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V K
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in 2011 with funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/p1ladsolationd02deni
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
Die Entsiehiin(f dcr Univei^sifatcn dcsMitlelaliers his 1400. Berlin,
Weidmann, 1885, xuv-813 p., in-8".
Specimina palaeof/raphica Regestoriim Roinanorum ponli/icuni.
Roma, 1888, in-fol.
Chartularium Universitatis Parisicnsis^ sub auspiciis Consilii
Universitatis Paris, auxiliante Aemilio Châtelain. ParisiivS, ap.
fratres Delalain, g-r. in-4*^.
T. I, ab an. 1200 ad an. 1286, xxxvi-716 p., 1889.
T. Il, ab nn. 1280 ad an. 1350, xxiv-8lG p., 1891.
T. III, ab an. 1350 ad an. 139i, xl-780 p., 1894.
ï. IV, ab an. 1394 ad an. 1432, xxxviii-838 p., 1897.
Auclariiun Chartularii Universitatis Parisiensis (ediderunt
A. Denifle et Aem. Châtelain). Parisiis, ap. fratres Delalain,
g-r. in-4.
T. 1. Liber procuratoruni nationis Ang-licanae (Alemanniae)
ann. 1333-1406. lxxx-992 p., 1894.
T. II. Liber procuratoruni nationis Anglicanae (Alemanniae)
ann. 1406-1466. xx-1034p., 1897.
MAÇON, PROTAT FRERES, IMPRIMEURS.
LA DÉSOLATION
DES
ÉGLISES, MONASTÈRES & HOPITAUX
EN FRANCE
PENDANT LA GUERRE DE CENT ANS
PAU
LE P. HENRI DENIFLE
DES FRÈRES PRÊCHEURS
CORRESPONDANT DE l'iNSTITL'T
TOME II
LA GUERRE DE CENT ANS JUSQUA LA MORT DE CHARLES V
(première moitié)
PARIS
ALPHONSE PICARD ET FILS, ÉDITEURS
Libraires des Archives Nationales et de la Société de l'Ecole des Chartes
82, RUE BONAPARTE, 82
18 99
LA GUERRE DE CENT ANS
ET
LA DÉSOLATION
DES
ÉGLISES, MONASTÈRES & HOPITAUX
EN FRANCE
PAU
LE P. HENRI DENIFLE
DES FRÈRES PRECHEURS
CORRESPONDANT DE l/l.NSTITT'T
TOME I
JUSQU'A LA MORT DE CHARLES V (1380)
( P R E ÎVI I È H E M 0 n I É )
PARIS
ALPHONSE PICARD ET FILS, ÉDITEURS
Libraires des Ai'cliives Nationales et de la Société de IKoole des Chartes
82, lU'E nONA PARTE, 82
1899
ÎHE INSTtTUTE OF MEDIAEVAL STUOitS
10 ELfViSLEY PLACE
TORONTO 5, CAf^ADA,
M 1 A 1^31
\3iH
PRÉFACE
Lorsque j'ai publié le premier volume contenant des docu-
ments relatifs à la désolation des églises en France vers le
milieu du xv^ siècle, j'en ai promis un second, où Ton
trouverait une introduction sur cette désolation. Mais dès que
je l'entrepris, en cherchant à compléter en même temps les
textes du premier volume en ses deux extrémités par les bulles
de Clément VII et les Suppliques de Calixte III, je me suis
aperçu bientôt que, pour être complet sur le sujet, je devais
faire pour le xiv^ siècle le même travail que j'avais accompli
pour le xv^. J'ai constaté, en effet, que beaucoup des cala-
mités, opprimant les églises, monastères et hôpitaux au
xv^ siècle, remontent au xiv^, et quelquefois à une date
très éloignée. Il m'a fallu un grand courage pour m'alteler à
cette nouvelle besogne, et recueillir les documents inédits ou
publiés sur cette matière. En outre, pour mon second volume,
je ne voulais pas seulement publier les textes, comme dans le
premier, mais aussi en donner un exposé, et en même
temps écrire une histoire des principales étapes de la guerre
de Cent ans au xiv^ siècle, d'autant plus qu'un récit de la pre-
mière période de celte guerre, mettant à profit les résultats
des historiens récents, dispersés dans (Uvers ouvrages.
VI PREFACE
n'existe pas encore'. Mon intention était de rapprocher ainsi
du tableau de la désolation éprouvée par les divers établisse-
ments ecclésiastiques l'IiisLoire même des différentes invasions
ou chevauchées et les itinéraires des troupes ennemies et des
Compagnies. La lumière de l'une de ces deux faces rejaillit sur
l'autre. Je ferai dans la suite ce même exposé pour le xv^
siècle, dont les documents occupent le premier volume.
Tout le monde comprendra que je n'aie pu, comme pour le
premier volume, exécuter ce programme en travaillant au
Chartulfirium Universitntis Parisiensis. Il m'a fallu laisser de
côté tous les autres travaux pour me livrer entièrement à celui-ci.
Je puis confesser que j'ai sérieusement poursuivi cette tâche,
j'ai dû me renfermer et presque me séparer de tous, pour me
mettre au milieu des faits, pour étudier les fils conducteurs
des événements de ce temps-ht, pour pénétrer le plan d'une
chevauchée ou d'uue bataille, ou les secrets de la diplomatie.
Je ne sais si je serai parvenu à contenter mes lecteurs ; mais
je suis moi-même très satisfait d'avoir entrepris l'étude d'une
des époques les plus intéressantes d'un pays dont l'histoire m'a
passionnément attiré depuis vingt ans. Plus s'augmentaient les
difficultés dans le cours du travail, plus je m'y suis acharné.
Si je n'ai pas atteint à la perfection de mon sujet, ce que
je n'oserai jamais me promettre, j'aurai du moins animé ceux
qui viendront après moi à travailler pour y parvenir.
Pour ne pas trop étendre mon ouvrage, j'ai dû restreindre
mon exposé de la partie politique, civile et militaire.
Conformément au but que je me suis proposé, j'ai raconté à
1. Si on veut faire exception du cliapitre de Coville dans Ilist. générale du
IV^ siècle à nos Jours, par E. Lavisse et A. Rambald, III (1894), p. 64 suiv.
Mais, quiconque connaît le plan de ce g^rand ouvrage et sa vulgarisation n'v
cherchera point des détails. Toutefois en ce qui concerne le sujet qui nous
occupe, tous liront avec profit les paragraphes : le caractère, le gouvernement,
le régime financier de Charles Vfp. 109 suiv.), et les paragra})hes suivants.
PRÉFACE VII
grands IraiLs les invasions des Anglais, jusqu^'i la chevauchée du
prince de Galles dans le Languedoc qui marque un des points
principaux de la guerre de Cent ans. Dans la suite de ce récil,
je me suis occupé de la politique autant que le comportait
mon sujet.
Si, dans mes recherches, je suis quelquefois arrivé à descon-
clusions qui s'éloignent de celles qui sont généralement reçues,
comme par exemple, louchant les préliminaires et la hataille
même de Poitiers, les dél^uls militaires de TArchiprêtre, le
traité de Charles le Mauvais avec Edouard III en 1358 elles
questions connexes, je crois que mes appréciations ne sont
pas moins motivées que celles de mes devanciers. L'histoire
du douhle jeu de Charles le Mauvais ', de l'état de la France
h la veille du traité de Bretigny, celle des Compagnies et
l'action d'Urbain Y contre elles, de Du Guesclin devant Taras-
con, la campagne des Provençaux contre le Dauphiné, le point
de départ pour la reprise des hostilités contre les Anglais, la
dépopulation en France, ont reçu dans mon ouvrage un déve-
loppement que personne ne leur avait encore donné. Tout à fait
nouveau est l'exposé des églises, monastères et hôpitaux rui-
nés pendant cette première période, de même que celui qui a
fait l'objet du premier volume.
Jusqu'au traité de Bretigny, j'ai parlé des églises et monas-
tères désolés à l'occasion du récit des diverses chevauchées des
troupes, comme je l'ai remarqué dRusïAvanl-propos. A partir
1. J'avjiis promis, \). 458, iiol. 2, de parler dans ma Préface du livre singulier
publié par M. E. Meyer, Charles II, roi de Xnvnrre, comte d'Kvreux (1898).
L'auleur voudrait faire de Charles le Mauvais une espèce de Charles le Bon et,
})our y parvenir, n'é{)argne ni ses criticpies, ni ses outrages aux maîtres ou
anciens élèves de rÉcole des chartes (pii oui toujours cru, comme il est juste,
à la perfidie de Charles le Mauvais. Mais Aug. Molinieh ayant déjà dans la
licDue historique (t. LXIX, p. 3i4 suiv.) porté sur cet ouvrage le jugement
qu'il mérite, je me crois dispensé d'entretenir mes lecteurs d'un livre écrit
avec passion et grande partialité, et dépourvu de preuves.
VIII PREFACE
de cette époque, cette manière de procéder devenait moins
pratique, le trop grand noml)re de lieux désolés dans 118
diocèses eût entraîné une confusion, d'autant qu'on ne peut
pas toujours fixer le moment auquel remonte le désastre. Il
est vrai qu'avec le système que j'ai ensuite employé, des répé-
titions devenaient inévitables lorsque j'étais obligé de par-
ler deux fois de la désolation de quelques localités. Mais il
est impossible d'écrire sans répétitions un livre dans lequel on
doit traiter plusieurs fois, et sous divers aspects, du même
établissement, surtout lorsque dans le récit on suit l'ordre
chronologique.
Quand j'ai poursuivi l'histoire de la désolation jusque vers
la lin du xiv^ siècle, c'est-à-dire au delà de la mort de Charles
V en 1380, les faits signalés dans les documents datés après
cette année, ou remontent à une époque antérieure, ou sont
connexes avec les faits passés. On ne peut à ce sujet fixer
rigoureusemenl la limite : les deux périodes se mêlent et se
confondent dans leurs extrêmes. Toutefois, j'ai réservé pour
le volume suivant le plus grand nombre des bulles de Clément
^ II à partir de sa cinquième année.
Les soui^ces inédites où j'ai puisé sont surtout les documents
des Archives du Vatican dispersés dans les Suppliques depuis
Clément VI jusqu'à la quatrième année d'Urbain \, les
Registres Vat. des Papes à partir de Benoît XII jusqu^à Clé-
ment VII. Depuis la huitième année d'Innocent VI, il a été
nécessaire de prendre aussi la série Aven. Les dernières années
du pontificat de ce Pape manquent dans la série Vat.^ c'est-à-
dire dans les Registres en parchemin, et les divisions De inclul.
et privil. ou De diversis formis (où se trouve la grande masse
des lettres pour les églises et monastères) conservées dans
les Registres en parchemin des Papes suivants, contiennent
PREFACE IX
seulement la moi lié (parfois moins encore) de ces mêmes
divisions conservées dans les Registres Aven., c'est-à-dire en
papier, sans parler du fait que quelques volumes en parchemin
manquent à présent, comme par exemple la quatrième année
de Clément VIL Les Bec/. Aven, renferment aussi des bulles qui
concernent la politique et la diplomalie, et un auteur traitant
de ces matières aurait tort de négliger cette série et de se servir
seidement des Secrètes. J'ai utilisé cette dernière source, à par-
tir d'Innocent ^'I, autant qu'il importait pour mon sujet, mais
j'ai laissé de côté les Secrètes de Grégoire XI en tant qu'elles
regardent la politique, parce que M. Mniox des Archives natio-
nales de Paris les a étudiées à fond pendant deux ans ainsi que
les autres documents de ce Pape pour le travail qu'il prépare.
Outre ces sources, j'ai cherché des documents ou des notes
dans les Collector.^ Obligiit.^ Introït, et exit.^ Instriim. niis-
cell.^ (jcist. S. Anc/elo^ et dans le volume 9 de l'arm. 53, où
sont les lettres de l'archevêque d'Embrun sur l'invasion des
Provençaux en Dauphiné.
Qu'on n'attende pas une énumération de toutes les églises
mentionnées tant dans les Registres qu'ailleurs comme dimi-
nuées dans leurs revenus ou profanées ; elle rendrait mon
ouvrage plus volumineux, sans augmenter sa valeur. Les églises
et monastères étaient partout appauvris à la fin de la première
période ; pour cette raison les bulles deviennent de plus en
plus nombreuses à ce sujet, surtout à partir de 1378. J'ai sup-
primé aussi les documents qui parlent seulement de la difficulté
de se rendre à telle ou telle église ou à quelque autre endroit,
par suite du peu de sûreté des routes. Et bien que je possède les
copies de tous les documents utilisés, au nombre de plus de deux
mille, je n'ai ni pu ni voulu les imprimer entièrement. On com-
prendra que tous n'ont pas le même intérêt et la même valeur.
Souvent, il a sutïi de donner un sommaire dans le texte et de
PIŒFACE
citer dans la note la cote avec la date, ou de donner un extrait.
Lorsque je publie un document, j'omets les formules et tout
ce qui est hors de mon but, et encore dans ce cas le docu-
ment imprimé contient plus que mes données dans le texte. Je
sais que quelques-uns voudront aussi faire dans mon livre des
recherches sur les indulgences, les reliques, les saints, les tra-
ditions, etc. ; mais de même que pour la politique et la diplo-
matie il se trouve encore dans les Registres beaucoup de
renseignements qui n'entrent pas dans mon sujet, ainsi en est-
il pour les particularités susdites. Si je m'élais occupé de ces
matières, j'aurais commis une grave faute contre la méthode,
et on aurait pu dire avec raison : on ne voit plus la forêt à
cause des arbres. Pour cette raison, j'ai donné seulement dans
une certaine mesure et en tant que cela avait rapport à la
désolation des églises, des notes sur les charges, les impôts et
la misère des populations. Peut-être pourrai-je dans une autre
occasion utiliser ce que j'ai réservé.
Il m'a été presque plus difficile de trouver les sources impri-
mées et la littérature nécessaire, soit pour la guerre, soit
surtout pour les monastères, que de chercher les documents
inédits. Kn constatant qu'il s'est agi dans cette étude de la
France entière, on m'excusera si j'ai commis quelque ouljli ^ ;
toutefois, le nombre de livres consultés reste toujours con-
sidérable. Le plus intéressant, c'est que, peu à peu,
j'ai pu acquérir la plupart des ouvrages que je cite ; ou
travaille mieux quand on a les livres sous la main, et après
1. Je n'ai pas reçu à temps pour en profiter A HiMorij of Ihe art ofivar. The
michllc Ages from IV-XIV centiin/, hy Cli. Oman (London 1898), II, non plus que
Tarticle très instructif : La marine au siège de (Valais, de M. La Roncière dans
Bihl.de VEcole des r/îa/7rs, t. LVIII, p. 554 suiv., et moins encore le travail de
MiROT et E. Dkprez, Les ambassades anglaises pendant la guerre de Cent ans
{ibid., t. LIX, p. 550 suiv.), et le livre curieux de L'Ouvreleul, éd. Pourcuer,
Mém. hist. sur le pays de Gévaudan (S'-Martin-de-Boubaux, 1899).
Pr.KFACK XI
ma inorL, mon Ordre aura un souvenir précieux d'un de ses
membres quia toujours regardé les livres comme ses meilleurs
amis; même quand ils trompent, ce n'est pas leur faute : les
coupables sont leurs auteurs.
Les imprimés, au\'(piels je renvoie consciencieusement, per-
mettront aux lecteurs de se renseigner sur les détails que je
dois omettre. (Combien de résultats et de notes, par exem])le,
ont réunis Ivkhvvn hk Lettknuovf, mais surtout S. Llck et son
continuateur Uaynai :n dans leurs éditions de Froissart? Com-
bien de fois ont-ils corrigé cet écrivain (pii, sans leurs notes,
n'est qu'une source trompeuse? Il faut rendre la même justice
à Aug. MoLLNiEK au sujet du tome IX de Vllisfoire (h Lnn-
(/uedoc. Du resle, dans toutes les éditions modernes des cliro-
niqueurs français, on trouve, dans les notes ajoutées par les
éditeurs, des renseignements qu'on chei'clierait vainement ail-
leurs. Il est regretla])le que les éditeurs des chroniques
anglaises (lesquelles, jusqu'en 1358, sont généralement plus
exactes et plus instructives que les chroniques françaises),
n'aient pas suivi le même système. Il faut citer, comme une
heureuse exception, la publication faite par Tno>n*soN de (lal-
fred Haker de Swyuebroke, sans parler ici des notes ajoutées
par Ca)\k à son édition du IIcinul cl\irnies i'Jinndos et des
éclaircissements précieux insérés par Nicolas à la lin de ('./iro-
nie le of Lan don .
Je ne veux pas m'étendre aujourd'hui sur les autres livres
imprimés, (iej)en(lanl les m()nograj)hies publiées en ce siècle
sur les abl)ayes méritent un mot. KUes contiennent souvent
beaucouj) de phrases, de réllexions déclamatoires, mais peu
de documents ou de faits tangibles. Il v a heureusement des
exceptions; toutefois les publications riches en faits et docu-
mentées, comme par exemple celles de Chf.kkst sur \ ezelay,
de La(;iu':ze-Fossat sur Moissac, de (iiHAun sur Saint-Harnard,
XII PREFACE
de J. Roux sur l'abbaye de Sainl-Acbenl-lcz-Amiens, sont
trop rares. Dans la plupart des monographies de ce genre,
il arrive que le sujel de la guerre n'a pas élé traité, ou a été
seulement effleuré. C'est pourquoi je m'abstiens d'en citer un
bon nombre. On trouve quelquefois beaucoup plus de res-
sources, même en ce qui concerne les églises et les monastères,
dans les livres et Recueils relatifs à l'histoire civile des villes
ou des diverses provinces, dont je me suis servi constamment.
Quant aux Carliil/iires, j'en ai déjà parlé dans la préface du
premier volume. Généralement, ils s'arrêtent à une époque
antérieure. Les brèves noies sur la u'uerre de Cent ans conte-
nues dans les vol. i25r)(S-12704 du fonds lat. de la Ribl. nat.,
qui constituent le Monnslicon g al lien nu m., ont été utilisées
par les auteurs du (jallia chrisiùina.
La liste des ouvrages que j'ai consultés et cités sera jointe
au volume suivant, ainsi que l'Index des noms et des lieux.
Les localités mentionnées dans mes textes m'ont donné beau-
coup d^embarras. Quiconque s'occupe d'un travail analogue
comprendra aisément quelles difficultés soulève l'identiiication
des noms de lieux. Et elles s'augmentent quand il s'agit de
plusieurs milliers de noms, souvent dénaturés ou mal écrits
dans les sources. Le jour où le grand ouvrage de M. Longnon
sur les provinces ecclésiastiques de la France au moyen âge
sera publié, un travail semblable sera très simplifié. En atten-
dant on voudra bien être indulgent si l'on trouve que je n'ai
pas été toujours heureux.
Une autre observation encore ne sera pas superflue. Pensant
qu'il était utile pour le lecteur de désigner à quel Ordre appar-
tenait chaque abbaye citée, afin de distinguer les abbayes
d'hommes de celles de femmes, pour désigner ces dernières,
j'ai toujours pris le substantif : abbaye des Rénédictines, des
Cisterciennes, tandis que pour les monastères d'hommes, j'ai
PRÉFACE XI II
employé radjeclif : al)bave bénédicline, cistercienne. La
même remarque s'a])plique aux prieurés. Pour les autres
Ordres, il n'y a pas de diflicuUé.
Partout je cite les dates d'après le nouveau style. Dans le
courant de l'ouvrage, j'ai parfois changé Torlhograplie de
quelques noms ou mots sans importance. L'orthographe de
certains noms de villes présente de grands embarras. Souvent
on rencontre le même nom écrit de différentes façons dans
divers dictionnaires et ouvrages.
(rrace au concours amical et désintéressé que j'ai trouvé
dans la famille si distinguée du comte de Revertera, ambassa-
deur del'Kmpereur d'Autriche près du Saint-Siège, puis au cou-
vent de S^^-Anne à Chàtillon dont les sœurs Dominicaines
m'offrenl depuis une série d'années une paisible hospitalité,
enfin à mon ami K. Châtelain, j'ai pu raconter cette histoire dans
une langue qui n'est pas la mienne, sans trop d'imperfections,
j'espère. Je prends sur moi toutes celles qui s'y trouveront.
Le lecteur intelligent compren(h'a d'ailleurs qu'un slyle élevé
est presque impossible dans un ouvrage dont le point capital
consiste dans l'énumération de faits plus ou moins ressem-
blants, d'autant phis que l'auteur en les décrivant, s'attache
strictement aux sources consultées. Quiconque entreprendra
plus tard d'écrire l'histoire philosophique de cette époque,
donnera sans doute une autre forme à son œuvre. Le temps
n'en est pas encore venu ; d'ici là, le lecteur devra être
initié à une foule de détails et de faits (k)nt la monotonie con-
tribue précisément à faire paraître sous un aspect encore plus
terrible l'état désastreux de cette période.
Je dois aussi remercier MM. A. Longnon, membre de l In-
stitut, Léon Dorez, de la Bibliothèque Nationale, J. (k^ Chan-
tepie et F. Chambon, de la Bibliothèque de l'Université, L. Le
Grand aux Archives Nationales, II. Pogatscher el J. Iler/AMi.
XIV PHÉFACE
de Rome, Théod. de Liebenau, archivisLe de Lucerne, enfin
M. J. Prolat, mon imprimeur, et M. A. Picard, mon libraire,
qui m'ont soi! procuré des livres rares, soit signalé ou envoyé
des documents et des renseignements. Je dois encore exprimer
ma reconnaissance d'une manière toute spéciale à mon col-
lègue et ami le prélat Pierre Wenzel, sous-archiviste du Vati-
can, qui, pour me laisser le temps nécessaire à ce travail et
durant ma maladie, a bien voulu porter seul, suivant l'expres-
sion delà Sainte Ecriture, « pondus diei et aestus ».
Châlillou-sous-Bagiieux, le 2 juilk-t 1899.
PREMIERE PARTIE
ITINÉRAIRE DES TROUPES ENNEMIES PENDANT LA GUERRE
DE CENT ANS, JUSQu'a LA MORT DE CHARLES V
Il y a eu probablement des guerres plus terribles que celle de
Cent ans et certes les guerres de religion et la guerre de Trente ans
ne furent pas moins cruelles. Non seulement, pendant celles-ci, la
haine religieuse était devenue un nouveau principe moteur, mais
encore au xvi*^ et au xvii^ siècle on combattait avec des armes bien
plus puissantes qu'au temps de la guerre de Cent ans, et les
routes plus praticables et mieux entretenues facilitaient de beaucoup
le mouvement des troupes. Toutefois, au point de vue de la durée,
la guerre de Cent ans Fa emporté sur toutes les autres. En cer-
taines contrées, bien qu'avec de faibles interruptions, elle persista
jusqu'à 112 ans et presque partout elle ne dura guère moins de 80 à
100 ans. Le nom qu'elle a pris dans l'histoire n'est donc que trop
justifié. C'était une suite sans lin et terriblement monotone de mas-
sacres, d'incendies, de pillages, de rançonnements, de destructions,
de pertes de récoltes et de bestiaux, de viols, enfin de toutes les
calamités.
L'élément le plus essentiel dans la pratique de la guerre était
alors le feu : l'incendie en était pour ainsi dire le bouquet. Le mar-
quis Albert Achille de Brandebourg qui, en 1449 et 14rj0, avait
contribué pour sa bonne part à incendier jusqu'à 200 villages de
l'Allemagne méridionale, aurait dit que « l'incendie est pour la
guerre, ce que le Magnificat est pour les Vêpres ^ » Quoi ([uil en
\. « Der Brand ziei'l clen Krie^\ wic das Maj^nificat die ^'osper ».
R. P. Dexifle, — Deaolatio eccicsiarum H. 1
2 LA GUERRR DE CENT ANS
soit, c'était là la devise de tout général, de tout capitaine, de tout
homme d'armes durant la guerre de Cent ans. Or ce qui en rendait
les suites plus terribles, c'était l'activité incroyable des gens de
guerre de l'époque, malgré le mauvais état des chemins et l'insuffi-
sance des moyens de transport. Quelle n'était pas la rapidité avec
laquelle précisément les chefs les plus barbares volaient d'un
endroit à l'autre ! La population ne jouissait donc jamais d'aucun
repos et lors même qu'elle croyait en avoir un peu, elle vivait dans
une sûreté fort précaire, au milieu d'agitations et d'émotions sans
cesse renouvelées.
Les effets de la guerre de Cent ans favorisaient la fréquente appa-
rition de la peste et des épidémies, fléaux qui, à leur tour, déci-
maient les populations. Les mauvaises récoltes et les impôts perpé-
tuels augmentaient la misère; la cherté des vivres et la famine
étaient inévitables. Ajoutez à tout cela le schisme qui éclata dans
la seconde période de la guerre, menaçant d'en faire une guerre de
religion. Pour surcroît de malheur, le roi de France Charles VI
devenant fou et la guerre civile venant seconder l'invasion des
Anglais, aidés tour à tour par les Armagnacs et les Bourguignons.
Ce fut au xiv^ siècle, à partir de 1355 jusqu'en 1370, que Ton
guerroya avec plus de cruauté. La période de 1355 à 1364 surtout
se distingue entre toutes les autres ^^ar ses ravages effrayants. Néan-
moins la misère atteignit le comble, lorsque, au xv*^ siècle, la guerre
vint à éclater avec une nouvelle fureur sous le règne de Henri V. Les
Français restaient alors découragés et comme affaissés. On était las,
et le parti dominant se rendit aux Anglais. Le désir de la paix était
devenu universel et on espérait enfin le réaliser. Mais dès que se
présenta l'occasion favorable de secouer le joug si dur des Anglais,
ou vit les Français se rallier à leur prince légitime et reprendre la
devise : la France aux Français ! Seuls Bordeaux et la Guienne firent
exception, parce que cette partie du pays avait été depuis trois
siècles plus ou moins sous la domination anglaise.
Pour les grandes églises et les abba^^es, la guerre de Cent ans
était plus funeste que les guerres de religion. Au xiv^ siècle,
elles possédaient encore des dépendances et des terres très con-
sidérables, une grande partie de la France. Mais dans la guerre
de Cent ans, grand nombre d'abbayes étaient forcées d'aliéner
AVANT-PROPOS 3
beaucoup de leurs propriétés et rentes, d'autres étaient parfois
occupées par les seigneurs ; et ce que la g'uerre avait encore épar-
gné, fut souvent dilapidé par les abbés commendataires. Au
XYi'^ siècle, quand la guerre de religion était près d'éclater, les
abbayes avaient perdu une grande part de leurs anciens domaines ;
elles étaient morcelées et démembrées. Sous ce rapport, la guerre
de Cent ans fait époque dans l'histoire de la féodalité au moyen
âge. Mais bien souvent la mort de l'un est la vie de l'autre. Et ainsi
le dépérissement du régime féodal faisait pour une fois prospérer
les communes, les villes et les particuliers qui auparavant n'étaient
que fermiers.
Pour ce qui regarde la destruction de leurs couvents, les Ordres
mendiants n'avaient guère moins à souffrir que les abbayes. Comme
ces couvents étaient pour la plupart situés en dehors des villes
ou dans les faubourgs, les habitants aimaient à les démolir, soit
dans l'intérêt des fortifications des villes, lesquelles datent en géné-
ral du temps de la guerre de Cent ans, soit encore pour ne pas lais-
ser de point d'appui à l'adversaire. Il n'est pas possible de signaler
tous les changements de leur résidence pendant la guerre de Cent
ans. Leurs couvents furent aussi ravagés en partie par les troupes
ennemies. Mais les religieux Mendiants ne possédant rien en
dehors de leurs couvents, leurs pertes étaient naturellement de
beaucoup inférieures à celles des abbayes.
Il m'a paru indispensable de rechercher et d'indiquer la marche
de l'ennemi pendant la guerre de Cent ans, sans toutefois me perdre
dans les détails, et cela pour pouvoir fixer au moins approximati-
vement à quelle époque, à quelle occasion et combien de fois les
différents monastères et leurs ^^ropriétés avaient été ravagés ou rui-
nés. Quant à ceux dont je n'ai pu déterminer qu'à peu près l'époque
de la ruine ou qui présentent un intérêt particulier, je leur ai assi-
gné presque dans chaque chapitre un paragraphe à part.
Mon dessein exige que je m'arrête davantage sur les faits qui
préludèrent aux grands événements, c'est surtout dès l'an 13oi.
Mon travail donne de nouveaux renseignements non seulement sur
les églises et les monastères, mais aussi sur l'histoire civile et poli-
tique.
CHAPITRE PREMIER
LA GUERRE DE CENT ANS JL'SQu'a l'aN 1355
Tout le monde comprendra que mon but ne m'impose pas de
remonter aux origines lointaines de la guerre de Cent ans ^ Il me
suffira donc d'exj)oser brièvement les causes prochaines qui ont
allumé l'incendie et propagé ses ravages en France pendant une
si longue période.
Charles le Bel, en mourant le l*"'' février 1328, laissait une fdle et
sa femme enceinte. L'opinion était bien arrêtée dès l'an 1317 sur le
point de la succession au trône de France : les femmes étaient
exclues-. Mais le roi défunt laissait en Angleterre un neveu,
Edouard III, et en France deux cousins germains, Philippe de
Valois et Philippe d'Evreux. A la vérité, Edouard III était le des-
cendant mâle le plus proche et touchait de plus près au roi défunt,
que les deux cousins. Il était fils d'Isabelle de France, fille de Phi-
lippe le Bel, et sœur de trois rois de France. Mais la descendance
d'Edouard était par les femmes; or, les femmes étant exclues du
trône de France, pouvait-il, malgré cela, lui, descendant mâle,
régner lui-même? Les deux cousins, au contraire, étaient descen-
dants de Philippe le Hardi par les mâles. Qui devait régner en
France? Les Anglais revendiquaient la couronne pour Edouard,
dont les procureurs étaient les évêques de Worcester et Chester^.
1. Voy. F. Fiixck-Brextaxo, Les origines de la guerre de Cent ans : Philippe le
Bel en Flandre (Paris, 1897).
2. Voy. Grand, chî^on.^ éd. P. Pakis, V, p. 331; Contin. Guill. Nang., éd. Géraud,
I, p. 434 ; MuRiMUTH, Contin. Chron., éd. Thompson, 1889, p. 100. Sur cette question
très délicate, voy. P. Viollet, Hist. des institutions politiques et administratives de
la Finance (1898), II, p. 55 suiv., 59, 72 suiv., et dans les Mémoires de l'Académie des
Inscriptions et Belles Lettres (1893), t. XXXIV, 2" partie. Lautcur prouve aussi que
la loi salique, dont les modernes parlent souvent, n'était pas en question ; elle ne
regarde pas la succession au trône.
3. Rymer, Foedera, If, ii (Londini 1821, Record édition), p. 743. Edouard dit dans sa
lettre du 16 juillet 1339 qu'on n'a pas admis ces procureurs pour trancher la question
et qu'on a menacé de les tuer. Voy. «encore Journal des conférences d'Avignon
en 1344, dans OEuvres de Froissart. éd. Kervyn de Lette^hove, t. XVIII, p. 246.
L OKKiLNE DE LA (iLERKE O
Les douze pairs, appelés à trancher la question, se décidèrent fina-
lement en faveur de Philippe de Valois, le plus vieux cousin du roi
défunt et chef de la maison de Valois, ce qui écartait Edouard. Alors
se fixa une autre loi de la succession, en vertu de laquelle les
parents par les femmes n'ont aucun droit au trône de France. Au
fond, c'était le sentiment patriotique qui, en première ligne, domi-
nait les pairs ^ ; la France doit à tout prix rester aux Français, prin-
cipe national déjà nettement exprimé au xii*^ siècle par l'abbé
Suger-.
Philippe de Valois fut donc proclamé régent, et quand la reine
douairière mit au monde une seconde fille, il fut salué roi et cou-
ronné au mois de mai à Reims. Edouard ne faisant pas de difficultés,
rendit, comme duc de Guienne, comte de Ponthieu et de Montreuil,
hommage au roi de France, Philippe VI, dans l'église cathédrale
d'Amiens, le 6 juin 1329, et le 30 mars 1331 il reconnut par ses
lettres que cet hommage était un hommage lige^. Il lit plus; une
autre fois, il partit pour la France le 4 avril 1331, en compagnie du
chancelier et de quelques chevaliers, vêtus comme des commer-
çants. On croyait en Angleterre qu'il allait en pèlerinage. Mais en
vérité il s'en allait chez le roi de France, régler définitivement et
amicalement quelques points encore en litige au sujet de la Sain-
1. La Conlin. Guill. Nang., II, p. 83 : « Continue illi de regno Franciae non aequa-
nimiier ferentes suhdl regimini Anglicorum [dicebant], quod... ubi mater nullum jus
liaberel, per consequens nec filius ». Il n'y avait pas d'autres reflexions juridiques.
Voy. MURIMUTH, p. 101.
2. « Nec fas nec naturale est Francos Anj;lis... subjici >•. OEuvres complètes de
Suger^ éd. Lecoy de la Marche, p. 12. Viollet, Hisi. des institutions, p. 32, not. 1.
3. Rmnier, Foedera, II, ii, p. 765 ; 813. Hemixgburgh, Chronicon. éd. Hamm.tox
(1819), II, 301. Le chauvin Adam Mvu'imuth dit ad an. 1328, que Philippe « successit
per intrusionem et fraudem », et ad an, 1329 qu'Edouard « fecit homagium suum
Philippo de Valoys rej?i Franciae intruso pro toto ducatu Aquitaniae et comitatu
Pontivii sub quibusdam protestationibus » [Contin. Chron., p. 56, 58). Plus loin
(p, 101), il apporte des objections contre les prétentions d'Edouard, et en outre, son
honmiage l'ait à Philippe de Valois. Kmghton, Leycestren. Chr'on., éd. Lumby, 1889.
I, p. 451, mentionne aussi Ihommage pour la Gascojine, et après « facti sunt amici
secundum vultum exteriorem ». II ajoute : << Sed rcx Philipi)us... disposuit conipre-
hendisse re^em Edwardum et arrestasse eum ; quod non latuit Ilenricum Borowasch
episcopum Lyncoln qui latentcr recessit cum Edwardo a facie Philippi icgis
Franciae et quasi subito remeavit in An^liam nesciente rege Franciae ». Mais si ce
fait est véritable, comment expliquer que deux ans après Edouard ait osé revenir en
France visiter le roi, sans aucun appareil guerrier et même absolument désarmé.'
^'ov. la note sui\ ante.
6 LA GLEHRE DE CENT AKS
tonge et de l'Agennois. Vers le 30 avril, il était de retour en Angle-
terre ^ .
Mais vers 1336, Edouard III prétendit que c'était lui, et non
pas Philippe, le légitime héritier de la couronne de France. Ces
rêves ambitieux lui étaient suggérés par sa mère et par Robert
d'Artois. Ce prince, ayant été dès 1332 banni du royaume de
France, à cause de ses crimes, vivait alors à la cour d'Angleterre.
Il stimulait, exhortait, encourageait Edouard à préparer la guerre
et à faire valoir ses droits à la couronne de France. Bientôt Edouard
fut aussi soutenu par les Flamands ; toutefois, ceux-ci liés au roi
de France par les censures ecclésiastiques, qu'ils redoutaient,
n'osaient suivre Edouard. Mais s'il se proclamait roi de France, les
Flamands pourraient alors devenir ses alliés-.
Les hostilités entre le roi de France et le roi d'Angleterre com-
mencèrent dès l'an 1337. Elles avaient déjà éclaté auparavant dans le
midi delà France. Les Français y prirent sur les Anglais bon nombre
de villes et places fortes 3. Le diocèse d'Agen fut éprouvé le premier.
Avant 1336, la ville française d'Agen s'attendait à une guerre et
1. IIemi>ghurgh, 1. c, p. 303 : « Die jovis in scptimana Pascliac... marc transi-
vit », etc. MiRiMUTH, p. 63 : « cito posL Pascha anno XXXI... rex Angliae cuni J. de
Stretfort et clom. W. de Monteacuto et aliis i)aucis admodum transivit mare sicut
mcrcalor cum mantellis et sine hcrncsiis, ita quod vix habuit sccum quindecim équi-
tés », etc. On trouve aussi sur ce voyage quelques mots dans les Grand. Chron.^ V,
342 ; Contin. Giiill. Nnnff., II, p. 122 suiv, Voy, encore Rymeh, II, ii, p. 815-818, et
ritincraire d'Edouard pour 1329 et 1331 à la suite de la Chronique de Richard Lescot,
éd. Lemoi.ne, p. 202 suiv.
2. MuniMUTH, trop peu connu, dit p. 103 adan. 1339 : « Et Flandriae communitates
obediebant sibi tanquam rciii Franciae, (juia aliter non audcbant propter interdictum
papae, quod fuit interposilum in totam Flandriam in casu, in quo contra regcni Fran-
ciae rebellarent ». C'est d'accord avec la lettre des ambassadeurs de Florence à la
cour d'Avignon de février 1310, éd. Pihenne dans Bulletin de la Commission
royale d histoire de Belffique, 5" série, t. VII (1897), p. 34, et avec le Chronicon Gal-
fredi le Baker de Swynebroke, éd. Thompson (1889), p. 66, dans cette partie dépendant
de Murimuth, un des conseillers d'Edouard, qui étaient charj?és par lui, le 20 novcml^re
1337, d'examiner avec soin ses différends avec le roi de France, et de lui donner leur
avis sur la meilleure voie à suivre pour la défense de ses droits. Lemoine dans la
Chron. de Richard Lescot, p. 214. Voy. encore Kervyn de Lette>hove, Hist. de
Flandre, III, p. 220, et not. 3; Viollet, 1. c, p. 78 suiv. C'est connu, qu'Edouard
a pris les armes de France « de consilio Brabanorum et Flandrensium ». Voy, IIigden,
Polijchron, éd. Lumut, VIII, p. 334 ; Chron. de Lanercost, éd. Stevenson lEdinburgi,
1839), p. 332 ; Eulogium, Chron. a monacho quodam Malmesburiensi exaratum, éd.
Haydox, III, 203; Chronicon Angliae, éd. Thompson, p. 8; Knighton, p. 14.
3. Voy. plus bas, p. 25.
L OKIGLNE DE LA GUEUKE 7
elle avait été fortifiée. Pour cette raison, le couvent des frères
Mineurs situé hors de la ville fut détruite En juillet 1337, les Fran-
çais soumirent les petites places autour d'Agen et conquirent ainsi
peu à peu, soit dans l'Ag-ennois, soit dans la Guienne, un g-rand
nombre de villes et de places fortifiées ~. Il est certain que déjà à
cette époque, des établissements ecclésiastiques furent endomma-
gés. Ainsi, par exemple, les villes de Bourg et de Blaye, au dio-
cèse de Bordeaux, furent prises sur les Anglais au commencement
de l'année 1339 -^ Il v avait deux abbaves à Blave, Tune de Saint-
Sauveur, des Bénédictins, l'autre, de Saint-Romain, des chanoines
réguliers. La première vit d'abord son trésor, ses livres, chartes,
documents et privilèges, ses reliques et ornements d'église pillés et
dérobés. En môme temps les édifices, les moulins, le village groupé
autour du monastère furent totalement détruits et brûlés. Les res-
sources étaient tellement épuisées que les moines ne pouvaient plus
ni vivre ni demeurer dans le monastère^. Les religieux de l'autre
1. « Civitas Agencn, proptcr j;ncri"arum discrimina que in illis partibus fréquenter
suscitantur, clauditur fossatis et mûris, quodque officiales Philippi rejiis Francie ncc-
non et cives civitatis ejusdem dixerunt nobis, quod si guerra in predictis partibus
inciperet, statim diruerent dictum locum (IVatrum Min<M"um) ». Les frères désirent
a\()ir un lieu dans la ville. liey. Vat. Bened. XIL n" 122, ep. 519, ad an. 1336,
Mart. 21. ^^)y. Baurèue, Hist. religieuse et monu mentale du diocèse dW<jen, II,
p. 104 suiv.
2. Voy, A. MoLiMER dans ïllisl. générale de Languedoc, éd. Privât, IX, p. 496,
not. 5, et suiv. Fkoissart, I, les notes de S. Luce, p. c^xcni suiv. Enumércr tous les
lieux conquis par les Français dans cette campagne est hors de mon but. Voy. plus
loin, 55 3.
3. Conlin. Giiill. yang., II, p. 163; Chron. normande, p. 220; Hist. génér. de Lan-
guedoc, IX, p. 514.
4. Suppl. Clem. VI, n° 3, fol. 76, ad an. 1343, novembre 27 : « Significant S. V...
abbas et conventus mon. S. Salvatoris de Blavia O. S. B., Burdegalen. dioc, quod
propter guerram que fuit inter... Francie et Anglie reges, et captionem castri de
Blavia, prefatum mon., quod a s. me. Karolo Magno fundatum exlitit, fuit thesauro,
libi'is, reli(piiis et aliis paramentis et ornamentis ecclesiaslicis. cami)anis, omnibus
privilegiis ctiam apostolicis et aliis documentis ac omnibus aliis bonis suis spolia-
tum et destructum, et ejusdem monasterii edilicia, officine et molendina diriq^ta.
burgus eliam dicli mon. S. Saivatoi'is et mannyle (juoddam predicli abbatis fundi-
tus dirupta, demolita et combusta fuerint, ac propter hec [et] alia pcricula non
possint in eodem mon. absque apost. sedis providentia remanerc , et facul-
tates dicti mon. adeo sint exhauste quod pred. abbas et conventus nc^n liabcnt
unde valeant sustentari et pred. mon reformare » Encore en 1353, labbé
Elie dit que les moines furent obligés de quitter le monastère en mendiant leur
subsistance. Le monastère n'était pas encore restauré {Sujipl. Innocent. 17, n° 2 5,
fol. 51).
8 LA GUERRE DE CENT AxNS
abbaye ne furent guère mieux traités ^ Je ne sais si Tabbaye de
Saint-Vincent à Bourg eut à souffrir.
Dans le courant de l'été 1338, Edouard III passa la mer pour
préparer, en s'assurant des alliances en Allemagne et dans le Bra-
bant, la guerre qu'il déclara à Philippe le 1^*' septembre 1339 -. Le
16 juillet, il avait adressé au pape Benoît XII et au Sacré-Collège
une longue lettre, dans laquelle il exposait longuement ses droits à la
couronne de France, et le progrès des armes françaises en Guienne"^.
Vers le 25 juillet, des navires français attaquèrent les ports anglais
de Sandwich et de Rye. Ils furent poursuivis par les Anglais jus-
qu'à Boulogne-sur-mer du diocèse de Thérouanne. Une grande par-
tie de la ville devint la proie des flammes '*. Il est difficile de cons-
tater si les deux abbayes des chanoines réguliers de Notre-Dame et
de Saint- Vulmer furent épargnées.
Sur ces entrefaites, des troupes anglaises s'embarquèrent pour
le continent, afin de rejoindre Edouard en Brabant. Un détache-
ment sous les ordres du comte de Derby, entrejîrit une expédition
au Tréport, dans le diocèse de Rouen, incendia la ville ainsi que
l'abbave de Bénédictins Saint-Michel et dévasta tous les environs^.
Cette abbaye est une des premières qui subit le triste sort de tant
de centaines d'autres pendant la guerre de Cent ans. Le comte de
1. Dans Gall. christ., II, p. 883, est noté qu'il fut détruit en 1341. Mais c'était peut-
être en 1339.
2. Fhoissart, éd. S. Luce, I, p. ccx.vix suiv.
3. Dans Hemingdurgh, p. 316-326 ; Murimuth, p. 91-100. Edouard dit que Charles
défunt « masculus superstes proximior nobis nullus fuerit, et persona fcmi-
nae dicti reg:ni per jus in eodem regno servatum antiquitus non sit capax ; quod jus
regni praefati... non excludit personam niasculi per sic exclusam feminam descen-
dcntis... Ad hoc etiam per jus memoratum a regno fragilitas niuhcbris excluditur, ut
regno salubrius consulatur, et proximior masculus admittendus », etc. Et plus loin :
« nostri procuratores qui in Franciam iverant, ut pro nobis et nostro jure légitime
comparèrent, non solum fuerunt in judicio non admissi, sed etiam mortis horribilis
comminatione repulsi. Et sicnostrum aemulum memoratum factum duodecim parium
Franciae non excusât ». Il les nomme « praedones ». Murimuth donne encore l'arbre
généalogique depuis Louis IX.
4. Kmghtox, Leycestren. chronicon, éd. Lumby (1895), II, p. 9. Voy. Contin. Guill.
Nétng., II, p. 165 ; Grandes Chroniques de France, V, p. 379. Cf. encore Baker, Chro-
nicon, p. 67.
5. Chronographia regum Francorum, éd. Moraxvillé, II, p. 67. Voy. Contin. Gnill-
Nang., II, 163; Grand, chron., V, p. 377. Aussi Kmghton, 1. c, p. 10, parle d'une
expédition sous Robert de Morley en Normandie, pendant laquelle trois ports et
deux villes furent incendiés.
PKKMIÈKES INVASIONS d'ÉUOLAUD III EN 1339, I3i0 9
Derby avait fait vœu d'être le premier Anglais à dévaster les con-
trées françaises. Un autre, Gautier Masny^, originaire du Hainaut,
mais au service de l'Angleterre depuis de longues années, accom-
plit un vœu qu'il avait fait de la même manière. Il pénétra jusqu'à
Mortagne, dans l'arrondissement de Valenciennes, à la tête d'envi-
ron soixante compagnons, et mit le feu à un certain nombre de
maisons-'. En admettant qu'on pût se lier par vœu à commettre des
actions aussi barbares, il fallait s'attendre aux pires événements.
] . Les deux premières invasions d'Edouard III du côté de la
Flandre et du Hainaut.
Après avoir été en Brabant dès juillet 1338, le roi Edouard,
l'an d339, convoqua ses alliés d'Allemagne à Bruxelles"', pour le
1^'" septembre. Là, il se trouva à la tête de 20.000 hommes, tant
Anglais qu'Allemands et Brabançons. Il poussa ensuite jusqu'à
Mons, Valenciennes et Haspres et arriva le 25 septembre avec son
armée àMarcoing^, à 7 kil. S.-O. de Cambrai. Cette dernière ville se
rattachait au parti français et avait une garnison française dans ses
murs. Tout fut dévasté pendant la marche^, car depuis le commen-
cement, le feu était le constant allié des Anglais. Le roi d'Angle-
terre lui-même écrivait le l^*" novembre à son fils Edouard : « Le
lundy en la veille Saint Matheu si passâmes hors de Valenciens et
1. Tous les historiens écrivent selon les chroniqueurs «Manney», ou « Manny». ou
« Mauny », comme aussi S. Llce dans Icdition de Fuoissart. Mais déjà Tabbé Hos-
SAUT, Hist. ecclés. et profane du Hainaut (A Mons, 1792\ II, p. 114, écrivit « Gautier
de Masnuy^ célèbre chevalier de Hainaut ». Dans son Hist. de Bertrand du Guesclin.
S. Luce, p. 44, not. 1, a vu que ce chevalier était orifiinaire du Hainaut, ap|)arlenant
à la famille de Masny (Nord, arr. et c. Douai). Il avait plusieurs frères en Hainaut.
Voy. Kkoissart, I, p. ccxlix suiv. Aussi Anne, « nata nobilis viri Walleri de Many
militis, domicella Johannis de Hastings, comitis Penbrochie », était du diocèse de
Cambrai, et le comte de Pembroke avait, sans disj)ense. fait avec elle les fian-
çailles, quoiqu'elle fût parente de sa première femme « nate Eduardi re^is », Maria-
nte [Reg. Vat. Urb. V, no 257, fol. 50, ad an. 1368, l" juillet).
2. Froissaht, I, ccxxx, suiv. ; Kmchtox, II, p. 9.
3. Voy. l'Itinéraire d'Edouard, éd. par Lemoixe dans la Chron. de Richard Lescol.
p. 206.
4. Lemoixe 1. c. l'identifie à t(U't avec « Marchiennes », arr. de Douai. Du reste
voy. encore Bhuyelle, Dictionnaire topoffraph. de l'arrondissement de (Jarnhrai
(1S62), p. 211 suiv.
5. Heminguuugh dit p. 340 : « comburendo et j)raedas agendo in pajïo Cameracensi
intravit ».
10
LA GUERRE DE CE.M AKS
mesme le jour commencza homme à ardoir en Cambresin, et arde-
ront tut la semaii^ne suaunt illesques, issint qe celle pais est mult
nettement destruit, corne de bleez et de bestaille et d'autres biens.
Le samady suaunt venismes à Markevngne q'est entre Cambré et
France et commencza homme d'ardoir dedeinz Fraunce mesme le
jour Si teinsmes toutz jours nostre chemyn avaunt, noz g-entz
ardauntz destruauntz communément en large de xij lieues ad xiiij
de 2:)ais^. » Cette dernière remarque nous démontre la conduite
habituelle des Ang-lais dans leurs incursions en pays ennemi.
Cambrai résistait à toutes les attaques de l'armée du roi d'An-
g-leterre-. Mais quel aura été le sort des noml^reux couvents et
ég-lises des environs? celui des chanoines de Saint-Gér}^, Saint-
Aubert, Cantim2:)ré, des Bénédictins du Saint-Sépulcre et des autres
qui étaient hors de la ville? Car tout le pays autour de Cambrai fut
pillé et dévasté '^. En effet, quatre ans après, le doyen et le chapitre
de Saint-Géry exposent au Saint-Père que divers seigneurs, ecclé-
siastiques et laïques, leur ont causé grand dommage dans les biens
qu'ils possèdent soit dans l'Empire, soit en France. En outre,
disent-ils, pendant la dernière guerre, des 12 hameaux, d'où ils
tiraient leurs revenus, un et demi seulement est resté, les autres
ont été brûlés et dévastés^. De même, le prévôt, le doyen et le
chapitre de la cathédrale se plaignent de l'oppression de leurs biens
dans l'Empire et en France ; mais spécialement des dommages,
incendies et pillages subis pendant la guerre. Comme ceux de
Saint-Géry, ils demandent un conservateur^.
Sachant que le roi Philippe avait rassemblé ses troupes à Péronne
en Yermandois, le roi d'Angleterre leva le siège et dirigea son
armée vers la France. Les premières provinces françaises envahies
J. Rob. de AvESBLRY, De (jestis mirabil. reg. Edwardi, éd. TiiompsOiX, p. 30 i suiv. ;
Kmghtox, p. 10, traduit seulement les paroles du roi.
2. Voy. Arch. hist. du Nord, S" série, t. IV, p. 184.
3. Hemingbuhgh, 1. c.
i. Siippl. Clem. y/, n" 4, fol. 162'' : «Decanus et capitulum S. Gaugerici » racontent
l'oppression et l'incendie « tempore guerrarum, maxime cum in duodecim ^illis
earumdem partium redditus ipsorum consistèrent, ex quibus non remansit nisi una
cum dimidia, quinymo miserabiliter alie fuerunt combuste et penitus dilapidale ; in
super (nounulli) in bonis suis aliis et juribus ad dictam ccclesiam nostram speclanti-
bus multiplicitei" afïligerunt... » (ad an. 1344, Jan. 31j.
5. Suppl. Clem. 17, n° 4, fol. 210'', ad an. 1344, Febr. 21.
PKEMIÈKES Ï.WASIONS D EDOL AllD 111 E> 1339, 1340 11
par les Anglais pendant la guerre de Cent ans, furent le Verman-
dois et la Thiérache, avec les diocèses de Cambrai, Noyon etLaon,
c'est-à-dire le département de l'Aisne actuel. Le 9 octobre, le roi
d'Angleterre marchait vers le Vermandois * et occupait successive-
ment les abbayes de Mont-Saint-Martin (Prémontrés) et de Vau-
celles (Cirsterciens), toutes deux dans le diocèse de Cambrai, puis
celles de Fervaques (Cirterciens) dans le diocèse de Noyon et de
Bohéries (Cisterciens) du diocèse de Laon. Le gros de l'armée
anglaise était campé entre ces deux armées. L'arrière-garde, sous
Jean de Hainaut, qui déjà avait voulu surprendre, mais vainement,
l'abbaye des Bénédictins de Honnecourt, du diocèse de Cambrai,
sans commission de son neveu, Guillaume de Hainaut, alors rallié
aux Français, passa sous l'abbaye de Vermand (Prémontrés), dio-
cèse de Noyon, et mit le feu aux faubourgs de Saint-Quentin en
Vermandois où était l'abbaye bénédictine de Saint-Prix, qui eut
beaucoup à souffrir ~. Jean parcourut ensuite la Thiérache, en sacca-
geant et réduisant en cendres Origny, Marie et Guise •^. L'abbesse
et les religieuses bénédictines d'Origny, du diocèse de Laon, se
réfugièrent dans la forteresse de Ribemont avec leurs reliquaires et
leurs biens ; la ville avec le monastère (( ait resté arse et des-
truite ^ », et encore Ribemont et tous les environs jusqu'à dix lieues
à la ronde ^'•. L'exemple des Anglais sous Jean de Hainaut fut suivi
partout ailleurs par les autres^. Les gens d'armes parcouraient tout
le pays, qu'ils trouvaient riche et abondant en ressources, car il n'y
avait plus eu de guerre depuis longtemps. Cette fois, tout fut
1. Hemingburgh, p. 341.
2. Froissart, p. ccxxxv suiv., et p. 171 suiv. ; Hossart, p. 116.
3. Voy. Chrono(f7\, II, p. 230, not. 3. L'abbaye nommée de Saint-Barlhclemy
(chan. rég.) près de Noyon fut sans doute atteinte seulement dans ses terres.
4. FnoissART, p. ccxxxiv, et note 3. Chronogr., p. 82. Une autre version dil (|ue
l'abbesse fut violée (Froissart, p. 171). IIemixgburgh dit 1. c., qu'Edouard fut à
Origny « die S. Calixti » (le 13 octobre). Il y était encore les jours suivants. A'oy.
Titinéraii'e dans Lkmoixk.
5. Hemingburgh, p. 341.
6. « (^omburendo patriam », dit la Chronogr., p. 82. « Rex Angliae partem non
modioam Thcrcchiac incendit ac praedatus est», Conlin. Guill. de Xang., II. p. 104.
Robert de Avksbury donne au cliai)itre l'inscription : « Qualiler rex Anglorum devas-
tavit patrias de Cambersyn et Vermandoys regni Franciae ». Ibid., p. 303. Murimuth
dit p. 102 : (( Comburens et destruens villas et castra circunupiaciue ». R. IIigdkx
[Polgchron.. éd. Lumuy, VIII, p. 334) ; « Boréales partes Francie usque ad Tor-
naciim incendit et vasla\ it ».
12 LA GUERRE DE CE>T ANS
brûlé, pillé, dévasté ', et, comme dit Hemingbiirgh, « per sex mil-
liaria '^ ». L'avant-garde, sous l'évêque de Lincoln, brûla Mov, Ven-
deuil, La Fère et la ville de Saint-Gobain, pénétra dans la terre du
seigneur de Coucy et vint jusqu'à Bruyères (près de Laon), où les
soldats mirent le feu. Le gros de l'armée, à la nouvelle de l'ap-
proche du roi de France, s'avança dans la direction de Fesmy-
r Abbaye (Bénédictins, au diocèse de Cambrai), de Buironfosse, de
la Capelle et de la Flamengrie. Ces deux bourgs appartenaient à
Tabbaye de Saint-Denis en France ; ils furent brûlés ainsi que toutes
les villes ouvertes, et leurs biens dévastés ^. Les Allemands
alliés pillaient et brûlaient Hirson, Boue, et chevauchaient jusqu'à
Nouvion en Thiérache ; les habitants cherchaient avec leurs biens
un refuge dans la forêt du Nouvion, et s'y cachaient derrière des
monceaux de branchages et de troncs d'arbres abattus ^ Le pays
était si dévasté par les Anglais et les alliés, que la grande armée
des Français (on dit de 70.000 hommes) qui, sous le roi Philippe,
à Buironfosse était opposée aux 20.000 Anglais et alliés à la Fla-
mengrie, manquait de vivres et souffrait la faim^. Alentour s'éle-
vaient des nuages de fumée sortant des hameaux incendiés '', dont
environ 2.017, y compris les châteaux, furent détruits"^.
On devine aisément quel fut le sort du peuple durant ces incur-
sions et ces rapines, La veuve Ysabelle la Quarellière de Prémont,
au diocèse de Noyon, avait tout perdu par la guerre et les incendies,
et, dénuée de tout, elle demande à être recueillie avec ses sœurs
dans la léproserie, près de Meaux ^.
On n'en vint pas aux mains '^ ; les deux adversaires se retirèrent :
1. FrOISSAUT. J3, ccxxxvii.
2. L. c, p. 345.
3. Chronogr., p. 82, not. 6. Voy. Fhoissart. p. ccxl.
4. FUOISSAHT, 1. c.
5. Chronocfr., p. 84.
6. Ja.\ de Kleuk, Van den derden Edewaerl, Gent 1840, v. 665 :
Nochtan so vloech hem, des geloeft,
Die roec dagelijcs over thoeft.
7. Ordonnance des Anglais à la Flamengerie dans Froissart, éd. Lettexhove, X^'III,
p. 93.
8. Suppl. Clem. 17, n" 11, fol. 79, ad an. 1346, Jul. 1.
9. Sur la cause de ce fait, il y a deux explications opposées, 1 une empruntée aux
sources anglaises, et l'autre aux sources françaises. Selon la première, le roi d'Angle-
terre ofl'rit la bataille au roi de France qui réclama toujours un nouveau délai,
encore le 24 octobre. Mais Philippe, voyant les Anglais ordonnes en trois colonnes.
PREMIÈRES INVASIONS d'ÉDOUARD îH EN 1'iS9, l'^U) 13
Edouard s'en alla d'abord à Bruxelles, où il était déjà le 28 octobre,
et en Flandre conclure avec les Flamands un traité contre la France,
puis de là en Angleterre; Philippe retourna à Paris.
Quoique je ne mentionne pas les faits en dehors du sol français,
je dois ajouter à cause des événements qui en furent la suite, que le
roi Philippe, en 1340, prit sa revanche contre ce même Jean de
Hainaut qui avait dirigé l'invasion anglaise en France et avait
ravagé le Cambrésis et la Thiérache. Par son ordre, plusieurs
seigneurs à la tête d'environ mille armures de fer envahissent la
terre de Ghimay, surprennent les faubourgs de la ville, s'emparent de
douze mille blanches bêtes, de mille porcs, de cinq cents vaches et
bœufs. Puis, mettant le feu aux faubourgs, ils parcourent tous les
pays des environs et brûlent plus de 17 localités ^ La garnison
française de Cambrai fit également des courses, et entre autres, elle
pilla la ville de Haspres (Nord, arr. Valenciennes, au diocèse de
Cambrai) et la prévôté des Bénédictins dépendant de Saint- Vaast
d'Arras. « Le pillièrent li Français et robèrent et puis boutèrent le
feu dedens et le ardèrent moult villainement -. » En revanche plus
tard, les Hainuyers dont le comte Guillaume était devenu l'ennemi
des Français, pillèrent et brûlèrent non seulement le Cambrésis mais
ils s'avancèrent en incendiant, jusque devant Aubenton (Aisne) du
prêts à la bataille, fut découragé et leva le premier son camp, le 2i octobre, en se
retirant à Saint-Quentin. Edouard en avait la nouvelle le 25 octobre. HEMixonuRon,
p. 345-318, qui décrit au long- le mou\ement et la position des Anglais; Muuimith,
p. 102 suiv. ; Knighton, p. 11-13 ; voy. encore Jan de Klerk, 1. c, v. 797. Le roi de
Finance aurait dit qu'il ne voulait pas être un fou comme le roi d'Angleterre et com-
promettre sa couronne par le jeu d'un jour. Selon la seconde explication (dans la
Contin. Guill. Nanff., II. p. 165; Chronogr., II, p. 84; Chron. normande, p. il suiv.;
Chron. de Richai'd Leacol, p. 49; Fstore et croniqiies de Flandres, éd. Kehvvn de
Lettemiove, t. I, p. 375 suiv.), c'est Edouard qui profita du nouveau délai réclamé
par Philippe, pour lever le premier son camp le soir même de 22 octobre. Fugissart,
p. ccxLv, ne contredit pas, bien que, pour les faits pi'écédenfs, il soit plutôt favorable
au roi d'Angleterre. De ces deux explications, laquelle est la vraie? C'est difficile à
dire. Mais l'explication anglaise admise, nous trouvons Philippe toujours semblable à
lui-même, soit à Bouvines, en 1340, soit en laissant échapper Edouard en 1346 à
lîlanquetaque, soit en 1347, levant son camp précipitamment près de Calais. Du reste,
en 1339, les alliés se reliraient comme Edouard même après la retraite des Fran-
çais, et c'était plutôt une défaite des Anglais que des Français qui n'ont rien perdti.
Si je ne me trompe pas, c'est la première fois que cette divergence est signalée.
Généralement, on ne connaît ni Murimuth, ni Hemingburgh, ni Jan de Klerk.
1. FiioissAUT, I, p. ccxLviii suiv.
2. Froissaht, p. 195.
14 LA GUERRE DE CENT ANS
diocèse de Laon, laquelle Aille fut prise K Une autre fois ils rava-
gèrent la Thiérache. Plus de quarante villages ou hameaux furent
pillés et brûlés dans cette campagne ~.
Le roi Philippe était irrité non seulement de la destruction
d'Aubenton et du ravage de la Thiérache, mais encore de l'alliance
des Flamands avec le roi d'Angleterre. C'était aussi sur leur conseil
qu'Edouard avait pris le titre de roi de France. Philippe donna
l'ordre d'aller contre les Hainuyers et les Flamands et de porter le
ravage dans leurs pays.
L'invasion du Hainaut était commandée par Jean, duc de Nor-
mandie, et lui aussi donnait l'ordre de porter partout l'incendie et le
ravage. Les Français étaient divisés en plusieurs corps d'armée et
ils couraient dans toutes les directions brûlant et dévastant. Plus de
cinquante villes et villages furent ravagés dans les régions ^ qui
appartiennent aujourd'hui au département du Nord et faisaient alors
partie du diocèse de Cambrai. Une abbaye de ce diocèse, celle des
Cisterciennes de Fontenelles ^, devint aussi la proie des flammes.
Ce monastère, où la sœur du roi Philippe, veuve de Guillaume P'"
de Hainaut, était religieuse, succombait encore sous le poids
d'autres misères ^.
En attendant, Edouard quittait l'Angleterre le 22 juin ^ de la
1. Froissart, I, p. 202, dit que des assiégés se ramassaient après la prise de la vilie
« devant le nioustier ». S. Lt;ciî, traduit p. ccliv : <( devant l'abbaye ». mais il a tort.
A Aubenton il n'y avait pas une abbaye. « Moustier » signifie souvent dans les Chro-
niques du moyen âge seulement une église remarquable, ou l'église principale, comme
en allemand « Munster ».
2. Ibid. Récils d'un Boiircjeoia de Valenciennes, éd. Krrvyx ue Lettexhove (1877),
p. 173 suiv.
3. A'oy. les noms, dans Froissaht, II, p. vu sui\'.
4. Ibid., p. XI.
5. Suppl. Clem. VI, n° 3, fol. 27'\ ad an. 1343, Novemb. 7 :
« Supplicat S. V... Jolianna de Valexio, monialis mon. de Fontenellis vestri Cis-
tercien. Ord., cum in dicto mon. olim taxatus fuerit numerus personarum, de certo
numéro non excedendo, vallatus per juramcnta singularum personarum ejusd. mon.,
non retento quod pater abbas aut générale capitulum ejusd. Ord. super hoc dispen-
sare valerent,quod diebus istis considerata malitia temporum et guerrarum monaste-r
rio... et multis aliis monasteriis ejusdem Ord. vergit in... non modicum detrimentum.
[Supplicat ut committat abbati de Claravalle ut super juramento dispensare valeat.]
— Fiat sed super hoc ejus conscientiam oneramus. »
6. « Die jovis ante festum Nativitatis S. Johannis Bapt. (22 juin)... incepit féliciter
navigare », Murimuth, p. 103, Hemixgblrgh, p. 355, not. 3; Baker, p. 68. Voy. Nico-
las, A Ilistory of the royal iiavy,ll,p. 48 suiv. S. Luge dans l'édition de Froissart, II,
p. XVI, not. 5, dit à tort « 23 juin ». Ce jour le roi est arrivé sur la côte de Flandre
PREMIKP.ES INVASIONS D'ÉDOrARD 111 EN ]'XM), ]'Mi) W)
même année pour reprendre la p^uerre avec la France. La flotte
française, composée de 200 vaisseaux ^, voulut l'empêcher de débar-
quer près de l'Ecluse. La bataille navale fut perdue par les Français
le 24 juin ; plus de 30.000, dit-on, y périrent ^ ; presque toute la
flotte tomba au pouvoir des Anglais ^. Les ennemis des Français
furent comblés de joie à cette nouvelle. « Quiconque parle la langue
allemande, se réjouit à la nouvelle de cette victoire », chante
Jan de Klerk de Gand '^ Cette victoire rendit Edouard III absolu-
ment maître de la mer pendant une trentaine d'années ^. Il résolut
de s'emparer à la fois de deux clefs de la France : il alla lui-même
mettre le siège devant Tournai, et envoya Robert d'Artois à Saint-
Omer. Quelque temps auparavant, Jacques d'Arteveld avait déjà fait
une première tentative contre Tournai. Hemingburgh nous décrit les
actions du roi d'Angleterre : « villas nonnullas incendio déforma vit,
blada vastavit, prœdas egit » ^\ Le siège de Tournai, commencé
entre le 20 et le 23 juillet ~, traînant en longueur, le comte
de Hainaut ravage et brûle quarante villages des environs, parmi
lesquels l'abbaye de Cysoing (chan. régul.) du diocèse de Tournai ''^.
Les Français de la garnison de Saint-Amand pillent et brûlent le
village et l'abbaye d'Hasnon (Bénédictins) au diocèse d'Arras, et
essayent d'incendier celle de Vicoigne (Prémontrés) du même
diocèse ^. En revanche, le comte de Hainaut, voulant ravager tout
le pays pour que les Français n'y trouvassent plus rien, alla, le
1*^'" août, s'emparer avec sa cavalerie des villes d'Orchies, de Landes,
de Lincelne, les pilla et y mit le feu ; le 3 août, il entreprit de
devant Blanqucnbcrg. Voy. Muiumuth, 1. c; Hcminodurgh, 1. c; Bakkr. 1. c; lettre
d'Edouard du 28 juin à son fds dans Delpit, Coll. cfénérale des documenls, etc.,
n" 132, La bataille eut lieu le 24 juin. Voy. Nicol.\s, 1. c., p. 51, et la note de Thomp-
son dans lÎAKKn, p. 2 i3. *
1. IlF:MiN<;uuur;ii écrit : « cuin GCL navibus ».
2. Ainsi Kdouard dans Df.limt, 1. c, et Chronoc/r., p. 122. MtniMTTU, p. 109. dit :
« XXV millia occisorum »; Bakrh, p. 69 et Kxightox, p. 18 donnent le même nombre.
3. Lettre d'Edouard du 28 juin à rarchevcquc de Cantcrbury dans IlKMixdinnoH,
p. 358. Voy. Chronogr., p. 123.
4. L. c, V. 1303.
5. S. LucK, La France pendant la cfiierre de Cent ans, 2« éd. (1890\ p. 5.
6. IlEMIXOnURGH, p. 360.
7. Voy. ritinéraire dans Lhmoixe, Chvon.de Richard Lescot, p. 207.
8. Froissart, II, p. XXI suiv. Dans le Cartulaire de Vahbaye de Cysoincf, éd. Cous-
SEMAKER (Lille, 1883) on cherche en vain ce fait.
9. Froissart, 1. c, p. xxn ; Chronoyr., p. 140.
H) LA GUERRK DE CENT ANS
ruiner Tabbaye de Saint-Amand (Bénédictins) du diocèse de Tournai ;
l'abbaje et la ville furent réduites en cendres K Ils « brisièrent toutes
les cloches, dont ce fut damages, car il y en avait moult de bonnes
et de mélodieuses'^ ». L'abbé lui-même décrivait quelques années
plus tard la grande misère de son monastère entièrement appauvri
et détruit : 20 hameaux, 32 fermes et granges d'où les religieux
tiraient leur subsistance, étaient dévastés ; les blés, les bestiaux et
d'autres denrées avaient été enlevés, de sorte que les moines en
étaient réduits à vivre de la charité publique ^.
En même temps les alliés valenciennois du comte de Hainaut
avaient détruit l'abbaye des Prémontrés Château-l'abbaye au diocèse
d'Arras; « ils violèrent et desrompirent trop diviersement l'abbeie
de Gastiaux, dont ce fut 23itéz '* )>. En retournant au camp d'Edouard
devant Tournai, le comte de Hainaut s'empara de la grosse et riche
abbaye de Marchiennes (Bénédictins) au diocèse d'Arras. Plusieurs
moines furent pris, l'abbaje fut pillée, et le comte ne se retira
qu'après avoir tout livré aux flammes ^.
Pendant le siège de Tournai, les Anglais et leurs alliés, écrit un
chroniqueur anglais, dévastèrent par le feu après les avoir pillés,
plus de 300 villages ou plutôt hameaux dans les environs ^. Le roi
1. HossART, Hisl. ecelés. etprofane du Hainaut, II, p. 128.
2. Chron. de Gilles li Muisis, éd. de Smet {Corp. Chi'on. Fland., II, 226). Faoïs-
SART, 1. c, p. 70, Chronogr., 1. c. Le Bourgeois de Valenciennes, p. 18i. parle de 17
cloches emportées.
3. Suppl. Clem. V7, n" 11. fol. 5i : Significant S. V... abbas et conventus monaste-
rii Sancti Amandi in Pabula, ord. S.B., Tornacen. dioc.,afflicti multipliciter et depau-
perati totaliter, quod nionasterium ipsum propter guerras durissimas que inter domi-
nos Francie et Anglie reges in illis partibus presertim circa dictuni nionasterium
atrociter viguerunt, est desolatum totaliter et destructum, viginti ville et triginta due
cartes et domus seu grangie ipsius monasterii, ex quibus ipsi oratores vestri in victu
et vestitu sustentabantur, nec non terre et possessiones ipsarum propter exercitus
dictorum regum totaliter sunt consumpte, blado, animalibus et aliis rébus mobilibus
in eisdem existentibus in predam positis et abductis,ita quod nionasterium ipsum est
totaliter casui et ruine irreparabili expositum, nisi per favorem sedis apostolice suc-
curatur et etiam sublevetur. Quare huniiliter supplicant quatenus ut aliqualiter
A aleant respirare ac fideliuni mentes ad compassionem erga eos fortius accendantvu'
et etiam nio\eantur. [indulgentie]. Dat. apud Villamnovam, Avenion. dioc, X kal.
Julii anno quinto (an. 1346, Jun. 22). L'abbaye bénédictine de Saint-Martin à Tour-
nay subit alors plusieurs fois des pertes semblables. Voy. Gilles li Muisis, 1. c, p. 226.
i. Froissart, p. 218.
5. Ibid., p. 70; Chronoyr., yt. 142; Bourgeois de Valenciennes, p. 185. IIossart. 1.
c, p. 129.
6. AvEsBiRY, p. 317. Je ne cite pas pour tout cela Thom. Wat.sixgham, Hist. Angli-
cana, parce qu'il a seulement copié les auties.
PREMIÈRES INVASIONS d'ÉDOLARD IH EN 1339, 1340 il
Philippe, qui se tenait avec son armée sur les bords de la petite
rivière la Marcq ^, au pont de Bouvines, ne les empêcha point.
Ni Edouard devant Tournai, ni Robert d'Artois devant Saint-
Omer n'arrivèrent à leurs lins. Le premier, a^^rès avoir conclu une
trêve d'un. an, leva le 27 septembre le sièg-e qui avait duré huit
semaines; le second fut battu ~. Mais le pays fut dévasté partout, et
notamment les faubourgs de Saint-Omer furent brûlés ^\ Sans doute
qu'aussi, l'abbaye cistercienne de Glairmarais près Saint-Omer, trop
exposée aux ennemis, eut déjà alors, comme les années suivantes,
beaucoup à souffrir ^.
De ces deux invasions, ni les Anglais ni leur roi ne retirèrent le
moindre avantage. Mais beaucoup de domaines, d'établissements
religieux et d'églises furent pillés et brûlés, beaucoup de terres, de
fermes, de censés furent dévastées comme celles de l'abbave cister-
cienne de Loos, du diocèse de Tournai ^.
En d'autres endroits encore qui ne sont pas mentionnés plus haut,
il y eut des monastères détruits lors des incursions ennemies. Ainsi
les religieuses de S. Dominique, établies hors des murs de Lille, au
diocèse de Tournai, se plaignirent en 1345 de ce que pendant les der-
nières guerres, leur monastère était devenu par cinq fois la proie
des flammes et que leurs murs menaçaient de tomber en ruines.
Il est certain qu'il fut brûlé au moins une fois par les comtes de
Salisbury et de Suffolk, quand ils attaquèrent la ville de Lille en
avril 1340 ^. Le roi Philippe s'employa si bien en faveur des reli-
gieuses, qu'elles furent reçues dans l'intérieur de la ville ''.
1. Froissaht, p. x.\\-. Ja\ de Kleuk, Van den derden Edeivaerl, v. 1635, dit « Tus-
schen II rivieren ».
2. Voy. sur cela G7\indes chron., V, 390 suiv. Murimuth, p. 108 au contraire écrit :
« finalis Victoria remansit cuni domino Robcrto et suis, per adjutorium et audaciam
Anglicorum ».
3. FllOlSSAUT, p. XXX.
4. De Laplane, Les nbbès de Clnirmarais, est très incomplet et superficiel.
5. Voy. De Ros.w, Hist.de Vabbaye de iV.-D. de Loos, p. 58.
6. Voy. Chronûffr., p. 98 à 104; Muiumuth, p. 104; Bakeh, p. 67.
7. « Propter impctum et incursum guerrarum in illis partibus... quinquies fuit
idem monasterium flanimis et ignibus concrematum et in mûris suis quasi radicitus
extirpatum ». Reg. Vat. Clein. VI, n° 172, fol. 183'', ad an. 1345, Jul. 30.
R. P. Denifle. — Desolatio ecclesiarura II.
48 LA GUEKKE DE CENT ANS
2. La (jucrrc de la succession de Bretagne Jusqu^à la mort de
Jean de Mont fort.
.le dirai quelques mots seulement sur la cause de la célèbre guerre
de la succession de Bretagne qui devait se prolonger pendant vingt-
trois ans. Jean III, duc de Bretagne, étant mort le 30 avril 1341,
ne laissait pas d'héritier direct, mais seulement une nièce, Jeanne de
Penthièvre, fille de Gui de Bretag-ne, comte de Penthièvre (frère
puîné et germain du duc Jean III) et un frère cadet et consanguin,
Jean de Bretagne, comte de Montfort. Jeanne de Penthièvre était
mariée à Charles de Châtillon, dit de Blois, fils de Gui, comte de
Blois. Jean de Montibrt se mit aussitôt sur les rang-s pour revendi-
quer la succession, mais Jeanne de Penthièvre invoqua le droit de
représentation qui régit en Bretagne la succession des nobles. Les
filles n'étaient point exclues du droit de succession au trône ducal,
et c'est pourquoi Jean de Montfort ne pouvait faire valoir le prin-
cipe de l'hérédité masculine K Les deux partis soumirent la question
à leur suzerain, le roi Philippe de France. Celui-ci reconnut, le 7 sep-
tembre, Charles de Blois -^ comme successeur du duc Jean III, à
l'exclusion de Jean de Montfort.
Les hostilités proprement dites commencèrent seulement à partir
de cette époque entre les deux prétendants. Jean de Montfort avait
pour lui la Bretagne bretonnante ; c'est-à-dire les diocèses de Saint-
Pol-de-Léon, de Quimper, la partie occidentale du diocèse de
Vannes ^. Charles de Blois ^ avait l'appui de plusieurs seigneurs de
Bretagne, et celui du roi de France.
Un triste fait saute aux veux dès le commencement de cette
guerre et il se reflétera maintes fois pendant sa durée de cent ans :
c'est que Jean de Montfort irrité appelle à son secours dans le pays
1. Sur celte question, voy. cloni Plai.mî, Ln guerre de la succession de Breliujne
(Nantes 1886), p. 8 suiv.
2. MouicE, Mém. pour servir de preuves h Vhisloire de Bretagne, I, col. 1 â2l suiv.
3. JiîAN DE Venette dit : « Habebat magnani partem Britanniae britannizanlis pro
se, et aliquos barones Britanniae, sed non onines, nani doni. Karolusde Blesis plurcs
pro parte sua de nobilibus obtinebat » [Cont. Guill. Nting., II, p. 188). S. Luce, Ilist.
de Bertrand du Guesclin (Paris 1876), p. 32.
4. Duquel S. Luce, p. 38 suiv, trace un beau portrait.
LA GUERRE I':N fiRETACiiNE, 1342 à iliii) 19
les ennemis les plus acharnés de la France. On peut expliquer ce
fait, mais jamais l'excuser. Néanmoins, jusqu'à la mort de Jean de
Montfort, en 134*), le théâtre de la guerre était limité aux diocèses
de Nantes, de Rennes, de Vannes et de Quimper et s'étendait encore
dans une partie de celui de Saint-Pol-de-Léon '. Jean de Montfort
s'était emparé de Nantes; sa femme, l'audacieuse et ])elliqueuse
Jeanne de Flandre, exerçait une grande influence sur ses entre-
prises. Le roi de France, toutefois, soutenait Charles de Blois en
engageant le duc de Normandie, le comte d'Alençon, les ducs de
Bourgogne et de Bourbon, Louis d'Espagne ainsi que d'autres sei-
gneurs, à rassembler une armée près d'Angers. Celle-ci, forte de
8.000 hommes entra en Bretagne, prit au mois d'octobre Champto-
ceux et Carquefou qui fut pillée et à demi-brûlée. Ensuite, on mit le
siège devant Nantes où s'était enfermé Jean de Montfort, après
avoir laissé sa femme à Rennes. A l'insu de celui-ci, quelques
bourgeois ouvrirent secrètement une porte de la ville aux Français
qui y pénétrèrent au mois de novembre. Jean de Montfort fut fait
prisonnier et amené à Paris par le duc de Normandie. A cette nou-
velle, la comtesse Jeanne de Montfort renforça partout les garni-
sons, surtout à Rennes -.
Au printemps de l'année 1342, l'armée française marchait
devant Rennes. Le capitaine de la ville, Guillaume de Cadoudal, fit
mettre le feu aux faubourgs afin de pourvoir aux nécessités de la
défense ''^. A cette occasion, l'abbaye des Bénédictines de Saint-
Sulpice, avec ses dépendances, fut ruinée parles Anglais. La guerre,
jointe aux conflits, avait tellement appauvri le monastère que les
religieuses, accablées de dettes, ne savaient comment se libérera
Au commencement de mai, la ville se rendit à Charles de Blois.
Après quoi il alla assiéger Hennebont, au diocèse de Vannes, où la
1. J'avertis le lecteur qu'il y a clans les Chroniques une grande confusion au sujet
de cette guerre. On est souvent mieux informé, surtout pour les dates, parles sources
anglaises.
2. FiioissAUT, II, p. xxxix suiv.
3. IbiiL, p. 352.
4. Perrone, Tabbesse du monastère écrit : « quod dicluni monasteiium tam proj)-
ter guerras patrie notorias, quam lites graves énormes et inevitabiles monasterii et
niendoroi'um ejus est adeo gravi onere debitorum oppressum, quod facultates ejus
dem monasterii non suppetunt »> etc. Becf. Val. Cleni. VI, n" 172, fol. 193'', ad an-
13i5, Novemb. 3. Voy. plus loin, le chapitre III. au paragraphe 1.
20 LA GUERRE DE CENT ANS
comtesse Jeanne de Montfort s'était enfermée avec ses principaux
partisans'. Mais ce fut en vain, car quand le secours d'Edouard III
imploré par Jeanne, arriva sous Gautier de Masnv^^ Louis
d'Espagne, au nom de Charles de Blois fut forcé de lever le siège.
Par les ordres de Charles de Blois, Louis d'Espagne s'empara de
quelques villes, entre autres de Guérande, au diocèse de Nantes.
Les habitants furent passés au fd de l'épée, cinq églises, violées et
brûlées, tout fut livré au pillage •^. Mais il lui en arriva malheur.
Après que ses gens ou ses alliés eurent ravagé et brûlé la Bretagne
bretonnante, notamment les environs de Quimperlé, de Quimper-
Corentin, de Saint-Mathieu (au diocèse de Saint-Pol-de-Léon),
Gautier de Masny leur livra près de Quimperlé une bataille dans
laquelle Louis de la Cerda fut complètement battu ^. Au cours des
ravages exercés par les troupes de ce capitaine, au moins deux
abbayes de Bénédictins eurent à souffrir : Sainte-Croix de Quim-
perlé ^ et Saint-Mahé, laquelle abbaye fut tellement ruinée, que les
revenus des moines ne suffisaient guère pour la restaurer^.
On voit que les partisans de Charles de Blois savaient ravager
comme les autres. Il en fut de même de la garnison de la Roche-
Periou (Morbihan) composée de Bourguignons qui ravagaient et
pillaient tout le pays jusques vers Vannes et Dinan ', dont les fau-
bourgs furent brûlés par les Anglais sous le comte de Salisbury
dans le courant de l'année 1342^. Charles de Blois s'empara
d'Auray (au diocèse de Vannes) et de Vannes ^.
1. FkOISSART, p. XLVII.
2. Voy. MuuniLTH, p. 125; Kmghtox, II, p. 53; Froissart, p. xi.vii suiv.; Luce,
Guesclin, p. 44 suiv.
3. Froissart, p. 157.
4. Froissart, p. lui, suiv. Voy. Nicolas, A Ilisiory of Ihe royal navy, II, 73.
5. Placide le Duc, Histoire de l'abhaye de Sainle-Croix de Quimperlé (éd. Le
Men), p. 297, ne donne pas de détails.
6. Jeanne, duclicsse de Bretagne, raconte dans sa supplique au pape : « abbatia...
S. Mathci in Finibus Terrarum Léon. dioc. in tantuin dainpnificala est propter guer-
ras, quod vix absque alio juvamine reparari poterit aut ad statum sufïicientem
reduci ». Elle demande que le nouvel abbé Yves Forestier reçoive la faculté de
retenir le prieuré de Méron aii diocèse de Poitiers, où il était prieur [Siippl.
Clem. VI, n" 18, fol. 84, ad an, 1350, Maii 12j.
7. Froissart, p. xlix. Les chroniqueurs écrivent : « Dinan ». Mais Mora> ville,
Chronogr., p. 174, not. 3, propose Guignan, aujourd'hui « Guéméné-sur-Scorth »
(Morbihan).
8. Voy. Lemoixe dans la Chron. de Richard Lescot, p. 59, not. 1, et p. 230.
9. Froissart, p. lui.
LA GUERRE EN RRETAGNE, 1342 à 134^) 21
Un épisode intéressant de ce siège nous est conservé dans les Suppli-
ques. Louis, le fils aîné de Gui, comte de Blois, faillit être tué devant
Vannes. Du haut des murailles de Vannes, un des assiégés lançait
continuellement des pierres contre lui et son entourage, jusqu'à
ce qu'il en fut empêché par une flèche qui le renversa à demi-mort.
Après qu'une seconde flèche l'eut achevé, on s'aperçut que c'était
un prêtre ^ Louis lui-même succomba plus tardàCrécy. De la sup-
plique citée, il s'ensuit que Vannes fut prise avant le 31 mai-.
Des secours envoyés par Edouard d'Angleterre vinrent successi-
vement en Bretagne dans le courant de l'année 1342. Une nouvelle
flotte anglaise de 260 vaisseaux débarqua le 18 août près de Brest -^i
sous Robert d'Artois et le comte de Northampton, nommé lieute-
nant d'Edouard en France et en Bretagne '^ La comtesse de Mont-
fort était renfermée dans Brest et assiégée par Charles de Blois,
mais les Anglais la délivrèrent bientôt^. Le comte de Northampton
poussa jusqu'à Morlaix; dévastant la région qui ne voulait pas se
1. Supplie. Cleni. V/, n° 1, fol. \^^ (in-2» parte), ad an. 1342, Maii 31 : S. V. signifi-
cat... Gcrardiis de Ulmis, illustrium... régis Francie et ducis Normannie clericus,
qiiod cum ipse per illustriss. . . . reginani Francie ad dom. Ludovicum fdium primo-
g-enituni comitis Blesen. et alibi super certis missus (negotiis), eundem dom. Ludo-
vicum in gu erra Britanie coram civitate Vaneten. in confïictu eam debellando inve-
nisset, et ibidem dictus supplicans inermis existens, quemdam hominem supra muros
ad menia dicte civitatis lapides dire et fortiter contra dictum dom. Ludovicum et
secum existentes conspiceret jacientem, quorum ictibus prefatum dom. Ludovicum
projecerat jam ad terram, ipsum hominem sic jacientem predictus supplicans cui-
dam balisterio dicti dom. Ludovici ostendit, quem hominem dictus balisterius sagita
seu cadrcllo ad terram vulneratum projecit, non tamen vulnere mortali; sed cum
captus duceretur, casu fortuito (sine facto et culpa supplicantis) altéra sagita letali-
ter vulneratus expiravit, qui mortuus post repertus est sacerdos fuisse. Et cum sup-
plicans de facto predicto occulto in foro conscientie absolutus existât... [petit dis-
pensationem ab irregularitate] ».
2. Par conséquent l'assertion de Morice, Hist. de Bretagne., I,p. 248, est fausse, que
le siège de Vannes commença après juin.
3. MuniMUTH, p. 125 : « In vigilia S. Laurentii (9 août) ventum prosperum (apud
Portesmouth) expectantes, et in vigilia Assumptionis (14 août) navigare coeperunt ».
P. 126 : « Dominica infra oclavas Assumptionis (le 18 août) venit (comes de North-
ampton) prope litus Britannie juxta castrum et villam vocatam Brast, ubi fuit dic-
tum castrum et villa obsessum, tam per mare quam per terram, in quo fuit duchissa
cum libei'is suis, per mare vid. per XIIII galeas maximas et bene munitas, et per
terram per comités de Bloys, Sabaudiae et de Foys ». Ainsi Froissart, III, p. ii suiv.
reste corrigé. Ce n'était pas aussi à Vannes, comme dit Froissart, mais devant Brest
que la flotte a jeté l'ancre.
4. Le 20 juillet. Rymer, Fœdera, II, 1203.
5. MuRiMUTn, 1. c.
22 LA GUERRE DE CE M' ANS
rendre, il assiég-a cette ville et attendit de nouvelles forces. Sur
ses entrefaites arriva Charles de Blois avec une énorme masse de
troupes et le 30 septembre on en vint aux mains. Cinq à six cents
Anglais luttèrent contre quatre à cinq mille Français ; la bataille fut
très acharnée, aucun des partis ne voulant céder. Enfin les Anglais
restèrent vainqueurs, après avoir tué beaucoup de Français et fait
un grand nombre de prisonniers parmi lesquels Geofl'roy de Charny ;
mais, malgré leur victoire, les Anglais aussi étaient épuisés '.
Le 23 octobre, Edouard s'embarqua lui-même à Portsmouth - et
débarqua le 27 dans le port de Brest '^K II traversa avec douze
mille hommes le centre de la Bretagne, s'emparant successive-
ment en personne ou par ses lieutenants de Carhaix, le Faouët, la
Roche-Periou, Pontivy et Rohan '\ tandis que Ploermel, Malestroit
et Redon se rendaient à Edouard, comme celui-ci l'écrit à son lils ^.
Descendant à Grandchamp, il vint camper devant Vannes, où il
était déjà le 5 décembre. Le roi envoya le comte de Northampton
devant Nantes ". Comme l'aiïirme Froissart, un détachement de
forces anglaises, sous les ordres des comtes de Salisbury, de Pem-
broke et de Suffolk, avait déjà mis le siège devant Rennes, avant
l'arrivée du roi^, mais sans succès. Murimuth nous raconte comme
une nouvelle merveilleuse qu'Edouard d'Angleterre traversait les
contrées sans tuer ni incendier ^.
Le 19 janvier 1343, une trêve de trois ans fut conclue entre le
1. Mur.iMiJTH, p. 126 siii\.; Bakicr, p, 76; Morick, Ifisl. de Bret.iffne, 1,260, qui cite
d'autres sources pour cette victoire des Anglais, omise par les chroniqueurs français.
2. Ibid., p. 12S, 228. S. Luce (III, p. vi, not. 2), dit : « a Sandwich le 5 oc-
tobre ». Mais de Sandwich « se traxit versus Portesmuth. , , die niercurii proxinio
post feslum S. Luce navigare ceperunt »
3. « 26 coram villa S. Mathei, 27 in porlu de Brest », en Wardrobe Account lîrooks
17-19 Edw. III, p. 64, dans Paum, Gesch. v. Encfland, IV, p. 388, not. 4. Los historiens
donnent la date du 30 octobre. La date dans l'itinéraire, éd. par Liîmoine, Chvon. de
liichnrd Lescol, p. 207 : « octobre 19 », est fausse.
4. ^^oy. MoRANviLLK daus Chronocfr., p. 201, not. 1.
5. Dans la lettre écrite « al siège de Vannes le veille de seint Nicholas » (5 dé-
cembre). Avesbury, p. 340. Pontivy et Rohan furent pris par le comte de Northamp-
ton, qui livra Rohan aux flammes. Kmghton, p. 27.
6. AVESBUIIV, 1. c.
7. Voy. S. Luce, GuescUii, p. 45 suiv. Dans son édition de Froissart, III, p. a ni,
not. 1, S. Luce est d'un autre avis.
8 « Non tamen comburendo nec occidendo, sed de his que ibi invcnerant victi-
tando » (p. 129).
LA (iUERKE KN HRRTAGNE, 1342 à 13io 23
roi d'Angleterre et le roi de France, grâce à l'intervention de deux
légats du pape K
Le pays avait été très dévasté -, les environs du château d'IIenne-
bont par exemple (Charles de Blois assiégeait ce château j furent
tellement ravagés, que les assiégants ne savaient plus où trouver
ni vivres, ni fourrages •^. En conséquence de la trêve, on n'en vint
pas à une bataille décisive entre le roi Edouard et Philippe. Celui-
ci était aussi accouru à la fin de décembre, campant entre Redon
et Ploërmel.
Toutefois, le calme ne fut pas rendu à la Bretagne. En retour-
nant en Angleterre, après le 20 février 1343, et avant le 1 mars, le
roi avait établi des gouverneurs anglais en Bretagne, et dans le
courant du mois de mars ou d'avril 1343, ces lieutenants ne crai-
gnirent j)as d'imposer de force leur autorité à la ville de Vannes,
qui dans la trêve avait été déclarée ville neutre \ et de livrer au
pillage l'abbaye bénédictine Saint-Sauveur de Redon '\ Aussi Charles
de Blois ^' envahit-il, à la tête d'une puissante armée, la partie de
Bretagne occupée par les Anglais, et prit-il d'assaut la ville do.
Quimper le 1^*' mai 1344. Pendant que Charles priait dans la cathé-
drale, les vainqueurs commirent des atrocités sur la population
laïque^. Le 18 août, il fit le siège de Guérande^. Le parti de Mont-
fort semblait abattu.
En attendant, Jean de Montfort, sorti de sa captivité le 25 mars
1345 '^ Il alla ensuite en Angleterre rendre hommage au roi, et
1. « Trêve de Malestroit ». Voy. les articles dans Avesbury, p. 314 suiv.; Murimuth'
p. 129 suiv'.; quelques-uns dans Gra/id. chron., V, p. 420 et dans Hemixgbuugh,
p. 397. Un résumé dans Morici:, Hist., etc., p. 267.
2. Clironogr., p. 201.
3. Froissart, p. 410 suiv.
4. Clément VI se plaint également le 21 juillet 1345 (Murimuth, p. 182 suiv.).
5. Plaine, 1. c, p. 20.
6. Il a dit au pape : « se nunquam treugas predictas aliqualiter inivisse, nec fucrat
super hoc requisitus ». Murimuth, p. 181.
7. MoRicE, p. 270; S. Luce, Guesclin, p. 49 suiv.
8. Froissart, IV, p. xv, not. 3, pièce analysée par S. Luce.
9. Bibl. nat., fonds franc. 2589, fol. 53''; Moraxvillé, dans Chronoçjr., p. 208, note 1
De même suivant Murimuth, p. 164, en 1345 avant Pâques, ^'oy. Kmghton, p. 31, et
Morice, p. 271. Mais selon Grand, chron., V, 430, mois d'août 1343; selon la Chro-
nogr., p. 207 et Chron. normande, p. 61, le jour de Noél. C'est faux. D'après ces
deux chroniqueurs Jean de Montfort serait aussi ensuite retourné en Bretagne, sans
passer par l'Angleterre, et il serait déjà mort en 1344.
24 LA GUERRE DE CENT AKS
s'en retourna en Bretagne où il arriva au mois de juin 1345 ', avec le
comte de Northampton qui avait été nommé lieutenant-général de
Bretagne, le 2i avril de la même année.
Le 17 juin, Charles de Blois fut battu dans la lande de
Cadoret par Thomas Dagworth, un des plus habiles officiers du
comte de Northampton '. La cause de Charles de Blois, à partir de
ce moment, était perdue, malgré la mort de Jean de Montfort sur-
venue le 26 septembre. Le duc de Northampton et après lui Tho-
mas de Dagworth continuent la guerre avec succès, en faveur du
iils de Jean de Montfort âgé de huit ans. Leurs opérations toutefois
s'enchaînent si étroitement, qu'elles demandent à être traitées avec
suite; et j'en réserve l'exposé au paragraphe 5.
3. La Campagne du comte de Derby en Guienne.
La trêve de Malestroit ne regardait pas seulement la Bretagne,
mais aussi la Gascogne et tous les pays que se disputaient les rois
de France et d'Angleterre. Néanmoins le roi d'Angleterre envoya
le comte de Northampton en Bretagne en 1345, et la même année,
après Pâques, le baron de Stratford en Gascogne. Celui-ci s'embar-
qua à Bristol avec 14 voiles et arriva bientôt à Bordeaux-^. Le 14
juin, Edouard justifiait ces procédés dans une lettre qu'il envoya
aussi aux cardinaux, en alléguant les mesures sanguinaires prises
par le roi Philippe en dépit de la trêve contre plusieurs seigneurs
et nobles du parti de Jean de Montfort^. Le 8 mai 1345, Edouard
JII nomma capitaine et lieutenant en Guienne, Henri, comte de
Derby ^; il passait pour le plus vaillant chevalier de son temps.
S'étant embarqué après le 6 juillet à Southampton avec le comte
1. MuRiMUTH, 1. c. Il dit « ante festum S. Johannis Baptistae ».
2. MoRiCE, Histoire, etc., p, 272.
3. MuRiMUTH, p. 163. Voy. Avesbury, p. 356. Ne m'ont servi en rien pour cette cam-
pagne MoM.Ezu.\, Hist. de la Gascoc/ne, III (1847), et Massiou, Hist. politique, civile
et religieuse de la Saintonge et de VAunis, III (1838); ces auteurs ne donnent pas de
nouvelles sources. Ils connaissent Froissart et Vaissette naturellement sans les correc-
tions apportées par la critique moderne. Du reste, ils ne parlent pas des églises et
monastères.
4. Lettres d'Edouard de 14 juin dans HEMi\r,BURGH,p. 416; Murimuth, p. 165 ; lettre
de 15 juin à l'évêque de Londres, Murimuth, p. 168.
5. Rymer, Foedera, III, i, p. 37.
LE COMTE DE DERBY EN GUIENNE, 1345, 1346 2o
de Pembroke \ Gautier de Masnj, Re^naut de Gobeham, il débar-
qua vraisemblablement à Bayonne vers le 25 juillet -. Les Fran-
çais avaient occupé successivement depuis 1324, plus de cinquante
places fortes en Gascogne, dont les plus fameuses étaient : La
Réole •\ Penne d'Agenais, Bourg", Blaye, Bergerac, Sainte-Foy,
Aiguillon et Pommereux '^. Toutes se trouvaient dans les anciens dio-
cèses d'Agen, de Périgueux, de Bazas, de Bordeaux, de Gondom,
de Montauban et d'Angoulême. Toutes les entreprises du comte de
Derby contre les Français étaient couronnées de succès. Selon un
chroniqueur anglais, les comtes de Derby et Pembroke avec les
barons de Stallord et de Greystoke, ainsi que Gautier de Masny,
avaient déjà pris plus de 60 places fortes ^ et villes fortifiées à la
fin de Tannée 1345. D'après une autre source, 86 places fortes,
toutes énumérées dans le document, sont tombées dans les mains
des Anglais depuis l'arrivée du comte de Lancaster '*. Sans doute,
toutes n'étaient pas encore prises à la fin de l'année. Cette source
concerne l'an 1346.
Dès le 24 août 1345, Derby était maître de Bergerac "^ et, vers la fin
d'octobre, on en reçut la nouvelle à Londres ^. A Bergerac étaient des
Prêcheurs, Mineurs, Carmes et le prieuré bénédictin de Saint-Martin.
1. MuHiMUTii, p. 164, 293; Avesbuhv, p. 356. C'est à tort que Chronogj\, p. 210 et
Chon. norm., p. 263, écrivent au lieu de Pembroke « le comte d'Arundel ». Le
29 septembre, Fitz Alan, Richard, comte d'Arundel, était encore présent au concile
de Westminster (Murimuth, p. 176 suiv.). Je crois que c'est une confusion avec la
mission du comte de Derby en 1344, quand Derby, avec le comte d'Arundel, était en
Espagne (voy. la lettre d'Edouard du 24 mars 1344 dans Rymer, III, i, p. 8 suiv.;
Murimuth, p. 156), en abordant le 5 juin aussi à Bayonne.
2. lÎRRTR.vNDY, Etudc siu' les chroniques de Froissart^ Guérite de Giiienne (1870),
p. 29 sq. Voy, Murimuth, p. 164; p. 243 : le 24 juin. Avesburv dit à tort, p. 355
« circa festuni sancti Michaelis archangeli ».
3. Cette ville fut prise vers la fin de J 324. Voy. G.vrn.v.N, Hist. de /a jReofe(La Réole,
1873), p. 152 suiv^, où on trouve plusieurs détails. Hist. gêner, de Languedoc^ éd. Pri-
vât, i.\, p. 433 suiv.
4. Molimer apporte dans la Chronique normande^ p. 263. note 12, la liste de 50,
et il donne seulement les principaux. Voy. aussi Hist. génér. de Languedoc, p. 572.
5. Murimuth, p. 189. Avesdury, p. 356, dit « plusquam xlvj »; Kxighton, p. 31 suiv^
ad summam lij ».
6. Ed. Thomtsox, dans Mirimuth, p. 251.
7. Petite chronique de Guyenne, éd. G. Lefèvre-Poxtalis dans la Bibl. de Vécole
des chartes, t. XL VII, p. 61 et 69. Le comte y trouvait beaucoup de richesses. Muri-
muth, p. 189; Kxighton, p. 32. Les noms des prisonniers dans l'Appendix ad Muri-
muth, p. 249.
8. Murimuth, p. 189.
26 LA GUERRE DE CENT ANS
Ce dernier était depuis le xiv*^ siècle dans un état déplorable qui
durait encore en 1441 ^
Ensuite Derby allait soumettre successivement Pellegrue, Lalinde,
Saint-Louis, Saint-Astier, Montag-rier et Tlsle -. Il n'y avait pas
d'abbayes le long^ de cette route excepté celle de Saint-Astier, des
chanoines réguliers. Chemin faisant. Derby fît plusieurs tentatives
infructueuses contre Périgueux ^. Autour de cette ville se trou-
vaient, à des distances plus ou moins éloignées, les abbayes béné-
dictines de Tourtoyras, de Ligneux, Le Bugue, et celles des cha-
noines de Chancellade et de Sainte-Marie de Chastres. Ensuite
Derby mit le siège devant Auberoche.
Vers le 30 novembre, on reçut à Londres la nouvelle de la vic-
toire que les Anglais avaient remportée à Auberoche '• le 21
octobre ^. C'est dans cette bataille que fut tué Louis de Poitiers,
comte de Valentinois et Diois, et que fut fait prisonnier le comte
de risle. Derby et les Anglais se rendirent, après cette bataille, à
Monsac^. Là, ils s'emparèrent du marché, emmenèrent tous les
chevaux et incendièrent la ville jusque dans ses fondements'. Au
mois de novembre, les Anglais assiégèrent, mais en vain, Sainte-Foy-
la-Grande (Gironde), et bientôt après, au mois de décembre, ils
s'emparèrent d'Aiguillon, où était un monastère de Bénédictins, de
Montpezat, de La Réole^ et de toutes les autres villes jusqu'à Angou-
lême. Celle-ci fut prise dans le mois de décembre 1345 'J. Devant
cette ville et dans les environs se trouvaient les abbayes de Saint-
1. « Edificia... sunt proptcr eorum vetustatem in parte destructa, coUapsa et
quamplurimum ruinosa ». Heg. Val. Urb. V, n° 253, fol. 111'', ad an. 136i, Jul. 12.
Voy, La Désolation., I, n° 400. Quelques autres détails dans Les jurades de la ville de
Bergerac (Bergerac 1892), I, p. 64 suiv.
2. AvEsnunY, p. 356: Berthaxdy, Etude, etc., p. 56, 63, 67 ; S. Luce dans Fuoissaut,
m, p. XIV.
3. Beuthandy, 1. c, p. 69, 72,
4. MuniMUTH, p. 190. Voy. AvEsnunY', p. 356; Villam dans Mukatori, Scriptores,
etc., XIII, p. 297. Ils nomment les plus renommés prisonniers. Voy. Hist. génér. de
Languedoc, IX, p. 577, note (A. Molimer).
5. Petite chronique de Guyenne, 1. c, et Fhoissaut, p. xvi, note 3.
6. C'est à tort qu'on dit que Derby s'empara de Libourne (GuixoniE, d'après
Froissart, Hist. de Libourne, I, p. 39), parce que cette ville restait fidèle aux Anglais.
Voy. Bertua.ndy, p. 79.
7. MURIMUTH, 1. c.
8. Voy. Gauban, Hist. de la Réole, p. 161, suiv.
9. Voy. Froissart, III, p. xrx suiv.; Chron. normande, p. 265, 269, not. 1; ChîO-
nogr., p. 215 sqq. Hist. génér. de Languedoc, 1. c, p. 585, not. 5.
LE C03ITK DE DEKBY EN GUIENNE, 1345, 134() 27
Cybard et de Saint-Amand-de-Boixe (Bénédictins), et celle de Saint-
Ausone (Bénédictines) et de la Couronne (chanoines réguliers).
Nous verrons plus tard, que tous ces couvents étaient déjà dans un
état misérable dès le xiv^ siècle. Les Anglais firent quelques tenta-
tives infructueuses contre Blaye, Mortajj^ne et Mirebeau en Poitou,
et Aulnay ' .
En 1346, Jean, duc de Normandie, se mit en mouvement contre
les Anglais, après avoir repris Angoulême-. Son fait d'armes le
plus éclatant fut le sièg'e d'iViguillon du diocèse d'Ag-en, une petite
place, mais regardée par le duc comme Tun des principaux rem-
parts de la domination anglaise en Guienne. Il avait une armée con-
sidérable; si Froissart exagère en l'évaluant à 100.000 tètes, Aves-
bury parle seulement de 10.000 et de communs innombrables -^ Le
baron de Stall'ord entreprit la défense de la ville, dont le sièg'e dui'a
depuis le mois d'avril '' jusqu'au 20 août-\ A cette occasion, Téglise et
le couvent des Carmes, situés en dehors des murs delà ville furent
sans doute détruits ^K Tous les faubourg's d'Aiguillon étaient saccagés
ou le furent à cette date ". Les campag-nes et les monastères ont
soufïert beaucoup pendant ce sièg'e. Le duc de Normandie éprouva
de grandes ditïicultés à nourrir la multitude des assiégeants. Les
pourvoyeurs de l'armée poussaient jusqu'au fonds du Rouergue
réquisitionner des bestiaux. L'abbaye de Bonneval (Cisterciens) du
diocèse de Uodez perdit de ce chef quatre cents têtes de bétail^.
1. FitoissAHT, p. \xiv et les notes.
2. Chronoc/r., p. 218; Molimer in Chron. normande, p. 269, not. 1. Ibid., p. 270,
not. 9, voy. les étapes du duc de Normandie.
3. AvEsiJimy dit p. 357 : « cuni deccni niillibus ji,aleatoruni, aliis quoque... quasi
innuiuei'is. » lioiiryeois de Valenciennes. p. 196 : 10.000 hommes d'armes et 20.000
à ])ied. Kmghto.v, p. 40 : « viij millia virorum armatorum... et xl millia de viris
armalis. » Le Livre velu, cité dans (iuinodie, Ilist. de Lihourne, I, p. 40, not. 5,
porte : 12.000 homes d'armes, 30.000 génois et arbalétriers et d'autres. A'oy. Momnmeu
in Illst. (/énér. de L:injiiedor., 1. c, p. 585, not. 1. Dans l'Appendix ad Murimuth,
p. 250, sont énumérés les seigneurs de France devant Aiguillon.
4. MoiiANvii.ij'; tlans (^hronoçfr., II, p. 220, not. 2.
5. « Dimange prochein devaunt le leste de Seint Bartholomeu » (Avesiurv,
p. 373). C'est le dimanche après l'Assomption, et ainsi écrit le Livre velu dans Guino-
lUE, 1. c. MuuniuTH, j). 217, dit : « vicesima die Augusti », et c'est le même. Bakeh
écrit au contraire : « us([ue post leslum Decollationis S. Johannis » (29 août*. Sur la
défense curieuse, voy. Kmohton, p. 40.
6. Beçi. Viit. Innocent. VI, n" 226, fol. 193 '', ad an. 1354, April. 9.
7. Bey. Val. Greyor. XI, n" 287, fol. 86 '•, ad an. 1376.
8. Beuthandv, p. 334: Mommeh dans Vllist. yènér. de Languedoc, p. 588, not. 2.
28 LA GUERRE DE CENT ANS
Le 20 août Jean, duc de Normandie, leva précipitamment le
siège d'Aiguillon, lorsqu'une partie de son armée était retournée
dans le nord dès le mois de juillet pour porter secours aux Français
contre les Anglais, en Normandie. Un Anglais raconte que, entre
autres causes, le manque de vivre et les maladies le poussèrent à
cette décision. On parle de lo.OOO victimes K ce qui est sans doute
une exagération. Les Français levèrent aussi le siège de Nontron
du diocèse de Limoges '-. Ce siège réduisit les Dominicaines de Saint-
Pardoux-la-Rivière (diocèse de Périgueux) à une grande pauvreté ^.
Le comte de Derbv, devenu sur ces entrefaites comte de Lanças-
ter, partit trois jours avant l'Assomption, c'est-à-dire vers le 12 août,
de la Réole pour Bergerac. Là, il reçut des messagers des Français
qui assiégeaient Aiguillon demandant une trêve que le comte ne
voulut pas accorder. Aussitôt après avoir appris que le duc de Nor-
mandie avait levé le siège d'Aiguillon, il partit pour Bergerac.
Nous suivrons la route que lui-même a tracée dans une lettre ^.
Dans le but évident d'attaquer les Français revenant du siège, il
retourna vers x\iguillon ^ et s'empara de Yilleréal. Non loin de
là était l'abbave des Bénédictines de Font-Gaufîer du diocèse de
Sarlat. D'autres villes et places fortes des environs se rendirent
également. Murimuth nomme quelques-unes de ces villes ^. Ensuite
Derby s'en alla tout droit à Tonneins et Aiguillon au diocèse d'Agen,
de là, à La Réole où il resta 8 jours. Le 12 septembre, il prit avec
1.000 hommes le chemin de la Saintonge, arriva à Sauveterre (Sal-
1. Kmghtox, p, 40.
2. Murimuth, p. 217.
3. Les sœurs sont « propter jiuerras. que noviter circa castrum Xontronii. quod
proximum est eorum monasterio et locis circumvicinis [in^rueruntl, notabiliter
depauperate » {Suppl. Clem. VI, n" 13, fol. 71 '', ad an. 1347, Jun. 30).
4. Voy. la lettre du comte de Derby dans AvEsnuRY, p. 372 suiv. Les chroniques
sont très confuses.
5. K.MGHTON : « Henricus cornes Lancastriae sequelDatur fujjientes ». Le départ des
Français était « confus ». Le Livre velu dans Guixodie.
6. MiaiMUTH dit p. 217. qu'à cause du départ des Français d'Aiguillon et de Non-
tron « iiij""^ grossae villae, videlicet Sainte-Fey. Salveterre ^^Sauveterre), Chastel
Moroun Castelmoron), Ville Roial (Yilleréal) et Clarake (Claire) se sponte régi
Angliae reddiderunt ». La Petite chron. de Guyenne,!, c. rapporte la prise de Sainte-
Foy-la-Grande à Tan 134S, le 21 décembre, et G. Lefhvre-Pontalis y dit, p. 60 :
« Cette prise... ne paraît. mentionnée dans aucune chronique ». Je crois qu'on doit
avancer au moins de deux ans la soumission aux Anglais, Murimuth étant g:énérale-
nient bien informé, lorsque la Petite Chron. se trompe quelquefois. Pour Castelmo-
ron, voy. GuiNODiE, 1. c, III, 342.
LE COMTE DE DEHI5Y EN GUIENNE, 1345, 1346 29
veterre) ^ au diocèse de Bazas, qui se rendit tout de suite. Après
quoi le comte marcha avec sa troupe « bien viij jours sauns assnil-
ler une vile od chastel; tant que nous nous venismes au chastel de
Nau q'est sour la rivière de Charente^), c'est-à-dire Chateauneuf'-sur-
Gharente. C'était vers le 20 septembre. On voit qu'il avait pris le
chemin direct. A Chateauneuf, où il demeura^un jour, il apprit que
les gens de Gautier de Masny auxquels les Français avaient donné
un sauf-conduit pour rejoindre leur roi, avaient été faits prison-
niers et enfermés dans la prison de Saint-Jean-d'Ang-ely du diocèse
de Saintes. Aussitôt le comte se dirig-ea sur cette ville, la prit et
délivra les prisonniers. Toutefois, il commit des cruautés à Saint-
Jean; l'abbaye des Bénédictins, par exemple, fut détruite ~. Les
Grandes Chroniques disent '^ : « et vint [à Saint- Jean-d'Angely en
ardant, en robant et en ravissant hommes et femmes sans nombre ».
Après s'être arrêté huit jours à Saint-Jean , le comte partit le
30 septembre, comme il le dit lui-même, pour Lusig-nan et Poitiers.
Sur la route se trouvaient les abbayes des chanoines réguliers de
Saint-Séverin et La Celle, des Bénédictins des AUeus, des Cister-
ciens de Valence. Mais je ne crois pas que ces monastères aient été
attaqués. Il prit d'assaut Lusignan oii était un prieuré de Bénédic-
tins qui fut ruiné ^. La ville plut à Derby : « qu'est une forte
ville un de plus noblez chastels et de plus forts que sont garres
en France od en Gascoig-ne ». Ensuite le comte marcha sur Poi-
tiers^ qui ne voulait pas se rendre, mais le 4 octobre il prit la ville
1. C'est à tort que S. Luce et Mommem la nomment « ^n/jeferre-sur-Dronne ».
2. GaLl. christ., II, p. 1104.
3. V, p. 464, et Chronoc/r., p. 235.
4. Re(j. Vat. Cleni. VI, n° 209, fol. 110 '' ad 1351 Au^-. 1 : « Ad tantum desolationis
opprobrium et inopiam devenit, quod (pro sex monachis et nonnuUis clericis i'unda-
tus) vix unus monachus sustentari potest. »
5. Par ce récit d'expédition du comte même les chroniques de Fhoissaut, de la
Chronogv., de Chronique normande sont corrigées. Il n'y a pas place pour la marche
à Mirabel, Aulnay, Surgères, lîenon, Mortagne-sur-mer, Taillebourg-sur-('harente
Saintes, avant la prise de Saint-Jeand'Angely. Et après, jusqu'à la prise de Poitiers,
il n'y a pas place pour Niort, Saint-Maixent, Vivonne, Montreuil-lîonnin. Quant à
cela, la lettre du comte est confirmée par le récit d'un moine contemporain de Mail-
lezais, malheureusement aujourd'hui sou\ent oublié par les historiens et éditeurs. Le
moine attribue les assauts sur Montreuil, Saint-Maixent et Niort au comte retinnnant
de Poitiers. Biblioth. de l'école des churL, !•■« sér., t. II, p. 166. Voy. aussi Hkh-
rHAxnv, Elude, etc., p. 379; Gléuia, Recueil des documents concern,int le Poitou
(1884), II, p. XXIV suiv.
30 LA GUERRE DE CENT ANS
par force « Toiitz ceaux de la ville fusrent pris ou morts » ^ Lors
de la prise de la ville, l'évêque et quatre barons se sauvèrent.
Peu de villes comptaient, soit dans leur enceinte, soit au dehors,
un si g-rand nombre d'églises et de monastères. Les livres, les
calices, les ornements, les reliques, l'argenterie, tout fut emporté
par l'ennemi-. Le chapitre de la cathédrale dit en 1331 : « notre
église à été spoliée de tous ses ornements, de ses vases sacrés, de
ses chapes, de ses calices, de sa croix et de tout ce qu'elle possé-
dait en or et en argent-^ ». L'abbé du monastère bénédictin de
Gharroux crut mettre en sûreté les trésors, les livres et les chartes
de son abbaye en les envoyant k Poitiers. Malheureusement tout
tomba entre les mains de Derby qui arrivait à Poitiers sur ces entre-
faites. A la suite de cet incident, l'abbé lui-même n'osa plus retour-
ner dans son monastère^, dont les moines, ce que semble, don-
naient tort à leur abbé.
Le pillage des églises et maisons suivit le feu ; la majeure partie
de la ville et le palais du roi furent brûlés ^ ainsi que beaucoup
d'églises, et les Anglais « y lisent moult desrois ^ ». L'abbaye des
Bénédictins de Saint-Gyprien fut peut-être détruite à cette occasion.
Les prisonniers furent mis k rançon. Ln intéressant document
nous apprend ce qui advint aux habitants en cette circonstance :
le citoyen Gaut et sa femme pris par les Anglais furent pillés et
dépouillés de tous leurs biens meubles, jetés dans une prison et
rançonnés kune grande somme d'argent. Un fait que l'histoire cons-
tate souvent dans les calamités de ce genre, se passa alors k Poi-
tiers. Des malfaiteurs indigènes profitèrent de l'occasion pour voler
1. AVESBURY, p. 374.
2. Arch. nat. JJ 81, p. 450. S. Luce dans Froissaht. lY, p. vu, not. 4.
3. Bibliothèque de Poitiers, coll. Fonteneau, t. II, p. 103. A'oy. GuÉiux, 1. c,
p. XXVIII.
4. « P. abbas monasterii Karrofen. Ord. S. Ben. Pictaven. dioc. exponit, quod
dudum de consilio omnium ejusdem monasterii capis, calicibus, libris, litteris et aliis
pluribus rébus ejusdem monasterii in civitate Picta^■en. translatis et reconditis, ut
ibidem possent ab hostium incursibus preser^ari, eadem civitate capta per comitem
Lencastrie eisdemque bonis per ipsum comitem seu ejus complices dampnabiliter
occupatis, idem abbas non audens in monasterio predicto residere quasi exul in a illa
de Castra Bituricen. dioc. pauperem Aitam gerit ». Suppl. Clem. VI, n" 19, fol. 157'';
Rsff, Aven. Clem., n° lv a, fol. 328 '', ad an. 1349, Sept. 5.
5. Grandes chron., Y, p. 465.
6. FitoissAUT, IV, p. 15.
LE COMTE DE DERllY EN GUIENNE, 13io, 1340 31
et ravir, et les deux prisonniers de Poitiers devinrent leurs vic-
times. Pendant qu'ils étaient en prison et tout le pays environnant
en proie à une grande frayeur et commotion, leur gendre et sa
femme, aidés de quelques complices, s'emparèrent par violence des
maisons que les deux prisonniers possédaient aux environs de la
ville; ils dérobèrent les blés, les deniers, les vins, les lettres et
autres biens meubles, chassèrent les gens des maisons et y mirent
les leurs. Quand les deux époux sortirent de leur prison, on en vint
à des rixes sanglantes et même mortelles ^
Les plus riches habitants de Poitiers avaient mis en sûre lé leurs
richesses avant l'arrivée de Derby à GhâtelleraLdt- et ailleurs. Mais
les soldats de Derby couraient jusqu'à Ghâtellerault et Ghauvigny,
pillant et volant villes et villages et tout ce qu'ils trouvaient"'.
Le comte resta 8 ou 9 jours à Poitiers ^ et partit ensuite pour Mon-
treuil-Bonnin qu'il incendia, comme nous le raconte le moine de
Maillezais. De là il se rendit à Lusignan où il établit son capitaine
Bertrand sire de Montferrand. Gelui-ci, secondé par ses deux frères
et les Anglais, ne cessa pendant plus de quatre ans de ravager le
Poitou notamment dans les environs de Lusignan. Ge fut une
guerre d'escarmouches, de coups de mains, d'exploits de petites
troupes. Ginquante-deux paroisses et dix monastères furent
détruits. Personne n'osait v habiter^. Parmi les monastères ruinés,
1. Arch. nat, Paris : JJ, n" i9, fol. 28 '', éd. pai* Grûuix, Recueil des documents con-
cernnnt le Poitou, II, p. 332.
2. De même que Lalaxnk, Hist. de Chatelleraud (1859), I, a omis les faits de J356,
il a oublié aussi celui-ci.
3. FnoissAHT, IV, p. 222, 226.
i. « Bien viij jours », AvEsnunv, p. 375. « [Spatium] novem dierum », le moine de
Maillezais.
5. Voici le récit du moine de Maillezais, que nous avons souvent in^ oqué, selon le
ms. latin, n" 4892 de la Biblioth. nat., dans la Bibliothèque de l'école des chart.,
V" sér., t. II, p. 166 : « Anno ab incarnatione Domini MCCCXLVI, quarto nonas
Octobris, fuit capta civitas Pictavensis, et castrum de Lezigniaco die praecedenti, ])er
Ilenricum comitcm Liscantriae locum tenentcm régis Angliae [in partibus Aquilanie,
qui Picta\is mansit i)cr spatium] no\em dierum oum omni exercitu suo, et multum
devastavit et depraedavit bona dictae civitatis, et deportavit secum una cum orna-
mentis ecclesiarum.
Et vclut in regressu suo apud Monsterolium Bonin [venit] et castrum dicti loci igné
cremavit.
Apud Lczigniacum dimisit doniinum Bertrandum de Monteferrant. militem. ca]>ita-
noum dicti loci cum duobus fi-atribus suis et compluribus aliis Anglicis, cl manscrunt
in dicto castre spatio quatuor annorum, in quibus multa damna et homicidia pcr
lotam Pictaviam feccrunt et maxime in locis circunn icjni5> castri : «juia proptcr cos
32 LA GUERRE DE CENT ANS
on doit nommer l'abbaye des chanoines réguliers Fontaine-le-
Comte, et le prieuré des Bénédictins de higugé^. L'abbaye des
Cisterciens de Bonnevaux a du moins beaucoup souffert aussi.
Mais ce n'étaient pas seulement les monastères, des j)ays entiers
étaient déserts ~.
DeLusig-nan, Derby se rendit à Saint-Maixent où se trouvait la
riche abbaye des Bénédictins, laquelle, le 3 mars 1364, est désignée
comme fort ruinée •^. Ne pouvant pas prendre le château, Derby
incendia les environs^. Puis il vint devant Niort, mais il ne put y
entrer. Non loin de Niort était l'abbave bénédictine de St. Li^uaire
appartenant au diocèse de Saintes. C'est probablement dans la
seconde moitié d'octobre que Rochefort-sur-Charente, Surgères,
Soubise, Taillebourg, Tonnay-Charente et Connat reçurent les
Anglais de Derby ^, qui, après le 13 octobre, séjourna de nouveau
à Saint-Jean-d\\ngely, d'où il a écrit sa lettre. Tout près de Sur-
gères était l'abbaye cistercienne de la Grâce-Dieu (dioc. de Saintes) ;
je ne sais pas, si c'est alors ou plus tard qu'elle fut détruite ^. A
Soiibise se trouvait un prieuré séculier ; à Tonnay, l'abbaye béné-
dictine du même nom. Ces deux établissements étaient bien éprou-
vés au xiv^ siècle^. Les chroniqueurs disent que les Anglais occu-
fuerunt clestructae quinquapnta duo parrochiae et decem monasteria, quia in dictis
locis nullus pernianere audebat propter metum ipsoruni.
Postea transivit dominus cornes per villani Sancti Ma.ventii et puta\it intrare
castrum dicti loçi, sed non intravit quia dominus (juillelmus Piclierii miles erat in
dicto Castro qui bene ipsum et rite custodivit ; et ita transivit et igné crcma^ it quam-
dam ruam seu vicum dictae villae.
Item venit corani villani Niorti et non intravit quia tantum erat una comitat »
[caetera desulerantiii'].
1. Voy. RÉoET, Notice hist. sui' Vahbaye de Fontaine-le-Comte dans Mém. de la
soc. des antiq. de VOuest (1837), III, p, 343 : leur monastère a été saccagé pendant
les guerres... leurs bâtiments sont en ruine, leurs terres sans culture, etc., ad an.
1358. Chamaud, Saint-Martin et son monastère de Li<ju(jé (1873), p. 200 suiv.
2. Voy. GuÉRix, 1. c, p. xxvin, not. 2.
3. Reg. Vat. Urhan. V, n° 254, fol. 4i '' : « claustrum et ecclesia propter guerras,
que in illis partibus notorie viguerunt, sunt plurimum coUapsa. »
4. Voy. le récit du moine de Maillezais. Froissart dit, au contraire, que le comte a
emporté d'assaut Saint-Maixent.
5. Beutram)y, Etude, etc., p. 383 suiv.
6. En 1363, le 25 novembre, le moine Pierre Guitard raconte qu'il avait « propter
destructionem et penuriam monasterii Grassie Dei » déjà depuis plusieurs années
quitté ce monastère [Siippl. Urb. V, n° 39, Toi. 51 '').
7. « Redditus quasi ad nichilum redacti », dit-on du prieuré {Suppl. Urh. V, n° 35.
fol. 15). Quant à Tabbaye, voy. plus tard.
LE COMTF-: DK DEIIBY EN (iLlENNE, 134^, 1340 33
paient aussi Saintes. Devant cette ville étaient les prieurés de
Saint-Eutrope (Cluniac.) et de Saint-Vivien (chan. rég-.), pour ne pas
faire mention des Mendiants. Quant à l'abbaye des Bénédictines
de Notre-Dame de Saintes, elle avait déjà été détruite en 1327, et
plus tard, appauvrie à cause de la guerre ^ Le prieuré des Bénédic-
tins de Chéray, au diocèse de Saintes, fut aussi occupé par les
Anglais. Du moins l'abbé de Saint-Martial de Limoges rapporte,
le 9 octobre 1357, que le prieuré avaft été depuis douze ans en la
possession des Anglais. Par la même source, nous apprenons de
quelle manière on procédait dans des occupations de ce genre.
L'abbé déjà cité déplore la perte des biens et des revenus du prieuré,
la ruine des maisons, la totale extinction du culte divin pendant
cette époque, la mise en fuite des douze moines qui auparavant
habitaient le prieuré '.
Sur la route entre Saint-Jean-d'Angely et Saintes était située
l'abbaye bénédictine de Font-Douce, presque détruite avant 1305
comme nous verrons au chapitre V.
Nous nous arrêtons ici devant l'impossibilité d'énumérer tout ce
qui tomba au pouvoir de Derby pendant cette expédition. La plupart
des forteresses de laSaintonge, du Poitou et du Périgord devinrent
sa conquête 3. Il est certain que plusieurs villes étaient toutes
prêtes à ouvrir leurs portes à l'ennemi pour éviter les conséquences
d'une prise de vive force, comme par exemple Melle et Maillezais,
dont les habitants, exhortés par l'évêque Jean de Marconnay
et se croyant menacés, se préparaient à faire accueil aux Anglais.
Mais, arrivé à quelques lieues de Maillezais, Derby s'éloigna '*.
Durant cette campagne, ce furent donc les diocèses d'Agen, de
Périgueux, de Bazas, d'Angoulême, de Saintes et de Poitiers qui
eurent le plus à souffrir.
1. (iall. christ., II, p. 1129. Sappl. Innocenl 17, n" 20, l'ol. 13'', ad an. 135S, Febi-. S.
I>e prieuré Saint-Denys-d'OIéron, du diocèse de Saintes, lui l'ut réuni.
'1. SiippL, 1. c, fol. 280 : (( Ueligionis nautVagium, edit'licioruni dolendam miseriam
et ruinani prioraLus conventualis de Chalesio membri nostri, dioc. Xantonen., Anj?li-
coruni potentia per duodecim annoruni spatiuni occupatis, absque eo quod in eo
cultus et obsequiuin creatori debitiun redderentur, conj;regatione duodecim niona-
choruin inibi consueta procul puisa bellica tenipestate. Y. Sanctitati lacrimabiliter
exponiinus ».
3. A\ hSMruY, p. 376.
4. GlJKUIN, I. c, p .wxi.
R. P. Drniklk. — Di'snlatin ecclesariii<n II. 0
34 LA GtERUE DE CENT ANS
4. La première invasion cï Edouard III en Normandie.
Le roi Edouard III avait passé tout Thiver à préparer ses arme-
ments. Vers la fin de juin 13i6, il avait rassemblé un millier de
voiles avec un g-rand nombre de combattants ^ à Portsmouth et à
Southampton. Le 7 juillet, la flotte prit la mer vers l'île de Wight,
mais on ig-norait où Edouard voulait aller'. Il défendit de laisser
partir aucun vaisseau de peur que les ennemis n'eussent connais-
sance de ses secrets '^ Il avait, selon les chroniqueurs ang-lais, Tin-
tention de lever le siège d'Aiguillon, en Guienne'', établi, comme
nous l'avons vu, par Jean de Normandie. La flotte trouva des vents
contraires et eut à lutter contre beaucoup d'accidents^. On dit que
Godefroy de llarcourt, seigneur de Saint-Sauveur-le- Vicomte, un
mauvais sujet, dont la vie jusqu'à sa mort en 1356 est une suite
de trahisons, banni pour ses crimes et faisant partie de la suite du
roi d'Angleterre, persuadait Edouard de débarquer en Basse-Nor-
mandie^. Celui-ci, empêché de poursuivre sa route vers la
Guienne^, se décida à débarquer sur les côtes du Cotentin. Les
forces de la France étaient concentrées dans le sud, notamment
devant Aiguillon, ainsi le moment était favorable. Du reste, depuis
le jour où la Normandie avait été enlevée aux Anglais, leur roi
avait toujours tenu ses regards fixés sur ce pays perdu.
1. MrnnnTH exagère p. 199: « numorus arniatonim, sccundum aestimationcni ad
5000 et ultra ascendebat ; numerus vero architenentium et peditum Anglicorum et
AA'allensium ad Ix millia similiter ascendebat. Numerus vero nautarum ad viginti
millia similiter ascendebat. » Mais, p. 215 : « 1 millia et amplius ». Vili.am dans Muha-
Toni, XIII, p. 9 42 : 32.500. Il est certain, que pas plus de 32.000 Anglais prirent part à
la bataille de Crécy. — Suivant Miiiumuth, on comptait 750 voiles; mais p. 2 45 : 1500.
Ainsi Burghersh, Ihid., p. 200. Suivant Avksbuhy, p. 357, et Bakeh, p. 79 : 1000;
suivant Kxightox, II, p. 32 : 1.100 grandes, 500 petites. D'après Villam : 600 navi.
2. MuiuMUTU, p. 199 ; Bakeh, p. 79.
3. Voy. RvMKK, III, p. 90.
4. Sur cette intention presque tous les chroniqueurs anglais, y compris Avesbihy,
p. 357, sont d'accord. Nicolas, A History of Ihe royal nnvy, II, p. !S8, not. a, ne
semble pas être tout à fait exact.
5. Ainsi les choniqueurs anglais cites.
6. Voy. Delisle, Hist. du château et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte (1867),
p. 49, suiv., 63. "N^oy. encore Eulogium, a monacho quodam Malmeshuriensi exara-
tiim, III, p. 206 suiv.
7. Voy. le récit de Barthélémy of Buighersh dans Mihumuth, p. 200.
<"» »•
ÉDOrAP.n EN NOUMANDIE, CRÉCY, CALAIS. LTll), KiiT X.
Le marJi 1 1 juillet, Edouard partit de l'île de Wi^lit ; mer-
credi, le 12', il prit terre à la Hougue de Saint- Vaast au diocèse de
Coutances. C'est à cette date que commence la terrible et conti-
nuelle dévastation- de la Normandie, de FIle-de-France et de la
Picardie ; elle dura plus d'un mois, sans que le roi d'Angleterre
rencontrât, du moins en Normandie, une résistance sérieuse. Cette
expédition d'Edouard, semblable à un ouragan, sinistre et fou-
droyant, eut des efTets elFroyables^'. Nous possédons divers docu-
ments contenant Vitinéraire d Edouard. Un très complet est du
Cotton ms.^ ; un autre nous est offert par la Chronique de Baker,
publiée par Thompson^ : ils se complètent mutuellement. Un troi-
sième intéressant récit est rédigé en français par Michael de North-
burgh'' et daté du 4 septembre, traduit ensuite en grande partie
par Richard Wynkeley ^, des Frères Prêcheurs, confesseur du roi.
Wynkeley avait d'ailleurs composé lui-même et envoyé au prieur
de son couvent à Londres un compte rendu des événements qui
suivirent la prise de Caen^. J'ajoute encore le lûtchen JournaV^, et
le fragment d'une chronique anglaise d'une certaine importance'^^
Pendant que le roi était à la Hougue de Saint-Vaast et que
s'effectuait le débarquement des troupes anglaises, du 12 au 18
1. On rencontre cette date dans plusieurs récits, comme celui de Bur^hersh et
dans une lettre (Mliumitu, p. 200., 212 ; dans Xorthburgh ; Aveshuhy, p. 3JS , etc.
2. Un chroniqueur anglais dit : « semper sibi (Eduardo) resistentes capiendo \ el
occidendo, \illas et \illulas perscrutando et depraedando si\"e combiu'endo. aurum
et arj^eidum et ({uic(juid pretiosum fuerit rapiendo et asportando, alicui pei'sonae vi.v
parcendo vel compatiendo » (Miiumi th. p. l'ûi.
3. B. de Bur^hersh, dans Muhimlth, p. 200: Bourgeois de Valenciennes, p. 217.
4. Kd. par Tmomi'sox dans C/i/'o/i. de Biiker, p. 23.3 à 255. Tlirmipson a encore
ajouté une carte de la marche d'Edouard, beaucoup plus exacte que celle de
Iv()HM:n, Die Entirichelunçf des Kriegswesens iind der Krierffiihriinff in der Riller-
zeit (18S(i),II,Taf. VIII,et dans Fro/.s.svjr^ éd. Li-ttkxhovi-, XXIV. p. 'i2: XXV, p. 133.
5. B.vKEn, p. 79-81, et p. 255 sui\ .
6. AvEsiurRV, p. 358-360; 367-369. Michael de Xorthbur^h an. i3i9. Sei)t. l. « cler.
Lincolnen., consiliai'ius rej;is Anglie. nuntius ad iiapam. ma^'. art. et le^'^um doctor »
{Suppl. Clem. VI, n° 19, fol. 155'') ; an. 1353 il était « secrelai-ius et delator privati
sij^illi dom. re^is Angliac ». {Suppl. Innocenl. VI, n» 23. fol. 213. Il possédait plu-
sieurs paroisses dans le diocèse de XorAAich.
7. MruiMiTH. p. 212-211.
8. Ihid., p. 215 à 217; fragment dans Avesbiry. p. 362 suiv.
9. Dans Baker, p. 252.
10. Ed. parMoiSANT, dans Le Prince Xoir en Aquitaine 1891). p. 157 à 17 i, sans qu'il
en ait tiré le moindre profit pour son propre travail. Le Prince Xoir, poème du
héraut d'nrni?s Clinndos, éd. Muihel (1883), ne sert pas pour cette partie.
36
LA GLERUE DE CENT ANS
juillet, une escadre, faisant descendre continuellement des gens
d'armes pour piller et brûler, incendia une partie d'Harfleur et
plusieurs villages. Les Anglais trouvèrent dans la ville une grande
richesse d'or, d'argent et de joyaux ^ Ces pillards attaquèrent
Cherbourg; le château résista, mais les faubourgs et l'abbaye du
Vœu, appartenant aux chanoines réguliers, furent pillés et brûlés-.
Quelle terrible histoire que celle de cette abbaye ! Elle avait été
déjà en 1296, et une seconde fois entre 1325 et 1330, pillée par les
Anglais, dépouillée de ses ornements, livres, chartes, et brûlée"'.
Entré en campagne le 18 juillet, Edouard occupa, pillant et
brûlant, Valognes et peut-être le même jour encore Montebourg\
où se trouvait une abbaye bénédictine. Godefroy de Harcourt, qui
connaissait le pays, fut le guide et l'éclaireur de l'armée anglaise.
Avec une troupe de 500 armures de fer et 2.000 archers, il chevau-
chait du côté droit de 1 armée, en pénétrant jusqu à une distance
de 6 à 7 lieues dans l'intérieur du pays « ardent et pillant » comme
dit Froissart, lequel ajoute « qu'ils trouvaient le pays gras et
plantureux de toutes choses, les granges pleines de blés, les mai-
sons remplies de toutes richesses, riches bourgeois, chars, char-
rettes et chevaux, pourceaux, brebis et moutons et les plus beaux
bœufs du monde, qu'on nourrit en ce pays. Ils en prirent à volonté,
emmenant le butin au camp du roi >^ ^.
Le 19 juillet, le roi brûlant Saint-Côme-du-Mont, avança jus-
qu'au pont de Douve que les habitants avaient démoli. Il le fit
réparer, et le 20 juillet, il s'empara de la ville de Carentan, qui,
malgré les etforts du roi pour la sauver, fut livrée aux tlammes^. Le
22 juillet, la ville de Saint-Lo, elle aussi, fut prise et pillée. Déjà
1. Froissart, III. p. 360.
2. Northburjih. A\)y. Froissart, p. xxxvii, et not. 4.
3. Jean XXII parle de ce double incendie et de la dévastation en 1330, le 11 jan-
vier, Reg. Vat. Ciem. V[, n" 166, fol. 261. Voy. aussi Reff. Vat. Ciein. Vif, n" 307,
fol. 496. Les religieux exposèrent leur malheur en 1330 aussi au roi Philippe de
Valois. Voy. Dupt).\T, Hist. du Coteniin, II, p. 192, 227.
4. Les Itinéraires ne mentionnent pas Montebourg. Mais voy. Grand, chron.., V,
152; Consul. Gu/7/. Van^. ; Froissart, III, p. xxxv. « Hiiic Angli terrae sexto post
(1346) applicuerunt ; dampna quoi egerunt non posset lingua referre », lit-on à la
fin du Martyrologe de Montebourg, Historiens de France, XXIII, p. 556. Toutefois
le fragment dans Moisaxt, p. 161, porte : <( Montebourga latere diinittens ».
5. T. III, p. 13G.
6. Cotton ms. ; Xorthburgh.
EDOUARD EN NORMANDIE, CHÉCY, CALAIS, 13^6, 13i7 37
avant l'arrivée d'Edouard les habitants avaient pris la fuite en
abandonnant tout. Le dimanche, 23 juillet, le roi séjourna k
l'abbaye des Bénédictins de Cerisv, du diocèse de Baveux. Entre
temps ses soldats ravag-eaient tout le pays jusqu'à cinq ou six
lieues à la ronde', comme jadis Farmée d'Edouard avait fait en
Cambresis^. D'après les documents contemporains"^, ce fut en
cette même occasion que les Anglais s'emparèrent aussi de la ville
de Torig-ny qu'ils pillèrent, tandis que le pays d'alentour fut
ravag-é par le feu ; Sept- Vents subit le même sort. A Torigny il y
avait une abbaye de Cisterciens.
Alors que, le 26 juillet, Edouard campait avec son armée dans
les plaines d'Ardennes, de Couvrechef et de Hérouville^, il attaqua
Caen. On dit que les Prémontrés d'Ardennes prirent la fuite'. En
tout cas, ces religieux se retirèrent en 13S1 dans la ville de Caen,
ne se croyant plus en sécurité dans leur ancien domicile ^'\ Mais
à Caen, tous les habitants des abbayes de Saint-Etienne (Bénédic-
tins) et de la Sainte-Trinité (Bénédictines) avaient pris la fuite, et
s'étaient retirés dans le château'^, bien que peu auparavant l'abbaye
de Saint-Etienne elle-même eût été fortifiée au moins en partie ^.
La ville fut prise après une lutte acharnée contre les courageux
bourgeois, de telle sorte que le combat fut long et la victoire très
disputée-'. Grand nombre d'habitants furent faits prisonniers '*^' ou
1. Northburgh.
2. Voy. plus haut, p. lOsuiv.
3. Bakkh, p. <S0; (irnnd. chron., V, p. 152; Chronogr., p. 452; Chron. normande,
p. 272. Voy. le fragment dans Moisant, p. 163, où l'on trouve encore dautres villes
énumérées.
4. E. de Beaukei'airk, Caen illusti'é, p. 33.
5. Lefourmefï, Essai hist. sur iahhaye de Notre-Dame-du-Val, p. 60; Liot, £"j:c«r-
sion H Vahhaye d'Ardennes (Caen 1890), p. 48, ne servent pas beaucoup.
6. Diji'o.Nï, Ilist. du Colentin, II, p. 327.
7. Xorthburgh (Avesbuuy, p. 369), et Wynkcley.
8. « Ad obvianduni inimicis rejrni Francic de novo fiunt fortalitic et clausure nuu'o-
runi, (.(ue oninia in niidtis tlopaupcranl nionastcriuni ». Suppli(|ue de l'abbé Hubert
dans les Suppl. Cleni. VI, n° 9, fol. 150'', ad an. 1345, Auf;usti 19. Mais l'autorisation
proprement dite d'entourer leur monastère de fossés et de murailles, les relijiieux la
reçurent seulement en 1351. Delà Rue, jSouv. Essais sur la ville de Caen, II, p. 209.
9. Lettre d'Edouard du 3 août dans Dki.pit, Coll. gén. des documents franc, qui se
trouvent en Angleterre, n" 145, p. 71. Froissart a tort de dire le contraire.
10. Beaucoup de prisonniers, connue le comte d'Eu et le sire de Tancar\ ille fui-onf
conduits en Angleterre. Voy. la lettre d'Edouard du 30 juillet dans la Chron. de
Lanercost, éd. Sïeve.\so.\ (Edinbui-gi, 1839;. p. 3i2; et du 3 août dans Delimt, 1. c.
38 LA GUERRE DE CENT ANS
furent tués'; les rues étaient jonchées de cadavres-; les maisons
furent livrées au pillage ^, leurs richesses emportées par les vain-
queurs et les prisonniers aussitôt expédiés en Angleterre^.
Le 29 juillet. Baveux se rendit aux Anglais, envoyant quinze nobles
bourgeoise Pendant tout ce temps, la flotte anglaise ne cessa guère de
suivre chaque mouvement de l'armée de terre, côtoyant le rivage.
A Caen, la haine des Anglais contre les Français trouva un nou-
vel aliment dans ce fait qu'ils découvrirent un exemplaire de la
convention du 23 mars 1338, stipulée entre le roi de France et les
seigneurs normands concernant la conquête de l'Angleterre ^'. En
laissant Caen, le 31 juillet, Edouard se dirigea avec son armée sur
Lisieux, touchant l'al^lDaye de Troarn (Bénédictins) et l'Argences et
incendiant tout. Lisieux fut pillée ". Il y rencontra les cardinaux
Etienne Aubert et Hannibal de Ceccano, qui étaient venus pour
négocier la paix ; mais ils ne réussirent guère dans leur mission ^.
Le roi poursuivit sa marche par Brionne, le Neu])ourg et Elbeuf,
du diocèse d'Évreux, en livrant tout au feu et au pillage^. Gode-
froy de Ilarcourt poussa jusqu'à Rouen, où il apprit que le roi
Philippe l'attendait avec des forces considérables et que le pont
(Mathilde) était coupé. C'est pour cela qu'après avoir incendié plu-
sieurs maisons près du monastère de Notre-Dame-du-Pré '*^, il se
replia avec ses gens sur le camp de l'armée anglaise, cjui détruisit
Pont de l'Arche". L'abbaye des Cisterciens, appelée Bon-Port,
Froissaht, III, p. 117; Grand, clij'on., V, p. 453; Chron. Tiormande de Pierre Cochon^
éd. Ch. Bi:at'hepaire, p. 67.
1. Kmghton, II, p. 3i : (( capti et mortui circiter v niillia ».
2. Chron. des quatre premiers Valois, éd. S. LrcE, p.ï'o.
3. Voy. la lettre de Richard A\'ynkeley dans Mirimith, p. 215 : « usque ad nudos
parietes spoliata ».
4. Voy. E. Beaurei'aire, Caen illuslré^ p. 34. Le fragment dans Moisa.nt, décrit au
long-, p. 163 à 167, l'occupation de Caen.
5. Fragment dans Moisant, p. 167; Northburgh dit le 27 juillet.
6. Le texte dans jNIuhimuth, p. 205-208 ; Avesuury, p. 36 1-367, et un autre texte,
p. 257-261.
7. Eulo(fiuin^ p. 207.
8. ^^'^ynkeley.
9. ^^)y. les Itinéraires. L'Itinéraire du Coniin.de Richard Lescol, p. 72, est tout à
fait faux.
10. Jean de Vexette dans Contin. Guill. Nancf.^ II, 188; Chéruel, Ilist. de Rouen
pendant Vèpo(iue communale (18i4), II, 19.
11. Cf. les Itinéraires, et Durawille, Essai hisi. sur la ville du Ponl-de-V Arche
et sur l'ahhaije de N.-D. de Bonport (1856). p. 32.
EDOUARD EN NORMANDIE, CRÉCY, CALAIS, 1346, J3i7 39
était proche et il fat dit plus tard ({u'elle avait été ruinée par
la guerre des temps passés'. Par contre, l'abbaye du Bec des
Bénédictins, quoique peu éloignée, ne fut pas atteinte ; mais ses
biens furent ravagés et les revenus qu'elle percevait en France et
en Angleterre considérablement réduits '-.
Cependant le projet d'Edouard ne fut pas de rester en Norman-
die ni de marcher sur Paris, mais plutôt d'opérer la jonction avec
ses alliés les Flamands commandés par Henri de Flandre'. Le 1()
juillet déjà, un lieutenant d'Edouard nommé Jean Hastings avait
abordé avec 18 navires à la cote de Flandre '^ Le 2 août, les Fla-
mands prirent les armes, le 10 ils franchirent la Lys, incendiant
Saint-Venant, le 15 ils commencèrent le siège de Béthune défendu
par les Français •"*. Toutefois, pour rejoindre les Flamands, Edouard
devait passer la rive droite de la Seine. Or, malheureusement les
Français avaient détruit les ponts ^ ou les places bien garnies, de
sorte qu'il fut obligé de remonter la rive gauche. Le roi Philippe,
sur la rive droite, suivait tous les mouvements de l'armée anglaise,
qui n'en ravageait pas njoins le pays jusqu'à vingt lieues anglaises
à l'entour '. Le 8 août Edouard remontait la rive gauche de la
Seine par Léry, Vaudreuil, Louviers, Gaillon, Vernon, Mantes,
Epone, Fresnes. Les comtes de Northampton et de ^^"ar^vick
essayaient de passer le pont vers Meulan ; mais en vain^. Il est
très probable que les abbayes de la Croix Sain t-Leufroy (Bénédictins)
et de Saint-Louis de Vernon (chan. régul.) furent atteintes alors, ou
qu'au moins leurs terres furent dévastées comme celles des abbayes
des Prémontrés d'Abecourt et de Joyenval au diocèse de Chartres.
Le 12 à 13 août^^ Edouard arriva à Poissy, où se trouvait un
1. Voy. Andiuiîux, Cartulaire de l'abbaye de X.-D. de Bon-Port 1862), p. JOO.
2. (' Bona monasterii occasione guerrarum clestructa quaniplurimuni, eoruindeni-
quc reddilus. c|iios tam in Francie qiiani Anglic rcjinis sunt consucti percipcrc. ndii
modicuni diininuli cxistunL ». Jieg. \'al. (^lein. VI, n" LSOJ'ol. 30i,ad an. J318. Foin-. 22.
3. (Ihron. de Gilles II Miiiais dans (Jovj). chron. Fland.. c'-d. di: Smi:t, II. p. 242.
l. Mêni. de la ronimissinn déparleiuenlalc des inoniunenls hist. du Pas-de-Calais. I.
2 5:).
T). ailles li Muisis, 1. o. Kmgiiton. p. -M sviiw. où sont n(>innu''s les capitaines
anjilais. Chrono(jr., \). 225; Chron. nornuinde. p. '31:): Bounjeois de \'alenciennes,
p. 216 suiv.
6. ^^\ynkoloy. ^\)y. f(iicl((Mcs pai'ticidarilcs di\n^ lùilofjinni. p. 20S.
7. Le même.
8. Frajiinent dans Moissant, p. 16S; Grand, chron . p. iôl.
9. Les Itinéraires et Grand, chron.. p. 455. généralement le 12'.
40 LA GUEKKE DE CENT AiNS
célèbre monastère de Dominicaines, qui, sur le conseil de Philippe,
se réfug-ièrent à Paris, le 12 aoùt^ L'église cependant n'eut rien
à souflVir de la part des Ang-lais '\ De même que tous les autres
ponts de la Seine, celui de Poissy était coupé "^. Ce fut là qu'Edouard
reçut une lettre datée du 14 août, dans laquelle le roi Philippe
lui reprochait le brigandage et la fureur incendiaire de son armée ^,
en lui proposant la bataille, soit entre Saint-Germain-des-Prés et
Vaugirard, soit entre Francheville et Pontoise; en attendant l'ar-
mée d'Edouard devait s'abstenir de piller et de brûler. Edouard se
contenta pour le moment de répondre de vive voix qu'il se dispo-
sait à prendre le chemin de Montfort ^ (Seine-et-Oise, arr. Rambouil-
let). Seulement le 17 août, après avoir passé la Seine, il adressa à
Philippe une lettre, datée de Grandvilliers^ ou plutôt d'Auteuil ^ en
Beauvoisis, j)our lui dire qu'il se trouvait présentement dans son
royaume ; qu'il avait attendu Philippe pendant trois jours près de
Poissy, mais en vain; qu'il voulait donc maintenant, lui aussi,
faire ce qui lui plaisait. « Nous ne sommes mie avisés d'estre
tailliés par vous, ne de prendre de vous lu et jour de bataille ».
Pendant qu'Edouard était encore à Poissy, il avait chargé son fils,
le Prince de Galles, qui dès le 12 occupait Bures et ensuite Saint-
Germain-en-Laye, de menacer l'ouest et le midi de Paris, feignant
de vouloir passer la Bièvre et la Seine en amont de Paris ^, et cela
pour tromper le roi Philippe sur les vrais desseins et le mouvement
des Anglais et pour pouvoir passer librement la Seine à Poissy.
Cette manœuvre réussit. Or, pendant qu'Edouard, après avoir
repoussé un détachement français de l'autre côté de la Seine, faisait
réparer le pont de Poissy et passer ses troupes du côté droit du
1. Voy. le fragment dans Moisant, p. 169, où sont plusieurs détails.
2. Grand. chron.,y, p. 458 ; Bourgeois de Valenciennes, p. 225.
3. \\"ynkeley : << Rex Franciae ordinavit M équités et MM ])editum cuni halistis ad
custodiam dicti pontis, ut non possct rcparari. Onines jiontcs in circuitu Parisius,
per quos transilus esse posset, frangi fecit ».
4. « Re^nuni nostrum Franciae cum exercitu vestro intrastis, concremastis, devas-
tastis et depraedati estis patriam ». Voy. la lettre dans Heminguuhgh, II, p. -123.
5. Grand, chron., V, 456 suiv.
6. Voy. le texte franc, dans l'édition de Froissart par Kervy\ de Lettexhove, IV,
p. 497; V, p. 551. Dans IIemixgbuugh est le texte latin, et la date fausse : XV die Aug.
7. Dans le fragment éd. par Moisant, p. 171 suiv., la lettre est datée d'Auteuil,
ce qui est plus raisonnable. Voy. p. 41, not. 5.
8. Voy. le fragment dans Moisant, p. 169; Fhoissaut, p. xi.i, not. 1.
ÉDOUAKD KN NOKMANDIE, CHÉCY, CALAIS, 13i(), 13i7 41
fleuve ', celles du Prince de Galles incendièrent la ville et le monas-
tère de Saint-Germain-en-Laye (Bénédictins), la tour de l'église de
Montjoie, Saint-Cloud, Boulog-ne et Bourg'-la-Reine^. Jean de
Venette et d'autres témoins encore ont vu de Paris l'incendie qui
ravageait les lieux environnants.
Cependant, le roi Philippe, trompé par la ruse des Anglais, s'était
posté avec ses troupes au pont d'Antony pour défendre le passage
de la Bièvre, croyant qu'Edouard voulait passer par là.
Le 16 août 3 donc les Anglais franchirent la Seine à Poissy pour
entrer en Beauvoisis, après avoir traversé une partie du diocèse de
Rouen. Edouard n'avait pas de temps à perdre, s'il voulait exé-
cuter son plan. Son armée diminuait toujours et ses soldats étaient
mal chaussés^. Le 17 août, Edouard était arrivé à x\uteuil '. 11 lais-
sait la ville de Beauvais à droite^; néanmoins ses gens en brûlèrent
les faubourgs et le feu atteignit aussi les abbayes de Saint-Lucien '
(Bénédictins) et de Saint-Quentin^ (chan. régul.). L'abbaye béné-
dictine de Saint-Germer avait été également très maltraitée ^.
Ensuite il se rendit par Troissereux et Sommereux à Poix, au dio-
cèse d'Amiens, continuant son œuvre de dévastation*^. On dit que
Tabbaye cistercienne et la ville de Beaupré furent brûlées dans cette
1. AV'ynkeley : « Protensis iij vel iiij trabibus ultra ponteni fractum transierunt
quidam sagittarii, licct pauci, Interfcctis secuncluni aestiniationem honiinibus mille
vel circitcr hostium, ceteri versi sunt in fugam. Reparato ponte dominus rex per
Picardiam fecit viam suam ». Il y eut moins de tués suivant Kmghton, p. 36. Vov.
FhOISS.VHT, III, p. XL.
2. Contin. Giiill. iV.nif/., II. 198 suiv. Voy. Grand, chron., Y, ]). 158; Chron. de
Gilles li Muisis, p. '211; Fhoissaht, p. 149; Bourgeois de Valenciennes , p. 223.
MoisAXT, p. 171 ; PiLciuuî Cochon, p. 68 : « et destruirent et ardircnt moût de pais ».
3. Northburjj,h et les Itinéraires.
4. ViLLAM dans Mihatoiu, Scrlpf. rer. Uni,. XIII. p. 947.
5. Ainsi les chi-oniqueurset Itinéraires anglais, à l'exception de Northburgh. Et c'est
conforme à la lettre publiée dans Moisant. Voy. plus haut, p. 40, not. 7. Fisoissaht et
Northburgh nomment « Grandvilliers ». trop éloignée pour la marche d'une Journée.
6. BAKiiK : << diniiscrunt a latere civilatem de Heauvoys intactam ».
7. Jkax nie ViîNKTTi:. p. 199; Fkoissakt. p. xi.i. el noL 2; Grand, chron., \. 459;
Bourgeois de Valenciennes, p. 225.
8. Gnll. christ., IX, 823. Seule l'église fut épargnée. Le récit est conhrmé par hi
Chronogr.. p. 228 : « jussit domos et ahhalias propinquas incendi ». Froissart pré-
tend, contre la volonté d'Edouard. Xi Xoi'thburgh. ni ^^'^'nkelev, ni les autres Itiné-
raires ne mentionnent Beauvais.
9. Voy. DucLos, Ilist. de Rot/anmont. I. p. 434. En revanche l'abbaye cistercienne
de Iloyaumont ne se trouvait pas alors dans la direction des colonnes ennemies.
10. Jkax oe Vkmîttic, et Fhoissaht, p. 153; Miuimith, p. 2i6,
42 LA GUERRE DE CEiNT ANS
marche '. Le 21 août, nous retrouvons Kdouard à Airaines; sur
la route il avait dû rencontrer Tabbaye des Prémontrés de Selincourt.
Alors il s'ag-issait d'opérer le passage de la Somme dont tous les
ponts étaient ou démolis ou bien gardés par les Français-.
Sur ces entrefaites, le roi Philippe ayant appris qu'Edouard se
trouvait sur la rive droite de la Seine, qu'il avait passée à Poissy, se
rendit à Saint-Denis et de là, se jeta à la poursuite des Anglais. Dès
le 20 août il était arrivé à Amiens ^, pendant qu'Edouard séjournait
encore à xViraines, dans une situation des plus critiques, se trouvant
enfermé entre la mer, la Somme sur laquelle il ne trouvait pas de
passage, et une armée supérieure à la sienne. Un général plus habile
que Philippe aurait cette fois anéanti l'armée anglaise. Pour échap-
per à un tel désastre, Edouard se dirigea le 23 août vers Acheux,
pendant que ses troupes incendièrent Aumale, Senarpont, le château
et le prieuré de Mareuil (Bénédictins), puis Oisemont. Les Anglais
brûlèrent tellement le pays « que les flameskes volaient en Abbe-
ville ^ ». Godefroy de Harcourt avança jusqu'à Saint- Valéry où était
une célèbre abbaye de Bénédictins, mais il fut repoussé. Enfin on
trouva un passage à Blanquetaque •'', où Edouard attendait le reflux
de la marée ^. Mais, de l'autre côté, il était attendu par un détache-
ment français de 3.000 à 5.000 hommes d'armes '^ . Les comtes de Nor-
thampton et de Warwick ainsi que le baron de Cobham avec 100
1. Boiircjeois de Vnlenciennes, p. 225.
2. Froissaut, p. xi.iM. Le fragment dans Moisant s'arrête avec le 20 août, séjour à Poix.
3. Gilles li Mlisis, L c. p. 312.
-4. FuoissAHT, p. 392, ([ui dit encore (et d'après lui LorA>niiK. Histoire d'Abbeville,
3" cdit., I, p. 195), qu'Edouard résolut de tenter un coup de main sur Abbeville et
qu'il vint en personne sur les monts de Caubert pour reconnaître la position de la
Aille. Aucun des Itinéraires n'en fait mention. Ce fut probablement une partie de ses
troupes qui s'avança jusqu'à AbbcAilleet ravagea le A'imeu.
5. Grand, chron., V, 459 sui"N'. Jkax de Venette; p. 200 et d'autres.
6. Wynkeley : « EL fractis pontibus via non patuit domino nostro régi, nisi inler
Croteye et Abbatisvillani in relluxu maris, ubi totus exercitus transivit illaesus,
licet in loco a populo illius terrae nescirelur esse vadum tutum, nisi situni ubi sex
vel decem transire poterant simul. Nostri tamen indillcrenter quasi omni loco, tam-
quam in vado tuto, transierunt, quod niirum est in oculis omnium, qui noverant
locum illum >>. Muuimlth, p. 216. Ce récit ne s'accorde pas bien avec celui de
Froissart (voy. p. xlv), selon lequel un prisonnier a indiqué le gué de Blanquetaque.
Voy. encore Bourgeois de Valenciennea. p. 226.
7. \\'3nkeley : « M équités et v millia peditum ». Xorthburgh : « I) honmies
d'armes et MMM des comunes armez ». Kmghtox, p. 36 : « iij millia virorum >»^
FnoissAUT. p. XLV : « douze mille hommes ». C/cst exagéré. Chronogr., p. 230 : « occisi
sunt ad milia ».
ÉDOUAKD EN NORMANDIE, CHÉCY, CALAIS, 13U), 1 3 i" 43
hommes d'armes et plusieurs archers formaient Tavant-garde des
Anglais durant le passage', ils repoussèrent les Français et en
tuèrent deux mille '-. Quand le roi Edouard monta au rivage à
Nojelle-sur-mer •'^, Tennemi était déjà en fuite jusque vers Abbe-
ville '^ C'était le 24 août '^. Le même jour, Hugues de Despenser
pilla et brûla la ville de Grotoy '^', Rue et d'autres encore. Dans
les environs, il y avait l'abbaye des Bénédictins de Forest-Mous-
tier. Le roi Philippe, qui avait suivi Tarmée anglaise jusqu'à
Airaines et au-delà, s'en retourna le 25 août à Abbeville, où il
passa le pont poursuivre l'ennemi. Edouard Lavait échappé belle!
Mais s'il ne voulait pas s'exposer une seconde fois au danger
d'être enfermé, il devait presque forcément accepter la bataille. Il
choisit donc le 26 août à Crécy, tout près de l'abbaye des Cister-
ciens de Valloires, une position avantageuse pour son armée, com-
posée à peu près de 32.000 hommes". Les archers ne furent point
placés en avant des trois batailles, comme disent généralement les
historiens, mais furent disposés en ailes sur les flancs, pour ne pas
entraver Faction des hommes d'armes, et au lieu de lutter avec
l'ennemi par le front, ils lancèrent leurs flèches des deux côtés ^.
Dans l'après-midi du même jour, l'armée française, qui comptait
bien 70.000 hommes", se trouvait en face des Anglais. Le combat
ne commença sur toute la ligne qu'à la tombée de la nuit, et ne fut
pas interrompu pendant une bonne moitié de cette nuit ^^. Tout le
monde sait combien il fut désastreux povir les Français. « La fleur
de la chevalerie chéi^'». Pour la première fois, la chevalerie fran-
1. W^ynkeley. A'oy. Kmchtox, 1. c.
2. Wynkcley, Nortliburj^h, Kmghtox, Suivant YEiilvgiiim, p. 210 : « plus quani
mille ». Voyez encore Bakek, p. 81.
3. Baker, p. 81.
4. Kmghtox, p. 37.
5. Seulement Kmghtox dit : « in vigilia S'' Bartholomci », le 23 août.
6. Xorthburgh ; Baker, 1. c. ; Froissart, p. xi.vn.
7. Chronogr., p. 230; Bourgeois de Valenciennef;, p. 21 i.
s. Baker, p. 83 suiv. Le croquis dans Kohler. 1. c. Tafel VIII, est faux.
0. ^^'ynkeley : « hominum xij millia i;aleatorum, et aliorum armatorum ad minus
scxa;4inta millia » (Murimuth, p. 216). Kxightox, p. 38 : « xiJ millia ^alliarum, 1 millia
Airorum armatorum ad tibias et pedes ». ^^^y. aussi A'illaxi. 1. c. p. 9l8.
10. Voy. Vuj.Axi. p. 019 : « durô... a due ore inlVa la notte ». Baker, p. Ni;
Kxightox, p. 38 : « luna clare lucebat per très partes noctis ».
11. Grand.Chron..p. i62. L'anj;lais \\\vnkeley dit la même chose 1. c. : « secundum
dicta captivorum jiallicorum, cecidit llos totius mililiae j^allicorum ».
44 LA GUERRE DE CE>T ANS
çaise se brisa contre les hommes de pied d'Edouard, Le grand
désordre qui régnait dans l'armée française en fut la principale
cause. Les six à sept mille arbalétriers génois commandés par
Charles Grimani et Otto Doria, engagèrent la bataille; mais de
leurs quarreaux aucun n'arriva jusqu'aux Anglais, tandis que les
archers des Anglais renversaient leurs adversaires avec une grêle de
flèches. Les Génois prirent la fuite et vinrent se jeter, en poussant
des cris lamentables, sous les chevaux des Français arrivant der-
rière eux. L'arrière-garde de l'armée française, composée en grande
partie de jeunes volontaires inexpérimentés, crut entendre le cri des
Anglais mourants, et dans le désir d'achever les ennemis, opprima
les rangs placés devant elle. La confusion devint inévitable. Beau-
coup de soldats furent écrasés et tombèrent sans avoir reçu aucune
blessure, tandis que les Anglais faisaient de leurs adversaires un
véritable carnage. Mal engagée, la bataille fut mal continuée et
quand, le lendemain, les Français livrèrent leur seizième assaut, la
victoire des Anglais fut absolument décisive ^ Dans cette bataille
un roi même succomba : ce fut Jean l'Aveugle, roi de Bohême et
comte de Luxembourg, allié des Français, l'un des chevaliers les
plus vaillants de son temps. Le roi de France fut blessé-'. Les
Anglais n'y perdirent que peu d'hommes, tandis que les Français
en perdirent plusieurs milliers '. Le roi Philippe s'en retourna
abattu et désolé à Amiens et de là à Paris.
Forcé d'abandonner son projet de jonction avec les Flamands,
puisque ceux-ci, le 24 août, avaient brûlé leurs machines de guerre
1. Voy. surtout Baker, p. 83 suiv., où il parle aussi des faits merveilleux du
prince de Galles, qui était à la tète de la première des trois batailles des Anglais.
Kmghton, 1. c.
2. Chron. Angliae, éd. Thompsox, p. 23 : « inculture et femore n. Eulocfiiim ajoute,
p. 210 : « portans in maxilla sua unam sagittam ». Cf. Kmghtox, p. 38.
3. Kmohton dit : << ij mille virorum armatorum et xxxij mille aliorum armatorum >>.
ViLLAM, p. 959 : 1.600 comtes, bai-ons, etc., 4.000 des bons j;entz d'armes, 20.000 com-
muns. FuoissART : plus de 16.000 hommes (p. 190). Bourgeois de Valenclennes^
p. 233 : 35.000; le lendemain : 6.000 (p. 236). Northburgh : « dezbones gentz d'armes...
saunz comunes et pedeilles,... mil D xlij ». Chronogr., p. 233 : «tria millia et octin-
gcnti homines et non plures ». C'est trop peu. Le roi Jean de Bohême, le comte
Cliarles d'Alençon, Baoul, duc de Lorraine, les comtes Louis de Flandre, Louis de
Blois, Jean de Harcourt, Jean d'Auxerre et de Tonnerre, Simon de Salm, Louis de
Sancerre, Henri de Vaudemont, Jean de Uoucy étaient entre les morts. Voy. S. Luce
dans FuoissAHT, III, p. xlviii suIa ., Thompson dans Baker, p. 262.
KDOLAP.D KN NOKMANDIi:, CltKCV, CALAIS, 13i(), 1347 45
(levant Béthune ' (au diocèse d'Arras) et s'étaient retirés, le roi
d'Angleterre conçut un autre plan, qui fut de s'emparer de Calais.
La prise de Calais, se disait-il, lui vaudrait bien des victoires. Le
28 août, il partit donc de Crécy dans la direction de Calais. En
route, ses troupes dévastaient le pays jusqu'à huit lieues à la ronde;
elles incendièrent Saint-Riquier^ où il y avait une abbaye de Béné-
dictins et où rilotel-Dieu resta tellement endommagé par le l'eu
qu'on n'y pouvait plus recevoir de pauvres'^. Waben et les fau-
bourgs de Montreuil-sur-mer devinrent également la proie des
flammes; de même Saint-Josse avec l'abl^aye des Bénédictins, pour
laquelle Innocent VI en 1354 suppliait le roi de France '». Un autre
détachement anglais dévastait le pays dans la direction de Hesdin ■'.
Sur la route se trouvait l'abbaye des Prémontrés de Saint- André.
Entrés le 29 août dans le diocèse de Thérouanne, les Anglais brû-
lèrent et pillèrent Etaples^* et Neufchàtel. Les Boulonnais repous-
sèrent les troupes anglaises et un assaut de 400 nefs anglaises, qui
avaient débarqué L5.000 Jiommes, le 4 et 5 septembre ^ Mais les
faubourgs de Boulogne furent brûlés par les Anglais « jusqu'aux
murs^ », déjà si fortement éprouvés en 1339. Puis ils vinrent à
Wissant. (]e fut à ce moment ou l'année suivante que cette ville fut
incendiée et que le bénéfice ecclésiastique qu'avaient fondé les
citoyens fut supprimé-'.
1. Cette ville cependant avait beaucoup souILn-t de l'incendie. Froissait. IV,
p. xHi, not. ô.
2. Kmghto.n, p. 39.
3. Suppl. Innocent. VI, n" 29, fol. 70, ad an. 1358. Alors l'Hôtel-Dieu était à peu
près réparé.
4. Fhoiss.vht, III, p. Kxii. B.vKEa, p. 86. Innocent VI dit au roi de France, « quod
ipsius nionasterii Iructus... faciente preteritoruni malitia teniporuni, que prêter
calamitatem bellicam niortalitatis pesteni vehemetiteni indu.\it, sunt adeo diminuti
quod abbas et con^•entus ad vitam inopeni defendendani impotentes penitus niultis
propter iliam gravantur contractis jam oneribus debitoruni, [petitionibus eoruni
aureni suam inclinât] ». Bey. Val., n" 236, fol. 44, ad an. 1354, Martii 17.
5. Fhoissaht, 1. c. Edouard menaça seulement Ilesdin. A'oy. Danvix, Vicisslliides
du Vieil-IIesdin (1866), p. 89.
6. Harbaville, Mémorial hist. du Pas-de-Calais, II. p. 108 et les chroniques.
7. C/j7'on. de Gilles li Muisis, éd. de Smet, II, p. 263.
8. Kmghtox, p. 39.
9. (( Benilîcium situm in villa de \^'issant ju.vta Calcsium, quod a burgensibus ville
in eadeni villa institutum fuerat, propter guerras. occasione quarum dicta villa com-
busta extilit, noscitur amisisse ». Nicasius de liazinfihem. dans Suppl. Cleni. VI. n" 16.
fol. 93. ad an. 1319 Jan. 1. Voy. IlAunAvn.i.i:, 1. c. II. p. 75.
4G LA fUElUŒ DK CENT ANS
Le 4 septembre ^, Edouard parut devant Calais et il en commença
le siège. La ville bien fortifiée avait pour capitaine Jean de Vienne.
Edouard, prévoyant un long- sièg-e, fit construire presque une ville
pour y log-er son armée et manda d'Angleterre, pour le siège, des
machines qui, du reste, ne servirent pas beaucoup-. Afin d'approvi-
sionner l'armée, on organisa de véritables brigandages. D'après une
version, quand les Anglais apprirent qu'à Thérouanne il se tenait
un marché, le comte de Warwick s'v rendit avec un détachement.
Les Français (on dit à tort au nombre d'à peu près 10.000) s'étaient
fortifiés et se défendaient sous la conduite de l'évêque de Thérouanne
(Raymond). Mais ils furent vaincus et beaucoup d'entre eux encore
furent tués. L'évêque même, gravement blessé, put à peine se sau-
ver. Les Anglais pillèrent ensuite le marché et emportèrent tout
à Calais^. Thérouanne fut brûlée.
De nombreuses abbayes et bien des monastères souffrirent
beaucoup à cette époque, et certains ne se relevèrent jamais. Ainsi
l'abbaye des Bénédictins de Sainte-Marie de Capelle, près de Calais,
fut totalement détruite en 1316*. Il n'était plus possil)le d'y rester.
En 1354, son abbé Laurence demanda l'hospitalité dans l'abbaye
de Saint-Sauveur de Hames •''. Jamais son abl^aye ne fut relevée.
Il en arriva de même pour l'abbaye de Saint-Sauveur d'Andres ^ ;
1. AvEsnnuY, p. 372, et Chronicle of London (1827), p. 59, disent le 3 septembre;
mais les Itinéraires et Bakeii, p. <S6, le i septembre.
2. Bakkm, p. 80 suiv.
.3. Kmghton 1. c. dit : « statim pnst » qu'Edouard avait mis le siège devant Calais.
— J'ai dit « d'après une version », parce qu'il y en a une autre, celle que donne l'abbé
Gilles li jSIuisis généralement bien informé, (éd. nn Smiît, II, p. 263). "S'ers le 14 sep-
tembre, révoque de Thérouanne prend rofï'ensivc contre les Flamands. Ceux-ci lui
répondent en s'emparant de sa ville de Thérouanne (pi'ils livrent au pillage et à lin-
cendie. Puis ils battent l'évcque qui se retire à Saint- Pol. Enfin ils le poursuivent dans
sa retraite et brûlent toute la ville, y comi)ris la maison de l'évêque, n'épargnant que
l'église. A^)y. encore Bourç/eois de Valenciennes, p. 210. Il dit « lundi avant Saint-
Michel », c'est-à-dire le 25 septembre. — Une troisième version, dans .1. Meykh,
Cmnment.irii rerum Flundriae (Anvers 1561), p. 149, contond les deux récits, avec
quelques additions fautives. — IlAimAVu-LE, Mêmoriol etc., II, p. 366, ne mentionne
pas le fait de Saint-Fol, mais donne p. 179 quelques renseignements sur Thérouanne.
4. Gall. christ., X, 1584.
5. Reg. Vnl., n" 226, fol. 251'\ ad an. 1354, Novemb. 22 : « ita miserabiliter est
destructum, quod in eo locus inquo quis habitarc valeat, inveniri non potest. »
6. Gdll. christ., 1. c, 1603, ne sait pas si elle fut relevée. Mais voy. Demfle, La
Désolation des éfjlisss, I, n" 54, 55.
ÉDOIAIU) F:N NonMANDIE, CHKCV, CALAIS, 1^)i(), 1 'Vi 7 47
mais elle existait encore au moins en partie en 1352 ^ C'est de cette
époque que date le commencement de la désolation pour les abbayes
de Saint-Léonard de Guînes (Bénédictines), détruite quelques années
après, et de Bonham (Cisterciennes) dans le comté de Guînes-.
Les Anglais dévastant tout le pays des environs de (Valais-', les
autres monastères de cette région virent au moins leurs possessions
ravagées, leur bétail enlevé. Le 1^'" avril 1347, les Anglais dévas-
tèrent le pays jusque vers Saint-Omer : à leur retour, quatorze loca-
lités et le monastère des chanoines réguliers de Waten (diocèse
d'Arras) furent la proie des flammes^. En juillet, le comte Henri de
Lancaster fit une excursion avec 800 hommes d'armes et de nom-
breux archers ■*, qui ramenèrent au camp de Calais jusqu'à
2.000 bœufs ou A^aches et plus de 5.000 brebis^'. Opendant les
assiégés de Calais mouraient de faim. Malgré les efforts héroïques
des marins de divers jDorts français pour escorter des transports de
munitions et de Advres à Calais, le dernier convoi de 30 galères
entra après le 1^'" avril ^. Les dispositions prises par Edouard ren-
dirent impossibles de nouvelles provisions^. Vers le mois de juin,
les assiégés avaient déjà mangé tous les chevaux et même les chiens
et les chats; il ne leur restait plus qu'à se manger les uns les
autres^. Pour amoindrir les ditïicultés de la défense, on avait forcé
environ cinq cents pauvres à quitter Calais. Ils s'adressent à
Edouard qui les repousse vers la ville, laquelle à son tour ne les
reçoit pas. Et voilà ces malheureux réduits à mourir peu à peu
de faim et de froid, sur le terrain étroit qui séparait Farmée anglaise
des murailles de la ville ^*^.
1. Voy. Chron. novmunde, p. 29»,not. 3.
2. Voy. plus loin, et de Laitanh:, L'ahhni/e de Clnirinnvnis, I, p. 1G8.
3. Km(;hto\, p, 48.
4. Chron. Gilles de li Miiisis, 1. c, p. 267.
5. IvNUiHTOx (suivant rédition) : 20.000. Mais ce chinVe est trop exagéré.
6. Ihid., p. 50 : « quac exercitui magnum retVigerium praesliterunt ».
7. Kmghtox, p. 46 : « Post Pascha », le 1" avril.
8. Sur les clisj)t)silions prises par Edouard au commencement du siège, voy.
Bakfh, p. 90. Kmghtox, p. 47, parle de mesures postérieures. 700 navires avec
14.151 marins étaient devant Calais. Nicolas, A History of the royal navy. II. p. 507.
9. Voy. la lettre de Jean de Vienne dans Avesdirv, p. 306: un IVagment dans
KxiGHTox, p. 48, et S. Lien dans Fuoissart. IV, p. xx. not. 8; Chronogr. , p. 244
suiv. et not. 1 ; Bourgeois de Vulenciennes, p. 260 suiv. \'oy. Piehhe Cochox, p. 71.
10. Kmghtox, 1. c.
48 LA GUERRE DE CENT A>'S
Le 27 juillet le roi Philippe accourut au secours avec une grande
armée qu'il fît camper sur les hauteurs de Sang-atte entre Wissant
et Calais. Il otFrit d'abord le duel à Edouard qui accepta. Mais le
2 août de grand matin, les Français, comme saisis d'une terreur
panique, levèrent précipitamment le camp, mirent le feu à leurs
tentes et à une partie du bagag-e et battirent en retraite, poursuivis
par les Anglais qui firent riche butina Les assiégés, alors désespé-
rés, se rendirent forcément le 4^ aoùt'^ 13i7, après une résistance
g-lorieuse de onze mois. Eux-mêmes ôtérent des murs le drapeau
français en le remplaçant par la bannière anglo-française '^ Depuis
lors Calais, le Gibraltar du Nord, resta au pouvoir des Anglais du-
rant plus de deux siècles, jusqu'au moment où François de Guise le
leur enleva pour tout jamais en 1558. Edouard avait fort bien calculé.
Nulle autre ville n'offrait un meilleur point d'appui pour les expé-
ditions contre la France, ni un meilleur entrepôt pour le commerce
avec la Flandre ^. La perte de Calais fut pour cette raison la plus
sensible de toutes celles que subirent les Français à cette époque-',
comme deux siècles après pour les Ang-lais.
Je ne parlerai guère des charges pesantes qu'Edouard imposa aux
assiégants. Elles sont bien connues. Presque tous les habitants, y
compris les religieux, comme par exemple les Carmes, furent chas-
sés de leurs foyers et remplacés par des Anglais. Bien des
exilés réussirent à trouver un nouvel abri, mais beaucoup aussi
furent forcés de mendier leur pain ^.
1. AvESBURY, p. 391 suiv^, où se trouve la lettre intéressante du roi cl' Anj^le terre,
et Bakeb, 1. c., avec de renseignements nouveaux. Pierre Gochox, l. c.
2. AvEsnuRY, p. 372 et 395 dit, 3 août. Mais Kmohton, p. 51, dit : « iv die Augusti »,
et ainsi quelques autres sources. Voy. E. Molimer, dans ÏÉtinle sur la vie d'ArnouL
d'Aiidrehem dans les Mém. présentés à l'Académie des Inscriptions, etc., 2" série,
t. VI, p. 15, not. 3. Bakeu écrit aussi « sabbato », c'est-à-dire le 4 août.
3. Kmghïox, 1. c. : <( Cuni vidissent ci\'es Calesiae vecordiam Francorum, subtraxe-
runt de mûris vexilta Franciae, et vexilla régis Angliae quadrilata de armis Angliae
et Franciae élevantes ». ^'oy. encore B.\ker, p. 91.
4. Pauli, Gesch. V. England, IV, p. 409; Bilder ans Alt-Ent/land, 2^ éd., p. 166.
Déjà en 1362, Edouard établit l'étaple des laines, entrepôt qui fut pour Calais un
élément de prospérité. Plus tard, le port fut agrandi par les Anglais. Voy. Harba-
A IM.E, 1. c, II, p. 24 suiv.
5. Je note seulement ici la tentative malheureuse de Geofl'roy de Charny pour
reprendre Calais aux Anglais, 1349-1350. Voy. Froissart, IV, p. xxxi suiv. ; Avesbtjry,
p. 400 suiv. ; Contin. Miirimuth, éd. Hog, p. 179-181, et surtout Baker, p. 103 à 108.
6. Jea\ de Vexette {Contin. Guill. Nanc/., II, p. 207). Cabinet hist.^ XXIV, p. 254
suiv. Plusieurs familles calaisiennes vinrent s'établir àCarcassonne. Hist. gén. de Lan-
guedoc, éd. Privât, IX, p. 604.
Li:S ANGLAIS EN uretagne, 1345 à 1347 49
Ensuite les Anglais dévastèrent les environs de la ville ^ à peu
près autant qu'ils l'avaient déjà fait. Ce fut là en particulier l'œuvre
d'Edouard, prince de Galles, jeune homme de dix-sept ans, auda-
cieux et téméraire, dont la férocité et le goût pour le pillage et les
incendies croissaient avec l'âge. Lors d'une expédition qu'il fît
dans les contrées limitrophes de la France jusqu'à trente lieues
de distance, il mit tout à feu et s'en retourna à Calais avec un gros
butin ~. Gela se fit avant la trêve qui fut conclue entre les deux
rois, le 28 septembre, devant les portes de Galais, par les intermé-
diaires du pape, les cardinaux Hannibal de Geccano et Etienne
Aubert, trêve qui devait durer dix mois, mais qui fut ensuite renou-
velée à différentes reprises jusqu'au 6 avril 1354-^.
Après le retour de l'armée victorieuse en Angleterre, on eût cru
qu'un nouveau soleil s'était levé pour ce pays. Bon nombre d'Anglais
s'enrichirent du l)utin conquis sur les Français en un si court
espace de temps. Soit habits, soit fourrures, matelas ou ustensiles
divers, il n'y eut guère de femme qui ne possédât quelque chose du
butin fait à Gaen, à Galais ou ailleurs. Çà et là, on vit tout à coup
dans les maisons des serviettes de table, des bijoux, des coupes d'or
et d'argent, des étoffes, des toiles et du linge de provenance fran-
çaise. Les dames anglaises se plaisaient à se pavaner dans les
atours des dames françaises, et autant celles-ci déploraient la perte
d'innombrables objets précieux, autant celles-là se réjouissaient d'en
avoir fait l'acquisition ^.
5. Les Anglais en Bretagne^ bataille de la Roche-Derrien.
Malgré la mort de Jean de Montfort, la guerre en Bretagne
n'était pas finie. Edouard était le tuteur du jeune Montfort et le
comte de Northampton, lieutenant général en Bretagne ''. Le
29 novembre 1345, ce général parut devant Garhaix au diocèse
de Quimper, puis il assiégea, mais sans succès, la ville deGuingamp,
1. Jkan de Vexetti:, 1. c. Mais le château de Guînes fut pris seulement en 1352,
2. Kmghtox, p. 52 : « misit igni et lïammae totam patriam in circuitu ».
3. Voy. les articles clans Avesuuuy, p. 397-102; Rymek, Foedeni, III, 13G, 173. 177,
18i, 197, 232, 253, 26i, 276.
4. Walsingham, Ilisloria Anylicana, éd. Riley, I, p. 272. Voy. Murimuth, p. 248.
5. Voy. plus haut, p. 27.
R. P. DenH'Le. — Desolalio ecclcsiarum II. 4
50 LA (iLERRE DE CENT ANS
au diocèse de Trég-uier. En se retirant, il livra un assaut à la forte-
resse de la Roche-Derrien, du même diocèse, et ayant réussi à se
ménager des intelligences dans la place, il s'en rendit maître K Je
crois qu'à cette occasion, l'église de Notre-Dame située tout près
des murs fut détruite -. Après que les Anglais eurent j^ris la Roche-
Derrien, les moines cisterciens de l'abbave de Notre-Dame de
Bégard, située également tout près et dans le même diocèse, al)an-
donnèrent l'abbaye en y laissant seulement quelques domestiques
pour gardiens. Cet état de choses dura pendant deux ans-\
En 1346, les Anglais voulant mettre toutes les églises de Tréguier
et des environs hors d'état de pouvoir servir de fortifications, les
démolirent en partie. Il n'y eut que le tombeau d'Yves de Kermartin,
auquel ils n'osèrent toucher^. A la suite de ces événements, l'évêque
et le chapitre de Tréguier commençaient à craindre que le corps du
Bienheureux Yves, dont la tondre était connue de tout le monde,
ne fut, un jour ou l'autre, volé ou emporté de vive force. Ils s'adres-
sèrent donc au pape Clément VI qui leur permit, sous la date du
1^*'" septembre 13i8, d'exhumer secrètement le corps du Bienheureux
et de le mettre en un endroit sur, en attendant que des temps
plus propices permissent une translation solennelle^.
1. Granil. chron., Y, p. 442 suiv. Plaine, Ln (jnerre de In succession, p. 23.
2. Reff. Val. Greijor. XI, n" 287, fol. 176.
3. (}r;ui(l. chron., p. 473.
4. Voy. LoBiNËAU, llist. de Breiacjne (Paris, 1707), I. p. 388. Les Grandes citron.,
p. 445 suiv,, parlent notamment de « Téglyse cathédral de Lantref^viier », dans
laquelle le corps de Saint- Yves reposait, qui fut détruite en partie; « Taulre cj;lyse
cathédral de Tréj^uier la cité, qui est nommée Sainte-Tuyual » fut détruite en par-
tie par un prêtre plus outrageux que les Anglais,
5. Re(f. Vat. Cleni. Vl, n° 191, fol. 84 :
Ven. fratri episcopo et dil. filiis capitulo Trecoren. salutem, etc. Pia vola lidelium
sane petitio pro parte vestranobis nuper exhibita continebat, quod propler guerra-
rum discrimina in ipsius partibus ingruentia et propter malitiam inimicorum Acstro-
rum acaliorum pravorum liominum, quorum in eisdem partibus peccatis exigcntibus
excessivus est numerus, verisimiliter formidatur quod pretiosum corpus beatiYvonis
confessons, in loco minus luto et cunctis pêne cognito tumulatum, surripialur vobis
alio deferendum, quodque propter peri'mla, que vobis ex ipsius translationc sollem-
pni et publica corporis probabiliter imniinerent,illud adaliquem locum tutum(donec
rex pacificus tcmpora disponat in mclius) transferre sollempniter, prout tanti confcs-
soris mérita exigunt, non audetis. Quare pro parte vestra fuit nobis luimiliLer suppli-
catum, ut providere vobis super hoc de oportuno remedio dignaremur. Nos igitur pic
devotionis studium in Domino commendantes illudquc oportunis in hac parte favo-
ribus i)roscquentes hujusmodi supplicationibus inclina ti prcfalum corpus de loco
LKS ANGLAIS KN KHI-H AGNE, i-Ho Ù 1317 ol
En 1343, le comte de Northampton voulait s'emparer de Laiiiiion
près de Trég-uier, mais il fut toujours repoussé. Il pénétra alors dans
le diocèse de Léon, où les Anglais avaient déjà plusieurs châteaux
munis de garnisons ^ .
Le 6 décembre enfin, la forteresse de Lannion tomba entre les
mains des Anglais par trahison -. Les habitants du pays, qui vou-
laient regagner la Roche-Derrien, furent tenus dans une dure servi-
tude •'.
L'année la plus funeste pour Charles de Blois fut certainement
1347. Dès le 10 janvier, Thomas de Dagworth, nommé lieutenant
général en Bretagne à la place du comte de Northampton, inaugure
son entrée en charge par la sanglante bataille de la Roche-Derrien.
Charles de Blois avait entrepris en personne, et avec une armée
assez forte, le siège de cette forteresse, pour en débusquer ses enne-
mis'^ Mais le 20 juin, il eut le malheur de se laisser surprendre par
Thomas de Dagworth dans une attaque nocturne où il perdit, en
dehors des gens du commun, de 000 à 700 hommes d'armes, che-
valiers et écuyers. « Les chefs des plus grandes familles de Bretagne,
comme les Rohan, les Laval, les Rougé, les Chàteaugiron, les
Châteaubriant succombèrent en combattant à côté de leur duc;
d'autres, comme les seigneurs de Rochefort, de Beaumanoir, de
Tinténiac, de Lohéac tombèrent aux mains des Anglais, » de même
que Charles de Blois en personne, après qu'il eut reçu dix-sept bles-
sures ■*. Jamais le parti de Charles de Blois ne se releva de cette
défaite. Charles, fait prisonnier, fut enfermé dans la tour de
hujusmocli in quo est, ut prcdicitur, tuiiuilatuni, per te, fratci- episcopus, ac vos dil.
fil. capitulum, seu illos e.v vobis quos ad hoc duxeritis eligendos, non obstante qua-
cuni({uc constitutionc contraria, cxhuniandi illudquc secrète ad ali({ueni locuni
tutuni, honeslum tanien atque decenteni transferendi et dimittendi translatuni.
donec ra\ente Deo cessantibus j^uerris hujusniodi corpus idem... cunctis fidelibus
rcvcletur... tenore prcscntiuni elarginiur. Dalum Avinione kal. Sept, anno septimo.
1. Grnnd. chron., V, p. iiS.
2. Ihid., p. iii, li7.
3. 11)1(1.^ p. 1 19 suiv.
i. Suivant Dagworth nicnie, les assiégeants étaient au nombre de 4.400 (Avesiuhv.
p. 38S). K.M(inT(>.\, qui (ou l'éditioni e.\agèi-e toujours les chilïVes, p. 49 : « cum XXX
millibus viris slrenuis ». Les Grand. Chrnu., p. Ti2 : « et a\oit ave([ucs luy granl
quantité de peuple, tant de lîretons cjue de Finançais et d'autres nacions ».
5. S. Lrci:, (iuesclin, p. 52 suiv. Xoy. Pi.ai.m:, j). 23 suiv.: Gnind. vhron.. p. 471
suiv., et la lettre citée de Thomas de Dagwoi-th. K.M(iHT(t.\, p. 49. 55.
52 La guerre ï)e cent ans
Londres, où il dut rester pendant neuf ans jusqu'en 1356. Jeanne
de Penthièvre, sa femme, était impuissante à prendre l'offensive
contre les Anglais et leurs alliés. Du reste la trêve de Calais, sti-
pulée le 28 septembre 13i7, survint à propos pour rétablir, au moins
230ur quelcpie temps, la paix en Bretagne.
6. La guerre dans le comté de Bourgogne^ dans le Valentinois et le
Diois et en Boussillon.
Bien que, dans ce paragraphe, il ne s'agisse pas strictement de
la guerre de Cent ans, j'ai pensé néanmoins devoir mentionner en
peu de mots les hostilités qui eurent lieu, durant cette guerre, dans
les pays susdits, puisqu'elles amenèrent également la ruine de plu-
sieurs monastères.
Et pour commencer par le comté de Bourgogne ou la Franche-
Comte^ ce paj^s fut bien sérieusement ravagé en 1336 et dans les
années suivantes. On guerroyait sur presque tous les points. Une
ligue formidable désolait le pays en haine d'Eudes IV, comte de
Bourgogne. Jean II de Chalon, seigneur d'Arlay, qui donna le signal
de la révolte, Henri de Montfaucon, comte de Montbéliard, Thi-
l)aud, seigneur de Neufchâtel sur le Doubs, et le sire de Faucogney
en étaient les chefs. Brusquement attaqués dans leurs prétentions par
le comte, ils se soulevèrent contre lui^. Tandis que les uns rava-
geaient les monts, les autres portaient la frayeur dans la plaine,
comme les troupes d'Edouard avec lequel ils étaient secrètement
alliés et qui envoya d'abondants subsides. Ces seigneurs renver-
sèrent les murs de l'abbaye cistercienne de La Charité, diocèse de
Besançon ~. Baume et tout le voisinage souffrirent beaucoup de la
présence des troupes des deux partis. L'abbaye bénédictine fut rui-
née le 7 mai 1336 et restaurée seulement vers 1390^. Au même
temps brûlait aussi le prieuré de Vaux. L'abbaye cistercienne de
Cherlieu n'était pas à l'abri de beaucoup d'exactions '*. Le comte de
1. Voy. Ed. Cleuc, Easni sur Lliistoire de Franche-Comié (1870, 1846), II, p. 37 et
suivantes, 60 siiiv.
2. Clkuc, 1. c. j). 52.
3. Gall. christ., XV, 180; Clerc, 1. c.
i. ^'oy. L. Bessox, Méin. hist. sur Cahbaye de Cherlieu (1847), p. 64 et suiv.
LA r.UEHRE DANS ROURr.OGNE, VALENTINOIS, 133G Ù 135() .^3
Bourgogne étant vainqueur en 1336, la guerre se ranimait dès 1339;
Cherlieu se mit sous la protection du comte Eudes de Bourgogne.
Mais une autre abbaye cistercienne de la Grâce-Dieu, du même
diocèse, eut un sort bien plus triste. Elle fut dévastée et ses
archives dispersées. Les religieux eux-mêmes nous apprennent
que de leurs papiers égarés en cette circonstance ils n'ont recou-
vré qu'un seul titre ' .
Mais le comte même ne traita pas mieux les religieux bien que la
paix fut presque rétablie. Lorsqu'en 13i3, les religieux de l'abbaye
bénédictine de Lure craignaient des incursions, l'abbé Jacques de
Vyt fortifia l'abbaye par un mur de briques, garni de plusieurs tours
et entouré d'un double fossé. Le comte Eudes, se croyant offensé
dans ses droits, ordonna à l'abbé par Jean de Montaigu, l^ailli
d'Amont, de faire démolir ces fortifications. Lure ferma ses portes aux
huissiers qui devaient porter cette ordonnance à l'abbé, lequel fut
alors cité. Mais au lieu de comparaître, il continua ses travaux. Jean
de Montaigu le condamna par défaut à une amende de mille marcs
d'argent et à la destruction des murs qu'il avaient élevés. Ce juge-
ment fut rendu le 25 avril 1345. Mais on ne put le mettre à exécu-
tion. Alors les biens que cette maison possédait en Bourgogne
furent saisis et l'abbaye en demeura privée pendant trente-cinq
ans ~. Plus tard le comte Eudes envoya sur les terres de l'abbaye
des seigneurs, avides de butin, qui les désolèrent par leurs incur-
sions, et qui mirent le feu partout où ils passèrent ^. Au milieu de
cette destruction, Jacques mourut. Sous le nouvel abbé Guillaume,
en 1353, les moines furent chassés de leur monastère par Ulric, le
grand bailli d'Alsace, officier du duc Albert d'Autriche, d'accord
avec les Bourguignons, et ils durent pendant plusieurs années vivre
au dehors, souvent même en mendiant. En 1356, Innocent VI se
plaignit à l'empereur Charles IV de cet état de choses en le priant
de s'interposer afin que les moines pussent retourner dans leur
1. RicHAun, Hisloire de Vabbaye de la Gnice-Dieu (1857), p. 62.
2. Voy. sur toul cela Besson, Mém. hist. sur Vabbaye et la ville de Lure (1856),
p. 58 suiv. ; Clerc, p. 77. Parmi les domaines confisqués « per gentes quondam
Odonis ducis Burgundie » se trouvait aussi la ville de Grozon, et le monastère « ex
tune ex ipsius ville reddilibus et pensione aliquid non percepit ». Reg. Vai., n" 24 i
N, ep. 32 4, ad an. 1351, Decemb. 1.
3. Bessox, 1. c., p. 60.
54 LA GIKRHE DE CENT ANS
monastère ^ Par suite de ces calamités le monastère s'était telle-
ment appauvri qu'en 1363 l'église n'était jDas encore achevée -,
L'al3])ave trouva néanmoins plus tard des défenseurs dans les
ducs d'Autriche^.
Dans le Valentinois et le Diois^ il y avait depuis le xiii^ siècle
des rivalités continuelles entre les évêques et les comtes, parce
que ceux-ci voulaient étendre leur domination sur tout le territoire
valentinois et diois au préjudice de l'évêque de Valence et de Die.
Enfin, en 1332, une convention fut stipulée à Avig-non entre l'évêque
Aymar de la \ ovdte et le comte Aymar V. Comme la division de la
ville de Grest en deux seigneuries distinctes était la source princi-
pale de la guerre, il y est statué que cette division n'existera plus ;
la souveraineté appartiendra désormais indivise à l'évêque et au
1. Recf. Viit., n° 238, fol. 62, ad an. 1356, Mail 10 : Carissinio... Carolo imperatori
Roman, seniper Au^usto, salutem. etc. Moleste nuper ac displicenter audivimus quod
quidam ofiîciales dil. fdii nobilis viri Alberti ducis Austrie in comitatu de Feiretis ad
ducem eundeni spectante monasterium de Lutra, Romane ecclesie immédiate subjec-
tum, O. S. B., Bisuntin, dioc., presumptione dampnabili occuparunt, et exclusis
inde ministris Dei, abbate et monachis dicti mon., ac bonis eorum omnibus datis in
predam, perintroductos in illud minislros sathane detinent occupatum, tôt mala inibi
committentes quot brevi stilo compreliendcrc non possemus. In quo, et si oflensam
Dei et injuriam libertatis ccclesiastice defleamus, notam tamen infamie que ex hoc
famé dicti ducis imponitur non mediocriter deploramus. Ad pietatem ilaque tuam...
ut ruine ac desolationi dicti monasterii misericors et miserator occurras, paterna
fiducia récurrentes, serenitatem tuam attente rog:amus quatenus ad preservationem
dicti mon. dexteram auxilii porrijiens salutaris de illo super hoc remedio. divine
propitiationis intuilu, et nostre intercessionis olîtentu. velis favorabililer et ccleriter
providere... Dat. Avinione vj id. Maii anno quarto.
2. Siippl. Urhani V, n» 3ô, fol. 1J5 : Supplicat S. Y. creatura vestra devota Ilen-
ricus abbas vestri monasterii Lutren., Ord. S. lîen., Bisuntin. dioc. ad vestram Rom.
ecclesiam nuUo medio pertinentis, quatenus, cum prefatum monasterium situatum
existât inter Alamaniam, Bur^ondiam et Lothorinj^iam in medio nationis perverse,
inter gentes efCeras, et rapacitati ultra modum deditas, adeo quod a decem annis citra
abbas et monachi predicti monasterii per Alamannos ab ipso monasterio violenter
expulsi, per plures annos remanserunt vagabundi, et quidam ipsorum mendicare
sunt coacti, et de die in diem similia vel pejora verisimiliter formidantur, nisi per
S. y. de remedio condecenti prefato monasterio succurratur [de instituendo conser-
vatore].
Item [cum] predicti monasterii ecclesia propter paupertatem vel alias numquam
fuerit consumata. sed remanserit et adhuc est imperfecta, abbascjue et monachi pre-
dicti non habeant de quo valeant perficere vel alias consumare, q>iatcnus omnibus,
qui manus eidem ecclesie vel capelle beati Deicoli, dicti monasterii fundatoris, in
qua corpus ejusdem requiescit, porrexerint adjutrices... septem annorum et septem
quadragen. indulgentias dignemini... indulgere. Fiat. B. Dat. Avinion. viij kal.
Februarii, anno primo (an. 1363, Jan. 25), Voy. aussi Biîssox, 1. c, p. 60.
3. ^"oy. Besson, 1. c, et p. 213, n" xvii.
LA GUE11RI-: DANS ROURGOGNi:, VALENTÏNOIS, 1330 à 13r)() 00
comte ; en temps de guerre, Grest et son territoire demeureront
neutres 1. Le 9 avril cette convention fut ratifiée et le comte prêta
l'hommage lige à l'éveque de Valence et de Die pour tous ses fiefs
dans l'empire -.
Mais le comte Aymar VI prétendait qu'il importait à la sécurité
de la ville de Grest qu'on fit sans retard de nouvelles constructions.
Aussi les officiers du comte avaient-ils de perpétuels différends avec
les sujets de l'éveque ^. Telle fut l'origine de la guerre des épisco-
paux ainsi dénommée parce que les documents du temps désignent
sous le nom d'épiscopaux les soldats enrôlés sous la bannière de
l'éveque. Gette guerre qui devait durer douze ans éclata au mois de
décembre de Tan 134G entre le comte et l'éveque Pierre de Gliâlus.
L'intervention du pape lui-même fut impuissante à l'empêcher.
Des deux côtés, on brûlait et l'on ravageait suivant l'exemple
anglais''. Vers le milieu de l'an 1347, la situation sembla vouloir
s'améliorer grâce à l'intervention des délégués du pape, les évêques
d'Uzès et de Lisbonne; mais les épiscopaux renouvelèrent les hos-
tilités en assiégeant Grest. De leur côté, les troupes du comte de
Valentinois portèrent la désolation sur le territoire de l'éveque et
forcèrent les épiscopaux à lever précipitamment le siège. Ensuite
ces derniers furent battus à Upie ^. Le calme fut rétabli, mais le
comte refusa de démolir les fortifications construites par lui à
Grest ^*. Après que la peste noire eut apaisé les esprits pendant
quelque temps, la guerre se ralluma en 1352, sous le nouvel évêque
Jean Joffréry, et de nouveau des bandes armées se mirent à rava-
ger les campagnes. Il est vrai que le 1^*" juillet 13o3 une trêve fut
conclue à GhabeuiP, grâce encore une fois à l'intervention du pape;
mais ce fut seulement sous l'éveque Louis de Villars que les deux
1. ^''oy. .T. Chevameh, Mémoires pour servir n Vhisl. dea comlés de Valentinois et
de i)/o/.s, I (1897), p. 297 ; et le même : Essai hist. sur L église et la ville de Die, II,
p. 194 suiv., où sont indiqués les autres articles du traité.
2. Gallia christ., XVI, Instrum., p. 128-130.
3. J. Chrvamkh, Essai hist., etc., p. 220.
4. Voy. les événements dans Chorier, Hisi. çjén. de Dauphiné (Grenoble, 1672), II,
p. 321 suiv.; Valboxais, Hist. de Dauphiné (Genève, 1722), II, p. 539 suiv., 55G suiv.
J. Chevalier, 1. c, p. 221 suiv.
5. Chorier, 1. c. J. Chevalier, 1. c, p. 229 suiv,
6. J. Chevaliep., p. 231 suiv.
7. Ibid., p. 2i0 suiv.
56 LA GUERRE DE CENT ANS
partis en vinrent k une transaction définitive, d'abord à Lyon en
1356 et ensuite, après de nouvelles difficultés, à Avignon en 13o8.
La ville de Grest avec son territoire fut donnée à perpétuité au
comte et à ses descendants ^
Bien que pendant cette phase de la guerre il n'y eut pas de
monastères détruits, ils eurent cependant beaucoup à souffrir. J'ai
pu constater cela au moins pour plusieurs et je rapporte ici les
notices respectives qu'on aurait de la peine à trouver ailleurs. Ainsi,
à la suite de récoltes mauvaises et des guerres antérieures entre les
évêques et les comtes, Tabba^-e des chanoines réguliers de Saint-
Thiers de Saoû (S. Tirti de Saône), dans laquelle plusieurs comtes
valentinois avaient leur sépulture, s'était tellement endettée, qu'on
pouvait à peine donner le nécessaire aux chanoines. Sibylle de
Baux, comtesse de Valentinois, demanda donc l'incorporation des
prieurés de Saint-Martin de Mirmande et de Sainte-Marie de la
Répara-. Une autre abbaye de chanoines réguliers, celle de Saint-
Ruf, avait également perdu pendant les guerres une partie de ses
revenus, et Tabbé Pierre demanda l'incorporation du prieuré de
Châteauneuf du diocèse de Gavaillon"^. De même le prieuré béné-
dictin de Beaumont-lès-Valence avait perdu beaucoup de bétail
destiné à la nourriture des moines, et le prieur Pierre Ferlay
demanda le prieuré de Saint-Pierre « Ay » en qualité de commende,
pour y pouvoir mener le bétail en temps de guerre ^. Enfin le
prieuré bénédictin d'Aoùste, dépendant de l'abbaye d'Aurillac, se
trouva lui aussi considérablement réduit dans ses revenus « par la
guerre, les incendies et la mortalité^ ».
Les anciennes plaies des provinces de Bourgogne et du Valenti-
nois n'étaient pas encore guéries, quand les incursions des Anglo-
Navarrais et des Compagnies vinrent les rouvrir avec violence et
en ajouter d'autres plus cruelles encore. Et dès lors ces provinces
entrèrent à leur tour dans le rayon de la terrible guerre de Cent
ans. J'en parlerai ^^Ins loin.
1. J. Chevalier, p. 246 suiv., 248 suiv.
2. Siippl. Clem. VI, n" 9, fol. 47 '', ad an. 1345, Jun. 16.
3. Suppl. Clem. VI, n° 6, fol. 48, ad an. 1347, Jun. 21. — C'est Châteaunenf-de-
Gadagne. Voy. Courtet, Dict. géogr. hist., archéol. des communes du département
de Vaucluse (1857), p. 149.
4. Suppl. Clem. VI, n° 19, fol. 38 '', ad an. 1349, Jun. 18.
5. Suppl. Clem. VI, n° 22, fol. 106, ad an. 1352, Sept. 11 : « propter guerram, ignis
appositionem ac mortalitatem. »
LA PESTE NOIRE EN FRANCE, 1348, 13^9 o7
Mentionnons seulement en passant l'incursion faite en 1344 par
Pierre IV, roi d'Aragon, dans la province du Roussillon^, où il
pénétra le 15 mai, ravageant tout le pays aux environs du Boulon
et d'Elne ; il mit le siège devant Collioure et se présenta le 21 mai
devant Argelès près d'Elne. Il livra plusieurs assauts -à la vàlle qui
finit par se rendre. Ensuite il attaqua la tour de Pujols située
entre Argelès et la mer. Pujols était une grange très considé-
rable et purement allodiale de l'abbaye cistercienne de Fonfroide ''.
La tour se rendit ^. Puis le roi Pierre partit pour aller presser le
siège de Collioure, et après avoir pris cette place, il assiégea la
ville d'Elne K
Cette même époque était pleine de troubles et de guerres conti-
nuelles entre le Dauphiné et la Savoie. En Lorraine, dans le diocèse
de Toiil^ il existait aussi de violentes hostilités entre les citoyens,
et Févêque et les chanoines. Ainsi plusieurs maisons des chanoines
furent démolies ^, et même des villes entières furent brûlées et
presque détruites, par exemple Remoncourt ^. Je signale simple-
ment ces faits, car mon but n'est point de raconter en détail ces
guerres privées "' .
7. La peste noire en France.
Cette peste, une des plus terribles épidémies dont l'histoire ait
gardé le souvenir^, n'avait pas seulement envahi la France, mais
aussi les autres pays. Les années 1348 et 1349 furent calamiteuses
pour toute l'Europe. Une épidémie semblable avait déjà éclaté dans
1. ZuniTA, Anales de la Corona de Aragon (1610), t. II, p. 1"1 suiv.
2. Cf. Cauvet, Etude historique sur Fonfroide (1875), p. 120.
3. Voy. E. Dei.amoxt, Sièges soutenus par la ville d' Argelès en Vallespir (1861),
p. 9 suiv.
4. Voy. la suite dans Ilist. de Languedoc, IX, p. 553 suiv.
5. Gall. chinst.^ XIII, p. 1025 suiv.
6. Suppl. de Raoul duc de Lorraine in Suppl. Clem. 17, n" 2, fol. 188'', ad an. 13i3,
Maii 13. Il demande la translation des corps de deux saints de Remoncourt à Saint-
Geoi'ges de Nancy. Au même temps des hostilités existaient entre révcque de Metz et
le duc de Lorraine et quelques comtes. Voy. Suppl. Clem. TT, n" 3, fol. 89, ad an
1353, April. 5.
7. Il y avait vers 1355, par exemple, une lutte très vive entre révcque de Viviers
et Hugues Aimard, seigneur de la Garde. Ilist. de Languedoc, X, p. 1107 suiv.
GuiGUE, Les Tard-Venus, p. 11 suiv., donne d'autres exemples des guerres privées.
8. Voy. Demsi.e, Eludes sur la condition de la classe agricole en Normandie,
p. 640.
58 LA GUERRE DE CENT ANS
plusieurs parties de la France, par exemple dans le diocèse d'Auch,
dès l'année 1342, et ce fléau, qui redoubla de force en 1348, mit les
Auscitains déjà ruinés par les fortifications et les impôts dans la
situation la plus afllig-eante ^ . Eclatant au moment où le clergé et
le peuple avaient déjà été plongés par la guerre et par Textrême
dépréciation de la monnaie dans une grande misère , la peste
noire apparut plus horrible en France que dans les autres contrées.
Une grande partie de la population fut enlevée en peu de temps ;
dans quelques endroits, comme on raconte, les neuf dixièmes des
habitants moururent de l'épidémie ; ainsi à Viviers - et en Bour-
gogne où plusieurs Alliages furent réduits à la solitude, témoin ce
lugubre distique ^ :
En l'an mil trois cent quarante-neuf
De cent ne demeuroit que neuf.
Plus de 100.000 personnes moururent à Rouen pendant la peste '*.
Les cimetières d'Abbeville sont alors « ci remplis de corps, qu'on ne
peut moins trouver où s'en puisse enterrer les corps » ^ Le comté
de Gornouailles en Bretagne souffrit, en 1346. une cruelle famine ;
en 1319, la peste fît un si grand ravage qu'à peine les vivants pou-
vaient ensevelir les morts ^. A Paris, où la maladie sévit pendant
un an et demi, les victimes étaient à peu près de 800 par jour*. La
ville de Saint-Denys seule compte environ 16.000 morts à la fin de
l'épidémie^. A^'ignon, dit-on, perdit les trois jours après le 4^ dimanche
de Carême 1348, de 1300 à 1400 personnes ^ ; généralement 400 mou-
raient par jour ^^. A Béziers, il ne resta sur 25 personnes que deux
1. MoM.Ezux, Hist. de la Gascogne, III. p. 300 suiv. L.vFFonr.ur:, Hisl. de la ville
d'Anch, I, p. 81,
2. J. Chevalier, Essai historixine sur Véglise et la ville de Die, II, p. 23i.
3. CoiiRTÉPÉE, Description du duché de Bourgogne, I, p. 147. II dit qu'à Beaunc
tous les curés périrent; sur cent personnes à Paray, il n'en réchappait pas douze.
Voy. RossiGxoL, Hist. de Beaune, p. 217; Petit, Avallon et VAvallonnais, p. 153.
4. Chéuuel et Chaume, in Mém. de la Soc, des aniiq. de yormandie, XVIII, p. 33.
5. Arch. nat. Paris, JJ 68, fol. 'i91''.
6. Plac. le Duc, Hist, de Vahhaye de Sainte-Croix de Quiniperlê (éd. Le Me\),
p. 297.
7. Grand, chroîi., V, p. 485.
8. Ibid.
9. Rebdorfensis, éd. Bohmeu, Font. rer. germ., IV, p. 561.
10. PArox, Hisl.de la Provence, III, p. 177 : Kmghtox, p. 59. Voy. Guy de Chauliac,
dans H.t:srr Lehrhnch der Geschichte der Mcdizin, 3" éd.. III, p. 175 suiv.
LA I>i:STE NOIHE i:.\ FRANCK, 13i8, 13^9 59
ou trois à peine ; à Narbonne, à peu près le quart de la population
mourut '. La sénéchaussée de Carcassonne était également rava-
gée. C'était d'autant plus déplorable que depuis deux ans, il y
avait dans ces trois villes et leurs territoires, comme dans plusieurs
autres provinces, une grande cherté de vivres et même la famine,
à cause des inondations de la mer et des fleuves, et de la néces-
sité où Ton était d'envoyer tous les jours en Gascogne des vivres
pour nourrir une grande quantité d'hommes d'armes. Et afin que
cette cherté ne fît pas dommage au roi et au royaume de France, on
avait supplié le pape de permettre que plusieurs navires portant
des étoffes de laine et d'autres marchandises en Sicile, y achetassent
du blé et d'autres vivres pour les rapporter en France '.
Si la Tourainc fut moins éprouvée par la peste que les autres pro-
vinces de la France •"', le Languedoc et tout le midi fut certainement
l'une des contrées les plus maltraitées. Il était rare de voir un village
sain et sauf comme Paulhan^ Les Frères Prêcheurs de Provence
perdirent pendant le carême 3i8 frères, età Montpellier \ tous furent
enlevés, sauf sept ; à Marseille les Frères Prêcheurs et Mineurs mou-
1. Ilisl. ifén. de Lnn({iiedoc\ éd. Pi-ivaL, IX, p. 609, not. 2. où il y a dautres
preuves pour le Languedoc.
2. Suppl. Clem. VI, n" 11, fol. 35, ad an. 1346, Jun. 1 : Significant S. V. humil""
et dovoli ofliciales regii senescallie Carcasson. et Biterris et consules ville Narbon.
quod in dicta sencscallia et aliis circumvicinis partibus vigere incipit bladi maxinia
carislia et lames valida, et major in poslerum \crisimiliterformidatur, propter inun-
dationes maximas maris et lïuminum, que hoc anno multo plus solito, et [etiam
jjIus] quam alias auditum fuerit, multoties excreverunt. ac tempestatem validam
que [certas] partes Albien. nephandissime devastavit, et multitudinem [persona-
rum] in guerra ^"asconie existentium, ad quas partes bladum hujusmodi terre [Reff.
blada senescallie predicte] vehitur cotidie incessanter. Que ([uidem caristia posset
cedere indom. nostri régis et reipublice maximum periculum et inevitabile detrimen-
tum. Quare supplicant..., quatenus... Jacobo Arqiieyatoris mercatori et civi Xarbon.,
conccdere dignemini ut ad partes Cicilic per se et suos socios factores et nautas pos-
sit ire et illuc pannos laneos et alias merces pro se et sociis et factoribus suis et
etiam aliis. cum une, duabus, tribus, vel quatuor navibus vel alias, secundum quod
S. V. videbitur faciendum, portare et vendere. et ibidem emere blada et alia victua-
lia et abinde extrahere et transvehi et portari facere ad regnum Francie. Non obs-
tant. etc. — Fiat de duabus. R. Dat. Avinione kal. Junii anno quinto. Dans Reg.
Vat. (Uem. 17, n° 17 4, fol. 269, la bulle adressée à Jaques même avec cpielques
variantes très intéressantes, et à la fin avec ime plus ample exposition. J'ai donné
entre crochets quelques variantes.
3. Voy. GiRAunET, Hist. de In ville de Tours (IS73), I. p. 140 : « et in jirovincia
Turonensi mitius se habuit, quam alibi communiter ». dil le Chron. Andetfaven.
4. Voy. A. Dhi-ouvrier, Hial. de Puullian, dior. de Béziei^a 1892). p. 297.
5. Sur les ravages, voy. (ti-.mmain. Ilisl. de Monijjellier. II. p. 262.
60 LA GUERRE DE CENT ANS
Furent tous, pas un ne fut épargné i; 66 Carmes périrent à Avi-
gnon, et, dans cette même ville, il ne resta plus un seul des
ermites anglais de Saint- Augustin -. Tous les Mineurs de Carcas-
sonne moururent ainsi qu'un grand nombre des Frères Prêcheurs.
Beaucoup de j^rêtres et de curés furent enlevés par le fléau ; ainsi
dans la ville de Die, le clergé de la cathédrale ^^erdit à lui seul
soixante-quatorze de ses membres -^
Chose étrange : en 13i6 et 1347, les récoltes des blés et autres
grains avaient été si mauvaises qu'une quantité de personnes
étaient mortes de faim; au contraire, en 1348, quand éclata la
peste, tous les fruits étaient en abondance ; mais nul ne songea k
les récolter, on ne se soucia pas plus des fruits de la terre que des
bestiaux qui erraient sans pasteur dans leurs pâturages où ils
périrent en grand nombre^. Pendant l'épidémie, les vivres n'eurent
aucune valeur, mais comme on ne pensait plus à cultiver la terre,
ni k ensemencer, une grande disette ne tarda pas k survenir. Cet
état de choses empira après la peste ^. En effet, les bras venant k
manquer, les terres restèrent en friche pendant plusieurs années.
En conséquence, les denrées augmentèrent de prix et les immeubles
furent dépréciés ^. Il en résulta une telle misère que l'on ne croyait
plus le monde capable de revenir k son ancienne prospérité^.
Les évêques et les chapitres ^'^, les abbayes et les monastères pos-
1. Voy. encore Math. ]\iiewenburcf., éd. Bohmer, I. c, p. 261.
2. Kniohtox, 1. c.
3. J. Chevalier, 1. c,, p. 234.
4. Siippl. Clem. VI, n° 17 ; fol. 197 : « frucUis non potuerunt coUigi », ad an.
1318, Aug. 22 (dioc. de Magalone). Ainsi parle aussi Piehre de Cochon pour le nord
de la France (C/j?'on., p. 72), et pour l'Allemagne, Hemu de Hervordia (C/jron., éd,
Potthast), p. 274 : « Sata transgressa metendi tempus intacta exspectabant messo-
rem. Vinca, aniissis foliis, radianiibus uvis illesa manebat hyeme propinquante ».
Voy. Kmghtox, p. 62, pour l'Angleterre.
5. MÉNARD, Hist. de la ville de Nimea (1874), II, p. 113. et Preuves, n" 82. Chron.
de Gilles li Miiisis, p. 396 suiv. : « in multis locis propter defectum colonorum
vineae et terrae incultae remanebant, et omnes operarii et familiae ultra modum
volebant excedendo habere salaria, maxime quia in toto regno Franciae currebat mo-
neta debilis, et omni die debilitabatur ». Sur ce dernier point, voy. encore p. 414 suiv.
6. Delisle, 1. c, p. 64] ; P. le Cacheux, Essai hist. sur VHôtel-Dieii de Coutances,
I, p. 133 suiv.
7. Contin. of Iligden, éd. LuAinv (VIII, p. 355) et Thom. Walsixgh.am, Ilist. Angli-
cana, I, p. 273, disent : « mundus ad pristinum statum redeundi nunquam postea
habuit facultatem ».
8. L'évèque de Carcassonne par exemple se plaint « quod propter mortalitatis pes-
tem et hominum raritatem emphiteote terras et possessiones excolere et laborare
LA PESTi: Nomi: en fp.ance, 13i8, 1349 61
sédant beaucoup de domaines, avaient naturellement encore plus
que d'autres, des raisons de se plaindre. Non seulement, ils
avaient perdu un grand nombre de religieux, mais encore leurs
revenus furent presque entièrement anéantis. Beaucoup de culti-
vateurs ayant été emportés par le fléau, les terres des abbayes et
des chapitres, comme en général celles des propriétaires, cessèrent
d'être cultivées. Plus d'une fois d'ailleurs, les fermiers se refusèrent
à subir les conditions qui leur étaient imposées, les trouvant plus
onéreuses que rémunératrices , ils suspendirent le payement de
leurs redevances ou quittèrent simplement les fermes. Dans un cas
comme dans l'autre, c'était la ruine des propriétaires ^ dont les
récusant ». Il prie « ut censum ad niinorem summani reducere valeat » Suppl. Inno-
cent. VI, n° 23, fol. 66, ad an. 1353, Febr. 26), Le prévôt et le chapitre de Nîmes
étaient en embarras de soutenir les serviteurs, parce que « redditus prepositure tam
propter pestilentiam quam propter occupationem fluminis Rodani irreparabiliter
diminuti » erant. Suppl. CLem. VI, n" 22, fol. 29, ad an. 1352, Jun. 19. Voy. plus bas
la plainte du chapitre de Toulouse.
1. La peste rendit les maisons de Tordre des Cisterciens désertes, les exposant
ainsi au pillage et à la dévastation (G.Ti/. chrisl., \l, 1000). Labbé Uaymond de
l'abbaye bénédictine de Sorèze (dioc. Lavour) écrit : « in monasterio est defeclus
maximus monachorum, quia propter istas mortalitates non sunt ibi monachi qui
deserviant... in di^inis ». [Suppl. Clem. VI, n° 16, fol. 29, ad an. 1348, Xovemb.
19). Guillaume, l'abbé des Bénédictins de Sendras du dioc. de Nîmes : « plures
monachi... obierunt sicque ad presens defcctus est monachorum » [ihid., n° 16,
fol. 86, ad an. 13i9, Jan. 20. L'abbé Guillaume mancjue dans Gnll. christ., W, 520\
L'abbé des Bénédictins de Nans, au dioc. de Vabres, expose « quod proi)ter mortali-
tatis pestcm et gcntium raritatem fructus monasterii adeo diminuti sunt... quod
(monachi) sustentari non possunt » [Suppl., n° 20, fol. 87'', ad an. 1350. Octob. 22. Encoi'e
an. 1352, Septemb. 11, i})i(L, n° 22, fol. 118). Les Cisterciens de ^'illelong•ue, au dioc.
de Carcassonne « obstante casu mortalitatis et potissime cultorum et agricolarum »
durent recourir aux charités des nobles du voisinage [Ilist. fjén. de Languedoc, éd.
Privât, X, p. 1054, ad an. 1350). L'abbé Séguin de Saint-Tibéry, au dioc. d'Agde, se
plaint que les revenus sont ruinés [Reçf. Vat. Clem. VI, n" 211, fol. 206, ad an. 1352).
Les divers détenteurs des l erres de l'abbaye des Olieux (Cisterciennes) au dioc. de
Narbonne, ne purent payer les redevances qu'ils lui dc^■aient, et les religieuses en
1352 durent les réduire pour en faciliter le paiement (Caivht, Etude hist. sur Fon-
froide, p. 269). L'abbé des Cisterciens de la Garde-Dieu, diocèse de Cahors, expose
([uo des terres et possessions « alique propter mortalitatem cultorum sunt ab se [i. e.,
inculte], alic propter nimium censum seu canonem sunt a cultoribus dimisse et coti-
die dimittuntur et inutiles cfficiuntur » ySupitl. Innoc. VI, n" 23, fol. 144'', ad an. 1353,
April. 28). L'abbé Etienne des Bénédictins de la Chaise-Dieu, au dioc. de Clcrmont,
se plaint : « i)rt)pter sterilitatcm fructuum, carisliam et defectum familiarium victu-
alium({uc, mortalitatis pestem, loci deserlionem, fructus et redditus hodierni non
sufliciunt » {Sup})L Cleni. VI, n" 21, fol. 50, ad an. 1352, Febr. 20). L'aumônier des
Bénédictins de Saint-Gildas, au dioc. de Bourges, dépourvu de tout « propter guer-
arum strepitum... et diminutionem reddituum..., quibus mortalitas gentium prebuit
62 LA GUERRE DE CENT A>S
intérêts étaient déjà fortement atteints par le seul l'ait de la mort
de leurs débiteurs emportés par le lléau.
Une vraie désolation régnait ainsi dans les contrées où la guerre
avait déjà fait sa funeste apparition et où les terres avaient été
dévastées par Tennemi.
Si une calamité avait fait place à Tautre, on l'eût supportée plus
facilement. Mais dans ce cas le fléau était rendu plus horrible
encore par ces nouveaux malheurs^. On fut obligé de licencier les
gens d'armes dans ces pays, à cause de la cherté des vivres"-'.
occasionciiî, j3ropter quod clivini cultus ministerium... diminuitur » {ibùL, n" 22,
fol. 85, ad an. 1352, Jul. 24). Les Charti-eux de Valbonne, au dioc. d'Uzès « ob niortali-
atcm gentiumque defectum agriciilturas et animaliuin nutrinienta, ex quibus eoruiu
nopem consueti sunt ducerc vitam, pro parte non niodica perdiderunt » [ihid., n" 18.
fol. 90, ad an. 1350, Maii 13 . Les revenus du prieuré de Foissac, dioc. de
Cahors « propter sterilitatem iructuum et niortalitalis })estenî adeo existunt diminuli,
ut non suppetant, etc. [ihid., n" 21, fol. 118'', ad an. 1351, Oclob. 1). Saint-Julien-de-
Tours, des Bénédictins, a également souffert « de mortalitate et terrarvmi sterilitate »
{ibid, n" 20, fol. 50, ad an. 1350, Jun. 12). Plusieurs villages autour de Saint-Claude,
des Bénédictins au dioc. de Lyon, comme Chàtel-Blaiic et Longchaumois, demeu-
rèrent presque déserts De FiîRnouL-MoNTGAn^LARu, ///.s/, de VnbJyni/e de Sninl-Clniide,
II, p, 30). L'abbessedes Bénédictines de Notre-Dame-de-Chelles, dioc. de Paris, vendit
les meubles les plus précieux et contracta des dettes, pour subvenir aux besoins les
plus pressants (Toiu.iikt, Jlisl. de r<ibl)ni/e de yolre-Dnme-de-Clielles,!, p. 162). Les
revenus de Tabbaye de Tiron (Bénédictins) au dioc. de (Chartres, étaient aussi
« propter morlalitates et sterilitates » beaucoup diminués (.Sj/ppf. Clem. V/, n° 20, fol,
23'', ad an. 1350, Decemb. 28). Je passe sous silence bien d'autres plaintes, comme par
exemple celles du prieuré de Fontevrault du dioc. de Poitiers, de Saint-André de Lon-
gagedudioc. de Rieux {lieff. Val. Clem. VL no 209, fol. 74 ; Innoc.Vl, n" 222, fol. 321'').
1. L abbé des Bénédictins de Saint-C^ybard, hors les murs (rAngoulcme, écrit :
« quod cum (proh dolor) propter guerras mortales rcgum Francie et Anglie, que in
illis partibus terribililer et notorie viguerunt, et epidemiam, fructus, exitus etpro^en-
tus camerarie monasterii sint in tantum attenuati, ymo quasi ad nichilum redacti,
quod... dictum otlicium longo tenqjore in curia vacaverit... quia fructus ipsius sunt
ila tenues et exiles, quod nullus pro tam modico sanctitalem Y. super cjusdem impe-
tratione infestare velit... » [Siippl. Clem. VI, n" 21, fol. 93, ad an. 1352, Maii 16). De la
même manière se plaint le prieiu* de Mai-escacio, au dioc. de Saintes {ibid., n" 20,
fol. 15, ad an. 1350, Sept. 2). L'abbé des Bénédictins de Maurs, au dioc. de Sainl-
Flour, se plaint que les revenus du monastère »< propter guerras, pestem mortalitatis
proxime lapse, que in illis partibus viguit supra modum, defalcati et diminuti sunt »
{ibid., n" 22, fol. 34, ad an. 1352, Jun. 18; n" 21, fol. 98, ad an. 1351). Le monastère de
Saint-Benoît dAurillac, au même diocèse, avait beaucoup soulTert parce que « jirop-
ter mortalitatis pestem mense abbatis provenlus sunt diminuti et... multorum jM'iora-
tuum in partibus Agennen., Petragoricen. et alibi consistentium tam proptei" pestem
eandem, quam propter guerrarum discrimina sunt adeo diminuti proventus, quod
eis ad solutioiiem pensionum... non sulïiciant » 'ibid.^n" 20, fol. 52, ad an. 1350, Juii.
13). A'oy. d'autres encore dans le paragraphe 9.
2. On lit cela de Gui de Nesle, capitaine général en Saintongc, en 1350. ^'oy.
F. MoLi.Mi:ii, Élude sur lu vie d'Arnonl dWndreheui, p. 18.
DIVEHSKS IIOSTIMIKS EN FRANCE. i'li-() à 1354 ()3
Désormais, et jusqu'à la fin de la guerre de Cent ans, les mots
de mortalité, de peste, de disette et de g-uerre s'accumulent lugu-
brement dans les plaintes incessantes sur les malheurs de la
France. La diminution des revenus provint autant de la peste que
de la guerre. Dans de courts intervalles, et déjà en 1361-13G3, la
peste ou une autre épidémie éclatait dans le royaume ou dans quel-
qu'une des provinces et même dans plusieurs parties de l'Europe.
Mais, en France, le fléau, s'ajoutant aux terreurs et aux calamités
de la guerre, prenait un caractère plus horrible. La guerre elle-
même était un grand ferment pour le fléau. En effet, le Religieux de
Sailli-Denis raconte que les exhalaisons pestilentielles des cadavres
des gens occis dans la guerre, restés au camp sans sépulture, infes-
tèrent Tair et l'atmosphère et qu'à ce fléau se joignirent la dysen-
terie et plusieurs autres maladies ^
La peste produisit encore un autre effet semblable à celui qu'oc-
casionnaient les ravages de la guerre ; c'était la ruine des mai-
sons des habitants- et souvent des églises. Naturellement, à défaut
d'ouvriers on eut aussi peu soin des constructions que des terres.
En outre, beaucoup de maisons demeurèrent absolument désertes,
comme par exemple à Viviers 'K Maintes paroisses restaient dépeu-
plées et sans pasteurs. Qui devait alors prendre soin des
immeubles?
Nous parlerons plus loin d'une autre calamité causée par la.,
peste : du relâchement dans la discipline ecclésiastique et reli-
gieuse.
8. Les hoslililés en Lanfjiiedoc^ en Poitou et Sainton(jc^ au Nord
de la France^ en Bretagne.
Malgré cet effroyable fléau de Dieu qui frappa toute l'Elurope, et
r Angleterre aussi bien que la France, et malgré les trêves con-
clues, ni Français, ni Anglais ne pensaient au repos. Ce fut proba-
blement encore dans le courant de l'année 1 348 qu'une bande de
Français « gentes sine capite » c'est-à-dire des routiers, entrèrent
1. Rel. de Sainl-Denys, IV, p. GSl),
2. KMCilITON, p. Ci.
3. J. CHDVALIKU, 1. c.
64 LA GUERRE DE CENT ANS
en Gascogne, cherchant à soumettre le pays, mais ils furent
repoussés par Thomas Gock, sénéchal de Gascogne i. L'an 1349 ou
1330, nous rencontrons de nouveau, dans cette province, Henri,
comte de Lancaster. A la tête de 30.000 hommes, il entreprit une
course jusque devant Toulouse dévastant à dix lieues à la ronde
tout le pays qu'il traversait et prit plus de quarante-deux villes et
châteaux.
Il tenta en vain de livrer bataille aux Toulousains, enfin il se
retira après avoir incendié les faubourgs ~ et tout ce qu'il put
atteindre. Dans sa retraite vers Bordeaux, il dévasta le pays à tel
point qu'il inspira à tous une grande terreur •^. Je ne puis dire tou-
tefois quelle route il choisit, ni quelles abbayes et églises furent
endommagées par lui. Mais il est certain que l'église de Toulouse
eut beaucoujD à souffrir, soit que le comte fût arrivé devant
Toulouse même, soit qu'il se fût établi dans les environs de la
ville. Le chapitre supplia le pape Clément VI de le dispenser d'en-
tretenir plus (le trente chanoines, quoique Jean XXII en eut fixé le
nombre à cinquante, vu les ravages occasionnés par la mortalité
des gens laquelle était causée par la disette et la guerre ^. Un peu
auparavant, vers 1346, le monastère des Clarisses, hors des murs de
Toulouse, avait été détruit en partie par les habitants de la Aille ^ à
cause des fortifications qu'on dût faire en toute hâte l'an 1343
1. Kmghton, p. 57. Il s'agit plutôt des brigands. A'oy. Fuoissart, IV, p. xxix, où
il est question des brigands en Limousin.
2. Suivant la Chron. normande, p. 2S3, il s'avança seulement jusqu'à Beaumont-
de-Lomagne, à huit ou dix lieues de Toulouse. Voy. Hisl. gènér. de Languedoc, IX
p. 618, not. 4.
3. Kmghtox, p. 66.
4. Suppl. Innocent. VI, n" 25, fol. 157 '•; Reg. Vat., n° 226, fol. 216'', de lan 1354,
29 juin ; à cette date le privilège de Clément VI fut renouvelé. Puis ce privilège fut
accordé par les papes, de cinq ans en cinq ans.
5. « Cum olim in partibus Tholosan. hostilis timeretur invasio, monasterium et
ipsius ecclesia tune extra et prope muros Tholosan. civitatis existentia per officiales
et cives civitatis ejusdem pro securitate ipsius civitatis in magna parte destructum
extitit et dirutum ac solitarium sic eflectum quod vos honeste et sine status vestri
periculo non potestis inibi commorari ». Le Saint-Père permet la nouvelle construc-
tion du monastère « infra muros civitatis, infra limites parochie ecclesie B. Marie
Dealbatc , videlicet inter carreriam vocatam Tholosanorum et flumen Garone »,
moyennant le legs du cardinal-évcque de Porto, Bernard {Reg. Vat. Innoc. V7,
n" 224, fol. 394'', 398 »', ad an. 1353, Jan. 18, Febr. 26). Voy. Hisl. gén. de Languedoc,
éd. Privât, IX, p. 596, not. 5.
DIVERSES HOSTILITÉS K.N FKA.NCK, l 'i 1 S A l3.-)i 6o
contre les Anglais ^. Les Bénédictines de Saint-Jacques-le- Vieux,
appelées les sœurs de la Daurade, perdirent aussi leur monastère-'.
Les dommag-es causés par ces expéditions anglaises n'étaient
pas moins considérables quoiqu'elles ne fussent pas des expédi-
tions conquérantes mais plutôt des courses de pillards, se battant
le moins possible et se réservant pour le pillage des paysans, des
bourgeois et des ecclésiastiques sans défense. Nous voyons poindre
ici l'origine du brigandage qui, organisé sous le nom de Com-
pagnies, se répandit dans le royaume à partir de 1356.
En 1350, au mois de mai, le comte d'Armagnac et Robert d'Hou-
tetot, maître des arbalétriers, reprirent plusieurs lieux et places
sur les Anglais ; mais ils échouèrent devant Port-Sainte-Marie, du
diocèse d'iVgen, livré aux Anglais par les habitants et reconquis un
peu plus tard'"'. Dans cette ville était un prieuré séculier qui, avant
cette date, avait déjà été désolé par la guerre ; il fut alors uni à la
mense capitulaire de Saint-Gaprais d'Agen^. Les guerres inces-
santes qui désolaient l'Agenais avaient considérablement diminué
les revenus d'un grand nombre de bénéfices, qui ne pouvaient plus
subvenir à l'entretien des titulaires.
Le roi Philippe mourut en 1350, le 23 août, et eut pour succes-
seur, Jean, duc de Normandie. En 1351, la direction de la défense
en Languedoc fut confiée au roi Charles de Navarre. A cette date,
l'abbaye cistercienne de Valnègre,au diocèse deRieux, fut pillée et
deux religieuses furent assassinées''. La Française en Quercy, pla-
,1. Voy. Bi;uTii;VM)Y, Etude sur les chroniques de Froissart, etc., p. 298 suiv,
Coninic nous disent les Recf. Vat. Innocent. VI, n" 23 i, fol. 202''. « capitularii et uni-
versitas civitatis Tholosan... civitatcm et ejus suburbia mûris et vallis claudere et
munirc cepcrunt et non absque maxiniis e.vpensis et inestimal^ilibus distractionibus
rerum incolaruni ». Aussi les ecclésiastiques ont donn'é « caritatiNuni suljsidiuni ».
Mais (( ([uia prefati mûri subito de minus sulTicicnti materia tune ab initio constructi
fucrant i)ropter pericula tune imminentia. quia sufticienter sic celcriter tune haberi
non poluit, ut ipsa munitio requiratur. nunc \ero ampliori et lon^e sunq)luosiore
conslructione seu reparatione indigere noseantur », le pape accorde ((ue l'arche vcque
ctlesautres ecclésiastiques uneautre l'ois « aliquod caritativumsubsidium conférant »
(ad an. 1354, Maii 19), et le 10 janvier 135G {Reg. Aren. Innoc. Vf, n" 12, fol. 533),
2. lllst. (fén. de Lancfuedoc, IX, p. 596.
3. C/iron. normande, p. 2S3, p. 28 i, not. 2: Ilisl. de Languedoc, IX, p. 618, not. ».
Samazeuilh, Ifist. de l'Agenais, du Condomois et du Bazadais (18i6\ ne connaissait
pas encore les sources nouvelles.
4. Suppl. Cleni. VI, n» 11, fol. 21''; Ileg. Vat. Clem. VI, n" 176, fol. 207, ad. an,
1347, Jan. 27. Voy. encore B.vhuiîue. Uist. religieuse, etc.. d'Affen. II, p. 113.
5. Arclî. nat. Paris, JJ 81, n» 243; Hist. de Languedoc. 1. c. p. 62S. not. 3.
R.-P. Dkniixk. — Dcsolcilln ccclesianini II. .">
06 LA GLKRUE DE CENT ANS
cée sur une colline, était, vers cette époque, occupée par les Anglais
qui menaçaient à la fois Moissac, Toulouse et l'Albigeois'. Dès
décembre 1351, on craignait de voir les ennemis étendre leurs
incursions jusque dans le diocèse de Maguelonne. En 1352, le séné-
chal de Carcassonne ordonna aux consuls de toutes les édiles de
TAlbigeois et du Castrais de prendre des mesures pour mettre les
villes du pays en état de défense'-. Aussi les Toulousains, craignant
d'être assiégés par les Anglais, achevèrent-ils d'abattre toutes les
maisons des faubourgs, entre autres le monastère des Repenties de
Saint-Loup '^ Depuis Noël 1351, les Anglais étaient en possession de
la ville de Saint-Antonin en Rouergue. Une bulle d'Innocent VI de
Tan 1358 nous fait connaître que les calices, les ornements, les
archives du chapitre de cette ville furent pillés^. Avant ou après,
les Anglais s'avancèrent contre le monastère cistercien de Loc-
Dieu, du diocèse de Rodez. A leur approche, les moines prirent la
fuite et l'abbaye fut saccagée^. Sur la route de Saint-Antonin à
Loc-Dieu, se trouvait encore Fabbaye cistercienne de Belloc. Au
commencement de 1352, les Anglais entreprirent le siège d'Agen
et, sous la conduite du comte de Staiford, lieutenant en Aqui-
taine dès le 6 mars, ils battirent les Français vers le 8 sep-
tembre. Boucicaut fut fait prisonnier'^. Les Anglais pénétrèrent
encore dans la sénéchaussée de Toulouse, où ils commirent
des désordres affreux, pillèrent ou ravagèrent la campagne et détrui-
sirent plusieurs villages"^. En 1353, Jean, comte d'Armagnac, que
le roi Jean avait nommé son lieutenant en Languedoc, entreprit le
siège et l'occupation de Saint-Antonin et la reprise de la Française ;
en 1354, il reprit sur les Anglais diverses places en Agenais et
assiégea Aiguillon s. Mais la même année, les Anglais firent
une nouvelle irruption dans le Toulousain 9.
1. Hisl. de Languedoc, p. 634, not. 4; Lacostl;, Ilist. <jén. de la province de Qiierci/
(Gahors 1885), III, p. 136.
2. Hist. de Languedoc, 1. c.
3. Ihid., p. 636.
4. L. Servières, Hîst. de l'église du Rouergue (1874), p. 285.
5. Ibid., p. 278, où ce fait est mentionne à Tan 1347.
6. Baker, p. 121, 287.
7. Hist. de Languedoc, l. c, et p. 6il, not. 2.
S. Ihid., p. 6il et not. 3; 6ij suiv., 616, not. 3. Jurades de la ville dWgen, par A.
Maokx (Auch, 1894), p. 352. ad Maii 21.
0. Ilisl. de Languedoc, j). 617.
DIVERSES HOSTILITÉS EN FRANCE, 1318 A 13o4 67
En Poitou, en Saintonr/e et en Anfjoiimois^ on luttait aussi contre
lesAnglais, qui, avec les Gascons, ravageaient le pays. Le 17 jan-
vier 13i7, Raoul de Caours fut institué capitaine et lieutenant
crÉdouard en Poitou^, comme Bertrand de Montferrand était à la
tète des forces ang-laises de Lusig-nan. Le 4 juillet 1348, Edouard
donna au premier pour stimuler son zèle 1.000 livres d'esterlins de
rente en Poitou et pays voisins sur les territoires dont il s'était
emparé déjà et sur ceux qu'il conquerrait à l'avenir. Il lui abandonna
en outre une partie du butin qu'il ferait dans ses expéditions '-. Ber-
trand obtint des avantages du même genre. Ces audacieux sei-
gneurs, qui travaillaient si énergiquement pour Edouard, devaient
être plus que terribles quand ils étaient appelés à travailler pour
leur propre compte ^. Le Poitou était en proie aux horreurs de leurs
exploits et aux conséquences d'un état d'anarchie et de petites
guerres^.
Les Français tentaient de chasser les Anglais du Poitou et des
pays voisins. Floton de Revel, capitaine pour le roi en Poitou,
illustra son commandement par une victoire remportée sur les
Anglais à Clienay, au mois de juillet 1348^. L'année suivante, le
Galois de la Heuse, sire de Goy, capitaine souverain de tout le pays
compris entre la foire de Niort et la mer, prit Beauvoir-sur-mer,
la Garnache et l'Ile Ghauvet^, toutes deux en Vendée, dans le dio-
cèse de Luçon. Non loin était l'abbaye des Bénédictins de Talmont.
Les Anglais se tenaient dans cette région au-delà de Tabbaye des
Bénédictins de Saint-Michel-en-l'Herm du même diocèse, et déjà en
1348 l'abbé se plaignait que les terres et les biens du monastère
avaient été dévastés à cause de la guerre, et qu'à présent on les
dévastait et consumait, de sorte que les revenus étaient singulière-
ment diminués^.
J. llVMHU, III, p. 101.
2. Ibid., p. 164, 168. Voy. S. Luce, Guesclin, p. 89 suiv. Glékix, Recueil des docu-
ments concernant le Poitou, II, p. xxxviii.
3. lîiîKTiiANDV, Etude, etc., p. 380.
i. Voy. GuÉuiN, p. XM à xlix.
5. Ibid., p. L,
6. Chron. normande, p. 286.
7. Suppl. Cteni. VI, n" 15, fol. 85'', ad an. 13 i8, Jun. 2i: « Bona dioti nionastorii
propter ^ucrrasillarum partiiun... siinL multipliciter devastata et consunipta et dcva-
stantui' et consumuntur, rcdditus pi'opter hoc exiles et tenues ».
08 LA GUERRE DE CENT ANS
Moins heureux fut en cette même année Jehan de llsle.
Il subit à Limalong-es (Deux-Sèvres) un grave échec et perdit
300 hommes, morts ou prisonniers. Boucicaut était parmi ces der-
niers ^ Le 24 juin 13o0, Loudun en Poitou fut pris par les Anglais,
qui répandirent la terreur dans les environs-. Tout près de là était
Tabbaye bénédictine de Bonneval-des-Thouars. A Loudun même,
il y avait une église collégiale, trois prieurés, des couvents de
Mineurs et de Carmes, et quelques paroisses. La ville fut reprise
par les Français au commencement du mois d'août-^. Mais ils furent
battus par les Anglais à Saint-Georges-la-Valade entre Saintes et
Taillebourg le 8 avril 13ol^. On trouve encore Boucicaut parmi les
prisonniers 5.
Au mois de juillet, les Français, après avoir conquis auparavant
plusieurs villes et places fortes, comme la ville et le château de Lusi-
gnan^, commencèrent sous Charles d'Espagne le siège de Saint-
Jean-d'Angely, occupé par les Anglais. Le roi Jean y vint en per-
sonne. La A'ille se rendit entre le 30 août et le 5 septembre^.
Charles d'Espagne prit plusieurs autres villes du Poitou, de sorte
que, vers 1352, le Poitou fut presque débarrassé des Anglais.
Ceux-ci perdirent aussi du terrain en Angouniois et en Limou-
sin. En 13o2, Arnould d'Audrehem, maréchal de France,
recouvra Nontron, Moncheroulz, Maisonnais, Saint-Amand, Mont-
brun. Toutefois, après le 8 juillet 1353, il fut battu à Comborn
(Corrèze) au diocèse de Limoges, par les Anglais et les Gascons,
que commandaient Arnaud d'Albret, Emélion de Pommiers, Aiméri
de Tartas,le sire de Montferrand et le Bascon de Mareul^. Tout près
de Comborn était ral)baye bénédictine de Vigeois. Pendant quelques
années cette région avait déjà été occupée en partie par les xVnglais,
1. Chron. iiortn., p. 9i, 2<S5. GriÎHi.x, p. i, suiw
"2. Grand chron., V, p. 494. Guérin, p, lu siiiv.
3. Gléhix, t. III, p. XXXV.
4. Avi2sm;RY, p. 413; FRoist^AiiT, p. xmi siiiv. (Jliron. norni., p. 288; E. Molimeu,
Etude, etc., p. 20 suiv.
5. Une troisième fois en 1352. Yoy. p. 6G,
G. GuÉRix, II, p. Mil suiv. ; III, p. xxiii. Ce fait est confirme par les Documents pour
ihistoire deVéylise de Saint-Hilaire de Poitiers (1857), n° 311, ad an. 1352, Mart. 1 :
<( les ennemis ont par lonc temps tenu occupé » le chastel de Lcsignen.
7. Froissart, IV, p. xLvi, not. 1. Grand, chron., VI, p. 4,
8. Ghron. normande, p. 291 ; E. Mommer, Étude, etc., p. 37, 40.
DIVERSES HOSTILITÉS KN KUANCI-:, \'MH A 1 'ioi (iî)
qui avaient aussi pris la ville de Tulle ; mais celle-ci se rendit au
comte d'Armagnac^ en 1346.
L'esprit du nord de la France n'était guère moins triste. Henri de
Lancaster, devenu duc en 1350, arriva à Calais en 1351 et de là
dévasta, en avril, toute la côte jusqu'à Boulogne-sur-mer, incen-
diant les faubourgs (pour la troisième fois à de courts intervalles), et
n'y laissant que les murs. Il pilla la ville d'Etaples, déjà si éprouvée
en 1346, et qui, après avoir été saccagée plusieurs fois avant la fin
du siècle, fut incendiée au xv^ siècle. Baker mentionne encore les
deux villes de Thérouanne et de Fauquembergue, qui furent égale-
ment dcA^astées. Ensuite Lancaster retourna à Calais avec son riche
butin qui consistait principalement en bestiaux-. Lors d'une course
que Jean de Beauchamp, capitaine de Calais, lit à Saint-Omer, il eut
l'avantage sur une troupe de cavalerie française, mais il ne tarda
pas à être fait prisonnier près d'xVndres le 6 juin 1351 avec vingt
de ses hommes d'armes. Tous ses autres compagnons restèrent sur
place. Du côté des Français, le sire de Beaujeu eut le môme sort-^.
Au mois de janvier 1352, le château de Guînes tomba par surprise
aux mains des Anglais commandés par Jean Dancastre ^*, un guer-
rier à son compte. A la suite de quelques négociations il vendit le
château au roi d'Angleterre, qui l'occupa tout de suite. Geoffroy de
Charny, prisonnier des Anglais, après sa tentative malheureuse
contre Calais, mais alors en liberté, mit le siège devant Guînes vers
le 27 mai de la même année. Il expulsa les Bénédictines de Tabbaye
de Saint-Léonard et fortifia l'abbaye. Les assiégés de Guînes et
plusieurs bandes accourues de Calais livrèrent finalement un com-
bat aux assiégeants, qui furent battus. L'abbaye fut alors incendiée
et détruite parles Anglais^.
Les mêmes troubles régnaient en Normandie et dans les pays
voisins. En 1353, les diocèses de Coutances et de Bayeux, sans
cesse parcourus par des bandes d'Anglais et de Français, eurent à
subir bien des ravages. Plusieurs châteaux furent pris ou déman-
1. Hist. de Languedoc, IX, p. 598,
2. Baker, p. 11 i, qui parle aussi de naAires incendiés par le duc. Kmchton, p. CS.
3. Kmgiitox, 1. c. ; Fnoiss.vnT, IV, p. xlvi; E. Molimfr, Étude, etc., p. ?4.
4. Hakrh, p. 116 à 118; Avksiutuy, p. il i ; Kmghton, 1. c. : (rrnnd. rhron., W,
5 suiv. ; FuoissAKT, xlviii; Chron. normande, p. 292.
5. Baker, p. 119. Voy. Dexifle, La désolation, I, n" '^9.
70 LA GUERRE DE CENT A>'S
télés à cette époque ^ Dans les diocèses du Mans et de Chartres,
les Anglais portèrent partout le feu et la dévastation-. D'après des
documents rapportés au prochain paragraj^he, il est évident qu'à
cette même date le diocèse d'Angers ne fut pas éjDargné par les
Anglais.
Une plus grande importance s'attache aux hostilités en Bretagne
où Bertrand Du Guesclin entreprit de faire aux Anglais une guerre
de partisans.
La situation y était exceptionnelle. Edouard, hors d'état de con-
sacrer un denier à faire la guerre en Bretagne, donna ce duché à
ferme à Thomas de Dagworth, et celui-ci, à son tour, donna à ferme
chacune des châtellenie, et chaque château de son gouvernement 3.
Les conséquences de ce système mercantile, appliqué par les
Anglais à un pays qui n'est pas le leur, sautent aux yeux. (( Sur
tous les points de la Bretagne où les Anglais sont les maîtres,
chaque forteresse devient une ferme pour laquelle on traite k
forfait avec Dagworth, comme il a traité lui-même avec Edouard.
Chaque capitaine est doublé d'un traitant, mais d'un traitant
homme d'épée et presque toujours Anglais d'origine, qvii n'est
retenu par aucun frein, puisqu'il peut mettre la force armée dont
il est entouré au service de ses exactions, et qui pressure avec
d'autant moins de scrupules ses victimes, qu'elles ne lui sont pas
rattachées par le lien d'une nationalité commune ^. »
Mais Edouard voulait prélever, lui aussi, sa part du butin. Il
s'entendit à cet effet, en 1348, avec l'un de ces brigands, Raoul de
Caours, duquel nous avons fait connaissance tout à l'heure. Com-
battre le lendemain ceux qu'on servait la veille, (( déjeuner de l'An-
gleterre et souper de la France », trahir au plus offrant et dernier
enchérisseur, tel fut le métier que Raoul lit toute sa vie"'. Il
devait abandonner à son royal associé la moitié de la j^art à lui affé-
rente sur les rançons des prisonniers qui tomberaient entre ses mains.
A partir de la première moitié de 1350, Du Guesclin se mit à
faire aux Anglais une guerre de partisans. Le parti anglais se trou-
1. Jean de Vexette, p. 226.
2. Ibid.
3. S. LucE, Hist. de Bertrand du Guesclin^ p. 86 suiv.
4. Ihid., p. 87.
5. Ihid., p. 88 suiv.
DIVERSES HOSTILITÉS EN FRANCE, 1348 A 13oi 71
vait alors très affail)li par la défection de Raoul de Caours, vrai-
semblablement acheté par les agents du roi de France'. Vers
le 20 juillet ou dans les premiers jours du mois d'août-, Thomas de
Dagworth, se rendant de Vannes à Auray avec une escorte, fut sur-
pris par une petite troupe de Bretons dirigés par Raoul de Caours et
le sire de Beauvoir. Thomas de Dag-worth et une centaine d'hommes
d'armes périrent 'K A cette occasion, Bertrand du Guesclin s'em-
para du château de Fougeray'^ qui, dès le 12 mai 1352, retomba au
pouvoir des Anglais^. Le roi Jean se servit désormais de Raoul de
Caours et s'associa avec lui à peu près comme Edouard^ l'avait fait
auparavant. Le 4 janvier 1351, Raoul promit de réduire à l'obéis-
sance du roi, dans un délai de cinq ou six mois, les villes de Vannes,
de Guérande, de Hennebont, de Quimperlé, de Brest et quelques
seigneurs bretons, mais à la condition toutefois de toucher au préa-
lable 12.150 livres parisis et d'être remis en possession de Beauvois-
sur-mer, de Hampont et de l'Ile-Chauvet^. Cependant Raoul ne
tint aucune de ses promesses. Edouard nomma, le 8 septembre 1350,
Gautier Bentley, gouverneur général de la Bretagne, à la place de
Thomas DagAvorth. La première année de son gouvernement fut
signalée par un redoublement d'exploitation mercantile du duché ;
aussi la perte de plusieurs places fortes en fut-elle la conséquence^.
Je mentionne seulement le célèbre combat des Trente qui eût
lieu le 27 mars 1351 à peu près à mi-chemin entre Ploërmel et
Tosselin^^, et la bataille sanglante de Mauron, non loin de Ploër-
mel le 14 août 1352, dans laquelle un petit nombre d'Anglais vain-
quit les Français bien supérieurs en nombre ^o. Plusieurs gentils-
hommes français, 14 chevaliers de l'Etoile et beaucoup d'autres y
1. MoMMiu'v in Chron. normimde, p. 290, not. 3.
2. AvnsiuiKY, p. 411 : « circilcr i'estiim sanctae Marj;çaretae » ; Grand. Chron., V,
p. 494 : « en l'entrée du mois d'aoust ».
3. (irand cliron. et AvKsiiriiY, 1. c. ; (Jliron. norm., 1. c.; KNKiUTON, p, 67 siiiv.
4. S. Lrr.i-, 1. c., p. 90, 99 suiv.
5. Ibid., p. 103.
(i. \'oy. S. LicK, p. 512, l'acte de 13r)0, en septembre.
7. MoHicK, llisL, etc., p. 279 sui\. ; Plaine, La guerre de la succession., p. 28 suiv.
8. S. Luge, p. IOj.
9. Froissart, IV, p. xi.v suiv. ; Mohice. Ilisl., etc., p. 280 suiv. ; S. Lice, Guesclin.
p. 116; Plaine, p. 29.
10. Voy. la lettre de Gautier lîentley dans Avesui hv, p. 410.Bakkh. p. 120; Chron.
normande, p. 296.; Morice, i//s/., etc.. p. 282.
72 LA GUERUE DK CE^'T ANS
lurent tués, par exemple Guy de Nesle, sire d'Ofîremont, maréchal
de France ^ Je ne m'étendrai pas non plus sur la prise de Landal,
dans le diocèse de Saint-Malo, par les Français, ni sur le combat
de Montmuran (le 6 ouïe 10 avril 1354 2), dont l'issue fut heu-
reuse pour les Français commandés par Arnould d'Audrehem.
D'autres particularités et détails, comme le double voyage de
Charles de Blois en Bretagne (janvier et novembre 13o4) ne servi-
raient pas davantage à notre but. N'oublions pas cependant que
c'est en Bretagne que surgit pour la première fois le fameux Robert
Knolles, qui, de simple archer, allait bientôt devenir le plus redou-
table chef de partisans des Anglais. Il avait figuré au combat des
Trente, et Edouard lui avait donné (vers 1332 ou 1353) le château
de Fougeray et celui de Chateaubriant '^. Un autre brigand anglais,
c'est le fameux Croquart. Tous deux s'enrichirent des rançons
extorquées en Bretagne.
Aucun événement remarquable ne se passa, comme on voit, dans
ces pa^s occupés par les Anglais de 1347 à 1355. Les trêves sans
cesse renouvelées y mettaient obstacle de part et d'autre. Mais, en
dépit des trêves, il y avait partout des hostilités, des incursions
continuelles, des assauts, des dévastations, des pillages qui rui-
naient et décourageaient les populations. Ce déplorable état de
choses se produisit surtout dans le Languedoc, la Saintonge, le
Poitou et la Bretagne. Là, les capitaines anglais des forteresses et
leurs compagnons, après avoir saigné jusqu'à la dernière goutte le
laboureur qui n'osait 23lus cultiver le sol, ne trouvant plus rien à
piller aux alentours de la forteresse dont ils avaient fait leur repaire,
l'abandonnaient alors pour aller en occuper une autre dans un pays
encore inexploité ^. Mais toutes ces misères et calamités, assez
grandes à coup sûr, ne sont rien en comparaison des fléaux qui
allaient peser sur la France à partir de 1355 et dont il sera fait
mention aux chapitres suivants.
1. Voy. 1. c, et MoRiCE, Hist., etc., p. 282.
2. S. LucE, p. 133; Chron. normande, p. 297, suiv.
3. LucE, p. 103 suiv.
4. Ibid., p. 106.
AUTRES MONASTÈRKS ET ÉGLISKS DÉSOLÉS AVANT 1 'jr)') 7']
9. Autres monastères et e'f/lises^ désoles avant 1S55.
D'après les annotations faites cà et là au cours de ce récit,
chaque fois que l'occasion s'en présentait, il ressort qu'à partir de
1337, sur un parcours du sud au nord de la France, les églises et
les monastères avaient eu fort à souffrir des horreurs de la guerre.
Mais ces souffrances ne tarirent point durant cette période jusqu'en
1355. Il en est encore un assez grand nombre qui, grâce à leur
position exceptionnelle, trouveront place dans ce paragraphe ; pour
d'autres, il est impossible de fixer la date précise de leur désola-
tion, on ne peut qu'en indiquer le « terminus ad queni ».
Mentionnons tout d'abord les abbayes qui, dotées en Angleterre
de notables revenus, en furent dépouillées par suite de la guerre
entre l'Angleterre et la France. Pareille rigueur atteignait parfois
des couvents laissés intacts par la guerre. Témoin le prieuré des
Bénédictines de Marcigny, du diocèse à'Autun. Les revenus tirés
de l'Angleterre et de l'Espagne, à cause des guerres qui sévissaient
alors, avaient été retranchés depuis longtemps. Pour y suppléer,
la prieure sollicite l'incorporation de plusieurs églises^.
L'abbaye bénédictine de Saint-Nicolas à Angers perdit égale-
ment tous ses revenus de provenance anglaise, les autres furent
amoindris parla guerre, les j)illages et les oppressions. Clément VI
autorisa l'incorporation du prieuré Montreuil-Velluire-. Ce n'était
pas la seule abbaye du diocèse d'Angers qui, déjà à cette date, eut
à souffrir de la guerre. En 1352, l'abbé Jean du monastère Notre-
Dame de la Roë (chan. régul.) se plaint d'avoir été pillé deux
fois par les Anglais au cours de cette même année, et d'être, par
conséquent, appauvri tant de ce chef que de celui de la guerre et
de la grande mortalité ^\ Par suite de la construction du nouveau
1. Suppl. Clem. VI, n° S, fol. ô3 : « propter paupertatem et niiserias cpias diutius
passe sunt et adluic patiuntur ob del'ectum vestiarii et quonimdani suonini necessa-
rioruni, eo quod redditus eisdem pro predictis in Anjilia et Ispania et aliis diversis
locis... pei' eventum j^uerrarum et malitias hominuni diu est occupati et retenti liie-
rint et adhuc existunt « (ad an. 13 «5, Oct. 1).
2. Re<f. Vat. Clem. VI, n''201, fol. 57'' ad an. 1350, Octob. 27,
3. Suppl. Clem. VI, n» 22, fol. 59 : Re(f. Vnt., n" 212, fol. 318 '', ad an. 1352, Jnl. 6 :
t( monasterium bis anno jiresenti per Anglicos [Reg. : per inimicos rejrni Franeie]
depredatnni fuit ».
7i LA GUERRE DE CENT A^S
mur crenceinte à Angers, les Carmes demem^ant en dehors de la
A'ille avaient été complètement isolés, de sorte que leur couvent
courait incessamment le danger d'être détruit pendant les troubles
de la guerre. Aussi les religieux demandent-ils une place appro-
priée à l'intérieur de la ville ^
Dès l'ouverture des hostilités entre Edouard et Philippe, l'abbaye
bénédictine de Saint-Etienne de Gaen, du diocèse de Bayeux^ avait
cessé de toucher les pensions que plusieurs prieurés anglais dépen-
dant de Fabbave lui payaient annuellement ; elle gémissait et s'appau-
vrissait sous le poids des lourdes charges imposées par la guerre '.
L'abbaye bénédictine de Saint-Evroul, du diocèse de Lisieux eut,
le même sort. Elle tirait ses revenus de beaucoup d'églises en
Angleterre : le commencement de la guerre l'en avait privée. A cette
pénurie vinrent s'ajouter les ravages de la peste et, partant, les terres
restèrent en friche. Beaucoup de granges furent incendiées, les
biens dévastés, et en outre l'abbaye dut payer 1062 florins à la
chambre et au collège des cardinaux lors de la provision du der-
nier abbé. Par là, les revenvis furent sensiblement diminués; et
l'abbaye se trouva presque ruinée. On supplia le pape de renouve-
ler l'union de certaines églises du diocèse de Lincoln, qu'il avait
déjà incorporées, mais sans effet^.
Un semblable cri de détresse partit de l'abbaye de Grestain, dans
1. Reg. Vat. Clem. VI, n° 209, fol. 136, ad an. 1351, Maii <S : « locus quem ipsi in
civitate Andegavensi nunc inhabitabant, propter clausurani novam niurorum dicte
civitatis est adeo a christifidelibus derelictns... et propter guerras que in illis parti-
bus fremuerunt et fremunt, est cotidie in pei-iculo dcstruendi ». Le 18 janvier 1305, ils
étaient déjà dans la ville {Reg. Vat. Urb. F, n° 261, fol. 204), le 4 juin 1372, Gré-
goire XI accorde des indulgences pour la nouvelle église {Reg. Vat. Greg. XI,
n" 283, fol. 84 ").
2. Reg. Vat. Clem. VI, n" 171 ^' ad an. 1345, Aug. 19 : « predictum monasterium a
tempore quo guerra inter... Philippum Francie et Edwardum Anglie reges mota fuit,
certas pensiones quas in regno Anglie super certis prioratibus a dicto monasterio
dependentibus, habere et percipere consueverat annuatini, propter ipsas guerrasper-
cipere non potuit neque potest, quodque a dicto tempore occasione earumdcm
guerrarunn habuit Ipsum monasterium plura dampna, sumptus et expensas subira, et
qiu)d ad obviendum inimicis regni Francie », etc. Cf. ci-dessus, p. 37, not. 8. Voy.
encore Suppl. Clem. VL n" 9, fol. 150 '*.
3. Suppl. Clem. VI, n» 18, fol. 25 ad an. 1349, Octob. 4 : « Significant S. V. devoti
filii vestri Ysabellis regina Anglie, dux: Cornubie, princeps ^^'alie, cornes Gestrie
primogenitus régis Anglie, cornes Lancastrie et cornes de \^"are^vik, fundatores et
patroni monasterii vestri S. Ebrulfi Ordinis S.B. Lexovien. dioc. quodipsum monaste-
rium super certis ecclesiis et redditibus in regno Anglie constitutis pro magna sui
AUTRES 3I0NASTÈUKS ET ÉdLISKS DÉSOLÉS AVANT 1'^^)') TT)
le môme diocèse, qui fut détruite en 1365. Elle avait possédé un
revenu annuel de 90 livres d'esterlins payés par une maison en
Ang-leterre, et, en outre le patronage de plusieurs églises. A cause
de son grand éloignement, l'abbaye, en temps ordinaire, disposait
de peu de ressources, et celles-ci furent singulièrement amoindries
pendant la guerre, à tel point que, les moyens de subsistance
venant à manquer, les moines étaient menacés d'avoir à quitter le
couvent et à se di.sperser. Jean de Tancarville, chambellan de
France, emmené prisonnier de Caen en Angleterre, en 1346, ayant
proposé de vendre le cens et les patronages pour acquérir des
biens plus utiles au couvent, le pape avait été sollicité de charger
l'archevêque de Sens ou l'archevêque de Bayeux d'obtenir pour
cette transaction le consentement des deux rois de France et d'An-
gleterre ' .
Sans doute que l'abbaye bénédictine de Lyre, du diocèse
cVÉvrcux^ de laquelle déj^endaient également plusieurs prieurés en
Angleterre, eut à souffrir de la même façon -. La cause était partout
la même.
parte ab inicio funclatum fuit et dotatiim. de quibus a tempore guerre intcr dominos
reg;es Francie et Anglie dudum niote nichil percipere potuerunt abîmas et conventus
monaslerii antedicti, et quod propter mortalitatem gcntium illarum partium terre
inculte rémanent, adeoque redditus et proventus dicti monasterii diminuuntur in
maxima quantitate, et maneria in Normannia dicto monasterio subjecta per guer-
ram predictam fuerunt combusla et bona plurima devastata, et ratione provisionis
per S. V. nuper i'acte de monasterio anledicto opportuit solvere camere et vesti'o
sacro coUegio mille sexaginta duos tlorenos pro servicio consueto, ipsumque monaste-
rium hospitalitate nimium preji;ravatur et quasi ad paupertatis et desolacionis oppro-
brium est redactum ». etc. Quelques années après nous entendrons de nouvelles
plaintes de ce monastère.
1 . Suppl. Clem. VI, n° 15, fol. 163, ad an. 13 iS. Jul. 14 : « cum in rejçno Anjilie habeant
unam donumi... et ceiisus, redditus et proventus ad summam 90 lib. sterlinj^:... ascen-
dentes, ctplurium [duodecim] ecclesiarum parochialium j)atronatus,... nichil omnino
inter Francie et Anglie rejçes guerris durantibus gaudere potuerunt a longo tempore...
Née ipsi supplicantes ob hanc causam alios habeant undc possint commode susten-
tari..., {[uininio nisi a S. V. eisdem l'oligiosis celeriter succuratur de remedio oportuno,
necesse erit in brevi eos ab invicem segregari suumque dictum monasterium deso-
Iari;ipsique supplicantes in regno Anglie invenerint nobilem et potentem virum
dominum Johanncm de Molendino, dominum de Tanquarvilla. cambellanum ac cone-
stabularium Normannie prisionarium Anglicorum propter factum guerrarum predicta-
rum, qui dictos census, redditus et proventus et jura patronatus mediante precio
pecunie competenti... vendere vellet », etc. Ils demandent et obtiennent la permis-
sion.
2. Voyez la bulle de Clément XI, du 1 "" juillet 1351, dans (li-: Bu.vsskir) Jlisloire
civile et ecclés. du comté d'Évreux (Paris 1722), Preuves, p. 50. Le pape permet aux
moines de prendre l'habit noir au lieu du blanc, conuue en Angleterre.
70
LA GUEKHE DE CENT ANS
Quant aux revenus fournis par TAng-leterre et la France à
Tabbaye du Bec, du diocèse de Rouen, nous avons vu plus haut
qu'ils avaient été notamment diminués ^
L'abbaye de Jumièg-es avait été, elle aussi, très éprouvée par la
g-uerre, les exigences des princes et des barons, les impôts dus à la
chambre apostolique et la mortalité, en sorte que ses revenus
avaient subi de fortes réductions'-.
Le prieuré de Sainte-Marguerite-de-Vig-nats de GoufTern, au dio-
cèse de Sécz (Bénédictines), pauvrement doté et criblé de lourdes
dettes, n'eut pas moins à souffrir des horreurs de la guerre et de la
peste ; aussi les religieuses furent-elles presque réduites k la mendi-
cité 3.
Même le diocèse d'Avranches ne restait pas intact. La route du
Cotentin en Bretag-ne conduisait par là. Dès la défaite de Grécy,
en 1346, Renaud de Gobham envoyé par Edouard en Bretagne
avec deux bannières pour augmenter les forces anglaises, brûla sur
son passage les faul^ourgs d Avranches, ruina le manoir et le bourg
de Ducey, et donna un rude assaut à la ville ide Saint-James^. Tout
près de Ducey était l'abba^^e des chanoines réguliers de Montmorel.
Mais la situation était bien pire encore en Poitou, en Saintonge
et dans les contrées méridionales. Nous ne reviendrons pas sur le
Poitou dont il a été question plus haut. Mais nous reparlerons
d'une abbaye bénédictine déjà mentionnée, celle de Gharroux. Le
prieuré de Vouharte, du diocèse d'Anf/oulême, en dépendait et
fournissait annuellement une grande partie des revenus de l'ablja^e.
A partir de 13o0, aucun administrateur n'osant plus habiter le
prieuré, à cause de la guerre et de l'insécurité générale, les pen-
sions et les secours d'argent manquèrent k l'abbaye, et les moines
furent obligés de chercher leurs subsides auprès de leurs parents
ou ailleurs*^.
1. lîeg. Aven. Ciem. VI, n° 43, fol. 4I0'>; Vnl., n" 108, loi. 304'', ad an. 13'.8, Fobr.
22. Voy. plus haut, p. 39, not. 2.
2. Snppl. Clem. VI, n" 20, fol. 37 ; Beg. Vni., n° 203, fol. 90, ad an. 1331, Febr. 2.
3. Suppl. Innocent. VI, n° 25, fol. 13 i : « Signifîcant priorissa et conventus nionas-
terii B. Margarethe de Gouferno, per prioi'issnm soliti guhernnri », ad an. 1354,
Jun. 3.
4. Mexard, Ili.'il. rel., civ. et milit. de S,iinl-Jnme.>{ de Beuvron (1897), p. 59.
5. L'abbé de Gharroux dit que le prieuré est « situatus in medio nationis perverse,
in tantum quod sex anni sunt elapsi, non fuit aliquis administrator ausus residere
ALriU:S MONASTÈISKS ET ÉdLISKS DÉSOLÉS AVANT l'iî).') 77
L'abbave bénédictine de Saint-Etienne de Bassac, du diocèse de
Saintes, ne possédait en 1347 que des revenus fort diminués^; en
13o8 elle est mentionnée au pape comme dévastée, brûlée et
détruite, ainsi que son église '^. Le monastère de Sainte-Marie
d'Orme (chanoines réguliers) fut totalement détruit et pillé '^. Les
Frères Mineurs de Compreignac virent leur couvent à moitié détruit
par la guerre en 1346, et demandèrent la permission de choisir un
nouvel emplacement dans l'enceinte de la ville ^. Les Ermites de
Saint-Augustin aux environs de La Rochelle eurent un sort plus
déplorable encore. Leur couvent et leur église furent complète-
ment démolis en 1347 et eux aussi sollicitèrent un nouvel asile dans
l'intérieur de la cité^. Les Carmes y subirent le même sort^. Les
bénéfices des églises qui étaient en contact avec les Anglais, bais-
sèrent partout de valeur, ainsi en advint-il à Marennes '.
Le diocèse de Bordeaux fut éprouvé dès 1337, comme nous
l'avons vu plus haut. Le prieuré bénédictin de Saint-André-de-
Cubzac, dit du Nom de Dieu, dépendant de la Grande-Sauve, fut
tellement dévasté dans ses revenus, ses moulins et ses autres
bâtiments, qu'on n'espéra plus les restaurer; à peine un moine par-
ibidem, et adeo sit collapsus facultatibus, quod a predicto temporc citra vel quasi
dicli abbas et c(>n\'entus non potuerunt haberc de predicto prioratu pensiones eis
débitas, scil. sinj;ulis annis 18 sextaria. (luoruni sextarioriuni quodHbet ascendit sarci-
nani duorum cquoruni; et ulti-a tria prebendaria frumenti; item tria sextaria et
tria prebendaria i'abanini ; item 5 doUa \ini pro sustenlatione abbatis et conventus.
Item débet lacère pictanliam in monasterio abbatie conventui pred., et hospilibus
ad dict. mon. decbnantibus per medietatem mcnsis Martii ». Suppl. Innocent. VI,
n" 26, fol. I3S, ad an. J355, .Tan. 16.
1. SuppL. Cleni. V7, n" 10, loi. 1, ad an. 1347. Jan. 10.
2. Snppl. Innocent. VI, n" 29, fol. 66'', ad an. 1358, Martii 1 : « ejus ecclesia propter
guerras fuit devastata et dirupta et combusta ». En 1371 les revenus furent encore
diminués [Recf. Vat Greyorii XI. n° 282, fol. 176'').
3. « Monasterium B. Marie de Ulniis, O. S. Aug., Xanctonens. dioc, propter
jiuerras... fuit totaliter destructum, dilapidatum et dissipatum». Suppl. Innocent. VI,
n" 23, fol. 71'' ad an. 1353, Febr. 28.
-i. Re(j. Vat. Clem. VI, n" 174. fol. 265'', ad an. 1346, Maii 21.
5. <( Edificia extra muros ville de Rupella Xanctonen. dioc, in quibus domus seu
habitatio vestra existit, ac domum ipsam cum ecclesia et aliis olïicinis de necessitale
pro incolarum dicti loci tuitione et i)otiori futurorum cautcla oportuit onmino dirui ».
lie(f. Vnt. Clem. VI, n" 180, fol. 224, ad an. 1347, Jun. 2.
6. I{e(j. Viil. Clem. VI, n° 184, fol. 95'', ad an. 1347, Jul. 5. Les habitants ont sup-
plié le |)ape pour obtenir ime place dans la ville.
7. <( (le par. ecclesia de Salis in Marcnno prope mare ». Suppl. Clem. M. n" Is. fol.
24, in 2" parte.
78 LA GUERRE DE CENT ANS
vint-il à s'y maintenir ^ Les Glarisses de Bordeaux perdirent leur
couvent situé en dehors de la ville, à cause des nouvelles fortifica-
tions. Seule rég"lise conventuelle, qui se trouvait à l'intérieur de la
cité, fut sauvée et les religieuses s'y fixèrent -. Pour la même
raison le couvent des Frères Mineurs en dehors de Saint-Emilion
fut également détruit^. Je ne saurais dire si la ville de Sauve fut
ruinée à la suite de la guerre. Elle 1 était du moins en 1340, quand
ral)l)é de la Grande Sauve Hugues de Marcenhac plaça dans Tinté-
rieur des murs de Tabbaye le peu d'habitants qui y restaient et
leur donna un terrain pour y bâtir ^. Les particuliers ne furent pas
plus heureux. Bernard de Cucujac, doyen de Saint-Seurin de Bor-
deaux, fut pillé pendant qu'il siégeait auprès de la curie à x\vignon;
on lui vola en route son argent, ses livres, vases, habits, chevaux
et autres biens, de sorte qu'il fut dénué de tout^.
Déjà en 1345, un grand nombre d'églises, de couvents, de cime-
tières et autres déjjendances ecclésiastiques du diocèse de Peri-
giieiix^ avaient été violés j^ar suite des guerres ; la présence des
ennemis empêchait l'évêque de se rendre sur les lieux pour les récon-
cilier 6. L'abbaye bénédictine de Tourtoirac fut presque détruite ;
l'abbé et les moines manquant de tout sollicitèrent l'union du
prieuré de Murello (du diocèse de Limoges) dont le couvent était
désert, et Léglise abandonnée^. L'abbaye séculière d'Aubeterre
eut tant à souffrir que les portions des chanoines étaient insuffî-
1. Suppl. Clem. VI, n° 9, l'ol. 38, ad an. 1345, Jun. « prioratus Andrée de Xoniine
Domini... ubi duo nionachi cum priore et vicario perpetuo consueverunt Domino
l'amulari, existons in confronteriis principalibusji-uerre dom. reguni Francie et Anglie,
reddilibus, molendinis, edificiis et proventibus sit taliter devastatus, quod vix aut
numquam pote rit reparari » etc.
2. Suppl. Clem. VI, n° 5, fol, IG, ad an. 1343, Jun, 8 : « propter guerram... monas-
terium ipsarum fundatum extra muros civitatis predicte, ecclesia dumtaxat excepta
que est inlVa niuros, oHm penitus sit destructum propter fossata et munitiones alias
per rec tores civitatis ibidem factas »,
3. Ihid., fol. i6, ad an. 1313, Jun, 8, Grégoire XI parle encore de cette destruction
exécutée par les "habitants mêmes. La clôture seule fut épargnée. Il autorise la
translation dans la ville, Reg. Vat. Gi^eg.XI, n° 285, fol, 161, ad an. 1374, Jul. 31.
4. CiROT DE LA Ville, Ilist. de l'abbaye de la Grande-Sauve, II, p. 352.
5. Suppl. Clem. VI, n° 6, fol. 76, ad an, 1345, Mart, 9.
6. Ibid., n° 9 fol, 103, ad an, 1345, Julii 22.
7. Suppl. Innocent. VI, n° 23, fol, 93'', ad an, 1353, Mart, 10 : « guerre abbatiam
illam quasi destruxerunt, adeo quod abbas et conventus dicti monasterii non habent,
de quo valeant substentari ».
AirilES 3J0NASTÈKi:S ET ÉdLlSLS DÉSOLÉS AVAiNT 13.');) 7ÎJ
santés à l'entretien d'un seul, aussi abandonnèrent-ils Téglise'. On
V vit dès lors des clercs se joindre aux hommes d'armes et aux
brigands, témoin l'archiprêtre de Vélines 2.
En 1349, Pierre, évêque de Sarlaf, se plaint d'être au milieu
d'un peuple pervers et de voir les biens et les droits de son église
occupés ou amoindris par des usurpateurs et des envahisseurs -^ En
1352, l'abl^aye l)énédictine de ïerrasson fut presque détruite et
appauvrie dans ses revenus ^ L'évêque d'All3ano , Talleyrand de
Périgord, raconte en 1338 avoir vu de ses propres yeux la ruine
des bâtiments, des biens et des revenus de l'abbaye cistercienne de
Gadouin, causée par les guerres dont ces lieux avaient été précé-
demment le théâtre^.
Au diocèse de Limoges^ l'abbaye cistercienne deDalon se trouvait,
par suite des guerres incessantes, dans un état pitoyable : entière-
ment appauvrie et endettée. En 13i(j, Fabbé trouve préférable de
faire abattre ou même vendre les forêts désormais sans rapport.
Il est d'avis de ne plus cultiver lui-même ses terres dont les
produits ne couvrent pas les frais du travail, mais de les donner à
d'autres en bail emphythéotique ^. Cet état de choses empira pendant
douze ans ; plusieurs lieux, possessions et droits de Tabbaye furent
occupés par les Français et les Anglais; alors les moines deman-
1. Siippl. Clem. 17, n" 6, 1(^1. 3G'', ad an. J3i7. Jun. IL
2. A'oy. ci-dessous, chap. III, para^i-aphe 5.
3. SiippL, n° J9, 1V)1. 52, ad an. 1349, Jun. 21.
i. Ibid., n° 22, fol. I4i'', ad an. 1352, Octob. 7 : « dictum monasLerium propter
guerras, que ibidem diutius viguerunt, et adhuc vigent, est quasi destructuni ».
5. Sup[)licat S. V. T. episcopus Albanen. quatcnus monasterio Caduini, Ord. Cist....
quod lapso temporc hujusmodi guerre turbine, cdiliciis, l^onis et rcdditibus extitit
quaniplurimum devastatum, ut michi constat oculata fide,... in quo sudariuni eu ni
quo corpus Christi cum pro nostra l'edeniptione morteni pertulit fuit involutuni, ut
pie creditur, honorifice reservatur [De indulgentiis]. Siippl. Innocent. VI, n" 20 fol.
292'', ad an. 1358, Septenib. 30.
(). Snppl. Clem. VI, n" 12, fol. 3i, ad an. 131(3, Septemb. 15 : « abbas et conventus...
lanientabileni predicti monasterii danipnificaticjneui ex \ ariis infortuniisgucrraruni in
suis membris illatis causatam necnon et débita quibus ipsum nionasteriuni est in
Uoni. curia et alibi obligatum huniiliter ostendendo... ; si nemora... que propter anti-
quitateni quasi nuUius valoris existunt, scindantur et vendantur, scu aliter in ulilita-
teni dicli monasterii convertantur, de emolumento lignorum..,et sinon in toto, saltem
in parte poterit subveniri, eadem([ue nemora erunt in brevi... in melius renovata... ;
emolumentum terrarum, que ad manum ipsorum sunt, in earumdem terrarum cul-
tura quasi expenditur..., major ulilitas sine comparatione provenit monasterio de
terris... in dictis grangiis et locis infeodatis, ([uam de illis ({uc ad nuuium monasterii,
licet majoris quantitatis sint, rcmanserunt ».
80 LA GUEKKE DE CENT ANS
(lèrent à être exemptés des redevances qu'ils payaient a l'abbé de
Giteaux^. En 1347, douze clercs du diocèse , complètement appau-
vris, prient le pape de leur accorder des bénéfices'-.
Le chapitre de Cahors fait mention en 1346 de la violation des
droits de leur église située sur la frontière du théâtre des guerres en
Gascogne^. Les Glarisses de Saint-Marcel du Poujet vivaient dans
la crainte incessante d'avoir à quitter leur couvent, et de se trouver
exposées à la merci de tous. Le 16 décembre 134o, elles obtinrent
la permission de se retirer au besoin à Ghâteauneuf (Gastelnau-
Montratier) dans une maison appartenant à Bertrand, évêque
d'Ostie^.
Les Ermites de Saint-Augustin devant Gahors perdirent leur cou-
vent dès Tannée 1343. L'endroit qu il occupait ayant été compris
dans l'enceinte de la ville ^, ils s'établirent dans la cité où les Gla-
risses leur suscitèrent des difficultés à cause de leur proximité^.
L'évêque de Gahors réduisit au nombre de vingt les religieux
du monastère de Marcillac sur la demande de son abbé, lequel
faisait valoir que les courses des iVnglais avaient considérablement
diminué les revenus de la communauté '.
11 reste peu de chose à dire du diocèse à'Agen déjà longuement
mentionné. S'il est vrai qu'à cette époque les Anglais ne péné-
trèrent pas dans la ville d'Agen, les habitants n'en étaient pas
moins toujours menacés et réduits à une extrême disette par suite
des courses incessantes de l'ennemi^. Le pont sur la Garonne
ayant été détruit par le fleuve, les vivres ne pouvaient plus être
transportés dans la ville, réduite ainsi aux abois. Pour réparer le
pont, les habitants durent recourir à la charité d'autrui^.
1. Siippl. Innocent. VI, n° 29, fol. 2J0, ad an. 1358. Jul. 12 ; « nonnulla loca, possessio-
nes et jura capta, occupata et dissipata e.xistunt j)cr nonnullos Gallicos cl Anglicos.
Abbas et monasterium graviter sunt depauperati propter dictaiii gucrrani ».
2. Suppl. Cleni. VL n" 13, fol. 53, ad an. 1347, Novenib. 19.
3. Suppl. Cleni. VI, n° 12, fol. 3, ad an. 1346, Septenib. 12.
4. Ihid., n° 8, fol. 140, et Reg. Vat. Cleni., n" 172. fol. 142. I.e monastère est appelé
« s. Marcelli de Pogeto prope Gastrum novuni de Vallibus ».
5. Recf. Vat. Cleni. VI, n" 151, fol. 320, ad an. 1344, Mart. 14.
6. Suppl. Clem. VI, n° 5, fol. 152'-, ad an. 1343, Aug. 13.
7. Lacoste, Ilist. rjén. de la province de Quercy, III, p. 130.
8. Baukkre, Ilist. rel. et monumentale du dioc. dAgen, II, p. 112.
9. « Gum ...quidam pons super fïumen Garone ante civitatem Agennen. construc-
tus propter nimiam inundationem aquarum sit destructus, et propterca gentes
AUTRES MONASTÈRES ET ÉGLISES DÉSOLÉS AVANT 135." 8]
L'abbaye bénédictine de Glairac se vit, elle aussi, tellement
appauvrie par les guerres que ses moines furent contraints de
l'abandonner^.
Arnaud, abbé de l'abbaye bénédictine de Gaillac, du diocèse
à'Albi^ se lamente du mauvais état des revenus causé par la guerre.
Ces moines, habitant un endroit très peuplé et devant abriter beau-
coup d'hôtes illustres, se ressentirent davantage de leur pénurie;
ils sollicitèrent l'incorporation de plusieurs églises ~.
Les Glarisses établies aux portes de Béziers furent continuelle-
ment exposées au danger de perdre leur couvent ; la ville étant for-
tifiée, les citoyens ne voulaient pas, en cas d'une attaque, courir
le risque de voir l'ennemi s'y fixer, et j)our la même raison, ils
avaient déjà démoli les maisons de plusieurs laïques"^. Les con-
seils et les bourgeois de la cité étaient sans cesse en litige avec
le Chapitre, ce dernier, ne voulant pas contribuer aux réparations
des fossés et des fortifications, malgré la guerre imminente '*.
Cet état de choses était bien plus accentué encore dans les
provinces de Toulouse et de Narbonne. Les archevêques ainsi que
ipsius civitatis ac etiam propter guerram in illis partibus ingruentem victualia com-
mode ut deceret habere non possint, sed sint exinde nimia paupertate gravati, inten-
dantque ipsum pontem reparare » [De indulgentiis]. Reg. Vat. Clem. VI, n° 191, foL
137'', ad an. 1349, Maii 12. Voy. sur cela Jiirades de la ville d'Agen, Index, p. 368.
1. Suppl. Innocent. VI, n" 23, fol. 163, ad an. 1353, Maii 13.
2. SuppL Clem. VI, n» 18, 2 parte, fol. 3.
3. « Gonventus... dudum fréquenter et nunc evidenter subjacuit et subjacet
timori et periculo regni inimicorum insultus et submittendi ruine per cives hoc
précise volentes pro ipsius civitatis et civium salute, ne ibi ipsi iiiimici, cum Ibrtis
sit locus satis et multum bene edifîcatus, refugium capiant, presertim etiam cum ad
hoc cetera laicorum edificia in dictis suburbiis sint diruta, propter quod ipse
sorores ut plurimum extra dictum conventum... moram trahere habuerunt et habent
a septem annis et ultra, prefatique cives... ipsas convitarunt... quod dimisso dicto
conventu alium locum novum recipiant infra muros ». Suppl. Urb. V, n° 38, fol. 35,
ad an. 1364, et Reg. Vat. n" 252, fol. 115, ad an. 1363, Aug. 15, et Reg. Vat.. n° 251,
fol. 213. Sadatieu, Hist. de la ville et des évéqiies de Béziers, p. 289, et Uisl. de Lan-
guedoc, IX, p. 654, not. 2, disent donc à tort que le couvent fut détruit en 1353.
Les Glarisses perdirent leur monastère seulement en 1363, lorsqu'on s'occupa dans la
Gurie romaine de la translation : « cives vero, dum hec in Kom. curia agerentur,
monasterium illud quasi funditus destru.xerunt, suisque usibus... macerias monasterii
manciparunt ». Suppl. Urb. V, n» 39, fol. 82'', ad an. 1363, Decemb. 13. Sabatier parle
encore des Dominicains, des Augustins (voy. Reg. Aven. Innoc. VI, n" 13, fol. 201,
an. 1356, Febr. 18), des Mineurs, des religieuses de Saint-Antoine et de la comman-
derie de Saint-Jean.
4. Suppl. Clem. \ I, n" 12, fol. 73. an. 1346, Octob. 26.
R..-P. Denifle. — Desolatio fades iaruin li. «j
S2 LA GUERRE bE CENT ANS
leurs suffraganlSj les abbés, les chapitres, les collèg-es, les cou-
vents, les prieurés, etc., devaient contribuer aux frais de la guerre
en Gascogne. En 1346 ils ne voulaient s'y soumettre qu'à certaines
conditions. La province de Narbonne proposa de concéder une fois
pour toutes 12.000 livres ; la j3rovince de Toulouse 8.000, si le pape
le leur permettait, et si les autorités civiles leur confirmaient les
privilèges qu'elles désiraient obtenir^.
Il est facile de comprendre quel était le sort des monastères de
ces contrées. Ils perdirent, pour le moins, les ressources qu'ils
tiraient de leurs terres en Gascogne, lesquelles se trouvaient alors
sous la domination anglaise. Je donne pour exemple l'abbaye cis-
tercienne de Grand-Selve^ du diocèse de Toulouse. Elle était réduite
à une si grande pauvreté que les moines ne pouvaient suf-
fire à leur entretien; c'est pourquoi le roi Philippe, en 1349-1350,
ordonna aux collecteurs des décimes de n'y point faire contribuer
les religieux de Grand-Selve -. En 1351, le roi Jean présente
l'abbaye comme ruinée par les ennemis'^. Le 10 décembre 1354, le
même roi défendit à qui que ce fût de mettre les religieux à con-
tribution et il ordonna au sénéchal de Carcassonne de laisser jouir
l'abbaye de Texemption des péages^. Mais la misère augmenta
toujours, parce que le monastère perdit les ressources qu'il avait
autrefois en Gascogne et qu'une maison avec dépendances qu'il
possédait à Bordeaux fut ruinée à tel point que les religieux se
virent contraints de s'adresser au prince de Galles pour obtenir
des secours, comme nous l'apprend une lettre d'Innocent YI datée
du 13 janvier 1357 ^.
1. Il y a deux longues suppliques dans les Suppl. Clem. VI, n" 12, toutes deux de
l'an 1346, Tune du 11 novembre (fol. 95), l'autre du 9 décembre (fol. 161). Dans la
seconde la première se retrouve insérée.
2. Hisl. de Languedoc, VIII, col. 1881, n" 921.
3. Ibid., no 922.
4. Ibid., n-' 924, 925.
5. Reg. Vat., n" 239. fol. 9 : Dil. fdio nobili viro Edwardo primogenito... Edvs^ardi
régis Anglie illustris principi Wallie, salutem etc. Intelleximus fide digna relatione
multorum, quod dil. fil... abbas et conventus mon. Grandissilve Cisterc. Ord. Tho-
losan. dioc, nonnullis redditibus suis et aliis ac privilegiis et libertatibus, que
ipsi ex concessione ac largitate progenitorum tuorum regum Anglie et ducum
Aquitanie ac alias ab hactenus in partibus Vasconie possederunt, destituti suut, et
quod quedam domus cuni uiagno chayo. quas iidem abbas et conventus in burgo
civitatis Burdegalen. similiter possidebant, post suscitationem et fremitum guorra-
AlTHKS >iONASÏIîMES I:T ÉfiLISF:S UÉSOF.ÉS AVANT \'M)i) S.'i
Les Ermites de Saint- Augustin dans les faubourgs de Marciac, du
diocèse iïAuch, ne se sentant plus en sécurité hors de la ville,
demandèrent à s'établir dans l'intérieur '.
A Airc^ la cathédrale Saint-Jean-Baptiste était déjà complète-
ment détruite en 1353, par le fait des guerres, et le chapitre eut
recours aux aumônes afin de pouvoir la rel)atir -.
De même l'abbaye bénédictine de Saint-Sever, dans ce diocèse,
vit ses revenus amoindris par la guerre -K
La panique pénétra dès lors plus avant dans le midi, jusqu'au
diocèse de Tarhes. Déjà en 1337 beaucoup de biens, terres et mai-
sons appartenant à l'abbaye bénédictine de La Reulle en Bigorre,
furent occupés par des seigneurs tant ecclésiastiques que laïques ^.
L'abbaye bénédictine de Saint-Pierre de Tasque souffrait d'une si
grande disette dès 13i(> aue ses moines hors d'état d'v subsister
T)'
que
plus longtemps durent chercher un asile ailleurs dans d'autres
monastères ^.
rum... date sunl in ruinam in grave nimis prejudicium abbatis et conventus ac
mon. predictorum. Cum autem iidem abbas et conventus, sperantes beneficio pro-
visionis tue a dampnis hujusniodi relevari, ad te recursum habere proponant; nos
abbateni et conventum predictos favore apostolico prosequentes... nobilitatem tuani
attente rogamus, quatenus dictos abbateni et conventum pro reverentia Dei... et
nostre intercessionis obtentu super hiis et aliis eorum negociis suscipias propense ac
favorabiliter c(^mmendatos. Datum Avinionc idus Januarii anno quinto.
1. Suppl. Clem. VL n" 2i, fol. 43; Reg. Vat., n° 22-4, fol. 422, ad an. 1353, Aug. 5.
2. « Quatenus omnibus ecclesiam B. Johannis Baptiste, qui caput est dicte ecclesie
cathcdralis, ac etiam ecclesiam B. Quiterie de Manso Aduren. eidem ecclesie cathe-
di'ali unitam... visitantibus... indulgentiam concédât, et nichilominus illis qui de
bonis... operi prefate ecclesie B. Johannis ob guerras funditus destructe... manus
porrexerint,.. indulgentiam » etc. Snppl. Innoc. VI, n° 24, fol. 110, ad an. 1353,
Octob. 31.
3. Suppl. Clem. VI, n" 4, fol. 206, ad an. 1344, Febr. 14 : « Supplicat Guil-
lelmus abbas... quatenus cum propter guerras et malas conditiones, que in illis
partibus et locis circunstantibus retroactis temporibus viguerunt et vigent, adeo
monasterium ipsum attenuatum sit multis redditibus et consumptum, quod abbas de
fructibus... nequit sustentari » [incorporatio prioratus Montismarciani]. Voy. His-
lorine monasleril S. Severi lihri X (Vicojulii ad Aturem 1876), I, p. 278.
4. « Xonnulli archiepiscopi et episcopi, aliique ecclesiarum prelati et clerici... nec-
non curialcs, seculares, comités, barones... occuparunt et occupari fecerunt eccle-
sias, castra, villas et alia loca, terras, domos, possessiones, jura, jurisdictiones,
necnon fi'uclus, census. redditus et proventus dicli monasterii... de Reula) et non-
nùUa allia bona mobilia et inunobilia, spiritualia et temporalia » (Ils demandent des
conservateurs). Recf. Vat. Bened. XII, n" 123, ep. 245, ad an. 1337, .Tun. 21.
5. Suppl. VI, n" 12, fol. 143, ad an. 1346, Decemb. 7. Les revenus de Tabbé étaient
de 100 livres. Iley. Vat., n" 203, fol. 184''. ad an. 1350. Aug. 22.
(Si l\ r.\'EM\É DE CENT ANS
Les couvents qui n'avaient pas encore vu les horreurs de la
guerre n'en souffrirent pas moins des suites de ce fléau, ainsi que
je l'ai indiqué au commencement de ce paragraphe. Chaque habi-
tant du royaume était obligé de payer un subside et généralement
aussi les monastères et les abbayes ; pour ces dernières cette
mesure paraissait surtout rigoureuse.
Ainsi, par exemple, les bénédictines de l'abbaye de Notre-Dame
de Ghelles, du diocèse de Paris, furent contraintes, en 1354, à
pa^-er 1600 livres. En dépit de toutes leurs réclamations, les com-
missaires royaux employèrent la force, afin d'accélérer le paiement.
Ils s'installèrent dans les dépendances du monastère et commi-
rent mille excès. Les lîâtiments tombaient en ruine, les fermes
étaient abandonnées, les terres restaient en friche. Pain, vin,
argent, tout vint à manquer aux besoins de la communauté K
Ces faits regrettables se reproduisaient ailleurs. Il serait
impossible d'énumérer tous les établissements religieux, qui, à
titre de contributions de guerre, durent verser une partie de leurs
revenus ; il faudrait les nommer presque tous -.
1. Voy. ToRCHET, Ilisl. de Vahhaye royale de Noire-Dame de Chelles, I, p. 167
suiv.
2. Dans Varix, Archives administratives de Reims, t. II, p. 1124, et Pkchexard,
Hist. de l'abbaye d'iyny, p. 382, on trouve par exemple nommés les monastères de
Signy, La Valroy, Bonnefontaine, Chéhéry, Elan, Igny, du diocèse de Reims.
CHAPITRE II
INCURSION DU PRINCE DE GALLES EN LANGUEDOC
ET DANS LE CENTRE DE LA FRANCE
CHARLES LE MAUVAIS. BATAILLE DE POITIERS
J'ai déjà mentionné que la trêve entre l'Angleterre et la France
avait été sans cesse prolongée d'un terme à l'autre^. Grâce à l'inter-
vention du pape Innocent VI, des préliminaires de paix furent
signés près de Guînes, le 6 avril 1354, en présence du nonce apos-
tolique Gui, cardinal de Boulogne. Edouard offrait de renoncer à
ses prétentions, à la couronne de France, si on lui accordait la sou-
veraineté des provinces de Guienne , d'Artois et de Guînes. Cet
arrangement parut être la seule base sur laquelle on pût fonder
une paix durable. On s'engagea de part et d'autre à envoyer des
députations à la cour papale d'Avignon pour le 28 août-.
Innocent VI crut que tout était ainsi à peu près arrangé 3. Toutefois,
les plénipotentiaires de France (Pierre, duc de Bourbon, et Pierre
de la Forêt, archevêque de Rouen) et d'Angleterre (les évêques de
Norwich et de Londres, le duc de Lancaster, le comte d'Arundel)ne
parurent à Avignon que vers Noël ; ils n'aboutirent pas à un traité
définitif. Les Français rejetèrent les articles conclus à Guînes et ne
voulurent céder aucun de leurs droits*. Edouard, indigné, se disposa
à recommencer la guerre. En effet, celle-ci fut décidée dans le par-
lement tenu à Westminster, en 1355, après Pâques, malgré les
1. Voy. ci-dessus, p. A9.
2. Rymer, Foedera, III, p. 276, 283. Avksiuuy, p. 420; Baki:h, Chronicon. p. 123:
Innocent VI avait écrit le 19 janvier 1354 sur cette afl'aire, à Barthcleniy Bur^liersh .
Le nonce apostolique était alors Raymond Pclc^rini, chanoine de Londres. Be(f. Vat.,
n° 236, fol. 12. Le cardinal Gui de Boulogne retourna à Avignon. Ibid., fol. 96''.
3. Dans sa lettre à Edouard, le 16 juillet, Beg. Vnl., n° 236, fol. 118''. Quand le pape
avait reçu les lettres d'Kdouard attestant sa ferme volonté de faire la paix et d'en-
voyer des nonces à Avignon, « in jubilum exultationis erupinius et omnipotenli Deo
gratias eginius » , etc.
4. Avicsmin , p. 421 ; Baivfk, p. 12 i ; Kmcuton. p. 77 suiv.: Cnntin, Adatnl }fiirin\iilh.,
cd. Ho(j, p. 284; Fhoissauï, IV, p, 41,
86 LA r.lEHHE DE CENT ANS
envoyés du pape, l'évêque d'Elne^ et l'abbé de Cluny, Androin de
la Roche, qui repartirent quatre jours après, au commencement de
mai. Ainsi éclata la guerre régulière, non pas en Bretagne ',
mais en France. Selon les décisions du parlement de Westminster,
le prince de Galles fut dirigé sur la Guienne avec les comtes
de Warwick, de Suffolk, de Salisbury et d'Oxford"^. Le roi
Edouard devait envahir la Normandie.
1. In^uption du prince de Galles en Languedoc.
Edouard, prince de Galles, alors âgé de vingt-cinq ans, se rendit
vers le 31 mai à Southampton^ pour s'y embarquer. Mais, retenu dans
le port par des vents contraires, il ne put faire voile pour Bordeaux
que le 8 ou le 9 septembre^, et débarqua avant le 21 septembre^,
pour commencer au mois d'octobre son expédition contre le comte
d'Armagnac. En vérité, c'était plutôt Tinvasion d'une forte armée
de brigands pillant le pays sans défense, faisant le plus de butin
possible, qu'une expédition guerrière en règle. Nous avons sur cette
invasion une lettre du prince de Galles à l'évêque de Winchester,
en date de Noël, et une lettre de Jean de W^ingfield, conseiller du
prince, datée de Bordeaux, le 23 décembre. Une autre écrite par
1. AvESBUHY, p. 421, dit à tort « de Carcassonne ». Le 23 février 1355 Innocent VI a
adressé beaucoup de lettres aux seigneurs d'Angleterre et de France, et, en outre,
aux deux nonces nommés, en annonçant qu'il envoyait l'évêque d'Elne et l'abbé de
Cluny dans les deux royaumes pour engager les deux rois à faire la paix. Reg. Vat.,
n° 237, fol. 51 à 53^. L'évêque d'Elne, Jean Joft'révy, avait quitté l'Angleterre déjà vers le
9 mai, comme il dit lui-même, dans son journal, publié par Baluze, Vil. pap. Aven.,
II, p. 751. Voy. encore Notice ecclésiastique sur le Roussillon (Perpignan, 1824), p. 191.
2. Comme dit Cosneau, Les jrands traités de la guerre de cent ans, p. 1. Alors
aucune expédition ne fut faite sur la Bretagne, où il y avait, en 1355, seulement
quelques faits d'armes sans importance. Voy. Avesbury, p. 427; Plaine, La guerre
de la succession , p. 37, suiv.
3. Voy. les autres dans le Chron. de Baker, p. 129. Jean Chandos était le principal
conseiller du prince. Pour le prince de Galles, l'ordre existait déjà du 27 avril et du
6 mai. Rymer, Foedera, III, p. 198 suiv.
4. Voy. Lemoine, dans Chron. de Richard Lescot, p. 97, not. 3.
5. Avesbury, p. 425 le 8 ; Baker, Chron., p. 127.
6. Baker, 1. c. Voy. Archives municipales de Bordeaux, t. V, Livre des Coutumes,
p. 439. Le 21 septembre, le prince de Galles présidait déjà dans la cathédrale une
cérémonie, pendant laquelle il jura d'être bon et loyal seigneur. Cf. encore Moissant,
p. 31. Baker, 1. c. dit à tort, que le prince avait débarqué « in principio mensis Octo-
bris. » S. Luge dans Froissart, IV, p. lix, not. 3, et d'api'ès lui A. Mommer dans
Hist. de Languedoc, p. 651, not. 2, disent'- après le 16 juillet ». C'est bien « après »,
IRRUPTION DU PRINCE DE GALLES EN LANGUEDOC, 135o 87
Wingfield à Libourne, le 22 janvier 1350, ne s'étend pas sur l'expédi-
tion du prince de Galles; il y est question des possessions acquises
en Gascogne et surtout des nouvelles entreprises des Anglais '.
Mais tous ces documents sont éclipsés par l'extrême précision
de V Itinéraire que Baker nous a laissé concernant la marche en
avant et la retraite des Anglais '-. Les dates fournies par Froissa rt
s'y trouvent, comme il est arrivé souvent, soit renversées, soit com-
plétées, et bien rarement vérifiées. Naturellement Baker n'indique
pas tous les endroits, mais cependant il note jour par jour les prin-
cipaux. Je n'en reproduis que les grandes lignes.
Selon Froissart, suivi par la plupart des historiens, le prince, en
Cjuittant Bordeaux, serait remonté sur la rive droite de la Garonne
jusqu'à Port-Sainte-Marie, entre Aiguillon et Agen, et là il aurait
passé le fleuve '^. Or, cela est tout à fait inexact. Le prince quitta
Bordeaux le 5 octobre en suivant, dès le commencement, la rive
gauche de la Garonne. Le 6, nous le trouvons à Langon; le 8 et le
9 à Bazas, où se trouvait la cathédrale et un couvent de frères
Mineurs^. Le 10, il est à Castelnau^; le Ll, il traverse les landes
de Bordeaux. Eloigné encore de deux lieues d'Arouille, il divisa
son armée en trois corps de bataille : le premier comptait 3.000
hommes d'armes, le deuxième 7.000, sous les ordres du prince ; le
troisième, 4.000 combattants. Ne furent pas compris dans ce
dénombrement : les archers, les clercs, les gens de service et
d'autres encore en grand nombre ^, car le prince avait jusqu'à
1. AvESBUHY, p, 434, 439, 445.
2. Chron., éd. Thompson, p. 128-138. L'éditeur a illustré cette invasion, p. 29«i, avec
une carte très utile. I>a carte donnée par Kervyn df. Lettenuovi-, dans son édition de
Froissart, t. XXV, p. 7, est sans valeur.
3. Fhoissaut, 1, c. A. Moliniku, 1. c.
4. O'Reilly, Essni sur Vhistoire de la ville... de linzas (1840), ne mentionne pas
p. 106, 384, que le prince ait été dans ces deux \ illes. parce que Froissart n'en dil
rien.
5. C'est sans doute le château de (^astclnau en Cernes, tjui appai-tenait à Bernard,
seigneur d'Albret. Voy. O^Reilly, 1. c, 1. c, p. 353.
6. Que dire donc de l'assertion de Fboissart. 1. c, que larmée anglo-gasconne était
forte de 1.500 lances, de 2.000 archers et de 3.000 bidauds? Dans le livre Le Prince
Noir, Poème du héraut d'armes Chandos, éd. Mu:hei., v. 642, on lit également :
Et mist ensemble sur les champs
Plus que vj mille combatantz.
L'auteur du poème se trompe aussi en disant v. 653. que la campagne du Prince
avait duré « cpiali'e mois et demy »,
88 LA GUERRE DE CENT ANS
1)0.000 hommes autour de lui ^ Le 12 octobre, on arriva à Arouille.
Les gens du prince se dispersèrent dans les environs, en pillant
et brûlant, ce qu'ils firent partout, jusqu'à leur retour à La Réole
ou à Bordeaux -.
Le 13 octobre ils étaient à Monclar, ville du diocèse d'Auch, qui
fut brûlée avec trois autres. Devant le château d'Estang* les Anglais
eurent un échec. Le 16, ils abordèrent la ville fortifiée de Nogaro, le
17 la belle ville de Plaisance, dont tous les habitants s'étaient
enfuis. Le 18, ils incendièrent le château (ainsi que Galiax), le 19,
la ville même ^ ; après quoi ils passèrent la nuit devant Bassoues,
ville appartenant à l'évêque d'Auch, laquelle fut épargnée et mar-
chèrent le 21, vers Mirande, en laissant Montesquiou à leur gauche.
Le prince descendit dans l'abbaje cistercienne de Berdouës, tout à
fait abandonnée par les moines. Mais le couvent n'eut rien à souf-
frir. Le 23, ils quittèrent Armagnac, en se dirigeant vers le comté
d'Astarac; ici la ville de Seissan fut incendiée malgré l'opposition
du prince. Le 24, nous trouvons l'arrière-garde installée dans la
grande abbaye deSimorre, dont les moines s'étaient sauvés, l'avant-
garde à Tournan, et le reste des troupes à Villefranche. Dans cette
dernière ville on trouva tout en abondance, mais pas un seul habi-
tant. Le 25, les Anglais continuèrent leur marche en dévastant tout
autour d'eux, laissèrent de côté Sauveterre et Lombez, siège épis-
copal, et passent la nuit à Samatan ^, où il y avait un couvent de
Frères Mineurs. Tout fut mis à feu. Le 26 ils passent à Saint-Foi et
à Saint-Lys. Le 28, franchissant la Garonne et FAriège, rivière
encore plus périlleuse que la Garonne, ils s'avancèrent jusqu'à une
lieue de distance de Toulouse. Le prince s'installa pour la nuit à La
Croix Falgarde. Dès lors pas un jour ne se passa sans que les
1. C'est vraisemblablement exagéré. Mais en tout cas, le grand nombre explique
pourquoi le comte d'Armagnac navait pas le courage d'attaquer le prince.
2. P. 129 : « et ita fecerunt generaliter quousque revertebantur ad terram pacis. »
3. Voy. encore WingTield dans Avesiujry, p. 4 10. Monlezun, Hist. de L% Gascogne,
III, p. 319, avait donc raison de dire (suivant un ms.) que Plaisance fut entièrement
détruite par le prince. Il mentionne aussi (suivant une ancienne tradition) Aignan
(entre Nogaro et Plaisance à TEst), et Trie. Pour Aignan c'est possible, mais je
doute pour Trie.
4. L'évêque Arnaud d'Aubert y bâtit un château fortifié. Monlezun, 1. c, p. 423
suiv.
5. Le prince et Wingfîeld l'appellent : « le meilour ville du countée de Gumenge »,
de la même grandeur que Norwich
IRKLPTION DU PKINCK DE GALLES EN LANGUP:D0C, 1 3oO 89
Anglais ne prissent de force quelque place ou château, en pillant
et brûlant à l'envi K
Le 29, ils étaient à Montgiscard-. Tous les moulins furent brûlés.
Ce fut alors que le prince apprit par des espions français, faits pri-
sonniers, que le comte d'Armagnac se trouvait avec l'armée à Tou-
louse'"^j et que le connétable Jacques de Bourbon était àMontauban;
ils avaient cru que le prince assiégerait Toulouse. Le 30, les Anglais
avancèrent sur la route d'Avignon vers Baziège et Villefranche ^ (-de-
Lauragais), et s'arrêtèrent pendant la nuit à Avignonet. Les habi-
tants s'étaient enfuis; les moulins furent brûlés. Le 31 on s'arrêta
à Castelnaudary ^, où il y avait Téglise collégiale de Saint-Michel,
les monastères des Frères Mineurs et des Carmes et l'hôpital de
Saint- Antoine. Tous ces édifices, la ville même, ainsi que celle de
Mas-Saintes-Puelles, avec le couvent des Ermites de Saint-Augus-
tin, furent incendiés. Le 1^^ novembre, une autre ville se racheta
moyennant une rançon de 10.000 florins. Le 2 novembre, les Anglais
arrivèrent aux villes de « Sainte-Marthe-le-Port » (Saint-Martin-La-
lande) et Villepinte. Le prince passa la nuit à Alzonne. Quand il
arriva à Garcassonne, le jour suivant^, tout le monde avait quitté
les faubourgs pour se retirer dans la cité, à l'exception des quatre
Ordres mendiants. Le 4 et le 5, il y eut des négociations de paix
avec ceux de la cité, et les citoyens offrirent 250.000 écus d'or pour
sauver les faubourgs ^. Mais le prince rejeta cette offre en disant
qu'il n'était guère venu pour s'enrichir, mais pour faire des
conquêtes. Le 6, il fit incendier le bourg, avec ordre d'épargner les
religieux. Plus tard, il apprit des religieux mêmes que les faubourgs
avaient été brûlés. Le soir du 6, après avoir dévasté tout le pays
des alentours, les Anglais arrivèrent à Rustiques; le 7, à Ganet,
en passant à côté de Lezignan ; le 8, à Narbonne, ville célèbre par
la magnifique cathédrale de Saint-Just. Dans les faubourgs, plus
1. Le prince dit aussi cela.
2. Suivant Froissart, p. 163 (voy. p. lx), première halte pour le prince! « Le secont
jour » !
3. Froissart aussi.
4. Froissart la nomme par erreur après Castelnaudary.
5. Le prince dit également que c'était le 31 octobre.
6. C'est à tort que Molimer dit, 1. c. « le 2 nov. »
7. Voy. encore Mahukl. (jnrlulaires ei archives de i,incien dio'^cs? de Crin;\ssonne,
VI, p. 20: Demfle, La désolation des églises, I, n" 232, not.
96
LA GUERRE DE CENT ANS
beaux que ceux de Garcassonne, il y avait encore des religieux
Mendiants. Le prince descendit chez les Carmes. Les citoyens se
défendirent courageusement , et, de part et d'autre , il y eut beau-
coup de blessés et plusieurs morts. Le 10 novembre, les faubourgs
furent incendiés. A Narbonne, le prince reçut les nonces du pape,
mais seulement pour les envoyer à son père K Les nonces étaient
Jean de la Porte, archevêque de Capoue, et Ferez Galvillo , évêque
de Tarazona ~. On dit que les éclaireurs du prince poussèrent
jusqu'aux murs de Béziers ^.
Avesbury seul raconte ^ que lorsque la nouvelle du sort de Nar-
bonne arriva à Montpellier les habitants se mirent à l'œuvre pour
se préparer à la défense, en démolissant leurs faubourgs. Les gens
de l'Université, les religieux qui habitaient ces lieux et une grande
partie de la population se réfugièrent à Avignon afin de s'y trouver
sous l'égide du pape Innocent VI. Mais le pontife lui-même, nous
dit encore Avesbury, ne se sentait guère en sûreté, et il se barricada
derrière les portes de fer de son palais. Son maréchal alla avec 500
chevaliers à la rencontre du prince et perdit, si l'on peut en croire
Avesbury, jusqu'à 400 hommes dans une mêlée. Lui-même fut fait
prisonnier et ne recouvra la liberté que moyennant une rançon de
50.000 florins.
Ayant appris par des prisonniers que le comte d'Armagnac, le
maréchal Jean de Glermont et le prince d'Orange voulaient lui couper
le retour du côté de la Garonne '^, le prince organisa sa retraite, en
marchant contre l'ennemi ; il arriva le soir du 10 novembre^ à
1. Ainsi le prince et Winfçfîeld, p. 435, i41.
2. Le 5 novembre 1355, Innocent VI écrivait plusieurs lettres sur l'invasion du
prince de Galles en Languedoc, et sur les deux nonces. Reg. Vat., n" 237, fol. 211 à
214. Une lettre est dans Rawald, Ann., 1355, n° 27. Le 20 novembre, le pape avait
déjà reçu des nouvelles ; les nonces avaient fait un rapport de leur dangereux voyage.
Le pape leur recommande : « gallicas et anglicas gentes, si tamen non multum
distant, sequamini propius... et circa id vacetis attentius ne partes conveniant ad
congressum ». Ihid., fol. 238*'.
3. Chron. de Jacques Mascaro, dans Bulletin de l.i Soc. archéol. de Bêziers (1836),
I, 81. La Chronique Romane, dans Petit Thalamus (1840), p. 351.
4. P. 423.
5. Lettre du prince, et Avesbury, 1. c.
6. C'est donc une fausse assertion de Froissart, p. 171, 378, que le prince séjourna
cinq jours (p. lxiii, une semaine ; voy. encore p. 379 et A. Molimer, 1. c.) à Nai'bonne.
Froissart mentionne encore p. 168 Homps et Capestang pour la route du prince
avant Narbonne. On rapporte aussi à tort Fanjeaux avant Garcassonne.
IRtVUPTION DU PUINCI-: DE GALLES EN LANGUEDOC, 1355 91
Aubian, près de rétang- de Capestang. Le jour suivant on avança
très péniblement; à défaut d'eau on donna du vin aux chevaux.
Enfin on arriva à Homps, oii les officiers du comte d'Armaj^nac
avaient passé la nuit précédente. Ainsi on comprend facilement
pourquoi le prince, qui voulait rencontrer l'ennemi, avait pris ce
chemin-là. A Azille il logea chez les Frères Mineurs dont la cave,
pleine de muscat, fut complètement vidée. Le même jour, 12 no-
vembre, les Anglais détruisirent Pépieux; le 13, en marchant vers
le Midi, ils arrivèrent à Comigne ; le 14, ils dévastèrent tout le pays
de Praixan, en laissant à droite Garcassonne et toute la route
suivie auparavant^. Le 15 nous trouvons le prince à Prouille, dio-
cèse de Saint- Papoul, où se trouvait le grand monastère des sœurs
dominicaines avec 140 religieuses, et un couvent de 100 frères Prê-
cheurs'-. Le prince et beaucoup d'autres de sa suite furent admis à
la confraternité spirituelle de la maison^. Le même jour, néanmoins,
une partie de l'armée anglaise se dirigea vers Limoux. Cette ville,
plus grande que Garcassonne^, fut prise, livrée au pillage et aux
flammes et presque entièrement détruite, comme nous apprennent,
en dehors de l'Itinéraire, quelques documents contemporains -^ Les
dégâts étaient immenses parce que la ville était très riche et avait
une industrie florissante. La fabrication des draps était la nourrice
du pays, et on s'adonnait avec succès au commerce des grains et à
la minoterie. La pelleterie aussi occupait une partie des habitants^.
1. Froissart dit, p. 171 (vt)y. p. lxiii), à tort, que le prince reprit le chemin de
Garcassonne.
2. Bakeu les nomme : « Prédicatrices », et avec raison, parce que les sœurs de
Prouille furent appelées : « Prècheresses ». Il ne se trompe pas aussi au sujet du
nombre, qui était toujours (malgré la réduction à 100) de 140 à 150 sœurs. Voy. Reg.
Vat. Innocent. VI, n" 233, loi. 139'' ad 1358, Maii 11. Le nombre des Prêcheurs est
exagéré. II y avait 25 frères et 50 servants. Voy. Guihaud, De Prulianensi monaslerio
(1896), p. 140.
3. « Ubi dominus princeps in spiritualem confraternitatem domus cum multis aliis
dévote fuerat receptus ».
4. Limoux avait en 13(55 « quindccim millia personarum ibidem habitantium vel
circitcr et unam dumtaxat parochialem ecclesiam », S^ Martin, prieuré des Frères
Prêcheurs, sous la dépendance du monastère de Prouille. Reg. Vat. Urbani V. n° 254,
fol. 124".
5. Ce sont des lettres du comte d'Armagnac et du duc de Normandie de 1356 à
1358, citées dans Fo>ds-Lamothe, Notices hisl. sur la ville de Limoux (Limoux, 1838),
p. 141 suiv.
6. Fonds-Lamotuiî, 1. c, p. 74, 99 suiv.. 102. 105,
92 LA GLEHKE DE CENT ANS
Il V avait à Limoux des Frères Prêcheurs et des Frères Mineurs ;
ces derniers furent forcés d'abandonner leur couvent situé dans les
faubourgs ^ Fanjeaux et d'autres villes, ainsi que tout le pays à
Tentour, n'eurent pas un meilleur sort.
Le 16, le prince reprit la marche; le 17, on arriva à la grande
abbaye cistercienne de Boulbonne. En 1359, Gaston Phœbus voulait
faire réparer les cellules des moines -. Là, le dit comte de Foix, qui
était un ennemi du comte d'Armagnac, vint joyeusement à la ren-
contre du prince, lequel, en sa faveur, fît grâce à la contrée. Près
de Miremont, on passa TAriège; la ville et le château furent brûlés.
Le 18, les Anglais franchirent la Garonne près de Noé dont ils
prirent le château-fort. En montant sur la rive gauche ils arrivèrent
à Carbonne, ville bien fortifiée, mais qui néanmoins fut prise
aussi. D'autres sources nous informent qu'elle fut détruite 3.
Le 20, ils apprirent que l'ennemi, divisé en cinq corps de
bataille, était dans le voisinage. Le prince disposa ses troupes en
ordre de bataille, mais l'ennemi n'avait guère envie de se battre.
Barthélémy Burghersh, Jean Chandos et Jacques Audley purent
rejoindre les fuyards ^. Les Anglais passèrent la nuit suivante à
Mauvesin, celle du 21 à Auradé, laquelle ville fut ensuite livrée au
feu. En continuant la marche, le 22 novembre, ils apprirent que
l'ennemi était à Gimont. Le prince se hâta de l'y rencontrer, et
fondit à Aurimont sur 400 hommes d'armes du connétable, qui
furent en partie mis en fuite, en partie tués ou faits prisonniers.
Le 23, à Gimont, on apprit que l'ennemi s'était retiré. Dans leur
marche du 24 les Anglais manquèrent d'eau à un tel point qu'on dut
donner du vin aux chevaux, dont bon nombre s'enivrèrent et
périrent.
En laissant Fleurance à droite , une division des Anglais arriva
le 23 à Réjaumont, laquelle ville fut jDrise d'assaut et incendiée.
1. Innocent VI écrit dans sa lettre adressée au provincial des Mineurs de la Pro-
vence le 22 juin 1360 : « locus fratrum... olini extra muros ville Limosi, Narbonnen.
dioc, existens, propter guerrarum discrimina... cum ecclesia et omnibus oflicinis tota-
liter est destructus ». Il donne la permission delà translation, /îef/.^ yen. Innocenl. VI,
n" 24, fol. 498»'. Voy. encore Reff. Vat. Urh. V, n" 254, fol. 44.
2. Hisl. de Languedoc, VIII, col. 1919. n° 217.
3. Le 28 août 1353 le roi accorde des faveurs aux habitants pour les aider à
rétablir leurs maisons. Ordonn. des i^ois, III, p. 82.
4. Voy. encore la lettre du prince dans Avesuliu , p. 434.
IkHIJPTION DtJ PRlNCl: DE GALLES EN LAXilEDOC, 1355 98
Une autre division fut à « Silarde^ » le même jour. Le 26, il vint à
la connaissance du prince que le connétable attribuait la fuite des
troupes au comte d'Armagnac. Le 27, on passa la Baïse et l'on
arriva à « Le Serde ~ », ville conquise jadis par le duc de Lancaster,
à une lieue de distance de Condom. Le 28, on entra à Mezin, qui
appartenait déjà aux Anglais. A partir de là, la marche fut paisible.
Le 30, les uns arrivèrent à Gasteljaloux , et le l*"" décembre à
Meilhan, tandis que les autres, côtoyant l'abbaye cistercienne de
« Montguilliam w-^, c'est-à-dire Fontguillème, et la forêt royale dite
« Bois maiour » ou « lou Bosc Majou^ », se dirigèrent sur La
Réole, où le prince lui-même arriva le 2 décembre^.
Cette expédition dura huit semaines pendant lesquelles on se
reposa à peine onze jours ''', et 500 endroits à peu près, ainsi que plu-
sieurs grandes villes furent saccagés et détruits par les flammes '^.
Quel fut le résultat de cette expédition ? Le prince put-il conqué-
rir un territoire français? Nullement. Il se proposait surtout de
piller et de ravager un des plus riches pays de la France, d'où le
roi tirait ses plus grandes ressources pour faire la guerre. Wing-
fîeld raconte ^ que depuis le commencement de la lutte avec la
France, on n'avait vu pires destructions que durant cette incur-
sion du prince de Galles. Le pays, ajoute-t-il, et les endroits en
question, qui furent dévastés et détruits, avaient fourni à la guerre
du roi de France plus de subsides que toute la moitié du royaume.
Garcassonne par exemple, Limoux, et deux autres villes près de
Garcassonne, payaient chaque année pour le roi de France les
1. Thompson propose d'identifier ce pays avec S^* Radegonde.
2. Le môme propose Lagardère.
3. Le môme propose à tort « Montpouillon », L'abbaye cistercienne de Font^uil-
lème était située dans le canton de Grignols. Voy. O'Reilly, Essaie etc., p. 359.
4. Thompson ne donne pas d'explication. Mais cf. O'Reilly, p. 367. Il y avait
encore « Mages Sylvas », c'est-à-dire « Masseilles », ibid., p. 359.
5. B'roissakt dit donc à tort p. lxiii, que le prince a repassé la Garonne à Port-
Sainte-Marie. Il mentionne aussi après le séjour à Limoux les villes de Fougar et de
Rodes (Ariègc). J'ajoute que la seconde lettre de W'ingfield a induit S. Lice, 1. c,
not. 4, à admettre que le prince, sur la route de Gimont à Bordeaux, réduisit six
villes et dix-sept châteaux. Mais, comme j'ai déjà dit, la seconde lettre ne s'occupe
pas de l'invasion du prince. Du reste les six villes n'étaient pas sur sa route.
6. Wingfîcld dans Aveshuiiy, p. 442.
7. AvEsnuHY, p. 432. Le chapitre a pour litre : « De terribili et mirahili pi-ogressu.
quom pi'inccps ^^^^llia(^.. iVcerat ».
s. //>/(/., p. 4i2.
94 LA GUERRK DE CENT ANis
gages de 1000 hommes d'armes et encore 100.000 écus d'or pour
entretenir la guerre. Les endroits détruits dans le Toulousain, le
Garcassonnois et le Narbonnais fournissaient en outre chaque année
pour aider à couvrir les frais de la guerre, plus de 400.000 écus d'or,
ainsi que les habitants eux-mêmes le racontaient aux Anglais.
Avec l'aide de Dieu, conclut Wingfîeld, et si le prince a les moyens
de continuer la guerre, les Anglais pourraient facilement élargir
leur territoire et conquérir beaucoup d'endroits, « car noz enemys
sount moult estonez ».
Le prince était donc arrivé le 2 décembre à La Réole. 11 assigna
aux différents corps de troupes leurs quartiers d'hiver, choisissant
de préférence les places qu'il était nécessaire de protéger contre les
Français^. Warwick par exemple campait à La Réole, Salisbury à
Sainte-Foy, Sull'olk à Saint-Emilion'. Mais ni ceux-ci, ni Jean
Ghandos, Jacques Audley, Renaud Gobham, Barthélémy Burghersh,
le captai de Buch ne restèrent oisifs pendant l'hiver. Ils s'empa-
rèrent de plusieurs places fortes et villes '^. Le prince retourna en
Guienne et séjourna tantôt à Bordeaux, tantôt à Libourne. Sa divi-
sion stationnait à Libourne et à Saint-Emilion^
J'ai déjà mentionné plusieurs églises et monastères détruits ou
ruinés pendant l'invasion du prince de Galles en Languedoc.
L'évéque de Garcassonne vit beaucoup de ses maisons hors de la
ville détruites, et ses terres incultes et désertes^. On nomme encore le
prieuré des religieuses de Saint- Augustin, dans la banlieue de Car-
1. Baker, p. 138 suiv. Voy, encore la seconde lettre de Wingfîeld à Richard de
Stafford, dans Avesbury, p. 447.
2. Le Prince Noir. Poème du héraut d armes Chandos, éd. Michel, v. 068 suiv.
3. Voyez sur ces conquêtes la lettre citée de Wingfîeld, p. 446 suiv.
4. Wingfîeld, p. 447.
5. « Oblate nobis... Gafîridi episcopi Garcassonen. petitionis séries continebat
quod extra clausuram burgi Garcassonen, quedam hospitia pro majori parte diruta
et combusta cum certis ortis, areis, et prediis eis contiguis, et in certis aliis partibus
quedam possessiones terre et bona aiia ad niensam suam episcopalem spectantia exi-
stunt exquibus per eum et mensam pred. modicum comniodum reportatur, et ex ipsis
si in eniphiteosim perpétue darentur magna ipsis episcopo et mense utilitas pro-
veniret; nonnulla etiam possessiones feuda et bona alia ab eisdem episcopo et
mensa... in emphiteosim seu ad certain portioneni tenentur que proptcr magnitudi-
nem censuum pensionum... hujusmodi et temporum malitiam pro majori parte inculta
et deperta rémanent... [Papa dat licentiam dicta hospitia seu territoria, hortos, areas,
in emphyteusim dandi]. Reg. Aven. Innoc. VI, n" 21, fol. 569, ad an. 1359, .Tun. 8.
LA CINQUIÈME INVASION DU KOI ÉDOUAHD. \'M)i\ 9o
cassonne, plus tard rebâti dans la ville ^. Je suis persuadé que
plusieurs des monastères énumérés dans le chapitre V furent
détruits en 133^); d'autres tombèrent victimes des nouvelles forti-
fications, car à la suite de cette invasion, les villes du Lang^uedoc
travaillaient activement à la réparation de leurs anciennes murailles,
et à la construction de nouvelles défenses. La facilité des conquêtes
du prince de Galles s'explique par le fait que la plupart des places
prises par lui étaient ouvertes ou mal fortifiées. La nécessité de
construire des remparts s'imposait, les g'randes villes donnèrent
l'exemple; telles furent Narbonne et Béziers en 1356 et 1357-,
Montpellier entreprit également en L356 la réparation des vieilles
fortifications en même temps que la construction de nouvelles, et
le i^'' mars, Innocent VI exprime le désir de voir les ecclésias-
tiques y contribuer aussi de leurs deniers*^. A Carcassonne, on
avait commencé à entourer de murs et de fossés le bourg- et les
faubourgs, après que le prince de Galles les avait dévastés; en
1363, l'œuvre touchait à son achèvement, et le 7 octobre, Urbain V
ordonne aux ecclésiastiques d'y apporter leur obole ^. Les cou-
vents situés hors des villes furent détruits à cause de ces travaux.
Tel fut le sort des Carmes à Carcassonne ^, à Lodève 6, à Lunel ^,
laquelle ville fut fortifiée dès l'an 1356, comme nous le savons par
une lettre d'Innocent VI '. II en arriva de même à Montpellier^, à
Condom^^, etc.
2. La cinquième invasion du roi Edouard en France,
Edouard et le duc de Lancaster s'embarquèrent au mois de juin
ou de juillet l'embouchure de la Tamise, accompagnés de beaucoup
1. S. Luge dans Froissaut, IV, p. lxi, not. 2.
2. Hist. gén. de Languedoc^ X, n"" 452, 453, IX, p. 653 suiv., 655, not.
3. Reg. Vat., n" 244 F, ep. 33; Reg. Aven. Innoc. VI, n" 12. fol. 463.
4. Reg. Vat., n" 252, fol. llS**. Voy. encore S. Luce dans Froissaht, p. lxi, not. 1.
5. Reg. Aven. Innocent. VI, n" 24, fol. 483'', ad an. 1360, Martii 23.
6. Ibid., n» 21, fol. 559'', ad an. 1359, April. 12.
7. Ibid., n» 24, fol. 546, ad an. 1360, Novemb. 13.
8. Ibid., n° 12, fol. 462'', ad an, 1356, Febr. 12: « Propter guerrarum discrimina
que in illis partibus ingruere formidantur, quedam fortalitia pro tuitione et defen-
sione dicte ville et partiuni vicinaruni construere ceperunt opère plurinium sump-
tuoso ». La municipalité de Lunel prie et obtient la contribution des ecclésiastiques.
9. Ihid., n° 13, fol. 195, ad an. 1356. Jan. 19.
10. Ihid., n" 13, fol. 264. ad an. 1356. Aug. 5.
l)(j LA GUERRE DE CENt ANS
de navires pour rencontrer les messagers de Charles le Mauvais,
dans la direction des îles Guernesev et Jersev. Mais, les vents étant
contraires, ils arrivèrent à g-rand'peine à Portsmouth, où ils atten-
dirent longtemps un vent favorable^ , pendant que Charles le Mau-
vais, alors son allié contre le roi de France, arrivait à Cherbourg.
Ce dernier, ayant appris la nouvelle de la prochaine descente
du roi d'Angleterre en Normandie, envoya à Cherbourg des mes-
sagers qui parvinrent à détacher le roi de Navarre de l'alliance avec
Edouard et le décidèrent à faire la paix avec Jean, roi de France. A
la nouvelle de la défection de ce dernier, le roi d'Angleterre renonça
à descendre en Normandie, et retourna en Angleterre. Je parlerai
dans le prochain paragraphe de toute l'histoire de Charles le Mauvais.
Le 12 septembre 2, Edouard lit crier dans les rues de Londres que
tous les chevaliers, etc. se tinssent prêts à partir de Sandwich
pour Calais le 29 du même mois. Il avait entendu dire que le roi de
France pensait s'y rendre avec une grande armée ^. Edouard s'em-
barqua donc à Sandwich avec son armée qui n'était pas très nom-
breuse, arriva à Calais, et en quittant cette ville le 2 novembre
s'avança vers l'ennemi^. Ce dernier s'était trouvé à Amiens le 5 et
le 7 du même mois 5, avec 12.000 hommes d'armes et 30.000 gens
des communautés. La bataille ne fut pas livrée.
Lorsque les chroniqueurs tâchent d'en expliquer les raisons,
leurs récits se contredisent autant que lorsqu'il s'agit d'expliquer
pourquoi en 1339 on ne livra point de bataille à Buironfosse.
D'après les chroniqueurs anglais, le roi Jean, qui se trouvait à
Saint-Omer, informé de l'ordre et de la tenue de l'armée anglaise,
parle chevalier Boucicaut, n'aurait osé attendre ses adversaires et se
serait retiré devant eux, en ayant soin d'enlever tous les approvi-
1. Voy. la relation de Gautier de Masny au parlement anglais, novembre 1355, dans
Rot. Parliament., II, p. 264, et AvEsnuRV.p. 425; Kmghtox, p. 80. Selon Baker, p. 239,
le duc seul était avec la flotte. Sur la date, v. Lemoixe, dans Richard Lescot, p. 239.
2. AvESBURY, p. 427 : « die sabbati post festum Nativitatis B. Marie », c'était en
1355 le 12 septembre, et non le 11 septembre, comme écrit S. Luce, dans Froissart,
IV, p. LV, not. 3.
3. AvESBURY, 1. c. Voy. S. Luce, 1. c, sur l'intention du roi de France.
4. Rot. Pari., II, p. 291; Avesb., p. 428; Contin. Murimuth., éd. Hoo, p. 186;
Kmghton, p. 84.
5. L'Itinéraire du roi de France a été noté par S. Lice dans Froissart, p. i.v.
not. 3.
LA CINOLIK.MK l.NVASIO.N Dl' HOI ÉDOLAl'.D, l'J^ïj 97
sionnements, afin de les aframer. En effet, le roi d'Angleterre, qui
s'était avancé jusqu'à Hesdin, se vit, dit-on, obligé de rebrousser
chemin sur Boulogne ; une grande partie de son armée n'avait eu que
de l'eau à boire durant plusieurs jours. Le 14 novembre, il était déjà
de retour à Calais. Le lendemain, des délégués français y seraient
arrivés et auraient proposé de fixer la bataille au mardi 17 no-
vembre, tandis que le duc de Lancaster, le comte de Northampton et
Gautier de Masny exigeaient au nom du roi Edouard un combat sin-
gulier avec le roi Jean, auquel prendraient part leurs premiers-nés
et quelques chevaliers d'élite. La couronne de France aurait été le
prix du vainqueur. Les Français toutefois éludèrent cette proposition
et demandèrent la bataille pour le 17. Les Anglais la fixèrent au 13
ou au 14 novembre, ce que les Français refusèrent. Enfin on tomba
d'accord pour le 17. Mais les Français ne voulant pas accepter
toutes les conditions posées par leurs adversaires, ceux-ci remirent
la bataille au 28 décembre ; et ainsi les deux rois allèrent prendre
leurs quartiers d'hiver ^
Selon les chroniqueurs français eux aussi, le roi d'Angleterre
se serait avancé jusqu'à Hesdin, mais en apprenant que le roi de
France Amenait à sa rencontre aA^ec des forces nombreuses, il n'aurait
pas osé l'attendre, et se serait retiré à Calais <( en ardant et pillant
le païs où il passait ». Le roi de France l'aurait suivi jusqu'à Fau-
quembergue, lui proposant par ses envoyés de se mesurer dans un
combat singulier ; Edouard toutefois l'aurait refusé et serait
retourné en Angleterre ~.
Il est probable que l'exacte vérité ne se trouve pas plus d'un côté
que de l'autre. Toutefois, j'ai peine à admettre que toutes les parti-
cularités si minutieusement racontées et datées par Avesbury soient
inexactes. Bien des détails d'ailleurs coïncident avec le récit qu'on
trouve dans les Grandes Chroniques et dans Froissart^. Il me
1. AvKsn., p. 428 suiv. Voy, la relation de Gautier de Masny dans Rot. Pari.. 1. c;
Cfiron. de Baker., p. 125 suiv. et p. 291 ; Contin. Murimuth., 1. c. ; Kmohton, 1. c.
2. Grand, chron., VI, p. 18 ; Chronogr., II, p. 255 suiv. ; Chron. normande, p. 299 ;
Fhoissaut, p. LV suiv. A'^oy. encore Jiîax de Venfttii:, p. 229, et Bourgeois de Valen-
ciennes., p. 279.
3. E. MoLiMEH, Elude., etc., p. 50, not. 6, écrit que S. Lucu a rectifie de nom-
breuses erreurs d'Avesbury à ce sujet. Mais S. Luce (Froissaut, p. lv, not. 3) a
trouvé seulement une chose « de toute fausseté ». Par lltinéj'aire du roi de France.
Luce voulait prouver que le roi Jean, loin de se retirer devant les Anjçlais, ne cessa au
R. V. Denule. — Desolat/0 ecch'siunim II. 7
98 LA GUERRE DE CENT ANS
semble que ni Edouard ni Jean ne songeaient sérieusement à se
livrer bataille. Quoi qu'il en soit, les chroniqueurs tant français
qu'anglais tombent d'accord sur un fait qui reste certain, c'est que
les Anglais ont fortement dévasté le pays, surtout dans leur
retraite par Boulogne sur Calais. Les diocèses d'Arras et de Thé-
rouanne furent de nouveau rudement éprouvés.
Le 6 novembre, les Ecossais avaient surpris Berwick ; les Irlan-
dais eux aussi étaient en révolte. Edouard avait hâte de repasser la
Manche.
3. Les préludes du désastre. Charles le Mauvais. Son double jeu
avec Innocent VI et le roi de France.
Charles II, dit le Mauvais, fils aîné de Philippe le Bon, comte
d'Evreux et roi de Navarre (mort en 1343), et de Jeanne de France,
ayant 17 à 18 ans à la mort de sa mère, lui succéda dans sa double
souveraineté en 1349, et épousa en 1352 Jeanne de France, la
propre fille du roi de France, dont il était lieutenant en Languedoc
dès 1351. Ce prince, comme dit très bien S. Luce, fut la perfidie
en personne. « Il y avait du serpent et du tigre dans ce petit
homme d'allure féline, à l'œil vif, au regard chatoyant, d'une
faconde intarissable, qui faisait d'abord patte de velours, même aux
gens qu'il voulait égorger^. » Sous les apparences les plus gra-
cieuses, il cachait une fourberie qui ne connaissait aucun scrupule.
Non seulement les barons du Cotentin ne surent pas résister aux
séductions de cet esprit, mais Innocent VI même fut pris par lui.
Ce prince qui, en sa présence et dans ses lettres adressées au pape,
jouait toujours le rôle d'un innocent et d'un ami de la France, était
blessé de voir son royal beau-père accorder toutes ses faveurs à
Charles de la Cerda d'Espagne. Celui-ci avait été fait connétable
dès janvier 1351, et le roi Jean lui avait donné plusieurs châteaux,
antérieurement assignés à la famille de Navarre 2. A dater de ce
contraire de s'a\ uncei* à leur rencontre. Toutefois Avcsljury dit que le roi d'Angle-
terre s'était retiré à Calais; alors Tavancenient du roi de France n'offrait aucun dan-
ger pour lui. L'Itinéraire ne contredit pas le récit d'Avesbury, qui est un chroni-
queur des plus exacts.
1. Guesclin^ p. 240. Voy, Dui'Ont, 1. c, 332. n
2. Voy. Luci: dans Kkoissaht, p. r, not. 2.
CIIAULKS Li: MAUVAIS, 1354 A 1356 îiO
moment, les enfants de Navarre vouèrent au favori une haine mor-
telle.
Le 8 janvier 1354, Charles d'Espagne, se trouvant dans un
petit village situé près de L'Aigle en Normandie, y fut assassiné
dans son lit par plusieurs gens d'armes, émissaires du roi de
Navarre. Le comte Jean, Godefroy et Louis d'Harcourt, et Philippe
de Navarre furent les témoins de ce meurtre ^ A la nouvelle de
l'assassinat de son connétable, le roi de France confisqua le comté
d'Evreux et tout ce que le roi de Navarre possédait en Normandie.
Il fit aussi envahir la Navarre par les comtes de Comminges et
d'Armagnac, mais le comte de Foix, Gaston Phœbus, allié de
Charles le Mauvais, alla porter la guerre en Armagnac '-.
Ici commence le mauvais jeu que le roi de Navarre joua avec
Innocent VI et avec le roi de France. J'en donnerai la preuve par
des documents encore inédits.
Il semble que déjà, avant le 19 janvier, Charles ait écrit au pape
au sujet du meurtre ^. C'est seulement la réponse à lui adressée par
Innocent VI, le 16 février, qui nous apprend comment Charles a
expliqué TafTaire. Loin de s'avouer coupable, il accuse le conné-
table, prétendant qu'il a été offensé et provoqué par de paroles
déshonorantes à l'adresse de sa personne et de ses amis -*, de sorte
que le pape ne lui adresse aucun reproche et lui recommande sim-
plement la bonne entente avec le roi de France ; il se montre même
touché de la tendresse filiale avec laquelle Charles s'informe de
l'état de sa santé. D'autre part, le pape invite le roi de France à
supporter avec calme le meurtre qui vient d'être commis, afin
d'éviter tout désaccord avec le roi de Navarre ^.
1. Voy. surtout Secoussr, Mém. pour acrcir h Vhist. de Charles II dît le Mauvais
(1758), p. 31 suiv., 33. Son l'écit à la pajic 31 est tire de la déposition de Fri(|uct.
jçouvcrneur de Caen pour Charles le Mauvais, dans Secousse, Preuves de Vhist.
de Charles H (1755), p. 49 suiv. Voy. encore Grand. Chron., VI, p. 7 suiv,; Chron.
des quatre premiers Valois, p. 26; Fuoiss.vut, p. li , not. 1. Je.vx de Vexette, p. 227.
2. Fhoissaut, 1. c.
3. liecj. Vat., n" 236, fol. 12.
i. Charles avait aussi écrit au roi Jean et au duc de I.ancaster de la même
manière. Voy, ses lettres du 10 janvier dans les Œuvres de Froissart, éd. Keuvyn pe
LinTii.NHovE, XA'^III, p. 350 suiv., et la déposition de Friquet.
5. Rc(f, Vat., n" 236, fol. 29*^, ad an. 1354, Februarii 16 : « Garissimo in Christo filio
Carolo régi Navarre illustri, salutem, etc. Magnitudinis tue litteras bénigne reccpi-
mus, per ([uas nobis casum quondam Caroli de Ispania nunciasti. Quibus diligentçr
100 LA GUERKK DE CE>T ANS
Le roi de France s'aperçut bientôt que ses ennemis saisissaient
Foccasion de se lig'uer contre lui, et une réconciliation avec son
gendre eut lieu à Mantes, le 22 février 1354, par l'intermédiaire et
sous la présidence du cardinal Gui de Boulogne. Non seulement
Charles le Mauvais rentra en possession de ses biens confisqués,
mais il reçut encore les vicomtes de Beaumont-le-Roger , Breteuil,
Couches, Orbec , Pont-Audemer et les bailliages et pays du Coten-
tin. En outre, ceux qui avaient été des complices dans le meurtre
du connétable, pouvaient devenir et demeurer toujours, s'il leur plai-
sait, hommes du roi de Navarre '. Mais lui, ses frères et ses sœurs
ratifieraient la renonciation, à la Champagne et à la Brie, faite par
leur père et leur mère.
Ce fut un grand malheur pour la Normandie et pour toute la
France. Par là Charles le Mauvais devint presque le souverain de
toute la partie de la province comprise entre la Seine et l'Océan.
Son allié, Godefroy d'Harcourt, sire de Saint-Sauveur, qui en
1346 avait montré au roi d'Angleterre le passage en Normandie,
profita de l'occasion pour satisfaire sa haine privée contre Nicolas
sire de ChifFrevast, capitaine du château de Cherbourg-, et la
même année (1354), il devint l'âme d'une coalition contre le roi de
France, appelée la conspiration des « trois cents gentilshommes».
Les conjurés proposaient au roi de Navarre de devenir duc de
inspectis et auditis, que dil. filius magister Adam de Franconvilla , phisicus tiius,
nobis pro parte tua prudenter et provide reseravit, displicuit et displicet nobis valde,
si dictus Carolus vel facto vel verbo ort'endit in aliquo te vel tuos. Tu vero, carissime
fili, quante sit ellicacie virtus huniilitatis considerans, et intuens, quod ex domo
Francie natis parentibus originem ducis, sic te humilies, sic exhibeas mansuetum,
sicque te habeas in hac parte, sicut de circunspectionc tua plene confidimus, pro-
vide ac discrète, quod in domo ipsa scissura, quam ab ea faciat Dominus alienam,
nuUa omnino nascatur, quinimo in solita et solida unitate continue perseverct.
Ceterum statum nostrum de quo certiorari filiali studio petiisti tibi incolumem nun-
tiamus. Datum Avinione xiiij kal. Martii anno secundo. » — Et au roi, ibid.,
fol. 29'' : « Licetcasus quondam Caroli de Ispania, quem multorum ad nos insinuatio
fide digna perduxit, displicuerit valde nobis, quia tamen necesse est ut scandala
veniant et non possunt preterita revocari, expedire credimus, multis considerationi-
bus persuasi, quod serenitas tua id ecjuanimiter ferat et quadam mansuetudine
bénigne supportet » , etc.
1. Voy. le traité de Mantes dans Secousse, Preuves^ etc., p. 33 à 35. Cf. Delisle,
Hist. du château et des siî-es de Saint-Sauveur-le-Vicomte, p. 72; DuroiXT, Hist. du
Cotentin, II, 332 suiv. C'était surtout Gui, cardinal de Boulogne, qui favorisait Charles
le Mauvais. Voy. Secousse, Mém., 41, et le Bourgeois de Valenciennes, p. 273.
2. ^'oy. Delisle et Duro.xT, 1. c.
LIBRARY
CHARLES LE MAIVAIS, 1354 A I.S.'if) 101
Normandie, et les habitants de cette contrée n'auraient plus alors
relevé que de lui seul. Gomme duc de Normandie, il leur promettait
de conserver tous leurs anciens privilèges. Une partie de la Basse-
Normandie se laissa gagner, mais les villes de Baveux, Caen,
Evreux et plusieurs autres ne promirent leur adhésion que si Rouen
était des leurs. Rouen, toutefois, sous l'archevêque Pierre de la
Forêt, chancelier de France, resta fidèle au roi de France, comme
en général la majeure partie des nobles de la Haute-Normandie ^
Depuis ce temps Charles le Mauvais aspira au trône de France et
ne cessa de machiner la mort du roi Jean et des princes du sang,
ainsi que son propre chancelier, Thomas de Ladit, le confessa
devant le dauphin au commencement du mois d'août 1358 -.
Innocent VI, mal informé des desseins du roi de Navarre et de
ses alliés pensait, ainsi que le prouve une lettre du 22 octobre 135i,
que Charles s'éloignait seulement du roi. Il restait persuadé que
le Navarrais était plein de zèle pour défendre l'honneur du roi.
Néanmoins, dans le but de faire taire les calomniateurs, il l'exhorte
à se rapprocher du roi, à l'assister de son conseil, à maintenir
enfin la concorde entre eux. La « vertu bien éprouvée » de Charles
empêchait le Saint-Père de croire à la perfidie de cet homme -^
qui, dans son cœur, était ennemi de la maison de France.
1. Dupont, p. 338. L'archevêque de Rouen, mieux que le pape, connaissait Charles
le Mauvais. Malgré la réconciliation de ce dernier avec le roi, à Mantes, il se méfiait
encore de Charles qui lui |;,ardait rancune ainsi qu'à plusieurs autres, tels que lévcque
de Châlons et Simon de Bussy. Le pape se vit oblige de recommander à Charles de
modérer l'animosité de ses sentiments à légard de ceux qui agissaient comme de
fidèles serviteurs du roi. Reg.Vnt., n" 236, fol. 40'', 41'', ad Mart. 12 et 16. Dans cette
dernière lettre, il l'exhorte aussi avec beaucoup de ménagements à se réconcilier avec
le roi. Voy. Rayxald, Ann., 1354, n" 19.
2. Voy. ci-dessous, chap. III, § 1, et surtout § 3.
3. Reff. VhI., n" 236, l'ol. 186, ad an. 1354, Octobris 22 : « Carissimo in Chr. filio
Carolo régi Navarre illustri, salutem, etc. Quanta sit, fili carissime, unitatis virtus et
quanta efîicacia caritatis,.. Sicut refcrentibus multis audivimus, tu qui originem de
dara Francoi'uin douio ex parcntibus utrisque traxisti et qui carissimo in Chrislo filio
nostro Johanni régi Francorum illustri tanta sanguinis proximitate conjungeris ut
ipsam quoquc filiam ejus habcs uxorem, te ab eo indccenter elongas, conversatione
facis extraneum ac reddis ({uibusdam peregrinis moribus alienum. Que tanto moles-
tius fcrimus, tantoque proinde in intimis gravius sauciamur, quanto non
desunt peccatis exigentibus qui tuum erga eosdem regem et domum lepuisse suspi-
centur amorem, caritateni friguissc dicant, et mentis régie puritatem ac rectitudinem
animi opinionc mcndaci extiment inunutatam...Et ideo quamvis probata virtus tua ad
credulitatem horum inclinari nos nullatenus patiatur, imo tcneamus indubie quod
tu régis et domus predictorum eo amplius /elaris honorem, statum appetis et deside-
102 LA (tUerre de cent ans
Mais, à ce moment, celui-ci savait à qui il avait à faire. Au mois
de novembre, il envoya des troupes pour s'emparer des forteresses
et des châteaux occupés par les partisans de Charles le Mauvais.
Evreux, Pont-Audemer, Cherbourg-, Gavray, Avranches et Mortain
refusèrent d'ouvrir leurs portes ^ Le roi de Navarre, ne se sentant
pas en sûreté en France, se réfugia à Avignon, où il était encore
lorsque les ambassadeurs anglais y arrivèrent- pour conclure
la paix entre l'Angleterre et la France. Il avait toute sa vie joué
double jeu, mais il le fit d'une manière encore plus audacieuse et
plus dissimulée pendant son séjour à Avignon et dans le cours de
l'année qui suivit. Sa tante, la reine Jeanne d'Évreux, et sa sœur,
la reine Blanche, veuve de Philippe de Valois, ayant prié le pape
de réconcilier les deux rois. Innocent VI répond qu'il a exhorté
Charles à rétablir la concorde entre lui et le roi Jean^. A ce
dernier, le Saint-Père écrit le 17 décembre qu'en sa présence et en
celle de plusieurs cardinaux, le roi de Navarre a déclaré son désir
de se réconcilier avec le roi de France, dont il estime la faveur
par dessus toutes choses, et qu'il est prêt à servir dans toute la
sincérité de son cœur, comme son père et son seigneur. Charles
ayant envoyé lui-même un messager au roi Jean pour obtenir
cette réconciliation, le pape est convaincu que les faits prouve-
ront ce que Charles a attesté par des paroles, et il prie le roi d'ac-
corder le pardon sollicité '*.
ras commoda, quo ipsius domus magnitudini tue inter alias columpnas illius speciali-
tate quadam innititur fîrmanientum, ad obstruendum tamen obloquentium ora sere-
nitatem tuam requirimus et hortamur, illani deprecantes attentius ac afl'ectuosius
obsecrantes, quatenus hec que magnitudini tue exalTectu paterne caritatis scribenda
deerevimus bénigne recipias, et ea in examen débite considerationis adducens,
eisdem régi et domui per affectum IVequentis et grate conversationis approximes,
ipsum regem reverentibus prosequaris honoribus, voluntatis que te conformeni
exhibeas, ei sanis assistas consiliis et quantum regia decentia patitur in omnibus
obsequaris ; nutrias in domo ipsa concordiam, unitatem augeas, amorem foveas et
attendas cotidie caritatem, ut des cvidenter intelligi onmibus te cum rege cetcrisque
regalibus idem sapere idem velle. Super quo ea que dil. fil. mag. Reginaldus de
Molinis can. Parisiensis, capellanus noster, lator presentium, excellentie tue proparte
nostra retulerit, credas indubie et sic efiîcaciter adimplere procures, quod susurronum
eloquia de cetero conquiescant. Dat. Avinione xj kal. Novemb. anno secundo. »
1. Dupont, p. 339.
2. Le Bouj'geois de Valenciennes, p. 274, se trompe.
3. Reif. Vat., n° 236, fol. 220, Le pape écrivait sur le même sujet à l'évêque de
Châlons, à Jean, comte d'Armagnac, à Simon de Bussy et à Guillaume de Flote.
4. Reg. Vat., n° 236, fol. 221'", ad an. 1354, Decemb. 17 : <( Garissimo in Ghristo filio
CHAULES LE MAEVALS, l'toi A 1356 1 (j.'i
Cependant, le roi de France n'avait pas encore reçu le messa-
ger porteur de la lettre du pape, qui croyait le roi de Navarre déjà
parti, que Charles visitait secrètement pendant quinze nuits le duc
de Lancaster, soit à l'hôtel du cardinal d'Arras, soit à celui du
cardinal Gui de Boulogne ; s'y plaignait des peines à lui infligées
par le roi de France, promettait de faire alliance avec Edouard, et
insistait pour que le duc assurât auprès de lui la réussite de ce projet.
Le duc, auquel le roi d'Angleterre avait déjà, le 26 janvier 4 3o4,
donné des lettres de plein pouvoir pour conclure en son nom un
traité d'alliance avec « son cousin bien-aimé » Charles ', accepta cette
proposition et s'engageait à venir vers les îles de Guernesey et Jersey
pour confirmer l'alliance au nom d'Edouard, puis se hâtait de porter
cette nouvelle à son roi qui donnait l'ordre d'équiper une flotte'-.
Peu après, Charles le Mauvais quitta Avignon et gagna la
Navarre d'où il envoya plus tard un écuyer , Colin Doublel , en
Angleterre, pour y conclure un traité avec le roi et le duc de Lan-
caster 3, et pour y faire connaître son intention de se rendre à
Johanni régi Francorum illustri salutem, etc. Scripsimus pridie magnitudini tue, fiii
carissinie, qualiter carissimus in Christo filius noster Carolus rex Navarre illusti'is ad
sedeni apostolicam hiis proxime preteritis diebus accedens in presentia nostra et quorun-
dam ex fratribus nostris sancte Romane ecclesie cardinaliuni honorem ac statuni tuum
regnique lui attente zelantiuni constitutus, inter alia multa que zelum pure sue
devotionis ad te manifestius imminebant proposuit, quod ipse gratie tue (quam dicit
se reputare carioreni super oninia) reconciliari vehementer admodum cupiebat et
quod paratus erat in sinceritate pure fidei tibi tanquam patri et domino suo precipuo
omnem honorem et reverentiam exhibere ac in omnibus obsequi et servirc. Ac nunc,
ut hujusmodi afTectionis sue fervorem plenioribus et certioribus indicet argumentis,
dilectum filium nobilem virum Gaugerium de Bur (t. e. Lor), militem latorem presen-
tium, ad te sub spe hujusmodi reconciliationis et gratie annuente Domino impetrande
cum omni humiliatione transmittit. Propter quod nos sperantes probabiliter et indu-
bie supponentcs quod idem rex, qui fidelitatis et sanguinis tibi astringitur vinculis
et ipsam filiam tuam habet uxorcm, ea que in sinceritate cordis et a<rectione pure
mentis ofîei't verbo, sinceris etiam operum fructibus pure ut eiïicaciter proscquetur
et attendentes », etc. La suite est dans Raynald, Ann., 1354, n" 19, qui a omis de
publier la partie la seule intéressante de la lettre, le commencement. Innocent W
tenait grand compte de raftirmation de Charles, faite en sa présence : « de devo-
tione, fide et caritate, quas ad regem, sicut in conspectu nostro... cum omni humi-
lilate recensuil,... se habere monstravit et monstrat ac nos habere ipsum nullatenus
dubitamus », conmic le y)a\)e répète encore le 21 mai 1355. Reg. Vat.^ n° 237, iol. 101.
1. Rymer, Foedern, III, p. 271.
2. Voy. la relation de Gautier de Masny dans Rot. Pari., II, p. 264. Friquet parle,
dans sa troisième déposition, d'entretiens continués pendant quinze nuits, dans
Secousse, Preuves, p. 59; Mém., p. 51 suiv.
3. Voy. la déposition de Friquet dans Secousse, Preuves, p. 59,
104 LA (ILERUE DE CENT ANS
Cherbourg* avec beaucoup de gens d'armes « en propos de faire
sommer le roi qu'il li délivrast ses châteaux et sa terre qu'il tenait
en sa main ^. »
Que dire après cela, d'Edouard, roi d'Ang-leterre, qui, dans
une lettre du 14 mai 1356, adressée à Innocent VI, déclare, sur
sa parole de roi, et proteste devant Dieu-, que ni le roi Charles
ni ses amis n'ont jamais conspiré avec lui contre le roi Jean, qu'ils
n'ont jamais promis de secours, et qu'Edouard les avait toujours
regardés comme ses puissants ennemis ?
Pendant que Charles se préparait en Espagne à exécuter son
plan, il maintenait auprès du roi de France et d'Innocent VI son
apparente volonté de se rendre auprès du premier pour s'amender
et obtenir sa grâce. Jean, se laissant fléchir , fixa un terme avant
l'expiration duquel Charles devait se présenter devant lui. Le
12 février 1353, le pape demanda au roi Jean de retarder ce terme,
étant donné que Charles résidant alors en Navarre ne pouvait, par
suite de l'éloignement, se trouver en France pour l'époque dési-
gnée^. A la même date, il écrit à Charles le Mauvais. En lui
faisant espérer qu'il sera bien reçu par le roi, il l'engage à agir
prudemment et humblement selon sa vertu (v qui est grande » et
avec la grâce que Dieu lui a donnée afin de ne pas irriter le roi de
France ^.
Le 31 mars, à la prière du roi de Navarre, le pape sollicite une
nouvelle prolongation du terme convenu, demandant que Jean
voulût bien attendre jusqu'au mois d'août, parce que, pour le
moment, Charles se dispose à entrer au service du roi de Castille '^.
1. Voy. la déposition de Friquet dans Secousse, Prcin^es, p. 55.
2. « In verbo regiae veritatis dicimus et contcstamur lîdeliter coram Deo quod
dicti rex (Navarrae) et nobiles nunquam nobiscum conspiraverant, nec opem nobis
promiserant, nec nobis valentesfuerant nec faventcs, set ipsos nostros fortes reputa-
vimus inimicos ». Rymer, p. 329, où sont encore les lettres à Tempereur et aux
autres princes,
3. Reg. Vat., n° 237, fol. 24''. Le porteur des lettres du roi Jean était Gauchier de
Lor, conseiller du roi de Navarre, qui était envoyé par ce dernier auprès du roi de
France.
4. Ibid., fol. 21'' : « ...Tu ergo, fîli carissime, intérim juxta concessam tibi a
Domino gratiam et virtutem, que utique magna est, sic agas prudenter..., quod
nichil in te notari possit superbum et arrogans..., ex hoc enim... posset dulcoratus
jam ipsius régis aninius irritari. »
5. Ibid., fol. 72 : « Carissimus in Christo filius noster Carolus rex Navarre illustris
nobis per suas litteras supplicavit, ut instare apud tuam magnitudinem dignaremur
CHARLES LE MAUVAIS, 13oi A 1356 lOo
Le 29 avril, le roi Jean avait déjà promis d'accorder le délai. En
conséquence, Innocent VI exhortait Charles à mettre de côté toutes
ses rancunes et à se présenter avec soumission et révérence devant
le roi^ Le 30 du même mois, le pape écrit à Jean et l'invite à bien
recevoir Charles ; il s'adresse en même temps à l'archevêque de
Rouen, lui recommandant de s'employer à établir la concorde entre
les deux rois-.
Charles manœuvrait ainsi afm de gag-ner le temps nécessaire pour
réunir des gens d'armes, ce que le pape ayant appris, il lui écrit le
11 mai que cette manière de se rendre en France lui déplaît parce
qu'elle est hors de propos et contraire à l'humilité dont il
doit faire preuve ^. D'autre part, le 21 mai, le Saint-Père assure
au roi Jean que Charles se présentera devant lui comme un fils
humble et soumis. Il écrit aussi sur le même sujet à l'archevêque
de Rouen ^. Le 20 mai, le roi Jean avait déjà accordé la prolonga-
tion demandée et envoyé au pape les lettres du sauf-conduit,
qu'Innocent VI fit parvenir à Charles ^ en lui faisant remarquer
ut tempus securi conductus per te sibi ^ratiose concessi, ci qui in servitium... Pétri
régis Castellc et Legionis illustris ad tempus conferre se disponebat, usque ad mensem
Augusti futurum proximo prorogares... Datum Avinione ij kal. Aprilis anno tertio. »
1. Reff. Vat., n° 237, fol. 85»».
2. Ihid.,{o\. 8i'', 86. A la même date, Innocent VI écrivait aux deux reines, Jeanne
et Blanche, tante et sœur de Charles, pour qu'elles l'amenassent à se montrer soumis
envers le roi Jean, ce qu'elles avaient déjà essayé le 13 avril. Secousse, Preuves, p. 565.
3. Ibid., fol. 86 : « Dil. filium nobilem virum Guillelmum de Fuligny, domicellum,
familiarem tuum, latorem presentium, et litteras tuas, per quas ipsius adhiberi
fidem relatibus petiisti, nobis exhibitas per eundem, consideratione tua bénigne
recepimus et que idem Guillelmus nobis vcrbo cxposuit et in scriptis obtulit
intellcximus diligcnter. Quibus omnibus de débita consideratione discussis, modus
accessus tui in Franciam... nobis est minus gratus. Posset namque negocio pacis
inter tect... Johannem regem Francorum illustrcm auclore Domino rcformande impe-
dimentum aflerre potius quam prestare favorem, et turbationem, cui fomita quelibet
subtrahenda sunt, irritare magis quam mitigare, cjuod absit. Et ideo screnitatem
tuam requirimus et hortamur in Domino illam attcntius deprecantes tibiciuc sanis
et paternis consiliis suadcntes, quatenus hcc et alia que considerationi tue possunt
occurrere in stateram débite meditationis appendens, et attendens quod per ea que
sentimus, et a fide dignis scripta sunt nobis, concordiam cum prefato rege per ami-
cabilia média bonam invenies Deo propitio , si ad hoc volueris intendere prout
debes et nos plcne confidimus et speranuis, ad prefatum regem non juxta modum
secundum quem disposuisse videris acccdere, sed in humilitalis spiritu et reverentie
fdialis afïectu, sicut tibi diebus non longe preteritis scripsisse recolimus.., studeas te
conferre, etc. Dat. Avinione v id. Maii anno tertio ».
4. Ihid., fol. 101.
5. Le 1" juin, il en obtint un autre encore qu'il avait demandé, on ne sait pas
pourquoi. Secousse, p. 568. Le roi Jean l'assure qu'il le recevra comme un fds chéri.
106 LA GUERRE DE CENT ANS
combien le roi de France se montre paternel, et en l'exhortant à se
disposer à la paix par une conduite irréprochable. Dans une autre
lettre, datée du même jour, le pape lui annonce que Gautier, duc
d'Athènes, présentement à la cour d'Avignon à l'effet de traiter de
la paix entre les deux rois, propose, pour y arriver, divers moyens
que le cardinal Gui de Boulogne communiquera à Charles. Le pape
le presse de suivre les avis qui lui seront donnés ^
Charles, rejetant ces conseils, ne laissa pas de retourner par mer
à Cherbourg avec une grande compagnie de gens d'armes du Béarn
et autres pays voisins « en entencion de fere guerre au roy -. »
Cela dessilla un peu les yeux d'Innocent VI qui, tout attristé de cette
nouvelle, écrivait le 1^^ juin à ses nonces, Jean Joffrévy, évêque
d'Elne, et Androin de la Roche de Cluny, de rejoindre Charles,
si cela était possible, et de l'exhorter à obéir aux mandements du
pape en faisant la paix avec le roi. Les nonces devaient aussi pré-
senter des lettres dans lesquelles le Saint-Père reprochait au roi de
Navarre sa manière d'agir. Malgré cela, Innocent VI demeure per-
suadé qu'il y a en ce serpent une grande vertu ; il lui recommande
de changer son amertume en amabilité et de se présenter au roi de
France en toute soumission •^. Les deux nonces étaient aussi por-
1. Reff. Vat., n° 237, fol. 102, les deux lettres.
2. Voy. la déposition de Friquet dans Secousse, Preuves, p. 59.
3. Reg. Vat., n" 237, fol. 111 : « Yen. fratri Johanni episcopo Elnen. et Androino
abbati mon. Gluniacen., apostolice sedis nunciis, salutem, etc. Intellecto nuper ciini
displicentia et amaritudine gravi, quod carissimus in Christo filius noster Carolus
rex Navarre illustris contra monita et consilia nostra in copioso numéro gentis armi-
gere duxit se in Normanniam conferendum, scribimus... Johanni Francorum illustri
et predicto Navarre regibus sicut videbitis in interclusis presentibus cedulis conti-
neri. Quocirca volumus et discretioni vestre per apost. scripta districte precipiendo
mandamus quatenus statim cum audiveritis quod prefatus rex Navarre in aliquo loco
infra regnum Francie fuerit, vos ad eum personaliter conferatis et eum ut nostris
in negotio l'eformande concordie inter ipsum et dictum regem Francie votis et bene-
placitis condescendat, sicut effîcacius poteritis juxta datam vobis a Domino gratiam
inducatis, tam erga eum quam erga ipsum quoque regem Francie nostrum circa hoc
desiderium favorabiliter et solicite prosequentes ». La lettre à Charles se trouve
fol. m'* : « Miramur, fili carissime, vehementer, quod tu, nescimus quo ductus consi-
lio, contra monita et consilia nostra, que utique paterna caritas persuasit, non humi-
liter, sed in copioso comitatu gentis armigere duxisti te in F'ranciam conferendum,
non attendens quod conspectui... Johannis régis Francorum illustris sic oportebat
et oportet exhibere te mansuetum, quod nichil in te notari possit nisi quod reveren-
tiam et obedientiam sapiat, et quod communio sanguinis exigit, et debitum fidei ac
devotionis exposcit. Nam prefato régi debes timorera ut domino, et ut patri reveren-
tiam et honorem. Sed quoniam virtus, que in te ab ipis se juvenilibus annis infudit,
CHARLES LK MAUVAIS, 1854 A 1 3o6 107
teurs de lettres adressées au roi Jean et à l'archevêque de Rouen sur
cette affaire. Le pape y faisait valoir la jeunesse de Charles, disant
que cet âge prête facilement l'oreille aux mauvaises suggestions, et
invitait le roi à l'excuser, à oublier le passé et à le recevoir comme un
père ^ Le Saint-Père fut secondé par le duc de Bourbon, les arche-
vêques de Sens et de Rouen et d'autres seigneurs, qui écrivirent au
commencement de juin à Charles pour le presser de se soumettre au
roi de France-. Trois lettres des deux reines avaient le même but-^.
Alors le roi Jean avait déjà appris que le roi d'Angleterre se pro-
posait de venir avec une flotte nombreuse mettre le pied en Nor-
mandie dans le but de soutenir Charles et d'envahir la France '*.
Pour conjurer ce danger, il envoya l'archevêque de Sens, le
comte de Saarbriick et plusieurs autres à Cherbourg, auprès de
Charles, afin de le détourner de son alliance avec le roi d'Angle-
terre, ce à quoi ils réussirent^. Nous voyons dans les lettres d'In-
nocent VI que Charles envoya alors des messagers au roi de
France, pour lui annoncer qu'il se mettait à sa disposition. Le
pape, comblé de joie par cette résolution, écrit le 20 août au roi
de Navarre pour lui en témoigner sa satisfaction, ajoutant qu'enfin
il espère que ce retour à de meilleurs sentiments sera de longue
durée; Innocent VI termine en lui donnant des nouvelles de sa
santé de laquelle ce rusé voulait être assuré ^.
quicquid de accessu tuo in hujusmodi comitatu egeris, spem nobis optimam de tuis
proccssibus pollicetur, nos conceptam de ipso accessu tuo amaritudinem déponentes
et sperantes quod tu sicut princepscircunspectuset providus, quanto fuerit potentia
tua major, tanto, suadentibus tibi caritate ac fide erga regem eundeni, humilitas pro-
nior et obcdientia pi'omptior et prestantior tua erit, serenitatem tuam attente requi-
rimus ethortaniur, illani attentius deprecantes, tibique paternis et sinceris afïectibus
ac sanis consiliis suadentes(iuatenus...te ipsius régis gratiam,quam ipse tibi ex caritatis
paterne dulcedine exhibet, eo magis expedit et necessario convenit non solum accep-
tare devotius et reverentius, inio instanlius expetere ac studiosius procurare, quo
prophanus hostis per ministres suos exquisitis modis prefati régis et tuam in utriusque
vestrum prejudicium et Jacturam vuhierare satagit caritatem... Super quo... Johanni
episcopo filnen. et... Androino abbati mon. Cluniacen. Matisconen. dioc, ... fidem
cum gratesatislactionis adectu adhibere procures. Dat. Avinione kal. Junii an. tertio».
1. lieçi. Vat., n" 2:57, loi. 110»'. Ibid , fol. 111 la lettre à l'archevêque.
2. Lettres éd. Lettkxhovk dans Fuoiss.\ht, XIII, p. 337 ; Secousse, Preiiv., p. 572, 574.
3. Voy. ces lettres du 3, du 7 et du 27 juin dans Secousse, l. c, p. 569, 573, 575.
4. Voy. le paragraphe précédent, p. 95 suiv.
5. Froissaut, éd. Luce, IV, p. liv et p. 356.
6. Recf. \ni.,n° 237, fol. 144"' : « Bénigne recepimus litteras tuas per quas significasti
nobis, quod oi*ga... Johannem regem Francorum illustrem exhibens filialis et reveren-
108 LA GUERRE DE CE'ST ANS
Une paix fut conclue entre le roi de France et Charles le Mauvais,
et le traité en fut signé à Valognes, le 10 septembre 1355 ^. Le
24 septembre, Charles demanda son pardon au roi, en protestant
que jamais il n'avait travaillé contre le roi, après le meurtre du
connétable ~.
Toutefois en dépit de son serment, le roi de Navarre restait
ennemi du roi de France dont il essayait de corrompre le fils aîné,
Charles, en lui persuadant que son père le haïssait mortellement.
Charles le Mauvais engageait ce jeune prince à se joindre à lui
pour aller trouver l'empereur Charles IV, auprès de qui il espérait
obtenir du secours contre le roi de France, qu'il voulait emprison-
ner et dont il eût souhaité abréger la vie. A peine informé de cela,
le roi, le 7 décembre, investit son fils du duché de Normandie "' et
dans les lettres de janvier, il pardonna à tous deux^.
Malgré tout Charles restait le môme. Lorsqu'au commencement de
l'an 1356, le nouveau duc convoqua à Rouen la noblesse de la pro-
vince, pour en recevoir l'hommage, l'irritation éclata, tant de ce chef
qu'à cause de la gabelle imposée pour la guerre et il en advint de
même à Arras ^. Le roi de France craignant une révolution à la suite
d'une conjuration tramée par le roi de Navarre et par les chefs de
la maison d'Harcourt^. résolut d'y mettre fin par un coup d'état.
Us devotionis et caritatis afï'ectum. misisti ad eiim quosdam nuntios tiios, pcr quos te
ad ipsius régis obsequia prompte et liberaliter obtulisti, quod tanto nobis acceptius
redditur tantoque inde amplius exultamus, quanto per hoc ipsius régis et tuam cari-
tatem, ex qua domus Francie, de qua duxisti originem, robur et firmitas nascitur,
reformandani confidinius perpetuis dante Domino temporibus duraturam. Tue igitur
circà hoc providentie laudande multipHciter studium inulte commendationis titulis
attolentes excellentiam tuam attente ret{uirimus et roganius, tibi honoris tui obtentu
paternis et sinceris consiliis suadentes, quatenus sic hujusmodi huniiliationis et con-
silii salutaris spiritum prosecutionis assidue opère adjuves et confirmes, quod omnis
scintilla rancoris preteriti, que flatu (quod absit) malorum spirituum in flammam récit
divi dissidii posset accendere. penitus extinguatur... Ceterum de statu nostro de quo
certiorari petisti scire te volumus, quod... corporea sospitate letamur. Datum apud
Villamnovam, Avinionen. dioc, xiij.kal. Septembris anno tertio. ».
1. Secousse, Preuves, p, 582 à 595 (Le Buasseiiu), Hist. civ. et ecclés. du comté
d'Évreux, Preuves, p. 51 à 60.
2. Grand, chron., VI, p. 17. Voy. ci-dessus, p. 101.
3. Troisième déposition de Friquet, dans Secousse, 1. c, p. 60.
4. Ibid., p. 45, 47.
5. Froiss.vht, p. hxiv suiv. ; Grand, chron., VI, p. '25: ]AvEsnuBY, p. 457. Détails
nouveaux dans E. Molimek, Elude, etc., p. 54 suiv., 56, 62.
6. Nous avons vu tout à l'heure que Charles avait l'intention d'abréger la vie du
roi Jean. A la mort de Charles V, le bruit était répandu que Charles le Mauvais avait
fait des tentatives de l'empoisonner vers cette époque, quand il était encore dauphin et
ClIAKLES Li: -MALVAIS, l^oi A 1350 109
Le 5 avril*, le duc Charles avait réuni dans le château de Rouen
les principaux barons de la province, pour fêter sa prise de posses-
sion du duché de Normandie. Tout à coup, au milieu du repas, la
porte s'ouvre, le roi Jean entre, met la main sur le roi de Navarre,
Charles le Mauvais, et le fait arrêter. Puis il appelle les seigneurs
qui lui ont été dénoncés comme étant les chefs de la conspiration :
Jean V, comte d'Harcourt, Jean, sire de Graville, Maubué de Maine-
mares et Colin Doublel et les fait saisir et emmener. Le bourreau
leur trancha la tête et leurs cadavres furent pendus au gibet -.
Ce fait, qui eut des conséquences funestes , fut désapprouvé de
tous. Pendant une longue suite d'années, il ne fut plus question que
des cruautés et des ravages commis par les Anglo-Navarrais. Le
roi de Navarre, détenu d'abord au château du Louvre, ne tarda pas
à être transféré dans diverses forteresses •'^. A la nouvelle de ces
événements, Philippe de Navarre, frère de Charles le Mauvais,
jura d'arracher ce prince de la captivité, et lui, comme ses alliés,
Godefroy d'Harcourt, sire de Saint-Sauveur, et d'autres seigneurs,
déclarèrent la guerre au roi de France. Ils fortifièrent leurs châ-
teaux et dès le 12 mai^ demandèrent l'appui du roi d'Angleterre,
qui ne leur fit point défaut. Afin d'aider les Navarrais et les Har-
court, Edouard envoya en Normandie le duc de Lancaster, devenu
son lieutenant en Bretagne depuis le 14 septembre 13oo ^.
Dès le 1^' juin, des troupes furent embarquées à Southampton
pour la Hougue de Saint-Vaast en Cotentin ; elles devaient se ral-
lier à l'armée de Philippe de Navarre. Avant l'arrivée du duc de
Lancaster, celle-ci attaqua déjà l'abbaye bénédictine de Lessay,
située dans le diocèse de Coutances et bien fortifiée contre l'ennemi,
duc de Normandie. Fiuussaut, éd. Keuvv.n nii Lette.nhovr, t. IX, p, 283 et 546.
M. Villani parle d'un traite conclu en 1356 entre Ghai'les le Mauvais, le comle d'Har-
court et le roi d'Anj^leterre, pour mettre à mort le roi Jean et le dauphin, et placer,
sous certaines conditions, Charles le Mauvais sur le trône de France i^Muuatohi, XIV,
p. 369). Voy. sur ce point très difficile ci-dessous, chap. III, § 3. Ne pas oublier ce
qui est noté ci-dessus, p. 101, et p. 103 suiv.
1. « Die martis in crastino festi S. Ambrosii », Avi:sui;hv, p. 460.
2. FaoïssAHT, p. i.xv, et les autres chroniqueurs. Voy. encore Les Chronic([ues de
Normandie, éd. Hkllot (ISSl , p. 6 suiv.; Delisle, 1. c, p. 80 suiv.; Skcolsse,
Mémoires, p. 70 suiv.; E. Mom.meu, Elude, p. 58.
3. Voy. Secousse, 1. c, p. 81,
i. AvEsnruY, p. 461, confirmé par 11-4 mi.u, III. p. 32.S suiw
5. llYMEIl, III, p. 312.
110 LA GLERUE DE CENT ANS
qui ne s'en rendit maître qu'après plus de trois jours de siège ; elle
fut pillée et incendiée le 11 juin^ Les moines s'en lamentaient
encore long-temps après-, et leur église ne fut rebâtie qu'après 1385
par l'abbé Pierre le Roy-^.
Le 18 juin, le duc de Lancaster avec le comte de Montfort et le
reste des troupes débarquèrent à la Hougue et se réunirent aux
autres. Dans la suite du duc se trouvait le terrible Robert Knolles,
dont nous avons déjà fait connaissance. Lancaster n'avait en tout
qu'une petite armée de 900 hommes d'armes et de 1 .400 archers.
Un récit épistolaire, daté de Montebourg le 16 juillet 1356^, raconte
que cette expédition avait pour but de secourir les gens du roi de
Navarre, assiégés dans Pont-Audemer et dans Breteuil.
L'abbaye bénédictine de Montebourg fut le quartier général.
Gomme toujours les Anglais couvrirent le pays de ruines (( en pil-
lant et volant les villes et le pays par où ils passaient ^ ».
Le duc quitta Montebourg le 22 juin, se rendit à Carentan,
Saint-Lo, et gagna Torigny, où se trouvait une abbaye cister-
cienne ; puis il arriva à Evrecy et Argences, franchit le pont de Cor-
bon et parvint à Lisieux. Le 29 juin, il se trouvait déjà à Pont-Aude-
mer, dont le siège avait été abandonné la veille par les Français,
sous les ordres de Robert d'Houdetot. Le 2 juillet, l'armée marcha
sur l'abbaye bénédictine du Bec. Le 3 juillet, les troupes donnèrent
un assaut au château de Couches, où il y avait une abbaye béné-
dictine ; on dit cependant que l'église ne fut détruite qu'en 1357 ^.
Le 4 juillet, le duc parut sous les mur^ de Breteuil: les Français
assiégeants s'étaient éloignés à l'approche de l'ennemi. La même
journée, les troupes surprirent et pillèrent Verneuil et mirent en feu
une partie de la ville ^. Le 8 juillet, les Anglais et Navarrais
1. AvKSHUHY, p. 102; Gall. christ., XI, p. 918.
2. « Monasterium S. Trinitatis de Exaquio, O, S. B., Constanticn. dioc, occasione
jçuerrarum, que in illis partibus viguerunt, est ignis incendio concrematum et in suis
facultatibus diminutuni » [Indulgentiae], Rey. Vat. Greg. XI, n° 286, fol. 100 *•, ad
an. 1375. Jun. 22.
3. Gail. christ., 1. c., p. 920.
4. Dans Avesbijky, p. 462-165. Ee récit dans Knighto-n, p. 86 suiv., a pour fonde-
ment cette lettre.
5. Grand, chron., p.29.
6. Gall. christ., XI, 638, 641.
7. Grand, chron., p. 30.
CHARLES LE MAUVAIS, 1354 A 1356 111
reprirent la route du Gotentin, probablement à l'approche de l'ar-
mée mise sur pied parle roi de France ^, laquelle était très supé-
rieure en nombre. A l'Aigle, l'armée française était dans le voisi-
nage du duc prête à livrer bataille ; mais il l'évita. Il arriva le 13
juillet à Montebourg, son point de départ, par Argentan, Thury, le
prieuré de Saint-Fromond et Carentan. Un butin considérable, entre
autres 2.000 chevaux et beaucoup de prisonniers, fut le fruit de
cette campagne sans résistance '-.
A peine rentré dans son château, Godefroy d'Harcourt, sire de
Saint-Sauveur, brisa le dernier lien qui l'attachait à la famille de
Valois. Le 18 juillet, il institua Edouard d'Angleterre héritier de
toute sa terre pour le cas où il mourrait sans enfants, en écartant
son neveu, Louis d'Harcourt, resté fidèle au roi de France.
Edouard accepta naturellement l'hommage et l'héritage qui lui
était destiné ^\
De cette manière, il advint que dès la mort de Godefroy surve-
nue la même année, les Anglais occupèrent ses domaines où ils
restèrent près de trente ans, et d'où ils désolèrent toute la Basse-
Normandie.
De plus, Philippe de Navarre se rendit bientôt en Angleterre
pour faire hommage lige à Edouard, comme au roi de France et duc
de Normandie ^.
Avant la chevauchée du duc de Lancaster, les Français avaient
assiégé Evreux, qui s'était rendue le 20 juin. Quelques moines de
l'abbaye bénédictine de Saint-Taurin s'étaient enfermés dans la cité
et dans l'église pour y mettre en sûreté les joyaux de leur monas-
tère ^. La cathédrale, les logements des chanoines, le couvent des
Mineurs et l'abbaye de Saint-Taurin furent incendiés, en grande
partie, par les Navarrais qui ne savaient pas se contenir ^. L'abbaye
était encore en ruines en 1410 ^.
1. C'est donc de la pure fantaisie quand Fhoissaut, p. lwii, dit que les Anglais
pénétrèrent jusqu'à Rouen, dont ils brûlèrent les faubourgs.
2. Wiy. AviiSnuuY, 1. c. ; Dei.isle, p. H6 suiv. ; Dii'ont, p. 348 suiv.
3. Rymiîh, III, p. 332; Dupont, p. 351.
4. Le sauf-conduit à lui accorde pour retourner en Normandie est du 20 août,
Hymeu, p. 338.
5. S. Luci-: dans Fkoissaht, p. L.wni. not. 1.
6. Jean de Venette, p. 232 suiv.; Grand, cliron.. p. 30 ; Cliron. norni., p. 300.
7. Gall. christ., XI, p. 62G.
112 * LA GUERUK DE CEM' A>S
Pont-Audemer et Breteuil, furent assiégés de nouveau par les
Français. Breteuil se rendit entre le 12 et le 17 aoûti. De graves
nouvelles arrivèrent pendant le siège : le prince de Galles s'était
mis en marche dans le but d'opérer sa jonction avec le duc de Lan-
caster, et de mettre à exécution son projet d'envahir la Touraine,
l'Anjou et le Poitou -.
4. Chevauchée du prince de Galles dans le centre de la France.
Bataille de Poitiers.
L'atmosphère était orageuse. Innocent VI l'avait bien compris,
et pendant tout le cours de l'an 1356, il s'employa à amener les
deux belligérants à la paix. La proximité du prince de Galles
qui séjournait à Bordeaux faisait craindre au pape un nouveau mal-
heur pour la Gascogne et le Languedoc ; il lui écrivit le 4 mai de
ne pas envahir les pays du roi de France et de ne leur causer
aucun dommage ; il l'avertit qu'il écrirait aussi au comte Jean d'Ar-
magnac, lieutenant du roi de France en Languedoc, pour qu'il lais-
sât en paix les possessions anglaises. Le pape espère procurer la
paix et annonce au prince qu'il envoie pour cela les cardinaux Tal-
leyrand de Périgord et Nicolas Gapocci auprès des deux rois •^. Le
16 mai, il invite aussi l'empereur Charles IV à travailler à la paci-
fication des deux royaumes. Ayant entendu dire que l'empereur
doit aller à Metz, il compte que celui-ci pourra avoir, avec les deux
cardinaux, qui vont bientôt partir, une entrevue de laquelle il espère
beaucoup pour la paix entre la France et l'Angleterre^. Le 20 juin,
1. Voy. S, LucE, 1, c, p. Lxxi, not. ; E. Molixier, Étude, etc., p. 66.
2. Voy. Chronique de Richard Lescol, éd. Lemoine, p. 101.
3. Reg. Vat., n° 238, fol. 57*' à 59, où sont aussi notées les lettres à Jean, comte d'Ar-
magnac, Bernard et Bérard d'Albret (de 9 mai); à « Pierre » de Grailly, captai de
de Bucli, au sire de Pommiers, à Bertrand sire de Montferrand, à « nobili viro Sele-
bruno, domino de Spaira militi », à TAugier, seigneur de Mussidan, à Jean Stretle,
connétable de Bordeaux, à Geraud « de Podio, judici A'asconie pro Edwardo rege
Anglic )),au maire de Bordeaux, à l'abbé de Blaye, nonce du Saint-Père; à Pierre de
laMothe, aux comtes de Warwick, Northampton et Pembroke, à Barthélémy de Bur-
ghersh. Les instructions et les pouvoirs pour les deux cardinaux sont du 8 avril, dans
Recf. Aven. Innoc. VI, n" 1 i, fol. 12 à 22, éd. par Mcusaxt, Le Prince Noir, p. 233 à
253, qui n'a pas connu les autres lettres.
4. Reff. Vat., 1. c. fol. 74'', Weuuxsky, Excerptii ex Recfistris démentis VI et
Innocenta VI (Innsbruck 1885;, p. 101 suiv., a omis cette bulle. Mais voy. Uayxali»,
ITLNÉRAIIU: DU PRINCF:. bataillé DK POITFERS, 13o6 113
le pape écrit aux deux rois. Il t'ait un tableau saisissant des hor-
ribles maux causés par la g-uerre dans les deux pays, disant qu'il
est temps d'en finir. Pour les aider à négocier cette paix, il leur
envoie les deux cardinaux déjà nommés. A la même date et quelques
jours avant, il envoie touchant la négociation de cette paix des
lettres semblables à vingt-neuf grands personnages d'Angleterre
et de France, y compris Jean de Woodrove, des Frères Prêcheurs,
confesseur du roi Edouard^. Le roi Jean inclinait plutôt à la paix,
ainsi que les deux nonces l'avaient fait savoir au pape -, qui en
écrivant le 2 août au prince de Galles et k plusieurs autres, qu'on
donnât à Charles de Blois permission d'assister à la conclusion du
traité, témoigne bien qu'il avait alors l'espoir de réussir"'.
Mais pour détourner les Anglais de la guerre, il eût fallu une
voix plus influente que celle d'Innocent VI, dont l'origine française
pouvait faire mettre en doute l'impartialité '% et qui n'était presque
jamais maître de la situation.
Les Anglais le savaient bien, aussi, voici quelle fut leur réponse.
Le prince de Galles envahit la France et commença à chevaucher de
Bordeaux : « la veille de Saint Thomas de Canterbire (le 6 juillet)!^
nous commenceasmes à chivaucher ove nostre povar vers les par-
ties de France^ ». Son armée était composée de Gascons et d'x\n-
glais ^K La marche du prince fut marquée, comme l'année précédente,
par les incendies, la dévastation et la destruction. On ne s'atten-
dait pas à autre chose de la part du Prince noir.
Il n'existe aucun itinéraire de la chevauchée du 6 juillet au
4 août. A cette dernière date nous retrouvons le prince k Bergerac
Anii.^ 1356, n" 1, avec la fausse date du 26 mai. C'est' seulement le 17 novembre que
l'empereur est venu à Metz. ^'oy. ci-dessous, chap. III, § 1.
1. Recf. Val., 1. c, fol. 93 à 97'', R.vy.xald, 1. c, n" 2, avec la fausse date du 21 mai.
2. Re(f. Vat., 1. c, fol. 134, ad Jul. 17.
3. Ihid., fol. 157suiv.
A. Cf. ibid., fol. 96, la lettre du 18, juin à Édmiard. R.vvxam), 1. c, n'' 4,
5. Ainsi le prince dans sa lettre de Bordeaux, le 20 octobre, à l'évcque de Worces-
tcv dans Archueol. Brilaiin.,l, n° 4i, p. 213, et Chronicle of London (1827), p. 207,
dans les Illustrations, et réimprimée dans les OEiivres de Froissarl, éd. Keuvyx de
Li:tti:\ho\i:. WIII, p, 389 suiv. La même date, 6 juillet, est donnée dans Coniin. de
Muriiniilh. éd. IIog, p. 187 ; Chron. Anglinc, éd. Thompson, p. 31.
6. Jean oe Venette dit p. 238 : « et Alemannorum stipendiariorum » (voy. encore
FaÉviM.E dans Bibl. de Vlu-ole (/es Chnries, série l'\ t. III, p. 266). Mais c'est faux.
Il n'y avait pas alors d'Allemands sous le drapeau d'Edouard.
R. P. Dexii-le. — Dosolado ecclcslarum II. 8
\iï LA GUERRE DE CEINT A^S
dans le diocèse de Périgueux, d'où il entreprit sa marche vers le
nord. Où était-il dans l'intervalle? On l'ig-nore, car lui-même garde
le silence à ce sujet dans ses lettres à Tévêque de Worcester
(20 octobre) et à la municipalité de Londres (22 octobre). Il dit seu-
lement s'être rendu en droite ligne à Bourges par le Périgord et le
Limousin 1. Cependant une relation servant de base à la chro-
nique de Baker nous fournit quelque éclaircissement. L'auteur de
ce rapport quitta le prince à La Réole au commencement de
décembre 1335 et demeura selon toute apparence, cantonné tout
l'hiver avec une troupe, dans une des places de la Gascogne, sans
y rien apprendre du prince qu'il croyait toujours à La Réole, où il
le retrouva en elîet en juillet 1356-, occupé à rassembler son
armée '^ dont les difTérentes parties avaient hiverné çà et là, entre-
prenant maintes incursions et conquêtes en pays ennemi et reve-
nant toujours avec un riche butin ^. C'est ainsi que Périgueux fut
pris après le 2 février 1356^. Le prince de Galles a donc séjourné
entre le 6 juillet et le 4 août à La Réole ou dans les environs.
Ce récit nous explique aussi l'assertion de plusieurs chroni-
queurs disant que dans sa marche sur Poitiers le prince avait
touché le Rouergue et l'Auvergne ^', ce que dit aussi Barthélémy
de Burghersh'^. A coup sûr il n'en est rien. L'invasion de cette
1. Dans sa lettre importante au maire et à la municipalité de Londres, du
22 octobre, demeurée presque inconnue, le prince dit : « nous prismes nostrc chcmyn
par le pais de Peregort et de Lymosin et tout droit vers lîurgcs », dans Cfironicle of
Lojidon, p. 204.
2. Chronicon, p. 136.
3. « Congestis copiis quas habuit secum in ducatu », ibid., p. 1 iO.
4. Ibid., p. 138 suiv., et ci-dessus, p. 94.
5. AvKsiîuuY, p. 456 : a Post festum Purificalionis Virginis gloriosae ». Voy. encore
Le Prince i\oii\ Poème du héraiil Chandos, éd. Mu:Hii:i., v. 690 sui\-. S. Luce dans
Fkoissaut. y, p. H, not. 2.
6. Surlout FîioissAUT, IV, p. 197; V, p. 2 suiv.; une chronique dans Secousse,
Preuves de Vhisl. de (Charles II, p. 632; Km(;hto.\, 1. c. Mazi;he, L'Auvergne nu
XIV<^ siècle, durant Vinvasion anglaise (Clei'mont lS45),p. 22 suiv. s'appuie seulement
sur FroissarL. Parmi les autres historiens modernes, je cite Allonneau, Campagne
du prince de Galles en 1355 et 1356 (dans Mèm. de la soc. des anliq. de VOuesl, 1841),
qui dit que le prince est entré du Limousin en Auvergne, et de là dans la Marche, le
Bourbonnais, etc.
7. Dans sa lettre, pas toujours correcte, à Jean de Beauchamp : « Et chivacha par
Agenas, Limosyn, Alvern et Beryn et sus la ri\er de Lcyre, de Nivers qu'est l'entrée
de Beryndun ». OEuvres de Froissari, éd. Keuvy.x de Lette.xhove, XVIII, p. 3S6. Non
moins inexact est l'Itinéraire dans Le Prince Aoir, Poème du héraut Chandos, éd.
Michel, v. 709 ; Saintonge, Périgord, etc. Voy. encore ci-dessous, p. 120, not. 3.
ITIiNÉRAlKK DL' PIUNCI^. MATAILLi: DE POITIEllS, 1336 llo
époque y fut entreprise sans le prince, avant la marche sur Poitiers
par des troupes an*j;'laises ^ D'une province, celle de Quercy, nous
savons avec certitude qu'elle était en 1356, occupée en partie par
des troupes du prince de Galles ; mais ces troupes s'y trouvaient
sans lui et avant l'invasion du Nord '. A partir de 1317, les Anglais
y faisaient de fréquentes incursions et étaient en possession de
Montcuq en 1348, faisant des courses dans le Haut-Quercy, surtout
du coté de Gourdon dont les environs furent complètement ruinés •'^.
11 y avait l'abbave cistercienne du même nom. En 1352, la Bastide-
Française était déjà, comme nous l'avons vu plus haut, entre les
mains des Anglais. Dès 1355, les Ang-lais firent de grands progrès
dans le Quercy ; la ville de Cahors fut presque complètement
cernée^. Pour l'année 1356 nous avons précisément deux intéres-
sants documents. Le 2ijuin'', des troupes du prince de Galles
avaient occupé Fons (arrond. de Figeac). Innocent VI écrit au prince
le 29 août 1356 pour se plaindre de ce que ses gens, qui occupaient
le prieuré bénédictin de Fons, avaient d'une manière lamentable
dépouillé les moines de leurs biens et de leurs meubles. Une
autre lettre de la même date adressée à Bernard d'Albret nous
apprend que les chefs de ce triste exploit étaient ses fds Arnaud
Amanieu et Guitard d'Albret*^. D'autres détachements s'emparèrent
1. Môme des auteurs sans critique, comme Gaijjal, Eludes hislori([ues sur le
Roiienjne (1879), p. 99, ne parlent pas d'une invasion du prince. Moins encore Si^n-
vmuES, Ilist. de Véfflise du Roiiergiie, p. 287, et le critique si savant .T. RorgiETTi:, Le
lîouercfue sous les Ançflais, Millau, 1869, p. 7; 1887, p. 7 suiv.
2. Au contraire, suivant le m?. d'Amiens de Froissart (IV, p. 39 ii, le prince entra
avec ses troupes: « Et clievauçoient... et entrèrent en ce bon i)ays d'A^inoiset s'adre-
chièrent pour venir rers Rochemadour (Rocamadour) et en Limozin, ardent et essillant
le pays ». Cathala-Cotiiu:, Ilisi. poL, ecclés., liltér. du Que7'ci. I, p. 280, n'a i)as
d'autres sources.
3. Voy. Lacosti:, Ilisl. (fèn. du Quercy, III, p. 11 i, 119, 120. L. Co^ujAiuicr. Une
ville du Quercy {Martel) pendant la guerre de Cent ans (Cahors 1881), p. 2(i.
4. Voy. les détails dans Lacosti:, 1. c, p. Ii7, 119 suiv.
a. Ihid., p. 153.
(). Rey. Val. Innocent. VI, n" 2il F, ep. 319 : l)il. filio nobili viro Edwardo, nato...
lùhvai'di re^is An|^lic illustris, principi A\'^allie. Quantus sit lionor... Sicut fréquenter
et dolenter audivimus, occasione jj,uerre, quam inter... Johannem Francorum et
Edwardum genitorem tuum Anglie regcs illustres pacis cmulus peccatis exij;entibus
suscitavit et fovet, ipsos dei servos, nunc per hos, nunc per illos, hostilis calamitas
fréquenter vcxavit et vexai. Inter quos dil. tilius.. prior prioratus de Fontibus. Clu-
niacen. Ord. Caturcen. dioc, miseriam suam déplorât amarius, se ac monachos suos
prioratu predicto ac loco de Fontibus (qui ad eundem prioratum pertiuet plcno jure)
116
LA GUERRE DE CENT ANS
à la même éj^oque de nouvelles villes en Quercy^. Et de même
qu'au commencement de Fan 1356 les Anglais avancèrent vers
Rocamadour et prirent Mirebeau-, en guerroyant sans le prince,
ainsi arriA-a-t-il encore plus tard, et aussi en Auvergne.
Cette province vit également des Anglais, au moins en 1355,
quand un corps s'empara de Maurs ^. Mais ce que raconte Froissart,
est une fable.
Retournons au prince de Galles.
Gomme je supj^ose, celui-ci s'avança de La Réole avec une armée
forte de 10.000 à 12.000 hommes vers Bergerac sur la Dordogne
en Périgord, où il apprit que le comte d'Armagnac et les siens
avaient l'intention, ajDrès son départ, de dévaster les possessions
des Anglais en Gascogne. Pour résister à leurs efforts, le prince y
envoya le seigneur Bernard d'Albret et le major de Bordeaux avec
une grande partie de son armée '^.
Pour la chevauchée du prince de Galles depuis Bergerac jusqu'à
Poitiers, un Itinéraire est conservé dans une chronique universelle,
appelée Eulogium^ écrite par un moine de Malmesbury ^. Cet Iti-
néraire se fonde sans doute sur le rapport d'un témoin oculaire,
semblable à ceux des expéditions précédentes des Anglais en
France, dont nous avons déjà pris connaissance. Celui qui rédigea
prêter direptioneni bonorum niobilium quam passi sunt (assercns per gentes tuas)
miserabiliter spoliâtes.... Nobilitatem tuam rcquirimus et hortaniur in Domino qua-
tenus... diclo priori prioratum et loca predicta divine niiserationis inluitu et nostre
intercessionis obtcntu mandes et facias cuni eft'ectu restitui libère ac dimitli...
Datum apud Villamnovam Avinionen. dioc, IV kal. Septembris anno quarto (,^'oy.
Reg. Yat., n" 238, fol. 165''). — L'autre lettre est ihid., ep. 318 (n° 238, fol, 166'')
« noJDili Bernardo domino de Lebreto niiliti A'asaten. dioc. Audivimus quod... nobiles
viri Arnaldus Amaneni et Guilardus de Leljreto milites, nali tui, prioratum de Fonti-
bus... et castrum seu locum de Fontibus ad prioratum ipsum pertinens... occasione
f^uerre... unacum quibusdam nobilibus aliis occuparunt », etc. Alis, Hlal. de la ville
de S'^-Bnzeilles (Agen, 1892), p. 96, prétend donc à tort, qu'Amanieu s'était trouvé
enjz:agc dans le parti d'Edouard III seulement à partir de 1358.
1. Lacoste, 1. c, p. 153.
2. A^'ingTield dans Avesdiuy, p. 447,
3. Lacoste, 1. c, p, 147.
4. Chron. de Bakev^ p. 140 : (( remisit ad patrie tutelam,.. magnam classem togato-
rum ». — Fhoissakt, IV, p, 197, mentionne aussi Bergerac, mais comme première
étape pour marcher en Quercy, Rouergue et Auvergne, d'où, sui\ant lui, le prince se
serait rendu en J^imousin.
5. Eiilogiuin, Chron. ah orbe condilo ad an.lS66 a monacho quodam Malmeshu-
riensi exaraliim, éd. Hetoon, III (London 1863), p. 215-222, Pour notre époque,
toute son importance consiste dans cet Itinéraire.
ITINÉHAIUK DU l'KlNCi:. BATAILLE DIO POITIKHS, 1 'J5(j 117
le récit en question semble avoir été clans l'avant-j^arde du prince,
du moins omet-il de temps en temps les actions des autres corps
d'armées. Cet itinéraire n'ayant encore jamais été employé en
entier, ni cité correctement ^ dans tousses points, j'en donnerai ici
un aperçu général. La lettre du prince adressée au maire et à la
municipalité de Londres est aussi d'une grande importance.
Le prince quitta Bergerac le 4 août', et marcha le 6, par le Péri-
gord, où Barthélémy de Burghersh avait déjà pris deux villes for-
tifiées, qui furent occupées par le seigneur de Marsan, jusqu'à
ce que le prince arrivât. Le 7, il entra dans Périgueux'^, passa le 8
devant le château de Uamefort, et le 9 se trouvait à Brantôme'^,
toujours en Périgord. Je ne puis constater si l'abbaye bénédictine fut
déjà endommagée par les Anglais à cette époque, comme il arriva
quarante ans plus tard. L'Itinéraire sous-entend partout les incen-
dies, car il mentionne chaque fois qu'un endroit est épargné.
Le 10 août, le prince passa sous le château très fort de « Quis-
ses », le 11 il arriva à la ville de « Merdan », où il trouva beaucoup
de poissons''; le 12, il atteignit Rochechouart, du diocèse de Limoges
et le 13, la Péruse. Dans le prieuré bénédictin^, on installa les
personnages de distinction. Le 14, le prince passa la Vienne et
se rendit à Lesterps. L'abbaye fortifiée des chanoines réguliers de
Saint- Pierre résista aux assauts pendant la plus grande partie de la
journée, et dut enfin capituler^. Les habitants, ainsi que l'église,
1. Kervyx DE Lettexhovk dans son édition de Froissart, ^^ p. 524 et 54 i, a profité
de cet Itinéraire, sans citer l'édition, et il donne, t. XXV, p. 193, une carte. S. Luci:,
V, p. ri etsui\'. a seulement transcrit Kervy.n de Lettenhove, sans le nommer, et il
déi)end tellement de lui, (piil cite Brantôme comme première étape du prince et suit
Lettenhove dans toutes ses omissions et inexactitudes. Plusieurs historiens suivants
s'attachent à S. Luce, qui du reste plus tard, dans Guesclin, p. 181, not, 1, a connu
l'édition, connue la connaissent Kohler, 1. c, II, et Moisant.
2. « Movente se domino principe versus terram Galliarum de lîrigerake die jovis,
hoc est quarto die mensis Aujiusti, super terram Franciae equitando », etc.
3. « Ad villam (piae fuit episcopi de Peragor... sedes ibi fuit cathedralis ».
4. Comme je l'ai dit, Keiivyx ue Lettenhove et S. Luce donnent seulement Bran-
tôme comme première étape assignée par le moine de Malmesbury.
5. On sait que les rivières, les ruisseaux et les étangs de l'Angoumois fournissent
d'excellents poissons et des anguilles. Voy. Mauvaud, Géoc/raphie du dép. de la Cha-
rente, {). 96.
6. Le moine dit « ahljatiam de Poruche ». Toutefois c'était un prieuré.
7. Le 1 i août le i)rince écri\ait ime lettre datée d'une abbaye du Limousin, (huit le
nom était laissé en blanc i^Moisant, p. 124\ (^ette abbaye est celle de Lesterps.
118 LA GUERRE DE CENT ANS
furent épargnés. Le prince y passa le 15; le 16, il était à Bellac,
ville qui appartenait à la comtesse de Pembroke *. et qui fut épar-
gnée par égard pour elle. Le 17, il atteignit une ville avec un
important château-fort (le Dorât, comme je suppose '), propriété de
Jacques de Bourbon 3. L'église résista longtemps. L'avant-garde
prit aussi d'assaut deux châteaux très fortifiés.
Le 19, le prince arriva à Lussac (-les-Eglises) où il trouva de
nouveau beaucoup de poissons; le 20, les Anglais incendièrent la
ville ; le même jour, le prince entra à Saint-Benoît-du-Sault, dans le
diocèse de Bourges. Là, se trouvait un prieuré bénédictin ^ où
deux neveux du seigneur de Brette avaient déposé li.OOO florins.
Tout près delà était située l'abbaye cistercienne d'Aubignac. Le 21
et le 22, le prince était à Argenton ; sur son passage, il s'empara
d'un château-fort. Le 23, il entra dans la ravissante ville de Châ-
teauroux. L'arrière-garde dormit à « Saint-Yman » et Bourgdieu
(Déols") où était l'abbave bénédictine très fortifiée. L'avant-srarde v
resta aussi le 24 août ^.
Les faubourgs de Bourges furent probablement incendiés par les
Anglais pendant ces journées, quoique l'Itinéraire ne le mentionne
pas. Mais le fait est constaté par d'autres documents^.
Le 25 vit le prince devant le château-fort d'Issoudun où il demeura
le 26 et le 27 ^ A Issoudun se trouvait la célèbre abbaye bénédic-
1. Je ne me trouve pas en mesure de contrcMer cette assertion. PiKnnEFiTTiî, Hist. de
la ville de Bellac (1851), et Ghaxet, Hist. de Bellac (1890), ne disent rien. Mais ces
auteurs ne mentionnent non plus la présence du prince de Galles à Bellac en 1356,
2. AunrcEOis de la Ville nu Bost, Hist. du Dorât (1880), p. 52, rapporte d'après le
témoignage d'un auteur du xvii* siècle, Pierre Robert, qu'en 1369 le prince de Galles
vint avec une armée formidable assiéger le château du Dorât, « lequel il ne put
en aucune façon prendre, mais il l'uina et détruisit la ville». Il y a peut-être confusion
entre les années 1356 et 1369.
3. Il était comte delà Marche et de Ponthieu. Lui-même était alors avec l'armée du
roi Jean; cependant sa femme habitait cette ville, comme dit le moine.
4. Le moine dit « abbatia ». Mais voy. Rocheu, Hist. de Vabbai/e de Sninl-Benoll-
siir-Loire., p. 77. Le prieuré dépendait de cette abbaye.
5. Grillon des Chapelles, iXotice sur Vahhiiye de Dèols (1857), dit seulement
p. 140, que le prince de Galles vint mettre le siège devant Chàteauroux; désespérant
de prendre le château, il se retii'a en brûlant la ville. Rav.xal, Hist. du Berry (1847),
II, 297, fixe à toi^t dans l'ordre inverse l'itinéraire du prince et le fait opérer devant
Chàteauroux après sa marche sur Bourges et Issoudun.
6. Voy. S. LucE, dans Fhoissart, V,p. m, not. 1. Quelques détails intéressants dans
Raynal, 1. c, p. 294. Bourges est encore mentionnée dans la lettre du prince au maire
de Londres. Voy. ci-dessus, p. 114, not. 1.
7. Comme auparavant, Kehvyn de Lettexhove et S. Luoe ont altéré ici l'Itinéraire.
ITINÉRAIRE DU PRINCE. RATAILLE DE POITIERS, 13o(i 119
tine de Notre-Dame. Gomme à Bourges, on y avait préparé une
sérieuse défense. Le prince ne put s'emparer du château, mais la
ville fut brûlée et détruite ^ ; le faubourg de Saint-Paterne fut entiè-
rement dévasté, et cet ancien centre de la population devint désor-
mais un désert, occupé aujourd'hui en grande partie par des prai-
ries'^. « L'église, à moitié détruite blasme encore, dit A. Duchesne,
l'indignité des Anglais en ses ruines ^. » Le 28, le prince parut devant
le château de La Ferté, appartenant au vicomte de Thouars. Le
même jour il arriva devant la ville de Lury, traversa ensuite le Cher
et passa la nuit à Vierzon où était la célèbre abbaye bénédictine
de Saint-Pierre. Celle-ci partagea le sort de toute la ville qui fut
incendiée '^ Le captai de Buch avait déjà auparavant dévasté toute
la contrée. L'abbaye voisine des Bénédictins à Massay ne fut cer-
tainement pas mieux traitée que celle de Saint-Pierre. C'est encore
vers ce temps que Jean Chandos et James Audley, envoyés en
avant par le prince comme éclaireurs -^ prirent de force la ville
d'Aubigny et y mirent le feu. Ils firent pendant la marche plusieurs
prisonniers parmi la troupe française placée sous les ordres de Phi-
lippe de Chambly, appelé Grismouton, chargé d'observer le mou-
vement de l'armée du prince, et qui préféra la fuite ^.
Le 29 août, le prince arriva à la ville de (( Frank ». C'est alors
qu'à sa grande joie il reçut la nouvelle de l'approche du roi de
France^. Il continua sa marche avec ses troupes, et n'était éloigné
d'Orléans que de seize lieues, quand le sire de Graon et Boucicaut,
autres éclaireurs envoyés par le roi de France ^, s'avancèrent à sa
rencontre. Il les poursuivit jusqu'à Romorantin, oi^iils s'enfermèrent
avec leurs hommes. Dès le 30, le prince assiégea la ville. Le
1. Voy. un document conlemporain dans Uaynal, 1. c, j). 29G.
2. PÉHKMK, Recherches Jiisl. et nrchéol. sur la ville d'issoudun (1S17), p. 280.
3. Dans Pkukmk, 1. c.
t. Voy. aussi un document communiqué par S. Lrcn dans Froissart, p. m, not. 3.
f). Cf. Bakru, p. 1 iO.
0, Voy. encore I^akkk, 1. c, et p. 299, et la lettre du prince au maii'C de Londres
dans Chronicle of Lonclon^ p. 20 i.
7, Euloginm : « unde multum laetatus est ». C'est d'accord avec le Chvon. de Baker,
p. 141. Seulement la nouvelle de l'approche du roi n'arriva qu'un ou deux jours après
que le prince était déjà à Romorantin, « consulcius dijudicans inmiotus exspectare
coronati feritatem preliaturam quam querere forsan non exspectatui-am polenciam,
cum qua summe concupivit conserere manus belialrices ».
8. Voy. la lettre citée du prince, 1. c.
120 LA GUERRE DE CENT ANS
donjon ne se soumit que le 3 septembre à la suite d'un incendie
dont les assiégés ne purent se rendre maîtres. Le prince passa
encore le lendemain à Romorantin, c'est-à-dire cinq jours ^ en tout.
On y fit plus de 100 prisonniers, entre autres Amauri, sire de
Graon et Jean Boucicaut^,
Le 5 et le 6, le prince continua sa marche'^ sur la rive droite du
Cher et arriva dans le comté de Blois. Puis il atteignit c( Aumounk »
sur Loire près de Tours ^, où il demeura jusqu'au matin du 11 sep-
tembre. Il essaya en vain de franchir la Loire '^ Durant leur séjour
près de Tours, les troupes y faisaient de belles marches quoti-
diennes, c'est-à-dire qu'elles pillaient, incendiaient, dévastaient
les environs et essaimaient de brûler les faubourgs de Tours 6. Le
dimanche 11, de grand matin, on leva le camp; le prince passa le
1. Eulogiiim, p. 219 suiv. La lettre du prince est craccord avec Fltinéraire. Frois-
SART est très inexact.
2. Voy. AvESBUHY, p. 471 ; Kmghtox, p. 88, 92. Jean le Meingre Boucicaut venait à
peine de quitter la prison. En février 1355, il obtint la liberté sur la promesse qu'il fit
de retourner dans la prison d'Edouard au mois d'avril. Le duc de Lancaster et le comte
d'Arundcl prolongèrent le terme jusqu'au 24 juin; Innocent VI priait le roi Edouard
d'accorder comme terme la Toussaint ou Noël. Reff. Vat., n° 237, fol. 26, ad an. 1355,
Febr. 7. Il est mentionné comme prisonnier le 30 janv. 1354 dans Rymek, III, p. 271.
3. Le Prince A'of'r, Poème du héraut d'armes Chandos, v. 720, offre un exemple
curieux de confusion ;
Après (Romorantin) chivacha en Berri
Et parmy la Gascoignc auxi
Et jesques à Tours en Tourayne !
4. « Avmiounk super Lcir juxta Tours in Turonia ». Thompson, Chron. de Baher,
p. 299, a raison de dire que c'est Amboise plutôt que Chaumont-sur-Loire, comme
le veut S. Ltice. Voy. encore la lettre du prince dans la note suivante.
5. Le prince écrit dans sa lettre au maire de Londres qu'il a appris à Romorantin
« que touz les pontz sur Leyre estoient debruses et que nulle part purriens avoir pas-
sage. Sur quel nous prismes nostre clicmyn tout droit à Tours et là demourasmes
devant la ville quatre jours Et à nostre départir d'illeoqs nous prismes le chemyn
pour passer ascuns daungers des eaAves et en entente d'avoir encountree ovesque
nostre très cher cosyn le ducs de Lancastre, de qi nous aviens certeins novelles q'il se
voillent afforcier de trere devers nous » {Chronicle of London^ p. 205). Baker dit,
p. 142, que surtout entre Blois et Tours les ponts étaient rompus et qu'à cause des
inondations on ne pouvait passer la Loire. Le roi « jussit prosterni omnes pontes
super flumen de Leyre, quos veteres non sine magnis expensis extruxerunt », écrit
Chron. Angliae, éd. Thompson, p. 34. Vo^-. encore la lettre de Barthélémy de Bur-
ghersh à Jean de Beauchamp, et Chron. des quatre premiers Valois, p. 45 suiv. Le
duc de Lancaster essaya en vain de franchir la Loire. Voy. Froissart, p. 71.
6. L'Itinéraire, et Baker, 1. c, not. 1.
ITIjNÉRAIHE du prince. lîATAlLLl-: DE POITIEI'.S, 1356 121
Cher et l'Indre^, et arriva à Montbazon, dans le diocèse de Tours,
presqu'en face de cette ville. Le maréchal de Nesle y commandait
des troupes. Il avait déjà auparavant fait couper les ponts du Cher
à Saint-Avertin et à Pont-Cher, incendiant les petits villages des
environs afin d'empêcher l'ennemi d'y trouver un refug-e -. Les
Français faisaient aussi rentrer les vivres afin que l'armée anglaise
ne pût rien trouver sur son passage. Comme nous le voyons, toutes
ces mesures de précaution n'aboutirent à rien. Le 12 septembre,
le prince reçut à Montbazon la visite du cardinal de Périgord
qui l'exhorta à la paix\ En même temps, il apprit que le dauphin
était à Tours avec 1.000 hommes d'armes et que le roi voulait lui
livrer bataille le 14 septembre.
Le roi de France avait séjourné à Chartres du 28 août aux pre-
miers jours de septembre. Il y avait attendu l'arrivée des gens
d'armes qui venaient tous les jours d'Auvergne, du Berry, de Bour-
gogne '^, de Lorraine, du Hainaut, de l'Artois, du Vermandois, de
Picardie, de Bretagne et de Normandie •'^. Le roi reçut aussi la
nouvelle que le prince, avec son armée, pillait, dévastait et incen-
diait tout sur son passage ^. En quittant Chartres avec ses troupes,
Jean arriva le 8 septembre à Meung-sur-Loire^. Les différents
corps passèrent le fleuve à Meung, à Orléans, à Blois, à Tours et à
Saumur 8 ; le roi passa à Blois. Il s'arrêta le 13 à Loches pour con-
centrer ses forces.
Dans cette même journée du 13, le prince se dirigea directement sur
Sainte-Maure-de-Touraine, et vint coucher à la Haye-sur-Creuse, où
1. s. LucE écrit : « (vanchit pi'écipitamment ». Mais les sources ne disent rien.
2. GiRAUDET, Hist. de In ville de ï'oizr.s, I, p. 1 16.
3. L'Itinéraire, et le prince dans sa lettre au maire de Londres, dans lacpielle il rap-
porte sa réponse, qu'il ne pouvait conclure la paix sans son père Edouard ; parler
de trêve était inutile, parce que le roi de France voulait une bataille.
4. Sevd le duché de Bourgogne obéit à Tappel du roi; le comté de Bourgogne n'en-
voya pas un homme d'armes. Voy. Ed. Cleuc, Essai sur lliist. de la Franche-Comté
(1846-1870), II, p. 105.
5. Froissaut, V, p. 2. Chron. de Pierre Cochon, p. 88. La noblesse cotentinaise fut
à peine représentée. Voy. Dupont, II, p. 354. Pour une autre raison, se trouvèrent
à Poitiers peu de nobles de la province de Quercy. Ils étaient obligés de rester dans
le pays pour défendre leurs terres. Cf. Lacoste, 1. c, p. 154, not. I.
6. Fhoiss.vut, p. 12. Chron. des quatre Valois, p. 46.
7. Cabinet hist., Documents (1878), p. 262.
8. Froissart, p. 12 suiv.
122 LA GUERRE DE CENT ANS
il apprit l'intention qu'avait le roi de France de le devancer, lui et son
armée, afin qu'il ne lui échappât points Le 14, le prince arriva à la
belle et forte ville de Ghâtellerault, sur la rive droite de la Vienne et
y demeura jusqu'au 17 au matin, « ettendauntz de savoir plus la cer-
tein de lui » (du roi de France), comme dit le prince dans sa lettre. Le
16 septembre, on lui annonça que le roi avait été à Ghauvig-ny sur
les rives du même fleuve la nuit du 15 au 16 septembre '^ Le prince
avait été devancé. En eiFet, le roi avait quitté Loches dès le 14,
couché à la Haye , où le prince avait passé la nuit précédente , et
atteint Chauvig-ny le 15; par conséquent, il était à sept lieues au
sud de Ghâtellerault, où séjournait l'ennemi, et à cinq lieues à l'est
de Poitiers, vers lequel il se dirig-ea avec son armée après avoir,
le 16, franchi la Vienne sur le pont de Ghauvig-ny ^.
En apprenant cette nouvelle, le prince manda à son armée que son
charroi devait passer la Vienne pendant la nuit, afin que le lende-
main matin rien n'entravât la marche des troupes vers l'ennemi ^,
ce qui fut exécuté. Le samedi, 17, de grand matin, le prince leva au
plus vite le camp à Ghâtellerault, suivit la route de Ghauvigny et
passa la Vienne, quand il apprit que les forces françaises avaient
déjà traversé le fleuve et se trouvaient devant Poitiers. Il se préci-
pita vers elles et , pour accélérer la marche , il quitta la route
de Ghauvig-ny à Poitiers et chevaucha à travers champs sans se
soucier de son bagage -^ A cette occasion ses éclaireurs^, au nombre
de 200, rencontrèrent à la lisière d'un bois l'arrière-^'arde fran-
çaise, forte de 700 hommes, qui n'avait pas encore rejoint le gros
de l'armée, et qui fut défaite ; plus de 200 hommes furent tués et
1. « Nova vcnerunt principi quod re.v Franciae vellet praecederc nos, nani niultuiii
dubitavit si forte princeps fugcret vise cxercitu P'rancorum ». L'Itinéraire, 1, c.
2. L'Itinéraire écrit à tort « nocte sabbati » au lieu de « nocte praeccdenti » ou
« nocte diei jovis ».
3. FnoissART, p. 14.
4. « Et versus ininiicos suos festinando », l'Itinéraire, p. 222. Le prince raconte
dans sa lettre au maire de Londres plusieurs de ces circonstances et ajoute : « et
sur ceo prismes propos de hastier devers lui sur le chemyn qu'il devereit passer
pour estre combatuz ove lui » [Chronicle of London, p. 205).
5. « Princeps vero ultra modum equitabat relinquendo viam quae ducit de Gha-
vi^ne ad Poyters, sed ultra campos ad inimicos suos festinando nec habendo res-
pectum ad cariagium suum », 1. c.
6. Parmi eux étaient deux chevaliers de Hainaut, Eustache d'Auberchicourt et
Jean de Ghistelles. Froissart, p. 16. Gela arriva près de La Ghaboterie. Voy. la
carte de Thompsox dans Chron. de Baker, p. 310.
iTiNKUAnn: du puinci:. hataiule di: Poitiers, 13^)0 123
fait prisonniers ; parmi ces derniers se trouvaient les comtes
d'Auxerre et de Joij^nv, et le seigneur de Châtillon'.
Lorsque le prince se fut assuré que les Français n'arrivaient
point pour le combat, il coucha le 17 au soir dans la forêt où avait
eu lieu la rencontre-, « et le lendemeyn (18 septembre) prismes
nostre chemyn tout droit devers le roy et mandasmes no/ descou-
vreurs, qe trouvèrent lui od son poair (rarmée) prist ])a taille es
champs a une lue de Peiters, et alasmes à plus près de lui que
no[u]s poiams prendre nostre places, et nous mesmes à pié et en
arraie de bataille et prest de combattre ove lui » -"'.
Ce récit réfute complètement la plupart des descriptions de ce
fait qui presque toutes reposent sur les données de Froissart. On
prétend généralement que le prince aurait évité d'engager la bataille.
Lorsque l'armée française se trouvait encore sur la rive droite
de la Loire, il aurait accéléré sa marche pour retourner à la Garonne.
Suivant Froissart, ce n'est que le 17, lorsqu'il voulait regagner
la Garonne, que le prince aurait appris, par des prisonniers faits
dans une rencontre, que l'armée française l'avait dépassé. C'est
alors qu'il aurait reconnu le danger auquel il ne pouvait plus échap-
per : une bataille devenait imminente^. D'après S. Luce qui avait
quelque connaissance de Fltinéraire, mais qui le rattache au récit
de Froissart, le prince aurait su dès le 16 que l'armée française le
précédait; mais le 17, il se serait écarté à dessein de la route qui
1. L'Itinéraire et la lettre du prince. Les trois noms nous sont donnes ])ar la leth'e
du prince, par Bakeh, et Grand, chron., p. 31, Chrnn. de Lescot^i). 102, où « San-
cerre » pour « Auxerre », Fkoissaht, p. 217. Voy. encore AvEsnunv et Kmouton, 1. c.
2. L'Itinéraire et Bakeu. Le prince dit à peu près la même chose dans sa lettre :
<( pourquoi il nous convienoit logjier cel jour à plus près de celle ])lace qe nous poiens
pour recoiller noz gentz » Chronlvle of London. 1. c, M. Vu.lam (Muratoiu, XH',
p. 4iO) parle aussi de « bosco », mais son l'écit est ti'ès confus, comme celui du Prince
Noir, Poème du héraut Chandos, v. 758 suiv.
3. Ainsi le prince dans sa lettre, 1. c. Voyez encore Enlof/ium, 1. c, Bakeh, j). 1 i3.
4. Froissaht, p. 12, li, 17. Suivant la Chron. de Pierre Cochon, p. 88, le i)rince
avait véritablement peur. D'après la Chron. normande, p. 112, 302. le prince battit en
retraite et fut poursuivi par les Français jusqu'à Poitiers. Voy. encore Les Cronicifues
de Normandie, éd. Hellot (1881), p. 8. Les auteurs modernes comme Micuei.et et
H. Mautix; Paii.i dans Gesch. von England. IV, p. 436; Am-onneav, Campagne du
prince de Galles, etc. dans Mèm. de la soc. des anti([. de VOuesl (1841), p. 72, et
d'autres suivent le récit de Froissart. Moisant. p. 52 et p. 53, reproduit S. Luce. sans le
nommer, en citant la lettre du prince, où on trouve tout à fait le contraire de
on assertion. i
]2i LA GUERRE DE CENT ANS
va de Ghauvign}^ à Poitiers, pour ne pas rencontrer les Français.
Son but aurait été de laisser Poitiers à sa droite et de se dérober
par la gauche à l'armée française (qu'il savait campée en face de cette
ville, du côté du sud-ouest) en la contournant et de regagner Bor-
deaux par l'Angoumois. Par suite de l'engag-ement avec l'arrière-
garde, la bataille était devenue inévitable ^
La relation de Luce est moins heureuse encore que la précédente,
car le prince savait dès le 16, quand il se trouvait encore sur la
rive droite de la Vienne, que le roi de France et son armée l'avaient
dépassé et se dirigeaient sur Poitiers. Si donc le prince voulait
échapper, pourquoi ne restait-il pas sur la rive droite afin de se reti-
rer vers Lussac-les-Châteaux ou Montmorillon, pourquoi se rap-
prochait-il de l'ennemi en traversant le fleuve? D'ailleurs, même
après la rencontre du 17. alors que le prince se trouvait déjà sur la
rive gauche, la bataille n'était pas inévitable. Le service des
éclaireurs de l'armée française était si défectueux que les Anglais
purent à leur aise camper toute la nuit suivante dans la forêt, sans
que les Français les inquiétassent. Une marche nocturne les aurait
fait échapper sans être aperçus -.
Il n'y a que l'Itinéraire, la Chronique de Baker et la lettre du
prince au maire de Londres, qui donnent une description et une
explication conformes aux mouvements du prince. Le 29 août
ou l'un des jours suivants, le prince se réjouissait déjà de ce que
le roi s'avançait contre lui, tant il désirait livrer bataille.
Le 4 septembre, il donna l'ordre à ses hommes de préparer leurs
harnais '^. Le 13, il apprit que le roi voulait le dépasser; le 16, que
c'était un fait accompli. Jacta csto alea^ se sera dit le prince, qui
en effet, franchit la Vienne, se dirigeant contre l'ennemi. Ce ne fut
donc point, comme dit Luce, pour y échapper qu'il abandonna son
bagage, qu'il quitta la route et galopa à travers champs, mais pour
1. Dans Froissaut, p. v, not. 3; Giiesclin, p. 172. Si S. Luce avait connu la lettre du
prince et la chronique du Baker, il aurait change son récit.
2.. Kmghton dit p. 88 : « Victualia ccperunt defîcere in exercitu principis in tantum
quod oportebat eos congredi in belle, aiit pi'ae vecordia tergum ininiicis vertere ».
Que le défaut « des vitailles » fut un motif pour le prince de « prendre nostre che-
myn en coteant par devant eux » et de forcer les Français de livrer bataille, le prince
même le dit dans sa lettre au maire de Londres {Chronicle of London, p. 206),
3. L'Itinéraire, p. 220.
ITIXÉUAIIU'] DC l'IUNCK. BATAILLK DK POITIERS, IG^JG i2.J
atteindre l'ennemi plus vite encore ^ Il se montre à nous dans toute
l'intrépidité de son caractère, tel que nous avons appris à le con-
naître à la bataille de Grécy. Il n'est pas plus exact de dire que le
prince ait déjà, le samedi 17, choisi remplacement de la bataille,
comme on le raconte d'après Froissart '. Au contraire, comme je
l'ai dit, le prince, avec son armée, passa la nuit du 17 au 18 dans
la foret, et ce ne fut que le dimanche au point du jour qu'il se
dirigea vers l'emplacement qu'il voulait occuper.
Dans le courant de cette matinée du 18, alors que le prince avec
ses troupes marchait en toute hâte dans la direction des Français,
le cardinal Talleyrand de Périgord vint à sa rencontre pour Feng-a-
ger à faire la paix''', et fit une tentative analogue auprès du roi.
Ici encore le contraste entre les chroniqueurs français et
anglais saute aux yeux. D'après les premiers, qui soupçonnaient
le prince de vouloir se soustraire au combat, celui-ci négociait en
homme découragé. Suivant Jean le Bel et Froissart, le prince
olfrait au roi de rendre les places conquises en France pendant ce
voyage, de libérer le seigneur de Craon et plusieurs autres prison-
niers et de faire le serment de ne pas prendre les armes contre la
France jDendant sept ans. Mais le roi exigeait en sus que le prince se
rendît, et 100 chevaliers avec lui^. Les autres chroniqueurs français
racontent plus ou moins de choses semblables^. Tout cela ne
s'accorde nullement avec le caractère du prince et les antécédents.
Les sources anglaises donnent une version plus conforme à la
vérité. De prime abord, le prince ne voulut pas écouter le cardinal,
disant qu'il s'agissait de combattre plutôt que de prêcher. Toutefois
1. Voy. ci-dessus, p. 122, not. 5.
2. P. 17, 18, 219.
3. L'Itinéraire, p. 222. Lettre du prince, p. 205,
4. A^oy, Jean Liî Bel, éd, Polai.x, II, p. 198; Fuoiss.vut, p. 2G suiv.
5. D'après Chronocfr., p. 260, et ('Jiron. norm., p. J13, le prince ofl'rait de rendre
les places con({uises depuis 3 ans, de payer 300.000 florins et de rester en otajie. Mais
même ces propositions ne satisfirent point le roi. ^^>y. encore (Jhron. de Pierre
Cochon, p. 88. Suivant la Chron. des quatre Valois, p, 51 suiv., le prince n'oll'rait pas
seulement les places conquises, mais encore Calais. Au continuateur de la (Chronique
de R. Lescot, p. 102, tout cela paraissait encore insufllsant. Selon lui, le prince « trina
vice ofl'erri fecit omnia que pacis erant et cum perpétua pace quidquid citra marc
Anglici possidebant». Et malgré ces propositions favorables, le cardinal intermédiaire,
fut considéré comme un traître par les nobles Français, ainsi que le même chroni-
queur croit le savoir. Le récit .de Vn.L.\M contient en substance ce que disent les
chroniqueurs français (^Muratoiu, XIV, p. 411 suiv, .
126 ■ LA GUEURE DE CENT ANS
il finit par céder, et Ton convint de choisir, de part et d'autre,
six parlementaires^ qui devraient traiter en présence du cardinal.
On s'occupait en vain de conclure la paix, d'un combat de cent
contre cent, comme proposait Geoffroy de Charny-, et à négocier
une trêve. Voyant que l'armée française continuait à g-rossir au
cours de cette même journée"', et que ses adversaires ne prenaient
pas les négociations au sérieux, le prince les rompit.
A la tombée de la nuit il n'avait pas encore complètement
occupé l'emplacement d'où son armée, forte seulement de
7.000 hommes S soutint le combat contre 40.000 à oO.OOO
Français ^. Mais il était à Maupertuis, à 8 kilomètres au sud-est de
Poitiers, sur les bords de la petite rivière de Miausson, entre
l'abbaye bénédictine de Nouaillé, et, comme on dit aujourd'hui, la
Cardinerie, qui n'est autre chose, c'est presque certain, que Mauper-
1. Eiilogiiim, p. 222 suiv., où par erreur est écrit XT pour \l. Le prince dit de
même dans sa lettre au maire de Londres, p. 205, seulement il ne donne pas le
nombre des parlementaires, dont les noms, douze en tout, se trouvent annotés
dans J.e Prince ?\oii\ Poème, etc., v. 863 à 919.
2. Cela résulte du Poème cité et de la lettre du prince, p. 205. Cf. Baker, p. 144.
3. Eiiloffium, l. c. Bakku, l. c. Le cardinal lui-même le confessa plus tard à Bor-
deaux devant le prince. Baker, p. 155.
4. Ce nombre seul est exact. Suivant Bakeh, p. 143, larmée était forte de
4.000 hommes d'armes, 1.000 communs et 2.000 archers. Barthélémy Burghersli donne
presque le môme nombre; mais il parle de 3.000 hommes d'armes au lieu de 4.000, en
tout 6.000 (lettre à Jean de Beauchamp\ Les Récits (Viin bouvffeois de Vnleiicienne.s,
p. 290, sont d'accord sur le nombre de 7.000. Km(;hto.\, p. 93, qui ne parle pas de com-
muns, donne un chiflre encore inférieur, comme aussi Chron. Angl. Quand le prince
avait quitté La Réole, son armée était beaucoup plus nombreuse. Mais, comme nous
avons vu, en ari-ivant à Bergerac il en avait envoyé une grande partie, sans doute
quelques milliers d'hommes, pour protéger la patrie. A cause de cela avant la
bataille « multi de nostris murmurarunt pro eo quod ])ridem ad tutelam A\nsconiae
remissa fuit mngnapars exercitus nostri pi'imo congregati. » Bakkh.p. 143. Tout cela
a été inconnu jusqu'à présent. S. Luce, Guesclin, p. 173, sur l'autorité de Frois-
sart, donne aux Anglais à la bataille 10 à 12.000 hommes, dont les deux tiers (vers
6.000 ou 7.000) des archers ou des fantassins à pied. C'est faux. Les autres chroni-
queurs français, comme C/jrono</r. et Chron. 7ior»i., à l'exception d'un dans Secoisse,
Preuves, p. 651 (8.000 combattants dont 3.000 archers) exagèrent également le nombre
des archers. Je pense que les chroniqueurs, surtout Froissart (qui tantôt parle de
8.000, tantôt de 12.000 hommes^ ont confondu l'armée du. départ de Bordeaux ou plu-
tôt de La Uéole, et l'armée de la bataille.
5. Selon la majorité des chroniqueurs, c'est le nombre des combattants français. Les
chroniqueurs anglais n'étaient pas bien informés sur les forces françaises, dont ils
donnent un nombre plus faible que les chroniqueurs français. Quatre fois de plus que
les Anglais, lisons-nous dans Le Prince I\oir, Poème, etc., v. 910.
ITLNÉRAIRK DU PlUNCK. HATAILLE DE POITIERS, IS.jB 127
tuis d'autrefois K Que les forces de l'ennemi fussent cinq ou six fois
plus grandes, le prince l'ignorait, et l'eût- il su, il ne s'en fût
point effrayé. Il savait que la différence du nombre entre les com-
battants anglais et les français avait été plus désavantageuse encore
à Morlaixen 1342, et guère moins à Mauron en 1352, et que, malgré
tout, les Anglais avaient été victorieux. 11 n'avait pas plus peur
que le comte de Northampton et Walter de Bentley, et il était plus
audacieux'-. En outre, le prince saAait que depuis la bataille de Crécy,
où il avait gagné ses éperons, ses adversaires n'avaient rien appris
et n'avaient profité de rien, qu'ils méprisaient obstinément de con-
naitre les avantages de la combinaison des armes à tir et des
armes blanches, et les perfectionnements introduits à cette époque
dans Fart de combattre. 11 avait étudié de près ses adversaires, au
nord de la France, et l'année précédente dans le midi. 11 connais-
sait leurs chefs, et était convaincu que les errements de Crécy se
répéteraient. Froissart nous dit que les Français étaient sûrs de la
victoire. Mais le prince ne l'était pas moins, lui-même nous le dit ^ :
il se regardait comme invincible^ ; son attente ne fut pas trompée.
Le lundi 19 septembre, à l'aurore, le cardinal vint encore une fois
trouver le prince. Mais celui-ci voyait à son grand déplaisir que
l'armée française augmentait en nombre, et il congédia le cardinal,
disant qu'il n'y avait plus de temps à perdre^. Du moins, c'est alors
seulement que son armée opéra son dernier mouvement. Le prince
supposait à tort qu'une cohorte française occupait la colline atte-
nante. L'accès en était des plus difficiles. 11 s'y rendit et l'occupa
avec sa bataille. Sa position dominait celle de l'ennemi^. Tout
1. Voy. S. LrcE clans Fhoissaht, p. vi, not. 1. Mais la meilleure description de
remplacement du prince nous est donnée par la Chron. de Baker, p, 14G suiv.. et
Thompsox, ibid., p. 306, 310.
2. Le continuateur de Richard Lescol, p. 101, suit une opinion contraire. Voy.
encore ibid., not. 1.
3. Bakeh, p. 145.
4. Au cri désespéré d'un Anglais ])cndant la bataille : « Ilew victi deficiemus ». le
prince répondit : « Mcntiris pessimc vecors, si me vivum posse vinci blasfemeris ».
Baker, p. 150.
5. Ihilogium, p. 223. Voy. encore IîaivEu. p, 141; Fuoissaut, p. 29 suiv.; Grand,
chron., p. 32.
6. Baker, p. 146 suiv. : « hostibus altior incumbens ». Après le récit du Baker on
comprend celui de VEulogiuni, p. 22 4. Voy. encore la lettre du prince au maire
de Londres, p. 206.
128 ■ LA GUERRE DE CEINT ANS
l'emplacement des Anglais était on ne peut plus avantageux. La
cavalerie ennemie ne pouvait se déployer à cause des marais
avoisinants ; les fantassins ne pouvaient avancer, parce qu'on n y
parvenait que j^ar un étroit ravin entouré de fossés. Les vignes, les
buissons et tout le terrain avaient été mis à profit par les Anglais.
Ceux-ci étaient partagés en trois batailles, non pas placées l'une
derrière l'autre, comme chez les Français, mais de manière à ce
que l'une put soutenir l'autre, selon les circonstances et les acci-
dents du terrain. La première division était commandée par War-
Avick et Oxford; celle de la colline, par le prince ; la troisième, par
Salisbury et Suffolk. Les archers étaient répartis sur toutes les
trois, mais de telle façon qu'ils occupaient des j^oints dérobés d'où
ils pouvaient opérer d'autant plus sûrement.
Les Français eurent aussi trois batailles, mais l'une derrière
l'autre; la première sous le dauphin Charles, duc de Normandie; la
seconde sous le duc d'Orléans; la troisième sovis le roi. Au premier
plan était postée la cavalerie sous Arnoul d'Audrehem, le maréchal
Jean de Clermont et le connétable Gautier, duc d'Athènes. Celle-ci
eut à soutenir le premier combat.
La bataille s'engagea vers le lever du soleil. On sait combien
l'issue en fut néfaste pour la France. C'est la bataille la plus
remarquable de toute la guerre de Cent ans, et cei'tainement l'une
des plus mémorables de tous les temps. Un Anglais était opposé au
moins à cinq ou six Français, et pourtant les Anglais remportèrent
la victoire! Ce n'est qu'à présent, depuis que le Chronicon de
Baker "^ a paru, qu'on peut faire un exposé exact du combat'; ce
récit rectifie tous les autres, même quelquefois celui du héraut de
Chandos^, mais surtout celui de Froissart, dont les informations sur
1. Ed. Thompsox, p. 143-154. L'éditeur a expliqué dans les notes, p. 306 à 313,
les points ditriciles, et nous a donné une carte, p. 310, qui nous montre mieux et
plus exactement les positions et les mouvements des Anglais et des Français que la
carte dressée par Vinet (dans Jamisson, Bertrand du Guesclin, traduit par Baissac,
1866, p. 577), ou par Kohi.eh, Die Eniwickeluncj des Kriec/sivesens, etc., II, Tafel ix.
Le croquis dans Spru.neu-Mexke, Ilist. Ilnndatlns^ 3" éd., n" 52, est faux tant pour
les Français que pour les Anglais.
2. Que jNIoisaxt, 1. c, p. 55 suiv., n'ait pas tiré profit de cette chronique, écrite à
peine deux ans après la bataille, c'est presque impardonnable.
3. A mon avis on fait trop de cas du Poème du héraut d armes Chandos^ devenu
maintenant accessible à tous par l'édition qu'en a faite Michel. Il ne fut composé que
ITINÉRAIRE DU PRINCE. BATAILLE DE POITIERS, 1356 129
les différents eng-agements et mouvements, notamment ceux des
Anglais, sont souvent inexacts.
Je ne puis m'empècher d'ajouter quelques remarques sur le cours
de la bataille, quoiqu'elles ne rentrent pas dans le cadre de mon
travail. La fuite d'une partie de l'armée française est connue.
Cependant plusieurs chroniqueurs se trompent sur la manière et la
mesure de la panique, disant que l'immense majorité, voire même
plusieurs lignes de bataille, auraient pris la fuite sans coup férir'.
Ces auteurs, ainsi que des contemporains, cherchent la cause du
désastre dans la lâcheté et la trahison de la noblesse française. Je
crois pouvoir alFirmer d'une seule division^ celle du milieu, com-
mandée par le duc d'Orléans , qu'elle a quitté le champ du combat
sans coup férir; personne du moins ne mentionne la part qu'elle
aurait prise à un engagement quelconque. Quant aux autres
corps, la fuite partielle n'eut lieu qu'après un combat acharné,
ce qui arriva à la cavalerie des maréchaux quand leurs chefs vinrent
à manquer ; le duc d'Athènes et Jean de Clermont périrent, tandis
qu'Arnoul d'Audrehem fut fait prisonnier. Presque tous les Ecossais
qui, sous Guillaume Douglas, avaient été joints à cette cohorte,
furent tués. Douglas blessé s'enfuit, une grande partie de la cohorte
resta sur le champ de bataille, le reste chercha son salut dans la
fuite devenue inévitable-. Et quel fut le sort de la première
bataille, celle du duc de Normandie? Suivant deux chroniques
dans Secousse '^, les ducs de Normandie et d'Orléans et les comtes
d'Anjou et de Poitiers partirent immédiatement après la déroute
plus de vingt ans après la bataille de Poitiers. En outre la forme poétique n'est guère
de nature à inspirer confiance. On ne sait que trop combien les exigences du mètre
et de la rime rendent quelquefois difficile le récit exact des faits. Et encore ne doit-
on pas oublier qu'il s'agit d'un panégyrique, et que le héraut, à ce qu'il paraît, n"a
eu connaissance directe que de l'expédition du prince de Galles en Espagne et
des événements suivants ; le reste est par ouï-dire, comme il écrit souvent.
1. Grand, chron.j p. 32 suiv. : « plusieurs batailles de la partie du roy de France...
s'enfuirent vilainement et honteusement, et dicnt aucuns que pour ce fu Tost dudit
roy de France desconfit ». Voy. Jeax de Vexette, p. 240; Clironoffr.^ p. 262; Chron.
norm., p. 115 suiv.; 116, not. 3 ; le continuateur de la Chron. de Lescol, p. 103; Les
Chronicques de Normendie, éd. IIkm,ot, p. 8. D'après ^^IL^.v^^ (Mihatori, p. 116)
s'enfuirent, sans coup férir, jusque « verso Parigi », les ducs de Normandie et d'Or-
léans qui présidaient, suivant lui, une seule « schiera » ! Je cite parmi les modernes
FiM.ox, Jean CJiandos, connétable d'Aquitaine., dans la Revue de VOuest, l.S55.p. 196.
2. Bakeh, p. 148.
3. Preuves, etc., p. 633, 661.
R. P. Denifle. — Desolatio ecclesiarum II. 9
130 LA GUERRE DE CENT ANS
de la cohorte des maréchaux. Jean de Venette, par contre, et le
continuateur de Richard Lescot prétendent que le duc de Nor-
mandie et les siens quittèrent le champ de bataille après que le
roi eût été fait prisonnier. Ces auteurs sont si mal informés sur
l'ordre des « batailles », qu'ils croient même que celle du roi était
échelonnée devant celle du duc.
Le narrateur du récit contenu dans VEiilogiuin nous raconte
qu'un combat terrible et sans précédent dans l'histoire s'était
engagé; dans les temps antérieurs, dit-il, on pouA^ait presque
toujours juger de l'issue de la lutte dès que la sixième flèche était
décochée. A Poitiers, chaque archer avait lancé cent flèches bien
visées et la victoire restait encore indécise. Ces détails peuvent être
exagérés, mais le fait essentiel nous est confirmé par d'autres, et
en particulier pour ce qui regarde le combat avec la bataille du duc
de Normandie. D'après Baker, ce dernier combat fut si terrible
que de tous les Anglais, sauf 400 réservés contre la bataille du roi,
chacun presque fut blessé ou exténué. Beaucoup furent hors d'état
de continuer la lutte, d'autres n'eurent plus de flèches. Ceci est
bien compréhensible. Les Anglais ne comptaient plus que 2.000
archers ; chacun d'eux était trop mis à contribution et devait tirer
trop souvent. Ils étaient donc contraints de retirer leurs flèches des
j^laies de leurs ennemis^, car ils avaient encore devant eux la plus
grande, la dernière bataille, celle du roi. D'autres chroniqueurs
anglais racontent aussi qu'au combat avec la bataille mentionnée les
archers n'eurent plus de flèches et qu'ils durent se servir de
pierres et d'autres armes '. Après une lutte acharnée, il est vrai,
la bataille du duc de Normandie céda et prit la fuite -^
A l'arrivée de la dernière bataille, le courage des Anglais baissa
sensiblement, non seulement à cause des forces numériques de
1. Chron., p. 150": « lanccas atquc mucrones, suis contritis intcgriorcs, a dcviclis
rapuerunt, et architcnenscs extraere sagitlas a niiscrrimis semivivis lestinarunt ». Du
reste, la Chi^on. des quab'e premiers Vnlois, p. 35, parle aussi de cette j;rande lutte
avec la bataille du duc de Normandie.
2. Kmgutox, p. 89; Chron. Angliae, p. 35.
3. Bakeu dit p. 119 : « Post stragem maj;nam suoruni taleni sapicntcs inierunt cau-
telam, qualcm non fugam set pulcrani retraccioneni in\incibiles ore Galli sunt assucti
vocitarc ». Une lettre du comte d'Armagnac du 1" octobre 1356 montre que le roi
avait ordonne au duc de Normandie, au comte de Poitiers et au duc d'Orléans de se
sauver. Ménard, Hist. de Nimes, Preuves, n° 102.
ITINÉHAIIŒ DU PRINCE. BATAILLE DE POITIERS, l3.')6 131
Tennemi, mais aussi 23arce que leur condition avait empiré. Leurs
rang-s étaient éclaircis; leur force principale, les archers, n'avaient
plus que les flèches retirées des blessés. Mais de son coup d'œil
d'aigle le général anglais embrassa la situation ; une manœuvre
adroite, adaptée aux circonstances, décida de la victoire. Le prince
quitte la colHne et s'avance vers la bataille pendant que le captai de
Buch réussit à contourner l'ennemi avec GO hommes d'armes et 100
archers. L'ennemi fut donc attaqué par devant et dans le dos. Le
combat corps à corps fut épouvantable ; lorsque les archers
eurent derechef vidé leurs carquois, ils ne luttèrent plus qu'avec
des boucliers et des sabres i. Le roi et son fils Philippe, âgé de
douze ans, furent pris dans le désordre, les Français se retirèrent
et s'enfuirent jusqu'à Poitiers, poursuivis par les Anglais.
Les chroniqueurs français, en parlant de ce désastre, diminuent
généralement du tiers ou du quart le nombre de leurs morts. Ils
disent que »^)00 à 800 hommes d'armes seulement, chevaliers et
écujers, la fleur de la chevalerie décomptée, seraient restés sur le
champ de bataille-. Naturellement, ils devaient accepter avec cré-
dulité cette version du petit nombre des morts , après avoir admis
les fables de la fuite de plusieurs « batailles ». Mais les Anglais
connaissaient la vérité, et ce sont heureusement les sources
anglaises qui nous renseignent là-dessus. Le champ de bataille
leur appartenait et Baker dit expressément que les morts et les pri-
sonniers furent comptés le lendemain ^. Le prince lui-même joignit à
sa lettre une liste des 23risonniers et des morts les plus illustres.
Après avoir nommé les prisonniers, il ajoute : « Et sont pris outre
les noms dessus escriftz des gentz d'armes mix^xxxiii. Gaudete in
Domino semper ». Au bout de la liste des morts, nous lisons ces
mots : « Et outre le noms surnometz sont mortz des genz d'armes
MMCcccxxvi. Iterum dico gaudete^.» En dehors des 2426 hommes
1. Bakkii, p. 150, 151 suiv.
2. Ainsi Froissait, p. xv, et p. 60. 285. La Chronogr. : « non cnini niortii sunt plus
quani octinj;enli ». La ('Jiron. noî'ui., p. 262, ajoute au moins : « honniies d'armes ».
Le continuateur de Lkscot, p. 105 : octinjjccnti alii l'amosi pugnatores.
3. Chron., p. 15i suiv.
A. Archneol. Bî'ilnnn., I, n" li ; Chronicle of [.nnilon, p. 207 suiv. Voir une liste de
prisonniers nobles dans la Chronique Romane, p. 251 suiv.
132 LA GUERRE DE CENT ANS
d'armes, Tévêque de Ghâlons^, le duc Pierre de Bourbon, le duc
d'Athènes, connétable de France et 16 barons et nobles - restèrent
sur le champ de bataille. Quant aux simples soldats, le nombre de
leurs morts s'élève même, au dire de Froissart, à beaucoup de mil-
liers •^, ce qui est confirmé par les chroniqueurs anglais ^. Parmi les
prisonniers énumérés dans la lettre du prince, il y avait, outre les
1.933, le roi Jean et son fils Philippe, Guillaume de Melun, arche-
vêque de Sens, 13 comtes, 5 vicomtes et 21 barons. Et combien
furent blessés et mis hors de combat ? On n'en parle pas ; nous
savons cependant que les Anglais en eurent une grande quantité^.
Ce même fait se produisit du côté des Français, et, naturellement,
dans une proportion beaucoup plus grande.
Il ne faut pas chercher la cause du désastre dans la lâcheté de la
noblesse *^, quoique la ténacité avec laquelle elle s'attacha à ses
anciennes traditions et habitudes y ait contribué en grande partie '^,
mais à Poitiers, il y eut un concours de circonstances exception-
nelles. Tout d'abord la manière insensée de livrer la bataille, le
manque absolu de stratégie et de tactique. Les Français ne son-
gèrent pas, par exemple, à occuj^er durant la nuit la colline où
s'établit le prince dès le lendemain. Ceux qui étaient à la tête de
l'armée française ne reconnurent pas, pour la plupart, leur imjDuis-
sance en face de la forte position des Anglais. Leurs meilleurs
généraux étaient aux premiers rangs et croyaient jDouvoir, au
moyen de la cavalerie, pénétrer dans les retranchements de leurs
adversaires. Ils furent donc les premiers exposés ; deux d'entre eux
succombèrent , le troisième fut fait prisonnier. A la tête de la
1. Suivant Chron. des quatre premiers Valois, p. 57, il fut tue en fuyant, mais les
Anglais le trouvèrent sur le champ de bataille.
2. A'oy. la lettre du prince, et Avksuvhy, p. 178; Kmghton, p. 90 suiv.
3. Froissaut, p. 285. Les manuscrits de la Clironique donnent des variantes entre
5.000 et 11.000.
i. Eulogium, p. 225 : « Pedites mortui non numerantur ». Higdkn, Polychron., éd.
LiMuv, VIII, p. 357 : « vulgus quasi innumerabilc ». Ainsi Contin. de Miirimuih, éd.
HoG, p. 187; Chron. Angline, p. 36.
5. Voy. Bakku, p. 150, 153.
6. Cette accusation fut déjà réfutée par S. Luce dans son GiiescUn, chap. VI, qui
traite de la supériorité militaire de l'Angleterre au xiv« siècle, comme plus tard, mais
indépendamment de lui, a fait Kohler, 1. c, p. 356 suiv., 371 suiv.
7. Voy. ci-dessus, p. 127.
ITINÉRAIRE DU PRINCE. BATAILLE DE POITIERS, 13o6 133
première bataille se trouvait un prince âgé de dix-neuf ans^,
qui n'avait guère vu de combat jusqu'à ce jour. La deuxième bataille
était de même commandée par un prince de vingt ans, Philippe, duc
d'Orléans, novice lui aussi dans l'art de la guerre et qui prit la fuite.
Le roi en personne commandait la troisième bataille ; mais il n'avait
aucune des qualités qui font les grands généraux. Il est toujours
regrettable que chaque prince du sang se croie né commandant,
chaque roi ou empereur, généralissime. Que de batailles ont été
perdues par cette illusion déplorable ! Chez les Français, il n'était
question ni de calculs combinés d'avance, ni de prise en considéra-
tion des conjonctures, tandis que les Anglais profitaient de chaque
circonstance favorable ; de là, leurs divers mouvements pendant la
bataille. Par exemple, voyant que les flèches des archers étaient
impuissantes contre le poitrail cuirassé des destriers de la cohorte
des maréchaux, le comte d'Oxford descendit de la colline et ordonna
aux archers de tirer de côté sur les croupes des chevaux, ce qui causa
un grand désordre dans ledit corps -. Nous avons vu comment
les Anglais, en changeant de tactique, restèrent vainqueurs de la
bataille du roi. D'autre part, les Français ne possédaient aucune
arme qui put rivaliser avec les redoutables archers anglais qui, pro-
tégés en même temps par les cavaliers démontés et par les fantas-
sins, avaient surtout l'avantage d'occuper des emplacements très
abrités. A Crécy, les Français avaient du moins des arbalétriers
génois, tout mauvais qu'ils fussent; mais à Poitiers, paraît-il, les
arbalétriers n'étaient pas mis en action. Et pour mettre le comble à
ces désavantages, les Français se trouvaient en face d'un ennemi qui
ne comptait la vie absolument pour rien 3, et pour qui la fuite était
une honte. A Mauron, Walterde Bentley fit décapiter trente archers
qui, effrayés par le grand nombre des ennemis, avaient essayé de
fuir ^.
Dès le lendemain de la bataille, le prince se mit en marche pour
la Guienne. S'il s'était rendu incontinent à Paris et dans les
1. Ses deux frères cL compagnons d'armes, les comtes d'Anjon et de Poitiers,
étaient plus jeunes encore, un était àyc de dix-sept, l'autre de seize ans.
2. Baiveh, p. 1-48.
3. Ibid., p. 150 : « Vitam quasi nichil appréciantes, solum cogitabant ne moreren-
tur soli vel inulti ».
4. Ibid., p. 120.
134 LA GUERRE DE CENT APsIs
autres villes avec ses troupes, c'eût été certainement, nous dit un
chroniqueur français, le dernier jour de la France i. Mais les vain-
queurs n'y songeaient point. Ils se sentaient eux-mêmes si épuisés
et si meurtris qu'ils n'auraient pas eu la force de porter le coup
mortel. D'ailleurs ils n'en avaient que faire. Combien de provinces,
quelles grosses sommes d'argent l'Angleterre ne pourrait-elle pas
exiger en échange de la mise en liberté du roi et de son fils, sans
parler des fortes rançons qu'on demanderait pour les autres prison-
niers-? Le prince avec le roi captif, qu'il traitait honorablement ^^
prit paisiblement et à petites journées le chemin de Libourne par
La Roche, Ruffec, La Rochefoucauld et Bors, suivi des autres
prisonniers et d'un immense et magnifique butin. Le dimanche
2 octobre, il arriva à Libourne où il passa plusieurs jours pendant
qu'on préparait à Bordeaux des logements pour lui et le roi de
France ^.
1. Chronocfr., p. 263.
2. Les prisonniers devinrent l'objet d'un marche en règle, d'un véritable trafic.
Chaque prisonnier était la propriété de l'Anglais ou du Gascon qui l'avait pris. Après
quoi, le prince rachetait les prisonniers de leurs propriétaires (Baker, p. 155 ; voy.
Froissart, p. xvii). Des querelles s'élevèrent maintes fois au sujet du légitime pos-
sesseur. Notamment le chevalier artésien, Denis de Morbecque, et l'écuyer gascon,
Bernard de Truttes « du Troy » disputèrent longtemps l'un à l'autre la prise du roi.
Non seulement le procès intenté par Bernard de Truttes durait encore le 13 janvier
1360, comme écrit S. Luce dans Froissart, l.c, not. 3 ; mais un an et demi plus tard,
le 1" juillet 1361, Bernard continuait à i^evendiquer son droit [Chvonicle of London,
p. 209 et suiv.). Il va sans dire que le prince avait à payer de fortes sommes aux pro-
priétaires. Mais elles étaient minimes, comparées aux rançons exorbitantes que le
prince ovi le roi extorquaient de ses prisonniers.
3. Depuis Froissart, p. 63, 287, Villam, p. 418, on a souvent répété que le soir de
la bataille, le prince servit lui-même le roi captif à table, et refusa de s'asseoir à
côté de lui, alléguant qu'il n'était pas digne d'un si grand honneur. C'est un roman.
Baker raconte, p. 154, que le même soir, à souper, le prince était nssis près du
roi. Il se leva au moment où lord Audley, mortellement blessé, fut porté dans la
tente ; le prince se mit à le caresser, lui disant tout bas que le roi était son prison •
nier. Puis il reprit sa place auprès du roi, lui faisant ses excuses de s'être levé de
table et de l'avoir quitté. Froissart n'est pas véridique non plus dans son récit de
cette rencontre du prince avec Audley.
4. Voy. l'Itinéraire dans VEulogium, p. 225 suiv. Le séjour du roi, à LiboOrne, est
encore mentionné par la Petite Chronique de Guyenne, p. 60. Froissart, p. xvii, dit
à tort que les Anglais passèrent la Gironde à Blaye.
CHAPITRE III
LES SUITES DU DÉSASTRE. LA FRANCE ENTIÈRE ENVAHIE PAR LES ENNEMIS
Nous voici en face de l'époque la plus funeste des annales fran-
çaises. L'époque de Jeanne d'Arc a été beaucoup moins désastreuse,
quoiqu'elle eût pu le devenir tout autant, si Jeanne d'Arc n'eût
pas empêché les Ang-lais de traverser la Loire. D'ailleurs les deux
époques se ressemblent beaucoup soit par rapport aux faits et au
résultat définitif, soit par rapport aux personnages principaux.
Environ quatre ou cinq ans après la bataille de Poitiers,
Pétrarque écrit : « Dans ma jeunesse, les Bretons, que l'on appelle
Angles ou Anglais, passaient pour les plus timides des barbares ;
maintenant c'est une nation très belliqueuse. Elle a renversé l'an-
tique gloire militaire des Français par des victoires si nombreuses
et si inespérées que ceux qui, naguère, étaient inférieurs aux misé-
rables Ecossais, outre la catastrophe lamentable et imméritée d'un
grand roi que je ne puis me rappeler sans soupirs, ont tellement
écrasé par le fer et par le feu le royaume tout entier, que moi qui
le traversais dernièrement pour affaires, f avais peine à me persua-
der que c était là le pays que /avais vu autrefois^ ».
Personne n'a su décrire d'une manière plus exacte et plus concise
l'état de la France d'alors, la différence entre le passé et le présent.
Après la bataille de Poitiers, les provinces de France étant aban-
données à elles-mêmes, sans défense, sans chef, ce fut pour ce pays
une époque de dévastation, de déroute, et même, çà et là, d'anarchie
et de révolution. La France entière en fut profondément désolée,
1. Petrarcae episiolae famil. éd. Fracassetti, III, ep. 14, p. 162. Voy. Luce, Gues-
clin, p. 1 IG. Dans un autre endroit, Pétrarque dit du même temps : « Vix aliquid
omnium recnj-novi, opulentissimum in cineres versuni re^num videns, et nullam
pêne domum stantcm nisi urbium aut arcium moenibus cincta csset ». Rer. senil.
lib. X, ep. 2 {0pp., Basileae, 155 i. p. 868).
136 LA GUERRE DE CENT ANS
même les provinces qui avaient été épargnées. Je ne veux ici
qu'ébaucher l'image de ces tristes temps.
\. Après la bataille. Siège de Bennes. Monastères détruits.
Le dauphin Charles, duc de Normandie, à peine âgé de vingt ans,
rentra tristement à Paris pour prendre les rênes du gouvernement,
tandis que son père était retenu prisonnier. La situation de la
France était des plus déplorables. Le cœur du royaume était ouvert
à l'invasion, Farmée dispersée, les provinces tremblantes, les der-
nières ressources épuisées.
Le duc convoqua les trois Etats, qui s'ouvrirent à Paris le
17 octobre. Il ne m'appartient pas de détailler l'histoire de cette
assemblée, déjà connue d'ailleurs^ Dès le commencement, elle
dirigea ses efforts contre le gouvernement et les fidèles du roi. Au
fond, c'était moins le mouvement démocratique, comme on écrit
souvent, qu'un effort pour détruire l'ancien ordre et renverser la
maison de France en faveur du roi de Navarre'^. Seulement on ne
voulait et on ne pouvait arriver à ce but que peu à peu, le peuple et
la grande majorité étant pour le roi Jean. Les chefs de ce mouve-
ment furent Robert le Coq, évêque de Laon, non moins perfide
que Charles le Mauvais, pour lequel il travaillait, et Etienne Mar-
cel, prévôt des marchands^. Ils savaient si habilement cacher
leur vrai dessein, que la femme même d'Etienne ignorait les
1. Voy. IsAMUERT, Recueil général des anciennes lois franc., t. IV, p. 774 suiv. ;
Grand, chron., VI, p. 3i, 35 suiv.; Secousse, Méni., p. 107 suiv.; Douët-d'Arcq, Acte
d'accusation contre Robert le Coq, évéciue de Laon, dans Bibl. de VEcole des Chartes,
sér. 1", II, p. 350 suiv. S. Lice dans Fkoissart, p, xix, not. 1, On trouve la littéra-
ture moderne citée dans P. Viollet, Les Etats de Paris en février 1358 (189i),p.9, notes.
2. J'établis cette combinaison à Taide des confessions faites par les amis du roi
de Navarre, surtout du chancelier Thomas de Ladit, qui furent arrêtes les pre-
miers jours du mois d'août 1358. Le dauphin les rapporte dans sa lettre, qu'il adressa
le 31 août à Amédée, comte de Savoie, son beau-frère. Voy. la lettre éd. par Ker-
VYN DE Lettenhove daus Fkoissart, XI, p. 473 suiv. ; Combes, dans les Mémoires lus
à la Sorhonne, 1869, p. 236 suiv. Ces confessions nous révèlent les vrais desseins de
Charles le Mauvais et de ses amis depuis le meurtre du connétable en 1354, et on
avait tortd'en tirerparti seulement pour la lin de la révolte le 31 juillet 1358. Voy. ci-
dessous, paragraphe 3.
3. Sur la généalogie d'Etienne Marcel, voy. Léon Le Grand, La veuve d'Etienne
Marcel, dans Bulletin de la soc. de l'hlst. de Paris, 1897, p. 140 suiv., surtout p. 143,
note. Sur Les enfants d'Etienne Marcel, voy. ibid., E. Déprez, p. 83 suiv. Si je ne
cite pas Perrens, Etienne Marcel, etc. (1860; le volume dans la Collection de
LES TROIS ÉTATS A PARIS. SIÈGE DE RENNES, 13o6, 1357 137
« traïsons et rebellions faictez et perpétrez par le dit feu Estienne
contre la couronne de France, monseig-neur (le roi Jean) et nous
(le dauphin), » comme elle le déclarait au mois de novembre 1358 ^.
Déjà, en octobre et novembre 1356, ils exigèrent Texpulsion d'un
certain nombre d'officiers du conseil du roi, l'établissement d'un
nouveau conseil entièrement pris au sein même des Etats, et la
délivrance du roi de Navarre. C'était la désapprobation de tout ce
qui s'était fait jusqu'alors. Le désastre de Poitiers fut attribué aux
officiers du conseil. Le plus exécré de tous était Pierre de la Forêt,
archevêque de Rouen, chancelier de France. Le duc Charles fut
mis en demeure d'écrire au pape pour lui demander d'inffiger à l'ac-
cusé une punition conforme à ses délits-. Charles écrivit en effet à
Innocent VI, mais en prenant le parti de l'archevêque; le pape,
sous ce rapport, saisit parfaitement la situation, ainsi que le prouve
sa réponse du 9 novembre ^.
Les rapports entre les trois Etats et le dauphin devinrent de
plus en plus tendus. La publication de l'ordonnance sur les mon-
naies, vers la fin de 1356, donna une nouvelle prise au mécon-
tentement et à l'opposition. Les Parisiens refusèrent de laisser cou-
Vhist. géiièj\ile de Paris, 1874, est, sauf quelques corrections, une i*éimpression), on
en trouve la raison clans la critique terrible, mais vraie et tout à fait méritée, qu'a
faite S. Luge dans Bibliolh. de l'École des chartes, t. XXI, p. 241 à 282.
1. Bulletin de la soc. de l'hisl. de Paris, 1897, p. 90.
2. Grand, chron. , p. 3G suiv.
3. Recf. Vat., n° 238, fol. 231'" (n" 244 F, ep. 394) : « Per litteras tuas quas paterna
benignitate recepimus, intimasti nobis quod nuntii prelatorum, baronum et communi-
tatum regni Francorum ad mandatum tuum coram te noviter congregati inter alia,
que a te petierant, postularunt ut omnes consiliarios... Johannis régis Francorum
illustris patris tui et specialiter... Petrum archiepiscopum Rothomagen. cancellarium
dicti régis a te abiceres et etiam removeres, et subinferens quod adversus eundem
cancellarium hec exfomiteodii et rancore quorumdam, qui confusionem et dampnum
ejus libenter quererent, petebantur, ac asserens quod ipse tam eidcm patri tuo quam
tibi fuerat bcne et dévote et fideliter obsecutus, humilitcr petiisti ut detractoribus
ipsius cancellarii si qui essent fidem nuUatenus adhibentes, eum in sinu gratie nostre
susciperemus attentius commendatum, et hec eadem... Arnoldus episcopus Carcasso-
nen... Guillelmus Rolandi miles. Romane curie marescallus, nobis oretenus expres-
serant. Ad quas sub compendio respondentes letamur admodum, quod fîlialis dilec-
tionis afl'ectu queni ad ipsum patrem tuum geris, ad illius etiam servitores et familia-
res extendis et prorogas prout debes... ». A la même date, le pape écrit aussi à
l'archevêque même, en disant à la fm : « quod acceptos et caros régi et duci, sed te
precipue acceptos habemus et caros, nec possenuis illos et te maxime non amare ».
On sait qu'il fut fait cardnial le 23 décembre (on a aussi sur cela plusieurs lettres),
avec le titre XII apostolorum.
138 LA GUERRE DE CENT ANS
rir la monnaie nouvelle i. Le prévôt des marchands, Etienne Mar-
cel, ordonna à chacun des siens de prendre les armes en janvier
1357, et le dauphin fut oblig-é de révoquer son ordonnance. Cepen-
dant on fît accroire au pape qu'une entente s'était produite entre
le dauphin et Etienne Marcel. C'est pourquoi Innocent VI écrivit
tout joveux à ce dernier le 10 février 1357, l'exhortant à l'union
et même à l'indulgence envers le jeune dauphin ; en même temps
il l'engagea, lui et les échevins à ne pas insister sur les peines à
infliger à certains officiers en discrédit auprès d'eux-. La séance du
l.Voy, CJiron. de Richard Lescot, p. 107; Chronogr., p. 263.
2. Reg. Vat., n° 239, fol. 23 : <( Dil. filio preposito mercatorum et scabinis civitatis
Parisien, salutem. etc. Pertulit ad nos fama celerior et multorum habet inculcata relatio
quod dil. fdio nobili viro Garolo primogenito... Johannis régis Francorum illustris,
duce Norniannie vobiscum de dispositione regni Francorum, quod peccatis exigentibus
diebus hiis procellis multis illiditur, habente consiliuni, etillo ac vobis non sapientibus
idem concorditer circa illam, inter vos alterutrum dissensionis materiam pacis emulus
conatus est suscitare, et quod idem dux ac vos dolos ejusdem pacis hostis circa id
cognoscentes, dissensionem hujusmodi in ipso ortus ejus principio laudando studio
prefocastis; ne si. quod absit, vires susciperet, ipse pacis emulus nocendi causam
facilius inveniret. Ilec profecto, fîlii, causam nobis turbationis simul et gaudii pepere-
runt, et quantum audita dissensio mentem nostrani fortius et vehemenlius conturba\it,
tanto nuntiata concordia cor nostrum rcspcrsit ampliori dulcedine potioriquc jocun-
ditate replevit... Sed inter hec nobis zelum fidei vcstre ac devotionis fervorem
paternaconsideratione pensantibus occurrit, lilii, quantis subjecta periculis quantis-
que malis onusta foret quecumque ducis ejusdem vcstraquc discordia, modica et levis
quantumlibet, quantaque discrimina parturiret. Solus enim rumor illius, si, quod
absit, contingeret, diligentibus regem regnumque predictos dolorem ingereret, eorum
vires minueret..., ac contra odientibus letitiam pareret, augeret gaudium, nutriret
audaciam, securitatemque prestaret... Universitatem vestram monemus, requirimus
et lîortamur in Domino illam altentius deprecantes vobisque sanis consiliis et sinceris
afl'ectibus suadentes, quatenus ])rovide attendcntes quod hujusmodi régis et regni
predictorum status et condiciones temporis exigunt, ut quecumque pro liberationc
régis et conservatione regni predictorum agenda fuerint, caucius disponantur, et con-
sidérantes etiam quod dux idem, utpote juvenis et paterne captivitatis compassione
anxius filiali, est interdum, etiam si juveniliter ageret, tolerandus. omncm viam
omnemque aditum quos ad quamcumque discordiam pacis emulus inveniret, pruden-
tie vestre studio precludatis, idem cum eo ipseque vobiscum concorditer sapiatis
ac ipsum salutaribus dirigatis consiliis et eflicacibus auxiliis foveatis. Cum enim
inter communitates alias dicti regni preminentiam teneatis, et ob hoc in vos oculi
earum respiciunt, ad elîicacem assistentiam impendendam et salutaria consilia danda
prefato duci quodam obligamini debito specialiter... Ceterum quia sicut audivimus
quosdam ex ofïicialibus dicti régis exacti temporis regimen vobis constituit odiosos,
et successus adverses imputantes eisdem, pro eorum punitione instanter instatis, nos
que ex hiis nasci possent pericula cogitantes et proinde illa credentes sani esse
consilii, si in tempus aliud difîerantur, precibus vestris adicimus ut ab hiis velilis
prout utilitati régis et regni predictorum expedire videritis istis temporibus absti-
nere. Dat. Avinione iiij id. Februarii an. quinto ».
LES TROIS ÉTATS A PAIUS. SlÈ(iE DE HENNES, 1356, i 3r)7 139
3 mars fut la réponse. En présence du dauphin et de ses frères,
les comtes d'Anjou et de Poitiers, l'évéque , Robert le Coq, qui
dirigea les Etats, comme il dirig-era bientôt le dauphin, prononça
un discours dans lequel il rejeta tous les maux du royaume sur
certains ofïiciers du roi ; il en nomma vingt-deux et exigea qu'ils
fussent privés de leurs emplois'. Il demanda, en outre, la suppres-
sion de tous les officiers du royaume, la création de réformateurs
généraux nommés par les l^^tats à qui il aj^partiendrait désormais
de déclarer la guerre et de régler les finances. Etienne Marcel et
les siens appuyèrent naturellement ces demandes. On offrit au dau-
phin 30.000 hommes qui seraient soldés par les Etats-.
Le duc céda sur tous les points ^ et les Etats poursuivirent sans
relâche l'exécution de leurs plans, comme le prouve la séance du
10 mars^. Et quand, le 5 avril, la nouvelle des trêves conclues à
Bordeaux fut apportée à Paris en même temps que les lettres du roi,
lesquelles défendaient aux Etats de se réunir comme ils l'avaient
décrété, et interdisaient la levée de l'aide votée par eux, les Etats
passèrent outre et maintinrent tout ce qu'ils avaient décidé,
comme démontre la session du 30 avril ^. Le roi, prisonnier des
Anglais, ne fut plus écouté; son lieutenant ou, comme on dira bien-
tôt, le régent, était dépouillé de toute autorité ; on voulait intenter
un procès à tous les officiers à qui le roi avait donné sa confiance.
On comprend facilement pourquoi le dauphin, vers la mi-août,
quitta Paris pour aller parcourir les villes de son duché de Nor-
mandie, demandant de l'argent aux nobles et au clergé^. L'accueil
qu'il en reçut déconcerta les principaux meneurs, surtout l'évéque,
Robert le Coq, qui retourna à Laon. Marcel et ses partisans,
craignant que leur plan ne fût déjoué, tirent au dauphin les plus
1. Sur cela on peut lire Tordonnance de Charles du 28 mai 1339 dans Ordonn. dea
rois, III, p. 345,
2. Grand, chron., VI, p, 52 suiv.; Chj'on. de Lescot, 1. c.
3. Voy. l'ordonnance du dauphin écrite avant le 3 mars 1357, que contient 01 articles,
dans Ordonn. des rois, III, p. 124, Cf. Texposé dans Secousse, Mém.. p. 129 suiv.
Ensuite parurent d'autres ordonnances qui se rapportent également à l'exécution des
demandes de rassemblée. Ordonn., IV, p, 181, 1S3,
4, Grnnd. chron., p. 55.
5, Sur cette session des États, voy^ Coville, dans le Moyen Age i6" année 1893),
p, 60 suiv,
6, Voy. Coville, Les États de Norninndie, p. 85 suiv.
140 LA GUERRE DE CENT ANS
belles promesses pour l'engager à revenir. Il lit en effet son entrée
à Paris vers le commencement d'octobre. Sur la demande d'Etienne
Marcel et des siens, il rappela Robert le Coq, et convoqua les États
pour le 7 novembre K Le lendemain, par la délivrance du roi de
Navarre, le coup le plus funeste fut porté à l'autorité du dauphin
et du roi Jean. C'était le signal pour aller de Tavant plus hardi-
ment encore. J'en parlerai dans le troisième paragraphe.
Après le désastre, si d'un côté il s'était formé un ennemi puis-
sant à Paris, de l'autre, Innocent VI, quoique souvent trop cré-
dule, comme nous l'avons' vu et le A^errons plus tard, se montra
l'ami sincère, et après la bataille de Poitiers, pour ainsi dire, Tunique
ami de la France. A peine la triste nouvelle lui fut-elle parve-
nue, qu'il se mita écrire, le 16 octobre 1356, des lettres de condo-
léances au sujet des malheurs et de l'emprisonnement du roi, à
son épouse Jeanne, à ses fds Charles, duc de Normandie, Jean,
comte de Poitiers, Louis, comte d'Anjou-; à Philippe, duc d'Or-
léans; à Jeanne, reine de France et de Navarre, et à Blanche,
veuve de Philippe VI ; en date du 3 octobre, à Isabelle de Valois,
veuve de Pierre de Bourbon, tué dans la bataille, et au cardinal,
Elie de Talleyrand, cardinal de Périgord, qui avait perdu Robert de
Duras, son neveu 3. Mais il ne se borna point à de pures condo-
léances. D'abord, dans sa lettre adressée à Charles, il l'instruisit sur
la manière dont il devait gouverner le royaume durant la captivité
de son père. Après avoir exprimé, le 1^^" [octobre, aux cardinaux
Talleyrand et Nicolas Gapocci toute sa consternation sur l'issue
fatale du combat'', il adresse, le 3 octobre, une lettre au prince
Edouard, l'exhortant à pas s'enorgueillir et à user de clémence
envers les vaincus "^ ; le 6 octobre, il le félicite et le loue de traiter
honorablement le roi Jean, ce qu'il avait appris du cardinal Tal-
leyrand 6. Le 3 et le 7 octobre, tout affligé encore par le désastre,
il écrivit à l'empereur Romain, Charles IV, le priant de vouloir
1. Grand, chron.^ p. 60 à 62; Secousse, Mém., p. 142 ; Douet-d'Arcq, p. 356.
2. Reg. Vat. Innoc. VI, n° 238, fol. 209, 209'' (cf. Raynald, Ann., 1356, n" 204) ;
210-211. Le ms. dit à tort: Philippo comiti Pictavcnsi, Johanni comiti Andegavensi.
3. Recj., 1. c, fol. 21]'', 212.
4. Ihid., fol. 200.
5. Ibid.^ fol. 201; Raynald, 1. c, n" 8; Delpit, Collection des documents, etc.,
n° 171.
6. Ibid., fol, 201''; n° 244 F, fol. 365 ; Raynald, n" 9.
LES TROIS ÉTATS A PARIS. SIÈGE DE RENNES, 13o6, 13;)7 141
bien se faire médiateur entre l'Angleterre et la France. Dans
cette intention, il lui envoya Androïn de la Roche, abbé de
Cluny ^ Tous les etForts qu'Innocent VI avait déjà tentés pour
obtenir la paix avant la bataille furent réitérés avec une nou-
velle ardeur. A cet effet, le pape s'adressa le 19 octobre d'abord
au roi captif, puis au prince Edouard, qu'il espérait trouver mieux
disposé à la paix en ce moment, enfin, au cardinal Talleyrand -;
celui-ci se trouvait alors à Bordeaux par ordre du pape, en com-
pag-nie du cardinal Nicolas Gapocci, comme il en sera fait mention
au prochain paragraphe.
Innocent VI fut aussi le premier à intercéder pour la délivrance du
roi Jean, même avant qu'une rançon eût été discutée. Il écrivit à ce
sujet plusieurs lettres; ce fut, le 12 décembre 1356, au cardinal Tal-
leyrand et à Fabbé de Cluny, qui se rendirent à Metz chez l'empereur
Charles en qualité de nonces du pape •% puis au dauphin Charles qui
y alla pareillement ^, et enfin à l'empereur lui-même '^pour que celui-
ci déterminât le dauphin à mettre tout en œuvre pour la délivrance
de son père. Le voyage du jeune prince à la cour de l'empereur'^,
1. Reg., n" 238, fol. 202'' (Rayxai.d, n" 10), 202; 203'', du 8 oclobre, la lettre à
Androin, et puis suivent d'autres. Ce n'est pas seulement en 1359 qu'il fut choisi pour
ménager la paix, comme dit Lohai.x, Essai hist. sur Vabhnye de (Jluny, p. 249,
2. Ibid., fol. 223'', 224. Poème du héraut Chandos, éd. Michi-l, p. 338, avec la
fausse date clu xiij kl. Nov.
3. Ibid., fol. 241, 241''.
4. Ibid., fol. 240'' : « Quam([uam, tîli, ad delibei"alionem... Johannis régis Franco-
rum illustris palris tui ex nature debito et plenitudinc caritatis illam te voluntatem
ferventer habere illamque airectionem vehementcr gererc credamus fîrmiter, ut nullis
te i)ropterea indigerc jirccibus indubie tencanuis, quia tanien ex })alerne caritatis
instinctu nos ipsius régis casus indesinenter angiistiat... nobilitateni tuam quo IVe-
quentius eo instantius monemus.... » Le dauphin est parti le 5 décendDrc de Paris
{Grand, chroii., p. 46), et il est arrivé à Metz le 22 décembre avec 2.000 chevaux
(voy, HuGUEMN, Chroniques de la ville de Metz, 1838, p. 98.), et Talleyrand le
21 décembre avec 400 chevaux {ibid.)
5. lleff. Vat., n" 238. fol. 240''. Ces pièces sont aussi notées i)ar '^^'^ERl'^•SKV, Excerpfa
ex lleffisiris démentis VI et Innocenta VI, n°' 400 à 103.
6. Le 28 décembre, l'empereur Charles ratifia l'alliance offensive et défensive con-
clue en 1347 avec le roi de France, alors duc de Normandie, et ses quatre fils. A"oy.
WiNKELMAXx, Acta im])erii inedita, II, n" 832, d'après l'original conser\ é aux Arch.
nat., J 386, n" 4. Dans la chancellerie de Charles IV, on conunençait l'an et lindiction
avec le 25 décembre, et c'est pour cela que le docvuiient porte l'an 1357 et lindiction
10. L'acte est donc du 28 décembre 1356, non de 1357, comme écrit S. Luce, GuescUn,
p. 524, n" 10. La même remarque concerne U. Cuevalieh, Choix de documents hist.
sur le Dauphiné, n" 51-53, à propos de quelques chartes données les 26 et 31 dé-
142 LA GUERRE DE CENT AiN'S
qui intervint pour ménag^er un traité de paix entre Edouard et le
roi Jean ^, et les instances du pape auprès du dauphin ne demeu-
rèrent pas sans quelque résultat^.
Il est vrai que le pape intercéda aussi pour la délivrance de
Charles le Mauvais. Déjà le l^^* septembre, il écrivait à son frère
Louis, qui alors gouvernait le royaume de Navarre au nom de
Charles, qu'il ne désespérait pas de fléchir le cœur du roi Jean, malgré
la dureté que celui-ci avait montrée jusqu'alors. Louis et son parti
devaient donc tâcher d'éviter tout ce qui pourrait irriter davantage
encore le roi contre eux ^. Après la fatale journée de Poitiers, le
pape, en prévision d'un traité de paix à conclure entre la France et
l'Angleterre, donna verbalement ordre au cardinal Talleyrand d'y
intercaler une clause en faveur de Charles le Mauvais, et le
29 octobre, il en chargea formellement le cardinal '^. Le 28 no-
vembre, il lui écrivit encore à ce sujet, ainsi qu'à Charles, duc de
Normandie. La prudence et le bien public, disait le pape, exigeaient
la délivrance du roi de Navarre ^.
ccmbre. — Le 28 décemlire les Français partirent; le lendemain, le cardinal de Péri-
gord (IIuGUEXix, p. 99). Le duc arrivait à Paris le li janvier. Grand. Chron., p. 48.
1. Voy. Lemoink, dans la Chrnn. de Richnrd Lescot, p. 107, not. 1.
2. Gela est prouvé par un niandenient du dauphin du 2G janvier j 357, publié par
Lkaioixe 1. c, p. 240, n" 13. Le cmiite de A^entadour reçoit J. 000 deniers d'or pour
les frais de voyaj^es à Avignon et à Bordeaux louchant la délivrance du roi.
3. Reff. Vat., n° 238, fol. 168. Le pape écrivait dans les mêmes termes au conseil du
roi de Navarre, aux nobles, au clergé et au peuple de Navarre. Rayxalo, 1356, n" 7.
4. Ibid., fol. 227'' : <( Tibi an(e({uam discessisses a nobis, dedimus vive vocis ora-
culo in mandatis, ac dcinde inculcalis sepe litteris id idem injunximus, ut in casu quo
Dco propitio conl ingère l (e super négocie pacis tue promotioni commisso aliquem
utiliter subire traclalum, carissimi in Christo filii nostri Caroli régis Na\arre illustris,
ut vidclicet in ])ace includerelur hujusmodi, menior esses, ila quod nulla qualis-
cunque scintilla remanerct erroris, que inimico exsulïïante homine in flanniiam, quod
absit, excrescens prioris et presentis dissidii amai'a dispendia instauraret ».
5. Ihid.^ fol. 238'' : <( Quanupiam, rdi,caritas ([uam ad carissimum in Chrislo lîliiun
regem Navarre illustrem gerimus, ad libcrationem cjus nos fcrvcnler excitet et
vehementer inducat, specialiter tamen et maxime illam appctimus considerationc
utilitatis publiée, ({uam ex ea non solum domui tue régie sed universaliter toli regno
Francorum, non tam verisimiliter, quam probabiliter speramus et credimus auctorc
Domino nasciluram. Pro hujusmodi ergo liberatione apud te, quem illa[m] alTectu fra-
lerno zelare confidimus, sub spei plenitudine adeuntes nobilitatem tuam attente roga-
mus, quatenus prudcnter considerans condicicmes temporis immincntis et noslram
circa libcrationem hujusmodi paternam et sinccram intuens voluntatcm, in ca utili-
tatem publicam et incentivum dilectionis tue ac nostram afl'ectioneni etiam oportunis
favoribus prosequaris »... Dat. Avinionc iiij kl. Dccembris anno quarto ».
LES TROIS ÉTATS A PARIS. isliUAÙ DE RENNES, 13o6, 1357 143
Il est certain qu'en cette matière le pape se trompait gravement.
Évidemment le roi Jean avait mal agi en faisant mettre la main
sur Charles le Mauvais de la manière racontée plus haut ' ; néan-
moins, dès lors qu'il était captif, c'était augmenter infiniment le
mal que de le délivrer. Car, en supposant qu'il n'eût pas été
(comme cela n'est que trop vrai) ennemi du roi avant sa captivité,
c'est après sa délivrance, nous le verrons dans le troisième para-
graphe, qu'il devint le plus mortel ennemi de la maison de France
et la cause de toutes sortes de calamités.
L'entreprise d'Innocent VI en faveur du roi de Navarre nous
montre que le pape n'a pas plus pénétré son caractère perfide
après sa captivité qu'il ne l'avait fait avant, mais qu'il est au
contraire devenu plus faible à son endroit-.
Dans le Cotentin, Philippe de Navarre et Godefroy d'ilarcourt
étaient les maîtres absolus et ils n'y restaient pas oisifs; dès lors,
leurs bandes avaient envahi les diocèses de Coutances, Avranches,
Baveux, Lisieux, Séez, Kvreux, Rouen, Chartres et Le Mans ^, sans
rencontrer personne qui osât leur résister. Quelques-uns de ces
diocèses étaient entièrement dévastés , d'autres du moins grave-
ment endommagés ^. Leur état empira après la bataille de Poitiers.
Philippe de Navarre écrivit aux principaux personnages des lettres
aimables en faveur de son frère Charles le Mauvais -^ et je ne doute
pas qu'il n'ait aussi écrit à Innocent VI qui, sans avoir connu la
situation, fit des démarches j^our délivrer le prisonnier. Sur ces
entrefaites, le 30 octobre, le roi d'Angleterre nomma Philippe de
Navarre, lieutenant et capitaine du duché de Normandie •'.
Contre les Navarrais et surtout contre Godefroy d'ilarcourt,
1. Voy. ci-dessus, p. lOSsuiv.
2. Le 28 novembre, Innocent VI écrit au cardinal TuUcyrand : « Perpendisti plcnc
in ncj;ociis car. in Christo filii nostri Garoli régis Navarre illustris nostrani vcrbo et
liltcris volunlatem, que cum incrcniento temp(UMs suadentc carilatc quani ad eundem
rej;eni {i,erinuis et nccessariis eciam exposcenlibus causis, crevit et crcscit ». Ihid.,
fol. 238''.
3. Je parlerai dans le paragraphe 7 et dans le chapitre V des églises et monastères
dévastés.
i. Ce fait nous est révélé par le procès-verbal des Etats généraux tenus à Paris
le 15 oclobre 1356, dans Jovudan, Isasiiieut, Recueil des anciennes lois franc. ^ IV,
p. 785, ^^>y. encore Vu.lam dans Muratori, t. XIV, p. 435,
5. Chron. des quatre premiers Valois, p. 60.
6. UvMEU, III, p. 338.
H4 LA GUERRE DE CENT ANS
Charles, duc de Normandie, envova Amauri de Meulon avec un
corps d'armée et, après un premier échec, Robert de Clermont. Les
Navarrais furent battus près de Gués de Saint-Clément, Godefroy
d'Harcourt y fut tué. Ce combat eut lieu au mois de novembre ^
Mais cette mort n'acheva rien, elle ne fut au contraire que le
commencement de la lin. Comme nous Tarons vu, le roi d'Angle-
terre était l'héritier de Godefroy ; il s'empressa donc d'envoyer 400
hommes d'armes pour saisir en son nom la terre de Saint-Sauveur.
En qualité de roi de France, il prit possession de tout le Cotentin
et, le 12 décembre, il nomma gouverneur Pierre Pigache, dont le
pouvoir fut renouvelé le 6 février 1357 '^ Le Cotentin fut alors
effectivement séparé de la France.
En Bretagne, les choses n'allaient pas mieux. Le duc de Lancas-
ter n'ayant pu, comme on Ta vu, parvenir, en septembre 1356, à
opérer sa jonction avec le prince de Galles, mit le siège devant
Rennes, siège qui dura du 2 octobre jusque vers le 5 juillet 1357 3,
c'est-à-dire neuf mois, pendant lesquels la ville eut à subir les hor-
reurs de la famine. Les assiégés résistèrent à toutes les attaques.
Du Guesclin réussit à s'introduire dans la ville assiégée et à la ravi-
tailler^. La délivrance de Rennes fut ménagée moyennant un accord
en vertu duquel la ville assiégée fut soumise à une rançon de
100.000 écus d'or^. Charles de Blois, prisonnier du roi d'Angle-
terre, alors libre sur parole, se tint pendant toute la durée du
siège à la cour du duc de Normandie, et ce ne fut qu'après la levée
du siège qu'il se rendit à Rennes pour remercier le gouA^erneur et
les bourgeois de leur fidélité ^.
Le diocèse de Rennes eut beaucoup à souffrir durant ce siège.
Knighton même dit que le duc de Lancaster avait ravagé tous les alen-
tours. Il y avait déjà plusieurs années que la contrée était peu sûre
de sorte que Pierre de Laval, élu évêque de Rennes, le 15 avril
1. Chron. des quatre Valois, p. 66; Chron. norm.. p. 119 siiiv.; Grand, chron.,
p. Ai. Delisi.e, Ilist. du château et des sires de Saint-Sauveur, etc., p. 90 suiv., 92
suiv. ; Preuves, p. 112; Dltoxt, Hist. du Cotentin. II. p. 355 suiv,
2. Voy. Dii'oNT, 1. c, p. 360 ; Demsle. 1. c, p. 111.
3. Cf. LiîMoiNE dans Chron. de Richard Lescot,p. 112, not. 1.
4. Sur ce siège mémorable, voy. surtout S. Luce, Guesclin, p. 185 à 229. Plaine
La guerre de la succession, p. 40 à 45.
5. Kmghtox, p. 95; S. Luce, 1. c, p. 225 suiv.
6. Ihid., p. 191, 227 suiv.
LES TROIS ÉTATS A PARIS. SIÈGE DE RENNES, 1350, 1 3o7 145
1353, ajourna sa consécration parce que, dans ces temps belliqueux,
il n'eût guère été possible de réunir les évêques voisins sans qu'ils
courussent de g-rands périls. Le 14 mai 1354, il n'était pas encore
consacrée Par suite du siège de Rennes, l'abbaye bénédictine de
Sainte-Mélaine située dans les faubourgs fut presque entièrement
détruite'. L'abbaye voisine, Saint-Sulpice, des Bénédictines, que
nous avons déjà trouvée criblée de dettes, vers l'an 1340, fut en
majeure partie détruite par les guerres et les épidémies, et frus-
trée de ses revenus ^. Saint-Pierre de Rillé, l'abbaye des chanoines
réguliers, eut un sort encore plus déplorable ; l'église, le cloître,
les habitations des religieux furent livrés aux flammes et ruinés
afin que l'ennemi ne pût s'y fortifier, les trésors du couvent vendus,
pour racheter les religieux captifs. Tout ce qui aurait pu servir à
reconstruire les édifices faisait défaut '*. Un autre couvent de cha-
noines réguliers, Saint-Moran de Rennes, fut certainement aussi
dévasté à cette époque; les revenus du prieuré furent confisqués
par les ennemis ^.
1. Suppl. Innocent. VI, n° 25, fol, 115.
2. « Maxime i)ropter obscessionem ininiicorum », Suppl. Urh. V, n° 35, fol. 80*',
ad an. 1363, Mart. 23. Voy. Reg. Vnt. Urh. V, n° 252, fol. 121''.
3. lieg. Vat. Grecjor. XI, n° 284, fol. 267, ad an. 1373, Octob. 5.
4. Suppl. Urh. V, n" 35, fol. 117, ad an. 1363, April.3: « Cum ecclesia, clauslrum et
habitationes nionaslerii beati Pétri Filgcriaruni O. S. Aug., Redonen, dioc. propter
guerras et ne inimici régis et regni Francie illud fortificarent, fuerint per incendiumfere
penitus consumpta et destructa, nec non abbas et conventus monasterii ejusdem vendi-
derunt propter redemptioneni fratrum suoruni per ipsos inimicos captivatorum et
carccril)us vilissimis mancipatoruni cruces. calices, baculum pastorale, ceteraque
donaria et thcsaurum monasterii predicti, et ol) hec sint adeo pauperes quod eccle-
siam et loca alia dicli monasterii constrnere et reedificare non valerent nisi eis ex
largitione elemosinarum fidelivun succurratur [De indulgentiis]. Dat. Avinione iij
non. Aprilis anno primo ». Le 5 février 1371, Grégoire accorde de nouveau des indul-
gences parce que l'église et le monastère étaient encore en ruines {Reg. Gregor. XI,
11° 282, fol. 133). Naturellement la discipline était relâchée et « nonnuUi canonici et
l)riores ac fratres incorrigibiles existunt, quos tam propter guerras quam propter
debilitatem et infîrmitatem ipsius abbatis dictus abbas corrigere non potest »
{Suppl. Urh. V, n° 41, fol. 124, ad an. 1365, Jun. 22). Corsox, Fouillé hist. de Var-
chevéché de Rennes, II, p. 595 suiv., ne nous donne aucun de ces l'enseignements.
5. Reg. Vat. Greg. XI, n" 283, fol. 63»'. Sur le prieuré de Saint-Moran de Rennes
voy. Consox, 1. c, I, p. 241 suiv.
U. P. Denikle. — Desnlatin ecchsiarum II. 10
146 LA GUERRE DE CENT ANS
2. La trcvc de Bordeaux. La ruse d'Edouard III.
Gomme on le sait d'ailleurs, Innocent VI s'efforça sans cesse
d'obtenir une paix durable entre les deux royaumes. Il y mit toute
son énerg-ie tant auprès du roi Edouard et de son fds, le prince de
Galles, qu'auprès du roi de France. A peine le prince fut-il arrivé à
Bordeaux, avec le roi prisonnier, que le pape y envoya les cardinaux
Talleyrand et Nicolas Gapocci, pour amener le prince à faire la paix i,
dans laquelle le roi Jean même voyait le seul moyen de recou-
vrer sa liberté 2. Les deux cardinaux furent en même temps appuyés
parles Français captifs. Une liberté intérimaire fut accordée parle
prince à Bernard, comte de Ventadour, qui alla à Avignon pour en
conféier avec le pape; celui-ci avait tâché d'obtenir que la période
de liberté accordée à son protégé fût prolongée jusqu'au 22 février,
afin que Bernard pût aussi se rendre auprès du duc de Normandie
pour l'intéresser à cette affaire 3. Le prince consentit à l'ouver-
1. Il y a plusieurs lettres sur ces démarches du pape dans Jicg. Val., n" 238 et
239. Du reste le card, italien Capocci aimait peu à travailler avec le card. fran-
çais Talleyrand. Sur cette discordance on trouve quelques lettres au cardinal
Capocci dans n" 238, fol. 235, des 21 et 28 no^•emlîre 1356 ; au card. Talleyrand et à
tous deux, fol. 2 58 à 2 19'', du 28 décembre. Chacun travaillait selon ses idées.
2. Lettre du 12 décembre adressée aux prévôt des marchands et échevins de
Paris, dans Mém. de la soc. de Vbist. de Pnris, t. XXIV, p. 50.
3. Reg[. Vat., n" 238, fol. 247'', ad an. 1356. Decemb. 21 : « Audivimus relatione fide
digna quorumdam quod ven. fr. noster Talayrandus, episc. Albanen., apostolice
sedis nuntius, attente considerans quod dil. iilius nobilis vir Bernardus cornes Ven-
tadoren. tam ex virtute magna (pui dotatur a Domino, quam ex afl'ectione quam
habet ad pacis reformande negotium, ipsius cardinalis promotioni commis-
sum, directioni prospère ac felici consumationi ejusdem negotii esse poterat multi-
pliciter fructuosus, apud te (non expressa tamcn hujusmodi causa) efficacitcr institit
ut terminum per te comiti memorato prefixum infra qucm ad tuum deberet regredi
carcei'em prorogarcs, et nos etiam pensantes id idem et attendentes quod idem cornes,
qui ad nos pro hujusmodi negotio venerat, aliquali disgracia gravabatur, eum sub
spe ratihabitionis tue retinere voluimus, et de tua circa nos devotione ac afl'ectione
circa ipsum negotium plene confisi, asseruimus ci, quod tu sicut Dei et pacis amicus
duceres idacceptum. Sed ipse fidei sue tenax custos et inviolabilis observator nostris
in hac parte nobis assentirc recusans et verens ne regressus ejus ultra hujusmodi ter-
minum etiam ad momentum casu difl'erri aliquo forte posset, vix potuit inclinari ut
ad... Carolum primogenitum dicti l'egis Francorum pro dispositione ipsius negotii se
duceret conferendum. Propter quod nos apud te, ut tvi desideriis super hoc nostris
indulgeas, récurrentes, nobilitatem tuam attente precamur quatenus... eundem
terminum prefato comiti usque ad primam diem futuro proxime quadragesime, vel
ad aliud tempus longius velis liberaliter prorogare... Dat... Avinione VIIII kal.
Januarii anno quarto ». Cf. encore ci-dessus, p. 112, not. 2.
LA TRÊVE DE HORDEAUX. LA RUSE D^ÉDOUARD, l'^oT, 13o8 147
turc de nég-ociations pacifiques le quinzième jour après Noël (1356)
entre les Anglais à Blaye, et les Français à Mirambeau K Nous
ignorons le résultat de ces pourparlers. Mais il est certain que le
pape ne ralentit pas ses efforts pour procurer la paix. En date du
1'*'' mars 13o7, il écrivit encore à Talleyrand ainsi qu'à Capocci,
combien la paix lui tenait à cœur, les encourageant tous deux à
redoubler leurs eflbrts et les exhortant, surtout l'insouciant Talley-
rand, à l'informer du succès de leurs démarches -. Si, le 23 mars,
une trêve de deux ans (du 9 avril 1357 jusqu'au 21 avril 1359) fut
conclue à Bordeaux entre le prince et le roi de France, ce fut sur les
sollicitations pressantes d'Innocent VI et de ses nonces, ce qui fut
d'ailleurs reconnu dans l'acte public, car on fît trêve « pour la révé-
rence de Dieu, de notre Saint-Père et de la sainte Eglise Romaine •'».
Plus d'un mois après le prince s'eml^arqua avec le roi Jean
à Bordeaux ^*, débarqua à Plymouth •', et fît, le 24 mai^, son entrée
solennelle à Londres avec son royal captif.
Le pape conçut Tespérance de pouvoir obtenir enfin la signature
d'une paix définitive. Tout ravi du succès de Bordeaux, il écrivit le
29 mai au roi IMouard, le priant de faire la paix, et d'augmenter
ainsi ses triomphes qui déjà l'élevaient au-dessus de tous les princes
du monde. Ensuite il insinuait à Edouard de songer plutôt à com-
battre contre les Sarrasins que contre les chrétiens. Il lui envoya
le cardinal Pierre de la Forêt, ci-devant archevêque de Rouen ^. Le
1. Baki2h, p. 156. Ce fait restait inconnu jusqu'à présent.
2. liecf. Vat., n" 239, fol. 30''.
3. Rymek, m, p. 348 à 351. La sentence citée se trouve au commencement du traité.
4. Les Gî'nnd. chron., p. 58, disent : mardi après Pâques « qui fut le onziesme jour
du moys d'avril ». Mais comment Moisant, p. 63, ose-t-il dire que dans les Grand.
c/iro7i., p. 58, est écrit : « mardi après Pâques, qui fut le seizième jour d'avril »?
Vn.LAM, p. 439, écrit que le prince est parti de Bordeaux « d'Aprile ». Toutefois,
le prince, suivant les rôles gascons (Public Record Ollice, VasconHolls, 31 Edw. III,
m. 11), signa encore un acte â Bordeaux le 10 mai, qui est inséré dans une lettre du
roi Edouard, datée le 10 octobre. Cf. encore Moisant, 1. c.
5. KxiGHTOx, 1. c. ; Contin. Miirinmlh., éd. IIog, p. 190; Chron. Angliae, p. 35;
\VALsiN(;nA:\i, j). 283, disent le 5 mai; les Grand, chron., 1. c, le 4 mai. Mais voy. la
note précédente. Euoissaut, p. 83, assigne Sandwich comme lieu de débarquement.
6. CJironicle of London, p. 63; Kmghtox, Walsixgham et Grand, chron., 1. c;
Vn.i.AM, p. 44i.
1. Re(j. Vat., n" 239, fol. 87. Le point principal est que « insinuantibus nobis Taley-
rando et Nicolao [cardinalibus] et aliis multis ante discessum Edwardi principis
Wallic de Vasconic parlibus pacis inter te [regem Eduardum] et Johannem regem
Francorum reformande puncta, tacta jam antea inter dictos regem et principem, pre-
1 48 LA GUERRE DE CEKT ANS
2 juin, une véritable pluie de lettres 2oapales inondèrent l'Angle-
terre. Innocent VI notifiait au roi captif qu'enfin le moment propice
était venu d'établir un parfait accord entre lui et Edouard, que les
deux cardinaux Tallejrand et Gapocci seraient aussi députés vers
le roi d'Ang-leterre, que le roi Jean veuille donc disposer son cœur et
son esprit à la paix K Des lettres de même date et de même teneur
furent adressées à Isabelle, [mère d'Edouard, pour qu'elle influençât
son fils; à Philippine de Hainaut, épouse d'Edouard, et à une quan-
tité d'autres, soit Anglais, soit Français captifs, qui tous devaient
contribuer à cette œuvre de pacification -.
Mais arrêtons-nous ici. Sans aucun doute, le trop crédule et con-
fiant Innocent VI n'avait pas mieux deviné le rusé Edouard qu'il
n'avait pénétré Charles le Mauvais. Le roi d'Angleterre n'en-
tendait pas consentir sérieusement à la paix. Son but était, en obte-
nant le plus grand nombre de provinces et la plus grosse rançon pos-
sibles, et à force d'imposer à la France des conditions exorbitantes
(comme il avait commencé à le faire en Ecosse en octobre 1356 3),
de parvenir peu à peu à la réalisation de son premier rêve. Toutefois,
sentibus eisdem nuntiis quasi concordata fuerant, tuo super eis beneplacito reser-
vato. Ex quo tanto exultamus gaudio tantaquc fuinius jocunditate perfusi, quanta
exprimere litteris facile non possemus ». La fin de la lettre se trouve dans Raynald,
Ann., 1357, n" 1.
1. Reg. Vat., n" 239, fol. 92'' (et n" 244 II, ep. 256) : « Instant dies, fili carissime, in
quibus expectata diutius et desiderata per amplius tua et carissimi in Christo filii
nostri Edwardi régis Anglie illustris concordia complenda speratur, et ven. fr. Talay-
randus episc. Albanen. ac dil. filius nostri Nicolaus tit. S. Vitalis presb. cardinalis ad
hoc ipsum ducunt se in Angliam transferendos. Quesumus igitur excellentiam tuam
et per viscera misericordie Dei attentius obsecramus quatenus sic regium animum
mentemque disponas ad paceni, quod actore Deo vota et desideria nostra et christi-
fidelium compleantur. Datum apud Villamnovam Avinionen. dioc. iiij non. Junii anno
quinto. »
2. Ibid. Les destinataires étaient le duc de Lancaster, le prince de Galles, Lionel
lîls d'Edouard, comte Guillaume de Norlhampton, Roger de Mardi, Richard d'Arun-
del, Thomas de Warwick, Robert de Suflolk, Robert [leg. Raoul) de Staflord, les
chevaliers Barthélémy de Burghersh et Gui de Brian, les archevêques de York et
Canterbury, Tévcque de Winchester, chancelier d'Edouard, et l'évêque de Roches-
ter, Philippe fils du roi Jean, les comtes de Tancarville et Bernard de Ventadour,
Jean le Meingre (Boucicaut), maréchal de France, Jacques de Bourbon, comte de
Ponthieu, Jean d'Artois comte d'Eu, Charles d'Artois comte de Longueville, Guil-
laume de Melun, archevêque de Sens, et Arnoul d'Audrehem (« Houdenehan »),
maréchal de France.
3. Voy. Rymer, III, p. 372 suiv. Cf. Scalacroiiica hy sir Thomas Gray of Heton^
éd. J. Stevenson, Maitland Club 1836, p. 176. La somme imposée par Edouard était
de 100.000 marcs d'esterlins et le roi David voulait que les ecclésiastiques de son
LA TiiftvE dp: bordeaux, la ruse d'Edouard, 13o7, 1358 li9
en 1357, le moment ne lui semblait pas encorevenu.il voyait la
pauvre France menacée de tous côtés par le malheur. Mieux valait
donc attendre que l'infortune allât de mal en pis et amenât les
Français ainsi matés à accepter toutes ses prétentions.
Entre temps Edouard et le roi captif Jean arrêtèrent en janvier'
1358 les préliminaires de la paix, qui, pour être ratifiés, furent
adressés à Innocent VI. Ils furent aussi envoyés à Paris et le 27 jan-
vier, présentés au dauphin, qui les approuva-. Le 10 ou 12 mars,
le dauphin reçut à Paris la demande de son père d'envoyer deux
bons notaires (( pour ordener les lettres du traictié d'accort entre
luy et le roy d'Ang-leterre ^ ». Le 8 mai, le traité fut formellement
conclu entre les deux rois à Windsor^; dès le 15 1a nouvelle en
arrivait à Paris -K Le roi Jean fit aussi part de ce traité aux habi-
tants de Nîmes ^. Il avait besoin du secours des villes, attendu que
la première partie de la rançon à payer pour sa délivrance était
fixée à 600.000 florins d'or et devait être versée à la Toussaint ~. Le
pape était plus satisfait que jamais ^, et le 24 octobre il écrivait aux
archevêques et aux évêques de France, les informant que dans le
traité de paix, entre autres conditions, avait été fixée la forte somme
que le roi captif devait payer au roi d'Ang-leterre pour sa déli-
vrance ; or, le roi de France étant hors d'état de se procurer cette
rançon sans l'assistance du clergé , le pape lui avait assigné pour
un an deux décimes des revenus ecclésiastiques, payables en deux
termes, à partir du 10 juillet précédent, comme il l'avait notifié
royaume, séculiers et réguliers, répondissent pour elle avec leurs biens. Mais Inno-
cent VI, le 21 juin 1358, ne permit pas cet arranf;ement (iîe^. Vat., n° 233, fol. 432);
cependant un an après le pape accorda des décimes {Recf. Aven. Innoc, n° 21, fol. bSO*").
1. Knigiiton dit p. 101 : « In octabis sancti Hilarii », c'est-à-dire entre le 14 et 21
janvier.
2. « Lequel traictié moult plut audit duc et à ses conseillers ». Grand, chi^on., p. 83.
Voy. encore Chronogr., p. 265; Chron. norm., p. 308, et note. Déjà un peu avant le
27 janvier, on avait à Paris des nouvelles du traité. Grand, chron., p. 71.
3. Grand, chron., p. 93.
4. Lettre du roi Jean. Voy. Micnaud, Hisl. de la ville de A'tme.s, II, Preuves. n° 112.
5. Grand, chron., p. 109.
6. MiîXAun, 1. c, et nouv. éd., II, p. 164 suiv.
7. Lettre du comte de Poitiers du 26 juillet, dans Ordonn. des rois, IV, p. 18S.
8. Il le dit dans sa lettre du 30 août 1358 au card. Capocci dans Reg. Vat., n" 233,
fol. 4 : « Pridem exultantibus animis intellecto quod... pax et concordia inter reges
inita fuerat et firniata, letati sumus in Domino devotas que sibi laudes reddidimus
et vitulum labiorum ». Voy. Raynald, 1358, n" 3.
150 LA GUERRE DE CEPsT A^S
auparavant c'est-k-dire le 10 juillet même, au roi et au clergé ^
Dans l'attente du retour prochain des deux cardinaux Talleyrand et
Gapocci, demeurés alors en Angleterre, et pour d'autres raisons
encore, le pape ajourna, le 24 octobre, le payement du premier
terme '^. Knighton dit que jusqu'au payement définitif, quatorze
des plus nobles seigneurs devaient se livrer en otage ^.
Rien de tout ceci n'arriva dans le moment. La raison en est bien
simple. Le roi de Navarre, l'évêque Robert le Coq et Etienne Mar-
cel empêchèrent deux fois le retour du roi. (( Par deux fois, dit le
dauphin dans sa lettre du 31 août 1358, il avoient destourbé la
délivrance de monseigneur, afin qu'il ne retournast d'Engleterre, et
avoient juré avec le dit roy de Navarre à le faire mourir par de-lk
en prison^ ». Une fois c'était le 8 juillet, alors que Charles le Mau-
vais se faisait fort de faire consentir les Parisiens à payer six
cent mille écus de Philippe pour le payement de la rançon du roi ^.
Plus tard le bruit s'était répandu de l'interception d'une lettre du
1. Ces deux lettres, écrites le 10 juillet 1358, ne nous sont pas parvenues. Mais la
date précise se trouve mentionnée dans Rerf. Aven. Innoc. VI, n" 20, fol. 70. La
6"= année d'Innocent VI est très incomplète dans les Secî'èles. Les minutes dans 244 K
ne servent pas beaucoup pour cette année.
2. Reg. Vai., n" 233, fol. 5, ad an. 1358, Octob. 24 : « Olim pro parte... Johannis
Francorum rej^is illustris nobis exposito, quod in tractatu pacis inter ipsum et...
Edwardum regcm Anglie illustrem firmatc inter cetera actum fuerat, quod idem
Johannes rex csrtas et magnas pecuniarum summas eidem régi Anglie pro sua pre-
sertim liberatione persolveret, quas sine ecclesiarum et ecclesiasticarum personarum
regni Francie subsidio solvere secundum debitam oportunitatem negotii non vale-
bat, nobisque pro parte ipsius Johannis régis humiliter supplicato ut pro liberatione
predicta providere sibi aliquo proventuum ecclesiasticorum auxilio benigniter digna-
remur, nos eidem Johanni régi paterne pietatis compatientes aft'ectibus duas intégras
décimas proventuum et reddituum ecclesiasticorum in eodem regno et aliis terris
ipsius régis Francie ditioni subjectis consistentium solvcndas et exigendas infra unum
annum a VI idus Julii proxime preteriti in antea computandum, in duobus terminis,
videlicet unam integram decimam in festo Omnium Sanctorum proxime venturo, et
alteram in festo beati Johannis Ba])tiste dictum festum Omnium Sanctorum proxime
sccuturo, in Ii])eralioncm hujusmodi tantummodo convertendas, eidem Johanni régi
sub certis forma, modis, conditionibus ac sententiarum et penarum in non solventes
adjectionibus fratrum nostrorum consilio duximus concedcndas, prout in diversis
nostris tam ad eundem regem Johannem, quam ad vos super hoc directis litteris
plenius continetur ». Les évêques « propter guerrarum pestes » n'étaient pas en
mesure de payer pour la fête de la Toussaint, et le pape prolongea le terme jusqu'à
Noël. « Dat. Avinione viiij kal. Novembris anno sexto ».
3. P. 99. Pauli, Gesch. v. England, IV, p. 447, confond le traité de 1358 avec celui
de 1359.
4. Voy. la lettre dans Froissart, éd. Kkkvvx de Lettenhove, VI, p. 477.
5. Grand, chron., p. 124.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, 1357, 1358 151
roi Jean, dans laquelle il aurait censément écrit en France qu'il ne
céderait pas un pouce de terrain à l'Angleterre''. Sans doute, le
traité de 1358 était en substance celui de l'an 1359, et contenait
des conditions semblables. Mais Edouard pouvait attendre. La
révolution et la misère faisaient de rapides progrès dans la capi-
tale. Ce qu'il n'obtenait pas du présent, il l'espérait du lendemain,
alors que la France, selon toutes ses prévisions, serait définitive-
ment ruinée, ce à quoi il contribua pour une bonne part, comme
nous verrons dans le paragraphe suivant.
3. Conjuration et révolution à Paris. Les démons de la France^
Robert le Coq^ Etienne Marcel^ Charles le Mauvais., Edouard III.
Les commencements de la révolution à Paris ont été décrits au
premier paragraphe.
Très dangereuse pour la France, dès le début, elle devint tout à
fait néfaste à partir de la sortie de prison de Charles le Mauvais,
roi de Navarre. Détenu au château d'Arleux, il en fut arraché par
surprise, contre la volonté du roi Jean et du dauphin, dans la nuit
du 7 au 8 novembre 1357, grâce aux menées de l'évêque Robert le
Coq qui gouvernait le conseil du dauphin, et partant la France, et
à la complicité de Jean de Picquigny, gouverneur d'Artois 2. Si
Innocent VI travaillait, comme nous avons vu*^, à la délivrance du
roi de Navarre, son aveuglement à l'égard du vrai caractère du
Navarrais en était seul cause, tandis que Robert le Coq et ses alliés
s'y employaient par malice.
Charles le Mauvais n'eut pas plus tôt recouvré sa liberté qu'il
dévoila son vrai caractère et le but auquel il tendait depuis long-
temps. 11 voulait devenir roi de France en se rendant maître de
Paris. Avec l'aide de ses amis, de Robert le Coq, évêque de Laon,
d'Etienne Marcel, et, comme nous verrons à la fin du paragraphe,
du roi d'Angleterre, il espérait bien réussir. Robert le Coq connais-
1. Ainsi KNKiHTON, p. 103 suiv., où sont confondues les années 1358 et 1359.
2. Grand, chron., VI, p. 63; Secousse, Mém., p. 146 ; Luce dans Froissart, V,
p. XXIV, not. 3; xxvi, not. 7. Cf. sur cela VActe d'accusation contre Robert le Coq,
publ. par DouËT d'Ahcq, dans la Bibl. de V École des chartes, 1" sér., t. II, p. 372,
n" 49.
3. Voy. ci-dessus, p. 142 suiv.
152 LA GUERRE DE CENT ANS
sait Charles le Mauvais au moins dès le commencement de l'an
1354^. Il était aussi bien informé des desseins du roi de Navarre. On
lui reproche dans l'acte d'accusation, composé pendant la captivité
du roi de Navarre-, d'avoir bien connu que si celui-ci était mis en
liberté, il tendrait « à estre roy de France, si comme touz jours a
tendu », d'avoir su encore que Charles le Mauvais ne pouvait arri-
ver de droit à son but du vivant du roi Jean et de ses descendants,
et malgré cela d'avoir été le premier à forcer la délivrance du roi de
Navarre, par quoi il devenait son principal complice pour machiner
contre la vie du roi de France et des princes du sang^. On ne peut
guère douter que cet évêque scélérat n'eût été parmi les quatorze
ou seize conseillers qui ont fait le serment détestable, dont je parle-
rai tout à l'heure.
D'Arleux, Charles le Mauvais se rendit à Amiens où il fit déli-
vrer tous ceux qui étaient dans les prisons de l'Eglise et de l'Etat.
Il fît aussi aux habitants qui le reçurent comme leur concitoyen un
discours semblable à celui de Paris^. Pendant ce temps, la reine
Blanche, sa sœur, veuve du roi Philippe, la reine Jeanne d'Evreux,
veuve de Charles IV, roi de France et de Navarre, sa tante, et le
prévôt Etienne Marcel engagèrent le dauphin à envoyer à Charles
et à ceux qui l'accompagnaient un sauf-conduit, afin qu'il pût venir
à Paris avec une cohorte des gens d'armes, à cause des périls du
chemin^. L'instigateur de cette demande était assurément l'évêque
de Laon, mais en sa qualité de conseiller du dauphin, il ne pouvait
agir que secrètement en faveur du roi de Navarre^. Le dauphin con-
sentit, et le 29 novembre Charles fît son entrée triomphale à
Paris. Le lendemain, au Pré-aux-Clercs, il haranguait le peuple
accouru au nombre de dix mille personnes. Il se donna, cela va
sans dire, des airs innocents, comme il l'avait fait avant sa capti-
vité, affirmant que c'était sans raison qu'il avait été emprisonné
pendant dix-neuf mois, alors qu'il avait toujours eu l'intention de
1. Secousse, Preuves, p. 505, n° 4.
2. Voy. N. Valois, Le conseil du roi aux X1V\ XV' et XVI'' siècles (1888), p. 44,
not. 4, contre l'opinion de DouKt-d'Arcq, 1. c, p. 361.
3. Dans la Bibl. de VÉcole des chartes, 1. c, p. 372, n° 51.
4. Voy. pour tous Secousse, Mém., p. 149 suiv., Chronogr., p. 267.
5. Chron. de Richard Lescot, p. 114.
6. Grand, chron., p. 63 suiv., Secousse, p. 150.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, 1357, 1358 153
vivre et de mourir en défendant le royaume de France. Il faisait
remarquer que s'il eût voulu revendiquer la couronne de France, il
aurait pu montrer, par de bonnes raisons, qu'il en était plus proche
que le roi d 'Ang-le terre ^ Il laissait entendre qu'il se regardait
comme ayant par sa mère, fîUe unique de Louis le Hutin, des droits
légitimes à la couronne. Les assistants en furent émus jusqu'aux
larmes.
Sur ces entrefaites, car tout ceci se passa après son élargisse-
ment, il jura avec quatorze ou seize de ses amis ou conseillers,
comme l'atteste une lettre du dauphin datée du 31 août 1358, qu'en
dépit des traités, voire même de ceux qui avaient été conclus sur
le corps du Seigneur, ils ne se désisteraient point des trahisons, ni
des entreprises, ni de leur ferme propos de dépouiller le roi Jean,
le dauphin et les princes du sang, de la couronne de France ; d'at-
tenter à leur vie n'importe où, aux champs, en ville, au lit, à la
chapelle, selon qu'ils y trouveraient leur avantage-. Avec intention
le dauphin passa sous silence le nom des conjurés; deux, du moins,
nous sont connus, l'évêque Robert le Coq et Marcel^.
Celui-ci et quelques-uns des siens se présentèrent le 1®^" décembre
devant le dauphin enfermé au palais et exigèrent de lui qu'il don-
nât pleine satisfaction au roi de Navarre. Le 2 décembre, avec l'as-
sentiment de son conseil où dominait Robert le Coq, eut lieu l'en-
trevue du dauphin et de Charleis le Mauvais dans l'hôtel de la reine
Jeanne. Le 3 décembre, le dauphin accorda forcément toutes les
demandes^, et l'amitié entre les deux princes fut rétablie. C'était
un traité formel dont les articles avaient été arrêtés dans le conseil
du dauphin en faveur du roi de Navarre. Les lettres du dauphin
sur ce traité furent dressées par les gens mêmes de Charles le Mau-
vais et datées du 12 décembre \ Les biens, meubles et immeubles,
1. Grand, chron., p. 65; Froissart, V, p. 98; Jean de Venette, p. 250 (où est encore
rapporté le thème du discours). Chronogr., Il, p, 268, écrit que le roi de Navarre a
dit : « quod melius sibi competeretcorona Francie quam Johanni régi, qui eum incar-
ceraverat ».
2. Thomas de Ladit, chancelier du roi de Navarre, le confesse en présence du dau-
phin. Voy. la lettre du dauphin dans Froissart, éd. de Lettenhove, VI, p. 477.
3. ViLLANi (dans Muratori, XIV, p. 484) raconte aussi qu'un traité secret entre
Charles et Etienne Marcel existait déjà depuis lors.
4. Grand, chron., p. 69.
5. Secousse, Preuves, p. 65 à 68 \Mém., p. 157 suiv.
154 LA GUERRE DE CENT ANS
qui, avant son emprisonnement appartenaient à Charles et aux
siens, furent restitués, ainsi que les joyaux, les châteaux et les
villes. Il fut convenu que les corps des quatre gentilshommes que le
roi Jean avait fait décapiter seraient ôtés du gibet, mais sans solen-
nité, et rendus au roi de Navarre. Le 9 et le 15 décembre, sur la
demande du roi de Navarre, tous les criminels, tant au Châteletque
dans les autres prisons de Paris, y compris celles de l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés, furent mis en liberté par ordre du dauphin'.
Charles le Mauvais voulait augmenter le nombre de ses partisans
et avoir à sa disposition des gens capables de tout entreprendre '^
Le 13 décembre, le roi de Navarre quitta Paris et alla à Mantes.
Il fit occuper les environs de la capitale par les compagnies anglo-
navarraises cantonnées jusque-là sur les confins de la Bretagne et
de la Normandie ; elles s'avancèrent jusqu'à quatre ou cinq lieues de
Paris, ravagèrent dix ou douze lieues de pays et s'emparèrent de-
plusieurs forteresses^. Le pauvre peuple se réfugiait en foule à Paris.
Les moines et les religieuses abandonnèrent leurs couvents et cher-
chèrent un abri dans la capitale et ailleurs. On vit les Domini-
caines de Poissy, les Clarisses de Longchamp et de Saint-Marcel,
près Paris, les Cisterciennes de Maubuisson et de Saint- Antoine, les
Bénédictines de Montmartre, et bien d'autres encore, errer, loin de
leurs anciennes habitations situées hors des villes fermées, à la
recherche de places fortifiées^.
Le 8 janvier 1358, Charles le Mauvais entra à Rouen où il fut
reçu avec de grands honneurs, et, pour célébrer dignement son
entrée, la populace alla brûler un très beau château que le dauphin
possédait à quelques lieues de la ville au Crand-Couronne. Le
10 janvier, Charles donna l'ordre d'enlever du gibet les restes des
seigneurs décapités en avril 1356. On reconnut encore les cadavres
1. Secousse, Preuv., p. 64 et 68. Ce n'étaient pas, comme on dirait aujourd'hui, des
prévenus pour des faits politiques, mais des criminels « pour larrecins, meurtres,
faux monnoyers, robeurs, espieurs de chemins, marchans de fausses monnoies^
efîorceurs et ravineurs de femmes », etc. Ces prisonniers étaient donc des prévenus
des crimes les plus nuisibles à la société.
2. Ibid.^ Mém.^ p. 159; Preuv., p. 64.
3. Grand, chron., p. 71 suiv.
4. Jean de Venette, p. 247. Cf. Dutilleux et Depoin, Vahbaye de Maubuisson^
\" partie (Pontoise, 1882), p. 27 ; E. Barthélémy, Recueil des chartes de L'abbaye de:
Montmartre (1883), p. 7,
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, l3o7, 1358 loo
du sire de Graville, de Maiibué et de Colinet Doublel', mais on ne
retrouva point les restes du comte d'Harcourt. Contrairement au
traité, l'inhumation se fît avec une jurande solennité. En présence
du roi de Navarre, une foule innombrable tant à pied qu'à cheval
accompagnait, en procession, les corps que l'on conduisit jusqu'à la
cathédrale. Le lendemain, Charles harangua le peuple près Saint-
Ouen. Il reproduisit en substance ce qu'il avait dit à Paris et donna
plusieurs fois aux décapités le nom de martyrs. Cette harangue
excita l'enthousiasme de la foule qui admirait la piété du Navar-
rais. A la cathédrale on fit de solennelles funérailles -.
Pendant que ces faits se passaient à Rouen, Etienne Marcel qui
était l'organe exécutif des plans de Charles le Mauvais et de
Robert le Coq, son premier complice, ordonna aux habitants de
Paris d'adopter en signe d'alliance avec lui à la vie à la mort et de
porter un chaperon mi-j)artie rouge et mi-partie bleu avec des agrafes
d'argent entremêlé d'émail vermeil et azuré. Sur l'agrafe se lisaient
ces mots : A bonne fin '^. Pour associer encore plus étroitement
les Parisiens à ses intérêts, il érigea une grande confrérie sous l'in-
vocation de Notre-Dame, et ceux qui y entraient faisaient plusieurs
serments, conventions et alliances ^.
Il va sans dire que la position du dauphin devenait de plus en
plus critique. Pour donner à Charles le Mauvais un prétexte d'ar-
mer, l'évêque Robert le Coq avait fait ordonner par le dauphin des
levées de troupes. Mais quand celles-ci voulurent se diriger sur
Paris, l'entrée de la capitale leur fut interdite, et cela encore une
fois grâce à l'instigation de Robert le Coq ^. C'est alors que le dau-
phin chercha à gagner à sa cause les hommes influents du parti
ennemi, comme le prouve son discours prononcé aux halles le
11 janvier devant un peuple nombreux dont la majorité se déclara
pour lui. Dans la crainte de voir leurs j^lans contrecarrés, Robert
le Coq et Etienne Marcel assemblèrent le peuple près de Saint-
1. Ou Doublet.
2. Grand, chron., p. 7 4 à 76 ; Secousse, Mém., p. 165, 167 ; Chéuuel, Ilist. de Rouen
pendant l'époque communale, II, p. 191 suiv.
3. Grand, chron., Yi. 73; Secousse, I. c, p. 163; Preuves, p. 84. Une autre version
voy. dans la Chronogr., p. 269, où le fait est attribué au roi de Navarre.
4. Secoi-sse, Mèm., p. 164.
5. Grand, chron., p. 72.
156 LA GUERRE DE CENT ANS
Jacques de l'hôpital ; là on tint des discours contre l'ancien régime
et contre le dauphin, aussitôt que celui-ci eut le dos tourné K
Voyant le danger, le dauphin appela auprès de lui le 13 janvier
plusieurs maîtres de l'Université et ~ leur demanda de se conduire
en bons sujets. Ils répondirent qu'ils vivraient et mourraient pour
lui 3. C'était là, en général, le sentiment du clergé de Paris.
Le 24 janvier, Jean Baillet, trésorier du dauphin, fut assassiné
dans la rue Neuve-Saint-Merri 4. Les Etats s'ouvrirent le 11 février.
Comme aux Etats de janvier, pas un noble ne s'y trouva. Ainsi
les Etats ne représentèrent plus trois, mais deux états seulement •''.
Le 22 février, Etienne Marcel fit assembler à Saint-Eloi les corps
de métiers de Paris. Ils marchèrent vers le palais, au nombre de
trois mille hommes, tous armés. Avant de pouvoir attenter à la
personne même du dauphin, les traîtres devaient mettre à mort les
plus influents confidents du prince. Les Parisiens, et surtout ceux du
peuple, n'étaient pas encore préparés pour ce dernier coup. Pen-
dant qu'ils se rendirent au palais, un avocat du Parlement, Regnaud
d'Acy, se trouvant sur leur ^^assage, tomba percé de coups et
mourut sur le champ. Il travaillait à la délivrance du roi Jean et
avait en janvier apporté de Londres des lettres sur le traité conclu
entre le roi d'Angleterre et le roi de France, qui ne furent pas
montrées aux trois Etats ^. Après ce meurtre, la foule force le
palais. Etienne Marcel et les siens se précipitent dans la chambre
où se trouve le dauphin, aux côtés duquel étaient Robert de Cler-
mont, maréchal de Normandie, et Jean de Conflans, maréchal de
Champagne, tous deux exécrés par Charles le Mauvais^. Ils sont
1. Secousse, 1. c, p. 169.
2. La Chron. de Richard Lescot, p. 117, porte « notabiliores ville » au lieu de
« maîtres ».
3. Grand, chron., p. 80; Jourdain, L'Université de Paris au temps d'Etienne Mar-
cel (1878), p. 12.
4. Grand, chron., p. 82; Secousse, p. 175, où on trouve tous les détails des faits
arrivés à la suite du meurtre.
5. Grand, chron., p. 86. L'ordonnance à la suite des Etats publiés par le dauphin,
voy. dans Viollet, Les Etals de Paris en Février 1358 (Paris 1891), p. 17 suiv.
6. Voy. Chronogr., p. 265.
7. Le premier avait livré, en novembre 1356, le combat où périt Godefroy de Har-
court (voy. ci-dessus, p. 143 suiv.), l'autre avait quitté le parti des Etats généraux,
et, ce semble, détourné aussi les autres nobles de la Champagne. Il était un des prin-
cipaux conseillers du dauphin. Cf. S. Luge dans Froissart, p. xxvii, not. 2.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, l3o7, 1358 157
massacrés en présence du prince. Le reste de ses officiers prend la
fuite. Le prévôt Marcel donne ensuite au dauphin son chaperon,
en sig^ne de protection; lui-même prend le chaperon du dauphin.
Nous savons maintenant, par la confession du chancelier du roi de
Navarre, Thomas de Ladit, que ce massacre fut fait à Tinstig-ation
de Charles le Mauvais ^ qui s'était alors absenté de Paris tout
exprès.
Après cette scène sanglante, Marcel se rendit à Thôtel de ville
pour haranguer la foule et se justifier de ce qui venait de se pas-
ser -. Dans la soirée, il eut une longue entrevue avec la reine
Jeanne, et lui conseilla de faire revenir promptement son neveu ^.
Désormais, à tout considérer, non seulement le roi était captif,
mais son lieutenant le dauphin l'était aussi, car sa personne n'était
plus en sûreté. Lui-même d'ailleurs en avait le pressentiment, Lien
qu'il n'eût pas encore découvert le complot qui fut ourdi encore
jdIus étroitement après le massacre des maréchaux ^. Le 26 février,
le danger qu'il courait fut encore augmenté par l'arrivée de Charles
le Mauvais, qu'accompagnaient un nombre considérable de gens
d'armes. Les deux reines Jeanne et Blanche, Etienne Marcel et
Robert le Coq furent de nouveau ses confidents. Le dauphin se vit
contraint de satisfaire à toutes les exigences ; il offrit au roi de
Navarre son propre hôtel de Nesle ; de plus, après le 14 mars, il
lui donna un dédommagement de 10.000 livres de rente, joignit à
cela plusieurs terres et châteaux ^ et des lettres de rémission à dif-
férents amis de Charles le Mauvais '\
Cependant les amis du dauphin avaient fait diverses tentatives
pour le délivrer. Il en coûta la vie à un écuyer qui fut décapité aux
Halles '^.
1. Le dauphin écrit clans sa lettre du 31 août 1358 : « par instigation du dit roy
(de Navarre) nos dis chevaliers furent murtris en nostre présence » (dans Froissart,
éd. DE Lettf.nhove, VI, p. 477).
2. Grand, chron.^ p. 86 suiv. ; Secousse, p. 180 suiv., 188.
3. Grand, chron., p. 90.
4. Pieri'e Gilles, un de ceux qui furent arrêtés au commencement d'août 1358, a
confessé que Charles après le meurtre pensait encore tuer le dauphin. Lettre du dau-
phin dans FnoissART, éd. de Lettenhove, 1. c, p. 477.
5. Grand, chron., p. 93, dont les erreurs sont corrigées par Secousse, p. 196 suiv.;
Chron. de Richard Lescot, p. 121 suiv.
6. Secousse, p. 199.
7. Gr ind. chron.., p. 96.
iî)8 LA GUERRE DE CENT ANS
Entre temps, pour étendre plus loin les fils de la conspiration,
Etienne Marcel engageait les villes du royaume à prendre des cha-
perons semblables à ceux que portaient le dauphin, les autres
princes et les Parisiens. A la vérité, les villes, surtout celles de la
Champagne, ne se laissèrent point gagner ^, quelques-unes succom-
bèrent, par exemple Amiens, Laon -^ peut-être aussi Rouen ^\ Bien
qu'à l'extérieur ce fut toujours Etienne Marcel qui parut agir, on
voyait cej)endant parfois intervenir Tastucieux Charles le Mauvais.
Quand on voulait voyager de Paris à un autre point du royaume, on
s'adressait à lui plutôt qu'au dauphin pour obtenir des sauf-con-
conduits ^.
Ce dernier, jusqu'alors lieutenant du roi, fut nommé « régent du
royaume » à partir du 14 mars. Il ne comprit pas quel piège on lui
tendait. Car ses ennemis se proposaient par là d'écarter le roi Jean,
et de donner une plus grande autorité à ceux d'entre eux qui gou-
vernaient au nom du dauphin. Cependant il parvint à quitter^ Paris
où il ne revint que le 2 août 1358. Il se rendit d'abord à Sentis
où il avait convoqué pour le 26 mars une assemblée de nobles et
le roi de Navarre, dont il ignorait les plans, et les princes du
sang ^. De là, il se rendit à Compiègne et enfin à Provins où
s'étaient réunis le 9 avril les Etats de Champagne, auprès desquels
il se plaignit amèrement le lendemain des brutalités commises à
Paris "^.
Deux envoyés des gens de la ville de Paris ^ qui s'étaient rendus
à Provins, Robert de Corbie, maître en théologie, un dévoué parti-
san de Charles le Mauvais, et Pierre de Rosnv, archidiacre de
Brie, invitèrent les trois ordres de Champagne à faire cause com-
1. Grand, c/irozi., p. 94.
2. Secousse, 1. c, p. 201.
3. Voy. ChÉruel, 1. c, p. 198.
4. Grand, chron., p. 96 suiv., où on trouve un sauf-conduit du 1? mars, Voy.
encore Chron. de Richard Lcscot, p. 122.
5. Non (( à s'échapper ». Voy. Secousse, p. 20G suiv., où est encore contredit le
récit de Villam, 1. c. p. 505,
6. Grand, chron., p. 97, 99. Coville, Les Étais de Normandie, p. 89, et Pièces jus-
iif., n° 18 et 19.
7. Grand, chron., p. 99 suiv. ; Secousse, p. 208 suiv.
8. Ils n'assistèrent, point en qualité de députés aux États de Provins, où il n'y
avait que des Champenois, ils n'y vinrent que pour tâcher d'engager ceux-ci à se
joindre aux habitants de Paris. Voy. Secousse, p. 210 suiv.
co:s.u:rat[On et ri': vol ut ion a paris, 13i)7, 13^)8 ITiO
mune avec les l)ourgeois de Paris, et à donner leur assentiment aux
derniers actes d'Etienne Marcel. Mais rassemblée séleva avec
force contre les excès récemment commis à Paris et engagea le
rég-ent à en tirer vengeance. Les nobles Champenois mirent à sa
disposition leurs personnes et leurs biens K Au retour des soi-
disants députés, Etienne Marcel comprit qu'une telle conduite des
Etats de Provins à Tégard de ses envoyés était une véritable décla-
ration de guerre et si^ mit aussitôt à faire tous ses préparatifs de
défense. Il fit occuper par ses gens la forteresse royale du Louvre,
après en avoir chassé les hommes d'armes du régent et se saisit de
l'artillerie, qui selon l'intention du dauphin devait garnir les forte-
resses de Meaux et de Montereau. Elle fut transportée à l'hôtel de
ville. La Seine, à son entrée dans Paris et à sa sortie, fut intercep-
tée par d'énormes chaînes de fer. Les maisons attenant aux rem-
parts furent abattues. Les remparts mêmes furent entourés de fos-
sés larges et profonds. Les Frères Prêcheurs et les Mineurs, ainsi
que les Quinze-Vingts y perdirent des jardins et une partie de
leurs maisons ~.
Etienne Marcel chercha encore à s'emjDarer des principales forte-
teresses commandant les rivières d'Yonne, de Seine, de Marne et
d'Oise. Il tenta de se rendre maître de Meaux; mais le régent
l'avait fait occuper par ses troupes. Après quoi, le 18 avril, Etienne
écrivit au dauphin une lettre pleine de faussetés, dans laquelle le
traître se montre affligé des maux des Parisiens, dont il comptait
cependant la vie pour rien, comme nous le verrons bientôt; il se
montre irrité contre les ennemis^ qu'il appellera lui-même à Paris; il
se donne l'apparence de travailler pour l'honneur du roi Jean et du
dauphin, contre lesquels il avait fait un traité avec Robert le
Coq et Charles le Mauvais. Il rend le dauphin responsable des
afflictions des Parisiens et lui demande de leur délivrer les deux
forteresses de Meaux et de Montereau. Il annonce encore au dau-
phin qu'il vient de saisir l'artillerie, parce que le peuple était trop
1. Grniid. c/iro/i., 1. c, et Lucr, Hist. de la Jacquerie, p. 108 suiv.
2. Grand, chron., p. 10 i ; Jeax dk VKNETTii:, p. 256 suiv., où il est dit que les Prê-
cheurs ont perdu à cette occasion des maisons et chapelles, les Mineurs le réfec-
toire splendide, etc. Le réfectoire qui existe encore est postérieur. Relativement aux
Quinze-Vingts, voy. S. Ltcr dans la Bihliolh. de l Ecole des chartes, t. XXI, p. 76.
3. Philippe de Xa\ arre en particulier, et les Anglais. A'oy. ci-dessous, § 7.
160 LA GUERRE DE CENT ANS
ému et irrité de la voir dans le Louvre. Enfin il le prie de revenir
à Paris K
Le 29 avril, les Etats de Champagne s'assemblèrent à Vertus; le
4 mai, les députés des villes se rendirent à Gompiègne. Entre
temps, le roi de Navarre eut le 2 et le 3 mai des pourparlers avec
le régent pour l'engager à s'accorder avec les Parisiens. Charles le
Mauvais retourna à Paris le 4 mai sans avoir abouti -. L'Université
de Paris ne fut pas plus heureuse : elle avait résolu le 2 mai, comme
elle l'avait déjà fait en février, d'envoyer au régent une députa-
tion ^ sous la conduite des orateurs Simon de Langres, général des
Frères Prêcheurs, et Guillaume de Mollio, prieur d'Essonne, tous
deux maîtres en théologie ^. Le régent ne consentit à rendre ses
bonnes grâces aux Parisiens qu'à la condition que les personnages
les plus compromis, Etienne Marcel en tête, bien entendu, lui
seraient livrés. Il déclara qu'il leur laisserait la vie sauve ^.
A Compiègne, il ne se trouva que les députés de la noblesse et
des villes restées fidèles au régent. Un seul de la commune de
Paris, l'évêque Robert le Coq, s'y fourvoya et faillit payer cher son
audace. Les nobles qui s'étaient aperçus trop tard de sa perfidie
étaient exaspérés contre lui et voulaient le mettre à mort. Il se
retira secrètement et vint à Saint-Denys et ensuite à Paris, grâce
au secours de Charles le Mauvais et de ses amis ^\
Les Etats de Compiègne, suivant l'exemple de ceux de Sentis et
de Vertus, accordèrent au régent les subsides nécessaires pour
prendre l'ofPensive. Celui-ci prit les dispositions pour cerner Paris,
et, le 14 mai, il lança une ordonnance ^, qui fut une espèce de
désaveu et de condamnation de la conduite de la ville de Paris et
de tout ce qui avait été fait dans ses ordonnances de 1357. L'article
5 enjoint sous les peines les plus sévères, aux propriétaires des
1. Lettre éd. par Kervyn de Lettenhove dans Froissaiit, VI, p. 462 à 464.
2. Secousse, Mém., p. 216 à 218.
3. Denifle et Châtelain, Auctariuni Chartularii Universitatis Paris. I, p. 229, 20
suiv. Jean de Venette, p. 255.
4. Grand, chron., p. 85; Chron. de Richard Lescot^ p. 119, 124. Voy. Jourdain.
V Université de Paris au temps d'Etienne Marcel., p. 12 suiv. L'Université alors
s'occupait à établir de bons rapports entre le roi de Navarre et le dauphin.
5. Jean de Venette, 1. c.
6. Grand, chron.., p. 108.
7. Ordonn. des rois, III, p. 221,
CONJURATIOiN ET RÉVOLUTION A PARIS, 1357, 1358 161
châteaux et forteresses, de les mettre en état de défense et d'y éta-
blir des garnisons suffisantes à leurs frais et dépens.
Cette ordonnance coïncide avec une incursion des alliés de
Charles le Mauvais, c'est-à-dire des Anglais. Le 13 mai, l'Anglais
James Pipe, capitaine d'Kpernon, soi-disant lieutenant du roi de
Navarre, surgit avec une cohorte, marcha à travers le Gatinois,
brûla Nemours, dévasta encore plusieurs villes, entre autres Grès ^.
Quelques-uns d'entre eux s'avancèrent plus tard jusqu'à Paris.
Cependant Etienne Marcel devenait de plus en plus audacieux.
De son autorité privée, il lit frapper monnaie à Paris. Le 7 mai, le
régent ordonna à Compiègne de faire ouvrer les gros blancs à fleur
de lis. Marcel et les autres traîtres ne reconnurent point cette
ordonnance ; le prévôt fit battre la même monnaie, et puis une autre
depuis le 1^*" juillet jusqu'au 24 du même mois-. Entre temps, il
fît exécuter comme traîtres deux gentilshommes qu'il accusait
d'être de connivence avec le régent ^. Les Parisiens attaquèrent, le
9 juin, la forteresse du marché de Meaux où se trouvaient l'épouse
du dauphin, sa fille et sa sœur, en outre plusieurs dames et gen-
tilshommes de haut rang^. Les agresseurs furent presque entière-
ment terrassés par les nobles ^. Le régent, fondant son assertion
sur le témoignage des amis du roi de Navarre faits prisonniers,
écrit le 31 août 1358, que l'assaut du marché de Meaux eut lieu à
l'instigation de Charles le Mauvais, « pour déshonorer les dites
dames 6 m. En effet, les Parisiens étaient commandés par Pierre
Gilles, épicier à Paris, mais originaire de Saint-Guilhem-le-Désert,
près Montpellier, qui se battait de la part du roi de Navarre "^ ; il
fut, comme complice, décapité à Paris au mois d'août.
Il ne paraissait pas favorable aux desseins de Charles le Mauvais
1. Grand, chron., p. 108 suiv.
2. Diî Saulcy, Hist. monéliiire de Jean le Bon, roi de France (1880), p. 67 à 69, où
on trouve les éclaircissements nécessaires.
3. Grand, chron., p. 111. L'un était Jean Peret, « maislredu pont de Paris», l'autre
Henri Metret, « charpentier du roy ».
4. Voy. les documents dans Luce, Hisl. de la Jacquerie, nouv. éd, (1895), pp. 227 à
244.
b. Grand, chron., p. 113, et encore Moranvillé dans la Chronogr., p. 274,nol.J.
6. Lettre dans Froissart, éd. Lettenhove, VI, p. 477.
7. Chron. Romane, dans le Petit Thalamus, p. 353. Voy. Grand, chron., 1. c. Lice,
La France pendant la guerre de Cent ans (,1890), 2" éd., pièce n" 2.
R.-P. Denifle. — Desolatio ecclesiarum H. 11
162 LA GUERRE DE CENT ANS
qu'il restât absent de Paris. On avait plutôt fait un pas en arrière
et Etienne Marcel avait vu s'augmenter le nombre de ses ennemis.
Il s'agissait donc de compenser cela j^ar une avance hardie. Charles
le Mauvais était en Beauvoisis où il guerroyait contre les Jacques
dont il sera question plus loin K Toutefois, il ne marcha contre eux
qu'après avoir obtenu des nobles du pays la promesse que ceux-ci
ne lui seraient jamais hostiles ~ : c'était donc une politique toute
personnelle. Mais ici le traître se montre encore une fois. Les
nobles n'osant attaquer les Jacques dans leur position, Charles le
Mauvais fit appeler près de lui Guillaume Karle, chef ou roi des
Jacques, sous prétexte de conclure une trêve. Celui-ci y alla
paisiblement sans exiger d'otages ; Charles le fît aussitôt charger
de chaînes, le retint comme prisonnier et le fit décapiter après la
bataille ^. Le 10 juin, il tua plus de quatre mille Jacques aux envi-
rons de Clermont-en-Beauvaisis.
En sortant du Beauvoisis, Charles alla àSaint-Ouen, où il logea
au palais du régent, la Noble-Maison. Marcel vint l'y trouver et le
persuada de retourner à Paris '♦.
Le 14 juin, il fît en effet son entrée triomphale dans la capitale,
suivi d'une troupe considérable de Navarrais et d'Anglais ^. Le 15,
il harangua la foule à Thôtel de ville en disant qu'il aimait la France
et qu'il y était très attaché, parce qu'il y avait des fleurs de lys
des deux côtés; qu'il eût été roi de France, si les droits qu'il y avait
par sa mère, fîUe unique d'un roi de France, n'eussent été rejetés,
qu'il était prêt à vivre et à mourir avec les Parisiens. Charles
Toussac, échevin de Paris, monta ensuite à la tribune, déclarant
que le royaume avait été mal gouverné jusqu'à présent ; qu'il était
nécessaire de choisir un capitaine plus entendu. Cet élu devait
être le roi de Navarre. Une partie de la foule cria : Navarre^
Navarre. C'est ainsi que Charles le Mauvais devint capitaine de
Paris. Le premier pas était fait. De capitaine de Paris à la royauté,
il n'en restait qu'un à franchir, d'autant mieux qu'Etienne Marcel
avait fait écrire aux « bonnes villes » de France, les sollicitant de
1. Voy. ci-dessous, paragraphe 6,
2. Chron. des quatre premiers Valois^ p. 72 suiv.
3. Ibid., p. 74 suiv.
4. Grand, chron., p. 115 suiv. ; Secousse, p. 257 suiv.
5. Voy. Chron. normand., p. 313, not. 5, et Chronogr., p. 275.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, 13o7, 1358 163
reconnaître le roi de Navarre comme capitaine g"énéral de tout le
royaume. Ensuite Charles fit serment entre les mains des Pari-
siens de les gouverner loyalement, de vivre et de mourir avec eux
et de les défendre envers et contre tous. Le royaume, disait-il, est
bien malade, on ne saurait le guérir de sitôt K
A peine devenu capitaine, Charles eut l'audace de faire frapper
un denier parisis, servilement calqué sur les deniers parisis du
roi Jean. Il porte les légendes KAROLVS REX, et dans le champ
en deux lignes NAV-ARO. Au revers PARISIUS CIVIS. Charles
espérait s'intituler bientôt REX FRANCO ^. •
Mais Dieu ne permit point que les choses allassent trop loin.
Plusieurs des nobles qui étaient avec le roi de Navarre, surtout
ceux de la Bourgogne, l'abandonnèrent quand ils le virent accepter
le poste de capitaine, alléguant qu'ils ne combattaient point contre
le régent et les nobles •^. Ils s'en retournèrent dans leur pays, tan-
dis que depuis le 15 juin le régent marchait sur Paris à la tête
d'une forte armée ^ avec laquelle il arriva le 29 sous les murs de la
capitale. Ses troupes campèrent entre le pont de Charenton et le
bois de Vincennes, ^ en face de la porte Saint-Antoine. A peine
Charles le Mauvais eut-il appris l'approche d'une aussi grande
armée qu'il gagna le large, dès le 22 juin, malgré son serment
prêté peu de jours auparavant, de vivre et de mourir avec les Pari-
siens et de les défendre envers et contre tous. Il emmenait environ
600 hommes, à l'aide desquels il fit une tentative contre Senlis et
s'établit ensuite à Saint-Denis ^.
Les troupes du régent firent pressentir quel serait le sort des
Parisiens. En s'avançant vers la capitale, elles dévastèrent les pro-
priétés et les maisons des Jacques qu'elles trouvèrent sur leur pas-
sage ; aux abords de Paris, la campagne fut ravagée jusqu'à huit
1. Grand, chron., p. 116.
2. Voy. De Saulcy, Hist. monétaire de Jean le Bon, p. 71.
3. Grand, chron., p. 118.
4. Suivant Froissart, éd. Luge, Tarmce était foi'te de trois mille lances (p. 106);
d'après les Grand, chron., p. 119, elle « avoit bien trente mil chevaux ». Frois-
sart parle seulement d'une partie de rarmce. Vili.am (Miratoui, p. 51G) dit :
5.000 hommes de cheval.
5. Les sources citées. Le régent dit aussi dans sa lettre du 31 août (Froissart, éd.
Lettenhove, VI, p. 474) qu'il est venu le 29 juin devant Paris.
6. Grand, chron.^ p. 118 à 120.
164 LA GUERRE DE CENT ANS
OU dix lieues ; les places qui n'étaient pas fermées furent brûlées,
pour châtier les Parisiens et les priver des moyens de subsistance ^
Les troupes n'épargnaient pas même les lieux où elles étaient cam-
pées. Les relig-ieux bénédictins de Saint-Maur-les-Fossés souffrirent
de grands dommages; leurs granges et manoirs furent brûlés, et
tout ce qui était dedans fut pris ou gâté -. De peur, on n'osait ni
entrer à Paris, ni en sortir; mais plusieurs fois les Parisiens sor-
taient en masse pour attaquer l'armée du régent, et (( tousjours
perdoient plus qu'il ne gagnoient et en y ot pluseurs mors^^ ».
Le roi de Navarre ne tarda pas à reconnaître qu'il n'était point
sur la voie pour arriver à son but. Ce rusé pensa qu'une entrevue
avec le régent suivie d'un traité de paix serait plus favorable à ses
projets que toute autre chose. Il connaissait le caractère plein de
noblesse de celui-ci, caractère diamétralement opposé au sien. Il se
disait, probablement, qu'une entrevue lui fournirait peut-être l'occa-
sion de tuer le régent; de toute manière, il pouvait supposer que
celui-ci licencierait ses troupes dès que la paix serait conclue, et
qu'alors la réussite de ses plans lui deviendrait plus facile. Le régent
lui-même, s'appuyant sur le témoignage des intimes du roi de Navarre
faits prisonniers après le meurtre d'Etienne Marcel, admet que
Charles avait formé le dessein de le tuer, lors de la conclusion de
la paix : « se il eussent esté plus fors que nous, quant la dicte pais
fu jurée, et aussi quant elle fu depuis confermée, il eussent murtri
nous, nos gens et tous autres qu'il eussent peu tuer ^ ». De même
avons-nous vu plus haut que, peu après sa délivrance de prison,
le roi de Navarre et ses intimes, en dépit des traités, avaient fait
un pacte, sur la foi du serment, de ne pas renoncer à la trahison et
d'attenter à la vie de toute la famille royale •^. Le caractère de
Charles le Mauvais inclinait toujours au mal, et l'historien qui lui
supposerait un vestige d'honnêteté ferait une étrange méprise.
On le verra encore dans cette circonstance. Par l'entremise de sa
tante la reine Jeanne, le roi de Navarre eut, le 8 juillet, une entre-
1. Grand. Chron., p. 119. Froissart, ccl. Luce, p. 106 suiv,
2. Ordonn. des rois, IV, p. 605, ad an. 1366, Fcbruar.
3. Grand, c/iron., p. 120.
4. Lettre du régent du 31 août 1358 éd. par De Lettenhove dans Froissart, VI, p. 477.
5. Voy. ci-dessus p. 153.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, l'i^iT, 13^)8 1 Go
vue avec le régent, dans un pavillon près de l'abbaye de Saint-
Antoine. Tous deux tombèrent d'accord sur les conditions du
traité. Pour être quitte de toutes les prétentions, on devait donner
à Charles le Mauvais quatre cent mille florins à l'écu, et dix mille
livres de rente en terres. Le roi de Navarre promit de s'unir avec
le régent et de le servir contre tous, excepté contre le roi de
France; et comme il faisait ce traité sans la participation des Pari-
siens, il se fit fort de les faire consentir à rentrer sous l'obéissance
du régent et à payer six cent mille écus de Philippe pour le premier
payement de la rançon du roi Jean, pourvu que le régent leur
accordât la rémission de toute peine criminelle ^ Les messagers du
Saint-Père, l'archevêque de Lyon, l'évêque de Paris et le prieur de
Saint-Martin-des-Ghamps -, étaient présents à l'entrevue. Pour
cimenter le traité, l'évêque de Lisieux chanta la messe, et sur le
corps du Christ, le régent et le roi de Navarre jurèrent qu'ils obser-
veraient fidèlement le traité ^.
Les Parisiens ne reconnurent point le traité, c'est pourquoi le
roi de Navarre fit de nouvelles alliances avec eux. Ses troupes
allèrent même jusqu'à attaquer l'armée du régent, toutefois sans
succès. Le 12, ayant été mis, par le régent, en demeure de justifier
ses étranges procédés, Charles joua l'offensé et l'attaqué, en disant
que le traité avait été violé par le régent lui-même dont les troupes
avaient commencé l'escarmouche '*.
Par le fait, le traité était donc rompu et l'armée du dauphin
était très irritée contre les Parisiens. Elle s'avança si près de Paris,
que les bourgeois, entendant des cris d'alarme, accoururent. C'est
le 11 juillet que Marcel adressa alors aux communes de Picardie et
1. Grand, chron., p. 120 suiv, ; 122 suiv. Secousse, Mém., p. 277.
2. Au mois de juin, Innocent VI les envoyait tous trois auprès du régent, du roi
de Navarre et d'Etienne Marcel pour les engager à faire la paix. Les Archives du Vati-
can ne donnent pas de renseignements. Comme j'ai dit plus haut, la sixième année
du pontificat d'Innocent VI dans les Secrètes est très incomplète et commence seule-
ment vers le 20 octobre ; pres({ue dix mois manquent. Le régent, qui dans sa lettre
du 31 août distingue également deux moments à propos du [traité, la conclusion
(8 juillet) et la confirmation (19 juillet), mentionne chaque fois la présence des
messagers du pape.
3. Grand, chron., p. 121; lettre du régent du 31 août (dans Froissart, éd. Let-
TENHOVE, VI, p. 474).
4. Grand, c/iron., p. 122. Sur les conférences entre le roi de Navarre, qui alors était
à Saint-Denys, et Etienne Marcel, voy. Fhoissart, éd. Luge, V, p. 110.
166 LA GUERRE DE CENT ANS
de Flandre des lettres, en réclamant de leur part un urgent appui K
Avec raison, on avait peur à Paris, et la reine Jeanne s'efforça de
faire renouveler et confirmer la paix. Durant plusieurs jours, tandis
que les hostilités continuaient entre les Parisiens et l'armée du
régent, il y eut avec ce dernier des pourparlers jusqu'à ce qu'enfin le
traité fût confirmé le 19 sur un pont de bateaux entre Les Carrières
et Vitry, en présence de la reine Jeanne, des envoyés du pape sus-
nommés, du roi de Navarre, des délégués de l'Université - et
d'autres personnages. L'on convint encore que les Parisiens prie-
raient le régent de leur pardonner tout ce qu'ils avaient fait, et
qu'ils se mettraient à sa merci, à condition cependant qu'il décide-
rait de leur sort par le conseil de la reine Jeanne, du roi de
Navarre, du duc d'Orléans et du comte d'Etampes, en cas qu'ils se
trouvassent du même avis. Le régent promit de faire ouvrir les
passages par eau et par terre '^.
Le régent prit le traité au sérieux. Il s'éloigna le 20 juillet,
comme il le dit lui-même ^, et se rendit à Meaux, en passant par Val-
la-Gomtesse, et en licenciant la plus grande partie de ses troupes ^.
Sur ces entrefaites, les Anglais campés à Saint-Denys et à Saint-
Cloud pillaient et dévastaient la campagne et les environs de Paris,
déjà fort dépourvu de vivres ^. On rapporte que cela arriva sur
l'instigation de Charles le Mauvais. Les paysans et les religieux
quittaient leurs maisons, qui restaient sans habitants, et fuyaient à
1. Éd. par Kervyn m? Lettexhove, dans Froissart, XI, p. 466 à 472.
2. Déjà le 24 juin la Faculté des arts, par l'entremise de la reine Jeanne, avait déli-
béré d'envoyer le recteur et les quatre procureui's auprès du régent pour l'accord
entre lui et les Parisiens {Auct.triain (]hartiilnj'ii Universitatis Paris., I, p. 232,
33 suiv). Entre la délibération et l'exécution on mettait généralement un grand inter-
valle, et je doute que cette ambassade ait eu lieu avant le 19 juillet, au moins le pro-
cureur de la nation anglaise « computavit » ses dépenses seulement le 23 juillet
(Ibid., p. 236, 22). Le 16 juillet (voy. ihid., 236, 6) furent présentées à l'Université
et au recteur les lettres du 18 juin par lesquelles le pape engageait l'Université à
aider les trois messagers qu'il avait chargés de rétablir la paix entre le régent et les
Parisiens (Denifi.e et Châtelain, Chiirtul. Univers. Paris., III, n° 1239).
3. Grand, chron., p. 126.
4. Dans sa lettre datée du 31 août, p. 475 : « nous nous pai'tismes du dit siège et
venismes à Meaux ».
5. Dans sa lettre, p. 478 : « en bonne foy nous en avions envoyé, après la pais
faicte, la plus grant partie de nos gens ». ^oy. Grand, chron., p. 128. Secousse,
Mém., p. 283, ne voulait pas admettre cette assertion ; il ne connaissait pas la lettre
du régent.
6. Chron. des quatre premiers Valois, p. 84.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, 1.So7, 1 3o8 1 ()7
Paris tandis que les Ang-lais en pillaient les meubles '. Les Parisiens
étaient très irrités contre les Anglais à cause de ces dévastations,
et le lendemain du départ du dauphin, le 21 juillet, ils se jetèrent
sur leurs compatriotes - que Marcel et le roi de Navarre y avaient
fait entrer, soi-disant pour leur défense. Le peuple en tua un très
grand nombre, et mit en prison au Louvre quarante-sept de
leurs plus notables et vaillants capitaines, et plus de quatre cents
autres ^. Parmi les capitaines et les notables Anglais qui alors
étaient à Paris logés au palais du roi de France, on compte James
Pipe, Jacques Standon, Jacques Plantin, Jehan Jouel, Thomas
Gaun '\
Le roi de Navarre, Etienne Marcel et Robert le Coq reprochaient
aux Parisiens d'avoir fait cette émeute. Mais le peuple criait qu'il
fallait tuer les Anglais qui, pour venger leurs camarades, venaient
d'assaillir Paris et d'incendier le bourg Saint-Laurent '^. Charles le
Mauvais et Etienne Marcel reconnurent sans doute que les Parisiens
avaient brouillé les cartes ; mais ne comptant pour rien la vie de
ceux dont ils prétendaient répondre, ils surent faire tourner les cir-
constances à leur profit. Le 22 juillet, les Parisiens forçaient le roi
de Navarre et Etienne de marcher à leur tête contre les xVnglais ;
Charles trouva moyen de retarder le départ, afin que ceux-
ci ne fussent pas pris au dépourvu. La surprise fut réservée aux
pauvres Parisiens ; environ six cents d'entre eux furent tués par
les Anglais. Le roi de Navarre qui avait promis de viA^re et mourir
avec les Parisiens, resta spectateur tranquille de ce combat et
ne s'avança point pour les secourir f'. Leur venir en aide n'en-
1. Jean de Venette, p. 265.
2. « Et nous estant au dit lieu (de Meaux), les dis roy et traîtres... mirent partie
des dis Anglais en la dicte ville de Paris », écrit le régent le 31 août (Lettenhove,
p. 475), et Chron. dea quatre premiers Valois, p. 80.
3. Voy. ibid., 1. c, et Grand, chron., p. 128. Le régent ne parle pas de ces quatre
cents.
4. Chron. des quatre premiers Valois, p. 82. Kmghton, p. 100, écrit que James
Pipe réussit à s'échapper. En effet on le trouve les jours suivants à Chevreuse. Voy.
ci-dessous, p. 169.
5. Jean de Venette, p. 261.
6. Grand, chron., p. 128 suiv. ; Jean he Venette, 1. c, et les autres chroniqueurs.
Le régent raconte ces faits dans sa lettre du 31 août comme les Grand, chron.. en
omettant les détails. Cf. encore Secousse, p. 286 suiv. Le récit de Fhoissart,
p. XXXII, est différent.
168 LA GUERRE DE CENT ANS
trait pas dans son programme. Les Anglais étaient les com-
plices dont il voulait se servir pour arriver à ses fins ; les Parisiens
qu'il commandait avec Marcel étaient au contraire des réfractaires,
des rebelles avoués ou secrets sur qui ni lui, ni Etienne ne pou-
vaient plus compter. Il était donc avantageux de les faire dispa-
raître le plus tôt possible. Ils furent menés comme à l'abattoir.
Ainsi l'on s'explique pourquoi trois hommes d'armes, des affîdés
de Charles et de Marcel, se détachèrent de leur troupe avant
le combat et coururent, sans être aperçus, au bois de Saint-Gloud
où étaient les Anglais pour les avertir de se mettre en défense ^
Marcel était parfaitement de connivence avec le roi de Navarre.
On se tromperait fort en croyant que Marcel avait à cœur le salut
de la bourgeoisie-. Ni lui ni Charles ne firent la moindre objec-
tion quand, le lendemain, les Anglais tuèrent cent vingt bourgeois
désarmés, qui s'étaient avancés dans la campagne, pour donner la
sépulture à leurs parents massacrés la veille '^.
Le 22 juillet, après la dite boucherie, le roi retourna à Saint-Denys,
Marcel et ses compagnons rentrèrent dans Paris où ils furent hués
en arrivant. Le 27 juillet, à la suggestion de Charles le Mauvais,
et contre la volonté du peuple, qui les aurait tués, Marcel mit en
liberté les quarante-sept Anglais prisonniers. Par la porte Saint-
Honoré, ils s'en retournèrent à Saint-Denys rejoindre le roi de
Navarre. Le régent prétendit que l'argent de leur rançon aurait
pu couvrir le premier payement pour la délivrance du roi Jean ^.
Mais Charles et Marcel cherchaient toujours à entraver le rachat
du roi de France.
Après le meurtre des Parisiens et l'expulsion des Anglais de
1. Secousse, p. 287, Voy. Grand, chron., p. 129 suiv.
2. Jourdain, L'Université de Paris au temps d'Etienne Marcel, p. 21, n'a pas com-
pris le rôle joué par Marcel, en disant : « Il mettait son suprême espoir dans le roi de
Navarre, et malgré de cruelles déceptions, il ne reculait pas devant la pensée de le
proclamer roi de France. Mais lorsqu'il croyait s'être assuré du concours de ce
prince, de sang^lantes collisions éclataient entre la milice parisienne et les Navarrais
{lege : Anglais) : six cents bourgeois succombaient », etc. C'est l'explication de Jean
HE Vexette, p. 268,
3. FnoissART, éd. Luce, p. xxxu. De la cruauté de Marcel envers les réfractaires,
nobles et non nobles, il est question dans un arrêt du Pai'lement. Luce, Hist. de la
Jacquerie, nouv. éd., n° 57, p. 316.
4. u Combien que l'on en eust eu pour levu' rançon, se il ne les eussent ainssi déli-
vrés, assés argent pour le premier paiement de la délivrance monseigneur ». Lettre
du 31 août 1358, p. 475.
CONJURATION ET RÉVOLTriON A PARIS, 13o7, 1 35(S 1 ()9
Paris, le complot secret entre Charles, Marcel et leurs alïidés, subit
quelques modifications. Sans doute, les chefs de la conspiration pré-
tendirent que les Ang-lais avaient été appelés à Paris pour protéger
la ville contre les ennemis. Mais contre qui ? L'armée du dauphin,
on le sait, avait été licenciée en grande partie après le 19 juillet. Le
but des Anglais de Paris était de mettre à exécution le complot, de
concert avec les conjurés et avec les Anglais et les Navarrais de
Saint-Denys, c'est-à-dire de massacrer une grande partie de la
population, composée des ennemis, tant déclarés que secrets, de
Marcel et de Charles, pour faciliter au roi de Navarre l'accès au
trône de France. Pour le moment, il n'y avait pas beaucoup à
craindre de la part du régent ; comme il nous le dit lui-même,
il n'avait pas assez de troupes à sa disposition pour pouvoir faire
face à l'ennemi^, auquel Philippe de Navarre, qui assemblait en
Cotentin les garnisons des Anglais et les Navarrais de Bretagne
et de Normandie'^ devait apporter son concours.
Mais à cause des récents événements, il n'y avait pas d'An-
glais dans la ville, et ceux qui étaient dehors ne pouvaient plus
entrer qu'au moyen d'une nouvelle trahison. De plus l'impopula-
rité toujours croissante de Charles et d'Etienne Marcel mettait en
danger la vie de ce dernier ; force était donc de précipiter l'exécu-
tion de l'ancien complot par lequel on voulait mettre le roi de
Navarre sur le trône de France '^.
Marcel convint avec Charles le Mauvais et d'autres traîtres que
dans la soirée ou la nuit du 31 juillet, Charles et les Anglais-
Navarrais entreraient dans la ville. James Pipe, avec huit cents
combattants et Philippe de Navarre, s'il arrivait à temps, devait
les rejoindre^. Le prévôt des marchands avait eu soin de faire
ordonner « que nulles portes ne seroient fermées cette nuit, ne nulles
chaînes tendues ». Ce soir-là, Marcel s'était fait remettre une partie
des clefs des portes de la ville, par ceux qui en avaient été jusque
là les gardiens, pour les confier à de nouveaux gardes, partisans
du roi de Navarre et initiés à la trahison. Si tout eut réussi au gré
1. Lettre du 3J août, 1. c., p. 478. Le régent dit cela du 2 août.
2. Chron. des quatre premiers Valois, p. SI suiv.
3. Voy. ci-dessus, p. 101, 151 suiv., 162 suiv.
4. Chron. des quatre premiers Valois, p. 84. Philippe de Navarre arriva après le
31 juillet; ibid., p. 86 suiv. James Pipe était alors à Chevreuse.
170
LA GUERRE DE CEAT ANS
du prévost et de Charles et d'après leurs combinaisons, les Anglais
introduits dans la ville « eussent murtri et mis à mort tout le cler-
gié et gens d'église, tous les gentilshommes lors estans en la dicte
ville, tous les officiers de monseigneur (c'est-à-dire du roi Jean)
et de nous (du régent) et les deux pars du commun d'icelle ville. Et
dès avant avoient, pour ce faire, signées les maisons, de nuit ' ».
Les victimes désignées pour le massacre étaient tous ceux
qui faisaient opposition à Charles et à Etienne Marcel -, c'est-à-
dire qui tenaient le parti du roi Jean et du régent '^. On voit par là
quelles proportions l'exaspération contre les traîtres avait prises à
Paris dans les derniers temps, et que le carnage qui en eût résulté^
eût été bien plus terrible que celui dont la capitale fut le théâtre
dans les années 1413 et 1418, à l'instigation de Jean-sans-Peur .
Le massacre une fois fait, le roi de Navarre devait s'emparer du
royaume de France et en exclure non seulement le régent, mais
aussi le roi Jean. Les traîtres espéraient que, selon toute probabilité,
les autres villes suivraient l'exemple de la capitale^. Le régent
affirmait également le 4 août, devant le peuple de Paris, que le roi
de Navarre devait être proclamé roi de France •' ; Robert le Coq,
l'évêque de Laon, le devait couronner, raconte Villani ^.
L'issue du complot est trop connue pour qu'il soit nécessaire
d'entrer dans de longs détails. Quand Marcel se présenta à la porte
Saint-Denys, demandant que les clefs fussent remises à Joseran de
Mâcon, trésorier du roi de Navarre, le garde de la porte refusa de
les lui donner. En ce moment survint Jean Maillart, garde d'un
1. Lettre du régent du 31 août 1358, éd. de Lettenhove dans Froissart, VI,
p. 475.
2. Jean de Venette, p. 269.
3. Ce qu'affirme le régent le 4 août, dans Grand, chron., p. 137.
4. Chron. des quatre premiers Valois^ p. 83, dit aussi : « la cité de Paris seroit
destruite, pillée et gastée ». Et les habitants soupçonnèrent : « Paris en seroit désert
et destruit du tout, et nous morz, occiz et decouppez » (p. 84). Cf. Bourgeois de
Valenciennes, p. 299.
5. Jean de Venette, p. 269. Ceci est aussi contenu dans les confessions des intimes
du roi de Navarre, prisonniers : « Le roy de Navarre et les Anglais dévoient entrer..,
la nuit et faire les détestables et abhominables œuvres dessus dittes, et en outre que
nulle entente n'avoient que de faire ledit roy roy de France, et avec luy comme avec
roy de France s'estoient allies et pour tel le tenoient ». Lettre du régent du 31 août
dans Froissart, éd. de Lettenhove, VI, p. 477.
6. Grand, chron., p, 137.
7. Voy. ci-dessous, p. 175 suiv.
CONJURATION ET RÉVOLUTION A PARIS, 13o7, i3o8 171
autre quartier ; il protesta que jamais il ne remettrait les clefs. Une
dispute très vive s'eng-agea entre lui et Marcel. Maillart s'élança
sur un destrier, la bannière de France à la main, il cria : (^ Mont-
joye, Saint-Denys, au roy et au duc », ce cri tut répété par la
foule et par les traîtres, et tandis que ceux-ci se dirigeaient vers la
porte Saint-Antoine, Maillart se rendit en toute hâte aux halles, où
il trouva Pépin des Essarts. Ce dernier, à l'instar de Maillart, monta
à cheval, et, saisissant la bannière, fit entendre le même cri. Tous
les deux coururent à la porte Saint-Antoine où Marcel était déjà
arrivé, et où le peuple les avait suivis. L'ordre de laisser ouvertes
les portes de la ville, et les signes mystérieux aux portes des mai-
sons avaient déjà donné l'éveil aux Parisiens, mais en apprenant
qu'aux gardes actuels on voulait en substituer d'autres, partisans
du roi de Navarre, le peuple ne douta plus de la trahison. Arrivé à
la dite porte et après de graves incidents, Marcel qui avait en main
une lettre du roi de Navarre, sans vouloir la montrer, fut tué et
avec lui six de ses compagnons; vingt-deux furent faits prison-
niers ^ Paris était délivré du joug d'Etienne Marcel qu'Henri Mar-
tin qualifiait - « la plus grande figure du xiv^ siècle » !
Les faits qui venaient de se produire eurent lieu à l'insu du
régent, qui se trouvait alors à Meaux^, quoi qu'en disent quelques
chroniqueurs qui lui imputent même une lettre écrite aux Parisiens
et tombée le 31 juillet, dit-on, entre les mains de Marcel^. Le
2 août, sur l'invitation des Parisiens, le régent avec une suite nom-
breuse fit son entrée triomphale à Paris ; il fut accueilli par la popu-
lation avec allégresse, comme jamais prince ne l'avait été avant lui^.
Le 3 août, le régent fut défié par le roi de Navarre ^ qui demeu-
rait encore à Saint-Denys. Charles le Mauvais ne voyait pas seule-
ment toutes ses espérances détruites par le meurtre de Marcel, et
1. Sur tout cela voy. la lettre du régent du 31 août, p. 476 ; Grand, chron., p. 132
suiv. ; Chron. de Richard Lescot, p. 132. Cf. encore Secousse, p. 288 suiv. De vingt-
deux parle le régent dans sa lettre.
2. Hisl. de France, 4« éd., t. V, p. 213.
3. Lettre du régent du 31 août, p. 476 : « sans nostre sceu ».
4. Jean de Besançon avait rapporté des lettres du régent à Paris, soit pendant,
soit avant le siège, c'est-à-dire avant le 20 juillet, c'est alors qu'elles sont tombées
dans les mains du prévôt des marchands, et non pas le 31 juillet. Voy. Secousse,
Preuves, p. 90 suiv., et Luce, Hist. de la Jacquerie, nouv. éd. (1895), p. 237. n" 14.
5. Lettre du régent, 1. c, p. 476 ; Grand, chron., p. 134.
6. Grand, chron., p. 136.
172 LA GUERRE DE CENT ANS
la rentrée des Parisiens sous l'obéissance du régent, mais il sentait
toutes ses turpitudes mises au grand jour d'un seul coup. Un retour
vers le régent dans ce moment ne lui aurait valu qu'une nouvelle
prison ou pire encore. Ainsi, il ne lui restait d'autre alternative que
de déclarer la guerre au prince. 11 quitta donc aussitôt Saint-Denys,
après avoir pillé la ville et l'abbaye. Les vivres y faisant défaut, les
religieux se virent obligés de vendre, avec permission du régent, des
joyaux précieux d'une beauté surprenante pour ne pas mourir de
faim 1. Le 4 août, le régent parla au peuple à l'hôtel de ville de
Paris du complot qui eut dû aboutir à la proclamation du roi de
Navarre comme roi de France, et au massacre des partisans du roi
Jean et du régent '^. Sur ces entrefaites, plusieurs des traîtres et
complices furent exécutés, tandis qu'on en traquait d'autres.
Neuf prisonniers firent « sens force et sens contrainte » des
aveux devant tout le peuple et Thomas de Ladit, chancelier du roi
de Navarre, devant le régent, le duc d'Orléans et d'autres notabili-
tés, et trente bourgeois de Paris, sur les plans secrets du roi de
Navarre et de ses alliés à commencer par le meurtre du conné-
table en 1354, jusqu'au fatal dénouement. Le régent nous a con-
servé ces dépositions dans sa lettre ^ du 31 août 1358, adressée à son
beau-frère Amédée, comte de Savoie, dans laquelle il proteste
devant Dieu et le monde « que nous écrivons la vérité des choses ».
Dans le courant de cet exposé, j'ai amplement puisé dans ces con-
fessions, en les intercalant à leurs places respectives. Voici quelle
en est la pensée fondamentale : Depuis le meurtre du connétable
commis par le roi de Navarre, l'an 1354, celui-ci n'avait cessé d'at-
tenter à la vie du roi Jean, à celle du dauphin et des autres princes ;
lui-même, autant que ses complices, avisait aux moyens à mettre
en œuvre pour devenir roi de France ^.
1. Richard Lescot, p. 131. Cf. Chronogr.^ p. 381; Chi'on. norinaîide, p. 315.
2. Grnnd. chron., p. 137.
3. Éd. par Kehvyn de Lettexhove dans Fhoissart, VI, p. 473 à 479; Combes dans
Mém. lus h la, Sorbonne, 1869, p. 236 à 242. Par ces confessions sont complétés les
chroniqueurs, qui en racontant seulement les faits, n'avaient pas pénétré les idées
promotrices des meneurs pendant toute la rébellion, et croyaient généralement que
la pensée qu'avait Charles le Mauvais de devenir roi de France, datait des derniers
jours du mois de juillet 1358.
4. C'est Thomas Ladit, chancelier du roi de Navarre, qui commence son récit
CONJL'UATION KT DÉVOLUTION A PAllIS, 13o7, 1358 173
Après sa délivrance de prison, novembre 1357, cette tendance
s'accentua encore davantage. Charles le Mauvais était l'âme dam-
née de ses affîdés, la secrète puissance motrice de tous les méfaits
marquants commis par Robert le Coq, Etienne Marcel et par les
autres traîtres. Il ne pouvait arriver à son but que par l'extinction
complète de la maison de France, c'est pourquoi avant et durant
la révolution à Paris, les efforts du roi de Navarre et de ses com-
plices concoururent à cette fîn^ On ne pourrait s'étendre davantage
sans se répéter.
Une chose saute aux yeux. La prétention de Charles au trône de
France ne date pas seulement de la fin de juillet 1358 ; elle n'a pas,
comme on l'a souvent écrit, germé de la proposition de Mar-
cel, pour se tirer d'une situation difficile. Cette convoitise était con-
forme à la nature du Navarrais, et elle se fit jour à partir de 1354.
Ce fait est confirmé par Vacte cV accusation contre Robert le Coq,
cité au commencement de ce paragraphe, et rédigé avant le mois
d'août 1358, c'est-à-dire avant les confessions.
Mais, nous dira-t-on, Edouard ne voulait-il pas aussi devenir roi
de France? Sans doute. Non moins que le roi de Navarre, il y ten-
dait de tous ses efforts. Ignorait-il donc les desseins de Charles le
Mauvais? Le roi d'Angleterre, s'il avait commis cette naïveté, n'eût
pas été le fin matois que l'on connaît. Nous l'avons vu maintes fois
depuis l'an 1354, les entreprises du roi de Navarre l'intéressaient
au dernier point. On l'y trouve constamment mêlé. Le 4 sep-
tembre 1356, en signant un traité avec Philippe de Navarre, il espé-
rait l'élargissement de Charles le Mauvais « par forte mayn » -. Le
2 juin 1358, lorsque le flot de la révolution menaçait d'engloutir
Paris, Edouard ordonna de rendre les places navarraises qu'occu-
avec ce fait : « depuis que le connestable de France fut tués par le dit roy, il ne
finèrcnt ne cessèrent de machinci* la mort et dcshcritement de monseigneur, de
nous (le rcgenfi, de vous, des nos autres frères et de nostre dit oncle (duc d'Orléans),
et de penser, comment il fust, et euls (les complices) comment il peusscnt faire le dit
roy, roy de France », Licttiîxhove, p, 476 suiv.
1. Tous les prisonniers confessaient : « que depuis et avant que toutes ces rebel-
lions de Paris avenissent par la coulpe et à la sugjj^estion des dis roy et traîtres, ils
tendoient à nulle autre fin fors que à nous (régent), vous (Amédée), nos autres frères
et nostre dit oncle tuer et murtrir, en quelque lieu qu'ils nous trouvassent à leur des-
sus ». Lettexhovk, p, 477.
2. Rymek, Foedera, III, p. 340.
174 LA GUERRE DE CP:NT ANS
paient ses troupes es parties de Normandie, à son cousin Philippe
de Navarre et à magnifique prince le roi de Navarre son cousin, en
vertu du traité conclu avec Philippe quelque temps auparavant ^.
Charles le Mauvais avait beau s'envelopper de mystère, pour
Edouard, ses menées étaient claires comme le jour. La noblesse de
Champagne, elle aussi, quelques mois avant la piteuse issue de
la conspiration, avait parfaitement vu le but que Charles le
Mauvais poursuivait depuis des années. L'acte d'accusation contre
Robert le Coq en est la preuve. D'ailleurs Edouard envoyait des
renforts au roi de Navarre. Un Anglais, James Pipe, capitaine
d'Epernon allait même jusqu'à se faire appeler lieutenant du roi de
Navarre, et se concertait souvent avec lui ~. Ces astucieux per-
sonnages étaient-ils donc sans perspicacité ? N'avaient-ils rien vu,
rien rapporté au roi d'Angleterre leur seigneur et maître, surtout
depuis le 15 juin, époque où Charles le Mauvais, nommé capitaine
de Paris, espérait devenir capitaine général de toute la France?
Dans ses harangues à la foule, ce dernier n'avait-il pas manifesté
hautement ses prétentions, n'avait-il pas poussé l'audace jusqu'à
s'attribuer plus de droits à la couronne de France que n'en saurait
revendiquer le roi d'Angleterre? Et tous ces propos ne seraient
pas venus aux oreilles de celui-ci ? Qui le croira? Mais alors Edouard
considérait Charles le Mauvais comme un rival? En aucune manière,
on va le voir.
Il existait certainement entre les deux princes un traité secret
qui laissait les coudées franches au roi de Navarre, moyennant cer-
taines conditions. Faute d'expérience, Edouard croyait, avec beau-
coup de ses contemporains, que le royaume de France appartenait
en principe à celui qui se rendrait maître de Paris. C'est pourquoi,
se voyant refuser par les Français le titre de roi de France^ il cher-
cha à s'assurer de la capitale en 1360, et vint occuper les localités
environnantes, Châtillon-sous-Bagneux, Lssy, Vanves, Vaugirard,
Gentilly et Cachan ^. Jusqu'au 21 avril 1359, c'est-à-dire jusqu'à
l'expiration des trêves, Edouard avait les mains liées et ne pouvait
songer ni à une guerre ouverte contre la France, ni à l'occupation
1. Rymer, p. 393. Il y a deux mandements d'Edouard.
2. Grand, ehron., p. 109.
3. Ibid., p. 170.
CONJURATION ET HÉVOLUTION A PARIS, 1357, 1358 175
de Paris. Il n'en était pas de même du roi de Navarre dont le plan
d'opération avait depuis longtemps Paris pour objet. Aussi bien
qu'Etienne Marcel, il espérait qu'une fois maître de Paris, les pro-
vinces l'acclameraient. Le roi d'Angleterre devait parer à cette
éventualité, et se réserver un droit souverain sur la France, même en
supposant que le roi de Navarre, heureux en ses complots, se ren-
dît maître de Paris et fût proclamé roi de France. En signant le
traité secret, dont il a été parlé plus haut, Edouard devait assurer
sa suzeraineté. Il fit, sans doute, de ce point capital l'objet d'une
stipulation particulière, peut-être même la base du traité. Il y avait
vis-à-vis du roi de Navarre d'autant plus de droit, que celui-ci ne
pouvait rien entreprendre sans son vigoureux appui.
Dans sa lettre du 31 août si souvent citée, le régent ne transcrit
pas toutes les dépositions des prisonniers ; de propos délibéré, il en
passe quelques-unes sous silence, voulant, dit-il, sauvegarder
autant que possible l'honneur du roi de Navarre, bien que celui-ci
soit son ennemi ^. C'étaient par conséquent des révélations de
grande importance. Peut-être contenaient-elles au même temps des
faits à la honte du roi d'Angleterre, que pour cette raison le régent
ne voulait point divulguer, de peur que son père, son frère et
d'autres encore qui étaient en captivité n'eussent à subir les consé-
quences de l'amour-propre froissé d'Edouard, ce qui n'eut pas man-
qué de se produire.
Villani, depuis Secousse entièrement négligé pour cette année
par les historiens, nous fournit quelques éclaircissements désirés.
Il est, autant que je sache, le seul chroniqueur qui mentionne les
confessions des prisonniers parvenues à notre connaissance par la
lettre du régent. Seulement, au lieu de dix, il nous parle de six pri-
sonniers qui, sans qu'on les tourmentât, confessèrent que dans la
dite nuit, le roi de Navarre devait se saisir des bastides, entrer
ensuite à Paris avec toutes ses forces, et s'emparer de la capitale
avec l'aide du prévost des marchands et de ses partisans ; que le roi
de Navarre devait ensuite se faire couronner roi de France par les
1. « Et pluseurs autres détestables et énormes fais ont les dessus dis justiciès con-
fessé devant le peuple, et le dit chancelliei' devant nous et les dessus nommés, que
nous laissons à vous escrire... pour garder au dit roy (de Navarre) son honneur plus
que nous povons, combien quil soit notre ennemi ». Lettre éd. par Liîttemiove dans
FnoissART, VI, p. 478.
176 LA GUERRE DE CENT ANS
mains de l'évéque de (Laon), qui était alors à Paris et qui en partit
aussitôt que Marcel eût été tué ; que le roi de Navarre devait se
reconnaître redevable du royaume de France au roi d'Angleterre,
lui en faire hommage, et lui rendre le comté d'Anghien (?) et
d'autres pays. Le roi d'Angleterre devait l'aider de toutes ses
forces, pour se mettre en possession du royaume. Lorsque tous ces
projets auraient réussi, le roi d'Angleterre devait faire couper la
tête au roi Jean, et, pour acquérir de l'argent, les Anglais feraient
main basse sur les Lombards elles Juifs qui étaient à Paris ^ Villani
ajoute qu'on avait tenu secrètes ces dépositions couvrant d'infamie
le roi d'Angleterre ; elles pouvaient l'irriter et l'engager à maltraiter
le roi Jean et son fils.
Le propos de faire couper la tête du roi Jean par le roi d'Angle-
terre peut être taxé d'exagération, mais on ne saurait nier la sub-
stance du traité qui seul est en accord avec les événements racon-
tés plus haut.
Par ce traité, Charles le Mauvais, devenu roi de France, se serait
trouvé à l'égard du roi d'Angleterre dans des rapports analogues à
ceux qui existaient de droit entre le roi d'Angleterre comme duc de
Guienne, et le roi de France. Le roi de Navarre aurait eu le
royaume de France comme fîef relevant d'Edouard, roi d'Angle-
terre. Il va sans dire qu'après la mort de Charles le Mauvais,
Edouard serait devenu roi absolu de toute la France, comme il eût
été dès le début, en vertu du traité, maître absolu de ces mêmes
provinces qu'il cherchait sans cesse à détacher de la France, je veux
dire la Guienne, le Ponthieu, Guînes et l'Artois. C'était pour lui le
moyen le plus facile d'arriver au but vers lequel il tendait
depuis plus de vingt ans. Il est cependant possible que le passage
sur le couronnement du roi de Navarre n'ait été qu'un faux bruit.
Mais, nous dira-t-on, les deux traîtres étaient-ils bien sûrs de
l'heureuse issue de la conspiration à Paris? Non, certes, ils ne
l'étaient point. Que faire alors? Même dans ce cas, le roi d'Angle-
1. Dans MuRATORi, XIV, p. 522 : «... confessarono... che il re (di Navarra) si dovea
fare coronare del reame di Francia... c che il detto re di Navarra devea riconoscere
il reame di Francia da quelle (re) d'Inghilterra et fargliene homaggio et restituirgli
d'Anghiem e altre terre », etc. Voy. encore Secousse, Mém., p. 306suiv., qui pourtant
se trompe en disant qu'il s'agit du traité du 1*'' août 1358.
CONJURATION ET RÉVOLLTFON A PARIS, 13.-)7, 1358 177
terre restait inébranlable dans son dessein de devenir souverain
de la France, tandis que Charles le Mauvais devenait seulement
un simple allié, qui devait se contenter de la cession de quelques
provinces.
Un pareil traité de partage de la France existe en effet, bien
qu'il soit difticile d'en déterminer exactement la date. Publié
d'abord comme daté du l*^"" août 1351, il fut ensuite placé au
l^'' août 1358, c'est-à-dire au lendemain du meurtre d'Etienne Mar-
cel et de l'issue manquée du complot K Je ne conteste pas qu'on lui
ait par cela restitué sa vraie date quant à l'année ; toutefois il reste
encore plus que douteux qu'il soit du l*^*" août. Dans le traité il est
dit entre autres choses que les Anglais doivent remettre les deux
places de Saint-Gloud et de Poissy au roi de Navarre. Saint-Gloud
fut bien pris par les Anglais avant le l^*" août; mais c'est seule-
ment après le 3 août que Poissy tomba en leur pouvoir alors que
Charles le Mauvais avait déjà défié le régent et quitté Saint-Denys -',
par conséquent le traité ne peut être du l^*" août. Cela devient
encore plus clair par une autre observation. Comme on le sait, le
31 juillet, Charles le Mauvais avait encore l'espoir de devenir roi
de France. Comment, le l*"" août, ses plénipotentiaires et ceux du
roi d'Angleterre eussent-ils pu signer un traité qui, en ne lui con-
cédant que quelques provinces, était ojDposé aux ambitieuses espé-
rances du roi de Navarre ? Comment les pourparlers que tout ceci
dut nécessiter auraient-ils pu avoir lieu en un si court laps
de temps, à une époque où les moyens de communication étaient si
difficiles 3? Aujourd'hui même, malgré la facilité du télégraphe, cela
1. Rymeh, Foec/era, III, p. 228, a publié ce traite à la date du 1" août 1351, C'est
Secousse, Mem., p. 318, not, 2, qui a donné au traité la date du l*"" août 1358, laquelle
fut reproduite après par Isamueut dans Recueil (jénér. des anciennes lois françaises,
V, p. 35 (dans t. IV, p. 656, est encore la date 1351), par Kehvyn de Lettemiove, dans
Fhoissaut, VI, p, 485, par Luce dans les Méni. de la, Soc. de Vhist. de Paris, I,
p. 113 suiv., et puis par les historiens suivants.
2. Grand chron., p. 139; Chron. de R. Lescol, p. 13i. Luce, p. 116, malgré tous
ses efforts, pouvait seulement prouver que les Navarrais étaient déjà le 1" octobre
maîtres de Poissy,
3. S, Luce, 1. c, p, 120, croit que les négociations qui devaient aboutir au traité du
l*"" août, s'ouvrirent dans les premiers jours de juin. Il s'appuie sur les deux mande-
ments du 2 juin, cités plus haut, par lesquels Edouard enjoint à ses amés Gilbert
Chastelleyn et Etienne de Cusyngton, qui étaient alors en Normandie, de restituer à
Philippe et au roi de Navarre les places appartenant aux deux Navarrais, es parties
R. P. Deniflk. — Desolatio ecclesiarum II. 12
478
LA GUERRE DE CENT ANS
semblerait impossible. Le plus commode serait de nier l'authenti-
cité de ce traité ; mais le plus commode n'est pas généralement le
plus vrai. D'ailleurs, ce traité est tout à fait conforme à la marche
des événements et il contient des particularités qu'on n'a pu inven-
ter. Seulement il ne faut pas le placer avant la fin du mois d'août
1358. En tout cas, il n'est qu'une ébauche préalable qui laisse bien
des choses en suspens et n'a jamais pris une forme définitive. Il est
loin d'avoir pour l'histoire l'importance que lui attribue Luce qui
ne voyant uniquement que ce traité-là, n'a pas assez tenu compte
des faits antérieurs qui en étaient l'orig-ine.
Quand le premier traité fut-il conclu? Je l'ignore; mais je pense
que ce fut aussitôt après la sortie de prison de Charles le Mauvais.
Nous avons vu plus haut que, déjà avant l'arrestation du roi de
Navarre en 1356, le roi Jean était convaincu de l'existence d'un com-
plot ourdi contre la maison de France par Charles, avec le roi Edouard
et les Harcourt 1. Bientôt après, Edouard nia son alliance avec
Charles le Mauvais, mais son assertion faite sur sa parole de roi et
devant Dieu, est démentie par ce qui vient d'être raconté ''. Du
reste, les dénégations d'Edouard prouvent pour le moins l'existence
d'une rumeur très répandue sur la part qu'il avait prise au com-
plot. C'est encore Villani ^ qui nous renseigne sur la substance de
cette conspiration à laquelle toutefois il ne croit guère lui-même,
puisque le comte d'Harcourt et ses compagnons d'infortune l'ont
niée jusqu'à leur mort. Mais Charles le Mauvais n'a-t-il pas protesté
lui aussi, après chaque complot, n'avoir jamais conspiré contre le
roi de France? Ses confidents ne valaient pas mieux que lui. Les
démentis donnés par des personnages honnêtes ont leur importance,
ils n'en ont aucune de la part de ceux dont la vie n'est en grande
partie qu'un tissu de serments violés et de parjures.
de Normandie « ratione tractatus et concordiae inter nos et ipsum Philippum nuper
initorum ». Mais Luce se trompe. Ces deux mandements n'ont rien à faire avec le
traité de 1358, ils regardent le traité d'amitié conclu avec Philippe, le 4 septembre
1356 (Rymer, III, p. 340), dans lequel Edouard ordonna que les forteresses qui, en
Normandie, appartenaient à Philippe et à Charles de Navarre leur soient restituées.
Malgré ce traité et les instances de Philippe, ce n'était pas encore un fait accompli
le 2 juin 1358.
1. Ci-dessus, p. 108.
2. Ci-dessus, p. 103 suiv.
3. MuRATOiu, Scî'ipt., XIV, p. 369, cap. 25. Cf. Secousse, Mém., p. 77.
LES COMPAGNIES, 1357, 13o8 179
Le complot en question s'appuyait sur un traité conclu entre le
roi d'Angleterre, le roi de Navarre et les Harcourt; la teneur en
était que le roi Jean et le dauphin devaient être tués, afin que le
Navarrais fût fait roi de France, après quoi Charles s'engageait à
céder à Edouard la Gascogne et la Normandie. C'est ce traité qui
tomba en la possession du roi Jean. Il est donc en substance sem-
blable à celui dont nous cherchons la date, mais ce dernier paraît
plus précis, surtout en ce qui concerne les prérogatives du roi d'An-
gleterre. Selon toute probabilité, on lui donna une nouvelle forme
immédiatement après la délivrance de Charles le Mauvais, vers la
lin de 1357 ou au commencement de 1358, alors qu'on avait tout
lieu d'espérer la réussite de la conspiration.
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas oublier que des deux concluants
le plus rusé, le plus ambitieux, le plus, puissant était Edouard,
dont il est difficile de pénétrer l'intention. Probablement ce traité
devait-il lui servir à frapper un coup défintif après lequel Charles
le Mauvais serait resté dupe.
4. Les Compagnies.
La trêve conclue à Bordeaux, loin d'apporter la tranquillité à la
France malheureuse, fut au contraire la première cause des ravages
inouïs qui vinrent désoler tout le pays. Au septième paragraphe,
je présenterai aux yeux du lecteur un tableau du triste état de la
France pendant la trêve. L'Angleterre licencia ses troupes
dont elle n'avait plus besoin. La France, abattue par le désastre
de Poitiers, n'avait point à licencier une armée qui, par le
fait même, n'existait plus. Les capitaines et les soldats licenciés
ou dispersés, après s'être accoutumés à vivre de la guerre, se
jetèrent dans la carrière des aventures et allèrent combattre pour
leur propre compte : « Nul frein ne les arrête; s'il existe en France
des lois qui les menacent, il n'y a plus de gouvernement, plus
d'autorité locale en état de les leur appliquer^. » C'est ainsi que
les soi-disant Compagnies se répandirent partout au xiv^ siècle.
Bon nombre de leurs capitaines étaient des cadets des plus grandes
maisons et appartenaient à la noblesse féodale qui, alors, ne connais-
1. Chérest, UArchiprêire (1879), p. 31.
180 LA GUERRE DE CENT ANS
sait autre chose que guerroyer et jouir d'une indépendance absolue.
Une foule d'aventuriers et de gens sans aveu venaient se joindre à
eux. Les scrupules de conscience étaient chose inconnue à ces gens-
là. Tantôt ils dépouillaient quelque riche marchand i, tantôt un
évéque opulent, un abbé ou un prieur, prévôt ou chanoine. Un
grand nombre de seigneurs ayant été faits prisonniers et beaucoup
d'autres étant restés sur le champ de bataille, il était facile de s'em-
parer des châteaux et des castels, alors sans défense, où ils s'éta-
blissaient commodément. Ils avaient libre champ et en profitèrent.
Quelles énormes rançons ces brigands imposaient parfois à leurs
victimes, par quelles tortures ils les faisaient passer pour en obtenir
les sommes demandées! Quelquefois les captifs avaient deux ou
trois pots de cuivre suspendus aux mains et autant de chaudrons
attachés aux pieds ; on leur tenaillait les pouces avec des grésillons.
Une autre fois, ils étaient fouettés tout le jour, et la nuit, on les
enfermait dans une armoire. Ici, on les coulait, la tète en bas, au
fond d'un sac, après leur avoir garrotté bras et jambes. Là, on leur
écrasait le ventre sous des mortiers ou des enclumes énormes, qui
les étouffaient au point de leur faire sortir l'écume de la bouche -.
Les rançons ne consistaient pas seulement en argent, mais aussi
en chevaux, bestiaux, vivres, armes, toiles 3, etc., et appauvris-
saient autant les campagnards que les citadins et les habitants des
châteaux. Pendant la guerre, les brigands avaient appris à consi-
dérer l'incendie comme le bouquet de leurs œuvres. Ils le prati-
quaient à vm degré effroyable. Le plat pays surtout en souffrait
davantage. Ils y brûlaient les semailles et les maisons, coupaient
les ceps et les arbres, emmenaient le bétail et tout ce qui leur
paraissait commode ; la peur seule de ces bandits forçait les paysans
à quitter leur patrie. Ils déshonoraient les filles, les religieuses
mêmes, ne ménageaient point les femmes mariées et tuaient les
vieillards et les enfants ^, surtout quand ils ne les pouvaient pas
1. On trouve des exemples remarquables dans Beg. Vat., n° 210, fol. 41'', et dans la
2" partie, fol. 64»' à 68, ad an. 1359, Maii 13, et 1360, Maii 18.
2. S. Luge, Guesclin, p. 333 suiv., où on trouve les preuves.
3. Ainsi Urbain V le 1" juin 1364, dans Reg. Val., n-' 251, fol. 277''.
4. Urbain Vnous expose souvent cela dans ses lettres contre les Compagnies, qui,
au commencement, furent données pour diverses provinces, ainsi, par exemple, le
26 février 1364 {Reg. Vat., n° 261. fol. 99 : u Cogit nos presentis malicia temporis »),
LES COMPAfJMES, \'M}1 , 13o8 18 1
rançonner à leur volonté^. Finalement, les habitants des cam-
pagnes fortifiaient leurs églises et leurs clochers et y cachaient, en
cas de besoin, tout leur avoir, pour le mettre en sûreté. Au haut
des clochers on avait posté des enfants qui devaient faire le guet et
signaler l'approche des hordes de brigands ou de l'ennemi. Aussi-
tôt qu'ils les apercevaient, ces gardiens sonnaient du cor ou
tintaient les cloches, et, à l'instant, tous les habitants se réfugiaient
au plus vite dans l'église ou dans d'autres endroits qui leur sem-
blaient sûrs -. Un siècle plus tard , les campagnards faisaient de
même à l'approche des écorcheurs. Thomas Basin nous le raconte ^.
C'était la ruine de la campagne et surtout de la campagne fertile ;
ces bandits s'abattaient de préférence sur les contrées renommées
pour leur fertilité.
Le sort des églises, des couvents et des hospices n'était pourtant
pas plus heureux, comme nous allons le voir. Ils furent assiégés
par les brigands, qui les prirent, les pillèrent, soit les habitations,
soit les églises et les sanctuaires, et les incendièrent ; les ecclé-
siastiques et les moines furent chargés de fers et soumis à toutes
sortes de tortures; afin d'en extorquer de fortes rançons, ils en
emmenèrent quelques-uns, d'autres furent blessés ou tués. Les
bandits s'établirent ensuite dans les bâtiments qu'ils fortifièrent
afin de se défendre contre les assauts.
Depuis le commencement de l'an 1356 nous le lisons dans les
lettres d'Innocent VI, débutant par : Ad reprimendas insolentias,
dans lesquelles le pape prononce l'excommunication et d'autres
peines sévères contre ces malfaiteurs. Ces bulles concernent les
églises, monastères et hôpitaux de certains diocèses et villes, sans
et le 27 mai de la même année (/îcr/. Vnt., n" 251, fol. 277'' : « Miserabilis nonnullo-
runi fidelium ») pour les archevêques de Toulouse, Auch. Xarbonnc. Arles et leurs
sulîragants. Ces bulles sont semblables à la bulle du S avril 1365. dans Haynai.i»,
1365, n"' 3, 4. Corri}icz : « pau]KM'es(jue plebe^os solo limore a propriis laribus
(Raynald : laboribus) exulare compellunt ».
ly FaoissAHT,V, p. 157.
2. «Teak de Vhmîtti:, p. 280, ad an. 135S. Os malheureux n'avaient souvent pour
retraite, avec leurs femmes et leurs enfants, (pu* les bois, les cavernes, le creux des
rochers. Voy. Fhkvii.lk. Bihl. de VÉcole des chartes, 1" série, t. III. p. 270 suiv. En
Picai-dic, ils creusaient des souterrains et ^i^■aient misérablement au fond de ces
humides et obscures cachettes. Fukvim.i;. 1. c. t. A', p. 236.
3. Voy. Di;mfi,e, Lit Désolntlou des Éçilises, I, p. 515.
182 LA GUERRE DE CENT ANS
que les établissements soient particulièrement nommés. L'un de ces
écrits, daté du 29 février 1356, parle des horreurs commises dans
le diocèse et la ville de Rodez ^ ; le 2 juin, le Saint-Père nomme le
diocèse et la ville d'Angoulême - ; le 17 juin, le diocèse et la ville
de Saint-Brieuc ^. L'année suivante, le 28 août. Innocent VI déplore
les atrocités commises dans le diocèse et la ville de Lisieux^.
Ensuite, ces rescrits deviennent très fréquents. En 1358, nous
trouvons nommés les diocèses de Cambrai, Rennes, Saint-Malo et
Ang-ers^. Le 26 mai 1360 Innocent VI a donné des bulles sem-
blables pour Rieux ^; le 1^^" novembre pour Meaux '^; le 12 décembre
pour Le Mans^; le 20 mars 1361, pour Châlons-sur-Marne^. Nous
rencontrons encore de telles récriminations sous les papes suivants,
jusqu'à Clément VIL
Elles regardent quelquefois aussi les établissements particuliers,
comme, le 29 février 1356, le prieuré bénédictin de la Lande du
1. Reg. Aven. Innocenta^ n" 13, fol. 202'' : « Ven. frat. Ruthenen. et... Mimaten.ac...
Vabrcn. episcopis... Ad reprimendas insolentias... Sane lamentabilis querela multo-
rum vestrum fréquenter turbavit audituni... quod nonnulli iniquitalis filii, a quorum
oculis Dei timor abccssit, in civitatc et dioccsi Ruthenen. pretcxtu guerrarum,
quibus eadem civitas et diocesis dicuntur multipliciter fatigari, et alias temere cle-
ricos et ecclesiasticas personas, seculares et regulares, etiam in di^nitatibus constitu-
tas civitatis et dioc. predictarum bellicis actibus se minime inimiscentes, non
absque injectione manuum violenta caperc, detinere, carceribus mancipare, tormen-
tis subicere, verbcribus cedere, vulnerare, morti tradere, et ci'iidelibus aftlictio-
nibus adredemptiones indebitas personaliter cohcrcere, ecclesias quoque, monasteria,
hospitalia et alia pia loca, secularia et reg:ularia, dicte diocesis invadere, capere,
occupare, frangere, occupata detinere, dirruere ac incendio concremare, et ecclesias,
monasteria ac loca ipsa libris, calicibus, crucibus, sanctorum reliquiis, paramentis et
ornamentis ac aliis divine cultui et usui deputatis spoliare... necnon fructus... et alia
bona... violenter rapere, depredari ac in predam abducere seu asportare presumpse-
runt hactenus et cotidie presumere non verentur, propter que clerici et persone
ecclesiarum, monasteriorum, hospitalium et locorum ipsorum ea coacti deseruerunt
et deserunt... [De excommunicatione in supradictorum criminum patratores, et de
restitutione ablatorum et restauratione praemissorum]. Dal. Avenione ij kl. Martii
anno quarto. »
2. Reg. Aven. Innocenta., n" 13, fol. 275''.
3. Ib'id., fol. 244''.
4. Reg. Vat., n» 232, fol. 364»^.
5. Reg. Vat., n° 233, fol. 428, 438, 450. Le chapitre et les habitants de Cambrai
avaient encore beaucoup souffert du fait des officiers du comte de Ilainaut {Reg.
Vat., n" 239, fol. 203, ad an. 1357, Aug. 28).
6. Reg. Aven. Innocenta VI^ n° 24. fol. 577''.
7. Ibid., fol. 582^
8. Ibid., fol. 584\
9. Ibid., n" 25, fol. 415^
LES COMPAGNIES, 1357, 13.") 8 1 (S3
diocèse de Poitiers, dépendant de l'abbaye de Charroux. Le prieur
et les moines furent emprisonnés, et le prieuré, avec l'église, pillé
et occupé; l'abbaye de Charroux et les prieurés en dépendant furent
dépouillés de tout, privés de leurs revenus et de leurs biens, et leurs
manoirs furent incendiés^ Le 31 décembre 13o7, le prieuré des
chanoines rég-uliers d'Escalmels, du diocèse de Saint-Flour, reçut
une bulle semblable -, ainsi que l'abbaye bénédictine de Saint-
Sauveur de Redon du diocèse de Vannes le 16 février 1359^. Le 25
octobre 1360, Innocent VI applique la bulle a Ad reprimendas » à
l'abbaye bénédictine de Montier-la-Gelle-de-Troyes ^ ; le 10 mars
1361, à l'abbave de Saint-Benoît-sur-Loire ^.
Il arrivait parfois que, malgré leur peu de foi et de religion, ces
scélérats ne relâchaient pas leurs prisonniers ecclésiastiques avant
de leur avoir arraché la promesse d'obtenir du jDape la levée de l'ex-
communication qu'ils avaient encourue. Témoin une bande qui, en
1358 (ou un peu auparavant), ravageait le Poitou, et dont on n'avait
rien su jusqu'à présent. Elle avait pour chefs Jean de La Valade,
Lebasquin de Chantemerle, de Poizac, Saudinot, Ghuscon, Menant
et d'autres. Avant le 17 mars 1358, ceux-ci attaquèrent sur la voie
publique, entre Ingrande et Buissière^, le chanoine de Saint-Hilaire
1. Reg. Aven. Innocenta V/, n° 12, fol. 535. Cette fois la bulle commence: « Gravis
dil, liliorum ». Mais la teneur est la même, connue dans les autres: « Ven. fratribus...
Pictaven. et... Lemovicen. episcopis, ac dil. filio... abbati monasterii S. Cypriani Pic-
taven. salutem, etc. Gravis dil. filiorum... abbalis et conventus mon. Karoffcn.
O. S. B., Pictaven. dioc, ad nostrum querela perduxit auditum... quod nuper non-
nulli iniquitatis lilii prioratum de Landa a dicto monasterio depcndentem Ord. et
dioc. pred., armata manu liosliliter invadentcs prioratum ipsum, ejus cnVaclis januis
violenter intrare ac dil. fil. Garinum priorem et quamj)lures monachos et clericos...
capere et detinere, ac prioratum ipsum et ejus ecclesiam cum personis aliis ac bonis
et rébus ibidem existentibus capere... et... detinere et insuper ipsorum prioratus
et ecclesie cruces, calices, sanctorum reliquias. libros, paramenta et ornamenta...
necnon dicti monasterii, a quo prioratus ipsc per très leucas distare dinoscitur^
et predicti et aliorum prioratuum ab ipso monasterio dependentium in illis partibus
consistentium fructus, redditus et proventus ac bona "alla mobilia et immobilia vio-
lenter rapere... ipsorumque monasterii et prioratuum maneria et loca alia invadere
et igni concremare ncquiter presumpserunt et cotidie presumere non verentur. [De
excomnmnicatione etc.] Dat Avinione ij kal. Martii anno VI. » Reg. Aven. Innoc. VI,
n° 12, fol. 535.
2. Reg. Vat., n" 233, fol. 397. La bulle débute comme celle de la note 1.
3. Reg. Aven. Innoc. VI, n" 20, fol. 626''.
4. Ibid., n" 24, fol. 583.
5. Ihid., n" 26, fol. 606.
6. Comme le raconte Innocent VI dans Reg. Vat., n" 2'44 K. cp. 217.
184 LA GUERRE DE CENT ANS
de Poitiers, Gui Géraud, nonce du Saint-Siège, qui se rendait à
Avignon chargé de lettres et d'argent. Il fut dépouillé, lui et sa
suite, de son argent, de tous ses biens ainsi que de tous ses che-
vaux, après quoi les bandits l'emmenèrent prisonnier au château
de Reuhé', où ils l'enfermèrent dans une fosse souterraine, et, à
force de tortures, lui extorquèrent la promesse de leur payer
quelques milliers d'écus d'or. La lettre du pape adressée le 3 avril
à l'archevêque de Tours, et l'excommunication infligée aux malfai-
teurs, n'avaient eu aucun résultat -. Le pauvre chanoine était
encore prisonnier le 9 juin, date à laquelle Innocent VI s'en plaignit
à l'archevêque de Bordeaux-^. Malgré la trêve, ces mêmes malfai-
teurs avaient occupé et fortifié l'abbaye cistercienne de Valence,
du diocèse de Poitiers; ils incendièrent les églises des environs,
commettant à l'envi vols, rapines, meurtres et sacrilèges, chargeant
de chaînes les personnes ecclésiastiques, les rançonnant et ne se
décidant à quitter l'abbaye qu'après avoir reçu de Geotfroy de
Mortemer, seigneur de Couhé et du Poirat, la promesse de sollici-
citer pour eux l'absolution auprès du pape ^.
1. Dans Introït, et exit., W" 284, fol. 10-5, on dit qu'il était « per Anglicos captus in
loco de Run^ayo... et deraubatus »,
2. Reg. Vat., n° 243, fol. 115.
3. IbicL, n" 244 K, ep. 217. L'archevêque ou un de ses suffrag:ants les devait décla-
rer excommuniés en public.
4. Siippl. Innocenta \ /, n" 30, fol. 1, ad an. 1358, Decemb. 31 : « Exponunt S. y .
devoti vestri episcopus et prelati ac GauiTridus de Mortuomari doniinus de Coyaco et
de Peyrat, ac alii cives civitatis et diocesis Pictaven. quod dictus le Basquin de
Chantemerle, dictus Saudinot, dictus C'.huscon, dictus Menant et sui complices, ini-
mici domini nostri régis Francoruni, monasterium Valentie dicte diocesis pendente
tregua occuparunt ipsumque in fortalitium erexerunt, plurimaque incendia in eccle-
siis, homicidia, furta. rapinas, sacrilegia et alia maleficia ibi et in circonvicinis locis
comiserunt, personas ecclesiasticas et alias capiendo, vinculando, et aliis questioni-
bus supponentes, et ad redemptionem per arctationem vinculorum et carceris com-
pellentes, nec alias dictum monasterium dimittere voluerunt, nisi j)rius per dictum
dominum de Coyaco promitteretur et ydonee caveretur eisdem, quod a S. V. obtine-
ret eisdem occupatoribus absolutionem a sententiis incursis propter crimina supra-
dicta, ad que se obligavit dictus dominus de Coyaco ob utilitatem dicti domini rc[;is
et patrie, et ad vitandum dampna similia et pejora, sicque dicti malefactores prefa-
tum monasterium dimiserunt. Hinc est quod supplicant E. S. quatenus de omnibus
premissis committere dignetur absolutionem episcopo Pictaven. predicto juxta
formam ccclesie predictis malefactoribus impendendam, cum clausulis et non obstan-
tibus oportunis. — Fiat cum satisfactione débita et alias in forma. G. Dat. Avinione ij
kal. Januariianno septimo. » — Innocent VI étant couronné le 30 décembre 1352 (Arch.
Vat., Oblig., n" 29, fol. 75''; dans Baluze, Vit. pap. Aven., I, p. 321, à tort : 23 déc),
ce document appartient encore à l'an 1358. D'où il résulte que Geollroy de Morte-
LES COMPAGNIES, 13o7, 1358 185
Arnaud Amanieu, sire d'Albret, ne fit pas mieux. A la tête de
sa bande, recrutée dans différents diocèses et villag-es, et dans
laquelle se trouvaient même des clercs, il s'empara, sous prétexte
de guerre, de l'église et du château de Chapelle-Taillefert dans le
diocèse de Limoges; il enchâssa les chanoines et les ecclésiastiques,
en blessa et tua plusieurs, s'empara des objets précieux et s'appro-
pria les revenus. 11 demanda ensuite qu'on lui procurât, pour lui et
ses compagnons, l'absolution j^apale K
Ces faits se renouvelèrent plus tard, alors que les Compagnies
furent en pleine floraison. En 1363, le seigneur Jean de Saint-
Verain attaqua avec ses gens la ville épiscopale de Varzy, dans
l'Auxerrois ^ ; ils chargèrent de chaînes prêtres et laïques, les ran-
çonnèrent, emmenèrent les femmes, en blessèrent et en tuèrent un
grand nombre. On commença enfin à négocier la paix, dont l'une
des clauses obligeait les habitants à procurer aux malfaiteurs l'abso-
lution du pape '^ C'est la même hypocrisie qui poussa Arnaud de
Cervole, dont nous allons parler plus loin, à dater sa lettre, adres-
sée aux bourgeois de Nîmes, en 1358, « du vendredi adoré, après
le saint mystère^ ».
Leur regret n'était pas sincère, car, obligés plus tard de renon-
cer à leur vie d'aventures, ils se vantaient de leurs méfaits et trou-
vaient triste l'existence à laquelle ils étaient réduits. « Quand nous
chevauchions à l'aventure, tous les jours, nous ne faillions point
que nous n'eussions quelque bonne prise dont nous estofïions nos
superfluités et joliétés, et maintenant tout nous est mort ». C'est
ainsi que s'exprime, trente ans plus tard, ce même Arnaud Ama-
nieu sire d'Albret, mentionné plus haut, alors qu'il était rentré au
service de la France ■''. Aimerigot Marcel avait plus tard les mêmes
sentiments. Ses paroles sont trop connues pour que je les cite Û
mer vivait non seulement en 1354, comme atteste Guérin, Recueil des documenls
concernant le Poitou^ III, p. 277, not. 3, mais encore en 1358. SuiAant notre document,
Valence fut occupé « pendente treuga», c'est-à-dire entre le 9 avril 1357 et le 31 déc.
1358. GuÉrix, 1, c, p. XLi, n'est pas sûr pour la date.
1. Reff. Vat., n° 232, fol. 266»^ ad an. 1357, Septemb. 4.
2. Voy. Lkheuf, Mcm. concernant l'hist. dWu.rerre (1743), I, p. 466.
3. Suppl. Urb. V, n" 37, fol. 49, ad an. 1363, Maii 16.
4. Hist. de Nimes, par Ménard (nouv. éd. 1874). II. p. 161, et Preuves, n" 112.
Luge, Guesclin, j). 338.
5. FnoissART, éd, Kervyn ni: Lkttenhove, t. XI, p. 228,
186 LA GUERRE DE CENT ANS
encore une fois K Au fond c'est une apolog-ie du brig-andag-e, et
malgré le remords qu'il en ressent : « certes, de ce que j'ai fait,
je m'en repens trop grandement », il termine son panégyrique :
« Par ma foi, cette vie étoit bonne et belle ».
La meilleure manière de faire une rapide fortune était de se mettre
à la tête d'une compagnie 2. Robert Knolles, Arnaud de Gervole,
Eustache d'Auberchicourt acquirent en peu d'années des richesses
extraordinaires 'K Avec tout cela, quand ils voulaient venir à rési-
piscence, on leur accordait non seulement le pardon à eux et à
leurs compagnies, mais on les comblait d'honneurs. Un chef de
bande, Lyon du Val, devint huissier d'armes du régent Charles ^.
Arnaud de Cervole, chargé d'abord de malédictions, devint l'allié du
roi de France et son lieutenant en Nivernais, comme nous verrons
dans le paragraphe suivant, puis finit par éjDouser l'une des plus
riches héritières de Bourgogne, de la maison de Chàteauvillain.
Pour Eustache d'Auberchicourt, capitaine d'une forte troupe de bri-
gands établie en Champagne et en Brie, il s'éprit d'amour pour une
haute et noble princesse, madame Isabelle de Juliers, nièce de la
reine d'Angleterre, a Ladite dame lui envoya haquenées et coursiers
plusieurs, et lettres amoureuses, et grands signifiances d'amour,
par quoi ledit chevalier en estoit plus hardi et plus courageux •' »,
autrement dit, il ravageait la province plus encore, et rançonnait
plus chèrement nobles et manants, afin de conquérir le cœur tout
entier de cette dame de hauts sentiments. Enfin il l'épousa le
29 septembre 1360 à Wingham dans le comté de Kent.
Comme les chefs de ces bandes étaient de toutes les nations,
ainsi les compagnies mêmes étaient composées de gens apparte-
nant à tous les pays, à toutes les races; on y trouvait des
Anglais, des Navarrais, des Gascons, des Bretons, des Espagnols,
des Allemands. Et de même qu'elles étaient internationales, chaque
1. Froissaut, éd. Keuayx de Lettemiove, t. XIV, p. 164. Le passage tout entier
est cité par Fhéville clans la Bibl. de l'Ecole des charte:^, t. III, p. 268 suiv. ; Luce.
Hisl. de l.i Jacquerie^ p. 17; Chkrest, VArchiprèlre^ p. 33 suiv. ; de Beaucourt^
Hiat. de Charles VII, t. III, p. 387; Poinsignon, Hisl. gén. de la Champagne. I, 256.
2. Kmohton, p. 99 :I'(( divites facti sunt niniis et locupletati sunt, adco quod potius
viderentur domini re^ni quani stipendiarii, ... ditissimi regressi sunt ».
3. Voy. FrÉville, 1. c., t, III, p. 264; Luce, L c, p. 109.
4. Frévim.e, 1. c., p. 269; Luce, 1. c., p. 338.
5. Froissart, éd. Luce, V, p. 159, 368.
LES COMPAGISIES, 1357, 1358 187
profession y fournissait aussi son contingent. Des clercs et des prêtres
mêmes s'y étaient enrôlés, quoique S. Luce prétende « qu'on ne voit
aucun prêtre pratiquer lui-même cet affreux métier^ ». Dans ses
lettres datées du 20 juin 1356 et adressées aux rois de France et
d'Angleterre, Innocent VI allègue ce fait déplorable comme l'une
des conséquences de la guerre entre les deux pays. Ceux qui hier
encore, écrit-il, étaient les ministres des autels, les prédicateurs de
la parole de Dieu, s'arment aujourd'hui du glaive, de l'arc et de la
ilèche, de la lance et du bouclier, et s'en vont en quête de rapines,
de vols et de meurtres, à la suite des ravisseurs de vierges, des
adultères et des opj^resseurs des veuves -.
Ces bandes signalées dès 1357 n'apparaissaient cependant pas
alors pour la première fois, car déjà dix ans auparavant, après la
trêve de Calais, plusieurs troupes répandues en Gascogne, en
Saintonge, en Bretagne et ailleurs méritaient le nom de bandits. Les
bulles d'Innocent VI de l'an 1356, citées plus haut, le prouvent.
Froissart nous raconte pour l'an 13i7 à 1348 de quelle manière les
brigands, Français et Anglais, exerçaient alors leur terrible profes-
sion. Ils épient de loin une riche ville, un bon château pendant un
jour ou deux, dit-il, puis s'assemblent vingt ou trente et mettent le
feu à une maison. « Ceux de la ville cuidoient que ce fussent mille
armures de fer, qui vouloient ardoir leur ville ; si s'enfuyoient qui
mieux mieux, et ses brigands brisoient maisons, coffres et escrins et
prenoient quant qu'ils trouvoient, puis s'en alloient leur chemin,
chargés de pillage "^ ». De cette manière, ils s'emparèrent de plusieurs
châteaux. En Quercy pendant la trêve de Calais, il s'était aussi formé
des bandes de brigands, composées d'Anglais et de « faux Français ».
Ils dévastaient les campagnes et avaient pour retraite des châteaux
inhabités. De ces points ils portaient la désolation dans tous les
lieux et faisaient des courses jusque sous les remparts de Cahors ^.
1. Giiesclin, p. 328.
2. « Vidisti, quod ^ravins est, deputatos divinis obsequiis scelcratis operibus
inquinatos ; vidisti sacris pridic ministeriis insudantes nunc rapinis intenderc, nunc
spoliis occupari, nunc efï'usioni (proh dolor) humani vacare cruoris. Accinjiitur cnim
}i,ladio, suniit arcum et faretram. arniatur lancca, insurgit in clippcum qui nuper
libruni in nianibus et in ore gestarc Doniinum consuevit : ministri altaris Doniinici
ministrant, heu, raptoribus virginuni, conjugataruui adulteris, et abductoribus vidua-
rum .). He(]. Vat., n- 238, fol. 03.
3. FnoissAKT, I^^ p. ()7 suiv. \'()\ . plus haut, p. 65.
4. Lacoste, Hisi. (jén, de la j)rovince de Quercy, III, p. 149.
188
LA GUERRE DE CENT ANS
A partir de 1357, après la trêve de Bordeaux, ces bandes
devinrent beaucoup plus dangereuses, et se répandirent de plus en
plus sous le nom de « Societates » ou de « Compagnies ». Ce nom
avait été appliqué plusieurs années auparavant à des bandes
de même sorte répandues en Sicile^ et en Italie. Après la paix de
Brétigny (1360), nous rencontrerons comme une jouissance redou-
table la Grande Compagnie, dénomination déjà employée par Inno-
cent VI en 1358 pour désigner les bandes d'Arnaud de Cervole en
Provence -.
0. Arnaud de Cervole^ archiprêtre de Vélines, clerc et brigand.
Son invasion en Provence.
Après la monographie si détaillée de Chérest, on pourrait sup-
poser qu'il ne reste plus rien à dire sur Arnaud de Cervole'-. Per-
sonne, en effet, ne niera que, comparé à ses devanciers, cet auteur
n'ait de grands mérites : il a ajouté beaucoup de faits nouveaux à
ceux qui étaient déjà connus. Néanmoins, son appréciation fonda-
mentale de r Archiprêtre est erronée, et sa description de la course
en Provence très défectueuse.
Voici d'ailleurs les points principaux de sa caractéristique d'Ar-
naud de Cervole : d'abord l'Archiprêtre n'était pas clerc mais
laïque, percevant seulement à titre d'inféodation les droits utiles
de l'archiprêtré de Vélines, du diocèse de Périgueux. En second
lieu, Arnaud n'était pas un brigand et jusqu'en 1358, il n'avait rien
fait qui lui valût aux yeux de ses contemporains cette outrageante
qvialification, ce n'est que depuis lors qu'il avait contracté
quelques-unes des habitudes fâcheuses que le métier de chef de
bandes entraîner Suivant Chérest, l'Archiprêtre avait commencé
sa carrière comme capitaine de soudoyers, et avait été, sauf
quelques interruptions, au service du roi de France. La monogra-
1. Reg. Vat. Innoc. V7, n" 228, fol. 1'', ad an. 1355, Febr. 27 : « gentes societatis
Gompag^ne vulgariter nuncupate, regnuni Sicilie... nuper intraverunt »>. Cf. encore
RicoTTi, Storia délie compagnie di ventnra (Torino, 1844).
2. Voy. ci-dessous, p. 209.
3. L'Archiprêtre, épisodes de la (fuerre de Cent ans au XIV' siècle, par A. Chérest
(1879).
4. Ibid., p. 60, 04.
ARNAUD DE CERVOLE, 1357, 13o8 189
phie de Ghérest tourne souvent en apologie de l'Archiprêtre.
Pour ce qui concerne le premier point, Ghérest n'est pas le seul
à l'affirmer. Avant lui, S. Luce avait fait observer ^ qu'Arnaud de
Cervole, originaire du comté de Périgord, était archiprètre de
Vélines, au diocèse de Périgueux^, et qu'il arrivait parfois au moyen
âge qu'un archiprôtré fut inféodé au temporel à un laïque. Tel avait
été, d'après lui, le cas pour Arnaud. Quant au reste, Luce le consi-
dérait comme un bandit, sans fournir toutefois, à l'appui de son
assertion, des preuves capables de convaincre Ghérest.
Une quittance du 13 juillet 1332 est, d'après ce dernier auteur, le
premier document historique concernant l'Archiprêtre, qui devait
jusqu'à meilleure information servir de base à la biographie d'Ar-
naud-^. Pour Luce, le premier document était un acte daté de février
1354, où le roi Jean assigne à Arnaud, écuyer, 200 livres de rente ^.
Les deux documents nous montrent Arnaud comme un homme de
guerre au service du roi Jean. Si c'étaient là les premiers témoi-
gnages concernant la carrière d'Arnaud, il serait en effet compré-
hensible qu'on n'eût vu en lui qu'un laïque dont les antécédents
n'avaient rien de commun avec un brigand.
Mais il n'en est pas ainsi. Deux documents inédits, dont un est
de plusieurs années antérieur à ceux qui étaient connus jusqu'au-
jourd'hui, renversent l'appréciation fondamentale de Ghérest et nous
montrent Arnaud clerc^ curé qï bandit. D'après le premier, en 1347,
Arnaud de Gervole, archiprètre de Vélines, du diocèse de Périgueux,
est accusé auprès de Glément VI par Gautier de Ruffinac bache-
lier en lois, de vivre dans la société de brigands et de gens de
basse extraction, de se rendre coupable de crimes et de meurtres et
1. Froissart, V, p. XXIV, not. 1 ; Guesclin, p. 328.
2. Cela devient tout à fait hors de doute par les suppliques citées p. IQOsuiv.Du reste
dans d'autres documents des Archives du Vatican, plus loin cites, on écrit de « Veri-
nis », ou « Veirinis », « Veyrinis » ; « Verinis » était aussi écrit dans la 1'""' et 3« Vie
d'Innocent VI et dans la l"^" d'Urbain V ; Baluze, Vit. pap. Avenion., I, p. 334, 360,
370, avait seulement mal lu : « Verniis ». On voit que ces auteurs et écrivains, ou
ont écrit r pour t, comme cela est arrivé souvent au moyen â^e, ou ont con-
fondu Veyrines et Vélines, deux localités situées dans le diocèse de Périgueux. Mais
Veyrines (« Veyrinas ») était sous Tarchiprctré de Saint-Marcel (Arch. Vat., Col-
lector., n° 37, fol. 7), et Vélines seulement était un archiprètre [Ibid.^ fol. 5** : « archi-
presbyteratus de Velhinis »).
3. Ghérest, p. 8.
4. L. c, p. xxiii, not. 3.
190 LA GUERRE DE CEIST ANS
d'être sans cesse occupé à guerroyer. Sa conduite, au dire de Gau-
tier, est un g-rand scandale et une honte pour Tordre clérical, car
ses infamies sont connues de tout le monde. Exhorté à recevoir dans
le courant de l'année les ordres majeurs, c'est-à-dire le sous-dia-
conat, le diaconat et le presbytérat, il a opposé un refus opiniâtre à
son évêque, et ne s'est jamais présenté devant lui quand il a été
cité pour d'autres cas canoniques. De plus, il a été mis en posses-
sion de l'archiprêtré à un âge trop jeune. Enfin Gautier demanda
une enquête et exige qu'Arnaud soit éventuellement dépouillé de
l'archiprêtré ^
Ces graves accusations nous donnent d'un coup un portrait de
l'Archiprêtre bien différent de celui que Chérest nous a tracé.
Arnaud était clerc, n'ayant pas reçu encore les ordres majeurs qu'il
avait négligé de se faire conférer depuis longtemps, et dès le com-
mencement, malgré son caractère clérical, c'était un brigand, un
bandit. A peine était-il tonsuré ou minoré, que son penchant inné
pour le brigandage se fit remarquer. Cela prouve qu'il était entré
dans les ordres pour obtenir un bénéfice, peut-être par nécessité
d'un gagne-pain.
Cela est confirmé par un autre document du H mai 1355, et à
1. Suppl. Clem. VI, n° 13, fol. 78*', ad an. 1347, Julii 1 : « Sanctissime pater. Gum
Arnaldus de Sorvolis, tenens archiprcsbiteratum seu plebanatum de Velhinis, Petra-
goricen. dioc, prcdonum et vilium personarum inhereat vestigiis, scevis et ènornii-
bus se immiscens, bcUis, guerris et homicidiis incessanter insistendo, sicque predic-
tum beneficium tenet in plcbis sue scandaluni ac opprobrium et contemptum, status
et ordinis clericalis, cuni de predictis sit publica vox et fama, nec non ut ad sacros
promoveretur ordines infra annum et ob alias causas canonicas per ordinarium moni-
tus et citatus, scmper extitit contumax, inobediens et rebellis, sicut fertur, atque
etiani tempore provisionis sibi facte de eodem minor foret etate légitima ; supplicat
eidem sanctitati devotus et humilis orator rester Galterus de Ruflînhaco bacallarius
in legibus, Sarlaten. dioc., quatenus alicui probo viro comniittere cum omnibus
incidentibus emergentibus et dependentibus, quod de premissis inquirat et se infor-
met summarie et de piano, ut ipse prefatum Arnalduni déclarât dicto benefîcio
propter premissa privatum vel ipsum privet eodem, prout justitia suadebit, ac prefa-
tum beneficium dicto Galtero, si secundum premissa vel eorum altero modo vacet,
conférât vel cum ex prefatis causis vel eorum altéra seu alias, si per renunciatio-
nem ipsius Arnaldi eo casu quovis aliquod adhuc haberet, vacare continget, dona-
tioni apostolice reservare dignemini, ipsi Galtero per eundem conferendum, non
obstante quod altare vel capellaniam manus mortue idem Galterus in ecclesia
Aurelianen. noscitur obtinere, et quacumque reservatione generali vel speciali de
ipso benefîcio forsan factà, et cum omnibus aliis non obstantibus et clausulis oportu-
nis. — Fiat commissio in forma juris etiam de providendo isti. R. — Et quod tran-
scat sine alia lectione. Fiat. R. — Datum Avinione kal. Julii anno sexto. »
ARNAUD DE CERVOLE, 1357, 1358 191
cette occasion nous apprenons qu'Arnaud fut privé de l'archiprê-
tré. Amanieu, archevêque de Bordeaux^, annonce à Innocent VI
que Guillaume'^, évéque de Périgueux, avait intenté un procès
contre Arnaud de Gervole pour des crimes à lui imputés, dont nous
avons parlé tout k l'heure. Mais Guillaume ayant été déplacé, la
chose restait dans l'incertitude; puis le successeur^ étant nég-li-
g'eant, l'archevêque même, avisé du scandale, ordonna une enquête,
à la suite de laquelle Arnaud fut privé de l'archiprêtré, qui fut
conféré au prêtre Raoul Adam. Le pape est prié de confirmer la
privation et la nouvelle collation^. G'est assurément entre 1351 et
1355 qu'Arnaud fut privé de son bénéfice. Cette date peut être plus
précisée. Lui-même se nomme encore archiprêtre de Vélines le
13 juillet 1352^; mais en février 1354 le roi Jean l'appelle déjà
écuyer ^. C'est donc vers 1353 qu'il perdit l'archiprêtré.
1. Amanieu d'Apt, archevêque dès 28 septembre 1351. Voy, Eubel, Hierarchia
cathol.^ p. 155.
2. Guillaume, cvèque dès le 13 février 1348, n'est pas mort à Périgueux, mais il fut
transféré à Braga le 24 juillet 1349 (Eubel, 1. c, p. 417).
3. Pierre Pin, évéque dès 27 juillet 1349 {ibid.).
4. Suppl. Innocenta VI, n° 26, fol. 104, ad an. 1355, Maii 11 : « Signifîcat S. V. devo-
tus orator vester Amanevus archiepiscopus Burdegalen., quod licet olim Arnaldus
de Servolio, tune archipresbiter seu plebanus ecclesie de Velinis, Petragoricen. dioc.,
que in Burdegalen. provincia existebat prout existit, archipresbiteratum seu pleba-
niam ipsius ecclesie curam animarum habentem pacifice possideret, tamen per plures
annos non curavit, cessante causa rationabili, se facere ad sacros ordines promoveri,
ymmo pejora malis adiciens, sévis se immiscuit, in quibus strages hominum et alia
enormia comniissa fuerunt, et miles seculi est eft'ectus ; et quamvis premissa adeo
essent notoria quod nulla poterant tergiversatione celari, ac bo. me. Guillelmus epis-
copus Petragoricen. super premissis contra eundem Arnaldum ad suam propterea
prcsentiam evocatum procedere incepisset, tamen quia idem episcopus fuit morte
preventus hujusmodi negotio sic pendentc, ac episcopus Petragoricen. successor
ipsius circa hujusmodi cxcessuum correctionem erat prorsus negligens et remissus,
prefatus archiepiscopus, ad cujus audientiam premissa publica fama deduxit, qui-
busdam discretis commisit atque mandavit ut super premissis inquirerent, et si
reperirent ita esse, prefatum Arnaldum eodem archipresbiteratu privarent et illum
alteri persone ydonee conferre curarent. Qui forma commissionis et mandati hujus-
modi diligentius observata, quia invenerunt premissa veritate fulciri, dictum Arnal-
dum eodcm archipresbiteratu justitia exigente per dilïînitivam sententiani, que nulla
provocatione suspensa in rem transivit judicatam, privarunt, illumque magistro
Radulpho Ade, in sacerdotio constituto, contulerunt. [Supplicat archiepiscopus, ut
summus pontifex privationem et coUationem confirmet]. — Si vacat ut asseritur
magistro Radulpho providemus. G. — Et quod transeat sine alia lectione. Dat. Avi-
nione v idus Maii anno tertio. »
5. Chéuest, p. 8.
6. LucE, 1. c, p. xxui, not. 3.
492 LA GUERRE DE CENT ANS
Mais Arnaud conserva le titre de son ancienne et première
fonction chez ses contemporains; jusqu'à sa mort, arrivée le
25 mai 1366, il était connu sous le nom d'Archiprêtre. Le roi
Jean, n'ignorant pas les talents militaires d'Arnaud, se servit
de lui dans les entreprises guerrières. Qu'il fût brigand cela
ne pouvait l'inquiéter, car combien de sujets semblables ne
vojait-il pas dans son armée ! Ceux-ci étaient souvent de vail-
lants et toujours de courageux soldats, et l'Archiprêtre était de ce
nombre. Toutefois, dans sa nouvelle carrière, il resta le brigand
d'autrefois.
En 1354, Arnaud s'empara, avec l'aide d'une petite troupe, des
trois châteaux de Cognac, de Merpins et de Jarnac en Saintonge
qui appartenaient à Charles d'Espagne, le connétable assassiné^.
Ce penchant au larcin se trahit plus visiblement en 1356 par un
fait qui a échappé à Chérest. Le roi, étant alors devant Breteuil,
vint à apprendre que l'Archiprêtre avait pris un château en Nor-
mandie. Aussitôt il envoya Jean de Clermont, pour savoir de quel
droit Arnaud en avait agi ainsi. L'envoyé ne trouva d'autre raison
« que c'estoit ainsy que par larchin- ».
Du reste, cet aventurier représentait comme chevalier, à la
bataille de Poitiers, le trop jeune comte Pierre d'Alençon qui entra
plus tard dans l'Ordre des Frères Prêcheurs 3, et il venait alors
d'épouser Jeanne de Graçay, veuve d'André Chauvigny, seigneur
de Levroux. Le 27 mars 1357, il figure au protocole sur la liste des
conservateurs qui avaient ordre de veiller au rétablissement de la
paix dans la vicomte de Limoges et en Berry ^. Mais quelques
mois plus tard, nous le retrouvons à la tête des routiers et d'une
de ces compagnies décrites au paragraphe précédent.
Au mois de mai (non pas en juillet seulement, comme le prétend
Chérest) il est, avec une bande, prêt à envahir la Provence, à l'ins-
tigation et avec le concours du sire des Baux et de ses nobles adhé-
rents ^.
1. LucE dans Froissart, xxiv, not. Chi?rest, p. 14.
2. Bourgeois de Valenciennes, p. 289.
3. Chérest, p. 21 suiv.
4. /brd,, p. 26 suiv.
5. Baluze, 1. c, p. 360; Ruffi, Hist. de Marseille (1696), I, p. 180, d'après d'autres
sources. Sur les origines de la guerre entre les seigneurs des Baux et leur suzerain,
voy. Chérest, p. 41 suiv.
ARNAUD DE CEHVOLi:, 1357, 13o8 193
Là nous touchons à une foule de documents pleins d'intérêt qui
ont encore échappé à Chérest. Ceux-ci démentent ki rumeur
puldique contemporaine qui accusait Innocent VI d'avoir encouragé
secrètement les desseins d'Arnaud et de ses confédérés'. Les
mêmes documents rendent encore improbable une autre supposi-
tion, à savoir que l'alliance des Provençaux et de l'Archiprêtre ait
été encouragée par le cardinal Talleyrand-Périg-ord qui aurait tout
réglé et tout organisé -. On accusait même le dauphin d'avoir
envoyé ces troupes dans le but de s'emparer delà Provence, comme
nous le verrons tout à l'heure.
Le 21 mai 13')7, Innocent VI écrit au dauphin Charles, duc de
Normandie, que d'après un jjruil qui court, il paraîtrait que, sur son
commandement, une bande se dispose à envahir la Provence appar-
tenant à la reine Jeanne de Sicile. Le pape lui fait remarquer quel
danger il en pourrait survenir par suite de la proximité d'Avignon
et que ce ne serait pas moins dangereux pour le dauphin lui-même
qui, dans une situation déjà très précaire, accroîtrait encore le nombre
de ses ennemis. Il le prie de défendre à ses sujets une telle entreprise,
annonçant que le cardinal Pierre de la Forêt doit lui écrire plus
longuement à ce sujet '. \ ne autre lettre du pape adressée le 2 juin
1. La 3'' \ie (l'Innocent \l dans lîALi'zt;, 1. c. ; Ciikukst, j). 45.
2. lÎAi.i zi;, 1. c. : M. A^M.AM, Istorie, dans Muuatoiu, Script., XiV, p. Jr)6, c. <S7; il
dit : « secundo clie la fanie corse ». Riffi, 1. c. Au même temps cette opinion a
souri à Ji:a.\-Fhan(;ois de GAUFuini, Hisi. de Provence (Aix 169i), p. 223. De même
GllÉUKST, p. i6.
3. Tie(j. Val., n" 239, fol. 71'' : MuUi, lili, summurmuranl quod nonnulli nomen
tuum et titulum ac preceptuni quod est amplius pi-etendcntes, ad invadendum
comitatvun Provincie, qui ad cai'issimam in Christo iiliam nostram Johannem re^i-
nani Sicilic illuslreni consanguineam tuam, ut nosti, pcrlinet, se disponunt. (^irca
(juod duplici opinione ^ersamur ; nam facile credinius quod, mundo in niali^no posito.
nudti sunl qui hec cl alia gravioi'a iemptarent; sed nejj:otioruni tuorum qualitatem et
conditionem currenlis temporis intuentes ac attendentes, qua ipsi reiiinc junjicris,
communioneni sanguinis, et quod hiis omnibus majus est, devotionis alïectum ({uem
geris ad Romanam ecclesiam malrem tuam, que loto quasi terrarum orbe turbato in
civitate Avinionen. cidem comitalui innnediate continua utcumque quiescit, et cui
e.x invasionc hujusmodi grandis lurbatio nasceretur grandisque injuria fieret, si in
conspectu ejus talia contingerel attemptari : j)robabiliter certi sumus (juod tu opcra-
tionibus lalibus non solum non i'a\'eres, imo nec suggerentibus preberes audit uni.
(vHiapropter nobilitateni tuam conlîdenler adimus illam attentius deprecanles... c[iui-
linus (prudenler considcrans ((uod... Jolianne roge Francorum illustri paire tuo in
manibus suorum hoslium constitulo, nec adhuc inter cos pacc i)occalis exigentibus
rel'ornuita, non e\|)edit ef et libi cunudare alios inimicos, quod({ue jus. si quod in
11. 1*. Denifli:. — Desnlalin cccJcsiarum II. 13
194 LA GUERRE DE CE?sT AISS
au roi captif, nous apprend que ces troupes se recrutaient en
France et s'unissaient en Dauphiné, pour se répandre ensuite en
Provence. Il représente au roi Jean, comme il Ta fait au dauphin,
les dang-ers d'une expédition semblable qui est certainement con-
traire à ses desseins et le prie d'empêcher son fils de faire ou
de laisser faire une telle chose ^ Le même jour, le pape envoya à
ce sujet une lettre semblable aux deux cardinaux Talleyrand et
Gapocci en Angleterre^ leur enjoignant d'insister auprès du roi cap-
tif pour que, de toute la force de son autorité, il commande au dau-
phin de rappeler les troupes qui sont déjà en Dauphiné'-. A cette
date, des lettres furent écrites dans le même but à Arnould d'Au-
drehem et à Bernard comte de Ventadour*', et le 9 juin. Innocent
écrivit aussi à l'empereur Charles IV touchant ces gens d'armes
réunis dans le Viennois, afin qu'il exerce à ce sujet toute son auto-
rité sur le dauphin ^.
Mais le dauphin ne tarde pas d'assurer au pape que cette invasion
de la Provence par des gens d'armes de France et du Dauphiné
n'avait jamais été dans ses intentions, et qu'il se propose de l'inter-
dire sous des peines très graves. Une lettre datée du 9 juin, dans
laquelle le pape témoigne sa joie au dauphin, nous raconte ce qui
comitatu ipso libi comi)elit, salvum libi est ncc eadeni résina recusabil sicut non
anibi^iinus, quotiens requisita fuerit super eo stare juri) ab onini noNilalo conlra
ipsuni coniilatuni l'acicnda, quam ipsi palri tuocredimusraLione probabili displiccre.
onines j;cnles et subditos tuos velis... penilus i)rohiberc-.. (îrave namque ac ania-
rum admodum noliis esset calamitates et con^ressiones hostiles in l'aeic nostra
pati, ({uî remolioi'es qiios({iic fore concordes sunimopere afTectannis... Super liis
auteni Petrus basilice duodecim Aposloloruni cardinaHs plenius til)i de conscienlia
nostra scribit. Dat. apud A'illaninovam Avinionen. diocesis xj kal. Junii anno
quinto. — ^ oy. A\'i:iu>sivy, Excerpta. etc., n" 427 et suiv.
1. Ri'{l. V,)<., 1. c, fol. 90'' : « Conf;re^ate sunt el conjire|;anlur colidie de ])arlibus
regni tui et aliunde in Dalfinalu ^'iennen. de niandalo... Caroli primo{;eniti tui del-
lini ^■iennen.. ut dieitur, nudte pentes, coniitaluni Provincie... invasure. De (pio
lanto niiraniur ainj)Uus el tristamur. quanto eundeni dueeni nec causani nec oecasio-
neni lial)ere credinius lalia raeiendi,et (pianlo l'e-^no liio nonduni paeato. sed adhuc
solite dissensionis nuelilnis inquieto, non e.xpediebat nece.\i)edit ». elc.
2. Ihid., loi. 91'' « Turbato l'ère toto lerraruni orbe..., hec terrariun nioclica portio
provincia ProNincie scil.. (pie ulcunique (juiescere \idebatur exterius, i)acis hostcni
sic ad invidiani l)ro^■oca^ it... »
3. IbicJ. Dans le document est la laule sui\anle : <> Dil. lilio Ihuliilfo domino de
Douâenhixei)^ niarescallo Francie ». Fol. 91, plus correctement : « Arnulplius dom. de
Iloudencham ».
4. Ihid., fol. lOG; Weuu.nsky, n".i3i.
AK.NAL'D Di: CKRVOLE, 1357, 1358 1D5
précède^ Le 12 juin, Innocent fait part au roi captif de la réponse
de son fils; mais, n'étant pas encore tranquille, il le prie de com-
mander à Charles de ne point permettre que la Provence soit trou-
blée'-. Une consolation pour le pape était qu'Amédée, comte de
Savoie, se mettait tout à fait d'accord avec lui ; aux gens d'armes,
« que se ad invadendam Provinciam disponebant », Amédée avait
fait des défenses formelles •^.
Innocent VI se montra bien troublé des nouvelles qui lui étaient
rapportées. Jean-Ferdinand de Ilérédia, châtelain d'Emposte et
grand prieur de Saint-Gilles, capitaine général de troupes du (]omté-
Venaissin '^, fut fait prisonnier par les Anglais dans la bataille
de Poitiers et cédé à Bernard, sire d'^\.lbret. Tout l'espoir du pape
était en Jean qui devait alors bientôt se présenter au sire
d'Albret pour traiter de sa rançon. Le 2 juin, Innocent priait ce
dernier de prolonger le terme jusqu'à la Toussaint, afin que ce
capitaine pût préparer la défense du Gomtat contre les envahis-
seurs ^.
1. Reff. Val., fol. 109'' : « Per lilLeras suas... resciùbens nobis quod nunquam fucrat
ncc crat de consciencia tua ({uod alique j^cntcs rcgni Francorum et Dalfinalus tui
Vicnncn. invadercnt comitaLuni Pro\incic, cL quod statueras proclamari l'accre pcr
dicta rcgnuni et Dalfinatuni quod nullus sub pénis proditionis et perditionis corpo-
ris et bonoruni suoruni présumât dictuni invadere comilatum, inextiniabili nos
j;audio perfudisli ».
2. Recf. Vat., fol. 111, deux lettres du Djuin. On y trouve jilusieurs autres lettres
adressées au.v nonces sur cette aflaii-e ; elles répètent toujours la même chose.
3. Voy. sur lui Cottieh, Noies hist. concernanl les liecleurs du ci-devnnl Comlê-
Venaissin (1806), p. 67 sui^^
4. lietf. Val., n" 239, fol. 88'' : Dil. lilio nobili ^■ir() Bernardo domino de I^ebreto,
militi, salutem, etc. Ven. fraler (iuido episcopus Portuen. et dil. fdius nostri
Audoinus, tit. SS. Joli, et Pauli ])res])iler cai-dinalis. seripserunt tibi de conscientia
noslra nuper, ut dil. filio Johanni de Ileredia, caslellano Emposte Ilospitalis S.
Joli. Jerosol"', (jui hoc anno in congressu... Johannis reji:is Francoriun illustris et...
nobilis viri Edwardi primo|.;enitl... Edwardi régis Anglie illustris. principis "W'allie,
captus tibi cessit ut dicitur, terminum advenlusejus ad te ad tractandum de redemp-
lionc sua usque ad festum Omnium Sanctorum futuruni pro.\imo prorogares, sibi([ue
concederes ([uod intérim armare se, ac armorum négocia gerere posset pro custodia
et dcfensione terrarum nostrarum, (pias i)erturbari veremur propter no\itates (pias
in partibus istis nascituras inimicus pacis et pater dissidii procuravit. sicut signa
palentia manifestant [Dicto castellano suas patentes litteras opportunas super hoc
mitlat]. l)at. apud ^^illamnovam Avinionen dioc, iiij non. Junii anno ^'''. — Le
manusc. porte <« \\\ non. Junii », évidenunent une erreur; les lettres sui\anles s'oc-
ciq)ent aussi d'IIérédia et des hospitaliers, avec la date : iiij non. Junii.
."). //>/(/.. fol. 110'' : (( ... Etlicet,fili carissimc, credamus firmiter (piod du\ ipse fal-
lacias et dece[)tiones eoruni (pii in dispendiis aliorum ({ucrunl propria lucra. cogno-
i96 LA GUERRE DE CENT AiNS
Néanmoins, au mois de juillet le danger était devenu imminent.
C'est à cette occasion que FArchiprêtre est désigné pour la pre-
mière fois comme capitaine d'une compagnie. Déjà le 6 juillet ou
avant, le pape avait ordonné la réparation des portes d'Avignon.
Dès le 13 juillet, il envoya des hommes pour observer la marche
des troupes; des euA^ovés de Tévêque de Valence se joignirent à
eux. Il semble que les troupes aient pris la route de Romans et de
Nomaco. Le 14 juillet, elles avaient déjà passé Valence. Le 15 du
même mois le pape envoie à l'Archiprétre et à a Rebeta », l'un de
ses affîdés, un écuyer porteur d'une lettre ^ datée seulement du
20 juillet dans laquelle il dit être informé du dessein qu'a conçu
Arnaud d'envahir la Provence et lui signifie les peines qui attendent
les envahisseurs des terres appartenant à l'église Romaine. Mais il
ne dit rien à propos de l'invasion de la Provence '-. Innocent écrit
aussi sur ce sujet à l'évêque de Valence. Et ayant entendu dire
qu'après l'Archiprétre d'autres gens d'armes doivent venir, il
scens se ad aliquid quod disj)licens libi. odiosiim Den, lionori suo contrai'iuin... exi-
steret perlrahi non pcrniiLlet, quia lanien lilii Icnebrarum prudenciores liliis lucis
sunt cl principibiis utpolo natura purioribus et ad ardua distractis et varia niultiun
scpe lin|;iia tei'cia et subdola ac palpans adulatio siuM'ipece consiie\it, serenitateni
tuani instanlcr et alîectuose precaniiir inslancius et alVeeluosius deposcentes, quati-
nus i)refal() duci dare velis expressiiis in mandat is u( novitaleni adversus coniitatuni
eiundeni noxiani fieri nidlatenus patialur. Hoc enim nol^is el lVati-il)us nostris coi'di
est plus (juani litteris expriniere valeanuis. Datuni apud A'illainno\ ain A\inionensis
tliocesis ij idus Junii, anno ([uinto ».
1. Arch. Vat.. Inlroit. el exit., n" 282. fol. 236. ad an. 1357 : « Die vj Julii... soluli
iuerunt de mandato doni. nostri pape pro reparatione portalium A\inion. doui.
Guillelmo Rulandi niiliti, marescallo Avinion... CL llor.
— Die XIII" dicti nicnsis Julii soluti fuerunt de mandato domini nostri Augerio
Rinerie servieuti armorum misso per dom. nostruni ad ex})lorandum de illa socie-
ta[te] gcntium armonuii que veniebant in Provinciam, ipso recipiente. X\' iloren.
— Die eadeni XIII", soluti fuerunt II niessageriis dom. episcopi ^'alentin., qui
A encrunt de Romanis et Nomaco ad significandum nova de Archipresbytero de \'eri-
nis (n" 283, fol. 91'' : « A^eirinis ») et ejus consociis venientibus in Provinciam
XXXI sol.
— Die XIIII" dicti mcnsis, fuerunt soluti II aliis niessagei'iis... (jui rctulerunt dic-
tas gentes fuisse apud \'a!enliam. l flor.
— Die XV" dicti niensis, fuerunt sokdi Raymunclo de Sancto Michaele servienti
arnitu'uni dom. nostri pape misso ciun litlei'is bullalis dom. nostri pape ad dictum
ai'chipresbiterum de Verinis (n" 283, fol. 91'' : « A'eyrinis ») et dicto Rebeta (n^' 283,
fol. 91'': « Ribeta »),qui fuit cum eo, pro expensis suis. IX llor., XIII fol. V^III den. »
2. Re(j. Vat., n" 239, fol. 170 (n" 2'ii I, ep. 30, la minute) : « Dil. fdio nobili viro
Arnaldo de Cervola, militi, salutem, etc. Miranter audivimus quod tu cum certo
numéro hominum armatorum ad partes Provincie dirigis gressus tuos. Cum autem
ARNAUD DE CERVOLE, 13o7, 1 3o8 497
envoie sans tarder de nouveaux observateurs'. L'Archiprètre ou
ses alliés répondirent qu'ils n'avaient pas l'intention d'entreprendre
quelque chose contre la cour Romaine ou contre les possessions de
TKg-lise, mais seulement contre Louis, roi de Sicile 2.
Toutefois la situation devenait de plus en plus inquiétante : le
pape, craig-nant pour son comté Venaissin et pour Avignon même,
écrit le 21 et le 25 juillet à l'empereur Charles IV''', et le 24, au
roi prisonnier, et aux cardinaux Talle\ rand,Capocci et Pierre de la
Forêt, d'insister à cet effet auprès du roi^. On avait grand'peur à
Avignon, car on craignait un coup de main de la part de l'Archi-
prétre. Avant le 31 juillet le pape commit plusieurs centaines
d'hommes cavaliers et piétons à la garde de la ville'. Le 1^'' août,
il ordonna à l'abbé de Psalmodii, à Hug^ues d'Arpajon et surtout au
comitatus nostcr Vcnaysini eisdem partil)us sit immédiate conlij;uus et intimus,
nobilitatcm tuani attente requirimiis et hortanmr, tibi per apostolica scripta man-
dantes, quatinus prudenter considerans cpiod advcrsus in^"adentes, turbantes, olï'en-
dentcs et molestantes terras ecclesie Romane excomnuinicationis etintcrdicti et alie
sententie et penc spirituales et temporales per processus apostolicos sunt prolate,
pro nostra et apostolice sedis revcrencia ab omni olîcnsa, molestia et turbatione
dicti comitatus et aliarum terrarum ipsius ecclesie abstineas, et gentes que tecum
sunt prohibeas cum efl'ectu. Rescripturus nobis tuam super hoc voluntatem. Datum
Avinione xiij kal. Augusti, anno quinto ».
1. Introït, et exil., 1, c. : « Die XVI" dicti mensis, fuerunt soluti uni messagerio
episcopi Valentin., qui portavit litteras dom. nostri pape dicto cpiscopo Y sol.
— Die XVII" dicti mensis, fuerunt soluti Nicolao de Murcia cursoii pro expensis
suis laciendis eundo et redcimdo versus Vicnnam misso ad explorandvmi de aliis gen-
tibus, que dicebantur venire post archipresbiterum predictum X flor. »
2. Vn.LAM, Istorie, dans Muratoui, XIV, p. 456, c. .S7.
3. Reçf. Vat., n" 239, fol. 160. Voy. Werunsky, n"" 449, 453. La lettre du 25 juillet
dans RAY.\.\Ln, Ann.^ 1357, n" 3.
4. Reg. Vat., fol. 164", 165'-.
5. Introït, et exit., n" 282, fol. 236, ad Jul. 31 : «... Et est sciendum quod propter
eminentes turbaciones, gucrrarum connnociones que noviter et insperate in A'enay-
sino et in Provincia, Romane curie valde vicina, supervenerunt. ex quibus in Avi-
nione et in locis valde vicinis evenire scandala vcrisimilitor timebantur, dom. noster
papa deliberato consilio provide ordinavit tenere ccrtam gentcm, tam equitum quam
pcditum armatorum , ad stipendia tam sua quam civitatis Avinioncnsis pro tuicione
civitatis Avinioncnsis et Romane curie, ne de facili patere posset incursibus homi-
num malignorum. Et inter cetera ordinavit quod pro custodia civitatis predicte
tenerenlur et haberentur iiij"" pedites armati \-oca(i briganti, quibus. videlicet ij"' ex
eis solverentiM- stipendia de pecunia ipsius domini nostri, et aliis ij" de pecunia civi-
tatis predicte », etc. Suivent d'autres dépenses pour celte alTaire. Le 31 août ces
troupes furent payées, et le compte se trouve ibid.., fol. 237. Mais on était <ibligé d'en-
tretenir les troupes encore pendant Tan 135S, comme il résulte d'Introït, et edit.,
n" 284, fol. 66 suiv.
198 LA GUERRE DE CENT ANS
recteur du Venaissin, Guillaume de RofTillac, prévôt du monastère
d'Evmuntiers ^, la fortification des villes du Venaissin et la levée
de loO gens d'armes à cheval pour la proctection du comté. Tous,
tant laïques qu'ecclésiastiques, devaient contribuer aux dépenses-.
Mais il est très douteux que l'Arcliiprêtre, comme le disent plu-
sieurs^, soit allé jusqu'à Avignon même. Le pape qui n'omit jamais
de se plaindre et de rapporter les moindres particularités de cette
invasion, ne dit pas un mot de cela. D'autres documents ne nous en
apprennent rien non plus. Ils disent seulement, quand l'Archi-
prétre était déjà entré en Provence^ » qu'on avait peur ». De
même, il est aussi hors de doute que cette Cannée on commença la
fortification de la ville d'Avignon "*, et qu'on dépensa beaucoup
d'argent pour toute l'affaire.
1. Voy, sur lui Cottier, Notes hist. concernant les recteurs du ci-devant Comté-
Vennissin, p. 67 suiv.
2. Re(f. Vat., n" 239, fol. 170 : « Dilectis filiis Gaucclino abbali monasterii Psalmo-
dien, Nemausen. dioc, et Hu^oni de Arpajonc canonico Uuthcn., subdiacono nosfro,
et Guilleluio de Roffilhaco preposito Ilaentcn. niouasterii, Leniovicen. dioc, eccle-
siarum comitatus Venaisini ad nos et ecclesiam Romanam immédiate spectantis pro
nobis et ipsa ecclesia Romana rectori, salutcm, etc. De statu comitatus Venaisini ad
nos et ceci. Rom. immédiate spectantis, cujus tu. fili Guillelme, reclor existis, attenta
solicitudine cogitantes,., consulta nuper deliberatione })ro\idimus comitatum ipsum
et loca ejus non solum murorum ambitu et aliis fortalitiis, scd armorum (pioquc gen-
tibus munienda. Ideocpic discretioni vestre per apost. scripta mandamus quatenus
vos et quilibet vestrum de locis dicti comitatus forlificandis vos summarie subjec-
ta re oculis informantes, ea que fortificatione indigere cognoveritis fortificari cum
omni solicitudine faciatis, et nichilominus centum quinquaginta armigeros équités
pro custodia ipsius comitatus agenda secuiius conducere |)ostposita dilatione quali-
bet, studeatis. Et quoniam hujusmodi ejusdem comitatus custodia, sicut laicorum, sic
etiam ecclesiarum et personarum ecclesiasticarum dicti comitatus respicit interesse,
volumus ut episcopos et alios prelatos necnon clericos et personas ecclesiasticas,
seculares et regulares, exemptas et non exemptas, Ordinum quorumcumque ac liospi-
talis S. Johan, Jerosolim. priores, preceptores et fratres... dicti comitatus ad fortiti-
cationem faciendam et stipendia solvenda hujusmodi eisdem conducendis equitibus,
auctoritate nostra per censuram ecclesiasticam et districtionem que vobis expedire
videbitur cessante appellatione qualibet compellatis. Non obstantibus, etc. Dalum
Avinione kal. augusti anno quinto. »
3. Voy. ChÉrest, p. 50 ; Luce, Du Guesclin, p. 338. Mllani, cité par Chérest pour son
opinion, dit absolument le contraire ; d'après lui TArchiprètre est entré en Provence,
laissant à droite la ville d'Avignon. Voy. Islorie, 1. c.
4. Le 31 juillet on lit : «in Avinione... evenire scandala verisimiliter timehiintur ».
Vo}'. plus haut p. 197, note 5.
5. Introït, et. exit., 1. c, fol, 236 : « die XXX Augusti soluti fucrunt de mandato
domini nostri pape .Tohanni Christofori de Luca et Poniio Rigoit civit. Avcnion. pro
vallntis et clnusura ville faciendis ip»is manualiter recipientibus M iloren. » Encore
ARNAUÛ DE GERVOLE, 13îj7, 13^)8 199
Le 1*"" août, Innocent VI insiste de nouveau auprès du dauphin
pour qu'il défende à tous ceux de son royaume et du Dauphiné de
rien entreprendre contre la Provence ^, ce qu'il fît en ell'et. Dans une
lettre du 3 août adressée au même, le pape exprime qu'il espère
arriver par là à la tranquillité. Mais dans ce temps d'anarchie la
voix du dauphin n'avait aucune autorité. Aussi, malg-ré sa défense,
plusieurs nobles et communs du royaume et du Dauphiné
envahirent le Venaissin et y tirent, pendant plusieurs jours de
grands dommages. Ensuite ils entrèrent en Provence, pillèrent
surtout les villes, hameaux et terres des églises. Les gens du pays
furent rançonnés et torturés; plusieurs, après avoir tout perdu,
furent tués et leurs femmes vilainement traitées. Le pape s'adresse
de nouveau au dauphin afin qu'il porte secours aux opprimés -. A
la même date Innocent s'exprime pareillement dans une lettre à
Charles, duc de Bretagne, à qui il recommande d'insister à ce sujet
le 29 janvier 1358 on avait l'ait des dépenses « pro valatis et clausura civilatis Ave-
nion. » {Intr. et exit., n° 284, fol. 67''). Mais les murs n'étaient pas encore achevés en
13G1, comme il résulte d'une lettre d'Innocent VI du 23 août 1361, dans M.vr.THMv,,
Thés. nov. anecd., II, p. 1050.
1. Recf. Vat., n" 239, fol. 166. Weruxsky, n° 156.
2. Reçf. Vnt., w 239, fol. 179 : « Inspectis nuper litteris tuis, per quas ad instautiam nos-
tram sub pénis formidabilibus prohibueras ne ali({uis de re^no Francr»rum etDallinalu
tuo Viennensi auderet adversus comitatum Provincie aliquam novitatem noxiam
attemptare multo nos, fdi, perfudisti ^audio multaciue letitia replevisti. Sperabamus
enini a turbatione que nobis et curie curialibusque nostris ex dispositis rébus at(pie
negociis ut ferebatur communiter et ipsarum rerum probat exitus iniminebat esse
hujusmodi prohibitionis tue beneficio liberati. Sed hujusmodi spei nostre contrarium
(pro dolor) experimur elfectum. Siquidem nonnulli nobiles ac inferiores alii de regnoet
Dalfuiatu predictis hujusmodi tua prohibitione contempta ad comitatum nostrum
Venaysini dicto comilalui Provincie immédiate contiguum desccnderunt. ubi diebus
pluribus commorati multa, non absque olTensaDei et beati Pétri apostolorumprincipis
(cujus est idem comitatUs Venaisini peculiaris possessio, sicut nosti) ac nostra contu-
melia, dampna ^ravia inferentes, tandem intraverunt dictum comitatum Provincie,
in quo ecclesiarum precipue terras, villas et loca ad resistcntiam minus ydonea pre-
dantur, depopulantur et vastant, ac pacificas patrie yentes post bonorum et rerum
spolia variis tormentis aflli^unt et ad redemptiones importabiles per hujusmodi tor-
mcnta compellunt, nonnullis exigentibus ipsis immaniter interempfis ac nudieribus
eorum ignominiose viliterque tractatis. E.x quo ultra cjuam possit cxprimi lin^ua vel
calamo dolcnms pariteret tristamur... Ad te igitur Et quoniam dilata spes animam
vehementer affligit, iteruni petimus ut quaslibet super hoc moras omnino succidas et
hiis que dilectus filins Gaufridus Da\ id archidiaconus Tirachie in ecclesia Laudu-
nensi lator jiresentium, quem ad te signanter propterea mittimus. pro parte nostra
retulerit, cum sperate satisfactionis et exauditionis fructu adhibeas plenam fidem.
Dalum A\ inionc iij non. Augusti, anno quinto. »
200 LA GUERRE DE CENT ANS
auprès du dauphin ', comme le doivent faire aussi le conseil du roi
Jean, Tarchevêque de Reims, Robert le Coq, évêque de Laon, et
les évéques de Tours, Nevers, Théi'ouanne, et Robert de Lorris-.
Le 12 août, Innocent adresse au roi prisonnier une nouvelle lettre
dans laquelle il énumère les maux infligés par l'Archiprêtre et ses
compag'nons au comté de Provence. Les bandes, dit-il, s'attaquent
surtout aux églises et aux ecclésiastiques ; certaines localités
qui appartenaient soit aux églises, soit aux monastères ont été
détruites ou prises. (( Chaque jour nous apprenons que les enfants
de rÉglise sont inquiétés, spoliés, opprimés, torturés, décapités et
perdent la vie dans différents supplices. Les hommes corrompent
les vierges, débauchent les femmes, violentent les veuves et
portent leurs mains sacrilèges jusque sur les vierges consacrées au
Seigneur. Les fugitifs ne trouvent plus un asile sûr dans l'enceinte
des lieux sacrés. Pour échapper à tant de maux, les pères et les
mères se sauvent en abandonnant leurs enfants entre les mains de
Tennemi et les enfants s'enfuient en abandonnant leurs parents. » Le
pape prie le roi de faire ce qui est en son pouvoir pour conjurer
tous ces dangers •^ et commande aux cardinaux Talleyrand,
Capocci et Pierre de la Foret d'insister à cet effet auprès du roi'*.
A l'empereur Charles IV, Innocent VI adressa le 19 août une lettre
de même contenu sur les crimes commis ])ar les bandes qui deve-
naient toujours plus nombreuses, malgré la défense du dauphin, et
pria l'empereur d'envoyer à ce dernier un messager avec une lettre
dans laquelle il l'engagerait à mettre tout en oeuvre pour la défen-
sive^*. Le 13 août, le pape lui-même envoyait un message auprès
1. Recf. Vnt., n" 239, fol. 180. Les << promotores detestandi operisadjiinclis sibi com-
patriolis aliquibus » avaient déjà dévaslé le Venaissin, et continuaient aI(M's leur o'uvre
dans la Provence.
2. Ibid., fol. 181 à 182''.
3. Ibid., fol. 176'', et débute: « Receptis nui)er benii;nitate solita literis tuis o, etc.
La partie la plus importante de la lettre est dans RAv.vAt.n, yl/ï/i., 1337, n" i, la seule
qu'ait connue Ghérf.st, p. 52.
4. Ibid., fol. 178.
5. Ibid., fol. 194 : « Si vellenius, fdi carissimc, horrenda et aboniinanda quelibetque
in comitatu Provincie a nonnullis gentibus de diversis partibus, sed de re^no Fran-
corum et Dalfînatu Viennensi potissime congregatisinvicem,qualibet fere humanitate
deposita, committuntur, firmiter credimus et absque ulla dubitatione tenenius, quod
nedum tua..., sed cujuslibet etiani impii et reprobi viri precordia erga pauperes et
imbelles gantes dicti comitatus, compassione ac pietate maxima moverentur... Si(pii-
ARNAUD DE CEIIVOLE, 1357, 13o8 201
du dauphin pour en obtenir un mandement avec un sif^ne
censément convenu entre lui et Arnaud de Cervole aiin que ce
dernier quittât la Provence, car le pape avait appris d'un haut per-
sonnage envoyé auprès d'iVrnaud qu'il promettait de quitter de
suite la Provence si le dauphin lui en envoyait Tordre muni dudit
signe ' .
Rien de tout ceci n'arriva. L'Archiprètre et ses trou])es restèrent
en Provence et la dévastèrent en continuant leur marche vers les
bords de la Méditerranée. Le roi prisonnier se proposait, il est vrai,
au mois de septembre, d'envoyer promptement Boucicaut, maréchal
de France, contre rArchiprètre, ce qu'il annonça lui-même au pape
et que confirma le cardinal Talleyrand'-. Mais, malgré la prière que
faisait Innocent VI au roi de hâter la venue du maréchal pour que
deni, inclite princeps, j>cntes ipse quasi de hiimanilalc ])reter carneni aliqiiid non
liabentes, loca et Ijona omnia, sed ecclcsiaruni et monasteriorum precipue in quibus
nuUa eis resistentie virtiis opponitur, occupant, rapiunt. prcdantur, spoliant, incen-
dunt, dcpopulantur et vastant, ac homicidiis intente ac stragibus, non parcunt
ordini, sexui vel clali, in virginibus stupruni, adulterium in nuptis, et in viduis vio-
lentiani non aborrent, nec ipsis Deo dicatis virginil)iis, quibus cclestis spetiosi reve-
rentia et ipsa sacrorum clausura locorum deberet esse presidiuni, deferunt,nec judea-
rum quoquc feminarum dctestantur abusum... Adicit ctiam hiis plagis nostris... dolo-
ris aculeuni ({uod licet... Carolus primogcnitus... Johannis régis Francorum illustris .
dux Nornianie nepos tuus, prohibuisset expresse sub gravibus pénis quod nullus
audei'et ipsum invadere aiit oH'endere comitatum, ac idem quoque rex ipsi duci per
litteras suas, quaruni copiam mittinius tibi presentibus interclusam, expresse man-
daverit cjuod liujusmodi proliibitionem suani dcnuo iteraret et conipesceret pénis
strictioribus qui attemptarent aliquid contra illani, tamen prohibitione hujusmodi
(proh dolor) vilipensa gentcs ipse continuo pejora committunt, continuo de dictis
regno et Dalfinalu gentcs alie cumulantur, nec est qui prohilieat aut corrigat trans-
gressores.., Dat. Avinionc xiiij kal. Sept, anno V". » I.a fin de la lettre se trouAc
dans Ravxai-i), Ann., 1357, n° .'i.
1. liecf. Val., n" 239 fol. 183'' (n" 2 i J I, ep. 108, minuta) : « Dil. filio Gauirido David
arcliidiacono Tirachie in ecclesia Laudunensi. Dil. lilius nobilis vir Arnaldus de
Cervola miles, unus ex dissipatoribus et Aastatoribus hujus proNincic, intcr alia que
locutus fuit cuidam magno viro, quem ad ciun misimus. dixit quod si dil. lilius
nobilis vir Carolus primogenitus... Johannis régis Francorum illustris. dux \(U'manie,
mandaret sibi cum intersigno quod inter ducem et Arnaldum predictos est, quod
recederet de parlibus istis, slalim discederet abs((ue mora. "S'olumus ergo et discre-
tioni tue districte pi'ecipiendo mandamus quatinus pcr omnem viam et modum, ser-
vata tamen modestia et gravitate débita, mandatum cum intersigno hujusmodi stu-
deas impetrare. Datum Avinionc idus Augusti, anno quinte. »
2. Gela résulte de la lettre du 19 septembre au dit cardinal, qui avait écrit ({ue lui-
nicme et les deux autres cardinaux Capocci et Pierre de la Foret avaient présenté
la lettre du pape au roi, lequel était bien attristé des méfaits commis en Provence
{Bec/. Vnl., n" 239, fol. 217 .
202 LA GUERRE DE CENT ANS
celui-ci fît cause commune avec le roi Louis et la reine Jeanne de
Sicile grandement surchargés de dépenses et de dommages^ par
suite de cette guerre, Boucicaut n'arrivait point.
A son défaut, Philippe de Tarente, frère de Louis, roi de Sicile et
gouverneur général de Provence, conclut le 30 septembre, avec les
ambassadeurs du comte de Savoie, un traité d'alliance offensive et
défensive, traité arrêté à Avignon, par lequel le comte devait four-
nir immédiatement un certain nombre d'hommes d'armes-, ce qui
ne servit pas à grand'chose. Le comte d'Armagnac, Jean I, qui crai-
gnait une invasion en Languedoc, avait aussi conclu un traité d'al-
liance avec le sénéchal de Provence, Foulque d'Agout, à Avignon,
le 13 septembre'^. Mais les troupes du comte excitaient presque
autant d'inquiétude que de joie dans le camp royaliste '\ et, vers la
fin de novembre, le comte al:)andonna brusquement la Provence et
revint dans le Haut Languedoc.
Sur ces entrefaites, Rodolphe, duc d'Autriche, s'offrit à porter
secours, et envoya à cet effet auprès du pape Lambert, l'abbé de
l'abbaye bénédictine de Gengenbach en Alsace. Le pontife se mon-
tra grandement touché de cette offre qu'il accepta. Le IG décembre.
Innocent VI fit porter ses remerciements au duc d'Autriche par son
nonce Philippe, évêque de Cavaillon •"*.
Mais toutes ces négociations ne purent empêcher les brigands
1. Reçf. Vat., fol. 216''. Cf. Wiîkit.vsky, n" 362.
2. Chkhest, p. 5i.
3. Ilist. de Languedoc, IX, p. 67 i, not. 2.
4. Ibid., p. 55 suiv.
5. Be(f. Vat., n" 239, fol. 24-i : « Dil. filio nobili ^iro Radulplio duci Auslric salulem,
etc. Nuper dil. filins Lamperthus, abbas monasterii de Gen^enbaco Ord. S. Ben.,
Argentine diocesis, tue magnitudinis littcras de credencia deferens nobis ex parte
tua dévote retulit, quod tu velud devotus ecclesie Romane lilius moleste fcrens
quamplurimum, si (quod absit) eidem ecclesie adversitatis aliquid inferretur, propter
quod ad propulsandas molestias et vexationes indebitas reprimendas, que detestabilis
quorundam pestiferorum societas illicitis ausibus data licencia per invasiones ostilos
terrarum et locorum Romane curie circumadjacentium pacis tranquillilatem turbare
multipliciter moliuntur, castjue de partium istarum finibus absque more dispendio si
oporteat te gratis et libère ofïerebas. Tuam igitur et antiquam tui generis devotio-
nem quam ad prefatam ecclesiam gessisti hactenus atque geris, dignis in Domino
laudibus comniendantes, tueque sinceritatis oblacioncm laudabileni acceptantes,
super hiis tibi referimus graciarum uberes actiones... Ceterum nobilitateni tuam
rogamus attente, quatenus ven. fratri nostro Philippo, episcopo Cavallicensi, in par-
tibus ipsis apostolice sedis nuncio, in hiis in quibus pro felici expedicionc sibi coni-
missi negocii, tui favoris auxilium requirendum duxerit, ob nostram et apostolice
AKNAUD DK CERTOLE, 1357, VM)H 203
d'occuper les deux châteaux de Lagnes et Cabrières-d'Avignon '
dans le Venaissin, sui- les confins de la Provence, vers la fin de
l'an 1357. On craig-nait encore pour les châteaux de Saumanes, de
Bonnieux, d'Oppède et de Ménerbes -.
Dès les premiers jours de janvier 1358, TArchiprètre et ses alliés,
particulièrement Antoine des Baux, prévôt de l'église de Marseille,
jugèrent possible de tenter un mouvement décisif et d'attaquer les
grandes cités de la Provence. A la tète de cinq mille hommes,
tant à pied ([u'à cheval, ils s'emparèrent de places fortes et de
châteaux tombés un instant aux mains du comte d'x\rmagnac, et de
plus, de Saint-Maximin. L'Archiprêtre même mit le siège devant
la ville d'Aix. Les Marseillais effrayés sacrifièrent leurs faubourgs
aux nécessités de la défense^.
Le sort des monastères était déplorable. Nous possédons là-des-
sus des documents encore inconnus. Pendant que l'abbesse et les
sœurs de Sainte-Claire, dans les faubourgs de Marseille, se sau-
vaient, de peur des ennemis, leur célèbre monastère et l'église
furent détruits, et ce n'est qu'en 13G3 qu'elles obtinrent du pape
Urbain V la permission de reconstruire dans la ville un nouveau
couvent et une nouvelle église ^. A cette occasion, les Ermites de
sedis rcvercnciam, vclis illucl favorabilitcr impei'liri... Daliim Avinione xvij kal.
Januai'ii anno quinto ». Voy. encore une autre lettre adressée au même, ihid.,
fol. 234''.
1. Inlr.et exil., n" 284, fol. 66 : « plures ribaldi coni>regati de Provincia ceperant
castra de Laneis et de Gapreriis ». On devait augmenter les j^ens d'annes pour
(juinze jours, a quia intérim dioti ribaldi dimiscrunt dicta loca », ad an. l.'iôS,
.Tan. 1.
2. Inlroit. el exil., n° 283, fol. 122, ad an. 1357, Decemh. 29.
3. (]hkhkst, p. 56 suiv.
■4. Siippl. Urh. V, n° 37, fol. 23'', ad an. 1363, Maii 12 : « Sanctitati Vestrepro parte
humilium et devotarum filiarum vcstrarum abbatisse et convenlus monasterii sancte
Clare de Massilia exponitur, quod dudum causante ini([uarum societatum ignavia.
satagentium Provinciam et civitatem predictam Massilie tiranica rabie et rapaci pro-
tcrvia sibi ipsis dampnabiliter subjugare, ut ipsarum relijiiosarum dampnande pudo-
ris contaminatio vitaretur, et earum honestati provideretur Altissimo dispensa'n]le,
monialibus ipsis ita ipsam civitatem propter tune frementia orrenda discrimina
fugientibus et se salvantibus, monasterium ipsarum, quod extra menia civitatis cum
ecclesia solennc habe])ant, ductum fuit précipite in ruinam. Propterea eidem bentilu-
dini humiliter supplicant.., ut ipse auctoritate apostolica possint construere et edifi-
care infra muros dicte civitatis unum monasterium cum ecclesia et cimiterium... Fiat-
B. — Dat. Avinione IV id. Maii anno primo. » — La bulle sur ce sujet est dans Heff.
Vnt., n° 252, fol. 101''. Le pape accordait aussi des indulgences. Ihid., fol. 113. Déjà
le 6 janvier les sœurs avaient envoyé une suppliciue au Saint-Père. SuppL, n" 35.
fol. 39".
204 LA GUERRE DE CENT ANS
Saint- Augustin perdirent aussi leur ancienne habitation hors de la
ville; ils se retirèrent dans une maison sans église située dans la
ville même, et durent se contenter d'une chapelle concédée par les
hospitaliers de Saint-Jean'. Les religieuses cisterciennes de Saint-
Pons, près de Geménos % quittèrent également leur ancienne abbaye
et se fixèrent dans la ville de Marseille, où elles étaient encore en
1384, n'ayant pour église qu'une chapelle'^. On comprend facile-
ment que les reliquaires et autres choses précieuses n'étaient point
en sûreté ; pour les sauver, il fallait toujours les transjDorter des
faubourgs dans l'intérieur de la cité, comme le firent les moines de
Saint-Victor hors de la ville ^. A Saint-Maximin, les reliques de
sainte Madeleine furent enlevées secrètement de leur châsse d'ar-
gent et transportées à la Sainte-Baume.' Leur retour à Saint-Maxi-
min n'eut lieu qu'en 13()0"^. Le couvent même des Dominicains fut
pris et maltraité parles envahisseurs^.
Dans la ville d'Aix assiégée par l'xVrchiprêtre, les religieux ne
furent pas moins à plaindre. Ceux des couvents situés hors de la
ville furent détruits par les Aixois eux-mêmes, afin de ne laisser
aucun point d'appui à rennemi. Tel fut le sort des Carmes^, des
religieuses de Sainte-Glaire'"^ et dés Dominicaines de Nazaret. Gelles-
ci furent en proie à une grande détresse. Elles ne trouvèrent provi-
soirement d'autre refuge dans la ville qu'auprès des Frères, jusqu'à
ce que le nouveau couvent fût bâti. A cet effet, elles vendirent
tous les joyaux, les calices et les ornements -^
Les religieux établis hors de Nîmes n'eurent pas un meilleur
sort. Les gens de l'Archiprêtre ne trouvaient plus matière à pillage
1. Reff. Vnt. Urh. V, no 2G1, fol. 182", ad 1365, Aug. 21.
2. Ms. : « prope (iemium ».
3. lieg. Vnl. Cleinenl. VU, n" 295, fol. 0. ad an. 1384. Martii 23. Il di( « qnod olim
proptei' guerras que in dictis partibus notoric c.xistebanl », etc. Selon (inll. c/jr/.v/..
I, 690, Tabbesse Ysoarde obtint une habitation dans la ville en 1357.
4. lîecj. Val. Greg. XI, n" 287, fol. 95'', ad an. 1376, Jun. 16.
5. Albaisks, Le couvent royal de Sninl-Maximin en Provence (1880), p. 98.
6. Ainsi parlait la reine Jeanne dix-huit ans plus tard. Faii.lox, Monuments inédits
sur Vapostolai de sainte Marie-Madeleine, II, p. 989.
7. Suppl. Innocent. VI, n° 31, fol. 52 et Reg. Aven. Innocent., n° 24, fol. 275, ad
an. 1360, MaHii 24.
8. Suppl. Lrban. V, n" 34, fol. 88, ad an. 1362, Dcoemb. 6.
9. Ihid.,n° 39, fol. 211, ad an. 1364, Febr. 15.
AKNAUD DE CERVOLE, 1357, i 3o8 20o
dans la Provence, parce que les paysans eux-niômes détruisaient
leurs g-rains, leurs bestiaux, leurs fourrai^es, tout ce qui pouvait
servir au ravitaillement des routiers ^ Le sénéchal de Provence
avait noué des intrigues avec les gens de l'Archiprétre pour les
faire passer en Languedoc. L'Archiprétre même avertit du danger
les consuls de Nîmes, par une lettre écrite près d'Aix le 30 mars
1358-. La lettre ayjint été lue dans une assemblée de la ville, le
2 avril, il fut pris une délibération (jui n'avait pour objet que la
défense de la ville, en renforçant les murailles. Le conseil ordonna
entre autres qu'on abattît tous les édifices du dehors qui pouvaient
nuire à la sûreté des portes. Et c'est ainsi que les monastères et les
ég-lises des Frères Prêcheurs et des Mineurs furent détruits, et les
religieux transférés dans la ville ^.
Dans les localités susdites, comme aussi dans les suivantes,
ce furent surtout les Ordres mendiants ayant leurs couvents en
dehors des fortifications, qui furent plus malheureusement exposés.
La crainte de Tennemi, qui cependant ne s'avançait pas toujours jus-
que là, poussa les magistrats des villes à faire démolir ces construc-
tions, soit entièrement, soit au moins en partie, pour éloigner le
danger, que leur existence pouvait causer aux villes mêmes. Ainsi
en arriva-t-il aux Frères Mineurs hors de Tarascon du diocèse
d'Avignon'', et près de Brignoles du diocèse d'Aix^, aux Clarisses
et aux Frères Prêcheurs d'Arles ^, aux Frères Mineurs de Trinque-
1. Bai.i/i:, Vil. pnj). Aven., I. p. 331 suiv. ; Ciikrest, p. 58.
2. Mk.naiu), Ilist. de la ville de Ximes, II, p. 161. et preuves, n" 112: Cfikkkst. p. 58.
3. Mi':\.M{r), 1. c. Innocent VI écrit le 8 mars 1361 aux Frères Mineui's cîe Nîmes:
<i edifîcia loci Acstri, qucm extra ci\itatem Xemausensem hahebatis, proi^ter yuerra-
riun discrimina l'uei'unt pro majore parte diruta ». Rer/. Aven. Innoccndi 17. n" 25,
fol. 379.
1. Reçf. Aven. Innoc.VL n" 28, loi. 55i'', ad an. 13()2, Aw^. 30 : « ... locus vester
olini extra menia castri Terrasconis Avinionen. dioc. situatus, occasionc ^uerrarum...
adco destructus existit quod... inhabitabilis est elTcctus ».
5. Ibid., n" 29, fol. 562, ad an. 1362. Martii 30 : « propter jiuerrarum discrimina cpie
in provincia Provincie... proximis temi)orihus viiiuerunt et tiinentiu- etiam in fulu-
rum », etc.
6. Ibid., fol. 562, ad an. 1362, April. 5, pour les ('tarisses: n° 25. fol. i33'', ad an,
1361, Sept. 8, pour les Prêcheurs; leur courent fut détruit par ordre du ma^iistrat. « et
deinde antiqua ecclesia per quosdam iniquitatis lilios cum omnibus cditiciis dicti loci
ijçnis incendie concrcniata et lajiides ipsius loci ad fortificationcm diclorum meniuni
(civitatis Arelaten.'^ conversi fuerunt ». A proj^os des Clarisses vo\'. m-: Xoiu.e L.vi..vu-
ziÈuE, Abrégé de l'hist. d'Arles i^l808), p. 237. ad an. 1360.
206 LA GUERRE DE CENT ANS
taille dans l'île du Rhône en face d'Arles ^, et aux mêmes à Beau-
caire-, du diocèse d'Arles. Dans tous ces cas, les religieux obtinrent
de nouvelles habitations dans les villes respectives.
J'ajoute qu'aussi les Bénédictines de Saint-Césaire d'Arles per-
dirent leurs maisons et un terrain de la valeur de mille florins d'or, à
cause de la conctruction de nouvelles fortifications^.
Dans la suite plusieurs de ces religieux furent bien inquiétés.
En 1367, lorsque le pape Urbain V se prépara à retourner à Rome,
les autorités d'Arles décidèrent de chasser les Clarisses de leur
monastère aussitôt après le départ du pape^. Les Prêcheurs
n'avaient pas reçu dans cette ville une habitation suffisante et con-
venable, et le voisinage des juifs n'était pas à leur gré \ A Beau-
1. Re(j. Aven. Innoc. VI., n" 24, fol. 486'', ad an. 1360, April. 10 : Le couvent « de
Trincataliis » n'clail pas encore délruil, mais « si j^uerra hujusniodi in ipsis partibus
invalesceret, locus vesler predictus cuni villa ibi existentc j)ro dicte civitatis et reipu-
blice sccuritate diruerctur ex toto », el les IVères étaient obliji,és, « proxime lapsis
teniporibus », de rester ({uelquefois à Arles, « propter ^uerraruni discrimina. » Ray-
mond des lîaux donna aux Mineurs son château de la Carbonière. Voy. dk noble
LALArZIHUK, 1. c.
2. Ibifl.. n" 25, fol. 3S3, ad an. 1361, Martii 10 : « Edificia loci vestri extra menia
loci de Bcllicadro... pro majori parle diruta, » etc. Les murailles de Beaucaire furent
reconstruites en 13r)S. Ilist. de Languedoc, X, n" 459.
3. Beg. Vat. Urb. V, n° 254, fol. 141, ad an. 1365, Maii 17 : « Dil. fil. officiali
Xemausen. salutem., etc. Exhibita nobis i)ro parte dil. in (^hristo filiarum Guillelme
abbatissect conventus monasterii S. (^esarii Arelaten. (). S, B.petilio continebat quod
olim dil. filii sindici et commune civitatis Arelaten., dum pro ipsius civitatis fortifica-
tione novos muros construi et carrerias ju.xta eos fieri circa civitatem pref. fecerunt,
in conslructione hujusmodi domos et edificia monasterii j^i'cdicti destruxerunt et de
fundo cjusdem mon. tantum occuparunt, quod mon. ipsum in valore mille lïoren. auri
et ultra dampnificarunt. [C.ommittit ut, praevia informatione, reducat favore earum-
dem taxationem pro conti'ibutione conslructionis ])raedictae a sindico et conmiimc in
centum llor. imposilam et a (iuillelmo archiepiscopo Arelaten. in ducentos et Iri-
j^inta llorenos au^mentatam] Dal. Avinione XVI kal. Junii anno tertio ».
4. Ibid.. n" 256, fol. 45. ad an. 1367, April. 21 : « Dil. in Chrislo filiabus.. abbatissc
et conventui mon. nujnialium S. Clare Arelaten. Ord. ejusdem sancte, salutem, etc.
Sacrosancta rom. ecclcsia, etc. Sane pctitio pro parte vcstra nobis nu])er exliibita
continebat quod dil filii.. sindici et commune civitatis Arelaten. vobis minantur (|uod
postquam nos erimus in remotis, ad quod nos paranuis, de prefata ci\itate Arelaten.
et vestro monasterio vos expellent... [Ipsas ac ipsarum bona, ad supiîlicationem
earumdem, sub sua et S. Pétri protectione suscipit; mandans dictis sindicis et com
muni ne illas molestent, nec de civitate et monasterio expcUant.] Dat. Avinione XI
kal. Maii anno (juinto ».
5. Reg. Vnl. Gregorli XI, n° 283, fol. 103'',ad an. 1372,Julii 26 : « Dil. lil. oiliciali
Arelaten. salutem, etc. Exhibita nobis pi'O parte dil. filior. prioris et fralrum Ord.
Prédicat. Arelaten. petitio continebat ((uod ipsi, qui olim extra nuu'os Arelaten.
locum et ecclesiam solempnes, (jui propter guerras que in illis partibus viyuerunt
penitus sunt destructi, haberc solebant, alium locum infra ci^'itatcm Arelaten. i n
ARNAUD DE CKUVOLE, 1357, i'i.'nS 207
Caire, les Mineurs eurent une longue querelle avec le prieur Hugues
Séguin et le prieuré des Bénédictins, parce qu'ils s'étaient établis
trop près de l'église paroissiale des Bénédictins K
Le pays complètement épuisé n'avait plus d'attraits pour l'Ar-
chiprêtre et ses troupes. Leur soif de gain restait inassouvie. Une
invitation du dauphin Charles à entrer lui et ses bandes au service
de la France contre ses ennemis, arriva donc tout à souhait-.
Arnaud alla en France et nous le retrouvons en juin ou plutôt en
juillet autour du dauphin pour combattre Etienne Marcel et les
bourgeois de Paris '\ Ainsi se réalisa le souhait qu'Innocent VI
avait, comme nous l'avons vu, exprimé à dilïerentes reprises au
dauphin, dès l'an 1357, de rappeler de Provence l'Archiprêtre et
ses bandes. Ce fut à coup sûr de concert avec le dauphin qu'ensuite
Marguerite de France, fdle de Philippe le Long et mère de Louis
de Maie, comte de Nevers, lui confia la défense du Nivernais contre
les Compagnies^.
Cependant Arnaud retourna pour le moment en Provence ', qu'il
quodam anj>iilo civiiatis ejusdem lej;ilime acquisivcrunt, qui adeo artus et slrictus
cxisLit quod ^■ix valent in co decenter ut expedit conimorari, et quod propter hospi-
tia judeoruni in dicta civitate coniniorantiuni eideni loco conj;rua, ad IVatres et
locuni predictos indeccns habetur accessus, quodque in vico, in quo judei ipsi inlud)i-
tant, propc locum eundcm, est quedani donius ad perpetuam capellaniam B. Marie
in ecclesia Vallisviridis Nemausen.dioc. per i'e. rec.Johannen papamXXIl predecesso-
reni nostruni canonice instilulani pcrtincns. [Conimittit supradicto ut liujusmodi
doniinium recipiendi, datis cai)ellano caiicllanie, causa i)erniutationis, aliis redditibus,
diclis priori et IVatiilDus liccutiani concédât]. Datum apud Villaninovam Avinionen.
dioc, VII kal. Augusti anno secundo ».
1. Jiey. Vni. JJrh. V, n" 257, fol. oO àô'i, avec tous les instruments nécessaires insé-
rés (« Uatuni et actuni apud INIontemflasconeni Halneoregen. dioc. iiij id. Junii an.
sexto », 1368, Junii 10).
2. ViLLAM, /s<07'/e, dans Muhatoiu, .Scr/j>/.. XI\', p. 52(3, c. 96 : « Conie il ])acsc
s'apparecchia^ a a nuova guerra per Toperazioni del re di Xavarra, la conq)agna, clie
lunganiente era stata in Proenza, c havevasi assai terre acquistale, vedendo. chc
poco avanzavano slando (iui\i, et essendo parte di loro richiesti dal Dalllno, si)eran-
dosi più avanzare nelle guerre di Francia, che nella povertà di Proenza, presono per
parlito di partirsi ; c tratta^•ono co' i)aesani d'andare. e di rendere le terre c le cas-
tella, che havieno prese. E venuli a concordia, hebbono XX mila fiorini d'oi-o. e
catuno se n'andô (love li ])iac(iue ; e lasciarono il paese di Proenza, ove erano slali
predando le paesani e allligendo più di XA'II niesi continui in guastanicnto del
paese ».
3. Citron, des qnnfre premiers ^';dois. p. 80. Voy. plus luuil. p. 163 suiv.
i. CnKRi:sT, p. 6lj, 70.
5. La 2" Vie d'Innocent VI dans 13am zi:. 1. c, p. 351 parle aussi de ce retour : mais
ce l'ait y est mêlé a\ec des ei-reurs.
208 LA GUERRE DE CENT AINS
n'entendait pas abandonner ainsi à la lég-ère, sans le moindre
dédommagement. L'intermédiaire entre lui et les Provençaux fut
encore Innocent YI. Un accord intervint, en vertu duquel TArchi-
prêtre s'engageait à c[uitter la Provence moyennant une certaine
somme que les Provençaux promettaient d'acquitter. Sans attendre
ce payement, Arnaud remit aux mains d'Innocent les châteaux et
places fortes qu'il occupait, à la condition que si, dans le délai
convenu, la rançon n'était pas soldée, le gage reviendrait à l'Archi-
prêtre K
Ce récit de la Clironique romane est en partie confirmé, en jDartie
aussi complété et rectifié par deux lettres inédites d'Innocent VI.
L'une d'elles, datée du 3 se])tembre 1358, nous apprend que le traité
avec les bandes des gens d'armes était déjà conclu avant cette date
et qu'ils avaient occupé plusieurs châteaux non seulement dans les
comtés de Forcalquier et de la Provence, mais encore quelques
autres du Comtat-Venaissin. Sont nommés entre autres : les châ-
teaux de Saint-Martin-la-Brasque, Cucuron, Lauris, La Tour
d'Aiguës, Curel, hi Bastide-des-Jourdains, Montlaux. Châteauneuf-
Miravail, Reillanne, Saint-Maime, Montjustin,Montfuron,Labarben,
Graveson, Eguilles, etc. Le pape charge ensuite ral)bé de Saint-Vic-
tor de Marseille et Jean Ferdinand de Hérédia, châtelain d'Emposte,
de se rendre auxdits châteaux qui lui avaient été cédés sous cer-
taines conditions en vertu du traité, et d'en confier proA'isoirement la
ii^arde à certains seiii^neurs nommés dans sa lettre ou à d'autres
personnes capables, et cela au nom du Souverain Pontife lui-même ■^.
1. La Chron. Romane cinns Petit Thalnmus,p. 352.Villam parle de 20.000 fïor. d'or;
hebdorfens., éd. Boii>ii:h, Font. rer. (jerni., IW 565, de 2 5.000 ; Fuoissaut, \ , p. 94 de
40.000 écus. Du reste, dans le récit de Fi'oissart l'imagination, comme partout ailleurs,
joue un grand rôle. D'après lui c'est le pape môme ({ui s'engagea à payer la sonune ,^l
pour se débarrasser plus facilement de l'iVrchiprctre le pape l'aurait reçu avec res-
pect comme s'il eût été fils du roi de France, l'invitant ]>hisicurs fois à dîner dans
son i)alais. Froissart est comme Chérest un ami de l'Arcliiprètre.
2. Hecf. Aven. Innocent. VI, n" 18, fol. 70; V.il.. n" 23;3. fol. 3'" : Dil. fil. Stephano
ciJDbati mon. S. ^'ictoris Massilien. et Johanni Ferdinandi castellano Fmposte hospi-
talis S. Johannis lerosol.. ap. sedis nunliis, salutem, etc. Nuper ad oh^■iandum gravi-
bus animarum ])ericulis, i)ersonarum excidiis et rerum dispendiis que ex dura guer-
rarum connnotione dudum inter dil. filios proA incie Provincie et Folcalquerii comi-
tatuum incolas et habilatores et gentes quasdam alias inibi existentes ac societalem
({uandam facientes, inimico hominis faciente, suborta evenire vcrisimiliter timeban-
tur, et super illis que jam e vénérant, providendum, certus tractatus concordie et
ARNAUD DE CERVOLE, i3o7, 1358 209
La seconde lettre est datée du 23 octobre. Il en résulte que par
ordre du pape on avait payé une somme de mille florins d'or à la
Compagnie des gens d'armes pour qu'elle quittât la Provence.
Cette somme devait être remboursée avant le l'^'" mars 1359 par le
sénéchal et les communautés de Provence. Ce ne furent donc pas
40.000, ni 20.000 écus que le pape avait payés pour les Proven-
çaux, mais 1.000 florins d'or. Cette même lettre est aussi, autant
que je sache, le premier document relatif à la France, dans lequel
se rencontre l'expression de <( magna societas armigerorum )>, c'est- /
à-dire la Grande Compagnie ^.
pacis interipsos incolas, habitatores et génies, nobis ad id spem et operam dantibus,
liabitus et l'actus extitit, in quo luit inter alia ordinatum quod nos Giavisonis, de
Laberbent et Aculee provincie Provincie, ac de Laureis, deTurre-Ayguesii, de Corello,
de Gucurono, Sancti Martini de Brasca, et dictuni Bastida Jordanorum, de Monte-
furono, Sancte Aculee, Montisjustini et Rellanie, de Sancto Mayme, de Ungulla,
Montislauri, Sancti Mari, Vallisolee, et de Saderono, castra Folcalquerii comitatuum
predictorum et alia castra ac terras et loca quecumque ipsorum comitatuum per gen-
tes predictas occasione guen*arum hujusmodi occupata, ad manus nostras recipere-
mus, ac certis modo et forma in ipso tractatu contentis teneremus et custodiri nostro
nomine faceremus. Nos igitur, ut tractatus hujusmodi laudabilem prout in votis
gerimus, consequatur elTectum, ad executionem ordinationis ejusdem procedere
volentes, discretioni vestre... mandamus quatenus vos vel alter vestrum ad castra,
terras, et loca predicta vos personaliter conferentes illa ad manus nostras recipere,
nec non dil. fîliis nob. viris Johanni Gaucelini Romanini, Gravisonis, Guiraudo Amici
Castrinovi, de Venayssino castroruni, Aculee, Jacobo Albe Ruppismartine, de
Laberbent, Johanni de Sabrano Ansarsii, locorum dominis, de Laureis et de Turre
Ayguesii et de Corello, Bermundo de Voûta Sancti Martini de Brasca et dictum Bas-
tida, Georgio de Launcello, de Montefurono, Alziasio de Auraysone, Sancte Aculee,
Guillelnio Ogerii de Folchalquerio Montisjustini et Rellanie, Jacobo de Villamuris,
de Sant Mayne et de Ungula, Guiranno de Simiana Montislauri, et Resortiaco de
Agonto, militibus, Sancti Mari et de Saderono, et Roberto de Cadeneto, domicello,
Avinion., Gavallicen., Apten., Sistaricen., et Regen. dioc, de Gucurono, castra pre-
dicta si ea recipere voluerint et potuerint, alioquin ea et etiam alia castra terras et
loca, per dictas gentes occupata, aliis personis ad hec suffîcientibus et idoneis,
prout vobis videbitur, tenenda et custodienda pro nobis et nostro nomine, donec
super hiis aliud duxerimus ordinandum, committere et tradere auctoritate nostra
curetis, in premissis taliter vos habentes quod vestram solicitudineni et diligentiam
possimus exinde non immerito commendare. Dat. Avinione iij non. Septembris anno
VL
1. Arch. Vat., Instrum. miscell. an. 1358 : Innocentius... dil. fil. Nicolao, sancte
Marie in Via lata dyacono cardinali, salutem, etc. Cum tu olim ad nostre requisitio-
nis instantiam de tuis pecuniis mutuaveris atque tradideris dil. filio magistro Guil-
lermo de Benevento, archidiacono de Ardena in ecclesia Leodien. et clerico camerc
apostolice, nomine nostro et ipsius camere recipienti florenos mille auri, qui per
ipsum Guillermum vel alium seu alios magne societati armigerarum gentium, que
proxime lapsis temporibus provinciam Provincie hostiliter invaserunt, ad hoc ut de
R.-P. De.vikle. — Desolatio ecclesiaruiu II. 14
210 LA CxUERRE DE CENT ANS
Quelques jours après, le 29 septembre ^, l'Archiprêtre avec ses
troupes quitta pour toujours la Provence et se retira, du moins
en apparence, comme un humble et dévot fils de Téglise ; il
adressa deux suppliques au pape, qui les accorda et les signa le
2 octobre 1358. Arnaud de Cervole demandait des bénéfices
pour trois clercs, dont un était son familier-. Sur ces entrefaites,
le dauphin Charles l'avait nommé son lieutenant et celui du roi en
Nivernais, ainsi qu'au bailliage de Bourges ^ où étaient situées ses
terres de Levroux et de Graçaj. Le dauphin et Marguerite suppo-
saient, sans doute, que l'Archiprêtre en tant que bandit saurait
le mieux s'y prendre pour combattre les brigands contre lesquels
il devait marcher. Mais un brigand ne se dément pas. Il avait
à sa suite des ennemis du royaume. Français, Anglais et Gas-
cons ^. Après avoir fait quelque bien à la ville de Nevers, il tira
vengeance des habitants qui avaient refusé de le recevoir lui
et ses bandes dans l'enceinte de leurs murs. Les principaux citoyens
furent torturés et mis à mort, les uns furent bannis, d'autres
n'échappèrent que par la fuite. L'Archiprêtre confisqua les biens
de ceux qu'il avait tués ou bannis, ou qui s'étaient enfuis. Il frappa
la ville d'une imposition générale de soixante mille deniers d'or au
mouton, ce qui ne l'empêcha pas d'exiger en outre quelques ran-
çons particulières. Pour son compte personnel, il s'empara de plu-
sieurs châteaux, se rendit, avec ses gens, coupable de beaucoup
provincia ipsa recédèrent, de mandate nostro traditi et soluti fuerunt : nos volentes
super hoc indempnitati tue ut convenit providere, tenore presentiuni recognoscimus
et publiée confitemur, nos etprefatam camerani a te per manus dicti Guillermi mutuo
habuisse et récépissé predictam summam mille florenorum, et in solutionem premis-
sam fuisse conversam, tibique promittimus quod, in casum in quo dil. filii nobilcs
viri senescallus et universitates nobilium et communitatum dicte provincie dictam
pecunie summam hinc ad primam diem mensis Martii proxime futuri tibi non resti-
tuant ut tenentur, illani tibi reddemus et restituemus seu reddi et restitui de Aposto-
lice camere pecuniis faciemus... Dat. Avinione x kal. Novembris pontilicatus nostri
anno VI.
1. La Chron. Romane, 1. c.
2. Les deux suppliques débutent : « Supplicat S. V. humilis et devotus filius rester
Arnaldus de Gervola, miles, quatenus », etc., et elles ont reçu le Fiat comme les sup-
pliques de tous les autres demandeurs. Suppl. Innoc. VI, n" 29, fol. 298'\ 299.
On y trouve encore trois suppliques de « Petrus de Cervole, miles », qui portent la
même date. Fol. 296»', 299.
3. Voy. Ghérest, p. 71 suiv., 72, note 2, p. 371.
4. Ibid.j p. 77 suiv.
LES HORREURS DES JACQUES ET DES NOBLES, 1358 211
de pillages et de crimes, et fit alliance avec les ennemis du
royaume ^ Le dauphin et Marguerite reconnurent, mais trop tard,
que l'Archiprêtre était resté bandit et, en 1359, Arnaud de Cervole
perdit encore ses fonctions officielles.
6. Horreuj'S commises par les Jacques et les nobles.
Jean de Venette rapporte que vers Tan 1356 les nobles et che-
valiers, pour tourner en dérision la simplicité des paysans et des
pauvres gens, leur donnaient le surnom de Jacques Bonhomme, Il
est vrai que ce sobriquet ne fut d'abord donné qu'à ceux qui por-
taient les armes à la manière des paysans, mais bientôt il fut appli-
qué, par les Anglais aussi bien que par les Français^, à tous les
paysans sans distinction, qu'on nommait aussi tout simplement les
Jacques, de même que tout le mouvement de l'an 1358 dont je vais
parler s'appela la Jacquerie •'.
Parmi les causes qui, en 1358, provoquèrent la révolte des
Jacques en Beauvaisis, une des moindres ne fut assurément pas
l'oppression et le mépris dont ils étaient l'objet de la part des
nobles. Ceux-ci, que la défaite de Poitiers eût dû rendre plus
modestes, étaient devenus, au contraire, toujours plus fastueux et
plus effrontés ; en outre, la bizarrerie et le luxe de leurs nouveaux
costumes tendaient à rendre de plus en plus sensible la distance qui
les séparait des paysans. Jean de Venette parle à différentes reprises
de la dureté et de l'arrogance des nobles. Déjà en butte aux vexa-
1. Voy. Chkrest, p. 78, 84, 95 suiv., et ci-dessous, § 7.
2. Contin. Guill. Nancf., II, p. 238.
3. LucE, Hist. de la Jacquerie^ p. 3 suiv. (nouv. édition, p. 3), dit que « jacque »
servit bientôt à désigner une pièce de l'habillement que les paysans portaient à la
guerre, et il croit que ce mot n'était pas employé au sens de pièce d'habillement dans
les textes français ^antérieurs à l'époque de la Jacquerie. Ducange écrit plus pru-
demment : « nescio an a Jacobis factiosis nomen sumpserit », éd. Henschel, III,
p. 472 : « Jacke ». En effet, d'autres font dériver le mot jacque du vieil allemand :
« scecho » (byrrus). Cf. Graff, Althochdeutscher Wortschatz, VI, p. 416 ; Benecke-
jMiJLLER, Mitlelhochd. Wôrterhuch^ II, ii, p. 92; Schmeller, éd. Frommann, Bayeri-
sches Wôrterhuch^ II, p. 356, « Schecken ». Du reste, en France vers 1360, les nobles
prirent la jacque comme un habit de guerre (cf. Kôhler, Die Entwickelung des
Kriegswesens, etc., III, i, p. 80), et je ne puis me persuader qu'ils aient pris un vête-
ment qui eût tiré son nom de ces Jacques si détestés.
242 LA GUERRE DE CENT ANâ
tions des ennemis, les paysans se voyaient encore opprimés par
ceux qui auraient dû les protég-er^ et c'est à eux surtout que les
conséquences de la bataille de Poitiers se firent plus douloureuse-
ment sentir. Ils furent alors envahis par toute sorte de misères.
Jamais les campagnes ne présentèrent un aspect aussi désolé. Dans
le Beauvaisis plus qu'ailleurs les vignes ne furent plus cultivées ;
les champs ne furent ni ensemencés, ni labourés; les bœufs ni les
brebis n'allaient plus aux pâturages. Les seigneurs surchargeaient
le peuple de souffrances, lui extorquant sa subsistance et sa pauvre
vie. Quoiqu'il restât bien peu de bétail, grand ou petit, ils en exi-
geaient encore une redevance pour chaque tête : dix sous par bœuf,
quatre ou cinq par brebis, — et malgré cela,. ils ne se mettaient que
rarement en peine de protéger ceux quïls exploitaient si impi-
toyablement'-. Voilà comment les paysans, pillés et opprimés de
toute part et abandonnés de tous ^\ en vinrent enfin à la révolte.
C'est méconnaître entièrement les faits que d'attribuer cette révolte
à l'instigation d'Etienne Marcel de Paris ^; ce n'est qu'après qu'elle
eût éclaté qu'il prêta pour quelque temps son concours aux Jacques.
Le 28 mai ^ de l'an 13o8, une troupe considérable de paysans,
dits Jacques, attaqua les gentilshommes de Saint- Leu-d'Esserent^^
en Beauvaisis et en tua neuf. Ce fut là le signal du soulèvement
1. Voy. dans Jean de Venette, p. 328 suiv. la fable du loup et du chien ; tous les
deux, l'Anglais et le Français, dévorent de concert la brebis, le pauvre paysan.
2. Jean de Venette, p. 293 à 395.
3. Chron. de Richard Lescol, p. J26.
4. C'était l'opinion de S. Luce, Hist. de la Jacquerie, p. 116 à 120, nouv. édition,
p. 99 suiv. attaquée avec raison par Flammermont, La Jacquerie en Beauvaisis, dans
Revue histori([ue, IX, p. 127 suiv.
5. Grand, chron., p. 110. La Chron. de Richard Lescot, p. 126, porte le 27 mai.
On sait que Luce, 1. c, p. 58, not. 2, et dans Froissart, p. xxvin, not. 4, avait adopté la
date du 21 mai, reproduite dans la nouv. édition de la Jacquerie, p. 53, not. 2, et par
MoRANviLLÉ, dans Chronogr., p. 270, not. 1, p. 281, not. 8, quoique la Chronique
même dise « prima septimana Junii ». Flammermont, 1. c, p. 123, 130, not. 2, 140,
not, 3, a bien fixé la vraie date du 28 mai. Luce prétendait que la seule date du
21 mai se concilie bien avec plusieurs dates fournies par des titres et autres pièces
originales et authentiques. Mais ces titres prouvent contre Luce. Ils sont publiés à la
fin de la nouv. édition de son Histoire de la Jacquerie. N° 37, p. 276, il est dit : « en la
fin du mois de may » ; n° 51, p. 300, et n" 63, p. 333 : « environ la feste du saint-sacre-
ment », c'est-à-dire vers le 31 mai. Il n'y a pas un titre qui prouve la date adoptée
par Luce.
6. Où était un prieuré de Cluny, dont la belle église existe encore. Voy. Mlller,
Senlis et ses environs (1896), p. 287 suiv. et p. 129,
LES HORREURS DES JACQUES ET DES NOBLES, 1358 213
universel. Les Jacques firent cause commune, se choisirent un chef
dans la personne d'un paysan de Mello appelé Guillaume Cale ou
Karle, et se mirent à parcourir la campagne pour soulever les vil-
lages ; tous les paysans ne tardèrent pas à se joindre à eux. Pour
sauver leur vie les curés étaient forcés de suivre leurs paroissiens K
Devenus assez puissants pour former une armée, ils commencèrent
à poursuivre les nobles et à détruire leurs châteaux. Rien que
dans le comté de Valois, dans les évêchés de Laon, de Soissons et
de Noyon, ils détruisirent plus de cent châteaux et de bonnes mai-
sons. Ils pillaient et incendiaient, ils tuaient les gentilshommes
qu'ils attrapaient, et forçaient a comme chiens esragiés » toutes
dames et pucelles, lesquelles ils tuaient souvent 2. Il existe encore
une foule de documents sur ces horreurs commises par les Jacques,
mises au jour dernièrement ^. C'était plutôt une guerre de sau-
vages, comme le montre un fait raconté entre mille par Froissart.
Les Jacques boutèrent à la broche un gentilhomme et le firent rôtir
en présence de sa femme et de ses enfants ; ils obligèrent ensuite
cette malheureuse à manger de la chair de son mari, et la tuèrent
après l'avoir violée ^.
Dans le pillage des châteaux, ils avaient soin de détruire les
archives, où étaient conservés les titres qui prouvaient leurs rede-
vances à l'endroit des seigneurs ^. Dès les premiers jours de juin,
les vallées de l'Oise (où est situé Beaumont), du Therain et de la
Brèche avaient été dévastées ; tous les châteaux et maisons appar-
tenant aux seigneurs furent pillés, ruinés et incendiés. Les Jacques
tentèrent, mais en vain, une alliance avec la bourgeoisie de Com-
piègne. Sur la route de Senlis, à la Croix-Saint-Ouen, à Verberie,
i. Voy. un exemple clans Luce, Hisl. de la Jacquerie, nouv. éd., p. 270, n" 34.
2. Froissart, p. 99 siiiv. ; Chvoii, des quatre premiers Valois, p. 71 ; Flammer-
MONT, 1, G., p. 132 suiv.
3. Dans la nouv. édition de IHisi. de la Jacquerie de Luce, p. 193 à 224; p. 245 à
346. On trouve nommés ci-dessous plusieurs villes et châteaux détruits par les
paysans. D'autres, comme Cardonnois, Courtemanche, Essertaux, Fontaine-sous-
Montdidier, Fransures, La Faloisc, Moreuil, Pierrepont, Rainneval, Coivrel, Tricot,
sont nommes dans V. de Beauvillé, Ilist. de la ville de Montdidier, 2* éd. (1875), I,
p. 110.
4. Froissart, V, p. 100.
5. Fi.ammermoxt dit. p. 134, que dans les pays où passèrent les Jacques, les plus
riches archives seigneuriales n'ont presque plus de documents antérieuis à 1360.
Voy. encore ibid., not. 2.
214 LA GUERRE DE CENT ANS
à Rhuys, les paysans se joig-nirent à eux et ils commirent partout
les mêmes excès. Les bourgeois de Senlis refusèrent d'abord de
leur ouvrir les portes ; enfin, après de longs pourparlers, ils
s'unirent à eux pour détruire les châteaux voisins de la ville,
comme Chantilly, Gourteuil, Brasseuse, Fontaine-les-Corps-
Nuds ^ La forteresse de Thiers, dont neuf fortes tours défendaient
les courtines et l'entrée, fut mise dans l'état de ruine où elle se
trouve encore aujourd'hui -. Enfin les Jacques mirent le siège
devant le bel et fort château d'Ermenonville. C'est là que trois
cents hommes d'armes Parisiens, commandés par Jean Vaillant,
prévôt des monnaies, vinrent les renforcer. Guillaume Karle avait
invoqué le secours d'Etienne Marcel, en le priant en même temps
de faire valoir son influence sur les Jacques pour obtenir qu'ils
cessassent les crimes si odieux qu'ils avaient commis jusqu'alors '^.
Le château appartenant à Robert de Lorris, chambellan du roi
Jean, fut pillé et ruiné de fond en comble ^.
Mais les Parisiens ne prêtèrent pas longtemps leur secours aux
paysans. Comme nous avons vu plus haut ^, les nobles gagnèrent
Charles le Mauvais et s'avancèrent contre les Jacques avec des
bandes anglo-navarraises. La révolte des paysans et la destruction
des châteaux n'étaient guère favorables aux projets de Charles le
Mauvais. Une entente existait sans doute entre lui et les Parisiens
venus au secours des Jacques, car aussitôt les premiers abandon-
nèrent les seconds et attaquèrent Meaux de concert avec une autre
division de Parisiens conduits par Pierre Gilles, le 9 juin 6. Quant
au roi de Navarre, il ne voulait rien moins qu'anéantir les Jacques
dont une partie campait à Mello près de Clermont en Beauvaisis,
1. « Les-Cornu ». Grand, chron., p. 110, et Flammermont, p. 136.
2. MÛLLER, Senlis et ses environs, p. 302.
3. Chron. des quatre premiers Valois, p. 72. Voy. la lettre d'Etienne Marcel
adressée aux communs de Picardie et de Flandre le 11 juillet, éd. par Kervyn de
Lettenhove, dans FroissART, VI, p. 470, où il parle de cette expédition des Pari-
siens. Sous peine de perdre sa tête, Marcel ordonna, « que nuls ne tuast femmes ne
enfans de gentil homme ne gentil femme, se il n'estoit ennemi de... Paris », etc. Qu'on
a prié Marcel d'intervenir « à ce que les choses dessus dictes cessassent ». Cela est
aussi confirmé par une lettre de rémission du régent dans Luce, Hist. de la Jacque-
rie, nouv. éd., p. 253 suiv.
4. Chronogr., p. 273; Chron. norm., p. 130; Luge, Hist. de la Jacquerie, nouv.
éd., p. 192 suiv. Sur le château, voy. Mûller, 1. c, p. 147 suiv.
5. Voy. ci-dessus, p. 162.
6. Voy. ci-dessus, p. 161.
LES HORREURS DES JACQUES ET DES NORLES, 13o8 215
en face de l'endroit où il se trouvait avec ses troupes et celles
des Anglais dirigés par Robert Sercot, tandis que les autres
Jacques étaient encore à Ermenonville avec le chef. Guillaume
Karle. Celui-ci étant informé de l'état des choses s'empressa
de venir en aide à ses partisans près de Mello. La bataille fut
livrée le 10 juin. Nous savons déjà qu'elle fut gagnée par le roi
de Navarre et par voie de trahison. Sous prétexte de conclure
une trêve avec lui , Charles le Mauvais fît mander Guillaume
qui ne se doutait de rien; mais au lieu de cela il le fit arrêter '.
Privés de leur chef, les Jacques, dont le nombre s'élevait à plus
de quatre mille, durent succomber; ils furent massacrés sur le
champ de bataille ; ceux qui purent se réfugier à Glermont furent
livrés par les habitants à Charles le Mauvais et décapités avec
Guillaume Karle. Ainsi finit la Jacquerie après avoir duré seulement
du 28 mai au 10 juin -.
Mais la fureur des nobles se déchaînant, ils firent à leur tour la
chasse aux paysans. Le 13 juin ^, ils tentèrent un assaut contre la
ville de Senlis qui avait auparavant ouvert ses portes aux Jacques.
Les citoyens, hommes et femmes, se défendirent si courageusement
à la rue du Heaume que les nobles durent se retirer après un
grand échec ^. Cependant, loin d'être intimidés, ils se rassemblaient
de toutes parts, de Flandre, de l'Artois, du Boulonais, du Pon-
thieu, du Haynaut, du Beauvaisis, du Vermandois, et formant des
bandes ils couraient la campagne à la chasse des paysans, incen-
diant leurs villages, détruisant leurs récoltes, pillant leurs églises.
Les prêtres furent pris à l'autel, les calices jetés par terre, les hos-
ties profanées. « Eglises, abbayes, priorés et églises parochiauls
que ils ne ardoient, mis à raençon... les pucelles corrompues et les
femmes violées en présence de leurs maris ^. » Ainsi les nobles se
1. Voy. Chî'onogr., p. 272, et ci-dessus, p. 162.
2. Chron. des quatre premiers Valois^ p. 73 suiv. Flammermont, p. 139 suiv.
3. LucK préférait à tort la date du 27 mai dans Ln Jacquerie, p. 168 et Froissart,
p. XXIX, not. 2. Voy. Flammermoxt, p. 110, not. 3. Dans la nouv. édition de La Jacque-
rie, p. 1 i5, not. 1, l'erreur est corrigée. Voy. n" 43, p. 288 suiv.
4. Jean de Venette, p. 267 ; Chron. des quatre premiers Valois, p. 76 suiv. ; MiiL-
LER, 1. c, p. 108 suiv.
5. Tout cela nous est raconté par Etienne Marcel dans sa lettre adressée aux com-
munes de Picardie c(c. du 11 juillet, Lettexhove. p. 468. Rien que trois semaines
plus tard lui-même ait voulu sacrifier deux tiers de la population parisienne, le clergé
216 LA GUERRE DE CENT ANS
permirent des excès pires que tous ceux qu'eussent pu commettre les
Ang-lais '. Ce fut surtout Enguerrand VII, le jeune seigneur de Goucj,
qui, à la tête des gentilshommes de sa baronnie, consomma l'exter-
mination des Jacques. Le 24 juin, le nombre des victimes dépas-
sait vingt mille -. A la fin du même mois le pays était complète-
ment ruiné ^. Néanmoins l'exaspération des deux partis n'était pas
encore calmée, et le régent dut intervenir. Le 10 août il ordonna
que les nobles pardonnassent aux Jacques et ceux-ci aux nobles, et
il proclama une amnistie générale '^. Déjà avant cette époque, entre
le 11 et le 14 juin, Charles le Mauvais avait essayé de pacifier le
pays ^. Mais l'accord conclu avec les nobles, dont il avait besoin
pour monter sur le trône de France, était plus favorable à ceux-ci
qu'aux paysans.
Bien que la lutte ouverte entre les Jacques ou paysans et les
nobles cessât ainsi peu à peu, leur haine mutuelle dura longtemps
encore. Quelquefois on se réconciliait au moyen d'un mariage
entre les deux partis. Par exemple, en l'an 1368, on vit le noble
chevalier Philippe Damsomler (sic) épouser la paysanne Alice Lesac
après que leurs deux fainilles se fussent fait dix ans auparavant une
guerre acharnée ^'.
et bien d'autres, au moment où il écrit, il se montre indigné des excès des nobles, et
cela par pure politique assurément. On est assez bien informé de la cruauté exces-
sive de Marcel ; en particulier « gentes de patria ])lata (les paysans) potissime de
vicecomitatu Parisiensi multum habebant timere dictum prepositum, suos commissa-
rios ac complices, maxime cum sua mandata erant ita précisa quod inobedicntibus
mors infercbatur ». Arrêt du parlement dans Luce, Hisl. de la Jacquerie, nouv. éd.,
p. 316.
1. Jean de Venette, p. 266 suiv.
2. Grand, chron., p. 118.
3. Etienne Marcel écrit dans sa lettre aux communes de Picardie, etc., p. 469 :
« il est grant doubte que ceste année, qui èsdis pays estoit très fertile de blés et de
vins, ne soit du tout gastée et périe, et qu'il n'y ait qui labeure et cueille les vins, ne
aussi où mettre les vins, pour les vassiauls des villes qui sont tous ars et aussi les
villes ».
4. Voy. une lettre de rémission dans Luce, Hist. de la Jacquerie, nouv. éd.j.n" 23,
p. 251 suiv. Il s'agit aussi de ce fait aux n"" 47 et 63. Mais n" 47, le régent dit à tort :
« environ la Magdalaine... que nous venismes en nostre bonne ville de Paris ». Ce
n'est pas vers le 22 juillet, mais le 2 août qu'il est venu à Paris. Voy. ci-dessus, p. 171.
5. Lettre d'Etienne Marcel aux communes de Picardie, etc., p. 461. D'une lettre de
rémission dans Luce, 1. c, n" 37, p. 277, il résulte que Charles s'intéressait aussi à ce
que le peuple pût cult.i^'er la terre.
6. Reçf. Vat. Urbani V, n" 257, fol. 49, ad an. 1368, Julii 2 : << Venerabili fratri..
episcopo Belvacen. salutem, etc. Oblàte nobis nuper pro parte dil, lilii nobilis viri
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13,^6 A 1360 217
7. Les ravages des Anglais^ des Navarrais et des Compagnies.
Triste état de la France à la veille du traité de Bretigny. La
désolation des églises et monastères.
Au xiv^ siècle, bien plus qu'au xv^, la France fut complètement
infestée par les ennemis et les Compagnies ^ et cela jusqu'à deux
fois, une première fois pendant la trêve de Bordeaux, et ensuite
après le traité de Bretigny. Je ne crois pas qu'on ait jamais essayé
de donner un résumé général de l'action de ces envahisseurs ; je
ne sais si je réussirai à en présenter un aux yeux du lecteur, ainsi
qu'un tableau de l'état de la France à la veille du traité.
Pour cela, il nous faut retourner aux deux perturbateurs de la
France, les rois de Navarre et d'Angleterre, que nous avons laissés
au troisième paragraphe, alors qu'échoua leur infâme complot. Est-
ce par hasard qu'aussitôt après cette défaite les Anglo-Navarrais se
répandirent sur une grande partie de la France? Nullement. Le
plan qu'ils suivirent montre clairement leur action presque simulta-
née en Picardie, dans le Vermandois, le Vexin, le Ghartrain, l'Or-
léanais, la Champagne et le Laonnais. Leur but était de prendre le
plus grand nombre possible de forteresses afin d'enserrer la capi-
tale. A la lin de 1358, ils occupaient autour de Paris, dans la cir-
conscription qui comprend aujourd'hui les départements delà Seine.
Philippi, quondam Pétri Damsomler militis domicelli, et dil. in Christo filie nobilis
mulieris Aelidis, quondam Bernardi Lesac laici, natorum, tue Belvacen. dioc. peti-
tionis séries continebat, quod cum olim inter nobiles ex una et populares illarum
partium ex parte altéra, guerre et inimicitic dyabolica suf!,gestione tam acriter vigiie-
runt, quod quidam miles, ipsius Philippi frater, et ejus uxor ac nonnuUi ipsorum
consanguinei milites et scutiferi per cosdem populares, ac quamplures de populari-
bus ipsis per dictos nobiles inhumaniter interfecti ac eorimi mobilia et immobilia
devastata et destructa extitcrunt, et quod ipsi Philippus et Aelidis, que de prefatis
popularibus traxit originem, communium ipsorum consanguineorum et amicorum
précédente tractatu ad obviandum periculis que exinde possent verisimiliter prove-
nire ac pacem et caritatem hinc inde gratia inspirante divina procurandam, deside-
rant invicem matrimonialiter copulari ; sed quia dictus Philippus quamdam mulie-
rem eidem Aclidi quarto consanguinitatis gradu attinentem actu fornicario carnali-
ter cognovit, iidcni Philippus et Aelidis dcsiderium eorum hujusmodi adiniplere
nequeunt, dispensatione apostolica super hoc non obtenta. [Ad ipsorum prcces dis-
pensationem praedictam tribuit intuitu pacis et concordiae conciliandaej. Dat. apud
Montemflasconem Balneoregen. dioc. v non. Julii anno sexto. »
218 LA GUERRE DE CENT ANS
Seine-et-Oise, Oise, Seine-et-Marne, plus de soixante forteresses ^
Le peuple, déjà oppressé par les tailles, était découragé par les
ravages. Il n'y avait plus de repos possible pour les habitants des
villes qui, redoutant à chaque instant quelque nouvel assaut, se
voyaient obligés de se tenir toujours au guet. De plus, par suite de
la destruction générale des faubourgs et des villes, ils perdirent
une grande partie des immeubles et des terres qu'ils possédaient
hors les murs : tout fut dévasté par l'ennemi. Dans ces tristes
moments, les lois de la justice étaient méconnues ; seule, la loi du
plus fort était en vigueur. Les marchands n'osaient entreprendre
aucun voyage : le commerce cessa -. Le régent était dépourvu de
tout : en 1359, de la France ancienne, il ne lui restait guère d'assuré
que la partie qui s'étend vers le cours supérieur de la Seine. L'ac-
tion des Anglo-Navarrais qui étaient « tout un '^ » dans le Nord de la
France fut secondée au Centre et dans le Midi par les compagnies,
quoique celles-ci se battissent pour leur propre compte, et par
les Anglais. Luce a dressé un tableau des lieux forts occupés par
les ennemis en France, le Sud-Ouest et le Midi non compris, de
1356 ou plutôt de 1357 et 1358 à 1364; leur nombre s'élève à près
de cinq cents ^ ; et nul ne savait mieux que lui que ce chiffre était
incomplet.
Malgré la trêve, le roi d Angleterre, allié au roi de Navarre,
alors ouvertement ennemi de la France, participait d'une façon dis-
simulée à toutes ces manœuvres-^ ; et quand la trêve eut pris fin, on
vit clairement par toutes ces menées qu'il n'avait pas cessé de
poursuivre son but. Il voulait affaiblir la France de telle sorte que
les pairs du royaume fussent presque forcés de le nommer roi ^.
1. Pour leurs noms, je renvoie le lecteur à Luce, Du Guesclin, p. 319, 491, 499, 501 ;
je m'occupe seulement de quelques-unes de ces forteresses.
2. Chron. norm., p. 145 suiv., Chronogr., p. 286 suiv.
3. Grand, chron., p. 138.
4. Guesclin, p. 459 à 509.
5. Toutefois les chroniqueurs anglais disent : «sinejussu régis Edwardi ». Contin.
Murimuth., éd. Hoo, p. 191 ; Walsixgham, p. 286.
6. Dans le traité conclu par Edouard avec la Bourgogne, à Guillon, le 10 mars 1360,
une clause contient ces parolesdignes d'attention: «... en cas que nous (Edouard) nous
vourrions faire sacrer par l'accord de la plus grant partie des perres de France »,
etc. Rymeh, Foedej\i, IIî, p. 474. Le texte dans D. Plancher, Hist. de Bourgogne,
t. II, Preuves, n° 293, est mutilé et fautif : « ... que nous nous voulussions faire ayder
de la plus grande partie de pays de France ».
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13^)6 A 1360 219
Le lendemain du défi porté au régent par le roi de Navarre, le
4 août 1358, les Anglo-Navarrais occupaient le château de Melun.
Ils s'emparèrent d'abord du quartier de la ville situé sur la rive
gauche de la Seine ; de là ils faisaient souvent des courses dans le
Gâtinais et ravageaient tout le pays^, déjà dévasté par les troupes
de James Pipe, qui, le 13 mai, brûlait la ville de Nemours et
plusieurs autres 2. Vers le 15 août, presque toutes les maisons
de l'abbaye cistercienne du Lys furent détruites ^. Philippe
de Navarre occupa Mantes et Meulan '*. Déjà un peu avant,
Charles le Mauvais avait réussi à s'emparer de la forteresse de
Creil qui commandait le cours inférieur de l'Oise. La garnison,
composée mi-partie d'Anglais et de Navarrais au nombre de cinq
cents, faisait des courses dans tout le pays alentour, rançonnait les
villes dont plusieurs furent incendiées. Le capitaine de la garnison,
Jean de Fodryngkey, rançonna tous ceux qui venaient de Paris à
Compiègne, à Noyon, à Soissons ou à Laon. Il gagna cent mille
francs rien qu'en délivrant des sauf-conduits aux voyageurs. Tous
ceux qui le pouvaient s'enfuyaient, tant la garnison faisait horreur ^.
Les habitants de Longueil-Sainte-Marie s'organisèrent plus tard
sous la direction d'un simple paysan Guillaume l'Aloue et de son valet
le Grand Ferré j^our résister à l'ennemi. Ils étaient au nombre de
deux cents et avaient mis une sorte de point d'honneur à ne rece-
voir aucun noble dans leurs rangs. Plusieurs fois ces braves patriotes
infligèrent de graves échecs aux Anglo-Navarrais de Creil, bien
qu'ils n'aient guère eu d'autres armes que leurs bras robustes et
rarement des haches. Guillaume l'Aloue et le Grand Ferré se bat-
tirent et moururent héroïquement ^.
1. Grand, chron., p. 137; Froissart, p. xxxvi, et not, 3. Le régent dit dans sa lettre
du 31 août (Lettexhove, VI, p. 478), que le castel de Melun, « auquel la reyne
Blanche le (roi de Navarre) fist venir », fut pris par trahison.
2. Voy. ci-dessus, p. 161.
3. Grand, chron., p. 138.
4. Froissart, 1. c.
5. Ibid., p. 121 ; Grand, chron., p. 139,
6. Jean de Venette, p. 288 à 293. Luge, Guillaume VAloue et le Grand Ferré, dans
La France pendant la guerre de Cent ans, 2* éd., n° 5, p. 61 à 82. Le continuateur de
Richard Lescot, p. 140, parle aussi de cette affaire à l'an 1359: mais sa version au
sujet de la mort de Guillaume l'Aloue dill'ère de celle de Jean de Venette. Il y a encore
des différences dans les récits de Chronogr.. p. 287 suiv., et Chron. norni., p. 447
suiv. Ces deux chroniques ne nomment pas le Grand Ferré.
220 LA GUERRE DE CENT ANS
Les Anglo-Navarrais prirent aussi la ville de Montmorency près
de Saint-Denys, la pillèrent et y mirent le feu * ; Poissy fut égale-
ment occupé par les Anglais ~.
Le 23 août, les Anglo-Navarrais qui s'emparaient du castel Mau-
conseil près de Noyon, furent, sur l'ordre du régent, assiégés par les
Français et les Picards ; mais, secourus par Jean de Picquigny,
qui commandait la forteresse de la Hérelle près de Breteuil, déjà
en leur pouvoir, ils surprirent les assiégeants dont quinze cents
furent tués ^ ; cent chevaliers ou écuyers avec Tévêque de Noyon,
Gilles de Lorris, furent faits prisonniers et emmenés à Greil. Jean de
Venette dit que, la même année, l'abbaye des chanoines réguliers
de Saint-Barthélémy près Noyon fut détruite par les habitants pour
plus de sûreté contre l'ennemi ^. La garnison de Mauconseil pilla le
trésor de l'abbaye cistercienne d'Ourscamp, et brûla une partie des
bâtiments claustraux ^. Les ennemis enlevèrent les vases sacrés, les
reliques, et emmenèrent, après avoir massacré plusieurs religieux,
423 chevaux, un nombre considérable de poulains, 552 bêtes à
cornes, 8.000 bêtes à laine, 800 porcs, etc. L'abbé Nicolas dit de
Framerville fut obligé de demander remise ou délai pour le paie-
ment de florins dus à la cour de Rome ^.
Les Anglo-Navarrais s'emparèrent encore de Moulin de la Saux
près de Beauvais ^, et devinrent maîtres de tout le Beauvaisis ^.
Comme nous l'avons vu dans le paragraphe précédent, ce pays avait
déjà été dévasté pendant la révolte des Jacques, la désolation
recommençait. L'abbé de l'abbaye bénédictine de Saint-Germer-de-
Fly dépeint vivement, le 5 juin 1363, le sort du prieuré de Villers-
Saint-Sépulcre pendant ces années de terreur. 11 était désolé : les
terres restaient en friche et les vignes sans culture '^ L'abbaye
1. Jean DE Venette, p. 281.
2. Voy. ci-dessus, p. 177.
3. Jean de Venette, 1. c; Grand, chron., p. 148 ; Froissart, p. xxxviii suiv.
4. P. 279.
5. Froissaht, 1. c. ; Jean de Venette, p. 283; Chron. de Richard Lescoi, p. 141.
6. Peigné-Delacourt, //isL de l'abbaye de Notre-Dame d'Ourscamp (1876), p. 251.
7. Chron. norm., p. 136.
8. Grand, chron.., p. 141.
9. Sappl. Urbani V, n" 37, fol 134'' ad an. 1363, Jiin. 29 : « Sanctissimo in Chrislo
patri... domino Urbanb... devotissimi... oratores vestri Arnulphus niinister, dictus
abbas licet indignus, prior ac totus conventus monasterii vestri Sancti Germari Fia-
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, i3o6 A 1360 221
bénédictine de Saint-Symphorien-lez-Beauvais fut détruite par
ordre des Beauvaisins mêmes, pour se mettre en sûreté, le 14 sep-
tembre 1357 ; les moines furent errants par la campagne durant trois
ans'. L'abbaye cistercienne de Froimont du même diocèse était aussi
durement éprouvée. Son abbé, Jean de Ghiry, se retira à Beauvais
pendant le soulèvement des paysans, mais après vinrent les Anglo-
Navarrais qui pillèrent et enlevèrent tout le mobilier, le bétail, les
chevaux de l'abbaye, et mirent le feu à Tég-lise et aux bâtiments du
monastère qui resta plus d'un an sans moines; l'abbé demeura deux
ans absent -. Une autre abbaye du Beauvaisis, celle de Royaumont,
fut menacée d'être pillée, brûlée et rasée par la garnison de Greil ; la
vie des moines et des habitants était en péril. Les moines, préférant
être rançonnés, se mirent sous la protection des Anglais •^. Beau-
coup de bénéfices ecclésiastiques du diocèse perdirent leur valeur et
demeurèrent vacants sans que les clercs y aspirassent. Les cures
avaient le même sort ^\ La garnison de Greil menaça les Bénédic-
tins du prieuré de Saint-Leu d'Esserent et les habitants de la ville
de détruire l'église et toutes les maisons, et de tout dévaster s'ils
ne se rachetaient pas du feu et du glaive. Les habitants de ce lieu
et des environs prirent la fuite, ceux qui ne purent fuir furent tués.
Tout le pays fut dépeuplé comme en 1359. Les religieux ne sachant
viacen., Ord. S. Ben., dioc. Belvacen... Olim, pater clementissime, dominus Matheus
de Vallibus, tune monachus S. Symphoriani prope Belvacum, dicti Ord., ad monas-
terium S. Gemari (stc) translatas, auctoritate apostolica prioratum de Villaribus S.
Sepulcri, dicte diocesis, membrum S. Gemari per monachos ipsius soliti (videlicet
unum prioreni et très socios) gubernari extitit assecutus, qui possidens illuni... factus
fuit episcopus Florentin, dicto prioratu post sibi tradito pluribus et diversis vicibus
per sedem Apostolicani, et nuper per V. S. usque ad biennium in commendam, qua
durante prefatus Matheus debitum nature persolvit. Post cujus obitum nos videntes
prioratum in spiritualibus et temporalibus desolatum ob guerras et alia infortunia,
que in illis partibus hostiliter et alias mirabiliter viguerunt, ac gravia in vineis et
terris non cultis, prediis, redditibus et hereditatibus vastatis, ac hominibus et sub-
ditis in bonis etcorporibus sauciatis... [Ut Guillelmus de Ravenello in priorem insti-
tuatur]. Dat. anno Domini millesimo ccc sexagesimo tertio, die quinta mensis Junii.
— Fiat. B. —Dat. Avinione iij kal. Julii, anno primo ». Mathieu des Vaux fut alors
évêque de Fiorentino (midi d'Italie) dès le 23 juin 1344. Cf. Eubel, Hierarch. cathol.,
p. 261, où manque la date de sa mort, qui toutefois est arrivée de 1362 à 1363.
1. Delettre, Hist. fin diocèse de Beauvais (1843), II, p. 444 suiv.
2. D'après un ms. du monastère, Gall. christ., IX, p. 832.
3. Cf. l'acte de rémission du mois de juin 1359 accorde par le régent dans Duclos,
Hist. du Royaumont, I, p. 454 à 436, et p. 439 suiv.
4. Reg. Aven. Urh. V,n° 3, fol. 212^ ad an. 1363. Febr. 17.
222 LA GUERRE DE CENT ANS
OÙ fuir furent rançonnés ^ L'évêque, Jean de Dormans, était tout
à fait appauvri et hors d'état de payer à la chambre apostolique sa
dette de six cents livres. Par suite des guerres et des épidémies, des
dépenses qu'exigeaient la garde et la réparation de ses châteaux et
manoirs, ses revenus étaient nuls 2. Quand le 18 novembre 1359,
Jean de Grailly, captai de Buch, enleva par escalade à l'aide
d'échelles de corde et de grappins d'acier le château de Glermont,
l'état du Beauvaisis empira, car les forteresses de Glermont, de Greil,
de la Hérelle et de Mauconseil se prêtèrent un mutuel appui pour
tenir à discrétion le pays plat du Vexin et du Beauvaisis 3. L'église
collégiale de Saint-Arnoul de Glermont fut détruite à cette occasion^.
Au milieu desdites chevauchées des ennemis se trouvait Pon-
toise, du diocèse de Rouen, qui touchait à la partie méridionale du
diocèse de Beauvais. La ville, comme aussi l'église de Notre-Dame,
étaient fortifiées ; mais le monastère des Frères Mineurs, situé hors
les murs, sur les fossés, aurait pu servir d'asile aux ennemis. Par
ordre du gouvernement de la ville, il fut détruit de fond en comble,
et les Frères furent reçus dans la ville, ainsi que le permit
Innocent VI le 6 juin 1358^.
Au commencement du mois de septembre 1358, Gharles le Mauvais
chevauchait à Melun avec deux mille combattants pour faire visite
à sa sœur Blanche. Sur le chemin il incendia plusieurs villes, entre
1. Arch. Nat., JJ 90, n" 184. De Luçay, Le comté de Glermont en Beauvaisis (1878),
p. 89, note 1.
2. Reg. Aven. Urb. V, n" 5, fol. 505'' ad an. 1363, Martii 13 : « Ven. fratri epis-
copo Belvacen. salutem etc. Sincère devotionis etc. Exhibita siquidem nobis pro parte
tua petitio continebat quod redditus... ad mensam tuam episcopalem Belvacen, spec-
tantes a tempore, quo ad Belvacen. eccl. promotus fuisti (12 juill. 1359), propterguer-
ras que in tui episcopatus ferventius quam in aliquibus aliis partibus ingruerunt,
nec non mortalitatis pestem ac sterilitates agrorum fuerint et sunt adeo diminuti
tantaque incumbentia tibi extunc pro custodia et defensione castrorum et ipsorum
ac aliorum manerioruni mense prefate reparatione ac sustentatione et alia etiam pro
ecclesia tua te oportuit onera supportare, quod ultra predicta ex ipsis redditibus nul-
lum emolumentum reportare... potuisti. Dat... Avinione III idus Martii anno primo ».
3. Grand, chron.., p. 164 suiv. ; Froissaut, V, p. 134.
4. Delettre, Hist. du diocèse de Beauvais, II, p. 448.
5. Reff. Vat. Innocent. VI, n" 233, fol. 430 : « Dil. fil. ministro provinciali et fratri-
bus Ord. Min. provincie Francie secundum morem dicti Ordinis, salutem , etc.
Sacre vestre... Exhibita siquidem nobis pro parte dil. fil. cleri et populi habitantium
in villa Pontisare, Rothomagen. dioc, petitio continebat quod présidentes regimini
dicte ville propter guerras in illis partibus vigentes locum et ecclesiam fratrum ves-
tri Ordinis, prope muros et supra fossatum ejusdem ville ab antiquo constructum, ne
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1360 223
autres Montlhéry K Le 16 septembre, de la forteresse de la Hérelle,
Jean de Picqui^ny essaya de s'emparer d'Amiens par surprise, avec
la complicité d'un certain nombre de bourgeois. 11 était déjà maitre
d'un des faubourgs, lorsque Robert de Fiennes, connétable de
France, et le comte de Saint-Pol accoururent de Corbie et repous-
sèrent les Navarrais qui se retirèrent, mais non sans avoir pillé et
incendié le faubourg en question. Dix-sept traitres, parmi lesquels se
trouvait l'abbé de l'aljbaye cistercienne du Gard, furent arrêtés et
mis à mort par les Français vainqueurs -. Quand les habitants
d'Amiens eurent constaté que les faubourgs étaient en grande par-
tie déjà dévastés par le feu et que le reste^ avec les monastères des
Prêcheurs, des Mineurs, des Ermites de Saint- Augustin, était plus
dangereux qu'utile à la sécurité générale, ils détruisirent tout
et reçurent les religieux dans la ville ^. C'est probablement aussi
à cette époque que, soit parles ennemis, soit par les habitants, l'église
des chanoines réguliers de Saint-Acheul-lez-Amiens fut en partie
abattue, ce qui contraignit les religieux à cesser l'ofTice divin et à se
retirer pour longtemps dans la ville. Ils ne rentrèrent dans l'abbaye
que vers 1368 ^.
Un complot semblable à celui qu'on avait formé contre Amiens se
tramait alors contre Laon. L'instigateur en était l'évêque de cette
ville, Robert le Coq, qui après l'issue manquée du complot tramé à
inimici eorum non solum in dicte ville sed et circum\icinarum partium periculum et
vastationem se inibi receptarent (de qiio poterat et debebat non immerito formidari)
non sine dolore cordis lunditus destruxerunt, et quod ipsi considérantes religionis
zelum et alia pia studia cjuibus fratres ipsi eosdem clerum et populuni hactenus verbo
pariter et exemplo luudabiliter informabant, alium certum aptum et honestum locuni
infra clausuram dicte vi'le et limites par. eccl. S. Pétri de dicta villa ad monasterium
de Beccohelluini O. S. B. dicte dioc. pertinenteni ex caritativa recompensatione...
dederunt. [Ad supplicationem dictor. Iratrum necnon cleri et populi licentiam com-
mutandi locuni concedit , salvo jure par. ecclesiae]. Dat. apud Villamnovam Avinio-
nen. dioc. viij id. Junii anno sexto. » Pontoise fut plus tard attaquée, mais non prise
par les Navarrais. L'église Notre-Dame était fortifiée.
1. Grand, chrou., p. 139.
2. Froissart, p. xl; Grand. chron.,p. 1 JO suiv. ; Jean de Venrttk. p. 274 suiv.
D'après la Chron. de.'i quatre premiers Valois, p 95, Tauteur principal du complot
était Philippe de Navarre. Je n'ai pas trouvé aux Arch. du Vat. le nom de Tabbé
qui manque aussi dans Gall. christ., X, 1332.
3. Jean de Venette, p. 276. La Chronogr. dit p. 284 : « ante destructionem erant
plus quam tria millia domorum et multe ecclesie ».
4. Roux, Hist. de l'abbaye de Saint-Acheul-lez-Amiens (1890), p. 53 et note 3.
224 LA GIERRE DE CENT ANS
Paris avait quitté cette ville en habit de Prémontré ' , et continuait à
Laon sa conspiration contre le royaume. Il s'enfuit auprès de Charles
le Mauvais dès que tout fut découvert. Six habitants de la ville qui
avaient été ses complices furent mis à mort -. Robert le Coq ne
pouvait plus retourner à Laon, et de plus son château d'Anisy
avait été presque détruit par le sire de Coucy ^ ; mais il n'était pas
en droit de se plaindre. Gomme adhérent de Charles le Mauvais il
réussit auprès d'Innocent VI à être nommé évéque de Galahorra, le
6 avril 1362 4.
Les Anglo-Navarrais s'emparèrent aussi alors, ou tout au moins
avant le mois d'octobre, d'Eu près de Dieppe et de Saint- Valéry
près d'Abbeville, de sorte que tout le pays compris entre Dieppe,
Abbeville, le Crotoy, Rue et Montreuil était à leur discrétion \ Les
églises et les monastères furent, par suite de ces guerres conti-
nuelles et de leurs tristes incidents, grandement endommagés.
Ainsi, le 4 septembre 1359, Jean évêque d'Amiens, convaincu à la
suite d'une visite que les revenus des Bénédictines du monastère
d'Austreberte à Montreuil-sur-Mer n'étaient plus suffisants pour
soutenir vingt-cinq religieuses, réduisit leur nombre à dix-huit ^\
Il résulte de tout cela que les Anglo-Navarrais dominaient alors le
Nord de Paris. En conséquence, non seulement cette ville était assié-
gée, mais encore tout moyen de communication avec le nord lui était
enlevé. La même interception existait pour le nord par rapport à
Paris et aux villes méridionales. Ainsi il était impossible de trans-
porter des vins à Arras, à Tournay, à Lille et aux autres villes du
nord ". Aucun marchand n'osait quitter Paris, les chemins n'étaient
pas sûrs. On ne labourait plus les terres et bientôt une famine
1. Jean de Noyai, abbé de Saint-Vincent de Laon, dans sa Chron. (BibL Nat. ms.
fr. 10138, foL 168'') : « se parti de Paris en habit de prenionstre ».
2. Froissart. l. c, et note 4 ; Melleville, Hist. de la ville de Laon (1846), II, p. 48,
241. Jean de Noyai dit dans sa Chron. (Bibl. Nat., ms. fr. 10138, fol. 168*^), qu'ils
furent décapités « pour la souspicion de estre de la partie à l'évesque Robert le Coq
et au roy de Navarre ». Voy. encore Secousse, Mém., p. 347 suiv., et les notes.
3. Jean de Noyai, l. c.
4. EuBEL, Hierarchia cathoL, I, p. 161.
5. Froissart, p. xxxvii.
6. Lettre insérée dans la bulle d'Innocent VI du 10 juillet 1360, dans Reg. Aven.,
n° 24, fol. 564^.
7. Grand, chron., p. 141.
TOUTE LA FRAiNCE INFESTÉE, 1356 A 1360 22o
qui dura plus de quatre ans mit le comble à tous ces malheurs ^.
Ces tristes faits ne sont pas surprenants puisque, au début même
de la g-uerre, ces pays étaient déjà presque dévastés et ruinés, et
que leurs habitants en avaient expérimenté toutes les horreurs ; les
plus riches chapitres, pour ne pas parler des moindres, se trouvaient
hors d'état de préserver de la ruine de célèbres égalises. Le chapitre
de la cathédrale d'Arras nous en offre un bel exemple. Cette ég-lise
était depuis longtemps dans un état voisin de la ruine, mais le
chapitre et les habitants avaient dû pourvoir d'abord aux dépenses
qu'entraînait la fortification de la ville contre les ennemis ; puis ils
avaient beaucoup perdu par suite des guerres, leurs maisons avaient
été brûlées, de sorte que la cathédrale restait en partie ruinée -.
UOiiest de Paris était, depuis quelque temps déjà, menacé et
occupé en maints endroits par des bandes, comme il a été noté briè-
1. Froissart, p. 130; Jean de Venette, p. 279.
2. lieg. Vat. Grecjor. XI, n° 183, fol. 183, ad an. 1372, Novemb. 23 : « Venerabili
fratri.. episcopo et dilectis filiis.. capitule Atrebaten. salutem, etc. Devotionis afl'ec-
tum, etc.. Sane petitio pro parte vestra nobis nuper exhibita continebat quod magna
pars dicte ecclesie vestre Atrebaten., videlicet ab anteriori hostio chori usque ad tur-
res continuas domui episcopali, proprie navis ecclesie nuncupata, a magno tempore
citra minatur ruinam et ob hoc pcr certes lathomos et artifices doctos in talibus et
expertes diligenter jamdiu visitata repertum fuit dictani ecclesiani pro illa parte in
magno pericule cerruendi nec eam posse reparari nisi cum valde magnis sumptibus
et expensis iniportabilibus omnino predicte ecclesie, et quod ad obviandum tune
imminenti periculo juxta cencilium dictorum artificum apposite fuerunt certe trabos
sive fusces magne inter pilaria sive columpnas in illa parte ecclesie ruinosa consis-
tentc, dicta pilaria et totum edificium aliqualiter substinentes et sepportantes. Qui-
bus non obstantibus adhuc illa pars ecclesie de die in diem pondère magno desuper
per amplius gravata propinquierem minatur ruinam in magnum periculum totius
edificii et non minus canonicorum et aliarum personarum ecclesie et totius pepuli
habitanlium ibidem, ad quorum rcfectienem et reparationem supportatis aliis
magnis oneribus et expensis, que ecclesia ipsa et persone ejusdem et habitatores
ipsius civitatis habuerunt a pluribus annis citra subire de diem in diem pro fortifica-
tione dicte civitatis, fessatis, mûris et aliis imperamentis ad ipsius civitatis et eccle-
sie tuitienem contra inimicos rcgni de novo vallate ; attentis etiam dampnis et deper-
ditis occasionc guerrarum tam in cembustiene domorum quam aliorum bonorum
dicte vestre ecclesie per ipsius regni inimicos vastatorum, ipsius ecclesie non suppe-
terent facultates... [Papa permittit ut fructus primi anni quarumlibet dignitatum et
singulorum personatuum et olliciorum ipsius Atrebaten. et aliarum ccclesiarum celle-
giatarum ipsius civitatis et diocesis Atrebaten. nec non etiam parochialium ccclesia-
rum et aliorum benefîciorum usque ad sex annos, si vacarent, in usus dicte fabrice
pro reparationc hujusmodi cenvertantur]. Dat. Aviniene viiij kal. Decembris anno
secundo. »
In codcm modo ven. fratribus Cameracen. et Morincn. episcopis et dilecto officiali
Atrcliatcn.
R. P. Deniflk. — Desolatio ecclesiarum II. 15
226 LA GUERRE DE CENT ANS
vement plus haut ^ ; il est à propos d'en donner maintenant un
exposé plus détaillé. Gomme nous l'avons vu, Philippe de Navarre
se tenait sur les frontières de Normandie et faisait de là des incur-
sions dans les pays voisins et dans le Chartrain. A son approche,
les habitants de Dreux jettent le cri d'alarme. Le 12 janvier 1337,
ils dépêchent à Etienne Marcel, prévôt des marchands, un messa-
ger charg-é de communications verbales et d'une lettre annonçant
que la ville de Laigle vient d'être prise et pillée, que Philippe de
Navarre avance avec quatre mille combattants et que si l'on n'ac-
court à leur aide, le pays est perdu. Marcel communiqua aussitôt, le
14 janvier, cette lettre à ses bons amis le maire, les échevins et
bourgeois d'Arras, les priant de la faire publier par toute la région
afin d'envoyer au secours de Paris autant d'hommes d'armes qu'ils
en pourront mettre sur pied, parce qu'il a entendu dire que l'en-
nemi a l'intention de venir tout droit sur cette ville, la sachant à peu
près sans défense puisque le roi et plusieurs capitaines sont empri-
sonnés par les Anglais -.
Philippe de Navarre se contenta de dévaster le pays Chartrain
jusqu'à Chartres et Bonneval, et retourna dans le Cotentin en
ravageant tout sur son passage-^. A sa place survinrent d'autres
chefs des bandes, par exemple James Pipe, cantonné avec les
troupes anglaises à Épernon, Foulques de Laval, un Français qui,
auparavant, se battait contre Charles de Blois, en Bretagne, et
souvent d'autres encore. Plusieurs villes du Chartrain furent
détruites^; la plus remarquable était Etampes. Le 10 janvier 1358,
Foulques de Laval, avec ses Bretons , s'en empara, quoiqu'elle fût
déjà pillée et incendiée par d'autres brigands, et la pilla une
autre fois, en emmenant un grand noml^re des prisonniers dans
les forteresses que les ennemis occupaient dans le pays '^. Saint-
Arnoult fut également pillé et presque détruit^. Je suppose que
1. Voy. ci-dessus, p. 143.
2. Voy. la lettre dans Mém. de la Soc. de Vhist. de Paris, t. XXIV '^1897), p. 59
suiv. ; cf. p. 52.
3. Grand, chron.., p. 52.
4. Voy. les noms dans Froissart, éd. Luce, V, p. xxv.
5. Jean de Venette, p. 258 ; Grand, chron., p. 81 ; Richard Lescot, p. 116.
6. Maillaht, Hist. de Rambouillet^ (1891), p. 85. Voy. encore Luce, Du Guesclin
p. 501 à 503.
TOUTE LA FRANCK INFESTÉE, 1356 A 1360 227
Tabbaye cistercienne de Notre-Dame-des-Vaux de Cernay, au dio-
cèse de Paris, avait le même sort, et que la désolation de la iin du
xiv*^ et du XV® siècle ^ date de cette époque, parce que , en juillet
de la même année, James Pipe, avec ses bandes, se trouvait tout à
côté, à Chevreuse -. Le 18 avril 13o8, Etienne Marcel écrit au
régent au sujet des dévastations dans le Ghartrain : «. Les
ennemis de vous, de nous et du royaume nous roignent et nous
pillent de tous lés du costé devers Chartres et nul remède n'y est
mis par vous '^ ». Les habitants de la ville essayaient de s'assurer
contre l'ennemi en élevant des fortifications auxquelles les églises
et les monastères furent sacrifiés. Tel fut à peu près en 1357 le
sort de l'abbaye des chanoines réguliers de Saint-Cheron ^ et de
Fabbaye bénédictine de Sainte-Marie de Josaphat ■' qui ne furent
reconstruites et seulement en partie qu'après la paix de Bretigny.
La misère obligea les chanoines de Saint-Cheron à vendre une
partie de leurs propriétés rurales ^'. De même que les autres éta-
blissements religieux de la banlieue chartraine, les Cisterciennes
de l'Eau avaient dans la ville une maison de refuge. En 1357, à
l'approche des ennemis, elles s y réfugièrent et y stationnèrent
plusieurs années'^. Les Ordres mendiants étaient naturellement dans
les mêmes conditions : du moins les Frères Mineurs durent changer
l'emplacement de leur église et de leur monastère ^'^. Les Anglais
1. MoRizE, Étude nrchéol. sur Vabhaye de Noire-Dame des Vaux de Cernay (1889),
p. 45.
2. Voy. ci-dessus, p. 169, not. 4. Chevreuse était occupé jusqu'à 1360.
3. Lettre éd. par Keuvyx de Lettenhove dans Froissaut, VI, p. 462. Cf. ci-dessus,
p. 159.
4. Suppl. Urh. y, n" 37, fol. 199^ ad an. 1363, Julii 15 : « Significant S. V. devotissimi
oratores vestri abbas et conventus monasteiii sancti Carauni prope Carnotum, quod
cuni predictum monasterium ^ucrris vi^entibus per consilium civitatis Carnoten.
fucrit destructum, omniaque ipsius edificia penitus destructa, et post pacem initam
inter duos regcs dicti significantes aliqua ex ipsis edificiis fecerunt reparari, aliis
renianentibus dcsolatis, que pro viribus de die in diem reparare nituntur, que qui-
dcm sine fidelium adjutorio minime possunt restaurare, [de indulgentiis]. Fiat. B. —
Dat. Avinione id. Julii anno primo. »
5. Suppl. Vrb. V, n" 35, fol. 133*', ad an. 1363, April. 15. La teneur est la même
que celle de la supplique rapportée dans la note précédente.
6. De LÉpiNois, Hisl. de Chartres (1358), I, p. 283.
7. Ibid., p. 305.
8. Recf. Aven. Innocent. VI, n° 24, fol. 488, ad an. 1360, April. 19. Voy. de LÉpinois,
Ilist. de Chartres, II, 19.
228 LA GUERRE DE CENT ANS
ravageaient encore la Beauce en 1359 : le capitaine français,
Reg-naut de Gouillons, fut fait prisonnier ^ L'abbaye de Saint-Flo-
rentin de Bonneval fut pillée et brûlée, vraisemblablement en 1357
par Philippe de Navarre, et en 1360 par les troupes d'Edouard III,
et le couvent fut abandonné par les moines-. Le prieuré bénédictin
d'Authon, en Perche, fut totalement désolé par les bandes. Les reve-
nus étaient aliénés, les maisons ruinées; les terres, vignes et posses-
sions restaient sans culture^. C'est alors, ou plus tard, que l'église
Saint-Jean de Nogent-le-Rotrou, où était, suivant la tradition, le cer-
veau de Saint-Jean-Baptiste, fut brûlée et gravement appauvrie dans
ses revenus''. A Blois même on n'était pas en sûreté. Avant 1362,
pour prémunir la ville, plusieurs maisons furent détruites, et l'église
paroissiale de Saint-Pierre-du-Foix qui était patronnée par l'ab-
baye bénédictine de Saint-Laumer, fut démolie ^. Cette abbaye per-
dit aussi peu à peu des revenus et des maisons ^.
L'action des Anglo-Navarrais au Nord et à l'Ouest de Paris fut
secondée au Sud de la capitale par un formidable allié, Robert
Knolles, avec qui nous avons déjà fait connaissance. Il était capi-
taine de plusieurs forteresses en Bretagne et en Normandie. Frois-
sart écrit qu'il était maître de quarante bons châteaux ". Mais,
n'ayant plus rien à prendre dans les endroits dont il était la terreur
parce que les habitants et la campagne étaient épuisés, en octobre
1358, il quitta avec deux ou trois mille combattants ses quartiers
ordinaires des marches de Bretagne et se dirigea vers Orléans ^.
Il est bien probable que dans ce parcours il toucha le diocèse du
Mans. Déjà dès 1357 ce pays était désolé par les ennemis, qui selon
toute apparence venaient du côté du comté d'Alençon et du
Perche •'. On signale à cette époque plusieurs monastères ayant
1. Chron. norni., p. 148.
2. TniHOvx^ Hist.de Vahhaye de Sl-Florentin-de-Bojineval,cd. Bigot (1876), p, 119.
3. Suppl. Urhnnl V, n" 40, fol. 45'", ad an. 1364, MarLii 16.
4. Reg. Vat. Greçforii XI, iv 288, fol. IT?»», ad an. 1376, Junii 21.
5. Noël Mahs, Ilisl. du monnslèj^e de Saincl-Lomer de Blois. cd. Dithé (Blois,
1869), p. 214. Touchahd-Lafosse, Ilist. de Blois (1846), p. 61 suiv., ne donne aucun
renseignement.
6. Voy. Denifle, La désolation des églises en France, I, n° 966.
7. Éd. Luge, V,p. xli.
8. Ihid.; Grand, chron., p. 142; Kmghtox, p. 102; Chron. de Richard Lescot,
p. 137.
9. Voy. ci-dessus, p. 143, et Luge, Du Giiesclin, p. 308.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 A 1360 229
été détruits et dévastés par eux. Le 29 décembre 1359, Jean comte
de Vendôme obtient d'Innocent VI que deux chapelles soient incor-
porées à l'abbaye bénédictine de Saint-Georges-du-Bois dont les
terres et les manoirs avaient été dévastés par les ennemis, ce qui
avait réduit les moines à une grande détresse K L'abbaye cister-
cienne de Bellebranche fut complètement ruinée et les habitations
brûlées en grande partie. Les revenus ne suffirent plus même pour
la moitié des moines et l'on ne pouvait songer ni à une réédifica-
tion nia une réparation 2. L'abbaye des Bénédictines d'Estivaux eut
le même sort : les religieuses durent quitter leur ancienne habita-
tion ^'.
Gomme le diocèse du Mans, celui d'Orléans était déjà menacé
avant l'arrivée de Knolles. On dit par exemple qu'en 1358, au
temps où, avec ses Bretons, Foulques de Laval pillait Etampes,
les routiers infestaient le pays jusqu'à Orléans '*. Et, en effet,
Meung-sur-Loire et Tabbaye des chanoines réguliers de Baugency
furent, dès le 24 juin, prises et incendiées ^. Le Ghapitre général
1. Snppl. Innoc. V/, n° 30, fol. 254'' : « Significat S. V. clev. rester Johannes cornes
Vindocinen. et Castren., quod monasterium Sancti Georgii de Neniore, Ord. S. Ben.
Cenomanen. dioc. ipsiusque loca et mancria pro niajori parte per inimicos regni
Francie jam proximc lapsis temporibus combusla et devastata fuerunt, adeo quod
nisi per S. V. de aliquali subventione succurratur eidcm, abbas et conventus ipsius
monastcrii non poterunt onera incumbentia suportare nec sibi de necessariis divino
cultui providcre. [Cornes supplicat ut duae capcllae cjusdeni diocesis monasterio
uniantur]. Fiat de una, facta prius informatione per ordinarium, si sit ita et sine pre-
judicio etc. G. Dat. Avenione iiij kal. Januarii anno scptimo ».
2. ^uppL Urbani V, n" 37, fol. 155, ad an. 13G3, Julii 4 : « lî. P. S. V. lamentabiliter
exponunt devoti et assidui oratores vestri.. et conventus monasterii B. Marie de
Bellabranca, Ord. Cistercien., Cenomanen. dioc. quod dictum monasterium, domus,
edificia et habitationes ejusdem per inimicos régis et regni Francie vigentibus guerris
quasi totaliter destructa et pro magna parte concremata fuerunt, et redditus ejus-
dem adeo et in tantum attenuati quod vix sufficere possunt ad mediam sustentatio-
nem religiosorum ejusdem, nec possent dictum monasterium reparare nec dictas
domos reedificare nisi ipsis per sedem apostolicam subvcniatur. [De indulgentiis].
Fiat. B. Dat. Avinionc iiij non. Julii anno primo. »
3. IhicL, fol. 39, ad an. 1363, Maii 15 : « Supplicat S. V. humilis et devota in Christo
fdia vestra Margarita de Pictavia, vicecomitissa de Bellomonte, (juatenus Johanna
monialis, cjus lîlia, se possit transferre ad monasterium B. Marie Andegaven., Ord.
S. Ben. de monasterio de Estivaux, Cenomanen. dioc, cum in dicto monasterio nec
ipsa nec alia propter destructionem monasterii situati in loco campeslri traherc
moram audeat neque possit. — Fiat si sint ejusdem religionis et Ordinis monastei'ia
predicta. B. Dat. apud Pontem Sorgie Avinion, dioc. id. Maii anno primo ».
4. Jkan nK Vi:m:ttk, p. 258.
5. //)/(/., p. 262.
230 LA GUERRE DE CENT ANS
des chanoines de Baugency, du 8 mai 1367, fait une description
des plus tristes de l'état auquel les avaient réduits les ennemis en
portant partout la désolation, brûlant et saccageant tout ce qu'ils
rencontraient K
En face de Robert KnoUes, ce nouvel ennemi, les habitants
d'Orléans firent ce qu'ils renouvelèrent soixante-dix ans plus tard,
en 1428, quand les Anglais s'avancèrent pour mettre le siège
devant la ville -. Toutes les églises et monastères situés hors des
murs furent abattus. Ainsi le monastère des chanoines réguliers de
Saint-Euverte fut tellement démoli que les chanoines se virent
contraints de chercher un refuge chez leurs parents ^. L'ennemi
incendia leurs maisons des champs et leurs granges ; les cultiva-
teurs chassés prirent la fuite ; le bétail fut emmené, de sorte que
les chanoines furent réduits à un complet dénûment et se retirèrent
à Saint-Donatien, dans la ville ^, où furent également reçues les
1. Voy. ViGXA-T, Cartulaireet histoire de V abbaye de Notre-Dame de Baugency
(1879), p. L.
2. Demfle, La désolation des églises en France, I, n°' 104 à 110.
3. Reg. Aven. Innoc. V/, n° 21, fol. 552, ad an. 1359, Januar. 17 : « Dil. fil... abbati
et conventui mon, S. Evurtii in suburbiis Aurelianen., Ord. S. Aug., salutem, etc.
Devotionis vestre, etc. Cum itaque, sicut petitio pro parte vestra exhibita contine-
bat, monasterium vestrum in suburbiis Aurelianen. consistens cum suis edificiis adeo
propter guerras in illis partibus ingruentes, prout ingruunt, destructum existât,
quod vos in eo commorari et divinis obsequiis vacare et in religionis observantia
famulari Domino non potestis, quinimo ad consanguineorum et amicorum vestrorum
habitationes et sufTragia recurrere vos oportct, ac propterea in prioratu S. Donatiani
Aurelianen. O. S. Aug. ab ipso mon"" dependente et infra muros Aurelianen. consis-
tente commorari et Domino famulari guerris eisdem durantibus cupiatis [Petitam
facultatem concedit.]. Dat. Avinione XVI kal. Febi'uarii anno septimo ».
4. Reg. Aven. Innoc. VI, n" 24, fol. 499, ad an. 1360, Maii 18 : « Dil. fil. abbati et
conventui monasterii S. Evurtii Aurelianen. O. S. Aug. salutem, etc. Sincère devotio-
nis... Oblate... petionis séries continebat, quod monasterium vestrum S. Evurtii
Aurelianen. O. S. Aug. cum omnibus ejus officinis propter guerras que in illis par-
tibus viguerunt destructum et ad aream (proh dolor) redactum existit, quodque ves-
tri redditus propter combustionem domorum et grangiarum, fugam colonorum, per-
ditionem animalium necessariorum ad agriculturam sunt adeo diminuti quod ex eis
sustentari nequitis. Quare fuit nobis pro parte vestra humiliter supplicatum ut ad
prioratum S. Donatiani Aurelianen. d. Ord. a dicto monasterio dependentem et per
ejus canonicos solitum gubernari, ad quem cum Sanctorum reliquiis, libris, etorna-
mentis ecclesiasticis confugistis, et in quo certisque hospitiis contiguis eidem prio-
ratu conjungendis monasteriolum cum modicis officinis, ubi silentium etalia teneatis
regularia instituta, commodius quam alibi construi poterit vos transferre et ibidem
morari libère valeatis licentiam concedere dignaremur. [Licentiam hujusmodi conce-
dit.] Datum apud Villamnovam Avinionen. dioc. XV kal. Junii anno octavo ». Les
TOUTE LA FHANCE INFESTÉE, 13;]() A 1360 231
Bénédictines de Saint-Loup et les Cisterciennes de Voisins. Le sort
de La Mag-deleine-Iez-Orléans de l'Ordre de Fontevraud était pire
encore. Ce monastère, habité par plus de soixante relig-ieuses, fut
démoli ^ et dans les années qui suivirent, toute leur fortune, les
meubles et les immeubles, les titres, môme les fenêtres, les portes,
le bois et les pierres en démolition furent saisis par les malveil-
lants'^ . L'ég-lise paroissiale de Saint-Pierre-Ensentelée fut ruinée de
telle sorte que le curé et ses paroissiens durent se retirer dans la
ville 'K Les quatre Ordres mendiants perdirent ég-alement les maisons
qu'ils possédaient en dehors des murs ^. Dès le 23 octobre 1358, les
Carmes reçurent du pape la permission d'aliéner leurs anciennes
habitations et de se retirer ailleurs '^ Les Dominicains n'étaient pas
encore installés dans leur nouveau couvent en 1372^. C'est dans
ce môme temps que la célèbre abbaye de Saint-Aignan fut abattue,
ainsi que Jean de Venette le répète deux fois ^, bien que d'autres
chanoines a^'aicnt alors l'intention de construire un nouveau monastère (Ibid.,
fol. 280. ad Maii 20), mais le 28 avril 1371, leur cylise n'était pas encore bâtie {lieg.
Va t. Gre(j. XI, n° 282, fol. -43).
1. Jean de Venette, p. 296. Voy. la note suivante. De Vauzelles, Hisl. du prieuré,
de la Magdeleine-lez-Orlénns (1873), au contraire dit p. 45 : « nos recherches ne nous
ont rien appris à ce sujet ».
2. Suppl. Urhani y, n° 41, fol. 10, ad an. 1375, April. 16 : « Si{i,nificant S. V. cum
lacrimis et genibus flcxis et e.xponunt devoti vcstri lilii et assidui oratores priorissa
priorquc et conventus prioratus hospicii monialium B. Marie Magdalene prope Aure-
lianos per priorissam quantum ad moniales et sorores insimul et ad partem commo-
rantes, et per priorcm quantum ad fratres ad partem aliam commorantes et
administra tionem tcmporalium ipsius prioratus soliti jvubernari, a monastcrio
monialium Fontis Ebraudi O. S. B. Pictaven. dioc. dependentis, quod cum nonnulli
iniquitatis fîlii, quos prorsus ignorant, décimas, rcdditus, census, legata, domos,
vineas, ortos, prata, pascua, nemora, molendina, jura, jurisdictiones, vasa aurea et
argentca, calices, cruces, libros ecclesiasticos, pannes lineos et laneos. bladi, vini,
lanaruni quantitates, pecuniarum summas, privilégia, litteras auttenticas, instru-
menta publica, hostia, fenestras, lapides et ligna suorum destructorum occasione
guerrarum edifîciorum, animalia ad agriculturam necessaria, et quedam alia bona ad
dictos significantes et prioratum spectantia temere et malitiose recelare et occultare,
ac occulte detinere presumunt. [Petunt ut cantori ceci. S. Aniani Aurelian. conceda-
tur ut in supradictos excommunicationis sententiam proférât, nisi de premissis satis-
faciantj. Dat. Avinione XVI kal. Maii an. III. »
3. BiMUEM'T, Ilial. de la ville d'Orlénris (1885), II, p. 288, où Ton apprend, du reste,
peu de chose sur cette destruction des faubourgs.
4. Jean de Venette, 1. c.
5. Reçf. Viit. Innoc. VI, n" 233, fol. 465''. La supplique des Carmes date au moins du
commencement d'octobre.
6. Reff. Aven. Grecf. XI, n" 13, fol. 229''.
7. Conlin. Guill. X'niuf., II, p. 279, 296.
232 LA GUERRE DE CENT ANS
prétendent que ce fait se rapporte à l'an 1370 ^ D'après un acte de
Charles V daté du 20 novembre 1375-, on peut conclure que
d'autres églises et monastères furent rasés par les habitants en 1358
et 1359. Jean de Venette mentionne encore le prieuré de Saint-
Laurent^.
Les Anglais ne pouvaient s'emparer d'Orléans, mais ils pillaient
et incendiaient les faubourgs et tuaient tous ceux qu'ils rencon-
traient^. Toujours en octobre, Knolles, avec sa bande, marcha
ensuite vers l'est et s'empara de Ghâteauneuf-sur-Loire ^ Il y tint
garnison et entreprit de là des courses dans le voisinage. Tout près,
et aussi sur la rive droite de la Loire, se trouvait la célèbre abbaye
de Saint-Benoit-sur-Loire. Elle reçut en 1361 une bulle du pape
Innocent VI au sujet des dévastations qu'elle avait subies^, et les
moines se plaignirent à Urbain V d'avoir été ravagés et incendiés
et de l'appauvrissement qui s'ensuivait ^.
Je ne sais si c'est une partie de la bande de Knolles ou un autre
détachement anglais qui, le 31 octobre 1358, s'empara de Chantecoq
(Loiret) et de là, incendia et subjugua toute la contrée. Hugues de
Montgeron, prieur de Saint-Thibaut ou de Notre-Dame-des-Brulés 8,
1. Hubert, Antiquitez historiques de l'église royale de Saint-Aignan d'Orléans
(1661), p. 30, Preuves, p. 66; Gall. christ., VIII, ]520, Il est vrai qu'on s'occupa de
rebâtir l'église seulement en 1372, et que selon un document dans Hubert, Preuves,
p. 64, l'église de Saint-Aignan était plutôt intacte que détruite le 26 mars 1366.
2. « Dudum tempore gueri'arum quae in regno nostro diutius viguerunt, nonnuUa
monasteria, ccclesiae,prioratus et alia loca tam ecclesiasticarum et nobilium, quam
aliarum plurium personarum circa et prope civitatem ipsam (Aurelianen.) situata
demolita, diruta et devastata fuere pro conservatione, securitate et tuitione civitatis
praedictae et totius patriae convicinae prae timoré inimicorum nostrorum et regni
nostri, qui patriam immaniter devastabant », etc. Hubert, 1. c, Preuves, p. 147.
3. Contiîi., etc., p. 296.
4. Jean DE "Venette, p. 279; Knighton, p. 102.
5. Grand, chron., p. 142,
6. Voy. ci-dessus, p. 183.
7. Suppl. Urb. V, n" 35, fol. 202, ad an. 1363, Febr. 14 : « Monasterium... et mem-
bra ab eodem dependentia propter guerrarum et inimicorum incursionem nimium
desolata ex nunc et pregravata ». Ihid., n° 41, fol. 11'% ad an. 1365, April. 18 : « abbas
et conventus olim tam... preclari, nunc (proh dolor) per casuale incendium dcstructi
monasterii S. Benedicti Floriacen. », etc. Reg. Vat. Greg. XI, n" 283, fol. 8'', ad an-
1372, Febr. 9 : « Cum... monasterium... occasione guerrarum, que in illis partibus
ingruerunt, sit ignis incendio concrematum et in suis facultatibus diminutum repara-
tioneque indigeat quamplurimum sumptuosa », etc. Rocher, Hist. de Vabbaye de
Saint-Benoit-sur-Loire (1865), p. 352 à 364, est muet sur tous ces faits.
8. Voy. Quesvers et Stein, Pouillé de Vancien diocèse de Sens (1894), p. 60.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1300 233
dépeint avec de vives couleurs ces tristes événements. Il raconte
qu'ayant été obligé d'abandonner sa demeure, il s'était enfui dans
le bois voisin de la Queue, au bord de l'étang du seigneur de Ville-
béon. Le prieuré fut entièrement pillé par les Anglais, les habi-
tants du pays furent rançonnés ou prirent la fuite ; plusieurs
furent massacrés. C'est le 4 juillet 1339 que Hugues écrivait le
récit de ces tribulations , assez mal abrité derrière sa grange ^ ;
1. Le récit de ses tribulations pendant les années 1358-1359 se trouve dans le ms.
207 de la Bibl. de Sainte-Geneviève, fol. 105 et fut publié par J. Quichiîhat, dans la
Bîbl. de VÉcole des Chartes, A' série, t. III (1857), p. 359, dont ici suivent quelques mor-
ceaux: « AnnoDomini millcsimo CGC"'" LVIIIo, venerunt Anj^lici apud Gallirantum,et
in vigilia Omnium sanctoruni totam villam pêne incenderunt,et postea totam patriam
suo dominatui subjugaverunt, mandantes villis tam parvis quam mafj^nis ut se omnes,
videlicet corpora, bona, mobilia redimerent, alioquin domos ince[n]derent : quod ita
fecerunt plurilius in locis. Undc iurbati et valde territi plurimi populi erga Anglicos
se traxerunt, finenciam facientcs per modum l'edemtionis, eisdem promittente» flore-
norum pecunias, farinas, avenas et multa alia victui suo necessaria se daturos, si ali-
quam partem temporis a tormcntis predictis cessarent, quia quamplurimos homines
in diversis locis occiderunt; alios in carceribus obscurissimis detinebant, sinj^ulis
diebus cis mortem imminentes, et eos verberibus, plagis, famé et penuria, ultra quam
se credi potest, incessantcr alïligebant. Alii vero non habentes ut se redimerent, nec
cciam volentes se potestati sue submittere, sed manus suas evadere, in nemoribus
logias faciebant, ibidem pancm suum cum metu, tristicia et omni dolorc comedentes.
Quod etiam Anglicis innotuit et pro certo dictas logias qucsierunt, ncmora plures
investigantes, et multos homines ibi morantes, alios occiderunt, alios acceperunt, et
alii evaserunt. De quibus ego, Hugo de Montegisonis, prior de Brailet in parrochia de
Domato,indecanatu Curtiniacy, Senonensis dyoc, logiamcomposueram in nemore de
Gauda, super stagnum domini de Villabeonis, et ibi cum pluribus meorum vicinorum
morabar, cotidie videns et audiens de inimicis nostris opéra prava et perversa, vide-
licet domos incensas, et multos interfectos, per vicos et hamellos more bestiali jacen-
tes. Quibus sic visis et auditis, civitatem ire proposueram, moraturus, videlicet
dominica postLuciam; sed accidit quod eadem nocte, isti maledicti Anglici fuerunt
ad logiam meam ita conducti subtiliter, custodibus vix nostris vigilantibus, quod fere
me dormientem acceperunt; sed, per Dei graciam et B. Virginis Marie auxilio, eorum
tumultu evigilavi, et nudus evasi, nichil mecum portans, propter properantiam,
excepta tunica cum capitegio, transiensque per médium stagnum, ibi mansi donec
logia tota fuisset denudata, tremcns et gemens pre frigore, quia tune magnum erat ;
et postea Senones adii... Et ita in illa tribulatione vixi ego a dicto festo Omnium
Sanctoruni usque ad festum predicti Baptiste. Sed intérim me ceperunt ; sed me non
cognoscentes, furatum rcliquerunt, quia tantum pauci erant : super quibus laudetur
Deus ! In illo tempore predicto, omnia mobilia donms depredaverunt, quatuor vini
caudas bibcrunt, modium avene detulerunt ad mensuram Curtiniacy, omnes vestes
meas habuerunt, equos furati sunt, argcntum duobus vicibus amovcrunt, pigiones
manducaverunt tempore paschali et etiam dominica in crastino beaforum Pétri et
Pauli... Scriptum rétro gi-anchiam nostram, die jo^■is in festo cstivalis beati Martini
anno MCGCLIX'', quia alibi non audebam. Videte si sit dolor similis sicut dolor
meus, vos qui civitates et castella abitatis. »
234 LA GUERRE DE CENT ANS
il s'y trouvait encore le 29 octobre ^ et toujours en grand danger.
KnoUes lui-même chevaucha en Puisaye, s'empara de Chàtillon-
sur-Loing, remonta àMalicorne, de là gagna la vallée de l'Yonne
et s'installa le 8 décembre 13o8 à Regennes 2 dans un château
appartenant à l'évêque d'Auxerre qui y séjournait souvent. A Mali-
corne, nous retrouvons l'Archiprêtre allié avec les paysans pour
chasser Knolles et ses Anglais, mais il n'y parvint pas et dut se reti-
rer honteusement^. A deux lieues seulement de Malicorne, à mi-
chemin de Ghâtillon-sur-Loing était située l'abbaye cistercienne de
Fontaine- Jean. Les moines se retirèrent à Montargis pendant que
leur monastère et l'église furent dévastés et démantelés. Leurs
terres, manoirs et fermes furent brûlés et aussi dévastés. Cet état
de choses dura plusieurs années ^.
Dès la fin de 1358, Auxerre était cernée de tous côtés par suite
de l'occupation des forteresses par les Anglais ^. De Regennes,
Knolles et ses troupes tentèrent fréquemment de prendre la ville.
Le 10 janvier 13o9 vers neuf heures, le cri aux armes y retentit.
Les ennemis s'approchaient en effet. Au même moment on dut
administrer le sacrement de l'Extrême-Onction à l'évêque Jean
d'Auxois. Une partie du clergé se trouva dans la chambre du mou-
rant les armes à la main. Ce spectacle attendrit le prélat qui n'y
survécut que quelques heures ^'. L'assaut ne réussit pas pour le
moment, mais les environs de la ville n'en furent pas pour cela
moins terrorisés. Les religieux dont les monastères étaient situés
dans le pays plat s'enfuirent à Auxerre. L'al)baye des Prémontrés
de Saint-Marien tout près d' Auxerre, fut démolie sur Tordre du
recteur de la ville afin qu'elle ne pût servir de retraite aux
Anglais. Les religieux se retirèrent dans leur prieuré de Notre-
Dame-la-d'Hors à Auxerre et y restèrent environ quinze ans réduits
1. Aïs. de Sainte-Geneviève cité, fol. 29'', à la fin d'une invocation à la Sainte-
Vierge : « Sci'iptum rétro granchiam de Brulet in magno timoré, die martis post fes-
tuni Simonis et Jude an. Dom. 1359, per Hugonem ». Voy. Catalogue gén., Bihl. S.
Geneviève, I, p. 123.
2. Voy. Lebeuf, Mém. concernant Vhist. ecclésiast. et civile cVAuxerre (17-13), I,
p. 464.
3. Grand, chron., 1. c. Voy. Ghérest, UArchiprètre, p. 74 suiv.
4. Jauossay, Hist. de l'abbaye de Fontaine-Jean (1894), p. 169 suiv.
5. Voy. les noms dans Froissart, éd. LrcE, p. xm, not. 4.
6. Labbe, i\ov- Bibl.. I, p. 513; Lebeuf, Mém., I, p. 465.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 A 1360 23o
à une grande pauvreté K Les religieux des deux prieurés de Saint-
Amatre et de Saint-Gervais et les Bénédictines de Saint-Julien s'y
retirèrent sans doute de même -.
Le 10 mars, la ville d'Auxerre fut prise et saccagée par Robert
Knolles'^. Presque tous les habitants furent arrêtés pour être ran-
çonnés. Les Anglais passèrent huit jours entiers à ne faire autre
chose que fouiller, piller et emporter leur butin en lieux sûrs. Ils
n'épargnèrent ni le sacré ni le profane, pillèrent les églises et toutes
les maisons des habitants. La cathédrale y perdit une partie de son
argenterie, entre autres, les belles lampes d'argent qui étaient sus-
pendues devant le maître-autel. Les vainqueurs avouèrent y avoir
pris la valeur de six cent mille moutons (florins) d'or sans compter
les rançons de toute espèce que payèrent ou promirent les prison-
niers ^. Lorsqu'ils ne trouvèrent plus rien à prendre, ils allèrent
trouver quelques-uns des plus notables de la cité et leur déclarèrent
qu'ils étaient résolus à brûler la ville si on ne la rachetait. Les
habitants, pour éviter ce malheur, consentirent au rachat. Moyen-
nant une rançon de 40.000 moutons ou florins d'or et de iO.OOO
perles du prix de 10.000 moutons, et à condition qu'on leur enga-
1. Siippl. Urb. V, n" 37, fol. liO^ ad an. 1363, Jul. 1 : «Significant S.V. devoti orato-
res vestri abbas et conventus monastcrii sancti Mariani, Autissiodoren., Ord. Pre-
monstraten., quod in novissimis guerris que in regno Francic viguerunt, rcctores
civitatis Autissiodoren., ne inimici dicti regni in danipnuni dicte civitatis se ipsos in
dicto monasterio reciperent, edificia ipsius totaliter destrui et demoliri fecerunt,
quod dicti abbas et conventus amplius ibidem residere nequeuntes translulerunt se
ad quemdam locum infra muros civitatis pi'edicte, ubi est parrochialis ecclesia que
dicitur beata Maria-extra-muros, que per fratres et religiosos dicti nionasterii, vide-
licet unum curatum et duos fratres sibi socios, est solita gubernari, in quo loco sunt
claustrum, dorniitorium et loca alia satis pro rcgulari observantia competentia. Et
cum vix ipsi abbas et conventus prcdicti habeant unde vivere possint, nuUatenus pro
nunc possunt dicta destructa edificia reparare in toto aut in parte pro eorum neces-
saria mansione... [Supplicant ut in dicto loco valcant residere per decennium cum
omnibus cmolumentis]. Fiat ad decem annos. B. Dat. Avinione kal. Julii anno
primo ». Dans SiippL, fol. 218*' (Jul. 24), les religieux demandent des indulgences,
« ut dictum monasterium ita miserabiliter dcsolatum per elemosinas popularium
citius valeat reedificari ». Cf. encore Lebeuk, Mém. , II, p. 218, et la chronique de
Saint-Marien {ibid., Preuves, n° 305, p. 262). D'après Gall. christ., XII, p. 472, les
religieux sont retournes dans leur ancienne habitation le 28 juillet 1373.
2. Lebeuf, Mém., II, p. 2J8.
3. Grand, chron., p. 147. Il y fut fait chevalier.
4. Lebeuf, Mém., II, p. 219 suiv. Cf. Chérest, Vézelay. Étude historique. II (1868\
p. 219.
236 LA CtUerhe de cent ans
gérait les joyaux de Tég-lise de Saint-Germain-d'Auxerre jusqu'au
parfait payement de la dite rançon K Ainsi s'explique ce que dit
Knig-hton - qu'il ne se trouva pas à Auxerre un Anglais si pauvre
qu'il fût qui ne se soit promptement enrichi. Les Anglais évacuèrent
la ville le 30 avril après en avoir brûlé les portes et abattu une
grande partie des murs, emmenant avec eux un nombre considé-
rable d'hommes , de femmes et d'enfants de l'âge de dix ans ou
environ 3, mais sans cependant quitter le voisinage. C'est seule-
ment le 8 septembre, après que le connétable Robert de Fienne et
l'évêque de Troyes, Henri de Poitiers, furent arrivés à la tête d'une
forte armée qu' Auxerre fut rendue à la France ^. Le 2 mai, KnoUes
brûla Ghatillon-sur-Loing et retourna à Ghâteauneuf-sur-Loire ^.
G'est entre 13o8 et 1360 que, pour la première fois pendant
cette guerre, fut ruinée la célèbre abbaye bénédictine de Ferrières;
les ennemis dévastaient les terres et pillaient l'église de ses trésors
et le monastère de ses chartes ^. G'est vraisemblablement à cette
époque que l'abbaye cistercienne d'Echarlis, près de Joigny , éga-
lement du diocèse de Sens, fut entièrement détruite^.
La ville de Sens eut moins à souffrir des bandes au xiv^ siècle
qu'au xv^ ; mais, en 1358, la nécessité de se défendre contre l'ennemi
1. Grand, chron.^ p. 148 suiv. Voy. Lebeuf, 1. c, où se trouvent, p. 220 à 223,
beaucoup de renseignements sur les négociations. Henry, Hist. de l'ahhaye de Saint-
Germain d' Auxerre (ISbS) , p. 314 suiv., apporte d'autres détails. Le 10 avril 1366,
Robert Knolles « par remords de conscience et en considération du pape Urbain V »
fit remise aux habitants d' Auxerre des 40.000 florins d'or ou moutons. Lebeuf, 1, c,
Preuves, n° 200, p. 113, où par faute d'impression on lit MCCGLXX, au lieu de
MCCCLXVI,mais la pièce est bien placée à Tan 1366 par Lebeuf. G'est en cette même
année que Robert Knolles, qui en vertu de la bulle Ad reprimendas (voy. ci-dessus,
p. 181) était encore excommunié, reçut l'absolution (cf. Prou, Etude sur les relations
politiques du pape Urbain V avec les rois de France, 1888, p. 148, n° 69). Cf. Ghapo-
Tix, Les Dominicains d Auxerre (1892), p. 52 suiv. S. Luce avait donc tort de pré-
férer la date de 1370 (Froissart, p. xlii, not.).
2. Chron., p. 102 : « et non erat ibi Anglus tam pauper quin de auro et argento et
et aliis jocalibus et pretiqsis ad plénum ditatus est ».
3. Grand, chron., p. 151.
4. Lebeuf, Mém.. II, p. 223 suiv.
5. Grand, chron., 1, c.
6. Voy. Bibl. Nat., ms. latin 12670, fol. 114 et 122. Gall. christ., XII, p. 165 sq.
L'étude de l'abbé Jarossay sur cette abbaye dans Annales de la Soc. histor. et
archéol. du Gâtinais, t. XVI, n'a pas encore atteint le xiv* siècle.
7. Voy. Jarossay, Hist. de Vabbaye de Fontaine-Jean, p. 200. Janauschek. Oriffin.
Cisterciens., p. 20. Gall. christ., XII, p. 221, ad an. 1357.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, I35f> A 1360 237
ayant oblig-é les habitants à élever des fortifications et à creuser
des fossés, ils détruisirent les abbayes bénédictines de Saint-Pierre-
le-Vif et de Saint-Remy^, et les couvents des Frères Prêcheurs ^
et Mineurs'^, qui se trouvaient hors de l'enceinte fortifiée, afin
que Tennemi ne pût s'y loger. Non loin de Sens stationnait
Eustache d'Auberchicourt , qui résidait habituellement avec ses
bandes à Nogent-sur-Seine et à Pont-sur-Seine, mais qui occupa
aussi Damery, Lucy, Saponay, Troissy, Arcis-sur-Aube et Plancy^.
A l'est de Sens, à Aix-en-Othe, les Anglo-Navarrais s'étaient éta-
blis, jusqu'en janvier 1359, dans une maison fortifiée, appartenant k
l'évêque de Troyes^ Il est possible que la désolation des prieurés
des chanoines réguliers de Saint-Sauveur-des- Vignes, près de Sens ^,
et de Soisy-en-Brie, près de Provins"'^, ait eu lieu k cette époque.
Du reste, cette dernière ville était alors seulement menacée par les
brigands, mais elle n'en soufTrtiit pas moins. En 13o8, tandis que
des impôts étaient levés pour réparer les fortifications, le régent fit
détruire les faubourgs dans lesquels les Anglo-Navarrais auraient
pu établir leurs quartiers. Il fit également abattre, à Provins, la
célèbre église collégiale de Notre-Dame-en-Val , qui fut plus tard
reconstruite dans la ville, et les églises Saint-Sjdlas et Saint-Jean
de Villecran ^. Le sort du territoire de la ville était pire encore.
1. Gall. christ., 1. c, p. 142, 119. Mais l'abbaye bénédictine de Sainte-Colombe-
lez-Sens fut dévastée plus tard. Voy. Reg. Vat. Ben. XIII, n" 326, fol. 406; Demfi.e,
Désolation des églises, I, n" 949. Bbullée, Histoire de cette abbaye (1852), dit à tort,
p. 127, que cela arriva seulement au xv* siècle.
2. Reg. Aven. Innocent. VI, n" 24, fol. 489, ad an. 1360, April. 5 :
« Dil. filiis... priori et fratribus Ord. Predic. Senonen. salutem etc. Sacre religio-
nis, etc. Sane petitio pro parte vestra nobis nuper exhibita continebat quod edificia
loci vestri, qui extra fortalitia civitatis Senonen. existit, propter guerras in illis par-
tibus ingruentes sunt jani pro maxinia parte diruta et timetis quod residuum totaliter
diruatur. [Aliuni locum infra niuros dicte ci\'itatis recipiendi licentiam tribuit]. Dat.
Avinione-idus April. an. VIII ». Ils reçurent les privilèges pour le nouveau couvent
seulement le 7 mai 1369 {Reg. Vat. Urh. V, n" 259, fol. 65).
3. Ibid., fol. 334, Octob. 31.
4. FrOISSART, p. XLIII.
5. Grand, chron., p. 147.
6. Reg. Vat. Cleni. VII, n° 299, fol, 36, ad an. 1388, Januarii 12. Dans la lettre, il
s'agit des ruines des temps précédents.
7. Ihid., n° 292, fol. 258^ ad an. 1380, Augusti 27.
8. BouRQUELOT, //i5i(. de Provins (1840), I, 319, 378; II, p. 27. Quesvers et Stein
Fouillé du diocèse de Sens, p. 236, disent que c'était en 1 356, Bourquelot assigne l'an 1358,
238 LA GUERRE DE CENT ANS
L'abbaye de Champbenoît et le prieuré de Saint-Léonard des Béné-
dictines, Fabbaje des Cisterciennes du Mont Notre-Dame et le
prieuré de Gluny du Mez-de-la-Madeleine furent pillés et saccagés
par les Ang-lo-Navarrais K La même année, au sud-ouest, Fabbaye
fortifiée de Château-Landon, chan. rég". , fut occupée par les Anglais -,
et l'abbaye de Saint-Jean-Baptiste-le-Jard complètement pillée 3. Le
22 juillet 1404, Benoît XIII disait que le prieuré de Saint-Benoît
de Notre-Dame d'Andresy avait déjà été brûlé trois fois et que
l'église l'avait été aussi en partie ^ ; il est donc bien probable
que la désolation commença avant 1360.
Les Anglo-Navarrais se tenaient donc aussi à VEst de Pajns. Dès
: 1358 ils s'emparèrent de La Ferté-sous-Jouarre ; et, de là, le 8 janvier
1 1359, ils pillèrent Lagny-sur-Marne et prirent un certain nombre
' d'habitants. Les brigands venant ensuite dévastèrent la ville, et le
reste des habitants fut obligé d'en sortir ^. Les moines bénédictins
de l'abbaye de Saint-Pierre de Lagny en étaient venus à une telle
pauvreté qu'ils ne pouvaient payer la pension en blé, bois, char-
bon, due à Jean Channelli et Jacqueline sa femme, citoyens de
Paris '^. Vers la même époque , Juilly et l'abbaye des chanoines
réguliers, qui y était située, furent dévastés et incendiés ''. L'abbaye
des Bénédictines de Notre-Dame de Chelles fut également dévastée,
et les religieuses y étaient dans une telle détresse qu'elles durent
A^endre les objets précieux et les joyaux du monastère^. La dévasta-
tion de Meaux, en 1358, est trop connue pour que je m'y arrête.
Du côté de Soissons, de Laon et de Reims 9, dans la seigneu-
rie de Goucy et le comté de Roucy, on trouve également des bri-
gands dont la garnison est à Vailly. Dans le diocèse de Laon, la
cherté des vivres était extrême, parce qu'on ne cultivait plus la
1. BouRQUELOT, I, 376 suiv. ; II, 29.
2. DoRVKT, Château-Landon et Vabhaije de Saint-Séverin (1877).
3. Gall. christ., XII, p. 212. La misère du xv* siècle (voy. Demfle, La désolation
des églises, I, n" 87) datait du xiv* siècle.
4. Recf. Vat. Bened. XIII, n° 326, fol. 40.
5. Grand, chron.., p. 146; Secousse, Méni., p. 349; Luce, Du Gueselin, p. 499,
6. Recf. Vat. Urb. V, n° 256, fol. 95'', ad an. 1367, Septemb. 11.
7. Hamel, Ilist. de V abbaye et du collège de Juilly (1868), p. 51. Cf. Jean de
Venette, p. 278, où les Anglais sont rendus responsables.
8. ToRCHET, Hist. de l'abbaye de Notre-Dame de Chelles, I, 172.
9. Voy. sur les églises détruites autour de Reims, chap. IV, paragraphe 2.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, d 35G A 1360 239
terre, à cause des invasions ennemies ^. L'abbaye cistercienne de
Foig-ny en Thiérache vit ses immenses possessions dépeuplées et la
plus grande partie des terres demeurer sans produit, et à tout cela
se joignaient des impôts sans fin. Le monastère fut tellement appau-
vri qu'il n'aurait pu se maintenir si des églises plus riches
n'étaient venues à son secours -. A tout cela vint s'ajouter un
autre fléau : l'invasion d'Edouard III, de laquelle je parlerai au
chapitre suivant. Dans le diocèse de Soissons, les choses n'allaient
pas mieux. Le monastère des Clarisses à Nogent-l'Artaud, ville
occupée dès 1358 jusqu'en 1359, fut détruit et appauvri par les
ennemis , de telle sorte que les religieuses furent obligées de quitter
leur habitation ^. Saint-Grépin le Grand de Soissons des Bénédictins
fut, dit-on, incendié par les Anglais en 1359 '*. A cette même
époque, on doit placer la démolition du couvent des Mineurs hors
les murs de Soissons^, et la désolation de l'abbave cistercienne de
Longpont^ et celle de l'abbaye des Prémontrés de Valséry''. Dès le
commencement de la guerre , Tabbaye des Bénédictines de Notre-
Dame de Soissons voyait ses revenus réduits de moitié ; ses mai-
sons et ses granges, d'où lui venaient ses ressources , étaient
détruites, de sorte qu'en 1375 la pauvreté arrivant à son comble, le
pape, pour éviter que les religieuses quittassent le monastère, devait
réduire à cinquante leur nombre qui s'élevait à quatre-vingts ''^.
1. FaoïssAUT, p. 136 suiv. Cf. Je.vx de Venette, p. 295, 281.
2. PiET, Hist. de Vabbaye de Foic/ny, p. 95.
3. Suppl. Urb. V, n" 41, fol. 200'', ad an. 1365, Aug. 30.
4. Gall. christ., IX, p. 401.
5. Voy. De.mfle, L,i désolation des églises, I, n" 947. M. Leroux, Hist. de la ville de
Soissons (1839), II, p. 17, fixe mal la démolition du couvent à l'an 1414.
6. Cf. PouGET, Monoijraphie de Vabbaye de Longpont (1869), p. 31 suiv.
7. Gall. chinst., IX, 488, maie ad an. 135G.
8. Reg. Vat. Gregor. XI, n" 286, fol. 62'\ ad an. 1375, Martii 14 : « Dil. fd. abbati
S. Medardi Suessionen. salutem etc. Romani pontifîcis. Sane nuper pro parte dil.
in Christo fdiarum... abbatisse et conventus mon, B. Marie Suessionen. O. S, B.
nobis exposito quod licet dudum fel. rec. Alexander papa III, predecessor noster, in
eodem monasterio... numerum octuaginta monialium statuisset et eliam ordinasset,
tamen successivis postmodum temporibus et presertim a quadraginta annis citra
vel circiter fructus, redditus et proventus ipsius monasterii adeo tam proptcr fçuer-
ras, mortalitatcs et alias pestilentias que in partibus illis longo tempore vig-uerunt,et
alia quamplurima et inevitabilia gravamina, dampna et incomoda, quam alia inforlunia
que eidem monasterio contigerant, quasi pro média parte vel circiter diminuti et
attenuati seu deperditi, edificia quoque doniorum', grangiarum et aliorum locorum
dicti mon. ex quibus hujusmodi redditus et proventus provenire solebant, in pluribus
240 LA GUERRE DE CENT ANS
La garnison de Vaillj fut renforcée par les bandes de Philippe
de Navarre, du jeune comte d'Harcourt et de Jean de Picquig-ny
qui, au nombre de trois mille combattants, accouraient, mais trop
tard, au secours des Anglo-Navarrais assiégés à Saint- Valéry,
dont l'abbaye bénédictine fut incendiée^, lesquels s'étaient déjà
rendus à Robert de Fiennes et au comte de Saint-Pol vers le
29 avril 1359 -. C'est ainsi que les Navarrais, venus pour secou-
rir les leurs , furent poursuivis par Robert et par le comte de Saint-
Pol, auxquels ils échappèrent en gagnant Vailly ^. De Vailly et de
Roucy, après le 21 avril 1359, les Navarrais se rendirent maîtres
de Sissonne, où ils établirent une garnison considérable sous les
ordres d'un Allemand, originaire de Cologne, nommé Frank Hen-
nequin, à qui les comtes de Roucy et de Porcien livrèrent entre
Sévigny et l'abbaye cistercienne du Val-le-Roy un combat où ils
furent battus ^.
Pendant ce temps, Eustache d'Auberchicourt étendait sa domi-
nation au jDays de Brie et de Champagne, entre les deux rives de la
Seine et de la Marne ; il avait bien mille combattants, occupa envi-
ron douze forteresses et rançonna tout le pays entre Troyes,
Provins, Château-Thierry et Châlons-sur-Marne ^. C'est l'abbaye
bénédictine de Montier-la-Celle , près de Troyes, qui eut le plus à
suis partibus propter hujusmodi guerras et alias pestilentias destriicta et collapsa
existebant, quod abbatissa et moniales predicte in hujusmodi numéro existentes ex
eisdem redd. et prov. earum non potcrant commode in eodem monasterio sustentari,
quinymo nisi a suis parentibus subveniretur eisdem, oporteret eas in ipsarum et
religionis earum obprobrium mendicare, quodque quamplures mulieres hujusmodi
dampna... ignorantes ac forsitan cupientes in ipso monasterio plus preesse quam
prodesse, a sede apostolica et quibusdam potentissimis magnatibus, quibus abbatissa
et conventus predicte suum non erant ause denegare assensum, litteras deprecatorias
ut in eodem monasterio in moniales et sorores admitterentur seu etiam reciperentur,
impetrarant, prout adhuc nonnulle impetrare nitebantur. Propter que eedem abba-
tissa et conventus dubitabant verisimiliter quod oporteret eas dictum monasterium
derelinquere nisi eis super hoc provideretur... [Gommittit abbati supradicto ut de
valore reddituum se diligenter informet, et si praemissa veritate fulciri repererit,
octogenarium ad quinquagenarium vel alium numerum reducat, ac per quadraginta
annos hune numerum duraturum statuât.] Datum Avinione ij id. Martii an, quinte. »
1. Voy. Lice dans Froissaut, p. xliv, not. 6.
2. Gall. christ., X, p. 1238.
3. Ibid., p. XLV suiv.
4. Chronique de Jean de Noyai dans Bibl. nat., ms, fr. 10138, fol. 170''; Luge
dans Froissart,V, p. xlvii, not. 3; A. MoiA^iiEndansV Annuaire-Bulletin de la Soc. de
l'hist. de France, année 1883, p. 258 suiv.
5. FrOISSART, p. XLVItl.
TOUTE LA FKAxNCE INFESTÉt:, 135H A 1360 2 il
soull'rir. Le château que cette abbaye possédait à Verdey avait
déjà été détruit par Eustache d'Auberchicourt ' lorsque les habitants
de Troyes démolirent leur ég-lise et leur monastère, et en empor-
tèrent le bois pour fabriquer des machines de guerre et les pierres
pour faire les fortifications de la ville ~. Le dommage causé au
monastère fut de vingt-quatre mille florins d'or ^. De plus, leurs
deux belles granges de Montier-la-Celle et de Heurtebise furent
jetées à bas, et les gens portaient le bois et les tuiles soit à la
grosse tour de Troyes, soit au château de Montaigu ^. Les moines
cherchèrent un abri chez les Dominicains de Troves. Leur misère
était extrême, et l'abbé, qui refusait de mettre à leur disposition
les maisons que l'abbaye possédait en ville, les laissait encore
manquer du nécessaire en vêtements et nourriture ; le régent et la
reine de Navarre prirent soin d'eux ^ C'est sans doute au même
temps que rabba3^e des Bénédictines du Paraclet fut saccagée par
1. Lalore, Cnrlulaires du diocèse de Troyes, VI, p. xxxv.
2. Ce n'est pas seulement à Troyes qu'on détruisait alors les églises et monastères
afin d'avoir gratis d'excellents matériaux pour élever les fortifications. Cela eut
lieu aussi ailleurs (Cf. par exemple ci-dessus, p. 205, not. 6), et se pratiqua bien
davantage à Tours qu'à Troyes. Voy. plus loin.
3. liecf. Vat. Urh. V, n" 256, fol. 102'', ad an. 1367, Januarii J2 :
« Dil. fil... olîiciali Senonensi salutem etc. Exhibita nobis pro parte dil. filiorum ab-
batis et conventus monasterii Celle prope Trecas Ord. S. Ben. peticio continebat
(juod olim guerris in partibus Francie et Borgondie vigentibus dil. filii commune
civitatis Trecensis et habitatores cujusdam vici, Bronceaux nuncupati, in suburbiis
dicte civitatis consistentis, ad prefatum monasterium accedentes ii^suiu monasterium
cum refectorio, dormitorio, claustro, doniibus et aliis olïicinis cjusdeni, excepta qua-
dam antiquissima domo in qua monachi dicti iuf)nasterii nunc se reducunt, pro parte
ignis incendio concreinarunt, et exinde pro parte trabes et lignamina pro machinis
fabricandis necnon lapides clausurc dicti monasterii pro mûris dicte civitatis facien-
dis et construendis ad eandem civitatem portari feccrunt, ac premissa suo nomine
facta rata et grata habuerunt, et alias dictis abbati et conventui ac monasterio non-
nuUa injurias mala atc[ue dampna intulerunt, taliter quod ex hiis abbas et conventus
ac monasterium predicti fuerunt et sunt dampnificati usque ad summam viginti qua-
tuor milium florenorum auri. Quarc dicti abbas et conventus super hiis apostolice
scdis remedium humiliter implorarunt... [Ut olïicialis Senotien. super hiis décernât].
Datuni apud Montempessulanum ^lagalonensis diocesis ij idus Januarii, anno
(juinto ». La ville de Troyes pensait déjà, en 1356, à réparer les fossés et à édifier
des fortifications ; en 1359, fut commandé larmement de la ville. Boitiot, Ilist. de lu
ville de Troyes (J872), II, p. 121 suiv. La responsabilité du désastre de l'abbaye fut
imputée à Emery, abbé du monastère (LALoni;, 1. c). Le 15 janvier 1356, il était trans-
féré de l'abbaye de S' Genul du diocèse de Bourges à Montier-la-Cellc {Rej. Aven.
Innocent. VI, n" 12, fol. 33).
i. Lalore, 1. c.
5. Voy. tous les détails el (juelques documents dans Lvi.oiu:, 1. c, p. xxxvi à xi.u.
R.-P. Denii-lk. — DesoUdio ccclasianim H. 16
242 LA GUERRE DE CEiN'ï ANS
les bandes d'Eustache d'Auberchicourt. Ce n'est qu'en 1366
que l'évêque de Troyes entreprit de reconstruire le monastère
rasé jusqu'au sol. En 1367, les religieuses étaient encore disper-
sées ^.
Le 23 juin 1359, Eustache d'Auberchicourt fut battu près de
Nog'ent-sur-Seine, par Henri de Poitiers, évêque de Troyes, et ses
compagnons d'armes; Eustache resta au pouvoir des vainqueurs.
A la nouvelle de la défaite de leur chef, les garnisons de plusieurs
forteresses évacuèrent les places ~. Mais la capture d'Eustache n'en-
traîna pas la délivrance de la Champagne. Pierre Audley ^ se tenait
au château de Beaufort, situé entre Châlons-sur-Marne et Troj^es,
appartenant au duc de Lancaster , et était maître de cinq ou six
forteresses des environs. Il essaya de prendre par surprise Châlons-
sur-Marne, et déjà il était parvenu à occujDer l'abbaye bénédictine
de Saint-Pierre et la».partie de la ville située sur la rive gauche de
la Marne, quand il fut repoussé par les bourgeois auxquels Eudes,
sire de Grancey, avait porté secours ^. Du reste, l'abbaye bénédic-
tine de Saint-Urbain, du même diocèse, était occupée dès 1359^.
Eustache d'Auberchicourt même ne resta pas longtemps prison-
nier. A peine mis en liberté, lui et ses bandes s'emparent, à la
lîn de 1359, de la forteresse d'Attign}^, dans le comté de Réthel ;
ils font des incursions jusqu'à Château-Thierry et La Ferté-Milon,
à Mézières, Donchery et au Chesne-Populeux. D'autres de ses
bandes prennent et pillent les environs de Reims, Epernay, Dan-
nemarie, Craonne et la ville de Vertus ^. L'abbaye des chanoines
réguliers de Notre-Dame de Vertus fut également prise et incen-
diée, ce qui arriva encore deux fois après, en 1380 et li26".
Epernay , où était l'abbaye bénédictine de Saint-Martin, fut
1. Lalore, Carlulaires, etc., II, p. xxii.
2. Les détails dans Fkoissaut, p. m, et Iajce dans les notes. D'après les Gi\ind.
c/i7'o;i., p. 147, « les Anglais » furent déjà le 12 jan\ie>' battus devant Troyes.
3. Fx'ère de James Audley.
4. Froissart, p. 152 suiv. Pour les localités prises par les troupes de Pierre Audley,
cf. E. Barthélémy, Ilist. de la ville de Chûlons-sur-Marne (1854), p. 168 suiv.
5. LucE, Du Giiesclin, p. 488.
6. Froissaht, p. Liv et lxi. Aubcrchicourt trouvant à Attigny plus de mille ton-
neaux de vin, en ofl'rit une grande partie au roi d'Angleterre et à ses enfants. Ibid.,
p. 213.
7. E. Barthélem\, L'ancien- diocèse de Chûlons^ t. I, p. 41, 43.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1360 243
plusieurs fois pillé et ravag-é dès 1358 ^ ; en 1339, ses habitants
furent égorgés par les ennemis que Jean de Venette - appelle
Anglais, lesquels emportèrent avec eux une grande partie des biens
de ces malheureux.
Tous ces maux furent augmentés, à la fin de 1359, à cause de
la dévastation entreprise par le lorrain Brocard de Fénétrange.
Celui-ci combattait tout d'abord sous les ordres de l'évéque de
Troyes, mais bientôt il prit les armes contre le régent, lequel
refusait de lui payer trente mille francs dus pour ses gages. Il
saccagea Bar-sur-Seine, détruisit Rosnay-l'Hôpital, à tel point que
les habitants durent quitter la ville. 11 s'établit à Vassy*^, et de
là porta partout la terreur. Il occupa toutes les dépendances d'où
l'abbaye bénédictine de Saint-Pierre-Saint-Paul de Montierender,
déjà plusieurs fois dévastée, tirait ses revenus. Les moines se
virent forcés de quitter leur monastère, les cultivateurs s'éloi-
gnèrent des terres : l'abbaye resta déserte pendant quelque temps.
Et même après le retour des religieux, leur nombre diminua de
jour en jour. Cette misère dura jusque vers la fin du xv*^ siècle '*.
Par suite d'un tel envahissement, le régent ordonna que dans
chaque ville de la Champagne on ne sonnerait jamais que d'une
cloche à la fois. Le son de plusieurs cloches était réservé pour
avertir les habitants de se préparer à résister aux ennemis ^.
Paris était donc comme bloqué par les forteresses et les bandes ^. j
Et, quand celles-ci étaient chassées d'une place, ce n'était pas un/
grand soulagement, car, en ce cas, elles allaient se fortifier dans un ^
pays voisin. C'est ce qui arriva à Creil; quand les Anglais furent for-
cés d'en sortir, ils prirent aussitôt, le 1 2 novembre 13o9, Pont-Saint-
Maxence, en s'y retranchant^, et occupèrent l'abbaye des Clarisses
de Moncel^. Quand Mauconseil fut abandonné par les Anglo-Navar-
1. Voy. A. NicAisE, Épernay et Vabbaye Salnl-Martin (1869\ I, p. 9. Luce, p. 486-
2. Jean de Venette, p. 281.
3. Froissaht, I. c.
4. Voy. JoLiBois, La Haute- Marne (1858-1861), p. 368"; Luce, FuoissAnT,p. mv, not. 9.
5. Voy. deux documents dans Luce, Hist. de la Jacquerie, nouv. éd., p. 269 et 282.
6. Sur les enlises ruinées autour de Paris, voy. chap. IV, paragraphe 2.
7. Jean de Venette, p. 295; Grand, chron., p. 164; Chron. de Richard Lescot
p. 141. Voy. i>E LuçAY, Le comté de Clerniont-en-Beauvaisis, p. 90; 'SlxTHoy, Ilisl. de
la ville et du château de Creil (1861), p. 10 suiv.
8. Luce, Du Guesclin, p. 493.
244 LA GUKKUE DE CENT ANS
rais, au prix d'une forte somme payée par les bourgeois de Noyon,
la garnison ne s'éloigna pas du pays , ses gens d'armes allèrent
augmenter les troupes des forteresses voisines^. Et quoique Charles
le Mauvais eût conclu une paix avec le régent le 21 août 1359,
comme je l'exposerai au chapitre suivant, beaucoup de Navarrais
continuèrent de ravager le pays avec les Anglais. S'ils s'empressaient
d'évacuer certaines forteresses, c'est que le territoire était déjà
épuisé, en sorte qu'ils étaient heureux d'aller chercher fortune ail-
leurs^. Les bandes des pillards demeuraient maîtresses des champs,
des chemins et des rivières. Même, les garnisons françaises des envi-
rons de Reims et de la rivière de Marne^ en 1359, pillaient de jour
en jour le plat pays, emprisonnaient les paysans, les rançonnaient,
de telle sorte que le reste des habitants n'osait plus y demeurer
et laissait les terres sans culture, s 'exposant à mourir de faim ^.
Ce tableau devient plus effrayant, si l'on considère les autres
provinces. La Bourgogne fut longtemps pillée et ravagée par des
bandes. Elles y avaient presque champ libre, parce que cette pro-
vince, et surtout le comté de Bourgogne , appelé plus tard
Franche-Comté, étaient déchirés par des luttes intestines '*. Les
seigneurs francs-comtois , comme par exemple Thibaut de
Faucogney, Jean de Neufchâtel, et beaucoup d'autres, restaient
fidèles à la j^olitique du roi d'Angleterre •% malgré les efforts que
faisait, pour les détourner de l'alliance anglaise, la reine Jeanne^,
qui gouvernait la Bourgogne pendant la minorité du duc Philippe
son fils. Bientôt il s'éleva, sur la manière de diriger le jeune duc
et sur le gouvernement du pa^^s, des discussions et des divergences
entre la reine Jeanne et son conseil d'une part, et les prélats, les
seigneurs et les villes d'autre part. Innocent VI fît entendre sa
voix à ce sujet, le 23 décembre 1359, dans une lettre adressée aux
1. Jean de Vexette, p. 283; Froissart, p. 176.
2. Ghron. normande^ p. 142,
3. Lettres du régent du 28 novembre et du 16 décenil^re 1359 dans Varix, Archives
ndministrat. de la ville de Reims^ III, p. 152, 153 suiv. Voy. Froissart, p. 352, 35i.
4. Voy. ci-dessus, p. 52 suiv. Le livre d'Ed. Ckeuc, Essai sur Vhist. de In Franc h e-
Coîïité (1846), II, p. 60 suiv., est plein de faits sur ces guerres civiles jusqu'à l'époque
qui nous occupe, je ne puis que renvoyer le lecteur à cet excellent travail,
5. Chkrest, L'Archiprêlre^ p. 113 suiv,
6. Voy, PiÉi'APE, Hist. de la réunion de la Franche-Comlé à la France (1879), I
p, 76, suiv.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 A 1360 24o
archevêques de Besançon et de Lyon * , les eng-ageant k procurer
l'entente entre les deux parties et à mettre l'union entre quelques
barons qui s'étaient désunis après l'élargissement de Jean de
Chalon et la mort de son fils Jean -,
1. Reff. Vat. Innoc. VI, n° 240, fol. 10 i'' : « Vencr. fratribus Johanni Bisuntin. et
Guillelmo Luj;dunen. archiepiscopis , salutem, etc. Ex imposito... Nupcr siquideni
non sine mentis turbatione didicimus quod ratione tenelle etatis infra quani adlnic
dil. filius nob. vir Philippus dux Burgundic constitutus existit, super gubernatione
ducis ipsius ac regimine terrarum subjectarum eidem inter... Johannam reginam
Francie illustrem matrem ejusdem ducis suumque consilium ex una parte, et prela-
tos, plurimos comités ac barones et nobiles, cives quoque et universitatesnonnullarum
civitatum et villarum comitatus et ducatus Burgundie ex altéra, pacis emulus gravis
dissensionis materiam suscitavit, ex qua gravia continuo dampna proveniunt et
pejora eventura non tantum in dictorum comitatus et ducatus sed vicinis etiam par-
tibus ex dissensionibus hujusmodi verisimiliter formidantur, cum altercantibus inter
se prefatis regina et aliis de gubernatione predicti ducis et subjectarum sibi terrarum
regimine ac intendentibus ad intestinam discordiam animis, nonnulli viri malefici
qui spoliis gaudentet rapinisducti hujusmodi discordie fiducia ad ipsos comitatum et
ducatum appropinquare et jam partes eorum aliquas non mediocriter dampnificasse
dicantur. Nos itaque tantis et tam gravibus dampnis et periculis obviari ab ipso
surgentium malorum principio cupientes ac de circumspecta vestra prudentia specia-
liter confidentes , volumus et fraternitati vestre mandamus quatinus onus hujusmodi
ferventis devotionis studiis assumentes tam ad reginam ipsam quam personas alias
de quibus vobis expedirc videbitur vos personaliter conferatis, ac circa concordiam
gubcrnationis et regiminis predictorum aliaque statum pacificum et tranquillum par-
tiuin ipsarum tangentia solicitis operationibus intendatis, ad inclinandos ad pacem
et vmitatem discordantium animos daturi pro viribus operam efficacem.
Intelleximus preterea displicenter quod cum inter dil. filium nob. virum Johannem
de Cabilone militem ex una parte, et nonnullos barones et nobiles quondam Johanni,
dicti Johannis filio, in captione patris ut dicitur adhérentes ex altéra, post liberatio-
nem patris et mortem filii, hostis antiqui procurante nequitia, via discordiis et
scandalis plurimis nisi obvietur principiis aperitur; cupientes igitur dissensiones
hujusmodi pacis et tranquillitatis benelicio superari ac attendentes quod docti
manus artificis non uno fatigatur opère sed in plurimorum expeditione letatur, hoc
mandatis nostris adicimus quatinus circa predictorum stabilem pacem et quietam
concordiam vestram impendere studeatis vigilantiam et solicitudinem diligentem.
Datum Avinione XX kal. Januarii anno VII ». — Sous la même date, Innocent Yl
écrivit à ces deux archevêques d'autres lettres sur ce sujet, et au même temps il
exhorta tous les archevêques et évêques de la Bourgogne : Jean d'Armagnac, Jean de
Chalon, sire d'Arlay (« dominus de Ablaco ») ; Hugues de Vienne, sire de Saint-
Georges ; Jean de Neufchâtel, sire de Vélées (« de Novo-Castro, dominus de Vassc-
lis ») ; Jean de Bourgogne, Jacques de Vienne, sire de Long^vy (« dominus de Lon-
gouico »), d'assister les deux archevêques susnommés dans la mission qu'ils avaient
à remplir, Ibid., fol. 105'' à 107. Il y a encore d'autres lettres intéressant cette
affaire et l'histoire de Bourgogne.
2. En 1337 Jean de Chalon fut obligé de se constituer prisonnier entre les mains
du duc Eudes IV, à la suite d'une défaite. Voy. Clehc, 1. c, p. 62. Mais Innocent VI
ne parle pas de cette époque éloignée. Il s'agit à coup sûr d'une autre captivité. En
effet, Jean de Chalon et ses deux fils, Louis et Hugues, furent faits prisonniers par
246 LA GUERRE DE CENT ANS
Mais un des plus puissants seigneurs de la province, Jean de
Neufchâtel , prit le commandement des compagnies anglo-navar-
raises vers les frontières septentrionales du pays. Déjà , quelques
années avant 1360, la Bourgogne avait été la proie d'un routier indi-
gène, Jacques de Baudoncourt, un des plus méchants chevaliers
de ce temps et un mortel ennemi du roi de France^. Un autre
capitaine, Thiébaud-le-Ghauffour , ne vivait que de rapines ;
enfermé dans le château de Grattedoz avec un riche butin et une
foule de prisonniers, il n'accordait la liberté à aucun de ces derniers
sans une forte rançon. Assiégé dans ce château pendant l'hiver de
1356-1357, il réussit à s'échapper, et alors, en compagnie de Jean
de Neufchâtel et de Jean-le-Chauffour, il s'empara, en 1359, de
Montsaugeon, château très fortifié de l'évêque de Langres, situé à
la frontière du Langrois, et, de là, ils ravageaient les environs de
Langres et de Chaumont jusqu'au diocèse de Verdun -. Les Carmes,
expulsés alors de presque toutes leurs maisons de la province de
France, ne possédaient plus dans le diocèse de Langres un seul
endroit où ils pussent reposer leur tête ^. L'époque n'était pas
propice pour le relèvement des monastères, alors accablés de dettes.
Telle était la situation du monastère bénédictin de Saint-Seine ,
du même diocèse, forcé de faire des dettes depuis le commence-
ment de la guerre, et arrivé, en 1356, aux dernières limites de la
misère. Sa fin était proche. Les terres ne rapportaient plus rien,
les cultivateurs étaient morts à la suite de l'épidémie. Sa dernière
espérance reposait sur l'union du prieuré bénédictin de Sarregny,
du diocèse d'Autun^.
Ilujçues de Vienne, sire de Saint-Georçes, dans le château de Chagny. Bientôt
élargi, son fils aîné, Jean le Jeune, périt frappé d'un trait mortel dans les ébats
joyeux d'un tournoi. V^oy. Clerc, 1. c, p. 114 suiv. Cependant cet auteur a fort mal
placé ces deux faits à l'an 1360 (cf. encore p. 113), ce qui maintenant est établi par
la bulle du 23 décembre 1359.
1. Gi.Euc, 1, c, p. 69 suiv. Cf. Finot, Recherches sur les incursions des Anglnis et
des Grandes Compagnies dans le duché et le comté de Bourgogne (Vesoul, 1874),
p. 48 suiv.
2. Fhoissaut, p. 352 (ms. d'Amiens). Cf. encore Cherest, 1. c, p. 117; Finot, 1. c,
p. 50 et Luge, p. xmm, not, 10.
3. Reg. Vat. Urb. V, n" 261, fol. 108'", et Suppl Urb. V, n" 40, fol. 135, ad an. 1364.
April. 29. Ils reçoivent la permission de s'établir dans le diocèse de Langres.
4. Lettre de l'évêque, Guillaume d'Autun, du 18 novembre 1356, insérée à la lettre
d'Innocent VI, du 15 mai 1359, dans Reg. Aven. Innoc. VI, n° 21, fol. 583.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13^)0 A 1360 2Ï1
Un moment critique pour la Bourgog-ne fut l'été de 13.j9. Tandis
que Robert Knolles était la terreur de l'Auxerrois, un autre
aventurier, Guillaume Starqui, établissait son quartier général à
Ligny-le-Châtel, pillait et rançonnait les villages depuis l'Auxerrois
jusqu'à l'Avallonnais ^ mais il était trop faible pour porter un
grand coup : la garnison de Regennes lui envoya des détache-
ments. Jean de Neufchâtel, avec ses troupes, ne manqua pas non
plus, et les troupes, ainsi réunies, composées en grande partie
d'Anglais, se concentrèrent près de Molême-, dans l'ancien diocèse
de Langres. L'abbaye bénédictine leur servit de quartier général.
Elle fut dévastée, les moines perdirent leurs biens, et l'un d'eux,
qui, plus tard, se réfugia auprès du pape, fut, dans son voyage, deux
fois encore dépouillé de tout et réduit à la mendicité ^. Les envahis-
seurs profitèrent d'un moment favorable, où les forces bourgui-
gnonnes s'étaient absentées pour aider le régent, et, déjà maîtres de
Brion-sur-Ource, ils se préparèrent à pénétrer au cœur du Chà-
tillonnais. En juillet 13o9, ils gagnèrent le combat de Brion
contre les seigneurs bourguignons du voisinage, dont plusieurs
furent faits prisonniers^. Ils pillèrent et l)rûlèrent Chàtillon-sur-
Seine , où était Labbaye des chanoines réguliers de Notre-Dame ^ ;
Bar-sur-Aube, Mussy-l'Evêque et les pays voisins tombèrent
aux mains des vainqueurs. L'abbaye cistercienne d'Auberive
perdit deux maisons qu'elle possédait à Mussy en dehors de la forte-
1. Ghkrest, Élude hist. sur Vézelay, II, clans Bulletin de la Soc. des sciences hist.
et natur. de V Yonne, année 1868, p. 194 suiv., 196; tirage à part, II, p. 218 suiv. ;
220 suiv.
2. CiruEST, VArchiprétre, p. 122.
3. Suppl. Urb. y, n° 34, foi. 6'', ad an. J362, Novemb. 15 : « Supplicat S. V. liumilis
rester Joliannes Amici, presl^yter, monaclius monasterii Molismensis, Ord. Ben., Lin-
gonen. dioc. quatenus cuni ipse propter dicti monasterii devastationem, factani per
Anglicos et alios inimicos, per quam etiam perdidit bona sua, ad Rom. curiam acces-
serit tamquam ad refugium et matrem omnium, nec habet unde vivat, cum in via bis
fuerit depredatus, timeatque ob hoc inhonorare Ordinem, mendicitate coaclus et
privatus substantia senioque afTectus non possit comode propter magnam distantiam
ad monasterium redire predictum, quatenus liceat ei auctoritate apostolica ad aliud
monasterium ejusdem habitus et régule se translerre. — Fiat. B. Dat. Avinione xvij
kal. Decembris anno primo. « S. Luce, Du Guesclin, p. 471, annote que le mona-
stère fut occupe par les Anglais seulement dès l'année 1362. Mais voj. Chéhest, 1. c.
4. Chérest, 1. c, p. 123.
5. L'abbé Hugues craignait déjà, quelques années avant, pour la sécurité des
chanoines, et obtint en 1356, de Tévcque de Langres, la permission de porter l'habit
noir au lieu du blanc. Gall. christ., IV, p. 774.
2i8 LA GUERRE DE CENT ANS
reSvSe K Les Anglo-Navarrais souscrivirent, le 23 juillet de la même
année, le traité de la Ghassaigne, par lequel le jeune duc, Philippe
de Rouvres, rachetait sa province du pillage ; les ennemis promet-
taient de rendre la maison fortifiée de Brion , d'évacuer le duché
et de n'y plus revenir 2.
Mais ce traité ne délivra la Bourgogne des bandes que d'un seul
côté ; l'autre restait infesté.
Vers la même époque (1359) , un gentilhomme navarrais,
Bertrand Dugast, s'empara des passages de la Seine. Pour s'en
débarrasser la reine Jeanne dut lui délivrer une forte somme ^.
A la fin de 13o9 et au printemps suivant, les Lorrains, comman-
dés par Etienne de \y, descendirent la Saône, et une compagnie
anglaise s'avança par Goiffy en Champagne jusqu'à Jussey.
L'abbaye cistercienne de Gherlieu, diocèse de Besançon, déjàéprou-
A^ée vingt-quatre ans auparavant^, fut prise et saccagée ^, et bientôt
après incendiée, comme une autre abbaye cistercienne, à Glairefon-
taine. Les bandes s'avancèrent jusqu'aux portes d'un autre mona-
stère cistercien, celui d'Acey, du même diocèse, déjà ruiné par le
passage de diverses troupes. Tout le pays limitrophe fut dévasté^.
C'est là que ces bandes lorraines et anglaises reçurent un puissant
renfort de troupes qui avaient remonté les vallées de la Saône et du
Doubs, en ravageant le bailliage d'Aval. Ces deux forces dévasta-
trices, ainsi réunies, devaient se jeter de nouveau sur le bailliage
d'Amont et en achever la ruine ^.
Au mois de février 1360, Edouard III se préparait d'entrer en Bour-
gogne, du côté de Saint-Florentin, dont le capitaine avait fait abattre,
déjà en 1358, l'église paroissiale, le prieuré, l'Hôtel-Dieu et la
maladrerie, situés dans les faubourgs, ainsi que l'église de Saint-Flo-
rentin devant le château, afin que les ennemis ne s'y pussent loger ^.
1. Lamuert, Hist. de la ville de Miissy-VÉvêqiie (1878\ p. 401 suiv.
2. Voy. le traité dans Chkhkst, 1. c, Pièces justif'., n° xii, et p. 124 suiv.. où on
trouve é^ialemenl exposé le rôle que jouaient, de la part du roi de Navarre, Jean de
Neufchàtel et Girard de Mairey.
3. FiNOT, p. 5] .
4. Voy. ci-dessus, p. 52.
5. Ci.Enc, 1. c., p. 112, not. 4.
6. Je n'ose pas dire qu'aussi l'abbaye cistercienne de Rosières fut alors atteinte.
Pkost, Notice hist. sur inhbaye cisi. de Rosières (Poligny 1879), p, 6, est trop vague.
7. FiNOT, p. 51. suiv.
8. Voy. le document dans Lien:, Fhoissart, p. lmv, not. 3.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, ISoO A 1300 219
Pendant qu'Kdouard marchait sur Guillon par la vallée du Serein,
Noyers et Montréal , après avoir ravag-é et mis à contribution les
régions qu'il traversait, les troupes anglaises se répandirent partout.
Ce qui arriva aussi pendant son séjour à Guillon. Tharoiseau ,
Foissy , Yilliers , Saint- André , Saint-Léger-de-Foucheret furent
pillés et incendiés. Les paysans s'enfuyaient, les campagnes étaient
nues et désertes, les habitants des villes ne se trouvaient plus en
sûreté et vivaient, comme les paysans, dans de perpétuelles
angoisses. La ville d'Avallon, du diocèse d'Autun, ainsi que plu-
sieurs autres villages , demeurèrent longtemps abandonnés : on n'y
comptait plus que quelques misérables feux. Cet état de choses
dura jusqu'en 1367 ^
Le sort des églises et des monastères de la Bourgogne fut le
même que celui qu'ils eurent plus tard ; nous avons parlé plus haut
de quelques-uns. La guerre imposa de rudes épreuves à l'abbaye
cistercienne de Pontigny, à l'entrée de la Bourgogne. Le payement
des rentes qu'elle percevait auparavant d'Angleterre fut suspendu
et saisi par Edouard III qui ne les lui rendit seulement qu'en 1362,
après le rétablissement de la paix-. En 1360, l'abbaye fut occupée
par un détachement de l'armée du roi d'Angleterre. Les Anglais
pillèrent tout ce qu'ils trouvèrent, ils voulaient même emporter le
corps de saint Edme, mais on dit qu'ils en furent empêchés par un
miracle •^. Par suite de ces misères et de bien d'autres encore,
l'abbaye en vint à une telle pauvreté et détresse qu'tsn 1366, les
dix-sept moines (ainsi, la deuxième fîUe de Giteaux était alors tom-
bée) autorisaient l'abbé à traiter avec plusieurs autres monastères
pour la liquidation de différentes dettes ^. Le 10 juillet 1359, Inno-
cent VI appliquait à la ville et au diocèse d'Autun la bulle Ad
reprime nd as, que nous connaissons déjà. Gomme ailleurs, on y
trouve des plaintes du pape au sujet des ecclésiastiques emprison-
nés, rançonnés ou tués, et des églises, monastères et hôpitaux
occupés, pillés, incendiés par les bandes. Les églises du diocèse
restaient souvent sans pasteurs, les fidèles sans sacrements, les
1. E. Petit, Avallon et VAvnllonnnis (1867), p. 162 suiv.; 2" éd. (1890\ p. 173.
2. Chaillou des Bauhes, L abbaye de Pontigny (18i4), p. 109 suiv., du diocèse
d'Auxerre.
3. Froissart, V, p. 415.
4. Chaillou des Bahres, p. 1 i 1.
250 LA GUERRE DE CENT ANS
malades sans soins, les pauvres sans secours, les morts sans sépul-
ture ^ .
Lorsque l'armée d'Edouard s'approcha de la Bourgogne, Tétat
empira. Je rapporterai seulement quelques faits. La ville de Semur,
du même diocèse, avait un château fortifié, occupé par les Fran-
çais. La nécessité força les Semuriens vers 1359 ou 1360,
d'enceindre la ville de remparts et d'élever des tours. Les Carmes,
établis seulement dès 1352 à Semur, perdirent sept ans après
leur couvent, à cause des constructions, et furent reçus dans la
ville -. A quatre lieues de Semur, était située l'abbaye bénédictine
Saint-Pierre de Flavigny. La ville fut prise au commencement de
1360 par Jean de Harleston, écuyer d'Edouard III, qui trouva,
tant dans la riche abbaye que dans la ville, le moyen d'appro-
visionner pour un mois entier la nombreuse armée du roi d'An-
gleterre, qui marchait vers la Bourgogne ^. L'abbé Guy, à cause de
la ruine du pays, retrancha par une délibération capitulaire le tiers
de la pitance des religieux, et supprima tous les festins et
anniversaires ^. Au même temps fut pillée l'abbaye cistercienne de
Fontenay-lès-Montbard '\ Savdieu, du môme diocèse, fut pris par
l'ennemi, et l'église paroissiale des Saints Sernin et Nicolas-hors-
les-murs fut complètement incendiée, réduite en ruines et dépouillée
de ses calices, ornements et livres ^. L'église abbatiale de S. Bar-
tholomé de Gervon, du même diocèse, avait subi de telles dévasta-
tions qu'on ne pouvait plus y faire l'office ^. L'abbé et les moines
de l'abbaye de Gîteaux , du diocèse de Ghalon-sur-Saône , furent
forcés, dès le début de ces incursions, de se retirer à Dijon dans
une maison, nommée Lamonoye, et plus tard ils demandaient la
1. A. De Chxhmxsse^ L'église d'Autun pendant la, guerre de Cent ans {Anlnn,lS9H),
p. 4, Pièces justif., n° 3,
2. Reg. Aven. Innocent. VI, n° 24, fol. 530, ad an. 1369, Decemb, 31 : « locus de
Sinemuro ». Voy. Thyard, Mérn. hist. sur la ville de Semure-en-Auxois (Semur,
s. a.), p. 37, 42 suiv.
3. Froissart, p. 224 suiv. Suivant Plancher, Hist. de Bourgogne , II, p. 226 , la
ville de Flavigny fut prise le 27 janvier, ce que dit aussi Ans art, cité dans la note
suivante.
4. Chron. de Vahhaye dans la Bibl. nat., ms. lat. 12670, fol. 214. Ansart , Hist. de
Sainte Reine d'Alise et de l'abbaye de Flavigny (1783), p. 374, rapporte le même fait.
5. CoRBOLiN, Monographie de Vabbaye de Fontenay (Giteaux, 1882), p. 175.
6. Suppl. Urb. V, n" 37, fol. 41'', ad an. 1363, Maii 18. Cf. encore ci-dessous, chap, V.
7. Ibid., fol. 45, ad an. 1363. Maii 18 : « de Gerviduno ».
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, iS^jB A 1360 251
permission d'j célébrer l'office pendant la g'uerre K Les Chartreux
du Val Saint-Georg-es , du diocèse d'Autun, qui devaient payer, à
termes fixes, une certaine somme à l'abbaye bénédictine du Véze-
lay, dont ils avaient des terres et des biens, étaient en 13Go
hors d'état d'en payer même la moitié ; leur église et plusieurs mai-
sons avaient été incendiées pendant la guerre, les laboureurs
devenus chers et rares, les terres ne rapportaient plus rien -.
Le traité honteux que Philippe de Bourgogne conclut avec
Edouard à Guillon, le 10 mars 1300^, prouve mieux qu'aucune
autre chose dans quelle ail'reuse situation se trouvait alors la Bour-
gogne. Edouard se dirigea ensuite sur Paris en passant par Vézelay,
siège d'une abbaye bénédictine, laquelle n'avait pas eu trop à souf-
frir, grâce à sa position élevée et fortifiée, mais son abbé, Hugues de
Maison-Comte, qui fut fait prisonnier à la bataille de Poitiers, restait
encore entre les mains des Anglais '*. Du haut de leurs remparts, les
habitants de Vézelay purent contempler le triste spectacle de l'armée
d'Edouard s'écoulant avec lenteur, ravageant tout ce qu'elle rencon-
trait, encombrant Pierre-Pertuis de butin et trafiquant au passage
du produit de ses rapines -K Malgré le traité de Guillon et malgré
l'éloignement de la grande armée, une foule d'aventuriers anglais
continuaient à battre la campagne et à tenir occupées quelques places.
Pierre-Pertuis ne put leur être enlevé que par la force des armes '».
Le Nivernais n'était pas moins éprouvé. Les menaces des enne-
mis ne cessaient point. Sur l'ordre du roi Jean , on fortifia , dès
1356, le célèbre prieuré bénédictin, nommé La Charité. De même
on dut réparer à la hâte, en 1358, les fortifications du château de
Decize « pour obvier à la mâle volonté des Anglois » qui, avec les
Navarrais, occupaient plus de cent forteresses aux alentours,
essayaient de jDrendre la ville et le château de Decize et ravageaient
les campagnes^. Ensuite, ces bandes anglo-navarraises remontèrent
les vallées centrales du Nivernais, pénétrèrent dans le bassin de
1. Reg. Vnt. Urb. V, n" 253, fol. 89'», ad an. 1364, Jan. 4. Voy. ci-dessous, chap. V.
2. Suppl. Urb, V, n° 41, fol. 134, ad an. 1365, Jun. 28.
3. Voy. ci-dessous, chap. IV, paragraphe 2.
4. Ghkukst, Vézelny, etc., II, p. 186 suiv., 196, 205; tirage à part, II, p. 209. 230
suiv. V. Petit, Description du département de l'Yonne, II (1870), p. 243, 241.
5. Chkhest, Vézelay, II, p. 231. Cf. Petit, 2-= éd., p. 176.
6. Ghéuest, Vézelay, 1. c, p. 234; Petit, Avallon, 2^ éd., p. 179 suiv.
7. E. Petit, Avallon, p. 160; 2« éd., p. 171 : Chkrest, U Archiprêlre, p. 71 suiv.
252 LA GUERRE DE CENT ANS
l'Yonne, s'avancèrent au-delà du Varzy et s'installèrent à Gorvol-
rOrgueilleux. Vers la lîn de l'année 1359 l'invasion se montre
partout, et les rares localités qu'elle n'a pas encore atteintes
restent sous le coup d'une menace perpétuelle ^. L'archij3rêtre qui,
en qualité de lieutenant du roi, devait délivrer le pays de ces com-
pagnies 2, faisait avec ses gens la même besogne, et même com-
mettait des excès, de concert avec eux, car on lit dans l'acte de
rémission, de février 1361, qu'Arnaud de Cervole et ses gens
avaient « pris et rançonné les bonnes villes et lieux dudit païs, batu,
navré et mis à mort hommes et famés, ravi et efforcié tant mariées
et pucelles comme nonnains, ars et gasté villes, manoirs, maisons
et lieux, tant d'église comme autres, fait aliances avec nos ennemis
et aucunes fois repairié et conversé avec eulx, participé à leurs fais
et fait plusieurs et divers autres crimes, excez, rebellions et malé-
fices, en commettant crime de lèse-majesté... ^. » Les Frères
Mineurs de la Chaussée, à Nevers, perdirent en 1358 ou 1359 leur
couvent et leur église, situés hors des murs, et furent plus tard
reçus dans la ville ^. Le même sort atteignit d'autres églises.
L'abbaye bénédictine de Corbigny, du diocèse d'Autun, ne fut pas
à l'abri des attaques des bandes, quoiqu'elle ne fût pas alors
dévastée comme en 1423^. L'abbave des Prémontrés de Bellevaux,
du diocèse de Nevers, était, vers 1360, au pouvoir des ennemis ^.
Vers la même époque , Pierre de Norris , chevalier , s'était
emparé du prieuré de Saint-Révérien , du diocèse de Nevers,
de l'Ordre de Cluny ; il mit avec sa troupe le feu au portail du
prieuré, y prit tous les blés et autres biens qui s'y trouvaient, et
obligea à rançon les hommes et les sujets des religieux. Lui et ses
gens abattirent les voûtes de l'église, pillèrent les calices, les
ornements et tout ce qui s'y trouvait, firent violence à plusieurs
femmes de la dépendance du prieuré, et livrèrent aux ennemis
1. Chérest, p. 81 suiv., où on trouve plusieurs particularités.
2. Voy. ci-dessus, p. 207, 210.
3. Voy. la lettre dans Chérest, UArchiprèlre^ Pièces justifie., n° 10.
4. Suppl. Urb. y, n" 35, fol. 208; Reg. Vat. Urb. V, n° 261, fol. 16^ ad an. 1363,
Febr. 16. Cf. Reg. Vat. Gregor. XI, n° 286, fol. 269, et Crosmer, Tableau synoptique
de Vhist. du Nivernais (1871), p. 91.
5. Voy. Marillier, Corbigny (1887), p. 78.
6. LucE, Du Guesclin, p. 490.
TOUTi: LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1360 2o3
•
quatre hommes de la même dépendance, lesquels furent occis'.
La paroisse de Djana (Diennes), qui dépendait du prieuré de
Saint-Révérien, fut entièrement désolée : la maison presbytérale,
où autrefois habitaient deux moines, fut complètement détruite, et
la paroisse, qui comjirenait quatre cents feux avant l'épidémie de
1348, n'en comptait plus que soixante en 1384 -. Il n'y a pas lieu
de s'en étonner : les incursions des compagnies ne cessaient pas.
Tune succédait à l'autre. C'est surtout au commencement de 1360
que le Nivernais fut dévasté de nouveau. Un écuyer g-allois,
Jacques Wyn, qu'on appelait le Poursuivant cV amour ^ alors dans
l'armée d'Edouard III, occupait et pillait Glamecy ; les Nivernais
ne s'en débarrassèrent que moyennant un sacrifice de sept mille
écus ■^. Vers la même époque, ils durent traiter avec Garcie ou
Garciot du Ghastel qui, à la tête d'une compag-nie anglo-gasconne,
ravageait leur pays depuis près de deux ans. Garciot consentit à
partir, moyennant une rançon de cinq mille florins ^. Bientôt,
Nicolas de Tamvs^orth, lieutenant d'Edouard III et capitaine de
Regennes, avec le concours de William de Granson, un autre
capitaine d'Edouard, conduisit une grande armée dans le Niver-
nais et dans la Champagne, et pénétra en Bourgogne avant que
le traité de Brétigny ait été scellé^.
On peut s'imaginer l'aspect que présentaient alors les campagnes
1. Lettre de rémission du dauphin, de février 1361 (1362) dans Mazihe, L Auvercjne
au quatorzième siècle, p. 315. Seulement, Mazure confond Saint-Hévérien en
Auvcr}i,ne avec Saint-Uévérien en Nivernais. Voyez du reste Née he La Rochelle,
Mém. pour servir à Vhisloire du département de la Nièvre, I, p. 212 ; II, p. 79 suiv.
2. Arch. Vat., Instrum. mise, an. 1384, ad an. 1384, Octob. 7 : «... Domus (de
Dyana, Nivernen. dioc.) est omnino destructa et fuit viginti sunt anni et plus ut dici-
iur per Anglicos, qui tencbant fortalitium dicti loci... ; tempore retroacto solebant
esse in dicta domo et loco pred. duo monachi de S. Reveriano, qui habebant ibidem
mansionem suam, et solebant esse redditus et emolumenta dicli domus magni valoris,
quia ante niagnam mortalitatem, que fuit triginta sex sunt anni vel circa, solebat
habere in dicta parrochia quatuor centum foca, ut dicitur, et de presenti non sunt
nisi sexaginta, tam bona quam prava, et de presenti non sunt redditus neque
emolumenta de quibus unus monachus posset vivere et se sustentare et sol-
vere dccimam et procurationem si deberet, quia non sunt ibidem in reddilibus nisi
primo in tailliis anno (puilibct circa centum solidi, in emolumentis et i)a(ronagio
dicte ecclesie circa sexaginta solidi anno quolibet, in decimis bladi circa viginli (juin-
([UC... »
3. Lice, Du (iuesclin, p. iOO ; ChÉuest, L'Archiprèlre. p. 87.
■i. Voy. sur tous les détails, C^mkhest. 1. c.
5. E. Cleuc, Essai, etc., p. 116 suiv.; Fi.\<»t, p. 52 suiv.; Chéhest, p. 128.
254 LA GUERRE DE CENT ANS
de la Bourgogne et du Nivernais. Les terres, sises autour de
Villaines en Duesmois, par exemple, furent tellement saccagées en
1360 que le duc fut obligé d'accorder des indemnités aux habitants,
afin qu'ils pussent se procurer des chevaux de labour. Les bandes
avaient tout enlevé. Les fermiers des taxes et cens ne purent rien
exiger des contribuables, tant la misère était générale ^. Les deux
provinces étaient épuisées par de longs désastres. Les terres
demeuraient en friche de nombreuses années, par exemple, les
possessions du prieuré augustinien de Saint-Symphorien, du diocèse
d'Autun, dont non seulement les manoirs étaient détruits depuis
longtemps, en 1386, mais dont les vignes et les terres, autrefois
fructueuses, restaient sans culture « a longis temporibus », sans
parler de la perte des bestiaux -.
Et pourtant le plus redoutable de tous les chefs de bandes était
Knolles, que nous avons laissé à Châteauneuf-sur-Loire. Vraisembla-
blement, au mois de mai ou au commencement de juin ^, en 1359,
il entra « ardant et saccageant » en Berry, province déjà éprouvée
par la terrible promenade du prince de Galles en 1356, et parcourue
ensuite par les bandes anglaises. Nous lisons qu'en 1358 les
bandes, les gens d'église, avec les habitants et communs de la ville
d'Issoudun prirent des résolutions relatives à la défense du pays
contre les Anglais « qui courent et esilhent le païs de jour en
jour^. » Cela n'empêcha pas Aubigny ^ d'être pris par escalade en
1359. Knolles vint se joindre aux Anglais demeurés en Berry. Dans
l'intervalle qui s'écoula jusqu'au traité de Brétigny, les Anglais
étaient dans le Berry ou dans le Bourbonnais, répandus à Vierzon,
où était située Fabbaye bénédictine de Saint-Pierre, incendiée par
le prince de Galles en 1356 ^, Palluau, Buzançais, Chabris, Briantes,
Breuillamenon, Massay, Vouzeron, Sainte-Thorette, Epineul, Blet,
Vraux , Cours -les-Barres , Saint-Germain-sur-l'Aubois , Saint-
Amand, aux châteaux de Montrond et de Verrières, et dans beau-
1. FiNOT, p. 38.
2. Recj. Vat. Clem. VII, n° 297, fol. 53.
3. Froissart, p. 185 suiv., dit que c'était le mois d'août; mais voy. plus loin l'in-
vasion en Auvergne.
4. Kay.xal, Ilist. du Berrij, II, p. 303, que suit Fkémont, Le département du Cher
(1852), I,p.365.^]. IlrnEUT, Dictinnnnire hist.,géograph... de l'Indre (1889), néglige cette
époque, Bauhal, Notices sur les châteaux, abbayes... du Cher (1898), est trop court.
5. Grand, chron., p. 151.
6. Voy. ci-dessus, p. 119.
TOUTE LA FllANCE INFESTÉE, 13;)6 A 1360 2oO
coup d'autres localités ^ L'abbaye fortifiée des Cisterciens, à Noir-
lac, resta aux mains des ennemis depuis 1358 jusqu'à 1360 -. Je ne
puis dire quels lieux furent détruits, ni quels monastères ou quelles
églises furent dévastés par Robert Knolles pendant sa marche. Il
ne resta pas long-temps en Berry, mais le pays n'y gagna guère,
car d'autres bandes demeurèrent dans le pays. Ainsi l'abbaye des
chanoines réguliers de Saint-Satur fut, vers le 12 avril 1361, pillée
et presque détruite par les Anglais, de sorte que les chanoines ne
pouvaient plus y demeurer -'.
Robert Knolles entra ensuite en Auverfjne^ y j^ortant le fer et la
flamme^. Il y trouva des Anglais qui, comme je l'ai déjà dit %
avaient pénétré dans cette province quelques années avant et
l'avaient dévastée ainsi que les pays voisins dès 1356. A cette date,
ils s'emparaient de plusieurs places et incendiaient, tuaient, rançon-
naient, pillaient^. C'est peut-être la même année que le castel de
Montredon fut pris et ensuite perdu par les Anglais ^. Le 12 décembre
1. Raynal, 1. c, p. 301 ; Maillard, HIsl. des deux villes de Sainl-Amand et du
château de Montrond (1895), p. 60. Plusieurs de ces places sont nommées dans le
discours de Louis de Bourbon dans La chronique du bon duc Loys de Bourbon^ éd.
Chazaud (187G), p. 14 suiv. Elles furent délivrées pendant que le duc était otage pour
le roi Jean.
2. Ltjce, Du Guesclin, p. 470.
3. Reg. Vat. Grecjor. XI, n° 286, fol. 116'', ad an. 1375, Martii 15 : « Dil. filiis...
abbati et conventui monasterii S. Satiri O. S. Aug-. Bituricen. dioc. salutem , etc.
Mérita vestre religionis, etc. Sane petitio pro parte vestra nobis nuper exhibita con-
tinebat quod vestrum monasteriium S. Satiri O. S. A., Bituricen. dioc, in plana patria
consistit,et propler guerras et malas societates cotidie discurrentes adeo est destruc-
tum ((uod vos ad serviendum Dco non estis ausi commorari in eodem nec victualia
vestra ibidem tenere, sed oportet omni die ad villani de Sancero dicte diocesis, que
a dicto mon. parum distat, vos fugereet in prioratu S. Pétri de Sancero, Ord. et dioc.
pred., vos retrahcre, in quo cjuidcm prioratu sunt ecclesia satis magna atque domus,
in ({uibus cum aliqua augmentatione et reparatione carumdem tempore guerre satis
honestc cum victualibus vestris vos retrahere et in dicta ecclesia divinum offîcium
celebrarc possetis. [Ad ipsorum preces prioratum pred. a dicto monasterio depen-
dcntem, annui redditus XV librurum turon. parv., monasterio unit ad XV annos.]
Dat. Avinione id. Martii anno quinto ». Voy. sur le fait et la date, R.wnal, 1. c.,p. 301.
4. Froissakt, p. 186 suiv. MAZuuii; décrit d'après lui cette campagne dans L'Au-
vergne nu quatorzième siècle (1845), p. 31 suiv.
5. Voy. ci-dessus, p. 116.
6. D'après un ms. de la Bibl. de Clermont (n" 698-), M. Ch.\nson, Deux châteaux
royaux en Auvergne dans la Revue dWuvercjne, t. IV (1887). p. 263.
7. Puy-de-Dôme. « Le chatel de Monredont e[s]t prys des Angloys ». Note, écrite
« le mardi auprès Sainte Catcline » (29 novemb.\ communiquée par M. Félix Gham-
bon, tirée des Archives communales de Gannat. La date peut être postérieure.
256 LA GUERRE DE CENT A>S
1357, le dauphin Charles nommait Guillaume VI d'Apchon, capi-
taine général de l'Auvergne pour la défense de ce pays '. Les
années suivantes, une lourde charge pesait sur cette province
comme sur les autres, car elle devait payer une somme considérable
pour la rançon du roi Jean, alors captif. Vers la fin de l'année 1358,
une guerre intestine menaçait l'Auvergne et le Bourbonnais. Gode-
froy de Boulogne avait l'intention d'envahir, avec de nombreuses
troupes bourguignonnes, les possessions de Gilles Aycelin, sire de
Montaigu, comme Innocent VI l'écrivait à la reine de France,
Jeanne, le 13 novembre 1358, la priant, en considération du triste
état du royaume, de la captivité du roi Jean et des dévastations
que cette guerre occasionnerait, d'exhorter Godefroy à se désister
de son intention -.
1. Revue dWuverrfne, t. VII (1890), p. 433 suiv.
2. Reg. Vat. Innocent. VI, n°2'i0, fol. 2 : « Garissime in Chrisio filic Johannc rej^ine
Francie illustri salutem. Licet lotis... Inter ccteras vero mundi rej^iones que sugge-
rcnte et usque hue humani hostis prevalentc ^"e^sutia turJDationibus fluctuant domcs-
ticis et e.xternis, est regnum Francie cum subjectis et circunipositis illi partiljus,
([ue languescente capite non imnierito (proh dolor) anxiantur... Sane, carissima
filia, nuper quibusdani nobis referentibus non sine mentis nostrc turbatione pcrcc-
pimus, quod dil. filius noster nobilis vir GodofVidus deBolonia, patruus tuus, magnani
secum genteni arniigeram de partibus Burgundic congregavit ad hostiliter, ut fertur,
invadendum dil. fd. nob. virum Egidium Aselini. niiliteni. dominuni Montis Acuti,
cjusque terras et loca, adjunctis sibi de partibus predictis viribus, insultandum.
Sed recogitet secum serenitas tua (juanta sepe a malis initiis secuta sint hactenus
scandala, quibus debitisa principio datis remediis obviari faciliter potuisset... Alten-
dat etiam eadam serenitas quot secum mala, quot hominum cèdes, quot vastationes,
et incendia in partibus Alvernie et Borbonie secum ferre posset ista discordia, et
(|uam innumeras guerras induccre, nisi malis ceptis bonis consiliis resistatur. Si(|ui-
dem non dubitamus dum publica tecum et privata facta recogitas et in menlem
tuam venit gravitas agendorum, excellentiam tuam aperte cognoscere quantum
in tantatui rcgni turbatione tibi sit minus expcdiens oririhinc inde guerras et scan-
dala, dum captivus ab hac carissimus in Christo fdius noster Johannes rex Francorum
illustris, vir tuus, quod dolenler referimus, detinetur, magis quippe tibi providen-
duni est et ad eandem excellentiam tuam precipue spectare dinoscitur, ut optatum
liberationis ejusdem viri tui dicm, cujus curam tuis crcdimus mordaciter inhererc
visceribus, anxiata tua mens vident, non tantum surgentes impedire discordias sed
ad dclendas priores intcndere vigilanter... Quarc serenitatem tuam rogandam duxi-
nius et hortandam quatinus ad evitanda mala que faciliter oriuntur et crescunt, in
apostolice sedis reverentiam atque nostram et ne forte claritati tui nominis posset in
aliquo derogari, cum predicta militaris congregatio, ut ad nostrum pervenit auditum,
de partibus Burgundie surgat que tue et dil. fdii nob. viri Pliilippi ducis Burgundic
nati tui sunt dilioni subjccte, prediclq Godofrido et aliis quibus pro materia expedirc
videris instantcr inliiberc procures ut super congregatione prefate gentis armigere
et attentatione predicte invasionis ulterius non procédât... Datuni Avinionc idus
Novembris anno sexto ». Gf. \^'Euu^skY, n" 475.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, \'\i)() A 1300 2')7
L'arrivée de Robert KnoUes et de ses quatre mille combattants'
vint encore, en 1359, s'ajouter à toutes ces anxiétés et à tous ces
maux. Il semble qu'il soit entré dans l'Auverg-ne en montant la
rive droite de l'Allier, car il prit Cusset (arr. de La Palisse), et Pont-
du- Château, près de Glermont, ainsi que plusieurs autres châteaux,
et détruisit tout le pays ~. D'autres lieux forts étaient dès cette
année occupés, soit par lui, soit par d'autres capitaines, par
exemple, Bertucatd'Albret. On nomme Ainay-le-Ghâteau, Bagneux,
La Bourbe, Le Breuil, Chang'y, Ghantemerle, Montesches, La
Motte-de-Mourg-on, Puy-Fol, La Prug'ne, Saint-Gérand, Villiers,
tous situés dans le territoire qui forme aujourd'hui le département
de l'Allier '-''. Froissart raconte que Knolles est entré en Auverg-ne
au mois d'août ; mais, comme je l'ai déjà fait observer, c'est vrai-
semblablement au mois de mai qu'il envahit le Berry et arriva au
mois de juin en Auvergne avec le dessein de pénétrer dans le
Languedoc. Des documents sûrs signalent près du Puy en Velay,
dans la seconde moitié du mois de juin, la présence de troupes
anglaises qui voulaient aller en Languedoc, car, au même mois, on
savait à Nîmes que les ennemis étaient à peu près à quatre lieues
des environs du Puy, et on envoyait des espions dans cette ville
pour s'informer de leur nombre et de la marche qu'ils suivaient.
Le comte de Poitiers écrivait le 20 juin aux consuls de Nîmes, que
les ennemis étaient déjà passés en Auvergne, où ils faisaient des
dégâts et des ravages sans lin ^. Gomme je le noterai plus loin.
Innocent VI écrit aussi, le 22 juin, que les ennemis sont près du
Puy. Or, d'après le livre des comptes de la ville de Millau^ de
l'année 1359 à 1300, c'est justement Robert Knolles qui, avec
Jacques Wyn, Mathieu Buoû (Aile de Buef) et quatre mille g-ens
d'armes, se trouvait en Auvergne déjà avant le 25 juin, comme 1^
comte de Poitiers l'annonçait aux Toulousains ^. Ges troupes enne-
1. Froissart dit au contraire : avec 3.000 combattants.
2. Revue d'Auvergne, t. IV, p. 264, selon le ms. cité, p. 255, not.6.
3. LucR, Du Guesclin, p. 465 suiv., surtout d'après Cabaret d'Orvim.r, Chron. du
hon duc Loys de Bourbon, éd. Ghazaud, p. 14 à 16.
4. Voy. MÉNARD, Hist. de la ville de Nimes, II, p. 184 suiv. (de la nouv. éd.\ où
il renvoie le lecteur aux documents.
5. RouQUETTE, Le Rouergue sous les Anglais (ISSl), p. 19, not. 1. La présence de
Jacques Wyn, dit Poursuivant d'Amour, et d'Aile de Buet ou Buef en Auverjrne et
R. P. Dknifle. — Desolatio ecclesiarum II. 17
^58 LA GLEllUE DE CENT AiN^^
mies, signalées par Innocent VI et par le comte de Poitiers, sont
donc celles de Robert Knolles qui, par conséquent, ravageait l'Au-
vergne, non dans le mois d'août, mais déjà deux mois auparavant.
Contre lui s'opposaient avec succès Bérard, dauphin d'Auvergne,
et plusieurs autres seigneurs, parmi lesquels on doit citer Godefroy
de Boulogne et Henri de Montaigu^. Le sénéchal de Beaucaire,
avec ses troupes, et le vicomte de Polignac accoururent également
contre les ennemis apparus au Puy en Velay ~.
En passant, il faut noter que ce n'était pas la première fois que
le Velay était envahi ; déjà, au mois de décembre 1358, nous y
trouvons de mauvaises compagnies qui menaçaient d'entrer dans le
Lyonnais ^.
Quoique cet ennemi fût chassé, on ne se sentait pas sûr en
Auvergne. Le 31 juillet 1359, une assemblée des Etats eut lieu à
Clermont pour remédier aux maux. Des sommes considérables furent
votées à cet effet, et Tévêque même, Jean de Mello, fut taxé à
une somme de 467 livres. Mais cette taxe fut réduite de moitié, à
cause des charges nombreuses qu'il avait à supporter pour le
pays K
La calamité générale frappa aussi les églises et les monastères
d'Auvergne. Le prieuré bénédictin de Saint- Julien-la-Geneste ,
du diocèse de Clermont, est déjà le 12 septembre 1359 men-
tionné comme à peu près détruit et réduit à un irrémédiable
dénuement ^. Les monastères situés hors de Clermont eurent le
même sort que tous ceux qui s'étaient trouvés près des villes
menacées. Plusieurs maisons du monastère bénédictin de Saint-
Alyre furent détruites, et l'ennemi menaçant toujours, les moines,
en Forez, avec une grande compagnie, est aussi constatée par un autre document
dans GuiGUE, Les Tard-Venus en Lyonnais^ Forez et Beaujolais (1886), Pièces justifie.,
n" 4, p. 221. Mais de même que l'invasion du roi d'Angleterre en France et en Bour-
gogne, l'invasion de deux brigands y est mal placée à l'an 1357, Froissart, p. 186,
annote également dans l'Auvergne Aile de Buef comme chef avec Knolles.
1. Froissart, 1. c.
2. MÉNARD, p. 186. Cf. Ghassaing, Spicilegium Brivatense (1886), p. 388.
3. G. GuiGUE, 1. c, p. 28, not. 2: Le chapitre de Lyon dit le 25 décembre 1358 :
« Intelleximus... quod... societates maie que sunt versus Anicium seu Podium parent
se de veniendo ad pai-tes nostras. »
4. De Resie, Hist. de V église d'Auvergne (1855), III, p. 267.
5. Reg. Vat. Jnnoc. VI, n" 243, fol. 294 '\
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1336 A 1360 239
pour se mettre en sûreté, se virent dans la nécessité d'élever un
mur d'enceinte. Mais ne pouvant en faire les frais à cause de Tex-
trême pauvreté où ils étaient, l'abbé implora du Pape des indul-
gences pour tous ceux qui concourraient à cette construction ^ Les
Frères Prêcheurs, situés eux aussi hors des murs, étaient, à cause
des guerres, forcés de louer chaque année une maison dans la ville
pour y cacher les choses les plus nécessaires , les provisions, les
joyaux. Enfin, le 3 mars 1369, ils obtinrent la licence de se retirer
tout à fait dans la ville -. L'abbé de la grande abbaye bénédictine
de La Chaise-Dieu, du même diocèse, à cause de la désolation et
de la pauvreté du monastère et de ses prieurés, implorait du Sou-
verain Pontife la grâce qu'il lui soit fait remise de la somme due à
la chambre apostolique du temps de son prédécesseur. Il dit alors ce
mot, tant de fois répété aujourd'hui, que les propriétés et l'agriculture
apportent plus de charges que de profit, à cause de la rareté et de
la cherté des ouvriers, des bestiaux et des autres choses nécessaires
à l'agriculture et à cause de la stérilité de la terre. L'abbé demande
l'autorisation de donner pour toujours en emphytéose ces posses-
sions et ces terres. De plus, beaucoup de maisons, de vignes et
autres dépendances étaient désertes, à cause des guerres passées
ou présentes, ou par suite de la fuite ou de la mort des cultiva-
teurs. Et comme, dans l'incertitude où l'on se trouvait, personne
ne voulait reprendre ces terres si la pension n'était pas diininuée,
l'abbé demande encore une permission à ce sujet ^.
1. Siippl. Urb. \\ n" 36, fol. 8 •', ad an. 1363, Febr. 21.
2. Reg. Vat. Urb. V, n° 259, fol. 54.
3. Siippl. Urb. V, n" 41, fol. 44, ad an. 1365, Maii 10 : « Supplicat S. V... G. abbas
monasterii Cascdci O. S. B. , dioc. Claromonten., quod dignetur E. S. eidem conce-
dere de gratia spécial!... propter desolationem et paupertatem dicLi monasterii et
menibroruni suorum remittere penitus servitium debitum caniere apost. de tempore
sui predecessoris, vel quod saltem non conipellatur pro dicto servitio obligari, sed
quod dicta caméra contra dictum suum predeccssorem dirigat... actionem, cum sit
dicta caméra fortior dicto abbate ad hoc exigendum. — Accède ad Cesaraugustan. et
camerarium, et illi providcbunt. B...
Item cum hodierno tempore possessiones et agriculture pencs religiosos plus afîe-
rant incommodi quam utilitatis, propter raritatem et caristiam mercenariorum et
animalium ac ceterarum rerum ad agriculturam necessariarum, et tcrrarum sterilita-
tem... Pctunt ut dictas possessiones et terras in pcrpetuuin emphiteuticare possint.
— Fiat ad novem annos. B.
Item quod liccat eidem abbati et suis subdilis traderc fei'ras. possessiones. domos,
et vinoas vacantes nunc vol in posterum vacaluras proplei' guerras que viguerunl et
260 LA GUERRE DE CEM A>S
Plusieurs autres églises et monastères du diocèse sont qualifiés
comme détruits et dévastés ; mais cette destruction n'eut lieu
qu'après, quand éclata sur l'Auvergne un orage comme elle n'en
avait jamais vu. Cependant, déjà à cette époque, les revenus des
monastères, des églises et des bénéfices ecclésiastiques des deux
diocèses de Bourges et Glermont étaient tellement diminués par
les guerres continuelles auxquelles venaient s'adjoindre les épidé-
mies, que, le 27 février 1363, Urbain V dut réduire de moitié le
taux des décimes ^ Quelles sommes dévoraient seulement les travaux
des fortifications dont les charges tombaient souvent sur les cha-
pitres, comme par exemple à Brioude'-I
A coujD sûr, Robert Knolles et ses bandes étaient plus que
d'autres responsables de cette misère. Si l'on en croit Knighton,
Knolles arriva jusqu'à douze lieues d'Avignon ; P^roissart dit même
qu'il est entré en Auvergne pour gagner Avignon, afin de voir le
pape et les cardinaux, et d'avoir leur argent, comme avait fait
l'Archiprêtre l'année précédente après qu'il eût envahi la Pro-
vence 2; mais il afTirme que les seigneurs Tobligèrent à se retirer
et à s'en aller dans le Limousin ^. Toujours d'après Knighton, le
pape et les cardinaux avaient tellement peur qu'ils n'osaient sortir
du palais. Le même auteur met ces vers dans leur bouche :
Roberte Knolles, per te fit Francia mollis,
Ense tuo tollis praedas, dans vuhiera collis.
Quoi qu'il en soit, il est certain qu'à cette époque, comme en 1357,
Innocent VI était dans une grande anxiété. On en trouve la preuve
dans les lettres qu'il écrivit au sujet de Jean-Ferdinand de Hérédia,
châtelain d'Emposte, capitaine général des troupes du comté Venays-
sin, leqviel étant alors au service de Pierre d'Aragon, se trouvait
adhuc vigent in partibus, in quibus dicte possessiones sunt siluate, vel propter mor-
tcm vel fugam agricolarum et colonorum seu inquilinorum vel alias cecidcrunt in
commissum, aliis agricolis et colonis cuni diniinutione antiqui canonia seu pcnsionis...
alias nullus agricola eas recipiet. — Fiat ut in precedenti. B. Dat. Avinione VI idus
Maii an. III ».
1. Reg. Vat. Urb. V, n° 261, fol. 4^. La lettre, queje publierai à la fin de ce paragraphe,
reg^arde les provinces de Lyon, Reims, Sens, Rouen et Tours, les diocèses de Bourges
et de Clerniont. Cf. Prou, dans Bibl. de V École des Hautes-Études, fasc. 76, p. 89 suiv.
2. Cf. A. S. Fekréol, Notices hist. sur la ville de Brioude (1878), p. 14 suiv,
3. Voy. ci-dessus, p. 208 suiv.
4. Kmghto>, p. 102; Chron, AncjL, éd. Thompson, p. 30; Froissart, p. 186, 189,
TOUTE LA FRANCE I^JFESTÉE, 1356 A 1360 261
absent de la cour romaine et demandait au pape de prorog-er son
congé. Mais le 22 juin 1359, Innocent VI ne croyait pas pouvoir se
passer plus longtemps du capitaine de la province. Des troupes enne-
mies étaient près de la ville du Puy, et il était à craindre qu'elles
fissent invasion dans le Venayssin ; la présence de Jean-Ferdinand
devenait nécessaire. Le pape écrit au roi d'Aragon et à Jean-Ferdinand
même que ce dernier, sous peine d'excommunication, devra se mettre
en route pour la cour romaine dans les huit jours qui suivront la
réception de la présente lettre ^ Le 26 juin, le pape envoyait aussi
à Raynald de Fayno, précepteur de Saint Jean du Puy, le mande-
ment exprès de se rendre de suite dans le comté Venayssin '. Vlais
Jean-Ferdinand ne vint pas ; la reine d'Aragon écrivit au pape de
suspendre l'excommunication, ce qu'Innocent VI accorda le 29 juil-
let, ainsi que Fautorisation, pour le châtelain, de ne retourner à
1. Re(f. Vnl. Innocent. VI, n" 2i0, fol. 57'^ : « Carissimo in C^Jiristo filio Petro re^i
Araii;onen. illustri salutcm, etc. Scpc pcr litteras rci^ias et per novissiinas prcsertim
nupcr accepimus, qiiam p,ratum hal)cat tua screnitas dil. filium Johannem Ferdinandi
de Eredia, castellanum Empostc, in tuis et re^ni tiii f)l)se([iiiis ultra assignatuni per
nos eidem terniinum renianere, proptcr quod, licet ejus presentia plurinium e^ere-
mus et ad agenda négocia que comniiserainus eidem eum duxerimus ad nostram pre-
sentiam evocandum, celsitudini tauien lue de ipsius castellani retentione ad tempus
quod instat de proximo,libenter duxinuis complacendum, et adhuc utique complacere
liberaliter curarenius, si magna et evidentia que imminent pericnla non obstarent.
Sed quia nuper ad nostrum pervenit auditum quod nonnulle gentes armigere prope
civitatem Anicien., comitatui nostro Veneysini et Romane curie satis vicinam, hos-
lilitcr discurrentes hiis partibus comminanlur, cum hujusmodi hostiles incursus
ojxa'teat condigne provisionis remedio prevenire, et propterea (jue in talibus requi-
runtur, dicti castellani presentia non tantum utilis sed necessaria nobis et dicto
comitatui solito plus existât : celsitudinem eandem rogamus attente ({uatinus liioleste
non ierat si ejusdem castellani reditum idterius dilTerri non patimur, ({uem nobis
etiam tacentibus multipliciter advocat gravitas agendorum. Ceterum nos eidem per
alias nostras litteras damus specialiter in mandatis, ut sublato cujuslibet more dis-
pendio ad nostram curet presentiain celeriter se coni'erre. Quod si forte aliqua dila-
tionis occasione pretensa tarditatem interponere alic^uatenus videretui*, euin si inlVa
octo dies post receptionem nostrarum litterai-um de loco in quo fuerit non recesserit
et continuatis dietis ad nos non accesserit, excommunicationis sententiam incurrere
volumus ipso facto , et nichilominus contra ipsum ad privationem suonnn castellanie
ac prioratuum procedenius. Datuni apud Villamnovam Avinionen. dioc. \ kal. Jidii
anno septimo ». IbicL, fol. 56, est la lettre adressée à Jean-Ferdinand.
2. Ihid., fol. 59'' : « Dilecto fdio llaynaldo de Fayno pi-eceptori Anicien. et de
Vesseto hospitalis sancti Johannis Jerosolimitani, salutem, etc. Cum propter certa
ardua et expressa negotia que nullius more recipiunt tarditatem presentia tua nobis
sine alicujus dilationis obstaculo sit plurimum oportuna, volumus et devotioni tue
mandamus expresse, quatenus receptis presentibus ad nos te conteras indilate. Dat.
apud Villamnovam Avinionen. dioc. VI kal. Julii anno septimo. »
262 LA GUERRE DE CENT ANS
Avignon qu'au mois d'août ^ Le danger imminent était alors
passé.
KnoUes même s'en retourna d'où il était venu, comme raconte
Knighton, avec un riche butin, et mit toutes ses acquisitions à la
disposition du roi d'Angleterre. En effet, à la fin de cette même
année, nous le retrouverons une autre fois en Bretagne, combattant
contre Bertrand Du Guesclin -.
Une autre partie de l'Auvergne excitait depuis longtemps la
convoitise des Anglais et de leurs alliés, c'était Saint-Flour et ses
environs. Cette ville était une des places les plus fortes et les plus
remarquables d'Auvergne. Déjà, en 13r56, les Anglais avaient
espéré la prendre *^ ; même, dès l'an 1353, le diocèse de Saint-Flour
fut maltraité par les alliés des Anglais, Bertucat d'x\lbret et ses
compagnons, qui, depuis leur entrée jusqu'en 1363, mirent k mort
mille personnes et incendièrent plusieurs églises. A cette époque,
la circonscription de Saint-Flour fut dédommagée de plus de
400.000 florins d'or K
Les faubourgs de Saint-Flour, deux fois pris et pillés, de 1360 à
1363, avaient été deux fois livrés aux flammes et presque entière-
ment anéantis. La paroisse de la Bastide disparut alors complète-
ment avec son église pour ne plus se relever. De 206 chefs de
famille imposables, que comptait ce faubourg vers 1344, il n'y en
avait plus que 7 en 1363 et 6 l'année suivante. Murât, la seconde
ville de la prévôté, prise par les Anglais, mise à sac et brûlée par-
tiellement en 1357, le fut encore entre 1357 et 1365, et, cette fois,
ses murailles furent détruites et ses habitants « obligés de quitter » ;
Salers fut pillé en 1357 par Arnaud d'Albret ; Pierrefort fut deux
fois incendié entre cette date et le mois de juillet 1363 '. Une bulle
d'Innocent VI, du 31 décembre 1357, nous apprend que le prieuré
1. Recf. Vat. Innocent. VJ, n° 240, loi. dS'', la lettre adressée « Alienore regine Ara-
goncn. illusti'i » ; fol. 69''la lettre de la même date « Johanni Ferdinand! de Eredia >>.
Jean-Ferdinand obéit cette f(^is; mais bientôt aj^rès il s'absenta inie autrefois et
alla auprès du roi d'Aragon. Ihid., part. 2", fol. 21, ad an. 13Ô0, Mart. 1.
2. Voy. ci-dessous, p. 309 suiv.
3. Marcellin Boudet, Assnuls, sièges et ])locus de Snint-Flour pm^ les Anglnis^duns
Bévue d'Auvergne, 9*" année, 1893, p, 340.
4. Ibid., p. 341.
5. Ibid., p. 342 suiv.: BornET, La Jacquerie des Tuchins, 1'l63-tS8-'i (Rioni, 1895),
p. 11.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1360 263
des chanoines rég'uliers d'Escalmels fut dévasté par les bandes K
Les pays limitrophes de l'Auverg-ne et du Velay reçurent alors
également la visite des compagnies. Je ne veux pas parler des
troubles et des anxiétés qui régnaient dans le Lyonnais, et qui, en
1358, forçaient les habitants de Lyon à réparer leurs murs et à faiFe
de nouvelles fortifications, ni de la révolte de la A^lle de Montbri-
son -, révolte qui était dirigée contre les royaux ■', mais seulement
des compagnies. C'est en décembre 1358 qu'on apprit à Lyon que
des bandes armées s'avançaient sur cette ville '^. On s'occupa aus-
sitôt des fortifications de Lyon et de la défense d'Anse •''. Mais
le danger ne fut imminent qu'en 1359, quand le Beaujolais fut
envahi par des troupes navarraises et anglaises. Antoine, sire de
Beaujeu, fît appel à son voisin, le comte de Savoie, qui lui
envoya des secours. A la tête des troupes de renfort était Galois
de la Baume , conseiller du comte , et avec lui plusieurs gentils-
hommes bressans. L'expédition dura trois semaines au printemps
de 1359 ^>.
Chassés du Beaujolais, les Anglo-Navarrais se rejetèrent sur le
Forez. L'abbaye cistercienne de Valbenoîte, près de Saint-Etienne,
fut saccagée. Ils s'emparèrent de Montbrison, qu'ils incendièrent
le 19 juillet. Cet incendie alarma les seigneurs. Aussitôt le bailli
royal de Saint-Gengoux convoqua tous les corps de troupes de cette
région en la ville de Charlieu. Là, il les organisa et tint la
campagne en s'appuyant sur les forteresses de Châteauneuf en
Brionnais et de Charlieu, toutes deux entourées de fossés profonds
et de hautes murailles ". Dès le mois d'août le Forez fut délivré de
l'ennemi.
Si on fait abstraction de la guerre entre le comte de Foix et le
comte d'Armagnac, après le départ de l'Archiprêtre et avant la
1. Voy. ci-dessus, p. 183.
2. Voy. Gi'iGUE, Les Tard-Venus, p. 13 suiw, 20 siii\'., 24 suiv.
3. Guig'ue cite p. 26 : V. A. Beunaud, Antre révolte à Montbrison en 1358.
4. GuiGUE, Pièces jiislif., n° IG et p. 26 suiv.
5. Voy. sur tous les détails, ihid., p. 27 suiv.
6. GriGUK, p. 33 suiv,, et p. 34, noL. 1. Louvet, Ilist. du Beaujolais (ms. fr. n° 8718,
8719, de la Bibl. nat.), ne parle pas de ces événements. Ce très intéressant ouvrage
sera bientôt mis au jour.
7. GuiGUE, p. 35 suiv.; Pxcrxyi, Essai hist. sur Chûleauneuf-en-Brionnais {1896\
p. 108.
264 L4 GUERRE DE CENT ANS
paix de Bretigny, ce n'étaient point de véritables invasions qui
I avaient lieu dans le Languedoc méridional^ mais l'anxiété y régnait
jDartout. Il est vrai qu'au mois d'octobre 1358, la ville de Nîmes,
par exemple, se vit inondée d'une quantité si prodigieuse de sol-
dats des compagnies de routiers, que leur nombre était presque aussi
grand que celui des habitants. Cependant ils n'y firent halte qu'en
passant, et aucun dégât n'en résulta. Néanmoins, on leva une troupe
conqiosée de mille habitants, pour se prémunir contre toute sur-
prise ', et bientôt, comme cela se faisait partout, on plaça la nuit,
sur les tours et les endroits les plus élevés des lieux exposés au
danger, deux sentinelles pour épier Fennemi -. C'est seulement en
1359, quand les ennemis, comme nous l'aA^ons raconté, étaient vers
Le Puy, que le danger parut imminent. Quand la trêve avec
l'Angleterre toucha à sa fin, on craignit que ce danger vînt aussi
s'allât tre sur le Languedoc, à cause des surprises et des trahisons
auxquelles les Anglais pouvaient se livrer ; on eut la même crainte
lorsque les Anglais préparèrent de nouvelles incursions en France
et que le roi Edouard recommença la guerre '^ On signale une
troupe de brigands à pied et à cheval qui, après avoir désolé la
sénéchaussée de Beaucaire , s'étaient retirés avec leur butin dans
un cliâteau situé sur les frontières de l'Auvergne, d'où ils conti-
nuaient leurs courses dans cette même sénéchaussée ''.
C'est bien sûr alors que commence la désolation du prieuré des
religieuses de Saint-Augustin de Notre-Dame de Stauzen , du dio-
cèse d'Uzès. En 1358, les habitants de Nîmes prirent les matériaux
de quekjues maisons que les religieuses possédaient à Nîmes pour
les réparations et les fortifications de la ville "'. J ai déjà parlé au
courant de cet ouvrage d'autres églises et monastères.
A cette époque, bien plus graA-e était la guerre intestine de Gas-
j ton Phœbus, comte de Foix, contre Jean d'Armagnac et le comte
de Poitiers. Jaloux de voir le comte d'Armagnac, son ennemi, chef
du conseil du comte de Poitiers, il faisait la guerre à la France. Au
commencement de 1359, il avait franchi la Garonne, et, accom-
1. MKN.vnr), Ilisl. de la ville de Nimes , nouv. éd., II, p. 170.
2. Ihid., p. 171 suiv.
3. Ihid,, p. 176, 177, 185.
i. Jlisl. de Languedoc, IX. p. 705.
5, Mi'c.NAnn, 1. c, ji. 767. 1)i:mi'i.e, La désolai ion. clc. I, n" 365.
TOLTE LA FRANCE INFESTÉE, 13oG A 1360 205
pagne d'une forte troupe d'Anglais, il ravageait le Toulousain K Le
26 mars 1359, Innocent VI le presse d'enjoindre à ses vassaux de
mettre bas leurs armes dirigées contre le comte d'Armagnac, pour
ne pas augmenter encore les troubles immenses qui désolaient le
royaume -. Mais cette lettre n'arrêta pas le comte de Foix. Il se
remit en campagne au mois d'avril ou de mai et s'avança jusqu'à
Toulouse. Après avoir battu les milices de cette ville, il en brûla
les faubourgs, notamment l'hôpital de Sainte-Catherine. Il prit
divers châteaux, ])rûla les autres, mit tout le pays à contribution et
causa des ravages infinis dans le Toulousain'^. En outre, la dépopula-
tion de la seigneurie de Mirepoix paraît commencer à cette occasion ^.
1. J.a lettre du comte de Poitiers, du 20 jan\ier dans Ilisl. de Lan(juedoc,X.i). lir)2.
2. Recf. Vat. Innocent. VI, n" 2i0, fol, 2i : «Dil. fdio nobili viro Gastoni comiti Fuxi,
salutem, etc. Si bonum pacis sine quo nuUius boni fructus cxistit, si ^uerrarum pericula
que sepe a parvis initiis in exitus gravissinios devenerunt, si olini l'elicissinii et longa
tranquillitate securi nunc miserabilis regni Fi'ancie presentem statum débita pietate
considères, dil. fdi, oinnem prol'ecto rancoris spiritum, si quem forte inter subditos
tuos et alios malignus ille suscilator discordie seminasset, pacis apponendo remédia
tvii cc^nsilii providentia superatis. Hoc pro tanto dicimus c[uia nu[)er ad aures nostras
non sine displicentia multa pervenit sinister, sed utinam vanus rumor, quod procu-
rante pacis emulo inter tuos et dil. filii nob. viri Johannis coniitis Armaniaci j?entcs
et subditos nonnulle discordie surrexerunt, que ad movcndos utrin(pic hostiles insul-
tus eorum animos jam parabant. Scd decet, fili dilecte, nobilitatem tuam, decct
prudentie tue habundantiam, hoc maxime tempore (juo peccatis exigentibus dampna
et pericula in partibus continuo multipliciter suscitantur, eo magis hujusmodi ut pie-
fertur exortam sopire discordiam cpio cxinde plura non tam privata sed publica i)os-
sent inconioda provcnire. Nam licet ad predictas hostiles turbationes et odia
sopienda cause multipliées movere te possint (qnas eidem prudentie tue rclinquinms
diligentius extimandas), eam tamen duximus tue mentis oculis presentandam quod
prefati regni Francie misera conditio tetanquam status et quietis regni ejusdem cura-
torem precipuum et ardentissimum rclatorem non privatis tuorum odiis et hostilibus
inimicitiis distrahi, sed publicis potins comodis desiderat occupari. Eapropter nos
licet minime dubitemus nobilitati tue hujusmodi dissensioncs et scandala non medio-
criter displicere, nichilominus circa bonum publicum paterno alï'ectu soliciti ut debe-
mus et quanto nos presentia et preterita mala perturbant tanto cautius intendentes
obviare futuris nobilitatem eandem attente requirimus et per aspersionem dominici
sanguinis exhortamur, quatinus in honorem Dei et pro nostra et apostolice scdis reve-
rcntia a communis comodi l'atione adeo in predictis quantum ad te attinet remédia
salutis a))ponas, quod deposita tiu'bationis cujuscunque inateria prefati tui subditi et
gentcs ab hujusmodi hostili turjjine, ad quem intendere dicunlur abstineant et désis-
tant, ut sis nobilibus ceteris (prout prefate tue nobilitati convenit et tanta eorum per-
turbât io exigit) quietis et pacis ac famose virtutis exemplar... Datum Avinione VII
kal. Aprilis anno septimo ». — Dom ^^vIssI:TK a eu connaissance de cette lettre, ^'oy
Hisl. de Languedoc, IX, p. 68G.
3. Hisl. de Languedoc, t. IX, p. 699 et not. 3. Kmghton, Chron., p. 111, dit que le
comte d'Armagnac a perdu quinze mille hommes. Cest exagéré.
1. Illst. (le l.nngucdor. I. IX. )). N2S. no|. S.
266 LA GUERRE DE CENT ANS
Toutes les communes du Languedoc craignirent d'être pillées ; ce
fut un cri général. L'alarme se répandit jusqu'aux environs de Nar-
bonne. Plusieurs de ces communes ne surent rien faire de mieux
qu'implorer la protection du Saint-Siège. En effet, le 25 mai 1360,
Innocent VI écrivit sur cette affaire des lettres aux comtes de
Poitiers, dj Armagnac et de Foix. Dans la première i, il rappelle au
comte de Poitiers l'affection et l'invincible fidélité des Languedo-
ciens envers le roi Jean , leur promptitude et leur zèle à défendre
le royaume, la générosité avec laquelle ils ont sacrifié pour cela
leurs biens, sans parler des lourdes charges que les guerres leur ont
imposées ; il démontre que maintenant, par suite du désaccord des
nobles, des maux tombent sur ce peuple fidèle et tranquille. En
conséquence, il exhorte le comte de Poitiers à faire la paix entre les
comtes de Foix et d'Armagnac. Ce que le pape dit de la fidélité
des Languedociens est bien confirmé par les autres sources -. Rap-
pelons seulement avec quel patriotisme les Etats-Généraux du
Languedoc se montrèrent prêts à payer une grande partie de la pre •
mière rançon du roi Jean, toujours prisonnier, en 1358. A la fin delà
même année la province envoya des déj^utésen Angleterre pour le
1. Re(j. Vilt. Innocent. VI, n" 240, parte 2", fol. 71'' : « Dil. filio nol). viro Johanni
coniiti Pictaven. salutem, etc. Pro parte nonnullarum univcrsitatum Lingue Occitane
fuitnobis liumilitcr supplicatum, quocl cum ex discordiaorta inter dil. filios nob.viros
Joliannem Arnianiaci et Gastoneni Fuxi comités, ipse universitatcs et patrie earun-
dem per dictum comitem Fuxi (nonnuUos adversus eos insuUandi et guerram niovendi
colores et non causam ut causum pretendentem) multipliciter opriniantur, super hoc
eorum providere quieti et opportuni interpositione remedii dignareniur. Nos igitur
attendentcs devotionem ac prompte et invicte fidclitatis ardorcm quo dictarum imi-
versitatum animi erga cariss. in Christo fdium nostrum Johanncm regem Francorum
illustrem, patrem tuum, et defensionem regni Francic caluerunt, nullis eorum par-
cendo substanciis, propter gucrras ipsas d spendia et pcricula muUiplicia promptis
humeris subeundo, ac propterea tantis eorum dampnis et dispendiis pio compatientes
all'ectu, ac futuris, ne graviora gravibus addantur, et quod magis attcndendum est
animarum periculis ol3^•iare, quantum cum Deo possumus cupientes, nobilitatem
tuam rogamus et hortamur at(entc quatinus attenta meditatione considerans bonum
pacis et quanta ex hujusmodi discordiis inter nobilcs dicli regni suscitatis provene-
runt hactenus pcricula et proAcnirc continuo non dcsislunt. dicte quoquc Lingue
Occitane laboribus et gravibus oneribus compatiens, animuni tuum ad concordiam
cum dicto comité Fuxi habendam benignus inclines, et ad inserendummutue caritatis
afl'ectum inter comités predictos interponere studeas tam solicite quam efiîcaciter
partes tuas, ut per hoc dictorum comitum et univcrsitatum, quos et diligere et a
mails preservare teneris, sequatur tranquillitas et futuris discriminibus ac periculis
que a guerrarum tempestate prodeunt tui interpositione remedii penitus obvietur.
Dat. apud Villamnovam Avinionen. dioc, VIII kal. Junii anno VIII ».
2, Voy. Ilist. de Languedoc, IX, p. 683 suiv.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13.^6 A 1300 267
visiter et lui apporter de quoi soutenir honorablement sa maison^.
Dès le premier jour de sa captiviti^", le peuple voulait sacrifier pour lui
« corps, états et chevance », et les femmes promirent d'employer k
sa rançon le prix de leurs robes et de leurs joyaux '-'. Le roi même
s'adressa dans ses besoins aux communautés de Lang-uedoc-^. Le dau-
phin n'était pas moins assuré de la générosité de ce pays. Quand, par
exemple, en 1339, il songea à s'allier au roi de Danemark, Waldemar
III, pour faire une descente en Angleterre, le dauphin s'adressa aux
communautés du Languedoc pour qu'elles voulussent bien verser, à
cet eifet, les quatre cent mille florins qui restaient à payer après l'offre
de la Langue-d'Oïl ^. En dehors de cela, les communes faisaient des
efforts surhumains pour fournir des hommes d armes en vue de la
défense du pays et ])our payer les impôts et les gabelles que cette
défense nécessitait. Il était donc d'autant plus impardonnable que
la jalousie et l'ambition d'un nolile seigneur vinssent troubler un
peuple toujours si attaché et fidèle à son roi.
Le 25 mai, Innocent VI écrivit de même aux comtes d'Armagnac
et de Foix, les exhortant à ne plus causer de dommages au pays du
Languedoc et à conclm^e enfin la paix entre eux "•. C'est seulement
1. Hisl. de Lnnçfiiedoc, 1. c, ]). 687 suiv., 694, not. 6 ; t. X. n" 465; Mk.nahd. p. 166.
173. Ce qui arriva plusieurs fois; souvent on envoyait du vin au roi. Voy. Duc d' Ai-
mai,k, Notes et documents l'elntifsn Jenn^roi de France, et ;) sn ciptivitê en Angle-
terre, p. 78 suiv., 81.
2. Dans le Mémoii'e de 1359, cité dans la note 4.
3. Cf. les livres cités dans la note 1.
4. Voy. sur ces négociations le Mémoire de 1359, ])ublié par Guumai.x dans les
Mèui. de la Soc. archéologique de Montpellier, t. IX, 1858, p. 409, suiv., i25 suiv.,
et A. Moi,imi:h dans Ilisl. de Languedoc, t. IX, p. 702, not. 8. Cf. ci-tlessous,
chap. lA', paragraphe 1 .
5. Reg. Vat. Innocent. Vi, n" 240, parte 2\ fol. 72 : « Dil. lilio nob. viro Johanni
coniili Arnianiaci saluteni, etc. Si comnioda pacis... Cum itacpie deceat nobilitateni
tuam tantis periculis non modo non prestare causam, sed quibuscunque j)restantibus
tuis consiliis et potentie tue viribus obviare : nobilitatem eandcni rogamus j)alernis
allectibus et hortamur, quatinus pro bono publico et tui consideratione honoris, dis-
cordiis inter te et dil. lilium nob. viruni Gastoneni comitem Fu\i, |)rocuraule maligno
luunani generis lioste exhortis, e.\ quibus danipna muUiplicia utriusque genlibus et
subditis ac in vicinis partibus provenerunt et provenire continuo non desistunt. ani-
mum tuum ad vmilatem et concordiam inter aos habendam benignus inclinando
quantum in te fuerit finem ponas, Lingue Occitane universitates, quarum fidelitatem
erga... Johannem regem Francorum illuslrcm invictis animis servatum, multorum
laborum constans tolerantia demonstravit, comcndatas suscipiens, et illas non dani-
nificans vel perturbans consilia |)atris adeo ertîcaciter attendendo, quod auctorem
pacis in cterni retributione i)i'eniii tibi reperire \ aléas propitiuni et benignum..
268 LA GUERRE DE CENT ANS
en juillet, et grâce à l'intervention du dauphin et du pape, que le
comte de Foix mit bas les armes et sig-na, avec le comte d'Arma-
gnac et les principales villes du Languedoc , une jDaix qui coûta
extrêmement cher à cette province K
Ce sont les alentours du comté de Foix qui étaient le plus
molestés par les brigands. Pour cette raison, Gaston Phœbus*
accordait en 1337 aux consuls et habitants de Foix la permission
d'aller en armes par groupes ou en masse dans la ville ou dans
son territoire, après avoir fait une convocation par cri public et
avoir fait sonner les cloches-. Et quand ce privilège fut donné, les
habitants du comté de Foix venaient, au printemps de cette même
année, d'assiéger dans son château de l'Herm le seigneur Pierre-
Raymond Roger de Mirepoix, placé sous la protection du comté de
Foix, et de ravager tous les enAdrons-^.
11 semble que les églises et monastères du Languedoc méridional
aient eu moins à souffrir dans les quelques années entre 13oo et 1360.
Toutefois, la nécessité d'élever ou d'entretenir les fortifications causa
toujours des pertes et des dommages. Nous avons déjà cité quelques
faits de ce genre ^. L'abbé Seguin, de l'abbaj^e bénédictine de Saint-
Thibérj au diocèse d'Agde, se plaint à Innocent VI des grandes
dépenses qu'occasionne la réparation des murailles, du réfectoire
et autres lieux du monastère et demande à cause de cela de mettre à
contribution les sujets dépendants^. Ceci se produit partout, sans
faire mention que les églises et monastères étaient comme les autres
chargés d'impôts et que le clergé était obligé, quelquefois même
DaLum apud Villamnovam Avinionen. clioc. VIII. kal. Junii anno VIII ». Ihid. est
noté : « in eodcm modo dil. lîlio nol). viro Gastoni coniiti Fuxi, salutcm, etc. »
1. Ifisi. de Languedoc, t. IX, p. 709, suiv.; t. X, n" 175. p. 1183 suiv.
2. F. Pasquier, Épisodes de la vie miinicipnle à Foix sous Gnsion Phœbus [Foix,
1888), p. 9, 10, 13.
3. Ibid., p. 4 suiv.
4. Ci-dessus, p. 94 suiv.
f). Suppl. Innocent. Vl, n" 29, fol. 221, ad an. 1358, Julii 17 : « Si^nificat S. V...
Sciiuinus abbas monasterii S. Tiberii O. S. B., A^athen. dioc., quod ipse ad refec-
tionem murorum dicti loci, ac refectorii, et aliarum officinarum, sive domorum com-
munium ejusdem monasterii pro utilitate communi multa habuit et habebit ulterius
subire necessario oncra expensarum que ipse abbas per se commode supportare non
potest... Supplicat ut compellendi ad conti'ibuendun prioratus, officia, et administra-
tiones obtinentes et obtenturos in dicto monasterio aut sub illo, det ei facultatcm, vel
committere judicibus quatenus predictos ad id compellant. — Fiat si alias contribuere
consueverint. G. Datumapud ^lllamno^•anî Avinion. dioc. .\^j kal. Augusti an. VI ».
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 à 1360 269
forcé comme à Béziers ', de contribuer aux dépenses que nécessitait
la fortification des villes.
A Ibi, déjà cruellement éprouvé par les guerres contre les Albigeois II
et contre les Pastoureaux, se vit réduit aune profonde misère parla
disette, la peste et les exactions les plus intolérables. Dès 1346 ou
1347, on se mit à réparer les murailles à cause des courses que les
Anglais faisaient aux environs jusqu'à six lieues à la ronde, ce qui
occasionnait de grandes dépenses aux habitants qui devaient encore
contribuer à la délivrance des villes occupées par les ennemis. Le
commerce étant ruiné ~, on ne savait où trouver de l'argent et ce
n'était encore que le commencement. Les Anglais menaçant dès
1355 d'envahir tout l'Albigeois •"% des commissaires du sénéchal de
Carcassonne furent envoyés pour faire fortifier toutes les places qui
pouvaient être mises en état de défense : ou on plaçait des troupes
dans les villages, ou bien les habitants étaient obligés d'en sortir; et
tout cela s'exerçait aux dépens des communes.
Bien que les faits particuliers fassent défaut \ comme pour Castres |
et Lavaiir, on sait que pendant les dernières années qui précédèrent
le traité de Bretigny, l'Albigeois était dans un continuel état de
perplexité entre l'attente des ennemis et la crainte de n'être pas prêt
pour la défensive. Quand la trêve de Bordeaux toucha à sa fin, la
situation devint plus menaçante. Alors, à cause des courses des
Anglais, le comte de Poitiers ordonna aux gens de la campagne
du Languedoc d'abandonner leurs habitations et de se retirer dans
les lieux fortifiés en se munissant de leurs meilleurs effets, et aux
habitants de Garmeaux en Albigeois de se retirer à Monesties, seul
endroit notable et fortifié depuis Gaillac jusqu'à Rodez ^.
Par le fait même, ces ordonnances atteignaient aussi les églises,
que la fuite des habitants laissait désertes. En tous cas, elles furent
appauvries. C'est le commencement de la désolation qui se mani-
1. Voy. Hisi. de Languedoc, IX, p. G95 suiv.
2. Ilnd., p. 599 suiv,, 63i, 642, 645.
3. CoiviPAYHi':, Eludes hist. et documents inédits sur V Albigeois, le Castrais et l an-
cien diocèse de Layaur (Albi, 1841), p. 44; Hist. de Languedoc, p. 665.
4. CoMPAVuÉ, p. 45, cite pour ces années plusieurs châteaux occupes par les Anglais
et les brijçands, mais ces faits appartiennent à l'époque suivante. Joliuois, Alhi au
moyen âge. Essai hist., etc. (1871), p. 32 suiv., parle de la misère pécuniaire d'Albi.
5. Ilisl. de Languedoc, p. 704 suiv. Cf. Estapiki . Annales du pays Castrais (1893).
270 LA GUERRE DE CENT ANS
Testera à l'époque suivante, comme nous verrons au chapitre V.
Li^Agenais^ qui fut, comme nous l'avons vu, la première province
atteinte par la guerre de Cent ans et qui eut grandement à souffrir
jusqu'à 1356, offre à cette époque un aspect semblable à celui de
l'Albigeois. 11 était en butte à de continuelles inquiétudes, parce
que l'ennemi était à ses portes ^ Ce pays ainsi que le Condomois^ le
Bazadais eiAuch- avaient déjà été tellement ruinés par les Anglais
pendant les dernières années qu'ils offraient peu d'attraits à l'ennemi.
Ils étaient en partie au pouvoir des Anglais et se confondaient avec
les possessions de ceux-ci en Guyenne. Leur sort empira souvent,
par suite de la lutte permanente entre les Anglais et les Français
qui se disputaient les places et les établissements. C'était la ruine
pour les églises. Comme nous révèle une note relative à divers
prieurés des diocèses de Condom, Agen et Lectoure, les revenus
des églises étaient à peu près réduits à rien, quand les Anglais étaient
dans leur voisinage^.
On lit de l'abbaye bénédictine de Saint-Sever du diocèse d'Aire
qu'en 1359 elle était opprimée par les dettes^. L'année suivante, elle
fut prise avec la Adlle par le seigneur de Lescun : une moitié en
fut brûlée; les chartes et les documents périrent*''.
Nous avons vu plus haut^^ que le Roacrgue avait à souffrir surtout
depuis 1351 . La ville et le diocèse de Rodez étaient aussi parmi les
premiers, qui avaientreçu la bulle ^c/ reprimendas^^ le 29 février 1356;
par conséquent, le Rouergue avait déjà vu les routiers quelque temps
avant la bataille de Poitiers. Comme partout, ces malfaiteurs y occu-
paient les églises, les monastères, les hôpitaux, et y commirent tous
les crimes. Après le désastre de 1356 le pays était toujours dans
Tappréhension de quelque envahissement des troupes anglaises
dont quelques-unes, vers la fm de 1356, pénétrèrent dans la province
et gagnèrent les montagnes d'Aubrac où elles firent de riches cap-
1. Voy, J. Andriku, Hist. de VAgenais (1893), I, p. 133 suiv. De Saint- Amans, Hist,
nncienne et moderne du départ, de Lot-et-Garonne (1835), I, p. 217 suiv., est inutile.
2. Samazeuilh, Hist, de VAgenais, du Condomois et du Bazadais, I (1356); Laf-
vowGVB, Hist. de la ville d'Auch, I, p. 82 suiv., 85, 91.
3. Arch. Vat., Collect., n° 36, fol. 291'', Voy. ci-dessous, cliap. V, § 10.
4. Reg. Aven. Innocent. VI, n" 20, fol. 651, ad an. 1359, Jul. 2.
5. Hist. monast. S. Severi libri X (Vicojulii, 1876), I, p. 268, 319.
6. Ci-dessus, p. 66.
7. Ci-dessus, p. 182. not. 1.
TOUTE LA FI5ANCF-: INFESTÉE, 13.')G A 1300 27 1
iures K Plus tard, en 1358, le Uouergue était menacé parles Ang-lais
qui s'étaient emparés de plusieurs places du Quercy -, et en 1339 il
l'était encore par les bandes de Robert Knolles. C'est vers cette
époque que Villeneuve, Savig'nac et Bar tombèrent au pouvoir des
Anglais '\ La paix relative ne dispensait pas les communes d'en-
tretenir et de solder des gens d'armes, et de payer les impots préle-
vés par suite de la guerre, ce qui était intolérable pour un pays
infertile et sans industrie.
Le Quercy fut une des provinces les plus éprouvées par le voi-
sinage des Anglais qui y faisaient de continuelles incursions et y
occupaient plusieurs places. Depuis la fin de Tannée 1351, lorsque
Saint-Antonin en Rouergue, sur les frontières de Quercy, tombait
au pouvoir des Anglais ^, ces derniers s'emparèrent de Montât, de
Lalbenque, de Sonac, de Saint-Germain, de Craissac ^, de Bélaye,
de Loubressac, de Fons ^' et de plusieurs autres lieux. Ensuite ils
pillèrent tout le pays, surtout le diocèse de Cahors, emprisonnèrent
les habitants ou les tuèrent. Une grande misère en résulta,
et déjà plusieurs quittèrent alors leur sol nataP. En 1356, un déta-
chement de l'armée du prince de Galles y arrivait encore, sous la
conduite du sénéchal de Bordeaux, qui établit son quartier général
à Labastide-Fortanière. Au même temps, Bertucat d'Albret ^, capi-
1. RouQUETTE, Le Rouergue sous les Anglais (1887), p. 10.
2. Ibid., p. 14.
3. Ibid., p. 19suiv.0npeut supposer qu'aussi les bâtards d'Armagnac étaient déjà alors
la terreur du Rouergue, par exemple, Jean, surnommé La Guerre, fils naturel de Ber-
nard VI, comte d'Armagnac; Arnaud Guilhem, fils naturel de Jean I, comte d'Armagnac.
D'après Anselme, Hist. généal., III, p. 4J5,et d'autres, le bâtard Jean quitta les armes,
embrassa l'état ecclésiastique et fut d'abord patriarche d'Alexandrie, et, en 1376,
évêque de Rodez. Mais ces auteurs ont fait une énorme confusion, ils ont confondu
Jean de Gardaillac avec Jean d'Armagnac, comme l'a déjà relevé Baluze, Vit. pap.
Aven.,l,Y>. 1323. C'est seulement le premier (frère de Bertrand de Gardaillac, évêque
de Montauban), docteur ès-lois, qui fut en 1351 évêque d'Orense en Galicie, en 1361
archevêque de Braga en Portugal, en 1371 patriarche d'Alexandrie et administrateur
de l'évêché de Rodez, 1378 administrateur de Toulouse, 1379 d'Auch.
4. Gi-dessus, p. 66.
5. Voy. Informatio Caiurcensis, dans VAppendice^ IV, testis 2"*.
6. Ibid., testis 8"'.
7. Ibid., testis 2"».
8. Ou « Perducat d'Albret ». Il fut capitaine et gouverneur de Bergerac, seigneur
de Montcuq, et, à plusieurs reprises, possesseur de la Linde et de Beaumont. Gf. sur
lui E. Lawroue, Le Livre de Vie, Les Seigneurs et les Capitaines du Périgord blanc
au XIV^ siècle (Bordeaux, 1891), p. 111 suiv.
272 LA GUEURE DE CENT ANS
taine du parti anglais rassemblait des troupes dans les environs de
Lalbenque pour surprendre la ville de Carjac, ce à quoi il ne réus-
sit pas. Mais tant lui que le sénéchal de Bordeaux portèrent leurs
forces dans les différents cantons qui tenaient encore pour le roi
Jean et soumirent à la domination anglaise la plupart des com-
munes du Quercy qui, conséquemment, fut ruiné ^ Les villes qui
restèrent françaises ne le furent pas moins par les dépenses
relatives aux fortifications. Le 22 mars 1358 Jean, comte de
Poitiers, ordonna au sénéchal du Périgord et du Quercy de ne
pas permettre qu'on exigeât finances des habitants de Cahors
pour les fiefs nobles dont ils pourraient faire acquisition; cela,
dans le but de les dédommager des frais énormes qu'ils s'impo-
saient pour fortifier leur ville et la défendre contre les ennemis-. Les
villes déjà munies de fortifications s'empressaient de les réparer et
de les compléter. Moissac, par exemple, élevait, dès 1352, des for-
tifications, afin de résister aux ennemis qui s'efforçaient de porter la
guerre dans le pays 3. Le 27 mars 1359, Jean de Poitiers permet aux
habitants de Moissac et de Montauban, « sur la frontière des enne-
mis », de prendre une certaine quantité de bois dans les forêts voi-
sines pour se fortifier et pour réparer le pont de Moissac sur le
Tarn^.
Donc au mépris de la trêve, les hostilités continuèrent. Seulement,
par crainte de l'excommunication d'Innocent VI, Bertucat d'Albret
abandonnait Montât au commencement de l'an 1358. Par contre, il
s'empara, la même année, de Castelnau-de-Montratier et y laissa une
forte garnison-'. Les compagnies anglaises faisaient d'incessantes
incursions dans la commune de Cahors ; Jean, comte de Poitiers,
ordonna, le 6 avril 1359, au sénéchal de Quercy et aux consuls de
Cahors de faire tous leurs efforts pour empêcher les ravages des
ennemis aux environs de la ville ^ devant laquelle se présentait tous
1. Pour tous les détails voy. Lacoste, Hist. gén. de la province de Quercy, III,
p. 155 suiv., où sont aussi énumérés 21 villes et plusieurs châteaux, qui étaient encore
sous la domination française.
2. Ibid., p. 158 suiv.
3. Hist. de Languedoc, IX, p. 929; E. Rupin, L'abbaye et les cloîtres de Moissac {1891),
p. 130.
4. Hist. de Languedoc, 1. c, p. 691.
5. Lacoste, p. 158, 161.
6. Ibid., p. 163.
TOLIE LA FRANCE LNEESTÉE, 13.jG A 13G0 273
les jours un commandant de ces troupes, Jean de Gourdon. Le séné-
chal de Quercy étant avec ses hommes d'armes dans le Toulousain
en campagne contre Gaston Ph(jebus , les habitants de Cahors, réduits
à leurs propres forces, étaient à toute extrémité. Le pays fut pillé par
les capitaines des châteaux voisins, tous les chemins furent infestés,
les paysans dépouillés et réduits à la plus affreuse misère. Les habi-
tants de la ville se virent forcés de conclure un pacte avec les
ennemis. Ils obtinrent d'eux, moyennant une somme d'arg-ent, de
travailler pendant un certain temps dans les terres et les vignes.
Le renouvellement de ce traité était à des conditions plus onéreuses
encore ^, et tout cela servit peu, car d'autres ennemis survinrent
au mois de juin qui coupèrent les blés et firent des dégâts jusqu'au
pied des remparts '-. Les Cadurciens, il est vrai, avaient reçu des ren-
forts qui leur permirent alors de repousser l'ennemi, mais c'était
toujours au prix de grandes dépenses et de sacrifices pesant
lourdement sur une ville qui, durant de longues années, ne put
faire autre chose que de se défendre. Quand la trêve fut sur le
point de s'achever, craignant avec raison qu'une nouvelle cam-
pagne ne s'ouvrît bientôt ^, on dut s'occuper des moyens propres à
la défense des places qui n'étaient pas encore tombées au pouvoir
des Anglais. C'était encore de nouvelles charges auxquelles se joi-
gnait la nécessité de fournir un bon contingent d'hommes d'armes,
au préjudice des campagnes qui manquaient ensuite de bras pour
cultiver la terre. Alors survinrent par surcroît des compagnies
de brigands composées d'individus de divers pays qui, comme
nous le verrons bientôt, ravageaient et pillaient les propriétés.
La position des églises et monastères du Quercy situés aux lieux
qu'occupaient les Anglais était intolérable. Les curés et les moines
prenant la fuite, les églises restèrent abandonnées pendant de
longues années, l'exercice du culte divin fut interrompu dans la
plupart des communes. Il n'y a pas une province oii les faits de ce
genre soient aussi abondants qu'en Quercy. Comme il en sera ques-
tion au cinquième chapitre, citons-en seulement quelques-uns, qui
sont à coup sûr antérieurs à la paix de Bretigny.
1. Lacostk, 1. c, p. 1G4.
2. Ihid., p. 164 suiv.
3. Lacoste, 1. c, p. 166.
ll.-P. Denifle. — Désolât io ecclesiantiu IL IH
274 LA GUERRE DE CENT ANS
A la mi-février 1360, les Anglais assiégeaient Gatus où était un
prieuré bénédictin. Le prieur, enfermé dans le château, se défendit,
mais fut enfin obligé de se rendre à discrétion K Le prieuré est
ensuite qualifié comme abandonné, et réduit à l'impossibilité de
payer la redevance "-'. En 13o7, le monastère de la Cour des reli-
gieuses de Saint- Augustin -^ était abandonné, et les chanoinesses
demeuraient en partie chez leurs parents '*. L'abbaye cistercienne
de la Garde-Dieu fut réduite à une situation déplorable. Ge ne lut
pas, à proprement parler, des Anglais qui la dévastèrent, mais une
compagnie de brigands en règle, parmi lesquels étaient aussi quelques
clercs conduits par plusieurs nobles des diocèses d'Agen, Gahors,
Rodez, Pampelune, Gominges et Gondom ; ils j^rirent et occupèrent le
monastère, chassèrent violemment Fabbé et les moines, incendièrent
quelques nuiisons, pillèrent les livres, les calices, les ornements de
Téglise, s'emparèrent des vins, des blés et autres approvisionnements
ainsi que des meubles. L'excommunication j^roduisit cependant un
effet assez puissant sur les nobles qui promirent de tout réparer et
restituer •'. En 1363, le précepteur de Ihopital de Rocamadour se
1. Lacostk, 1. c, p. Jr)<s.
2. Arch. Vat., CoUeclor.. n" 84, 1V»1. 2:)r).
3. Je ne puis ])as idcnlilîcr ce monastère. Xi le G;ill. clwist.. ni ]e Pouillé du diocèse
de (Jiihors. ])ubl. par A. Loncnon, ni les CoUeclor.. aux Archives du Vatican ne nomment
ce monastère. J'ai cru un moment qu'on devait écrire « Carnoten. dioc. » pour
« Caturcen. dioc. »; ces deux diocèses étant ({uel({uefois confondus dans les Sup-
pliques. Mais (I Curia monialium » à Chartres, c'est-à-dire « TEau », était de l'Ordre de
Cîteaux. A^oy, Gall. Christ.. VIII. p. 1326. et ci-dessus p. 227. Le monastère des Filles-
Dieu, ordre de Saint-Augustin de (Chartres, n'est pas qualifié comme << de la Curia ».
Voy. Lkpinois, Ilist. de Chnrtres. 1, p. 302 sui\". J'avertis le lecteur (ju'on peut aussi
lire « Cuna » pour « Curia » dans le Rejiistre.
i. Siippl. Innocent. VI. n° 27, fol. 152, ad an. 13ô7, Jun. 9 : « Supplicat S. A\ humilis
et dévolus scrvitor vesterRaymundus (iarsabaldi cajîitaneus. curie vestre marescalli...
ut Dalphinam sororemmonacam monasterii delà Curia, Ord. S. Auj?., Caturcen. dioc,
in quo tam ipsa quam alie canonice dicti monasterii propter guerrarum discrimina in
illis partibus inp,rucntia lute morari non possunl (et propterea dicta Dalphina cum
dicto fratre suo diu pei-mansit) ad monasterium Sancti (jeiiesii, Ord. S. Ben., Magalo-
nen. dioc, auctoritate ^■estra transférant et eam inibi recipi laciant in monacham et
sororem. Cum omnibus, etc. — Fiat. G. Dat. apud "S'illamnovam A^•inion. dioc vij
idus Junii anno quinto. »
5. Reg. Avenion. Innocent. VI. n" 20, fol. 684, ad an. 1359. Xov. 24 : << Dil. lilio Petro
abbati monasterii Gardedei Cister. Ord. Caturcen. dioc. salutem, etc. Decet. etc. Cum
ita({ue sicut exhibita nobis pro parte tua et dil. lilior. conventus tui monasterii petitio
continebat olim nobiles viri Galhardus de Lobenchis, miles, Raterius de Anteniaco
domicellus, Johannes dictus Bastardus de Saniaco, Guillelmus de Insula, Johanncs
TOLTI-: LA rUANCK INFESTÉE, 13o6 A 1 *iGO 21V)
plaint à Urbain V que, dans ce pays, la guerre dure déjà depuis
({uinze ans et qu'à cause de cela et de la mortalité, la province est
dénuée d'habitants, les terres sans culture et les revenus réduits
à rien; qu'une partie des maisons de l'hôpital sont détruites et
que les autres menacent ruine K Cet hôpital était encore dans le
même état de désolation en 1433 ~. Lorsque avant le 15 mai 13()i,
Pierre de Camasio voulut prendre possession de son prieuré de
Francour de l'ordre de Grandmont, il le trouva, par suite de la
dévastation, abandonné par les religieux -K
La ville de Montauban jouait un rôle à part. Ses habitants pen-
Uobcrli, Jolianncs Lapaia, Johanncs dictus Xavan-a, cloniiccUi, Agcnen., Caturccn.,
Ruthcnen,, Pampiloncn., Convenarum et Condomien. dioc, cuni nonnuUis clericis et
laicis coruni in hac parte coniplicibus, monasterium tiiuin predictum arinala manu
invadcntcs hostililcr et inlrantes illud, te, tuis et ipsius nionasterii nionachis, non
absquc injectione nianuum in te et ipsos, Dei timoré posposito, exindc AÈolcnter ejectis,
ceperunt, occuparunt et dctinuerunt, prout adhuc dclinent occupatuni, ac ipsius
monastcrii quasdam donios incendio concreniarunt, calices, libros, paranienta etorna-
menta... blada, vina et alias res et bona ipsius monasterii rapuerunt... et nonnullos
excessus alios ibidem etiam perpctraverunt, jiropter c[uc excommunicationis et alias
sententias atque pcnas... incurrisse noscuntur. Quare i)r(> tua et dictorum conventus
ae nobilium et complicuni parte nobis fuit humiliter supplicatum, ut cum ipsi nobiles
et eorum complices pcnitentia ducti... dictuin monasterium cum onmibus juribus et
pertinentiis suis dimittere atque tibi et conventui predicto restituere et de dampnis
illatis satisfacerc proposuerint et intendant, et a preflictis sententiis atque pénis
absolvi desiderent, ipsique propter ^uerrarum discrimina in illis partibus notoric
in^ruentia adapost. sedem pro hujusmodi absolutionis beneficio obtinendo tute venire
non jiossint, providerc ipsis super hoc de beniynitatc apost. dignaremur. [('onmiittit
absolutionem dare post restitutionem promissam]. Dat. Avinione viij kal. Decem-
bris anno VII. »
1. Suppl. Urhaiii V, n° 35, ad an. 1363, Januarii 31 : « Supplicat S. V. humilis ora-
tor rester Aymericus la Vernha, preceptor hospitalfs paui)erum Rupisamatoris,
Catui'cen. dioc, in quo pauperes Christi consucverunt recipi et opéra misericordic
cxerceri.et in eo XIII mulieres honeste et plures alii devoti ipsis pauperibus continue
deservirc alieque cxpense ibidem lîeri per preceptorem illius, que verisimiliter sup-
portare non potest, ex eo quod rcdditus, quos consueverant percipere, propter guer-
rarum discrimina que in illis partibus vi|iucrunt per XV annos et ultra, et propter
morlalitatis pcstem, et gentium pro\incie denudationcm, ac carentia cultorum agro-
rum, sunt({uasi rcdacti ad nichilum et pro majori parte diminuti ;ct quia editicia hos-
pitalis ipsius aliqua propter jiuerras ipsas sunt destructa, et alit^ua minantur ruinam,
que non creduntur sine adjutorio S. V. posse alias reparari, [de indulycntiisj. — Fiat,
lî, Dat. Avinione pridie kal. Februarii anno primo. »
2. Voy. Demfi.k, La désolation des écjlises, I, n" G17.
3. Suppl. Urban. V, n" il, fol. 51'' : « Supplicat.. Petrus de Camasio, bacallarius in
decrelis, prior pi'ioralus de Francorio, Grandimontcn. Ord., dioc. Caturcen., quod
cum predictus prioratus cum domibus et pertinentiis suis propter ^iuerrarum mali-
liam adc!) dissi[)ilus e.xUt'.M'it, ({uolI ipsiun rcperit absquc habitatore penitus derelic-
lum, [de indulgentiis cum elecmosinis]. — Fiat. lî. Dat, Avinione idus Maii an. III ».
276 LA GUERRE DE CENT ANS
chaient suivant les intérêts de leur ville tantôt du coté des Anglais,
tantôt du côté des Français. Accoutumés depuis long-temps au voi-
sinage des xVnglais, ils les favorisaient quelquefois ouvertement. Par
exemple, vers la lin de 1345 ils s'associaient aux Anglais dans le
pillage que ceux-ci avaient fait des villes de Real ville et de Mirabel
en Quercy. A son passage dans la ville, le 23 mars I3i6, Jean, duc
de Normandie, amnistia les habitants jîour ce fait K II n'est pas pro-
bable que cette inconstance des habitants de Montauban ait subi
une modification notable pendant les quelques années qui s'écou-
lèrent jusqu'en 1360.
Quoiqu'on ne parle pas des compagnies qui ont ravagé le Périgord^
les Anglais, néanmoins, étaient presque entièrement maîtres du
pays, surtout en deçà de la Dordogne -. Et pour les villes, c'était
quelquefois un moindre mal, car leur tranquillité était bien autre-
ment troublée lorsqu'elles étaient restées au pouvoir des Français
et que les Anglais étaient répandus dans leur voisinage. Ainsi, par
exemple, depuis la prise de Bergerac, du diocèse de Périgueux, en
1345 3^ cette ville ne voyait que des troupes anglaises, et elle paraît
avoir joui d'une paix relative jusqu'en 1360; au moins ne peut-on
rapporter aucun fait qui l'ait agitée '\ Bien cjue la ville de Périgueux,
tombée au pouvoir des Anglais en 1356^, ait été reprise en 1357 '>
par Roger Bernard, comte de Périgord, frère du cardinal Talley-
rand, la situation générale de la province était la môme qu'en
Querc\\ Elle était assaillie de tous côtés et incessamment dévas-
tée. L'église , le cloître et les édifices du prieuré bénédictin de
Saint-Laurence de Mareuil étaient tellement détruits par les
Anglais qui occupaient ce lieu, et si complètement dépourvus
de tout ce qui était nécessaire au culte, qu'il était impossible d'y
demeurer ^. Le 26 août 1360, à ki j^rière de Roger Bernard, comte
1. Devai.s, Montnu]);in pendant les (jnerres des Anglais au (jiialorziéine siècle
(Montauban, 1842), p, 6 suiv. ; le même, Uisl. de Monlaiihan sous la doininalion ançflaise
jSi3\ p. 10 suiv. Cf. encore Ilist. de Languedoc, IX, p. ôNo.
2. Voy. Dessallks, Périgueux et les deux derniers comtes de Périgord i;1847),
p. i" : Lacoste, 1. c., p. 163.
3. A'oy. ci-dessus, p. 25.
4. Cf. E. Labroue, Bergerac sous les Anglais (Bordeaux, 1893;, p. 64, 65.
5. Ci-dessus, p. 114.
6. Dessalles, p. 50 suiv.
7. Suppl. Innocent. \ 7, n" 29, fol. 199. ad an. 1358, Junii 23 : « Significat S. V...
TOUTE LA FRANCK INFESTÉE, 13o6 A 1 3G0 277
de Périgord, Innocent VI dut permettre aux Clarisses de Périg-ueux
de recevoir des diocèses de Périgueux et de Sarlat des dîmes jus-
qu'à la somme de deux cents livres tournois, à cause de la pau-
vreté oii les guerres les avaient réduites •. Les mêmes guerres empê-
chaient souvent les recteurs des églises de prendre possession de
leur paroisse comme il arriva à Gérard Jauberti au sujet de l'église
paroissiale de Villac ^. Toujours par suite des invasions qui eurent
lieu avant la paix de Bretigny, les deux églises paroissiales de
Preyssac et de Ghâteau-FEvêque unies ensemble, étaient en 1364
presque totalement détruites et dépourvues de tout ce qui est
nécessaire à la célébration de l'ofïice divin ^. C'est à coup sûr à cette
époque que le prieuré bénédictin de Fleix fut désolé et détruit '*.
Le Limousin qui s'était rangé du côté du roi de France eut pour
cette raison beaucoup à souffrir de la part des Anglais, Nous avons
vu que le prince de Galles le ravageait en 1356. Un grand nombre
des seigneurs de ce pays furent tués à la bataille de Poitiers ^. Les
historiens limousins parlent peu des ravages commis à cette époque
par les Anglais. L'abbaye bénédictine de Beaulieu eut à soutenir le
siège des troupes anglaises en février i3o() ^. On raconte que la
ville d'Ussel a été quatre fois livrée au pillage et à l'incendie par
Lebret ~. S'il faut ajouter foi à Froissart, en 1359 Robert Knolles,
*
frater Guillelmus Estornelli, prior prioratus de Marolio, O. S. B., Petragoricen. dioc,
quod ccclcsia ac claustrum et edificia dicti prioratus, qui in honorem S. Laurentii
fiuidatus existit, tam occasione guerrannii et Anglicorum, qui dictum prioratum
tenuerunt occupatuni, quani alias destructa et diruta adeo existunt, ac reliquiis, cali-
cibus, libris, et ornamentis sacerdotalibus et aliis spoliata, quod prior.. et alie neces-
sarie personc dcgcntes ibidem, necnon parrochiani et alii confluentes ad ecclesiam
et prioratum predictum pro missis et aliis divinis officiis audiendis, sacramentisque
ecclesie recipiendis, commode et tute ibidem esse., non possunt. [De indulgentiis cum
eleemosynis]. Fiat. G. Dat. apud Villamnovam Avinion. dioc, IX kal. Julii an. \\ ».
1. Reif. Aven. Innocent. \7, n" 2i, fol. r)46''.
2. Suppl. Innocent. VI, n" 29, fol. 221, ad an. 1358, Jul. 17 : « de Ulhaco ».
3. Suppl. Uvh. V, n° 39, fol. 34^' : « occasione guerrarum que in illis partibus per
inimicos pacis temporibus preteritis invaluerunt ».
l. Ibid., fol. 205, ad an. 1364, Jaiiuar. 10 : « prioratus de Flexeio » et « Flexio ».
5. Voy. A. Leymarie, Le Limousin historique, I (1837), p. 393; le même : Iliat. du
Limousin. La Bourgeoisie. II (l<S-i5\ p. 289 suiv.
6. Deloche, (]nrlul. de Vahhnye de Beaulieu (1859\ p. xm suiv.
7. Mauvaud, Hist. du Bas-Limousin (1842), II, p. 201. — A. Leroux, Géographie et
hisi. du Limousin (1890), ne donne aucun renseignement sur ce sujet. Les Documents
historiques... concernant principalement la Marche et le Limousin^ 2 vol. i^l883 à
1885), publ. par A. Leroix, E. Moi.imer et A. Thom.vs, qui s'étendent du ix jusqu'au
278 LA GUERRE DE CEINT ANS
après avoir été chassé d'Auverg-ne, serait passé par le Limousin i.
Quelques documents publiés en notes prouvent qu'à cette époque, le
sort des églises et monastères de Limoges et du Limousin était le même
que partout ailleurs. L'abbé elles relig-ieux de l'abbaye cistercienne du
Beuil-se plaignent à Innocent VI de ce qu'ayant été dévastés et
dépouillés par les Anglais, ils ne peuvent se soutenir sans l'appui
du pape •''. Jusqu'à Fan 1359, Roziers-Saint-Georges, où était une
prévoté bénédictine unie à l'abbaye de Saint-Martial de Limoges,
fut occupé et repris deux fois par les ennemis, et les moines
avec le secours de gens d'armes s'efforçaient de défendre la place ^.
L'abbaye de Saint-Martial même était, par suite des guerres, tel-
lement endommagée qu'en 1363 le nouvel abbé Aymeric se trouvait
dans l'imj^ossibilité de payer à la chambre apostolique mille florins
pour sa promotion et les services communs. Il demande à emprun-
xviii" siècle; les Chnrtes, chroniques et niemorinux pour servir h l'histoire de la
Marche et du Limousin, par A. Lkuoux (1886), et les Archives liisl. de la Marche et
du Limousin (1887 à 1895), n'ont pas fourni à mon sujet un document intéressant .
1. Voy. ci-dessus p. 260. En tout cas, si KnoUes vint en Limousin, il le
quitta bientôt pour retourner en Bretajine. Voy. ci-dessous, p. 310.
2. Ou « B(cuil », comme écrit Cassini.
3. Suppl. Innocent. VI, n° 27, fol. 210'', ad an. 1357, Au^usti 23 :« Supplicant S. V.
devoti et humiles oratores vestri abbas et conventus monasterii BuUicn., Ord. Cister-
cien., Lemo^•icen. dioc. quod, cum propter jiuerras vilenies inter relies Francie et
Angiie per Anglicos sintet fuerint de^"astati et depredati et ab omnibus bonis exulati,
talitcr quod ipsi non habeant unde possint neque valeant commode sustentari, nisi
ex vestra bealitudine misericordiler succurratui-. [Induliicntiae pro visilantibus dictum
monastcrium et capellam S. Blasii de A'elcri Fonlej. — Fiat de duobus annis. G.Dat.
Avinion. kal. Septembris, anno quinto ».
4. Rc(f. Val. Innocent. VI, n" 2 il, fol. 69, ad an. 1359, Junii 10 : « Dil. fd. Helic a])bati
monasterii S. Martialis Lemovicensis, Oi'd. S. Ben., salutem. etc. Ex injunctt)
Sane pro j)arte tua peticio nuper nobis exhibita continebat quod licet prepositura de
Roseriis i)erfel.rec. Clementem papam ^'I predecessorem nostrum mensc abbatis qui
est et erit monasterii prclibati ex justis causis et licilis tune extantil)us annexata
fuerit et unita, cujusmodi prepositura inter cetera sui onera tenebatur con\'entui
monasterii memorati pitanciam seu mcnsatam facere mense unius annuatim, cujus-
modi onere, quod causa unionis hujusmodi subiisti, ad presens te asseris Aarietate
temporum et custodia loci de Roseriis, ubi prepositura hujusmodi situatur, bis per
liostes publicos occupati tociensque recursi, nimium pregravari; quam siquidem
custodiam dil. fd. Petrus Vij;nerii prcpositus prepositure de Arnaco a tuo monasJe-
rio dependentis, Ord. prclibati, ad tui instanciam cum sui et suoi-uni potencia ejusque
sunqDtibus et expensis laudal^iliter sunnne facit : quare nolîis luuniliter supplicasti ut
eandem preposituram de Roseriis, cujus annexionem et unionem prefatis perpetuo
remanentibus illibatis, eidem Petro commendarc cum emolumentis et oneribus vita
comité dij^naremur.... Datum apud Villamnovam Avinionensis dioc, iiij idus Junii,
anno septimo ».
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13of) A 13G0 279
ter la somme nécessaire sur les biens du monastère •. Après 1338,
l'abbaye cistercienne de Bonlieu se fortifiait contre les bandes '-. Le
diocèse de Tulle, qui appartenait au Limousin, était connue nous le
verrons, tout à fait appauvri à l'époque suivante , à cause des
guerres. Il est bien prol)al)le (jue le commencement de cette déso-
lation date d'avant 1360.
Nous avons vu que VAnf/oiimois était depuis lonj^temps in-
festé '^. On peut dire que les Anglais étaient maîtres de TAngou-
mois et de la Saintonge depuis ([uelques années. La situation ne
s'améliora pas après la trêve de Bordeaux. Plusieurs villes, comme
Cognac par exemple ''% furent forcées d'ouvrir leurs portes à des
détachements anglo-gascons, qui y tinrent garnison. Ces lieux occu-
pés par les ennemis étaient un danger continuel pour le pays et
les monastères. Il y avait très peu d'églises comme le prieuré de
Houteville, lequel fut enrichi par les aumônes du prince de Galles,
qui y avait aussi fait reconstruire le réfectoire ^. L'abbaye bénédictine
de Saint-Cybard,hors les murs de la ville d'Angoulême, ({ui en 13o2
se plaint auprès de Clément VI ^, vit aussi ses prieurés désolés en
L3r)9. Le prieuré de laChasseigne était par suite des guerres dans un
état si misérable que le prieur le résigna entre les mains de Tal^bé
de Saint-Cybard et s'eiïorçait ensuite d'obtenir le prieuré de Gillon,
du diocèse de Vienne ^. Les guerres incessantes causaient tant de
1. Suppl. Urh. V, n"37, fol. 53'', ad an. 1363, Mail 25 : « P. B. Cum nuper per fe. rec.
dominum Innocentium papani VI prcdecessorem vestruiu provisum l'uerit Aynierico
al)l)ali inonasterii S. Martialis Lemovicen., Ord. S. Ben., de diclo nionasterio lune
vacante, et dictvis abbas ralionc provisionis hujusmodi \cslre camerc apostolice mille
lloren. auri, et ultra ([uinque servitiu comuiiuiia solvere teneatur, dictunique monas-
teriuni fuerit ob guerrarum turbines plurinium dampnificatum, et idem etiam abbas
tam propter hujusmodi guerras quam sterilitates alias habuit multa pati, propter que
non potcst satist'acere de tanta lloren. sunmia, eapropter abJDas predictus eidem
humiliter supplicat S., quatenus recipicnfli ab aliquibus creditoribus mutuum de pre-
dicta lloren. summa... et dicti monasterii sui bona obligare liccntiam eidem concé-
dera dignemini. — Fiat de quingentis, B. Dat. Avinione viij kal. Junii anno primo ».
2. Pii;Hui:riTTK, Eludes hlstori([ue.s' sur les monnslères du Liinoiisin el de la Marche^
tom. 1, Guéret 1S57-1863, x'ecueil de 30 monoj-raphies, qui pt)urtant ne sont pas de
grande utilité pour la guerre de Cent ans.
3. Voy. ci-dessus, p. 182.
A. Voy. MAin'Ai'i), Etudes histori<iues sur lu vllle^de Cofjnac (1870\ I, p. I 19.
5. Mahvaui), 1. c, p. 156.
6. Voy. ci-dessus, p. 62. not. l, et Uecj. Vat., n° 209, fol. 150.
7. Suppl. Innocent. V/, n" 30, fol. 40'', ad an. 1359, Martii 30 : « Supplicat S. V.
Fortanerius de ^'illata, monachus expresse professus monasterii Sancti Eparchii iu
280 LA GUERRE DE CENT ANS
dommages aux maisons et aux revenus de Tabbaye des Bénédictines
de Saint-Ausone que l'abbesse et les religieuses étaient obligées de
mendier '. Dans cette province, l'état des choses alla toujours en
empirant, de sorte qu'au xv^ siècle, elle était presque dépeuplée et
les deux monastères cités étaient inhabitables -.
Durant ces guerres, la Saintonge fut une des provinces les plus
continuellement exposées à Tennemi 3. Depuis longtemps * l'état des
églises et monastères était déplorable, et cette détresse augmentait
de jour en jour. L'abbaye de Sainte-Marie de Saintes resta dans la
pauvreté^; pour cette cause Innocent VI, le 8 février 1358, permit
à l'abbesse de jouir en commande du prieuré de Saint-Denys d'Olé-
ron ^\ Le prieuré de Saint-Augustin de Rochefort était tellement
ruiné dans ses édifices, tellement dépeuplé et dépourvu de res-
sources que ses revenus ne suffisaient pas à faire vivre pauvrement
une seule jDersonne et que ce prieuré était dans l'impossibilité de
payer chaque année ses redevances à celui de Saint-Vivien hors des
murs de Saintes, et ce dernier prieuré fut aussi aifecté des
suburbiocivitatisEnjiolismen., Ord. S. Ben..acinpresbyteratusordineconstitutus,olini
prioralum de Chassanhas dioc. En^olismen. olîlinons, qneni pro eo in nianibus abbatis
dicti iiionasterii penilus dercliquit, quia guerraruni discriniinibus desolatus extiterat,
nec exindc utilitatem aliquani poterat reportare, quaterjus sibi de prioratu de Gilone,
dioc. A'ienncn. per monachos nionaslcrii sancti Theodori dicti Ord. ejusdem Viennen.
dioc.solito jiubernari liVuctus iO libr. Turon.] vacantem ad prcscns... di^nemini pro-
vidcre,... — Fiat. G. Dat. Avinionc iij kal. Aprilis anno septimo. »
1. Beg. Vat. Urbani V, n° 251, fol. 207'', ad an. 1364, Febr. 7 : « Universis cln-istifi-
delibus, etc.. salutem., etc. Licet is, etc. Cum itaque sicut accepimus nionasterium S.
Ausonii in suburbio Engolismen., O. S. B., propter gucrraruni turbines que in illis
partibus longo tempore vi^iiierunt, adeoin edilîciis collapsum ac in rcdditibus et facul-
tatibus diminutuni luit, (piod dil. in Christo filic abbatissa et moniales ejusdem
monasterii mendicare coguntur [De indulgcntiis cum eleemosynis]. Dat. Avinione
vij id. Februarii an. secundo ».
2. Voy. Demfle, La désolntion des éiflises en France, I, n° 377.
3. Massiou, HïhI. de la Sainioiuje et de VAunis^ III (1838). p. 09, parle seulement en
général des bandes de soudards qui, après 1356, erraient de \\\\e en \ille, pillant châ"
teaux et chaumières, sans apporter un seul lait. L. Délayant. Hisl. du département
de In Charente-Inférieure (1872), p. 133 suiv. donne moins encore. De Th>i.y, La
Saintonge sous la domination anglaise, dans la Revue des Sociétés savantes, 5* sér.,
t. I, p. 461, ne parle que de quelques événements postérieurs à 1360.
4. Voy. ci-dessus, p. 32 suiv., 77.
5. Voy. p. 33. Cf. encore la lettre de Clément VI, du 12 juillet 1351 dans Arc/iiue.s
hisior. de la Saintonge et de VAu7iis, XI, p. 434 suiv. Ce document et celui qui est
cité dans la note suivante, sont les seuls dans cette riche collection de 26 volumes
qui se rapportent à l'époque que nous étudions.
6. Archiv. hist. de la Saintonge, XI, p. 438 suiv.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1350 A 1360 281
mêmes maux. En 1357, il y avait déjà plusieurs années que le
prieuré de Rochefort était sans prieur L Le prieuré de Boscamenant
fut tout à fait ruiné dans ses revenus par les Anglais, « dans la
gorg-e desquels » il était situé ~. Le prieuré de la Jarrie et les
maisons de Breuil et d'Ors de l'ordre de Grandmont étaient détruits,
soit totalement soit en partie -^ Le prieuré bénédictin de Saint-
Martial de Vitaterne était inhabitable, les moines durent le quit-
ter''. En 13()3, par suite des guerres passées et des épidémies,
l'abbaye de Saint-Augustin de Notre-Dame de Sablonceaux était
dépourvue de religieux et surtout d'hommes lettrés ', l'église était
1. Siippl. Innoceni. V'/, n " 27, fol. 73, ad an. 1357, "Martiill : « Sanctissimo... domino
Innocentio... ejus dévolus filius lîelias, prior prioralus S. Viviani in sulnwbio Xanc-
lon., Ord. S. Augustini.... Ilincest... quod cum prioratus de Ruppeforti, Xanctonen-
dioc, a pi-edicto nico prioralu dépendons, nunc sit et diu fuerit jiuei*ra adeo consum-
])tus ediliciis, jjopulo et facultatilîus dcnudatus, quod fere sinj^ularis persona de ejus
proventibus posset vitam tenuem sustentare, licet exinde conventus meus solitus sit
et debeat anno quolibet alimentorum suoruni percipere portionem...., in curia vestra
vacet ad presens et diu vacaverit, devocius supplico... quatcnus de pi'ioratu predicto
de Iluppcioi'ti... viro religioso et honesto IVatri Ademaro Fabri, pi'esbyterf) ipsius
niei prioratus, canonico regulari professo... dignetur misericorditer providere. In
cujus supplicationis testimoniuni, etc. Datum die tertia mensis Octobris anno Doniini
niillesinio trecentesinio quinquagesimo ([uinto. — Fiat. G. Dat. A\inione n' id. Martii
anno quinto ».
2. //)/>/., fol. 100, ad an. 1357, April. 30 : « ... prioratus sine cura de Bosco Esnio-
necs... fructus sunt plurinium diminuti projjter guerras et Anglicos, in quorum fauci-
bus et confînibus existit... »
3. Siippl. Innocent. V/, n" 32, fol. 9, ad an. 1361, Januarii 17 : « Sanctissime pater.
Cum prioratus de Jarrico et domus de IBrolio et de Ursia, eidem prioratui unité, Ord.
(irandimonten,, Xanctonen. dioc, propter guerras penitus aut quasi destructi exis-
tant [de indulgentiis cum eleemosynis]. — Fiat de uno anno et XL die]:)us. Dat. AaI-
nione xvj. kal. Februarii anno nono »
4. Reg. Vat. Urh. V, n" 252, fol. 142", ad an. 1363, Octob. 13 : « Univcrsis christi-
fidelibus, etc. salutem, etc. Licet is, etc. Cum itaque sicut accepimus monasterium
sancti Martialis de Vita eterna, O. S. B., Xanctonen. dioc, occasione guerrarum, que
diu in illis partibus ingruerunt, adeo in suis domibus sit destructum et deditum in
ruinam, quod prior et monachi... non valent in eo habitare seu ipsorum inibi capita
reclinare [de indulgentiis cum eleemosynis]. Dat. Avinione iij idus Oclobris an. primo ».
5. Suppl. Urh. y, n° 37, fol. 79, ad an. 1363, Jun. 9 : « Supplicat S. V. devota crca-
tura vestra (lalhardus abbas monasterii ^L B. de Sabloncellis, Ord. S. Aug., Xanctonen.
dioc, quatenus sibi, qui ut monasterium ipsum, quod propter guerras et peslilentias
que in illis partibus durissime viguerunt religiosis et potissimc literatis destitutum
multipliciter existit personis religiosis in suffîcienti litteratura fundalis, decoretur et
fulgeat, cordialiter affectât, specialem gratiam facientes ut ipse iiij personas ydo-
ncas, quas ipse duxerit eligendas, in suos et dicti monasterii canonicos instituere et
recipere ac eis regularem habitum exhibcre (ipsius monasterii conventus non pelilo
assensu, quibuscum([ue statutis et consuetudinibus monasterii predicti in contrarium
editis nequaquam obstantibus") valeat eidem indulgere dignemini cum clausulis opor-
tunis. — Fiat. B. Dat. Avinione v id. Junii anno primo ».
282 . LA GUERRE DE CENT ANS
ruinée i, et le monastère appauvri -. L'abba^^e ne parvenait pas k se
relever, et au xv^ siècle elle fut foudroyée de nouveau ^. A
mon avis, les documents suivants regardent aussi l'époque qui pré-
cède la paix de Bretig-ny. En 1364, le monastère Saint-Eloy de la
Rochelle était totalement détruit ; la maison de la recluse Jeanne
Bourdine, située proche du couvent, le fut également ^. L'église et le
couvent des Frères Prêcheurs de Pons, hors les murs, à l'excep-
tion d'une chapelle, étaient incendiés et détruits -^ En 1381, les
Frères n'étaient pas encore parfaitement rétablis dans la ville ^.
L'église de l'abbaye bénédictine de Font-Douce entre Saint-Jean d'An-
gély et Saintes, était à moitié tombée, et le monastère était telle-
ment ruiné et appauvri qu'en i3()0 les religieux, pour les réparer,
imploraient le secours du pape ~.
Le Poitou^ dont les églises avaient eu grandement à souffrir des
Anglais dès 134() ^, était dans une tranquillité relative à l'époque où
i. Reg. Vat. Urb. V, n» 252, fol. 1G9'', ad an. 1363, Januarii 18.
2. Ihid., n° 251, fol. 29»', ad an. 1365, Fcbr. 26.
3. Demfle, Ln désolation des écf lises en France^ I, n" 452.
4. Siippl. Urb. T', n" 40, fol, 107, ad an. 1364, April. 17 : « Si^nificat S. V. humilis
et devota vcstra Johanna Bourdine, vidua reclusa prope monasterium S. Eli^ii de
Rupella, Xanctonen. dioc, quod monasterium predictum S. Eligii et locus sue habi-
tionis, in quo penitenciam suam faciebat, fuit ad terram propter jiuerras dominorum
re^ni Francie et An^lie positi et prostrati, cjuod ipsa non potest in dicto loco habita-
tionis projeter ipsius loci destruclionem j^habitare], et cum ipsa, (jue carnes suas
macerare et vexare desiderabat, sanctum sepulcrum doniinicuiu et alia loca ultra-
marina visitare [desideret] ([uod sibi non conceditur tam })ropler inhibitionem per
S. V. generaliter factam quam etiam propter antiquitatem et corporis debilitatem,
et confessor S. V. eidem consilium dederit quod itcrum redeat ad locum conclu-
sum suum, et locus sit totaliter destructus.... [Indulgentia pro benefactoribus]. Fiat,
lî. Dat. Avinione quinto decimo kal. Maii, anno secundo ».
5. Recf. Vat. Urb. V, n" 251, fol. 207'-; 253, fol. 118, ad an. 1364, Januar. 7.
6. Reg. Vat. Cleni. VII, n" 293, fol. 128.
7. Reg. Vat. Urbani F, n" 254. fol. 57»', ad an. 1365, Mart. 15 : « Universis christi-
fidelibus, etc. salutem, etc. Ecclesiarum, etc. Cum autem sicut accepimus ecclcsia
monasterii Fontis Dulcis, O. S. B., Xanctonen. dioc, propter ji:uerras que in rep:no
Francie dudum infiruerimt, pro média parte corruerit, et ad cam reparandam faculta-
tes dicti monasterii, quod propter ji^uerras predictas multipliciter est collapsum, non
suppetant, universitatem vestram rogamus, monemus et hortamur attente, vobis in
remissionem peccaminum injungentes, quatenus de bonis a Deo vobis collatis ad
reparationem ejusdem ecclcsie vestras pias elemosinas et grata caritatis subsidia ero-
getis, ut per subventionem vestram hujusmodi ecclesia ipsa rcparari ^•aleat, vosque
per hec et alia bona que Domino inspirante feceritis ad elerna possitis felicitatis
yaudia pervenire... [Indulgentiae]. Datum Avinione non. Martii an. tertio )>.
8. Voy. ci-déssus, p. 29 suiv.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1 3o6 A i'M')i) 283
nous l'avons quitté, c'est-à-dire vers 13^)2 '; mais après 13.^)(), cette
province fut encore une autrefois infestée par les bandes anglaises -.
Dans le Bas-Poitou, les routiers surtout étaient la terreur du
pays. Donnons ici quelques détails. En 1358, plusieurs laïques
armés, faisant partie du diocèse de Luçon, entraient de force dans
Féglise et la prévôté de Saint-Jean de Montaig-u, incendiaient plu-
sieurs maisons, blessaient et chassaient les moines, occupaient et
fortifiaient la prévôté après l'avoir pillée et emprisonnaient le prévôt
dans un des châteaux A^oisins ^ pour obtenir à coup sûr de lui
une forte rançon. Bientôt, nous trouvons à la tête des routiers et
des bandes, des moines commettant des crimes plus terribles
que ceux auxquels les laïques seuls s'étaient livrés ; tant la guerre
avait déjà dépravé les mœurs et anéanti la discipline ecclésias-
1. Ci-dessus p. 68.
2. Le lecteur doit être averti qu'ArnEn, Hisl. générale du Poitou, t. IX (1893),
p. 167 suiv., se tient seulement dans les généralités, sans citer aucun fait.
3. Re(f. Val. Innocent. VI, n" 233, fol. 475, ad an. 1358, Novemb. 12 : « Venerahi-
Iil)us fratribus.. Lucionen. et.. Xanneten ac. Pictaven. episcopis salutem, etc. C.onlra
pcr\'crsorum audaciam Sane ad apostolatus nostri per\enit audiluni quod nuper
Jannetus Bonenfant, Johannes de Castro Briencii, Petrus de Faiti. Radulphus de Quoi-
(|uen, Bartholomeus Garnerii, Laurentius Garnerii, Massetus Morini, Guillolnuis
Bonnuin dictus Micoiz, Guillelnius dictus Duchesne, Robinus dictus du Bcrt,
Boucemlan dictus Chomeret, Joliannes Robini de Lermonaust dictus Ilarnete. Johan-
nes dictus Lequeu, Johannes Bouhiye, Stephanus dictus Rechinbelan, Alanus (iarini
dictus {^ornete, Janotea dictus I^epoitavin, Guillotus Oliverii, Luce nepos, laici Lucio-
nen. (Hoc, associatis sibi quampluribus aliis eorum in hac parte complicibus, diabo-
lico spiritu concitati, prepositatum conventualem S. Georgii prope Montemaculuni,
Ord. S. Ben. dicte diocesis, arniata manu hostiliter inAadentes et ipsius prcposilatus
et ecclesie sue efCractis januis illum violenter intrantes nonnuUas domos prcpositatus
ejusdem ij-nis incendio concremarunt ac... Aubertum prepositvun prcpositatus..,
capere et nonnuUos ipsius prcpositatus nionachos crudeliter verl^eribus ccderc, ac
Johanuem Luce, nionachum monasterii sancti Maxcntii, dicti Ord. Pictaven. dioc,
in sacerdotio constitutum, tune in dicto prei)ositatu consistentem, et quondain Johan-
ncm Gandea, alias dictuni Roy, laicum familiarem dicti prcpositi, sic immaniter vuhie-
rarc, cpiod Johannes Luce manus sue dextere impotens j^erpctuo remansit. et Johan-
nes (iandea predicti inl'ra paucos dies, tiuic proxime subse(iuentes, ex "vulneribus ipsis
decessit. Kl insuper prepositatum eundem nec non libros, calices, ceterac[ue orna-
menta predicte ecclesie ac pannos lineos et laneos, blada, fena, animalia et alia bona
ibidem existentia occupare, ac rapere, et consumere, dictumciue prepositum exinde
ad jjlura et diversa castra et loca successive transducere, crudeli carcere mancipiU'c,
ipsosque prepositum sic captum et prepositatum per eos fortilîcafum detinere. ausu
sacrilego, temere presumpserunt ; prout etiam adhuc ipsos pi-epositum et preposita-
tum detinere presumunt.... [Episcopi excommunicationis sententiam in perpelratores
horum fcrant eosque ad restitulionem et reparationem obligent]. Dat. Avenione ij
id. Novemb. anno sexto ».
284 LA GUERRE DE CENT ANS
tique ' . En compag'nie d'une bande recrutée en grande partie dans File
de Ré, deux moines de l'abbaye bénédictine de Saint-Michel-en-
FHerm, Jean Ami. originaire de l'île de Ré, et Guillaume Mamplet, pil-
laient la maison de Grues ~, dépendante du dit monastère et en empor-
taient le butin dans l'île. Ils occupèrent plusieurs des possessions de
l'abbaye et la dépouillèrent aussi des biens et droits qu'elle possédait
dans les îles de Loix et d'Ars^, d'où elle tirait la plus grande partie
de ses ressources. A l'instigation de Jean Ami, une bande attaqua
le monastère même , y entra après avoir incendié une porte et brisé
les autres, assaillit l'abbé et les moines qui s'étaient enfermés dans
une tour de laquelle les ennemis embrasèrent la base pour étouf-
fer ces malheureux par la fumée. Mais ceux-ci ayant réussi à
se réfugier dans une autre tour, les brigands les assiégèrent en
règle, dirigeant contre eux lances, flèches et pierres. Ils dépouil-
lèrent le monastère de ses biens meubles, consommèrent le vin,
détruisirent les lettres, chartes et autres documents, et poursui-
virent l'abbé et les moines jusqu'à ce qu'ils eussent reçu des lettres
portant le sceau de l'évèque de Luçon, par lesquelles ils étaient
acquittés et mis en possession de tout ce qu'ils avaient pillé et dérobé.
Ne se trouvant pas encore satisfaits, ils jetèrent la sainte hostie
dans un lieu introuvable, emprisonnèrent plusieurs moines et les
rançonnèrent après leur avoir fait subir de cruelles tortures ^. En
1. C'était seulement le commencement : nous verrons plus tard clans ces contrées
(les moines et abl)és assassinés par leurs conlVères. Cf. Logri^x, L'n])baye Sninle-Croix
de Talmond (La lloche-sur-Yon, 1895), j). S3 suiv.
2. Cassini (n" 132) écrit encore : Grïie.
3. Ce sont |)lutôt deux presqu'îles de l'île de Ré.
4. Reg. Aven. Innocent. VI, n° 20, fol. 702'', ad an. 1359, Januarii 13 : « Ven. fratri...
episc. Xanctonen. salutcm, etc. Juxta pastoralis officii debitum, etc. Sane lamenta-
bilis dil. fdior. abbatis et conventus monasterii S. Michaelis in Heremo, O. S. B..
Lucionen. dioc, querela nostrum graviter pulsavit auditum quod .Tohannes Amici et
Guillelmus Mamplet, monachi dicti monasterii, associatis sibi quibusdam iniquitatis
filiis tam de insula maritima dicta de Re, tue dioc, de qua insula idem Johannes Amici
oriundus existit, quam de aliis i)artibus, domum de Grua dicte Lucionen. dioc,
que de membris dicti monasterii existit, invadere ac blada, pannos, ligna, archas, et
alia utensilia ibidem existencia rapere et sccum ad dictam insulam in predam abdu-
cere et abduci facerc, ac nonnulla alia bona dicti monasterii occupare, et quod homi-
nes dicte insuie predictum monasterium bonis et juribus circa eum et etiani in insulis
de Legibus et de Ars dicte tue dioc (ubi pro majori parte fruclus, redditus et pro-
ventus dicti monasterii existunt, et sine quibus dicti.. abbas et conventus congruam
sustentationem habere et hospitalitatem tenere non possunt) spoliant et depredantur,
procurare et facere presumpserunt et presumunt. ac insuper nonnulli de dicta insula
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13-')0 A 13G0 285
13()0, une autre bande entra à main armée clans le monastère et dans
l'ég-lise, dévalisant tout et s'emparant des bestiaux K
Poitiers était entouré de bandes anglaises. Entre le 9 avril 13o7
et le 31 décembre 1358, Tune d'elles occupait et fortifiait l'abbaye
cistercienne de Valence et incendiait les églises des environs-. La
ville de Maillezais fut prise par une compagnie partie de Valence '.
Au midi, deux forts étaient occupés, Clavière et Rochemeaux ^.
de Rc... acijunctis sil)i ([uampluribus... complicibus dictocjue Joliunne ad id causani
ac opein et opcrain criicaccni dante, dicLuin monasterium hostiliter imadere ac unani
ij^nis inccndio concremai'e et nonnullas alias portas dicti monasterii fran^erc et rum-
perc dictumquc.. abbatcm et quosdam alios nionaclios dicti monasterii, qui se in
quadaiu turri ejusdeni nionastei'ii timoré inortis posuerant, inse({ui ac ad portas dicte
lurris leniini et in eo i^neni, ut fumus exinde exicns ipsos.. al)l)ateni et monachos
sullocaret ponere, ac deinde ipsos abbateni et monachos, ({ui ut manus eorundeni
perversorum évadèrent quandam aliam turrim dicti nirmasterii intraverant, in eadem
turri obsidere et contra ipsos causa vulncrandi et inlerficicndi eoscleni lanccas, sagit-
tas ac lapides et alia mitterc et projicere, et nichiloniinus vasa aurca et argentea,
pannos, culcitras, sargias, linteamina et aliabona dicti monasterii ad dictam insulam
dcducerc, lilada et Aina... consumere, litteras, cartas et alia instrumenta ad dictuni
monasterium spectantia rumpere et frangere, ipsosque.. abbatem et monachos tamdiu
in ipsa alta turri obsessos tenere, donec idem., abbas et conventus eis omnia que
de bonis dicti monasterii reccpcrant et deprcdati fuerant. i)er eorum litteras sij;illo
ven. fr. nostri.. episcopi Lucionen. signalas, ac promissionibus et stipulationibus
variis vallatas remittere etquitare, ipsorum perversorum sevitiam et ferocitatem et ne
ad pejora procédèrent formidantes compulsi fuerunt, ac insuper corpus D. X. J. C,
(juod in ([uadam capsa argentea custt)diebatur, ignominiose dejicere ita (juod postea
inveniri nequiret, n(mnullos alios ex monachis dicti monasterii capere et aliquandiu
captos detinere et ad redemptioncs pecuniarias compellere diversis pénis et tormentis
ausu sacrilego, et tam idem Johannes per se et suos complices et homines de dicta
insula de Ue nonnullas alias eisdem.. abbati et convcntui... injurias et jacturas inferre
vcriti non fuerunt. et continue non vercntur..., Snper quibus omnibus dicti.. abbas.
et conventus ad apostol. sedis remedium duxerunt humilitcr recurrendum. [Commit-
tit de restaurationc praemissorum]. l)at. Avinione id. Janiuir. anno ^'II ». Cf. liefj.
V'.-j/., n" 23i, fol. 293.
1. Re<f. Aveu. Innocent. T/, n" 2i, fol.2i9, ad an. 1360, April. 2i ; «... nuper nonnuUi
ini({uitatis lilii ..prctextu guerrarum et alias temcrc prcd. UKniasteriiun armata manu
liosLiliter in\adentes et cllVactisejus jaunis violenter intrantes ([uandam portam ecclesie
ipsius monasterii incendio concremarunt ac ipsius monasterii domos, caméras, scri-
nia et serraturas frangerc et disrumpere, cruccs. calices, sanct(»rum reli(|uias, libros,
paramenta, et ornamenta di\inis usui et cultui deputata, pri\ ilegia et litteras aposto-
licas, necnon pecuniarum sunmias, vasa argentea, jocalia, animalia, lectos, i)annos,
blada, vina, dolia, capsas, et alia supellectilia et bona mobilia ipsius monasterii vio-
lenter... rapere et in predam abducere et asportare temere |)resumpserunt et cotidie
presumere non verentur... [De excomunicatione in supradictos criminosos et auxiliuni
inferentes et reparationes damnorum]. Dat. AA'inione viii kal. Maij anno A'III ».
2. Ci-dessus, p. 184.
3. GuKiuN, Recueil des (locuinenia concernant le Poitou, III, p. xli.
A. Ibid., p. XL.
286 LA GUERRE DE CEINT ANS
Les habitants de Poitiers, menacés d'une attaque par les Anglais
de Guyenne, démolirent l'abbaye bénédictine de Saint-Gyprien •,
déjà ruinée '-. Le 6 juin L359, pour enlever aux Anglais la facilité
de se fortifier dans le prieuré bénédictin de Lig-ug-é, non loin de
Poitiers, les habitants de Smarve en abattirent le dortoir et le
réfectoire, qui étaient grands et somptueux. Malgré cela, les ennemis
survinrent et occupèrent le prieuré pendant plusieurs mois, comme le
raconte Jean Bouchet '^. Le 22 février 13o8, Innocent VI réunit les
revenus du prieuré dWuray à la mense commune de Fabbaye de
Saint- Augustin de Fontaine-le-Gomte, laquelle avait été saccagée
pendant les guerres par les ennemis qui continuaient d'exercer
leurs ravages. Sans j^arler de la ruine des l^âtiments et des terres
qui restaient sans culture, il faut mentionner que les religieux
manquaient de vivres et étaient, depuis longtemps, réduits à cher-
cher hors du couvent les choses nécessaires à leur subsistance ^. Il
résulte de la lettre du prince de Galles, datée du il mars 13()i, que
les habitants de Poitiers ont incendié et abattu l'église et plusieurs
maisons de l'al^baye, de peur que l'ennemi ne s'en emparât pour
s'y fortifier ^\ Vers le nord de Poitiers, à Vouzaille, nous trouvons
également une garnison anglaise ^. Une garnison d'Anglais encore
plus forte, qui occupait Dissay, fut assiégée en 1331) ou 13G0 par deux
vaillants capitaines : Jean de Saintré, sénéchal d'Anjou, et Bertrand
du Guesclin, qui fut fait prisonnier pendant un court laps de temps.
Enfin le château fut emporté et l)rûlé par les Français ".
Avant la paix de I^retigny, les Anglais et les compagnies avaient
pris un pied tellement considérable dans le Poitou et y occupaient
un si grand nombre de lieux importants que le roi d'Angleterre
jugea nécessaire d'y maintenir deux lieutenants : Robert de Ilerle
et Olivier de Glisson, auxquels il délégua tous ses pouvoirs le
1. Bulletin et Mêin. de lu soc. des Antiquaires de VOiiest, 2" sér., l. XX (J807),
p. 283.
2. Voy. ci-dessus, p. 30.
3. Chamaud, Saint-Mnrtin et son monastère de Liguc/é^ p, 200 suiv.
•i. Lettre du pape dans Ricdf.t, Xolice hist. sur l'ahbnye de Fontnine-le-Conxte dans
Mèni. de la soc. des antiquaires de l'Ouest., t. III (1837), p. 243 suiv.
5. Ibid., p. 24 i.
6. GuÉiux, 1. c, p. M.II.
7. LucE dans Bulletin de la soc. archéol. de Touraine, t. III (J876 , p. 4G6 suiv.
TOUTE LA FKA^CE IiNFESTÉK, l35G A 13f)0 287
11 juillet 13^)9. Alors les communications devinrent impossibles,
les marchands furent dépouillés et les habitants rançonnés. Plu-
sieurs, pour sauver leur vie, linirent par se mettre au service des
Anglais ^ .
Les garnisons anglaises du Poitou et du Berry étaient en com-
munication avec celles qui étaient établies en Touraine. Dès 13.')i-,
dans leur commune crainte des troupes anglaises, les habitants de
Tours et de Chateauneuf avaient pris le parti de réunir leurs deux
villes dans la môme enceinte '-. L'exécution de ce dessein devint
encore plus pressante après la bataille de Poitiers ; mais c'est sur-
tout en 1358 et 1359 que les bandes anglaises envahirent ces villes
et y occupèrent des églises, des monastères et des j^laces fortes. Il
sendjle qu'une partie de ces bandes y serait entrée par Loches.
Peut-être venaient-elles du Berry où les Anglais occupaient Pal-
luau et Buzançais situés vers les frontières de cette province •^. En
1358, près de Loches, ils s'emparèrent de l'abbaye bénédictine de
Beaulieu que leur reprit Enguerrand de Hesdin, capitaine de Loches ;
mais cette abbaye fut saccagée une seconde fois en 1112. Enguer-
rand leva sur le pays et les environs une rançon de 28 pipes de vin,
14 muids de grain et GOO francs d'or '\ Il est bien possible que
l'abbaye cistercienne de Beaugerais placée sur cette route et men-
tionnée en 1376 comme détruite ^, l'ait été à l'époque dont nous par-
lons. Le sort de l'abbaye cistercienne de Cormery était plus déso-
lant encore. Sous la conduite de Basquin du Poncet, une des bandes
anglo-bretonnes parut devant Cormery le 21 mars 1358. Ces bri-
gands s'emparèrent d'abord de la A^Ue, mirent tout au pillage et
renversèrent les maisons. On estime qu'ils en détruisirent à peu
près mille; il est certain que les rues n'existaient plus ^. Parmi
les habitants plusieurs furent égorgés, beaucoup furent couverts de
blessures, d'autres furent rançonnés; le reste, femmes et enfants,
fut emmené en prison au château de la Roche-Posay, les femmes
1. GuÉuix, 1. c, p. xLiii, xLi suiv.
12. (iiuAunirr, Ilist. de la ville de loiirs, I, [). 1 12 sui\'.
3. Ci-dessus, p. 251.
i. LiTCE, Du Giiesclin, p. 476.
5. Gnll. christ., XIV, p. 331.
(). lîouH.vssK, (jarliilaire de (Jornicrj/ dans Mcdi. de h soc. urchcol. de Touraine,
L. XII (ISGl), p. Lx.xix suiv. <( Mille » désigne seulement lui j;rand nombre.
288 LA GUERRE DE CENT A^•S
furent déshonorées. L'ég-lise paroissiale de Notre-Dame de Foug-e-
ray l'ut complètement dévastée. Cinq jours après, les ennemis réus-
sirent à entrer dans l'abbaye. La nef de Téglise devint une écurie
où ils placèrent leurs chevaux. Les ])iens, meubles et immeubles,
furent occupés ; sept ou huit moines furent arrêtés; les autres prirent
la fuite. On fortifia les murs du monastère cpii fut transformé en
citadelle. Pour faciliter ce travail, les ennemis renversèrent une
chapelle et d'autres bâtiments afin de se servir des pierres ^ A
Cormery pendant tout le temps que les ennemis y demeurèrent,
c'est-k-dire pendant un an et demi, le service divin fut suspendu
tant au monastère qu'à l'ég'lise paroissiale , ainsi que le disent les
moines dans leur supplique à Innocent VI.
Pendant que Basquin occupait Cormery, ses bandes détruisirent
Vantes, Aubigny et Monchenin ; puis ils se répandirent dans les
campagnes de Truyes, de Tauxigny, d'Esvres et de Louans^.
D'autres occupèrent, si elles ne l'avaient déjà fait précédemment,
Azay-sur-Gher, Langeais, les forts de Montlouis, de Ruches, des
Houdes et de Chenonceaux*^. Sous Basquin du Poncet, les Anglais
avaient aussi pris Véretz^ ; Montbazon était également aux mains
des ennemis ^ ; la ville de Tours même était menacée par ce voisi-
nage. L'occupation de Langeais surtout interceptait les communi-
cations des Tourangeaux avec l'Anjou. Le gouverneur de Tours
envoya Pierre de Combelles et plusieurs autres avec huit livres de
poudre pour mettre le feu à Azay et à Cormery ^. Azay devint la
proie des flammes; Montlouis eut le même sort^. Le 28 mars 1359,
la ville dépêcha aussi à Saumur en Anjou deux bourgeois chargés
de traiter avec Bertrand du Guesclin venu à grand renfort de gens
d'armes en Touraine pour délivrer Cormery, Langeais et d'autres
lieux. Le 26 avril suivant, l'archevêque, les chapitres et la ville de
1. BounAssi':, 1. c, et la supplique des moines adressée à Innoeent ^'I, ibid.,
p. 237 suiv. Dans son Ilisl. et moniimenls de la Touniine (1856), Bourassc n'entre
pas dans les détails.
2. lîOLRASSK, p. LXXX.
3. Voy. Luciî dans Jiiillelin de la soc. nrchéol. de Touraine, l. c, p. I6i.
i. Delaville le Koulx, lieyisires des comptes municipaux de la ville de Tou7\s, I,
(1878), n° 465.
5. Ibid., n° 438.
6. Ibid., n°» 382, 397.
7. Ibid., n^' 419 à 423.
TOUTE LA FRANCE liNFESTÉE, 1336 A 1360 289
Tours envoyaient encore une lettre à du Guesclin ^ mais les efforts
de ce vaillant restèrent sans succès. Cormery ne lut évacué que
vers la fin de 1359 et non au moyen de Tépée, mais à prix d'argent
comme Basquin du Poncet l'exigea de Fabbé Gérard réfugié à
Tours. A l'instar de plusieurs chefs de bandes-, une des conditions
que le bandit mit à son départ était que l'abbé solliciterait pour lui
et ses compagnons l'absolution de l'excommunication^.
Après une absence d'un an et demi les moines rentrèrent à Cor-
mery, mais faute d'argent les bâtiments n'étaient pas encore res-
taurés cinquante ans plus tard, puisqu'en 1411 le cloître était tou-
jours démoli, et la salle capitulaire, le dortoir, le logis abbatial
étaient demeurés en ruine ^. Langeais ne fut évacué qu'en vertu du
traité de Bretigny. Plus heureux que Bertrand, son frère Olivier du
Guesclin parvint à reprendre quelques places fortes ^. Malgré cela,
Basquin du Poncet avec ses troupes restait à Véretz et à Roche-
Posay, continuait ses pillages jusqu'à Tours et empêchait aux mar-
chands d'approvisionner la ville. C'est seulement après le 6 sep-
tembre qu'il résigna ces places ^.
A Tours, on songeait continuellement à la défense de la ville et
dans ce but on poursuivait les travaux de fortification. Dans la
nécessité où l'on était de se procurer de bonnes pierres, on utilisait
celles de l'église, des bâtiments religieux ou des propriétés. Quel-
ques-uns comme le prieuré de Saint-Augustin de Saint-Cosme
furent abattus pour que les ennemis ne puissent s'y fortifier. Les
frères de Saint-Cosme furent longtemps absents du couvent parce
que les ennemis vinrent jusqu'à leur porte. Néanmoins, le prieuré
n'était pas entièrement détruit en 1363 puisqu'on y élut un prieur^.
1. Delaville le Roulx, n°' 434, 459.
2. Voy. ci-dessus, p. 184 suiv.
3. Cartiil. de Cormery^ p. 238.
4. Carlulaire de Cormery, p. 243; Bourassé, p. lxxxii, Gall. christ., XIV, p. 255.
5. Voy. LucE, 1. c, p. 467 suiv.
6. Delaville le Roulx, 1. c, p. 179, not. 1, et E. Molimer, Étude sur la vie d^Ar-
noul d'Audrehem, p. 82 suiv.
7. Suppl. Urb. y, n° 38, fol. 189, ad an. 1363, Octob. 9 : « Sanctissimo in Christo
patri... domino Urbano... summo pontifici... devoti oratores capitulum et canonici
ecclesic vcstre bcatissimi Martini Turon. ad Rom. ccclesiam nullo medio pertinen-
lis... Cum ita sit quod vestro modico priera tu conventuali S. Cosme de Insula prope
Turones, Ord. S, Aug., menibri dicte vcstre beatissinii Martini ecclesie et ipsi eccle-
sie vcstre et nobis in spiritualibus et temporalibus immédiate subjecti, vacante
R. P, Denifle. — Desolatio eccîesiarum II. 19
290 LA GLEKRE DE CEINT ANS
Les églises qui eurent plus ou moins à souffrir de cette sorte de
dépouillement étaient Saint- Vincent, Saint-Gosme, Saint-Sauveur,
Saint-Eloy (abattue), l'église des Frères Prêcheurs, le prieuré
de Saint-Mars (aussi abattu), Saint-Michel, Saint-Lidoine K A
Tours, la peur était si grande qu'en juillet 1360, le bruit courant
que les Anglais qui occupaient l'abbaye bénédictine de Marmoutier
voulaient s'emparer par échelle de la ville, les habitants prêtèrent
l'oreille à cette rumeur '-. Or, il arriva que l'archevêque de Tours
voulait excommunier les bourgeois qui se permettraient de faire
abattre plusieurs églises, mais ceux-ci trouvèrent un appui dans
le roi Jean parce qu'il était reconnu que ces églises restant debout
pouvaient servir de retraite aux ennemis ^.
Par suite de ces perpétuelles incursions des Anglais et des rou-
tiers, les chemins étaient infestés, les communications étaient dif-
ficiles. Souvent môme les ecclésiastiques prenaient part à ces inva-
sions, à tel point que l'archevêque dut demander le pouvoir de don-
ner l'absolution à cent de ces derniers, mais il reçut seulement l'au-
torisation d'en absoudre vingt. Les monastères, les églises et les
cimetières étaient pollués ^.
h^ Anjou était depuis longtemps inquiété par les armées qui mar-
chaient en Bretagne ; les Anglais y exerçaient des ravages déjà
avant la bataille de Poitiers ^ Pour cette raison presque toutes les
abbayes, comme S. -Florent près Saumur, Gunaud, S.-Maur,
supprior et lotus conventus et alii fratres, vocatis et presentibus qui debuerunt
et potuerunt interesse, prout ad eos spectabat dicto prioratui (a quo tune ipsi erant
et perlonga tempora fuerunt exules prupter pericula, discursus et depredationes ini-
micorum regni Francie in prioratu predicto et circum circa illum vigenter insis-
tentes, et in quo nunquani fuit nec est aliquod fortalitium, et qui occasione et tem-
pestate guerraruni sevissinia pro parte niajori cxistit destructus) et necessitati misère
ejusdcm utiliter providere cupientes, licentia a nobis eligendi per eos petita et
obtenta, in religiosum et honestuni viruni fratrem Robertum de Septem Vallibus...
ac priorcni S. Anne prope Turones, meml:)ri dicti prioratus S, Cosme... vota sua
direxerunt... [Supplicant ut electio confirmeturj. — Fiat B. Dat. Avinione vij id.
Octobris anno primo ».
1. Delaville le Houlx, l. c, n»' 158, 160, 185, 417, 667, 669 à 671 (« abattre et
afî'oiblir l'église de Saint-Mars, et trier la pierre de taille et le moiron »), 678, 691.
J'omets de citer d'autres faits.
2. Ihid., n° 9i7.
3. GmAUDET, 1. c, p. 149 suiv.
4. Suppl. Urh. y, n" 39, fol. 88, ad an. 1363, Decemb. 9.
5. Voy. ci-dessus, p. 73 suiv.
TOUTE LA FRANCK IiNFfi:STÉE, 1 3o6 A 1 3()0 291
Solesme, Fontevraud, étaient fortifiées ^ En 135o, Robert Knolles
parcourait l'Anjou qui était en même temps assailli au nord, à Touest
et au midi par trois bandes. L'une d'elles s'installa dans Fabbaye cis-
tercienne de Louroux et y demeura pendant quinze ans -. Les moines
furent expulsés; les Anglais convertirent l'église et le monastère en
forteresse et de là se répandirent dans tout le pays. Seulement en
1370, par crainte de du Guesclin qui était en marche, les ennemis
déguerpirent ; les moines rentrèrent alors, mais sauf les murs, ils
trouvèrent tout dévasté, incendié et détruit '^. Encore sur la rive
droite de la Loire, une autre abbaye cistercienne, celle de Ghaloché,
se vit en 1359 abandonnée par les moines à cause des fréquentes
incursions des bandes ; les religieux se réfugiaient à Angers ^.
Une autre bande. Avenue peut-être du Poitou, menaçait les envi-
rons de Saumur, place forte appartenant aux Français. Par crainte
des ennemis, on détruisit la plus grande partie du prieuré bénédic-
tin de Distré ; les manoirs et les maisons furent incendiés par les
ennemis et les moines furent réduits à une grande détresse ■\ Ceci se
passait sans doute en 1359, à l'époque où Puy-Notre-Dame était
occupé par les Anglais qui ne Tévacuèrent qu'après le traité de
Bretigny en 1364 ^\ Sur la rive gauche de la Loire était encore
Blaison, occupé dès 1358 par des Bretons pillards qui fortifièrent
l'église ^. L'abbaye bénédictine de Bourgueil, dont l'église fut
presque détruite par les Anglais en 1361, était déjà alors exposée
1. Voy. JouDERT, Les invasions anglaises en Anjou au XIV' et au XV' siècle (1872),
p, 26 suiv.
2. C. Port, Dictionnaire hist., géogr. et hiogr. de Maine-et-Loire, I (1874), Intro-
duction, p. XVI. B. Roger, Hist. de V Anjou (1852), ne donne pas des renseignements.
JouuERT, I. c, p. 42, est ine.vact, et ne fournit pas des nouveaux détails.
3. Port, 1. c., II, p. 552.
4. Gall. christ., XIV, n" 721.
5. Suppl. Urb. V, n" 38, fol. 56, ad an. 1363, Aug. 25 : « B. P. cum ecclesia priora-
tus S. Juliani martiris de Ditreyo, Ord. S. Ben., Andegaven, dioc, fuerit pro magna
parte prc timoré, quod inimici régis et regni Francie eam fortificarent destructa, et
domus et maneria ipsius prioratus etiani pro niajori parte per dictos inimicos coni-
busta, ac rcdditus et proventus ipsius tam propter incursus eorundem inimicorum et
guerrarum inibi existentium, quam propter pesles mortalitatis sunt adeo et in tan-
tum attenuati, quod nedum ad reparationem premissorum, sed vix ad supportanda
alia onera ipsi prioratui incumbentia sufficere possunt. [De indulgen vix tiis]. Fiat.
B. Dat. Avinione viij kal. Septembris anno primo. »
6. Port, 1. c., III, p. 204; Luce, Du Guesclin, 482.
7. Luce, 1. c.
292 LA GLERKE DE CENT ANS
aux ravag-es ^ Il n'est pas étonnant que, déjà en 1358 le diocèse et
la ville d'Angers aient reçu la bulle Ad j^eprimendas contre les
brigands -.
Pendant les deux années avant l'expiration de la trêve de Bor-
deaux, la Bretagne^ si troublée jusqu'à l'an 1347 3, jouit alors d'une
certaine tranquillité, et cela se comprend facilement. Les brigands
avaient peu à prendre dans un pays que les guerres avaient ruiné ;
une foule de Bretons quittaient le sol natal pour aller en France
chercher fortune dans les compagnies de routiers. Edouard III
dit le 1*^'" mars 1358 qu'un grand nombre de ses sujets, hommes
d'armes, archers et autres, résidant en Bretagne, en sortent pour aller
guerroyer et piller en Normandie malgré sa défense expresse ^.
Mais la partie de la Bretagne qui tenait à Charles de Blois fut alors
plus que jamais éprouvée par des impôts que l'épuisement du pays
rendait encore plus lourds. Charles de Blois qui, comme nous
l'avons vu ^, avait été fait prisonnier par les Anglais en 1347, recou-
vrit provisoirement sa liberté en 1357 après avoir promis de payer
une rançon de 700.000 florins d'or, pour la garantie desquels il dut
laisser en otage ses deux lils Jean et Gu}^ ^. Charles retourna en
Bretagne'^, et déjà en 1357, il fît deux paiements de 50.000 écus
d'or chacun ^, le premier à la Saint-Jean et l'autre à la Toussaint ;
mais il était dans l'impossibilité de solder la somme colossale qui
restait encore. Innocent VI, qui s'était intéressé à l'élargissement de
Charles ^, s'employa encore auprès d'Edouard III pour obtenir une
réduction. A cet effet, le 27 août 1358, il exposa au roi d'Angle-
terre les motifs de sa demande, lesquels étaient suggérés en partie
par Charles, Eloigné de ses terres et prisonnier au milieu d'enne-
mis qu'il redoutait, le duc, dit le pape, pour recouAa^er sa liberté, a
1. Bibl. nat., ms. lat. 3 2663, fol. 295.
2. Voy. ci-dessus, p. 182.
3. Ci-dessus, p. 144 suiv.
4. Rymer, Foedera, III, p. 389.
5. Ci-dessus, a. 51.
6. Voy. le traite du 10 août 1356 dans Rymer, p. 336.
7. Pour les détails, voy. A. du la Bordehie, Études historiques bretonnes, 2^ sér.
(1888), p. 172 suiv.
8. Rymer, p. 360, 382 : 25.000 nobles chaque fois. Voy. De la Borderie, 1. c,
p. 182.
9. Il y a dans les Reg. Vat. plusieurs lettres concernant cette aflaire.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1336 A 1360 293
promis une somme beaucoup plus élevée que son patrimoine, et
bien qu'il en ait déjà payé une partie, il est incapable d'acquitter le
reste de cette dette exorbitante pour laquelle deux de ses enfants
sont en otage. Innocent VI demande donc que le roi veuille bien
réduire la somme ou reculer les termes du paiement de telle sorte
que le duc, qui est un prince très vertueux et Limousin comme le
pape, ne soit pas forcé d'aliéner déplorablement ses terres, ou de se
parjurer, ou d'encourir encore quelqu'autre peine K Et en effet, à ce
môme mois d'août, nous voyons que la triple augmentation des
impôts qui opprimaient aussi les ecclésiastiques attirait l'excom-
munication sur les exécuteurs des ordres de Charles de Blois '.
L'effet que produisit la lettre pontificale nous est inconnu, mais
1. Minute très fautive clans Beg. Vat., n° 244 K, ep. 233 : « Carissimo in Christo
filio nostro Eduardo régi Anglie illustri. Sic virtutum doniinus contemplator omnium
illustravit, fîli carissime, obumbratione sue divine gratie mentem tuam, sic illumi-
nare vidctiu' regales luos magnificos appetitus, prout letanter audivimus et famé
communis assertio multorum fidcdignorum testimonio comniunita jam deducit in
publicani notionem, tibi esse summe delectabile ac jocundum ad honorem sui nomi-
nis, quod jugitcr indefesse intendere cupias operibus pietatis omnibus, nedum uni,
per quas haberi valeas confîdenter apud Deum antedictum et homines in perpetuum
gloriosus. Ex parte siquidem dil. filii nob. viri Caroli (ms. : Ludovici) ducis Britanie
nobis extitit nuper humiliter supplicatum, ut cum pridem per tuum exercitum esset
captus et ad rcgni tui partes transmarinas adductus, jam diu captivatus, redemptio-
nem ultra vires sui patrimonii nimium excessivam propter sui corporis asse quutio-
nem pristine libertatis dicilur promississe,et aliquam illius partem eliam persol visse,
nonnullos de suis liberis innocentes in obsidionem loco sui et residui dicte fînantie
supponcndo, quamquam ad presens reperire dicatur sibi esse quasi impossibile dic-
tum residium sue prefate fînantie persolvere propter nimietatem primam quam pro-
misit ipse timoratus et captivatus inter ejus inimicos et in remotis partibus tune
detentus, super hiis celsitudini tue scribere dignaremur. In cujusmodi fînantie resi-
dui moderatione, quanta laudis preconia omnibus nationibus certioratis hujusmodi
munificentiis arridebunt. In cujusquoque fînantie resta salubri alleviatione, per quam
exterminatio vel scissura evitabitur tanti principis virtuosi, christianis ut in plurimis
{aie) plene noto memoriale spéculum pietatis et aliarum caritatis operum lîosteris
transmissurum dcscribcre magnum esset. Quocirca regiam serenitatem tuam requiri-
mus et hortamur iUam in Domino attentius deprecantes, quatenus premissis in scri-
nii tui regio pectoralis débita consideratione pensatis ob nostri et apostolice sedis
reverentiam harumque precum cordialium interventu aliquam quotam reste fînantie
memorate eidem duci, cui affîcimur velut illi de cujus Lemovicensibus partibus traxi-
mus ortum nostrum, moderari juxta sui facultatum suj^petcntias jubeas vel remitti,
aut sic propitiabiles eidem ad solvendum terminos novos dare, quod absque aliena-
tione turpissima terre sue et perjurii reatu ac alia quaque pena fîdeliter valeat
adimplere Deo propitio que promisit tibique a divina nostri clementia plasmatoris
repromittatur gloria perempnis onmium eternorum, Dat. Avinione Yl kal. Scptem-
bris anno sexto ».
2. De la BoimERiE, p. 182.
294 LA PtUErre de ce>t ans
nous savons que le duc continua à chercher de l'argent et que les
100.000 florins qu'il envoya en iVngleterre pour le troisième pave-
ment de sa rançon furent engloutis dans la Manche par une tem-
pête^. Le pauvre prince fut obligé de recommencer '-.
Malgré la tranquillité dont il est parlé ci-dessus, il restait tou-
jours en Bretagne quelques bandes de routiers, et les hostilités
proprement dites y recommencèrent à la fin de la trêve. Ce fut une
petite guerre dans laquelle l'avantage resta tantôt au parti de Blois,
tantôt aux Anglais, surtout dans le Léon ^. Parmi les abbayes alors
occupées était celle des Bénédictins de Saint-Méen, du diocèse de
Saint-Malo, d'où, en 1359, Du Guesclin ^ s'élança furieux contre les
Anglais qui, en grand nombre, attaquaient la ville, les mit en fuite
après leur avoir repris les prisonniers français, tandis que le capi-
taine anglais de Ploërmel, Richard Grenacre, devenait son prison-
nier •''. Déjà avant, en 1358, les diocèses et les villes de Saint-Malo
et de Rennes reçurent d'Innocent VI la bulle Ad reprimendas contre
les bandes qui dévastaient ces régions, les églises et monastères ^.
Une bulle semblable du !(> février 1359 nous apprend que l'abbaye
bénédictine de Saint-Sauveur de Redon, du diocèse de Vannes, fut
également dévastée par les routiers "' . C'est sous l'abbé Jean de
Tréal que les bandes pillèrent l'église, dérobèrent à la sacristie
l'argenterie, enlevèrent les meubles de l'abbaye, chassèrent les
moines, se saisirent de la personne de l'abbé et de celle de quelques
autres religieux ; elles s'emparèrent des terres et possessions de
l'abbaye, chassèrent les fermiers, ravirent tout ce qu'elles trou-
vèrent et se permirent toutes les insolences qu'on peut imaginer ^.
1. Fouéré-Macé, Le prieuré royal de S. Maglnire de Lehon (Rennes, 1892), p. 76,
place ce fait avant 1350.
2. De la BoKDF.iuK, p. 183.
3. Pour les détails, voy. ibid., p. 181 suiv.
4. Du Guesclin, le fidèle serviteur de Charles de Blois, fut fait chevalier vers juillet
1357, et c'est peut-être Charles de Blois même qui ceijïnit de l'épëe le futur connétable
de Charles V. Lemoine dans Bibl. de i École des chartes, t. LVI, p. 88.
5. LuoE, Du Guesclin, p. 313 suiv.
6. Voy. ci-dessus, p. 182. La bulle est de même teneur que celle adressée à
Autun, ci-dessus, p. 24".
7. Ibid.. p. 183. La teneur de la bulle est comme celle rapportée ci-dessus, p. 183,
note 1.
8. Coinsox, (^arluhtire de rn})h:n/e de Bedon (1863^, p. i.vi.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 4356 A 1360 29»^
Je termine ce ta])leau de l'état de la France à la veille du traité
de Bretigny par la Normandie^ nous retournerons aux Ang-lo- j
Navarrais que nous avons laissés dans les provinces situées autour
de Paris. On peut imaginer dans quelle condition se trouvait cette
vaste province, en songeant que dès 13i6 elle avait été déjà plu-
sieurs fois envahie par les armées d'Edouard III et du duc de Lan-
caster, et que durant les années qui précédèrent le traité de Breti-
gny, les Anglais et les Navarrais en étaient maîtres d'une grande
partie. Cette situation était d'autant plus dangereuse pour les Fran
çais, les paysans et les monastères en particulier, que dans la
haute Normandie, la ville de Rouen était la seule place fermée et
capable de tenir tête à l'ennemi ^, que la Basse-Normandie avait
continuellement sur le dos, puisque, dès 1356, le Cotentin était au
pouvoir des partisans du roi de Navarre et des Anglais-. A tout
cela s'ajoutaient les factions, les divisions intestines et les aspi-
rations de Charles le Mauvais, à ([ui appartenait presqu'un tiers de
cette province.
La ville de Rouen d'abord très agitée se calma jusqu'au moment
où elle se battit pour le régent. La commune luttait depuis long-
temps avec violence contre les corporations religieuses comme
Saint-Ouen et Fécamp^'. En 1358, elle se proposa de démolir le
prieuré bénédictin de Saint-Gervais dépendant de l'abbaye bénédic-
tine de Fécamp, alléguant qu'il pouvait servir d'asile aux ennemis
dont on redoutait toujours l'attaque. Mais ce n'était qu'un prétexte
et le prieur l'avait bien compris lorsqu'il implorait à ce sujet l'inter-
vention d'Innocent VI. Le 7 mai 1358, le pape essayait de calmer
la commune et la priait de respecter un bien que les guerres avaient
jusque-là laissé intact; le 9 mai, il écrit dans le même sens au dau-
phin, au roi de Navarre et à quelques hauts personnages de
Rouen ^, mais ce fut sans succès. Les bourgeois détruisirent le
1. Voy. Chkuuel, Hist. de Rouen pendnnt l'éprxiue commnnnle. II. p. 222.
2. Cf. ci-dessus, p. 111, lii.
3. CinhirF.L, 1. c, p. 120 suiv.. 136 suiv.
4. Minute clans les Reg. Vat. n" 2 44 K, ep. IGfi. Le coninicnccment manque. Mais la
lettre est bien écrite à là commune de Rouen : « Beniji^nilas .. sane nuper ad nostri
audienliain per dil. fdiuni Amelium Miloncni, pi'iorem j^rioratus saiicli (îervasii
juxta Rothomaj^uni, a monaslirio FiscanniMi. ad nos abscpie niedio pertinente O. S.
H. Rothomaf:en. dioc. dependente, cuni tletihus et suspiriis est perductuni, quod non-
296 LA GUERRE DE CENT ANS
monastère de fond en comble i. C'est seulement en 1361 que
Charles, duc de Normandie, jDrêta son appui pour relever les bâti-
ments -. La population rouennaise était aussi irritée contre plusieurs
seigneurs féodaux. Elle attaqua le château de Jean de Biville et le
brûla avec tout ce qu'il renfermait ^. De plus, Rouen avait dange-
reusement pris parti pour le roi de Navarre et les Parisiens ^, mais
après l'avoftement du complot à Paris, les habitants s'empres-
sèrent de traiter avec le régent. Dès septembre 1358, la réconcilia-
tion était complète et leurs deux causes n'en faisaient plus qu'une ^.
Néanmoins, la situation devenait critique par suite des conti-
nuelles incursions des Anglais et des Navarrais, et par le voisinage
de leurs partisans. Non contents de ravager le pays, les Navarrais
interceptaient aussi la navigation de la Seine et entravaient le com-
merce de Rouen, car Mantes et Meulan étaient en leur pouvoir 6.
nuUi (qui si ad illum, prout ipsos habere decei'et, haberent respectum, in cujus manus
potentatum omnium potestatcs persistunt... studerent forsitan plusquam faciant
complacere, non solum ecclcsias, prioratus, pia loca, eL proximum non ofï'enderet...)
nichilominus tamen prioratum de sancLo Gervasio memoratum locum pium... divine
cultui citra memoriam dedicatum ab antiquis parentibus constructum, fundatum suis
propriis substantiis et dotatuni, nituntur et satagunt ex diversis hujusmodi guerra-
rum Deo et mundo ac nobis summe displicibilium facere demoliri in nervi discipline
ecclesiastice ruptionem et dicti sacri loci subversionem ac Ordinismemorati irrestau-
rabilem lesionem atque cleri totius dispendium et jacturam. Super quo dictus prior
instantius supplicavit sibi et dicto prioratui de oportuno remedio provideri. Nos igi-
tur... universitatem vestram rogamus,., quatenus... memoratum prioratum cum sibi
adherentibus offîcinis ; qui hactenus [per] guerrarum ingruentias non extitit dcmoli-
tus, manutenere et illibatum propitiabilius observare absque demolitione qua-
cunque... Datum Avinione nonis Maii anno sexto ». Ensuite on trouve les autres
adresses : Dil. fil. nob viro Karolo duci Normanie... « Benignitas », etc. usque « gene-
retur », etc. Dat. Avinione vij idus Maii anno VI. In eod. modo cariss° in Christo
fil. Karolo régi Navarre illustri... In eod. modo dil. fil. nob. viro Jacobo Lelier domi-
cello majori Rothomagen... Datum ut supra. In eod. modo dil. fil. Guillelmo Richier,
bailivo Rothomagen... In eod. modo dil. fil. nob. viro Johanni Le Bondiem militi,
domino de Lense, capitaneo Rothomagen. »
1. Ghéruel, 1. c, p. 199. Les autres églises de Rouen étaient moins molestées. Cf.
par exemple Glanville, Hist. du prieuré de Saint-Lô de Rouen (1890), I, p. 195 suiv.
2. Chéhuel, 1. c.,p. 206. Voy. (Du PLEssis),La //aufe A^ormandte (1740), II, p. 117 suiv.
3. Ghéruel, p. 200.
4. Voy. ci-dessus p. 154 suiv., 158.
5. Ghéruel, p. 202 à 204.
6. Jean de Venette, p. 276; Froissart, p. 162, et ci-dessus, p. 219. Jean de
Venette dit encore qu'aussi Vernon fut fortifié par Charles le Mauvais. Voy. Frois-
SART, 1. c. Mais il semble que Vernon n'appartenait pas au roi de Navarre; cette ville
était au pouvoir du roi de France. Voy. E. Meyer, Hist. de la ville de Vernon (Aux
Andelys 1877), I, p. 150.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13S6 A 1360 297
Cependant les habitants de Rouen poursuivaient les ennemis avec
acharnement. Si les communications entre Rouen et Paris furent
plus tard rétablies, on le dut à l'énergie des bourgeois de Rouen i.
Mais la ville de Rouen étant fortifiée, les ennemis ne pouvaient
s'en emparer. Le sort des autres lieux était bien différent. Après
que l'abbaye bénédictine de Jumièges chargée d'impositions
à cause de la guerre, eût vu, en 1358, presque tous les biens
qu'elle possédait du côté de Mantes et de Meulan ravagés par les
Navarrais, elle fut elle-même surprise et envahie la même année par
un parti de huit cents hommes qui la pillèrent pendant six jours
entiers : les moines furent à peu près réduits à la dernière misère.
Plusieurs d'entre eux abandonnèrent le monastère et l'abbé se
retira à Rouen dans leur hôtel Saint-Philibert de la rue de la
Poterne. L'abbaye demeura un certain temps presque déserte,
quelques jeunes religieux seulement restaient encore. La culture de
leurs terres fut ensuite tellement négligée que le nécessaire même fît
défaut 2. Les environs du monastère bénédictin du Bec, depuis long-
temps en disette •'^, étaient toujours infestés par les ennemis. De peur
qu'ils ne fissent de ce monastère une place de défense, Louis d'Har-
court, lieutenant du roi Jean en Normandie, envoya, en 1359, l'ordre
de démolir l'église abbatiale qu'un incendie avait détruite en 1264
et qui avait été relevée, achevée et consacrée seulement en 1342 ^.
Heureusement, cette mesure ne fut pas exécutée ; mais on entoura
l'abbaye d'un retranchement et d'une muraille pour que les ennemis
ne pussent s'en rendre maîtres. Trois côtés du cloître et une partie
du dortoir qui étaient contigus au chapitre furent rasés : les moines
étaient obligés de prendre leur repos soit dans les chapelles, soit
dans l'église déjà remplie d'une foule de choses que les habitants du
voisinage venaient y abriter. Les revenus du monastère furent
employés à entretenir une garnison de gens d'armes '. La sacristie
1. Jean de Venette, p, 330.
2. Hist. de Vahbaye de Sainl-Pierre de Jumièges, par un rel. bénédictin, pul^l. par
J. LoTH (1884), II, p. 95, 97 suiv., 99. Cf. Deshayes, Ilisl. de labbaye de Jumièges
(1829), p. 85 suiv. Les moines furent encore plusieurs fois obligés de quitter leur
monastère. Voy. Demfi.e, La désolation des églises, I, n° 1050.
3. Voy. ci-dessus, p. 39.
4. BouRGET, Hist. de Vabbaye du Bec^ dans Mém. de la soc. des antiquaires de Nor-
mandie, t. XII, p. 378, 38J.
5. MoNSTiER, Neustria pia, p. 467, d'après les sources citées en marge : « Ludovi-
298 LA GUERRE DE CENT ANS
tenait lieu de chapitre qui était lui-même transformé en moulin,
four et grenier K A tous ces dommages, désordres et frais énormes
s'ajoutaient les pillages, les rançons, Tincendie et le ravage des
meilleures granges de l'abbaye. En 1363, le monastère était telle-
ment appauvri et réduit à une si grande misère qu'il se contenta de
l'incorporation d'une paroisse pour améliorer un peu sa situation ~.
L'abbaye bénédictine de Saint-Georges de Boscherville -^ était,
comme le Bec, occupée par les Français. L'abbaye des Prémontrés
de Séry-au-Prés qui, tout en faisant partie du diocèse d'Amiens,
était située juste à la frontière de la haute Normandie, n'était pas
moins exposée et troublée en 1358 et 1359 parce qu'elle était voi-
sine de Blangy, ville normande où se tenaient les Anglais ; bientôt
eus de Haricuria, Normaniae gubernator j^eneralis, jussit, nomine régis, ut ecclesia
abbatialis Beccensis, quae nuper dedicata erat, penitus everteretur, aut saltem agge-
ribus muniretur, in patriae tuitionem. Quapropter oportuit eam munire cum capi-
tule adjacenti, et capellas circa chorum et alias aperturas lapidibus obstruere :
ipsumqvie capitulum cum turribus, propugnaculis circundare, propter quod oportuit
demoliri quandam partem dormitorii, et tria latera claustri ; oportuit etiam religiosos
dimittere dormitoriuni et eos partim pausare infra ecclesiam supra revestiarium,
caeteros, scil. officiarios et seniores, in capellis extra chorum; et ipsa ecclesia omnino
occupata fuit tuguriis et rébus ibi repositis ad conservandum ab omnibus vicinis, in-
super et de redditibus monasterii fiebat solutio stipendiorum militarium ; quae omnia
maximum damnum monasterio attulerunt ». Bouroet, 1. c, p. 381, s'est servi des
mêmes sources, ou seulement de Monstier. Tous deux ont placé cet événement à l'an
1356. Mais c'est seulement le 28 mars 1359, que Louis d'IIarcourt fut nommé lieute-
tenant pour le roi dans les bailliages de Rouen, Caux, Caen et en Cotentin. Skcousse,
Hisl. de Charles le Mauvais, Preuves, p. 134 suiv. Peut-être que l'abbé Robert de
Rôtes a commencé de fortifier l'abbaye avant que Louis d'Harcourt ne fût lieutenant.
Sur les remparts de l'enceinte, j)lus tard formidables, voy. Mém. et notes de
M. Auguste le Prévost pour servir h l'hist. du départ de VEure, éd. Delisle et
L. Passy (1862 suiv.), I, p. 230.
1. BOURGET, 1. c, p. 382.
2. Suppl. Urb. y, n° 38, fol. 198'', ad an. 1363, Octob. 18 : « Significant S. V. devoti
oratores vestri abbas et conventus monasterii Beccen. O. S. B., Rothomag. dioc, quod
ipsi sunt propter guerras in partibus Normannie vigentes, et ({ue longo tempore
viguerunt, tam depauperati quod vix possunt vitam suam de presenti sustinere;
quare compulsi fuerunt facere fortalitium in suo monasterio suis propriis expensis,
et inibi tenere homines armatos ad eorum stipendia, et cum hoc rancionati, depredati
et in meliori parte grangiarum et maneriorum combusti. Quare supplicant E. V. qua-
tenus ad sublevationem premissorum parrochialem ecclesiam sancti Pétri de Monte-
forti cum capella béate Marie sita in cimiterio dicte ecclesie predicte dioc. ... ad
mensam abbatis et conventus predictorum... annectere dignemini. — Fiat ad octo
annos. B. Dat. Avinione xv kal. Novembris aono primo.
3. Seine-Inférieure. Mal placé par Lucr, Du Guesclin, p. 473, dans le départ, de
l'Eure. Devu.le, Essai hisi. et descriptif sur Véglise et Vabhaye Saint-Georges, etc.
(1827), p. 44, ne donne pas de renseignements sur ce sujet.
TOUTE LA FFUNCE INFESTÉE, 13^6 A 1360 299
l'abbaye même fut occupée par les Français lorsque ceux-ci assail-
lirent les Ang-lais à Blang-y K
Évreux fut pris par les Français en 135(). Nous avons déjà parlé
du désastre qui fondit sur cette ville et sur les établissements ecclé-
siastiques -. L'évêque vint se réfug-ier à Vernon avec son chapitre,
et y célébra pendant un an l'ofTice divin dans l'église Notre-Dame 3.
Avant le mois de septembre 1338, Evreux avec le château tomba
une autre fois au pouvoir des Navarrais par trahison ^ et leur resta
jusqu'en 1364. Dans cette même année de 1358 ou dans celle qui suivit
plusieurs autres places ou lieux furent pris par les ennemis dans le
diocèse d'Evreux \ L'abbaye bénédictine de Couches fut pillée et
incendiée par les Anglais en 1357 ^\ Beaucoup de villes furent
comme Evreux prises et reprises, et c'était leur ruine lors même
qu'elles retombaient au pouvoir des Français ; car, soit que ces derniers
entrassent dans une ville en vainqueurs ou qu'ils en fussent chassés
par l'ennemi, ils se livraient au pillage et à la dévastation aussi
bien que les Anglais et les Navarrais. Et avec quelle activité des
bandes anglaises, navarraises et françaises couraient entre Evreux,
Lisieux, Rouen, Pont-Audemer et Honfleur! Dès 13o6, ces expé-
ditions s'étaient multipliées à un tel point que les chroniqueurs n'en
auraient pu suivre les traces ~.
Non loin de Pont-Audemer, qui appartenait déjà au diocèse de
Lisieux, était l'abbaye bénédictine de Notre-Dame-de-Préaux,
laquelle avec ses murailles et ses tours fut entièrement détruite
vers 1 358 ; les flammes consumèrent tout le mobilier, et les moines
furent dispersés 8. L'abbaye bénédictine de Gormeilles entre Lisieux
et Pont-Audemer ne fut pas prise par les Anglais seulement dès
1. Chron. des quatre premiers Vnlois, p. 101, 103 suiv.
2. Voy. ci-dessus, p. 111,
3. Gull. christ., XI, p. 597 , E. Meykr, Hist. de la ville de Vernon, I, p. 150,
4. LiJCF dans Fuoissaht, p, xxiii, not, 2, Lf Brasseur, Hist. du comté d Évreux,
p. 2iS, en suivant Froissart, place mal la reprise dÉvreux à l'an 1356 ou 1357,
5. Voy. LucE, Du Guesclin, p, 472 suiv,
G, Gall. christ., XI. 63S. 641 : .l/em. et notes de M. Auguste le Prévost, etc., I,
p. 526.
7, Voy. A, Caxki., Hist. de la ville de Pont-Audemer (Pont-Audemer. 1885) I,
p, 76. La condition pénible de ces contrées est décrite dans Chron. normande de
P. Cochon, éd. Beauuepaire, p, 102,
8, La Roque, Hist. de la maison d'Harcourt (1662\ t. III, p, 20, d'après une chro-
nique du monastère, Cf, encore Chron. des quatre pî'emiers Valois, p. 108,
300 LA GUERRE DE CENT ANS
1362 ^; ceux-ci l'occupaient en grand nombre même avant le traité
de Bretigny -. En 1362 ce ne fut qu'un nouvel envahissement à la
suite duquel cette abbaye fut complètement dévastée et détruite.
La disparition des moines eut jDrobablement lieu auparavant 3, et ce
n'est qu'après 1374 qu'ils fortifièrent le monastère. Au Sud-Ouest
nous trouvons la ville de Bernay , assiégée et prise en 1 3S7 par Charles
le Mauvais, dont les troupes occupèrent et fortifièrent l'abbaye
bénédictine qui y était située. L'église paroissiale de Sainte-Croix
fut entièrement détruite pendant le siège ^. La partie méridionale
de Lisieux n'était pas plus fortunée. Nous avons vu '^ que dès le
commencement de la guerre, l'abbaye bénédictine de Saint-Evroult
avait perdu les revenus qu'elle tirait d'Angleterre; en 1357, elle
tomba dans un état désastreux. Le monastère et les manoirs furent
brûlés et détruits; les moines, alors au nombre de quarante, et tous
les sujets, fermiers et autres qui étaient redevables au couvent,
s'enfuirent dans les villes fortifiées; puis, en 1361, une épidémie
survint. La misère augmentant toujours, en 1367 le couvent fut
réduit à la dernière extrémité ^. A quoi avait-il servi qu'Edouard III
1. Voy. Delisle, JTis^. du château et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte, p. 125;
LucE, Du Guesclin, p. 361, 472.
2. Cela résulte de la lettre de rémission du mois d'octobre 1375, publiée par Canel,
Lettres sur Vhist. de Normandie (Pont-Audemcr 1835), p. 100 suiv. ; Hist. de la ville
de Pont-Audemer^ p. 76 suiv. Les deux périodes, avant et « après la paix du roy de
France et du roy de Navarre et des An^iois », y sont nettement distinguées. A coup
sûr les Anglais, après le traité, quittèrent labbaye un moment pour la prendre une
autre fois en 1362, ce qui résulte de la lettre publiée dans la note suivante.
3. Suppl. Urb. V, n° 35, fol. 101, ad an. 1363, Januarii 18 : « Supplicant S. V. et
exponunt vestri humiles et devoti pauperes oratores abbas et conventus monasterii
B. Marie de Cormeliis, Ord. S. Ben., Lexovien. dioc, de novo per societatem depre-
datorum regni Francie totaliter deslructi ac cum pertinentiis redditibus et juribus
devastati, ut inibi possit aliquod edificium rcfundari religiosique, modo dispersi,
congregari simul servituri Jesu Christo..., sicut prius in dicto monasterio fuerat con-
suetum, [de indulgentiis]. Dat. Avinione xv kl. Febr. anno primo ».
4. Mém. et notes de M. Auguste le Prévost, I, p. 299 ; A. Goujon, Hist. de Bernay
et de son canton (1875), p. 139. D'un autre côté on lit dans la Chron. des quatre pre-
miers Valois, p. 88, que Philippe de Navarre a pris la ville et l'abbaye de Bernay
après le 1" août 1358. Ce n'est pas exact ; la ville était déjà auparavant prise par les
Navarrais.
5. Voy. ci-dessus, p. 74.
6. Reg. Vat. Urb. V, n° 256, fol. 25, ad an. 1367, Januar. 14 : « Universis Christi
fidelibus, etc. Ecclesiarum et monasteriorum, etc. Cum itaque sicut accepimus
monasterium Ebrulphi, Ord. S. Ben., Lexovien. dioc, et maneria ad ipsum
monasterium spectantia, jam sunt decem anni elapsi, occasione guerrarum que in
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 A 1360 301
ait mis ce pauvre monastère sous sa sauvegarde le 1''^' mai 1338 i?
La ville de Lisieux dont les habitants avaient, en 1356, à l'approche
du duc de Lancaster, abandonné leurs maisons bourg-eoises et
s'étaient réfugiés dans des baraques au pied du mur de la forte-
resse-, cherchait à s'assurer contre les incursions ; en 1357, l'évêque
Guitard fit réparer les murailles qui entouraient la ville ^.
A mesure qu'on avance vers l'ouest, la situation devient de plus
en plus déplorable. L'Anglais Jean Standon occupait la Ferté-Fres-
nel de 1358 à 1360; Domfront, Messei et d'autres places fortes
étaient déjà dès 1356 au pouvoir des Anglais. En 1357, une garnison
ennemie s'emparait du château de Mortagne du diocèse de Séez ^.
L'église collégiale de Toussaints fut grandement appauvrie et enfin
ruinée -^ Je parlerai au chapitre V de l'abbaye bénédictine de Saint-
Martin de Séez, car quoiqu'elle fût déjà avant 1360 occupée par les
Anglais, c'est seulement en 1362 qu'arriva le désastre. Non loin de là
était l'abbaye des Prémontrés de Silli-en-Goulfern occupée par les
Anglais de 1359 à 1364, les religieux durent quitter le monastère
comme il arrivait toujours en pareil cas. Pendant ce temps, le siège
fut mis devant cette place par les Français ^', l'abbaye fut détruite
avec ses dépendances ; ses ornements et ses biens furent spoliés au
point que le 24 février 1364 les religieux dénués de tout n'étaient
illis partibus pcr dictum tcmpus et ultra viguerunt penitus fuerint et sint combusta
et destructa, ac deindc abbas, qui tune crat, et dil. fdii nionachi ipsius monasterii,
qui tune ilîideui fjuadraginta numéro existebant, ncc non omnes tam censuales et
fcudatarii quam alii subditidicti monasterii (cui per coscensus annui del^el^antur, ex
quibus predicti abbas et monachi sustentabantur) ad alia loca et fortalitia fugie-
runt, tantaque damna proptcr hujusmodi gucrras et mortalitates ultimo preteritam
in posscssionibus, iVuctibus, l'cdditilîus ejusdem monasterii sustinuerunt, quod
monasterium ipsum, in quo sicut asseritur intercessionibus dicti sancti multa (iebant
miracula, ac pietatis et misericordie opéra exercebantur, absquc fidelium elemosinis
reparari non potcst... [De indulgentiis et eleemosynisj. Dat. apud Montempessula-
num, Magalonen. dioc., xviiij kal. Februarii anno quinto. » Ce n'est donc pas
seulement en 1362, comme aflîrnie Luce, Du Guesclin, p. 360, que Tabbaye fut mise
à sac.
1. Rymer, Foedera^ III, p. 391.
2. De la Rue, I\'oiiveaux essais hist. siu^ la ville de Caeii et de son arrondissement
(Caen 1842), II, p. 218.
3. L. DU Bois, Hist. de Lisieux (1845), I, p. 125.
4. Luce, 1. c, p. 280, 494, 495.
5. Reg. Val. Grecjor. XI, n° 282, fol. 46, ad an. 1371, Maii 22. L'église était encore
dans le môme état en 1448. Voy. Demkle, La désola lion des églises, I, n" 240.
6. Daprès la Chron. norni., p. 157, entre 1360 et 1363.
302 LA GUERRE DE CENT ANS
pas encore rentrés en possession de leur terrain ^ . Ce n'est que plus de
vingt ans après, en 1386, qu'on commença à rebâtir Tég-lise et le
monastère '^. Le prieuré de Notre-Dame de Bon-Repos •' qui était une
des dépendances de cette abbave fut également détruit de fond en
comble par les ennemis ^. Le bois de Gouffern qui s'étendait jadis
depuis Falaise jusqu'au delà d'Argentan et de Silli ^ était un récep-
tacle fameux de troupes ennemies. Dans Gouffern étaient encore
situées les abbayes de Saint-André en Gouffern et de Sainte-Mar-
guerite-Vignats de Gouffern. La première, de l'ordre de Citeaux,
fut occupée et fortifiée par les Français, mais les moines n'eurent
pas pour cela un meilleur sort. Quant à la seconde, nous savons*^
que par suite des guerres elle était déjà dans un triste état en 13o5.
Bientôt le désastre vint aussi s'abattre sur l'abbaye des Prémontrés
de Saint- Jean de Falaise. En 1350, les Anglais qui venaient
du Cotentin s'avancèrent jusqu'à Falaise. Ils prirent la forteresse
de Neuvy dont le seigneur Jean de Long fut fait prisonnier; l'église
et les maisons furent brûlées. Ils s'emparèrent également du
prieuré de Royal-Pré et convertirent l'église en citadelle ^. Les
Français les en chassèrent dès 1357, mais ils abattirent l'église
alin qu'elle ne servît plus de forteresse aux ennemis ^. La même
1. Suppl. Urh. V, n" 39, fol. 240, ad an. 1364, Februarii 24 : << Significant S. Y. humi-
les et devoti oratores vestri abbas et conventus monasterii B. Marie de Siley, Ord.
Premonstraten., Sagien. dioc., quod non ipsorum culpa aut negli^entia dictum
monasterium et ejus mcmbra sunt adeo destructa et combusta pcr inimicos régis et
regni Francie, quorum aliqui dictum monasterium occuparunt et occupant, ac etiam
ornamenta ccclesiastica et omnia alia bona ibidem existcntia depredaverint et sibi
appropriaverint, ita quod dicti religiosi sunt omnino dissipati et denudati nec ad dic-
tum monasterium dictis inimicis ibidem existentibus habitare ausi sunt, et eo tune
vacabundi extiterint dictumque monasterium reedificare neque illud in bonis hujus-
modi restaurare non possunt sine sulï'ragio et gratia apostolice sanctitatis. [De indul-
gentiis]. Dat. Avinione vij kal. Martii anno secundo ». Voy. Recf. Val.^ n° 254, fol.
263.
2. Gall. christ., XI, p. 759.
3. <i Prioratus B. Marie de Requie », place par Cassini, n" 62, entre Fourches et Merri.
4. Supplique du prieur Jean Garin dans Suppl. Urh. \\ n" 40, fol. 6''; /îef/. Vaf.,
n" 251, fol. 277, ad an. 1364, Febr. 26.
5. Voy. Lanoevin, Recherches hist. sur Falaise (Falaise 1814), p. 120.
6. Voy. ci-dessus, p. 76.
7. De la Rue, Nouveaux essais hist. sur la ville de Caen et son arrondissement,
II, p. 216. Cet ouvrage est plein de faits tires des actes authentiques, qui, malheu-
reusement ne sont pas cités. L'ouvrage n'a paru qu'après la mort de l'éminent auteur.
8. Ibid., p, 221.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 A 1360 303
année, OU déjà en 1356, l'abbaye de Saint-Jean avec toutes ses mai-
sons fut tellement détruite par les Anglais que les religieux n'y
trouvant plus ni logement ni vivres erraient dans tout le pays ; plu-
sieurs furent emprisonnés par les ennemis K L'abbaye bénédictine
de Saint-Pierre-sur-Dives vit au moins ses terres occupées et dévas-
tées par les ennemis ~.
Là nous entrons dans une partie de la Normandie qui fut plus
qu'aucune autre longtemps dévastée par les guerres. Elle forme
actuellement les départements dvi Calvados et de la Manche et com-
prenait alors les diocèses de Bayeux, Goutances et Avranches. Nous
nous occuperons d'abord du diocèse de Bayeux. La misère s'y
aggrava lorsqu'en 1356 le duc de Lancaster traversa le pays avec
une double armée d'Anglais et Navarrais '^ qui commirent d'in-
croyables excès. Ces bandes ne se contentaient pas d'assiéger les
villes; elles s'emparaient des bourgs, surtout des places isolées au
milieu des campagnes, s'y fixaient, vivaient, en les pillant, aux
dépens des communes environnantes et tuaient ceux qui voulaient
résister. Elles voulaient affamer le pays. Les habitants des paroisses
de Verson, Mouen, Baron, Tourville, Mondrainville, Grainville,
Noyers, Lasson et de beaucoup d'autres lieux abandonnaient leurs
demeures et n'y reparaissaient souvent qu'après quinze ou seize ans.
Les curés s'enfuyaient parce que l'ennemi avait pillé les églises et que
les paroisses étaient désertes. Ainsi il n'y avait plus ni hommes,
ni bétail et la culture était impossible. 11 a été constaté qu'à Saint-
Jean-des-Essartiers, les habitants ayant été faits prisonniers ou
1. Snppl. Innocent. VI, n" 29, fol. 94'", ad an. 1338, Martii 20 : « Supplicant S. V...
abbas et conventus vestri destructi nionasterii S. Johannis prope Falesiam Premons-
trat. Ord. Sa^ien. dioc, quod cuni dictum rnonasterium domus et officine ejusdem
propter ^uei ras luerint adeo destructe quod il)idem aliquod habitaculuni non reman-
sit, in quo dictus conventus, etiani propter defectum victualium, valeat conversare,
ymnio oportuit quod pi-opter necessitatem et penuriam vacabundi per patriam ince-
dant,.. alii vero in carceribus Anglicoi'um captivi et miseri detinentur [De indulgen-
tiis cum elceniosynis]. — Fiat de uno anno et XL diebus. G. — Sine alia lectione et
gratis pro Deo — Fiat. G. Dat. Avinione .\iij kaL Aprilis an. VI ». Voy. Reff. Vat.,
n" 233, foL 48L Luce, Du Guesclin, p. 467, place l'occupation de cette abbaye par
l'ennenii au mois d'août 1358. Mais au mois de mars elle était déjà détruite, et la date
des événements est toujours au moins de quelques mois antérieure à la date des sup-
pliques ou des bulles. C'est en J357, sinon en 1356, que l'abbaye fut prise par les
Anglais.
2. Gall. christ., XI, p. 729.
3. Voy. ci-dessus, p. 109 suiv.
304 LA GUERRE DE CENT ANS
s'étant enfuis, les terres ne furent plus labourées de 1356 à 1368, c'est-
à-dire pendant douze ans K Ruinés par la guerre, les contributions
extraordinaires, la cherté universelle des vivres et l'interruption
du commerce, les monastères gémissaient sous le poids des mêmes
misères.
Les abbaj^es et leurs dépendances étaient occupées tantôt par les
ennemis, tantôt par les Français. Dans tous les cas les religieux
étaient obligés de prendre la fuite ou d'interrompre le culte
divin. Dès 1357, l'abbaye des chanoines réguliers du Val fut prise
par l'ennemi et évacuée seulement en 1359 ^. L'hôpital de la ville de
Thury fut brûlé et presque détruit 3. En 1386, les Prémontrés de
l'abbaye d'Ardennes près de Caen disent à Clément VII que leur
monastère avec l'église a été ruiné et pillé parce que les ennemis
et les routiers avaient toujours coutume de s'y retirer; et bien que
ces religieux fussent peu nombreux, ils n'avaient plus de quoi
vivre ^. Cette misère sévissait déjà dès 1351, puisque c'est dans le
courant de cette année que les chanoines se retirèrent dans la ville
de Caen à cause des dangers qu'occasionnait la guerre ^. Les
abbayes bénédictines de Cerisy et de Fontenay furent fortifiées par
des Français. Cette dernière eut particulièrement à souffrir : elle
1. De la Rue, 1. c, p. 215, 217 suiv.
2. LucE, 1. c, p. 468 ; Lefouhmeu, EsSiii hist. sur Vahbaye de Notre-Dame-du-Val,
p. 61 suiv.
3. Reçf. Vat. Urh. F, n° 251, fol. 277, ad an. 1364, Mail 13 : a domus Dei de Turego
Bajocen. dioc, in qua multi paupercs recipi et sustentari juxta facilitâtes ejusdem
domus consueverant, propter guerras que in illis partibus vigaeruiit, combusta... et
quasi omnino destruc ta ».
4. Reg. Vat. Clem. Vif, n° 297. fol. 47''. ad an. 1386, Januarii 28 : « Universis chris-
tifidelibus, etc. Licct is... Gum itaque sicut accepimus monasterium B. Marie de
Ardena, Premonstraten. Ord. Bajocen. dioc, quod juxta villam Cadomen. consistit,
ab initio et expost tenue dotatum extiterit, et propter regni Francie inimicos ac gen-
tes armorum et predones inibi transeuntes,qui in eodem monasterio continue se
retrahere consueverunt, ac mortalitatum pestes et alias infînitas pestilentias que in
illis partibus diutius (proch dolor) viguerunt, in ecclesia et aliis suis edifîciis multipli-
citer destructum et collapsum ac thesauris, libris, vestimcntis ecclesiasticis, calici-
bus aliisque bonis inhumaniter denudatum ac depredatum aliisque diversis modis
adeo oppressum et gravatum extiterit, quod canonici nionasterii (licet pauci sint
numéro de presenti inibi Domino servientes) non habent unde etiam tenue susten-
tari ac monasterium et ecclesiam predicta reparare valeant... [Conccdit indulgentias
pro ecclesia parochiali S. Gontcsti prope monasterium, cujus festum ibidem cele-
bratur 20 Januarii]. Dat. Avinione v kal. Februarii anno octavo. »
5. Vov. ci-dessus, p. 37, et De la Rue, 1. c, p. 209.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1360 303
fut appauvrie et plus tard son église fut brûlée et ruinée ^. L'abbaye
des Bénédictines de Gordillon était continuellement exposée au
pillage 2 et aux ravages des ennemis parce qu'elle était située dans
le voisinage des deux places fortes de Lingèvres et Saint-Vaast
occupées par les Anglais de 1356 à 1361 '^. L'abbesse des Bénédic-
tines de la Sainte-Trinité de Caen ayant, avec l'autorisation de
Robert de Clermont et le consentement des membres des trois
Etats de Caen, fait réparer le fort de son abbaye et enceindre son
monastère de murs et de fossés, se vit en 1359 dans une telle détresse
par suite des dépenses que ces travaux avaient occasionnées, qu'il
fallut vendre toute l'argenterie du monastère et même les reliquaires
de l'église ^^ Déjà auparavant, les revenus de cette abbaye étaient
considérablement diminués parce que dès le commencement de la
guerre à l'instar de l'abbaye de Saint-Etienne ^, celle de la Trinité
avait été privée de la jouissance des biens qu'elle avait en Angle-
terre et de ceux qu'elle possédait dans le Gotentin que les Navar-
rais avaient envahis ^. Pour se fortifier, les religieuses étaient obli-
gées de maintenir chez elles une garnison de gens d'armes; et
quels désordres cela n'amenait-il pas ! Les Cisterciens d'Aunay-
sur-Odon avaient depuis longtemps souffert des incursions et des
attaques des ennemis. Le château d'Aunay était dès 1357 au pouvoir
des Navarrais ; de là les bandes désolaient le pays, menaçaient la
place française de Torigny et s'étendaient jusqu'aux faubourgs
de Bayeux, de Saint-Lo, de Caen et de Vire. Ces incursions avaient
lieu en 1359 ''. On peut s'imaginer quel était le sort de l'ab-
baye. Le 1^*" mai 1358, Edouard III la mit sous sa sauve-
garde ^. Les Prémontrés de l'abbaye de Mondaye disent en 1388
que leur ferme de la Haye- Aiguillon et toutes leurs rentes et revenus
qui ne consistent qu'en terres, sont depuis trente ans, c'est-à-dire
1. Voy. DE Fahcy, Ahhnyes de Vévêché de Bayeux, Cérisy, Gordillon^ Fontenay,
Longues, I (Laval, 1888). Chaque abbaye a une pagination à part.
2. LucE, Du Guesclin, p. 466, 467.
3. Voy. DE Farcy, 1. c.
4. De la Rue, p. 223 suiv.
5. Ci-dessus, p. 74. Cf. encore Hippeau, L'abbaye de Saint-Étienne de Caen (1885),
p. 107 suiv.
6. De i,a Ui'E, 1. c.
7. Le Hardy, Elude sur la haronnie et Vabbnye d'Aunny-sui'-Odon (1897), p. 62.
8. Rymer, Foedera, III, p. 391. Cf. Gall. christ., XI, p. 444.
R, P. Deniflb. — Desolatio ecclesiarum II. 20
306 LA GLËKKE DE CENT ANS
depuis 1358, presque sans valeur k cause des guerres; qu'il n'y a
plus personne pour cultiver la terre parce que les gens du pays ont
pris la fuite et que leur monastère est abattu ^ Je ne sais si cette
destruction arriva dès 1360; mais à cette époque les terres de
l'abbaye furent pour le moins dévastées ainsi que le disent eux-
mêmes les chanoines : sa position isolée au milieu des campagnes
en faisait une proie facile pour la rapacité de l'ennemi.
Plus on approche du Cotentin, plus on rencontre aussi bien dans
les cités que dans les simples Alliages, d'églises fortifiées par suite
du voisinage de l'ennemi. Dans la cathédrale de Bayeux se trouvait
une garnison de six écuyers, cinq archers à cheval, quatre arbalé-
triers à pied que commandait un chevalier, nommé Guillaume
Buret, lequel était en même temps capitaine de plusieurs autres
églises dans la vicomte de Bayeux -.
Dans le Cotentin, les Navarrais s'étaient solidement établis à
Carenton, au Pont-d'Ouve, à Pont-l'Abbé, à Valognes et à Cher-
bourg. Les Anglais étaient maîtres de deux bonnes positions sur la
mer : Barfleur et Barneville. Au centre de la presqu'île, ils possé-
daient Saint-Sauveur qui devint leur quartier général et de là fai-
saient leurs terribles courses dans la Basse-Normandie ^. La facilité
où ils étaient de communiquer avec l'Angleterre leur permettait de
renouveler constamment leurs troupes et de se procurer du renfort.
Les gens du pays plat devinrent une proie que les Anglais, les
Navarrais et les Français se disputèrent tour à tour et exploitèrent
à l'envi. Repoussés de l'intérieur du Cotentin, les Français
finirent par n'y plus occuper que le Mont-Saint-Michel, Coutances
et plusieurs lieux environnants avec les villes frontières qui for-
maient un vaste demi-cercle de Pontorson en Avranchin à Bayeux
en passant par Vire, Argentan, Falaise, Caen, Saint-Lo et Tori-
gny ^. Les paysans qui parvenaient k se réfugier dans une ville
fortifiée devaient se trouver bien favorisés, mais quel n'était point
le malheur de ceux qui résidaient et possédaient des biens sur la
1. Mém. de la Soc. des anliq. de Nonunndie. XVII, p. 299 suiv. ; Madelaim-:, Essai
hist. sur Vabbaye de Mondaije (1874), p. 153 suiv.
2. LucE, p. 261, 266, not. 5.
3. Delislk, Hist. dn châlean et des sires de Saint-Sauveur, p. 110 suiv., 114 suiv. ;
LucE, 1. c, p. 262 suiv.
4. Dupont, Hist. du Cotentin, II, p. 363.
TOUTL LA FRANCE INFKSTÉE, 13r)6 A 13()0 307
frontière des pays anglais, navarrais ou français ! Souvent lorsqu'ils
avaient subi les exactions des Anglais et des Navarrais, les Fran-
çais accouraient à leur tour les rançonner sous prétexte de punir
ces malheureux K C'était un véritable état d'anarchie.
Le pays fut abandonné à la discrétion des bandes armées. On ne
pouvait entreprendre le plus petit voyage sans s'être muni de plu-
sieurs sauf-conduits achetés à prix d'or. Pour se rendre de Goutances
à Valognes, c'est-à-dire à une distance d une douzaine de lieues, il
ne fallait pas moins de trois sauf-conduits : un français, un anglais
et un navarrais ^ ; ce qui n'empêchait pas d'être pris par les bri-
gands et les routiers pour qui les sauf-conduits ne comptaient pas,
qui guettaient surtout au passage les marqhands et en tiraient de
grosses rançons ^. Les laboureurs, ceux de Goutances et de Saint-
Lo en particulier, ne savaient où se blottir. Les uns creusaient des
souterrains pour y mettre en sûreté leurs familles et leurs biens ;
d'autres, ainsi que le dit le régent au mois de décembre 1358 et
plusieurs fois encore après, se cachaient dans les roseaux et les
hautes herbes des marais ou dans les bois ; d'autres enfin se réfu-
giaient dans les villes fortifiées ^*.
Les abbayes subirent naturellement de grands dommages. L'abbaye
des chanoines réguliers de Gherbourg, déjà brûlée en 1346^, était au
pouvoir des Navarrais, et celle de Saint-Sauveur-le- Vicomte de
l'Ordre de Saint-Benoit au pouvoir des Anglais. Gette dernière fut
presque entièrement détruite ^. L'abbé de la première, Guillaume,
était un des lieutenants de Gharles le Mauvais. L'abbaye béné-
dictine de Notre-Dame de Montebourg se trouvait sur les terres du
roi de Navarre, mais la ville fut occupée en 1358 par un partisan
anglais ''. L'abbaye bénédictine de Saint-Sever était occupée et for-
tifiée par l'ennemi dès 1356 et ne fut rachetée qu'en 1365, moyen-
1. LucE, 1. c, p. 269, 270. L'éminent historien était originaire du Cotentin ; ses
études historiques sur ce pays sont inspirées par l'amour profond du sol natal.
2. Ihid., p. 271.
3. Ibid., p. 273.
4. Ibid., p. 274 suiv.
5. Voy. ci-dessus, p. 36.
6. Lekosky, Hist. de Vabbaye bénédictine de Sainl-Sauveur-le- Vicomte (Abbeville,
1894), p. 105.
7. LucE, p. 484.
308 LA GUERRE DE CENT ANS
nant une aide levée sur les pays environnants i. L'abbaye béné-
dictine de Lessay fut en 1356 pillée et incendiée par les Anglais -.
Le malheur des temps ayant obligé à convertir en forteresse la
cathédrale de Goutances, les bourgeois et les paysans des environs
couraient chercher un refuge dans l'église pourvue de retranche-
ments et d'ouvrages avancés en charpente 3. Mais elle fut gravement
ruinée à cause des incursions désastreuses des Navarrais. L'évêque,
Louis d'Erquery, l'un des plus intimes conseillers du duc de Norman-
die, implora le secours d'Urbain V, disant que pendant la guerre, les
habitants avaient été témoins de beaucoup de miracles opérés dans
l'église. Le 6 mars 13631e pape accorda des indulgences ^. Les habi-
tants de Périers, bourg voisin de Goutances, se retranchèrent contre
les ennemis également dans leur église convertie en forteresse ; mais
dès le début de 1359 elle tombait au pouvoir des Anglo-Navarrais^.
Dès la fin de 1356, les Navarrais s'étaient rendus absolument
maîtres d'Avranches et tenaient encore le château de Gavray et
Mortain réputé inexpugnable ^. Dans l'abbaye bénédictine du Mont-
Saint-Michel, bien fortifiée 7, jamais un Anglais ou un Navarrais ne
mit le pied. L'abbé Nicolas le Vitrier avait armé ses hommes et servi-
teurs pour résister victorieusement à chaque attaque ^. Durant toute
la guerre de Gent ans cette abbaye lit preuve d'un patriotisme
élevé. Mais, en 1356, elle vit ses manoirs et ses terres tellement
1. LucE, p. 467.
2. Voy. ci-dessus, p. 109 suiv.
3. Luge, p. 264, 606 suiv.
4. Suppl. Urb. V. n" 36, fol. 33'' : « Significat S. V. devota creatura vestra L. epis-
copus Gonstantien. quod ecclesia Constantien. tempore guerrarum fracta fuit et gra-
viter rupta multis locis, proptcr quod indiget magnis et suniptuosis reparationibus
adeo quod de presenti reparari minime posset, nisi fidelium elemosinis eidem sucur-
ratur, inquamulta miracula dicto guerrarum tempore habitatoribus loci apparuerunt.
De indulgentiis] et eleeniosynis]. Fiat. B. Dat. Avinione iij non. Martii anno primo ».
Sur les dommages infligés dès 1356 à la cathédrale voy. Delamare, Essai sur... la
cathédrale de Goutances (1841), p. 107 suiv., 115 (lettre de Charles VI). Les exagéra-
tions de L. QuENAULT, Recherches archéol. hist. et statistiques sur la ville de Gou-
tances (Goutances, 1862), p. 14 à 16, 94 suiv., 96 suiv., sont tacitement rectifiées par
Ramé, dans Revue des sociétés savantes, 7* série, t. III (1881), p. 97.
5. LucE, p. 265.
6. Ihid., p. 263.
7. Sur ses défenses, le livre de Gorroyer, Description de l abbaye du Mont Saint-
Michel (1877), est indispensable.
8. Huynes, Hist. génér. de V abbaye du Mont-Saint-Michel, publ. par E. de Bbaure-
PAIRE, II, p. 93.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 13o6 A 1360 309
ravagées par les Navarrais d'Avranches, que les moines n'avaient
plus de quoi vivre. Dans le même temps, ils étaient en butte aux
exactions des soldats des garnisons françaises de Pontorson et de
Saint-James. Et comme si tout cela n'eut pas suffi, ils furent privés
des rentes que leur devaient les tenanciers, ces derniers ayant été
contraints par les capitaines français d'aller faire le g-uet dans les
deux villes ci-dessus. Pour comble de malheur, les habitants du
•Mont-Saint-Michel ayant quitté la ville pour se réfugier ailleurs,
les moines furent réduits à garder eux-mêmes leur forteresse K
La condition des autres monastères n'était pas meilleure. Les
Anglais firent, peut-être plus tard, une prison de l'abbaye des
chanoines réguliers de Montmorel et y déposaient leur butin.
L'abbaye de la Luzerne de l'Ordre de Prémontré fut pillée et presque
détruite dans ces guerres désastreuses. Les religieuses cisterciennes
de l'abbaye Blanche se creusèrent des grottes dans leurs rochers et
s'y enfermaient pendant la nuit -. L'évêque d'Avranches même,
Jean Haut-Frine, s'était, à cause du tumulte des guerres, retiré
dans l'abbaye de Saint-Ouen à Rouen où il décéda en 1358. Son
successeur, Foulques Bardoul, abdiqua un an après 3, et Robert Porte
qui le remplaça était chancelier de Charles le Mauvais ^. Que
devenaient les terres et les champs restés sans culture pendant
plusieurs années? Où trouver des moyens d'exivStence? D'autre
part, le commerce était anéanti et les communications interrompues
en Avranchin comme en Cotentin et ailleurs. On ne pouvait aller
sans danger de Saint- James à la forteresse de Montaigu^. Voulait-
on entreprendre un plus long voyage, aller trouver le dauphin par
exemple, c'était tout à fait impossible, ainsi que les moines du
Mont-Saint-Michel le lui écrivaient en 1359 6.
1. Lettre du dauphin de 1356, publ. par Desroches, Ann. civ. et milit. du pays
d'Avranches, p. 382; Mexard, Ilist. relig., civ. et milit. de Saint-James de Beuvron
(1897), p. 64.
2. Desroches, Hist. du Mont-Saint-Michel (1838), II, p. 60 suiv. Voy. Gall. christ.,
XI, p. 559, 538. DuBOsc, Cartul. de l'abbaye de la Luzerne (1878) et de Montmorel
(1878), ne parle pas de ces événements et les Cartulaires ne donnent aucun renseigne-
ment à ce sujet.
3. Desroches, 1. c, p. 61.
4. Voy. chap. IV, paragraphe 1, vers la fin.
5. Luce, Du Guesclin, p. 530.
6. Menard, 1. c, p. 65.
310 LA GUERRE DE CENT AIS'S
C'est au cours de ces années, dès la lin de 1357, que Bertrand
Du Guesclin, le plus vaillant g-uerrier de France, était capitaine de
Pontorson. Vers la fin de 1359, il surprit, à Saint-James de Beu-
vron, un chef anglais, Guillaume de Windsor, qui se tenait à Ploërmel
et inspectait de temps à autre les places anglaises de la frontière
normande, le fit prisonnier et mit sa troupe en déroute^. Mais
bientôt lui-même fut surpris au Pas d'Evran en Bretagne par les
troupes de la garnison de Bécherel ou, comme on le dit ^, par Robert
Knolles qu'Edouard III aurait rappelé d'Auvergne en Bretagne.
Malgré des prodiges de bravoure. Du Guesclin fut obligé de se
rendre ^. Ces faits d'armes n'apportaient pas de soulagement ; le
moment n'était pas encore venu, où devait sonner l'heure de la
délivrance pourl'Avranchin, le Cotentin, la Normandie et la France
entière Du Guesclin sera le héros de cette ère nouvelle.
Voilà le tableau de l'état du rovaume à la veille du traité de
Bretigny. Si la France n'eût été que prisonnière, cela aurait pu être
supportable, mais elle était véritablement mise à la torture. On
peut appliquer à la France de cette époque le vers de Virgile '' :
crudeHs ubique
Luctus, ubique pavor et plurima mortis imago.
Encore, ce tableau n'est-il pas complet. On doit y joindre le troi-
sième, le cinquième et le sixième paragraphes, et les ravages cau-
sés par la sixième invasion d'Edouard III en France. La connexion
des événements m'a obligé de réserver pour le chapitre suivant les
faits qui concernent cette sixième invasion ^ auxquels j'ai seulement
touché quelquefois dans ce paragraphe. Durant ces années, ce sont
la Normandie, Paris et les provinces environnantes, la Bourgogne,
1. LucE, p. 309 suiv.
2. LunE, p. 311.
3. Ihid.\ Chron. norin., p. 1 i9 ; A. de i-a Bordeiue, Eludes Jtist. bretonnes, 2* scr.,
p. 184.
4. Voy. ci-dessous chap. IV, paratiraphe 2.
5. Vehg. Aen. II. 36N. .
TOUTi: LA FKANCF^. i>fkstée:, \'MW) A 1300 311
la Provence, le Quercy et la Sainton^e qui souflrirent le plus ; la
Bretagne était déjà ruinée avant. Un Mémoire de 13^)9 présente
également la Bretagne, la Normandie, la Picardie, le Beauvaisis,
le Vermandois, l'Ile-de-France comme étant les provinces les plus
dévastées, bien qu'elles prétendissent ne redouter en rien Ten-
nemi'. La Guyenne n'est pas comprise dansce tableau parce qu'elle
appartenait à l'Angleterre.
Quelle désolation régnait dans les populations, les églises et les
monastères, même durant la trêve ! Et pourtant cet exposé ne
donne qu'une faible idée de la réalité. C'est un abrégé des faits qui
ont pu être signalés. En ce qui concerne les abbayes en particulier,
les sources n'en indiquent qu'un certain nombre, dont les faits ne
me sont pas tous connus. Toutefois, il est certain que chaque éta-
blissement ecclésiastique situé en plat pays, isolé et non fortifié,
fut victime des ennemis qui n'épargnaient ni les églises, ni les
monastères, ni le clergé régulier ou séculier '-'. Mais soit que l'éta-
blissement ait été fortifié ou non, en tout cas les terres et les fermes
étaient dévastées, les revenus diminués. Et cette diminution des
revenus provenant de l'augmentation des impôts et autres charges
avait souvent lieu avant la venue des ennemis, comme nous l'avons
vu plus haut 2. On peut même citer encore d'autres exemples '♦.
1. Le Mémoire cité ci-dessous (p. 313 note 3) p. 126.
2. Le 26 avril 1360 Innocent VI écrivait à ce sujet au roi Edouard d'Anf^leterre {Re(/.
Val., n" 240, part. 2*, toi. 58) : « ...Postremo cum sepius ad nostram audientiam plu-
rimoruni relatio fidedigna perduxerit, quod per tuas fientes armigeras nonnullis eccle-
siis ac ecclesiasticis personis in re^no Francie constitutis, quod prêter inimo contra
tue serenitatis conscientiam fieri non anibigimus, plurima dampna et molestie mul-
tipliciter inferantur, serenitatem eandem attenter roj^amus et paternis in Domino
afîectibus obsecramus quatinus... ecclesiaset ecclesiasticas personas easdem per pen-
tes ipsas turbari vel molestari aliqualiter non permittas, sed eas potius suscipias
de niansuetudine regia comendatas. Datum Avinione vj kaL Maii anno VIII ». Cf.
Rymkr, III, p. 484. Le 4 mars. Innocent \l adressait une lettre semblal)le au même
au sujet des biens ecclésiastiques du diocèse d'Auxeri'e. Ihid.. fol. 24.
3. Voy. ci-dessus, p. 61 suiv., p. 73 suiv.
4. L'abbé et le couvent de l'abbaye bénédictine de Tiron, du diocèse de Chartres,
par exemple, se plaignent, « quod licet propter guerras et concursum ac mortalilatcs
stei'ilitates... proventus dicti monasterii, alias etiam tenues, sint quamplurimum
diminuti, tamen onera et sarcine non decrescunt, sed etiam plus solito augmentan-
tur ». Snppl. Clément. VI, n° 20, parte 2'*», fol. 23'', ad an. 1350, Decemb. 28, alors que
le Chartrain était encoie moins troublé. Déjà en 1346 labbaye de Saint-Père reçut
une bulle semblable (voy. Re(j. Aven. Innoc. VI. n" 25, fol. 411. L'abbé et le cou-
vent de l'abbaye cistercienne c\c .louy du diocès? de Sens écrivaient k Clément VI,
312 LA GUERRE DE CENT ANS
C'était de la part des archevêques et évêques des diverses provinces
ecclésiastiques un cri d'alarme général au Saint-Père touchant l'ap-
pauvrissement des églises, monastères et hôpitaux de leurs diocèses
causé par les guerres qui sévissaient depuis longtemps ; ce qu^
obligeait le pape à réduire de moitié les taxes K
Le désordre que causèrent ces guerres est impossible à décrire. Il
suffit de rappeler combien de fois les religieux avaient dû quitter les
monastères, par suite de l'occupation ou de la destruction et s'étaient
vus obligés de rester dehors souvent pendant plusieurs années. Ce
n'était encore qu'un moindre désordre lorsque les religieux mêmes
faisaient le guet dans leur abbaye fortifiée et que le supérieur était
capitaine de la place -, ou que les moines, les clercs et les prêtres
« quod cum propter defectum reddituum et bonorum dicti monasterii, guerrarum
importunitatem, debilem monetam temporibus retroactis currentem, decimarum et
aliarum subventionum solutionem nec non facultatum ejusdem monasterii minime
suppetentium ad sustentationem pauperrimam... idem monasterium fuisset et esset
certis usurariis in 2000 libris paris... efficaciter obligatum... ». Suppl. Clem. VI,
n° 11, fol. 135, Aug. 9. (Cf. encore p. 312, not.)
1. Reg. Vat. Urb. V, n" 261, fol. i^ ad an. 1363, Februarii 27 : « Ad perpetuam rei
memoriam. Ex paterne caritatis... Nuper siquidem pro parte ven. frat. nostr. Lugdu-
nen. Remen. Senonen. Rothomagen. Turonen, et Rituricen. archiepiscoporum nec
non eorundem Lugdunen. Remen. Senonen. Rothomagen. Turonen. archiepiscoporum
sufï'raganeorum. ac Claromonten. episcoporum fuit expositum in consistorio coram
nobis quod tam sue quam alie ecclesic nec non monasteria et quelibet alia ecclesias-
tica tam secularia quam regularia et etiam pia loca in [praedictis] civitatibus et dio-
cesibus adeo propter guerras et mortalitatum pestes, que maxime partes illas permit-
tente Domino longevis temporibus concusserunt, sunt in suis redditibus et fructibus
diminuta, quod cum iidem archiepiscopi et episcopi quam alii eorundem ecclesia-
rum, monasteriorum et locorum prelaii rectores atque persone incumbencia eis onera
comode supportare non possint. Quare pro parte dictorum exponentium fuit nobis
humiliter supplicatum ut providere eis de aliqua relevacione ipsorum onerum, et pre-
sertim circa moderationem taxacionis décime de benignitate apostolica dignaremur.
Nos itaque... taxationem décime ecclesiarum monasteriorum et locorum predictorum
omniumque reddituum et proventuum ecclesiasticorum in dictis [provinciis et dioce-
sibus] ad ipsius taxacionis medietatem de fratrum nostrorum consilio apostolica auc-
toritate reducimus et pro reducta ex nunc haberi volumus et etiam ordinamus tenore
presentium, statuentes quod deinceps hujusmodi medietas pro intégra et vera taxa-
cione sive décima in eisdem provinciis civitatibus et diocesibus perpetuis futuris
temporibus sic habeatur, ac reputetur et intégra décima nominetur... Datum Avi-
nione iij kal. Martii, anno primo ». l\ existe aussi pour les autres provinces des
bulles semblables, surtout sous Grégoire XI.
2. Sur ce point nous connaissons Thistoire de Roziers-Saint-Georges, et du Mont
Saint-Michel. L'abbaye des chanoines réguliers d'Essommes, du diocèse de Soissons
était fortifiée depuis 1358, et dès cette époque l'abbé était capitaine, et les l'eligieux fai-
saient le guet jour et nuit, lorsque l'ennemi s'approchait. Voy. Moranvillé, Le guet
danslaprévôté de Château- Thierry en 1386. Extrait de la Revue de Champagne et de
Brie, p. 9.
TOUTE LA FRANCE INFESTÉE, 1356 A 1360 313
prenaient les armes pour défendre leurs propriétés contre les
ennemis et leur inflig-eaient des pertes. Mais cette dernière mesure
défensive les rendaient souvent irrég-uliers : ils ne pouvaient plus
alors exercer les fonctions ecclésiastiques. L'abbé de Gluny expose
au Saint-Père que beaucoup de religieux de son Ordre en France
soit moines, soit convers, ayant, dans l'oblig^ation de se défendre ou
d'empêcher l'envahissement de leurs propriétés, attaqué l'ennemi,
avaient encouru les peines ecclésiastiques ; en conséquence, il
demande le pouvoir de donner l'absolution aux moines, aux
moniales, aux convers et converses de l'Ordre, parce qu'il leur est
impossible de se rendre à la cour romaine ^ Ce sont les maisons et les
églises de l'Ordre de Saint-Benoît et en particulier de celui de Cluny
qui eurent le plus à souffrir, d'abord sous Clément VI, puis à cette
époque '^. Mais cet Ordre pouvait résister, tandis que pour les Cister-
ciens, éloignés de places fortifiées, les Prémontrés et en partie les
chanoines réguliers, cette première période de la guerre fut le
commencement de leur déroute complète qui arriva vers la fin de
la guerre de Cent ans.
Si les églises et monastères puissants étaient si maltraités, quel
était le sort des églises paroissiales situées en plat pays, des mai-
sons et des chaumières des malheureux paysans ? Ce que nous en
savons nous montre les églises désertes et ruinées, les curés et les
paroissiens en fuite ou rançonnés, ou emprisonnés, ou massacrés ;
leurs maisons et chaumières pillées et incendiées ; le bétail emporté
1. Suppl. Urh. y, n° 3i, fol. 191*', ad an. 1362, Decemb. 20 : « Quia multi religiosi
dicti Ordinis [Gluniacen.] tam monachi quam conversi propter guerras et alias perse-
cutiones varias incurrerunt sententias et irregularitates et in variis peccatis et delictis
inciderunt defendendo se et loca dicti Ordinis contra inimicos, et sese inimicos inva-
dcndo, et multa alia illicita committendo, quia religiosis difficile esset venire ad
curiam pro habendo dispensationcm super irregularitatibus et absolutioneni... et
propter dcfcctum predictorum dispensationis et absolutionis in dicto Ordine multa
divina obsequia obmittuntur, quatenus dicto abbati ejusdem monasterii dignemini
concedere ut hac vice per se vel alium possit absolvere omnes monachos, moniales,
conversos et conversas dicti Ordinis a quibuscumque peccatis et sententiis a quibus
per S. V. vel sedem apostolicam possent absoivi et dispensari... Fiat hac vice. B.Dat.
Avinione xiij kal. Januarii anno primo ».
2. Ihid., fol. 191, ad an. 1362, Decembr. 20 : « Cum... dominus Clemens papa VI
predecessor vester concesserit... omnibus porrigcntibus manus adjutrices ad rcpara-
tioncm scu relevationem monasteriorum, domorum et ecclesiarum Ordinis Gluniacen.
desolatorum propter gucrras... indulgentias [supplicant ut dictac indulgentiae reno-
ventur]. — Dat. Avinione xiij kal. Januarii anno primo. »
314 LA GUERRE DE CENT ANS
par les ennemis, les campagnes sans culture. Et quelles tortures les
habitants subissaient souvent, non seulement de la part des bri-
gands, mais particulièrement encore de celle des Anglais ! Les
hommes surtout étaient immolés avec d'atroces raffinements de
barbarie qui rappellent les supplices des premiers temps de l'Église
et que la plume se refuse à décrire dans la langue moderne ^ Les
paysans devaient donc s'estimer heureux quand ils étaient seule-
ment contraints par les Français de faire le guet dans les villes
fermées. Le sort des villes sans clôture était aussi déplorable que
celui des villages. Les habitants des villes fortifiées, sans cesse
forcés de faire le guet, étaient constamment exposés aux attaques
et presque toujours sans aucune espérance d'obtenir quelque secours
du gouvernement ou d'ailleurs; de plus, ils voyaient leurs pro-
priétés situées hors les murs dévastées. Pour les provinces qui
durant ces dernières années n'eurent pas à subir tous ces malheurs,
comme il arriva pour quelques-unes du Midi par exemple, les
habitants étaient néanmoins toujours menacés, dans de perpé-
tuelles angoisses et souvent obligés de se retirer dans les lieux
fortifiés. Sur tous pesaient de continuels impôts redoublés et triplés
qui s'étendaient jusque sur le sel, et tous devaient subir les vexa-
tions des officiers royaux sans pitié et sans conscience.
On ne doit pas s'étonner que ce triste état de la France au
milieu du xiv® siècle ait été dépeint dans les écrits du temps. Le
plus touchant récit, souvent empreint d'exagérations, nous est con-
servé dans le Tragicum argiimentum de miserabili statu regni
Franciae -, presque oublié aujourd'hui, dont l'auteur, comme Ger-
1. Le Mémoire du printemps de 1359. publ. par Germain dans Mém. de la Soc.
archéol. de Montpellier, 1858, p. 426, après avoir dit que les ennemis, c'est-à-dire ici,
les Anglais, avaient détruit les villes et les éjilises, déshonoré les femmes et les
pucelles, et occis plusieurs d'entre elles avec leurs enfants, ajoute : « quand il
prannent les homes, il les pendent ij jours ou iij, sanz boire et sanz manj^ier, parles
bras, les aucuns par les genitoircs, les autres par les dois de leurs mains, les autres
par les piez, et les tormentent et bâtent en gehines, tant que il en y occient grant
quantité; et ceux qui par raençon eschapent de leur main ne purent vivre, et se il
vivent, si sont il afolez ou mehaigniez de leurs membres », etc. Les bandes em-
ployaient aussi des tortures semblables (voy. ci-dessus, p. 180), elles rôtissaient par-
fois les enfants et même les personnes âgées, ce qu'annote le Songe du vergier (liv. 1,
chap. 146, dans Traitez des droicts et libériez de iéglise gallicane, 1731, t, II, p. 175),
comme les Jacques le faisaient aux gentilshommes (ci-dessus, p. 213).
2. L'auteur est fr. Franciscus de « Montebelluna », O. S. Ben., qui est aussi nommé
dans le Mémoire que Charles V fit présenter à Urbain V, en 1366 à 1367 (Du Boui.ay
TOUTE LA FRANCE rNFP:STÉE, 1356 A 1360 315
son et Jean Juvenal des Ursins au xv*^ siècle, incrimine les diverses
institutions de la France de son temps, les militaires, les nobles,
les roturiers et le clergé. Quant à la destruction qui nous occupe ici,
il dit : « Voyez combien de villes du royaume brûlées, combien de
vieillards égorgés, de jeunes gens morts par l'épée, d'enfants
étranglés, de femmes enceintes pourfendues ; voyez combien de
vierges nobles et distinguées ont servi de jouet à la passion de ces
bêtes féroces ; voyez combien de prêtres et de clercs de divers
ordres ont été faits prisonniers ou massacrés, combien d'églises
renversées, de monastères détruits! Voyez que les chevaux ont été
établis près l'autel du Seigneur, les vierges consacrées à Dieu
souillées, les saintes reliques jetées au vent ! Même les mains
sacrilèges ne respectaient pas la sainte hostie ! » Ensuite l'auteur
applique à la France le vers de Virgile ci-dessus rapporté, et il
déplore davantage que ces maux soient infligés en grande partie
par la guerre civile qui perd le royaume et la patrie [regnum
et patriam), « La France, dit-il encore, est devenue un objet de
dérision pour les juifs et les payens. » Vers la même époque
Pétrarque, comme nous l'avons vu *, reproduit l'écho de plaintes
analogues au sujet de la dévastation, et les bulles d'Innocent VI
Ad reprimendas et Gravis dilectorum ~ ne font que confirmer la
destruction et la brutalité des destructeurs.
Cependant, jjour les Français le pire de tous ces malheurs était,
je crois, qu'on ne pouvait prévoir la fin d'une guerre qui durait
depuis presque vingt- cinq ans, et cela sur le propre sol. Une victoire
décisive aurait pu seule changer la face des choses, mais depuis le
désastre de Poitiers, il n'existait plus une armée capable de tenir
tête à celle de l'ennemi. Gomment alors / en débarrasser? Et que
fallait-il espérer de l'avenir? « Nous perdons toujours et avons
Hist. Univers. Paris, IV, p. 411). On trouve ce traité cité plus haut à la Bibl. du Vat.,
Ottobon., n° 259, fol. 68 à SO*"; fol. 73 se trouve la sentence citée. Lebei-f, Disserta-
tions sur Vhistoire de Paris, III, p. 395, connaissait un ms. de Tabbaye de Pontigny
et donne ibid. et p. 428 suiv. des extraits; p. 429 sont les passa^çes ci-dessus rappor-
tés. Le traité est écrit après que le roi Jean prisonnier a été conduit en Anjileterre,
et avant 1360, en 1357 ou 1358. Cf. encore Demsle, Bulletin hist. et philolocj. du
Comité des trav. hist., année 1886, p. 112 suiv., où est imprimé « de Monte Bellima ».
1. Voy. ci-dessus p. 135, et not. 1.
2. Ci-dessus, p. 182 suiv. et dans le cours de l'ouvrage.
316 LA GUERRE DE CENT ANS
toujours perdu », confessent-ils en 13o9 ^, aveu plus énergique-
ment encore exprimé par l'auteur du Trayicum argumentum, que
je viens de citer, quand il s'écrie- : « Pourquoi notre épouvante
est-elle si terrible que nous fuyons, quand nous sommes mille,
poursuivis par un seul homme ou même par aucun? » L'avenir
n'était vraiment pas riant, si l'on ajoute à tout cela l'emprisonne-
ment du roi et d'une partie de l'élite de la France depuis trois ans,
et l'épuisement du trésor et des ressources. Chacun de ceux qui, se
reportant au milieu de ces temps malheureux, entreront bien dans
l'esprit de la situation, comprendront qu'en présence d'une telle
désolation les Français auraient été excusables d'accepter une paix
à tout prix. Néanmoins, le sentiment national français, qui ne date
pas seulement du xv^ siècle, ne se trouvait pas encore accablé par
un état qui était cependant le comble du malheur, il était assez
fort pour refuser les conditions honteuses et désastreuses qu'impo-
sait Edouard III, et de le forcer à des concessions par une résistance
acharnée.
1. Mémoire publ. par Germain, 1. c.
2. « Cur etiam, Domine, tantum timorem nostris cordibus immisisti, ut mille fu-
giamus, uno imo saepe nemine persequenle? » Ms., fol. 74 ; Lebeuf, 1. c, p. 429. L'au-
teur dit encore, fol. 81 : « Deo judicante et nobiles et populares fugere sciunt, vin-
cere nesciunt ». Nous verrons dans le chapitre suivant que ce jugement sévère ne
s'applique pas à la résistance des villes contre l'armée anglaise envahissante.
CHAPITRE IV
LES TRAITÉS AVEC CHARLES LE MALVAIS ET EDOUARD III
Quoiqu'un exposé des relations diplomatiques entre la France,
FAng-leterre ou Charles le Mauvais n'entre pas dans le cadre de
mon travail, je dois néanmoins, comme dans les deux chapitres
précédents, toucher un mot de ce sujet ; autrement on ne saisirait
pas l'enchaînement des événements qui sont connexes avec l'his-
toire delà destruction. C'est pourquoi je vais parler maintenant de
ces traités qui ont inauguré une nouvelle époque, plus désastreuse
que la précédente pour les églises et les monastères, mais glorieuse
et avantageuse pour la France quant au résultat final.
1. Les alliances. Traité de Londres rejeté par les trois Etats.
Traité avec Charles le Mauvais.
Innocent VI, si sensiblement touché des malheurs qui affligeaient
la France, fut bientôt informé du défi que le roi de Navarre portait
au régent. A ce sujet, le 30 août 1358, il écrit en Angleterre aux
deux cardinaux Talleyrand et Capocci ^ de, se rendre auprès de
Charles le Mauvais et du régent pour les réconcilier. Le pape craint
que cette guerre intestine soit nuisible à l'établissement de la paix
entre l'Angleterre et la France. Il donne aux deux légats le pouvoir
de dissoudre tous les traités^ pactes, promesses, faites même sous
serment par les deux princes et leurs adhérents, et d'excommunier
tous les perturbateurs de la paix, lors même qu'ils seraient évêques.
Mais, autant en emporta lèvent. Seulement, le 13 décembre, les
deux cardinaux revenant d'Angleterre où ils étaient restés long-
1. Reçj. Vàt. Innocent. VI, n° 233, fol. 4 (ad Nicol, tit. S. Vitalis presbyt. card.), fol.
4'' (ad Talayrandum episc. Albanen.). Raynald, Ann.^ 1358, n" 3; Moisant, Le Prince
iVoir, p. 257.
318 LA GUERRE DE CExNT A>S
temps, en qualité de médiateurs pour un traité de paix entre les
deux couronnes 1, arrivèrent k Paris-. Le 2o décembre, Inno-
cent VI saisit l'occasion d'écrire aux deux prélats et les engage une
seconde fois k travailler k la réconciliation des deux princes ^. Il leur
envoie aussi des lettres pour le régent et pour Charles le Mauvais
qui était alors k Meulan ; mais ces deux lettres sont bien différentes
l'une de l'autre^. Quoique le pape exhorte les deux princes k faire
la paix, on voit clairement qu'il regarde Charles le Mauvais comme
coupable de tous les malheurs survenus. Innocent VI en est d'au-
tant plus affligé qu'il avait, comme nous savons, une véritable affec-
tion pour ce prince. Il le rend responsable de la guerre qui avait
eu lieu entre lui et le roi Jean et qui se continuait entre lui et le
régent. Il l'engage k ne point juger d'après ses sentiments person-
nels qui influenceraient et troubleraient son jugement, ni d'après
les mauvais conseils de plusieurs, mais selon la raison et la conve-
nance. Le pape lui montre encore que la guerre qu'il soutient est
plutôt intestine et fratricide que civile, que par cette manière d'agir
il renie son origine de la maison de France. Il lui représente tous
les maux que cette guerre a causés k la France, l'invite k entendre
sa voix et celle des deux cardinaux et l'exhorte k faire la paix^. Au
1. Grand, chron., p. 146.
2. Voy. ci-dessus, p. 148, 150.
3. Reg. Vat. Innocenta V/, n° 240, fol. 5 '\ « Yen. fratri Talayrando episcopo Alba-
nen. et dil. fil. Nicolao lit. S. Vitalis presb. card. ap. sedis nuntiis salutem, etc.
Quanta comoda ex concordia inter cariss. in Christo filiuni nostrum Karolum re^'^em
Navarre illustrem et dil. fil. nob. virum Karolum duceni Normandie primojçenitum
cariss. in Christo filii nostri Johannis re'^is Francoruin illustris debeat verisimiliter
non tantuni regno Franciesed etiam diversis aliis rej^nis et populis christifîdelium,
si votis nostris Deus annuerit, provenire, potest ex malis multiplicibus que ex eorum
succreverunt et continue succrescunt dissensionibus previderi. [Suas ad praef. regem
et ducem epistolas intercludens, eos hortatur ut ad conclusionem pacis intendant;
ad quam si quid aliud conferre viderint sibi celeriter rescribi mandat.] Dat. Avinione
VIII kal. Januarii an. VI. »
4. Raynalp, ^7171., 1358, n" 3, avait tort de dire que la lettre à Charles le Mauvais
est écrite « eadem pêne vcrboruni forma » comme celle adressée au réj^ent. Il les a
aussi mal placées, n° 2, au commencement de Tan 1358, comptant les années du cou-
ronnement d'Innocent VI dès le 23 décembre, au lieu de compter dès le 30 décembre.
Voy. ci-dessus, p. 184, à la fin de la note 4.
5. Reg. Vat. Innoc. VI, n° 240, fol. "7 '• : (( Carissimo in Christo lil. Karolo rcp
Navarre illustri, salutem, etc. Etsi paterne pietatis... Sane, fili carissime, quam gravia
et innumera mala propter exortas primo inter cariss. in Christo fil. nostrum Johan-
nem regem Francorum illustrem et excellentiam tuam, et deinde inter te ac dil.
filium nobilem virum Carolum ducem Normannie prefati régis primogenitum, hoste
TRAITÉ DE LONDRKS, TRA1TI-: AVEC CHARLES DE NAVARRE, 1359 319
régent, il rappelle également les malheurs que cette lutte a entraî-
nés, le presse de faire tout ce qui dépend de lui pour se réconcilier
avec le roi de Navarre, car cette réconciliation sera certainement
favorable à l'élargissement de son père et à la conclusion de la paix
avec l'Angleterre, que cette guerre entre frères a certainement
retardés. Il le prie d'entendre ses conseils et ceux des cardinaux^.
humani j^cneris discordias seniinante, provenerint hactenus et provenire, quod dolen-
ter gerimus, non desistunt, quantumque nos ex cisdem fuerimus et sinuis usque ad
cordis viscera lamenlabiliter anxiati. explicarede facili litteris non possenius. Et quo-
niani tôt nialis celeriter est iniponendus finis, non quid sensu, rectum judicium tur-
bante, tu velis, aut quid tibi forte inprovidis aliquorum consiliis suj^geratur, sed quid
velle te deceal, cjuid dictet ratio, ({uid l)ei beneplacito congruat, quid honestas
exposcat, et quid régie celsitudinis citnvenit expedit cogitare. An non tibi, cuni tecuni
sepe tui cordis sécréta rimaris, venit in mentem qualia bella prosequeris, que non
hostilia, non civilia, immo intestina seu fi'aterna sunt potius nuncupanda ? Nunquid
attendis quod non tantuni ex eodem paterno stipite cuni tuis traxeris tui natalis ori-
ginem cuni quibus tam hostiliter bcllum geris, sed utrinque vos paterna scilicet ac
materna linea regalis genitura connexuit? Nunquid attendis quanta inter illustres
progenitores ipsorum et tuos fuerit hactenus pacis unio et concordia caritatis ? Pro-
fecto si ista in statera débite considerationis appendas, nichil indecentius judicabis
quam tam sublimes personas non solum consanguinitate sed etiam alïinitate con-
junctas animorum contrarietate disjungi, cum ex hujusmodi dissensione tôt cèdes
hominum, locorum incendia, patrie depopulationes, tôt virginum stupra et alia innu-
mera mala bellis sociata domesticis oriantur, ut vestra discordia grave et damnum
publicum non sine formidabili animarum periculo censeatur. Ne igitur ulterius tôt
malis via pateat aut pacis multiplicibus commodis janua precludatur, induat quesu-
mus regia mansuetudo clementiam, et deponat natura misericors animum indemen-
tem, sopiaturira, mollescant odia et extirpentur radicitus simultates. Inclina aurem
tuam, carissime fdi, ad monita patris tui, ut quos sanguinis stringit vinculuni, uniat
verus amor. [Mittit ad eos duos cardinales.] Quocirca serenitatem tuam iteratis pre-
cibus rogamus et hortamur attente, paterno tibi consilio suadentes, quatenus pru-
denter attendens quam sit dispendiosa tua et ducis pi^edicti dissensio, que, quamvis
satis sit de preteritis lacrimandum, causam tamen dare malis amplioribus nisi adhi-
bito concordie remedio non cessabit... Ceterum scire te volumus quod nos prefato
duci super hiis scribimus, sibi preces, exhortationes et consilium similia dirigenles.
Datum Avinione vni kal. Januarii anno VI. »
1. lier/. Val. Innoc. VI, n" 2 40, fol. 6 : « Dil. fil. nob. vii'o Karolo duci Normannie
caris, in Ghristo filii nostri Johannis régis Francorum illustris primogenito, salu-
tem, etc. Licet ex injuncto... Sane, dil. fili, super sopienda dissensione quam inter te
et cariss. in Ghristo fil. nostrum Carolum regem Navarre illustrem jandudum turba-
tor pacis et hostis humani generis suscitavit, et unitate inter vos reformanda, nos-
tras meminimus litteras destinasse, ex quibus licet nonduni ad efTectum vota nos-
tra pervenerint, nos tamen commoda pacis et dissensionum discrinn'na cogitantes ad
tuam et regni prefati quietem et pacem nostra iterare exhortationes et consilia non
cessamus, et eo precipue quo regnum ipsum vehementioribus continuo turbari flucti-
bus et majoribus remediis novimus indigere. [Le pape énumèrc les maux par suite de
la guerre et continue :] Si quidcm, si tecum ista nobilitas tua consideret et inter
conscientie tue secretum iterata sepius meditatione revolvat, que nos indesinenter
nobiscum paterne compassionis atïectu et assidua cordis amaritudinc recensemus,
320 LA GUERRE DE CENT ANS
Mais ces derniers s'en retournèrent à Avig-non sans avoir obtenu le
résultat désiré. En route, ils furent attaqués par des g'ens d'armes
ou brig-ands qui tuèrent douze personnes de leur suite ^.
Déjà quelques mois avant, l'empereur Charles IV priait par lettre
la reine Jeanne de prendre la peine auprès de son neveu le roi de
Navarre « de avoir bonne pais de notre très cher cousin le régent. »
Le 12 octobre, la reine écrit à ce sujet au prieur de Saint-Martin-
des-Champs"^. Le triste état de la France et l'embarras où se trou-
vait le jeune régent avaient assurément inspiré cette démarche
de l'empereur. Dès le 12 septembre, il écrivait aux citoyens et aux
mag-istrats de Strasbourg et de Metz pour leur exposer le grand
péril dont était menacé le régent et les inviter à le secourir selon
leur pouvoir*^.
Mais, à tous ces efforts réunis, Charles le Mauvais répondait par
une guerre acharnée contre le régent et la France comme nous
l'avons vu au chapitre 111. Cependant, la marche des événements
amena peu à peu une réconciliation que le pape, l'empereur et les
cardinaux avaient été impuissants à procurer.
La trêve de Bordeaux qui devait expirer le 21 avril 1359 touchait
à sa fin ^. Le roi Jean, prisonnier en Angleterre, et son fils, régent du
nosiris ut speramus acquiesces monitis et subrepentibus jam dudum discordiis,
quantum in te fuerit, finem pones, animuni tuum ad pacis dulcedinem inclinando.
Nam etsi te gravis negotiorum multitude circumstrepat varieque sollicitudines ultra
quam tenella adhuc etas tua requirat pectus tuum ad expedienda que imminent
multipliciter interpellent, nichilominus tamen illud tuis semper infixum esse débet
afîectibus, ut prefati genitoris tui liberationem procures quanto potes ardentius fes-
tinare, que una cum desiderata nobis et toti Romane ecclesie pace inter ipsum et
carissimum in Christo filium nostrum Eduardum regem Anglie illustrem fîenda ex
hujusmodi discordiis quasi obstaculis oppositis récépissé verisimiliter creditur tardita-
tem. Igitur, fili, ut liberationem prefati genitoris tui et statum pacificum suum ac
tuum et prefati regni videre dignius merearis, audi et vide; inclina aurem tuam in
monita patris tui, ncc te adeo conceptus ex quacunque causa juvenilis fervor incen-
dat ut non sentias, plura intestinis discordiis quam exteris bellis régna et imperia et
sepe numéro potentissimas ac famosissimas toto orbe respublicas corruisse... [Signi-
ficat, se ad ipsos utillae domesticae dissensiones toUerentur, duos cai'dinales desti-
nasse, et se de pace concludenda etiam ad regem Navarrae scripsisse.j Dat. Avi-
nione viij kal. Januarii anno VI. » Dans Ray>'ald, on trouve la fin de la lettre
depuis : « Nam etsi te gravis. »
1. Vn.LAM dans Muratori, XIV, p. 550.
2. Œuvres de Froissart^ éd. Kervyn de Lettenhove, XVIII, p. 404.
3. Voy. A, Leroux dans ses Recherches critiques sur les relations politiques de la
France avec V Allemagne de 1292 à 1378 (1882), p. 267,
4. Voy. ci-dessus, p. 147.
TRAITÉ DE LONDRES, TRAITÉ AVEC CHARLES DE NAVARRE, 1359 321
royaume de France, étaient convaincus qu'après ce ternie les hostili-
tés éclateraient avec une force inouïe ; c'était la conviction presque
générale^. Que fallait-il attendre des Ang-lais quand ils auraient
champ libre, dès lors qu'ils s'étaient montrés si acharnés pendant la
trêve? Le roi et le rég-ent, craignant donc avec raison une nouvelle
invasion du roi d'Angleterre, cherchaient l'un et l'autre selon leur
situation respective à prévenir cette malheureuse éventualité.
Le rég'ent, tout à fait à la hauteur de sa tâche, se préparait à con-
tinuer la guerre. Mais de quelle manière allait-il faire face à l'en-
nemi? Ses forces disponibles étaient incapables de résister à l'enva-
hissante armée anglaise. « Chacun peut voir, lit-on dans un
Mémoire du temps, en quel état seront le peuple et le royaume, si
le roi d'Ang-leterre ou le prince de Galles reviennent, car nous
avons assez à faire de sauver nos corps contre les ennemis qui sont
à présent dans le royaume ~. »
Le régent essayait de se procurer des alliances. Lui et son frère
Jean, comte de Poitiers, envoyaient des ambassadeurs en Hongrie,
en Autriche et auprès de l'empereur Charles IV, comme il résulte
des lettres datées du 18 février 1359. Le pape écrit à Louis, roi de
Hong-rie, que le duc de Normandie et Jean, comte de Poitiers, lui
envoient Pierre Begon, archidiacre de Comminges, et le chevalier
Etienne Fayn, pour certaines affaires qui s'exposent mieux verbale-
ment que par écrit. Il lui rappelle sa parenté avec la maison de
France, le prie de bien recevoir les deux lég-ats et de les renvoyer
aux deux princes aussitôt que l'affaire aura été favorablement trai-
tée ^. Des lettres semblables étaient destinées aux deux reines Eli-
1. Au moins à Avignon on disait au commencement de 1359, que le roi d'Angle-
terre avait l'intention de venir à Calais, le duc de Lancaster en Provence, le prince de
Galles en Gascogne, un quatrième en Bretagne, et un autre encore en Normandie.
Choix (le documents hist. inédits sur le Dauphiné, par U. Chevalier (1874), p. 156,
où ce Mémoire est mal place à l'an 1360. Cf. encore ci-dessous, p. 323, not. 3.
2. Mémoire du printemps de 1359, cité ci-dessous, p. 323, not. 5.
3. Reg. Val. Innocent. VI^ n° 240, fol. 19 : « Carissimo in Christo fîlio Ludovico
régi Ungaric illustri, salutem, etc. Gum dil. filii nobiles viri Karolus dux Normanie,
primogenitus, et Johannes cornes Pictaven. natus cariss. in Christo filii nostri Johan-
nis régis Francorum illustris, dil. fîlios Petruni Begonis, archidiaconum de Aura in
ecclesia Convcnarum, et ndb. virum Stephanum de Fayno, militem, latores presen-
tiuni nuncios suos pro certis negotiis, sicut accepimus, per eos ministerio vive vocis
tue celsitudini exponendis ad prescntiam tuam mittant, nos attendentes quantum
inter te et illos, qui ex eodem generosi sanguinis stipite processistis, esse debeat vin-
R.-P. Denifle. — Désolât 10 ecclesiurum II. 21
322 LA GUERRE DE CENT ANS
sabeth, Tune mère, et l'autre femme du roi de Hongrie i. Par
différentes lettres, le pape engageait les archevêques de Grau, de
Kalocsa et quelques autres évêques et seigneurs à assister de leurs
conseils les deux légats envoyés auprès du roi Louis pour la réus-
site de leurs négociations -. Pierre Begon et Etienne Fayn furent
aussi envoyés aux deux ducs d'Autriche, Rodolphe et Frédéric,
pour la même affaire, et la duchesse est priée parle pape d'aider les
légats de son intervention et de sa faveur auprès de son mari
Rodolphe •\ Ce n'était pas encore assez. L'empereur Charles IV, le
plus puissant de tous et le plus voisin de la France, à qui il avait
toujours témoigné tant de bienveillance, ne devait pas être mis de
côté. Lui aussi était prié de recevoir les légats pour cette affaire que
le pape lui recommande instamment ^.
De quelle affaire s'agissait-il ? Je crois qu'en première ligne il
était question du triste état des domaines de l'Eglise en Italie, et
en particulier de la ville de Bologne, laquelle avait été, quelques
culuni caritatis et quam specialis dilectionis afl'ectus , serenitatem tuam rogamus
attente quatinus nuntios prefatos bénigne suscipiens eos super hiis, que tibi expo-
nenda duxerint, prout lionori tuo convcnit et excellentiani luani decet, velis de solita
munificentie tue plenitudine ad niittentes i*eniittere tam celeriter quam favorabiliter
expcditos. Datuni Avinione xii kal. Martii anno septinio. >»
1. lieg. Val. Innocent. VI, n" 2 iO. fol. 20, 21.
2. Ihicl., fol. 20 '\ 21 : « Yen. fratri Nicolao archiepiscopo Strigonien. saluleni, etc.
Guni ad... fraternitatcm tuam rogamus et hortamur attente quatenus prefatos nuncios
circa commissa eisdem négocia promovenda, prout cum Deo poteris, consiliis dirigas
apud regeni predictuni pro eorum expedilione favorabili, luis operibus et opéra
intendas diligentius et assistas ». Après : In eodem modo ven. fratri Thome archi-
episcopo Coloccn. ; nob. viro Xicolao, comiti Palatino ; nob. viro comiti de Cicilia ;
Stéphane) Nitrien. episcopo ; episcopo Waradien. ; episcopo Agrien. ; Guillelmo prepo-
sito eccl. Agrien. ; nob, viro Nicolao de 'sic)., militi generalis curie cariss. in Christo
filii nostri Ludovici régis Ungarie illustris judici.
3. Ibid., fol. 19'', 20''. Les lettres d'Innocent VI à deux ducs ont la même teneur
que celle au roi de Hongrie.
4. Ibid., fol. 21'' : « Carissimo in Christo 111. Ivarolo régi Homanorum semper
augusto. salutem, etc. Cum dil. filii nob. viri Karolus dux Normannie. dalphinus
Viennen.. primogenitus, et Johannes cornes Pictaven.. natus cariss. in Christo filii
nostri Johannis régis Francorum illustris, pro certis eorum negotiis, que ministerio
vive vocis latius exponi poterunt quam scripturis, mittant. nos attendentes quod ad
eosdem dalphinum et comitem tanuiuam ad filios tuos haberc te convenit paterne
dilectionis afTectum. serenitatem tuam rogamus et hortamur attente, quatenus prefa-
tos eorum nuncios bénigne suscipiens et magnitudinis lue benivolentia intelligens
diligenter eosdem super hiis que tibi exponcnda duxerint, prout honori tuo convenit
et excellentiam tuam decet. \ élis de solita munificentie tue plenitudine ad destinantes
remittere tam celeriter quam favorabiliter expeditos... Dat. Avinione xii kal. Martii
anno septimo. » Cf. ^^^EHU^SKY, n" i80.
TUAIÏÉ DK LONDKES, TKAITÉ AVEC CHAIU.KS DE NAVAHRE, 13^]1J 323
années avant, enlevée par force à l'Église Romaine K Nous savons
qu'en même temps le pape avait envoyé des légats auprès de l'em-
pereur Charles IV et du roi de Hongrie pour les engager à porter
secours contre les ennemis -. Mais ce but principal n'exclut pas la
question des affaires de France; autrement, on ne comprend pas
bien pourquoi le régent et le comte de Poitiers auraient envoyé
des légats. En eil'et on lit aussi dans un Mémoire du temps, adressé
au dauphin, que « messires escrive au S. Père qu'il vuille envoier
deux personnes suffisantes au roi d'Ongrie... qu'il vuille en sa
propre personne venir en son ayde et pour la délivrance du roy et
la deffense du royaume, et par consequens de toute crestienté...,
quar li diz rois est moult vaillans et si ayme moult l'onneur et le
proffit de France, et est moult dolans de la prison du roy et de ses
domaiges, et si est tenuz le plus puissans roys en gent et qui a la
meilleur qui soit ou monde ^ ».
Cette mission coïncide avec un autre projet. Le régent s'occupa
d'une alliance avec Waldemar III, roi de Danemark; il entama
avec lui des négociations qui aboutirent à un projet de des-
cente en Angleterre. Waldemar avait déjà avant cette année fait
des alliances avec plusieurs ducs, comtes, barons et chevaliers
d'Allemagne qui avaient juré d'aller avec lui en Angleterre ^. Le
but de cette invasion était de délivrer le roi Jean et d'empêcher le
roi d'Angleterre et d'autres d'envahir la France. L'Angleterre,
envahie elle-même, eût été forcée pour se défendre de rappeler
ses soldats répandus sur le sol français, ce qui eût mis fin à la
guerre et eût du même coup vengé la France. Des commissaires
envoyés par le régent devaient parcourir les provinces de la Langue
d'Oil dont les Etats approuvaient le projet ci-dessus, pour obtenir
qu'elles fournissent les premiers subsides. 11 restait encore aux
Languedociens 400.000 florins à verser '^•. Comme dans les pro-
1. Voy. Raynalo, Ann., 1350, n° 6 suiv. ; 1355, n° 25 ; 1356, n° 30; 1360, n" 6. Cf.
Reumont, Gesch. der Stadt Rom, II, p. 900 suiv., 928.
2. Voir ViLLANi dans Muratori, XIV, p. 605. Cf. encore Winkelmann, Acta imperii
inediia, II, p. 556, n° 872.
3. Dans Choix de documents (cite ci-dessus, p. 321, not. 1), p. 155. Personne ne
doutera plus que ce Mémoire est du commencement de 1359, non de 1360.
4. Mémoire cité dans la note suivante, p. 427.
5. Mémoire ou Mémorial, publié par Geumain dans Mém. de la Soc. archéol. de
Montpellier, t. IV (1858), p. 425 à 429; réimprimé par de Lettexhove dans Œuvres
324 LA GUERRE DE CENT ANS
vinces de Langue d'Oil, des émissaires allèrent plus tard en diverses
villes de la Langue d'Oc ^ Les Etats promirent 200.000 florins^.
Mais ce projet assez aventureux, ainsi que la mission des légats,
en ce qui pouvait concerner la France, restèrent sans succès; et le
régent dut se contenter du bon vouloir de chacun.
Le roi de France, prisonnier en Angleterre, essayait à sa façon de
prévenir une nouvelle invasion d'Edouard. On dit généralement que
l'intention du roi Jean était de recouvrer à tout prix sa liberté. Je ne
le crois pas. Il est bien compréhensible qu'il ait désiré revenir en
France, d'autant plus que jusque-là les négociations n'avaient pu
aboutir '^ ; mais s'il signa le traité de Londres dont nous parlerons
tout à l'heure, c'est sans aucun doute <( pour apaisier les guerres et
lez maulx et douleurs, dont le peuple estoit si mal mené », motif
pour lequel il ratifia plus tard le traité de Bretigny ; il considérait
les tristes conséquences de la guerre passée : l'occision de ses
sujets, le pillage des églises, l'incendie des villes, le viol des
pucelles, le déshonneur des femmes, la suspension du commerce et
bien d'autres maux encore, et comme il le dit lui-même, il pensait
à cela « plus que pour la délivrance de nostre personne ^ ». Quoi
qu'il en soit, le 18 mars il obtint la prorogation de la trêve jusqu'au
de Froissart, t. XVIII, p. 405 à 413. Le Mémoire est plein de faits, et inspiré par un
patriotisme élevé. Luce, Du Guesclin^ p. 293, place l'ouverture des négociations avec
Waldemar III seulement à la fin de mai, ou plutôt au mois de juin, après le retour
des légats en Angleterre, quand on avait appris à Paris qu'Edouard, transporté de
colère de ce que le traité n'avait pas été ratifié, caressait le projet d'envahir de nou-
veau la France. Mais le Mémoire fut déjà, le 24 juin, présenté à Toulouse (Germain,
p. 419, 429 et suiv,), et il y est dit (p. 428) que des commissaires étaient envoyés dans
toutes les provinces de la Langue d'Oil et que les Etats avaient déjà revêtu le pro-
jet de leur pleine approbation ; et qu'avant toutes ces marches, le régent en avait
délibéré avec son conseil durant plus d'un mois. De plus, avant cette délibération le
régent avait envoyé des conseillers en Danemark pour voir s'il était vrai que les
promesses de Waldemar seraient tenues. Avec tout cela, nous arrivons au moins
au [mois de février. L'ouverture des négociations avec le Danemark coïncide donc
avec l'époque où les légats du régent et du comte de Poitiers sont partis pour la
Hongrie et l'Allemagne.
1. Voy. Germain, p. 419, 429 à 434. Un document qui regarde les Alaisiens (14 août),
est dans A. Bardon, Hist. de la ville dAlais (1896), Pièces jiistif., n" 10, p. xix.
2. Voy. DoGNON, Les insliiutions politiques... de Languedoc (1895), p. 606.
3. Voy. ci-dessus, p. 149 suiv.
4. Lettre du 27 juillet 1361 dans Rymer, Foedera, III, p. 624 ; Bardonnet, Procès-
verbal de délivrance à Jean Chandos (Niort), p. 15, 16 suiv. Mais le roi parlait déjà
ainsi un an auparavant, le 8 juin 1360, dans sa lettre adressée aux Rémois. Varin,
Archives administrât, de la ville de Reims, III, p. 163.
TRAITÉ DE LONDRES, TRAITÉ AVEC CHARLES DE NAVARRE, 1339 325
24 juin \ et le 24 mars, il signa à Londres un traité désastreux par
lequel il abandonnait à Edouard : la Normandie, l'Anjou, le Maine,
la Touraine, TAngoumois, le Poitou, le Limousin, le Bigorre, le
Périgord, le Quercy, l'Agenais, Tarbes, le Pontieu, Guînes, Bou-
logne et la suzeraineté de la Bretagne. Le roi d'Angleterre devait
jouir dans ces pays de tous les droits de souveraineté qu'exerçait
« le roy françoys » le jour de la bataille de Poitiers. La rançon pour
la mise en liberté du roi Jean y était fixée à quatre millions d'écus
d'or, c'est-à-dire un million de plus que ne portera le traité de Bre-
tigny. Les otages devaient être quatre princes du sang royal, à
savoir : deux lils du roi, le duc d'Orléans et le duc de Bourbon,
et six autres 'qui devaient être livrés à Edouard avant le 1^*" août.
Dans le cas où le traité ne serait pas fidèlement observé, le roi Jean
redevenait prisonnier du roi d'Angleterre 2.
Si ce traité eût été ratifié parles Français, les Anglais auraient
régné sur tout le littoral depuis Calais jusqu'à Bayonne. Ils auraient
eu en leur pouvoir les passages de la Loire, ancienne barrière de leur
puissance en Aquitaine, et en même temps ils auraient occupé les
deux rives de la Seine jusqu'à Vernon 011 leur garnison n'aurait été
qu'à seize lieues de Paris. La moitié occidentale du royaume eût
reconnu P]douard pour souverain. La royauté française se serait
retrouvée enfermée dans le berceau que lui avaient créé les pre-
miers Capétiens '^.
Edouard croyait être au comble de ses désirs, car il recevait ainsi
plus qu'il n'avait espéré au commencement de la guerre, ou même \
en 1344. Mais qu'en était-il de son allié, Charles le Mauvais avec
lequel il avait fait plusieurs traités, un des plus importants vers la
fin de 1357 ou au commencement de 1358, et un autre au mois
d'août 1358 qui était encore en vigueur ^? J'ai déjà fait remarquer
plus haut que le traité de la fin de 1 357 ou du commencement de
1358, par lequel Charles le Mauvais serait devenu roi de France
sous la suzeraineté d'Edouard, ne devait probablement servir à ce
1. Rymer, III, p. 422.
2. Voy. le traité public par Cosneau, Les grands traités de la guerre de Cent ans,
p. 3 à 32. Moins correct clans les Œuvres de Froissart par Lettenhove, XVIII, p. 413
à 433.
3. Kervyn de Lettexhove dans Froissart, VI, p. 489 suiv.
4. Voy. ci-dessus, p. 177 suiv.
326 LA GUERRE DE CENT ANS
I
dernier qu'à frapper un coup définitif après lequel le roi de Navarre,
Charles le Mauvais, serait resté dupe K C'est ce qui eut lieu en
regard du traité conclu entre Edouard et Charles au mois d'août
1358. Dans le traité de Londres 1359, une clause concerne Charles
le Mauvais : « Au cas où il voudrait empêcher ou détourber par
lui ou par d'autres les choses qui sont et seront accordées entre les
deux rois (Jean et Edouard), ou ne voudrait prendre leur récom-
pensation pour les choses qui seraient laissées du sien au roi d'An-
gleterre par ce traité, ou ne voudrait venir à obéissance du roi
français, le roi d'Angleterre, comme allié de la France, serait tenu
d'aider le roi français et d'être pour lui contre le dit roi de
Navarre - ». Charles le Mauvais eût été réduit à attendre de la bonté
du roi de France une compensation pour celles de ses possessions
qui tombaient au pouvoir du roi d'Angleterre et il eût été obligé
de se soumettre au roi Jean devenu l'allié d'Edouard. Le roi d'An-
gleterre croyant avoir atteint son but, et n'ayant plus besoin du roi
de Navarre, rompait sans l'avertir l'accord conclu avec lui et le
mettait de côté.
Der Mohr hat seine Arbeit gethan, der Mohr kann gehen ^.
Certes, c'était de la part d'Edouard un manque de loyauté
envers son ancien allié et une preuve de plus à l'appui du reproche
que les Français faisaient au même temps au roi d'Angleterre de
s'être plusieurs fois rendu coupable de parjure ^. Mais Charles le
Mauvais ne se parjura-t-il pas lui aussi maintes fois envers le roi
Jean et le régent et même envers le roi d'Angleterre ou le duc de
Lancaster? D'ailleurs, s'il eût été plus clairvoyant, il eût pu déjà,
en signant le traité du mois d'août 1358, deviner qu'Edouard aspi-
rait à la possession de la Normandie ; car lorsque les plénipoten-
tiaires de Charles prétendirent que cette province lui devait être
cédée, les plénipotentiaires d'Edouard ne consentirent pas, disant
que les deux rois régleraient cet article entre eux. Il fut bien réglé,
1. Voy. ci-dessus, p. 179.
2. CosNEAU, l. c, p. 23 suiv.
3. S<niiLLER's Verschworuncf des Fiescn, 3, i.
4. Dans le Mémoire du printemps de 1359, plusieurs fois cité, on lit : « Onques ne
nous tindrent les Anji;les vérité ne loyauté, et plusieurs foiz s'est li roys d'Anjileterre
parjurez de ses acors. » Gehmain, Mém., p. 429. Voy. encore ci-dessus, p. 103 suiv.
TRAITÉ DE LONDRES, TRAITÉ AVEC CHARLES DE NAVARRE, 13^9 327
en effet, mais sans Charles le Mauvais. C'est ainsi qu'il fut dupé, et
d'autant plus durement qu'à la même occasion, il voyait son frère
Philippe traité en ami et recevant tout ce à ([uoi lui et ses adhé-
rents avaient aspirée Dans ces dernières années, Philippe s'était
montré beaucoup plus fidèle que Charles à Edouard et à sa cause et
il recevait la récompense de sa fidélité -.
La nouvelle et le texte du traité de Londres arrivèrent à Paris
seulement au mois de mai et y furent apportés entre autres par
Guillaume de Melun, archevêque de Sens, les comtes de Tancarville,
de Dampmartin et Arnoul d'Audrehem. Le rég-ent convoqua à Paris
les gens d'église, les nobles et les députés des bonnes villes pour
le 19 mai. Mais lecovirt intervalle de temps laissé entre la convoca-
tion et le jour fixé et le peu de sécurité qu'ofl'raient les routes tou-
jours infestées d'Anglais, de Navarrais et de routiers, ne permirent
pas aux députés de venir en grand nombre. L'assemblée se tint seu-
lement le 25 mai. Guillaume Dormans, avocat du roi au Parlement,
y lut le traité en présence des trois Etats et de tout le peuple.
Le contenu du traité « fut moult déplaisant à tout le peuple de
France. » Les Etats étaient d'avis que le traité n'était « passable ne
faisal)le -^ » ; ils ajoutent « qu ils auraient plus cher à endurer et por-
ter encore le grand meschief et misère où ils étaient, que le noble
royaume de France fût ainsi amoindri et défraudé ^ ». Et pour cela
ils « ordonnèrent à faire bonne guerre aux Anglais '^ ».
Le peuple et les Etats firent preuve par ce refus d'un grand patrio-
tisme. On a dit qu'à cette époque la patrie, pour les Français,
c'était leur village, leur champ ou leur enclos, leur chaumière, la
terre où dormaient leurs pères, c'est-à-dire la patrie locale '"'. Rien
de plus faux. Si pour eux la patrie eût été leur clocher, pourquoi
auraient-ils rejeté le traité? Dans ce cas, il devait leur être indifférent
de vivre sous telle ou telle domination pourvu qu'on les laissât tran-
1. Cf. COSNEAU, l. c, p. 24.
2. Philippe demande à Edouard, dans sa requête de 1357, d'avoir parti à chaque
traité (jue celui-ci ferait avec la partie adverse. ÔEuvres de Froissart par m; Letten-
HOVE, t. XVIII, p. 398 suiv.
3. Grand. Chron., p. 151 à 154.
4. Froissaut, éd. Luge, V, p. 180.
5. Grand. c/jron.,p. 154. Cf. Chron.de R. Lescot, p. 137 suiv.
6. G. GuiBAL, Hisi.dn sentiment national en France pendant la guerre de Cent ans
(1875), p. 91.
328 LA GUERRE DE CENT ANS
quillement jouir en paix des anciens privilèges avec l'espoir de s'en
voir conférer de nouveaux; car, à la vérité, les Anglais, pendant le
règne du roi Jean, montrèrent quelquefois plus de régularité et de res-
pect pour les libertés municipales que les Français. Mais ce n'était
point cela. Les Français d'alors avaient déjà Vidée de la patrie com-
mune. Le pays lui-même leur est encore plus cher que le roi ; ils
n'acceptent pas que le noble royaume qui s'était formé peu à peu
depuis 23lusieurs siècles soit démembré et détruit ^ ; et bien qu'au
comble du malheur, ils rejettent pour la France ime domination
étrangère, sous l'inspiration de ce principe national : La France doit
à tout prix rester aux Français -.
Froissart dit à tort que Charles le Mauvais fut cause de l'échec
des deux rois de France et d'Angleterre ; qu'il aurait conseillé
au régent de rejeter le traité, ce qu'aurait dit aussi avec irritation le
roi Jean^. C'est impossible, parce qu'à ce moment les deux princes
n'étaient pas encore réconciliés. Mais à coup sûr, pour son propre
intérêt, Charles le Mauvais fut satisfait de la non-ratification ; et la
clause de ce traité qui le concernait peut bien être considérée
comme le premier agent de sa réconciliation avec le régent, arrivée
quelques mois après.
Il n'est pas improbable qu'Innocent VI ait espéré cette fois une
bonne issue des négociations. Il n'avait rien tant à cœur que l'élar-
gissement du roi Jean auquel il contribua même de sa part en
envoyant le 1 4 juin par son nonce Hugues Pelegrin, et par Rai-
mon Pelegrin, la somme énorme de cinq mille florins d'or au roi
Jean ^. Le pape fut toujours le meilleur ami de la France.
1. Louis Legrand, L'idée de Patrie (1897), p. 18 suiv,, trouve la patrie française
constituée définitivement seulement dès la fin du xv" siècle, lorsque la Bourgogne
refuse de se laisser détacher du royaume. Mais les Français du xiV siècle ont-ils agi
autrement? Et ce fait se répète continuellement. Voy. ci-dessous, paragraphe 4.
2. Voy. ci-dessus, p. 5.
3. Chron., p. 179 suiv., 181. Cette confusion des dates a échappé à Secousse, Mém.,
p. 401 suiv., qui rapporte aussi le récit de Froissart.
4. Reg. Vat., n" 241, fol. 78'' : « Carissimo in Christo filio Johanni régi Francorum
illustri salutem, etc. Dil. filiis HugoniPelegrinithesaurarioLichefelden. ecclesie apost.
Sedis nuntio et Raymundo Pelegrini archidiacono Sancti Sereni in eccl. Caturcen.
fratribus damus per nostras alias litteras in mandatis, ut tibi, carissime fili, vel tuo
certo mandato, quinque milium florenor. auri summam habeant manualiter assignera.
Quocirca Serenitati tue per te vel alium seu alios dictam quinquemilium florenor.
auri summam a dictis Ilugone seu Raymundo fratribus auctoritate nostra petendi,
TRAITÉ DE LONDRES, TRAITÉ AVEC CHARLES DE NAVARRE, 13o9 329
Le rég-ent ne voulait pas, avec raison, sacrifier la France au
rachat de son père, et pour faire face à l'irritation du roi Edouard,
il se préparait à la guerre dans la mesure où sa triste situation le
lui permettait. Le plus pressant était de pourvoir à la sûreté de la
capitale. Déjà un peu avant, il avait puni sévèrement quelques gens
d'armes des forteresses environnant Paris qui entretenaient des
intelligences secrètes avec les Anglais et d'autres ennemis de la
France, dans le but de leur livrer ces places ^ Le régent, à peine
âgé de vingt-trois ans, se sentit assez fort pour rétablir, le 28 mai,
les vingt-deux officiers proscrits par l'ordonnance du 3 mars 1357,
dont deux étaient morts dans l'intervalle. 11 réintégra les autres
dans leurs charges, les remit en possession de leurs biens et
annonça que cet acte de réparation serait notifié au pape^ aux car-
dinaux, à l'empereur, aux prélats, aux gentilshommes et aux gens
des bonnes villes -, montrant par cet acte qu'il avait secoué sa
timidité et affirmait son autonomie. 11 savait que les dispositions des
Parisiens s'étaient modifiées et qu'insensiblement, l'autorité légi-
time reprenait tous ses droits. Le l^'" juin, il institua Régnant de
Gouillons, ancien sénéchal du Poitou, capitaine général de Paris et
de Lagny ^. Le 2 juin, les Etats généraux accordaient au régent
que les nobles serviraient à leurs dépens dans ses troupes pendant
un mois et qu'ils paieraient les impositions qu'ordonneraient les
bonnes villes. Les gens d'église s'offrirent aussi à payer ces impo-
sitions. La ville de Paris fit don de six cents glaives, trois cents
archers et mille hommes à pied ^.
Toutes ces mesures étaient insuffisantes pour la sécurité de la
ville de Paris. Un certain nombre des forteresses qui l'entouraient
exigendi et habendi et de receptis solummodo liberandi plenius et quitandi plenani et
liberain concedinius tenorc presentium facultatem. A'olumus aiileni quod de hiis que
abinde celsitudo tua reciperc contingerit et quitare, duo consiniilia fiant publica
instrumenta, quorum altero pencs (juos tanget dimisso, reliquum nostre caméra
transmittatur. Dat. apud Villamnovam Avinionen. dioc. xviii kal. .Tulii anno vu. »
Ibid., fol. 78, est sous la même date le mandat « Hugoni Pelegrini » et « Raymundo
Pelegrini. »
1. Secousse, Mém., p. 375 suiv.
2. Grand, chron., p. 154; Ordonn. des rois, III, p. 345. Voy. ci-dessus, p. 139, et
N. Valois, Le conseil du roi aux XI V", XV" et XVI^ siècles, p. 69.
3. Secousse, 1. c, p. 378 suiv.
4. Grand, chron., p. 154 suiv.
330 LA GUERRE DE CENT ANS
pouvaient servir de log-ement à rennemi. Regnaut de Gouillons,
avec l'approbation du régent, donna ordre de les abattre K Plusieurs
autres étaient occupées par les ennemis, en particulier par les
Navarrais qu'il fallait chasser. Une de ces places était Melun dont
ils possédaient la partie située sur la rive gauche de la Seine, avec
le château dans l'île, formée par deux bras du fleuve ~, et que le
régent entreprit de leur enlever dans la première quinzaine de
juin. Le 18, il vint en personne l'assiéger à la tête de forces impo-
santes. A cet effet, il fortifia l'abbave cistercienne du Lvs, sur la
rive gauche, si maltraitée par les Navarrais l'année précédente •^.
Trois reines résidaient alors dans le château, c'étaient Jeanne, tante
de Charles le Mauvais, Blanche sa: sœur et Jeanne de France sa
femme ^. De grands personnages tels que Robert de Fiennes, con-
\ nétable de France, Gui de Ghâtillon , comte de Saint-Pol, prirent
part à cette lutte. Mais le héros du siège fut Du Guesclin qui, après
avoir été presque tué par le Bascon de Mareuil, un des plus ter-
ribles capitaines de la garnison navarraise, dirigea les derniers jours
l'assaut général ^.
Cependant, le 10 juillet, on savait à Melun, au moins au camp
des assiégeants, que le roi d'Angleterre se proposait d'envahir la
France (au mois d'août, disait-on) et d'assiéger Reims ^'. Ces nou-
velles parvinrent peu après aux assiégés et les reines enfermées
dans le château s'entremirent alors entre le régent et le roi de
Navarre, « car se monseigneur le duc et le roy de Navarre avaient
guerre ensemble, le royaume de France serait en péril d'être
perdu », et le roi d'Angleterre ne fera pas ses conquêtes « par
l'avantage des fortz et des pontz du roi de Navarre qu'il a en
France ^ ». Des préliminaires de paix furent arrêtés et, le 31 juillet,
1. Secousse, Preuves, p. 1 43 suiv.
2. Ci-dessus, p. 219.
3. Ihid. Cf. Grand chron., p. 155.
4. Froissart, p. xLviH et note 2; Luck, Du Guesclin, p. 298.
5. Chron. de R. Lescot, p. 139. Voy. sur tous les détails Lijce, p. 299 suiv., 303,
d'après Guveher, Chronique de Bertrand du Guesclin, éd. Ghahhihhe, t. I, p. 124
suiv., vers 3510 à 3670.
6. Voy. Varin, Arch. adminislr. de lu ville de Reims, t. III, p. 140, et ci-dessous,
paragraphe 2.
7. Chron. des quatre premiers Valois, p. 99 suiv. Sur les négociations suivantes,
voy. Froissart, p. 162 suiv., mais surtout Grand, chron., p. 155 à 159; Secousse, Mém.,
TRAITÉ DK LODKES, TRAITÉ AVEC CHARLES DE NAVAKRE, 1359 331
le rég-ent retourna à Paris. Après de longues et laborieuses négo-
ciations, la paix entre le régent et Charles le Mauvais fut enfin
signée à Pontoise, le 21 août '. (^e dernier se contenta de la restitu-
tion des villes, des terres et de l'argent qui lui appartenaient. Le
môme jour, la reine Blanche, sa sœur, céda Melun au régent en
échange de Vernon, de Pontoise, du vicomte de Gisors. de (iour-
nay et de Neufchâtel-en-Bray '-.
La renommée que Charles le Mauvais s'était acquise chez ses
contemporains était si détestable, sa duplicité était tellement connue
et on l'avait vu si souvent rompre les traités, que plusieurs soup-
çonnèrent qu(i cette paix était une nouvelle trahison ^ D'autres
disaientqu'il avait signé cette paix du consentement du roi d'Angle-
terre pour ruiner davantage encore la maison de France '*. D'autres
enfin pensaient que ces sentiments lui avaient été inspirés par
Dieu •'. A mon avis, c'était de la part du roi de Navarre une ven-
geance contre le roi d'Angleterre qui, comme nous l'avons vu,
avait si singulièrement agi envers lui dans le traité de Londres. Un
traître se vengeait de la trahison d'un autre traître. Mais c'était
aussi un acte de prudence de la part du roi de Navarre. Le traité, il
est vrai, ne fut pas ratifié, mais les armements gigantesques
d'Iulouard pour la terrible invasion qu'il préparait étaient connus
en France. Comme les reines enfermées au château de Melun et
comme beaucoup d'autres. Charles le Mauvais prévoyait un désastre
qui serait pour la France pire que la ratification du traité. Et quel
en serait le r/sultat? Peut-être courait-il alors grand risque d être
écarté tout à fait. 11 crut ses intérêts mieux sauvegardés par une
paix conclue avec la France qu'il voyait aller vers l'abîme. A ce
moment peut-être un sentiment de regret le dominait, car il pou-
p. -389 sui\ . Li'CE, 1. c, p. .303, not. 2, dit, qu'aussi Innocent Vl << peu a\ant le mois
de mai 1359 » députait les cardinaux Talleyrand et Capocci à Meulan pour tenter un
suprême effort au[)rès de Charles le Mauvais. Ce « peu avant le mois de mai » est la
iin de décembr<; 1358, connue nous avons vu plus haut, p. 318.
1. Le document de la paix n'est pas conserve. Mais voy. Grniid. chron.. p. 159;
Chron. de R. Lescnl, p. 139.
2. Lmce, 1. c.
3; Grnud. chron . p. 160; (Ihron. de B. Lescof, 1. c. ; A^m.la.m dans Miratoui, XIV,
p. 567.
4. ViM,.vM, p. 577.
5. Griind. chron., 1. c.
332 LA GUERRE DE CENT ANS
vait se dire qu'il était Fun des auteurs de tant de maux. Quoi qu'il
en soit, le 21 août, il dit devant le conseil du régent qu'il veut être
à l'avenir ami du roi et du régent de France, parce qu'il voit bien
« que le royaume de France estoit sur le point d'estre destruit », et
lui, si proche de la maison de France par son père et sa mère, ne
peut ni ne veut souffrir ce malheur; qu'à l'avenir, il servira de
tout son pouvoir le roi et le régent. Devant le peuple, il ajouta qu'il
ferait rendre toutes les forteresses prises par lui et par ses alliés
depuis qu'il s'était fait l'ennemi du roi et du régent i. Peut-être
que Charles le Mauvais fut alors plus sincère qu'il l'avait jamais été
dans sa vie, car dans les trois années qui suivirent on eut peu de
choses à enregistrer à son sujet ~.
Les armements d'Edouard durent aussi disposer le régent à faire
la paix avec Charles le Mauvais; dans le même temps, il craignait
un échec devant Melun parce que, le 25 juillet, Philippe de Navarre
avait commandé à la garnison de Meulan de se diriger contre lui ;
enfin, le 26 juillet, il apprenait que le roi de Navarre, avec une nom-
breuse compagnie de gens d'armes, était arrivé à Mantes où il
attendait Philippe, son frère. Le régent écrit le même jour aux
bourgeois de Reims en leur demandant de secourir la ville de
Melun 2. Mais l'exécution de cette demande était plus que problé-
matique, vu la situation de la ville de Reims. Il était donc plus
prudent d'entrer en négociations avec Charles le Mauvais. Néan-
moins, à cette occasion, le régent se montra très ferme, n'accordant
au roi de Navarre que ce qui était selon le droit, mais, à part cela,
il n'hésita pas un moment à se réconcilier avec lui.
Cette réconciliation comblait Innocent VI d'une joie qu'il exprimait
1. Grand, chron., p. 159 suiv.
2. Secousse, Mém., p. 398 suiv., prétend que Charles le Mauvais voulait dresser des
embûches au récent et le faire périr « dans l'espérance qu'au milieu du trouble et de
la confusion dont la mort de ce prince seroit suivie, le roi d'Angleterre, qui étoit sur
le point d'entrer dans le royaume à la tète d'une puissante armée, en feroit facilement
la conquête ». Secousse parle en ces termes, parce qu'il ne connaissait pas le texte
du traité de Londres et la clause qui y regarde Charles le Mauvais. Du reste, quels
sont les actes de ce prince dirigés contre le régent et la France pendant l'invasion
dÉdouard? Ce que dit Froissakt, p. 215, que le roi de Navarre avait défié le régent
est une fable. Je reviens tout à l'heure sur deux faits apportés contre le Navarrais
par Luge, ihid., p. lxii, not. 2, qui suit seulement Secousse (p. 400, 403). Pour ce qui
est du récit de Zantfliet, cf. de Lettenhove, Froissart, VI, p. 491.
3. Varin, Archives administratives de la ville de Reims^ III, p. 142.
TRAITÉ DE LONDRES, TRAITÉ AVEC CHARLES DE NAVARRE, 13o9 333
dans ses lettres à chacun des deux princes le 10 septembre K II les
exhorte à persévérer dans une bonne entente pour leur bonheur et
celui de la France ; mais quelques passag-es de ces lettres prouvent
encore une fois qu'Innocent regardait bien Charles le Mauvais
comme l'agent de la discorde. Enfin le roi de Navarre et le régent
1. Reg. Vat. Innocent. VI, n° 240, fol, 82 : Carissimo in Christo fil. régi Navarre
illustri, salutem, etc. Exultavit in Domino cor nostrum et expectata jam
dudum mentem nostram complevit alacritas placide admodum per nos noviter
intellectis hiis, que litterarum tuarum et dil. filii nob, viri Garoli ducis Nor-
mannie cariss. in Christo filii nostri Johannis régis Francorum illustris pri-
mogeniti jocunda séries continebat. Quid enim de vobis jocundius potuit ad
nostras aures pervenire, quam quod depositis domesticis odiis et intestine discordie
nubilis, quibus interioris hominis oculos hostis humani generis et tenebrarum pater
obduxerat, splendore pacis et puro concordie lumine serenalis, tandem ex inimicitiis
in amplexus et colloquia veniretis. Gontemplamur equidem vos pre gaudio et quasi
vos présentes haberemus, datis utrinque manibus, nunc hinc, nunc inde paternum
osculum desiderio mentis imponimus, vobisque congratulamur paterne caritatis aflec-
tibus de longinquo. Fecistis namque rem nobis et christifidelibus gratam pariter et
acceptam, vobis utilem et regno Francie tam multis fatigato laboribus plurimum
fructuosam. [Le pape expose les biens provenant de la paix, et les malheurs qui
suiv^ent la discorde, et continue ; ] Sed si hec et illa ad rem ipsam pertinentia débita
meditatione considères, carissime fili, et quis sit pacis et concordie fructus et discor-
diarum finis ad interni judicis deducas examen, profecto non tantum concoi'diam,
quam vestris pecloribus Dominus inspiravit stabilii'c cotidie quantum in te fuerit
procurabis, sed pudebit etiam cum fratre tuo, cui te generosi sanguinis stipes unit,
habuisse discordiam vel in fraternam secum longe prius amicitiam non rediisse. Licet
itaque ad hujusmodi rei tam laudabilis firmitatem credamus mansuetudinem regiam
nostris suasionibus aut monitis non egere, cogentc nos tamen paterne caritatis alTectu
excellentiam tuam rogamus... quatinus pacem et unitatem prefatam, ut dictarum
litterarum vestraïaim ténor habct, inter vos stabiliter reformatum, omni diligentia
colère et solida cures perseverantia confirmare et corone Francie juxta tue promis-
sionis debitum intendere fideliter et servire, ut sic in amore fraterno, etc. Ceterum
super promotione dil. filii magistri Roberti Porte, cancellarii tui, ad ecclesiara
Al)rincen. vacantem ad presens, pro quo tam regia celsitudo, quam dux predictus,
nobis in eisdem litteris humiliter supplicavit, nondum spirante vacationum tempore,
nichil potuit per nos cum IVatribus nostris S. R. E. cardinalibus consultari. \''erum in
tempore matura cum eisdem cardinalibus deliberatione prehabita tam tibi quam
prefato duci curabimus de promotione ipsa quantum cum Deo poterimus compla-
cere. Dat. Avinionc iiij idus Septembris anno VII ».
La lettre adressée au régent (fol. 83) est identique avec la lettre destinée au roi
de Navarre, jusque : « Sed si hec, fili dilecte, attenta meditatione considères, et...
quanta quoque juvenilibus tuis humeris, quod pia compassione referimus, negociorum
incumbant onera et quanta te premat gravitas agendorum, profecto concordiam,
ipsam quam vestris pecloribus dominus inspiravit, et ex qua tam régi patri tuo quam
tibi ac regno Francie plura sunt quam previderi possint commoda verisimiliter pro-
ventura, stabiliter cotidie et cum dicto rege Navarre flammam mutue caritatis ardere
quantum in te fuerit procurabis. Licet itaque [etc., comme plus haut, jusquel perse-
verancia confirmare ut sic in amore fraterno », etc. Suit Tavertissement relatif à
Robert Porte.
334 LA GUEKRE DE CENT ANS
demandaient au pape que Robert Porte, chancelier du premier, lut
promu au sièg-e d'Avranches. A la même date, le pape écrivit aussi
à Jean de Dormans, chancelier de Normandie, évêque de Beauvais,
le priant d'assister le-» deux princes de ses conseils afin que leur
amitié soit durable '.
Qui se montra irrité de ce traité, ce fut Philippe de Navarre, le
bien-aimé d'Edouard III ; il reprocha à son frère d'être déloyal
envers le roi d'Angleterre et partit brusquement ~. Mais Charles le
Mauvais tint parole : peu après la conclusion du traité, les Anglais
sortirent de Poissy, de Ghaumont en Vexin et de plusieurs autres
forteresses -K Si cela ne s'exécuta pas partout, on ne peut le lui tou-
jours imputer ; les soudoyés anglais et même ceux des Navarrais
refusèrent souvent d'évacuer les places et continuèrent la guerre. Il
n'était pas au pouvoir de Charles le Mauvais de réparer, ni de
faire cesser à son g-ré les maux qu'il avait lui-même inlligés à la
France. Il aurait pu dire avec le poète allemand '* :
Die ich rief, die Geister,
W erd' ich nun nicht los.
D'autre part, Philippe de Navarre restait toujours allié du roi
d'Angleterre et par suite ennemi de la maison de France. Or, leurs
armées respectives étant toutes deux navarraises, il était, pour les
contemporains, facile de les confondre ; puis, parmi les troupes du
roi de Navarre, tous ne chang-èrent pas avec leur maître de senti-
ments envers la France. Pour ces raisons, on ne voit pas clairement
si Charles le Mauvais est responsable de la prise de Glermont-en-
Beauvaisis par le captai de Buch, le 18 novembre ^ et de la conspi-
ration navarraise soulevée contre le roi et le régent par un bourgeois
de Paris, Martin Pisdoë, qui fut exécuté le 30 décembre ^\ Quant
i 1. Reg. Vat. Innocent. VI, n" 240, fol. 83»'.
2. Froissart, p. 163.
3. Grand, chron., p. 160.
4. Goethr's BdUâde Der Znnberlehrling.
5. Ibid., p. 164 suiv. Voy. ci-dessus, p. 222.
6. Ibid., p. 166 suiv. Ce sont les deux faits dont j'ai parlé ci-dessus, p. 332, not. 2.
Un autre. Jean Pcllerin, accusé de trahison, fut aussitôt exécuté à Paris, et il
avoua qu'il avait des complices à Rouen, amis du roi de Navarre. ChÉruel, Hist. de
Rouen pendant Vépoque communale, II, p. 207. Malheureusement, l'auteur ne donne
pas la date.
TRAITÉ DE LOiNDKES, THAITP^ AVEC CHARLES DE iNAVAHRE, 13o9 335
au fait du captai de Buch, le roi de Navarre ne paraît pas en avoir
été complice ; d'après le récit du bascot de Mauléon, le captai se
tenait à Clermont et se battait pour le roi d'Angleterre ^ ; c'est
donc sur Edouard et non sur Charles le Mauvais que retomberait
la responsabilité de la prise de Clermont. Il y a tout lieu de croire
que la prétendue hostilité du roi de Navarre contre le régent à cette
époque est une fable avancée par certains chroniqueurs. Dans le
troisième paragraphe, nous verrons eifectivement qu'en mars 1360,
Innocent VI l'engage à assister de ses conseils les légats auprès du
régent, au sujet de la conclusion de la paix entre la France et l'An-
gleterre. Au même temps, Charles le Mauvais refusa la lieutenance
générale de Normandie devenue vacante par l'emprisonnement de
Louis d'Harcourt, disant : « s'il faisoit tous les biens du monde, si
diraient aucuns qu'il ne feroit fors à la confusion du prince et du
pais - ».
Le 14 octobre, avait lieu à Paris, en présence du régent et de
Charles le Mauvais, le mariage de Jean d'Harcourt, fils du comte
d'Harcourt exécuté en 1356 à Rouen par ordre du roi Jean, et de
Catherine de Bourbon, sœur de l'épouse du régent •^. Ce mariage
devait cimenter le traité.
On voit par là que le régent avait, comme plusieurs fois aupara-
vant, pris le traité au sérieux ; c'est un témoignage de plus de la
justice et de la noblesse de son caractère. Il envoya aussi partout
des lettres contenant le traité conclu avec le roi de Navarre, recom-
mandant celui-ci à la bienveillance du peuple et lui donnant la
lil)erté de venir à Paris ; mais les Parisiens et le nouveau prévôt des
marchands firent des dilïicultés parce qu'ils redoutaient encore
quelque intrigue des traîtres tels que l'évéque Robert le Coq,
Michel Casse, chancelier de l'église de Noyon, et plusieurs autres '*.
1. OEuvres de Froissart, éd. de Lettenhove, t. XI, p. 109. Ce récit a échappé ù
LucE, Fj'oissarl^ V, p. lxii, not. 2.
2. Chroii. des quatre premiers Valois, p. 110. Covim.h, Les États de Xormandie^
p. 98 suiv., prétend qu'un conciliabule tenu par les partisans de Charles le Mauvais
a ofïert à ce dernier la lieutenance. Mais, si cela est vrai, comment le même conci-
liabule pouvait-il ensuite choisir l'archevêque de Rouen pour lieutenant du roi en
Normandie ?
3. (ir:ind. r/iron., p. 16 i.
l. Ihid., p. KîO, 1(31.
336 LA GUERRE DE CENT ANS
2. Sixième invasion du roi Edouard III en France.
Les Anglais devant Reims., en Bourgogne et devant Paris.
Edouard, irrité de ce que la France n'avait pas ratifié le traité
conclu entre lui et le roi Jean, commença aussitôt après l'expiration
de la trêve, c'est-à-dire après le 24 juin 1359, les préparatifs d'un
nouvel envahissement. Le 5 juillet il enjoignit à tous les Français
qui se trouvaient en Angleterre d'en sortir dans le délai de quinze
jours, les prisonniers exceptés K Le 12 août, dans une lettre adres-
sée à l'archevêque de Canterbury, il déclare qu'il a été trompé par
son adversaire, le roi de France, touchant le traité ; qu'à cause de
cela, il va recommencer les hostilités et il invite l'archevêque à
prier pour cette affaire 2. Le 14 août, il fit transférer le roi Jean de
Londres à la forteresse de Somerton '^. C'est peut-être alors que se
répandit le bruit de l'interception d'une lettre du roi Jean, par
laquelle il aurait écrit qu'il ne céderait pas un pouce de terrain à
l'Angleterre ^. Edouard assembla la plus formidable armée que
l'Angleterre eût encore envoyée au delà des mers. Il appela sous
les armes tous les hommes valides de son royaume depuis vingt
ans jusqu'à soixante ^. En même temps, des troupes auxiliaires se
préparaient sur le continent. Gautier Masny arrivait à Calais avec
quinze cents combattants de l'Allemagne et du Ilainaut ^. Ce guer-
rier, chevalier du diocèse de Cambrai, avec qui nous avons déjà
fait connaissance dès le commencement de la guerre, avait juste-
ment projeté la même année d'envahir avec ses troupes le Cambré-
sis et de faire la guerre à l'évêque et à tout le pays. Le 16 avril,
Innocent VI en avise l'empereur Charles IV, le priant d'employer
toute son autorité à empêcher dès le principe cette invasion ^. Il
1. Delpit, Collection générale des documents frnnçnis, etc., I, p. 82, n° 181.
2. Rymer, Foedera, III, p. 442.
3. Ibid., et p. 438, 442.
4. Voy. ci-dessus, p. 150 suiv.
5. Froissart, éd. Luce, V, p. 198.
6. Knightox, p. 105.
7. Recf. Vat. Innocent. VI, n" 240, fol. 31 : « Carissimo in Christo filio Carolo Roma-
norum imperatori... Nimirum, fili carissime, excrescente dierum malitia plena turba-
tionum sunt omnia nec desunt qui cotidie opprimant innocentes. Nupcr siquidcm ad
aures nostras querula satis insinuatione pci'veniL, prout etiam ad excellentic tue noti-
LES ANGLAIS DEVANT REIMS ET DEVANT PARIS, 13î)9, 1360 337
semble que Gautier Masny, instruit de la descente en France proje-
tée parle roi d'Angleterre, ait changé son plan puisqu'il se dirigea
vers Calais.
Le dessein d'Edouard était d'aller tout droit à Reims avec son
armée et de donner le coup de grâce à la maison de France en s'y
faisant couronner roi ^. En présence de l'épouvantable situation du
royaume absolument dépourvu d'une armée qui pût faire face à l'ar-
mée anglaise, on pouvait plus que jamais prédire : Finis Françiae.
Mais on vit encore une fois se vérifier cet adage : l'homme propose
et Dieu dispose.
Le l^'" octobre, le duc de Lancaster débarqua à Calais. Cette ville
était déjà remplie par les troupes indisciplinées de Gautier Masny
qui durent évacuer pour faire place à l'armée d'Edouard 2. Le duc
de Lancaster se mit à la tête de ces troupes et entreprit une che-
vauchée à travers l'Artois ; il passa devant Saint-Omer dont les
habitants, prévoyant le danger, s'étaient proposé de prendre, pour
assurer la sécurité de leur ville, l'abbaye cistercienne de Clairma-
rais, d'y mettre des gens d'armes et de la démolir au besoin. Mais
le 17 septembre 1359, Louis de Maël empêcha les échevins de
Saint-Omer de porter aucun préjudice à l'abbaye ^. Je ne sais quel
tiam jam credimus verisimiliter pervenisse, quod dil. filius nob. vir Walterus de
Maiini miles Cameracen. dioc, vcn. fratri nostro Petro episcopo Cameracen. et suis
ecclcsie, civitati et toti patrie Cameracen. hostiles insultus, minas adaugendo terrori-
bus contra Deum et justitiam perpersonas notabiles quasi bello et hiis que ad bella
secuntur indictis, noviter nunciavit, occasiones quasdam pretendens frivolas et
inanes ; nec valet per dictum episcopum et suos et ecclesie sue fidèles ambassiatores
et nuntios in suam et suorum excusationem et defensionem eidem Waltero claris
probationibus demonstrari, quod adversus eos ratione guerrarum que inter reges et
régna Francie et Anglic moventur, nulla debeat aut jure bellorum possit eis inferri
molestia vet jactura, nichilquc ad eos de talibus pertinere, cum ipsi extra régna
predicta infra sacri tui imperii limites et excellentie tue dominium constituti ab
utriusque regni turbationibus exempti esse debeant penitus et immunes. Idem
itaque Walterus, prout asscritur, mixtas etiam preces justis hujusmodi dcfcnsioni-
busnon attendens, in suis nichilominus hostilibus comminationibus etterroribus per-
sévérât. Nos itaque tantis malis prcteritis, quorum sine mentis perturbât ione
reminisci non possumus, paterno compatientes alîectu, ac propterea obviari futuris
ab ipsis principiis cupientes... [rogat imperatorem, ut obviet remediis opportunis
his hostilibus comminationibus]. Datum Avinione xvi kal. Maii anno septimo ». Cf.
Werunsky, n" 485.
1. Jean DE Venette, p. 297; Chron. de R. Lescot, p. 143.
2. Froissaht, p. 191 ; Knighton, p. 106.
3. Voy. la lettre de Louis de Maël dans uk Laplaxe, L'abbaye de Clairmarais
(Saint-Omer, 1864), p. 382, et Les abbés de Clairmarais (1868), p. 326 suiv. L'abbé
[l.-P. DuNiKLE. — Desolalio ecclesianim II. 22
338 LA GUERRE DE CEx\ï*A>S
sort lui fut réservé. Il est certain que l'abbé et les moines furent le
jouet des usuriers par suite du malheur des temps ^
Le duc ne fît aussi que passer devant Béthune, occupa Tab-
baye des chanoines réguliers du Mont-Saint-Eloy ; il se dirigea
ensuite vers la Picardie, du côté de Bapaume et de Péronne et
ravagea toute la vallée de la Somme jusqu'à trois ou quatre lieues
d'Amiens. Le siège fut mis devant Braj-sur-Somme, mais les
Anglais furent repoussés par les courageux habitants. Le jour de
la Toussaint les ennemis avaient déjà traversé la Somme et se
trouvaient à Cerisy '.
Sur ces entrefaites, le 28 octobre, Edouard, après avoir confié le
gouvernement à son jeune fils Thomas*^, s'embarqua à Sandwich
avec sa grande armée ^ et débarqua le même jour -^ à Calais, où il
restait plusieurs jours.
Ainsi, dans le court espace d'un mois, le malheureux diocèse de
Thérouanne fut deux fois envahi et dévasté par Pennemi ; nous
avons vu plus haut qu'il avait déjà été éprouvé plusieurs fois aupa-
ravant et quel désastre les troupes ennemies avaient causé aux
divers monastères *'. Ceux qui pouvaient s'en relever, comme l'ab-
baye bénédictine d'Auchy-les-Moines, incendiée par les Anglais
probablement en 1346 "^ ou peut-être après, n'avaient pas encore
réparé les anciens dommages quand survenait une nouvelle tem-
pête. L'abbaye des Prémontrés de Licques paraît avoir été aussi
atteinte alors ^. L'abbaye bénédictine du Mont-lez-Thérouanne vit
Jacques de Minke chercha à se letirer à cause des diflicultcs, et donna sa démission
en 1365.
1. Voy. Reff. Aven. Urbnni V, n' 13, fol. 629'', ad an. 1365, Maii 29 : « laici extor-
quent pecunias modo usurario ah abbatc et conventu de Claromarisco ».
2. FnoissART, 1. c, et Ltjce, j). kvi, not. 2; Jkan niî Vem:ttk, p. 297.
3. Rymeu, Foedern, III, p. 451, et p.J.s.çjm; Walsingh.am, p. 287.
4. Le Poème du Jiéraul d\-irmes Chnndos. éd. Fkancisqle-Michel. v. 1520, se
trompe en disant : « Et des autres plus de X mille ».
5. IUmer, p. 452. On dit à tort aujourd'hui : le 30 octobre. Cl", aussi Lemoine dans
Chron. de R. Lescot, p. 208.
6. Voy. ci- dessus, p. 45, 46 suiv.; 69.
7. A. DE Cardevacque, Ilist. de Vuhhmje d'Auchij-le^-Moines (Arras, 1875), p. 93
suiv. Les moines furent alors dispersés; quelques-uns seulement restèrent dans l'ab-
baye, les autres cherchèrent un refuge à Hesdin. Je ne sais si tous étaient de retour
en 1359.
8. FuoissART, p. 200. L'abbaye de « Lisques » possédait un fort, au moins en 1377,
Voy. lettre de rémission dans Arch. Nat., JJ 111, n" 58,
LES ANGLAIS DEVANT KELMS ET DEVANT PAHIS, 1351)^ 1 3()() ^liD
au moins ses revenus diminués à cause des guerres incessantes i.
Du reste, toutes ces contrées étaient depuis longtemps dépeuplées,
ce qui arriva en particulier à la paroisse Saint-Etienne près de
Boulog-ne, comme l'atteste Urbain V -. L'abbaye bénédictine de
Sainte-Marie-de-Capelle, détruite et abandonnée depuis 1346 ou
1347, vit ses possessions, ses terres et ses biens dévastés. Le pape
fît remise à l'abbé Laurent d'une somme de 1000 flor. , due à la
chambre apostolique '\ La désolation s'étendait jusqu'à Furnes,
dont le doyen et le chapitre se plaignent que leur église est dévastée
à cause des incursions, et que les revenus annuels alloués pour
la réparation rapportent seulement deux florins ^.
Edouard se dirigea avec ses quatre fils, le prince de Galles, Lio-
nel, Jean et Edmond, avec de nombreux seigneurs et toute son
armée vers l'Artois et la Picardie, après avoir rejoint à Calais le duc
de Lancaster et ses troupes alors de retour. Les Anglais se divi-
sèrent en trois colonnes et chacune eut son chemin tracé. On
chevaucha vers Bapaume, occupant Beaumetz et pillant le Cambré-
1. Recf. Vat. Grajor. XI, n° 286, foL 128, ad un. 1375, Auf,^ 15 : « monasterium S.
Johannis Baptiste in monte prope Morinum... occasione jiuerrarum que in illis parti-
bus vij;uerunt, est in suis facultatibus diminutum reparationec{ue indiget quamplu-
rinuim sumjituosa ». Robert, Hist. de Vahbaye des Bénédictins de Snint-Jetin-au-
Mont-lez-Thérouanne (Saint-Omer, 1883), ne donne pas de renseigrnenients.
2. Beg. Vat. Urhani V, n° 254, fol. 71'', ad an. 1365, Jun. 20 : « Universis christifi-
delibus, etc. Licet is, etc. Cum itaque sicut acccpinius ecclesia parroch. Bolonien.
S. Stephani, Morinen. dioc, que prope mare in eminenti loco constituta esse dicitur,
proptei" {;uerras que in illis partibus viguerunt parrochianis et habitatoribus... pluri-
mum depopulata existât, ac transfretantes per semitas maris, qui nomen ejusdem
sancti, dum ipsam concernunt ccclesiam, consueverunt devotissime invocare, ejus
intercessionibus fuerint plerumque a naufragio liberali, propter que ad eandeni
ecclesiam... magna contluit populi multitudo... [Indulgentias concedit manus porri-
gentibus adjutrices ad labricam ipsius ecclesiae]. Dat. Avinione XII kal. Julii, anno
III ...
3. Becf. Aven. Urban. V, n° 6, fol. i72'', ad an. 1363, Jul. 3 : « Urbanus... Ad per-
pet. rei memoriam. Ad ecclesiarum, etc. Xuper siquidem pro parte dil. filior. Lau-
rentii abbatis et conventus monasterii B. Marie de Capella, O. S. B. Morinen. dioc,
fuit jiropositum in consistorio coram nobis quod dictum mon. jamdiu propter guer-
ras que in illis partibus viguerunt destructum extitit, ipsiusque possessiones et terre
cum bonis mobilibus taliter devastate fueruntquod a quatuordecim anniscitra monas-
terium ipsuni inhabitatum remansit et ipsius monachos oportuit alibi qucrere vitam
suam. [Absolvit monasterium a solutione 1000 florenor. auri pro communi servitio
camerae apost"' et collegio cardinal, debitorum, et reducit taxam ad 300 flor.]. Dat.
Avinione V non. Julii, an. I ». Cf. ci-dessus, p. i6.
i. Reg. Aven. Innocent. VI, n" 28, fol. 528, ad an. 1362, Maii 25 : « decanus et capi-
tulum eccl. S. Walburgis Furnen., Morinen. dioc. »»
340 LA GUERRE DE CENT ANS
sis. Une colonne entrant en Thiérache, pays déjà plongé dans la
plus grande misère, se logea à l'abbaye bénédictine de Femy ou
Fesmy-F Abbaye du diocèse de Cambrai, autrefois menacée ou prise,
en 1339 ^. De là, les Anglais faisaient des incursions aux environs
de Saint-Quentin. Les monastères qui y avaient des possessions,
comme par exemple Tabbaye des Prémontrés de Notre-Dame de
Vermand 2, furent bien affligés, d'autant plus que depuis quelque
temps déjà, l'Artois et le Vermandois ainsi que les évêchés de Laon
et de Reims étaient en proie à la famine, parce que les terres n'y
avaient pas été labourées depuis trois ans. Les Anglais se faisaient
suivre de leurs approvisionnements portés avec le matériel de
guerre par six à huit mille chariots ^ et avaient tiré le blé et
l'avoine du Hainaut et du Gambrésis ; autrement ils seraient morts
de faim ^. J'ignore si les excursions des Anglais s'étendaient jusqu'à
l'abbaye bénédictine Saint-Michel-en-Thiérache, laquelle avait subi
de nombreuses visites des ennemis durant les guerres ^. Pendant
toute cette double chevauchée, les Anglais ne purent s'emparer
d'aucune place forte *^, grâce à l'énergique résistance que les habi-
tants opposaient à un ennemi plusieurs fois supérieur en nombre.
Le 4 décembre, Edouard arriva devant Reims ^. Mais il trouva la
ville bien fortifiée et bien défendue. Le régent n'avait pas moins
pensé à la sécurité des villes et de tout le royaume qu'à celle de la
capitale. Le 10 juillet, devant Melun, ayant reçu d'Angleterre la
nouvelle qu'Edouard se proposait de passer la mer au mois d'août,
ne sachant pas quelle marche suivrait l'ennemi, il s'était mis autant
que possible en garde contre toute éventualité. Ainsi, dans la
1. Cf. ci-dessus, p. 12. L'abbaye était à l'Ouest de Femy. Voy. Gassini, n° 42.
2. G. Lecocq, Hist. de Vahbaye Notre-Dame de Vermand (1875), p. 57, qui du reste
parle à peine de la guerre de Cent ans.
3. FaoïssART parle tantôt de 6.000 chariots (p. 200), tantôt de 8.000 (p. 225), dont le
ti'ain était composé. Chaque chariot était attelé de quatre forts roncins, et le train
était charjijé de tentes, de moulins, de fours pour cuire du pain, et de tout ce qui est
nécessaire à la subsistance de l'armée.
4. FrOISSART, p. MX.
5. RoussKAu, dans la Soc. académique des sciences... de Saint-Quentin, 3" sér.,
t. VIII. décrit insuffisamment l'abbaye, et parle, p. 288, en termes vagues de divers
pillages.
6. Chronogr., II, p. 289 suiv.
7. Vakin, Archives administratives de la ville de Reims, t. III, p. 156, not. 1
d'après les Mémoires de Rogier. „
LES ANGLAIS DEVANT RELMS ET DEVANT PARIS, 1339, 1360 341
crainte qu'Edouard ou quelque détachement de son armée vînt
envahir la Normandie, le régent envoya vers Pont-Audemer, près
de Quillebœuf, le vicomte de Polig-nac et Robert de Clermont avec
leurs g-ens d'armes ; ils y restèrent jusqu'à la paix de Bretigny ^ Les
préparatifs pour la défense de Reims étaient encore bien plus
urgents, parce qu'on savait qu'Edouard voulait, entre autres places,
assiéger celle-ci. Le jour susdit, le régent écrivait aux échevins
de cette ville de veiller à ce qu'elle fût bien pourvue de vivres,
d'artillerie et de toutes les choses nécessaires à sa défense,
et il promettait aussi d'y envoyer du secours -. Déjà, dès l'an 13o7,
les habitants de la ville de Reims et leur capitaine. Gaucher de Châ-
tillon, travaillaient à la fortifier, ce qu'ils firent davantage encore
en 1358, alors que le cercle des forteresses prises par les Anglo-
Navarrais la serrait de plus près •^. Le 31 décembre, par ordre du
régent, on força les seigneurs maîtres des châteaux voisins de
Reims à les mettre en état de défense et on les menaça d'abattre
tout ce qui pourrait être dangereux pour la ville ^.
Le 21 février 1359, le capitaine ordonna d'incendier et d'abattre
l'abbaye bénédictine*^ ou plutôt la forteresse*^ de Saint-Thierry,
hors les murs, qui pouvait être préjudiciable à la ville. On conti-
nua la même année les fortifications ^, et quand le danger fut immi-
nent, plusieurs autres églises furent sacrifiées, à savoir : celle de
l'abbaye des Cisterciennes de Glairmarais ^, celle de Saint-Ladre-
aux-hommes, et les chapelles de Saint-André-des-Bours et de Saint-
Marc-à-Gachot 'K Les ecclésiastiques perdirent encore à cette occa-
sion plusieurs de leurs maisons, et les laïques eurent le même
sort^o. Quelques places fortes occupées par les ennemis furent
1. Voy. Chassaing, Spicilegium Brivatense^ p. 388.
2. Varin, 1. c, 140 suiv.
3. Voy. MoRANviLLÉ, Le siège de Reims, dans, Bihl. de VEcole des chartes, t. LVI,
p. 94 suiv. C'est à cette occasion que Reims fît alliance avec Châlons-sur-Marne et
Rethel. Voy. Varin, p. 120, 123.
4. Varin, p. 119.
5. Ihid., p. 130.
6. Voy. Lemoine, dans Chron. de R. Lescol, p. 243.
7. Ibid., p. 142, not. 6.
8. Ne pas confondre avec l'abbaye d'hommes du même nom dont nous avons
parlé. Sur cette destruction, voy. encore A'ahix, p. 572.
9. Varin, p. 161, et Mém. de Rogier, ibid., p. 147, not. 1.
10. Ibid., p. 147 suiv.
342 LA GUERRE DE CEM' ANS
reprises par les Français, telles que Sissonne et Roucv au mois de
juillet 13591.
Sur ces entrefaites et pendant que se continuaient les travaux de
défense -, le régent avisait le 22 octobre les bourg-eois que les enne-
mis (le duc de Lancaster et ses troupes) avaient déjà passé la
Somme. Il les prie et leur mande de rentrer dans la ville tous les
grains du plat pays et de détruire ce qui n'y pourrait entrer aiîn que
les ennemis ne trouvent pas à s'approvisionner-^. Mais de nouveaux
ordres étaient inutiles car, malgré l'archevêque Jean de Graon,
Gaucher de Ghâtillon avait déjà pris toutes les mesures nécessaires
pour mettre la ville dans un sérieux état de défense ^.
Edouard, arrivé sur les hauteurs de Saint-Basle, s'établit à l'ab-
baye bénédictine de ce nom et, plus tard, à Verzy ^ ; les comtes de
Richmond et de Northampton occupaient les hauteurs de l'abbaye
bénédictine de Saint-Thierry, le prince de Galles logea à Villedo-
mange, le duc de Lancaster à Brimont; lavant-garde, sous les
ordres du comte de March, se rapprocha davantage de la ville et
vint camper, une partie à Cernay-lez-Reims et l'autre à Betheny.
La ville était presque cernée ^.
Quand Edouard vit tous les préparatifs qu'on avait faits pour la
défense de Reims, la solidité des remparts et le courage des com-
battants prêts à le repousser, il se garda bien, malgré le grand
nombre de ses troupes, de livrer un sérieux assaut. 11 se résigna à
faire le siège de la ville, et le prolongea si longtemps que les
assiégés l'écrivirent au régent en lui demandant du secours. Le
26 décembre celui-ci promettait d'envoyer le connétable de France".
Pour passer le temps, les Anglais s'occupèrent à dévaster les envi-
rons^. Les comtes de Richemond et de March, Jean Chandos,
1. Voy. Peugant, Le sièye de Reims par les Anglnis ^1S48\ j). 42 sui\ . ; Mohanvim.é,
1. c, p. 91 suiv. Cf. ci-dessus, p. 210.
2. Varix, p. 150 suiv.
3. Ihid.^ p. 151 sui\\
4. Voy. l'arrêt du Parlement du 8 avril 136.3 dans Luck, Du Guesclin, p. 305, not. 2.
Sur l'archevèciue, cf. M(»HA^^ u-lk, p. 90.
5. Cf. Liîmoi.m:, dans Chron. de R. Lescot, p. 208.
6. Grand, chron.. p. 165 suiv. ; Fkoissaht, p. 2J I suiv. ; Mém. de Royier dans Varin,
p. 156, dot. 1 ; Mahlot, Hist. de la ville, cilè el université de Reims, t. IV, n'avait
pas d'autres sources que celles qui ont été imprimées après par Varin.
7. A'vRix, p. 156 suiv.
8. Ji:\.y T>n: ^'E^^TTE:, p. 29".
LES ANGLAIS DEVANT REfMS ET DEVANT PARIS, 13o9, 1300 343
James Audley et surtout le duc de Lancaster, voulant compenser
leur insuccès devant Reims, allèrent à la chasse de petites places,
et firent maintes excursions dans le voisinage, attaquant, occupant,
pillant ou incendiant Cernay-en-Dormois, Autry, Maure ; Barthé-
lémy de Burghersh assiégea et prit Gormicy ^ A Autry, les
Anglais furent aidés par Eustache d'Auberchicourt qui continuait
sans cesse ses excursions dévastatrices sur les deux rives de
l'Aisne. Car, comme le dit Froissart 2, pendant l'invasion
d'Edouard, une foule de garnisons anglaises ou autres, mais tou-
jours ennemies, ravageaient le Beauvaisis, la Picardie, Tlle-de-
France, la Brie et la Champagne. Lorsque l'injustice et la fourberie
sont au pouvoir, l'audace des filous n'a plus de bornes.
Cette petite guerre à laquelle étaient réduits les Anglais leur ser-
vait peu. Après trente-neuf jours, se trouvant au même point qu'à
l'arrivée, le roi d'Angleterre leva le siège le 11 janvier 1360 3, c'est-
à-dire en plein hiver. Son espoir d'entrer triomphalement à Reims
au son des trompettes pour s'y faire couronner roi de France était
déçu, grâce à la courageuse résistance et au patriotisme des
Rémois qui, n'ayant reçu aucun secours, n'avaient eu que leurs
propres forces à opposer à l'ennemi. Ce fut, dans cette campagne,
le premier échec d'Edouard.
Très probablement, c'est pendant ce siège que l'Hôtel-Dieu de la
ville de Bourg, à quatre lieues au sud-est de Rethel, fut détruit
avec la chapelle ; presque toute la cité eut le même sort et fut par
suite dépeuplée, les riches mêmes furent réduits à la pauvreté ^ Le
1. Knighton, p. 107 à 109; B'roissart, p, 214, 220. Voy. Moranvim.é, 1. c, p. 9i à
98, qui nomme à tort James Audley « Jean ».
2. Chron., p. 227 suiv..et p. i.xviii, not. 8. Voy. ci-dessus, p. 2i2.
3. Grnnd. chron., p. 167; Mém. de Royier dans Vahin, p. 157, note.
4. Heg. Vat. Urb. F, n° 251, fol. 248«>, ad an. 136i, April. 19 : « Universis christifi-
delibus présentes litteras inspecturis, salulcm, etc. Quoniam ut ait apostolus... Cum
itaque sicut accepimus Domus Dei ville de Burgo, Renien. dioc, que in bonis lectis
et aliis necessariis utensibilibus retroactis temporibus abundare solebat et in qua
pauperes Christi et infirnii recipi et multa alla opéra niisericordic ficri consueverant,
cum suis domibus et({uadam capella in lionoreui et sub vocabulo beati Xichasii fun-
data, eidem donuii continua ^in (jua iidem pauperes et infirmi, eliam in suis lectis
existentes poterant audire divina) ignis incendio combusta et funditus destructa, ac
etiam dicta villa propter guerrarum et niortalitatis pestes, que in illis partibus
ingruerunt, pro majori parte etiam destructa et habitatoribus depopulata existant,
adeo quod nonnulli habitatores dicte ville qui in divitiis habundare consueverant.
344 LA GUERRE DE CENT ANS
prieuré de Saint-Gilles eut aussi beaucoup à soulFrir et implora à
cette occasion le secours du pape i. D'autres églises ou abbayes
trouvaient leurs possessions dévastées ou bien elles étaient réduites
à une grande pauvreté par les contributions et les impôts -. En
cette circonstance "^ la ferme et les propriétés que les bénédictines
de l'abbaye de Hautmont (du diocèse de Cambrai) possédaient à
Herbigny furent pillées par les Français ^. Les Prémontrés de
Fabbaye de Ghaumont-Porcien eurent également à se plaindre de
mauvais traitements, et cherchèrent probablement, comme quelques
années plus tard, un refuge à Reims. Les religieux, ayant presque
tous leurs biens ou en friche ou saisis, se trouvaient réduits à une
grande pauvreté pendant plusieurs années •*. Leur prieuré de Géri-
gny avait naturellement un sort semblable *^. L'abbaye cistercienne
de Signy n'était pas située très loin de la route que prenaient les
Anglais pour arriver à Warcq et à Mézières "' . Les Chartreux du
Mont-Dieu émigrèrent alors pour la première fois depuis leur fon-
dation, et se retirèrent à Mouzon'^. Du reste, ces contrées rece-
vaient depuis longtemps des visites ennemies '^
Edouard avec son armée se dirigea vers le Sud. Il arriva devant
Châlons-sur-Marne ^^^ qui avait pris le sire de Saulx comme capi-
domos in quibusdecenter habitare possent et alia eoruin vite necessaria nonhabentes
in [h]ienie proxime preterita pre niniio frij;ore in eorum pedibus tanlam sunt passi
lesioncm et debilitatem quod ad anibulanduni abs({ue baculis inhabiles sunt ellecti,
ipsique propter destructionem Doinus Dei supradictc non habeant ubi valeant com-
morari, etc. [De eleemosynis]. Dat. Avinione xiij kal. Maii anno secundo ».
1. Recj. Val. Urb. F, n" 252, fol. 136, ad an. 1363, .lui. 31 : « prioratus S. Egydii de
Aceyo... pre nimia vetustate et guerraruni turbinibus in illis partibus ingruentibus
ruinam patitur ».
2. Les documents font défaut, comme pour l'abbaye des Bénédictines d'Avcnay
entre Reims et Épernay. Voy. L. Pahis, Abbnye clAvenai/ (1X79), I, p. 178 à 180.
3. FrOISSART, p. LXIU.
4. Voy. MiKON, Hautmont et son abbaye (Hautmont, s. a), p. Ii7.
5. Cf. Lanxois, [\olice sur Vabbnye de Chaumont-Porcien (1880), p. 17; Carrk,
Notice hist. sur le prieuré de Gériyny (1885), p. 28, d'après un ms., Ilist. de Vabbaye
de Chaumont-en-Portien, à rarchevcché de Reims.
6. Carré, 1. c.
7. Froissart, p. 212.
8. GiLLET, La Chartreuse du Mont-Dieu au diocèse de Reims (1889), p. 218.
9. Cf. G. Martin, Essai sur Vhisloire de Rozoy-sur-Serre et ses environs, I, 482
suiv. Voy. ci-dessus, p. 240.
10. Grand, chron., p. 167 ; Jean de Venette, p. 297 ; Froissart, p. 223 ; Kmohton,
p. 110. Wyaro, Hist. de Vabbaye de Saint-Vincent de Laon, publ. par Cardon (1858),
p. 484, dit que l'armée d'Edouard après avoir levé le siège de Reims se répandit dans
LES ANGLAIS DEVANT REDIS ET DEVANT PARIS, 13o9, 1360 34o
taine parce que ce dernier, avec le sire de Grançay, avait peu de
temps auparavant secouru les bourgeois ^ Mais comme Reims, son
alliée, cette ville était bien défendue et Edouard, sans donner Tas-
saut, continua à s'avancer vers le Sud. Cependant les environs de
la ville et peut-être les faubourgs souffrirent d'autant plus. Au
moins nous savons qu'Innocent VI a donné la bulle Ad reprimen-
das à la ville et au diocèse, le 20 mars 1301 -, bien que ce fut aussi
à raison des incursions suivantes. Nous retrouvons Edouard à
Pogny les 18 et 19 janvier et encore le 26 •^. C'est vraisemblable-
ment ici que le roi d'Angleterre traversa la Marne avec son armée.
Je pense qu'un détachement seulement marcha vers Provins ^ que
commandait Simon de Jouy, seigneur de Villeneufve-la-Cornue.
Les Anglais y trouvèrent la même résistance que partout ailleurs ^
Edouard avec ses troupes traversa l'Aube et ensuite la Seine à
Méry-sur-Seine et à Pont ^, et, laissant Troyes à sa gauche, il arriva
avec ses lîls devant Cerisiers et Brinon, pendant que le duc de Lan-
caster chevauchait vers Sens '^. L'intention d'Edouard était alors
le Laonnais, et « montant la montagne de Laon, pilla et renversa tellement la villette
de la ville de Saint-Vincent, adjacente à cette abbaye, que présentement il n'y reste
aucun édifice. Les églises mêmes de Saint-IIilaire, de Saint-Autbod, de Saint-Genest,
^ Saint- Victor, de Sainte-Geneviève et de Saint-Remy... furent fort endommagées ».
Saint-Vincent perdit sa bibliothèque. Mais tout cela arriva avant ou pendant le
siège, et non pas après. MELLEvii.Lii:, Hist. de la ville de Laon, II, p. 242, suit seule-
ment Wyard.
1. Ci-dessus, p. 242, et et E. de Barthélémy, Hist. de la ville de Chûlons-sur-
Marne, p. 169.
2. Voy. ci-dessus, p. 182.
3. Lemoine, dans C/jro/i. de R. Lescot, p. 208.
4. Chronoar., II, p. 289; Chron. norm.^ p. 149. De Lettenhove, Œuvres de Frois-
s,irt,i. XXIV, p. 217, donne une carte d'expédition d'Edouard ; je pense qu'elle est
faite d'après le ms. d'Amiens de Froissart. La route de l'armée anglaise y est tracée
de Châlons à Bar-le-Duc, ce qui est bien improbable, puis vers Troyes.
5. Voy. BotjRQiiELOT, Ilist. de Provins^ II, p. 29.
6. Les deux villes sont nommées par les Grand, chron., 1. c, Méry-sur-Seine
aussi par Froissaut, p. 223. Pour cette dernière ville, il n'y a aucune difliculté,
mais il y en a une pour Pont qui, situé à l'ouest de Méry, est également sur la Seine,
à la rive gauche de ce fleuve. Si des Anglais traversèrent la Seine à cet endroit,
c'était le détachement qui était devant Provins (ville qui du reste n'est pas mention-
née par les Grand, chron.), pour se joindre à l'armée. Cependant il est possible que
les Grand, chron. ne parlent pas exactement et qu'elles aient voulu désigner Pont-
sur- Vannes en disant : Les Anglais traversaient l'Aube et puis la Seine à Méry-sur-
Seine, et se dirigeaient vers Pont (sur- Vannes). En effet ce Pont est sur la route vers
Cerisiers et Brinon. Les cartes 46 et 47 de Cassini servent pour l'orientation.
7. Grand, chron., 1. c.
346 LA GUERRE DE CENT ANS
d'envahir la Bourgog'ne non seulement parce qu'il la savait divisée
par des guerres intestines, mais encore parce qu'à cause des nom-
breuses abbaj' es, il espérait y trouver mieux qu'en aucune autre pro-
vince voisine, de quoi approvisionner, durant l'hiver^ sa nombreuse
armée, de laquelle faisaient partie quelques seigneurs du comté de
Bourgogne, tels que Jean de Neufchâtel et le comte de Montbéliard^.
Déjà le comte de March avait mis le siège devant Saint-Florentin ;
le château résistait, mais la ville, dont les églises étaient en partie
détruites '^, fut prise, incendiée et dévastée '^. Les Anglais s'empa-
rèrent ensuite de l'abbaye cistercienne de Pontigny \ et laissant
Auxerre à droite, ils prirent la ville basse de Tonnerre ; tout près
était l'abbaye bénédictine de Saint-Michel. Désespérés de ne pou-
voir s'emparer du château, ils s'en consolèrent en vidant plus de trois
mille tonneaux devin qu'ils y trouvèrent^. S'ils n'arrivèrent pas
jusqu'à la ville d' Auxerre, les propriétés des abbayes et des églises
furent néanmoins dévastées par eux, ce que prouvent quelques
lettres d'Urbain V. Les revenus de l'abbaye bénédictine de Saint-
Germain d' Auxerre étaient tellement diminués par suite des guerres,
que le pape réduisit la taxe de 300 livres à 100, et unit à la mense
abbatiale et au chambrier les doyennés d'Arqueneuf et de Héry ^.
1. Froissart, ms. d'Amiens, dans l'éd. de Litce, p. 401.
2. Ci-dessus, p. 248.
3. Voy. LucE dans Froissakt, p. lxiv, not. 1.
4. Ci-dessus, p. 249.
5. Froissart, p. 224. Voy. E. Petit, Avallon et VAvallonnais, 2« éd., p. 172 ; Ché-
REST, Étude historique sur Vézelay, II, p. 228. Bureau, Hist. de Véglise et de la
paroisse Notre-Dame de Tonnerre (1886), ne donne aucun renseijçnement sur la prise
de la ville.
6. Reg. Vat. Urhani V, n" 252, fol, 59»', ad an. 1363, Februarii 5 : « Dil. filiis.. abbati
et conventui monasterii S. Gerniani Autisidioren. O. S. B. salutem, etc. Et si cunctis,
etc. Sane cum monasterium vestrum, quod olim in facultatibus habundavit, ad 300
libras turon. parv. pro se ac membris suis ad decimam sit taxatuni,et propter guerra-
rum turbines qui lonj^is temporibus in illis partibus ingruerunt sit in eisdcm facul-
tatibus tam in capite quani in membris eisdeni non modicum diminutum, propter
quod cum eis hujusmodi solutio décime imminet facienda de solutione dicte quantita-
tis nimium aggravatur, [reducit ad centum libras dictam taxam]. Dat. Avinione non.
februarii anno I ». Sur l'union des deux doyennés, voy. ihid., n° 253, fol. 78^', ad an.
1364, Martii 3. L'abbaye était bientôt opprimée par les seigneurs et quelques bour-
geois d'Auxerre qui « eos ad solvendum tallias, gabellas, impositiones, subventiones,
reparationes murorum et fossatorum ac multorum aliorum oncrum gênera per ipsos
adinventa conipellunt ». Reg. Vat. Urb. F, n" 259, fol. 72, ad an. 1369, Jun. 11. Cf.
encore Reg. Aven. Ûrh. V, n" 6, fol. 543'\ ad an. 1.363, April. 5.
LES ANGLAIS DEVANT REDIS ET DEVANT PARIS, 13?)9, 1360 347
La taxe du prieuré de l'Ordre de Cluny de Notre-Dame-de-Pré fut
également réduite de 55 livres à 20 '.
Après cinq jours de résidence à Tonnerre, Edouard chevaucha
dans la direction de Noyers -. Il paraît qu'un détachement se diri-
gea ensuite vers l'Est à Rougemont •^, diocèse de Langres, où était
une abbaye des Bénédictines. C'est alors, ou un peu après, que la
ville et ra])baye furent assiégées, les maisons furent détruites, ainsi
que le monastère qui demeura très longtemps abandonné par les
religieuses ^^. De là, les Anglais poussèrent, ce semble, leurs excur-
sions dévastatrices jusqu'à l'abbaye cistercienne de Fontenay ^ et
peut-être vers le Nord-Est à l'abbaye bénédictine de Puy-d'Orbe.
Au moins les religieuses de même que les Bénédictines de Pralon,
et le prieuré du Val-Croissant (du Val-de-Choux) avaient après le
traité de Guillon des obligations envers les Anglais, qui les entou-
raient auparavant. On peut conjecturer qu'Edouard même monta
de Noyers la vallée du Serain pour arriver par Montréal ^ à Guil-
lon, où il séjourna du 19 février au 15 mars', passant son temps
à chasser dans les forêts voisines, car lui et les seigneurs avaient
amené d'Angleterre leurs oiseaux et leurs chiens ^.
Laissons de côté les excursions des Anglais " pour nous arrêter un
peu au traité de Guillon. Les forces du duché se trouvaient alors,
dès le 18 février, massées à Montréal, sans pouvoir entreprendre
rien de bien important contre les Anglais qui, comme s'accordent à
le dire tous les chroniqueurs, rançonnaient, pillaient, dévastaient le
pays sans rencontrer aucune résistance. Sachant qu'Edouard n'at-
1. lieff. Aven. Urh. V, n" 261, fol. 28, ad an. 1363, Januarii 29 : « prioratus B. Marie
(le Prato ».
2. Fhoissaht, p, 224.
3. Grand, chron., 1. c.
4. Ces faits sont racontés par les sœurs en 1427 (voy. Demfle, La désolalion des
églises^ etc., I, n" 738) Le désastre arriva « retroactis temporibus », et le monastère
« per ma^na tempora a reli^iiosis derelictum ac villa derelicta fuit ». Cela remonte
probablement à cette époque ou aux années suivantes quand les Compagnies rava-
j^eaient ces contrées. Le GaLl. christ., IV, 747 suiv. est muet sur ce fait, mais il ne
mentionne aucune abbesse entre 1330 et 1384.
5. Voy. ci-dessus, p. 249.
6. Fhoissaht, p. 224.
7. Fhoissaht, p. 225 Ce lieu était alors plus considérable et possédait un château
où se fit le traité. Cf. CoiTHTKrKiî, Description du duché de Bourgogne. IIL p. 656.
K. Fhoissaht, 1. c.
9. Ci-dessus, p, 2 59. ^'oy. encore E. Pi=:tit. 1. c. p. 173.
348 LA GUERRE DE CENT ANS
tendait que le retour de la belle saison pour continuer sa marche,
on se demandait ce qu'il fallait faire. La province était épuisée par
de longues guerres, affaiblie par la minorité de son chef, sans
espoir d'obtenir secours; de plus, quelques seigneurs étaient au
service du roi d'Angleterre^. Pour empêcher un plus grand mal,
c'est-à-dire l'invasion totale de la Bourgogne, Othe, sire de Gran-
çon, et Jacques de Vienne, sire de Longvs^y, capitaines bourguignons
de Montréal, avisèrent la reine Jeanne de cette critique situation.
Philippe de Rouvres, duc de Bourgogne, dépêcha ensuite une
ambassade à Edouard pour l'engager à quitter le pays 2. On négo-
cia, et, le 10 mars 1360, les ambassadeurs de Philippe de Bourgogne
conclurent pour trois ans avec Edouard le traité de Guillon, par
lequel les Bourguignons s'engageaient à payer aux Anglais, en trois
termes, l'énorme rançon de deux cent mille moutons d'or 3^ à lais-
ser circuler librement tous les sujets du roi d'Angleterre, à soigner
et nourrir les malades, à ne pas décacheter les missives des messa-
gers du roi d'Angleterre, pour quelque raison que ce fût. Le traité
contenait encore cette clause approuvée de commun accord que si
Edouard se faisait couronner roi de France ^, et si le duc refusait
son consentement et ne le regardait pas comme son maître, ce serait
un casus belli. Le roi d'Angleterre, de son côté, s'engageait à
rendre Flavigny pris par Jean de Harleston ^, à supprimer les ran-
çons des prisonniers et des villes environnantes conquises, à quitter
le pays le plus promptement possible et à ne commettre aucune vio-
lence sur les terres ducales '*. Les villes et les abbayes, les nobles
et les prélats s'engagèrent envers Edouard soit comme garants,
soit comme otages. Toutefois, le traité ne fut souscrit que par les
villes et les abbayes du duché, et non par celles du comté de Bour-
gogne
7
1. Chkrest, VArchiprêtre^ p. 126.
2. Voy. sur tout cela E. Clerc, Essais surlhist. de Franche-Comté, II, p. 112.
3. La valeur du mouton était alors de trente-quatre sols. C'était un florin, comme
écrivent les Grand, chron., p. 168.
4. Cf. le passage rapporté ci-dessus, p. 218, not. 6.
5. Voy. ci-dessus, p. 250.
6. RyMER, III, p. 473 suiv. ; moins correct dans Plancher, Hist. de Bourgogne, II
Preuves, n° 295. Voy. E. Petit, 1. c, p. 174 suiv.
7. Voy. Clerc, p. 113; Petit, p. 175, qui expose, p. 176 suiv., de quelle manière les
Bourguignons s'acquittèrent de leurs promesses. Un seul protesta, Jean de Chalon-
Arlay, naguère l'allié d'Edouard. Voy. Chérest, VArchiprêtre, p. 126 suiv.
LES ANGLAIS DEVANT REIMS ET DEVANT PARIS, 1359, 1360 349
C'est le plus honteux traité qui ait été ratifié à cette époque.
Cependant on eut beau dire à Paris que la noblesse de Bourg"ogne
s'était déshonorée pour toujours en y souscrivant ^ ; si elle n'y eut
acquiescé, la Bourgogne aurait été écrasée par l'armée anglaise. Ce
traité épargnait donc au pays d'irréparables calamités.
Edouard pouvait être quelque peu satisfait, la fortune semblait lui
sourire à nouveau. Il espérait exécuter à Paris ce à quoi il n'avait
pu arriver à Reims, c'est-à-dire se faire couronner roi de France.
Déjà il s'était débarrassé d'un ennemi qu'il eût été dangereux de
laisser derrière soi ; le 15 mars, il passa, en dévastant le pays malgré
le traité ~, entre Avallon et Vézelay, pour gagner les rives de
l'Yonne du côté de Coulanges ^ et pour, de là, se jeter dans la Puy-
saie et dans le Gatinais. Une désolation épouvantable s'en suivit :
les Anglais incendiaient et dévastaient tout sur leur passage, ran-
çonnaient les habitants, à Donzy-le-Pré ^, par exemple, où était
un prieuré de l'Ordre de Cluny ^. Le prince de Galles marcha vers
Dormelles, près de Moret-sur-Loing. Cette forteresse qu'occupaient
les Anglais était assiégée par les Français. Après trois ou quatre
jours les Français furent battus et une quarantaine de combattants
furent faits prisonniers ^K
Enfin Edouard se dirigea vers Paris et arriva, le mardi 31 mars,
à Chanteloup ^ (près d'Arpajon) où il resta plusieurs jours. L'armée
anglaise s'étendait de l'Est jusqu'à Corbeil, et au Nord par
Montlhéry jusqu'à Longjumeau ^, d'après Froissart jusqu'à Bourg-
la-Reine. Si, dans bien des endroits, les Anglais s'étaient livrés à
des actes de sauvagerie, dans les environs de Paris ils ne connurent
plus de bornes. Ils annonçaient leur arrivée par l'incendie^ des
1. Jean de Venette, p. 297 suiv.
2. Ci-dessus, p. 251 ; Petit, 1. c, p. 176.
3. Grand, chron., p. 168. Fuoissakt dit au-dessous de Glamecy. Voy. p. lxviii.
4. Gnind. chron., 1. c.
5. NÉE de la Uochelle, Mém. du départeni. de la Nièvre^ I, p. 366 suiv.
6. Grand, chron., l. c. Cette forteresse manque dans la liste de Luce, Du Guesclin,
p. 499.
7. Grand, chron., p. 169; Jean de Venette, p. 301 ; Luce dans Fuoissakt V, |). l.\i\,
not. 3. Par faute d'impression il est écrit dans t. VI, p. m, not. ] : « mardi 11 mars »,
et MouANviLLÉ, Chronoçjr., p. 293, not. 2, a reproduit cette faute,
8. Grand, chron., p. 169, Cf. Froissaut, V, p. 230 suiv.
9. Conlin. de Richard Lescot, p. 143.
350 LA GUERRE DE CE>T ANS
villages, et Knighton même dit ' que l'armée anglaise exécuta sa
chevauchée en tuant et en incendiant et dévastant tous les alen-
tours. Les Anglais voulaient, à mon avis, se venger des Français
qui avaient fait une invasion en Angleterre et y avaient commis les
mêmes crimes que les Anglais en France. Le dimanche lo mars 2,
ils avaient incendié Winchelsea et quelques autres lieux, comme
Rye et Hastings, et fait au pays tout le mal possible.
Les troupes anglaises chevauchaient dans tous les environs jus-
qu'à Etampes et encore au delà. Personne ne restait en plat pays,
tous se sauvaient à Paris ou dans d'autres places fortifiées. Même,
les habitants des faubourgs Saint-Germain, Notre-Dame-des-
Ghamps et Saint-Marcel, situés sur la rive gauche de Paris, quit-
taient leurs maisons et se retiraient dans la ville ^. G'est justement
en cette année 1360 que, par suite de ces incursions des Anglais,
une telle quantité de pauvres des deux sexes, soit enfants, soit
jeunes, soit vieux, inonda la capitale, que les Parisiens durent
employer tous leurs biens pour les alimenter et qu'ils résolurent
ensuite de fonder un nouvel hôpital appelé du Saint-Esprit ^.
1. Chron., p. 111.
2. A Chronicle of London, p. 64 ; Walsixgham, I, p. 287; Contin. de A. de Muri-
mulh, éd. IIoG, p. 192, portent déjà « idus Martii »; Kymeh, Foedera, III, p. 476, où
est la lettre du 16 mars : << die dominica proximo preterita (15 mars) applicue-
runt », etc. La vraie date avait été indiquée également en 1855 par Paui.i, Gesch.
V. England, IV, p. 449. Toutefois cette date fut néj;li};ée en France, jusqu'à Mora>-
viLLÉ, Chronogr., II, p. 292, not, 2. Je ferai observer cependant que ce n'est pas
Edouard qui écrivit la lettre du 16 mars publiée par Rymer : le roi marchait alors
de Guillon vers Paris, et ne pouvait savoir ce qui était arrivé le jour précédent en
Angleterre ; c'était son fils Thomas. Si les Français, trouvant les côtes anglaises
sans défense (voy. Nicolas. A History of the roy.nl navy, II, p. 125), profitaient de
l'occasion pour faire du mal, pour se livrer même à des brutalités, ce n'est rien en
comparaison des maux que les Anglais infligeaient à la France depuis vingt-trois
ans.
3. Jean de Venette, p. 302.
4. Suppl. Urh. V, n° 37, fol. 50, éd. dans Chartul. Univers. Paris., t. III, n° 1279.
La lettre de Tévêque de Paris du 17 février 1363, qui, fol. SO**, fait la suite, décrit
bien la misère physique et morale de ces pauvres qui, jour et nuit, erraient dans
les rues de la capitale. Voy. le texte fautif, qui doit être corrigé d'après les Sup-
pliques d'Urb. V, dans Coyecque, V Hôtel-Dieu de Paris, I (1891), p. 292 à 295. La
lettre commence : « Quoniam [Coyecque Qui] ut ait apostolus, omnes stabimus ante
tribunal Chrisli, reccpturi prout in corpore gesserimus, sive bonum fuerit sive
malum, oportet diem illum messionis extrême... prevenire ». Plus bas on doit lire :
« passim juvencule mulieres alie rapte per garciones [Coyecque discurrentes] et vio-
la te exinde lupanariis, maculantur infamia. Preterea tempore hiemalis frigoris plu-
LES ANGLAIS DEVANT HEDIS ET DEVANT PARIS, 1359, 1360 351
La terrible condition des églises placées autour de Paris était
d'autant plus dure que depuis 13i6, elles avaient subi de grands
dommages que nous avons eu plusieurs fois l'occasion de consta-
ter ^ Quelques monastères étaient réduits à une telle pauvreté que
les religieux n'avaient plus de quoi vivre, comme l'abbaye des
Bénédictines du Valprofond dont les religieuses étaient déjà en 13o5
contraintes à se faire aider par leurs parents et leurs amis. Plu-
sieurs d'entre elles cherchèrent ailleurs un nouvel asile-; cet état
empira par suite de la guerre -K Les hôpitaux avaient le même sort.
Dès 1351, on trouve l'Hôtel-Dieu de Marly-le-Roi complètement
désert parce que les Anglais l'avaient dévasté et que toutes les terres
à lui appartenant étaient en friche^. Pendant les troubles qui eurent
lieu à Paris, les monastères situés dans l'enceinte et au dehors avaient
beaucoup souffert; les Mathurins, par exemple, étaient, à cause de
leur pauvreté, obligés de suspendre leurs aumônes aux pauvres
écoliers et aux autres '\ L'église de Saint-Paul à Saint-Denys fut
rimi repcrti sunt pueri et puelle, hii IVi^ore cxtincti, liii adhuc palpitantes, a mortuis
juxta se querentes auxilium et non invenientes, simul moriebantur. Multi vero pueri
si moi'tis tani horrende evaserint gladiuni, in petigine tanien seu scabie capitum
putrcscentes ut abhoniinabiles a cunctis hominibus repulsam patiuntur, quibus infor-
tuniis seu calaniitatibus tam lamentabilibus in dicta civitate ante de remedio non
fuerat provisum », etc.
1. Voy. ci-dessus, p. 40 suiv., 154, 159, 164, 172, 238.
2. Suppl. Innocent. \I, n" 26, fol. 214, ad an. 1355, Septemb. 16 : « Signifîcat S. V.
devota et huniilis oratrix vestra Clenientia de Nantolio, monialis monasterii B. Marie
Vallis profunde, O. S. B., Parisien, dioc, quod cum dictuni monasterium sit tanta
paupertate coactum, quod non habcnt unde vivere valeant, sed oportet ipsas per
parentes et amicos mendicare, verum, P. S., cum dicta Clementia haberet aliqua
bona patrinionialia in dioccsi Morinen., de quibus se juvabat annuatim ad sustenta-
tionein vite sue, et cum dicta bona sint combusta et deperdita propter ignés atque
guerras, et sic propterea remanet desolata, quare supplicat eidem V. S. dicta pau-
per monialis, [ut in monasterio B. Mariae de .lotro, Melden. dioec. recipiatur].
Fiat. G. Dat. apud Villamnovam, Avinion. dioc. xvj kal. Octobris, anno tertio ».
3. Reg. Aven. Gregor. XI, n° 1, fol. 525'' : monasterium... in quo h moniales esse
consueverunt... propter guerras ac pestilentias... in suis ecclesia et edificiis destruc-
tum et in redditibus diminutum existit ». An. 1371, Decemb. 21.
4. Voy. L. Lk Gua>d, Les Maisons-Dieu et les léproseries du diocèse de Paris au
milieu du XIV^ siècle, dans Méni. de la Soc. de Vhist. de Paris et de l'Ile-de-
France, t. XXIV, p. 126.
5. Reg. Vat. Innocent. VI, n° 232, fol. 378, ad an. 1357, Septemb. 17 : « Universis
christifidelibus, etc. Splendor paterne glorie. etc. Cupientes itaque quod ecclesia
domus conventualis S. Maturini Parisien. Ord. S. Trinitatis et redemptionis captivo-
rum, in qua quidem domo sicut accepimus multa fieri consueverunt tam egenis sco-
laribus et aliis pauperibus, quam aliisillac transeuntibus, opéra pietatis, que propter
352 LA GUERRE DE CENT ANS
alors tellement ruinée, qu'on n'j pouvait plus célébrera Les
Filles-Dieu à Paris durent aussi abandonner leur demeure et se dis-
perser -.
En 1360, la cruauté et la brutalité vinrent encore ajouter à tant
de maux. C'était surtout sur les ég-lises des villages que ces malheurs
tombaient comme la foudre. SouA-ent, elles étaient fortifiées et
défendues par les habitants assistés quelquefois de gens d'armes ;
les Anglais les assiégeaient, s'en emparaient à plusieurs reprises,
malgré une résistance acharnée des paysans, et les incendiaient.
Quelques exemples à ce sujet suffiront. A Orly •^, près de Paris,
deux cents hommes défendaient leur église fortifiée ; le vendredi
saint, 3 avril, les Anglais, après avoir livré un assaut, massa-
crèrent environ cent personnes, d'autres furent emprisonnées, le
reste prit la fuite. Un fait plus atroce se produisit après le 5 avril,
à Châtres, où était un prieuré bénédictin. Les habitants avaient
transformé leur église en forteresse, s'y étaient réfugiés avec leurs
familles et avaient caché leurs biens dans une tour. Lorsque le capi-
taine français de l'église, un noble, Philippe de Villebon, vit que
les Anglais, logés plus haut sur une colline, menaçaient avec leurs
projectiles de détruire l'église, il abandonna la tour qu'il occupait
avec ses gens d'armes et se retira dans une autre moins exposée.
Les paysans furent donc réduits à leurs seules forces ; néanmoins,
ils résistèrent pendant plus d'une semaine à tous les assauts de
l'ennemi. Enfin n'en pouvant plus, ils menacèrent le lâche capitaine
de se rendre aux Anglais. Celui-ci, craignant pour sa propre liberté,
fît mettre le feu à l'église. Environ neuf cents personnes périrent
par les flammes qui s'étaient répandues partout. Ceux qui cher-
chaient à fuir furent repoussés par les ennemis. L'infâme capitaine
échappa à ce désastre ^.
Les Anglais poursuivaient leurs excursions jusqu'à Toury en
dicte domus paupertatcni ac guerrarum pesteni ac refrigcscentiam caritatis ibidem
fîeri et continuari non possunt, congruis honoribus frequentetur, [De indidgentiis
cum eleemosynis]. Dat. Avinione xvkal. Octobr. an. V ».
1. Recf. Avenion. Urban. V, n" 6, fol. 349'', ad an. 1363, Januar. 6.
2. L. Le Grand, 1. c, p. 257.
3. Jean de Venette, p. 302 suiv. Dans l'édition est imprimé : « Oly ». Orly est du
canton de Choisy-lc-Roy, au sud-est de Longjumeau. Voy. encore Barron, Autour
de Paris (1892), p. 117.
4. Jean de Venette, p. 301 suiv.; Luce dans Froissart, p. i.xx, not. 1,
LES ANGLAIS DEVANT HEIMS ET DEVAxNT PARIS, 1359, l'^6() 353
Beauce.Le capitaine français de cette ville ayant fait incendier une
petite maison, de crainte que les ennemis peu éloignés ne vinssent
s'y loger, le feu s'y propagea et tous les habitants avec leurs biens
périrent dans les flammes ^ Les Anglais, spectateurs de cette ter-
rible scène, riaient du sort de ces malheureux. Le vendredi saint,
3 avril, ils incendièrent la basse ville de Montlhéry - où était un
prieuré de l'ordre de Gluny, Longjumeau et plusieurs autres lieux;
les flammes et la fumée se voyaient de Paris '•''. Vers le même temps
ou un peu avant, une troupe d'Anglais revenant de la Normandie
prit la ville de l'Isle-Adam sur la rive gauche de l'Oise ^. L'église
paroissiale fut détruite à cette occasion -^
Les églises des campagnes n'étaient pas seules en proie à ces
ravages; les abbayes étaient traitées de la même façon au moins
dans leurs possessions. Saint-Germain-des-Prés, par exemple, avait
justement près de Châtres, à Montlhéry, et dans toutes ses con-
trées, des droits et des terres ^\ En 1373, l'abbé, de concert avec
le couvent, se plaint de ce que le monastère et ses prieurés avaient
subi de si graves dommages dans les guerres passées qu'ils étaient
incapables de payer tous les impôts "' . Du reste, cette abbaye, ainsi
que les monastères des faubourgs de Notre-Dame-des-Champs et de
Saint-Marcel, perdirent beaucoup, en 1360, par l'ordonnance que
firent les Parisiens d'incendier ces faubourgs et par la liberté don-
née aux gens de prendre et d'emporter tout ce qu'ils trouveraient
dans les maisons et dehors ^. On a toute raison d'admettre que
quelques détachements de l'armée anglaise communiquaient avec
1. Jean de Venette, p. 306 suiv. ; Contin. de Richard Lescot, p. 143.
2. L'église de Notre-Dame fut grandement dévastée et reçut d'Urbain V des indul-
gences le 24 septembre 1367. Reg. Vat. Urb. V, n° 256, fol. 69^. Cf. Cnntin. de Richard
Lescot, 1. c.
3. Jean de Venette, p. 303.
4. Chron. des quatre premiers Valois, p. 104 suiv,; Contin. de R. Lescot, p. 144,
où ce fait est placé à la même époque, comme la prise de ^^'inchelsca par les Fran-
çais.
5. Reg. Aven. Urbani V, n° 13, fol. 541'\ ad an. 1366, Augusti 12, « parroch. eccle-
sia S. Godegranni de Insula Ade, Belvacen. dioc, propter guerras que in illis parti-
bus viguerunt, est destructa ».
6. Cf. Polyptyque de V abbaye de Saint-Germain-des-Prés, publ. par Longnon, I
(1886), p. 173 ; BoNNiN, Principaux droits de Vabbaye de Saint-Germain-des-Prés en
Seine~et-Oise (Lille 1896), passim.
7. Rey. Val. Greyor. X/, n° 276, fol. 169.
8. Jean de Venette, p. 303.
R. P. Denifle. — Desolatio ecclesiarum 11. 23
334 LA GUERRE DE CENT ANS
les garnisons anglaises qui résidaient depuis quelque temps déjà
dans les environs de Paris, comme par exemple avec celle de Ghe-
vreuse. De Longjumeau, les Anglais n'avaient qu'à monter la rive
droite de l'Yvette pour arriver en peu de temps à l'abbaye des
Bénédictines de Notre-Dame-du-Val-de-Gif. Les documents nous
montrent en effet la communauté de cette époque en pleine déca-
dence, le nombre des religieuses diminué, le temporel amoindri,
les exercices religieux presque abandonnés ^ Au nord de Che-
vreuse était située 1 abbave des Cisterciennes de Port-Roval où
s'était également produit un grand relâchement. Nous savons
maintenant que le relâchement de la discipline à cette époque
était généralement l'effet des incursions et dévastations enne-
mies 2. En tout cas, les fermes, les granges, les manoirs de ces
abbayes et de plusieurs autres servirent au ravitaillement des
troupes, les établissements religieux s'appauvrirent et furent sou-
vent désolés.
Quand tout ceci se passait, les Anglais étaient proches de la capi-
tale, quoique pas encore devant les murs, et néanmoins aucune
armée française ne se montrait pour entraver sa marche. Si jusque-
là Edouard avait été déçu chaque fois qu'il s'était cru arrivé au
terme de ses désirs, présentement, toutes les chances étaient pour
lui : il tenait en échec la Bourgogne et toute la partie méridionale
de la capitale, et pas une armée ne se levait contre lui. Paris, que
nous avons quitté à peu près bloqué par les forteresses et les
bandes ennemies ^, pouvait-il opposer une résistance sérieuse ?
3. Les négociations de la paix. Traité de Bretigny .
Le régent et les principaux de son conseil comprenaient bien la
situation critique de la capitale et résolurent d'écarter le danger en
négociant avec l'ennemi. Innocent VI songeait aussi à conjurer la
1. Cf. Alliot, Hiat. de Vabbaije de X.-D. du Val de G//" (1892), p. 24. Comme ail-
leurs, les documents de cette époque font défaut. Mais Alliot se trompe (p. 25) s'il
croit qu'alors les couvents des environs de Paris n'avaient pas encore subi la visite
et les déprédations des g:ens de guerre.
2. Les Mémoires hist. et chronologiques sur l'abbaye de Porl-Royal-des-Champs
(1758), I, p. 175, ne donnent pas de renseignements.
.■}. ^^ly. chaj). IH. pai'aj;ruplu' 7. p. 219 à 243.
LES .NÉGOCIATIONS DH PAIX. TRAITÉ DK F5KI-:TIGNV, 1360 'MV6
tempête qui menaçait le royaume. Pendant qu'Edouard chevauchait
à l'intérieur de la France, le pape eng-agea l'empereur à s'interpo-
ser entre les deux rois, Edouard et Jean, pour arriver à la paix et à
l'élargissement de ce dernier. On a déjà assez sévi, dit-il, et on a
trop donné licence à la colère et à la haine K Mais, avisé par
l'expérience. Innocent VI doutait avec raison du succès. En effet, les
lettres adressées à Charles IV intéressant la France ne peuvent être
considérées que comme une espèce de décoration. Dès le 4 mars
le pape s'occupa d'envoyer une ambassade auprès d'Edouard et
du rég-ent. Les deux nonces choisis par lui étaient Androin de la
Roche, abbé de Cluny, et Hugues de Genève, fils d'Amédée II,
comte de Genève et sire d'Anthon. Symon de Langres, maître géné-
ral des Frères- Prêcheurs, devait se joindre à eux à Paris. Le chef
de l'ambassade fut Androin à qui le pape donna oralement des
instructions auxquelles Hugues devait se conformer ^ et que tous
1. Reg. Vnt. Innocent. VI, n" 240, parte 2<'», fol. 12, ad an. 1360, Febriiarii 14 :
« Cariss" in Christo filio Carolo Ronianorum imperatori seniper augusto ac Boemie
régi illustri, salutem, etc. Excellentiam tuam paternis afTectibus prosequentes...
Verum ut post hoc ad publica comnioda veniamus, vides, cariss. fîli, et id te magna
mentis tue compassionc senlire nuUatenus dubitamus, quantis christifidelium populi
guerrarum continuo angustiis opprimantur... sentis regnum Francie quantis indesi-
nenter laboribus anxietur. Cum itaque te Deus in excelso imperii solio preesse volue-
rit, ut sub tuo imperio quantum in te fuerit concordia inter principes et régna vigeat
et inter discordantium animos pax resurgat, excellentiam tuam quo sepius viscero-
rosius eo deprecandam duximus et attentius excitandam, quatinus circa pacem et
concordiam inter cariss"^ in Christo fdios nostros Johannem Francie et Eduardum
Anglie reges illustres auctore Domino et tue ministerio providcntie reformandam et
ad liberationem dicti Francorum régis intendere velit et elïicacem dare pro viribus
operam cesarea celsitudo, ipsosque regem et regnum ac nepotes tuos, in annis tene-
ris multipliciter fluctuantes, suscipere favorabilitei' commendatos. Jam enim satis
sevitum est, et jam nimium ire odiisque concessum, ut nunquam cita videatur esse
tranquillitas, que longis ante temporibus sperabatur. Datum Avinione xvi kal. niartii
anno VIII ». Y suivent quelques lettres à deux évêques d'Allemagne pour les enga-
ger auprès de Charles IV.
2. Ibid., fol. 25, ad an. 1360, Mart. 4 : Dil. filio nob. viro Hugoni de Gebenna
militi, domino de Hanton, salutem. etc. Cum ad pacem et concordiam inter cariss.
in Christo fd. nostrum Edwardum regem Anglie illustrem, et dil. fdium nob. virum
Carolum ducem Xormannie auctore Domino reformandam et ad alia magna et ardua
tractanda negotia cum eisdem nos (de providentia ac discretione dil. fîlii Andruyn
abbatis Cluniac. et tue nobilitatiscircum spccta prudentia plenamin Domino fiduciam
obtinentes, ac sperantes in ipso pacis auctore quod juxta nostre mentis desiderumi
fructuosum esse faciet ministerium vestrum) ad ipsos regem et ducem abbatem pre-
fatum et personam tuam duxerimus destinandos, nobilitatem tuam... requirimus et
hortanmr quatinus ad suscipiendam hujusmodi tam gloriosi oneris sarcinam una
356 LA GUERRE DE CENT ANS
deux communiqueraient ensuite à Svmon de Langres i. Sous la
même date, Innocent écrivait à Edouard, roi d'Angleterre, au régent,
duc de Normandie, au prince de Galles pour les engager à la paix,
leur annonçant qu'il envoyait dans ce but auprès d'eux Androin et
Hugues de Genève, parce qu'il était temps d'arrêter l'effusion du
sang des innocents et de faire cesser ces désastres -. Au même
temps, le pape écrivait au duc de Lanças ter, au comte de Nor-
thampton, à Philippe duc d'Orléans, k des archevêques, évêques,
abbés et prélats et à beaucoup d'autres, tant français qu'anglais, en
leur recommandant d'assister les deux nonces dans cette affaire ^.
Notons en particulier et avec intention qu'à la même date Inno-
cent VI écrivait au roi de Navarre, Charles le Mauvais, lui annon-
çant que les deux nonces envoyés pour réconcilier le roi Edouard
avec le roi Jean et le régent, duc de Normandie, l'entretiendraient
aussi de la part du pape ; il le prie de les bien recevoir et de les
assister de ses bons conseils auprès du duc de Normandie et de
plusieurs autres selon qu'il le trouvera opportun ^ ; mais il ne
nomme pas le roi Edouard.
cum abbate prefato taliter te disponas, quod ad exequenda tam sollicite quam dévote
ea queper nos vobis anibobus commissa fucrint, cum idem abbas ad partes accesse-
rit, sine uUius dilationis obstaculo prompla sit prefata tua nobilitas et attenta. Nos
enim de a^endis per vos ne^otiis abbatem eundem vive vocis oraculo informavimus
particulariter et distincte, a ([uo inlbrmationem i^ecipere poteris de singulis plenio-
rem. Dat. Avinione IV non. Martii anno VIII ».
1. « Dil. fd. Symoni majç. Ord. Pred., apost. sedis nuntio. Cum ad pacem... quibus
(Androyno et Huj;oni) vive vocis oraculo expressimus seriosius mentem nostram, eis-
dem per te in hiis que ipsi nuncii pro nostra parte discretioni tue retulerint pres-
tari volumus plenam fidem. Dat. », etc. Ibid., fol. 22^^ sous la même date.
2. Ibid., fol. 25'', 23''. Les deux premiers commencent : « Cum nos ad pacem » ; la
lettre adressée au prince de Galles débute : « Si claritati ». Le pape dit à la fin :
« Jam enim satis sevitum est, jam satis ii'e odiisque concessum ; jam quoque tempus
est, dil. fili, ut tantis cladibus, tam innumeris stragibus et efi'usioni sanguinis inno-
centum et christifideliuin lacrimis ipsius patris (Eduardi) ac et tua benignitas finem
ponat ».
3. Ibid., fol. 26, 23, 22'', 26'', 27, etc. Re(f. Aven. Innocent. 17, n" 23, fol. 24. Voy.
Bliss and Johnson, Calendar of eniries in the Papal Registres. Papal lettres, t. III,
p. 629 suiv. Mais lisez « iiij non. Martii », pour « non. Martii ».
4. Reg. Vat. Innocent. VI, n" 240, parte 2''% fol. 21'' : « Cariss. in Christo fil. Carolo
régi Navarre illustri, salutem, etc. Si quanta secum trahat comoda bonum pacis et
quanta cotidie es discordia personarum precipue illustrium, quarum ira innocenti-
bus nocet populis, dampna et pericula tam animarum quam corporum oriantur ; si
quanto desiderio semper expectet sancta mater ecclesia et christifidelium populi
circa reformationem pacis inter cariss. in Christo filios nostros Johannem Francorum
LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. TRAITÉ DE RRETIGNY, 1360 3o7
Le l*''' avril, le roi Jean donna pleins pouvoirs à son fils le
régent pour traiter avec le roi d'Angleterre K Le vendredi saint,
3 avril, des négociations s'ouvrirent à la maladrerie de Longju-
meau -, en présence des délégués anglais et français ^ et des nonces
du pape ^; elles se continuèrent devant Paris quelques jours après
et furent reprises à Chartres \ Edouard, ne voulant pas renoncer
et Eduarclum An^lie re^es illustres, pacis auctorem adversus seminatorem discordie
prevalere, tue magnitudino jjrudenlie dili^enter attendat, minime ut credimus opus
erit, excellentiam tuam ad interponendum in hujusniodi fructuosi negocii ministcrio
suis consiliis et lavoribus efïîcaciter partes suas longis exhortationibus aut suasioni-
bus invitari. Cum itaque nos ad hujusmodi paceni et concordiam indefessis studiis
nostris habeamus inlixum precordiis ut exquisitis cotidie viis et modis ad id pervenire
auctore Domino valeamus... dil. fdios Androynum abbatem Cluniacen. et nob. virum
Ilugonem de Gebenna militem, dominum de Ilanton... ap'"= sedis nuntios ad cariss.
in Christo filiuni nostrum Eduarduni regem An^lie illustrcm et dil. fil. nob. virum
Carolum ducem Normannie, régis Francorum primogenitum, ad pacem et concor-
diam inter eosdem reges ac ducem in virtute Régis pacifici reformandam duximus
presentialiLer desLinandos. Quare serenitatem tuam rogamus paternis allectibus et
hortamur, quatinus prefatos nuntios bénigne suscipiens, ipsisque in hiis que tibi pro
nosLra parte exponcnda duxerint indubiam fidem prestans, eisdem tam pênes ducem
prclatum, quam alios de quibus ad bonum hujusmodi quietis et pacis expcdire vide-
ris, pro nostra et apost. sedis reverentia intendat regia benignitas favorabiliter et
assistât. Dat. Avinione IV non. Martii anno VIII ». J'ai déjà fait remarquer ci-des-
sus, p. 335, qu'il est difficile de concilier cette lettre avec l'assertion de Froissart et
de plusieurs autres, lesquels avancent que des hostilités existaient alors entre le
régent et le roi de Navarre.
1. Mautkne, Thés. nov. anecd., I, p. 1422; OEiivres de Froissart, éd. de Letten-
iiovE, t. XVIII, p. 433 suiv.
2. Voy. sur elle Léon le Grand, dans Mém. de la Soc. de Vhist. de Paris, t. XXIV,
p. 132 suiv.
3. Voy. les noms dans Grand, chron., p. 169.
4. Fkoissaut, VI, p. 2, les nomme tous trois. Knighton, p. 110 suiv., dit : « aderant-
que unus cardinalis et unus legatus ». L'abbé de Cluny fut crée cardinal l'année sui-
vante. Knighton avançait la date. Grand. c/iro/}.,p. 169, et Contin. de Richard Lescot,
p. 143 suiv., parlent seulement de Simon de Langres. Mais, comme nous avons vu, ce
dernier devait recevoir les instructions du pape oralement par les deux autres nonces,
qui par conséquent étaient déjà arrivés. En efTet, les deux nonces partirent d'Avi-
gnon le 6 mars, comme Innocent VI même écrit aux arche\êques et évoques de
France et d'Angleterre, le 27 juin : » Et postremo, videlicet ij non. Martii proxime
preteriti, Androynum abbatem monasterii Cluniacen... pro hujusmodi reformatione
pacis (in qua ipse et... nobilis vir llugo de Gebennis... eidem abbati per nos adjunc-
tus, fideliter et utiliter laborarunt) duximus destinandum ». Reg. Aven. Innocent. VI,
n" 23, fol. 26''; Moisant, Le Prince Noir, p. 260 suiv., maie ad an. 1359. Le silence des
Grand, chron. ne prouve donc rien. Luce, p. ni, not. 3, est plus radical encore ; il
écarte de ces négociations les trois légats, en disant ({u'ils n'arrivèrent à Paris que
vers le 10 avril. Mais il devait au moins savoir que Simon de Langres n'avait pas
à se rendre à Paris puisqu'il y était déjà quand les deux autres quittaient Avignon.
5. Froissart, VI, {). 3, a bien compris cela. Cf. encore Grand, chron., p. 170.
3o8 LA GUERRE DE CENT ANS
à la couronne de France, faisait à Long-jumeau des conditions
excessives que les Français n'acceptaient pas i, mais auxquelles
il les voulait forcer. Pensant que la prise et l'occupation de la
capitale assureraient la ratification du traité de Londres et le
mettraient définitivement en possession de la couronne de France
qu'il avait tant convoitée, Edouard marcha sur Paris le 7 avril '.
Il semble que son armée se soit divisée en deux grandes colonnes,
celle de gauche occupant Châtillon, Vanves, Issy, Vaug-irard, tan-
dis que celle de droite s'installait dans Cachan et Gentilly '^.
Gomme nous avons vu plus haut, l'activité vigilante du rég"ent veil-
lait depuis longtemjDS à la sûreté de la capitale et de plusieurs
autres places. Pendant qu'Edouard était devant Reims, prévoyant
pour Paris une attaque de la part du roi d'Ang-leterre, le régent ten-
tait d'empêcher l'armée ennemie d'occuper les deux rives de la
Seine, et il pourvut à la défense du pont de Charenton ^. Il avait
bien calculé, comme nous verrons. Le 8 avril, toujours dans la
même préoccupation, il écrivait aux Rémois d'envoyer sans délai
du secours, demande qu'il adressa aussi à d'autres. Edouard, écrit-
il, se montre avec son armée devant Paris du côté de Saint-Marcel
et il a l'intention d'assiéger la ville ^. Toutefois, la capitale ne paraît
pas s'en être effrayée ; les portes et les murs d'enceinte étaient bien
garnis de gens d'armes ^\ La meilleure preuve est qu'Edouard n'osa
pas faire un assaut. Du reste, les Français étaient assez prudents
pour ne pas éloigner des fortifications une trop grande quantité de
troupes et pour ne pas accepter une bataille à laquelle Edouard eût
voulu les attirer. Tout se réduisit à de petites escarmouches ". Le
1. Voy. Chron. des qiiaire premiers Valois, p. 115.
2. Grand, chron., p. 170. D'après Kmghton, p. 111, rarmce anglaise, divisée en trois
colonnes, était déjà devant les murs le 6 avi'il. D'après Lrmoine, dans Chron. du
R. Lescot, p. 1 14, not. 5, s'appuyant sur l'Itinéraire, p. 298, Edouard n'a pas quitté
Chanteloup avant le 10 avril. Mais cette assertion est contredite par une lettre du
régent aux Rémois datée du 8 avril. Du reste, Edouard pouvait très bien aller à che-
val de temps à l'autre de Paris à Chanteloup et vice versa.
3. Voy. ci-dessus, p. 174. Ton.orzE, Hist. d'un village ignoré, Balnealuni (1898),
p. 129, dit qu'aussi Fontenay, Bagneux, Montrouge, Arcueil furent occupés par les
Anglais. C'est possible, Fontenay et lîagneux sont tout près de Châtillon, Arcueil
est près de Cachan. Mais les sources ne fournissent rien.
4. MoBAXViLLK, dans Chronogr., II, p. 289, not. 4.
5. Varix, Archives administratives de la ville de Beinis. III. p. 159 suiv.
6. Grand. c/iron.,p. 171.
7. Kmohtox, p. 111. ^'^oy. Jeax di: A'enkttf., p. 307.
LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. TRAITÉ DE nilETIGNY, 1360 3o9
roi d'Angleterre trouva donc devant Paris la même tactique, la
même énerg-ie, quoique presque passive, la même prudence que
devant Reims, et, malheureusement pour son armée, on y avait mis
à profit le conseil donné aussi à cette ville par le régent de retirer
tous les vivres à l'intérieur de la ville, afin que l'ennemi ne pût s'en
emparer ; cette mesure fut suivie partout ^
Cette fois, la ferme résistance de Reims lui ayant donné de l'ex-
périence, Edouard n'attendit pas trente-neuf jours pour s'en aller ;
dès le 12 avril, il leva l)rusquement le siège, après avoir incendié
quelques faubourgs et villages. Son ambition essuyait un nouvel
échec, plus important encore que le précédent, car il avait mis son
dernier espoir dans la prise de Paris, se promettant qu'elle le
dédommagerait de son infructueuse tentative devant Reims et qu'elle
serait le couronnement de sa campagne.
Après cette dernière défaite, où devait-il se diriger avec son
armée à demi affamée? Passer la Seine et retourner en Angleterre?
C'était trop tôt. Après plus de cinq mois, Edouard était aussi peu
avancé qu'au début de cette campagne si coûteuse. Quel accueil
l'attendrait à Londres ? Du reste, les passages de la Seine étaient
bien défendus -. Dans cette situation, il forma le projet d'aller pas-
ser quelques mois en Bretagne pour revenir ensuite devant Paris ^.
Il se dirigea donc vers Chartres avec son armée. Ignorait-il que le
pays chartrain ne pouvait lui fournir des vivres? Par suite des
guerres incessantes tout ce pays était dévasté et épuisé. Edouard se
rassurait sans doute en songeant au train de chariots chargés des
approvisionnements de 1 armée ; mais néanmoins les vivres commen-
çaient déjà à faire défaut ^, lorsque, le second jour de la marche, le
lundi 13 avril, comme le dit Jean de Venette, se déchaîna sur l'ar-
mée, à Gallardon, une terrible tempête, un ouragan accompagné
de la foudre, d'une forte grêle et peut-être de neige mêlée à de la
1. Cf. Chron. des quatre premiers Valois, p. 117, dont l'auteur du reste n'est pas
bien informé pour cette partie.
2. Non seulement on fortifiait le pont à (^harenton, mais à Pont-de-lArche par
exemple le passage était aussi surveillé, comme il résulte des Grand, chron., p. 214.
Voy. ci-dessous, p. 361.
3. FnoissAHT, p. 1.
4. Chron. norm., p. 152 : « Tost du roy Edouard (commença) à avoir ^rant defTaut
de vivres, carie pays avoit esté moût essillié parles guerres ».
360 LA GUERRE DE CEM ANS
pluie, de sorte, comme le raconte l'anglais Knighton, qu'une grande
partie des nobles et une quantité innombrable d'Anglais de tout
rang et plus de six mille chevaux furent tués. Le train portant le
ravitaillement de l'armée, composé de plusieurs milliers de chariots,
fut presque entièrement détruit'. L'impression de ce désastre fut si
forte en Angleterre, qu'on appela désormais le lundi suivant le pre-
mier dimanche après Pâques lundi noir-.
On comprend qu'après cela lidouard ait désiré retourner en
Angleterre-^. Les éléments se mettaient du côté des Français, et les
troupes anglaises étaient forcées de se disperser jusqu'à Bonneval
et Ghâteaudun pour trouver des vivres '^. Cet état de choses ne
pouvait durer, et Edouard le comprit bien. Il se montra prêt à
conclure la paix ^, et, comme s'expriment les Grandes chroniques^
1. Kmghton, p. 112 (noms de plusieurs nobles tues). Cf. Chron. Angl.,cd. Thompson,
p. 42; Contin. de Mui^imulh. éd. Hofi, p. 193; Jean de Venette, p. 308; Froissart.
p. 5 ; Chronogr., p. 294; Chron. norm., p. 152 ; Chron. de R. Lescot, p. 145; Chron.
de Jean ?\oijal, dans la Bibl. nat., ms. ù\ 10138, fol. ITO*'; Cuvelieh, Chron. de Du
Guesclin, v. 2684 suiv.; deux Chroniques dans Secousse, Preuves, p. 639, 666 suiv. ; la
première, i/jid,, suit le texte des Grand, chron. De cet orage, il est encore parlé dans
Chronicle of London., p. 64, où le fait, comme dans Contin. de Murimuth, est placé
au 14 avril, en ajoutant que c'était un lundi. Mais le lundi tombait le 13 avril. Le
continuateur de Murimuth écrit qu'il tomba aussi de la neige, et le Chronicle dit
que beaucoup périrent à cause du froid, ce que racontent également Euloyium
histor., III, p. 228 suiv., et W'alsingham, I, p. 289.
2. Chronicle of London. \. c. : « wherfore unto this day manye men callen it the
blake Moneday ». C'était le lundi après « dominica in Albis ».
3. Kmghtox, 1. c. : « cariagium excrcitus defecit fere in toto, et oportuit redire ver-
sus Angliam ».
4. Grand, chron., p. 171.
5. L'orage est très gênant pour Luce, p. iv, not. 2, et Du Guesclin, p. 306, parce
qu'il veut prouver que si la campagne d'Edouard a si misérablement avorté et s'est
terminée par beaucoup de concessions aux Français, c'est uniquement par la sagesse
prévoyante du régent secondé par la patriotique résistance des populations. Mais
Luce n'a pas distingué. Edouard pouvait très bien se déterminer à faire la paix à la
suite des terribles elfets de l'orage, et abaisser les conditions à cause de la résistance
qu'il trouvait en France. La sagesse du régent et la patriotique résistance des popula-
tions ne perdent donc rien. Luce a omis de se mettre au milieu de la situation. L'armée
anglaise se trouvait, déjà fatiguée, dans un pays d'une extrême détresse, quand survint
l'orage qui détruisit presque tout le train avec les provisions. Que faire? Luce se
garde de citer Kmghtox, qui dit, comme nous avons vu, qu'à cause du défaut de
vivres on était obligé de retourner en Angleterre ; en revanche il s'appuie sur le
rédacteur des Grand, chron., qui ne dit pas un mot de cet orage. Mais ce silence
prouve-t-il quelque chose contre quatorze chroniqueurs anglais et français ? Est-ce la
première fois que les Grand, chron. omettent un fait remarquable? Et pourtant elles
fournissent contre l'assertion de Luce une preuve importante, comme nous verrons
dans le texte.
LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. TRAITÉ DE BRETIGNY, 1360 361
les Anglais eux-mêmes firent sentir, tant à Fabbé de Cluny, qui ne
manqua pas k son devoir en le communiquant, qu'à bien d'autres,
qu'ils acquiesceraient volontiers audit traité de paix, si le régent
leur envoyait des négociateurs ^ Cette détente, arrivant tout après
le terrible orage, montre clairement que ce sont les effets de cet
incident qui abaissèrent l'orgueil du roi d'Angleterre.
Le régent informé, après délibération du conseil, envoya, le
27 avril, des négociateurs à Chartres^; le 1^'' mai, les délégués fran-
çais et anglais et les trois nonces du pape*^ se réunirent à Bretigny,
dans un hameau voisin, pendant qu'Edouard logeait à Sours. Les
pourparlers durèrent jusqu'au 8 mai. Le 7 mai, fut confirmée par le
régent à Chartres et par le prince de Galles à Sours ^ une trêve qui
devait durer jusqu'au 29 septembre 1361 ; le 8 mai, les négociateurs
signèrent le traité dit de Bretigny, confirmé et juré par le régent à
Paris le 10 mai, et par le prince de Galles à Louviers les 15 et
16 mai. Ce traité, provisoirement ratifié ensuite par Edouard III et
le roi Jean à Londres le 14 juin, fut définitivement ratifié et juré
le 24 octobre seulement, par les deux rois et par leurs fils aînés ^.
Mais que contenait le traité de Bretigny dans sa forme primitive,
tel qu'il est alors venu à la connaissance du public ? Nous connais-
sons les excessives et désastreuses conditions du traité de Londres
qu'Edouard, encore devant Paris, voulait imposer aux Français,
conditions que ceux-ci n'acceptèrent p as plus alors que l'année
précédente. Le but de sa sixième invasion allait au delà, puis-
qu'il voulait arriver par la force à se faire couronner roi de
France. Maintenant qu'arrivait-il? En vertu du douzième article du
1. Grand. c/jro/i.,p. 171 : « Et firent (les Anfi,lais) assez sentir tant par Tabbé de
Cligny... comme par autres, que il entendroicnt volontiers audit traictié de paix, se
ledit régent vouloit envoyer par devers eux ». Cette fois, le rédacteur des Grand,
chron., « le mieux renseigné de tous les chroniqueurs sur ces événements », est
gênant, et Luce préfère la version de Froissart {p. iv). Du reste, aussi Jeax de
Venkttr dit, p. 310 : « Rex vero Angliae pacem libenter volens » ; Chron. norm.,
p. 152 : « lors manda Edouart la paix au régent, laquele paix il avoit autrefl'ois refu-
sée ».
2. Grand, chrnn., p. 171 suiv., où sont les noms. Cf. encore Cosxeau, Les grands
Traités de la guerre de Cent ans, p. 33 suiv.
3. Une lettre du roi Jean datée du 26 juillet 1361, dit la même chose, dans Rymer,
III, j). 624 ; FÎAnnoNNET, Procès-verbal de délivrance à Jean Chandos (^Niort), p. 16.
4. Rymkh, p. 485 suiv., Grand, chron., p. 202, 207.
5. Voy. les Grand, chron., et les indications dans Cosneau, p. 34.
362 LA GUERRE DE CENT ANS
traité de Bretig-ny, Edouard renonce à toutes ses prétentions sur
la Flandre, la Normandie (la possession de Saint-Sauveur lui est
seule assurée), sur le Maine, la Touraine, comme aussi sur TAnjou
et la Bretagne ; par le vingtième article du traité, les deux rois
de France et d'Angleterre sont obligés de travailler à amener un
accord entre les deux prétendants. Edouard n'impose donc plus sa
souveraineté comme dans le traité de Londres. Contrairement à la
disposition de ce traité la rançon du roi Jean est réduite de quatre
millions d'écus d'or à trois millions payables en six ans et à des
conditions beaucoup plus favorables. De plus, Edouard renonce à la
couronne et au titre de roi de France qu'il prenait dans tous ses
actes depuis la déclaration de la guerre ^ .
D'autre part, le régent y accorde que le duché d'Aquitaine, ces-
sant d'être un fîef de France, sera érigé en souveraineté indépen-
dante avec les provinces sous-nommées dont cession est faite à
l'Angleterre : le Poitou, la Saintonge, l'Aunis, l'Agenais, le Péri-
gord, le Limousin, le Quercy, le pays de (iaure, Bigorre, l'Angou-
mois et le Rouergue. Le régent cède encore les petites seigneuries
de Guînes, du Ponthieu, Montreuil et Calais - ; et le délai pour la
remise aux Anglais de ces provinces et pays est fixé d'abord au
29 septembre, et plus tard, au 24 juin, ou à la Toussaint 1361. Les
comtes de Foix, d'Armagnac, et quelques petits seigneurs du Midi
durent transporter leur hommage direct au roi d'Angleterre. Ces
provinces annexées formèrent désormais avec la Guyenne le duché
d'Aquitaine.
Malgré cela, Edouard III renonçait sur toute la ligne à plus d'un
quart de ses anciennes prétentions et abandonnait complètement ses
aspirations à la couronne de France. Forcé de quitter le pays avec
son armée, la crainte de tout perdre l'avait amené à traiter avec
1. Voy. Grand, chron., p. 184. L'article 12 comme encore une partie de l'article 11
furent supprimés le 24 octobre, et pour les remplacer les deux rois firent des pro-
messes et des chartes de renonciations.
2. Cf. la carte dans Allas historique de la France, par Longxox, 3° livrais., pi. XIV
[Texte explicatif, p. 256, not.l), et le texte du traité ratifié le 24 octobre, dans Cos-
NEAU, 1. c, p. 39 à 68. L'auteur explique dans l'introduction au traité les points
nécessaires, et dit lui-même que pour comprendre certaines clauses, les détails
doivent être mieux étudiés ; mais, une étude semblable n'entre pas dans le cadre de
mon travail. Les terres cédées sont aussi énumérées dans Champolliox-Figeac, Lettres
des rois, reines, etc., t. II (1847), p. 130, et ailleurs.
LES Nf:GOCIATIONS DE PAIX. TPAITÉ DE BRETIGNY, 1360 363
les Français qui, malgré la triste condition du royaume, avaient,
grâce à leur invincil)le fermeté, fait échouer le but qu'il s'était
flatté d'atteindre par sa sixième invasion. Resté vainqueur par la
bataille de Poitiers^ Edouard était vaincu dans sa dernière cam-
pagne et perdait pour jamais l'espérance si longtemps caressée
de briser les Français.
On peut s'expliquer la joie avec la([uelle les Parisiens et toute la
population accueillirent le traité conclu le 8 mai. Ils notèrent
même comme un heureux présage Tlntroït Vocem jucunditatis de
la messe du cinquième dimanche après Pâques , le 10 mai de cette
même année, jour oii le traité fut confirmé et juré par le rég-ent; le
clerg-é et le peuple chantèrent le Te Deiiin à Notre-Dame ^ On
voyait Edouard céder; après ving-t-trois années de guerre, on croyait
toucher à la lin de tant de maux et l'on espérait la sécurité et le
repos. On pensait plutôt à ce qu'on avait g'agné par le traité qu'à ce
qu'on avait perdu. Mais quand on sait qu'en France le sentiment
national ne date pas seulement du xv^ siècle, on s'explique ég-ale-
ment pourquoi dans les provinces cédées à l'Ang-leterre, un senti-
ment tout à fait contraire à celui des provinces restées françaises se
manifesta, comme nous le verrons au paragraphe suivant.
Edouard partit bientôt ; le 12 mai, nous le trouvons déjà à
Thibouville en Normandie ~; dès le 18 mai^^, il arriva à Londres.
Après avoir réduit en cendres tout ce qui lui restait de bagages
inutiles, la plus grande partie de son armée le suivit sans faire
1. Voy. Jiî.vN \w. ViîMîTTE, p. 311 : « inelVabilc gaudium adfuit loti plebi... Gaude-
bant quasi onines, et nierito ». L'auteur était alors à Paris. Cf. encore Grand, chron..,
p. 213. Plus tard, lorsque tout ce qu'on avait perdu eut été reconquis, on porta un
jugement plus sévère sur ce traité. Par exemple Chhistine de Pisan le trouva « mie
bien honoralîle, ains moult au descroiscement et préjudice du royaume ». Mais elle-
même devait confesser qu'il « avoit été fait en manière de contrainte pour le temps
de trop griefve fortune et pour obviera plus grant inconvénient » (Livre des fais et
bonnes mœurs du sage roy Charles V,'publ. par Leueik, Dissertations sur Vhistoire
de Paris, III, p. 151). Si l'on tient compte du triste état de la France à la veille du
traité et des avantages que le traité de Bretigny avait eus sur celui de Londres, on
ne peut blâmer les Fi-ançais d'alors.
2. Cf. l'Itinéraire dans (Jhron. de Richard Lescot, p. 209.
3. Rymeh, III, p. 494, négligé par Luce, Froissart, A^I, p. vu, not. 3, et Moranvim.é,
Chronogr., p. 29'i, not. 4, qui préfèrent le rédacteur des Grand, chron., p. 214,
d'après lequel Edouard s'embai-qua 1(» 19 mai à llontleur. Recte Moi.imeh, dans Chron.
norm., p. 324, not. 7.
364 LA GUERRE DE CENT ANS
ravages, en passant par Pont-de-F Arche ; le régent avait donné
l'ordre de la laisser traverser la Seine en cet endroit •.
Innocent VI ne tarda pas à féliciter le roi d'Angleterre d'avoir con-
clu la paix, il lui écrivait à cet effet le 30 juin -, et le 6 juillet il laisse
une seconde fois éclater sa joie, en annonçant aux deux rois, qu'il leur
envoie ses nonces, Fabbé de Cluny et Hugues de Genève •^, qui, de
Bretigny, étaient retournés annoncer au pape que la paix était con-
clue. Le traité n'étant pas encore scellé ou définitivement ratifié, le
pape envoyait de nouveau les nonces ^ auprès des deux rois, avec
la mission de trancher les doutes qui pourraient survenir au sujet
de certaines conditions et conventions mentionnées dans le traité,
comme il l'écrit aux deux nonces le 6 juillet ^. A la même date, il
avise de cela le prince de Galles, Tarchevêque de Ganterbury et
plusieurs autres, les priant d'assister Androin et Hugues dans leur
mission ^. Le 30 juin, pour que la bonne issue du traité ne soit pas
entravée, il donne à l'abbé de Gluny et aux évêques de Paris, de
Londres, de Thérouanne, de Rochester, d'Arras et de Winchester la
faculté de délier les Anglais et les Flamands de toutes les ligues et
1. Knightox, p. 112 : « quaecumque habebant miserunt flammae et incendio prae
defectu cariagii, tentoria. utensilia, currus, sellas et caetera quasi oninia ». Gr€ind.
chroii., p. 214, dit que la plus grande partie de l'armée anglaise retournait en Angle-
terre. Malheureusement, il en resta en France une partie, qui forma plusieurs
Grandes compagnies, dont il sera question dans le chap. V.
2. R\MER, Foedera^ III, p. 501.
3. Reg. Vat. Innocent. VI, n" 240, parte 2'*% 93'', 95''; Rymkh, III, p. 502 ; Raynald,
A/m., 1360, n" 2. Cf. encore la lettre adressée au régent sous la môme date, Reg.. fol.
97.
4. Reff. Aven. Innocent. VI, n" 23, fol. 26'' : « ... ipsos nostros et apost. sedis nun-
tios ad prosequendum et solicitandum complementum pacis ejusdem providimus
remittendos », ad Jun. 27.
5. Reg. Vat. Innocent. V7, n° 240, parte 2''% fol. 98'' : « Dil. filiis Andruyno abbati
mon. Cluniaccn., et nob. viro Ilugoni de Gcbenna domino de Antona ap. sedis nun-
ciis, salutem. Cum nos de circumspecta vestra prudentia in gravibus et arduis nego-
tiis nota nobis, singularem in Domino fiduciam obtinentes, ad prosequendum et féli-
citer terminandum certum tractatum concordic per vos habitum inter cariss. in Christo
filios nostros Johannem Francorum et Eduardum Anglie reges illustres duce Domino
reformande, vos ad eosdem reges presentialitcr dcstinemus, volumus quod si inter
reges eosdem super conditionibus, conventionibus et pactis in dicto tractatu contcntis
aliqua dubia forsitan orirentur, vos inter reges ipsos quibus convenire videritis viis
et modis prefata submovere dubia et eorum animos ad prefataminclinare concordiam
studeatis. Dat. apud Villamnovam Avinioncn. dioc. ij non. Julii anno VIII ».
6. Ihid., fol. 97''. à 98''. Voy. les noms d'autres dans Bliss and Johnson, 1. c,
p. 630.
LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. TKAITÉ DE HRETKiNY, 1360 365
conventions dans lesquelles ils pouvaient s'être eng-agés soit aupara-
vant, soit présentement et de les relever de leurs serments ^ Les
mêmes évêques avaient le pouvoir d'annuler certains engagements
pris par les rois de France et d'Angleterre 2, et les évêques de
Londres, de Rochester et de Bazas étaient délég-ués pour absoudre
les sujets du roi d'Ang-leterre, soit archevêques, évêques, abbés,
ecclésiastiques séculiers et réguliers ; les ducs, comtes, seigneurs,
nobles et non nobles qui croiraient avoir encouru pendant la guerre
les censures ecclésiastiques ^ ; les évêques de Paris, de Thérouanne,
de Montauban reçurent les mêmes facultés pour les sujets du roi
de Frai^ce; l'abbé de Cluny avait la faculté d'exercer le même pou-
voir envers l'une ou l'autre partie ^.
La sollicitude d'Innocent VI allait plus loin encore. L'article
13 (lu traité de Bretigny, à date du 8 mai, ordonnait que le roi
Jean serait transféré d'Angleterre à Calais dans le délai de trois
semaines, à partir du 24 juin; l'article 14 lui imposait l'obligation
de payer à Calais au roi d'Angleterre six cent mille écus en quatre
mois à compter depuis son arrivée à Calais '^. Or nous savons que
le 10 juillet 13o8, le pape avait accordé deux décimes des revenus
ecclésiastiques dans le royaume de France pour la délivrance du roi
Jean ^' et que, la paix n'ayant pas été conclue, le payement n'avait
pas eu lieu. Mais à la conclusion du traité de Bretigny, le pape,
informé de la somme énorme que la France devait payer pour que
le roi Jean pût quitter librement Calais, ordonne, le 22 juin 1360,
aux archevêques et évêques de France d'envoyer à Saint-Omer
le montant des décimes précédemment recueillis pour qu'il soit
remis à l'évêque de Thérouanne, chancelier de France, et à l'évêque
de Tournai ; de plus il les oblige à exiger des contribuables qui ne
1. Recf. Aven. Innocent. V'/, n° 24, fol. 299 : « Dum gravia... Dat- apucl Villamnovam
Avinioncn. dioc, ij kal. Julii an. octavo ». jMoisant, Le Prince Noir, p. 263; il donne
à tort au volume le n" 23 (comme aussi dans la suite), et place la bulle ad an. 1359, ce
qu'il fait encoi'e à trois autres bulles.
2. Beff. Aven. Innocent. VI, n° 24, fol. 290; IIvmeu, III, p. 501; Moisant, 1. c,
p. 262, maie ad an. 1359.
3. Reg., fol. 290; Rymeh, p. 502.
4. Reg., fol. 290''.
5. Dans le traité défmitivement ratifié, ces deux articles sont le 12" et le 13". Voy.
COSNEAU, p. 47.
6. Voy, ci-dessus, p. 149.
366 LA GUERRE DE CEM A^S
se seraient pas encore acquittés l'accomplissement de ce devoir, en
les menaçant des censures ecclésiastiques K
Cette fois encore les sollicitudes du pape furent sans eifet. Le
rég-ent avant pris un autre moyen pour obtenir l'arg-ent nécessaire à
cette première rançon, dans les Instructions adressées aux commis-
saires charg-és de recueillir les six cent mille écus. l'article 21
défend aux gens d'ég-lise de payer « riens du double dixième que
1. Reg. Aven. Innocent. VF. n° 2i. fol. 276 : « Venerabilibus fratribus.. archiepis-
copo Remensi ejusque sufTra^^aneis salutem, etc. Olini sicut vol:)is innotuit cum inter
carissimos in Christo fiHos nostros Johannem Francorum et Ed\varduni Anglie reges
illustres pacem esse fu-matani publiée diceretur. duas intégras décimas omnium pro-
ventuum et redditum ecclesiasticorum in regno Francie et aliis terris prefati Franco-
rum régis ditioni subjectis consistencium certis terminis exigendas atque solvendas
eidem Francorum régi pro liberatione sua sub certis modo et forma... de gratia con-
cessimus speciali. prout in nostris ad vos etiam et alios prelatos regni et terrarum
predictorum directis litteris plenius continetur. In quibus tune voluimus atque man-
davimus quod hujusmodi décime que per vos et alios prelatos regni et terrarum pre-
dictorum de vestris proventibus et redditibus deberentur et totum id quod per vos
et eos, aut per subcollectores a vobis et eos deputandos, colligi et levare contingeret,
infra certum tempus tune expressum in civitate Avinionen. personis per vos ad id
deputandis solvi tradi et assignari deberent. Et deinde cum ipsius pacis tarderetur
effectus et ex aliis certis causisea omnia per vos et alios prelatos predictos custodiri et
servari mandavimus. donec a vobis aliud mandaretur. dictosque solucionum terminos
prorogandos nec non processus et sententias... suspendendos usque ad proximum
festum Nativitatis B. Johannis Baptiste duximus successive. Cum autem, sicut relati-
bus fidedignis accepimus. pax ipsa de novo sit inter partes easdem pia Régis pacifici
miseracione firmata et juramento \allata, in qua inter cetera actum est quod dictus
Francorum rex infra très septimanas predictum festum beati Johannis immédiate
sequentes esse débet apud Calesium. Morincn. dioc, et ibidem pro liberatione sua
certam magnam pecunie summam solvere tenetur, et ad hoc per... Carolum ducem
Normannie... rcgnum regentem et alias ipsius régis Francorum gentes et subditos
solicitis et fidelibus studiis intendatur : nos de ipsius reformatione pacis, pro qua
per nos et apostohcam sedem longevi labores et studia sunt impensa, devotum Deo
reddentes cum exultationis jubilo vitulum Jabiorum ac salubrem dicti Francorum
régis liberationem paternis atlectibus exoptantes, fraternitati vestre per apostolica
scripta mandamus quatenus totum id quod per vos pro ipsis duabus integris decimis
de proventibus et redditibus vestris ecclesiasticis quos in vestris civitatibus et dio
cesibus habetis, solvi debuit seu débet, ac totum et quicquid ab aliis personis eccle-
siasticis juxta formam dictarum litterarum vobis seu subcollectoribus per vos depu-
tatis de ipsis et pro ipsis decimis solutum extitit. sine alicujus more dispendio ad
locum de Sancto Audomaro dicte Morinen. diocesis per fidèles et sufïîcientes nuncios
cum oportuna cautela fideliter transmittentes illa venerabilibus fratribus nostris Egi-
dio Morinensi dicti regni Francie cancellario, et Philippo Tornacensi episcopis [ou aux
dêlécfués] tradi et assignari realiter faciatis, per eos postmodum in liberationem pre-
dictam tantummodo convertenda. Et insuper... omnes et singulos, qui pro hujusmodi
redditibus et proventibus, quos in vestris civitatibus et diocesibus obtinent, ipsas
duas décimas non solverunt, ad illas solvendum. prout tam honesta tam pia nécessi-
tas exigit, hortari, movere et inducere et per censuram ecclesiasticam et aggravatio-
LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. TRAITÉ DE BRETIGNY, 1360 367
Notre Saint-Père le pape avait octroyé pour la délivrance le roy »,
exige « qu'ils prestent pour ceste cause aussi comme les séculiers »,
qui devaient y contribuer selon la requête des commissaires ^. Du
reste. Innocent VI fut bientôt informé, par le régent même, au sujet
de ce système nouveau , comme le prouve sa lettre adressée le
14 juillet aux dignitaires ecclésiastiques dans laquelle il retire ses
ordres précédents ~.
Sur ces entrefaites, le roi Jean quitta l'Angleterre et débarqua le i
8 juillet à Calais •\ où il resta jusqu'au 25 octobre ; c'est seulement
le 24 qu'il recouvra sa liberté. Le 25 septembre. Innocent VI
envoyait au roi de France, au duc de Normandie, au roi d'Angle-
terre etau prince de Galles, à Tévêque de Thérouanne et au duc de
Lancaster des lettres de créance pour ses nonces, l'abbé de Cluny
et Hugues de Genève ^ Le 9 octobre, le roi d'Angleterre vint en
personne à Calais; le régent y arriva le 13, On travailla alors à
régler les conventions relatives au traité de Bretigny dont chaque
clause et chaque article furent l'objet d'une charte spéciale à laquelle
les deux rois et leurs enfants apposèrent leurs sceaux ^. Les plus
nem ipsorum processuum et sententiarum et alla opportuna remédia juxta dictarum
litterarum continentiani et tenorem compellere studeatis, et quicquid inde solvi seu
levari contigerit, confestim mitti et prefatis episcopis... tradi et assignari similiter
faciatis... Dat. apud Villamnovani Avinionen. dioc. x kal. Julii anno octavo ». Inno-
cent adressait des lettres de la même teneur aux autres archevêques (compris celui
de Bordeaux) et évoques de France, dont la liste suit dans le registre jusqu'à fol. 278,
et le 23 juin (viiij kal. Jul.)il informait les deux évoques de Thérouanne et de Tour-
nay, comme -encore le trésorier de France, Pierre Scatisse {ihid., fol. 278'*). Ce der-
nier reçut en eflet en Languedoc, avant le versement du premier terme, dès le
7 août, plus de quatre mille moutons d'or. Voy. Hist. de Languedoc, t. X, p. 1250
suiv. Les prélats du Midi et Scatisse n'étaient pas encore informés des dispositions
nouvelles. Voy. les deux notes suivantes.
1. A^oy. ces Instructions, publ. par .T. M. Richari», dans Bibl. de V École des
chartes, t. XXXVI, p. 83 suiv. L'article 21 se trouve p. 86. Cf. encore Grand, chron.,
p. 215.
2. Re(f. Aven. Innocent. VI, n° 28, fol. 501'', ensemble avec la lettre du 27 janvier
1362, dans laquelle il confirme la précédente. Le pape enjoint aux prélats de se con-
former aux Instructions du régent, et il les acquitte des engagements pris à cause de
ses lettres précédentes.
3. Grand, chron., p. 215. Avant de parlir, le roi Jean fit des visites aux hauts per-
sonnages et des offrandes à Saint-Paul de Londres et à Saint-Paul de Canterbury.
Voy. Champolmon-Figeac, Lettres des rois, reines et autres personnages, etc., t. II,
p. 120; Comptes de Vargenterie des rois de France au XIV^ siècle (1851), p. 272 suiv.
4. lieg. Vat. Innocent. VI, n° 240, fol. IIP' à 113.
5. Grand, cliron., p. 215 suiv., Froissaut, p, 26. La plupart de ces pi'otocoles sont
368 LA GUERRE DE CENT A?yS
célèbres sont : les chartes par lesquelles les deux rois renoncèrent
à la souveraineté sur les terres cédées de part et d'autre, les chartes
dites de renonciations, datées le 24 octobre par Edouard à Calais, le
26 octobre par Jean à Boulog-ne. Mais, il était formellement stipulé
que ces renonciations n'auront d'effet qu'à partir du jour où elles
auront été échangées à Bruges ou vers le 15 août, ou vers le
30 novembre 1361 \ et cela était d'une importance capitale, parce
que, par la faute d'Edouard -, ces formalités convenues ne furent
jamais remplies. Cette inexactitude fut la première cause d'un
retour de fortune, et un moyen efficace d'obtenir la réparation des
maux appesantis sur la France pendant tant d'années. Présente-
; ment il suffira de noter que le 24 octobre le traité de Bretigny fut
solennellement et définitivement ratifié ^.
Mais qu'advenait-il de Charles le Mauvais ? Tandis que dans le
traité de Bretigny comme auparavant dans celui de Londres, son frère,
Philippe de Navarre, était traité en ami du roi d'Angleterre ^, de
lui il n'est pas dit un seul mot, ce qui explique notre appréciation
sur l'attitude d'Edouard envers son ancien allié. Néanmoins
puisque le roi Jean qui l'avait fait emprisonner en 1356 et qui ne
lui donnait encore aucune marque de bienveillance retournait en
France, il fallait c[ue leur différend fût réglé. Cela se fit seulement
le 24 octobre à Calais par l'intervention du duc de Lancaster et de
Gautier de Masny et vraiseml)lablement par celle de Philippe de
Navarre '\ Charles le Mauvais ne troubla pas la paix jusqu'à la
dernière année du règne du roi Jean.
renfermés aux Arch.nat., J, 638, 639, 640, comme annote Luce,1. c.,p. xi,not. 6. Rymer,
p. 514 à 546, et Martkne, Thés. nov. aneed., I, p. 1427 à 1464, ont reproduit une grande
partie de ces documents. Cf. encore Bibl. nat., fonds de Camps, portefeuille xlvi.
1. Voy. la lettre d'Edouard du 24 octobre dans Grnnd. chion.^ p. 255 à 263; la
phrase au sujet de Bruges est p. 260 suiv., celle de la valeur des renonciations, p. 261
suiv.; la lettre du roi Jean, voy. dans Gosxeau, p. 175 à 179, surtout p, 178 suiv.
2. Le roi Jean avait eu soin d'envoyer ses commissaires à Bruges ; mais les com-
missaires anglais ne vinrent pas. Cf. Jean de Moxtreuil , dans Bibl. nat. Paris., ms.
lat. 10920, fol. 15.
3. Rymer, III, p. 534 suiv. ; Froissart, 1. c, p. 33 à 47 ; Lijce, p. xii suiv. Voy.
les noms de ceux qui étaient alors présents à Calais avec les nonces du pape dans
CosNEAU, 1. c, p. 66 suiv. ; Champollion-Figeag, 1. c, p. 128; OEiivres de Froissart,
éd. DE Lettenhove, XVIII, p. 437 suiv.
4. Voy. l'article 22 dans Cosneau, p. 55.
5. Les articles de la convention publ. parMARTÈNE, Thés, nov., I, p. 1480; Secousse,
Preuves, p. 172 suiv. ; Mém., p. 407 suiv.
LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. TRAITÉ DE BRETIGNY, 1360 369
Après le versement des quatre cent mille écus ^ et la remise des
otages princiers et nobles - en garantie de l'accomplissement des
conditions, le roi Jean quittait Calais le 2o octobre et passant par
Boulogne-sur-Mer, Saint-Omer, Hesdin, Amiens, Compiègne, arri-
vait à Paris le 15 décembre ; la veille il s'était réconcilié avec le roi
de Navarre à Saint-Denys'\ Le 31 octobre, Edouard s'embarqua
pour l'Angleterre avec les otages nommés ci-dessus^. Les otages
bourgeois, au nombre de quarante, envoyés et entretenus par dix-
neuf des principales villes de France (parmi lesquelles naturelle-
ment ne figure qu'une seule ville du Midi, Toulouse) devaient se
trouver à Calais seulement dans le délai de trois mois après que le
roi Jean aurait quitté cette ville •''. L'entretien des otages causait
1. Dessali.es, Rançon dn roi Jean (Paris, 1850), p. 7, dit que le roi versait 400.000
écus pris sur la somme de 600.000 écus, reçue par lui de Galéas Visconti, sire de
Milan, qui voulait obtenir la main de la plus jeune fille du roi, Isabelle, pour son fils
aîné Jean. Cf. Villam dans Muratori, XIV, p. 617. C'est inexact. Les pourparlers rela-
tifs à ce mariage entraînèrent des lenteurs qui empêchèrent Galéas de verser la somme
convenue en temps opportun. Isabelle effectua son voyag:e en Italie seulement en 1361
(cf. GuiGUE, Les Tard-Venus, p. 54 suiv.), et le payement n'était pas encore un fait
accompli en 1363. Voy. Froissart, p. 23 suiv., et Luge, p. mx, not. 2. La somme
susdite de la rançon du roi fut payée au moyen d'une aide extraordinaire levée sur
les sujets du royaume; les 200.000 écus restants furent comptés les 26 et 31 décembre.
LucE, p. XV, not. 1. Dans Varix, Archives administratives de la ville de Reims, III,
p. 163-166, il y a plusieurs documents relatifs à la rançon, depuis le 8 juin jusqu'au
10 août. La seule ville de Lille, non compris les gens d'église et les nobles, paya
2.000 écus. Voy. Roisin, Fra^nchises, lois et coutumes de la ville de Lille, publ. par
Brtjn-Lavaixne (1842), p. 407, où est la charte du roi Jean datée du 12 août. Énormes
sont les sommes que payaient les villes de Languedoc. Voy. A. Mohmer, dans Hist.
de Languedoc, IX, p. 715, not.; t. X, p. 1211 suiv.
2. Le duc d'Orléans, frère du roi, les ducs d'Anjou et de Berry, et d'autres
nobles, en tout trente au lieu de quarante. Voy. les noms dans Grand, chron., p. 219.
3. Grand, chron., p. 217 suiv., 220 suiv., 222, 223; Luce, p. xvi, notes.
4. Grand, chron., p. 219. La condition des otages à Londres, tant des nobles que
des bourgeois, était assez douce, et le roi Edouard les voulait traiter aimablement.
Voy. sa lettre du 24 octobre 1360 dans Martiîne, 1. c, p. 1440. Enguerrand VII, sire
de Coucy, était vraiment aimé d'Edouard, qui lui donna, outre la liberté, Isabelle sa
seconde fille en mariyge, en 1365. Voy. Du Plessis, Hist. de la ville et des seigneurs
de Coucy (1728), p. 82. Kmghton, p. 171. — J'omets de citer quelques lettres d'Inno-
cent VI aux deux rois, sans importance pour notre histoire.
5. Traité de Bretigny, art. 17, dans Cosxeau, 1. c, p. 52, où les villes sont aussi
nommées ; on y trouve dans les notes les autres sources. Cf. la lettre du roi Jean
adressée aux habitants de Lille, le 13 novembre, dans Roisix, Franchises, etc.,
p. 408 suiv. Quelques-uns des otages bourgeois sont arrivés à Londres seulement
vers le 26 février 136L Cf. Rymer, III, p. 605. Cf. encore Martèxe, Thés. nov.
anecd., I, p. 1448 suiv.
R. P. Denifle. — Désolât io ecclesiarum II. 24
370 LA GUERRE DE CENT ANS
aux villes de grands frais et beaucoup d'ennuis, et quelques-unes
essayaient de faire concourir aux dépenses les autres villes de la
province respective K Comme cette contribution atteignait aussi les
églises, elles subirent de nouvelles pertes. Par exemple l'église de
Saint-Pierre de Troyes fut forcée de vendre plusieurs de ses reli-
quaires. La Collégiale de Saint-Etienne possédait un précieux joyau
qu'elle tenait des libéralités des comtes de Champagne, une table
d'or ornée de perles et de pierres précieuses, servant de décoration
au maître-autel lors des fêtes solennelles, estimée 1000 florins d'or;
elle fut détruite et le prix employé au service du roi, qui donna, en
1361, une indemnité dérisoire en argent^.
4. Prise de possession des provinces cédées aux Anglais.
Nouvelle manifestation du sentiment national.
Bien que cet ouvrage n'ait pour but que l'histoire des dévasta-
tions, je veux raconter en quelques lignes comment s'effectua la
prise de possession des provinces cédées à l'Angleterre par le traité
de Bretigny. Les faits qui se passèrent alors prouvent une fois de
plus que l'idée de patriotisme ne commença pas à germer seule-
ment au temps de Jeanne d'Arc. Il suffira de donner un aperçu
général et quelques exemples en particulier.
En vertu du traité, le roi d'Angleterre devait remettre sous
l'obéissance du roi de France les forteresses occupées dans ce
royaume par les Anglais, surtout en Normandie,, en Anjou et dans
le Maine; d'autre part, le roi de France devait livrer au roi d'Angle-
terre les provinces cédées à ce dernier. Des commissaires furent insti-
tués à cet effet. Thomas Holland, le 28 octobre, chargé par Edouard
d'assurer l'évacuation des forteresses françaises, mourut à la fin de
1. Quandpar exemple les Lyonnais tentèrent, en 1366, de faire contribuer la ville
de Màcon et celle de Cluny à Fentretien de leurs otages, il s'ensuivit un procès inter-
minable et Charles V essaya en vain de concilier les parties. Voy. Millon dans Revue
des sociétés savantes, 5« sér., t. I, p. 168 suiv. Troyes demanda aussi au roi de répar-
tir la contribution sur les villes de Langres, Bar-sur-Aube, Provins, Bar-sur-Seine et
Saint-Florentin ; cette réclamation ne fut pas acceptée par ces villes avec un vif
empressement. Cf. Boutiot, Hist. de la ville de Troyes, t. II, p. 153.
2. Voy. Boutiot, 1. c, p. 154 suiv.
SENTIMENT NATIONAL DANS LES PROVINCES CÉDÉES, 1361 371
l'année 1360; Jean Ghandos lui succéda le 20 janvier 1361 K Les
places devaient être remises sans condition entre les mains des
officiers français, mais les Anglais se sentirent assez forts pour faire
acheter leur retraite à beaux deniers comptants. Ainsi, ils exigèrent
deux mille écus pour sortir du fort de Gralï'art. L'évacuation de Bar-
fleur coûta plus de quinze mille royaux dont le payement fut
garanti par des otages qu'on livra à la garnison de Saint-Sauveur et
qui avaient été choisis parmi les gens d'église, les nobles et les
bourgeois^. Au mois d'avril 1361, les forts de Saint-Vaast et de
Lingèvres furent rachetés au nom du roi de France moyennant une
rançon de seize mille écus du roi Philippe, et le commissaire reçut
une partie de cet argent •^.
Le l*'^ juillet 1361 , Edouard III donna plein pouvoir à Jean
Ghandos, alors baron de Saint-Sauveur, et à d'autres commissaires
de prendre possession des nouvelles provinces et de leur confirmer
les privilèges dont elles jouissaient ^. Mais quand Ghandos vint à
Paris, le 6 août, réclamer au nom d'Edouard III la cession des pro-
vinces remises à l'Angleterre, les Anglais mêmes n'avaient pas
encore évacué toutes les forteresses qu'ils occupaient en Anjou,
dans le Maine et ailleurs. Le 27 juillet de la même année, le roi Jean
notifie au clergé, à la noblesse et au tiers-état des diverses provinces
cédées le traité de Bretigny et leur livraison respective à l'Angle-
terre, relève les habitants du traité de fidélité qu'ils lui devaient et
leur ordonne d'obéir désormais à leur nouveau maître ^. II nomma
1. Rymer, III, p. 547, 555.
2. Voy. sur tous les détails Delisle, Hist. du château et des sires de Saint-Sauveur-
le-Vicomte, p. 118, et Preuves, p. 148, 143 suiv,, 148, 155, 157.
3. Ibid., p. 119 suiv., 121. D'autres exemples se trouvent ibid., p. 124 ; Luce, Du
Guesclin, p. 354, 361.
4. Voy. la lettre dans le travail de Calvet, p. 35, cité dans la note suivante, et
dans Champollion-Figeac, 1. c., II, p. 135. Ce n'est pas en vertu de la lettre du
20 janvier 1361, comme croit Luge, Froissart, p. xviii, not. 1, qui n'avait pas con-
naissance de celle du 1*"^ juillet, que Ghandos a pris la saisine des provinces cédées.
La lettre du 1" juillet est sûrement celle qui fut portée le 4 août à l'abbaye de
Saint-Sauveur (Baudonnet, Procès-verbal de délivrance à Jean Chandos, p. 2).
5. On trouve dans Rymer, III, p. 624 ; Baudoxnet, Procès-verbal de délivrance à
Jean Chandos, p. 14 suiv. ; Gukrix, Recueil des documents concernant le Poitou, III,
p. 310, les lettres relatives à la cession du Poitou; dans Calvet, Prise de possession
par le roi d'Angleterre de la ville de Cahors (Extrait du Recueil des travaux de la
Soc. d\-u[riculture, sciences et arts d'Acfen, t. V. p. 167 à 209\ Ap:en, 1850, p. 26, sont
les lettres pour le Quercy ; dans Champollio.n-Figeac, 1. c, p. 136, pour le Rouergue.
372 LA GUERRE DE CENT ANS
comme commissaires assistants pour la France Jean le Meingre dit
Boucicaut et plusieurs autres qui devaient mettre les commissaires
anglais en possession de ces provinces ; les lettres du roi à ce sujet
datent du 12 août de la même année ^ Il y énumère les provinces
dont il avait avec tous les fîefs, juridiction et seigneuries, investi le
roi d'Angleterre, u sauf et réservé à nous la souveraineté et le der-
nier ressort jusques à tanct que certaines renonciations que nostre
dict frère (Edouard III) doict faire soient faictes, si comme il est
plus à plain contenu ez lettres sur ce faictes - ».
Cependant, soumettre les provinces au roi d'Angleterre n'était
pas chose facile. Avant qu'on n'allât prendre la saisine de ces pays,
Edouard III voulait être en possession de La Rochelle, et dès
le 8 juin 1360 il invita « ses chers et bons amis » le maire et la
commune de la ville à envoyer vers lui leurs députés. Grâce à la
résistance des habitants, il lui fallut pour arriver à son but sept
mois de démarches et de négociations ininterrompues. Le maire de
la ville ne fit serment d'obéissance au roi d'Angleterre que le
7 décembre et les habitants le 8 du même mois ^. Mais cela ne ser-
vait qu'au for extérieur. « Nous avouerons les Anglais des lèvres,
mais de cœur jamais », disaient les notables de la ville ^.
La première province livrée fut le Poitou. Jean Ghandos prit
possession de Ghâtellerault dès le 11 septembre; les 22 et 23 sep-
tembre furent consacrés à la prise de possession de Poitiers ; les
jours suivants ce fut le tour des autres villes de la province. Mais
il ne faut pas croire que ce fut sans résistance. Dans plusieurs
Ainsi le même jour furent datées des lettres de même teneur pour les autres pro-
vinces, comme par exemple pour le Périgord (voy. Dessalles, Périgueux et les deux
derniers comtes, p. 52, qui croyait à tort que ces lettres étaient motivées par la résis-
tance des villes).
1. Galvet, p. 22 suiv.; Bardonnet, p. 12; Lettenhove, Froissart, t. XVIII, p. 448.
Mais on doit corriger dans le texte de ces deux derniers : « certaines renonciations »
au lieu de « certaines révérences ». Voy. la clause ci-dessus.
2. Cette clause, qui avait paru suspecte à plusieurs historiens (voy. St. -Amans, Hist.
de Lot-et-Garonne, I, p. 221), regarde les renonciations définitives qui devaient être
échangées vers le 30 novembre 1361 à Bruges, comme est noté ci-dessus, p. 368 ; elles
n'auront d'effet qu'à partir de ce jour.
3. Martène, 27ies. 7ioi>. anecd., I, p. 1427 ; Bardonnet, 1. c, p. 143 suiv. Voy. Hist.
de la Rochelle par A. Bardot, dans Archives hist. de la Saintonye et de VAunis,
t. XIV, p. 171 suiv.; p. 182, 184. D'autres détails sont donnés par Luge, dans Frois-
sart, VI, p. XVII, not. 6, et Bardo.wet, 1. c, p. 143 suiv.
4. Froissart, p. 59.
SENTIMENT NATIONAL DANS LES PROVINCES CÉDÉES, 1361 373
lieux, les seigrieurs élevaient des discussions qui nécessitaient de
nouveaux traités, de telle sorte que quelques villes ne devinrent
ang-laises que très tard. L'héritage de Clisson et de Belleville ne
passa jamais aux Anglais ^. Sauf ces exceptions, la domination
anglaise s'étendit sur tout le Poitou, et dura depuis le mois de
septembre 1361 jusqu'à la fin de 1372.
La soumission des autres provinces eut lieu dans les mêmes con-
ditions 2, et presque partout Jean Chandos rencontrait des embarras.
Dans plusieurs villes de l'Aunis et de la Saintonge, les habitants
ne cédaient qu'à la nécessité, comme il arriva aussi dans l'Angou-
mois dont la capitale refusa tout d'abord de se livrer aux Anglais 3;
dans le Rouergue qui devait être soumis au commencement de 1362,
plusieurs villes fermaient leurs portes aux commissaires anglais et
français, ou suscitaient des difficultés ^. Le sentiment national se
manifesta partout, mais en Quercy plus qu'ailleurs; pourtant ce
pays avait été cruellement éprouvé.
Les villes, les nobles et le peuple de cette province témoig-nèrent
la plus vive répulsion. Cahors, Figeac, Moissac, Lauzerte, Mont-
cuq et Gaylus se liguèrent pour résister, et les consuls de ces villes
étaient présents à Cahors lorsque Jean Chandos se présenta devant
la ville le 8 janvier 1362. Le 9 janvier, de la part du roi Jean, Bou-
cicaut enjoignait sous de graves peines aux consuls de Cahors de
livrer la ville au commissaire anglais ^. Les consuls pleurant et
gémissant répondirent au nom des consuls des communes et des
villes susdites « qu'ils sont très tristes et affligés de perdre leur
maître naturel, le roi de France, qu'ils aiment par dessus tous les
seigneurs du monde, qu'ils avaient fidèlement servi, qu'ils dési-
raient toujours servir, pour qui ils s'étaient plusieurs fois exposés à
1. Voy. sur tous ces points Guérin, 1. c, p.xLviii suiv., li.
2. Cf. Bahoonnet, 1. c, où est décrite et datée la prise de possession de chaque
province. A. Molimer, Hist. de Languedoc, IX, p. 729, not. 2, donne un l'ésumë pour
les villes de' Languedoc.
3. Yoy. Ilist. de VAngoumois par Fr. Vigier de la Pile^ publ. par Michon (1846),
p. Lxxx et 43.
4. Voy. RouQUETTE, Le Rouergue sous les Anglais, p. 40 suiv.
5. La relation, aujourd'hui oubliée, est imprimée dans Calvet, 1. c, p. 3 à 19»
Recueil, p. 169 à 185. Dans Revue des sociétés savantes, 2« sér., t. III (1859), il n'y a
qu'un compte rendu très court, où est négligé le point principal. Le récit du docu-
ment imprimé par Bahdonnet, p. 84 suiv., n'entre pas, comme ailleurs, dans les détails.
374 LA GUERRE DE CENT ANS
la mort, avaient perdu leur substance, s'étaient privés de tout et
avaient été réduits à la pauvreté, perdant de plus la récompense due
à leurs services. Hélas ! s'écrient-ils, qu'il est odieux de perdre son
maître naturel et de passer à un inconnu. Mais, disent-ils, ce n'est
pas nous qui congédions et abandonnons le roi de France, c'est lui
qui malgré nous nous expulse et nous bannit de sa domination et
nous livre comme des orphelins aux mains de l'étranger ^ » . Cepen-
dant ils virent bien que leur résistance était inutile. Jean Chandos
montrait les lettres du nouveau maître et réclamait les clefs de la
ville. Les consuls hésitèrent encore et répondirent avec des larmes
dans les yeux - qu'ils étaient liés au roi de France par le serment
de fidélité et d'autres conventions ; mais Boucicaut les en releva.
Ensuite les consuls présentèrent à Jean Chandos une requête sur
la façon dont ils demandaient à être traités sous leur nouveau
maître •''\ Les réponses de Chandos n'étaient pas généralement satis-
faisantes, mais ne pouvant rien contre la force, les consuls durent
enfin le laisser entrer dans la ville.
Cette scène est bien la plus touchante des récits de la prise de
possession des provinces, et elle ne mérite pas moins une place
dans l'histoire de France que les exploits de Guillaume l'Aloue et
du Grand Ferré. De braves et courageux citoyens osent attester
leur dévouement inébranlable à la maison de France en face des
Anglais, de l'étranger, au pouvoir duquel ils allaient être bientôt
1. Dans Calvet, p. 11; Recueil, p. 177 : « responderunt flendo et lamentando vel
quasi, pro se et pro dictis aliis consulibus et universitatibus... quod ipsi de hoc mul-
tum dolebant et erant tristes, tum pro eo quia amittebant sive pcrdebant dominum
suum naturalem cui fidcliter servierant; tum quia pro ipso se ipsos ad morteni plu-
ries et fréquenter exposuerant et totam substantiam suam pro eo expenderant et
facti erant pauperes et egeni in tantum quod non habebant unde vitam suam duce-
rent ; tum quia ipsum dominum nostrum regem Franciic prae cunctis doiiiinis mun-
danis diligebant et sibi servire afïectuose desiderabant : tum quia amittebant remu-
neracionem quam pro praemissis ab eodem rcportare debebant, et servitia et labores
et expensas quas fecerant et substinuerant pro eodem. Proh dolor, multum est
odiosum dominum suum naturalem relinquere et alium ignotum in dominum reci-
pere ! Verumtamen ipsi non amittebant ipsum dominum regem Franciae, imo idem
dominus noster rex Franciae ipsos derelinquebat tanquam orphanos et a ditione et
potestate sua ipsos in\itos expellebat et in manus extraneorum exponebat ut patet
per litteras suas», etc.
2. Ibid. : « dixerunt et responderunt lacrimose ».
3. Voy. ibid., p. 13suiv. ; Recueil, p. 179 suiv. Cette requête est dans Bibl. nat.,
Coll. Moreau, n" 6oi, fol. 33, publ, par Mois.vnt, Le Prince .\oir, p. 197 à 207.
SENTIMENT NATIONAL DANS LES PROVINCES CÉDÉES, 1301 37o
livrés. Ils refusent de se laisser détacher du royaume de France per-
sonnifié par le roi. Et soumis par force à la domination anglaise
ils ne veulent pas être contraints de prêter secours au roi d'An-
gleterre contre le roi de France '. N'est-ce pas au fond le même
patriotisme que celui qui se manifesta au xv*^ siècle pour le dau-
phin d'alors, pour le roi de France?
Quoique les consuls aient prêté serment de fidélité au roi d'An-
gleterre, ils ne pouvaient s'accoutumer à le considérer comme leur
souverain, et le 19 février 1362, les consuls de Cajorc n'avaient pas
encore prêté le serment. L'évêque de Cahors leur enjoignit de
s'exécuter ainsi qu'il l'avait fait; toutefois, lui-même s'éloigna de
cette ville pour éviter de se trouver en rapport avec les officiers du
nouveau maître^ et se retira au château de Brengues d'où il gou-
verna son diocèse -.
Par suite de cet attachement au seigneur naturel et par lui à la
France, et à cause de la répulsion qu'inspirait la domination
anglaise, sentiments qui dans les provinces cédées animaient plus'
ou moins partout le peuple, le clergé et les nobles^, le traité de
Bretigny contenait le germe d'où devait bientôt sortir l'hostilité
ouverte pour secouer le joug détesté de l'étranger. L'omission d'un
acte solennel convenu , en vertu duquel les deux rois devaient
renoncer à la souveraineté sur les terres cédées de part et d'autre,
fut une cause de plus. Ces circonstances furent le point de départ
d'une ère de relèvement et de régénération.
1. <i Item quod non teneamur subsidiare régi (Angliae) pro guerrissuis, quas haberet
extra Caturcinam seu linguam occitanam, nec contra regem Francorum, in aliquo
casu ». Requête, dans Moisant, p. 198,
2. Lacoste, Hist. générale de Quercy, III, p. 172. Montauban fit exception.
Cette ville ouvrit les portes à Chandos sans tarder beaucoup, Voy. Bardonnet, p. 93.
Quand on se rappelle ce que nous avons raconte plus haut, p. 276, cela ne semble
plus étonnant. Devals, Hist. de Montauban sous la domination anglaise, p. 11 suiv,,
et Montauban pendant les guerres des Anglais, p. 7 suiv., a bien compris ce fait,
seulement il sefTorce inutilement d'expliquer, comment il était possible qu'après la
lettre du roi Jean du 12 août 1361, six mois se soient écoulés jusqu'à la soumission
de la ville. Cela s'explique par la simple raison que la soumission devait avoir lieu seu-
lement à l'arrivée des commissaires. Chandos arinva à Montauban le 20 janvier 1362.
3. Plusieurs seigneurs du Midi disaient que le souverain n'a pas le droit de donner
ses vassaux (cf. Froissart, p. 57). En efï'et, le comte d'Armagnac devenu feudataire
du roi d'Angleterre par le traité de Bretigny, prit la part la plus active dans la
révolte du Midi en faveur du roi de France en 1369. Voy, Lafforoue, Ilist, de la
ville d'Auch, I, p. 92, 94 suiv.
CHAPITRE V
LA FRANCE ENVAHIE PAR LES GRANDES COMPAGNIES
LA DÉFAITE ET l'eXPLLSION DES ANGLAIS
LES ÉGLISES ET 3I0NASTÈRES
Les diverses étapes de cette période jusqu'à ce que les Anglais
soient expulsés de France sont si étroitement liées entre elles, et
les ravages des églises et monastères causés par les Compagnies et
les Anglais se confondent tellement, que je préfère traiter les évé-
nements suivants dans un seul grand chapitre, que terminera le
tableau des églises et monastères désolés pendant cette dernière
époque.
Avant de commencer l'exposé, je vais donner quelques aperçus
généraux sur les Compagnies, à partir de 1360.
Ceux qui en France s'étaient réjouis de la paix, ne tardèrent
pas à être cruellement déçus. Le traité de Bretigny n'était que le
commencement de nouveaux malheurs qui s'abattirent sur la
France sans lui laisser le moindre temps de panser ses blessures.
Son état fut plus déplorable qu'à l'époque précédente, car, bien
que durant les années qui suivirent, elle fut en paix avec Edouard,
la France n'en eut pas moins à subir toutes les amertumes d'une
guerre cruelle pendant laquelle les provinces, jusque-là épargnées,
furent éprouvées à leur tour. L'ennemi changea de nom, et ce fut
tout; il s'appela les Compagnies. Elles nous sont déjà connues ^
Avant 1300, toutefois, leur apparition n'était que passagère ou
sporadique, et leur force insignifiante, en comparaison de ce
qu'elles devinrent dans leur nouvelle formation, après la paix de
Bretigny.
Comme nous l'avons dit ~, la plus grande j)î^rtie de l'armée
1. Ci-dessus, chap. III, §§ 4 et 5.
2. Ci-dessus, p. 363 suiv.
FORMATION DES GRANDES COMPAGNIES EN 1360 377
d'Edouard le suivit en Angleterre, mais ceux qui restèrent en
arrière s'organisèrent en Compagnies qui furent bientôt grossies
par les gens d'armes des garnisons anglaises, obligées d'évacuer
les places. Toutes ces troupes, ainsi exposées, ne recevant plus
leur solde, résolurent de chercher une compensation dans le pillage,
à l'instar d'anciens soldats français et de soudojers gascons, bre-
tons, flamands, hainuyers, allemands, etc., qu'on avait licenciés
après la guerre. Urbain V assigne aux Compagnies la même
origine ou naissance ^. Les premières étaient formées et avaient
déjà ravagé le pays lorsque des gens d'armes et des sou-
doyers qui naguère luttaient contre elles, n'ayant pas touché leur
solde, s'organisèrent en nouvelles bandes ou s'associèrent aux
anciennes. Il n'est donc pas surprenant que les membres de ces
Compagnies aient été d'habiles et audacieux guerriers ; c'est d'ail-
leurs ce qui explique leurs exploits et leurs succès. Urbain V
qui les invita à aller en Orient reconquérir la Terre-Sainte, écrit le
25 mai 1363 qu'il leur convient mieux qu'à d'autres d'entreprendre
cette expédition parce qu'ils sont rompus au métier des armes et
plus propres à guerroyer '^. En effet, les compagnons qui furent
1. Reg. Vat. Urban. V, n" 248, fol. 177 : « Dudum cum in regno Francie... fuisset
pax... relormata, et multe gentes armigere, appcllate comitive, de diversis nationibus
in multis agminibus congregate in eodem regno multis temporibus hostiliter reman-
sissent, ac dampna et mala commisissent innumera », etc., ad an. 1365, Novemb. 24.
2. Reg. Vat. Urhani V, n° 245, fol. 168'' : « Dil. filiis nob. viris... capitaneis ac uni-
versis personis quarumcunque societatum in regno Francie et vicinis eidem regno
partibus constitutaruni, salutem, etc. Justus Dominus, etc. [Exponit pontifex quod
Petrus rex Cipri ad ap. sedeni accessit modumque ostendit ut Turcharuni et Sarace-
noriim potentia elideretur et Terra Sancta recuperaretur ; unde suasu etiam Pétri
archiepiscopi Creten. in partibus ultramarinis apost. sedis legati, promissoque con-
cursu Johannis régis Franciae ac multoriim nobilium, pontifex passagium générale
indixit inchoari in kalendis Martii an. 1365. Inde sequitur :] Inter alios autem, quos
deceat ad hujusmodi excitari negotium et ad ipsius prosecutionein totis desideriis
anhelare, vobis tanto amplius credimus convenire et etiam expedire quod ad hoc
promptis, devotis ac concordibus animis exurgatis, quanto doctiores in armoriim
exercitio existitis et ad gerendiim hélium dominicuni mngis apti, quantoque pre cete-
ris optare debetis quod in tali possitis opère laborarc ut ciimina, que in bellis Chris-
tianoruni contra Deuni et ecclesias, ecclesiasticasque personas et innocentes sepius
commisistis, per tani acceptablile servitium Domini expurgantes adquiratis et possi-
deatis perpetuo Terrani Sanctam, crucis hostium divitiis in prescnti potituri seculoet
ex illis per vestros labores ineritorios et proprii sparsionem cruoris ac subsequentem
vitam laudabilem ad eternas divitias ad quas obtinendas vos creavit Altissimus tran-
situri ». [Hortatur eosdem, ut ab impugnandis Christifidelibus desistentes, disponant
proficisci ad récupéra tionem Terrae Sanctae sub ductu praefatorum regum. Super
378 LA GUERRE DE CENT ANS
appelés génies armigerae, étaient tellement exercés qu'il fallut lever
des armées pour les combattre et qu'encore ils restèrent souvent
vainqueurs^. C'est ce qui me fait croire que les Compagnies de cette
époque ne contenaient guère d'autres sujets que des hommes
d'armes, tandis que les Compagnies des Tiichins se composaient en
général de misérables, de laboureurs ruinés, de criminels, de
simples routiers, etc.
Néanmoins, pour les Compagnies, guerroyer était seulement un
moyen ; leur but était d'acquérir de l'argent, des vivres , de s'en-
richir en un mot. C'est à ce propos qu'Urbain V, dans sa bulle déjà
citée où il les invite à la croisade contre les ennemis de la croix,
les y excite en leur faisant entrevoir qu'ils profiteront des richesses
de ceux-ci. Et après la promulgation de l'excommunication contre
les Compagnies il répète continuellement que l'avarice est le stimu-
lant de leurs exploits '-. Quand les Compagnies s'emparaient d'un
château, d'une ville ou de quelque autre lieu, c'était pour piller,
rançonner ou occuper une place d'où elles pouvaient assouvir leurs
passions ; de là elles menaçaient et terrifiaient souvent un riche voi-
sin, et le forçaient à se racheter par une grosse somme d'argent. On a
prétendu qu'en occupant Pont-Saint-Esprit, pas loin d'Avignon, les
Compagnies voulaient se venger d'Innocent VI qui en procurant la
paix entre la France et T Angleterre les avait, par là même, fait priver
de leur solde •^. Ce raisonnement est trop recherché pour avoir eu
place dans l'esprit de ces hommes devenus semblables à des bêtes
quibus plenius explicandis pontifex destinât Nicolaum Brohm, O. S. Aug., in sacra
pagina magistrum poenitentiarium, cui absolvendi a reatibus illos qui absolvi petie-
rint , et signum crucis recipere velint, potestatem concessit.] Dat. Avinione, vni
kal. Junii an I.
1. K^iGHTON dit également : « Isti erant viri fortes et bellicosi, élégantes et strenui »
{Chron., II, p. 115).
2. Dans sa première bulle solennelle contre les Compagnies, Co^r'^ no.ç, du27 février
1364, il dit déjà clairement: « Cupiditatis ardore succensi querentes improbe de alie-
nis laboribus suam saturare ingluviem... pecunias insatiabiliter sitiunt ». (Reg. Wit.,
n° 251, fol. 217), et dans la seconde, Miserabilis nonnullorum, du 27 mai 1364, que
ces hommes sont « arma sectantes facibus cupiditatis accensi » {ibid., fol. 277''). Il
l'exprime encore non moins clairement ensuite dans ses bulles, comme par exemple
dans la célèbre Quam sit plena pericuUa, du 9 mai 1367, en disant : « Qui avaritie
fervore succensi arma moventes » [Reg. Aven.,n° 15, fol. 381); le 23 octobre 1369 [Reg.
Vat.^ n° 259, fol. b^), et ainsi souvent. Grégoire XI dit la même chose dans/ie,^. Aven.,
n° 1, fol. 297^, ad an. 1371, Maii 1.
3. LucE, Du Guesclin, p. 364.
FORMATION DES GRANDES COMPAGNIES EN 1360 379
féroces. Ils ne songeaient à autre chose qu'à s'emparer d'une
somme considérable qui, comme nous le verrons bientôt, devait
être déposée à Pont-Saint-Esprit, à menacer en même temps le
Saint-Père, reg-ardé au moyen âge comme un des plus riches
souverains, et ils étaient fermement résolus à n'évacuer la place
qu'après avoir reçu du pape une forte somme en surplus de
la rançon de la ville. Les Compagnies préféraient les environs
d'Avignon, où elles espéraient trouver un butin plus riche qu'ail-
leurs. Ce n'était un secret pour personne : tous ces prélats, ces
clercs, ces laïques, qui venaient solliciter les faveurs de l'Eglise,
n'abordaient guère la curie apostolique sans être pourvus d'espèces
sonnantes, bonnes et belles. Lorsque l'exécrable soif de l'or des
compagnons était étanchée, ils quittaient les places, s'établissaient
ailleurs, et recommençaient leurs exploits. Les chefs des Compa-
gnies étaient souvent des bâtards de grandes familles. Abandon-
nés sans nom et sans avoir, ils cherchaient à se créer une fortune
aux dépens des populations.
La bride, une fois lâchée à l'avarice, les autres passions se
déchaînaient : l'histoire de ces bandes nous l'apprend, et nous
l'avons dit plus haut^. Toutefois, leur férocité n'était à l'ordinaire
qu'un moyen de terroriser les simples pour leur extorquer de
plus grosses sommes d'argent ou d'autres choses : c'est assurément
dans cette intention que dans le Midi ils coupèrent les vignes et
les arbres, comme le raconte plusieurs fois Urbain V^.
On aime aujourd'hui à donner le nom de Tard-Venus aux Com-
pagnies de cette époque, mais je ne trouve au xiv*^ siècle, pour cette
dénomination, d'autre source que Froissart "^ ; on ne la rencontre
jamais dans les nombreuses lettres d'Innocent VI, d'Urbain V et de
Grégoire XI, ni dans les autres actes ou chroniques du temps. Il se
peut que dans quelques contrées on ait appelé Tard- Venus les bri-
gands d'une Compagnie venue après une autre, comme Kônigsho-
1. Ci-dessus, p. 180 suiv.
2. Déjà dans sa première bulle solennelle, Coçjit nos. De la Rik, Nouveaux essais
hist. sur la ville de Caen, II, p. 259, et d'après lui Goville, dans les Annales de la
Faculté des lettres de Caen, 2" année (1886), p. 393, disent qu'en 1412, en Basse-Nor-
mandie, les troupes anglaises coupèrent les pommiers. Mais ces exploits remontent
déjà à un dcnii-sièole. Seulement Tunique but des Anglais était de ruiner le pays,
tandis que celui des Compagnies était d'extorquer de l'argent.
3. Éd. LucE, VI, p. 61.
380 LA GUERRE DE CENT ANS
fen distingue die ersten, die andern Engelender ^, et que Froissart,
qui a embrouillé l'histoire des Compagnies, ait étendu ce nom à
celles qui commencèrent leur chevauchée par la Champagne et la
Bourgogne. Pour ma part, je laisse à Froissart cette appellation.
Le titre quasi officiel pour ces bandes était societates^ comiiivae ^
compagnie] leurs individus étaient appelés sociales- (nom qui se
rapproche du mot moderne socialiste)^ socii^ contuherniones et com-
pagnons. Souvent dans les actes pontificaux, ils sont simplement
désignés par génies armigerae, homines armorum, '^. Lorsque plu-
sieurs Compagnies étaient réunies, ou que l'une d'elles était très
nombreuse, on leur donnait la dénomination de Grande Compa-
gnie^ et elle-même aimait à porter ce nom, et chacune se donna
successivement le nom de magna societas '*.
On croit quelquefois que ces Compagnies étaient seulement des
1. DieChroniken der deiitschenStadle.lX^Leip'/Àg, 1871), p. 814 suiv.Cf. ci-dessous, §4.
2. Ce mot est souvent employé dans les lettres d'Urbain V depuisl364, par exemple
dans Reçf. Vat., n" 251, fol. 277^ n° 259, fol. b^; Aven., n° 10, fol. 249; Arch. nat.,
Paris, J 711, n" 300. Voy. encore La Vie d'Urbain V^ dans Actes anciens et documents
concernant Urbain F, rec. par Albanks, éd. U. Chevalier (1897), I, p. 10. On le ren-
contre aussi dans la supplique de Charles V, adressée en 1368 à Urbain V (Arch. nat.,
1. c, n" 300'^). DucANGE {Glossarium, éd. Hexschel, VI, p. 275) se trompe en disant
que ce mot se trouve déjà en 1258; sa source rcj^arde Arnaud de Cervole, et est
prise (ce qui lui a échappé) de la Vita 1^ Innocenta VI (dans Baluze, Vit. pap.
Aven., I, p. 334), composée après 1362.
3. « Homines armorum qui de pravis societatibus gentiumarmigerarum per regnum
Franciae more praedonico discurrentium existebant », ou « gentes armigerae ». Je cite
seuiementquelques sources. Reg. Aven. Urb. V, n" 10, fol. 249 ;n"15, fol. 309''; n" 19,
fol. 341 ; Vat., n" 257, fol. 3 ; Aven., n» 20, fol. 434; Vat., n° 259, fol. 101'", 414 ; Aven.,
n° 23, fol. 388'\ « Perfida armigerarum congregatio », Recf. Aven. Innocent. VI, no 25,
fol. 355''. Dans les Siij)pliqnes, souvent sont mentionnées « gentes armorum incur-
sus ». On lit dans Reg. Aven. Urb. V, n" 13, fol. 602'', et ailleurs : « innumerabiles
gentes armigere que comitive vocantur. »
4. Nous avons vu qu'Innocent VI, déjà en 1358, donna le nom de Magna socie-
tas à la bande d'Arnaud de Cervole (voy. ci-dessus, p. 209), comme le fait également
le Petit Thalumiis (Montpellier, 1836), p. 352 : « Se apclavon la Gran Campanha ».
Depuis 1360, plusieurs Compagnies reçoivent ce nom, et en 1367, Urbain V même
parle à différentes reprises de ceux qui « se magnas societates seu compagnias appel-
lant ». Reg. Aven., n" 15, fol. 381, 383'', etc.), et la même expression se trouve dans
les lettres de Charles V, d'Arnoul d'Audrehem (cf. Guigue, Les Tard-Venus, Pièces
justif., p. 313; GuÉKiN, Rec. des documents concernant le Poitou, III, n" 472;
E. MoLiMER, Étude sur la vie d'Arnoul d'Audrehem. Pièces justif.,p. 241), et dans les
actes des particuliers (voy. Gukhe, 1. c, p. 275 suiv., n" 29 et 30, où une « grande
Compagnie » est distinguée de la suivante). Cf. Aiimeric de Peyrac dans Actes et
documents concernant Urbain V, rec. par Albanès, I, p. 59. Quelquefois cependant
toutes les Compagnies sont comprises sous le nom général de << magna societas »,
comme dans Chron. Angliae, éd. Thompson, p. 36 et ailleurs, par exemple, dans Con-
FORMATION DES GRANDES COMPAGNIES EN 1360 381
bandes de pillards et de voleurs, ennemies de toute discipline. Elles
étaient indisciplinées quant aux ravages, aux crimes, aux excès
qu'elles commirent, mais quant à leur union militaire, à leur tac-
tique, k leur manière de surprendre l'ennemi et de s'emparer des
places, elles n'étaient pas moins disciplinées que les troupes régu-
lières dont elles avaient fait partie auparavant, et dans lesquelles on
les vit souvent s'enrôler après, une seconde fois. Les chefs autour
desquels se formaient les Compagnies retenaient et conservaient
l'organisation des troupes régulières : nous y trouvons des gens à
pied et à cheval, des chefs et capitaines, des connétables ou
(( caporales », des officiers et de simples compagnons K Quelques
chefs se moïitrèrent dans la tactique maintes fois supérieurs
à ceux des troupes régulières ; qu'on pense à Séguin de Badefol, à
Perrin Boias, et surtout à Jean HaAvskwood, qui, plus tard en
Italie, soit à Castagnaro, soit sur l'Adda , se montra l'un des plus
habiles et des plus intelligents capitaines du moyen âge -.
Un autre élément de la discipline était le serment par lequel les
compagnons étaient liés entre eux et avec leurs chefs, ce que nous
révèle une lettre d'Edouard III à j^ropos de la bataille de Montech,
en 1366. Les Compagnies qui étaient du parti du duc d'Anjou ne
voulaient pas combattre les Compagnies du prince de Galles parce
qu'elles étaient de leur alliance et de leur serment'^. La discipline et
l'habileté militaire des Com23agnies étaient des motifs pour lesquels,
tin. de R. Lescof, p. 149 : « Ilii scelerati homines ex diversis nationibus mutuo adunati
et se Magnam Concionem Vel societatem nominantes, » etc. Cf. Jean de Ve>ette,
p. 316; Grand. Chron., p. 223, et d'autres rapportes dans les notes ci-dessous. Mais
on a tort au jourd'hui de parler d'une seule Grande Compap:nie, comme le fait Chérest.
1. Urbain V cnumcre ces diverses charges dans sa lettre Cogit nos, du 27 février
1364 :« Ipsos contubcrniones seu socios de comitivis, et presertim eorum duces, capita-
neos.guidatores, conestabiles seu caporales et ofTiciales... sententiasincurrisse... decla-
ramus ». Reg.Vat.., n" 251, fol. 217'*. Une phrase semblable d'Innocent VI, du 13 février
1361. se trouve ci-dessous p.390,not. 6. Bientôt, le 27 mai 1364, Urbain Y parle de ceux
qui dans les Compagnies « ducatum, capitaneatum,concstabulatumseubanderiam aut
quecunquealia preeminentiam, olTicium seu ministerium recipere aut tenere presum-
pserunt » (Tîe^. Val.,\. c.,fol, 279: Miserabilis nonnullorum), et cela, est ensuite répété
dans les bulles suivantes ; quelques expressions y sont mieux expliquées; on lit, entre
autres, dans la bulle Clamât ad nos : « banderiam seu vexillum erigere seu déferre ».
2. Voy. KÔHLER, Die Entwickelung des Kriegswesens und der Kriegfûhrung in
der Ritlerzeit, III, 3'" Abtheilg., p. 48 suiv., 360 suiv, Voy. quelques renseignements
nouveaux sur ce personnage dans L. MmoT, Sylvestre Eudes et les Bretons en Italie
(1898), p. 27 suiv., ci passi ni.
3. R\MEi\, Foedera, III, p. 808 : «...parce q'il estoient de leur alliance et serement ».
382 LA GUERRE DE CENT ANS
dans ce temps de guerres privées, les seigneurs, soit laïques, soit
ecclésiastiques, prenaient à solde les Compagnies, au grand détri-
ment des populations, car les Compagnies ne reniaient jamais
leurs habitudes sauvages.
Les bulles d'Urbain V contre les Compagnies provoquaient dans
leur sein un certain mouvement hérétique contre la puissance des
clefs du Pontife Romain, ce qui n'est pas surprenant ; j'en donnerai
des exemples à la fin du premier paragraphe. Comme Urbain V
note dans sa bulle : Quam sit plena periculis, en 1367, c'étaient des
gens en lesquels ne se trouvait ni bonté, ni foi.
/. Les ravages des Grandes Compagnies dans le Midi et les
provinces centrales de la France.
Décrire le commencement de l'action des Compagnies et leurs dif-
férentes marches n'est pas chose facile. Il semble certain qu'en mai
1360, plusieurs bandes se réunirent en Champagne*, et semblables
à une nuée de sauterelles, elles se répandirent dans tout le pays.
Selon toute probabilité, elles ravagèrent d'abord le nord de la
Champagne, Toul et Verdun., avant d'arriver à Joinville. Témoin
une lettre que les habitants de cette dernière ville ont écrite au
clergé, aux citoyens et habitants de Troyes, par laquelle ils
affirment que les Compagnies ont traversé leur localité, se sont
dirigées vers le sud et se trouvent présentement sur la rivière de
Muzéle, aux environs de Saint-Nicolas-. Bientôt elles s'emparent
du château de Joinville, y font un butin considérable et ne con-
sentent à le rendre que moyennant une rançon de vingt mille francs.
Le comte Henri de Vaudémont fut ensuite ruiné.
Suivant Froissart, les trois diocèses de Toul, Verdun et Langres
furent fort dévastés par ces bandes qui, depuis longtemps déjà, les
faisaient souifrir. Bon nombre d'habitants du diocèse et de la ville
de Toul, ruinés par la guerre et ne sachant comment se procurer
des moyens d'existence, tombèrent entre les mains des usuriers-^.
1. Fhoissart, éd. Luge, VI, p. 61.
2. Lettre publiée par cI'Arbois de Jubainville, Voyage paléographique dans le
département de VAube (Troyes, 1855), p. 134.
3. Reg. Aven. Urhan. V, n" 13, foL 635, ad an. 1366, Aprilis 7 : « DiL filio officiali
ïullen. salutem etc. Adaudientiam nostram pervenit quod quamplures tam viri quam
LES COMPAGNIES DANS LE MfDI JLSQU'eN 136o 383
Il paraît que les bandes poussèrent jusqu'à l'abbaye bénédictine de
Molesme, du diocèse de Langres. Toujours est-il que sur la foi de
récits contemporains le monastère passe pour avoir été, à cette
époque, dévasté au point d'être devenu inhabitable^.
Le 8 juin, 4.000 routiers sont signalés à Latrecey 2. Mais la Cham-
pagne n'était pas le but des Compagnies. Elles pénétrèrent dans le
duché de Bourgogne, tandis que d'autres, composés surtout
d'Anglais, entrèrent dans le comté de Vesoul pour le ravager '^. Au-
paravant, Gray fut, dit-on, brûlé et désolé ^.
En Bourgogne , les bandes rencontrèrent plusieurs garnisons
anglaises dont une partie fit apparemment cause commune avec
elles. Là, les Compagnies trouvaient de leur accord aucuns cheva-
liers et écuyers qui les menaient et conduisaient ^. Dans les premiers
jours d'août 1360, les troupes bourguignonnes arrêtèrent aux envi-
rons de Montréal-en-Auxois un parti d'aventuriers à la tête desquels
figurait l'un des vainqueurs de Brion-sur-Ource ^, Girard de Mairey.
Parmi ces conducteurs de Compagnies se trouvait aussi un moine
mulieres in civitate et dioc. Tullensi commorantes, qui propter guerras que in illis
partibus diu viguerunt, multa dampna passi fuerant, pro eorum vite sustentatione a
quamplurimis creditoribus diversas pecuniaruni summas, bladi , vini, ac rerum
aliarum mobilium quantitates mutuo receperunt sub usuris, iidemque creditores...
promissiones ab eisdem... e.vtorserunt de sol vendis aliis diversis pecuniarum summis,
vini, bladi, et rerum aliarum quantitatibus... extortis ab eisdem, nichilominus jura-
mentis confectis cxinde publiais instrumentis, etc. [Mandat supradicto olïiciali, ut, si
ita est, usurarios quoad hujusmodi juramenta relaxent, et fidejussores super hoc
datos absolvant, compellat.] Dat. Avinione, vu idus Aprilis anno IV. »
1. Ibid., n° 6, fol. 325'', ad an. 1362, Novemb. 15 : « Dil. filio Johanni Amici mona-
clîo monasterii Molismen. O. S. Ben., Lingonen. dioc, salutem, etc. Honestis suppli-
cum votis, etc. Cum itaque sicut exhibita nobis tua petitio continebat monasterium
Molismen., O. S. B., Lingonen. dioc, propter guerras sit adeo devastatum quod tu...
in eo commode morari non potes, [eidem, senio confecto, ad aliud monasterium
Ord, et habitus praed. transeundi licentiam concedit.] Dat. Avinione, xviii kal.
Decembris an I ».
2. Clehc, iissat sur Vliist. de la Franche-Comté, II, p. 117, et not. 3.
3. Ibid.
4. Cf. FiNOT, Recherches sur les incursions des Anglais et des Grandes Compagnies
en Bourgogne, p. 55, contre Clerc, p. 117.
5. FuoissAUT, p. 61 . Je ne comprends pas comment Luce, p. xix, not. 3, pouvait écrire
que « les menées de Charles le Mauvais aient contribué particulièrement à attirer sur
cette province le iléau des Compagnies». Luce remarque que ce prince éleva des pré-
tentions sur le duché de Bourgogne après la mort de Philippe de Rouvres, survenue
le 21 novembre 1361. Mais les Compagnies entrèrent en Bourgogne longtemps avant
cette date. De|)uis 1362 seulement, le Na\arrais troubla la Bourgogne. Voy. §ji 2, 3.
6. Voy. ci-dessus, p. 247.
384 LA GUERRE DE CENT ANS
de l'abbaye bénédictine de Molesme, Anseau de Mairey, frère de
Girard ' .
C'est probablement à cette époque que la ville de Saulieu fut
prise et incendiée par les bandes. Raymond, évêque d'Autun, et
Innocent VI, dans sa lettre du 25 avril 1361 -, mettent, tous les
deux, ce fait déplorable à la charge des bandes et Compagnies. Ce
n'est pas, à mon avis, seulement après la paix de Guillon, mais
déjà pendant qu'Edouard III résidait dans cette ville que l'ennemi
se montrait à Saulieu; mais, probablement alors, les environs seuls
furent pillés et dévastés ^. La ville fut prise après le traité ^. L'église
collégiale de Saint-Andoche , ajDrès avoir été dépouillée de toute
l'argenterie et des ornements ecclésiastiques, fut encore brûlée. Le
chœur et le clocher s'effondrèrent, après quoi les cinq cloches
furent fondues •''. L'église resta longtemps dans ce triste état, et, en
1384, la partie encore debout menaçait aussi de tomber 6. A la
même époque, les Anglais qui étaient dans le pays y causèrent de
grands dommages. Ils s'étaient emparés de Bierry, de Vésigneu,
de Corcelles-Frémo3^ Ce dernier village fut complètement incendié.
Personne ne restait plus au pays. Ainsi en advint-il après l'invasion
du roi d'Angleterre, qui avait « mangé toutes les gelines, tandis
1. Les détails, voy. dans Finot, Recherches, p. 49, et not. 1, qui place malle fait à
l'an 1359; corrigé par Chérest, L'Archiprêtre, p. 130 suiv.
2. Martiîxe, Thés. nov. anecd.^ II, p. 957,
3. Voy, ci-dessus, p. 250,
4, Un document publié par Guioue, Les Tard-Venus, p. 270, nous induit aussi
à accepter la date de 1360 comme étant celle de la prise de Saulieu.
5, Reg. Vat. Urhani V, n° 251, fol. 343'', ad an. 1364, Junii 27: « Universis
christifidelibus, etc, Gum itaque sicut accepimus ecclesia collegiata de Sedeloco
Eduen. dioc. per inimicos regni Francie dudum capta, calicibus et crucibus, vasis
et jocalibus argenteis, ac capis et pannis sericeis aliisque vestinienlis eccle-
siasticis miserabiliter extiterit spoliata, et dcinde propter gravem insultum in cap-
tione dicte ecclesie factum cancellus et qucdam magna turris lapidea, in qua erant
quinque campane dicte ecclesie, corruerint, propter que divinum offîcium in dicta
ecclesia [non] ut antea celebratur dictaque ecclesia rcparatione plurimum indigere
noscatur... [De indulgentiis et eleemosynis ad decennium]. Dat. Avinione , xv kal.
Julii anno II «, Cf, GomTÉPÉE, Description du duché de Bourgogne, IV, p. 98; E,
Petit, A vallon et VAvallonnais , p, 169, Je citerai désormais l'ancienne édition de
1867, parce que dans la nouvelle de 1890 les sources ne sont pas annotées. Le texte est
le même pour cette époque dans l'une et l'autre édition,
6, Reg. Val. Clément. VII, n° 286, fol. 52*', où il est dit, que l'église «per Anglicos pro
majori parte sit destructa et pars que ex illa remansit magnam ruinam patiatur ». De
plus, les revenus étaient diminués. Il semble résulter de la bulle du 22 février qu'on
avait commencé à réparer [Ihid., n° 307, fol. 469''),
LES COMPAGINIES DANS LE 3IIDI JUSQu'eN 1365 385
que le foin avait été absorbé par ses chevaux ^ » Noyers ne fut pas
attaqué par Edouard ; mais depuis le traité de Guillon, les Anglais
faisaient une rude guerre aux habitants. Semur tomba également au
pouvoir des Anglais -. Les Compagnies, on le voit, avaient les
Anglais comme auxiliaires pour la dévastation. Il n'y a là rien de
surprenant. Des deux commissaires d'Edouard III, Nicolas de
Tamv^orth et Guillaume de Granson, chargés de pousser les garni-
sons anglaises à évacuer les places, le premier avait des relations
avec les routiers 3. Quand, le 23 juillet 1360, les deux commissaires
constatèrent que plusieurs compagnies anglaises avaient promis,
sous serment, d'évacuer la Bourgogne ^, Nicolas de TamAvorth lui-
même, n'avait pas encore évacué Regennes. Les dommages causés
en Bourgogne par les Anglais, après l'invasion des Compagnies,
étaient si considérables qu'Edouard accorda à cette province une
remise de douze mille moutons d'or sur ce qu'elle restait lui
devoir en vertu du traité de Guillon ^, Moyennant des indemnités
pécuniaires, et par l'entremise des deux commissaires anglais déjà
cités, les chefs des Compagnies promirent de traverser la Bour-
gogne aussi rapidement que possible, sans y commettre d'excès ^.
Les Compagnies s'écoulèrent dans la direction du Midi, appa-
remment pour arriver à Avignon en traversant le Lyonnais. Comme
la Bourgogne, ces contrées, en dépit du traité, étaient déjà infestées
par les Anglais. Ils s'étaient rendus maîtres de la ville de Beaujeu,
et, le 31 mai ^, ils en assiégeaient le château; le château d'Albigny,
près de Montrotier, dans le Lyonnais, fut brûlé et en partie ruiné
par eux ^.
Les Compagnies dont nous venons de parler étaient en marche
et se trouvaient encore en Bourgogne, quand une autre les devan-
çant dans le Midi, à la fin de l'année, s'empara de la ville du Pont-
Saint-Esprit, et ensuite menaça Avignon^. Arrêtons-nous à cet
1. Voy. Petit, 1. c, p. 170.
2. Ibld.
3. Ci-dessus, p. 253.
4. Plancher, Hist. de Bourgogne^ t. II, Preuves, n° 300.
5. Ibid., n° 302.
6. Sur tous les détails, voy. Chérest, 1. c, p. 132 suiv.
7. GuiGUE, 1, c, p. 46.
8. Ibid., p. 48.
9. Froissart n'était pas bien informé sur tous ces faits.
R. P. Denuxe. — Uesolatio ecclesiarum 11. Î5
386 LA GUERRE DE CENT ANS
événement avant de reprendre les traces des Compagnies venant du
Nord.
Depuis l'invasion d'Arnaud de Cervole, Innocent VI n'avait
point cessé de veiller à la sécurité d'Avignon et du Pont-de-Sorgues,
et dès 1358, on travaillait, comme nous l'avons déjà dit, aux
fortifications d'Avignon K Les murs et les fossés étaient en con-
struction à partir du mois d'octobre 1359, et le Pape voulait que les
travaux fussent avancés -. Le castel du Pont-de-Sorgues fut aussi
pourvu d'une enceinte et de fossés ^. Mais l'horizon se troubla à la
lin de l'année. Innocent VI fut instruit de la marche des Compagnies
vers le Sud. Avignon lui sembla être en danger. Pont-Saint-Esprit,
sur la rive droite du Rhône , avait une situation très menacée ;
l'ennemi, une fois maître de cette forteresse, pouvait bloquer Avi-
gnon, et, en même temps, traverser le fleuve et pénétrer dans le
1. Ci-dessus, p. 198, et not. 5,
2. Intr. et exit., n" 293, fol. 216'\ ad an. 1360. Febr. 24 : « Anno a Navitate Domini
millesinio CCCLX, indictione XIII, pontifîcatus... Innocentii divina providentia
pape VI anno octavo...
Die xxiiii Februarii Cum Petriis Johannis ci vis Avinion., Franciscus de Podio de
Luca, Atomanus Maleficii et Bartholomeus Ademari de Florentia mercatores curiam
Rom. sequentes arrendaverunt seu ad firmam ceperunt a dominis Raymundo sancte
Crucis in Jérusalem et Audoyno SS. Johannis et Pauli tit. presb. cardinalibus vice et
nomine ac mandato domini nostri pape ad firmam tradentibus pro mûris et fossatis
faciendis pro clausura civitatis Avinion. ad duos annos continue in kal. octobris
proxime preteriti inceptis gabellam vini, quod vendatur intérim in civitate et subur-
biis Avinion. pretio xxxix"" flor. auri solvendorum in certis terminis in instrumento
per maf;istrum Bertrandum de Rupe auctorilate apostolica notarium dioc. Caturcen.
super dicto arrendamento recepto expressatisrhinc est quod pro eo quia pecunia pro
dicta clausura facienda est in parte necessaria de presenti, et dominus noster papa
volens [quod] dictum opus sive clausura celeriter perficiatur, de mandato dicti
domini nostri pape vive vocis oraculo michi facto et de ordinatione dictorum domi-
norum cardinalium fuerunt mutuati et traditi per dom. thesaurarium de pecuniis
camere pro necessitate dicte clausure dom. Bernardo Rascacii militi Avinion. depu-
tato una cum certis aliis ad dictam clausuram fieri faciendam ipso dom. Bernardo
manualiter recipiente, quos predicti arrendatores promiserunt reddere et solvere
prefate camere in secundo anno dicti arrendamcnti in kal. octobris proximis futuris
incipiendi in terminis in instrumento per dictum ma^istrum Bertrandum recepto
expressatis, prout in instrumento per dom. Johannem Palaysini notarii [sic) camere
recepto super hoc plenius continetur = xix"" v^ flor. fort. » Ce n'est donc pas seule-
ment en 1361 que l'enceinte fut commencée, comme croit Luce, p. xxxii, not. 1.
3. Intr. et exit., 1. c.,fol. 216, an, 1360 : « Die xxviii Januarii soluti de mandato dom,
nostri pape domino Rigaldo Guitardi,castellano castri Pontis Sortie prope Avinionem
pro fossatis in circuitu et pro custodia ejusdem castri fieri faciendis ipso manualiter
recipiente = ii^ flor. Fol. 218*^ : Die viii Junii soluti fuerunt... pro mûris et fossatis
faciendis in ambitu dicti loci et pro custodia, ipso manualiter recipiente ii" flor. fort.».
Les compagnies dans le midi jusqu'en 1365 3(S7
Comtat Venaissin. Le Pape fît g-arder le pont du Saint-Esprit^, et,
le 18 décembre, 500 florins furent payés à cet effet aux gens
d'armes, qui, sous la conduite de Mathieu <( Achetantis », homme
d'armes de Luques, devaient défendre la place -, Encore ne savait-
on au juste, à Avignon, d'où venait cette Compagnie. Le 19
décembre, on la croyait toujours venue du Nord, car on avait appris
l'invasion des Compagnies en Champagne et leur marche à travers
la Bourgogne. Le Pape envoya demander à Lyon dans quel endroit
elles stationnaient. Le même jour, une rumeur se répandit que la
Compagnie signalée venait du territoire génois, et Innocent prit
des mesures pour l'empêcher de faire irruj^tion dans le Venaissin ^.
Le 2() décembre, Avignon n'était pas encore exactement informé du
lieu où elle se trouvait^; mais, le 27, en la fête de saint Jean
J . G. TÉRAU13E donne sur ce pont elle lieu quelques renseignements dans Hist. d'Uzès
et de son arrondissement (Uzès, 1879), p. 136 suiv., livre du reste sans grande
valeur. Avant la construction de ce superbe pont, terminé en 1309, la ville se nommait
Saint-Saturnin-du-Port, à cause du prieure bénédictin. Le pont doit son nom à la
chapelle du Saint-Esprit qui se trouvait sur la rive gauche du Rhône.
2. Introït, et exit., 1. c, fol. 221 '* : « Die xviii Decembris soluti fucrunt de mandato
domini nostri pape P[ctro] Scatissa, thesaurario Francie, pro vadiis et expensis per
ipsum thesaurarium solvendis certis bricandis missis ad custodiendum pontem Sancti
Spiritus, ne ])rava societas, que dicitur venire in Provinciam, transeat per dictum
pontem, magistro Matheo Achetantis de Luca servienti armorum domini régis
Francie et vigerio dicti loci Sancti Spiritus, pro ipso P. Scatisse et ejus nomine
manualiter recipienti vc flor. » Ainsi l'assertion de Villam, p. 642, que « la rocca »
fut défendue « per uno castellano Luchesc» est confirmée. Jean Souvain, sénéchal de
Beaucaire, portant l'argent à Paris, vint à Pont-Saint-Esprit seulement à la veille de
l'occupation. Voy. l'acte éd. par Luck dans FnoissAUT, VI, p. xxxi, not. 1.
3. lhid.,ÎQ\. 222 : « Die xix, Decembris soluti fuerunt de mandato nostri pape Hen-
rico de Touris et Nicolao Lombardi cursoribus domini nostri pape missis archiepis-
copo et coUectori Lugdunens. cum littcris camerc ad explorandum de dicta prava
societate, in quibus locis est, ipsis cursoribus manualiter recipientibus pro expensis
faciendis xvi flor. fort.
Die eadem soluti fuerunt de mandato dom. nostri pape domino Nicolao de Glande,
militi Gebennen. dioc, misso cum xxv hominibus armorum per dom. nostrum
papam ad custodiendum passus et introitus comitatus Venayssini, ne prava societas
que dicitur esse in partibus Januen., intret comitatum ipsum ad dampnificandum,
quos eideni portavit Bertrandus de Engolisma domicellus Caturcen. dioc, Audoyno
de Acra can. Carpentoraten. et thesaurario dicti comitatus pro dom. nostro papa
et Romana ecclcsia, per ipsum dominum tradendos dicto domino Nicolao pro suis et
dictorum hominum armorum expensis in premissis faciendis dicto Bertrando manua-
liter recipiente = iiii' flor. fort. »
4. Ibid. : « Die xxvi decembris fuerunt soluti Golino Lombardi et Bernardo Plan-
tati cursoribus dom. nost. pape missis ad explorandum de prava societate que dicitur
venire Avinionem et in Provincia, dicto Golino pro se et aliis manualiter recipiente
pro eorum expensis faciendis = xvi flor. fort. » Gomme la chancellerie de Gharles l\\
ainsi celle d'Innocent VI changeait à Noël l'année (1361) et l'indiction (xiv).
388 LA GUERRE DE CENT ANS
l'Evangéliste, on apprit que ladite Compagnie était soit à Roque-
maure ou aux environs, à FOuest d'Uzès et au Sud du Pont-Saint-
Esprit. Le même jour, elle prit Chusclan ^ (canton de Bagnols), et
le lendemain, la nouvelle parvint à Avignon qu'elle était à Godolet,
canton de Bagnols, au Nord de Roquemaure ~. Il était donc évident
que cette Compagnie se dirigeait du Sud vers le Nord. Ce jour-là,
un Dominicain, Jean Sereni, à peine rentré à Avignon, fut envoyé
pour reconnaître le mouvement des troupes ; la Compagnie ne
s'était pas encore fixée. En même temps, on ordonna à 25 gens
d'armes d'aller garder Saint-Laurent-des-Arbres, situé dans la
viguerie de Roquemaure ^. Le 29 décembre, il n'est fait aucune
mention de la prise du Pont-Saint-Esprit ; on craint plutôt une
surprise à Avignon de la part de la Compagnie, et des mesures
sont prises en conséquence ^. De la même manière on men-
1. Lettre de rémission dans Hist. de Languedoc, X, p, 1304.
2. Intr. et ex'it., 1. c. : « Die xxvn Decemb. fuerunt soluti de mandato dom. nost.
pape domino Golferio Helye et Johanni Aurosi militibus Lemovicen. dioc. et civit.
Avinion., miàsis ad pravam societatem, que dicilur esse in Rupe Maura vel circa ad
sciendum, quid agere intendit, ipsis manualiter recipientibus pro corum expensis
faciendis = 1 flor. fort.
Die xxviii Decemb. soluti fuerunt domino Johanni (sic), militi misso ad exploran-
dum de dicta prava societate, que dicitur esse in loco de Codolelo et venire Avinio-
nem et in Provincia, pro expensis ipsius dom, Johannis faciendis ipso manualiter
recipiente = ii flor. fort. »Ge n'est donc pas après la prise du Pont-Saint-Esprit que
Codolet fut occupe par la Compagnie, comme écrit le Petit Thalamus, puh\. dans les
Méni. de la Soc. archèol. de Montpellier (1836), p. 357, mais au moins un jour avant
la prise.
3. Ibid., fol. 222'' : « Die xxviii predicta soluti fuerunt de pred. mandato fratri
Johanni Cereni, de Ord. fratr. Pred., qui venit de predicta mala societate et iterato
rediit ad ipsam ad explorandum de eadem, ipso manualiter recipiente = x. flor. fort.
Die eadem fuerunt soluti de pred. mandato Bertrando de Engolisma domicello
Gaturcen. dioc, misso cum xxv brigandis et eorum capitaneo ad custodiendum
locum de Sancto Laurentio de Arboribus, Avinion. dioc, pro vadiis et salariis pre-
dictis brigandis, ipso manualiter recipiente =; clxi flor, fort. ».
4. Ibid. : « Die xxix Decembris. Gum de mandato dom. nost. pape fuissent mutuati
per ipsum papam et cameram apost. communi et cortesanis civitalis Avinionen. pro
defensione et instructione dicte civitatis contra dictam societatem et tyrannos eccle-
sie X™ flor. auri die qua supra fuerunt traditi et soluti Raymundo Milonis draperio
et Luce Albi, mercatoribus et burgen, dicte dioc. nomine dictorum communitatis et
cortesanorum recipientibus distribuendi per eos occasione predictorum juxta ordina-
tionem et voluntatem dominorum marescalli et vigerii dicte civitatis, pro quibus res-
tituendis obligaverunt se domini B. Rascassii, G. de Regali milites, Hugo de Sazo
burgen. pro parte civium, et magister Neapoleus de Ponterolis, Hugo Michaelis
campsor et Albertus Goreti pro parte cortesanorum dicto dom. nostro pape et ejus
camere hinc ad unum mensem, ut constat per instrumentum per dom. Johannem
Palaysini notarium dicte camere super premissis receptum = x'" flor. »
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI JUSQU'eN 1365 389
tionne, en passant, la défense et les fortifications de Montélimar K
Le 28 décembre, jour des Innocents, Pont-Saint-Esprit fut pris
par la Compagnie, et le sénéchal de Beaucaire, Jean Souvain, fut
fait prisonnier ^ Puisque le Petit Thalamus dit : « la nuit des
Innocents», et que le 29 décembre Avignon n'en savait rien encore,
on peut admettre sûrement que la prise eut lieu dans la nuit du 28 au
29, et non pas, comme le prétend Luce, dans celle du 27 au 28 ^. La
première supposition est d'autant plus vraisemblable qu'au moyen
âge la nuit était comptée généralement avec le jour précédent ^.
Une Compagnie se dirigeait donc du Sud vers le Nord, et comme
il y avait des bandes en Italie, on supposait à Avignon qu'elle
venait du pays de Gênes. Froissart, toutefois, n'en sait rien, mais
il est incompétent sur ce point ^. Par contre, Knighton parle aussi
d'une Compagnie venant, selon lui, de la Lombardie et traversant
la Savoie ''. Comme elle venait du Sud et s'était arrêtée plusieurs
jours dans la sénéchaussée de Beaucaire, avant de s'emparer du
Pont-Saint-Esprit , on comprend pourquoi elle était à même de
savoir qu'une somme considérable allait être déposée dans cette ville,
à la fin de décembre. C'était le premier versement fait par les con-
1. Intr. et exit.^ fol. 223 : « Diexxix Decembr. soluti fuerunt de mandate dom. nostri
pape Ludovicode Montelupello et Hugoni Gorda de Montilio Ademari, Valentin. dioc.,
ex causa niutui per cameram apostolicam de dicto mandate eidem facti pro defen-
sione, custodia et fortifîcatione dicti loci de Montilio Ademari fieri faciendis, resti-
tuendi in média quadragesima proxime ventura... M. tlor. fort. ». Sur les fortifica-
tions de Montélimar, à cette époque, voy. Baron de Coston, Hist. de Montélimar
(1878), I, p. 252, 258.
2. Petit Thalaînus, p. 357; Grand, chron., p. 223.
3. Malheureusement dans la série des Inlroit. et exit.^ le volume, qui contient les
notes écrites après le 29 décembre jusqu'à l'octobre 1361, manque aux Archives du
Vatican.
4. Voy. Grotefend, Zeitrechnuncj des deulschen Mittelalters, I (1891), p. 131.
5. Fhoissaht ne dit pas seulement que la prise du Pont-Saint-Esprit est arrivée
après la bataille de Briguais par les Compagnies du Nord, mais il dit encore que les
bandes, dont les capitaines d'après lui étaient, entre autres, Guyot du Pin et le Petit
Meschin, faisaient pendant la dernière nuit une chevauchée de quinze lieues. Frois-
sart se trompe. Touchant ces deux chefs, on doit noter qu'alors le Petit Meschin
était un bon Français au service du roi, et qu'il se tint devant Pont-Saint-Esprit en
compagnie d'Arnoul d'Audrehem pour chasser les compagnies {Hist. du Languedoc, X,
p. 1339 suiv.; Guigle, Les Tard-Venus, p. 282) ; Guyot du Pin était encore, en 1362,
regardé comme un « bon et loyal françois ». Arch. nat. JJ94 , n" 46; Llce dans
Froissart, p. xxi, not. 1. Froissart a toujours trop d'imagination, et il mêle les
diverses époques.
6. CViron., p. 115.
390 LA GUERRE DE CENT ANS
tribuables des trois sénéchaussées de Toulouse, de Carcassonne et
de Beaucaire, sur le secours levé pour la rançon du roi Jean K Un
arrêté de la ville d'Alais, du 28 décembre 1360, confirme ^, en
effet, que cette Compagnie avait infesté la sénéchaussée de Beau-
caire avant le 28 décembre.
Mais cette Compagnie n'était point la seule. Ainsi qu'Innocent VI
nous l'apprend plus tard, plusieurs parcouraient alors ces contrées^.
En effet, vers cette époque, et, à coup sûr, déjà en décembre 1360,
une de ces bandes dévastait les diocèses de Rodez et de Vabres, dont
les habitants avaient fort à faire pour les en chasser ^ ; il est assez
probable qu'au moins une partie de ces aventuriers ait rejoint la
Compagnie qui s'était emparée du Pont-Saint-Esprit. On s'explique
ainsi comment ils étaient en si grand nombre et pour quelle raison
ils furent nommés magna societas^ c'est-à-dire grande compagnie ^.
Dans la plupart des documents, ces routiers sont désignés sous le
nom d'Anglais ou de faux Français. Suivant Walsingham et le
continuateur de Murimuth, leurs chefs étaient Anglais; l'un des
capitaines était un certain Gautier ^.
1. Froissaut et Luge, p. xxxi, not. 1.
2. Bardox, Hlst. de la ville (VAlais de 1341 à 1461 (Nîmes, 1896); Pièces justif.,
p. XXII. Dans cet intéressant document du 28 décembre 1360 on doit lire neuf fois
« quod » au lieu de « que ». Cette erreur se trouve aussi dans les autres documents
latins publiés par Bardon.
3. Voy. ci-dessous p. 395, not. 1, la lettre du Jl juillet.
4. Reg. Aven. Innocent. V[, n" 25, fol. 358, ad an. 1361, Januarii 20 : « ven. fratri-
bus... Ruthenen. et aliis episcopis et dil. fîliis universis aliis ecclesiarum et monaste-
riorum prelatis ac rectoribus et aliis personis ecclesiasticis quibuscunque, seculari-
bus et regularibus, exemptis et non exemptis, per Ruthenen. et Vabren. civitates et
dioces. ac etiam Ruthenen. senescalliam constitutis, salutem, etc. Honestis devoto-
rum etc. Sane petitio pro parte dil. filior. nobilium ac communitatum et universita-
tum et aliarum secularium personarum Ruthenen. et Vabren. civitatum et dioces. ac
totius senescallie Ruthenen.nobisexhibitacontinebat quod eos pro defendendoeasdem
civitates et diocèses et senescalliam ac incolas et habitatores eaïaini contra [ms. et
certa] hominum armorum multitudine[m] qui partes predictas indebite et injuste
invaserant et invadebant, et ipsos de ipsis expellendos , magna subire oportuerit et
oportet onera expensarum ad que absque vestro subsidio eorum non suppetunt
facultates [ad horum preces, subsidium valoris unius decimae proventuum ecclesias-
ticorum vel aliorum reddituum, vel aliquod aliudmoderatum subsidium, pro praemis-
sis hac vice conferendi, supradictis episcopis etc. licentiam concedit]. Dat. Avinione
XIII kal. Februarii an. IX ».
5. Cette dénomination se trouve souvent dans les lettres d'Innocent VI.
6. Lettre d'Innocent VI du 13 février 1361 dans Mautène, ïVies. nov. anecd., II,
p. 882 : « Dil. filiis nobilibus viris Waltero militi et capitaneo gentis armigerae quae
LES COMPAGNfES DANS LR MIDf JUSQU'eN 1 3().") 391
Peu importe que la prise du Pont-Saint-Esprit ait eu lieu avant
ou après le 28 décembre, le fait est que ces bandes furent un ter-
rible fléau pour le pays. Elles dévastèrent d'une manière effroyable
toute la contrée environnante et menacèrent Avig-non '. Des locali-
tés ravag-ées par eux, on ne connaissait jusqu'ici que Pont-Saint-
Esprit où était un prieuré de l'Ordre de Cluny, Ghusclan et Godo-
let qu'ils pillèrent et dont les habitants furent entièrement dépouil-
lés ^. Mais il est encore d'autres lieux à peine connus jusqu'à pré-
sent que cette mauvaise Compagnie ravagea, ou auxquels elle
inspira du moins de grandes frayeurs. Les monastères des Frères
Mineurs de Bagnols, d'Alais, du diocèse de Nîmes, d'Uzès, situés
dans la banlieue furent à demi ruinés, et tous se virent forcés de
chercher un nouvel emplacement dans l'enceinte de ces villes ^^ les-
quelles ne tombèrent pas au pouvoir de la Compagnie qui cepen-
dant ne laissa pas d'en inquiéter les environs, de sorte que, pour
plus de sûreté, les autorités des villes détruisaient elles-mêmes les
églises et les monastères situés hors les murs et dépourvus de
défense. A Alais, par exemple, Tordre fut donné de raser les mai-
macfna societas dicitur, et Johanni Scakaik ac Ricardo Mussato, armigero nigro,
ejusdem capitanei niarescallis et conestabulis, et universis in eadem societate consis-
tentibus ». Ce Walterus est peut-être Gautier dit Lescot (cf. Méxard, IIist.de la ville
de Nimes, nouv. éd., II, p. 240). Ricardus Mussato?C'est peut-être une mauvaise leçon
pour Batardus [de] Monsaco^ qui, à Brig^nais, a fait prisonnier l'Archiprêtre, en 1362.
Voy. ci-dessous. Le bascot de Mauléon nomme comme capitaines de la Compagnie à
Pont-Saint-Esprit, Jean Hawskwood, Jean Creswey, Séguin de Badefol, Robert Bri-
quet, et d'autres (Fhoissart, éd. de Lettenhove, XI, p. 111). Le premier est connu par
ses exploits en Italie. Les deux derniers étaient sûrement en Languedoc ; cependant
ils pouvaient appartenir aux autres Compagnies, puisque plusieurs s'y trouvaient à
la fois, comme le dit Innocent VI.
1. Jean de Venette, p. 316.
2. Voy. A. MoMNiEu dans Hist. de Lancjaedoc, t. IX, p. 719, not. 6; t. X, p. 1294,
1304 suiv.
3. Reg. Aven. Innocent. VI, n" 25, fol. 378'', ad an. 1361, Mart. 8 : « Dil. filiis gar-
diano et fratribus Ord. Min. de Balneolis, Uticen. dioc. salutem. etc. Sacre religio-
nis, etc.. Exhibita siquidem nobis nuper pro parte vestra petitio continebat quod
edilîcia loci vestri, que exti'a locum de Balneolis, Uticen. dioc, habebatis, propter
guerrarum discrimina fuerunt pro majori parte diruta ; quae pro parte vestra fuit
nobis humiliter supplicatum ut vobis, quod hujusmodi locum mutare et locum alium
infra menia dicti loci de Balneolis recipere possitis concedere dignaremur [Licentia
mutandi locum]. Dat. Avinione vj idus Marcii, anno nono ». Les Frères Mineurs
d'Alais et d'Uzès reçoivent la même licence à cause des mêmes malheurs. Ibid. Sur
le couvent près d'Alais se trouve aussi une bulle d'Urbain V, du 5 septembre 1363,
dans Reg. Vat., n° 252, fol. 135^
392 LA GUERRE DE CE^'T ANS
sons sises à un jet de pierres hors les murs, et de découvrir celles
qui en étaient un peu plus éloig"nées. On abattit les arbres trop rap-
prochés de l'enceinte et on ne laissa aucun moyen de subsistance
dans les villages environnants i. Tout cela par peur de la bande. Le
couvent des Mineurs, hors la ville, fut en partie détruit par ordre
de cette dernière ~. Les Cisterciennes de Notre-Dame-des-Fons
près Alais, durent alors quitter leur monastère, et se réfugier à
iVlais^; quelque temps après, elles se plaignirent auprès d'Ur-
bain V de ce que, par suite de plusieurs incursions d'aventuriers,
les revenus de leur couvent étaient diminués, les religieuses
réduites à la pauvreté et leurs maisons ruinées ^. Non loin du Pont-
Saint-Esprit, près de Goudargues, était le prieuré des Bénédictines
de Valsauve, dépourvu d'enceinte, et de tous côtés, exposé aux
ennemis. Il fut dépouillé par les bandes des bestiaux et des usten-
siles nécessaires à l'agriculture, des armements, et de tous les
objets de quelque valeur, de telle sorte que les religieuses étaient
réduites à l'extrémité, la plupart d'entre elles avaient déjà quitté le
monastère qui tombait en ruine ^, et celles qui restaient étaient sur
1. Bardon, 1. c.,p. 55. L'ordonnance est du 14 mars 1360. Ibid., p. 52, not. 2, où on
doit lire partout « quod » au lieu de « que ».
2. Ibid., p. 62.
3. Ibid., p. 55.
4. Suppl. Urb. V, n° 36, fol. IS^, ad an. 1363, Mart. 24 : « S. P. Cum monasterium
Béate Marie de Fontibus, prope Alestum, Cistercien. Ord., Uticen. dioc, sit per ini-
micos regni Francie et eorum incursus in fructibus, redditibus et pertinentiis suis
adeo diminutus, quod dicti monasterii abbatissa et conventus moniales non habent
unde possint sustcntari, nec ipsum monasterium reparare sine S. V. adjutorio, sup-
plicant igitur dicte abbatissa et conventus quatenus... ecclesiam ruralem sancti Ste-
phani de Alensaco prope Alestum... eidem monasterio incorporare valeat. — Fiat.Dat.
Avinionene non. kal. Aprilis anno primo ». Dans Reg. Vat. Urb. F, n" 252, fol. 58,
l'abbesse est nommée « Elionoris ». Gall. christ., VI, ne parle pas de ce monastère,
qui allait toujours de mal en pis. En 1370, l'union de l'église Saint-Etienne d'Alensac
n'était pas encore faite; Reg. Vat., cit., n" 260, fol. 114.
5. Reg. Vat. Gregorii XI, n" 283, fol. 168, ad an. 1372, Novemb. 12 : « Ad perpe-
petuam rei memoriam. Apostolice sedis, etc. Sane pctitio pro parte dil. in Christo
filiarum Margarite priorisse et conventus monasterii Vallissalve prope Gordanicas,
per priorissam soliti gubernari, O. S. Ben., Uticen. dioc, nobis nuper exhibita conti-
nebat, quod predictuni earum monasterium tum propter diversorum animalium et
animantium agriculturam dicti monasterii colentium quam etiam rerum et supellecti-
tium, ornamentorum et utensilium ipsius monasterii et singularum personarum ejus-
dem perditionem, que per nonnullas gentes armigeras fuerant raubata et depredata,
in quibus totus valor pauco superante consistebat, et que de die in diem depredaban-
tur, cum monasterium ipsum in loco silvestri et penitus disclauso existeret, adeo in
suis facultatibus depauperatum et diminutum existit, quod [ipse] earum vitam in
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI JUSQU'eN 136o 393
le point de se retirer également. A Goudargues même était un
prieuré bénédictin dont le sort, à coup sûr, ne fut pas meilleur K La
désolation du monastère des Chartreux de Valbonne situé dans les
bois, date aussi de cette époque, bien que nous ne connaissions
leurs plaintes qu'à partir de l'an 1381. Deux ou trois fois par an,
ces religieux subissaient la visite des brigands qui emportaient
leur bétail et leurs blés ; en conséquence, leurs terres restaient en
friche et ne rapportaient plus rien, les moines n'osant plus les
labourer, dans la crainte qu'ils étaient des continuelles incursions
de l'ennemi. Ils en devinrent par la suite de plus en plus pauvres et
endettés, et le culte divin fut presque interrompu -. Deux ans plus
tard, ils se plaignent à nouveau de ne pouvoir ni semer, ni récol-
ter, ni cultiver leurs champs et leurs vignes. Les bandes, disent-ils,
pénétraient chez eux en brandissant le glaive, blessaient des moines,
emmenaient les autres, emportant avec elles les livres, les orne-
dicto monasterio habere non possunt, imo jam major pars ipsarum ad propria et for-
talitia ac amicos suos de dicto monasterio aufugit, ac restantes in eodem illud idem
facere... proponunt, cum habitationes ejusdem alique sint dirupte et alique ruinam
minentur. [Ad earum preces, ne dictum monasterium penitus relinquatur, unit eidem
prioratum sine cura secularis et ruralis ecclesiae S. Tirtii in conferenciis Balneolarum,
dioc. praed., consistentem]. Dat. Avinione ii id. Novembris anno II ». Durand, Dic-
tionnaire topogr. du Gard^ p. 229, dit que ce fut seulement en 1375, d'après Gall.
christ., VI, p. 657, "dont les auteurs croyaient encore par erreur que ce monastère
avait toujours été gouverné par des abbesses. Une autre erreur est que ce monastère
y est désigné comme étant de l'Ordre de Cîteaux.
1. Roman, Goudargues, son abbaye, son prieuré (Nîmes, 1886), p. 55 suiv., ne donne
pas le moindre renseignement.
2. Reg. Vat. Clément. VII, n° 293, fol. 162»', ad an. 1381, Septemb. 7 : « Ven. fratri-
bus .. Magalonen. et .. Uticen. episcopis salutem, etc. Exigit dil. filior... prioris et
conventusdomus Vallisbone, Cartusien. Ord., Uticen. dioc, devotionis sinceritas...
ut petitiones eorum ad exauditionis gratiam admittamus. Exhibita siquidem nobis
nuper pro parte dictorum prioris et conventus petitio continebat quod ipsi tam prop-
ter incursus hominuni armorum, qui quolibet anno per partes illas bis vel ter transi-
tum facientes oves et blada ac alia bona mobilia ipsorum, ex quibus sustentantur,
rapiunt, quam etiam propter sterilitatem terrarum et possessionum dicte domus,
quas ob incursus hujusmodi et paupertatem ipsorum colère nequeunt, ad tantam
devenerant inopiam ac ipsi et domus pred. adeo divcrsis creditoribus obligati exis-
tunt quod iidem prior et conventus inibi propter negotiorum defectum divino cultui
vacare non valent^ ut tenentur; [mandat ut relictis ad pios vel alios usus per personas
supradictarimi civitatum et diocesum debitis, et de aliis bonis maie ablatis, cum
personae quibus restitutio fîeri debeat ignorentur vel inveniri nequeant, usque ad
summam centum florenor. auri, in utilitatem domus ac sustentationum prioris et con-
ventus pred. convertendorum eisdem priori et conventui assignent]. Dat. Avinione
VII idus Septembris anno III. »
394 LA GUERRE DE CENT ANS
ments d'église, le blé, le vin, l'huile, les brebis et les chèvres, au
point qu'ils se voyaient presque forcés de quitter le couvent *.
On a dit encore qu'un détachement de la Compagnie du Pont-
Saint-Esprit s'était avancé jusqu'au Gévaudan et au Velay, et avait
pris le château de Saugues et le monastère de Saint-Chaffre ~. Tou-
tefois, il n'est guère admissible qu'ils aient franchi les montagnes
des Cévennes. Ces deux occupations, nous le verrons, ne se pas-
sèrent qu'un peu plus tard.
L'occupation du Pont-Saint- Esprit causait, on le conçoit, de
grandes inquiétudes à Innocent VI. L'invasion si inattendue de la
Compagnie l'avait pris au dépourvu. Avignon même était en dan-
ger, d'autant plus qu'il s'en fallait de beaucoup que l'enceinte fût
achevée. Le pape ordonna donc de la fermer en toute hâte au moyen
de barricades de bois. Il pourvut à l'artillerie, à la garde de la
ville par les troupes, ce qui l'entraîna à des dépenses considé-
1. Reff. Vat. Clément. VJI, n» 294, fol. 141, ad an. 1383. Augusti 13 : « Dil. filio priori
monasterii S. Saturnini de Portu, Uticen. dioc, salutem, etc. Hodie siquidem pro
parte dil. fîlior. prioris et conventus monasterii Vallisbone, Cartusien. Ord., Uticen.
dioc.,nobis exposito quod monasterium ipsorum in nemoribus situni existeretetquod
ipsi propter guerras et malignorum honiinum incursus seminare vel colligere bona
ipsius mon., terras quoque et vineas laborare minime potuissent, quodque homines
hujusmodi non soluni bona teniporalia dicti monasterii capere sed etiam cum gladiis
et fustibus personas dicti monasterii invadere non verentur, et quod personas
dicti monasterii adeo vulnerassent quod ex iisdem vulneribus dubitatum fuisset
mortem eis evenire, et nonnullas alias personas d. mon. captivassent, quas iidem
prior et conventus de bonis dicti monasterii redimerunt, et quod iidem homines
libros ecclesie et ornamenta altarium ac bladuni, vinum, oleum et ea que iidem prior
et conventus habcbant pro suo promissione anni presentis, ubicumque reperire
potuerant totaliter, ac viginti trecenaria ovium et caprarum et ad eos pertinentium
rapuissent, et quod propter ista et multa alia in tanta sunt paupertate et penuria con-
stituti, quod nisi ipsis succurreretur, eos oporteret propter defectum victuum et ves-
timentorum dictum monasterium deserendo ad alia monasteria et domus Ord. se trans-
ferre. [Eidem mandat ut ducentos francos auri, de cugno régis Francie, de legatis a
personis incertis, vel ad pias causas incertas relictis, in dioec. Uticen., et maxime in
locis Sancti Saturnini de Portu Balneolarum, factis vel fiendis assignatos per alias
litteras, dictis priori et conventui tradere faciat]. Dat. apud Pontem Sorgie Avinion.
dioc. idus Augusti anno V ».
2. Hist. de Languedoc, IX, p. 721; E. Molimer, Étude sur la vie d'Arnoul d'Au-
drehem, p. 90; Guigue, Les Tard-Venus, p. 57, etc. Cette assertion, à mon avis, est
connexe avec l'opinion autre fois prononcée, d'après laquelle Seguin de Badefol et
d'autres capitaines étaient déjà en 1360 ou 1361 en Auvergne. Llce, Du Guesclin,
p. 478, 482, place bien la prise de Saint-Chafîre à la fin de 1362, et celle de Saugues en
1361.
LES COMPAGNIES DANS LE 3IIDI JUSQu'eN 136." 39o
rables K En même temps, il exhortait la Compagnie occupant la
place à se retirer et à se dissoudre. Loin de se soumettre, celle-ci
déclara la guerre à toute la chrétienté. Là-dessus, le pontife prêcha
la croivsade contre la bande et ses suppôts ; il écrivit à cet elï'et, le
8 janvier 1301, à l'archevêque de Narbonne et à ses sulfragants,
accordant à tous ceux qui se croiseraient et combattraient contre
eux dans le délai de six mois, les indulgences qui s'accordaient aux
croisés pour la Terre-Sainte'^. Il invita à la croisade, à partir du
10 janvier, le duc de Bourgogne, le gouverneur du Dauphiné, le roi
Jean et le régent, l'empereur Charles IV et une foule de sei-
gneurs 3. Le 17 janvier, par des lettres de la même teneur, le pape
s'adressa dans cette alfaire à non moins de soixante-douze com-
munes de France, et en outre à Baie et à Genève^.
La frayeur du pape était bien fondée, car une seconde Compa-
1. Reg. Aven. Innocent. VI, n° 25, fol. 434, ad an, 1361, Jul. 11 : « Ad futuram rei
memoriam. Olim dum tam iilius que locum de Sancto Spiritu Uticen. dioc.
nequiter occupavit, quam aliarum societatum armi^erarum gentium, que totam
vicinam patriam perturbarunt, inopinata commotio longe lateque perstreperet, nos ad
dcfensionem et custodiam civitatis nostre Avinion. et incolarum ipsius more patris
benivoli solicitis studiis intendentes inter cetera cum consensu dil. fil. civium dicte
civitatis et cortessanorum degentium in eadem duximus ordinandum, quod tam pro
clausura i'ustca dicte civitatis celeriter facienda, quam pro artliilheriis, hominibus
armorum, brigantibus et custodibus ad dictam custodiam oportunis mutuarenturper
cives et cortesanos eosdem necnon per clericos in dicta civitate et ejus diocesi pos-
sessiones habentes certe pecuniarum summe, ad quas recipiendas et in dictis necessi-
tatibus convertendas dil. fîlios Raymundum Milonis civem Avinionen. et Lucam de
Abbatibus de Florentia cortesanum thesaurarios seu receptores duximus deputan-
dos... Dal. Avinione v non. Julii anno nono ». La somme due à ce sujet s'élevait à
36.317 flor. auri, comme le pape raconte dans cette longue et très curieuse lettre. La
ville était aussi obligée de faire le guet; on faisait « excubiasin pinaculo Béate Marie».
Ibid. D'accord avec les documents, Villani écrit p. 643 : « la città lutta prese larme;
serrate le botaghe, solo si contendea a fare steccati et bertesche si alla città, si al
gran palagio del papa », etc.
2. Hist. de Languedoc, IX, p, 720; Ménard, Hist. de la ville de Nîmes (nouv. éd.).
II, p. 195. Cette lettre manque dans Reg. Vat., et Mautkne, Thés. nov. anecd., II,
mais elle se trouve dans Iîall'ze, Bulles [Armoires, vol. 383). Du reste, le pape même
dit le 10 janvier, (ju'il avait déjà écrit des lettres « per partes diversas fidelium »
(Mautène, p. 849). (]c n'était donc pas seulement à l'archevêque de Narbonne, mais
aussi à d'autres qu'il s'adressait le 8 janvier.
3. Marti^ne, 1. c, p. 848 suiv., 851, 854, 855 suiv., etc. Voy. les principaux person-
nages nommés par LrcE, Froissart, p. xxxu. notes.
4. Mautè.\e,p. 852 aiùv. Comvwrk, Eludes hist. et documents inéditssuri Albigeois,
p. 257 suiv., a publié inutilement la lettre adressée « universitati civitatis Albien. »,
déjà indiquée dans Martène. La chancellerie changeait seulement chaque fois l'adresse
des lettres du 17 janvier.
396 LA GUERRE DE CENT ANS
gnie devait suivre la première. Dans ses lettres aux princes et sei-
gneurs, Innocent VI dit, en effet, avoir appris qu'une autre Compa-
gnie bien plus grande, venant du Nord et composée de Français,
d'Allemands et autres, se proposait de traverser la Bourgogne et de
marcher sur Avignon, pour venir en aide à la Compagnie occupant
Pont-Saint-Esprit. 11 fallait donc avoir chassé celle-ci avant l'arri-
vée de celle-là. Le 1^^ février, la Compagnie signalée s'était rappro-
chée, puisque ce même jour, Innocent VI écrit aux archevêques de
Lyon et de Vienne, ainsi qu'à l'évêque de Viviers, les exhortant à
s'opposer de toutes leurs forces à l'ennemi qui s'avance i.
Cette Compagnie qui devait, de concert avec la précédente, mar-
cher sur Avignon, était précisément celle que nous avons laissée en
Bourgogne, et à laquelle nous allons retourner.
Mais le Pape n'était pas seul en proie aux inquiétudes les plus
vives, les seigneurs, les nobles et les communes delà sénéchaussée
de Beaucaire n'avaient pas moins peur, et dans une assemblée
tenue à Nîmes avant le 13 janvier 1361, ils résolurent de marcher
contre la Compagnie du Pont-Saint-Esprit dite la Grande Compa-
gnie, afin de l'expulser, puisqu'elle y avait causé le mal-
heur d'un grand nombre de personnes, tant laïques qu'ecclésias-
tiques. Les ecclésiastiques de la sénéchaussée se montrèrent dispo-
sés à céder à cette fin, avec l'assentiment du pape, le tiers d'un
décime de leurs revenus, ou un autre subside -. Les secours
1. Marthne, p. 874.
2. Re(/. Aven. Innocent. VI, n" 25, fol. 355'", ad an. 1361, Januarii 13 : « Vene-
rabilibus fratribus Nemausen. et aliis cpiscopis, et dil. filiis universis aliis
ecclesiarum et monasterioruni prelatis ac rectoribus et aliis quibuscunque perso-
nis ecclesiasticis, secularibus et regularibus, exemptis et non exemptis, in senes-
callia Bellicadri consistentibus saluteni, etc. Ilonestis devotorum, etc. Sane
petitio dil. filior. baronum nobilium et communitatum senescallie Bellicadri
nobis exhibita continebat, quod nuper in quadam convocalione et congrej^atione
facta ipud civitatem Nemausen. de vobis et predictis baronibus, nobilibus et
communitatibus pro adhibendo reniedium ad illani perfidam armijj;erarum congrega-
tionem (que se mncjnam. socletatem nominant et locum de Sancto Spiritu Uticen.
dioc, qui de dicta senescallia existit, more predonico occuparunt et detinent occupa-
tum, multasque tam predicti quam etiam aliorum locorum illarum partium personis
ecclesiasticis et secularibus intulerunt et inferunt injurias et jacturas) de loco et par-
tibus supradictis expellendam, et contra eam patriam deffendendum, inter alios vos
paratos obtulistis (dummodo id de nostra licentia procederet, sine qua id facere
nequibatis) ad opus hujusmodi expulsionis etdefensionis subsidium tertie partis unius
LI':S COMPAGMES DANS LE M1D[ JUSQU'eN 1 36o 397
affluaient de tous côtés. Les nobles du Gévaudan, du Velay et du
Vivarais accordèrent ég-alement un subside et se mirent en c*am-
pagne. Le roi d'Aragon envoya six cents hommes d'armes et mille
hommes de pied K Ce dernier se vit encore obligé de renvoyer* en
toute hâte à la cour romaine Jean Ferdinand de Hérédia -. Bagnols
fut choisi comme point de concentration des croisés. Plus tard
arriva le nouveau lieutenant du Languedoc, Robert de Fiennes,
connétable de France, en compagnie d'Arnoul d'Audrehem, maré-
chal de France '\
La Compagnie du Pont-Saint-Esprit fut assiégée '^ Mais, loin
d'être cernée complètement, il arriva pendant le siège qu'un de
leurs capitaines put s'emparer de Massillargues près Lunel, où les
routiers ne se maintinrent que trois ou quatre jours, car les compa-
decime proventuum vestrorum ecclesiasticorum ipsius baronibus, nobilibus et com-
munitatibus liberaliter elargiri. Quaie pro parte dictorum baronum, etc., nobis
humiliter fuit supplicatum, ut vobis pro premissis, in quibus etiam nostra securitas
continetur, predictum vel aliud subsidium, de quo vobis videbitur, conferendi licen-
tiam concedere dignaremur. [Praedictam licentiam elargitur « dummodo id iidem
barones nobiles ac communitates cuni gratiarum actione recipiant ».] Datum Avi-
nionc idus Januarii anno nono », Ibid., fol. 356, se trouve une autre lettre : « Ven.
fratri... episcopo Nemausen. » « Cum nos tibi, etc. » [Pontifex licentiam concedit
exigendi praedictum subsidium, postquam per episcopos, praelatos et alias ecclesias-
ticas personas liberaliter oblatum fuerit dictisque baronibus, nobilibus, communita-
tibus, etc. assignandi, per eos in dicto negotio utiliter convertendi]. Datum ut
supra, » C'est certainement l'assemblée dont parle Vaissete, dans Hist. de Langue-
doc, IX, p. 722 ; il est seulement très douteux que Robert de Fiennes fut alors pré-
sent. A. MoMMER, se trompe, note 4, en confondant cette assemblée avec l'autre qui
se tint plus tard à Lunel, le J i avril 1361. Dogxon, Les Institutions politiques et
administrât, des pays de Languedoc, p. 607, mentionne aussi seulement l'assemblée
de Lunel, et non celle de Nîmes de janvier,
1. Voy, les sources indiquées dans E, Molimer, Etude sur la vie d'Arnoul d'Au-
drehem, p. 89 suiv.
2. Lettre du pape du 9 janvier, dans MartÈxe, 1. c, p. 847,
3. E. Molimer, 1. c, suppose qu'Arnoul fut envoyé par le roi dès que la prise du
Pont-Saint-Esprit fut connue, s'appuyant sur la lettre d'Innocent VI du 26 janvier
(Martène, 1. c, p, 867), « dans laquelle il annonce à Robert de Fiennes qu'il a reçu
avec joie la nouvelle de son arrivée et de celle du maréchal d'Audrehem, et lui recom-
mande de se hâter ». Mais cet auteur a mal interprété la lettre. Le pape écrit qu'il a
reçu avec joie la nouvelle qu'avec Arnoul « versus partes istas cum gentis armigere
comitiva viriliter se accingit », et il ajoute : « nobilitatem tuam ad expeditionem
favorabilis tui adventus eo magis solicitam reddimus », etc. Il ne dit pas qu'il était
déjà arrivé, au contraire, il l'exhorte à se hâter d'arriver. P. Anselme, Hist. généal.,
VI, 752, dit qu'Arnoul fut envoyé le 13 avril 1361 ; c'eût été trop tard.
4. C'est sûr, parce qu'on lit dans une lettre de rémission de février 1365 : « Petit
Meschin étoit... au siège devant Saint-Esprit en la compagnie de,,, mareschal d'Au-
denehem », Hist. de Languedoc, X, p, 1339,
398 LA GUERRE DE CEM' ANS
gnons y furent serrés de près par Arnoul d'Audrehem ^. Vers le 13
février, on commença des négociations. Un arrangement était dans
l'intérêt des deux parties. Les capitaines des assiégeants n'avaient
pas de quoi joayer leurs hommes, et se voyaient par suite refuser du
secours -. Quant à Avignon, la disette s'y fît bientôt sentir à cause
de la cherté des vivres. Le blé que le pape avait commandé en Ita-
lie n'arrivait pas ; impossible d'en faire venir de Bourgogne ou de
quelque autre région de la France, car la Compagnie du Pont-
Saint-Esprit interceptait les transports ^. Les assiégés ne se sen-
taient guère à l'aise non plus, cernés comme ils l'étaient d'un
nombre assez considérable de gens d'armes. La meilleure preuve
est qu'ils envoyèrent auprès d'Innocent VI deux légats, le Domini-
cain Eumène Begamon et le frère Mineur Etienne de Tegula, chargés
de lui déclarer qu'ils n'avaient jamais eu l'intention d'incommoder
la cour romaine. Cela s'appelait battre en retraite. Le 13 février,
Innocent VI renvoya à la Compagnie les deux légats, ainsi que
Jean-Ferdinand de Hérédia porteurs de ses messages ^. Un traité
fut conclu, vers la fin de mars, selon toute probabilité ; moyennant
une somme de 14.500 florins d'or^, la Compagnie s'engageait à fran-
chir les Alpes pour se rendre en Italie, avec Jean de Montferrat ^.
La sénéchaussée de Beaucaire n'était pas seule infestée par les
bandes, celle de Carcassonne luttait aussi contre elles, comme le
prouve une lettre du 28 février 1361, adressée par Innocent VI aux
supérieurs des églises et communautés de cette sénéchaussée où il
1. Petit Thalamus, p. 357 suiv. Bardon, Hist. de la ville cVAlais, p. 55, not. 3, a
noté contre E. Molimer, Arnoul d'Audreliem, p. 91, qu'il ne s'agit pas ici de Massil-
largues, ar. d'Alais, cant. d'Anduze, mais bien de Massillargues près de Lunel.
2. Voy. l'intéressante lettre d'Innocent ^'I datée du 2i mars dans Martè>e, 1. c,
p. 910 suiv., lettre qui est oubliée.
3. Trois lettres du pape du 16 février, ibid., p. 886 à 890, et du 19 mars, ibid.
p. 905 suiv. Vn.i.AM, p. 463, dit la même chose.
4. Lettre du 13 février, dansMARTÈNE, 1. c, p. 882 suiv. Voy. ci-dessus, p. 390, not. 6.
5. Voy. la lettre du pape du 6 juin, ibid., p. 995.
6. Rehdorfen., dans Bôhmer, Font. rer. germ., IV, p. 567, dit : « cum hujusmodi
predicti starent circa curiam prescriptani per quartam partem anni vel circa, pecu-
nia placavit eosdem. Et sic recesserunt cum marchione Montis-Ferrati contra Medio-
lanenses ». Villam, p. 654, dit également que le marquis de Montferrat vint en
Piémont avec les bandes en avril. Lice, Du Guesclin, p. 363, se trompe en disant que
c'était « vers le milieu de 1361 », en s'appuyant sur la bulle du 6 juin. Car le pape
dans cette bulle dit seulement que pridem Jean-Fernand de Hérédia avait reçu du
trésorier la somme pour les routiers, et le 6 juin le pape l'acquitte.
LES COMPAGMES DANS LE MIDI JUSQu'eN 1365 399
leur permet de contribuer par un subside aux dépenses faites pour
chasser les bandes K En avril, Seguin de Badefol- s'empara de
l'abbaye bénédictine d'Aniane, du diocèse de Maguelonne, la mit à
contribution, et prit ensuite plusieurs autres villes en traversant
la vicomte d'Aumelas, comme Gignac, Villeveyrac, Pomérols,
Florensac. Le 13, il attaqua et prit Frontignan ; de là, ses
bandes firent des courses jusque dans les faubourgs de Mont-
pellier, vinrent à Saint-Gosme et enlevèrent les hommes et les
femmes qui se trouvaient dans l'église. Enfin, Badefol, apprenant
qu'il était poursuivi par les troupes de Robert de Fiennes,
d'Arnoul d'Audrehem et d'autres, abandonna Frontignan^.
En juin et juillet, des bandes d'Espagnols, commandées par
Henri de Trastamare et son frère Sanche, cherchèrent à entrer en
France, y entrèrent en effet vers ce temps ^, en ravageant les
contrées du Languedoc, et pénétrèrent, comme nous le verrons,
jusqu'à Forcalquier. Au commencement du mois d'août, Bérard
d'Albret ^ s'avança jusqu'à Montpellier, où il s'empara du faubourg
des Frères Mineurs; après, de concert avec Seguin de Badefol et
1. Reg. Aven. Innocent. VI, n" 25, fol. 363 : « V'en. fratribus... archiepiscopis, epis-
copis et dil. filiis universis aliis ecelesiaruni et monasteriorum prelatis atque recto-
ribus et aliis personis ecclesiasticis quibuscunque, secul. et re^uL, exemptis et non
exeniptis, per senescalliam Carcassonen. constitutis, salutem, etc. Honestis devoto-
rum, etc. Sane petitio pro parte dil. filior. nobiliuni et aliarum secularium persona-
rum senescallie Carcassonen. nobis cxhibita continebat quod pro defendendo ipsam
senescalliam acj incolas et habitationes illius a nonnullorum perversorum hominum
arnioruni, Dei et reipublice inimicorum, in partibus illisconsistentium invasionibus...
multa ipsos nobiles et pcrsonas seculares subire oportuit et continue oportet onera
expensarum, ad que absque vestro subsidio eorum non suppetunt facultates, etc.
[confercndi pro praedictis aliquod moderatum subsidiuin eisdem nobilibus et perso-
nis licentiam tribuit]. Dat. Avinione ij kal. Martii anno nono ».
2. Ce chef des Compagnies était du diocèse de Sarlat, comme écrit Urbain V dans
sa bulle Cogit nos du 19 janvier 1365 {Reg. Aven., n° 10, fol. IQS*»), et, par conséquent,
originaire de Badefol près de La Linde, non de Badefol d'Ans, au nord-est de Tarron-
dissement de Périgueux. Cf. l'article de Labhoue dans Le Livre de Vie, les Seigjieurs
et les Capitaines du Périgord blanc, p. 67 suiv. Bertucat d'Albret étant possesseur
de La Linde (cf. ci-dessus, p. 271, not. 5) connaissait donc parfaitement Seguin de
Badefol, et ce n'est pas par hasard qu'ils se trouvent souvent ensemble. Lauroue se
trompe au sujet de la chronologie des premiers exploits de Badefol dans le Midi.
3. Petit Thalamus, p. 357 suiv. Hist. du Languedoc, IX, p. 724 suiv. ; E. Molimeh,
1. c, p. 92 suiv.
4. Hist. du Languedoc, l. c, p. 736 ; E. Molimeh, p. 93, not. 5.
5. Lequel on doit distinguer de « Bertucat d'Albret », Tami de Seguin de Badefol
(Voy, not. 2).
400 LA GUERRE DE GE^T ANS
quelques autres capitaines ^ il se dirigea, avec des bandes de pié-
tons et de cavaliers, vers Narbonne, marcha en Roussillon jusqu'à
Perpignan et au delà, et y resta environ douze jours. Ensuite, toutes
ces troupes s'étendirent dans les diocèses de Garcassonne et de
Toulouse. Ils prirent la ville de Montolieu, non loin de Garcas-
sonne , et y mirent le feu ; mais ils ne purent s'emparer du châ-
teau. Ensuite, ils prirent Saint-Papoul, Villepinte et plusieurs
autres lieux ouverts 2; puis, comme nous le verrons, Seguin de
Badefol entra en Rouergue.
En septembre de cette même année 1361, l'approche des Gom-
pagnies ou routiers est signalée aux consuls d'Albi par le sénéchal
de Toulouse, qui les prie d'avertir les villes voisines qu'elles ont à
se fortifier et à s'approvisionner 3. Une lettre d'Innocent VI, datée
du 22 octobre 1361, me permet de donner des renseignements nou-
veaux. En effet, des bandes envahirent en grand nombre le diocèse
d'Albi^ le parcoururent en le dévastant et en dévalisant les églises,
les ecclésiastiques et autres personnes ; elles s'emparèrent aussi de
quelques places fortes. L'évéque d'Albi, Hugues Aubert, envoya
alors contre ces bandes des gens auxquels vinrent s'adjoindre
d'autres gens d'armes de l'Albigeois qui mirent les routiers en fuite,
les poursuivirent jusque dans le diocèse de Rodez et les forcèrent à
livrer un combat dans lequel beaucoup de ces ennemis furent
tués et un plus grand nombre d'entre eux faits prisonniers^. Ce
1. he Petit Thalamus, p. 358, et les historiens qui le citent, nomment aussi Garciot
du Castel ou Ghastel. Mais s'il était alors dans le Midi, comment expliquer un acte
authentique, suivant lequel Garciot du Castel, avant décembre 1361, était « cum
maxima quantitate ^entium armorum » dans le Nivernais (Arch. de la Côte-d'Or, B.
11,875; Chéuest, VArchiprêtre, p. 88, not. 1 ; ci-dessus, p. 253)? Le Petit Thalamus
est généralement exact, mais le chroniqueur n'avait pas le don d'inerrance, et ici il a
confondu les années. Garciot est venu dans le Midi, avec sa bande, seulement en 1362.
Néanmoins, Ghérest (1. c, et 158) et Guigue (p. 48 et 57) le placent dans le Niver-
nais et dans le Midi, vers la fin de 1361 !
2. Petit Thalamus , p. 358 suiv.
3. CoMPAYRÉ, Études hist. et documents inédits sur V Albigeois, p. 424.
4. Reg. Avinion. Innocent. VI, n" 26, fol. 582 : « Dil. fil. Jauberto Guidonis clerico
Lemovicen. dioc. salutem, etc. Suffragantia tibi, etc. Sane petitio tua nobis exhibita
continebat quod cum de anno presenti nonnulle gentes belligere in numéro satis
magno partes dioc. Albien. hostiliter invasissent easque percurrerent et vastarent,
ecclesias ac ecclesiasticas aliasque personas nequiter spoliando et capiendo,et earum
res et bona quelibet more predonico rapiendo, locaque fortia expugnando, nonnulli
ex familiaribus et giiutibus vcn. fr. nostris Ilugonis episcopi Albien., cujus familiaris
Lrîâ COMPAGNIES DANS LE MIDI JL'SQu'eN i3Go 401
récit est confirmé par une lettre de rémission d'Arnoul d'Audre-
hem, du mois de décembre 1363, dans laquelle il est dit que ces
bandes étaient la Gompag-nie d'Adhémar de Jussel, composée de
plus de deux cents hommes qui furent battus près d'Asprières en
Rouergue K Nous avons maintenant la date pres({ue précise de ce
combat, qui eut lieu deux ans plus tôt qu'on avait cru jusqu'à pré-
sent. D'accord avec ces faits, d'autres documents contemporains
sig-nalent en Rouerg-ue, pendant les mois de septembre et d'octobre,
des routiers qui, après s'être emparés de plusieurs lieux, se sont
avancés jusqu'aux portes de Millau et ont occupé dans les faubourgs
le monastère des Glarisses. Après quoi, Seguin de Badefol, venant
du Midi avec sa bande, enleva tout ce qu'il trouva, et rançonna ses
prisonniers '^.
Pour comble de malheur, un autre fléau, la peste, était apparu
depuis quelques mois et faisait de grands ravages qui se conti-
nuèrent durant six ou sept mois. Pendant ce temps , la mortalité
fut plus grande que lorsque la peste avait, pour la première fois en
13i-8, sévi une année entière^. On dit qu'à Avignon seulement,
depuis la fin de mars jusqu'au 2o juillet, dix-sept mille personnes
moururent, parmi lesquelles on comptait cent évêques et cinq ^ ou
neuf cardinaux. A Millau, cinq consuls périrent sur six ^. Il est
facile de voir par là dans quelle mesure la mort s'abattait sur ces
contrées.
tune tcnipons c.vistebas, proutexistis, et alie gentes dietarum partiuni pro dcfensione
ipsarum eeclesiarum et patrie achersus invasores et percursorcs Iiujusniodi... exive-
ruiit ipsosque conversos in fugam usque in diocesim Ruthenen. fuerunt virilitei*
insecuti, et tandem ibidem inito cum cis prelio... plurimi ex ipsis hostibus ibidem
cesi et nidi-tui multique captivi in maximo numéro remanserunt. Et licet tu predictis
omnibus presens l'aeris... tamen nullum ex ipsis hostibus occidisti nec vuhierasti nec
captivasti [Confirmât collationcm eidem de prioratu secularis et non collegiatae nec
curatae ecclesiae de Buada Biterren. dioc. postmodum factam. licet nullam dispen-
sationem obtinuerit super irregularitate ob pracmissa contracta]. Dat. Avinione xi kal.
Novembris anno nono »>.
1. Voy. la lettre dans E. Moliniku, Vie (VArnoul dAudrehein, p. 276 suiv. Cf. Ilisl.
du Lniufiiedoc, IX, p. 761.
*i. UouQUETTE, Le Honeryue sous les Ançilais i^nouv. éd. de 1887^, p. 26 suiv. Ché-
niîST prétend donc à tort, p. 183, que jusque vers la fin de l'année 1363 aucun
document n'atteste la présence de Seguin de Badefol dans les provinces centrales.
3. Viln 1" Innocent. V7 dans Bamzh, Vit. pnp. Aven., I, p. 341.
4. UEnnoRFEN., dans Font. rer. cjerni., IV, p. 568. Mais voy. Balt/e, 1. c. p. 973, où
il est pi'ouvé que neuf cardinaux mourui'cnt de la peste.
5. Boryi'RTTE, 1. c. p. 26.
H. P. Denikle. — Deaolatio eeclesiarum H. 20
402 LA GUERRE DE CENT ANS
Dès 1361, comme après la terrible chevauchée du prince de
Galles en 13oo, les villes du Midi, après la première apparition des
Compagnies, se prémunirent contre ces dernières en se fortifiant.
Celles qui l'étaient déjà, comme Montpellier par exemple, augmen-
tèrent les travaux déjà exécutés '. A cette occasion, des maisons
et des couvents furent encore sacrifiés, comme il arriva au mona-
stère des Carmes hors Tenceinte de Montréal-de-l'Aude, du diocèse
de Carcassonne, dont les religieux durent chercher une habitation
dans la ville ~.
Cette activité n'est pas surprenante quand on pense que dans les
Hautes-Alpes, où le danger était moins pressant, on commença
également à cette époque à fortifier les villes. Ainsi, dès juillet
1360, les Embrunais creusaient des fossés, dressaient des palissades
et des barrières pour enceindre la ville ^. Sisteron avait déjà des
murailles, puisqu'en 136i Urbain V enjoignait aux ecclésiastiques
de contribuer à leur réparation ^. Nous avons vu qu'à Montélimar
les travaux de fortification commencèrent à peu près à la même
époque qu'à Embrun, en 1360 ou 1361 \ Les dépenses qu'entraî-
naient ces mesures de défense grevaient lourdement les populations
et le clergé.
Chose plus déplorable, les bandes, contre lesquelles on se
fortifiait, trouvaient quelquefois des partisans au sein même des
monastères; témoins les moines bénédictins de Téglise cathédrale
de Saint-Pons, qui, la nuit, sortirent armés de la clôture et, s'as-
sociant à plusieurs autres, se livrèrent au pillage et aux excès ^.
1. Voy. sur les détails A. Molimer, dans Hist. de Lnnçfiiedoc, IX, p. 718, not. 1.
2. Reg. Aven. Innocent. F/, n" 28, fol. 525, ad an. 1362, Jun. 1.
3. Cf. P. Guillaume, Notes sur les fortifications des Hautes- Alpes au XIV" siècle dans
Bulletin archéol. du comité des travaux hist. et scientifiques, année 1883, Archéolo-
gie, y). 213; Pièces justif., n" 1. Romax, L'expédition des Provençaux en Dauphiné,
dans Bulletin de la Soc. scientif. et litt. des Basses-Alpes, IV, p. 108, 111, sert pour
les années suivantes.
4. Laplane, Hist. de Sisteron (1843), I, p. 511 suiv.
5. Ce n'était que le commencement ; nous verrons dans le sixième paragraphe que
dans ces contrées, en 1368, on activait partout les travaux de fortifications.
6. Reg. Vât. Urbani V, n" 253, ad an. 1363, Decembris 19 : « Dil. fil. priori ecclesie
S. Pontii Thomeriarum salutem, etc. Cum levamus... Ad nostrum siquidem auditum,
quod dolenter referimus, clamosa insinuatione pervenit quod dudum Bernardus Mon-
tilhi et Bernardus Aignonis monachi ecclesie S. Pontii Thomeriarum, O. S. Ben., ad
mala properantes associatis sibi quibusdam... complicibusarmaque prohibita déféren-
tes, nocturno tempore... de... clausura presumpserunt exire, et quod licet tu...habeas
ÏVES COMPAGNIRS DANS LE MIDI JL'SQu'eN \'M)i) 403
Avant de continuer à suivre les marches des Compag-nies dans
le Midi de la France, retournons à celle que nous avons laissée en
Bourgog'ne, et que redoutait si fort Innocent VI, lorsqu'il était
menacé par la Compagnie du Pont-Saint-Esprit. Les ravages exer-
cés parles compagnons en Bourgogne hâtèrent peut-être les derniers
moments de Jeanne de Boulogne et d'iVuvergne, femme du roi
Jean et mère de Philippe de Rouvres, qui mourut le 29 septembre
13t)0 K Pendant que Garciot du Castel et ses bandes ravageaient le
Nivernais, vers la fin de 1360, en Bourgogne, la (Compagnie
s'avançait dans la direction du Midi. Il est impossible de signaler
ses diverses étapes, les sources font défaut à ce sujet. On dit que
cette Compagnie ravagea les environs de Dijon et de Beaune, pilla
Vergy et Gevray, puis se porta sur Couches et Montaigu pour arri-
ver en Maçonnais en janvier 1361 -. Ces ennemis semblent s'être
montrés aussi aux alentours d'Autun, car Geoifroi David, alors
nouvellement évêque, dit qu'au temps où il fut promu à l'église
d'Autun (27 août 1361) ^, quelques châteaux, maisons, granges et
édifices se trouvaient détruits ou gravement endommagés tant à
cause des guerres qui sévissaient que pour d'autres raisons ^. Soit
super inquirendis, corrigendis et puniendis excessibus subditoruni ven. ïv. episcopi
S. Poncii Thomeriaruin specialem... potestatem, contra ipsum Bernarduni Montilhi,
prefato Bernardo Agnonis tune absente, processisses... tamen idem Bernardus...
falso asserens... tuani scntcntiam fore iniquam, ad Narbonen. curiam... appellavit...
[Mandat ut in eadeni ecclesia regularem disciplinam teneri faciat, ipsumque Bernar-
duni Montillii ad poenitentiam peragendam sibi impositam, et tam ipsum, quam
praedictum Bernardum Aignonis et alias monachos, bona dictae ecclesiae detinentes,
ad ea restituenda, compellat, etc ]. Dat. Avinione xiv kal. Januarii anno II ».
1. Anselme, Ilist. géiiéal., I, p. 549 ; Bai.uze, Iliat. cfénéal. de la maison d'Auvergne^
I, 235. Doui-:t-i)'Aucq dans Bibl. de VÉcole des Chartes^ t. XL, p. 546, a tort de dire
qu' Anselme place la mort de la reine au 21 novembre 1361, c'est-à-dire au même jour
que la mort de Philippe de Rouvi*es. Il est curieux que Luce, Froissart, p. \\\\n,
not. 3, fasse la même faute; les éditeurs de la Chron. norm.^ p. 320, not. 3, et
MoHA^vILLÉ dans C/j/'o/iof/r., II, j). 296, not. 2, ont répété cette erreur, en disant que
tous deux sont morts le 21 noveml)re 1361. Cependant les deux Chroniques disent très
bien que la reine est morte avant l'arrivée du roi Jean à Paris (13 décembre 1360), et
que Philippe est mort après.
2. FuoissAiiT, p. 61. Glioue, \). lO.
3. Voy. EuBEL, Hierarch. callioL, I, p. 71.
4. Recj. Val. Urbani V, n" 252, fol. 45'', ad an. 1363, Januarii 19: « Dil. fîliis abbati
monasterii S. Martini et... priori S. Simphoriani ac cantori ecclesie Eduen. salulom.
etc. Petitio ven. i'v. nostri Gaufridi episcopi Eduen. nobis nuper exhibita continebat,
quod tempore quo ipse fuitperfe. re. Innocentium papamVI, predecessorem nostrum
ad ecclcsiam Eduen. promotus, nonnuUa ex castris, domibus, grangiis et aliis edili-
404 LA GUERRE DE CENT ANS
que la grande Compagnie se divisât, soit qu'au commencement il
y ait eu plusieurs groupes, on distingue pour le moins trois bandes
portant chacune le nom de Grande Compagnie des Anglais et
ennemis de France. Deux de ces bandes avaient la prépondérance,
et « la plus grande et la plus forte » des deux était comme une
arrière-garde*. L'une d'elles, cette dernière, à mon avis, passa
devant Chalon-sur-Saône ^, où furent longtemps des routiers qui
ne purent s'emparer de cette ville, mais qui en brûlèrent et déva-
stèrent les faubourgs. Le couvent des Carmes fut détruit à cette
occasion ou l'année suivante, et, en 1362, le roi Jean, alors à Cha-
lon, accorda aux religieux une place dans la ville ^. Quand la
Compagnie la plus importante envahit le CharoUais et le Mâcon-
ciis ejusdem ecclesie tam propter guerras que in illis partibus viguerunt, quani etiam
propter v etustatem eoruni, quedam vero propter incuriam bo. me. Reginaldi episcopi
Eduen. predecessoris sui aut procuratorum suorum, adeo erant diruta, consumpta,
destructa et deteriorata, quod pro quinque millibus florenoruni auri non poterant
comode reparari, et quod licet ideniReginaldus episcopus seu heredes sui, si extarent.
ad reparationem eoruni tenerentur, ac eorum bona sint propterea obligata, ipse
tamen Gaufridus episcopus ab eisdem heredibus, vel alias pro eo quod heredes aliqui
vel aliqua bona ejusdem Reginaldi episcopi non extant, unde hoc fieri valeat, nichil
potuit seu sperat recuperare vel habere. Quare nobis humiliter supplicavit ut... pro-
videre sibi super hoc de oportuno remedio paterna solicitudine curaremus. Nos igi-
tur... discretioni vestre per ap, scripta mandamus quatenus vos vel duo, etc. de pre-
missis diructionibus, consumptionibus, destructionibus et deteriorationibus, etc. vos
plenius informetis... et... declaretis prefatum Gaufridum aut heredes vel successores
suos ad reparationes hujusmodi, nisi ad tantum quantum de bonis prefati Reginaldi
episcopi forsan recuperaverint, pro reparationibus faciendis aliquatenus non teneri...
Datum Avinione xiiii kal. Februarii anno I. »
1. Voy. deux documents dans Guigue, 1. c, Pièces justif., n°' 29, 30.
2. FouQUE, Hist. de Chalon-sur-Saône (1844), p. 260, ne donne pas une date.
3. Suppl. Urbani V, n" 34, fol. 124, ad an. 1362, Decembris 14 : « Supplicant S. V.
devoti filii oratores vestri... prior et ceteri fratres conventus civitatis Cabilonen. Ord.
frat. B. Marie de Monte Carmeli, quatenus cum noviter gens inimica regni Francie
perversarum societatum, incursum faciens, et multa dampna inferens, sicut notorium
est, in civitatem predictam, incendio concremaverit, consumpserit et dextruxerit
conventum dictorum fratrum extra muros civitatis predicte, et filius vester illustris
dominus rex Francorum eisdem fratribus et divino cultui compatiens pie devotionis
alîectu ex liberalitate regia eisdem fratribus quamdam plateam cum quadam parva
domo infra dictam civitatem donaverit et amortizaverit, dignemini de misericordia
solita... eisdem priori et fratribus concedere licentiam recipiendi locum infra dictam
civitatem pro novo conventu eorum ac habendi [et] construendi cum oratorio, cam-
pana, campanili, cimiterio ac oflîcinis necessariis — Fiat. B. Dat. Avinione xviiij kal.
Januarii anno primo. » La bulle de la même date se trouve dans Reg. Aven. Urb. V,
n° 6, fol. 333»^. Voy. la charte du roi Jean, d\jctobre 1362, par laquelle il donne aux
Carmes un plâtre et une maison dans la rue de Cornillon, publié par Guigue, 1. c,
Pièc. jnslif., n° 47, et inutilement une autre lois par E. Petit dans }fémoires de la
LES coMPA(;Mr:s dans le midi jisqi'e.n l36o iOo
nais, le 18 février 1361, ces pays furent terriblement ravagés K Les
deux autres bandes avaient déjà gagné du terrain; l'une était dans
le Lyonnais le 16 janvier, et l'autre approchait alors du Beaujolais -.
Tout le plat pays fut saccagé. Saint-Symphorien-le-Châtel, en
Lyonnais, fut assiégé pendant que la Compagnie du Beaujolais
avançait en Forez où, vers le 18 mars, elle s'empara du prieuré
bénédictin fortifié d'Estivareilles. Le prieur et les siens furent mis à
rançon, quelques hommes furent tués. Ce prieuré fut longtemps
occupé, car lorsque cette bande l'abandonna au commencement de
1362, survint celle du gascon Petit-Meschin , encore au service de
la France quelques mois auparavant, qui l'occupa de nouveau,
dévasta tout le pays et déroba aux habitants tout ce qu'ils possé'
daient ^.
Il paraît que plusieurs mois avant , d'autres bandes , venues
du Midi, avaient pris la direction de l'Auvergne pour entrer, disait-
on, en Bourgogne. Au moins le 13 juillet 1361, « trois grosses
batailles d'ennemis », c'est-à-dire trois Compagnies, étaient assem-
blées en Auvergne pour ravager le comté ^. Peut-être étaient-ce
quelques bandes détachées des trois Compagnies infestant le Lyon-
nais et le Beaujolais qui, en janvier ou février, s'avançaient encore
sur Avignon comme l'écrit Villani, ou vers Pont-Saint Esprit pour
y renforcer les Compagnies déjà établies en ce dernier lieu; mais
on ne peut rien affirmer. Les Compagnies, croissant comme des
champignons pendant la nuit, se formaient et se multipliaient par-
tout autour des capitaines, et jamais on n'arrivera à préciser leur
nombre ou leur marche exécutée avec une activité dévorante. Leur
tactique, qui était d'opérer par surprise, nous donne la raison de
ces marches accélérées. Il paraît certain que pour beaucoup de
Compagnies , les lieux de rendez-vous aient été le Lyonnais , le
Beaujolais, le Forez et l'Auvergne. Suivant Froissart , une partie
Soc. bourguignonne de Géographie et d'Histoire., t. VII (1891), p. 305. Mais ce der-
nier a tort de dire, p. 306, que la bulle d'Urbain est de Tannée 1366. C'est ce mona-
stère des Mendiants que Luge, Du Guesclin, p. 498, not., nomme « abbaye fortifiée
de Notre-Dame du Mont-Carmel » !
1. Guiftut:, 1. c, Pièces juslifical., n" 52, p. 2S0.
"2. Les deux documents, n**' 29 et 30, dans Giiciuii,
3. GuiGUE, 1. c. Pièces justif., n* 31.
4. Voy. le document cité dans Chkkest, LArchiprêlre. p. 135, not. 2. On croyait en
Auvergne que ces Compagnies voulaient envahir la Bourgogne.
406 LA GUERRE DE CENT ANS
de ces bandes, en passant par Montbrison, s'empara, avant le 23
février 1362, du château de Briguais, placé au Sud-Ouest, mais
presque aux portes de Lyon ; une autre occupa le château de Rive-
de-Gier *, situé un peu plus loin mais dans la même direction. Vers
le Nord-Ouest, les ennemis étaient maîtres de Gharlieu et de Marci-
gnj-les-Nonnains, où était un prieuré bénédictin. Tout le pays fut
saccagé -. Ainsi les contrées qui s'étendaient des bords de la Saône
et du Rhône à ceux de la Loire et de l'Allier étaient envahies par
les Compagnies. Dès le commencement de mars, nous voyons que
Saugues, en Gévaudan, vers les frontières du Velay et de l'Auvergne,
était au pouvoir de Perrin Boias ou Pierre Bœuf, capitaine d'une
Compagnie -^ qui avait, ce semble, des intelligences avec celles des
Lyonnais.
Si Lyon était menacé, la sénéchaussée de Beaucaire, de laquelle
relevaient les trois grands bailliages du Gévaudan, du Vivarais et
du Velay ne l'était pas moins, par suite de l'occupation de Saugues.
Pour se débarrasser d'un aussi incommode ennemi, Armand,
vicomte de Polignac, et quelques autres seigneurs vinrent assiéger
Saugues et appelèrent à leur aide Arnoul d'Audrehem^, qui, dès le
12 mars, était en effet devant cette ville avec les Espagnols, placés
sous les ordres de Henri de Trastamare. Le 25 mars, fut conclu
avec Perrin Boias un accord en vertu duquel les routiers évacuèrent
la place le même jour '^. Malheureusement, ne prévoyant pas Taction
des Compagnies dans le Lyonnais, Arnoul retourna pour un
moment en Languedoc.
A l'instar d'Arnoul d'Audrehem, qui était lieutenant du roi en
Languedoc, Jean de Melun, comte de Tancarville, chambellan de
France, fut, dès le 25 janvier 1362, institué lieutenant du roi dans
le duché de Bourgogne , les comtés de Champagne et de Brie, les
1. Cf. le document cité dans Ciiérest, 1. c, p. 159, not. 2. Cf. Guioia:, 1. c, Pièces
jusfif., p. 222. Almjt, Les Bouliers au XIV" siècle, etc. (1856), ne donne pas des ren-
seignements plus abondants ni plus exacts que les deux savants cites.
2. Gmigue, Pièces justifie ni. , n" 35 et p. 61, not. 2.
3. Pelil TJinlniuus, \). 360. Arnoul d'Audrehem écrit dans une lettre de 1364 (Bibl.
Nat. Paris., 10002, fol. 48) : Petrus Bovis. Cf. U. Chevalier, Cartulnire de Vahbaye de
St-Chaff're du Monastier (1891), p. xxix, not. 2,
4. Mam>et, Hist. du Vélay (Le Puy, 1860), IV, p. 201.
5. Petit Thalamus, h c, Voy. E, Moi^imer, Arnoul d'Audrehem, p. 99 suiv,, où sont
tous les détails,
LES (jo:\jPAGiMEs DANS \a: MIDI jlsoi'e.n 13I)'J iOT
bailliages de Sens, de Mâcon, de Lyon et de Saint-Pierre-le-Moutier,
les duchés d'Auvergne et de Berry , les comtés de Nevers et de
Forez, les baronnies de Donzy et de Beaujeu. Far ordre du roi
Jean, il avait mission de marcher avec toutes ses forces contre les
Compagnies ^, de même que Jacques de Bourbon, comte de la
Marche, qui, accompagné de Pierre de Bourbon, son fils, arriva en
toute hâte avec ses contingents féodaux. Beaucoup de seigneurs,
avec leurs hommes d'armes, répondirent à Tappel de Jacques de
Bourbon -. Les (Compagnies furent assiégées à Briguais par les
royaux; Arnaud de Cervole était parmi eux. Mais ces Compagnies
avaient des intelligences partout. Celle qui, le 25 mars, avait rendu
Saugues à Arnoul d'Audrehem , marchait à Briguais, opérant sa
jonction avec les Compagnies stationnaires. Une fois réunies et
peut-être au nombre de 10.000 hommes, elles surprirent et écra-
sèrent les troupes royales du comte de Tancarville et de Jacques de
Bourbon, le 6 avril 13(52 '^.
Les royaux avaient méconnu la force des Compagnies, qu'ils
croyaient trop indisciplinées pour tenir tête à une armée régulière ; ils
devaient payer cher leur méprise. Malheureusement, cette témérité
se manifestera encore bien des fois jusqu'à nos jours, malgré les ter-
ribles leçons de l'histoire. Cette défaite des seigneurs prouve encore
à nouveau que l'armée qui prend l'offensive, a souvent bien des
avantages sur la partie défensive qui n'occupe pas une forte position.
Cette bataille est la dernière qui eut lieu sous le règne du roi
Jean, et elle fut perdue. Un grand nombre de gentilshommes suc-
combèrent : entre autres Jacques de Bourbon et son fils, Louis
comte de Forez, Jean de Joigny. Parmi les prisonniers, on trouve :
le comte de Tancarville, chef de l'armée vaincue , l'Archiprêtre,
pris par son compatriote, le bâtard de Monsac; le vicomte d'Uzès,
Renaud comte de Forez, et bien d'autres^. Le maréchal Arnoul
d'Audrehem arriva à Lyon le 9 avril, c'était trois jours trop tard.
1. Lucii, Froissnri, A'I, p. x.wi, not. J ; Du Guesclin. p. 365; CnÉnnsT, 1. c.p. 1J9.
2. Voy. les noms dans Guigue, 1. c, p. 64.
3. Petit Thalamus, p. 360. Sur Ions les détails, voy. Chéiœst, 1. c, p. 166 à 185. qui
est plus complet et plus exact (prAi.i.iT, I. c. GrioiK, p. 61 suiv., donne des notes
supplémentaires. Ces deux ouvrages sont indispensables pour l'étude de cette
bataille, ou plutôt de ce carnage.
4. Voy. les noms dans (îuioTi:. p. 72 sui>-. , 75.
408 LA GUERRE DE CENT ANS
La stupeur et l'angoisse étaient générales. Lyon même n'était
pas à l'abri d'un coup de main. Mais les bandes songeaient bien
plutôt à se procurer de l'argent en stipulant la rançon de leurs
prisonniers 1 qu'à exploiter leur victoire, et nous les voyons encore
en avril se disperser en Bourgogne, jusqu'à Tournus, en Vivarais,
à Bonlieu, dans les environs d'Annonay ~, et dans le haut et bas
Vivarais 3, d'où ils refluèrent vers le Nord, au mois de juin ou de
juillet ^. D'autres troupes restèrent en Forez et dans le Lyonnais.
Avant de poursuivre cette histoire, il est nécessaire de donner
quelques renseignements sur les Espagnols entrés en France sous
les ordres de Henri de Trastamare. A l'époque où nous sommes
parvenus, ils étaient à la solde d'Arnoul d'Audrehem et coû-
taient assez cher; mais en 1361, après leur entrée en France,
leur manière d'agir ne permet pas de les distinguer des Compa-
gnies. Pendant les derniers mois de ladite année, ils étendirent
leurs ravages dans tout le Midi. Le Minervois entre autres, de la
sénéchaussée de Carcassonne, fut complètement pillé, et la petite
ville d'Angles brûlée et entièrement ruinée ^ Mais cela ne leur suf-
fit pas. Quittant le Carcassonnais, ils terrorisèrent, au commence-
ment de 1362, les environs de.Beaucaire ^, et, chose ignorée jusqu'à
présent, ils traversèrent le Rhône, se répandirent dans la Provence
et le Forcalquier, comme nous le révèlent quelques lettres d'Inno-
cent VI et d'Urbain V. Ils occupèrent, en les dévastant, les terres
et possessions des églises, des monastères, des hôpitaux et des
laïques dans les comtats de Provence et de Forcalquier; enfin, ils
quittèrent le pays, moyennant une forte somme, que les habitants
ne purent fournir qu'en l'empruntant. Innocent VI autorisa les
1. Chéhest, p. 188 suiv., donne des exemples.
2. Cf. le document dans GiKii k, p. 81, not. 8. Ponckr, Mém. hisl. sur le Vivarais
(1873), IV, p. 120, el Fu^hol, Hist. iVAnnonay, I (1880), p. 26 i, disent encore qu'An-
nonay fut pillé par les routiers. Mais c'est une confusion avec Aymar de Roussillon.
Cf. Mazoiv, Essai hist. sur le Vivarais pendant la guerre de Cent ans (Tournon, 1890),
p. 50 suiv.
3. Cf. Mazon, l. c, p. 127 suiv., où est racontée la présence des Compagnies dans
la région de Jaujac. En 1362, le prieuré de Charay, près de Privas, et la Chartreuse de
Bonnefoi-sous-le-Mézenc reçurent des lettres de sauvegarde. Ihid.. p. 131.
4. Voy. GuiGUE, 1. c, p. S6 suiv.
5. Hist. du Lanffuedoc, t. IX, p. 737. not. 2; L X, p. 1303 suiv.
6. Voy. une lettre de rémission du roi Jean. dansE. Mommi.h, Arnoul d Aiulrehem.
p. 109, not. 4,
LES COMPACnMES DANS LE .MIDI JLSQL'eN 1365 iOO
ecclésiastiques à contribuer à cette rançon K Nous avons vu qu'en
mars 1362, ces mêmes Espagnols, avec Arnoul d'Audrehem^ lut-
taient à Saugues contre les Compagnies; le 3 juin, quatre cents
d'entre eux, avec leur chef, Henri de Trastamare , étaient en
Auvergne, battant devant Montpensier 2 le bour de Breteuil , un
chef des routiers.
Au même temps le Venaissin n'était pas non plus i\ l'abri des
Compagnies. Au moins, craignait-on continuellement à Avignon
qu'elles se rapprochassent, et envoyait-on, à diverses reprises, des
messagers pour observer leurs courses. Le château de Lers, du
diocèse d'Avignon, situé dans une île formée par le Rhône, était un
point fort exposé, aussi s'occupa-t-on sérieusement de sa défense.
De plus, Jean-Fernand de Ilérédia expédiait des messagers en
plusieurs lieux du Venaissin jDour aviser et exciter leurs capitaines •'.
1. Reg. Aven. Innocenlii VI, n" 28, foL 505, ad an, 1362, Mail 2 : « Ven. fratr.
archiepiscopis et... cpiscopis ac dil. fil. personis ccclesiasticis universis coniitatuuni
Provincie et Forqualquerii ac terrarum adjacentium et ad carissimos in Christo fil.
nost. Ludovicum ref:,emet Johannam re^inam Sicilie illustres spectanciumsalutem, etc.
Exhibita nobis pro parte dil. fil. senescalli ac nobilium et comniunitatum comitatuum
Provincie et Forqualquerii ac terrarum adjacentium... peticio continebat quod cum
ipsi ad expellendam de dictis communitatibus societatem Ispanorum pestiferani, qui
terras, loca et bona tam ecclesiaruni ac nionasteriorum et pioruni locorum, quam
secularium personarum eorundem comitatuum et terrarum adjacentium hostili rabie
destrucbant et etiam occupabant, pro servanda generali indempnitate personarum
ecclesiasticarum et secularium comitatuum et terrarum adjacentium predictorum
magnas fccissent expensas, data tandem Ispanis eisdem magna pecunie quantitate,
quam pro niajori parte mutuo receperunt et ex qua per eos dumtaxat solvendo, nisi
per unum subsidium aliqualiter releventur, nimium gravarentur, vobis de vestris
proventibus ccclesiasticis contribuendum in expensis hujusmodi de alicjua congrua
peccunie quantitate licenciam concedere dignaremur. Nos igitur cum aliquibus dicta-
rum comitatuum et terrarum prelatis, qui tune erant in Rom. curia. collatione super
hoc habita diligenti de ipsorum consilio et assensu hujusmodi supplicationibus incli-
nati vobis de quarta parte décime proventuum vestrorum ecclesiasticorum secun-
dum quod decimam ipsam solvere consuevistis, gratuitum subsidium pro dictis
expensis hac vice dumtaxat eisdem nobilibus et communitatibus de speciali gratia
contribuendum... tenore presentium licenciam impcrtimur. Dat. Avinione vj non.
Maii, anno decimo ». Fol. 505'^ suit sous la même date une lettre semblable adressée
« Arelaten. et Aciuen. archiepiscopis ». D'une lettre dT'rbain V du 15 mars 1364, nous
apprenons que les archevêques et les autres dignitaires ecclésiastiques, séculiers et
réguliers, et le sénéchal, les nobles et les communes imposaient « quandam talliam
generalcm vmius floreni auri pro quolibet foco comitatuum ». Alors tous n'a\aient
pas encore payé. Recj. Val., n" 253, fol. 57''.
2. Petit Thalamus, p. 360 suiv.
3. Ces notes sont conservées dans Introït, et e.vit., n" 296, loi. 61 et 61'', 62, 6,s''.
69, ad an. 1362. August. Du « castrum de Lercio », il y est plusieurs fois question.
410 - LA GUERRE DE CENT ANS
A partir de ce moment, on peut abréger l'histoire des Compa-
gnies en notant seulement les points essentiels. La situation d'alors
peut se résumer ainsi : on luttait impuissamment contre ces Com-
pagnies par le moyen des armes, le lieutenant du Languedoc, Arnoul
d'Audrehem, ayant trop peu de troupes à opposer à ces bandes
si nombreuses et si importantes ; de plus , il manquait quelque
peu de génie militaire, et n'avait pas l'initiative de Bertrand Du
Guesclin, qui luttait contre les Compagnies du Nord. Généralement
l'affaire se réduisait à traiter avec l'ennemi. Les Compagnies ne
cherchant qu'à obtenir de l'argent, on les contentait en leur versant
de fortes sommes prélevées sur les habitants, mais ce n'était pas
toujours facile. Les provinces du Midi et du Centre étaient déjà
épuisées. On avait tout perdu par les ravages, les impôts et les
gabelles, et, d'autre part, on n'avait pu recueillir le moindre gain '.
Le 21 juillet, Arnoul d'Audrehem, alors à Clermont, mande aux
sénéchaux que toutes les Compagnies ont l'intention d'envahir le
Languedoc, mais que lui-même se mettra à leur poursuite avec les
Espagnols et ses gens d'armes, et ordonne de mettre les vivres en
sûreté dans les lieux forts '. Cette poursuite ne fut pas sérieuse. Le
23, Arnoul conclut à Clermont, avec ces Compagnies, un traité
en vertu duquel elles devaient évacuer le royaume dans l'espace de
six semaines, sans commettre dès lors aucune sorte d'excès. Les
routiers s'engageaient à prêter serment de foi et hommage au comte
de Trastamare, qui les voulait employer pour faire la guerre à son
frère Pierre le Cruel, roi de Castille; d'autre part, on devait leur
payer 100.000 florins d'or. Les sénéchaussées accordaient à Henri
de Trastamare 53.000 florins d'or. Le 1 3 août, à Paris, un traité
complémentaire intervint entre lui et le roi Jean ^. Dès le 23 août,
on voyait des Compagnies, qu'on appelait « la Grande Compa-
gnie'^ », passer Montpellier et la sénéchaussée de Carcassonne;
ainsi que « de quibusdam malis societatibus que dicebantur venirc » ou << venturc ».
Dès lors certaines pei'sonnes furent conduites sur l<î Rhône à Avignon.
1. On peut voir dans Dongnon, Les Institutions politi(iiies du pays de Languedoc,
p. 604 suiv., la liste effrayante des impôts et gabelles depuis 1356.
2. Acte dans E. Molimer, Arnoul dWudrehem. Pièces justif., p. 241.
3. Hist. du Guesclin, par Chastellet, Preuves, p. 313 suiv., 315. Sur les détails,
voy. CiiÉuEST, 1. c, p. 179 suiv.; E. Molimer, 1. c, p. 107 suiv., 110.
4. « Gentes magne societatis », le roi Jean dans Hist. de Languedoc, X, p. 1298,
n° 493.
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI JLSQU'en 1365 411
vers le 5 septembre, Henri de Trastamare arrivait à Nîmes avec
ses Espagnols, qui étaient la terreur de la ville ^ On crut être
débarrassé, au moins pour un moment, d'une grande partie des
Compagnies; mais ce ne fut qu'une illusion, car elles n'entrèrent
pas en Espagne. Le 15 novembre seulement, elles reçurent à
Pamiers la somme qui leur était due ; après quoi, elles se répandirent
de nouveau, et furent, pendant plusieurs années, la terreur de la
baronnie de Mirepoix dont les habitants s'étaient enfuis en Cata-
logne"^. Plusieurs des Compagnies, et ce fut le plus grand nombre,
prirent parti soit pour le comte d'Armagnac, soit pour le comte de
Foix qui, alors, étaient en guerre. Des Espagnols même revenaient
en France, Henri de Trastamare réclamait la somme que les séné-
chaussées lui avaient promise'^. Ainsi, l'expédition et tous les efforts
dirigés contre les Compagnies avortaient.
Comme nous l'avons vu ^, le 6 juillet 1360, une paix avait été
conclue entre le comte d'Armagnac et le comte de Foix qui se dis-
putaient la succession au comté de Bigorre. Cette paix ne fut pas
de longue durée, car les hostilités recommencèrent peu de temps
après. Le 19 novembre 1362, Urbain V avait déjà appris que les
gens d'armes d'une compagnie stationnant en Gascogne , dans le
diocèse de Comminges, avaient pris au nom du comte de Foix le
château de Saint-Frajou, en pillant, tuant et commettant des hor-
reurs. A cette occasion, le pape exhorte le comte à restituer ce
château à l'évêque de Comminges ^. Mais le comte de Foix n'avait
1. Petit Thalamus, p. 361 ; Mi'-.xard, Jlist. de In ville de finies, II (nouv. éd.),
p. 214 suiv.
2. Ilist. de Lnn(/uedoc, X, p. 1225.
3. Voy. E. MoLiMEU, 1. c, p. 11 i suiv., 118 suiv. C'est seulement vers avril 1363
qu'il toucha tout ce qui lui était dû. Ihid., p. 130.
4. Ci -dessus, p. 268.
5. Reg. Vat. Urb. V, n" 245, fol. 15, ad an. 1362, Novembris 19 : « Dil. filio nob.
viro Gastoni comiti Fuxi, salutem, etc. Nuper ven. fr. nostri Bertrandi cpiscopi
Convenarum lanionfabili expositione dolentcr accepimus quod pentes arniigerc cujus-
dam Societatis, nunc in Vasconic partibus existentis, diocesis Convenarum, ingresse,
castrum S. Fragulphi pleno jure spectans ad ecclesiam Convenarum. tuo nomine ac
favorehostiliteroccuparunt et delinent occupatum. ipsuni castrum spoliando, eosdcm
episcopum et ecclesiam ac in eo tam clericos quam laicos intcrficiendo crudeliter. et
alias rapinas et sacrilegia committcndo in énorme dampnum ipsorum episcoi)i et
ecclesie ac aliarum circumstantium ecclesiarum et subditorum ecclesie memorate
[Supplicanle dicto Bertrando episcopo, eundem comilem hortatur ut, suarum = pro-
cuni primitias ^= excipiens, procurct ut dictuni castrum eideui episcopo restiluatur.
412 LA GLERKE DE CEM ANS
probablement pas encore reçu la lettre du pape quand, le o
décembre, j^rès de Launac, s'eng-ageait entre lui et le comte d"Ar-
mag-nac une bataille, dans laquelle ce dernier fut battu et fait pri-
sonnier avec plusieurs nobles et quelques chefs des Compagnies ^
Urbain V qui, déjà avant la bataille, avait fait aux deux parties des
instances pour le rétablissement de la paix, redoublait maintenant
ses efforts '. Le 14 avril 1363, un traité fut conclu; néanmoins, le
comte d'Armagnac resta prisonnier jusqu'au commencement de
136o, et ce traité fut pour les Compagnies une nouvelle cause de
diffusion, ainsi que cela s'était déjà produit après chaque paix et
chaque trêve. Cette fois il y avait même une raison de plus, car non
seulement on exigeait du comte d'Armagnac une rançon de 360.000
francs, mais plusieurs chefs des Compagnies étaient aussi dans la
nécessité de payer des sommes énormes pour recouvrer leur
liberté ^. Ils retournèrent donc au Languedoc dans le dessein de
rançonner les habitants, soit pour se procurer l'argent dont ils
avaient besoin, soit pour suppléer à ce qu'ils avaient déjà payé.
Les bandes n'exerçaient pas seulement leurs ravages dans le
comté d'Armagnac, mais encore dans celui de Bigorre et dans la
vicomte de Béarn. Ces deux provinces souffrirent beaucoup des
routiers, surtout à partir de 1307. Un des diocèses les plus atteints
fut celui d'Auch. Bien qu'il ne soit pas exact que la ville même de
ce nom ait été, de 1357 à 1371, prise et reprise par les différents
partis et livrée tour à tour au pillage ^, le diocèse de Lombez n'en
était pas moins exposé. Peu de temps avant le 7 juin 1364, un
combat sérieux eut lieu près de Sauveterre, entre une Compagnie
ac intérim evitentur damna ipsius et incolarum castri ejusdem], Dat. Avinione xiii
kal. Decembris, an.I ». Du reste, ce diocèse était, comme beaucoup d'autres, opprimé
par les gens du roi. Voy. la lettre d'Urbain V, du 6 août 1366, dans Be(j. Vat.. n° 248,
fol. 140»'.
1. Petit Thalamus, p. 362. Cf. Hist. du Languedoc, IX, p. 747 suiv.. et A. Molimeii,
ib'id., p. 748, not. 1.
2. Voy. Phou, Etude sur les relations politiques du pape Urbain V avec le roi de
France dans Bibl. de VÉcole des Hautes-Études, 76 fasc. (1888\ p. 16 suiv., Pièces
justifie, iv 5 à 10, 13, d'après les registres du Vatican. Sur les négociations, voy.
ibid., p. 16 suiv.
3. Cf. RouguETTE, Le Rouergue sous les Anglais, éd. de 1887. p. 56. Cf. encore A.
MoMMER, Hist. de Languedoc, p. 749, not. 3.
4. DicouRNEAu, Guyenne hist. et monumentale. 4* partie, p. 167. Cf. par contre
Laffohgue, /TiS^ de la ville d'Auch, I. p. 89 suiv.
LIÎS COMPA(iNrES DANS LK MIDI JUSQu'eN \l\{ji) 4i3
et desg'ens des populations voisines qui, ayant combattu sans avoir
à leur tête un chef expérimenté, furent taillés en pièces ^
En 13(j2, même dans le temps qu'une partie des Compagnies se
trouvait aux frontières espagnoles, le Languedoc était continuelle-
ment infesté, et son état empira lorsqu'au lieu d'entrer en Espagne
les bandes retournèrent dans cette province. Dès lors, les Compa-
gnies n'étaient pas seulement la terreur des trois sénéchaussées,
on les redoutait aussi à Avignon. C'est justement dans le temps
que le Siège apostolique était vacant par la mort d'Innocent VI,
que le camerlingue envoyait un messager vers Béziers pour y exa-
miner la situation d'une Compagnie ~. Vers le même temps, au mois
d'octobre, Nîmes était menacée, et le danger augmentait de jour en
jour •'^. Les bandes se répandirent vers le Nord et entrèrent en Vélay.
L'abbaye bénédictine de Saint- Chaffre-du-Monastier fut tour à tour
occupée et saccagée par des bandes que commandait Gautier
Lescot , et, vers Noël 1362 ^, par Perrin Boias qui, quelques mois
auparavant, se trouvait avec les Compagnies aux frontières espa-
gnoles ^. L'abbaye fut abandonnée par les moines ; les tenanciers
du monastère, obligés de s'enfuir dans les montagnes, ne pouvaient
1. Reg. Val. Urbani V, n° 246, fol. 211'' à 212, ad an. 1364, Junii 7 : « Dil. fil. nob.
viro Arnullb domino de Audrehem, marescallo Francie, Garoli régis Francie illustris
in partibus Occitanis locumtenenti, salulcm, etc. Dolenti significatione niiper nobis
iacta didicinius quod gentes senescalliarum Tholose, Garcassone, ac Bellicadri indul-
gentiam, quam morientibus in defensione patrie ac impugnatione quorumdam detes-
tabilium virorum de comitivis, que dictas partes impugnant... dudum concessimus,
ardorc devotionis accense contra dictas comitivas adco animose procédant quod
quandoque pergunt sine duce ydoneo et alias debitum in hac parte ordinem, non
observant, propter quod hiis diebus nonnuUe dictaruni gentium apud Castrum Salva-
terre, Lomberien. dioccsis, occubuerunt gladiis hujusniodi dctcstabilium impiorum,
[Eundem hortatur ut ordinet ne populi sine ductore experto tam periculosis discrimi-
nibus se exponant, ita quod similis infelix e\ entus, quod absit, de cetero non contin-
gat]. Dat. Avinione vii idus Junii an. II. » Les mêmes lettres furent adressées à
Béziers, Montpellier, Garcassonne, Narbonne, Toulouse.
2. Arch. Vat., Inlr. et exit., n" 296, fol. 70 : « ... De mandate domini camerarii
Jacobo Georgii cursori domini pape misso ad explorandum de quadam socictate
prava, que dicebatur esse in partibus Biterren., pro suis expensis factis m flor. ». Ge
livre porte l'inscription : Innoc. VI. Manunle recept. et expens. Cnm. Ap. ». Gette
partie du volume contient la période qui s'étend depuis la mort d'Innocent (12 sep-
temlîre 1362) jusqu'au 6 novembre, « qua die Urbanus V fuit coronatus »>.
3. MiiNAni), 1, c, p. 217.
4. Hist. de Languedoc, t. X, p. 1306.
5. Petit Thalamu;;, p. 361. Cf. U. GHEVAi-irn, Cartnlaire de Vabbaye de Saint-
Chaffre-du-Monastier^ p. xxix, not. 2.
414 LA GL'ËRRE DE CENT ANS
acquitter leurs redevances ^ Tous les environs étaient ruinés par
suite des courses qu'y faisait Perrin Boias et par l'innombrable
quantité d'incendies qu'il alluma dans tout le pays. C'est seulement
le 8 mars 1363 que Perrin fut chassé par les troupes de Pierre
Raymond de Rabastens -, sénéchal de Beaucaire ^ ; mais cela servit
peu. Dans la même année, nous trouvons en Vélay le chef le plus
redoutable des Compagnies, Seg-uin de Badefol, duquel les habi-
tants ne surent se débarrasser qu en composant « cum ipso et ejus
tirannida societate ». Ceci ce passait dans les premières semaines
qui suivirent l'occupation de Brioude en Haute-Auvergne par
Seguin. Il vint accompagné d'une cohorte de gens d'armes jusqu'à
Vals-le-Chastel et Paulhaguet, non loin du Puy ; là, ils emprison-
naient les habitants qu'ils rencontraient, les rançonnaient en les
menaçant d'arracher leurs vignes, et commettaient de telles
cruautés que les consuls du Puy, pour éviter un plus grand mal,
étaient également obligés de composer avec Seguin. Le 13 octobre
1363, Arnoul d'Audrehem lui-même autorisa les habitants du
Vélay à s'imposer une aide extraordinaire pour payer rançon à ce
brigand^.
Un autre capitaine des Compagnies, lieutenant de Bertucat d'Al-
bret, (( Sobrossa ^ », qui avait le commandement de mille cavaliers,
prit et incendia Florac en Gévaiidan^ au mois de mars 1363 ^.
1. MÉXARD, aiic. éd., II, Preuves, n° 155; nouv. éd., p. 211.
2. Cf. Bahdox, Hist. de la ville d'Alais, p. 63, no . 2,
3. Voy. E. MoLiMiîR, Vie d' Arnoul d'Audrehem, p. 164, not. 6, et Pièces justifica-
tives, p. 312 siiiv. Les faits y sont placés à Tan 1364. Mais je crois qu'on doit distin-
guer deux in\asions, la première celle de Seguin de Badefol, en 1363, après la paix
de Brioude, et celle de Louis Roubaut, lieutenant de Seguin, en 1334. Les faits sont
sûrs, mais il y a des difficultés pour les dates.
4. MÉNARo, Preuves, n" 142 ; Luge dans Froissart, p. xxxiv, not, 1.
5. BoiJDET, La Jacquerie des Tucliins, U 63-138^4, p. 12, not. 4, écrit Fabrossa ou de
Fabrousse. Mais il se peut que ni Tun ni l'autre ne soit le vrai nom. Au moins dans
la lettre de Grégoire XI du 23 avril 1372, dans laquelle plusieurs chefs des Compagnies
reçoivent l'absolution et les pénitences (voy. ci-dessous, § 8), Tun d'eux est appelé :
Bernardus de Sabresia (aussi Sabrosia), et il est nommé avec Bernard de Mauléon et
Mingot de Ceritola. Boudet y fait encore, par erreur, deux personnages de « Penim-
bourg » et de « Perrin Boias ».
6. MÉNARn, 1. c, n° 128. Prouzet, Annales pour servir à Vhist. du Gévaudan (1843
suiv.),et Hist. du Gévaudan (1846 suiv,), ne donne pas de renseignements nouveaux.
De BuRDiiX, Documents histor. sur la province de Gévaudan (1846, 1847) est absolu-
ment inutile pour cette époque.
LES COMPAGxNIES DANS LE MIDI JLSQu'eN ^ 3Go HT)
Bientôt, les Compagnies se montrèrent tout près de Mende i, et le
19 août, Bérard d'Albret, Tonnet de Badefol, frère de Seguin, et
quelques autres s'emparèrent du château voisin de Baleine ; ayant
rançonné les habitants, ils abandonnèrent le château après, quinze
jours 2, Le Gévaudan ne fut pas pour cela débarrassé des Compa-
gnies. Après s'être emparées du château de La Roche, au diocèse de
Saint-Flour, elles firent, en 13Gi, des incursions dans le diocèse
de Mende, dévastant les terres des habitants et causant partout de
grands dommages. Urbain V en avisait le sénéchal de Beaucaire et
l'engageait à aider la population qui se préparait à chasser les
bandes '^\ Peut-être les malheureux habitants du Gévaudan s'en
tirèrent-ils avec succès; mais bientôt après, en 1360, ils furent cri-
blés de nouveau par des sujets du prince de Galles qui, après s'être
emparés des hommes et des animaux, les emmenaient avec eux'*.
Nous avons déjà vu, dans le troisième chapitre J, qu'une des
provinces les plus malheureuses était la Haute- Auvergne \ déjà, le
1. MÉNAUD, 1. C.
2. Petit Thnlnmus, p. 363. Dans Hist. de Languedoc, IX, p. 741, maie ad an. 1362.
3. Recf. Vat. Urhnni V, n" 2 46, fol. 260^ ad an. 1364, Julii 24 : « DiL fil. nob.
viro Pctro Raymûndo de Rapistagno, domino de Campagnaco, senescallo Bellicadri,
salutem, etc. Sicut tua nobilitas non ignorât, dudum perverse illegentes comitivarum
castrum de Rupe, Sancti Flori dioces., invaserunt ac detinuerunt, prout detinent
occupatum, et inde Mimatcn. diocesim, que in tua senescallia consistit, discurrunt,
messes et alla bona eccclesiarum et incolarum illius patrie dévastant et consumunt,
ipsisque incolis et ecclcsiasticis personis ejusdcm patrie multiplicia dampna inférant
et jacturas. Propter que, sicut nuper audivimus, gentes ipsius patrie se préparant ad
expellendum occupatores hujusmodi [Rogateundem ut auxilium ferat in praemissis].
Dat. Avinione ix kal, Augusti an. II ».
4. Reg. Vat. Urhani V, n" 248, fol. 95, ad an. 1366, Maii 27 : « Dil. fil. nob. viro
Edwardo, Aquitanie et Wallie principi, salutem, etc. Audivimus nuper admodum
displiccnter quod gentes tue scu tui scncscalli Ruthenen. terram regni Francie in
patria Mimatcn., de qua originem traximus, liostiliter intravcrunt, homines et anima-
lia capiendo et etiam abducendo. Gum itaque de hiis, si vera sint, eorum causam
ignorantes, plurimum adniircmur et proinde ofï'ensis gentibus dicte patrie, quas inno-
centes credimus, singulari compatiamur all'ectu, et gentes régie prout nobis dixerunt
parate sint pro se et incolis dicti regni stare juri super omnibus tuis et tuorum subdi-
torum querelis, quas tu et ipsi vclletis faccre contra eos, nobilitatem tuam paterne
rcquirimus et rogamus attente ([uatenus super tante olï'ense satisfactione sic vclis
eflicaciter et celoriter providere, quod exinde aliud majus scandalum non succrescat.
Dat. Avinione vi kal. Junii anno IV ». Suivent des lettres du même sujet adressées
« nobili viro Johanni de Ghandos, vicecomiti S. Salvatoris », et « nob. viro.. senes-
callo Ruthenen. ». Du reste, on peut voir d'autres documents dans Prou, Étude sur
les relations politiques, etc., p. 103, n° 21, p. 107, n" 23.
5. Voy. ci-dessus, p. 262.
416 LA GUEURK DE CENT AN^
2 juin 135 i, le diocèse de Saiiit-Flour avait reçu la bulle Ad repri-
jïiendasK La situation devint plus précaire en 13G1, quand éclata
la révolte de Thomas de la Marche, bâtard de France, lieutenant du
duc de Bourbon dans les Montag-nes, qui avait été destitué de tous
ses biens lors de la création du duché de Berry et d'Auvergne en
octobre 1360 et à la suite d'un différend avec le comte dauphin.
Exaspéré, Thomas pour se dédommager se jeta dans le brigandage ;
il occupa dix-sept châteaux dans le nord-est du diocèse et mit tout
à feu et à sang sur son passage. Les paysans, désertant en masse
les villages, fuyaient à son approche pour se réfugier dans les villes
closes entre Saint-Flour, Brioude et le Puv. Au retour, ils trou-
vèrent leur pays couvert de décombres et réduit à la famine -. Saint-
Flour même fut attaqué, et ses faubourgs furent plusieurs fois
brûlés 2. En 13()2, l'état de la ville empira quand les Compagnies
anglaises et espagnoles l'attaquèrent successivement. Le chef des
premières était un certain Sennezergues, celui des bandes espa-
gnoles était don Sancho \ frère de Henri de Trastamare. Pour
comble de malheur, les Compagnies de Bertucat d'Albret et de
Seguin de Badefol dévastaient aussi le pays. Le premier s'empa-
rait du château de Montbrun, près de Saint-Flour, ce qui met-
tait en danger cette dernière ville. Vers le mois de juin, les
troupes de Saint-Flour, composées de quatre ou cinq cents
hommes, marchèrent contre l'ennemi et lui livrèrent, sous les murs
de Montbrun , une bataille dans laquelle trois cents Sanflourains
furent tués ou blessés, mais où Bertucat d'Albret fut fait prison-
nier ^ Mis en liberté par l'entremise du vicomte de Murât, Bertucat
marcha contre Saint-Flour, comme le faisaient également les
1. Recf. Aven. Gregor. XI, n" 21, fol. 313''. Grégoire XI confirma la bulle d'Innocent
le 12 avril 1374.
2. P. Anselme, l. VII, p. 704; CnASSAixa, Spicil. Brivalense^p. \uï, et p. 356, n" 130;
BOUDET, 1. c, p. 12.
3. BouDET, Assauts, sièges et hlocus de Saint-Flour, dans la Revue d'Auvergne,
9« année (]893;t, p. 344 suiv.
4. Voy. la lettre de rémission de 1366 dans Hist. de Languedoc, t. X, p. 1370. Je ne
comprends pas pourquoi A, Mommer, ibid., et not. 1 ; IX, p. 775, not. 1, 2" col., et
BouDET, 1. c, p. 344, écrivent « Fanho », ou « Dontanho », comme écrit le ms.
5. BotiDET, p. 341 suiv. Il est aussi question de ce combat de Montbrun dans Hist,
de Languedoc, X, p. 1368, 1371.
LKS COMPAGNIES 1)ANS LE 3HDI JLîSQu'eN 136îj 417
troupes du vicomte. Dans la même année, Murât, Pierrefort, Saint-
Urcize furent détruits et les faubourgs de Saint-Flour dévastés ; la
misère de la population était extrême ^
Le 13 septembre 1363, avec une grande Compagnie, Seguin de
Badefol s'emparait de Brioude - où était un célèbre chapitre, dont
la prévôté était alors au cardinal Pierre-Roger de Beaufort qui,
quelques années après, devint pape sous le nom de Grégoire XI.
Badefol avait bien calculé. Le chapitre, composé de quatre-vingts
chanoines, en général de nobles familles, était très riche et avait de
grandes possessions ; la ville même était peuplée et très opulente •^.
Quel butin en perspective ! En effet, Téglise et le chapitre furent
dépouillés d'une façon déplorable ^, les chanoines rançonnés , et
quelques-uns maltraités, comme le raconte Urbain V qui, le
1. BouDET, p. 342 suiv.
2. Petit Thalamus, 1. c. Mazure, VAuverçfne au quatorzième siècle, p. 43 suiv., 48,
et Saint-Ferhéol, Notices hisl. sur la ville de Brioude, p. 44, sont inexacts sur ce
point et sur les faits connexes.
3. Clément VI adressait, le l*"" juillet 1342, cette lettre au chapitre : « Dil. fil. capi-
tule ecclesie Brivaten. ad Rom. ecclesiam nullo medio pertinentis Sancti Flori dioc.
salutem. Ecclesiam vestram... Sane petitio vestra nobis exhibita continebat quod in
ecclesia vestra, que ab omni lege dyocesani exempta per specialia sedis apostolice
privilégia et eidem sedi immédiate subjecta fore dinoscitur , octuaginta canonici,
quasi omnes persone notabiles, mitras velut episcopi déférentes, existunt, de quorum
numéro quatuor prelati, videlicet Anicien. et Mimaten. episcopi, nec non Case Dei
Glaramonten. dioc. et Majoris Monasterii Turonen. monasteriorum abbates, O. S. B.,
qui sunt pro tempore, fore noscuntur, ex privilégie sedis apostolice speciali, quodque
ipsa ecclesia alias est insignis, tum propter plures comités, vicecomites, dalphinum,
barones et potentes alios qui dicte ecclesie sunt vassalli, tum etiam quia vos omnia
et singula que episcopus in suis civitate et diocesi exercerepotest (hiis que sunt ordi-
nis episcopalis dumtaxat exceptis), potestis in dicta ecclesia [exercerej et etiam exer-
cetis, quodque si clerici sub ea forma litteras, secundum quam pro pauperibus cleri-
cis beneficiandis interdum dicta sedes scribere consuevit, a sede predicta pro tem-
pore impétrantes pretextu litterarum ipsarum admitterentur ad canonicatus et pre-
bendas vcstre ecclesie memorate, derogaretur honori et nobilitati ejusdem ac bono-
rum et jurium ipsius defensio dcmeretur..., nos vobis quod clerici ab cadem sede in
predicta forma pro tempore impétrantes pretextu litterarum ipsarum jus in prebendis
ejusdem Acstre ecclesie habcrc seu vindicare non possint... indulgemus. Dat. Avinione
kal. Julii anno primo » [Reg. Vat., n° 155, ibl. l"i). Encore un siècle après, en 1 iG2,
le chapitre dit qu'il a « multa magna et notabilia terras, redditus atque dominia conti-
gua et co[h]erentia terris et dominiis comitum, baronum et aliorum majorum dicte
patrie, necnon in villa Brivaten. populata et valde locuplete omnimodam jurisdictio-
nem » {Reg. Vat., n" 534, fol. 282'').
4. Lettre d'Urbain V, adressée au prince de Galles, le 3 octobre 1363, dans Reg.
Vat., n" 245, fol. 269; Moisaxt, Le Prince Noir, p. 267 suiv. Mais cet auteur identilie
« Brivacen. » [sic) avec « Brives » ! Le pape s'adressa au prince, parce que Badefol
et beaucoup de ses bandes étaient de ses sujets ou des Anglais.
R. P. Denikle. — Desolatio ecclesiarum II. 27
418 LA GUERRE DE CENT ANS
25 novembre 13Gi, adressait à ce sujet à l'archevêque de Lyon
et aux évêques du Puy et de Saint-Flour la bulle Ad reprimen-
dasK Cette même bulle fut donnée le 24 janvier 1365 pour
la ville de Turlande, dont la paroisse et toute la ville étaient
incendiées -. Pendant l'occupation de Brioude , les bandes de
Seguin faisaient main basse sur tout ce qu'ils trouvaient dans les
Montag-nes et les provinces voisines, et cela dans un immense
rayon ; Brioude était devenu un vaste magasin de butin.
Il paraît qu'après la prise de Brioude, une bande de trois cents
glaives se détacha de Seguin de Badefol pour aller à Beaucaire.
C'est de la venue de cette bande que les Alaisiens, avisés par les
consuls de Mende, préviennent les Nîmois le 30 septembre ^. Dans
les premiers jours de septembre, les sénéchaussées de Beaucairtï et
de Carcassonne s'étaient cru désormais à l'abri des Compagnies; le
9 de ce mois, Arnoul d'/Vudrehem congédiait les gens d'armes qui
avaient lutté avec succès contre les bandes dans ces régions ; on
croyait que les ennemis avaient évacué les places du Gévaudan '*.
Mais bientôt le sénéchal de Beaucaire avertissait les Alaisiens que
la sénéchaussée était envahie par les Compagnies, et il ordonnait
de coviper des arbres, afin qu'on pût mieux apercevoir l'ennemi^.
Comme on le voit, c'était un llux et un reflux continuels qu'il est
impossible de suivre.
On aurait tort de croire que Seguin de Badefol ne quittait pas
Brioude. Ce n'eût pas été dans son caractère. Laissant dans cette
ville une forte garnison, il s'était jeté sur le Forez et le Lyonnais.
En octobre de la même année, il exploitait les environs de Roanne^,
occupait ensuite l'abbaye bénédictine de Savigny et ne l'évacua que
moyennant une forte somme dont le payement ne fut complètement
1. Reg. Aven. Urban. V, n° 11, fol. 504^: « vij kal. Decembris an. tertio ». Dans
Beg. Vat., n° 254, fol. 107'\ l'ancien copiste a écrit à tort : « vij kal. Septembris an.
tertio », c'est-à-dire le 26 août 1365.
2. Reg. Aven. Urhun. F, 1. c, fol. 514'' : « villa Lurlanghas ». Voy. sur le nom E.
Amé, Diclionn. topograph. du Cantal (1897), p. 501 et 589.
3. Bardox, Hist. de la ville d'Alais, p. 64.
4. MÉNARD, anc. éd., II, Preuves^ n° 137.
5. Bardon, 1. c.
6. Huillard-Bréholliîs, Inventaire des titres de la Maison ducale de Bourbon, I
(1867), no 3396.
Les coMPAG^'îEs dans le Mibi jusql^en 136o 419
effectué que le 8 août 13Gi '. Seguin dut probablement y laisser
jusque-là une forte g-arnison, parce que lui-même retourna à
Brioude avant ce terme. On voit par tout ceci de quelles forces dis-
posait ce chef des Compagnies. Luce dit que, cette même année, il
occupa encore Montbrison -. Mais ce fait arriva probablement plus
tard, en 1365, comme nous le verrons.
Pendant l'occupation de Brioude , nous trouvons sur la route de
cette ville à Saint-Flour, à Vieille-Brioude, une bande différente
des autres, qui tentait de dévaliser également les Compagnies et les
habitants. Les hommes qui composaient cette bande s'appelaient
déjà alors Tuchins^. Ils s'emparèrent du château de Ravel, où,
bloqués par le vicomte de Polignac, ils furent mis à mort ^. Mais il
est douteux que les pillards de la société de Mignot de Cardaillac
qui, vers la fin de 1363, prirent l'église de Paulhac et parcoururent
tout le pays en le dévastant et* en rançonnant les habitants, aient
été des Tuchins '\ C'était plutôt une Compagnie comme toutes celles
dont il a été parlé précédemment ; elle était composée de compa-
gnons de Seguin de Badefol ou de plusieurs autres Compagnies ; il
1. GuiGUE, \. c, p. 96, not. 1 et 2.
2. Du Giiesclin, p. 478.
3. Arch. nat., JJ 98, cilé par Du Cange-Hrnschel, VI, p. 692 : « tuchinus », et
ensuite, par Portal, Les insun^ections des Tuchins dans les pays de langue, d'oc, dans
Annales du Midi, année 1892, p, 440, 453 ; Boudet, La Jacquerie, etc., p. 13. Mais
Portal se trompe, s'il croit 1. c, et p. 466, s'appuyant sur Luce, Du Guesclin, p. 272
suiv., qu'en 1356 et 1357 la Normandie était ravagée par des bandes de Tuchins. Il ne
s'est pas aperçu que le nom de « tuchins » était employé par Luce lui-même ; c'est
lui qui appelle tuchins les « guetteurs de chemins » de Normandie. Le premier acte
cité par Luce, où se trouve le mot « tuchin », est de 1376 (p. 273, not. 3). Du reste,
dans les documents apportés par Luce, il ne s'agit pas des « bandes », mais de quelques
tuchins, c'est-à-dire de brigands, de routiers et de larrons, qui exerçaient leur métier
comme cela s'est vu dans tous les siècles jusqu'à notre temps. Reste donc le document
cité par Du Gange, le premier jusqu'à présent. Je ne comprends pas comment BornEX,
p. 14, pouvait prétendre que Du Gange cite une charte de 1364, « sans dire le pays
où les Touchins se trouvaient », lorsque Du Gange en publie le passage mentionnant
Seguin de Badefol, « villam de Brivata » et « quod in Veteri Brivata morabantur
Tuchini ». Boudet propose (p. 2, 119 suiv.) comme signification du mot « tuchin »,
d'après le patois d'Auvergne : Tue-chien. Les Tuchins Tormaient des associations
par serments ; c'était une espèce de secte d'hommes misérables. Leur but était la
rébellion, la sédition, au moins à partir de 1382 dans le Midi. GL sur cette question
compliquée, Portal et Boudet. Gependant il est bien douteux que les tuchins aient
été déjà organisés, dès 1363, comme depuis 1380.
4. Boudet, l. c, p. 13 suiv.
5. Cf. le document dans Hisl. de Languedoc, X, p. 1363 suiv.
420 LA GUERRE DE CENT ANS
faut dire de même des autres bandes qui se saisirent des châteaux
de Vigoureux, d'Albepierre, de Fonrose, etc., et qui mirent en fuite
les habitants de Murât *.
Gomme il a déjà été remarqué, les troupes de Seguin de Badefol
étaient nombreuses ; cela est confirmé par une bulle d'Urbain V,
datée du 5 juillet 1364, où il annonce à tout le monde que des scé-
lérats sont assemblés en très grand nombre au diocèse de Saint-
Flour; le pape retrace , comme dans la première bulle solennelle
qu'il écrivit le 27 février 1364 contre les Compagnies, les innombra-
bles excès auxquels elles se livrent, leurs pillages, vols, incendies,
meurtres, viols, sacrilèges, et ayant appris que l'évêque et les habi-
tants de Saint-Flour et d'autres pays veulent aller combattre ces
bandits , il donne pleine indulgence à ceux qui mourront en com-
battant contre eux -.
Pourtant ce ne fut pas à la suite d'une défaite que Seguin de
Badefol évacue Brioude, Varennes et tout ce pays. Quand Urbain V
promulguait la seconde bulle, peut-être ignorait-il que les 4 et 30
avril 1364 un traité avait été conclu entre les États d'Auvergne
d'une part, et Seguin de Badefol, Bérard d'Albret et plusieurs
1, BounET, p. 14, 15. Cf. les sources indiquées dans Luce, Du Guesclin, p. 469.
Boudet trouve partout dans le diocèse des tochis; quand, dans les actes, il s'agit de
« socii », des pillards, il les regarde comme des tuchins. Mais, comme nous avons vu,
les compagnons des Compagnies furent également nommés « socii », « sociales », et
dans leurs actes et crimes, ils ne se distinguèrent pas des tuchins. Et comme ceux-
ci, les membres des Compagnies étaient liés entre eux par des serments, ce que j'ai
fait remarquer dans l'Introduction à ce paragraphe, p. 381 suiv. Cela n'empêche pas
que les tuchins avaient encore en surplus des serments,
2. Reg. Vat. Urh. F, n" 251, fol. 294''. Ven. fratri...episcopo Sancti Flori salutem,etc.
Hodie adversus iniquitatis filios contuberniones seu socios de quibusdam pravis comi-
tivis seu societatibus certe indulgcntie concessioncm per ap.*"*' litteras fecimus sub
hac forma : Urbanus, etc. Ad futuram rei mem. Cogit nos presentis malitia temporis...
Sane sicut jam in publicam notitiam credimus pervenisse, nonnuUi viri nefarii de
diversis nationibus in multitudine gravi in dioc. Sancti Flori congregati, omni justa
causa postposita, cunctis prout possunt exhibentes se hostes acerrimos... [La teneur
est prise de la bulle du 27 février ; cf. le second paragraphe]. Quia prout audivimus tu
ac nobiles plebei dictarum civitatis et diocesis Sancti Flori contra dictas impias
societates intenditis procedere manu forti... [ad ejus preces iis omnibus qui in pugna
contra dictas pravas societates vel ex receptis vulneribus ibidem decesserint,
plenam remissioncm peccatorum de qui bus corde contriti et ore confessi fuerint ad
biennium concedit]. Dat. Avinione m non. Julii an II. Quocirca fraternitati tue...
mandamus quatenus in tuis cathedrali ac aliis tuarum civitatis et diocesis ecclesiis...
predictas litteras... salenniter publiées et exponas populo in vulgari. Dat. Avinione
ui non. Julii anno II ».
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI JUSQu'en i36o 121
autres chefs des Compagnies de Brioude et de Varennes d'autre
part, pour l'évacuation de ces deux villes, de tout le pays des Mon-
tagnes d'Auvergne et du Velay et de la partie du Gévaudan dépen-
dant du Dauphiné d'Auvergne. La somme qu'on devait payer aux
routiers était fixée à 40.000 florins d'or ^ Seguin promettait de se
retirer après le premier versement de 15.000 florins. Toutefois, c'est
seulement vers la mi-juin que les deux places furent délivrées, et
des garnisons ennemies restèrent dans les environs jusqu'à la fin
de juillet, attendant que le dernier payement fut effectué ~.
Tout ceci était un bien faible soulagement pour ce malheureux
pays qui ne pouvait pas même jouir de cette paix. Depuis quatre
ans environ une partie du diocèse de Saint-Flour était opprimée par
un officier du duc de Berry et d'Auvergne, Guibert de Marcenat,
terrible persécuteur des églises et monastères. En 1360, il s'était
associé des Compagnies, et, avec leur aide, s'emparait d'Aurillac,
où était une célèbre abbaye bénédictine, et commettait toute espèce
de sacrilèges, crimes, vols, incendies. A partir de ce moment,
l'abbaye et les environs furent exposés aux cruautés de ce scélérat
qui se nomma lieutenant du duc de Berry dans les Montagnes
d'Auvergne-^. En 1364, il prélevait sur les ecclésiastiques des
1. Voy. le traité dans Ciiassai^g, Spicil. Brivatense, p. 361 à 368.Luce. Du Guesclin,
p. 478 ; Froissart, p. xxxv, not. 3, ne cite pas le traité du 30 avril, mais une conven-
tion semblable de Clermont, du 21 mai. Ensuite Boudet, La Jacquerie, etc., p. 17,
not. 3, parle de deux traités, Fun du 30 avril et lautre du 21 mai. Mais je crains qu'il
y ait une confusion. Le traité fut approuvé « die martis ante festum Adcencionis
Domini » (voy. Chassai>g, p. 361). Le mardi avant la fête de l'Ascension tomba le
30 avril en 1364. Luce a probablement lu« die martis ante festum Corporis Domini »;
ce mardi tombe, en effet, le 21 mai.
2. Boudet, 1. c.
3. Reg. Vat. Urhani V, n° 247, fol. 28, ad an. 1365, Januarii 19 : « Car. in filio
Carolo régi Francie illustri, salutem, etc.. Nuper dil. fîlius Petrus abbas monasterii
Aureliaci, O. S. B., Sancti Flori dioc, ad Boni, eccles... immédiate spectantis, nobis
cxposuit conquerendo quod dudum, antequam cl. me. Johannes rex Francie gcnitor
tuus de patria Alvernie creasset ducatum illamque dil. filio nob. viro Johanni Bitu-
ricen. et Alvernie duci fratri tuo donassct, nobilis vir Guibertus de Marcenaco, miles
Sancti F'iori dioces., tune existens prout existit familiaris dicti ducis, dampnabilium
comitivarum sociatus villam dicti loci Aureliaci et aliam certam terram consistentem
in Alvernia ad pref. monasterium pertinentes more predonico invasit et hostiliter im-
pugnavit, sacrilegiahomicidia, rapinas, adulteria, stupra ac incendia aliaque delestanda
scelera committendo, ex hiis... excommunicationis sententiam in talia committcntes
a jure prolatam... incurrendo,quodque non solum non studet super hiis sue providerc
saluti, penitendo et satisfaciendo saltem aliqualiter de premissis, sed nunc prolocum-
422 LA GUERRE DE CEIST ANS
Montag-nes et sur les sujets laïques du monastère trois florins d'or
par feu, et s'en excusait en faisant valoir que la somme lui servirait
pour payer une Compagnie qui ravageait le pays, prétendant que,
moyennant cet argent, il la forcerait à évacuer. Peut-être était-ce
la Compagnie de Seguin de Badefol ; mais on disait alors que Gui-
bert même entretenait des relations avec ces bandes et partageait
l'argent avec elles ^
Louis de Navarre, frère puîné de Charles le Mauvais, qui, vers la
fin de 1363, traversa l'Auvergne, d'Aurillac à Saint-Pourçain,
causa encore d'autres tribulations à ce pays. Dans sa bande, qui se
composait de plus de mille hommes, se trouvaient plusieurs chefs
de Compagnies -. Je reviendrai sur ce sujet en racontant les ravages
des Compagnies en Berry.
tenente dicti ducis in bailivia montium Aivernie se gerens sub unibra sui olïicii et
jurisdictionis ducis ejusdem dicta monasterium. villam et terrain, quamvis dux ipse
in eis nullani habeat potestatem... vexarc et opprimerc... non veretur [Hortatur
eundem ut provideat super praemissis ac per eundem ducem provideri faciat; idem-
que miles de suis excessibus plectatur]. Dat. Avinione xni kal. Februar, an III ». II
y a encore d'autres lettres semblables. Bouange, Saint Géraud dWiirillac et son
illustre abbaye (Aurillac, 1881), II, p. 164, est inutile pour tout cela.
1. Reg. Vat. Urbani V, n° 24 7, fol. 38, ad an. 1365. Januarii 31 : « Dil. filio nob. viro
Johanni Bituricien. et Aivernie duci, salutem, etc. Fidedigna relatione percepimus
quod olïiciales tui, preserlim Guirbertus de Marcenaco, miles Sancti Flori dioces.,
ofliciarius tuus, qui ecclesiarum et monasteriorum illarum partium assiduus impu-
gnator et dirus persecutor ac libertatis ecclesie conculcator tanquam hostis capitalis
asseritur, per certos eorum... commissarios talliam trium florenorum auri pro quoli-
bet foco personarum ecclesiasticarum Montanorum patrie Aivernie exigere satagunt,
easdemque personas nituntur compellere etiam per gentium armorum potentiam,
ad solutionem florenorum hujusmodi faciendam. asscrcntes se velle pecuniam prefa-
tam exigere ut ipsam persolvant detestandis gentibus, quas in partibus illis in socie-
tatem unam immanitas scelerum congregavit, quibus sceleratis gentibus idem Guir-
bertus dicitur non solum manifeste fa^ere, sed earum esse particeps spoliarum,
propter que et alia dicti Guirberli detestanda facinora florenorum hujusmodi quanti-
tas dictis gentibus (sicut quandoque ad redimendas vexationes dari solet) presumitur
aut non danda aut per ipsum Guirbertum cum eisdem gentibus dividenda. Cum
itaque prout audivimus hujusmodi tallia pluries sit imposita et levata et predicta de
tue nobilitatis assensu procedere non credamus... [Hortatur eundem ut remedium
super praemissis apponat,ut personaeipsae ecclesiasticae non ulterius graventur, dic-
tus que Guibertus ab hisce suis malignatibus compescatur : qui, si vera sunt quae de
ipso dicuntur, sententiis et poenis, a se, instante Carolo rege Franciae ejus fratre,
contra fautores dictarum socielatum latis', subjacet.] Dat. Avinione ii kal. Februarii
an. III ». Ibid. suit une lettre sous la même date « Carolo régi Francie », et fol. 43 :
« abbati monasterii de Menaco (Menât) O. S. B., Claromonten. dioc.ij non. Februa-
rii ». Dans cette dernière : « pro quolibet foco tam a personis eccles. Montanorum
Aivernie, quam secularibus subdictis monast. de Aureliaco ».
2. Fkoiss.vut, éd. Lucii, p. lx suiv.: Boldet, 1. c, p. 18.
LES COMl'AGMES DA.NS LE MllJf JLS'^LEN 1365 423
Enfin, comme si ce n'eût pas encore été assez pour l'Auvergne, une
guerre sauvage entre les familles de Murât et de Cardaillac pour la
possession de la vicomte de Murât s'ajoutait encore à tous les
maux dont il a été question. Les deux partis prirent des Compa-
gnies à leur solde ; une quantité de châteaux et de villages furent
détruits ou incendiés ^ .
On comprend que ces malheurs épuisèrent complètement le
pays. En 136(i, la commune de Saint-Flour et les sujets de l'église
se plaignent auprès du Saint-Père de ce qu'étant déjà presque rui-
nés par les voleurs, ils sont maintenant opprimés par les officiers
royaux 2. C'est pour cette raison que le 11 septembre de la même
année, le pape refuse au duc de Berry la permission de lever une
aide sur les prélats et ecclésiastiques du duché d'Auvergne dans le
but de protéger ce pays contre les Compagnies, parce que, dit-il,
tous sont trop accablés par les guerres et par les décimes que lui-
même a permis de prélever, en 1305, pour faciliter l'extirpation
des routiers -^
La Basse- Auvergne , quoique moins éprouvée, ne fut cependant
pas épargnée. Nous avons déjà vu plus haut qu'en 1361 trois
grandes Compagnies étaient en Auvergne. De plus, Maurice de
Tréziguidy, qui, au nom du roi de France, occupa la forteresse de
Plauzat en 1367, mettait, avec ses Bretons, le pays environnant
dans un tel état de pillage qu'en 1361 les seigneurs s'engagèrent à
lui payer 11.000 florins d'or, à condition qu'il évacuerait ladite for-
teresse ^. Après la bataille de Briguais, des Compagnies visitèrent
une autre fois l'Auvergne, et après avoir restitué Brioude, Seguin
1. BOUDET, 1. C.
2. Reg. Vat., n" 248, fol. 68, ad an. 1366, Martii 30.
3. Ihid., fol. 153'' ad an. 1366, Septemb.»lJ : « Dil. lil. nob. viro Johanni duci Bilu-
riccn. et Alvernie, salulem, etc. Nuper diL fil. nob. vir. Amalricus miles Narbonen.,
doniinus de Talayrano, tuas litteras credentic déferons, pro parte tua nobis humili-
ter supplicavit, ut cuin prelati et clerici ac persone ecclesiaslice tui ducal us Ahernie
tibi dare aliquod pecuniale subsidiuni pro tuendo ducatum cundeni a socictatibus cis
super hoc licentiani concedere dignaremur. [Licet ejus petitioni pontifex annuere
cupiat, quia tamen eaedem personae eccles. ob decimam biennalem, superiori anno
a se pro repulsione dictarum societatum oisdeni impositani, ac propler gucii'as et
damna illata nimium sint gravatae : licentiani liujusmodi se dare posse non videt.]
l)at. A^ inione iij id. Septembris an. ÎV »,
i. LucK, Du Gnesclin, p. i06,
424 LA GUERRE DE CENT ANS
de Badefol s'empara du Pont-du-Château , pendant que Bertucat
d'Albret occupait Beaumont près de Clermont, le 5 octobre 136i,
et Marsat près de Riom, quelques jours après. Au même temps,
Arnaud d'Albret alla prendre le château Blot ' .
Seguin de Badefol poursuivait un autre but ; il voulait se jeter
sur le Lyonnais. Sa chevauchée dans ces régions Tannée précédente
n'était autre qu'une marche de reconnaissance. Dès 1361, le Forez,
le Beaujolais et le Lyonnais ne furent jamais sans quelques Compa-
gnies qui ravageaient ces contrées dont les populations étaient con-
tinuellement obligées de se tenir sur la défensive ~. Le 3 juillet
L363, les ecclésiastiques et les laïques de Lyon s'engagèrent à payer
1.200 florins d'or à Arnoul d'Audrehem, à condition qu'il chas-
serait les ennemis du pays ^. Mais le maréchal d'Audrehem n'était
pas l'homme qu'il eût fallu en cette circonstance. Le pays fut
dévasté comme auparavant. Vers la fin d'octobre 1364, Seguin de
Badefol menaçait Lyon, mais les habitants s'étaient mis très sérieu-
sement en garde; puis au même mois, Arnoul d'Audrehem se
rendit dans cette ville avec ses gens d'armes'*. Seguin s'abattit
alors sur Anse, ville située au nord de la capitale du Lyonnais, sur
la Saône, et qui appartenait à l'église de Lyon ; il la surprit et s'en
empara vers le 1*^'' novembre'. Par sa position, cette ville com-
1. BouDET, 1. c, p. 17 suiv. LucE, Dn Guesclin, 1. c, dit que Blot-le-Chùteau était
occupé de 1360 à 1365, et qu'il fut racheté avant le 2 août 1365 par Louis duc de
Bourbon à Bertucat d'Albret, moyennant 1.000 florins. Cette dernière remarque est
juste. Mais il me semble qu'au sujet de 1 occupation du château il y a une confusion
entre Blet en Berry et Blot en Auvergne. Luce a pris la date d'une lettre du roi
d'Angteterre du 24 octobre 1360 dans Rymer, Foedera, III, p. 535. Cf. MAnxÈNE, Thés,
nov. anecd., I, p. 1437. Le roi y énumère les forteresses alors occupées <• en Berry et
en Bourbonnais », et on y trouve avec les autres « Blotueros », c'est-à-dire Blot et
Vero. Le roi finit cet alinéa : « et toutes autres forteresses occupées en Berry et en
Bourbonnois », et il commence le nouvel alinéa : « Item toutes les forteresses déte-
nues et occupées es parties d'Auvergne devant et après les trêves accordées », mais
il omet de spécifier ces forteresses. Nous rencontrons la même chose dans la lettre du
28 octobre (Rymer, p. 547). On doit donc identifier Blot avec Blet en Berry, et c'est
cette dernière place qui fut occupée en 1360 par les Anglais. Voy. ci-dessus, p. 254, et
Luge, 1. c, p. 469.
2. Voy. GuiGUE, p. 90 et suiv., 93 suiv.
3. Ihid., p. 95, not. 1.
4. Sur les préparatifs de défense, voy. Guigle, p. 99 à 103.
5. « Circa festum Omnium Sanctorum ». Voy. le document dans Guigue, p. 324.
Petit Thalfimus, p. 367, dit à tort <« vers la fin de novembre », Cf. encore Llce dans
Froissart, p. XXIX, not. 3,
LES COMPAGiMES DANS LE MIDI JUSQU'eN 1365 425
mandait à la fois la Saône, la route de Lyon à Mâcon et la vallée
de l'Azergue. Elle était pour Lyon ce que Pont-Saint-Esprit était
pour Avignon^. Durant la guerre entre Charles le Mauvais et le
roi Charles V, Seguin s'intitulait capitaine d'Anse pour le roi de
Navarre.
En voyant Badefol à la tête de plusieurs Compagnies réunies ~,
on s'explique comment ses bandes pouvaient exercer tant de ravages
dans les environs et au delà : vers le Nord, jusque dans le Maçon-
nais, et au Sud, jusque dans le Velay; comment elles s'emparaient
de tant de châteaux et de villes ^ en commettant de terribles excès,
emprisonnant et rançonnant les gens quels qu'ils fussent , rendant
inhabitables les châteaux, les campagnes et les villes, devenus de
vrais déserts par la fuite des habitants ^.
L'effroi régnait non seulement dans le Lyonnais, mais dans
toutes les provinces environnantes, dans le Dauphiné et le Diois -K
C'est de ce temps-là que ce pays, jusqu'ici préservé des incursions
des gens d'armes , prit des mesures pour mettre la ville de Die à
l'abri d'un coup de main. La vallée de la Drôme était devenue une
des routes les plus fréquentées pour passer en Italie ^.
Les Lyonnais, dépourvus de troupes, avaient recours au Saint-
Père. Comme il résulte de la bulle du 19 janvier 1365, ignorée jus-
qu'à présent, Urbain V avait déjà, dès le mois de décembre, lancé
l'excommunication contre Seguin et ses compagnons ; néanmoins,
avant d'en faire la déclaration solennelle, il les exhortait et les som-
mait de quitter Anse, les avertissant que, s'ils ne s'exécutaient,
s'ils ne rendaient la liberté aux prisonniers et ne réparaient les
dommages qu'ils avaient causés, dans le délai de quinze jours, à
partir de celui où ils recevraient la monition, ils seraient ipso
facto excommuniés ^. Seguin et ses compagnons, peu soucieux
1. GuiGUE, p. 105, 107.
2. « Cum suis quampluribus complicibus et societatibus siniul coadunalis et junc-
tis... in armis eques et pedes, in maxima multitudine et fortitudine ». Document dans
GuiGUE, p. 324,
3. Voy. sur les détails, Guigue p. 109 suiv.
4. Ibid., le document p. 324 suiv.
5. Ibid., p. 111.
6. Voy. J. Chevalier, Essai hist. sur Véglise et la ville de Die, II, p. 262.
7. C'est la bulle même, dans laquelle Urbain V publie la croisade contre Seguin de
Padefol et ses compagnons, et expose les marches qu'il avait faites avant. Elle se
426 LA GUERRE DE CENT ANS
d'obéir, continuèrent d'occuper la place et dévastèrent les environs
plus encore qu'auparavant ; alors le Pape apprenant qu'on voulait
les combattre, publia une croisade contre Seguin de Badefol et ses
bandes, et sous la date mentionnée, il accorda pleine indulgence à
ceux qui mourraient en les combattant. Le même jour, il félicite
Amédée, comte de Savoie, de l'aide que celui-ci prête au chapitre de
trouve dans Reg. Aven. Urhaiii V. n° 10, fol. 193'' : « Ad futuram rei memoriam.
Cogit nos... Olim siquidem cum quidam perditionis filii sub Societatum nominc de
diversis nationibus in multitudine detestabili congregati omni justa causa postpo-
sita... [comnie dans la bulle Cogit nos, anal^^sée dans le § 2]. Verum quia sicut multo-
rum, clamosa conquestio ad nostrum sepius audituni perduxerat, iniquitatis filius
Seguinus de Badefol, miles Sarlaten. dioc., nostram declarationem. [i.e., excommuni-
cationem promulgatam in suis bullis editis contra Societates] probabiliter non
ignorans seu ignorare non debens,tam ante quam post...fueratprout erat etiam capi-
taneus seu presidens in aliquibus ex perversis societatibus, committendo facinora...,
dudumque prout indicabat publica vox et fama, prefatus Seguinus ac nonnulli
nequam filii scelerati de comitivis eisdem villam seu locum Anse Lugdunen. dioc...
latenter intraverant et per armorum potentiam incolas dicte ville ceperant, captiva-
verant. et bonis eorum nobilibus spoliaverant... nonnullis ex eisdem incolis inhuma-
niter interfectis, aliisque vulneratis, tortis... aliisque datis in exilium [enumerat alia
facinora]..., nos... ipsos Seguinum ac omnes et singulos ejus.., complices et fautores
excommunicationis et aliis sententiis... propler premissa subjacere auctoritate apost.
per nostros processus et literas denunciavimus, et nichilominus eosdem Seguinum
ac complices et fautores per nostre publiée monitionis edictum... requisivimus et
monuimus, eis nichilominus sub pena excommunicationis districte mandantes, quod
infra quindecim dierum spatium numerandorum a data ipsarum literarum infra quod
ejusdem nostre monitionis seu nostri processus notitia ad eos posset versimiliter
pervenire... dictam villam et ejus incolas detentos per ipsos Seguinum et complices
in libertate pristina expedire, relaxare et omnino dimittere, et omnia bona. .. resti-
tuere... curarent, eis satisfaciendo plenarie... alioquin eosdem Seguinum et compli-
ces... excommunicationis sententiam incurrere voluimus eo ipso, a qua nullus pre-
terquam in mortis ai'ticulo ab alio quam Rom. pontifice nunquam posset absolutio-
nis benefîcium obtinere. [Interdixit etiani sub excommunicatione omnibus fîdelibus
ne communionem in aliquo « cum eisdem socialibus detinentibus dictam a illam »
habeant. etc.] A^erum, sicut nupcr ad audientiam nostram ex notificatione capituli et
fama publica referente pervenit, iidem Seguinus et complices nostrishujusmodi moni-
tionibus obauditis, dictam terram Anse et ejus incolas... relaxare ac dimittere... con-
tempserunt hactenus et contempnunt, quinymmo supradicta et détériora facinora et
excessus in partibus illis cotidie committere et hostilitates gravissinias circumstanti-
bus terris et populis... inferre presumunt, propter que nobiles et universitates civita-
tum et terrarum partium earundem, sicut nobis nuper notificare curarunt, in manu
forti intendunt procedere contra Seguinum et complices supradictos... ac ipsos...
impugnare, persequi et expellere de partibus prelibatis. [Ad preces archiepiscopi,
capituli, nobilium et populi indulgentiam plenariam concedit iis qui in pugna contra
eosdem hostes e vita migraverint, si contriti et confessi fuerint]. Dat. Avinione xiiij
kal. Februarii anno tertio ». Jhid., fol. 194*' suit le mandat à Tarchevèque de Lyon et
à ses sufVragants de publier cette indulgence.
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI JUSQl'eN 1365 427
Lyon, pour le recouvrement de la ville d'Anse et mentionne
l'indulg-ence accordée K
Tout n'en restait pas moins subordonné au bon vouloir
de chacun. Par la force des choses, pour éloigner Seguin et ses
bandes, on aima mieux traiter que de les combattre, et le contrat
entre ce capitaine et le chapitre susnommé était déjà passé au moins
à la fin de mai ou au commencement de juin, c'est-à-dire bien plu-
tôt qu'on ne l'a cru jusqu'à ce jour. Ceci ressort d'une bulle
d'Urbain V à la date du 18 juin 1365, dans laquelle il annonce
qu'entre le chapitre et la Grande Compagnie d'Anse, vient d'être
conclu un traité par lequel cette bande se montre prête à restituer
Anse et à se retirer si elle reçoit une certaine et très forte somme
d'argent. Le chapitre étant dans l'impossibilité de payer, le Pape
accorde un décime dans les diocèses de Lyon, d'Autun, de Chalon
et de Mâcon ; il en excepte seulement les cardinaux, et, parmi les
ecclésiastiques réguliers ou séculiers, ceux que la guerre a appau-
vris '-. On ne doit pas oublier que les multiples conditions ^ for-
1. Reg. Vat., n" 217, fol, 9; Prou, Étude sur les relations, etc., p. 122, Cf. ibid.
p. 53 suiv. ou clans le texte et dans les notes sont quelques autres détails intéressant
cette afl'aire,
2. Reff. Val. Urhani V, n" 254, fol, 86 : c< Dil. filiis abbati monasterii Athanaten, et.. .
priori S. Irenei Lugdunen. ac. archidiacono Eduen, ecclesiarum salutem, etc. Fide-
lium subditorum quietem, etc. Nuper siquidem pro parte dil. fil. decani et capituli
eccl. Lugdunen. coram nobis et fratribus nostris S. R. E, card. propositum extitit
reverenter quod inter ipsos ex parte una, et illas gentes armigeras, que se magnani
Societatem seu Compagiam [sic] appellant, que villam seu locum de Ansa Lugdunen.
dioc, ad dictos dccanum et capitulum pertinentem nephandis ausibus occuparunt
habitus est contractus, quod gentes ipse pro certa et maxima sunima pecunie, de
qua inter eos extitit concordatum, villam seu locum predictum eisdem decano et
capitulo libère restituant,., ac de partibus ipsis abscedant, quodque prefati decanus
et capitulum ad solvendum dictam summam pecunie sunt impotentes, [Decimam
unius anni omnium reddituum et proventuum ecclesiasticorum in Lugdunen., Eduen,,
Cabilonen, et Matisconen, civitatibus et dioces, consistentium, inde ad festum B.
Michaelis proxime futurum, exigendam a quibuscunque personis ecclesiasticis, secu-
laribus et regularibus, exceptis tantummodo S. R. E. cardinalibus, et personis eccle-
siasticis propter guerras et alias justas causas depauperatis, collectoribus ad id depu-
tatis, imponit pro subsidio solutionis supradictae praefatis gentibus faciendae]. Dat,
Avinione xiv kal. Julii anno III », Sur ces décimes, le pape revient le 24 novembre
1366 ; il acquitte les prélats du versement de la première année, et ordonne Texacti-
tude pour la seconde année, Ihid., n° 248. fol. 177,
3. D'une lettre de Jean, duc de Berry, publiée par Michon dans la Revue des
Sociétés savantes, 5^ sér,, t, I, p, 178, not. 1, il résulte que Seguin a pris rengagement
d'évacuer les bailliages de Màcon, de Saint-Gengoux et de Gharlieu. Un autre engage-
ment a été a^ec le sire de Bcaujcu. Cf. Guigue, p. 119, Seguin, étant exigeant cl très
428
LA GUERRE DE CExNT ANS
cèrent à traiter plusieurs fois et que la conclusion définitive n'eut
lieu qu'en juillet, par l'entremise d'Urbain V. Seguin s'engagea à
rendre la forteresse, moyennant une somme de 40.000 petits florins,
soit 32.000 francs, dont une moitié devait être payée à Anse dans
les premiers jours d'août, et l'autre moitié, à Rodez, vers Noël ; il
promit également de faire sortir ses compagnons du royaume K
Mais c'est seulement le 13 septembre qu'il se retira avec une
grande partie de ses bandes qui, pendant qu'on traitait avec leur chef,
s'étaient répandus sur la rive gauche de la Saône -. Ensuite ils
suivaient le chemin de Saint-Symphorien-le-Châtel à Montbrison,
où ils reprirent leurs habitudes de pillage^. Seguin se retira à Pam-
pelune auprès de Charles le Mauvais et y mourut dans les derniers
jours de décembre 1365^ vraisemblablement empoisonné par ce
prince ^. Sa Compagnie se tint dans le Midi, où nous la retrouve-
rons dans le quatrième paragraphe, quand nous verrons Du Gues-
clin traiter avec elle en 1365, pour l'engagera le suivre en Espagne.
L'occupation d'Anse est, avec la bataille de Briguais, l'exploit le
plus célèbreetle plus mémorable des Compagnies dans le Lyonnais.
D'ailleurs, il en fut de ces contrées comme de toutes les autres :
lorsqu'une bande quittait un endroit, une autre accourait et commet-
tait les mêmes ravages que les précédentes. C'est seulement en
1369 que s'établit, à l'endroit des routiers, une sécurité relative,
quand furent reprises les hostilités entre la France et l'Angleterre ^.
Les détails sur les Compagnies, en Bourgogne, sont réservés au
troisième et quatrième paragraphe ; il en sera parlé en même temps
que des Compagnies du Nord de la France. Traitons maintenant de
dur, mit dans l'embarras le chapitre de Lyon, qui dut, selon toute apparence, traiter
plusieurs fois avec lui,
1. Voy. le document publié par Ai. lut. Les roiiliers an .Y/\'' siècle, p. 157 à 159;
GuiGiE, p. 120 à 122.
2. GUIGLE, p. 116 s.
3. Ibid.. p. 130 suiv.
4. Jacques de Rue, un des officiers intimes du roi de Navarre, arrêté en 1378,
confirme que Seguin de Badcfol fut empoisonné par Charles de Navarre. Voy.
ses dépositions dans Martène, Thés. nov. nnecd., I, p. 1576; (Le Brasseur), HisL. du
comté d' Évreux ; Preuves, p. 95; Secousse, Preuves, p. 381; Grand. Chron., p. 428
suiv. Cela est affirmé par un autre officier de Charles le Mauvais, Pierre du Tertre.
Secousse, 1. c, p. 411. Le peuple vit seulement les effets du poison, et crut que
Seguin était mort « per lo fuoc de Sant Anthoni ». Petit Thalamus, p. 370.
5. Pour cette époque, il suffit d'en référer à Guigue, p. 151 suiv,
Les compagnies dans lé midi jusqu'en 136o 429
l'apparition de ces bandes dans le BourhonnaiSj le Berry et le
Nivernais.
Dès 1363, la Compagnie de Louis de Navarre ravageait le pays
situé entre la Loire et l'Allier, mais surtout les environs de Mou-
lins, de Saint-Pierre-le-Moutier et de Saint-Pourçain. La manière
dont cette Compagnie exerça ses ravages nous est conservée dans
une supplique dressée par le prieur du prieuré bénédictin Lieu-Dieu,
du diocèse de Bourges. Sur la fin de 1363, cette bande envahit
l'église et les maisons du monastère, qu'elle détruisit de fond en
comble, après en avoir pris tous les biens-meubles ^ Vers le même
temps, en octobre 1363, Bernard de la Salle et son frère Hortigo,
avec quatre cents compagnons, s'emparèrent par surprise de la ville
de La Charité-sur-Loire, du diocèse d'Auxerre, et de son célèbre
prieuré de l'Ordre de Cluny, qu'ils occupèrent pendant seize ou
dix-sept mois, c'est-à-dire jusque dans la première partie de l'an-
née 1365 '^. C'est seulement au prix d'une somme de 23.000 francs,
versée à la Compagnie, que le prieur put racheter le prieuré et la
ville , après que celle-ci avait été inutilement assiégée par les
royaux '^. Pendant l'occupation de La Charité-sur-Loire, ce lieu était
la grande place d'armes d'où les Compagnies pillaient et ravageaient
les deux rives de la Loire. L'hiver de 1363 à 1364 fut très rude
et facilita la diffusion des Compagnies. Les grands fleuves, généra-
lement l'obstacle naturel pour les marches de troupes au moyen
âge, furent pris par la glace, de sorte qu'on les traversa à pied et
à cheval. Grâce à cela, Jean Creswey passait avec un détachement
1. Suppl. Urbani V, n" 39, fol. SS»» ad an. 1363, Novemb. 22 : « Significat. S. V.
prior prioratus ecclesie Loci Dei, alias de Sperato, Bituricen. dioc, O. S. B., quod
prideni nepharie societates vocale seu Compagnie Anglicorum dictum prioratum
manu armata more predonum invaserant ecclcsiamque ac domos ipsius prioratus
intraverunt, et bonis ibidem existentibus totaliter depredaverunt et secum adporta-
verunt, quibus non contentis, ecclesiam et domos dicti prioratus molierunt et peni-
tus destruxerunt, adeo quod divinus cultus ibidem nequit celebrari. Unde cum de
necessitate ecclesiam et domos ipsius prioratus de novo construi oporteat, [de indul-
genliis cum eleemosynis]. — Fiat... B. Dat. Avinione x kal. Decembris an. II ».
2. Voy. LucE dans Froissart, p. lxi, not. 2; Du GuescUii, p. 490.
3. Gall. christ., XII, p. 405. Charles V avait besoin de troupes en Normandie contre
les Navarrais. Voy. ci-dessous, § 3 ; Luce, Froissart, p. lxvi, not. 2. Froissart ne dit
rien, p. 147 suiv., des 25.000 francs, et il prétend que le duc de Bourgogne permettait
à l'ennemi de s'en aller, après lui avoir fait prêter serment de ne point s'armer
contre le l'oyaume pendant trois ans. Il a omis de donner la raison principale.
430 LA GUERRE DFl CENT ANS
la Loire et poussait jusqu'au comté de Blois en s'emparant de
l'abbaye cistercienne d'Olivet, du diocèse de Bourges, qui plus
tard, peut-être encore en 13G4, fut reprise par Louis de Sancerre et
d'autres ^ Même après l'évacuation de La Charité, les dévastations
continuèrent en Berrj. Vers 1366, Alain de Taillecol occupait,
avec une troupe de Bretons, le fort de Bréviande dans la
seigneurie de Jars, et de là, dévastait la Sologne -. Les Com-
pagnies se répandirent en Berry jusqu'aux confins de la Tou-
raine et du Poitou. Nous les trouvons à Saint-Gaultier, dont le
pont était ruiné à cause du long séjour d'un grand nombre de
compagnons dans ces contrées ^. Au même temps, si je ne me trompe
pas, que les Bretons occupaient Roche-Posay, avant 1369, ils se
tenaient aussi à Le Blanc et à Fontgombault, où était l'abbaye béné-
dictine. Les Bretons se montraient comme partout la terreur du
pays ^. Comme pour l'Auvergne, à tous ces maux venait s'ajouter,
pour le Berry, la tyrannie de Jean, duc de Berry, qui permettait à
ses officiers d'opprimer le clergé de la ville et du diocèse de Bourges
par de nouveaux impôts et toute sorte de gabelles et exactions •'•.
On peut bien comprendre que les provinces qui formaient la
principauté d'Aquitaine étaient moins infestées par les Compagnies,
qui n'osaient pas traverser le pays du prince de Galles, comme dit
Froissart^\ Cependant, quelques-unes de ces provinces, situées
1. Voy. Chron. /lorm., p. 167 ; Luge, Du Guesclin, p. 477, Olivet était situé entre
Vierzon et Romorantin, aujourd'hui dép. Loir-et-Cher. Delaville le Roulx^ Regislî^es
de comptes municipaux de la ville de Tours^ II, p. 299 et p. 410, l'identifie à tort
avec Olivet du département du Loiret.
2. Cf. Raynal, Ilist. du Berry, II, p. 388; Luge, Froissarl, VII, p. xliii, not. 4.
3. Recf. \at. Gregorii XI, n" 286, ad an. 1375, Martii 26 : « Universis christifidelibus,
etc. Pontium reparationihus manum porrigere adjutricem, pium apud Deum et meri-
toriuni reputantes, etc. Cuni itaque sicut accepimus pons Sancti Galteti, Bituricen.
dioc, qui tam propter multitudinem gentiuni armorum que in illis partibus diutius
steterunt, quam aliarum supra eundem pontem transitum sepius facientium et taliter
quod idem pous ut asscritur quamplurimum dampnificatus et devastatus et quasi ad
terram projectus existit, propter quod multis indiget reparationihus. [Indulgentias
tribuit manusporrigentibus adjutrices.] Dat. Avinione vu kal. Aprilis anno V ».
4. Lettre du roi Charles V'', du 23 avril 1373, dans Delavii.le le Roulx, 1. c, p. 335.
LHisi. de Vabbaye de Fontgaumbault, aux Arch. nat., LL 1011, et Desplanques,
Vahbaye de Fontgombaud (1861), ne contiennent rien sur cela.
5. Reg. Vat. Urbani V, n'*248, fol. 97, lettres adressées au duc et « Johanni de Cru-
siaco, decano eccl, Lingon. », ad an. 1366, Jun. 1. »
6. Éd. Luge, t. VI, p. 184.
LÉS COMPAGNIES DANS U^ MLDI .ICSQC*EN 13G5 431
aux frontières de la principauté, étaient de temps en temps bien
éprouvées. Je résumerai les événements jusqu'en 1369.
Bien que le Poitou fut alors sous la domination anglaise, il n'était
pas pour cela à l'abri des Compagnies. Vers la (in de 1363, nous
voyons une bande s'emparer du prieuré bénédictin de la Couture,
qui fut complètement saccagé ainsi que l'église, que les scélérats
détruisirent au point de ne pas laisser une pierre intacte^. Ceux
qui commirent ces excès n'étaient peut-être que des pillards, mais,
quelques années après, de vrais compagnons apparurent dans le
diocèse de Poitiers. Une bulle de Grégoire XI prouve qu'elles
étaient vers 1366, et non pas seulement vers 1368, près de Faye-de-
Vineuse dudit diocèse et dans les environs. D'après cette l)ulle,
l'église collégiale de Faye, du diocèse de Poitiers, mais située en
Touraine, était pillée et presque détruite par suite des incursions
des Compagnies, et, tant dans cette église que dans celles qui en
dépendaient, le culte divin était suspendu par crainte des routiers -',
bien que la ville môme n'ait été prise par la Compagnie qu'en 1368,
ce que nous verrons au cinquième paragraphe.
Je ne trouve, jusqu'à présent, aucun renseignement sur l'appari-
tion des Compagnies en Saintonge et dans V Angoumois^ dont le
1. Reg. Vat. Urbani F, n" 251, fol. 314, ad an. 1364, Januarii 17 ; « Ven. fr. archicpiscopo
Burdegalen. et... Lucionen.ac Pictaven.episcopis salutem, etc. Gravem dil.fil. Andoy-
ni de Monteberulphi, priorisprioratus de Gulturis, O. S. B., Pictaven. dioc, querelam
accepimus, continentem quod olim dum ipse pro quibusdam suis negotiis ad sedeni
apostolicam accessisset, quidam iniquitatis filii diabolico spiritu insti{j;ati ad ipsuni
prioratum more predonico accedentes, omnia bona ibidem existentia nequiter rapue-
runt dictumque prioratum et ejus ecclesiam ertregerunt, et totaliter destruxerunt,
adeo quod ibidem, lapide super lapidem minime rémanente, divina inibi nequeunt
celebrari ; [ad ipsius prioris preces papa mandat supradictis ut praevia informatione,
excommunicationis sententiam publicent contra supradictos doncc satisfecerint].
Dat. Avinione xvi kal. Fcbruarii an. II ».
2. Reg. Aven. Gregorii X/, n" 41, fol. 621'', ad an. 1371, Septemb. 13 : « Universis
christifidelibus. etc. Licet is, etc. Cum itaque, sicut accepimus, ecclesia S. Georgii de
Faya Vinosa, Pictaven. dioc, cum membris suis propter malarum gentium armorum
Societatum incursus et depredationes adeo destructa et desolata existai, quod dil.
filii capicerius et capitulum ejusdem ecclesie propter timorem Societatum liujusmodi
et ipsorum a V annis citra non potuervmt in dicta ecclesia personaliter residere, et
divinum servitium in dicta ecclesia et quibusdam aliis ecclesiis ibi subjectis ex tune
cessavit [De indulgentiis ad xx annos cum eleemosynis ad separalionem dictarum
ecclesiarum]. Dat. apud Villamnovam Avinionen. dioc. idus Septexnbris an. I. » Voy.
quelques autres particularités concernant l'an 1367 dans Delaville i.k Roilx,
Registres des comptes municipaux de la ville de Tours, II, p. 291 suiv.
43â La guerre de cent ans
prince de Galles habita très souvent Angoulême, qui en était la capi-
tale. Mais on ne parle pas non plus de leurs ravag^es dans le Périgord^
et, néanmoins, il existait aussi des Compagnies dans ce pays. Le
6 mars 1368, sur la demande de l'évêque de Périgueux, Urbain V
accorde la faculté d'absoudre de Texcommunication tous ceux,
prêtres, clercs ou laïques (et ils étaient plusieurs), de qui les compa-
gnons, dans leurs marches à travers la France et par son diocèse de
Périgueux, avaient reçu quelque aide ou secours ^ Certes, les Com-
pagnies restaient peu dans ces régions que la guerre avait déjà
appauvries, dépeuplées et dévastées. Cependant, ce n'était pas un
grand avantage, dans un temps où les troupes régulières n'étaient
pas moins sauvages que ces Compagnies chez qui, vraisemblable-
ment, elles se recrutaient.
Ainsi que pour quelques autres provinces, les renseignements
font défaut pour le Limousin. Dans les documents touchant la des-
truction des églises et monastères qui seront apportés dans les
derniers paragraphes, il est seulement question de guerre, mais on
ne sait s'il s'agit seulement de la guerre proprement dite, ou si les
ravages des Compagnies y sont compris. En 1374, dans les diocèses
de Limoges et de Tulle, sont signalés des routiers qui tenaient alors
plusieurs places fortes -.
Beaucoup de chefs et de membres des Compagnies étaient de
Gascogne, et, dans ce chapitre, bien des faits témoignent qu'ils
n'épargnèrent même pas leur patrie. Le 22 juin 1371, le diocèse et
la ville de Conserans reçurent de Grégoire XI la bulle Ad repri-
mendas ^ ; les diocèses de Bazas, Agen, Condom et tous les autres
1. Reg. Aven. Urbani V, n" 19, fol. 341 : « Ven. ù\ Petro cpiscopo Petragoricen.
salutem, etc. Personam tuam, etc. Gum itaque... nonnuUipresbiteri et clerici ac
ecclesiastice persone tani religiose quam seculares, et etiam laici utriusque sexus
tuarum civitatis et diocesis Petragoricen, ac in eisdem... comniorantes... homines
armorum, qui de pravis Societatibus gentium armigerarum per regnum Francie
et dictam diocesim... discurrcntium existebant... receptaverint... et alias... partici-
paverint (cuni eis), et propterea diversas excommunicationis et alias penas...
incurrcrint, etc. [eosdem absolvendi facultatem tribuit, lucro tamen ex comniercio
cum supradictis percepto ad pios usus expenso]. Dat. Rome ap. S. Petrum ii non.
Martii an. VI ».
2. Reg. Vat. Gregor. XI, n° 273, fol. 10, ad an. 137 4, Novemb. 11, Je reviendrai plus
tard sur ce sujet,
3. Reg. Aven. Gregor. XI, n" 1, fol. 403»',
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI aiSQu'EN 13G.J 433
diocèses de Gascogne étaient inondés par les Compagnies dans les
premières années qui suivirent 1300. Ces contrées avaient beaucoup
à souffrir des Compagnies en 1360, lorsque le prince de Galles se
préparait pour l'expédition en Espagne, et en 1307, quand Henri
de Trastamare et ensuite le prince revinrent de ce pays, comme il
sera raconté aux quatrième et cinquième paragraphes.
Les Compagnies, composées d'Anglais et de Gascons, c'est-à-dire
de sujets du roi d'Angleterre et du prince de Galles, firent beau-
coup de mal en Quercy durant l'année 1 302 ; elles prirent quelques
places, entre autres Saint-Cirq. Dans le courant de septembre,
plusieurs gens d'armes se déguisèrent en pèlerins pour surprendre
un fort de Cahors et s'y retranchera Cette même année voyait
aussi le prince de Galles s'installer en maître dans l'Aquitaine.
Par suite de cet événement, un grand nombre d'habitants du
Quercy quittaient leur patrie et s'établissaient ailleurs, surtout dans
les provinces françaises, sans espoir de retour à leur sol natal -.
En 1300, une grande partie des Compagnies qui se rendaient en
Espagne passèrent par le Quercy et y causèrent de grands dom-
mages '^. Le danger devint plus grand quand les Compagnies, avec
le prince de Galles, revinrent d'Espagne, en 1307 et 1308. Une
troupe de mille Anglais et Gascons traversait le Quercy en pillant
et ravageant le pays. Ils s'emparaient de plusieurs lieux et y com-
mettaient toutes sortes de crimes, ce qui déterminait un nouvel
exode. Les villes et les campagnes devenaient désertes. Craissac,
par exemple, qui avait auparavant trois mille feux (nombre
vraisemblablement exagéré), n'en comptait plus alors que trente
et bientôt moins encore -'. Je n'entrerai pas ici dans plus de détails,
parce que, dans les neuvième et dixième paragraphes, je donnerai
vm tableau complet du triste état de cette province, qui devait
cruellement payer son dévouement au roi de France, et qui était la
première à tenter de secouer le joug de l'étranger. Des Compagnies
gagnèrent aussi le Haut-Quercy, et dans le courant du mois d'octobre
1308, une Compagnie anglaise s'empara de Cardaillac '^.
1. Lacoste, Ilist. gén. de Quercy^ III, p. 177.
2. Voy. Informatio Cntiircenais, publiée par moi dans VAppendice, IV, testis 2"*.
3. Lacoste, p. 184 suiv.
4. Informatio Calurcensis, testes 1"" et 8'"*. Voy. encore ci-dessus, p. 271.
5. Lacoste, p. 193 suiv., 199.
R. P. Dknifle. — Desolatto eccles/arum II 28
434 La glerué de cent ans
Le Rouergiie n'avait pas moins à souffrir des déprédations des
Compagnies qui le menaçaient de tous côtés. Il a déjà été raconté
qu'elles y étaient entrées en 1361, mais aussi durant l'année 1362 le
pays était alarmé; par mesure de précaution, les consuls de Rodez
distribuèrent des armes à tous les habitants valides. En septembre,
les Espagnols de Trastamare, au retour de leur campagne d'Au-
vergne, traversèrent le Larzac et le saccagèrent cruellement ^ Un
autre compagnon, Jean Aymeric, s'emparait de Combret, où,
assiégé par le sénéchal, il forçait ce dernier à lever le siège. A tous
ces malheurs, il faut ajouter la défaite du comte d'Armagnac par le
comte de Foix à la bataille de Launac, de laquelle il a déjà été
parlé, défaite qui mit le pauvre pays de Rouergue dans la nécessité
de payer une bonne partie de l'énorme rançon du comte d'Arma-
gnac et de celle de plusieurs autres -. En 1365, l'année où le comte
sortit de prison, nous trouA^^ons dans le diocèse de Rodez un bâtard
d'Armagnac qui, avec une bande, battait et blessait les ecclésias-
tiques, pillait leurs maisons et se livrait à une quantité d'excès ;
à tel point que plusieurs recteurs des églises, terrorisés, n'osaient
plus y résider, ni célébrer l'office divin ^. Les années qui suivirent
ne furent pas moins troublées; Le passage des Compagnies qui se
rendaient en Espagne, faisait courir à cette province les mêmes dan-
gers qu'au Quercy. Dans le même temps, se manifestait une agi-
tation contre les nobles, et un peu avant le 21 avril 1367 plusieurs
1. Voy., sur tous les détails, Rouquette, Le Rouergue sous les Anglais^ éd. de 1869,
p. 46 à 49; éd. de 1887, p. 51 à 54. Cf. encore A. Molinier dans Hist. du Languedoc^
IX, p. 756, not. 1.
2. Rouquette, éd. de 1887, p. 56.
3. Reg. Vat. Urbnni V, n^ 247, fol. 100, ad an. 1365, Maii 17 : « Dil. fd. nob. viro
«Tohanni coniiti Armaniaci, salutem. Ex gravi querela multorum virorum ecclesias-
ticorum ad nostrum pervenit auditum quod quidam, qui appellatur bastardus de
Armaniaco, cum pluribus suis... complicibus quamplures presbiteros, clericos et per-
sonas eccles. Ruthenen. dioces. verberavit ac etiam vulneravit, ab eisdemquc et
eoruni domibus nonnulla bona ipsorum rapuit violenter, multa eis alia gravamina et
injurias inferendo et majora... comminando, in tantum quod quamplures ecclesiarum
prefati diocesis rectores... non audent in ecclesiis suis residentiam face e ac divine:
celebrare officia. [Hortatur ut bastardum praedictus corrigat et castiget, ut désistât
ab hujusmodiet satisfaciat dampna passis], Dat. Avinione xvi kal. Junii an. III ». —
Eodem modo dil. fil. nob. viro Johanni de Armaniaco militi primogeniti dil. fd. nob.
viri... comitis Armaniaci ». La minute de cette lettre se trouve parmi les lettres
d'Innocent VI dans Reg. Vat. Innocent. VI, n° 244 K, ep. 194. Il y avait plusieurs
bâtards, ce qu'on peut voir dans P. Axsei.me, Hist. généal., III, p. 418 et suiv.
tRS COMPAGNIES DAiNS LE MIDI JLSQU'eN 1 ':{6o 43.^
laïques des diocèses de Kodez, Albi et Tarbes, accompagnés de
nombreux gens d'armes, prenaient la ville de Durenque, qui
appartenait à Bérenger d'Arpajon, l'incendiaient, dépouillaient les
habitants de tous leurs biens meubles et commettaient plusieurs
homicides K
Dans V Albigeois^ les Compagnies se succédèrent continuellement
depuis 1361, de sorte qu'en 1363, Arnoul d'Audrehem était obligé
de faire aux habitants d'Albi une remise des impositions, en con-
sidération des maux que leur infligeaient les bandes qui avaient
aussi envahi leur ville, y tuaient les hommes, les femmes, les ani-
maux, et pillaient tout à tel point que la misère y était affreuse '-.
Ces malheurs étaient une triste conséquence de la guerre entre
Hugues d'Aubert, évêque d'Albi, soutenu des habitants de cette
ville, et Sicard, seigneur de Lescure, avec plusieurs autres sei-
gneurs, en 1362 et 1363. Sicard et ses complices se servaient des
bandes d'une grande Compagnie qui ravageait alors le pays et
assiégeait dans son château de Combefa l'évêque qui les excom-
munia. Malgré un compromis, les hostilités commencèrent des
deux côtés avec une gravité inouïe. On sait que les bandes de
Sicard commirent dans TxVlbigeois tous les crimes ordinaires aux
Compagnies envers les églises, les habitants, etc. ^. Mais il ne
faut pas croire que l'évêque ait méprisé le secours des Compa-
1. Reg. Aven. Urbani V, n° 16, fol. 500'', ad an. 1367, April. 21: « Urbanus, etc..
Ver», fr. episcopo Sancti Flori salutcm, etc.. Exhibita nobis pro parte dil. fil. nobi-
lis viri Berengarii, domini loci de Arpajone, Ruthenen. dioc, peticio continebat quod
niiper dil. filii Martinus de Coellis, Maurellus de Ricoschario, Bedo Dasarnion,Mondo
Gili do Villafranca de Panata, Rernardus Sartor de Auriaco. Rayniundus Sabaterii de
Cassaneis, Gainociis Albrati de Broquerio, Cabanesius de Salvaterra et Guilho Calme-
tas de Valencia, laici dicte Ruthenen., Albien. et Vabren. dioc, cum ma.\ima niultitu-
dinc gcntium diversoruni arniorum ^eneribus arniatarum tenieritate propria more-
que predonico ad locum de Durenca ejusdem Ruthenen. dioc. (quem prefatus nobilis
ab ecclesia Rutlienen. tenet in feuduni) accedentes, locum ipsum invaserunt et inibi
incendia quampluriina posuerunt, homicidiaque et rapinas ac deprcdaciones perpe-
trarunt, necnon gentes dicti loci exheredarunt et bonis suis mobilibus spoliarunt
ipsisque ecclesie Ruthenensi, nobili et gentibus dampna irreparabilia intulerunt.
Quare pro parte dicti nobilis nobis fuit humiliter supplicatum ut providere ei super
premissis de benignitate apostolica dignaremur, etc.. [Ut episcopus super his provi-
deat]. Dat. Avinione xj kal. Maii pontificatus nostri anno quinto ».
2. E. JonDois, Alhi au moyen âge, Essai sur Vhistoire économique de cette ville,
p. 33.
3. Hist. de Languedoc, t. X, p. 1332, n" 513, atl au. 1364.
i36 LA GUERRE DE CENT AiNS
gnies : il se servit également des routiers qui, de concert avec les
habitants d'Albi, de Cordes, de Pampelonne, de « Maynambles »
(Maynengues) i, de Monestiés et d'Arthes usèrent de représailles
et ravagèrent le territoire de Sicard. Ils occupèrent Lescure et
Marsal 2, deux places que possédait Sicard, mais qui étaient des
fîefs du Saint-Siège, emportèrent tous les biens meubles, occirent
plusieurs personnes, détruisirent complètement la ville et Téglise
de Marsal et commirent d'autres crimes affreux ^. En retour-
nant, par exemple, ils coupèrent et brisèrent les vignes et les
arbres, et démolirent des maisons du territoire de Sicard ^. Ce fut
lui qui succomba. Le roi le condamna à la perte de ses biens et
au bannissement. Ce n'est qu'en 1372 qu'il fut réinstallé à Les-
1. Voy. Lettre de rémission d'Arnoul d'Audrehem, décembre 1363, dans E. Moli-
NiER, Vie d'Arnoul, etc., p. 276 suiv.
2. « De Marcilio ». Dans Hist. de Languedoc^ X, p. 1332, on lit « de Marcillio »,
p. 1433, « Marcilleyum ». A. Molinier en fait « Marcillac » ; mais il n'y a pas de Mar-
cillac dans le diocèse d'Albi, et « Marcilium » appartenait à ce diocèse, comme il est
dit dans le document de la note suivante. Je ne crois pas me tromper en i.lentifîant
ce lieu avec « Marsal », parce qu'on lit dans Arch. Vat., Collect,, n° 8'*, fol. 102 :
«... locus de Marssalh fuit captus per Anglicos, et postea fuit destruclus penitus per
genteni pairie ».
3. Reg. Vat. Urbani V, n° 253, fol. 144, ad an. 1364, Au<çusti 6 : « Ven. fr. episcopo
Castren., saiutcm, etc. Gravem dil. filiorum nob. virorum Sicardi doinini Gastri de
Lescura ac Pétri Bertrandi et Uaymundi de Marcilio fratrum, ac Penardi de Marsaco
domicellorum Albien. dioc. querelam accepimus continentem, quod nuper commune
civitatis Albien. ac de Cordoas, Pampilone, Mayneinbles, de Monasterio et de Artcsio
villarum seu locorum universitates dicte Albien. dioc, Deum et eorum salutem pre
oculis non habentes, sed maligno potius spiritu insagrati sic) temeritate propria et
absque uUa rationabili causa predictum de Lescura et de Marcilio castra seu loca
dicte diocesis que dictus Sicardus a nobis et Rom. Ecclesia tenebat, prout tenet, in
feudum, diversis successive vicibus manu invadentes armata, castra seu loca ipsa
violenter ceperunt et occuparunt, necnon ecclesie dicti loci de Marcilio, ac Sicardi,
Pétri et Bertrandi de Marcilio et Penardi predictorum et nonnullorum aliorum ipsius
Sicardi vassallorum res et bona ibidem et de dicto feudo cxistentia rapuerunt et in
predam asportarunt. Et quod nefandiusest, quondam Raymundum de Marsaco, cano-
nicum Auxitan., ausu sacrilego et quendam Vitalem Guiccaudi et quendam Guillel-
mum Cadolhii laycos in dictis locis existentes crudeliter occiderunt. Et insuper
mala malis accumulando dictum locum de Marcilio et ecclesiam ejusdem loci nobilem
et devotam funditus diruerunt, et nonnulla alia sacrilegia, homicidia, rapinas et vio-
lentias ibidem nequiter perpetrarunt et alia multa et maxima dampna eidem Sicardo
suisque vassallis in ipsis locis, que ab eadem Rom. Ecclesia ut premittitur tenet in
feudum, hostiliter intulerunl... [Committit ut procédât contra praedictos commune
et alios, etc ] Dat. Avinione viii idus Augusti an. IL »
4. Voy. la lettre de rémission du duc d'Anjou, d'octobre 1368, dans Graule, Hist.
de Lescure (3« éd., 1895), p 688 suiv. Malheureusement, l'abbé Graule, auteur et édi-
teur, n'a pas su déchiffrer le document.
LES COMPAGNIES DANS LE MIDI JUSQUEN 1365 437
cure *, oïl il ne trouva plus rien ; Téglise même était polluée par
quelques « ex societatibus gentium armigerarum per partes illas
discurrentium ~ ».
Ce ne fut pas la seule guerre intestine de laquelle l'Albigeois
eut alors à souffrir. En 1363 et 1364, le vicomte de Montclar et le
seigneur de Saint-Urcisse luttaient l'un contre Tautre, et nous
voyons encore une fois que le vicomte avait à sa solde des routiers
pris dans les Compagnies de Seguin de Badefol 2. En outre,
d'autres Compagnies, comme celle qui, vers 1365, prit Peyrolles
près d'Albi ^, ravageaient le pays. Du reste, dans l'Albigeois
comme ailleurs, les gens du roi n'étaient pas moins redoutés que
les Compagnies, et les habitants des villes refusaient quelquefois
de leur en ouvrir les portes \
Le moment le plus critique pour l'Albigeois fut lorsqu'en 1369
les Anglais ravagèrent à tel point le pays que la population déserta
en masse les campagnes pour chercher un refuge dans les villes
fermées. Les vignobles restèrent incultes, faute de bras pour les
cultiver ^.
Nous voici donc arrivés une autre fois au Midi, et c'est par lui
que se terminera ce paragraphe. On a vu qu'en 1362, il s'y trou-
vait partout des Compagnies qui, de concert avec les Espagnols,
étaient retournées en Languedoc au lieu d'entrer en Espagne et se
répandaient dans toutes les provinces voisines. Ma tâche n'est
point de décrire toutes les courses des Compagnies : d'autres l'ont
fait d'une manière excellente ^. Il suffît de noter quelques points
1. Voy. A. MoLiMER, Hisl. de Lancfiiedoc, IX, p. 757, not. 2, La bulle de Gré-
goire XI, du 12 octobre 1372, par laquelle il exhorte Tévèque de Castres à amener
un accommodement entre Sicard et les consuls d'Albi, existe dans Reg. Val. Gregor.
XI, n° 283, fol. 251. Du reste, on trouve dans les Reg. d'Urbain V et de Grégoire
plusieurs bulles intéressant cette affaire. D'autres renseignements sont donnés par
Graule, 1. c, p. 101 suiv. Cf. encore Compayré, Etude hist. sur VAlJiigeois, p. 289,
2. Reg. Vat. Greg. XI, n" 283, fol. 138, ad an. 1372, Octob. 13.
3. Voy. les détails dans Rossignol, Monographies communales du département du
Tarn (arrondissement de Gaillac, Albi}, IV, p. 76 suiv.; Hist. de Languedoc, t. IX,
p. 765, not. 3.
4. Hist. de Languedoc, IX, p. 773.
5. Ihid., t. X. p. 1350 suiv.
6. D'après JJlOO, n" 573, Luce dans Fhoiss.vut, \'II, p. i.v, not. 2.
7. Cf. MÉNART>, Hist. de la ville de Nîmes, nouv. éd., II, p. 219 suiw; E. Molimer
Vie d'Arnoul d'Audrehem, p. 120 suiv.; Hist. de Languedoc, IX, 754 suiv., 755
suiv., etc., avec les notes d"A. Moi-i>n:R, indispensables à tous les chercheurs.
438 LA GUERRE DE CENT ANS
essentiels et d'ajouter plusieurs faits nouveaux pour faire com-
prendre l'action d'Urbain V, de laquelle je parlerai au paragraphe
suivant.
Les autorités du Languedoc n'avaient qu'un but : expulser les
Espagnols qui stationnaient dans la sénéchaussée de Beaucaire et
les Compagnies. 11 fallait payer les premiers et faire la guerre aux
autres 1. L'argent étant nécessaire dans l'un et l'autre cas, on
essayait de s'en procurer en levant des impôts -^ malgré le subside
de 100.000 florins, qu'un mois auparavant, le 1*^'' septembre 1362, le
roi avait imposé au pays de Languedoc, au bailliage de Mâcon et
à l'Auvergne pour en faire sortir les routiers 3. Dans les assemblées
des États du Languedoc, tenues en 1363 et 1364, il n'est question
d'autre chose que d'une imposition, pour entretenir des troupes à
mettre sur pied contre les Compagnies qui ne faisaient pas que
résider à Beaucaire, mais qui partout, particulièrement dans le
Carcassonnais, tachaient de s'emparer de places fortes pour y pas-
ser l'hiver ^ En ces circonstances, le fait le plus remarquable fut
la prise de Peyriac en Minervois, le 1 1 novembre 1363 ^. Cette
place ne fut évacuée que dans la nuit du 18 au 19 juin 1364, après
des sièges réitérés auxquels prit part Arnoul d'Audrehem ; le der-
nier de ces sièges dura plus de six semaines. Tous les compagnons
assiégés et beaucoup d'autres des environs furent massacrés, à
l'exception de sept, qui furent emprisonnés d'abord au château de
Trèbes, et bientôt après, dans la cité de Carcassonne. Alors, la
fureur des populations se dirigea contre ces derniers et les poursui-
vit non seulement comme compagnons, mais comme hérétiques ^.
Les noms de ces sept personnages étaient inconnus jusqu'à présent.
Pour l'accusation d'hérétiques portée contre eux, on dit qu'elle
J. E. MoLiMii:u, p. 121.
2. Ihid., etDoGNox, Les inatilutions politiques du pays de Languedoc, p. 608.
3. DOGNON, 1. c.
i. E. MOMMER, p. 1 13.
5. Petit Thnliunus, p. 366. Dans les lettres de rémission de Charles V, du mois
d'octobre 1364 {Hisl. du Lunçjuedoc. t. X, p. 1329), la Compagnie qui a> ait occupe
Peyriac est appelée « magna et maledicta societas ». La chambre apostolique prêtait
quatre mille florins d'or à Arnoul d'Audrehem « in subsidium guerre facte ad expel-
lendum comitivas pestiferas que locum de Periaco Lombcrien. dioc. tune temporis
occupabant ». Reg. Vat.. n° 247, fol. 217'^. ad an. 1360. Febr. 1.
6. Ilist. de Languedoc. 1. c: E. M<ii.iMi:n. p. 162,
LES COMPAGMES DA>S LE MIDI JUSQL'eN 136o 439
était motivée par l'excommunication qui les avait atteints ^ ; mais
les hérétiques ne sont pas seuls susceptibles de recevoir cette cen-
sure : les lettres d'Urbain V donnent quelques éclaircissements à ce
sujet.
Immédiatement après les faits racontés plus haut , touchant le
dernier siège de Peyriac, Jean Fabri, évêque de Garcassonne,
informe le pape qu'il a fait enfermer, dans les prisons de l'évêché,
sept scélérats de la Grande Gompag-nie, que lui a remis Arnoul
d'Audrehem, et qu'il les tient à la disposition de l'inquisiteur,
parce qu'ils ont proféré des paroles contre la foi catholique, surtout
contre la puissance des clefs donnée par Notre-Seigneur à saint
Pierre et à ses successeurs. Le 10 juillet 136i, Urbain V mande à
l'évêque de Garcassonne et à l'inquisiteur de faire une enquête -.
Urbain V avait, dans ses bulles, excommunié tous les membres
des Gompagnies, ainsi que leurs complices et fauteurs, les compa-
gnons ne reconnaissaient pas ce pouvoir au Pape : c'est pour cette
raison qu'ils étaient appelés hérétiques.
Le 13 septembre, Urbain V instruit le roi Gharles de cette aifaire.
Nous apprenons à cette occasion que les sept prisonniers en ques-
tion étaient des capitaines des Gompagnies 2, et c'est seulement en
1. E. MOUMEH, 1. C.
2. Re(f. Vat. Urbani V, n" 2i6, fol. 269'' : « Ven. fr. Johanni cpiscopo Carcassonen.,
ac dil. filio... OrcLIVatrum Pred. in partibus Carcasson. in([uisitori hereticc pravitatis,
vel... ejus locunitenenti, salutcm, etc. Tua nobis fr. episcope nupcr notificavit epis-
tola, quod seplem viros nefarios de illa ^entc danipnabili, que magna societas appel-
latur, qui contra fideni catholicani, presertini potestatem clavium a Sal\ atore nostro
Domino Jhesu Christo lî. Petro apostolo et in ejus personam suis successoribus tra-
ditani qucdam verba hereticalia poUutis labiis protulerunt, tibi pcr dil. filiuni nob.
virum Arnulfum doniinum de Audenham, marescallum Francie, ac... Caroli régis
Francie illustris locumtenentem (qui eosdem vires propter alios eorum excessus
ceperat, eis cum voluntate conimunitatum illarum partium sub protesta tione proprii
juranienti ejusdem marescalli vite incolumitate promissa) Iraditos, ad nianum inqui-
sitoris ejusdem sub fida per te custodia (ex eo quod super ipsorum captorum dimis-
sione seu liberatione, quam idem marescallus se promisisse dicebat, eodem locum-
tenente inquisitoris asserente illos sibi debere tradi) retinendos, in tuis episcopalibus
carceribus tenes inclusos per le custodiendos, donec super premissis nostre declare-
mus beneplacitum voluntatis, quod a nobis cum multa instantia postulasti. [Mandai
eisdem ut de verbis haereticalibus supradictis inquirant, ac informalioncm secrelo ad
curiam mittant ; injungitque cpiscopo ut intérim illos viros cautc custodiri facial.]
Dat. Avinione vi idus Julii an. II ».
3. Ibid., fol. 312; Prou, Étude sur les relations politiques, etc.. p. 1J6. n" 38, à
qui. du reste, ont échappé les autres lettres du même volume, touchant celte affaire.
440 LA GUERRE DE CENT ANS
octobre que, dans plusieurs lettres, Urbain V nous transmet leurs
noms : c'étaient les nobles Adhémar de Portebœuf, Giraud Fabri
de Duras, Bernard Rigaud, Arnaud de Mauléon, Raymond de
Poquier, Bido de Puy-Guilhem et Bernard de Laborde, des dio-
cèses d'Ag-en, Aire, Sarlat et Comminges. Ils avaient commis leurs
crimes et sacrilèges dans les diocèses et provinces de Narbonne et
de Toulouse et dans les diocèses d'Albi et de Castres ^. Le 18 mars,
l'inquisiteur avait déjà porté personnellement à Avignon le résultat
de l'enquête ; le pape en ordonna une nouvelle ~.
Mais déjà avant cette affaire il se trouvait, au diocèse de
Lombez, quelques hommes des Compagnies qui alors dévastaient
le pays et prononçaient des paroles hérétiques contre l'Eglise et la
puissance des clefs. A leur sujet, le 7 juin 1364, Urbain V mande
à l'évêque de faire une enquête et d'en envoyer le résultat à la
cour romaine ^. Sans aucun doute, ils n'étaient pas les seuls héré-
1. Recf. Vat. Urbani V, n" 216, fol. 372'', ad an. 1364, Octob. 19 : « Ven. fr. Johanni
episcopo Carcassonen. ac ejus vicario in spiritualibus... Ad audientiam nostram nuper
pcrduxit relatio fidedigna, quod nob. viri Ademarius de Portabove miles de comitatu
Sabaiidie, ac Geraldus Fabri de Duracio, Bernardus Rigaldi, Guillelmus Arnoldi de
Maloleone, Raymundus de Poquier, Bido de Podio Guillelmi, ac Bernardus de
Laborda, domicelli Agennen., Aduren., Sarlaten. et Convenarum dioces., quos tan-
quam de heretica labe suspectostu, frater episcope, de nostro mandato tenes carceri-
bus mancipatos, de sortilcgiis, adulteriis, et homicidiis in personas ecclesiasticas
perpetratis, necnon de incendiis et violationibus ecclesiarum ac de stupris sancti-
monaliuni, et aliis diversis sacrilegis crimiijibus, quorum cognitio ad ecclesiasticum
forum dinoscitur pertinere, in diversis locis Narbonen. et Tholosan. dioces. et pro-
vinciarum, ac Albien. et Castren. dioces. commissis sint publiée diffamati. [Mandat
ut super infamia et veritate dictorum criminum inquirant et justitiam compleant ;
non obstante quod hodie episcopo eidem ac inquisitori in partibus Carcasson. coni-
miserit, quod super heresi contra eosdem procédant]. Dat. Avinione xini kal. Novem-
bris an. II ». La lettre citée à l'cvèque et à l'inquisiteur est ihid., fol. 372 (sous la
même date). Ibid.,io\. 370 •'j suiv., il y a encore des lettres aux archevêques de Nar-
bonne, de Toulouse, aux cvêques d'Albi et Castres (xv kal. Novemb.). Il s'agit de
quelques « potentes » qui pourraient essayer de « dictos liberare captivos ».
2. Ibid., n" 247, fol. 233.
3. Ibid., n" 246, fol. 232'' : « Ven. fr... episcopo Lomberien. salutem. Ad audientiam
nostri apostolatus nuper pervenit quod quidam viri dctestabiles de dampnabilibus
comitivis que Compagnie appellantur vulgariter, in tua diocesi presentialiter commo-
rantes, non solum contra fidèles illarum partium inhumanitcr debacantur ac contra
Deum et ecclesias ecclesiasticasque personas multa horrenda crimina committere
non pavescunt, verum etiam ora eorum fetida in celum ponere, quedam videlicet
verba nephanda lieresim sapientia contra S. R. Ecclesiam et potestatem Romani pon-
tificis publiée proferre presumunt [Mandat ut contra ipsos inquirat et informationem
receptam ad curiam mittat]. Dat. A\ inionc vu idus Jiinii an. H ».
LES COxMPAGNlES DANS LE 3IIDI JUSQL'eN 1365 441
tiques que comptaient les Compagnies, En effet, Charles V men-
tionne encore en 1368 des compagnons qui méprisaient les clefs
de l'Eglise contestant au pape le pouvoir de leur infliger des
sentences ^.
Les années 1363, 1364, 1365 furent, à coup sûr, les plus terribles
pour les populations du Midi, par suite des ravages quV exercèrent
de nombreuses Compagnies. Dans le but de se défendre contre celles-
ci, les seigneurs, les nobles, les communautés du Languedoc for-
mèrent, au moins à la fin de l'année 1 363 -, une ligue, grâce à laquelle
les efforts d'Arnoul d'Audrehem contre les Compagnies furent alors
un peu plus heureux qu'ils ne l'avaient été précédemment, comme
nous l'apprend une lettre d'Urbain V, du 3 août 1364, adressée aux
communautés des sénéchaussées de Toulouse , Carcassonne et
Beaucaire"^. Le Pape provoqua de même une ligue entre lui-même,
l'évêque de Valence et de Die, le gouverneur du Dauphiné, les
comtes de Provence et de Savoie. Ces contrées étaient menacées au
Nord et à FOuest par les Compagnies de la Bourgogne et du Lyon-
nais, au Sud et au Sud-Ouest par celles qui ravageaient le Langue-
doc, et à l'Est par celles qui venaient d'Italie. En 1363, Urbain V ne
se sentait plus en sécurité, comme il l'écrivait le 4 septembre au
roi Jean, à qui il refuse d'envoyer Jean-Fernand de Hérédia, capi-
taine du Comtat Venaissin, parce que les Compagnies campent
dans le A^oisinage et qu'on attend l'arrivée de nouvelles bandes
d'Espagne et de Catalogne^. Plusieurs Compagnies menaçaient
1. Arch. nat, Paris., J 711, n° 300'-'^. Cf ci-dessous le cinquième paragraphe.
2. Urbain V dit dans sa bulle du 27 février 1364 : « et quia senescalli aliique offi-
ciales regni ac nobiles et communitates civitatum, castrorum aliorumque locorum
senescalliarum Tholose et Carcassone ac Bellicadri contra dictas impias Societates
certam colligationem inviceni ad suarum personarum et terrarum et reruni defensio-
nem provide fecisse noscuntur », etc. Reff. Vat. Urb. V, n" 251, fol. 217.
3. Ibid., n° 246, fol. 296 : « Dil. fil. universitatibus civitatum ac castrorum et alio-
rum locorum senescalliarum Tholose, Carcassone et Bellicadri. salutem, etc. Indefes-
sam solicitudinem gravesque labores ac magna onera expensarum, que dil. fil.
nob. vir. Arnulfus dominus de Audenham marescallus Francie, in expulsione illarum
gentium que destruebant vestram patriam, strenue ac magnifiée pcrtulit. et perferre
non sinit, nos... audivinms et vos oculata experientia didicislis... [cum eidem mares-
callo secundum status sui decentiam non suppetant facultates, eosdem hortatur ut
ei de aliquo subsidio pro relevatione suorum sumptuum providcantl. Dat. Avinione ni
non. Augusti an, II ».
4. Req. \'i\l.. n- 245, fol. 246: Pnor. 1. c. p. 31 suiv. . p. 103. n° 18.
442 LA GUERRE DE CENT ANS
d'occuper Avignon, de le piller et de le dévastera Urbain convo-
voqua pour le o novembre les nobles et les prélats de la Provence,
du Dauphiné, du Comtat Venaissin et de la Savoie à une assemblée
dont le lieu de réunion fut fixé à Montélimar -. Le 30 novembre, la
ligue était déjà constituée ; une taille fut imposée pour la solde de
gens d'armes, et les ecclésiastiques furent autorisés par le pape à
contribuer pour leur part au subside*^. Le bon vouloir se montra
partout.
En i 364 , la Provence et le Forcalquier étaient continuelle-
ment menacés par les bandes. Le 7 mars, le Pape insiste auprès
des prélats, des nobles et des communautés pour qu'ils se hâtent de
payer la taille ^, ce qui était très difficile. Le long et rigoureux hiver
de 1363-1364 réduisait à néant toute espérance de récolte. Le
Rhône et les autres fleuves étaient tellement gelés qu'on pouvait
les traverser à cheval ou en voiture ; la gelée détruisait les vignobles,
les arbres, surtout les amandiers, et une grande partie des oliviers.
Uu grand nombre de brebis et d'agneaux périrent^. Chacun,
néanmoins, faisait ce qu'il pouvait ; même, les bourgeois de Mar-
seille s'offraient à porter en cas de danger secours au pape, lequel
les prie, le 31 mars, d'envoyer au patriarche de Jérusalem, Philippe
Cabassole, recteur du Comtat Venaissin, dès que celui-ci en aura
besoin, de bons et fidèles arbalétriers, bien expérimentés^. Pendant
1. Ainsi raconte Urbain V dans sa bulle du 27 lévrier 1364. Voy. ci-dessous le para-
graphe 2, p. 445, note 1.
2. Reg. Vat.,\. c. fol. 275'' ; Prou. p. 32, lOi, n° 20. Cf. encore Compte de Raoul de
Louppy, publié par U. Chevalier (Romans. 1886), art. 111, 112. J. Chevalier, Essai
sur l'église et la ville de Die, II, p. 261 ; Mém. pour servir à Vhisloire des comtés de
Valentinois et de Diois, I, p. 357 suiv., ne donne pas de renseignements nouveaux.
3. Cf. la lettre d'Urbain V du 20 novembre 1363 dans Rerj. Vat., n" 251, fol. 195'';
CoTTiER, Notes hist. concernant les recteurs du Comté-Venaissin, p. 74 suiv. ; Prou,
p. 34, 106, n" 22, Une nouvelle réunion se tint à Avignon le 19 janvier 1364 ; le
comte de Savoie donna son adhésion le 23 janvier ; Prou, p. 34.
4. Reg. Vat.. n" 246, fol. 132"; Prou, p. 110, n" 27.
5. Petit Thalamus, p. 365 ; Jean de Venette, p. 333 suiv. ; Chron. des quatre pre-
miers Valois, p. 136 suiv.; Chron. de R. Lescot, p. 461; Vie d'Urbain V dans Actes et
documents concernant le bienheureux Urbain V, rec. par Albanès. I. p. 9 suiv., et
Aimeric de Peyrac, ibid., p. 59. Nulle part on ne se souvenait avoir eu déjà une
gelée si forte et si persistante que celle qui se fit du mois de décembre à la mi-mars.
Voy. Eulogium histor., III. p. 232; Kmghton, p. 119. Cf. Luge, Du Guesclin, p. 412
suiv.
6. Reg. Val., n" 246. fol. 139'': Pnou. p. 111, n° 30.
URBAIN V ET LES GRANDES COMPAGNIES JLSQu'eN l36o 443
que les Compagnies continuaient leurs ravages dans les sénéchaus-
sées de Toulouse, de Carcassonne et de Beaucaire, elles menacèrent
de traverser le Rhône, mais n'entrèrent pas en Provence ni dans le
Venaissin. On peut signaler seulement quelques faits particuliers,
encore n'ont-ils probablement pas pour auteurs des gens des Com-
pagnies. Le 31 janvier 1364, la ville de Grenoble et tout le diocèse
reçurent la bulle Ad reprimendas^ et, le 24 mai, Urbain V écrivait
à l'évêque de Gap qu'un peu avant, plusieurs ecclésiastiques anglais
et italiens, qui d'Avignon s'en retournaient dans leur pays ^, avaient
été attaqués, dépouillés et emprisonnés dans le château de Sigoyer
qui appartenait à cet évêque, par certains scélérats qui voulaient les
rançonner ~.
Le danger fut imminent seulement vers la fin de 1365, quand de
nombreuses Compagnies, remplissant les sénéchaussées de Tou-
louse, de Carcassonne et de Beaucaire, menacèrent de là d'entrer
dans le Forcalquier, la Provence et les provinces voisines ^. Cette
affaire étant connexe avec la campagne deDuGuesclin en Espagne,
j'en réserverai l'exposé pour le quatrième paragraphe.
^2^ L'action d'Urbain V contre les Grandes Compac/nies
jusquen 1365
Dès 1363, l'attention d'Urbain V était portée sur les Compa-
gnies. Au début, il ne s'occupa que de faits particuliers; son
action proprement dite contre les bandes commence avec l'an 1364,
par ses bulles touchant la croisade. Les premières de ces bulles
furent provoquées par les Compagnies du Midi, surtout par celles
qui se tenaient dans les trois sénéchaussées de Toulouse, de Car-
cassonne et de Beaucaire ; c'est seulement quelque temps après que
le pape les appliqua à tout le reste de la France. C'est ainsi que
dans la layette Contra magnas societates qui se trouve aux Archives
nationales de Paris les premières bulles portent une date posté-
. 1. Reg. Val., p. n' 251, fol. 221''.
2. Ibid., fol. 193'' : « Eos ad castrum Ciguerii... quod de feudo tuo fore dicitur fece-
runt perduci ». Il y a encore des lettres à l'évêque de Grenoble, à deux capitaines
dudit château et à Raoul de Louppy, gouverneur du Dauphiné.
■^. licff. Aven. Urhan. \\ n" 13, fol. 602. Voy. la bulle dans le quatrième parajiraphe.
444 LA GUERRE DE CENT ANS
rieure, comme il sera marqué dans les notes. D'ailleurs, il n'est
pas surprenant que l'action du pape se soit exercée en première
ligne envers le Midi. Jusqu'à 1365, les Grandes Compagnies contre
lesquelles ces bulles étaient dirigées occupaient surtout le Midi,
et même alors que ces bandes manœuvraient en Champagne, en
Bourgogne ou dans les provinces du Centre, c'était, sauf quelques cas,
dans le but d'envahir les contrées du Sud. De fait, ce sont bien le
Languedoc et les provinces avoisinantes qui eurent le plus à souffrir
des Compagnies. Les bandes d'au delà de la Loire et de la Norman-
die étaient alors généralement quelque garnison des places fortes de
ces pays, des troupes isolées d'Anglais, de Bretons ou de Navarrais.
Et si quelques-unes d'entre elles reçurent aussi le nom de Grande
Compagnie, c'est à cause du secours qui leur vint de celles du Midi,
comme il sera montré dans le troisième paragraphe.
Un court exposé des bulles d'Urbain V n'ayant pas encore été
fait, il ne sera pas superflu d'en donner un ici. On a fixé à une date
trop tardive le commencement de l'action du pape ; ne connaissant
pas la première bulle, on s'en tenait au récit très imparfait de Ray-
nald K Dans la première moitié de 1363, l'attitude d'Urbain V, à
l'endroit des Compagnies, était encore presque affable. S'adressant
le 2o mai aux capitaines et aux gens d'armes de ces Compagnies,
il leur expose combien la Terre-Sainte a besoin de secours, et les
invite à marcher à sa conquête en allant, outre mer, combattre les
ennemis de la croix ; il ajoute que personne n'en est plus capable
qu'eux. Le Pape dit encore qu'ils pourront, de cette manière, faire
pénitence pour les crimes qu'ils ont commis jusqu'alors contre les
chrétiens ^. Cette lettre n'a rien d'étonnant : le 31 mars, Urbain
avait prêché la croisade contre les Turcs et avait de sa main donné
la croix aux trois rois de France, de Chypre, de Danemark, qui
étaient alors présents à Avignon ^. Il était impossible d'entreprendre
1. C'est Kaynald, Ann., 1365, n° 3, qui a induit en erreur les suivants, parce que
la première bulle qu'il publie, c'est Clamât ad nos, du 5 avril 1365. Frévflle,
dans Bibl. de l'École des chartes, t. III, p. 270, le suit. Moraxvili.é, Chron., II, p.
311, not. 2, prétend également que « le pape commença à sévir contre les Grandes
Compagnies dès l'année 1365 », en s'appuyant sur Lvce, Froissart, VI, p. lxxix,
not. 2. Prou, qui a étudié la question d'après les Registres du Vatican, met le com-
mencement à la fin de mai 1364; c'est encore trop tard.
2. Reg. Aven. Urhan. V, n° 245, fol. 168"^. Voy. ci-dessus p. 377, not. 2.
3. Les trois rois sont nommés dans Vita /* Urbani dans Actes et documents, etc.,
iRliAlN V Et LES GRANDES CO^IPAGNIES JUSQl'en 1365 445
une croisade contre les Turcs sans la France qui, dévastée par les
Compagnies, ne pouvait alors songer à autre chose qu'à lutter contre
cet ennemi du dedans ; c'est donc dans le but de libérer la France
que le Pape engageait les Compagnies à aller combattre les Turcs.
Ce fut en vain. Les Compagnies demeurèrent dans le royaume, et,
de propos délibéré, comme dit Urbain V dans sa bulle Cogit nos^
empêchèrent par leurs ravages les fidèles de prendre la croix et de
partir pour l'Orient.
Justement irrité contre elles, Urbain V publiait le 27 février 1364
sa première bulle pour une croisade contre les Compagnies , Cogit \
nos K Cette bulle avait pour but d'aider par des moyens spirituels
rec. Albanès, p. 8. La vraie date est fournie par Grand. Chron., p. 228; Chron. de
R. Lescot, p. 153 (« die sancto Parasceves »).
1. Re^. Vat. Urh. V, n" 251, fol. 217 et n° 261, fol. 99 : « Urbanus episc. etc. Ad
futuram rei menioriam. Cogit nos presentis malicia temporis, quo iniquitatis multi-
plicati sunt filii, cupiditatis ardore succensi, querentes improbe de alienis laboribus
suam saturare inj^hiviem, ac propterea crudeliter nimium in innocentes populos
sevientes, ut ad resistendum eorum pravis conatibus et ad defensionem eorundem
populorum, illorum precipue quos iidem iniqui invaserunl hactenus et invadunt,
continue virilius et effîcacius faciendam de apostolice potestatis providere remediis
studeamus. Sane sicut jani in publicam notitiam credimus pervenisse, nonnuUi viri
nepharii de diversis nacionibus in multitudine [gravi] congregati, omni justa causa
postposita, cunctis prout possunt exhibentes se hostes acerrimos, et in onines cru-
deliter débâchantes, ut pecunias quas insatiabiliter siciunt et cuni qua in perditio-
nem cadere non pavescunt, aliaque bona fidelium habilius extorqueant, segetes et
domos cremare, vites et arbores incidere, aninialia et quicquid aliud possunt in pre-
dani abducere moliuntur, pauperesque plebeios solo timoré a propriis laribus exulare
coinpellunt [voy. la suite de la lettre répétée dans la bulle du 5 avril 1365, Raynald,
Ann., 1365, n" 3 jusqu'au n" 4]. Et quamvis nonnuUos ex ipsis quandoque per publi-
cum edictum, quandoque per proprios nuntios... requiri fecerimus et moneri ut
hujusmodi impias coUegationes seu societates dissolverent et...in remissionem pecca-
torum suorum et ad... liberationem Terre Sancte, ad quam indiximus générale passa-
gium, pergere procurarent... ipsi tamen... récusantes... suaque consueta facinora
prosequentes assidue, ad occupandas, spoliandas et dissipandas civitatem nostram
Avinionen., ubi cumnostra curia residemus... et ad alias circumstantes partes hostili-
ter accedere comminantur, per hoc statum universalis Ecclesie in maximum (quod
absit) periculum ponere molientcs. .. [eosdem, presertim « eorum duces, capitaneos,
guidatores, conestabiles seu caporales et offîciales » qui per suos excessus .< dictum
sanctuin passagium et fidèles transfretare volentes impediunt » excommunicationis
et alias pocnas incurrisse déclarât]. Omnes catholicos principes et magnâtes
aliosquc christifideles exhortantes... ut ad dictorum iniquorum repressionem, impu-
gnationem et exterminiumtotis viribus se accingant.Et quia dil.lilii. senescalli aliique
olïiciales regni ac nobiles et communitates civitatum, castrorum aliorumque locorum
senescalliarum Tholose et Carcassone ac Bellicadri contra dictas impias societates
certam colligationem invicem ad suarum personarum et terrarum ac rerum defensio-
nem providefecisse noscuntur, [ad ipsorum « colligatorum » supplicationem iis omnibus
\
i4G LA ('tUERÏIÈ t)E CÈiNT ANS
la ligue entre les sénéchaussées de Toulouse, de Carcassonne et
de Beaucaire. Dans le préambule, le pape y retrace les excès innom-
brables auxquels se livrent ces Compagnies, leurs pillages, vols,
incendies, meurtres, viols, sacrilèges ; les crimes commis dans les
églises et monastères, dans les châteaux, dans les villes et dans
les campagnes, par ces hommes comparables à de véritables bêtes
féroces, qui, persuadés que personne ne peut leur résister, en
sont d'autant plus arrogants, et menacent de la spoliation, non
seulement les seigneurs, mais encore Avignon, siège du Souverain
Pontife. Il les déclare excommuniés, et il exhorte tous les
princes et les fidèles à se lever contre eux ; il accorde pour deux
ans, à la prière de la ligue du Languedoc, l'indulgence plénière à
tous ceux qui mourront en les combattant ou par suite des bles-
sures reçues pendant le combat.
Urbain V se servit de cette bulle, augmentée et retouchée selon
les circonstances, comme de la bulle Ad repj'imendas^ et l'appliqua
le 5 juillet au diocèse de Saint-Flour, le 19 janvier 1365 contre
Seguin de Badefol, comme nous l'avons vu. Elle fut également
employée contre les Compagnies en dehors de la France.
Par cette bulle, Urbain V jetait le fondement des suivantes, qui
contiennent des décisions supplémentaires et ont pour but d'isoler
les Compagnies. Le 27 mai de la même année 1364, il publia la bulle
Misei^abilis nonnullorum. Comme la première, elle est écrite pour
les trois sénéchaussées sus-nommées, et le Pape y retrace littérale-
qui in pugna contra dictas pravas societates vel ex receptis vulneribus clecesserint,
plenam remissionem peccatonim de quibus corde contriti et ore confessi fuerint, ad
biennium concedit]. Dat. Avinione iv kal. Martii an. II. ))7/)id.,sont notées les adresses
aux archevêques de Narbonne, Arles, Toulouse, Auch et à leurs suffragants ; aux
évêques d'Avignon, du Puy, d'Albi, de Vabres et de Castres, sous la même date.
[Mandat dictas litteras publicari et exponi populo in lingua vulgari]. — La date de la
même bulle (mutatis mutandis et adaptée au royaume de France) pour les arche-
vêques de Reims, de Lyon, de Rouen, de Sens, de Tours, de Bourges et leurs
suflragants, est seulement du « ix kal. Junii an. II » (*i l mai 136i), ibid., n" 251,
fol. 301. Dans la collection de Paris (Arch. nat., J 711, n° 300^'') se trouve seulement
le renouvellement de la bulle, sous la date de « iij non. Julii an. quarto » (5 juillet
1366), insérée dans une bulle adressée à l'archevêque de Toulouse (sous la même
date), et dans le Heg. Vfit., n" 2i8, fol. 243*^ à 245 à divers archevêques. Comme les
bulles datées du 24 mai 1264, ainsi celles-ci commencent : « Hodie adversus iniquita-
tis filins contuberniones seu socios de quibusdam pravis comitivis seu socictatibus...
certe indulgentie concessionem per apostolicas litteras fecimus sub hac forma ». Cf,
encore ci-dessous §§ 4 et 5.
URBAIN V TT LÉS GIlANDlvS C031PAGMES JL'SQu'en 1 36o Ï\1
ment le tableau des crimes commis, et enjoint aux Compagnies, sous
l'excommunication et d'autres peines encore, de se dissoudre, de
rendre les lieux qu'elles occupent et de réparer les dommages qu'elles
ont causés dans le délai d'un mois. Il défend dans les trois séné-
chaussées, à toute personne ecclésiastique ou séculière, de quelque
rang, dignité ou condition qu'elle soit, de rassembler des Com-
pagnies, de les introduire, de les favoriser, de prendre ou de con-
server quelque office au milieu d'elles, de porter aucune de leurs
bannières. Si les bandes, de quelque manière quelles soient orga-
nisées, ne se dispersent pas dans le délai d'un mois et si elles ne
réparent les dommages qu'elles ont causés, elles-mêmes et leurs
complices encourront l'anathème dont elles ne pourront être absoutes
que par le Pape, sauf le danger de mort. Urbain V défend sous la
même peine à tous les fidèles d'avoir aucun rapport avec les
« sociales », soit de leur fournir, porter, donner ou accorder blé,
pain, vin, viande, chevaux, armes, chariots, bateaux, provisions
quelconques , argent , marchandises , ou autres choses , soit de
leur donner conseil, aide ou faveur. Quiconque contreviendra à
ces ordres sera excommunié, les villes coupables seront soumises
à l'interdit ecclésiastique. D'autre part, les évêques doivent recher-
cher les noms de ceux de leur diocèse qui sont ou « sociales », ou
fauteurs et complices, et les publier pour qu'il leur soit fait un pro-
cès. Cette bulle devait être affichée à l'église majeure d'Avignon ' .
1. Reg. Vat. n" 251, fol. 277'^; n° 261, fol. 112. Le Pape dit que les Compagnies
m civitates ac castra et alia loca nonnuUorum ecclesiarum, monasteriorum, aliorurn-
que piorum locorum necnon nobilium et communitatum senescalliarum Tholose,
Garcassone ac Bellicadri hostilibus aggrediuntur insultibus, obsident, invadiint, spo-
liant et incendunt ». Du reste, les défenses qui sont tout ce qu'on rencontre de nou-
veau dans cette bulle sont répétées dans les bulles suivantes, et on les trouve
résumées dans Raynald, Ann.^ 1365, n° 4, et dans la bulle : Qunm sit plena
periculis [Chron. du religieux de Saint-Denys, éd. Bellaguet, IV, p. 538 à 540.
Chronogr., II, p. 313 à 315). La bulle Misernhilis est datée du « vj kal, Junii
an. II », et fut envoyée le même jour aux archevêques d'Auch, Toulouse, Xarbonnc
et leurs sufl'ragants, aux évêques de Castres, d'Albi, de Rodez, de Vabres et du
Puy : « Nuper adversus quosdam iniquitatis alumpnos, se societates seu compagnias
vulgariter appellantes, ac in scncscalliis Tholose, Carcassone et Bellicadri coni-
morantes eorumque fautores, defensores et receptatores quemdam processum
fecimus continentie subscquentis », etc., après : Miserabilis, etc. La même bulle
dans les Arch. nat. de Paris, J711, n" 300', porte la date du « vj kal. Aug. an. Il »
(27 juillet 1364), et comme dans Reg. Vat., n" 251, fol. 322», on y lit l'expression
générale « in regno Francie », au lieu de sénéchaussées, et elle fut envoyée aux
archevêques de Reims, de Rouen, de Sens, de Bourges, de Tours, de Lyon.
448 LA GUERRE DE CEM ANS
Le l®'" juin, le pape ajoutait une note supplémentaire. S'il avait,
dans la dernière bulle, défendu aux populations d'avoir aucun rap-
port avec les Compagnies, dès lors, il permettait aux prisonniers
de payer leur rançon soit en argent, soit en vivres, chevaux, etc.,
sans qu'ils encourussent l'excommunication ^ Cette lettre du Pape
confirme bien qu'au début son action s'exerça surtout contre les
Compagnies des trois sénéchaussées.
Comme dans la bulle Cogit nos^ Urbain V donne, dans sa bulle
Miserahilis , l'indulgence plénière à ceux qui meurent en combat-
tant contre les Compagnies. C'est justement en cette année 1364
qu'elles ravagèrent avec le plus de férocité les trois sénéchaussées
du Languedoc. Les populations voulaient s'employer à chasser les
bandes pour gagner l'indulgence ; mais , dépourvues souvent d'un
chef expérimenté, elles succombaient, et, le 23 novembre 13G4,
Urbain V se vit contraint d'ajouter à sa bulle cette remarque :
que ceux seuls qui combattraient sous un chef délégué par l'auto-
rité gagneraient l'indulgence. La témérité des populations causa la
mort d'un certain nombre de leurs combattants et l'emprisonne-
1. Reg. Vat. n" 251, fol. 277'' : « Ad perpetuam rei memoriam. Innata sedis Apos-
tolice pietas... Nuper siquidem adversus quosdam iniquitatis filios, comitivas seu
compagnias se vulgaritcr appcllantes, civitates. castra, terras, villas et alia loca senes-
calliarum Tholose et Garcassone ac Bellicadri ipsarumque incolas hostiliter moreque
predonico impetentes certuni processumfecimus,in quointer cetera hujusmodi socia-
libus seu personis dictarum societatum presentibus etfuturis communionem, partici-
pationem et commercium quoriimlibet christifîdelium interdiximus et prohibuimus
omnino... Verum quia, prout a fidedignis audivimus, iidem sociales nonnuUos ex eis-
dem incolis sepe capiunt et detinent carceratos, eosque per penas gravissimas et
terrores ad redemptionem conipellunt, quam sepius non solum in pecunia, sed in
equis, victualibus, armis, pannis et aliis rébus exigunt a captivis : nos captivorum
hujusmodi statui miserabili paterno compatientes alïectu ac nolentes quod ipsi prop-
ter nostram prohibitionem hujusmodi aut carceris squalore marcescant, seu in
hujusmodi impiorum manibus finiant atrociter vitam suam, tenore presentium aucto-
ritate apostolica declaramus, captivos ipsos vel alios qui sine fraude quacumque eos-
dem redimendo captivos quomodolibet vencrint contra interdictum et prohibitionem
nostram, prcfatas sententias in dicto contentas processu minime incursuros. Per hoc
autem non intendimus predictis processibus quoad alia in aliquo derogare. Dat. Avi-
nione kal. Junii anno secundo », — Aux Archives nat, de Paris, J 711, n" 3003», cette
bulle se trouve, mutatis mutandis, seulement avec la date du « xv kal. Maii an. III »
(17 avril 1365). Le fait raconté dans la lettre de rémission de Charles V, de juin 1366
{Hist. de Languedoc, t. X, p. 1360 suiv.) se réfère probablement à l'an 1364. Les com-
munautés de la sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes se sentaient coupables d'avoir
entretenu des rapports avec les gens des Compagnies dans le but d'éviter des maux
plus graves et de ne point payer la rançon des prisonniers.
t:iABAI> V ET LKS <iHANDKS CO^JÎ^AGNIES .IlSOl^lX 130.*) iV-)
ment de plusieurs ^ Cette bulle témoigne encore une fois qu'au
début l'action d'Urbain V fut dirigée en première ligne vers le
Languedoc.
Le 8 septembre, alors qu'en dépit des sentences les Compagnies
continuaient leurs terribles exploits, Urbain V publiait à la
Cour Romaine le procès qui leur était intenté dans sa bulle
MiserahUis '^.
Le Pape constatait dès lors que les Compagnies du Nord de la i
France devenaient aussi redoutables que celles du Midi. Aux '
batailles de Cocherel et d'Auray, les deux partis, mais surtout les
Navarrais et les Anglais, se servirent des Compagnies, qui, la
campagne finie, recommencèrent, comme nous le verrons au
paragraphe suivant, leurs ravages dans ces régions : à tel point
qu'Edouard même les désavoua par un mandement '^.
Urbain V avait non seulement saisi le danger de la situation,
mais encore il voyait clairement d'où provenait l'impuissance des
efforts tentés pour se débarrasser des Compagnies. Des seigneurs, [/
des nobles s'en servaient pour leurs intérêts particuliers ; les chefs
des bandes vendaient leurs services tantôt à l'un, tantôt à l'autre ;
puis, quand la cessation de la guerre privait ces bandes de leur
solde, elles tombaient sur les populations et recommençaient leurs
ravages. En Languedoc, le cri de plusieurs Compagnies était :
1. Recf. Aven. Urbani V, n" 11, fol. 506'' : « Ven. fr.... archiepiscopo Tholosan. ejus-
que surt'raganeis, salulem, etc. Dudum ad repressionem, impugnationem et extermi-
nium quorundam filiorum iniquitatis, qui Societates seu compagnie vulgariter
dicebantur, depopulantium ferali rabie civitates, terras, castra et loca senescalliarum
Tholosan., Carcasson, ac Bellicadi'i... universis christifidelibus, qui adversus hujus-
modi... dévote pugnarent, si in hujusmodi pugna décédèrent aut vulnerati... alibi...
de hac vita migrarent, plenam remissionem omnium peccatorum suorum, de quibiis
corde contriti et ore confessi forent... duximus indulgendam. [Decernit sue inlentio-
nis existere, quod illi dumtaxat hujusmodi indulgentiam consequantur, qui sub
duce... ad hoc per locorum dominos seu ofliciales deputato, pugnaverint contra supra-
dictos, non vero ii qui absque duce et inordinate processerint contra cosdem << quia
nonnulli ad persecutionem dictorum... animosi, absque duce contra eosdem proce-
dentes... occisi,alii vero capti abeisdem...extiterunt »]. Dat. Avinicine ix kal. Decem-
bris an, III». Plus haut, p. 413, not. 1, j'ai déjà rapporte la bulle du pape adressée à
Arnould d'Audrehem , regardant un cas particulier.
2. Cela est dit dans la bulle d'Urbain V du 5 avril 1365 {Reçf. Vat.. n" 217, fol. 212 :
« qui processus die octava mensis Septembris ]>roxime preteriti in dicta curia extitit
publicatus ».
3. IIymiîr, /•beJer.i, p. 7 i5 suiv. Voy. ci-dessous, p. 470, not. 7, la lettre dUrbain ^'
adressée A ce sujet au prince de Galles le 11 janvier 1365.
R. P. Denifle. — De.iofatin ecclcainrum [I. 29
450 LA GUERRE DE CENT ANS
Navarre ! Ces bandes avaient alors panonceaux aux armes du roi
de Navarre et disaient qu'elles combattaient pour lui. En effet,
Charles le Mauvais aidait et soutenait plusieurs chefs des Com-
pagnies ', comme il parut clairement à la bataille de Cocherel. Ce
système se pratiquait plus ou moins partout, c'est pourquoi les
guerres privées étaient alors, pour la France, plus désastreuses
que jamais. La troisième bulle d'Urbain V fut donc, pour cette
raison, dirigée surtout contre les seigneurs et les nobles : elle
contient un mot contre tous ceux qui se servaient des Compagnies
et contre ceux qui se mettaient à leur tête, s'enrôlaient parmi elles
ou les favorisaient.
Le 5 avril 1365, il publia la bulle Clamât ad nos qui, de prime
abord, est destinée à toute la France. Après avoir transcrit une
grande partie de la bulle Miserabilis^ et avoir, une fois de plus,
déclaré excommuniés les « sociales », et surtout « eorum capita-
nos, guidatores, conestabiles et ofïiciarios », il ajoute que tous
les fauteurs des brigandages commis en France sont excommuniés
et que leurs terres sont soumises à l'interdit ecclésiastique. Il
dépouille les cités, places fortes, châteaux, villes, populations, etc.,
qui ont, de quelque façon, pactisé avec les Compagnies, de tous
leurs privilèges et libertés, les prive de leurs lîefs et droits; il
déclare que désormais tous les coupables et leurs descendants,
jusqu'à la troisième génération, seront dans l'impossibilité d'obtenir
ou de remplir les dignités, offices, bénéfices ; il délie les vassaux
et les hommes-liges de tout serment de fidélité envers les cou-
pables; il déclare infâmes, dans le sens juridique du mot, les
« sociales » et leurs fauteurs, ainsi que leurs fils et petits-fils jus-
qu'à la troisième génération. Il dépose les capitaines et officiers
desdites Compagnies, les « sociales », leurs complices et fauteurs
de toutes dignités, honneurs séculiers et offices publics dont ils
pourraient être revêtus, et enlève l'honneur chevaleresque à ceux
qui le possèdent. Quant aux clercs ou ecclésiastiques qui sont parmi
les compagnons, outre lesdites peines et sentences, ils sont privés
de toutes leurs dignités, personnats, offices, canonicats, prébendes
1. C'est ce qu'écrivait Arnoul crAitdrehcm au roi Charles V, comme le dit ce der-
nier dans son Mémoire de 1364, destiné à Urbain V, dans Secousse, Preuves, p. 203,
n° 10 ; p. 206, n° 21 suiv.
Urbain v et les grandes compagnies jusqu'en 13Go iîjl
et bénéfices, et incapables d'en acquérir de nouveaux. Le Pape
exhorte le roi, ainsi que les prélats et les autorités du royaume, à
combattre les Gompag-nies par tous les moyens possibles '. Le
même jour, il envoyait au roi Charles V, Gui de Prohins, gouver-
neur de Montpellier, porteur de lettres papales - que je suppose
être cette bulle. Le 1^'" mai, Urbain V mande aux évêques de Rouen,
de Tours, de Lyon, de Reims et de Sens d'exécuter en public le
procès que lui-même a fait contre les Compagnies dans sa bulle
Clama f ad nos ^.
Mieux qu'aucune autre chose, cette bulle nous révèle quelle
immense plaie les Compagnies étaient pour la société tout entière.
Le Pape avait épuisé contre elles et contre leurs fauteurs et com-
plices toutes les peines susceptibles de leur être appliquées, et l'on
comprend facilement quel intérêt avaient les « sociales » k ne pas
reconnaître la puissance des clefs au Souverain-Pontife^ dont les
bulles menaçaient leurs biens, leurs moyens d'existence, leur vie
même. Que faire en présence de ces bandes malfaisantes qui, au
lieu de se soumettre, devenaient de jour en jour plus audacieuses
et plus nombreuses. Non seulement tous les efforts matériels et
spirituels tentés contre elles n'aboutissaient point, mais ils avaient
pour effet de les propager. Quand, au prix de grands sacrifices,
les habitants d'un lieu avaient pu se débarrasser d'une Compagnie,
une autre survenait. Encore, la précédente ne quittait-elle point la
France, ni même souvent la province qu'elle occupait, elle chan-
geait seulement de place et recommençait dans un autre endroit son
1. Reff. V.it., n" 247, fol. 240''; voy. Raynald, Ann., 1365, n<" 3, i. La lettre est
aussi dans Arch. nat., J 711, n" 300 2 et porte la date « non. April. an. tertio ». C'est
la vraie date. Dans le Rerf. ^ ni., la lettre est insérée dans une autre adressée : « \'cn.
iVatribus... archiepisc. Remen. ejusque suflVaganeis » ; la date qui y est à la fin et
dans Raynald, 1. c, c'est-à-dire : « vj id. Aprilis an. tertio », est la date de la lettre
à rarchevcque, et non jias de la bulle Clamnt ad nos. Après les mots (1V)1.2»6 '') : « non
obstantibus constitutionibus contrariis quibuscunque », l'écrivain du Reyi.'itre a omis
d'écrire la date. — Tout ce qui est nouveau dans cette lettre et dont j'ai touché
seulement quelques mots plus haut, se trouve une seconde fois dans la bulle Quam sil
plena periciilis, de 1367, et je renvoie le lecteur à la Chron. du rel. de Saint-Denys,
éd. Bellaguet, IV, p. 540 à 546, et à la Chronocjr., II. p. 315 à 319. Raynai.d a trop
abrégé cette partie.
2. Reg. Vat., n" 247, fol. 70'': Pnou, p. J26. n» 50.
3. Recf. Vat., n" 261, fol. 156. Dans Arch. nat., J 711, n" 300 <», esl la même bulle,
adressée à l'archevêque de Reims.
4o2 l\ GL'ERRE DE f.E.NT ANS
affreux métier. Cette triste situation n'était plus soutenable : le
Pape et le roi devaient donc songer aux moyens les plus efficaces
à employer contre ce terrible fléau. Avant d'exposer leurs projets,
et de terminer ce récit de l'action d'Urbain V, jetons un coup d'oeil
sur les Compagnies dans le reste de la France.
3. Les Compagnies au delà de la Loire. Cocherel et Auray.
Bourgogne. Lorraine.
Nous suivrons dans cet exposé l'ordre des faits. C'est celui que
je trouve le meilleur pour arriver au but que je me propose ici :
montrer l'extension des bandes au delà de la Loire pendant que les
Grandes Compagnies dévastaient le Midi. Seulement je ne donnerai
qu'un choix des faits. Cet exposé ne devant servir qu'à mieux
comprendre la désolation des églises et monastères de ces contrées,
j il peut être d'autant plus bref que celui que nous donne Luce ^ à ce
sujet est un solide fondement pour toutes les recherches que
voudront faire les historiens qui suivront.
Commençons par la guerre que Du Guesclin ht aux Compagnies
dans le comté d'Alençon, le Perche, le Maine, l'Anjou et la
Normandie.
Dans ces contrées, les Compagnies étaient les garnisons
anglaises qui, en dépit du traité de Bretigny et des ordres formels
d'Edouard III et de ses commissaires 2, refusaient trop souvent
d'évacuer les places. Dans la seconde moitié de 1360, Du Guesclin
commença sa campagne contre les Compagnies dans le Maine^
emportant d'assaut Sablé, Saint-Brice et quelques autres repaires
du brigandage. Mais, se dirigeant vers le Bas-Maine, au pont de
Juigné-sur-Sarthe, il fut fait prisonnier dans un combat acharné
que lui livra Hugh de Calverly, et sa rançon fut fixée par ce dernier
à trente mille écus ^. C'est seulement après le payement de sa
rançon qu'il reprit sa campagne, le 18 octobre.
1. Dans le chapitre XI, Du Guesclin et les Compagnies^ et les suivants, qui sont, à
coup sûr, les meilleurs de son livre, Ilisl. de B. du Guesclin.
2. Voy. ci-dessus, p. 370 suiv.
3. Luge, Du Guesclin, p. 347 ; Chron. norm., p, 158 suiv.
LES COMPAGNIES AU NOHD. COCHEREL ET ALRAY, 13Bi, 13(io 453
Dans le Perche ^ ainsi que dans tous les environs, des bandes
faisaient la terreur; elles y occupaient des forteresses dont l'une,
Brozolles, fut assiégée par le connétable de France, Robert de
Fiennes, en novembre 1361. Du Guesclin , qui se trouvait alors à
Pontorson, rassembla une Compagnie et se disposa à rejoindre le
connétable. Chemin faisant, il surprit les Anglais à Briouze, dans
le comté d'Alençon. Il y fît prisonniers une centaine d'hommes et
leur capitaine. Sans perdre de temps, il continua sa marche sur
BrezoUes. Cette place se rendit bientôt ^
Tel fut le modeste début de cette campagne contre les Anglais.
Cependant Du Guesclin y montrait déjà cette activité merveilleuse
qui lui était caractéristique et avec laquelle il savait si bien sur-
prendre l'ennemi. « Jules César et le bon conestable Du Guesclin
gaignèrent tout par ceste célérité », disait Jean Gerson en 1 40o 2,
et cette renommée lui reste encore aujourd'hui.
D'ailleurs, le dauphin Charles le récompensa de ses bons
services. Il lui donna en toute propriété le château de la Roche-
Fesson, situé dans la Basse-Normandie, entre Avranches et Saint-
Lô. Ce fut comme en reconnaissance de ce don, que Du Guesclin
surprit habilement, près de S'-Guillaume de Mortaing '^^ 600 Anglo-
Gascons, dont il tua ou fît piûsonniers un très grand nombre, au
commencement de 1362. Puis, de concert avec Robert de Fiennes,
il attaqua les Anglais qui s'étaient fortifiés dans l'abbaye bénédic-
tine de Saint-Martin de Séez ; après une lutte acharnée , les
Anglais^ venus au secours de leurs compatriotes, furent obligés de
battre en retraite, et la garnison se vit forcée de rendre l'abbaye qui
devait, ainsi que nous le verrons plus tard, être détruite en 1362,
mais dont les moines furent dispersés. Vers le même temps, un
Anglais, Pierre Hoppequin, qui occupait depuis 1339 l'abbaye des
Prémontrés de Silli-en-Gouffern, fit une incursion dans la riche
abbaye bénédictine de Saint-Pierre-sur-Dives et la mit au pillage ;
mais bientôt il fut tué avec un grand nombre de ses hommes dans
un combat que lui livrèrent les Français '♦. D'autres compagnons
1. Chron. norm., p. 157 suiv.; Luce, 1. c, p. 354, 355 suiv.
2. Voy. Charlul. Universitat Paris., IV, n° 1819.
3. Chron. norm., p. 160 suiv. ; Luci:, p. 358.
4. Chron. norni., p. 150 siiiv.,16i: I.icl:, I. c, 3(iU.
1
454 LA GUERRE DE CENT ANS
mirent à sac l'abbave bénédictine de Saint-Evrault, dont la misère
nous est déjà connue, si bien que le 10 avril, le roi d'Angleterre
lui-même écrivit à Jean Ghandos de forcer ces pillards à rendre les
rançons qu'ils avaient prélevées sur ladite abbaye K
En Normandie, la Compagnie la plus redoutable était celle de
James Pipe, qui, ne se croyant pas lié par le traité de Bretigny,
continua la campagne. Il ravagea la Basse-Normandie, s'empara de
Rupierre, au nord-est de Gaen, et du Hommet, et n'évacua ces
places fortes que moyennant la somme de quinze mille royaux -.
Mais cela servit peu. Vers le 17 avril 1362, il prit l'abbaye bénédic-
tine de Cormeilles, s'y fortifia, et, de là, rançonna toute la
région comprise entre Lisieux et Pont-Audemer ; pendant ce
temps, ses bandes menaçaient la ville de Rouen ^. Nous avons vu
que l'abbaye ci-dessus nommée fut infestée par les ennemis même
avant le traité de Bretigny ^. Robert de Fiennes, rappelé par le roi
Jean contre les Compagnies qui guerroyaient en Bourgogne, vint,
avec Du Guesclin, assiéger James Pipe à Cormeilles. Celui-ci, non
sans avoir reçu une somme convenue ^, rendit, vers le mois d'août
1362, l'abbaye à Du Guesclin qui, peu de temps après, fut égale-
ment vainqueur de Jean Jouel, chef redouté de la garnison anglo-
navarraise de Livarot ^^ à Pas-du-Breuil , près de Lisieux. Cette
place avait été assiégée en vain par Robert de Neubourg, seigneur
de Livarot ^.
Après avoir fait la paix avec le roi Jean au traité de Bretigny,
Philippe de Navarre devint l'allié des Français pour leur campagne
contre les garnisons anglaises en Normandie depuis 1363. Pour
joindre ses efforts à ceux des Français, il assembla la noblesse de
Normandie et les milices de Rouen. Ces forces réunies essayèrent
de chasser des forteresses situées entre Saint-Lô et Vire les
Compagnies qui les occupaient^. Aulnay fut repris, mais non
1. Rymer, Foedera, III, p. 644. Voy. ci-dessus, p. 300.
2. Delisle, Hist. du château et des sires de Saint-Sauveur-le-Vicomte, p. 123, 125.
3. Ibid., 125 suiv.
4. Ci-dessus, p. 299 suiv.
5. LucE, p. 360 suiv., 369 suiv,
6. Chron. norm., p. 174; Luce, p. 371.
7. De la Rue, Nouveaux essais sur la ville de Caen^ II, p. 228.
8. Sur les diverses étapes, voy. Delisle, 1. c, p. 127.
LES COMPAGMES AU NORD. COCIIEREL ET AURA Y, i3(J4, 1365 ioo
Cotigny et Goulonces K Vers le même temps, les Ang-lo-Navarrais
occupaient un certain nombre de forteresses du Bessin , d'où ils
rançonnaient le plat pays des environs de Bayeux. Ils s'emparaient
de Beaumont-le-Richard, de Quesnay du Molay et du fort de la
Ramée à Trévières ; de ces points, ils pillaient les paroisses
voisines, brûlaient les maisons, faisaient des prisonniers. Les
paroisses devenaient désertes, et on ne labourait plus -.
Ainsi, malgré le traité de Bretigny , la guerre ne cessait pas
dans ces régions. La chasse aux Compagnies était un travail de
Sisyphe. Quand on les avait expulsées d'un endroit à prix d'argent
ou par la force des armes, elles se transportaient aussitôt ailleurs.
Non seulement les Anglais et les Navarrais dévastaient ces régions,
mais encore les Gascons et les Bretons. Ces derniers, à peu près
ruinés par la guerre de la Succession, s'étaient formés en Compa-
gnies pour chercher dans le pillage une compensation à la perte de
leur solde. Nous trouvons, en 1360 et en 1361, des Bretons et des
Gascons dévastant une partie du Poitou et de VAnjou^ comme le
dit Jean de Venette ; ils s'y emparaient de plusieurs forteresses,
occupaient le prieuré bénédictin de Cunault, entre Angers et
Saumur, et, sous les ordres d'un capitaine anglais, Robert
Markaunt, occupaient également Vendôme. Bientôt les Bretons se
répandirent dans le Chartrain, l'Orléanais, et pillèrent les cam-
pagnes jusque vers Paris '^. Cet état de choses empira en 1362,
surtout dans la Beauce ; les habitants de la campagne étaient obli-
gés de se réfugier dans les places fortes ^. La peste faisait d'innom-
brables victimes ; les impositions et les gabelles pesaient d'une
façon intolérable sur le peuple, de sorte que beaucoup de familles
s'expatriaient pour chercher un sort meilleur ^. C'est seulement
en 1366 que Robert Knolles restitua la Gravelle, « Grena » et
d'ingrandes, des diocèses d'Angers et du Mans, qu'il avait pris à
main forte. Ses bandes les tinrent longtemps occupés et de là,
1. Delisle, 1. c, p. 127 ; Luce, p. 383 suiv,, 385 suiv.
2. De la Rue, 1. c. p. 230 suiv.; Delisle, p. 228, où sont tous les détails, et Luce,
p. 414 suiv., où est racontée la campagne des Français contre les occupants.
3. Jean de Venette, p, 318 suiv. ; cf. Contin. de B. Lescot, p. 149,
4. Ibid., p. 322.
5. Voy. sur tout cela ibid.
4o() LA GUERRE DE CENT A>S
associées quelquefois aux Compagnies, elles portèrent les ravages
dans tout le pays, en rançonnant leurs prisonniers ^
Nous avons vu comment VOrléanais, même après la conclusion
du traité de Bretigny, était infesté par les Compagnies. Vers le
30 mars 1363, nous y trouvons des Anglais, au nombre de cinq
cents, qui se fussent emparés de la ville, si un enfant n'eût,
comme par miracle , réveillé les sentinelles qui dormaient. Les
Carmes, situés hors de la ville, qui, comme les autres ecclésias-
tiques, avaient tant souffert en 1359^, se virent dérober les
meubles, soit de leur maison, soit de leurs églises ^. L'abbaye
bénédictine de Saint-Benoît-sur-Loire était alors au pouvoir des
Bretons; elle ne leur fut rachetée que vers la fin de 1365, au
moyen d'une aide levée sur les habitants de l'endroit et des
environs ^. Vers 1362, le prieuré de Notre-Dame d'Ambert tomba
aux mains de l'ennemi ; le prieur et les religieux se réfugièrent à
Orléans \
Des rapports existaient entre les Compagnies du Chartrain , de
la Beauce et de l'Orléanais; en 1362 ou 1363, plusieurs de leurs
compagnons, déguisés, coururent jusque vers Paris; ils s'empa-
rèrent par ruse de la forteresse de Murs, près Corbeil, d'où ils
dévastèrent tous les environs ; beaucoup d'habitants se réfugièrent
à Paris *•. Il n'est pas surprenant que les communications entre
Paris, Chartres, Orléans et l'Anjou aient été presque interceptées à
cause des bandes et des Compagnies. Personne n'osait quitter les
places fortes ^.
En Touraine^ c'étaient encore les Bretons qui occupaient
quelques forteresses. Nous avons déjà vu que sous les ordres de
Basquin de Poncet, la place forte de Véretz était en leur pou-
i. Cela est dit par Urbain V dans sa lettre du 29 mai 1366, Becf. Vat., n" 255, fol. 32 ;
Prou, Éfude, etc., p. Ii9,n" 69. Les trois lieux s'appellent :Gravella,Grena, Engrandia.
Sur d'autres Compagnies, mentionnées en 1365, voy. ci-dessous à la fin du cinquième
paragraphe.
2. Ci-dessus, p. 231.
3. Jean de Venette. p. 322. Contin. de R. Lescot. p. 155. Bimuenet, Hisl. de la ville
d'Orléans, II, p. 292 suiv., est muet sur ce fait.
4. Luge, p. 481.
5. Ibid., p. 479.
6. Cf. le récit dans Jean de Vexette, p. 327 suiv. ; Contin. de R. Lescot. p. 157.
7. A'oy. Jeax de Venette. p. 319.
LES COMPAGNIES AU NORD. COCIIEREL ET AURAY, 1361, 1363 4o7
voir *. L'évacuation imposa un lourd sacrifice aux habitants de
Tours, car elle ne devait s'effectuer que moyennant 2900 écus d'or ~.
A la fin de 1363, Montlouis qui, comme je l'ai déjà fait remarquer,
fut « affaibli » en 1358 ou 1359, attira les Anglais ou Bretons pour
s'y fortifier ^. 11 se peut que ces bandes soient les mêmes que celles
qui étaient venues en France pour le roi de Navarre, « et y prindrent
certains fors comme environ Tours et y firent guerre », comme dit
Charles V, en 1364 ^. Ceci prouve que plusieurs forteresses étaient
occupées par les ennemis. La rigueur de l'hiver était très favorable
à leurs exploits : la Loire était gelée ^, on pouvait la passer sans
difficulté. Mais, en 1365, la Touraine était probablement délivrée des
Bretons; pour des faits antérieurs, les Tourangeaux donnaient 100
francs à Olivier Du Guesclin en témoignage de reconnaissance ^. A
Tours et en Touraine, on travaillait assidûment aux fortifications, ce
qui donnait lieu à de nouvelles impositions sur les habitants. On ne
négligeait pas non plus de faire constamment le guet, parce qu'on
ne se sentait pas en sûreté ^. La continuelle correspondance de
Tours avec Paris, Vendôme, Blois et d'autres villes, surtout en
1364, n'est pas moins significative ^.
Les plus grands faits de cette époque sont la bataille de Cocherel
et d'Auray. La première devait, à l'avenir, être très nuisible à
l'affaire de Charles le Mauvais ; la seconde mit fin à la guerre de la
Succession de Bretagne. Ces deux faits se confondent avec l'histoire
des Compagnies dans le Nord.
1. Ci-dessus, p. 288 suiv,
2. Delaville le Roulx , Registres des comptes municipaux de la, ville de Tours,
I, p. 229, not. 1.
3. Ihid., n° 1459 à 1463.
4. Dans son Mémoire, éd. par Secousse, Preuves, p. 206. Cf. p. 204.
5. Le 30 janvier 1364, la ville de Tours employait 38 hommes « pour rompre les
glaz de Loii'e, depuis la tour carrée jusques aux Jacoupins ». Delaville le Roulx,
n° 1466.
6. Ibid., n" 1597. C'était pour la délivrance des places occupées par les Bretons :
Montlouis. Les Ruches, Les Odes (Houdes) et Chenonceaux. Voy. ci-dessus, p. 288.
Li;cE, Du Guesclin, p. 476 suiv., ne nomme pas ces quatre places fortes dans son
tableau des lieux forts. Sur le nom Houdes, Oudes, comme écrit Cassini, Odes, voy.
Busserolle, Dictionnaire i/éograph., hist. d'Indre-et-Loire, III, p. 350. Il écrit, II,
p. 226 : Chenonceau.
7. Delaville le Roulx, n"" 1322, 1398 suiv,, 1470. 1480, 1528, 1593 suiv., 1680, 1686,
1689 suiv., 1724 suiv.
8. Ibid., p. 290 suiv., et passim.
4o8 LA GUERRE DE CENT ANS
Le 21 novembre 1361, Philippe de Rouvres, duc de Bourgogne,
étant mort sans laisser d'enfants, le roi Jean prit possession du
duché comme d'un héritage lui étant échu par succession ,
ainsi que l'écrit Secousse. Mais Charles le Mauvais, cousin issu de
germain du dernier duc, prétendit avoir des droits sur la Bour-
gogne, et, dans le courant de l'année i3(i2, il dépécha à plusieurs
reprises des ambassadeurs auprès du roi Jean, qui n'en tint aucun
compte ^ Charles le Mauvais, qui se trouvait alors en Navarre, se
prépara à reprendre la lutte, bien que le roi n'eût manifesté contre
lui aucun sentiment hostile. Le Navarrais fît attaquer en sous-
main le royaume par un certain nombre de chefs de Compagnies,
surtout en Languedoc -.
Le bascot de Mauléon confesse également qu'il avait, avec ses
compagnons, fait la guerre dans le Berry et dans le Nivernais « au
1. Voy. Secousse, >/em., II, p. 4 à 6, suivi par Luce, p. 408. Sur rambassadc
envoyée par Charles le Mauvais auprès du roi Jean, voy. l'Instruction que Charles V
fît dresser, vers le milieu de Tannée 1364, pour le duc d'Anjou, dans Secousse,
Preuves, p. 200 suiv.
2. Voy. ci-dessus, paragraphe 2. Tout cela est décrit dans llnstruction citée de
Charles V. Cf. Froissart, VI, p. 87. E. Meyer, dont le livre, Charles II, roi de
Navarre, comte d'Evreux (1898), me tombe à présent sous les yeux, ne donne pas foi
(p. 157) à l'assertion des chroniqueurs, relative aux préparatifs de guerre de Charles de
Navarre. Mais cet auteur a tellement pris parti pour lui contre les rois Jean et Charles V
et contre tous les bons Français qu'il regarde toutes les sources royalistes et les « écri-
vains royalistes » comme suspects, ineptes et faux. Je parlerai sur ce point dans ma
Préface. Cependant, comme ailleurs, Meyer s'est trompé aussi cette fois. Les chroni-
queurs royalistes ne sont pas seuls à parler des préparatifs hostiles de Charles le
Mauvais contre la France. Urbain V même, le 15 avril 1363, c'est-à-dire un an avant
la prise de Mantes et de Meulan par Du Guesclin, exhorte Charles de Navarre à s'ab-
stenir de toutes rancunes et entreprises,» attentissimoque studio caveas ne contra pre-
fatum tuumsocerum (Johannem) attemptes facere seu fieri facere aliquam noxiam novi-
tatem », etc. Meyer pouvait connaître tout cela, car Piiou a publié cette bulle, prise au
Reg. Vat., n° 245, fol. 127, dans son Étude, p. 102, n° 16, et p. 39 suiv., et en adonné
un très utile aperçu. L'Instruction de Charles V est, sur un autre point encore,
d'accord avec Urbain V. Charles V y dit que le pape envoya pour cette affaire, au
roi de Navarre, les cardinaux de Boulogne et de Thérouanne. En effet, Urbain V
envoyait, le 13 février 1364, ces deux cardinaux auprès des deux rois, comme nous
lisons dans Reg. Vat., n° 246, fol. 124''. Meyer pouvait lire cela dans Ray.nald, Ann.,
1364, n° 15. Le cardinal de Boulogne quitta bientôt Avignon et alla vers la Navarre
auprès de Charles le Mauvais; le 19 février, il écrit déjà de « Narbonne », qu'il est sorti
de la Cour Romaine « pro tractandopacem inter regem Francie... et regem Navarre...
Scriptum Narbonne xix die Februarii». Arch. Vat., arm. 53, tom. 9, p. 81, dans « copia
littere misse magno senescallo per dominum Bolonie ». Par cette lettre, est confirmé
le fait que Charles le Mauvais n'était pas alors à Cherbourg, comme prétend Froissart
et, d'après lui, Dupont, Hist. du Cotentin, II, p. 379, mais en Navarre.
LES COMPAGMES AU NOKD. COCHEREL ET AURAY, 1364, 1365 4o9
veu et au tiltre du roy de Navarre qui nous entretenait ^ ». De plus,
Charles de Navarre s'assura encore de l'appui du roi d'Angleterre
et du prince de Galles.
Sur ces entrefaites, Louis, duc d'Anjou, l'un des otages du traité
de Bretigny, violant sa parole , rentra en France et regagna ses
terres -, ce qui engagea le roi Jean à retourner en Angleterre. Ce
dernier arriva à Londres le 5 janvier 1364, après avoir d'abord érigé
en duché-pairie le duché de Bourgogne, qu'il donnait à son fils
Philippe '^, et nommé, le 6 septembre, le dauphin Charles régent
du royaume pendant son absence. Charles se mit aussitôt en
mesure de faire la guerre au Navarrais ; il redoubla même les
préparatifs lorsqu'il fut devenu roi de France après la mort de son
père, survenue en Angleterre le 8 avril de la même année ^.
L'évasion du duc d'Anjou, son frère, en provoquant l'irritation
d'Edouard III, lui suscita encore un nouvel ennemi.
Pendant l'été de 1363, le roi d'Angleterre donnait ordre au
fameux Jean Jouel, qui tenait plusieurs forteresses en Normandie,
de faire la guerre à la France en son propre nom. C'était « une
guerre couverte ». Jean Jouel ouvrit sa campagne en Normandie,
ravageant et pillant le pays, rançonnant les habitants. Il prit le
fort d'Auvilliers, mais Philippe de Navarre l'empêcha d'attaquer
Bernay. En octobre, il s'empara du donjon de Rolleboise, barrant
la Seine entre Paris et Rouen. Ses bandes ou quelques autres
continuèrent leurs courses dévastatrices jusqu'à Poissy et au delà
1. Froissart, éd. Lettexhove, XI, p. 112.
2. Froissart, éd. Luce, VI, p. 89. En novembre 1362, les quatre ducs conclurent un
traité avec Edouard III (Voy. Rymer, p. 661, 681 suiv., 685, 694, 699 suiv. Cf. Pauli,
Gesch V. England^ IV, p. 435), et le duc d'Anjou avait fait serment de ne pas partir de
Calais où il demeurait, en cas de non exécution dudit traité (Lettenhove, Froissart,
VI, p. 506 suiv.) Sur son départ de Calais (un peu avant le 20 novembre 1363), voy.
Chronogr., II, p. 298, avec d'amples détails; Jean de Noyal, dans V Annuaire-Bulletin
de la Soc. de VHisl. de France, année 1883, p. 262. Cf. encore Jean de Venette,
p. 332.
3. Plancher, Hisl. de Bourgogne, II, Preuves, p. 278 suiv.
4. Il existe sur ces préparatifs quekjues lettres du roi Charles : une du 14 ^2) avril,
dans laquelle la mort du roi Jean est déjà mentionnée (Du Chatellier, Invasion de
Vétranger dans les XI V" et XV" siècles, 1872, p. 13 suiv.), et deux autres du même mois
dans Delisle, Mandements de Charles V, p. 1, n° 1, et p. 5, n° 7. Lettenhove, Frois-
sart, t. XVIIl, p. 478 suiv., après la prise de Mantes. La nouvelle de la mort du roi
Jean ne parvint à Paris que le 16 avril. Voy. Lemoine, Richard Lescot, p. 166,
net. 4.
460 LA GUERRE DE CEINï AISS
de la Seine, en Vexin et jusqu'à Pontoise, profitant de ce que le
fleuve était gelé ^ .
Par l'ordre du dauphin, Du Guesclin et Maury mirent le siège
devant Rolleboise, dont la défense fut opérée, au commencement
de mars 1364, par le brabançon Wauter Strael à la place de Jean
Jouel. Mais bientôt alarmé par le bruit de la concentration des
troupes navarraises sous les ordres du captai de Buch, le régent
chargea le maréchal Boucicaut d'aller rejoindre Du Guesclin et de
reprendre, de concert avec lui, les deux forteresses navarraises de
Mantes et de Meulan. Cet ordre fut exécuté les 7 et 11 avril; les
habitants des deux villes furent dévalisés tant par les Français que
par les ennemis -. Vers la mi-mai, à la veille de la bataille de
Gocherel, Guillaume du Merle, seigneur de Messei, le principal
lieutenant de Du Guesclin dans le Bessin, battait les Navarrais à
Ecausseville, entre Valognes et Carentan, ensuite il attaquait et
s'emparait de leurs deux forteresses du Pont-d'Ouve et de Carentan '^.
Charles le Mauvais, alors en Navarre, envoya des troupes com-
mandées par divers capitaines : Jean de Grailly, le captai de
Buch, Jean Jouel, qui se nommait duc de Normandie, le Bascon
de Mareuil, Robert Chesnel , la terreur des paysans du comté
d'Alençon, Robert Scot, enfin Jacques Plantin qui désolait depuis
dix ans les environs de Pontorson, les marches du Perche, du
Maine et de l'Anjou ^. On se rappelle que Jacques Plantin et Jean
Jouel se trouvaient parmi les capitaines qui, en 1358, servaient à
Paris les funestes desseins de Charles le Mauvais et d'Etienne
Marcel '^. Les Français avaient à leur tête Du Guesclin, capitaine
général dans le duché de Normandie et dans les pays situés entre
Seine et Loire depuis le 24 avril, le comte d'Auxerre, le vicomte
1. Chron. des quatre premiers Valois, p. 129, 131, 135, 136 suiv.; Jeax de Venette,
p. 330 ; Contin. de R. Lescot, p. 159 ; Luce, Du Guesclin, p. 199 suiv., où sont d'autres
détails.
2. Voy. sur ces faits, Luce, p. 426 suiv. Cf. encore p. 423, suiv. Lemoine, Chron. de
R. Lescoi, p. 164, not. 2, rapporte qu'à cette occasion la reine Blanche perdit ses
joyaux.
3. Chron. norm., p. 170. Sur la date et tous les détails voy. Luce, Du Guesclin en
Normandie, dans Revue des questions hist., 1893, p. 382 suiv., 384, 386, 388 suiv.
4. Cf. Luce, Du Guesclin, p. 436 suiv., comme p. 340,433, il y écrit « Robert Sercoi »
au lieu de « Robert Scof ». Hecle Froissart, p. uxxix.
5. A'oy. ci-dessus, p. 167.
LfiS COMPAflMES AC NORD. COCIIERKL KT AURAY, 1364, i3G.'> 461
de Beaumont, Louis de Chalon, l'Archiprêtre, des gens du seigneur
d'Albret, Petiton de Curton et Bertucat d'Albret ^
Le 16 mai, l'action entre les deux armées, dont chacune ne
comptait guère que 1.500 lances, non compris les archers
et l'infanterie, s'engagea à Cocherel sur l'Eure, à l'Est d'Evreux
et à rOuest de Vernon, et se continua dans les prairies voisines.
L'armée anglo-navarraise fut complètement battue par Du
Guesclin, grâce au stratagème qu'il employa, lorsque, feignant de
fuir, il attira en rase campagne Tennemi posté auparavant sur une
colline, et grâce aussi à 1 imprudence de Jean Jouel qui, croyant à
une véritable fuite, s'élança suivi de ses compagnons à la poursuite
de l'armée française qui, faisant volte-face, reprit l'offensive et
remporta la victoire 2. Un grand nombre de combattants du camp
navarrais trouvèrent la mort dans cette bataille. Parmi eux, nom-
mons Jean Jouel, qui mourut des suites de ses blessures ; Jacques
Plantin, le bascon de Mareuil qui, en 1359, avait presque tué Du
Guesclin ^. Parmi les nombreux prisonniers ^, le plus célèbre était
le captai de Buch qui, k la bataille de Poitiers, avait, par sa
manœuvre, décidé du sort de la division et de la personne du roi
Jean ^. Le roi Charles reçut la nouvelle de la victoire de Cocherel
1. LucE, p. 439 suiv.
2. Les sources principales pour cette bataille sont Froissart, Cuvelter, la Chro-
nique (anonyme) de Du Guesclin, dans Buchon, Panthéon littéraire ; quelques détails
intéressants sont donnés à ce sujet par la Chron. des premiers Valois, Jean de
Venette et les Contin. de R. Lescot. Des modernes, voy. Luce, Du Guesclin, p. 441
suiv^, 446, not. 4, 451 suiv.; l'exposé de Kohler, Die Enlwickelung des Kriegsicesens
und der Kriegfùhrung in der Ritterzeit, II, p. 452 suiv,, est très instructif au point
de vue militaire. La carte, p. 464, sert peu. Il est dommage que, chez cet auteur, les
noms propres soient généralement altérés. A propos d'Arnaud de Cervole, qui étant
avec l'armée de Du Guesclin, quitta le champ de bataille, on doit consulter Chérest,
L'Archiprêtre, p. 241, 243 suiv. Quoiqu'il prenne, contre Luce, parti pour son héros,
il confesse, p. 251, que l'Archiprêtre n'avait ni la rectitude d'esprit, ni la droiture de
caractère, ni la délicatesse de sentiments qui font les hommes d'élite.
3. Eulogium histor., III, p. 233, dit : « Occubuerunt Navarii et maxima multitudo
gentis sinecapite (c'est-à-dire des Compagnies) quos Navarii sibi allocaverant ».
4. Voy. la liste dans Luce, Froissart, p. lviii, not. 3. Le captai de Buch ne fut pas
fait prisonnier par les Gascons, comme dit Froissart, mais par le breton Roland
Bodin, écuyer, ainsi que l'avait déjà relevé Secousse, qui. Preuves, p. 211 à 214, a
publié l'acte authentique où le captai reconnaît qu'il a été fait prisonnier, etc. ; ceci a
échappé à Luce, parce qu'à son tour il imprime ce document comme étant inconnu,
dans Du Guesclin, p. 600 suiv.
5. Voy. ci-dessus, p. 131.
462 LA GUERRE DE CENT ANS
le 18 mai, la veille de son sacre, au moment où il arrivait à Reims,
Onze jours après la victoire, le 27 mai, le roi Charles donna à Du
Guesclin le comté de Long"ueville en récompense de ses services ^.
Les ravages qu'exercèrent auparavant les troupes du captai de
Buch ne sont pas surprenants : ils furent commis par les Compa-
gnies que celui-ci avait prises à son service. Avant d'aller à
l'ennemi , il avait rassemblé les gens d'armes en Cotentin - et
ensuite avait marché vers Evreux. C'est en cette même année que
les Bénédictins de Saint-Evroult et les Cisterciens de Torigny se
réfugièrent à Caen, parce que l'ennemi ravageait leurs contrées ^.
D'Evreux, le captai s'était avancé vers Pont-de-l'Arche, dans le
voisinage duquel se trouvaient les Cisterciens de Notre-Dame de
Bon-Port. Le 15 mai, Du Guesclin se logea dans l'abbaye bénédic-
tine de la Croix-Saint-Leufroy ^. Ses troupes, composées en grande
partie de Bretons, n'étaient pas moins redoutées que celles du
captai de Buch. « Les Bretons de Du Guesclin, dit Jean de
Venette ^, dans les villages et sur les routes par où ils passaient,
enlevaient tout ce qui leur tombait sous la main : mobilier, argent,
vêtements, bestiaux ». Les Bretons de Du Guesclin avaient une si
mauvaise renommée que Charles de Blois lui recommandait de ne
pas laisser ses gens d'armes opprimer le peuple ^. La victoire de
Cocherel fut la première victoire importante remportée par les
Français sur l'ennemi pendant la guerre de Cent ans : elle empêcha
les Navarrais et les Anglais de marcher sur Paris, qui était alors
dépourvu de troupes, et brisa pour toujours la force du roi de
Navarre ; les défections commençaient.
Le 6 mars 1365, par l'entremise d'Urbain V ^, les procureurs des
1. Voy. le bascot de Mauléon (dans Froissart, éd. Lettexhove, t. XI, p. 113), qui
allait rejoindre le captai de Buch et fut fait prisonnier dans la bataille.
2. Voy. LucE, dans la Revue des questions hist., 1893, p. 372.
3. De la Rue, Nouveaux essais sur Caen, II, p. 253.
4. Guvelier, éd. GHARRiikRE, I, p. 153, not. ; Chron. norm., p. 171. Lereurier,
Notice sur l'abbaye de la Croix-Saint-Leufroy (1860), p. 12, n'a pas d'autres rensei-
gnements.
5. Jean de Venette, p. 346.
6. Enquête de canonisation dans Bibl. nat. Par., ms. lat., 5381, t. II, fol. 293. « Les
Bretons de touz temps plus désirent et plaisance ont en pillerie que en leur hon-
neur », dit encore en 1418 Gousinot, Geste des Nobles, éd. Vali.et de Viriville (1864),
p. 170.
7. Voy. Prou, Étude, etc., p. 40 suiv.
LES COMPAGNIES AU xNORD. COCHEREL ET AURAY, 1364, 1305 463
rois de France et de Navarre conclurent un traité qui fut ratifié en
mai par le roi de Navarre et avant le 20 juin par Charles V ^. Le
Navarrais renonçait à Mantes, à Meulan, au comté de Long-ue ville,
qui avait appartenu à Philippe de Navarre, mort le 29 août 1363 2^
et qui était échu à Du Guesclin ; Charles le Mauvais reçut en
échange la ville et la baronnie de Montpellier. Quant à ses préten-
tions sur le duché de Bourgogne, il acceptait d'avance la décision
du Pape, mais les événements ne permirent pas k Urbain V de se
prononcer à ce sujet ^.
La même année. Du Guesclin fut moins heureux en Bretagne. Les
efforts du pape Innocent VI, du roi de France et du roi d'Angle-
terre furent impuissants à concilier les deux prétendants au duché
de Bretagne, Charles de Blois et Jean de Montfort. Ce dernier avait
atteint sa majorité un peu après le traité de Bretigny vers la fin de
1360; d'autre part, l'énergique Jeanne de Penthièvre, femme de
Charles de Blois, ne voulait rien céder de son droit^. Durant ces
deux années, de 1360 à 1362, les négociations inutiles de ce côté
eurent du moins l'avantage de suspendre les hostilités et de donner
du repos au clergé et au peuple.
Le 22 juin 1362, Edouard III remit à Jean de Montfort l'admi-
nistration et la jouissance de son duché. Ce dernier, après plusieurs
engagements pris envers le roi d'Angleterre, passa en Bretagne
avec quelques troupes, du 14 au 24 août 1362, décidé à toutes les
concessions raisonnables : disposé même à faire deux parts de la
couronne ducale \ si cela était nécessaire pour procurer la paix,
qu'il souhaitait ardemment, surtout à cause du pauvre peuple. Toute-
fois Charles de Blois l'aimait plus encore ; mais, n'étant pas absolu-
ment maître dans cette affaire, puisque le droit ducal appartenait
1. Voy. le traite ratifie par le roi de Navarre dans Le Brasseur, ^isf. du comté
d'Évreux, Preuves, p. 104 à 108 ; Secousse, Preuves, p. 244 à 230, et confirmé par
Charles V, dans Secousse, 1. c, p. 254 suiv. Que les articles furent arrêtés à Paris le
6 mars, cela est dit dans le traité (Brasseur, 107 ; Secousse, p. 229, en notes, p. 225),
et que la confirmation du traité est antérieure au 20 juin, est remarqué parDELiSLE,
Mandements de Charles V, p. 104, not. 2.
2. Chron. des quatre premiers Valois, p. 132 suiv.
3. Voy. Prou, 1. c, p. 45 suiv.
4. Sur tous les événements avant Touverture des hostilités, voy. l'excellent travail
d'A. DE La Borderie, études hist. bretonnes, II, p. 186 suiv. Cf. encore Plaixe, La
guerre de la Succession, p. 47 suiv., qui manque quelquefois de critique.
5. Voy. DE LA Borderie, p. 194, 196 suiv.
464 LA GtERRE DE CENT ANS
à sa femme, qui fut inflexible ^ il ne put non plus conduire les choses
comme il l'eut désiré, et la guerre civile éclata entre les deux pré-
tendants.
Au mois de mars de la même année, Du Guesclin se rangea du
côté de Charles de Blois ; il dressa le plan de campagne contre
Jean de Montfort, qui n'avait point de troupes prêtes à marcher-.
Son objectif était Bécherel, place nuisible de toute façon aux
Français en Haute et en Basse-Normandie. A cet effet. Du Gues-
clin s'empara d'abord des châteaux de Pestivien et de Trogoff,
assiégea et prit Carhaix; de là, il se tourna vers le Nord-Ouest
jusqu'à Saint-Pol-de-Léon, qu'il occupa et où il équipa des barques
pour courir sur les navires anglais ; puis, informé de la prise de
la Roche-aux-Anes par un de ses lieutenants , Robin de Vaucou-
leurs , il se dirigea vers Bécherel à la tin d'avril. Mais ayant été
rappelé en France, Charles de Blois mit le siège devant cette place
que les Anglais avaient considérablement fortifiée •'^, et au secours
de laquelle vinrent Jean de Montfort, Robert Knolles, Olivier le sire
de Clisson et Hugh Calverly.
Le combat qui devait s'effectuer aux landes d'Evran, le 12 jan-
vier 1363, n'eut pas lieu, car les deux partis'* passèrent un contrat
qui stipulait le partage de la Bretagne. Pour en garantir l'exécu-
tion, Charles reçut huit otages de Jean de Montfort et lui en livra
douze, parmi lesquels Du Guesclin, alors probablement absent ^.
Mais ce ne furent que les préliminaires d'une paix soumise à une
ratification qui n'eut pas lieu. Du Guesclin quitta au bout d'un
mois Robert Knolles, à la garde duquel il était confié ^. Sur la
requête du prince de Galles, les deux prétendants consentirent à
s'aboucher en sa présence à Poitiers, le 26 novembre 1363, et y
conclurent une trêve qui devait durer jusqu'à Pâques de 1364, le
1. Elle disait d'après Guvelier, v. 5577 :
Terre ne doit tenir chevalier tant ne quant
Qui ne la veult défendre à l'espce tranchant.
2. LucE, Du Guesclin, p. 377 suiv,, 380 suiv., 387 ; de la Borderie, p. 203 suiv.
3. Chron. norm., p. 161 suiv., et 330; Luge, p. 387 suiv.; de la Borderie, p. 205
suiv.
4. De la Borderie, p. 208 suiv.
5. Sur ce point diffîcile, voy. ibid., p. 209 suiv.
6. Le document relatif à ce sujet est publié par Luge, Du Guesclin, p. 579, n" 48,
mais l'explication est meilleure dans de la Borderie, p. 212,
LES COMPAGNIES AL" NOKD. LOCHEItEL El ALI'.AV, 130 i, 1 'iG'i 40')
24 mars, ils s'engageaient à s'en retourner le 6 février. Toutefois,
on n'arriva pas à un accorda
Les hostilités recommencèrent vers la fia de juillet. Jean de
Montfort reprit sur Charles de Blois le château de Sucinio et celui
de la Roche-Periou, puis alla assiéger la place très forte d'Auray,
tant par terre que par mer. Charles de Blois concentra à Guingamp
des troupes de chevaliers de la Bretagne, auxquels vinrent s'ad-
joindre des Français, et parmi eux, en première ligne, se trouvait
J^ertrand Du Guesclin.
Celui-ci, après la bataille de Cocherel, avait été chargé de réduire
les places anglo-navarraises du Cotentin. Il saisit avec empresse-
ment l'occasion qui s'offrait à lui de reprendre en tout ou partie le
Clos, où les Anglais de Saint-Sauveur d'une part, et les Navarrais
de l'autre, avaient réussi à se faire une situation tellement prépon-
dérante que Charles V n'y était plus roi que de nom ^\ Du Guesclin
se trouvait à Caen le 21 juin. Il s'avança vers le Clos du Cotentin
et arriva les premiers jours de juillet devant le château de Valognes,
qui dut se rendre le 10 juillet. Dans sa marche sur Cherbourg, lui-
même ou un détachement se rendit maître de la maison forte navar-
raise de Magneville ■'^. Mais, dans les derniers jours de juillet, il
quittait le Cotentin pour renforcer l'armée qui assiégeait la forteresse
d'Echauffour, non loin d'Argentan, et força la garnison à capituler ^.
Après tous ces succès, on comprend que ce ne fut pas Charles V
qui envoya Du Guesclin au secours de Charles de Blois, mais que
ce capitaine se rendit de lui-même à Tappel du duc et rejoignit ses
troupes en Bretagne ^ , le 15 septembre, de concert avec Jean IV,
comte d'Auxerre, le comte de Joigny et Louis de Chalon (dit le
Vert chevalier), fils et frère de Jean IV. Charles V supprima alors
les gages que recevait Bertrand Du Guesclin en sa qualité
de lieutenant général du roi en Normandie ^, où sa présence,
1. Sur les détails, voy. Du la Boivi>eiuk, p. 2L3 suiv.
2. Lici:, Du Guesclin en Xorninndie; le siège eL la prise de Valofj nés , dans lievue
des questions histor., \. c, p. 38S suiv.
3. Ihid., p. 389, 396, iOO suiv.
i. Ibid.^ p. 107 d'après la Chron. norm., p. 17 i.
5. Ibid., p. IJl.
6. Ibid., cl FroissaH^ p. Lxvit, not. 2. Mais Lucl: ne s'est pas aperçu que Froissart
écrit toujours « Uenncs » au lieu de « Vannes ». C'est une juste remarque de Iv«un.cis,
11. P. Di;mili:. — DesolaLlo ecdcsia.ruiu U. 30
466 LA GUERRE DE CENT ANS
comme nous le verrons plus tard, eût été si nécessaire. De son côté,
Jean de Montfort essayait non sans succès de grossir son armée ;
bientôt, le fameux Jean Ghandos, Olivier de Glisson, les chefs des
Compagnies Robert Knolles, Hugh de Calverly, Eustache d'Au-
berchicourt et d'autres encore, avec leurs bandes, lui apportèrent
du renfort ^ Le 27 septembre, l'armée de Charles de Blois alla, par
Josselin, prendre g-îte à l'abbaye cistercienne de Lanvaux ~ qui,
comme nous le verrons plus tard, eut à se plaindre des dommages
causés par cette guerre ; le 28 septembre, cette armée se dirigea
par Plumergat, mais par la rive gauche du Loch, vers Auray, s'éta-
blit dans un pré entouré de bois et hérissé de palissades, situé en
face de cette ville, et par conséquent en face de l'ennemi, qui s'y
tenait au Nord-Est, sur la rive droite. Charles de Blois occupait
donc une forte position d'où il devait attendre l'attaque de l'ennemi,
ainsi que le lui avait conseillé Du Guesclin^*'. Ce dernier se souve-
nait peut-être qu'Edouard III k Crécy, et le prince de Galles à
Poitiers, avaient dû leur succès k une tactique semblable. Il n'est
pas surprenant que Jean Ghandos se soit opposé k l'intention qu'eut
d'abord Jean de Montfort d'attaquer l'armée ennemie ; ce capitaine
voulait obliger les Français k quitter leur position et k commencer
l'attaque ^.
Jean de Montfort se rendit k l'avis de Jean Ghandos, mais
Charles de Blois, moins prudent que son adversaire, n'écouta
point Du Guesclin ; le 29 septembre, au matin, son armée sortit
Die EnlwickelinKj des Krieyswesens uiid der KrieylUhriing in der Rilierzeit, II,
p. 465, not. 2, qui, d'autre part, met la concenti'ation des troupes de Charles à
Nantes, suivant Froissart, et comme je crois, à tort.
1. FiLLox, Jeun Chandos^ dans la Revue de l'Ouest, t. III, 185."), p. 203. not. J, a
publié une grande liste des noms des capitaines, surtout des Anglais, qui combat-
taient à Auray contre Charles de Blois.
2. CuvKLiEH, p. 205, not.; 210, not. ; D12 la Boudeuie, p. 220.
3. « Monseigneur, s'il vous plaisait de demeurer en cet enclos, tenir vos gens
en bon ordre et attendre l'attaque de l'ennemi, à mon avis, nous aurions l'avantage
sureux. Je ne conseille pas que a otre armée passe le ruisseau ». Chron. de Du Guesclin,
éd. par Buciiox, dans Panthéon littéraire, p. 2i. On ne comprend pas pourquoi Lucii:,
dans les notes à Froissart, De la Bouderie, comme aussi dom Plai>e et Kohleu ont
omis de rapporter ce détail très signiiicalit'. Il n'a pas échappé à Jamiso>, Bertrand
du Guesclin, traduit par Baissac (1866), p. 19 i.
4. Guvelier, V. 5876 :
Laissiez-nous assaillir et François commencier,
Et tenons nos conroiz sans nous adeslbuquier.
LES COMPAGNIES AU NORD. COCIIEHEL ET AURAV, 136i-, 1305 4G7
du retranchement c[u'elle occupait, franchit la rivière en la passant
à gué dans un endroit où elle était peu large et gravit la pente qui
menait au pkiteau situé à l'ouest d'Au/'ay^^ qui était déjà au pou-
voir de Jean de Montfort. Les deux armées se trouvèrent en
présence. Celle de Charles de Blois atteignait le chiffre de i.OOO
hommes, et celle de Jean de Montfort en comptait 3..')00 -. Chacune
était rangée en trois « batailles » ou divisions avec une arrière-
garde. Le même jour, des chefs anglais, de l'armée de Jean de
Montfort, firent transmettre des propositions de paix à Charles de
Blois sous la condition de continuer pendant cinq ans le pillage du
pays breton. Mais Charles, ne voulant pas laisser plus longtemps
son peuple bien aimé à la merci de l'ennemi '^, préféra s'en remettre
aux chances d'une bataille. Néanmoins, ceci nous prouve jusqu'à
quel point les Compagnies avaient perdu toute trace d'honnêteté et
même d'humanité.
Cette bataille, dont l'issue est bien connue, fut gagnée par
l'armée de Jean de Montfort et rappelle, en plus d'un point, celle
de Poitiers. Ce ([ui manqua tout d'abord aux Français, ce fut
l'unité de direction et l'art stratégique. Ils voulaient avant tout se
battre, tandis que les xVnglais surent habilement peser toute cir-
constance favorable ou contraire. Ainsi, les archers anclais, vovant
que leurs flèches étaient impuissantes contre les pavois des soldats
français, jetèrent leurs arcs, saisirent les haches des hommes de Du
Guesclin et s'en servirent pour combattre. Pendant que l'arrière-
garde des Français, au lieu de rester lidèle à sa destination parti-
culière, entrait dans les premiers rangs, de sorte qu'à la suite
les trois corps de bataille ne formaient plus avec elle qu'une longue
ligne confuse, celle des Anglais , au contraire, commandée par
Hugh de Calverl}^ appuyait partout les autres corps qui en avaient
besoin, comme, par exemple, celui du comte de Montfort qui avait
été coupé par les troupes opposées de Charles de Blois. Jean
Chandos ayant compris qu'il fallait renverser une division ennemie
après l'autre pour arriver à la victoire, se détacha du corps du
1. Clvkmiou, V. 5928 : « Ils ont l'eauc passée, pclis estoit liguez ». Sur le cliainp de
bataille, voy. De la Bouoeiul;, p, 220, 222.
2. Lucu, Froissart, p. lxxi, not. 1; De la Iîouueuie, p. 218.
3. Enquête cb canoiiisatiou, dans Bibl. Nat. Paris., ms. latin j381, fol. 3G0 suiv.
Ll'ce, Fi\)iss;irt, p. Lwir, not. l.
468 LA GUERRE DE CENT ANS
comte de Montfort et prit en flanc la division du comte d'Auxerre.
Et voilà la bataille décidée. L'enfoncement d'une division rendit
disponibles bon nombre de combattants, lesquels s'unirent ensuite
à des compagnons pour enfoncer plus facilement encore un autre
corps ennemi. Ainsi, plus de la moitié de l'effectif de l'armée
française-bretonne fut, ou tuée, ou faite prisonnière. Charles
de Blois tomba sur le champ de bataille, Du Guesclin fut pris. A
Gocherel, l'armée qu'il y avait vaincue n'était qu'en faible part
composée de soldats anglais ; mais, à Auray, à l'exception de
quelques troupes bretonnes, il s'était trouvé vis à vis d'une armée
complètement anglaise^, à la tête de laquelle était Jean Ghandos.
L'étoile d'Angleterre n'avait pas encore pâli, et Du Guesclin
n'avait pas le champ libre, et peut-être était-il encore un peu
novice dans l'art d'engager une grande bataille ~.
Après la victoire, nul dans le parti de Gharles de Blois ne son-
gea à prolonger la guerre. La veuve du comte, Jeanne de Pen-
thièvre même, se retira de la lutte''. Jugon et Dinan se rendirent
en octobre, et, le 17 novembre, Quimper-Gorantin se rendit égale-
ment ^. La guerre de la succession de Bretagne fut terminée par le
traité de Guérande, conclu le il avril 1365, entre Gharles V et Jean
de Montfort. Le roi de France reconnut Jean comme duc de
Bretagne, avec droit d'hérédité pour sa descendance mâle ; d'autre
part, Jean reconnut le roi de France comme suzerain ^. Mais Jean
de Montfort restait Anglais, et cela était tellement connu que l'on
disait d'une église, celle de Quimper, par exemple, qui était aupa-
ravant du parti de Gharles de Blois, et qui s'était rendue à Jean de
Montfort; qu'elle était anglaise ''. La veuve de Gharles de Blois, à
1. Ceci est tellement vrai que Kmghton, p. 121, éci'it : « et ceciderunt de parle nos-
irii ».
2. Pour cette bataille, comme pour celle de Gocherel, les sources principales sont :
Froissaut, Clvelieh et la Chronique de Du Guesclin. Des historiens modernes, on
doit consulter Kohleh, Die Entivickelung des Kriegswesens, etc., II, p. 470 suiv., De
LA BoRi>EuiE, p. 224 suiv , 226 suiv., où Ton trouve aussi des détails intéressants sur
la mort de Charles. Sur les pertes ibid., p. 231, suiv.
3. Jean de Ve.nette, p. 352 suiv.
4. MoiucE, Hist. de Bretagne, Preuves, I, p. 1583, 1586 suiv.
5. A'^oy. le traite, ihid., p. 1588 à 1589.
6. Suppl. Urbani F, n" 41, fol. 59, ad an. 1365, Maii 19 : « Supplicat... Gaufï'ridus
de Kaermoysan, presb.,in utroque jure licentiatus Aurelianis, bachalarius in facultate
dccretorum Parisius, qualenus placent sibi pro^ idere de canonicatu sub expectatione
LES COMPAGNIES AU NORD. COCHRREL ET AURAY, 1364, 136.^ 469
qui le traité de Guérande assura la possession du comté de Pen-
thièvre et de la vicomte de Limoges, survécut vingt ans à son
mari et ne put, durant ce temps, ni même avant sa mort, revoir
ses deux fils aînés, toujours prisonniers en Angleterre ^.
Au mois de juillet, entre la bataille de Cocherel et celle dWuray,
le nouveau duc de Bourgogne, Philippe, entreprit la campagne
contre les bandes anglo-navarraises qui occupaient plusieurs
petits forts de la Beauce : ceux de Marchelainville , ChameroUes,
Perreux, qui assuraient les communications des bandes cantonnées
dans la Beauce, le Chartrain , l'Ile-de-France, la iNormandie, avec
celles de l'Orléanais, de l'Auxerrois, de la Champagne et de la
Bourgogne -. Après s'être, dans un court laps de temps, emparé de
ces trois châteaux , le duc assiégea Rouvra y , situé au sud et en
amont de Dreux. Le 6 août, le capitaine Vilcoq Standon, écuyer
anglais, consentit à évacuer la place, moyennant une somme triple
de la rançon qu'il devait à un huissier d'armes de Charles V, qui
l'avait fait prisonnier à Cocherel ^ : le duc accepta.
Dans le même temps, on poursuivit les Navarrais en Normandie.
Au commencement de juillet, Mouton, sire de Blainville, avait mis
le siège devant Evreux, mais sans succès '*. Quelques barons des
pays de Caux, du Vexin, de la Picardie mirent heureusement le
siège devant Acquigny et Echauffour "'. Il a déjà été parlé plus
haut de ce dernier siège.
Sur ces entrefaites, dans la première semaine d'août, les Navar-
rais occupèrent le château de Moulineaux, qui domine le cours de
la Basse-Seine et est situé entre Rouen et l'embouchure du fleuve ^.
Au commencement de septembre, Philippe le Hardi, duc de Bour-
prehendc eLdignitatis... in ccclesia lîaiocen., non ohstantibus canonicatu et prcbenda
quos obtinct in ccclesia Corisopiten., que de novo fada est Anglicaiia, scolastria,
canonicatu et prebenda quos obtinct in ceci. Dolensi, etc. — Fiat ut petitur. B. Dat.
Avinione xiv kal. Junii an. III ». — L'évcque GeotlVoy Leniarhec avait pris parti pour
Charles de Blois, et seulement après la prise de Quimper par Jean de Montfort il se
rendit à ce dernier bon gré mal p'é. Voy. Gnll. chj'iat., XIV. p. 88 i,
1. Voy. De la Borukhie, p. 23 i suiv.
2. Voy. sur tous les détails, Luce, Du Guescliîi en Xormandie. etc.. dans iîeriie des
questions histor., 1. c, p. 403 suiv.
3. Ibid., p, iOi suiv.
4. Froissart, éd. Luce, p. lxv, not. 2; Chron. norm., p. 337, et not. 1.
5. Ltice, dans la Revue, 1. c, p. 406, 407 suiv.
G. Ibid., p. 407 suiv. ; A. Moi.imeu dans Chron. norm., p. 338, not. 7.
470 LA GUERRE DE CENT ANS
gog'ne, fut rappelé de la Beauce avec ses troupes pour assiég-er ce
fort, "mais il dut lever le siège à la fin du mois pour aller assiéger
les Navarrais qui occupaient La Charité-sur- Loire ^
DuGuesclin était en Bretag-ne où en peu de temps il avait été fait
prisonnier, le duc de Bourgogne se tenait avec ses troupes devant
La Charité : le moment était donc très favorable aux Navarrais.
Louis de Navarre, frère de Charles le Mauvais, que nous avons
laissé aux environs de La Charité -, se dirigea en Normandie vers
la mi-octobre, à la tête d'un corps d'armée de L500 combattants ^,
se nommant « lieutenant du roi de Navarre en France, Normandie,
Bourgogne ». Il essaya de regagner le terrain perdu depuis Cocherel,
et reprit Valognes sur les Français. Charles V fut obligé de rappeler
ceux de ses gens d'armes qui étaient devant La Charité''. Après la
bataille d'Auray, les Compagnies d'Eustache d'Auberchicourt, de
Robert Scot, de Hugh de Calvcrly s'étaient répandues à force en
Bretagne et en Normandie. Elles guerroyaient a à Tombre du roi de
Navarre », rançonnaient les gens, incendiaient les maisons, commet-
taient toutes sortes de crimes, occupaient des forteresses, comme
l'écrit le 14 novembre 1364 Edouard 111, qui les sommait d'éva-
cuer les terres du roi de France ^. Cela ne servit à rien. Hugh de
(^alverly et James Pipe avaient déjà reçu une sommation semblable
le 18 janvier 1363 ^', mais après comme avant, ils avaient continué
de commettre en France les mômes excès. En conséquence, le 11
janvier 1365, Urbain V, se référant à la lettre du roi d'Angleterre,
pria le prince de Galles d'employer toute la rigueur possible avec
les trois chefs nommés dans la lettre du 11 novembre 1364, ainsi
qu'avec plusieurs autres de ses sujets qui se trouvaient dans les Com-
pagnies ^. Mais Edouard 111 était-il bien sincère ? En 1 369, Charles V
1. Voy, ci-dessus, p. 429. Moulincaux lui rcoccupé par les Français seulement avant
le 8 septembre 1365. Molimer , 1, c., not. K.
2. Ci-dessus, p. 429.
3. Chron. norm., p. 178.
A. Voy. sur tout cela et sui' l'itinéraire de Louis de Navarre, dans LrcK, Froissarl,
p. Lxvi, not. 1, 2.
5. Rymeh, Foedern, III, p. 754 sui\.; CnAMi>oi,MO>-FiGKAC, Lettres des rois,
reines, etc., II, p. 170, n" 95.
6. RvMEH, p. 685.
7. lieg.Vat. Vrbani \\ n" 2i7, fol. 25 '': « Dil. fil. nob. viro Edwardo, Aquitanie et
Wallie principi, saluteiii, etc. Patentes litteras Edwardi régis Anglie illustris, genito-
LES COMPAGNIES EX BOURGOGNE ET LORRAINE, JUSQL'eN 136.^> 471
lui reproche d'avoir soutenu en France les Compag-nies, ennemies
du roi et du rovaume ^ .
D'après cela, on comprend les sentences terribles lancées par
Urbain V contre les Compagnies dans la troisième bulle : Clamât
ad nos^ que j'ai analysée au second paragraphe, mais on reconnaît
une fois de plus que ces sentences étaient impuissantes à les répri-
mer et qu'il fallait trouver absolument un autre moyen pour s'en
défaire.
La Bourgogne et, pendant une courte période , la Lorraine,
présentaient, touchant l'action des Compagnies, un aspect sem-
blable à celui du Midi de la France. Pour raconter en détail
rhistoire des ravages que ces bandes y exercèrent, il faudrait écrire
un livre. Je me bornerai à les résumer en quelques pages.
Après la bataille de Briguais, ce furent surtout des Bretons et des
Gascons qui saccagèrent ces provinces, et, là comme ailleurs, on les
appelait fréquemment « les Anglais- ». Dans l'Ouest de la Bourgogne,
les Bretons avaient, depuis quelque temps, établi leur quartier géné-
ral à Arcy-sur-Gure, d'où ils rançonnaient impudemment toute la
contrée. Ils vinrent ravager Châtel-Gérard, Fresne, Lucy-le-Bois,
Marmeaux^. Ils possédaient en outre les forteresses de Dammarie
et de Vésig'neux. Des bandes, s'en retournant après la bataille de
Briguais, brûlèrent les faubourgs d'Autun et s'approchèrent, en
mai 1362 ^, de la Saône, qu'elles remontèrent jusqu'à la hauteur de
ris tiii, a regia fide ac justitia émanantes, quas contra quosdam subditos suos et tuos,
c{ui una cum gentibus detcstabilium comitivaruni que regnum Francie non solum
hostiliter, sed more infidelium paganorum destruere moliuntur, tue nobilitati trans-
mJttit, et lator presentium tibi portât, nuper vidimus et pleno percepimus intellectu.
Quamvis igitur nostra opinio teneal j)ro constant! quod jussa carnalis patris... exe-
queris, [eundem hortatur ut ultra observantiam pacis, de qua supradictae litterae
mentionem faciunt, consideratis atrocibus criminibus dictarum comitivaruni circa
executionem paterni mandati elFicaciter incumbat, ac si forte nobiles nominati in
regiis litteris aut alii ejus subditi in dictis comitivis existant, contra eos justitiae
debitum exerceal]. Dat. Avinione m idus Januarii an. III ».
1. Voy. ci-dessous le huitième paragraphe.
2. KoMGSHOFFx nomuie aussi Anglais les Compagnies qui, en 1365, entrèrent en
Bourgogne, en Lorraine et en Alsace ; mais plus tard (ad an. 1375), il fait la
remarque : « doch worent sii nïit Engelendcr, sunder siï worent Brituner von dem
lande Britanie ». Die Chroniken der deiitschen Stlidle, IX (éd. Hegel, 1871), p. 815.
3. Voy. E. Petit, Avallon et IWvnllonnais, p. 172, où sont d'autres détails.
4. Clerc, Essai sur Vhistoire de la Franche-Comté, II, p. 131, not. 3; Finot,
Recherches sur les incursions des xXnglais^ etc., p. 71. Il se peut qu'il y ait une confu-
sion de dates, et que cette attaque ait eu lieu seulement en 130».
472 LA GUERRE DE CEKT ANS
Pontailler, et, de là, se répandirent au mois de juin dans presque
toute la BourfJ^og-ne, commettant partout leurs excès accoutumés K
Un détachement de ces pillards envahit même le comté de Bour-
g'ogne et fît, dans la nuit du 22 au 23 décembre, une vaine tenta-
tive sur Besançon -.
On comprend que le roi Jean ait envoyé le connétable Robert de
Fiennes et le comte de Tancarville combattre ces redoutables
ennemis-^, contre lesquels la force des armes était malheureuse-
ment impuissante. On leur enleva quelques places fortes ^, tandis
que d'autres, telles qu'Arcy et Dammarie, ne devaient être resti-
tuées que moyennant 3.700 francs d'or ^. Arnaud de Cervole avait
été chargé de conclure cet arrangement, cependant, lui-même n'était,
à tout prendre, qu'un brigand.
C'était, comme nous l'avons vu au premier paragraphe, vers le
milieu de l'année 13G2, qu'Henri de Trastamare devait, avec ses
Espagnols, faire franchir les Pyrénées aux Compagnies du Midi,
dont on espérait ainsi délivrer la France^. Une proposition
analogue avait été faite à Arnaud de Cervole touchant les Com-
pagnies de Bourgogne '. Mais l'Archiprêtre, n'y trouvant point
son compte, resta en Bourgogne, et les dévastations allèrent leur
train.
Sur ces entrefaites, après juillet 13()2, l'Archiprêtre s'était remarié ;
i| Arnauld de Cervole avait épousé cette fois Jeanne, dame de Saint-
Georges et de Chàteauvilain, d'une des grandes familles féodales ^,
mais il n'en resta pas moins ce qu'il avait été dès le début. Avec
ses Compagnies, presque exclusivement composées de Bretons, il
aidait le sire de Grancey à porter au mois de novembre ^ la guerre
dans le Barrois; en décembre, il assiégea Vitteaux en Auxois;
1. FiNOT, 1. c, p. 71; Chkhf.st, L\\rchiprélre, p. 19} suiv.
-2. FiNOT, 1. c, p. 7i : Tehhieu ne Lokay, Jean de Vienne, nmiral de France (1878),
p. 22,
3. CivEnc, 1. c. ; Chkhrst, p, 19j suiv. : Fixot, p. 72.
4. Voy. Petit, p. 174.
5. Chérest, p. 220, et Pièces juslif.. n° 15, p. 300.
6. Ci-dessous, p. 410 suiv.
7. Voy. Chérest, p. 192, 201.
8. Ihid., p. 201 suiv.
9. Cf. sur les détails, échappés à Chérest, Servais, Annales hisi. du Barrois [\^6b),
I, p. 130 suiv.
LES COMPAGNIES EN BOURGOGNE ET LORRAINE. JUSQl'eN 1365 473
peu de temps après, ses Bretons s'emparèrent de Villaines en
Duesmois K
Ensuite, il passa au service de Henri de Joinville, comte de
Vaudémont, alors en p^uerre avec Jean, duc de Lorraine, Robert,
duc de Bar, et beaucoup de seigneurs allemands. On admet généra-
lement que les hostilités éclatèrent après Pâques (2 avril 1363)-.
Cette date, toutefois, est assignée de quelques mois trop tard.
Suivant un document authentique, les Bretons à la solde du comte
de Vaudémont, avaient pris pied en Lorraine à partir du 2 février.
Ils y restèrent sans décamper jusqu'au 11 novembre; des détache-
ments ravageaient le duché de Bar. Partout les bandes commirent
toutes sortes d'excès. Dans les Trois-Evêchés, une quantité
d'églises, de monastères et de chapelles furent atteints ^. On sait
que ces pillards avaient pour chef Arnaud de Gervole.
Le duc de Lorraine ayant rassemblé une armée , entra dans le
comté de Vaudémont et y exerça des représailles ^. 11 est probable
que la victoire (sur l'issue de laquelle les historiens ne tombèrent
jamais d'accord) resta au comte de Vaudémont, car malgré la
conclusion des traités^, le 13 août, avec le duc de Bar et le
1. Voy. Chérest, p. 213 suiv., 215; Petit, p. 173.
2. Voy. SiMONXET, Essai sur Vhisioire et la généalocfie des sires de Joinville
(Lanj?rcs, 1876), p. 291 suiv.; Chérest, p. 224. Jean de Venette, p. 326, assigne seule-
ment Tan 1363. Cf. toutefois Servais, Annales Jiist. du Barrois^ p. 138 suiv.
3. Suppl. Urhani V, n° 40, fol. 179'', ad an. 1364, Maii 22 : « S. P. Cuni propter
guerraruni discrimina que multis annis in partibus Lolhoringie et anno ultimo
gravius per societates maxime Britonum, qui ibidem steterunt continue a festo Puri-
licationis usque ad sequens festum beati Martini in Novembri ultimo preteritum,
viguerunt, et ex his ac quampluribus aliis causis multe ecclesie, monasteria, capelle
ac cimiteria in Tullen., Mcten., ac Virdunen. dioc. non solum sanguinis vel seminis
efTusione, corporum ac personarum excommunicatarum aut nominatim interdictarum
decedentium inhumatione sint pollute seu alias violate, ad que ac quas ex quamplu-
ribus causis gravis, difTicilis et periculosus episcopi esset accessus, presbitero seu
presbiteris idoneis, cui vel quibus predict. ecclesiarum episcopi seu electi earum
commiserint, dignetur E. S. V. concedere facultatem. — Fiat in forma de preteritis
et ad triennium de futuris. B.
Item placeat E. S. concedere conservatoriam generalem contra injuriatores, occu-
patores et detentores bonorum, jurium ac jurisdictionum spiritualium et temporalium
episcopatus et archidiaconatus eccl. Tullen. pred. — Fiat, ad quinquennium. B. Dat.
Avinione xi kal. Junii an. II». Sur les ravages commis parles Bretons, voy. Calmet,
Ilisl. eccl. de Lorraine (1728), II, p. 551 suiv., et Serv.vis, 1. c, p. 140 suiv., 144 suiv.
4. Simowet, 1. c.
5. Servais, p. 143, Pièces justi/icat., p. 413 suiv. traité du 13 août; Cai.met, 1. c, II,
Preuves^ p. dcxl, et Chérest, p. 235, traité du 11 septembre.
474
LA GUERRE DE CENT ANS
il septembre avec le duc de Lorraine, les Bretons, comme l'atteste le
docmiient sus-mentionné, restèrent en Lorraine jusqu'au H no-
vembre, sans doute pour y attendre le payement des rançons et veiller
à ce que les conditions stipulées par le traité de paix fussent remplies.
Là-dessus, Arnaud de Cervole, avec ses Bretons, retourna en
! Bourgogne où il arriva juste à temps pour assister le duc Philippe
le Hardi dans la prise de possession du comté de Bourgogne.
L'Arclîiprêtre se procura rapidement une armée en enrôlant les
Compagnies qui, auparavant, ravageaient la Bourgogne ^. Les
hostilités éclatèrent à la fin de décembre L363, la Saône fut franchie
à Apremont. Mais les barons comtois attaquèrent le duc dans
ses Etats. Le résultat décisif se fît attendre longtemps, et le
duc de Bourgogne eut souvent le dessous. Les principaux chefs
du comté de Bourgogne, entre autres Jean de Neufchàtel et le sire
de Rigney, recevaient alors des subsides des rois de Navarre et
d'Angleterre-. Entre temps, FArchiprêtre passa avec sa Compagnie
en Normandie, où il prit part à la bataille de Cocherel, et où, comme
on l'a vu, il ne joua point un rôle honorable^. Après son retour, la
fortune se tourna du côté du duc de Bourgogne, jusqu'à ce qu'on
en vînt au traité du 25 juillet 1364 ^.
Grands furent les ravages à la suite de cette guerre, notamment
dans le comté de Bourgogne. Le 28 février 1364, la ville et le
diocèse de Besançon reçurent d'Urbain V la bulle Ad reprimendas '\
Les habitants de ces contrées étaient complètement appauvris ; les
terres restées presque incultes, ne rapportant plus rien, entraînaient
ainsi la cherté des vivres. Les habitants se virent contraints de
recourir aux usuriers, leur empruntèrent de l'argent, des vivres et
autres choses, et, se trouvant hors d'état d'en payer les intérêts, ils
1. Sur toute cette question, voy. Fixot, p. 80 suiv. ; Chérest, p. 227 suiv. qui a omis
de citer son devancier, lequel a compris comme lui cette épineuse aflaire.
2. Fi>OT, 1. c, p. 81.
3. Ci-dessus, p. 461, not. 2.
4. Sur les détails, voy. Fi.not, p. 86 suiv,; Chérest, p. 238 suiv., p. 254 suiv., p. 276,
suiv. Mais cet auteur est trop enthousiaste pour Arnaud; il écrit, par exemple, p. 268 :
« Partout le même écho. Il retentit jusqu'en Suisse, jusque dans une chronique ber-
noise ». Mais cette chronique « bernoise » se trouve par hasard à Berne, elle a été
probablement écrite à Saint-Denys de France, c'est la Chronographia regum
Francorum (voy, le passage, t. II, p. 297; Chron. norm., p. 156).
5. Reg. Vat. Urbani V, n" 253, fol. 135.
LES COMPAGNIES EN BOURGOGNE ET LORRAINE, JUSQu'eN 1365 475
virent tous leurs biens vendus à vil prix et leurs enfants mendier
le ptiin K
Pendant et après cette guerre, le duché de Bourg-og-ne courut de
grands dangers de la part d'autres Compagnies. IjAutunois fut
atteint par les bandes commandées par Amanieu de Pommiers, vers
la iin do l'^G.S; Autun même était menacé. Dès le milieu de Tan
1'U)i, une autre bande y faisait irruption et occupait successivement
Vesvre, Ghissey, Monnay, La Tagnière, Cliampcery. Dans les pre-
miers jours d'août, les faubourgs d'Autun furent pillés. Les routiers
trouvaient dans la lie de la population des complices prêts à se
joindre à eux et à prendre part au butin '^. Les bandes qui station-
naient à La Charité-^ menaçaient également de faire irruption dans le
duché ; Robert Knolles lui-môme allait l'envahir avec une troupe
considéral)le d'Anglais ^.
Une de ces bandes s'était installée à une faible distance de
Mesvres, à la Tagnière, du diocèse d'Autun, et s'était emparée de
vive force du château d'Uchon, l'avait pillé et incendié. Pour se
soustraire au jiéril, le prieur du prieuré de l'Ordre de Cluny de
Mesvres, Pierre de Beaufort, avait abandonné son j^i'ieuré, incapable
de résistance-'. Les populations perdaient toute espérance d'en rece-
voir un secours ou une protection quelconque, et beaucoup pré-
1. Reg. Aven. Urbani V, n" 9, loi. 313 '', ad an. 13G5, Januarii 3 : « Dil. fil... canlori
cccics, Bisunlin. salutem, etc. Ad audientiam nostram pervenit quod nonnullepersone
ulriusque scxus in civitate et dioces. Bisunlin. conimorantes lum propter dampna
et penurias que occasione ^uepparum... sustinuorant, tuni propter steriiitales terra-
riuii qiias habuerant, tum etiani quia culture terrarum hujusniodi propter cultorum
penui'iam et caristiani intendcre non valuerant, et ut vite sustentationem liabere
valerent, a diversis crediloribus nonnullas pecuniaruni suninias, bladoruni quantita-
tes et res alias mobiles receperunt sub usuris, quodque creditorcs ipsi eisdem perso-
nis tôt pecuniaruni sunimas occasione premis^oruni per usurariam pravilateni extorse-
runt et adhuc cxtorquere nituntup, quod persone ipse bona que habent vilissimo pre-
tio distrahere, nonnuUarunujue ])ersonaruni hujusmodi liberi mendicare couantiu".
de solvendis et non repetcndis usuris hujusmodi juramentis cxtortis, etc. [Mandat ut,
si ita est, dictos usurarios dicta juramenta relaxare. et sua sorte contentos esse com-
pellat ; et cxtorta restituant et ab usurai'um exactione désistant]. Dat. Avinione ni
non. Januarii, an. III ».
2. Pour tous les détails, voy. Chahmassk, L'église d'Auliin pendant lu gnerre de
Cent ;m.s, p. 9 suiv., 15 suiv.
3. Voy. ci-dessus, p. 129.
4. Chkhiîst, p. 239 suiv.
5. A. \nz Charm.vsse, Annales lu'sf. du piueuré de Mescres en Bourgogne et ses
dépendances (Autun, 1877), p. 30.
476 LA GUERRE DE CENT ANS
feraient imiter les routiers plutôt que de les combattre. Il se for-
mait des Compagnies indigènes qui se livraient aussi au meurtre et
au pillage. L'une d'entre elles avait pour chef un prêtre, le propre
curé de Mesvres, nommé Jacques d'Aigrefeuille. Lui et ses com-
pagnons (( parlaient comnîe les Anglais ou comme les gens des
Compagnies, en criant ii leurs victimes : A moîH ! à moiH ! vilain,
nous sommes bons Anglais!^ » A Autun même, le bailli, Robert
de Martinpuits, fracturait les prisons de Tévêque pour y chercher
des complices, et le monastère des Bénédictines de Saint- Andoche,
à Autun, pour y trouver des victimes -. Ce bailli, représentant du
pouvoir ducal à Autun, sévit tellement contre les ecclésiastiques et
les laïques qu'on lui a donné le nom de Robert le Diable^.
Des Compagnies dévastaient continuellement le Maçonnais, ainsi
que nous Lavons vu au premier paragraphe ; le 10 juin, elles occu-
paient Chaume; le 24, Darcey; le 2 février L365, Baigneux-les-
Juifs ; le 23 février, Villaines-les-Prévôtés, où elles étaient encore
le 26 mai. Cette fois encore, des Bretons et des Gascons compo-
saient en grande partie ces Compagnies, sous les chefs Arnault de
Tallebardon, Pierre Dorgueil et plusieurs autres ^.
Une autre Compagnie, sous le capitaine Derby, cousin de
l'Archiprôtre, s'empara le 25 mai 1365 du château de Thil en
Auxois. D'autres forteresses tombaient au pouvoir des bandes, et
Avallon même était menacé ^.
Philippe le Hardi convoqua la noblesse bourguignonne k marcher
contre les Compagnies ^'. En même temps, Charles V s'occupait
des bandes navarraises qui n'infestaient pas seulement la Norman-
die, mais aussi la Champagne et la Bi^ie^ province que réclamait
1. Voy. quelques passages du procès fait contre ce curé, dans Ciiahmasse, 1. c,
p. 34 à 37. C'était seulement huit ou neuf ans après, en 1373, que le procès lui était
fait. Ce curé semble, malgré cela, avoir échappé à l'action de la justice. V^oa'. ihid.,
p. 37 suiv.
2. IbicL, p. 40.
3. A. DE Charmasse, L'église (F Autun pendu nt la guerre de Cent a/i.s, p. 36; Pièces
justif., n° 15, p. 123. Le procès qui fut intenté au bailli, et dont Tauteur donne lïn
excellent exposé, nous révèle une fois de plus les mœurs barbares de ce temps.
4. Voy. A. DE Chariviasse dans Mémoires de la Société Éduenne, nouv. sér., t. IX
(1880), p. 499 suiv. Beaucoup d'autres particularités se trouvent dans son livre
L'église d'Autun pendant la guerre de Cent ans, p. 12 suiv.
5. E. Petit, p. 176.
6. Chéhest, p. 290 suiv.
LES COMPAGMES EN CIIA3IPAGNE, 136o 477
Charles le Mauvais en échange de la Bourgogne que le roi avait
prise. Les Compagnies occupaient Nogent-sur-Seine, et, de là, par-
couraient les deux rives de la Seine. Elles s'emparèrent de MaroUes,
Saint-Aubin-sur-Yonne, Gésy près Joigny, Trainel, Bouy, Vaure-
nier, Migé ^ Le comte de Tancarville fut nommé à ce propos, par
Charles V, lieutenant du roi aux parties de Champagne et Brie, et
dès le commencement de 13()5, il essaya d'en chasser les Compa-
gnies. Au siège de Marolles, il était aidé par l'Archiprétre ^. Le
31 janvier 1365, Tévêque de Troyes, Henri de Poitiers avisait Phi-
lippe le Hardi sur les mouvements des Compagnies qui, peu à peu,
passaient la Loire et entraient dans le comté de Ne vers ; au mois de
mars, elles avaient gagné l'Auxerrois, et l'on craignait une attaque
sur Troyes*^.
Passant sur les détails, nous arrivons à la fin de cette longue
investigation sur le déploiement des Compagnies en France durant
les premières années que suivirent la paix de Bretigny. Froissart ne i
va pas trop loin en affirmant qu'à cette époque, la principauté
d'Aquitaine seule était restée à l'abri du fléau '^. Pour être tout à >
fait exact, il aurait dû dire : une grande partie de la principauté I
d'Aquitaine, et ajouter : la Picardie ^. Mais tout le reste de la
France était leur chambre ^^, comme ils l'appelaient. Malgré tous les
efforts qu'on faisait au Nord et au Sud pour s'en débarrasser, les
Compagnies s'étendaient de plus en plus, et leur nombre allait
en augmentant. Tous les moyens employés jusque là pour les
expulser n'avaient produit que l'effet contraire. En outre, elles
possédaient encore beaucoup de lieux et places fortes, dont
l'occupation remontait en partie à l'époque de la guerre avec
l'Angleterre^.
1. Voy, Delisle, Mandemenls de Charles V, iv 225", p. 107; Ghérest, p. 293.
iiot. 1.
2. ClIKHliST, 1. c.
15. DAnBois DE JunAi>viLLE, Voi/affe paléoçfrnphique dans le déparlemenl de VAube,
p. 139 suiv. ; Boitiot, Ilisl. de la ville de Troyes, II, p. 19i suiv.
i. FnoissAiiT, éd. LucE, p. 183.
à. Cf. Grand, cliron., p. 241.
(). Fhoissart, p. 184, et VII, p. (j5.
7. Grand, chron., p. 237.
478 LA GUERRE DE CENT ANS
4. La croisade. LArcJiiprèlre en Lorraine et en Alsace. L ex-
pédition de Du Giiesclin et des Compagnies en Espagne.
Le roi Jean arriva les premiers jours de novembre 1 362 à Villeneuve-
lez-Avig-non ^ pour faire une visite au Pape et lui parler des affaires
sérieuses du royaume-. Nous ne nous intéressons ici qu'au projet
de la croisade dont le roi même devait être le capitaine g'énéral.
Mais, comme je l'ai fait remarquer aux deux premiers paragraphes,
il fallait purger la France des Compagnies. Tandis c|ue la somma-
tion faite par le Pape en 13G3 aux Compagnies de marcher contre
les Turcs était restée sans résultat ■^, on eut apparemment plus de
succès en 1365. Du moins^ tant le roi que le Pape nous Taffirment,
Arnaud de Cervole se montra -t-il disposé à obéir ^. De plus,
Urbain V (une lettre du 9 juin au roi Charles nous l'atteste) se
concertait avec l'emperevu' Charles IV, venu le 23 mai à Avignon,
sur le passage des Compagnies en Orient. Celles-ci devaient traver-
ser l'Allemagne et la Hongrie. L'empereur laissait le passage libre et
voulait pourvoir aux dépenses des bandes jusqu'à leur entrée dans la
Hongrie. Il fut convenu que si le roi de ce pays, auquel l'empereur et
le Pape envoyaient des légats, entre autres Arnoul d'Audrehem, ne
permettait pas le passage à travers ses Ktats, les Compagnies
seraient transportées outre-mer par les vaisseaux vénitiens ou par
ceux d'une autre puissance maritime de l'Italie. Pour subvenir aux
fi'ais de Fentreprise, l'empereur offrait même la moitié des revenus
1. Voy. ritincraire dresse par I>i ck dans Fhoissaut, W, p. xxxviii, not. I. Nous
trouvons dans InLr. et exil., n" 296, fol. 76'' (Arch. Vat.), parmi les dépenses de la
Cour Romaine du 6 au 30 novembre de Tan 1362 : « Item de mandato dom. nostri
pa]3e domino de M(»nteferrando militi Mimaten. dyoc, per ipsum de dicto mandato
distribuendis joculatoribus dom. rej^is Francorum in suo novo adventu ex dono
speciali per ipsum dom. nostrum papam ipsis joculatoribus facto, c flor. ».
2. Sur les dilïérents points de cet entretien, voy. Ciuîuest, p. 206 suiv., 208 suiv.
3. Ci-desssus, p. -i 1 i suiv.
l. ^ oy. l'arrêt du Parlement de 1361 dans Bai-uzk, Vit. pnp. Aven., I, p. 9iS. L an
est vraisemblablement d'ancien style. Urbain V dit la même chose dans sa bulle à
Charles V, du 20 juin 1365, dans laquelle il l'autorise à délivrer à Arnaud de Cer^'olc
une partie du décime des revenus ecclésiastiques « eo casu quo comitivas extra
regnum... ad partes infidelium ducet ». lte(j. Vid., n" 217, fol. 120 ^ ; Piiou, Etiide^
etc., p. 128, iv ô'i.
LES COMPAGNIES EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 1365 479
du royaume de Bohême pendant trois ans K Le Pape exprime aussi
dans deux lettres adressées, le 18 juin, aux cardinaux Androuin
et Gilles l'espoir qu'il entretient du succès de la croisade. La con-
vention entre le roi et les Compagnies , dit-il, touche à sa conclu-
sion ; celles-ci, aux termes du document, ne retourneraient j^lus
sur leurs pas, promettant de s'abstenir de tout excès sur leur
passage -. Quelques semaines plus tard, Urbain V était sûr qu'au
moins Arnaud de Cervole conduirait ses bandes outre- mer, et il
engageait Seguin de Badefol à l'accompagner -^ Le 19 juillet, il
informait les archevêques et évêques français qu'il avait accordé le
décime au roi de France pour une durée de deux ans, en vue de
l'expulsion des Compagnies ^.
Mais la croisade resta à l'état de projet, et toutes les résolutions
prises à Avignon, de concert avec l'empereur, demeurèrent sans
effet. Bien naïve était , selon moi, la pensée de vouloir engager
les Compagnies à aller outre-mer, de les animer à rechercher en été
une zone encore plus chaude, avec la quasi certitude de n'en plus
revenir, de leur faire mener une vie rude dans un pays lointain, et
de les envoyer se battre contre les ennemis de la foi chrétienne,
eux qui avaient en somme moins de foi que les Turcs et les
païens ^ ! Le Pape disait encore que si les Compagnies ne consen-
taient pas de bon gré à partir, il fallait les y forcer. Mais à qui
incomberait ce rôle diiïicile ? Le plus souvent, on était impuissant
à chasser une seule Compagnie d'une place qu'elle occupait, et
maintenant il s'agissait d'en finir d'un coup avec toutes les bandes
réunies. Ce qu'Urbain V ne reconnut que l'année suivante '^, se
1. Re(j. Vat., n" 247, loi. 114; Hay\am), Ann., 13G5, n" 2; Chéhest, p. 306 suiN'.,
IraduiL la lettre entière en français. Au même temps Ui'bain V s'ellorça de faire
prendre aux Compagnies stationnant en Italie le chemin de 1 Orient en les diri-
geant contre les Turcs; il y a, à ce sujet, plusieurs lettres dans les Reff., fol. 11 i '• ,
IJG. Cf. encore Jiîax oe Venette, p. 360; E. Mommeh, Etude sur la vie d'Arnoul
dWudielieni, p. 168 suiv.
2. He(j. Vat., n" 27 i, fol. 216 ; Theixeh, Cod. dijjlom. dominii lemporalis, II, p. 428.
3. ^'oy. le traité de juillet 1365 conclu avec Seguin au sujet d'Anse, dans Guigie,
Les Tavd-Veiius, p. 121. Cf. d'autres renseij;neuicnts dans PiMn, Elude, clc, p. 55 suiv.
4. Rer/. Vat., n" 247, fol. 295, 320, 322 (Puou, p. 133, n" 58). Urbain V répète cela,
le 24 novembre, dans sa lettre adressée à l'archevêque de Lyon et à ses sufTragants
(t/n'J., n" 248, fol. 177).
5. IIuGUE.MN, Chroniques de la ville de Metz (1838), p. 105 : « mauvaises gens sans
foy et sans loy et pires que ne sont Sarrasins ».
6. \oy. la lettre du 20 novembre 1365, publiée ci-dessous, p. uS6 suiv.
480 LA GLEURE DE CENT ANS
confirmait déjà. Pour les Conipag-nies, la croisade n'était qu\in
prétexte pour piller les provinces a voisinantes, et revenir à leur
poste.
Il en fut de même de ces Compagnies qu'Arnaud de Cervole
avait soi-disant l'intention de conduire en Orient. Il avait là une
bonne occasion d'obtenir du Pape l'absolution de toutes les
sentences canoniques prononcées contre lui. A Mâcon, un légat d'Ur-
bain V attendait l'Archiprétre pour lui donner l'absolution à lui et
à ses compagnons, ainsi qu'à un capitaine anglais du nom de
Fillefort, chef d'une des Compagnies qui depuis longtemps
infestaient les environs i. Le fardeau devenu plus léger, on
recommença de plus belle. Vers la lin du mois de mai 1365
Arnaud se mit en route avec son armée, composée de Bretons
pour la plupart ^. Ainsi pendant que le Pape supposait encore
l'Archiprétre en pleins préparatifs, celui-ci s'était déjà mis en
marche avec les siens. Il ne songea même pas à attendre que
l'empereur, revenu d'Avignon '^, eût pris les dispositions voulues
pour accorder à sa Compagnie le libre passage à travers l'empire.
Son but, à coup sûr, n'était point de gagner la Terre-Sainte, mais
de faire un riche butin dans les provinces voisines. En effet, ses
compagnons qui venaient de recevoir l'absolution avec lui ne
tardèrent pas à montrer, par leurs actes, de quel esprit de pénitence
ils étaient animés. Leur marche se dirigeait, par une partie de la
Champagne et la partie occidentale du duché de Lorraine, vers le
Nord, sur le duché de Bar et sur Verdun ; de là, ils tournèrent
à l'Est, vers Metz; ensuite au Sud-Ouest, vers l'Alsace. Ces
bandes n'exécutaient pas leur marche ensemble. Lorsqu'Arnaud de
Cervole, vers la Pentecôte (l'^juin) avec le gros de son armée était
arrivé dans le val de Metz^, des détachements de Bretons restaient
longtemps encore dans le duché de Bar ^. Sur leur route, ils pil-
laient les localités ouvertes, les marchands et autres particuliers,
1. MiCHOX, Documents relatifs h l histoire de la ville de Mâcon, clans Revue des
Sociétés savantes, 5* scr.,l. I, p. IdH.
2. Jean de Venette, p. 359.
3. Il quitta la Cour Uoniainc sciilenieiit les premiers jours de juin et arriva à
Strasbourg le 29. Voy. BiuiMEn, Reyesta Imperii, t. VIII, éd. IIubeh, p. 3i0 suiv.
4. HuGUEMx, Chroniques de la ville de Metz, 1. c.
5. Voy. Seuvais, Ann. hisl. du Barrois, I, p. 167 suiv.
LES COMPAGNIES EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 136y 481
enlevant aux paysans les chevaux, les vivres et le reste, en
dévastant tout le pays i. La population abandonnait les villages,
laissant les maisons à la merci des brigands'-. Ces faits sont confir-
més par des documents authentiques. Le 7 août 136o, la ville et le
diocèse de Verdun reçurent d'Urbain V la bulle Ad reprimendas \
les couvents, les ég-lises, les hôpitaux furent pillés ; les ecclésias-
tiques et laïques faits prisonniers et rançonnés ^. Pour des raisons
analogues, l'abbaye des Bénédictines de Remiremont reçut la
même bulle deux ans plus tard ^.
Au mois de juin, l'Archiprêtre parut devant Metz ; la ville
racheta sa liberté moyennant 18.000 florins d'or •'. Le 4 juillet, par
la Steige ^\ près Zabern, il envahit l'Alsace. Son armée avait
grossi de plus en plus pendant sa marche à travers la France jus-
qu'en Alsace. Kônigshofen en évalue le nombre k 40.000 chevaux
1. Jean de Venette, 1. c.
2. Servais, 1. c, p. 168.
3. Reg. Vat. Urhaiil V, n° 261, fol. 188''. Cf. ci-dessous, paragraphe 11 : Verdun.,
et encore Glouët, Hist. de Verdun, III (Verdun, 1870), p. 316, 318 suiv., 320.
4. Recf. Vat., n° 256, fol. 114'', ad an, 1367, Octob. 1 : « abbatissa et conventus
monasterii monialium de Romaricomonte... Ord. S. Ben., Tullen. dioc. ». Guixot,
Etude hist. sur iabbaye de Remiremont (1859), dit seulement p. 154, qu'en 1353 le
comte de Bar ravagea les terres de l'abbaye. Il nomme les sœurs « chanoines », les
maisons « canoniales », mais à tort pour le xiV siècle. Cf. Gallia christ., XIII,
p. 1408. Les Bretons séjournèrent près Remiremont au moins à leur retour
d'Alsace, le 30 juillet 1365. Voy. Servais, p. 172, qui cite un message transmis au
duc de Bar, « pour l'aviser des Bretons qui étaient retournés dAlmaigne par deuers
Remiremont ».
5. lIuGUENix, 1. c. Les sources principales pour cette expédition sont Contin,
Mathiae Nuewenhuryens. dans BÔHMKn, Font. rer. gerni., IV, p. 293; Kônigshofen,
dans Die Chroniken der deutschen Stlidte, t. VIII, p. 486 suiv. ; les documents ([ui
suivent l'édition de Schilter (Kônigshofen, etc., Strasbourg, 1698), p. 887 à 891,
réimprimés dans Urkundenbuch der Sladt Strassburg, V (Strassburg, 1896), n'* 644-
702, 1238 (cf. encore l'Index, p. 1074), où on rencontre aussi les documents cités ou
édités par Wencker et Hegel, et plusieurs inédits; Justinger, Die Berner-Chronik,
éd. Studer (Bern, 1871), p. 126 suiv. (d'après Kônigshofen). D'autres sources sont men-
tionnées dans les notes. On ne trouve rien dans ÏAnonymus Friburgensis, qui est à
la suite de Jlstinger; cette « chronique » est une œuvre fausse de Zurlalben. Cf.
HE LiEBENAu, daus Kalhol. Schweizer-Bliitter, Neue Folge, xiii Jahrgang, 1897, p. 300
suiv. Kônigshofen distingue l'invasion en Alsace der ersten Engelender ou
Engelischen, de l'invasion der andern Engelender, qui survint le vendredi après le
jour de Saint Michel 1375 {Chroniken der deutschen Stiidte, IX, p. 815, et ci-dessous,
paragraphe 8).
6. » Uber die steig her ». Zûrcher Chronik, éd. Ettmuller, dans Mittheil. der anti-
quarischen Gesellschaf't zu Zurich, t. II (1844), p. 89. Dans Ui'kundenhuch, etc., le
séjour de l'Archiprêtre « an der Steige in Zabern » est mentionné plusieurs fois. Cf. n'*
665, 686-688.
R. P. Denifle. — Desolatio eccU^siat'u»! II. 31
482 LA GUERRE DE CENT ANS
et piétons^, Glaire de Finstingen à 30.000 hommes'^, tandis que
Mathias de Neuenbourg ne parle que de 12.000 chevaux, et la
chronique de Zurich n'en mentionne que 4.000 et beaucoup de
piétons •^. Peut-être la chronique de Limbourg a-t-elle raison de
dire que les compagnons étaient en tout au nombre de 20.000 ^. Ces
étrangers croisés reprirent en Alsace leurs vieilles habitudes. Le
5 juillet, vers midi, après avoir incendié force maisons à Kônigs-
hofen, ils arrivèrent avec impétuosité devant Strasbourg et y provo-
quèrent aussitôt les citoyens au combat. Les habitants des environs
se réfugièrent dans les places fortifiées ^. Quand les compagnons
eurent attendu en vain devant Strasbourg, voyant que les bourgeois
ne faisaient pas non plus mine de vouloir se racheter, ils se disper-
sèrent sur toute la surface du pays où ils pillèrent tout ce qui leur
tombait sous la main. Ils infestèrent la contrée au point que si
Ton voulait se rendre d'un endroit à l'autre, il fallait leur deman-
der un sauf-conduit ^. Ils capturaient tous ceux qu'ils rencontraient
et maltraitaient les prisonniers pour en extorquer de l'argent. Les
riches payaient en pièces sonnantes, en chevaux ou en drap; les
pauvres se rachetaient avec des fers à cheval ou des souliers. Le
but unique de ces brigands était de piller et de s'enrichir. A l'égard
des femmes et des vierges, leurs procédés étaient partout les mêmes.
Ils dévastèrent les campagnes, mais ils ne purent s'emparer d'aucune
place forte, parce qu'ils ne traînaient avec eux aucun engin de siège ^.
L'empereur, revenu depuis peu d'Avignon, reconnut bien alors qu'il
avait eu tort d\' prendre à la légère de tels engagements et d'avoir
accordé à une pareille bande le libre passage à travers ses Etats.
Pour obtenir, sans doute, des éclaircissements sur la conduite de la
1. « In dem selbcn volke worent also men schetzete uf 40 tuscnt pfcrt und fuos-
genger. » Die Chroniken, etc., VIII, p. 486. Cf. Justinger, p. 127.
2. Urkundenhuch, etc., n° 652, ad an. 1365, Junii 26. Claire parle des compagnons
devant Metz, en disant, « daz in vyl folkez notanne na kuome. »
3. Coniin. Math. Nuewenh., p. 293; Zûrcher Chronik, éd. Ettmui.leh, 1. c, p. S9,
4. Dans Monum. German. Scriptor. qui vernaciila lingua usi snnt, t. IV, pars I,
p. 54. La Chronique appelle la Compagnie « die grosze geseischaft usz Welschem
lande » ; dans Urkundenbuch, elle est souvent nommée « bôse geselleschaft ».
5. Contin. Mathiae i\uewenhiirff^ 1. c, et Komgshofen, p. 487.
6. KÔiMGSHOFEN, 1. C.
7. Ibid. Cf. encore La Vie d'Urbain V, dans Actes et documents concernant Urbain
y, rec. par Aldaaès, I, p. 12; Bai.uze, Vit. pap. Aven., I, p. 200.
LES COMPAGMKS EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 1 3Go 483
Compagnie, il envoya vers l'Archiprêtre, et à cet elFet avisa, le
9 juillet, le conseil de Strasbourg K Les explications furent insuf-
fisantes, à ce qu'il paraît, et l'empereur rassembla autour de lui
une armée, dont les archevêques de Trêves et de Mayence, et le
palatin rhénan, Ruprecht, avaient fourni le plus grand contingeni,
en tout 24.000 combattants -. L'armée stationnait à Saint-Arbogast,
à Eckbolsheim et dans les environs. Néanmoins l'empereur y
attendit huit jours, si bien que le peuple, déjà si éprouvé, en
murmura -^ Enfin, il marcha contre la Compagnie de l'Archiprêtre,
qui se retira vers Benfeld, Dambach et Schletlstadt, opérant sa
retraite par Colmar, à mesure que s'approchait l'armée impériale ^.
Arnaud de Cervole était assez naïf ou assez hypocrite pour se
plaindre, disant qu'il avait amené les Compagnies en Alsace à
l'instigation de l'empereur qui, maintenant, le forçait d'en sortir'.
Les habitants de Bâle tremblaient de frayeur à l'approche de la
Compagnie d'Arnaud de Cervole. Ils sollicitèrent des recours de
1. BcuiMiîu, Regesta Iniperii, VIII, éd. IIuhkr, p. 352, n" iI91. L'empereur voulait
encore qu'un membre du conseil de Strasbourg s'adjoignît à son légat.
2. Chronique de Liinboiircf dans Mon. Germ ., 1. c, p. 5i.
3. KoMGSHOFKN, p. 187 suiv.,et un document dans Chroniken dev deulachen SlUdle,
t. IX, p. 1042.
4. KÔM(iSHOFKX, 1. C. (]f. la carte dans Chroniken der deiilschen Sliidte, \'lll. à la
fin.
5. Coniin. Mnili. Nuewenhurcj., 1. c. Chéhest, p. 321, se fait aussi cette fois l'avocat
de rArchii)rctre et de sa Compagnie, il trouve que l'empereur n'a pas tenu parole et
n'a, jusqu'à Strasbourg, trouvé aucun motif de plainte. Mais, pour arriver à cette
conclusion, Chérest a altéré les faits historiques. Qu'a fait cette Compagnie pendant
toute sa marche? Et si l'Archiprêtre n'avait reçu à Metz 18.000 llor. d'or, le pays eût
été dévasté, comme l'Alsace le fut après, ce que dit l'annaliste de Saint-Thibaut de
Metz (dans Calmet, Ilisl. eccl. de Lorraine ; II, Preuves, p. clxxv). Avant d'arriver à
Strasbourg, sa Compagnie a incendié beaucoup de maisons à Kiinigshofen {Coniin.
Math. Nueicenlnirçf.: Ziircher Chronik,\. c), et le jour suivant, Arnaud ne s'était pas
présenté devant la ville pacifiquement, comme le veut Chérest, p. 318, mais << impe-
tuose » (les deu.v sources citées), et il y avait employé la même tacti({ue (pie devant
Metz : la menace, « si'i AVtiltent das lant gerwe ab biirnen, men gebe in denne guot »
(KoMGSHOFiîx, p. 487). Mais les Strasbourgeois refusaient la rançon, on disant : « dor
in guot gebe, so kement si"" zuoin andern mole aber » (ibid.). De là la fureur de
l'Archiprêtre. Et malgré tout cela l'empereur attendait huit jours avec son armée.
Qui pouvait lui reprocher de s'être mis finalement à la poursuite de ces routiers?
Chérest s'est seulement servi des chroniqueurs de seconde main, et encore il y
a puisé avec une grande partialité pour son héros l'Archiprêtre. Cette partie est cer-
tainement une des plus faibles de son ouvrage. Comment Chérest a-t-il pu croire
que l'Archiprêtre pensait sérieusement à aller outre-mer avec sa Compagnie? .\rnaud
ne voulait aller qu'outre-Rhin, pour rançonner d'autres provinces.
484 LA GUERRE DE CEIST ANS
tous côtés ^ Mais Talarme fut vaine ; la Compagnie s'en retourna
en France. Cependant l'Alsace était dévastée. Pendant près d'un
mois, la Compagnie y avait commis de grands dégâts, plus grands
qu'ils ne le furent en 1375, bien qu'alors l'ennemi fût plus con-
sidérable, et son séjour dans le pays plus prolongé. Une grande
cherté de vivres survint '. La misère s'accrut encore par les ravages
que faisaient les troupes de l'emjDereur -^ Il en advint en Alsace
tout comme en France. Les royaux, les amis se conduisaient sou-
vent plus mal que les ennemis, comme Jean de Venette nous l'af-
firme à différentes fois. Cet ouvrage en fournira maint exemple à
l'appui. Les mêmes faits se reproduisent pendant les guerres, dans
les temps modernes.
Les compagnons d'Arnaud de Cervole ne pouvant point passer
le Rhin pour rançonner d'autres provinces, s'en retournèrent tous
peu à peu en France ; à partir de la fm de juillet ils y reprirent,
surtout en Bourgogne, leur ancien métier de brigands^. Que faire?
On se retrouvait dans la même ornière. Il vint alors au roi
Charles V une autre pensée. Sans se départir du projet d'emme-
ner les Compagnies hors du pays, il choisit comme destination un
pays plus rapproché que la Terre-Sainte, à savoir l'Espagne. Une
guerre sévissait en Castille entre le roi don Pèdre et son frère
bâtard, Henri de Trastamare, que nous connaissons déjà. Don
Pèdre, avec le surnom de « Cruel », ne s'était pas seulement rendu
odieux à ses sujets, mais il était aussi détesté du roi de France,
à cause du prétendu meurtre de Blanche de Bourbon, sa femme,
sœur de la reine de France ^. Il s'agissait donc de le détrôner et de
mettre à sa place Henri de Trastamare. A cette fin , les Compa-
gnies devaient être conduites de France en Espagne. Le moment
1. Voy. la lettre du 22 juillet aux Strasbourgcois dans rédition de Ivonigshofen, éd.
par ScHiLTER, p. 891 ; Justinger, Die Berner-Chronik, p. 121 fTuovihhxiKT, Monuments
de Vhisl. de V ancien évèché de Biile, IV, p. 226.
2. Tout cela écrit Kô.mgshofen, p. 489 suiv, ; IX, p. 81 i. CHKREaT, p, 322, a tort
d'omettre ces récits et de parler seulement des ravages qu'ont commis les troupes de
l'empereur.
3. KÔMGSHOFEX, 1. C.
4. Voy. Chérest, p. 325 suiv., 331 suiv., désormais il était en état de lire et de com-
prendre les sources.
5. ScHiRRMACHER, Gescli. von Spnnien, V (1S90), p. 400, preuves en mains, n ad*
met pas facilement l'assertion d'AvALA, que don Pèdre a tué sa femme.
LES COMPAGNIES EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 1365 485
paraissait favorable, puisque don Pèdre, non seulement était en
g-uerre depuis quelques années avec le roi d'Araii^on, mais avait
encore beaucoup d'autres embarras en Castille avec ses sujets
et ses voisins^. Devant le Pape, qui, quelques mois avant, louait
don Pèdre au-dessus des autres '^, on couvrit l'expédition en Espagne
d'un prétexte religieux : les Compagnies devaient pousser jusqu'en
Grenade, se battre contre les infidèles, contre les Maures"'.
Du Guesclin fut choisi pour se mettre à la tête des Compagnies
et les faire passer de France en Espagne. Sa rançon fixée, après la
bataille d'Auray, à 100.000 francs, étant payée, il s'engagea par
acte du 22 août 1865 à diriger cette expédition. Dès le 10 octobre^,
nous le voyons à la tête des gens des Comj^agnies, parmi lesquels
se trouvaient aussi Eustache d'Auberchicourt et plusieurs chevaliers
anglais, entre autres Hugh de Calverly, Jean Creswey, les mêmes
qui se battaient naguère à Auray contre Du Guesclin -K Arnaud de
Cervole n'en était point, mais il s'engageait à rassembler, parmi
les Compagnies revenues d'Alsace, un autre corps de troupes, pour
les réunir à celles de Du Guesclin ^. Celui-ci, avec Arnoul
d'Audrehem, se trouvait le 10 octobre à Auxerre; le 12 novembre,
sa présence est constatée k Avignon ; les Compagnies étaient à
Villeneuve. Les seuls détails connus jusqu'à présent sur cette
marche à Avignon étaient que le Pape ne se trouvait pas en sûreté,
1. La source principale pour ces événements est Pedro Lopez ne Ayala, Ci'onica
ciel rey don Pedro, dans Cronicas de los reyes de Cnstilla, etc., con las enmiendas de
G. Zuriin, etc., Madrid, 1779 suiv. Cf. I, p. 15, 87, 1 ii, etc. Cf. encore Mkrimkk,
Hist. de donPèdre /""■, roi de Castille, Paris, J865, et Schihrmachkr, l.c.,p. 337 suiv.,
399 suiv.
2. Don Pèdre avait otTert par mer et par terre des secours au Pape, qui, plein de
reconnaissance, le 1" mars 1365 (( carissimo in Christo filio Petro régi Castellae illus-
tri » écrit qu'il « prae cunctis orbis principibus » est disposé à secourir le Saint-Sièg^e,
et le Pape lui souhaite tous les biens. Reg. Vnt., n° 247, fol. 55 ; Raynald, Ann., 1365,
n° 7. Cf. ScHiRHMACHEn, p. i iO suiv. Le 18 mars le Pape lui donne la dispense néces-
saire pour se marier avec une fille du roi de Portugal. Reg. Vat., 1. c, fol. 64. On y
trouve encore d'autres lettres aimables de la même année, comme fol. 73'', du 14 avril.
3. Mandements de Charles V, éd. Delislk, p. 437. Cf. Grand, chron., p. 238;
CuvELiER, V. 7614, et Petit Thalamus, p. 369.
4. LucE, dans Froissart, p. i.xxx, not. 3, où est l'itinéraire de Du Guesclin. plus
développé par E. Mommer, Vie d'Aî'noul d'Audrehem, p. 170 suiv.
5. Voy. la liste des divers capitaines des Compaj^nies et des seiiineurs français dans
Froissart, p. lxxxi à lxxxiv, avec les notes de Luce. Les Compagnies de Du Guesclin,
au dire de Petit Thalamus , p. 369, étaient composées de Français, Anglais, Alle-
mands, Bretons, Gascons et autres.
6. Cf. Chérest, p. 335 sui^'.
486 LA GUERRE DE CENT ANS
que les Gompag-nies envoyèrent demander l'absolution et
de l'argent, et qu'elles reçurent de fortes sommes^; mais les
choses se passèrent un peu autrement. Les Gompag-nies, durant
cette expédition^ se conduisirent tout comme leurs compa-
gnons, censément en route pour la croisade, l'avaient fait en
Alsace et en Lorraine. Elles marchaient soi-disant contre les
infidèles ; mais elles n'en menaçaient pas moins d'envahir en
ennemis la Provence, Forcalquier et d'autres provinces envi-
ronnantes, si celles-ci ne se rachetaient moyennant une grosse
somme d'argent. Le sénéchal, les officiers et les nobles de la
Provence, voyant bien que leur pays était hors d'état d'opposer
aucune résistance, choisirent le moindre mal, et promirent, avec
l'assentiment du pape, de payer la somme énorme de 30.000 flo-
rins d'or. Le 20 novembre, Urbain V charge le patriarche de Jéru-
salem de sommer, sous peine de censures, les ecclésiastiques, clercs
et moines de contribuer au payement de cette somme -. Les Gom-
1. H MoLiMEn, 1. c, Pièces juslif., n° 94, p. 320; Guviïlier, Chron, de Du GiiescUn,
V. 747i.
2. Ileg. Aven. Urbani V, n° 13, fol. 602'' : « Ven. fr. Philippe patriarche Jerosolimi-
tano saluLcni, etc. In noLioncm publicam cunclorum de circuinstaiiLibus partibus non
est dubiumdevenisse, quod innumerabiles j^entes armigere,que comitive vocantur, de
finibus fi;allicanis egrcsse contra infidèles, ut asserunt, prolecture, partes senescalliarum
Tholose, Garcassonne et Bellicadri repleverunt, comitatusque Provincie et Forcalque-
rii ac alias citra montes Lonibardie terras cariss. inChristo lilie nostre Johanne regine
Sicilie illustri subjectas et alias circumpositas partes intrare hostiliter (quod statimet
faciliter facerc poterant, nisi per incolas dictarum coniniunitatuni et terrarum eis
daretur aliquod fçrandesubsidiumpecunie)minabantur,propterquod dil.fîliinobilesviri
senescallus et alii oflîciales reginales et nobiles dictarum communitatum ad evitanda
j^ravissima pericula et dampna maxima....cumeorum patria non essct ad rcsistcndum
sufficiens et de presenti parata, eligendo minus malum, triginta millia florenorum auri
de nostro consilio prefatis gentibus promiserunt, nosque considérantes... dignum esse
ac rationi consentaneum reputantescjuod ii)si prelati et pcrsone ccclesiastice etipsorum
homines et Aassalli pro rata suarum facultatum contribuant in liujusmodi pecunia
persohenda, ut onus solutionis... eo levius ))erferatur, quo divisumfuerit inter plures,
dictis senescallo et aliis qui dictam summaui ])romiserunt, pio bono et neccssitale
comitatuum et terrarum jircdictorum necnon prelalorum clericorum et personarum
ccclesiast. suorumque ccclesiarum, monasteriorum, hominum et vassallorum et loco-
rum consistentium in eisdem obtulimus quod ipsos prelatos clericos, etc., in dicta
c{uantitate pro eadem rata contribucre facercmus. [Eidem committit ut universos
archiepiscopos, episcopos, abbates aliosque prelatos et clericos et personas eccles.,
saeculares et regulares, pro se suisque hominibus et vassalis inducat ad hujusmodi
solutionem pro rata faciendam, sub censuris ecclesiasticis]. Dat. Avinione xii kal.
Deccmbris anno IV ». La Chambre apostolique a fait aux Provençaux des prc(s de
12.000 francs dor. Arch. Vat., Iniv. el exit., n" 315, ad an. 1366, Junii 20. Prou,
LES COMPAGNIES EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 1365 487
pagTiies employèrent la môme tactique de l)ri<^ands à l'égard du
Gomtat Venaissin ; les habitants se rachetèrent moyennant 5.000
florins d'or, prêtés par le pape qui, de rechef, demanda une contri-
bution aux ecclésiastiques K Voilà un éclatant démenti donné à
l'assertion que les Compagnies venaient simplement réclamer du
pape l'exécution des promesses faites à Du Guesclin avant leur
arrivée '^. Nous voyons, une fois de plus, quelle était l'impuissance
de la France contre les Compagnies.
Mais à part cela, le Pape consentit à se dessaisir en faveur de
Du Guesclin des décimes de la province de Tours •^, et il paya en
outre une énorme somme, en vue de l'expulsion des Compagnies.
Le 22 décembre. Du Guesclin n'était pas encore complètement
rentré dans ses fonds, ni quant aux décimes, ni quant à la somme
susdite, et le même jour Pierre de Villers, grand-maître de la
maison du roi, fut nommé par lui son procureur à la cour Romaine.
Ce n'est que le 2G janvier 1366 que Pierre de Villers signa le
reçu du reste de la somme que le Pape faisait remettre à Du Gues-
clin pour l'expulsion des Compagnies et l'expédition contre les
infidèles. Ce dernier A^ersement s'éleva à lui seul à 32.000 francs
Klnde, etc., p. 1 iO, n"^ 2, G, 10. Mais cet auteur, auquel échappait la bulle, n"a pas
compris le mandement.
1. Reg. Vat. Urbani V, n- 2i8, fol. 170, ad an. 1365. Novembris 23 : « Ven. fr.
Uaymundo episcopo Penesti'ino, salutem, etc. In notionem publicam cunctorum de
circumstanlibus partibus non est dubium devenisse, quod innumerabiles gantes armi-
gere que comitive vocantiu% de finibus ^allicanis egresse, contra infidèles ut asserunt
prolecture, partes senescalie Bellicadri repleverint etcomitatum A'cnaysini, ad nos et
Rom. eccl. pertinentem, intrare hostiliter (quod statim et faciliter facere poterant,
nisi pcr incolas dicti coniitatus eis daretur aliquod pecunialc subsidium) minabantur.
propter ({uod nos ad cvitanda gravissima pericula et dampna maxinia dicti coniita-
tus... quintjue millia florenor. auri pro dicto coniitatu et cjus incolis mutuo per te
fecimus recipi et dictis gentibus exliiberi, prout similiter feceruntincole partium \ ici-
narum... [Mandat ut in hujusmodi floren. quantitate restituenda contribuere faciat
ecclesiasticas personas cujuscunque jiradus, saeculares et regulares dicti comitatus.
seu habentes civitates, terras possessiones ac redditus in eodem, et laxandi ac
recipiendi contributionem ipsam facultatem eidem concedit]. Dat. Avinione i\ kal-
Decembris an. IV ». Luci^, Froissarl, p. i-xxx, not. 3, a donc tort de nier (pie Du
Guesclin, à l'occasion de son passage à Avignon en 1365, ait levé une rançon de
5.000 florins sur les habitants du C.omtat. Du Guesclin, alors à la tète des Compagnies,
devait les satisfaire quelque peu.
2. Puou, Eliide^ etc., p. 59.
3. Reg. VaL, no 248, fol. 175 ; Prou, 1. c. n" 63. Dans la lettre du Pape, il s'agit des
décimes en général ; mais Du Guesclin même dit, le 22 décembre, qu'il devait recevoir
les décimes de la province de Tours. Voy. Appendice I.
488 LA GUERRE DE CENT A]SS
d'or ^ ; on se demande à combien se montait la somme entière - !
Cuvelier l'évalue à 200.000 francs. Ce chiffre est sans doute exagéré,
mais il est certain que la somme en question dut être très forte.
D'ailleurs Du Guesclin ne fut pas entièrement soldé à cette époque,
puisqu'en 1368, comme nous le verrons au paragraphe 6, il avait
encore un crédit de 37.000 florins, provenant peut-être des dé-
cimes.
Ainsi les trois sénéchaussées étaient de nouveau livrées k la
merci de ces pillards. A Montpellier, par exemple, où ils arrivèrent
le 29 novembre •^, ils exigèrent et reçurent 10.000 francs ^. Cette
extorsion était d'autant plus fatale, que les charges étaient deve-
nues insupportables. La sénéchaussée de Beaucaire avait offert, à
elle seule, 70.000 moutons d'or par an pendant six ans, k titre de
secours pour la rançon du roi Jean. La première année seulement,
les communes furent en état de les payer; en 1362, k cause des
incursions des Compagnies, la somme fut réduite k 50.000, que les
sénéchaussées payèrent pendant trois ans; en 1366, le trésorier
royal exigea un supplément de 20.000 moutons d'or pour chacune
des trois années précédentes, et la somme de 70.000, pour 1366.
Les communes de la sénéchaussée poussèrent des cris de douleur,
et le 30 avril 1366, Urbain V exhorta le roi k agir avec clémence
envers lesdites communes, en considération de la présence des
Compagnies, du passage des bandes et des grandes déprédations
subies par le pays ^. Le 19 octobre, le Pape réitéra les mêmes
1. Linstrument du 26 janvier 1366 (inséré au Vidimus du 26 avril 1368) dans Arcli.
Vat., Insirum. miscelL, ad an. 1306, étant trop lonit, je le réserve pour l'Appen-
dice, I.
2. Chron. de Du Guesclin, v. 7540 suiv.
3. Petit Thalamus, p. 369.
4. MoLiMER, 1. c, Pièces justif., n° 94.
5. Reg. Vat.. n° 248, fol. 86*'. « Gariss. in Christo fil. Carolo régi Francie illustri,
salutem, etc. Dilector. filiorum communitatuni, civitatum et locorum tue senescallie
Bellicadri expositione nuper audivimus, quod dudum universitates ipse, tum ex
nephandarum societatum incursibus, facultatum lapsus plurimum déplorantes, cerla-
rum impositionum tune cis pro redeniptionc cla. me. Johannis rejiis Francie. patris
tui factarumoncribus iniportabiliter premercntur, et pro ipsarum communitatuni parte
recursus ad patrem tuum haberetur eundem, ab eo... obtinuisse se dicunt prefatas
impositiones tolli totaliter et loco ipsarum septuaginta milia motonorum per eos
anno quolibet usque ad sex annos régie curie debere persolvi, que quidem... primo
anno... se asserunt persolvisse : anno vero sequenti dum predicte communitates. tum
LES COMPAiiMES EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 1 36o 489
plaintes, adressées cette fois au duc d'Anjou, sur les charges insup-
portables imposées aux sujets de ladite sénéchaussée^.
Dès le mois de décembre, les Compagnies, en passant par Perpi-
gnan, entrèrent en Espagne. Sans les y suivre plus loin, qu'il me
suffise de dire que l'expédition de Du Guesclin fut couronnée de
succès. Don Pèdre fut détrôné et prit la fuite; Henri de Trastamare
fut couronné roi de Castille '.
Toutefois, la France, pendant ce temps, n'était pas délivrée des
Compagnies. Le fait est, qu'arrivées à Perpignan, plusieurs bandes
s'en retournèrent, se dispersant çà et là ^. Vers la fin de l'année
1365, quelques-unes stationnaient dans le proche voisinage d'Avi-
gnon, d'où elles guettaient leurs victimes, les dépouillaient de tout
ce qu'elles avaient sur elles, les enfermaient et les rançonnaient. En
outre, elles se rendaient coupables d'autres rapines et incendies,
sous les yeux mêmes du Pape. Urbain V nous le raconte dans sa
bulle du 12 janvier 1366, où il prononce de sévères sentences contre
tous ceux qui se rendent coupables de pareils crimes dans les loca-
propter incursus hujusmodi, tuni proplcr epidimie pestem que magnam partcm
ipsarum exhauserat, ad solutionem integram..., se cernèrent pv^niUis impotentes, a
ven... episcopo Melden., et dil. fil. Petro Scatisse, thesaurario Francie... de summa
intejira supradicta diminutioneni vij?inti milliummotonoruni... obtinuisse sedicunt..,,
dicto anno et tribus aliis sequcntibus tantum 50 millia motonorum persolverunt...
Nunc autem prefate communitates quamvis parate sint pro presenti anno dicta
50.000 motonorum solvere... tamen ad ccrtas litteras a regia nuper curia emanatas ad
solutionem prefatorum 20.000 moton. pro quolibet trium annorum elapsorum, et inté-
gra 70 millia... pro presenti anno per regium thesaurarium... compellantur, ob quod
dolent, clamant et ejulant, se non jjosse sufficere ad premissa. [Eundem hortatur
ut cum dictis communitatibus clementer agat, quae nunc ex mansione et transitu
societatum hujusmodi rapinas et destructiones bonorum patiuntur]. l)at. Avinione ii
kal. Maii anno IV ». Quant à la diminution de 70.000 à 50.000 moutons en 1362, voy.
Hist. de Languedoc, X, p. 1237, p. 1210. Dans les autres sénéchaussées, c'était la
même chose. Cf. Dognon, Les Institutions poli liquen, etc., p. 608.
1 . Reçf. Vnt., 1. c, fol. 163. Le 20 mars, Urbain V se plaint auprès du roi de ce que les
sénéchaussées de Toulouse et de Carcassonne sont opprimées par ses ofllciers. Ihid.,
fol. 67.
2. Sur l'expédition en Espagne, voy. Ayala, Crônica del reif don Pedro, déjà citée.
Comme MÉniMÉE, de même I^rcE, dans les notes de Froissart, VI, p. i.xxx suiv., se
sert aussi de Civf.meu, C/jron. de Du Guesclin, I, p. 380 suiv. Sont à consulter
encore E. Molimf.h, Etude, p. 172 suiv.; KiinLiiK, Die Entuickelunff des Kriegs-
ivesens, etc.. Il, p. 480 suiv., 482; SniiiiuoiACHEa, Gesch. von Spanien, V. p. Mi suiv.,
î 18 suiv. Cet auteur prend ])arti pcnir don Pedro contre Henri de Trastamare. et il n'a
l)as toujours tort.
3. A'oy. Lt'ck, FroissHT't. p. i.wxiii. note 6,
490 LA GUERRE DE CENT AÎSS
lités situées dans l'espace compris depuis la curie romaine ^ jusqu'à
deux journées de distance.
Des Compagnies ravageaient le pays de Carcassonne au mois de
mars 1366, si bien que le duc d'Anjou convoqua contre elles des
hommes d'armes. Au mois de mai, un partisan anglais, Thomas
d'Agorne, avait envahi le Gévaudan ". Il y avait encore, surtout
dans le comté de Bourgogne, des bandes anglaises qui occupaient
des forteresses importantes, aussi Edouard III chargea-t-il, le 24
octobre 1365, Nicolas de Tamworth et Jacques Wyn de se rendre
sur les lieux envahis et d en faire déguerpir les Anglais •"'. Ces deux
émissaires secondèrent les efforts d'Arnaud de Gervole. Au com-
mencement de 1366, celui-ci avait déjà réuni une grande Compa-
gnie pour l'emmener hors de France et la conduire à Du Guesclin,
en Espagne. Mais il changea de plan quand il apprit qu'il n'y avait
plus rien à faire au-delà des Pyrénées. Il partagea sa Compagnie,
stationnant aux environs de Tournus, en deux corps, pour aller
rejoindre l'armée du comte Amédée de Savoie, sur le point d'aller
1. Reff. Vnt., 11° 248, fol. 490 : « Urbanus... Ad perpetuam rci memoriam Ad
Romane curie statum secunim et liberum conservandum... Sane licet omnes et singuli,
qui venicntcs ad dictam curiam vel rec.edentcs ab ea capiunt, spoliant, impcdiunt vel
molestant, sint ])cr nostros et nonnuUorum summorum pontificum predecessorum
nostrorum processus excommunicationis et anatliematis vinculo innodati, tamcn pec-
catis exigentibus nonnulle catervc malorum hominum, que de diversis mundi parli-
bus con^rcf^ate, se Societates appellant... lidelcs ipsos ad preiatam curiam accedentes
et recedentes ab ea, nec non victualia et alia bona que ad ipsam curiam deleruntur
capere, detinere ac predari, ipsoscpie captos spoliare et ad rcdcmptioncm compellere
ac bonorum depopulationcs, rapinas et incendia prope ipsam cui'iam et quasi ante
nostros oculos perpretrare sepius non verentur, [inhibet ne quis princeps, dux... no-
bilis vel plebejus aut communitas vel universitas civitatis, castri, villae vel loci,
quaevis loca pcr duas dictas propinciua loco residentiac curiae praediclae ad captio-
nes, depraedationes, etc, perpetrandas armata manu seu cuni armigerarum jj,entium
comitiva intrare aut inibi permanere, aut talia committentes rcceptare, aut alia facere
praesumat, per quae tam curiae quam venientium et rcccdentium ab ea libertas et
securitas impediatur, sub nota criminis lacsae majostatis, jurium privationis, excom-
municationis et aliis iiravissimis poenis per eos incurrcndis etc.] Dat. Avinione II
idus Januarii, an. IV ». Cette bulle fut envoyée à tous les méti'opolitains de France
et à leurs sufTraj^ants, et aux cvèques de Mende, de \'iviers, du Puy, d'Uzès, de
Nîmes et d'Orange. Le 22 février, l'évcque de Mende reçut encore une bulle spéciale
par laquelle la ville et le diocèse de Mende jouissaient de la même protection que les
lieux situés sur le territoire compris dans deux joui'nées. Ihid.. fol. 195. Ceci prouve
que le diocèse était alors bien infesté. Prou, p. 61, cite la bulle du J2 janvier, mais il
croit que le Pape y a fait seulement un procès aux Compagnies.
2. Voy. MoLiMER, dans Hist. de Lunçjuedoc, IX, p. 7S2, note.
3. RvMER, Foedern, III, p. 777; Chkuest, LWvchiprêtre, p. 3i0 suiv.
LES COMPAfiNIES EN ALSACE ET EN ESPAGNE, 13G5 491
secourir Jean Paléologue contre les Turcs ^. La Compagnie, recrutée
pour la plupart du comté de Bourgog-ne, instruite du plan de cam-
pagne d'Arnaud de Cervole, refusa de se rendre en Savoie, ou plutôt
de quitter la France, et à la suite d'une altercation, l'Archiprêtre i
fut tué d'un coup d'épée 2, entre Lyon et Mâcon, par un de ses '
soldats, le 25 mai LS6G.
La Compagnie demeura en France et continua à ravager le pays.
La Bresse, le Lyonnais et le Maçonnais furent derechef exposés à
toutes les horreurs, et il est possible que le Rouergue et le Quercy
n'aient point été exemptés '^ Pour coml^le d'infortune, les sei-
gneurs, leurs vassaux et les gens du roi ne se conduisaient pas
mieux que les Compagnies en Bourgogne '*.
Bon nombre des compagnons relevant des Compagnies qui affli-
geaient alors le pays avaient déjà reçu l'absolution du Pape, en
prévision de la croisade à laquelle ils devaient prendre part. Toute-
fois, ils n'en continuaient pas moins leur métier de brigands. Le
1. Un peu avant devait avoir lieu un tournoi entre un certain nombre de nobles
des deux comtes de Bourgogne et de Savoie, et des membres des Compagnies qui
demeuraient dans ces contrées. Voy. cette curieuse lettre dans iîe^. F/jf., n" 248, fol.
23, ad an. 1366, Januarii 8 : « Ven. fratribus... archiepiscopo Lug^dunen. acCabilonen,
et Bellicen. episcopis ac dil. filiis, eorum vicariis in spiritualibus salutem. Ad
nostrum nuper pervcnit audilum quod quidam nobiles de comitatibus Burgun-
dic et Sabaudie seu aliundc in certo niunero cum totidem viris armigeris comitiva-
runi, (jue in illis partibus connnorantur, in eisdem partibus concertare usque ad alte-
rius partis totalcm victoriam juramentis seu fidc data, sive modisaliis firmaverunt, ex
quo si fieret liumani sanguinis sparsio ac succumbentium confusio, et lam occisorum
quam occidentium animarum pericula et multa alia scandala et discrimina procul
dubio provenirent. [Urbanus \ mandat ut publico edicto in suis cathedralibus et aliis
suarum civitatum et diocesum ecclesiis, et locis publicis prohibeant dictis nobilibus
et armigeris ne dictum certamen committant, nec committentibus faveant, nec ad
videndum taie spectaculum accédant sub excommunicationis et interdicti poenis ap.
sedi reservatis]. Dat. Avinione vi idus Januarii an. W . »
2. Voy. sur cette dernière période de la vie d'Arnaud de Cervole, Chérkst, p. 336
suiv., 344 suiv., 346 suiv., 350. « FuttucàGlazi»,dit le Petit Thalamus. i>. 372. Chérest,
p. 350, comme aussi Guigtk, Les Tard-Venus, p. 165, prennent « glaci «pour un lieu,
et le premier Tidentifie avec Gleizé, le second avec Laize. Mais A. Thomas a prouvé,
duns Annales du Midi, année 1891. p. 256, que" à glaci » veut dire » d'un coup
d'cpée », par conséquent que ce mot ne signifie pas un lieu, mais << glaive ».
3. Lacostk, Ilist. de Quercy, III. p. 186, dit que rArchiprcli-e occupait alors Car-
daillac, Fons et Foulhiac ; RorgiFXTE, Le Rouergue sous les Ançflais, p. 100, prétend
qu'il est arrivé jusqu'aux portes de Millau. C'est faux. Mais les bandes retenaient
quckpic temps le nom de leur ancien chef, et il est possible (pi'elles se soient lépan-
dues dans ces contrées après sa mort.
4. GriGtn:, 1. c, p. 154 suiw
492 LA GUERRE DE CENT AÎ^S
2 mai 1366, Urbain V lança contre eux une bulle par laquelle il les
déclare excommuniés et ayant encouru toutes les peines prononcées
contre les coupables dans sa bulle Clamât ad nos. Les évêques sont
tenus à en rechercher les noms dans leurs diocèses, à les livrer à la
publicité et à faire le procès des criminels ^ Le o juillet, il accorde
encore jDour les deux années suivantes l'indulg-ence plénière à ceux
qui seront tombés dans la lutte contre les Compagnies-.
Cet état de choses ne tarda pas à s'ag-graver davantage encore.
L'expédition en Espagne étant terminée, les Compagnies furent
alors congédiées : le trésor de don Pèdre à Séville servit à acheter
leur départ 2. La grande majorité reprit le chemin de la France. Du
Guesclin, Arnoul d'Audrehem, Hugh de Calverly et 1.500 lances,
dont chacune avait trois chevaux, demeurèrent en Espagne. Ainsi,
1. Arch. nat. Paris., J 711, n° 300-' : « Urbanus... Ad futuram rei mcmoriam. Ratio-
nis debitum... Dudumsiquidem adversus nonnuUos iniquitatis filios, sociales vocatos
qui in re^no Francie rapinas publicas... perpetrabant... certes processus fccinius. [Le
pape répète alors les sentences prononcées contre eux et leurs fauteurs dans sa bulle
Clamât ad nos. Et il continue :] Cumautem nuper ad audientiam nostram pervenerit,
quod nonnulli ex eisdem socialibus qui dudum suorum scelerum penitenles absolutio-
nis ab hujusmodi sententiis et pénis obtinere beneficium a nobis seu aliis auctoritate
nostra meruerunt, postmodum ad patranda similia scelera, dampnabilitcr sun-
reversi... nos adversus eos, ne de sua inalicia et absolutione hujusmodi Aaleant ^lo-
riari et ad toUendam onnieni eorum opinionem erroneani, eos omnes et singulos...
non solum eisdem, sed majoribus pénis plecti. tenore presentium auctoritate predicta
decernimus et declaramus omnes et singulas supradictas sententias et penas conten-
tas in dictis nostris processibus et litteris eo ipso reincurrisse, et eos qui similia
scelera perpetrabunt imposterumeasdem sententiasetpenas similiter incursuros ac eis
ligatos existere sicut prius, mandantes universis locorum ordinariis, presertim dicti
reg:ni, qui super hiis fuerint requisiti, quod in eorum civitatibus et diocesibus de
nominibus illorum, qui, ut prefertur, a dictis'sententiis et pénis absoluli fuerunt et ad
eadem comittenda facinora redierunt, quique sint de ipsis civitatibus et diocesibus
oriundi aut habeant domicilium in eisdem, auctoritate apostolica supradicta simplici-
tcr et de piano sine strepitu et rip,ura judicii dilif^enter inquirant et illos quos similia
scelera post hujusmodi absolutionem commisisse reppererint, nominatim denuntient
in dictas penas et sententias recidisse et alias contra eos ac sequaces et fautores ipso-
rum et communicantes eisdem mandat um nostrum contentum in dictis prioribus
litteris effîcacitcr cxequentur. [Haec sententia afiîgatur ostiis ecclesiae majoris
Avinionen., ad hoc ut sociales non possint habere excusationem dicendo, ad se non
pervenissc notitiam hujus processus.] Dat. Avinione vj non. Maii, pontificatus nostri
anno quarto ». In Arch. nat., L 312, n° 9, cette bulle est adressée à l'archevêque de
Toulouse. La bulle d'absolution est du 31 mars 1365, Ref]. Val., n°247, fol. 238, ci-des-
sous, p. 507.
2. Reff. Val., n" 248, fol. 2'i3''; Arch. nat. Paris., J 711, n" 300 '^^ : « Ad futuram
rei memoriam. Cogit nos, etc. Dat. Avinione iij non Julii an. quarto »
3. Voy. E. MoMxiER, 1. c. Pièces juslificat., n° 94, p. 320.
LES COMPAriMES L\NE ALTI{E E(JlS E> E.SPA(j>E, l.'JGT i93
par le fait, on se retrouvait de nouveau au même point. Pour ce
qui concerne le Midi, les expéditions en Espagne lui étaient désas-
treuses, puisqu'il l'aller et au retour les Compagnies le traversaient
sans cesse, et celles-ci n'infestaient pas moins l'Espagne que la
France. Les registres du Vatican nous en fournissent beaucoup de
détails. Par suite de ces expéditions, le mal changeait seulement de
foyer et se répandait dans d'autres pays, sans épargner le Midi de
la France. Il me revient à ce sujet une prière à saint Florian, le
patron qu'on invoque contre Fincendie, que de méchantes langues
mettent dans la bouche des paysans de mon pays : « Saint Florian,
épargne nos maisons, mais, par contre, incendie celle des autres. »
En effet, c'était, après tant d'essais infructueux, le grand moyen
qu'on croyait avoir trouvé pour débarrasser la France des Compa-
gnies. Le seul expédient ellicace, à savoir l'établissement d'une
force militaire permanente, ne fut trouvé que 80 ans plus tard,
le 2 novembre 1439, par Charles VII, qui mit lîn aux excès des
gens de guerre et des écorcheurs de son temps, en les enrôlant à
son service. Et pourtant, auxiv^ siècle, les Compagnies étaient plus
nombreuses et plus dangereuses par leur plus grande persistance^.
Il fallut une expérience séculaire pour comprendre enfin le mot de
Gerson, que les troupes privées de solde deviennent des bandes
de brigands, qui « de alterius corio largas corrigias secabunt-. »
Mais aurait-on pu, à l'époque qui nous occupe, entretenir et sou-
doyer une armée permanente? Très difTicilement, sans doute, car
les caisses étaient vides, la population épuisée. Le peuple n'était-il
pas déjà écrasé par l'aide qu'il devait apporter au payement de la
rançon du roi Jean? Encore ne s'en acquittait-on que lentement.
L'Angleterre s'était déclarée pour don Pèdre. Celui-ci, après ]
avoir été détrôné -^ était passé en France pour aller demander des
secours au prince de Galles. Sur l'avis d'Edouard III, le prince
conçut le projet d'entreprendre une expédition pour détrôner Henri
1. Tdkthv, Les écorcheurs sous Charles VII, Montbéliard, 187-i, I, p. i. trouve que
les excès de toute nature conuiiis par les écorcheurs du xv® siècle elîacèrent tous les
exploits de leurs devanciers du xiv" siècle. Cette assertion est seulement vraie au sens
({ue les crimes du xv« siècle étaient plus récents pour le peuple d'alors, qui ne con-
naissait plus les crimes commis au xiv" siècle.
2. Voy. Chartul. Universit. Paris., IV, n" 1819,
3. Voy. ci-dessus p. i89.
49 i LA GUERRE DE CENT ANS
de Trastamare et rétablir don Pèdre sur le trône. Il v eut à
Baronne des conférences préliminaires, où Ton traita des conditions
de Talliance entre le prince de Galles , don Pèdre et le traître
Charles le Mauvais qui, naguère, avait fait la paix avec la France ;
le 23 septembre, le traité fut signé à Libourne K Toutefois, ce misé-
rable, nommé Charles le Mauvais, se concerta bientôt après avec
Henri de Trastamare contre don Pèdre, et se trouva néanmoins
avec ce dernier dans l'armée du prince de Galles en entrant en
Espagne. Aussi comédien que traître, il ne tarda pas à être fait
prisonnier ~.
Sur ces entrefaites, le prince de Galles fît savoir aux Compagnies
qui avaient détrôné don Pèdre qu'il avait besoin de leurs services.
Celles qui se trouvaient encore en Espagne vinrent se joindre à
l'armée du prince. Froissart dit que le comte de Foix ne voulait pas
permettre aux Compagnies de traverser son pays, mais qu'il y con-
sentit enfin, à la prière du prince -^ L'exactitude de ce récit peut
être mise en doute. En tout cas, peu de temps auparavant, des
difficultés très graves avaient éclaté entre le comte de Foix et le
prince de Galles, si bien que le Pape envoya vers eux l'archevêque
de Toulouse ^ qui parvint en effet à le réconcilier.
Alors les ravages recommencèrent de plus belle. Olivier de
Maury, venant au secours de Louis, duc d'xVnjou, se mit à la pour-
suite de ces Compagnies anglo-gasconnes. Le 13 août, à la tête des
Bretons, renforcés par les gens d'armes du duc d'Anjou, il attaqua
1. Uymek, Foedei'ii, III, p. 800 à cSOT. Lucu, Froissarl, p. lxxxix, notes.
2. Ayala, I, p. 434 ; Grand, c/iro/i., p. 245, où est ajouté : « dont acquist ^rant
l)lasmc et déshonneur ». Cf. WAi/rt;i? of Peterijokougu, p. 110, dans l'édition citée
ci-dessous, p. 497.
3. FnoissAHT, p. 214 suiv.
4. Reg. Vat. Urbnni V, n" 248, Toi. 88'', ad an.l366,Maii 4 :'« Ven. fr, Gaiïredo archi-
episcopo Tholosan. Ap. sedis nuncio saluteni. Exigit nostri pastoralis otlicii debitum,.
Sane nuper dolenter accepimus quod inter dil. fdios nob. viros Edwai'ckun Aquitanie
et Wallic principeni ex una. et Gastonem coniitem Fu\i ex altéra pai'te... gravis est
discordia suscitata, ex qua, nisi celeriter ol:)vietur eidcni niala plurinia... provenii'C
verisimiliter formidantur. Nos itaque... te ad partes et presentiam dictorum discor-
dantium... providimusdestinanduni ; [mandat eideni, ut supradictos eorumque valito-
res et sequaces, ({uos pontifcx ad hoc })ei' diversas litteras, pcr eum praesentendas,
exhortatur, ad concordiam per eum ap. auctoritate roborandam, sin minus ad treu-
gas inducat]. Dat. Avinione iv non. Ma'û an. IV ». Suivent des lettres adressées au
prince de Galles, au comte de Foix, à Thomas de Felton, sénéchal d'Aquitaine, à
Jean Chandos et plusieurs autres.
LES COMPAGNIES UNE AUTUE FOIS EN ESPAGNE, 1367 495
l'une de ses bandes retranchées derrière les palissades de Montech,
petite ville située à 10 kil. sud-ouest de Montauban, et la mit en
fuite; mais le lendemain, les Français furent mis en pleine déroute
à la Villedieu^, près de Montech, à 12 kil. à l'ouest de Montauban;
plusieurs seigneurs furent faits prisonniers. La défaite fut amenée
par la défection d'une Compagnie à la solde du duc d'Anjou, qui ne
voulut pas se battre contre les gens d'armes et bandes du côté
opposé, « parce qu'ils étaient de leur alliance et serement 2»; mais
au lieu de rester neutre comme elle l'avait promis, elle chargeait les
Français à l'arrière ^. Les Compagnies anglo-gasconnes, victorieuses,
étaient commandées par Bertucat d'Albret, Robin Quin (Robert
Ceni), etc. Ce dernier, sujet du prince de Galles, était un rou-
tier dangereux, et Urbain V avait dû, quelques mois auparavant,
intervenir contre lui auprès du prince ^. La bulle du Pape, relative
à cette intervention, pourrait avoir donné lieu à Froissart de dire
1. Le roi Charles V parle aussi de ce combat de « Lisledieu » dans son Mémorandum
<lu 11 mai 1369, et dit que les Français étaient déconfits par les gens et sujets du
prince de Galles sur le territoire français. Grand, chron.., p. 303. Ce passage, avec le
récit sur les prisonniers, cité ci-dessous, p. 496, not. 1, a échappé aux historiens.
2. Edouard, dans Rymer, III, p. 808.
3. Voy. la lettre d'Edouard, 1. c. ; Pelit Thalamus, p. 372; Froissart, p. xci suiv.,
avec les notes de Luce. C'est peut-être la bataille « in ducatu Andegavensi », de
laquelle parle Kmghtox, p. 121, que gagnait « Nicolaus Dagworthe cum sua societate »
sur les Français. « Erant enim Franci xv mille victi et occisi, et capti sunt... v". Capi-
tanii Francorum fucrunt dux de Orlions, et dux de Angeres et plures magnâtes ». Ceci
est une fable ! Presque tous les historiens parlent du combat de Montech, Je cite seu-
lement Drvals, IJist. de Montauban sous la domination anglaise, p. 18 suiv., qui, du
l'esté, ne donne pas de nouveaux détails ; Hist. de Languedoc, IX, p. 783; Lacoste
Hist. de Quercy, III, p. 184 suiv.
4. Reg. Vat. Urhani V, n« 248, fol. 86, ad an. 1366, April. 30 : « Dil. fil. nob. viro
Edwardo Aquitanie et Wallie principi, salutem, etc. Ad aures nostros deduxit nuper
significatio fidedigna ({uod gentes nob. viri Robini Quin, natione Anglici, tuis obse-
quiis cum nonnullis gcntibus armigeris insistentis, dil. fil. Adcmarium de Veyraco de
tuo principatu oriundum, canonicum Bituricen. (dil. filii nob, viri Bertrandi de Vey-
raco domicelli Tutellen. dioc. magistri ostiarii nostri fratrem) non ex aliqua rationa-
bili causa, scd ut ab eo extorquèrent pecunias cepcrunt et detinent captivatum, im-
posita eis pro sua redemptione summa 1200 florenor. auri, ac certis equis. pannis,
aureis, eidem Robino seu ipsis captoribus exhibendis. [Requirit ut dictum canonicum
relaxari faciat, omni financia eidem remissa, et si solvissct ctiam restitutal. Dat. Avi-
nione n kal, Maii an, IV », Luce, Froissart, p. xcn, not. 3, dit sous l'autorité de la
Chron. norm. (p. 167), que Robert Oni fut fait prisonnier dans l'abbaye fortifiée
d'Olivel, non loin de Sancerre, en 136S; mais dans son Du Guesclin, p. 477, le même
fait, sous la môme autorité, est placé à l'an 1364, et le prisonnier s'appelle ici Jean
Creswey ! C'est seulement ce dernier qui était A Olivet, vers 1364.
496 LA GUERRE DE CENT ANS
que le Pape avait défendu, sous peine d'excommunication, à ceux
qui avaient été faits prisonniers dans le combat près Montech et
mis à rançon, de verser les sommes promises. Il n'existe pas de
bulle spéciale à ce sujet. Mais les prisonniers pouvaient en agir
ainsi, en vertu des bulles du o avril 136o et du 2 mai 1366. Le
récit du chroniqueur est du reste contredit par le Memorandujn de
Charles V, en 1369 i.
Pendant que le prince de Galles se préparait pour l'exjDédition en
Espagne, les Compagnies qu'il avait enrôlées à son service com-
mirent des désordres de tout genre. Henri de Trastamare et Du
Guesclin, alors en Espagne, ainsi qu'Arnoul d'Audrehem, firent
tous leurs efforts pour recruter des troupes, soit en Espagne, soit
en France. Le 10 janvier 1367, le prince de Galles part pour
l'Espagne avec son armée, à laquelle vient se joindre à Dax le
nouveau duc de Lancaster, Jean, fils du roi Edouard -. Citons
encore : Jean Chandos, Jean de Grailly captai de Buch, Eustache
d'Auberchicourt, Hugh de Calverly et quelques autres qui, dans la
première expédition, avaient combattu aux côtés de Du Guesclin
pour Henri de Trastamare, et s'enrôlaient maintenant contre lui
dans l'armée du prince de Galles. Pour se faire une idée des ravages
que les Compagnies de ce prince firent pendant ce temps sur
leur route, il suffit de dire que le comte d'Armagnac, quoique alors
au service du prince de Galles, essuyait des pertes de six cent mille
florins d'or, et que son comté était devenu un désert, ce qu'il
écrit au prince en 1368 ^.
Vers la fin de février, pendant un rude hiver, le prince passa les
Pyrénées avec son armée, qui y éprouva de grandes pertes, et entra
en Espagne du côté de la Navarre. Je ne suivrai pas plus cette
seconde expédition que la première. Il suffit de dire que la bataille
fut livrée le 3 avril 1367 au nord de l'Espagne, près deNâjera ^, au
sud-ouest de Logrono et Navarette, entre l'armée du prince de
Galles avec don Pèdre, et celle de Henri de Trastamare avec Du
Guesclin et ses troupes. Henri fut complètement vaincu par son
1. Dans Grand. Chr on., \). 303, déjà citées ci-dessus, p. 465, not. 1. Le roi dit que les
prisonniers furent détenus dans les prisons, et, depuis, soumis à très grandes rançons^
2. Le célèbre Henri, duc de Lancaster, est mort pendant la peste, en 1361.
3. RouQUETTE, Le Rouer gue sous les Anglais, p. 187, 189.
4. Voy. Diccionario geogràfico-historico de Espana por la Real Academia de la
historia, secc. II (Madi^id, 1846), p. 127.
LES COMPAGNIES UNE AUTRE FOIS EN ESPAGNE, 1367 497
ennemi, bien inférieur en nombre. Du Guesclin et Arnoul d'Au-
drehem furent faits prisonniers. Henri s'enfuit en France, don
Pèdre fut réintég-ré sur le trône de Castille^.
Les succès des Anglais au xiv'' siècle atteignirent leur apogée
avec cette victoire qui, d'autre part, amena la première cause du
déclin de la prédominance anglaise. Don Pèdre ne put remplir
envers le prince aucune des obligations contractées à Libourne, le
23 septembre 136G. Il s'était engagé à payer les troupes auxiliaires
du prince de Galles et tous les frais de la guerre ; celui-ci attendit
l'argent jusqu'en été, et ne reçut alors que cinquante-deux mille
francs en bijoux- et quelques seigneuries, de nul rapport. En
outre, par suite de la chaleur, une dysenterie contagieuse éclata
parmi les Anglais et les Gascons; le prince lui-même fut atteint de
ce mal, qui devint pour lui un germe de mort^. A partir de ce
1. Pour cette expédition et surtout pour la bataille de Nâjera, les sources sont
Ayala, Crônica del reij don Pedro dans Crônicas de los reijes da Castiila, et l'auteur
du Poème du héraut d'armes Chandos. Le premier était un des porte-enseigne dans
rarniée de Henri pendant la bataille ; le second était au moins présent, et j'ai déjà
remarqué ci-dessus, p. 128, not. 3, que l'expédition du prince de Galles en Espagne et
les événements suivants sont les seuls faits dont il eût une connaissance directe. Une troi-
sième source, qui a échappé à presque tous les historiens, par ex, à Lucc, à E. Moli-
nier, à Kohler, est Prince Edwards expedilion mio Spain par le témoin oculaire, A\'ai.-
TEU OF Peteiuiorough, daus PolUical poems and songs relating io englisli hislori/,
éd. Wright, I (1.SÔ9), p. 97 à 122. Moins important est un autre poème, ibid.. p. 9i à
9G. Les trois premières sources, dont la première est du parti de Henri, les deux autres
du parti de don Pèdre, ne se contredisent pas dans les points essentiels. Froissaht,
éd. LucE, VII, et Cuvelieu sont à peine des sources ; le premier a puisé sa description
de la bataille dans le Héraut darnics Chandos, qu'il a quelquefois mal compris.
Guvelier est sans mérite pour cette partie. Des modernes, Ivohler, Die Entwickelnnçf
des Kriecfswesens undder Kriecjfûhruncj in der Ritlerzeil, H, p. 321 à 523 ; i83 à 521,
donne un excellent exposé des préparatifs et surtout de la bataille au point de vue
militaire. A la p. 512, se trou^■eune carte de la bataille. Dans le détail, on peut rele-
ver des fautes. Une des plus singulières est sans doute à la page 188. où il traduit « le
jour de l'apparition des Trois Rois » avec « jour de la Trinité >» î Non moins instruc-
tif est l'exposé dans Schirumachrr, Gesch. von Spanien, t. V, p. i57 suiv,, 473 suiv.,
qui s'est servi aussi de Walter of Peterborough. Voy. encore les notes de Luce dans
Froissarl, sommaire chap. 91, 92 ; E. Mouxier, Vie d'Arnoul dAudrehem, p. 179
suiv. Un récit ancien, publié par Moisaxt, Le Prince \oir, p. 276 suiv., est sans
valeur.
2. Deu'it, Collect. (fénèrale des documents français r/«i se trouvent en AïKjlelerre,
p. 175.
3. On lit dans le Poème du héraut d'armes Chandos^ v. 383i :
Li comencea la maladie
Qui puis dura toute sa vie,
Dont fut domages et pité.
R. P. DicNuxi;. — Desolalio ecclcsiaruin II. o'2
498 LA GUERRE DE CENT ANS
moment, il se trouva constamment dans des embarras financiers. Nous
verrons au septième paragraphe quelles en furent les conséquences.
En somme, cette expédition en Espagne, apparemment si brillante,
fut désastreuse pour l'Angleterre, et elle affaiblit la puissance
d'Edouard ; ce fut, à coup sûr, un succès bien imprévu pour la
France.
5. Continuation de V action d'Urbain V contre les Compagnies.
Son départ d'Avignon. Marche des Compagnies
du Midi au Nord.
Différents motifs avaient déterminé Urbain V à transférer de nou-
veau le siège apostolique à Rome. Le danger qu'occasionnait constam-
ment la présence des Compagnies, ne fut certainement pas une des
moindres causes qui amenèrent cette décision. Avignon, précisément
à cause de la curie papale, était pour les bandes un continuel point
d'attraction. Depuis 1357, iln'y avait aucune sécurité pour Avignon,
ni pour le Gomtat Venaissin; ceux qui se rendaient à la cour pon-
tificale ou qui s'en éloignaient couraient de réels dangers. L'adminis-
tration papale en eut beaucoup k souffrir. Quelles énormes sommes
n'engloutirent pas, par exemple, la fortification d'Avignon et celle
des places environnantes, Tentretien continuel et onéreux d'un
nombre extraordinaire de gens d'armes, la satisfaction des convoi-
tises des compagnons quand ils étaient sur les lieux? Urbain V avait
fait de tristes expériences sur ce dernier point, surtout en 1365.
Toutes ces considérations, venant se joindre aux autres, le déci-
dèrent à quitter AAdgnon et à se rendre à Rome ainsi que dans
les Etats de rE2:lise où l'ordre était rétabli '. Ce sont ces mômes
considérations qui motivaient une lettre de Pétrarque par laquelle
il invite le Pape à quitter la France et à retourner au siège de
Saint-Pierre ''. Urbain V choisit très prudemment pour son départ
l'époque où, par suite de l'expédition en Espagne, le Midi de la
Coni. Murimulh., éd. IIo(i, p. 203, dit que beaucoup d'Anj-lais sont morls de la
maladie. Kmghtox, p. 122 : « vix quintus homo rediit in Angliani ». CI", encore (Jhron.
Ancfl., éd. Thompson, p. 60 ; Wai-singhaïm, I, p. 305 suiv.
1. Voy. Ghkgouovius, Gesch. der Slndt Rom, 4" éd., t. VI, p. 401 suiv.
2, Rer. senil. lib, 7, ep. 1.
MARCHE DES COMPAGNIES DU MIDI AU NORD, 1367, 1368 499
France était purgé des Compagnies. Sans cette précaution excep-
tionnelle, les meul^les, les bestiaux ou chevaux qui fui ent transportés
par terre d'Avignon en Italie, voire même la suite du Pape, auraient
couru les plus grands risques.
Après avoir été k Montpellier dès le 9 janvier', le Pape quitta Avi-
gnon, le 30 avril 1367 -^ et se rendit par Sorgues k Marseille, où il
arriva le 6 mai ^.
A cette époque, les nouvelles de la bataille de Najera étaient déjk
connues partout^ et chacun devait forcément s'attendre k voir les
Compagnies retourner en France et recommencer de plus belle leurs
brigandages. Cette perspective inquiétait le roi Charles et le Pape.
Depuis 1364, le pire des fléaux était que les seigneurs, tant ecclé-
siastiques que laïques, se servaient des Compagnies, qu'ils organi-
saient de véritables bandes pour rançonner le pays environnant, et
non seulement les seigneurs en agissaient ainsi, mais encore leurs
vassaux ■*. En outre, il arrivait maintes et maintes fois que des
villes, des villages ou de simples particuliers, ne fût-ce que par
crainte, portaient secours aux Compagnies, leur fournissaient des
vivres ou se laissaient enrôler parmi elles. Dans de pareilles condi-
tions, la fin de ces calamités n'était pas k prévoir.
Le 9 mai 1367, le Pape fît paraître, datée de Marseille, la bulle
Qiiam sit plena pericLiliSy dans laquelle voulant s'acquitter de ses
obligations envers la France et son roi, il résume en peu de mots
les crimes des compagnons, flétrit surtout les fauteurs des Compa-
gnies, les excommunie tous et répète presque littéralement les pas-
sages qui les concernent dans sa bulle du o avril 1365 ^.
1. Cf. Germain, IJist. de la commune de Mojilpelliev, II. p. 267 sui\ .
2. Sur le voyage du Pape pour 1 Italie, voy. J. KiHs<:H,Z>te liûckkehr der Plipsle Lr-
ban V und Gregor Xlvon Avignon nach Rom (Paderborn 189S); cf. p.xivet p. 48, n°93.
3. Cette date précise est donuée par la Chronitjue du Peiil Thalamus, p. 377, d'où
est prise la Vie provençale, dans Actes el documents concernant Urbain V, rec. par
AiJiANiîs, p. 94.
4. On en trouve partout des e.veniplcs. Cf. encore Gvagve, Les Tard-Venus^ p. 154
suiv., p. 161.
5. Reg. Aven. Urb. V, n" 15, fol. 381; Orij;inal aux Arch. nat. Paris, J. 711, n" 300»^* ;
ibid., 6bc^ vidimus episcopi Paris., du 9 novembre. La bulle est imprimée dans nu
BouLAY, Hist. Univers. Paris., IV, p. 414; Chron. du religieux de Saint-Denys, éd.
Bellaguet, n'^, p. 534 suiv.; 0?Juvres de Froissart, éd. nE Lette.nhove. VII,
p. 523 suiv. ; Chronogr., éd. Mouanvillk, II, p. 301. Elle fut ensuite insérée dans
les lettres adressées (généralement du v kal. Februarii an. VI) aux métropolitains
de France et leurs suflVagants [Reg. Val., n» 249, fol. 62'': Arch. nal., Paris, J 711,
500 LA GUERRE DE CENT ANS
Cette bulle acquit plus tard, dans le siècle suivant, une grande
célébrité, car les évêques du parti bourguignon se basèrent
sur ce rescrit papal pour excommunier le duc d'Orléans, tandis que
les partisans de ce dernier en appelèrent à cette même bulle
en excommuniant le duc de Bourgogne ^ Mais que dis-je,
l'application en fut faite beaucoup plus tôt, puisque déjà Charles V
s'en servit, en 1369, contre le roi d'Angleterre-.
Ce même jour, le 9 mai 1367, à la prière de Charles V, Urbain V
accorda aux archevêques de Reims et de Sens, aux évêques de Paris,
de Chartres et de Beauvais la faculté d'absoudre les coupables, chaque
fois qu'interviendrait le consentement du roi ^.
Le 19 mai, le Pape s'embarqua à Marseille pour l'Italie. Dès la
seconde moitié de mai, Henri de Trastamare était revenu d'Espagne
et se trouvait, le 2i, à Servian, d'où il annonçait au roi d'Aragon
qu'il allait lever un corps de trois mille lances^. En effet, à la fin
de juin, après avoir vendu la seigneurie de Cessanon (dans les dio-
cèses de Saint-Pons et de Béziers) à Charles V, il acheta les ser-
vices de plusieurs chefs des Compagnies et se mit à ravager les
confins de l'Aquitaine, et surtout le Rouercjue. Le 9 juillet, une par-
tie de ses troupes livra un violent assaut à Nant, non loin de Millau,
tandis que Henri menaçait en personne Vabres et Saint-Affrique,
et quand, au mois de septembre, Henri partit d'Aigues-Mortes pour
aller en Espagne, après avoir contracté, le 13 août, une alliance
olfensive et défensive avec le duc d'Anjou contre le prince de Galles,
le duc de Lancaster, Charles le Mauvais et don Pèdre, il laissa
derrière lui des bandes qui se tenaient toujours en Rouergue.
D'autres bandes se préparaient à attaquer l'Aquitaine sur un grand
nombre de points et couvraient au mois d'octobre les bords de la
Dordogne, s'avançant jusqu'à Montfranc ^.
n" 300, 7" à 7"). Un fragment de la bulle, adressée le 27 septembre 1367 aux consuls
d'Albi, l'ut public par Comi'ayhé, Éludes hisl. et documents inédits sur V Albigeois,
p. 258.
1. Voy. Chnrtulnriuui Universit. Paris., IV, n" 1938 et nol. G. Jean XXIII rinscrc
dans sa lettre adressée le 15 juin 1412 à Charles VI {Arch. nal., l. c, n" 300i-).
2. Griind. chron., p. 394. Cf. ci-dessous le huitième paragraphe.
3. Re(j. Aven. Urh. V, n" 15, fol. 383''; Arch. nat., J 711, n° 300» : Ad ea ([ue aninia-
rum.
4. ZuuiTA, Annales de Aragon (1610), p. 348; Luge, Froissarl, VII, p. xxii, not. 1.
5. RouQUETTE, Le Rouergue sous les Anglais (nouv. édition, 1887), p. 110 à 116. Sur
l'alliance du 13 août, voy. Llce, l.c, p. xxiv, not. 2.
MARCHE DES COMPAGNIES DU MIDI AU NORD, 1367, 1368 oOl
Dans le Midi, la situation s'aggrava, lorsque, dès les premiers
jours de septembre, le prince de Galles revint à Bordeaux avec les
débris de ses troupes et licencia les Compagnies. Vers la mi-sep-
tembre, il convoqua les trois ordres d'Aquitaine k Saint-Emilionpour
le 16 octobre, avec l'intention d'en obtenir un fouage. Les dépu-
tés du Rouergue répondirent à l'appel, mais ils durent rebrousser
chemin, à cause des Compagnies qui couvraient les plaines arro-
sées par la Dordogne et infestaient toutes les routes '. En môme
temps, d'autres bandes, dont quelques-unes du parti français, déso-
laient, au mois de septembre, les environs de Montpellier et de
Carcassonne -.
Leduc d'Anjou, étant à Beaucaire, ordonna, le 22 janvier 1368.
au sénéchal et aux officiers de la sénéchaussée de Nîmes de faire
amasser tous les vivres dans les lieux forts et de poursuivre les
bandes ^. Mais nous verrons, au paragraphe suivant, qu'il ne tarda
pas à pactiser avec ces Compagnies dont les capitaines, le Petit Mes-
chin, Perrin de Savoie, Noly Pavalhon, Bonsometde Pau, Amanieu
d'Ortigue, furent enrôlés dans les troupes de Du Guesclin.
11 restait en Guyenne quelques Compagnies (dont reifectif s'élevait
à plusieurs mille combattants) qui, chassées par le prince de Galles
au mois de décembre 1 367, se répandirent en Auvej^gne et en Berry \
au mois de février, le gros de ces bandes passa la Loire à Marci-
gny-les-Nonnains, non loin de Charolles, entra ensuite dans
le duché de Bourgogne^ et resta quelque temps en Maçonnais. 11 se
peut que quelques-uns d'entre eux se répandirent jusqu'à Autun ^.
L'absence des vivres qui, par ordre de Philippe le Hardi, avaient été
entassés dans les forteresses, força au moins la majeure partie de l'ar-
mée à évacuer cette région. Les bandes envahirent V Auxerrois^ où
elles s'emparèrent des églises fortifiées de Gravant et de Vermenton "^
1. RotiQUETTE, 1. c, p. 124 suiv. Mais il faut noter que clans la première édition,
p. 100, par une faute d'impression, on lit que l'assemblée était convoquée << pour
le deux octobre », et LrcE, Froissart. \l\, p. xxxv, not. 1, cite, d'après cette édition,
MoisANT, Le Prince iVo^r, p. 129, cite la nouvelle édition de Rouquette, mais il prend
la date du 2 octobre de Luce sans le nommer.
2. Petit Thalamua.p. 381, 382.
3. Voy. MKx.vnn, Hist. de In ville rie A/me.s, nouv. éd., II, p. 256.
4. Cf. A. ui: Chaumasse, L'église d' Autun pendant la guerre de Cent ans, p. 52, 65,
79, 87. Il est ditïîcile de distinguer exactement les diverses incursions.
5. La Chron. des ([uatre premiers Valois, p. 102, parle aussi de la prise de \'^ermen-
ton. Ibid., p. 193, est encore notée la présence des Bretons à Sens.
502 LA GUERRE DE CENT ANS
A Gravant, la Compagnie se sépara pour former deux troupes.
L'une, au nombre de huit cents hommes d'armes anglais, enva-
hit le Gâtinais ; l'autre, comjDOsée de quatre mille combattants
et de dix ou vingt mille pillards, tant hommes que femmes et
enfants, passa la Seine en se dirigeant vers Troyes et l'Aube, s'éta-
blit en Champagne où elle occupa peu à peu Ejoernaj avec l'abbaye
des chanoines réguliers de Saint-Martin ^, Fismes, Goincy-F Abbaye,
Ay, dont l'église était fortifiée -. Une partie de cette bande, sinon la
bande entière, était à la solde de Gharles d'Artois pour l'aider à
conquérir le comté d'Artois 2, en traversant la Ghampagne, l'Ile-de-
France et le Laonnais.
Suivant quelques chroniqueurs, il y avait aussi des Compagnies
dans l'archevêché de Reims, les évêchés de Noyon et de Soissons^.
En mai et juin, elles allèrent en grande partie vers Ghâlons-sur-
Marne et Vitry'', oii elles commirent beaucoup d'excès, se dirigèrent
sur Marigny entre Troyes et Nogent-sur-Seine, jusqu'à Auxerre et
Ghâtillon-sous-Loing, sans trouver de résistance, et poussèrent une
autre fois jusqu'à Etampes. On craignit même qu'elles ne vinssent
à Paris, et le roi manda des gens d'armes pour la défense de la
capitale ^'. En effet, il y eut un détachement qui s'avança devant
Paris et entra ensuite en Normandie"^. Ge furent probablement les
Anglais qui, suivant une lettre de l'archevêque d'Embrun du 13 juil-
let 1368, trouvant les défdés occupés, retournèrent à Paris où ils
furent dispersés et en partie massacrés par les troupes du roi ^.
Une autre fois, par suite de dissensions survenues entre ses
membres, la Compagnie se divisa à Etampes et à Etréchy^; les
1. La Chron. citée, p. 192, parle seule de l'assaut de Tabbaye.
2. Grand, chron., p. 249 à 251; Luce, Froissart, i. VII, p. xxvi, notes, où il y a des
documents qui confirment le récit des Grand, chron.
3. Sur cela cf. Chronocjr.., p. 330, et Moranyillé dans les notes; Chron. norm.,
p. 185.
4. Froissart, 1. c, p. 65; Chron. des quatre premiers Valois, 1. c.
5. Vitry fut incendié. Voy. ci-dessous § 11, dioc. de Ciiâlons-sur-Marne.
6. Grand, chron., p. 252 suiv.
7. Chron. des quatre premiers Valois, p. 196. Kmghton, p. 123 (maie ad an. 1366),
dit aussi que « le grant companye praedando et destruendo patrias » venait à Paris,
mais, mal informé, il affirme qu'elle mettait le siège devant la ville.
8. Voy. ci-dessous le commencement du paragraphe 7.
9. Grand, chron. ^ p. 253; Fhoissaut, VII, p. l, et not. 1 ; li, et not. 3. Chron. des
quatre premiers Valois, 1. c, parle aussi de tout cela et de la marche sur Louviers.
MARCHE DES C03IPAGNIES DU MIDI AU NORD, 1367, 1368 ;)03
Anglais allèrent au mois d'août en Normandie^ comme il va être
raconté ci-dessous ; les Gascons, poussant jusqu'à Blois, occupèrent
Baugency-sur-Loire ^. De là, ils s'en allèrent, en automne, à Faye
de Vineuse ^ en Tourainc^ mais du diocèse de Bourges, où se
trouvaient déjà des pillards en 1366'^. La ville fut prise en 1368,
et les bandes s'y arrêtèrent, dévastant les environs pendant plus
de quatre mois ^ En même temps, les Compagnies ravageaient
Mirebeau, au nord-ouest de Poitiers '\
Ces incursions des Compagnies en 1367 et 1368 étaient d'autant
plus désolantes que plusieurs des contrées envahies n'avaient
jamais été entièrement débarrassées des bandes, aussi les nouvelles
venues ne firent-elles qu'aggraver le mal. Ce fut le cas en Norman-
die, par exemple, et surtout en Basse-Normandie. Depuis 1364
jusqu'en 1369, les Normands eurent à soutenir une lutte acharnée
contre les Anglais et contre les Compagnies. Les années les plus
troublées furent 1367 et 13()8. Dans la première, le Cotentin fut
exposé d'une façon toute particulière aux dévastations des bandes
contre lesquelles luttait Guillaume de Merle ; au commencement de
1 368, des Bretons prirent leurs cantonnements dans l'Avranchin ; ils
furent combattus par les officiers du roi de Navarre^. Dans la même
année survint la Compagnie anglaise, dont j'ai parlé tout à l'heure :
le 2 août elle surprit la ville de Vire '' . Une partie se replia dans le
1. Grand, chron., p. 253 suiv,
2. Ibid., p. 265.
3. Voy. ci-dessus, au premier paragraphe,
4. Dans Guiîrin, Rec. des documents concernant le Poitou, III, n° 472, p. 419
{octobre 1369) : « ipse cornes (Jean de Sancerre)... ob facLum guerraruni... ac gentiuni
mac/narnni Societatum que in anno preterito in villa de Faya sepedicta et alibi per
quatuor menses vel amplius se tenuerunt, fortaliciumque ipsius ville de Faya cepc-
runt, ipsam patriam et loca circonvicina per distanciam quatuor leucarum etamplius
discurrentes, terre subditique dicti comitis ibidem commorantes quasi destructi l'ue-
rint ac multipliciter devastati, etc. » Voy. encore le Mémorandum du roi Charles V
du 11 mai 1369, dans Grand, chron., p. 302.
5. Ibid., IV. p. 4,n'' 476.
6. Pour tout ce qui regarde la Basse-Normandie, voy. Demsle, Hist.du cliùleau et
des sires de Saint-Sauveur-le- Vicomte, p. 135 suiv., 140 suiv., 145 suiv. Charles V
connaissait très bien le danger qui menaçait le Cotentin; le 22 octobre 1365, il ordonna
au bailli de faire relever les remparts et fortifier la cathédrale de Coutances, afin
qu'elle pût comme autrefois servir de retraite aux gens du pays, en cas de nécessité.
Mandements de Chai-les V, p. 168, n" 342. Voy. ci-dessus, p. 308.
7. Voy. les détails de l'occupation de Vire, donnés par Fuûvii.le dans Bibl. de V École
des chartes, 1" série, t. III, p. 274 suiv.; De la Rle, Nouveaux essais sur Caen. 11.
p. 238 suiv. ; Delisle, 1. c, p. 147 suiv.; Dupont, Hist. du Cotentin. II, p, 304 suiv.
004 LA GUERRE DE CENT ANS
Maine et s'empara, dès la mi-août, de Château-Gontier et de plu-
sieurs places fortes dans les environs. Des Compagnons rentrèrent
brusquement en Normandie et j^énétrèrent jusqu'à l'extrémité du
Cotentin, pour essayer, mais en vain, de surprendre Cherbourg- 1.
Arrêtons-nous ici ; ces renseignements sutBsent pour montrer que
les Compagnies n'avaient pas cessé d'infester la France. Notre asser-
tion est confirmée par les efforts que tentèrent contre elles, aussi
bien Urbain V, résidant alors en Italie, c{ue Charles V. Lorsque les
Compagnies emmenées hors de France, y furent rentrées, le
5 février 1368, le Pape prolongea d'une année le terme de deux ans
accordé en juillet 1366, durant lesquels ceux qui étaient morts en
combattant contre les bandes pouvaient obtenir l'indulgence
plénière 2. Le 10 février, le Pape adressa aux métropolitains de
France et à leurs suffragants des lettres dans lesquelles il ne se
borne point à reproduire la bulle du 9 mai 1367, mais où il pro-
nonce en outre les sentences suivantes contre les « sociales », ils
doivent être privés de la sépulture ecclésiastique, quand même ils
auraient reçu l'absolution à l'article de la mort, et s'ils ont été
enterrés à l'église ou au cimetière, ceux-ci devront être interdits,
jusqu'à ce que les corps de ces i( sociales » en aient été exhumés.
Si toutefois, après avoir été absous pendant la maladie, les
(( sociales » venaient à recouvrer la santé, ils n'en devraient pas
moins se rendre auprès du Saint-Siège pour en obtenir encore une
fois pénitence et absolution ^.
1. A'o}-. Le Compte des recettes et dépenses du roi de Xavarre, piibl. par Izarn,
p. 219.
2. Arch. nat. Paris, J 711, n" 300'^ : « Urbanus... Remen., Rotliomagen., Bituriccn.
et Senonen. aixhiepiscopis eorumquc siifTraganeis. De sainte ac tranquillitate et pace
rcgni Francie... [insère deux bulles : ] Urbanus... Ad futuram rei memoriam. Diidum
videlicet iij non. Julii... Urbanus... Ad futuram rei memoriam. Cogit nos... L'entière
bulle porte la date : Dat. Rome apud S. Petrum non. Februarii an. sexto. Dansn" 3009^
et 300'^c^ gont les lettres adressées aux autres métropolitains de France.
3. Reg. Vat. Urbani V, n" 249. fol. 59; Arch. nat. Paris, J 711, n° 300i0a ; „ Exigen-
tibus continuatis et multiplicatis horrendis sceleribus... quamdam hodie adjectionem
fecimus sub liac forma : Urbanus... ad futuram rei memoriam. Detestanda illorum
sacrilegorum... Dudum, siquidem videlicet vij idus Maii... an. V... statuimus [il répète
la bulle du 9 mai 1367, et fait l'addition]. Dat. Rome ap, S. Petrum iiij id, Februarii
an. sexto ». Les évcques doivent publier la bulle. Aux Arch. nat, cette bulle se trouve
encore en original aux n"" 300 1^"' et 300 'O*-. Chacun de ces trois originaux porte au dos
l'ancienne remar([ue : « Q)uod corpora socialium perpeluo careant ecclesiastica sepul-
tura ». C'est sûrement de cette bulle que parle la Chron. des quatre premiers Valois^
p. 192.
EFFORTS d'urbain CONTRE LES COMPAGNIES, 1368, 1369 i)0lj
Ces fulminantes condamnations, si rarement infligées, nous font
mesurer toute Tétendue des abominations commises par les Compa-
gnies. Peut-être la dernière bulle était-elle déjà inspirée par une
supplique du roi Charles V au Pape ^ En tout cas, la supplique ne
me semble avoir été envoyée à Rome qu'en 1368. En voici la teneur :
Le roi sollicite le Pape à déclarer schismatiques tous ceux qu'il a
condamnés dans sa bulle du 9 mai 1367, parce qu'ils nient le pou-
voir de lier et de délier, disent que l'église n'a pas le droit de leur
faire encourir la constitution citée plus haut, partant, ils sont aussi
hérétiques. Charles V demande encore que l'indulgence plénière
concédée par le Pape à ceux qui meurent dans la lutte contre les
i. Arch. nal. Paris, J 711, n° 300^3 : « Supplicat S. V. dévolus filius rester Karolus
rex Francoruni, quatenus ciim caclem S. \. ccrtam constitucionem cum certis pro-
cessibus contra societates dampnabilitcr rcgnum Francie dampnabiliter(.v/r) invaden-
tes, suosque factores [iautores], consiliarios et receptatores et alios eorum participes
edidit sancte et juste... dignetur eadeni S. Y. omnes et sing:ulos in dicta constitucione
dampnatos scismaticos decernere, ipsosque penas et sentent ias contra scisnialicos et
jure promulgatas dampnabilitcr incurrisse.
Item, cum nullum sit scisma quod non sibi aliquam heresim coniingat, iidemque
dampnabilitcr, utprefertur, ecclesic résistant et ipsius ecclesie claves contempnent.pre-
tendentes S. V. non habere jiotestatem dictam constitucionem inipsos promulgandi,
dignetur eadem S. Y. de uberiori gracia plenam remissionem concedere omnibus con-
tra ipsos pugnantibus, ubicunque existant, qui ad pugnam contra ipsos accesserint, et
illis eciam qui sponte et voluntarie juxta facultates pro defl'encione dicti regni ad
impugnandum dictas societates et alios in dicta constitucione dampnatos contribue-
rint, vel qui exercitum pro nccessariis ministrandum insequantur sine fraude, cujus-
cunque sexus, dignitatis aut prérogative existant, quantumcumque in dicto conflictu
vel alias ex vulneribus inibi illatis non décédant...
Item, cum in predicta constitucione non solum dicti sociales, scd etiam receptato-
res et factores eorum condempnantur, nonnulli tamen prclati ecclesiastici, principes
et alii domini temporales predictos sociales vel eorum aliquos in suis dyocesibus. ter-
ris, districtibus et dominiis receptant, tollerantetabsque punicionedimittunt, alii vero
dictis socialibus etiam in dicta societate illicita constitutis penas etiam spirituales et
tempoi'alcs in dicta constitucione promulgatas, prout ipsos concernunt, non infligunt
nec exequntur, sed pocius eamdem constitucionem vilipendunt dampnabilitcr et
contempnunt, dignetur E. S. V. omnes prefatos receptatores dictorum socialium
in dicta societate constitutorum vel eciam absque absolucione et satisfacione
discedencium, et alios eciam receptatores privatos, consanguinitate vel allinitate
quacunque non obstante, necnon prclatos antedictos et principes et alios
dominos temporales, qui predictas penas et sentencias predictis socialibus subditis
suis contempnunt, obmittunt vel negligunt inferre, decernere tamquam predictorum
socialium factores penas et sententias in dicta constitucione vestra contentas damp-
nabilitcr incurisse, eciamsi pontificali vel regali prefulgeant dignitate... » Le reste de
la supplicpie est moins nécessaire, La suite de la supplique qui s'occupe aussi de
faux monnayeurs, nous apprend qu'elle fut faite « post exitum S. V. de Avenione »,
et « Romana curia ultra montes existentc w.
506 LA GUERRE DE CENT ANS
« sociales » soit étendue à toutes les personnes qui auront soutenu
en quoi que ce soit Tarmée levée contre les Compagnies. En outre
(c'est le désir du roi), tous les prélats et seigneurs, et il y en a beau-
coup, qui négligent de sévir conformément à la Constitution, voire
même qui en font peu de cas, et qui tolèrent les <( sociales »,
devront être déclarés coupables et fauteurs des « sociales », encou-
rant, par conséquent, toutes les peines infligées aux fauteurs.
Les archevêques de Reims, de Rouen, de Sens, de Tours, de
L^on, de Besançon et du Languedoc, les évêques de Cambrai, de
Metz, de Liège, de Beauvais, de Valence, de Genève et de Carpen-
tras pourront être nommés exécuteurs de la Constitution 23apale ;
enfin, les délégués des évêques devront aussi être revêtus du pou-
voir d'absoudre les « sociales » repentants.
Cette supplique ne resta pas sans résultat. Le 19 janvier 1309, le
Pape lança une bulle qui renouvelait celle intitulée Cogit nos. Il y
énumère les échecs essuyés jusqu'à présent, prolonge encore de
deux ans l'indulgence plénière en faveur de ceux qui périssent dans
la lutte contre les Compagnies, et ajoute ensuite qu'elle pourra éga-
lement être gagnée dans le temps prescrit par ceux qui, d'une
manière quelconque, soutiennent l'armée contre les bandes ^
C'est la dernière grande bulle générale qu'Urbain V fit paraître
contre les bandes. On aurait tort d'admettre toutefois que les efforts
tentés par Urbain V depuis 1363 soient restés tout à fait sans succès.
Un grand nombre y puisèrent l'animation à la résistance, et le désir
de prêter secours au roi. Quant aux sociales, plusieurs d'entre eux,
effrayés des terribles anathèmes de l'Eglise, se convertirent et se
séparèrent des brigands, du moins pour un temps. Ainsi, par
exenij^le, le 31 mars 1365, Urbain V accorda pour six mois aux
évêques de Paris, Beauvais et Chartres, la faculté d'absoudre les
compagnons et leurs fauteurs, qui désiraient retourner à
1. Arch. nat. Paris., J 711, n°300ii : « Urbanus... Remen., Rothomagen., Senonen,,
Turonen. et Bituricen. archiepiscopis... Gratia remissionis... gratiam... quoad non
morientes ampliaN-imus sub hac forma : Urbanus... Ad futuram rei memoriam. Sicut
morbo nondum ciirato conlinuanda sunt remédia medicine... Et insupei* de gratia am-
pliori eos qui aliquem seu aliquos bellatores ydoneos contra dictos sceleratos viros
propriis sumptibus destinabunt vel de suis temporalibus bonis contribuèrent ad ali-
quos destinandos, et illos qui alias ad persecutionem eorumdemdamnatorum virorum
de bonis eisdem ministrabunt, prout singulis fuerit divinitus inspiratum, ac illos
EFFORTS d'uRBAIIV CONTRE LES COMPAGNIES, 1 3G8, 1369 1)01
l'Eglise ^ L'éveque de Nantes reçut du Pape, le 29 mai 1360, la
permission de relever de l'excommunication Robert Knolles, sa
femme, sa famille, ses bandes et ses fauteurs qui se tenaient alors
en Anjou''. Il n'avait pas seulement restitué diverses places occu-
pées par lui en Anjou et dans le Maine"^, mais aussi (comme le Pape
nous l'apprend par une lettre du 4 août de la même année), il déposa
entre les mains de l'abbé de Saint-Aubin-d'xVnjou, afin qu'ils fussent
rendus à leur destination, les bijoux et les joyaux enlevés par lui, dès
1358, à l'abbaye de Saint-Germain, à Auxerre ^. Mais, à l'instar de
ceux dont parle Urbain V dans une bulle du 2 mai 1366, qui retour-
nèrent au milieu des brigands ^, Knolles ne persévéra point. La
bulle du 16 novembre 1366 nous apprend que bien grands étaient les
châtiments et les pénitences infligés par le Pape aux « sociales «
repentants. Ils devaient jurer de ne plus retourner dans les Com-
etiam qui pro hujusmodi pio negocio laborabunt et alios ad promet ioneni ejusdem
ne^ocii consilium et auxilium impendent, juxta qualitatem subsidii et devotionis afl'ec-
tum ac mensuram laboris participes esse volumus indulgentie memorate... Datiim
Rome apud Sanctum Petrum xiiii kl. Februar.,pontiricatus nostri anno septimo. Quo-
circa fraternitati vestre per apostolica scripta mandamus, quatinus vos et quilibet
vestrum in vestris cathedralibus et aliis vestrarum ci^•itatum et diocesum ecclesiis,..
predictas prorogationem, innovationem ac omnia supradicta per vos vel alium seu
alios solenniter publicatis et exponatis populo in vulgari. Verum quia présentes littere
nequirent propter maris discrimina vel alias vestrum sinjiulis commode presentari,
volumus quod per te, IVater archiepiscope Remcn., dictarum litterarum transumptum
manu scriptum publica tuoque communitum sigillo vobis predictis aliis archiepiscopis et
sufl'raganeis transmittatur, cui per vos adhiberi vokmius velut oi-iginalibus plenam
fidem. Datmu Rome... xiiii kal. Februarii pontificatus nostri anno septimo. » A la fin :
V Anno Dom, M" CGC LXIX, die xV mensis Junii, dominus J. de Maresco nobis car-
dinali Belvacensi tradidit présentes bullas in hospicio nostro Paris, quas incontinenti
tradidimus archiepiscopo Senonensi, idemque archiepiscopus eas archiepiscopo
Remensi eadem die et in eodem hospicio tradidit, ubi opus fuerit secundum earum
continenciam transmittendas et etiam exequendas »,
1. Reg. Vni. Urhan. V, n» 247, fol. 238: « Romanus pontifex. » Les peines imposées
étaient moins sévères encore : « juramento premisso quod nonredibunt ad hujusmodi
socictates ac competenti per eos satisfactione impensa, necnon salutari penitcntia
injuncta eisdem. »
2. Reg. Vat., n" 255, fol. 32; Prou, Étude, etc., p. 148, n° 69.
3. Voy. ci-dessus, p. 455 suiv.
4. Reg. lat., n° 248, fol. 138'' : « GuniRobertus Canole, miles, Lichefelden. dioc, non-
nullas reliquias et jocalia pretiosa monasterii S. Germani Autissiodoren. O. S. B., que
dudum habuerat, apud te deposuerit restituenda per te dicto monasterio ». Voy. ci-
dessus, p. 236 et not. 1. Je ne sais pas par quelle raison Guibal, Ilist. du sentiment
ntilional en France, p. 117, appelle Knolles « ancien ouvrier drapier d'Allemagne », et
parle de sa « hâblerie toute germanique <<.
5. Voy. ci-dessus, p. 492, not. 1.
508 LA GUERRE DE CENT ANS
pagnies, et de satisfaire pleinement pour tous les dommages causés
par eux. Ceux qui étaient dans Faisance avaient l'obligation de visi-
ter, dans le courant de l'année, le Saint-Sépulcre et d'autres lieux
en Terre-Sainte, et d'y rester le même espace de temps qu'ils avaient
passé dans les Compagnies ; dans l'éventualité d'une croisade, ils
étaient tenus d'}^ prendre part. Les « sociales » pauvres devaient
se rendre à Rome dans les six mois, y rester une année, visitant
chaque semaine Saint-Pierre et d'autres lieux saints, puis, de là,
faire un pèlerinage à Compostelle. En outre, tous les « sociales », à
moins qu'ils ne fussent en voyage, devaient jeûner chaque vendredi,
Quant à ceux qui se trouvaient complètement dépourvus de moyens,
ils devaient s'en remettre, pour leur pénitence, à la mesure impo-
sée par l'archevêque de Bordeaux et l'évêque de Sarlat ^, parce qu'il
s'agissait de Gascons pénitents.
Nous verrons plus loin Grégoire XI accentuer encore avec une
bien plus grande sévérité les peines infligées à ceux qui rentraient
dans le giron de l'Eglise.
Nombreuses sont les bulles par lesquelles Urbain V accorda à
différents évêques l'autorisation d'absoudre ceux qui avaient eu des
relations avec les Compagnies, à savoir, qui leur avaient procuré
1. Rcg. Aven. Urhani V, n" 15, fol. 309'' : « Yen. fratribus... archiepiscopo Burdc-
gjalen. et., cpiscopo Sarlaten. Salutem etc. Romanus pontifex etc. Olim siquidem
propter graves et multiplices excessus perpétrâtes et continuatos diutius in nostrum
et eccl. Romane contemptum per nonnullos iniquitatis filios de qiiibusdam pravis
societatibus per regnum Francie discurrentes contra hujusmodi iniquitatis filios nec-
non etiam contra illos de dictis societatibus Rom. curie per duas dictas appropin-
quantes ac civitatem et dioc. Mimaten. invadentes... excommunicationis, suspensio-
nis etinterdicti sententias varias promulg:avimus... Gum autem... nonnulli ex societati-
bus predictis... ad cor reversi redire cupiant ad ecclesie unitatem... [facultalem tri-
buit eosdem absolvcndi, dummodo jurent quod ad dictas societates non redibunt et
quod satisfacient pro damnis illatis. Potentes eorum ad transfretandum intra annum a
data absolutionis transfretare debeant, ibi tanto tempore permansuri, sc})ulcrum
Dominicum et alia loca sacra ultramarina peregre visitando, quanto fuerinf in et de
societatibus antedictis, et si medio tempore fiât passagium générale, ad hoc dispositi
habiles loco visitationis contra infidèles pugnare dicto tempore teneantur; impoten-
tes vero ad transfretandum ad Urbem se transférant intra VI menses, inibi per annum
permansuri et qualibet ipsius anni septimana limina Apostolorum Pétri et Pauli et
alia loca dictae Urbis per poenitentes visitari solita visitaturi, et deinde limina B. Jacobi
in Gompostella etiam visitare debeant. Impcditis vero ad praedicta dilatio conceda-
tur. Insuper omnes qualibet feria sexta jejunent. Omnino vero impotentibus ad prae-
missa imponatur poenitentia prout dictis archiepiscopo et episcopo videbitur facien-
dum. Hujusmodi poenitentias etiam se mitigaturum contritis Pontifex pollicetur.]
Dat. Avinione xnii kal. Decembris anno V ».
LES C031PAGN1ES EN PROVENCE ET EN DAUPUINÉ, 13G8, 13G9 509
des secours soit en arg-ent, en vivres ou en armes, soit en leur
accordant l'hospitalité. Parmi ces fauteurs, on trouve non seule-
ment des laïques, mais aussi des ecclésiastiques séculiers et régu-
liers, même des évoques. Je cite en passant les bulles pour les
duchés d'Anjou et du Maine ^, pour la ville et le diocèse de Carcas-
sonne ^, pour le diocèse de Lyon, où il y eut des fauteurs pendant
que les Compagnies occupaient Anse '^, pour Bayeux '*, pour Lec-
toure^"", pour Mende'^, pour Périgueux^, pour Beaucaire^, etc.
0, Le duc (f Anjou et Du Guesclin avec les Compagnies en Provence.
Guerre entre la Provence et le Dauphiné.
Du Guesclin fut amené prisonnier d'Espagne à Bordeaux 9. La ran-
çon fut fixée à cent mille ducats d'or. Après avoir fait un arrange-
ment avec le prince de Galles sur le payement de cette somme ^'^, il
fut mis en liberté le 27 décembre 1367. Dès le 7 février 1368, il
était de passage à Montpellier, accompagné du maréchal d'Audre-
hem, pour se rendre de là à Nîmes et rejoindre le duc d'Anjou. Le
26 du même mois, il repassait à Montpellier, où il enrôla dans ses
troupes quelques chefs des Compagnies qui alors dévastaient les
environs de cette ville. Son but était d'aider le duc d'Aujou à faire
une campagne en Provence ^^ Comme nous verrons plus tard, ses
troupes comptaient un grand nombre de soldats bretons. Il était
1. Re(j. Aven. Urbani V, n° 10, fol. 2i9, ad an. 1365, Septemb, 3,
2. Refj. Val., 11° 257, fol. 3. ad an. 1367, Novemb. 7, pour prêtres, clercs, religieux
et laïques; Recf. Aven, n" 19, fol. 338, une autre fois pour les prêtres, etc.: cette
bulle est du 6 mars 1368 ; une autre, du 5 mars, est pour révoque Jean : « cum quibus-
dam hominibus armoruni... de pra\is Societatibus... in tua civitate et nonnullis locis
tue diocesis receptaveris(siV), et alias cum eis, preterquam in crimine, non tamen niali-
tiose, parlicipaveris... [aliquis sacerdos eum a sententiis, poenitentia injuncta, absol-
vat]. Dal. Konieap. S. Petruni iij non. Martii an. sexto».
3. Reg. Vnt., n° 257, fol. 18'', ad an. 1368. Voy. plusieurs autres renseignements dans
GiiGUE, Les Tard-Venus, p. 139 suiv.
4. Reg. Aven. Urb. V, n° 20, fol. i34, ad an. 1368, Decemb. 5.
5. Reg. Val., n" 259, fol. 101^, ad an. 1369, Septemb. 11.
6. Reg. Aven. Urb. V, n° 23, fol. 388'', ad an. 1369, April 29.
7. Ci-dessus, p. 432, not. 1.
8. Reg. Val. Urb. V, n° 259, fol. 51, ad an. 1369, Mart. 13, Cf. encore à la fin du para-
graphe suivant, p. 524.
9. Voy. ci-dessus, p. 497.
10. Voy. les détails dans hiAzu, Froissarl, VII, p. xxv et les notes.
11. D'après le Pelil Thalamus, p. 382, VHisloire de Languedoc, IX, p. 791.
510 LA GUERRE DE CENT ANS
alors non seulement comte de Longueville, mais aussi duc de Tras-
tamare, comte de Burgos et chambellan du roi de France K
Bien qu'il faille renvoyer au domaine de la fable l'assertion de
Thierry de Niem, disant que l'empereur Charles IV aurait cédé, en
1365, au duc d'Anjou^ ses droits sur le royaume d'Arles et que le
duc aurait ensuite résolu de les faire valoir - : il est vrai, néanmoins,
que le duc cherchait k substituer en Provence son pouvoir et son
autorité k celle de Jeanne, reine de Naples et comtesse de Pro-
vence, et k étendre la suzeraineté du roi de France jusqu'k la Médi-
terranée. Dans ce but, profitant de l'absence de la reine Jeanne,
dès le 4 mars 1368, aidé par Du Guesclin et ses bandes , il assiégea
Tarascon en Provence, par terre et par eau^.
Grâce aux documents trouvés récemment, nous savons mainte-
nant que, le 21 mars, Philippe de Cabassole, patriarche de Jérusa-
lem, recteur d'Avignon et du Venaissin^ et le capitaine général
d'Avignon, Jacques Aube, instituèrent Pierre Bet [sic) leur procu-
reur, pour amener Du Guesclin, premier capitaine de l'armée qui assié-
geait Tarascon, ainsi que les autres chefs avec leurs troupes, k pro-
mettre par serment de respecter les terres et les sujets de l'Eglise
Romaine et d'Avignon, sans prétendre pour cela k une récompense
de la part de l'Eglise. Du Guesclin et les capitaines Noly Pavelhon,
Petit Meschin, Bonsomet de Pau et Perrin de Savoye jDrirent, en
effet, ces engagements sous foi du serment et par lettres datées du
23 mars, et munies de leurs sceaux. Au même temps, Du Guesclin
réclama et reçut 5.000 florins d'or sur 37.000 dus k lui par le
Saint-Père pour certaines raisons ^. Il n'est donc pas vrai de
1. « Dux Tristamare et conies Longe ville et Burges ac cambellanus doniini régis
Francorum ». Ainsi dans l'instrument du 23 mars 1368, Arch. Vat., Castel S. Ancfelo,
arni. xv, caps. 2,n° 22. Du Guesclin reçut les titres de duc de Trastamare et de comte
de Burgos par Henri de Trastamare, en 1366.
2. Cette fable a passe dans ÏHist. de Laiiffiiedoc, IX, p. 774 ; Bouche, Hisl. de Pro-
vence (Aix 1664), II, p. 381, 385 ; Papon, Hist. de Provence, III, p. 217 ; Ménard,
Hist. de Nîmes, II, p. 256 ; Luce, Froissart, VII, p. xxv, not. 4 ; E. Molimeu,
Étude, etc., p, 183 ; Prou, p. 69, etc. Cette légende fut détruite par Wixckelmaxx,
Die Beziehuncfen Kaiser Knrls IV zum Kônigreich Arelat (1882), p. 52, et sappuyant
sur lui par Paul Fourxier, Le royaume d'Arles et de V^tenne (1891), p. 476.
3. Voy. Petit Thalamus, 1. c.
4. Voy. Barjavel, Dict. hist. du dép. de Vaucluse, I, p. 3J0.
5. Arch. Vat., Castel S. Angelo, arm. xv, caps. 2, n° 22. Il y a sept instruments,
datés du 21 au 24 mars, qui remplissent un seul parchemin. Comme ils sont â la fois
très intéressants et très longs, je les réserve pour l'Appendice II.
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPIIINÉ, 1368, 1369 ol I
dire ^ qu'il reçut cette somme à titre de contribution levée sur le
Comtat Venaissin.
Imitant l'exemple d'Innocent VI qui, en 1357, avait pris le parti
de la reine Jeanne contre les envahisseurs de la Provence,
Urbain V, conseilla dès le 11 décembre 1367, à la reine, pour sauver
son honneur, de relever de son poste le sénéchal de Provence, Rai-
mond d'Agout qu'on a confondu jDarfois avec Foulquet, et de lui
substituer éventuellement Guillaume Gaugié de Forcalquier'-. La
reine Jeanne le remplaça un certain temps par Ro^er de Saint-
Séverin 3. Le 3 avril 1368, le Pape se plaignit de l'invasion au roi
Charles et à l'empereur, en les priant d'arrêter les attaques du duc
d'Anjou ^. Et lorsqu'il eut appris par la reine Jeanne que d'Avi-
gnon et du Venaissin l'on envoyait des vivres et des armes aux
Compag-nies stationnées devant Tarascon, il s'y opposa expressé-
ment par une lettre expédiée le 19 avril ^. Sous la date du 30 mai,
il écrivit au patriarche qu'une galère, envoyée de Gènes au secours
des assiégés de Tarascon, mais pressée par les « sociales », campés
devant cette ville, se dirigeait ensuite jusqu'à Avignon pour recevoir
des vivres, lesquels autrefois, n'avaient pas été refusés aux
« sociales » ; mais l'équipage dut rebrousser chemin, sans avoir
rien reçu, et la galère périt ou fut prise par l'ennemi. Le Pape
manda au patriarche de porter secours aux Provençaux, et non aux
« sociales ^ ».
1. LucE, 1, c, p. XXVI, not. 1, et t. VI, p. lxxx, not, 3. Cf. encore A. Molimer, //isf.
de Lntufuedoc., IX, p. 793, not. 1.
2. lîecf. Vat., n" 2i9, fol. 25.
3. Voy. DE Noble Lalauzière, Abréçfé chronol. de Ihist. d'Arles, p. 2i2, En 1369,
nous trouvons sénéchal une autre fois Uainiond d'Agout, qui avait privé rarchevcque
d'Arles de ses revenus.
4. Reçf. Vat., 1. c, fol, 88''; Puor, Élude, p. 157, et 69 suiv.
5. Ihid., fol. 91 '' : « ... cpiod de civitate Avinionen. et coniitatu "\'"eneysini... arma
et victualia illis pravis gentibus qui invadunt Provinciam deferunlur, quod si ita sit,
grave gerimus et niolestum », etc. Cette bulle, comme les suivantes, encore plus inté-
ressantes, ont échappé à Prou.
6. Ibid., fol.l06ti;« Ven. fratri Philippo patriarche Jerosolimitano.ci\itatis Avinio-
nen. ac comitatus Venaysini, ad ecclesiam Rom. spectantium, pro nobis et ecclesia
ipsa rectori. salutem, etc. Displicenter audivimus quod eum una galea Grimaldoruni
de Janua, que Castro Tarasconis succurrit, a socialibus artaretur et ad civitalem nos-
tram Avinionensem pro habendis victualibus cum fiducia declinasset, ipsa victualia,
que et res alias de dicta civitate ac comitatu Venaysini sociales ipsi (quod displicet
toto corde) habuisse dicuntur, fuerunt dicte galec gentibus denegata, propter quod
ol2 LA GUERRE DE CENT ANS
Cette bulle nous révèle plusieurs points intéressants. Elle con-
firme d'abord que le Venaissin, sans doute par peur d'une invasion
de la part des bandes qui assiégeaient Tarascon, ne voulait pas
aider les Provençaux. D'autre part, nous apprenons que les troupes
du duc d'Anjou et de Du Guesclin étaient en réalité regardées
comme des « sociales », faisant partie des Compagnies tant redou-
tées. Du Guesclin, en effet, s'était engagé à en délivrer les séné-
chaussées de Carcassonne et de Beaucaire, contre le payement d'un
franc par feu *. Pour un autre point encore, la bulle est d'une
importance capitale. On a dit que le duc d'Anjou, après la prise de
Tarascon, aurait assiégé la ville d'Arles, dès le 11 avril, en lais-
sant ensuite à Du Guesclin la continuation de ce siège, qui aurait
duré jusqu'au 1"" mai'-. Urbain V, au contraire, si bien informé sur
les affaires de Provence, n'avait connaissance, à la fin du mois de
mai, que du seul siège de Tarascon, et il en parle comme durant
encore. Voilà qui confirme l'assertion du Petit Thalamus^ que
Tarascon se rendit seulement le 22 mai ^^ tandis que le prétendu
siège d'Arles repose vraisemblablement sur un malentendu. En effet,
on a dit aussi que lleynier de Grimaldi de Gênes était venu au
secours d'Arles après le 11 avril'*. Mais d'après la bulle d'Urbain V
les Grimaldi secouraient alors Tarascon.
Toutefois, une autre bulle d'Urbain V, datée du 26 mai, nous
apprend que les habitants du Com ta t- Venaissin, malgré leur bien-
ipsa galea creditur aiit pcriisse aut deditionis incurrisse discriinen, de quo mcrito
pertiirbanmr. Ideoque Aolumus et mandanius quatenus in occurrentibus casibus
oppressis Provincialibus pie conipatiens, quantum cuni honestate et securitate fieri
potei'it, eis tribui facias auxilium et juvanicn, que socialibus denegentur omnino.
Datuni apud Montemflasconem, Balneoregen. dioc, m kal, Junii an. VI ».
1. Voy. Hist. de Liinyuedoc, t. X, p. 1380 suiv.
2. Chronique, éd. par Balize, Vit. p.ip. Avenion., II, 772, d'après elle Ilisl. de Lan-
guedoc, IX, p. 793. Encore Cuvelikh, v. 13900, liOiO, et par conséquent la Chronique
(anonyme) de Du Guesclin (dans Buchoa, Panthéon littéraire, p. 58). Tandis que dans
la Chronique de Balu/x', le sièi;e de Tarascon n'est pas mentionné, de sorte qu'on soup-
çonne une confusion entre Arles et Tarascon, Froissart parle seulement du siège de
cette dernière ville. Dans la Chron. des quatre premiers Valois, p. 194, il s'agit d'un
accord fait entre le duc d'Anjou et la ville d'Arles. Tout repose sur des conjectures,
nous en avons une preuve dans Bouchiî, Hist. de Provence, II, p. 385, qui dit qu'Arles
fut déjà assiégé le 3 mars. Mais par qui?
3. P. 382. LiEUTAun, Prise de Tarascon par Bertrand Du Guesclin (Marseille, 187 i),
a encore l'ancienne date.
4. Bouche, 1. c. ; Papox, 1. c, p. 218.
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPIUNÉ, 1368, 1369 ol3
veillance à l'égard des bandes n'étaient pas k l'abri de leurs incur-
sions. Ils avaient, au contraire, grandement à en souffrir ; le pire
fut que beaucoup des leurs, obligés au service militaire, refusèrent
de marcher contre les envahisseurs, de sorte que le Pape enjoignit
au patriarche et à Jacques Aube de les y contraindre par censures'.
Le siège de Tarascon par le duc d'Anjou remit toute la Provence
en alarme. 11 fallut de nouveau songer k se défendre. C'est ce
que fit Sisteron-. Cette ville avait déjk été en grande appré-
hension en 1357 au moment de l'invasion d'Arnaud de Cervole"^,
et en 1367 lorsque Raymond IV, prince d'Orange, dans la guerre
qu'il fit k Catherine de Baux, sa parente, qu'il emprisonna, avait
commis sur ses terres les plus grandes violences. Les états assem-
blés k Sisteron avaient alors ordonné aux habitants des campagnes
de se retirer dans les lieux forts et de détruire les hameaux et vil-
lages sans défense''. En 1368, lorsque le duc d'Anjou était devant
Tarascon, la ville de Sisteron emprunta k Avignon la somme de
2.000 florins pour subvenir aux énormes dépenses qu'entraînaient
les travaux de défenses et l'entretien des soldats qui étaient obli-
gés de passer aussi la nuit sous les armes. Les ecclésiastiques
mêmes ne purent se dispenser de prendre part au service militaire.
1. Recf. Val. Urhani V^ n" 249, fol. 112 '" : « Ven. fr. Philippe patriarche Jerosolimi-
tano rcctori et dil. filio nob. viro Jacobo Albe de Tarascone, niiliti Avinionen. dioc.
capitanco civitatis Avinionen., dioc., comitatus Venaysini ad nos et R. E. spectan-
tium, salutem, etc. Ad audientiani nostram fidedigna rclalione })ervenit, quod cuni
nuper nonnullc j;entes armijiçere per coniitatum Venaysini... hostiles discursus facc-
runt, multaque damna incohs et habitatoribus dicti castri infcrrcnt, et majora per eas
inferri verisimiliter timerentur, sicut in vicinis partibus infcrri noscuntur, vosque
cavalcatas et servilia ecjuitum et peditiun in dicto comitalu propterea indixeritis, sub
certis pénis mandantes ut quicumque teneretur ad cavalcatas seu servilia hujusmodi,
cujuscumque conditionis existeret, se pararet ad debitum per eos obsequium impen-
dendum, ac ea pro ipsius comitatus defensione prestaret, quidam tamcn ex obli^Mlis
ad hujusmodi scr\ itia, non considérantes magna pericula que ex prefatis discursibus
cis et toti dicto comitatui possent verisimiliter evenire, ac non curantes, vestris in
hac parte parère mandatis, in appellationis ad nos interjecte audaciam prorupcrunt.
[Mandat ut non obstantc dicta appellatione, supradicta exequantur et contra inobe-
dientes procédant et pénis temporalibus et censuris eos puniant]. Dat. apud Montem-
flasconem Balneorep,cn. dioces. vu kal. Junii anno VI ».
2. Voyez une série de détails sur les nouvelles fortifications dans Éd. de Lai'i.amî,
Hist. de Sistei^on, 1, p. 163 suiv.
3. Ibid., p. 1 iO suiv.. 144 suiv.
4. Papon, Ilist. de Provence, III, p. 215 suiv. Le Tableau de iliisl. des princes
dVrançje (A la Haye 1640), p. 86, ne parle pas de ces événements.
R.-P. Dkmklk. — Dt'solatio écries i arum U. 33
514 LA GUERRE DE CENT ANS
L'évêque fut supplié de permettre qu'on leur confiât la garde du
Grand-Portail i. Le duc d'Anjou rencontra en Provence de nom-
breux partisans ; entre autres, Louis Rufïi, seigneur de la Bréole et
de Salignac, qui, le 14 août, ravageait avec une bande les environs
de Thèze-. Les villes d'Aix et de Marseille, attentives aux consé-
quences qui pourraient résulter de cette guerre, formèrent le 14
novembre "^ une ligue pour résister aux ennemis et défendre la Pro-
vence, ce que la reine Jeanne approuva^. En outre, la ville
d'Aix pourvut encore à sa sûreté par de nouvelles fortifications ; on
abattit l'église de Sainte Magdeleine trop proche des murailles ; les
habitants de la ville inférieure abandonnèrent leurs maisons pour
se retirer dans le bourg ; le château de l'archevêché fut mis en
défense^. Mais l'hiver amena un peu de relâche en suspendant les
hostilités.
L'épisode du siège de Tarascon n'était que le prélude d'une
guerre bien autrement terrible entre la Provence et le Dauphiné,
sur laquelle je puis donner des renseignements plus abon-
dants et plus précis qu'il n'a été possible d'en fournir jusqu'à ce
jour, et cela grâce à la découverte que j'ai faite des Lettres de
r archevêque cV Embrun^ Pierre Ameilh o, dont le récit rectifie et
complète les exposés faits jusqu'à ce jour.
Il résulte de ces lettres, que surtout l'origine de la guerre entre
les Provençaux et les Dauphinois a été mal expliquée. On croyait,
en effet, que pendant le siège de Tarascon, entrepris par le duc
d'Anjou pour faire la guerre à la Provence, le sénéchal de Pro-
vence aurait assemblé une petite armée, et sans chercher à arrêter
les Français, se serait jeté sur le Dauphiné, jugeant avec raison
que le meilleur moyen de combattre l'ennemi, c'était de l'attaquer
1. Laplaxe, 1, c, p. 167 suiv., 170.
2. Ibid., p. 171.
3. Voy. Tactc de cette ligue dans Pitton, Hisl. de la ville d'Aix (Aix, 1666), p. 190 à
194.
4. Une année après, le 2 octobre 1369, elle annula la ligue. PA^o^■, 1. c. Preuves,
p. Ixiij.
5. PiTTON, 1. c, p, 186.
6. Elles se trouvent aux Arch. Vat., arm. 53, n» 9, dans un volume papyr,,
qui est mal place parmi les Formulaires. C'est un libre des fol. 221 in-4°, ou des pages
362 écrites, composé et appartenant à rarchcvcque dEmbrun, qui le commença
quand il était encore archevêque de Naples. En effet, jusqu'à la p. 220, le volume est
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPHINÉ, 1368, 1369 ol5
à son tour là où l'attaque était le moins prévue^. Mais cela n'est
pas exact. Ledit archevêque, qui séjournait alors à Embrun, et dont
le diocèse s'étendait sur une partie du Dauphiné et de la Provence,
était sans doute mieux informé sur l'état des choses, et selon lui
l'origine de cette guerre, comme il le dit à plusieurs reprises, était
très simple.
Le premier danger pour le Dauphiné, comme jadis pour la Pro-
vence, c'était les Compagnies, placées sous les ordres du duc
d'Anjou. Le conseil Dauphinois, redoutant les ravages des
bandes, prit des mesures pour défendre et protéger Embrun déjà
pendant le carême 1368 -. On se résolut aussi de ne donner
retraite aux bandes ni pour elles-mêmes ni pour leur butin,
de ne pas permettre leur passage et de ne les aider en aucune
façon contre les Provençaux. Les Compagnies, et surtout les Bre-
tons, s'en montrèrent irrités, et les Dauphinois se mirent à fortifier
leurs places. Malheureusement, le duc d'Anjou avait des intel-
ligences en Dauphiné, tout au moins à la frontière provençale, cela
n'était pas ignoré. Le capitaine de Sisteron en Provence fît alors
pendre un noble clerc dauphinois. Là-dessus, Pierre de Saint-
Geoirs, maréchal des guerres en Dauphiné, et quelques autres Dau-
phinois, joints à une troupe de Bretons, envahirent la Provence où
ils firent de grands ravages après avoir remporté une victoire
désespérée. Alors les Provençaux, croyant par conséquent que les
Dauphinois étaient d'accord avec le duc d'Anjou ^, prirent en
revanche beaucoup de marchands, voyageurs ou voituriers dauphi-
rcnipli de lettres sur Thistoire contemporaine des deux Siciles, qui sont souvent d'un
très haut intérêt. De p. 221 suivent les lettres, écrites pendant qu'il siégeait à Embrun.
Elles ne sont pas moins importantes pour l'histoire du Dauphiné et de Provence à
cette époque, d'autant plus qu'elles sont des minutes. Je donne seulement un choix
des plus intéressantes sur la guerre de 1368, 1369, et les réserve pour ÏAppendice. III.
1. Voy. KoM.w, L expédition des Provençaux en Dauphiné, en 136S, dans Bulletin
de la Société scientifique des Basses-Alpes (1889-1890), t. IV, p. loi suiv., cf. p. 105 ;
le même, Ilist. de la ville de Gap (Gap, 1892), p. 72 suiv. Cf. encore le récit d'un acte
contemporain, malheureusement en traduction du xvie siècle, publié par Chaiumn-
Feugerolles, Document inédit, relatif à la guerre qui eut lieu entre les Dauphinois
et les Provençaux (Lyon, 1881), et A. Lacuoix, dans Bullelin de la Soc. d'archéol. de
la Drùnie, année 1879, p. 18! suiv.
2. Appendice, III, lettre 7.
3. Ainsi on doit expliquer une phrase dans la 22" lettre : « licet nunquam isti
(Dclphinalcs) voluisscnt l'acere gucrram cum dom. duce Andegavensi ».
516 LA GUERRE DE CENT ANS
nois sur le territoire de Provence, et fortifièrent leurs défilés contre
les Dauphinois; la g-uerre eût éclaté sans l'entremise de quelques
personnages importants et de Farchevêque même^. Néanmoins, le
pays se trouvait en grande appréhension. On était presque sûr que
tôt ou tard les Compagnies se vengeraient de ce qu'on avait refusé
de les recevoir. L'archevêque ordonna donc de mettre en état de
défense les châteaux qui dominaient les défilés. Cela entraîna
de telles dépenses qu'il fut ensuite dans l'impossibilité de payer
complètement ses redevances à la cour Romaine. Le pays, déjà
pauvre avant la guerre, le devint encore davantage après le
départ du Pape pour Rome ; le bétail était sans valeur. Tout cela
s'était passé avant le 18 juillet 1368 -. Le gouverneur, de son côté,
songeait à la défense d'Embrun ety fît commencer des travaux sur la
partie la plus faible du périmètre des murailles, nommée le Planiol.
Son ordonnance est datée du 8 aoùt"^. Mais il se heurta à
l'opposition de l'archevêque. Le gouverneur ordonna la construction
d'une nouvelle muraille sans en avoir demandé la permission à l'ar-
chevêque. De plus, ce mur allait condamner la sortie et l'entrée
d'un côté du palais archiépiscojDal. Enfin Pierre Ameilh ne voyait
pas la nécessité de cette construction et préférait renforcer les
anciennes fortifications. 11 pria le gouverneur de renoncer k ses
entreprises sous peine de l'interdit et de l'excommunication^. Celui-
ci, de concert avec les consuls de la ville, ne tint aucun compte de ces
admonitions, quoique l'archevêque ait encore le 9 septembre 1368,
menacé d'infliger l'interdit sur le territoire du dauphin dans les
provinces d'Arles, d'Aix et d'Embrun^. Pourtant, la discussion
se prolongea jusqu'au mois d'avril 1369 ^', et les travaux com-
mencés furent terminés à la fin de l'hiver. Mais l'archevêque
excommunia les Embrunais qui ne furent absous que le 6 sep-
tembre 1379 par Clément VIF.
1. Lettres 1 à 4, 15, 17,
2. Lettres, 1. c.
3. Voy. lettres 5, 6, et Roma\, Bullelin, etc., p. 108, Mais il prétend à tort que
c'était pendant l'hiver.
4. Lettre 7.
5. Lettre 11.
6. Roman, 1. c, p. 109, et not. 1.
7. Roman, p. 114. Les Embrunais devaient payer 1000 florins d'or pour les frais d'ab-
solution.
LES C03IPAGMES EN PROVENCE ET EN DAUPIIINÉ 1368, 1369 517
Je ne doute pas qu'avant le mois d'août 1368 les Compag-nies
qui étaient devant Tarascon et portaient le nom de Du Guesclin
n'aient envahi les territoires de la cité d'Avignon et du Comtat-
Yenaissin, y portant l'incendie, le pillage et le meurtre. L'arche-
vêque d'Embrun écrit, sous la date du 18 juillet, que les chemins,
tant de Provence que du Dauphiné, jusqu'à Avignon, étaient occu-
pés par les Bretons, et qu'on ne pouvait plus faire en sûreté le voyage
d'Avignon ^ Devenu méfiant à l'endroit des serments prêtés par les
capitaines devant Tarascon, le recteur du Venaissin croyait prudent
de pourvoir à la défense du territoire de l'Eglise Romaine, et, le
8 août, obtint d'Urbain V la permission d'imposer aux populations
une contribution qui permettrait de solder des troupes. Le même
jour, le Pape manda aux habitants d'Avig-non et du Venaissin de
se soumettre à cette mesure. Il pria encore, sous la même date,
l'archevêque de Lyon, l'évêque de Valence et le comte Aymar de
Valentinois d'aider le recteur du Venaissin -. Je crois, toutefois,
que ces bulles sont arrivées quand la désolation des terres de l'Eg-lise
Romaine par les Compagnies était déjà un fait accompli. Le 1**^
septembre, en effet, Urbain V prononça contre Du Guesclin et
contre les autres capitaines et leurs compag-nons toutes les sentences
et censures énumérées dans ses bulles. Clamât ad nos et Quara sit
plena pericuUs^ en frappant de l'interdit les lieux qu'ils détenaient
ou qui leur appartenaient ■^.
Il est plus que douteux, néanmoins, que Du Guesclin ait été avec
les envahisseurs du Venaissin. Le 5 juillet, quand il prenait la
défense des Bretons qui étaient avec lui devant Tarascon, contre le
sire de la Voûte, à qui il écrivait une lettre très vive, il était déjà à
Maillon, non loin de Montbrison 'k Ensuite il se rendit vers le Nord
de la France, dans le but de chercher de l'argent pour payer la
1. Lettres 2 et 1.
2. Reg. Vat., n° 2J9, fol. 149'\ 150, li2 ; Phou, p. 159 suiv., qui omit de noter la
bulle de fol. 149 ''.
3. Reg.Vat., 1. c., fol. 165 ^ ; Puou, p. 161 à 163. Luck, Froissart, p. xxvi, not. 1, a
connu cette bulle ; toutefois il croyait à tort qu'elle avait été prononcée contre Du
Guesclin, à cause de cette imaginaire contribution de 5.000 flor. Il a lu la bulle trop
superficiellement.
4. Voy. la lettre publiée par Delisle dans la Bil)l. de VÉcole des chartes, t. XLV,
p. 302.
518 LA GUERRE DE CENT ANS
rançon due au prince de Galles, puis pour recueillir des troupes et
se rendre une troisième fois en Espagne afin d'y rétablir Henri de
Trastamare sur le trône. Mais les Compagnies excommuniées por-
taient son nom, et il en était responsable.
Quoique l'archevêque d'Embrun s'efforçât de maintenir la paix
entre les Dauphinois et les Provençaux, et que dans ce but il
publiât solennellement, sur Tordre du Pape , les procès faits par ce
dernier contre les envahisseurs de Provence ^, les Provençaux eux-
mêmes rompirent la paix, envahissant Ubaye et la Chapelle près
Savines, entre le 28 et le 30 août de la même année, pillant tous les
meubles des habitants de « Valice » et rançonnant les pasteurs.
D'autres poussèrent jusqu'au Puy~, parurent une seconde fois
devant Ubaye et ensuite devant Rochebrune, où quelques-uns furent
tués et beaucoup faits prisonniers ^. Il est à noter que les Provençaux
appartenant au diocèse d'Embrun, comme, par exemple, les habitants
de Barcelonnette et de Seyne, ne prirent en général aucune part à ces
invasions.
Le pays était ému. On craignait pour l'avenir, surtout à cause
des nouvelles reçues d'Avignon ^, probablement au sujet de l'inva-
sion du Venaissin par les Compagnies. Le 9 septembre , l'arche-
vêque écrivit au gouverneur Raoul de Louppy que les Provençaux
faisaient tous les jours des invasions, et il le pria d'y porter
remède ^. La misère était d'autant plus grande que la population
1. Lettres 15, 16.
2. Sans cloute, ou Puy Saint-Eusèbe ou plutôt, Puy-Sanières, tous deux de l'arr.
Embrun, c°" Savines. Ubaye est dans la Provence, aux frontières du Dauphiné, mais
dans le diocèse d'Embrun. Je ne crois pas qu'on doive penser à Upaix en Dauphiné.
Cette ville est trop distante du Puy, Chapelle, Rochebrune. Du reste, en latin, Upayum
est constamment écrit dans les lettres sans l's, qui ne manque pas au contraire dans les
diverses formes latines d'Upaix. Voy. Roman, Dictionn. topograph. des Basses-Alpes,
p. 162. Enfin, le fait même qu'on a soupçonné un moment les habitants de Rarce-
lonette et de Seyne d'avoir pris part à cette invasion (lettres 8 et 9), prouve déjà que
l'attaque du Dauphiné commença du côté de la rive gauche de la Durance, et vers le
nord où est situé Ubaye, non du côté de la rive droite et au sud-ouest où se trouve
Upaix, assez éloigné d'ailleurs des deux villes susnommées. Les envahisseurs traver-
sèrent d'abord la rivière d'Ubaye, et ensuite la Durance, à un endroit où elle n'est
pas encore grossie de cet affluent.
3. Lettre 8. C'est, par conséquent, une erreur d'afïîrmer qu'en 1368 l'Embrunais fut
épargné. Roman, 1. c, p. 109. L'invasion des Provençaux du côté des Raronnies date
au moins de quelques mo isplus tard que celle de l'Embrunais.
4. Lettre 9.
5. Lettre 11.
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPIIINÉ, 1368, 1369 ."19
du Dauphiné n'était pas préparée h une guerre, car depuis son
annexion à la France, cette province avait joui de la paix. Les habi-
tants se dispersaient dans les montagnes, où ils se croyaient plus en
sûreté que dans les places fortes. Malheureusement, les communes
ne voulaient pas s'entr'aider. L'archevêque n'osait quitter la ville
pour se rendre à Grenoble, où le 19 septembre devait continuer
l'affaire de la fixation des limites entre le Dauphiné et la Savoie ^,
et il avait raison, puisque les plus grands malheurs arrivèrent pré-
cisément pendant les mois de septembre, d'octobre et une partie
de novembre ^.
Les Provençaux nobles s'organisèrent en Compagnie, sous le
nom de Saint-Georges, ce qu'on a ignoré jusqu'à ce jour. Ils choi-
sirent donc le saint que les Anglais aimaient à invoquer comme
patron dans les batailles. De là, le soupçon qu'il y avait aussi des
Anglais dans cette Compagnie, soupçon justifié par les actes aux-
quels elle se livra 3. A l'instar des autres Compagnies, celle des
Provençaux se jeta sur le Dauphiné, s'empara, le 17 septembre, de
Chorges, ville appartenant moitié au Dauphin, moitié à l'archevêque,
en fît prisonniers les habitants, les dépouillant de tout et brûlant ce
qu'elle ne pouvait emporter, c'est-à-dire les maisons, les églises, le
prieuré bénédictin de Saint-Victor, de sorte qu'il ne restait rien
de la ville et que cent années ne lui suffiront point pour se
relever de ses ruines. Pénétrant ensuite dans l'intérieur du Dauphiné,
cette même Compagnie livra le 18 octobre un assaut à la ville
d'Embrun ; mais n'ayant pas réussi, elle en ravagea et incendia
les environs pendant plusieurs jours. Entre autres, le monastère
des Frères Mineurs hors les murs, fut complètement brûlé. Ensuite
la Compagnie pilla Guillestre et plusieurs autres villes, comme par
exemple, Châteauroux, que les habitants rachetèrent de Fincendie
1. Lettres 12 à 14. Sur cette question très compliquée, voy. Pekhin. Ilisl. duPonl-
de-Beaiivoisin (1897), p. 121 suiv. Depuis le traité du 15 janvier 1355 surgirent de
vives contestations au sujet du Guiers, qui fut assigné pour limite au Dauphiné et à
la Savoie. Comme il y a deux Guiers, le Guiers-Vif el le Guiers-Morl. la France pré-
tendait qu'il s'agissait du Guiers-Vif; la Savoie soutenait qu'elle avait entendu le
Guiers-Mort.
2. Lettre 21.
3. Ms. p. 274 « ...societasprovincialium et Anglicorum fuit hic (Embrun) vastando
et cremando quidquid erat extra fortalitia per magnum tcmpus ».
520 LA GUERRE DE CEKT ANS
par d'énormes sommes d'argent et en donnant encore des otages.
Pendant vingt jours, la Compagnie faisait dans le Dauphiné des
courses qui s'étendaient jusqu'à deux journées en long et une en
large ; tout le comtat d'Embrun fut pillé, hors les seules places
fortes. Le peuple perdit tout : meubles, récoltes, bestiaux; peu habi-
tué à la guerre, il ne pensait pas à les mettre en sûreté derrière les
murs des forteresses. L'église d'Embrun perdit à peu près la moitié
de ses revenus en Dauphiné. A ces crimes, les Provençaux en ajou-
taient d'autres : ils violaient les femmes, désolaient les églises et les
monastères, profanaient même les reliques des saints et les hosties
consacrées K Ils étaient maîtres de la situation, bien que les
troupes delphinoises leur fussent de beaucoup supérieures en
nombre '^. C'est vers le même temps, peut-être, sinon plus tard,
que les Provençaux envahirent le Dauphiné du côté des Baronnies
et que les châteaux de Saint-André de Rosans et du Châtelet,
qui appartenaient au prieur de Saint-André, furent emportés
d'assaut, puis pillés et rasés. De là une bande se porta sur Gap, et
une partie s'empara du bourg de Veynes, une autre poussait une
pointe hardie sur le Trièves ^.
Cette guerre dura jusqu'au delà du commencement de novembre.
Alors survint le gouverneur Raoul de Louppy qui, avec ses troupes que
secondait un allié plus puissant encore, un froid excessif, il arrêta
l'ennemi ^ Néanmoins, la Compagnie de Saint-Georges restait en pos-
session de quelques forteresses en Dauphiné, et retenait aussi beau-
1. Lettres 15 à 17 ; sur l'incendie du couvent des Frères Mineurs, lettre 19. Déjà
alors, on prit la résolution de transférer les Frères à léglise de Saint-Marcellin, dans
Tenceinte. La bulle de Clément VII, à ce sujet, est seulement du 8 octobre 1379
{lieg. Clem. VII, n° 291, fol. 190). Guillestre appartenait à la manse de l'évêque.
Comme nous verrons à la fin de ce paragraphe, le lieu fut occupé plus tard par le Dau-
phin, aidé par les habitants de quelques villes.
2. Voy. la lettre 37. En effet, le gouverneur du Dauphiné avait partout reparti des
troupes. Cf. Lacroix dans Bulletin de Li Drame, déjà cité, p. 183 suiv.
3. Voy. Roman, dans Bulletin, p. 107. Les Provençaux étaient dans le Rosanais vers
le commencement de 1369. En juin 1371, il y avait « deux ans et demi », comme dit
Charles V dans sa lettre, publ. par Gligue, Les Tnrd-Venus, p. 367, n° 72. Comme il
sera dit p. 522, la Compagnie avait quitté le Rosanais seulement avant le mois
d'avril 1369. Si, comme le prouve Roman, cette bande y était entrée en 1368, elle y
passa donc l'hiver. ^Iais en tout cas, cette invasion n'eut lieu qu'après celle de l'Em-
brunais.
4. Lettre 21.
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPIIINÉ, 13G8, 1369 o21
coup de prisonniers et d'otages. Quelques villes s'étaient eng'agées
à payer jusqu'à quatre mille florins et plus. La misère générale était
immense, de sorte que l'évêque lui-même, comme il écrivait sous la
date du 8 décembre, avait à peine du pain à manger ^, et qu'il serait
mort de faim, si la cour de Rome l'avait obligé à payer ses dettes ~.
Le clergé était aussi insolvable; on ne lui permettait pas de vivre
des revenus de ses églises et bénéfices '^ Et que dire des simples gens ?
Sur les frontières du Dauphiné et de Provence les ravages étaient tel-
lement complets qu'on avait perdu tout espoir d'y remédier^. Habi-
tué à la paix, le peuple s'était moqué de l'archevêqne quand celui-
ci avait commencé à mettre en état de défense ses châteaux et la
maison archiépiscopale '^\ mais quand ensuite tous s'étaient vus rui-
nés, ils s'étaient abandonnés au désespoir. Beaucoup de localités
furent délaissées par les habitants pendant plus d'un an ^.
L'hiver se passa en négociations. L'archevêque d'Embrun était à
cet effet en relations non moins avec Roger de Saint-Sé vérin, comte
de Mileto^, qu'avec le sénéchal Raymond d'Agout. Avant le mois de
février, il envoyait au comte un mémoire dans lequel il traite sur-
tout des trêves^ dont il était alors constamment question. C'est vers
la fin de février 1369 que l'archevêque dirigea un message au comte
de Mileto et au sénéchal de Provence, en leur exposant comme quoi
les Provençaux étaient les premiers coupables ^J. Il paraît, en effet,
que les préliminaires de la paix étaient conclus déjà avant que Raoul
de Louppy ne revînt de Paris, c'est-à-dire en février •^. Bien
que la paix ait été signée à Avignon ^^ seulement le 13 avril, la reine
1. Voy. sur tout ce qui précède, la lettre 21, et Roman, p. 107 suiv,, avec d'autres
détails.
2. Lettre 18.
3. Lettre 30.
4. Lettre 20.
5. Lettre 22.
6. Lettre 36.
7. Cf. Lalauzièue, Abrégé chronoL. de lliisl. d Arles, p. 23S. Roger était sénéchal de
la Provence, plusieurs l'ois avant cette année. Voy, sur lui Imhoff, Genealoffia vifiinli
illuslrium in Italia /a;ïi/7tar«m (Anistelodami, 1710), p. 292. Sur la famille d'Agout ou
d'Agoult, voy. Baiuavicl, Dictionnaire hisl. du départ, de Vaucliise, I, p. 10 à IG.
8. Lettre 23.
9. Lettres 24, 25.
10. Lettre 27.
11. Voy. Bulletin de VAcadémie delphinale, 3 sér., t. 16 (1880), p. 58 ; Roman, 1. c,
p. 110.
522 LA GUERRE DE CENT ANS
Jeanne avait déjà, le 8 avril, approuvé le traité stipulé à Sisteron,
en y ajoutant quelques clauses i. 11 est constaté encore que vers le
même temps, les Provençaux, aidés de nouveau par des Anglais,
emprisonnèrent, malgré les traités, quelques habitants de Chorges
et de Montgardin, en menaçant continuellement cette dernière ville.
On parle de la paix, écrit l'archevêque au gouverneur, sous la date
du 12 avril, et, entre temps, il faut subir tous les jours les horreurs
de la guerre ; ici ou là, on entend dire que les gens ont été empri-
sonnés ou que les maisons ont été brûlées-. Une Compagnie qui
avait ravagé le Rosanais et stationnait ensuite à Tallard^, avait
l'intention d'endommager les terres de l'Eglise d'Embrun. Jacques
Artaud, évêque de Gap, en envoj^ait la nouvelle à l'archevêque
d'Embrun. Le premier ayant à sa disposition un grand nombre
de gens d'armes qui s'accroissait de jour en jour, offrait du secours
à l'archevêque. Mais ce dernier n'avait pas peur comme il l'écrivait
le 15 avril à Tévêque de Gap, il était préparé et grâce aux mesures
prises par le gouverneur, le peuple même était maintenant orga-
nisé ^. Tout le monde s'empressait alors de se fortifier. Quant à l'ar-
chevêque, il avait dépensé tout son avoir pour la fortification des
neuf châteaux de son Eglise^, de sorte que, ne pouvant payer aux
termes fixés les taxes dues à la chambre apostolique, il était même
menacé de l'excommunication. Néanmoins, ayant appris que le
comte de Mileto et le sénéchal avaient reçu du Pape et de la reine
Jeanne des lettres qui les assuraient de ses bonnes intentions ^,
l'espérance de l'évêque n'était point ébranlée.
Malgré cela, vers le 20 mai, FEmbrunais fut une autre fois dévasté
par les Compagnies ^. C'est sans doute alors que la paroisse de
Saint-André d'Embrun, Saint-Laurent-du-Cros et le monastère des
Chartreuses de Notre-Dame de Bertaud furent ravagés ^.
1. Lettre 26.
2. Lettre 27.
3. Où elle était déjà le 8 avril. Lettre 26.
4. Lettre 28.
5. Lettres 29, 30, et le ms. des Arch. du Vatican, p. 351, « dom. Cluniacensi », aussi
du 15 mai.
6. Lettre 28.
7. Lettre 35.
8. Il s'agit de ces églises et monastères dans les Querele contra provinciales, dans
Choix de documents hist, inédits sur le Dauphiné, éd. U. Chevalier, p. 181 suiv. :
LES COMPAGMES EN PROVENCE ET EN DAUPHINÉ, 1308, 1309 i')2^
Dès le mois de mai, il y eut à Aix une assemblée de prélats et
d'évêques, de barons, nobles et représentants des communes qui
délibéraient sur la défense de la Provence et de la partie respective
du diocèse d'Embrun ^ C'est encore dans la même ville que fut
traitée en juin la question des rançons que quelques villes du Dau-
pliiné devaient payer à la Provence. Les gens de l'archevêque
devaient verser 2000 florins; mais la somme n'était pas tout à fait
prête. Les habitants de Guillestre et de Ghâteauroux qui s'étaient
rachetés de l'incendie comme il est dit plus haut, à la fin d'octobre
de l'année précédente, n'avaient pu encore commencer à recueillir
l'argent nécessaire. Là-dessus les Provençaux fixèrent un terme
pour le payement de ces sommes, sous menace de reprendre les hos-
tilités en cas de retard. Mais l'archevêque écrivit le 5 juillet à son
délégué à Aix, le frère Mineur François Borili, de ne rien payer avant
que les Provençaux n'eussent remis le traité de p-aix muni de leurs
sceaux et sous foi de serment, et cela d'autant plus que les otages
étaient encore en leur pouvoir -. La calamité causée par la guerre,
le manque de sécurité des chemins durèrent jusque vers la mi-août 3
et cessèrent à peine même après la ratification du traité entre les deux
partis par Charles V, en septembre 1 369 ^. Au moins après la conclu-
sion de la paix entre le Dauphiné et la Provence, ce dernier pays
n'était pas calmé; encore au mois d'octobre, des Compagnies y pil-
laient tout, hors les places fortes, en s'abstenant seulement des
incendies^. La paix entre la reine Jeanne, comtesse de Provence, et
« licc dampna intuleriint societates, ireugis durantibus, in monasterio Bertrand! » (leg.
lîerlaudi). Quelques années après, pendant le carême de 1376, ce monastère fut incen-
dié, et, le 14 avril de la même année, Grégoire XI accorda des indulgences aux fidèles
qui donneraient des aumônes pour la restauration de l'église et du monastère :
« monialium de Jîertaudo per priorissam solitum gubernari, Ord. Cartusien., Vapincen.
(Hoc, casu fortuito ignis incendio concremata ». Reff. Vat., Greg. XI, n" 288, fol. 175.
CuAHnoxNET, Monastères de Diirhon et de Berihaud (Grenoble, 1861), p. 85, ne donne
aucun renseignement sur ces faits. Mais, en revanche, Guillaume, Chartes de A.-D.
de Bertaud (1888), p. xl suiv., parle de l'incendie de 1376, sans connaître la bulle de
Grégoire XI. Naturellement, on ne peut espérer aucun éclaircissement de ses Chartes
de Diirbon {U93).
1. Lettre 31.
2. Lettre 34.
3. Lettre 36.
4. Drlisle, Mandements de Charles V, n° 589, p. 291.
5. Lettre 36,
524 LA GUERRE DE CENT ANS
le duc d'Anjou ne fut réellement conclue qu'au mois d'avril 1371 i.
De même le traité de 1369 regardant le Dauphiné et la Provence
n'était encore que provisoire ; ce fut seulement le 12 mai 1370 et,
en dernier lieu, en 1371, que la paix fut définitivement consolidée
par des traités solennels-.
Le Dauphiné et une partie de la Provence étaient dévastés et
ruinés ^. Les pertes subies seulement par le Dauphiné furent éva-
luées à plus de 200.000 florins '*. La misère était d'autant plus sen-
sible qu'en 1369 la récolte faisait défaut presque partout^. Mais bien
que les lettres de l'archevêque aient donné d'abondants renseigne-
ments touchant cette guerre, elles ne disent néanmoins pas tout.
Ainsi l'abbave bénédictine de Boscodon fut sans doute incendiée
alors pour la première fois ^\ De même, le prieuré de la Sainte-
Croix aura été désolé en 1368, quand ces Provençaux étaient devant
Châteauroux et Embrun ^, tandis qu'un autre prieuré bénédictin,
celui de la Couche, qui, déjà auparavant, avait été ruiné, fut alors
incendié^. Le prieur de Saint-André-de-Rosans, comme j'ai déjà fait
remarquer, avait aussi subi d'énormes pertes d'argent à cause de
l'occupation du prieuré et de la destruction de ses forteresses par
1. Des néj^ociations furent ouvertes dès le 15 juin 1369, et, aux fêtes de Noël fut
conclue une trêve qui devait durer un an à partir du 2 janvier 1370. A'oy. Mé\ari>,
Hist. de la ville de Nimes, anc, éd., II, Preuves, p. 2 (Journal de Pierre Scatisse),
nouv. éd., II, p. 257 suiv. Papon, Hist. de Provence. III, est muet sur ces faits.
2. Roman, 1. c, p. 111.
3. Voy. MÉXAun, 1. c.
4. Choix de documents, etc., p. 181. hxcnoix dans Bulletin, déjà cité. p. 184, dit par
erreur « 2000 flor. »
5. Lettre 35.
6. Voy. Demfle, A.a désolation des écjlises en France, I, n° 852. Il est dit en 1431,
qu'elle fut en soixante ans, trois fois incendiée et abandonnée. A'oy. ibid., la note.
Ainsi nous remontons à l'an J369.
7. Ibid., n° 853.
8. Peg.Aven. Gregor. XI, tom. 13, fol. 299'% ad an. 1372, Maii 1 : « Dil. filio Petro de
Grandimonte, priori prioratus de Culca, O. S. B., Ebredunen, dioc. salutem etc. Reli-
gionis zelus etc. Xuper siquidem pro parte tua nobis exposita quod cum redditus et
proventus prioratus de Culca, O. S. B... que obtinebas prout obtines, et qui crematus
et destructus existetat propter guerras que in illis partibus (proh dolor) viguerant,
adeo diminuti existebant quod tu ex eis prioratum ipsuni decenter facere reparari et
congrue sustentari non poteras, [confirmât coUationem a se tune eidem factam ofTicii
camerariae monasterii S. Michaelis de Clusa dicti Ord., Taurinen. dioc, non obstante
subreptionis dubio.] Dat. Avinione kal. Maii, an. II ». De la désolation de ce prieuré
parle l'archevêque d'Embrun déjà en juillet-août 1368 (Arch. Vat., arm. 53, n" 9,
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPHINÉ , 1368, 1369 o2o
les Provençaux ou Compag'nies. Il était encore obligé de subir une
garnison royale, commandée par Jean de Montag-ny, et même de
la payer. En 1371, le Dauphin lit reconstruire les châteaux, et les
pauvres habitants de la contrée devaient supporter les frais de la
garnison ^ .
Pour remédier à tant de maux, l'archevêque d'Embrun convoqua
un concile national à Sevne ; de leur côté, le roi Charles V et la reine
Jeanne s'empressaient de porter secours '-. Urbain V fit de même
à sa manière. Le 23 octobre 1369, il procéda sévèrement contre
les « sociales » qui dévastaient encore la Provence, le Dau-
phiné et la Savoie et en molestaient les habitants. Il leur enjoignit
sous peine d'excommunication et autres châtiments de se disperser
dans le délai d'un mois et il interdit aux princes, aux nobles et aux
communautés d'aider les Compagnons •^.
Cette dernière mesure vint fort k propos. Pendant cette guerre,
depuis le siège de Tarascon jusque vers la fin de 1369^ on s'était
familiarisé avec les Compagnies. L'épouse même du duc d'Anjou se
sentait troublée dans sa conscience, parce qu'elle, ses dames et les
nobles de son entourage étaient en relations amicales avec les Com-
pagnies, dont elle agréait les hommages. En dépit de Texcommuni-
p. 259). Il écrit entre autres choses : « Soient enim ibi residere prier et duo monachi,
unus capellanus et unus clcricus et alia faniilia oportuna. et in quibusdam curatis
ccclesiis sibi annexis presbiter et clcricus, et hodie pro iis omnibus lantuni servit pres-
biter unus licet sine cura... ; preterea edificia sunt penitus destructa. et breviter
omnia luale vadunt. Unde anno preterilo ego coactus multorum clamoribus, saysivi
l'ructus pi'ioratus in manu procuratoris prioris, quousque ipse reparasset clausuram
niuri prioratus et quedani alia, que vix decostitissent XXV florenos, et aliquando
commiiiatus sum verbis ut possem proficere, tamen nichil aliud attemptavi... »
1. Document dans Guigue, 1. c. ; voy. Roman, p. 113 suiv.
2. Voy, Guillaume, Notes sur les fortifications des Hautes-Alpes, dans Bulle-
lin archéol. du comité des travaux hisl. et scientif., année 1883, Archéologie, p. 215.
3. Reg. Vat. Urb. V, n° 259, fol. 5'' : « Ad futuram rei memoriam. Reperiri nesciens
sathane malitia in populis otiosa quosdam, ut gemenles accepimus, perditionis fdios...
in partibus provincie Provincic ac Delphinatus et comitalus Sabaudie de no\o pro-
duxit, qui arma sectantes societates seu sociales appellantur, avaritieque cecitate
seducti... clericos ecclesiasticasque personas,seculares et regulares, etiam in dif;nitati-
bus constitutas partium earumdem et alios inibi repertos... ac etiam plebeos ac alias
miserabiles personas ipsarum partium capere, detinere carceribus... morti tradere...
non verentur, ecclesias etiam ac monasteria... et alia pia loca... necnon civilatcs et
castra... hostiliter aggrcdiuntur... [Mandat, ut supra in tcxtu est notatum]. Dat.
Rome apud Sanctum Petrum x kal. Novembris, anno VII. »
526 LA GUERRE DE CENT ANS
cation, elle avait maintenu ces relations et demanda pour cela l'abso-
lution^. Un autre document rapporte un fait plus curieux
encore. Le château et la ville de Guillestre, appartenant à la
mense archiépiscopale, furent occujDés par le Dauphin. Or, nous
apprenons d'une lettre de Clément VII du 1^^ septembre 1383
qu'à cette occupation prirent part quelques habitants de Savines,
des Grottes, de Baratier, des Orres, de Réotier, de l'Argen-
tière, de Freyssinières, de Champcella, de la Roche sur Embrun,
de Rom-, tous endroits sujets du Dauphin. Excommuniés et
interdits par l'archevêque, ils ne furent absous que très tard"^.
Le Dauphin même fut également excommunié par l'archevêque,
pour avoir entrepris cette occupation sans la permission de ce der-
nier et pour avoir fait servir les approvisionnements du château à la
1. Reg. Vat. Urbani V, n° 259. fol. 11 i. ad an. 1369, Aug. 23 : « Dil. filio Guillelmo
de Valle. Ord. fr. Minorum professori, salutem, etc. Sedes apostolica... Exhibita
siquidem nobis pro parte nobilis mulieris Marie, ducisse Andegaven. nuper petitio
continebat, quod olim ipsa et domicelle sue cum nonnullis nobilibus et aliis armo-
num hominibus tam vigore litterarum et processuum apostol. et aliarum constitutio-
rum et alias a jure excommunicatis, pro eo quod ipsi in guerris Provincie et etiam
cum perversis societatibus gentium armigcrarum per regnum Francie more predo-
nico discurrentium..., dum eidem ducisse aliquotiens reverentiam impenderunt aut
associarunt eandem... cum eis in cibo et potu atque loquela participarunt, propter
quod dubitant excommunicationis sententiam incurrisse... [Absolvendi dictas ducis-
sam et domicellas super pracmissis, et etiam in futurum. injuncla paenitcntia salutari,
facultatem concedit]. Dat. Viterbii x kal. Septembris, anno ^'II ».
2. Rom est encore indiqué à sud-ouest de la Roche, sur la rive droite de la Durance,
dans Cassini, n" 151.
3. Beg. Vat. Clément. V//, n° 294, fol. 161 : « Dil. liliis universitatibus Sabine, de Cro-
tis et de Baraterie, de Orrais, deReorterio, de Argenteria, de Fraxeneria, de Cancel-
lata, de Ruppe et de Roma ms. Rama), castrorum. villarum, opidorum ac eorum
terrarum et mandamentorum ac pertinentium eorumdem, Ebi'edunen. dioc, salu-
tem, etc. Sedes apostolica, etc. Sane vestra petitio nobis nuper exhibita continebat,
quod olim nonnulle gentes armigere castrum et ^■illam de Guilhestra, Ebrcduncn.
dioc, ad mensam archiepiscopalem Ebredunen. spectantes, hostiliter manu armala
de facto ceperunt, et quod nonnulle persone castrorum, villarum, opidorum, terrarum
et mandamentorum vestrorum domino Delphinatus Viennen. pro tempore existenti
subjecte in captione hujusmodi présentes, conscntienteset participes fuisse dicuntur...
quodque propterea dil. fil. noster Pctrus, nunc tit. S. Marci presb, card., tune archie-
piscopus Ebredunen. nonnullos processus auctoritate ordinariavcl alias fecit, perquos
in singulares personas... excommunicationis, in castra vero, etc. interdictisententias...
promulgavit; [dictas sententias relaxât, et gardiano domus fr. Minorum Ebredunen.
velejus locumtenenti, aut ab eo deputando, absolvendi aliaque oportunain pracmissis
faciendi potestatem tribuit]. Dat. apud Castrumnovum Avinionen. dioc. kal. Sept.,
anno V ».
LES COMPAGNIES EN PROVENCE ET EN DAUPHINÉ, 1368, 1369 r)27
subsistance de ces soldats. Le Dauphin rendit le château sans
indemnité, et cette querelle fut assoupie par un traité daté
du 15 avril 1374 ^
Depuis ce temps, le Dauphiné et la Provence ne jouissaient plus
de la tranquillité d'autrefois. La guerre entraînait une méfiance
réciproque. De part et d'autre, les fortifications furent relevées
et réparées. Ainsi les murs d'Embrun et de Gap furent renforcés,
Briançon et Guillestre, ainsi que bien d'autres villes -, s'entou-
rèrent de fortifications -^ De son côté, Foulquet d'Agout, frère de
Raymond, et sénéchal de Provence depuis 1 376, fortifia les frontières
de ce pays contre le Dauphiné, entre autres Barcelonnette , où,
par suite, le couvent des Frères Prêcheurs, situé dans les faubourgs,
fut plus tard détruit sur Tordre du sénéchal ^.
Un fléau vient rarement seul, c'est ce qui arriva pour la Pro-
vence et pour une partie du Dauphiné. Le cours de l'année 1370
avait été signalé par de funestes influences atmosphériques, qui
avaient atteint jusque dans leur germe les produits de la terre. On
craignit vivement pour les subsistances, tant la pénurie était deve-
nue extrême, et, au lieu d'en atténuer les effets par la libre circula-
tion des grains, les seigneurs y mettaient partout des entraves,
ajoutant ainsi au redoutable fléau de la guerre, le fléau plus terrible
encore de la famine. Il fallut que le sénéchal de la Provence, plus
atteinte que le Dauphiné, instruit des violences des seigneurs, prit
1. llOMAX, 1. c, p. 11 i.
2. Voy. P. Guillaume, 1. c.
3. RoMAx, dans Bulletin , etc., p. 111 suiv., donne des détails intéressants. Il y
parle des fortifications des villes des Crottes, de Corps, de Montorcier, de Prunières,
de Veyncs, etc. Les travaux respectifs furent souvent achevés très tard, a peine
après vingt-cinq années. Les ressources étaient épuisées par suite des guerres.
i. Recf. Vat. Clément. Vil, n° 292, fol. 44'', ad an. 1380, Januarii 3 : « Dil. fil... priori
et fratrilnis domus Ord. Pred. in suburbiis ville Barchilonie. Ebredunen. dioc. salu-
tcm.etc. Inter ecclesiasticos Ordincs etc. Sane nuper... percepimus quod, dum dil.
fil. nob. vir Fulco de Agouto, miles, Provincie senescallus, pridem ipsani Provinciam
visitaret et volensdictani villam Barchilonie fortificari lacère propter gucrraruni peri-
cula et ininiicorum insultus, de quibus in illis partibus sepius dubitatur, pro niajori
tuitione et custodia dicte ville locuni vcstruni prope dictani villam... destrui ordina-
vit; [ad dicti senescalli et ipsorum preces, licentiam tribuit recipiendi domum aliani
quae dicitur confratria facti de falcone intra dictani villam sitamJ.Dat. Avinione III
non. Januarii an. II ». C'est donc à tort qu'AiixAUi) dit dans Bull, de In soc. scient, et
littér. des Busses-Alpes, t. IV, p. 152, (jue la première église des Dominicains à Bar-
celonnette est de la fin du xiv* siècle. C'était la seconde église.
528 LA GUERRE DE CENT ANS
d'énergiques mesures pour les réprimer. Il chargea en outre les
officiers de la cour royale de s'emparer de tous les blés disponibles
du bailliage, et de jDOurvoir aux besoins des habitants, en les leur
distribuant à un prix modéré ^
Bientôt une nouvelle tempête éclata sur un autre côté du Dau-
jDhiné. Dès 1374, sous les ordres d'Olivier Du Guesclin, les Com-
pagnies bretonnes, au nombre de quatorze mille hommes, chiffre
sans doute exagéré, parurent en Valentinois pour passer en Italie, et
le 18 septembre, se montraient devant Die. Les faubourgs de la
ville furent saccagés; le désastre des environs fut complet. Plu-
sieurs villes furent incendiées 2. C'est surtout à partir du 1380 que
la Provence fut plus que jamais troublée. Le lecteur me dispensera
d'entrer dans le détail, car j'ai encore un long chemin à parcourir.
1. Lai'lane, Hisl. (le Sisieron, I, p. 173suiv.
2. Voy. les détails clans J. Chevalieh, Essai hist. sur léfflise et la ville de Die, II,
p. 269 suiv., 271 suiv. Cf., à regard de 1 année 137 i et Tinvasion de 1376, ci-dessous le
huitième paragraphe.
iKt INSTITUTE OF MEDIAEVAL STUDitS
10 ELMSLEY PLACE
TORONTO 5, CANADA,
• IZlf
•^•^ ^!-^.
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