieure  '  et  les  autres  corps  enseignants  de  Pise  inter- 

*  Il  a  été  question  plus  haut,  p.  189,  de  cette  Ecole  Normale 
supérieure,  dirigée  en  1864  par  Pasquale  Villari.-  Fondée  par 
Napoléon  le""  en  1813  comme  sœur  puînée  et  comme  une  «  suc- 
cursale »  de  la  nôtre  et  destinée  par  lui  à  préparer  le  personnel 
de  l'enseignement  secondaire  dans  la  péninsule,  elle  ferma  ses 
portes  en  1814  pour  être  rétablie  par  le  Duc  de  Toscane  Léo- 
pold  II  en  1846,  annexée  en  1860,  dotée  et  réorganisée  en  1862 
par  le  ministre  Matteucci  afin  qu'elle  pût  suffire  aux  besoins  de 
l'Italie  unifiée.  Mon  confrère,  Alessandro  D'Ancona,  si  rensei- 
gné et  si  obligeant,  m'a  mis  à  même  d'étudier  ce  rouage,  son 
fonctionnement  et  ses  effets,  en  menvoyant:  1^  Kotizie  storiche 
sulla  R.  Sciiola  normale  siiperiore  di  Pisa,  dans  les  Annali  délia 
R.  Sciiola  normale  siiperiore  di  Pisa.  Scienze  fisiche  e  maiemati- 


Notice  sur  Michole  Aiiiari  229 

vinrent  par  leurs  lioniniai>es  et  leurs  félieitalions.  Les 
cadeaux  ',  les  Ulét^raninies  et  les  lettres  allluèrent  avec 
des  congratulations  ollicielles  et  privées,  collectives  et 
personnelles,  à  riionime  du  jour.  Quant  au  roi  d'Italie 
Ilunihert  1 ',  en  voyage  le  7,  il  lit  parvenir  (juihiues 
jours  a])iès  à  rillustre  Palerniilain,  en  Louise  de  «  présent 
réparateur  i>,  la  grande  croix  des  deux  Saints  -,  accom- 
pagnée d'une  «  très  belle  lettre  »,  dans  hupielle  Sa 
Majesté  exprimait  le  regret  de  n'avoir  pu  donner  aucun 
signe  autre  de  sa  haute  considération  pour  le  jubilaire"^. 
Les  u  Allemands  bénis  »  célébrèrent  les  quatre-vingts 
ans  d'Amari  à  leur  manière  et  pour  leur  comj)le,  Tai- 
sant bande  à  part  malgré  leur  communion  d'idées  et 
de  sentiments  avec  les  autres  manifestants.  Leur  sys- 
tème a  été  appelé  par  Amari  lui-même  «  l'oraison 
funèbre  des  vivants  »  K  Docteur  honoris  causa  df^  Leide 
depuis  1875,  de  Tubingue  depuis  1877,  il  reçut  le 
7  juillet  1886  un  diplôme  de  docteur,  emphatiquement 
laudatil",  décerné'  par  VOrdo  philosoplioriun  de  l'Uni- 
versité de  Strasbourg  \  De  Berlin  il  avait  reçu  en  1884 
Tordre   civil  pour  le   mérite,    limité    à    30   membres. 


che,  I  (Pisa,  1?^71),  p.  I-XLVTII;  2"  Elcnco  dcf/li  (iluniiii  esciti 
dalla  R.  Scnola  normale  superiorc  di  Pisa  finoali  anno  /cS%'(Fisa, 
1896),  30  p. 

'  Franccsco  Ferez  est  remercié  de  son  «  cadeau  »  par  une 
lettre  tardive  d'Amari  du  26  novembre  1886,  puljliee  par  G. 
Pipitone  Federico,  Michèle  Amari  e  Fraiicesco  Ferez,  p.  120. 

2  Les  deux  Saints  sont  Maurice  et  Lazare. 

^  Amari,  dans  le  Carlccjfjio,  II,  p.  301.  Il  y  a  une  pari  de  con- 
jecture dans  mon  énumération  des  adresses  envoyées  et  reçues 
à  cette  occasion. 

*  Ibid.,  II,  p.  301. 

"  D'Ancona,  ibid.,  IL  p.  395;  cf.  p.  301.  La  rédaction  ampoulée 
de  ce  diplôme,  amusant  spécimen  du  formulaire  amphigourique 
conforme  au  protocole,  a  été  reproduite  tout  au  long  dans 
Tommasini,  Scritli,  p.  347,  n. 


230  Opuscules  d'un  arabisant 

simultanément  avec  son  élection  presque  à  l'unanimité 
de  <<  membre  correspondant  »  par  T Académie  des 
sciences  '.  Plusieurs  membres  de  sa  classe,  Weber, 
Mommsen,  Kiepert,  etc.,  lui  firent  parvenir  le  6  juillet 
1886  leurs  vœux  au  nom  de  la  Compaguie  '-. 

Le  vétéran  honoré,  le  «  sage  accompli  »  \  comme 
l'appelle  Renan,  ne  se  résignait  pas  à  vieillir,  ce  Mes 
amis,  écrit-il  au  lendemain  de  sa  glorification  publi- 
que ^  aiment  à  se  faire  illusion  ou  croient  faire  œuvre 
de  charité  en  me  flattant,  mais  je  sens  le  poids  d'une 
grave  maladie.  Je  mange  bien,  je  digère  mieux,  je  dors 
tranquille  et  je  puis  encore  travailler.  Mais^  à  la  suite 
du  moindre  mouvement  un  peu  rapide,  c'est  la  lassi- 
tude ou  le  vertige .  » 

Les  symptômes  de  la  décadence  et  du  déclin  n'em- 
pêchent pas  Amari  de  faire  des  projets  d'avenir  et  de 
ne  pas  considérer  sa  journée  comme  finie.  Il  continue 
à  «  courir  les  bibliothèques,  à  feuilleter  les  vieux  ma- 
nuscrits »,  à  compulser  et  à  compiler  des  documents 
pour  une  deuxième  édition  de  Y  Histoire  des  Musulmans 
de  Sicile^.  Sa  revision,  entreprise  en  1885,  n'avance  pas 
assez  vite  à  son  gré.  A  l'automne  de  1887,  il  se  hâte 
dans  l'espoir  d'aboutir  avant  sa  mort^.  C'est  un  combat 
singulier  à  qui  arrivera  le  premier,  du  lutteur  infati- 
gable ou  de  l'ennemie  qui,  sans  en  donner  avis  et  sans 
demander  l'autorisation,  tranchera  le  fil  de  sa  des- 
tinée *\  Et  cependant  le  milieu,  dans  lequel  il  s'inquiète 
parfois,  est  salutaire  et  fortifiant.  Il  écrit   le    8  février 

1  Albrecht  Weber,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  287-289. 

'2  Amari,  ibid.,  II,  p.  301. 

•5  Renan,  ibid.,  II,  p.  276. 

^  Amari,  ibid.,  II,  p.  301  ;  cf.  plus  haut,  p.  22G  et  227. 

s  Amari  dans  le  Carleggio,  11,  p.  22G,  256,  283,  301,  304-308. 

^  Amari,  ibid.,  II,  p.  304. 

'  Amari,  ibid.,  II,  p.  305  et  307. 


Notice  sur  Micliele  Ainai  i  *21M 

1888':  «  Il  me  plaît  de  pouvoir  dire  que  Louise  va 
])ien,  que  les  enfants  promettent  et  que  je  ne  sens  au- 
cune maladie,  excepté  les  incommodités  de  la  vieil- 
lesse, qui  ne  m'ôtent  pas  la  faculté  de  travailler  comme 
d'habitude  ou  à  peu  près.  »  Il  se  levait  toujours 
à  quatre  heures  du  malin,  à  cinq  heures  au  i)lus  tard, 
et  se  mettait  aussitôt  ix  ses  MlishIiikuis  de  Sicile  jus(ju'à 
dix  heures  et  demie,  puis  les  reprenait  d'une  heure  à 
cinq  heures  et  demie  de  l'apiès-midi-.  En  dehors  des 
rhumatismes  qui  gênent  sa  marche,  ses  quatre-vingt- 
deux  ans  ne  lui  ont  apporté  d'autre  incommodité  qu'un 
anaiblissement  sérieux  de  son  ouïe.  Il  écrit  de  Rome 
en  français  à  Renan  le  25  décembre  1888^  :  «  Si  Toreille 
s'endurcit  un  peu  et  si  je  n'ai  plus  mes  bottes  de  dix 
lieues,  je  peux  travailler  presqu'à  mon  ordinaire,  et  la 
recherche  du  vrai  continue  de  m'aiguillonner  comme 
dans  les  plus  beaux  jours  de  ma  vie.  Ce  n'est  pas  ma 
faute  si  les  résultats  sont  fort  médiocres.  » 

Amari  continue  sa  lettre  en  annonçant  à  son  ami 
une  grande  révolution  dans  son  existence,  changement 
violent  et  dangereux  à  son  âge  :  «  Nous  sommes  reve- 
nus à  Rome  à  cause  de  mon  fils  qui  entreprend  les 
études  d'ingénieur  K  A  Pise,  il  n'y  a  pas  d'Kcole  Supé- 
rieure pour  cela.  En  outre  ma  famille  s'ennuyait  beau- 
coup dans  cette  ville  morte"',  et   moi   aussi  je  sentais 

'  Amari,  dans  le  (Airtcggio,  II,  p.  306. 

■^  Ibid.,  II,  p.  307;  cf.  plus  liant,  p.  209. 

^  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  308. 

♦  Michclino  Amari,  resté  célibataire  comme  ses  sœurs,  est 
électricien  à  Florence.  La  maison,  qu'il  y  dirige,  est  dénommée 
d'après  Galilée  (Communication  de  M.  D'Ancona). 

^  Dés  son  arrivée  à  Pise,  Amari  écrivait  le  18  juillet  1882 (Car- 
teggio,  II,  p.  277-278):  «  En  passant  de  Rome  à  Pise,  on  ne  peut  se 
soustraire  à  un  sentiment  de  tristesse,  comme  dans  la  solitude. 
Je  l'ai  éprouvé  un  tant  soit  peu  moi  aussi,  nonobstant  ma  peau 
dure.  »  Même  note  dans   une  lettre  française  à  Renan   du   30 


232  Opuscules  d'un  arabisant 

réloignement  des  grandes  bibliothèques Pourrai-je 

vous  dire  :  Au  revoir?....  Je  n'espère  pas  que,  dans  ce 
peu  de  vie  qui  me  reste,  vous  ayez  l'occasion  de  venir, 
comme  une  fois,  en  Italie  ^  Ajournons  donc  notre 
rendez-vous  aux  arches  rougies  au  feu,  où  Farinata 
degli  Uberti  et  Frédéric  de  Souabe  expient  la  hardiesse 
de  leur  pensée,  et,  en  attendant,  serrons-nous  la  main.  » 
Quel  stoïcisme  impassible  dans  ces  adieux  prématurés 
d'un  libre  penseur  à  un  libre  penseur  ! 

UAccademia  dei  Lincei  recouvrait  le  plus  ancien  de 
ses  membres  dans  la  section  d'histoire,  le  Sénat  l'un 
de  ses  doyens.  Amari  réinstalla,  non  sans  mélancolie-, 
ses  meubles  vagabonds^  ses  livres  fréquemment  em- 
ballés et  déballés^  ses  manuscrits  nomades^.  Via  Fon- 
ianella  di  Borghese,  vis-à-vis  le  Palazzo  Borghese,  dans 
un  domicile  exigu  ^,  voisin  du  Sénat,  pas  trop  éloigné 
de  l'Académie. 

Le  3  février  1889,  il  lit  devant  ses  confrères  re- 
cueillis ses  «  Autres  fragments  arabes  relatifs  à  l'his- 
toire d'Italie  »  ^  ;    le  19   avril,    la    politique  coloniale 

mars  1883  (ibîd.,  II,  p.  282)  :  «  Nous  nous  portons  bien,  quoique 
ces  petites  demoiselles  regrettent  encore  leurs  amies  de  Rome 
et  le  mouvement  d'une  capitale,  qui  croit  de  splendeur  tous  les 
jours.  » 

^  En  septembre  1878  ;  voir  plus  haut,  p.  215. 

2  Lettre  d'Oreste  Tommasini  du  28  février  1905. 

^  Amari  a  raconté  (Carteggio,  II,  p.  277)  l'od^^ssée  de  ses  meu- 
bles et  de  sa  bibliothèque  de  Rome  à  Pise  et  les  fatigues 
qu'avait  endurées  en  1892,  «  dans  la  confusion  et  la  poussière  », 
sa  femme  «  à  la  constitution  grêle  ».  Ces  misères  recommen- 
çaient au  passage  par  les  mêmes  stades  en  sens  inverse. 

^  Ibid.,  Il,  p.  311. 

^  Les  Alli  i  frammenti  arabi  relativi  alla  storia  d'italia  furent 
publiés  après  la  mort  de  l'auteur  par  ÏAccademia  dei  Lincei  dans 
les  Memorie  délia  Classe  di  scienze  morali,  sloriche  e  fllologiclie. 
Série  quarta,  VI,  (Roma,  1889),  p.   5-31.   C'est  dans  le  même 


Notice  sur  ^Michèle  Ainuri  2;iî$ 

de  Crispi,  qu'il  approuve  dans  la  question  de  l'Krv- 
thrée,  lui  fait  auuoucer  à  Tullo  Massarani  (pi'il  halail- 
lera  eoulre  lui  à  la  rentrée  du  Sénat,  e'est-à-dire  en 
novembre  '. 

Les  (jualre-vini^t-lrois  ans  sonnés,  qu'il  s'attribuait 
d'avance  le  17  mars  1889-,  n'ont  pas  alVaibli  son  zèle 
pour  l'étude  au  même  point  que  ses  lorees.  Sa  devise 
est  toujours  :  Laboremus^.  Il  «  continue  à  travailler, 
ne  pouvant  j)as  faire  autre  cliose,  pas  même  la  conver- 
sation, depuis  que  ses  oreilles  sont  boiichées  ou  tout 
comme  ))K  La  deuxième  édition  des  Musulmans  de 
Sicile  n'est  pas  abandonnée,  mais  ajournée  sine  die.  Un 
an  s'est  écoulé  sans  que  l'auteur  s'en  soit  occupé  parti- 
culièrement^. Or,  pour  mener  à  terme  une  aussi  vaste 
entreprise,  l'elFort  d'Amari  vieilli,  alïaibli,  se  survi- 
vant, sinon  par  rintelli(j;ence  et  le  cœur^  du  moins  par 
la  diminution  de  son  être  physique,  aurait  eu  besoin 
d*être  «  concentré  )>'''  sur  un  but  poursuivi  sans  relâche 
et  sans  concurrence.  L'abandon  de  Pise  pour  Rome, 
s'il  favorisait  les  études  du  lils,  avait  été  un  élément  de 
perturbation  dans  celles  du  père.  Les  recherches  pré- 
paratoires, les  annotations  sur  les  marges  d'un  exem- 
plaire de  la  première  édition,  les  monograj)hies  supplé- 
mentaires rédigées  constituent-elles  une  accumulation 
de  matériaux  assez  abondante  et  assez  riche  pour  être 
mise  en  œuvre  utilement  par  la  science  orientale?  Pas 

volume,  p.  340-376,  qu'a  paru  d'abord  Lu  vila  e  le  opère  di  Michèle 
Amari,  par  Oreste  Tommasini  (plus  haut,  p.  89),  avant  d'être 
réimprimée  dans  ses  Scritti  di  sloria  e  critica. 

*  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  310. 

*  Amari,  ibid.,  II,  p.  309. 

3  Comme  en  1876;  voir  ibid.,  II,  p.  220. 

^  Amari,  ibid.,  II,  p.  310. 

^  Amari  un  mois  avant  sa  mort  à  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  395. 

«  Amari,  ibid.,  II,  p.  306. 


234  Opuscules  d'uu  arabisant 

un  grain  ne  saurait  être  perdu  de  la  récolte  faite  par  le 
puissant  laboureur. 

Le  11  juin,  Amari  résiste  avec  ce  qui  lui  reste 
d'énergie  aux  «  tentations  d'un  banquet  jovial  »,  qui 
réunira  des  professeurs  et  des  étudiants  siciliens  ^  Le 
valétudinaire,  «  contraint  de  se  reposer  à  la  fin  du 
dîner  et  du  déjeuner  »,  s'excuse  de  ne  pas  accepter 
l'invitation  et  de  ne  pas  venir,  après  le  dîner,  «  offrir 
aux  convives  sa  compagnie,  la  triste  compagnie  d'un 
invalide  et  d'un  sourd  ». 

Le  patriote,  qui  pressent  sa  fin  prochaine,  «  envoie 
à  la  mère  patrie  le  dernier  salut  et  les  derniers  présages 
de  sa  piété  filiale  »  par  ces  nobles  paroles,  les  dernières 
que  nous  ait  conservées  le  recueil  de  ses  lettres  :  «  Et 
néanmoins  je  ne  renonce  pas  à  porter  mon  toast  à  la 
santé  des  convives  et  des  amphitryons  et,  avant  eux 
tous,  à  l'Italie  libre,  une,  indivisible,  qui  grandisse  en 
territoire,  en  puissance,  en  prospérité  et  ne  perde 
jamais  la  sagesse.  » 

Amari  se  courbait  -,  baissait  et  traînait.  Il  était  pres- 
que entièrement  privé  de  ses  oreilles,  devenues  de  plus 
en  plus  paresseuses  ^.  Ses  yeux  troubles  étaient  aveuglés 
par  le  soleiH.  Aucun  symptôme  grave  ne  laissait  cepen- 
dant prévoir  l'imminence  du  dénoùment.  Son  dernier 
sommeil  fut  précédé  par  un  brusque  réveil  de  ses  facul- 
tés, qui  se  traduisit  par  une  dernière  matinée  bien 
remplie,  terminée   subitement  par  la  crise  fatale.   Le 


^  Amari,  ibid.,  II,  p.  311. 

■^  Pasquale  Villari,  dans  les  Parole  prominziate  da  divevsi 
oratori  siil  ferclro  del  senatore  Michèle  Amari  (voir  plus  haut, 
p.  90,  note  4),  p.  22. 

''  Plus  haut,  p.  231  et  233. 

»  Amari,  dans  le  Carteggio,  II,  p.  310.  Deux  ans  plus  tôt,  il  se 
vantait  encore  de  sa  vue  ;  voir  ibid.,  II,  p.  304. 


Notice  sni*  MiclielL'  Aiiiari  liriô 

M  juilk'l  I<S89  ',  il  était  parti  de  Rome  pour  Florence. 
Il  avait  (lemaiulé  (|iie  IVil  lixée  au  siirleiuleinain  une 
séance  du  (loniité,  constitué  en  ISSl  en  vue  d'élever 
un  monument  à  son  ami  et  ancien  collègue  Atto 
Vannucci  dans  Santa  (Irocc,  le  Panthéon  des  illustres 
Florentins  '.  Madame  Amari  avait  l'ait  le  vovaiie  avec 
son  mari,  dont  elle  ne  se  séparait  (jue  le  plus  rarement 
possible.  Le  couple  descendit  de  la  (j)HC('zi()iu'  à  sept 
heures  du  malin  et  chemina  en  llànant  à  travers  les 
rues  de  Florence  dans  la  direction  de  la  lUbliolvva 
Nazionale.  Amari,  en  passant  le  long  (\\\  Dôme,  fut 
tout  à  coup  assailli  par  un  sond)re  pressentiment.  Il 
rappela  à  sa  compagne  bien-aimée  que  son  grand-père 
et  son  père  étaient  morts  à  l'improviste.  File,  toujours 
souriante  et  accorte,  pour  le  détourner  de  ces  j)ensées 
lunèbrcs,  lui  montra  une  belle  (leur  exposée  pour  la 
vente  sur  les  degrés  du  temj)le.  La  lleur  lui  agréa  et  il 
s'exclama  {{ue  ses  fdles  se  seraient  assurément  réjouies 
de  la  voir  elles  aussi.  Parvenu  à  la  Bihliolcca  Xdzioiuile 
à  neuf  heures,  il  y  corrigea  les  épreuves  des  u  Autres 
fragments  arabes  »  destinés  aux  Mémoires  de  la  classe 
des  sciences  morales,  historiques  et  philologi({ues  des 
Lincci.  Ouand  ils  furent  insérés,  leur  auteur  avait  suc- 
combé  depuis  plusieurs  mois  '.  Fn   efTet,   arrivé   à   la 


'  Je  suis  Villari  dans  les  Parole  pvoiumziale,  p.  22,  en  avance 
d'un  jour  sur  D'Ancona,  dans  le  (Àtrlcggio,  II,  p.  304. 

'^  Tommasini,  La  vila  e  le  opère  di  Allô  Vannucci,  dans  le  recueil 
de  VAccadcmia  dei  Lincei  intitulé  Mcmorie  délia  classe  di  scienze 
morali,  sloriche  e  fdoloijiche,  série  terza,  XIII  (Honia,  1S.S4), 
p.  380-399,  et  dans  Scrilli  di  sloria  e  crilica,  p.  2^3-270.  Cf.  Amari, 
dans  le  Carleffyio,  II,  p.  33-40,  51-52,  5G-57,  291,  300;  D'Ancona, 
ibid.,  I,  p.  174  ;  II,  p.  291-292  et3()4. 

^  Plus  haut,  p.  232.  Le  récit  qui  suit  a  été  formé  par  une 
combinaison  de  Tommasini,  Scrilli,  p.  350-351  ;  D'Ancona,  dans  le 
Carleggio,  II,  p.  364,  et  Villari,  dans  les  Parole  prominziale,  p.  22. 


236  Opuscules  d'un  arabisant 

Piazza  San  Marco,  près  de  son  ancienne  habitation  de 
la  Piazza  deli  Independenza  ',  il  se  préparait  à  péné- 
trer dans  son  cher  Isiitiito  di  stiidi  siiperiori,  où  il 
était  convoqné  pour  deux  heures,  afin  de  délibérer  sur 
l'exécution  du  monument,  qui  ne  fut  inauguré  que  le 
13  juin  1891  -.  Amari  fut  renversé  sur  le  seuil  de  l'édi- 
fice, au  pied  de  l'escalier,  par  une  défaillance  qui  le 
terrassa.  Sur  une  chaise,  qu'on  lui  apporta,  il  expira 
au  bout  de  quelques  minutes,  sans  avoir  repris  con- 
naissance. Sa  femme,  accourue  comme  poussée  par  un 
mstinct  de  sollicitude  anxieuse,  recueillit  le  dernier 
soupir  du  moribond.  C'est  à  peine  s'il  put  murmurer  son 
nomet  lui  serrer  la  main.  La  rose,  qu'il  avait  tant  admirée 
le  matin,  fut  placée  sur  sa  poitrine  refroidie,  comme 
un  hommage  au  dernier  ravissement  qu'il  eût  vraiment 
éprouvé  et  vivement  exprimé.  La  douleur  poignante  du 
suprême  adieu  fut  évitée  par  la  mort  foudroyante  à  son 
àme  sensible,  qui  l'avait  «  souhaitée  pour  éviter  aux 
siens  et  à  lui-même  les  angoisses  de  la  séparation  ^  ». 
Le  matin  même  de  l'enterrement,  sa  veuve  éplorée, 
les  yeux  mouillés  de  larmes,  répétait  :  «  C'était  une 
grande  âme  ^.  » 

Les  obsèques  du  sénateur  Michèle  Amari  furent 
célébrées  le  18  juillet  1889  à  l'endroit  qu'il  eût  choisi 
lui-même,  dans  une  des  salles  de  VIstitnto,  «  ce  temple 
des  études  savantes  et  libres  »  %  ce  témoin  du  long  en- 
seignement d'Amari  et  de  sa  mort  inopinée.  Les  ora- 
teurs  qui  parlèrent  devant  le  cercueil  furent    Paolo 


'  Plus  haut,  p.  196. 

^  D'Ancona,  dans  le  Cartcggio,  II,  p.  291. 
^  Lettre  de  Madame  Luisa  Amari  à  H.  D.  du  6  mai  1902;  cf. 
plus  haut,  p.  223  et  224. 

*  Paolo  Boselli,  dans  les  Parole  pronunziale,  p.  10. 

*  Paolo  Boselli,  ibid.,  p.  5. 


Notice  sur  Michèle  Aiiiari  2:J7 


Bosclli,  niinislre  de  rinslriiclioii  piihliciiic,  au  nom  du 
gouvernemoiU,  Pielro  Tom<^iani,  syndic  de  IMorence, 
au  nom  des  municipalités  florentine  et  palermitaine, 
Pascale  Villari,  au  nom  de  la  classe  des  lettres  des 
Lincci,  TuUo  Massarani,  le  dernier  en  date,  mais  non 
en  aHeclion  réciproque,  des  amis  •  d'Amari,  au  nom  du 
Sénat,  Francesco  Todaro,  au  nom  des  compatriotes  du 
défunt,  enfin  Fauslo  Lasinio,  le  successeur  d'Amari 
dans  sa  chaire  de  VIstilulo  -. 

Tour  à    tour  les   «  paroles  prononcées  »  mirent  en 
relief  Tunité  patrioti(|ue  et   scientifique  de   sa   vie,  ses 
inspirations  de  précurseur  •',  son  culte  de  la  famille,  de 
l'étude  et  de  Tamilié  \  son  caractère  moral  fidèle  con- 
stamment à  son  devoir,  son  bonheur  de  mari  et  de  père 
faisant  le  bonheur  des  siens,  parlant  d'eux  avec  l'accent 
d'un  dévot  qui  parle  de  ses  saints  '',   sa  conscience   ri- 
,nde  et  pure  comme  le  cristal,  son  noble  front  de  philo- 
sophe caressé  par  des  ailes  d'ange  dans  le   silence   du 
sanctuaire  familial  ^,  sa  foi  dans   la  monarchie  et  son 
saint  amour  de  la  patrie  petite  et  grande  ",  sa  célébrité 
européenne  dans  le  monde  des  orientalistes  et  dans  la 
république  des  lettres^.  Ces  oraisons  funèbres  après  la 
mort  étaient  toutes  à  la  même  justesse  de  diapason  que 
celles  dont  Amari  souriait  lorsque,  trois  ans  auparavant, 
elles  lui  furent  prodiguées  de   son  vivant  ''.  Francesco 

^  Nombreuses  sont  les  lettres  qu'Amari  adressa  à  Tiillo  Mas- 
sarani depuis  la  fin  de  1878;  voir  l'index  du  Caiicfjcjio,  II, 
p.  399  b;  cf.  plus  haut,  p.  224,  225,  226  et  233. 

2  Plus  haut,  p.  170,  note  2. 

'  Paolo  Boselli,  dans  les  Parole  pronnnziale,  p.  5. 

*  Pietro  Torrigiani,  ibid.,  p.  14. 

^  Pasquale  Villari,  ibid.,  p.  17  et  21. 

*  Tullo  Massarani,  ibid.,  p.  27  et  28. 
"  Francesco  Todaro,  ibid.,  p.  31. 

*  Fauslo  Lasinio,  ibid.,  p.  37. 
«  Plus  haut,  p.  229. 


238  Opuscules  d'un  arabisant 

Todaro  lui  appliqua  à  bon  droit,  sans  hyperl^ole  de 
panégyrique,  le  dicton  gravé  sur  le  tombeau  de 
Macliiavel  :  Tanto  iiomini  niillnin  par  elogiiim  K 

La  dépouille  mortelle  du  défunt  fut  d'abord  conduite 
à  San  Miniato  al  Monte,  au-dessus  de  Florence,  où  elle 
reposa  provisoirement  auprès  de  celle  d'Atto  Yannucci  "-. 
Les  deux  collègues  attendirent  côte  à  côte  la  construc- 
tion de  leurs  mausolées.  Ils  furent  bientôt  séparés.  Les 
restes  d'Amari,  revendiqués  par  sa  ville  natale,  furent 
exhumés  le  21  mai  1890  avec  le  consentement  de  la 
famille  et  transportés  de  Florence  à  Païenne,  sous  la 
conduite  d'une  députation  envoyée  par  le  syndic  de 
Palerme  pour  les  réclamer  et  les  rapporter.  A  la  tête 
de  cette  délégation  était  l'admirateur  d'Amari,  qui  lui 
avait  remis  publiquement  une  médaille  d'or  à  l'occasion 
du  six-centième  anniversaire  du  Vespro,  Francesco 
Lanza,  prince  di  Scalea  ^. 

Le  corps  fut  déposé  le  24  mai,  accompagné  d'un 
imposant  cortège,  où  figuraient  toutes  les  catégories 
de  la  population,  dans  l'église  des  Capucins,  asile  tem- 
poraire où  il  séjournerait,  pendant  qu'à  San  Domenico 
on  lui  érigerait  un  monument  définitif  '*.  Le  cadavre  de 
Michèle  Amari,  après  avoir  été  ainsi  ballotté  de  même 
que  l'avait  été  sa  personne  vivante,  finit  j^ar  atteindre 
au  repos  le  l'2  janvier  1898  ^,  à  San  Domenico,  dans 

1  Francesco  Todaro,  dans  les  Parole  promiiuiate,  p.  37;  cf. 
G.  Pipitone  Federico,  Michèle  Amaii  e  Francesco  Ferez,  p.  33. 

^  D'Ancona,  dans  le  Carleggio,  II,  p.  366. 

3  Tommasini,  Scritti,  p.  353,  n.  2;  voir  plus  haut,  p.  220. 

^  Tommasini,  ibid.,  loc.  cil. 

"  G.  Pipilone  Federico,  Michèle  Amari  e  Francesco  Ferez,  p.  33. 
La  date  choisie  n'eut  rien  d'arbitraire.  Les  honneurs  suprêmes, 
rendus  à  Michèle  Amari  plus  de  huit  ans  après  sa  mort,  coïn- 
cidèrent ostensiblement  avec  le  jour  même  où  la  Sicile  entière 
célébra  le  cinquantenaire  de  la  révolution  palermitaine  du 
12  janvier  1848. 


Notice  sur  Michèle  Ainari  *21M) 

celle  nécropole  des  ilhislres  palerniilains,  où  il  avait  été 
précédé,  un  quarl  de  siècle  i)liis  loi,  par  le  vénérable 
Président  du  gouvernemenl  révolutionnaire  sicilien, 
dont  il  avait  été  le  niinislre  des  finances,  par  l'inlè^re 
et  verlueux  Rui>i>ero  Sellinio  '. 

Voici  l'inscription,  rédigée  par  Oresle  Tommasini, 
que  «la  Commune  de  Rome  »  avail  fait  gi'aver  en  1<S91 
sur  une  plaque  de  marbre  apposée  à  la  dernière  maison 
qu'Amari  y  eût  babilée-  :  Michèle  AiiKiri  \  Hccitalore  fra 
i  priml  I  Del  Risor(jiiuento  (Vltalia  \  Storico  délia  (jner- 
ra  ciel  Vespro  \  E  dei  Miisuliudiu  dl  Sicilla  \  Filolo(jo 
insigne  \  Sinibolo  delV  (tlJello  perpeluo  \  CJie  saldô 
r  Isola  sua  naliva  \  AlV  uni  ta  délia  palria  \  Se  nature 
del  Regno  \  Ministro  di  Re  Vittorio  Emanuele  II  |  Ahilô 
qnesta  casa  \  E  nella  niodesta  operosità  degli  studii  \ 
Vi  compie  ïanno  LXXXIX  \  lllimo  deli  illibata  sua 
vita    I   //  Conuine  de  Roma  P.  MDCCCXCI. 

Des  témoignages  poslliumes  affirmèrent  la  reconnais- 
sance que  ses  concitoyens  avaient  vouée  à  l'illustre 
Palermitain,  au  serviteur  de  la  Sicile  et  de  l'Ilalie.  J'ai 
vu,  en  la  société  du  célèbre  jurisconsulte,  du  sénateur 
Pieranloni,  à  la  Bibliolbèque  du  Sénat  italien,  le  buste 
d'Amari,  taillé  dans  un  marbre  cbatoyant  par  L.  Cam- 
pisi.  hWccademia  délia  Crusca  de  Florence,  dont  il 
fut  élu  a  membre  correspondant  »  en  1867  '\  possède 
probablement  un  buste  de  son  Socio  corrispondente. 
Quant  à  VAccademia  dei  Lincei,  dont  il  fut  nommé  par 

^  Plus  haut,  p.  123,  126,  129,  148. 

-  Copie  de  l'inscription  et  révélation  de  son  auteur,  je  les  dois 
à  une  aimable  comnuinication,  faite  le  5  mars  1902  i)ar  Made- 
moiselle Francesca  Amari,  la  plus  jeune  entre  les  filles  d'Amari. 
Le  Caiieggio,  d'où  ont  été  éliminées  les  confidences  de  famille, 
a  admis  par  exception  (II,  p.  278-279)  une  lettre  du  17  octobre 
1882,  adressée  par  Michèle  Amari  à  Francesca  Amari. 

^  D'Ancona,  ibid.,  II,  p.  365. 


1!40  Opuscules  d'un  arabisant 

le  roi  membre  lors  de  son  dédoublement  en  1875,  elle 
a  placé  dès  1890  son  buste  par  Trabacchi  dans  la  salle 
où  sont  réunis  les  livres  arabes.  Il  n'y  a  point  de  par  le 
monde  d'académie  qui  n'ait  annexé  un  musée  de  sculp- 
ture, encombré  de  froides  effigies  '.  Le  buste  d'Amari, 
par  le  sculpteur  Guastalla,  figure  aussi  à  Rome,  à  côté 
de  celui  de  Garibaldi,  dans  la  promenade  publique  du 
Pincio,  parmi  les  Italiens  illustres  qui  y  ont  été  grou- 
pés sur  l'initiative  de  Mazzini  en  1849.  A  Palerme,  son 
tombeau  monumental  comprend  un  buste  -.  Une  statue 
en  pied  lui  a-t-elle  été  dressée  sur  quelque  place  publi- 
que de  Palerme,  de  Florence,  de  Rome  ou  dePise? 

Assurément,  s'il  a  échappé  à  la  profusion  des  statues, 
il  eût  été  le  dernier  à  se  plaindre  d'une  aussi  décevante 
injustice.  Mais,  si  elle  a  été  commise  par  ingratitude 
ou  par  oubli,  elle  peut  toujours  être  réparée.  Avec 
une  légère  variante  de  l'adage  que  la  mémoire  de 
Machiavel  a  suscité,  je  dirai  :  Tanio  nomini  imlliis  par 
honos. 


^  A  l'Institut  de  France,  les  bustes  en  détresse  sont  descendus 
dans  les  caves  et  ont  escaladé  les  greniers.  Mon  confrère  et 
ami,  Louis  Léger  leur  a  offert  un  palais  somptueux,  notre  pro- 
priété de  Chantilly,  à  la  condition  expresse  qu'ils  y  seraient 
exposés,  classés  et  étiquetés.  Voilà  un  vœu  que  j'applaudis  fort 
et  qui  mériterait  d'être  pris  en  sérieuse  considération.  Il  y  a 
des  chefs-d'œuvre  dans  la  collection,  sans  parler  de  l'acte  de 
déférence  et  de  justice,  que  nous  serons  par  la  suite  tour  à 
tour  récompensés  d'avoir  accompli  envers  nos  aines. 

-  Les  renseignements  sur  les  bustes  d'Amari  aux  Linceij  au 
Pincio  et  à  Palerme  émanent  de  Mademoiselle  Francesca 
Amari,  lettre  à  Charles  Dejob  du  premier  mars  1902. 


Notice  sur  Michèle  Aiuari  241 


KIMLOC.UE 

Le  inercredi  <S  avril  19(KÎ,  à  Uoiiie,  alors  (|iie  le  Con- 
i^rès  inlernalional  des  sciences  liislori(jiies  louchait  à 
salin,  je  vis  apparaître  à  rilôlel  Michel  où,  ma  leninie 
et  moi,  nous  étions  descendus,  une  vision  léminine 
pale,  émaciée,  cssoullée,  haletante,  vacillante,  chance- 
lante, parvenue  jus({u'au  seuil  par  relîort  d'une  volonté 
tenace,  vision  im})uissante  à  faire  un  pas  de  plus 
en  avant.  Par  honlieur,  j'étais  descendu  au  rez-de- 
chaussée,  j'allais  sortir,  Je  soutins  la  visiteuse  exté- 
nuée, je  la  fis  asseoir  dans  le  vestihule  :  je  reconnus 
aussitôt  le  cor})s  frêle,  les  traits  lins,  les  yeux  vifs  de 
Madame  Louise  Amari.  Elle  venait  nous  prier  de  nous 
asseoir  à  sa  tahle  de  famille  le  samedi  soir  11  avril, 
au  Vicolo  Tolentiiw,  1.  1>.  Llle  espérait  être  assez  valide, 
assez  remontée  jusque-là  pour  que  son  état  de  santé  lui 
permit  de  présider  le  diner.  Amére  déception!  Ses 
forces  ne  furent  pas  à  la  hauteur  de  sa  vaillance.  Elle 
duts'ahstenir  et  se  ménager  pour  la  veillée.  Nos  convi- 
ves furent  ses  deux  fdles,  les  sigiwrine  Carolina  et  Fran- 
cesca,  Mii^'  Dora  Melegari,  l'évocatrice  des  Ames  dor- 
mantes, enfin  l'ami  généreux  des  jours  difficiles,  le  pur 
etcharmant  écrivain,  le  biographe  etl'exégète  de  Machia- 
vel, au  cœur  et  au  talent  si  appréciés  par  Amari,  Oreste 
Tommasini.  Après  l'heure  des  agapes,  une  petite  porte 
s'ouvrit  mystérieuse  et  la  déesse  du  lieu  apparut.  ïnces- 
sii  patiiit  dea.  La  grande  ombre  de  Michèle  Amari  avait 
plané  sur  les  conversations  rétrospectives,  consacrées 
au  passé,  indifférentes  au  présent  et  à  l'avenir.  Il  sem- 
blait que  la  porte  étroite,  refermée  sur  la  déesse,  allait 

16 


242  Opuscules  dun  arabisant  ' 

___ .  i 

! 
I 

se  rouvrir  pour  livrer  passage  au  dieu.  Il  était  présent  I 
parmi  nous,  je  l'affirme,  bien  que  mes  yeux  ne  l'aient  | 
aperçu  qu'en  imagination.  Son  souvenir  évoqué,  son 
exemple,  le  plus  parfait  des  modèles,  sa  vie,  un  idéal  j 
de  sagesse  et  de  vertu,  sa  pensée  d'essence  éternelle  ' 
étaient  parfums  répandus  dans  l'air  que  nous  respi-  ! 
rions.  Le  mort  parlait.  Et  nous  l'écoutions  en  silence,  ' 
attentifs,  respectueux,  recueillis,  fascinés,  éblouis  par  le  i 
prestige  de  suggestions  captivantes  et  dominatrices.         ' 


VII 
Adolphe  Franck 

(1809-1893) 


Adolphe  Franck 
(1809-1893)  • 

Si  Adolphe  Franck  avait  vOcii  quelques  mois  plus 
longtemps,  il  aurait  été,  il  y  a  huit  jours,  le  héros  d'une 
touchante  cérémonie.  L'Académie  des  sciences  morales 
et  politiques  se  faisait  fête  de  lui  remettre  solennelle- 
ment, le  samedi  20  janvier  1894,  une  médaille  commé- 
morative,  qui  avait  même  été  modelée  d'avance,  pour 
céléhrer  le  cinquantième  anniversaire  de  son  entrée 
dans  la  compagnie.  La  mort  qui,  pendant  plus  de  qua- 
tre-vingt-trois ans,  avait  condescendu  à  ne  pas  hriser 
l'enveloppe  fragile  de  cette  àme  solide,  aurait  bien  dû 
lui  accorder,  comme  faveur  suprême,  un  sursis  lui  per- 
mettant, comme  à  son  ami^  le  vénérable  Barthélémy 
Saint-Hilaire  en  1889,  la  satisfaction  de  se  voir  décer- 
ner l'apothéose  des  noces  d'or  académiques. 

Né  à  Liocourt,  dans  le  département  de  la  Meurthe, 
le  9  octobre  1809,  Ad.  Franck  appartenait  à  une  famille 
estimée  de  modestes  agriculteurs.  Son  père  avait  un 
goût  marqué  pour  l'apiculture.  Quant  au  jeune  Franck, 
au  milieu  des  essaims  d'abeilles  élevées  par  son  père, 
il  se  montra,  comme  elles,  avide  de  butiner  partout  où 
s'offrait  à  lui  quelque  occasion  favorable.  Le  curé  de 
l'endroit  s'intéressa  à  ce  petit  juif,  malingre  et  studieux. 
Il  avait  reconnu  en  lui  un  élève  d'avenir  et  ne  s'était 
pas  trompé.  Dès  1843,  Ad.  Franck  passait  le   premier 

*  Allocution  prononcée  à  l'Assemblée  générale  de  la  Société 
des  études  juives,  le  samedi  27  janvier  1894. 


240  Opuscules  d'un  arabisant 

l'agrcgation  de  philosophie,  avec  une  avance  sur  des 
concuiTents  de  la  force  de  Jules  Simon  et  Emile  Saisset  ; 
dans  cette  même  année,  il  puhliait  la  Kabbale  ou  la 
Philosophie  religieuse  des  Hébreux,  en  attendant  la  se- 
conde édition  de  1889  ;  enfin,  en  1844,  à  peine  âgé  de 
trente-cinq  ans,  il  s'imposait  par  la  force  de  son  talent 
et  l'ardeur  de  ses  convictions  aux  suffrages  de  l'Acadé- 
mie des  sciences  morales  et  politiques,  sur  la  recom- 
mandation de  Victor  Cousin,  le  grand  électeur  d'alors. 
C'était  le  premier  juif  qui  pénétrât  sous  la  coupole. 
Aussi,  dans  mon  enfance,  le  nom  de  Franck  et  sa  haute 
situation  dans  le  monde  académique  étaient-ils  asso- 
ciés si  étroitement  dans  le  respect  public  que  l'on  disait 
M.  Franck  de  l'Institut,  comme  on  est  accoutumé  à 
dire  Louis  deRouvroy,  duc  de  Saint-Simon,  le  marquis 
Melchior...  de  Vogué,  le  duc  Albert...  de  Broglie. 

La  philosophie  spiritualiste  et  le  judaïsme  mono- 
théiste, telles  étaient  les  deux  préoccupations  du  pré- 
coce membre  de  l'Institut.  Ou  plutôt  les  deux  concep- 
tions se  réunissaient  dans  son  esprit  et  dans  sa  foi, 
ainsi  que  deux  anneaux  d'une  même  chaîne.  Dans  sa 
longue  carrière,  il  n'a  varié,  tout  en  traitant  les  sujets 
les  plus  divers,  soit  par  la  plume,  soit  par  la  parole^ 
dans  sa  chaire,  j'allais  presque  dire,  dans  sa  tribune 
du  Collège  de  France,  que  par  des  nuances,  et  encore 
dans  la  forme  plus  que  dans  la  pensée.  Apôtre  de  la 
vérité  telle  qu'il  la  concevait,  il  parlait  sans  ménage- 
ment des  doctrines  qu'il  réprouvait,  s'acharnait  contre 
les  opinions,  s'attaquait  violemment  aux  idées,  se  révol- 
tait avec  indignation  contre  la  vogue  de  certaines  théo- 
ries et  dénonçait  avec  véhémence  les  sources  contami- 
nées qui  lui  paraissaient  empoisonner  l'humanité .  Je 
ne  résiste  pas  à  la  tentation  d'alléguer  devant  vous  un 
fragment  du  dernier  article  qu'à  l'occasion  d'un  livre 


Adolphe  Franck  247 

sur  le  pessimisme,  Franek  })iil)lia  dans  le  numéro  d'oe- 
tohre  1(S<)12  du  Jonnuil  des  Sciv(tiUs  :  «  Si  l'on  se  passe 
de  Dieu,  il  la  ut  se  passer  de  toute  eause  et,  se  passer 
de  toute  eause,  e'est  se  passer  de  tous  les  elîels,  c'est 
se  passer  de  toute  existence,  c'est  supprimer  à  la  t'ois 
le  bien  et  le  mal,  la  matière  cl  l'esprit,  Dieu,  riiumanité 
et  la  nature.   » 

Ce  testament  d'un  philosophe  théiste,  ennemi  irré- 
conciliable de  la  rébellion,  ne  contient  pas  un  mot 
agressif  contre  les  personnes.  Jamais  Franck  n'a 
mancpié  de  courtoisie  envers  ses  adversaires,  même 
alors  qu'au  Conseil  supérieur  de  l'Instruction  publicjuc 
sous  l'Empire,  il  siégeait,  lui,  un  laïque,  comme  seul 
représentant  du  judaïsme  dans  un  concile  intolérant 
de  cardinaux,  d'archevêques  et  d'évéques.  Les  polé- 
miques excitaient  sa  verve  implacable  pour  les  erreurs, 
exempte  d'animosité  envers  les  égarés.  S  il  combat  à 
outrance  les  fauteurs  d'hérésie,  comme  il  sait  chercher, 
encourager,  louer,  défendre,  stimuler  ses  alliés!  Notre 
Société  naissante  n'a  pas  rencontré  de  patron  plus  zélé 
que  lui,  plus  disposé  à  conspirer  avec  nous  pour  la 
réussite  de  nos  elTorts  en  conniuin.  Deux  essais  anté- 
rieurs, l'un  i)our  constituer  une  Bible  des  familles  et 
pour  créer  des  instruments  de  pédagogie  juive,  l'autre 
pour  former  une  bibliothècpie  historique  du  judaïsme, 
soit  par  des  œuvres  originales,  soit  j)ar  des  traductions 
en  langue  française,  avaient  trouvé  chez  Franck  un 
initiateur  enthousiaste,  qui  ne  marchandait  pas  i)lus 
son  temps  que  l'énergie  de  son  concours.  La  Société 
des  études  juives  allait  en  IcSSO  réaliser  ces  beaux 
rêves,  d'une  part  en  fondant  une  Revue  périodique^, 
d'autre  part  en  inaugurant  des  conférences.  Nous  repre- 
nions aves  de  meilleures  chances  de   succès  les  tenta- 

'  La  Revue,  de  prime  abord  trimestrielle,  a  pleinement  réalisé 


248  Opuscules  d'un  arabisant 

tives  de  nos  devanciers  qui,  disons-le  franchement, 
avaient  avorté  pour  n'avoir  point  groupé,  comme  dans 
un  faisceau,  toutes  les  forces  vives  du  judaïsme,  pour 
être  demeurées  les  œuvres  exclusives  de  groups  fer- 
més, avec  des  exclusions  préméditées. 

La  leçon  nous  a^sagement  profité.  Car,  notre  Société 
a  failli  verser  à  ses  débuts  dans  la  même  ornière 
pour  avoir  méconnu  la  nécessité  de  l'union  sur  le 
terrain  mouvant  du  judaïsme  actuel.  Quelle  déception 
pour  nos  espérances,  quel  symptôme  d'infériorité,  si 
nous  nous  étions  associés  à  des  sentiments  incon- 
sidérés d'orgueil  intransigeant  à  l'égard  de  nos  aînés, 
de  nos  guides  naturels  !  Dans  une  réunion  préparatoire 
qui  .eut  lieu  chez  notre  premier  président,  M.  le 
baron  James  de  Rothschild,  plusieurs  soldats  en- 
rôlés sous  notre  bannière  exprimèrent  leur  défiance 
à  l'égard  des  généraux.  Une  jeunesse  infatuée  prétendit 
qu'il  était  surtout  urgent  de  prendre  ses  précautions 
contre  la  gérontocratie  envahissante.  L'anarchie  des 
propositions  fut  poussée  à  l'extrême.  La  nomination  du 
bureau  provisoire,  composé  exclusivement  dérudits, 
comme  MM.  James  de  Rothschild,  président  ;  Arsène 
Darmesteter   et   Zadoc  Kahn,  vice-présidents,    fut  un 

les  espérances  de  ses  fondateurs.  La  mort  et  les  défections  lui 
ont  enlevé  nombre  de  collaborateurs  qui  furent  naguère  sa 
parure  et  sa  force.  Et  pourtant,  son  niveau  scientifique  n'a  pas 
baissé.  Son  passé,  après  un  quart  de  siècle  de  succès  austères, 
est  un  sûr  garant  de  son  avenir.  Cne  table  générale  des  vingt- 
cinq  premières  années,  qui  paraîtra  en  1905,  permettra  de  con- 
stater les  résultats  obtenus  par  une  critique  rigoureuse,  par  un 
examen  des  faits  religieux  dégagé  des  préjugés  de  l'apologétique, 
exempt  des  entichements  des  polémiques,  par  des  recherches 
fécondes,  surtout  dans  les  domaines  de  l'histoire  et  de  la  philo- 
logie. Les  noces  d'argent  de  la  Société  ont  été  célébrées  par 
nous  avec  solennité  le  14  mars  1905.  A  nos  continuateurs  de 
1930  de  lui  assurer  d'éclatantes  noces  d'or. 


Adolphe  rraiick  24î> 

acte  décisif  délcnninant  le  sens  de  notre  orientation. 
Dn  triumvirat  (jue  nous  avions  élu  [)our  diriger  nos 
premiers  pas,  M.  le  Grand-Rabbin  Zadoc  Kahn  reste 
seul  sur  la  brèche,  heureusement  phis  alerte,  plus 
souriant  et  plus  ferme  à  son  poste  que  jamais.  La 
mort  impitoyable  a  fauché  prématurément  les  deux 
autres  artisans  de  la  première  heure  cpii,  avec  lui  et 
avec  Isidore  Loeb',  avaient  sagement  conchiit  notre 
Société  naissante  dans  la  ])onne  voie  dont  elle  ne  s'est 
jamais  écartée. 

Le  numéro  1  de  hi  Revue  porte  la  date  de  juillet- 
septembre  1880.  11  ouvre  par  un  article  d'un  de  ces 
anciens,  mon  illustre  père,  M.  Joseph  Derenbourg, 
qu'une  minorité  avait  voulu  éliminer  par  haine  des 
supériorités.  Un  autre  de  ces  précurseurs,  qui  sera  tou- 
jours le  plus  jeune  d'entre  nous,  M.  Jules  Oppert,  nous 
a  fait  rhonneur  d'être  notre  porte-drapeau  pendant  les 
années  1890  et  1891.  Leur  doyen,  Adolphe  Franck,  un 
troisième  épouvantail  pour  les  mêmes  cerveaux  étroits, 
n'attendit  pas  que  nous  fissions  un  api)el  direct  à  son 
bon  vouloir.  Dès  que  la  Revue  eut  donné  sa  mesure 
dans  le  numéro  2  d'octobre-décembre  1880,  il  en  a^^réa 
le  programme  et  donna  sa  haute  et  complète  approba- 
tion à  l'esprit  qui  animait  la  nouvelle  Société.  Non  seu- 
lement il  s'inscrivit  spontanément  parmi  nos  ((  mem- 
bres souscripteurs  »,  mais  encore  il  s'empressa,    dans 

•  Isidore  Locb  est  mort  le  2jiiinl(S92  avant  d'avoir  donné  sa  me- 
sure, aussitôt  après  avoir  publié  sa  remarqiialjle  Litlcniliirc  des 
Pauvres  dans  la  Bible.  Sa  production,  pour  remarquable  qu'elle 
soit,  est  encore  dépassée  par  l'inlluence  qu'il  a  exercée  sur  «  le 
peuple  juif  »  et  sur  la  science  juive.  La  direction  qu'il  leur  a 
imprimée  continue  à  les  régir  par  l'autorité  de  son  nom  et  de 
ses  «  Considérations  »,  de  son  érudition  et  de  sa  méthode,  de  son 
caractère  et  de  son  talent.  Quant  à  moi,  je  pleure  l'ami  dont  je 
porterai  le  deuil  jusqu'à  mon  dernier  jour. 


250  Opuscules  d'un  arabisant 

le  Journal  des  Scwanls  d'avril  1881  (p.  212-222),  de 
nous  faire  une  réclame  fortement  motivée  et  qui  a  lar- 
gement contribué  à  l'épanouissement  de  notre  renom- 
mée fraîche  éclose.  Après  avoir  cité  des  extraits  de 
l'Appel  anonyme  à  nos  lecteurs,  dont  la  contexture  et 
le  style  trahissent  le  penseur  et  l'écrivain  qu'était  mon 
ami  Isidore  Loeb,  Franck  ajoute  : 

«  Tel  est  l'esprit  qui  a  présidé  à  la  création  du  nou- 
veau recueil  et  l'on  reconnaît  avec  plaisir  que  jusqu'à 
présent  il  y  est  resté  fidèle.  Aussi  la  liste  de  ses  rédac- 
teurs ne  se  compose-t-elle  pas  uniquement  de  noms 
israélites  ;  on  remarque  parmi  eux  des  noms  honora- 
blement connus  de  savants  chrétiens  ou  étrangers  au 
judaïsme.  Quant  aux  sujets  qui  y  sont  traités,  ils  appar- 
tiennent à  presque  toutes  les  branches  de  l'érudition  : 
à  la  philologie,  surtout  à  la  philologie  biblique  et  tal- 
mudique,  à  l'histoire,  à  l'archéologie,  à  l'histoire  litté- 
raire, à  lépigraphie,  à  l'étude  comparée  des  religions 
et  des  controverses  religieuses.  On  y  trouve  également 
des  notices  bibliographiques  et  des  critiques  d'ouvrages 
nouveaux,  que  leur  brièveté  n'empêche  pas  d'être 
utiles  et  quelquefois  très  intéressantes.  Elles  appellent 
l'attention  sur  des  publications  savantes  que  leur 
origine  étrangère  ou  leurs  titres  incompris  déroberaient 
facilement  cà  la  connaissance  du  public  français.  » 

On  voit  avec  quelle  sympathie  Franck  saluait  l'au- 
rore de  notre  Société.  Elle  a  été  une  de  ses  dernières 
passions  et  elle  s'en  targue.  Il  a  eu,  pour  lui  faire  la 
cour,  des  accents  d'amoureux  plein  d'illusions  sin- 
cères; il  lui  a  réservé  dans  son  cœur  une  place  qu'elle 
n'aurait  pas  osé  revendiquer.  Sa  déclaration  d'amour 
n'était  pas  l'explosion  d'un  caprice  éphémère.  Si  nous 
la  rappelons  aujourd'hui,  c'est  que,  loin  de  nous  de- 
mander le  secret,  il  nous  a  conviés  à  la  répéter  lors- 


Adolphe  Franck  251 

qu'un  jour  nuus  rendrions  hununage  à  sa  niénioire. 
C'est  ici  nuMiic  (ju'à  noire  neuviènie  assemblée  géné- 
rale, le  25  janvier  1S9(),  Ad.  r'ranek  s'exprimait  en  ces 
termes  :  «  Pour  moi,  je  tiens  pour  un  des  meilleurs 
souvenirs  de  ma  vie  l'honneur  d'avoir,  pendant  ces 
neuf  ans,  présidé  deux  lois  vos  réunions  et  rempli 
trois  l'ois  la  tâche  enviée  du  conl'érencier.  »  Puis  il  ajoute 
avec  une  tendresse  [)leine  d'expansion  {Jont  j'ai  con- 
servé l'écho  dans  mon  oreille,  tant  l'orateur  avait  su 
régler  ses  intonations  :  «  Si  un  jour  (jneUpTun  de  mes 
auditeurs,  de  mes  amis  ou  de  mes  lecteurs  ne  ju<*e  pas 
au-dessous  de  lui  d'éciire  ma  biographie,  je  le  sup|)lie 
d'avance  de  ne  pas  oublier,  |)ai-mi  les  modestes  titres 
que  je  pourrai  présenter  à  l'estime  de  ceux  (|ui  me 
survivront,  les  témoignages  de  bienveillance  que  j'ai 
reçus  de  la  Société  des  études  juives.  Je  les  place  au 
niveau  des  honneurs  académi([ues  et  de  l'avantage  que 
j'ai  eu  d'enseigner  du  haut  de  la  chaire  du  Collège  de 
France.  » 

Dès  le  30  novembre  1882,  Ad.  Franck  avait  honoré 
notre  deuxième  Assemblée  générale  en  nous  a|)portant 
une  conférence  sur  Lu  relujioii  et  la  science  dans  le 
judaïsme.  Il  nous  priait  modestement  d'accueillir  avec 
indulgence  sa  maigre  oITrande,  «comme  le  prêtre 
accueillait  le  demi-sicle  d'argent  que  les  j)lus  pauvres 
en  Israël  déposaient  autrefois  sur  le  seuil  du  temple  ». 
Ce  fut  à  notre  cincjuième  Assemblée  générale,  le  17  dé- 
cembre 188."),  que  Franck  nous  entretint  d'une  «  bien 
vieille  histoire  »  qu'il  sut  rajeunir:  Le  péché  orùjiiiel  et 
la  femme  d\iprès  le  récit  de  la  Genèse.  Il  terminait  son 
apologie  de  la  femme  par  l'évocation  d'une  ligure 
idéale,  dans  laquelle  je  crois  reconnaître,  comme  dans 
un  souvenir  lointain,  la  comi)agne  admirable  qui  lui 
avait  été  enlevée  le  10  octobre  1867,   après   l'union  la 


252  Opuscules  d'un  arabisant 


plus  parfaite  dans  un  ciel  sans  nuages  '.  Voici  cette 
page  exquise  : 

«  La  destinée  de  la  femme  est  d'être,  dans  la  me- 
sure des  moyens  dont  elle  dispose  et  suivant  le  milieu 
où  le  sort  l'a  placée,  la  divinité  du  foyer,  la  providence 
des  faibles  et  des  petits,  l'ange  de  la  charité,  la  conso- 
latrice des  affligés,  la  messagère  de  la  conciliation  et 
du  pardon,  la  gardienne  du  feu  sacré,  non  pas  de  ce 
feu  matériel  que  l'antique  Rome  confiait  à  la  vigilance 
de  ses  Vestales,  mais  de  la  flamme  divine  à  laquelle 
s'allument  la  piété,  le  patriotisme,  l'esprit  de  sacri- 
fice, l'amour  de  toute  beauté  morale,  les  saintes  et  vivi- 
fiantes espérances. 

((  Que  la  femme  se  présente  devant  nous,  revêtue  de 
cette  parure,  nous  ne  répéterons  pas  les  paroles  pro- 
noncées par  Adam  quand  il  vit  pour  la  première  fois 
sa  compagne  :  C'est  l'os  de  mes  os  et  la  chair  de  ma 
chair.  Mais  nous  lui  dirons,  nous  mettant  à  la  place 
de  l'humanité  :  Tu  es  l'àme  de  mon  âme,  la  vie  de  ma 
vie,  la  plus  chère  et  la  plus  précieuse  moitié  de  moi- 
même.  » 

Puis  Franck  conclut,  non  sans  une  certaine  pointe 
de  coquetterie  :  «  Mesdames,  Messieurs,  je  finis  sur  ces 
mots.  Si  quelques-uns  d'entre  vous  me  reprochent  d'avoir 
été  trop  favorable  à  une  partie  de  cette  réunion,  ils 
m'accorderont  du  moins,  en  raison  de  mon  âge,  le 
mérite  du  désintéressement.  » 

Adolphe  Franck,  que  ses  états  de  service  pour  la 
défense    de    notre    patrimoine    moral    et    intellectuel 

*  Une  pieuse  pensée  a  fait  choisir  et  grouper  les  éléments  d'un 
volume  que  j'ai  eu  grand'peine  à  entrevoir  :  Une  vie  de  femme. 
Lettres  intimes  de  Pauline  Franck.  Tours,  imprimerie  Paul 
Bousrez,  s,  d.  (1898).  La  cueillette  s'étend  de  1830  à  septembre 
1867. 


Adolplie  Franck  25:J 

avaient  clési<^né  pour  la  })rcsi(lence  en  18(S8^  (jui  l'ut 
maintenu  à  notre  tête  en  1S81),  ouvrit  le  11)  janvier  1889 
notre  huitième  Assemblée  «générale  en  (lualité  de  pré- 
sident et  la  ierma  à  titre  de  conféreneier.  Le  sujet  de 
sa  conférence  était  :  Le  panthéisme  oriental  et  le  mono- 
théisme hél^reii.  «  Assurément,  dit-il  en  tête  de  la  pre- 
mière de  ces  deux  allocutions  successives,  vous  auriez 
eu  le  droit  de  demander  qu'on  m'applicpiàt  la  loi  (jui 
interdit  le  cumul  des  fonctions.  »  C'est  le  cumul  des 
services  rendus  (jue  notre  Société  s'est  bien  «gardée  de 
récuser  chez  notre  regretté  confrère,  et  nous  avons 
peut-être  abusé  de  l'inépuisable  générosité  avec  laquelle 
il  nous  prodiguait  les  trésors  de  sa  parole. 

Le  charme  de  ces  entretiens  à  la  fois  familiers  et  pro- 
fonds ne  s*évanouira  pas^  ainsi  qu'une  impression 
fugitive,  pour  ceux  qui  ont  eu  la  bonne  Ibrtune  de  le 
ressentir.  La  lecture  attentive  de  ces  morceaux  recueillis 
pieusement  ne  saurait  remplacer  l'action  exercée  par 
l'orateur  sur  son  auditoire.  Il  le  tenait  en  haleine,  ra- 
lentissant pariois  son  débit,  le  hâtant  par  des  effets  bien 
préparés,  sans  que  jamais  la  clarté  eût  à  soulTrir  par 
trop  de  précipitation,  sans  que  l'attention  faiblît  par 
suite  d'une  articulation  traînante.  VA  ces  résultats  sur- 
prenants étaient  conquis  par  une  voix  grêle,  d'un 
timbre  peu  sonore.  L'élan  chaleureux  d'une  àme  pas- 
sionnée la  faisait  vibrer  avec  éclat  et  lui  donnait  une 
portée  qui,  sans  fatigue,  ni  pour  celui  qui  la  maniait, 
ni  pour  celui  qui  l'entendait,  la  mettait  en  contact  avec 
les  foules  amassées  dans  les  plus  vastes  salles  et  amphi- 
théâtres. Franck,  qui  a  soutenu  de  son  ap[)ui  et  de  ses 
conseils  mes  débuts  dans  les  études  orientales,  me 
répétait  souvent  un  conseil  qu'à  mon  tour  je  me  per- 
mets de  donner,  en  me  réclamant  de  lui,  à  ceux  qui 
aspirent  à  bien  parler  dans  la  chaire  du  professeur  ou 


25^  Opuscules  d'un  arabisant 

dans  celle  du  prédicateur  :  «  On  ne  réussit,  disait-il, 
à  se  faire  écouter,  ni  par  les  éclats  de  voix,  ni  par  les 
cris  où  se  perdent  les  unités  acoustiques.  Il  importe 
bien  plutôt  de  veiller  à  ce  que  chaque  syllabe  parvienne 
isolée  au  pavillon  de  l'oreille,  sans  se  confondre  plus 
avec  celle  qui  l'a  précédée  qu'avec  celle  qui  la  suivra. 
C'est  le  principe  dont  l'application  m'a  permis  d'ob- 
tenir avec  des  moyens  limités  des  résultats  considé- 
rables, facilement  accessibles  à  ceux  qui  suivront  mon 
exemple.  » 

L'intimité  de  Franck  avec  notre  Société,  resserrée 
par  sa  présidence  de  deux  ans,  se  relâcha  lorsqu'il 
fut  rassuré  sur  notre  destinée,  lorsqu'il  sentit  que 
désormais  nous  étions  en  état  de  poursuivre  notre 
route  sans  lisières.  Il  reporta  son  affection,  sans  réserve 
et  presque  sans  partage,  sur  la  Ligue  nationale  contre 
l'athéisme,  dont  il  fut  le  fondateur,  l'orateur  et  l'écri- 
vain. La  période  de  la  lutte  pour  l'existence  était 
close  pour  nous  et  il  fallait  à  ce  paladin  octogénaire 
ce  que  nous  ne  pouvions  plus  lui  offrir,  un  champ 
de  bataille.  Le  Dieu  de  la  religion  naturelle,  dont  la 
négation  l'exaspérait  et  le  faisait  bondir,  c'était  encore 
pour  lui  le  Dieu  d'Israël,  en  faveur  duquel  il  rom- 
pait des  lances,  soit  dans  le  journal  de  la  Ligue, 
dans  la  Paix  sociale,  soit  dans  des  homélies  fanatiques 
qu'échauffait  le  plus  ardent  esprit  de  prosélytisme.  Ce 
fut  la  dernière  campagne  de  propagande  qu'ait  menée 
cet  athlète  infatigable,  dont  les  forces  déclinaient  sans 
que  sa  volonté  pût  se  résigner  à  un  repos  nécessaire. 

Bien  que  Franck  fût  rassasié  d'années,  selon  l'ex- 
pression biblique,  bien  qu'il  eût  dépassé  de  beaucoup 
la  moyenne  de  la  vie  humaine,  ce  fut  un  accident  qui 
détermina  la  crise  fatale,  le  11  avril  1893.  Lors  des 
obsèques,  M.  le  Grand-Rabbin  de  France,  parlant  au 


Atlol])lie  Franck  255 


nom  (lu  jiidaïsiîic  français,  se  fit  rinU'iprèk'  i'l()(|ncnt 
de  noire  Soeiélé  et  de  ses  i\\i(rels  unanimes;  mais  noire 
deuil  était  ti'op  profond  pour  s(»  laisser  eonfondre 
dans  Trinolion  générale  des  eceurs  allli'^és'.  Nous 
avions  besoin  (répaneher  jnd)li({nemenl  noli'e  douleur 
|)arlieulière  dans  eelle  salle  même  où,  à  trois  reprises, 
la  parole  de  Franek  avail  exeilé  voire  légitime  enthou- 
siasme el  provcxpié  vos  applaudissements  unanimes» 
C'est  j)our(|U()i  voire  Président,  sans  allronler  le  iienrc 
périlleux  de  l'oiaison  funèl)re,  a  eru  réjK)ndre  à  vos 
senlimenls  intimes  en  venant  déposer  en  voire  nom, 
sur  la  lond)e  de  son  éminent  maître  et  ami,  une  gerbe 
de  lleurs  el  une  eouronne  d'immortelles. 

A  peine  Franek  avait-il  publié,  en  IcSI.'J,  sa  Kdbhale 
qu'un  inconnu,  Adolf  Jellinek,  traduisait  en  allemand 
et  commentait  dans  des  notes  originales  la  monogra- 
phie du  jeune  professeur  fi'aneais.  (les  deux  hommes, 
un  moment  unis  par  la  communauté  de  leurs  travaux, 
sont  de  nouveau  rapj)rochés  j)ar  la  mort.  Aj)rès  vous 
avoir  parlé  de  Franck,  je  suis  amené  pai'  le  liasaid 
des  dates  à  vous  rapj)eler  les  souvenirs  (pi'éveille  la 
vie  si  remplie  et  si  glorieuse  de  Jellinek. 

Il  était  né  le  20  juin  1821  dans  un  village  de  Mo- 
ravie, vint  en  1(S12  suivre  les  cours  de  ITuiversité  de 
Leipzig,  oii  il  aborda  de  front  les  éludes  orientales, 
hislori(iues  et  philoso[)hiques,  et  où,  aj)rés  son  docto- 
rat, en  1815,  la  communauté  juive  se  l'attacha  comme 
prédicateur.  Il  y  resta  jusqu'au  moment  où,  en  hS.lb, 
il  fut  appelé  à  dé|)loyer  son  talent  sur  une  scène 
plus  vaste,  dans  l'une  des  synagogues  de  Vienne,  où 
il  prêcha  pour  la  jiremière  fois  le  jour  de  Simhat  Tnrâ 
en  1857,  sur  le  thème  suivant  :  «  Chaque  homme  a 
son  temps  et  chaque  temps  a  son  homme.  »    C'est  à 

'  Zadoc  Kahn,  Souvenirs  et  regrets  (Paris,  1898),  p.  344-353. 


256  Opuscules  d'un  arabisant 

Vienne  qu'il  est  mort  le  jeudi  28  décembre  1893  à  l'âge 
de  73  ans,  c'est  là  que  son  enterrement  a  eu  lieu  en 
grande  pompe  le  31  décembre  dernier. 

Les  deux  maîtrises  de  Jellinek,  aussi  fécond  comme 
écrivain  que  comme  orateur,  étaient  de  premier  ordre. 
Isidore  Loeb,  qui  s'y  connaissait,  le  considérait  comme 
l'homme  le  plus  intelligent  qu'il  eût  jamais  rencontré. 
La  nomenclature  de  ses  publications,  dans  un  cata- 
logue publié  en  1882  par  le  libraire  Lippe^  atteignait 
déjà  le  nombre  respectable  de  109  numéros.  Sur  un 
exemplaire  annoté  de  sa  main,  Jellinek  en  ajoute  deux 
qui  auraient  été  omises,  et  notez  que  sa  production  ne 
s'est  pas  arrêtée,  excepté  dans  les  toutes  dernières 
années  ;  notez  que  ses  articles,  disséminés  dans  les 
Revues,  ne  sont  point  compris  dans  cette  énuméra- 
tion.  Quant  à  sa  parole,  aucun  éloge  ne  pourrait  en 
donner  une  idée  approchante  à  qui  n'en  a  pas  connu 
l'impression  irrésistible.  Je  l'ai  entendu  en  1867  et  je 
m'en  souviendrai  toujours.  Le  talent  oratoire  de  Jel- 
linek combinait  les  ressources  d'un  art  consommé 
servi  par  une  voix  magnifique  avec  un  savoir  étendu 
et  sur  qu'il  dissimulait  sous  les  artifices  d'un  langage 
brillant  et  approprié  aux  circonstances.  Le  geste  était 
sobre  et  imposant.  Condamné  par  une  surdité  incu- 
rable à  se  replier  sans  cesse  sur  lui-même  dans  ses 
méditations  et  dans  ses  recherches^  il  savait  mettre  la 
science  au  service  de  la  chaire  et  la  chaire  au  service* 
de  la  science.  Comme  Franck,  il  avait  le  culte  de  la 
femme,  avec  l'ambition  de  la  relever  sans  abaisser 
l'homme;  comme  Franck,  il  était  un  adversaire  impi- 
toyable du  nihilisme  religieux.  Le  judaïsme  et  la 
science  juive  ont  perdu  en  lui  un  de  leurs  serviteurs 
les  plus  utiles  et  les  plus  fidèles,  notre  Société  l'un  de 
ses  membres  étrangers  dont  l'adhésion  réfléchie  était 
pour  nous  un  titre  de  gloire. 


Mil 

Maxîniin  Deloehe 

(1817-1900) 


I 

I 


I 


Maximin  Deloche 

(1817-1000)' 

Messieurs,  dans  votre  séance  du  11  aoùl  1899,  Maxi- 
min Deloche  intervenait  avec  sa  véhémence  hal)ituelle, 
vous  conjurant  d'altrihuer  (^  un  caractère  pour  ainsi 
dire  officiel  »  aux  notices  nécrologiques,  que,  «  en  con- 
formité d'une  disposition  réglementaire  »,  tout  memhrc 
élu  dans  votre  Compagnie  était  tenu  désormais  de  rédi- 
ger sur  son  prédécesseur.  «  L'Académie,  disait-il  en 
suhslance  -,  alors  qu'elle  accorde  un  tour  de  faveur  à 
la  lecture  d'une  telle  notice,  donne  un  témoignage  de 
respectueuse  sympathie  à  la  mémoire  du  memhre 
qu'elle  a  perdu.  »  L'ardeur  juvénile  du  vieillard  ne 
laissait  pas  soupçonner  que  la  procédure,  dont  il  déli- 

1  Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Maximin  Deloche,  lue 
dans  la  séance  de  l'Acadéinie  des  inscriptions  et  belles-lettres 
du  29  novembre  190t.  Dans  les  trois  éditions  antérieures  (voir 
Bibliographie  de  IL  D.,  n"  136),  cette  notice  est  accompagnée 
d'une  Bibliographie  des  principales  publications  de  M.  Maximin 
Df/oc/ic,  que  je  n'ai  j)as  jugé  à  proj)Os  de  reproduire  dans  les 
Opuscules.  11  convient  d'y  ajouter  maintenant  34.  Etude  histori- 
(pie  sur  les  Voies  d'accès  de  Tulle,  dans  le  Bulletin  de  la  Société 
des  lettres,  sciences  et  arts  de  la  Corrèze  de  1902,  p.  141-150,  ainsi 
que  Henri  Stein,  Bibliographie  de  Maximin  Deloche,  dans  le  Bul- 
letin de  la  Société  nationale  des  anti(ju(ures  de  France  de  1902, 
p.  89-101.  Signalons  aussi  avec  éloge  la  Notice  biographiipie,  par 
Paul  Monceaux,  ibid.,  p.  61-88. 

-  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes  rendus  des 
séances  de  Vannée  1S99,  p.  492;  cf.  Henri  Wallon,  ibid.,  année 
1898,  p.  768,  en  tète  de  sa  belle  Notice  historique  sur  Eugène  de 
Rozière. 


260  Opuscules  d'un  arabisant 

nissait  le  protocole  et  la  formule,  lui  serait  à  bref  délai 
applicable.  Il  devait  mourir  six  mois  après,  le  12  fé- 
vrier 1900. 

J'ai  tardé  plus  que  je  n'aurais  voulu  à  vous  fournir 
l'occasion  de  témoigner  à  la  mémoire  de  Maximin 
Deloche  cette  respectueuse  sympathie  qu'il  avait  récla- 
mée poui'  ses  confrères  défunts,  qu'il  a  conquise  haut 
la  main  dans  les  milieux  divers  où  il  a  déployé  ses 
brillantes  facultés,  qu'il  était  fier  d'inspirer  à  l'unani- 
mité de  ceux  qui  ont  eu  le  privilège  d'être  ses  confrères. 
Et  moi-même,  en  parlant  de  lui,  puis-je  oublier  que  le 
jour  de  son  admission  parmi  vous,  le22  décembre  1871, 
a  été  pour  moi  un  jour  de  grande  allégresse,  puisque, 
par  une  coïncidence  remarquable,  mon  père  et  l'homme 
éminent  dont  votre  bienveillance  m'a  fait  le  successeur, 
avaient  l'un  après  l'autre  recueilli  la  majorité  de  vos 
suffrages  pour  remplacer  dans  notre  Compagnie  déci- 
mée Caussin  de  Perceval  et  Huillard-Bréholles? 

C'est  sous  les  auspices  de  ces  deux  frères  jumeaux 
par  votre  adoption  que  je  vous  demande  la  permission 
de  placer  ces  notes  qui,  en  dépit  de  mon  zèle^  portent 
les  marques  trop  évidentes  de  mon  incompétence. 


Maxiniiii   Drloche  2(>1 


Jiiles-Edinoiul-Maxiniiii  DcIocIk'  naquit  à  Tulle  le 
27  octobre  1817,  dans  l'ancien  couvent  des  liécollels, 
sis  rue  de  la  Hariière,  autreiois  un  monastère,  puis  une 
prison,  depuis  hSOO  la  Manufacture  d'armes,  actuelle- 
ment une  caserne  '.  Son  père,  un  Champenois  de  Char- 
leville,  avait  lait  les  campagnes  du  premier  Empire  et 
se  trouvait  à  la  lin  de  lcS12  au  passage  de  la  Bèrèsina. 
A  son  retour  en  France,  il  fut  détaché  à  la  Manufacture 
d'armes  en  cpudilè  de  garde  d'artillerie,  y  tut  logé,  s'y 
maria  ou  plutôt  s'y  remaria  -  avec  M"*'  Lanol,  lille  du 
conventionneP,  s'y  fixa  et  eut  de  sa  seconde  union 
jileux  fds,  l'aîné  Gustave,  né  en  liSl.'),  (pii  fut  avoué  à 
Tulle  avant  de  fournir  une  carrière  administrative 
comme  préfet  et  comme  directeur  des  asiles  du  Vésinet 
et  de  Vincennes,  le  cadet  Maximin,  celui  dont  j'essaie 
d'évoquer  devant  vous  la  physionomie. 

L'enfant  était  heureusement  doué.  On  l'envoya,  au- 
près de  la  maison  paternelle,  au  vieux  Collège,  dont  la 
façade  regardait  les  (juais  de  la  Corrèze  et  que  rem- 
place maintenant,  sur  le  mamelon  Ouest,   derrière   les 

'  En  190 1,  la  municipalité  et  le  Conseil  municipal  de  Tulle  ont 
donné  le  nom  iVHcole  Mdximiii  Deloche  à  un  groupe  scolaire 
nouvellement  construit  non  loin  du  Lycée,  au  dessus  de  la 
caserne  des  Récollets.  On  y  parviendra  du  Lj'cée  par  la  future 
Avenue  Maximin  Deloche. 

'^  Deloche  père  s'était  marié  en  premières  noces  avec  une 
Italienne  et  de  cette  union  provint  celui  de  ses  petits-fils  qui  a 
été  connu  dans  le  monde  artistique  sous  le  pseudonyme  de 
Campocasso.  Parmi  ses  neveux  et  ses  petits-neveux,  je  signa- 
lerai les  Leioir,  une  dynastie  de  peintres  et  d'aquarellistes. 

^  Par  sa  mère,  Maximin  Deloche  était  apparenté  à  notre  con- 
frère Henri  Meilhac,  qui  lui  écrivait  :  «  Mon  cher  cousin  »,  aux 
obsèques  duquel  il  fut  appelé  à  conduire  le  deuil  le  9  juillet  1897. 


262  Opuscules  d'un  arabisant 

tours,  le  vaste  Lycée  tout  flambant  neuf.  Le  principal 
et  les  professeurs,  assemblage  varié  d'éléments  dispa- 
rates, ont  été  esquissés  dans  des  croquis  humoristiques 
par  un  excellent  élève  qui  suivit  de  près  le  jeuneMaxi- 
min  sur  les  bancs  et  qui  était  dans  les  classes  des 
petits,  alors  que  celui-ci  était  dans  celles  des  grands, 
par  M.  Emile  Page,  président  de  la  Société  des  lettres, 
sciences  et  arts  de  la  CorrèzeK  Or,  l'écolier  nous  inté- 
resse plus  que  l'école.  c(  Il  était,  m'écrit  M.  Emile 
Page,  intelligent,  laborieux,  très  appliqué  à  ses  devoirs 
et  bien  ordonné  en  toutes  choses.  Ses  études  furent 
brillantes  ;  elles  faisaient  bien  augurer  de  son  avenir. 
Ses  aptitudes  variées,  également  ouvertes  du  côté  des 
lettres  et  de  l'histoire,  servies  par  un  esprit  méthodi- 
que et  fécondées  par  un  travail  assidu,  permettaient 
d'entrevoir  l'éclosion  prochaine  d'une  marquante  per- 
sonnalité intellectuelle.  »  Si  M.  Emile  Page,  dans  cette 
lettre  du  17  janvier  1001,  peut  être  qualifié  de  pro- 
phète après  l'événement,  il  reflète  avec  l'exactitude  d'un 

^  Emile  Fage,  Souvenirs  d'enfance  et  de  jeunesse  (Tulle,  1901), 
p.  139-150,  167-172,  181-203,  216-219  ;  du  même,  Maximin  Deloclie, 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  la  Cor- 
rèze  de  1902,  p.  129-139,  et  dans  Mélanges,  Portraits  et  paysages 
(Tulle,  1905),  p.  245-258.  M.  Emile  Fage  a  bien  voulu  me  con- 
seiller et  me  renseigner  avec  son  expérience,  son  autorité  et  sa 
((  façon  de  donner  »,  qui  rehausse  encore  le  prix  de  ce  qu'il  m'a 
donné  si  généreusement.  La  Société  des  lettres,  sciences  et  arts 
de  la  Corrèze,  dont  le  siège  est  à  Tulle,  y  a  été  fondée  le  14  no- 
vembre 1878.  Maximin  Deloche  en  fut  d'abord  le  président  effec- 
tif, puis  le  président  d'honneur  depuis  1880  jusqu'à  sa  mort.  Un 
autre  groupe,  la  Société  scientifique,  historique  et  archéologique 
de  la  Corrèze,  s'était  constitué  deux  mois  auparavant,  le  9  sep- 
tembre 1878,  à  Brive,  sous  la  présidence  d'honneur  de  notre 
ancien  confrère,  le  comte  Ferdinand  de  Lastej^rie.  Lorsque 
celui-ci  mourut,  le  13  mai  1879,  elle  acclama  comme  son  succes- 
seur à  vie  son  fds,  notre  président  de  1901,  M.  le  comte  Robert 
de  Lastevrie. 


Maxiiniii  Deloclie  2(>3 


ancien  souvenir  l'impression  produite  par  le  jeune  De- 
loche  sur  SCS  niailres  et  sur  ses  condisciples.  Deloche 
lui-niènie  se  rappela  toujours  avec  émotion  les  années 
qu'il  avait  passées  avec  les  uns  et  les  autres.  Il  écrivait 
en  181)3  •  :  «  Le  collège  est  mieux  ([u'une  hôtellerie  de 
passage  ou  qu'un  manège  organisé  pour  rentraîne- 
menl  des  esprits  :  c'est  une  autre  patrie,  la  i)atric  intel- 
lectuelle. » 

L'éducation  musicale  de  l'adolescent  s'ajoutait  par 
surcroit,  comme  un  complément  et  une  distraction,  à 
son  instruction  classique.  11  avait  hérité  de  son  père 
le  goût  de  la  musique,  ('.elui-ci,  guitariste  distingué, 
initia  le  futur  compositeur  aux  premiers  j)rincipcs  de 
l'art,  pour  lecjuel  votre  conlVère  conserva  toujours  une 
prédilection  très  vive  et  prescjuc  un  regret  de  ne  s'y  être 
pas  consacré.  Quelle  illusion  fréquente  chez  les  hommes 
d'être  prêts  à  sacrifier  leurs  succès  légitimes  à  la  chi- 
mère d'un  mirage  ! 

Bachelier  es  lettres  à  17  ans,  Deloche  partit  pour 
Toulouse,  où  il  fit  son  droit.  Je  n'ai  pas  réussi  à  retrou- 
ver sa  thèse  de  licence,  dont  la  soutenance  eut  lieu 
vers  la  iin  de  l'année  scolaire  183r)-l(S3().  Le  choix  du 
sujet  -  fournit  quelque  indice  sur  les  voies  latentes  par 

*  Fragment  d'une  lettre  de  M.  Deloche  à  M.  Kniile  Fage.lue  par 
celui-ci  le  4  janvier  1894  au  premier  banquet,  qu'il  présidait,  de 
l'Association  des  anciens  élèves  du  Collège  et  du  Lycée  de 
Tulle. 

2  Mon  ami  et  confrère,  M.  .\uguste  Longnon,  m'a  révélé  un 
passage,  écrit  par  notre  savant  confrère,  M.  Paul  Viollet,  dans 
son  Histoire  du  droit  civit  (Paris,  181)3,  p.  876,  note  2).  A  pro- 
pos des  articles  913-910  du  Code  civil  sur  le  droit  de  lester,  il 
renvoie  à  «  une  élude  comparative  de  la  loi  de  germinal,  an 
VIII,  et  du  Code  civil  dans  Deloche,  Thèse  de  licence.  Toulouse, 
1836  ».  M.  Paul  Viollet,  qui  devait  ce  renseignement  au  témoi- 
gnage oral  de  Maximin  Deloche,  ajoute  sur  la  même  autorité: 
«  Deloche  préfère  aux  solutions  du  Code  civil  celles  de  la  loi  de 
germinal.  » 


264  Opuscules  d'un  arabisant 

lesquelles   son   esprit   s'acheminait  vers  la  science  et 
vers  l'érudition. 

Il  prit  de  longs  détours  pour  y  parvenir  K  Muni  de 
son  diplôme,  il  s'inscrivit  en  1837  au  barreau  de  Bor- 
deaux comme  stagiaire  -,  à  l'instigation  d'un  parent, 
M.  Lacoste,  avocat  près  la  cour  royale  de  cette  ville 
depuis  1817,  ami  personnel  de  Jules  Dufaure.  Celui-ci 
avait  fait,  en  1823,  ses  débuts  d'orateur  au  Palais  de 
justice  de  Bordeaux,  et  y  avait,  en  1832,  succédé  comme 
bâtonnier  de  l'ordre  à  ce  même  M.  Lacoste.  Son  nom 
y  figura  au  tableau  jusqu'en  1852.  J'emprunte  textuel- 
lement ce  qui  suit  à  l'allocution  que  notre  confrère, 
M.  Maxime  Collignon,  a  prononcée  le  9  janvier  der- 
nier, en  quittant  la  présidence  de  la  Société  des  anti- 
quaires de  France  ^  :  (.(.  Un  jour,  M.  Dufaure  vient  à 
Bordeaux  pour  y  plaider  dans  un  procès.  L'avocat  de 
la  partie  adverse  est  indisposé.  M.  Deloche  le  rem_ 
place,  et  si  brillamment  que  son  adversaire  delà  veille 
devient  pour  lui  un  protecteur  dévoué,  l'emmène  à 
Paris  et  le  fait  entrer  au  Ministère  des  travaux  publics.  » 

*  Un  de  nos  regrettés  confrères,  Edmond  Le  Blant,  a  parcouru 
une  carrière  analogue  à  celle  de  Maximin  Deloche.  Comme  lui 
avocat,  musicien,  fonctionnaire  public,  il  est  devenu  comme  lui 
un  archéologue  consommé,  ainsi  que  l'ont  montré  deux  de  ses 
biographes,  M.  Amédée  Hauvette,  Notice  nécrologique,  dans  le 
Bulletin  de  la  Société  nationale  des  antiquaires  de  France  de  1899, 
p.  59-77;  et  M.  Henri  Wallon,  Notice,  dans  nos  Comptes  rendus 
de   1906,  p.  609-644. 

2  Deloche  est  inscrit  au  barreau  bordelais  dans  le  tableau  arrêté 
fin  décembre  1837  et  dans  celui  de  fin  décembre  1838.  Il  habitait 
à  Bordeaux  place  du  Marché-aux- Veaux,  12,  ce  quia  son  intérêt; 
car  c'est  le  coin  le  plus  pittoresque  et  le  plus  ancien  de  la  ville, 
le  centre  de  la  Cité  communale,  la  Place  par  excellence  aumoj^en 
âge,  celle  des  proclamations,  des  émeutes  et  des  marchés.  (Com- 
munication de  M.  Camille  Jullian). 

^  Bulletin  de  la  Société  nationale  des  antiquaires  de  France 
de  1901,  p.  60. 


Maxiiniii  Deloclie  2G5 

Le  12  mai  1839,  après  la  cliiik'  du  iiiiiiislèrc  Mole, 
Dufaiire,  affilié  à  la  coalilion  i)ar  laquelle  il  avait  été 
renversé,  reçut  du  inaréehal  Soull,  président  du  (lon- 
seil,  le  portefeuille  des  travaux  i)ul)lics.  Le  .'>  oetohre 
de  la  niénie  année,  Deloehe  était  appelé  comme  rédae- 
teur  de  2'-  classe  au  2''  bureau  de  la  Direction  des 
mines.  Le  L''  lévrier  1814,  il  devenait  sous-chef  de 
bureau  dans  le  même  service,  puis  donnait  sa  démis- 
sion le  8  mai  181G,  ayant  été  nommé,  le  3  mai,  par  le 
Ministre  de  la  guerre,  alors  chargé  du  service  de  l'Algé- 
rie, chef  du  bureau  des  ponts  et  chaussées  et  des  mines 
à  la  Direction  nouvellement  créée  des  travaux  publics 
à  Alger. 

Maximin  Deloehe,  rédacteur  et  sous-chef,  sans  man- 
quer aux  obligations  imposées  par  ses  fonctions  admi- 
nistratives, avait  fait  profession  d'adepte  initié  aux 
secrets  de  la  composition  musicale  '.  Plus  d'un  collè- 
gue blâmait  cette  concurrence  à  la  bureaucratie  et  la 
dénonçait  comme  une  incorrection.  Deloehe  persévé- 
rait dans  son  péché,  malgré  les  remontrances  de  ses 
supérieurs  qu'offusquaient  ses  succès  dans  les  salons 
et  dans  les  concerts -.  Il  ne  se  contentait  pas  d'écrire, 
on  gravait  de  lui  des  romances,  des  ballades,  des 
mélodies,  des  nocturnes,  des  chansonnettes  et  jusqu'à 
une  féerie  dans  le  goût  du  temps,  avec  une  pointe  de 
sentiment,    comme    chez    ses    émules,    Loïsa    Puget, 

'  Ce  paragraphe  et  le  suivant  ont  été  reproduits  dans  la  Revue 
musicale  de  1901,  p.  453-454. 

-  Plusieurs  romances  mises  en  musique  par  Deloehe  ont  été 
réimprimées  en  1868  dans  une  collection  intitulée  :  La  muse  des 
cafcs-concerts.  Romances  et  chausonucltcs  de  divers  aulcurs.  Elles 
portent  la  note  suivante  :  A  l'avenir,  les  compositions  de 
M.  Deloehe  seront  publiées  sous  le  nom  de  Jules  Valry.  »  C'est 
en  vain  que,  mes  amis  et  moi,  nous  avons  fait  des  battues  pour 
découvrir  un  morceau  de  musique  signé  de  ce  pseudonyme. 


26G  Opuscules  d'un  arabisant 

Joseph  Darcier,  Pierre  Dupont,  PaalHenrion,  Gustave 
Nadaud.  Disciple  quelque  peu  indépendant  de  nos 
confrères  FromenlalHalévy  et  Henri  Pxeber,  il  maintint 
toujours  son  idéal  à  une  certaine  hauteur  en  n'accom- 
modant que  des  poésies  sans  vulgarité  et  sans  licence. 
La  Rêveuse,  sur  des  paroles  d'Arsène  Houssaye,  est 
assurément  sa  vierge  la  moins  farouche.  Si  j'avais  la 
jolie  voix  de  ténor,  avec  laquelle  Deloche  faisait  valoir 
ses  mélodies  en  s'accompagnant  lui-même  au  piano, 
si,  comme  lui,  j'avais  appris  à  chanter  chez  Manuel 
Garcia,  le  frère  de  la  Malibran  et  de  Madame  Pauline 
Yiardot,  je  serais  mieux  en  état  que  par  mon  témoi- 
gnage de  vous  faire  goûter  l'inspiration  musicale  de 
votre  confrère. 

Dans  son  album  de  1843,  se  rencontre  entre  autres 
romances  :  Jeanne  et  ma  montagne.  Limousine  K  Et 
nous  voici  par  le  sujet  conduits  vers  le  terroir  pour 
lequel  Deloche  éprouva  une  passion  dominante.  La 
petite  patrie  dans  la  grande  patrie  exerçait  sur  le  Tul- 
liste  transplanté  un  charme  irrésistible  et  l'enserrait 
dans  des  liens  qu'il  ne  chercha  jamais  à  rompre.  Les 
chansons  populaires  du  pays  natal  eurent  pour  lui, 
dans  cette  période  de  sa  vie,  le  même  attrait  qu'il  res- 
sentit ultérieurement  pour  le  passé  historique  et  géo- 
graphique du  Limousin.  Un  quart  de  siècle  plus  tard, 
La  bette  Lisette,  légende  tulliste,  ressuscitée  par  lui  et 

^  Les  paroles  ne  sont  ni  de  Maximin  Deloche,  qui  n'a  jamais 
versifié,  ni  d'André  Lemo3me,  auquel,  par  une  confusion  avec 
l'éditeur  de  même  nom  ou  à  peu  près  (Henri  Lemoine),  elles 
ont  été  attribuées.  Elles  sont  en  réalité  d'Emile  Barateau.  Voir, 
dans  la  Publication  officielle  de  notre  Académie,  p.  13,  le  Dis- 
cours prononcé  par  notre  éminent  confrère,  M.  Edmond  Perrier, 
aux  funérailles  de  M.  Deloche,  le  jeudi  15  février  1900,  et  la  rec- 
tification dans  le  Compte  rendu  de  la  séance  tenue  par  r.4s.so- 
ciaiion  corrézicnne  le  25  février  1900. 


Maxiiniii  Doloche  2(>7 


par  lui  conininni(|uée  avec  amour  à  Auil)r()ise  Thomas 
en  1867,  n'a  l-elle  pas  disputé  presque  jus([u*à  la  veille 
de  la  représentation  les  prélerenees  du  c()mi)()siteur 
iVIIdiulct  à  la  mélodie  norvégienne  devenue  au  l»^  acte 
u  l'émouvante  lamentation  d'Ophélie  »  '  ?  Deloelie, 
s'il  n'orchestra  plus  lui-même  ses  œuvres  récentes,  ne 
cessa  pas  de  noter  pour  son  entourage  de  parents  et 
d'amis,  en  particulier  pour  ses  pelits-enlants,  les  airs- 
cpi'il  imaginait  ou  qu'il  recueillait.  A-t-il  collahoré  aux 
revues  spécialesquis'imprimaient  a  Paris  aux  environs 
de  1810?  Je  l'ignore,  je  ne  connais  que  sa  Nolice  musi- 
cale sur  Renaud  de  Yilback,  publiée  à  Paris  en  1844. 
Pour  courte  qu'elle  soit,  elle  nous  révèle  son  esthéti- 
que musicale,  son  culte  pour  Mozart,  «ce  génie  sublime 
qui  seul,  avec  Raphaël  d'Urbin,  a  reçu  le  surnom  de 
Divin,  et  qui,  ainsi  que  Raphaël,  a  passé  sur  notre 
terre  comme  un  brillant  météore  »,  son  désaveu  <(  de 
l'inlhience  et  du  svstème  habituel  de  M.  Ilalévv  »,  son 
admiration  pour  les  mélodies  du  «  fécond  Rossini  », 
son  goût  pour  l'orgue,  c(  ce  divin  instrument  qui,  par 
ses  ressources  infinies,  peut  seul  suppléer  à  l'orchestre», 
sa  passion  pour  la  franchise,  la  clarté,  l'originalité  dans 
les  idées  et  dans  la  forme  des  accompagnements,  pour 
la  simplicité  dans  les  moyens  et  la  puissance  dans 
l'effet.  La  lil)erté  de  conscience  littéraire  est  aussi 
prônée  dans  cet  opuscule  comme  la  dernière  conquête 
libérale  du  siècle,  et  Deloche  y  paraît  un  peu  désal)usé 
de  Paris,  «  immense  cité,  où  les  grandes  j)assi()ns  et 
les  grandes  existences  s'agitent  sous  l'éternel  brouillard 
qui  renvelo]:)pe  ». 
La  nostalijiie  du  Midi  et  du  soleil  détermina  Deloche 

^  Edmond  Perricr,  Discours,  Publication  officielle,  p.  14; 
cf.  Jules  Tiersot,  dans  la  Revue  des  tradilions  populaires,  XII 
(1897),  p.  144. 


268  Opuscules  d'un  arabisant 

à  échanger  son  poste  de  Paris  contre  une  situation 
officielle  qu'on  lui  offrait  à  x\lger.  Mais  la  préoccupa- 
tion de  soustraire  sa  santé  à  «  l'éternel  brouillard  »  et 
le  désir  naturel  d'avancement  ne  furent  pas  les  seuls 
mobiles  de  cette  grave  décision.  D'une  part^  le  minis- 
tère reprochait  à  son  serviteur  de  n'être  pas  à  lui  sans 
partage  ;  d'autre  part,  l'Algérie  française,  dans  son  âge 
héroïque,  ce  champ  où  la  bataille  était  en  permanence, 
où  la  révolte  d'Abd-el-Kader,  même  après  les  défaites 
de  l'émir,  couvait  sous  la  cendre,  où  la  colonisation 
n'avait  pas  encore  dépassé  l'état  embryonnaire,  c'était 
la  terre  promise  pour  l'activité  d'un  esprit  laborieux, 
pour  l'initiative  d'un  talent  organisateur^  pour  la  com- 
bativité d'un  lutteur  qui,  une  fois  épris  d'une  concep- 
tion ou  convaincu  d'une  théorie,  aimait  à  frapper 
d'estoc  et  de  taille  ses  contradicteurs. 

Au  moment  où,  en  1846,  Deloche  débarquait  à 
Alger,  le  maréchal  Bugeaud,  duc  d'Isly,  gouverneur 
général,  après  avoir  agrandi  et  pacifié  la  colonie, 
n'avait  pas  pu  empêcher  l'immixtion  des  bureaux  de 
Paris  dans  ce  qu'ils  prétendaient  à  diriger  et  à  organi- 
ser de  loin  et  avait  du  subir  la  concentation  à  Alger 
d'une  administration  centralisatrice  '.  L'ordonnance 
organique  du  15  avril  1845  y  avait  créé  les  quatre 
Directions  de  l'intérieur,  de  la  justice,  des  finances  et 
des  affaires  arabes.  Plus  d'un  an  après,  l'ordonnance 
du  22  avril  1846  en  ajoutait  une  cinquième,  celle  des 
travaux  publics,  dont  les  attributions  s'étendaient  à 
tout  le  littoral  pour  les  travaux  maritimes  et  à  toute 
l'Algérie  pour  le  service  des  mines  -. 

^  Camille  Rousset,  La  conquête  de  V Algérie,  II,  p.  31-33. 

2  Ministère  de  la  guerre.  Tableau  de  la  situation  des  établisse- 
ments français  en  Algérie,  1846-1849.  Paris,  Imprimerie  Natio- 
nale, novembre  1851,  p.  77. 


Miixiiiiiii  Deloche  2G9 

L'ort^anisalion  de  ce  nouveau  service  compta  Delo- 
che parmi  ses  artisans  de  la  prcmicre  heure.  Mais,  à 
peine  éhaueiic,  rrdilicc  lui  abandonné. 

A  la  lin  de  mai  1X17,  le  marcehal  HuLïeaud  avant  été 
rapi)elé  en  France,  un  système  contraire  prévalut,  la 
Direction  des  travaux  publics  lut  su])piiméc  à  Al^^er  et, 
par  une  ordonnance  du  l''"  septembre,  on  ciéa  dans 
chacune  des  trois  provinces  une  Direction  des  allaires 
civiles.  Deloche,  son  emploi  d'Aller  n'ayant  pas  été 
maintenu,  fut  envoyé  à  Constantine  comme  chef  du 
bureau  des  travaux  publics,  de  l'agriculture  et  de  la 
colonisation.  Le  duc  d'Aumale,  le  héros  de  la  Smalah, 
nommé  gouverneur  général  le  11  seplcndjre  de  cette 
même  année  après  rintérim  du  général  Bedeau,  délé- 
gua son  lïilur  coniVère  à  Boue,  avec  le  litre  de  sous- 
directeur,  à  la  suite  de  troubles  qui  avaient  éclaté 
dans  celle  ville  '.  Je  suppose  que  Deloche,  après  la 
répression,  avait  été  chargé  d'une  mission  temporaire 
pour  rétablir  Tordre  dans  les  finances  de  la  cité  et 
pour  rassurer  les  populations.  Le  général  Cavaignac, 
investi  du  gouvernement  général  par  la  Bépublique  de 
184(S  après  Fexil  du  duc  d'Aumale,  rendit  le  2()  mai  un 
arrêté  qui  ramenait  Deloche  à  (lonstanline  connue 
secrétaire  à  la  Direction  des  afTaires  civiles.  Le  9  dé- 
cembre, par  assimilation  à  la  métropole,  les  trois  j)ro- 
vinces  de  l'Algérie  étant  devenues  trois  départements, 
Deloche  fut  mainlenu  à  Constantine  comme  conseiller 
de  direction  d'ahord,  puis,  par  arrêté  du  (S  février  1819, 
nonnné  conseiller  de  préfecture  du  déparlemenl  de  la 
province  et  désigné  pour  rem})lir  les  fonctions  de 
secrétaire  général  de  la  préfecture.  Ce  fut  en  cette  qua- 
lité également  qu'il  fut  transféré  à  Oran,  par  arrêté  du 
25  juin  1850. 

*  Ce  fut  une  échaufTouréc  toute  locale,  sur  laquelle  les  détails 
me  manquent. 


270  Opuscules  d'un  arabisant 

Je  ne  pense  pas  que  ce  déplacement  ait  été  mis  à 
exécution  par  Deloche,  dont  la  santé  avait  été  ébran- 
lée par  son  séjour  prolongé  en  Algérie.  Il  était  atteint 
de  fièvres  palustres.  Son  estomac  ne  digérait  plus  faci- 
lement sous  un  ciel  de  feu  sans  ombre  et  sans  pluie, 
La  vie  nomade,  avec  une  succession  continue  d'étapes 
diverses,  lui  pesait  maintenant.  Les  circonstances 
avaient  voulu  qu'il  traversât  l'Algérie  sans  rencontrer 
sur  sa  route  ces  antiquités  romaines  qui  auraient 
éveillé  ses  aptitudes  endormies  d'archéologue  '.  Il  aspi- 
rait sans  doute  aussi  à  se  créer  une  famille.  Le  décret 
qui  ordonnait  son  changement  de  résidence  le  trouva 
peut-être  déjà  rentré  en  France  et  en  Limousin.  J'ai 
quelque  raison  de  croire  qu'il  y  était  revenu  dès  les 
premiers  jours  de  1850,  à  la  suite  d'un  épisode  qui 
avait  eu  Constantine  pour  théâtre  et  qui  avait  été  de  la 
part  du  bouillant  Deloche  une  infraction  au  protocole 
du  fonctionnaire  public.  Ne  s'était-il  pas  avisé  de  se 
battre  en  duel  avec  un  chef  de  bataillon  des  tirailleurs 
indigènes,  en  garnison  dans  cette  ville  ?  <(  Des  deux 
champions  qui  croisaient  ainsi  le  fer,  a  dit  spirituelle- 
ment notre  confrère  Maxime  Collignon  -,  l'un  ne  devait 
plus  porter  un  jour  que  l'inoffensive  épée  d'académi- 
cien ;  l'autre  devait  illustrer  la  sienne  à  Inkermann  et 
à  Sébastopol  :  c'était  Bourbaki  3.  » 


*  Sur  le  tard,  Deloche  parlait  de  son  séjour  en  Algérie  comme 
ayant  décidé  de  sa  vocation,  et  M.  Louis  Farges  s'est  fait  l'écho 
des  propos  fréquents  qu'il  tenait  volontiers  à  ce  sujet  ;  voir  sa 
notice  sur  Deloche  dans  la  Revue  encyclopédique  du  12  mai  1900. 
Je  crois  que  Deloche,  comme  son  biographe,  se  faisait  illusion 
sur  celte  phase  de  son  évolution. 

2  Bulletin  de  la  Société  ncdionale  des  antiquaires  de  France  de 
1901,  p.  60. 

3  Cet  épisode  est  resté  inconnu  aux  deux  biographes  du  géné- 
ral Bourbaki  :  «  un  de  ses  anciens  officiers  d'ordonnance  »  Louis 


Maxiniiii  Doloclie  271 

L'inaction  élait  inc()nipalil)le  avec  la  nalure  de  Maxi- 
niin  Dcloche.  Les   loisirs  qu'il  sul)issail,  rink'rrii|)li()n 
forcée  de  sa  carrière,  son  retour  au  pays  dans  un  état 
de  santé,  sinon  alarmant,  du  moins  précaire,  sa  réclu- 
sion à  Tulle  ou  aux  environs  })ar  ordonnance  des  méde- 
cins, son  besoin  de  travailler  toujours  et  (piand  même, 
ses   réflexi(^ns  de    solitaire    replié    sur    lui-même,    les 
vides  d'une  existence  trop  peu  rem])lie  à  son  tjré,  ame- 
nèrent Deloclie  à  percevoir  l'appel  i)ressant  de  sa  voca- 
tion impérieuse,  de  celle   ([ui  l'a  illustré,  de  celle  que 
vous  avez  encouragée  par  vos  récompenses  avant  de  la 
consacrer  par  vos  suirra*>es.  Par  intuition,  par  instinct, 
sans  la  préj)aration    régulière  de  notre    merveilleuse 
Ecole  des  Cdiartes,  Deloclie  avait  trouvé  sa  voie  qu'il 
suivit  en   silence  jusqu'au  jour  où  raiehéoloifue  inat- 
tendu surgit  el  réclama  sa  place  au  soleil,  où  l'autodi- 
dacte inconnu,  après  l'avoir  conquise,  la  défendit  avec 
acharnement  contre  les  attaques  des  censeurs  et  des 
détracteurs.  Ln  attendant,  il  se  recueillait  dans  l'étude 
et  les   uersonnes  admises  dans    son    intimité   étaient 
les   seuls  témoins  de  son   activité   dans   un    domaine 
qu'il   avait  d'abord  limité   à  son  pays   d'origine,  qu'il 
avait  ensuite  peu  à  peu  étendu  en  même   temps  qu'il 
relayait  et  le  consolidait. 

Les  premiers  fondements  étaient  posés,  lorsque 
Deloclie,  remis  du  mal  qui  l'avait  tait  renoncer  provi- 
soirement à  sa  besogne  administrative,  fut  replacé 
dans  les  cadres  le  1^''  août  1853  et  rentra  au  Ministère 
de  l'Agriculture,  du  commerce  et  des  travaux  publics 
comme  rédacteur  au  1'    bureau    de  la   Division   des 

d'Eichthal  (Paris,  188())  et  le  commandnnt  (irandin  (Paris,  1898). 
Deloclie  reçut-il  une  blessure  ou  s'en  tira-t-il  avec  une  contu- 
sion ?  En  tout  cas,  cette  rencontre  n'eut,  ni  pour  lui,  ni  pour 
son  adversaire,  de  suites  graves. 


272  Opuscules  d'un  arabisant 

mines.  On  lui  tint  compte  de  son  dossier  et  de  son  âge 
pour  ne  point  immobiliser  le  transfuge  dans  les  grades 
inférieurs.  Dès  le  l^""  décembre  1853,  il  passe  comme 
sous-chef,  faisant  les  fonctions  de  chef,  au  2^  bureau 
de  la  Division  de  l'exploitation  des  chemins  de  fer. 
Entre  temps,  Deloche,  qui  était  catholique,  s'était 
marié  à  Paris  le  3  avril  1854  ^  avec  une  protestante, 
Mademoiselle  Fourcade  Prunet,  une  personne  de  tête 
et  de  cœur,  fdle  d'un  médecin.  La  tolérance  réciproque 
scella  la  paix  et  le  bonheur  dans  l'union  qui  ne  fut  pas 
de  longue  durée.  M"'^  Deloche  devait  être  emportée  en 
septembre  1861  par  l'épidémie  de  diphtérie  qui  fit  tant 
de  victimes  dans  la  capitale.  Elle  avait  assisté  et  sans 
doute  contribué  par  son  impulsion  bienfaisante  aux 
premiers  succès  du  savant. 

Ses  débuts  dans  l'érudition  ne  sont  pas  antérieurs 
à  la  fm  de  l'année  1855.  Le  20  novembre,  Bourquelot 
lit  en  son  nom  la  première  partie  d'un  mémoire 
devant  la  Société  des  antiquaires  de  France  qui,  dès 
le  16  avril  1856,  l'élisait  parmi  ses  membres  résidants. 
Alexis  de  Tocqueville,  qui  venait  de  publier  r.4/za'e/z /?egz- 
me  et  la  Révolution^  lui  écrit  le  10  août  1856  -  :  «  Rien 
n'est  plus  agréable  que  de  se  voir  si  complètement 
compris  et  si  apprécié  par  un  esprit  distingué  et  de 
trouver  un  juge  si  bienveillant  dans  un  homme  dont  on 
estime  tout   à   la  fois  le  talent  et  le  caractère.  Vous 


1  La  date  exacte  est  fixée  par  une  lettre  de  Jules  Dufaure,  datée 
du  2  avril  1854  :  «  Ne  doutez  pas,  mon  cher  Monsieur  Deloche, 
du  sentiment  de  très  vive  affection  avec  lequel  j'assisterai 
demain,  si  je  le  puis,  à  votre  mariage.  »  Ce  document  m'a  été 
communiqué  avec  quelques  autres  par  M"ie  Debord,  la  fille  de 
Maximin  Deloche. 

2  Lettre  inédite  communiquée  par  M'»*^  Debord,  qui  en  possède 
encore  deux  autres  envojées  de  ïocqueville,  par  Saint-Pierre- 
Église  (Manche),  le  28  août  et  le  10  octobre  1856. 


Maxiiiiiii  Deloclie  273 


savez  ([lie  vous  êtes  pour  moi  cet  homnic-là.  >-  (yesl  à 
((  cet  honiine-hi  »  (jne,  dans  le  eoiirs  delà  nièine  année, 
vous  décerniez  une  troisième  médaille  au  concours  des 
Anti(|uités  delà  l'rance;  en  IS.')?,  il  obtenait  la  première, 
en  même  temps  (ju'il  était  nommé  chevalier  de  la 
Lét^ion  d'honneur.  Deux  années  de  suite,  en  1800  et  en 
1(S(')1,  vous  lui  avez  accordé  le  second  i)ri\  (lohert.  Va\ 
1865,  vous  lui  témoigniez  votre  estime  croissante  par 
l'octroi  du  prix  de  numismalicpie  ancienne  fondé  par 
Allier  de  Hauteroche.  Pour  ne  rien  omettre  d'essentiel, 
je  dirai  que,  le  l*"'"  juillet  18()1,  Deloche  avait  été  charf^é 
de  diriger  le  1^'"  bureau  de  la  Division  du  personnel 
dans  ce  même  Ministère  où  son  noviciat  remontait  à 
octobre  1839. 

Son  avancement  demeura  stalionnairejus([u'au  rema- 
niement par  le(juel  les  Iravaux  publics  lurent  débar- 
rassés de  leurs  annexes,  et  (pii  valut  à  l'agriculture  et 
au  commerce  réunis  le  bénéfice  de  l'autonomie.  Le  28 
juillet  18139,  Deloche  tut  compris  dans  la  constitution 
du  nouveau  département  ministériel,  comme  chef  de 
la  Division  du  secrétariat  général  et  du  personnel.  Mais 
son  ami)ition  légitime  aspirait  à  d'autres  honneurs.  Il 
vous  avait  apporté  à  plusieurs  reprises  des  communi- 
cations (jui  avaient  été  appréciées  par  cette  élite  à 
laquelle  il  les  adressait  et  dont  rai)probali()n  était  son 
rêve,  en  attendant  que  votre  choix  porté  sur  lui  réalisât 
son  idéal.  Vous  lui  avez  donné  satisfaction,  ainsi  c{ue 
j'ai  dit  en  commençant,  le  22  décembre  1871.  VA, 
comme  pour  relier  ses  deux  existences,  vojs  avez  pro- 
fité de  sa  présence  pour  le  choisir  dès  le  12juilk't  1872 
comme  l'un  de  vos  deux  commissaires  |)our  la  vérifi- 
cation des  comptes  de  1871,  de  sa  com|)étence  avérée 
pour  le  réélire  chaque  année.  Le  13  octobre  1873,  il 
était  élevé  au  grade  d'officier  dans  l'ordre  national   de 

18 


274  Opuscules  d'un  arabisant 


la  Légion  d'honneur.  L'administration  enchérissait  par 
cette  distinction  sur  celle  par  laquelle  vous  aviez  com- 
blé ses  vœux.  Elle  attestait  encore  le  prix  qu'elle  atta- 
chait à  son  concours  en  le  nommant,  le  l^i'  juin  1875, 
Directeur  de  la  comptabilité  centrale  et  de  la  statisti- 
que. En  1878,  vous  faisiez  un  nouvel  appel  à  son  dévoue- 
ment et  à  son  expérience  en  l'appelant  à  siéger  parmi 
vos  représentants  dans  la  Commission  administrative 
centrale  pour  administrer  les  propriétés  et  les  fonds 
communs  aux  cinq  x\cadémies.  Il  ne  déclina  votre  dési- 
gnation annuellement  renouvelée  et  le  secrétariat,  dont 
ses  collègues  lui  maintenaient  la  charge  comme  au 
mieux  entendu  dans  les  affaires,  qu'à  la  fin  de  1895, 
lorsque  l'âge  et  la  fatigue  l'eurent  contraint  à  rési- 
gner «  ce  mandat  qui  lui  a  été  confié  durant  près 
de  21  années  consécutives  »  K  Promu  commandeur 
de  la  Légion  d'honneur  le  3  février  1880,  il  fut,  le  28 
du  même  mois,  admis  à  faire  valoir  ses  droits  à  la 
retraite  à  titre  d'ancienneté  de  services  et  nommé 
Directeur  honoraire. 

Une  légère  claudication,  conséquence  d'un  refroi- 
dissement contracté  en  1880  à  une  soirée  chez  Gambetta, 
qui  était  alors  président  de  la  Chambre  des  députés, 
avait  condamné  Deloche  à  brusquer  ce  dénouement. 
Le  rhumatisme,  qui  avait  raidi  son  genou  droit,  sans 
empirer,  passa  à  l'état  chronique  et  il  prit  la  détermi- 
nation d'aller  vivre  à  la  campagne,  assez  près  de  Paris 
pour  ne  pas  manquer  les  séances  de  son  cher  Institut, 
assez  loin  pour  consommer  une  rupture  définitive  avec 
ses  habitudes  invétérées  d'assiduité  quotidienne  au 
Ministère.  Il  s'en  était  autrefois  rapproché,  lorsqu'en 


^  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres.  Comptes  rendus  des 
séances  de  Vannée  1896 ^  p.  82. 


Maxiinin  l>eloche  275 

18()()  il  avait  ([iiitU'  la  rue  Monlholon,  11,  pour  venir 
habilei"  rue  de  rUniveisilé,  iU,  puis  eu  1S7'),  rue  de 
Solférino,  13.  Le  voisinai^e  de  son  IVère  Gustave  l'attira 
d'abord  à  Vineeunes,  où  il  s'éla])lil  rue  de  la  i^ré- 
voyance,  19,  puis,  dans  l'espoir  d'un  air  plus  vivifiant 
et  d'une  quiétude  plus  douce,  à  Saint-Maurice  où,  en 
dehors  de  son  frère,  de  sa  belle-sœur  et  de  ses  neveux  ', 
seuls  ses  proches,  ses  amis  intimes  et...  les  candidats 
à  l'Institut  et  aux  Anti([uaires  venaient  procurer  quel- 
que distraction  au  solitaire  dans  ses  deux  ermitages,  sis 
depuis  1884  au  ()(),  depuis  1887  au  8  de  l'avenue  de 
Gravclle.  Paris  le  reconquit  en  1891  :  le  vieil  étudiant, 
qui  ne  vieillissait  pas,  s'installa  ccMe  à  c(Me  avec  la 
jeunesse  studieuse,  tout  près  du  Luxembourg,  sur  le 
versant  Est  de  la  Montagne  Sainte-Geneviève,  rue 
Herschel,  5.  Ce  fut  un  refroidissement^  causé  par  une 
imprudence,  qui  eut  raison  de  sa  santé  jus(jue-là  per- 
sistante en  dépit  des  heurts  et  des  secousses.  Aussi, 
j'en  appelle  à  vos  souvenirs,  quels  ne  furent  pas  votre 
saisissement,  votre  surprise  et  votre  consternation, 
lorsque  la  nouvelle  se  répandit  parmi  vous  que  Maxi- 
min  Deloclie,  qui  participait  activement  à  vos  travaux 
quelques  semaines  auparavant,  avait  été  emporté  subi- 
tement le  12  février  1900  ! 


^  Gustave  Deloche  quitta  l'Asile  national  de  \ineennes  pour 
être  retraité  en  janvier  18<S0;  il  est  mort  à  Tulle  le  24  janvier 
1892. 


270  Opuscules  d'un  arabisant 


II 


Maximin  Deloclie,  dont  la  production  scientifique  fut 
tardive,  rattrapa  le  temps  perdu  par  une  rare  fécon- 
dité. La  Xotice  musicale  sur  Renaud  de  Vilback  clôt  en 
1844  une  ère,  celle  où  le  compositeur  et  le  chanteur 
récoltaient  des  succès  dans  un  genre  qui  avait  la  vogue. 
Celui-là  cesse  ensuite  d'écrire,  excepté  pour  le  cercle 
restreint  de  quelques  privilégiés,  celui-ci  fredonne  à 
mi-voix  et  le  séjour  en  Algérie  arrête  l'expansion  de 
leur  renommée  mondaine.  C'est  un  autre  homme  qui 
revient  en  France  et  au  nom  duquel,  le  20  novemhre 
1855,  Bourquelot  lit  la  première  partie  d'un  mémoire 
manuscrit  intitulé  :  Etudes  sur  les  Lemovices  Armori- 
cani^.  Il  est  en  train  de  remanier  son  travail  pour  le 
livrer  à  l'impression,  lorsque  (je  reproduis  les  termes 
émus  dont  Deloche  s'est  servi)  une  a  inconcevable 
attaque  »  contre  Etienne  Baluze  fait  tressaillir  d'indi- 
gnation le  fervent  Tulliste.  En  face  de  «  si  injustes  et  si 
ingrates  paroles  »,  il  se  constitue  le  champion  de  celui 
qui,  au  xvn'^  siècle,  avait  été,  comme  on  l'a  dit,  «  son 
grand  ancêtre  dans  l'érudition  française  »  -.  Son  élo- 
quent  pamphlet,  daté  de  1856  ^,  atteste,  non  seulement 
la  science  solide  dont  il  s'était  muni  et  les  fortes  études 

^  Annuaire  de  la  Société  impériale  des  antiquaires  de  France 
de  1855,  p.  136;  cf.  p.  145  et  147.  Voir  surtout  les  Mémoires  de 
cette  Société,  année  1856,  p.  46-108.  sous  le  titre  de  :  Les  Lemo- 
vices de  l'Armorique,  mentionnés  par  César. 

•^  Emile  Fage,  Etienne  Baluze  (Tulle,  1890),  p.  133. 

•'  M.  Deloche,  Élienne  Baluze,  dans  le  Bulletin  de  la  Société 
archéologique  et  historique  du  Limousin,  VI  (Limoges,  1855), 
p.  81-94;  tirage  à  part,  Paris,  1856.  Professeur  d'histoire  au  Lj^cée 
de  Tulle  en  1901,  M.  Ch.  Godard  a  consacré  la  thèse  latine, 
qu'il  a  soutenue  le  5  février  1902  devant  la  Faculté  des  lettres 


Maxiiiiili  Deloche  277 

auxquelles  il  s'était  astreint,  mais  encore  la  passion 
ingénue  et  généreuse,  ineonseiente  et  })eiit-étre  aven- 
turée, qui  animait  sa  pensée  et  enflammait  son  langage. 
Le  silence  était  rompu  et  cha{[ue  année  allait  apporter 
au  monde  savant  des  manileslations  de  cette  force 
imprévue,  spontanée,  secrètement  acquise  et  déve- 
loppée, soudainement  révélée,  dont  l'action  i)uissante 
n'avait  été  mise  en  mouvement  par  les  leçons  d'aucune 
école.  Votre  verdict  favorable,  renouvelé  à  deux 
reprises,  était  pour  le  Caiiiilaire  de  VAbhmje  de  Bcaii- 
lieii,  publié  par  Delocbe  en  18.19,  une  juste  compen- 
sation des  critiques  peu  bienveillantes  dirigées  contre 
son  éditeur  et  un  encouragement  flatteur  pour  celui  en 
considération  chupiel  vous  l'avez  rendu.  Quant  à  lui, 
il  ne  perd  pas  la  tête  et  excelle  à  se  défendre  contre  le 
plus  qualifié  de  ses  agresseurs.  11  taille  sa  plume  la 
j)lus  aiguë  pour  atteindre  le  côté  faible  de  la  polémicpie, 
par  endroits  discourtoise,  que  Léon  Lacabane  a  ouverte 
contre  lui  dans  la  Bibliothcqiie  de  iEculc  des  eluirtes. 
Le  troisième  coup  de  griffe  est  prémédité,  on  t'annonce 
d'avance,  mais  il  ne  sera  pas  donné,  Delocbe  l'ayant 
paré  en  18()1  par  ses  DiDisioiis  territoriales  du  Qiieveij 
aux  ix%  x*-^  et  xi'  siècles.  L'année  précédente,  il  avait 
adressé  une  Réponse  aux  observations  froidement  réflé- 
cbies  de  M.  Alfred  Jacobs,  un  géograpbe  érudit  trop 
oublié  aujourd'hui. 

de  Paris  De  Stcpliano  Baliizio  Tiitclcnsi  à  la  revision  du  procès 
de  Baliize,  et  ses  conclusions  lui  sont  plutôt  favorables.  Notre 
savant  confrère,  M.  A.  de  I^oislisle,  prépare  sur  cette  même 
question  un  ouvraj^e  considérable,  dans  lequel  il  s'api)liquera 
à  démontrer  que,  chez  Baluze,  le  caractère  n'a  pas  été  toujours 
et  partout  au  niveau  de  l'érudition.  La  sévérité  de  son  juge- 
ment ressort  de  l'appendice  VIII  au  tome  XIV  de  sa  belle  édition 
de  Saint-Simon.  Mémoires,  p.  533-558  :  Le  Cardinal  de  Bouillon, 
Baluze  et  le  orocès  des  faussaires. 


278  Opuscules  d'uu  arabisant 

En  1860,  Deloclie  démontre  par  son  Principe  des 
ludionaUiés  qu'il  ne  se  désintéresse  pas  des  questions 
contemporaines'.  C'est  son  Discours  sur  V  histoire  uni- 
verselle. «  Les  nations  sont  voulues  de  Dieu  »,  tel  en 
est  l'épigraphe,  emprunté  à  un  mandement  de  M«'  Ber- 
teaud,  évêque  de  Tulle.  ((  Les  débris  des  races  et  des 
nations,  dit-il  -  (je  cite  en  abrégeant),  ont  fait  un  tra- 
vail, d'abord  caché,  aujourd'hui  patent,  pour  parvenir 
à  se  rejoindre,  à  renouer  des  relations  violemment 
interrompues...  Ce  travail...  est  sacré,  car  il  n'est  point 
l'œuvre  de  l'homme,  mais  celle  de  Dieu  même.  » 
L'unité  de  l'Italie  trouve  en  Deloclie  un  apôtre  enthou- 
siaste, il  prodigue  ses  encouragements  aux  promoteurs 
de  l'unité  allemande  et  réclame,  comme  un  droit  pour 
la  France,  les  frontières  naturelles  avec  la  possession 
des  pays  situés  sur  la  rive  gauche  du  Rhin.  On  ignorait 
alors  quelles  déceptions  le  principe  des  nationalités 
réservait  à  la  France,  quelle  expiation  cruelle  il  infli- 
gerait à  l'empereur  Napoléon  III,  qui  lui  avait  subor- 
donné sa  politique  extérieure,  qui  en  avait  fait  l'apo- 
logie dans  ses  discours  et  l'application  dans  ses  actes. 
Seules  quelques  individualités  clairvoyantes,  comme 
notre  confrère  Charles  Schefer,  prévoyaient  alors  qu'il 
entraînerait  après  lui  le  démembrement  de  la  France  ^. 

Parmi  les  sujets  qui  avaient  séduit  Deloclie,  alors 
qu'il  faisait  son  apprentissage  de  savant,  étaient  les 
problèmes  soulevés  par  les  monnaies  mérovingiennes 
du  Limousin.   Ce  fut  pour  lui  une  matière  pour  ainsi 

^  Trente  ans  plus  tard,  Deloche  saisissait  l'occasion  d'un 
hommage  pour  s'essayer  à  dégager  les  inconnues  d'un  pro- 
blème, qui  plus  que  jamais  est  à  l'ordre  du  jour,  l'affaiblisse- 
ment de  la  natalité  en  France  ;  voir  nos  Comptes  rendus  de  1890, 
p.  368-371;  cf.  ceux  de  1886,  p.  408-410. 

^  M.  Deloche,  Du  principe  des  nationalités,  p.  31. 

3  Plus  haut,  p.  164. 


Maxiiniii  Deloche  !2/î> 

dire  incpuisablc,  étant  (ionné  le  i^rand  nombre  des 
espèees  monétaires  (jui  lui  passèrent  sous  les  yeux.  La 
Revue  ininusni(ili(iuc,  dirigée  i)ar  noseonlVères  k'  jjaron 
de  Willeet  Adrien  de  Longpérier,  accueillit  en  Deloehe 
une  excellente  recrue  (jui  y  collabora  sans  inlerrui)li()n 
de  IcSÔ?  à  1S(),'>.  11  continua  celte  série  successivement 
et  concurremment  dans  tous  les  reueils  ouverts  à  de 
pareilles  recherches.  Je  les  énumère  en  suivant  l'ordre 
chronol()i^i(|ue  de  leur  premier  contact  avec  Deloehe 
numismate  :  JUillcliii  de  la  Société  ludioiude  îles  (tiili- 
qiKurcs,  IhiUctin  de  la  Société  archéolo(}i(iuedii  Limousin 
à  Limoi^es,  Revue  arcliéolofjiiiue,  Mémoires  et  Comptes 
rendus  de  iAc(tdénde  des  inscriptions  et  l)etles-letlres, 
Buttetin  de  ta  Société  scientifique,  historique  et  arehéo- 
loqiiiue  de  ta  Corrèze  à  Hrive,  Revue  munisnudiijue. 
Bulletin  de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  (uts  de  la 
Corrèze  à  Tulle,  Revue  beUje  de  numismatique  publiée 
à  Bruxelles.  La  bibliographie  détaillée  et  minutieuse- 
ment exacte,  publiée  par  >L  Henri  Slein  dans  le  Bul- 
letin de  la  Société  natioiude  des  antiquaires  de  France^, 
démontre  que  Maximin  Deloehe  cultiva  cette  spécia- 
lité pendant  [)lus  de  quarante  années,  de  LS.")?  à  lcS9(S. 
Il  s'y  est  montré  un  novateur  méth()di(iue,  fixant  les 
règles  et  leurs  applications.  Ce  lut  Deloehe  (|ui,  le  pre- 
mier, fil  ressortir  pleinement  l'importance  des  styles 
régionaux  pour  la  classincation  des  monnaies  du 
vii*^  siècle.  La  multitude  des  lieux  portant  le  même 
nom  rendait  impossible  la  détermination  de  celle,  entre 
ces  localités  homonymes,  où  une  monnaie  de  l'époque 
mérovingienne  avait  été  frappée,  tant  (ju'on  ne  sétait 
pas  avisé  qu'il  fallait  recourir  à  un  autre  élément  d'in- 
formation. Cet  élément,  le  style,  Deloehe  l'a  dégagé  et 

^  Plus  haut,  p.  259,  note  1. 


280  Opuscules  d'un  arabisant 

mis  en  lumière.  Le  dessin  de  l'effigie  et  de  ses  détails, 
la  forme  de  la  croix,  la  disposition  des  ornements 
secondaires  comme  les  grènetis  varient  suivant  les 
régions  et,  sauf  exception^  dissipent  toute  confusion 
entre  une  pièce  de  l'Est  de  la  Gaule  et  une  pièce  sortie 
de  l'atelier  de  l'Ouest,  entre  une  monnaie  du  Nord  et 
une  autre  provenant  de  la  région  méridionale.  Per- 
mettez-moi d'alléguer  un  exemple.  Si  Deloche  a  pu, 
entre  les  localités  dont  le  nom  est  tiré  de  Breciaco, 
adopter  Bersac,  dans  la  Haute -Vienne,  comme  le  lieu 
d'origine  d'un  tiers  de  sol  d'or  frappé  par  le  mon- 
nayeur  Ursulfus,  c'est  que  le  buste  gravé  au  droit  de 
cette  pièce  est  de  même  dessin  que  les  bustes  dont  est 
orné  le  cbamp  des  pièces  frappées  par  des  contempo- 
rains à  Limoges  ^  On  est  donc  fondé,  sans  hyperbole 
laudative,  à  reconnaître  que  Deloche,  élargissant  le 
cadre  de  ses  études  consacrées  à  des  types  monétaires, 
les  a  comparés  habilement,  en  a  saisi  les  rapproche- 
ments et  les  séparations,  et  a  posé  quelques-uns  des 
principes  généraux  qui  régissent  la  numismatique 
mérovingienne. 

Si  Deloche  a  eu  des  précurseurs  dans  l'interprétation 
des  chiffres  xxi  et  vu  sur  les  monnaies  d'or  mérovin- 
giennes, qui  pourrait  lui  contester  le  mérite  personnel 
d'avoir  eu  l'intuition  qu'ils  devaient  être  rattachés  à  la 
formule  De  selequas,  et  d'être  ainsi  parvenu  le  premier 
à  en  préciser  la  valeur  exacte'-? 


*  M.  Deloche,  Description  des  monnaies  mérovingiennes  da 
Limousin  (Paris,  1853),  p.  9-21  et  204;  cf.  Prou,  Catalogue  des 
monnaies  françaises  de  la  Bibliothèque  Nationale.  Les  monnaies 
mérovingiennes  (Paris,  1892),  p.  407. 

^  Revue  archéologique,  nouvelle  série,  XL  (1880),  p.  172-176  ; 
cf.  E.  Babelon,  dans  le  Journal  des  Savants  de  février  1901, 
p.  119. 


Maxiiiiiii  Deloclie  281 


Les  cachets  et  anneaux  niérovin^nens  ne  s'adjoiijjni- 
rent  aux  monnaies  de  même  origine  dans  le  champ 
d'études  de  votre  conlVère  (ju'en  ISSO,  au  moment  oîi  il 
s'était  affranchi  de  ses  corvées  administratives.  11  vous 
entretient  le  16  avril  ISSO  d'un  anneau-cachet  d'or  mé- 
ioviui^ien  orné  au  chaton  d'une  cornaline  gravée  anti- 
que, moins  de  i\vu\  mois  après  qu'il  a  recouvré  sa 
liherté.  Kt  il  ne  s'arréteia  plus  de  décrire  dans  la  Revue 
archéologique  «  un  nomhre  considérahle  de  bijoux  de 
ce  genre^  en  usage  sous  le  Bas  Empire,  puis  dans  les 
Etats  barbares  et  particulièrement  dans  la  Gaule  méro- 
vingienne »  '.  (tétaient  pour  lui  d'amusantes  récréa- 
tions; c'est  pour  nous  un  divertissement  de  savourer 
ses  déchiffrements  ini>énieux  de  monoi^rammes,  aux- 
quels  sont  consacrées  des  notes  courtes,  incisives,  s|)i- 
rituelles,  documentées,  mais  où  piufois  des  es])rits 
sceptiques  ont  soupçonné  quelques  habiletés  de  presti- 
digitateur. Les  résultats  (jui  se  sont  dégagés  de  ces 
notes  éparses  ont  été  consignés  en  18Uf)  dans  vos  Mé- 
moires, où  Deloche  s'est  étendu  siu-  Le  port  des  (inneaux 
dans  V antiquité  romaine  et  les  premiers  siècles  du  moyen 
âge.  Enfui  il  a  «  conçu  le  dessein  de  former  un  recueil 
où  ces  petits  monuments  seraient  classés  méthodique- 
ment, soigneusement  commentés,  et  accompagnés  d'un 
résumé  succinct  des  notions  utiles  qu'on  en  peut  tirer». 
Ce  recueil,  le  premier  de  cette  sorte  qui  ait  paru,  est 
précédé  d'une  longue  et  substantielle  introduction.  De- 
loche  eut  encore  la  joie  de  vous  l'offrir  lui-même  dans 
votre  séance  du  10  novembre  1(S99.  11  vous  apportait 
par  cet  hommage  son  testament  scientilique. 

'  M.  Deloche,  ÉUide  historique  et  archcoloffiqiic  sur  les 
anneaux  sigillaircs  et  autres  des  premiers  siècles  du  nmijen  (Uje. 
Description  de  315  anneaux,  avee  dessins  dans  le  texte  (Paris, 
1900),  p.  1. 


282  Opuscules  d'un  arabisant 

Le  classement  des  objets  décrits,  pour  peu  que  la 
provenance  en  fût  connue,  d'après  les  provinces  ecclé- 
siastiques et  les  diocèses,  ramenait  Deloche  en  arrière 
vers  le  sujet  plus  ample,  dont  ses  études  sur  les  mon- 
naies avaient  été  l'entrée  en  matière,  devenue  une  partie 
accessoire,  dont  son  Corpus  des  anneaux  était  l'appen- 
dice, devenu  la  conclusion  :  les  Lémovices  de  VArmo- 
riqiie,  le  Cartiilaire  de  l Abbaye  de  BeanUeu,  avec  les 
enseignements  de  sa  préface  si  suggestive,  la  Géogra- 
phie historique  du  Limousin  et  ses  subdivisions,  lecture 
inaugurale  remarquée  àla26<^  session  du  Congrès  scien- 
tifique de  France  qui  tint  ses  assises  à  Limoges  en  1859, 
le  mémoire  justificatif  Des  divisions  territoriates  du 
Quercy,  la  Description  des  monnaies  mérovingiennes 
du  Limousin  laissaient  pressentir,  comme  des  aboutis- 
sants  logiques,  les  belles  Etudes  sur  la  géographie  his- 
torique de  la  Gaule  et  spécialement  sur  les  divisions  ter- 
ritoriales  du  Limousin  au  moyen  âge,  qui  ont  reçu 
l'hospitalité  chez  vous  dès  1861  et  1864  dans  \es  Mémoi- 
res présentés  par  divers  savants,  et  La  trustis  eiVantrus- 
lion  royal  sous  les  deux  premières  races,  un  volume 
compact,  qui  ne  doit  pas  seulement  à  l'étrangeté  de 
l'intitulé  le  succès  qu'il  a  obtenu,  mais  qui,  en  1873, 
a  sanctionné  avec  éclat  le  choix  récent  par  lequel  vous 
aviez  accordé  vos  préférences  à  son  auteur. 

Deloche  y  aborde,  sans  préambule,  le  problème 
qu'il  se  propose  de  résoudre  :  «  La  trustis,  dit-il,  com- 
pagnonnage guerrier,  et  l'antrustion,  compagnon  vo- 
lontaire des  rois  francs,  représentaient,  en  Gaule,  une 
des  institutions  fondamentales  des  conquérants  et  cor- 
respondaient à  l'un  des  organes  essentiels  de  l'ancienne 
société  germanique.  »  Sommes-nous,  ajouterai-je,  des 
Celtes,  des  Germains  ou  des  Ligures?  Ou  bien  notre 
race  mélangée  est-elle  une  combinaison  de  ces  trois 


Maxiiuiii  Deloclie  2bii 

éléments  à  des  doses  (|iie  la  eliiinie  ellino^raplii(|iie  n'a 
pas  eneorc  évaluées  avec  précision  '  ?  Cle  sonl  des 
questions  sur  lesquelles  Deloehe  a  plusieurs  fois  varié, 
mais  qui  ne  pouvaient  nullement  modifier  sa  coneei)- 
lion  originale  de  l'antrustionat.  J'en  em|)iiinle  la  deli- 
nilion  et  la  earaetéristicpie  à  un  savant,  (juc  Deloehe 
tenait  en  particulière  estime  et  (pii  m'inspire  pleine 
confiance,  M.  Maurice  Prou,  le  successeur  de  notre 
Arthur  Giry  dans  sa  chaire  de  ri-^cole  des  chartes-: 
«  Dans  le  compagnonna^^e  royal,  ceux  qui  tenaient  au  roi 
par  les  liens  les  })lus  étroits  étaient  les  a/?//7/.s7/o//.s-.  Leur 
nom  vient  du  mot  Inislis,  qui  signifie  ordinairement 
aide,  protection,  et  cpii,  par  extension,  désigna  le  corps 
des  antiustions  et,  enfin,  une  troupe  d'hommes  armés... 
Les  antrustions  formaient  la  i^arde  i)articuliére  (hi  roi 
mérovingien;  ils  tenaient  la  place  des /;/o/cc/oyc.s  impé- 
riaux ;  comme  eux,  ils  formaient  une  scola  placée  sous 
les  ordres  du  maire  du  j)alais.  Ce  n'étaient  pas  néces- 
sairement des  hommes  lihies,  au  moins  à  l'origine; 
car,  au  vu''  siècle,  les  serfs  n'étaient  plus  admis  dans  ce 
corps  d'élite.  Les  antrustions  avaient  entrée,  comme  les 
autres  palatins,  dans  le  conseil  royal;  on  leur  conliait 
des  missions  extraordinaires.  Mais,  en  retour  des  ol)li- 
gations  auxquelles  ils  étaient  tenus  envers  le  roi,  ils 
avaient  certains  privilèges.  D'ahord  leur  personne  était 
protégée  par  un  triple  wercjeld,  c'est-à-dire  qu'au  cas 
où  l'un  deux  était  tué,  le  meurtrier  payait  ()(H)  sols,  soit 

*  M.  Deloche  s'est  j)ciit-ctrc  exagéré  en  dernier  lieu  la  part 
des  Ligures  dans  notre  formation  ;  voir  Des  indices  de  l'occupa- 
tion par  les  Liyiires  de  la  région  qui  fat  plus  tard  appelée  ladaule^ 
dans  le  tome  XXXVII  de  nos  Mémoires {Vav'xs,  181)7);  cf.  l'extrait 
paru  dans  la  Revue  celtique,  XVI II,  p.  365-373. 

-  Maurice  Prou,  La  Gaule  mérovingienue  (Paris,  1897),  p.  4G- 
47;  cf.  les  conclusions  identiques  de  P.  Guilhiermoz,  Essai  sur 
V origine  de  la  noblesse  en  France  au  moyen  éige  (Paris,  1902). 


284  Opuscules  d'un  arabisant 

une  amende  trois  fois  plus  forte  que  celle  dont  le  meur- 
tre d'un  Franc  libre  entraînait  le  paiement.  De  plus, 
une  procédure  particulière  avait  été  établie  en  leur 
faveur.  L'antrustionat  ne  formait  pas  une  noblesse,  la 
cpialité  d'antrustion  était  essentiellement  personnelle, 
elle  ne  passait  pas  du  père  au  fds.  » 

La  trustis  et  l'antrustion,  voilà  un  chapitre  de  nos 
origines  que  Deloche  a  élucidé  d'une  manière  défini- 
tive. Les  commencements  de  notre  histoire  constituent 
le  lien  commun  qui  unit  ses  disciplines  favorites  : 
géographie  historique,  numismatique  et  sigillographie 
mérovingiennes.  Le  Principe  des  nationalités  s'y  ratta- 
che par  l'utopie  généreuse  qu'il  imagine  :  une  France 
complétée  au  milieu  de  peuples  unifiés,  satisfaits  de 
leur  sort  et  alliés  avec  elle.  Le  patriotisme  rétrospec- 
tif enflamme  son  érudition.  Il  s'échaufte  dans  sa  dis- 
cussion avec  un  autre  bon  Français,  M.  Albert  Réville, 
qui  avait  écrit  deux  articles,  «  pleins  de  remarques 
originales  et  d'hypothèses  vraisemblables  ^  »,  sur  le 
druidisme  et  sur  l'armée  gauloise  à  la  bataille  d'Ale- 
sia  -.  Le  déblaiement  et  la  conservation  des  arènes  de 
Lutèce  n'ont  pas  de  plus  vaillant,  ni  de  plus  obstiné 
défenseur.  Une  Ecole  nationale  de  géographie  lui 
paraît  une  institution  nécessaire,  quïl  préconise  avec 
la  chaleur  entraînante  d'une  conviction  qu'il  voudrait 
rendre  contagieuse,  tant  elle  est  profonde  et  sincère! 
Le  caractère  essentiel  qui  donne  de  l'unité  aux  œuvres 
éparses,  souvent  fragmentaires,  de  cet  infatigable  tra- 
vailleur, réside  dans  son  amour  de  la  terre  natale, 
ville,    province,   région,    pays.   Tulle,   la    Gorrèze,    le 

*  Ce  jugement  est  emprunté  à  M.  Camille  Jullian,V'^(?/-cz72^e7o/7.r 
(Paris,  1901  j,  p.  398. 

'2  Lettre  signée  Maximin  Deloche,  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes,  tome  CCXXXVIÎI  (1877),  p.  465-472. 


Maxiniiii  Doloche 


285 


Quercv  et  le  [Jinoiisin,  Lulùco,  Paris  cl  notre  Aeailé- 
inie,  la  Gaule  et  la  l'iance  ont  eu  en  lui  un  adorateur 
constant,  dont  les  elVusions  se  sont  proloni^ées  pendant 
la  seconde  moitié  du  xix'"  siècle.  Il  a  concentré  ses 
efTorts  sur  l'étude  de  la  contrée,  petite  et  grande,  oii  il 
était  né,  où  il  avait  i>randi,  où  il  avait  vécu,  à  laquelle 
il  avait  voué  son  alTection.  La  France  n'oubliera  pas 
une  vie  de  labeur  consacrée  i)ar  un  de  ses  enfants  les 
mieux  doués  et  les  plus  actifs  à  la  poui'suite  et  à  la 
découvcite  de  ses  titres  de  noblesse. 


286  Opuscules  d'un  aral)isant 


III 


Ni  l'administrateur,  ni  le  savant  n'avaient  étouffé 
chez  Deloclie  lliomme  de  cœur  foncièrement  bon, 
bienveillant  pour  les  inférieurs,  compatissant  aux 
misères  du  prochain,  sensible  avec  affmement,  expan- 
sif  par  franchise,  désireux  de  plaire  et  de  persuader, 
serviable  avec  empressement,  se  prêtant  volontiers  au 
badinage,  évitant  de  nuire  à  qui  que  ce  soit.  Ecoutez-le 
plutôt  et  vous  aurez  plaisir  à  reconnaître  son  accent 
oratoire  ^  :  a  Charité  !  Charité  !  c'est-à-dire  sollicitude 
et  assistance  aux  humbles  et  aux  souffrants;  absence 
d'envie  et  de  convoitise  à  l'égard  des  puissants  et  des 
heureux;  indulgence,  amour,  pour  tous  ceux  qui  com- 
posent avec  nous  le  grand  corps  social  :  telle  est  la  loi 
qui,  de  l'Écriture,  doit  passer  dans  le  fait,  de  la  prédi- 
cation dans  les  mœurs,  et  à  laquelle  doit  obéir  fidèle- 
ment tout  véritable  ami  de  l'humanité,  tout  soldat 
dévoué  du  progrès.  »  Et,  dans  son  indignation  contre 
les  accusateurs  de  son  illustre  compatriote  Etienne 
Baluze,  Deloche  se  souvenait  qu'il  avait  été  avocat  et, 
dominé  par  des  considérations  de  sentiment,  il  disait 
avec  éloquence  :  «  Conservons  avec  piété,  exaltons 
avec  ferveur  ces  gloires  si  pures,  vraiment  nationales, 
qui  ne  traînent  point  après  elles,  comme  tant  d'autres 
gloires,  un  triste  et  lugubre  cortège  de  douleurs  et 
d'infortunes!  En  elles  consiste  notre  plus  précieux 
héritage,  dépôt  sacré  qui  nous  fut  légué  par  nos  pères 
et  que  nous  devons  transmettre  intact  à  nos  enfants.  » 

Ce    programme,    ainsi    généralisé   à    propos    d'un 

^  M.  Deloche,  Etienne  Baluze  (tirage  à  part),  p.  16. 


Maxiinin  Deloche  287 

problùnie  pailiciilici-,  a  clé  renipli  par  Deloche 
dans  sa  vie  iiioiivcnientée  ainsi  cpie  dans  ses  noni- 
l)rcux  écrits.  11  s'est  partout  imposé,  comme  un  devoir 
qu'il  revendi(piait,  la  mission  de  rechercher,  de  main- 
tenir et  de  j)eri)étuer  les  traditions.  Son  bon  sens  de 
Corrézien  et  de  I^'iançais  a  indicpié  non  seulement  la 
voie  à  l'érudit,  mais  encore  au  musicien,  à  ra(hninis- 
tratenr,  à  l'académicien.  Dès  (pi'il  fut  entré  parmi 
vous,  il  devint  l'arbitre  des  litiges  cpie  soulevait  j)arrois 
rap})lication  de  votre  règlement.  Faisant  face  au  bu- 
reau, il  épiait  le  moindre  relâchement  dans  sa  vigi- 
lance, et,  la  surprenait-il  en  défaut,  il  bondissait, 
redresseur  de  torts,  paladin  armé  de  pied  en  ca]),  ou- 
bliait pour  un  moment  son  infirmité,  se  soulevait  sur 
le  pied  gauche  pour  rehausser  sa  taille,  réclamait  avec 
instance  et  attendait  avec  impatience  un  comité  secret 
pour  dénoncer  certaines  tolérances,  pour  discuter  le 
sens  strict  et  rigoureux  d'un  article,  i)our  soutenir  avec 
impétuosité  son  exégèse,  })our  repousser  prestement 
toute  objection,  se  cramponnait  à  la  table  d'une  main 
noueuse,  la  frappait  à  coups  redoublés  de  l'autre  et 
prodiguait  ses  talents  sans  compter  pour  un  point  de 
détail  avec  autant  d'exubérance  que  pour  un  point  de 
doctrine.  Dans  les  élections,  bien  que  l'acception  des 
personnes  ne  le  laissât  pas  indillerent,  il  était  surtout 
préoccupé  de  maintenir  dans  votre  sein,  entre  les  brim- 
ches  rivales  jalouses  de  leurs  droits,  cet  é(piilibre  dont 
les  nouveaux  domaines  conquis  parla  science  risquent 
sans  cesse  de  modifier  les  conditions. 

Ce  n'était  pas  sans  résistance  que  Deloche  acceptait 
les  modifications  obligatoires  et  qu'il  faisait  plier  son 
respect  pour  le  temps  jadis  devant  les  nécessités  pres- 
santes imposées  par  la  marche  en  avant  de  l'humanité. 
«  Animé  de  cet  esprit  large  et  libéral  qui  faisait  jadis 


288  Opuscules  d  uu  arabisant 


le  charme  de  notre  société  française  '  »,  il  n'était 
certes  pas  un  rétrograde.  Mais  il  déplorait  la  propen- 
sion de  chaque  âge  à  démolir  ce  que  des  générations 
ont  construit.  Or,  la  loi  de  continuité  dans  ce  monde 
ordonne  que  des  conservateurs  éclairés  comme  Deloche 
lancent  des  avertissements  salutaires  pour  assurer 
l'avenir  des  institutions  héréditaires,  dont  ils  se  consti- 
tuent,  à  un  moment  donnée  les  gardiens  rigides  et 
inflexibles.  Les  procès-verbaux  de  vos  comités  secrets 
portent  les  traces  de  cette  opiniâtreté,  comme  aussi  les 
dossiers  des  archives  ministérielles.  Elle  est  tout  à 
l'honneur  de  votre  confrère.  1 

Au  moment  où  la  guerre  de  1870  éclata,  Deloche  1 
allait  avoir  53  ans.  Resté  à  son  poste  civil  de  chef  de  : 
division  dans  Paris  assiégé,  il  ne  se  contenta  pas  d'être  i 
le  plus  ponctuel  et  le  plus  discipliné  des  gardes  natio-  ] 
naux,  en  même  temps  que  le  plus  régulier  et  le  plus  j 
zélé  des  fonctionnaires,  en  attendant  qu'il  devint  le  g 
plus  assidu  et  le  plus  appliqué  des  académiciens.  Le  ] 
besoin  de  dépenser  ses  réserves  d'activité,  les  sugges-  j 
lions  de  son  cœur  chaud  et  la  vivacité  de  ses  élans 
patriotiques  le  poussèrent  à  examiner  les  moyens  par 
lesquels  il  parviendrait  à  soulager  efficacement  ceux 
des  Corréziens,  réfugiés  à  Paris,  sur  qui  pesait  le  plus 
lourdement  le  fardeau  des  souffrances  obsidionales. 

Notre  éminent  et  aimable  confrère,  M.  Edmond 
Perrier,  un  Tulliste  comme  Deloche,  vous  a  révélé  un 
secret  que  Deloche  avait  bien  gardé,  étant  peu  disposé 
à  divulguer  ses  actes  de  charité  -.  «  Aux  approches  de 

'  Discours  de  M.  le  comte  Robert  de  Lasteyrie  à  notre  séance 
publique  annuelle  du  vendredi  16  novembre  1900.  Voir  les  Comp- 
tes rendus  de  F  Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  de  1900, 
p  591.  Notre  président  associait  dans  un  juste  éloge  Deloche  et 
Ravaisson,  qui  «  tous  deux  »,  ajoutait-il,  «  ont  vécu  en  sages  ». 

-  Edmond  Perrier,  Discours,  éd.  de  notre  Académie,  n.  15. 


Maxiniiu  Deloche  2S1> 

riieure  de  la  faim,  alors  que  chacun  eùl  clé  prcscjue 
excusable  de  ne  penser  qu'à  lui-niènie.  Maxiinin  Delo- 
che  ne  pensa  ({u'aux  misères  de  ses  compatriotes, 
enfermés  comme  lui  dans  le  cercle  prussien;  il  pensa 
à  ceux  pour  ([ui  la  prévoyance  avait  été  impossible, 
à  ceux  (jue  la  maladie  avait  atteints,  aux  femmes,  aux 
enfants,  aux  vieillards  dont  la  dél)ilité  augmentait  la 
soulTrance,  aux  isolés  privés  de  leuis  proches  et  de 
leurs  amis.  Quelques  Corréziens  s'étaient  réunis  pour 
veiller  sur  leurs  jeunes  compatriotes,  soldats  de  Taiinée 
de  Vinoy;  il  accourut  et,  dans  un  grand  élan  de  soli- 
darité, il  fit  sui'i^ir  de  ce  groupement  éphémère 
VAssocialioii  conézicnne...  II  en  dirigea  lui-même 
pendant  dix  ans  les  travaux  ^  A  celte  œuvre  toute  de 
charité  il  continua  ses  plus  ardentes  sympathies,  même 
après  qu'une  cruelle  iniirmité,  survenue  en  KScSO,  l'eut 
condamné  à  un  repos  relatif;  il  en  demeura  le  prési- 
dent honoraire  et  i)rofondément  honoré.  » 

A  partir  de  1880,  il  se  réserva  pour  notre  Compagnie, 
pour  ses  confrères,  pour  ses  visiteurs.  Vous  vous  le 
rappelez  invariablement  coiffé  d'une  calotte  en  velours 
noir  qui  effleurait  seulement  le  haut  de  son  front  déve- 
loppé et  méditatif.  Au  repos,  ses  |)aupières  étaient 
baissées  sur  les  yeux  presque  fermés.  S'animail-il,  ses 
yeux  sortant  de  leurs  orbites  devenaient  j)élillants, 
son  regard  interrogateur  scrutait  les  pensées  avec  une 
expression  d'ironie  sans  cruauté,  de  malice  sans  mé- 
chanceté ;  sa  bouche  souriait,  finement  empreinte  de 
bonhomie  narcjuoise.  Sa  verve  un  peu  gouailleuse 
rappelait  aux  auditeurs  que  la  Corrèze  est  ))lulôt  l'an- 
tichambre du  Midi  que  la    prolongation  de   la   France 

^  Je  signale  aux  amateurs  de  pensées  saines,  délicatement  et 
éloquemment  exprimées,  le  charmant  discours  que  Deloche  pro- 
nonça devant  V  Union  corrézienne,  le  13  février  1876. 

19 


290  Opuscules  d'un  arabisant 

centrale.  Deloche  avait  un  beau  nez,  régulier  de  forme, 
aux  narines  gonflées  et  vibrantes.  Sa  figure  rasée  était 
terminée  par  un  bouquet  de  barbe  écourtée  et  arrondie. 
Quant  à  son  vêtement,  soigneusement,  presque  coquet- 
tement ajusté,  il  était  en  drap  noir,  avec  le  gilet  mon- 
tant jusqu'à  la  barbiche.  Les  manchettes  blanches 
ressortaient  seules  sur  le  fond  uniformément  noir  du 
costume  ^ 

Sa  conversation  était  charmante,  parce  qu'il  était 
d'humeur  causeuse  et  de  nature  sociable.  Si  je  n'avais 
suivi  que  mes  goûts,  je  serais  allé  souvent  écouter  sa 
parole  familière  et  sans  prétention,  mais  non  sans  sa- 
veur. Il  m'interpellait  par  mon  prénom  pour  me  met- 
tre à  l'aise.  Plus  d'une  fois,  il  m'a  raconté  ses  commen- 
cements, parlé  de  sa  musique,  montré  ses  monnaies  et 
ses  anneaux,  exposé  ses  théories  et  ses  déchiffrements, 
tandis  que  (et  je  m'en  accuse)  j'avais  l'esprit  détourné 
par  d'autres  préoccupations.  Pourquoi  n'ai-je  pas 
profité  de  ses  doctes  confidences,  pourquoi  n'a-t-il  pas 
trouvé  en  moi  un  disciple  attentif  à  ses  leçons,  pour- 
quoi ai-je  laissé  passer  les  occasions  de  m'instruire 
dans  ce  qu'il  connaissait  si  bien?  Je  ne  prévoyais  pas 
alors  que  je  serais  appelé  à  résumer  devant  vous  la 
carrière  et  les  écrits  d'un  savant,  dont  je  sens  vive- 
ment que  je  ne  suis  pas  préparé  à  discerner  et  à  expli- 
quer la  supériorité.  ^ 

^  Une  exquise  photogravure,  représentant  Deloche  dans  son 
cabinet  de  travail,  tel  que  nous  1'}'  avons  vu  pendant  ces  dernières 
années,  a  paru  dans  la  Revue  encyclopédique  du  12  mars  1900, 
p.  380  b.  Voir  aussi  la  gravure  sur  bois,  représentant  Deloche 
sexagénaire,  dans  le  Lemoiizi,  organe  de  la  Ruche  corrézienne, 
no  54  (février  1900).  p.  17  a.  C'est  entre  les  deux  que  se  place  le 
portrait  en  buste  de  Maximin  Deloche  septuagénaire,  publié 
d'après  un  excellent  chché  de  Pierre  Petit  et  fils  dans  le  Monde 
illuslré  du  17  février  1900,  p.  108. 


IVIaxiiniii  Deloehe  291 


Mon  incapacité  d'apprécier  et  de  louer  Maximin 
Deloche  selon  ses  mérites  sera  bientôt  compensée,  je 
l'espère,  par  nn  i)anégyrique  émanant  d'un  maitre 
informé,  d'un  juge  compétent.  En  efTet,  dans  votre 
séance  du  4  lévrier  189S,  vous  ave/  pris  la  résolution 
suivante  que  vous  avez  incorporée  dans  votre  règle- 
ment: «1^  Il  y  a  lieu  de  faire  la  notice  biographique 
de  chacun  des  membres  décédés  de  la  Compagnie, 
sans  préjudice  de  l'Eloge  qui  pourra  être  fait  de  quel- 
ques-uns d'entre  eux,  en  séance  publique,  par  le  Secré- 
taire perpétuel.  2"  Pour  les  membres  ordinaires  et  pour 
les  membres  libres,  la  notice  biographique  sera  con- 
fiée d'office  au  successeur  du  défunt  '.  »  La  tache  que 
votre  indulgence  m'a  imposée,  j'ai  essayé  de  l'accom- 
plir dans  la  mesure  de  mes  moyens.  L'amertume  des 
regrets  que  j'éprouve  de  mon  insuffisance  ne  sera  adou- 
cie que  le  jour  où  notre  vénéré  et  bien-aimé  Secrétaire 
perpétuel,  M.  Henri  Wallon,  remplacera  mon  esquisse 
par  un  portrait  de  son  contemporain,  digne  du  modèle 
et  destiné  à  occuper  une  place  d'honneur  en  pleine 
lumière  dans  la  galerie  de  ses  Notices  historiques,  qui 
sont  autant  de  chefs-d'œuvre  '-. 


*  Voici  le  complément  de  cette  législation  inédite  :  «S»  La  no- 
tice biographique  sera  accompagnée  d'une  notice  bibliographi- 
que. 4o  Pour  les  associés  étrangers,  il  sera,  dans  chaque  cas, 
statué  par  décision  spéciale  de  la  Commission  des  travaux  litté- 
raires. 5o  Enfin,  si,  pour  cause  de  force  majeure,  le  nouveau 
membre  se  trouvait  dans  l'impossibilité  de  faire  la  notice  deman- 
dée, il  serait  statué  par  décision  spéciale  de  la  Commission  des 
travaux  littéraires,  comme  ci-dessus,  à  l'article  4.  » 

^Cetespoirest  irrévocablement  déçu.  M.  Henri  Wallon  ayant  ter- 
miné, le  13  novembre  1904,  sa  longue  et  belle  existence,  toute  de 
vertu  active  et  de  dévoùment  à  la  France,  à  l'Institut,  à  la  science 
et  aux  savants. 


IX 

Une  Famille  sémitique  de  Sémitistes 

Les  Derenbourg 


•1 


% 


■^- 


Une  famille  sémitique   de   sémitistes. 
Les   Derenbourg'. 


I 


LliS    OHKIINES 


Le  fondateur  dv  celle  dynaslie  d'orientalisles  est 
mon  i>rand-})ère,  Hailwii^  (Sehi  Hirseli)  Dereubiii  ^.  De 
mon  l)isaïeiil,  je  sais  seulemenl  qu'il  se  nommait  Jakol) 
Derenl)uri,^  Où  mou  L>iaud-pcre  est-il  né  et  eu  quelle 
année  ?  Xi  son  épitaphe  au  cimetière  de  Mayeuce,  ni 
la  préface  de  sa  comédie  iulilulée  Yôschcht''  téwcl,  «  Les 
habitants  du  monde  »,  composée  à  rimilation  de 
Laijijescluivim  Trhillàh  de  Mose  Ilayyim  Lu/zato  et 
imi)rimée  à  Olfenhach  eu  17»S1)-,  ne  nous  renseit<uent  à 
ce  sujet.  Le  berceau  de  la  lamille,  aucpiel  elle  a  em- 
prunté son  nom,  est  Derenburg,  un  saint  lieu  de  pèle- 
rinage, ap})arteuanl  au  district  de  Ilalberstadl,  daus  la 
proviuce  de  Magdebourg.  Ce  fut  de  là  (prelle  émigra 
à  OlTenbach,  Francfort-sur-le-Mein  et  Mayeuce,  où 
Hartwig  I)ereid)urL5  s'était  fixé  avant  la  publication  de 
sa  pièce,   j)uisqu'il  Ta  signée  en  qualité  de   «  précep- 

'  Des  fragments  de  celte  notice  ont  paru  dans  Id.lciiusli  Ency- 
cloj)cdiii,  IV  (New- York,  1903),  p.  530  6-532  b,  avec  deux  pliolo- 
graphies. 

■^  La  Bibliothèque  parisienne  de  rAlliance  israéiite,  depuis 
peu  transférée  à  TEcole  Orientale,  rue  d'Auteuil,  59,  possède  un 
exemplaire  sous  la  cote  1329  D. 


296  Opuscules  d'un  arabisant 

teur  chez  M'^^'  Brendeli,  veuve  de  Béer  Hamburg,  à 
Mayence  ».  D'autre  part,  il  l'a  dédiée  au  «  savant  et 
généreux  Salomon  Fùrth,  à  Francfort,  au  fils  duquel  il 
V  a  donné  des  leçons  ». 

L'œuvre  édifiante  de  Hartwig  Dcrenburg  a  un  but 
d'enseignement  et  de  moralisation.  Grâce  à  elle,  «  les 
habitants  du  inonde  »  doivent  apprendre  comment  on 
arrive  à  repousser  le  mal  et  à  choisir  le  bien.  R.  Xo*ah 
Hayyîm  Hirsch,  Grand-Rabbin  de  la  communauté 
juive  de  Mayence,  encouragea  l'auteur  à  imprimer  les 
88  paragraphes  de  ses  scènes  dialoguées,  où  huit  per- 
sonnages évoluent  et  se  donnent  des  répliques  comme 
représentants  de  huit  péchés  capitaux,  que  le  redres- 
seur de  torts,  «  le  maître  de  la  paix  »,  Sar  schalôm,  le 
pasteur  de  la  communauté,  flétrit  et  réprime.  Ainsi 
que  plus  tard  Gœthe  dans  la  Fille  naturelle,  Hartwig 
Deren]3urg  s'abstient  de  donner  des  noms  propres  à  ses 
personnages.  Mais,  de  même  qu'on  a  la  clef  des  êtres 
vivants  que  Gœthe  a  mis  sur  la  scène  sous  le  voile  de 
l'anonyme  ^  de  même,  les  contemporains  de  Deren- 
burg  ont  reconnu  à  travers  le  masque  transparent  les 
principaux  membres  de  la  communauté  juive  de 
Mayence,  auxquels  leur  rabbin,  «  le  maître  de  la  paix  », 
R.  Xo'ah  Hayyîm  Hirsch,  adressait  de  justes  remon- 
trances. Cette  production  n'eut  pas  de  lendemain.  Son 
auteur,  d'une  part,  ouvrit  un  restaurant  juif  pour  ses 
coreligionnaires,  d'autre  part,  oublieux  de  sa  misère,  il 
s'absorba  dans  les  pratiques  d'un  judaïsme  rigoureux, 
dans  l'étude  orthodoxe  de  la  Bible  et  du  Talmud.  Son 


^  Cette  comparaison  m'est  suggérée  par  les  deux  très  inté- 
ressants articles  de  M.  Michel  Bréal  dans  la  Revue  de  Paris  des 
l^*"  et  15  février  1898  :  Une  héroïne  de  Gœthe.  Les  personnages 
originaux  de  la  »  Fille  naturelle  ».  L'auteur  a  réimprimé  cette 
série  dans  Deux  études  sur  Gœthe  (Paris,  Hachette,  1898,  in-12). 


Une  famille  de  séiiiitistes  2Î>7 

fils  aîné,  Jakob  Dcrciiburg,  né  à  Mayence  en  1791, 
s'étant  voué  au  droit  et  étant  devenu  de  bonne  beure 
un  maître  avocat  ',  Hartwig  Derenburg  espéra  se  conti- 
nuer et  se  survivre  dans  son  Benjamin,  dans  Joseph 
(Naftalî)  Derenburg,  mon  père  regretté,  né  à  Mayence 
le  21  août  1811.  Hartwig  Derenburg  y  mourut  en  1830, 
sa  femme,  ma  grand'mère,  en  1839. 

1  Jakob  Derenburg,  devenu  Jakob  Dernburg,  après  des  succès 
d'orateur,  qui  le  firent  choisir  par  la  communauté  juive  de 
Mayence  comme  son  «  Prœses  »  (parnàs),  écrivit  en  18'24  dans 
le  Gei'st  de  Michel  Creizenach  quelques  articles  sur  le  serment 
et  sur  le  culte  juifs,  ainsi  que  sur  la  méthode  défectueuse 
appliquée  à  l'étude  du  Talmud,  en  1831  des  considérations 
(Betrachtiingen)  sur  trente-deux  thèses  talmudiques,  puis  aban- 
donna le  judaïsme  et  le  barreau  vers  1837.  Il  ne  fit  qu'un  court 
passage  à  l'Université  régionale  de  Giessen  comme  professeur 
ordinaire  à  la  Faculté  de  droit  et  devint  bientôt  Obcrappella- 
tioiisrath  à  la  Cour  suprême  hessoise  de  Darmstadt.  Il  y  mourut 
le  23  mars  1878.  Ses  deux  fils,  mes  cousins  germains,  lleinrich 
et  Friedrich  Dernburg  ont  accentué  l'essor  de  la  famille  vers  les 
carrières  libérales.  Le  premier,  successivement  professeur  de 
droit  à  Zurich,  Halle  et  Berlin,  membre  à  vie  de  la  Chambre 
des  seigneurs,  a  célébré  en  1902  le  cinquantenaire  de  son  ensei- 
gnement et  en  1904  celui  de  ses  publications  souveraines  en 
droit  romain  et  en  droit  prussien.  Son  frère  Friedrich,  informé 
et  spirituel,  manie  une  plume  alerte  avec  une  verve  juvénile. 
Transfuge  de  la  presse  politique,  il  a  échangé  son  épée  de 
combat  de  la  Xazional  Zeitiing  contre  la  houlette  pacifique  du 
chroniqueur  littéraire  au  BerUncr  Tageblatl.  Mon  petit  cousin, 
neveu  de  Michel  Bréal,  Ernst  Landsberg,  professeur  ordinaire 
de  droit  romain  et  de  droit  pénal  à  l'Université  de  Bonn,  par 
ses  cours  et  par  ses  écrits,  maintient  non  interrompue  la  chaîne 
de  mes  parents  jurisconsultes. 


298  Opuscules  d'un  arabisant 


II 

Joseph  Derenbourg  * 
(1811-1895) 

L'acte  de  naissance  de  mon  père,  rédigé  en  français 
à  Mayence,  chef-lieu  du  département  français  du  Mont- 
Tonnerre,  désigne  ses  parents  comme  «  Hartwig  Deren- 
burg,  cabaretier,  et  Hélène  Gundersheim,  son  épouse  ». 
Une  éducation  exclusivement  rabbinique  fut  donnée  à 
l'enfant  jusqu'à  l'âge  de  treize  ans. 

Chaque  jour,  de  huit  heures  à  midi  le  matin,  de  huit 
heures  à  minuit  le  soir,  mon  grand-père  oubliait  la 
Garkùche  à  l'enseigne  :  Ziir  goldenen  Kanne,  aux 
clients  affamés  et  altérés,  pour  former  son  élève  stu- 
dieux à  la  lecture  de  la  Bible  et  du  Talmud,  avec  les 
commentaires,  alors  presque  sept  fois  centenaires,  de 
Raschî.  La  complicité  de  sa  mère,  soutenue  par  ses 
oncles  maternels,  les  Jacques  de  Hanovre,  permit  au 
talmudiste  accompli  de  treize  ans,  muni  d'un  diplôme 
attestant  la  haute  compétence  de  l'adolescent  en  ces 
matières,  d'aborder  les  études  classiques.  Quand  il  se 
sentit  suffisamment  préparé,  il  entra  en  Secunda  au 
Gymnasiiim  de  Mayence  ;  puis,  muni  de  son  Abitiirieii- 
tendiplom,  il  fréquenta  les  Universités  de  Giessen 
d'abord,  où  trois   semestres   étaient  obligatoires  pour 

^  W.  Bâcher,  Joseph  Derenbourg,  sa  vie  et  son  œuvre,  dans  la 
Revue  des  éludes  juives,  XXXII  (1896,',  p.  1-38.  Tirage  à  part  de 
même  date,  avec  un  portrait.  Un  résumé  de  cette  notice  a  paru 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  linguistique  de  Paris,  IX,  4,  no42 
(juillet  1896),  p.  CLViii-CLXxvni. 


Joseph  Dereiiboiiry  2Î>1> 

les  Hessois,  j)Liis  de  Honn.  L'iir  braisai  il  i'in|)iii{iiie  cl 
asservi  à  la  Iracliliou  élait  devciui  un  savaiil  laïque  cl 
novalcur,  un  philolo<^ue  cl  un  scuiitislc  à  Gicssen. 
L'ensci<^ncincnl  de  Ci.  ^^^  1^'rcyla^f  en  lit  à  Bonn  un 
arabisanl,  ({ue  la  soeiélé  et  raniilié  d'Ahraiiam  (iei^er, 
non  moins  que  sa  voealion  décidée,  conservérenl  a  la 
science  juive. 

Ayanl  renoncé  dérinilivenienl  au  rahhinal,  le  jeune 
docleur  en  |)liil()S()pliie  quitta  en  liSiU  Hoini  pnuv  Am- 
sterdam, où  un  j)récej)loral  lui  avait  été  dévolu  dans  la 
famille  HischolVsheim.  Son  élève  Haphaël,  son  lutur 
confrère  à  l'Inslitul,  ayanl  émi<^ré  à  Paris  en  l.S.'i(S,  afm 
d'y  suivre  les  cours  de  l'Ecole  centrale,  mon  père  l'y 
accompagna  el  s'y  fixa.  En  lcS41,  il  devint  associé  de 
la  pension  Coulant,  qui  se  l'attacha  comme  directeur 
moral  et  religieux  des  élèves  juifs.  Le  21  aoid  18  li),  il 
épousait  à  Nancy  Delphine  Moïse,  dite  Meyer,  le  jour 
même  où  il  avait  accom{)li  ses  32  ans.  Je  renonce  à 
dire  de  ma  mère  le  bien  ([ue  j'en  pense,  moi,  son  fils 
aîné,  qu'elle  créa  à  son  image  le  17  juin  LSll.  Quel- 
ques mois  après,  mon  père  recouvrait  la  nationalité 
française.  Joseph  Derenburg,  puis  Dernbui'g',  s'appe- 
lait désormais  Joseph  Derenbourg.  Agrégé  d'allemand 
en  1850,  professeur  suppléant  de  celle  langue  au  lycée 
Henri  IV  pendant  l'année  scolaire  18r)l-18r)2,  correcteur 
de  première  classe  en  1832,  })uis  correcteur  des  textes 
orientaux  en  1836  à  l'Imprimerie  Impériale,  chargé  à  la 
même  époque  de  rédiger  le  catalogue  des  manuscrits 


*  La  signature  J.  Dernburg  se  lit  dans  riiraull  de  Fi'angey, 
Essai  sur  rarchilcclurc  des  Arabes  el  des  Mores.  (Paris,  A.  Hauser, 
1841),  Appendice,  p.  iv.  Dans  une  lettre  du  13  juillet  1844  de  Graf 
à  Ed.  Reuss,  «  der  Jude  Dernburg  »  est  signale  parmi  les  audi- 
teurs du  samedi  au  cours  de  Reinaud  ;  cf.  Edaard  Reiiss  Brief- 
wechsel  mit...  Cari  Heiiirich  G/-a/(Giessen,  Ricker,  1904),  p.  202. 


300  Opuscules  d'uu  arabisant 

hébreux  de  la  Bibliothèque  Impériale  ^,  Joseph  Deren- 
bourg  persévéra  en  même  temps  dans  son  œuvre  pé- 
dagogique :  fidèle  à  la  pension  Coûtant  jusqu'au  31 
décembre  1866,  il  prit  ensuite  et  garda  jusqu'en  1864 
la  direction  d'une  institution  de  jeunes  gens,  qu'il  avait 
fondée  30,  rue  de  la  Tour-d'Auvergne.  Décoré  de  la 
Légion  d'honneur  le  15  août  1859,  le  chef  d'institution 
libéré,  devenu  l'auteur  des  Notes  épigraphiques,  l'his- 
torien de  la  Palestine  depuis  Cyrus  jusqu'à  Adrien, 
fut  élu,  le  22  décembre  1871  -,  membre  de  l'Institut 
(Académie  des  inscriptions  et  belles  lettres),  en  même 
temps  que  mon  prédécesseur  dans  la  docte  compagnie, 
Maximin  Deloche,  «  ce  savant,  à  la  fois  musicien, 
administrateur,  historien,  géographe,  numismate,  glyp- 
tologue,  sigillographe,  épigraphiste  ^  ». 

Si  mon  père  succédait  nominalement  à  son  ancien 
professeur  A.  P.  Caussin  de  Perceval,  en  réalité  il  était 
désigné  pour  occuper  la  place  laissée  vacante  par  la 
mort  de  Salomon  Munk,  survenue  le  7  février  1867. 
Dès  le  3  mai  1868,  il  avait  recueilli  la  succession  de  son 
illustre  ami  comme  membre  du  Comité  central  de 
l'Alliance  Israélite,  dont  il  fut  l'un  des  deux  vice-prési- 
dents depuis  1878  jusqu'à  sa  mort.  Je  ne  parlerai  que 
pour  mémoire  de  son  passage  au  Consistoire  israélite 


^  Les  bulletins  de  Joseph  Derenbourg,  rédigés  de  1853  à 
1856,  sont  conservés  à  la  Bibliothèque  Nationale,  sous  les 
numéros  1300  à  1304  du  fonds  hébreu;  cf.  aussi  1305  à  1307;  voir 
Catalogues  des  manuscrits  hébreux  et  samaritains  (Paris,  1866j, 
p.  233. 

2  Quel  merveilleux  exemple  du  libéralisme  français  que  l'élec- 
tion à  l'Institut  de  France  d'un  juif  mayençais,  sept  mois  et 
demi  après  le  traité  de  Francfort  ! 

3  Hartwig  Derenbourg,  Discours,  dans  les  Atti  det  Congresso 
internazionale  di  scienze  storiche,  IV  (Borna,  1904),  p.  xvni.  Ma 
Notice  sur  Deloche  occupe  dans  les  Opuscules  les  p.  257-291. 


Josepli  Derenliourcj  301 

de  Paris  de  1873  à  1876.  En  1877,  le  inaiivnis  état  de  sa 
vue  le  eoiilraigiiit  à  résioiier  ses  ibnelions  à  l'Impri- 
merie  Nationale  ;  mais,  au  nièiiie  iiioineiil,  il  était 
appelé,  avec  le  titre  de  Direetein-adjoint  ',  à  enseigner 
l'hébreu  rabl)ini([ue  à  l'Ecole  des  hautes  études  (section 
des  sciences  historiques  et  philolo^i(|ues).  Il  a  conservé 
cette  chaire,  tardivement  créée  pour  lui  par  ^^'adding- 
ton,  jusqu'en  juin  1895.  Ma  mère  avait  eu  encore  la 
joie  de  voir  son  mari,  à  Gi)  ans,  débuter  dans  l'ensei- 
gnement supérieur,  presque  à  l'âge  habituel  de  la  re- 
traite. Elle  mourut  après  une  cruelle  maladie  le  i)re- 
mierjour  de  soiikkôl,  le  quinze  tischrî  5G40  (2  octobre 
1879). 

Dans  l'isolement  de  son  veuvage,  mon  père,  dont  les 
yeux  baissaient,  dont  l'intelligence  avait  conservé  sa 
fraîcheur  et  son  activité,  réussit  à  s'adjoindre  et  ^  for- 
mer des  secrétaires  aussi  dévoués  que  méritants  :  feu 
L.  Bank,  leur  doyen;  mon  cher  collègue,  après  avoir 
été  mon  cher  disciple,  Mayer  Lambert  ;  mon  ami 
Isaac  Broydé  entre  autres.  Je  m'enrôlai  comme  volon- 
taire dans  ce  bataillon  d'élite-. 

Le  21  août  1891,  le  quatre-vingtième  anniversaire 
de  Joseph  Derenbourg  fut  célébré  à  Paris  par  des 
députations,  par  des  adresses  et  des  discours,  par  des 
envois  de  télégrammes  et  de  lettres,  enfin  j)ar  des 
mémoires  que  publièrent  à  cette  date  en  son  honneur 
ses    amis  et  ses  admirateurs  \   Le  Nestor  des    études 

^  Joseph  Derenbourg  fut  nommé  Directeur  d'études  le  4  jan- 
vier 1884. 

^  La  restitution  du  laboratoire,  avec  son  directeur,  ses  prépa- 
rateurs et  son  outillage  perfectionné,  a  été  tentée  par  moi  dans 
V Avant-propos  que  j'ai  mis  en  tète  de  R.  Saadia,  Œuvres  com- 
plètes, V  (1899),  Version  arabe  da  Livre  de  Job,  p.  xix  et  xx. 

^  Larédaction  d'un  volume  collectif  ne  prévalut  pas  cette  fois  et, 
pour  ma  part,  je  regrette  que  l'exemple  n'ait  pas  rencontré  d'imi- 


302  Opuscules  d'un  arabisant 

juives,  malgré  l'affaiblissement  graduel  de  sa  vision 
réduite  à  ne  plus  distinguer  que  le  blanc  et  le  noir,  le 
jour  et  la  nuit,  ne  se  ralentissait  pas  dans  sa  production, 
dans  son  labeur  acharné,  faisait  des  projets  pour  l'avenir, 
publiait  en  1893  le  premier  volume  des  Œuvres  com- 
plètes de  Saadia,  dont  la  série  annoncée  en  comprenait 
douze  '.  Un  mois  de  vacances  bien  gagnées  était  tout  ce 
que  s'accordait  chaque  année  le  vieillard  resté  debout 
qui,  dès  les  fortes  chaleurs,  partait  gaiement  avec  un 
de  ses  secrétaires  pour  sa  villégiature  préférée  d'Ems. 
Sous  prétexte  d'y  soigner  sa  gorge,  il  se  réjouissait  d'y 
rencontrer  nombre  de  rabbins  et  d'hébraïsants,  accou- 
rus de  toute  part  à  ce  rendez-vous  périodique  pour 
avoir  la  bonne  fortune  d'échanger  leurs  idées  avec 
les  siennes,  de  puiser  à  cette  source  intarissable  d'in- 
formation et  de  science.  Ce  fut  pendant  l'un  de  ces  pèleri- 
nages que,  dans  la  nuit  du  28  au  29  juillet  1895,  Joseph 
Derenbourg   s'éteignit  à  Ems,  loin    des   siens,   assisté 

tateurs.  Les  auteurs  de  ces  dédicaces  isolées  et  indépendantes 
furent  Philippe  Berger,  x\dolf  Berliner,  Maurice  Bloch,  Auguste 
Carrière,  Henri  Cordier,  James  Darmesteter,  Hartwig  Deren- 
bourg, Abraham  Epstein,  Moritz  Friedlânder,  Ludwig  Geiger, 
J.  Guttnann,  A.  Harkavy,  Marcus  Jastrow,  Zadoc  Kahn,  Majxr 
Lambert,  Israël  Lévi,  Isidore  Lœb,  Joël  MûUer,  Ad.  Neubauer, 
Jules  Oppert,  Salomon  Reinach,  Moïse  Schwab,  Moritz  Stein- 
schneider,  Heymann  Steinthal,  Henri  Weil,  D""  Victor  Widal.  Sur 
cette  manifestation,  voir  James  Darmesteter  dans  le  Journal 
asiatique  de  1892,  II,  p.  99-100  ;  Moïse  Schwab,  dans  les  Archives 
Israélites  du  jeudi  27  août  1891,  p.  278  b  et  279  a.  Si,  par  hasard, 
i'ai  oublié  le  nom  d'un  des  participants,  c'est  défaillance  de  ma 
mémoire,  ce  n'est  pas  refroidissement  de  ma  gratitude. 

*  La  besogne,  interrompue  en  1899,  va  être  reprise  sous  peu 
avec  un  regain  d'ardeur,  avec  les  concours  assurés  de  Wilhelm 
Bâcher,  d'Adolf  et  de  Samuel  Poznanski,  avec  des  renforts  de 
collaborateurs  zélés  et  compétents,  avec  des  ressources  accrues 
en  documents  manuscrits  et  imprimés,  avec  des  concours 
moraux  et  financiers  acquis.  Il  ne  s'agit  plus  de  douze,  mais  de 
seize  volumes. 


Josepli  Dei*enl)oiii*(j  303 

par  deux  de  ses  amis  intimes,  les  rahhiiis  .1.  Gutlmami 
de  Breslau  et  Simonseu  de  (.openhagiie.  Le  Consistoire 
de  Paris  fit  à  son  aneien  mcml)re,  le  4  août,  au  ci- 
metière du  Père-Lachaise,  des  ohsècpies  discrètes  et 
touchantes,  dont  sa  famille  a  gardé  et  i^^ardera  le  sou- 
venir ému.  Sur  sa  tombe  entr'ouverte,  des  discours 
éloquents  furent  prononcés  par  M.  le  «^rand-rabbin  de 
France  Zadoc  Kahn',  par  MM.  Gaston  Maspero -, 
Narcisse  Leven,  Abraham  Cahen,  Maurice  Bloch, 
Auf^uste  Carrière  ^. 

La  bibliographie  de  «  mon  guide  dans  la  vie  et  dans 
la  science  ^  »  est  trop  touffue  pour  que  je  lente  l'inven- 
taire de  cette  littérature  vaste  et  dispersée.  Après  mûre 
réflexion,  je  me  contente  de  donner  ici  quelques  sup- 
pléments^ additions  et  rectifications  aux  quatre  listes 
dressées  par  Moïse  Schwab  dans  son  précieux  Réper- 
toire des  articles  relatifs  à  V Histoire  et  à  la  Littérature 
juives  parus  dans  les  Périodiques  de  1783  à  1900  ',  par 
Mark  Lidzbarski  dans  son  Manuel  d'épigraphie  sémi- 
tique du  Nord  ^^  par  A.  Gascard  dans  sa  Table  métlio- 

1  Zadoc  Kahn,  Souvenirs  et  regrets  (Paris,  1898),  p.  387-398. 

'^  Funérailles  de  M.  Derenhourg.  Diseours  de  M.  Maspero,  pré- 
sident de  r Académie.  Publication  de  l'Institut,  1S93.  —  10  .4  p. 
in-4o. 

^  Auguste  Carrière,  Josepli  Derenhourg,  dans  V Annuaire  de 
VÉcole  des  hautes-études,  (section  des  sciences  historiques  et 
philologiques)  de  1897,  p.  31-40. 

^  Dédicace  de  mon  m^uscule  Les  Monuments  sabéens  et  him- 
yarites  de  la  Bibliothèque  Nationale,  écrit  pour  les  80  ans  de 
mon  père. 

^  Paris,  Durlacher,  1899-1903,  2  vol.  en  3  tomes.  99  numéros 
sont  recensés  dans  le  Répertoire,  I,  p.  82  ^-85  a,  sans  parler 
des  additions,  p.  454  a  et  486  /).  Or,  le  Répertoire  ne  fait  état  ni 
des  Comptes  rendus  deV Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres, 
ni  du  Journal  asiatique,  ni  de  la  Revue  archéologique. 

•■'  Mark  Lidzbarski,  llandbuch  der  nordsemitischen  Epigraphik 
(Weimar,  1898),  Bibliographie,  index,  p.  85  a,  498  c. 


304  Opuscules  d'uu  arabisant 

diqiie  de  la  Revue  critique  dliistoire  et  de  littérature  \ 
par  moi  dans  le  volume  quatrième  de  l'Encyclopédie 
juive  ■-.  J'ajouterai  une  cinquième  source  d'omissions 
préméditées.  Toutes  les  fois  que  les  publications  pater- 
nelles s'enchevêtrent  dans  les  miennes,  je  les  ai  acca- 
parées au  profit  de  ma  bibliographie  complète,  donnée 
plus  loin  dans  sa  plénitude  et  ses  détails,  sans  lacunes 
voulues.  On  verra  ainsi  combien  a  été  féconde  pour  moi 
la  collaboration  du  père  et  du  fils,  du  maître  et  de 
l'élève. 

L'énumération  suivante,  classée  dans  l'ordre  chro- 
nologique, dépouillée  de  ses  éléments  essentiels,  de- 
meure abondante  et  riche  : 

1.  Over  de  noodzakelijkheid  van  het  Godsdiensi-Onder- 
wijs,  dans  les  Jaarbœkeii  uoor  de  Israëliten  in  Neder- 
landK  IV  (Gravenhage,  1838),  p.  347-360. 

2.  Leerredenen  door  Israëliten  in  het  Nederlandsch 
gehouden,  ibid.,  p.  364-377. 

3.  Het  Amsterdamsche  Opper-Rabbinaat.  2  stukjes. 
Amsterdam,  1839.  Ce  pamphlet  anonyme  a  été  reconnu 
par  son  auteur;  voir  M.  Roest,  Snippers  mit  de  onde 
doos,  dans  Xieuv.  Isr.  Nieuwsbode  de  1880,  nos  6,  8,  30 
et  31  ;  (Di'  J.  H.  Dùnner),  dans  S.  Seeligmann,  Catalog 
der  reichhaltigen  Sammlung...  nachgelassen  von  N.  H. 
Van  Biema,  Amsterdam,  1904,  p.  196,  n°  3364. 

4.  Inscriptions  de  VAlhambra.  Appendice  à    Girault 

'  Paris,  Ernest  Leroux,  1894,  index,  p.  229  (nos  5914,  6357, 
6822,  les  autres  articles  signés  J.  D.  étant  de  James  Darmes- 
teter)  et  300 . 

2  The  Jewish  Encyclopedia,  lY  (New-York,  1903),  p.  531. 

^  C'est  d'après  le  même  recueil,  III  (1837),  p.  369-392,  avec 
portrait,  que  Moïse  Schwab,  Répertoire,  I,  p.  83  a,  n°  11, a  attri- 
bué avec  raison  à  Joseph  Derenbourg  l'article  anonj^me  intitulé 
Cari  Asser,  le  nom  de  l'auteur  étant  donné  dans  Jost,  Israeli- 
tische  Annalen  de  1839,  9,  p.  20  et  suiv. 


Joseph  Deron])oiir(|  305 


de  Prangcy,  Essai  sur  idirJulcdurc  des  Arabes  cl  des 
Mores,  en  Espagne,  en  Siede  et  en  Barbarie.  Paris, 
A.  Haiiscr,  1811  (cl  non  IcSf)!,  dans  la  Jeunsh  Encij- 
clopedia),  xxviii  j). 

5.  Travanx  prcj)aratoircs  pour  nne  édition  crili(iuc 
du  Ta  rifài  d'Al-Djordjàni,  avec  traduction  tVançaisc  et 
notes.  Spécimen  des  p.  1-8  de  la  7'raduclion  et  des 
notes.  Paris,  s.  d.  (1812)'. 

6.  Livre  de  uersels  ou  première  inslruelion  reliijieuse 
pour  Venfance  israclite  en  versels  extrculs  de  la  UiMe. 
Paris,  au  bureau  des  Archives  Israélites,  1811,  51  j). 
in-16. 

7.  Les  Séances  de  llariri,  i)ul)liées  en  arabe  avec  un 
commentaire  choisi  par  Silvestre  de  Sacy.  Deuxième 
édition  revue  sur  les  manuscrits  et  au«^nnentée  d'un 
choix  de  notes  historiques  et  explicatives  en  français 
par  M.  Reinaud  et  M.  Derenbour*^.  Paris,  Hachette, 
1847-4853  (et  non  1847-1851,  dans  la  Jewisli  Encijelo- 
pedia).  2  tomes  in-4'»,  216  et  780  p. 

8.  Quelques  réflexions  sur  la  conjufjaison  el  les  pro- 
noms dans  les  Uuujues  sémitiques,  dans  le  Journal  asia- 
tique de  1850, 1,  p.  86-98. 

9.  Catalogue  des  n}(uuiscrits  hébreux  de  la  Biblio- 
thèque Impériale.  Paris,  1852-1856.  Manuscrits  1300- 
1304  (Cf.  1305-1307)  du  Fonds  hébreu  de  la  Bibliothèque 
Nationale.  «  Ce  travail  a  servi  de  base  au  présent 
Catalogue  »,  dit  le  rédacteur   du    Cataloijue  imprimé 

*  Jules  Mohl,  Viiujt-scpt  ans  d'Iiistoire  des  éludes  orienUdes, 
(Paris,  1879-1880,  2  vol.  in-8o),  I,  p.  16-17  et  218;  Ilartwift  Deren- 
bourg,  Avant-propos  à  H.  Saadia,  Livre  de  Job,  p.  xxn.  L'édition 
de  G.  Flûgel(Lipsiie,  1815,  in-8"')  n'a  rien  ùté  de  leur  valeur  aux 
matériaux  accumulés  par  Joseph  Derenbourg  et  tenus  à  la  dis- 
position de  qui  voudra  les  mettre  en  œuvre.  Il  n'en  a  tiré  lui- 
même  que  :  Un  vers  du  Tarifai  expliqué,  dans  le  Journal  asiatique 
de  1869,  I,  p.  255-256. 

20 


306  Opuscules  d'un  arabisant 

(Paris,  1866,  iii-4o),  Hermann  Zotenberg  ;   voir   p.   233 
a  et  b  et  plus  haut,  p.  161,  n.  3;  300,  n.  1. 

10.  Travaux  préparatoires  pour  une  édition  projetée, 
avec  traduction  française,  d'Al-Mas'oùdî^  Les  Prairies 
(lor.  Paris,  1852-1858'. 

11.  Notice  sur  les  premières  publications  de  la  Société 
de  Mkitzé  Xirdamim,  dans  le  Journal  asiatique  de  1865, 
II,  p.  262-281. 

12.  Quelques  observations  sur  le  passage  du  Kitâb 
al-Fihrist  relatif  au  Huzwaresch.  Ibid.  de  1866,  I, 
p.  440-444  ;  cf.  II,  p.  25. 

13.  Explication  d'un  mot  difpxile  dans  le  Livre 
d'Ezra.  Ibid.  de  1866,  II,  p.  401-415. 

14.  Lne  traduction  hébraïque  du  Hure  de  Hénoch. 
Ibid.  de  1867,  I,  p.  91-94. 

15.  La  prononciation  du  tschim.  Ibid.  de  1867,  I, 
p.  94-96. 

16.  Sep  lier  Taghin.  Liber  coronarum  pu])lié  par 
]\ï.  l'abbé  Barges.  Compte  rendu,  ibid.  de  1867,  I, 
p.  242-251. 

17.  Quelques  observations  sur  U accent  zakeph-katon 
en  hébreu.  Ibid.  de  1867,  I,  p.  251-253. 

18.  Essai  sur  V histoire  et  la  géographie  de  la  Pales- 
tine d'après  les  Talmuds  et  les  autres  sources  rabbi- 
niques.  Première  partie.  Histoire  de  la  Palestine  depuis 
Cyrus  jusquà  Adrien.  Paris,  A.  Franck,  1867,  486 
pages  gr.  in-8°.  Traduction  hébraïque,  par  Braunstein, 
avec  des  additions  et  corrections  par  A.  Harkavy, 
Saint-Pétersbourg,    typographie    Behrsohn    et    Rabbi- 

^  Jules  Mohl,  livre  cité,  I,  p.  475,  552-553;  II,  p.  82,  i50  ;  Les 
prairies  cTor,  texte  et  traduction  par  C.  Barbier  de  Mej^nard  et 
Pavet  de  Courteille,  I,  (Paris,  1861),  p.  i-ii  et  xi  ;  Joseph  Deren- 
bourg.  Deux  passages  dans  le  IV^  volume  des  Prairies  d'or  de 
Masoudi,  dans  le  Journal  asiatique  de  1868,  I,  p.  253-254. 


Josei>Ii  Dcreiil)()iir(j  307 

nowi/,  IcSOG,  pour  la  revue  Ilain-Mrlis,  '2U\  p.  in-8"  '.  — 
Deuxième  partie,  (irogi'dpluc  de  Ui  Pdlcsliiw.  Matériaux 
puisés  aux  mêmes  sourees,  sur  liehes,  avec  quelques 
perles,  antérieures  à  leur  prise  de  possession  |)ar  la 
Bil)]i()lliè(jue  de  l'Université  de  Paris,  à  la  Sorhomie. 
Ces  notes  y  sont  libéralement  mises  à  la  disposition 
des  travailleurs;  voir  Ilartwi^  l)ereni)()ur^,  Andiil- 
propos  à  R.  Saadia,  Livre  de  Joh,  p.  xxni. 

19.  Notes  épi(jr({plu(jiies  I-IX  dans  le  Joiinicd  asia- 
/r(/zze  de  18G7  à  1869  ;  cf.  ibid,   de  1868,    11,   p.   78;   de 

1869,  II,  p.  25.  Tirage  à  part  resté  sur  le  marbre, 
publié  seulement  en  1877,  111  p.  in-8''.  Une  table  des 
matières  est  donnée  dans  le  Jouriud  (isialiciiie  de  1872, 
II,  p.  330  a,  et  dans  Lidzbarski,  IhiiuHuirh,  p.  36, 
no  410. 

20.  La  Médidlle  de  Foiiruière,  dans  la  Revue  israélilc, 
1(1870),  p.   [-8. 

21.  Le  slèle  de  Meslia,  dans  le  Jouriud  asi(di(jue    de 

1870,  I,  p.  155-160;  cf.  Revue  israélile,  I  (1870),  p.  113- 
116;  193-198. 

22.  Manuel  du  lecteur,  d'un  auteur  inconnu,  publié 
d'après  un  manuscrit  venu  du  Yémen  et  accompagné 
de  notes,  dans  le  Journal  asUdùjue  de  1870,  II, 
p.  309-550.  Tirage  à  part,  Paris,  Henry  Sotlieran, 
Joseph  Baer  etCi'\  1871,  213  p. 

23.  Lue  stèle  du  temple  dllérode,  dans  le  Journal 
asiatique  de  1872,  II,  p.  178-195;  cf.  Revue  israélite,  IV 
(1873),  p.  17-20. 

24.  Ancdijse  d'un  mémoire  sur  rimmortalitê  de  lame 

1  L'édition  française,  épuisée  et  rare,  n'a  été  tirée  qu'à  500 
exemplaires.  Mon  ami,  M.  Xahum  Slousch,  qui,  nourri  des  anciens 
textes,  a  gagné  une  maîtrise  glorieuse  dans  la  prose  hébraïque 
moderne,  m'assure  que  l'éditeur  de  la  traduction  Braunstein  a 
eu  l'audace  d'en  faire  imprimer  dix  fois  autant. 


308  Opuscules  d'un  arabisant 

chez  les  Hébreux,  dans  les  Comptes  rendus  de  V Acadé- 
mie des  inscripiions  et  belles-lettres  de  1873,  p.  78-85; 
cf.  p.  16,  85-86,  146-147,  151.  Voir  aussi  Llmmorta- 
lité  de  rame  chez  les  Juifs,  ibid,  de  1882,  p.  213-219; 
cf.  p.  184  et  ibid.  de  1883,  p.  9. 

25.  Inscription  bilingue  de  Aïn-Youssef,  dans  la.  Revue 
archéologique  de  1876,  I,  p.  175-179;  cf.  Journal  asia- 
tique de  1876,  II,  p.  37;  de  1883,  II,  p.  65. 

26.  Quelques  observations  sur  les  inscriptions  du  Safa, 
dans  les  Comptes  rendus  de  1877,  p.  269-273  ;  cf.  p.  257. 

27.  Cachet  hébraïque  trouvé  en  Mésopotamie,  ibid.  de 
1878,  p.  168-171;  cf.  p.  148. 


>■; 


Hai'twifj  D  ère  II  bourg  :50Si 


III 


HARTWIG    OEHKNBOLRG 


Oïl  comprendra  que,  lorsqu'il  s'agit  de  poser  devant 
moi,  comme  un  peintre  se  servant  à  lui-même  de  mo- 
dèle, je  marcjue  seulement  les  étapes  de  ma  carrière  ob- 
jectivement, en  spectateur  impartial  autant  que  je  le  puis, 
siiic  iraci  sliiilio.  Né  à  Paris  le  17  juin  ISli,  j'ai  fait  mes 
études  classiques  aux  lycées  Charlemagne  et  Bonaparte 
(celui-ci  le  lycée  Condorcet  actuel).  Bachelier  ès-lettres 
en  1860,  licencié  ès-lettres  en  1863,  docteur  en  philoso- 
phie de  Gœttingen  en  1866,  j'ai  étudié  l'hébreu,  l'arabe 
et  les  langues  sémitiques  à  Paris,  où  mes  maîtres  ont 
été  le  grand-rabbin  de  France  Ulmann,  mon  père  et 
Reinaud  ;  à  Gœttingen,  où  j'ai  été  l'élève  d'Kwald,  de 
Bertheau,  de  Wnslenfeld  et  de  Théodor  Bentey;  à 
Leipzig,  comme  disciple  de  Fleischer  '  et  de  Krehl.  Lors 
de  ma  rentrée  à  Paris,  au  printemps  de  1866,  j'ai  eu 
l'honneur  de  travailler  sous  la  direction  de  Salomon 
Munk-  jusqu'au  moment  où,  à  l'automne  de  cette  mê- 
me année,  je  suis  entré  au  Département  des  manuscrits 
de  la  Bibliothèque  Impériale  pour  y  continuer  le  Cata- 
logue des  manuscrits  arabes  interrompu  depuis  ([u'en 
1859,  Michèle  Amari  avait  quitté  la  terre  d'exil  pour 

*  Morgenlàndische  Forschiingen.  Festschrift  Ilcrrn  Professor 
Dr  H.  L.  Flcischer  zu  seineni  fiinfzigjahrigen  Doctorjubilaum 
am  4.  Màrz  1874  gewidmct  von  seinen  Scluilcrn  H.  Dercnbourg, 
H.  Ethé,  O.  Loth,  A.  Mûller,  F.  Philippi,  B.  Stade,  H.  Thorbecke. 
Leipzig,  Brockhaus,  1875. 

'  Moïse  Schwab,  Salomon  Miink  (Paris,  1900),  p.  179-181  ;  cf. 
Comptes  rendus  de  V Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  de 
1900,  p.  417. 


310  Opuscules  cl  un  arabisant 

rentrer  dans  sa  patrie  ^  Le  31  août  1870  est  la  date  à  la 
fois  de  ma  démission  comme  employé  de  la  Bibliothè- 
que et  de  mon  mariage,  à  Paris,  avec  Betty  Baer,  fille 
de  Herrmann  Joseph  Baer,  le  grand  libraire  de  Franc- 
fort-sur-le-Mein.  Celui-ci  me  confia  la  direction  d'une 
succursale  fondée  à  Paris. 

Sous  l'impulsion  de  ma  femme,  je  restai  adonné  à  mes 
études  de  pi'édilection  et,  dès  1875,  j'étais  presque  simul- 
tanément nommé  professeur  d'arabe  et  de  langues  sé- 
mitiques au  Séminaire  Israélite  de  Paris,  sur  les  cadres 
duquel  je  figure  encore  comme  professeur  honoraire, 
et  chargé  d'un  cours  de  grammaire  arabe  à  l'Ecole  spé- 
ciale des  langues  orientales  vivantes.  En  avril  1879,  je 
réalisai  mon  rêve  d'adolescent  d'occuper  un  jour,  dans 
cet  établissement  d'enseignement  supérieur,  la  chaire 
d'arabe  littéral,  occupée  jusqu'en  1838  par  Silvestre  de 
Sacy  et  supprimée  en  1867  à  la  mort  de  Reinaud.  En 
1880  et  en  1905,  le  Ministère  de  l'instruction  publique, 
qui  m'avait,  en  1876,  délégué  comme  l'un  de  ses  deux 
représentants  au  3^  Congrès  international  des  orienta- 
listes de  Saint-Pétersbourg,  me  chargea  de  missions 
scientifiques  à  l'Escurial  et  dans  les  bibliothèques  de 
l'Espagne  pour  y  rechercher  et  pour  y  cataloguer  les 
manuscrits  arabes.  Le  résultat  le  plus  important  de 
mon  premier  voyage  d'exploration  fut  la  découverte,  à 
l'Escurial,  de  V Autobiographie  d'Ousàma,  document 
capital  sur  l'histoire  des  premières  croisades-. 

En  1881,  Ernest  Renan  me  fit  attacher  comme  auxi- 
liaire à  la  Commission  des  inscriptions  sémitiques  de 
l'Académie   des    inscriptions   et    belles-lettres.   Je  fus 

^  Plus  haut,  p.  168. 
.   '2  :Voir   mon    Avant-propos   en  français  à  la    traduction  alle- 
mande, par  le    pasteur  Schumann,   de  V Autobiographie    d'Ou^ 
sâma  (Innsbruck,  Wagner,  1905). 


llarlwiy  Dereiiboiiry  311 

char<4é  spccialiMnenl,  sous  la  dircclioii  dv  mon  j)ère, 
de  la  partie  hiniyarili([iK'  v[  sahécnne. 

Deux  chaires  nréeliureiil  depuis  loi's  :  eu  l«SS'f,  celle 
de  lan<^ue  arabe  à  l'I^A'ole  des  liaules-éludes,  section 
des  sciences  historicjues  et  i)hilol()L(i(pies  ;  eu  ISS.'),  celle 
d'islamisme  et  religions  de  l'Arabie  à  l'KcoU'  des  hau- 
tes-études, section  des  sciences  religieuses,  ((ui  venait 
d'être  créée. 

Chevalier  de  la  légion  d'honneur  en  levi'ier  IS'.IT,  j'ai 
été  élu,  le  1"  juin  1900,  niend)re  de  l'Institut  (Académie 
des  insciiptions  et  belles-lettresi.  .Famais  Je  n'exj)rime- 
rai  en  termes  assez  chaleuieux  la  reconnaissance  (juc 
j'éprouve  envers  mes  conhéres  (jui  m'ont  accordé  ce 
couronnement  de  ma  cariiére.  Quel  vil  regret  pour 
mon  cœur  de  ne  j)as  voir  parmi  nous  cha(pie  vendredi 
mon  père,  non  plus  qu'Krnesl  Renan  et  Gaston  Paris, 
non  i)lus  que  plusieurs  de  ceux  que  j'ai  tant  aimés  î 

Les  années,  en  s'écoulant,  m'v)nt  comblé,  puis(|ue  je 
suis  devenu  commandeur  de  la  Couronne  d'Italie, 
officier  de  l'instruction  j)ul)lique,  membie  honoiaire 
de  l'Académie  de  l'Histoire  de  Madrid,  membre  hono- 
raire de  l'Institut  égyj)tien  du  Caire,  membre  honoraire 
de  la  Societij  ofBlhliciil  Archeoloijij  dii  Londres,  membre 
du  Conseil  de  la  Société  asiatique,  membre  du  Conseil 
de  perfectionnement  de  la  Mission  scientifique  fran- 
çaise du  Maroc,  membre  du  (Comité  central  de  l'Alliance 
israélite,  membre  du  Conseil  de  la  Société  des  études 
juives,  vice-président  du  (vonseil  d'adtiiinistiation  de 
riicole  de  travail  israélite,  membre  du  Forciijn  Board 
of  consiillinij  edilors  de  la  Jeivish  Eiicyclopcdid.  .J'ai 
été  l'un  des  directeurs  de  la  Grande  Encijclopcdie,  dont 
les  31  volumes  portent  ma  signature. 

Je  n'ai  ni  enfant,  ni  neveu.  Avec  moi  s'éteindra  la 
dvnastie  des  Derenbourg  orientalistes. 


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Bibliographie  de  H.  D. 


(1866-mars  1905) 


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Bibliographie    de   H.    D. 
<1866-mars  1905) 


BiBLK  i:t  JUDAISMK 

1.  Version  uvabe  ci  haïe  de  R.  Saadia  ben  Joscf  Al- 
Fayyoùnii,  publiée  avec  des  notes  bébraïques  et  une 
traduction  IVançaise  d'après  l'arabe  par  Josepli  Deren- 
bourg  et  Harlwig  Derenbourg.  Paris,  Ernest  Leroux, 
1896,  in-8'-,  vn-l.lO  et  IKi  p. 

2.  Version  arcibe  du  Livre  de  Job  de  li.  Saadia  ben 
Josef  Al-Fayvoùnîi,  publiée  avec  des  notes  bébraïcjues 
par  W.  Bacber,  x-122  p.  Accompagnée  d'une  traduc- 
tion française  d'après  l'arabe  j)ar  J.  Derenbourg  et 
H.  Derenbourg.  Paris,  Ernest  Leroux,  LS99,  in-8", 
68  p.,  introduite  par  un  Avanl-propns  de  xxni  p., 
signé  :  I^aris,  ce  29  juillet  1900,  3"  anniversaire  de  la 
mort  de  mon  père.  Hartwig  Derenbourg. 

3.  Les  mots  grecs  dans  le  livre  biblique  de  Daniel, 
dans  les  Mélanges  Graux  i^Paris,  Ernest  Tborin,  1881), 
p.  232-214.  Traduction  anglaise  par  M.  Jaslrow  j^  dans 
Hebraica,  IV  (1887),  p.  7-13. 

4.  Xœldeke  (Th.).  Histoire  littéraire  de  iAncicn  Tes^ 
tanient,  traduit  de  Lallemand  par  M>L  Hartwig  Deren- 
bourg et  Jules  Sourv.  Paris,  Sandoz  et  Fiscbbacber, 
in-8''  et  in-12,  iv-389  p. 

■  5.  Catalogue  des  manuscrits  judaïques  entrés  au  Bri- 
tisli  Muséum  de  1867  à  1890,  dans  la  Revue  des  études 
juives,  XXIII  (1891),  p.  99-116  et  279-301. 


316  Opuscules  d'un  arabisant 

6.  Henri  Gréville,  La  juive.  Notice,  ibid.,  IV  (1882), 
p.  306-307. 

7.  D.  H.  Millier  und  J.  vonSchlosser,  Die  Haggadah 
von  Sarajevo.  Compte  rendu  dans  le  Journal  des  Sa- 
vants de  1898,  p.  657-668.  2^  édition  dans  les  Opuscules 
d'un  arabisant t  Paris,  Charles  Carrington,  1905^,  p.  49- 
68. 

ÉPIGRAPHIE  SÉMITIQUE 

I.    ÉPIGRAPHIE   PHÉNICIENNE 

8.  Corpus  Inscriptionum  Semiticarum  ab  Academia 
inscriptionum  et  litterarum  humaniorum  conditum 
atque  digestum.  Pars  prima^,  inscriptiones  phœnicias 
continens.  Comptes  rendus  dans  la  Revue  des  études 
juives,  m  (1881),  p.  310-319;  VIII  (1884),  p.  145-152. 

9.  Les  Inscriptions  phéniciennes  du  Temple  de  Seti  à 
Abydos,  publiées  et  traduites  d'après  une  copie  inédite 
de  M.  Sayce,  par  Joseph  et  Hartwig  Derenbourg,  dans 
la  Revue  cVassyriologie  et  d' archéologie  orientale,  I,  3 
(1885),  p.  81-101,  avec  4  planches. 

10.  U Inscription  de  Tabnit,  père  d'Eschmounazar, 
dans  la  Revue  de  U  histoire  des  religions,  XVI  (1887j, 
p.  7-15. 

11.  Un  sceau  phénicien,  dans  la  Revue  des  études 
juives,  XXIII  (1891),  p.  314-317. 

12.  Une  nouvelle  inscription  phénicienne  de  Citium, 
ibid.,  XXX  (1895),  p.  118-121. 

13.  Note  sur  Uétymologie  de  Masscdia,  Marseille, 
dans  Michel  Clerc,  Les  Phéniciens  dans  la  région  de 
Marseille  avant  l'arrivée  des  Grecs,  p.  14-15,  extrait  de 
la  Revue  historique  de  Provence,  I  (Marseille,  1901)  ; 
cf.  Répertoire  d'épigraphie  sémitique,  I,  5  (1903),  p.  254- 
255. 


Bibliographie  de  H.  D.  ;U7 


II.  EPiGHAPHii:  ahamkknm: 

14.  PiiKunou,  fils  de  Karil,  dans  la  Rcinie  des  ('(udes 
juives,  XXYI  (1893),  p.  KiVl.'lS. 

15.  Un  dieu  nahaléen  ivre  sans  avoir  bu  de  vin,  ibid., 
XLIV  (1902),  p.  121-126. 

m.     ÉPIGRAPHIE    DU    YÉMEN 

16.  Corpus  Inscriplionuni  Scinilicdruni,  al)  Acadeniia 
inscriptioiuiin  et  litleranini  hiinianioruin  condiUini 
alque  digesluin.  Pars  quarta,  inscriplioncs  hiinyari- 
ticas  et  sabccas  continens  : 

Fasciculus  primus,  1889,  p.  1-102  in-folio,  avec  les 
planches  I-XII  (sous  la  direction  de  M.  Joseph  Dcreii- 
bourg). 

Fasciculus  secundus,  1892,  p.  103-174,  avec  les 
planches  XIII-XVIII  ;sous  la  direction  de  M.  Joseph 
Derenhourg). 

Fasciculus  tertius,  1900,  p.  175-322,  avec  les  planches 
XIX-XXVII. 

17.  Les  Noms  de  personnes  dans  r Ancien  Testiunent 
et  dans  les  inscriptions  hiniijarites,  dans  la  Revue  des 
études  juives^  I    1880),  p.  56-60. 

18.  Etudes  sur  Vépigraphie  du  Yénien,  I  et  II,  1,  par 
MM.  Joseph  et  Hartwig  Derenhourg,  dans  le  Journal 
asiatique  de  1882, 1,  p.  361-394;  de  1883,  II,  p.  229-277; 
de  1884,  II,  p.  322-331,  avec  5  héliogravures  Dujardin. 
Voir  Erklœrung,  signée  Joseph  und  Hartwig  Deren- 
hourg, dans  la  Zeitschrift  d.  deutschen  morcj.  Gesell- 
schaft,  XXXVIII  (1884),  p.  152. 

19.  Les  Monuments  sabéens  et  himijarites  du  Louvre, 
par  MM.  Joseph  et  Hartwig  Derenhourg,  dans  la  Revue 


318  Opuscules  d'un  arabisant 

(rassijriologie  et  (V circhéGlogie  orientale,  I,  2  (1885), 
p.  50-65,  avec  4  planches.  Il  y  a  des  exemplaires  avec 
le  titre  de  Nouvelles  études  sur  Vépigraphie  du  Yémen. 

20.  Yemen  Inscriptions,  tlie  Glaser  Collection  in  the 
British  Muséum,  dans  le  Babylonian  and  Oriental  Re- 
cord, I  (1888),  p.  167-180  et  195-205. 

21.  Un  nouveau  roi  de  Saba  sur  une  inscription  sa- 
béenne  inédite  du  Louvre,  dans  les  Etudes  de  critique  et 
dliistoire,  par  les  membres  de  la  section  des  sciences 
religieuses,  lr«  série  (Paris,  Ernest  Leroux,  1889), 
p.  93-97. 

22.  Les  Monuments  sabéens  et  himyariles  de  ta  Biblio- 
thèque Nationale,  cabinet  des  médailles  et  antiques. 
Paris,  Léopold  Cerf,  1891,  45  p.  in-18,  avec  une  hélio- 
gravure Dujardin. 

23.  The  himyaritic  Inscription  32  of  the  British  Mu- 
séum, dans  le  Babylonicm  and  Oriental  Record,  V 
(1891),  p.  193-196. 

24.  Le  dieu  Allah  dans  une  inscription  minéenne,  dans 
le  Journal  asiatique  de  1892,  II,  p.  157-166. 

25.  Une  épitaphe  minéenne  d'Egypte,  inscrite  sous 
Ptolémée,  fils  de  Ptolémée,  dans  le  Journal  asiatique  de 
1893,  II,  p.  515-528. 

26.  Nouveau  Mémoire  sur  F  épitaphe  minéenne  d'Egypte, 
inscrite  sous  Ptolémée,  fils  de  Ptolémée.  Paris,  Ernest 
Leroux,  1895,  34  p.  in-8°,  avec  une  héliogravure  Du- 
jardin. 

27.  Le  dieu  Rimmôn  sur  une  inscription  himyarite, 
dans  Semitic  Studies  in  Memory  of...  Alexander  Koliut 
(Berlin,  S.  Calvary  and  Co,  1897),  p.  120-125. 

28.  Les  Monuments  sabéens  et  himyarites  du  Musée 
d' archéologie  de  Marseille,  dans  la  Revue  archéologique 
de  1899,  I,  p.  1-15;  voir  Répertoire  d'épigraphie  sémiti- 
que, I,  3  (1901),  p.  150-160. 


niljlioyiapliic  de  11.  D.  :U1> 

29.  Xoiiveaiix  Irxfcs  ijéiuriiilcs  iurdils,  j)nl)lic'S  et  Ira- 
chiits  dans  In  Rrviir  (rdssijriolofjir  et  (rni'chi'olixjie 
orientale,  V,  l  (11)02),  p.  117-128,  el  pi.  VI  et  VII;  cf. 
Répertoire  d^'piijidpliie  sêinititiue,  I,  .")  (HH).'^),  ]).  255- 
267. 

30.  r\iiLr  et  faussaires  ijéménites,  dans  le  Journal 
asiatique  de  1903,  I,  p.  102-165;  cf.  Répertoire  (Vépi- 
(jraphie  sémitique,  I,  5  (1903),  p.  2()7-2()9. 

31.  Xouveaux  envois  du  Yéinen,  dans  la  Revue  arehéo- 
logique  de  1903,  I,  p.  407-412,  avec  une  Lîiavnre  pholo- 
typique;  cf.  Répertoire  (répi(jr(q)lue  sénuti(iue,  I,  (> 
(1904),  p.  344-350. 

32.  Premier  Supplément  cnix  Monuments  sabéens  et 
himijarites  du  Louvre,  dans  la  Revue  d'assijriolocjie 
et  d\u'ehéolo()ie  orieiilale,  \U\,  2  (1905),  p.  33-4();  cf. 
Répertoire  d'é pi (j rapide  sémiti(iue,  II,  1  (1905i. 

32.  Le  culte  de  la  déesse  Al-'Ouzzéi  en  Andne  au 
iv*^  siècle  de  notre  ère,  dans  le  Recueil  de  nu'inoires  orien- 
taux. Textes  et  traductions  publiés  par  les  professeurs 
de  l'Ecole  spéciale  des  langues  orientales  vivantes  à 
l'occasion  du  xiv=  Contrés  international  des  orienta- 
listes  réuni  à  x\lger  (avril  1905).  Paris,  Ernest  Leroux, 
1905),  p.  31-40  ;  cf.  Répertoire  d'épi(jr(q)lue  sémitique, 
II,  1  (1905),  p.  1  et  suiv.,  avec  une  héliogravure  Dujardin. 


IV.     EPIGHAPIUE    PROTOAHABE 

33.  Uinscription  nabatéo-arabe  dWn-Xanuïra,  dans 
le  Répertoire  d\q)igraphie  sémitique,  I,  0  (1904),  j).  361- 
366. 


320  Opuscules  d'un  arabisant 


POÉSIE  ARABE  ANTEISLAMIQUE 

34.  Le  Dîwân  de  Xâbiga  Dhobycinî,  texte  arabe, 
publié  pour  la  première  fois,  suivi  d'une  traduction 
française  et  précédé  d'une  introduction  historique, 
dans  le  Journal  asiatique  de  1868,  II,  p.  197-297; 
301-439;  484-515.  Tirage  à  part,  Paris,  Maisonneuve 
et  Cie,  1869,  272  p.  in-8«. 

35.  Complément.  NâbigaDhobyâni  inédit,  d'après  le 
manuscrit  arabe  65  de  la  Collection  Schefer,  ibid.  de 
1899,  I,  p.  5-55.  Tirage  à  part,  Paris,  J.  Maisonneuve, 
1899,  55  p.  in-8o. 

36.  Le  poète  antéislamiqae  Imroiioii  l-Kais  et  le  dieu 
arabe  Al-Kais,  dans  les  Etudes  de  critique  et  d'histoire, 
par  les  membres  de  la  section  des  sciences  religieuses, 
2«  série,  (Paris,  Ernest  Leroux,  1896  ,  p.  119-123. 

37.  Imruulkaisi  Muallaka,  edidit  Augustus  Mueller, 
Halis,  Barthel,  1869.  Compte  rendu  dans  la  Revue  cri- 
tique de  1869,  II,  p.  129-133. 

38.  H.  Thorbecke,  Antarah,  ein  vorislamischer 
Dichter,  Leipzig,  1867.  Compte  rendu  dans  le  Journal 
asiatique  de  1868,  I,  p.  454-462.  2^  éd.  dans  les  Opus- 
cules d'un  arabisant,  p.  1-9. 

39.  ^Y.  Ahlwardt,  Scunmlungen  aller  arabischen 
Dichter.  l,  Elaçmciijjàt.  Berlin,  Reuther  und  Reichard, 

1902.  Compte  rendu  dans  le  Journal  des  Savants  de 

1903,  p.  68-69. 

40.  R.  E.  Briinnow,  The  twenty-flrst  volume  of  the 
Kitâb  al-aghâni.  Leyden,  Brill,  1888.  Compte  rendu 
dans  la  Revue  critique  de  1888,  I,  p.  281-283. 


IJiblioyiaphie  de  H    D.  821 


ISLAMISME 

41.  La  Composition  du  (j)ran,  leçon  (roiiverlure  du 
cours  d'iirahc  professé  à  la  salle  Gerson  (Sorhonuc), 
dans  la  licDiic  des  cours  lillcruircs  de  lu  Fruncc  cl  de 
Vétramjcr,  VI  (1809),  p.  'Ml  /;-318  u.  l'  rd.  dans  les 
Opuscules  dun  arabiscud,  p.  11-.').'î. 

42.  J.  M.  Arnold, />/• /.s7a/7i.  Aus  dcni  lùiiilisclien. 
Gûtersloh,  Herlelsmann,  1878.  Compte  rendu  dans  la 
Revue  crilique  de  1878,  II,  p.  65-60. 

43.  R.  Dozy,  Essai  suiriiisloire  de  rishuuisiuc.  Tra- 
duit du  hollandais  par  Victor  Chauvin.  Levclcn,  Hrill, 
1879.  Compte  rendu  dans  la  Revue  crilifiue  de  1880,  I, 
p.  140-1 19. 

44.  Ed.  Savons,  Jésus-Chrisl  d'après  M(dion\cl.  Leip- 
zig, O.  Schulzc,  1880.  Compte  rendu  ibid.  de  1880,  I, 
p.  149-102. 

45.  La  Science  des  religions  cl  Fishunisujc.  Deux  con- 
férences faites  le  19  et  le  2()  mars  188()  à  l'Ecole  des 
hautes-études  (section  des  sciences  religieuses),  pu- 
bliées dans  la  Revue  de  Vliisloire  des  religions,  XIII 
(1880,  p.  292-333;  réimprimées  dans  la  liihliothèque 
orientale  elzévirienne,  tome  XLVIII,  Paris,  Ernest  Le- 
roux, 1880,  in-32,  95  p. 

40.  Otto  Loth,  Bas  Classenhucli  des  Ihn  So'd.  Leij)/ig, 
Hinrichs,  1889.  Compte  rendu  dans  la  Hcnue  crilique 
de  1809,  II,  p.  190-200. 

47.  Lucien  Gautier,  Ad-Dourra  al-fàkhira.  La  perle 
précieuse  de  Gliazâli.  Traité  d'eschaiologie  musul- 
mane. Genève,  H.  Geori:r,  1878.  Compte  rendu  dans  la 
Revue  crilique  de  1880,  II,  p.  01-03. 


21 


322  Opuscules  d  un  arabisant 


HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE 
ET  DES  SCIENXES 

48.  Hoffmann,  De  Iiermeneiiticis  apiid  Syros  arisio- 
teleis.  Lipsiae,  Hinrichs,  1869.  Compte  rendu  dans  le 
Journal  asiatique  de  1870,  I,  p.  304-306. 

49.  Le  commentaire  arabe  clAuerroès  sur  quelques 
petits  écrits  physiques  cVAristote.  Communication  sur  le 
manuscrit  XXXVII  de  la  Bibliothèque  Nationale  de 
Madrid,  faite  au  deuxième  Congrès  de  philosophie  de 
Genè\e,pi\h\iée  di\nshud\vigSiein,  Arc  hiuf il  rGeschichte 
der  Philosophie,  X\m  (Berlin,  1905),  p.  250-252. 

50.  Les  Traducteurs  arabes  d'auteurs  grecs  et  V auteur 
musulman  des  Aphorismes  des  philosophes,  dans  les 
Mélanges  Henri  Vy^eil  (Paris,  A.  Fontemoing,  1898), 
p.  117-124. 

51.  L'histoire  des  philosophes  attribuée  à  Ibn  Al- 
Kifti,  cà  propos  de  Ibn  Al-Qiftis  Tarih  al-hukama  ,  auf 
Grund  der  Yorarbeiten  Aug.  Milliers  herausgegeben 
vonJ.  Lippert  (Leipzig,  Dieterich,  1903).  Article  publié 
d'abord  dans  le  Journal  des  Savants  de  1904,  p.  630- 
639,  puis  dans  les  Opuscules  d'un  arabisant,  p.   35-48. 

52.  Deux  exemplaires  à  Madrid  du  Dioscoride 
arabe.  Communication  sur  les  manuscrits  CXXV  et 
CiCXXXIII  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Madrid, 
laite  au  deuxième  Congrès  de  philosophie  de  Genève, 
section  de  l'Histoire  des  sciences,  publiée  dans  Kahl- 
baum  und  Sudhoff,  Mitteilungen  zur  Geschichte  der 
Medizin  und  Xaturwissenschafften.  Hamburg  und  Leip 
zig,  L.  Voss,  III,  5  (1904),  p.  477-478. 


Biblioçjraphie  de  H.  D.  823 


LIX(;UISTIQUK 

I.    LANGUES    SKMrTIQL'KS 
(Hébreu,    Aramécn,    Arabe,     Ktbiopien.) 

53.  Abou  l-Walîd  Manvàn  il)n  Djanàh  (Ral)l)î 
Yônah),  Tlic  book  of  licbrcm  roots,  publié  par  Ad. 
Neiibauer.  Oxford,  Clarendon  Press.  1<S7.").  ('ompte 
rendu  du  premier  fascicule  dans  le  Journal  (isidliriue 
de  1874,  I,  p.  ôôG-ôôO. 

54.  Opuscules  et  Traités  d'Abou  1-Walid  Ibn  DJanab 
de  Cordoue,  texte  arabe  pul)lié  avec  une  Irachiction 
française  par  Josepb  Deren])ourg  et  Hartwig  Deren- 
bourg.  Paris,  Josepb  Baer  et  C'^  1880,  in-8",  cxxiv  et 
400  p . 

55.  Le  Kitàh  al-mouslalhak  (Clbn  Djanàh,  dans  la 
Revue  des  études  juives,  \\\(W.):^),  p.298-2*M). 

56.  Quelques  observations  sur  icuiliquité  de  la  décli- 
naison dans  les  langues  sémitiques,  dans  le  Journal 
asiatique  de  1867,  II,  p.  373-401. 

57.  Noms  sémitiques  des  deux  bois  servant  éi  la  pro- 
duction du  feu.  Communication  faite  à  la  Société  de 
linguistique,  le  4  mars  1882,  résumée  dans  son  lUd- 
letin,  V,  p.  Lxiv-Lxv. 

58.  Land,  The  Principles  of  Hcbrew  (rrannuar.  Lon- 
don,  Trul)nci',  1876.  Compte  rendu  dans  la  Revue  cri- 
tique de  1876,  11,  p.  360-373. 

59.  A.  Rœdiger,  Chrestomatia  sijriaca.  Editio  altéra, 
Halis  Saxonum,  sumptibus  Orpbanotropbci,  1868. 
Compte  rendu  dans  la  Revue  critique  de  1869,  I, 
p.  17-19. 

60.  Rubens  Duval,    Traité  de   grammaire  syriaque, 


324  Opuscules  d'uu  arabisant 


Paris,  F.  Vieweg,   1881.  Compte  rendu  dans  la  Revue 
critique  de  1881,  II,  p.  433-447. 

61.  W-Asnm'i,  Das  Kitùb  al-wuhusch,  heraiisgegeben 
Yon  R.  Geyer.  Wien,  Temsky,  1888.  Compte  rendu 
dans  la  Revue  critique  de  1889,  II,  p.  61. 

62.  De  pluraliuni  tiuguœ  arabicœ  et  œthlopicœ  for- 
maruni  omuis  generis  origine  et  indole  scripsit  et 
Sibawaihi  capita  de  plurali  edidit  Hartwig  Derenbourg 
Parisiensis  .  Gottinga?,  1867,  14  et  31  p.  in-4°. 

63.  Le  Livre  de  Sibawaihi.  Traité  de  grammaire 
arabe  par  Siboùya,  dit  Sibawaihi.  Texte  arabe  publié 
d'après  les  manuscrits  du  Caire,  de  l'Escurial,  d'Ox- 
ford, de  Paris,  de  Saint-Pétersbourg  et  de  Vienne. 
Paris,  Joseph  Baer  et  Ci-^^  et  Jean  Maisonneuve,  1881- 
1889,  2  vol.  in-8°,  xliv  et  460  p.  ;  ii  et  498  p.  A  cette  pu- 
blication du  texte  se  rattache  étroitement  SibaïuailiCs 
Buch  iïber  die  Grammatik,  nach  der  Ausgabe  von 
H.  Derenbourg  und  dem  Commentar  des  Siràfi  ûber- 
setzt  und  erklaert  von  G.  Jahn.  Berlin,  Reuther  uikI 
Reichard,  1894-1900,  30  livraisons  gr.  in-8°.  Il  paraîtra, 
je  l'espère,  des  index  communs  à  l'édition  arabe  et  à 
la  traduction  allemande  ;  voir  ma  notice  dans  la  Revue 
critique  de  1902,  I,  p.  170-172,  oîi,  p.  171,  n.  i,  je  signale 
la  contrefaçon  égyptienne  de  mon  édition  princeps  : 
2  vol.  gr.  in-8  ,  imprimés  à  Boùlàk  en  1316  et  1317  de 
l'hégire  =  1898  et  1899  de  notre  ère.  «  Billiger  Neu- 
druck  der  Ausgabe  v.  H.  Derenbourg  mit  derselben 
Vocalisation  »,  dit  \e  Biicher-Catalog  285  d'Otto  Haras- 
sowitz  (Leipzig,  1905),  p.  52,  no  1192. 

64.  Y\\  ^Yright,  The  Kûmil  of  Mubarrad.  Leipzig, 
1864-1881.  Compte  rendu  des  parties  1  et  2  dans  le 
Journal  asiatique  de  1866,  II,  p.  259-265. 

65.  J.  Barth,  Talab's  Kitâb  al-Fasîh.  Leipzig,  Hin- 
richs,  1876.  Compte  rendu  dans  la  Revue  critique  de 
1876,  I,  p.  301-303. 


Siil)lio(|rapiiic  de  11.  1>.  «V25 

66.  Paul  Rronnk',  The  Kilàh  (d-miiUsùr  W(il-n\(undùil 
by  Ibii  Wallàd,  Loiuloii,  Liizac,  11)00.  (A)niplc  rciulii 
dans  le  Jounuil  (isidticjiir  de  1901,  I,  p.  !^7(h379. 

67.  11)11  K'hàlawaihi,  JJvrc  iiililulr  Ijtisd  sur  les  ex- 
ceptions de  la  langue  arabe,  par  Ihii  Khàloùva,  dit  Ihn 
Khâlawaihi,  texte  arabe  publié  d'après  le  manuscrit 
unicpie  du  British  Muséum,  dans  Ilchidicu,  X  (1<S91), 
p.  88-10."),  et  dans  Anicriccui  Journal  ofsciuilir  Ijuujua- 
gcs  and  Litcrcdurcs,  continuation  des  Ilchndcd,  XIV 
(1898),  p.  81-93  ;  XV  (1898  et  1899),  p.  32-11  et  2ir)-223  ; 
XVllI  il901),  p.  36-.")l.  La  seconde  moitié  du  texte  arabe 
est  encore  inédite. 

68.  G.  Jahn,  Ihn  Jaîscli  Commenliw  zu  Zanuich- 
schans  Mufassal,  I.  et  II.  Heft,  Leipzig,  Brockbaus, 
1870-1877.  Compte  rendu  dans  la  Revue  critique  de 
1877,  II,  p.  393-396. 

69.  Gcnuâlilas  Alniu'arrah  berausgegeben  von  l^d . 
Sacbau,  Leipzig,  Kngelmann,  1867.  Compte  rendu  dans 
le  Jounud  asi(tti(iue  de  1867,  11,  p.  338-315. 

70.  Le  Livre  des  locutions  vicieuses  de  Djawàlikî,  pu- 
blié pour  la  première  fois  d'après  le  manuscrit  de  Paris 
dans  les  Morgenldndische  Forscliungen  (Leipzig,  Brock- 
haus,  1875)^  p.  107-166. 

71.  Caspari's  Arabische  Grammatik.  Vierte  Aullage, 
bearbeitet  von  August  Mullcr.  Halle,  Buchliandlung 
des  Waisenbauses,  1876.  Compte  rendu  dans  la  Revue 
critique  de  1876,  II,  p.  17-21. 

72.  Lane,  An  Arabic-English  Lexicon,  Book  I,  Part 
6,  London,  Williams  and  Norgate,  1877.  Compte  rendu 
dans  la  Revue  critique  de  1878,  I,  p.  r)7-60. 

73.  Chrestomcdhie  élémentaire  de  V arabe  littéral,  avec 
un  glossaire,  par  Hartwig  Derenbourg  et  Jean  Spiro. 
Paris,  Ernest  Leroux,  1885  ;  2^  éd.,  Paris,  cbez  le  même, 
1892,  in-18,  XIV  et  220  p. 


326  Opuscules  d'un  arabisant 

74.  A.  Sociii,  Arablsche  Sprichivôrter  uncl  Redensar- 
ten.  Tûbingen,  Laupp,  1878.  Compte  rendu  danslai^e- 
viie  critique  de  1878,  I,  p.  397-399. 

75.  Essai  sur  lesforines  de  pluriels  en  arabe,  dans  le 
Journal  asiatique  de  1867,  II,  p.  425-524.  Tirage  à  part 
de  105  p.,  à  la  librairie  Franck,  rue  de  Richelieu,  67. 

76.  Fleischer,  Beitrâge  zur  arabischen  Sprachkunde. 
Leipzig-,  Hirzel,  1864,  1865  et  1867.  Notice  dans  le /oizr- 
nal  asiatique  de  1860,  I,  p.  107-108. 

77.  Pryni,  De  enuntiationibus  relativis  dissertatio  lin- 
guistica.  Pars  prior  de  euntiationibus  relativis  arabicis 
agens.  Bonn,  Habicht,  1868.  Compte  rendu  dans  la 
Revue  critique  de  1868,  II,  p.  337-338. 

78.  Sur  les  formes  de  rin/initif  arabe.  Communication 
faite  à  la  Société  de  linguistique  le  24  avril  1869,  résu- 
mée dans  son  Bulletin,  I,  p.  li. 

79.  Notes  sur  la  grammaire  arabe,  dans  la  Revue  de 
linguistique,  III  (1869),  p.  135-156,  et  IV(1871^  p.  321- 
337. 

80.  Lettre  imprimée  en  tête  de  Mahmoud  Rouchedy, 
Dictionnaire  de  médecine  français-arabe  (Paris,  1870), 
p.  xvii-xvni. 

81.  J.  Rœdiger,  De  nominibus  verborum  arabicis  com- 
mentatio.  Halis,  in  librario  Orphanotrophei,  1870. 
Compte  rendu  dans  la  Revue  critique  de  1870,  I,  p.  161- 
163. 

82.  Leçon  d'ouverture  de  la  conférence  d'arabe,  à 
l'Ecole  des  hautes-études  (section  des  sciences  histori- 
ques et  philologiques),  extrait  dans  L Université,  II, 
(1885),  p.  54  a, 

83.  P.  Donat  Vernier,  Grammaire  arabe.  Beyrouth, 
Imprimerie  catholique,  1891-1892.  Compte  rendu  dans 
le  Journal  asiatique  de  1893,  I,  p.  537-546  ;  cf.  ibid.  de 
1896,  II,  p.  173-177. 


Bibliographie  de  H.  D.  327 


II.  Autres  familles  de  langues 

84.  Stanislas  Julien,  Syntaxe  nouvelle  de  li  langue  chi- 
noise fondée  sur  la  position  des  mois.  Premier  volume, 
Paris j  Maisonneiive,  18()9.  Compte  rendu  anonyme 
dans  la  Reuue  critique  de  18()9,  II,  p.  1  lô-lK). 

85.  Abel  Hovclacque,  La  lin(juisti(iue.  Paris,  Rein- 
wald,  187().  Compte  rendu  dans  le  Journal  asiatique  de 
187G,  I,  p.  585-588. 

86.  G.  Barone,  Vita,  precursori  ed  opère  del  P.  Pao- 
lino  (la  S.  Bartolommeo  [Filippo  WerdinJ.  Napoli, 
Morano,  1888.  Compte  rendu  dans  la  Revue  de  lliis- 
toire  des  religions,  XVII  (1888),  p.  354-355. 

CATALOGUES  DE  MANUSCRITS  ARABES 

87.  Catalogue  des  manuscrits  arabes  883  à  1620  de 
l'Ancien  Fonds  et,  à  partir  du  n°  535,  d'une  partie  des 
manuscrits  du  Supplément  arabe  de  la  Bi])liotlièque 
Nationale,    Catalogue   formant  les  manuscrits  4502  cà 

4504  du  Fonds  arabe  de  cet  établissement.  3  vol.,  356, 
374  et  387  feuillets  (Slane,  Catalogue,  p.  m  et  715). 

88.  Catalogue  des  manusci  its  1959  bis  à  2287  du  Sup- 
plément arabe  de  la  Bibliothècfue  Nationale  ;  manuscrit 

4505  du  fonds  arabe  de  cet  établissement,   86  feuillets 
(Slane,  Catalogue,  p.  715  b), 

89.  Les  Manuscrits  arabes  de  VEscurial,  tome  I  (i  Gram- 
maire ;  II  Rhétorique  ;  m  Poésie  ;  iv  Philologie  et 
Belles-Lettres;  v  Lexicographie;  vi  Philosophie).  Pa- 
ris, Ernest  Leroux,  1884,  xliii  et  527  pages  gr.  in-8\ 

Tome  II.  Extrait  contenant  :  vu  Morale  et  politi- 
que, offert  au  XIL  Congrès  international  des  orienta- 


328  Opuscules  d  un  arabisant 

listes  (session  de  Rome),  Paris,  1899^  81  pages  gr.  in-8°. 
Publié  comme  II,  fascicule  I^  à  Paris,  Ernest  Leroux, 
1903,  avec  des  Observations  critiques  sur  tes  manuscrits 
arabes  de  lEscuriat,  p.  v-xxvii. 

90.  Lettre  du  6  juillet  1883  à  M.  Barbier  de  Meynard 
sur  les  manuscrits  de  Germain  de  Silésie  conservés  à 
l'Escurial,  dans  le  Journat  asiatique  de  1883,11,  p.  307- 
308  et  550. 

91.  W.  Pertsch,  Die  arabischen  Handschriften  dev 
Herzoglichen  Bibliotliek  zu  Gotha,  I-Ill.  Gotha,  Perthes, 
1878-1881.  Compte  rendu  dans  la  Revue  critique  de 
1882,  I,  p.  201-211  et  221-229. 

92.  W.  Ahhvardt,/)/e  Handschriften-Verzeichnisseder 
Kôniglichen  Bibtiothek  zu  Berlin,  VII.  Verzeichniss  der 
Arabischen  Handschriften,  I,  Berlin,  1887.  Compte  icn- 
du,  ibid.  de  1888,1,  p.  41-44. 

93.  Les  manuscrits  arabes  de  la  Collection  Schefer  à 
la  Bibliothèque  Nationale,  dans  le  Journal  des  Savants 
de  1901,  p.  178-200,  299-324,  374-393.  Tirage  à  part  de 
76  pages  in-4°,  avec  l'addition  d'un  index  des  titres  cités, 
en  vente  chez  J.  Maisonneuve. 

94.  Notes  critiques  sur  les  Manuscrits  arabes  de  la  Bi- 
bliothèque Nationale  de  Madrid.  Extrait  des  Homenaje  à 
D.  Francisco  Codera.  (Zaragoza,  1904),  p.  571-618. 
Tirage  à  part  (Paris,  1904),  52  pages  gr.  in-8^. 

HISTOIRE    POLITIQUE    ET    LITTÉRAIRE, 
BIBLIOGRAPHIE    ET    BIOGRAPHIE    ORIENTALES 

I.    HISTOIRE   ANCIENNE    DE  l'oRIENT 

95.  Ernest  Vinet,  Lart  et  V archéologie.  Paris,  Didier, 
1874.  Notice  dans  le  Journal  asiatique  de  1876,  II, 
p.  540. 


Ijihlioijraphie  de  11.   I).  :52î> 

96.  Gcoi-^es  Perrol  et  Charles  CJiipie/,  Ilisloirc  de 
lavt  dans  riuU'uimlc.  Paris,  Hachelle,  vol.  I-VIII,  1.SS2- 
1904.  Comptes  rendus  dans  la  Revue  des  éludes  juiues, 
VIII  (1884),  p.  ir)2.i:)7,  et  XLVIII  (1901),  p.  290-297. 

97.  Gaston  Masj)ero,  Ilisloire  aiieienne  des  j)eui)les  de 
i Orient  cldssùjue.  I.  Les  oriijiney.  Jùjijpte  el  CJnddêe.  Paris, 
Hachette,  189.").  Notice //)/V/.,  XXX  (189.1),  p.  i;i9-ll(). 

11.    IIISIOIHI-:   1)1     KlIALUAT    o'uiUhNT 

98.  Al)ù  llaniià  Ad-Dinaweri ,  Kitàh  (d-cdddxiv  (d- 
tiuHÏl,  i)ul)lié  par  Vladimir  Ciuir»i;ass.  Leide,  Hrill,  1888. 
Compte  rendu  dans  la  Reuue  eiUùjue  de  1888,  II, 
p.  61-()4. 

99.  Un  Ahréijé  du  Faldirî,  dans  le  Journal  asiali(iue 
de  18()7,  II,  p.  :r)9-:5()I. 

100.  Al-F(dd\ri.  Histoire  du  khalifat  et  du  viziral  de- 
puis leurs  orii^ines  jusqu'à  la  cluite  (\\\  khalilal  Ahba- 
side  de  Bagdad  (U-f).")!)  de  l'hégire  =  ():r2-1228  de  notre 
ère),  avec  des  prolégomènes  sur  les  principes  du  gou- 
vernement, j)ar  ïhn  Al-Tiktakà.  Nouvelle  édition  du 
texte  arabe.  Paris,  Emile  Bouillon,  1895,  ÔO  et  497  pages 
gr.  in-8o.  Une  édition,  calquée  sur  la  mienne,  a  été 
publiée  au  Caire  en  1317  de  l'hégire  (1898  de  notre 
ère)  par  la  «  Société  pour  l'impression  des  ouvrages 
arabes  »,  304  p.  in-8". 

101.  Un  passage  Ironqué  du  Fakhri  sur ^\boù  ' Abd 
Allah  Al-Barîdî,  vizir  d'Ar-Ràdî  Billàh  el  d'Al-Moullaki 
Lillàh,  dans  la  l'^eslschrifl  pour  les  soixante-dix  ans  de 
44ieodor  Nœldeke.  Giessen,  J.  Uicker,  1900. 


in.    HISTOIRE  d'aRAHIK  ET  d'ÉGVPTE 


102.    Oumàra  du  Yémen.  Sa  nie  el  son  œuvre.  Tome 


330  Opuscules  d'uu  arabisaut 

premier.  Autobiographie  et  récits  sur  les  vizirs  d'Egypte. 
Choix  de  poésies.  Paris,  Ernest  Leroux,  1897,  xvi  et 
400  pages  gr.  iii-8*'. 

Tome  deuxième  (partie  arabe).  Poésies,  épîtres,  bio- 
graphies, notices  en  arabe  par  Oumàra  et  sur  'Oumâra. 
Paris,  Ernest  Leroux,  1902,  p.  xvn-xxx  et  401-696  gr. 
in-8°. 

Tome  deuxième  (partie  française).  Vie  de  Oumàra 
du  Yémen.  en  cours  d'impression,  pour  paraitre  au 
commencement  de  1906. 

IV.    HISTOIRE  DES  SELDJOUKIUES 

103.  TIi.  Houtsma,  Recueil  de  textes  relatifs  à  V histoire 
des  Seldjoucides.  Vol.  I  et  II,  Leide,  Brill,  1886-1889. 
Compte  rendu  dans  la  Revue  critique  de  1889,  II,  p. 
22-26. 

V.    HISTOIRE    d'eSPAGXE 

104.  Quatre  Lettres  missives  écrites  dans  les  années 
1470-1475  par  Aboù  '1-Hasan  Alî,  avant-dernier  roi 
more  de  Grenade.  Texte  arabe  publié  pour  la  première 
fois  et  traduction  française  dans  les  Mélanges  orientaux 
(Paris,  Ernest  Leroux,  1883),  p.  1-28.  2-  éd.,  sans  le  texte 
arabe,  dans  les  Opuscules  d'un  arabisant,  p.  69-85. 

105.  Etudes  sur  l'histoire  de  la  pédagogie  en  Espague, 
pour  Paul  Mel[l]on,  U Enseignement  supérieur  en 
Espagne,  Paris,  Armand  Golin^  1898,  133  p.  in-8'3. 

VI.    HISTOIRE    DES    CROISADES 

106.  Ousâma  Ibn  Mouniddh.  Un  émir  syrien  au  pre- 
mier siècle  des  croisades  (1095-1188,.  Texte  arabe  de 
V Autobiographie  d'Ousâma  publié  d'après  le  manuscrit 


Bil)ii()(jiai>liic^  <lo  II.   I>.  IVM 

de  rMsciirial.   Paris,   I^rnest   Leroux,    LSSO,    xii   el  ItS.'i 
pa^es  <^i-.  in  S". 

107.  Aiilobiographie  (rOiisàiUd.  rradiielioii  IVaiiraise 
d'après  le  texte  arabe,  dans  la  Kciuic  de  rOricnf  laliii, 
II,  3  et  4  ilSDl),  p.  '.V27 -7){)7) .  'l'irai^e  à  part  sous  le  titre 
de  :  SoiiDciiiis  luslorifjurs  cl  ircils  de  chasse,  \n\v  un 
émir  syi"ien  du  xu'sièeie.  Aut()l)i()ij;i'aj)iru'  d'Ousània  Ihn 
Mounkidh  intitulée  :  I^InslrucUoii  par  les  cieinplcs.  Tra- 
duetion  fianeaise  d'après  le  texte  arabe.  Paris,  iMiiesl 
Leroux,  18U3,  vi  et  238  p.  iii-8".  Traduetion  allemande 
par  le  pasteur  Georg  Seluimann,  préeèdèe  d'une  prè- 
faee  inédite  en  français,  par  H.  1).,  intitulée  :  Coiumcnl 
f(d  trouve  à  rEsciiri(d  le  inanuscril  de  rAidohiofjrdpIue 
d*()iisàin(i.  Innsbruek,  Wagner,  11)00,  xn  et  287  p.  in-8". 

108.  Ousâiud  poète.  Xotiee  inédite  tirée  de  la  KIui- 
ridcd  (d-kasr,  par  Imàd  ad-I)in  Al-Kàtib  (  1 12r)-1201  ), 
dans  les  Xoiiveoirr  incUuiijes  orientaux  (Paiis,  l*^rnest 
Leroux,  188()),  p.  113-155. 

100.  rn  pass(t<p'  sur  les  Juifs  (ui  xii"  siècle,  traduit 
de  \ Autolno(] rapide  d'Ousàma,  dans  la  Jubelsclirij't 
zum  siebziijsten  (]ehurlsta(j  des  Prof.  IP  II.  (iraetz 
(Breslau,  S.  Sehotthen  1er,  18S7),  p.  127-130. 

110.  Xote  sur  (juebjues  mots  de  la  huujue  des  Ildiics 
cm  xw  siècle,  dans  les  Meliuujes  Léon  Renier  (Paiis, 
F.  Vieweo,  1887),  p.  453-465. 

111.  Ousàma  Ibn  Mounkidb,  Préface  du  Livre  du 
bâton.  To\{e  arabe  inédit,  avee  une  traduetion  iVançaise, 
dans  A.  Lanier,  Recueil  de  Te.vtes  êtrauijers  (Paris, 
A.  Lanier,  1888),  p.  Ml. 

112.  Vie  d'Ousània.  Paris,  Ernest  Leroux,  1889-1803, 
X  et  730  j).  gv.  in-8". 

113.  Anthologie  de  textes  arabes  inédits,  par  Ousàma 
et  sur  Ousàma.  Tirage  à  part  du  ebapitre  XII  de  la  Vie 
d'Ousàma  (Paris,  Ernest  Leroux,  1893;,  149  p. 


332  Opuscules  d'un  arabisant 


114.  Femmes  musulmanes  et  chrétiennes  de  Syrie  au 
xii^  siècle.  Épisodes  iivés  de  V Autobiographie  d'Ousanuiy 
dans  les  Mélanges  Julien  Havet  (Paris^  Ernest  Leroux, 
1895),  p.  305-316. 

115.  Les  Croisades  d'après  le  Dictionnaire  géogra- 
phique de  Yàkoût,  dans  le  Recueil  in-4°  dit  Centenaire 
de  rÉcole  des  langues  orientales  (Paris,  Ernest  Leroux, 
1895),  p.  71-92. 

116.  Les  continuateurs  du  comte  Riant  :  Hagenmager, 
Kohler,  Rœhricht,  dans  le  Journal  des  Savants  de  1902, 
p.  339-341. 

VII.     HISTOIRE    LITTÉRAIRE 

117.  M.  Steinschneider,  Die  arabische  Literatur  der 
Juden.  Francfort-sur-le-Mein,  Kaufmann,  1902.  Compte 
rendu  dans  le  Journal  des  Savants  de  1904,  p.  588-589, 

118.  Divan  de  Férazdak,  publié  avec  une  traduction 
française  par  R.  Boucher,  l^e  livraison.  Paris,  Labitte, 
1870.  Compte  rendu  dans  The  Academg ,  I  (1870), 
p.  216  6-217  a, 

119.  Ibn  At-Ta'àwîdhî,  Diwàn,  texte  arabe  publié 
par  D.  S.  Margoliouth,  Misr.  1905.  Compte  rendu  dans 
le  Journal  des  Savants  de  1905,  p.  50-51. 

120.  //  divano  di  'Omar  ben  Al  Fared  tradotto  e  para- 
gonato  col  canzoniere  ciel  Petrarca,  per  P.  Yalerga, 
Firenze,  1874.  Compte  rendu  dans  la  Revue  de  linguis- 
tique, VII  (1875),  p.  380-381. 

121.  Al-Mostatraf,  par  Al-Abschîhî,  traduit  en  trançais 
par  G.  Rat.  Paris  et  Toulon,  1899-1902.  Compte  rendu 
dans  le  Journal  des  Savants  de  1902,  p.  397-399. 

122.  Discours  prononcés  dans  la  sixième  séance 
(jeudi  9  avril  1903)  de  la  section  III  (Histoire  des  litté- 
ratures) du  Congrès  international  des  sciences  histo- 
riques, dans  les  Atti  del  Congresso  internazionale  di 
scienze  storiche,  IV  (Roma,  1904),  p.  xvi-xviii. 


Bibliograpliie  i\o  H.  D.  3:^3 


VIII.    BllJLIOdHAPHlH 

123.  Notice  sur  (lurhjiics  imprimes  arabes  de  7'///?/.v, 
dans  le  Journal  asialique  de  1870,  I,  p.  17)2-1.')."). 

121.  Bibliographie  des  croisades  (ui  \iv  siècle.  Table 
alphal)éti({iie  des  ])rincipaiix  nianiiserits  et  des  ouvrages 
ini|)riniés  jus([iren  1803,  dans  la  Vie  (rOusàma,  \).  ()39- 
651,  à  2  colonnes. 

127).  Bibliographie  de  VEijijpie  musulmane,  inédile, 
bien  qu'imprimée,  dans  'Oumàra  du  Yémen,  II  (partie 
française),  pour  paraître  chez  Ernest  Leroux  en  1906, 
p.  6-19. 

12().  A.  G.  Ellis,  Catalogue  of  arable  books  in  ihe 
Brilish  Muséum.  London,  1894-1901,2  vol.  in-4°.  Compte 
rendu  dans  la  Revue  critique  de  1902,  I,  }).  121-122. 

127.  Supplément  aux  bibliographies  de  Joseph  Deren- 
bourg,  dans  les  Opuscules  d'un   (uabisant,   j).  301-309. 

128.  Titres  scientifiques  de  M.  llartwig  Derenbourg 
(Janvier  1900).  Chalon-sur-Saône,  iinprimciie  K.  Ber- 
trand, 1900,  10  p.  in-80. 

129.  Bibliographie  de  H.  D.,  dans  les  Opuscules  d\in 
arabisant,  p.  313-336. 

IX.     BIOGRAPHIE 

130.  Al-Bat(dgoûsi,  dans  la  Revue  des  études  juives, 
VU  (1883),  p.  271-279. 

131.  Léon  l Africain  et  Jacob  Mantino,  ibid.,  VII 
(1883),  p.  283-283. 

132.  Guillaume  Posiel.  Travaux  préparatoires  pour  sa 
biographie,  utilisés  en  partie  dans  G.  Weill,  De  Gu- 
lielmi  Postelli  vita  etindole.  Paris,  Hachette,  1892, 127  p. 
in-8^ 

133.  Silvestre  de  Sacg  (1758-1838).  Une  esquisse  bio- 


^34  Opuscules  d'uu  arabisa  ut 

graphique  dans  V Internationale  Zeitsclirift  fur  allge- 
meine  Spracluvissenschaft,  III  (Leipzig,  1886),  p.  i-xxviii, 
avec  portrait  d'après  une  lithographie  de  Delpech.  — 
2e  éd.,  augmentée  d'un  Avant-propos.  Paris,  Léopold 
Cerf,  1892.  —  3"  éd.  Édition  du  centenaire  de  l'École. 
Paris,  Ernest  Leroux,  octobre  1895,  64  p.  gr.  in-8°, 
avec  la  reproduction  du  médaillon  de  Silvestre  de 
Sacy  par  David  d'Angers.  —  4^  éd.  Edition  nouvelle, 
revue  et  corrigée  en  1903,  avec  la  Bibliographie  de  Sil- 
vestre de  Sacij,  par  Georges  Salmon.  Le  Caire,  Imprime- 
rie de  l'Institut  français  d'archéologie  orientale,  1904, 
cxvi  pages  in-4o,  avec  la  reproduction  de  la  lithographie 
faite  par  Julien  Boilly. 

134.  Adolphe  Franck.  Allocution  prononcée  à  l'As- 
semblée générale  de  la  Société  des  études  juives  le 
samedi  27  janvier  1894.  —  2^  édition,  dans  les  Opus- 
cules d'un  arabisant,  p.  243-256. 

135.  Xotice  biographique  sur  Michèle  Amari  (1806- 
1899)  d'après  sa  correspondance,  dans  le  Journal  des 
Savants  de  1902,  p.  209-222;  486-498;  608-622;  revue, 
continuée  et  complétée  dans  les  Opuscules  d'un  arabi- 
sant, p.  87-242. 

136.  Maximin  Deloche.  Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres.  Xotice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Maxi- 
min Deloche,  par  M.  Hartwig  Derenbourg,  membre  de 
l'Académie,  lue  dans  la  séance  du  29  novembre  1901. 
Paris,  1901  (Institut.  1901.  33).  Avec  une  Bibliographie 
des  principales  publications  de  M.  Maximin  Deloche. 
42  pages  in-4°.  —  2^  édition,  dans  les  Comptes  rendus 
de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  de  1901, 
p.  871-903.  Tirage  à  part  de  34  pages  in-8°,  avec  un 
Post-scriptum  à  la  page  29.  —  3°  édition,  avec  de 
légères  corrections  et  un  portrait,  dans  les  Mémoires 
de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  la  Corrèze, 


Hil>lio(|rîiplii('  (!<'   II.  1)  :{:{,- 


XXIV  (Tulle,  I'.>()2),  |).  .l-ll.   —  1"  ('(lilioM,  mise  ;m  cou- 
rant, (liins  les  Opuscules  iluu  uruhisuul,  p.  2.").")  2(Si). 

\'M.  Di'rruhunj  (Dci'cuhourfi),  (\i\ns  Tlic  Jcuush  ilucij- 
dopcdid,  IV  {VM\  ,  |).  :).■;()  b-WXl  h.  Hcstiluliou  des 
articles  sous  leur  tbrnie  |)riniili\ c  dans  les  Opuscules 
il  uu  avuhisiuil,  p.  29.'r.'U  1 . 

13S.  Louis  de  CJeic(j.  Xéci-oIo<>;ie,  dans  le  liolelin  de  l(i 
Real  Academid  de  lu  Ilisloria,  XLIII,  iv  (Madiid, 
octobre  190.')),  j).  X)'.\-',\7){).  Piei)ro(luil  dans  la  llevue 
iuleruidiouide  de  l'ensei(jiieinenl,  XLVIIII,  11  i  Paris, 
novembre   11)01),  p.    133-435. 

130.  (iuslou  Puris.  Xécr()l()<;ie,  avec  une  biblioi^iapbic 
il)éri(pie  de  (iaslon  Paris,  dans  le  Holeliu  de  lu  Real 
Acudeuuu  de  lu  Ilisloiiu,  XLllI,  iv,  j).  3r)r)-3()().  Réédi- 
tion dans  la  Reuue  inlernaliouule  de  reiisei(jiïeru'nly 
XLVIII,  11  (novend)re  1001),  p.    135-137. 

1 10.  Widler  Scoll,  (Junupollioii  le  jeuue  cl  Ahcl  Bcr- 
gai(jne.  Propos  de  voyage  et  de  table,  tenus  dans  l'Isère 
au  Meeliu(j  de  l'Association  franco-écossaise  de  1003, 
ibid.,  XLVII,  2  (Paris,  lévrier  1001),  p.  115-110;  cf. 
(^.ouiples  rendus  de  rAc(uléinie  des  iuscriplioi^s  et  helles- 
lellrcsdc  lOO.'i,  p.  438,  et  Paul  Mellon,  .'f-  Meelinfj  franco- 
écossais  (Dole,  1901),  p.  (•)7-(J8  et  121-127. 


VAHIA 

141.  Opuscules  d'un  arabisanl.  Paris,  (Charles  (lar- 
rington,  1905,  337  p.  in-8°. 

142.  Papiers  el  correspondance  de  la  famille  iinpêri(de. 
Paris,  Imj)rimerie  Xationale,  cbez  L.  l^cauvais,  1870- 
1871,  25  livraisons  formant  2  volumes,  dont  le  second 
arrêté  h  la  page  288.  Deux  lettres  de  Fr.  Ritschl  à 
l'empereur  Napoléon  III  et  cà  M'^'^'  [(>3rnuJ,  la  pre- 


336  Opuscules  d'un  arabisant 

mière  datée  du  14  avril  1865,  la  seconde  sans  date, 
probablement  du  même  mois.  Traduction  française, 
avec  le  texte  allemand  de  celle-ci,  II,  p.  197-201. 

143.  Henri  Bordier,  L'Allemagne  aux  Tuileries.  Paris, 
Beauvais,  1872,  de  xvi  et  512  pages.  «  Collection  de  faits 
divers  »,  par  «  un  Français  soucieux  de  sa  patrie  », 
dont  les  traductions  ont  été  révisées  par  un  collabo- 
rateur innommé. 

144.  La  Grande  Encyclopédie.  Paris,  1885-1903.  31 
vol.  in-4o,  l'un  des  membres  du  Comité  de  direction 
étant  H.  D. 

145.  The  Jewish  Encyclopedia.  New -York,  Funk  and 
^Yagnalls  Company,  1901-1905.  9  vol.  publiés  sur  12, 
l'un  des  membres  du  Foreign  Bocwd  of  consulling  edi- 
tors  étant  H.  D. 

146.  Encyclopedia  of  Religions,  12  vol.  in-4o,  qui 
paraîtront  à  New-York  dans  les  années  1906  et  suiv., 
H.  D.  étant  directeur  du  département  de  l'islamisme. 


tâiuj:  i)i:s  matii:iu:s 


Pages 

AVANÏ-PHOFOS V 

I .   Le  poète  iinléislaini([ue  Anlar 1 

II.   La  composition  (kl  C.oran 11 

m.   L'histoiie  des  philosophes  attriiniée  à  Ibn  Al-Klflî 

(1172-1248) .T) 

IV.   La  Haggàdàh  de  la   PiKpie  juive   et   la   miniature 

espagnole  juive  à  partir  de  l'an  1300 \\) 

V.   Quatre   lettres  missives  écrites  dans  les   années 
1 170-1475  par  Aboù    I-IIasan    Ali,  avant-dernier 

roi  more  de  Grenade 69 

VI.   Notice  biographique  sur  Michèle  Amari  (l.S()()-18.S9).  87 

VII.   Adoli)he  lYanck  (1809-l.S9:i) 24.'^ 

VIII .   Maximin  Deloche  (1817-11)00) 2r)7 

IX.   Une  famille   sémiticpie  de  sémitistes.    Les   Deren- 

bourg 2<.)1 

X.   Bibliographie  de  IL  D.  (18GG-mars  1003) 313 


ALENCON,    —    IMP.    VEUVE   FÉLIX    GUY    ET    c'^ 


i 


BINOING  SECT.  MAR  2  0  1967 


PJ  Derenbourg,    H^r^wig 

^^  Opuscules    d|un 

^^7  arabisant 


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