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Full text of "La désolation des églises, monastères & hôpitaux en France pendant la guerre de cent ans"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/p1ladsolationd02deni 


OUVRAGES   DU    MÊME  AUTEUR 


Die  Entsiehiin(f  dcr  Univei^sifatcn  dcsMitlelaliers  his  1400.  Berlin, 
Weidmann,  1885,  xuv-813  p.,  in-8". 

Specimina  palaeof/raphica  Regestoriim  Roinanorum  ponli/icuni. 
Roma,  1888,  in-fol. 

Chartularium  Universitatis  Parisicnsis^  sub  auspiciis  Consilii 
Universitatis  Paris,  auxiliante  Aemilio  Châtelain.  ParisiivS,  ap. 
fratres  Delalain,  g-r.  in-4*^. 

T.  I,  ab  an.  1200  ad  an.  1286,  xxxvi-716  p.,  1889. 

T.  Il,  ab  nn.  1280  ad  an.  1350,  xxiv-8lG  p.,  1891. 

T.  III,  ab  an.  1350  ad  an.  139i,  xl-780  p.,  1894. 

ï.  IV,  ab  an.  1394  ad  an.  1432,  xxxviii-838  p.,  1897. 

Auclariiun  Chartularii  Universitatis  Parisiensis  (ediderunt 
A.  Denifle  et  Aem.  Châtelain).  Parisiis,  ap.  fratres  Delalain, 
g-r.  in-4. 

T.  1.  Liber  procuratoruni  nationis  Ang-licanae  (Alemanniae) 
ann.  1333-1406.  lxxx-992  p.,  1894. 

T.   II.  Liber  procuratoruni  nationis  Anglicanae  (Alemanniae) 
ann.  1406-1466.  xx-1034p.,  1897. 


MAÇON,  PROTAT  FRERES,  IMPRIMEURS. 


LA    DÉSOLATION 


DES 


ÉGLISES,  MONASTÈRES  &  HOPITAUX 

EN    FRANCE 

PENDANT  LA  GUERRE  DE  CENT  ANS 


PAU 


LE     P.    HENRI     DENIFLE 

DES    FRÈRES    PRÊCHEURS 
CORRESPONDANT     DE      l'iNSTITL'T 


TOME     II 
LA    GUERRE    DE    CENT    ANS    JUSQUA    LA    MORT    DE    CHARLES    V 

(première   moitié) 


PARIS 

ALPHONSE     PICARD     ET     FILS,     ÉDITEURS 

Libraires  des  Archives  Nationales  et   de  la  Société  de  l'Ecole   des  Chartes 
82,      RUE     BONAPARTE,      82 


18  99 


LA  GUERRE  DE  CENT  ANS 

ET 

LA  DÉSOLATION 


DES 


ÉGLISES,  MONASTÈRES  &  HOPITAUX 

EN     FRANCE 


PAU 


LE    P.    HENRI    DENIFLE 

DES    FRÈRES    PRECHEURS 
CORRESPONDANT      DE     l/l.NSTITT'T 


TOME     I 

JUSQU'A    LA    MORT    DE    CHARLES    V    (1380) 

(  P  R  E  ÎVI  I  È  H  E     M  0  n  I  É  ) 


PARIS 

ALPHONSE     PICARD     ET     FILS,     ÉDITEURS 

Libraires   des    Ai'cliives   Nationales   et   de   la   Société  de  IKoole   des  Chartes 

82,     lU'E    nONA PARTE,    82 


1899 


ÎHE  INSTtTUTE  OF  MEDIAEVAL  STUOitS 

10  ELfViSLEY  PLACE 

TORONTO  5,  CAf^ADA, 

M  1  A  1^31 

\3iH 


PRÉFACE 


Lorsque  j'ai  publié  le  premier  volume  contenant  des  docu- 
ments relatifs  à  la  désolation  des  églises  en  France  vers  le 
milieu  du  xv^  siècle,  j'en  ai  promis  un  second,  où  Ton 
trouverait  une  introduction  sur  cette  désolation.  Mais  dès  que 
je  l'entrepris,  en  cherchant  à  compléter  en  même  temps  les 
textes  du  premier  volume  en  ses  deux  extrémités  par  les  bulles 
de  Clément  VII  et  les  Suppliques  de  Calixte  III,  je  me  suis 
aperçu  bientôt  que,  pour  être  complet  sur  le  sujet,  je  devais 
faire  pour  le  xiv^  siècle  le  même  travail  que  j'avais  accompli 
pour  le  xv^.  J'ai  constaté,  en  effet,  que  beaucoup  des  cala- 
mités, opprimant  les  églises,  monastères  et  hôpitaux  au 
xv^  siècle,  remontent  au  xiv^,  et  quelquefois  à  une  date 
très  éloignée.  Il  m'a  fallu  un  grand  courage  pour  m'alteler  à 
cette  nouvelle  besogne,  et  recueillir  les  documents  inédits  ou 
publiés  sur  cette  matière.  En  outre,  pour  mon  second  volume, 
je  ne  voulais  pas  seulement  publier  les  textes,  comme  dans  le 
premier,  mais  aussi  en  donner  un  exposé,  et  en  même 
temps  écrire  une  histoire  des  principales  étapes  de  la  guerre 
de  Cent  ans  au  xiv^  siècle,  d'autant  plus  qu'un  récit  de  la  pre- 
mière période  de  celte  guerre,  mettant  à  profit  les  résultats 
des    historiens    récents,    dispersés     dans    (Uvers     ouvrages. 


VI  PREFACE 


n'existe  pas  encore'.  Mon  intention  était  de  rapprocher  ainsi 
du  tableau  de  la  désolation  éprouvée  par  les  divers  établisse- 
ments ecclésiastiques  l'IiisLoire  même  des  différentes  invasions 
ou  chevauchées  et  les  itinéraires  des  troupes  ennemies  et  des 
Compagnies.  La  lumière  de  l'une  de  ces  deux  faces  rejaillit  sur 
l'autre.  Je  ferai  dans  la  suite  ce  même  exposé  pour  le  xv^ 
siècle,  dont  les  documents  occupent  le  premier  volume. 

Tout  le  monde  comprendra  que  je  n'aie  pu,  comme  pour  le 
premier  volume,  exécuter  ce  programme  en  travaillant  au 
Chartulfirium  Universitntis  Parisiensis.  Il  m'a  fallu  laisser  de 
côté  tous  les  autres  travaux  pour  me  livrer  entièrement  à  celui-ci. 

Je  puis  confesser  que  j'ai  sérieusement  poursuivi  cette  tâche, 
j'ai  dû  me  renfermer  et  presque  me  séparer  de  tous,  pour  me 
mettre  au  milieu  des  faits,  pour  étudier  les  fils  conducteurs 
des  événements  de  ce  temps-ht,  pour  pénétrer  le  plan  d'une 
chevauchée  ou  d'uue  bataille,  ou  les  secrets  de  la  diplomatie. 
Je  ne  sais  si  je  serai  parvenu  à  contenter  mes  lecteurs  ;  mais 
je  suis  moi-même  très  satisfait  d'avoir  entrepris  l'étude  d'une 
des  époques  les  plus  intéressantes  d'un  pays  dont  l'histoire  m'a 
passionnément  attiré  depuis  vingt  ans.  Plus  s'augmentaient  les 
difficultés  dans  le  cours  du  travail,  plus  je  m'y  suis  acharné. 
Si  je  n'ai  pas  atteint  à  la  perfection  de  mon  sujet,  ce  que 
je  n'oserai  jamais  me  promettre,  j'aurai  du  moins  animé  ceux 
qui  viendront  après  moi  à  travailler  pour  y  parvenir. 

Pour  ne  pas  trop  étendre  mon  ouvrage,  j'ai  dû  restreindre 
mon  exposé  de  la  partie  politique,  civile  et  militaire. 
Conformément  au  but  que  je  me  suis  proposé,  j'ai  raconté  à 

1.  Si  on  veut  faire  exception  du  cliapitre  de  Coville  dans  Ilist.  générale  du 
IV^  siècle  à  nos  Jours,  par  E.  Lavisse  et  A.  Rambald,  III  (1894),  p.  64  suiv. 
Mais,  quiconque  connaît  le  plan  de  ce  g^rand  ouvrage  et  sa  vulgarisation  n'v 
cherchera  point  des  détails.  Toutefois  en  ce  qui  concerne  le  sujet  qui  nous 
occupe,  tous  liront  avec  profit  les  paragraphes  :  le  caractère,  le  gouvernement, 
le  régime  financier  de  Charles  Vfp.  109  suiv.),  et  les  paragra})hes  suivants. 


PRÉFACE  VII 

grands  IraiLs  les  invasions  des  Anglais,  jusqu^'i  la  chevauchée  du 
prince  de  Galles  dans  le  Languedoc  qui  marque  un  des  points 
principaux  de  la  guerre  de  Cent  ans.  Dans  la  suite  de  ce  récil, 
je  me  suis  occupé  de  la  politique  autant  que  le  comportait 
mon  sujet. 

Si,  dans  mes  recherches,  je  suis  quelquefois  arrivé  à  descon- 
clusions qui  s'éloignent  de  celles  qui  sont  généralement  reçues, 
comme  par  exemple,  louchant  les  préliminaires  et  la  hataille 
même  de  Poitiers,  les  dél^uls  militaires  de  TArchiprêtre,  le 
traité  de  Charles  le  Mauvais  avec  Edouard  III  en  1358  elles 
questions  connexes,  je  crois  que  mes  appréciations  ne  sont 
pas  moins  motivées  que  celles  de  mes  devanciers.  L'histoire 
du  douhle  jeu  de  Charles  le  Mauvais  ',  de  l'état  de  la  France 
h  la  veille  du  traité  de  Bretigny,  celle  des  Compagnies  et 
l'action  d'Urbain  Y  contre  elles,  de  Du  Guesclin  devant  Taras- 
con,  la  campagne  des  Provençaux  contre  le  Dauphiné,  le  point 
de  départ  pour  la  reprise  des  hostilités  contre  les  Anglais,  la 
dépopulation  en  France,  ont  reçu  dans  mon  ouvrage  un  déve- 
loppement que  personne  ne  leur  avait  encore  donné.  Tout  à  fait 
nouveau  est  l'exposé  des  églises,  monastères  et  hôpitaux  rui- 
nés pendant  cette  première  période,  de  même  que  celui  qui  a 
fait  l'objet  du  premier  volume. 

Jusqu'au  traité  de  Bretigny,  j'ai  parlé  des  églises  et  monas- 
tères désolés  à  l'occasion  du  récit  des  diverses  chevauchées  des 
troupes,  comme  je  l'ai  remarqué  dRusïAvanl-propos.  A  partir 

1.  J'avjiis  promis,  \).  458,  iiol.  2,  de  parler  dans  ma  Préface  du  livre  singulier 
publié  par  M.  E.  Meyer,  Charles  II,  roi  de  Xnvnrre,  comte  d'Kvreux  (1898). 
L'auleur  voudrait  faire  de  Charles  le  Mauvais  une  espèce  de  Charles  le  Bon  et, 
})our  y  parvenir,  n'é{)argne  ni  ses  criticpies,  ni  ses  outrages  aux  maîtres  ou 
anciens  élèves  de  rÉcole  des  chartes  (pii  oui  toujours  cru,  comme  il  est  juste, 
à  la  perfidie  de  Charles  le  Mauvais.  Mais  Aug.  Molinieh  ayant  déjà  dans  la 
licDue  historique  (t.  LXIX,  p.  3i4  suiv.)  porté  sur  cet  ouvrage  le  jugement 
qu'il  mérite,  je  me  crois  dispensé  d'entretenir  mes  lecteurs  d'un  livre  écrit 
avec  passion  et  grande  partialité,  et  dépourvu  de  preuves. 


VIII  PREFACE 


de  cette  époque,  cette  manière  de  procéder  devenait  moins 
pratique,  le  trop  grand  noml)re  de  lieux  désolés  dans  118 
diocèses  eût  entraîné  une  confusion,  d'autant  qu'on  ne  peut 
pas  toujours  fixer  le  moment  auquel  remonte  le  désastre.  Il 
est  vrai  qu'avec  le  système  que  j'ai  ensuite  employé,  des  répé- 
titions devenaient  inévitables  lorsque  j'étais  obligé  de  par- 
ler deux  fois  de  la  désolation  de  quelques  localités.  Mais  il 
est  impossible  d'écrire  sans  répétitions  un  livre  dans  lequel  on 
doit  traiter  plusieurs  fois,  et  sous  divers  aspects,  du  même 
établissement,  surtout  lorsque  dans  le  récit  on  suit  l'ordre 
chronologique. 

Quand  j'ai  poursuivi  l'histoire  de  la  désolation  jusque  vers 
la  lin  du  xiv^  siècle,  c'est-à-dire  au  delà  de  la  mort  de  Charles 
V  en  1380,  les  faits  signalés  dans  les  documents  datés  après 
cette  année,  ou  remontent  à  une  époque  antérieure,  ou  sont 
connexes  avec  les  faits  passés.  On  ne  peut  à  ce  sujet  fixer 
rigoureusemenl  la  limite  :  les  deux  périodes  se  mêlent  et  se 
confondent  dans  leurs  extrêmes.  Toutefois,  j'ai  réservé  pour 
le  volume  suivant  le  plus  grand  nombre  des  bulles  de  Clément 
^  II  à  partir  de  sa  cinquième  année. 

Les  soui^ces  inédites  où  j'ai  puisé  sont  surtout  les  documents 
des  Archives  du  Vatican  dispersés  dans  les  Suppliques  depuis 
Clément  VI  jusqu'à  la  quatrième  année  d'Urbain  \,  les 
Registres  Vat.  des  Papes  à  partir  de  Benoît  XII  jusqu^à  Clé- 
ment VII.  Depuis  la  huitième  année  d'Innocent  VI,  il  a  été 
nécessaire  de  prendre  aussi  la  série  Aven.  Les  dernières  années 
du  pontificat  de  ce  Pape  manquent  dans  la  série  Vat.^  c'est-à- 
dire  dans  les  Registres  en  parchemin,  et  les  divisions  De  inclul. 
et  privil.  ou  De  diversis  formis  (où  se  trouve  la  grande  masse 
des  lettres  pour  les  églises  et  monastères)  conservées  dans 
les  Registres  en  parchemin  des  Papes  suivants,   contiennent 


PREFACE  IX 


seulement  la  moi  lié  (parfois  moins  encore)  de  ces  mêmes 
divisions  conservées  dans  les  Registres  Aven.,  c'est-à-dire  en 
papier,  sans  parler  du  fait  que  quelques  volumes  en  parchemin 
manquent  à  présent,  comme  par  exemple  la  quatrième  année 
de  Clément  VIL  Les  Bec/.  Aven,  renferment  aussi  des  bulles  qui 
concernent  la  politique  et  la  diplomalie,  et  un  auteur  traitant 
de  ces  matières  aurait  tort  de  négliger  cette  série  et  de  se  servir 
seidement  des  Secrètes.  J'ai  utilisé  cette  dernière  source,  à  par- 
tir d'Innocent  ^'I,  autant  qu'il  importait  pour  mon  sujet,  mais 
j'ai  laissé  de  côté  les  Secrètes  de  Grégoire  XI  en  tant  qu'elles 
regardent  la  politique,  parce  que  M.  Mniox  des  Archives  natio- 
nales de  Paris  les  a  étudiées  à  fond  pendant  deux  ans  ainsi  que 
les  autres  documents  de  ce  Pape  pour  le  travail  qu'il  prépare. 

Outre  ces  sources,  j'ai  cherché  des  documents  ou  des  notes 
dans  les  Collector.^  Obligiit.^  Introït,  et  exit.^  Instriim.  niis- 
cell.^  (jcist.  S.  Anc/elo^  et  dans  le  volume  9  de  l'arm.  53,  où 
sont  les  lettres  de  l'archevêque  d'Embrun  sur  l'invasion  des 
Provençaux  en  Dauphiné. 

Qu'on  n'attende  pas  une  énumération  de  toutes  les  églises 
mentionnées  tant  dans  les  Registres  qu'ailleurs  comme  dimi- 
nuées dans  leurs  revenus  ou  profanées  ;  elle  rendrait  mon 
ouvrage  plus  volumineux,  sans  augmenter  sa  valeur.  Les  églises 
et  monastères  étaient  partout  appauvris  à  la  fin  de  la  première 
période  ;  pour  cette  raison  les  bulles  deviennent  de  plus  en 
plus  nombreuses  à  ce  sujet,  surtout  à  partir  de  1378.  J'ai  sup- 
primé aussi  les  documents  qui  parlent  seulement  de  la  difficulté 
de  se  rendre  à  telle  ou  telle  église  ou  à  quelque  autre  endroit, 
par  suite  du  peu  de  sûreté  des  routes.  Et  bien  que  je  possède  les 
copies  de  tous  les  documents  utilisés,  au  nombre  de  plus  de  deux 
mille,  je  n'ai  ni  pu  ni  voulu  les  imprimer  entièrement.  On  com- 
prendra que  tous  n'ont  pas  le  même  intérêt  et  la  même  valeur. 
Souvent,  il  a  sutïi  de  donner  un  sommaire  dans  le  texte  et  de 


PIŒFACE 


citer  dans  la  note  la  cote  avec  la  date,  ou  de  donner  un  extrait. 
Lorsque  je  publie  un  document,  j'omets  les  formules  et  tout 
ce  qui  est  hors  de  mon  but,  et  encore  dans  ce  cas  le  docu- 
ment imprimé  contient  plus  que  mes  données  dans  le  texte.  Je 
sais  que  quelques-uns  voudront  aussi  faire  dans  mon  livre  des 
recherches  sur  les  indulgences,  les  reliques,  les  saints,  les  tra- 
ditions, etc.  ;  mais  de  même  que  pour  la  politique  et  la  diplo- 
matie il  se  trouve  encore  dans  les  Registres  beaucoup  de 
renseignements  qui  n'entrent  pas  dans  mon  sujet,  ainsi  en  est- 
il  pour  les  particularités  susdites.  Si  je  m'élais  occupé  de  ces 
matières,  j'aurais  commis  une  grave  faute  contre  la  méthode, 
et  on  aurait  pu  dire  avec  raison  :  on  ne  voit  plus  la  forêt  à 
cause  des  arbres.  Pour  cette  raison,  j'ai  donné  seulement  dans 
une  certaine  mesure  et  en  tant  que  cela  avait  rapport  à  la 
désolation  des  églises,  des  notes  sur  les  charges,  les  impôts  et 
la  misère  des  populations.  Peut-être  pourrai-je  dans  une  autre 
occasion  utiliser  ce  que  j'ai  réservé. 

Il  m'a  été  presque  plus  difficile  de  trouver  les  sources  impri- 
mées et  la  littérature  nécessaire,  soit  pour  la  guerre,  soit 
surtout  pour  les  monastères,  que  de  chercher  les  documents 
inédits.  Kn  constatant  qu'il  s'est  agi  dans  cette  étude  de  la 
France  entière,  on  m'excusera  si  j'ai  commis  quelque  ouljli  ^  ; 
toutefois,  le  nombre  de  livres  consultés  reste  toujours  con- 
sidérable. Le  plus  intéressant,  c'est  que,  peu  à  peu, 
j'ai  pu  acquérir  la  plupart  des  ouvrages  que  je  cite  ;  ou 
travaille  mieux  quand    on  a  les  livres  sous  la  main,  et  après 


1.  Je  n'ai  pas  reçu  à  temps  pour  en  profiter  A  HiMorij  of  Ihe  art  ofivar.  The 
michllc  Ages  from  IV-XIV  centiin/,  hy  Cli.  Oman  (London  1898),  II,  non  plus  que 
Tarticle  très  instructif  :  La  marine  au  siège  de  (Valais,  de  M.  La  Roncière  dans 
Bihl.de  VEcole  des  r/îa/7rs,  t.  LVIII,  p.  554  suiv.,  et  moins  encore  le  travail  de 
MiROT  et  E.  Dkprez,  Les  ambassades  anglaises  pendant  la  guerre  de  Cent  ans 
{ibid.,  t.  LIX,  p.  550  suiv.),  et  le  livre  curieux  de  L'Ouvreleul,  éd.  Pourcuer, 
Mém.  hist.  sur  le  pays  de  Gévaudan  (S'-Martin-de-Boubaux,  1899). 


Pr.KFACK  XI 


ma  inorL,  mon  Ordre  aura  un  souvenir  précieux  d'un  de  ses 
membres  quia  toujours  regardé  les  livres  comme  ses  meilleurs 
amis;  même  quand  ils  trompent,  ce  n'est  pas  leur  faute  :  les 
coupables  sont  leurs  auteurs. 

Les  imprimés,  au\'(piels  je  renvoie  consciencieusement,  per- 
mettront aux  lecteurs  de  se  renseigner  sur  les  détails  que  je 
dois  omettre.  (Combien  de  résultats  et  de  notes,  par  exem])le, 
ont  réunis  Ivkhvvn  hk  Lettknuovf,  mais  surtout  S.  Llck  et  son 
continuateur  Uaynai :n  dans  leurs  éditions  de  Froissart?  Com- 
bien de  fois  ont-ils  corrigé  cet  écrivain  (pii,  sans  leurs  notes, 
n'est  qu'une  source  trompeuse?  Il  faut  rendre  la  même  justice 
à  Aug.  MoLLNiEK  au  sujet  du  tome  IX  de  Vllisfoire  (h  Lnn- 
(/uedoc.  Du  resle,  dans  toutes  les  éditions  modernes  des  cliro- 
niqueurs  français,  on  trouve,  dans  les  notes  ajoutées  par  les 
éditeurs,  des  renseignements  qu'on  chei'clierait  vainement  ail- 
leurs. Il  est  regretla])le  que  les  éditeurs  des  chroniques 
anglaises  (lesquelles,  jusqu'en  1358,  sont  généralement  plus 
exactes  et  plus  instructives  que  les  chroniques  françaises), 
n'aient  pas  suivi  le  même  système.  Il  faut  citer,  comme  une 
heureuse  exception,  la  publication  faite  par  Tno>n*soN  de  (lal- 
fred  Haker  de  Swyuebroke,  sans  parler  ici  des  notes  ajoutées 
par  Ca)\k  à  son  édition  du  IIcinul  cl\irnies  i'Jinndos  et  des 
éclaircissements  précieux  insérés  par  Nicolas  à  la  lin  de  ('./iro- 
nie le  of  Lan  don . 

Je  ne  veux  pas  m'étendre  aujourd'hui  sur  les  autres  livres 
imprimés,  (iej)en(lanl  les  m()nograj)hies  publiées  en  ce  siècle 
sur  les  abl)ayes  méritent  un  mot.  KUes  contiennent  souvent 
beaucouj)  de  phrases,  de  réllexions  déclamatoires,  mais  peu 
de  documents  ou  de  faits  tangibles.  Il  v  a  heureusement  des 
exceptions;  toutefois  les  publications  riches  en  faits  et  docu- 
mentées, comme  par  exemple  celles  de  Chf.kkst  sur  \  ezelay, 
de  La(;iu':ze-Fossat  sur  Moissac,  de  (iiHAun  sur  Saint-Harnard, 


XII  PREFACE 

de  J.  Roux  sur  l'abbaye  de  Sainl-Acbenl-lcz-Amiens,  sont 
trop  rares.  Dans  la  plupart  des  monographies  de  ce  genre, 
il  arrive  que  le  sujel  de  la  guerre  n'a  pas  élé  traité,  ou  a  été 
seulement  effleuré.  C'est  pourquoi  je  m'abstiens  d'en  citer  un 
bon  nombre.  On  trouve  quelquefois  beaucoup  plus  de  res- 
sources, même  en  ce  qui  concerne  les  églises  et  les  monastères, 
dans  les  livres  et  Recueils  relatifs  à  l'histoire  civile  des  villes 
ou  des  diverses  provinces,  dont  je  me  suis  servi  constamment. 

Quant  aux  Carliil/iires,  j'en  ai  déjà  parlé  dans  la  préface  du 
premier  volume.  Généralement,  ils  s'arrêtent  à  une  époque 
antérieure.  Les  brèves  noies  sur  la  u'uerre  de  Cent  ans  conte- 
nues  dans  les  vol.  i25r)(S-12704  du  fonds  lat.  de  la  Ribl.  nat., 
qui  constituent  le  Monnslicon  g  al  lien  nu  m.,  ont  été  utilisées 
par  les  auteurs  du  (jallia  chrisiùina. 

La  liste  des  ouvrages  que  j'ai  consultés  et  cités  sera  jointe 
au  volume  suivant,  ainsi  que  l'Index  des  noms  et  des  lieux. 
Les  localités  mentionnées  dans  mes  textes  m'ont  donné  beau- 
coup d^embarras.  Quiconque  s'occupe  d'un  travail  analogue 
comprendra  aisément  quelles  difficultés  soulève  l'identiiication 
des  noms  de  lieux.  Et  elles  s'augmentent  quand  il  s'agit  de 
plusieurs  milliers  de  noms,  souvent  dénaturés  ou  mal  écrits 
dans  les  sources.  Le  jour  où  le  grand  ouvrage  de  M.  Longnon 
sur  les  provinces  ecclésiastiques  de  la  France  au  moyen  âge 
sera  publié,  un  travail  semblable  sera  très  simplifié.  En  atten- 
dant on  voudra  bien  être  indulgent  si  l'on  trouve  que  je  n'ai 
pas  été  toujours  heureux. 

Une  autre  observation  encore  ne  sera  pas  superflue.  Pensant 
qu'il  était  utile  pour  le  lecteur  de  désigner  à  quel  Ordre  appar- 
tenait chaque  abbaye  citée,  afin  de  distinguer  les  abbayes 
d'hommes  de  celles  de  femmes,  pour  désigner  ces  dernières, 
j'ai  toujours  pris  le  substantif  :  abbaye  des  Rénédictines,  des 
Cisterciennes,  tandis  que  pour  les  monastères  d'hommes,  j'ai 


PRÉFACE  XI  II 

employé  radjeclif  :  al)bave  bénédicline,  cistercienne.  La 
même  remarque  s'a])plique  aux  prieurés.  Pour  les  autres 
Ordres,  il  n'y  a  pas  de    diflicuUé. 

Partout  je  cite  les  dates  d'après  le  nouveau  style.  Dans  le 
courant  de  l'ouvrage,  j'ai  parfois  changé  Torlhograplie  de 
quelques  noms  ou  mots  sans  importance.  L'orthographe  de 
certains  noms  de  villes  présente  de  grands  embarras.  Souvent 
on  rencontre  le  même  nom  écrit  de  différentes  façons  dans 
divers  dictionnaires  et  ouvrages. 

(rrace  au  concours  amical  et  désintéressé  que  j'ai  trouvé 
dans  la  famille  si  distinguée  du  comte  de  Revertera,  ambassa- 
deur del'Kmpereur  d'Autriche  près  du  Saint-Siège,  puis  au  cou- 
vent de  S^^-Anne  à  Chàtillon  dont  les  sœurs  Dominicaines 
m'offrenl  depuis  une  série  d'années  une  paisible  hospitalité, 
enfin  à  mon  ami  K.  Châtelain,  j'ai  pu  raconter  cette  histoire  dans 
une  langue  qui  n'est  pas  la  mienne,  sans  trop  d'imperfections, 
j'espère.  Je  prends  sur  moi  toutes  celles  qui  s'y  trouveront. 
Le  lecteur  intelligent  compren(h'a  d'ailleurs  qu'un  slyle  élevé 
est  presque  impossible  dans  un  ouvrage  dont  le  point  capital 
consiste  dans  l'énumération  de  faits  plus  ou  moins  ressem- 
blants, d'autant  phis  que  l'auteur  en  les  décrivant,  s'attache 
strictement  aux  sources  consultées.  Quiconque  entreprendra 
plus  tard  d'écrire  l'histoire  philosophique  de  cette  époque, 
donnera  sans  doute  une  autre  forme  à  son  œuvre.  Le  temps 
n'en  est  pas  encore  venu  ;  d'ici  là,  le  lecteur  devra  être 
initié  à  une  foule  de  détails  et  de  faits  (k)nt  la  monotonie  con- 
tribue précisément  à  faire  paraître  sous  un  aspect  encore  plus 
terrible  l'état  désastreux  de  cette  période. 

Je  dois  aussi  remercier  MM.  A.  Longnon,  membre  de  l  In- 
stitut, Léon  Dorez,  de  la  Bibliothèque  Nationale,  J.  (k^  Chan- 
tepie  et  F.  Chambon,  de  la  Bibliothèque  de  l'Université,  L.  Le 
Grand  aux  Archives  Nationales,  II.  Pogatscher  el  J.  Iler/AMi. 


XIV  PHÉFACE 


de  Rome,  Théod.  de  Liebenau,  archivisLe  de  Lucerne,  enfin 
M.  J.  Prolat,  mon  imprimeur,  et  M.  A.  Picard,  mon  libraire, 
qui  m'ont  soi!  procuré  des  livres  rares,  soit  signalé  ou  envoyé 
des  documents  et  des  renseignements.  Je  dois  encore  exprimer 
ma  reconnaissance  d'une  manière  toute  spéciale  à  mon  col- 
lègue et  ami  le  prélat  Pierre  Wenzel,  sous-archiviste  du  Vati- 
can, qui,  pour  me  laisser  le  temps  nécessaire  à  ce  travail  et 
durant  ma  maladie,  a  bien  voulu  porter  seul,  suivant  l'expres- 
sion delà  Sainte  Ecriture,  «  pondus  diei  et  aestus  ». 

Châlillou-sous-Bagiieux,  le  2  juilk-t  1899. 


PREMIERE     PARTIE 

ITINÉRAIRE    DES  TROUPES    ENNEMIES    PENDANT    LA    GUERRE 
DE    CENT    ANS,    JUSQu'a    LA    MORT    DE    CHARLES    V 


Il  y  a  eu  probablement  des  guerres  plus  terribles  que  celle  de 
Cent  ans  et  certes  les  guerres  de  religion  et  la  guerre  de  Trente  ans 
ne  furent  pas  moins  cruelles.  Non  seulement,  pendant  celles-ci,  la 
haine  religieuse  était  devenue  un  nouveau  principe  moteur,  mais 
encore  au  xvi*^  et  au  xvii^  siècle  on  combattait  avec  des  armes  bien 
plus  puissantes  qu'au  temps  de  la  guerre  de  Cent  ans,  et  les 
routes  plus  praticables  et  mieux  entretenues  facilitaient  de  beaucoup 
le  mouvement  des  troupes.  Toutefois,  au  point  de  vue  de  la  durée, 
la  guerre  de  Cent  ans  Fa  emporté  sur  toutes  les  autres.  En  cer- 
taines contrées,  bien  qu'avec  de  faibles  interruptions,  elle  persista 
jusqu'à  112  ans  et  presque  partout  elle  ne  dura  guère  moins  de  80  à 
100  ans.  Le  nom  qu'elle  a  pris  dans  l'histoire  n'est  donc  que  trop 
justifié.  C'était  une  suite  sans  lin  et  terriblement  monotone  de  mas- 
sacres, d'incendies,  de  pillages,  de  rançonnements,  de  destructions, 
de  pertes  de  récoltes  et  de  bestiaux,  de  viols,  enfin  de  toutes  les 
calamités. 

L'élément  le  plus  essentiel  dans  la  pratique  de  la  guerre  était 
alors  le  feu  :  l'incendie  en  était  pour  ainsi  dire  le  bouquet.  Le  mar- 
quis Albert  Achille  de  Brandebourg  qui,  en  1449  et  14rj0,  avait 
contribué  pour  sa  bonne  part  à  incendier  jusqu'à  200  villages  de 
l'Allemagne  méridionale,  aurait  dit  que  «  l'incendie  est  pour  la 
guerre,  ce  que  le  Magnificat  est  pour  les  Vêpres ^   »  Quoi  ([uil  en 

\.  «  Der  Brand  ziei'l  clen  Krie^\  wic  das  Maj^nificat  die  ^'osper  ». 

R.  P.  Dexifle,  —  Deaolatio  eccicsiarum  H.  1 


2  LA    GUERRR    DE    CENT    ANS 

soit,  c'était  là  la  devise  de  tout  général,  de  tout  capitaine,  de  tout 
homme  d'armes  durant  la  guerre  de  Cent  ans.  Or  ce  qui  en  rendait 
les  suites  plus  terribles,  c'était  l'activité  incroyable  des  gens  de 
guerre  de  l'époque,  malgré  le  mauvais  état  des  chemins  et  l'insuffi- 
sance des  moyens  de  transport.  Quelle  n'était  pas  la  rapidité  avec 
laquelle  précisément  les  chefs  les  plus  barbares  volaient  d'un 
endroit  à  l'autre  !  La  population  ne  jouissait  donc  jamais  d'aucun 
repos  et  lors  même  qu'elle  croyait  en  avoir  un  peu,  elle  vivait  dans 
une  sûreté  fort  précaire,  au  milieu  d'agitations  et  d'émotions  sans 
cesse  renouvelées. 

Les  effets  de  la  guerre  de  Cent  ans  favorisaient  la  fréquente  appa- 
rition de  la  peste  et  des  épidémies,  fléaux  qui,  à  leur  tour,  déci- 
maient les  populations.  Les  mauvaises  récoltes  et  les  impôts  perpé- 
tuels augmentaient  la  misère;  la  cherté  des  vivres  et  la  famine 
étaient  inévitables.  Ajoutez  à  tout  cela  le  schisme  qui  éclata  dans 
la  seconde  période  de  la  guerre,  menaçant  d'en  faire  une  guerre  de 
religion.  Pour  surcroît  de  malheur,  le  roi  de  France  Charles  VI 
devenant  fou  et  la  guerre  civile  venant  seconder  l'invasion  des 
Anglais,  aidés  tour  à  tour  par  les  Armagnacs  et  les  Bourguignons. 

Ce  fut  au  xiv^  siècle,  à  partir  de  1355  jusqu'en  1370,  que  Ton 
guerroya  avec  plus  de  cruauté.  La  période  de  1355  à  1364  surtout 
se  distingue  entre  toutes  les  autres  ^^ar  ses  ravages  effrayants.  Néan- 
moins la  misère  atteignit  le  comble,  lorsque,  au  xv*^  siècle,  la  guerre 
vint  à  éclater  avec  une  nouvelle  fureur  sous  le  règne  de  Henri  V.  Les 
Français  restaient  alors  découragés  et  comme  affaissés.  On  était  las, 
et  le  parti  dominant  se  rendit  aux  Anglais.  Le  désir  de  la  paix  était 
devenu  universel  et  on  espérait  enfin  le  réaliser.  Mais  dès  que  se 
présenta  l'occasion  favorable  de  secouer  le  joug  si  dur  des  Anglais, 
ou  vit  les  Français  se  rallier  à  leur  prince  légitime  et  reprendre  la 
devise  :  la  France  aux  Français  !  Seuls  Bordeaux  et  la  Guienne  firent 
exception,  parce  que  cette  partie  du  pays  avait  été  depuis  trois 
siècles  plus  ou  moins  sous  la  domination  anglaise. 

Pour  les  grandes  églises  et  les  abba^^es,  la  guerre  de  Cent  ans 
était  plus  funeste  que  les  guerres  de  religion.  Au  xiv^  siècle, 
elles  possédaient  encore  des  dépendances  et  des  terres  très  con- 
sidérables, une  grande  partie  de  la  France.  Mais  dans  la  guerre 
de    Cent    ans,  grand  nombre   d'abbayes  étaient   forcées    d'aliéner 


AVANT-PROPOS  3 

beaucoup  de  leurs  propriétés  et  rentes,  d'autres  étaient  parfois 
occupées  par  les  seigneurs  ;  et  ce  que  la  g'uerre  avait  encore  épar- 
gné, fut  souvent  dilapidé  par  les  abbés  commendataires.  Au 
XYi'^  siècle,  quand  la  guerre  de  religion  était  près  d'éclater,  les 
abbayes  avaient  perdu  une  grande  part  de  leurs  anciens  domaines  ; 
elles  étaient  morcelées  et  démembrées.  Sous  ce  rapport,  la  guerre 
de  Cent  ans  fait  époque  dans  l'histoire  de  la  féodalité  au  moyen 
âge.  Mais  bien  souvent  la  mort  de  l'un  est  la  vie  de  l'autre.  Et  ainsi 
le  dépérissement  du  régime  féodal  faisait  pour  une  fois  prospérer 
les  communes,  les  villes  et  les  particuliers  qui  auparavant  n'étaient 
que  fermiers. 

Pour  ce  qui  regarde  la  destruction  de  leurs  couvents,  les  Ordres 
mendiants  n'avaient  guère  moins  à  souffrir  que  les  abbayes.  Comme 
ces  couvents  étaient  pour  la  plupart  situés  en  dehors  des  villes 
ou  dans  les  faubourgs,  les  habitants  aimaient  à  les  démolir,  soit 
dans  l'intérêt  des  fortifications  des  villes,  lesquelles  datent  en  géné- 
ral du  temps  de  la  guerre  de  Cent  ans,  soit  encore  pour  ne  pas  lais- 
ser de  point  d'appui  à  l'adversaire.  Il  n'est  pas  possible  de  signaler 
tous  les  changements  de  leur  résidence  pendant  la  guerre  de  Cent 
ans.  Leurs  couvents  furent  aussi  ravagés  en  partie  par  les  troupes 
ennemies.  Mais  les  religieux  Mendiants  ne  possédant  rien  en 
dehors  de  leurs  couvents,  leurs  pertes  étaient  naturellement  de 
beaucoup  inférieures  à  celles  des  abbayes. 

Il  m'a  paru  indispensable  de  rechercher  et  d'indiquer  la  marche 
de  l'ennemi  pendant  la  guerre  de  Cent  ans,  sans  toutefois  me  perdre 
dans  les  détails,  et  cela  pour  pouvoir  fixer  au  moins  approximati- 
vement à  quelle  époque,  à  quelle  occasion  et  combien  de  fois  les 
différents  monastères  et  leurs  ^^ropriétés  avaient  été  ravagés  ou  rui- 
nés. Quant  à  ceux  dont  je  n'ai  pu  déterminer  qu'à  peu  près  l'époque 
de  la  ruine  ou  qui  présentent  un  intérêt  particulier,  je  leur  ai  assi- 
gné presque  dans  chaque  chapitre  un  paragraphe  à  part. 

Mon  dessein  exige  que  je  m'arrête  davantage  sur  les  faits  qui 
préludèrent  aux  grands  événements,  c'est  surtout  dès  l'an  13oi. 
Mon  travail  donne  de  nouveaux  renseignements  non  seulement  sur 
les  églises  et  les  monastères,  mais  aussi  sur  l'histoire  civile  et  poli- 
tique. 


CHAPITRE    PREMIER 

LA    GUERRE    DE    CENT    ANS    JL'SQu'a    l'aN    1355 

Tout  le  monde  comprendra  que  mon  but  ne  m'impose  pas  de 
remonter  aux  origines  lointaines  de  la  guerre  de  Cent  ans  ^  Il  me 
suffira  donc  d'exj)oser  brièvement  les  causes  prochaines  qui  ont 
allumé  l'incendie  et  propagé  ses  ravages  en  France  pendant  une 
si  longue  période. 

Charles  le  Bel,  en  mourant  le  l*"''  février  1328,  laissait  une  fdle  et 
sa  femme  enceinte.  L'opinion  était  bien  arrêtée  dès  l'an  1317  sur  le 
point  de  la  succession  au  trône  de  France  :  les  femmes  étaient 
exclues-.  Mais  le  roi  défunt  laissait  en  Angleterre  un  neveu, 
Edouard  III,  et  en  France  deux  cousins  germains,  Philippe  de 
Valois  et  Philippe  d'Evreux.  A  la  vérité,  Edouard  III  était  le  des- 
cendant mâle  le  plus  proche  et  touchait  de  plus  près  au  roi  défunt, 
que  les  deux  cousins.  Il  était  fils  d'Isabelle  de  France,  fille  de  Phi- 
lippe le  Bel,  et  sœur  de  trois  rois  de  France.  Mais  la  descendance 
d'Edouard  était  par  les  femmes;  or,  les  femmes  étant  exclues  du 
trône  de  France,  pouvait-il,  malgré  cela,  lui,  descendant  mâle, 
régner  lui-même?  Les  deux  cousins,  au  contraire,  étaient  descen- 
dants de  Philippe  le  Hardi  par  les  mâles.  Qui  devait  régner  en 
France?  Les  Anglais  revendiquaient  la  couronne  pour  Edouard, 
dont  les  procureurs  étaient  les  évêques  de  Worcester  et  Chester^. 

1.  Voy.  F.  Fiixck-Brextaxo,  Les  origines  de  la  guerre  de  Cent  ans  :  Philippe  le 
Bel  en  Flandre  (Paris,  1897). 

2.  Voy.  Grand,  chî^on.^  éd.  P.  Pakis,  V,  p.  331;  Contin.  Guill.  Nang.,  éd.  Géraud, 
I,  p.  434  ;  MuRiMUTH,  Contin.  Chron.,  éd.  Thompson,  1889,  p.  100.  Sur  cette  question 
très  délicate,  voy.  P.  Viollet,  Hist.  des  institutions  politiques  et  administratives  de 
la  Finance  (1898),  II,  p.  55  suiv.,  59,  72  suiv.,  et  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles  Lettres  (1893),  t.  XXXIV,  2"  partie.  Lautcur  prouve  aussi  que 
la  loi  salique,  dont  les  modernes  parlent  souvent,  n'était  pas  en  question  ;  elle  ne 
regarde  pas  la  succession  au  trône. 

3.  Rymer,  Foedera,  If,  ii  (Londini  1821,  Record  édition),  p.  743.  Edouard  dit  dans  sa 
lettre  du  16  juillet  1339  qu'on  n'a  pas  admis  ces  procureurs  pour  trancher  la  question 
et  qu'on  a  menacé  de  les  tuer.  Voy.  «encore  Journal  des  conférences  d'Avignon 
en  1344,  dans  OEuvres  de  Froissart.  éd.  Kervyn  de  Lette^hove,  t.  XVIII,  p.  246. 


L  OKKiLNE    DE    LA    (iLERKE  O 

Les  douze  pairs,  appelés  à  trancher  la  question,  se  décidèrent  fina- 
lement en  faveur  de  Philippe  de  Valois,  le  plus  vieux  cousin  du  roi 
défunt  et  chef  de  la  maison  de  Valois,  ce  qui  écartait  Edouard.  Alors 
se  fixa  une  autre  loi  de  la  succession,  en  vertu  de  laquelle  les 
parents  par  les  femmes  n'ont  aucun  droit  au  trône  de  France.  Au 
fond,  c'était  le  sentiment  patriotique  qui,  en  première  ligne,  domi- 
nait les  pairs ^  ;  la  France  doit  à  tout  prix  rester  aux  Français,  prin- 
cipe national  déjà  nettement  exprimé  au  xii*^  siècle  par  l'abbé 
Suger-. 

Philippe  de  Valois  fut  donc  proclamé  régent,  et  quand  la  reine 
douairière  mit  au  monde  une  seconde  fille,  il  fut  salué  roi  et  cou- 
ronné au  mois  de  mai  à  Reims.  Edouard  ne  faisant  pas  de  difficultés, 
rendit,  comme  duc  de  Guienne,  comte  de  Ponthieu  et  de  Montreuil, 
hommage  au  roi  de  France,  Philippe  VI,  dans  l'église  cathédrale 
d'Amiens,  le  6  juin  1329,  et  le  30  mars  1331  il  reconnut  par  ses 
lettres  que  cet  hommage  était  un  hommage  lige^.  Il  lit  plus;  une 
autre  fois,  il  partit  pour  la  France  le  4  avril  1331,  en  compagnie  du 
chancelier  et  de  quelques  chevaliers,  vêtus  comme  des  commer- 
çants. On  croyait  en  Angleterre  qu'il  allait  en  pèlerinage.  Mais  en 
vérité  il  s'en  allait  chez  le  roi  de  France,  régler  définitivement  et 
amicalement  quelques  points  encore  en  litige  au  sujet  de  la  Sain- 

1.  La  Conlin.  Guill.  Nang.,  II,  p.  83  :  «  Continue  illi  de  regno  Franciae  non  aequa- 
nimiier  ferentes  suhdl  regimini  Anglicorum  [dicebant],  quod...  ubi  mater  nullum  jus 
liaberel,  per  consequens  nec  filius  ».  Il  n'y  avait  pas  d'autres  reflexions  juridiques. 
Voy.  MURIMUTH,  p.    101. 

2.  «  Nec  fas  nec  naturale  est  Francos  Anj;lis...  subjici  >•.  OEuvres  complètes  de 
Suger^  éd.  Lecoy  de  la  Marche,  p.  12.  Viollet,  Hisi.  des  institutions,  p.  32,  not.  1. 

3.  Rmnier,  Foedera,  II,  ii,  p.  765  ;  813.  Hemixgburgh,  Chronicon.  éd.  Hamm.tox 
(1819),  II,  301.  Le  chauvin  Adam  Mvu'imuth  dit  ad  an.  1328,  que  Philippe  «  successit 
per  intrusionem  et  fraudem  »,  et  ad  an,  1329  qu'Edouard  «  fecit  homagium  suum 
Philippo  de  Valoys  rej?i  Franciae  intruso  pro  toto  ducatu  Aquitaniae  et  comitatu 
Pontivii  sub  quibusdam  protestationibus  »  [Contin.  Chron.,  p.  56,  58).  Plus  loin 
(p,  101),  il  apporte  des  objections  contre  les  prétentions  d'Edouard,  et  en  outre,  son 
honmiage  l'ait  à  Philippe  de  Valois.  Kmghton,  Leycestren.  Chr'on.,  éd.  Lumby,  1889. 
I,  p.  451,  mentionne  aussi  Ihommage  pour  la  Gascojine,  et  après  «  facti  sunt  amici 
secundum  vultum  exteriorem  ».  II  ajoute  :  <<  Sed  rcx  Philipi)us...  disposuit  conipre- 
hendisse  re^em  Edwardum  et  arrestasse  eum  ;  quod  non  latuit  Ilenricum  Borowasch 

episcopum  Lyncoln qui  latentcr  recessit   cum    Edwardo   a  facie  Philippi  icgis 

Franciae  et  quasi  subito  remeavit  in  An^liam  nesciente  rege  Franciae  ».  Mais  si  ce 
fait  est  véritable,  comment  expliquer  que  deux  ans  après  Edouard  ait  osé  revenir  en 
France  visiter  le  roi,  sans  aucun  appareil  guerrier  et  même  absolument  désarmé.' 
^'ov.  la  note  sui\  ante. 


6  LA    GLEHRE    DE    CENT   AKS 

tonge  et  de  l'Agennois.  Vers  le  30  avril,  il  était  de  retour  en  Angle- 
terre ^ . 

Mais  vers  1336,  Edouard  III  prétendit  que  c'était  lui,  et  non 
pas  Philippe,  le  légitime  héritier  de  la  couronne  de  France.  Ces 
rêves  ambitieux  lui  étaient  suggérés  par  sa  mère  et  par  Robert 
d'Artois.  Ce  prince,  ayant  été  dès  1332  banni  du  royaume  de 
France,  à  cause  de  ses  crimes,  vivait  alors  à  la  cour  d'Angleterre. 
Il  stimulait,  exhortait,  encourageait  Edouard  à  préparer  la  guerre 
et  à  faire  valoir  ses  droits  à  la  couronne  de  France.  Bientôt  Edouard 
fut  aussi  soutenu  par  les  Flamands  ;  toutefois,  ceux-ci  liés  au  roi 
de  France  par  les  censures  ecclésiastiques,  qu'ils  redoutaient, 
n'osaient  suivre  Edouard.  Mais  s'il  se  proclamait  roi  de  France,  les 
Flamands  pourraient  alors  devenir  ses  alliés-. 

Les  hostilités  entre  le  roi  de  France  et  le  roi  d'Angleterre  com- 
mencèrent dès  l'an  1337.  Elles  avaient  déjà  éclaté  auparavant  dans  le 
midi  delà  France.  Les  Français  y  prirent  sur  les  Anglais  bon  nombre 
de  villes  et  places  fortes  3.  Le  diocèse  d'Agen  fut  éprouvé  le  premier. 
Avant  1336,  la  ville  française  d'Agen  s'attendait  à  une  guerre  et 


1.  IIemi>ghurgh,  1.  c,  p.  303  :  «  Die  jovis  in  scptimana  Pascliac...  marc  transi- 
vit  »,  etc.  MiRiMUTH,  p.  63  :  «  cito  posL  Pascha  anno  XXXI...  rex  Angliae  cuni  J.  de 
Stretfort  et  clom.  W.  de  Monteacuto  et  aliis  i)aucis  admodum  transivit  mare  sicut 
mcrcalor  cum  mantellis  et  sine  hcrncsiis,  ita  quod  vix  habuit  sccum  quindecim  équi- 
tés »,  etc.  On  trouve  aussi  sur  ce  voyage  quelques  mots  dans  les  Grand.  Chron.^  V, 
342  ;  Contin.  Giiill.  Nnnff.,  II,  p.  122  suiv,  Voy,  encore  Rymeh,  II,  ii,  p.  815-818,  et 
ritincraire  d'Edouard  pour  1329  et  1331  à  la  suite  de  la  Chronique  de  Richard  Lescot, 
éd.  Lemoi.ne,  p.  202  suiv. 

2.  MuniMUTH,  trop  peu  connu,  dit  p.  103  adan.  1339  :  «  Et  Flandriae  communitates 
obediebant  sibi  tanquam  rciii  Franciae,  (juia  aliter  non  audcbant  propter  interdictum 
papae,  quod  fuit  interposilum  in  totam  Flandriam  in  casu,  in  quo  contra  regcni  Fran- 
ciae rebellarent  ».  C'est  d'accord  avec  la  lettre  des  ambassadeurs  de  Florence  à  la 
cour  d'Avignon  de  février  1310,  éd.  Pihenne  dans  Bulletin  de  la  Commission 
royale  d  histoire  de  Belffique,  5"  série,  t.  VII  (1897),  p.  34,  et  avec  le  Chronicon  Gal- 
fredi  le  Baker  de  Swynebroke,  éd.  Thompson  (1889),  p.  66,  dans  cette  partie  dépendant 
de  Murimuth,  un  des  conseillers  d'Edouard,  qui  étaient  charj?és  par  lui,  le  20  novcml^re 
1337,  d'examiner  avec  soin  ses  différends  avec  le  roi  de  France,  et  de  lui  donner  leur 
avis  sur  la  meilleure  voie  à  suivre  pour  la  défense  de  ses  droits.  Lemoine  dans  la 
Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  214.  Voy.  encore  Kervyn  de  Lette>hove,  Hist.  de 
Flandre,  III,  p.  220,  et  not.  3;  Viollet,  1.  c,  p.  78  suiv.  C'est  connu,  qu'Edouard 
a  pris  les  armes  de  France  «  de  consilio  Brabanorum  et  Flandrensium  ».  Voy,  IIigden, 
Polijchron,  éd.  Lumut,  VIII,  p.  334  ;  Chron.  de  Lanercost,  éd.  Stevenson  lEdinburgi, 
1839),  p.  332  ;  Eulogium,  Chron.  a  monacho  quodam  Malmesburiensi  exaratum,  éd. 
Haydox,  III,  203;  Chronicon  Angliae,  éd.  Thompson,  p.  8;  Knighton,  p.  14. 

3.  Voy.  plus  bas,  p.  25. 


L  OKIGLNE    DE    LA    GUEUKE  7 

elle  avait  été  fortifiée.  Pour  cette  raison,  le  couvent  des  frères 
Mineurs  situé  hors  de  la  ville  fut  détruite  En  juillet  1337,  les  Fran- 
çais soumirent  les  petites  places  autour  d'Agen  et  conquirent  ainsi 
peu  à  peu,  soit  dans  l'Ag-ennois,  soit  dans  la  Guienne,  un  g-rand 
nombre  de  villes  et  de  places  fortifiées  ~.  Il  est  certain  que  déjà  à 
cette  époque,  des  établissements  ecclésiastiques  furent  endomma- 
gés. Ainsi,  par  exemple,  les  villes  de  Bourg  et  de  Blaye,  au  dio- 
cèse de  Bordeaux,  furent  prises  sur  les  Anglais  au  commencement 
de  l'année  1339  -^  Il  v  avait  deux  abbaves  à  Blave,  Tune  de  Saint- 
Sauveur,  des  Bénédictins,  l'autre,  de  Saint-Romain,  des  chanoines 
réguliers.  La  première  vit  d'abord  son  trésor,  ses  livres,  chartes, 
documents  et  privilèges,  ses  reliques  et  ornements  d'église  pillés  et 
dérobés.  En  môme  temps  les  édifices,  les  moulins,  le  village  groupé 
autour  du  monastère  furent  totalement  détruits  et  brûlés.  Les  res- 
sources étaient  tellement  épuisées  que  les  moines  ne  pouvaient  plus 
ni  vivre  ni  demeurer  dans  le  monastère^.  Les  religieux  de  l'autre 

1.  «  Civitas  Agencn,  proptcr  j;ncri"arum  discrimina  que  in  illis  partibus  fréquenter 
suscitantur,  clauditur  fossatis  et  mûris,  quodque  officiales  Philippi  rejiis  Francie  ncc- 
non  et  cives  civitatis  ejusdem  dixerunt  nobis,  quod  si  guerra  in  predictis  partibus 
inciperet,  statim  diruerent  dictum  locum  (IVatrum  Min<M"um)  ».  Les  frères  désirent 
a\()ir  un  lieu  dans  la  ville.  liey.  Vat.  Bened.  XIL  n"  122,  ep.  519,  ad  an.  1336, 
Mart.  21.  ^^)y.  Baurèue,  Hist.  religieuse  et  monu mentale  du  diocèse  dW<jen,  II, 
p.  104  suiv. 

2.  Voy,  A.  MoLiMER  dans  ïllisl.  générale  de  Languedoc,  éd.  Privât,  IX,  p.  496, 
not.  5,  et  suiv.  Fkoissart,  I,  les  notes  de  S.  Luce,  p.  c^xcni  suiv.  Enumércr  tous  les 
lieux  conquis  par  les  Français  dans  cette  campagne  est  hors  de  mon  but.  Voy.  plus 
loin,  55  3. 

3.  Conlin.  Giiill.  yang.,  II,  p.  163;  Chron.  normande,  p.  220;  Hist.  génér.  de  Lan- 
guedoc, IX,  p.  514. 

4.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  3,  fol.  76,  ad  an.  1343,  novembre  27  :  «  Significant  S.  V... 
abbas  et  conventus  mon.  S.  Salvatoris  de  Blavia  O.  S.  B.,  Burdegalen.  dioc,  quod 
propter  guerram  que  fuit  inter...  Francie  et  Anglie  reges,  et  captionem  castri  de 
Blavia,  prefatum  mon.,  quod  a  s.  me.  Karolo  Magno  fundatum  exlitit,  fuit  thesauro, 
libi'is,  reli(piiis  et  aliis  paramentis  et  ornamentis  ecclesiaslicis.  cami)anis,  omnibus 
privilegiis  ctiam  apostolicis  et  aliis  documentis  ac  omnibus  aliis  bonis  suis  spolia- 
tum  et  destructum,  et  ejusdem  monasterii  edilicia,  officine  et  molendina  diriq^ta. 
burgus  eliam  dicli  mon.  S.  Saivatoi'is  et  mannyle  (juoddam  predicli  abbatis  fundi- 
tus  dirupta,  demolita  et  combusta  fuerint,  ac  propter  hec  [et]  alia  pcricula  non 
possint  in  eodem  mon.  absque  apost.  sedis  providentia  remanerc ,  et  facul- 
tates  dicti  mon.    adeo  sint    exhauste  quod  pred.   abbas   et   conventus  nc^n    liabcnt 

unde    valeant    sustentari    et    pred.    mon    reformare »    Encore    en    1353,    labbé 

Elie  dit  que  les  moines  furent  obligés  de  quitter  le  monastère  en  mendiant  leur 
subsistance.  Le  monastère  n'était  pas  encore  restauré  {Sujipl.  Innocent.  17,  n°  2  5, 
fol.  51). 


8  LA    GUERRE    DE    CENT    AxNS 

abbaye  ne  furent  guère  mieux  traités  ^  Je  ne  sais  si  Tabbaye  de 
Saint-Vincent  à  Bourg  eut  à  souffrir. 

Dans  le  courant  de  l'été  1338,  Edouard  III  passa  la  mer  pour 
préparer,  en  s'assurant  des  alliances  en  Allemagne  et  dans  le  Bra- 
bant,  la  guerre  qu'il  déclara  à  Philippe  le  1^*'  septembre  1339 -.  Le 
16  juillet,  il  avait  adressé  au  pape  Benoît  XII  et  au  Sacré-Collège 
une  longue  lettre,  dans  laquelle  il  exposait  longuement  ses  droits  à  la 
couronne  de  France,  et  le  progrès  des  armes  françaises  en  Guienne"^. 
Vers  le  25  juillet,  des  navires  français  attaquèrent  les  ports  anglais 
de  Sandwich  et  de  Rye.  Ils  furent  poursuivis  par  les  Anglais  jus- 
qu'à Boulogne-sur-mer  du  diocèse  de  Thérouanne.  Une  grande  par- 
tie de  la  ville  devint  la  proie  des  flammes  '*.  Il  est  difficile  de  cons- 
tater si  les  deux  abbayes  des  chanoines  réguliers  de  Notre-Dame  et 
de  Saint- Vulmer  furent  épargnées. 

Sur  ces  entrefaites,  des  troupes  anglaises  s'embarquèrent  pour 
le  continent,  afin  de  rejoindre  Edouard  en  Brabant.  Un  détache- 
ment sous  les  ordres  du  comte  de  Derby,  entrejîrit  une  expédition 
au  Tréport,  dans  le  diocèse  de  Rouen,  incendia  la  ville  ainsi  que 
l'abbave  de  Bénédictins  Saint-Michel  et  dévasta  tous  les  environs^. 
Cette  abbaye  est  une  des  premières  qui  subit  le  triste  sort  de  tant 
de  centaines  d'autres  pendant  la  guerre  de  Cent  ans.  Le  comte  de 

1.  Dans  Gall.  christ.,  II,  p.  883,  est  noté  qu'il  fut  détruit  en  1341.  Mais  c'était  peut- 
être  en  1339. 

2.  Fhoissart,  éd.  S.  Luce,  I,  p.  ccx.vix  suiv. 

3.  Dans  Hemingdurgh,  p.  316-326  ;  Murimuth,  p.  91-100.  Edouard  dit  que  Charles 
défunt  «  masculus  superstes  proximior  nobis  nullus  fuerit,  et  persona  fcmi- 
nae  dicti  reg:ni  per  jus  in  eodem  regno  servatum  antiquitus  non  sit  capax  ;  quod  jus 
regni  praefati...  non  excludit  personam  niasculi  per  sic  exclusam  feminam  descen- 
dcntis...  Ad  hoc  etiam  per  jus  memoratum  a  regno  fragilitas  niuhcbris  excluditur,  ut 
regno  salubrius  consulatur,  et  proximior  masculus  admittendus  »,  etc.  Et  plus  loin  : 
«  nostri  procuratores  qui  in  Franciam  iverant,  ut  pro  nobis  et  nostro  jure  légitime 
comparèrent,  non  solum  fuerunt  in  judicio  non  admissi,  sed  etiam  mortis  horribilis 
comminatione  repulsi.  Et  sicnostrum  aemulum  memoratum  factum  duodecim  parium 
Franciae  non  excusât  ».  Il  les  nomme  «  praedones  ».  Murimuth  donne  encore  l'arbre 
généalogique  depuis  Louis  IX. 

4.  Kmghtox,  Leycestren.  chronicon,  éd.  Lumby  (1895),  II,  p.  9.  Voy.  Contin.  Guill. 
Nétng.,  II,  p.  165  ;  Grandes  Chroniques  de  France,  V,  p.  379.  Cf.  encore  Baker,  Chro- 
nicon,  p.  67. 

5.  Chronographia  regum  Francorum,  éd.  Moraxvillé,  II,  p.  67.  Voy.  Contin.  Gnill- 
Nang.,  II,  163;  Grand,  chron.,  V,  p.  377.  Aussi  Kmghton,  1.  c,  p.  10,  parle  d'une 
expédition  sous  Robert  de  Morley  en  Normandie,  pendant  laquelle  trois  ports  et 
deux  villes  furent  incendiés. 


PKKMIÈKES    INVASIONS    d'ÉUOLAUD    III    EN     1339,     I3i0  9 

Derby  avait  fait  vœu  d'être  le  premier  Anglais  à  dévaster  les  con- 
trées françaises.  Un  autre,  Gautier  Masny^,  originaire  du  Hainaut, 
mais  au  service  de  l'Angleterre  depuis  de  longues  années,  accom- 
plit un  vœu  qu'il  avait  fait  de  la  même  manière.  Il  pénétra  jusqu'à 
Mortagne,  dans  l'arrondissement  de  Valenciennes,  à  la  tête  d'envi- 
ron soixante  compagnons,  et  mit  le  feu  à  un  certain  nombre  de 
maisons-'.  En  admettant  qu'on  pût  se  lier  par  vœu  à  commettre  des 
actions   aussi  barbares,  il  fallait  s'attendre  aux  pires  événements. 

] .    Les   deux  premières   invasions    d'Edouard   III  du    côté   de   la 

Flandre  et  du  Hainaut. 

Après  avoir  été  en  Brabant  dès  juillet  1338,  le  roi  Edouard, 
l'an  d339,  convoqua  ses  alliés  d'Allemagne  à  Bruxelles"',  pour  le 
1^'"  septembre.  Là,  il  se  trouva  à  la  tête  de  20.000  hommes,  tant 
Anglais  qu'Allemands  et  Brabançons.  Il  poussa  ensuite  jusqu'à 
Mons,  Valenciennes  et  Haspres  et  arriva  le  25  septembre  avec  son 
armée  àMarcoing^,  à  7  kil.  S.-O.  de  Cambrai.  Cette  dernière  ville  se 
rattachait  au  parti  français  et  avait  une  garnison  française  dans  ses 
murs.  Tout  fut  dévasté  pendant  la  marche^,  car  depuis  le  commen- 
cement, le  feu  était  le  constant  allié  des  Anglais.  Le  roi  d'Angle- 
terre lui-même  écrivait  le  l^*"  novembre  à  son  fils  Edouard  :  «  Le 
lundy  en  la  veille  Saint  Matheu  si  passâmes  hors  de  Valenciens  et 

1.  Tous  les  historiens  écrivent  selon  les  chroniqueurs  «Manney»,  ou  «  Manny».  ou 
«  Mauny  »,  comme  aussi  S.  Llce  dans  Icdition  de  Fuoissart.  Mais  déjà  Tabbé  Hos- 
SAUT,  Hist.  ecclés.  et  profane  du  Hainaut  (A  Mons,  1792\  II,  p.  114,  écrivit  «  Gautier 
de  Masnuy^  célèbre  chevalier  de  Hainaut  ».  Dans  son  Hist.  de  Bertrand  du  Guesclin. 
S.  Luce,  p.  44,  not.  1,  a  vu  que  ce  chevalier  était  orifiinaire  du  Hainaut,  ap|)arlenant 
à  la  famille  de  Masny  (Nord,  arr.  et  c.  Douai).  Il  avait  plusieurs  frères  en  Hainaut. 
Voy.  Kkoissart,  I,  p.  ccxlix  suiv.  Aussi  Anne,  «  nata  nobilis  viri  Walleri  de  Many 
militis,  domicella  Johannis  de  Hastings,  comitis  Penbrochie  »,  était  du  diocèse  de 
Cambrai,  et  le  comte  de  Pembroke  avait,  sans  disj)ense.  fait  avec  elle  les  fian- 
çailles, quoiqu'elle  fût  parente  de  sa  première  femme  «  nate  Eduardi  re^is  »,  Maria- 
nte [Reg.  Vat.  Urb.  V,  no  257,  fol.  50,  ad  an.  1368,  l"  juillet). 

2.  Froissaht,  I,  ccxxx,  suiv.  ;  Kmchtox,  II,  p.  9. 

3.  Voy.  l'Itinéraire  d'Edouard,  éd.  par  Lemoixe  dans  la  Chron.  de  Richard  Lescol. 
p.  206. 

4.  Lemoixe  1.  c.  l'identifie  à  t(U't  avec  «  Marchiennes  »,  arr.  de  Douai.  Du  reste 
voy.  encore  Bhuyelle,  Dictionnaire  topoffraph.  de  l'arrondissement  de  (Jarnhrai 
(1S62),  p.  211  suiv. 

5.  Heminguuugh  dit  p.  340  :  «  comburendo  et  j)raedas  agendo  in  pajïo  Cameracensi 
intravit  ». 


10 


LA    GUERRE    DE    CE.M    AKS 


mesme  le  jour  commencza  homme  à  ardoir  en  Cambresin,  et  arde- 
ront  tut  la  semaii^ne  suaunt  illesques,  issint  qe  celle  pais  est  mult 
nettement  destruit,  corne  de  bleez  et  de  bestaille  et  d'autres  biens. 
Le  samady  suaunt  venismes  à  Markevngne  q'est  entre  Cambré  et 
France  et  commencza  homme  d'ardoir  dedeinz  Fraunce  mesme  le 

jour Si  teinsmes  toutz  jours  nostre  chemyn  avaunt,   noz  g-entz 

ardauntz  destruauntz  communément  en  large  de  xij  lieues  ad  xiiij 
de  2:)ais^.  »  Cette  dernière  remarque  nous  démontre  la  conduite 
habituelle  des  Ang-lais  dans  leurs  incursions  en  pays  ennemi. 

Cambrai  résistait  à  toutes  les  attaques  de  l'armée  du  roi  d'An- 
g-leterre-.  Mais  quel  aura  été  le  sort  des  noml^reux  couvents  et 
ég-lises  des  environs?  celui  des  chanoines  de  Saint-Gér}^,  Saint- 
Aubert,  Cantim2:)ré,  des  Bénédictins  du  Saint-Sépulcre  et  des  autres 
qui  étaient  hors  de  la  ville?  Car  tout  le  pays  autour  de  Cambrai  fut 
pillé  et  dévasté '^.  En  effet,  quatre  ans  après,  le  doyen  et  le  chapitre 
de  Saint-Géry  exposent  au  Saint-Père  que  divers  seigneurs,  ecclé- 
siastiques et  laïques,  leur  ont  causé  grand  dommage  dans  les  biens 
qu'ils  possèdent  soit  dans  l'Empire,  soit  en  France.  En  outre, 
disent-ils,  pendant  la  dernière  guerre,  des  12  hameaux,  d'où  ils 
tiraient  leurs  revenus,  un  et  demi  seulement  est  resté,  les  autres 
ont  été  brûlés  et  dévastés^.  De  même,  le  prévôt,  le  doyen  et  le 
chapitre  de  la  cathédrale  se  plaignent  de  l'oppression  de  leurs  biens 
dans  l'Empire  et  en  France  ;  mais  spécialement  des  dommages, 
incendies  et  pillages  subis  pendant  la  guerre.  Comme  ceux  de 
Saint-Géry,  ils  demandent  un  conservateur^. 

Sachant  que  le  roi  Philippe  avait  rassemblé  ses  troupes  à  Péronne 
en  Yermandois,  le  roi  d'Angleterre  leva  le  siège  et  dirigea  son 
armée  vers  la  France.  Les  premières  provinces  françaises  envahies 

J.  Rob.  de  AvESBLRY,  De  (jestis  mirabil.  reg.  Edwardi,  éd.  TiiompsOiX,  p.  30 i  suiv.  ; 
Kmghtox,  p.  10,  traduit  seulement  les  paroles  du  roi. 

2.  Voy.  Arch.  hist.  du  Nord,  S"  série,  t.  IV,  p.  184. 

3.  Hemingbuhgh,  1.  c. 

i.  Siippl.  Clem.  y/,  n"  4,  fol.  162''  :  «Decanus  et  capitulum  S.  Gaugerici  »  racontent 
l'oppression  et  l'incendie  «  tempore  guerrarum,  maxime  cum  in  duodecim  ^illis 
earumdem  partium  redditus  ipsorum  consistèrent,  ex  quibus  non  remansit  nisi  una 
cum  dimidia,  quinymo  miserabiliter  alie  fuerunt  combuste  et  penitus  dilapidale  ;  in 
super  (nounulli)  in  bonis  suis  aliis  et  juribus  ad  dictam  ccclesiam  nostram  speclanti- 
bus  multiplicitei"  afïligerunt...  »  (ad  an.  1344,  Jan.  31j. 

5.  Suppl.  Clem.  17,  n°  4,  fol.  210'',  ad  an.  1344,  Febr.  21. 


PKEMIÈKES    Ï.WASIONS    D  EDOL AllD    111    E>     1339,     1340  11 

par  les  Anglais  pendant  la  guerre  de  Cent  ans,  furent  le  Verman- 
dois  et  la  Thiérache,  avec  les  diocèses  de  Cambrai,  Noyon  etLaon, 
c'est-à-dire  le  département  de  l'Aisne  actuel.  Le  9  octobre,  le  roi 
d'Angleterre  marchait  vers  le  Vermandois  *  et  occupait  successive- 
ment les  abbayes  de  Mont-Saint-Martin  (Prémontrés)  et  de  Vau- 
celles  (Cirsterciens),  toutes  deux  dans  le  diocèse  de  Cambrai,  puis 
celles  de  Fervaques  (Cirterciens)  dans  le  diocèse  de  Noyon  et  de 
Bohéries  (Cisterciens)  du  diocèse  de  Laon.  Le  gros  de  l'armée 
anglaise  était  campé  entre  ces  deux  armées.  L'arrière-garde,  sous 
Jean  de  Hainaut,  qui  déjà  avait  voulu  surprendre,  mais  vainement, 
l'abbaye  des  Bénédictins  de  Honnecourt,  du  diocèse  de  Cambrai, 
sans  commission  de  son  neveu,  Guillaume  de  Hainaut,  alors  rallié 
aux  Français,  passa  sous  l'abbaye  de  Vermand  (Prémontrés),  dio- 
cèse de  Noyon,  et  mit  le  feu  aux  faubourgs  de  Saint-Quentin  en 
Vermandois  où  était  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Prix,  qui  eut 
beaucoup  à  souffrir ~.  Jean  parcourut  ensuite  la  Thiérache,  en  sacca- 
geant et  réduisant  en  cendres  Origny,  Marie  et  Guise  •^.  L'abbesse 
et  les  religieuses  bénédictines  d'Origny,  du  diocèse  de  Laon,  se 
réfugièrent  dans  la  forteresse  de  Ribemont  avec  leurs  reliquaires  et 
leurs  biens  ;  la  ville  avec  le  monastère  ((  ait  resté  arse  et  des- 
truite ^  »,  et  encore  Ribemont  et  tous  les  environs  jusqu'à  dix  lieues 
à  la  ronde  ^'•.  L'exemple  des  Anglais  sous  Jean  de  Hainaut  fut  suivi 
partout  ailleurs  par  les  autres^.  Les  gens  d'armes  parcouraient  tout 
le  pays,  qu'ils  trouvaient  riche  et  abondant  en  ressources,  car  il  n'y 
avait   plus   eu  de  guerre    depuis   longtemps.    Cette   fois,  tout  fut 

1.  Hemingburgh,  p.  341. 

2.  Froissart,  p.  ccxxxv  suiv.,  et  p.  171  suiv.  ;  Hossart,  p.  116. 

3.  Voy.  Chrono(f7\,  II,  p.  230,  not.  3.  L'abbaye  nommée  de  Saint-Barlhclemy 
(chan.  rég.)  près  de  Noyon  fut  sans  doute  atteinte  seulement  dans  ses  terres. 

4.  FnoissART,  p.  ccxxxiv,  et  note  3.  Chronogr.,  p.  82.  Une  autre  version  dil  (|ue 
l'abbesse  fut  violée  (Froissart,  p.  171).  IIemixgburgh  dit  1.  c.,  qu'Edouard  fut  à 
Origny  «  die  S.  Calixti  »  (le  13  octobre).  Il  y  était  encore  les  jours  suivants.  A'oy. 
Titinéraii'e  dans  Lkmoixk. 

5.  Hemingburgh,  p.  341. 

6.  «  (^omburendo  patriam  »,  dit  la  Chronogr.,  p.  82.  «  Rex  Angliae  partem  non 
modioam  Thcrcchiac  incendit  ac  praedatus  est»,  Conlin.  Guill.  de  Xang.,  II.  p.  104. 
Robert  de  Avksbury  donne  au  cliai)itre  l'inscription  :  «  Qualiler  rex  Anglorum  devas- 
tavit  patrias  de  Cambersyn  et  Vermandoys  regni  Franciae  ».  Ibid.,  p.  303.  Murimuth 
dit  p.  102  :  ((  Comburens  et  destruens  villas  et  castra  circunupiaciue  ».  R.  IIigdkx 
[Polgchron..  éd.  Lumuy,  VIII,  p.  334)  ;  «  Boréales  partes  Francie  usque  ad  Tor- 
naciim  incendit  et  vasla\  it  ». 


12  LA    GUERRE    DE    CE>T    ANS 

brûlé,  pillé,  dévasté  ',  et,  comme  dit  Hemingbiirgh,  «  per  sex  mil- 
liaria  '^  ».  L'avant-garde,  sous  l'évêque  de  Lincoln,  brûla  Mov,  Ven- 
deuil,  La  Fère  et  la  ville  de  Saint-Gobain,  pénétra  dans  la  terre  du 
seigneur  de  Coucy  et  vint  jusqu'à  Bruyères  (près  de  Laon),  où  les 
soldats  mirent  le  feu.  Le  gros  de  l'armée,  à  la  nouvelle  de  l'ap- 
proche du  roi  de  France,  s'avança  dans  la  direction  de  Fesmy- 
r Abbaye  (Bénédictins,  au  diocèse  de  Cambrai),  de  Buironfosse,  de 
la  Capelle  et  de  la  Flamengrie.  Ces  deux  bourgs  appartenaient  à 
Tabbaye  de  Saint-Denis  en  France  ;  ils  furent  brûlés  ainsi  que  toutes 
les  villes  ouvertes,  et  leurs  biens  dévastés  ^.  Les  Allemands 
alliés  pillaient  et  brûlaient  Hirson,  Boue,  et  chevauchaient  jusqu'à 
Nouvion  en  Thiérache  ;  les  habitants  cherchaient  avec  leurs  biens 
un  refuge  dans  la  forêt  du  Nouvion,  et  s'y  cachaient  derrière  des 
monceaux  de  branchages  et  de  troncs  d'arbres  abattus  ^  Le  pays 
était  si  dévasté  par  les  Anglais  et  les  alliés,  que  la  grande  armée 
des  Français  (on  dit  de  70.000  hommes)  qui,  sous  le  roi  Philippe, 
à  Buironfosse  était  opposée  aux  20.000  Anglais  et  alliés  à  la  Fla- 
mengrie, manquait  de  vivres  et  souffrait  la  faim^.  Alentour  s'éle- 
vaient des  nuages  de  fumée  sortant  des  hameaux  incendiés  '',  dont 
environ  2.017,  y  compris  les  châteaux,  furent  détruits"^. 

On  devine  aisément  quel  fut  le  sort  du  peuple  durant  ces  incur- 
sions et  ces  rapines,  La  veuve  Ysabelle  la  Quarellière  de  Prémont, 
au  diocèse  de  Noyon,  avait  tout  perdu  par  la  guerre  et  les  incendies, 
et,  dénuée  de  tout,  elle  demande  à  être  recueillie  avec  ses  sœurs 
dans  la  léproserie,  près  de  Meaux  ^. 

On  n'en  vint  pas  aux  mains  '^  ;  les  deux  adversaires  se  retirèrent  : 

1.  FrOISSAUT.  J3,  ccxxxvii. 

2.  L.  c,  p.  345. 

3.  Chronogr.,  p.  82,  not.  6.  Voy.  Fhoissart.  p.  ccxl. 

4.  FUOISSAHT,   1.  c. 

5.  Chronocfr.,  p.  84. 

6.  Ja.\  de  Kleuk,  Van  den  derden  Edewaerl,  Gent  1840,  v.  665  : 

Nochtan  so  vloech  hem,  des  geloeft, 
Die  roec  dagelijcs  over  thoeft. 

7.  Ordonnance  des  Anglais  à  la  Flamengerie  dans Froissart,  éd.  Lettexhove,  X^'III, 
p.  93. 

8.  Suppl.  Clem.  17,  n"  11,  fol.  79,  ad  an.  1346,  Jul.  1. 

9.  Sur  la  cause  de  ce  fait,  il  y  a  deux  explications  opposées,  1  une  empruntée  aux 
sources  anglaises,  et  l'autre  aux  sources  françaises.  Selon  la  première,  le  roi  d'Angle- 
terre ofl'rit  la  bataille  au  roi  de  France  qui  réclama  toujours  un  nouveau  délai, 
encore  le  24  octobre.  Mais  Philippe,  voyant  les   Anglais  ordonnes  en  trois  colonnes. 


PREMIÈRES    INVASIONS    d'ÉDOUARD    îH    EN    1'iS9,    l'^U)  13 

Edouard  s'en  alla  d'abord  à  Bruxelles,  où  il  était  déjà  le  28  octobre, 
et  en  Flandre  conclure  avec  les  Flamands  un  traité  contre  la  France, 
puis  de  là  en  Angleterre;  Philippe  retourna  à  Paris. 

Quoique  je  ne  mentionne  pas  les  faits  en  dehors  du  sol  français, 
je  dois  ajouter  à  cause  des  événements  qui  en  furent  la  suite,  que  le 
roi  Philippe,  en  1340,  prit  sa  revanche  contre  ce  même  Jean  de 
Hainaut  qui  avait  dirigé  l'invasion  anglaise  en  France  et  avait 
ravagé  le  Cambrésis  et  la  Thiérache.  Par  son  ordre,  plusieurs 
seigneurs  à  la  tête  d'environ  mille  armures  de  fer  envahissent  la 
terre  de  Ghimay,  surprennent  les  faubourgs  de  la  ville,  s'emparent  de 
douze  mille  blanches  bêtes,  de  mille  porcs,  de  cinq  cents  vaches  et 
bœufs.  Puis,  mettant  le  feu  aux  faubourgs,  ils  parcourent  tous  les 
pays  des  environs  et  brûlent  plus  de  17  localités  ^  La  garnison 
française  de  Cambrai  fit  également  des  courses,  et  entre  autres,  elle 
pilla  la  ville  de  Haspres  (Nord,  arr.  Valenciennes,  au  diocèse  de 
Cambrai)  et  la  prévôté  des  Bénédictins  dépendant  de  Saint- Vaast 
d'Arras.  «  Le  pillièrent  li  Français  et  robèrent  et  puis  boutèrent  le 
feu  dedens  et  le  ardèrent  moult  villainement  -.  »  En  revanche  plus 
tard,  les  Hainuyers  dont  le  comte  Guillaume  était  devenu  l'ennemi 
des  Français,  pillèrent  et  brûlèrent  non  seulement  le  Cambrésis  mais 
ils  s'avancèrent  en  incendiant,  jusque  devant  Aubenton  (Aisne)  du 

prêts  à  la  bataille,  fut  découragé  et  leva  le  premier  son  camp,  le  2i  octobre,  en  se 
retirant  à  Saint-Quentin.  Edouard  en  avait  la  nouvelle  le  25  octobre.  HEMixonuRon, 
p.  345-318,  qui  décrit  au  long-  le  mou\ement  et  la  position  des  Anglais;  Muuimith, 
p.  102  suiv.  ;  Knighton,  p.  11-13  ;  voy.  encore  Jan  de  Klerk,  1.  c,  v.  797.  Le  roi  de 
Finance  aurait  dit  qu'il  ne  voulait  pas  être  un  fou  comme  le  roi  d'Angleterre  et  com- 
promettre sa  couronne  par  le  jeu  d'un  jour.  Selon  la  seconde  explication  (dans  la 
Contin.  Guill.  Nanff.,  II.  p.  165;  Chronogr.,  II,  p.  84;  Chron.  normande,  p.  il  suiv.; 
Chron.  de  Richai'd  Leacol,  p.  49;  Fstore  et  croniqiies  de  Flandres,  éd.  Kehvvn  de 
Lettemiove,  t.  I,  p.  375  suiv.),  c'est  Edouard  qui  profita  du  nouveau  délai  réclamé 
par  Philippe,  pour  lever  le  premier  son  camp  le  soir  même  de  22  octobre.  Fugissart, 
p.  ccxLv,  ne  contredit  pas,  bien  que,  pour  les  faits  pi'écédenfs,  il  soit  plutôt  favorable 
au  roi  d'Angleterre.  De  ces  deux  explications,  laquelle  est  la  vraie?  C'est  difficile  à 
dire.  Mais  l'explication  anglaise  admise,  nous  trouvons  Philippe  toujours  semblable  à 
lui-même,  soit  à  Bouvines,  en  1340,  soit  en  laissant  échapper  Edouard  en  1346  à 
lîlanquetaque,  soit  en  1347,  levant  son  camp  précipitamment  près  de  Calais.  Du  reste, 
en  1339,  les  alliés  se  reliraient  comme  Edouard  même  après  la  retraite  des  Fran- 
çais, et  c'était  plutôt  une  défaite  des  Anglais  que  des  Français  qui  n'ont  rien  perdti. 
Si  je  ne  me  trompe  pas,  c'est  la  première  fois  que  cette  divergence  est  signalée. 
Généralement,  on  ne  connaît  ni  Murimuth,  ni  Hemingburgh,  ni  Jan  de  Klerk. 

1.  FiioissAUT,  I,  p.  ccxLviii  suiv. 

2.  Froissaht,  p.  195. 


14  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

diocèse  de  Laon,  laquelle  Aille  fut  prise  K  Une  autre  fois  ils  rava- 
gèrent la  Thiérache.  Plus  de  quarante  villages  ou  hameaux  furent 
pillés  et  brûlés  dans  cette  campagne  ~. 

Le  roi  Philippe  était  irrité  non  seulement  de  la  destruction 
d'Aubenton  et  du  ravage  de  la  Thiérache,  mais  encore  de  l'alliance 
des  Flamands  avec  le  roi  d'Angleterre.  C'était  aussi  sur  leur  conseil 
qu'Edouard  avait  pris  le  titre  de  roi  de  France.  Philippe  donna 
l'ordre  d'aller  contre  les  Hainuyers  et  les  Flamands  et  de  porter  le 
ravage  dans  leurs  pays. 

L'invasion  du  Hainaut  était  commandée  par  Jean,  duc  de  Nor- 
mandie, et  lui  aussi  donnait  l'ordre  de  porter  partout  l'incendie  et  le 
ravage.  Les  Français  étaient  divisés  en  plusieurs  corps  d'armée  et 
ils  couraient  dans  toutes  les  directions  brûlant  et  dévastant.  Plus  de 
cinquante  villes  et  villages  furent  ravagés  dans  les  régions  ^  qui 
appartiennent  aujourd'hui  au  département  du  Nord  et  faisaient  alors 
partie  du  diocèse  de  Cambrai.  Une  abbaye  de  ce  diocèse,  celle  des 
Cisterciennes  de  Fontenelles  ^,  devint  aussi  la  proie  des  flammes. 
Ce  monastère,  où  la  sœur  du  roi  Philippe,  veuve  de  Guillaume  P'" 
de  Hainaut,  était  religieuse,  succombait  encore  sous  le  poids 
d'autres  misères  ^. 

En  attendant,  Edouard  quittait  l'Angleterre   le  22  juin  ^   de   la 

1.  Froissart,  I,  p.  202,  dit  que  des  assiégés  se  ramassaient  après  la  prise  de  la  vilie 
«  devant  le  nioustier  ».  S.  Lt;ciî,  traduit  p.  ccliv  :  <(  devant  l'abbaye  ».  mais  il  a  tort. 
A  Aubenton  il  n'y  avait  pas  une  abbaye.  «  Moustier  »  signifie  souvent  dans  les  Chro- 
niques du  moyen  âge  seulement  une  église  remarquable,  ou  l'église  principale,  comme 
en  allemand  «  Munster  ». 

2.  Ibid.  Récils  d'un  Boiircjeoia  de  Valenciennes,  éd.  Krrvyx  ue  Lettexhove  (1877), 
p.  173  suiv. 

3.  A'oy.  les  noms,  dans  Froissaht,  II,  p.  vu  sui\'. 

4.  Ibid.,  p.  XI. 

5.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  3,  fol.  27'\  ad  an.  1343,  Novemb.  7  : 

«  Supplicat  S.  V...  Jolianna  de  Valexio,  monialis  mon.  de  Fontenellis  vestri  Cis- 
tercien. Ord.,  cum  in  dicto  mon.  olim  taxatus  fuerit  numerus  personarum,  de  certo 
numéro  non  excedendo,  vallatus  per  juramcnta  singularum  personarum  ejusd.  mon., 
non  retento  quod  pater  abbas  aut  générale  capitulum  ejusd.  Ord.  super  hoc  dispen- 
sare  valerent,quod  diebus  istis  considerata  malitia  temporum  et  guerrarum  monaste-r 
rio...  et  multis  aliis  monasteriis  ejusdem  Ord.  vergit  in...  non  modicum  detrimentum. 
[Supplicat  ut  committat  abbati  de  Claravalle  ut  super  juramento  dispensare  valeat.] 
—  Fiat  sed  super  hoc  ejus  conscientiam  oneramus.  » 

6.  «  Die  jovis  ante  festum  Nativitatis  S.  Johannis  Bapt.  (22  juin)...  incepit  féliciter 
navigare  »,  Murimuth,  p.  103,  Hemixgblrgh,  p.  355,  not.  3;  Baker,  p.  68.  Voy.  Nico- 
las, A  Ilistory  of  the  royal  iiavy,ll,p.  48  suiv.  S.  Luge  dans  l'édition  de  Froissart,  II, 
p.  XVI,  not.  5,  dit  à  tort  «  23  juin  ».  Ce  jour  le  roi  est  arrivé  sur  la  côte  de  Flandre 


PREMIKP.ES    INVASIONS    D'ÉDOrARD    111    EN    ]'XM),    ]'Mi)  W) 

même  année  pour  reprendre  la  p^uerre  avec  la  France.  La  flotte 
française,  composée  de  200  vaisseaux  ^,  voulut  l'empêcher  de  débar- 
quer près  de  l'Ecluse.  La  bataille  navale  fut  perdue  par  les  Français 
le  24  juin  ;  plus  de  30.000,  dit-on,  y  périrent  ^  ;  presque  toute  la 
flotte  tomba  au  pouvoir  des  Anglais  ^.  Les  ennemis  des  Français 
furent  comblés  de  joie  à  cette  nouvelle.  «  Quiconque  parle  la  langue 
allemande,  se  réjouit  à  la  nouvelle  de  cette  victoire  »,  chante 
Jan  de  Klerk  de  Gand  '^  Cette  victoire  rendit  Edouard  III  absolu- 
ment maître  de  la  mer  pendant  une  trentaine  d'années  ^.  Il  résolut 
de  s'emparer  à  la  fois  de  deux  clefs  de  la  France  :  il  alla  lui-même 
mettre  le  siège  devant  Tournai,  et  envoya  Robert  d'Artois  à  Saint- 
Omer.  Quelque  temps  auparavant,  Jacques  d'Arteveld  avait  déjà  fait 
une  première  tentative  contre  Tournai.  Hemingburgh  nous  décrit  les 
actions  du  roi  d'Angleterre  :  «  villas  nonnullas  incendio  déforma  vit, 
blada  vastavit,  prœdas  egit  »  ^\  Le  siège  de  Tournai,  commencé 
entre  le  20  et  le  23  juillet  ~,  traînant  en  longueur,  le  comte 
de  Hainaut  ravage  et  brûle  quarante  villages  des  environs,  parmi 
lesquels  l'abbaye  de  Cysoing  (chan.  régul.)  du  diocèse  de  Tournai ''^. 
Les  Français  de  la  garnison  de  Saint-Amand  pillent  et  brûlent  le 
village  et  l'abbaye  d'Hasnon  (Bénédictins)  au  diocèse  d'Arras,  et 
essayent  d'incendier  celle  de  Vicoigne  (Prémontrés)  du  même 
diocèse  ^.  En  revanche,  le  comte  de  Hainaut,  voulant  ravager  tout 
le  pays  pour  que  les  Français  n'y  trouvassent  plus  rien,  alla,  le 
1*^'"  août,  s'emparer  avec  sa  cavalerie  des  villes  d'Orchies,  de  Landes, 
de  Lincelne,  les  pilla  et  y  mit  le  feu  ;  le  3  août,   il  entreprit  de 

devant  Blanqucnbcrg.  Voy.  Muiumuth,  1.  c;  Hcminodurgh,  1.  c;  Bakkr.  1.  c;  lettre 
d'Edouard  du  28  juin  à  son  fds  dans  Delpit,  Coll.  cfénérale  des  documenls,  etc., 
n"  132,  La  bataille  eut  lieu  le  24  juin.  Voy.  Nicol.\s,  1.  c.,  p.  51,  et  la  note  de  Thomp- 
son dans  lÎAKKn,  p.  2  i3.  * 

1.  IlF:MiN<;uuur;ii  écrit  :  «  cuin  GCL  navibus  ». 

2.  Ainsi  Kdouard  dans  Df.limt,  1.  c,  et  Chronoc/r.,   p.  122.   MtniMTTU,  p.  109.  dit  : 
«  XXV  millia  occisorum  »;  Bakrh,  p.  69  et  Kxightox,  p.  18  donnent  le  même  nombre. 

3.  Lettre   d'Edouard  du  28  juin  à  rarchevcquc  de  Cantcrbury  dans  IlKMixdinnoH, 
p.  358.  Voy.  Chronogr.,  p.   123. 

4.  L.  c,  V.  1303. 

5.  S.  LucK,  La  France  pendant  la  cfiierre  de  Cent  ans,  2«  éd.  (1890\  p.  5. 

6.  IlEMIXOnURGH,  p.    360. 

7.  Voy.  ritinéraire  dans  Lhmoixe,  Chvon.de  Richard  Lescot,  p.  207. 

8.  Froissart,  II,  p.  XXI  suiv.  Dans  le  Cartulaire  de  Vahbaye  de  Cysoincf,  éd.  Cous- 
SEMAKER  (Lille,  1883)  on  cherche  en  vain  ce  fait. 

9.  Froissart,  1.  c,  p.  xxn  ;  Chronoyr.,  p.  140. 


H)  LA    GUERRK    DE    CENT    ANS 

ruiner  Tabbaye  de  Saint-Amand  (Bénédictins)  du  diocèse  de  Tournai  ; 
l'abbaje  et  la  ville  furent  réduites  en  cendres  K  Ils  «  brisièrent  toutes 
les  cloches,  dont  ce  fut  damages,  car  il  y  en  avait  moult  de  bonnes 
et  de  mélodieuses'^  ».  L'abbé  lui-même  décrivait  quelques  années 
plus  tard  la  grande  misère  de  son  monastère  entièrement  appauvri 
et  détruit  :  20  hameaux,  32  fermes  et  granges  d'où  les  religieux 
tiraient  leur  subsistance,  étaient  dévastés  ;  les  blés,  les  bestiaux  et 
d'autres  denrées  avaient  été  enlevés,  de  sorte  que  les  moines  en 
étaient  réduits  à  vivre  de  la  charité  publique  ^. 

En  même  temps  les  alliés  valenciennois  du  comte  de  Hainaut 
avaient  détruit  l'abbaye  des  Prémontrés  Château-l'abbaye  au  diocèse 
d'Arras;  «  ils  violèrent  et  desrompirent  trop  diviersement  l'abbeie 
de  Gastiaux,  dont  ce  fut  23itéz  '*  )>.  En  retournant  au  camp  d'Edouard 
devant  Tournai,  le  comte  de  Hainaut  s'empara  de  la  grosse  et  riche 
abbaye  de  Marchiennes  (Bénédictins)  au  diocèse  d'Arras.  Plusieurs 
moines  furent  pris,  l'abbaje  fut  pillée,  et  le  comte  ne  se  retira 
qu'après  avoir  tout  livré  aux  flammes  ^. 

Pendant  le  siège  de  Tournai,  les  Anglais  et  leurs  alliés,  écrit  un 
chroniqueur  anglais,  dévastèrent  par  le  feu  après  les  avoir  pillés, 
plus  de  300  villages  ou  plutôt  hameaux  dans  les  environs  ^.  Le  roi 

1.  HossART,  Hisl.  ecelés.  etprofane  du  Hainaut,  II,  p.  128. 

2.  Chron.  de  Gilles  li  Muisis,  éd.  de  Smet  {Corp.  Chi'on.  Fland.,  II,  226).  Faoïs- 
SART,  1.  c,  p.  70,  Chronogr.,  1.  c.  Le  Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  18i.  parle  de  17 
cloches  emportées. 

3.  Suppl.  Clem.  V7,  n"  11.  fol.  5i  :  Significant  S.  V...  abbas  et  conventus  monaste- 
rii  Sancti  Amandi  in  Pabula,  ord.  S.B.,  Tornacen.  dioc.,afflicti  multipliciter  et  depau- 
perati  totaliter,  quod  nionasterium  ipsum  propter  guerras  durissimas  que  inter  domi- 
nos Francie  et  Anglie  reges  in  illis  partibus  presertim  circa  dictuni  nionasterium 
atrociter  viguerunt,  est  desolatum  totaliter  et  destructum,  viginti  ville  et  triginta  due 
cartes  et  domus  seu  grangie  ipsius  monasterii,  ex  quibus  ipsi  oratores  vestri  in  victu 
et  vestitu  sustentabantur,  nec  non  terre  et  possessiones  ipsarum  propter  exercitus 
dictorum  regum  totaliter  sunt  consumpte,  blado,  animalibus  et  aliis  rébus  mobilibus 
in  eisdem  existentibus  in  predam  positis  et  abductis,ita  quod  nionasterium  ipsum  est 
totaliter  casui  et  ruine  irreparabili  expositum,  nisi  per  favorem  sedis  apostolice  suc- 
curatur  et  etiam  sublevetur.  Quare  huniiliter  supplicant  quatenus  ut  aliqualiter 
A  aleant  respirare  ac  fideliuni  mentes  ad  compassionem  erga  eos  fortius  accendantvu' 
et  etiam  nio\eantur.  [indulgentie].  Dat.  apud  Villamnovam,  Avenion.  dioc,  X  kal. 
Julii  anno  quinto  (an.  1346,  Jun.  22).  L'abbaye  bénédictine  de  Saint-Martin  à  Tour- 
nay  subit  alors  plusieurs  fois  des  pertes  semblables.  Voy.  Gilles  li  Muisis,  1.  c,  p.  226. 

i.  Froissart,  p.  218. 

5.  Ibid.,  p.  70;  Chronoyr.,  yt.  142;  Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  185.  IIossart.  1. 
c,  p.  129. 

6.  AvEsBiRY,  p.  317.  Je  ne  cite  pas  pour  tout  cela  Thom.  Wat.sixgham,  Hist.  Angli- 
cana,  parce  qu'il  a  seulement  copié  les  auties. 


PREMIÈRES    INVASIONS    d'ÉDOLARD    IH    EN   1339,    1340  il 

Philippe,  qui  se  tenait  avec  son  armée  sur  les  bords  de  la  petite 
rivière  la  Marcq  ^,  au  pont  de  Bouvines,  ne  les  empêcha  point. 

Ni  Edouard  devant  Tournai,  ni  Robert  d'Artois  devant  Saint- 
Omer  n'arrivèrent  à  leurs  lins.  Le  premier,  a^^rès  avoir  conclu  une 
trêve  d'un. an,  leva  le  27  septembre  le  sièg-e  qui  avait  duré  huit 
semaines;  le  second  fut  battu  ~.  Mais  le  pays  fut  dévasté  partout,  et 
notamment  les  faubourgs  de  Saint-Omer  furent  brûlés  ^\  Sans  doute 
qu'aussi,  l'abbaye  cistercienne  de  Glairmarais  près  Saint-Omer,  trop 
exposée  aux  ennemis,  eut  déjà  alors,  comme  les  années  suivantes, 
beaucoup  à  souffrir  ^. 

De  ces  deux  invasions,  ni  les  Anglais  ni  leur  roi  ne  retirèrent  le 
moindre  avantage.  Mais  beaucoup  de  domaines,  d'établissements 
religieux  et  d'églises  furent  pillés  et  brûlés,  beaucoup  de  terres,  de 
fermes,  de  censés  furent  dévastées  comme  celles  de  l'abbave  cister- 
cienne  de  Loos,  du  diocèse  de  Tournai  ^. 

En  d'autres  endroits  encore  qui  ne  sont  pas  mentionnés  plus  haut, 
il  y  eut  des  monastères  détruits  lors  des  incursions  ennemies.  Ainsi 
les  religieuses  de  S.  Dominique,  établies  hors  des  murs  de  Lille,  au 
diocèse  de  Tournai,  se  plaignirent  en  1345  de  ce  que  pendant  les  der- 
nières guerres,  leur  monastère  était  devenu  par  cinq  fois  la  proie 
des  flammes  et  que  leurs  murs  menaçaient  de  tomber  en  ruines. 
Il  est  certain  qu'il  fut  brûlé  au  moins  une  fois  par  les  comtes  de 
Salisbury  et  de  Suffolk,  quand  ils  attaquèrent  la  ville  de  Lille  en 
avril  1340  ^.  Le  roi  Philippe  s'employa  si  bien  en  faveur  des  reli- 
gieuses, qu'elles  furent  reçues  dans  l'intérieur  de  la  ville  ''. 


1.  Froissaht,  p.  x.\\-.  Ja\  de  Kleuk,  Van  den  derden  Edeivaerl,  v.  1635,  dit  «  Tus- 
schen  II  rivieren  ». 

2.  Voy.  sur  cela  G7\indes  chron.,  V,  390  suiv.  Murimuth,  p.  108  au  contraire  écrit  : 
«  finalis  Victoria  remansit  cuni  domino  Robcrto  et  suis,  per  adjutorium  et  audaciam 
Anglicorum  ». 

3.  FllOlSSAUT,    p.   XXX. 

4.  De  Laplane,  Les  nbbès  de  Clnirmarais,  est  très  incomplet  et  superficiel. 

5.  Voy.  De  Ros.w,  Hist.de  Vabbaye  de  iV.-D.  de  Loos,  p.  58. 

6.  Voy.  Chronûffr.,  p.  98  à  104;  Muiumuth,  p.  104;  Bakeh,  p.  67. 

7.  «  Propter  impctum  et  incursum  guerrarum  in  illis  partibus...  quinquies  fuit 
idem  monasterium  flanimis  et  ignibus  concrematum  et  in  mûris  suis  quasi  radicitus 
extirpatum  ».  Reg.  Vat.  Clein.  VI,  n°  172,  fol.  183'',  ad  an.  1345,  Jul.  30. 


R.  P.  Denifle.  —  Desolatio  ecclesiarura  II. 


48  LA    GUEKKE    DE    CENT    ANS 


2.  La  (jucrrc  de  la  succession  de  Bretagne  Jusqu^à  la  mort  de 

Jean  de  Mont  fort. 

.le  dirai  quelques  mots  seulement  sur  la  cause  de  la  célèbre  guerre 
de  la  succession  de  Bretagne  qui  devait  se  prolonger  pendant  vingt- 
trois  ans.  Jean  III,  duc  de  Bretagne,  étant  mort  le  30  avril  1341, 
ne  laissait  pas  d'héritier  direct,  mais  seulement  une  nièce,  Jeanne  de 
Penthièvre,  fille  de  Gui  de  Bretag-ne,  comte  de  Penthièvre  (frère 
puîné  et  germain  du  duc  Jean  III)  et  un  frère  cadet  et  consanguin, 
Jean  de  Bretagne,  comte  de  Montfort.  Jeanne  de  Penthièvre  était 
mariée  à  Charles  de  Châtillon,  dit  de  Blois,  fils  de  Gui,  comte  de 
Blois.  Jean  de  Montibrt  se  mit  aussitôt  sur  les  rang-s  pour  revendi- 
quer la  succession,  mais  Jeanne  de  Penthièvre  invoqua  le  droit  de 
représentation  qui  régit  en  Bretagne  la  succession  des  nobles.  Les 
filles  n'étaient  point  exclues  du  droit  de  succession  au  trône  ducal, 
et  c'est  pourquoi  Jean  de  Montfort  ne  pouvait  faire  valoir  le  prin- 
cipe de  l'hérédité  masculine  K  Les  deux  partis  soumirent  la  question 
à  leur  suzerain,  le  roi  Philippe  de  France.  Celui-ci  reconnut,  le  7  sep- 
tembre, Charles  de  Blois  -^  comme  successeur  du  duc  Jean  III,  à 
l'exclusion  de  Jean  de  Montfort. 

Les  hostilités  proprement  dites  commencèrent  seulement  à  partir 
de  cette  époque  entre  les  deux  prétendants.  Jean  de  Montfort  avait 
pour  lui  la  Bretagne  bretonnante  ;  c'est-à-dire  les  diocèses  de  Saint- 
Pol-de-Léon,  de  Quimper,  la  partie  occidentale  du  diocèse  de 
Vannes  ^.  Charles  de  Blois  ^  avait  l'appui  de  plusieurs  seigneurs  de 
Bretagne,  et  celui  du  roi  de  France. 

Un  triste  fait  saute  aux  veux  dès  le  commencement  de  cette 
guerre  et  il  se  reflétera  maintes  fois  pendant  sa  durée  de  cent  ans  : 
c'est  que  Jean  de  Montfort  irrité  appelle  à  son  secours  dans  le  pays 

1.  Sur  celte  question,  voy.  cloni  Plai.mî,  Ln  guerre  de  la  succession  de  Breliujne 
(Nantes  1886),  p.  8  suiv. 

2.  MouicE,  Mém.  pour  servir  de  preuves  h  Vhisloire  de  Bretagne,  I,  col.  1  â2l  suiv. 

3.  JiîAN  DE  Venette  dit  :  «  Habebat  magnani  partem  Britanniae  britannizanlis  pro 
se,  et  aliquos  barones  Britanniae,  sed  non  onines,  nani  doni.  Karolusde  Blesis  plurcs 
pro  parte  sua  de  nobilibus  obtinebat  »  [Cont.  Guill.  Nting.,  II,  p.  188).  S.  Luce,  Ilist. 
de  Bertrand  du  Guesclin  (Paris  1876),  p.  32. 

4.  Duquel  S.  Luce,  p.  38  suiv,  trace  un  beau  portrait. 


LA    GUERRE    I':N    fiRETACiiNE,    1342    à    iliii)  19 

les  ennemis  les  plus  acharnés  de  la  France.  On  peut  expliquer  ce 
fait,  mais  jamais  l'excuser.  Néanmoins,  jusqu'à  la  mort  de  Jean  de 
Montfort,  en  134*),  le  théâtre  de  la  guerre  était  limité  aux  diocèses 
de  Nantes,  de  Rennes,  de  Vannes  et  de  Quimper  et  s'étendait  encore 
dans  une  partie  de  celui  de  Saint-Pol-de-Léon '.  Jean  de  Montfort 
s'était  emparé  de  Nantes;  sa  femme,  l'audacieuse  et  ])elliqueuse 
Jeanne  de  Flandre,  exerçait  une  grande  influence  sur  ses  entre- 
prises. Le  roi  de  France,  toutefois,  soutenait  Charles  de  Blois  en 
engageant  le  duc  de  Normandie,  le  comte  d'Alençon,  les  ducs  de 
Bourgogne  et  de  Bourbon,  Louis  d'Espagne  ainsi  que  d'autres  sei- 
gneurs, à  rassembler  une  armée  près  d'Angers.  Celle-ci,  forte  de 
8.000  hommes  entra  en  Bretagne,  prit  au  mois  d'octobre  Champto- 
ceux  et  Carquefou  qui  fut  pillée  et  à  demi-brûlée.  Ensuite,  on  mit  le 
siège  devant  Nantes  où  s'était  enfermé  Jean  de  Montfort,  après 
avoir  laissé  sa  femme  à  Rennes.  A  l'insu  de  celui-ci,  quelques 
bourgeois  ouvrirent  secrètement  une  porte  de  la  ville  aux  Français 
qui  y  pénétrèrent  au  mois  de  novembre.  Jean  de  Montfort  fut  fait 
prisonnier  et  amené  à  Paris  par  le  duc  de  Normandie.  A  cette  nou- 
velle, la  comtesse  Jeanne  de  Montfort  renforça  partout  les  garni- 
sons, surtout  à  Rennes  -. 

Au  printemps  de  l'année  1342,  l'armée  française  marchait 
devant  Rennes.  Le  capitaine  de  la  ville,  Guillaume  de  Cadoudal,  fit 
mettre  le  feu  aux  faubourgs  afin  de  pourvoir  aux  nécessités  de  la 
défense  ''^.  A  cette  occasion,  l'abbaye  des  Bénédictines  de  Saint- 
Sulpice,  avec  ses  dépendances,  fut  ruinée  parles  Anglais.  La  guerre, 
jointe  aux  conflits,  avait  tellement  appauvri  le  monastère  que  les 
religieuses,  accablées  de  dettes,  ne  savaient  comment  se  libérera 
Au  commencement  de  mai,  la  ville  se  rendit  à  Charles  de  Blois. 
Après  quoi  il  alla  assiéger  Hennebont,  au  diocèse  de  Vannes,  où  la 

1.  J'avertis  le  lecteur  qu'il  y  a  clans  les  Chroniques  une  grande  confusion  au  sujet 
de  cette  guerre.  On  est  souvent  mieux  informé,  surtout  pour  les  dates,  parles  sources 
anglaises. 

2.  FiioissAUT,  II,  p.  xxxix  suiv. 

3.  IbiiL,  p.  352. 

4.  Perrone,  Tabbesse  du  monastère  écrit  :  «  quod  dicluni  monasteiium  tam  proj)- 
ter  guerras  patrie  notorias,  quam  lites  graves  énormes  et  inevitabiles  monasterii  et 
niendoroi'um  ejus  est  adeo  gravi  onere  debitorum  oppressum,  quod  facultates  ejus 
dem  monasterii  non  suppetunt  »>  etc.  Becf.  Val.  Cleni.  VI,  n"  172,  fol.  193'',  ad  an- 
13i5,  Novemb.  3.  Voy.  plus  loin,  le  chapitre  III.  au  paragraphe  1. 


20  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

comtesse  Jeanne  de  Montfort  s'était  enfermée  avec  ses  principaux 
partisans'.  Mais  ce  fut  en  vain,  car  quand  le  secours  d'Edouard  III 
imploré  par  Jeanne,  arriva  sous  Gautier  de  Masnv^^  Louis 
d'Espagne,  au  nom  de  Charles  de  Blois  fut  forcé  de  lever  le  siège. 
Par  les  ordres  de  Charles  de  Blois,  Louis  d'Espagne  s'empara  de 
quelques  villes,  entre  autres  de  Guérande,  au  diocèse  de  Nantes. 
Les  habitants  furent  passés  au  fd  de  l'épée,  cinq  églises,  violées  et 
brûlées,  tout  fut  livré  au  pillage  •^.  Mais  il  lui  en  arriva  malheur. 
Après  que  ses  gens  ou  ses  alliés  eurent  ravagé  et  brûlé  la  Bretagne 
bretonnante,  notamment  les  environs  de  Quimperlé,  de  Quimper- 
Corentin,  de  Saint-Mathieu  (au  diocèse  de  Saint-Pol-de-Léon), 
Gautier  de  Masny  leur  livra  près  de  Quimperlé  une  bataille  dans 
laquelle  Louis  de  la  Cerda  fut  complètement  battu ^.  Au  cours  des 
ravages  exercés  par  les  troupes  de  ce  capitaine,  au  moins  deux 
abbayes  de  Bénédictins  eurent  à  souffrir  :  Sainte-Croix  de  Quim- 
perlé ^  et  Saint-Mahé,  laquelle  abbaye  fut  tellement  ruinée,  que  les 
revenus  des  moines  ne  suffisaient  guère  pour  la  restaurer^. 

On  voit  que  les  partisans  de  Charles  de  Blois  savaient  ravager 
comme  les  autres.  Il  en  fut  de  même  de  la  garnison  de  la  Roche- 
Periou  (Morbihan)  composée  de  Bourguignons  qui  ravagaient  et 
pillaient  tout  le  pays  jusques  vers  Vannes  et  Dinan  ',  dont  les  fau- 
bourgs furent  brûlés  par  les  Anglais  sous  le  comte  de  Salisbury 
dans  le  courant  de  l'année  1342^.  Charles  de  Blois  s'empara 
d'Auray  (au  diocèse  de  Vannes)  et  de  Vannes  ^. 

1.  FkOISSART,   p.   XLVII. 

2.  Voy.  MuuniLTH,  p.  125;  Kmghtox,  II,  p.  53;  Froissart,  p.  xi.vii  suiv.;  Luce, 
Guesclin,  p.  44  suiv. 

3.  Froissart,  p.  157. 

4.  Froissart,  p.  lui,  suiv.  Voy.  Nicolas,  A  Ilisiory  of  Ihe  royal  navy,  II,  73. 

5.  Placide  le  Duc,  Histoire  de  l'abhaye  de  Sainle-Croix  de  Quimperlé  (éd.  Le 
Men),  p.  297,  ne  donne  pas  de  détails. 

6.  Jeanne,  duclicsse  de  Bretagne,  raconte  dans  sa  supplique  au  pape  :  «  abbatia... 
S.  Mathci  in  Finibus  Terrarum  Léon.  dioc.  in  tantuin  dainpnificala  est  propter  guer- 
ras,  quod  vix  absque  alio  juvamine  reparari  poterit  aut  ad  statum  sufïicientem 
reduci  ».  Elle  demande  que  le  nouvel  abbé  Yves  Forestier  reçoive  la  faculté  de 
retenir  le  prieuré  de  Méron  aii  diocèse  de  Poitiers,  où  il  était  prieur  [Siippl. 
Clem.    VI,  n"  18,  fol.  84,  ad  an,  1350,  Maii  12j. 

7.  Froissart,  p.  xlix.  Les  chroniqueurs  écrivent  :  «  Dinan  ».  Mais  Mora> ville, 
Chronogr.,  p.  174,  not.  3,  propose  Guignan,  aujourd'hui  «  Guéméné-sur-Scorth  » 
(Morbihan). 

8.  Voy.  Lemoixe  dans  la  Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  59,  not.  1,  et  p.  230. 

9.  Froissart,  p.  lui. 


LA  GUERRE  EN  RRETAGNE,  1342  à  134^)  21 

Un  épisode  intéressant  de  ce  siège  nous  est  conservé  dans  les  Suppli- 
ques. Louis,  le  fils  aîné  de  Gui,  comte  de  Blois,  faillit  être  tué  devant 
Vannes.  Du  haut  des  murailles  de  Vannes,  un  des  assiégés  lançait 
continuellement  des  pierres  contre  lui  et  son  entourage,  jusqu'à 
ce  qu'il  en  fut  empêché  par  une  flèche  qui  le  renversa  à  demi-mort. 
Après  qu'une  seconde  flèche  l'eut  achevé,  on  s'aperçut  que  c'était 
un  prêtre  ^  Louis  lui-même  succomba  plus  tardàCrécy.  De  la  sup- 
plique citée,  il  s'ensuit  que  Vannes  fut  prise  avant  le  31  mai-. 

Des  secours  envoyés  par  Edouard  d'Angleterre  vinrent  successi- 
vement en  Bretagne  dans  le  courant  de  l'année  1342.  Une  nouvelle 
flotte  anglaise  de  260  vaisseaux  débarqua  le  18  août  près  de  Brest -^i 
sous  Robert  d'Artois  et  le  comte  de  Northampton,  nommé  lieute- 
nant d'Edouard  en  France  et  en  Bretagne '^  La  comtesse  de  Mont- 
fort  était  renfermée  dans  Brest  et  assiégée  par  Charles  de  Blois, 
mais  les  Anglais  la  délivrèrent  bientôt^.  Le  comte  de  Northampton 
poussa  jusqu'à  Morlaix;  dévastant  la  région  qui  ne  voulait  pas  se 

1.  Supplie.  Cleni.  V/,  n°  1,  fol.  \^^  (in-2»  parte),  ad  an.  1342,  Maii  31  :  S.  V.  signifi- 
cat...  Gcrardiis  de  Ulmis,  illustrium...  régis  Francie  et  ducis  Normannie  clericus, 
qiiod  cum  ipse  per  illustriss. . . .  reginani  Francie  ad  dom.  Ludovicum  fdium  primo- 
g-enituni  comitis  Blesen.  et  alibi  super  certis  missus  (negotiis),  eundem  dom.  Ludo- 
vicum in  gu erra  Britanie  coram  civitate  Vaneten.  in  confïictu  eam  debellando  inve- 
nisset,  et  ibidem  dictus  supplicans  inermis  existens,  quemdam  hominem  supra  muros 
ad  menia  dicte  civitatis  lapides  dire  et  fortiter  contra  dictum  dom.  Ludovicum  et 
secum  existentes  conspiceret  jacientem,  quorum  ictibus  prefatum  dom.  Ludovicum 
projecerat  jam  ad  terram,  ipsum  hominem  sic  jacientem  predictus  supplicans  cui- 
dam  balisterio  dicti  dom.  Ludovici  ostendit,  quem  hominem  dictus  balisterius  sagita 
seu  cadrcllo  ad  terram  vulneratum  projecit,  non  tamen  vulnere  mortali;  sed  cum 
captus  duceretur,  casu  fortuito  (sine  facto  et  culpa  supplicantis)  altéra  sagita  letali- 
ter  vulneratus  expiravit,  qui  mortuus  post  repertus  est  sacerdos  fuisse.  Et  cum  sup- 
plicans de  facto  predicto  occulto  in  foro  conscientie  absolutus  existât...  [petit  dis- 
pensationem  ab  irregularitate]  ». 

2.  Par  conséquent  l'assertion  de  Morice,  Hist.  de  Bretagne.,  I,p.  248,  est  fausse,  que 
le  siège  de  Vannes  commença  après  juin. 

3.  MuniMUTH,  p.  125  :  «  In  vigilia  S.  Laurentii  (9  août)  ventum  prosperum  (apud 
Portesmouth)  expectantes,  et  in  vigilia  Assumptionis  (14  août)  navigare  coeperunt  ». 
P.  126  :  «  Dominica  infra  oclavas  Assumptionis  (le  18  août)  venit  (comes  de  North- 
ampton) prope  litus  Britannie  juxta  castrum  et  villam  vocatam  Brast,  ubi  fuit  dic- 
tum castrum  et  villa  obsessum,  tam  per  mare  quam  per  terram,  in  quo  fuit  duchissa 
cum  libei'is  suis,  per  mare  vid.  per  XIIII  galeas  maximas  et  bene  munitas,  et  per 
terram  per  comités  de  Bloys,  Sabaudiae  et  de  Foys  ».  Ainsi  Froissart,  III,  p.  ii  suiv. 
reste  corrigé.  Ce  n'était  pas  aussi  à  Vannes,  comme  dit  Froissart,  mais  devant  Brest 
que  la  flotte  a  jeté  l'ancre. 

4.  Le  20  juillet.  Rymer,  Fœdera,  II,  1203. 

5.  MuRiMUTn,  1.  c. 


22  LA    GUERRE    DE    CE  M'    ANS 

rendre,  il  assiég-a  cette  ville  et  attendit  de  nouvelles  forces.  Sur 
ses  entrefaites  arriva  Charles  de  Blois  avec  une  énorme  masse  de 
troupes  et  le  30  septembre  on  en  vint  aux  mains.  Cinq  à  six  cents 
Anglais  luttèrent  contre  quatre  à  cinq  mille  Français  ;  la  bataille  fut 
très  acharnée,  aucun  des  partis  ne  voulant  céder.  Enfin  les  Anglais 
restèrent  vainqueurs,  après  avoir  tué  beaucoup  de  Français  et  fait 
un  grand  nombre  de  prisonniers  parmi  lesquels  Geofl'roy  de  Charny  ; 
mais,  malgré  leur  victoire,  les  Anglais  aussi  étaient  épuisés  '. 

Le  23  octobre,  Edouard  s'embarqua  lui-même  à  Portsmouth  -  et 
débarqua  le  27  dans  le  port  de  Brest  '^K  II  traversa  avec  douze 
mille  hommes  le  centre  de  la  Bretagne,  s'emparant  successive- 
ment en  personne  ou  par  ses  lieutenants  de  Carhaix,  le  Faouët,  la 
Roche-Periou,  Pontivy  et  Rohan  '\  tandis  que  Ploermel,  Malestroit 
et  Redon  se  rendaient  à  Edouard,  comme  celui-ci  l'écrit  à  son  lils  ^. 
Descendant  à  Grandchamp,  il  vint  camper  devant  Vannes,  où  il 
était  déjà  le  5  décembre.  Le  roi  envoya  le  comte  de  Northampton 
devant  Nantes  ".  Comme  l'aiïirme  Froissart,  un  détachement  de 
forces  anglaises,  sous  les  ordres  des  comtes  de  Salisbury,  de  Pem- 
broke  et  de  Suffolk,  avait  déjà  mis  le  siège  devant  Rennes,  avant 
l'arrivée  du  roi^,  mais  sans  succès.  Murimuth  nous  raconte  comme 
une  nouvelle  merveilleuse  qu'Edouard  d'Angleterre  traversait  les 
contrées  sans  tuer  ni  incendier  ^. 

Le   19  janvier   1343,  une  trêve  de  trois  ans  fut  conclue  entre  le 

1.  Mur.iMiJTH,  p.  126  siii\.;  Bakicr,  p,  76;  Morick,  Ifisl.  de  Bret.iffne, 1,260,  qui  cite 
d'autres  sources  pour  cette  victoire  des  Anglais,  omise  par  les  chroniqueurs  français. 

2.  Ibid.,  p.  12S,  228.  S.  Luce  (III,  p.  vi,  not.  2),  dit  :  «  a  Sandwich  le  5  oc- 
tobre ».  Mais  de  Sandwich  «  se  traxit  versus  Portesmuth. , ,  die  niercurii  proxinio 
post  feslum  S.  Luce  navigare  ceperunt  » 

3.  «  26  coram  villa  S.  Mathei,  27  in  porlu  de  Brest  »,  en  Wardrobe  Account  lîrooks 
17-19  Edw.  III,  p.  64,  dans  Paum,  Gesch.  v.  Encfland,  IV,  p.  388,  not.  4.  Los  historiens 
donnent  la  date  du  30  octobre.  La  date  dans  l'itinéraire,  éd.  par  Liîmoine,  Chvon.  de 
liichnrd  Lescol,  p.  207  :  «  octobre  19  »,  est  fausse. 

4.  ^^oy.  MoRANviLLK  daus  Chronocfr.,  p.  201,  not.  1. 

5.  Dans  la  lettre  écrite  «  al  siège  de  Vannes  le  veille  de  seint  Nicholas  »  (5  dé- 
cembre). Avesbury,  p.  340.  Pontivy  et  Rohan  furent  pris  par  le  comte  de  Northamp- 
ton, qui  livra  Rohan  aux  flammes.  Kmghton,  p.  27. 

6.  AVESBUIIV,  1.  c. 

7.  Voy.  S.  Luce,  GuescUii,  p.  45  suiv.  Dans  son  édition  de  Froissart,  III,  p.  a  ni, 
not.  1,  S.  Luce  est  d'un  autre  avis. 

8  «  Non  tamen  comburendo  nec  occidendo,  sed  de  his  que  ibi  invcnerant  victi- 
tando  »  (p.  129). 


LA  (iUERKE    KN    HRRTAGNE,    1342    à    13io  23 

roi  d'Angleterre  et  le  roi  de  France,  grâce  à  l'intervention  de  deux 
légats  du  pape  K 

Le  pays  avait  été  très  dévasté  -,  les  environs  du  château  d'IIenne- 
bont  par  exemple  (Charles  de  Blois  assiégeait  ce  château j  furent 
tellement  ravagés,  que  les  assiégants  ne  savaient  plus  où  trouver 
ni  vivres,  ni  fourrages  •^.  En  conséquence  de  la  trêve,  on  n'en  vint 
pas  à  une  bataille  décisive  entre  le  roi  Edouard  et  Philippe.  Celui- 
ci  était  aussi  accouru  à  la  fin  de  décembre,  campant  entre  Redon 
et  Ploërmel. 

Toutefois,  le  calme  ne  fut  pas  rendu  à  la  Bretagne.  En  retour- 
nant en  Angleterre,  après  le  20  février  1343,  et  avant  le  1  mars,  le 
roi  avait  établi  des  gouverneurs  anglais  en  Bretagne,  et  dans  le 
courant  du  mois  de  mars  ou  d'avril  1343,  ces  lieutenants  ne  crai- 
gnirent j)as  d'imposer  de  force  leur  autorité  à  la  ville  de  Vannes, 
qui  dans  la  trêve  avait  été  déclarée  ville  neutre  \  et  de  livrer  au 
pillage  l'abbaye  bénédictine  Saint-Sauveur  de  Redon  '\  Aussi  Charles 
de  Blois  ^'  envahit-il,  à  la  tête  d'une  puissante  armée,  la  partie  de 
Bretagne  occupée  par  les  Anglais,  et  prit-il  d'assaut  la  ville  do. 
Quimper  le  1^*'  mai  1344.  Pendant  que  Charles  priait  dans  la  cathé- 
drale, les  vainqueurs  commirent  des  atrocités  sur  la  population 
laïque^.  Le  18  août,  il  fit  le  siège  de  Guérande^.  Le  parti  de  Mont- 
fort  semblait  abattu. 

En  attendant,  Jean  de  Montfort,  sorti  de  sa  captivité  le  25  mars 
1345 '^  Il  alla  ensuite   en  Angleterre  rendre   hommage   au  roi,  et 

1.  «  Trêve  de  Malestroit  ».  Voy.  les  articles  dans  Avesbury,  p.  314  suiv.;  Murimuth' 
p.  129  suiv'.;  quelques-uns  dans  Gra/id.  chron.,  V,  p.  420  et  dans  Hemixgbuugh, 
p.  397.   Un  résumé  dans  Morici:,  Hist.,  etc.,  p.   267. 

2.  Clironogr.,  p.  201. 

3.  Froissart,  p.  410  suiv. 

4.  Clément  VI  se  plaint  également  le  21  juillet  1345  (Murimuth,  p.  182  suiv.). 

5.  Plaine,  1.  c,  p.  20. 

6.  Il  a  dit  au  pape  :  «  se  nunquam  treugas  predictas  aliqualiter  inivisse,  nec  fucrat 
super  hoc  requisitus  ».  Murimuth,  p.  181. 

7.  MoRicE,  p.  270;  S.  Luce,  Guesclin,  p.  49  suiv. 

8.  Froissart,  IV,  p.  xv,  not.  3,  pièce  analysée  par  S.  Luce. 

9.  Bibl.  nat.,  fonds  franc.  2589,  fol.  53'';  Moraxvillé,  dans  Chronoçjr.,  p.  208,  note  1 
De  même  suivant  Murimuth,  p.  164,  en  1345  avant  Pâques,  ^'oy.  Kmghton,  p.  31,  et 
Morice,  p.  271.  Mais  selon  Grand,  chron.,  V,  430,  mois  d'août  1343;  selon  la  Chro- 
nogr.,  p.  207  et  Chron.  normande,  p.  61,  le  jour  de  Noél.  C'est  faux.  D'après  ces 
deux  chroniqueurs  Jean  de  Montfort  serait  aussi  ensuite  retourné  en  Bretagne,  sans 
passer  par  l'Angleterre,  et  il  serait  déjà  mort  en  1344. 


24  LA    GUERRE    DE    CENT    AKS 

s'en  retourna  en  Bretagne  où  il  arriva  au  mois  de  juin  1345  ',  avec  le 
comte  de  Northampton  qui  avait  été  nommé  lieutenant-général  de 
Bretagne,  le  2i  avril  de  la  même  année. 

Le  17  juin,  Charles  de  Blois  fut  battu  dans  la  lande  de 
Cadoret  par  Thomas  Dagworth,  un  des  plus  habiles  officiers  du 
comte  de  Northampton '.  La  cause  de  Charles  de  Blois,  à  partir  de 
ce  moment,  était  perdue,  malgré  la  mort  de  Jean  de  Montfort  sur- 
venue le  26  septembre.  Le  duc  de  Northampton  et  après  lui  Tho- 
mas de  Dagworth  continuent  la  guerre  avec  succès,  en  faveur  du 
iils  de  Jean  de  Montfort  âgé  de  huit  ans.  Leurs  opérations  toutefois 
s'enchaînent  si  étroitement,  qu'elles  demandent  à  être  traitées  avec 
suite;  et  j'en  réserve  l'exposé  au  paragraphe  5. 

3.  La  Campagne  du  comte  de  Derby  en  Guienne. 

La  trêve  de  Malestroit  ne  regardait  pas  seulement  la  Bretagne, 
mais  aussi  la  Gascogne  et  tous  les  pays  que  se  disputaient  les  rois 
de  France  et  d'Angleterre.  Néanmoins  le  roi  d'Angleterre  envoya 
le  comte  de  Northampton  en  Bretagne  en  1345,  et  la  même  année, 
après  Pâques,  le  baron  de  Stratford  en  Gascogne.  Celui-ci  s'embar- 
qua à  Bristol  avec  14  voiles  et  arriva  bientôt  à  Bordeaux-^.  Le  14 
juin,  Edouard  justifiait  ces  procédés  dans  une  lettre  qu'il  envoya 
aussi  aux  cardinaux,  en  alléguant  les  mesures  sanguinaires  prises 
par  le  roi  Philippe  en  dépit  de  la  trêve  contre  plusieurs  seigneurs 
et  nobles  du  parti  de  Jean  de  Montfort^.  Le  8  mai  1345,  Edouard 
JII  nomma  capitaine  et  lieutenant  en  Guienne,  Henri,  comte  de 
Derby  ^;  il  passait  pour  le  plus  vaillant  chevalier  de  son  temps. 
S'étant  embarqué  après  le  6  juillet  à  Southampton  avec  le  comte 

1.  MuRiMUTH,  1.  c.  Il  dit  «  ante  festum  S.  Johannis  Baptistae  ». 

2.  MoRiCE,  Histoire,  etc.,  p,  272. 

3.  MuRiMUTH,  p.  163.  Voy.  Avesbury,  p.  356.  Ne  m'ont  servi  en  rien  pour  cette  cam- 
pagne MoM.Ezu.\,  Hist.  de  la  Gascoc/ne,  III  (1847),  et  Massiou,  Hist.  politique,  civile 
et  religieuse  de  la  Saintonge  et  de  VAunis,  III  (1838);  ces  auteurs  ne  donnent  pas  de 
nouvelles  sources.  Ils  connaissent  Froissart et Vaissette  naturellement  sans  les  correc- 
tions apportées  par  la  critique  moderne.  Du  reste,  ils  ne  parlent  pas  des  églises  et 
monastères. 

4.  Lettres  d'Edouard  de  14  juin  dans  HEMi\r,BURGH,p.  416;  Murimuth,  p.  165  ;  lettre 
de  15  juin  à  l'évêque  de  Londres,  Murimuth,  p.  168. 

5.  Rymer,  Foedera,  III,  i,  p.  37. 


LE    COMTE    DE    DERBY    EN    GUIENNE,    1345,    1346  2o 

de  Pembroke  \  Gautier  de  Masnj,  Re^naut  de  Gobeham,  il  débar- 
qua vraisemblablement  à  Bayonne  vers  le  25  juillet  -.  Les  Fran- 
çais avaient  occupé  successivement  depuis  1324,  plus  de  cinquante 
places  fortes  en  Gascogne,  dont  les  plus  fameuses  étaient  :  La 
Réole  •\  Penne  d'Agenais,  Bourg",  Blaye,  Bergerac,  Sainte-Foy, 
Aiguillon  et  Pommereux  '^.  Toutes  se  trouvaient  dans  les  anciens  dio- 
cèses  d'Agen,  de  Périgueux,  de  Bazas,  de  Bordeaux,  de  Gondom, 
de  Montauban  et  d'Angoulême.  Toutes  les  entreprises  du  comte  de 
Derby  contre  les  Français  étaient  couronnées  de  succès.  Selon  un 
chroniqueur  anglais,  les  comtes  de  Derby  et  Pembroke  avec  les 
barons  de  Stallord  et  de  Greystoke,  ainsi  que  Gautier  de  Masny, 
avaient  déjà  pris  plus  de  60  places  fortes  ^  et  villes  fortifiées  à  la 
fin  de  Tannée  1345.  D'après  une  autre  source,  86  places  fortes, 
toutes  énumérées  dans  le  document,  sont  tombées  dans  les  mains 
des  Anglais  depuis  l'arrivée  du  comte  de  Lancaster  '*.  Sans  doute, 
toutes  n'étaient  pas  encore  prises  à  la  fin  de  l'année.  Cette  source 
concerne  l'an  1346. 

Dès  le  24  août  1345,  Derby  était  maître  de  Bergerac  "^  et,  vers  la  fin 
d'octobre,  on  en  reçut  la  nouvelle  à  Londres  ^.  A  Bergerac  étaient  des 
Prêcheurs,  Mineurs,  Carmes  et  le  prieuré  bénédictin  de  Saint-Martin. 

1.  MuHiMUTii,  p.  164,  293;  Avesbuhv,  p.  356.  C'est  à  tort  que  Chronogj\,  p.  210  et 
Chon.  norm.,  p.  263,  écrivent  au  lieu  de  Pembroke  «  le  comte  d'Arundel  ».  Le 
29  septembre,  Fitz  Alan,  Richard,  comte  d'Arundel,  était  encore  présent  au  concile 
de  Westminster  (Murimuth,  p.  176  suiv.).  Je  crois  que  c'est  une  confusion  avec  la 
mission  du  comte  de  Derby  en  1344,  quand  Derby,  avec  le  comte  d'Arundel,  était  en 
Espagne  (voy.  la  lettre  d'Edouard  du  24  mars  1344  dans  Rymer,  III,  i,  p.  8  suiv.; 
Murimuth,    p.   156),   en   abordant  le  5  juin  aussi   à  Bayonne. 

2.  lÎRRTR.vNDY,  Etudc  siu'  les  chroniques  de  Froissart^  Guérite  de  Giiienne  (1870), 
p.  29  sq.  Voy,  Murimuth,  p.   164;  p.  243  :  le  24  juin.  Avesburv   dit   à  tort,  p.   355 

«  circa  festuni  sancti  Michaelis  archangeli  ». 

3.  Cette  ville  fut  prise  vers  la  fin  de  J  324.  Voy.  G.vrn.v.N,  Hist.  de  /a  jReofe(La  Réole, 
1873), p.  152  suiv^,  où  on  trouve  plusieurs  détails.  Hist.  gêner,  de  Languedoc^  éd.  Pri- 
vât, i.\,  p.  433  suiv. 

4.  Molimer  apporte  dans  la  Chronique  normande^  p.  263.  note  12,  la  liste  de  50, 
et  il  donne  seulement  les  principaux.  Voy.  aussi  Hist.   génér.  de  Languedoc,  p.    572. 

5.  Murimuth,  p.  189.  Avesdury,  p.  356,  dit  «  plusquam  xlvj  »;  Kxighton,  p.  31  suiv^ 
ad  summam  lij  ». 

6.  Ed.  Thomtsox,  dans  Mirimuth,  p.  251. 

7.  Petite  chronique  de  Guyenne,  éd.  G.  Lefèvre-Poxtalis  dans  la  Bibl.  de  Vécole 
des  chartes,  t.  XL VII,  p.  61  et  69.  Le  comte  y  trouvait  beaucoup  de  richesses.  Muri- 
muth, p.  189;  Kxighton,  p.  32.  Les  noms  des  prisonniers  dans  l'Appendix  ad  Muri- 
muth, p.   249. 

8.  Murimuth,  p.   189. 


26  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Ce  dernier  était  depuis  le  xiv*^  siècle  dans  un  état  déplorable  qui 
durait  encore  en  1441  ^ 

Ensuite  Derby  allait  soumettre  successivement  Pellegrue,  Lalinde, 
Saint-Louis,  Saint-Astier,  Montag-rier  et  Tlsle  -.  Il  n'y  avait  pas 
d'abbayes  le  long^  de  cette  route  excepté  celle  de  Saint-Astier,  des 
chanoines  réguliers.  Chemin  faisant.  Derby  fît  plusieurs  tentatives 
infructueuses  contre  Périgueux  ^.  Autour  de  cette  ville  se  trou- 
vaient, à  des  distances  plus  ou  moins  éloignées,  les  abbayes  béné- 
dictines de  Tourtoyras,  de  Ligneux,  Le  Bugue,  et  celles  des  cha- 
noines de  Chancellade  et  de  Sainte-Marie  de  Chastres.  Ensuite 
Derby  mit  le  siège  devant  Auberoche. 

Vers  le  30  novembre,  on  reçut  à  Londres  la  nouvelle  de  la  vic- 
toire que  les  Anglais  avaient  remportée  à  Auberoche  '•  le  21 
octobre  ^.  C'est  dans  cette  bataille  que  fut  tué  Louis  de  Poitiers, 
comte  de  Valentinois  et  Diois,  et  que  fut  fait  prisonnier  le  comte 
de  risle.  Derby  et  les  Anglais  se  rendirent,  après  cette  bataille,  à 
Monsac^.  Là,  ils  s'emparèrent  du  marché,  emmenèrent  tous  les 
chevaux  et  incendièrent  la  ville  jusque  dans  ses  fondements'.  Au 
mois  de  novembre,  les  Anglais  assiégèrent,  mais  en  vain,  Sainte-Foy- 
la-Grande  (Gironde),  et  bientôt  après,  au  mois  de  décembre,  ils 
s'emparèrent  d'Aiguillon,  où  était  un  monastère  de  Bénédictins,  de 
Montpezat,  de  La  Réole^  et  de  toutes  les  autres  villes  jusqu'à  Angou- 
lême.  Celle-ci  fut  prise  dans  le  mois  de  décembre  1345 'J.  Devant 
cette  ville  et  dans  les  environs  se  trouvaient  les  abbayes  de  Saint- 

1.  «  Edificia...  sunt  proptcr  eorum  vetustatem  in  parte  destructa,  coUapsa  et 
quamplurimum  ruinosa  ».  Heg.  Val.  Urb.  V,  n°  253,  fol.  111'',  ad  an.  136i,  Jul.  12. 
Voy,  La  Désolation.,  I,  n°  400.  Quelques  autres  détails  dans  Les  jurades  de  la  ville  de 
Bergerac  (Bergerac  1892),  I,  p.  64  suiv. 

2.  AvEsnunY,  p.  356:  Berthaxdy,  Etude,  etc.,  p.  56,  63,  67  ;  S.  Luce  dans  Fuoissaut, 
m,  p.  XIV. 

3.  Beuthandy,  1.  c,  p.  69,  72, 

4.  MuniMUTH,  p.  190.  Voy.  AvEsnunY',  p.  356;  Villam  dans  Mukatori,  Scriptores, 
etc.,  XIII,  p.  297.  Ils  nomment  les  plus  renommés  prisonniers.  Voy.  Hist.  génér.  de 
Languedoc,  IX,  p.  577,  note  (A.  Molimer). 

5.  Petite  chronique  de  Guyenne,  1.  c,  et  Fhoissaut,  p.  xvi,  note  3. 

6.  C'est  à  tort  qu'on  dit  que  Derby  s'empara  de  Libourne  (GuixoniE,  d'après 
Froissart,  Hist.  de  Libourne,  I,  p.  39),  parce  que  cette  ville  restait  fidèle  aux  Anglais. 
Voy.  Bertua.ndy,  p.  79. 

7.  MURIMUTH,   1.  c. 

8.  Voy.  Gauban,  Hist.  de  la  Réole,  p.  161,  suiv. 

9.  Voy.  Froissart,  III,  p.  xrx  suiv.;  Chron.  normande,  p.  265,  269,  not.  1;  ChîO- 
nogr.,  p.  215  sqq.  Hist.  génér.  de  Languedoc,  1.  c,  p.  585,  not.  5. 


LE    C03ITK    DE    DEKBY    EN    GUIENNE,     1345,     134()  27 

Cybard  et  de  Saint-Amand-de-Boixe  (Bénédictins),  et  celle  de  Saint- 
Ausone  (Bénédictines)  et  de  la  Couronne  (chanoines  réguliers). 
Nous  verrons  plus  tard,  que  tous  ces  couvents  étaient  déjà  dans  un 
état  misérable  dès  le  xiv^  siècle.  Les  Anglais  firent  quelques  tenta- 
tives infructueuses  contre  Blaye,  Mortajj^ne  et  Mirebeau  en  Poitou, 
et  Aulnay  ' . 

En  1346,  Jean,  duc  de  Normandie,  se  mit  en  mouvement  contre 
les  Anglais,  après  avoir  repris  Angoulême-.  Son  fait  d'armes  le 
plus  éclatant  fut  le  sièg'e  d'iViguillon  du  diocèse  d'Ag-en,  une  petite 
place,  mais  regardée  par  le  duc  comme  Tun  des  principaux  rem- 
parts de  la  domination  anglaise  en  Guienne.  Il  avait  une  armée  con- 
sidérable; si  Froissart  exagère  en  l'évaluant  à  100.000  tètes,  Aves- 
bury  parle  seulement  de  10.000  et  de  communs  innombrables -^  Le 
baron  de  Stall'ord  entreprit  la  défense  de  la  ville,  dont  le  sièg'e  dui'a 
depuis  le  mois  d'avril  ''  jusqu'au  20  août-\  A  cette  occasion,  Téglise  et 
le  couvent  des  Carmes,  situés  en  dehors  des  murs  delà  ville  furent 
sans  doute  détruits  ^K  Tous  les  faubourg's  d'Aiguillon  étaient  saccagés 
ou  le  furent  à  cette  date  ".  Les  campag-nes  et  les  monastères  ont 
soufïert  beaucoup  pendant  ce  sièg'e.  Le  duc  de  Normandie  éprouva 
de  grandes  ditïicultés  à  nourrir  la  multitude  des  assiégeants.  Les 
pourvoyeurs  de  l'armée  poussaient  jusqu'au  fonds  du  Rouergue 
réquisitionner  des  bestiaux.  L'abbaye  de  Bonneval  (Cisterciens)  du 
diocèse  de  Uodez  perdit  de  ce  chef  quatre  cents  têtes  de  bétail^. 

1.  FitoissAHT,  p.  \xiv  et  les  notes. 

2.  Chronoc/r.,  p.  218;  Molimer  in  Chron.  normande,  p.  269,  not.  1.  Ibid.,  p.  270, 
not.  9,  voy.  les  étapes  du  duc  de  Normandie. 

3.  AvEsiJimy  dit  p.  357  :  «  cuni  deccni  niillibus  ji,aleatoruni,  aliis  quoque...  quasi 
innuiuei'is.  »  lioiiryeois  de  Valenciennes.  p.  196  :  10.000  hommes  d'armes  et  20.000 
à  ])ied.  Kmghto.v,  p.  40  :  «  viij  millia  virorum  armatorum...  et  xl  millia  de  viris 
armalis.  »  Le  Livre  velu,  cité  dans  (iuinodie,  Ilist.  de  Lihourne,  I,  p.  40,  not.  5, 
porte  :  12.000  homes  d'armes,  30.000  génois  et  arbalétriers  et  d'autres.  A'oy.  Momnmeu 
in  Illst.  (/énér.  de  L:injiiedor.,  1.  c,  p.  585,  not.  1.  Dans  l'Appendix  ad  Murimuth, 
p.  250,  sont  énumérés  les  seigneurs  de  France  devant  Aiguillon. 

4.  MoiiANvii.ij';  tlans  (^hronoçfr.,  II,  p.  220,  not.  2. 

5.  «  Dimange  prochein  devaunt  le  leste  de  Seint  Bartholomeu  »  (Avesiurv, 
p.  373).  C'est  le  dimanche  après  l'Assomption,  et  ainsi  écrit  le  Livre  velu  dans  Guino- 
lUE,  1.  c.  MuuniuTH,  j).  217,  dit  :  «  vicesima  die  Augusti  »,  et  c'est  le  même.  Bakeh 
écrit  au  contraire  :  «  us([ue  post  leslum  Decollationis  S.  Johannis  »  (29  août*.  Sur  la 
défense  curieuse,  voy.  Kmohton,  p.  40. 

6.  Beçi.  Viit.  Innocent.  VI,  n"  226,  fol.  193  '',  ad  an.  1354,  April.  9. 

7.  Bey.  Val.  Greyor.  XI,  n"  287,  fol.  86  '•,  ad  an.  1376. 

8.  Beuthandv,  p.  334:  Mommeh  dans  Vllist.  yènér.  de  Languedoc,  p.  588,  not.  2. 


28  LA    GUERRE  DE    CENT    ANS 

Le  20  août  Jean,  duc  de  Normandie,  leva  précipitamment  le 
siège  d'Aiguillon,  lorsqu'une  partie  de  son  armée  était  retournée 
dans  le  nord  dès  le  mois  de  juillet  pour  porter  secours  aux  Français 
contre  les  Anglais,  en  Normandie.  Un  Anglais  raconte  que,  entre 
autres  causes,  le  manque  de  vivre  et  les  maladies  le  poussèrent  à 
cette  décision.  On  parle  de  lo.OOO  victimes  K  ce  qui  est  sans  doute 
une  exagération.  Les  Français  levèrent  aussi  le  siège  de  Nontron 
du  diocèse  de  Limoges  '-.  Ce  siège  réduisit  les  Dominicaines  de  Saint- 
Pardoux-la-Rivière  (diocèse  de  Périgueux)  à  une  grande  pauvreté  ^. 

Le  comte  de  Derbv,  devenu  sur  ces  entrefaites  comte  de  Lanças- 
ter,  partit  trois  jours  avant  l'Assomption,  c'est-à-dire  vers  le  12  août, 
de  la  Réole  pour  Bergerac.  Là,  il  reçut  des  messagers  des  Français 
qui  assiégeaient  Aiguillon  demandant  une  trêve  que  le  comte  ne 
voulut  pas  accorder.  Aussitôt  après  avoir  appris  que  le  duc  de  Nor- 
mandie avait  levé  le  siège  d'Aiguillon,  il  partit  pour  Bergerac. 

Nous  suivrons  la  route  que  lui-même  a  tracée  dans  une  lettre  ^. 
Dans  le  but  évident  d'attaquer  les  Français  revenant  du  siège,  il 
retourna  vers  x\iguillon  ^  et  s'empara  de  Yilleréal.  Non  loin  de 
là  était  l'abbave  des  Bénédictines  de  Font-Gaufîer  du  diocèse  de 
Sarlat.  D'autres  villes  et  places  fortes  des  environs  se  rendirent 
également.  Murimuth  nomme  quelques-unes  de  ces  villes  ^.  Ensuite 
Derby  s'en  alla  tout  droit  à  Tonneins  et  Aiguillon  au  diocèse  d'Agen, 
de  là,  à  La  Réole  où  il  resta  8  jours.  Le  12  septembre,  il  prit  avec 
1.000  hommes  le  chemin  de  la  Saintonge,  arriva  à  Sauveterre  (Sal- 

1.  Kmghtox,  p,  40. 

2.  Murimuth,  p.  217. 

3.  Les  sœurs  sont  «  propter  jiuerras.  que  noviter  circa  castrum  Xontronii.  quod 
proximum  est  eorum  monasterio  et  locis  circumvicinis  [in^rueruntl,  notabiliter 
depauperate  »  {Suppl.  Clem.  VI,  n"  13,  fol.  71  '',  ad  an.  1347,  Jun.  30). 

4.  Voy.  la  lettre  du  comte  de  Derby  dans  AvEsnuRY,  p.  372  suiv.  Les  chroniques 
sont  très  confuses. 

5.  K.MGHTON  :  «  Henricus  cornes  Lancastriae  sequelDatur  fujjientes  ».  Le  départ  des 
Français  était  «  confus  ».  Le  Livre  velu  dans  Guixodie. 

6.  MiaiMUTH  dit  p.  217.  qu'à  cause  du  départ  des  Français  d'Aiguillon  et  de  Non- 
tron «  iiij""^  grossae  villae,  videlicet  Sainte-Fey.  Salveterre  ^^Sauveterre),  Chastel 
Moroun  Castelmoron),  Ville  Roial  (Yilleréal)  et  Clarake  (Claire)  se  sponte  régi 
Angliae  reddiderunt  ».  La  Petite  chron.  de  Guyenne,!,  c.  rapporte  la  prise  de  Sainte- 
Foy-la-Grande  à  Tan  134S,  le  21  décembre,  et  G.  Lefhvre-Pontalis  y  dit,  p.  60  : 
«  Cette  prise...  ne  paraît. mentionnée  dans  aucune  chronique  ».  Je  crois  qu'on  doit 
avancer  au  moins  de  deux  ans  la  soumission  aux  Anglais,  Murimuth  étant  g:énérale- 
nient  bien  informé,  lorsque  la  Petite  Chron.  se  trompe  quelquefois.  Pour  Castelmo- 
ron, voy.  GuiNODiE,  1.  c,  III,  342. 


LE    COMTE    DE    DEHI5Y    EN    GUIENNE,    1345,    1346  29 

veterre)  ^  au  diocèse  de  Bazas,  qui  se  rendit  tout  de  suite.  Après 
quoi  le  comte  marcha  avec  sa  troupe  «  bien  viij  jours  sauns  assnil- 
ler  une  vile  od  chastel;  tant  que  nous  nous  venismes  au  chastel  de 
Nau  q'est  sour  la  rivière  de  Charente^),  c'est-à-dire  Chateauneuf'-sur- 
Gharente.  C'était  vers  le  20  septembre.  On  voit  qu'il  avait  pris  le 
chemin  direct.  A  Chateauneuf,  où  il  demeura^un  jour,  il  apprit  que 
les  gens  de  Gautier  de  Masny  auxquels  les  Français  avaient  donné 
un  sauf-conduit  pour  rejoindre  leur  roi,  avaient  été  faits  prison- 
niers et  enfermés  dans  la  prison  de  Saint-Jean-d'Ang-ely  du  diocèse 
de  Saintes.  Aussitôt  le  comte  se  dirig-ea  sur  cette  ville,  la  prit  et 
délivra  les  prisonniers.  Toutefois,  il  commit  des  cruautés  à  Saint- 
Jean;  l'abbaye  des  Bénédictins,  par  exemple,  fut  détruite  ~.  Les 
Grandes  Chroniques  disent  '^  :  «  et  vint  [à  Saint- Jean-d'Angely  en 
ardant,  en  robant  et  en  ravissant  hommes  et  femmes  sans  nombre  ». 
Après  s'être  arrêté  huit  jours  à  Saint-Jean ,  le  comte  partit  le 
30  septembre,  comme  il  le  dit  lui-même,  pour  Lusig-nan  et  Poitiers. 
Sur  la  route  se  trouvaient  les  abbayes  des  chanoines  réguliers  de 
Saint-Séverin  et  La  Celle,  des  Bénédictins  des  AUeus,  des  Cister- 
ciens de  Valence.  Mais  je  ne  crois  pas  que  ces  monastères  aient  été 
attaqués.  Il  prit  d'assaut  Lusignan  oii  était  un  prieuré  de  Bénédic- 
tins qui   fut  ruiné  ^.   La  ville   plut   à  Derby    :   «    qu'est  une   forte 

ville un  de  plus  noblez  chastels  et  de  plus  forts  que  sont  garres 

en  France  od  en  Gascoig-ne  ».  Ensuite  le  comte  marcha  sur  Poi- 
tiers^ qui  ne  voulait  pas  se  rendre,  mais  le  4  octobre  il  prit  la  ville 

1.  C'est  à  tort  que  S.  Luce  et  Mommem  la  nomment  «  ^n/jeferre-sur-Dronne  ». 

2.  GaLl.  christ.,  II,  p.  1104. 

3.  V,  p.  464,  et  Chronoc/r.,  p.  235. 

4.  Re(j.  Vat.  Cleni.  VI,  n°  209,  fol.  110  ''  ad  1351  Au^-.  1  :  «  Ad  tantum  desolationis 
opprobrium  et  inopiam  devenit,  quod  (pro  sex  monachis  et  nonnuUis  clericis  i'unda- 
tus)  vix  unus  monachus  sustentari  potest.   » 

5.  Par  ce  récit  d'expédition  du  comte  même  les  chroniques  de  Fhoissaut,  de  la 
Chronogv.,  de  Chronique  normande  sont  corrigées.  Il  n'y  a  pas  place  pour  la  marche 
à  Mirabel,  Aulnay,  Surgères,  lîenon,  Mortagne-sur-mer,  Taillebourg-sur-('harente 
Saintes,  avant  la  prise  de  Saint-Jeand'Angely.  Et  après,  jusqu'à  la  prise  de  Poitiers, 
il  n'y  a  pas  place  pour  Niort,  Saint-Maixent,  Vivonne,  Montreuil-lîonnin.  Quant  à 
cela,  la  lettre  du  comte  est  confirmée  par  le  récit  d'un  moine  contemporain  de  Mail- 
lezais,  malheureusement  aujourd'hui  sou\ent  oublié  par  les  historiens  et  éditeurs.  Le 
moine  attribue  les  assauts  sur  Montreuil,  Saint-Maixent  et  Niort  au  comte  retinnnant 
de  Poitiers.  Biblioth.  de  l'école  des  churL,  !•■«  sér.,  t.  II,  p.  166.  Voy.  aussi  Hkh- 
rHAxnv,  Elude,  etc.,  p.  379;  Gléuia,  Recueil  des  documents  concern,int  le  Poitou 
(1884),  II,  p.  XXIV  suiv. 


30  LA    GUERRE  DE  CENT    ANS 

par  force  «  Toiitz  ceaux  de  la  ville  fusrent  pris  ou  morts  »  ^  Lors 
de  la  prise  de  la  ville,  l'évêque  et  quatre  barons  se  sauvèrent. 

Peu  de  villes  comptaient,  soit  dans  leur  enceinte,  soit  au  dehors, 
un  si  g-rand  nombre  d'églises  et  de  monastères.  Les  livres,  les 
calices,  les  ornements,  les  reliques,  l'argenterie,  tout  fut  emporté 
par  l'ennemi-.  Le  chapitre  de  la  cathédrale  dit  en  1331  :  «  notre 
église  à  été  spoliée  de  tous  ses  ornements,  de  ses  vases  sacrés,  de 
ses  chapes,  de  ses  calices,  de  sa  croix  et  de  tout  ce  qu'elle  possé- 
dait en  or  et  en  argent-^  ».  L'abbé  du  monastère  bénédictin  de 
Gharroux  crut  mettre  en  sûreté  les  trésors,  les  livres  et  les  chartes 
de  son  abbaye  en  les  envoyant  k  Poitiers.  Malheureusement  tout 
tomba  entre  les  mains  de  Derby  qui  arrivait  à  Poitiers  sur  ces  entre- 
faites. A  la  suite  de  cet  incident,  l'abbé  lui-même  n'osa  plus  retour- 
ner dans  son  monastère^,  dont  les  moines,  ce  que  semble,  don- 
naient tort  à  leur  abbé. 

Le  pillage  des  églises  et  maisons  suivit  le  feu  ;  la  majeure  partie 
de  la  ville  et  le  palais  du  roi  furent  brûlés  ^  ainsi  que  beaucoup 
d'églises,  et  les  Anglais  «  y  lisent  moult  desrois ^  ».  L'abbaye  des 
Bénédictins  de  Saint-Gyprien  fut  peut-être  détruite  à  cette  occasion. 

Les  prisonniers  furent  mis  k  rançon.  Ln  intéressant  document 
nous  apprend  ce  qui  advint  aux  habitants  en  cette  circonstance  : 
le  citoyen  Gaut  et  sa  femme  pris  par  les  Anglais  furent  pillés  et 
dépouillés  de  tous  leurs  biens  meubles,  jetés  dans  une  prison  et 
rançonnés  kune  grande  somme  d'argent.  Un  fait  que  l'histoire  cons- 
tate souvent  dans  les  calamités  de  ce  genre,  se  passa  alors  k  Poi- 
tiers. Des  malfaiteurs  indigènes  profitèrent  de  l'occasion  pour  voler 

1.  AVESBURY,  p.  374. 

2.  Arch.  nat.  JJ  81,  p.  450.  S.  Luce  dans  Froissaht.  lY,  p.  vu,  not.  4. 

3.  Bibliothèque  de   Poitiers,   coll.    Fonteneau,    t.    II,  p.  103.   A'oy.   GuÉiux,   1.    c, 

p.   XXVIII. 

4.  «  P.  abbas  monasterii  Karrofen.  Ord.  S.  Ben.  Pictaven.  dioc.  exponit,  quod 
dudum  de  consilio  omnium  ejusdem  monasterii  capis,  calicibus,  libris,  litteris  et  aliis 
pluribus  rébus  ejusdem  monasterii  in  civitate  Picta^■en.  translatis  et  reconditis,  ut 
ibidem  possent  ab  hostium  incursibus  preser^ari,  eadem  civitate  capta  per  comitem 
Lencastrie  eisdemque  bonis  per  ipsum  comitem  seu  ejus  complices  dampnabiliter 
occupatis,  idem  abbas  non  audens  in  monasterio  predicto  residere  quasi  exul  in  a  illa 
de  Castra  Bituricen.  dioc.  pauperem  Aitam  gerit  ».  Suppl.  Clem.  VI,  n"  19,  fol.  157''; 
Rsff,  Aven.  Clem.,  n°  lv  a,  fol.  328  '',  ad  an.  1349,  Sept.  5. 

5.  Grandes  chron.,  Y,  p.  465. 

6.  FitoissAUT,  IV,  p.  15. 


LE    COMTE    DE    DERllY    EN    GUIENNE,    13io,    1340  31 

et  ravir,  et  les  deux  prisonniers  de  Poitiers  devinrent  leurs  vic- 
times. Pendant  qu'ils  étaient  en  prison  et  tout  le  pays  environnant 
en  proie  à  une  grande  frayeur  et  commotion,  leur  gendre  et  sa 
femme,  aidés  de  quelques  complices,  s'emparèrent  par  violence  des 
maisons  que  les  deux  prisonniers  possédaient  aux  environs  de  la 
ville;  ils  dérobèrent  les  blés,  les  deniers,  les  vins,  les  lettres  et 
autres  biens  meubles,  chassèrent  les  gens  des  maisons  et  y  mirent 
les  leurs.  Quand  les  deux  époux  sortirent  de  leur  prison,  on  en  vint 
à  des  rixes  sanglantes  et  même  mortelles  ^ 

Les  plus  riches  habitants  de  Poitiers  avaient  mis  en  sûre  lé  leurs 
richesses  avant  l'arrivée  de  Derby  à  GhâtelleraLdt-  et  ailleurs.  Mais 
les  soldats  de  Derby  couraient  jusqu'à  Ghâtellerault  et  Ghauvigny, 
pillant  et  volant  villes  et  villages  et  tout  ce  qu'ils  trouvaient"'. 

Le  comte  resta  8  ou  9  jours  à  Poitiers  ^  et  partit  ensuite  pour  Mon- 
treuil-Bonnin  qu'il  incendia,  comme  nous  le  raconte  le  moine  de 
Maillezais.  De  là  il  se  rendit  à  Lusignan  où  il  établit  son  capitaine 
Bertrand  sire  de  Montferrand.  Gelui-ci,  secondé  par  ses  deux  frères 
et  les  Anglais,  ne  cessa  pendant  plus  de  quatre  ans  de  ravager  le 
Poitou  notamment  dans  les  environs  de  Lusignan.  Ge  fut  une 
guerre  d'escarmouches,  de  coups  de  mains,  d'exploits  de  petites 
troupes.  Ginquante-deux  paroisses  et  dix  monastères  furent 
détruits.  Personne  n'osait  v  habiter^.  Parmi  les  monastères  ruinés, 

1.  Arch.  nat,  Paris  :  JJ,  n"  i9,  fol.  28  '',  éd.  pai*  Grûuix,  Recueil  des  documents  con- 
cernnnt  le  Poitou,  II,  p.  332. 

2.  De  même  que  Lalaxnk,  Hist.  de  Chatelleraud  (1859),  I,  a  omis  les  faits  de  J356, 
il  a  oublié  aussi  celui-ci. 

3.  FnoissAHT,   IV,  p.  222,  226. 

i.  «  Bien  viij  jours  »,  AvEsnunv,  p.  375.  «  [Spatium]  novem  dierum  »,  le  moine  de 
Maillezais. 

5.  Voici  le  récit  du  moine  de  Maillezais,  que  nous  avons  souvent  in^  oqué,  selon  le 
ms.  latin,  n"  4892  de  la  Biblioth.  nat.,  dans  la  Bibliothèque  de  l'école  des  chart., 
V"  sér.,  t.  II,  p.  166  :  «  Anno  ab  incarnatione  Domini  MCCCXLVI,  quarto  nonas 
Octobris,  fuit  capta  civitas  Pictavensis,  et  castrum  de  Lezigniaco  die  praecedenti,  ])er 
Ilenricum  comitcm  Liscantriae  locum  tenentcm  régis  Angliae  [in  partibus  Aquilanie, 
qui  Picta\is  mansit  i)cr  spatium]  no\em  dierum  oum  omni  exercitu  suo,  et  multum 
devastavit  et  depraedavit  bona  dictae  civitatis,  et  deportavit  secum  una  cum  orna- 
mentis  ecclesiarum. 

Et  vclut  in  regressu  suo  apud  Monsterolium  Bonin  [venit]  et  castrum  dicti  loci  igné 
cremavit. 

Apud  Lczigniacum  dimisit  doniinum  Bertrandum  de  Monteferrant.  militem.  ca]>ita- 
noum  dicti  loci  cum  duobus  fi-atribus  suis  et  compluribus  aliis  Anglicis,  cl  manscrunt 
in  dicto  castre  spatio  quatuor  annorum,  in  quibus  multa  damna  et  homicidia  pcr 
lotam  Pictaviam  feccrunt  et  maxime  in  locis  circunn  icjni5>  castri  :  «juia  proptcr  cos 


32  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

on  doit  nommer  l'abbaye  des  chanoines  réguliers  Fontaine-le- 
Comte,  et  le  prieuré  des  Bénédictins  de  higugé^.  L'abbaye  des 
Cisterciens  de  Bonnevaux  a  du  moins  beaucoup  souffert  aussi. 
Mais  ce  n'étaient  pas  seulement  les  monastères,  des  j)ays  entiers 
étaient  déserts  ~. 

DeLusig-nan,  Derby  se  rendit  à  Saint-Maixent  où  se  trouvait  la 
riche  abbaye  des  Bénédictins,  laquelle,  le  3  mars  1364,  est  désignée 
comme  fort  ruinée  •^.  Ne  pouvant  pas  prendre  le  château,  Derby 
incendia  les  environs^.  Puis  il  vint  devant  Niort,  mais  il  ne  put  y 
entrer.  Non  loin  de  Niort  était  l'abbave  bénédictine  de  St.  Li^uaire 
appartenant  au  diocèse  de  Saintes.  C'est  probablement  dans  la 
seconde  moitié  d'octobre  que  Rochefort-sur-Charente,  Surgères, 
Soubise,  Taillebourg,  Tonnay-Charente  et  Connat  reçurent  les 
Anglais  de  Derby  ^,  qui,  après  le  13  octobre,  séjourna  de  nouveau 
à  Saint-Jean-d\\ngely,  d'où  il  a  écrit  sa  lettre.  Tout  près  de  Sur- 
gères était  l'abbaye  cistercienne  de  la  Grâce-Dieu  (dioc.  de  Saintes)  ; 
je  ne  sais  pas,  si  c'est  alors  ou  plus  tard  qu'elle  fut  détruite  ^.  A 
Soiibise  se  trouvait  un  prieuré  séculier  ;  à  Tonnay,  l'abbaye  béné- 
dictine du  même  nom.  Ces  deux  établissements  étaient  bien  éprou- 
vés au  xiv^  siècle^.  Les  chroniqueurs  disent  que  les  Anglais  occu- 

fuerunt  clestructae  quinquapnta  duo  parrochiae  et  decem  monasteria,  quia  in  dictis 
locis  nullus  pernianere  audebat  propter  metum  ipsoruni. 

Postea  transivit  dominus  cornes  per  villani  Sancti  Ma.ventii  et  puta\it  intrare 
castrum  dicti  loçi,  sed  non  intravit  quia  dominus  (juillelmus  Piclierii  miles  erat  in 
dicto  Castro  qui  bene  ipsum  et  rite  custodivit  ;  et  ita  transivit  et  igné  crcma^  it  quam- 
dam  ruam  seu  vicum  dictae  villae. 

Item  venit  corani  villani  Niorti  et  non  intravit  quia  tantum  erat  una  comitat » 

[caetera  desulerantiii']. 

1.  Voy.  RÉoET,  Notice  hist.  sui'  Vahbaye  de  Fontaine-le-Comte  dans  Mém.  de  la 
soc.  des  antiq.  de  VOuest  (1837),  III,  p,  343  :  leur  monastère  a  été  saccagé  pendant 
les  guerres...  leurs  bâtiments  sont  en  ruine,  leurs  terres  sans  culture,  etc.,  ad  an. 
1358.  Chamaud,  Saint-Martin  et  son  monastère  de  Li<ju(jé  (1873),  p.  200  suiv. 

2.  Voy.  GuÉRix,  1.  c,  p.  xxvin,  not.  2. 

3.  Reg.  Vat.  Urhan.  V,  n°  254,  fol.  4i  ''  :  «  claustrum  et  ecclesia  propter  guerras, 
que  in  illis  partibus  notorie  viguerunt,  sunt  plurimum  coUapsa.  » 

4.  Voy.  le  récit  du  moine  de  Maillezais.  Froissart  dit,  au  contraire,  que  le  comte  a 
emporté  d'assaut  Saint-Maixent. 

5.  Beutram)y,  Etude,  etc.,  p.  383  suiv. 

6.  En  1363,  le  25  novembre,  le  moine  Pierre  Guitard  raconte  qu'il  avait  «  propter 
destructionem  et  penuriam  monasterii  Grassie  Dei  »  déjà  depuis  plusieurs  années 
quitté  ce  monastère  [Siippl.  Urb.  V,  n°  39,  Toi.  51  ''). 

7.  «  Redditus  quasi  ad  nichilum  redacti  »,  dit-on  du  prieuré  {Suppl.  Urh.  V,  n°  35. 
fol.  15).  Quant  à  Tabbaye,  voy.  plus  tard. 


LE    COMTF-:    DK    DEIIBY    EN    (iLlENNE,     134^,     1340  33 

paient  aussi  Saintes.  Devant  cette  ville  étaient  les  prieurés  de 
Saint-Eutrope  (Cluniac.)  et  de  Saint-Vivien  (chan.  rég-.),  pour  ne  pas 
faire  mention  des  Mendiants.  Quant  à  l'abbaye  des  Bénédictines 
de  Notre-Dame  de  Saintes,  elle  avait  déjà  été  détruite  en  1327,  et 
plus  tard,  appauvrie  à  cause  de  la  guerre  ^  Le  prieuré  des  Bénédic- 
tins de  Chéray,  au  diocèse  de  Saintes,  fut  aussi  occupé  par  les 
Anglais.  Du  moins  l'abbé  de  Saint-Martial  de  Limoges  rapporte, 
le  9  octobre  1357,  que  le  prieuré  avaft  été  depuis  douze  ans  en  la 
possession  des  Anglais.  Par  la  même  source,  nous  apprenons  de 
quelle  manière  on  procédait  dans  des  occupations  de  ce  genre. 
L'abbé  déjà  cité  déplore  la  perte  des  biens  et  des  revenus  du  prieuré, 
la  ruine  des  maisons,  la  totale  extinction  du  culte  divin  pendant 
cette  époque,  la  mise  en  fuite  des  douze  moines  qui  auparavant 
habitaient  le  prieuré '. 

Sur  la  route  entre  Saint-Jean-d'Angely  et  Saintes  était  située 
l'abbaye  bénédictine  de  Font-Douce,  presque  détruite  avant  1305 
comme  nous  verrons  au  chapitre  V. 

Nous  nous  arrêtons  ici  devant  l'impossibilité  d'énumérer  tout  ce 
qui  tomba  au  pouvoir  de  Derby  pendant  cette  expédition.  La  plupart 
des  forteresses  de  laSaintonge,  du  Poitou  et  du  Périgord  devinrent 
sa  conquête  3.  Il  est  certain  que  plusieurs  villes  étaient  toutes 
prêtes  à  ouvrir  leurs  portes  à  l'ennemi  pour  éviter  les  conséquences 
d'une  prise  de  vive  force,  comme  par  exemple  Melle  et  Maillezais, 
dont  les  habitants,  exhortés  par  l'évêque  Jean  de  Marconnay 
et  se  croyant  menacés,  se  préparaient  à  faire  accueil  aux  Anglais. 
Mais,  arrivé  à  quelques  lieues  de  Maillezais,  Derby  s'éloigna  '*. 

Durant  cette  campagne,  ce  furent  donc  les  diocèses  d'Agen,  de 
Périgueux,  de  Bazas,  d'Angoulême,  de  Saintes  et  de  Poitiers  qui 
eurent  le  plus  à  souffrir. 

1.  (iall.  christ.,  II,  p.  1129.  Sappl.  Innocenl  17,  n"  20,  l'ol.  13'',  ad  an.  135S,  Febi-.  S. 
I>e  prieuré  Saint-Denys-d'OIéron,  du  diocèse  de  Saintes,  lui  l'ut  réuni. 

'1.  SiippL,  1.  c,  fol.  280  :  ((  Ueligionis  nautVagium,  edit'licioruni  dolendam  miseriam 
et  ruinani  prioraLus  conventualis  de  Chalesio  membri  nostri,  dioc.  Xantonen.,  Anj?li- 
coruni  potentia  per  duodecim  annoruni  spatiuni  occupatis,  absque  eo  quod  in  eo 
cultus  et  obsequiuin  creatori  debitiun  redderentur,  conj;regatione  duodecim  niona- 
choruin  inibi  consueta  procul  puisa  bellica  tenipestate.  Y.  Sanctitati  lacrimabiliter 
exponiinus  ». 

3.  A\  hSMruY,  p.  376. 

4.  GlJKUIN,  I.  c,   p    .wxi. 

R.  P.  Drniklk.  — Di'snlatin  ecclesariii<n  II.  0 


34  LA    GtERUE    DE    CENT    ANS 


4.  La  première  invasion  cï Edouard  III  en  Normandie. 

Le  roi  Edouard  III  avait  passé  tout  Thiver  à  préparer  ses  arme- 
ments. Vers  la  fin  de  juin  13i6,  il  avait  rassemblé  un  millier  de 
voiles  avec  un  g-rand  nombre  de  combattants  ^  à  Portsmouth  et  à 
Southampton.  Le  7  juillet,  la  flotte  prit  la  mer  vers  l'île  de  Wight, 
mais  on  ig-norait  où  Edouard  voulait  aller'.  Il  défendit  de  laisser 
partir  aucun  vaisseau  de  peur  que  les  ennemis  n'eussent  connais- 
sance de  ses  secrets '^  Il  avait,  selon  les  chroniqueurs  ang-lais,  Tin- 
tention  de  lever  le  siège  d'Aiguillon,  en  Guienne'',  établi,  comme 
nous  l'avons  vu,  par  Jean  de  Normandie.  La  flotte  trouva  des  vents 
contraires  et  eut  à  lutter  contre  beaucoup  d'accidents^.  On  dit  que 
Godefroy  de  llarcourt,  seigneur  de  Saint-Sauveur-le- Vicomte,  un 
mauvais  sujet,  dont  la  vie  jusqu'à  sa  mort  en  1356  est  une  suite 
de  trahisons,  banni  pour  ses  crimes  et  faisant  partie  de  la  suite  du 
roi  d'Angleterre,  persuadait  Edouard  de  débarquer  en  Basse-Nor- 
mandie^. Celui-ci,  empêché  de  poursuivre  sa  route  vers  la 
Guienne^,  se  décida  à  débarquer  sur  les  côtes  du  Cotentin.  Les 
forces  de  la  France  étaient  concentrées  dans  le  sud,  notamment 
devant  Aiguillon,  ainsi  le  moment  était  favorable.  Du  reste,  depuis 
le  jour  où  la  Normandie  avait  été  enlevée  aux  Anglais,  leur  roi 
avait  toujours  tenu  ses  regards  fixés  sur  ce  pays  perdu. 

1.  MrnnnTH  exagère  p.  199:  «  numorus  arniatonim,  sccundum  aestimationcni  ad 
5000  et  ultra  ascendebat  ;  numerus  vero  architenentium  et  peditum  Anglicorum  et 
AA'allensium  ad  Ix  millia  similiter  ascendebat.  Numerus  vero  nautarum  ad  viginti 
millia  similiter  ascendebat.  »  Mais,  p.  215  :  «  1  millia  et  amplius  ».  Vili.am  dans  Muha- 
Toni,  XIII,  p.  9  42  :  32.500.  Il  est  certain,  que  pas  plus  de  32.000  Anglais  prirent  part  à 
la  bataille  de  Crécy.  —  Suivant  Miiiumuth,  on  comptait  750  voiles;  mais  p.  2  45  :  1500. 
Ainsi  Burghersh,  Ihid.,  p.  200.  Suivant  Avksbuhy,  p.  357,  et  Bakeh,  p.  79  :  1000; 
suivant  Kxightox,  II,  p.  32  :  1.100  grandes,  500  petites.    D'après  Villam  :  600  navi. 

2.  MuiuMUTU,  p.  199  ;  Bakeh,  p.  79. 

3.  Voy.  RvMKK,  III,  p.  90. 

4.  Sur  cette  intention  presque  tous  les  chroniqueurs  anglais,  y  compris  Avesbihy, 
p.  357,  sont  d'accord.  Nicolas,  A  History  of  Ihe  royal  nnvy,  II,  p.  !S8,  not.  a,  ne 
semble  pas  être  tout  à  fait  exact. 

5.  Ainsi  les  choniqueurs  anglais  cites. 

6.  Voy.  Delisle,  Hist.  du  château  et  des  sires  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte  (1867), 
p.  49,  suiv.,  63.  "N^oy.  encore  Eulogium,  a  monacho  quodam  Malmeshuriensi  exara- 
tiim,  III,  p.  206  suiv. 

7.  Voy.  le  récit  de  Barthélémy  of  Buighersh  dans  Mihumuth,  p.  200. 


<"»  »• 


ÉDOrAP.n    EN    NOUMANDIE,    CRÉCY,     CALAIS.     LTll),     KiiT  X. 

Le  marJi  1  1  juillet,  Edouard  partit  de  l'île  de  Wi^lit  ;  mer- 
credi, le  12',  il  prit  terre  à  la  Hougue  de  Saint- Vaast  au  diocèse  de 
Coutances.  C'est  à  cette  date  que  commence  la  terrible  et  conti- 
nuelle dévastation-  de  la  Normandie,  de  FIle-de-France  et  de  la 
Picardie  ;  elle  dura  plus  d'un  mois,  sans  que  le  roi  d'Angleterre 
rencontrât,  du  moins  en  Normandie,  une  résistance  sérieuse.  Cette 
expédition  d'Edouard,  semblable  à  un  ouragan,  sinistre  et  fou- 
droyant, eut  des  efTets  elFroyables^'.  Nous  possédons  divers  docu- 
ments contenant  Vitinéraire  d  Edouard.  Un  très  complet  est  du 
Cotton  ms.^  ;  un  autre  nous  est  offert  par  la  Chronique  de  Baker, 
publiée  par  Thompson^  :  ils  se  complètent  mutuellement.  Un  troi- 
sième intéressant  récit  est  rédigé  en  français  par  Michael  de  North- 
burgh''  et  daté  du  4  septembre,  traduit  ensuite  en  grande  partie 
par  Richard  Wynkeley  ^,  des  Frères  Prêcheurs,  confesseur  du  roi. 
Wynkeley  avait  d'ailleurs  composé  lui-même  et  envoyé  au  prieur 
de  son  couvent  à  Londres  un  compte  rendu  des  événements  qui 
suivirent  la  prise  de  Caen^.  J'ajoute  encore  le  lûtchen  JournaV^,  et 
le  fragment  d'une  chronique  anglaise   d'une  certaine   importance'^^ 

Pendant  que  le  roi  était  à  la  Hougue  de  Saint-Vaast  et  que 
s'effectuait  le  débarquement  des   troupes  anglaises,   du  12   au    18 

1.  On  rencontre  cette  date  dans  plusieurs  récits,  comme  celui  de  Bur^hersh  et 
dans  une  lettre  (Mliumitu,  p.  200.,  212   ;  dans  Xorthburgh  ; Aveshuhy,  p.  3JS  ,   etc. 

2.  Un  chroniqueur  anglais  dit  :  «  semper  sibi  (Eduardo)  resistentes  capiendo  \  el 
occidendo,  \illas  et  \illulas  perscrutando  et  depraedando  si\"e  combiu'endo.  aurum 
et  arj^eidum  et  ({uic(juid  pretiosum  fuerit  rapiendo  et  asportando,  alicui  pei'sonae  vi.v 
parcendo  vel  compatiendo  »  (Miiumi  th.  p.  l'ûi. 

3.  B.  de  Bur^hersh,  dans  Muhimlth,  p.  200:  Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  217. 

4.  Kd.  par  Tmomi'sox  dans  C/i/'o/i.  de  Biiker,  p.  23.3  à  255.  Tlirmipson  a  encore 
ajouté  une  carte  de  la  marche  d'Edouard,  beaucoup  plus  exacte  que  celle  de 
Iv()HM:n,  Die  Entirichelunçf  des  Kriegswesens  iind  der  Krierffiihriinff  in  der  Riller- 
zeit  (18S(i),II,Taf.  VIII,et  dans  Fro/.s.svjr^  éd.  Li-ttkxhovi-,  XXIV.  p.  'i2:  XXV,  p.  133. 

5.  B.vKEn,  p.  79-81,  et  p.  255  sui\  . 

6.  AvEsiurRV,  p.  358-360;  367-369.  Michael  de  Xorthbur^h  an.  i3i9.  Sei)t.  l.  «  cler. 
Lincolnen.,  consiliai'ius  rej;is  Anglie.  nuntius  ad  iiapam.  ma^'.  art.  et  le^'^um  doctor  » 
{Suppl.  Clem.  VI,  n°  19,  fol.  155'')  ;  an.  1353  il  était  «  secrelai-ius  et  delator  privati 
sij^illi  dom.  re^is  Angliac  ».  {Suppl.  Innocenl.  VI,  n»  23.  fol.  213.  Il  possédait  plu- 
sieurs paroisses  dans  le  diocèse  de  XorAAich. 

7.  MruiMiTH.  p.  212-211. 

8.  Ihid.,  p.  215  à  217;  fragment  dans  Avesbiry.  p.  362  suiv. 

9.  Dans  Baker,  p.  252. 

10.  Ed.  parMoiSANT,  dans  Le  Prince  Xoir  en  Aquitaine  1891).  p.  157  à  17  i,  sans  qu'il 
en  ait  tiré  le  moindre  profit  pour  son  propre  travail.  Le  Prince  Xoir,  poème  du 
héraut  d'nrni?s  Clinndos,  éd.  Muihel  (1883),  ne  sert  pas  pour  cette  partie. 


36 


LA    GLERUE    DE    CENT    ANS 


juillet,  une  escadre,  faisant  descendre  continuellement  des  gens 
d'armes  pour  piller  et  brûler,  incendia  une  partie  d'Harfleur  et 
plusieurs  villages.  Les  Anglais  trouvèrent  dans  la  ville  une  grande 
richesse  d'or,  d'argent  et  de  joyaux  ^  Ces  pillards  attaquèrent 
Cherbourg;  le  château  résista,  mais  les  faubourgs  et  l'abbaye  du 
Vœu,  appartenant  aux  chanoines  réguliers,  furent  pillés  et  brûlés-. 
Quelle  terrible  histoire  que  celle  de  cette  abbaye  !  Elle  avait  été 
déjà  en  1296,  et  une  seconde  fois  entre  1325  et  1330,  pillée  par  les 
Anglais,  dépouillée  de  ses  ornements,  livres,  chartes,  et  brûlée"'. 

Entré  en  campagne  le  18  juillet,  Edouard  occupa,  pillant  et 
brûlant,  Valognes  et  peut-être  le  même  jour  encore  Montebourg\ 
où  se  trouvait  une  abbaye  bénédictine.  Godefroy  de  Harcourt,  qui 
connaissait  le  pays,  fut  le  guide  et  l'éclaireur  de  l'armée  anglaise. 
Avec  une  troupe  de  500  armures  de  fer  et  2.000  archers,  il  chevau- 
chait du  côté  droit  de  1  armée,  en  pénétrant  jusqu  à  une  distance 
de  6  à  7  lieues  dans  l'intérieur  du  pays  «  ardent  et  pillant  »  comme 
dit  Froissart,  lequel  ajoute  «  qu'ils  trouvaient  le  pays  gras  et 
plantureux  de  toutes  choses,  les  granges  pleines  de  blés,  les  mai- 
sons remplies  de  toutes  richesses,  riches  bourgeois,  chars,  char- 
rettes et  chevaux,  pourceaux,  brebis  et  moutons  et  les  plus  beaux 
bœufs  du  monde,  qu'on  nourrit  en  ce  pays.  Ils  en  prirent  à  volonté, 
emmenant  le  butin  au  camp  du  roi  >^  ^. 

Le  19  juillet,  le  roi  brûlant  Saint-Côme-du-Mont,  avança  jus- 
qu'au pont  de  Douve  que  les  habitants  avaient  démoli.  Il  le  fit 
réparer,  et  le  20  juillet,  il  s'empara  de  la  ville  de  Carentan,  qui, 
malgré  les  etforts  du  roi  pour  la  sauver,  fut  livrée  aux  tlammes^.  Le 
22  juillet,  la  ville  de  Saint-Lo,   elle  aussi,  fut  prise  et  pillée.    Déjà 

1.  Froissart,  III.  p.  360. 

2.  Northburjih.  A\)y.  Froissart,  p.  xxxvii,  et  not.  4. 

3.  Jean  XXII  parle  de  ce  double  incendie  et  de  la  dévastation  en  1330,  le  11  jan- 
vier, Reg.  Vat.  Ciem.  V[,  n"  166,  fol.  261.  Voy.  aussi  Reff.  Vat.  Ciein.  Vif,  n"  307, 
fol.  496.  Les  religieux  exposèrent  leur  malheur  en  1330  aussi  au  roi  Philippe  de 
Valois.  Voy.  Dupt).\T,  Hist.  du  Coteniin,  II,  p.  192,  227. 

4.  Les  Itinéraires  ne  mentionnent  pas  Montebourg.  Mais  voy.  Grand,  chron..,  V, 
152;  Consul.  Gu/7/.  Van^.  ;  Froissart,  III,  p.  xxxv.  «  Hiiic  Angli  terrae  sexto  post 
(1346)  applicuerunt  ;  dampna  quoi  egerunt  non  posset  lingua  referre  »,  lit-on  à  la 
fin  du  Martyrologe  de  Montebourg,  Historiens  de  France,  XXIII,  p.  556.  Toutefois 
le  fragment  dans  Moisaxt,  p.  161,  porte  :  <(  Montebourga  latere  diinittens  ». 

5.  T.  III,  p.  13G. 

6.  Cotton  ms.  ;  Xorthburgh. 


EDOUARD    EN    NORMANDIE,    CHÉCY,    CALAIS,    13^6,      13i7  37 

avant  l'arrivée  d'Edouard  les  habitants  avaient  pris  la  fuite  en 
abandonnant  tout.  Le  dimanche,  23  juillet,  le  roi  séjourna  k 
l'abbaye  des  Bénédictins  de  Cerisv,  du  diocèse  de  Baveux.  Entre 
temps  ses  soldats  ravag-eaient  tout  le  pays  jusqu'à  cinq  ou  six 
lieues  à  la  ronde',  comme  jadis  Farmée  d'Edouard  avait  fait  en 
Cambresis^.  D'après  les  documents  contemporains"^,  ce  fut  en 
cette  même  occasion  que  les  Anglais  s'emparèrent  aussi  de  la  ville 
de  Torig-ny  qu'ils  pillèrent,  tandis  que  le  pays  d'alentour  fut 
ravag-é  par  le  feu  ;  Sept- Vents  subit  le  même  sort.  A  Torigny  il  y 
avait  une  abbaye  de  Cisterciens. 

Alors  que,  le  26  juillet,  Edouard  campait  avec  son  armée  dans 
les  plaines  d'Ardennes,  de  Couvrechef  et  de  Hérouville^,  il  attaqua 
Caen.  On  dit  que  les  Prémontrés  d'Ardennes  prirent  la  fuite'.  En 
tout  cas,  ces  religieux  se  retirèrent  en  13S1  dans  la  ville  de  Caen, 
ne  se  croyant  plus  en  sécurité  dans  leur  ancien  domicile  ^'\  Mais 
à  Caen,  tous  les  habitants  des  abbayes  de  Saint-Etienne  (Bénédic- 
tins) et  de  la  Sainte-Trinité  (Bénédictines)  avaient  pris  la  fuite,  et 
s'étaient  retirés  dans  le  château'^,  bien  que  peu  auparavant  l'abbaye 
de  Saint-Etienne  elle-même  eût  été  fortifiée  au  moins  en  partie  ^. 
La  ville  fut  prise  après  une  lutte  acharnée  contre  les  courageux 
bourgeois,  de  telle  sorte  que  le  combat  fut  long  et  la  victoire  très 
disputée-'.  Grand  nombre  d'habitants  furent  faits  prisonniers '*^' ou 

1.  Northburgh. 

2.  Voy.  plus  haut,  p.  lOsuiv. 

3.  Bakkh,  p.  <S0;  (irnnd.  chron.,  V,  p.  152;  Chronogr.,  p.  452;  Chron.  normande, 
p.  272.  Voy.  le  fragment  dans  Moisant,  p.  163,  où  l'on  trouve  encore  dautres  villes 
énumérées. 

4.  E.  de  Beaukei'airk,  Caen  illusti'é,  p.  33. 

5.  Lefourmefï,  Essai  hist.  sur  iahhaye  de  Notre-Dame-du-Val,  p.  60;  Liot,  £"j:c«r- 
sion  H  Vahhaye  d'Ardennes  (Caen  1890),  p.  48,  ne  servent  pas  beaucoup. 

6.  Diji'o.Nï,  Ilist.  du  Colentin,  II,  p.  327. 

7.  Xorthburgh  (Avesbuuy,  p.  369),  et  Wynkcley. 

8.  «  Ad  obvianduni  inimicis  rejrni  Francic  de  novo  fiunt  fortalitic  et  clausure  nuu'o- 
runi,  (.(ue  oninia  in  niidtis  tlopaupcranl  nionastcriuni  ».  Suppli(|ue  de  l'abbé  Hubert 
dans  les  Suppl.  Cleni.  VI,  n°  9,  fol.  150'',  ad  an.  1345,  Auf;usti  19.  Mais  l'autorisation 
proprement  dite  d'entourer  leur  monastère  de  fossés  et  de  murailles,  les  relijiieux  la 
reçurent  seulement  en  1351.  Delà  Rue,  jSouv.  Essais  sur  la  ville  de  Caen,  II,  p.  209. 

9.  Lettre  d'Edouard  du  3  août  dans  Dki.pit,  Coll.  gén.  des  documents  franc,  qui  se 
trouvent  en  Angleterre,  n"  145,  p.  71.  Froissart  a  tort  de  dire  le  contraire. 

10.  Beaucoup  de  prisonniers,  connue  le  comte  d'Eu  et  le  sire  de  Tancar\  ille  fui-onf 
conduits  en  Angleterre.  Voy.  la  lettre  d'Edouard  du  30  juillet  dans  la  Chron.  de 
Lanercost,  éd.   Sïeve.\so.\   (Edinbui-gi,   1839;.  p.  3i2;  et  du  3  août  dans  Delimt,  1.  c. 


38  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

furent  tués';  les  rues  étaient  jonchées  de  cadavres-;  les  maisons 
furent  livrées  au  pillage  ^,  leurs  richesses  emportées  par  les  vain- 
queurs et  les  prisonniers  aussitôt  expédiés  en  Angleterre^. 

Le  29  juillet.  Baveux  se  rendit  aux  Anglais,  envoyant  quinze  nobles 
bourgeoise  Pendant  tout  ce  temps,  la  flotte  anglaise  ne  cessa  guère  de 
suivre  chaque  mouvement  de  l'armée  de  terre,  côtoyant  le  rivage. 

A  Caen,  la  haine  des  Anglais  contre  les  Français  trouva  un  nou- 
vel aliment  dans  ce  fait  qu'ils  découvrirent  un  exemplaire  de  la 
convention  du  23  mars  1338,  stipulée  entre  le  roi  de  France  et  les 
seigneurs  normands  concernant  la  conquête  de  l'Angleterre  ^'.  En 
laissant  Caen,  le  31  juillet,  Edouard  se  dirigea  avec  son  armée  sur 
Lisieux,  touchant  l'al^lDaye  de  Troarn  (Bénédictins)  et  l'Argences  et 
incendiant  tout.  Lisieux  fut  pillée  ".  Il  y  rencontra  les  cardinaux 
Etienne  Aubert  et  Hannibal  de  Ceccano,  qui  étaient  venus  pour 
négocier  la  paix  ;  mais  ils  ne  réussirent  guère  dans  leur  mission  ^. 
Le  roi  poursuivit  sa  marche  par  Brionne,  le  Neu])ourg  et  Elbeuf, 
du  diocèse  d'Évreux,  en  livrant  tout  au  feu  et  au  pillage^.  Gode- 
froy  de  Ilarcourt  poussa  jusqu'à  Rouen,  où  il  apprit  que  le  roi 
Philippe  l'attendait  avec  des  forces  considérables  et  que  le  pont 
(Mathilde)  était  coupé.  C'est  pour  cela  qu'après  avoir  incendié  plu- 
sieurs maisons  près  du  monastère  de  Notre-Dame-du-Pré  '*^,  il  se 
replia  avec  ses  gens  sur  le  camp  de  l'armée  anglaise,  cjui  détruisit 
Pont   de    l'Arche".    L'abbaye    des  Cisterciens,  appelée    Bon-Port, 

Froissaht,  III,  p.  117;  Grand,  clij'on.,  V,  p.  453;  Chron.  Tiormande  de  Pierre  Cochon^ 
éd.  Ch.  Bi:at'hepaire,  p.  67. 

1.  Kmghton,  II,  p.  3i  :  ((  capti  et  mortui  circiter  v  niillia  ». 

2.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  éd.  S.  LrcE,  p.ï'o. 

3.  Voy.  la  lettre  de  Richard  A\'ynkeley  dans  Mirimith,  p.  215    :  «  usque  ad  nudos 
parietes  spoliata  ». 

4.  Voy.  E.  Beaurei'aire,  Caen  illuslré^  p.  34.  Le  fragment  dans  Moisa.nt,  décrit  au 
long-,  p.  163  à  167,  l'occupation  de  Caen. 

5.  Fragment  dans  Moisant,  p.  167;  Northburgh  dit  le  27  juillet. 

6.  Le  texte  dans  jNIuhimuth,  p.  205-208  ;  Avesuury,  p.  36 1-367,  et  un  autre  texte, 
p.  257-261. 

7.  Eulo(fiuin^  p.  207. 

8.  ^^'^ynkeley. 

9.  ^^)y.  les  Itinéraires.  L'Itinéraire  du  Coniin.de  Richard  Lescol,  p.  72,  est  tout  à 
fait  faux. 

10.  Jean  de  Vexette  dans  Contin.  Guill.  Nancf.^  II,  188;  Chéruel,  Ilist.  de  Rouen 
pendant  Vèpo(iue  communale  (18i4),    II,  19. 

11.  Cf.  les  Itinéraires,  et  Durawille,  Essai  hisi.  sur  la  ville  du  Ponl-de-V Arche 
et  sur  l'ahhaije  de  N.-D.  de  Bonport  (1856).  p.  32. 


EDOUARD    EN    NORMANDIE,    CRÉCY,     CALAIS,     1346,     J3i7  39 

était  proche  et  il  fat  dit  plus  tard  ({u'elle  avait  été  ruinée  par 
la  guerre  des  temps  passés'.  Par  contre,  l'abbaye  du  Bec  des 
Bénédictins,  quoique  peu  éloignée,  ne  fut  pas  atteinte  ;  mais  ses 
biens  furent  ravagés  et  les  revenus  qu'elle  percevait  en  France  et 
en  Angleterre   considérablement  réduits '-. 

Cependant  le  projet  d'Edouard  ne  fut  pas  de  rester  en  Norman- 
die ni  de  marcher  sur  Paris,  mais  plutôt  d'opérer  la  jonction  avec 
ses  alliés  les  Flamands  commandés  par  Henri  de  Flandre'.  Le  1() 
juillet  déjà,  un  lieutenant  d'Edouard  nommé  Jean  Hastings  avait 
abordé  avec  18  navires  à  la  cote  de  Flandre '^  Le  2  août,  les  Fla- 
mands prirent  les  armes,  le  10  ils  franchirent  la  Lys,  incendiant 
Saint-Venant,  le  15  ils  commencèrent  le  siège  de  Béthune  défendu 
par  les  Français •"*.  Toutefois,  pour  rejoindre  les  Flamands,  Edouard 
devait  passer  la  rive  droite  de  la  Seine.  Or,  malheureusement  les 
Français  avaient  détruit  les  ponts ^  ou  les  places  bien  garnies,  de 
sorte  qu'il  fut  obligé  de  remonter  la  rive  gauche.  Le  roi  Philippe, 
sur  la  rive  droite,  suivait  tous  les  mouvements  de  l'armée  anglaise, 
qui  n'en  ravageait  pas  njoins  le  pays  jusqu'à  vingt  lieues  anglaises 
à  l'entour  '.  Le  8  août  Edouard  remontait  la  rive  gauche  de  la 
Seine  par  Léry,  Vaudreuil,  Louviers,  Gaillon,  Vernon,  Mantes, 
Epone,  Fresnes.  Les  comtes  de  Northampton  et  de  ^^"ar^vick 
essayaient  de  passer  le  pont  vers  Meulan  ;  mais  en  vain^.  Il  est 
très  probable  que  les  abbayes  de  la  Croix  Sain t-Leufroy  (Bénédictins) 
et  de  Saint-Louis  de  Vernon  (chan.  régul.)  furent  atteintes  alors,  ou 
qu'au  moins  leurs  terres  furent  dévastées  comme  celles  des  abbayes 
des  Prémontrés  d'Abecourt  et  de  Joyenval  au  diocèse  de  Chartres. 

Le  12  à   13   août^^  Edouard  arriva   à   Poissy,   où  se  trouvait    un 

1.  Voy.  Andiuiîux,  Cartulaire  de  l'abbaye  de  X.-D.  de  Bon-Port    1862),  p.  JOO. 

2.  ('  Bona  monasterii  occasione  guerrarum  clestructa  quaniplurimuni,  eoruindeni- 
quc  reddilus.  c|iios  tam  in  Francie  qiiani  Anglic  rcjinis  sunt  consucti  percipcrc.  ndii 
modicuni  diininuli  cxistunL  ».  Jieg.  \'al.  (^lein.  VI,  n"  LSOJ'ol.  30i,ad  an.  J318.  Foin-.  22. 

3.  (Ihron.  de  Gilles  II  Miiiais  dans  (Jovj).  chron.  Fland..  c'-d.  di:  Smi:t,  II.  p.  242. 

l.  Mêni.  de  la  ronimissinn  déparleiuenlalc  des  inoniunenls  hist.  du  Pas-de-Calais.  I. 
2  5:). 

T).  ailles  li  Muisis,  1.  o.  Kmgiiton.  p.  -M  sviiw.  où  sont  n(>innu''s  les  capitaines 
anjilais.  Chrono(jr.,  \).  225;  Chron.  nornuinde.  p.  '31:):  Bounjeois  de  \'alenciennes, 
p.  216  suiv. 

6.  ^^\ynkoloy.  ^\)y.  f(iicl((Mcs  pai'ticidarilcs  di\n^  lùilofjinni.  p.  20S. 

7.  Le  même. 

8.  Frajiinent  dans  Moissant,  p.  16S;  Grand,  chron  .  p.  iôl. 

9.  Les  Itinéraires  et  Grand,  chron..  p.  455.  généralement  le  12'. 


40  LA    GUEKKE    DE    CENT    AiNS 

célèbre  monastère  de  Dominicaines,  qui,  sur  le  conseil  de  Philippe, 
se  réfug-ièrent  à  Paris,  le  12  aoùt^  L'église  cependant  n'eut  rien 
à  souflVir  de  la  part  des  Ang-lais  '\  De  même  que  tous  les  autres 
ponts  de  la  Seine,  celui  de  Poissy  était  coupé  "^.  Ce  fut  là  qu'Edouard 
reçut  une  lettre  datée  du  14  août,  dans  laquelle  le  roi  Philippe 
lui  reprochait  le  brigandage  et  la  fureur  incendiaire  de  son  armée  ^, 
en  lui  proposant  la  bataille,  soit  entre  Saint-Germain-des-Prés  et 
Vaugirard,  soit  entre  Francheville  et  Pontoise;  en  attendant  l'ar- 
mée d'Edouard  devait  s'abstenir  de  piller  et  de  brûler.  Edouard  se 
contenta  pour  le  moment  de  répondre  de  vive  voix  qu'il  se  dispo- 
sait à  prendre  le  chemin  de  Montfort  ^  (Seine-et-Oise,  arr.  Rambouil- 
let). Seulement  le  17  août,  après  avoir  passé  la  Seine,  il  adressa  à 
Philippe  une  lettre,  datée  de  Grandvilliers^  ou  plutôt  d'Auteuil  ^  en 
Beauvoisis,  j)our  lui  dire  qu'il  se  trouvait  présentement  dans  son 
royaume  ;  qu'il  avait  attendu  Philippe  pendant  trois  jours  près  de 
Poissy,  mais  en  vain;  qu'il  voulait  donc  maintenant,  lui  aussi, 
faire  ce  qui  lui  plaisait.  «  Nous  ne  sommes  mie  avisés  d'estre 
tailliés  par  vous,  ne  de  prendre  de  vous  lu  et  jour  de  bataille  ». 

Pendant  qu'Edouard  était  encore  à  Poissy,  il  avait  chargé  son  fils, 
le  Prince  de  Galles,  qui  dès  le  12  occupait  Bures  et  ensuite  Saint- 
Germain-en-Laye,  de  menacer  l'ouest  et  le  midi  de  Paris,  feignant 
de  vouloir  passer  la  Bièvre  et  la  Seine  en  amont  de  Paris  ^,  et  cela 
pour  tromper  le  roi  Philippe  sur  les  vrais  desseins  et  le  mouvement 
des  Anglais  et  pour  pouvoir  passer  librement  la  Seine  à  Poissy. 
Cette  manœuvre  réussit.  Or,  pendant  qu'Edouard,  après  avoir 
repoussé  un  détachement  français  de  l'autre  côté  de  la  Seine,  faisait 
réparer  le   pont  de  Poissy  et  passer  ses  troupes   du  côté  droit  du 

1.  Voy.  le  fragment  dans  Moisant,  p.  169,  où  sont  plusieurs  détails. 

2.  Grand.  chron.,y,  p.  458  ;  Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  225. 

3.  \\"ynkeley  :  <<  Rex  Franciae  ordinavit  M  équités  et  MM  ])editum  cuni  halistis  ad 
custodiam  dicti  pontis,  ut  non  possct  rcparari.  Onines  jiontcs  in  circuitu  Parisius, 
per  quos  transilus  esse  posset,  frangi  fecit  ». 

4.  «  Re^nuni  nostrum  Franciae  cum  exercitu  vestro  intrastis,  concremastis,  devas- 
tastis  et  depraedati  estis  patriam  ».  Voy.  la  lettre  dans  Heminguuhgh,  II,  p.  -123. 

5.  Grand,  chron.,  V,  456  suiv. 

6.  Voy.  le  texte  franc,  dans  l'édition  de  Froissart  par  Kervy\  de  Lettexhove,  IV, 
p.  497;  V,  p.  551.  Dans  IIemixgbuugh  est  le  texte  latin,  et  la  date  fausse  :  XV  die  Aug. 

7.  Dans  le  fragment  éd.  par  Moisant,  p.  171  suiv.,  la  lettre  est  datée  d'Auteuil, 
ce  qui  est  plus  raisonnable.  Voy.  p.  41,  not.  5. 

8.  Voy.  le  fragment  dans  Moisant,  p.  169;  Fhoissaut,  p.  xi.i,  not.  1. 


ÉDOUAKD    KN    NOKMANDIE,    CHÉCY,    CALAIS,     13i(),     13i7  41 

fleuve  ',  celles  du  Prince  de  Galles  incendièrent  la  ville  et  le  monas- 
tère de  Saint-Germain-en-Laye  (Bénédictins),  la  tour  de  l'église  de 
Montjoie,  Saint-Cloud,  Boulog-ne  et  Bourg'-la-Reine^.  Jean  de 
Venette  et  d'autres  témoins  encore  ont  vu  de  Paris  l'incendie  qui 
ravageait  les  lieux  environnants. 

Cependant,  le  roi  Philippe,  trompé  par  la  ruse  des  Anglais,  s'était 
posté  avec  ses  troupes  au  pont  d'Antony  pour  défendre  le  passage 
de  la  Bièvre,  croyant  qu'Edouard  voulait  passer  par  là. 

Le  16  août  3  donc  les  Anglais  franchirent  la  Seine  à  Poissy  pour 
entrer  en  Beauvoisis,  après  avoir  traversé  une  partie  du  diocèse  de 
Rouen.  Edouard  n'avait  pas  de  temps  à  perdre,  s'il  voulait  exé- 
cuter son  plan.  Son  armée  diminuait  toujours  et  ses  soldats  étaient 
mal  chaussés^.  Le  17  août,  Edouard  était  arrivé  à  x\uteuil  '.  11  lais- 
sait la  ville  de  Beauvais  à  droite^;  néanmoins  ses  gens  en  brûlèrent 
les  faubourgs  et  le  feu  atteignit  aussi  les  abbayes  de  Saint-Lucien  ' 
(Bénédictins)  et  de  Saint-Quentin^  (chan.  régul.).  L'abbaye  béné- 
dictine de  Saint-Germer  avait  été  également  très  maltraitée  ^. 
Ensuite  il  se  rendit  par  Troissereux  et  Sommereux  à  Poix,  au  dio- 
cèse d'Amiens,  continuant  son  œuvre  de  dévastation*^.  On  dit  que 
Tabbaye  cistercienne  et  la  ville  de  Beaupré  furent  brûlées  dans  cette 

1.  AV'ynkeley  :  «  Protensis  iij  vel  iiij  trabibus  ultra  ponteni  fractum  transierunt 
quidam  sagittarii,  licct  pauci,  Interfcctis  secuncluni  aestiniationem  honiinibus  mille 
vel  circitcr  hostium,  ceteri  versi  sunt  in  fugam.  Reparato  ponte  dominus  rex  per 
Picardiam    fecit  viam  suam   ».  Il  y  eut  moins  de  tués  suivant  Kmghton,  p.  36.  Vov. 

FhOISS.VHT,    III,    p.   XL. 

2.  Contin.  Giiill.  iV.nif/.,  II.  198  suiv.  Voy.  Grand,  chron.,  Y,  ]).  158;  Chron.  de 
Gilles  li  Muisis,  p.  '211;  Fhoissaht,  p.  149;  Bourgeois  de  Valenciennes ,  p.  223. 
MoisAXT,  p.  171  ;  PiLciuuî  Cochon,  p.  68  :  «  et  destruirent  et  ardircnt  moût  de  pais  ». 

3.  Northburjj,h  et  les  Itinéraires. 

4.  ViLLAM  dans  Mihatoiu,  Scrlpf.  rer.  Uni,.  XIII.  p.  947. 

5.  Ainsi  les  chi-oniqueurset  Itinéraires  anglais,  à  l'exception  de  Northburgh.  Et  c'est 
conforme  à  la  lettre  publiée  dans  Moisant.  Voy.  plus  haut,  p.  40,  not.  7.  Fisoissaht  et 
Northburgh  nomment  «  Grandvilliers  ».  trop  éloignée  pour  la  marche  d'une  Journée. 

6.  BAKiiK  :  <<  diniiscrunt  a  latere  civilatem  de  Heauvoys  intactam  ». 

7.  Jkax  nie  ViîNKTTi:.  p.  199;  Fkoissakt.  p.  xi.i.  el  noL  2;  Grand,  chron.,  \.  459; 
Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  225. 

8.  Gnll.  christ.,  IX,  823.  Seule  l'église  fut  épargnée.  Le  récit  est  conhrmé  par  hi 
Chronogr..  p.  228  :  «  jussit  domos  et  ahhalias  propinquas  incendi  ».  Froissart  pré- 
tend, contre  la  volonté  d'Edouard.  Xi  Xoi'thburgh.  ni  ^^'^'nkelev,  ni  les  autres  Itiné- 
raires ne  mentionnent  Beauvais. 

9.  Voy.  DucLos,  Ilist.  de  Rot/anmont.  I.  p.  434.  En  revanche  l'abbaye  cistercienne 
de  Iloyaumont  ne  se  trouvait  pas  alors  dans  la  direction  des  colonnes  ennemies. 

10.  Jkax  oe  Vkmîttic,  et  Fhoissaht,  p.  153;  Miuimith,  p.  2i6, 


42  LA    GUERRE    DE    CEiNT    ANS 

marche  '.  Le  21  août,  nous  retrouvons  Kdouard  à  Airaines;  sur 
la  route  il  avait  dû  rencontrer  Tabbaye  des  Prémontrés  de  Selincourt. 
Alors  il  s'ag-issait  d'opérer  le  passage  de  la  Somme  dont  tous  les 
ponts  étaient  ou  démolis  ou  bien  gardés  par  les  Français-. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  Philippe  ayant  appris  qu'Edouard  se 
trouvait  sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  qu'il  avait  passée  à  Poissy,  se 
rendit  à  Saint-Denis  et  de  là,  se  jeta  à  la  poursuite  des  Anglais.  Dès 
le  20  août  il  était  arrivé  à  Amiens  ^,  pendant  qu'Edouard  séjournait 
encore  à  xViraines,  dans  une  situation  des  plus  critiques,  se  trouvant 
enfermé  entre  la  mer,  la  Somme  sur  laquelle  il  ne  trouvait  pas  de 
passage,  et  une  armée  supérieure  à  la  sienne.  Un  général  plus  habile 
que  Philippe  aurait  cette  fois  anéanti  l'armée  anglaise.  Pour  échap- 
per à  un  tel  désastre,  Edouard  se  dirigea  le  23  août  vers  Acheux, 
pendant  que  ses  troupes  incendièrent  Aumale,  Senarpont,  le  château 
et  le  prieuré  de  Mareuil  (Bénédictins),  puis  Oisemont.  Les  Anglais 
brûlèrent  tellement  le  pays  «  que  les  flameskes  volaient  en  Abbe- 
ville  ^  ».  Godefroy  de  Harcourt  avança  jusqu'à  Saint- Valéry  où  était 
une  célèbre  abbaye  de  Bénédictins,  mais  il  fut  repoussé.  Enfin  on 
trouva  un  passage  à  Blanquetaque  •'',  où  Edouard  attendait  le  reflux 
de  la  marée  ^.  Mais,  de  l'autre  côté,  il  était  attendu  par  un  détache- 
ment français  de  3.000  à  5.000  hommes  d'armes  '^ .  Les  comtes  de  Nor- 
thampton  et  de  Warwick  ainsi  que  le  baron  de  Cobham  avec  100 

1.  Boiircjeois  de  Vnlenciennes,  p.  225. 

2.  Froissaut,  p.  xi.iM.  Le  fragment  dans  Moisant  s'arrête  avec  le  20  août,  séjour  à  Poix. 

3.  Gilles  li  Mlisis,  L  c.  p.  312. 

-4.  FuoissAHT,  p.  392,  ([ui  dit  encore  (et  d'après  lui  LorA>niiK.  Histoire  d'Abbeville, 
3"  cdit.,  I,  p.  195),  qu'Edouard  résolut  de  tenter  un  coup  de  main  sur  Abbeville  et 
qu'il  vint  en  personne  sur  les  monts  de  Caubert  pour  reconnaître  la  position  de  la 
Aille.  Aucun  des  Itinéraires  n'en  fait  mention.  Ce  fut  probablement  une  partie  de  ses 
troupes  qui  s'avança  jusqu'à  AbbcAilleet  ravagea  le  A'imeu. 

5.  Grand,  chron.,  V,  459  sui"N'.  Jkax  de  Venette;  p.  200  et  d'autres. 

6.  Wynkeley  :  «  EL  fractis  pontibus  via  non  patuit  domino  nostro  régi,  nisi  inler 
Croteye  et  Abbatisvillani  in  relluxu  maris,  ubi  totus  exercitus  transivit  illaesus, 
licet  in  loco  a  populo  illius  terrae  nescirelur  esse  vadum  tutum,  nisi  situni  ubi  sex 
vel  decem  transire  poterant  simul.  Nostri  tamen  indillcrenter  quasi  omni  loco,  tam- 
quam  in  vado  tuto,  transierunt,  quod  niirum  est  in  oculis  omnium,  qui  noverant 
locum  illum  >>.  Muuimlth,  p.  216.  Ce  récit  ne  s'accorde  pas  bien  avec  celui  de 
Froissart  (voy.  p.  xlv),  selon  lequel  un  prisonnier  a  indiqué  le  gué  de  Blanquetaque. 
Voy.  encore  Bourgeois  de  Valenciennea.  p.  226. 

7.  \\'3nkeley  :  «  M  équités  et  v  millia  peditum  ».  Xorthburgh  :  «  I)  honmies 
d'armes  et  MMM  des  comunes  armez  ».  Kmghtox,  p.  36  :  «  iij  millia  virorum  >»^ 
FnoissAUT.  p.  XLV  :  «  douze  mille  hommes  ».  C/cst  exagéré.  Chronogr.,  p.  230  :  «  occisi 
sunt  ad  milia  ». 


ÉDOUAKD    EN    NORMANDIE,    CHÉCY,    CALAIS,     13U),     1  3  i"  43 

hommes  d'armes  et  plusieurs  archers  formaient  Tavant-garde  des 
Anglais  durant  le  passage',  ils  repoussèrent  les  Français  et  en 
tuèrent  deux  mille  '-.  Quand  le  roi  Edouard  monta  au  rivage  à 
Nojelle-sur-mer  •'^,  Tennemi  était  déjà  en  fuite  jusque  vers  Abbe- 
ville  '^  C'était  le  24  août  '^.  Le  même  jour,  Hugues  de  Despenser 
pilla  et  brûla  la  ville  de  Grotoy '^',  Rue  et  d'autres  encore.  Dans 
les  environs,  il  y  avait  l'abbaye  des  Bénédictins  de  Forest-Mous- 
tier.  Le  roi  Philippe,  qui  avait  suivi  Tarmée  anglaise  jusqu'à 
Airaines  et  au-delà,  s'en  retourna  le  25  août  à  Abbeville,  où  il 
passa  le  pont  poursuivre  l'ennemi.  Edouard  Lavait  échappé  belle! 
Mais  s'il  ne  voulait  pas  s'exposer  une  seconde  fois  au  danger 
d'être  enfermé,  il  devait  presque  forcément  accepter  la  bataille.  Il 
choisit  donc  le  26  août  à  Crécy,  tout  près  de  l'abbaye  des  Cister- 
ciens de  Valloires,  une  position  avantageuse  pour  son  armée,  com- 
posée à  peu  près  de  32.000  hommes".  Les  archers  ne  furent  point 
placés  en  avant  des  trois  batailles,  comme  disent  généralement  les 
historiens,  mais  furent  disposés  en  ailes  sur  les  flancs,  pour  ne  pas 
entraver  Faction  des  hommes  d'armes,  et  au  lieu  de  lutter  avec 
l'ennemi  par  le  front,  ils  lancèrent  leurs  flèches  des  deux  côtés  ^. 
Dans  l'après-midi  du  même  jour,  l'armée  française,  qui  comptait 
bien  70.000  hommes",  se  trouvait  en  face  des  Anglais.  Le  combat 
ne  commença  sur  toute  la  ligne  qu'à  la  tombée  de  la  nuit,  et  ne  fut 
pas  interrompu  pendant  une  bonne  moitié  de  cette  nuit  ^^.  Tout  le 
monde  sait  combien  il  fut  désastreux  povir  les  Français.  «  La  fleur 
de  la  chevalerie  chéi^'».   Pour  la  première  fois,  la  chevalerie  fran- 

1.  W^ynkeley.  A'oy.  Kmchtox,  1.  c. 

2.  Wynkcley,  Nortliburj^h,  Kmghtox,  Suivant  YEiilvgiiim,  p.  210  :  «  plus  quani 
mille  ».  Voyez  encore  Bakek,  p.  81. 

3.  Baker,  p.  81. 

4.  Kmghtox,  p.  37. 

5.  Seulement  Kmghtox  dit  :  «  in  vigilia  S''  Bartholomci  »,  le  23  août. 

6.  Xorthburgh  ;  Baker,  1.  c.  ;  Froissart,  p.  xi.vn. 

7.  Chronogr.,  p.  230;  Bourgeois  de  Valenciennef;,  p.  21  i. 

s.  Baker,  p.  83  suiv.  Le  croquis  dans  Kohler.  1.  c.  Tafel  VIII,  est  faux. 

0.  ^^'ynkeley  :  «  hominum  xij  millia  i;aleatorum,  et  aliorum  armatorum  ad  minus 
scxa;4inta  millia  »  (Murimuth,  p.  216).  Kxightox,  p.  38  :  «  xiJ  millia  ^alliarum,  1  millia 
Airorum  armatorum  ad  tibias  et  pedes  ».  ^^^y.  aussi  A'illaxi.  1.  c.  p.  9l8. 

10.  Voy.  Vuj.Axi.  p.  019  :  «  durô...  a  due  ore  inlVa  la  notte  ».  Baker,  p.  Ni; 
Kxightox,  p.  38  :  «  luna  clare  lucebat  per  très  partes  noctis  ». 

11.  Grand.Chron..p.  i62.  L'anj;lais  \\\vnkeley  dit  la  même  chose  1.  c.  :  «  secundum 
dicta  captivorum  jiallicorum,  cecidit  llos  totius  mililiae  j^allicorum  ». 


44  LA    GUERRE    DE    CE>T    ANS 

çaise  se  brisa  contre  les  hommes  de  pied  d'Edouard,  Le  grand 
désordre  qui  régnait  dans  l'armée  française  en  fut  la  principale 
cause.  Les  six  à  sept  mille  arbalétriers  génois  commandés  par 
Charles  Grimani  et  Otto  Doria,  engagèrent  la  bataille;  mais  de 
leurs  quarreaux  aucun  n'arriva  jusqu'aux  Anglais,  tandis  que  les 
archers  des  Anglais  renversaient  leurs  adversaires  avec  une  grêle  de 
flèches.  Les  Génois  prirent  la  fuite  et  vinrent  se  jeter,  en  poussant 
des  cris  lamentables,  sous  les  chevaux  des  Français  arrivant  der- 
rière eux.  L'arrière-garde  de  l'armée  française,  composée  en  grande 
partie  de  jeunes  volontaires  inexpérimentés,  crut  entendre  le  cri  des 
Anglais  mourants,  et  dans  le  désir  d'achever  les  ennemis,  opprima 
les  rangs  placés  devant  elle.  La  confusion  devint  inévitable.  Beau- 
coup de  soldats  furent  écrasés  et  tombèrent  sans  avoir  reçu  aucune 
blessure,  tandis  que  les  Anglais  faisaient  de  leurs  adversaires  un 
véritable  carnage.  Mal  engagée,  la  bataille  fut  mal  continuée  et 
quand,  le  lendemain,  les  Français  livrèrent  leur  seizième  assaut,  la 
victoire  des  Anglais  fut  absolument  décisive  ^  Dans  cette  bataille 
un  roi  même  succomba  :  ce  fut  Jean  l'Aveugle,  roi  de  Bohême  et 
comte  de  Luxembourg,  allié  des  Français,  l'un  des  chevaliers  les 
plus  vaillants  de  son  temps.  Le  roi  de  France  fut  blessé-'.  Les 
Anglais  n'y  perdirent  que  peu  d'hommes,  tandis  que  les  Français 
en  perdirent  plusieurs  milliers  '.  Le  roi  Philippe  s'en  retourna 
abattu  et  désolé  à  Amiens  et  de  là  à  Paris. 

Forcé   d'abandonner  son  projet  de  jonction  avec  les   Flamands, 
puisque  ceux-ci,  le  24  août,  avaient  brûlé  leurs  machines  de  guerre 


1.  Voy.  surtout  Baker,  p.  83  suiv.,  où  il  parle  aussi  des  faits  merveilleux  du 
prince  de  Galles,  qui  était  à  la  tète  de  la  première  des  trois  batailles  des  Anglais. 
Kmghton,  1.  c. 

2.  Chron.  Angliae,  éd.  Thompsox,  p.  23  :  «  inculture  et  femore  n.  Eulocfiiim  ajoute, 
p.  210  :  «  portans  in  maxilla  sua  unam  sagittam  ».  Cf.  Kmghtox,  p.  38. 

3.  Kmohton  dit  :  <<  ij  mille  virorum  armatorum  et  xxxij  mille  aliorum  armatorum  >>. 
ViLLAM,  p.  959  :  1.600  comtes,  bai-ons,  etc.,  4.000  des  bons  j;entz d'armes, 20.000  com- 
muns. FuoissART  :  plus  de  16.000  hommes  (p.  190).  Bourgeois  de  Valenclennes^ 
p.  233  :  35.000;  le  lendemain  :  6.000  (p.  236).  Northburgh  :  «  dezbones  gentz  d'armes... 
saunz  comunes  et  pedeilles,...  mil  D  xlij  ».  Chronogr.,  p.  233  :  «tria  millia  et  octin- 
gcnti  homines  et  non  plures  ».  C'est  trop  peu.  Le  roi  Jean  de  Bohême,  le  comte 
Cliarles  d'Alençon,  Baoul,  duc  de  Lorraine,  les  comtes  Louis  de  Flandre,  Louis  de 
Blois,  Jean  de  Harcourt,  Jean  d'Auxerre  et  de  Tonnerre,  Simon  de  Salm,  Louis  de 
Sancerre,  Henri  de  Vaudemont,  Jean  de  Uoucy  étaient  entre  les  morts.  Voy.  S.  Luce 
dans  FuoissAHT,  III,  p.  xlviii  suIa  .,  Thompson  dans  Baker,  p.  262. 


KDOLAP.D    KN    NOKMANDIi:,    CltKCV,    CALAIS,     13i(),     1347  45 

(levant  Béthune  '  (au  diocèse  d'Arras)  et  s'étaient  retirés,  le  roi 
d'Angleterre  conçut  un  autre  plan,  qui  fut  de  s'emparer  de  Calais. 
La  prise  de  Calais,  se  disait-il,  lui  vaudrait  bien  des  victoires.  Le 
28  août,  il  partit  donc  de  Crécy  dans  la  direction  de  Calais.  En 
route,  ses  troupes  dévastaient  le  pays  jusqu'à  huit  lieues  à  la  ronde; 
elles  incendièrent  Saint-Riquier^  où  il  y  avait  une  abbaye  de  Béné- 
dictins et  où  rilotel-Dieu  resta  tellement  endommagé  par  le  l'eu 
qu'on  n'y  pouvait  plus  recevoir  de  pauvres'^.  Waben  et  les  fau- 
bourgs de  Montreuil-sur-mer  devinrent  également  la  proie  des 
flammes;  de  même  Saint-Josse  avec  l'abl^aye  des  Bénédictins,  pour 
laquelle  Innocent  VI  en  1354  suppliait  le  roi  de  France  '».  Un  autre 
détachement  anglais  dévastait  le  pays  dans  la  direction  de  Hesdin  ■'. 
Sur  la  route  se  trouvait  l'abbaye  des  Prémontrés  de  Saint- André. 
Entrés  le  29  août  dans  le  diocèse  de  Thérouanne,  les  Anglais  brû- 
lèrent et  pillèrent  Etaples^*  et  Neufchàtel.  Les  Boulonnais  repous- 
sèrent les  troupes  anglaises  et  un  assaut  de  400  nefs  anglaises,  qui 
avaient  débarqué  L5.000  Jiommes,  le  4  et  5  septembre  ^  Mais  les 
faubourgs  de  Boulogne  furent  brûlés  par  les  Anglais  «  jusqu'aux 
murs^  »,  déjà  si  fortement  éprouvés  en  1339.  Puis  ils  vinrent  à 
Wissant.  (]e  fut  à  ce  moment  ou  l'année  suivante  que  cette  ville  fut 
incendiée  et  que  le  bénéfice  ecclésiastique  qu'avaient  fondé  les 
citoyens  fut  supprimé-'. 

1.  Cette  ville  cependant  avait  beaucoup  souILn-t  de  l'incendie.  Froissait.  IV, 
p.  xHi,  not.  ô. 

2.  Kmghto.n,  p.  39. 

3.  Suppl.  Innocent.  VI,  n"  29,  fol.  70,  ad  an.  1358.  Alors  l'Hôtel-Dieu  était  à  peu 
près  réparé. 

4.  Fhoiss.vht,  III,  p.  Kxii.  B.vKEa,  p.  86.  Innocent  VI  dit  au  roi  de  France,  «  quod 
ipsius  nionasterii  Iructus...  faciente  preteritoruni  malitia  teniporuni,  que  prêter 
calamitatem  bellicam  niortalitatis  pesteni  vehemetiteni  indu.\it,  sunt  adeo  diminuti 
quod  abbas  et  con^•entus  ad  vitam  inopeni  defendendani  impotentes  penitus  niultis 
propter  iliam  gravantur  contractis  jam  oneribus  debitoruni,  [petitionibus  eoruni 
aureni  suam  inclinât]  ».  Bey.  Val.,  n"  236,  fol.  44,  ad  an.  1354,  Martii  17. 

5.  Fhoissaht,  1.  c.  Edouard  menaça  seulement  Ilesdin.  A'oy.  Danvix,  Vicisslliides 
du  Vieil-IIesdin  (1866),  p.  89. 

6.  Harbaville,  Mémorial  hist.  du  Pas-de-Calais,  II.  p.  108  et  les  chroniques. 

7.  C/j7'on.  de  Gilles  li Muisis,  éd.  de  Smet,  II,  p.  263. 

8.  Kmghtox,  p.  39. 

9.  ((  Benilîcium  situm  in  villa  de  \^'issant  ju.vta  Calcsium,  quod  a  burgensibus  ville 
in  eadeni  villa  institutum  fuerat,  propter  guerras.  occasione  quarum  dicta  villa  com- 
busta  extilit,  noscitur  amisisse  ».  Nicasius  de  liazinfihem.  dans  Suppl.  Cleni.  VI.  n"  16. 
fol.  93.  ad  an.  1319    Jan.  1.  Voy.  IlAunAvn.i.i:,  1.  c.  II.  p.  75. 


4G  LA    fUElUΠ   DK    CENT    ANS 

Le  4  septembre  ^,  Edouard  parut  devant  Calais  et  il  en  commença 
le  siège.  La  ville  bien  fortifiée  avait  pour  capitaine  Jean  de  Vienne. 
Edouard,  prévoyant  un  long-  sièg-e,  fit  construire  presque  une  ville 
pour  y  log-er  son  armée  et  manda  d'Angleterre,  pour  le  siège,  des 
machines  qui,  du  reste,  ne  servirent  pas  beaucoup-.  Afin  d'approvi- 
sionner l'armée,  on  organisa  de  véritables  brigandages.  D'après  une 
version,  quand  les  Anglais  apprirent  qu'à  Thérouanne  il  se  tenait 
un  marché,  le  comte  de  Warwick  s'v  rendit  avec  un  détachement. 
Les  Français  (on  dit  à  tort  au  nombre  d'à  peu  près  10.000)  s'étaient 
fortifiés  et  se  défendaient  sous  la  conduite  de  l'évêque  de  Thérouanne 
(Raymond).  Mais  ils  furent  vaincus  et  beaucoup  d'entre  eux  encore 
furent  tués.  L'évêque  même,  gravement  blessé,  put  à  peine  se  sau- 
ver. Les  Anglais  pillèrent  ensuite  le  marché  et  emportèrent  tout 
à  Calais^.  Thérouanne  fut  brûlée. 

De  nombreuses  abbayes  et  bien  des  monastères  souffrirent 
beaucoup  à  cette  époque,  et  certains  ne  se  relevèrent  jamais.  Ainsi 
l'abbaye  des  Bénédictins  de  Sainte-Marie  de  Capelle,  près  de  Calais, 
fut  totalement  détruite  en  1316*.  Il  n'était  plus  possil)le  d'y  rester. 
En  1354,  son  abbé  Laurence  demanda  l'hospitalité  dans  l'abbaye 
de  Saint-Sauveur  de  Hames  •''.  Jamais  son  abl^aye  ne  fut  relevée. 
Il  en  arriva  de  même  pour  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  d'Andres  ^  ; 


1.  AvEsnnuY,  p.  372,  et  Chronicle  of  London  (1827),  p.  59,  disent  le  3  septembre; 
mais  les  Itinéraires  et  Bakeii,  p.  <S6,  le  i  septembre. 

2.  Bakkm,  p.  80  suiv. 

.3.  Kmghton  1.  c.  dit  :  «  statim  pnst  »  qu'Edouard  avait  mis  le  siège  devant  Calais. 
—  J'ai  dit  «  d'après  une  version  »,  parce  qu'il  y  en  a  une  autre,  celle  que  donne  l'abbé 
Gilles  li  jSIuisis  généralement  bien  informé,  (éd.  nn  Smiît,  II,  p.  263).  "S'ers  le  14  sep- 
tembre, révoque  de  Thérouanne  prend  rofï'ensivc  contre  les  Flamands.  Ceux-ci  lui 
répondent  en  s'emparant  de  sa  ville  de  Thérouanne  (pi'ils  livrent  au  pillage  et  à  lin- 
cendie.  Puis  ils  battent  l'évcque  qui  se  retire  à  Saint-  Pol.  Enfin  ils  le  poursuivent  dans 
sa  retraite  et  brûlent  toute  la  ville,  y  comi)ris  la  maison  de  l'évêque,  n'épargnant  que 
l'église.  A^)y.  encore  Bourç/eois  de  Valenciennes,  p.  210.  Il  dit  «  lundi  avant  Saint- 
Michel  »,  c'est-à-dire  le  25  septembre.  —  Une  troisième  version,  dans  .1.  Meykh, 
Cmnment.irii  rerum  Flundriae  (Anvers  1561),  p.  149,  contond  les  deux  récits,  avec 
quelques  additions  fautives.  —  IlAimAVu-LE,  Mêmoriol  etc.,  II,  p.  366,  ne  mentionne 
pas  le  fait  de  Saint-Fol,  mais  donne  p.  179  quelques  renseignements  sur  Thérouanne. 

4.  Gall.  christ.,  X,   1584. 

5.  Reg.    Vnl.,  n"  226,  fol.  251'\  ad   an.   1354,  Novemb.    22  :  «  ita  miserabiliter  est 
destructum,  quod  in  eo  locus  inquo  quis  habitarc  valeat,  inveniri  non  potest.  » 

6.  Gdll.  christ.,  1.  c,  1603,  ne  sait  pas  si  elle  fut  relevée.  Mais  voy.  Demfle,    La 
Désolation  des  éfjlisss,  I,  n"  54,  55. 


ÉDOIAIU)    F:N    NonMANDIE,    CHKCV,    CALAIS,    1^)i(),    1 'Vi  7  47 

mais  elle  existait  encore  au  moins  en  partie  en  1352  ^  C'est  de  cette 
époque  que  date  le  commencement  de  la  désolation  pour  les  abbayes 
de  Saint-Léonard  de  Guînes  (Bénédictines),  détruite  quelques  années 
après,  et  de  Bonham  (Cisterciennes)  dans  le  comté    de    Guînes-. 

Les  Anglais  dévastant  tout  le  pays  des  environs  de  (Valais-',  les 
autres  monastères  de  cette  région  virent  au  moins  leurs  possessions 
ravagées,  leur  bétail  enlevé.  Le  1^'"  avril  1347,  les  Anglais  dévas- 
tèrent le  pays  jusque  vers  Saint-Omer  :  à  leur  retour,  quatorze  loca- 
lités et  le  monastère  des  chanoines  réguliers  de  Waten  (diocèse 
d'Arras)  furent  la  proie  des  flammes^.  En  juillet,  le  comte  Henri  de 
Lancaster  fit  une  excursion  avec  800  hommes  d'armes  et  de  nom- 
breux archers  ■*,  qui  ramenèrent  au  camp  de  Calais  jusqu'à 
2.000  bœufs  ou  A^aches  et  plus  de  5.000  brebis^'.  Opendant  les 
assiégés  de  Calais  mouraient  de  faim.  Malgré  les  efforts  héroïques 
des  marins  de  divers  jDorts  français  pour  escorter  des  transports  de 
munitions  et  de  Advres  à  Calais,  le  dernier  convoi  de  30  galères 
entra  après  le  1^'"  avril  ^.  Les  dispositions  prises  par  Edouard  ren- 
dirent impossibles  de  nouvelles  provisions^.  Vers  le  mois  de  juin, 
les  assiégés  avaient  déjà  mangé  tous  les  chevaux  et  même  les  chiens 
et  les  chats;  il  ne  leur  restait  plus  qu'à  se  manger  les  uns  les 
autres^.  Pour  amoindrir  les  ditïicultés  de  la  défense,  on  avait  forcé 
environ  cinq  cents  pauvres  à  quitter  Calais.  Ils  s'adressent  à 
Edouard  qui  les  repousse  vers  la  ville,  laquelle  à  son  tour  ne  les 
reçoit  pas.  Et  voilà  ces  malheureux  réduits  à  mourir  peu  à  peu 
de  faim  et  de  froid,  sur  le  terrain  étroit  qui  séparait  Farmée  anglaise 
des  murailles  de  la  ville  ^*^. 

1.  Voy.  Chron.  novmunde,  p.  29»,not.  3. 

2.  Voy.  plus  loin,  et  de  Laitanh:,   L'ahhni/e  de   Clnirinnvnis,   I,  p.  1G8. 

3.  Km(;hto\,  p,  48. 

4.  Chron.  Gilles  de  li  Miiisis,  1.  c,  p.  267. 

5.  IvNUiHTOx  (suivant  rédition)  :  20.000.  Mais  ce  chinVe  est  trop  exagéré. 

6.  Ihid.,  p.  50  :  «  quac  exercitui  magnum  retVigerium  praesliterunt  ». 

7.  Kmghtox,  p.  46  :  «  Post  Pascha  »,  le  1"  avril. 

8.  Sur  les  clisj)t)silions  prises  par  Edouard  au  commencement  du  siège,  voy. 
Bakfh,  p.  90.  Kmghtox,  p.  47,  parle  de  mesures  postérieures.  700  navires  avec 
14.151  marins  étaient  devant  Calais.  Nicolas,  A  History  of  the  royal  navy.  II.  p.  507. 

9.  Voy.  la  lettre  de  Jean  de  Vienne  dans  Avesdirv,  p.  306:  un  IVagment  dans 
KxiGHTox,  p.  48,  et  S.  Lien  dans  Fuoissart.  IV,  p.  xx.  not.  8;  Chronogr. ,  p.  244 
suiv.  et  not.  1  ;  Bourgeois  de  Vulenciennes,  p.  260  suiv.  \'oy.  Piehhe  Cochox,  p.  71. 

10.  Kmghtox,  1.  c. 


48  LA    GUERRE    DE    CENT    A>'S 

Le  27  juillet  le  roi  Philippe  accourut  au  secours  avec  une  grande 
armée  qu'il  fît  camper  sur  les  hauteurs  de  Sang-atte  entre  Wissant 
et  Calais.  Il  otFrit  d'abord  le  duel  à  Edouard  qui  accepta.  Mais  le 
2  août  de  grand  matin,  les  Français,  comme  saisis  d'une  terreur 
panique,  levèrent  précipitamment  le  camp,  mirent  le  feu  à  leurs 
tentes  et  à  une  partie  du  bagag-e  et  battirent  en  retraite,  poursuivis 
par  les  Anglais  qui  firent  riche  butina  Les  assiégés,  alors  désespé- 
rés, se  rendirent  forcément  le  4^  aoùt'^  13i7,  après  une  résistance 
g-lorieuse  de  onze  mois.  Eux-mêmes  ôtérent  des  murs  le  drapeau 
français  en  le  remplaçant  par  la  bannière  anglo-française  '^  Depuis 
lors  Calais,  le  Gibraltar  du  Nord,  resta  au  pouvoir  des  Anglais  du- 
rant plus  de  deux  siècles,  jusqu'au  moment  où  François  de  Guise  le 
leur  enleva  pour  tout  jamais  en  1558.  Edouard  avait  fort  bien  calculé. 
Nulle  autre  ville  n'offrait  un  meilleur  point  d'appui  pour  les  expé- 
ditions contre  la  France,  ni  un  meilleur  entrepôt  pour  le  commerce 
avec  la  Flandre  ^.  La  perte  de  Calais  fut  pour  cette  raison  la  plus 
sensible  de  toutes  celles  que  subirent  les  Français  à  cette  époque-', 
comme  deux  siècles  après  pour  les  Ang-lais. 

Je  ne  parlerai  guère  des  charges  pesantes  qu'Edouard  imposa  aux 
assiégants.  Elles  sont  bien  connues.  Presque  tous  les  habitants,  y 
compris  les  religieux,  comme  par  exemple  les  Carmes,  furent  chas- 
sés de  leurs  foyers  et  remplacés  par  des  Anglais.  Bien  des 
exilés  réussirent  à  trouver  un  nouvel  abri,  mais  beaucoup  aussi 
furent  forcés  de  mendier  leur  pain  ^. 

1.  AvESBURY,  p.  391  suiv^,  où  se  trouve  la  lettre  intéressante  du  roi  cl' Anj^le terre, 
et  Bakeb,  1.  c.,  avec  de  renseignements  nouveaux.  Pierre  Gochox,  l.  c. 

2.  AvEsnuRY,  p.  372  et  395  dit,  3  août.  Mais  Kmohton,  p.  51,  dit  :  «  iv  die  Augusti  », 
et  ainsi  quelques  autres  sources.  Voy.  E.  Molimer,  dans  ÏÉtinle  sur  la  vie  d'ArnouL 
d'Aiidrehem  dans  les  Mém.  présentés  à  l'Académie  des  Inscriptions,  etc.,  2"  série, 
t.  VI,  p.  15,  not.  3.  Bakeu  écrit  aussi  «  sabbato  »,  c'est-à-dire  le  4  août. 

3.  Kmghïox,  1.  c.  :  <(  Cuni  vidissent  ci\'es  Calesiae  vecordiam  Francorum,  subtraxe- 
runt  de  mûris  vexilta  Franciae,  et  vexilla  régis  Angliae  quadrilata  de  armis  Angliae 
et  Franciae  élevantes  ».  ^'oy.  encore  B.\ker,  p.  91. 

4.  Pauli,  Gesch.  V.  England,  IV,  p.  409;  Bilder  ans  Alt-Ent/land,  2^  éd.,  p.  166. 
Déjà  en  1362,  Edouard  établit  l'étaple  des  laines,  entrepôt  qui  fut  pour  Calais  un 
élément  de  prospérité.  Plus  tard,  le  port  fut  agrandi  par  les  Anglais.  Voy.  Harba- 
A  IM.E,  1.  c,  II,  p.  24  suiv. 

5.  Je  note  seulement  ici  la  tentative  malheureuse  de  Geofl'roy  de  Charny  pour 
reprendre  Calais  aux  Anglais,  1349-1350.  Voy.  Froissart,  IV,  p.  xxxi  suiv.  ;  Avesbtjry, 
p.  400  suiv.  ;  Contin.  Miirimuth,  éd.  Hog,  p.  179-181,  et  surtout  Baker, p.  103  à  108. 

6.  Jea\  de  Vexette  {Contin.  Guill.  Nanc/.,  II,  p.  207).  Cabinet  hist.^  XXIV,  p.  254 
suiv.  Plusieurs  familles  calaisiennes  vinrent  s'établir  àCarcassonne.  Hist.  gén.  de  Lan- 
guedoc, éd.  Privât,  IX,  p.  604. 


Li:S  ANGLAIS  EN   uretagne,   1345   à   1347  49 

Ensuite  les  Anglais  dévastèrent  les  environs  de  la  ville  ^  à  peu 
près  autant  qu'ils  l'avaient  déjà  fait.  Ce  fut  là  en  particulier  l'œuvre 
d'Edouard,  prince  de  Galles,  jeune  homme  de  dix-sept  ans,  auda- 
cieux et  téméraire,  dont  la  férocité  et  le  goût  pour  le  pillage  et  les 
incendies  croissaient  avec  l'âge.  Lors  d'une  expédition  qu'il  fît 
dans  les  contrées  limitrophes  de  la  France  jusqu'à  trente  lieues 
de  distance,  il  mit  tout  à  feu  et  s'en  retourna  à  Calais  avec  un  gros 
butin  ~.  Gela  se  fit  avant  la  trêve  qui  fut  conclue  entre  les  deux 
rois,  le  28  septembre,  devant  les  portes  de  Galais,  par  les  intermé- 
diaires du  pape,  les  cardinaux  Hannibal  de  Geccano  et  Etienne 
Aubert,  trêve  qui  devait  durer  dix  mois,  mais  qui  fut  ensuite  renou- 
velée à  différentes  reprises  jusqu'au  6  avril  1354-^. 

Après  le  retour  de  l'armée  victorieuse  en  Angleterre,  on  eût  cru 
qu'un  nouveau  soleil  s'était  levé  pour  ce  pays.  Bon  nombre  d'Anglais 
s'enrichirent  du  l)utin  conquis  sur  les  Français  en  un  si  court 
espace  de  temps.  Soit  habits,  soit  fourrures,  matelas  ou  ustensiles 
divers,  il  n'y  eut  guère  de  femme  qui  ne  possédât  quelque  chose  du 
butin  fait  à  Gaen,  à  Galais  ou  ailleurs.  Çà  et  là,  on  vit  tout  à  coup 
dans  les  maisons  des  serviettes  de  table,  des  bijoux,  des  coupes  d'or 
et  d'argent,  des  étoffes,  des  toiles  et  du  linge  de  provenance  fran- 
çaise. Les  dames  anglaises  se  plaisaient  à  se  pavaner  dans  les 
atours  des  dames  françaises,  et  autant  celles-ci  déploraient  la  perte 
d'innombrables  objets  précieux,  autant  celles-là  se  réjouissaient  d'en 
avoir  fait  l'acquisition  ^. 

5.  Les  Anglais  en  Bretagne^  bataille  de  la  Roche-Derrien. 

Malgré  la  mort  de  Jean  de  Montfort,  la  guerre  en  Bretagne 
n'était  pas  finie.  Edouard  était  le  tuteur  du  jeune  Montfort  et  le 
comte  de  Northampton,  lieutenant  général  en  Bretagne  ''.  Le 
29  novembre  1345,  ce  général  parut  devant  Garhaix  au  diocèse 
de  Quimper,  puis  il  assiégea,  mais  sans  succès,  la  ville  deGuingamp, 

1.  Jkan  de  Vexetti:,  1.  c.  Mais  le  château  de  Guînes  fut  pris  seulement  en  1352, 

2.  Kmghtox,  p.  52  :  «  misit  igni  et  lïammae  totam  patriam  in  circuitu  ». 

3.  Voy.  les  articles  clans  Avesuuuy,  p.  397-102;  Rymek,  Foedeni,  III,  13G,  173.  177, 
18i,  197,  232,  253,  26i,  276. 

4.  Walsingham,  Ilisloria  Anylicana,  éd.  Riley,  I,  p.  272.  Voy.  Murimuth,  p.  248. 

5.  Voy.  plus  haut,  p.  27. 

R.  P.  DenH'Le.  —  Desolalio  ecclcsiarum  II.  4 


50  LA    (iLERRE    DE    CENT    ANS 

au  diocèse  de  Trég-uier.  En  se  retirant,  il  livra  un  assaut  à  la  forte- 
resse de  la  Roche-Derrien,  du  même  diocèse,  et  ayant  réussi  à  se 
ménager  des  intelligences  dans  la  place,  il  s'en  rendit  maître  K  Je 
crois  qu'à  cette  occasion,  l'église  de  Notre-Dame  située  tout  près 
des  murs  fut  détruite  -.  Après  que  les  Anglais  eurent  j^ris  la  Roche- 
Derrien,  les  moines  cisterciens  de  l'abbave  de  Notre-Dame  de 
Bégard,  située  également  tout  près  et  dans  le  même  diocèse,  al)an- 
donnèrent  l'abbaye  en  y  laissant  seulement  quelques  domestiques 
pour  gardiens.  Cet  état  de  choses  dura  pendant  deux  ans-\ 

En  1346,  les  Anglais  voulant  mettre  toutes  les  églises  de  Tréguier 
et  des  environs  hors  d'état  de  pouvoir  servir  de  fortifications,  les 
démolirent  en  partie.  Il  n'y  eut  que  le  tombeau  d'Yves  de  Kermartin, 
auquel  ils  n'osèrent  toucher^.  A  la  suite  de  ces  événements,  l'évêque 
et  le  chapitre  de  Tréguier  commençaient  à  craindre  que  le  corps  du 
Bienheureux  Yves,  dont  la  tondre  était  connue  de  tout  le  monde, 
ne  fut,  un  jour  ou  l'autre,  volé  ou  emporté  de  vive  force.  Ils  s'adres- 
sèrent donc  au  pape  Clément  VI  qui  leur  permit,  sous  la  date  du 
1^*'"  septembre  13i8,  d'exhumer  secrètement  le  corps  du  Bienheureux 
et  de  le  mettre  en  un  endroit  sur,  en  attendant  que  des  temps 
plus  propices  permissent  une  translation  solennelle^. 


1.  Granil.  chron.,  Y,  p.  442  suiv.  Plaine,  Ln  (jnerre  de  In  succession,  p.  23. 

2.  Reff.  Val.  Greijor.  XI,  n"  287,  fol.  176. 

3.  (}r;ui(l.  chron.,  p.  473. 

4.  Voy.  LoBiNËAU,  llist.  de  Breiacjne  (Paris,  1707),  I.  p.  388.  Les  Grandes  citron., 
p.  445  suiv,,  parlent  notamment  de  «  Téglyse  cathédral  de  Lantref^viier  »,  dans 
laquelle  le  corps  de  Saint- Yves  reposait,  qui  fut  détruite  en  partie;  «  Taulre  cj;lyse 
cathédral  de  Tréj^uier  la  cité,  qui  est  nommée  Sainte-Tuyual  »  fut  détruite  en  par- 
tie par  un  prêtre  plus  outrageux  que  les  Anglais, 

5.  Re(f.  Vat.  Cleni.  Vl,  n°  191,  fol.  84  : 

Ven.  fratri  episcopo  et  dil.  filiis  capitulo  Trecoren.  salutem,  etc.  Pia  vola  lidelium 
sane  petitio  pro  parte  vestranobis  nuper  exhibita  continebat,  quod  propler  guerra- 
rum  discrimina  in  ipsius  partibus  ingruentia  et  propter  malitiam  inimicorum  Acstro- 
rum  acaliorum  pravorum  liominum,  quorum  in  eisdem  partibus  peccatis  exigcntibus 
excessivus  est  numerus,  verisimiliter  formidatur  quod  pretiosum  corpus  beatiYvonis 
confessons,  in  loco  minus  luto  et  cunctis  pêne  cognito  tumulatum,  surripialur  vobis 
alio  deferendum,  quodque  propter  peri'mla,  que  vobis  ex  ipsius  translationc  sollem- 
pni  et  publica  corporis  probabiliter  imniinerent,illud  adaliquem  locum  tutum(donec 
rex  pacificus  tcmpora  disponat  in  mclius)  transferre  sollempniter,  prout  tanti  confcs- 
soris  mérita  exigunt,  non  audetis.  Quare  pro  parte  vestra  fuit  nobis  luimiliLer  suppli- 
catum,  ut  providere  vobis  super  hoc  de  oportuno  remedio  dignaremur.  Nos  igitur  pic 
devotionis  studium  in  Domino  commendantes  illudquc  oportunis  in  hac  parte  favo- 
ribus    i)roscquentes   hujusmodi  supplicationibus  inclina ti   prcfalum  corpus  de  loco 


LKS    ANGLAIS    KN    KHI-H  AGNE,     i-Ho    Ù    1317  ol 

En  1343,  le  comte  de  Northampton  voulait  s'emparer  de  Laiiiiion 
près  de  Trég-uier,  mais  il  fut  toujours  repoussé.  Il  pénétra  alors  dans 
le  diocèse  de  Léon,  où  les  Anglais  avaient  déjà  plusieurs  châteaux 
munis  de  garnisons  ^ . 

Le  6  décembre  enfin,  la  forteresse  de  Lannion  tomba  entre  les 
mains  des  Anglais  par  trahison  -.  Les  habitants  du  pays,  qui  vou- 
laient regagner  la  Roche-Derrien,  furent  tenus  dans  une  dure  servi- 
tude •'. 

L'année  la  plus  funeste  pour  Charles  de  Blois  fut  certainement 
1347.  Dès  le  10  janvier,  Thomas  de  Dagworth,  nommé  lieutenant 
général  en  Bretagne  à  la  place  du  comte  de  Northampton,  inaugure 
son  entrée  en  charge  par  la  sanglante  bataille  de  la  Roche-Derrien. 
Charles  de  Blois  avait  entrepris  en  personne,  et  avec  une  armée 
assez  forte,  le  siège  de  cette  forteresse,  pour  en  débusquer  ses  enne- 
mis'^  Mais  le  20  juin,  il  eut  le  malheur  de  se  laisser  surprendre  par 
Thomas  de  Dagworth  dans  une  attaque  nocturne  où  il  perdit,  en 
dehors  des  gens  du  commun,  de  000  à  700  hommes  d'armes,  che- 
valiers et  écuyers.  «  Les  chefs  des  plus  grandes  familles  de  Bretagne, 
comme  les  Rohan,  les  Laval,  les  Rougé,  les  Chàteaugiron,  les 
Châteaubriant  succombèrent  en  combattant  à  côté  de  leur  duc; 
d'autres,  comme  les  seigneurs  de  Rochefort,  de  Beaumanoir,  de 
Tinténiac,  de  Lohéac  tombèrent  aux  mains  des  Anglais,  »  de  même 
que  Charles  de  Blois  en  personne,  après  qu'il  eut  reçu  dix-sept  bles- 
sures ■*.  Jamais  le  parti  de  Charles  de  Blois  ne  se  releva  de  cette 
défaite.    Charles,     fait   prisonnier,    fut   enfermé    dans    la    tour    de 


hujusmocli  in  quo  est,  ut  prcdicitur,  tuiiuilatuni,  per  te,  fratci-  episcopus,  ac  vos  dil. 
fil.  capitulum,  seu  illos  e.v  vobis  quos  ad  hoc  duxeritis  eligendos,  non  obstante  qua- 
cuni({uc  constitutionc  contraria,  cxhuniandi  illudquc  secrète  ad  ali({ueni  locuni 
tutuni,  honeslum  tanien  atque  decenteni  transferendi  et  dimittendi  translatuni. 
donec  ra\ente  Deo  cessantibus  j^uerris  hujusniodi  corpus  idem...  cunctis  fidelibus 
rcvcletur...  tenore  prcscntiuni  elarginiur.  Dalum  Avinione  kal.  Sept,  anno  septimo. 

1.  Grnnd.  chron.,  V,  p.  iiS. 

2.  Ihid.,  p.  iii,  li7. 

3.  11)1(1.^  p.   1 19  suiv. 

i.  Suivant  Dagworth  nicnie,  les  assiégeants  étaient  au  nombre  de  4.400  (Avesiuhv. 
p.  38S).  K.M(inT(>.\,  qui  (ou  l'éditioni  e.\agèi-e  toujours  les  chilïVes,  p.  49  :  «  cum  XXX 
millibus  viris  slrenuis  ».  Les  Grand.  Chrnu.,  p.  Ti2  :  «  et  a\oit  ave([ucs  luy  granl 
quantité  de  peuple,  tant  de  lîretons  cjue  de  Finançais  et  d'autres  nacions  ». 

5.  S.  Lrci:,  (iuesclin,  p.  52  suiv.  Xoy.  Pi.ai.m:,  j).  23  suiv.:  Gnind.  vhron..  p.  471 
suiv.,  et  la  lettre  citée  de  Thomas  de  Dagwoi-th.  K.M(iHT(t.\,  p.  49.  55. 


52  La  guerre  ï)e  cent  ans 

Londres,  où  il  dut  rester  pendant  neuf  ans  jusqu'en  1356.  Jeanne 
de  Penthièvre,  sa  femme,  était  impuissante  à  prendre  l'offensive 
contre  les  Anglais  et  leurs  alliés.  Du  reste  la  trêve  de  Calais,  sti- 
pulée le  28  septembre  13i7,  survint  à  propos  pour  rétablir,  au  moins 
230ur    quelcpie  temps,  la  paix  en  Bretagne. 


6.  La  guerre  dans  le  comté  de  Bourgogne^  dans  le  Valentinois  et  le 

Diois  et  en  Boussillon. 

Bien  que,  dans  ce  paragraphe,  il  ne  s'agisse  pas  strictement  de 
la  guerre  de  Cent  ans,  j'ai  pensé  néanmoins  devoir  mentionner  en 
peu  de  mots  les  hostilités  qui  eurent  lieu,  durant  cette  guerre,  dans 
les  pays  susdits,  puisqu'elles  amenèrent  également  la  ruine  de  plu- 
sieurs monastères. 

Et  pour  commencer  par  le  comté  de  Bourgogne  ou  la  Franche- 
Comte^  ce  paj^s  fut  bien  sérieusement  ravagé  en  1336  et  dans  les 
années  suivantes.  On  guerroyait  sur  presque  tous  les  points.  Une 
ligue  formidable  désolait  le  pays  en  haine  d'Eudes  IV,  comte  de 
Bourgogne.  Jean  II  de  Chalon,  seigneur  d'Arlay,  qui  donna  le  signal 
de  la  révolte,  Henri  de  Montfaucon,  comte  de  Montbéliard,  Thi- 
l)aud,  seigneur  de  Neufchâtel  sur  le  Doubs,  et  le  sire  de  Faucogney 
en  étaient  les  chefs.  Brusquement  attaqués  dans  leurs  prétentions  par 
le  comte,  ils  se  soulevèrent  contre  lui^.  Tandis  que  les  uns  rava- 
geaient les  monts,  les  autres  portaient  la  frayeur  dans  la  plaine, 
comme  les  troupes  d'Edouard  avec  lequel  ils  étaient  secrètement 
alliés  et  qui  envoya  d'abondants  subsides.  Ces  seigneurs  renver- 
sèrent les  murs  de  l'abbaye  cistercienne  de  La  Charité,  diocèse  de 
Besançon  ~.  Baume  et  tout  le  voisinage  souffrirent  beaucoup  de  la 
présence  des  troupes  des  deux  partis.  L'abbaye  bénédictine  fut  rui- 
née le  7  mai  1336  et  restaurée  seulement  vers  1390^.  Au  même 
temps  brûlait  aussi  le  prieuré  de  Vaux.  L'abbaye  cistercienne  de 
Cherlieu  n'était  pas  à  l'abri  de  beaucoup  d'exactions  '*.  Le  comte  de 

1.  Voy.  Ed.  Cleuc,  Easni  sur  Lliistoire  de  Franche-Comié  (1870,  1846),  II,  p.  37  et 
suivantes,  60  siiiv. 

2.  Clkuc,  1.  c.  j).  52. 

3.  Gall.  christ.,  XV,  180;  Clerc,  1.  c. 

i.  ^'oy.  L.  Bessox,  Méin.  hist.  sur  Cahbaye  de  Cherlieu  (1847),  p.  64  et  suiv. 


LA    r.UEHRE    DANS    ROURr.OGNE,    VALENTINOIS,     133G    Ù    135()  .^3 

Bourgogne  étant  vainqueur  en  1336,  la  guerre  se  ranimait  dès  1339; 
Cherlieu  se  mit  sous  la  protection  du  comte  Eudes  de  Bourgogne. 
Mais  une  autre  abbaye  cistercienne  de  la  Grâce-Dieu,  du  même 
diocèse,  eut  un  sort  bien  plus  triste.  Elle  fut  dévastée  et  ses 
archives  dispersées.  Les  religieux  eux-mêmes  nous  apprennent 
que  de  leurs  papiers  égarés  en  cette  circonstance  ils  n'ont  recou- 
vré qu'un  seul  titre  ' . 

Mais  le  comte  même  ne  traita  pas  mieux  les  religieux  bien  que  la 
paix  fut  presque  rétablie.  Lorsqu'en  13i3,  les  religieux  de  l'abbaye 
bénédictine  de  Lure  craignaient  des  incursions,  l'abbé  Jacques  de 
Vyt  fortifia  l'abbaye  par  un  mur  de  briques,  garni  de  plusieurs  tours 
et  entouré  d'un  double  fossé.  Le  comte  Eudes,  se  croyant  offensé 
dans  ses  droits,  ordonna  à  l'abbé  par  Jean  de  Montaigu,  l^ailli 
d'Amont,  de  faire  démolir  ces  fortifications.  Lure  ferma  ses  portes  aux 
huissiers  qui  devaient  porter  cette  ordonnance  à  l'abbé,  lequel  fut 
alors  cité.  Mais  au  lieu  de  comparaître,  il  continua  ses  travaux.  Jean 
de  Montaigu  le  condamna  par  défaut  à  une  amende  de  mille  marcs 
d'argent  et  à  la  destruction  des  murs  qu'il  avaient  élevés.  Ce  juge- 
ment fut  rendu  le  25  avril  1345.  Mais  on  ne  put  le  mettre  à  exécu- 
tion. Alors  les  biens  que  cette  maison  possédait  en  Bourgogne 
furent  saisis  et  l'abbaye  en  demeura  privée  pendant  trente-cinq 
ans  ~.  Plus  tard  le  comte  Eudes  envoya  sur  les  terres  de  l'abbaye 
des  seigneurs,  avides  de  butin,  qui  les  désolèrent  par  leurs  incur- 
sions, et  qui  mirent  le  feu  partout  où  ils  passèrent  ^.  Au  milieu  de 
cette  destruction,  Jacques  mourut.  Sous  le  nouvel  abbé  Guillaume, 
en  1353,  les  moines  furent  chassés  de  leur  monastère  par  Ulric,  le 
grand  bailli  d'Alsace,  officier  du  duc  Albert  d'Autriche,  d'accord 
avec  les  Bourguignons,  et  ils  durent  pendant  plusieurs  années  vivre 
au  dehors,  souvent  même  en  mendiant.  En  1356,  Innocent  VI  se 
plaignit  à  l'empereur  Charles  IV  de  cet  état  de  choses  en  le  priant 
de  s'interposer   afin   que   les  moines  pussent  retourner  dans  leur 

1.  RicHAun,  Hisloire  de  Vabbaye  de  la  Gnice-Dieu  (1857),  p.  62. 

2.  Voy.  sur  toul  cela  Besson,  Mém.  hist.  sur  Vabbaye  et  la  ville  de  Lure  (1856), 
p.  58  suiv.  ;  Clerc,  p.  77.  Parmi  les  domaines  confisqués  «  per  gentes  quondam 
Odonis  ducis  Burgundie  »  se  trouvait  aussi  la  ville  de  Grozon,  et  le  monastère  «  ex 
tune  ex  ipsius  ville  reddilibus  et  pensione  aliquid  non  percepit  ».  Reg.  Vai.,  n"  24  i 
N,  ep.  32  4,  ad  an.  1351,  Decemb.  1. 

3.  Bessox,  1.  c.,  p.  60. 


54  LA    GIKRHE    DE    CENT    ANS 

monastère  ^  Par  suite  de  ces  calamités  le  monastère  s'était  telle- 
ment appauvri  qu'en  1363  l'église  n'était  jDas  encore  achevée  -, 
L'al3])ave  trouva  néanmoins  plus  tard  des  défenseurs  dans  les 
ducs  d'Autriche^. 

Dans  le  Valentinois  et  le  Diois^  il  y  avait  depuis  le  xiii^  siècle 
des  rivalités  continuelles  entre  les  évêques  et  les  comtes,  parce 
que  ceux-ci  voulaient  étendre  leur  domination  sur  tout  le  territoire 
valentinois  et  diois  au  préjudice  de  l'évêque  de  Valence  et  de  Die. 
Enfin,  en  1332,  une  convention  fut  stipulée  à  Avig-non  entre  l'évêque 
Aymar  de  la  \  ovdte  et  le  comte  Aymar  V.  Comme  la  division  de  la 
ville  de  Grest  en  deux  seigneuries  distinctes  était  la  source  princi- 
pale de  la  guerre,  il  y  est  statué  que  cette  division  n'existera  plus  ; 
la  souveraineté   appartiendra  désormais    indivise  à   l'évêque   et  au 

1.  Recf.  Viit.,  n°  238,  fol.  62,  ad  an.  1356,  Mail  10  :  Carissinio...  Carolo  imperatori 
Roman,  seniper  Au^usto,  salutem.  etc.  Moleste  nuper  ac  displicenter  audivimus  quod 
quidam  ofiîciales  dil.  fdii  nobilis  viri  Alberti  ducis  Austrie  in  comitatu  de  Feiretis  ad 
ducem  eundeni  spectante  monasterium  de  Lutra,  Romane  ecclesie  immédiate  subjec- 
tum,  O.  S.  B.,  Bisuntin,  dioc.,  presumptione  dampnabili  occuparunt,  et  exclusis 
inde  ministris  Dei,  abbate  et  monachis  dicti  mon.,  ac  bonis  eorum  omnibus  datis  in 
predam,  perintroductos  in  illud  minislros  sathane  detinent  occupatum,  tôt  mala  inibi 
committentes  quot  brevi  stilo  compreliendcrc  non  possemus.  In  quo,  et  si  oflensam 
Dei  et  injuriam  libertatis  ccclesiastice  defleamus,  notam  tamen  infamie  que  ex  hoc 
famé  dicti  ducis  imponitur  non  mediocriter  deploramus.  Ad  pietatem  ilaque  tuam... 
ut  ruine  ac  desolationi  dicti  monasterii  misericors  et  miserator  occurras,  paterna 
fiducia  récurrentes,  serenitatem  tuam  attente  rog:amus  quatenus  ad  preservationem 
dicti  mon.  dexteram  auxilii  porrijiens  salutaris  de  illo  super  hoc  remedio.  divine 
propitiationis  intuilu,  et  nostre  intercessionis  olîtentu.  velis  favorabililer  et  ccleriter 
providere...  Dat.  Avinione  vj  id.  Maii  anno  quarto. 

2.  Siippl.  Urhani  V,  n»  3ô,  fol.  1J5  :  Supplicat  S.  Y.  creatura  vestra  devota  Ilen- 
ricus  abbas  vestri  monasterii  Lutren.,  Ord.  S.  lîen.,  Bisuntin.  dioc.  ad  vestram  Rom. 
ecclesiam  nuUo  medio  pertinentis,  quatenus,  cum  prefatum  monasterium  situatum 
existât  inter  Alamaniam,  Bur^ondiam  et  Lothorinj^iam  in  medio  nationis  perverse, 
inter  gentes  efCeras,  et  rapacitati  ultra  modum  deditas,  adeo  quod  a  decem  annis  citra 
abbas  et  monachi  predicti  monasterii  per  Alamannos  ab  ipso  monasterio  violenter 
expulsi,  per  plures  annos  remanserunt  vagabundi,  et  quidam  ipsorum  mendicare 
sunt  coacti,  et  de  die  in  diem  similia  vel  pejora  verisimiliter  formidantur,  nisi  per 
S.  y.  de  remedio  condecenti  prefato  monasterio  succurratur  [de  instituendo  conser- 
vatore]. 

Item  [cum]  predicti  monasterii  ecclesia  propter  paupertatem  vel  alias  numquam 
fuerit  consumata.  sed  remanserit  et  adhuc  est  imperfecta,  abbascjue  et  monachi  pre- 
dicti non  habeant  de  quo  valeant  perficere  vel  alias  consumare,  q>iatcnus  omnibus, 
qui  manus  eidem  ecclesie  vel  capelle  beati  Deicoli,  dicti  monasterii  fundatoris,  in 
qua  corpus  ejusdem  requiescit,  porrexerint  adjutrices...  septem  annorum  et  septem 
quadragen.  indulgentias  dignemini...  indulgere.  Fiat.  B.  Dat.  Avinion.  viij  kal. 
Februarii,  anno  primo  (an.  1363,  Jan.  25),  Voy.  aussi  Biîssox,  1.  c,  p.  60. 

3.  ^"oy.  Besson,  1.  c,  et  p.  213,  n"  xvii. 


LA  GUE11RI-:  DANS  ROURGOGNi:,  VALENTÏNOIS,  1330  à  13r)()     00 

comte  ;  en  temps  de  guerre,  Grest  et  son  territoire  demeureront 
neutres  1.  Le  9  avril  cette  convention  fut  ratifiée  et  le  comte  prêta 
l'hommage  lige  à  l'éveque  de  Valence  et  de  Die  pour  tous  ses  fiefs 
dans  l'empire  -. 

Mais  le  comte  Aymar  VI  prétendait  qu'il  importait  à  la  sécurité 
de  la  ville  de  Grest  qu'on  fit  sans  retard  de  nouvelles  constructions. 
Aussi  les  officiers  du  comte  avaient-ils  de  perpétuels  différends  avec 
les  sujets  de  l'éveque  ^.  Telle  fut  l'origine  de  la  guerre  des  épisco- 
paux  ainsi  dénommée  parce  que  les  documents  du  temps  désignent 
sous  le  nom  d'épiscopaux  les  soldats  enrôlés  sous  la  bannière  de 
l'éveque.  Gette  guerre  qui  devait  durer  douze  ans  éclata  au  mois  de 
décembre  de  Tan  134G  entre  le  comte  et  l'éveque  Pierre  de  Gliâlus. 
L'intervention  du  pape  lui-même  fut  impuissante  à  l'empêcher. 
Des  deux  côtés,  on  brûlait  et  l'on  ravageait  suivant  l'exemple 
anglais''.  Vers  le  milieu  de  l'an  1347,  la  situation  sembla  vouloir 
s'améliorer  grâce  à  l'intervention  des  délégués  du  pape,  les  évêques 
d'Uzès  et  de  Lisbonne;  mais  les  épiscopaux  renouvelèrent  les  hos- 
tilités en  assiégeant  Grest.  De  leur  côté,  les  troupes  du  comte  de 
Valentinois  portèrent  la  désolation  sur  le  territoire  de  l'éveque  et 
forcèrent  les  épiscopaux  à  lever  précipitamment  le  siège.  Ensuite 
ces  derniers  furent  battus  à  Upie  ^.  Le  calme  fut  rétabli,  mais  le 
comte  refusa  de  démolir  les  fortifications  construites  par  lui  à 
Grest  ^*.  Après  que  la  peste  noire  eut  apaisé  les  esprits  pendant 
quelque  temps,  la  guerre  se  ralluma  en  1352,  sous  le  nouvel  évêque 
Jean  Joffréry,  et  de  nouveau  des  bandes  armées  se  mirent  à  rava- 
ger les  campagnes.  Il  est  vrai  que  le  1^*"  juillet  13o3  une  trêve  fut 
conclue  à  GhabeuiP,  grâce  encore  une  fois  à  l'intervention  du  pape; 
mais  ce  fut  seulement  sous  l'éveque  Louis  de  Villars  que  les  deux 

1.  ^''oy.  .T.  Chevameh,  Mémoires  pour  servir  n  Vhisl.  dea  comlés  de  Valentinois  et 
de  i)/o/.s,  I  (1897),  p.  297  ;  et  le  même  :  Essai  hist.  sur  L  église  et  la  ville  de  Die,  II, 
p.  194  suiv.,  où  sont  indiqués  les  autres  articles  du  traité. 

2.  Gallia  christ.,  XVI,  Instrum.,  p.  128-130. 

3.  J.  Chrvamkh,  Essai  hist.,  etc.,  p.  220. 

4.  Voy.  les  événements  dans  Chorier,  Hisi.  çjén.  de  Dauphiné  (Grenoble,  1672),  II, 
p.  321  suiv.;  Valboxais,  Hist.  de  Dauphiné  (Genève,  1722),  II,  p.  539  suiv.,  55G  suiv. 
J.  Chevalier,  1.  c,  p.  221  suiv. 

5.  Chorier,  1.  c.  J.  Chevalier,  1.  c,  p.  229  suiv, 

6.  J.  Chevaliep.,  p.  231  suiv. 

7.  Ibid.,  p.  2i0  suiv. 


56  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

partis  en  vinrent  k  une  transaction  définitive,  d'abord  à  Lyon  en 
1356  et  ensuite,  après  de  nouvelles  difficultés,  à  Avignon  en  13o8. 
La  ville  de  Grest  avec  son  territoire  fut  donnée  à  perpétuité  au 
comte  et  à  ses  descendants  ^ 

Bien  que  pendant  cette  phase  de  la  guerre  il  n'y  eut  pas  de 
monastères  détruits,  ils  eurent  cependant  beaucoup  à  souffrir.  J'ai 
pu  constater  cela  au  moins  pour  plusieurs  et  je  rapporte  ici  les 
notices  respectives  qu'on  aurait  de  la  peine  à  trouver  ailleurs.  Ainsi, 
à  la  suite  de  récoltes  mauvaises  et  des  guerres  antérieures  entre  les 
évêques  et  les  comtes,  Tabba^-e  des  chanoines  réguliers  de  Saint- 
Thiers  de  Saoû  (S.  Tirti  de  Saône),  dans  laquelle  plusieurs  comtes 
valentinois  avaient  leur  sépulture,  s'était  tellement  endettée,  qu'on 
pouvait  à  peine  donner  le  nécessaire  aux  chanoines.  Sibylle  de 
Baux,  comtesse  de  Valentinois,  demanda  donc  l'incorporation  des 
prieurés  de  Saint-Martin  de  Mirmande  et  de  Sainte-Marie  de  la 
Répara-.  Une  autre  abbaye  de  chanoines  réguliers,  celle  de  Saint- 
Ruf,  avait  également  perdu  pendant  les  guerres  une  partie  de  ses 
revenus,  et  Tabbé  Pierre  demanda  l'incorporation  du  prieuré  de 
Châteauneuf  du  diocèse  de  Gavaillon"^.  De  même  le  prieuré  béné- 
dictin de  Beaumont-lès-Valence  avait  perdu  beaucoup  de  bétail 
destiné  à  la  nourriture  des  moines,  et  le  prieur  Pierre  Ferlay 
demanda  le  prieuré  de  Saint-Pierre  «  Ay  »  en  qualité  de  commende, 
pour  y  pouvoir  mener  le  bétail  en  temps  de  guerre  ^.  Enfin  le 
prieuré  bénédictin  d'Aoùste,  dépendant  de  l'abbaye  d'Aurillac,  se 
trouva  lui  aussi  considérablement  réduit  dans  ses  revenus  «  par  la 
guerre,  les  incendies  et  la  mortalité^  ». 

Les  anciennes  plaies  des  provinces  de  Bourgogne  et  du  Valenti- 
nois n'étaient  pas  encore  guéries,  quand  les  incursions  des  Anglo- 
Navarrais  et  des  Compagnies  vinrent  les  rouvrir  avec  violence  et 
en  ajouter  d'autres  plus  cruelles  encore.  Et  dès  lors  ces  provinces 
entrèrent  à  leur  tour  dans  le  rayon  de  la  terrible  guerre  de  Cent 
ans.  J'en  parlerai  ^^Ins  loin. 

1.  J.  Chevalier,  p.  246  suiv.,  248  suiv. 

2.  Siippl.  Clem.  VI,  n"  9,  fol.  47  '',  ad  an.  1345,  Jun.  16. 

3.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  6,  fol.  48,  ad  an.  1347,  Jun.  21.  —  C'est  Châteaunenf-de- 
Gadagne.  Voy.  Courtet,  Dict.  géogr.  hist.,  archéol.  des  communes  du  département 
de  Vaucluse  (1857),  p.  149. 

4.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  19,  fol.  38  '',  ad  an.  1349,  Jun.  18. 

5.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  22,  fol.  106,  ad  an.  1352,  Sept.  11  :  «  propter  guerram,  ignis 
appositionem  ac  mortalitatem.  » 


LA    PESTE    NOIRE    EN    FRANCE,    1348,    13^9  o7 

Mentionnons  seulement  en  passant  l'incursion  faite  en  1344  par 
Pierre  IV,  roi  d'Aragon,  dans  la  province  du  Roussillon^,  où  il 
pénétra  le  15  mai,  ravageant  tout  le  pays  aux  environs  du  Boulon 
et  d'Elne  ;  il  mit  le  siège  devant  Collioure  et  se  présenta  le  21  mai 
devant  Argelès  près  d'Elne.  Il  livra  plusieurs  assauts -à  la  vàlle  qui 
finit  par  se  rendre.  Ensuite  il  attaqua  la  tour  de  Pujols  située 
entre  Argelès  et  la  mer.  Pujols  était  une  grange  très  considé- 
rable et  purement  allodiale  de  l'abbaye  cistercienne  de  Fonfroide  ''. 
La  tour  se  rendit  ^.  Puis  le  roi  Pierre  partit  pour  aller  presser  le 
siège  de  Collioure,  et  après  avoir  pris  cette  place,  il  assiégea  la 
ville  d'Elne  K 

Cette  même  époque  était  pleine  de  troubles  et  de  guerres  conti- 
nuelles entre  le  Dauphiné  et  la  Savoie.  En  Lorraine,  dans  le  diocèse 
de  Toiil^  il  existait  aussi  de  violentes  hostilités  entre  les  citoyens, 
et  Févêque  et  les  chanoines.  Ainsi  plusieurs  maisons  des  chanoines 
furent  démolies  ^,  et  même  des  villes  entières  furent  brûlées  et 
presque  détruites,  par  exemple  Remoncourt  ^.  Je  signale  simple- 
ment ces  faits,  car  mon  but  n'est  point  de  raconter  en  détail  ces 
guerres  privées  "' . 

7.  La  peste  noire  en  France. 

Cette  peste,  une  des  plus  terribles  épidémies  dont  l'histoire  ait 
gardé  le  souvenir^,  n'avait  pas  seulement  envahi  la  France,  mais 
aussi  les  autres  pays.  Les  années  1348  et  1349  furent  calamiteuses 
pour  toute  l'Europe.  Une  épidémie  semblable  avait  déjà  éclaté  dans 

1.  ZuniTA,  Anales  de  la  Corona  de  Aragon  (1610),  t.  II,  p.  1"1  suiv. 

2.  Cf.  Cauvet,  Etude  historique  sur  Fonfroide  (1875),  p.  120. 

3.  Voy.  E.  Dei.amoxt,  Sièges  soutenus  par  la  ville  d' Argelès  en  Vallespir  (1861), 
p.  9  suiv. 

4.  Voy.  la  suite  dans  Ilist.  de  Languedoc,  IX,  p.  553  suiv. 

5.  Gall.  chinst.^  XIII,  p.  1025  suiv. 

6.  Suppl.  de  Raoul  duc  de  Lorraine  in  Suppl.  Clem.  17,  n"  2,  fol.  188'',  ad  an.  13i3, 
Maii  13.   Il  demande  la  translation  des  corps  de  deux  saints  de  Remoncourt  à  Saint- 
Geoi'ges  de  Nancy.  Au  même  temps  des  hostilités  existaient  entre  révcque  de  Metz  et 
le  duc  de  Lorraine  et  quelques  comtes.  Voy.  Suppl.  Clem.   TT,  n"  3,  fol.  89,  ad  an 
1353,  April.  5. 

7.  Il  y  avait  vers  1355,  par  exemple,  une  lutte  très  vive  entre  révcque  de  Viviers 
et  Hugues  Aimard,  seigneur  de  la  Garde.  Ilist.  de  Languedoc,  X,  p.  1107  suiv. 
GuiGUE,  Les  Tard-Venus,  p.  11  suiv.,  donne  d'autres  exemples  des  guerres  privées. 

8.  Voy.  Demsi.e,  Eludes  sur  la  condition  de  la  classe  agricole  en  Normandie, 
p.  640. 


58  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

plusieurs  parties  de  la  France,  par  exemple  dans  le  diocèse  d'Auch, 
dès  l'année  1342,  et  ce  fléau,  qui  redoubla  de  force  en  1348,  mit  les 
Auscitains  déjà  ruinés  par  les  fortifications  et  les  impôts  dans  la 
situation  la  plus  afllig-eante  ^ .  Eclatant  au  moment  où  le  clergé  et 
le  peuple  avaient  déjà  été  plongés  par  la  guerre  et  par  Textrême 
dépréciation  de  la  monnaie  dans  une  grande  misère ,  la  peste 
noire  apparut  plus  horrible  en  France  que  dans  les  autres  contrées. 
Une  grande  partie  de  la  population  fut  enlevée  en  peu  de  temps  ; 
dans  quelques  endroits,  comme  on  raconte,  les  neuf  dixièmes  des 
habitants  moururent  de  l'épidémie  ;  ainsi  à  Viviers  -  et  en  Bour- 
gogne où  plusieurs  Alliages  furent  réduits  à  la  solitude,  témoin  ce 
lugubre  distique  ^  : 

En  l'an   mil  trois  cent  quarante-neuf 
De  cent  ne  demeuroit  que  neuf. 

Plus  de  100.000  personnes  moururent  à  Rouen  pendant  la  peste  '*. 
Les  cimetières  d'Abbeville  sont  alors  «  ci  remplis  de  corps,  qu'on  ne 
peut  moins  trouver  où  s'en  puisse  enterrer  les  corps  »  ^  Le  comté 
de  Gornouailles  en  Bretagne  souffrit,  en  1346.  une  cruelle  famine  ; 
en  1319,  la  peste  fît  un  si  grand  ravage  qu'à  peine  les  vivants  pou- 
vaient ensevelir  les  morts ^.  A  Paris,  où  la  maladie  sévit  pendant 
un  an  et  demi,  les  victimes  étaient  à  peu  près  de  800  par  jour*.  La 
ville  de  Saint-Denys  seule  compte  environ  16.000  morts  à  la  fin  de 
l'épidémie^.  A^'ignon,  dit-on,  perdit  les  trois  jours  après  le  4^ dimanche 
de  Carême  1348,  de  1300  à  1400  personnes  ^  ;  généralement  400  mou- 
raient par  jour  ^^.  A  Béziers,  il  ne  resta  sur  25  personnes  que  deux 

1.  MoM.Ezux,  Hist.  de  la  Gascogne,  III.  p.  300  suiv.  L.vFFonr.ur:,  Hisl.  de  la  ville 
d'Anch,  I,  p.  81, 

2.  J.  Chevalier,  Essai  historixine  sur  Véglise  et  la  ville  de  Die,  II,  p.  23i. 

3.  CoiiRTÉPÉE,  Description  du  duché  de  Bourgogne,  I,  p.  147.  II  dit  qu'à  Beaunc 
tous  les  curés  périrent;  sur  cent  personnes  à  Paray,  il  n'en  réchappait  pas  douze. 
Voy.   RossiGxoL,  Hist.  de  Beaune,   p.   217;   Petit,   Avallon  et  VAvallonnais,  p.  153. 

4.  Chéuuel  et  Chaume,  in  Mém.  de  la  Soc,  des  aniiq.  de  yormandie,  XVIII,  p.  33. 

5.  Arch.  nat.  Paris,  JJ  68,  fol.  'i91''. 

6.  Plac.  le  Duc,  Hist,  de  Vahhaye  de  Sainte-Croix  de  Quiniperlê  (éd.  Le  Me\), 
p.  297. 

7.  Grand,  chroîi.,  V,  p.  485. 

8.  Ibid. 

9.  Rebdorfensis,  éd.  Bohmeu,  Font.  rer.  germ.,  IV,  p.  561. 

10.  PArox,  Hisl.de  la  Provence,  III,  p.  177  :  Kmghtox,  p.  59.  Voy.  Guy  de  Chauliac, 
dans  H.t:srr  Lehrhnch  der  Geschichte  der  Mcdizin,  3"  éd..  III,  p.  175  suiv. 


LA    I>i:STE   NOIHE    i:.\    FRANCK,     13i8,    13^9  59 

ou  trois  à  peine  ;  à  Narbonne,  à  peu  près  le  quart  de  la  population 
mourut  '.  La  sénéchaussée  de  Carcassonne  était  également  rava- 
gée. C'était  d'autant  plus  déplorable  que  depuis  deux  ans,  il  y 
avait  dans  ces  trois  villes  et  leurs  territoires,  comme  dans  plusieurs 
autres  provinces,  une  grande  cherté  de  vivres  et  même  la  famine, 
à  cause  des  inondations  de  la  mer  et  des  fleuves,  et  de  la  néces- 
sité où  Ton  était  d'envoyer  tous  les  jours  en  Gascogne  des  vivres 
pour  nourrir  une  grande  quantité  d'hommes  d'armes.  Et  afin  que 
cette  cherté  ne  fît  pas  dommage  au  roi  et  au  royaume  de  France,  on 
avait  supplié  le  pape  de  permettre  que  plusieurs  navires  portant 
des  étoffes  de  laine  et  d'autres  marchandises  en  Sicile,  y  achetassent 
du  blé  et  d'autres  vivres  pour  les  rapporter  en  France  '. 

Si  la  Tourainc  fut  moins  éprouvée  par  la  peste  que  les  autres  pro- 
vinces de  la  France  •"',  le  Languedoc  et  tout  le  midi  fut  certainement 
l'une  des  contrées  les  plus  maltraitées.  Il  était  rare  de  voir  un  village 
sain  et  sauf  comme  Paulhan^  Les  Frères  Prêcheurs  de  Provence 
perdirent  pendant  le  carême  3i8  frères,  età  Montpellier  \  tous  furent 
enlevés,  sauf  sept  ;  à  Marseille  les  Frères  Prêcheurs  et  Mineurs  mou- 

1.  Ilisl.  ifén.  de  Lnn({iiedoc\  éd.  Pi-ivaL,  IX,  p.  609,  not.  2.  où  il  y  a  dautres 
preuves  pour  le  Languedoc. 

2.  Suppl.  Clem.  VI,  n"  11,  fol.  35,  ad  an.  1346,  Jun.  1  :  Significant  S.  V.  humil"" 
et  dovoli  ofliciales  regii  senescallie  Carcasson.  et  Biterris  et  consules  ville  Narbon. 
quod  in  dicta  sencscallia  et  aliis  circumvicinis  partibus  vigere  incipit  bladi  maxinia 
carislia  et  lames  valida,  et  major  in  poslerum  \crisimiliterformidatur,  propter  inun- 
dationes  maximas  maris  et  lïuminum,  que  hoc  anno  multo  plus  solito,  et  [etiam 
jjIus]  quam  alias  auditum  fuerit,  multoties  excreverunt.  ac  tempestatem  validam 
que  [certas]  partes  Albien.  nephandissime  devastavit,  et  multitudinem  [persona- 
rum]  in  guerra  ^"asconie  existentium,  ad  quas  partes  bladum  hujusmodi  terre  [Reff. 
blada  senescallie  predicte]  vehitur  cotidie  incessanter.  Que  ([uidem  caristia  posset 
cedere  indom.  nostri  régis  et  reipublice  maximum  periculum  et  inevitabile  detrimen- 
tum.  Quare  supplicant...,  quatenus...  Jacobo  Arqiieyatoris  mercatori  et  civi  Xarbon., 
conccdere  dignemini  ut  ad  partes  Cicilic  per  se  et  suos  socios  factores  et  nautas  pos- 
sit  ire  et  illuc  pannos  laneos  et  alias  merces  pro  se  et  sociis  et  factoribus  suis  et 
etiam  aliis.  cum  une,  duabus,  tribus,  vel  quatuor  navibus  vel  alias,  secundum  quod 
S.  V.  videbitur  faciendum,  portare  et  vendere.  et  ibidem  emere  blada  et  alia  victua- 
lia  et  abinde  extrahere  et  transvehi  et  portari  facere  ad  regnum  Francie.  Non  obs- 
tant.  etc.  —  Fiat  de  duabus.  R.  Dat.  Avinione  kal.  Junii  anno  quinto.  Dans  Reg. 
Vat.  (Uem.  17,  n°  17  4,  fol.  269,  la  bulle  adressée  à  Jaques  même  avec  cpielques 
variantes  très  intéressantes,  et  à  la  fin  avec  ime  plus  ample  exposition.  J'ai  donné 
entre  crochets  quelques  variantes. 

3.  Voy.  GiRAunET,  Hist.  de  In  ville  de  Tours  (IS73),  I.  p.  140  :  «  et  in  jirovincia 
Turonensi  mitius  se  habuit,  quam  alibi  communiter  ».  dil  le  Chron.  Andetfaven. 

4.  Voy.  A.  Dhi-ouvrier,  Hial.  de  Puullian,  dior.  de  Béziei^a     1892).  p.  297. 

5.  Sur  les  ravages,  voy.  (ti-.mmain.  Ilisl.  de  Monijjellier.  II.  p.  262. 


60  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Furent  tous,  pas  un  ne  fut  épargné  i;  66  Carmes  périrent  à  Avi- 
gnon, et,  dans  cette  même  ville,  il  ne  resta  plus  un  seul  des 
ermites  anglais  de  Saint- Augustin  -.  Tous  les  Mineurs  de  Carcas- 
sonne  moururent  ainsi  qu'un  grand  nombre  des  Frères  Prêcheurs. 
Beaucoup  de  j^rêtres  et  de  curés  furent  enlevés  par  le  fléau  ;  ainsi 
dans  la  ville  de  Die,  le  clergé  de  la  cathédrale  ^^erdit  à  lui  seul 
soixante-quatorze  de  ses  membres  -^ 

Chose  étrange  :  en  13i6  et  1347,  les  récoltes  des  blés  et  autres 
grains  avaient  été  si  mauvaises  qu'une  quantité  de  personnes 
étaient  mortes  de  faim;  au  contraire,  en  1348,  quand  éclata  la 
peste,  tous  les  fruits  étaient  en  abondance  ;  mais  nul  ne  songea  k 
les  récolter,  on  ne  se  soucia  pas  plus  des  fruits  de  la  terre  que  des 
bestiaux  qui  erraient  sans  pasteur  dans  leurs  pâturages  où  ils 
périrent  en  grand  nombre^.  Pendant  l'épidémie,  les  vivres  n'eurent 
aucune  valeur,  mais  comme  on  ne  pensait  plus  à  cultiver  la  terre, 
ni  k  ensemencer,  une  grande  disette  ne  tarda  pas  k  survenir.  Cet 
état  de  choses  empira  après  la  peste  ^.  En  effet,  les  bras  venant  k 
manquer,  les  terres  restèrent  en  friche  pendant  plusieurs  années. 
En  conséquence,  les  denrées  augmentèrent  de  prix  et  les  immeubles 
furent  dépréciés  ^.  Il  en  résulta  une  telle  misère  que  l'on  ne  croyait 
plus  le  monde  capable  de  revenir  k  son  ancienne  prospérité^. 

Les  évêques  et  les  chapitres  ^'^,  les  abbayes  et  les  monastères  pos- 

1.  Voy.  encore  Math.  ]\iiewenburcf.,  éd.  Bohmer,  I.  c,  p.  261. 

2.  Kniohtox,  1.  c. 

3.  J.  Chevalier,  1.  c,,  p.  234. 

4.  Siippl.  Clem.  VI,  n°  17  ;  fol.  197  :  «  frucUis  non  potuerunt  coUigi  »,  ad  an. 
1318,  Aug.  22  (dioc.  de  Magalone).  Ainsi  parle  aussi  Piehre  de  Cochon  pour  le  nord 
de  la  France  (C/j?'on.,  p.  72),  et  pour  l'Allemagne,  Hemu  de  Hervordia  (C/jron.,  éd, 
Potthast),  p.  274  :  «  Sata  transgressa  metendi  tempus  intacta  exspectabant  messo- 
rem.  Vinca,  aniissis  foliis,  radianiibus  uvis  illesa  manebat  hyeme  propinquante  ». 
Voy.  Kmghtox,  p.  62,  pour  l'Angleterre. 

5.  MÉNARD,  Hist.  de  la  ville  de  Nimea  (1874),  II,  p.  113.  et  Preuves,  n"  82.  Chron. 
de  Gilles  li  Miiisis,  p.  396  suiv.  :  «  in  multis  locis  propter  defectum  colonorum 
vineae  et  terrae  incultae  remanebant,  et  omnes  operarii  et  familiae  ultra  modum 
volebant  excedendo  habere  salaria,  maxime  quia  in  toto  regno  Franciae  currebat  mo- 
neta  debilis,  et  omni  die  debilitabatur  ».  Sur  ce  dernier  point,  voy.  encore  p.  414  suiv. 

6.  Delisle,  1.  c,  p.  64]  ;  P.  le  Cacheux,  Essai  hist.  sur  VHôtel-Dieii  de  Coutances, 
I,  p.  133  suiv. 

7.  Contin.  of  Iligden,  éd.  LuAinv  (VIII,  p.  355)  et  Thom.  Walsixgh.am,  Ilist.  Angli- 
cana,  I,  p.  273,  disent  :  «  mundus  ad  pristinum  statum  redeundi  nunquam  postea 
habuit  facultatem  ». 

8.  L'évèque  de  Carcassonne  par  exemple  se  plaint  «  quod  propter  mortalitatis  pes- 
tem  et  hominum  raritatem  emphiteote  terras  et  possessiones  excolere  et  laborare 


LA  PESTi:  Nomi:  en  fp.ance,   13i8,  1349  61 

sédant  beaucoup  de  domaines,  avaient  naturellement  encore  plus 
que  d'autres,  des  raisons  de  se  plaindre.  Non  seulement,  ils 
avaient  perdu  un  grand  nombre  de  religieux,  mais  encore  leurs 
revenus  furent  presque  entièrement  anéantis.  Beaucoup  de  culti- 
vateurs ayant  été  emportés  par  le  fléau,  les  terres  des  abbayes  et 
des  chapitres,  comme  en  général  celles  des  propriétaires,  cessèrent 
d'être  cultivées.  Plus  d'une  fois  d'ailleurs,  les  fermiers  se  refusèrent 
à  subir  les  conditions  qui  leur  étaient  imposées,  les  trouvant  plus 
onéreuses  que  rémunératrices  ,  ils  suspendirent  le  payement  de 
leurs  redevances  ou  quittèrent  simplement  les  fermes.  Dans  un  cas 
comme    dans  l'autre,   c'était  la   ruine   des  propriétaires  ^   dont   les 

récusant  ».  Il  prie  «  ut  censum  ad  niinorem  summani  reducere  valeat  »  Suppl.  Inno- 
cent. VI,  n°  23,  fol.  66,  ad  an.  1353,  Febr.  26),  Le  prévôt  et  le  chapitre  de  Nîmes 
étaient  en  embarras  de  soutenir  les  serviteurs,  parce  que  «  redditus  prepositure  tam 
propter  pestilentiam  quam  propter  occupationem  fluminis  Rodani  irreparabiliter 
diminuti  »  erant.  Suppl.  CLem.  VI,  n"  22,  fol.  29,  ad  an.  1352,  Jun.  19.  Voy.  plus  bas 
la  plainte  du  chapitre  de  Toulouse. 

1.  La  peste  rendit  les  maisons  de  Tordre  des  Cisterciens  désertes,  les  exposant 
ainsi  au  pillage  et  à  la  dévastation  (G.Ti/.  chrisl.,  \l,  1000).  Labbé  Uaymond  de 
l'abbaye  bénédictine  de  Sorèze  (dioc.  Lavour)  écrit  :  «  in  monasterio  est  defeclus 
maximus  monachorum,  quia  propter  istas  mortalitates  non  sunt  ibi  monachi  qui 
deserviant...  in  di^inis  ».  [Suppl.  Clem.  VI,  n°  16,  fol.  29,  ad  an.  1348,  Xovemb. 
19).  Guillaume,  l'abbé  des  Bénédictins  de  Sendras  du  dioc.  de  Nîmes  :  «  plures 
monachi...  obierunt  sicque  ad  presens  defcctus  est  monachorum  »  [ihid.,  n°  16, 
fol.  86,  ad  an.  13i9,  Jan.  20.  L'abbé  Guillaume  mancjue  dans  Gnll.  christ.,  W,  520\ 
L'abbé  des  Bénédictins  de  Nans,  au  dioc.  de  Vabres,  expose  «  quod  proi)ter  mortali- 
tatis  pestcm  et  gcntium  raritatem  fructus  monasterii  adeo  diminuti  sunt...  quod 
(monachi)  sustentari  non  possunt  »  [Suppl.,  n°  20,  fol.  87'',  ad  an.  1350.  Octob.  22.  Encoi'e 
an.  1352,  Septemb.  11,  i})i(L,  n°  22,  fol.  118).  Les  Cisterciens  de  ^'illelong•ue,  au  dioc. 
de  Carcassonne  «  obstante  casu  mortalitatis  et  potissime  cultorum  et  agricolarum  » 
durent  recourir  aux  charités  des  nobles  du  voisinage  [Ilist.  fjén.  de  Languedoc,  éd. 
Privât,  X,  p.  1054,  ad  an.  1350).  L'abbé  Séguin  de  Saint-Tibéry,  au  dioc.  d'Agde,  se 
plaint  que  les  revenus  sont  ruinés  [Reçf.  Vat.  Clem.  VI,  n"  211,  fol.  206,  ad  an.  1352). 
Les  divers  détenteurs  des  l erres  de  l'abbaye  des  Olieux  (Cisterciennes)  au  dioc.  de 
Narbonne,  ne  purent  payer  les  redevances  qu'ils  lui  dc^■aient,  et  les  religieuses  en 
1352  durent  les  réduire  pour  en  faciliter  le  paiement  (Caivht,  Etude  hist.  sur  Fon- 
froide,  p.  269).  L'abbé  des  Cisterciens  de  la  Garde-Dieu,  diocèse  de  Cahors,  expose 
([uo  des  terres  et  possessions  «  alique  propter  mortalitatem  cultorum  sunt  ab  se  [i.  e., 
inculte],  alic  propter  nimium  censum  seu  canonem  sunt  a  cultoribus  dimisse  et  coti- 
die  dimittuntur  et  inutiles  cfficiuntur  »  ySupitl.  Innoc.  VI,  n"  23,  fol.  144'',  ad  an.  1353, 
April.  28).  L'abbé  Etienne  des  Bénédictins  de  la  Chaise-Dieu,  au  dioc.  de  Clcrmont, 
se  plaint  :  «  i)rt)pter  sterilitatcm  fructuum,  carisliam  et  defectum  familiarium  victu- 
alium({uc,  mortalitatis  pestem,  loci  deserlionem,  fructus  et  redditus  hodierni  non 
sufliciunt  »  {Sup})L  Cleni.  VI,  n"  21,  fol.  50,  ad  an.  1352,  Febr.  20).  L'aumônier  des 
Bénédictins  de  Saint-Gildas,  au  dioc.  de  Bourges,  dépourvu  de  tout  «  propter  guer- 
arum  strepitum...  et  diminutionem  reddituum...,   quibus  mortalitas  gentium  prebuit 


62  LA    GUERRE    DE    CENT    A>S 

intérêts  étaient  déjà  fortement  atteints  par  le  seul  l'ait  de  la  mort 
de  leurs  débiteurs  emportés  par  le  lléau. 

Une  vraie  désolation  régnait  ainsi  dans  les  contrées  où  la  guerre 
avait  déjà  fait  sa  funeste  apparition  et  où  les  terres  avaient  été 
dévastées  par  Tennemi. 

Si  une  calamité  avait  fait  place  à  Tautre,  on  l'eût  supportée  plus 
facilement.  Mais  dans  ce  cas  le  fléau  était  rendu  plus  horrible 
encore  par  ces  nouveaux  malheurs^.  On  fut  obligé  de  licencier  les 
gens  d'armes  dans  ces  pays,  à  cause  de  la  cherté  des  vivres"-'. 

occasionciiî,  j3ropter  quod  clivini  cultus  ministerium...  diminuitur  »  {ibùL,  n"  22, 
fol.  85,  ad  an.  1352,  Jul.  24).  Les  Charti-eux  de  Valbonne,  au  dioc.  d'Uzès  «  ob  niortali- 
atcm  gentiumque  defectum  agriciilturas  et  animaliuin  nutrinienta,  ex  quibus  eoruiu 
nopem  consueti  sunt  ducerc  vitam,  pro  parte  non  niodica  perdiderunt  »  [ihid.,  n"  18. 
fol.  90,  ad  an.  1350,  Maii  13  .  Les  revenus  du  prieuré  de  Foissac,  dioc.  de 
Cahors  «  propter  sterilitatem  iructuum  et  niortalitalis  })estenî  adeo  existunt  diminuli, 
ut  non  suppetant,  etc.  [ihid.,  n"  21,  fol.  118'',  ad  an.  1351,  Oclob.  1).  Saint-Julien-de- 
Tours,  des  Bénédictins,  a  également  souffert  «  de  mortalitate  et  terrarvmi  sterilitate  » 
{ibid,  n"  20,  fol.  50,  ad  an.  1350,  Jun.  12).  Plusieurs  villages  autour  de  Saint-Claude, 
des  Bénédictins  au  dioc.  de  Lyon,  comme  Chàtel-Blaiic  et  Longchaumois,  demeu- 
rèrent presque  déserts  De  FiîRnouL-MoNTGAn^LARu, ///.s/,  de  VnbJyni/e  de  Sninl-Clniide, 
II,  p,  30).  L'abbessedes  Bénédictines  de  Notre-Dame-de-Chelles,  dioc.  de  Paris,  vendit 
les  meubles  les  plus  précieux  et  contracta  des  dettes,  pour  subvenir  aux  besoins  les 
plus  pressants  (Toiu.iikt,  Jlisl.  de  r<ibl)ni/e  de  yolre-Dnme-de-Clielles,!,  p.  162).  Les 
revenus  de  Tabbaye  de  Tiron  (Bénédictins)  au  dioc.  de  (Chartres,  étaient  aussi 
«  propter  morlalitates  et  sterilitates  »  beaucoup  diminués  (.Sj/ppf.  Clem.  V/,  n°  20,  fol, 
23'',  ad  an.  1350,  Decemb.  28).  Je  passe  sous  silence  bien  d'autres  plaintes,  comme  par 
exemple  celles  du  prieuré  de  Fontevrault  du  dioc.  de  Poitiers,  de  Saint-André  de  Lon- 
gagedudioc.  de  Rieux  {lieff.  Val.  Clem.  VL  no  209,  fol.  74  ;  Innoc.Vl,  n"  222,  fol.  321''). 

1.  L  abbé  des  Bénédictins  de  Saint-C^ybard,  hors  les  murs  (rAngoulcme,  écrit  : 
«  quod  cum  (proh  dolor)  propter  guerras  mortales  rcgum  Francie  et  Anglie,  que  in 
illis  partibus  terribililer  et  notorie  viguerunt,  et  epidemiam,  fructus,  exitus  etpro^en- 
tus  camerarie  monasterii  sint  in  tantum  attenuati,  ymo  quasi  ad  nichilum  redacti, 
quod...  dictum  otlicium  longo  tenqjore  in  curia  vacaverit...  quia  fructus  ipsius  sunt 
ila  tenues  et  exiles,  quod  nullus  pro  tam  modico  sanctitalem  Y.  super  cjusdem  impe- 
tratione  infestare  velit...  »  [Siippl.  Clem.  VI,  n"  21,  fol.  93,  ad  an.  1352,  Maii  16).  De  la 
même  manière  se  plaint  le  prieiu*  de  Mai-escacio,  au  dioc.  de  Saintes  {ibid.,  n"  20, 
fol.  15,  ad  an.  1350,  Sept.  2).  L'abbé  des  Bénédictins  de  Maurs,  au  dioc.  de  Sainl- 
Flour,  se  plaint  que  les  revenus  du  monastère  »<  propter  guerras,  pestem  mortalitatis 
proxime  lapse,  que  in  illis  partibus  viguit  supra  modum,  defalcati  et  diminuti  sunt  » 
{ibid.,  n"  22,  fol.  34,  ad  an.  1352,  Jun.  18;  n"  21,  fol.  98,  ad  an.  1351).  Le  monastère  de 
Saint-Benoît  dAurillac,  au  même  diocèse,  avait  beaucoup  soulTert  parce  que  «  jirop- 
ter  mortalitatis  pestem  mense  abbatis  provenlus  sunt  diminuti  et...  multorum  jM'iora- 
tuum  in  partibus  Agennen.,  Petragoricen.  et  alibi  consistentium  tam  proptei"  pestem 
eandem,  quam  propter  guerrarum  discrimina  sunt  adeo  diminuti  proventus,  quod 
eis  ad  solutioiiem  pensionum...  non  sulïiciant  »  'ibid.^n"  20,  fol.  52,  ad  an.  1350,  Juii. 
13).  A'oy.  d'autres  encore  dans  le  paragraphe  9. 

2.  On  lit  cela  de  Gui  de  Nesle,  capitaine  général  en  Saintongc,  en  1350.  ^'oy. 
F.  MoLi.Mi:ii,  Élude  sur  lu  vie  d'Arnonl  dWndreheui,  p.  18. 


DIVEHSKS    IIOSTIMIKS    EN    FRANCE.     i'li-()    à    1354  ()3 

Désormais,  et  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre  de  Cent  ans,  les  mots 
de  mortalité,  de  peste,  de  disette  et  de  g-uerre  s'accumulent  lugu- 
brement dans  les  plaintes  incessantes  sur  les  malheurs  de  la 
France.  La  diminution  des  revenus  provint  autant  de  la  peste  que 
de  la  guerre.  Dans  de  courts  intervalles,  et  déjà  en  1361-13G3,  la 
peste  ou  une  autre  épidémie  éclatait  dans  le  royaume  ou  dans  quel- 
qu'une des  provinces  et  même  dans  plusieurs  parties  de  l'Europe. 
Mais,  en  France,  le  fléau,  s'ajoutant  aux  terreurs  et  aux  calamités 
de  la  guerre,  prenait  un  caractère  plus  horrible.  La  guerre  elle- 
même  était  un  grand  ferment  pour  le  fléau.  En  effet,  le  Religieux  de 
Sailli-Denis  raconte  que  les  exhalaisons  pestilentielles  des  cadavres 
des  gens  occis  dans  la  guerre,  restés  au  camp  sans  sépulture,  infes- 
tèrent Tair  et  l'atmosphère  et  qu'à  ce  fléau  se  joignirent  la  dysen- 
terie et  plusieurs  autres  maladies  ^ 

La  peste  produisit  encore  un  autre  effet  semblable  à  celui  qu'oc- 
casionnaient les  ravages  de  la  guerre  ;  c'était  la  ruine  des  mai- 
sons des  habitants-  et  souvent  des  églises.  Naturellement,  à  défaut 
d'ouvriers  on  eut  aussi  peu  soin  des  constructions  que  des  terres. 
En  outre,  beaucoup  de  maisons  demeurèrent  absolument  désertes, 
comme  par  exemple  à  Viviers  'K  Maintes  paroisses  restaient  dépeu- 
plées et  sans  pasteurs.  Qui  devait  alors  prendre  soin  des 
immeubles? 

Nous   parlerons    plus    loin   d'une    autre    calamité   causée  par    la., 
peste  :   du    relâchement   dans  la   discipline   ecclésiastique  et   reli- 
gieuse. 

8.  Les  hoslililés  en  Lanfjiiedoc^  en  Poitou  et  Sainton(jc^  au  Nord 
de  la  France^  en  Bretagne. 

Malgré  cet  effroyable  fléau  de  Dieu  qui  frappa  toute  l'Elurope,  et 
r Angleterre  aussi  bien  que  la  France,  et  malgré  les  trêves  con- 
clues, ni  Français,  ni  Anglais  ne  pensaient  au  repos.  Ce  fut  proba- 
blement encore  dans  le  courant  de  l'année  1 348  qu'une  bande  de 
Français  «  gentes   sine  capite   »   c'est-à-dire  des  routiers,  entrèrent 

1.  Rel.  de  Sainl-Denys,  IV,  p.  GSl), 

2.  KMCilITON,  p.  Ci. 

3.  J.  CHDVALIKU,   1.   c. 


64  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

en  Gascogne,  cherchant  à  soumettre  le  pays,  mais  ils  furent 
repoussés  par  Thomas  Gock,  sénéchal  de  Gascogne i.  L'an  1349  ou 
1330,  nous  rencontrons  de  nouveau,  dans  cette  province,  Henri, 
comte  de  Lancaster.  A  la  tête  de  30.000  hommes,  il  entreprit  une 
course  jusque  devant  Toulouse  dévastant  à  dix  lieues  à  la  ronde 
tout  le  pays  qu'il  traversait  et  prit  plus  de  quarante-deux  villes  et 
châteaux. 

Il  tenta  en  vain  de  livrer  bataille  aux  Toulousains,  enfin  il  se 
retira  après  avoir  incendié  les  faubourgs  ~  et  tout  ce  qu'il  put 
atteindre.  Dans  sa  retraite  vers  Bordeaux,  il  dévasta  le  pays  à  tel 
point  qu'il  inspira  à  tous  une  grande  terreur  •^.  Je  ne  puis  dire  tou- 
tefois quelle  route  il  choisit,  ni  quelles  abbayes  et  églises  furent 
endommagées  par  lui.  Mais  il  est  certain  que  l'église  de  Toulouse 
eut  beaucoujD  à  souffrir,  soit  que  le  comte  fût  arrivé  devant 
Toulouse  même,  soit  qu'il  se  fût  établi  dans  les  environs  de  la 
ville.  Le  chapitre  supplia  le  pape  Clément  VI  de  le  dispenser  d'en- 
tretenir plus  (le  trente  chanoines,  quoique  Jean  XXII  en  eut  fixé  le 
nombre  à  cinquante,  vu  les  ravages  occasionnés  par  la  mortalité 
des  gens  laquelle  était  causée  par  la  disette  et  la  guerre  ^.  Un  peu 
auparavant,  vers  1346,  le  monastère  des  Clarisses,  hors  des  murs  de 
Toulouse,  avait  été  détruit  en  partie  par  les  habitants  de  la  Aille  ^  à 
cause  des  fortifications   qu'on   dût   faire  en   toute    hâte   l'an    1343 


1.  Kmghton,  p.  57.  Il  s'agit  plutôt  des  brigands.  A'oy.  Fuoissart,  IV,  p.  xxix,  où 
il  est  question  des  brigands  en  Limousin. 

2.  Suivant  la  Chron.  normande,  p.  2S3,  il  s'avança  seulement  jusqu'à  Beaumont- 
de-Lomagne,  à  huit  ou  dix  lieues  de  Toulouse.  Voy.  Hisl.  gènér.  de  Languedoc,  IX 
p.  618,  not.  4. 

3.  Kmghtox,  p.  66. 

4.  Suppl.  Innocent.  VI,  n"  25,  fol.  157 '•;  Reg.  Vat.,  n°  226,  fol.  216'',  de  lan  1354, 
29  juin  ;  à  cette  date  le  privilège  de  Clément  VI  fut  renouvelé.  Puis  ce  privilège  fut 
accordé  par  les  papes,  de  cinq  ans  en  cinq  ans. 

5.  «  Cum  olim  in  partibus  Tholosan.  hostilis  timeretur  invasio,  monasterium  et 
ipsius  ecclesia  tune  extra  et  prope  muros  Tholosan.  civitatis  existentia  per  officiales 
et  cives  civitatis  ejusdem  pro  securitate  ipsius  civitatis  in  magna  parte  destructum 
extitit  et  dirutum  ac  solitarium  sic  eflectum  quod  vos  honeste  et  sine  status  vestri 
periculo  non  potestis  inibi  commorari  ».  Le  Saint-Père  permet  la  nouvelle  construc- 
tion du  monastère  «  infra  muros  civitatis,  infra  limites  parochie  ecclesie  B.  Marie 
Dealbatc ,  videlicet  inter  carreriam  vocatam  Tholosanorum  et  flumen  Garone  », 
moyennant  le  legs  du  cardinal-évcque  de  Porto,  Bernard  {Reg.  Vat.  Innoc.  V7, 
n"  224,  fol.  394'',  398  »',  ad  an.  1353,  Jan.  18,  Febr.  26).  Voy.  Hisl.  gén.  de  Languedoc, 
éd.  Privât,  IX,  p.  596,  not.  5. 


DIVERSES    HOSTILITÉS    K.N    FKA.NCK,     l 'i  1 S    A     l3.-)i  6o 

contre  les  Anglais ^.  Les   Bénédictines   de  Saint-Jacques-le- Vieux, 
appelées  les  sœurs  de  la  Daurade,  perdirent  aussi  leur  monastère-'. 

Les  dommag-es  causés  par  ces  expéditions  anglaises  n'étaient 
pas  moins  considérables  quoiqu'elles  ne  fussent  pas  des  expédi- 
tions conquérantes  mais  plutôt  des  courses  de  pillards,  se  battant 
le  moins  possible  et  se  réservant  pour  le  pillage  des  paysans,  des 
bourgeois  et  des  ecclésiastiques  sans  défense.  Nous  voyons  poindre 
ici  l'origine  du  brigandage  qui,  organisé  sous  le  nom  de  Com- 
pagnies, se  répandit  dans  le  royaume  à  partir  de  1356. 

En  1350,  au  mois  de  mai,  le  comte  d'Armagnac  et  Robert  d'Hou- 
tetot,  maître  des  arbalétriers,  reprirent  plusieurs  lieux  et  places 
sur  les  Anglais  ;  mais  ils  échouèrent  devant  Port-Sainte-Marie,  du 
diocèse  d'iVgen,  livré  aux  Anglais  par  les  habitants  et  reconquis  un 
peu  plus  tard'"'.  Dans  cette  ville  était  un  prieuré  séculier  qui,  avant 
cette  date,  avait  déjà  été  désolé  par  la  guerre  ;  il  fut  alors  uni  à  la 
mense  capitulaire  de  Saint-Gaprais  d'Agen^.  Les  guerres  inces- 
santes qui  désolaient  l'Agenais  avaient  considérablement  diminué 
les  revenus  d'un  grand  nombre  de  bénéfices,  qui  ne  pouvaient  plus 
subvenir  à  l'entretien  des  titulaires. 

Le  roi  Philippe  mourut  en  1350,  le  23  août,  et  eut  pour  succes- 
seur, Jean,  duc  de  Normandie.  En  1351,  la  direction  de  la  défense 
en  Languedoc  fut  confiée  au  roi  Charles  de  Navarre.  A  cette  date, 
l'abbaye  cistercienne  de  Valnègre,au  diocèse  deRieux,  fut  pillée  et 
deux  religieuses  furent  assassinées''.  La  Française  en  Quercy,  pla- 

,1.  Voy.  Bi;uTii;VM)Y,  Etude  sur  les  chroniques  de  Froissart,  etc.,  p.  298  suiv, 
Coninic  nous  disent  les  Recf.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  23 i,  fol.  202''.  «  capitularii  et  uni- 
versitas  civitatis  Tholosan...  civitatcm  et  ejus  suburbia  mûris  et  vallis  claudere  et 
munirc  cepcrunt  et  non  absque  maxiniis  e.vpensis  et  inestimal^ilibus  distractionibus 
rerum  incolaruni  ».  Aussi  les  ecclésiastiques  ont  donn'é  «  caritatiNuni  suljsidiuni  ». 
Mais  ((  ([uia  prefati  mûri  subito  de  minus  sulTicicnti  materia  tune  ab  initio  constructi 
fucrant  i)ropter  pericula  tune  imminentia.  quia  sufticienter  sic  celcriter  tune  haberi 
non  poluit,  ut  ipsa  munitio  requiratur.  nunc  \ero  ampliori  et  lon^e  sunq)luosiore 
conslructione  seu  reparatione  indigere  noseantur  »,  le  pape  accorde  ((ue  l'arche vcque 
ctlesautres  ecclésiastiques  uneautre  l'ois  «  aliquod  caritativumsubsidium  conférant  » 
(ad  an.  1354,  Maii   19),  et  le  10  janvier  135G  {Reg.   Aren.  Innoc.    Vf,  n"  12,  fol.  533), 

2.  lllst.  (fén.  de  Lancfuedoc,  IX,   p.  596. 

3.  C/iron.  normande,  p.  2S3,  p.  28 i,  not.  2:  Ilisl.  de  Languedoc,  IX,  p.  618,  not.  ». 
Samazeuilh,  Ifist.  de  l'Agenais,  du  Condomois  et  du  Bazadais  (18i6\  ne  connaissait 
pas  encore  les  sources  nouvelles. 

4.  Suppl.  Cleni.  VI,  n»  11,  fol.  21'';  Ileg.  Vat.  Clem.  VI,  n"  176,  fol.  207,  ad.  an, 
1347,  Jan.  27.  Voy.  encore  B.vhuiîue.  Uist.  religieuse,  etc..  d'Affen.  II,  p.  113. 

5.  Arclî.  nat.  Paris,  JJ  81,  n»  243;  Hist.  de  Languedoc.  1.  c.  p.  62S.  not.  3. 
R.-P.   Dkniixk.  —  Dcsolcilln  ccclesianini  II.  ."> 


06  LA    GLKRUE    DE    CENT    ANS 

cée  sur  une  colline,  était,  vers  cette  époque,  occupée  par  les  Anglais 
qui  menaçaient  à  la  fois  Moissac,  Toulouse  et  l'Albigeois'.  Dès 
décembre  1351,  on  craignait  de  voir  les  ennemis  étendre  leurs 
incursions  jusque  dans  le  diocèse  de  Maguelonne.  En  1352,  le  séné- 
chal de  Carcassonne  ordonna  aux  consuls  de  toutes  les  édiles  de 
TAlbigeois  et  du  Castrais  de  prendre  des  mesures  pour  mettre  les 
villes  du  pays  en  état  de  défense'-.  Aussi  les  Toulousains,  craignant 
d'être  assiégés  par  les  Anglais,  achevèrent-ils  d'abattre  toutes  les 
maisons  des  faubourgs,  entre  autres  le  monastère  des  Repenties  de 
Saint-Loup '^  Depuis  Noël  1351,  les  Anglais  étaient  en  possession  de 
la  ville  de  Saint-Antonin  en  Rouergue.  Une  bulle  d'Innocent  VI  de 
Tan  1358  nous  fait  connaître  que  les  calices,  les  ornements,  les 
archives  du  chapitre  de  cette  ville  furent  pillés^.  Avant  ou  après, 
les  Anglais  s'avancèrent  contre  le  monastère  cistercien  de  Loc- 
Dieu,  du  diocèse  de  Rodez.  A  leur  approche,  les  moines  prirent  la 
fuite  et  l'abbaye  fut  saccagée^.  Sur  la  route  de  Saint-Antonin  à 
Loc-Dieu,  se  trouvait  encore  Fabbaye  cistercienne  de  Belloc.  Au 
commencement  de  1352,  les  Anglais  entreprirent  le  siège  d'Agen 
et,  sous  la  conduite  du  comte  de  Staiford,  lieutenant  en  Aqui- 
taine dès  le  6  mars,  ils  battirent  les  Français  vers  le  8  sep- 
tembre. Boucicaut  fut  fait  prisonnier'^.  Les  Anglais  pénétrèrent 
encore  dans  la  sénéchaussée  de  Toulouse,  où  ils  commirent 
des  désordres  affreux,  pillèrent  ou  ravagèrent  la  campagne  et  détrui- 
sirent plusieurs  villages"^.  En  1353,  Jean,  comte  d'Armagnac,  que 
le  roi  Jean  avait  nommé  son  lieutenant  en  Languedoc,  entreprit  le 
siège  et  l'occupation  de  Saint-Antonin  et  la  reprise  de  la  Française  ; 
en  1354,  il  reprit  sur  les  Anglais  diverses  places  en  Agenais  et 
assiégea  Aiguillon  s.  Mais  la  même  année,  les  Anglais  firent 
une  nouvelle  irruption  dans  le  Toulousain  9. 

1.  Hisl.  de  Languedoc,  p.  634,  not.  4;  Lacostl;,  Ilist.  <jén.  de  la  province  de  Qiierci/ 
(Gahors  1885),  III,  p.  136. 

2.  Hist.  de  Languedoc,  1.  c. 

3.  Ihid.,  p.  636. 

4.  L.  Servières,  Hîst.  de  l'église  du  Rouergue  (1874),  p.  285. 

5.  Ibid.,  p.  278,  où  ce  fait  est  mentionne  à  Tan  1347. 

6.  Baker,  p.  121,  287. 

7.  Hist.  de  Languedoc,  l.  c,  et  p.  6il,  not.  2. 

S.  Ihid.,  p.  6il  et  not.  3;  6ij  suiv.,  616,  not.  3.  Jurades  de  la  ville  dWgen,  par  A. 
Maokx  (Auch,  1894),  p.  352.  ad  Maii  21. 
0.  Ilisl.  de  Languedoc,  j).  617. 


DIVERSES    HOSTILITÉS    EN    FRANCE,     1318    A     13o4  67 

En  Poitou,  en  Saintonr/e  et  en  Anfjoiimois^  on  luttait  aussi  contre 
lesAnglais,  qui,  avec  les  Gascons,  ravageaient  le  pays.  Le  17  jan- 
vier 13i7,  Raoul  de  Caours  fut  institué  capitaine  et  lieutenant 
crÉdouard  en  Poitou^,  comme  Bertrand  de  Montferrand  était  à  la 
tète  des  forces  ang-laises  de  Lusig-nan.  Le  4  juillet  1348,  Edouard 
donna  au  premier  pour  stimuler  son  zèle  1.000  livres  d'esterlins  de 
rente  en  Poitou  et  pays  voisins  sur  les  territoires  dont  il  s'était 
emparé  déjà  et  sur  ceux  qu'il  conquerrait  à  l'avenir.  Il  lui  abandonna 
en  outre  une  partie  du  butin  qu'il  ferait  dans  ses  expéditions '-.  Ber- 
trand obtint  des  avantages  du  même  genre.  Ces  audacieux  sei- 
gneurs, qui  travaillaient  si  énergiquement  pour  Edouard,  devaient 
être  plus  que  terribles  quand  ils  étaient  appelés  à  travailler  pour 
leur  propre  compte  ^.  Le  Poitou  était  en  proie  aux  horreurs  de  leurs 
exploits  et  aux  conséquences  d'un  état  d'anarchie  et  de  petites 
guerres^. 

Les  Français  tentaient  de  chasser  les  Anglais  du  Poitou  et  des 
pays  voisins.  Floton  de  Revel,  capitaine  pour  le  roi  en  Poitou, 
illustra  son  commandement  par  une  victoire  remportée  sur  les 
Anglais  à  Clienay,  au  mois  de  juillet  1348^.  L'année  suivante,  le 
Galois  de  la  Heuse,  sire  de  Goy,  capitaine  souverain  de  tout  le  pays 
compris  entre  la  foire  de  Niort  et  la  mer,  prit  Beauvoir-sur-mer, 
la  Garnache  et  l'Ile  Ghauvet^,  toutes  deux  en  Vendée,  dans  le  dio- 
cèse de  Luçon.  Non  loin  était  l'abbaye  des  Bénédictins  de  Talmont. 
Les  Anglais  se  tenaient  dans  cette  région  au-delà  de  Tabbaye  des 
Bénédictins  de  Saint-Michel-en-l'Herm  du  même  diocèse,  et  déjà  en 
1348  l'abbé  se  plaignait  que  les  terres  et  les  biens  du  monastère 
avaient  été  dévastés  à  cause  de  la  guerre,  et  qu'à  présent  on  les 
dévastait  et  consumait,  de  sorte  que  les  revenus  étaient  singulière- 
ment diminués^. 

J.    llVMHU,  III,    p.    101. 

2.  Ibid.,  p.  164,  168.  Voy.  S.  Luce,  Guesclin,  p.  89  suiv.  Glékix,  Recueil  des  docu- 
ments concernant  le  Poitou,  II,  p.  xxxviii. 

3.  lîiîKTiiANDV,  Etude,  etc.,  p.  380. 
i.  Voy.  GuÉuiN,  p.  XM  à  xlix. 

5.  Ibid.,  p.  L, 

6.  Chron.  normande,  p.  286. 

7.  Suppl.  Cteni.  VI,  n"  15,  fol.  85'',  ad  an.  13 i8,  Jun.  2i:  «  Bona  dioti  nionastorii 
propter  ^ucrrasillarum  partiiun...  siinL  multipliciter  devastata  et  consunipta  et  dcva- 
stantui'  et  consumuntur,  rcdditus  pi'opter  hoc  exiles  et  tenues  ». 


08  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Moins  heureux  fut  en  cette  même  année  Jehan  de  llsle. 
Il  subit  à  Limalong-es  (Deux-Sèvres)  un  grave  échec  et  perdit 
300  hommes,  morts  ou  prisonniers.  Boucicaut  était  parmi  ces  der- 
niers ^  Le  24  juin  13o0,  Loudun  en  Poitou  fut  pris  par  les  Anglais, 
qui  répandirent  la  terreur  dans  les  environs-.  Tout  près  de  là  était 
Tabbaye  bénédictine  de  Bonneval-des-Thouars.  A  Loudun  même, 
il  y  avait  une  église  collégiale,  trois  prieurés,  des  couvents  de 
Mineurs  et  de  Carmes,  et  quelques  paroisses.  La  ville  fut  reprise 
par  les  Français  au  commencement  du  mois  d'août-^.  Mais  ils  furent 
battus  par  les  Anglais  à  Saint-Georges-la-Valade  entre  Saintes  et 
Taillebourg  le  8  avril  13ol^.  On  trouve  encore  Boucicaut  parmi  les 
prisonniers  5. 

Au  mois  de  juillet,  les  Français,  après  avoir  conquis  auparavant 
plusieurs  villes  et  places  fortes,  comme  la  ville  et  le  château  de  Lusi- 
gnan^,  commencèrent  sous  Charles  d'Espagne  le  siège  de  Saint- 
Jean-d'Angely,  occupé  par  les  Anglais.  Le  roi  Jean  y  vint  en  per- 
sonne. La  A'ille  se  rendit  entre  le  30  août  et  le  5  septembre^. 
Charles  d'Espagne  prit  plusieurs  autres  villes  du  Poitou,  de  sorte 
que,  vers  1352,  le  Poitou  fut  presque  débarrassé  des  Anglais. 

Ceux-ci  perdirent  aussi  du  terrain  en  Angouniois  et  en  Limou- 
sin. En  13o2,  Arnould  d'Audrehem,  maréchal  de  France, 
recouvra  Nontron,  Moncheroulz,  Maisonnais,  Saint-Amand,  Mont- 
brun.  Toutefois,  après  le  8  juillet  1353,  il  fut  battu  à  Comborn 
(Corrèze)  au  diocèse  de  Limoges,  par  les  Anglais  et  les  Gascons, 
que  commandaient  Arnaud  d'Albret,  Emélion  de  Pommiers,  Aiméri 
de  Tartas,le  sire  de  Montferrand  et  le  Bascon  de  Mareul^.  Tout  près 
de  Comborn  était  ral)baye  bénédictine  de  Vigeois.  Pendant  quelques 
années  cette  région  avait  déjà  été  occupée  en  partie  par  les  xVnglais, 

1.  Chron.  iiortn.,  p.  9i,  2<S5.  GriÎHi.x,  p.  i,  suiw 
"2.  Grand  chron.,  V,  p.  494.  Guérin,  p,  lu  siiiv. 

3.  Gléhix,  t.  III,  p.  XXXV. 

4.  Avi2sm;RY,  p.  413;  FRoist^AiiT,  p.  xmi  siiiv.  (Jliron.  norni.,  p.  288;  E.  Molimeu, 
Etude,  etc.,  p.  20  suiv. 

5.  Une  troisième  fois  en  1352.  Yoy.  p.  6G, 

G.  GuÉRix,  II,  p.  Mil  suiv.  ;  III,  p.  xxiii.  Ce  fait  est  confirme  par  les  Documents  pour 
ihistoire  deVéylise  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers  (1857),  n°  311,  ad  an.  1352,  Mart.  1  : 
<(  les  ennemis  ont  par  lonc  temps  tenu  occupé  »  le  chastel  de  Lcsignen. 

7.  Froissart,  IV,  p.  xLvi,  not.  1.  Grand,  chron.,  VI,  p.  4, 

8.  Ghron.  normande,  p.  291  ;  E.  Mommer,  Étude,  etc.,  p.  37,  40. 


DIVERSES    HOSTILITÉS    KN     KUANCI-:,     \'MH    A     1 'ioi  (iî) 

qui  avaient  aussi  pris  la  ville  de  Tulle  ;  mais  celle-ci  se  rendit  au 
comte  d'Armagnac^  en  1346. 

L'esprit  du  nord  de  la  France  n'était  guère  moins  triste.  Henri  de 
Lancaster,  devenu  duc  en  1350,  arriva  à  Calais  en  1351  et  de  là 
dévasta,  en  avril,  toute  la  côte  jusqu'à  Boulogne-sur-mer,  incen- 
diant les  faubourgs  (pour  la  troisième  fois  à  de  courts  intervalles),  et 
n'y  laissant  que  les  murs.  Il  pilla  la  ville  d'Etaples,  déjà  si  éprouvée 
en  1346,  et  qui,  après  avoir  été  saccagée  plusieurs  fois  avant  la  fin 
du  siècle,  fut  incendiée  au  xv^  siècle.  Baker  mentionne  encore  les 
deux  villes  de  Thérouanne  et  de  Fauquembergue,  qui  furent  égale- 
ment dcA^astées.  Ensuite  Lancaster  retourna  à  Calais  avec  son  riche 
butin  qui  consistait  principalement  en  bestiaux-.  Lors  d'une  course 
que  Jean  de  Beauchamp,  capitaine  de  Calais,  lit  à  Saint-Omer,  il  eut 
l'avantage  sur  une  troupe  de  cavalerie  française,  mais  il  ne  tarda 
pas  à  être  fait  prisonnier  près  d'xVndres  le  6  juin  1351  avec  vingt 
de  ses  hommes  d'armes.  Tous  ses  autres  compagnons  restèrent  sur 
place.  Du  côté  des  Français,  le  sire  de  Beaujeu  eut  le  môme  sort-^. 

Au  mois  de  janvier  1352,  le  château  de  Guînes  tomba  par  surprise 
aux  mains  des  Anglais  commandés  par  Jean  Dancastre  ^*,  un  guer- 
rier à  son  compte.  A  la  suite  de  quelques  négociations  il  vendit  le 
château  au  roi  d'Angleterre,  qui  l'occupa  tout  de  suite.  Geoffroy  de 
Charny,  prisonnier  des  Anglais,  après  sa  tentative  malheureuse 
contre  Calais,  mais  alors  en  liberté,  mit  le  siège  devant  Guînes  vers 
le  27  mai  de  la  même  année.  Il  expulsa  les  Bénédictines  de  Tabbaye 
de  Saint-Léonard  et  fortifia  l'abbaye.  Les  assiégés  de  Guînes  et 
plusieurs  bandes  accourues  de  Calais  livrèrent  finalement  un  com- 
bat aux  assiégeants,  qui  furent  battus.  L'abbaye  fut  alors  incendiée 
et  détruite  parles  Anglais^. 

Les  mêmes  troubles  régnaient  en  Normandie  et  dans  les  pays 
voisins.  En  1353,  les  diocèses  de  Coutances  et  de  Bayeux,  sans 
cesse  parcourus  par  des  bandes  d'Anglais  et  de  Français,  eurent  à 
subir  bien  des  ravages.  Plusieurs  châteaux  furent  pris  ou  déman- 

1.  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  598, 

2.  Baker,  p.  11  i,  qui  parle  aussi  de  naAires  incendiés  par  le  duc.  Kmchton,  p.  CS. 

3.  Kmgiitox,  1.  c.  ;  Fnoiss.vnT,  IV,  p.  xlvi;  E.  Molimfr,  Étude,  etc.,  p.  ?4. 

4.  Hakrh,  p.  116  à   118;   Avksiutuy,    p.    il  i  ;   Kmghton,  1.    c.  :   (rrnnd.   rhron.,  W, 
5  suiv.  ;  FuoissAKT,  xlviii;  Chron.  normande,  p.  292. 

5.  Baker,  p.  119.  Voy.  Dexifle,  La  désolation,  I,  n"  '^9. 


70  LA    GUERRE    DE    CENT    A>'S 

télés  à  cette  époque ^  Dans  les  diocèses  du  Mans  et  de  Chartres, 
les  Anglais  portèrent  partout  le  feu  et  la  dévastation-.  D'après  des 
documents  rapportés  au  prochain  paragraj^he,  il  est  évident  qu'à 
cette  même  date  le  diocèse  d'Angers  ne  fut  pas  éjDargné  par  les 
Anglais. 

Une  plus  grande  importance  s'attache  aux  hostilités  en  Bretagne 
où  Bertrand  Du  Guesclin  entreprit  de  faire  aux  Anglais  une  guerre 
de  partisans. 

La  situation  y  était  exceptionnelle.  Edouard,  hors  d'état  de  con- 
sacrer un  denier  à  faire  la  guerre  en  Bretagne,  donna  ce  duché  à 
ferme  à  Thomas  de  Dagworth,  et  celui-ci,  à  son  tour,  donna  à  ferme 
chacune  des  châtellenie,  et  chaque  château  de  son  gouvernement  3. 
Les  conséquences  de  ce  système  mercantile,  appliqué  par  les 
Anglais  à  un  pays  qui  n'est  pas  le  leur,  sautent  aux  yeux.  ((  Sur 
tous  les  points  de  la  Bretagne  où  les  Anglais  sont  les  maîtres, 
chaque  forteresse  devient  une  ferme  pour  laquelle  on  traite  k 
forfait  avec  Dagworth,  comme  il  a  traité  lui-même  avec  Edouard. 
Chaque  capitaine  est  doublé  d'un  traitant,  mais  d'un  traitant 
homme  d'épée  et  presque  toujours  Anglais  d'origine,  qvii  n'est 
retenu  par  aucun  frein,  puisqu'il  peut  mettre  la  force  armée  dont 
il  est  entouré  au  service  de  ses  exactions,  et  qui  pressure  avec 
d'autant  moins  de  scrupules  ses  victimes,  qu'elles  ne  lui  sont  pas 
rattachées  par  le  lien  d'une  nationalité  commune  ^.  » 

Mais  Edouard  voulait  prélever,  lui  aussi,  sa  part  du  butin.  Il 
s'entendit  à  cet  effet,  en  1348,  avec  l'un  de  ces  brigands,  Raoul  de 
Caours,  duquel  nous  avons  fait  connaissance  tout  à  l'heure.  Com- 
battre le  lendemain  ceux  qu'on  servait  la  veille,  ((  déjeuner  de  l'An- 
gleterre et  souper  de  la  France  »,  trahir  au  plus  offrant  et  dernier 
enchérisseur,  tel  fut  le  métier  que  Raoul  lit  toute  sa  vie"'.  Il 
devait  abandonner  à  son  royal  associé  la  moitié  de  la  j^art  à  lui  affé- 
rente sur  les  rançons  des  prisonniers  qui  tomberaient  entre  ses  mains. 

A  partir  de  la  première  moitié  de  1350,  Du  Guesclin  se  mit  à 
faire  aux  Anglais  une  guerre  de  partisans.  Le  parti  anglais  se  trou- 

1.  Jean  de  Vexette,  p.  226. 

2.  Ibid. 

3.  S.  LucE,  Hist.  de  Bertrand  du  Guesclin^  p.  86  suiv. 

4.  Ihid.,  p.  87. 

5.  Ihid.,  p.  88  suiv. 


DIVERSES    HOSTILITÉS    EN    FRANCE,     1348    A    13oi  71 

vait  alors  très  affail)li  par  la  défection  de  Raoul  de  Caours,  vrai- 
semblablement acheté  par  les  agents  du  roi  de  France'.  Vers 
le  20  juillet  ou  dans  les  premiers  jours  du  mois  d'août-,  Thomas  de 
Dagworth,  se  rendant  de  Vannes  à  Auray  avec  une  escorte,  fut  sur- 
pris par  une  petite  troupe  de  Bretons  dirigés  par  Raoul  de  Caours  et 
le  sire  de  Beauvoir.  Thomas  de  Dag-worth  et  une  centaine  d'hommes 
d'armes  périrent  'K  A  cette  occasion,  Bertrand  du  Guesclin  s'em- 
para du  château  de  Fougeray'^  qui,  dès  le  12  mai  1352,  retomba  au 
pouvoir  des  Anglais^.  Le  roi  Jean  se  servit  désormais  de  Raoul  de 
Caours  et  s'associa  avec  lui  à  peu  près  comme  Edouard^  l'avait  fait 
auparavant.  Le  4  janvier  1351,  Raoul  promit  de  réduire  à  l'obéis- 
sance du  roi,  dans  un  délai  de  cinq  ou  six  mois,  les  villes  de  Vannes, 
de  Guérande,  de  Hennebont,  de  Quimperlé,  de  Brest  et  quelques 
seigneurs  bretons,  mais  à  la  condition  toutefois  de  toucher  au  préa- 
lable 12.150  livres  parisis  et  d'être  remis  en  possession  de  Beauvois- 
sur-mer,  de  Hampont  et  de  l'Ile-Chauvet^.  Cependant  Raoul  ne 
tint  aucune  de  ses  promesses.  Edouard  nomma,  le  8  septembre  1350, 
Gautier  Bentley,  gouverneur  général  de  la  Bretagne,  à  la  place  de 
Thomas  DagAvorth.  La  première  année  de  son  gouvernement  fut 
signalée  par  un  redoublement  d'exploitation  mercantile  du  duché  ; 
aussi  la  perte  de  plusieurs  places  fortes  en  fut-elle  la  conséquence^. 
Je  mentionne  seulement  le  célèbre  combat  des  Trente  qui  eût 
lieu  le  27  mars  1351  à  peu  près  à  mi-chemin  entre  Ploërmel  et 
Tosselin^^,  et  la  bataille  sanglante  de  Mauron,  non  loin  de  Ploër- 
mel le  14  août  1352,  dans  laquelle  un  petit  nombre  d'Anglais  vain- 
quit les  Français  bien  supérieurs  en  nombre  ^o.  Plusieurs  gentils- 
hommes français,  14  chevaliers   de  l'Etoile  et  beaucoup  d'autres  y 

1.  MoMMiu'v  in  Chron.  normimde,  p.  290,  not.  3. 

2.  AvnsiuiKY,   p.   411  :  «  circilcr  i'estiim   sanctae  Marj;çaretae  »  ;  Grand.  Chron.,  V, 
p.  494  :  «  en  l'entrée  du  mois  d'aoust  ». 

3.  (irand  cliron.  et  AvKsiiriiY,  1.  c.  ;  (Jliron.  norm.,  1.  c.;  KNKiUTON,  p,  67  siiiv. 

4.  S.  Lrr.i-,  1.  c.,  p.  90,  99  suiv. 

5.  Ibid.,  p.  103. 

(i.   \'oy.  S.  LicK,  p.  512,  l'acte  de  13r)0,  en  septembre. 

7.  MoHicK,  llisL,  etc.,  p.  279  sui\.  ;  Plaine,  La  guerre  de  la  succession.,  p.  28  suiv. 

8.  S.  Luge,  p.  IOj. 

9.  Froissart,  IV,  p.  xi.v  suiv.  ;  Mohice.  Ilisl.,  etc.,  p.  280  suiv.  ;  S.  Lice,  Guesclin. 
p.  116;  Plaine,  p.  29. 

10.  Voy.  la  lettre  de  Gautier  lîentley  dans  Avesui  hv,  p.  410.Bakkh.  p.  120;  Chron. 
normande,  p.  296.;  Morice,  i//s/.,  etc..  p.  282. 


72  LA    GUERUE    DK    CE^'T    ANS 

lurent  tués,  par  exemple  Guy  de  Nesle,  sire  d'Ofîremont,  maréchal 
de  France  ^  Je  ne  m'étendrai  pas  non  plus  sur  la  prise  de  Landal, 
dans  le  diocèse  de  Saint-Malo,  par  les  Français,  ni  sur  le  combat 
de  Montmuran  (le  6  ouïe  10  avril  1354  2),  dont  l'issue  fut  heu- 
reuse pour  les  Français  commandés  par  Arnould  d'Audrehem. 
D'autres  particularités  et  détails,  comme  le  double  voyage  de 
Charles  de  Blois  en  Bretagne  (janvier  et  novembre  13o4)  ne  servi- 
raient pas  davantage  à  notre  but.  N'oublions  pas  cependant  que 
c'est  en  Bretagne  que  surgit  pour  la  première  fois  le  fameux  Robert 
Knolles,  qui,  de  simple  archer,  allait  bientôt  devenir  le  plus  redou- 
table chef  de  partisans  des  Anglais.  Il  avait  figuré  au  combat  des 
Trente,  et  Edouard  lui  avait  donné  (vers  1332  ou  1353)  le  château 
de  Fougeray  et  celui  de  Chateaubriant '^.  Un  autre  brigand  anglais, 
c'est  le  fameux  Croquart.  Tous  deux  s'enrichirent  des  rançons 
extorquées  en  Bretagne. 

Aucun  événement  remarquable  ne  se  passa,  comme  on  voit,  dans 
ces  pa^s  occupés  par  les  Anglais  de  1347  à  1355.  Les  trêves  sans 
cesse  renouvelées  y  mettaient  obstacle  de  part  et  d'autre.  Mais,  en 
dépit  des  trêves,  il  y  avait  partout  des  hostilités,  des  incursions 
continuelles,  des  assauts,  des  dévastations,  des  pillages  qui  rui- 
naient et  décourageaient  les  populations.  Ce  déplorable  état  de 
choses  se  produisit  surtout  dans  le  Languedoc,  la  Saintonge,  le 
Poitou  et  la  Bretagne.  Là,  les  capitaines  anglais  des  forteresses  et 
leurs  compagnons,  après  avoir  saigné  jusqu'à  la  dernière  goutte  le 
laboureur  qui  n'osait  23lus  cultiver  le  sol,  ne  trouvant  plus  rien  à 
piller  aux  alentours  de  la  forteresse  dont  ils  avaient  fait  leur  repaire, 
l'abandonnaient  alors  pour  aller  en  occuper  une  autre  dans  un  pays 
encore  inexploité  ^.  Mais  toutes  ces  misères  et  calamités,  assez 
grandes  à  coup  sûr,  ne  sont  rien  en  comparaison  des  fléaux  qui 
allaient  peser  sur  la  France  à  partir  de  1355  et  dont  il  sera  fait 
mention  aux  chapitres  suivants. 

1.  Voy.  1.  c,  et  MoRiCE,  Hist.,  etc.,  p.  282. 

2.  S.  LucE,  p.  133;  Chron.  normande,  p.  297,  suiv. 

3.  LucE,  p.  103  suiv. 

4.  Ibid.,  p.  106. 


AUTRES    MONASTÈRKS    ET    ÉGLISKS    DÉSOLÉS    AVANT     1 'jr)')  7'] 


9.   Autres  monastères    et  e'f/lises^    désoles  avant  1S55. 

D'après  les  annotations  faites  cà  et  là  au  cours  de  ce  récit, 
chaque  fois  que  l'occasion  s'en  présentait,  il  ressort  qu'à  partir  de 
1337,  sur  un  parcours  du  sud  au  nord  de  la  France,  les  églises  et 
les  monastères  avaient  eu  fort  à  souffrir  des  horreurs  de  la  guerre. 
Mais  ces  souffrances  ne  tarirent  point  durant  cette  période  jusqu'en 
1355.  Il  en  est  encore  un  assez  grand  nombre  qui,  grâce  à  leur 
position  exceptionnelle,  trouveront  place  dans  ce  paragraphe  ;  pour 
d'autres,  il  est  impossible  de  fixer  la  date  précise  de  leur  désola- 
tion, on  ne  peut  qu'en  indiquer  le  «  terminus  ad  queni  ». 

Mentionnons  tout  d'abord  les  abbayes  qui,  dotées  en  Angleterre 
de  notables  revenus,  en  furent  dépouillées  par  suite  de  la  guerre 
entre  l'Angleterre  et  la  France.  Pareille  rigueur  atteignait  parfois 
des  couvents  laissés  intacts  par  la  guerre.  Témoin  le  prieuré  des 
Bénédictines  de  Marcigny,  du  diocèse  à'Autun.  Les  revenus  tirés 
de  l'Angleterre  et  de  l'Espagne,  à  cause  des  guerres  qui  sévissaient 
alors,  avaient  été  retranchés  depuis  longtemps.  Pour  y  suppléer, 
la  prieure  sollicite  l'incorporation   de  plusieurs  églises^. 

L'abbaye  bénédictine  de  Saint-Nicolas  à  Angers  perdit  égale- 
ment tous  ses  revenus  de  provenance  anglaise,  les  autres  furent 
amoindris  parla  guerre,  les  j)illages  et  les  oppressions.  Clément  VI 
autorisa  l'incorporation  du  prieuré  Montreuil-Velluire-.  Ce  n'était 
pas  la  seule  abbaye  du  diocèse  d'Angers  qui,  déjà  à  cette  date,  eut 
à  souffrir  de  la  guerre.  En  1352,  l'abbé  Jean  du  monastère  Notre- 
Dame  de  la  Roë  (chan.  régul.)  se  plaint  d'avoir  été  pillé  deux 
fois  par  les  Anglais  au  cours  de  cette  même  année,  et  d'être,  par 
conséquent,  appauvri  tant  de  ce  chef  que  de  celui  de  la  guerre  et 
de  la   grande  mortalité  ^\  Par  suite    de  la  construction  du  nouveau 

1.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  S,  fol.  ô3  :  «  propter  paupertatem  et  niiserias  cpias  diutius 
passe  sunt  et  adluic  patiuntur  ob  del'ectum  vestiarii  et  quonimdani  suonini  necessa- 
rioruni,  eo  quod  redditus  eisdem  pro  predictis  in  Anjilia  et  Ispania  et  aliis  diversis 
locis...  pei'  eventum  j^uerrarum  et  malitias  hominuni  diu  est  occupati  et  retenti  liie- 
rint  et  adhuc  existunt  «  (ad  an.  13  «5,  Oct.  1). 

2.  Re<f.  Vat.  Clem.  VI,  n''201,  fol.  57''  ad  an.  1350,  Octob.  27, 

3.  Suppl.  Clem.  VI,  n»  22,  fol.  59  :  Re(f.  Vnt.,  n"  212,  fol.  318  '',  ad  an.  1352,  Jnl.  6  : 
t(  monasterium  bis  anno  jiresenti  per  Anglicos  [Reg.  :  per  inimicos  rejrni  Franeie] 
depredatnni  fuit  ». 


7i  LA    GUERRE    DE    CENT    A^S 

mur  crenceinte  à  Angers,  les  Carmes  demem^ant  en  dehors  de  la 
A'ille  avaient  été  complètement  isolés,  de  sorte  que  leur  couvent 
courait  incessamment  le  danger  d'être  détruit  pendant  les  troubles 
de  la  guerre.  Aussi  les  religieux  demandent-ils  une  place  appro- 
priée à  l'intérieur  de  la  ville  ^ 

Dès  l'ouverture  des  hostilités  entre  Edouard  et  Philippe,  l'abbaye 
bénédictine  de  Saint-Etienne  de  Gaen,  du  diocèse  de  Bayeux^  avait 
cessé  de  toucher  les  pensions  que  plusieurs  prieurés  anglais  dépen- 
dant de  Fabbave  lui  payaient  annuellement  ;  elle  gémissait  et  s'appau- 
vrissait sous  le  poids  des  lourdes  charges  imposées  par  la  guerre '. 

L'abbaye  bénédictine  de  Saint-Evroul,  du  diocèse  de  Lisieux  eut, 
le  même  sort.  Elle  tirait  ses  revenus  de  beaucoup  d'églises  en 
Angleterre  :  le  commencement  de  la  guerre  l'en  avait  privée.  A  cette 
pénurie  vinrent  s'ajouter  les  ravages  de  la  peste  et,  partant,  les  terres 
restèrent  en  friche.  Beaucoup  de  granges  furent  incendiées,  les 
biens  dévastés,  et  en  outre  l'abbaye  dut  payer  1062  florins  à  la 
chambre  et  au  collège  des  cardinaux  lors  de  la  provision  du  der- 
nier abbé.  Par  là,  les  revenvis  furent  sensiblement  diminués;  et 
l'abbaye  se  trouva  presque  ruinée.  On  supplia  le  pape  de  renouve- 
ler l'union  de  certaines  églises  du  diocèse  de  Lincoln,  qu'il  avait 
déjà  incorporées,  mais  sans  effet^. 

Un  semblable  cri  de  détresse  partit  de  l'abbaye  de  Grestain,  dans 

1.  Reg.  Vat.  Clem.  VI,  n°  209,  fol.  136,  ad  an.  1351,  Maii  <S  :  «  locus  quem  ipsi  in 
civitate  Andegavensi  nunc  inhabitabant,  propter  clausurani  novam  niurorum  dicte 
civitatis  est  adeo  a  christifidelibus  derelictns...  et  propter  guerras  que  in  illis  parti- 
bus  fremuerunt  et  fremunt,  est  cotidie  in  pei-iculo  dcstruendi  ».  Le  18  janvier  1305,  ils 
étaient  déjà  dans  la  ville  {Reg.  Vat.  Urb.  F,  n°  261,  fol.  204),  le  4  juin  1372,  Gré- 
goire XI  accorde  des  indulgences  pour  la  nouvelle  église  {Reg.  Vat.  Greg.  XI, 
n"  283,  fol.  84  "). 

2.  Reg.  Vat.  Clem.  VI,  n"  171  ^'  ad  an.  1345,  Aug.  19  :  «  predictum  monasterium  a 
tempore  quo  guerra  inter...  Philippum  Francie  et  Edwardum  Anglie  reges  mota  fuit, 
certas  pensiones  quas  in  regno  Anglie  super  certis  prioratibus  a  dicto  monasterio 
dependentibus,  habere  et  percipere  consueverat  annuatini,  propter  ipsas  guerrasper- 
cipere  non  potuit  neque  potest,  quodque  a  dicto  tempore  occasione  earumdcm 
guerrarunn  habuit  Ipsum  monasterium  plura  dampna,  sumptus  et  expensas  subira,  et 
qiu)d  ad  obviendum  inimicis  regni  Francie  »,  etc.  Cf.  ci-dessus,  p.  37,  not.  8.  Voy. 
encore  Suppl.  Clem.  VL  n"  9,  fol.  150  '*. 

3.  Suppl.  Clem.  VI,  n»  18,  fol.  25  ad  an.  1349,  Octob.  4  :  «  Significant  S.  V.  devoti 
filii  vestri  Ysabellis  regina  Anglie,  dux:  Cornubie,  princeps  ^^'alie,  cornes  Gestrie 
primogenitus  régis  Anglie,  cornes  Lancastrie  et  cornes  de  \^"are^vik,  fundatores  et 
patroni  monasterii  vestri  S.  Ebrulfi  Ordinis  S.B.  Lexovien.  dioc.  quodipsum  monaste- 
rium super  certis  ecclesiis  et  redditibus  in   regno  Anglie  constitutis   pro  magna  sui 


AUTRES    3I0NASTÈUKS    ET     ÉdLISKS    DÉSOLÉS    AVANT    1'^^)')  TT) 

le  môme  diocèse,  qui  fut  détruite  en  1365.  Elle  avait  possédé  un 
revenu  annuel  de  90  livres  d'esterlins  payés  par  une  maison  en 
Ang-leterre,  et,  en  outre  le  patronage  de  plusieurs  églises.  A  cause 
de  son  grand  éloignement,  l'abbaye,  en  temps  ordinaire,  disposait 
de  peu  de  ressources,  et  celles-ci  furent  singulièrement  amoindries 
pendant  la  guerre,  à  tel  point  que,  les  moyens  de  subsistance 
venant  à  manquer,  les  moines  étaient  menacés  d'avoir  à  quitter  le 
couvent  et  à  se  di.sperser.  Jean  de  Tancarville,  chambellan  de 
France,  emmené  prisonnier  de  Caen  en  Angleterre,  en  1346,  ayant 
proposé  de  vendre  le  cens  et  les  patronages  pour  acquérir  des 
biens  plus  utiles  au  couvent,  le  pape  avait  été  sollicité  de  charger 
l'archevêque  de  Sens  ou  l'archevêque  de  Bayeux  d'obtenir  pour 
cette  transaction  le  consentement  des  deux  rois  de  France  et  d'An- 
gleterre ' . 

Sans  doute  que  l'abbaye  bénédictine  de  Lyre,  du  diocèse 
cVÉvrcux^  de  laquelle  déj^endaient  également  plusieurs  prieurés  en 
Angleterre,  eut  à  souffrir  de  la  même  façon  -.  La  cause  était  partout 
la  même. 

parte  ab  inicio  funclatum  fuit  et  dotatiim.  de  quibus  a  tempore  guerre  intcr  dominos 
reg;es  Francie  et  Anglie  dudum  niote  nichil  percipere  potuerunt  abîmas  et  conventus 
monaslerii  antedicti,  et  quod  propter  mortalitatem  gcntium  illarum  partium  terre 
inculte  rémanent,  adeoque  redditus  et  proventus  dicti  monasterii  diminuuntur  in 
maxima  quantitate,  et  maneria  in  Normannia  dicto  monasterio  subjecta  per  guer- 
ram  predictam  fuerunt  combusla  et  bona  plurima  devastata,  et  ratione  provisionis 
per  S.  V.  nuper  i'acte  de  monasterio  anledicto  opportuit  solvere  camere  et  vesti'o 
sacro  coUegio  mille  sexaginta  duos  tlorenos  pro  servicio  consueto,  ipsumque  monaste- 
rium  hospitalitate  nimium  preji;ravatur  et  quasi  ad  paupertatis  et  desolacionis  oppro- 
brium  est  redactum  ».  etc.  Quelques  années  après  nous  entendrons  de  nouvelles 
plaintes  de  ce  monastère. 

1 .  Suppl.  Clem.  VI,  n°  15,  fol.  163,  ad  an.  13  iS.  Jul.  14  :  «  cum  in  rejçno  Anjilie  habeant 
unam  donumi...  et  ceiisus,  redditus  et  proventus  ad  summam  90  lib.  sterlinj^:...  ascen- 
dentes,  ctplurium  [duodecim]  ecclesiarum  parochialium  j)atronatus,...  nichil  omnino 
inter Francie  et  Anglie  rejçes  guerris  durantibus  gaudere  potuerunt  a  longo  tempore... 
Née  ipsi  supplicantes  ob  hanc  causam  alios  habeant  undc  possint  commode  susten- 
tari...,  {[uininio  nisi  a  S.  V.  eisdem  l'oligiosis  celeriter  succuratur  de  remedio  oportuno, 
necesse  erit  in  brevi  eos  ab  invicem  segregari  suumque  dictum  monasterium  deso- 
Iari;ipsique  supplicantes  in  regno  Anglie  invenerint  nobilem  et  potentem  virum 
dominum  Johanncm  de  Molendino,  dominum  de  Tanquarvilla.  cambellanum  ac  cone- 
stabularium  Normannie  prisionarium  Anglicorum  propter  factum  guerrarum  predicta- 
rum,  qui  dictos  census,  redditus  et  proventus  et  jura  patronatus  mediante  precio 
pecunie  competenti...  vendere  vellet  »,  etc.  Ils  demandent  et  obtiennent  la  permis- 
sion. 

2.  Voyez  la  bulle  de  Clément  XI,  du  1  ""  juillet  1351,  dans  (li-:  Bu.vsskir)  Jlisloire 
civile  et  ecclés.  du  comté  d'Évreux  (Paris  1722),  Preuves,  p.  50.  Le  pape  permet  aux 
moines  de  prendre  l'habit  noir  au  lieu  du  blanc,  conuue  en  Angleterre. 


70 


LA    GUEKHE    DE    CENT    ANS 


Quant  aux  revenus  fournis  par  TAng-leterre  et  la  France  à 
Tabbaye  du  Bec,  du  diocèse  de  Rouen,  nous  avons  vu  plus  haut 
qu'ils  avaient  été  notamment  diminués  ^ 

L'abbaye  de  Jumièg-es  avait  été,  elle  aussi,  très  éprouvée  par  la 
g-uerre,  les  exigences  des  princes  et  des  barons,  les  impôts  dus  à  la 
chambre  apostolique  et  la  mortalité,  en  sorte  que  ses  revenus 
avaient  subi  de  fortes  réductions'-. 

Le  prieuré  de  Sainte-Marguerite-de-Vig-nats  de  GoufTern,  au  dio- 
cèse de  Sécz  (Bénédictines),  pauvrement  doté  et  criblé  de  lourdes 
dettes,  n'eut  pas  moins  à  souffrir  des  horreurs  de  la  guerre  et  de  la 
peste  ;  aussi  les  religieuses  furent-elles  presque  réduites  k  la  mendi- 
cité 3. 

Même  le  diocèse  d'Avranches  ne  restait  pas  intact.  La  route  du 
Cotentin  en  Bretag-ne  conduisait  par  là.  Dès  la  défaite  de  Grécy, 
en  1346,  Renaud  de  Gobham  envoyé  par  Edouard  en  Bretagne 
avec  deux  bannières  pour  augmenter  les  forces  anglaises,  brûla  sur 
son  passage  les  faul^ourgs  d  Avranches,  ruina  le  manoir  et  le  bourg 
de  Ducey,  et  donna  un  rude  assaut  à  la  ville  ide  Saint-James^.  Tout 
près  de  Ducey  était  l'abba^^e  des  chanoines  réguliers  de  Montmorel. 

Mais  la  situation  était  bien  pire  encore  en  Poitou,  en  Saintonge 
et  dans  les  contrées  méridionales.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  le 
Poitou  dont  il  a  été  question  plus  haut.  Mais  nous  reparlerons 
d'une  abbaye  bénédictine  déjà  mentionnée,  celle  de  Gharroux.  Le 
prieuré  de  Vouharte,  du  diocèse  d'Anf/oulême,  en  dépendait  et 
fournissait  annuellement  une  grande  partie  des  revenus  de  l'ablja^e. 
A  partir  de  13o0,  aucun  administrateur  n'osant  plus  habiter  le 
prieuré,  à  cause  de  la  guerre  et  de  l'insécurité  générale,  les  pen- 
sions et  les  secours  d'argent  manquèrent  k  l'abbaye,  et  les  moines 
furent  obligés  de  chercher  leurs  subsides  auprès  de  leurs  parents 
ou  ailleurs*^. 

1.  lîeg.  Aven.  Ciem.  VI,  n°  43,  fol.  4I0'>;  Vnl.,  n"  108,  loi.  304'',  ad  an.  13'.8,  Fobr. 
22.  Voy.  plus  haut,  p.  39,  not.  2. 

2.  Snppl.  Clem.  VI,  n"  20,  fol.  37  ;  Beg.  Vni.,  n°  203,  fol.  90,  ad  an.  1331,  Febr.  2. 

3.  Suppl.  Innocent.  VI,  n°  25,  fol.  13  i  :  «  Signifîcant  priorissa  et  conventus  nionas- 
terii  B.  Margarethe  de  Gouferno,  per  prioi'issnm  soliti  guhernnri  »,  ad  an.  1354, 
Jun.  3. 

4.  Mexard,  Ili.'il.  rel.,  civ.  et  milit.  de  S,iinl-Jnme.>{  de  Beuvron  (1897),  p.  59. 

5.  L'abbé  de  Gharroux  dit  que  le  prieuré  est  «  situatus  in  medio  nationis  perverse, 
in  tantum   quod  sex  anni  sunt  elapsi,  non  fuit  aliquis  administrator  ausus  residere 


ALriU:S    MONASTÈISKS    ET     ÉdLISKS    DÉSOLÉS    AVANT     l'iî).')  77 

L'abbave  bénédictine  de  Saint-Etienne  de  Bassac,  du  diocèse  de 
Saintes,  ne  possédait  en  1347  que  des  revenus  fort  diminués^;  en 
13o8  elle  est  mentionnée  au  pape  comme  dévastée,  brûlée  et 
détruite,  ainsi  que  son  église '^.  Le  monastère  de  Sainte-Marie 
d'Orme  (chanoines  réguliers)  fut  totalement  détruit  et  pillé '^.  Les 
Frères  Mineurs  de  Compreignac  virent  leur  couvent  à  moitié  détruit 
par  la  guerre  en  1346,  et  demandèrent  la  permission  de  choisir  un 
nouvel  emplacement  dans  l'enceinte  de  la  ville  ^.  Les  Ermites  de 
Saint-Augustin  aux  environs  de  La  Rochelle  eurent  un  sort  plus 
déplorable  encore.  Leur  couvent  et  leur  église  furent  complète- 
ment démolis  en  1347  et  eux  aussi  sollicitèrent  un  nouvel  asile  dans 
l'intérieur  de  la  cité^.  Les  Carmes  y  subirent  le  même  sort^.  Les 
bénéfices  des  églises  qui  étaient  en  contact  avec  les  Anglais,  bais- 
sèrent partout  de  valeur,  ainsi  en  advint-il  à  Marennes  '. 

Le  diocèse  de  Bordeaux  fut  éprouvé  dès  1337,  comme  nous 
l'avons  vu  plus  haut.  Le  prieuré  bénédictin  de  Saint-André-de- 
Cubzac,  dit  du  Nom  de  Dieu,  dépendant  de  la  Grande-Sauve,  fut 
tellement  dévasté  dans  ses  revenus,  ses  moulins  et  ses  autres 
bâtiments,  qu'on  n'espéra  plus  les  restaurer;  à  peine  un  moine  par- 
ibidem,  et  adeo  sit  collapsus  facultatibus,  quod  a  predicto  temporc  citra  vel  quasi 
dicli  abbas  et  c(>n\'entus  non  potuerunt  haberc  de  predicto  prioratu  pensiones  eis 
débitas,  scil.  sinj;ulis  annis  18  sextaria.  (luoruni  sextarioriuni  quodHbet  ascendit  sarci- 
nani  duorum  cquoruni;  et  ulti-a  tria  prebendaria  frumenti;  item  tria  sextaria  et 
tria  prebendaria  i'abanini  ;  item  5  doUa  \ini  pro  sustenlatione  abbatis  et  conventus. 
Item  débet  lacère  pictanliam  in  monasterio  abbatie  conventui  pred.,  et  hospilibus 
ad  dict.  mon.  decbnantibus  per  medietatem  mcnsis  Martii  ».  Suppl.  Innocent.  VI, 
n"   26,  fol.  I3S,  ad  an.  J355,  .Tan.  16. 

1.  SuppL.  Cleni.  V7,  n"  10,  loi.  1,  ad  an.  1347.  Jan.  10. 

2.  Snppl.  Innocent.  VI,  n"  29,  fol.  66'',  ad  an.  1358,  Martii  1  :  «  ejus  ecclesia  propter 
guerras  fuit  devastata  et  dirupta  et  combusta  ».  En  1371  les  revenus  furent  encore 
diminués  [Recf.    Vat    Greyorii  XI.  n°  282,  fol.  176''). 

3.  «  Monasterium  B.  Marie  de  Ulniis,  O.  S.  Aug.,  Xanctonens.  dioc,  propter 
jiuerras...  fuit  totaliter  destructum,  dilapidatum  et  dissipatum».  Suppl.  Innocent.  VI, 
n"  23,  fol.  71''  ad  an.  1353,  Febr.   28. 

-i.  Re(j.  Vat.  Clem.  VI,  n"  174.  fol.  265'',  ad  an.  1346,  Maii  21. 

5.  <(  Edificia  extra  muros  ville  de  Rupella  Xanctonen.  dioc,  in  quibus  domus  seu 
habitatio  vestra  existit,  ac  domum  ipsam  cum  ecclesia  et  aliis  olïicinis  de  necessitale 
pro  incolarum  dicti  loci  tuitione  et  i)otiori  futurorum  cautcla  oportuit  onmino  dirui  ». 
lie(f.  Vnt.  Clem.  VI,  n"  180,  fol.  224,  ad  an.  1347,  Jun.  2. 

6.  I{e(j.  Viil.  Clem.  VI,  n°  184,  fol.  95'',  ad  an.  1347,  Jul.  5.  Les  habitants  ont  sup- 
plié le  |)ape  pour  obtenir  ime  place  dans  la  ville. 

7.  <(  (le  par.  ecclesia  de  Salis  in  Marcnno  prope  mare  ».  Suppl.  Clem.  M.  n"  Is.  fol. 
24, in  2"  parte. 


78  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

vint-il  à  s'y  maintenir  ^  Les  Glarisses  de  Bordeaux  perdirent  leur 
couvent  situé  en  dehors  de  la  ville,  à  cause  des  nouvelles  fortifica- 
tions. Seule  rég"lise  conventuelle,  qui  se  trouvait  à  l'intérieur  de  la 
cité,  fut  sauvée  et  les  religieuses  s'y  fixèrent  -.  Pour  la  même 
raison  le  couvent  des  Frères  Mineurs  en  dehors  de  Saint-Emilion 
fut  également  détruit^.  Je  ne  saurais  dire  si  la  ville  de  Sauve  fut 
ruinée  à  la  suite  de  la  guerre.  Elle  1  était  du  moins  en  1340,  quand 
ral)l)é  de  la  Grande  Sauve  Hugues  de  Marcenhac  plaça  dans  Tinté- 
rieur  des  murs  de  Tabbaye  le  peu  d'habitants  qui  y  restaient  et 
leur  donna  un  terrain  pour  y  bâtir ^.  Les  particuliers  ne  furent  pas 
plus  heureux.  Bernard  de  Cucujac,  doyen  de  Saint-Seurin  de  Bor- 
deaux, fut  pillé  pendant  qu'il  siégeait  auprès  de  la  curie  à  x\vignon; 
on  lui  vola  en  route  son  argent,  ses  livres,  vases,  habits,  chevaux 
et  autres  biens,  de  sorte  qu'il  fut  dénué  de  tout^. 

Déjà  en  1345,  un  grand  nombre  d'églises,  de  couvents,  de  cime- 
tières et  autres  déjjendances  ecclésiastiques  du  diocèse  de  Peri- 
giieiix^  avaient  été  violés  j^ar  suite  des  guerres  ;  la  présence  des 
ennemis  empêchait  l'évêque  de  se  rendre  sur  les  lieux  pour  les  récon- 
cilier 6.  L'abbaye  bénédictine  de  Tourtoirac  fut  presque  détruite  ; 
l'abbé  et  les  moines  manquant  de  tout  sollicitèrent  l'union  du 
prieuré  de  Murello  (du  diocèse  de  Limoges)  dont  le  couvent  était 
désert,  et  Léglise  abandonnée^.  L'abbaye  séculière  d'Aubeterre 
eut  tant   à  souffrir  que  les  portions  des   chanoines  étaient   insuffî- 

1.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  9,  l'ol.  38,  ad  an.  1345,  Jun.  «  prioratus  Andrée  de  Xoniine 
Domini...  ubi  duo  nionachi  cum  priore  et  vicario  perpetuo  consueverunt  Domino 
l'amulari,  existons  in  confronteriis  principalibusji-uerre  dom.  reguni  Francie  et  Anglie, 
reddilibus,  molendinis,  edificiis  et  proventibus  sit  taliter  devastatus,  quod  vix  aut 
numquam  pote  rit  reparari  »  etc. 

2.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  5,  fol,  IG,  ad  an.  1343,  Jun,  8  :  «  propter  guerram...  monas- 
terium  ipsarum  fundatum  extra  muros  civitatis  predicte,  ecclesia  dumtaxat  excepta 
que  est  inlVa  niuros,  oHm  penitus  sit  destructum  propter  fossata  et  munitiones  alias 
per  rec tores  civitatis  ibidem  factas  », 

3.  Ihid.,  fol.  i6,  ad  an.  1313,  Jun,  8,  Grégoire  XI  parle  encore  de  cette  destruction 
exécutée  par  les  "habitants  mêmes.  La  clôture  seule  fut  épargnée.  Il  autorise  la 
translation  dans  la  ville,  Reg.  Vat.  Gi^eg.XI,  n°  285,  fol,  161,  ad  an.  1374,  Jul.  31. 

4.  CiROT  DE  LA  Ville,  Ilist.  de  l'abbaye  de  la  Grande-Sauve,  II,  p.  352. 

5.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  6,  fol.  76,  ad  an,  1345,  Mart,  9. 

6.  Ibid.,  n°  9  fol,  103,  ad  an,  1345,  Julii  22. 

7.  Suppl.  Innocent.  VI,  n°  23,  fol,  93'',  ad  an,  1353,  Mart,  10  :  «  guerre  abbatiam 
illam  quasi  destruxerunt,  adeo  quod  abbas  et  conventus  dicti  monasterii  non  habent, 
de  quo  valeant  substentari   ». 


AirilES    3J0NASTÈKi:S    ET    ÉdLlSLS    DÉSOLÉS    AVAiNT    13.');)  7ÎJ 

santés  à  l'entretien  d'un  seul,  aussi  abandonnèrent-ils  Téglise'.  On 
V  vit  dès  lors  des  clercs  se  joindre  aux  hommes  d'armes  et  aux 
brigands,  témoin  l'archiprêtre  de  Vélines 2. 

En  1349,  Pierre,  évêque  de  Sarlaf,  se  plaint  d'être  au  milieu 
d'un  peuple  pervers  et  de  voir  les  biens  et  les  droits  de  son  église 
occupés  ou  amoindris  par  des  usurpateurs  et  des  envahisseurs -^  En 
1352,  l'abl^aye  l)énédictine  de  ïerrasson  fut  presque  détruite  et 
appauvrie  dans  ses  revenus  ^  L'évêque  d'All3ano ,  Talleyrand  de 
Périgord,  raconte  en  1338  avoir  vu  de  ses  propres  yeux  la  ruine 
des  bâtiments,  des  biens  et  des  revenus  de  l'abbaye  cistercienne  de 
Gadouin,  causée  par  les  guerres  dont  ces  lieux  avaient  été  précé- 
demment le  théâtre^. 

Au  diocèse  de  Limoges^  l'abbaye  cistercienne  deDalon  se  trouvait, 
par  suite  des  guerres  incessantes,  dans  un  état  pitoyable  :  entière- 
ment appauvrie  et  endettée.  En  13i(j,  Fabbé  trouve  préférable  de 
faire  abattre  ou  même  vendre  les  forêts  désormais  sans  rapport. 
Il  est  d'avis  de  ne  plus  cultiver  lui-même  ses  terres  dont  les 
produits  ne  couvrent  pas  les  frais  du  travail,  mais  de  les  donner  à 
d'autres  en  bail  emphythéotique  ^.  Cet  état  de  choses  empira  pendant 
douze  ans  ;  plusieurs  lieux,  possessions  et  droits  de  Tabbaye  furent 
occupés  par  les  Français  et  les  Anglais;  alors  les  moines  deman- 

1.  Siippl.  Clem.  17,  n"  6,  1(^1.  3G'',  ad  an.  J3i7.  Jun.  IL 

2.  A'oy.  ci-dessous,  chap.  III,  para^i-aphe  5. 

3.  SiippL,  n°  J9,  1V)1.  52,  ad  an.  1349,  Jun.  21. 

i.  Ibid.,  n°  22,  fol.  I4i'',  ad  an.  1352,  Octob.  7  :  «  dictum  monasLerium  propter 
guerras,  que  ibidem  diutius  viguerunt,  et  adhuc  vigent,  est  quasi  destructuni  ». 

5.  Sup[)licat  S.  V.  T.  episcopus  Albanen.  quatcnus  monasterio  Caduini,  Ord.  Cist.... 
quod  lapso  temporc  hujusmodi  guerre  turbine,  cdiliciis,  l^onis  et  rcdditibus  extitit 
quaniplurimum  devastatum,  ut  michi  constat  oculata  fide,...  in  quo  sudariuni  eu  ni 
quo  corpus  Christi  cum  pro  nostra  l'edeniptione  morteni  pertulit  fuit  involutuni,  ut 
pie  creditur,  honorifice  reservatur  [De  indulgentiis].  Siippl.  Innocent.  VI,  n"  20  fol. 
292'',  ad  an.  1358,  Septenib.  30. 

().  Snppl.  Clem.  VI,  n"  12,  fol.  3i,  ad  an.  131(3,  Septemb.  15  :  «  abbas  et  conventus... 
lanientabileni  predicti  monasterii  danipnificaticjneui  ex  \  ariis  infortuniisgucrraruni  in 
suis  membris  illatis  causatam  necnon  et  débita  quibus  ipsum  nionasteriuni  est  in 
Uoni.  curia  et  alibi  obligatum  huniiliter  ostendendo...  ;  si  nemora...  que  propter  anti- 
quitateni  quasi  nuUius  valoris  existunt,  scindantur  et  vendantur,  scu  aliter  in  ulilita- 
teni  dicli  monasterii  convertantur,  de  emolumento  lignorum..,et  sinon  in  toto,  saltem 
in  parte  poterit  subveniri,  eadem([ue  nemora  erunt  in  brevi...  in  melius  renovata...  ; 
emolumentum  terrarum,  que  ad  manum  ipsorum  sunt,  in  earumdem  terrarum  cul- 
tura  quasi  expenditur...,  major  ulilitas  sine  comparatione  provenit  monasterio  de 
terris...  in  dictis  grangiis  et  locis  infeodatis,  ([uam  de  illis  ({uc  ad  nuuium  monasterii, 
licet  majoris  quantitatis  sint,  rcmanserunt  ». 


80  LA    GUEKKE    DE    CENT    ANS 

(lèrent  à  être  exemptés  des  redevances  qu'ils  payaient  a  l'abbé  de 
Giteaux^.  En  1347,  douze  clercs  du  diocèse  ,  complètement  appau- 
vris, prient  le  pape  de  leur  accorder  des  bénéfices'-. 

Le  chapitre  de  Cahors  fait  mention  en  1346  de  la  violation  des 
droits  de  leur  église  située  sur  la  frontière  du  théâtre  des  guerres  en 
Gascogne^.  Les  Glarisses  de  Saint-Marcel  du  Poujet  vivaient  dans 
la  crainte  incessante  d'avoir  à  quitter  leur  couvent,  et  de  se  trouver 
exposées  à  la  merci  de  tous.  Le  16  décembre  134o,  elles  obtinrent 
la  permission  de  se  retirer  au  besoin  à  Ghâteauneuf  (Gastelnau- 
Montratier)  dans  une  maison  appartenant  à  Bertrand,  évêque 
d'Ostie^. 

Les  Ermites  de  Saint-Augustin  devant  Gahors  perdirent  leur  cou- 
vent dès  Tannée  1343.  L'endroit  qu  il  occupait  ayant  été  compris 
dans  l'enceinte  de  la  ville  ^,  ils  s'établirent  dans  la  cité  où  les  Gla- 
risses leur  suscitèrent  des  difficultés  à   cause   de  leur   proximité^. 

L'évêque  de  Gahors  réduisit  au  nombre  de  vingt  les  religieux 
du  monastère  de  Marcillac  sur  la  demande  de  son  abbé,  lequel 
faisait  valoir  que  les  courses  des  iVnglais  avaient  considérablement 
diminué  les  revenus  de  la  communauté '. 

11  reste  peu  de  chose  à  dire  du  diocèse  à'Agen  déjà  longuement 
mentionné.  S'il  est  vrai  qu'à  cette  époque  les  Anglais  ne  péné- 
trèrent pas  dans  la  ville  d'Agen,  les  habitants  n'en  étaient  pas 
moins  toujours  menacés  et  réduits  à  une  extrême  disette  par  suite 
des  courses  incessantes  de  l'ennemi^.  Le  pont  sur  la  Garonne 
ayant  été  détruit  par  le  fleuve,  les  vivres  ne  pouvaient  plus  être 
transportés  dans  la  ville,  réduite  ainsi  aux  abois.  Pour  réparer  le 
pont,  les  habitants  durent  recourir  à  la  charité  d'autrui^. 

1.  Siippl.  Innocent.  VI,  n°  29,  fol.  2J0,  ad  an.  1358.  Jul.  12  ;  «  nonnulla  loca,  possessio- 
nes  et  jura  capta,  occupata  et  dissipata  e.xistunt  j)cr  nonnullos  Gallicos  cl  Anglicos. 
Abbas  et  monasterium  graviter  sunt  depauperati  propter  dictaiii  gucrrani  ». 

2.  Suppl.  Cleni.  VL  n"  13,  fol.  53,  ad  an.  1347,  Novenib.  19. 

3.  Suppl.  Cleni.  VI,  n°  12,  fol.  3,  ad  an.  1346,  Septenib.  12. 

4.  Ihid.,  n°  8,  fol.  140,  et  Reg.  Vat.  Cleni.,  n"  172.  fol.  142.  I.e  monastère  est  appelé 
«  s.  Marcelli  de  Pogeto  prope  Gastrum  novuni  de  Vallibus  ». 

5.  Recf.   Vat.  Cleni.    VI,  n"  151,  fol.  320,  ad  an.  1344,  Mart.  14. 

6.  Suppl.  Clem.    VI,  n°  5,  fol.  152'-,  ad  an.  1343,  Aug.  13. 

7.  Lacoste,  Ilist.  rjén.  de  la  province  de  Quercy,  III,  p.  130. 

8.  Baukkre,  Ilist.  rel.  et  monumentale  du  dioc.  dAgen,  II,  p.  112. 

9.  «  Gum  ...quidam  pons  super  fïumen  Garone  ante  civitatem  Agennen.  construc- 
tus   propter  nimiam    inundationem   aquarum    sit    destructus,    et   propterca    gentes 


AUTRES    MONASTÈRES    ET    ÉGLISES    DÉSOLÉS    AVANT    135."  8] 

L'abbaye  bénédictine  de  Glairac  se  vit,  elle  aussi,  tellement 
appauvrie  par  les  guerres  que  ses  moines  furent  contraints  de 
l'abandonner^. 

Arnaud,  abbé  de  l'abbaye  bénédictine  de  Gaillac,  du  diocèse 
à'Albi^  se  lamente  du  mauvais  état  des  revenus  causé  par  la  guerre. 
Ces  moines,  habitant  un  endroit  très  peuplé  et  devant  abriter  beau- 
coup d'hôtes  illustres,  se  ressentirent  davantage  de  leur  pénurie; 
ils  sollicitèrent  l'incorporation  de  plusieurs  églises  ~. 

Les  Glarisses  établies  aux  portes  de  Béziers  furent  continuelle- 
ment exposées  au  danger  de  perdre  leur  couvent  ;  la  ville  étant  for- 
tifiée, les  citoyens  ne  voulaient  pas,  en  cas  d'une  attaque,  courir 
le  risque  de  voir  l'ennemi  s'y  fixer,  et  j)our  la  même  raison,  ils 
avaient  déjà  démoli  les  maisons  de  plusieurs  laïques"^.  Les  con- 
seils et  les  bourgeois  de  la  cité  étaient  sans  cesse  en  litige  avec 
le  Chapitre,  ce  dernier,  ne  voulant  pas  contribuer  aux  réparations 
des  fossés  et  des  fortifications,  malgré  la  guerre  imminente  '*. 

Cet  état  de  choses  était  bien  plus  accentué  encore  dans  les 
provinces  de  Toulouse  et  de  Narbonne.  Les  archevêques  ainsi  que 


ipsius  civitatis  ac  etiam  propter  guerram  in  illis  partibus  ingruentem  victualia  com- 
mode ut  deceret  habere  non  possint,  sed  sint  exinde  nimia  paupertate  gravati,  inten- 
dantque  ipsum  pontem  reparare  »  [De  indulgentiis].  Reg.  Vat.  Clem.  VI,  n°  191,  foL 
137'',  ad  an.  1349,  Maii  12.  Voy.  sur  cela  Jiirades  de  la  ville  d'Agen,  Index,  p.  368. 

1.  Suppl.  Innocent.  VI,  n"  23,  fol.  163,  ad  an.   1353,  Maii  13. 

2.  SuppL  Clem.  VI,  n»  18,  2  parte,  fol.  3. 

3.  «  Gonventus...  dudum  fréquenter  et  nunc  evidenter  subjacuit  et  subjacet 
timori  et  periculo  regni  inimicorum  insultus  et  submittendi  ruine  per  cives  hoc 
précise  volentes  pro  ipsius  civitatis  et  civium  salute,  ne  ibi  ipsi  iiiimici,  cum  Ibrtis 
sit  locus  satis  et  multum  bene  edifîcatus,  refugium  capiant,  presertim  etiam  cum  ad 
hoc  cetera  laicorum  edificia  in  dictis  suburbiis  sint  diruta,  propter  quod  ipse 
sorores  ut  plurimum  extra  dictum  conventum...  moram  trahere  habuerunt  et  habent 
a  septem  annis  et  ultra,  prefatique  cives...  ipsas  convitarunt...  quod  dimisso  dicto 
conventu  alium  locum  novum  recipiant  infra  muros  ».  Suppl.  Urb.  V,  n°  38,  fol.  35, 
ad  an.  1364,  et  Reg.  Vat.  n"  252,  fol.  115,  ad  an.  1363,  Aug.  15,  et  Reg.  Vat..  n°  251, 
fol.  213.  Sadatieu,  Hist.  de  la  ville  et  des  évéqiies  de  Béziers,  p.  289,  et  Uisl.  de  Lan- 
guedoc, IX,  p.  654,  not.  2,  disent  donc  à  tort  que  le  couvent  fut  détruit  en  1353. 
Les  Glarisses  perdirent  leur  monastère  seulement  en  1363,  lorsqu'on  s'occupa  dans  la 
Gurie  romaine  de  la  translation  :  «  cives  vero,  dum  hec  in  Kom.  curia  agerentur, 
monasterium  illud  quasi  funditus  destru.xerunt,  suisque  usibus...  macerias  monasterii 
manciparunt  ».  Suppl.  Urb.  V,  n»  39,  fol.  82'',  ad  an.  1363,  Decemb.  13.  Sabatier  parle 
encore  des  Dominicains,  des  Augustins  (voy.  Reg.  Aven.  Innoc.  VI,  n"  13,  fol.  201, 
an.  1356,  Febr.  18),  des  Mineurs,  des  religieuses  de  Saint-Antoine  et  de  la  comman- 
derie  de  Saint-Jean. 

4.  Suppl.  Clem.  \  I,  n"  12,  fol.  73.  an.  1346,  Octob.  26. 
R..-P.  Denifle.  —  Desolatio  fades iaruin  li.  «j 


S2  LA    GUERRE    bE    CENT    ANS 

leurs  suffraganlSj  les  abbés,  les  chapitres,  les  collèg-es,  les  cou- 
vents, les  prieurés,  etc.,  devaient  contribuer  aux  frais  de  la  guerre 
en  Gascogne.  En  1346  ils  ne  voulaient  s'y  soumettre  qu'à  certaines 
conditions.  La  province  de  Narbonne  proposa  de  concéder  une  fois 
pour  toutes  12.000  livres  ;  la  j3rovince  de  Toulouse  8.000,  si  le  pape 
le  leur  permettait,  et  si  les  autorités  civiles  leur  confirmaient  les 
privilèges  qu'elles  désiraient  obtenir^. 

Il  est  facile  de  comprendre  quel  était  le  sort  des  monastères  de 
ces  contrées.  Ils  perdirent,  pour  le  moins,  les  ressources  qu'ils 
tiraient  de  leurs  terres  en  Gascogne,  lesquelles  se  trouvaient  alors 
sous  la  domination  anglaise.  Je  donne  pour  exemple  l'abbaye  cis- 
tercienne de  Grand-Selve^  du  diocèse  de  Toulouse.  Elle  était  réduite 
à  une  si  grande  pauvreté  que  les  moines  ne  pouvaient  suf- 
fire à  leur  entretien;  c'est  pourquoi  le  roi  Philippe,  en  1349-1350, 
ordonna  aux  collecteurs  des  décimes  de  n'y  point  faire  contribuer 
les  religieux  de  Grand-Selve -.  En  1351,  le  roi  Jean  présente 
l'abbaye  comme  ruinée  par  les  ennemis'^.  Le  10  décembre  1354,  le 
même  roi  défendit  à  qui  que  ce  fût  de  mettre  les  religieux  à  con- 
tribution et  il  ordonna  au  sénéchal  de  Carcassonne  de  laisser  jouir 
l'abbaye  de  Texemption  des  péages^.  Mais  la  misère  augmenta 
toujours,  parce  que  le  monastère  perdit  les  ressources  qu'il  avait 
autrefois  en  Gascogne  et  qu'une  maison  avec  dépendances  qu'il 
possédait  à  Bordeaux  fut  ruinée  à  tel  point  que  les  religieux  se 
virent  contraints  de  s'adresser  au  prince  de  Galles  pour  obtenir 
des  secours,  comme  nous  l'apprend  une  lettre  d'Innocent  YI  datée 
du  13  janvier  1357  ^. 

1.  Il  y  a  deux  longues  suppliques  dans  les  Suppl.  Clem.  VI,  n"  12,  toutes  deux  de 
l'an  1346,  Tune  du  11  novembre  (fol.  95),  l'autre  du  9  décembre  (fol.  161).  Dans  la 
seconde  la  première  se  retrouve  insérée. 

2.  Hisl.  de  Languedoc,  VIII,  col.  1881,  n"  921. 

3.  Ibid.,  no  922. 

4.  Ibid.,  n-'   924,  925. 

5.  Reg.  Vat.,  n"  239.  fol.  9  :  Dil.  fdio  nobili  viro  Edwardo  primogenito...  Edvs^ardi 
régis  Anglie  illustris  principi  Wallie,  salutem  etc.  Intelleximus  fide  digna  relatione 
multorum,  quod  dil.  fil...  abbas  et  conventus  mon.  Grandissilve  Cisterc.  Ord.  Tho- 
losan.  dioc,  nonnullis  redditibus  suis  et  aliis  ac  privilegiis  et  libertatibus,  que 
ipsi  ex  concessione  ac  largitate  progenitorum  tuorum  regum  Anglie  et  ducum 
Aquitanie  ac  alias  ab  hactenus  in  partibus  Vasconie  possederunt,  destituti  suut,  et 
quod  quedam  domus  cuni  uiagno  chayo.  quas  iidem  abbas  et  conventus  in  burgo 
civitatis  Burdegalen.  similiter  possidebant,  post  suscitationem    et  fremitum    guorra- 


AlTHKS    >iONASÏIîMES    I:T    ÉfiLISF:S    UÉSOF.ÉS    AVANT     \'M)i)  S.'i 

Les  Ermites  de  Saint- Augustin  dans  les  faubourgs  de  Marciac,  du 
diocèse  iïAuch,  ne  se  sentant  plus  en  sécurité  hors  de  la  ville, 
demandèrent  à  s'établir  dans  l'intérieur  '. 

A  Airc^  la  cathédrale  Saint-Jean-Baptiste  était  déjà  complète- 
ment détruite  en  1353,  par  le  fait  des  guerres,  et  le  chapitre  eut 
recours  aux  aumônes  afin   de  pouvoir  la  rel)atir  -. 

De  même  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Sever,  dans  ce  diocèse, 
vit  ses  revenus  amoindris  par  la  guerre  -K 

La  panique  pénétra  dès  lors  plus  avant  dans  le  midi,  jusqu'au 
diocèse  de  Tarhes.  Déjà  en  1337  beaucoup  de  biens,  terres  et  mai- 
sons appartenant  à  l'abbaye  bénédictine  de  La  Reulle  en  Bigorre, 
furent  occupés  par  des  seigneurs  tant  ecclésiastiques  que  laïques  ^. 
L'abbaye  bénédictine  de  Saint-Pierre  de  Tasque  souffrait  d'une  si 
grande  disette   dès   13i(>  aue   ses  moines  hors   d'état  d'v   subsister 


T)' 


que 


plus   longtemps   durent   chercher  un    asile   ailleurs   dans   d'autres 
monastères  ^. 


rum...  date  sunl  in  ruinam  in  grave  nimis  prejudicium  abbatis  et  conventus  ac 
mon.  predictorum.  Cum  autem  iidem  abbas  et  conventus,  sperantes  beneficio  pro- 
visionis  tue  a  dampnis  hujusniodi  relevari,  ad  te  recursum  habere  proponant;  nos 
abbateni  et  conventum  predictos  favore  apostolico  prosequentes...  nobilitatem  tuani 
attente  rogamus,  quatenus  dictos  abbateni  et  conventum  pro  reverentia  Dei...  et 
nostre  intercessionis  obtentu  super  hiis  et  aliis  eorum  negociis  suscipias  propense  ac 
favorabiliter  c(^mmendatos.  Datum  Avinionc  idus  Januarii  anno  quinto. 

1.  Suppl.  Clem.   VL  n"  2i,  fol.  43;  Reg.  Vat.,  n°  22-4,  fol.  422,  ad  an.  1353,  Aug.  5. 

2.  «  Quatenus  omnibus  ecclesiam  B.  Johannis  Baptiste,  qui  caput  est  dicte  ecclesie 
cathcdralis,  ac  etiam  ecclesiam  B.  Quiterie  de  Manso  Aduren.  eidem  ecclesie  cathe- 
di'ali  unitam...  visitantibus...  indulgentiam  concédât,  et  nichilominus  illis  qui  de 
bonis...  operi  prefate  ecclesie  B.  Johannis  ob  guerras  funditus  destructe...  manus 
porrexerint,..  indulgentiam  »  etc.  Snppl.  Innoc.  VI,  n°  24,  fol.  110,  ad  an.  1353, 
Octob.  31. 

3.  Suppl.  Clem.  VI,  n"  4,  fol.  206,  ad  an.  1344,  Febr.  14  :  «  Supplicat  Guil- 
lelmus  abbas...  quatenus  cum  propter  guerras  et  malas  conditiones,  que  in  illis 
partibus  et  locis  circunstantibus  retroactis  temporibus  viguerunt  et  vigent,  adeo 
monasterium  ipsum  attenuatum  sit  multis  redditibus  et  consumptum,  quod  abbas  de 
fructibus...  nequit  sustentari  »  [incorporatio  prioratus  Montismarciani].  Voy.  His- 
lorine  monasleril  S.  Severi  lihri  X  (Vicojulii  ad  Aturem  1876),  I,  p.  278. 

4.  «  Xonnulli  archiepiscopi  et  episcopi,  aliique  ecclesiarum  prelati  et  clerici...  nec- 
non  curialcs,  seculares,  comités,  barones...  occuparunt  et  occupari  fecerunt  eccle- 
sias,  castra,  villas  et  alia  loca,  terras,  domos,  possessiones,  jura,  jurisdictiones, 
necnon  fi'uclus,  census.  redditus  et  proventus  dicli  monasterii...  de  Reula)  et  non- 
nùUa  allia  bona  mobilia  et  inunobilia,  spiritualia  et  temporalia  »  (Ils  demandent  des 
conservateurs).  Recf.  Vat.  Bened.  XII,  n"  123,  ep.  245,  ad  an.  1337,  .Tun.  21. 

5.  Suppl.  VI,  n"  12,  fol.  143,  ad  an.  1346,  Decemb.  7.  Les  revenus  de  Tabbé  étaient 
de  100  livres.  Iley.  Vat.,  n"  203,  fol.  184''.  ad  an.  1350.  Aug.  22. 


(Si  l\    r.\'EM\É    DE    CENT    ANS 

Les  couvents  qui  n'avaient  pas  encore  vu  les  horreurs  de  la 
guerre  n'en  souffrirent  pas  moins  des  suites  de  ce  fléau,  ainsi  que 
je  l'ai  indiqué  au  commencement  de  ce  paragraphe.  Chaque  habi- 
tant du  royaume  était  obligé  de  payer  un  subside  et  généralement 
aussi  les  monastères  et  les  abbayes  ;  pour  ces  dernières  cette 
mesure    paraissait  surtout   rigoureuse. 

Ainsi,  par  exemple,  les  bénédictines  de  l'abbaye  de  Notre-Dame 
de  Ghelles,  du  diocèse  de  Paris,  furent  contraintes,  en  1354,  à 
pa^-er  1600  livres.  En  dépit  de  toutes  leurs  réclamations,  les  com- 
missaires royaux  employèrent  la  force,  afin  d'accélérer  le  paiement. 
Ils  s'installèrent  dans  les  dépendances  du  monastère  et  commi- 
rent mille  excès.  Les  lîâtiments  tombaient  en  ruine,  les  fermes 
étaient  abandonnées,  les  terres  restaient  en  friche.  Pain,  vin, 
argent,  tout  vint  à  manquer  aux  besoins  de  la   communauté  K 

Ces  faits  regrettables  se  reproduisaient  ailleurs.  Il  serait 
impossible  d'énumérer  tous  les  établissements  religieux,  qui,  à 
titre  de  contributions  de  guerre,  durent  verser  une  partie  de  leurs 
revenus  ;  il  faudrait  les  nommer  presque  tous  -. 

1.  Voy.  ToRCHET,  Ilisl.  de  Vahhaye  royale  de  Noire-Dame  de  Chelles,  I,  p.  167 
suiv. 

2.  Dans  Varix,  Archives  administratives  de  Reims,  t.  II,  p.  1124,  et  Pkchexard, 
Hist.  de  l'abbaye  d'iyny,  p.  382,  on  trouve  par  exemple  nommés  les  monastères  de 
Signy,  La  Valroy,  Bonnefontaine,  Chéhéry,  Elan,  Igny,  du  diocèse  de  Reims. 


CHAPITRE     II 

INCURSION     DU      PRINCE      DE    GALLES     EN     LANGUEDOC 
ET    DANS    LE    CENTRE    DE    LA   FRANCE 
CHARLES    LE    MAUVAIS.    BATAILLE    DE    POITIERS 

J'ai  déjà  mentionné  que  la  trêve  entre  l'Angleterre  et  la  France 
avait  été  sans  cesse  prolongée  d'un  terme  à  l'autre^.  Grâce  à  l'inter- 
vention du  pape  Innocent  VI,  des  préliminaires  de  paix  furent 
signés  près  de  Guînes,  le  6  avril  1354,  en  présence  du  nonce  apos- 
tolique Gui,  cardinal  de  Boulogne.  Edouard  offrait  de  renoncer  à 
ses  prétentions,  à  la  couronne  de  France,  si  on  lui  accordait  la  sou- 
veraineté  des  provinces  de  Guienne ,  d'Artois  et  de  Guînes.  Cet 
arrangement  parut  être  la  seule  base  sur  laquelle  on  pût  fonder 
une  paix  durable.  On  s'engagea  de  part  et  d'autre  à  envoyer  des 
députations  à  la  cour  papale  d'Avignon  pour  le  28  août-. 
Innocent  VI  crut  que  tout  était  ainsi  à  peu  près  arrangé 3.  Toutefois, 
les  plénipotentiaires  de  France  (Pierre,  duc  de  Bourbon,  et  Pierre 
de  la  Forêt,  archevêque  de  Rouen)  et  d'Angleterre  (les  évêques  de 
Norwich  et  de  Londres,  le  duc  de  Lancaster,  le  comte  d'Arundel)ne 
parurent  à  Avignon  que  vers  Noël  ;  ils  n'aboutirent  pas  à  un  traité 
définitif.  Les  Français  rejetèrent  les  articles  conclus  à  Guînes  et  ne 
voulurent  céder  aucun  de  leurs  droits*.  Edouard,  indigné,  se  disposa 
à  recommencer  la  guerre.  En  effet,  celle-ci  fut  décidée  dans  le  par- 
lement tenu   à  Westminster,    en  1355,  après   Pâques,    malgré  les 

1.  Voy.  ci-dessus,  p.  A9. 

2.  Rymer,  Foedera,  III,  p.  276,  283.  Avksiuuy,  p.  420;  Baki:h,  Chronicon.  p.  123: 
Innocent  VI  avait  écrit  le  19  janvier  1354  sur  cette  afl'aire,  à  Barthcleniy  Bur^liersh . 
Le  nonce  apostolique  était  alors  Raymond  Pclc^rini,  chanoine  de  Londres.  Be(f.  Vat., 
n°  236,  fol.  12.  Le  cardinal  Gui  de  Boulogne  retourna  à  Avignon.   Ibid.,  fol.  96''. 

3.  Dans  sa  lettre  à  Edouard,  le  16  juillet,  Beg.  Vnl.,  n°  236,  fol.  118''.  Quand  le  pape 
avait  reçu  les  lettres  d'Kdouard  attestant  sa  ferme  volonté  de  faire  la  paix  et  d'en- 
voyer des  nonces  à  Avignon,  «  in  jubilum  exultationis  erupinius  et  omnipotenli  Deo 
gratias  eginius  »  ,  etc. 

4.  Avicsmin ,  p.  421  ;  Baivfk,  p.  12  i  ;  Kmcuton.  p.  77  suiv.:  Cnntin,  Adatnl  }fiirin\iilh., 
cd.  Ho(j,  p.  284;  Fhoissauï,  IV,  p,  41, 


86  LA    r.lEHHE    DE    CENT    ANS 

envoyés  du  pape,  l'évêque  d'Elne^  et  l'abbé  de  Cluny,  Androin  de 
la  Roche,  qui  repartirent  quatre  jours  après,  au  commencement  de 
mai.  Ainsi  éclata  la  guerre  régulière,  non  pas  en  Bretagne ', 
mais  en  France.  Selon  les  décisions  du  parlement  de  Westminster, 
le  prince  de  Galles  fut  dirigé  sur  la  Guienne  avec  les  comtes 
de  Warwick,  de  Suffolk,  de  Salisbury  et  d'Oxford"^.  Le  roi 
Edouard  devait  envahir  la  Normandie. 

1.  In^uption  du  prince  de  Galles   en   Languedoc. 

Edouard,  prince  de  Galles,  alors  âgé  de  vingt-cinq  ans,  se  rendit 
vers  le  31  mai  à  Southampton^  pour  s'y  embarquer.  Mais,  retenu  dans 
le  port  par  des  vents  contraires,  il  ne  put  faire  voile  pour  Bordeaux 
que  le  8  ou  le  9  septembre^,  et  débarqua  avant  le  21  septembre^, 
pour  commencer  au  mois  d'octobre  son  expédition  contre  le  comte 
d'Armagnac.  En  vérité,  c'était  plutôt  Tinvasion  d'une  forte  armée 
de  brigands  pillant  le  pays  sans  défense,  faisant  le  plus  de  butin 
possible,  qu'une  expédition  guerrière  en  règle.  Nous  avons  sur  cette 
invasion  une  lettre  du  prince  de  Galles  à  l'évêque  de  Winchester, 
en  date  de  Noël,  et  une  lettre  de  Jean  de  W^ingfield,  conseiller  du 
prince,  datée  de  Bordeaux,  le  23   décembre.   Une  autre  écrite  par 

1.  AvESBUHY,  p.  421,  dit  à  tort  «  de  Carcassonne  ».  Le  23  février  1355  Innocent  VI  a 
adressé  beaucoup  de  lettres  aux  seigneurs  d'Angleterre  et  de  France,  et,  en  outre, 
aux  deux  nonces  nommés,  en  annonçant  qu'il  envoyait  l'évêque  d'Elne  et  l'abbé  de 
Cluny  dans  les  deux  royaumes  pour  engager  les  deux  rois  à  faire  la  paix.  Reg.  Vat., 
n°  237,  fol.  51  à  53^.  L'évêque  d'Elne,  Jean  Joft'révy,  avait  quitté  l'Angleterre  déjà  vers  le 
9  mai,  comme  il  dit  lui-même,  dans  son  journal,  publié  par  Baluze,  Vil.  pap.  Aven., 
II,  p.  751.  Voy.  encore  Notice  ecclésiastique  sur  le  Roussillon  (Perpignan,  1824),  p.  191. 

2.  Comme  dit  Cosneau,  Les  jrands  traités  de  la  guerre  de  cent  ans,  p.  1.  Alors 
aucune  expédition  ne  fut  faite  sur  la  Bretagne,  où  il  y  avait,  en  1355,  seulement 
quelques  faits  d'armes  sans  importance.  Voy.  Avesbury,  p.  427;  Plaine,  La  guerre 
de  la  succession  ,  p.  37,  suiv. 

3.  Voy.  les  autres  dans  le  Chron.  de  Baker,  p.  129.  Jean  Chandos  était  le  principal 
conseiller  du  prince.  Pour  le  prince  de  Galles,  l'ordre  existait  déjà  du  27  avril  et  du 
6  mai.  Rymer,  Foedera,  III,  p.  198  suiv. 

4. Voy.  Lemoine,  dans  Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  97,  not.  3. 

5.  Avesbury,  p.  425  le  8  ;  Baker,  Chron.,  p.  127. 

6.  Baker,  1.  c.  Voy.  Archives  municipales  de  Bordeaux,  t.  V,  Livre  des  Coutumes, 
p.  439.  Le  21  septembre,  le  prince  de  Galles  présidait  déjà  dans  la  cathédrale  une 
cérémonie,  pendant  laquelle  il  jura  d'être  bon  et  loyal  seigneur.  Cf.  encore  Moissant, 
p.  31.  Baker,  1.  c.  dit  à  tort,  que  le  prince  avait  débarqué  «  in  principio  mensis  Octo- 
bris.  »  S.  Luge  dans  Froissart,  IV,  p.  lix,  not.  3,  et  d'api'ès  lui  A.  Mommer  dans 
Hist.  de  Languedoc,  p.  651,  not.  2,  disent'-  après  le  16  juillet  ».  C'est  bien  «  après  », 


IRRUPTION    DU    PRINCE    DE    GALLES    EN    LANGUEDOC,     135o  87 

Wingfield  à  Libourne,  le  22  janvier  1350,  ne  s'étend  pas  sur  l'expédi- 
tion du  prince  de  Galles;  il  y  est  question  des  possessions  acquises 
en  Gascogne  et  surtout  des  nouvelles  entreprises  des  Anglais  '. 

Mais  tous  ces  documents  sont  éclipsés  par  l'extrême  précision 
de  V Itinéraire  que  Baker  nous  a  laissé  concernant  la  marche  en 
avant  et  la  retraite  des  Anglais  '-.  Les  dates  fournies  par  Froissa rt 
s'y  trouvent,  comme  il  est  arrivé  souvent,  soit  renversées,  soit  com- 
plétées, et  bien  rarement  vérifiées.  Naturellement  Baker  n'indique 
pas  tous  les  endroits,  mais  cependant  il  note  jour  par  jour  les  prin- 
cipaux. Je  n'en  reproduis  que  les  grandes  lignes. 

Selon  Froissart,  suivi  par  la  plupart  des  historiens,  le  prince,  en 
Cjuittant  Bordeaux,  serait  remonté  sur  la  rive  droite  de  la  Garonne 
jusqu'à  Port-Sainte-Marie,  entre  Aiguillon  et  Agen,  et  là  il  aurait 
passé  le  fleuve  '^.  Or,  cela  est  tout  à  fait  inexact.  Le  prince  quitta 
Bordeaux  le  5  octobre  en  suivant,  dès  le  commencement,  la  rive 
gauche  de  la  Garonne.  Le  6,  nous  le  trouvons  à  Langon;  le  8  et  le 
9  à  Bazas,  où  se  trouvait  la  cathédrale  et  un  couvent  de  frères 
Mineurs^.  Le  10,  il  est  à  Castelnau^;  le  Ll,  il  traverse  les  landes 
de  Bordeaux.  Eloigné  encore  de  deux  lieues  d'Arouille,  il  divisa 
son  armée  en  trois  corps  de  bataille  :  le  premier  comptait  3.000 
hommes  d'armes,  le  deuxième  7.000,  sous  les  ordres  du  prince  ;  le 
troisième,  4.000  combattants.  Ne  furent  pas  compris  dans  ce 
dénombrement  :  les  archers,  les  clercs,  les  gens  de  service  et 
d'autres  encore    en  grand   nombre  ^,    car  le  prince    avait  jusqu'à 

1.  AvESBUHY,  p,  434,  439,  445. 

2.  Chron.,  éd.  Thompson,  p.  128-138.  L'éditeur  a  illustré  cette  invasion,  p.  29«i,  avec 
une  carte  très  utile.  I>a  carte  donnée  par  Kervyn  df.  Lettenuovi-,  dans  son  édition  de 
Froissart,  t.  XXV,  p.  7,  est  sans  valeur. 

3.  Fhoissaut,  1,  c.  A.  Moliniku,  1.  c. 

4.  O'Reilly,  Essni  sur  Vhistoire  de  la  ville...  de  linzas  (1840),  ne  mentionne  pas 
p.  106,  384,  que  le  prince  ait  été  dans  ces  deux  \  illes.  parce  que  Froissart  n'en  dil 
rien. 

5.  C'est  sans  doute  le  château  de  (^astclnau  en  Cernes,  tjui  appai-tenait  à  Bernard, 
seigneur  d'Albret.  Voy.  O^Reilly,  1.  c,  1.  c,  p.  353. 

6.  Que  dire  donc  de  l'assertion  de  Fboissart.  1.  c,  que  larmée  anglo-gasconne  était 
forte  de  1.500  lances,  de  2.000  archers  et  de  3.000  bidauds?  Dans  le  livre  Le  Prince 
Noir,  Poème  du  héraut  d'armes  Chandos,  éd.  Mu:hei.,  v.  642,  on  lit  également  : 

Et  mist  ensemble  sur  les  champs 
Plus  que  vj  mille  combatantz. 
L'auteur  du  poème  se  trompe  aussi  en  disant  v.  653.  que  la  campagne    du  Prince 
avait  duré  «  cpiali'e  mois  et  demy  », 


88  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

1)0.000  hommes  autour  de  lui  ^  Le  12  octobre,  on  arriva  à  Arouille. 
Les  gens  du  prince  se  dispersèrent  dans  les  environs,  en  pillant 
et  brûlant,  ce  qu'ils  firent  partout,  jusqu'à  leur  retour  à  La  Réole 
ou  à  Bordeaux  -. 

Le  13  octobre  ils  étaient  à  Monclar,  ville  du  diocèse  d'Auch,  qui 
fut  brûlée  avec  trois  autres.  Devant  le  château  d'Estang*  les  Anglais 
eurent  un  échec.  Le  16,  ils  abordèrent  la  ville  fortifiée  de  Nogaro,  le 
17  la  belle   ville  de  Plaisance,  dont  tous  les    habitants   s'étaient 
enfuis.  Le  18,  ils  incendièrent  le  château  (ainsi  que  Galiax),  le  19, 
la  ville  même  ^  ;  après  quoi  ils  passèrent  la  nuit  devant  Bassoues, 
ville  appartenant  à  l'évêque  d'Auch,  laquelle  fut  épargnée  et  mar- 
chèrent le  21,  vers  Mirande,  en  laissant  Montesquiou  à  leur  gauche. 
Le  prince  descendit  dans  l'abbaje  cistercienne  de  Berdouës,  tout  à 
fait  abandonnée  par  les  moines.  Mais  le  couvent  n'eut  rien  à  souf- 
frir. Le  23,  ils  quittèrent  Armagnac,  en  se  dirigeant  vers  le  comté 
d'Astarac;  ici  la  ville  de  Seissan  fut  incendiée  malgré  l'opposition 
du  prince.  Le  24,  nous   trouvons   l'arrière-garde  installée  dans  la 
grande  abbaye  deSimorre,  dont  les  moines  s'étaient  sauvés,  l'avant- 
garde  à  Tournan,  et  le  reste  des  troupes  à  Villefranche.  Dans  cette 
dernière  ville  on  trouva  tout  en  abondance,  mais  pas  un  seul  habi- 
tant. Le  25,  les  Anglais  continuèrent  leur  marche  en  dévastant  tout 
autour  d'eux,  laissèrent  de  côté  Sauveterre  et  Lombez,  siège  épis- 
copal,  et  passent  la  nuit  à  Samatan  ^,  où  il  y  avait  un  couvent  de 
Frères  Mineurs.  Tout  fut  mis  à  feu.  Le  26  ils  passent  à  Saint-Foi  et 
à   Saint-Lys.  Le    28,  franchissant  la   Garonne  et  FAriège,  rivière 
encore  plus  périlleuse  que  la  Garonne,  ils  s'avancèrent  jusqu'à  une 
lieue  de  distance  de  Toulouse.  Le  prince  s'installa  pour  la  nuit  à  La 
Croix   Falgarde.  Dès  lors  pas   un  jour  ne  se  passa  sans  que  les 

1.  C'est  vraisemblablement  exagéré.  Mais  en  tout  cas,  le  grand  nombre  explique 
pourquoi  le  comte  d'Armagnac  navait  pas  le  courage  d'attaquer  le  prince. 

2.  P.  129  :  «  et  ita  fecerunt  generaliter  quousque  revertebantur  ad  terram  pacis.  » 

3.  Voy.  encore  WingTield  dans  Avesiujry,  p.  4 10.  Monlezun,  Hist.  de  L%  Gascogne, 
III,  p.  319,  avait  donc  raison  de  dire  (suivant  un  ms.)  que  Plaisance  fut  entièrement 
détruite  par  le  prince.  Il  mentionne  aussi  (suivant  une  ancienne  tradition)  Aignan 
(entre  Nogaro  et  Plaisance  à  TEst),  et  Trie.  Pour  Aignan  c'est  possible,  mais  je 
doute  pour  Trie. 

4.  L'évêque  Arnaud  d'Aubert  y  bâtit  un  château  fortifié.  Monlezun,  1.  c,  p.  423 
suiv. 

5.  Le  prince  et  Wingfîeld  l'appellent  :  «  le  meilour  ville  du  countée  de  Gumenge  », 
de  la  même  grandeur  que  Norwich 


IRKLPTION    DU    PKINCK    DE    GALLES    EN    LANGUP:D0C,    1  3oO  89 

Anglais  ne  prissent  de  force  quelque  place  ou  château,  en  pillant 
et  brûlant  à  l'envi  K 

Le  29,  ils  étaient  à  Montgiscard-.  Tous  les  moulins  furent  brûlés. 
Ce  fut  alors  que  le  prince  apprit  par  des  espions  français,  faits  pri- 
sonniers, que  le  comte  d'Armagnac  se  trouvait  avec  l'armée  à  Tou- 
louse'"^j  et  que  le  connétable  Jacques  de  Bourbon  était  àMontauban; 
ils  avaient  cru  que  le  prince  assiégerait  Toulouse.  Le  30,  les  Anglais 
avancèrent  sur  la  route  d'Avignon  vers  Baziège  et  Villefranche  ^  (-de- 
Lauragais),  et  s'arrêtèrent  pendant  la  nuit  à  Avignonet.  Les  habi- 
tants s'étaient  enfuis;  les  moulins  furent  brûlés.  Le  31  on  s'arrêta 
à  Castelnaudary  ^,  où  il  y  avait  Téglise  collégiale  de  Saint-Michel, 
les  monastères  des  Frères  Mineurs  et  des  Carmes  et  l'hôpital  de 
Saint- Antoine.  Tous  ces  édifices,  la  ville  même,  ainsi  que  celle  de 
Mas-Saintes-Puelles,  avec  le  couvent  des  Ermites  de  Saint-Augus- 
tin, furent  incendiés.  Le  1^^  novembre,  une  autre  ville  se  racheta 
moyennant  une  rançon  de  10.000  florins.  Le  2  novembre,  les  Anglais 
arrivèrent  aux  villes  de  «  Sainte-Marthe-le-Port  »  (Saint-Martin-La- 
lande)  et  Villepinte.  Le  prince  passa  la  nuit  à  Alzonne.  Quand  il 
arriva  à  Garcassonne,  le  jour  suivant^,  tout  le  monde  avait  quitté 
les  faubourgs  pour  se  retirer  dans  la  cité,  à  l'exception  des  quatre 
Ordres  mendiants.  Le  4  et  le  5,  il  y  eut  des  négociations  de  paix 
avec  ceux  de  la  cité,  et  les  citoyens  offrirent  250.000  écus  d'or  pour 
sauver  les  faubourgs  ^.  Mais  le  prince  rejeta  cette  offre  en  disant 
qu'il  n'était  guère  venu  pour  s'enrichir,  mais  pour  faire  des 
conquêtes.  Le  6,  il  fit  incendier  le  bourg,  avec  ordre  d'épargner  les 
religieux.  Plus  tard,  il  apprit  des  religieux  mêmes  que  les  faubourgs 
avaient  été  brûlés.  Le  soir  du  6,  après  avoir  dévasté  tout  le  pays 
des  alentours,  les  Anglais  arrivèrent  à  Rustiques;  le  7,  à  Ganet, 
en  passant  à  côté  de  Lezignan  ;  le  8,  à  Narbonne,  ville  célèbre  par 
la  magnifique  cathédrale   de  Saint-Just.  Dans  les  faubourgs,  plus 

1.  Le  prince  dit  aussi  cela. 

2.  Suivant  Froissart,  p.  163  (voy.  p.  lx),  première  halte  pour  le  prince!  «  Le  secont 
jour  »  ! 

3.  Froissart  aussi. 

4.  Froissart  la  nomme  par  erreur  après  Castelnaudary. 

5.  Le  prince  dit  également  que  c'était  le  31  octobre. 

6.  C'est  à  tort  que  Molimer  dit,  1.  c.  «  le  2  nov.  » 

7.  Voy.  encore  Mahukl.  (jnrlulaires  ei  archives  de  i,incien  dio'^cs?  de  Crin;\ssonne, 
VI,  p.  20:  Demfle,  La  désolation  des  églises,  I,  n"  232,  not. 


96 


LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 


beaux  que  ceux  de  Garcassonne,  il  y  avait  encore  des  religieux 
Mendiants.  Le  prince  descendit  chez  les  Carmes.  Les  citoyens  se 
défendirent  courageusement ,  et,  de  part  et  d'autre ,  il  y  eut  beau- 
coup de  blessés  et  plusieurs  morts.  Le  10  novembre,  les  faubourgs 
furent  incendiés.  A  Narbonne,  le  prince  reçut  les  nonces  du  pape, 
mais  seulement  pour  les  envoyer  à  son  père  K  Les  nonces  étaient 
Jean  de  la  Porte,  archevêque  de  Capoue,  et  Ferez  Galvillo ,  évêque 
de  Tarazona  ~.  On  dit  que  les  éclaireurs  du  prince  poussèrent 
jusqu'aux  murs  de  Béziers  ^. 

Avesbury  seul  raconte  ^  que  lorsque  la  nouvelle  du  sort  de  Nar- 
bonne arriva  à  Montpellier  les  habitants  se  mirent  à  l'œuvre  pour 
se  préparer  à  la  défense,  en  démolissant  leurs  faubourgs.  Les  gens 
de  l'Université,  les  religieux  qui  habitaient  ces  lieux  et  une  grande 
partie  de  la  population  se  réfugièrent  à  Avignon  afin  de  s'y  trouver 
sous  l'égide  du  pape  Innocent  VI.  Mais  le  pontife  lui-même,  nous 
dit  encore  Avesbury,  ne  se  sentait  guère  en  sûreté,  et  il  se  barricada 
derrière  les  portes  de  fer  de  son  palais.  Son  maréchal  alla  avec  500 
chevaliers  à  la  rencontre  du  prince  et  perdit,  si  l'on  peut  en  croire 
Avesbury,  jusqu'à  400  hommes  dans  une  mêlée.  Lui-même  fut  fait 
prisonnier  et  ne  recouvra  la  liberté  que  moyennant  une  rançon  de 
50.000  florins. 

Ayant  appris  par  des  prisonniers  que  le  comte  d'Armagnac,  le 
maréchal  Jean  de  Glermont  et  le  prince  d'Orange  voulaient  lui  couper 
le  retour  du  côté  de  la  Garonne  '^,  le  prince  organisa  sa  retraite,  en 
marchant  contre  l'ennemi  ;  il   arriva   le    soir   du   10   novembre^  à 

1.  Ainsi  le  prince  et  Winfçfîeld,  p.  435,  i41. 

2.  Le  5  novembre  1355,  Innocent  VI  écrivait  plusieurs  lettres  sur  l'invasion  du 
prince  de  Galles  en  Languedoc,  et  sur  les  deux  nonces.  Reg.  Vat.,  n"  237,  fol.  211  à 
214.  Une  lettre  est  dans  Rawald,  Ann.,  1355,  n°  27.  Le  20  novembre,  le  pape  avait 
déjà  reçu  des  nouvelles  ;  les  nonces  avaient  fait  un  rapport  de  leur  dangereux  voyage. 
Le  pape  leur  recommande  :  «  gallicas  et  anglicas  gentes,  si  tamen  non  multum 
distant,  sequamini  propius...  et  circa  id  vacetis  attentius  ne  partes  conveniant  ad 
congressum  ».  Ihid.,  fol.  238*'. 

3.  Chron.  de  Jacques  Mascaro,  dans  Bulletin  de  l.i  Soc.  archéol.  de  Bêziers  (1836), 
I,  81.  La  Chronique  Romane,  dans  Petit  Thalamus  (1840),  p.  351. 

4.  P.  423. 

5.  Lettre  du  prince,  et  Avesbury,  1.  c. 

6.  C'est  donc  une  fausse  assertion  de  Froissart,  p.  171,  378,  que  le  prince  séjourna 
cinq  jours  (p.  lxiii,  une  semaine  ;  voy.  encore  p.  379  et  A.  Molimer,  1.  c.)  à  Nai'bonne. 
Froissart  mentionne  encore  p.  168  Homps  et  Capestang  pour  la  route  du  prince 
avant  Narbonne.  On  rapporte  aussi  à  tort  Fanjeaux  avant  Garcassonne. 


IRtVUPTION    DU    PUINCI-:    DE    GALLES    EN    LANGUEDOC,    1355  91 

Aubian,  près  de  rétang-  de  Capestang.  Le  jour  suivant  on  avança 
très  péniblement;  à  défaut  d'eau  on  donna  du  vin  aux  chevaux. 
Enfin  on  arriva  à  Homps,  oii  les  officiers  du  comte  d'Armaj^nac 
avaient  passé  la  nuit  précédente.  Ainsi  on  comprend  facilement 
pourquoi  le  prince,  qui  voulait  rencontrer  l'ennemi,  avait  pris  ce 
chemin-là.  A  Azille  il  logea  chez  les  Frères  Mineurs  dont  la  cave, 
pleine  de  muscat,  fut  complètement  vidée.  Le  même  jour,  12  no- 
vembre, les  Anglais  détruisirent  Pépieux;  le  13,  en  marchant  vers 
le  Midi,  ils  arrivèrent  à  Comigne  ;  le  14,  ils  dévastèrent  tout  le  pays 
de  Praixan,  en  laissant  à  droite  Garcassonne  et  toute  la  route 
suivie  auparavant^.  Le  15  nous  trouvons  le  prince  à  Prouille,  dio- 
cèse de  Saint- Papoul,  où  se  trouvait  le  grand  monastère  des  sœurs 
dominicaines  avec  140  religieuses,  et  un  couvent  de  100  frères  Prê- 
cheurs'-. Le  prince  et  beaucoup  d'autres  de  sa  suite  furent  admis  à 
la  confraternité  spirituelle  de  la  maison^.  Le  même  jour,  néanmoins, 
une  partie  de  l'armée  anglaise  se  dirigea  vers  Limoux.  Cette  ville, 
plus  grande  que  Garcassonne^,  fut  prise,  livrée  au  pillage  et  aux 
flammes  et  presque  entièrement  détruite,  comme  nous  apprennent, 
en  dehors  de  l'Itinéraire,  quelques  documents  contemporains -^  Les 
dégâts  étaient  immenses  parce  que  la  ville  était  très  riche  et  avait 
une  industrie  florissante.  La  fabrication  des  draps  était  la  nourrice 
du  pays,  et  on  s'adonnait  avec  succès  au  commerce  des  grains  et  à 
la  minoterie.  La  pelleterie  aussi  occupait  une  partie  des  habitants^. 

1.  Froissart  dit,  p.  171  (vt)y.  p.  lxiii),  à  tort,  que  le  prince  reprit  le  chemin  de 
Garcassonne. 

2.  Bakeu  les  nomme  :  «  Prédicatrices  »,  et  avec  raison,  parce  que  les  sœurs  de 
Prouille  furent  appelées  :  «  Prècheresses  ».  Il  ne  se  trompe  pas  aussi  au  sujet  du 
nombre,  qui  était  toujours  (malgré  la  réduction  à  100)  de  140  à  150  sœurs.  Voy.  Reg. 
Vat.  Innocent.  VI,  n"  233,  loi.  139''  ad  1358,  Maii  11.  Le  nombre  des  Prêcheurs  est 
exagéré.  II  y  avait  25  frères  et  50  servants.  Voy.  Guihaud,  De  Prulianensi  monaslerio 
(1896),  p.  140. 

3.  «  Ubi  dominus  princeps  in  spiritualem  confraternitatem  domus  cum  multis  aliis 
dévote  fuerat  receptus  ». 

4.  Limoux  avait  en  13(55  «  quindccim  millia  personarum  ibidem  habitantium  vel 
circitcr  et  unam  dumtaxat  parochialem  ecclesiam  »,  S^  Martin,  prieuré  des  Frères 
Prêcheurs,  sous  la  dépendance  du  monastère  de  Prouille.  Reg.  Vat.  Urbani  V.  n°  254, 
fol.  124". 

5.  Ce  sont  des  lettres  du  comte  d'Armagnac  et  du  duc  de  Normandie  de  1356  à 
1358,  citées  dans  Fo>ds-Lamothe,  Notices  hisl.  sur  la  ville  de  Limoux  (Limoux,  1838), 
p.  141  suiv. 

6.  Fonds-Lamotuiî,  1.  c,  p.  74,  99  suiv..  102.  105, 


92  LA    GLEHKE    DE    CENT    ANS 

Il  V  avait  à  Limoux  des  Frères  Prêcheurs  et  des  Frères  Mineurs  ; 
ces  derniers  furent  forcés  d'abandonner  leur  couvent  situé  dans  les 
faubourgs  ^  Fanjeaux  et  d'autres  villes,  ainsi  que  tout  le  pays  à 
Tentour,  n'eurent  pas  un  meilleur  sort. 

Le  16,  le  prince  reprit  la  marche;  le  17,  on  arriva  à  la  grande 
abbaye  cistercienne  de  Boulbonne.  En  1359,  Gaston  Phœbus  voulait 
faire  réparer  les  cellules  des  moines  -.  Là,  le  dit  comte  de  Foix,  qui 
était  un  ennemi  du  comte  d'Armagnac,  vint  joyeusement  à  la  ren- 
contre du  prince,  lequel,  en  sa  faveur,  fît  grâce  à  la  contrée.  Près 
de  Miremont,  on  passa  TAriège;  la  ville  et  le  château  furent  brûlés. 
Le  18,  les  Anglais  franchirent  la  Garonne  près  de  Noé  dont  ils 
prirent  le  château-fort.  En  montant  sur  la  rive  gauche  ils  arrivèrent 
à  Carbonne,  ville  bien  fortifiée,  mais  qui  néanmoins  fut  prise 
aussi.  D'autres  sources  nous  informent  qu'elle  fut  détruite  3. 
Le  20,  ils  apprirent  que  l'ennemi,  divisé  en  cinq  corps  de 
bataille,  était  dans  le  voisinage.  Le  prince  disposa  ses  troupes  en 
ordre  de  bataille,  mais  l'ennemi  n'avait  guère  envie  de  se  battre. 
Barthélémy  Burghersh,  Jean  Chandos  et  Jacques  Audley  purent 
rejoindre  les  fuyards  ^.  Les  Anglais  passèrent  la  nuit  suivante  à 
Mauvesin,  celle  du  21  à  Auradé,  laquelle  ville  fut  ensuite  livrée  au 
feu.  En  continuant  la  marche,  le  22  novembre,  ils  apprirent  que 
l'ennemi  était  à  Gimont.  Le  prince  se  hâta  de  l'y  rencontrer,  et 
fondit  à  Aurimont  sur  400  hommes  d'armes  du  connétable,  qui 
furent  en  partie  mis  en  fuite,  en  partie  tués  ou  faits  prisonniers. 
Le  23,  à  Gimont,  on  apprit  que  l'ennemi  s'était  retiré.  Dans  leur 
marche  du  24  les  Anglais  manquèrent  d'eau  à  un  tel  point  qu'on  dut 
donner  du  vin  aux  chevaux,  dont  bon  nombre  s'enivrèrent  et 
périrent. 

En  laissant  Fleurance  à  droite ,  une  division  des  Anglais  arriva 
le  23  à  Réjaumont,  laquelle  ville  fut  jDrise  d'assaut   et  incendiée. 

1.  Innocent  VI  écrit  dans  sa  lettre  adressée  au  provincial  des  Mineurs  de  la  Pro- 
vence le  22  juin  1360  :  «  locus  fratrum...  olini  extra  muros  ville  Limosi,  Narbonnen. 
dioc,  existens,  propter  guerrarum  discrimina...  cum  ecclesia  et  omnibus  oflicinis  tota- 
liter  est  destructus  ».  Il  donne  la  permission  delà  translation, /îef/.^ yen.  Innocenl.  VI, 
n"  24,  fol.  498»'.  Voy.  encore  Reff.  Vat.  Urh.  V,  n"  254,  fol.  44. 

2.  Hisl.  de  Languedoc,  VIII,  col.  1919.  n°  217. 

3.  Le  28  août  1353  le  roi  accorde  des  faveurs  aux  habitants  pour  les  aider  à 
rétablir  leurs  maisons.  Ordonn.  des  i^ois,  III,  p.  82. 

4.  Voy.  encore  la  lettre  du  prince  dans  Avesuliu  ,  p.   434. 


IkHIJPTION    DtJ    PRlNCl:    DE    GALLES    EN    LAXilEDOC,    1355  98 

Une  autre  division  fut  à  «  Silarde^  »  le  même  jour.  Le  26,  il  vint  à 
la  connaissance  du  prince  que  le  connétable  attribuait  la  fuite  des 
troupes  au  comte  d'Armagnac.  Le  27,  on  passa  la  Baïse  et  l'on 
arriva  à  «  Le  Serde  ~  »,  ville  conquise  jadis  par  le  duc  de  Lancaster, 
à  une  lieue  de  distance  de  Condom.  Le  28,  on  entra  à  Mezin,  qui 
appartenait  déjà  aux  Anglais.  A  partir  de  là,  la  marche  fut  paisible. 
Le  30,  les  uns  arrivèrent  à  Gasteljaloux ,  et  le  l*""  décembre  à 
Meilhan,  tandis  que  les  autres,  côtoyant  l'abbaye  cistercienne  de 
«  Montguilliam  w-^,  c'est-à-dire  Fontguillème,  et  la  forêt  royale  dite 
«  Bois  maiour  »  ou  «  lou  Bosc  Majou^  »,  se  dirigèrent  sur  La 
Réole,  où  le  prince  lui-même  arriva  le  2  décembre^. 

Cette  expédition  dura  huit  semaines  pendant  lesquelles  on  se 
reposa  à  peine  onze  jours ''',  et  500  endroits  à  peu  près,  ainsi  que  plu- 
sieurs grandes  villes  furent  saccagés  et  détruits  par  les  flammes  '^. 
Quel  fut  le  résultat  de  cette  expédition  ?  Le  prince  put-il  conqué- 
rir un  territoire  français?  Nullement.  Il  se  proposait  surtout  de 
piller  et  de  ravager  un  des  plus  riches  pays  de  la  France,  d'où  le 
roi  tirait  ses  plus  grandes  ressources  pour  faire  la  guerre.  Wing- 
fîeld  raconte  ^  que  depuis  le  commencement  de  la  lutte  avec  la 
France,  on  n'avait  vu  pires  destructions  que  durant  cette  incur- 
sion du  prince  de  Galles.  Le  pays,  ajoute-t-il,  et  les  endroits  en 
question,  qui  furent  dévastés  et  détruits,  avaient  fourni  à  la  guerre 
du  roi  de  France  plus  de  subsides  que  toute  la  moitié  du  royaume. 
Garcassonne  par  exemple,  Limoux,  et  deux  autres  villes  près  de 
Garcassonne,    payaient   chaque   année   pour  le  roi    de   France   les 

1.  Thompson  propose  d'identifier  ce  pays  avec  S^*  Radegonde. 

2.  Le  môme  propose  Lagardère. 

3.  Le  môme  propose  à  tort  «  Montpouillon  »,  L'abbaye  cistercienne  de  Font^uil- 
lème  était  située  dans  le  canton  de  Grignols.  Voy.  O'Reilly,  Essaie  etc.,  p.  359. 

4.  Thompson  ne  donne  pas  d'explication.  Mais  cf.  O'Reilly,  p.  367.  Il  y  avait 
encore  «  Mages  Sylvas  »,  c'est-à-dire  «  Masseilles  »,  ibid.,  p.  359. 

5.  B'roissakt  dit  donc  à  tort  p.  lxiii,  que  le  prince  a  repassé  la  Garonne  à  Port- 
Sainte-Marie.  Il  mentionne  aussi  après  le  séjour  à  Limoux  les  villes  de  Fougar  et  de 
Rodes  (Ariègc).  J'ajoute  que  la  seconde  lettre  de  W'ingfield  a  induit  S.  Lice,  1.  c, 
not.  4,  à  admettre  que  le  prince,  sur  la  route  de  Gimont  à  Bordeaux,  réduisit  six 
villes  et  dix-sept  châteaux.  Mais,  comme  j'ai  déjà  dit,  la  seconde  lettre  ne  s'occupe 
pas  de  l'invasion  du  prince.  Du  reste  les  six  villes  n'étaient  pas  sur  sa  route. 

6.  Wingfîcld  dans  Aveshuiiy,  p.  442. 

7.  AvEsnuHY,  p.  432.  Le  chapitre  a  pour  litre  :  «  De  terribili  et  mirahili  pi-ogressu. 
quom  pi'inccps  ^^^^llia(^..  iVcerat  ». 

s.   //>/(/.,  p.  4i2. 


94  LA    GUERRK    DE    CENT    ANis 

gages  de  1000  hommes  d'armes  et  encore  100.000  écus  d'or  pour 
entretenir  la  guerre.  Les  endroits  détruits  dans  le  Toulousain,  le 
Garcassonnois  et  le  Narbonnais  fournissaient  en  outre  chaque  année 
pour  aider  à  couvrir  les  frais  de  la  guerre,  plus  de  400.000  écus  d'or, 
ainsi  que  les  habitants  eux-mêmes  le  racontaient  aux  Anglais. 
Avec  l'aide  de  Dieu,  conclut  Wingfîeld,  et  si  le  prince  a  les  moyens 
de  continuer  la  guerre,  les  Anglais  pourraient  facilement  élargir 
leur  territoire  et  conquérir  beaucoup  d'endroits,  «  car  noz  enemys 
sount  moult  estonez  ». 

Le  prince  était  donc  arrivé  le  2  décembre  à  La  Réole.  11  assigna 
aux  différents  corps  de  troupes  leurs  quartiers  d'hiver,  choisissant 
de  préférence  les  places  qu'il  était  nécessaire  de  protéger  contre  les 
Français^.  Warwick  par  exemple  campait  à  La  Réole,  Salisbury  à 
Sainte-Foy,  Sull'olk  à  Saint-Emilion'.  Mais  ni  ceux-ci,  ni  Jean 
Ghandos,  Jacques  Audley,  Renaud  Gobham,  Barthélémy  Burghersh, 
le  captai  de  Buch  ne  restèrent  oisifs  pendant  l'hiver.  Ils  s'empa- 
rèrent de  plusieurs  places  fortes  et  villes  '^.  Le  prince  retourna  en 
Guienne  et  séjourna  tantôt  à  Bordeaux,  tantôt  à  Libourne.  Sa  divi- 
sion stationnait  à  Libourne  et  à  Saint-Emilion^ 

J'ai  déjà  mentionné  plusieurs  églises  et  monastères  détruits  ou 
ruinés  pendant  l'invasion  du  prince  de  Galles  en  Languedoc. 
L'évéque  de  Garcassonne  vit  beaucoup  de  ses  maisons  hors  de  la 
ville  détruites, et  ses  terres  incultes  et  désertes^.  On  nomme  encore  le 
prieuré  des  religieuses  de  Saint- Augustin,  dans  la  banlieue  de  Car- 


1.  Baker,  p.  138  suiv.  Voy,  encore  la  seconde  lettre  de  Wingfîeld  à  Richard  de 
Stafford,  dans  Avesbury,  p.  447. 

2.  Le  Prince  Noir.  Poème  du  héraut  d  armes  Chandos,  éd.  Michel,  v.  068  suiv. 

3.  Voyez  sur  ces  conquêtes  la  lettre  citée  de  Wingfîeld,  p.  446  suiv. 

4.  Wingfîeld,  p.  447. 

5.  «  Oblate  nobis...  Gafîridi  episcopi  Garcassonen.  petitionis  séries  continebat 
quod  extra  clausuram  burgi  Garcassonen,  quedam  hospitia  pro  majori  parte  diruta 
et  combusta  cum  certis  ortis,  areis,  et  prediis  eis  contiguis,  et  in  certis  aliis  partibus 
quedam  possessiones  terre  et  bona  aiia  ad  niensam  suam  episcopalem  spectantia  exi- 
stunt  exquibus  per  eum  et  mensam  pred.  modicum  comniodum  reportatur,  et  ex  ipsis 

si  in  eniphiteosim perpétue  darentur  magna  ipsis  episcopo  et  mense  utilitas  pro- 

veniret;  nonnulla  etiam  possessiones  feuda  et  bona  alia  ab  eisdem  episcopo  et 
mensa...  in  emphiteosim  seu  ad  certain  portioneni  tenentur  que  proptcr  magnitudi- 
nem  censuum  pensionum...  hujusmodi  et  temporum  malitiam  pro  majori  parte  inculta 
et  deperta  rémanent...  [Papa  dat  licentiam  dicta  hospitia  seu  territoria,  hortos,  areas, 
in  emphyteusim  dandi].  Reg.  Aven.  Innoc.  VI,    n"  21,  fol.   569,  ad  an.  1359,  .Tun.  8. 


LA    CINQUIÈME    INVASION    DU    KOI    ÉDOUAHD.     \'M)i\  9o 

cassonne,  plus  tard  rebâti  dans  la  ville  ^.  Je  suis  persuadé  que 
plusieurs  des  monastères  énumérés  dans  le  chapitre  V  furent 
détruits  en  133^);  d'autres  tombèrent  victimes  des  nouvelles  forti- 
fications, car  à  la  suite  de  cette  invasion,  les  villes  du  Lang^uedoc 
travaillaient  activement  à  la  réparation  de  leurs  anciennes  murailles, 
et  à  la  construction  de  nouvelles  défenses.  La  facilité  des  conquêtes 
du  prince  de  Galles  s'explique  par  le  fait  que  la  plupart  des  places 
prises  par  lui  étaient  ouvertes  ou  mal  fortifiées.  La  nécessité  de 
construire  des  remparts  s'imposait,  les  g'randes  villes  donnèrent 
l'exemple;  telles  furent  Narbonne  et  Béziers  en  1356  et  1357-, 
Montpellier  entreprit  également  en  L356  la  réparation  des  vieilles 
fortifications  en  même  temps  que  la  construction  de  nouvelles,  et 
le  i^''  mars,  Innocent  VI  exprime  le  désir  de  voir  les  ecclésias- 
tiques y  contribuer  aussi  de  leurs  deniers*^.  A  Carcassonne,  on 
avait  commencé  à  entourer  de  murs  et  de  fossés  le  bourg-  et  les 
faubourgs,  après  que  le  prince  de  Galles  les  avait  dévastés;  en 
1363,  l'œuvre  touchait  à  son  achèvement,  et  le  7  octobre,  Urbain  V 
ordonne  aux  ecclésiastiques  d'y  apporter  leur  obole  ^.  Les  cou- 
vents situés  hors  des  villes  furent  détruits  à  cause  de  ces  travaux. 
Tel  fut  le  sort  des  Carmes  à  Carcassonne  ^,  à  Lodève  6,  à  Lunel  ^, 
laquelle  ville  fut  fortifiée  dès  l'an  1356,  comme  nous  le  savons  par 
une  lettre  d'Innocent  VI  '.  II  en  arriva  de  même  à  Montpellier^,  à 
Condom^^,  etc. 

2.  La  cinquième  invasion  du  roi  Edouard  en  France, 

Edouard  et  le  duc  de  Lancaster  s'embarquèrent  au  mois  de  juin 
ou  de  juillet  l'embouchure  de  la  Tamise,  accompagnés  de  beaucoup 

1.  S.  Luge  dans  Froissaut,  IV,  p.  lxi,  not.  2. 

2.  Hist.  gén.  de  Languedoc^  X,  n""  452,  453,  IX,  p.  653  suiv.,  655,  not. 

3.  Reg.  Vat.,  n"  244  F,  ep.  33;  Reg.  Aven.  Innoc.  VI,  n"  12.  fol.  463. 

4.  Reg.  Vat.,  n"  252,  fol.  llS**.  Voy.  encore  S.  Luce  dans  Froissaht,  p.  lxi,  not.  1. 

5.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  24,  fol.  483'',  ad  an.  1360,  Martii  23. 

6.  Ibid.,  n»  21,  fol.  559'',  ad  an.  1359,  April.  12. 

7.  Ibid.,  n»  24, fol.  546,  ad  an.  1360,  Novemb.  13. 

8.  Ibid.,  n°  12,  fol.  462'',  ad  an,  1356,  Febr.  12:  «  Propter  guerrarum  discrimina 
que  in  illis  partibus  ingruere  formidantur,  quedam  fortalitia  pro  tuitione  et  defen- 
sione  dicte  ville  et  partiuni  vicinaruni  construere  ceperunt  opère  plurinium  sump- 
tuoso  ».  La  municipalité  de  Lunel  prie  et  obtient  la  contribution  des  ecclésiastiques. 

9.  Ihid.,  n°  13,  fol.  195,  ad  an.  1356.  Jan.  19. 

10.  Ihid.,  n"  13,  fol.  264.  ad  an.  1356.  Aug.  5. 


l)(j  LA    GUERRE    DE    CENt    ANS 

de  navires  pour  rencontrer  les  messagers  de  Charles  le  Mauvais, 
dans  la  direction  des  îles  Guernesev  et  Jersev.  Mais,  les  vents  étant 
contraires,  ils  arrivèrent  à  g-rand'peine  à  Portsmouth,  où  ils  atten- 
dirent longtemps  un  vent  favorable^ ,  pendant  que  Charles  le  Mau- 
vais, alors  son  allié  contre  le  roi  de  France,  arrivait  à  Cherbourg. 
Ce  dernier,  ayant  appris  la  nouvelle  de  la  prochaine  descente 
du  roi  d'Angleterre  en  Normandie,  envoya  à  Cherbourg  des  mes- 
sagers qui  parvinrent  à  détacher  le  roi  de  Navarre  de  l'alliance  avec 
Edouard  et  le  décidèrent  à  faire  la  paix  avec  Jean,  roi  de  France.  A 
la  nouvelle  de  la  défection  de  ce  dernier,  le  roi  d'Angleterre  renonça 
à  descendre  en  Normandie,  et  retourna  en  Angleterre.  Je  parlerai 
dans  le  prochain  paragraphe  de  toute  l'histoire  de  Charles  le  Mauvais. 

Le  12  septembre  2,  Edouard  lit  crier  dans  les  rues  de  Londres  que 
tous  les  chevaliers,  etc.  se  tinssent  prêts  à  partir  de  Sandwich 
pour  Calais  le  29  du  même  mois.  Il  avait  entendu  dire  que  le  roi  de 
France  pensait  s'y  rendre  avec  une  grande  armée  ^.  Edouard  s'em- 
barqua donc  à  Sandwich  avec  son  armée  qui  n'était  pas  très  nom- 
breuse, arriva  à  Calais,  et  en  quittant  cette  ville  le  2  novembre 
s'avança  vers  l'ennemi^.  Ce  dernier  s'était  trouvé  à  Amiens  le  5  et 
le  7  du  même  mois  5,  avec  12.000  hommes  d'armes  et  30.000  gens 
des  communautés.  La  bataille  ne  fut  pas  livrée. 

Lorsque  les  chroniqueurs  tâchent  d'en  expliquer  les  raisons, 
leurs  récits  se  contredisent  autant  que  lorsqu'il  s'agit  d'expliquer 
pourquoi  en  1339  on  ne  livra  point  de  bataille  à  Buironfosse. 

D'après  les  chroniqueurs  anglais,  le  roi  Jean,  qui  se  trouvait  à 
Saint-Omer,  informé  de  l'ordre  et  de  la  tenue  de  l'armée  anglaise, 
parle  chevalier  Boucicaut,  n'aurait  osé  attendre  ses  adversaires  et  se 
serait  retiré  devant  eux,  en  ayant  soin  d'enlever  tous  les  approvi- 

1.  Voy.  la  relation  de  Gautier  de  Masny  au  parlement  anglais,  novembre  1355,  dans 
Rot.  Parliament.,  II,  p.  264,  et  AvEsnuRV.p.  425;  Kmghtox,  p.  80.  Selon  Baker,  p.  239, 
le  duc  seul  était  avec  la  flotte.  Sur  la  date,  v.  Lemoixe,  dans  Richard  Lescot,  p.  239. 

2.  AvESBURY,  p.  427  :  «  die  sabbati  post  festum  Nativitatis  B.  Marie  »,  c'était  en 
1355  le  12  septembre,  et  non  le  11  septembre,  comme  écrit  S.  Luce,  dans  Froissart, 
IV,  p.  LV,  not.  3. 

3.  AvESBURY,  1.  c.  Voy.  S.  Luce,  1.    c,  sur  l'intention  du  roi  de  France. 

4.  Rot.  Pari.,  II,  p.  291;  Avesb.,  p.  428;  Contin.  Murimuth.,  éd.  Hoo,  p.  186; 
Kmghton,  p.  84. 

5.  L'Itinéraire  du  roi  de  France  a  été  noté  par  S.  Lice  dans  Froissart,  p.  i.v. 
not.  3. 


LA    CINOLIK.MK    l.NVASIO.N    Dl'     HOI    ÉDOLAl'.D,     l'J^ïj  97 

sionnements,  afin  de  les  aframer.  En  effet,  le  roi  d'Angleterre,  qui 
s'était  avancé  jusqu'à  Hesdin,  se  vit,  dit-on,  obligé  de  rebrousser 
chemin  sur  Boulogne  ;  une  grande  partie  de  son  armée  n'avait  eu  que 
de  l'eau  à  boire  durant  plusieurs  jours.  Le  14  novembre,  il  était  déjà 
de  retour  à  Calais.  Le  lendemain,  des  délégués  français  y  seraient 
arrivés  et  auraient  proposé  de  fixer  la  bataille  au  mardi  17  no- 
vembre, tandis  que  le  duc  de  Lancaster,  le  comte  de  Northampton  et 
Gautier  de  Masny  exigeaient  au  nom  du  roi  Edouard  un  combat  sin- 
gulier avec  le  roi  Jean,  auquel  prendraient  part  leurs  premiers-nés 
et  quelques  chevaliers  d'élite.  La  couronne  de  France  aurait  été  le 
prix  du  vainqueur.  Les  Français  toutefois  éludèrent  cette  proposition 
et  demandèrent  la  bataille  pour  le  17.  Les  Anglais  la  fixèrent  au  13 
ou  au  14  novembre,  ce  que  les  Français  refusèrent.  Enfin  on  tomba 
d'accord  pour  le  17.  Mais  les  Français  ne  voulant  pas  accepter 
toutes  les  conditions  posées  par  leurs  adversaires,  ceux-ci  remirent 
la  bataille  au  28  décembre  ;  et  ainsi  les  deux  rois  allèrent  prendre 
leurs  quartiers  d'hiver  ^ 

Selon  les  chroniqueurs  français  eux  aussi,  le  roi  d'Angleterre 
se  serait  avancé  jusqu'à  Hesdin,  mais  en  apprenant  que  le  roi  de 
France  Amenait  à  sa  rencontre  aA^ec  des  forces  nombreuses,  il  n'aurait 
pas  osé  l'attendre,  et  se  serait  retiré  à  Calais  <(  en  ardant  et  pillant 
le  païs  où  il  passait  ».  Le  roi  de  France  l'aurait  suivi  jusqu'à  Fau- 
quembergue,  lui  proposant  par  ses  envoyés  de  se  mesurer  dans  un 
combat  singulier  ;  Edouard  toutefois  l'aurait  refusé  et  serait 
retourné  en  Angleterre  ~. 

Il  est  probable  que  l'exacte  vérité  ne  se  trouve  pas  plus  d'un  côté 
que  de  l'autre.  Toutefois,  j'ai  peine  à  admettre  que  toutes  les  parti- 
cularités si  minutieusement  racontées  et  datées  par  Avesbury  soient 
inexactes.  Bien  des  détails  d'ailleurs  coïncident  avec  le  récit  qu'on 
trouve  dans  les    Grandes  Chroniques    et   dans  Froissart^.   Il   me 

1.  AvKsn.,  p.  428  suiv.  Voy,  la  relation  de  Gautier  de  Masny  dans  Rot.  Pari..  1.  c; 
Cfiron.  de  Baker.,  p.  125  suiv.  et  p.  291  ;  Contin.  Murimuth.,  1.  c.  ;  Kmohton,  1.  c. 

2.  Grand,  chron.,  VI,  p.  18  ;  Chronogr.,  II,  p.  255  suiv.  ;  Chron.  normande,  p.  299  ; 
Fhoissaut,  p.  LV  suiv.  A'^oy.  encore  Jiîax  de  Venfttii:,  p.  229,  et  Bourgeois  de  Valen- 
ciennes.,  p.  279. 

3.  E.  MoLiMEH,  Elude.,  etc.,  p.  50,  not.  6,  écrit  que  S.  Lucu  a  rectifie  de  nom- 
breuses erreurs  d'Avesbury  à  ce  sujet.  Mais  S.  Luce  (Froissaut,  p.  lv,  not.  3)  a 
trouvé  seulement  une  chose  «  de  toute  fausseté  ».  Par  lltinéj'aire  du  roi  de  France. 
Luce  voulait  prouver  que  le  roi  Jean,  loin  de  se  retirer  devant  les  Anjçlais,  ne  cessa  au 

R.  V.  Denule.  —  Desolat/0  ecch'siunim  II.  7 


98  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

semble  que  ni  Edouard  ni  Jean  ne  songeaient  sérieusement  à  se 
livrer  bataille.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  chroniqueurs  tant  français 
qu'anglais  tombent  d'accord  sur  un  fait  qui  reste  certain,  c'est  que 
les  Anglais  ont  fortement  dévasté  le  pays,  surtout  dans  leur 
retraite  par  Boulogne  sur  Calais.  Les  diocèses  d'Arras  et  de  Thé- 
rouanne   furent  de  nouveau  rudement  éprouvés. 

Le  6  novembre,  les  Ecossais  avaient  surpris  Berwick  ;  les  Irlan- 
dais eux  aussi  étaient  en  révolte.  Edouard  avait  hâte  de  repasser  la 
Manche. 

3.   Les  préludes  du  désastre.  Charles  le  Mauvais.  Son  double  jeu 
avec  Innocent  VI  et  le  roi  de  France. 

Charles  II,  dit  le  Mauvais,  fils  aîné  de  Philippe  le  Bon,  comte 
d'Evreux  et  roi  de  Navarre  (mort  en  1343),  et  de  Jeanne  de  France, 
ayant  17  à  18  ans  à  la  mort  de  sa  mère,  lui  succéda  dans  sa  double 
souveraineté  en  1349,  et  épousa  en  1352  Jeanne  de  France,  la 
propre  fille  du  roi  de  France,  dont  il  était  lieutenant  en  Languedoc 
dès  1351.  Ce  prince,  comme  dit  très  bien  S.  Luce,  fut  la  perfidie 
en  personne.  «  Il  y  avait  du  serpent  et  du  tigre  dans  ce  petit 
homme  d'allure  féline,  à  l'œil  vif,  au  regard  chatoyant,  d'une 
faconde  intarissable,  qui  faisait  d'abord  patte  de  velours,  même  aux 
gens  qu'il  voulait  égorger^.  »  Sous  les  apparences  les  plus  gra- 
cieuses, il  cachait  une  fourberie  qui  ne  connaissait  aucun  scrupule. 
Non  seulement  les  barons  du  Cotentin  ne  surent  pas  résister  aux 
séductions  de  cet  esprit,  mais  Innocent  VI  même  fut  pris  par  lui. 
Ce  prince  qui,  en  sa  présence  et  dans  ses  lettres  adressées  au  pape, 
jouait  toujours  le  rôle  d'un  innocent  et  d'un  ami  de  la  France,  était 
blessé  de  voir  son  royal  beau-père  accorder  toutes  ses  faveurs  à 
Charles  de  la  Cerda  d'Espagne.  Celui-ci  avait  été  fait  connétable 
dès  janvier  1351,  et  le  roi  Jean  lui  avait  donné  plusieurs  châteaux, 
antérieurement  assignés  à  la  famille  de  Navarre  2.  A  dater  de  ce 

contraire  de  s'a\  uncei*  à  leur  rencontre.  Toutefois  Avcsljury  dit  que  le  roi  d'Angle- 
terre s'était  retiré  à  Calais;  alors  Tavancenient  du  roi  de  France  n'offrait  aucun  dan- 
ger pour  lui.  L'Itinéraire  ne  contredit  pas  le  récit  d'Avesbury,  qui  est  un  chroni- 
queur des  plus  exacts. 

1.  Guesclin^  p.  240.  Voy,  Dui'Ont,  1.  c,  332.  n 

2.  Voy.  Luci:  dans  Kkoissaht,  p.  r,  not.  2. 


CIIAULKS    Li:   MAUVAIS,    1354   A    1356  îiO 

moment,  les  enfants  de  Navarre  vouèrent  au  favori  une  haine  mor- 
telle. 

Le  8  janvier  1354,  Charles  d'Espagne,  se  trouvant  dans  un 
petit  village  situé  près  de  L'Aigle  en  Normandie,  y  fut  assassiné 
dans  son  lit  par  plusieurs  gens  d'armes,  émissaires  du  roi  de 
Navarre.  Le  comte  Jean,  Godefroy  et  Louis  d'Harcourt,  et  Philippe 
de  Navarre  furent  les  témoins  de  ce  meurtre  ^  A  la  nouvelle  de 
l'assassinat  de  son  connétable,  le  roi  de  France  confisqua  le  comté 
d'Evreux  et  tout  ce  que  le  roi  de  Navarre  possédait  en  Normandie. 
Il  fit  aussi  envahir  la  Navarre  par  les  comtes  de  Comminges  et 
d'Armagnac,  mais  le  comte  de  Foix,  Gaston  Phœbus,  allié  de 
Charles  le  Mauvais,  alla  porter  la  guerre  en  Armagnac  '-. 

Ici  commence  le  mauvais  jeu  que  le  roi  de  Navarre  joua  avec 
Innocent  VI  et  avec  le  roi  de  France.  J'en  donnerai  la  preuve  par 
des  documents  encore  inédits. 

Il  semble  que  déjà,  avant  le  19  janvier,  Charles  ait  écrit  au  pape 
au  sujet  du  meurtre  ^.  C'est  seulement  la  réponse  à  lui  adressée  par 
Innocent  VI,  le  16  février,  qui  nous  apprend  comment  Charles  a 
expliqué  TafTaire.  Loin  de  s'avouer  coupable,  il  accuse  le  conné- 
table, prétendant  qu'il  a  été  offensé  et  provoqué  par  de  paroles 
déshonorantes  à  l'adresse  de  sa  personne  et  de  ses  amis  -*,  de  sorte 
que  le  pape  ne  lui  adresse  aucun  reproche  et  lui  recommande  sim- 
plement la  bonne  entente  avec  le  roi  de  France  ;  il  se  montre  même 
touché  de  la  tendresse  filiale  avec  laquelle  Charles  s'informe  de 
l'état  de  sa  santé.  D'autre  part,  le  pape  invite  le  roi  de  France  à 
supporter  avec  calme  le  meurtre  qui  vient  d'être  commis,  afin 
d'éviter  tout  désaccord  avec  le  roi  de  Navarre  ^. 

1.  Voy.  surtout  Secoussr,  Mém.  pour  acrcir  h  Vhist.  de  Charles  II  dît  le  Mauvais 
(1758),  p.  31  suiv.,  33.  Son  l'écit  à  la  pajic  31  est  tire  de  la  déposition  de  Fri(|uct. 
jçouvcrneur  de  Caen  pour  Charles  le  Mauvais,  dans  Secousse,  Preuves  de  Vhist. 
de  Charles  H  (1755),  p.  49  suiv.  Voy.  encore  Grand.  Chron.,  VI,  p.  7  suiv,;  Chron. 
des  quatre  premiers  Valois,  p.  26;  Fuoiss.vut,  p.  li  ,  not.  1.  Je.vx  de   Vexette,  p.  227. 

2.  Fhoissaut,  1.  c. 

3.  liecj.  Vat.,  n"  236,  fol.   12. 

i.  Charles  avait  aussi  écrit  au  roi  Jean  et  au  duc  de  I.ancaster  de  la  même 
manière.  Voy,  ses  lettres  du  10  janvier  dans  les  Œuvres  de  Froissart,  éd.  Keuvyn  pe 
LinTii.NHovE,  XA'^III,  p.  350  suiv.,  et  la  déposition  de  Friquet. 

5.  Rc(f,  Vat.,  n"  236,  fol.  29*^,  ad  an.  1354,  Februarii  16  :  «  Garissimo  in  Christo  filio 
Carolo  régi  Navarre  illustri,  salutem,  etc.  Magnitudinis  tue  litteras  bénigne  reccpi- 
mus,  per  ([uas  nobis  casum  quondam  Caroli  de  Ispania  nunciasti.  Quibus  diligentçr 


100  LA   GUERKK    DE    CE>T    ANS 

Le  roi  de  France  s'aperçut  bientôt  que  ses  ennemis  saisissaient 
Foccasion  de  se  lig'uer  contre  lui,  et  une  réconciliation  avec  son 
gendre  eut  lieu  à  Mantes,  le  22  février  1354,  par  l'intermédiaire  et 
sous  la  présidence  du  cardinal  Gui  de  Boulogne.  Non  seulement 
Charles  le  Mauvais  rentra  en  possession  de  ses  biens  confisqués, 
mais  il  reçut  encore  les  vicomtes  de  Beaumont-le-Roger ,  Breteuil, 
Couches,  Orbec  ,  Pont-Audemer  et  les  bailliages  et  pays  du  Coten- 
tin.  En  outre,  ceux  qui  avaient  été  des  complices  dans  le  meurtre 
du  connétable,  pouvaient  devenir  et  demeurer  toujours,  s'il  leur  plai- 
sait, hommes  du  roi  de  Navarre  '.  Mais  lui,  ses  frères  et  ses  sœurs 
ratifieraient  la  renonciation,  à  la  Champagne  et  à  la  Brie,  faite  par 
leur  père  et  leur  mère. 

Ce  fut  un  grand  malheur  pour  la  Normandie  et  pour  toute  la 
France.  Par  là  Charles  le  Mauvais  devint  presque  le  souverain  de 
toute  la  partie  de  la  province  comprise  entre  la  Seine  et  l'Océan. 
Son  allié,  Godefroy  d'Harcourt,  sire  de  Saint-Sauveur,  qui  en 
1346  avait  montré  au  roi  d'Angleterre  le  passage  en  Normandie, 
profita  de  l'occasion  pour  satisfaire  sa  haine  privée  contre  Nicolas 
sire  de  ChifFrevast,  capitaine  du  château  de  Cherbourg-,  et  la 
même  année  (1354),  il  devint  l'âme  d'une  coalition  contre  le  roi  de 
France,  appelée  la  conspiration  des  «  trois  cents  gentilshommes». 
Les  conjurés  proposaient    au  roi  de  Navarre  de    devenir    duc  de 

inspectis  et  auditis,  que  dil.  filius  magister  Adam  de  Franconvilla ,  phisicus  tiius, 
nobis  pro  parte  tua  prudenter  et  provide  reseravit,  displicuit  et  displicet  nobis  valde, 
si  dictus  Carolus  vel  facto  vel  verbo  ort'endit  in  aliquo  te  vel  tuos.  Tu  vero,  carissime 
fili,  quante  sit  ellicacie  virtus  huniilitatis  considerans,  et  intuens,  quod  ex  domo 
Francie  natis  parentibus  originem  ducis,  sic  te  humilies,  sic  exhibeas  mansuetum, 
sicque  te  habeas  in  hac  parte,  sicut  de  circunspectionc  tua  plene  confidimus,  pro- 
vide ac  discrète,  quod  in  domo  ipsa  scissura,  quam  ab  ea  faciat  Dominus  alienam, 
nuUa  omnino  nascatur,  quinimo  in  solita  et  solida  unitate  continue  perseverct. 
Ceterum  statum  nostrum  de  quo  certiorari  filiali  studio  petiisti  tibi  incolumem  nun- 
tiamus.  Datum  Avinione  xiiij  kal.  Martii  anno  secundo.  »  —  Et  au  roi,  ibid., 
fol.  29''  :  «  Licetcasus  quondam  Caroli  de  Ispania,  quem  multorum  ad  nos  insinuatio 
fide  digna  perduxit,  displicuerit  valde  nobis,  quia  tamen  necesse  est  ut  scandala 
veniant  et  non  possunt  preterita  revocari,  expedire  credimus,  multis  considerationi- 
bus  persuasi,  quod  serenitas  tua  id  ecjuanimiter  ferat  et  quadam  mansuetudine 
bénigne  supportet  »  ,  etc. 

1.  Voy.  le  traité  de  Mantes  dans  Secousse,  Preuves^  etc.,  p.  33  à  35.  Cf.  Delisle, 
Hist.  du  château  et  des  siî-es  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte,  p.  72;  DuroiXT,  Hist.  du 
Cotentin,  II,  332  suiv.  C'était  surtout  Gui,  cardinal  de  Boulogne,  qui  favorisait  Charles 
le  Mauvais.  Voy.  Secousse,  Mém.,  41,  et  le  Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  273. 

2.  ^'oy.  Delisle  et  Duro.xT,  1.  c. 


LIBRARY 


CHARLES   LE    MAIVAIS,     1354    A    I.S.'if)  101 

Normandie,  et  les  habitants  de  cette  contrée  n'auraient  plus  alors 
relevé  que  de  lui  seul.  Gomme  duc  de  Normandie,  il  leur  promettait 
de  conserver  tous  leurs  anciens  privilèges.  Une  partie  de  la  Basse- 
Normandie  se  laissa  gagner,  mais  les  villes  de  Baveux,  Caen, 
Evreux  et  plusieurs  autres  ne  promirent  leur  adhésion  que  si  Rouen 
était  des  leurs.  Rouen,  toutefois,  sous  l'archevêque  Pierre  de  la 
Forêt,  chancelier  de  France,  resta  fidèle  au  roi  de  France,  comme 
en  général  la  majeure  partie  des  nobles  de  la   Haute-Normandie  ^ 

Depuis  ce  temps  Charles  le  Mauvais  aspira  au  trône  de  France  et 
ne  cessa  de  machiner  la  mort  du  roi  Jean  et  des  princes  du  sang, 
ainsi  que  son  propre  chancelier,  Thomas  de  Ladit,  le  confessa 
devant  le  dauphin  au  commencement  du  mois  d'août  1358  -. 

Innocent  VI,  mal  informé  des  desseins  du  roi  de  Navarre  et  de 
ses  alliés  pensait,  ainsi  que  le  prouve  une  lettre  du  22  octobre  135i, 
que  Charles  s'éloignait  seulement  du  roi.  Il  restait  persuadé  que 
le  Navarrais  était  plein  de  zèle  pour  défendre  l'honneur  du  roi. 
Néanmoins,  dans  le  but  de  faire  taire  les  calomniateurs,  il  l'exhorte 
à  se  rapprocher  du  roi,  à  l'assister  de  son  conseil,  à  maintenir 
enfin  la  concorde  entre  eux.  La  «  vertu  bien  éprouvée  »  de  Charles 
empêchait  le  Saint-Père  de  croire  à  la  perfidie  de  cet  homme  -^ 
qui,  dans  son  cœur,  était  ennemi  de  la  maison  de  France. 

1.  Dupont,  p.  338.  L'archevêque  de  Rouen,  mieux  que  le  pape,  connaissait  Charles 
le  Mauvais.  Malgré  la  réconciliation  de  ce  dernier  avec  le  roi,  à  Mantes,  il  se  méfiait 
encore  de  Charles  qui  lui  |;,ardait  rancune  ainsi  qu'à  plusieurs  autres,  tels  que  lévcque 
de  Châlons  et  Simon  de  Bussy.  Le  pape  se  vit  oblige  de  recommander  à  Charles  de 
modérer  l'animosité  de  ses  sentiments  à  légard  de  ceux  qui  agissaient  comme  de 
fidèles  serviteurs  du  roi.  Reg.Vnt.,  n"  236,  fol.  40'',  41'',  ad  Mart.  12  et  16.  Dans  cette 
dernière  lettre,  il  l'exhorte  aussi  avec  beaucoup  de  ménagements  à  se  réconcilier  avec 
le  roi.  Voy.  Rayxald,  Ann.,  1354,  n"  19. 

2.  Voy.  ci-dessous,  chap.  III,  §  1,  et  surtout  §  3. 

3.  Reff.  VhI.,  n"  236,  l'ol.  186,  ad  an.  1354,  Octobris  22  :  «  Carissimo  in  Chr.  filio 
Carolo  régi  Navarre  illustri,  salutem,  etc.  Quanta  sit,  fili  carissime,  unitatis  virtus  et 
quanta  efîicacia  caritatis,..  Sicut  refcrentibus  multis  audivimus,  tu  qui  originem  de 
dara  Francoi'uin  douio  ex  parcntibus  utrisque  traxisti  et  qui  carissimo  in  Chrislo  filio 
nostro  Johanni  régi  Francorum  illustri  tanta  sanguinis  proximitate  conjungeris  ut 
ipsam  quoquc  filiam  ejus  habcs  uxorem,  te  ab  eo  indccenter  elongas,  conversatione 
facis  extraneum  ac  reddis  ({uibusdam  peregrinis  moribus  alienum.  Que  tanto  moles- 

tius fcrimus,  tantoque  proinde  in    intimis   gravius   sauciamur,    quanto non 

desunt  peccatis  exigentibus  qui  tuum  erga  eosdem  regem  et  domum  lepuisse  suspi- 
centur  amorem,  caritateni  friguissc  dicant,  et  mentis  régie  puritatem  ac  rectitudinem 
animi  opinionc  mcndaci  extiment  inunutatam...Et  ideo  quamvis  probata  virtus  tua  ad 
credulitatem  horum  inclinari  nos  nullatenus  patiatur,  imo  tcneamus  indubie  quod 
tu  régis  et  domus  predictorum  eo  amplius  /elaris  honorem,  statum  appetis  et  deside- 


102  LA  (tUerre  de  cent  ans 

Mais,  à  ce  moment,  celui-ci  savait  à  qui  il  avait  à  faire.  Au  mois 
de  novembre,  il  envoya  des  troupes  pour  s'emparer  des  forteresses 
et  des  châteaux  occupés  par  les  partisans  de  Charles  le  Mauvais. 
Evreux,  Pont-Audemer,  Cherbourg-,  Gavray,  Avranches  et  Mortain 
refusèrent  d'ouvrir  leurs  portes  ^  Le  roi  de  Navarre,  ne  se  sentant 
pas  en  sûreté  en  France,  se  réfugia  à  Avignon,  où  il  était  encore 
lorsque  les  ambassadeurs  anglais  y  arrivèrent-  pour  conclure 
la  paix  entre  l'Angleterre  et  la  France.  Il  avait  toute  sa  vie  joué 
double  jeu,  mais  il  le  fit  d'une  manière  encore  plus  audacieuse  et 
plus  dissimulée  pendant  son  séjour  à  Avignon  et  dans  le  cours  de 
l'année  qui  suivit.  Sa  tante,  la  reine  Jeanne  d'Évreux,  et  sa  sœur, 
la  reine  Blanche,  veuve  de  Philippe  de  Valois,  ayant  prié  le  pape 
de  réconcilier  les  deux  rois.  Innocent  VI  répond  qu'il  a  exhorté 
Charles  à  rétablir  la  concorde  entre  lui  et  le  roi  Jean^.  A  ce 
dernier,  le  Saint-Père  écrit  le  17  décembre  qu'en  sa  présence  et  en 
celle  de  plusieurs  cardinaux,  le  roi  de  Navarre  a  déclaré  son  désir 
de  se  réconcilier  avec  le  roi  de  France,  dont  il  estime  la  faveur 
par  dessus  toutes  choses,  et  qu'il  est  prêt  à  servir  dans  toute  la 
sincérité  de  son  cœur,  comme  son  père  et  son  seigneur.  Charles 
ayant  envoyé  lui-même  un  messager  au  roi  Jean  pour  obtenir 
cette  réconciliation,  le  pape  est  convaincu  que  les  faits  prouve- 
ront ce  que  Charles  a  attesté  par  des  paroles,  et  il  prie  le  roi  d'ac- 
corder le  pardon  sollicité  '*. 

ras  commoda,  quo  ipsius  domus  magnitudini  tue  inter  alias  columpnas  illius  speciali- 
tate  quadam  innititur  fîrmanientum,  ad  obstruendum  tamen  obloquentium  ora  sere- 
nitatem  tuam  requirimus  et  hortamur,  illani  deprecantes  attentius  ac  afl'ectuosius 
obsecrantes,  quatenus  hec  que  magnitudini  tue  exalTectu  paterne  caritatis  scribenda 
deerevimus  bénigne  recipias,  et  ea  in  examen  débite  considerationis  adducens, 
eisdem  régi  et  domui  per  affectum  IVequentis  et  grate  conversationis  approximes, 
ipsum  regem  reverentibus  prosequaris  honoribus,  voluntatis  que  te  conformeni 
exhibeas,  ei  sanis  assistas  consiliis  et  quantum  regia  decentia  patitur  in  omnibus 
obsequaris  ;  nutrias  in  domo  ipsa  concordiam,  unitatem  augeas,  amorem  foveas  et 
attendas  cotidie  caritatem,  ut  des  cvidenter  intelligi  onmibus  te  cum  rege  cetcrisque 
regalibus  idem  sapere  idem  velle.  Super  quo  ea  que  dil.  fil.  mag.  Reginaldus  de 
Molinis  can.  Parisiensis,  capellanus  noster,  lator  presentium,  excellentie  tue  proparte 
nostra  retulerit,  credas  indubie  et  sic  efiîcaciter  adimplere  procures, quod  susurronum 
eloquia  de  cetero  conquiescant.  Dat.  Avinione  xj   kal.  Novemb.  anno  secundo.  » 

1.  Dupont,  p.  339. 

2.  Le  Bouj'geois  de  Valenciennes,  p.  274,  se  trompe. 

3.  Reif.  Vat.,  n°  236,  fol.  220,  Le  pape  écrivait  sur  le  même  sujet  à  l'évêque  de 
Châlons,  à  Jean,  comte  d'Armagnac,  à  Simon  de  Bussy  et  à  Guillaume  de  Flote. 

4.  Reg.  Vat.,  n°  236,  fol.  221'",  ad  an.  1354,  Decemb.  17  :  <(  Garissimo  in  Ghristo  filio 


CHAULES    LE    MAEVALS,     l'toi    A    1356  1  (j.'i 

Cependant,  le  roi  de  France  n'avait  pas  encore  reçu  le  messa- 
ger porteur  de  la  lettre  du  pape,  qui  croyait  le  roi  de  Navarre  déjà 
parti,  que  Charles  visitait  secrètement  pendant  quinze  nuits  le  duc 
de  Lancaster,  soit  à  l'hôtel  du  cardinal  d'Arras,  soit  à  celui  du 
cardinal  Gui  de  Boulogne  ;  s'y  plaignait  des  peines  à  lui  infligées 
par  le  roi  de  France,  promettait  de  faire  alliance  avec  Edouard,  et 
insistait  pour  que  le  duc  assurât  auprès  de  lui  la  réussite  de  ce  projet. 
Le  duc,  auquel  le  roi  d'Angleterre  avait  déjà,  le  26  janvier  4 3o4, 
donné  des  lettres  de  plein  pouvoir  pour  conclure  en  son  nom  un 
traité  d'alliance  avec  «  son  cousin  bien-aimé  »  Charles  ',  accepta  cette 
proposition  et  s'engageait  à  venir  vers  les  îles  de  Guernesey  et  Jersey 
pour  confirmer  l'alliance  au  nom  d'Edouard,  puis  se  hâtait  de  porter 
cette  nouvelle  à  son  roi  qui  donnait  l'ordre  d'équiper  une  flotte'-. 
Peu  après,  Charles  le  Mauvais  quitta  Avignon  et  gagna  la 
Navarre  d'où  il  envoya  plus  tard  un  écuyer ,  Colin  Doublel ,  en 
Angleterre,  pour  y  conclure  un  traité  avec  le  roi  et  le  duc  de  Lan- 
caster 3,  et   pour  y    faire  connaître    son  intention   de    se    rendre  à 

Johanni  régi  Francorum  illustri  salutem,  etc.  Scripsimus  pridie  magnitudini  tue,  fiii 
carissinie,  qualiter  carissimus  in  Christo  filius  noster  Carolus  rex  Navarre  illusti'is  ad 
sedeni  apostolicam  hiis  proxime  preteritis  diebus  accedens  in  presentia  nostra  et  quorun- 
dam  ex  fratribus  nostris  sancte  Romane  ecclesie  cardinaliuni  honorem  ac  statuni  tuum 
regnique  lui  attente  zelantiuni  constitutus,  inter  alia  multa  que  zelum  pure  sue 
devotionis  ad  te  manifestius  imminebant  proposuit,  quod  ipse  gratie  tue  (quam  dicit 
se  reputare  carioreni  super  oninia)  reconciliari  vehementer  admodum  cupiebat  et 
quod  paratus  erat  in  sinceritate  pure  fidei  tibi  tanquam  patri  et  domino  suo  precipuo 
omnem  honorem  et  reverentiam  exhibere  ac  in  omnibus  obsequi  et  servirc.  Ac  nunc, 
ut  hujusmodi  afTectionis  sue  fervorem  plenioribus  et  certioribus  indicet  argumentis, 
dilectum  filium  nobilem  virum  Gaugerium  de  Bur  (t.  e.  Lor),  militem  latorem  presen- 
tium,  ad  te  sub  spe  hujusmodi  reconciliationis  et  gratie  annuente  Domino  impetrande 
cum  omni  humiliatione  transmittit.  Propter  quod  nos  sperantes  probabiliter  et  indu- 
bie  supponentcs  quod  idem  rex,  qui  fidelitatis  et  sanguinis  tibi  astringitur  vinculis 
et  ipsam  filiam  tuam  habet  uxorcm,  ea  que  in  sinceritate  cordis  et  a<rectione  pure 
mentis  ofîei't  verbo,  sinceris  etiam  operum  fructibus  pure  ut  eiïicaciter  proscquetur 
et  attendentes  »,  etc.  La  suite  est  dans  Raynald,  Ann.,  1354,  n"  19,  qui  a  omis  de 
publier  la  partie  la  seule  intéressante  de  la  lettre,  le  commencement.  Innocent  W 
tenait  grand  compte  de  raftirmation  de  Charles,  faite  en  sa  présence  :  «  de  devo- 
tione,  fide  et  caritate,  quas  ad  regem,  sicut  in  conspectu  nostro...  cum  omni  humi- 
lilate  recensuil,...  se  habere  monstravit  et  monstrat  ac  nos  habere  ipsum  nullatenus 
dubitamus  »,  conmic  le  y)a\)e  répète  encore  le  21   mai  1355.  Reg.  Vat.^  n°  237,  iol.   101. 

1.  Rymer,  Foedern,  III,  p.  271. 

2.  Voy.  la  relation  de  Gautier  de  Masny  dans  Rot.  Pari.,  II,  p.  264.  Friquet  parle, 
dans  sa  troisième  déposition,  d'entretiens  continués  pendant  quinze  nuits,  dans 
Secousse,  Preuves,  p.  59;  Mém.,  p.  51  suiv. 

3.  Voy.   la  déposition  de  Friquet  dans  Secousse,  Preuves,  p.  59, 


104  LA    (ILERUE    DE    CENT    ANS 

Cherbourg*  avec  beaucoup  de  gens  d'armes  «  en  propos  de  faire 
sommer  le  roi  qu'il  li  délivrast  ses  châteaux  et  sa  terre  qu'il  tenait 
en  sa  main  ^.  » 

Que  dire  après  cela,  d'Edouard,  roi  d'Ang-leterre,  qui,  dans 
une  lettre  du  14  mai  1356,  adressée  à  Innocent  VI,  déclare,  sur 
sa  parole  de  roi,  et  proteste  devant  Dieu-,  que  ni  le  roi  Charles 
ni  ses  amis  n'ont  jamais  conspiré  avec  lui  contre  le  roi  Jean,  qu'ils 
n'ont  jamais  promis  de  secours,  et  qu'Edouard  les  avait  toujours 
regardés  comme  ses  puissants  ennemis  ? 

Pendant  que  Charles  se  préparait  en  Espagne  à  exécuter  son 
plan,  il  maintenait  auprès  du  roi  de  France  et  d'Innocent  VI  son 
apparente  volonté  de  se  rendre  auprès  du  premier  pour  s'amender 
et  obtenir  sa  grâce.  Jean,  se  laissant  fléchir ,  fixa  un  terme  avant 
l'expiration  duquel  Charles  devait  se  présenter  devant  lui.  Le 
12  février  1353,  le  pape  demanda  au  roi  Jean  de  retarder  ce  terme, 
étant  donné  que  Charles  résidant  alors  en  Navarre  ne  pouvait,  par 
suite  de  l'éloignement,  se  trouver  en  France  pour  l'époque  dési- 
gnée^. A  la  même  date,  il  écrit  à  Charles  le  Mauvais.  En  lui 
faisant  espérer  qu'il  sera  bien  reçu  par  le  roi,  il  l'engage  à  agir 
prudemment  et  humblement  selon  sa  vertu  (v  qui  est  grande  »  et 
avec  la  grâce  que  Dieu  lui  a  donnée  afin  de  ne  pas  irriter  le  roi  de 
France  ^. 

Le  31  mars,  à  la  prière  du  roi  de  Navarre,  le  pape  sollicite  une 
nouvelle  prolongation  du  terme  convenu,  demandant  que  Jean 
voulût  bien  attendre  jusqu'au  mois  d'août,  parce  que,  pour  le 
moment,  Charles  se  dispose  à  entrer  au  service  du  roi  de  Castille  '^. 

1.  Voy.  la  déposition  de  Friquet  dans  Secousse,  Prcin^es,  p.  55. 

2.  «  In  verbo  regiae  veritatis  dicimus  et  contcstamur  lîdeliter  coram  Deo  quod 
dicti  rex  (Navarrae)  et  nobiles  nunquam  nobiscum  conspiraverant,  nec  opem  nobis 
promiserant,  nec  nobis  valentesfuerant  nec  faventcs,  set  ipsos  nostros  fortes  reputa- 
vimus  inimicos  ».  Rymer,  p.  329,  où  sont  encore  les  lettres  à  Tempereur  et  aux 
autres  princes, 

3.  Reg.  Vat.,  n°  237,  fol.  24''.  Le  porteur  des  lettres  du  roi  Jean  était  Gauchier  de 
Lor,  conseiller  du  roi  de  Navarre,  qui  était  envoyé  par  ce  dernier  auprès  du  roi  de 
France. 

4.  Ibid.,  fol.  21''  :  «  ...Tu  ergo,  fîli  carissime,  intérim  juxta  concessam  tibi  a 
Domino  gratiam  et  virtutem,  que  utique  magna  est,  sic  agas  prudenter...,  quod 
nichil  in  te  notari  possit  superbum  et  arrogans...,  ex  hoc  enim...  posset  dulcoratus 
jam  ipsius  régis  aninius  irritari.  » 

5.  Ibid.,  fol.  72  :  «  Carissimus  in  Christo  filius  noster  Carolus  rex  Navarre  illustris 
nobis  per  suas  litteras  supplicavit,  ut  instare  apud  tuam  magnitudinem  dignaremur 


CHARLES    LE    MAUVAIS,    13oi    A    1356  lOo 

Le  29  avril,  le  roi  Jean  avait  déjà  promis  d'accorder  le  délai.  En 
conséquence,  Innocent  VI  exhortait  Charles  à  mettre  de  côté  toutes 
ses  rancunes  et  à  se  présenter  avec  soumission  et  révérence  devant 
le  roi^  Le  30  du  même  mois,  le  pape  écrit  à  Jean  et  l'invite  à  bien 
recevoir  Charles  ;  il  s'adresse  en  même  temps  à  l'archevêque  de 
Rouen,  lui  recommandant  de  s'employer  à  établir  la  concorde  entre 
les  deux  rois-. 

Charles  manœuvrait  ainsi  afm  de  gag-ner  le  temps  nécessaire  pour 
réunir  des  gens  d'armes,  ce  que  le  pape  ayant  appris,  il  lui  écrit  le 
11  mai  que  cette  manière  de  se  rendre  en  France  lui  déplaît  parce 
qu'elle  est  hors  de  propos  et  contraire  à  l'humilité  dont  il 
doit  faire  preuve  ^.  D'autre  part,  le  21  mai,  le  Saint-Père  assure 
au  roi  Jean  que  Charles  se  présentera  devant  lui  comme  un  fils 
humble  et  soumis.  Il  écrit  aussi  sur  le  même  sujet  à  l'archevêque 
de  Rouen  ^.  Le  20  mai,  le  roi  Jean  avait  déjà  accordé  la  prolonga- 
tion demandée  et  envoyé  au  pape  les  lettres  du  sauf-conduit, 
qu'Innocent  VI  fit  parvenir  à  Charles  ^  en   lui  faisant   remarquer 

ut  tempus  securi  conductus  per  te  sibi  ^ratiose  concessi,  ci  qui  in  servitium...  Pétri 
régis  Castellc  et  Legionis  illustris  ad  tempus  conferre  se  disponebat,  usque  ad  mensem 
Augusti  futurum  proximo  prorogares...  Datum  Avinione  ij  kal.  Aprilis  anno  tertio.  » 

1.  Reff.  Vat.,  n°  237,  fol.  85»». 

2.  Ihid.,{o\.  8i'',  86.  A  la  même  date,  Innocent  VI  écrivait  aux  deux  reines,  Jeanne 
et  Blanche,  tante  et  sœur  de  Charles,  pour  qu'elles  l'amenassent  à  se  montrer  soumis 
envers  le  roi  Jean,  ce  qu'elles  avaient  déjà  essayé  le  13  avril.  Secousse,  Preuves,  p.  565. 

3.  Ibid.,  fol.  86  :  «  Dil.  filium  nobilem  virum  Guillelmum  de  Fuligny,  domicellum, 
familiarem  tuum,  latorem  presentium,  et  litteras  tuas,  per  quas  ipsius  adhiberi 
fidem  relatibus  petiisti,  nobis  exhibitas  per  eundem,  consideratione  tua  bénigne 
recepimus  et  que  idem  Guillelmus  nobis  vcrbo  cxposuit  et  in  scriptis  obtulit 
intellcximus  diligcnter.  Quibus  omnibus  de  débita  consideratione  discussis,  modus 
accessus  tui  in  Franciam...  nobis  est  minus  gratus.  Posset  namque  negocio  pacis 
inter  tect...  Johannem  regem  Francorum  illustrcm  auclore  Domino  rcformande  impe- 
dimentum  aflerre  potius  quam  prestare  favorem,  et  turbationem,  cui  fomita  quelibet 
subtrahenda  sunt,  irritare  magis  quam  mitigare,  cjuod  absit.  Et  ideo  screnitatem 
tuam  requirimus  et  hortamur  in  Domino  illam  attcntius  deprecantes  tibiciuc  sanis 
et  paternis  consiliis  suadcntes,  quatenus  hcc  et  alia  que  considerationi  tue  possunt 
occurrere  in  stateram  débite  meditationis  appendens,  et  attendens  quod  per  ea  que 
sentimus,  et  a  fide  dignis  scripta  sunt  nobis,  concordiam  cum  prefato  rege  per  ami- 
cabilia  média  bonam  invenies  Deo  propitio  ,  si  ad  hoc  volueris  intendere  prout 
debes  et  nos  plcne  confidimus  et  speranuis,  ad  prefatum  regem  non  juxta  modum 
secundum  quem  disposuisse  videris  acccdere,  sed  in  humilitalis  spiritu  et  reverentie 
fdialis  afïectu,  sicut  tibi  diebus  non  longe  preteritis  scripsisse  recolimus..,  studeas  te 
conferre,  etc.  Dat.  Avinione  v  id.  Maii  anno  tertio  ». 

4.  Ihid.,  fol.  101. 

5.  Le  1"  juin,  il  en  obtint  un  autre  encore  qu'il  avait  demandé,  on  ne  sait  pas 
pourquoi.  Secousse,  p.  568.  Le  roi  Jean  l'assure  qu'il  le  recevra  comme  un  fds  chéri. 


106  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

combien  le  roi  de  France  se  montre  paternel,  et  en  l'exhortant  à  se 
disposer  à  la  paix  par  une  conduite  irréprochable.  Dans  une  autre 
lettre,  datée  du  même  jour,  le  pape  lui  annonce  que  Gautier,  duc 
d'Athènes,  présentement  à  la  cour  d'Avignon  à  l'effet  de  traiter  de 
la  paix  entre  les  deux  rois,  propose,  pour  y  arriver,  divers  moyens 
que  le  cardinal  Gui  de  Boulogne  communiquera  à  Charles.  Le  pape 
le  presse  de  suivre  les  avis  qui  lui  seront  donnés  ^ 

Charles,  rejetant  ces  conseils,  ne  laissa  pas  de  retourner  par  mer 
à  Cherbourg  avec  une  grande  compagnie  de  gens  d'armes  du  Béarn 
et  autres  pays  voisins  «  en  entencion  de  fere  guerre  au  roy  -.  » 
Cela  dessilla  un  peu  les  yeux  d'Innocent  VI  qui,  tout  attristé  de  cette 
nouvelle,  écrivait  le  1^^  juin  à  ses  nonces,  Jean  Joffrévy,  évêque 
d'Elne,  et  Androin  de  la  Roche  de  Cluny,  de  rejoindre  Charles, 
si  cela  était  possible,  et  de  l'exhorter  à  obéir  aux  mandements  du 
pape  en  faisant  la  paix  avec  le  roi.  Les  nonces  devaient  aussi  pré- 
senter des  lettres  dans  lesquelles  le  Saint-Père  reprochait  au  roi  de 
Navarre  sa  manière  d'agir.  Malgré  cela,  Innocent  VI  demeure  per- 
suadé qu'il  y  a  en  ce  serpent  une  grande  vertu  ;  il  lui  recommande 
de  changer  son  amertume  en  amabilité  et  de  se  présenter  au  roi  de 
France  en  toute  soumission  •^.  Les  deux  nonces  étaient  aussi  por- 

1.  Reff.  Vat.,  n°  237,  fol.  102,  les  deux  lettres. 

2.  Voy.  la  déposition  de  Friquet  dans  Secousse,  Preuves,  p.  59. 

3.  Reg.  Vat.,  n"  237,  fol.  111  :  «  Yen.  fratri  Johanni  episcopo  Elnen.  et  Androino 
abbati  mon.  Gluniacen.,  apostolice  sedis  nunciis,  salutem,  etc.  Intellecto  nuper  ciini 
displicentia  et  amaritudine  gravi,  quod  carissimus  in  Christo  filius  noster  Carolus 
rex  Navarre  illustris  contra  monita  et  consilia  nostra  in  copioso  numéro  gentis  armi- 
gere  duxit  se  in  Normanniam  conferendum,  scribimus...  Johanni  Francorum  illustri 
et  predicto  Navarre  regibus  sicut  videbitis  in  interclusis  presentibus  cedulis  conti- 
neri.  Quocirca  volumus  et  discretioni  vestre  per  apost.  scripta  districte  precipiendo 
mandamus  quatenus  statim  cum  audiveritis  quod  prefatus  rex  Navarre  in  aliquo  loco 
infra  regnum  Francie  fuerit,  vos  ad  eum  personaliter  conferatis  et  eum  ut  nostris 
in  negotio  l'eformande  concordie  inter  ipsum  et  dictum  regem  Francie  votis  et  bene- 
placitis  condescendat,  sicut  effîcacius  poteritis  juxta  datam  vobis  a  Domino  gratiam 
inducatis,  tam  erga  eum  quam  erga  ipsum  quoque  regem  Francie  nostrum  circa  hoc 
desiderium  favorabiliter  et  solicite  prosequentes  ».  La  lettre  à  Charles  se  trouve 
fol.  m'*  :  «  Miramur,  fili  carissime,  vehementer,  quod  tu,  nescimus  quo  ductus  consi- 
lio,  contra  monita  et  consilia  nostra,  que  utique  paterna  caritas  persuasit,  non  humi- 
liter,  sed  in  copioso  comitatu  gentis  armigere  duxisti  te  in  F'ranciam  conferendum, 
non  attendens  quod  conspectui...  Johannis  régis  Francorum  illustris  sic  oportebat 
et  oportet  exhibere  te  mansuetum,  quod  nichil  in  te  notari  possit  nisi  quod  reveren- 
tiam  et  obedientiam  sapiat,  et  quod  communio  sanguinis  exigit,  et  debitum  fidei  ac 
devotionis  exposcit.  Nam  prefato  régi  debes  timorera  ut  domino,  et  ut  patri  reveren- 
tiam  et  honorem.  Sed  quoniam  virtus,  que  in  te  ab  ipis  se  juvenilibus  annis  infudit, 


CHARLES    LK   MAUVAIS,     1854    A    1  3o6  107 

teurs  de  lettres  adressées  au  roi  Jean  et  à  l'archevêque  de  Rouen  sur 
cette  affaire.  Le  pape  y  faisait  valoir  la  jeunesse  de  Charles,  disant 
que  cet  âge  prête  facilement  l'oreille  aux  mauvaises  suggestions,  et 
invitait  le  roi  à  l'excuser,  à  oublier  le  passé  et  à  le  recevoir  comme  un 
père  ^  Le  Saint-Père  fut  secondé  par  le  duc  de  Bourbon,  les  arche- 
vêques de  Sens  et  de  Rouen  et  d'autres  seigneurs,  qui  écrivirent  au 
commencement  de  juin  à  Charles  pour  le  presser  de  se  soumettre  au 
roi  de  France-.  Trois  lettres  des  deux  reines  avaient  le  même  but-^. 
Alors  le  roi  Jean  avait  déjà  appris  que  le  roi  d'Angleterre  se  pro- 
posait de  venir  avec  une  flotte  nombreuse  mettre  le  pied  en  Nor- 
mandie dans  le  but  de  soutenir  Charles  et  d'envahir  la  France  '*. 
Pour  conjurer  ce  danger,  il  envoya  l'archevêque  de  Sens,  le 
comte  de  Saarbriick  et  plusieurs  autres  à  Cherbourg,  auprès  de 
Charles,  afin  de  le  détourner  de  son  alliance  avec  le  roi  d'Angle- 
terre, ce  à  quoi  ils  réussirent^.  Nous  voyons  dans  les  lettres  d'In- 
nocent VI  que  Charles  envoya  alors  des  messagers  au  roi  de 
France,  pour  lui  annoncer  qu'il  se  mettait  à  sa  disposition.  Le 
pape,  comblé  de  joie  par  cette  résolution,  écrit  le  20  août  au  roi 
de  Navarre  pour  lui  en  témoigner  sa  satisfaction,  ajoutant  qu'enfin 
il  espère  que  ce  retour  à  de  meilleurs  sentiments  sera  de  longue 
durée;  Innocent  VI  termine  en  lui  donnant  des  nouvelles  de  sa 
santé  de   laquelle  ce  rusé  voulait  être  assuré  ^. 

quicquid  de  accessu  tuo  in  hujusmodi  comitatu  egeris,  spem  nobis  optimam  de  tuis 
proccssibus  pollicetur,  nos  conceptam  de  ipso  accessu  tuo  amaritudinem  déponentes 
et  sperantes  quod  tu  sicut  princepscircunspectuset  providus,  quanto  fuerit  potentia 
tua  major,  tanto,  suadentibus  tibi  caritate  ac  fide  erga  regem  eundeni,  humilitas  pro- 
nior  et  obcdientia  pi'omptior  et  prestantior  tua  erit,  serenitatem  tuam  attente  requi- 
rimus  ethortaniur,  illani  attentius  deprecantes,  tibique  paternis  et  sinceris  afïectibus 
ac  sanis  consiliis  suadentes(iuatenus...te  ipsius  régis  gratiam,quam  ipse  tibi  ex  caritatis 
paterne  dulcedine  exhibet,  eo  magis  expedit  et  necessario  convenit  non  solum  accep- 
tare  devotius  et  reverentius,  inio  instanlius  expetere  ac  studiosius  procurare,  quo 
prophanus  hostis  per  ministres  suos  exquisitis  modis  prefati  régis  et  tuam  in  utriusque 
vestrum  prejudicium  et  Jacturam  vuhierare  satagit  caritatem...  Super  quo...  Johanni 
episcopo  filnen.  et...  Androino  abbati  mon.  Cluniacen.  Matisconen.  dioc,  ...  fidem 
cum  gratesatislactionis  adectu  adhibere  procures.  Dat.  Avinione  kal.  Junii  an.  tertio». 

1.  lieçi.  Vat.,  n"  2:57,  loi.  110»'.  Ibid  ,  fol.  111  la  lettre  à  l'archevêque. 

2.  Lettres  éd.  Lettkxhovk  dans  Fuoiss.\ht,  XIII,  p.  337  ;  Secousse,  Preiiv.,  p.  572,  574. 

3.  Voy.  ces  lettres  du  3,  du  7  et  du  27  juin  dans  Secousse,  l.  c,  p.  569,  573,  575. 

4.  Voy.  le  paragraphe  précédent,  p.  95  suiv. 

5.  Froissaut,  éd.  Luce,  IV,  p.  liv  et  p.  356. 

6.  Recf.  \ni.,n°  237,  fol.  144"'  :  «  Bénigne  recepimus  litteras  tuas  per  quas  significasti 
nobis,  quod  oi*ga...  Johannem  regem  Francorum  illustrem  exhibens  filialis  et  reveren- 


108  LA    GUERRE    DE    CE'ST    ANS 

Une  paix  fut  conclue  entre  le  roi  de  France  et  Charles  le  Mauvais, 
et  le  traité  en  fut  signé  à  Valognes,  le  10  septembre  1355  ^.  Le 
24  septembre,  Charles  demanda  son  pardon  au  roi,  en  protestant 
que  jamais  il  n'avait  travaillé  contre  le  roi,  après  le  meurtre  du 
connétable  ~. 

Toutefois  en  dépit  de  son  serment,  le  roi  de  Navarre  restait 
ennemi  du  roi  de  France  dont  il  essayait  de  corrompre  le  fils  aîné, 
Charles,  en  lui  persuadant  que  son  père  le  haïssait  mortellement. 
Charles  le  Mauvais  engageait  ce  jeune  prince  à  se  joindre  à  lui 
pour  aller  trouver  l'empereur  Charles  IV,  auprès  de  qui  il  espérait 
obtenir  du  secours  contre  le  roi  de  France,  qu'il  voulait  emprison- 
ner et  dont  il  eût  souhaité  abréger  la  vie.  A  peine  informé  de  cela, 
le  roi,  le  7  décembre,  investit  son  fils  du  duché  de  Normandie  "'  et 
dans  les  lettres  de  janvier,  il  pardonna  à  tous  deux^. 

Malgré  tout  Charles  restait  le  môme.  Lorsqu'au  commencement  de 
l'an  1356,  le  nouveau  duc  convoqua  à  Rouen  la  noblesse  de  la  pro- 
vince, pour  en  recevoir  l'hommage,  l'irritation  éclata,  tant  de  ce  chef 
qu'à  cause  de  la  gabelle  imposée  pour  la  guerre  et  il  en  advint  de 
même  à  Arras  ^.  Le  roi  de  France  craignant  une  révolution  à  la  suite 
d'une  conjuration  tramée  par  le  roi  de  Navarre  et  par  les  chefs  de 
la  maison  d'Harcourt^.  résolut  d'y  mettre  fin  par  un  coup  d'état. 

Us  devotionis  et  caritatis  afï'ectum.  misisti  ad  eiim  quosdam  nuntios  tiios,  pcr  quos  te 
ad  ipsius  régis  obsequia  prompte  et  liberaliter  obtulisti,  quod  tanto  nobis  acceptius 
redditur  tantoque  inde  amplius  exultamus,  quanto  per  hoc  ipsius  régis  et  tuam  cari- 
tatem,  ex  qua  domus  Francie,  de  qua  duxisti  originem,  robur  et  firmitas  nascitur, 
reformandani  confidinius  perpetuis  dante  Domino  temporibus  duraturam.  Tue  igitur 
circà  hoc  providentie  laudande  multipHciter  studium  inulte  commendationis  titulis 
attolentes  excellentiam  tuam  attente  ret{uirimus  et  roganius,  tibi  honoris  tui  obtentu 
paternis  et  sinceris  consiliis  suadentes,  quatenus  sic  hujusmodi  huniiliationis  et  con- 
silii  salutaris  spiritum  prosecutionis  assidue  opère  adjuves  et  confirmes,  quod  omnis 
scintilla  rancoris  preteriti,  que  flatu  (quod  absit)  malorum  spirituum  in  flammam  récit 
divi  dissidii  posset  accendere.  penitus  extinguatur...  Ceterum  de  statu  nostro  de  quo 
certiorari  petisti  scire  te  volumus,  quod...  corporea  sospitate  letamur.  Datum  apud 
Villamnovam,  Avinionen.  dioc,  xiij.kal.  Septembris  anno  tertio.  ». 

1.  Secousse,  Preuves,  p,  582  à  595  (Le  Buasseiiu),  Hist.  civ.  et  ecclés.  du  comté 
d'Évreux,  Preuves,  p.  51  à  60. 

2.  Grand,  chron.,  VI,  p.  17.  Voy.  ci-dessus,  p.  101. 

3.  Troisième  déposition  de  Friquet,  dans  Secousse,  1.  c,  p.  60. 

4.  Ibid.,  p.  45,  47. 

5.  Froiss.vht,  p.  hxiv  suiv.  ;  Grand,  chron.,  VI,  p.  '25:  ]AvEsnuBY,  p.  457.  Détails 
nouveaux  dans  E.  Molimek,  Elude,  etc.,  p.  54  suiv.,    56,  62. 

6.  Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  que  Charles  avait  l'intention  d'abréger  la  vie  du 
roi  Jean.  A  la  mort  de  Charles  V,  le  bruit  était  répandu  que  Charles  le  Mauvais  avait 
fait  des  tentatives  de  l'empoisonner  vers  cette  époque,  quand  il  était  encore  dauphin  et 


ClIAKLES    Li:    -MALVAIS,     l^oi    A     1350  109 

Le  5  avril*,  le  duc  Charles  avait  réuni  dans  le  château  de  Rouen 
les  principaux  barons  de  la  province,  pour  fêter  sa  prise  de  posses- 
sion du  duché  de  Normandie.  Tout  à  coup,  au  milieu  du  repas,  la 
porte  s'ouvre,  le  roi  Jean  entre,  met  la  main  sur  le  roi  de  Navarre, 
Charles  le  Mauvais,  et  le  fait  arrêter.  Puis  il  appelle  les  seigneurs 
qui  lui  ont  été  dénoncés  comme  étant  les  chefs  de  la  conspiration  : 
Jean  V,  comte  d'Harcourt,  Jean,  sire  de  Graville,  Maubué  de  Maine- 
mares  et  Colin  Doublel  et  les  fait  saisir  et  emmener.  Le  bourreau 
leur  trancha  la  tête  et  leurs  cadavres  furent  pendus  au  gibet  -. 

Ce  fait,  qui  eut  des  conséquences  funestes ,  fut  désapprouvé  de 
tous.  Pendant  une  longue  suite  d'années,  il  ne  fut  plus  question  que 
des  cruautés  et  des  ravages  commis  par  les  Anglo-Navarrais.  Le 
roi  de  Navarre,  détenu  d'abord  au  château  du  Louvre,  ne  tarda  pas 
à  être  transféré  dans  diverses  forteresses •'^.  A  la  nouvelle  de  ces 
événements,  Philippe  de  Navarre,  frère  de  Charles  le  Mauvais, 
jura  d'arracher  ce  prince  de  la  captivité,  et  lui,  comme  ses  alliés, 
Godefroy  d'Harcourt,  sire  de  Saint-Sauveur,  et  d'autres  seigneurs, 
déclarèrent  la  guerre  au  roi  de  France.  Ils  fortifièrent  leurs  châ- 
teaux et  dès  le  12  mai^  demandèrent  l'appui  du  roi  d'Angleterre, 
qui  ne  leur  fit  point  défaut.  Afin  d'aider  les  Navarrais  et  les  Har- 
court,  Edouard  envoya  en  Normandie  le  duc  de  Lancaster,  devenu 
son  lieutenant  en  Bretagne  depuis  le  14  septembre   13oo  ^. 

Dès  le  1^'  juin,  des  troupes  furent  embarquées  à  Southampton 
pour  la  Hougue  de  Saint-Vaast  en  Cotentin  ;  elles  devaient  se  ral- 
lier à  l'armée  de  Philippe  de  Navarre.  Avant  l'arrivée  du  duc  de 
Lancaster,  celle-ci  attaqua  déjà  l'abbaye  bénédictine  de  Lessay, 
située  dans  le  diocèse  de  Coutances  et  bien  fortifiée  contre  l'ennemi, 

duc  de  Normandie.  Fiuussaut,  éd.  Keuvv.n  nii  Lette.nhovr,  t.  IX,  p,  283  et  546. 
M.  Villani  parle  d'un  traite  conclu  en  1356  entre  Ghai'les  le  Mauvais,  le  comle  d'Har- 
court et  le  roi  d'Anj^leterre,  pour  mettre  à  mort  le  roi  Jean  et  le  dauphin,  et  placer, 
sous  certaines  conditions,  Charles  le  Mauvais  sur  le  trône  de  France  i^Muuatohi,  XIV, 
p.  369).  Voy.  sur  ce  point  très  difficile  ci-dessous,  chap.  III,  §  3.  Ne  pas  oublier  ce 
qui  est  noté  ci-dessus,  p.  101,  et  p.  103  suiv. 

1.  «  Die  martis  in  crastino  festi  S.  Ambrosii  »,  Avi:sui;hv,  p.  460. 

2.  FaoïssAHT,  p.  i.xv,  et  les  autres  chroniqueurs.  Voy.  encore  Les  Chronic([ues  de 
Normandie,  éd.  Hkllot  (ISSl  ,  p.  6  suiv.;  Delisle,  1.  c,  p.  80  suiv.;  Skcolsse, 
Mémoires,  p.  70  suiv.;  E.  Mom.meu,  Elude,  p.  58. 

3.  Voy.  Secousse,  1.  c,  p.  81, 

i.  AvEsnruY,  p.  461,  confirmé  par  11-4  mi.u,   III.  p.  32.S  suiw 
5.   llYMEIl,  III,  p.  312. 


110  LA    GLERUE    DE    CENT    ANS 

qui  ne  s'en  rendit  maître  qu'après  plus  de  trois  jours  de  siège  ;  elle 
fut  pillée  et  incendiée  le  11  juin^  Les  moines  s'en  lamentaient 
encore  long-temps  après-,  et  leur  église  ne  fut  rebâtie  qu'après  1385 
par  l'abbé  Pierre  le  Roy-^. 

Le  18  juin,  le  duc  de  Lancaster  avec  le  comte  de  Montfort  et  le 
reste  des  troupes  débarquèrent  à  la  Hougue  et  se  réunirent  aux 
autres.  Dans  la  suite  du  duc  se  trouvait  le  terrible  Robert  Knolles, 
dont  nous  avons  déjà  fait  connaissance.  Lancaster  n'avait  en  tout 
qu'une  petite  armée  de  900  hommes  d'armes  et  de  1 .400  archers. 
Un  récit  épistolaire,  daté  de  Montebourg  le  16  juillet  1356^,  raconte 
que  cette  expédition  avait  pour  but  de  secourir  les  gens  du  roi  de 
Navarre,  assiégés  dans  Pont-Audemer  et  dans  Breteuil. 

L'abbaye  bénédictine  de  Montebourg  fut  le  quartier  général. 
Gomme  toujours  les  Anglais  couvrirent  le  pays  de  ruines  ((  en  pil- 
lant et  volant  les  villes  et  le  pays  par  où  ils  passaient  ^  ». 

Le  duc  quitta  Montebourg  le  22  juin,  se  rendit  à  Carentan, 
Saint-Lo,  et  gagna  Torigny,  où  se  trouvait  une  abbaye  cister- 
cienne ;  puis  il  arriva  à  Evrecy  et  Argences,  franchit  le  pont  de  Cor- 
bon  et  parvint  à  Lisieux.  Le  29  juin,  il  se  trouvait  déjà  à  Pont-Aude- 
mer, dont  le  siège  avait  été  abandonné  la  veille  par  les  Français, 
sous  les  ordres  de  Robert  d'Houdetot.  Le  2  juillet,  l'armée  marcha 
sur  l'abbaye  bénédictine  du  Bec.  Le  3  juillet,  les  troupes  donnèrent 
un  assaut  au  château  de  Couches,  où  il  y  avait  une  abbaye  béné- 
dictine ;  on  dit  cependant  que  l'église  ne  fut  détruite  qu'en  1357  ^. 

Le  4  juillet,  le  duc  parut  sous  les  mur^  de  Breteuil:  les  Français 
assiégeants  s'étaient  éloignés  à  l'approche  de  l'ennemi.  La  même 
journée,  les  troupes  surprirent  et  pillèrent  Verneuil  et  mirent  en  feu 
une   partie   de  la   ville  ^.  Le   8  juillet,    les  Anglais   et   Navarrais 


1.  AvKSHUHY,  p.  102;  Gall.  christ.,  XI,  p.  918. 

2.  «  Monasterium  S.  Trinitatis  de  Exaquio,  O,  S.  B.,  Constanticn.  dioc,  occasione 
jçuerrarum,  que  in  illis  partibus  viguerunt,  est  ignis  incendio  concrematum  et  in  suis 
facultatibus  diminutuni  »  [Indulgentiae],  Rey.  Vat.  Greg.  XI,  n°  286,  fol.  100 *•,  ad 
an.  1375.  Jun.  22. 

3.  Gail.  christ.,  1.  c.,  p.  920. 

4.  Dans  Avesbijky,  p.  462-165.  Ee  récit  dans  Knighto-n,  p.  86  suiv.,  a  pour  fonde- 
ment cette  lettre. 

5.  Grand,  chron.,  p.29. 

6.  Gall.  christ.,  XI,  638,  641. 

7.  Grand,  chron.,  p.  30. 


CHARLES    LE    MAUVAIS,    1354    A    1356  111 

reprirent  la  route  du  Gotentin,  probablement  à  l'approche  de  l'ar- 
mée mise  sur  pied  parle  roi  de  France  ^,  laquelle  était  très  supé- 
rieure en  nombre.  A  l'Aigle,  l'armée  française  était  dans  le  voisi- 
nage du  duc  prête  à  livrer  bataille  ;  mais  il  l'évita.  Il  arriva  le  13 
juillet  à  Montebourg,  son  point  de  départ,  par  Argentan,  Thury,  le 
prieuré  de  Saint-Fromond  et  Carentan.  Un  butin  considérable,  entre 
autres  2.000  chevaux  et  beaucoup  de  prisonniers,  fut  le  fruit  de 
cette  campagne  sans  résistance  '-. 

A  peine  rentré  dans  son  château,  Godefroy  d'Harcourt,  sire  de 
Saint-Sauveur,  brisa  le  dernier  lien  qui  l'attachait  à  la  famille  de 
Valois.  Le  18  juillet,  il  institua  Edouard  d'Angleterre  héritier  de 
toute  sa  terre  pour  le  cas  où  il  mourrait  sans  enfants,  en  écartant 
son  neveu,  Louis  d'Harcourt,  resté  fidèle  au  roi  de  France. 
Edouard  accepta  naturellement  l'hommage  et  l'héritage  qui  lui 
était  destiné  ^\ 

De  cette  manière,  il  advint  que  dès  la  mort  de  Godefroy  surve- 
nue la  même  année,  les  Anglais  occupèrent  ses  domaines  où  ils 
restèrent  près  de  trente  ans,  et  d'où  ils  désolèrent  toute  la  Basse- 
Normandie. 

De  plus,  Philippe  de  Navarre  se  rendit  bientôt  en  Angleterre 
pour  faire  hommage  lige  à  Edouard,  comme  au  roi  de  France  et  duc 
de  Normandie  ^. 

Avant  la  chevauchée  du  duc  de  Lancaster,  les  Français  avaient 
assiégé  Evreux,  qui  s'était  rendue  le  20  juin.  Quelques  moines  de 
l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Taurin  s'étaient  enfermés  dans  la  cité 
et  dans  l'église  pour  y  mettre  en  sûreté  les  joyaux  de  leur  monas- 
tère ^.  La  cathédrale,  les  logements  des  chanoines,  le  couvent  des 
Mineurs  et  l'abbaye  de  Saint-Taurin  furent  incendiés,  en  grande 
partie,  par  les  Navarrais  qui  ne  savaient  pas  se  contenir  ^.  L'abbaye 
était  encore  en  ruines  en  1410  ^. 

1.  C'est  donc   de  la   pure  fantaisie  quand  Fhoissaut,  p.  lwii,  dit  que  les  Anglais 
pénétrèrent  jusqu'à  Rouen,  dont  ils  brûlèrent  les  faubourgs. 

2.  Wiy.  AviiSnuuY,  1.  c.  ;  Dei.isle,  p.  H6  suiv.  ;  Dii'ont,  p.  348  suiv. 

3.  Rymiîh,  III,  p.  332;  Dupont,  p.  351. 

4.  Le  sauf-conduit    à  lui  accorde  pour  retourner  en  Normandie  est  du  20    août, 
Hymeu,  p.  338. 

5.  S.  Luci-:  dans  Fkoissaht,  p.  L.wni.  not.  1. 

6.  Jean  de  Venette,  p.  232  suiv.;  Grand,  cliron..  p.  30  ;  Cliron.  norni.,  p.  300. 

7.  Gall.  christ.,  XI,  p.  62G. 


112  *  LA    GUERUK    DE    CEM'    A>S 

Pont-Audemer  et  Breteuil,  furent  assiégés  de  nouveau  par  les 
Français.  Breteuil  se  rendit  entre  le  12  et  le  17  aoûti.  De  graves 
nouvelles  arrivèrent  pendant  le  siège  :  le  prince  de  Galles  s'était 
mis  en  marche  dans  le  but  d'opérer  sa  jonction  avec  le  duc  de  Lan- 
caster,  et  de  mettre  à  exécution  son  projet  d'envahir  la  Touraine, 
l'Anjou  et  le  Poitou  -. 

4.   Chevauchée  du  prince  de  Galles  dans   le  centre  de  la  France. 

Bataille  de  Poitiers. 

L'atmosphère  était  orageuse.  Innocent  VI  l'avait  bien  compris, 
et  pendant  tout  le  cours  de  l'an  1356,  il  s'employa  à  amener  les 
deux  belligérants  à  la  paix.  La  proximité  du  prince  de  Galles 
qui  séjournait  à  Bordeaux  faisait  craindre  au  pape  un  nouveau  mal- 
heur pour  la  Gascogne  et  le  Languedoc  ;  il  lui  écrivit  le  4  mai  de 
ne  pas  envahir  les  pays  du  roi  de  France  et  de  ne  leur  causer 
aucun  dommage  ;  il  l'avertit  qu'il  écrirait  aussi  au  comte  Jean  d'Ar- 
magnac, lieutenant  du  roi  de  France  en  Languedoc,  pour  qu'il  lais- 
sât en  paix  les  possessions  anglaises.  Le  pape  espère  procurer  la 
paix  et  annonce  au  prince  qu'il  envoie  pour  cela  les  cardinaux  Tal- 
leyrand  de  Périgord  et  Nicolas  Gapocci  auprès  des  deux  rois  •^.  Le 
16  mai,  il  invite  aussi  l'empereur  Charles  IV  à  travailler  à  la  paci- 
fication des  deux  royaumes.  Ayant  entendu  dire  que  l'empereur 
doit  aller  à  Metz,  il  compte  que  celui-ci  pourra  avoir,  avec  les  deux 
cardinaux,  qui  vont  bientôt  partir,  une  entrevue  de  laquelle  il  espère 
beaucoup  pour  la  paix  entre  la  France  et  l'Angleterre^.  Le  20  juin, 

1.  Voy.  S,  LucE,  1,  c,  p.  Lxxi,  not.  ;  E.  Molixier,  Étude,  etc.,  p.  66. 

2.  Voy.  Chronique  de  Richard  Lescol,  éd.  Lemoine,  p.  101. 

3.  Reg.  Vat.,  n°  238,  fol.  57*'  à  59,  où  sont  aussi  notées  les  lettres  à  Jean, comte  d'Ar- 
magnac, Bernard  et  Bérard  d'Albret  (de  9  mai);  à  «  Pierre  »  de  Grailly,  captai  de 
de  Bucli,  au  sire  de  Pommiers,  à  Bertrand  sire  de  Montferrand,  à  «  nobili  viro  Sele- 
bruno,  domino  de  Spaira  militi  »,  à  TAugier,  seigneur  de  Mussidan,  à  Jean  Stretle, 
connétable  de  Bordeaux,  à  Geraud  «  de  Podio,  judici  A'asconie  pro  Edwardo  rege 
Anglic  )),au  maire  de  Bordeaux,  à  l'abbé  de  Blaye,  nonce  du  Saint-Père;  à  Pierre  de 
laMothe,  aux  comtes  de  Warwick,  Northampton  et  Pembroke,  à  Barthélémy  de  Bur- 
ghersh.  Les  instructions  et  les  pouvoirs  pour  les  deux  cardinaux  sont  du  8  avril,  dans 
Recf.  Aven.  Innoc.  VI,  n"  1  i,  fol.  12  à  22,  éd.  par  Mcusaxt,  Le  Prince  Noir,  p.  233  à 
253,  qui  n'a  pas  connu  les  autres  lettres. 

4.  Reff.  Vat.,  1.  c.  fol.  74'',  Weuuxsky,  Excerptii  ex  Recfistris  démentis  VI  et 
Innocenta  VI  (Innsbruck  1885;,  p.   101  suiv.,  a  omis  cette  bulle.  Mais  voy.  Uayxali», 


ITLNÉRAIIU:    DU    PRINCF:.    bataillé     DK    POITFERS,  13o6  113 

le  pape  écrit  aux  deux  rois.  Il  t'ait  un  tableau  saisissant  des  hor- 
ribles maux  causés  par  la  g-uerre  dans  les  deux  pays,  disant  qu'il 
est  temps  d'en  finir.  Pour  les  aider  à  négocier  cette  paix,  il  leur 
envoie  les  deux  cardinaux  déjà  nommés.  A  la  même  date  et  quelques 
jours  avant,  il  envoie  touchant  la  négociation  de  cette  paix  des 
lettres  semblables  à  vingt-neuf  grands  personnages  d'Angleterre 
et  de  France,  y  compris  Jean  de  Woodrove,  des  Frères  Prêcheurs, 
confesseur  du  roi  Edouard^.  Le  roi  Jean  inclinait  plutôt  à  la  paix, 
ainsi  que  les  deux  nonces  l'avaient  fait  savoir  au  pape  -,  qui  en 
écrivant  le  2  août  au  prince  de  Galles  et  k  plusieurs  autres,  qu'on 
donnât  à  Charles  de  Blois  permission  d'assister  à  la  conclusion  du 
traité,  témoigne  bien  qu'il  avait  alors  l'espoir  de  réussir"'. 

Mais  pour  détourner  les  Anglais  de  la  guerre,  il  eût  fallu  une 
voix  plus  influente  que  celle  d'Innocent  VI,  dont  l'origine  française 
pouvait  faire  mettre  en  doute  l'impartialité  '%  et  qui  n'était  presque 
jamais  maître  de  la  situation. 

Les  Anglais  le  savaient  bien,  aussi,  voici  quelle  fut  leur  réponse. 
Le  prince  de  Galles  envahit  la  France  et  commença  à  chevaucher  de 
Bordeaux  :  «  la  veille  de  Saint  Thomas  de  Canterbire  (le  6  juillet)!^ 
nous  commenceasmes  à  chivaucher  ove  nostre  povar  vers  les  par- 
ties de  France^  ».  Son  armée  était  composée  de  Gascons  et  d'x\n- 
glais  ^K  La  marche  du  prince  fut  marquée,  comme  l'année  précédente, 
par  les  incendies,  la  dévastation  et  la  destruction.  On  ne  s'atten- 
dait pas  à  autre  chose  de  la  part  du  Prince  noir. 

Il  n'existe  aucun  itinéraire  de  la  chevauchée  du  6  juillet  au 
4  août.  A  cette  dernière  date  nous  retrouvons  le  prince  k  Bergerac 

Anii.^  1356,  n"  1,  avec  la  fausse  date  du  26  mai.  C'est' seulement  le  17  novembre  que 
l'empereur  est  venu  à  Metz.  ^'oy.  ci-dessous,  chap.  III,  §  1. 

1.  Recf.  Val.,  1.  c,  fol.  93  à  97'',  R.vy.xald,  1.  c,  n"  2,  avec  la  fausse  date  du  21  mai. 

2.  Re(f.  Vat.,  1.  c,  fol.  134,  ad  Jul.  17. 

3.  Ihid.,  fol.  157suiv. 

A.  Cf.  ibid.,  fol.  96,  la  lettre  du  18, juin  à  Édmiard.  R.vvxam),  1.  c,  n''  4, 

5.  Ainsi  le  prince  dans  sa  lettre  de  Bordeaux,  le  20  octobre,  à  l'évcque  de  Worces- 
tcv  dans  Archueol.  Brilaiin.,l,  n°  4i,  p.  213,  et  Chronicle  of  London  (1827),  p.  207, 
dans  les  Illustrations,  et  réimprimée  dans  les  OEiivres  de  Froissarl,  éd.  Keuvyx  de 
Li:tti:\ho\i:.  WIII,  p,  389  suiv.  La  même  date,  6  juillet,  est  donnée  dans  Coniin.  de 
Muriiniilh.  éd.  IIog,  p.  187  ;  Chron.  Anglinc,  éd.  Thompson,  p.  31. 

6.  Jean  oe  Venette  dit  p.  238  :  «  et  Alemannorum  stipendiariorum  »  (voy.  encore 
FaÉviM.E  dans  Bibl.  de  Vlu-ole  (/es  Chnries,  série  l'\  t.  III,  p.  266).  Mais  c'est  faux. 
Il  n'y  avait  pas  alors  d'Allemands  sous  le  drapeau  d'Edouard. 

R.  P.  Dexii-le.  —  Dosolado  ecclcslarum  II.  8 


\iï  LA    GUERRE    DE    CEINT   A^S 

dans  le  diocèse  de  Périgueux,  d'où  il  entreprit  sa  marche  vers  le 
nord.  Où  était-il  dans  l'intervalle?  On  l'ig-nore,  car  lui-même  garde 
le  silence  à  ce  sujet  dans  ses  lettres  à  Tévêque  de  Worcester 
(20  octobre)  et  à  la  municipalité  de  Londres  (22  octobre).  Il  dit  seu- 
lement s'être  rendu  en  droite  ligne  à  Bourges  par  le  Périgord  et  le 
Limousin  1.  Cependant  une  relation  servant  de  base  à  la  chro- 
nique de  Baker  nous  fournit  quelque  éclaircissement.  L'auteur  de 
ce  rapport  quitta  le  prince  à  La  Réole  au  commencement  de 
décembre  1335  et  demeura  selon  toute  apparence,  cantonné  tout 
l'hiver  avec  une  troupe,  dans  une  des  places  de  la  Gascogne,  sans 
y  rien  apprendre  du  prince  qu'il  croyait  toujours  à  La  Réole,  où  il 
le  retrouva  en  elîet  en  juillet  1356-,  occupé  à  rassembler  son 
armée '^  dont  les  difTérentes  parties  avaient  hiverné  çà  et  là,  entre- 
prenant maintes  incursions  et  conquêtes  en  pays  ennemi  et  reve- 
nant toujours  avec  un  riche  butin  ^.  C'est  ainsi  que  Périgueux  fut 
pris  après  le  2  février  1356^.  Le  prince  de  Galles  a  donc  séjourné 
entre  le  6  juillet  et  le  4  août  à  La  Réole  ou  dans  les  environs. 

Ce  récit  nous  explique  aussi  l'assertion  de  plusieurs  chroni- 
queurs disant  que  dans  sa  marche  sur  Poitiers  le  prince  avait 
touché  le  Rouergue  et  l'Auvergne  ^',  ce  que  dit  aussi  Barthélémy 
de  Burghersh'^.  A  coup  sûr  il  n'en    est  rien.  L'invasion   de  cette 

1.  Dans  sa  lettre  importante  au  maire  et  à  la  municipalité  de  Londres,  du 
22  octobre,  demeurée  presque  inconnue,  le  prince  dit  :  «  nous  prismes  nostrc  chcmyn 
par  le  pais  de  Peregort  et  de  Lymosin  et  tout  droit  vers  lîurgcs  »,  dans  Cfironicle  of 
Lojidon,  p.  204. 

2.  Chronicon,  p.  136. 

3.  «  Congestis  copiis  quas  habuit  secum  in  ducatu  »,  ibid.,  p.  1  iO. 

4.  Ibid.,  p.  138  suiv.,  et  ci-dessus,  p.  94. 

5.  AvKsiîuuY,  p.  456  :  a  Post  festum  Purificalionis  Virginis  gloriosae  ».  Voy.  encore 
Le  Prince  i\oii\  Poème  du  héraiil  Chandos,  éd.  Mu:Hii:i.,  v.  690  sui\-.  S.  Luce  dans 
Fkoissaut.  y,  p.  H,  not.  2. 

6.  Surlout  FîioissAUT,  IV,  p.  197;  V,  p.  2  suiv.;  une  chronique  dans  Secousse, 
Preuves  de  Vhisl.  de  (Charles  II,  p.  632;  Km(;hto.\,  1.  c.  Mazi;he,  L'Auvergne  nu 
XIV<^  siècle,  durant  Vinvasion  anglaise  (Clei'mont  lS45),p.  22  suiv.  s'appuie  seulement 
sur  FroissarL.  Parmi  les  autres  historiens  modernes,  je  cite  Allonneau,  Campagne 
du  prince  de  Galles  en  1355  et  1356  (dans  Mèm.  de  la  soc.  des  anliq.  de  VOuesl,  1841), 
qui  dit  que  le  prince  est  entré  du  Limousin  en  Auvergne,  et  de  là  dans  la  Marche,  le 
Bourbonnais,  etc. 

7.  Dans  sa  lettre,  pas  toujours  correcte,  à  Jean  de  Beauchamp  :  «  Et  chivacha  par 
Agenas,  Limosyn,  Alvern  et  Beryn  et  sus  la  ri\er  de  Lcyre,  de  Nivers  qu'est  l'entrée 
de  Beryndun  ».  OEuvres  de  Froissari,  éd.  Keuvy.x  de  Lette.xhove, XVIII,  p.  3S6.  Non 
moins  inexact  est  l'Itinéraire  dans  Le  Prince  Aoir,  Poème  du  héraut  Chandos,  éd. 
Michel,  v.  709  ;  Saintonge,  Périgord,  etc.  Voy.  encore  ci-dessous,  p.  120,  not.  3. 


ITIiNÉRAlKK    DL'    PIUNCI^.     MATAILLi:    DE     POITIEllS,     1336  llo 

époque  y  fut  entreprise  sans  le  prince,  avant  la  marche  sur  Poitiers 
par  des  troupes  an*j;'laises  ^  D'une  province,  celle  de  Quercy,  nous 
savons  avec  certitude  qu'elle  était    en  1356,  occupée  en  partie  par 
des  troupes  du  prince   de  Galles  ;  mais   ces  troupes  s'y  trouvaient 
sans  lui  et  avant  l'invasion  du  Nord  '.  A  partir  de  1317,  les  Anglais 
y  faisaient   de   fréquentes   incursions  et  étaient  en  possession   de 
Montcuq  en  1348,  faisant  des  courses  dans  le  Haut-Quercy,  surtout 
du  coté  de  Gourdon  dont  les  environs  furent  complètement  ruinés  •'^. 
11  y  avait  l'abbave  cistercienne  du  même  nom.  En  1352,  la  Bastide- 
Française  était  déjà,  comme  nous   l'avons  vu  plus  haut,  entre  les 
mains  des  Anglais.  Dès  1355,  les  Ang-lais  firent  de  grands  progrès 
dans  le    Quercy  ;    la  ville    de    Cahors    fut    presque    complètement 
cernée^.  Pour  l'année  1356  nous  avons  précisément  deux  intéres- 
sants   documents.   Le  2ijuin'',    des  troupes   du  prince  de    Galles 
avaient  occupé  Fons  (arrond.  de  Figeac).  Innocent  VI  écrit  au  prince 
le  29  août  1356  pour  se  plaindre  de  ce  que  ses  gens,  qui  occupaient 
le  prieuré   bénédictin   de   Fons,  avaient  d'une  manière   lamentable 
dépouillé    les  moines  de  leurs    biens  et   de    leurs    meubles.    Une 
autre  lettre  de   la  même  date  adressée    à  Bernard   d'Albret  nous 
apprend  que  les  chefs  de  ce  triste  exploit  étaient   ses  fds  Arnaud 
Amanieu  et  Guitard  d'Albret*^.  D'autres  détachements  s'emparèrent 

1.  Môme  des  auteurs  sans  critique,  comme  Gaijjal,  Eludes  hislori([ues  sur  le 
Roiienjne  (1879),  p.  99,  ne  parlent  pas  d'une  invasion  du  prince.  Moins  encore  Si^n- 
vmuES,  Ilist.  de  Véfflise  du  Roiiergiie,  p.  287,  et  le  critique  si  savant  .T.  RorgiETTi:,  Le 
lîouercfue  sous  les  Ançflais,  Millau,  1869,  p.  7;  1887,  p.  7  suiv. 

2.  Au  contraire,  suivant  le  m?.  d'Amiens  de  Froissart  (IV,  p.  39  ii,  le  prince  entra 
avec  ses  troupes:  «  Et  clievauçoient...  et  entrèrent  en  ce  bon  i)ays  d'A^inoiset  s'adre- 
chièrent  pour  venir  rers  Rochemadour  (Rocamadour)  et  en  Limozin,  ardent  et  essillant 
le  pays  ».  Cathala-Cotiiu:,  Ilisi.  poL,  ecclés.,  liltér.  du  Que7'ci.  I,  p.  280,  n'a  i)as 
d'autres  sources. 

3.  Voy.  Lacosti:,  Ilisl.  (fèn.  du  Quercy,  III,  p.  11  i,  119,  120.  L.  Co^ujAiuicr.  Une 
ville  du  Quercy  {Martel)  pendant  la  guerre  de  Cent  ans  (Cahors  1881),  p.  2(i. 

4.  Voy.  les  détails  dans  Lacosti:,  1.  c,  p.  Ii7,  119  suiv. 
a.  Ihid.,  p.  153. 

().  Rey.  Val.  Innocent.  VI,  n"  2il  F,  ep.  319  :  l)il.  filio  nobili  viro  Edwardo,  nato... 
lùhvai'di  re^is  An|^lic  illustris,  principi  A\'^allie.  Quantus  sit  lionor...  Sicut  fréquenter 
et  dolenter  audivimus,  occasione  jj,uerre,  quam  inter...  Johannem  Francorum  et 
Edwardum  genitorem  tuum  Anglie  regcs  illustres  pacis  cmulus  peccatis  exij;entibus 
suscitavit  et  fovet,  ipsos  dei  servos,  nunc  per  hos,  nunc  per  illos,  hostilis  calamitas 
fréquenter  vcxavit  et  vexai.  Inter  quos  dil.  tilius..  prior  prioratus  de  Fontibus.  Clu- 
niacen.  Ord.  Caturcen.  dioc,  miseriam  suam  déplorât  amarius,  se  ac  monachos  suos 
prioratu  predicto  ac  loco  de  Fontibus  (qui  ad  eundem   prioratum  pertiuet  plcno  jure) 


116 


LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 


à  la  même  éj^oque  de  nouvelles  villes  en  Quercy^.  Et  de  même 
qu'au  commencement  de  Fan  1356  les  Anglais  avancèrent  vers 
Rocamadour  et  prirent  Mirebeau-,  en  guerroyant  sans  le  prince, 
ainsi  arriA-a-t-il  encore  plus  tard,  et  aussi  en  Auvergne. 

Cette  province  vit  également  des  Anglais,  au  moins  en  1355, 
quand  un  corps  s'empara  de  Maurs  ^.  Mais  ce  que  raconte  Froissart, 
est  une  fable. 

Retournons  au  prince  de  Galles. 

Gomme  je  supj^ose,  celui-ci  s'avança  de  La  Réole  avec  une  armée 
forte  de  10.000  à  12.000  hommes  vers  Bergerac  sur  la  Dordogne 
en  Périgord,  où  il  apprit  que  le  comte  d'Armagnac  et  les  siens 
avaient  l'intention,  ajDrès  son  départ,  de  dévaster  les  possessions 
des  Anglais  en  Gascogne.  Pour  résister  à  leurs  efforts,  le  prince  y 
envoya  le  seigneur  Bernard  d'Albret  et  le  major  de  Bordeaux  avec 
une  grande  partie  de  son  armée '^. 

Pour  la  chevauchée  du  prince  de  Galles  depuis  Bergerac  jusqu'à 
Poitiers,  un  Itinéraire  est  conservé  dans  une  chronique  universelle, 
appelée  Eulogium^  écrite  par  un  moine  de  Malmesbury  ^.  Cet  Iti- 
néraire se  fonde  sans  doute  sur  le  rapport  d'un  témoin  oculaire, 
semblable  à  ceux  des  expéditions  précédentes  des  Anglais  en 
France,  dont  nous  avons  déjà  pris  connaissance.  Celui  qui  rédigea 

prêter  direptioneni  bonorum  niobilium  quam  passi  sunt  (assercns  per  gentes  tuas) 
miserabiliter  spoliâtes....  Nobilitatem  tuam  rcquirimus  et  hortaniur  in  Domino  qua- 
tenus...  diclo  priori  prioratum  et  loca  predicta  divine  niiserationis  inluitu  et  nostre 
intercessionis  obtcntu  mandes  et  facias  cuni  eft'ectu  restitui  libère  ac  dimitli... 
Datum  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc,  IV  kal.  Septembris  anno  quarto  (,^'oy. 
Reg.  Yat.,  n"  238,  fol.  165'').  —  L'autre  lettre  est  ihid.,  ep.  318  (n°  238,  fol,  166'') 
«  noJDili  Bernardo  domino  de  Lebreto  niiliti  A'asaten.  dioc.  Audivimus  quod...  nobiles 
viri  Arnaldus  Amaneni  et  Guilardus  de  Leljreto  milites,  nali  tui,  prioratum  de  Fonti- 
bus...  et  castrum  seu  locum  de  Fontibus  ad  prioratum  ipsum  pertinens...  occasione 
f^uerre...  unacum  quibusdam  nobilibus  aliis  occuparunt  »,  etc.  Alis,  Hlal.  de  la  ville 
de  S'^-Bnzeilles  (Agen,  1892),  p.  96,  prétend  donc  à  tort,  qu'Amanieu  s'était  trouvé 
enjz:agc  dans  le  parti  d'Edouard  III  seulement  à  partir  de  1358. 

1.  Lacoste,  1.  c,  p.  153. 

2.  A^'ingTield  dans  Avesdiuy,  p.  447, 

3.  Lacoste,  1.  c,  p,  147. 

4.  Chron.  de  Bakev^  p.  140  :  ((  remisit  ad  patrie  tutelam,..  magnam  classem  togato- 
rum  ».  —  Fhoissakt,  IV,  p,  197,  mentionne  aussi  Bergerac,  mais  comme  première 
étape  pour  marcher  en  Quercy,  Rouergue  et  Auvergne,  d'où,  sui\ant  lui,  le  prince  se 
serait  rendu  en  J^imousin. 

5.  Eiilogiuin,  Chron.  ah  orbe  condilo  ad  an.lS66  a  monacho  quodam  Malmeshu- 
riensi  exaraliim,  éd.  Hetoon,  III  (London  1863),  p.  215-222,  Pour  notre  époque, 
toute  son  importance  consiste  dans  cet  Itinéraire. 


ITINÉHAIUK    DU    l'KlNCi:.     BATAILLE    DIO    POITIKHS,     1 'J5(j  117 

le  récit  en  question  semble  avoir  été  clans  l'avant-j^arde  du  prince, 
du  moins  omet-il  de  temps  en  temps  les  actions  des  autres  corps 
d'armées.  Cet  itinéraire  n'ayant  encore  jamais  été  employé  en 
entier,  ni  cité  correctement  ^  dans  tousses  points,  j'en  donnerai  ici 
un  aperçu  général.  La  lettre  du  prince  adressée  au  maire  et  à  la 
municipalité  de  Londres  est  aussi  d'une  grande  importance. 

Le  prince  quitta  Bergerac  le  4  août',  et  marcha  le  6,  par  le  Péri- 
gord,  où  Barthélémy  de  Burghersh  avait  déjà  pris  deux  villes  for- 
tifiées, qui  furent  occupées  par  le  seigneur  de  Marsan,  jusqu'à 
ce  que  le  prince  arrivât.  Le  7,  il  entra  dans  Périgueux'^,  passa  le  8 
devant  le  château  de  Uamefort,  et  le  9  se  trouvait  à  Brantôme'^, 
toujours  en  Périgord.  Je  ne  puis  constater  si  l'abbaye  bénédictine  fut 
déjà  endommagée  par  les  Anglais  à  cette  époque,  comme  il  arriva 
quarante  ans  plus  tard.  L'Itinéraire  sous-entend  partout  les  incen- 
dies, car  il  mentionne  chaque  fois  qu'un  endroit  est  épargné. 

Le  10  août,  le  prince  passa  sous  le  château  très  fort  de  «  Quis- 
ses  »,  le  11  il  arriva  à  la  ville  de  «  Merdan  »,  où  il  trouva  beaucoup 
de  poissons'';  le  12,  il  atteignit  Rochechouart,  du  diocèse  de  Limoges 
et  le  13,  la  Péruse.  Dans  le  prieuré  bénédictin^,  on  installa  les 
personnages  de  distinction.  Le  14,  le  prince  passa  la  Vienne  et 
se  rendit  à  Lesterps.  L'abbaye  fortifiée  des  chanoines  réguliers  de 
Saint- Pierre  résista  aux  assauts  pendant  la  plus  grande  partie  de  la 
journée,  et  dut  enfin  capituler^.  Les  habitants,  ainsi  que  l'église, 

1.  Kervyx  DE  Lettexhovk  dans  son  édition  de  Froissart,  ^^  p.  524  et  54  i,  a  profité 
de  cet  Itinéraire,  sans  citer  l'édition,  et  il  donne,  t.  XXV,  p.  193,  une  carte.  S.  Luci:, 
V,  p.  ri  etsui\'.  a  seulement  transcrit  Kervy.n  de  Lettenhove,  sans  le  nommer,  et  il 
déi)end  tellement  de  lui,  (piil  cite  Brantôme  comme  première  étape  du  prince  et  suit 
Lettenhove  dans  toutes  ses  omissions  et  inexactitudes.  Plusieurs  historiens  suivants 
s'attachent  à  S.  Luce,  qui  du  reste  plus  tard,  dans  Guesclin,  p.  181,  not,  1,  a  connu 
l'édition,  connue  la  connaissent  Kohler,  1.  c,  II,  et  Moisant. 

2.  «  Movente  se  domino  principe  versus  terram  Galliarum  de  lîrigerake  die  jovis, 
hoc  est  quarto  die  mensis  Aujiusti,  super  terram  Franciae  equitando  »,  etc. 

3.  «  Ad  villam  (piae  fuit  episcopi  de  Peragor...  sedes  ibi  fuit  cathedralis  ». 

4.  Comme  je  l'ai  dit,  Keiivyx  ue  Lettenhove  et  S.  Luce  donnent  seulement  Bran- 
tôme comme  première  étape  assignée  par  le  moine  de  Malmesbury. 

5.  On  sait  que  les  rivières,  les  ruisseaux  et  les  étangs  de  l'Angoumois  fournissent 
d'excellents  poissons  et  des  anguilles.  Voy.  Mauvaud,  Géoc/raphie  du  dép.  de  la  Cha- 
rente, {).  96. 

6.  Le  moine  dit  «  ahljatiam   de  Poruche  ».  Toutefois  c'était  un  prieuré. 

7.  Le  1  i  août  le  i)rince  écri\ait  ime  lettre  datée  d'une  abbaye  du  Limousin,  (huit  le 
nom  était  laissé  en  blanc  i^Moisant,  p.  124\  (^ette  abbaye  est  celle  de  Lesterps. 


118  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

furent  épargnés.  Le  prince  y  passa  le  15;  le  16,  il  était  à  Bellac, 
ville  qui  appartenait  à  la  comtesse  de  Pembroke  *.  et  qui  fut  épar- 
gnée par  égard  pour  elle.  Le  17,  il  atteignit  une  ville  avec  un 
important  château-fort  (le  Dorât,  comme  je  suppose '),  propriété  de 
Jacques  de  Bourbon  3.  L'église  résista  longtemps.  L'avant-garde 
prit  aussi  d'assaut  deux  châteaux  très  fortifiés. 

Le  19,  le  prince  arriva  à  Lussac  (-les-Eglises)  où  il  trouva  de 
nouveau  beaucoup  de  poissons;  le  20,  les  Anglais  incendièrent  la 
ville  ;  le  même  jour,  le  prince  entra  à  Saint-Benoît-du-Sault,  dans  le 
diocèse  de  Bourges.  Là,  se  trouvait  un  prieuré  bénédictin  ^  où 
deux  neveux  du  seigneur  de  Brette  avaient  déposé  li.OOO  florins. 
Tout  près  delà  était  située  l'abbaye  cistercienne  d'Aubignac.  Le  21 
et  le  22,  le  prince  était  à  Argenton  ;  sur  son  passage,  il  s'empara 
d'un  château-fort.  Le  23,  il  entra  dans  la  ravissante  ville  de  Châ- 
teauroux.  L'arrière-garde  dormit  à  «  Saint-Yman  »  et  Bourgdieu 
(Déols")  où  était  l'abbave  bénédictine  très  fortifiée.  L'avant-srarde  v 
resta  aussi  le  24  août  ^. 

Les  faubourgs  de  Bourges  furent  probablement  incendiés  par  les 
Anglais  pendant  ces  journées,  quoique  l'Itinéraire  ne  le  mentionne 
pas.  Mais  le  fait  est  constaté  par  d'autres  documents^. 

Le  25  vit  le  prince  devant  le  château-fort  d'Issoudun  où  il  demeura 
le  26  et  le  27  ^  A  Issoudun  se  trouvait  la  célèbre  abbaye  bénédic- 

1.  Je  ne  me  trouve  pas  en  mesure  de  contrcMer  cette  assertion.  PiKnnEFiTTiî,  Hist.  de 
la  ville  de  Bellac  (1851),  et  Ghaxet,  Hist.  de  Bellac  (1890),  ne  disent  rien.  Mais  ces 
auteurs  ne  mentionnent  non  plus  la  présence  du  prince  de  Galles  à  Bellac  en  1356, 

2.  AunrcEOis  de  la  Ville  nu  Bost,  Hist.  du  Dorât  (1880),  p.  52,  rapporte  d'après  le 
témoignage  d'un  auteur  du  xvii*  siècle,  Pierre  Robert,  qu'en  1369  le  prince  de  Galles 
vint  avec  une  armée  formidable  assiéger  le  château  du  Dorât,  «  lequel  il  ne  put 
en  aucune  façon  prendre,  mais  il  l'uina  et  détruisit  la  ville».  Il  y  a  peut-être  confusion 
entre  les  années  1356  et  1369. 

3.  Il  était  comte  delà  Marche  et  de  Ponthieu.  Lui-même  était  alors  avec  l'armée  du 
roi  Jean;  cependant  sa  femme  habitait  cette  ville,  comme  dit  le  moine. 

4.  Le  moine  dit  «  abbatia  ».  Mais  voy.  Rocheu,  Hist.  de  Vabbai/e  de  Sninl-Benoll- 
siir-Loire.,  p.  77.  Le  prieuré  dépendait  de  cette  abbaye. 

5.  Grillon  des  Chapelles,  iXotice  sur  Vahhiiye  de  Dèols  (1857),  dit  seulement 
p.  140,  que  le  prince  de  Galles  vint  mettre  le  siège  devant  Chàteauroux;  désespérant 
de  prendre  le  château,  il  se  retii'a  en  brûlant  la  ville.  Rav.xal,  Hist.  du  Berry  (1847), 
II,  297,  fixe  à  toi^t  dans  l'ordre  inverse  l'itinéraire  du  prince  et  le  fait  opérer  devant 
Chàteauroux  après  sa  marche  sur  Bourges  et  Issoudun. 

6.  Voy.  S.  LucE,  dans  Fhoissart,  V,p.  m,  not.  1.  Quelques  détails  intéressants  dans 
Raynal,  1.  c,  p.  294.  Bourges  est  encore  mentionnée  dans  la  lettre  du  prince  au  maire 
de  Londres.  Voy.  ci-dessus,  p.  114,  not.  1. 

7.  Comme  auparavant,  Kehvyn  de  Lettexhove  et  S.  Luoe  ont  altéré  ici  l'Itinéraire. 


ITINÉRAIRE    DU    PRINCE.    RATAILLE    DE    POITIERS,    13o(i  119 

tine  de  Notre-Dame.  Gomme  à  Bourges,  on  y  avait  préparé  une 
sérieuse  défense.  Le  prince  ne  put  s'emparer  du  château,  mais  la 
ville  fut  brûlée  et  détruite  ^  ;  le  faubourg  de  Saint-Paterne  fut  entiè- 
rement dévasté,  et  cet  ancien  centre  de  la  population  devint  désor- 
mais un  désert,  occupé  aujourd'hui  en  grande  partie  par  des  prai- 
ries'^. «  L'église,  à  moitié  détruite  blasme  encore,  dit  A.  Duchesne, 
l'indignité  des  Anglais  en  ses  ruines  ^.  »  Le  28,  le  prince  parut  devant 
le  château  de  La  Ferté,  appartenant  au  vicomte  de  Thouars.  Le 
même  jour  il  arriva  devant  la  ville  de  Lury,  traversa  ensuite  le  Cher 
et  passa  la  nuit  à  Vierzon  où  était  la  célèbre  abbaye  bénédictine 
de  Saint-Pierre.  Celle-ci  partagea  le  sort  de  toute  la  ville  qui  fut 
incendiée  '^  Le  captai  de  Buch  avait  déjà  auparavant  dévasté  toute 
la  contrée.  L'abbaye  voisine  des  Bénédictins  à  Massay  ne  fut  cer- 
tainement pas  mieux  traitée  que  celle  de  Saint-Pierre.  C'est  encore 
vers  ce  temps  que  Jean  Chandos  et  James  Audley,  envoyés  en 
avant  par  le  prince  comme  éclaireurs  -^  prirent  de  force  la  ville 
d'Aubigny  et  y  mirent  le  feu.  Ils  firent  pendant  la  marche  plusieurs 
prisonniers  parmi  la  troupe  française  placée  sous  les  ordres  de  Phi- 
lippe de  Chambly,  appelé  Grismouton,  chargé  d'observer  le  mou- 
vement de  l'armée  du  prince,  et  qui  préféra  la  fuite  ^. 

Le  29  août,  le  prince  arriva  à  la  ville  de  ((  Frank  ».  C'est  alors 
qu'à  sa  grande  joie  il  reçut  la  nouvelle  de  l'approche  du  roi  de 
France^.  Il  continua  sa  marche  avec  ses  troupes,  et  n'était  éloigné 
d'Orléans  que  de  seize  lieues,  quand  le  sire  de  Graon  et  Boucicaut, 
autres  éclaireurs  envoyés  par  le  roi  de  France  ^,  s'avancèrent  à  sa 
rencontre.  Il  les  poursuivit  jusqu'à  Romorantin,  oi^iils  s'enfermèrent 
avec   leurs  hommes.   Dès    le   30,  le    prince    assiégea  la   ville.    Le 

1.  Voy.  un  document  conlemporain  dans  Uaynal,  1.  c,  j).  29G. 

2.  PÉHKMK,  Recherches  Jiisl.  et  nrchéol.  sur  la  ville  d'issoudun  (1S17),  p.  280. 

3.  Dans  Pkukmk,  1.  c. 

t.  Voy.  aussi  un  document  communiqué  par  S.  Lrcn  dans  Froissart,  p.  m,  not.  3. 
f).  Cf.  Bakru,  p.  1  iO. 

0,  Voy.  encore  I^akkk,  1.  c,  et  p.  299,  et  la  lettre  du  prince  au  maii'C  de  Londres 
dans  Chronicle  of  Lonclon^  p.  20  i. 

7,  Euloginm  :  «  unde  multum  laetatus  est  ».  C'est  d'accord  avec  le  Chvon.  de  Baker, 
p.  141.  Seulement  la  nouvelle  de  l'approche  du  roi  n'arriva  qu'un  ou  deux  jours  après 
que  le  prince  était  déjà  à  Romorantin,  «  consulcius  dijudicans  inmiotus  exspectare 
coronati  feritatem  preliaturam  quam  querere  forsan  non  exspectatui-am  polenciam, 
cum  qua  summe  concupivit  conserere  manus  belialrices  ». 

8.  Voy.  la  lettre  citée  du  prince,  1.  c. 


120  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

donjon  ne  se  soumit  que  le  3  septembre  à  la  suite  d'un  incendie 
dont  les  assiégés  ne  purent  se  rendre  maîtres.  Le  prince  passa 
encore  le  lendemain  à  Romorantin,  c'est-à-dire  cinq  jours  ^  en  tout. 
On  y  fit  plus  de  100  prisonniers,  entre  autres  Amauri,  sire  de 
Graon  et  Jean  Boucicaut^, 

Le  5  et  le  6,  le  prince  continua  sa  marche'^  sur  la  rive  droite  du 
Cher  et  arriva  dans  le  comté  de  Blois.  Puis  il  atteignit  c(  Aumounk  » 
sur  Loire  près  de  Tours  ^,  où  il  demeura  jusqu'au  matin  du  11  sep- 
tembre. Il  essaya  en  vain  de  franchir  la  Loire '^  Durant  leur  séjour 
près  de  Tours,  les  troupes  y  faisaient  de  belles  marches  quoti- 
diennes, c'est-à-dire  qu'elles  pillaient,  incendiaient,  dévastaient 
les  environs  et  essaimaient  de  brûler  les  faubourgs  de  Tours  6.  Le 
dimanche  11,  de  grand  matin,  on  leva  le  camp;  le  prince  passa  le 


1.  Eulogiiim,  p.  219  suiv.  La  lettre  du  prince  est  craccord  avec  Fltinéraire.  Frois- 
SART  est  très  inexact. 

2.  Voy.  AvESBUHY,  p.  471  ;  Kmghtox,  p.  88,  92.  Jean  le  Meingre  Boucicaut  venait  à 
peine  de  quitter  la  prison.  En  février  1355,  il  obtint  la  liberté  sur  la  promesse  qu'il  fit 
de  retourner  dans  la  prison  d'Edouard  au  mois  d'avril.  Le  duc  de  Lancaster  et  le  comte 
d'Arundcl  prolongèrent  le  terme  jusqu'au  24  juin;  Innocent  VI  priait  le  roi  Edouard 
d'accorder  comme  terme  la  Toussaint  ou  Noël.  Reff.  Vat.,  n°  237,  fol.  26,  ad  an.  1355, 
Febr.  7.  Il   est  mentionné  comme  prisonnier  le  30  janv.  1354  dans  Rymek,  III,  p.  271. 

3.  Le  Prince  A'of'r,  Poème  du  héraut  d'armes  Chandos,  v.  720,  offre  un  exemple 
curieux  de  confusion  ; 

Après  (Romorantin)  chivacha  en  Berri 

Et  parmy  la  Gascoignc  auxi 

Et  jesques  à  Tours  en  Tourayne  ! 

4.  «  Avmiounk  super  Lcir  juxta  Tours  in  Turonia  ».  Thompson,  Chron.  de  Baher, 
p.  299,  a  raison  de  dire  que  c'est  Amboise  plutôt  que  Chaumont-sur-Loire,  comme 
le  veut  S.  Ltice.  Voy.  encore  la  lettre  du  prince  dans  la  note  suivante. 

5.  Le  prince  écrit  dans  sa  lettre  au  maire  de  Londres  qu'il  a  appris  à  Romorantin 
«  que  touz  les  pontz  sur  Leyre  estoient  debruses  et  que  nulle  part  purriens  avoir  pas- 
sage. Sur  quel  nous  prismes    nostre   clicmyn  tout  droit  à    Tours  et  là  demourasmes 

devant  la  ville  quatre  jours Et  à  nostre  départir  d'illeoqs  nous  prismes  le  chemyn 

pour  passer  ascuns  daungers  des  eaAves  et  en  entente  d'avoir  encountree  ovesque 
nostre  très  cher  cosyn  le  ducs  de  Lancastre,  de  qi  nous  aviens  certeins  novelles  q'il  se 
voillent  afforcier  de  trere  devers  nous  »  {Chronicle  of  London^  p.  205).  Baker  dit, 
p.  142,  que  surtout  entre  Blois  et  Tours  les  ponts  étaient  rompus  et  qu'à  cause  des 
inondations  on  ne  pouvait  passer  la  Loire.  Le  roi  «  jussit  prosterni  omnes  pontes 
super  flumen  de  Leyre,  quos  veteres  non  sine  magnis  expensis  extruxerunt  »,  écrit 
Chron.  Angliae,  éd.  Thompson,  p.  34.  Vo^-.  encore  la  lettre  de  Barthélémy  de  Bur- 
ghersh  à  Jean  de  Beauchamp,  et  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  45  suiv.  Le 
duc  de  Lancaster  essaya  en  vain  de  franchir  la  Loire.  Voy.  Froissart,  p.  71. 

6.  L'Itinéraire,  et  Baker,  1.  c,  not.  1. 


ITIjNÉRAIHE    du    prince.    lîATAlLLl-:    DE    POITIEI'.S,     1356  121 

Cher  et  l'Indre^,  et  arriva  à  Montbazon,  dans  le  diocèse  de  Tours, 
presqu'en  face  de  cette  ville.  Le  maréchal  de  Nesle  y  commandait 
des  troupes.  Il  avait  déjà  auparavant  fait  couper  les  ponts  du  Cher 
à  Saint-Avertin  et  à  Pont-Cher,  incendiant  les  petits  villages  des 
environs  afin  d'empêcher  l'ennemi  d'y  trouver  un  refug-e -.  Les 
Français  faisaient  aussi  rentrer  les  vivres  afin  que  l'armée  anglaise 
ne  pût  rien  trouver  sur  son  passage.  Comme  nous  le  voyons,  toutes 
ces  mesures  de  précaution  n'aboutirent  à  rien.  Le  12  septembre, 
le  prince  reçut  à  Montbazon  la  visite  du  cardinal  de  Périgord 
qui  l'exhorta  à  la  paix\  En  même  temps,  il  apprit  que  le  dauphin 
était  à  Tours  avec  1.000  hommes  d'armes  et  que  le  roi  voulait  lui 
livrer  bataille  le  14  septembre. 

Le  roi  de  France  avait  séjourné  à  Chartres  du  28  août  aux  pre- 
miers jours  de  septembre.  Il  y  avait  attendu  l'arrivée  des  gens 
d'armes  qui  venaient  tous  les  jours  d'Auvergne,  du  Berry,  de  Bour- 
gogne '^,  de  Lorraine,  du  Hainaut,  de  l'Artois,  du  Vermandois,  de 
Picardie,  de  Bretagne  et  de  Normandie  •'^.  Le  roi  reçut  aussi  la 
nouvelle  que  le  prince,  avec  son  armée,  pillait,  dévastait  et  incen- 
diait tout  sur  son  passage  ^.  En  quittant  Chartres  avec  ses  troupes, 
Jean  arriva  le  8  septembre  à  Meung-sur-Loire^.  Les  différents 
corps  passèrent  le  fleuve  à  Meung,  à  Orléans,  à  Blois,  à  Tours  et  à 
Saumur  8  ;  le  roi  passa  à  Blois.  Il  s'arrêta  le  13  à  Loches  pour  con- 
centrer ses  forces. 

Dans  cette  même  journée  du  13,  le  prince  se  dirigea  directement  sur 
Sainte-Maure-de-Touraine,  et  vint  coucher  à  la  Haye-sur-Creuse,  où 

1.  s.  LucE  écrit  :  «  (vanchit  pi'écipitamment  ».  Mais  les  sources  ne  disent  rien. 

2.  GiRAUDET,  Hist.  de  In  ville  de  ï'oizr.s,  I,  p.  1 16. 

3.  L'Itinéraire,  et  le  prince  dans  sa  lettre  au  maire  de  Londres,  dans  lacpielle  il  rap- 
porte sa  réponse,  qu'il  ne  pouvait  conclure  la  paix  sans  son  père  Edouard  ;  parler 
de  trêve  était  inutile,  parce  que  le  roi  de  France  voulait  une  bataille. 

4.  Sevd  le  duché  de  Bourgogne  obéit  à  Tappel  du  roi;  le  comté  de  Bourgogne  n'en- 
voya pas  un  homme  d'armes.  Voy.  Ed.  Cleuc,  Essai  sur  lliist.  de  la  Franche-Comté 
(1846-1870),  II,  p.  105. 

5.  Froissaut,  V,  p.  2.  Chron.  de  Pierre  Cochon,  p.  88.  La  noblesse  cotentinaise  fut 
à  peine  représentée.  Voy.  Dupont,  II,  p.  354.  Pour  une  autre  raison,  se  trouvèrent 
à  Poitiers  peu  de  nobles  de  la  province  de  Quercy.  Ils  étaient  obligés  de  rester  dans 
le  pays  pour  défendre  leurs  terres.  Cf.  Lacoste,  1.  c,  p.   154,  not.  I. 

6.  Fhoiss.vut,  p.  12.  Chron.  des  quatre   Valois,  p.  46. 

7.  Cabinet  hist.,  Documents  (1878),  p.  262. 

8.  Froissart,  p.  12  suiv. 


122  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

il  apprit  l'intention  qu'avait  le  roi  de  France  de  le  devancer,  lui  et  son 
armée,  afin  qu'il  ne  lui  échappât  points  Le  14,  le  prince  arriva  à  la 
belle  et  forte  ville  de  Ghâtellerault,  sur  la  rive  droite  de  la  Vienne  et 
y  demeura  jusqu'au  17  au  matin,  «  ettendauntz  de  savoir  plus  la  cer- 
tein  de  lui  »  (du  roi  de  France),  comme  dit  le  prince  dans  sa  lettre.  Le 
16  septembre,  on  lui  annonça  que  le  roi  avait  été  à  Ghauvig-ny  sur 
les  rives  du  même  fleuve  la  nuit  du  15  au  16  septembre '^  Le  prince 
avait  été  devancé.  En  eiFet,  le  roi  avait  quitté  Loches  dès  le  14, 
couché  à  la  Haye ,  où  le  prince  avait  passé  la  nuit  précédente ,  et 
atteint  Chauvig-ny  le  15;  par  conséquent,  il  était  à  sept  lieues  au 
sud  de  Ghâtellerault,  où  séjournait  l'ennemi,  et  à  cinq  lieues  à  l'est 
de  Poitiers,  vers  lequel  il  se  dirig-ea  avec  son  armée  après  avoir, 
le  16,  franchi  la  Vienne  sur  le  pont  de  Ghauvig-ny  ^. 

En  apprenant  cette  nouvelle,  le  prince  manda  à  son  armée  que  son 
charroi  devait  passer  la  Vienne  pendant  la  nuit,  afin  que  le  lende- 
main matin  rien  n'entravât  la  marche  des  troupes  vers  l'ennemi  ^, 
ce  qui  fut  exécuté.  Le  samedi,  17,  de  grand  matin,  le  prince  leva  au 
plus  vite  le  camp  à  Ghâtellerault,  suivit  la  route  de  Ghauvigny  et 
passa  la  Vienne,  quand  il  apprit  que  les  forces  françaises  avaient 
déjà  traversé  le  fleuve  et  se  trouvaient  devant  Poitiers.  Il  se  préci- 
pita vers  elles  et ,  pour  accélérer  la  marche  ,  il  quitta  la  route 
de  Ghauvig-ny  à  Poitiers  et  chevaucha  à  travers  champs  sans  se 
soucier  de  son  bagage -^  A  cette  occasion  ses  éclaireurs^,  au  nombre 
de  200,  rencontrèrent  à  la  lisière  d'un  bois  l'arrière-^'arde  fran- 
çaise,  forte  de  700  hommes,  qui  n'avait  pas  encore  rejoint  le  gros 
de  l'armée,  et  qui  fut  défaite  ;   plus  de   200  hommes  furent  tués  et 

1.  «  Nova  vcnerunt  principi  quod  re.v  Franciae  vellet  praecederc  nos,  nani  niultuiii 
dubitavit  si  forte  princeps  fugcret  vise  cxercitu  P'rancorum  ».  L'Itinéraire,  1,  c. 

2.  L'Itinéraire  écrit  à  tort  «  nocte  sabbati  »  au  lieu  de  «  nocte  praeccdenti  »  ou 
«  nocte  diei  jovis  ». 

3.  FnoissART,  p.  14. 

4.  «  Et  versus  ininiicos  suos  festinando  »,  l'Itinéraire,  p.  222.  Le  prince  raconte 
dans  sa  lettre  au  maire  de  Londres  plusieurs  de  ces  circonstances  et  ajoute  :  «  et 
sur  ceo  prismes  propos  de  hastier  devers  lui  sur  le  chemyn  qu'il  devereit  passer 
pour  estre  combatuz  ove  lui  »  [Chronicle  of  London,  p.  205). 

5.  «  Princeps  vero  ultra  modum  equitabat  relinquendo  viam  quae  ducit  de  Gha- 
vi^ne  ad  Poyters,  sed  ultra  campos  ad  inimicos  suos  festinando  nec  habendo  res- 
pectum  ad  cariagium  suum  »,  1.  c. 

6.  Parmi  eux  étaient  deux  chevaliers  de  Hainaut,  Eustache  d'Auberchicourt  et 
Jean  de  Ghistelles.  Froissart,  p.  16.  Gela  arriva  près  de  La  Ghaboterie.  Voy.  la 
carte  de  Thompsox  dans  Chron.  de  Baker,  p.  310. 


iTiNKUAnn:  du  puinci:.  hataiule  di:  Poitiers,  13^)0  123 

fait  prisonniers  ;  parmi  ces  derniers  se  trouvaient  les  comtes 
d'Auxerre  et  de  Joij^nv,  et  le  seigneur  de  Châtillon'. 

Lorsque  le  prince  se  fut  assuré  que  les  Français  n'arrivaient 
point  pour  le  combat,  il  coucha  le  17  au  soir  dans  la  forêt  où  avait 
eu  lieu  la  rencontre-,  «  et  le  lendemeyn  (18  septembre)  prismes 
nostre  chemyn  tout  droit  devers  le  roy  et  mandasmes  no/  descou- 
vreurs, qe  trouvèrent  lui  od  son  poair  (rarmée)  prist  ])a taille  es 
champs  a  une  lue  de  Peiters,  et  alasmes  à  plus  près  de  lui  que 
no[u]s  poiams  prendre  nostre  places,  et  nous  mesmes  à  pié  et  en 
arraie  de  bataille  et  prest  de  combattre  ove  lui  »  -"'. 

Ce  récit  réfute  complètement  la  plupart  des  descriptions  de  ce 
fait  qui  presque  toutes  reposent  sur  les  données  de  Froissart.  On 
prétend  généralement  que  le  prince  aurait  évité  d'engager  la  bataille. 
Lorsque  l'armée  française  se  trouvait  encore  sur  la  rive  droite 
de  la  Loire,  il  aurait  accéléré  sa  marche  pour  retourner  à  la  Garonne. 
Suivant  Froissart,  ce  n'est  que  le  17,  lorsqu'il  voulait  regagner 
la  Garonne,  que  le  prince  aurait  appris,  par  des  prisonniers  faits 
dans  une  rencontre,  que  l'armée  française  l'avait  dépassé.  C'est 
alors  qu'il  aurait  reconnu  le  danger  auquel  il  ne  pouvait  plus  échap- 
per :  une  bataille  devenait  imminente^.  D'après  S.  Luce  qui  avait 
quelque  connaissance  de  Fltinéraire,  mais  qui  le  rattache  au  récit 
de  Froissart,  le  prince  aurait  su  dès  le  16  que  l'armée  française  le 
précédait;  mais  le  17,  il  se   serait   écarté  à  dessein  de  la  route  qui 

1.  L'Itinéraire  et  la  lettre  du  prince.  Les  trois  noms  nous  sont  donnes  ])ar  la  leth'e 
du  prince,  par  Bakeh,  et  Grand,  chron.,  p.  31,  Chrnn.  de  Lescot^i).  102,  où  «  San- 
cerre  »  pour  «  Auxerre  »,  Fkoissaht,  p.  217.  Voy.  encore  AvEsnunv  et  Kmouton,  1.  c. 

2.  L'Itinéraire  et  Bakeu.  Le  prince  dit  à  peu  près  la  même  chose  dans  sa  lettre  : 
<(  pourquoi  il  nous  convienoit  logjier  cel  jour  à  plus  près  de  celle  ])lace  qe  nous  poiens 
pour  recoiller  noz  gentz  »  Chronlvle  of  London.  1.  c,  M.  Vu.lam  (Muratoiu,  XH', 
p.  4iO)  parle  aussi  de  «  bosco  »,  mais  son  l'écit  est  ti'ès  confus,  comme  celui  du  Prince 
Noir,  Poème  du  héraut  Chandos,  v.  758  suiv. 

3.  Ainsi  le  prince  dans  sa  lettre,  1.  c.  Voyez  encore  Enlof/ium,  1.  c,  Bakeh,  j).   1  i3. 

4.  Froissaht,  p.  12,  li,  17.  Suivant  la  Chron.  de  Pierre  Cochon,  p.  88,  le  i)rince 
avait  véritablement  peur.  D'après  la  Chron.  normande,  p.  112,  302.  le  prince  battit  en 
retraite  et  fut  poursuivi  par  les  Français  jusqu'à  Poitiers.  Voy.  encore  Les  Cronicifues 
de  Normandie,  éd.  Hellot  (1881),  p.  8.  Les  auteurs  modernes  comme  Micuei.et  et 
H.  Mautix;  Paii.i  dans  Gesch.  von  England.  IV,  p.  436;  Am-onneav,  Campagne  du 
prince  de  Galles,  etc.  dans  Mèm.  de  la  soc.  des  anti([.  de  VOuesl  (1841),  p.  72,  et 
d'autres  suivent  le  récit  de  Froissart.  Moisant.  p.  52  et  p.  53,  reproduit  S.  Luce.  sans  le 
nommer,   en  citant   la  lettre  du    prince,  où  on  trouve  tout  à  fait  le   contraire  de 

on  assertion.  i 


]2i  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

va  de  Ghauvign}^  à  Poitiers,  pour  ne  pas  rencontrer  les  Français. 
Son  but  aurait  été  de  laisser  Poitiers  à  sa  droite  et  de  se  dérober 
par  la  gauche  à  l'armée  française  (qu'il  savait  campée  en  face  de  cette 
ville,  du  côté  du  sud-ouest)  en  la  contournant  et  de  regagner  Bor- 
deaux par  l'Angoumois.  Par  suite  de  l'engag-ement  avec  l'arrière- 
garde,   la  bataille  était  devenue  inévitable  ^ 

La  relation  de  Luce  est  moins  heureuse  encore  que  la  précédente, 
car  le  prince  savait  dès  le  16,  quand  il  se  trouvait  encore  sur  la 
rive  droite  de  la  Vienne,  que  le  roi  de  France  et  son  armée  l'avaient 
dépassé  et  se  dirigeaient  sur  Poitiers.  Si  donc  le  prince  voulait 
échapper,  pourquoi  ne  restait-il  pas  sur  la  rive  droite  afin  de  se  reti- 
rer vers  Lussac-les-Châteaux  ou  Montmorillon,  pourquoi  se  rap- 
prochait-il de  l'ennemi  en  traversant  le  fleuve?  D'ailleurs,  même 
après  la  rencontre  du  17.  alors  que  le  prince  se  trouvait  déjà  sur  la 
rive  gauche,  la  bataille  n'était  pas  inévitable.  Le  service  des 
éclaireurs  de  l'armée  française  était  si  défectueux  que  les  Anglais 
purent  à  leur  aise  camper  toute  la  nuit  suivante  dans  la  forêt,  sans 
que  les  Français  les  inquiétassent.  Une  marche  nocturne  les  aurait 
fait  échapper  sans  être  aperçus  -. 

Il  n'y  a  que  l'Itinéraire,  la  Chronique  de  Baker  et  la  lettre  du 
prince  au  maire  de  Londres,  qui  donnent  une  description  et  une 
explication  conformes  aux  mouvements  du  prince.  Le  29  août 
ou  l'un  des  jours  suivants,  le  prince  se  réjouissait  déjà  de  ce  que 
le  roi  s'avançait  contre  lui,  tant  il  désirait  livrer  bataille. 
Le  4  septembre,  il  donna  l'ordre  à  ses  hommes  de  préparer  leurs 
harnais  '^.  Le  13,  il  apprit  que  le  roi  voulait  le  dépasser;  le  16,  que 
c'était  un  fait  accompli.  Jacta  csto  alea^  se  sera  dit  le  prince,  qui 
en  effet,  franchit  la  Vienne,  se  dirigeant  contre  l'ennemi.  Ce  ne  fut 
donc  point,  comme  dit  Luce,  pour  y  échapper  qu'il  abandonna  son 
bagage,  qu'il  quitta  la  route  et  galopa  à  travers  champs,  mais  pour 

1.  Dans  Froissaut,  p.  v,  not.  3;  Giiesclin,  p.  172.  Si  S.  Luce  avait  connu  la  lettre  du 
prince  et  la  chronique  du  Baker,  il  aurait  change  son  récit. 

2..  Kmghton  dit  p.  88  :  «  Victualia  ccperunt  defîcere  in  exercitu  principis  in  tantum 
quod  oportebat  eos  congredi  in  belle,  aiit  pi'ae  vecordia  tergum  ininiicis  vertere  ». 
Que  le  défaut  «  des  vitailles  »  fut  un  motif  pour  le  prince  de  «  prendre  nostre  che- 
myn  en  coteant  par  devant  eux  »  et  de  forcer  les  Français  de  livrer  bataille,  le  prince 
même  le  dit  dans  sa  lettre  au  maire  de  Londres  {Chronicle  of  London,  p.  206), 

3.  L'Itinéraire,  p.  220. 


ITIXÉUAIIU']    DC    l'IUNCK.    BATAILLK    DK    POITIERS,     IG^JG  i2.J 

atteindre  l'ennemi  plus  vite  encore  ^  Il  se  montre  à  nous  dans  toute 
l'intrépidité  de  son  caractère,  tel  que  nous  avons  appris  à  le  con- 
naître à  la  bataille  de  Grécy.  Il  n'est  pas  plus  exact  de  dire  que  le 
prince  ait  déjà,  le  samedi  17,  choisi  remplacement  de  la  bataille, 
comme  on  le  raconte  d'après  Froissart '.  Au  contraire,  comme  je 
l'ai  dit,  le  prince,  avec  son  armée,  passa  la  nuit  du  17  au  18  dans 
la  foret,  et  ce  ne  fut  que  le  dimanche  au  point  du  jour  qu'il  se 
dirigea  vers  l'emplacement  qu'il  voulait  occuper. 

Dans  le  courant  de  cette  matinée  du  18,  alors  que  le  prince  avec 
ses  troupes  marchait  en  toute  hâte  dans  la  direction  des  Français, 
le  cardinal  Talleyrand  de  Périgord  vint  à  sa  rencontre  pour  Feng-a- 
ger  à  faire  la  paix''',  et  fit  une  tentative   analogue  auprès  du  roi. 

Ici  encore  le  contraste  entre  les  chroniqueurs  français  et 
anglais  saute  aux  yeux.  D'après  les  premiers,  qui  soupçonnaient 
le  prince  de  vouloir  se  soustraire  au  combat,  celui-ci  négociait  en 
homme  découragé.  Suivant  Jean  le  Bel  et  Froissart,  le  prince 
olfrait  au  roi  de  rendre  les  places  conquises  en  France  pendant  ce 
voyage,  de  libérer  le  seigneur  de  Craon  et  plusieurs  autres  prison- 
niers et  de  faire  le  serment  de  ne  pas  prendre  les  armes  contre  la 
France  jDendant  sept  ans.  Mais  le  roi  exigeait  en  sus  que  le  prince  se 
rendît,  et  100  chevaliers  avec  lui^.  Les  autres  chroniqueurs  français 
racontent  plus  ou  moins  de  choses  semblables^.  Tout  cela  ne 
s'accorde  nullement  avec  le  caractère  du  prince  et  les  antécédents. 

Les  sources  anglaises  donnent  une  version  plus  conforme  à  la 
vérité.  De  prime  abord,  le  prince  ne  voulut  pas  écouter  le  cardinal, 
disant  qu'il  s'agissait  de  combattre  plutôt  que  de  prêcher.  Toutefois 

1.  Voy.  ci-dessus,  p.  122,  not.  5. 

2.  P.  17,  18,  219. 

3.  L'Itinéraire,  p.  222.  Lettre  du  prince,  p.  205, 

4.  A^oy,  Jean  Liî  Bel,  éd,  Polai.x,  II,  p.  198;  Fuoiss.vut,  p.  2G  suiv. 

5.  D'après  Chronocfr.,  p.  260,  et  ('Jiron.  norm.,  p.  J13,  le  prince  ofl'rait  de  rendre 
les  places  con({uises  depuis  3  ans,  de  payer  300.000  florins  et  de  rester  en  otajie.  Mais 
même  ces  propositions  ne  satisfirent  point  le  roi.  ^^>y.  encore  (Jhron.  de  Pierre 
Cochon,  p.  88.  Suivant  la  Chron.  des  quatre  Valois,  p,  51  suiv.,  le  prince  n'oll'rait  pas 
seulement  les  places  conquises,  mais  encore  Calais.  Au  continuateur  de  la  (Chronique 
de  R.  Lescot,  p.  102,  tout  cela  paraissait  encore  insufllsant.  Selon  lui,  le  prince  «  trina 
vice  ofl'erri  fecit  omnia  que  pacis  erant  et  cum  perpétua  pace  quidquid  citra  marc 
Anglici  possidebant».  Et  malgré  ces  propositions  favorables,  le  cardinal  intermédiaire, 
fut  considéré  comme  un  traître  par  les  nobles  Français,  ainsi  que  le  même  chroni- 
queur croit  le  savoir.  Le  récit  .de  Vn.L.\M  contient  en  substance  ce  que  disent  les 
chroniqueurs  français  (^Muratoiu,  XIV,  p.  411  suiv,  . 


126  ■  LA    GUEURE    DE    CENT    ANS 

il  finit  par  céder,  et  Ton  convint  de  choisir,  de  part  et  d'autre, 
six  parlementaires^  qui  devraient  traiter  en  présence  du  cardinal. 
On  s'occupait  en  vain  de  conclure  la  paix,  d'un  combat  de  cent 
contre  cent,  comme  proposait  Geoffroy  de  Charny-,  et  à  négocier 
une  trêve.  Voyant  que  l'armée  française  continuait  à  g-rossir  au 
cours  de  cette  même  journée"',  et  que  ses  adversaires  ne  prenaient 
pas   les    négociations  au  sérieux,  le  prince  les  rompit. 

A  la  tombée  de  la  nuit  il  n'avait  pas  encore  complètement 
occupé  l'emplacement  d'où  son  armée,  forte  seulement  de 
7.000  hommes  S  soutint  le  combat  contre  40.000  à  oO.OOO 
Français  ^.  Mais  il  était  à  Maupertuis,  à  8  kilomètres  au  sud-est  de 
Poitiers,  sur  les  bords  de  la  petite  rivière  de  Miausson,  entre 
l'abbaye  bénédictine  de  Nouaillé,  et,  comme  on  dit  aujourd'hui,  la 
Cardinerie,  qui  n'est  autre  chose,  c'est  presque  certain,  que  Mauper- 


1.  Eiilogiiim,  p.  222  suiv.,  où  par  erreur  est  écrit  XT  pour  \l.  Le  prince  dit  de 
même  dans  sa  lettre  au  maire  de  Londres,  p.  205,  seulement  il  ne  donne  pas  le 
nombre  des  parlementaires,  dont  les  noms,  douze  en  tout,  se  trouvent  annotés 
dans  J.e  Prince  ?\oii\  Poème,  etc.,  v.  863  à  919. 

2.  Cela  résulte  du  Poème  cité  et  de  la  lettre  du  prince,  p.  205.  Cf.  Baker,  p.  144. 

3.  Eiiloffium,  l.  c.  Bakku,  l.  c.  Le  cardinal  lui-même  le  confessa  plus  tard  à  Bor- 
deaux devant  le  prince.  Baker,  p.  155. 

4.  Ce  nombre  seul  est  exact.  Suivant  Bakeh,  p.  143,  larmée  était  forte  de 
4.000  hommes  d'armes,  1.000  communs  et  2.000  archers.  Barthélémy  Burghersli  donne 
presque  le  môme  nombre;  mais  il  parle  de  3.000  hommes  d'armes  au  lieu  de  4.000,  en 
tout  6.000  (lettre  à  Jean  de  Beauchamp\  Les  Récits  (Viin  bouvffeois  de  Vnleiicienne.s, 
p.  290,  sont  d'accord  sur  le  nombre  de  7.000.  Km(;hto.\,  p.  93,  qui  ne  parle  pas  de  com- 
muns, donne  un  chiflre  encore  inférieur,  comme  aussi  Chron.  Angl.  Quand  le  prince 
avait  quitté  La  Réole,  son  armée  était  beaucoup  plus  nombreuse.  Mais,  comme  nous 
avons  vu,  en  ari-ivant  à  Bergerac  il  en  avait  envoyé  une  grande  partie,  sans  doute 
quelques  milliers  d'hommes,  pour  protéger  la  patrie.  A  cause  de  cela  avant  la 
bataille  «  multi  de  nostris  murmurarunt  pro  eo  quod  ])ridem  ad  tutelam  A\nsconiae 
remissa  fuit  mngnapars  exercitus  nostri  pi'imo  congregati.  »  Bakkh.p.  143.  Tout  cela 
a  été  inconnu  jusqu'à  présent.  S.  Luce,  Guesclin,  p.  173,  sur  l'autorité  de  Frois- 
sart,  donne  aux  Anglais  à  la  bataille  10  à  12.000  hommes,  dont  les  deux  tiers  (vers 
6.000  ou  7.000)  des  archers  ou  des  fantassins  à  pied.  C'est  faux.  Les  autres  chroni- 
queurs français,  comme  C/jrono</r.  et  Chron.  7ior»i.,  à  l'exception  d'un  dans  Secoisse, 
Preuves,  p.  651  (8.000  combattants  dont  3.000  archers)  exagèrent  également  le  nombre 
des  archers.  Je  pense  que  les  chroniqueurs,  surtout  Froissart  (qui  tantôt  parle  de 
8.000,  tantôt  de  12.000  hommes^  ont  confondu  l'armée  du.  départ  de  Bordeaux  ou  plu- 
tôt de  La  Uéole,  et  l'armée  de  la  bataille. 

5.  Selon  la  majorité  des  chroniqueurs,  c'est  le  nombre  des  combattants  français.  Les 
chroniqueurs  anglais  n'étaient  pas  bien  informés  sur  les  forces  françaises,  dont  ils 
donnent  un  nombre  plus  faible  que  les  chroniqueurs  français.  Quatre  fois  de  plus  que 
les  Anglais,  lisons-nous  dans  Le  Prince  I\oir,  Poème,  etc.,  v.  910. 


ITLNÉRAIRK    DU    PlUNCK.    HATAILLE    DE    POITIERS,    IS.jB  127 

tuis  d'autrefois  K  Que  les  forces  de  l'ennemi  fussent  cinq  ou  six  fois 
plus  grandes,  le  prince  l'ignorait,  et  l'eût- il  su,  il  ne  s'en  fût 
point  effrayé.  Il  savait  que  la  différence  du  nombre  entre  les  com- 
battants anglais  et  les  français  avait  été  plus  désavantageuse  encore 
à  Morlaixen  1342,  et  guère  moins  à  Mauron  en  1352,  et  que,  malgré 
tout,  les  Anglais  avaient  été  victorieux.  11  n'avait  pas  plus  peur 
que  le  comte  de  Northampton  et  Walter  de  Bentley,  et  il  était  plus 
audacieux'-.  En  outre,  le  prince  saAait  que  depuis  la  bataille  de  Crécy, 
où  il  avait  gagné  ses  éperons,  ses  adversaires  n'avaient  rien  appris 
et  n'avaient  profité  de  rien,  qu'ils  méprisaient  obstinément  de  con- 
naitre  les  avantages  de  la  combinaison  des  armes  à  tir  et  des 
armes  blanches,  et  les  perfectionnements  introduits  à  cette  époque 
dans  Fart  de  combattre.  11  avait  étudié  de  près  ses  adversaires,  au 
nord  de  la  France,  et  l'année  précédente  dans  le  midi.  11  connais- 
sait leurs  chefs,  et  était  convaincu  que  les  errements  de  Crécy  se 
répéteraient.  Froissart  nous  dit  que  les  Français  étaient  sûrs  de  la 
victoire.  Mais  le  prince  ne  l'était  pas  moins,  lui-même  nous  le  dit  ^  : 
il  se  regardait  comme  invincible^  ;  son  attente  ne  fut  pas  trompée. 
Le  lundi  19  septembre,  à  l'aurore,  le  cardinal  vint  encore  une  fois 
trouver  le  prince.  Mais  celui-ci  voyait  à  son  grand  déplaisir  que 
l'armée  française  augmentait  en  nombre,  et  il  congédia  le  cardinal, 
disant  qu'il  n'y  avait  plus  de  temps  à  perdre^.  Du  moins,  c'est  alors 
seulement  que  son  armée  opéra  son  dernier  mouvement.  Le  prince 
supposait  à  tort  qu'une  cohorte  française  occupait  la  colline  atte- 
nante. L'accès  en  était  des  plus  difficiles.  11  s'y  rendit  et  l'occupa 
avec    sa  bataille.   Sa  position   dominait  celle   de  l'ennemi^.   Tout 

1.  Voy.  S.  LrcE  clans  Fhoissaht,  p.  vi,  not.  1.  Mais  la  meilleure  description  de 
remplacement  du  prince  nous  est  donnée  par  la  Chron.  de  Baker,  p,  14G  suiv..  et 
Thompsox,  ibid.,  p.  306,  310. 

2.  Le  continuateur  de  Richard  Lescol,  p.  101,  suit  une  opinion  contraire.  Voy. 
encore  ibid.,  not.  1. 

3.  Bakeh,  p.  145. 

4.  Au  cri  désespéré  d'un  Anglais  ])cndant  la  bataille  :  «  Ilew  victi  deficiemus  ».  le 
prince  répondit  :  «  Mcntiris  pessimc  vecors,  si  me  vivum  posse  vinci  blasfemeris  ». 
Baker,  p.  150. 

5.  Ihilogium,  p.  223.  Voy.  encore  IîaivEu.  p,  141;  Fuoissaut,  p.  29  suiv.;  Grand, 
chron.,  p.  32. 

6.  Baker,  p.  146  suiv.  :  «  hostibus  altior  incumbens  ».  Après  le  récit  du  Baker  on 
comprend  celui  de  VEulogiuni,  p.  22  4.  Voy.  encore  la  lettre  du  prince  au  maire 
de  Londres,  p.  206. 


128      ■  LA    GUERRE    DE    CEINT    ANS 

l'emplacement  des  Anglais  était  on  ne  peut  plus  avantageux.  La 
cavalerie  ennemie  ne  pouvait  se  déployer  à  cause  des  marais 
avoisinants  ;  les  fantassins  ne  pouvaient  avancer,  parce  qu'on  n  y 
parvenait  que  j^ar  un  étroit  ravin  entouré  de  fossés.  Les  vignes,  les 
buissons  et  tout  le  terrain  avaient  été  mis  à  profit  par  les  Anglais. 

Ceux-ci  étaient  partagés  en  trois  batailles,  non  pas  placées  l'une 
derrière  l'autre,  comme  chez  les  Français,  mais  de  manière  à  ce 
que  l'une  put  soutenir  l'autre,  selon  les  circonstances  et  les  acci- 
dents du  terrain.  La  première  division  était  commandée  par  War- 
Avick  et  Oxford;  celle  de  la  colline,  par  le  prince  ;  la  troisième,  par 
Salisbury  et  Suffolk.  Les  archers  étaient  répartis  sur  toutes  les 
trois,  mais  de  telle  façon  qu'ils  occupaient  des  j^oints  dérobés  d'où 
ils  pouvaient  opérer  d'autant  plus  sûrement. 

Les  Français  eurent  aussi  trois  batailles,  mais  l'une  derrière 
l'autre;  la  première  sous  le  dauphin  Charles,  duc  de  Normandie;  la 
seconde  sous  le  duc  d'Orléans;  la  troisième  sovis  le  roi.  Au  premier 
plan  était  postée  la  cavalerie  sous  Arnoul  d'Audrehem,  le  maréchal 
Jean  de  Clermont  et  le  connétable  Gautier,  duc  d'Athènes.  Celle-ci 
eut  à  soutenir  le  premier  combat. 

La  bataille  s'engagea  vers  le  lever  du  soleil.  On  sait  combien 
l'issue  en  fut  néfaste  pour  la  France.  C'est  la  bataille  la  plus 
remarquable  de  toute  la  guerre  de  Cent  ans,  et  cei'tainement  l'une 
des  plus  mémorables  de  tous  les  temps.  Un  Anglais  était  opposé  au 
moins  à  cinq  ou  six  Français,  et  pourtant  les  Anglais  remportèrent 
la  victoire!  Ce  n'est  qu'à  présent,  depuis  que  le  Chronicon  de 
Baker "^  a  paru,  qu'on  peut  faire  un  exposé  exact  du  combat';  ce 
récit  rectifie  tous  les  autres,  même  quelquefois  celui  du  héraut  de 
Chandos^,  mais  surtout  celui  de  Froissart,  dont  les  informations  sur 

1.  Ed.  Thompsox,  p.  143-154.  L'éditeur  a  expliqué  dans  les  notes,  p.  306  à  313, 
les  points  ditriciles,  et  nous  a  donné  une  carte,  p.  310,  qui  nous  montre  mieux  et 
plus  exactement  les  positions  et  les  mouvements  des  Anglais  et  des  Français  que  la 
carte  dressée  par  Vinet  (dans  Jamisson,  Bertrand  du  Guesclin,  traduit  par  Baissac, 
1866,  p.  577),  ou  par  Kohi.eh,  Die  Eniwickeluncj  des  Kriec/sivesens,  etc.,  II,  Tafel  ix. 
Le  croquis  dans  Spru.neu-Mexke,  Ilist.  Ilnndatlns^  3"  éd.,  n"  52,  est  faux  tant  pour 
les  Français  que  pour  les  Anglais. 

2.  Que  jNIoisaxt,  1.  c,  p.  55  suiv.,  n'ait  pas  tiré  profit  de  cette  chronique,  écrite  à 
peine  deux  ans  après  la  bataille,  c'est  presque  impardonnable. 

3.  A  mon  avis  on  fait  trop  de  cas  du  Poème  du  héraut  d  armes  Chandos^  devenu 
maintenant  accessible  à  tous  par  l'édition  qu'en  a  faite  Michel.  Il  ne  fut  composé  que 


ITINÉRAIRE    DU    PRINCE.    BATAILLE    DE    POITIERS,    1356  129 

les  différents  eng-agements  et   mouvements,  notamment  ceux    des 
Anglais,  sont  souvent  inexacts. 

Je  ne  puis  m'empècher  d'ajouter  quelques  remarques  sur  le  cours 
de  la  bataille,  quoiqu'elles  ne  rentrent  pas  dans  le  cadre  de  mon 
travail.  La  fuite  d'une  partie  de  l'armée  française  est  connue. 
Cependant  plusieurs  chroniqueurs  se  trompent  sur  la  manière  et  la 
mesure  de  la  panique,  disant  que  l'immense  majorité,  voire  même 
plusieurs  lignes  de  bataille,  auraient  pris  la  fuite  sans  coup  férir'. 
Ces  auteurs,  ainsi  que  des  contemporains,  cherchent  la  cause  du 
désastre  dans  la  lâcheté  et  la  trahison  de  la  noblesse  française.  Je 
crois  pouvoir  alFirmer  d'une  seule  division^  celle  du  milieu,  com- 
mandée par  le  duc  d'Orléans ,  qu'elle  a  quitté  le  champ  du  combat 
sans  coup  férir;  personne  du  moins  ne  mentionne  la  part  qu'elle 
aurait  prise  à  un  engagement  quelconque.  Quant  aux  autres 
corps,  la  fuite  partielle  n'eut  lieu  qu'après  un  combat  acharné, 
ce  qui  arriva  à  la  cavalerie  des  maréchaux  quand  leurs  chefs  vinrent 
à  manquer  ;  le  duc  d'Athènes  et  Jean  de  Clermont  périrent,  tandis 
qu'Arnoul  d'Audrehem  fut  fait  prisonnier.  Presque  tous  les  Ecossais 
qui,  sous  Guillaume  Douglas,  avaient  été  joints  à  cette  cohorte, 
furent  tués.  Douglas  blessé  s'enfuit,  une  grande  partie  de  la  cohorte 
resta  sur  le  champ  de  bataille,  le  reste  chercha  son  salut  dans  la 
fuite  devenue  inévitable-.  Et  quel  fut  le  sort  de  la  première 
bataille,  celle  du  duc  de  Normandie?  Suivant  deux  chroniques 
dans  Secousse  '^,  les  ducs  de  Normandie  et  d'Orléans  et  les  comtes 
d'Anjou  et  de  Poitiers   partirent  immédiatement  après  la  déroute 

plus  de  vingt  ans  après  la  bataille  de  Poitiers.  En  outre  la  forme  poétique  n'est  guère 
de  nature  à  inspirer  confiance.  On  ne  sait  que  trop  combien  les  exigences  du  mètre 
et  de  la  rime  rendent  quelquefois  difficile  le  récit  exact  des  faits.  Et  encore  ne  doit- 
on  pas  oublier  qu'il  s'agit  d'un  panégyrique,  et  que  le  héraut,  à  ce  qu'il  paraît,  n"a 
eu  connaissance  directe  que  de  l'expédition  du  prince  de  Galles  en  Espagne  et 
des  événements  suivants  ;  le  reste  est  par  ouï-dire,  comme  il  écrit  souvent. 

1.  Grand,  chron.j  p.  32  suiv.  :  «  plusieurs  batailles  de  la  partie  du  roy  de  France... 
s'enfuirent  vilainement  et  honteusement,  et  dicnt  aucuns  que  pour  ce  fu  Tost  dudit 
roy  de  France  desconfit  ».  Voy.  Jeax  de  Vexette,  p.  240;  Clironoffr.^  p.  262;  Chron. 
norm.,  p.  115  suiv.;  116,  not.  3  ;  le  continuateur  de  la  Chron.  de  Lescol,  p.  103;  Les 
Chronicques  de  Normendie,  éd.  IIkm,ot,  p.  8.  D'après  ^^IL^.v^^  (Mihatori,  p.  116) 
s'enfuirent,  sans  coup  férir,  jusque  «  verso  Parigi  »,  les  ducs  de  Normandie  et  d'Or- 
léans qui  présidaient,  suivant  lui,  une  seule  «  schiera  »  !  Je  cite  parmi  les  modernes 
FiM.ox,  Jean  CJiandos,  connétable  d'Aquitaine.,  dans  la  Revue  de  VOuest,  l.S55.p.  196. 

2.  Bakeh,  p.  148. 

3.  Preuves,  etc.,  p.  633,  661. 

R.  P.  Denifle.  —  Desolatio  ecclesiarum  II.  9 


130  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  la  cohorte  des  maréchaux.  Jean  de  Venette,  par  contre,  et  le 
continuateur  de  Richard  Lescot  prétendent  que  le  duc  de  Nor- 
mandie et  les  siens  quittèrent  le  champ  de  bataille  après  que  le 
roi  eût  été  fait  prisonnier.  Ces  auteurs  sont  si  mal  informés  sur 
l'ordre  des  «  batailles  »,  qu'ils  croient  même  que  celle  du  roi  était 
échelonnée  devant  celle  du  duc. 

Le  narrateur  du  récit  contenu  dans  VEiilogiuin  nous  raconte 
qu'un  combat  terrible  et  sans  précédent  dans  l'histoire  s'était 
engagé;  dans  les  temps  antérieurs,  dit-il,  on  pouA^ait  presque 
toujours  juger  de  l'issue  de  la  lutte  dès  que  la  sixième  flèche  était 
décochée.  A  Poitiers,  chaque  archer  avait  lancé  cent  flèches  bien 
visées  et  la  victoire  restait  encore  indécise.  Ces  détails  peuvent  être 
exagérés,  mais  le  fait  essentiel  nous  est  confirmé  par  d'autres,  et 
en  particulier  pour  ce  qui  regarde  le  combat  avec  la  bataille  du  duc 
de  Normandie.  D'après  Baker,  ce  dernier  combat  fut  si  terrible 
que  de  tous  les  Anglais,  sauf  400  réservés  contre  la  bataille  du  roi, 
chacun  presque  fut  blessé  ou  exténué.  Beaucoup  furent  hors  d'état 
de  continuer  la  lutte,  d'autres  n'eurent  plus  de  flèches.  Ceci  est 
bien  compréhensible.  Les  Anglais  ne  comptaient  plus  que  2.000 
archers  ;  chacun  d'eux  était  trop  mis  à  contribution  et  devait  tirer 
trop  souvent.  Ils  étaient  donc  contraints  de  retirer  leurs  flèches  des 
j^laies  de  leurs  ennemis^,  car  ils  avaient  encore  devant  eux  la  plus 
grande,  la  dernière  bataille,  celle  du  roi.  D'autres  chroniqueurs 
anglais  racontent  aussi  qu'au  combat  avec  la  bataille  mentionnée  les 
archers  n'eurent  plus  de  flèches  et  qu'ils  durent  se  servir  de 
pierres  et  d'autres  armes  '.  Après  une  lutte  acharnée,  il  est  vrai, 
la  bataille  du  duc  de  Normandie  céda  et  prit  la  fuite  -^ 

A  l'arrivée  de  la  dernière  bataille,  le  courage  des  Anglais  baissa 
sensiblement,   non   seulement  à   cause  des  forces    numériques   de 

1.  Chron.,  p.  150":  «  lanccas  atquc  mucrones,  suis  contritis  intcgriorcs,  a  dcviclis 
rapuerunt,  et  architcnenscs  extraere  sagitlas  a  niiscrrimis  semivivis  lestinarunt  ».  Du 
reste,  la  Chi^on.  des  quab'e  premiers  Vnlois,  p.  35,  parle  aussi  de  cette  j;rande  lutte 
avec  la  bataille  du  duc  de  Normandie. 

2.  Kmgutox,  p.  89;  Chron.  Angliae,  p.  35. 

3.  Bakeu  dit  p.  119  :  «  Post  stragem  maj;nam  suoruni  taleni  sapicntcs  inierunt  cau- 
telam,  qualcm  non  fugam  set  pulcrani  retraccioneni  in\incibiles  ore  Galli  sunt  assucti 
vocitarc  ».  Une  lettre  du  comte  d'Armagnac  du  1"  octobre  1356  montre  que  le  roi 
avait  ordonne  au  duc  de  Normandie,  au  comte  de  Poitiers  et  au  duc  d'Orléans  de  se 
sauver.  Ménard,  Hist.  de  Nimes,  Preuves,  n°  102. 


ITINÉHAIIŒ    DU    PRINCE.    BATAILLE    DE    POITIERS,     l3.')6  131 

Tennemi,  mais  aussi  23arce  que  leur  condition  avait  empiré.  Leurs 
rang-s  étaient  éclaircis;  leur  force  principale,  les  archers,  n'avaient 
plus  que  les  flèches  retirées  des  blessés.  Mais  de  son  coup  d'œil 
d'aigle  le  général  anglais  embrassa  la  situation  ;  une  manœuvre 
adroite,  adaptée  aux  circonstances,  décida  de  la  victoire.  Le  prince 
quitte  la  colHne  et  s'avance  vers  la  bataille  pendant  que  le  captai  de 
Buch  réussit  à  contourner  l'ennemi  avec  GO  hommes  d'armes  et  100 
archers.  L'ennemi  fut  donc  attaqué  par  devant  et  dans  le  dos.  Le 
combat  corps  à  corps  fut  épouvantable  ;  lorsque  les  archers 
eurent  derechef  vidé  leurs  carquois,  ils  ne  luttèrent  plus  qu'avec 
des  boucliers  et  des  sabres  i.  Le  roi  et  son  fils  Philippe,  âgé  de 
douze  ans,  furent  pris  dans  le  désordre,  les  Français  se  retirèrent 
et  s'enfuirent  jusqu'à  Poitiers,  poursuivis  par  les  Anglais. 

Les  chroniqueurs  français,  en  parlant  de  ce  désastre,  diminuent 
généralement  du  tiers  ou  du  quart  le  nombre  de  leurs  morts.  Ils 
disent  que  »^)00  à  800  hommes  d'armes  seulement,  chevaliers  et 
écujers,  la  fleur  de  la  chevalerie  décomptée,  seraient  restés  sur  le 
champ  de  bataille-.  Naturellement,  ils  devaient  accepter  avec  cré- 
dulité cette  version  du  petit  nombre  des  morts ,  après  avoir  admis 
les  fables  de  la  fuite  de  plusieurs  «  batailles  ».  Mais  les  Anglais 
connaissaient  la  vérité,  et  ce  sont  heureusement  les  sources 
anglaises  qui  nous  renseignent  là-dessus.  Le  champ  de  bataille 
leur  appartenait  et  Baker  dit  expressément  que  les  morts  et  les  pri- 
sonniers furent  comptés  le  lendemain  ^.  Le  prince  lui-même  joignit  à 
sa  lettre  une  liste  des  23risonniers  et  des  morts  les  plus  illustres. 
Après  avoir  nommé  les  prisonniers,  il  ajoute  :  «  Et  sont  pris  outre 
les  noms  dessus  escriftz  des  gentz  d'armes  mix^xxxiii.  Gaudete  in 
Domino  semper  ».  Au  bout  de  la  liste  des  morts,  nous  lisons  ces 
mots  :  «  Et  outre  le  noms  surnometz  sont  mortz  des  genz  d'armes 
MMCcccxxvi.  Iterum  dico  gaudete^.»  En   dehors  des  2426  hommes 


1.  Bakkii,  p.  150,   151   suiv. 

2.  Ainsi  Froissait,  p.  xv,  et  p.  60.  285.  La  Chronogr.  :  «  non  cnini  niortii  sunt  plus 
quani  octinj;enli  ».  La  ('Jiron.  noî'ui.,  p.  262,  ajoute  au  moins  :  «  honniies  d'armes  ». 
Le  continuateur  de  Lkscot,  p.  105  :  octinjjccnti  alii  l'amosi  pugnatores. 

3.  Chron.,  p.  15i  suiv. 

A.  Archneol.  Bî'ilnnn.,  I,  n"  li  ;  Chronicle  of  [.nnilon,  p.  207  suiv.  Voir  une  liste  de 
prisonniers  nobles  dans  la  Chronique  Romane,  p.  251  suiv. 


132  LA    GUERRE  DE  CENT   ANS 

d'armes,  Tévêque  de  Ghâlons^,  le  duc  Pierre  de  Bourbon,  le  duc 
d'Athènes,  connétable  de  France  et  16  barons  et  nobles  -  restèrent 
sur  le  champ  de  bataille.  Quant  aux  simples  soldats,  le  nombre  de 
leurs  morts  s'élève  même,  au  dire  de  Froissart,  à  beaucoup  de  mil- 
liers •^,  ce  qui  est  confirmé  par  les  chroniqueurs  anglais  ^.  Parmi  les 
prisonniers  énumérés  dans  la  lettre  du  prince,  il  y  avait,  outre  les 
1.933,  le  roi  Jean  et  son  fils  Philippe,  Guillaume  de  Melun,  arche- 
vêque de  Sens,  13  comtes,  5  vicomtes  et  21  barons.  Et  combien 
furent  blessés  et  mis  hors  de  combat  ?  On  n'en  parle  pas  ;  nous 
savons  cependant  que  les  Anglais  en  eurent  une  grande  quantité^. 
Ce  même  fait  se  produisit  du  côté  des  Français,  et,  naturellement, 
dans  une  proportion  beaucoup  plus  grande. 

Il  ne  faut  pas  chercher  la  cause  du  désastre  dans  la  lâcheté  de  la 
noblesse  *^,  quoique  la  ténacité  avec  laquelle  elle  s'attacha  à  ses 
anciennes  traditions  et  habitudes  y  ait  contribué  en  grande  partie  '^, 
mais  à  Poitiers,  il  y  eut  un  concours  de  circonstances  exception- 
nelles. Tout  d'abord  la  manière  insensée  de  livrer  la  bataille,  le 
manque  absolu  de  stratégie  et  de  tactique.  Les  Français  ne  son- 
gèrent pas,  par  exemple,  à  occuj^er  durant  la  nuit  la  colline  où 
s'établit  le  prince  dès  le  lendemain.  Ceux  qui  étaient  à  la  tête  de 
l'armée  française  ne  reconnurent  pas,  pour  la  plupart,  leur  imjDuis- 
sance  en  face  de  la  forte  position  des  Anglais.  Leurs  meilleurs 
généraux  étaient  aux  premiers  rangs  et  croyaient  jDouvoir,  au 
moyen  de  la  cavalerie,  pénétrer  dans  les  retranchements  de  leurs 
adversaires.  Ils  furent  donc  les  premiers  exposés  ;  deux  d'entre  eux 
succombèrent ,  le   troisième   fut  fait    prisonnier.  A    la  tête    de  la 


1.  Suivant  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  57,  il  fut  tue  en  fuyant,  mais  les 
Anglais  le  trouvèrent  sur  le  champ  de  bataille. 

2.  A'oy.  la  lettre  du  prince,  et  Avksuvhy,  p.  178;  Kmghton,  p.  90  suiv. 

3.  Froissaut,  p.  285.  Les  manuscrits  de  la  Clironique  donnent  des  variantes  entre 
5.000  et  11.000. 

i.  Eulogium,  p.  225  :  «  Pedites  mortui  non  numerantur  ».  Higdkn,  Polychron.,  éd. 
LiMuv,  VIII,  p.  357  :  «  vulgus  quasi  innumerabilc  ».  Ainsi  Contin.  de  Miirimuih,  éd. 
HoG,  p.  187;  Chron.  Angline,  p.  36. 

5.  Voy.  Bakku,  p.  150,  153. 

6.  Cette  accusation  fut  déjà  réfutée  par  S.  Luce  dans  son  GiiescUn,  chap.  VI,  qui 
traite  de  la  supériorité  militaire  de  l'Angleterre  au  xiv«  siècle,  comme  plus  tard,  mais 
indépendamment  de  lui,  a  fait  Kohler,  1.  c,  p.  356  suiv.,  371  suiv. 

7.  Voy.  ci-dessus,  p.  127. 


ITINÉRAIRE    DU    PRINCE.    BATAILLE    DE    POITIERS,    13o6  133 

première  bataille  se  trouvait  un  prince  âgé  de  dix-neuf  ans^, 
qui  n'avait  guère  vu  de  combat  jusqu'à  ce  jour.  La  deuxième  bataille 
était  de  même  commandée  par  un  prince  de  vingt  ans,  Philippe,  duc 
d'Orléans,  novice  lui  aussi  dans  l'art  de  la  guerre  et  qui  prit  la  fuite. 
Le  roi  en  personne  commandait  la  troisième  bataille  ;  mais  il  n'avait 
aucune  des  qualités  qui  font  les  grands  généraux.  Il  est  toujours 
regrettable  que  chaque  prince  du  sang  se  croie  né  commandant, 
chaque  roi  ou  empereur,  généralissime.  Que  de  batailles  ont  été 
perdues  par  cette  illusion  déplorable  !  Chez  les  Français,  il  n'était 
question  ni  de  calculs  combinés  d'avance,  ni  de  prise  en  considéra- 
tion des  conjonctures,  tandis  que  les  Anglais  profitaient  de  chaque 
circonstance  favorable  ;  de  là,  leurs  divers  mouvements  pendant  la 
bataille.  Par  exemple,  voyant  que  les  flèches  des  archers  étaient 
impuissantes  contre  le  poitrail  cuirassé  des  destriers  de  la  cohorte 
des  maréchaux,  le  comte  d'Oxford  descendit  de  la  colline  et  ordonna 
aux  archers  de  tirer  de  côté  sur  les  croupes  des  chevaux,  ce  qui  causa 
un  grand  désordre  dans  ledit  corps  -.  Nous  avons  vu  comment 
les  Anglais,  en  changeant  de  tactique,  restèrent  vainqueurs  de  la 
bataille  du  roi.  D'autre  part,  les  Français  ne  possédaient  aucune 
arme  qui  put  rivaliser  avec  les  redoutables  archers  anglais  qui,  pro- 
tégés en  même  temps  par  les  cavaliers  démontés  et  par  les  fantas- 
sins, avaient  surtout  l'avantage  d'occuper  des  emplacements  très 
abrités.  A  Crécy,  les  Français  avaient  du  moins  des  arbalétriers 
génois,  tout  mauvais  qu'ils  fussent;  mais  à  Poitiers,  paraît-il,  les 
arbalétriers  n'étaient  pas  mis  en  action.  Et  pour  mettre  le  comble  à 
ces  désavantages,  les  Français  se  trouvaient  en  face  d'un  ennemi  qui 
ne  comptait  la  vie  absolument  pour  rien  3,  et  pour  qui  la  fuite  était 
une  honte.  A  Mauron,  Walterde  Bentley  fit  décapiter  trente  archers 
qui,  effrayés  par  le  grand  nombre  des  ennemis,  avaient  essayé  de 
fuir  ^. 

Dès  le  lendemain  de  la  bataille,  le  prince  se  mit  en  marche  pour 
la  Guienne.    S'il    s'était    rendu  incontinent    à  Paris     et  dans  les 

1.  Ses  deux  frères  cL  compagnons  d'armes,  les    comtes    d'Anjon    et  de    Poitiers, 
étaient  plus  jeunes  encore,  un  était  àyc  de  dix-sept,  l'autre  de  seize  ans. 

2.  Baiveh,  p.  1-48. 

3.  Ibid.,  p.  150  :  «  Vitam  quasi  nichil  appréciantes,  solum  cogitabant  ne  moreren- 
tur  soli  vel  inulti  ». 

4.  Ibid.,  p.  120. 


134  LA    GUERRE    DE    CENT    APsIs 

autres  villes  avec  ses  troupes,  c'eût  été  certainement,  nous  dit  un 
chroniqueur  français,  le  dernier  jour  de  la  France  i.  Mais  les  vain- 
queurs n'y  songeaient  point.  Ils  se  sentaient  eux-mêmes  si  épuisés 
et  si  meurtris  qu'ils  n'auraient  pas  eu  la  force  de  porter  le  coup 
mortel.  D'ailleurs  ils  n'en  avaient  que  faire.  Combien  de  provinces, 
quelles  grosses  sommes  d'argent  l'Angleterre  ne  pourrait-elle  pas 
exiger  en  échange  de  la  mise  en  liberté  du  roi  et  de  son  fils,  sans 
parler  des  fortes  rançons  qu'on  demanderait  pour  les  autres  prison- 
niers-?  Le  prince  avec  le  roi  captif,  qu'il  traitait  honorablement  ^^ 
prit  paisiblement  et  à  petites  journées  le  chemin  de  Libourne  par 
La  Roche,  Ruffec,  La  Rochefoucauld  et  Bors,  suivi  des  autres 
prisonniers  et  d'un  immense  et  magnifique  butin.  Le  dimanche 
2  octobre,  il  arriva  à  Libourne  où  il  passa  plusieurs  jours  pendant 
qu'on  préparait  à  Bordeaux  des  logements  pour  lui  et  le  roi  de 
France  ^. 

1.  Chronocfr.,  p.  263. 

2.  Les  prisonniers  devinrent  l'objet  d'un  marche  en  règle,  d'un  véritable  trafic. 
Chaque  prisonnier  était  la  propriété  de  l'Anglais  ou  du  Gascon  qui  l'avait  pris.  Après 
quoi,  le  prince  rachetait  les  prisonniers  de  leurs  propriétaires  (Baker,  p.  155  ;  voy. 
Froissart,  p.  xvii).  Des  querelles  s'élevèrent  maintes  fois  au  sujet  du  légitime  pos- 
sesseur. Notamment  le  chevalier  artésien,  Denis  de  Morbecque,  et  l'écuyer  gascon, 
Bernard  de  Truttes  «  du  Troy  »  disputèrent  longtemps  l'un  à  l'autre  la  prise  du  roi. 
Non  seulement  le  procès  intenté  par  Bernard  de  Truttes  durait  encore  le  13  janvier 
1360,  comme  écrit  S.  Luce  dans  Froissart,  l.c,  not.  3  ;  mais  un  an  et  demi  plus  tard, 
le  1"  juillet  1361,  Bernard  continuait  à  i^evendiquer  son  droit  [Chvonicle  of  London, 
p.  209  et  suiv.).  Il  va  sans  dire  que  le  prince  avait  à  payer  de  fortes  sommes  aux  pro- 
priétaires. Mais  elles  étaient  minimes,  comparées  aux  rançons  exorbitantes  que  le 
prince  ovi  le  roi  extorquaient  de  ses  prisonniers. 

3.  Depuis  Froissart,  p.  63,  287,  Villam,  p.  418,  on  a  souvent  répété  que  le  soir  de 
la  bataille,  le  prince  servit  lui-même  le  roi  captif  à  table,  et  refusa  de  s'asseoir  à 
côté  de  lui,  alléguant  qu'il  n'était  pas  digne  d'un  si  grand  honneur.  C'est  un  roman. 
Baker  raconte,  p.  154,  que  le  même  soir,  à  souper,  le  prince  était  nssis  près  du 
roi.  Il  se  leva  au  moment  où  lord  Audley,  mortellement  blessé,  fut  porté  dans  la 
tente  ;  le  prince  se  mit  à  le  caresser,  lui  disant  tout  bas  que  le  roi  était  son  prison  • 
nier.  Puis  il  reprit  sa  place  auprès  du  roi,  lui  faisant  ses  excuses  de  s'être  levé  de 
table  et  de  l'avoir  quitté.  Froissart  n'est  pas  véridique  non  plus  dans  son  récit  de 
cette  rencontre  du  prince  avec  Audley. 

4.  Voy.  l'Itinéraire  dans  VEulogium,  p.  225  suiv.  Le  séjour  du  roi,  à  LiboOrne,  est 
encore  mentionné  par  la  Petite  Chronique  de  Guyenne,  p.  60.  Froissart,  p.  xvii,  dit 
à  tort  que  les  Anglais  passèrent  la  Gironde  à  Blaye. 


CHAPITRE  III 

LES  SUITES  DU  DÉSASTRE.  LA  FRANCE  ENTIÈRE  ENVAHIE  PAR  LES  ENNEMIS 


Nous  voici  en  face  de  l'époque  la  plus  funeste  des  annales  fran- 
çaises. L'époque  de  Jeanne  d'Arc  a  été  beaucoup  moins  désastreuse, 
quoiqu'elle  eût  pu  le  devenir  tout  autant,  si  Jeanne  d'Arc  n'eût 
pas  empêché  les  Ang-lais  de  traverser  la  Loire.  D'ailleurs  les  deux 
époques  se  ressemblent  beaucoup  soit  par  rapport  aux  faits  et  au 
résultat  définitif,  soit  par  rapport  aux  personnages  principaux. 

Environ  quatre  ou  cinq  ans  après  la  bataille  de  Poitiers, 
Pétrarque  écrit  :  «  Dans  ma  jeunesse,  les  Bretons,  que  l'on  appelle 
Angles  ou  Anglais,  passaient  pour  les  plus  timides  des  barbares  ; 
maintenant  c'est  une  nation  très  belliqueuse.  Elle  a  renversé  l'an- 
tique gloire  militaire  des  Français  par  des  victoires  si  nombreuses 
et  si  inespérées  que  ceux  qui,  naguère,  étaient  inférieurs  aux  misé- 
rables Ecossais,  outre  la  catastrophe  lamentable  et  imméritée  d'un 
grand  roi  que  je  ne  puis  me  rappeler  sans  soupirs,  ont  tellement 
écrasé  par  le  fer  et  par  le  feu  le  royaume  tout  entier,  que  moi  qui 
le  traversais  dernièrement  pour  affaires,  f  avais  peine  à  me  persua- 
der que  c  était  là  le  pays  que  /avais  vu  autrefois^    ». 

Personne  n'a  su  décrire  d'une  manière  plus  exacte  et  plus  concise 
l'état  de  la  France  d'alors,  la  différence  entre  le  passé  et  le  présent. 
Après  la  bataille  de  Poitiers,  les  provinces  de  France  étant  aban- 
données à  elles-mêmes,  sans  défense,  sans  chef,  ce  fut  pour  ce  pays 
une  époque  de  dévastation,  de  déroute,  et  même,  çà  et  là,  d'anarchie 
et  de  révolution.  La  France  entière  en  fut  profondément  désolée, 

1.  Petrarcae  episiolae  famil.  éd.  Fracassetti,  III,  ep.  14,  p.  162.  Voy.  Luce,  Gues- 
clin,  p.  1 IG.  Dans  un  autre  endroit,  Pétrarque  dit  du  même  temps  :  «  Vix  aliquid 
omnium  recnj-novi,  opulentissimum  in  cineres  versuni  re^num  videns,  et  nullam 
pêne  domum  stantcm  nisi  urbium  aut  arcium  moenibus  cincta  csset  ».  Rer.  senil. 
lib.  X,  ep.  2  {0pp.,  Basileae,  155 i.  p.  868). 


136  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

même    les   provinces   qui   avaient   été   épargnées.   Je  ne   veux  ici 
qu'ébaucher  l'image  de  ces  tristes  temps. 

\.  Après  la  bataille.  Siège  de  Bennes.  Monastères  détruits. 

Le  dauphin  Charles,  duc  de  Normandie,  à  peine  âgé  de  vingt  ans, 
rentra  tristement  à  Paris  pour  prendre  les  rênes  du  gouvernement, 
tandis  que  son  père  était  retenu  prisonnier.  La  situation  de  la 
France  était  des  plus  déplorables.  Le  cœur  du  royaume  était  ouvert 
à  l'invasion,  Farmée  dispersée,  les  provinces  tremblantes,  les  der- 
nières ressources  épuisées. 

Le  duc  convoqua  les  trois  Etats,  qui  s'ouvrirent  à  Paris  le 
17  octobre.  Il  ne  m'appartient  pas  de  détailler  l'histoire  de  cette 
assemblée,  déjà  connue  d'ailleurs^  Dès  le  commencement,  elle 
dirigea  ses  efforts  contre  le  gouvernement  et  les  fidèles  du  roi.  Au 
fond,  c'était  moins  le  mouvement  démocratique,  comme  on  écrit 
souvent,  qu'un  effort  pour  détruire  l'ancien  ordre  et  renverser  la 
maison  de  France  en  faveur  du  roi  de  Navarre'^.  Seulement  on  ne 
voulait  et  on  ne  pouvait  arriver  à  ce  but  que  peu  à  peu,  le  peuple  et 
la  grande  majorité  étant  pour  le  roi  Jean.  Les  chefs  de  ce  mouve- 
ment furent  Robert  le  Coq,  évêque  de  Laon,  non  moins  perfide 
que  Charles  le  Mauvais,  pour  lequel  il  travaillait,  et  Etienne  Mar- 
cel, prévôt  des  marchands^.  Ils  savaient  si  habilement  cacher 
leur   vrai    dessein,    que   la    femme   même   d'Etienne    ignorait    les 

1.  Voy.  IsAMUERT,  Recueil  général  des  anciennes  lois  franc.,  t.  IV,  p.  774  suiv.  ; 
Grand,  chron.,  VI,  p.  3i,  35  suiv.;  Secousse,  Méni.,  p.  107  suiv.;  Douët-d'Arcq,  Acte 
d'accusation  contre  Robert  le  Coq,  évéciue  de  Laon,  dans  Bibl.  de  VEcole  des  Chartes, 
sér.  1",  II,  p.  350  suiv.  S.  Lice  dans  Fkoissart,  p,  xix,  not.  1,  On  trouve  la  littéra- 
ture moderne  citée  dans  P.  Viollet,  Les  Etats  de  Paris  en  février  1358  (189i),p.9,  notes. 

2.  J'établis  cette  combinaison  à  Taide  des  confessions  faites  par  les  amis  du  roi 
de  Navarre,  surtout  du  chancelier  Thomas  de  Ladit,  qui  furent  arrêtes  les  pre- 
miers jours  du  mois  d'août  1358.  Le  dauphin  les  rapporte  dans  sa  lettre,  qu'il  adressa 
le  31  août  à  Amédée,  comte  de  Savoie,  son  beau-frère.  Voy.  la  lettre  éd.  par  Ker- 
VYN  DE  Lettenhove  daus  Fkoissart,  XI,  p.  473  suiv.  ;  Combes,  dans  les  Mémoires  lus 
à  la  Sorhonne,  1869,  p.  236  suiv.  Ces  confessions  nous  révèlent  les  vrais  desseins  de 
Charles  le  Mauvais  et  de  ses  amis  depuis  le  meurtre  du  connétable  en  1354,  et  on 
avait  tortd'en  tirerparti  seulement  pour  la  lin  de  la  révolte  le  31  juillet  1358.  Voy.  ci- 
dessous,  paragraphe  3. 

3.  Sur  la  généalogie  d'Etienne  Marcel,  voy.  Léon  Le  Grand,  La  veuve  d'Etienne 
Marcel,  dans  Bulletin  de  la  soc.  de  l'hlst.  de  Paris,  1897,  p.  140  suiv.,  surtout  p.  143, 
note.  Sur  Les  enfants  d'Etienne  Marcel,  voy.  ibid.,  E.  Déprez,  p.  83  suiv.  Si  je  ne 
cite    pas    Perrens,    Etienne  Marcel,  etc.    (1860;    le    volume    dans  la    Collection  de 


LES    TROIS    ÉTATS    A    PARIS.    SIÈGE    DE    RENNES,    13o6,    1357         137 

«  traïsons  et  rebellions  faictez  et  perpétrez  par  le  dit  feu  Estienne 
contre  la  couronne  de  France,  monseig-neur  (le  roi  Jean)  et  nous 
(le  dauphin),  »  comme  elle  le  déclarait  au  mois  de  novembre  1358  ^. 

Déjà,  en  octobre  et  novembre  1356,  ils  exigèrent  Texpulsion  d'un 
certain  nombre  d'officiers  du  conseil  du  roi,  l'établissement  d'un 
nouveau  conseil  entièrement  pris  au  sein  même  des  Etats,  et  la 
délivrance  du  roi  de  Navarre.  C'était  la  désapprobation  de  tout  ce 
qui  s'était  fait  jusqu'alors.  Le  désastre  de  Poitiers  fut  attribué  aux 
officiers  du  conseil.  Le  plus  exécré  de  tous  était  Pierre  de  la  Forêt, 
archevêque  de  Rouen,  chancelier  de  France.  Le  duc  Charles  fut 
mis  en  demeure  d'écrire  au  pape  pour  lui  demander  d'inffiger  à  l'ac- 
cusé une  punition  conforme  à  ses  délits-.  Charles  écrivit  en  effet  à 
Innocent  VI,  mais  en  prenant  le  parti  de  l'archevêque;  le  pape, 
sous  ce  rapport,  saisit  parfaitement  la  situation,  ainsi  que  le  prouve 
sa  réponse  du  9  novembre  ^. 

Les  rapports  entre  les  trois  Etats  et  le  dauphin  devinrent  de 
plus  en  plus  tendus.  La  publication  de  l'ordonnance  sur  les  mon- 
naies, vers  la  fin  de  1356,  donna  une  nouvelle  prise  au  mécon- 
tentement et  à  l'opposition.  Les  Parisiens  refusèrent  de  laisser  cou- 

Vhist.  géiièj\ile  de  Paris,  1874,  est,  sauf  quelques  corrections,  une  i*éimpression),  on 
en  trouve  la  raison  clans  la  critique  terrible,  mais  vraie  et  tout  à  fait  méritée,  qu'a 
faite  S.  Luge  dans  Bibliolh.  de  l'École  des  chartes,  t.  XXI,  p.  241  à  282. 

1.  Bulletin  de  la  soc.  de  l'hisl.  de  Paris,  1897,  p.  90. 

2.  Grand,  chron. ,  p.  3G  suiv. 

3.  Recf.  Vat.,  n°  238,  fol.  231'"  (n"  244  F,  ep.  394)  :  «  Per  litteras  tuas  quas  paterna 
benignitate  recepimus,  intimasti  nobis  quod  nuntii  prelatorum,  baronum  et  communi- 
tatum  regni  Francorum  ad  mandatum  tuum  coram  te  noviter  congregati  inter  alia, 
que  a  te  petierant,  postularunt  ut  omnes  consiliarios...  Johannis  régis  Francorum 
illustris  patris  tui  et  specialiter...  Petrum  archiepiscopum  Rothomagen.  cancellarium 
dicti  régis  a  te  abiceres  et  etiam  removeres,  et  subinferens  quod  adversus  eundem 
cancellarium  hec  exfomiteodii  et  rancore  quorumdam,  qui  confusionem  et  dampnum 
ejus  libenter  quererent,  petebantur,  ac  asserens  quod  ipse  tam  eidcm  patri  tuo  quam 
tibi  fuerat  bcne  et  dévote  et  fideliter  obsecutus,  humilitcr  petiisti  ut  detractoribus 
ipsius  cancellarii  si  qui  essent  fidem  nuUatenus  adhibentes,  eum  in  sinu  gratie  nostre 
susciperemus  attentius  commendatum,  et  hec  eadem...  Arnoldus  episcopus  Carcasso- 
nen...  Guillelmus  Rolandi  miles.  Romane  curie  marescallus,  nobis  oretenus  expres- 
serant.  Ad  quas  sub  compendio  respondentes  letamur  admodum,  quod  fîlialis  dilec- 
tionis  afl'ectu  queni  ad  ipsum  patrem  tuum  geris,  ad  illius  etiam  servitores  et  familia- 
res  extendis  et  prorogas  prout  debes...  ».  A  la  même  date,  le  pape  écrit  aussi  à 
l'archevêque  même,  en  disant  à  la  fm  :  «  quod  acceptos  et  caros  régi  et  duci,  sed  te 
precipue  acceptos  habemus  et  caros,  nec  possenuis  illos  et  te  maxime  non  amare  ». 
On  sait  qu'il  fut  fait  cardnial  le  23  décembre  (on  a  aussi  sur  cela  plusieurs  lettres), 
avec  le  titre  XII  apostolorum. 


138  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

rir  la  monnaie  nouvelle  i.  Le  prévôt  des  marchands,  Etienne  Mar- 
cel, ordonna  à  chacun  des  siens  de  prendre  les  armes  en  janvier 
1357,  et  le  dauphin  fut  oblig-é  de  révoquer  son  ordonnance.  Cepen- 
dant on  fît  accroire  au  pape  qu'une  entente  s'était  produite  entre 
le  dauphin  et  Etienne  Marcel.  C'est  pourquoi  Innocent  VI  écrivit 
tout  joveux  à  ce  dernier  le  10  février  1357,  l'exhortant  à  l'union 
et  même  à  l'indulgence  envers  le  jeune  dauphin  ;  en  même  temps 
il  l'engagea,  lui  et  les  échevins  à  ne  pas  insister  sur  les  peines  à 
infliger  à  certains  officiers  en  discrédit  auprès  d'eux-.  La  séance  du 

l.Voy,  CJiron.  de  Richard  Lescot,  p.  107;  Chronogr.,  p.  263. 

2.  Reg.  Vat.,  n°  239,  fol.  23  :  <(  Dil.  filio  preposito  mercatorum  et  scabinis  civitatis 
Parisien,  salutem.  etc.  Pertulit  ad  nos  fama  celerior  et  multorum  habet  inculcata  relatio 
quod  dil.  fdio  nobili  viro  Garolo  primogenito...  Johannis  régis  Francorum  illustris, 
duce  Norniannie  vobiscum  de  dispositione  regni  Francorum,  quod  peccatis  exigentibus 
diebus  hiis  procellis  multis  illiditur,  habente  consiliuni,  etillo  ac  vobis  non  sapientibus 
idem  concorditer  circa  illam,  inter  vos  alterutrum  dissensionis  materiam  pacis  emulus 
conatus  est  suscitare,  et  quod  idem  dux  ac  vos  dolos  ejusdem  pacis  hostis  circa  id 
cognoscentes,  dissensionem  hujusmodi  in  ipso  ortus  ejus  principio  laudando  studio 
prefocastis;  ne  si.  quod  absit,  vires  susciperet,  ipse  pacis  emulus  nocendi  causam 
facilius  inveniret.  Ilec  profecto,  fîlii,  causam  nobis  turbationis  simul  et  gaudii  pepere- 
runt,  et  quantum  audita  dissensio  mentem  nostrani  fortius  et  vehemenlius  conturba\it, 
tanto  nuntiata  concordia  cor  nostrum  rcspcrsit  ampliori  dulcedine  potioriquc  jocun- 

ditate  replevit...  Sed  inter  hec  nobis  zelum   fidei  vcstre  ac    devotionis  fervorem 

paternaconsideratione  pensantibus  occurrit,  lilii,  quantis  subjecta  periculis  quantis- 
que  malis  onusta  foret  quecumque  ducis  ejusdem  vcstraquc  discordia,  modica  et  levis 
quantumlibet,  quantaque  discrimina  parturiret.  Solus  enim  rumor  illius,  si,  quod 
absit,  contingeret,  diligentibus  regem  regnumque  predictos  dolorem  ingereret,  eorum 
vires  minueret...,  ac  contra  odientibus  letitiam  pareret,  augeret  gaudium,  nutriret 
audaciam,  securitatemque  prestaret...  Universitatem  vestram  monemus,  requirimus 
et  lîortamur  in  Domino  illam  altentius  deprecantes  vobisque  sanis  consiliis  et  sinceris 
afl'ectibus  suadentes,  quatenus  ])rovide  attendcntes  quod  hujusmodi  régis  et  regni 
predictorum  status  et  condiciones  temporis  exigunt,  ut  quecumque  pro  liberationc 
régis  et  conservatione  regni  predictorum  agenda  fuerint,  caucius  disponantur,  et  con- 
sidérantes etiam  quod  dux  idem,  utpote  juvenis  et  paterne  captivitatis  compassione 
anxius  filiali,  est  interdum,  etiam  si  juveniliter  ageret,  tolerandus.  omncm  viam 
omnemque  aditum  quos  ad  quamcumque  discordiam  pacis  emulus  inveniret,  pruden- 
tie  vestre  studio  precludatis,  idem  cum  eo  ipseque  vobiscum  concorditer  sapiatis 
ac  ipsum  salutaribus  dirigatis  consiliis  et  eflicacibus  auxiliis  foveatis.  Cum  enim 
inter  communitates  alias  dicti  regni  preminentiam  teneatis,  et  ob  hoc  in  vos  oculi 
earum  respiciunt,  ad  elîicacem  assistentiam  impendendam  et  salutaria  consilia  danda 
prefato  duci  quodam  obligamini  debito  specialiter...  Ceterum  quia  sicut  audivimus 
quosdam  ex  ofïicialibus  dicti  régis  exacti  temporis  regimen  vobis  constituit  odiosos, 
et  successus  adverses  imputantes  eisdem,  pro  eorum  punitione  instanter  instatis,  nos 
que  ex  hiis  nasci  possent  pericula  cogitantes  et  proinde  illa  credentes  sani  esse 
consilii,  si  in  tempus  aliud  difîerantur,  precibus  vestris  adicimus  ut  ab  hiis  velilis 
prout  utilitati  régis  et  regni  predictorum  expedire  videritis  istis  temporibus  absti- 
nere.  Dat.  Avinione  iiij  id.  Februarii  an.  quinto  ». 


LES    TROIS    ÉTATS    A    PAIUS.    SlÈ(iE    DE    HENNES,    1356,     i  3r)7        139 

3  mars  fut  la  réponse.  En  présence  du  dauphin  et  de  ses  frères, 
les  comtes  d'Anjou  et  de  Poitiers,  l'évéque  ,  Robert  le  Coq,  qui 
dirigea  les  Etats,  comme  il  dirig-era  bientôt  le  dauphin,  prononça 
un  discours  dans  lequel  il  rejeta  tous  les  maux  du  royaume  sur 
certains  ofïiciers  du  roi  ;  il  en  nomma  vingt-deux  et  exigea  qu'ils 
fussent  privés  de  leurs  emplois'.  Il  demanda,  en  outre,  la  suppres- 
sion de  tous  les  officiers  du  royaume,  la  création  de  réformateurs 
généraux  nommés  par  les  l^^tats  à  qui  il  aj^partiendrait  désormais 
de  déclarer  la  guerre  et  de  régler  les  finances.  Etienne  Marcel  et 
les  siens  appuyèrent  naturellement  ces  demandes.  On  offrit  au  dau- 
phin 30.000  hommes  qui  seraient  soldés  par  les  Etats-. 

Le  duc  céda  sur  tous  les  points  ^  et  les  Etats  poursuivirent  sans 
relâche  l'exécution  de  leurs  plans,  comme  le  prouve  la  séance  du 
10  mars^.  Et  quand,  le  5  avril,  la  nouvelle  des  trêves  conclues  à 
Bordeaux  fut  apportée  à  Paris  en  même  temps  que  les  lettres  du  roi, 
lesquelles  défendaient  aux  Etats  de  se  réunir  comme  ils  l'avaient 
décrété,  et  interdisaient  la  levée  de  l'aide  votée  par  eux,  les  Etats 
passèrent  outre  et  maintinrent  tout  ce  qu'ils  avaient  décidé, 
comme  démontre  la  session  du  30  avril  ^.  Le  roi,  prisonnier  des 
Anglais,  ne  fut  plus  écouté;  son  lieutenant  ou,  comme  on  dira  bien- 
tôt, le  régent,  était  dépouillé  de  toute  autorité  ;  on  voulait  intenter 
un  procès  à  tous  les  officiers  à  qui  le  roi  avait  donné  sa  confiance. 
On  comprend  facilement  pourquoi  le  dauphin,  vers  la  mi-août, 
quitta  Paris  pour  aller  parcourir  les  villes  de  son  duché  de  Nor- 
mandie, demandant  de  l'argent  aux  nobles  et  au  clergé^.  L'accueil 
qu'il  en  reçut  déconcerta  les  principaux  meneurs,  surtout  l'évéque, 
Robert  le  Coq,  qui  retourna  à  Laon.  Marcel  et  ses  partisans, 
craignant  que   leur  plan  ne  fût  déjoué,   tirent  au  dauphin  les  plus 

1.  Sur  cela  on  peut  lire  Tordonnance  de  Charles  du  28  mai  1339  dans  Ordonn.  dea 
rois,  III,  p.  345, 

2.  Grand,  chron.,  VI,  p,  52  suiv.;  Chj'on.  de  Lescot,  1.  c. 

3.  Voy.  l'ordonnance  du  dauphin  écrite  avant  le  3  mars  1357,  que  contient  01  articles, 
dans  Ordonn.  des  rois,  III,  p.  124,  Cf.  Texposé  dans  Secousse,  Mém..  p.  129  suiv. 
Ensuite  parurent  d'autres  ordonnances  qui  se  rapportent  également  à  l'exécution  des 
demandes  de  rassemblée.  Ordonn.,  IV,  p,  181,  1S3, 

4,  Grnnd.  chron.,  p.  55. 

5,  Sur  cette  session  des  États,  voy^  Coville,  dans  le  Moyen  Age  i6"  année  1893), 
p,  60  suiv, 

6,  Voy.  Coville,  Les  États  de  Norninndie,  p.  85  suiv. 


140  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

belles  promesses  pour  l'engager  à  revenir.  Il  lit  en  effet  son  entrée 
à  Paris  vers  le  commencement  d'octobre.  Sur  la  demande  d'Etienne 
Marcel  et  des  siens,  il  rappela  Robert  le  Coq,  et  convoqua  les  États 
pour  le  7  novembre  K  Le  lendemain,  par  la  délivrance  du  roi  de 
Navarre,  le  coup  le  plus  funeste  fut  porté  à  l'autorité  du  dauphin 
et  du  roi  Jean.  C'était  le  signal  pour  aller  de  Tavant  plus  hardi- 
ment encore.  J'en  parlerai  dans  le  troisième  paragraphe. 

Après  le  désastre,  si  d'un  côté  il  s'était  formé  un  ennemi  puis- 
sant à  Paris,  de  l'autre,  Innocent  VI,  quoique  souvent  trop  cré- 
dule, comme  nous  l'avons'  vu  et  le  A^errons  plus  tard,  se  montra 
l'ami  sincère,  et  après  la  bataille  de  Poitiers,  pour  ainsi  dire,  Tunique 
ami  de  la  France.  A  peine  la  triste  nouvelle  lui  fut-elle  parve- 
nue, qu'il  se  mita  écrire,  le  16  octobre  1356,  des  lettres  de  condo- 
léances au  sujet  des  malheurs  et  de  l'emprisonnement  du  roi,  à 
son  épouse  Jeanne,  à  ses  fds  Charles,  duc  de  Normandie,  Jean, 
comte  de  Poitiers,  Louis,  comte  d'Anjou-;  à  Philippe,  duc  d'Or- 
léans; à  Jeanne,  reine  de  France  et  de  Navarre,  et  à  Blanche, 
veuve  de  Philippe  VI  ;  en  date  du  3  octobre,  à  Isabelle  de  Valois, 
veuve  de  Pierre  de  Bourbon,  tué  dans  la  bataille,  et  au  cardinal, 
Elie  de  Talleyrand,  cardinal  de  Périgord,  qui  avait  perdu  Robert  de 
Duras,  son  neveu  3.  Mais  il  ne  se  borna  point  à  de  pures  condo- 
léances. D'abord,  dans  sa  lettre  adressée  à  Charles,  il  l'instruisit  sur 
la  manière  dont  il  devait  gouverner  le  royaume  durant  la  captivité 
de  son  père.  Après  avoir  exprimé,  le  1^^"  [octobre,  aux  cardinaux 
Talleyrand  et  Nicolas  Gapocci  toute  sa  consternation  sur  l'issue 
fatale  du  combat'',  il  adresse,  le  3  octobre,  une  lettre  au  prince 
Edouard,  l'exhortant  à  pas  s'enorgueillir  et  à  user  de  clémence 
envers  les  vaincus  "^  ;  le  6  octobre,  il  le  félicite  et  le  loue  de  traiter 
honorablement  le  roi  Jean,  ce  qu'il  avait  appris  du  cardinal  Tal- 
leyrand 6.  Le  3  et  le  7  octobre,  tout  affligé  encore  par  le  désastre, 
il  écrivit   à  l'empereur   Romain,  Charles  IV,    le   priant  de  vouloir 

1.  Grand,  chron.^  p.  60  à  62;  Secousse,  Mém.,  p.  142  ;  Douet-d'Arcq,  p.  356. 

2.  Reg.   Vat.  Innoc.   VI,  n°    238,  fol.  209,  209''  (cf.  Raynald,  Ann.,  1356,  n"    204)  ; 
210-211.  Le  ms.  dit  à  tort:  Philippo  comiti  Pictavcnsi,  Johanni  comiti  Andegavensi. 

3.  Recj.,  1.  c,  fol.  21]'',  212. 

4.  Ihid.,  fol.  200. 

5.  Ibid.^  fol.   201;  Raynald,  1.   c,  n"  8;  Delpit,   Collection  des  documents,  etc., 
n°  171. 

6.  Ibid.,  fol,  201'';  n°  244  F,  fol.  365  ;  Raynald,  n"  9. 


LES    TROIS    ÉTATS    A    PARIS.    SIÈGE    DE    RENNES,    13o6,    13;)7        141 

bien  se  faire  médiateur  entre  l'Angleterre  et  la  France.  Dans 
cette  intention,  il  lui  envoya  Androïn  de  la  Roche,  abbé  de 
Cluny  ^  Tous  les  etForts  qu'Innocent  VI  avait  déjà  tentés  pour 
obtenir  la  paix  avant  la  bataille  furent  réitérés  avec  une  nou- 
velle ardeur.  A  cet  effet,  le  pape  s'adressa  le  19  octobre  d'abord 
au  roi  captif,  puis  au  prince  Edouard,  qu'il  espérait  trouver  mieux 
disposé  à  la  paix  en  ce  moment,  enfin,  au  cardinal  Talleyrand  -; 
celui-ci  se  trouvait  alors  à  Bordeaux  par  ordre  du  pape,  en  com- 
pag-nie  du  cardinal  Nicolas  Gapocci,  comme  il  en  sera  fait  mention 
au  prochain  paragraphe. 

Innocent  VI  fut  aussi  le  premier  à  intercéder  pour  la  délivrance  du 
roi  Jean,  même  avant  qu'une  rançon  eût  été  discutée.  Il  écrivit  à  ce 
sujet  plusieurs  lettres;  ce  fut,  le  12  décembre  1356,  au  cardinal  Tal- 
leyrand et  à  Fabbé  de  Cluny,  qui  se  rendirent  à  Metz  chez  l'empereur 
Charles  en  qualité  de  nonces  du  pape  •%  puis  au  dauphin  Charles  qui 
y  alla  pareillement  ^,  et  enfin  à  l'empereur  lui-même  '^pour  que  celui- 
ci  déterminât  le  dauphin  à  mettre  tout  en  œuvre  pour  la  délivrance 
de  son  père.  Le  voyage  du  jeune  prince  à  la  cour  de  l'empereur'^, 

1.  Reg.,  n"  238,  fol.  202''  (Rayxai.d,  n"  10),  202;  203'',  du  8  oclobre,  la  lettre  à 
Androin,  et  puis  suivent  d'autres.  Ce  n'est  pas  seulement  en  1359  qu'il  fut  choisi  pour 
ménager  la  paix,  comme  dit  Lohai.x,  Essai  hist.  sur  Vabhnye  de  (Jluny,  p.  249, 

2.  Ibid.,  fol.  223'',  224.  Poème  du  héraut  Chandos,  éd.  Michi-l,  p.  338,  avec  la 
fausse  date  clu  xiij  kl.  Nov. 

3.  Ibid.,  fol.  241,  241''. 

4.  Ibid.,  fol.  240''  :  «  Quam([uam,  tîli,  ad  delibei"alionem...  Johannis  régis  Franco- 
rum  illustris  palris  tui  ex  nature  debito  et  plenitudinc  caritatis  illam  te  voluntatem 
ferventer  habere  illamque  airectionem  vehementcr  gererc  credamus  fîrmiter,  ut  nullis 
te  i)ropterea  indigerc  jirccibus  indubie  tencanuis,  quia  tanien  ex  })alerne  caritatis 
instinctu  nos  ipsius  régis  casus  indesinenter  angiistiat...  nobilitateni  tuam  quo  IVe- 
quentius  eo  instantius  monemus....  »  Le  dauphin  est  parti  le  5  décendDrc  de  Paris 
{Grand,  chroii.,  p.  46),  et  il  est  arrivé  à  Metz  le  22  décembre  avec  2.000  chevaux 
(voy,  HuGUEMN,  Chroniques  de  la  ville  de  Metz,  1838,  p.  98.),  et  Talleyrand  le 
21  décembre  avec  400  chevaux  {ibid.) 

5.  lleff.  Vat.,  n"  238.  fol.  240''.  Ces  pièces  sont  aussi  notées  i)ar  '^^'^ERl'^•SKV,  Excerpfa 
ex  lleffisiris  démentis  VI  et  Innocenta  VI,  n°'  400  à  103. 

6.  Le  28  décembre,  l'empereur  Charles  ratifia  l'alliance  offensive  et  défensive  con- 
clue en  1347  avec  le  roi  de  France,  alors  duc  de  Normandie,  et  ses  quatre  fils.  A"oy. 
WiNKELMAXx,  Acta  im])erii  inedita,  II,  n"  832,  d'après  l'original  conser\  é  aux  Arch. 
nat.,  J  386,  n"  4.  Dans  la  chancellerie  de  Charles  IV,  on  conunençait  l'an  et  lindiction 
avec  le  25  décembre,  et  c'est  pour  cela  que  le  docvuiient  porte  l'an  1357  et  lindiction 
10.  L'acte  est  donc  du  28  décembre  1356,  non  de  1357,  comme  écrit  S.  Luce,  GuescUn, 
p.  524,  n"  10.  La  même  remarque  concerne  U.  Cuevalieh,  Choix  de  documents  hist. 
sur  le  Dauphiné,  n"  51-53,  à  propos  de  quelques  chartes  données  les  26  et    31  dé- 


142  LA    GUERRE    DE    CENT    AiN'S 

qui  intervint  pour  ménag^er  un  traité  de  paix  entre  Edouard  et  le 
roi  Jean  ^,  et  les  instances  du  pape  auprès  du  dauphin  ne  demeu- 
rèrent pas  sans  quelque  résultat^. 

Il  est  vrai  que  le  pape  intercéda  aussi  pour  la  délivrance  de 
Charles  le  Mauvais.  Déjà  le  l^^*  septembre,  il  écrivait  à  son  frère 
Louis,  qui  alors  gouvernait  le  royaume  de  Navarre  au  nom  de 
Charles,  qu'il  ne  désespérait  pas  de  fléchir  le  cœur  du  roi  Jean,  malgré 
la  dureté  que  celui-ci  avait  montrée  jusqu'alors.  Louis  et  son  parti 
devaient  donc  tâcher  d'éviter  tout  ce  qui  pourrait  irriter  davantage 
encore  le  roi  contre  eux  ^.  Après  la  fatale  journée  de  Poitiers,  le 
pape,  en  prévision  d'un  traité  de  paix  à  conclure  entre  la  France  et 
l'Angleterre,  donna  verbalement  ordre  au  cardinal  Talleyrand  d'y 
intercaler  une  clause  en  faveur  de  Charles  le  Mauvais,  et  le 
29  octobre,  il  en  chargea  formellement  le  cardinal  '^.  Le  28  no- 
vembre, il  lui  écrivit  encore  à  ce  sujet,  ainsi  qu'à  Charles,  duc  de 
Normandie.  La  prudence  et  le  bien  public,  disait  le  pape,  exigeaient 
la  délivrance  du  roi  de  Navarre  ^. 

ccmbre.  — Le  28  décemlire  les  Français  partirent;  le  lendemain,  le  cardinal  de  Péri- 
gord  (IIuGUEXix,  p.  99).    Le  duc    arrivait  à  Paris  le  li  janvier.  Grand.   Chron.,  p.  48. 

1.  Voy.  Lemoink,  dans  la  Chrnn.    de  Richnrd  Lescot,    p.  107,  not.  1. 

2.  Gela  est  prouvé  par  un  niandenient  du  dauphin  du  2G  janvier  j 357,  publié  par 
Lkaioixe  1.  c,  p.  240,  n"  13.  Le  cmiite  de  A^entadour  reçoit  J. 000  deniers  d'or  pour 
les  frais  de  voyaj^es  à  Avignon  et  à  Bordeaux  louchant  la  délivrance  du  roi. 

3.  Reff.  Vat.,  n°  238,  fol.  168.  Le  pape  écrivait  dans  les  mêmes  termes  au  conseil  du 
roi  de  Navarre,  aux  nobles,  au  clergé  et  au  peuple  de  Navarre.  Rayxalo,  1356,  n"  7. 

4.  Ibid.,  fol.  227''  :  <(  Tibi  an(e({uam  discessisses  a  nobis,  dedimus  vive  vocis  ora- 
culo  in  mandatis,  ac  dcinde  inculcalis  sepe  litteris  id  idem  injunximus,  ut  in  casu  quo 
Dco  propitio  conl ingère l  (e  super  négocie  pacis  tue  promotioni  commisso  aliquem 
utiliter  subire  traclalum,  carissimi  in  Christo  filii  nostri  Caroli  régis  Na\arre  illustris, 
ut  vidclicet  in  ])ace  includerelur  hujusmodi,  menior  esses,  ila  quod  nulla  qualis- 
cunque  scintilla  remanerct  erroris,  que  inimico  exsulïïante  homine  in  flanniiam,  quod 
absit,  excrescens  prioris  et  presentis  dissidii  amai'a  dispendia  instauraret  ». 

5.  Ihid.^  fol.  238''  :  <(  Quanupiam,  rdi,caritas  ([uam  ad  carissimum  in  Chrislo  lîliiun 
regem  Navarre  illustrem  gerimus,  ad  libcrationem  cjus  nos  fcrvcnler  excitet  et 
vehementer  inducat,  specialiter  tamen  et  maxime  illam  appctimus  considerationc 
utilitatis  publiée,  ({uam  ex  ea  non  solum  domui  tue  régie  sed  universaliter  toli  regno 
Francorum,  non  tam  verisimiliter,  quam  probabiliter  speramus  et  credimus  auctorc 
Domino  nasciluram.  Pro  hujusmodi  ergo  liberatione  apud  te,  quem  illa[m]  alTectu  fra- 
lerno  zelare  confidimus,  sub  spei  plenitudine  adeuntes  nobilitatem  tuam  attente  roga- 
mus,  quatenus  prudcnter  considerans  condicicmes  temporis  immincntis  et  noslram 
circa  libcrationem  hujusmodi  paternam  et  sinccram  intuens  voluntatcm,  in  ca  utili- 
tatem  publicam  et  incentivum  dilectionis  tue  ac  nostram  afl'ectioneni  etiam  oportunis 
favoribus  prosequaris  »...  Dat.  Avinionc  iiij  kl.  Dccembris  anno  quarto  ». 


LES    TROIS    ÉTATS    A    PARIS.    isliUAÙ    DE    RENNES,    13o6,    1357  143 

Il  est  certain  qu'en  cette  matière  le  pape  se  trompait  gravement. 
Évidemment  le  roi  Jean  avait  mal  agi  en  faisant  mettre  la  main 
sur  Charles  le  Mauvais  de  la  manière  racontée  plus  haut  '  ;  néan- 
moins, dès  lors  qu'il  était  captif,  c'était  augmenter  infiniment  le 
mal  que  de  le  délivrer.  Car,  en  supposant  qu'il  n'eût  pas  été 
(comme  cela  n'est  que  trop  vrai)  ennemi  du  roi  avant  sa  captivité, 
c'est  après  sa  délivrance,  nous  le  verrons  dans  le  troisième  para- 
graphe, qu'il  devint  le  plus  mortel  ennemi  de  la  maison  de  France 
et  la  cause  de  toutes  sortes  de  calamités. 

L'entreprise  d'Innocent  VI  en  faveur  du  roi  de  Navarre  nous 
montre  que  le  pape  n'a  pas  plus  pénétré  son  caractère  perfide 
après  sa  captivité  qu'il  ne  l'avait  fait  avant,  mais  qu'il  est  au 
contraire  devenu  plus  faible  à  son  endroit-. 

Dans  le  Cotentin,  Philippe  de  Navarre  et  Godefroy  d'ilarcourt 
étaient  les  maîtres  absolus  et  ils  n'y  restaient  pas  oisifs;  dès  lors, 
leurs  bandes  avaient  envahi  les  diocèses  de  Coutances,  Avranches, 
Baveux,  Lisieux,  Séez,  Kvreux,  Rouen,  Chartres  et  Le  Mans  ^,  sans 
rencontrer  personne  qui  osât  leur  résister.  Quelques-uns  de  ces 
diocèses  étaient  entièrement  dévastés ,  d'autres  du  moins  grave- 
ment endommagés  ^.  Leur  état  empira  après  la  bataille  de  Poitiers. 
Philippe  de  Navarre  écrivit  aux  principaux  personnages  des  lettres 
aimables  en  faveur  de  son  frère  Charles  le  Mauvais  -^  et  je  ne  doute 
pas  qu'il  n'ait  aussi  écrit  à  Innocent  VI  qui,  sans  avoir  connu  la 
situation,  fit  des  démarches  j^our  délivrer  le  prisonnier.  Sur  ces 
entrefaites,  le  30  octobre,  le  roi  d'Angleterre  nomma  Philippe  de 
Navarre,  lieutenant  et  capitaine  du  duché  de  Normandie  •'. 

Contre   les    Navarrais   et  surtout    contre   Godefroy  d'ilarcourt, 

1.  Voy.  ci-dessus,  p.  lOSsuiv. 

2.  Le  28  novembre,  Innocent  VI  écrit  au  cardinal  TuUcyrand  :  «  Perpendisti  plcnc 
in  ncj;ociis  car.  in  Christo  filii  nostri  Garoli  régis  Navarre  illustris  nostrani  vcrbo  et 
liltcris  volunlatem,  que  cum  incrcniento  temp(UMs  suadentc  carilatc  quani  ad  eundem 
rej;eni  {i,erinuis  et  nccessariis  eciam  exposcenlibus  causis,  crevit  et  crcscit  ».  Ihid., 
fol.  238''. 

3.  Je  parlerai  dans  le  paragraphe  7  et  dans  le  chapitre  V  des  églises  et  monastères 
dévastés. 

i.  Ce  fait  nous  est  révélé  par  le  procès-verbal  des  Etats  généraux  tenus  à  Paris 
le  15  oclobre  1356,  dans  Jovudan,  Isasiiieut,  Recueil  des  anciennes  lois  franc. ^  IV, 
p.  785,  ^^>y.  encore  Vu.lam  dans  Muratori,  t.  XIV,  p.  435, 

5.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  60. 

6.  UvMEU,  III,  p.  338. 


H4  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Charles,  duc  de  Normandie,  envova  Amauri  de  Meulon  avec  un 
corps  d'armée  et,  après  un  premier  échec,  Robert  de  Clermont.  Les 
Navarrais  furent  battus  près  de  Gués  de  Saint-Clément,  Godefroy 
d'Harcourt  y  fut  tué.   Ce   combat  eut  lieu  au  mois  de  novembre  ^ 

Mais  cette  mort  n'acheva  rien,  elle  ne  fut  au  contraire  que  le 
commencement  de  la  lin.  Comme  nous  Tarons  vu,  le  roi  d'Angle- 
terre était  l'héritier  de  Godefroy  ;  il  s'empressa  donc  d'envoyer  400 
hommes  d'armes  pour  saisir  en  son  nom  la  terre  de  Saint-Sauveur. 
En  qualité  de  roi  de  France,  il  prit  possession  de  tout  le  Cotentin 
et,  le  12  décembre,  il  nomma  gouverneur  Pierre  Pigache,  dont  le 
pouvoir  fut  renouvelé  le  6  février  1357 '^  Le  Cotentin  fut  alors 
effectivement  séparé  de  la  France. 

En  Bretagne,  les  choses  n'allaient  pas  mieux.  Le  duc  de  Lancas- 
ter  n'ayant  pu,  comme  on  Ta  vu,  parvenir,  en  septembre  1356,  à 
opérer  sa  jonction  avec  le  prince  de  Galles,  mit  le  siège  devant 
Rennes,  siège  qui  dura  du  2  octobre  jusque  vers  le  5  juillet  1357  3, 
c'est-à-dire  neuf  mois,  pendant  lesquels  la  ville  eut  à  subir  les  hor- 
reurs de  la  famine.  Les  assiégés  résistèrent  à  toutes  les  attaques. 
Du  Guesclin  réussit  à  s'introduire  dans  la  ville  assiégée  et  à  la  ravi- 
tailler^. La  délivrance  de  Rennes  fut  ménagée  moyennant  un  accord 
en  vertu  duquel  la  ville  assiégée  fut  soumise  à  une  rançon  de 
100.000  écus  d'or^.  Charles  de  Blois,  prisonnier  du  roi  d'Angle- 
terre, alors  libre  sur  parole,  se  tint  pendant  toute  la  durée  du 
siège  à  la  cour  du  duc  de  Normandie,  et  ce  ne  fut  qu'après  la  levée 
du  siège  qu'il  se  rendit  à  Rennes  pour  remercier  le  gouA^erneur  et 
les  bourgeois  de  leur  fidélité  ^. 

Le  diocèse  de  Rennes  eut  beaucoup  à  souffrir  durant  ce  siège. 
Knighton  même  dit  que  le  duc  de  Lancaster  avait  ravagé  tous  les  alen- 
tours. Il  y  avait  déjà  plusieurs  années  que  la  contrée  était  peu  sûre 
de  sorte  que  Pierre  de  Laval,  élu  évêque    de  Rennes,  le   15  avril 

1.  Chron.  des  quatre  Valois,  p.  66;  Chron.  norm..  p.  119  siiiv.;  Grand,  chron., 
p.  Ai.  Delisi.e,  Ilist.  du  château  et  des  sires  de  Saint-Sauveur,  etc.,  p.  90  suiv.,  92 
suiv.  ;  Preuves,  p.  112;  Dltoxt,  Hist.  du  Cotentin.  II.  p.  355  suiv, 

2.  Voy.  Dii'oNT,  1.  c,  p.  360  ;  Demsle.  1.  c,  p.  111. 

3.  Cf.  LiîMoiNE  dans  Chron.  de  Richard  Lescot,p.  112,  not.  1. 

4.  Sur  ce  siège  mémorable,  voy.  surtout  S.  Luce,  Guesclin,  p.  185  à  229.  Plaine 
La  guerre  de  la  succession,  p.  40  à  45. 

5.  Kmghtox,  p.  95;  S.  Luce,  1.  c,  p.  225  suiv. 

6.  Ihid.,  p.  191,  227  suiv. 


LES    TROIS   ÉTATS    A    PARIS.    SIÈGE    DE    RENNES,     1350,     1 3o7        145 

1353,  ajourna  sa  consécration  parce  que,  dans  ces  temps  belliqueux, 
il  n'eût  guère  été  possible  de  réunir  les  évêques  voisins  sans  qu'ils 
courussent  de  g-rands  périls.  Le  14  mai  1354,  il  n'était  pas  encore 
consacrée  Par  suite  du  siège  de  Rennes,  l'abbaye  bénédictine  de 
Sainte-Mélaine  située  dans  les  faubourgs  fut  presque  entièrement 
détruite'.  L'abbaye  voisine,  Saint-Sulpice,  des  Bénédictines,  que 
nous  avons  déjà  trouvée  criblée  de  dettes,  vers  l'an  1340,  fut  en 
majeure  partie  détruite  par  les  guerres  et  les  épidémies,  et  frus- 
trée de  ses  revenus  ^.  Saint-Pierre  de  Rillé,  l'abbaye  des  chanoines 
réguliers,  eut  un  sort  encore  plus  déplorable  ;  l'église,  le  cloître, 
les  habitations  des  religieux  furent  livrés  aux  flammes  et  ruinés 
afin  que  l'ennemi  ne  pût  s'y  fortifier,  les  trésors  du  couvent  vendus, 
pour  racheter  les  religieux  captifs.  Tout  ce  qui  aurait  pu  servir  à 
reconstruire  les  édifices  faisait  défaut  '*.  Un  autre  couvent  de  cha- 
noines réguliers,  Saint-Moran  de  Rennes,  fut  certainement  aussi 
dévasté  à  cette  époque;  les  revenus  du  prieuré  furent  confisqués 
par  les  ennemis  ^. 


1.  Suppl.  Innocent.  VI,  n°  25,  fol,  115. 

2.  «  Maxime  i)ropter  obscessionem  ininiicorum  »,  Suppl.  Urh.  V,  n°  35,  fol.  80*', 
ad  an.  1363,  Mart.  23.  Voy.  Reg.  Vnt.  Urh.  V,  n°  252,  fol.  121''. 

3.  lieg.  Vat.  Grecjor.  XI,  n°  284,  fol.  267,  ad  an.  1373,  Octob.  5. 

4.  Suppl.  Urh.  V,  n"  35,  fol.  117,  ad  an.  1363,  April.3:  «  Cum  ecclesia,  clauslrum  et 
habitationes  nionaslerii  beati  Pétri  Filgcriaruni  O.  S.  Aug.,  Redonen,  dioc.  propter 
guerras  et  ne  inimici  régis  et  regni  Francie  illud  fortificarent,  fuerint  per  incendiumfere 
penitus  consumpta  et  destructa,  nec  non  abbas  et  conventus  monasterii  ejusdem  vendi- 
derunt  propter  redemptioneni  fratrum  suoruni  per  ipsos  inimicos  captivatorum  et 
carccril)us  vilissimis  mancipatoruni  cruces.  calices,  baculum  pastorale,  ceteraque 
donaria  et  thcsaurum  monasterii  predicti,  et  ol)  hec  sint  adeo  pauperes  quod  eccle- 
siam  et  loca  alia  dicli  monasterii  constrnere  et  reedificare  non  valerent  nisi  eis  ex 
largitione  elemosinarum  fidelivun  succurratur  [De  indulgentiis].  Dat.  Avinione  iij 
non.  Aprilis  anno  primo  ».  Le  5  février  1371,  Grégoire  accorde  de  nouveau  des  indul- 
gences parce  que  l'église  et  le  monastère  étaient  encore  en  ruines  {Reg.  Gregor.  XI, 
11°  282,  fol.  133).  Naturellement  la  discipline  était  relâchée  et  «  nonnuUi  canonici  et 
l)riores  ac  fratres  incorrigibiles  existunt,  quos  tam  propter  guerras  quam  propter 
debilitatem  et  infîrmitatem  ipsius  abbatis  dictus  abbas  corrigere  non  potest  » 
{Suppl.  Urh.  V,  n°  41,  fol.  124,  ad  an.  1365,  Jun.  22).  Corsox,  Fouillé  hist.  de  Var- 
chevéché  de  Rennes,  II,  p.  595  suiv.,  ne  nous  donne  aucun  de  ces  l'enseignements. 

5.  Reg.  Vat.  Greg.  XI,  n"  283,  fol.  63»'.  Sur  le  prieuré  de  Saint-Moran  de  Rennes 
voy.  Consox,  1.  c,  I,  p.  241  suiv. 


U.  P.  Denikle.  —  Desnlatin  ecchsiarum  II.  10 


146  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 


2.   La  trcvc  de  Bordeaux.  La  ruse  d'Edouard  III. 

Gomme  on  le  sait  d'ailleurs,  Innocent  VI  s'efforça  sans  cesse 
d'obtenir  une  paix  durable  entre  les  deux  royaumes.  Il  y  mit  toute 
son  énerg-ie  tant  auprès  du  roi  Edouard  et  de  son  fds,  le  prince  de 
Galles,  qu'auprès  du  roi  de  France.  A  peine  le  prince  fut-il  arrivé  à 
Bordeaux,  avec  le  roi  prisonnier,  que  le  pape  y  envoya  les  cardinaux 
Talleyrand  et  Nicolas  Gapocci,  pour  amener  le  prince  à  faire  la  paix  i, 
dans  laquelle  le  roi  Jean  même  voyait  le  seul  moyen  de  recou- 
vrer sa  liberté  2.  Les  deux  cardinaux  furent  en  même  temps  appuyés 
parles  Français  captifs.  Une  liberté  intérimaire  fut  accordée  parle 
prince  à  Bernard,  comte  de  Ventadour,  qui  alla  à  Avignon  pour  en 
conféier  avec  le  pape;  celui-ci  avait  tâché  d'obtenir  que  la  période 
de  liberté  accordée  à  son  protégé  fût  prolongée  jusqu'au  22  février, 
afin  que  Bernard  pût  aussi  se  rendre  auprès  du  duc  de  Normandie 
pour  l'intéresser   à  cette   affaire  3.    Le  prince  consentit    à  l'ouver- 

1.  Il  y  a  plusieurs  lettres  sur  ces  démarches  du  pape  dans  Jicg.  Val.,  n"  238  et 
239.  Du  reste  le  card,  italien  Capocci  aimait  peu  à  travailler  avec  le  card.  fran- 
çais Talleyrand.  Sur  cette  discordance  on  trouve  quelques  lettres  au  cardinal 
Capocci  dans  n"  238,  fol.  235,  des  21  et  28  no^•emlîre  1356  ;  au  card.  Talleyrand  et  à 
tous  deux,  fol.  2  58  à  2 19'',  du  28  décembre.  Chacun  travaillait  selon  ses  idées. 

2.  Lettre  du  12  décembre  adressée  aux  prévôt  des  marchands  et  échevins  de 
Paris,  dans  Mém.  de  la  soc.  de  Vbist.  de  Pnris,  t.  XXIV,  p.  50. 

3.  Reg[.  Vat.,  n"  238,  fol.  247'',  ad  an.  1356.  Decemb.  21  :  «  Audivimus  relatione  fide 
digna  quorumdam  quod  ven.  fr.  noster  Talayrandus,  episc.  Albanen.,  apostolice 
sedis  nuntius,  attente  considerans  quod  dil.  iilius  nobilis  vir  Bernardus  cornes  Ven- 
tadoren.    tam  ex  virtute  magna   (pui  dotatur  a  Domino,   quam  ex   afl'ectione   quam 

habet    ad   pacis reformande    negotium,    ipsius    cardinalis    promotioni    commis- 

sum,  directioni  prospère  ac  felici  consumationi  ejusdem  negotii  esse  poterat  multi- 
pliciter  fructuosus,  apud  te  (non  expressa  tamcn  hujusmodi  causa)  efficacitcr  institit 
ut  terminum  per  te  comiti  memorato  prefixum  infra  qucm  ad  tuum  deberet  regredi 
carcei'em  prorogarcs,  et  nos  etiam  pensantes  id  idem  et  attendentes  quod  idem  cornes, 
qui  ad  nos  pro  hujusmodi  negotio  venerat,  aliquali  disgracia  gravabatur,  eum  sub 
spe  ratihabitionis  tue  retinere  voluimus,  et  de  tua  circa  nos  devotione  ac  afl'ectione 
circa  ipsum  negotium  plene  confisi,  asseruimus  ci,  quod  tu  sicut  Dei  et  pacis  amicus 
duceres  idacceptum.  Sed  ipse  fidei  sue  tenax  custos  et  inviolabilis  observator  nostris 
in  hac  parte  nobis  assentirc  recusans  et  verens  ne  regressus  ejus  ultra  hujusmodi  ter- 
minum etiam  ad  momentum  casu  difl'erri  aliquo  forte  posset,  vix  potuit  inclinari  ut 
ad...  Carolum  primogenitum  dicti  l'egis  Francorum  pro  dispositione  ipsius  negotii  se 
duceret  conferendum.  Propter  quod  nos  apud  te,  ut  tvi  desideriis  super  hoc  nostris 
indulgeas,  récurrentes,  nobilitatem  tuam  attente  precamur  quatenus...  eundem 
terminum  prefato  comiti  usque  ad  primam  diem  futuro  proxime  quadragesime,  vel 
ad  aliud  tempus  longius  velis  liberaliter  prorogare...  Dat...  Avinione  VIIII  kal. 
Januarii  anno  quarto  ».  Cf.  encore  ci-dessus,  p.  112,  not.  2. 


LA    TRÊVE    DE    HORDEAUX.    LA    RUSE    D^ÉDOUARD,     l'^oT,    13o8       147 

turc  de  nég-ociations  pacifiques  le  quinzième  jour  après  Noël  (1356) 
entre  les  Anglais  à  Blaye,  et  les  Français  à  Mirambeau  K  Nous 
ignorons  le  résultat  de  ces  pourparlers.  Mais  il  est  certain  que  le 
pape  ne  ralentit  pas  ses  efforts  pour  procurer  la  paix.  En  date  du 
1'*''  mars  13o7,  il  écrivit  encore  à  Talleyrand  ainsi  qu'à  Capocci, 
combien  la  paix  lui  tenait  à  cœur,  les  encourageant  tous  deux  à 
redoubler  leurs  eflbrts  et  les  exhortant,  surtout  l'insouciant  Talley- 
rand, à  l'informer  du  succès  de  leurs  démarches  -.  Si,  le  23  mars, 
une  trêve  de  deux  ans  (du  9  avril  1357  jusqu'au  21  avril  1359)  fut 
conclue  à  Bordeaux  entre  le  prince  et  le  roi  de  France,  ce  fut  sur  les 
sollicitations  pressantes  d'Innocent  VI  et  de  ses  nonces,  ce  qui  fut 
d'ailleurs  reconnu  dans  l'acte  public,  car  on  fît  trêve  «  pour  la  révé- 
rence de  Dieu,  de  notre  Saint-Père  et  de  la  sainte  Eglise  Romaine  •'». 

Plus  d'un  mois  après  le  prince  s'eml^arqua  avec  le  roi  Jean 
à  Bordeaux  ^*,  débarqua  à  Plymouth  •',  et  fît,  le  24  mai^,  son  entrée 
solennelle  à  Londres  avec  son  royal  captif. 

Le  pape  conçut  Tespérance  de  pouvoir  obtenir  enfin  la  signature 
d'une  paix  définitive.  Tout  ravi  du  succès  de  Bordeaux,  il  écrivit  le 
29  mai  au  roi  IMouard,  le  priant  de  faire  la  paix,  et  d'augmenter 
ainsi  ses  triomphes  qui  déjà  l'élevaient  au-dessus  de  tous  les  princes 
du  monde.  Ensuite  il  insinuait  à  Edouard  de  songer  plutôt  à  com- 
battre contre  les  Sarrasins  que  contre  les  chrétiens.  Il  lui  envoya 
le  cardinal  Pierre  de  la  Forêt,  ci-devant  archevêque  de  Rouen  ^.   Le 

1.  Baki2h,  p.  156.  Ce  fait  restait  inconnu  jusqu'à  présent. 

2.  liecf.   Vat.,  n"  239,  fol.  30''. 

3.  Rymek,  m,  p.  348  à  351.  La  sentence  citée  se  trouve  au  commencement  du  traité. 

4.  Les  Gî'nnd.  chron.,  p.  58,  disent  :  mardi  après  Pâques  «  qui  fut  le  onziesme  jour 
du  moys  d'avril  ».  Mais  comment  Moisant,  p.  63,  ose-t-il  dire  que  dans  les  Grand. 
c/iro7i.,  p.  58,  est  écrit  :  «  mardi  après  Pâques,  qui  fut  le  seizième  jour  d'avril  »? 
Vn.LAM,  p.  439,  écrit  que  le  prince  est  parti  de  Bordeaux  «  d'Aprile  ».  Toutefois, 
le  prince,  suivant  les  rôles  gascons  (Public  Record  Ollice,  VasconHolls,  31  Edw.  III, 
m.  11),  signa  encore  un  acte  â  Bordeaux  le  10  mai,  qui  est  inséré  dans  une  lettre  du 
roi  Edouard,  datée  le  10  octobre.  Cf.  encore  Moisant,  1.  c. 

5.  KxiGHTOx,  1.  c.  ;  Contin.  Miirinmlh.,  éd.  IIog,  p.  190;  Chron.  Angliae,  p.  35; 
\VALsiN(;nA:\i,  j).  283,  disent  le  5  mai;  les  Grand,  chron.,  1.  c,  le  4  mai.  Mais  voy.  la 
note  précédente.    Euoissaut,  p.  83,  assigne   Sandwich  comme  lieu  de  débarquement. 

6.  CJironicle  of  London,  p.  63;  Kmghtox,  Walsixgham  et  Grand,  chron.,  1.  c; 
Vn.i.AM,  p.  44i. 

1.  Re(j.  Vat.,  n"  239,  fol.  87.  Le  point  principal  est  que  «  insinuantibus  nobis  Taley- 
rando  et  Nicolao  [cardinalibus]  et  aliis  multis  ante  discessum  Edwardi  principis 
Wallic  de  Vasconic  parlibus  pacis  inter  te  [regem  Eduardum]  et  Johannem  regem 
Francorum  reformande  puncta,  tacta  jam  antea  inter  dictos  regem  et  principem,  pre- 


1  48  LA    GUERRE    DE    CEKT    ANS 

2  juin,  une  véritable  pluie  de  lettres  2oapales  inondèrent  l'Angle- 
terre. Innocent  VI  notifiait  au  roi  captif  qu'enfin  le  moment  propice 
était  venu  d'établir  un  parfait  accord  entre  lui  et  Edouard,  que  les 
deux  cardinaux  Tallejrand  et  Gapocci  seraient  aussi  députés  vers 
le  roi  d'Ang-leterre,  que  le  roi  Jean  veuille  donc  disposer  son  cœur  et 
son  esprit  à  la  paix  K  Des  lettres  de  même  date  et  de  même  teneur 
furent  adressées  à  Isabelle, [mère  d'Edouard,  pour  qu'elle  influençât 
son  fils;  à  Philippine  de  Hainaut,  épouse  d'Edouard,  et  à  une  quan- 
tité d'autres,  soit  Anglais,  soit  Français  captifs,  qui  tous  devaient 
contribuer  à  cette  œuvre  de  pacification  -. 

Mais  arrêtons-nous  ici.  Sans  aucun  doute,  le  trop  crédule  et  con- 
fiant Innocent  VI  n'avait  pas  mieux  deviné  le  rusé  Edouard  qu'il 
n'avait  pénétré  Charles  le  Mauvais.  Le  roi  d'Angleterre  n'en- 
tendait pas  consentir  sérieusement  à  la  paix.  Son  but  était,  en  obte- 
nant le  plus  grand  nombre  de  provinces  et  la  plus  grosse  rançon  pos- 
sibles, et  à  force  d'imposer  à  la  France  des  conditions  exorbitantes 
(comme  il  avait  commencé  à  le  faire  en  Ecosse  en  octobre  1356  3), 
de  parvenir  peu  à  peu  à  la  réalisation  de  son  premier  rêve.  Toutefois, 

sentibus  eisdem  nuntiis  quasi  concordata  fuerant,  tuo  super  eis  beneplacito  reser- 
vato.  Ex  quo  tanto  exultamus  gaudio  tantaquc  fuinius  jocunditate  perfusi,  quanta 
exprimere  litteris  facile  non  possemus  ».  La  fin  de  la  lettre  se  trouve  dans  Raynald, 
Ann.,  1357,  n"  1. 

1.  Reg.  Vat.,  n"  239,  fol.  92''  (et  n"  244  II,  ep.  256)  :  «  Instant  dies,  fili  carissime,  in 
quibus  expectata  diutius  et  desiderata  per  amplius  tua  et  carissimi  in  Christo  filii 
nostri  Edwardi  régis  Anglie  illustris  concordia  complenda  speratur,  et  ven.  fr.  Talay- 
randus  episc.  Albanen.  ac  dil.  filius  nostri  Nicolaus  tit.  S.  Vitalis  presb.  cardinalis  ad 
hoc  ipsum  ducunt  se  in  Angliam  transferendos.  Quesumus  igitur  excellentiam  tuam 
et  per  viscera  misericordie  Dei  attentius  obsecramus  quatenus  sic  regium  animum 
mentemque  disponas  ad  paceni,  quod  actore  Deo  vota  et  desideria  nostra  et  christi- 
fidelium  compleantur.  Datum  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc.  iiij  non.  Junii  anno 
quinto.  » 

2.  Ibid.  Les  destinataires  étaient  le  duc  de  Lancaster,  le  prince  de  Galles,  Lionel 
lîls  d'Edouard,  comte  Guillaume  de  Norlhampton,  Roger  de  Mardi,  Richard  d'Arun- 
del,  Thomas  de  Warwick,  Robert  de  Suflolk,  Robert  [leg.  Raoul)  de  Staflord,  les 
chevaliers  Barthélémy  de  Burghersh  et  Gui  de  Brian,  les  archevêques  de  York  et 
Canterbury,  Tévcque  de  Winchester,  chancelier  d'Edouard,  et  l'évêque  de  Roches- 
ter,  Philippe  fils  du  roi  Jean,  les  comtes  de  Tancarville  et  Bernard  de  Ventadour, 
Jean  le  Meingre  (Boucicaut),  maréchal  de  France,  Jacques  de  Bourbon,  comte  de 
Ponthieu,  Jean  d'Artois  comte  d'Eu,  Charles  d'Artois  comte  de  Longueville,  Guil- 
laume de  Melun,  archevêque  de  Sens,  et  Arnoul  d'Audrehem  («  Houdenehan  »), 
maréchal  de  France. 

3.  Voy.  Rymer,  III,  p.  372  suiv.  Cf.  Scalacroiiica  hy  sir  Thomas  Gray  of  Heton^ 
éd.  J.  Stevenson,  Maitland  Club  1836,  p.  176.  La  somme  imposée  par  Edouard  était 
de  100.000  marcs  d'esterlins   et  le  roi  David  voulait  que  les  ecclésiastiques  de  son 


LA  TiiftvE  dp:  bordeaux,  la  ruse  d'Edouard,   13o7,  1358     li9 

en  1357,  le  moment  ne  lui  semblait  pas  encorevenu.il  voyait  la 
pauvre  France  menacée  de  tous  côtés  par  le  malheur.  Mieux  valait 
donc  attendre  que  l'infortune  allât  de  mal  en  pis  et  amenât  les 
Français  ainsi  matés  à  accepter  toutes  ses  prétentions. 

Entre  temps  Edouard  et  le  roi  captif  Jean  arrêtèrent  en  janvier' 
1358  les  préliminaires  de  la  paix,  qui,  pour  être  ratifiés,  furent 
adressés  à  Innocent  VI.  Ils  furent  aussi  envoyés  à  Paris  et  le  27  jan- 
vier, présentés  au  dauphin,  qui  les  approuva-.  Le  10  ou  12  mars, 
le  dauphin  reçut  à  Paris  la  demande  de  son  père  d'envoyer  deux 
bons  notaires  ((  pour  ordener  les  lettres  du  traictié  d'accort  entre 
luy  et  le  roy  d'Ang-leterre  ^  ».  Le  8  mai,  le  traité  fut  formellement 
conclu  entre  les  deux  rois  à  Windsor^;  dès  le  15  1a  nouvelle  en 
arrivait  à  Paris  -K  Le  roi  Jean  fit  aussi  part  de  ce  traité  aux  habi- 
tants de  Nîmes  ^.  Il  avait  besoin  du  secours  des  villes,  attendu  que 
la  première  partie  de  la  rançon  à  payer  pour  sa  délivrance  était 
fixée  à  600.000  florins  d'or  et  devait  être  versée  à  la  Toussaint  ~.  Le 
pape  était  plus  satisfait  que  jamais  ^,  et  le  24  octobre  il  écrivait  aux 
archevêques  et  aux  évêques  de  France,  les  informant  que  dans  le 
traité  de  paix,  entre  autres  conditions,  avait  été  fixée  la  forte  somme 
que  le  roi  captif  devait  payer  au  roi  d'Ang-leterre  pour  sa  déli- 
vrance ;  or,  le  roi  de  France  étant  hors  d'état  de  se  procurer  cette 
rançon  sans  l'assistance  du  clergé ,  le  pape  lui  avait  assigné  pour 
un  an  deux  décimes  des  revenus  ecclésiastiques,  payables  en  deux 
termes,  à   partir  du  10  juillet  précédent,   comme  il  l'avait  notifié 

royaume,  séculiers  et  réguliers,  répondissent  pour  elle  avec  leurs  biens.  Mais  Inno- 
cent VI,  le  21  juin  1358,  ne  permit  pas  cet  arranf;ement  (iîe^.  Vat.,  n°  233,  fol.  432); 
cependant  un  an  après  le  pape  accorda  des  décimes  {Recf.  Aven.  Innoc,  n°  21,  fol.  bSO*"). 

1.  Knigiiton  dit  p.  101  :  «  In  octabis  sancti  Hilarii  »,  c'est-à-dire  entre  le  14  et  21 
janvier. 

2.  «  Lequel  traictié  moult  plut  audit  duc  et  à  ses  conseillers  ».  Grand,  chi^on.,  p.  83. 
Voy.  encore  Chronogr.,  p.  265;  Chron.  norm.,  p.  308,  et  note.  Déjà  un  peu  avant  le 
27  janvier,  on  avait  à  Paris  des  nouvelles  du  traité.  Grand,  chron.,  p.  71. 

3.  Grand,  chron.,  p.  93. 

4.  Lettre  du  roi  Jean.  Voy.  Micnaud,  Hisl.  de  la  ville  de  A'tme.s,  II,  Preuves.  n°  112. 

5.  Grand,  chron.,  p.  109. 

6.  MiîXAun,  1.  c,  et  nouv.  éd.,  II,  p.  164  suiv. 

7.  Lettre  du  comte  de  Poitiers  du  26  juillet,  dans  Ordonn.  des  rois,  IV,  p.  18S. 

8.  Il  le  dit  dans  sa  lettre  du  30  août  1358  au  card.  Capocci  dans  Reg.  Vat.,  n"  233, 
fol.  4  :  «  Pridem  exultantibus  animis  intellecto  quod...  pax  et  concordia  inter  reges 
inita  fuerat  et  firniata,  letati  sumus  in  Domino  devotas  que  sibi  laudes  reddidimus 
et  vitulum  labiorum  ».  Voy.  Raynald,  1358,  n"  3. 


150  LA    GUERRE    DE    CEPsT    A^S 

auparavant  c'est-k-dire  le  10  juillet  même,  au  roi  et  au  clergé  ^ 
Dans  l'attente  du  retour  prochain  des  deux  cardinaux  Talleyrand  et 
Gapocci,  demeurés  alors  en  Angleterre,  et  pour  d'autres  raisons 
encore,  le  pape  ajourna,  le  24  octobre,  le  payement  du  premier 
terme '^.  Knighton  dit  que  jusqu'au  payement  définitif,  quatorze 
des  plus  nobles  seigneurs  devaient  se  livrer  en  otage  ^. 

Rien  de  tout  ceci  n'arriva  dans  le  moment.  La  raison  en  est  bien 
simple.  Le  roi  de  Navarre,  l'évêque  Robert  le  Coq  et  Etienne  Mar- 
cel empêchèrent  deux  fois  le  retour  du  roi.  ((  Par  deux  fois,  dit  le 
dauphin  dans  sa  lettre  du  31  août  1358,  il  avoient  destourbé  la 
délivrance  de  monseigneur,  afin  qu'il  ne  retournast  d'Engleterre,  et 
avoient  juré  avec  le  dit  roy  de  Navarre  à  le  faire  mourir  par  de-lk 
en  prison^  ».  Une  fois  c'était  le  8  juillet,  alors  que  Charles  le  Mau- 
vais se  faisait  fort  de  faire  consentir  les  Parisiens  à  payer  six 
cent  mille  écus  de  Philippe  pour  le  payement  de  la  rançon  du  roi  ^. 
Plus   tard  le  bruit  s'était  répandu  de  l'interception  d'une  lettre  du 

1.  Ces  deux  lettres,  écrites  le  10  juillet  1358,  ne  nous  sont  pas  parvenues.  Mais  la 
date  précise  se  trouve  mentionnée  dans  Rerf.  Aven.  Innoc.  VI,  n"  20,  fol.  70.  La 
6"=  année  d'Innocent  VI  est  très  incomplète  dans  les  Secî'èles.  Les  minutes  dans  244  K 
ne  servent  pas  beaucoup  pour  cette  année. 

2.  Reg.  Vai.,  n"  233,  fol.  5,  ad  an.  1358,  Octob.  24  :  «  Olim  pro  parte...  Johannis 
Francorum  rej^is  illustris  nobis  exposito,  quod  in  tractatu  pacis  inter  ipsum  et... 
Edwardum  regcm  Anglie  illustrem  firmatc  inter  cetera  actum  fuerat,  quod  idem 
Johannes  rex  csrtas  et  magnas  pecuniarum  summas  eidem  régi  Anglie  pro  sua  pre- 
sertim  liberatione  persolveret,  quas  sine  ecclesiarum  et  ecclesiasticarum  personarum 
regni  Francie  subsidio  solvere  secundum  debitam  oportunitatem  negotii  non  vale- 
bat,  nobisque  pro  parte  ipsius  Johannis  régis  humiliter  supplicato  ut  pro  liberatione 
predicta  providere  sibi  aliquo  proventuum  ecclesiasticorum  auxilio  benigniter  digna- 
remur,  nos  eidem  Johanni  régi  paterne  pietatis  compatientes  aft'ectibus  duas  intégras 
décimas  proventuum  et  reddituum  ecclesiasticorum  in  eodem  regno  et  aliis  terris 
ipsius  régis  Francie  ditioni  subjectis  consistentium  solvcndas  et  exigendas  infra  unum 
annum  a  VI  idus  Julii  proxime  preteriti  in  antea  computandum,  in  duobus  terminis, 
videlicet  unam  integram  decimam  in  festo  Omnium  Sanctorum  proxime  venturo,  et 
alteram  in  festo  beati  Johannis  Ba])tiste  dictum  festum  Omnium  Sanctorum  proxime 
sccuturo,  in  Ii])eralioncm  hujusmodi  tantummodo  convertendas,  eidem  Johanni  régi 
sub  certis  forma,  modis,  conditionibus  ac  sententiarum  et  penarum  in  non  solventes 
adjectionibus  fratrum  nostrorum  consilio  duximus  concedcndas,  prout  in  diversis 
nostris  tam  ad  eundem  regem  Johannem,  quam  ad  vos  super  hoc  directis  litteris 
plenius  continetur  ».  Les  évêques  «  propter  guerrarum  pestes  »  n'étaient  pas  en 
mesure  de  payer  pour  la  fête  de  la  Toussaint,  et  le  pape  prolongea  le  terme  jusqu'à 
Noël.  «  Dat.  Avinione  viiij  kal.  Novembris  anno  sexto  ». 

3.  P.  99.  Pauli,  Gesch.  v.  England,  IV,  p.  447,  confond  le  traité  de  1358  avec  celui 
de  1359. 

4.  Voy.  la  lettre  dans  Froissart,  éd.   Kkkvvx  de  Lettenhove,  VI,  p.  477. 

5.  Grand,  chron.,  p.  124. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    1357,     1358  151 

roi  Jean,  dans  laquelle  il  aurait  censément  écrit  en  France  qu'il  ne 
céderait  pas  un  pouce  de  terrain  à  l'Angleterre''.  Sans  doute,  le 
traité  de  1358  était  en  substance  celui  de  l'an  1359,  et  contenait 
des  conditions  semblables.  Mais  Edouard  pouvait  attendre.  La 
révolution  et  la  misère  faisaient  de  rapides  progrès  dans  la  capi- 
tale. Ce  qu'il  n'obtenait  pas  du  présent,  il  l'espérait  du  lendemain, 
alors  que  la  France,  selon  toutes  ses  prévisions,  serait  définitive- 
ment ruinée,  ce  à  quoi  il  contribua  pour  une  bonne  part,  comme 
nous  verrons  dans  le  paragraphe  suivant. 

3.   Conjuration   et  révolution  à  Paris.  Les  démons  de  la  France^ 
Robert  le  Coq^  Etienne  Marcel^  Charles  le  Mauvais.,  Edouard  III. 

Les  commencements  de  la  révolution  à  Paris  ont  été  décrits  au 
premier  paragraphe. 

Très  dangereuse  pour  la  France,  dès  le  début,  elle  devint  tout  à 
fait  néfaste  à  partir  de  la  sortie  de  prison  de  Charles  le  Mauvais, 
roi  de  Navarre.  Détenu  au  château  d'Arleux,  il  en  fut  arraché  par 
surprise,  contre  la  volonté  du  roi  Jean  et  du  dauphin,  dans  la  nuit 
du  7  au  8  novembre  1357,  grâce  aux  menées  de  l'évêque  Robert  le 
Coq  qui  gouvernait  le  conseil  du  dauphin,  et  partant  la  France,  et 
à  la  complicité  de  Jean  de  Picquigny,  gouverneur  d'Artois  2.  Si 
Innocent  VI  travaillait,  comme  nous  avons  vu*^,  à  la  délivrance  du 
roi  de  Navarre,  son  aveuglement  à  l'égard  du  vrai  caractère  du 
Navarrais  en  était  seul  cause,  tandis  que  Robert  le  Coq  et  ses  alliés 
s'y  employaient  par  malice. 

Charles  le  Mauvais  n'eut  pas  plus  tôt  recouvré  sa  liberté  qu'il 
dévoila  son  vrai  caractère  et  le  but  auquel  il  tendait  depuis  long- 
temps. 11  voulait  devenir  roi  de  France  en  se  rendant  maître  de 
Paris.  Avec  l'aide  de  ses  amis,  de  Robert  le  Coq,  évêque  de  Laon, 
d'Etienne  Marcel,  et,  comme  nous  verrons  à  la  fin  du  paragraphe, 
du  roi  d'Angleterre,  il  espérait  bien  réussir.  Robert  le  Coq  connais- 

1.  Ainsi  KNKiHTON,  p.  103  suiv.,  où  sont  confondues  les  années  1358  et  1359. 

2.  Grand,  chron.,  VI,  p.  63;  Secousse,  Mém.,  p.  146  ;  Luce  dans  Froissart,  V, 
p.  XXIV,  not.  3;  xxvi,  not.  7.  Cf.  sur  cela  VActe  d'accusation  contre  Robert  le  Coq, 
publ.  par  DouËT  d'Ahcq,  dans  la  Bibl.  de  V École  des  chartes,  1"  sér.,  t.  II,  p.  372, 
n"  49. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  142  suiv. 


152  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

sait  Charles  le  Mauvais  au  moins  dès  le  commencement  de  l'an 
1354^.  Il  était  aussi  bien  informé  des  desseins  du  roi  de  Navarre.  On 
lui  reproche  dans  l'acte  d'accusation,  composé  pendant  la  captivité 
du  roi  de  Navarre-,  d'avoir  bien  connu  que  si  celui-ci  était  mis  en 
liberté,  il  tendrait  «  à  estre  roy  de  France,  si  comme  touz  jours  a 
tendu  »,  d'avoir  su  encore  que  Charles  le  Mauvais  ne  pouvait  arri- 
ver de  droit  à  son  but  du  vivant  du  roi  Jean  et  de  ses  descendants, 
et  malgré  cela  d'avoir  été  le  premier  à  forcer  la  délivrance  du  roi  de 
Navarre,  par  quoi  il  devenait  son  principal  complice  pour  machiner 
contre  la  vie  du  roi  de  France  et  des  princes  du  sang^.  On  ne  peut 
guère  douter  que  cet  évêque  scélérat  n'eût  été  parmi  les  quatorze 
ou  seize  conseillers  qui  ont  fait  le  serment  détestable,  dont  je  parle- 
rai tout  à  l'heure. 

D'Arleux,  Charles  le  Mauvais  se  rendit  à  Amiens  où  il  fit  déli- 
vrer tous  ceux  qui  étaient  dans  les  prisons  de  l'Eglise  et  de  l'Etat. 
Il  fît  aussi  aux  habitants  qui  le  reçurent  comme  leur  concitoyen  un 
discours  semblable  à  celui  de  Paris^.  Pendant  ce  temps,  la  reine 
Blanche,  sa  sœur,  veuve  du  roi  Philippe,  la  reine  Jeanne  d'Evreux, 
veuve  de  Charles  IV,  roi  de  France  et  de  Navarre,  sa  tante,  et  le 
prévôt  Etienne  Marcel  engagèrent  le  dauphin  à  envoyer  à  Charles 
et  à  ceux  qui  l'accompagnaient  un  sauf-conduit,  afin  qu'il  pût  venir 
à  Paris  avec  une  cohorte  des  gens  d'armes,  à  cause  des  périls  du 
chemin^.  L'instigateur  de  cette  demande  était  assurément  l'évêque 
de  Laon,  mais  en  sa  qualité  de  conseiller  du  dauphin,  il  ne  pouvait 
agir  que  secrètement  en  faveur  du  roi  de  Navarre^.  Le  dauphin  con- 
sentit, et  le  29  novembre  Charles  fît  son  entrée  triomphale  à 
Paris.  Le  lendemain,  au  Pré-aux-Clercs,  il  haranguait  le  peuple 
accouru  au  nombre  de  dix  mille  personnes.  Il  se  donna,  cela  va 
sans  dire,  des  airs  innocents,  comme  il  l'avait  fait  avant  sa  capti- 
vité, affirmant  que  c'était  sans  raison  qu'il  avait  été  emprisonné 
pendant  dix-neuf  mois,  alors  qu'il  avait  toujours  eu  l'intention  de 

1.  Secousse,  Preuves,  p.  505,  n°  4. 

2.  Voy.  N.   Valois,  Le  conseil  du  roi  aux  X1V\  XV'  et  XVI''  siècles  (1888),  p.  44, 
not.  4,  contre  l'opinion  de  DouKt-d'Arcq,  1.  c,  p.  361. 

3.  Dans  la  Bibl.  de  VÉcole  des  chartes,  1.  c,  p.  372,  n°  51. 

4.  Voy.  pour  tous  Secousse,  Mém.,  p.  149  suiv.,  Chronogr.,  p.  267. 

5.  Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  114. 

6.  Grand,  chron.,  p.  63  suiv.,  Secousse,  p.  150. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    1357,    1358  153 

vivre  et  de  mourir  en  défendant  le  royaume  de  France.  Il  faisait 
remarquer  que  s'il  eût  voulu  revendiquer  la  couronne  de  France,  il 
aurait  pu  montrer,  par  de  bonnes  raisons,  qu'il  en  était  plus  proche 
que  le  roi  d 'Ang-le terre  ^  Il  laissait  entendre  qu'il  se  regardait 
comme  ayant  par  sa  mère,  fîUe  unique  de  Louis  le  Hutin,  des  droits 
légitimes  à  la  couronne.  Les  assistants  en  furent  émus  jusqu'aux 
larmes. 

Sur  ces  entrefaites,  car  tout  ceci  se  passa  après  son  élargisse- 
ment, il  jura  avec  quatorze  ou  seize  de  ses  amis  ou  conseillers, 
comme  l'atteste  une  lettre  du  dauphin  datée  du  31  août  1358,  qu'en 
dépit  des  traités,  voire  même  de  ceux  qui  avaient  été  conclus  sur 
le  corps  du  Seigneur,  ils  ne  se  désisteraient  point  des  trahisons,  ni 
des  entreprises,  ni  de  leur  ferme  propos  de  dépouiller  le  roi  Jean, 
le  dauphin  et  les  princes  du  sang,  de  la  couronne  de  France  ;  d'at- 
tenter à  leur  vie  n'importe  où,  aux  champs,  en  ville,  au  lit,  à  la 
chapelle,  selon  qu'ils  y  trouveraient  leur  avantage-.  Avec  intention 
le  dauphin  passa  sous  silence  le  nom  des  conjurés;  deux,  du  moins, 
nous  sont  connus,  l'évêque  Robert  le  Coq  et  Marcel^. 

Celui-ci  et  quelques-uns  des  siens  se  présentèrent  le  1®^"  décembre 
devant  le  dauphin  enfermé  au  palais  et  exigèrent  de  lui  qu'il  don- 
nât pleine  satisfaction  au  roi  de  Navarre.  Le  2  décembre,  avec  l'as- 
sentiment de  son  conseil  où  dominait  Robert  le  Coq,  eut  lieu  l'en- 
trevue du  dauphin  et  de  Charleis  le  Mauvais  dans  l'hôtel  de  la  reine 
Jeanne.  Le  3  décembre,  le  dauphin  accorda  forcément  toutes  les 
demandes^,  et  l'amitié  entre  les  deux  princes  fut  rétablie.  C'était 
un  traité  formel  dont  les  articles  avaient  été  arrêtés  dans  le  conseil 
du  dauphin  en  faveur  du  roi  de  Navarre.  Les  lettres  du  dauphin 
sur  ce  traité  furent  dressées  par  les  gens  mêmes  de  Charles  le  Mau- 
vais et  datées  du  12  décembre  \  Les  biens,  meubles  et  immeubles, 

1.  Grand,  chron.,  p.  65;  Froissart,  V,  p.  98;  Jean  de  Venette,  p.  250  (où  est  encore 
rapporté  le  thème  du  discours).  Chronogr.,  Il,  p,  268,  écrit  que  le  roi  de  Navarre  a 
dit  :  «  quod  melius  sibi  competeretcorona  Francie  quam  Johanni  régi,  qui  eum  incar- 
ceraverat  ». 

2.  Thomas  de  Ladit,  chancelier  du  roi  de  Navarre,  le  confesse  en  présence  du  dau- 
phin. Voy.  la  lettre  du  dauphin  dans  Froissart,  éd.  de  Lettenhove,  VI,  p.  477. 

3.  ViLLANi  (dans  Muratori,  XIV,  p.  484)  raconte  aussi  qu'un  traité  secret  entre 
Charles  et  Etienne  Marcel  existait  déjà  depuis  lors. 

4.  Grand,  chron.,  p.  69. 

5.  Secousse,  Preuves,  p.  65  à  68  \Mém.,  p.  157  suiv. 


154  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

qui,  avant  son  emprisonnement  appartenaient  à  Charles  et  aux 
siens,  furent  restitués,  ainsi  que  les  joyaux,  les  châteaux  et  les 
villes.  Il  fut  convenu  que  les  corps  des  quatre  gentilshommes  que  le 
roi  Jean  avait  fait  décapiter  seraient  ôtés  du  gibet,  mais  sans  solen- 
nité, et  rendus  au  roi  de  Navarre.  Le  9  et  le  15  décembre,  sur  la 
demande  du  roi  de  Navarre,  tous  les  criminels,  tant  au  Châteletque 
dans  les  autres  prisons  de  Paris,  y  compris  celles  de  l'abbaye  de 
Saint-Germain-des-Prés,  furent  mis  en  liberté  par  ordre  du  dauphin'. 
Charles  le  Mauvais  voulait  augmenter  le  nombre  de  ses  partisans 
et  avoir  à  sa  disposition  des  gens  capables  de  tout  entreprendre '^ 

Le  13  décembre,  le  roi  de  Navarre  quitta  Paris  et  alla  à  Mantes. 
Il  fit  occuper  les  environs  de  la  capitale  par  les  compagnies  anglo- 
navarraises  cantonnées  jusque-là  sur  les  confins  de  la  Bretagne  et 
de  la  Normandie  ;  elles  s'avancèrent  jusqu'à  quatre  ou  cinq  lieues  de 
Paris,  ravagèrent  dix  ou  douze  lieues  de  pays  et  s'emparèrent  de- 
plusieurs  forteresses^.  Le  pauvre  peuple  se  réfugiait  en  foule  à  Paris. 
Les  moines  et  les  religieuses  abandonnèrent  leurs  couvents  et  cher- 
chèrent un  abri  dans  la  capitale  et  ailleurs.  On  vit  les  Domini- 
caines de  Poissy,  les  Clarisses  de  Longchamp  et  de  Saint-Marcel, 
près  Paris,  les  Cisterciennes  de  Maubuisson  et  de  Saint- Antoine,  les 
Bénédictines  de  Montmartre,  et  bien  d'autres  encore,  errer,  loin  de 
leurs  anciennes  habitations  situées  hors  des  villes  fermées,  à  la 
recherche  de  places  fortifiées^. 

Le  8  janvier  1358,  Charles  le  Mauvais  entra  à  Rouen  où  il  fut 
reçu  avec  de  grands  honneurs,  et,  pour  célébrer  dignement  son 
entrée,  la  populace  alla  brûler  un  très  beau  château  que  le  dauphin 
possédait  à  quelques  lieues  de  la  ville  au  Crand-Couronne.  Le 
10  janvier,  Charles  donna  l'ordre  d'enlever  du  gibet  les  restes  des 
seigneurs  décapités  en  avril  1356.  On  reconnut  encore  les  cadavres 

1.  Secousse,  Preuv.,  p.  64  et  68.  Ce  n'étaient  pas,  comme  on  dirait  aujourd'hui,  des 
prévenus  pour  des  faits  politiques,  mais  des  criminels  «  pour  larrecins,  meurtres, 
faux  monnoyers,  robeurs,  espieurs  de  chemins,  marchans  de  fausses  monnoies^ 
efîorceurs  et  ravineurs  de  femmes  »,  etc.  Ces  prisonniers  étaient  donc  des  prévenus 
des  crimes  les  plus  nuisibles  à  la  société. 

2.  Ibid.^  Mém.^  p.  159;  Preuv.,  p.  64. 

3.  Grand,  chron.,  p.  71  suiv. 

4.  Jean  de  Venette,  p.  247.  Cf.  Dutilleux  et  Depoin,  Vahbaye  de  Maubuisson^ 
\"  partie  (Pontoise,  1882),  p.  27  ;  E.  Barthélémy,  Recueil  des  chartes  de  L'abbaye  de: 
Montmartre  (1883),  p.  7, 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,     l3o7,    1358  loo 

du  sire  de  Graville,  de  Maiibué  et  de  Colinet  Doublel',  mais  on  ne 
retrouva  point  les  restes  du  comte  d'Harcourt.  Contrairement  au 
traité,  l'inhumation  se  fît  avec  une  jurande  solennité.  En  présence 
du  roi  de  Navarre,  une  foule  innombrable  tant  à  pied  qu'à  cheval 
accompagnait,  en  procession,  les  corps  que  l'on  conduisit  jusqu'à  la 
cathédrale.  Le  lendemain,  Charles  harangua  le  peuple  près  Saint- 
Ouen.  Il  reproduisit  en  substance  ce  qu'il  avait  dit  à  Paris  et  donna 
plusieurs  fois  aux  décapités  le  nom  de  martyrs.  Cette  harangue 
excita  l'enthousiasme  de  la  foule  qui  admirait  la  piété  du  Navar- 
rais.  A  la  cathédrale  on  fit  de  solennelles  funérailles  -. 

Pendant  que  ces  faits  se  passaient  à  Rouen,  Etienne  Marcel  qui 
était  l'organe  exécutif  des  plans  de  Charles  le  Mauvais  et  de 
Robert  le  Coq,  son  premier  complice,  ordonna  aux  habitants  de 
Paris  d'adopter  en  signe  d'alliance  avec  lui  à  la  vie  à  la  mort  et  de 
porter  un  chaperon  mi-j)artie  rouge  et  mi-partie  bleu  avec  des  agrafes 
d'argent  entremêlé  d'émail  vermeil  et  azuré.  Sur  l'agrafe  se  lisaient 
ces  mots  :  A  bonne  fin  '^.  Pour  associer  encore  plus  étroitement 
les  Parisiens  à  ses  intérêts,  il  érigea  une  grande  confrérie  sous  l'in- 
vocation de  Notre-Dame,  et  ceux  qui  y  entraient  faisaient  plusieurs 
serments,  conventions  et  alliances  ^. 

Il  va  sans  dire  que  la  position  du  dauphin  devenait  de  plus  en 
plus  critique.  Pour  donner  à  Charles  le  Mauvais  un  prétexte  d'ar- 
mer, l'évêque  Robert  le  Coq  avait  fait  ordonner  par  le  dauphin  des 
levées  de  troupes.  Mais  quand  celles-ci  voulurent  se  diriger  sur 
Paris,  l'entrée  de  la  capitale  leur  fut  interdite,  et  cela  encore  une 
fois  grâce  à  l'instigation  de  Robert  le  Coq  ^.  C'est  alors  que  le  dau- 
phin chercha  à  gagner  à  sa  cause  les  hommes  influents  du  parti 
ennemi,  comme  le  prouve  son  discours  prononcé  aux  halles  le 
11  janvier  devant  un  peuple  nombreux  dont  la  majorité  se  déclara 
pour  lui.  Dans  la  crainte  de  voir  leurs  j^lans  contrecarrés,  Robert 
le  Coq  et  Etienne  Marcel  assemblèrent  le   peuple   près  de  Saint- 

1.  Ou  Doublet. 

2.  Grand,  chron.,  p.  7  4  à  76  ;  Secousse,  Mém.,  p.  165, 167  ;  Chéuuel,  Ilist.  de  Rouen 
pendant  l'époque  communale,  II,  p.  191  suiv. 

3.  Grand,  chron.,  Yi.  73;  Secousse,  I.  c,  p.  163;  Preuves,  p.  84.  Une  autre  version 
voy.  dans  la  Chronogr.,  p.  269,  où  le  fait  est  attribué  au  roi  de  Navarre. 

4.  Secoi-sse,  Mèm.,  p.  164. 

5.  Grand,  chron.,  p.  72. 


156  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Jacques  de  l'hôpital  ;  là  on  tint  des  discours  contre  l'ancien  régime 
et  contre  le  dauphin,  aussitôt  que  celui-ci  eut  le  dos  tourné  K 
Voyant  le  danger,  le  dauphin  appela  auprès  de  lui  le  13  janvier 
plusieurs  maîtres  de  l'Université  et  ~  leur  demanda  de  se  conduire 
en  bons  sujets.  Ils  répondirent  qu'ils  vivraient  et  mourraient  pour 
lui  3.  C'était  là,  en  général,  le  sentiment  du  clergé  de  Paris. 

Le  24  janvier,  Jean  Baillet,  trésorier  du  dauphin,  fut  assassiné 
dans  la  rue  Neuve-Saint-Merri  4.  Les  Etats  s'ouvrirent  le  11  février. 
Comme  aux  Etats  de  janvier,  pas  un  noble  ne  s'y  trouva.  Ainsi 
les  Etats  ne  représentèrent  plus  trois,  mais  deux  états  seulement  •''. 
Le  22  février,  Etienne  Marcel  fit  assembler  à  Saint-Eloi  les  corps 
de  métiers  de  Paris.  Ils  marchèrent  vers  le  palais,  au  nombre  de 
trois  mille  hommes,  tous  armés.  Avant  de  pouvoir  attenter  à  la 
personne  même  du  dauphin,  les  traîtres  devaient  mettre  à  mort  les 
plus  influents  confidents  du  prince.  Les  Parisiens,  et  surtout  ceux  du 
peuple,  n'étaient  pas  encore  préparés  pour  ce  dernier  coup.  Pen- 
dant qu'ils  se  rendirent  au  palais,  un  avocat  du  Parlement,  Regnaud 
d'Acy,  se  trouvant  sur  leur  ^^assage,  tomba  percé  de  coups  et 
mourut  sur  le  champ.  Il  travaillait  à  la  délivrance  du  roi  Jean  et 
avait  en  janvier  apporté  de  Londres  des  lettres  sur  le  traité  conclu 
entre  le  roi  d'Angleterre  et  le  roi  de  France,  qui  ne  furent  pas 
montrées  aux  trois  Etats  ^.  Après  ce  meurtre,  la  foule  force  le 
palais.  Etienne  Marcel  et  les  siens  se  précipitent  dans  la  chambre 
où  se  trouve  le  dauphin,  aux  côtés  duquel  étaient  Robert  de  Cler- 
mont,  maréchal  de  Normandie,  et  Jean  de  Conflans,  maréchal  de 
Champagne,  tous  deux  exécrés  par  Charles  le  Mauvais^.  Ils  sont 

1.  Secousse,  1.  c,  p.  169. 

2.  La  Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  117,  porte  «  notabiliores  ville  »  au  lieu  de 
«  maîtres  ». 

3.  Grand,  chron.,  p.  80;  Jourdain,  L'Université  de  Paris  au  temps  d'Etienne  Mar- 
cel (1878),  p.  12. 

4.  Grand,  chron.,  p.  82;  Secousse,  p.  175,  où  on  trouve  tous  les  détails  des  faits 
arrivés  à  la  suite  du  meurtre. 

5.  Grand,  chron.,  p.  86.  L'ordonnance  à  la  suite  des  Etats  publiés  par  le  dauphin, 
voy.  dans  Viollet,  Les  Etals  de  Paris  en  Février  1358  (Paris  1891),  p.  17  suiv. 

6.  Voy.  Chronogr.,  p.  265. 

7.  Le  premier  avait  livré,  en  novembre  1356,  le  combat  où  périt  Godefroy  de  Har- 
court  (voy.  ci-dessus,  p.  143  suiv.),  l'autre  avait  quitté  le  parti  des  Etats  généraux, 
et,  ce  semble,  détourné  aussi  les  autres  nobles  de  la  Champagne.  Il  était  un  des  prin- 
cipaux conseillers  du  dauphin.  Cf.  S.  Luge  dans  Froissart,  p.  xxvii,  not.  2. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    l3o7,    1358  157 

massacrés  en  présence  du  prince.  Le  reste  de  ses  officiers  prend  la 
fuite.  Le  prévôt  Marcel  donne  ensuite  au  dauphin  son  chaperon, 
en  sig^ne  de  protection;  lui-même  prend  le  chaperon  du  dauphin. 

Nous  savons  maintenant,  par  la  confession  du  chancelier  du  roi  de 
Navarre,  Thomas  de  Ladit,  que  ce  massacre  fut  fait  à  Tinstig-ation 
de  Charles  le  Mauvais  ^  qui  s'était  alors  absenté  de  Paris  tout 
exprès. 

Après  cette  scène  sanglante,  Marcel  se  rendit  à  Thôtel  de  ville 
pour  haranguer  la  foule  et  se  justifier  de  ce  qui  venait  de  se  pas- 
ser -.  Dans  la  soirée,  il  eut  une  longue  entrevue  avec  la  reine 
Jeanne,  et  lui  conseilla  de  faire  revenir  promptement  son  neveu  ^. 

Désormais,  à  tout  considérer,  non  seulement  le  roi  était  captif, 
mais  son  lieutenant  le  dauphin  l'était  aussi,  car  sa  personne  n'était 
plus  en  sûreté.  Lui-même  d'ailleurs  en  avait  le  pressentiment,  Lien 
qu'il  n'eût  pas  encore  découvert  le  complot  qui  fut  ourdi  encore 
jdIus  étroitement  après  le  massacre  des  maréchaux  ^.  Le  26  février, 
le  danger  qu'il  courait  fut  encore  augmenté  par  l'arrivée  de  Charles 
le  Mauvais,  qu'accompagnaient  un  nombre  considérable  de  gens 
d'armes.  Les  deux  reines  Jeanne  et  Blanche,  Etienne  Marcel  et 
Robert  le  Coq  furent  de  nouveau  ses  confidents.  Le  dauphin  se  vit 
contraint  de  satisfaire  à  toutes  les  exigences  ;  il  offrit  au  roi  de 
Navarre  son  propre  hôtel  de  Nesle  ;  de  plus,  après  le  14  mars,  il 
lui  donna  un  dédommagement  de  10.000  livres  de  rente,  joignit  à 
cela  plusieurs  terres  et  châteaux  ^  et  des  lettres  de  rémission  à  dif- 
férents amis  de  Charles  le  Mauvais  '\ 

Cependant  les  amis  du  dauphin  avaient  fait  diverses  tentatives 
pour  le  délivrer.  Il  en  coûta  la  vie  à  un  écuyer  qui  fut  décapité  aux 
Halles  '^. 

1.  Le  dauphin  écrit  clans  sa  lettre  du  31  août  1358  :  «  par  instigation  du  dit  roy 
(de  Navarre)  nos  dis  chevaliers  furent  murtris  en  nostre  présence  »  (dans  Froissart, 
éd.  DE  Lettf.nhove,  VI,  p.  477). 

2.  Grand,  chron.^  p.  86  suiv.  ;  Secousse,  p.  180  suiv.,  188. 

3.  Grand,  chron.,  p.  90. 

4.  Pieri'e  Gilles,  un  de  ceux  qui  furent  arrêtés  au  commencement  d'août  1358,  a 
confessé  que  Charles  après  le  meurtre  pensait  encore  tuer  le  dauphin.  Lettre  du  dau- 
phin dans  FnoissART,  éd.  de  Lettenhove,  1.  c,  p.  477. 

5.  Grand,  chron.,  p.  93,  dont  les  erreurs  sont  corrigées  par  Secousse,  p.  196  suiv.; 
Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  121  suiv. 

6.  Secousse,  p.  199. 

7.  Gr  ind.  chron..,  p.  96. 


iî)8  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Entre  temps,  pour  étendre  plus  loin  les  fils  de  la  conspiration, 
Etienne  Marcel  engageait  les  villes  du  royaume  à  prendre  des  cha- 
perons semblables  à  ceux  que  portaient  le  dauphin,  les  autres 
princes  et  les  Parisiens.  A  la  vérité,  les  villes,  surtout  celles  de  la 
Champagne,  ne  se  laissèrent  point  gagner  ^,  quelques-unes  succom- 
bèrent, par  exemple  Amiens,  Laon  -^  peut-être  aussi  Rouen  ^\  Bien 
qu'à  l'extérieur  ce  fut  toujours  Etienne  Marcel  qui  parut  agir,  on 
voyait  cej)endant  parfois  intervenir  Tastucieux  Charles  le  Mauvais. 
Quand  on  voulait  voyager  de  Paris  à  un  autre  point  du  royaume,  on 
s'adressait  à  lui  plutôt  qu'au  dauphin  pour  obtenir  des  sauf-con- 
conduits  ^. 

Ce  dernier,  jusqu'alors  lieutenant  du  roi,  fut  nommé  «  régent  du 
royaume  »  à  partir  du  14  mars.  Il  ne  comprit  pas  quel  piège  on  lui 
tendait.  Car  ses  ennemis  se  proposaient  par  là  d'écarter  le  roi  Jean, 
et  de  donner  une  plus  grande  autorité  à  ceux  d'entre  eux  qui  gou- 
vernaient au  nom  du  dauphin.  Cependant  il  parvint  à  quitter^  Paris 
où  il  ne  revint  que  le  2  août  1358.  Il  se  rendit  d'abord  à  Sentis 
où  il  avait  convoqué  pour  le  26  mars  une  assemblée  de  nobles  et 
le  roi  de  Navarre,  dont  il  ignorait  les  plans,  et  les  princes  du 
sang  ^.  De  là,  il  se  rendit  à  Compiègne  et  enfin  à  Provins  où 
s'étaient  réunis  le  9  avril  les  Etats  de  Champagne,  auprès  desquels 
il  se  plaignit  amèrement  le  lendemain  des  brutalités  commises  à 
Paris  "^. 

Deux  envoyés  des  gens  de  la  ville  de  Paris  ^  qui  s'étaient  rendus 
à  Provins,  Robert  de  Corbie,  maître  en  théologie,  un  dévoué  parti- 
san de  Charles  le  Mauvais,  et  Pierre  de  Rosnv,  archidiacre  de 
Brie,  invitèrent  les  trois  ordres  de  Champagne  à  faire  cause  com- 

1.  Grand,  c/irozi.,  p.  94. 

2.  Secousse,  1.  c,  p.  201. 

3.  Voy.  ChÉruel,  1.  c,  p.  198. 

4.  Grand,  chron.,  p.  96  suiv.,  où  on  trouve  un  sauf-conduit  du  1?  mars,  Voy. 
encore  Chron.  de  Richard  Lcscot,  p.  122. 

5.  Non  ((  à  s'échapper  ».  Voy.  Secousse,  p.  20G  suiv.,  où  est  encore  contredit  le 
récit  de  Villam,  1.  c.  p.  505, 

6.  Grand,  chron.,  p.  97,  99.  Coville,  Les  Étais  de  Normandie,  p.  89,  et  Pièces  jus- 
iif.,  n°  18  et  19. 

7.  Grand,  chron.,  p.  99  suiv.  ;  Secousse,  p.  208  suiv. 

8.  Ils  n'assistèrent,  point  en  qualité  de  députés  aux  États  de  Provins,  où  il  n'y 
avait  que  des  Champenois,  ils  n'y  vinrent  que  pour  tâcher  d'engager  ceux-ci  à  se 
joindre  aux  habitants  de  Paris.  Voy.  Secousse,  p.  210  suiv. 


co:s.u:rat[On  et  ri':  vol  ut  ion  a  paris,  13i)7,    13^)8  ITiO 

mune  avec  les  l)ourgeois  de  Paris,  et  à  donner  leur  assentiment  aux 
derniers  actes  d'Etienne  Marcel.  Mais  rassemblée  séleva  avec 
force  contre  les  excès  récemment  commis  à  Paris  et  engagea  le 
rég-ent  à  en  tirer  vengeance.  Les  nobles  Champenois  mirent  à  sa 
disposition  leurs  personnes  et  leurs  biens  K  Au  retour  des  soi- 
disants  députés,  Etienne  Marcel  comprit  qu'une  telle  conduite  des 
Etats  de  Provins  à  Tégard  de  ses  envoyés  était  une  véritable  décla- 
ration de  guerre  et  si^  mit  aussitôt  à  faire  tous  ses  préparatifs  de 
défense.  Il  fit  occuper  par  ses  gens  la  forteresse  royale  du  Louvre, 
après  en  avoir  chassé  les  hommes  d'armes  du  régent  et  se  saisit  de 
l'artillerie,  qui  selon  l'intention  du  dauphin  devait  garnir  les  forte- 
resses de  Meaux  et  de  Montereau.  Elle  fut  transportée  à  l'hôtel  de 
ville.  La  Seine,  à  son  entrée  dans  Paris  et  à  sa  sortie,  fut  intercep- 
tée par  d'énormes  chaînes  de  fer.  Les  maisons  attenant  aux  rem- 
parts furent  abattues.  Les  remparts  mêmes  furent  entourés  de  fos- 
sés larges  et  profonds.  Les  Frères  Prêcheurs  et  les  Mineurs,  ainsi 
que  les  Quinze-Vingts  y  perdirent  des  jardins  et  une  partie  de 
leurs  maisons  ~. 

Etienne  Marcel  chercha  encore  à  s'emjDarer  des  principales  forte- 
teresses  commandant  les  rivières  d'Yonne,  de  Seine,  de  Marne  et 
d'Oise.  Il  tenta  de  se  rendre  maître  de  Meaux;  mais  le  régent 
l'avait  fait  occuper  par  ses  troupes.  Après  quoi,  le  18  avril,  Etienne 
écrivit  au  dauphin  une  lettre  pleine  de  faussetés,  dans  laquelle  le 
traître  se  montre  affligé  des  maux  des  Parisiens,  dont  il  comptait 
cependant  la  vie  pour  rien,  comme  nous  le  verrons  bientôt;  il  se 
montre  irrité  contre  les  ennemis^  qu'il  appellera  lui-même  à  Paris;  il 
se  donne  l'apparence  de  travailler  pour  l'honneur  du  roi  Jean  et  du 
dauphin,  contre  lesquels  il  avait  fait  un  traité  avec  Robert  le 
Coq  et  Charles  le  Mauvais.  Il  rend  le  dauphin  responsable  des 
afflictions  des  Parisiens  et  lui  demande  de  leur  délivrer  les  deux 
forteresses  de  Meaux  et  de  Montereau.  Il  annonce  encore  au  dau- 
phin qu'il  vient  de  saisir  l'artillerie,  parce  que  le  peuple  était  trop 

1.  Grniid.  c/iro/i.,  1.  c,  et  Lucr,  Hist.  de  la  Jacquerie,  p.  108  suiv. 

2.  Grand,  chron.,  p.  10 i  ;  Jeax  dk  VKNETTii:,  p.  256  suiv.,  où  il  est  dit  que  les  Prê- 
cheurs ont  perdu  à  cette  occasion  des  maisons  et  chapelles,  les  Mineurs  le  réfec- 
toire splendide,  etc.  Le  réfectoire  qui  existe  encore  est  postérieur.  Relativement  aux 
Quinze-Vingts,  voy.  S.  Ltcr  dans  la  Bihliolh.  de  l  Ecole  des  chartes,  t.  XXI,  p.   76. 

3.  Philippe  de  Xa\  arre  en  particulier,  et  les  Anglais.  A'oy.  ci-dessous,  §  7. 


160  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

ému  et  irrité  de  la  voir  dans  le  Louvre.  Enfin  il  le  prie  de  revenir 
à  Paris  K 

Le  29  avril,  les  Etats  de  Champagne  s'assemblèrent  à  Vertus;  le 

4  mai,  les  députés  des  villes  se  rendirent  à  Gompiègne.  Entre 
temps,  le  roi  de  Navarre  eut  le  2  et  le  3  mai  des  pourparlers  avec 
le  régent  pour  l'engager  à  s'accorder  avec  les  Parisiens.  Charles  le 
Mauvais  retourna  à  Paris  le  4  mai  sans  avoir  abouti  -.  L'Université 
de  Paris  ne  fut  pas  plus  heureuse  :  elle  avait  résolu  le  2  mai,  comme 
elle  l'avait  déjà  fait  en  février,  d'envoyer  au  régent  une  députa- 
tion  ^  sous  la  conduite  des  orateurs  Simon  de  Langres,  général  des 
Frères  Prêcheurs,  et  Guillaume  de  Mollio,  prieur  d'Essonne,  tous 
deux  maîtres  en  théologie  ^.  Le  régent  ne  consentit  à  rendre  ses 
bonnes  grâces  aux  Parisiens  qu'à  la  condition  que  les  personnages 
les  plus  compromis,  Etienne  Marcel  en  tête,  bien  entendu,  lui 
seraient  livrés.  Il  déclara  qu'il  leur  laisserait  la  vie  sauve  ^. 

A  Compiègne,  il  ne  se  trouva  que  les  députés  de  la  noblesse  et 
des  villes  restées  fidèles  au  régent.  Un  seul  de  la  commune  de 
Paris,  l'évêque  Robert  le  Coq,  s'y  fourvoya  et  faillit  payer  cher  son 
audace.  Les  nobles  qui  s'étaient  aperçus  trop  tard  de  sa  perfidie 
étaient  exaspérés  contre  lui  et  voulaient  le  mettre  à  mort.  Il  se 
retira  secrètement  et  vint  à  Saint-Denys  et  ensuite  à  Paris,  grâce 
au  secours  de  Charles  le  Mauvais  et  de  ses  amis  ^\ 

Les  Etats  de  Compiègne,  suivant  l'exemple  de  ceux  de  Sentis  et 
de  Vertus,  accordèrent  au  régent  les  subsides  nécessaires  pour 
prendre  l'ofPensive.  Celui-ci  prit  les  dispositions  pour  cerner  Paris, 
et,  le  14  mai,  il  lança  une  ordonnance  ^,  qui  fut  une  espèce  de 
désaveu  et  de  condamnation  de  la  conduite  de  la  ville  de  Paris  et 
de  tout  ce  qui  avait  été  fait  dans  ses  ordonnances  de  1357.  L'article 

5  enjoint   sous  les  peines   les   plus  sévères,  aux  propriétaires  des 

1.  Lettre  éd.  par  Kervyn  de  Lettenhove  dans  Froissaiit,  VI,  p.  462  à  464. 

2.  Secousse,  Mém.,  p.  216  à  218. 

3.  Denifle  et  Châtelain,  Auctariuni  Chartularii  Universitatis  Paris.  I,  p.  229,  20 
suiv.  Jean  de  Venette,  p.  255. 

4.  Grand,  chron.,  p.  85;  Chron.  de  Richard  Lescot^  p.  119,  124.  Voy.  Jourdain. 
V Université  de  Paris  au  temps  d'Etienne  Marcel.,  p.  12  suiv.  L'Université  alors 
s'occupait  à  établir  de  bons  rapports  entre  le  roi  de  Navarre  et  le  dauphin. 

5.  Jean  de  Venette,  1.  c. 

6.  Grand,  chron..,  p.  108. 

7.  Ordonn.  des  rois,  III,  p.  221, 


CONJURATIOiN    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    1357,    1358  161 

châteaux  et  forteresses,  de  les  mettre  en  état  de  défense  et  d'y  éta- 
blir des  garnisons  suffisantes  à  leurs  frais  et  dépens. 

Cette  ordonnance  coïncide  avec  une  incursion  des  alliés  de 
Charles  le  Mauvais,  c'est-à-dire  des  Anglais.  Le  13  mai,  l'Anglais 
James  Pipe,  capitaine  d'Kpernon,  soi-disant  lieutenant  du  roi  de 
Navarre,  surgit  avec  une  cohorte,  marcha  à  travers  le  Gatinois, 
brûla  Nemours,  dévasta  encore  plusieurs  villes,  entre  autres  Grès  ^. 
Quelques-uns  d'entre  eux  s'avancèrent  plus  tard  jusqu'à  Paris. 

Cependant  Etienne  Marcel  devenait  de  plus  en  plus  audacieux. 
De  son  autorité  privée,  il  lit  frapper  monnaie  à  Paris.  Le  7  mai,  le 
régent  ordonna  à  Compiègne  de  faire  ouvrer  les  gros  blancs  à  fleur 
de  lis.  Marcel  et  les  autres  traîtres  ne  reconnurent  point  cette 
ordonnance  ;  le  prévôt  fit  battre  la  même  monnaie,  et  puis  une  autre 
depuis  le  1^*"  juillet  jusqu'au  24  du  même  mois-.  Entre  temps,  il 
fît  exécuter  comme  traîtres  deux  gentilshommes  qu'il  accusait 
d'être  de  connivence  avec  le  régent  ^.  Les  Parisiens  attaquèrent,  le 
9  juin,  la  forteresse  du  marché  de  Meaux  où  se  trouvaient  l'épouse 
du  dauphin,  sa  fille  et  sa  sœur,  en  outre  plusieurs  dames  et  gen- 
tilshommes de  haut  rang^.  Les  agresseurs  furent  presque  entière- 
ment terrassés  par  les  nobles  ^.  Le  régent,  fondant  son  assertion 
sur  le  témoignage  des  amis  du  roi  de  Navarre  faits  prisonniers, 
écrit  le  31  août  1358,  que  l'assaut  du  marché  de  Meaux  eut  lieu  à 
l'instigation  de  Charles  le  Mauvais,  «  pour  déshonorer  les  dites 
dames  6  m.  En  effet,  les  Parisiens  étaient  commandés  par  Pierre 
Gilles,  épicier  à  Paris,  mais  originaire  de  Saint-Guilhem-le-Désert, 
près  Montpellier,  qui  se  battait  de  la  part  du  roi  de  Navarre  "^  ;  il 
fut,  comme  complice,  décapité  à  Paris  au  mois  d'août. 

Il  ne  paraissait  pas  favorable  aux  desseins  de  Charles  le  Mauvais 

1.  Grand,  chron.,  p.  108  suiv. 

2.  Diî  Saulcy,  Hist.  monéliiire  de  Jean  le  Bon,  roi  de  France  (1880),  p.  67  à  69,  où 
on  trouve  les  éclaircissements  nécessaires. 

3.  Grand,  chron.,  p.  111.  L'un  était  Jean  Peret,  «  maislredu  pont  de  Paris», l'autre 
Henri  Metret,  «  charpentier  du  roy  ». 

4.  Voy.  les  documents  dans  Luce,  Hisl.  de  la  Jacquerie,  nouv.  éd,  (1895),  pp.  227  à 
244. 

b.  Grand,  chron.,  p.  113,  et  encore  Moranvillé  dans  la  Chronogr.,  p.  274,nol.J. 

6.  Lettre  dans  Froissart,  éd.  Lettenhove,  VI,  p.  477. 

7.  Chron.  Romane,  dans  le  Petit  Thalamus,  p.  353.  Voy.  Grand,  chron.,  1.  c.  Lice, 
La  France  pendant  la  guerre  de  Cent  ans  (,1890),  2"  éd.,  pièce  n"  2. 

R.-P.  Denifle.  —  Desolatio  ecclesiarum  H.  11 


162  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

qu'il  restât  absent  de  Paris.  On  avait  plutôt  fait  un  pas  en  arrière 
et  Etienne  Marcel  avait  vu  s'augmenter  le  nombre  de  ses  ennemis. 
Il  s'agissait  donc  de  compenser  cela  j^ar  une  avance  hardie.  Charles 
le  Mauvais  était  en  Beauvoisis  où  il  guerroyait  contre  les  Jacques 
dont  il  sera  question  plus  loin  K  Toutefois,  il  ne  marcha  contre  eux 
qu'après  avoir  obtenu  des  nobles  du  pays  la  promesse  que  ceux-ci 
ne  lui  seraient  jamais  hostiles  ~  :  c'était  donc  une  politique  toute 
personnelle.  Mais  ici  le  traître  se  montre  encore  une  fois.  Les 
nobles  n'osant  attaquer  les  Jacques  dans  leur  position,  Charles  le 
Mauvais  fit  appeler  près  de  lui  Guillaume  Karle,  chef  ou  roi  des 
Jacques,  sous  prétexte  de  conclure  une  trêve.  Celui-ci  y  alla 
paisiblement  sans  exiger  d'otages  ;  Charles  le  fît  aussitôt  charger 
de  chaînes,  le  retint  comme  prisonnier  et  le  fit  décapiter  après  la 
bataille  ^.  Le  10  juin,  il  tua  plus  de  quatre  mille  Jacques  aux  envi- 
rons de  Clermont-en-Beauvaisis. 

En  sortant  du  Beauvoisis,  Charles  alla  àSaint-Ouen,  où  il  logea 
au  palais  du  régent,  la  Noble-Maison.  Marcel  vint  l'y  trouver  et  le 
persuada  de  retourner  à  Paris  '♦. 

Le  14  juin,  il  fît  en  effet  son  entrée  triomphale  dans  la  capitale, 
suivi  d'une  troupe  considérable  de  Navarrais  et  d'Anglais  ^.  Le  15, 
il  harangua  la  foule  à  Thôtel  de  ville  en  disant  qu'il  aimait  la  France 
et  qu'il  y  était  très  attaché,  parce  qu'il  y  avait  des  fleurs  de  lys 
des  deux  côtés;  qu'il  eût  été  roi  de  France,  si  les  droits  qu'il  y  avait 
par  sa  mère,  fîUe  unique  d'un  roi  de  France,  n'eussent  été  rejetés, 
qu'il  était  prêt  à  vivre  et  à  mourir  avec  les  Parisiens.  Charles 
Toussac,  échevin  de  Paris,  monta  ensuite  à  la  tribune,  déclarant 
que  le  royaume  avait  été  mal  gouverné  jusqu'à  présent  ;  qu'il  était 
nécessaire  de  choisir  un  capitaine  plus  entendu.  Cet  élu  devait 
être  le  roi  de  Navarre.  Une  partie  de  la  foule  cria  :  Navarre^ 
Navarre.  C'est  ainsi  que  Charles  le  Mauvais  devint  capitaine  de 
Paris.  Le  premier  pas  était  fait.  De  capitaine  de  Paris  à  la  royauté, 
il  n'en  restait  qu'un  à  franchir,  d'autant  mieux  qu'Etienne  Marcel 
avait  fait  écrire  aux  «  bonnes  villes  »  de   France,  les  sollicitant  de 

1.  Voy.  ci-dessous,  paragraphe  6, 

2.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois^  p.  72  suiv. 

3.  Ibid.,  p.  74  suiv. 

4.  Grand,  chron.,  p.  115  suiv.  ;  Secousse,  p.  257  suiv. 

5.  Voy.  Chron.  normand.,  p.  313,  not.  5,  et  Chronogr.,  p.  275. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    13o7,    1358  163 

reconnaître  le  roi  de  Navarre  comme  capitaine  g"énéral  de  tout  le 
royaume.  Ensuite  Charles  fit  serment  entre  les  mains  des  Pari- 
siens de  les  gouverner  loyalement,  de  vivre  et  de  mourir  avec  eux 
et  de  les  défendre  envers  et  contre  tous.  Le  royaume,  disait-il,  est 
bien  malade,  on  ne  saurait  le  guérir  de  sitôt  K 

A  peine  devenu  capitaine,  Charles  eut  l'audace  de  faire  frapper 
un  denier  parisis,  servilement  calqué  sur  les  deniers  parisis  du 
roi  Jean.  Il  porte  les  légendes  KAROLVS  REX,  et  dans  le  champ 
en  deux  lignes  NAV-ARO.  Au  revers  PARISIUS  CIVIS.  Charles 
espérait  s'intituler  bientôt  REX  FRANCO  ^.    • 

Mais  Dieu  ne  permit  point  que  les  choses  allassent  trop  loin. 
Plusieurs  des  nobles  qui  étaient  avec  le  roi  de  Navarre,  surtout 
ceux  de  la  Bourgogne,  l'abandonnèrent  quand  ils  le  virent  accepter 
le  poste  de  capitaine,  alléguant  qu'ils  ne  combattaient  point  contre 
le  régent  et  les  nobles  •^.  Ils  s'en  retournèrent  dans  leur  pays,  tan- 
dis que  depuis  le  15  juin  le  régent  marchait  sur  Paris  à  la  tête 
d'une  forte  armée  ^  avec  laquelle  il  arriva  le  29  sous  les  murs  de  la 
capitale.  Ses  troupes  campèrent  entre  le  pont  de  Charenton  et  le 
bois  de  Vincennes,  ^  en  face  de  la  porte  Saint-Antoine.  A  peine 
Charles  le  Mauvais  eut-il  appris  l'approche  d'une  aussi  grande 
armée  qu'il  gagna  le  large,  dès  le  22  juin,  malgré  son  serment 
prêté  peu  de  jours  auparavant,  de  vivre  et  de  mourir  avec  les  Pari- 
siens et  de  les  défendre  envers  et  contre  tous.  Il  emmenait  environ 
600  hommes,  à  l'aide  desquels  il  fit  une  tentative  contre  Senlis  et 
s'établit  ensuite  à  Saint-Denis  ^. 

Les  troupes  du  régent  firent  pressentir  quel  serait  le  sort  des 
Parisiens.  En  s'avançant  vers  la  capitale,  elles  dévastèrent  les  pro- 
priétés et  les  maisons  des  Jacques  qu'elles  trouvèrent  sur  leur  pas- 
sage ;  aux  abords  de  Paris,  la  campagne  fut  ravagée  jusqu'à   huit 

1.  Grand,  chron.,  p.  116. 

2.  Voy.  De  Saulcy,  Hist.  monétaire  de  Jean  le  Bon,  p.  71. 

3.  Grand,  chron.,  p.  118. 

4.  Suivant  Froissart,  éd.  Luge,  Tarmce  était  foi'te  de  trois  mille  lances  (p.  106); 
d'après  les  Grand,  chron.,  p.  119,  elle  «  avoit  bien  trente  mil  chevaux  ».  Frois- 
sart parle  seulement  d'une  partie  de  rarmce.  Vili.am  (Miratoui,  p.  51G)  dit  : 
5.000  hommes  de  cheval. 

5.  Les  sources  citées.  Le  régent  dit  aussi  dans  sa  lettre  du  31  août  (Froissart,  éd. 
Lettenhove,  VI,  p.  474)  qu'il  est  venu  le  29  juin  devant  Paris. 

6.  Grand,  chron.^  p.  118  à  120. 


164  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

OU  dix  lieues  ;  les  places  qui  n'étaient  pas  fermées  furent  brûlées, 
pour  châtier  les  Parisiens  et  les  priver  des  moyens  de  subsistance  ^ 
Les  troupes  n'épargnaient  pas  même  les  lieux  où  elles  étaient  cam- 
pées. Les  relig-ieux  bénédictins  de  Saint-Maur-les-Fossés  souffrirent 
de  grands  dommages;  leurs  granges  et  manoirs  furent  brûlés,  et 
tout  ce  qui  était  dedans  fut  pris  ou  gâté  -.  De  peur,  on  n'osait  ni 
entrer  à  Paris,  ni  en  sortir;  mais  plusieurs  fois  les  Parisiens  sor- 
taient en  masse  pour  attaquer  l'armée  du  régent,  et  ((  tousjours 
perdoient  plus  qu'il  ne  gagnoient  et  en  y  ot  pluseurs  mors^^  ». 

Le  roi  de  Navarre  ne  tarda  pas  à  reconnaître  qu'il  n'était  point 
sur  la  voie  pour  arriver  à  son  but.  Ce  rusé  pensa  qu'une  entrevue 
avec  le  régent  suivie  d'un  traité  de  paix  serait  plus  favorable  à  ses 
projets  que  toute  autre  chose.  Il  connaissait  le  caractère  plein  de 
noblesse  de  celui-ci,  caractère  diamétralement  opposé  au  sien.  Il  se 
disait,  probablement,  qu'une  entrevue  lui  fournirait  peut-être  l'occa- 
sion de  tuer  le  régent;  de  toute  manière,  il  pouvait  supposer  que 
celui-ci  licencierait  ses  troupes  dès  que  la  paix  serait  conclue,  et 
qu'alors  la  réussite  de  ses  plans  lui  deviendrait  plus  facile.  Le  régent 
lui-même,  s'appuyant  sur  le  témoignage  des  intimes  du  roi  de  Navarre 
faits  prisonniers  après  le  meurtre  d'Etienne  Marcel,  admet  que 
Charles  avait  formé  le  dessein  de  le  tuer,  lors  de  la  conclusion  de 
la  paix  :  «  se  il  eussent  esté  plus  fors  que  nous,  quant  la  dicte  pais 
fu  jurée,  et  aussi  quant  elle  fu  depuis  confermée,  il  eussent  murtri 
nous,  nos  gens  et  tous  autres  qu'il  eussent  peu  tuer  ^  ».  De  même 
avons-nous  vu  plus  haut  que,  peu  après  sa  délivrance  de  prison, 
le  roi  de  Navarre  et  ses  intimes,  en  dépit  des  traités,  avaient  fait 
un  pacte,  sur  la  foi  du  serment,  de  ne  pas  renoncer  à  la  trahison  et 
d'attenter  à  la  vie  de  toute  la  famille  royale  •^.  Le  caractère  de 
Charles  le  Mauvais  inclinait  toujours  au  mal,  et  l'historien  qui  lui 
supposerait  un  vestige  d'honnêteté  ferait  une  étrange  méprise. 

On  le  verra  encore  dans  cette  circonstance.  Par  l'entremise  de  sa 
tante  la  reine  Jeanne,  le  roi  de  Navarre  eut,  le  8  juillet,  une  entre- 


1.  Grand.  Chron.,  p.  119.  Froissart,  ccl.  Luce,  p.  106  suiv, 

2.  Ordonn.  des  rois,  IV,  p.  605,  ad  an.  1366,  Fcbruar. 

3.  Grand,  c/iron.,  p.  120. 

4.  Lettre  du  régent  du  31  août  1358  éd.  par  De  Lettenhove  dans  Froissart,  VI,  p.  477. 

5.  Voy.  ci-dessus  p.  153. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    l'i^iT,     13^)8  1  Go 

vue  avec  le  régent,  dans  un  pavillon  près  de  l'abbaye  de  Saint- 
Antoine.  Tous  deux  tombèrent  d'accord  sur  les  conditions  du 
traité.  Pour  être  quitte  de  toutes  les  prétentions,  on  devait  donner 
à  Charles  le  Mauvais  quatre  cent  mille  florins  à  l'écu,  et  dix  mille 
livres  de  rente  en  terres.  Le  roi  de  Navarre  promit  de  s'unir  avec 
le  régent  et  de  le  servir  contre  tous,  excepté  contre  le  roi  de 
France;  et  comme  il  faisait  ce  traité  sans  la  participation  des  Pari- 
siens, il  se  fit  fort  de  les  faire  consentir  à  rentrer  sous  l'obéissance 
du  régent  et  à  payer  six  cent  mille  écus  de  Philippe  pour  le  premier 
payement  de  la  rançon  du  roi  Jean,  pourvu  que  le  régent  leur 
accordât  la  rémission  de  toute  peine  criminelle  ^  Les  messagers  du 
Saint-Père,  l'archevêque  de  Lyon,  l'évêque  de  Paris  et  le  prieur  de 
Saint-Martin-des-Ghamps  -,  étaient  présents  à  l'entrevue.  Pour 
cimenter  le  traité,  l'évêque  de  Lisieux  chanta  la  messe,  et  sur  le 
corps  du  Christ,  le  régent  et  le  roi  de  Navarre  jurèrent  qu'ils  obser- 
veraient fidèlement  le  traité  ^. 

Les  Parisiens  ne  reconnurent  point  le  traité,  c'est  pourquoi  le 
roi  de  Navarre  fit  de  nouvelles  alliances  avec  eux.  Ses  troupes 
allèrent  même  jusqu'à  attaquer  l'armée  du  régent,  toutefois  sans 
succès.  Le  12,  ayant  été  mis,  par  le  régent,  en  demeure  de  justifier 
ses  étranges  procédés,  Charles  joua  l'offensé  et  l'attaqué,  en  disant 
que  le  traité  avait  été  violé  par  le  régent  lui-même  dont  les  troupes 
avaient  commencé  l'escarmouche  '*. 

Par  le  fait,  le  traité  était  donc  rompu  et  l'armée  du  dauphin 
était  très  irritée  contre  les  Parisiens.  Elle  s'avança  si  près  de  Paris, 
que  les  bourgeois,  entendant  des  cris  d'alarme,  accoururent.  C'est 
le  11  juillet  que  Marcel  adressa  alors  aux  communes  de  Picardie  et 

1.  Grand,  chron.,  p.  120  suiv,  ;  122  suiv.  Secousse,  Mém.,  p.  277. 

2.  Au  mois  de  juin,  Innocent  VI  les  envoyait  tous  trois  auprès  du  régent,  du  roi 
de  Navarre  et  d'Etienne  Marcel  pour  les  engager  à  faire  la  paix.  Les  Archives  du  Vati- 
can ne  donnent  pas  de  renseignements.  Comme  j'ai  dit  plus  haut,  la  sixième  année 
du  pontificat  d'Innocent  VI  dans  les  Secrètes  est  très  incomplète  et  commence  seule- 
ment vers  le  20  octobre  ;  pres({ue  dix  mois  manquent.  Le  régent,  qui  dans  sa  lettre 
du  31  août  distingue  également  deux  moments  à  propos  du  [traité,  la  conclusion 
(8  juillet)  et  la  confirmation  (19  juillet),  mentionne  chaque  fois  la  présence  des 
messagers  du  pape. 

3.  Grand,  chron.,  p.  121;  lettre  du  régent  du  31  août  (dans  Froissart,  éd.  Let- 
TENHOVE,  VI,  p.  474). 

4.  Grand,  c/iron.,  p.  122.  Sur  les  conférences  entre  le  roi  de  Navarre,  qui  alors  était 
à  Saint-Denys,  et  Etienne  Marcel,  voy.  Fhoissart,  éd.  Luge,  V,  p.  110. 


166  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  Flandre  des  lettres,  en  réclamant  de  leur  part  un  urgent  appui  K 
Avec  raison,  on  avait  peur  à  Paris,  et  la  reine  Jeanne  s'efforça  de 
faire  renouveler  et  confirmer  la  paix.  Durant  plusieurs  jours,  tandis 
que  les  hostilités  continuaient  entre  les  Parisiens  et  l'armée  du 
régent,  il  y  eut  avec  ce  dernier  des  pourparlers  jusqu'à  ce  qu'enfin  le 
traité  fût  confirmé  le  19  sur  un  pont  de  bateaux  entre  Les  Carrières 
et  Vitry,  en  présence  de  la  reine  Jeanne,  des  envoyés  du  pape  sus- 
nommés, du  roi  de  Navarre,  des  délégués  de  l'Université  -  et 
d'autres  personnages.  L'on  convint  encore  que  les  Parisiens  prie- 
raient le  régent  de  leur  pardonner  tout  ce  qu'ils  avaient  fait,  et 
qu'ils  se  mettraient  à  sa  merci,  à  condition  cependant  qu'il  décide- 
rait de  leur  sort  par  le  conseil  de  la  reine  Jeanne,  du  roi  de 
Navarre,  du  duc  d'Orléans  et  du  comte  d'Etampes,  en  cas  qu'ils  se 
trouvassent  du  même  avis.  Le  régent  promit  de  faire  ouvrir  les 
passages  par  eau  et  par  terre  '^. 

Le  régent  prit  le  traité  au  sérieux.  Il  s'éloigna  le  20  juillet, 
comme  il  le  dit  lui-même  ^,  et  se  rendit  à  Meaux,  en  passant  par  Val- 
la-Gomtesse,  et  en  licenciant  la  plus  grande  partie  de  ses  troupes  ^. 
Sur  ces  entrefaites,  les  Anglais  campés  à  Saint-Denys  et  à  Saint- 
Cloud  pillaient  et  dévastaient  la  campagne  et  les  environs  de  Paris, 
déjà  fort  dépourvu  de  vivres  ^.  On  rapporte  que  cela  arriva  sur 
l'instigation  de  Charles  le  Mauvais.  Les  paysans  et  les  religieux 
quittaient  leurs  maisons,  qui  restaient  sans  habitants,  et  fuyaient  à 

1.  Éd.  par  Kervyn  m?  Lettexhove,  dans  Froissart,  XI,  p.  466  à  472. 

2.  Déjà  le  24  juin  la  Faculté  des  arts,  par  l'entremise  de  la  reine  Jeanne,  avait  déli- 
béré d'envoyer  le  recteur  et  les  quatre  procureui's  auprès  du  régent  pour  l'accord 
entre  lui  et  les  Parisiens  {Auct.triain  (]hartiilnj'ii  Universitatis  Paris.,  I,  p.  232, 
33  suiv).  Entre  la  délibération  et  l'exécution  on  mettait  généralement  un  grand  inter- 
valle, et  je  doute  que  cette  ambassade  ait  eu  lieu  avant  le  19  juillet,  au  moins  le  pro- 
cureur de  la  nation  anglaise  «  computavit  »  ses  dépenses  seulement  le  23  juillet 
(Ibid.,  p.  236,  22).  Le  16  juillet  (voy.  ihid.,  236,  6)  furent  présentées  à  l'Université 
et  au  recteur  les  lettres  du  18  juin  par  lesquelles  le  pape  engageait  l'Université  à 
aider  les  trois  messagers  qu'il  avait  chargés  de  rétablir  la  paix  entre  le  régent  et  les 
Parisiens  (Denifi.e  et  Châtelain,  Chiirtul.  Univers.  Paris.,  III,  n°  1239). 

3.  Grand,  chron.,  p.  126. 

4.  Dans  sa  lettre  datée  du  31  août,  p.  475  :  «  nous  nous  pai'tismes  du  dit  siège  et 
venismes  à  Meaux  ». 

5.  Dans  sa  lettre,  p.  478  :  «  en  bonne  foy  nous  en  avions  envoyé,  après  la  pais 
faicte,  la  plus  grant  partie  de  nos  gens  ».  ^oy.  Grand,  chron.,  p.  128.  Secousse, 
Mém.,  p.  283,  ne  voulait  pas  admettre  cette  assertion  ;  il  ne  connaissait  pas  la  lettre 
du  régent. 

6.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  84. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,     1.So7,     1 3o8  1  ()7 

Paris  tandis  que  les  Ang-lais  en  pillaient  les  meubles  '.  Les  Parisiens 
étaient  très  irrités  contre  les  Anglais  à  cause  de  ces  dévastations, 
et  le  lendemain  du  départ  du  dauphin,  le  21  juillet,  ils  se  jetèrent 
sur  leurs  compatriotes  -  que  Marcel  et  le  roi  de  Navarre  y  avaient 
fait  entrer,  soi-disant  pour  leur  défense.  Le  peuple  en  tua  un  très 
grand  nombre,  et  mit  en  prison  au  Louvre  quarante-sept  de 
leurs  plus  notables  et  vaillants  capitaines,  et  plus  de  quatre  cents 
autres  ^.  Parmi  les  capitaines  et  les  notables  Anglais  qui  alors 
étaient  à  Paris  logés  au  palais  du  roi  de  France,  on  compte  James 
Pipe,  Jacques  Standon,  Jacques  Plantin,  Jehan  Jouel,  Thomas 
Gaun  '\ 

Le  roi  de  Navarre,  Etienne  Marcel  et  Robert  le  Coq  reprochaient 
aux  Parisiens  d'avoir  fait  cette  émeute.  Mais  le  peuple  criait  qu'il 
fallait  tuer  les  Anglais  qui,  pour  venger  leurs  camarades,  venaient 
d'assaillir  Paris  et  d'incendier  le  bourg  Saint-Laurent  '^.  Charles  le 
Mauvais  et  Etienne  Marcel  reconnurent  sans  doute  que  les  Parisiens 
avaient  brouillé  les  cartes  ;  mais  ne  comptant  pour  rien  la  vie  de 
ceux  dont  ils  prétendaient  répondre,  ils  surent  faire  tourner  les  cir- 
constances à  leur  profit.  Le  22  juillet,  les  Parisiens  forçaient  le  roi 
de  Navarre  et  Etienne  de  marcher  à  leur  tête  contre  les  xVnglais  ; 
Charles  trouva  moyen  de  retarder  le  départ,  afin  que  ceux- 
ci  ne  fussent  pas  pris  au  dépourvu.  La  surprise  fut  réservée  aux 
pauvres  Parisiens  ;  environ  six  cents  d'entre  eux  furent  tués  par 
les  Anglais.  Le  roi  de  Navarre  qui  avait  promis  de  viA^re  et  mourir 
avec  les  Parisiens,  resta  spectateur  tranquille  de  ce  combat  et 
ne  s'avança    point   pour    les   secourir  f'.   Leur  venir  en  aide  n'en- 

1.  Jean  de  Venette,  p.  265. 

2.  «  Et  nous  estant  au  dit  lieu  (de  Meaux),  les  dis  roy  et  traîtres...  mirent  partie 
des  dis  Anglais  en  la  dicte  ville  de  Paris  »,  écrit  le  régent  le  31  août  (Lettenhove, 
p.  475),  et  Chron.  dea  quatre  premiers  Valois,  p.  80. 

3.  Voy.  ibid.,  1.  c,  et  Grand,  chron.,  p.  128.  Le  régent  ne  parle  pas  de  ces  quatre 
cents. 

4.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  82.  Kmghton,  p.  100,  écrit  que  James 
Pipe  réussit  à  s'échapper.  En  effet  on  le  trouve  les  jours  suivants  à  Chevreuse.  Voy. 
ci-dessous,  p.  169. 

5.  Jean  de  Venette,  p.  261. 

6.  Grand,  chron.,  p.  128  suiv.  ;  Jean  he  Venette,  1.  c,  et  les  autres  chroniqueurs. 
Le  régent  raconte  ces  faits  dans  sa  lettre  du  31  août  comme  les  Grand,  chron..  en 
omettant  les  détails.  Cf.  encore  Secousse,  p.  286  suiv.  Le  récit  de  Fhoissart, 
p.  XXXII,  est  différent. 


168  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

trait  pas  dans  son  programme.  Les  Anglais  étaient  les  com- 
plices dont  il  voulait  se  servir  pour  arriver  à  ses  fins  ;  les  Parisiens 
qu'il  commandait  avec  Marcel  étaient  au  contraire  des  réfractaires, 
des  rebelles  avoués  ou  secrets  sur  qui  ni  lui,  ni  Etienne  ne  pou- 
vaient plus  compter.  Il  était  donc  avantageux  de  les  faire  dispa- 
raître le  plus  tôt  possible.  Ils  furent  menés  comme  à  l'abattoir. 
Ainsi  l'on  s'explique  pourquoi  trois  hommes  d'armes,  des  affîdés 
de  Charles  et  de  Marcel,  se  détachèrent  de  leur  troupe  avant 
le  combat  et  coururent,  sans  être  aperçus,  au  bois  de  Saint-Gloud 
où  étaient  les  Anglais  pour  les  avertir  de  se  mettre  en  défense  ^ 
Marcel  était  parfaitement  de  connivence  avec  le  roi  de  Navarre. 
On  se  tromperait  fort  en  croyant  que  Marcel  avait  à  cœur  le  salut 
de  la  bourgeoisie-.  Ni  lui  ni  Charles  ne  firent  la  moindre  objec- 
tion quand,  le  lendemain,  les  Anglais  tuèrent  cent  vingt  bourgeois 
désarmés,  qui  s'étaient  avancés  dans  la  campagne,  pour  donner  la 
sépulture  à  leurs  parents  massacrés  la  veille  '^. 

Le  22  juillet,  après  la  dite  boucherie,  le  roi  retourna  à  Saint-Denys, 
Marcel  et  ses  compagnons  rentrèrent  dans  Paris  où  ils  furent  hués 
en  arrivant.  Le  27  juillet,  à  la  suggestion  de  Charles  le  Mauvais, 
et  contre  la  volonté  du  peuple,  qui  les  aurait  tués,  Marcel  mit  en 
liberté  les  quarante-sept  Anglais  prisonniers.  Par  la  porte  Saint- 
Honoré,  ils  s'en  retournèrent  à  Saint-Denys  rejoindre  le  roi  de 
Navarre.  Le  régent  prétendit  que  l'argent  de  leur  rançon  aurait 
pu  couvrir  le  premier  payement  pour  la  délivrance  du  roi  Jean  ^. 
Mais  Charles  et  Marcel  cherchaient  toujours  à  entraver  le  rachat 
du  roi  de  France. 

Après  le  meurtre  des   Parisiens  et   l'expulsion  des    Anglais  de 

1.  Secousse,  p.  287,  Voy.  Grand,  chron.,  p.  129  suiv. 

2.  Jourdain,  L'Université  de  Paris  au  temps  d'Etienne  Marcel,  p.  21,  n'a  pas  com- 
pris le  rôle  joué  par  Marcel,  en  disant  :  «  Il  mettait  son  suprême  espoir  dans  le  roi  de 
Navarre,  et  malgré  de  cruelles  déceptions,  il  ne  reculait  pas  devant  la  pensée  de  le 
proclamer  roi  de  France.  Mais  lorsqu'il  croyait  s'être  assuré  du  concours  de  ce 
prince,  de  sang^lantes  collisions  éclataient  entre  la  milice  parisienne  et  les  Navarrais 
{lege  :  Anglais)  :  six  cents  bourgeois  succombaient  »,  etc.  C'est  l'explication  de  Jean 
HE  Vexette,  p.  268, 

3.  FnoissART,  éd.  Luce,  p.  xxxu.  De  la  cruauté  de  Marcel  envers  les  réfractaires, 
nobles  et  non  nobles,  il  est  question  dans  un  arrêt  du  Pai'lement.  Luce,  Hist.  de  la 
Jacquerie,  nouv.  éd.,  n°  57,  p.  316. 

4.  u  Combien  que  l'on  en  eust  eu  pour  levu'  rançon,  se  il  ne  les  eussent  ainssi  déli- 
vrés, assés  argent  pour  le  premier  paiement  de  la  délivrance  monseigneur  ».  Lettre 
du  31  août  1358,  p.  475. 


CONJURATION    ET    RÉVOLTriON    A    PARIS,     13o7,     1  35(S  1  ()9 

Paris,  le  complot  secret  entre  Charles,  Marcel  et  leurs  alïidés,  subit 
quelques  modifications.  Sans  doute,  les  chefs  de  la  conspiration  pré- 
tendirent que  les  Ang-lais  avaient  été  appelés  à  Paris  pour  protéger 
la  ville  contre  les  ennemis.  Mais  contre  qui  ?  L'armée  du  dauphin, 
on  le  sait,  avait  été  licenciée  en  grande  partie  après  le  19  juillet.  Le 
but  des  Anglais  de  Paris  était  de  mettre  à  exécution  le  complot,  de 
concert  avec  les  conjurés  et  avec  les  Anglais  et  les  Navarrais  de 
Saint-Denys,  c'est-à-dire  de  massacrer  une  grande  partie  de  la 
population,  composée  des  ennemis,  tant  déclarés  que  secrets,  de 
Marcel  et  de  Charles,  pour  faciliter  au  roi  de  Navarre  l'accès  au 
trône  de  France.  Pour  le  moment,  il  n'y  avait  pas  beaucoup  à 
craindre  de  la  part  du  régent  ;  comme  il  nous  le  dit  lui-même, 
il  n'avait  pas  assez  de  troupes  à  sa  disposition  pour  pouvoir  faire 
face  à  l'ennemi^,  auquel  Philippe  de  Navarre,  qui  assemblait  en 
Cotentin  les  garnisons  des  Anglais  et  les  Navarrais  de  Bretagne 
et  de    Normandie'^  devait  apporter  son  concours. 

Mais  à  cause  des  récents  événements,  il  n'y  avait  pas  d'An- 
glais dans  la  ville,  et  ceux  qui  étaient  dehors  ne  pouvaient  plus 
entrer  qu'au  moyen  d'une  nouvelle  trahison.  De  plus  l'impopula- 
rité toujours  croissante  de  Charles  et  d'Etienne  Marcel  mettait  en 
danger  la  vie  de  ce  dernier  ;  force  était  donc  de  précipiter  l'exécu- 
tion de  l'ancien  complot  par  lequel  on  voulait  mettre  le  roi  de 
Navarre  sur  le  trône  de  France  '^. 

Marcel  convint  avec  Charles  le  Mauvais  et  d'autres  traîtres  que 
dans  la  soirée  ou  la  nuit  du  31  juillet,  Charles  et  les  Anglais- 
Navarrais  entreraient  dans  la  ville.  James  Pipe,  avec  huit  cents 
combattants  et  Philippe  de  Navarre,  s'il  arrivait  à  temps,  devait 
les  rejoindre^.  Le  prévôt  des  marchands  avait  eu  soin  de  faire 
ordonner  «  que  nulles  portes  ne  seroient  fermées  cette  nuit,  ne  nulles 
chaînes  tendues  ».  Ce  soir-là,  Marcel  s'était  fait  remettre  une  partie 
des  clefs  des  portes  de  la  ville,  par  ceux  qui  en  avaient  été  jusque 
là  les  gardiens,  pour  les  confier  à  de  nouveaux  gardes,  partisans 
du  roi  de  Navarre  et  initiés  à  la  trahison.  Si  tout  eut  réussi  au  gré 

1.  Lettre  du  3J   août,  1.  c.,  p.  478.  Le  régent  dit  cela  du  2  août. 

2.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  SI  suiv. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  101,  151  suiv.,   162  suiv. 

4.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  84.  Philippe  de  Navarre  arriva  après  le 
31  juillet;  ibid.,  p.  86  suiv.  James  Pipe  était  alors  à  Chevreuse. 


170 


LA    GUERRE    DE    CEAT    ANS 


du  prévost  et  de  Charles  et  d'après  leurs  combinaisons,  les  Anglais 
introduits  dans  la  ville  «  eussent  murtri  et  mis  à  mort  tout  le  cler- 
gié  et  gens  d'église,  tous  les  gentilshommes  lors  estans  en  la  dicte 
ville,  tous  les  officiers  de  monseigneur  (c'est-à-dire  du  roi  Jean) 
et  de  nous  (du  régent)  et  les  deux  pars  du  commun  d'icelle  ville.  Et 
dès  avant  avoient,  pour   ce  faire,  signées  les  maisons,  de  nuit  '  ». 

Les  victimes  désignées  pour  le  massacre  étaient  tous  ceux 
qui  faisaient  opposition  à  Charles  et  à  Etienne  Marcel  -,  c'est-à- 
dire  qui  tenaient  le  parti  du  roi  Jean  et  du  régent  '^.  On  voit  par  là 
quelles  proportions  l'exaspération  contre  les  traîtres  avait  prises  à 
Paris  dans  les  derniers  temps,  et  que  le  carnage  qui  en  eût  résulté^ 
eût  été  bien  plus  terrible  que  celui  dont  la  capitale  fut  le  théâtre 
dans  les  années  1413  et  1418,  à  l'instigation  de  Jean-sans-Peur . 

Le  massacre  une  fois  fait,  le  roi  de  Navarre  devait  s'emparer  du 
royaume  de  France  et  en  exclure  non  seulement  le  régent,  mais 
aussi  le  roi  Jean.  Les  traîtres  espéraient  que,  selon  toute  probabilité, 
les  autres  villes  suivraient  l'exemple  de  la  capitale^.  Le  régent 
affirmait  également  le  4  août,  devant  le  peuple  de  Paris,  que  le  roi 
de  Navarre  devait  être  proclamé  roi  de  France  •'  ;  Robert  le  Coq, 
l'évêque  de  Laon,  le  devait  couronner,  raconte  Villani  ^. 

L'issue  du  complot  est  trop  connue  pour  qu'il  soit  nécessaire 
d'entrer  dans  de  longs  détails.  Quand  Marcel  se  présenta  à  la  porte 
Saint-Denys,  demandant  que  les  clefs  fussent  remises  à  Joseran  de 
Mâcon,  trésorier  du  roi  de  Navarre,  le  garde  de  la  porte  refusa  de 
les   lui  donner.  En  ce  moment  survint  Jean  Maillart,  garde  d'un 

1.  Lettre  du  régent  du  31  août  1358,  éd.  de  Lettenhove  dans  Froissart,  VI, 
p.  475. 

2.  Jean  de  Venette,  p.  269. 

3.  Ce  qu'affirme  le  régent  le  4  août,  dans  Grand,  chron.,  p.  137. 

4.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois^  p.  83,  dit  aussi  :  «  la  cité  de  Paris  seroit 
destruite,  pillée  et  gastée  ».  Et  les  habitants  soupçonnèrent  :  «  Paris  en  seroit  désert 
et  destruit  du  tout,  et  nous  morz,  occiz  et  decouppez  »  (p.  84).  Cf.  Bourgeois  de 
Valenciennes,  p.  299. 

5.  Jean  de  Venette,  p.  269.  Ceci  est  aussi  contenu  dans  les  confessions  des  intimes 
du  roi  de  Navarre,  prisonniers  :  «  Le  roy  de  Navarre  et  les  Anglais  dévoient  entrer.., 
la  nuit  et  faire  les  détestables  et  abhominables  œuvres  dessus  dittes,  et  en  outre  que 
nulle  entente  n'avoient  que  de  faire  ledit  roy  roy  de  France,  et  avec  luy  comme  avec 
roy  de  France  s'estoient  allies  et  pour  tel  le  tenoient  ».  Lettre  du  régent  du  31  août 
dans  Froissart,  éd.  de  Lettenhove,  VI,  p.  477. 

6.  Grand,  chron.,  p,  137. 

7.  Voy.  ci-dessous,  p.  175  suiv. 


CONJURATION    ET    RÉVOLUTION    A    PARIS,    13o7,    i3o8  171 

autre  quartier  ;  il  protesta  que  jamais  il  ne  remettrait  les  clefs.  Une 
dispute  très  vive  s'eng-agea  entre  lui  et  Marcel.  Maillart  s'élança 
sur  un  destrier,  la  bannière  de  France  à  la  main,  il  cria  :  (^  Mont- 
joye,  Saint-Denys,  au  roy  et  au  duc  »,  ce  cri  tut  répété  par  la 
foule  et  par  les  traîtres,  et  tandis  que  ceux-ci  se  dirigeaient  vers  la 
porte  Saint-Antoine,  Maillart  se  rendit  en  toute  hâte  aux  halles,  où 
il  trouva  Pépin  des  Essarts.  Ce  dernier,  à  l'instar  de  Maillart,  monta 
à  cheval,  et,  saisissant  la  bannière,  fit  entendre  le  même  cri.  Tous 
les  deux  coururent  à  la  porte  Saint-Antoine  où  Marcel  était  déjà 
arrivé,  et  où  le  peuple  les  avait  suivis.  L'ordre  de  laisser  ouvertes 
les  portes  de  la  ville,  et  les  signes  mystérieux  aux  portes  des  mai- 
sons avaient  déjà  donné  l'éveil  aux  Parisiens,  mais  en  apprenant 
qu'aux  gardes  actuels  on  voulait  en  substituer  d'autres,  partisans 
du  roi  de  Navarre,  le  peuple  ne  douta  plus  de  la  trahison.  Arrivé  à 
la  dite  porte  et  après  de  graves  incidents,  Marcel  qui  avait  en  main 
une  lettre  du  roi  de  Navarre,  sans  vouloir  la  montrer,  fut  tué  et 
avec  lui  six  de  ses  compagnons;  vingt-deux  furent  faits  prison- 
niers ^  Paris  était  délivré  du  joug  d'Etienne  Marcel  qu'Henri  Mar- 
tin qualifiait  -  «  la  plus  grande  figure  du  xiv^  siècle  »  ! 

Les  faits  qui  venaient  de  se  produire  eurent  lieu  à  l'insu  du 
régent,  qui  se  trouvait  alors  à  Meaux^,  quoi  qu'en  disent  quelques 
chroniqueurs  qui  lui  imputent  même  une  lettre  écrite  aux  Parisiens 
et  tombée  le  31  juillet,  dit-on,  entre  les  mains  de  Marcel^.  Le 
2  août,  sur  l'invitation  des  Parisiens,  le  régent  avec  une  suite  nom- 
breuse fit  son  entrée  triomphale  à  Paris  ;  il  fut  accueilli  par  la  popu- 
lation avec  allégresse,  comme  jamais  prince  ne  l'avait  été  avant  lui^. 

Le  3  août,  le  régent  fut  défié  par  le  roi  de  Navarre  ^  qui  demeu- 
rait encore  à  Saint-Denys.  Charles  le  Mauvais  ne  voyait  pas  seule- 
ment toutes   ses  espérances  détruites  par  le  meurtre  de  Marcel,  et 

1.  Sur  tout  cela  voy.  la  lettre  du  régent  du  31  août,  p.  476  ;  Grand,  chron.,  p.  132 
suiv.  ;  Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  132.  Cf.  encore  Secousse,  p.  288  suiv.  De  vingt- 
deux  parle  le  régent  dans  sa  lettre. 

2.  Hisl.  de  France,  4«  éd.,  t.  V,  p.  213. 

3.  Lettre  du  régent  du  31  août,  p.  476  :  «  sans  nostre  sceu  ». 

4.  Jean  de  Besançon  avait  rapporté  des  lettres  du  régent  à  Paris,  soit  pendant, 
soit  avant  le  siège,  c'est-à-dire  avant  le  20  juillet,  c'est  alors  qu'elles  sont  tombées 
dans  les  mains  du  prévôt  des  marchands,  et  non  pas  le  31  juillet.  Voy.  Secousse, 
Preuves,  p.  90  suiv.,  et  Luce,  Hist.  de  la  Jacquerie,  nouv.  éd.  (1895),  p.  237.  n"  14. 

5.  Lettre  du  régent,  1.  c,  p.  476  ;   Grand,  chron.,  p.  134. 

6.  Grand,  chron.,  p.  136. 


172  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

la  rentrée  des  Parisiens  sous  l'obéissance  du  régent,  mais  il  sentait 
toutes  ses  turpitudes  mises  au  grand  jour  d'un  seul  coup.  Un  retour 
vers  le  régent  dans  ce  moment  ne  lui  aurait  valu  qu'une  nouvelle 
prison  ou  pire  encore.  Ainsi,  il  ne  lui  restait  d'autre  alternative  que 
de  déclarer  la  guerre  au  prince.  11  quitta  donc  aussitôt  Saint-Denys, 
après  avoir  pillé  la  ville  et  l'abbaye.  Les  vivres  y  faisant  défaut,  les 
religieux  se  virent  obligés  de  vendre,  avec  permission  du  régent,  des 
joyaux  précieux  d'une  beauté  surprenante  pour  ne  pas  mourir  de 
faim  1.  Le  4  août,  le  régent  parla  au  peuple  à  l'hôtel  de  ville  de 
Paris  du  complot  qui  eut  dû  aboutir  à  la  proclamation  du  roi  de 
Navarre  comme  roi  de  France,  et  au  massacre  des  partisans  du  roi 
Jean  et  du  régent  '^.  Sur  ces  entrefaites,  plusieurs  des  traîtres  et 
complices  furent  exécutés,  tandis  qu'on  en  traquait  d'autres. 

Neuf  prisonniers  firent  «  sens  force  et  sens  contrainte  »  des 
aveux  devant  tout  le  peuple  et  Thomas  de  Ladit,  chancelier  du  roi 
de  Navarre,  devant  le  régent,  le  duc  d'Orléans  et  d'autres  notabili- 
tés, et  trente  bourgeois  de  Paris,  sur  les  plans  secrets  du  roi  de 
Navarre  et  de  ses  alliés  à  commencer  par  le  meurtre  du  conné- 
table en  1354,  jusqu'au  fatal  dénouement.  Le  régent  nous  a  con- 
servé ces  dépositions  dans  sa  lettre  ^  du  31  août  1358,  adressée  à  son 
beau-frère  Amédée,  comte  de  Savoie,  dans  laquelle  il  proteste 
devant  Dieu  et  le  monde  «  que  nous  écrivons  la  vérité  des  choses  ». 
Dans  le  courant  de  cet  exposé,  j'ai  amplement  puisé  dans  ces  con- 
fessions, en  les  intercalant  à  leurs  places  respectives.  Voici  quelle 
en  est  la  pensée  fondamentale  :  Depuis  le  meurtre  du  connétable 
commis  par  le  roi  de  Navarre,  l'an  1354,  celui-ci  n'avait  cessé  d'at- 
tenter à  la  vie  du  roi  Jean,  à  celle  du  dauphin  et  des  autres  princes  ; 
lui-même,  autant  que  ses  complices,  avisait  aux  moyens  à  mettre 
en  œuvre  pour  devenir  roi  de  France  ^. 


1.  Richard  Lescot,  p.  131.  Cf.  Chronogr.^  p.  381;  Chi'on.  norinaîide,  p.  315. 

2.  Grnnd.  chron.,  p.  137. 

3.  Éd.  par  Kehvyn  de  Lettexhove  dans  Fhoissart,  VI,  p.  473  à  479;  Combes  dans 
Mém.  lus  h  la,  Sorbonne,  1869,  p.  236  à  242.  Par  ces  confessions  sont  complétés  les 
chroniqueurs,  qui  en  racontant  seulement  les  faits,  n'avaient  pas  pénétré  les  idées 
promotrices  des  meneurs  pendant  toute  la  rébellion,  et  croyaient  généralement  que 
la  pensée  qu'avait  Charles  le  Mauvais  de  devenir  roi  de  France,  datait  des  derniers 
jours  du  mois  de  juillet  1358. 

4.  C'est  Thomas  Ladit,  chancelier  du    roi  de  Navarre,    qui  commence  son  récit 


CONJL'UATION    KT    DÉVOLUTION    A    PAllIS,     13o7,     1358  173 

Après  sa  délivrance  de  prison,  novembre  1357,  cette  tendance 
s'accentua  encore  davantage.  Charles  le  Mauvais  était  l'âme  dam- 
née de  ses  affîdés,  la  secrète  puissance  motrice  de  tous  les  méfaits 
marquants  commis  par  Robert  le  Coq,  Etienne  Marcel  et  par  les 
autres  traîtres.  Il  ne  pouvait  arriver  à  son  but  que  par  l'extinction 
complète  de  la  maison  de  France,  c'est  pourquoi  avant  et  durant 
la  révolution  à  Paris,  les  efforts  du  roi  de  Navarre  et  de  ses  com- 
plices concoururent  à  cette  fîn^  On  ne  pourrait  s'étendre  davantage 
sans  se  répéter. 

Une  chose  saute  aux  yeux.  La  prétention  de  Charles  au  trône  de 
France  ne  date  pas  seulement  de  la  fin  de  juillet  1358  ;  elle  n'a  pas, 
comme  on  l'a  souvent  écrit,  germé  de  la  proposition  de  Mar- 
cel, pour  se  tirer  d'une  situation  difficile.  Cette  convoitise  était  con- 
forme à  la  nature  du  Navarrais,  et  elle  se  fit  jour  à  partir  de  1354. 
Ce  fait  est  confirmé  par  Vacte  cV accusation  contre  Robert  le  Coq, 
cité  au  commencement  de  ce  paragraphe,  et  rédigé  avant  le  mois 
d'août  1358,  c'est-à-dire  avant  les  confessions. 

Mais,  nous  dira-t-on,  Edouard  ne  voulait-il  pas  aussi  devenir  roi 
de  France?  Sans  doute.  Non  moins  que  le  roi  de  Navarre,  il  y  ten- 
dait de  tous  ses  efforts.  Ignorait-il  donc  les  desseins  de  Charles  le 
Mauvais?  Le  roi  d'Angleterre,  s'il  avait  commis  cette  naïveté,  n'eût 
pas  été  le  fin  matois  que  l'on  connaît.  Nous  l'avons  vu  maintes  fois 
depuis  l'an  1354,  les  entreprises  du  roi  de  Navarre  l'intéressaient 
au  dernier  point.  On  l'y  trouve  constamment  mêlé.  Le  4  sep- 
tembre 1356,  en  signant  un  traité  avec  Philippe  de  Navarre,  il  espé- 
rait l'élargissement  de  Charles  le  Mauvais  «  par  forte  mayn  »  -.  Le 
2  juin  1358,  lorsque  le  flot  de  la  révolution  menaçait  d'engloutir 
Paris,  Edouard  ordonna  de  rendre  les  places  navarraises  qu'occu- 


avec  ce  fait  :  «  depuis  que  le  connestable  de  France  fut  tués  par  le  dit  roy,  il  ne 
finèrcnt  ne  cessèrent  de  machinci*  la  mort  et  dcshcritement  de  monseigneur,  de 
nous  (le  rcgenfi,  de  vous,  des  nos  autres  frères  et  de  nostre  dit  oncle  (duc  d'Orléans), 
et  de  penser,  comment  il  fust,  et  euls  (les  complices)  comment  il  peusscnt  faire  le  dit 
roy,  roy  de  France  »,  Licttiîxhove,  p,  476  suiv. 

1.  Tous  les  prisonniers  confessaient  :  «  que  depuis  et  avant  que  toutes  ces  rebel- 
lions de  Paris  avenissent  par  la  coulpe  et  à  la  sugjj^estion  des  dis  roy  et  traîtres,  ils 
tendoient  à  nulle  autre  fin  fors  que  à  nous  (régent),  vous  (Amédée),  nos  autres  frères 
et  nostre  dit  oncle  tuer  et  murtrir,  en  quelque  lieu  qu'ils  nous  trouvassent  à  leur  des- 
sus ».  Lettexhovk,  p,  477. 

2.  Rymek,  Foedera,  III,  p.  340. 


174  LA    GUERRE    DE    CP:NT    ANS 

paient  ses  troupes  es  parties  de  Normandie,  à  son  cousin  Philippe 
de  Navarre  et  à  magnifique  prince  le  roi  de  Navarre  son  cousin,  en 
vertu  du  traité  conclu  avec  Philippe  quelque  temps  auparavant  ^. 
Charles  le  Mauvais  avait  beau  s'envelopper  de  mystère,  pour 
Edouard,  ses  menées  étaient  claires  comme  le  jour.  La  noblesse  de 
Champagne,  elle  aussi,  quelques  mois  avant  la  piteuse  issue  de 
la  conspiration,  avait  parfaitement  vu  le  but  que  Charles  le 
Mauvais  poursuivait  depuis  des  années.  L'acte  d'accusation  contre 
Robert  le  Coq  en  est  la  preuve.  D'ailleurs  Edouard  envoyait  des 
renforts  au  roi  de  Navarre.  Un  Anglais,  James  Pipe,  capitaine 
d'Epernon  allait  même  jusqu'à  se  faire  appeler  lieutenant  du  roi  de 
Navarre,  et  se  concertait  souvent  avec  lui  ~.  Ces  astucieux  per- 
sonnages étaient-ils  donc  sans  perspicacité  ?  N'avaient-ils  rien  vu, 
rien  rapporté  au  roi  d'Angleterre  leur  seigneur  et  maître,  surtout 
depuis  le  15  juin,  époque  où  Charles  le  Mauvais,  nommé  capitaine 
de  Paris,  espérait  devenir  capitaine  général  de  toute  la  France? 
Dans  ses  harangues  à  la  foule,  ce  dernier  n'avait-il  pas  manifesté 
hautement  ses  prétentions,  n'avait-il  pas  poussé  l'audace  jusqu'à 
s'attribuer  plus  de  droits  à  la  couronne  de  France  que  n'en  saurait 
revendiquer  le  roi  d'Angleterre?  Et  tous  ces  propos  ne  seraient 
pas  venus  aux  oreilles  de  celui-ci  ?  Qui  le  croira?  Mais  alors  Edouard 
considérait  Charles  le  Mauvais  comme  un  rival?  En  aucune  manière, 
on  va  le  voir. 

Il  existait  certainement  entre  les  deux  princes  un  traité  secret 
qui  laissait  les  coudées  franches  au  roi  de  Navarre,  moyennant  cer- 
taines conditions.  Faute  d'expérience,  Edouard  croyait,  avec  beau- 
coup de  ses  contemporains,  que  le  royaume  de  France  appartenait 
en  principe  à  celui  qui  se  rendrait  maître  de  Paris.  C'est  pourquoi, 
se  voyant  refuser  par  les  Français  le  titre  de  roi  de  France^  il  cher- 
cha à  s'assurer  de  la  capitale  en  1360,  et  vint  occuper  les  localités 
environnantes,  Châtillon-sous-Bagneux,  Lssy,  Vanves,  Vaugirard, 
Gentilly  et  Cachan  ^.  Jusqu'au  21  avril  1359,  c'est-à-dire  jusqu'à 
l'expiration  des  trêves,  Edouard  avait  les  mains  liées  et  ne  pouvait 
songer  ni  à  une  guerre  ouverte  contre  la  France,  ni  à  l'occupation 

1.  Rymer,  p.  393.  Il  y  a  deux  mandements  d'Edouard. 

2.  Grand,  ehron.,  p.  109. 

3.  Ibid.,  p.  170. 


CONJURATION    ET    HÉVOLUTION    A    PARIS,    1357,    1358  175 

de  Paris.  Il  n'en  était  pas  de  même  du  roi  de  Navarre  dont  le  plan 
d'opération  avait  depuis  longtemps  Paris  pour  objet.  Aussi  bien 
qu'Etienne  Marcel,  il  espérait  qu'une  fois  maître  de  Paris,  les  pro- 
vinces l'acclameraient.  Le  roi  d'Angleterre  devait  parer  à  cette 
éventualité,  et  se  réserver  un  droit  souverain  sur  la  France,  même  en 
supposant  que  le  roi  de  Navarre,  heureux  en  ses  complots,  se  ren- 
dît maître  de  Paris  et  fût  proclamé  roi  de  France.  En  signant  le 
traité  secret,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  Edouard  devait  assurer 
sa  suzeraineté.  Il  fit,  sans  doute,  de  ce  point  capital  l'objet  d'une 
stipulation  particulière,  peut-être  même  la  base  du  traité.  Il  y  avait 
vis-à-vis  du  roi  de  Navarre  d'autant  plus  de  droit,  que  celui-ci  ne 
pouvait  rien  entreprendre  sans  son  vigoureux  appui. 

Dans  sa  lettre  du  31  août  si  souvent  citée,  le  régent  ne  transcrit 
pas  toutes  les  dépositions  des  prisonniers  ;  de  propos  délibéré,  il  en 
passe  quelques-unes  sous  silence,  voulant,  dit-il,  sauvegarder 
autant  que  possible  l'honneur  du  roi  de  Navarre,  bien  que  celui-ci 
soit  son  ennemi  ^.  C'étaient  par  conséquent  des  révélations  de 
grande  importance.  Peut-être  contenaient-elles  au  même  temps  des 
faits  à  la  honte  du  roi  d'Angleterre,  que  pour  cette  raison  le  régent 
ne  voulait  point  divulguer,  de  peur  que  son  père,  son  frère  et 
d'autres  encore  qui  étaient  en  captivité  n'eussent  à  subir  les  consé- 
quences de  l'amour-propre  froissé  d'Edouard,  ce  qui  n'eut  pas  man- 
qué de  se  produire. 

Villani,  depuis  Secousse  entièrement  négligé  pour  cette  année 
par  les  historiens,  nous  fournit  quelques  éclaircissements  désirés. 
Il  est,  autant  que  je  sache,  le  seul  chroniqueur  qui  mentionne  les 
confessions  des  prisonniers  parvenues  à  notre  connaissance  par  la 
lettre  du  régent.  Seulement,  au  lieu  de  dix,  il  nous  parle  de  six  pri- 
sonniers qui,  sans  qu'on  les  tourmentât,  confessèrent  que  dans  la 
dite  nuit,  le  roi  de  Navarre  devait  se  saisir  des  bastides,  entrer 
ensuite  à  Paris  avec  toutes  ses  forces,  et  s'emparer  de  la  capitale 
avec  l'aide  du  prévost  des  marchands  et  de  ses  partisans  ;  que  le  roi 
de  Navarre  devait  ensuite  se  faire  couronner  roi  de  France  par  les 

1.  «  Et  pluseurs  autres  détestables  et  énormes  fais  ont  les  dessus  dis  justiciès  con- 
fessé devant  le  peuple,  et  le  dit  chancelliei'  devant  nous  et  les  dessus  nommés,  que 
nous  laissons  à  vous  escrire...  pour  garder  au  dit  roy  (de  Navarre)  son  honneur  plus 
que  nous  povons,  combien  quil  soit  notre  ennemi  ».  Lettre  éd.  par  Liîttemiove  dans 
FnoissART,  VI,  p.  478. 


176  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

mains  de  l'évéque  de  (Laon),  qui  était  alors  à  Paris  et  qui  en  partit 
aussitôt  que  Marcel  eût  été  tué  ;  que  le  roi  de  Navarre  devait  se 
reconnaître  redevable  du  royaume  de  France  au  roi  d'Angleterre, 
lui  en  faire  hommage,  et  lui  rendre  le  comté  d'Anghien  (?)  et 
d'autres  pays.  Le  roi  d'Angleterre  devait  l'aider  de  toutes  ses 
forces,  pour  se  mettre  en  possession  du  royaume.  Lorsque  tous  ces 
projets  auraient  réussi,  le  roi  d'Angleterre  devait  faire  couper  la 
tête  au  roi  Jean,  et,  pour  acquérir  de  l'argent,  les  Anglais  feraient 
main  basse  sur  les  Lombards  elles  Juifs  qui  étaient  à  Paris ^  Villani 
ajoute  qu'on  avait  tenu  secrètes  ces  dépositions  couvrant  d'infamie 
le  roi  d'Angleterre  ;  elles  pouvaient  l'irriter  et  l'engager  à  maltraiter 
le  roi  Jean  et  son  fils. 

Le  propos  de  faire  couper  la  tête  du  roi  Jean  par  le  roi  d'Angle- 
terre peut  être  taxé  d'exagération,  mais  on  ne  saurait  nier  la  sub- 
stance du  traité  qui  seul  est  en  accord  avec  les  événements  racon- 
tés plus  haut. 

Par  ce  traité,  Charles  le  Mauvais,  devenu  roi  de  France,  se  serait 
trouvé  à  l'égard  du  roi  d'Angleterre  dans  des  rapports  analogues  à 
ceux  qui  existaient  de  droit  entre  le  roi  d'Angleterre  comme  duc  de 
Guienne,  et  le  roi  de  France.  Le  roi  de  Navarre  aurait  eu  le 
royaume  de  France  comme  fîef  relevant  d'Edouard,  roi  d'Angle- 
terre. Il  va  sans  dire  qu'après  la  mort  de  Charles  le  Mauvais, 
Edouard  serait  devenu  roi  absolu  de  toute  la  France,  comme  il  eût 
été  dès  le  début,  en  vertu  du  traité,  maître  absolu  de  ces  mêmes 
provinces  qu'il  cherchait  sans  cesse  à  détacher  de  la  France,  je  veux 
dire  la  Guienne,  le  Ponthieu,  Guînes  et  l'Artois.  C'était  pour  lui  le 
moyen  le  plus  facile  d'arriver  au  but  vers  lequel  il  tendait 
depuis  plus  de  vingt  ans.  Il  est  cependant  possible  que  le  passage 
sur  le  couronnement  du  roi  de  Navarre  n'ait  été  qu'un  faux  bruit. 

Mais,  nous  dira-t-on,  les  deux  traîtres  étaient-ils  bien  sûrs  de 
l'heureuse  issue  de  la  conspiration  à  Paris?  Non,  certes,  ils  ne 
l'étaient  point.  Que  faire  alors?  Même  dans  ce  cas,  le  roi  d'Angle- 


1.  Dans  MuRATORi,  XIV,  p.  522  :  «...  confessarono...  che  il  re  (di  Navarra)  si  dovea 
fare  coronare  del  reame  di  Francia...  c  che  il  detto  re  di  Navarra  devea  riconoscere 
il  reame  di  Francia  da  quelle  (re)  d'Inghilterra  et  fargliene  homaggio  et  restituirgli 
d'Anghiem  e  altre  terre  »,  etc.  Voy.  encore  Secousse,  Mém.,  p.  306suiv.,  qui  pourtant 
se  trompe  en  disant  qu'il  s'agit  du  traité  du  1*''  août  1358. 


CONJURATION    ET    RÉVOLLTFON    A    PARIS,    13.-)7,    1358  177 

terre  restait  inébranlable  dans  son  dessein  de  devenir  souverain 
de  la  France,  tandis  que  Charles  le  Mauvais  devenait  seulement 
un  simple  allié,  qui  devait  se  contenter  de  la  cession  de  quelques 
provinces. 

Un  pareil  traité  de  partage  de  la  France  existe  en  effet,  bien 
qu'il  soit  difticile  d'en  déterminer  exactement  la  date.  Publié 
d'abord  comme  daté  du  l*^""  août  1351,  il  fut  ensuite  placé  au 
l^''  août  1358,  c'est-à-dire  au  lendemain  du  meurtre  d'Etienne  Mar- 
cel et  de  l'issue  manquée  du  complot  K  Je  ne  conteste  pas  qu'on  lui 
ait  par  cela  restitué  sa  vraie  date  quant  à  l'année  ;  toutefois  il  reste 
encore  plus  que  douteux  qu'il  soit  du  l*^*"  août.  Dans  le  traité  il  est 
dit  entre  autres  choses  que  les  Anglais  doivent  remettre  les  deux 
places  de  Saint-Gloud  et  de  Poissy  au  roi  de  Navarre.  Saint-Gloud 
fut  bien  pris  par  les  Anglais  avant  le  l^*"  août;  mais  c'est  seule- 
ment après  le  3  août  que  Poissy  tomba  en  leur  pouvoir  alors  que 
Charles  le  Mauvais  avait  déjà  défié  le  régent  et  quitté  Saint-Denys  -', 
par  conséquent  le  traité  ne  peut  être  du  l^*"  août.  Cela  devient 
encore  plus  clair  par  une  autre  observation.  Comme  on  le  sait,  le 
31  juillet,  Charles  le  Mauvais  avait  encore  l'espoir  de  devenir  roi 
de  France.  Comment,  le  l*""  août,  ses  plénipotentiaires  et  ceux  du 
roi  d'Angleterre  eussent-ils  pu  signer  un  traité  qui,  en  ne  lui  con- 
cédant que  quelques  provinces,  était  ojDposé  aux  ambitieuses  espé- 
rances du  roi  de  Navarre  ?  Comment  les  pourparlers  que  tout  ceci 
dut  nécessiter  auraient-ils  pu  avoir  lieu  en  un  si  court  laps 
de  temps,  à  une  époque  où  les  moyens  de  communication  étaient  si 
difficiles  3?  Aujourd'hui  même,  malgré  la  facilité  du  télégraphe,  cela 

1.  Rymeh,  Foec/era,  III,  p.  228,  a  publié  ce  traite  à  la  date  du  1"  août  1351,  C'est 
Secousse,  Mem.,  p.  318,  not,  2,  qui  a  donné  au  traité  la  date  du  l*""  août  1358,  laquelle 
fut  reproduite  après  par  Isamueut  dans  Recueil  (jénér.  des  anciennes  lois  françaises, 
V,  p.  35  (dans  t.  IV,  p.  656,  est  encore  la  date  1351),  par  Kehvyn  de  Lettemiove,  dans 
Fhoissaut,    VI,  p,  485,  par  Luce  dans  les  Méni.   de   la,  Soc.  de  Vhist.  de  Paris,  I, 

p.  113  suiv.,  et  puis  par  les  historiens  suivants. 

2.  Grand  chron.,  p.  139;  Chron.  de  R.  Lescol,  p.  13i.  Luce,  p.  116,  malgré  tous 
ses  efforts,  pouvait  seulement  prouver  que  les  Navarrais  étaient  déjà  le  1"  octobre 
maîtres  de  Poissy, 

3.  S,  Luce,  1.  c,  p,  120,  croit  que  les  négociations  qui  devaient  aboutir  au  traité  du 
l*""  août,  s'ouvrirent  dans  les  premiers  jours  de  juin.  Il  s'appuie  sur  les  deux  mande- 
ments du  2  juin,  cités  plus  haut,  par  lesquels  Edouard  enjoint  à  ses  amés  Gilbert 
Chastelleyn  et  Etienne  de  Cusyngton,  qui  étaient  alors  en  Normandie,  de  restituer  à 
Philippe  et  au  roi  de  Navarre  les  places  appartenant  aux  deux  Navarrais,  es  parties 

R.  P.  Deniflk.  —  Desolatio  ecclesiarum  II.  12 


478 


LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 


semblerait  impossible.  Le  plus  commode  serait  de  nier  l'authenti- 
cité de  ce  traité  ;  mais  le  plus  commode  n'est  pas  généralement  le 
plus  vrai.  D'ailleurs,  ce  traité  est  tout  à  fait  conforme  à  la  marche 
des  événements  et  il  contient  des  particularités  qu'on  n'a  pu  inven- 
ter. Seulement  il  ne  faut  pas  le  placer  avant  la  fin  du  mois  d'août 
1358.  En  tout  cas,  il  n'est  qu'une  ébauche  préalable  qui  laisse  bien 
des  choses  en  suspens  et  n'a  jamais  pris  une  forme  définitive.  Il  est 
loin  d'avoir  pour  l'histoire  l'importance  que  lui  attribue  Luce  qui 
ne  voyant  uniquement  que  ce  traité-là,  n'a  pas  assez  tenu  compte 
des  faits  antérieurs  qui  en  étaient  l'orig-ine. 

Quand  le  premier  traité  fut-il  conclu?  Je  l'ignore;  mais  je  pense 
que  ce  fut  aussitôt  après  la  sortie  de  prison  de  Charles  le  Mauvais. 
Nous  avons  vu  plus  haut  que,  déjà  avant  l'arrestation  du  roi  de 
Navarre  en  1356,  le  roi  Jean  était  convaincu  de  l'existence  d'un  com- 
plot ourdi  contre  la  maison  de  France  par  Charles,  avec  le  roi  Edouard 
et  les  Harcourt  1.  Bientôt  après,  Edouard  nia  son  alliance  avec 
Charles  le  Mauvais,  mais  son  assertion  faite  sur  sa  parole  de  roi  et 
devant  Dieu,  est  démentie  par  ce  qui  vient  d'être  raconté  ''.  Du 
reste,  les  dénégations  d'Edouard  prouvent  pour  le  moins  l'existence 
d'une  rumeur  très  répandue  sur  la  part  qu'il  avait  prise  au  com- 
plot. C'est  encore  Villani  ^  qui  nous  renseigne  sur  la  substance  de 
cette  conspiration  à  laquelle  toutefois  il  ne  croit  guère  lui-même, 
puisque  le  comte  d'Harcourt  et  ses  compagnons  d'infortune  l'ont 
niée  jusqu'à  leur  mort.  Mais  Charles  le  Mauvais  n'a-t-il  pas  protesté 
lui  aussi,  après  chaque  complot,  n'avoir  jamais  conspiré  contre  le 
roi  de  France?  Ses  confidents  ne  valaient  pas  mieux  que  lui.  Les 
démentis  donnés  par  des  personnages  honnêtes  ont  leur  importance, 
ils  n'en  ont  aucune  de  la  part  de  ceux  dont  la  vie  n'est  en  grande 
partie  qu'un  tissu  de  serments  violés  et  de  parjures. 

de  Normandie  «  ratione  tractatus  et  concordiae  inter  nos  et  ipsum  Philippum  nuper 
initorum  ».  Mais  Luce  se  trompe.  Ces  deux  mandements  n'ont  rien  à  faire  avec  le 
traité  de  1358,  ils  regardent  le  traité  d'amitié  conclu  avec  Philippe,  le  4  septembre 
1356  (Rymer,  III,  p.  340),  dans  lequel  Edouard  ordonna  que  les  forteresses  qui,  en 
Normandie,  appartenaient  à  Philippe  et  à  Charles  de  Navarre  leur  soient  restituées. 
Malgré  ce  traité  et  les  instances  de  Philippe,  ce  n'était  pas  encore  un  fait  accompli 
le  2  juin  1358. 

1.  Ci-dessus,  p.  108. 

2.  Ci-dessus,  p.  103  suiv. 

3.  MuRATOiu,  Scî'ipt.,  XIV,  p.  369,  cap.  25.  Cf.  Secousse,  Mém.,  p.  77. 


LES   COMPAGNIES,    1357,    13o8  179 

Le  complot  en  question  s'appuyait  sur  un  traité  conclu  entre  le 
roi  d'Angleterre,  le  roi  de  Navarre  et  les  Harcourt;  la  teneur  en 
était  que  le  roi  Jean  et  le  dauphin  devaient  être  tués,  afin  que  le 
Navarrais  fût  fait  roi  de  France,  après  quoi  Charles  s'engageait  à 
céder  à  Edouard  la  Gascogne  et  la  Normandie.  C'est  ce  traité  qui 
tomba  en  la  possession  du  roi  Jean.  Il  est  donc  en  substance  sem- 
blable à  celui  dont  nous  cherchons  la  date,  mais  ce  dernier  paraît 
plus  précis,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  prérogatives  du  roi  d'An- 
gleterre. Selon  toute  probabilité,  on  lui  donna  une  nouvelle  forme 
immédiatement  après  la  délivrance  de  Charles  le  Mauvais,  vers  la 
lin  de  1357  ou  au  commencement  de  1358,  alors  qu'on  avait  tout 
lieu  d'espérer  la  réussite  de  la  conspiration. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  faut  pas  oublier  que  des  deux  concluants 
le  plus  rusé,  le  plus  ambitieux,  le  plus,  puissant  était  Edouard, 
dont  il  est  difficile  de  pénétrer  l'intention.  Probablement  ce  traité 
devait-il  lui  servir  à  frapper  un  coup  défintif  après  lequel  Charles 
le  Mauvais  serait  resté  dupe. 

4.  Les  Compagnies. 

La  trêve  conclue  à  Bordeaux,  loin  d'apporter  la  tranquillité  à  la 
France  malheureuse,  fut  au  contraire  la  première  cause  des  ravages 
inouïs  qui  vinrent  désoler  tout  le  pays.  Au  septième  paragraphe, 
je  présenterai  aux  yeux  du  lecteur  un  tableau  du  triste  état  de  la 
France  pendant  la  trêve.  L'Angleterre  licencia  ses  troupes 
dont  elle  n'avait  plus  besoin.  La  France,  abattue  par  le  désastre 
de  Poitiers,  n'avait  point  à  licencier  une  armée  qui,  par  le 
fait  même,  n'existait  plus.  Les  capitaines  et  les  soldats  licenciés 
ou  dispersés,  après  s'être  accoutumés  à  vivre  de  la  guerre,  se 
jetèrent  dans  la  carrière  des  aventures  et  allèrent  combattre  pour 
leur  propre  compte  :  «  Nul  frein  ne  les  arrête;  s'il  existe  en  France 
des  lois  qui  les  menacent,  il  n'y  a  plus  de  gouvernement,  plus 
d'autorité  locale  en  état  de  les  leur  appliquer^.  »  C'est  ainsi  que 
les  soi-disant  Compagnies  se  répandirent  partout  au  xiv^  siècle. 
Bon  nombre  de  leurs  capitaines  étaient  des  cadets  des  plus  grandes 
maisons  et  appartenaient  à  la  noblesse  féodale  qui,  alors,  ne  connais- 

1.  Chérest,  UArchiprêire  (1879),  p.  31. 


180  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

sait  autre  chose  que  guerroyer  et  jouir  d'une  indépendance  absolue. 
Une  foule  d'aventuriers  et  de  gens  sans  aveu  venaient  se  joindre  à 
eux.  Les  scrupules  de  conscience  étaient  chose  inconnue  à  ces  gens- 
là.  Tantôt  ils  dépouillaient  quelque  riche  marchand  i,  tantôt  un 
évéque  opulent,  un  abbé  ou  un  prieur,  prévôt  ou  chanoine.  Un 
grand  nombre  de  seigneurs  ayant  été  faits  prisonniers  et  beaucoup 
d'autres  étant  restés  sur  le  champ  de  bataille,  il  était  facile  de  s'em- 
parer des  châteaux  et  des  castels,  alors  sans  défense,  où  ils  s'éta- 
blissaient commodément.  Ils  avaient  libre  champ  et  en  profitèrent. 
Quelles  énormes  rançons  ces  brigands  imposaient  parfois  à  leurs 
victimes,  par  quelles  tortures  ils  les  faisaient  passer  pour  en  obtenir 
les  sommes  demandées!  Quelquefois  les  captifs  avaient  deux  ou 
trois  pots  de  cuivre  suspendus  aux  mains  et  autant  de  chaudrons 
attachés  aux  pieds  ;  on  leur  tenaillait  les  pouces  avec  des  grésillons. 
Une  autre  fois,  ils  étaient  fouettés  tout  le  jour,  et  la  nuit,  on  les 
enfermait  dans  une  armoire.  Ici,  on  les  coulait,  la  tète  en  bas,  au 
fond  d'un  sac,  après  leur  avoir  garrotté  bras  et  jambes.  Là,  on  leur 
écrasait  le  ventre  sous  des  mortiers  ou  des  enclumes  énormes,  qui 
les  étouffaient  au  point  de  leur  faire  sortir  l'écume  de  la  bouche  -. 
Les  rançons  ne  consistaient  pas  seulement  en  argent,  mais  aussi 
en  chevaux,  bestiaux,  vivres,  armes,  toiles  3,  etc.,  et  appauvris- 
saient autant  les  campagnards  que  les  citadins  et  les  habitants  des 
châteaux.  Pendant  la  guerre,  les  brigands  avaient  appris  à  consi- 
dérer l'incendie  comme  le  bouquet  de  leurs  œuvres.  Ils  le  prati- 
quaient à  vm  degré  effroyable.  Le  plat  pays  surtout  en  souffrait 
davantage.  Ils  y  brûlaient  les  semailles  et  les  maisons,  coupaient 
les  ceps  et  les  arbres,  emmenaient  le  bétail  et  tout  ce  qui  leur 
paraissait  commode  ;  la  peur  seule  de  ces  bandits  forçait  les  paysans 
à  quitter  leur  patrie.  Ils  déshonoraient  les  filles,  les  religieuses 
mêmes,  ne  ménageaient  point  les  femmes  mariées  et  tuaient  les 
vieillards  et  les  enfants  ^,  surtout  quand  ils  ne  les  pouvaient  pas 

1.  On  trouve  des  exemples  remarquables  dans  Beg.  Vat.,  n°  210,  fol.  41'',  et  dans  la 
2"  partie,  fol.  64»'  à  68,  ad  an.  1359,  Maii  13,  et  1360,  Maii  18. 

2.  S.  Luge,  Guesclin,  p.  333  suiv.,  où  on  trouve  les  preuves. 

3.  Ainsi  Urbain  V  le  1"  juin  1364,  dans  Reg.  Val.,  n-'  251,  fol.  277''. 

4.  Urbain  Vnous  expose  souvent  cela  dans  ses  lettres  contre  les  Compagnies,  qui, 
au  commencement,  furent  données  pour  diverses  provinces,  ainsi,  par  exemple,  le 
26  février  1364  {Reg.  Vat.,  n°  261.  fol.  99  :  u  Cogit  nos  presentis  malicia  temporis  »), 


LES    COMPAfJMES,     \'M}1 ,     13o8  18  1 

rançonner  à  leur  volonté^.  Finalement,  les  habitants  des  cam- 
pagnes fortifiaient  leurs  églises  et  leurs  clochers  et  y  cachaient,  en 
cas  de  besoin,  tout  leur  avoir,  pour  le  mettre  en  sûreté.  Au  haut 
des  clochers  on  avait  posté  des  enfants  qui  devaient  faire  le  guet  et 
signaler  l'approche  des  hordes  de  brigands  ou  de  l'ennemi.  Aussi- 
tôt qu'ils  les  apercevaient,  ces  gardiens  sonnaient  du  cor  ou 
tintaient  les  cloches,  et,  à  l'instant,  tous  les  habitants  se  réfugiaient 
au  plus  vite  dans  l'église  ou  dans  d'autres  endroits  qui  leur  sem- 
blaient sûrs  -.  Un  siècle  plus  tard ,  les  campagnards  faisaient  de 
même  à  l'approche  des  écorcheurs.  Thomas  Basin  nous  le  raconte  ^. 
C'était  la  ruine  de  la  campagne  et  surtout  de  la  campagne  fertile  ; 
ces  bandits  s'abattaient  de  préférence  sur  les  contrées  renommées 
pour  leur  fertilité. 

Le  sort  des  églises,  des  couvents  et  des  hospices  n'était  pourtant 
pas  plus  heureux,  comme  nous  allons  le  voir.  Ils  furent  assiégés 
par  les  brigands,  qui  les  prirent,  les  pillèrent,  soit  les  habitations, 
soit  les  églises  et  les  sanctuaires,  et  les  incendièrent  ;  les  ecclé- 
siastiques et  les  moines  furent  chargés  de  fers  et  soumis  à  toutes 
sortes  de  tortures;  afin  d'en  extorquer  de  fortes  rançons,  ils  en 
emmenèrent  quelques-uns,  d'autres  furent  blessés  ou  tués.  Les 
bandits  s'établirent  ensuite  dans  les  bâtiments  qu'ils  fortifièrent 
afin  de  se  défendre  contre  les  assauts. 

Depuis  le  commencement  de  l'an  1356  nous  le  lisons  dans  les 
lettres  d'Innocent  VI,  débutant  par  :  Ad  reprimendas  insolentias, 
dans  lesquelles  le  pape  prononce  l'excommunication  et  d'autres 
peines  sévères  contre  ces  malfaiteurs.  Ces  bulles  concernent  les 
églises,  monastères  et  hôpitaux  de  certains  diocèses  et  villes,  sans 


et  le  27  mai  de  la  même  année  (/îcr/.  Vnt.,  n"  251,  fol.  277''  :  «  Miserabilis  nonnullo- 
runi  fidelium  »)  pour  les  archevêques  de  Toulouse,  Auch.  Xarbonnc.  Arles  et  leurs 
sulîragants.  Ces  bulles  sont  semblables  à  la  bulle  du  S  avril  1365.  dans  Haynai.i», 
1365,  n"'  3,  4.  Corri}icz  :  «  pau]KM'es(jue  plebe^os  solo  limore  a  propriis  laribus 
(Raynald  :  laboribus)  exulare  compellunt  ». 
ly  FaoissAHT,V,  p.  157. 

2.  «Teak  de  Vhmîtti:,  p.  280,  ad  an.  135S.  Os  malheureux  n'avaient  souvent  pour 
retraite,  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  (pu*  les  bois,  les  cavernes,  le  creux  des 
rochers.  Voy.  Fhkvii.lk.  Bihl.  de  VÉcole  des  chartes,  1"  série,  t.  III.  p.  270  suiv.  En 
Picai-dic,  ils  creusaient  des  souterrains  et  ^i^■aient  misérablement  au  fond  de  ces 
humides  et  obscures  cachettes.  Fukvim.i;.  1.  c.  t.  A',  p.  236. 

3.  Voy.  Di;mfi,e,  Lit  Désolntlou  des  Éçilises,  I,  p.  515. 


182  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

que  les  établissements  soient  particulièrement  nommés.  L'un  de  ces 
écrits,  daté  du  29  février  1356,  parle  des  horreurs  commises  dans 
le  diocèse  et  la  ville  de  Rodez  ^  ;  le  2  juin,  le  Saint-Père  nomme  le 
diocèse  et  la  ville  d'Angoulême  -  ;  le  17  juin,  le  diocèse  et  la  ville 
de  Saint-Brieuc  ^.  L'année  suivante,  le  28  août.  Innocent  VI  déplore 
les  atrocités  commises  dans  le  diocèse  et  la  ville  de  Lisieux^. 
Ensuite,  ces  rescrits  deviennent  très  fréquents.  En  1358,  nous 
trouvons  nommés  les  diocèses  de  Cambrai,  Rennes,  Saint-Malo  et 
Ang-ers^.  Le  26  mai  1360  Innocent  VI  a  donné  des  bulles  sem- 
blables pour  Rieux  ^;  le  1^^"  novembre  pour  Meaux  '^;  le  12  décembre 
pour  Le  Mans^;  le  20  mars  1361,  pour  Châlons-sur-Marne^.  Nous 
rencontrons  encore  de  telles  récriminations  sous  les  papes  suivants, 
jusqu'à  Clément  VIL 

Elles  regardent  quelquefois  aussi  les  établissements  particuliers, 
comme,  le  29   février   1356,  le  prieuré  bénédictin  de  la  Lande  du 

1.  Reg.  Aven.  Innocenta^  n"  13,  fol.  202''  :  «  Ven.  frat.  Ruthenen.  et...  Mimaten.ac... 
Vabrcn.  episcopis...  Ad  reprimendas  insolentias...  Sane  lamentabilis  querela  multo- 
rum  vestrum  fréquenter  turbavit  audituni...  quod  nonnulli  iniquitalis  filii,  a  quorum 
oculis  Dei  timor  abccssit,  in  civitatc  et  dioccsi  Ruthenen.  pretcxtu  guerrarum, 
quibus  eadem  civitas  et  diocesis  dicuntur  multipliciter  fatigari,  et  alias  temere  cle- 
ricos  et  ecclesiasticas  personas,  seculares  et  regulares,  etiam  in  di^nitatibus  constitu- 
tas  civitatis  et  dioc.  predictarum  bellicis  actibus  se  minime  inimiscentes,  non 
absque  injectione  manuum  violenta  caperc,  detinere,  carceribus  mancipare,  tormen- 
tis  subicere,  verbcribus  cedere,  vulnerare,  morti  tradere,  et  ci'iidelibus  aftlictio- 
nibus  adredemptiones  indebitas  personaliter  cohcrcere,  ecclesias  quoque,  monasteria, 
hospitalia  et  alia  pia  loca,  secularia  et  reg:ularia,  dicte  diocesis  invadere,  capere, 
occupare,  frangere,  occupata  detinere,  dirruere  ac  incendio  concremare,  et  ecclesias, 
monasteria  ac  loca  ipsa  libris,  calicibus,  crucibus,  sanctorum  reliquiis,  paramentis  et 
ornamentis  ac  aliis  divine  cultui  et  usui  deputatis  spoliare...  necnon  fructus...  et  alia 
bona...  violenter  rapere,  depredari  ac  in  predam  abducere  seu  asportare  presumpse- 
runt  hactenus  et  cotidie  presumere  non  verentur,  propter  que  clerici  et  persone 
ecclesiarum,  monasteriorum,  hospitalium  et  locorum  ipsorum  ea  coacti  deseruerunt 
et  deserunt...  [De  excommunicatione  in  supradictorum  criminum  patratores,  et  de 
restitutione  ablatorum  et  restauratione  praemissorum].  Dal.  Avenione  ij  kl.  Martii 
anno  quarto.  » 

2.  Reg.  Aven.  Innocenta.,  n"  13,  fol.  275''. 

3.  Ib'id.,  fol.  244''. 

4.  Reg.  Vat.,  n»  232,  fol.  364»^. 

5.  Reg.  Vat.,  n°  233,  fol.  428,  438,  450.  Le  chapitre  et  les  habitants  de  Cambrai 
avaient  encore  beaucoup  souffert  du  fait  des  officiers  du  comte  de  Ilainaut  {Reg. 
Vat.,  n"  239,  fol.  203,  ad  an.  1357,  Aug.  28). 

6.  Reg.  Aven.  Innocenta  VI^  n°  24.  fol.  577''. 

7.  Ibid.,  fol.  582^ 

8.  Ibid.,  fol.  584\ 

9.  Ibid.,  n"  25,  fol.  415^ 


LES    COMPAGNIES,    1357,    13.") 8  1  (S3 

diocèse  de  Poitiers,  dépendant  de  l'abbaye  de  Charroux.  Le  prieur 
et  les  moines  furent  emprisonnés,  et  le  prieuré,  avec  l'église,  pillé 
et  occupé;  l'abbaye  de  Charroux  et  les  prieurés  en  dépendant  furent 
dépouillés  de  tout,  privés  de  leurs  revenus  et  de  leurs  biens,  et  leurs 
manoirs  furent  incendiés^  Le  31  décembre  13o7,  le  prieuré  des 
chanoines  rég-uliers  d'Escalmels,  du  diocèse  de  Saint-Flour,  reçut 
une  bulle  semblable  -,  ainsi  que  l'abbaye  bénédictine  de  Saint- 
Sauveur  de  Redon  du  diocèse  de  Vannes  le  16  février  1359^.  Le  25 
octobre  1360,  Innocent  VI  applique  la  bulle  a  Ad  reprimendas  »  à 
l'abbaye  bénédictine  de  Montier-la-Gelle-de-Troyes  ^  ;  le  10  mars 
1361,  à   l'abbave  de  Saint-Benoît-sur-Loire  ^. 

Il  arrivait  parfois  que,  malgré  leur  peu  de  foi  et  de  religion,  ces 
scélérats  ne  relâchaient  pas  leurs  prisonniers  ecclésiastiques  avant 
de  leur  avoir  arraché  la  promesse  d'obtenir  du  jDape  la  levée  de  l'ex- 
communication qu'ils  avaient  encourue.  Témoin  une  bande  qui,  en 
1358  (ou  un  peu  auparavant),  ravageait  le  Poitou,  et  dont  on  n'avait 
rien  su  jusqu'à  présent.  Elle  avait  pour  chefs  Jean  de  La  Valade, 
Lebasquin  de  Chantemerle,  de  Poizac,  Saudinot,  Ghuscon,  Menant 
et  d'autres.  Avant  le  17  mars  1358,  ceux-ci  attaquèrent  sur  la  voie 
publique,  entre  Ingrande  et  Buissière^,  le  chanoine  de  Saint-Hilaire 

1.  Reg.  Aven.  Innocenta  V/,  n°  12,  fol.  535.  Cette  fois  la  bulle  commence:  «  Gravis 
dil,  liliorum  ».  Mais  la  teneur  est  la  même,  connue  dans  les  autres:  «  Ven.  fratribus... 
Pictaven.  et...  Lemovicen.  episcopis,  ac  dil.  filio...  abbati  monasterii  S.  Cypriani  Pic- 
taven.  salutem,  etc.  Gravis  dil.  filiorum...  abbalis  et  conventus  mon.  Karoffcn. 
O.  S.  B.,  Pictaven.  dioc,  ad  nostrum  querela  perduxit  auditum...  quod  nuper  non- 
nulli  iniquitatis  lilii  prioratum  de  Landa  a  dicto  monasterio  depcndentem  Ord.  et 
dioc.  pred.,  armata  manu  liosliliter  invadentcs  prioratum  ipsum,  ejus  cnVaclis  januis 
violenter  intrare  ac  dil.  fil.  Garinum  priorem  et  quamj)lures  monachos  et  clericos... 
capere  et  detinere,  ac  prioratum  ipsum  et  ejus  ecclesiam  cum  personis  aliis  ac  bonis 
et  rébus  ibidem  existentibus  capere...  et...  detinere  et  insuper  ipsorum  prioratus 
et  ecclesie  cruces,  calices,  sanctorum  reliquias.  libros,  paramenta  et  ornamenta... 
necnon  dicti  monasterii,  a  quo  prioratus  ipsc  per  très  leucas  distare  dinoscitur^ 
et  predicti  et  aliorum  prioratuum  ab  ipso  monasterio  dependentium  in  illis  partibus 
consistentium  fructus,  redditus  et  proventus  ac  bona  "alla  mobilia  et  immobilia  vio- 
lenter rapere...  ipsorumque  monasterii  et  prioratuum  maneria  et  loca  alia  invadere 
et  igni  concremare  ncquiter  presumpserunt  et  cotidie  presumere  non  verentur.  [De 
excomnmnicatione  etc.]  Dat  Avinione  ij  kal.  Martii  anno  VI.  »  Reg.  Aven.  Innoc.  VI, 
n°  12,  fol.  535. 

2.  Reg.   Vat.,   n"  233,  fol.  397.  La  bulle  débute  comme  celle  de  la  note  1. 

3.  Reg.  Aven.  Innoc.  VI,  n"  20,  fol.  626''. 

4.  Ibid.,  n"  24,  fol.  583. 

5.  Ihid.,  n"  26,  fol.  606. 

6.  Comme  le  raconte  Innocent  VI  dans  Reg.  Vat.,  n"  2'44  K.  cp.  217. 


184  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  Poitiers,  Gui  Géraud,  nonce  du  Saint-Siège,  qui  se  rendait  à 
Avignon  chargé  de  lettres  et  d'argent.  Il  fut  dépouillé,  lui  et  sa 
suite,  de  son  argent,  de  tous  ses  biens  ainsi  que  de  tous  ses  che- 
vaux, après  quoi  les  bandits  l'emmenèrent  prisonnier  au  château 
de  Reuhé',  où  ils  l'enfermèrent  dans  une  fosse  souterraine,  et,  à 
force  de  tortures,  lui  extorquèrent  la  promesse  de  leur  payer 
quelques  milliers  d'écus  d'or.  La  lettre  du  pape  adressée  le  3  avril 
à  l'archevêque  de  Tours,  et  l'excommunication  infligée  aux  malfai- 
teurs, n'avaient  eu  aucun  résultat  -.  Le  pauvre  chanoine  était 
encore  prisonnier  le  9  juin,  date  à  laquelle  Innocent  VI  s'en  plaignit 
à  l'archevêque  de  Bordeaux-^.  Malgré  la  trêve,  ces  mêmes  malfai- 
teurs avaient  occupé  et  fortifié  l'abbaye  cistercienne  de  Valence, 
du  diocèse  de  Poitiers;  ils  incendièrent  les  églises  des  environs, 
commettant  à  l'envi  vols,  rapines,  meurtres  et  sacrilèges,  chargeant 
de  chaînes  les  personnes  ecclésiastiques,  les  rançonnant  et  ne  se 
décidant  à  quitter  l'abbaye  qu'après  avoir  reçu  de  Geotfroy  de 
Mortemer,  seigneur  de  Couhé  et  du  Poirat,  la  promesse  de  sollici- 
citer  pour  eux  l'absolution  auprès  du  pape  ^. 

1.  Dans  Introït,  et  exit.,  W"  284,  fol.  10-5,  on  dit  qu'il  était  «  per  Anglicos  captus  in 
loco  de  Run^ayo...  et  deraubatus  », 

2.  Reg.  Vat.,  n°  243,  fol.  115. 

3.  IbicL,  n"  244  K,  ep.  217.  L'archevêque  ou  un  de  ses  suffrag:ants  les  devait  décla- 
rer excommuniés  en  public. 

4.  Siippl.  Innocenta  \  /,  n"  30,  fol.  1,  ad  an.  1358,  Decemb.  31  :  «  Exponunt  S.  y . 
devoti  vestri  episcopus  et  prelati  ac  GauiTridus  de  Mortuomari  doniinus  de  Coyaco  et 
de  Peyrat,  ac  alii  cives  civitatis  et  diocesis  Pictaven.  quod  dictus  le  Basquin  de 
Chantemerle,  dictus  Saudinot,  dictus  C'.huscon,  dictus  Menant  et  sui  complices,  ini- 
mici  domini  nostri  régis  Francoruni,  monasterium  Valentie  dicte  diocesis  pendente 
tregua  occuparunt  ipsumque  in  fortalitium  erexerunt,  plurimaque  incendia  in  eccle- 
siis,  homicidia,  furta.  rapinas,  sacrilegia  et  alia  maleficia  ibi  et  in  circonvicinis  locis 
comiserunt,  personas  ecclesiasticas  et  alias  capiendo,  vinculando,  et  aliis  questioni- 
bus  supponentes,  et  ad  redemptionem  per  arctationem  vinculorum  et  carceris  com- 
pellentes,  nec  alias  dictum  monasterium  dimittere  voluerunt,  nisi  j)rius  per  dictum 
dominum  de  Coyaco  promitteretur  et  ydonee  caveretur  eisdem,  quod  a  S.  V.  obtine- 
ret  eisdem  occupatoribus  absolutionem  a  sententiis  incursis  propter  crimina  supra- 
dicta,  ad  que  se  obligavit  dictus  dominus  de  Coyaco  ob  utilitatem  dicti  domini  rc[;is 
et  patrie,  et  ad  vitandum  dampna  similia  et  pejora,  sicque  dicti  malefactores  prefa- 
tum  monasterium  dimiserunt.  Hinc  est  quod  supplicant  E.  S.  quatenus  de  omnibus 
premissis  committere  dignetur  absolutionem  episcopo  Pictaven.  predicto  juxta 
formam  ccclesie  predictis  malefactoribus  impendendam,  cum  clausulis  et  non  obstan- 
tibus  oportunis.  —  Fiat  cum  satisfactione  débita  et  alias  in  forma.  G.  Dat.  Avinione  ij 
kal.  Januariianno  septimo.  »  —  Innocent  VI  étant  couronné  le  30  décembre  1352  (Arch. 
Vat.,  Oblig.,  n"  29,  fol.  75'';  dans  Baluze,  Vit.  pap.  Aven.,  I,  p.  321,  à  tort  :  23  déc), 
ce  document  appartient  encore  à  l'an  1358.  D'où  il  résulte  que   Geollroy  de  Morte- 


LES  COMPAGNIES,    13o7,    1358  185 

Arnaud  Amanieu,  sire  d'Albret,  ne  fit  pas  mieux.  A  la  tête  de 
sa  bande,  recrutée  dans  différents  diocèses  et  villag-es,  et  dans 
laquelle  se  trouvaient  même  des  clercs,  il  s'empara,  sous  prétexte 
de  guerre,  de  l'église  et  du  château  de  Chapelle-Taillefert  dans  le 
diocèse  de  Limoges;  il  enchâssa  les  chanoines  et  les  ecclésiastiques, 
en  blessa  et  tua  plusieurs,  s'empara  des  objets  précieux  et  s'appro- 
pria les  revenus.  11  demanda  ensuite  qu'on  lui  procurât,  pour  lui  et 
ses  compagnons,  l'absolution  j^apale  K 

Ces  faits  se  renouvelèrent  plus  tard,  alors  que  les  Compagnies 
furent  en  pleine  floraison.  En  1363,  le  seigneur  Jean  de  Saint- 
Verain  attaqua  avec  ses  gens  la  ville  épiscopale  de  Varzy,  dans 
l'Auxerrois  ^  ;  ils  chargèrent  de  chaînes  prêtres  et  laïques,  les  ran- 
çonnèrent, emmenèrent  les  femmes,  en  blessèrent  et  en  tuèrent  un 
grand  nombre.  On  commença  enfin  à  négocier  la  paix,  dont  l'une 
des  clauses  obligeait  les  habitants  à  procurer  aux  malfaiteurs  l'abso- 
lution du  pape '^  C'est  la  même  hypocrisie  qui  poussa  Arnaud  de 
Cervole,  dont  nous  allons  parler  plus  loin,  à  dater  sa  lettre,  adres- 
sée aux  bourgeois  de  Nîmes,  en  1358,  «  du  vendredi  adoré,  après 
le  saint  mystère^  ». 

Leur  regret  n'était  pas  sincère,  car,  obligés  plus  tard  de  renon- 
cer à  leur  vie  d'aventures,  ils  se  vantaient  de  leurs  méfaits  et  trou- 
vaient triste  l'existence  à  laquelle  ils  étaient  réduits.  «  Quand  nous 
chevauchions  à  l'aventure,  tous  les  jours,  nous  ne  faillions  point 
que  nous  n'eussions  quelque  bonne  prise  dont  nous  estofïions  nos 
superfluités  et  joliétés,  et  maintenant  tout  nous  est  mort  ».  C'est 
ainsi  que  s'exprime,  trente  ans  plus  tard,  ce  même  Arnaud  Ama- 
nieu sire  d'Albret,  mentionné  plus  haut,  alors  qu'il  était  rentré  au 
service  de  la  France  ■''.  Aimerigot  Marcel  avait  plus  tard  les  mêmes 
sentiments.   Ses  paroles    sont  trop    connues  pour  que  je    les   cite    Û 

mer  vivait  non  seulement  en  1354,  comme  atteste  Guérin,  Recueil  des  documenls 
concernant  le  Poitou^  III,  p.  277,  not.  3,  mais  encore  en  1358.  SuiAant  notre  document, 
Valence  fut  occupé  «  pendente  treuga»,  c'est-à-dire  entre  le  9  avril  1357  et  le  31  déc. 
1358.  GuÉrix,  1,  c,  p.  XLi,  n'est  pas  sûr  pour  la  date. 

1.  Reff.  Vat.,  n°  232,  fol.  266»^  ad  an.  1357,  Septemb.  4. 

2.  Voy.  Lkheuf,  Mcm.  concernant  l'hist.  dWu.rerre  (1743),  I,  p.  466. 

3.  Suppl.  Urb.  V,  n"  37,  fol.  49,  ad  an.   1363,  Maii  16. 

4.  Hist.  de  Nimes,  par  Ménard  (nouv.  éd.  1874).  II.  p.  161,  et  Preuves,  n"  112. 
Luge,  Guesclin,  j).  338. 

5.  FnoissART,  éd,  Kervyn  ni:  Lkttenhove,  t.  XI,  p.  228, 


186  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

encore  une  fois  K  Au  fond  c'est  une  apolog-ie  du  brig-andag-e,  et 
malgré  le  remords  qu'il  en  ressent  :  «  certes,  de  ce  que  j'ai  fait, 
je  m'en  repens  trop  grandement  »,  il  termine  son  panégyrique  : 
«  Par  ma  foi,  cette  vie  étoit  bonne  et  belle  ». 

La  meilleure  manière  de  faire  une  rapide  fortune  était  de  se  mettre 
à  la  tête  d'une  compagnie  2.  Robert  Knolles,  Arnaud  de  Gervole, 
Eustache  d'Auberchicourt  acquirent  en  peu  d'années  des  richesses 
extraordinaires  'K  Avec  tout  cela,  quand  ils  voulaient  venir  à  rési- 
piscence, on  leur  accordait  non  seulement  le  pardon  à  eux  et  à 
leurs  compagnies,  mais  on  les  comblait  d'honneurs.  Un  chef  de 
bande,  Lyon  du  Val,  devint  huissier  d'armes  du  régent  Charles  ^. 
Arnaud  de  Cervole,  chargé  d'abord  de  malédictions,  devint  l'allié  du 
roi  de  France  et  son  lieutenant  en  Nivernais,  comme  nous  verrons 
dans  le  paragraphe  suivant,  puis  finit  par  éjDouser  l'une  des  plus 
riches  héritières  de  Bourgogne,  de  la  maison  de  Chàteauvillain. 
Pour  Eustache  d'Auberchicourt,  capitaine  d'une  forte  troupe  de  bri- 
gands établie  en  Champagne  et  en  Brie,  il  s'éprit  d'amour  pour  une 
haute  et  noble  princesse,  madame  Isabelle  de  Juliers,  nièce  de  la 
reine  d'Angleterre,  a  Ladite  dame  lui  envoya  haquenées  et  coursiers 
plusieurs,  et  lettres  amoureuses,  et  grands  signifiances  d'amour, 
par  quoi  ledit  chevalier  en  estoit  plus  hardi  et  plus  courageux  •'  », 
autrement  dit,  il  ravageait  la  province  plus  encore,  et  rançonnait 
plus  chèrement  nobles  et  manants,  afin  de  conquérir  le  cœur  tout 
entier  de  cette  dame  de  hauts  sentiments.  Enfin  il  l'épousa  le 
29  septembre  1360  à  Wingham  dans  le  comté  de  Kent. 

Comme  les  chefs  de  ces  bandes  étaient  de  toutes  les  nations, 
ainsi  les  compagnies  mêmes  étaient  composées  de  gens  apparte- 
nant à  tous  les  pays,  à  toutes  les  races;  on  y  trouvait  des 
Anglais,  des  Navarrais,  des  Gascons,  des  Bretons,  des  Espagnols, 
des  Allemands.  Et  de  même  qu'elles  étaient  internationales,  chaque 

1.  Froissaut,  éd.  Keuayx  de  Lettemiove,  t.  XIV,  p.  164.  Le  passage  tout  entier 
est  cité  par  Fhéville  clans  la  Bibl.  de  l'Ecole  des  charte:^,  t.  III,  p.  268  suiv.  ;  Luce. 
Hisl.  de  l.i  Jacquerie^  p.  17;  Chkrest,  VArchiprèlre^  p.  33  suiv.  ;  de  Beaucourt^ 
Hiat.  de  Charles  VII,  t.  III,  p.  387;  Poinsignon,  Hisl.  gén.  de  la  Champagne.  I,  256. 

2.  Kmohton,  p.  99  :I'((  divites  facti  sunt  niniis  et  locupletati  sunt,  adco  quod  potius 
viderentur  domini  re^ni  quani  stipendiarii,  ...  ditissimi  regressi  sunt  ». 

3.  Voy.  FrÉville,  1.  c.,  t,  III,  p.  264;  Luce,  L  c,  p.  109. 

4.  Frévim.e,  1.  c.,  p.  269;  Luce,  1.  c.,  p.  338. 

5.  Froissart,  éd.  Luce,  V,  p.  159,  368. 


LES  COMPAGISIES,    1357,    1358  187 

profession  y  fournissait  aussi  son  contingent.  Des  clercs  et  des  prêtres 
mêmes  s'y  étaient  enrôlés,  quoique  S.  Luce  prétende  «  qu'on  ne  voit 
aucun  prêtre  pratiquer  lui-même  cet  affreux  métier^  ».  Dans  ses 
lettres  datées  du  20  juin  1356  et  adressées  aux  rois  de  France  et 
d'Angleterre,  Innocent  VI  allègue  ce  fait  déplorable  comme  l'une 
des  conséquences  de  la  guerre  entre  les  deux  pays.  Ceux  qui  hier 
encore,  écrit-il,  étaient  les  ministres  des  autels,  les  prédicateurs  de 
la  parole  de  Dieu,  s'arment  aujourd'hui  du  glaive,  de  l'arc  et  de  la 
ilèche,  de  la  lance  et  du  bouclier,  et  s'en  vont  en  quête  de  rapines, 
de  vols  et  de  meurtres,  à  la  suite  des  ravisseurs  de  vierges,  des 
adultères  et  des  opj^resseurs  des  veuves  -. 

Ces  bandes  signalées  dès  1357  n'apparaissaient  cependant  pas 
alors  pour  la  première  fois,  car  déjà  dix  ans  auparavant,  après  la 
trêve  de  Calais,  plusieurs  troupes  répandues  en  Gascogne,  en 
Saintonge,  en  Bretagne  et  ailleurs  méritaient  le  nom  de  bandits.  Les 
bulles  d'Innocent  VI  de  l'an  1356,  citées  plus  haut,  le  prouvent. 
Froissart  nous  raconte  pour  l'an  13i7  à  1348  de  quelle  manière  les 
brigands,  Français  et  Anglais,  exerçaient  alors  leur  terrible  profes- 
sion. Ils  épient  de  loin  une  riche  ville,  un  bon  château  pendant  un 
jour  ou  deux,  dit-il,  puis  s'assemblent  vingt  ou  trente  et  mettent  le 
feu  à  une  maison.  «  Ceux  de  la  ville  cuidoient  que  ce  fussent  mille 
armures  de  fer,  qui  vouloient  ardoir  leur  ville  ;  si  s'enfuyoient  qui 
mieux  mieux,  et  ses  brigands  brisoient  maisons,  coffres  et  escrins  et 
prenoient  quant  qu'ils  trouvoient,  puis  s'en  alloient  leur  chemin, 
chargés  de  pillage  "^  ».  De  cette  manière,  ils  s'emparèrent  de  plusieurs 
châteaux.  En  Quercy  pendant  la  trêve  de  Calais,  il  s'était  aussi  formé 
des  bandes  de  brigands,  composées  d'Anglais  et  de  «  faux  Français  ». 
Ils  dévastaient  les  campagnes  et  avaient  pour  retraite  des  châteaux 
inhabités.  De  ces  points  ils  portaient  la  désolation  dans  tous  les 
lieux  et  faisaient  des  courses  jusque  sous  les  remparts  de  Cahors  ^. 

1.  Giiesclin,  p.  328. 

2.  «  Vidisti,  quod  ^ravins  est,  deputatos  divinis  obsequiis  scelcratis  operibus 
inquinatos  ;  vidisti  sacris  pridic  ministeriis  insudantes  nunc  rapinis  intenderc,  nunc 
spoliis  occupari,  nunc  efï'usioni  (proh  dolor)  humani  vacare  cruoris.  Accinjiitur  cnim 
}i,ladio,  suniit  arcum  et  faretram.  arniatur  lancca,  insurgit  in  clippcum  qui  nuper 
libruni  in  nianibus  et  in  ore  gestarc  Doniinum  consuevit  :  ministri  altaris  Doniinici 
ministrant,  heu,  raptoribus  virginuni,  conjugataruui  adulteris,  et  abductoribus  vidua- 
rum  .).  He(].  Vat.,  n-  238,  fol.   03. 

3.  FnoissAKT,  I^^  p.  ()7  suiv.  \'()\  .  plus  haut,   p.  65. 

4.  Lacoste,  Hisi.  (jén,  de  la  j)rovince  de  Quercy,  III,  p.  149. 


188 


LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 


A  partir  de  1357,  après  la  trêve  de  Bordeaux,  ces  bandes 
devinrent  beaucoup  plus  dangereuses,  et  se  répandirent  de  plus  en 
plus  sous  le  nom  de  «  Societates  »  ou  de  «  Compagnies  ».  Ce  nom 
avait  été  appliqué  plusieurs  années  auparavant  à  des  bandes 
de  même  sorte  répandues  en  Sicile^  et  en  Italie.  Après  la  paix  de 
Brétigny  (1360),  nous  rencontrerons  comme  une  jouissance  redou- 
table la  Grande  Compagnie,  dénomination  déjà  employée  par  Inno- 
cent VI  en  1358  pour  désigner  les  bandes  d'Arnaud  de  Cervole  en 
Provence  -. 

0.  Arnaud   de   Cervole^   archiprêtre  de  Vélines,  clerc   et  brigand. 

Son  invasion  en  Provence. 

Après  la  monographie  si  détaillée  de  Chérest,  on  pourrait  sup- 
poser qu'il  ne  reste  plus  rien  à  dire  sur  Arnaud  de  Cervole'-.  Per- 
sonne, en  effet,  ne  niera  que,  comparé  à  ses  devanciers,  cet  auteur 
n'ait  de  grands  mérites  :  il  a  ajouté  beaucoup  de  faits  nouveaux  à 
ceux  qui  étaient  déjà  connus.  Néanmoins,  son  appréciation  fonda- 
mentale de  r Archiprêtre  est  erronée,  et  sa  description  de  la  course 
en  Provence  très  défectueuse. 

Voici  d'ailleurs  les  points  principaux  de  sa  caractéristique  d'Ar- 
naud de  Cervole  :  d'abord  l'Archiprêtre  n'était  pas  clerc  mais 
laïque,  percevant  seulement  à  titre  d'inféodation  les  droits  utiles 
de  l'archiprêtré  de  Vélines,  du  diocèse  de  Périgueux.  En  second 
lieu,  Arnaud  n'était  pas  un  brigand  et  jusqu'en  1358,  il  n'avait  rien 
fait  qui  lui  valût  aux  yeux  de  ses  contemporains  cette  outrageante 
qvialification,  ce  n'est  que  depuis  lors  qu'il  avait  contracté 
quelques-unes  des  habitudes  fâcheuses  que  le  métier  de  chef  de 
bandes  entraîner  Suivant  Chérest,  l'Archiprêtre  avait  commencé 
sa  carrière  comme  capitaine  de  soudoyers,  et  avait  été,  sauf 
quelques  interruptions,  au  service  du  roi   de  France.   La  monogra- 

1.  Reg.  Vat.  Innoc.  V7,  n"  228,  fol.  1'',  ad  an.  1355,  Febr.  27  :  «  gentes  societatis 
Gompag^ne  vulgariter  nuncupate,  regnuni  Sicilie...  nuper  intraverunt  »>.  Cf.  encore 
RicoTTi,  Storia  délie  compagnie  di  ventnra   (Torino,  1844). 

2.  Voy.  ci-dessous,  p.  209. 

3.  L'Archiprêtre,  épisodes  de  la  (fuerre  de  Cent  ans  au  XIV'  siècle,  par  A.  Chérest 
(1879). 

4.  Ibid.,  p.  60,  04. 


ARNAUD  DE  CERVOLE,  1357,  13o8  189 

phie   de     Ghérest    tourne    souvent    en   apologie   de   l'Archiprêtre. 

Pour  ce  qui  concerne  le  premier  point,  Ghérest  n'est  pas  le  seul 
à  l'affirmer.  Avant  lui,  S.  Luce  avait  fait  observer  ^  qu'Arnaud  de 
Cervole,  originaire  du  comté  de  Périgord,  était  archiprètre  de 
Vélines,  au  diocèse  de  Périgueux^,  et  qu'il  arrivait  parfois  au  moyen 
âge  qu'un  archiprôtré  fut  inféodé  au  temporel  à  un  laïque.  Tel  avait 
été,  d'après  lui,  le  cas  pour  Arnaud.  Quant  au  reste,  Luce  le  consi- 
dérait comme  un  bandit,  sans  fournir  toutefois,  à  l'appui  de  son 
assertion,  des  preuves  capables  de  convaincre  Ghérest. 

Une  quittance  du  13  juillet  1332  est,  d'après  ce  dernier  auteur,  le 
premier  document  historique  concernant  l'Archiprêtre,  qui  devait 
jusqu'à  meilleure  information  servir  de  base  à  la  biographie  d'Ar- 
naud-^. Pour  Luce,  le  premier  document  était  un  acte  daté  de  février 
1354,  où  le  roi  Jean  assigne  à  Arnaud,  écuyer,  200  livres  de  rente  ^. 
Les  deux  documents  nous  montrent  Arnaud  comme  un  homme  de 
guerre  au  service  du  roi  Jean.  Si  c'étaient  là  les  premiers  témoi- 
gnages concernant  la  carrière  d'Arnaud,  il  serait  en  effet  compré- 
hensible qu'on  n'eût  vu  en  lui  qu'un  laïque  dont  les  antécédents 
n'avaient  rien  de  commun  avec  un  brigand. 

Mais  il  n'en  est  pas  ainsi.  Deux  documents  inédits,  dont  un  est 
de  plusieurs  années  antérieur  à  ceux  qui  étaient  connus  jusqu'au- 
jourd'hui, renversent  l'appréciation  fondamentale  de  Ghérest  et  nous 
montrent  Arnaud  clerc^  curé  qï  bandit.  D'après  le  premier,  en  1347, 
Arnaud  de  Gervole,  archiprètre  de  Vélines,  du  diocèse  de  Périgueux, 
est  accusé  auprès  de  Glément  VI  par  Gautier  de  Ruffinac  bache- 
lier en  lois,  de  vivre  dans  la  société  de  brigands  et  de  gens  de 
basse  extraction,  de  se  rendre  coupable  de  crimes  et  de  meurtres  et 

1.  Froissart,  V,  p.  XXIV,  not.  1  ;  Guesclin,  p.  328. 

2.  Cela  devient  tout  à  fait  hors  de  doute  par  les  suppliques  citées  p.  IQOsuiv.Du  reste 
dans  d'autres  documents  des  Archives  du  Vatican,  plus  loin  cites,  on  écrit  de  «  Veri- 
nis  »,  ou  «  Veirinis  »,  «  Veyrinis  »  ;  «  Verinis  »  était  aussi  écrit  dans  la  1'""'  et  3«  Vie 
d'Innocent  VI  et  dans  la  l"^"  d'Urbain  V  ;  Baluze,  Vit.  pap.  Avenion.,  I,  p.  334,  360, 
370,  avait  seulement  mal  lu  :  «  Verniis  ».  On  voit  que  ces  auteurs  et  écrivains,  ou 
ont  écrit  r  pour  t,  comme  cela  est  arrivé  souvent  au  moyen  â^e,  ou  ont  con- 
fondu Veyrines  et  Vélines,  deux  localités  situées  dans  le  diocèse  de  Périgueux.  Mais 
Veyrines  («  Veyrinas  »)  était  sous  Tarchiprctré  de  Saint-Marcel  (Arch.  Vat.,  Col- 
lector.,  n°  37,  fol.  7),  et  Vélines  seulement  était  un  archiprètre  [Ibid.^  fol.  5**  :  «  archi- 
presbyteratus  de  Velhinis  »). 

3.  Ghérest,  p.  8. 

4.  L.  c,  p.  xxiii,  not.  3. 


190  LA    GUERRE    DE    CEIST    ANS 

d'être  sans  cesse  occupé  à  guerroyer.  Sa  conduite,  au  dire  de  Gau- 
tier, est  un  g-rand  scandale  et  une  honte  pour  Tordre  clérical,  car 
ses  infamies  sont  connues  de  tout  le  monde.  Exhorté  à  recevoir  dans 
le  courant  de  l'année  les  ordres  majeurs,  c'est-à-dire  le  sous-dia- 
conat, le  diaconat  et  le  presbytérat,  il  a  opposé  un  refus  opiniâtre  à 
son  évêque,  et  ne  s'est  jamais  présenté  devant  lui  quand  il  a  été 
cité  pour  d'autres  cas  canoniques.  De  plus,  il  a  été  mis  en  posses- 
sion de  l'archiprêtré  à  un  âge  trop  jeune.  Enfin  Gautier  demanda 
une  enquête  et  exige  qu'Arnaud  soit  éventuellement  dépouillé  de 
l'archiprêtré  ^ 

Ces  graves  accusations  nous  donnent  d'un  coup  un  portrait  de 
l'Archiprêtre  bien  différent  de  celui  que  Chérest  nous  a  tracé. 
Arnaud  était  clerc,  n'ayant  pas  reçu  encore  les  ordres  majeurs  qu'il 
avait  négligé  de  se  faire  conférer  depuis  longtemps,  et  dès  le  com- 
mencement, malgré  son  caractère  clérical,  c'était  un  brigand,  un 
bandit.  A  peine  était-il  tonsuré  ou  minoré,  que  son  penchant  inné 
pour  le  brigandage  se  fit  remarquer.  Cela  prouve  qu'il  était  entré 
dans  les  ordres  pour  obtenir  un  bénéfice,  peut-être  par  nécessité 
d'un  gagne-pain. 

Cela   est  confirmé  par  un  autre  document  du  H  mai  1355,  et  à 

1.  Suppl.  Clem.  VI,  n°  13,  fol.  78*',  ad  an.  1347,  Julii  1  :  «  Sanctissime  pater.  Gum 
Arnaldus  de  Sorvolis,  tenens  archiprcsbiteratum  seu  plebanatum  de  Velhinis,  Petra- 
goricen.  dioc,  prcdonum  et  vilium  personarum  inhereat  vestigiis,  scevis  et  ènornii- 
bus  se  immiscens,  bcUis,  guerris  et  homicidiis  incessanter  insistendo,  sicque  predic- 
tum  beneficium  tenet  in  plcbis  sue  scandaluni  ac  opprobrium  et  contemptum,  status 
et  ordinis  clericalis,  cuni  de  predictis  sit  publica  vox  et  fama,  nec  non  ut  ad  sacros 
promoveretur  ordines  infra  annum  et  ob  alias  causas  canonicas  per  ordinarium  moni- 
tus  et  citatus,  scmper  extitit  contumax,  inobediens  et  rebellis,  sicut  fertur,  atque 
etiani  tempore  provisionis  sibi  facte  de  eodem  minor  foret  etate  légitima  ;  supplicat 
eidem  sanctitati  devotus  et  humilis  orator  rester  Galterus  de  Ruflînhaco  bacallarius 
in  legibus,  Sarlaten.  dioc.,  quatenus  alicui  probo  viro  comniittere  cum  omnibus 
incidentibus  emergentibus  et  dependentibus,  quod  de  premissis  inquirat  et  se  infor- 
met  summarie  et  de  piano,  ut  ipse  prefatum  Arnalduni  déclarât  dicto  benefîcio 
propter  premissa  privatum  vel  ipsum  privet  eodem,  prout  justitia  suadebit,  ac  prefa- 
tum beneficium  dicto  Galtero,  si  secundum  premissa  vel  eorum  altero  modo  vacet, 
conférât  vel  cum  ex  prefatis  causis  vel  eorum  altéra  seu  alias,  si  per  renunciatio- 
nem  ipsius  Arnaldi  eo  casu  quovis  aliquod  adhuc  haberet,  vacare  continget,  dona- 
tioni  apostolice  reservare  dignemini,  ipsi  Galtero  per  eundem  conferendum,  non 
obstante  quod  altare  vel  capellaniam  manus  mortue  idem  Galterus  in  ecclesia 
Aurelianen.  noscitur  obtinere,  et  quacumque  reservatione  generali  vel  speciali  de 
ipso  benefîcio  forsan  factà,  et  cum  omnibus  aliis  non  obstantibus  et  clausulis  oportu- 
nis.  —  Fiat  commissio  in  forma  juris  etiam  de  providendo  isti.  R.  —  Et  quod  tran- 
scat  sine  alia  lectione.  Fiat.  R.  —  Datum  Avinione  kal.  Julii  anno  sexto.  » 


ARNAUD  DE  CERVOLE,  1357,  1358  191 

cette  occasion  nous  apprenons  qu'Arnaud  fut  privé  de  l'archiprê- 
tré.  Amanieu,  archevêque  de  Bordeaux^,  annonce  à  Innocent  VI 
que  Guillaume'^,  évéque  de  Périgueux,  avait  intenté  un  procès 
contre  Arnaud  de  Gervole  pour  des  crimes  à  lui  imputés,  dont  nous 
avons  parlé  tout  k  l'heure.  Mais  Guillaume  ayant  été  déplacé,  la 
chose  restait  dans  l'incertitude;  puis  le  successeur^  étant  nég-li- 
g'eant,  l'archevêque  même,  avisé  du  scandale,  ordonna  une  enquête, 
à  la  suite  de  laquelle  Arnaud  fut  privé  de  l'archiprêtré,  qui  fut 
conféré  au  prêtre  Raoul  Adam.  Le  pape  est  prié  de  confirmer  la 
privation  et  la  nouvelle  collation^.  G'est  assurément  entre  1351  et 
1355  qu'Arnaud  fut  privé  de  son  bénéfice.  Cette  date  peut  être  plus 
précisée.  Lui-même  se  nomme  encore  archiprêtre  de  Vélines  le 
13  juillet  1352^;  mais  en  février  1354  le  roi  Jean  l'appelle  déjà 
écuyer  ^.  C'est  donc  vers  1353  qu'il  perdit  l'archiprêtré. 

1.  Amanieu  d'Apt,  archevêque  dès  28  septembre  1351.  Voy,  Eubel,  Hierarchia 
cathol.^  p.  155. 

2.  Guillaume,  cvèque  dès  le  13  février  1348,  n'est  pas  mort  à  Périgueux,  mais  il  fut 
transféré  à  Braga  le  24  juillet  1349  (Eubel,  1.  c,  p.  417). 

3.  Pierre  Pin,  évéque  dès  27  juillet  1349  {ibid.). 

4.  Suppl.  Innocenta  VI,  n°  26,  fol.  104,  ad  an.  1355,  Maii  11  :  «  Signifîcat  S.  V.  devo- 
tus  orator  vester  Amanevus  archiepiscopus  Burdegalen.,  quod  licet  olim  Arnaldus 
de  Servolio,  tune  archipresbiter  seu  plebanus  ecclesie  de  Velinis,  Petragoricen.  dioc., 
que  in  Burdegalen.  provincia  existebat  prout  existit,  archipresbiteratum  seu  pleba- 
niam  ipsius  ecclesie  curam  animarum  habentem  pacifice  possideret,  tamen  per  plures 
annos  non  curavit,  cessante  causa  rationabili,  se  facere  ad  sacros  ordines  promoveri, 
ymmo  pejora  malis  adiciens,  sévis  se  immiscuit,  in  quibus  strages  hominum  et  alia 
enormia  comniissa  fuerunt,  et  miles  seculi  est  eft'ectus  ;  et  quamvis  premissa  adeo 
essent  notoria  quod  nulla  poterant  tergiversatione  celari,  ac  bo.  me.  Guillelmus  epis- 
copus  Petragoricen.  super  premissis  contra  eundem  Arnaldum  ad  suam  propterea 
prcsentiam  evocatum  procedere  incepisset,  tamen  quia  idem  episcopus  fuit  morte 
preventus  hujusmodi  negotio  sic  pendentc,  ac  episcopus  Petragoricen.  successor 
ipsius  circa  hujusmodi  cxcessuum  correctionem  erat  prorsus  negligens  et  remissus, 
prefatus  archiepiscopus,  ad  cujus  audientiam  premissa  publica  fama  deduxit,  qui- 
busdam  discretis  commisit  atque  mandavit  ut  super  premissis  inquirerent,  et  si 
reperirent  ita  esse,  prefatum  Arnaldum  eodem  archipresbiteratu  privarent  et  illum 
alteri  persone  ydonee  conferre  curarent.  Qui  forma  commissionis  et  mandati  hujus- 
modi diligentius  observata,  quia  invenerunt  premissa  veritate  fulciri,  dictum  Arnal- 
dum eodcm  archipresbiteratu  justitia  exigente  per  dilïînitivam  sententiani,  que  nulla 
provocatione  suspensa  in  rem  transivit  judicatam,  privarunt,  illumque  magistro 
Radulpho  Ade,  in  sacerdotio  constituto,  contulerunt.  [Supplicat  archiepiscopus,  ut 
summus  pontifex  privationem  et  coUationem  confirmet].  —  Si  vacat  ut  asseritur 
magistro  Radulpho  providemus.  G.  —  Et  quod  transeat  sine  alia  lectione.  Dat.  Avi- 
nione  v  idus  Maii  anno  tertio.  » 

5.  Chéuest,  p.  8. 

6.  LucE,  1.  c,  p.  xxui,  not.  3. 


492  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

Mais  Arnaud  conserva  le  titre  de  son  ancienne  et  première 
fonction  chez  ses  contemporains;  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le 
25  mai  1366,  il  était  connu  sous  le  nom  d'Archiprêtre.  Le  roi 
Jean,  n'ignorant  pas  les  talents  militaires  d'Arnaud,  se  servit 
de  lui  dans  les  entreprises  guerrières.  Qu'il  fût  brigand  cela 
ne  pouvait  l'inquiéter,  car  combien  de  sujets  semblables  ne 
vojait-il  pas  dans  son  armée  !  Ceux-ci  étaient  souvent  de  vail- 
lants et  toujours  de  courageux  soldats,  et  l'Archiprêtre  était  de  ce 
nombre.  Toutefois,  dans  sa  nouvelle  carrière,  il  resta  le  brigand 
d'autrefois. 

En  1354,  Arnaud  s'empara,  avec  l'aide  d'une  petite  troupe,  des 
trois  châteaux  de  Cognac,  de  Merpins  et  de  Jarnac  en  Saintonge 
qui  appartenaient  à  Charles  d'Espagne,  le  connétable  assassiné^. 
Ce  penchant  au  larcin  se  trahit  plus  visiblement  en  1356  par  un 
fait  qui  a  échappé  à  Chérest.  Le  roi,  étant  alors  devant  Breteuil, 
vint  à  apprendre  que  l'Archiprêtre  avait  pris  un  château  en  Nor- 
mandie. Aussitôt  il  envoya  Jean  de  Clermont,  pour  savoir  de  quel 
droit  Arnaud  en  avait  agi  ainsi.  L'envoyé  ne  trouva  d'autre  raison 
«  que  c'estoit  ainsy  que  par  larchin-  ». 

Du  reste,  cet  aventurier  représentait  comme  chevalier,  à  la 
bataille  de  Poitiers,  le  trop  jeune  comte  Pierre  d'Alençon  qui  entra 
plus  tard  dans  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs  3,  et  il  venait  alors 
d'épouser  Jeanne  de  Graçay,  veuve  d'André  Chauvigny,  seigneur 
de  Levroux.  Le  27  mars  1357,  il  figure  au  protocole  sur  la  liste  des 
conservateurs  qui  avaient  ordre  de  veiller  au  rétablissement  de  la 
paix  dans  la  vicomte  de  Limoges  et  en  Berry  ^.  Mais  quelques 
mois  plus  tard,  nous  le  retrouvons  à  la  tête  des  routiers  et  d'une 
de  ces  compagnies  décrites  au  paragraphe  précédent. 

Au  mois  de  mai  (non  pas  en  juillet  seulement,  comme  le  prétend 
Chérest)  il  est,  avec  une  bande,  prêt  à  envahir  la  Provence,  à  l'ins- 
tigation et  avec  le  concours  du  sire  des  Baux  et  de  ses  nobles  adhé- 
rents ^. 

1.  LucE  dans  Froissart,  xxiv,  not.  Chi?rest,  p.  14. 

2.  Bourgeois  de  Valenciennes,  p.  289. 

3.  Chérest,  p.  21  suiv. 

4.  /brd,,  p.  26  suiv. 

5.  Baluze,  1.  c,  p.  360;  Ruffi,  Hist.  de  Marseille  (1696),  I,  p.  180,  d'après  d'autres 
sources.  Sur  les  origines  de  la  guerre  entre  les  seigneurs  des  Baux  et  leur  suzerain, 
voy.  Chérest,  p.  41  suiv. 


ARNAUD   DE   CEHVOLi:,    1357,     13o8  193 

Là  nous  touchons  à  une  foule  de  documents  pleins  d'intérêt  qui 
ont  encore  échappé  à  Chérest.  Ceux-ci  démentent  ki  rumeur 
puldique  contemporaine  qui  accusait  Innocent  VI  d'avoir  encouragé 
secrètement  les  desseins  d'Arnaud  et  de  ses  confédérés'.  Les 
mêmes  documents  rendent  encore  improbable  une  autre  supposi- 
tion, à  savoir  que  l'alliance  des  Provençaux  et  de  l'Archiprêtre  ait 
été  encouragée  par  le  cardinal  Talleyrand-Périg-ord  qui  aurait  tout 
réglé  et  tout  organisé  -.  On  accusait  même  le  dauphin  d'avoir 
envoyé  ces  troupes  dans  le  but  de  s'emparer  delà  Provence,  comme 
nous  le  verrons  tout  à  l'heure. 

Le  21  mai  13')7,  Innocent  VI  écrit  au  dauphin  Charles,  duc  de 
Normandie,  que  d'après  un  jjruil  qui  court,  il  paraîtrait  que,  sur  son 
commandement,  une  bande  se  dispose  à  envahir  la  Provence  appar- 
tenant à  la  reine  Jeanne  de  Sicile.  Le  pape  lui  fait  remarquer  quel 
danger  il  en  pourrait  survenir  par  suite  de  la  proximité  d'Avignon 
et  que  ce  ne  serait  pas  moins  dangereux  pour  le  dauphin  lui-même 
qui,  dans  une  situation  déjà  très  précaire,  accroîtrait  encore  le  nombre 
de  ses  ennemis.  Il  le  prie  de  défendre  à  ses  sujets  une  telle  entreprise, 
annonçant  que  le  cardinal  Pierre  de  la  Forêt  doit  lui  écrire  plus 
longuement  à  ce  sujet  '.  \  ne  autre  lettre  du   pape  adressée  le  2  juin 


1.  La  3''   \ie  (l'Innocent  \l  dans  lîALi'zt;,  1.  c.  ;  Ciikukst,  j).  45. 

2.  lÎAi.i  zi;,  1.  c.  :  M.  A^M.AM,  Istorie,  dans  Muuatoiu,  Script.,  XiV,  p.  Jr)6,  c.  <S7;  il 
dit  :  «  secundo  clie  la  fanie  corse  ».  Riffi,  1.  c.  Au  même  temps  cette  opinion  a 
souri  à  Ji:a.\-Fhan(;ois  de  GAUFuini,  Hisi.  de  Provence  (Aix  169i),  p.  223.  De  même 
GllÉUKST,   p.   i6. 

3.  Tie(j.  Val.,  n"  239,  fol.  71''  :  MuUi,  lili,  summurmuranl  quod  nonnulli  nomen 
tuum  et  titulum  ac  preceptuni  quod  est  amplius  pi-etendcntes,  ad  invadendum 
comitatvun  Provincie,  qui  ad  cai'issimam  in  Christo  iiliam  nostram  Johannem  re^i- 
nani  Sicilic  illuslreni  consanguineam  tuam,  ut  nosti,  pcrlinet,  se  disponunt.  (^irca 
(juod  duplici  opinione  ^ersamur  ;  nam  facile  credinius  quod,  mundo  in  niali^no  posito. 
nudti  sunl  qui  hec  cl  alia  gravioi'a  iemptarent;  sed  nejj:otioruni  tuorum  qualitatem  et 
conditionem  currenlis  temporis  intuentes  ac  attendentes,  qua  ipsi  reiiinc  junjicris, 
communioneni  sanguinis,  et  quod  hiis  omnibus  majus  est,  devotionis  alïectum  ({uem 
geris  ad  Romanam  ecclesiam  malrem  tuam,  que  loto  quasi  terrarum  orbe  turbato  in 
civitate  Avinionen.  cidem  comitalui  innnediate  continua  utcumque  quiescit,  et  cui 
e.x  invasionc  hujusmodi  grandis  lurbatio  nasceretur  grandisque  injuria  fieret,  si  in 
conspectu  ejus  talia  contingerel  attemptari  :  j)robabiliter  certi  sumus  (juod  tu  opcra- 
tionibus  lalibus  non  solum  non  i'a\'eres,  imo  nec  suggerentibus  preberes  audit  uni. 
(vHiapropter  nobilitateni  tuam  conlîdenler  adimus  illam  attentius  deprecanles...  c[iui- 
linus  (prudenler  considcrans  ((uod...  Jolianne  roge  Francorum  illustri  paire  tuo  in 
manibus  suorum  hoslium  constitulo,  nec  adhuc  inter  cos  pacc  i)occalis  exigentibus 
rel'ornuita,  non  e\|)edit  ef  et  libi  cunudare  alios   inimicos,  quod({ue  jus.  si    quod  in 

11.  1*.  Denifli:.  —  Desnlalin  cccJcsiarum  II.  13 


194  LA    GUERRE    DE    CE?sT    AISS 

au  roi  captif,  nous  apprend  que  ces  troupes  se  recrutaient  en 
France  et  s'unissaient  en  Dauphiné,  pour  se  répandre  ensuite  en 
Provence.  Il  représente  au  roi  Jean,  comme  il  Ta  fait  au  dauphin, 
les  dang-ers  d'une  expédition  semblable  qui  est  certainement  con- 
traire à  ses  desseins  et  le  prie  d'empêcher  son  fils  de  faire  ou 
de  laisser  faire  une  telle  chose  ^  Le  même  jour,  le  pape  envoya  à 
ce  sujet  une  lettre  semblable  aux  deux  cardinaux  Talleyrand  et 
Gapocci  en  Angleterre^  leur  enjoignant  d'insister  auprès  du  roi  cap- 
tif pour  que,  de  toute  la  force  de  son  autorité,  il  commande  au  dau- 
phin de  rappeler  les  troupes  qui  sont  déjà  en  Dauphiné'-.  A  cette 
date,  des  lettres  furent  écrites  dans  le  même  but  à  Arnould  d'Au- 
drehem  et  à  Bernard  comte  de  Ventadour*',  et  le  9  juin.  Innocent 
écrivit  aussi  à  l'empereur  Charles  IV  touchant  ces  gens  d'armes 
réunis  dans  le  Viennois,  afin  qu'il  exerce  à  ce  sujet  toute  son  auto- 
rité sur  le  dauphin  ^. 

Mais  le  dauphin  ne  tarde  pas  d'assurer  au  pape  que  cette  invasion 
de  la  Provence  par  des  gens  d'armes  de  France  et  du  Dauphiné 
n'avait  jamais  été  dans  ses  intentions,  et  qu'il  se  propose  de  l'inter- 
dire sous  des  peines  très  graves.  Une  lettre  datée  du  9  juin,  dans 
laquelle  le  pape  témoigne  sa  joie  au  dauphin,  nous   raconte  ce  qui 


comitatu  ipso  libi  comi)elit,  salvum  libi  est  ncc  eadeni  résina  recusabil  sicut  non 
anibi^iinus,  quotiens  requisita  fuerit  super  eo  stare  juri)  ab  onini  noNilalo  conlra 
ipsuni  coniilatuni  l'acicnda,  quam  ipsi  palri  tuocredimusraLione  probabili  displiccre. 
onines  j;cnles  et  subditos  tuos  velis...  penilus  i)rohiberc-..  (îrave  namque  ac  ania- 
rum  admodum  noliis  esset  calamitates  et  con^ressiones  hostiles  in  l'aeic  nostra 
pati,  ({uî  remolioi'es  qiios({iic  fore  concordes  sunimopere  afTectannis...  Super  liis 
auteni  Petrus  basilice  duodecim  Aposloloruni  cardinaHs  plenius  til)i  de  conscienlia 
nostra  scribit.  Dat.  apud  A'illaninovam  Avinionen.  diocesis  xj  kal.  Junii  anno 
quinto.  —    ^  oy.  A\'i:iu>sivy,  Excerpta.  etc.,  n"  427  et  suiv. 

1.  Ri'{l.  V,)<.,  1.  c,  fol.  90''  :  «  Conf;re^ate  sunt  el  conjire|;anlur  colidie  de  ])arlibus 
regni  tui  et  aliunde  in  Dalfinalu  ^'iennen.  de  niandalo...  Caroli  primo{;eniti  tui  del- 
lini  ^■iennen..  ut  dieitur,  nudte  pentes,  coniitaluni  Provincie...  invasure.  De  (pio 
lanto  niiraniur  ainj)Uus  el  tristamur.  quanto  eundeni  dueeni  nec  causani  nec  oecasio- 
neni  lial)ere  credinius  lalia  raeiendi,et  (pianlo  l'e-^no  liio  nonduni  paeato.  sed  adhuc 
solite  dissensionis  nuelilnis  inquieto,  non  e.xpediebat  nece.\i)edit  ».  elc. 

2.  Ihid.,  loi.  91''  «  Turbato  l'ère  toto  lerraruni  orbe...,  hec  terrariun  nioclica  portio 
provincia  ProNincie  scil..  (pie  ulcunique  (juiescere  \idebatur  exterius,  i)acis  hostcni 
sic  ad  invidiani  l)ro^■oca^  it...  » 

3.  IbicJ.  Dans  le  document  est  la  laule  sui\anle  :  <>  Dil.  lilio  Ihuliilfo  domino  de 
Douâenhixei)^  niarescallo  Francie  ».  Fol.  91,  plus  correctement  :  «  Arnulplius  dom.  de 
Iloudencham  ». 

4.  Ihid.,  fol.  lOG;  Weuu.nsky,  n".i3i. 


AK.NAL'D   Di:   CKRVOLE,    1357,    1358  1D5 

précède^  Le  12  juin,  Innocent  fait  part  au  roi  captif  de  la  réponse 
de  son  fils;  mais,  n'étant  pas  encore  tranquille,  il  le  prie  de  com- 
mander à  Charles  de  ne  point  permettre  que  la  Provence  soit  trou- 
blée'-. Une  consolation  pour  le  pape  était  qu'Amédée,  comte  de 
Savoie,  se  mettait  tout  à  fait  d'accord  avec  lui  ;  aux  gens  d'armes, 
«  que  se  ad  invadendam  Provinciam  disponebant  »,  Amédée  avait 
fait  des  défenses  formelles  •^. 

Innocent  VI  se  montra  bien  troublé  des  nouvelles  qui  lui  étaient 
rapportées.  Jean-Ferdinand  de  Ilérédia,  châtelain  d'Emposte  et 
grand  prieur  de  Saint-Gilles,  capitaine  général  de  troupes  du  (]omté- 
Venaissin  '^,  fut  fait  prisonnier  par  les  Anglais  dans  la  bataille 
de  Poitiers  et  cédé  à  Bernard,  sire  d'^\.lbret.  Tout  l'espoir  du  pape 
était  en  Jean  qui  devait  alors  bientôt  se  présenter  au  sire 
d'Albret  pour  traiter  de  sa  rançon.  Le  2  juin,  Innocent  priait  ce 
dernier  de  prolonger  le  terme  jusqu'à  la  Toussaint,  afin  que  ce 
capitaine  pût  préparer  la  défense  du  Gomtat  contre  les  envahis- 
seurs ^. 

1.  Reff.  Val.,  fol.  109''  :  «  Per  lilLeras  suas...  resciùbens  nobis  quod  nunquam  fucrat 
ncc  crat  de  consciencia  tua  ({uod  alique  j^cntcs  rcgni  Francorum  et  Dalfinalus  tui 
Vicnncn.  invadercnt  comitaLuni  Pro\incic,  cL  quod  statueras  proclamari  l'accre  pcr 
dicta  rcgnuni  et  Dalfinatuni  quod  nullus  sub  pénis  proditionis  et  perditionis  corpo- 
ris  et  bonoruni  suoruni  présumât  dictuni  invadere  comilatum,  inextiniabili  nos 
j;audio  perfudisli  ». 

2.  Recf.  Vat.,  fol.  111,  deux  lettres  du  Djuin.  On  y  trouve  jilusieurs  autres  lettres 
adressées  au.v  nonces  sur  cette  aflaii-e  ;  elles  répètent  toujours  la  même  chose. 

3.  Voy.  sur  lui  Cottieh,  Noies  hist.  concernanl  les  liecleurs  du  ci-devnnl  Comlê- 
Venaissin  (1806),  p.  67  sui^^ 

4.  lietf.  Val.,  n"  239,  fol.  88''  :  Dil.  lilio  nobili  ^■ir()  Bernardo  domino  de  I^ebreto, 
militi,  salutem,  etc.  Ven.  fraler  (iuido  episcopus  Portuen.  et  dil.  fdius  nostri 
Audoinus,  tit.  SS.  Joli,  et  Pauli  ])res])iler  cai-dinalis.  seripserunt  tibi  de  conscientia 
noslra  nuper,  ut  dil.  filio  Johanni  de  Ileredia,  caslellano  Emposte  Ilospitalis  S. 
Joli.  Jerosol"',  (jui  hoc  anno  in  congressu...  Johannis  reji:is  Francoriun  illustris  et... 
nobilis  viri  Edwardi  primo|.;enitl...  Edwardi  régis  Anglie  illustris.  principis  "W'allie, 
captus  tibi  cessit  ut  dicitur,  terminum  advenlusejus  ad  te  ad  tractandum  de  redemp- 
lionc  sua  usque  ad  festum  Omnium  Sanctorum  futuruni  pro.\imo  prorogares,  sibi([ue 
concederes  ([uod  intérim  armare  se,  ac  armorum  négocia  gerere  posset  pro  custodia 
et  dcfensione  terrarum  nostrarum,  (pias  i)erturbari  veremur  propter  no\itates  (pias 
in  partibus  istis  nascituras  inimicus  pacis  et  pater  dissidii  procuravit.  sicut  signa 
palentia  manifestant  [Dicto  castellano  suas  patentes  litteras  opportunas  super  hoc 
mitlat].  l)at.  apud  ^^illamnovam  Avinionen  dioc,  iiij  non.  Junii  anno  ^'''.  —  Le 
manusc.  porte  <«  \\\  non.  Junii  »,  évidenunent  une  erreur;  les  lettres  sui\anles  s'oc- 
ciq)ent  aussi  d'IIérédia  et  des  hospitaliers,  avec  la  date  :  iiij  non.  Junii. 

.").  //>/(/..  fol.  110''  :  ((  ...  Etlicet,fili  carissimc,  credamus  firmiter  (piod  du\  ipse  fal- 
lacias  et  dece[)tiones  eoruni  (pii  in  dispendiis  aliorum   ({ucrunl  propria   lucra.   cogno- 


i96  LA    GUERRE    DE    CENT    AiNS 

Néanmoins,  au  mois  de  juillet  le  danger  était  devenu  imminent. 
C'est  à  cette  occasion  que  FArchiprêtre  est  désigné  pour  la  pre- 
mière fois  comme  capitaine  d'une  compagnie.  Déjà  le  6  juillet  ou 
avant,  le  pape  avait  ordonné  la  réparation  des  portes  d'Avignon. 
Dès  le  13  juillet,  il  envoya  des  hommes  pour  observer  la  marche 
des  troupes;  des  euA^ovés  de  Tévêque  de  Valence  se  joignirent  à 
eux.  Il  semble  que  les  troupes  aient  pris  la  route  de  Romans  et  de 
Nomaco.  Le  14  juillet,  elles  avaient  déjà  passé  Valence.  Le  15  du 
même  mois  le  pape  envoie  à  l'Archiprétre  et  à  a  Rebeta  »,  l'un  de 
ses  affîdés,  un  écuyer  porteur  d'une  lettre  ^  datée  seulement  du 
20  juillet  dans  laquelle  il  dit  être  informé  du  dessein  qu'a  conçu 
Arnaud  d'envahir  la  Provence  et  lui  signifie  les  peines  qui  attendent 
les  envahisseurs  des  terres  appartenant  à  l'église  Romaine.  Mais  il 
ne  dit  rien  à  propos  de  l'invasion  de  la  Provence  '-.  Innocent  écrit 
aussi  sur  ce  sujet  à  l'évêque  de  Valence.  Et  ayant  entendu  dire 
qu'après    l'Archiprétre    d'autres    gens    d'armes    doivent    venir,   il 

scens  se  ad  aliquid  quod  disj)licens  libi.  odiosiim  Den,  lionori  suo  contrai'iuin...  exi- 
steret  perlrahi  non  pcrniiLlet,  quia  lanien  lilii  Icnebrarum  prudenciores  liliis  lucis 
sunt  cl  principibiis  utpolo  natura  purioribus  et  ad  ardua  distractis  et  varia  niultiun 
scpe  lin|;iia  tei'cia  et  subdola  ac  palpans  adulatio  siuM'ipece  consiie\it,  serenitateni 
tuani  instanlcr  et  alîectuose  precaniiir  inslancius  et  alVeeluosius  deposcentes,  quati- 
nus  i)refal()  duci  dare  velis  expressiiis  in  mandat is  u(  novitaleni  adversus  coniitatuni 
eiundeni  noxiani  fieri  nidlatenus  patialur.  Hoc  enim  nol^is  el  lVati-il)us  nostris  coi'di 
est  plus  (juani  litteris  expriniere  valeanuis.  Datuni  apud  A'illainno\  ain  A\inionensis 
tliocesis  ij  idus  Junii,  anno  ([uinto  ». 

1.  Arch.  Vat..  Inlroit.  el  exit.,  n"  282.  fol.  236.  ad  an.  1357  :  «  Die  vj  Julii...  soluli 
iuerunt  de  mandato  doni.  nostri  pape  pro  reparatione  portalium  A\inion.  doui. 
Guillelmo  Rulandi   niiliti,  marescallo  Avinion...  CL  llor. 

—  Die  XIII"  dicti  nicnsis  Julii  soluti  fuerunt  de  mandato  domini  nostri  Augerio 
Rinerie  servieuti  armorum  misso  per  dom.  nostruni  ad  ex})lorandum  de  illa  socie- 
ta[te]  gcntium  armonuii  que  veniebant  in  Provinciam,  ipso  recipiente.         X\'  iloren. 

—  Die  eadeni  XIII",  soluti  fuerunt  II  niessageriis  dom.  episcopi  ^'alentin.,  qui 
A  encrunt  de  Romanis  et  Nomaco  ad  significandum  nova  de  Archipresbytero  de  \'eri- 
nis  (n"  283,  fol.  91''  :  «  A^eirinis  »)  et  ejus  consociis  venientibus  in  Provinciam 

XXXI  sol. 

—  Die  XIIII"  dicti  mcnsis,  fuerunt  soluti  II  aliis  niessagei'iis...  (jui  rctulerunt  dic- 
tas gentes  fuisse  apud  \'a!enliam.  l  flor. 

—  Die  XV"  dicti  niensis,  fuerunt  sokdi  Raymunclo  de  Sancto  Michaele  servienti 
arnitu'uni  dom.  nostri  pape  misso  ciun  litlei'is  bullalis  dom.  nostri  pape  ad  dictum 
ai'chipresbiterum  de  Verinis  (n"  283,  fol. 91''  :  «  A'eyrinis  »)  et  dicto  Rebeta  (n^'  283, 
fol.  91'':  «  Ribeta  »),qui  fuit  cum  eo,  pro  expensis  suis.      IX  llor.,  XIII  fol.  V^III  den.  » 

2.  Re(j.  Vat.,  n"  239,  fol.  170  (n"  2'ii  I,  ep.  30,  la  minute)  :  «  Dil.  fdio  nobili  viro 
Arnaldo  de  Cervola,  militi,  salutem,  etc.  Miranter  audivimus  quod  tu  cum  certo 
numéro  hominum  armatorum  ad  partes  Provincie  dirigis  gressus  tuos.  Cum  autem 


ARNAUD  DE  CERVOLE,  13o7,  1 3o8  497 

envoie  sans  tarder  de  nouveaux  observateurs'.  L'Archiprètre  ou 
ses  alliés  répondirent  qu'ils  n'avaient  pas  l'intention  d'entreprendre 
quelque  chose  contre  la  cour  Romaine  ou  contre  les  possessions  de 
TKg-lise,  mais  seulement  contre  Louis,  roi  de  Sicile  2. 

Toutefois  la  situation  devenait  de  plus  en  plus  inquiétante  :  le 
pape,  craig-nant  pour  son  comté  Venaissin  et  pour  Avignon  même, 
écrit  le  21  et  le  25  juillet  à  l'empereur  Charles  IV''',  et  le  24,  au 
roi  prisonnier,  et  aux  cardinaux  Talle\  rand,Capocci  et  Pierre  de  la 
Forêt,  d'insister  à  cet  effet  auprès  du  roi^.  On  avait  grand'peur  à 
Avignon,  car  on  craignait  un  coup  de  main  de  la  part  de  l'Archi- 
prétre.  Avant  le  31  juillet  le  pape  commit  plusieurs  centaines 
d'hommes  cavaliers  et  piétons  à  la  garde  de  la  ville'.  Le  1^''  août, 
il  ordonna  à  l'abbé  de  Psalmodii,  à  Hug^ues  d'Arpajon  et  surtout  au 


comitatus  nostcr  Vcnaysini  eisdem  partil)us  sit  immédiate  conlij;uus  et  intimus, 
nobilitatcm  tuani  attente  requirimiis  et  hortanmr,  tibi  per  apostolica  scripta  man- 
dantes, quatinus  prudenter  considerans  cpiod  advcrsus  in^"adentes,  turbantes,  olï'en- 
dentcs  et  molestantes  terras  ecclesie  Romane  excomnuinicationis  etintcrdicti  et  alie 
sententie  et  penc  spirituales  et  temporales  per  processus  apostolicos  sunt  prolate, 
pro  nostra  et  apostolice  sedis  revcrencia  ab  omni  olîcnsa,  molestia  et  turbatione 
dicti  comitatus  et  aliarum  terrarum  ipsius  ecclesie  abstineas,  et  gentes  que  tecum 
sunt  prohibeas  cum  efl'ectu.  Rescripturus  nobis  tuam  super  hoc  voluntatem.  Datum 
Avinione  xiij  kal.  Augusti,  anno  quinto  ». 

1.  Introït,  et  exil.,  1,  c.  :  «  Die  XVI"  dicti  mensis,  fuerunt  soluti  uni  messagerio 
episcopi  Valentin.,  qui  portavit  litteras  dom.  nostri  pape  dicto  cpiscopo  Y  sol. 

—  Die  XVII"  dicti  mensis,  fuerunt  soluti  Nicolao  de  Murcia  cursoii  pro  expensis 
suis  laciendis  eundo  et  redcimdo  versus  Vicnnam  misso  ad  explorandvmi  de  aliis  gen- 
tibus,  que  dicebantur  venire  post  archipresbiterum  predictum  X  flor.  » 

2.  Vn.LAM,  Istorie,  dans  Muratoui,  XIV,  p.  456,  c.  .S7. 

3.  Reçf.  Vat.,  n"  239,  fol.  160.  Voy.  Werunsky,  n""  449,  453.  La  lettre  du  25  juillet 
dans  RAY.\.\Ln,  Ann.^  1357,  n"  3. 

4.  Reg.  Vat.,  fol.  164",  165'-. 

5.  Introït,  et  exit.,  n"  282,  fol.  236,  ad  Jul.  31  :  «...  Et  est  sciendum  quod  propter 
eminentes  turbaciones,  gucrrarum  connnociones  que  noviter  et  insperate  in  A'enay- 
sino  et  in  Provincia,  Romane  curie  valde  vicina,  supervenerunt.  ex  quibus  in  Avi- 
nione et  in  locis  valde  vicinis  evenire  scandala  vcrisimilitor  timebantur,  dom.  noster 
papa  deliberato  consilio  provide  ordinavit  tenere  ccrtam  gentcm,  tam  equitum  quam 
pcditum  armatorum  ,  ad  stipendia  tam  sua  quam  civitatis  Avinioncnsis  pro  tuicione 
civitatis  Avinioncnsis  et  Romane  curie,  ne  de  facili  patere  posset  incursibus  homi- 
num  malignorum.  Et  inter  cetera  ordinavit  quod  pro  custodia  civitatis  predicte 
tenerenlur  et  haberentur  iiij""  pedites  armati  \-oca(i  briganti,  quibus.  videlicet  ij"'  ex 
eis  solverentiM-  stipendia  de  pecunia  ipsius  domini  nostri,  et  aliis  ij"  de  pecunia  civi- 
tatis predicte  »,  etc.  Suivent  d'autres  dépenses  pour  celte  alTaire.  Le  31  août  ces 
troupes  furent  payées,  et  le  compte  se  trouve  ibid..,  fol.  237.  Mais  on  était  <ibligé  d'en- 
tretenir les  troupes  encore  pendant  Tan  135S,  comme  il  résulte  d'Introït,  et  edit., 
n"  284,  fol.  66  suiv. 


198  LA    GUERRE    DE   CENT   ANS 

recteur  du  Venaissin,  Guillaume  de  RofTillac,  prévôt  du  monastère 
d'Evmuntiers  ^,  la  fortification  des  villes  du  Venaissin  et  la  levée 
de  loO  gens  d'armes  à  cheval  pour  la  proctection  du  comté.  Tous, 
tant  laïques  qu'ecclésiastiques,  devaient  contribuer  aux  dépenses-. 
Mais  il  est  très  douteux  que  l'Arcliiprêtre,  comme  le  disent  plu- 
sieurs^, soit  allé  jusqu'à  Avignon  même.  Le  pape  qui  n'omit  jamais 
de  se  plaindre  et  de  rapporter  les  moindres  particularités  de  cette 
invasion,  ne  dit  pas  un  mot  de  cela.  D'autres  documents  ne  nous  en 
apprennent  rien  non  plus.  Ils  disent  seulement,  quand  l'Archi- 
prétre  était  déjà  entré  en  Provence^  »  qu'on  avait  peur  ».  De 
même,  il  est  aussi  hors  de  doute  que  cette  Cannée  on  commença  la 
fortification  de  la  ville  d'Avignon  "*,  et  qu'on  dépensa  beaucoup 
d'argent  pour  toute  l'affaire. 


1.  Voy,  sur  lui  Cottier,  Notes  hist.  concernant  les  recteurs  du  ci-devant  Comté- 
Vennissin,  p.  67  suiv. 

2.  Re(f.  Vat.,  n"  239,  fol.  170  :  «  Dilectis  filiis  Gaucclino  abbali  monasterii  Psalmo- 
dien,  Nemausen.  dioc,  et  Hu^oni  de  Arpajonc  canonico  Uuthcn.,  subdiacono  nosfro, 
et  Guilleluio  de  Roffilhaco  preposito  Ilaentcn.  niouasterii,  Leniovicen.  dioc,  eccle- 
siarum  comitatus  Venaisini  ad  nos  et  ecclesiam  Romanam  immédiate  spectantis  pro 
nobis  et  ipsa  ecclesia  Romana  rectori,  salutcm,  etc.  De  statu  comitatus  Venaisini  ad 
nos  et  ceci.  Rom.  immédiate  spectantis,  cujus  tu.  fili  Guillelme,  reclor  existis,  attenta 
solicitudine  cogitantes,.,  consulta  nuper  deliberatione  })ro\idimus  comitatum  ipsum 
et  loca  ejus  non  solum  murorum  ambitu  et  aliis  fortalitiis,  scd  armorum  (pioquc  gen- 
tibus  munienda.  Ideocpic  discretioni  vestre  per  apost.  scripta  mandamus  quatenus 
vos  et  quilibet  vestrum  de  locis  dicti  comitatus  forlificandis  vos  summarie  subjec- 
ta  re  oculis  informantes,  ea  que  fortificatione  indigere  cognoveritis  fortificari  cum 
omni  solicitudine  faciatis,  et  nichilominus  centum  quinquaginta  armigeros  équités 
pro  custodia  ipsius  comitatus  agenda  secuiius  conducere  |)ostposita  dilatione  quali- 
bet,  studeatis.  Et  quoniam  hujusmodi  ejusdem  comitatus  custodia,  sicut  laicorum,  sic 
etiam  ecclesiarum  et  personarum  ecclesiasticarum  dicti  comitatus  respicit  interesse, 
volumus  ut  episcopos  et  alios  prelatos  necnon  clericos  et  personas  ecclesiasticas, 
seculares  et  regulares,  exemptas  et  non  exemptas,  Ordinum  quorumcumque  ac  liospi- 
talis  S.  Johan,  Jerosolim.  priores,  preceptores  et  fratres...  dicti  comitatus  ad  fortiti- 
cationem  faciendam  et  stipendia  solvenda  hujusmodi  eisdem  conducendis  equitibus, 
auctoritate  nostra  per  censuram  ecclesiasticam  et  districtionem  que  vobis  expedire 
videbitur  cessante  appellatione  qualibet  compellatis.  Non  obstantibus,  etc.  Dalum 
Avinione  kal.  augusti  anno  quinto.  » 

3.  Voy.  ChÉrest,  p.  50  ;  Luce,  Du  Guesclin,  p.  338.  Mllani,  cité  par  Chérest  pour  son 
opinion,  dit  absolument  le  contraire  ;  d'après  lui  TArchiprètre  est  entré  en  Provence, 
laissant  à  droite  la  ville  d'Avignon.  Voy.  Islorie,  1.  c. 

4.  Le  31  juillet  on  lit  :  «in  Avinione...  evenire  scandala  verisimiliter  timehiintur  ». 
Vo}'.  plus  haut  p.  197,  note  5. 

5.  Introït,  et.  exit.,  1.  c,  fol,  236  :  «  die  XXX  Augusti  soluti  fucrunt  de  mandato 
domini  nostri  pape  .Tohanni  Christofori  de  Luca  et  Poniio  Rigoit  civit.  Avcnion.  pro 
vallntis  et  clnusura  ville  faciendis  ip»is  manualiter  recipientibus  M  iloren.  »  Encore 


ARNAUÛ    DE    GERVOLE,    13îj7,     13^)8  199 

Le  1*""  août,  Innocent  VI  insiste  de  nouveau  auprès  du  dauphin 
pour  qu'il  défende  à  tous  ceux  de  son  royaume  et  du  Dauphiné  de 
rien  entreprendre  contre  la  Provence  ^,  ce  qu'il  fît  en  ell'et.  Dans  une 
lettre  du  3  août  adressée  au  même,  le  pape  exprime  qu'il  espère 
arriver  par  là  à  la  tranquillité.  Mais  dans  ce  temps  d'anarchie  la 
voix  du  dauphin  n'avait  aucune  autorité.  Aussi,  malg-ré  sa  défense, 
plusieurs  nobles  et  communs  du  royaume  et  du  Dauphiné 
envahirent  le  Venaissin  et  y  tirent,  pendant  plusieurs  jours  de 
grands  dommages.  Ensuite  ils  entrèrent  en  Provence,  pillèrent 
surtout  les  villes,  hameaux  et  terres  des  églises.  Les  gens  du  pays 
furent  rançonnés  et  torturés;  plusieurs,  après  avoir  tout  perdu, 
furent  tués  et  leurs  femmes  vilainement  traitées.  Le  pape  s'adresse 
de  nouveau  au  dauphin  afin  qu'il  porte  secours  aux  opprimés  -.  A 
la  même  date  Innocent  s'exprime  pareillement  dans  une  lettre  à 
Charles,  duc  de  Bretagne,  à  qui  il  recommande  d'insister  à  ce  sujet 


le  29  janvier  1358  on  avait  l'ait  des  dépenses  «  pro  valatis  et  clausura  civilatis  Ave- 
nion.  »  {Intr.  et  exit.,  n°  284,  fol.  67'').  Mais  les  murs  n'étaient  pas  encore  achevés  en 
13G1,  comme  il  résulte  d'une  lettre  d'Innocent  VI  du  23  août  1361,  dans  M.vr.THMv,, 
Thés.  nov.  anecd.,  II,  p.  1050. 

1.  Recf.   Vat.,  n"  239,  fol.  166.  Weruxsky,  n°  156. 

2.  Reçf.  Vnt.,  w  239,  fol.  179  :  «  Inspectis  nuper  litteris  tuis,  per  quas  ad  instautiam  nos- 
tram  sub  pénis  formidabilibus  prohibueras  ne  ali({uis  de  re^no  Francr»rum  etDallinalu 
tuo  Viennensi  auderet  adversus  comitatum  Provincie  aliquam  novitatem  noxiam 
attemptare  multo  nos,  fdi,  perfudisti  ^audio  multaciue  letitia  replevisti.  Sperabamus 
enini  a  turbatione  que  nobis  et  curie  curialibusque  nostris  ex  dispositis  rébus  at(pie 
negociis  ut  ferebatur  communiter  et  ipsarum  rerum  probat  exitus  iniminebat  esse 
hujusmodi  prohibitionis  tue  beneficio  liberati.  Sed  hujusmodi  spei  nostre  contrarium 
(pro  dolor)  experimur  elfectum.  Siquidem  nonnulli  nobiles  ac  inferiores  alii  de  regnoet 
Dalfuiatu  predictis  hujusmodi  tua  prohibitione  contempta  ad  comitatum  nostrum 
Venaysini  dicto  comilalui  Provincie  immédiate  contiguum  desccnderunt.  ubi  diebus 
pluribus  commorati  multa,  non  absque  olTensaDei  et  beati  Pétri apostolorumprincipis 
(cujus  est  idem  comitatUs  Venaisini  peculiaris  possessio,  sicut  nosti)  ac  nostra  contu- 
melia,  dampna  ^ravia  inferentes,  tandem  intraverunt  dictum  comitatum  Provincie, 
in  quo  ecclesiarum  precipue  terras,  villas  et  loca  ad  resistcntiam  minus  ydonea  pre- 
dantur,  depopulantur  et  vastant,  ac  pacificas  patrie  yentes  post  bonorum  et  rerum 
spolia  variis  tormentis  aflli^unt  et  ad  redemptiones  importabiles  per  hujusmodi  tor- 
mcnta  compellunt,  nonnullis  exigentibus  ipsis  immaniter  interempfis  ac  nudieribus 
eorum  ignominiose  viliterque  tractatis.  E.x  quo  ultra  cjuam  possit  cxprimi  lin^ua  vel 

calamo  dolcnms  pariteret  tristamur...  Ad  te  igitur Et  quoniam  dilata  spes  animam 

vehementer  affligit,  iteruni  petimus  ut  quaslibet  super  hoc  moras  omnino  succidas  et 
hiis  que  dilectus  filins  Gaufridus  Da\  id  archidiaconus  Tirachie  in  ecclesia  Laudu- 
nensi  lator  jiresentium,  quem  ad  te  signanter  propterea  mittimus.  pro  parte  nostra 
retulerit,  cum  sperate  satisfactionis  et  exauditionis  fructu  adhibeas  plenam  fidem. 
Dalum  A\  inionc  iij  non.  Augusti,  anno  quinto.  » 


200  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

auprès  du  dauphin  ',  comme  le  doivent  faire  aussi  le  conseil  du  roi 
Jean,  Tarchevêque  de   Reims,  Robert  le  Coq,   évêque  de  Laon,  et 
les  évéques   de  Tours,  Nevers,  Théi'ouanne,  et  Robert  de  Lorris-. 
Le  12  août,  Innocent  adresse  au  roi  prisonnier  une  nouvelle  lettre 
dans  laquelle  il  énumère  les  maux  infligés   par  l'Archiprêtre  et  ses 
compag'nons  au  comté  de  Provence.  Les  bandes,  dit-il,  s'attaquent 
surtout    aux    églises    et    aux    ecclésiastiques  ;     certaines    localités 
qui  appartenaient  soit  aux   églises,   soit    aux    monastères   ont   été 
détruites  ou  prises.  ((  Chaque  jour  nous  apprenons  que  les  enfants 
de  rÉglise  sont  inquiétés,  spoliés,  opprimés,  torturés,   décapités  et 
perdent  la  vie   dans  différents  supplices.  Les   hommes  corrompent 
les    vierges,    débauchent   les    femmes,    violentent    les    veuves    et 
portent  leurs  mains  sacrilèges  jusque  sur  les  vierges  consacrées  au 
Seigneur.  Les  fugitifs  ne  trouvent  plus  un  asile  sûr  dans  l'enceinte 
des   lieux  sacrés.  Pour  échapper   à  tant  de  maux,  les   pères  et  les 
mères  se  sauvent  en  abandonnant  leurs  enfants  entre  les  mains  de 
Tennemi  et  les  enfants  s'enfuient  en  abandonnant  leurs  parents.  »  Le 
pape  prie  le  roi  de  faire  ce  qui  est   en  son  pouvoir  pour  conjurer 
tous     ces    dangers  •^    et    commande     aux    cardinaux      Talleyrand, 
Capocci  et  Pierre  de  la  Foret  d'insister  à  cet  effet  auprès  du  roi'*. 
A  l'empereur  Charles  IV,  Innocent  VI  adressa  le  19  août  une  lettre 
de  même  contenu  sur  les  crimes  commis  ])ar  les  bandes  qui  deve- 
naient toujours  plus  nombreuses,  malgré  la  défense  du  dauphin,  et 
pria  l'empereur  d'envoyer  à  ce  dernier  un  messager  avec  une  lettre 
dans  laquelle  il  l'engagerait  à  mettre  tout  en  oeuvre  pour  la  défen- 
sive^*. Le  13  août,  le  pape  lui-même  envoyait  un  message  auprès 

1.  Recf.  Vnt.,  n"  239,  fol.  180.  Les  <<  promotores  detestandi  operisadjiinclis  sibi  com- 
patriolis  aliquibus  »  avaient  déjà  dévaslé  le  Venaissin,  et  continuaient  aI(M's  leur  o'uvre 
dans  la  Provence. 

2.  Ibid.,  fol.  181  à  182''. 

3.  Ibid.,  fol.  176'',  et  débute:  «  Receptis  nui)er  benii;nitate  solita  literis  tuis  o,  etc. 
La  partie  la  plus  importante  de  la  lettre  est  dans  RAv.vAt.n,  yl/ï/i.,  1337,  n"  i,  la  seule 
qu'ait  connue  Ghérf.st,  p.  52. 

4.  Ibid.,  fol.  178. 

5.  Ibid.,  fol.  194  :  «  Si  vellenius,  fdi  carissimc,  horrenda  et  aboniinanda  quelibetque 
in  comitatu  Provincie  a  nonnullis  gentibus  de  diversis  partibus,  sed  de  re^no  Fran- 
corum  et  Dalfînatu  Viennensi  potissime  congregatisinvicem,qualibet  fere  humanitate 
deposita,  committuntur,  firmiter  credimus  et  absque  ulla  dubitatione  tenenius,  quod 
nedum  tua...,  sed  cujuslibet  etiani  impii  et  reprobi  viri  precordia  erga  pauperes  et 
imbelles  gantes  dicti  comitatus,  compassione  ac  pietate  maxima  moverentur...  Si(pii- 


ARNAUD    DE    CEIIVOLE,     1357,    13o8  201 

du  dauphin  pour  en  obtenir  un  mandement  avec  un  sif^ne 
censément  convenu  entre  lui  et  Arnaud  de  Cervole  aiin  que  ce 
dernier  quittât  la  Provence,  car  le  pape  avait  appris  d'un  haut  per- 
sonnage envoyé  auprès  d'iVrnaud  qu'il  promettait  de  quitter  de 
suite  la  Provence  si  le  dauphin  lui  en  envoyait  Tordre  muni  dudit 
signe  ' . 

Rien  de  tout  ceci  n'arriva.  L'Archiprètre  et  ses  trou])es  restèrent 
en  Provence  et  la  dévastèrent  en  continuant  leur  marche  vers  les 
bords  de  la  Méditerranée.  Le  roi  prisonnier  se  proposait,  il  est  vrai, 
au  mois  de  septembre,  d'envoyer  promptement  Boucicaut,  maréchal 
de  France,  contre  rArchiprètre,  ce  qu'il  annonça  lui-même  au  pape 
et  que  confirma  le  cardinal  Talleyrand'-.  Mais,  malgré  la  prière  que 
faisait  Innocent  VI  au  roi  de  hâter  la  venue  du  maréchal  pour  que 


deni,  inclite  princeps,  j>cntes  ipse  quasi  de  hiimanilalc  ])reter  carneni  aliqiiid  non 
liabentes,  loca  et  Ijona  omnia,  sed  ecclcsiaruni  et  monasteriorum  precipue  in  quibus 
nuUa  eis  resistentie  virtiis  opponitur,  occupant,  rapiunt.  prcdantur,  spoliant,  incen- 
dunt,  dcpopulantur  et  vastant,  ac  homicidiis  intente  ac  stragibus,  non  parcunt 
ordini,  sexui  vel  clali,  in  virginibus  stupruni,  adulterium  in  nuptis,  et  in  viduis  vio- 
lentiani  non  aborrent,  nec  ipsis  Deo  dicatis  virginil)iis,  quibus  cclestis  spetiosi  reve- 
rentia  et  ipsa  sacrorum  clausura  locorum  deberet  esse  presidiuni,  deferunt,nec  judea- 
rum  quoquc  feminarum  dctestantur  abusum...  Adicit  ctiam  hiis  plagis  nostris...  dolo- 
ris  aculeuni  ({uod  licet...  Carolus  primogcnitus...  Johannis  régis  Francorum  illustris  . 
dux  Nornianie  nepos  tuus,  prohibuisset  expresse  sub  gravibus  pénis  quod  nullus 
audei'et  ipsum  invadere  aiit  oH'endere  comitatum,  ac  idem  quoque  rex  ipsi  duci  per 
litteras  suas,  quaruni  copiam  mittinius  tibi  presentibus  interclusam,  expresse  man- 
daverit  cjuod  liujusmodi  proliibitionem  suani  dcnuo  iteraret  et  conipesceret  pénis 
strictioribus  qui  attemptarent  aliquid  contra  illani,  tamen  prohibitione  hujusmodi 
(proh  dolor)  vilipensa  gentcs  ipse  continuo  pejora  committunt,  continuo  de  dictis 
regno  et  Dalfinalu  gentcs  alie  cumulantur,  nec  est  qui  prohilieat  aut  corrigat  trans- 
gressores..,  Dat.  Avinionc  xiiij  kal.  Sept,  anno  V".  »  I.a  fin  de  la  lettre  se  trouAc 
dans  Ravxai-i),  Ann.,  1357,  n°  .'i. 

1.  liecf.  Val.,  n"  239  fol.  183''  (n"  2  i  J  I,  ep.  108,  minuta)  :  «  Dil.  filio  Gauirido  David 
arcliidiacono  Tirachie  in  ecclesia  Laudunensi.  Dil.  lilius  nobilis  vir  Arnaldus  de 
Cervola  miles,  unus  ex  dissipatoribus  et  Aastatoribus  hujus  proNincic,  intcr  alia  que 
locutus  fuit  cuidam  magno  viro,  quem  ad  ciun  misimus.  dixit  quod  si  dil.  lilius 
nobilis  vir  Carolus  primogenitus...  Johannis  régis  Francorum  illustris.  dux  \(U'manie, 
mandaret  sibi  cum  intersigno  quod  inter  ducem  et  Arnaldum  predictos  est,  quod 
recederet  de  parlibus  istis,  slalim  discederet  abs((ue  mora.  "S'olumus  ergo  et  discre- 
tioni  tue  districte  pi'ecipiendo  mandamus  quatinus  pcr  omnem  viam  et  modum,  ser- 
vata  tamen  modestia  et  gravitate  débita,  mandatum  cum  intersigno  hujusmodi  stu- 
deas  impetrare.  Datum  Avinionc  idus  Augusti,  anno  quinte.  » 

2.  Gela  résulte  de  la  lettre  du  19  septembre  au  dit  cardinal,  qui  avait  écrit  ({ue  lui- 
nicme  et  les  deux  autres  cardinaux  Capocci  et  Pierre  de  la  Foret  avaient  présenté 
la  lettre  du  pape  au  roi,  lequel  était  bien  attristé  des  méfaits  commis  en  Provence 
{Bec/.  Vnl.,  n"  239,  fol.  217  . 


202  LA  GUERRE    DE    CENT    ANS 

celui-ci  fît  cause  commune  avec  le  roi  Louis  et  la  reine  Jeanne  de 
Sicile  grandement  surchargés  de  dépenses  et  de  dommages^  par 
suite  de  cette  guerre,  Boucicaut  n'arrivait  point. 

A  son  défaut,  Philippe  de  Tarente,  frère  de  Louis,  roi  de  Sicile  et 
gouverneur  général  de  Provence,  conclut  le  30  septembre,  avec  les 
ambassadeurs  du  comte  de  Savoie,  un  traité  d'alliance  offensive  et 
défensive,  traité  arrêté  à  Avignon,  par  lequel  le  comte  devait  four- 
nir immédiatement  un  certain  nombre  d'hommes  d'armes-,  ce  qui 
ne  servit  pas  à  grand'chose.  Le  comte  d'Armagnac,  Jean  I,  qui  crai- 
gnait une  invasion  en  Languedoc,  avait  aussi  conclu  un  traité  d'al- 
liance avec  le  sénéchal  de  Provence,  Foulque  d'Agout,  à  Avignon, 
le  13  septembre'^.  Mais  les  troupes  du  comte  excitaient  presque 
autant  d'inquiétude  que  de  joie  dans  le  camp  royaliste  '\  et,  vers  la 
fin  de  novembre,  le  comte  al:)andonna  brusquement  la  Provence  et 
revint  dans  le  Haut  Languedoc. 

Sur  ces  entrefaites,  Rodolphe,  duc  d'Autriche,  s'offrit  à  porter 
secours,  et  envoya  à  cet  effet  auprès  du  pape  Lambert,  l'abbé  de 
l'abbaye  bénédictine  de  Gengenbach  en  Alsace.  Le  pontife  se  mon- 
tra grandement  touché  de  cette  offre  qu'il  accepta.  Le  IG  décembre. 
Innocent  VI  fit  porter  ses  remerciements  au  duc  d'Autriche  par  son 
nonce  Philippe,  évêque  de  Cavaillon  •"*. 

Mais  toutes   ces  négociations  ne  purent  empêcher  les  brigands 

1.  Reçf.  Vat.,  fol.  216''.  Cf.  Wiîkit.vsky,  n"  362. 

2.  Chkhest,  p.  5i. 

3.  Ilist.  de  Languedoc,  IX,  p.  67  i,  not.  2. 

4.  Ibid.,  p.  55  suiv. 

5.  Be(f.  Vat.,  n"  239,  fol.  24-i  :  «  Dil.  filio  nobili  ^iro  Radulplio  duci  Auslric  salulem, 
etc.  Nuper  dil.  filins  Lamperthus,  abbas  monasterii  de  Gen^enbaco  Ord.  S.  Ben., 
Argentine  diocesis,  tue  magnitudinis  littcras  de  credencia  deferens  nobis  ex  parte 
tua  dévote  retulit,  quod  tu  velud  devotus  ecclesie  Romane  lilius  moleste  fcrens 
quamplurimum,  si  (quod  absit)  eidem  ecclesie  adversitatis  aliquid  inferretur,  propter 
quod  ad  propulsandas  molestias  et  vexationes  indebitas  reprimendas,  que  detestabilis 
quorundam  pestiferorum  societas  illicitis  ausibus  data  licencia  per  invasiones  ostilos 
terrarum  et  locorum  Romane  curie  circumadjacentium  pacis  tranquillilatem  turbare 
multipliciter  moliuntur,  castjue  de  partium  istarum  finibus  absque  more  dispendio  si 
oporteat  te  gratis  et  libère  ofïerebas.  Tuam  igitur  et  antiquam  tui  generis  devotio- 
nem  quam  ad  prefatam  ecclesiam  gessisti  hactenus  atque  geris,  dignis  in  Domino 
laudibus  comniendantes,  tueque  sinceritatis  oblacioncm  laudabileni  acceptantes, 
super  hiis  tibi  referimus  graciarum  uberes  actiones...  Ceterum  nobilitateni  tuam 
rogamus  attente,  quatenus  ven.  fratri  nostro  Philippo,  episcopo  Cavallicensi,  in  par- 
tibus  ipsis  apostolice  sedis  nuncio,  in  hiis  in  quibus  pro  felici  expedicionc  sibi  coni- 
missi   negocii,  tui  favoris  auxilium  requirendum  duxerit,    ob  nostram  et  apostolice 


AKNAUD  DK  CERTOLE,  1357,  VM)H  203 

d'occuper  les  deux  châteaux  de  Lagnes  et  Cabrières-d'Avignon  ' 
dans  le  Venaissin,  sui-  les  confins  de  la  Provence,  vers  la  fin  de 
l'an  1357.  On  craig-nait  encore  pour  les  châteaux  de  Saumanes,  de 
Bonnieux,  d'Oppède  et  de  Ménerbes  -. 

Dès  les  premiers  jours  de  janvier  1358,  TArchiprètre  et  ses  alliés, 
particulièrement  Antoine  des  Baux,  prévôt  de  l'église  de  Marseille, 
jugèrent  possible  de  tenter  un  mouvement  décisif  et  d'attaquer  les 
grandes  cités  de  la  Provence.  A  la  tète  de  cinq  mille  hommes, 
tant  à  pied  ([u'à  cheval,  ils  s'emparèrent  de  places  fortes  et  de 
châteaux  tombés  un  instant  aux  mains  du  comte  d'x\rmagnac,  et  de 
plus,  de  Saint-Maximin.  L'Archiprêtre  même  mit  le  siège  devant 
la  ville  d'Aix.  Les  Marseillais  effrayés  sacrifièrent  leurs  faubourgs 
aux  nécessités  de  la  défense^. 

Le  sort  des  monastères  était  déplorable.  Nous  possédons  là-des- 
sus des  documents  encore  inconnus.  Pendant  que  l'abbesse  et  les 
sœurs  de  Sainte-Claire,  dans  les  faubourgs  de  Marseille,  se  sau- 
vaient, de  peur  des  ennemis,  leur  célèbre  monastère  et  l'église 
furent  détruits,  et  ce  n'est  qu'en  13G3  qu'elles  obtinrent  du  pape 
Urbain  V  la  permission  de  reconstruire  dans  la  ville  un  nouveau 
couvent  et  une  nouvelle   église  ^.  A  cette  occasion,  les  Ermites  de 

sedis  rcvercnciam,  vclis  illucl  favorabilitcr  impei'liri...  Daliim  Avinione  xvij  kal. 
Januai'ii  anno  quinto  ».  Voy.  encore  une  autre  lettre  adressée  au  même,  ihid., 
fol.  234''. 

1.  Inlr.et  exil.,  n"  284,  fol.  66  :  «  plures  ribaldi  coni>regati  de  Provincia  ceperant 
castra  de  Laneis  et  de  Gapreriis  ».  On  devait  augmenter  les  j^ens  d'annes  pour 
(juinze  jours,  a  quia  intérim  dioti  ribaldi  dimiscrunt  dicta  loca  »,  ad  an.  l.'iôS, 
.Tan.   1. 

2.  Inlroit.  el  exil.,  n°  283,  fol.  122,  ad  an.  1357,  Decemh.  29. 

3.  (]hkhkst,  p.  56  suiv. 

■4.  Siippl.  Urh.  V,  n°  37,  fol.  23'',  ad  an.  1363,  Maii  12  :  «  Sanctitati  Vestrepro  parte 
humilium  et  devotarum  filiarum  vcstrarum  abbatisse  et  convenlus  monasterii  sancte 
Clare  de  Massilia  exponitur,  quod  dudum  causante  ini([uarum  societatum  ignavia. 
satagentium  Provinciam  et  civitatem  predictam  Massilie  tiranica  rabie  et  rapaci  pro- 
tcrvia  sibi  ipsis  dampnabiliter  subjugare,  ut  ipsarum  relijiiosarum  dampnande  pudo- 
ris  contaminatio  vitaretur,  et  earum  honestati  provideretur  Altissimo  dispensa'n]le, 
monialibus  ipsis  ita  ipsam  civitatem  propter  tune  frementia  orrenda  discrimina 
fugientibus  et  se  salvantibus,  monasterium  ipsarum,  quod  extra  menia  civitatis  cum 
ecclesia  solennc  habe])ant,  ductum  fuit  précipite  in  ruinam.  Propterea  eidem  bentilu- 
dini  humiliter  supplicant..,  ut  ipse  auctoritate  apostolica  possint  construere  et  edifi- 
care  infra  muros  dicte  civitatis  unum  monasterium  cum  ecclesia  et  cimiterium...  Fiat- 
B.  — Dat.  Avinione  IV  id.  Maii  anno  primo.  »  —  La  bulle  sur  ce  sujet  est  dans  Heff. 
Vnt.,  n°  252,  fol.  101''.  Le  pape  accordait  aussi  des  indulgences.  Ihid.,  fol.  113.  Déjà 
le  6  janvier  les  sœurs  avaient  envoyé  une  suppliciue  au  Saint-Père.  SuppL,  n"  35. 
fol.  39". 


204  LA    GUERRE    DE    CENT  ANS 

Saint- Augustin  perdirent  aussi  leur  ancienne  habitation  hors  de  la 
ville;  ils  se  retirèrent  dans  une  maison  sans  église  située  dans  la 
ville  même,  et  durent  se  contenter  d'une  chapelle  concédée  par  les 
hospitaliers  de  Saint-Jean'.  Les  religieuses  cisterciennes  de  Saint- 
Pons,  près  de  Geménos  %  quittèrent  également  leur  ancienne  abbaye 
et  se  fixèrent  dans  la  ville  de  Marseille,  où  elles  étaient  encore  en 
1384,  n'ayant  pour  église  qu'une  chapelle'^.  On  comprend  facile- 
ment que  les  reliquaires  et  autres  choses  précieuses  n'étaient  point 
en  sûreté  ;  pour  les  sauver,  il  fallait  toujours  les  transjDorter  des 
faubourgs  dans  l'intérieur  de  la  cité,  comme  le  firent  les  moines  de 
Saint-Victor  hors  de  la  ville  ^.  A  Saint-Maximin,  les  reliques  de 
sainte  Madeleine  furent  enlevées  secrètement  de  leur  châsse  d'ar- 
gent et  transportées  à  la  Sainte-Baume.' Leur  retour  à  Saint-Maxi- 
min n'eut  lieu  qu'en  13()0"^.  Le  couvent  même  des  Dominicains  fut 
pris   et  maltraité  parles  envahisseurs^. 

Dans  la  ville  d'Aix  assiégée  par  l'xVrchiprêtre,  les  religieux  ne 
furent  pas  moins  à  plaindre.  Ceux  des  couvents  situés  hors  de  la 
ville  furent  détruits  par  les  Aixois  eux-mêmes,  afin  de  ne  laisser 
aucun  point  d'appui  à  rennemi.  Tel  fut  le  sort  des  Carmes^,  des 
religieuses  de  Sainte-Glaire'"^  et  dés  Dominicaines  de  Nazaret.  Gelles- 
ci  furent  en  proie  à  une  grande  détresse.  Elles  ne  trouvèrent  provi- 
soirement d'autre  refuge  dans  la  ville  qu'auprès  des  Frères,  jusqu'à 
ce  que  le  nouveau  couvent  fût  bâti.  A  cet  effet,  elles  vendirent 
tous   les  joyaux,  les  calices  et  les  ornements -^ 

Les  religieux  établis  hors  de  Nîmes  n'eurent  pas  un  meilleur 
sort.  Les  gens  de  l'Archiprêtre  ne  trouvaient  plus  matière  à  pillage 


1.  Reff.   Vnt.  Urh.  V,  no  2G1,  fol.  182",  ad  1365,  Aug.  21. 

2.  Ms.  :  «  prope  (iemium  ». 

3.  lieg.  Vnl.  Cleinenl.  VU,  n"  295,  fol.  0.  ad  an.  1384.  Martii  23.  Il  di(  «  qnod  olim 
proptei'  guerras  que  in  dictis  partibus  notoric  c.xistebanl  »,  etc.  Selon  (inll.  c/jr/.v/.. 
I,  690,  Tabbesse  Ysoarde  obtint  une  habitation  dans  la  ville  en  1357. 

4.  lîecj.  Val.  Greg.  XI,  n"  287,  fol.  95'',  ad  an.  1376,  Jun.  16. 

5.  Albaisks,  Le  couvent  royal  de  Sninl-Maximin  en  Provence  (1880),  p.  98. 

6.  Ainsi  parlait  la  reine  Jeanne  dix-huit  ans  plus  tard.  Faii.lox,  Monuments  inédits 
sur  Vapostolai  de  sainte  Marie-Madeleine,  II,  p.  989. 

7.  Suppl.  Innocent.  VI,  n°  31,  fol.  52  et  Reg.  Aven.  Innocent.,  n°  24,  fol.  275,  ad 
an.  1360,  MaHii  24. 

8.  Suppl.  Lrban.  V,  n"  34,  fol.  88,  ad  an.  1362,  Dcoemb.  6. 

9.  Ihid.,n°  39,  fol.  211,  ad  an.  1364,  Febr.  15. 


AKNAUD  DE  CERVOLE,  1357,  i  3o8  20o 

dans  la  Provence,  parce  que  les  paysans  eux-niômes  détruisaient 
leurs  g-rains,  leurs  bestiaux,  leurs  fourrai^es,  tout  ce  qui  pouvait 
servir  au  ravitaillement  des  routiers  ^  Le  sénéchal  de  Provence 
avait  noué  des  intrigues  avec  les  gens  de  l'Archiprétre  pour  les 
faire  passer  en  Languedoc.  L'Archiprétre  même  avertit  du  danger 
les  consuls  de  Nîmes,  par  une  lettre  écrite  près  d'Aix  le  30  mars 
1358-.  La  lettre  ayjint  été  lue  dans  une  assemblée  de  la  ville,  le 
2  avril,  il  fut  pris  une  délibération  (jui  n'avait  pour  objet  que  la 
défense  de  la  ville,  en  renforçant  les  murailles.  Le  conseil  ordonna 
entre  autres  qu'on  abattît  tous  les  édifices  du  dehors  qui  pouvaient 
nuire  à  la  sûreté  des  portes.  Et  c'est  ainsi  que  les  monastères  et  les 
ég-lises  des  Frères  Prêcheurs  et  des  Mineurs  furent  détruits,  et  les 
religieux  transférés  dans  la  ville  ^. 

Dans  les  localités  susdites,  comme  aussi  dans  les  suivantes, 
ce  furent  surtout  les  Ordres  mendiants  ayant  leurs  couvents  en 
dehors  des  fortifications,  qui  furent  plus  malheureusement  exposés. 
La  crainte  de  Tennemi,  qui  cependant  ne  s'avançait  pas  toujours  jus- 
que là,  poussa  les  magistrats  des  villes  à  faire  démolir  ces  construc- 
tions, soit  entièrement,  soit  au  moins  en  partie,  pour  éloigner  le 
danger,  que  leur  existence  pouvait  causer  aux  villes  mêmes.  Ainsi 
en  arriva-t-il  aux  Frères  Mineurs  hors  de  Tarascon  du  diocèse 
d'Avignon'',  et  près  de  Brignoles  du  diocèse  d'Aix^,  aux  Clarisses 
et  aux  Frères  Prêcheurs  d'Arles  ^,  aux  Frères  Mineurs  de  Trinque- 

1.  Bai.i/i:,  Vil.  pnj).  Aven.,  I.  p.  331  suiv.  ;  Ciikrest,  p.  58. 

2.  Mk.naiu),  Ilist.  de  la  ville  de  Ximes,  II,  p.  161.  et  preuves,  n"  112:  Cfikkkst.  p.  58. 

3.  Mi':\.M{r),  1.  c.  Innocent  VI  écrit  le  8  mars  1361  aux  Frères  Mineui's  cîe  Nîmes: 
<i  edifîcia  loci  Acstri,  qucm  extra  ci\itatem  Xemausensem  hahebatis,  proi^ter  yuerra- 
riun  discrimina  l'uei'unt  pro  majore  parte  diruta  ».  Rer/.  Aven.  Innoccndi  17.  n"  25, 
fol.  379. 

1.  Reçf.  Aven.  Innoc.VL  n"  28,  loi.  55i'',  ad  an.  13()2,  Aw^.  30  :  «  ...  locus  vester 
olini  extra  menia  castri  Terrasconis  Avinionen.  dioc.  situatus,  occasionc  ^uerrarum... 
adco  destructus  existit  quod...  inhabitabilis  est  elTcctus  ». 

5.  Ibid.,  n"  29,  fol.  562,  ad  an.  1362.  Martii  30  :  «  propter  jiuerrarum  discrimina  cpie 
in  provincia  Provincie...  proximis  temi)orihus  viiiuerunt  et  tiinentiu-  etiam  in  fulu- 
rum  »,  etc. 

6.  Ibid.,  fol.  562,  ad  an.  1362,  April.  5,  pour  les  ('tarisses:  n°  25.  fol.  i33'',  ad  an, 
1361,  Sept.  8,  pour  les  Prêcheurs;  leur  courent  fut  détruit  par  ordre  du  ma^iistrat.  «  et 
deinde  antiqua  ecclesia  per  quosdam  iniquitatis  lilios  cum  omnibus  cditiciis  dicti  loci 
ijçnis  incendie  concrcniata  et  lajiides  ipsius  loci  ad  fortificationcm  diclorum  meniuni 
(civitatis  Arelaten.'^  conversi  fuerunt  ».  A  proj^os  des  Clarisses  vo\'.  m-:  Xoiu.e  L.vi..vu- 
ziÈuE,  Abrégé  de  l'hist.  d'Arles  i^l808),  p.  237.  ad  an.  1360. 


206  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

taille  dans  l'île  du  Rhône  en  face  d'Arles  ^,  et  aux  mêmes  à  Beau- 
caire-,  du  diocèse  d'Arles.  Dans  tous  ces  cas,  les  religieux  obtinrent 
de  nouvelles  habitations  dans  les  villes  respectives. 

J'ajoute  qu'aussi  les  Bénédictines  de  Saint-Césaire  d'Arles  per- 
dirent leurs  maisons  et  un  terrain  de  la  valeur  de  mille  florins  d'or,  à 
cause  de  la  conctruction  de  nouvelles  fortifications^. 

Dans  la  suite  plusieurs  de  ces  religieux  furent  bien  inquiétés. 
En  1367,  lorsque  le  pape  Urbain  V  se  prépara  à  retourner  à  Rome, 
les  autorités  d'Arles  décidèrent  de  chasser  les  Clarisses  de  leur 
monastère  aussitôt  après  le  départ  du  pape^.  Les  Prêcheurs 
n'avaient  pas  reçu  dans  cette  ville  une  habitation  suffisante  et  con- 
venable, et  le  voisinage  des  juifs  n'était  pas  à  leur  gré  \  A  Beau- 

1.  Re(j.  Aven.  Innoc.  VI.,  n"  24,  fol.  486'',  ad  an.  1360,  April.  10  :  Le  couvent  «  de 
Trincataliis  »  n'clail  pas  encore  délruil,  mais  «  si  j^uerra  hujusniodi  in  ipsis  partibus 
invalesceret,  locus  vesler  predictus  cuni  villa  ibi  existentc  j)ro  dicte  civitatis  et  reipu- 
blice  sccuritate  diruerctur  ex  toto  »,  el  les  IVères  étaient  obliji,és,  «  proxime  lapsis 
teniporibus  »,  de  rester  ({uelquefois  à  Arles,  «  propter  ^uerraruni  discrimina.  »  Ray- 
mond  des  lîaux  donna  aux    Mineurs  son   château  de  la  Carbonière.  Voy.  dk  noble 

LALArZIHUK,  1.  c. 

2.  Ibifl..  n"  25,  fol.  3S3,  ad  an.  1361,  Martii  10  :  «  Edificia  loci  vestri  extra  menia 
loci  de  Bcllicadro...  pro  majori  parle  diruta,  »  etc.  Les  murailles  de  Beaucaire  furent 
reconstruites  en  13r)S.  Ilist.  de  Languedoc,  X,  n"  459. 

3.  Beg.  Vat.  Urb.  V,  n°  254,  fol.  141,  ad  an.  1365,  Maii  17  :  «  Dil.  fil.  officiali 
Xemausen.  salutem.,  etc.  Exhibita  nobis  i)ro  parte  dil.  in  (^hristo  filiarum  Guillelme 
abbatissect  conventus  monasterii  S.  (^esarii  Arelaten.  ().  S,  B.petilio  continebat  quod 
olim  dil.  filii  sindici  et  commune  civitatis  Arelaten.,  dum  pro  ipsius  civitatis  fortifica- 
tione  novos  muros  construi  et  carrerias  ju.xta  eos  fieri  circa  civitatem  pref.  fecerunt, 
in  conslructione  hujusmodi  domos  et  edificia  monasterii  j^i'cdicti  destruxerunt  et  de 
fundo  cjusdem  mon.  tantum  occuparunt,  quod  mon.  ipsum  in  valore  mille  lïoren.  auri 
et  ultra  dampnificarunt.  [C.ommittit  ut,  praevia  informatione,  reducat  favore  earum- 
dem  taxationem  pro  conti'ibutione  conslructionis  ])raedictae  a  sindico  et  conmiimc  in 
centum  llor.  imposilam  et  a  (iuillelmo  archiepiscopo  Arelaten.  in  ducentos  et  Iri- 
j^inta  llorenos  au^mentatam]  Dal.  Avinione  XVI  kal.  Junii  anno  tertio  ». 

4.  Ibid..  n"  256,  fol.  45.  ad  an.  1367,  April.  21  :  «  Dil.  in  Chrislo  filiabus..  abbatissc 
et  conventui  mon.  nujnialium  S.  Clare  Arelaten.  Ord.  ejusdem  sancte,  salutem,  etc. 
Sacrosancta  rom.  ecclcsia,  etc.  Sane  pctitio  pro  parte  vcstra  nobis  nu])er  exliibita 
continebat  quod  dil  filii..  sindici  et  commune  civitatis  Arelaten.  vobis  minantur  (|uod 
postquam  nos  erimus  in  remotis,  ad  quod  nos  paranuis,  de  prefata  ci\itate  Arelaten. 
et  vestro  monasterio  vos  expellent...  [Ipsas  ac  ipsarum  bona,  ad  supiîlicationem 
earumdem,  sub  sua  et  S.  Pétri  protectione  suscipit;  mandans  dictis  sindicis  et  com 
muni  ne  illas  molestent,  nec  de  civitate  et  monasterio  expcUant.]  Dat.  Avinione  XI 
kal.  Maii  anno  (juinto  ». 

5.  Reg.  Vnl.  Gregorli  XI,  n°  283,  fol.  103'',ad  an.  1372,Julii  26  :  «  Dil.  lil.  oiliciali 
Arelaten.  salutem,  etc. Exhibita  nobis  pi'O  parte  dil.  filior.  prioris  et  fralrum  Ord. 
Prédicat.  Arelaten.  petitio  continebat  ((uod  ipsi,  qui  olim  extra  nuu'os  Arelaten. 
locum  et  ecclesiam  solempnes,  (jui  propter  guerras  que  in  illis  partibus  viyuerunt 
penitus  sunt  destructi,  haberc  solebant,  alium  locum   infra  ci^'itatcm   Arelaten.  i  n 


ARNAUD  DE  CKUVOLE,  1357,  i'i.'nS  207 

Caire,  les  Mineurs  eurent  une  longue  querelle  avec  le  prieur  Hugues 
Séguin  et  le  prieuré  des  Bénédictins,  parce  qu'ils  s'étaient  établis 
trop  près  de  l'église  paroissiale  des  Bénédictins  K 

Le  pays  complètement  épuisé  n'avait  plus  d'attraits  pour  l'Ar- 
chiprêtre  et  ses  troupes.  Leur  soif  de  gain  restait  inassouvie.  Une 
invitation  du  dauphin  Charles  à  entrer  lui  et  ses  bandes  au  service 
de  la  France  contre  ses  ennemis,  arriva  donc  tout  à  souhait-. 
Arnaud  alla  en  France  et  nous  le  retrouvons  en  juin  ou  plutôt  en 
juillet  autour  du  dauphin  pour  combattre  Etienne  Marcel  et  les 
bourgeois  de  Paris  '\  Ainsi  se  réalisa  le  souhait  qu'Innocent  VI 
avait,  comme  nous  l'avons  vu,  exprimé  à  dilïerentes  reprises  au 
dauphin,  dès  l'an  1357,  de  rappeler  de  Provence  l'Archiprêtre  et 
ses  bandes.  Ce  fut  à  coup  sûr  de  concert  avec  le  dauphin  qu'ensuite 
Marguerite  de  France,  fdle  de  Philippe  le  Long  et  mère  de  Louis 
de  Maie,  comte  de  Nevers,  lui  confia  la  défense  du  Nivernais  contre 
les  Compagnies^. 

Cependant  Arnaud  retourna  pour  le  moment  en  Provence  ',  qu'il 

quodam  anj>iilo  civiiatis  ejusdem  lej;ilime  acquisivcrunt,  qui  adeo  artus  et  slrictus 
cxisLit  quod  ^■ix  valent  in  co  decenter  ut  expedit  conimorari,  et  quod  propter  hospi- 
tia  judeoruni  in  dicta  civitate  coniniorantiuni  eideni  loco  conj;rua,  ad  IVatres  et 
locuni  predictos  indeccns  habetur  accessus,  quodque  in  vico,  in  quo  judei  ipsi  inlud)i- 
tant,  propc  locum  eundcm,  est  quedani  donius  ad  perpetuam  capellaniam  B.  Marie 
in  ecclesia  Vallisviridis  Nemausen.dioc.  per  i'e.  rec.Johannen  papamXXIl  predecesso- 
reni  nostruni  canonice  instilulani  pcrtincns.  [Conimittit  supradicto  ut  liujusmodi 
doniinium  recipiendi,  datis  cai)ellano  caiicllanie,  causa  i)erniutationis,  aliis  redditibus, 
diclis  priori  et  IVatiilDus  liccutiani  concédât].  Datum  apud  Villaninovam  Avinionen. 
dioc,  VII  kal.  Augusti  anno  secundo  ». 

1.  Jiey.  Vni.  JJrh.  V,  n"  257,  fol.  oO  àô'i,  avec  tous  les  instruments  nécessaires  insé- 
rés («  Uatuni  et  actuni  apud  INIontemflasconeni  Halneoregen.  dioc.  iiij  id.  Junii  an. 
sexto  »,  1368,  Junii  10). 

2.  ViLLAM,  /s<07'/e,  dans  Muhatoiu,  .Scr/j>/..  XI\',  p.  52(3,  c.  96  :  «  Conie  il  ])acsc 
s'apparecchia^  a  a  nuova  guerra  per  Toperazioni  del  re  di  Xavarra,  la  conq)agna,  clie 
lunganiente  era  stata  in  Proenza,  c  havevasi  assai  terre  acquistale,  vedendo.  chc 
poco  avanzavano  slando  (iui\i,  et  essendo  parte  di  loro  richiesti  dal  Dalllno,  si)eran- 
dosi  più  avanzare  nelle  guerre  di  Francia,  che  nella  povertà  di  Proenza,  presono  per 
parlito  di  partirsi  ;  c  tratta^•ono  co'  i)aesani  d'andare.  e  di  rendere  le  terre  c  le  cas- 
tella,  che  havieno  prese.  E  venuli  a  concordia,  hebbono  XX  mila  fiorini  d'oi-o.  e 
catuno  se  n'andô  (love  li  ])iac(iue  ;  e  lasciarono  il  paese  di  Proenza,  ove  erano  slali 
predando  le  paesani  e  allligendo  più  di  XA'II  niesi  continui  in  guastanicnto  del 
paese  ». 

3.  Citron,  des  qnnfre  premiers  ^';dois.  p.  80.  Voy.  plus  luuil.  p.  163  suiv. 
i.   CnKRi:sT,  p.  6lj,  70. 

5.  La  2"  Vie  d'Innocent  VI  dans  13am  zi:.  1.  c,  p.  351  parle  aussi  de  ce  retour  :  mais 
ce  l'ait  y  est  mêlé  a\ec  des  ei-reurs. 


208  LA    GUERRE   DE    CENT    AINS 

n'entendait  pas  abandonner  ainsi  à  la  lég-ère,  sans  le  moindre 
dédommagement.  L'intermédiaire  entre  lui  et  les  Provençaux  fut 
encore  Innocent  YI.  Un  accord  intervint,  en  vertu  duquel  TArchi- 
prêtre  s'engageait  à  c[uitter  la  Provence  moyennant  une  certaine 
somme  que  les  Provençaux  promettaient  d'acquitter.  Sans  attendre 
ce  payement,  Arnaud  remit  aux  mains  d'Innocent  les  châteaux  et 
places  fortes  qu'il  occupait,  à  la  condition  que  si,  dans  le  délai 
convenu,  la  rançon  n'était  pas  soldée,  le  gage  reviendrait  à  l'Archi- 
prêtre  K 

Ce  récit  de  la  Clironique  romane  est  en  partie  confirmé,  en  jDartie 
aussi  complété  et  rectifié  par  deux  lettres  inédites  d'Innocent  VI. 
L'une  d'elles,  datée  du  3  se])tembre  1358,  nous  apprend  que  le  traité 
avec  les  bandes  des  gens  d'armes  était  déjà  conclu  avant  cette  date 
et  qu'ils  avaient  occupé  plusieurs  châteaux  non  seulement  dans  les 
comtés  de  Forcalquier  et  de  la  Provence,  mais  encore  quelques 
autres  du  Comtat-Venaissin.  Sont  nommés  entre  autres  :  les  châ- 
teaux de  Saint-Martin-la-Brasque,  Cucuron,  Lauris,  La  Tour 
d'Aiguës,  Curel,  hi  Bastide-des-Jourdains,  Montlaux.  Châteauneuf- 
Miravail,  Reillanne,  Saint-Maime,  Montjustin,Montfuron,Labarben, 
Graveson,  Eguilles,  etc.  Le  pape  charge  ensuite  ral)bé  de  Saint-Vic- 
tor de  Marseille  et  Jean  Ferdinand  de  Hérédia,  châtelain d'Emposte, 
de  se  rendre  auxdits  châteaux  qui  lui  avaient  été  cédés  sous  cer- 
taines conditions  en  vertu  du  traité,  et  d'en  confier  proA'isoirement  la 
ii^arde  à  certains  seiii^neurs  nommés  dans  sa  lettre  ou  à  d'autres 
personnes  capables,  et  cela  au  nom  du  Souverain  Pontife  lui-même  ■^. 


1.  La  Chron.  Romane  cinns  Petit  Thalnmus,p.  352.Villam  parle  de 20.000  fïor.  d'or; 
hebdorfens.,  éd.  Boii>ii:h,  Font.  rer.  (jerni.,  IW  565,  de  2  5.000  ;  Fuoissaut,  \ ,  p.  94  de 
40.000  écus.  Du  reste,  dans  le  récit  de  Fi'oissart  l'imagination,  comme  partout  ailleurs, 
joue  un  grand  rôle.  D'après  lui  c'est  le  pape  môme  ({ui  s'engagea  à  payer  la  sonune  ,^l 
pour  se  débarrasser  plus  facilement  de  l'iVrchiprctre  le  pape  l'aurait  reçu  avec  res- 
pect comme  s'il  eût  été  fils  du  roi  de  France,  l'invitant  ]>hisicurs  fois  à  dîner  dans 
son  i)alais.  Froissart  est  comme  Chérest  un  ami  de  l'Arcliiprètre. 

2.  Hecf.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  18,  fol.  70;  V.il..  n"  23;3.  fol.  3'"  :  Dil.  fil.  Stephano 
ciJDbati  mon.  S.  ^'ictoris  Massilien.  et  Johanni  Ferdinandi  castellano  Fmposte  hospi- 
talis  S.  Johannis  lerosol..  ap.  sedis  nunliis,  salutem,  etc.  Nuper  ad  oh^■iandum  gravi- 
bus  animarum  ])ericulis,  i)ersonarum  excidiis  et  rerum  dispendiis  que  ex  dura  guer- 
rarum  connnotione  dudum  inter  dil.  filios  proA  incie  Provincie  et  Folcalquerii  comi- 
tatuum  incolas  et  habilatores  et  gentes  quasdam  alias  inibi  existentes  ac  societalem 
({uandam  facientes,  inimico  hominis  faciente,  suborta  evenire  vcrisimiliter  timeban- 
tur,  et  super  illis   que  jam  e vénérant,  providendum,   certus   tractatus  concordie  et 


ARNAUD  DE  CERVOLE,  i3o7,  1358  209 

La  seconde  lettre  est  datée  du  23  octobre.  Il  en  résulte  que  par 
ordre  du  pape  on  avait  payé  une  somme  de  mille  florins  d'or  à  la 
Compagnie  des  gens  d'armes  pour  qu'elle  quittât  la  Provence. 
Cette  somme  devait  être  remboursée  avant  le  l'^'"  mars  1359  par  le 
sénéchal  et  les  communautés  de  Provence.  Ce  ne  furent  donc  pas 
40.000,  ni  20.000  écus  que  le  pape  avait  payés  pour  les  Proven- 
çaux, mais  1.000  florins  d'or.  Cette  même  lettre  est  aussi,  autant 
que  je  sache,  le  premier  document  relatif  à  la  France,  dans  lequel 
se  rencontre  l'expression  de  <(  magna  societas  armigerorum  )>,  c'est-  / 
à-dire  la  Grande  Compagnie  ^. 


pacis  interipsos  incolas,  habitatores  et  génies,  nobis  ad  id  spem  et  operam  dantibus, 
liabitus  et  l'actus  extitit,  in  quo  luit  inter  alia  ordinatum  quod  nos  Giavisonis,  de 
Laberbent  et  Aculee  provincie  Provincie,  ac  de  Laureis,  deTurre-Ayguesii,  de  Corello, 
de  Gucurono,  Sancti  Martini  de  Brasca,  et  dictuni  Bastida  Jordanorum,  de  Monte- 
furono,  Sancte  Aculee,  Montisjustini  et  Rellanie,  de  Sancto  Mayme,  de  Ungulla, 
Montislauri,  Sancti  Mari,  Vallisolee,  et  de  Saderono,  castra  Folcalquerii  comitatuum 
predictorum  et  alia  castra  ac  terras  et  loca  quecumque  ipsorum  comitatuum  per  gen- 
tes  predictas  occasione  guen*arum  hujusmodi  occupata,  ad  manus  nostras  recipere- 
mus,  ac  certis  modo  et  forma  in  ipso  tractatu  contentis  teneremus  et  custodiri  nostro 
nomine  faceremus.  Nos  igitur,  ut  tractatus  hujusmodi  laudabilem  prout  in  votis 
gerimus,  consequatur  elTectum,  ad  executionem  ordinationis  ejusdem  procedere 
volentes,  discretioni  vestre...  mandamus  quatenus  vos  vel  alter  vestrum  ad  castra, 
terras,  et  loca  predicta  vos  personaliter  conferentes  illa  ad  manus  nostras  recipere, 
nec  non  dil.  fîliis  nob.  viris  Johanni  Gaucelini  Romanini,  Gravisonis,  Guiraudo  Amici 
Castrinovi,  de  Venayssino  castroruni,  Aculee,  Jacobo  Albe  Ruppismartine,  de 
Laberbent,  Johanni  de  Sabrano  Ansarsii,  locorum  dominis,  de  Laureis  et  de  Turre 
Ayguesii  et  de  Corello,  Bermundo  de  Voûta  Sancti  Martini  de  Brasca  et  dictum  Bas- 
tida, Georgio  de  Launcello,  de  Montefurono,  Alziasio  de  Auraysone,  Sancte  Aculee, 
Guillelnio  Ogerii  de  Folchalquerio  Montisjustini  et  Rellanie,  Jacobo  de  Villamuris, 
de  Sant  Mayne  et  de  Ungula,  Guiranno  de  Simiana  Montislauri,  et  Resortiaco  de 
Agonto,  militibus,  Sancti  Mari  et  de  Saderono,  et  Roberto  de  Cadeneto,  domicello, 
Avinion.,  Gavallicen.,  Apten.,  Sistaricen.,  et  Regen.  dioc,  de  Gucurono,  castra  pre- 
dicta si  ea  recipere  voluerint  et  potuerint,  alioquin  ea  et  etiam  alia  castra  terras  et 
loca,  per  dictas  gentes  occupata,  aliis  personis  ad  hec  suffîcientibus  et  idoneis, 
prout  vobis  videbitur,  tenenda  et  custodienda  pro  nobis  et  nostro  nomine,  donec 
super  hiis  aliud  duxerimus  ordinandum,  committere  et  tradere  auctoritate  nostra 
curetis,  in  premissis  taliter  vos  habentes  quod  vestram  solicitudineni  et  diligentiam 
possimus  exinde  non  immerito  commendare.  Dat.  Avinione  iij  non.  Septembris  anno 
VL 

1.  Arch.  Vat.,  Instrum.  miscell.  an.  1358  :  Innocentius...  dil.  fil.  Nicolao,  sancte 
Marie  in  Via  lata  dyacono  cardinali,  salutem,  etc.  Cum  tu  olim  ad  nostre  requisitio- 
nis  instantiam  de  tuis  pecuniis  mutuaveris  atque  tradideris  dil.  filio  magistro  Guil- 
lermo  de  Benevento,  archidiacono  de  Ardena  in  ecclesia  Leodien.  et  clerico  camerc 
apostolice,  nomine  nostro  et  ipsius  camere  recipienti  florenos  mille  auri,  qui  per 
ipsum  Guillermum  vel  alium  seu  alios  magne  societati  armigerarum  gentium,  que 
proxime  lapsis  temporibus  provinciam  Provincie  hostiliter  invaserunt,  ad  hoc  ut  de 
R.-P.   De.vikle.  —  Desolatio  ecclesiaruiu  II.  14 


210  LA    CxUERRE    DE    CENT    ANS 

Quelques  jours  après,  le  29  septembre  ^,  l'Archiprêtre  avec  ses 
troupes  quitta  pour  toujours  la  Provence  et  se  retira,  du  moins 
en  apparence,  comme  un  humble  et  dévot  fils  de  Téglise  ;  il 
adressa  deux  suppliques  au  pape,  qui  les  accorda  et  les  signa  le 
2  octobre  1358.  Arnaud  de  Cervole  demandait  des  bénéfices 
pour  trois  clercs,  dont  un  était  son  familier-.  Sur  ces  entrefaites, 
le  dauphin  Charles  l'avait  nommé  son  lieutenant  et  celui  du  roi  en 
Nivernais,  ainsi  qu'au  bailliage  de  Bourges  ^  où  étaient  situées  ses 
terres  de  Levroux  et  de  Graçaj.  Le  dauphin  et  Marguerite  suppo- 
saient, sans  doute,  que  l'Archiprêtre  en  tant  que  bandit  saurait 
le  mieux  s'y  prendre  pour  combattre  les  brigands  contre  lesquels 
il  devait  marcher.  Mais  un  brigand  ne  se  dément  pas.  Il  avait 
à  sa  suite  des  ennemis  du  royaume.  Français,  Anglais  et  Gas- 
cons ^.  Après  avoir  fait  quelque  bien  à  la  ville  de  Nevers,  il  tira 
vengeance  des  habitants  qui  avaient  refusé  de  le  recevoir  lui 
et  ses  bandes  dans  l'enceinte  de  leurs  murs.  Les  principaux  citoyens 
furent  torturés  et  mis  à  mort,  les  uns  furent  bannis,  d'autres 
n'échappèrent  que  par  la  fuite.  L'Archiprêtre  confisqua  les  biens 
de  ceux  qu'il  avait  tués  ou  bannis,  ou  qui  s'étaient  enfuis.  Il  frappa 
la  ville  d'une  imposition  générale  de  soixante  mille  deniers  d'or  au 
mouton,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  d'exiger  en  outre  quelques  ran- 
çons particulières.  Pour  son  compte  personnel,  il  s'empara  de  plu- 
sieurs   châteaux,  se  rendit,  avec  ses  gens,  coupable  de  beaucoup 

provincia  ipsa  recédèrent,  de  mandate  nostro  traditi  et  soluti  fuerunt  :  nos  volentes 
super  hoc  indempnitati  tue  ut  convenit  providere,  tenore  presentiuni  recognoscimus 
et  publiée  confitemur,  nos  etprefatam  camerani  a  te  per  manus  dicti  Guillermi  mutuo 
habuisse  et  récépissé  predictam  summam  mille  florenorum,  et  in  solutionem  premis- 
sam  fuisse  conversam,  tibique  promittimus  quod,  in  casum  in  quo  dil.  filii  nobilcs 
viri  senescallus  et  universitates  nobilium  et  communitatum  dicte  provincie  dictam 
pecunie  summam hinc  ad  primam  diem  mensis  Martii  proxime  futuri  tibi  non  resti- 
tuant ut  tenentur,  illani  tibi  reddemus  et  restituemus  seu  reddi  et  restitui  de  Aposto- 
lice  camere  pecuniis  faciemus...  Dat.  Avinione  x  kal.  Novembris  pontilicatus  nostri 
anno  VI. 

1.  La  Chron.  Romane,  1.  c. 

2.  Les  deux  suppliques  débutent  :  «  Supplicat  S.  V.  humilis  et  devotus  filius  rester 
Arnaldus  de  Gervola,  miles,  quatenus  »,  etc.,  et  elles  ont  reçu  le  Fiat  comme  les  sup- 
pliques de  tous  les  autres  demandeurs.  Suppl.  Innoc.   VI,  n"  29,  fol.  298'\  299. 

On  y  trouve  encore  trois  suppliques  de  «  Petrus  de  Cervole,  miles  »,  qui  portent  la 
même  date.  Fol.  296»',  299. 

3.  Voy.  Ghérest,  p.  71  suiv.,  72,  note  2,  p.  371. 

4.  Ibid.j  p.  77  suiv. 


LES    HORREURS    DES   JACQUES    ET    DES    NOBLES,    1358  211 

de  pillages  et  de  crimes,  et  fit  alliance  avec  les  ennemis  du 
royaume  ^  Le  dauphin  et  Marguerite  reconnurent,  mais  trop  tard, 
que  l'Archiprêtre  était  resté  bandit  et,  en  1359,  Arnaud  de  Cervole 
perdit  encore  ses  fonctions  officielles. 


6.  Horreuj'S  commises  par  les  Jacques  et  les  nobles. 

Jean  de  Venette  rapporte  que  vers  Tan  1356  les  nobles  et  che- 
valiers, pour  tourner  en  dérision  la  simplicité  des  paysans  et  des 
pauvres  gens,  leur  donnaient  le  surnom  de  Jacques  Bonhomme,  Il 
est  vrai  que  ce  sobriquet  ne  fut  d'abord  donné  qu'à  ceux  qui  por- 
taient les  armes  à  la  manière  des  paysans,  mais  bientôt  il  fut  appli- 
qué, par  les  Anglais  aussi  bien  que  par  les  Français^,  à  tous  les 
paysans  sans  distinction,  qu'on  nommait  aussi  tout  simplement  les 
Jacques,  de  même  que  tout  le  mouvement  de  l'an  1358  dont  je  vais 
parler  s'appela  la  Jacquerie  •'. 

Parmi  les  causes  qui,  en  1358,  provoquèrent  la  révolte  des 
Jacques  en  Beauvaisis,  une  des  moindres  ne  fut  assurément  pas 
l'oppression  et  le  mépris  dont  ils  étaient  l'objet  de  la  part  des 
nobles.  Ceux-ci,  que  la  défaite  de  Poitiers  eût  dû  rendre  plus 
modestes,  étaient  devenus,  au  contraire,  toujours  plus  fastueux  et 
plus  effrontés  ;  en  outre,  la  bizarrerie  et  le  luxe  de  leurs  nouveaux 
costumes  tendaient  à  rendre  de  plus  en  plus  sensible  la  distance  qui 
les  séparait  des  paysans.  Jean  de  Venette  parle  à  différentes  reprises 
de  la  dureté  et  de  l'arrogance  des  nobles.  Déjà  en  butte  aux  vexa- 

1.  Voy.  Chkrest,  p.  78,  84,  95  suiv.,  et  ci-dessous,  §  7. 

2.  Contin.  Guill.  Nancf.,  II,  p.  238. 

3.  LucE,  Hist.  de  la  Jacquerie^  p.  3  suiv.  (nouv.  édition,  p.  3),  dit  que  «  jacque  » 
servit  bientôt  à  désigner  une  pièce  de  l'habillement  que  les  paysans  portaient  à  la 
guerre,  et  il  croit  que  ce  mot  n'était  pas  employé  au  sens  de  pièce  d'habillement  dans 
les  textes  français  ^antérieurs  à  l'époque  de  la  Jacquerie.  Ducange  écrit  plus  pru- 
demment :  «  nescio  an  a  Jacobis  factiosis  nomen  sumpserit  »,  éd.  Henschel,  III, 
p.  472  :  «  Jacke  ».  En  effet,  d'autres  font  dériver  le  mot  jacque  du  vieil  allemand  : 
«  scecho  »  (byrrus).  Cf.  Graff,  Althochdeutscher  Wortschatz,  VI,  p.  416  ;  Benecke- 
jMiJLLER,  Mitlelhochd.  Wôrterhuch^  II,  ii,  p.  92;  Schmeller,  éd.  Frommann,  Bayeri- 
sches  Wôrterhuch^  II,  p.  356,  «  Schecken  ».  Du  reste,  en  France  vers  1360,  les  nobles 
prirent  la  jacque  comme  un  habit  de  guerre  (cf.  Kôhler,  Die  Entwickelung  des 
Kriegswesens,  etc.,  III,  i,  p.  80),  et  je  ne  puis  me  persuader  qu'ils  aient  pris  un  vête- 
ment qui  eût  tiré  son  nom  de  ces  Jacques  si  détestés. 


242  LA    GUERRE    DE    CENT    ANâ 

tions  des  ennemis,  les  paysans  se  voyaient  encore  opprimés  par 
ceux  qui  auraient  dû  les  protég-er^  et  c'est  à  eux  surtout  que  les 
conséquences  de  la  bataille  de  Poitiers  se  firent  plus  douloureuse- 
ment sentir.  Ils  furent  alors  envahis  par  toute  sorte  de  misères. 
Jamais  les  campagnes  ne  présentèrent  un  aspect  aussi  désolé.  Dans 
le  Beauvaisis  plus  qu'ailleurs  les  vignes  ne  furent  plus  cultivées  ; 
les  champs  ne  furent  ni  ensemencés,  ni  labourés;  les  bœufs  ni  les 
brebis  n'allaient  plus  aux  pâturages.  Les  seigneurs  surchargeaient 
le  peuple  de  souffrances,  lui  extorquant  sa  subsistance  et  sa  pauvre 
vie.  Quoiqu'il  restât  bien  peu  de  bétail,  grand  ou  petit,  ils  en  exi- 
geaient encore  une  redevance  pour  chaque  tête  :  dix  sous  par  bœuf, 
quatre  ou  cinq  par  brebis,  —  et  malgré  cela,. ils  ne  se  mettaient  que 
rarement  en  peine  de  protéger  ceux  quïls  exploitaient  si  impi- 
toyablement'-. Voilà  comment  les  paysans,  pillés  et  opprimés  de 
toute  part  et  abandonnés  de  tous  ^\  en  vinrent  enfin  à  la  révolte. 
C'est  méconnaître  entièrement  les  faits  que  d'attribuer  cette  révolte 
à  l'instigation  d'Etienne  Marcel  de  Paris  ^;  ce  n'est  qu'après  qu'elle 
eût  éclaté  qu'il  prêta  pour  quelque  temps  son  concours  aux  Jacques. 
Le  28  mai  ^  de  l'an  13o8,  une  troupe  considérable  de  paysans, 
dits  Jacques,  attaqua  les  gentilshommes  de  Saint- Leu-d'Esserent^^ 
en  Beauvaisis  et  en  tua  neuf.   Ce  fut   là  le  signal  du  soulèvement 

1.  Voy.  dans  Jean  de  Venette,  p.  328  suiv.  la  fable  du  loup  et  du  chien  ;  tous  les 
deux,  l'Anglais  et  le  Français,  dévorent  de  concert  la  brebis,  le  pauvre  paysan. 

2.  Jean  de  Venette,  p.  293  à  395. 

3.  Chron.  de  Richard  Lescol,  p.  J26. 

4.  C'était  l'opinion  de  S.  Luce,  Hist.  de  la  Jacquerie,  p.  116  à  120,  nouv.  édition, 
p.  99  suiv.  attaquée  avec  raison  par  Flammermont,  La  Jacquerie  en  Beauvaisis,  dans 
Revue  histori([ue,  IX,  p.  127  suiv. 

5.  Grand,  chron.,  p.  110.  La  Chron.  de  Richard  Lescot,  p.  126,  porte  le  27  mai. 
On  sait  que  Luce,  1.  c,  p.  58,  not.  2,  et  dans  Froissart,  p.  xxvin,  not.  4,  avait  adopté  la 
date  du  21  mai,  reproduite  dans  la  nouv.  édition  de  la  Jacquerie,  p.  53,  not.  2,  et  par 
MoRANviLLÉ,  dans  Chronogr.,  p.  270,  not.  1,  p.  281,  not.  8,  quoique  la  Chronique 
même  dise  «  prima  septimana  Junii  ».  Flammermont,  1.  c,  p.  123,  130,  not.  2,  140, 
not,  3,  a  bien  fixé  la  vraie  date  du  28  mai.  Luce  prétendait  que  la  seule  date  du 
21  mai  se  concilie  bien  avec  plusieurs  dates  fournies  par  des  titres  et  autres  pièces 
originales  et  authentiques.  Mais  ces  titres  prouvent  contre  Luce.  Ils  sont  publiés  à  la 
fin  de  la  nouv.  édition  de  son  Histoire  de  la  Jacquerie.  N°  37,  p.  276,  il  est  dit  :  «  en  la 
fin  du  mois  de  may  »  ;  n°  51,  p.  300,  et  n"  63,  p.  333  :  «  environ  la  feste  du  saint-sacre- 
ment »,  c'est-à-dire  vers  le  31  mai.  Il  n'y  a  pas  un  titre  qui  prouve  la  date  adoptée 
par  Luce. 

6.  Où  était  un  prieuré  de  Cluny,  dont  la  belle  église  existe  encore.  Voy.  Mlller, 
Senlis  et  ses  environs  (1896),  p.  287  suiv.  et  p.  129, 


LES    HORREURS    DES    JACQUES    ET    DES    NOBLES,     1358  213 

universel.  Les  Jacques  firent  cause  commune,  se  choisirent  un  chef 
dans  la  personne  d'un  paysan  de  Mello  appelé  Guillaume  Cale  ou 
Karle,  et  se  mirent  à  parcourir  la  campagne  pour  soulever  les  vil- 
lages ;  tous  les  paysans  ne  tardèrent  pas  à  se  joindre  à  eux.  Pour 
sauver  leur  vie  les  curés  étaient  forcés  de  suivre  leurs  paroissiens  K 
Devenus  assez  puissants  pour  former  une  armée,  ils  commencèrent 
à  poursuivre  les  nobles  et  à  détruire  leurs  châteaux.  Rien  que 
dans  le  comté  de  Valois,  dans  les  évêchés  de  Laon,  de  Soissons  et 
de  Noyon,  ils  détruisirent  plus  de  cent  châteaux  et  de  bonnes  mai- 
sons. Ils  pillaient  et  incendiaient,  ils  tuaient  les  gentilshommes 
qu'ils  attrapaient,  et  forçaient  a  comme  chiens  esragiés  »  toutes 
dames  et  pucelles,  lesquelles  ils  tuaient  souvent  2.  Il  existe  encore 
une  foule  de  documents  sur  ces  horreurs  commises  par  les  Jacques, 
mises  au  jour  dernièrement  ^.  C'était  plutôt  une  guerre  de  sau- 
vages, comme  le  montre  un  fait  raconté  entre  mille  par  Froissart. 
Les  Jacques  boutèrent  à  la  broche  un  gentilhomme  et  le  firent  rôtir 
en  présence  de  sa  femme  et  de  ses  enfants  ;  ils  obligèrent  ensuite 
cette  malheureuse  à  manger  de  la  chair  de  son  mari,  et  la  tuèrent 
après  l'avoir  violée  ^. 

Dans  le  pillage  des  châteaux,  ils  avaient  soin  de  détruire  les 
archives,  où  étaient  conservés  les  titres  qui  prouvaient  leurs  rede- 
vances à  l'endroit  des  seigneurs  ^.  Dès  les  premiers  jours  de  juin, 
les  vallées  de  l'Oise  (où  est  situé  Beaumont),  du  Therain  et  de  la 
Brèche  avaient  été  dévastées  ;  tous  les  châteaux  et  maisons  appar- 
tenant aux  seigneurs  furent  pillés,  ruinés  et  incendiés.  Les  Jacques 
tentèrent,  mais  en  vain,  une  alliance  avec  la  bourgeoisie  de  Com- 
piègne.  Sur  la  route   de  Senlis,  à  la  Croix-Saint-Ouen,  à  Verberie, 

i.  Voy.  un  exemple  clans  Luce,  Hisl.  de  la  Jacquerie,  nouv.  éd.,  p.  270,  n"  34. 

2.  Froissart,  p.  99  siiiv.  ;  Chvoii,  des  quatre  premiers  Valois,  p.  71  ;  Flammer- 
MONT,  1,  G.,  p.  132  suiv. 

3.  Dans  la  nouv.  édition  de  IHisi.  de  la  Jacquerie  de  Luce,  p.  193  à  224;  p.  245  à 
346.  On  trouve  nommés  ci-dessous  plusieurs  villes  et  châteaux  détruits  par  les 
paysans.  D'autres,  comme  Cardonnois,  Courtemanche,  Essertaux,  Fontaine-sous- 
Montdidier,  Fransures,  La  Faloisc,  Moreuil,  Pierrepont,  Rainneval,  Coivrel,  Tricot, 
sont  nommes  dans  V.  de  Beauvillé,  Ilist.  de  la  ville  de  Montdidier,  2*  éd.  (1875),  I, 
p.  110. 

4.  Froissart,  V,  p.  100. 

5.  Fi.ammermoxt  dit.  p.  134,  que  dans  les  pays  où  passèrent  les  Jacques,  les  plus 
riches  archives  seigneuriales  n'ont  presque  plus  de  documents  antérieuis  à  1360. 
Voy.  encore  ibid.,  not.  2. 


214  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

à  Rhuys,  les  paysans  se  joig-nirent  à  eux  et  ils  commirent  partout 
les  mêmes  excès.  Les  bourgeois  de  Senlis  refusèrent  d'abord  de 
leur  ouvrir  les  portes  ;  enfin,  après  de  longs  pourparlers,  ils 
s'unirent  à  eux  pour  détruire  les  châteaux  voisins  de  la  ville, 
comme  Chantilly,  Gourteuil,  Brasseuse,  Fontaine-les-Corps- 
Nuds  ^  La  forteresse  de  Thiers,  dont  neuf  fortes  tours  défendaient 
les  courtines  et  l'entrée,  fut  mise  dans  l'état  de  ruine  où  elle  se 
trouve  encore  aujourd'hui  -.  Enfin  les  Jacques  mirent  le  siège 
devant  le  bel  et  fort  château  d'Ermenonville.  C'est  là  que  trois 
cents  hommes  d'armes  Parisiens,  commandés  par  Jean  Vaillant, 
prévôt  des  monnaies,  vinrent  les  renforcer.  Guillaume  Karle  avait 
invoqué  le  secours  d'Etienne  Marcel,  en  le  priant  en  même  temps 
de  faire  valoir  son  influence  sur  les  Jacques  pour  obtenir  qu'ils 
cessassent  les  crimes  si  odieux  qu'ils  avaient  commis  jusqu'alors  '^. 
Le  château  appartenant  à  Robert  de  Lorris,  chambellan  du  roi 
Jean,  fut  pillé  et  ruiné  de  fond  en  comble  ^. 

Mais  les  Parisiens  ne  prêtèrent  pas  longtemps  leur  secours  aux 
paysans.  Comme  nous  avons  vu  plus  haut  ^,  les  nobles  gagnèrent 
Charles  le  Mauvais  et  s'avancèrent  contre  les  Jacques  avec  des 
bandes  anglo-navarraises.  La  révolte  des  paysans  et  la  destruction 
des  châteaux  n'étaient  guère  favorables  aux  projets  de  Charles  le 
Mauvais.  Une  entente  existait  sans  doute  entre  lui  et  les  Parisiens 
venus  au  secours  des  Jacques,  car  aussitôt  les  premiers  abandon- 
nèrent les  seconds  et  attaquèrent  Meaux  de  concert  avec  une  autre 
division  de  Parisiens  conduits  par  Pierre  Gilles,  le  9  juin  6.  Quant 
au  roi  de  Navarre,  il  ne  voulait  rien  moins  qu'anéantir  les  Jacques 
dont  une  partie  campait  à  Mello  près  de  Clermont  en   Beauvaisis, 

1.  «  Les-Cornu  ».  Grand,  chron.,  p.  110,  et  Flammermont,  p.  136. 

2.  MÛLLER,  Senlis  et  ses  environs,  p.  302. 

3.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  72.  Voy.  la  lettre  d'Etienne  Marcel 
adressée  aux  communs  de  Picardie  et  de  Flandre  le  11  juillet,  éd.  par  Kervyn  de 
Lettenhove,  dans  FroissART,  VI,  p.  470,  où  il  parle  de  cette  expédition  des  Pari- 
siens. Sous  peine  de  perdre  sa  tête,  Marcel  ordonna,  «  que  nuls  ne  tuast  femmes  ne 
enfans  de  gentil  homme  ne  gentil  femme,  se  il  n'estoit  ennemi  de...  Paris  »,  etc.  Qu'on 
a  prié  Marcel  d'intervenir  «  à  ce  que  les  choses  dessus  dictes  cessassent  ».  Cela  est 
aussi  confirmé  par  une  lettre  de  rémission  du  régent  dans  Luce,  Hist.  de  la  Jacque- 
rie, nouv.  éd.,  p.  253  suiv. 

4.  Chronogr.,  p.  273;  Chron.  norm.,  p.  130;  Luge,  Hist.  de  la  Jacquerie,  nouv. 
éd.,  p.  192  suiv.  Sur  le  château,  voy.  Mûller,  1.  c,  p.  147  suiv. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  162. 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  161. 


LES  HORREURS  DES  JACQUES  ET  DES  NORLES,  13o8       215 

en  face  de  l'endroit  où  il  se  trouvait  avec  ses  troupes  et  celles 
des  Anglais  dirigés  par  Robert  Sercot,  tandis  que  les  autres 
Jacques  étaient  encore  à  Ermenonville  avec  le  chef.  Guillaume 
Karle.  Celui-ci  étant  informé  de  l'état  des  choses  s'empressa 
de  venir  en  aide  à  ses  partisans  près  de  Mello.  La  bataille  fut 
livrée  le  10  juin.  Nous  savons  déjà  qu'elle  fut  gagnée  par  le  roi 
de  Navarre  et  par  voie  de  trahison.  Sous  prétexte  de  conclure 
une  trêve  avec  lui ,  Charles  le  Mauvais  fît  mander  Guillaume 
qui  ne  se  doutait  de  rien;  mais  au  lieu  de  cela  il  le  fit  arrêter  '. 
Privés  de  leur  chef,  les  Jacques,  dont  le  nombre  s'élevait  à  plus 
de  quatre  mille,  durent  succomber;  ils  furent  massacrés  sur  le 
champ  de  bataille  ;  ceux  qui  purent  se  réfugier  à  Glermont  furent 
livrés  par  les  habitants  à  Charles  le  Mauvais  et  décapités  avec 
Guillaume  Karle.  Ainsi  finit  la  Jacquerie  après  avoir  duré  seulement 
du  28  mai  au  10  juin  -. 

Mais  la  fureur  des  nobles  se  déchaînant,  ils  firent  à  leur  tour  la 
chasse  aux  paysans.  Le  13  juin  ^,  ils  tentèrent  un  assaut  contre  la 
ville  de  Senlis  qui  avait  auparavant  ouvert  ses  portes  aux  Jacques. 
Les  citoyens,  hommes  et  femmes,  se  défendirent  si  courageusement 
à  la  rue  du  Heaume  que  les  nobles  durent  se  retirer  après  un 
grand  échec  ^.  Cependant,  loin  d'être  intimidés,  ils  se  rassemblaient 
de  toutes  parts,  de  Flandre,  de  l'Artois,  du  Boulonais,  du  Pon- 
thieu,  du  Haynaut,  du  Beauvaisis,  du  Vermandois,  et  formant  des 
bandes  ils  couraient  la  campagne  à  la  chasse  des  paysans,  incen- 
diant leurs  villages,  détruisant  leurs  récoltes,  pillant  leurs  églises. 
Les  prêtres  furent  pris  à  l'autel,  les  calices  jetés  par  terre,  les  hos- 
ties profanées.  «  Eglises,  abbayes,  priorés  et  églises  parochiauls 
que  ils  ne  ardoient,  mis  à  raençon...  les  pucelles  corrompues  et  les 
femmes  violées  en  présence  de  leurs  maris  ^.  »  Ainsi  les  nobles  se 

1.  Voy.  Chî'onogr.,  p.  272,  et  ci-dessus,  p.  162. 

2.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois^  p.  73  suiv.  Flammermont,  p.  139  suiv. 

3.  LucK  préférait  à  tort  la  date  du  27  mai  dans  Ln  Jacquerie,  p.  168  et  Froissart, 
p.  XXIX,  not.  2.  Voy.  Flammermoxt,  p.  110,  not.  3.  Dans  la  nouv.  édition  de  La  Jacque- 
rie, p.  1  i5,  not.  1,  l'erreur  est  corrigée.  Voy.  n"  43,  p.  288  suiv. 

4.  Jean  de  Venette,  p.  267  ;  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  76  suiv.  ;  MiiL- 
LER,  1.  c,  p.  108  suiv. 

5.  Tout  cela  nous  est  raconté  par  Etienne  Marcel  dans  sa  lettre  adressée  aux  com- 
munes de  Picardie  c(c.  du  11  juillet,  Lettexhove.  p.  468.  Rien  que  trois  semaines 
plus  tard  lui-même  ait  voulu  sacrifier  deux  tiers  de  la  population  parisienne,  le  clergé 


216  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

permirent  des  excès  pires  que  tous  ceux  qu'eussent  pu  commettre  les 
Ang-lais  '.  Ce  fut  surtout  Enguerrand  VII,  le  jeune  seigneur  de  Goucj, 
qui,  à  la  tête  des  gentilshommes  de  sa  baronnie,  consomma  l'exter- 
mination des  Jacques.  Le  24  juin,  le  nombre  des  victimes  dépas- 
sait vingt  mille  -.  A  la  fin  du  même  mois  le  pays  était  complète- 
ment ruiné  ^.  Néanmoins  l'exaspération  des  deux  partis  n'était  pas 
encore  calmée,  et  le  régent  dut  intervenir.  Le  10  août  il  ordonna 
que  les  nobles  pardonnassent  aux  Jacques  et  ceux-ci  aux  nobles,  et 
il  proclama  une  amnistie  générale  '^.  Déjà  avant  cette  époque,  entre 
le  11  et  le  14  juin,  Charles  le  Mauvais  avait  essayé  de  pacifier  le 
pays  ^.  Mais  l'accord  conclu  avec  les  nobles,  dont  il  avait  besoin 
pour  monter  sur  le  trône  de  France,  était  plus  favorable  à  ceux-ci 
qu'aux  paysans. 

Bien  que  la  lutte  ouverte  entre  les  Jacques  ou  paysans  et  les 
nobles  cessât  ainsi  peu  à  peu,  leur  haine  mutuelle  dura  longtemps 
encore.  Quelquefois  on  se  réconciliait  au  moyen  d'un  mariage 
entre  les  deux  partis.  Par  exemple,  en  l'an  1368,  on  vit  le  noble 
chevalier  Philippe  Damsomler  (sic)  épouser  la  paysanne  Alice  Lesac 
après  que  leurs  deux  fainilles  se  fussent  fait  dix  ans  auparavant  une 
guerre  acharnée  ^'. 

et  bien  d'autres,  au  moment  où  il  écrit,  il  se  montre  indigné  des  excès  des  nobles,  et 
cela  par  pure  politique  assurément.  On  est  assez  bien  informé  de  la  cruauté  exces- 
sive de  Marcel  ;  en  particulier  «  gentes  de  patria  ])lata  (les  paysans)  potissime  de 
vicecomitatu  Parisiensi  multum  habebant  timere  dictum  prepositum,  suos  commissa- 
rios  ac  complices,  maxime  cum  sua  mandata  erant  ita  précisa  quod  inobedicntibus 
mors  infercbatur  ».  Arrêt  du  parlement  dans  Luce,  Hisl.  de  la  Jacquerie,  nouv.  éd., 
p.  316. 

1.  Jean  de  Venette,  p.  266  suiv. 

2.  Grand,  chron.,  p.  118. 

3.  Etienne  Marcel  écrit  dans  sa  lettre  aux  communes  de  Picardie,  etc.,  p.  469  : 
«  il  est  grant  doubte  que  ceste  année,  qui  èsdis  pays  estoit  très  fertile  de  blés  et  de 
vins,  ne  soit  du  tout  gastée  et  périe,  et  qu'il  n'y  ait  qui  labeure  et  cueille  les  vins,  ne 
aussi  où  mettre  les  vins,  pour  les  vassiauls  des  villes  qui  sont  tous  ars  et  aussi  les 
villes  ». 

4.  Voy.  une  lettre  de  rémission  dans  Luce,  Hist.  de  la  Jacquerie,  nouv.  éd.j.n"  23, 
p.  251  suiv.  Il  s'agit  aussi  de  ce  fait  aux  n""  47  et  63.  Mais  n"  47,  le  régent  dit  à  tort  : 
«  environ  la  Magdalaine...  que  nous  venismes  en  nostre  bonne  ville  de  Paris  ».  Ce 
n'est  pas  vers  le  22  juillet,  mais  le  2  août  qu'il  est  venu  à  Paris.  Voy.  ci-dessus,  p.  171. 

5.  Lettre  d'Etienne  Marcel  aux  communes  de  Picardie,  etc.,  p.  461.  D'une  lettre  de 
rémission  dans  Luce,  1.  c,  n"  37,  p.  277,  il  résulte  que  Charles  s'intéressait  aussi  à  ce 
que  le  peuple  pût  cult.i^'er  la  terre. 

6.  Reçf.  Vat.  Urbani  V,  n"  257,  fol.  49,  ad  an.  1368,  Julii  2  :  <<  Venerabili  fratri.. 
episcopo  Belvacen.  salutem,  etc.  Oblàte  nobis  nuper  pro  parte  dil,  lilii  nobilis  viri 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13,^6    A    1360  217 

7.  Les  ravages  des  Anglais^  des  Navarrais  et  des  Compagnies. 
Triste  état  de  la  France  à  la  veille  du  traité  de  Bretigny.  La 
désolation  des  églises  et  monastères. 

Au  xiv^  siècle,  bien  plus  qu'au  xv^,  la  France  fut  complètement 
infestée  par  les  ennemis  et  les  Compagnies  ^  et  cela  jusqu'à  deux 
fois,  une  première  fois  pendant  la  trêve  de  Bordeaux,  et  ensuite 
après  le  traité  de  Bretigny.  Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  jamais  essayé 
de  donner  un  résumé  général  de  l'action  de  ces  envahisseurs  ;  je 
ne  sais  si  je  réussirai  à  en  présenter  un  aux  yeux  du  lecteur,  ainsi 
qu'un  tableau  de  l'état  de  la  France  à  la  veille  du  traité. 

Pour  cela,  il  nous  faut  retourner  aux  deux  perturbateurs  de  la 
France,  les  rois  de  Navarre  et  d'Angleterre,  que  nous  avons  laissés 
au  troisième  paragraphe,  alors  qu'échoua  leur  infâme  complot.  Est- 
ce  par  hasard  qu'aussitôt  après  cette  défaite  les  Anglo-Navarrais  se 
répandirent  sur  une  grande  partie  de  la  France?  Nullement.  Le 
plan  qu'ils  suivirent  montre  clairement  leur  action  presque  simulta- 
née en  Picardie,  dans  le  Vermandois,  le  Vexin,  le  Ghartrain,  l'Or- 
léanais, la  Champagne  et  le  Laonnais.  Leur  but  était  de  prendre  le 
plus  grand  nombre  possible  de  forteresses  afin  d'enserrer  la  capi- 
tale. A  la  lin  de  1358,  ils  occupaient  autour  de  Paris,  dans  la  cir- 
conscription qui  comprend  aujourd'hui  les  départements  delà  Seine. 


Philippi,  quondam  Pétri  Damsomler  militis  domicelli,  et  dil.  in  Christo  filie  nobilis 
mulieris  Aelidis,  quondam  Bernardi  Lesac  laici,  natorum,  tue  Belvacen.  dioc.  peti- 
tionis  séries  continebat,  quod  cum  olim  inter  nobiles  ex  una  et  populares  illarum 
partium  ex  parte  altéra,  guerre  et  inimicitic  dyabolica  suf!,gestione  tam  acriter  vigiie- 
runt,  quod  quidam  miles,  ipsius  Philippi  frater,  et  ejus  uxor  ac  nonnuUi  ipsorum 
consanguinei  milites  et  scutiferi  per  cosdem  populares,  ac  quamplures  de  populari- 
bus  ipsis  per  dictos  nobiles  inhumaniter  interfecti  ac  eorimi  mobilia  et  immobilia 
devastata  et  destructa  extitcrunt,  et  quod  ipsi  Philippus  et  Aelidis,  que  de  prefatis 
popularibus  traxit  originem,  communium  ipsorum  consanguineorum  et  amicorum 
précédente  tractatu  ad  obviandum  periculis  que  exinde  possent  verisimiliter  prove- 
nire  ac  pacem  et  caritatem  hinc  inde  gratia  inspirante  divina  procurandam,  deside- 
rant  invicem  matrimonialiter  copulari  ;  sed  quia  dictus  Philippus  quamdam  mulie- 
rem  eidem  Aclidi  quarto  consanguinitatis  gradu  attinentem  actu  fornicario  carnali- 
ter  cognovit,  iidcni  Philippus  et  Aelidis  dcsiderium  eorum  hujusmodi  adiniplere 
nequeunt,  dispensatione  apostolica  super  hoc  non  obtenta.  [Ad  ipsorum  prcces  dis- 
pensationem  praedictam  tribuit  intuitu  pacis  et  concordiae  conciliandaej.  Dat.  apud 
Montemflasconem  Balneoregen.  dioc.  v  non.  Julii  anno  sexto.  » 


218  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Seine-et-Oise,  Oise,  Seine-et-Marne,  plus  de  soixante  forteresses  ^ 
Le  peuple,  déjà  oppressé  par  les  tailles,  était  découragé  par  les 
ravages.  Il  n'y  avait  plus  de  repos  possible  pour  les  habitants  des 
villes  qui,  redoutant  à  chaque  instant  quelque  nouvel  assaut,  se 
voyaient  obligés  de  se  tenir  toujours  au  guet.  De  plus,  par  suite  de 
la  destruction  générale  des  faubourgs  et  des  villes,  ils  perdirent 
une  grande  partie  des  immeubles  et  des  terres  qu'ils  possédaient 
hors  les  murs  :  tout  fut  dévasté  par  l'ennemi.  Dans  ces  tristes 
moments,  les  lois  de  la  justice  étaient  méconnues  ;  seule,  la  loi  du 
plus  fort  était  en  vigueur.  Les  marchands  n'osaient  entreprendre 
aucun  voyage  :  le  commerce  cessa  -.  Le  régent  était  dépourvu  de 
tout  :  en  1359,  de  la  France  ancienne,  il  ne  lui  restait  guère  d'assuré 
que  la  partie  qui  s'étend  vers  le  cours  supérieur  de  la  Seine.  L'ac- 
tion des  Anglo-Navarrais  qui  étaient  «  tout  un  '^  »  dans  le  Nord  de  la 
France  fut  secondée  au  Centre  et  dans  le  Midi  par  les  compagnies, 
quoique  celles-ci  se  battissent  pour  leur  propre  compte,  et  par 
les  Anglais.  Luce  a  dressé  un  tableau  des  lieux  forts  occupés  par 
les  ennemis  en  France,  le  Sud-Ouest  et  le  Midi  non  compris,  de 
1356  ou  plutôt  de  1357  et  1358  à  1364;  leur  nombre  s'élève  à  près 
de  cinq  cents  ^  ;  et  nul  ne  savait  mieux  que  lui  que  ce  chiffre  était 
incomplet. 

Malgré  la  trêve,  le  roi  d  Angleterre,  allié  au  roi  de  Navarre, 
alors  ouvertement  ennemi  de  la  France,  participait  d'une  façon  dis- 
simulée à  toutes  ces  manœuvres-^  ;  et  quand  la  trêve  eut  pris  fin,  on 
vit  clairement  par  toutes  ces  menées  qu'il  n'avait  pas  cessé  de 
poursuivre  son  but.  Il  voulait  affaiblir  la  France  de  telle  sorte  que 
les  pairs  du  royaume  fussent  presque  forcés  de  le  nommer  roi  ^. 

1.  Pour  leurs  noms,  je  renvoie  le  lecteur  à  Luce,  Du  Guesclin,  p.  319,  491,  499,  501  ; 
je  m'occupe  seulement  de  quelques-unes  de  ces  forteresses. 

2.  Chron.  norm.,  p.  145  suiv.,  Chronogr.,  p.  286  suiv. 

3.  Grand,  chron.,  p.  138. 

4.  Guesclin,  p.  459  à  509. 

5.  Toutefois  les  chroniqueurs  anglais  disent  :  «sinejussu  régis  Edwardi  ».  Contin. 
Murimuth.,  éd.  Hoo,  p.  191  ;  Walsixgham,  p.  286. 

6.  Dans  le  traité  conclu  par  Edouard  avec  la  Bourgogne,  à  Guillon,  le  10  mars  1360, 
une  clause  contient  ces  parolesdignes  d'attention:  «...  en  cas  que  nous  (Edouard) nous 
vourrions  faire  sacrer  par  l'accord  de  la  plus  grant  partie  des  perres  de  France  », 
etc.  Rymeh,  Foedej\i,  IIî,  p.  474.  Le  texte  dans  D.  Plancher,  Hist.  de  Bourgogne, 
t.  II,  Preuves,  n°  293,  est  mutilé  et  fautif  :  «  ...  que  nous  nous  voulussions  faire  ayder 
de  la  plus  grande  partie  de  pays  de  France  ». 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,     13^)6    A    1360  219 

Le  lendemain  du  défi  porté  au  régent  par  le  roi  de  Navarre,  le 
4  août  1358,  les  Anglo-Navarrais  occupaient  le  château  de  Melun. 
Ils  s'emparèrent  d'abord  du  quartier  de  la  ville  situé  sur  la  rive 
gauche  de  la  Seine  ;  de  là  ils  faisaient  souvent  des  courses  dans  le 
Gâtinais  et  ravageaient  tout  le  pays^,  déjà  dévasté  par  les  troupes 
de  James  Pipe,  qui,  le  13  mai,  brûlait  la  ville  de  Nemours  et 
plusieurs  autres  2.  Vers  le  15  août,  presque  toutes  les  maisons 
de  l'abbaye  cistercienne  du  Lys  furent  détruites  ^.  Philippe 
de  Navarre  occupa  Mantes  et  Meulan  '*.  Déjà  un  peu  avant, 
Charles  le  Mauvais  avait  réussi  à  s'emparer  de  la  forteresse  de 
Creil  qui  commandait  le  cours  inférieur  de  l'Oise.  La  garnison, 
composée  mi-partie  d'Anglais  et  de  Navarrais  au  nombre  de  cinq 
cents,  faisait  des  courses  dans  tout  le  pays  alentour,  rançonnait  les 
villes  dont  plusieurs  furent  incendiées.  Le  capitaine  de  la  garnison, 
Jean  de  Fodryngkey,  rançonna  tous  ceux  qui  venaient  de  Paris  à 
Compiègne,  à  Noyon,  à  Soissons  ou  à  Laon.  Il  gagna  cent  mille 
francs  rien  qu'en  délivrant  des  sauf-conduits  aux  voyageurs.  Tous 
ceux  qui  le  pouvaient  s'enfuyaient,  tant  la  garnison  faisait  horreur  ^. 

Les  habitants  de  Longueil-Sainte-Marie  s'organisèrent  plus  tard 
sous  la  direction  d'un  simple  paysan  Guillaume  l'Aloue  et  de  son  valet 
le  Grand  Ferré  j^our  résister  à  l'ennemi.  Ils  étaient  au  nombre  de 
deux  cents  et  avaient  mis  une  sorte  de  point  d'honneur  à  ne  rece- 
voir aucun  noble  dans  leurs  rangs.  Plusieurs  fois  ces  braves  patriotes 
infligèrent  de  graves  échecs  aux  Anglo-Navarrais  de  Creil,  bien 
qu'ils  n'aient  guère  eu  d'autres  armes  que  leurs  bras  robustes  et 
rarement  des  haches.  Guillaume  l'Aloue  et  le  Grand  Ferré  se  bat- 
tirent et  moururent  héroïquement  ^. 

1.  Grand,  chron.,  p.  137;  Froissart,  p.  xxxvi,  et  not,  3.  Le  régent  dit  dans  sa  lettre 
du  31  août  (Lettexhove,  VI,  p.  478),  que  le  castel  de  Melun,  «  auquel  la  reyne 
Blanche  le  (roi  de  Navarre)  fist  venir  »,  fut  pris  par  trahison. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  161. 

3.  Grand,  chron.,  p.  138. 

4.  Froissart,  1.  c. 

5.  Ibid.,  p.  121  ;  Grand,  chron.,  p.  139, 

6.  Jean  de  Venette,  p.  288  à  293.  Luge,  Guillaume  VAloue  et  le  Grand  Ferré,  dans 
La  France  pendant  la  guerre  de  Cent  ans,  2*  éd.,  n°  5,  p.  61  à  82.  Le  continuateur  de 
Richard  Lescot,  p.  140,  parle  aussi  de  cette  affaire  à  l'an  1359:  mais  sa  version  au 
sujet  de  la  mort  de  Guillaume  l'Aloue  dill'ère  de  celle  de  Jean  de  Venette.  Il  y  a  encore 
des  différences  dans  les  récits  de  Chronogr..  p.  287  suiv.,  et  Chron.  norni.,  p.  447 
suiv.  Ces  deux  chroniques  ne  nomment  pas  le  Grand  Ferré. 


220  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

Les  Anglo-Navarrais  prirent  aussi  la  ville  de  Montmorency  près 
de  Saint-Denys,  la  pillèrent  et  y  mirent  le  feu  *  ;  Poissy  fut  égale- 
ment occupé  par  les  Anglais  ~. 

Le  23  août,  les  Anglo-Navarrais  qui  s'emparaient  du  castel  Mau- 
conseil  près  de  Noyon,  furent,  sur  l'ordre  du  régent,  assiégés  par  les 
Français  et  les  Picards  ;  mais,  secourus  par  Jean  de  Picquigny, 
qui  commandait  la  forteresse  de  la  Hérelle  près  de  Breteuil,  déjà 
en  leur  pouvoir,  ils  surprirent  les  assiégeants  dont  quinze  cents 
furent  tués  ^  ;  cent  chevaliers  ou  écuyers  avec  Tévêque  de  Noyon, 
Gilles  de  Lorris,  furent  faits  prisonniers  et  emmenés  à  Greil.  Jean  de 
Venette  dit  que,  la  même  année,  l'abbaye  des  chanoines  réguliers 
de  Saint-Barthélémy  près  Noyon  fut  détruite  par  les  habitants  pour 
plus  de  sûreté  contre  l'ennemi  ^.  La  garnison  de  Mauconseil  pilla  le 
trésor  de  l'abbaye  cistercienne  d'Ourscamp,  et  brûla  une  partie  des 
bâtiments  claustraux  ^.  Les  ennemis  enlevèrent  les  vases  sacrés,  les 
reliques,  et  emmenèrent,  après  avoir  massacré  plusieurs  religieux, 
423  chevaux,  un  nombre  considérable  de  poulains,  552  bêtes  à 
cornes,  8.000  bêtes  à  laine,  800  porcs,  etc.  L'abbé  Nicolas  dit  de 
Framerville  fut  obligé  de  demander  remise  ou  délai  pour  le  paie- 
ment de  florins  dus  à  la  cour  de  Rome  ^. 

Les  Anglo-Navarrais  s'emparèrent  encore  de  Moulin  de  la  Saux 
près  de  Beauvais  ^,  et  devinrent  maîtres  de  tout  le  Beauvaisis  ^. 
Comme  nous  l'avons  vu  dans  le  paragraphe  précédent,  ce  pays  avait 
déjà  été  dévasté  pendant  la  révolte  des  Jacques,  la  désolation 
recommençait.  L'abbé  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Germer-de- 
Fly  dépeint  vivement,  le  5  juin  1363,  le  sort  du  prieuré  de  Villers- 
Saint-Sépulcre  pendant  ces  années  de  terreur.  11  était  désolé  :  les 
terres    restaient  en  friche   et  les    vignes  sans  culture  '^  L'abbaye 

1.  Jean  DE  Venette,  p.  281. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  177. 

3.  Jean  de  Venette,  1.  c;  Grand,  chron.,  p.   148  ;  Froissart,  p.  xxxviii  suiv. 

4.  P.  279. 

5.  Froissaht,  1.  c.  ;  Jean  de  Venette,  p.  283;  Chron.  de  Richard  Lescoi,  p.  141. 

6.  Peigné-Delacourt, //isL  de  l'abbaye  de  Notre-Dame  d'Ourscamp  (1876),  p.  251. 

7.  Chron.  norm.,  p.  136. 

8.  Grand,  chron..,  p.  141. 

9.  Sappl.  Urbani  V,  n"  37,  fol  134''  ad  an.  1363,  Jiin.  29  :  «  Sanctissimo  in  Chrislo 
patri...  domino  Urbanb...  devotissimi...  oratores  vestri  Arnulphus  niinister,  dictus 
abbas  licet  indignus,  prior  ac  totus  conventus  monasterii  vestri  Sancti  Germari  Fia- 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    i3o6    A    1360  221 

bénédictine  de  Saint-Symphorien-lez-Beauvais  fut  détruite  par 
ordre  des  Beauvaisins  mêmes,  pour  se  mettre  en  sûreté,  le  14  sep- 
tembre 1357  ;  les  moines  furent  errants  par  la  campagne  durant  trois 
ans'.  L'abbaye  cistercienne  de  Froimont  du  même  diocèse  était  aussi 
durement  éprouvée.  Son  abbé,  Jean  de  Ghiry,  se  retira  à  Beauvais 
pendant  le  soulèvement  des  paysans,  mais  après  vinrent  les  Anglo- 
Navarrais  qui  pillèrent  et  enlevèrent  tout  le  mobilier,  le  bétail,  les 
chevaux  de  l'abbaye,  et  mirent  le  feu  à  Tég-lise  et  aux  bâtiments  du 
monastère  qui  resta  plus  d'un  an  sans  moines;  l'abbé  demeura  deux 
ans  absent  -.  Une  autre  abbaye  du  Beauvaisis,  celle  de  Royaumont, 
fut  menacée  d'être  pillée,  brûlée  et  rasée  par  la  garnison  de  Greil  ;  la 
vie  des  moines  et  des  habitants  était  en  péril.  Les  moines,  préférant 
être  rançonnés,  se  mirent  sous  la  protection  des  Anglais  •^.  Beau- 
coup de  bénéfices  ecclésiastiques  du  diocèse  perdirent  leur  valeur  et 
demeurèrent  vacants  sans  que  les  clercs  y  aspirassent.  Les  cures 
avaient  le  même  sort  ^\  La  garnison  de  Greil  menaça  les  Bénédic- 
tins du  prieuré  de  Saint-Leu  d'Esserent  et  les  habitants  de  la  ville 
de  détruire  l'église  et  toutes  les  maisons,  et  de  tout  dévaster  s'ils 
ne  se  rachetaient  pas  du  feu  et  du  glaive.  Les  habitants  de  ce  lieu 
et  des  environs  prirent  la  fuite,  ceux  qui  ne  purent  fuir  furent  tués. 
Tout  le  pays  fut  dépeuplé  comme  en  1359.  Les  religieux  ne  sachant 

viacen.,  Ord.  S.  Ben.,  dioc.  Belvacen...  Olim,  pater  clementissime,  dominus  Matheus 
de  Vallibus,  tune  monachus  S.  Symphoriani  prope  Belvacum,  dicti  Ord.,  ad  monas- 
terium  S.  Gemari  (stc)  translatas,  auctoritate  apostolica  prioratum  de  Villaribus  S. 
Sepulcri,  dicte  diocesis,  membrum  S.  Gemari  per  monachos  ipsius  soliti  (videlicet 
unum  prioreni  et  très  socios)  gubernari  extitit  assecutus,  qui  possidens  illuni...  factus 
fuit  episcopus  Florentin,  dicto  prioratu  post  sibi  tradito  pluribus  et  diversis  vicibus 
per  sedem  Apostolicani,  et  nuper  per  V.  S.  usque  ad  biennium  in  commendam,  qua 
durante  prefatus  Matheus  debitum  nature  persolvit.  Post  cujus  obitum  nos  videntes 
prioratum  in  spiritualibus  et  temporalibus  desolatum  ob  guerras  et  alia  infortunia, 
que  in  illis  partibus  hostiliter  et  alias  mirabiliter  viguerunt,  ac  gravia  in  vineis  et 
terris  non  cultis,  prediis,  redditibus  et  hereditatibus  vastatis,  ac  hominibus  et  sub- 
ditis  in  bonis  etcorporibus  sauciatis...  [Ut  Guillelmus  de  Ravenello  in  priorem  insti- 
tuatur].  Dat.  anno  Domini  millesimo  ccc  sexagesimo  tertio,  die  quinta  mensis  Junii. 
—  Fiat.  B.  —Dat.  Avinione  iij  kal.  Julii,  anno  primo  ».  Mathieu  des  Vaux  fut  alors 
évêque  de  Fiorentino  (midi  d'Italie)  dès  le  23  juin  1344.  Cf.  Eubel,  Hierarch.  cathol., 
p.  261,  où  manque  la  date  de  sa  mort,  qui  toutefois  est  arrivée  de  1362  à  1363. 

1.  Delettre,   Hist.  fin  diocèse  de  Beauvais  (1843),  II,  p.  444  suiv. 

2.  D'après  un  ms.  du  monastère,  Gall.  christ.,  IX,  p.  832. 

3.  Cf.  l'acte  de  rémission  du  mois  de  juin  1359  accorde  par  le  régent  dans  Duclos, 
Hist.  du  Royaumont,  I,  p.  454  à  436,  et  p.  439  suiv. 

4.  Reg.  Aven.  Urh.   V,n°  3,  fol.  212^  ad  an.  1363.  Febr.  17. 


222  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

OÙ  fuir  furent  rançonnés  ^  L'évêque,  Jean  de  Dormans,  était  tout 
à  fait  appauvri  et  hors  d'état  de  payer  à  la  chambre  apostolique  sa 
dette  de  six  cents  livres.  Par  suite  des  guerres  et  des  épidémies,  des 
dépenses  qu'exigeaient  la  garde  et  la  réparation  de  ses  châteaux  et 
manoirs,  ses  revenus  étaient  nuls  2.  Quand  le  18  novembre  1359, 
Jean  de  Grailly,  captai  de  Buch,  enleva  par  escalade  à  l'aide 
d'échelles  de  corde  et  de  grappins  d'acier  le  château  de  Glermont, 
l'état  du  Beauvaisis  empira,  car  les  forteresses  de  Glermont,  de  Greil, 
de  la  Hérelle  et  de  Mauconseil  se  prêtèrent  un  mutuel  appui  pour 
tenir  à  discrétion  le  pays  plat  du  Vexin  et  du  Beauvaisis  3.  L'église 
collégiale  de  Saint-Arnoul  de  Glermont  fut  détruite  à  cette  occasion^. 

Au  milieu  desdites  chevauchées  des  ennemis  se  trouvait  Pon- 
toise,  du  diocèse  de  Rouen,  qui  touchait  à  la  partie  méridionale  du 
diocèse  de  Beauvais.  La  ville,  comme  aussi  l'église  de  Notre-Dame, 
étaient  fortifiées  ;  mais  le  monastère  des  Frères  Mineurs,  situé  hors 
les  murs,  sur  les  fossés,  aurait  pu  servir  d'asile  aux  ennemis.  Par 
ordre  du  gouvernement  de  la  ville,  il  fut  détruit  de  fond  en  comble, 
et  les  Frères  furent  reçus  dans  la  ville,  ainsi  que  le  permit 
Innocent  VI  le  6  juin  1358^. 

Au  commencement  du  mois  de  septembre  1358,  Gharles  le  Mauvais 
chevauchait  à  Melun  avec  deux  mille  combattants  pour  faire  visite 
à  sa  sœur  Blanche.  Sur  le  chemin  il  incendia  plusieurs  villes,  entre 

1.  Arch.  Nat.,  JJ  90,  n"  184.  De  Luçay,  Le  comté  de  Glermont  en  Beauvaisis  (1878), 
p.  89,  note  1. 

2.  Reg.  Aven.  Urb.  V,  n"  5,  fol.  505''  ad  an.  1363,  Martii  13  :  «  Ven.  fratri  epis- 
copo  Belvacen.  salutem  etc.  Sincère  devotionis  etc.  Exhibita  siquidem  nobis  pro  parte 
tua  petitio  continebat  quod  redditus...  ad  mensam  tuam  episcopalem  Belvacen,  spec- 
tantes  a  tempore,  quo  ad  Belvacen.  eccl.  promotus  fuisti  (12  juill.  1359),  propterguer- 
ras  que  in  tui  episcopatus  ferventius  quam  in  aliquibus  aliis  partibus  ingruerunt, 
nec  non  mortalitatis  pestem  ac  sterilitates  agrorum  fuerint  et  sunt  adeo  diminuti 
tantaque  incumbentia  tibi  extunc  pro  custodia  et  defensione  castrorum  et  ipsorum 
ac  aliorum  manerioruni  mense  prefate  reparatione  ac  sustentatione  et  alia  etiam  pro 
ecclesia  tua  te  oportuit  onera  supportare,  quod  ultra  predicta  ex  ipsis  redditibus  nul- 
lum  emolumentum  reportare...  potuisti.  Dat...  Avinione  III  idus  Martii  anno  primo  ». 

3.  Grand,  chron..,  p.  164  suiv.  ;  Froissaut,  V,  p.  134. 

4.  Delettre,  Hist.  du  diocèse  de  Beauvais,  II,  p.  448. 

5.  Reff.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  233,  fol.  430  :  «  Dil.  fil.  ministro  provinciali  et  fratri- 
bus  Ord.  Min.  provincie  Francie  secundum  morem  dicti  Ordinis,  salutem ,  etc. 
Sacre  vestre...  Exhibita  siquidem  nobis  pro  parte  dil.  fil.  cleri  et  populi  habitantium 
in  villa  Pontisare,  Rothomagen.  dioc,  petitio  continebat  quod  présidentes  regimini 
dicte  ville  propter  guerras  in  illis  partibus  vigentes  locum  et  ecclesiam  fratrum  ves- 
tri  Ordinis,  prope  muros  et  supra  fossatum  ejusdem  ville  ab  antiquo  constructum,  ne 


TOUTE  LA  FRANCE  INFESTÉE,  13o6  A  1360  223 

autres  Montlhéry  K  Le  16  septembre,  de  la  forteresse  de  la  Hérelle, 
Jean  de  Picqui^ny  essaya  de  s'emparer  d'Amiens  par  surprise,  avec 
la  complicité  d'un  certain  nombre  de  bourgeois.  11  était  déjà  maitre 
d'un  des  faubourgs,  lorsque  Robert  de  Fiennes,  connétable  de 
France,  et  le  comte  de  Saint-Pol  accoururent  de  Corbie  et  repous- 
sèrent les  Navarrais  qui  se  retirèrent,  mais  non  sans  avoir  pillé  et 
incendié  le  faubourg  en  question.  Dix-sept  traitres,  parmi  lesquels  se 
trouvait  l'abbé  de  l'aljbaye  cistercienne  du  Gard,  furent  arrêtés  et 
mis  à  mort  par  les  Français  vainqueurs  -.  Quand  les  habitants 
d'Amiens  eurent  constaté  que  les  faubourgs  étaient  en  grande  par- 
tie déjà  dévastés  par  le  feu  et  que  le  reste^  avec  les  monastères  des 
Prêcheurs,  des  Mineurs,  des  Ermites  de  Saint- Augustin,  était  plus 
dangereux  qu'utile  à  la  sécurité  générale,  ils  détruisirent  tout 
et  reçurent  les  religieux  dans  la  ville  ^.  C'est  probablement  aussi 
à  cette  époque  que,  soit  parles  ennemis,  soit  par  les  habitants,  l'église 
des  chanoines  réguliers  de  Saint-Acheul-lez-Amiens  fut  en  partie 
abattue,  ce  qui  contraignit  les  religieux  à  cesser l'ofTice  divin  et  à  se 
retirer  pour  longtemps  dans  la  ville.  Ils  ne  rentrèrent  dans  l'abbaye 
que  vers  1368  ^. 

Un  complot  semblable  à  celui  qu'on  avait  formé  contre  Amiens  se 
tramait  alors  contre  Laon.  L'instigateur  en  était  l'évêque  de  cette 
ville,  Robert  le  Coq,  qui  après  l'issue  manquée  du  complot  tramé  à 


inimici  eorum  non  solum  in  dicte  ville  sed  et  circum\icinarum  partium  periculum  et 
vastationem  se  inibi  receptarent  (de  qiio  poterat  et  debebat  non  immerito  formidari) 
non  sine  dolore  cordis  lunditus  destruxerunt,  et  quod  ipsi  considérantes  religionis 
zelum  et  alia  pia  studia  cjuibus  fratres  ipsi  eosdem  clerum  et  populuni  hactenus  verbo 
pariter  et  exemplo  luudabiliter  informabant,  alium  certum  aptum  et  honestum  locuni 
infra  clausuram  dicte  vi'le  et  limites  par.  eccl.  S.  Pétri  de  dicta  villa  ad  monasterium 
de  Beccohelluini  O.  S.  B.  dicte  dioc.  pertinenteni  ex  caritativa  recompensatione... 
dederunt.  [Ad  supplicationem  dictor.  Iratrum  necnon  cleri  et  populi  licentiam  com- 
mutandi  locuni  concedit  ,  salvo  jure  par.  ecclesiae].  Dat.  apud  Villamnovam  Avinio- 
nen.  dioc.  viij  id.  Junii  anno  sexto.  »  Pontoise  fut  plus  tard  attaquée,  mais  non  prise 
par  les  Navarrais.  L'église  Notre-Dame  était  fortifiée. 

1.  Grand,  chrou.,  p.  139. 

2.  Froissart,  p.  xl;  Grand.  chron.,p.  1 JO  suiv.  ;  Jean  de  Venrttk.  p.  274  suiv. 
D'après  la  Chron.  de.'i  quatre  premiers  Valois,  p  95,  Tauteur  principal  du  complot 
était  Philippe  de  Navarre.  Je  n'ai  pas  trouvé  aux  Arch.  du  Vat.  le  nom  de  Tabbé 
qui  manque  aussi  dans  Gall.  christ.,  X,  1332. 

3.  Jean  de  Venette,  p.  276.  La  Chronogr.  dit  p.  284  :  «  ante  destructionem  erant 
plus  quam  tria  millia  domorum  et  multe  ecclesie  ». 

4.  Roux,  Hist.  de  l'abbaye  de  Saint-Acheul-lez-Amiens  (1890),  p.  53  et  note  3. 


224  LA    GIERRE    DE    CENT    ANS 

Paris  avait  quitté  cette  ville  en  habit  de  Prémontré  ' ,  et  continuait  à 
Laon  sa  conspiration  contre  le  royaume.  Il  s'enfuit  auprès  de  Charles 
le  Mauvais  dès  que  tout  fut  découvert.  Six  habitants  de  la  ville  qui 
avaient  été  ses  complices  furent  mis  à  mort  -.  Robert  le  Coq  ne 
pouvait  plus  retourner  à  Laon,  et  de  plus  son  château  d'Anisy 
avait  été  presque  détruit  par  le  sire  de  Coucy  ^  ;  mais  il  n'était  pas 
en  droit  de  se  plaindre.  Gomme  adhérent  de  Charles  le  Mauvais  il 
réussit  auprès  d'Innocent  VI  à  être  nommé  évéque  de  Galahorra,  le 
6  avril   1362  4. 

Les  Anglo-Navarrais  s'emparèrent  aussi  alors,  ou  tout  au  moins 
avant  le  mois  d'octobre,  d'Eu  près  de  Dieppe  et  de  Saint- Valéry 
près  d'Abbeville,  de  sorte  que  tout  le  pays  compris  entre  Dieppe, 
Abbeville,  le  Crotoy,  Rue  et  Montreuil  était  à  leur  discrétion  \  Les 
églises  et  les  monastères  furent,  par  suite  de  ces  guerres  conti- 
nuelles et  de  leurs  tristes  incidents,  grandement  endommagés. 
Ainsi,  le  4  septembre  1359,  Jean  évêque  d'Amiens,  convaincu  à  la 
suite  d'une  visite  que  les  revenus  des  Bénédictines  du  monastère 
d'Austreberte  à  Montreuil-sur-Mer  n'étaient  plus  suffisants  pour 
soutenir  vingt-cinq  religieuses,  réduisit  leur  nombre  à  dix-huit  ^\ 

Il  résulte  de  tout  cela  que  les  Anglo-Navarrais  dominaient  alors  le 
Nord  de  Paris.  En  conséquence,  non  seulement  cette  ville  était  assié- 
gée, mais  encore  tout  moyen  de  communication  avec  le  nord  lui  était 
enlevé.  La  même  interception  existait  pour  le  nord  par  rapport  à 
Paris  et  aux  villes  méridionales.  Ainsi  il  était  impossible  de  trans- 
porter des  vins  à  Arras,  à  Tournay,  à  Lille  et  aux  autres  villes  du 
nord  ".  Aucun  marchand  n'osait  quitter  Paris,  les  chemins  n'étaient 
pas  sûrs.  On  ne  labourait    plus   les  terres  et  bientôt  une   famine 


1.  Jean  de  Noyai,  abbé  de  Saint-Vincent  de  Laon,  dans  sa  Chron.  (BibL  Nat.  ms. 
fr.  10138,  foL  168'')  :  «  se  parti  de  Paris  en  habit  de  prenionstre  ». 

2.  Froissart.  l.  c,  et  note  4  ;  Melleville,  Hist.  de  la  ville  de  Laon  (1846),  II,  p.  48, 
241.  Jean  de  Noyai  dit  dans  sa  Chron.  (Bibl.  Nat.,  ms.  fr.  10138,  fol.  168*^),  qu'ils 
furent  décapités  «  pour  la  souspicion  de  estre  de  la  partie  à  l'évesque  Robert  le  Coq 
et  au  roy  de  Navarre  ».  Voy.  encore  Secousse,  Mém.,  p.  347  suiv.,  et  les  notes. 

3.  Jean  de  Noyai,  l.  c. 

4.  EuBEL,  Hierarchia  cathoL,  I,  p.  161. 

5.  Froissart,  p.  xxxvii. 

6.  Lettre  insérée  dans  la  bulle  d'Innocent  VI  du  10  juillet  1360,  dans  Reg.  Aven., 
n°  24,  fol.  564^. 

7.  Grand,  chron.,  p.  141. 


TOUTE    LA    FRAiNCE   INFESTÉE,    1356    A    1360  22o 

qui  dura  plus  de  quatre  ans   mit  le  comble  à  tous   ces  malheurs  ^. 

Ces  tristes  faits  ne  sont  pas  surprenants  puisque,  au  début  même 
de  la  g-uerre,  ces  pays  étaient  déjà  presque  dévastés  et  ruinés,  et 
que  leurs  habitants  en  avaient  expérimenté  toutes  les  horreurs  ;  les 
plus  riches  chapitres,  pour  ne  pas  parler  des  moindres,  se  trouvaient 
hors  d'état  de  préserver  de  la  ruine  de  célèbres  égalises.  Le  chapitre 
de  la  cathédrale  d'Arras  nous  en  offre  un  bel  exemple.  Cette  ég-lise 
était  depuis  longtemps  dans  un  état  voisin  de  la  ruine,  mais  le 
chapitre  et  les  habitants  avaient  dû  pourvoir  d'abord  aux  dépenses 
qu'entraînait  la  fortification  de  la  ville  contre  les  ennemis  ;  puis  ils 
avaient  beaucoup  perdu  par  suite  des  guerres,  leurs  maisons  avaient 
été  brûlées,  de  sorte  que  la  cathédrale  restait  en  partie  ruinée  -. 

UOiiest  de  Paris  était,  depuis  quelque  temps  déjà,  menacé  et 
occupé  en  maints  endroits  par  des  bandes,  comme  il  a  été  noté  briè- 

1.  Froissart,  p.  130;  Jean  de  Venette,  p.  279. 

2.  lieg.  Vat.  Grecjor.  XI,  n°  183,  fol.  183,  ad  an.  1372,  Novemb.  23  :  «  Venerabili 
fratri..  episcopo  et  dilectis  filiis..  capitule  Atrebaten.  salutem,  etc.  Devotionis  afl'ec- 
tum,  etc..  Sane  petitio  pro  parte  vestra  nobis  nuper  exhibita  continebat  quod  magna 
pars  dicte  ecclesie  vestre  Atrebaten.,  videlicet  ab  anteriori  hostio  chori  usque  ad  tur- 
res  continuas  domui  episcopali,  proprie  navis  ecclesie  nuncupata,  a  magno  tempore 
citra  minatur  ruinam  et  ob  hoc  pcr  certes  lathomos  et  artifices  doctos  in  talibus  et 
expertes  diligenter  jamdiu  visitata  repertum  fuit  dictani  ecclesiani  pro  illa  parte  in 
magno  pericule  cerruendi  nec  eam  posse  reparari  nisi  cum  valde  magnis  sumptibus 
et  expensis  iniportabilibus  omnino  predicte  ecclesie,  et  quod  ad  obviandum  tune 
imminenti  periculo  juxta  cencilium  dictorum  artificum  apposite  fuerunt  certe  trabos 
sive  fusces  magne  inter  pilaria  sive  columpnas  in  illa  parte  ecclesie  ruinosa  consis- 
tentc,  dicta  pilaria  et  totum  edificium  aliqualiter  substinentes  et  sepportantes.  Qui- 
bus  non  obstantibus  adhuc  illa  pars  ecclesie  de  die  in  diem  pondère  magno  desuper 
per  amplius  gravata  propinquierem  minatur  ruinam  in  magnum  periculum  totius 
edificii  et  non  minus  canonicorum  et  aliarum  personarum  ecclesie  et  totius  pepuli 
habitanlium  ibidem,  ad  quorum  rcfectienem  et  reparationem  supportatis  aliis 
magnis  oneribus  et  expensis,  que  ecclesia  ipsa  et  persone  ejusdem  et  habitatores 
ipsius  civitatis  habuerunt  a  pluribus  annis  citra  subire  de  diem  in  diem  pro  fortifica- 
tione  dicte  civitatis,  fessatis,  mûris  et  aliis  imperamentis  ad  ipsius  civitatis  et  eccle- 
sie tuitienem  contra  inimicos  rcgni  de  novo  vallate  ;  attentis  etiam  dampnis  et  deper- 
ditis  occasionc  guerrarum  tam  in  cembustiene  domorum  quam  aliorum  bonorum 
dicte  vestre  ecclesie  per  ipsius  regni  inimicos  vastatorum,  ipsius  ecclesie  non  suppe- 
terent  facultates...  [Papa  permittit  ut  fructus  primi  anni  quarumlibet  dignitatum  et 
singulorum  personatuum  et  olliciorum  ipsius  Atrebaten.  et  aliarum  ccclesiarum  celle- 
giatarum  ipsius  civitatis  et  diocesis  Atrebaten.  nec  non  etiam  parochialium  ccclesia- 
rum et  aliorum  benefîciorum  usque  ad  sex  annos,  si  vacarent,  in  usus  dicte  fabrice 
pro  reparationc  hujusmodi  cenvertantur].  Dat.  Aviniene  viiij  kal.  Decembris  anno 
secundo.  » 

In  codcm  modo  ven.  fratribus  Cameracen.  et  Morincn.  episcopis  et  dilecto  officiali 
Atrcliatcn. 

R.  P.  Deniflk.  —  Desolatio  ecclesiarum  II.  15 


226  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

vement  plus  haut  ^  ;  il  est  à  propos  d'en  donner  maintenant  un 
exposé  plus  détaillé.  Gomme  nous  l'avons  vu,  Philippe  de  Navarre 
se  tenait  sur  les  frontières  de  Normandie  et  faisait  de  là  des  incur- 
sions dans  les  pays  voisins  et  dans  le  Chartrain.  A  son  approche, 
les  habitants  de  Dreux  jettent  le  cri  d'alarme.  Le  12  janvier  1337, 
ils  dépêchent  à  Etienne  Marcel,  prévôt  des  marchands,  un  messa- 
ger charg-é  de  communications  verbales  et  d'une  lettre  annonçant 
que  la  ville  de  Laigle  vient  d'être  prise  et  pillée,  que  Philippe  de 
Navarre  avance  avec  quatre  mille  combattants  et  que  si  l'on  n'ac- 
court à  leur  aide,  le  pays  est  perdu.  Marcel  communiqua  aussitôt,  le 
14  janvier,  cette  lettre  à  ses  bons  amis  le  maire,  les  échevins  et 
bourgeois  d'Arras,  les  priant  de  la  faire  publier  par  toute  la  région 
afin  d'envoyer  au  secours  de  Paris  autant  d'hommes  d'armes  qu'ils 
en  pourront  mettre  sur  pied,  parce  qu'il  a  entendu  dire  que  l'en- 
nemi a  l'intention  de  venir  tout  droit  sur  cette  ville,  la  sachant  à  peu 
près  sans  défense  puisque  le  roi  et  plusieurs  capitaines  sont  empri- 
sonnés par  les  Anglais  -. 

Philippe  de  Navarre  se  contenta  de  dévaster  le  pays  Chartrain 
jusqu'à  Chartres  et  Bonneval,  et  retourna  dans  le  Cotentin  en 
ravageant  tout  sur  son  passage-^.  A  sa  place  survinrent  d'autres 
chefs  des  bandes,  par  exemple  James  Pipe,  cantonné  avec  les 
troupes  anglaises  à  Épernon,  Foulques  de  Laval,  un  Français  qui, 
auparavant,  se  battait  contre  Charles  de  Blois,  en  Bretagne,  et 
souvent  d'autres  encore.  Plusieurs  villes  du  Chartrain  furent 
détruites^;  la  plus  remarquable  était  Etampes.  Le  10  janvier  1358, 
Foulques  de  Laval,  avec  ses  Bretons  ,  s'en  empara,  quoiqu'elle  fût 
déjà  pillée  et  incendiée  par  d'autres  brigands,  et  la  pilla  une 
autre  fois,  en  emmenant  un  grand  noml^re  des  prisonniers  dans 
les  forteresses  que  les  ennemis  occupaient  dans  le  pays  '^.  Saint- 
Arnoult  fut  également  pillé    et  presque  détruit^.  Je   suppose  que 


1.  Voy.  ci-dessus,  p.  143. 

2.  Voy.  la  lettre  dans  Mém.  de  la  Soc.  de  Vhist.  de  Paris,  t.  XXIV  '^1897),  p.   59 
suiv.  ;  cf.  p.  52. 

3.  Grand,  chron..,  p.  52. 

4.  Voy.  les  noms  dans  Froissart,  éd.  Luce,  V,  p.  xxv. 

5.  Jean  de  Venette,  p.  258  ;  Grand,  chron.,  p.  81  ;  Richard  Lescot,  p.  116. 

6.  Maillaht,  Hist.  de  Rambouillet^  (1891),  p.  85.  Voy.  encore  Luce,  Du  Guesclin 
p.  501  à  503. 


TOUTE    LA    FRANCK   INFESTÉE,    1356    A    1360  227 

Tabbaye  cistercienne  de  Notre-Dame-des-Vaux  de  Cernay,  au  dio- 
cèse de  Paris,  avait  le  même  sort,  et  que  la  désolation  de  la  iin  du 
xiv*^  et  du  XV®  siècle  ^  date  de  cette  époque,  parce  que ,  en  juillet 
de  la  même  année,  James  Pipe,  avec  ses  bandes,  se  trouvait  tout  à 
côté,  à  Chevreuse  -.  Le  18  avril  13o8,  Etienne  Marcel  écrit  au 
régent  au  sujet  des  dévastations  dans  le  Ghartrain  :  «.  Les 
ennemis  de  vous,  de  nous  et  du  royaume  nous  roignent  et  nous 
pillent  de  tous  lés  du  costé  devers  Chartres  et  nul  remède  n'y  est 
mis  par  vous  '^  ».  Les  habitants  de  la  ville  essayaient  de  s'assurer 
contre  l'ennemi  en  élevant  des  fortifications  auxquelles  les  églises 
et  les  monastères  furent  sacrifiés.  Tel  fut  à  peu  près  en  1357  le 
sort  de  l'abbaye  des  chanoines  réguliers  de  Saint-Cheron  ^  et  de 
Fabbaye  bénédictine  de  Sainte-Marie  de  Josaphat  ■'  qui  ne  furent 
reconstruites  et  seulement  en  partie  qu'après  la  paix  de  Bretigny. 
La  misère  obligea  les  chanoines  de  Saint-Cheron  à  vendre  une 
partie  de  leurs  propriétés  rurales  ^'.  De  même  que  les  autres  éta- 
blissements religieux  de  la  banlieue  chartraine,  les  Cisterciennes 
de  l'Eau  avaient  dans  la  ville  une  maison  de  refuge.  En  1357,  à 
l'approche  des  ennemis,  elles  s  y  réfugièrent  et  y  stationnèrent 
plusieurs  années'^.  Les  Ordres  mendiants  étaient  naturellement  dans 
les  mêmes  conditions  :  du  moins  les  Frères  Mineurs  durent  changer 
l'emplacement  de  leur  église  et  de  leur  monastère  ^'^.  Les  Anglais 


1.  MoRizE,  Étude  nrchéol.  sur  Vabhaye  de  Noire-Dame  des  Vaux  de  Cernay  (1889), 
p.  45. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  169,  not.  4.  Chevreuse  était  occupé  jusqu'à  1360. 

3.  Lettre  éd.  par  Keuvyx  de  Lettenhove  dans  Froissaut,  VI,  p.  462.  Cf.  ci-dessus, 
p.  159. 

4.  Suppl.  Urh.  y,  n"  37,  fol.  199^  ad  an.  1363,  Julii  15  :  «  Significant  S.  V.  devotissimi 
oratores  vestri  abbas  et  conventus  monasteiii  sancti  Carauni  prope  Carnotum,  quod 
cuni  predictum  monasterium  ^ucrris  vi^entibus  per  consilium  civitatis  Carnoten. 
fucrit  destructum,  omniaque  ipsius  edificia  penitus  destructa,  et  post  pacem  initam 
inter  duos  regcs  dicti  significantes  aliqua  ex  ipsis  edificiis  fecerunt  reparari,  aliis 
renianentibus  dcsolatis,  que  pro  viribus  de  die  in  diem  reparare  nituntur,  que  qui- 
dcm  sine  fidelium  adjutorio  minime  possunt  restaurare,  [de  indulgentiis].  Fiat.  B.  — 
Dat.  Avinione  id.  Julii  anno  primo.   » 

5.  Suppl.  Vrb.  V,  n"  35,  fol.  133*',  ad  an.  1363,  April.  15.  La  teneur  est  la  même 
que  celle  de  la  supplique  rapportée  dans  la  note  précédente. 

6.  De  LÉpiNois,  Hisl.  de  Chartres  (1358),  I,  p.  283. 

7.  Ibid.,  p.  305. 

8.  Recf.  Aven.  Innocent.  VI,  n°  24,  fol.  488,  ad  an.  1360,  April.  19.  Voy.  de  LÉpinois, 
Ilist.  de  Chartres,  II,  19. 


228  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

ravageaient  encore  la  Beauce  en  1359  :  le  capitaine  français, 
Reg-naut  de  Gouillons,  fut  fait  prisonnier  ^  L'abbaye  de  Saint-Flo- 
rentin de  Bonneval  fut  pillée  et  brûlée,  vraisemblablement  en  1357 
par  Philippe  de  Navarre,  et  en  1360  par  les  troupes  d'Edouard  III, 
et  le  couvent  fut  abandonné  par  les  moines-.  Le  prieuré  bénédictin 
d'Authon,  en  Perche,  fut  totalement  désolé  par  les  bandes.  Les  reve- 
nus étaient  aliénés,  les  maisons  ruinées;  les  terres,  vignes  et  posses- 
sions restaient  sans  culture^.  C'est  alors,  ou  plus  tard,  que  l'église 
Saint-Jean  de  Nogent-le-Rotrou,  où  était,  suivant  la  tradition,  le  cer- 
veau de  Saint-Jean-Baptiste,  fut  brûlée  et  gravement  appauvrie  dans 
ses  revenus''.  A  Blois  même  on  n'était  pas  en  sûreté.  Avant  1362, 
pour  prémunir  la  ville,  plusieurs  maisons  furent  détruites,  et  l'église 
paroissiale  de  Saint-Pierre-du-Foix  qui  était  patronnée  par  l'ab- 
baye bénédictine  de  Saint-Laumer,  fut  démolie  ^.  Cette  abbaye  per- 
dit aussi  peu  à  peu  des  revenus  et  des  maisons  ^. 

L'action  des  Anglo-Navarrais  au  Nord  et  à  l'Ouest  de  Paris  fut 
secondée  au  Sud  de  la  capitale  par  un  formidable  allié,  Robert 
Knolles,  avec  qui  nous  avons  déjà  fait  connaissance.  Il  était  capi- 
taine de  plusieurs  forteresses  en  Bretagne  et  en  Normandie.  Frois- 
sart  écrit  qu'il  était  maître  de  quarante  bons  châteaux  ".  Mais, 
n'ayant  plus  rien  à  prendre  dans  les  endroits  dont  il  était  la  terreur 
parce  que  les  habitants  et  la  campagne  étaient  épuisés,  en  octobre 
1358,  il  quitta  avec  deux  ou  trois  mille  combattants  ses  quartiers 
ordinaires  des  marches  de  Bretagne  et  se  dirigea  vers  Orléans  ^. 
Il  est  bien  probable  que  dans  ce  parcours  il  toucha  le  diocèse  du 
Mans.  Déjà  dès  1357  ce  pays  était  désolé  par  les  ennemis,  qui  selon 
toute  apparence  venaient  du  côté  du  comté  d'Alençon  et  du 
Perche  •'.    On  signale   à  cette  époque  plusieurs    monastères  ayant 

1.  Chron.  norni.,  p.  148. 

2.  TniHOvx^  Hist.de  Vahhaye  de  Sl-Florentin-de-Bojineval,cd.  Bigot  (1876),  p,  119. 

3.  Suppl.  Urhnnl  V,  n"  40,  fol.  45'",  ad  an.  1364,  MarLii  16. 

4.  Reg.  Vat.  Greçforii  XI,  iv  288,  fol.  IT?»»,  ad  an.  1376,  Junii  21. 

5.  Noël  Mahs,  Ilisl.  du  monnslèj^e  de  Saincl-Lomer  de  Blois.  cd.  Dithé  (Blois, 
1869),  p.  214.  Touchahd-Lafosse,  Ilist.  de  Blois  (1846),  p.  61  suiv.,  ne  donne  aucun 
renseignement. 

6.  Voy.  Denifle,  La  désolation  des  églises  en  France,  I,  n°  966. 

7.  Éd.  Luge,  V,p.  xli. 

8.  Ihid.;  Grand,  chron.,  p.  142;  Kmghtox,  p.  102;  Chron.  de  Richard  Lescot, 
p.  137. 

9.  Voy.  ci-dessus,  p.  143,  et  Luge,  Du  Giiesclin,  p.  308. 


TOUTE  LA  FRANCE  INFESTÉE,  1356  A  1360  229 

été  détruits  et  dévastés  par  eux.  Le  29  décembre  1359,  Jean  comte 
de  Vendôme  obtient  d'Innocent  VI  que  deux  chapelles  soient  incor- 
porées à  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Georges-du-Bois  dont  les 
terres  et  les  manoirs  avaient  été  dévastés  par  les  ennemis,  ce  qui 
avait  réduit  les  moines  à  une  grande  détresse  K  L'abbaye  cister- 
cienne de  Bellebranche  fut  complètement  ruinée  et  les  habitations 
brûlées  en  grande  partie.  Les  revenus  ne  suffirent  plus  même  pour 
la  moitié  des  moines  et  l'on  ne  pouvait  songer  ni  à  une  réédifica- 
tion nia  une  réparation  2. L'abbaye  des  Bénédictines  d'Estivaux  eut 
le  même  sort  :  les  religieuses  durent  quitter  leur  ancienne  habita- 
tion ^'. 

Gomme  le  diocèse  du  Mans,  celui  d'Orléans  était  déjà  menacé 
avant  l'arrivée  de  Knolles.  On  dit  par  exemple  qu'en  1358,  au 
temps  où,  avec  ses  Bretons,  Foulques  de  Laval  pillait  Etampes, 
les  routiers  infestaient  le  pays  jusqu'à  Orléans  '*.  Et,  en  effet, 
Meung-sur-Loire  et  Tabbaye  des  chanoines  réguliers  de  Baugency 
furent,  dès  le  24  juin,  prises  et  incendiées  ^.  Le  Ghapitre  général 

1.  Snppl.  Innoc.  V/,  n°  30,  fol.  254''  :  «  Significat  S.  V.  clev.  rester  Johannes  cornes 
Vindocinen.  et  Castren.,  quod  monasterium  Sancti  Georgii  de  Neniore,  Ord.  S.  Ben. 
Cenomanen.  dioc.  ipsiusque  loca  et  mancria  pro  niajori  parte  per  inimicos  regni 
Francie  jam  proximc  lapsis  temporibus  combusla  et  devastata  fuerunt,  adeo  quod 
nisi  per  S.  V.  de  aliquali  subventione  succurratur  eidcm,  abbas  et  conventus  ipsius 
monastcrii  non  poterunt  onera  incumbentia  suportare  nec  sibi  de  necessariis  divino 
cultui  providcre.  [Cornes  supplicat  ut  duae  capcllae  cjusdeni  diocesis  monasterio 
uniantur].  Fiat  de  una,  facta  prius  informatione  per  ordinarium,  si  sit  ita  et  sine  pre- 
judicio  etc.  G.  Dat.  Avenione  iiij  kal.  Januarii  anno  scptimo  ». 

2.  ^uppL  Urbani  V,  n"  37,  fol.  155,  ad  an.  13G3,  Julii  4  :  «  lî.  P.  S.  V.  lamentabiliter 
exponunt  devoti  et  assidui  oratores  vestri..  et  conventus  monasterii  B.  Marie  de 
Bellabranca,  Ord.  Cistercien.,  Cenomanen.  dioc.  quod  dictum  monasterium,  domus, 
edificia  et  habitationes  ejusdem  per  inimicos  régis  et  regni  Francie  vigentibus  guerris 
quasi  totaliter  destructa  et  pro  magna  parte  concremata  fuerunt,  et  redditus  ejus- 
dem adeo  et  in  tantum  attenuati  quod  vix  sufficere  possunt  ad  mediam  sustentatio- 
nem  religiosorum  ejusdem,  nec  possent  dictum  monasterium  reparare  nec  dictas 
domos  reedificare  nisi  ipsis  per  sedem  apostolicam  subvcniatur.  [De  indulgentiis]. 
Fiat.  B.   Dat.  Avinionc  iiij  non.  Julii  anno  primo.  » 

3.  IhicL,  fol.  39,  ad  an.  1363,  Maii  15  :  «  Supplicat  S.  V.  humilis  et  devota  in  Christo 
fdia  vestra  Margarita  de  Pictavia,  vicecomitissa  de  Bellomonte,  (juatenus  Johanna 
monialis,  cjus  lîlia,  se  possit  transferre  ad  monasterium  B.  Marie  Andegaven.,  Ord. 
S.  Ben.  de  monasterio  de  Estivaux,  Cenomanen.  dioc,  cum  in  dicto  monasterio  nec 
ipsa  nec  alia  propter  destructionem  monasterii  situati  in  loco  campeslri  traherc 
moram  audeat  neque  possit.  —  Fiat  si  sint  ejusdem  religionis  et  Ordinis  monastei'ia 
predicta.  B.  Dat.  apud  Pontem  Sorgie  Avinion,  dioc.  id.  Maii  anno  primo  ». 

4.  Jkan  nK  Vi:m:ttk,  p.  258. 

5.  //)/(/.,  p.  262. 


230  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

des  chanoines  de  Baugency,  du  8  mai  1367,  fait  une  description 
des  plus  tristes  de  l'état  auquel  les  avaient  réduits  les  ennemis  en 
portant  partout  la  désolation,  brûlant  et  saccageant  tout  ce  qu'ils 
rencontraient  K 

En  face  de  Robert  KnoUes,  ce  nouvel  ennemi,  les  habitants 
d'Orléans  firent  ce  qu'ils  renouvelèrent  soixante-dix  ans  plus  tard, 
en  1428,  quand  les  Anglais  s'avancèrent  pour  mettre  le  siège 
devant  la  ville  -.  Toutes  les  églises  et  monastères  situés  hors  des 
murs  furent  abattus.  Ainsi  le  monastère  des  chanoines  réguliers  de 
Saint-Euverte  fut  tellement  démoli  que  les  chanoines  se  virent 
contraints  de  chercher  un  refuge  chez  leurs  parents  ^.  L'ennemi 
incendia  leurs  maisons  des  champs  et  leurs  granges  ;  les  cultiva- 
teurs chassés  prirent  la  fuite  ;  le  bétail  fut  emmené,  de  sorte  que 
les  chanoines  furent  réduits  à  un  complet  dénûment  et  se  retirèrent 
à  Saint-Donatien,  dans  la  ville  ^,  où  furent  également  reçues  les 


1.  Voy.  ViGXA-T,  Cartulaireet  histoire  de  V abbaye  de  Notre-Dame  de  Baugency 
(1879),  p.  L. 

2.  Demfle,  La  désolation  des  églises  en  France,  I,  n°'  104  à  110. 

3.  Reg.  Aven.  Innoc.  V/,  n°  21,  fol.  552,  ad  an.  1359,  Januar.  17  :  «  Dil.  fil...  abbati 
et  conventui  mon,  S.  Evurtii  in  suburbiis  Aurelianen.,  Ord.  S.  Aug.,  salutem,  etc. 
Devotionis  vestre,  etc.  Cum  itaque,  sicut  petitio  pro  parte  vestra  exhibita  contine- 
bat,  monasterium  vestrum  in  suburbiis  Aurelianen.  consistens  cum  suis  edificiis  adeo 
propter  guerras  in  illis  partibus  ingruentes,  prout  ingruunt,  destructum  existât, 
quod  vos  in  eo  commorari  et  divinis  obsequiis  vacare  et  in  religionis  observantia 
famulari  Domino  non  potestis,  quinimo  ad  consanguineorum  et  amicorum  vestrorum 
habitationes  et  sufTragia  recurrere  vos  oportct,  ac  propterea  in  prioratu  S.  Donatiani 
Aurelianen.  O.  S.  Aug.  ab  ipso  mon""  dependente  et  infra  muros  Aurelianen.  consis- 
tente  commorari  et  Domino  famulari  guerris  eisdem  durantibus  cupiatis  [Petitam 
facultatem  concedit.].  Dat.  Avinione  XVI  kal.  Febi'uarii  anno  septimo  ». 

4.  Reg.  Aven.  Innoc.  VI,  n"  24,  fol.  499,  ad  an.  1360,  Maii  18  :  «  Dil.  fil.  abbati  et 
conventui  monasterii  S.  Evurtii  Aurelianen.  O.  S.  Aug.  salutem,  etc.  Sincère  devotio- 
nis... Oblate...  petionis  séries  continebat,  quod  monasterium  vestrum  S.  Evurtii 
Aurelianen.  O.  S.  Aug.  cum  omnibus  ejus  officinis  propter  guerras  que  in  illis  par- 
tibus viguerunt  destructum  et  ad  aream  (proh  dolor)  redactum  existit,  quodque  ves- 
tri  redditus  propter  combustionem  domorum  et  grangiarum,  fugam  colonorum,  per- 
ditionem  animalium  necessariorum  ad  agriculturam  sunt  adeo  diminuti  quod  ex  eis 
sustentari  nequitis.  Quare  fuit  nobis  pro  parte  vestra  humiliter  supplicatum  ut  ad 
prioratum  S.  Donatiani  Aurelianen.  d.  Ord.  a  dicto  monasterio  dependentem  et  per 
ejus  canonicos  solitum  gubernari,  ad  quem  cum  Sanctorum  reliquiis,  libris,  etorna- 
mentis  ecclesiasticis  confugistis,  et  in  quo  certisque  hospitiis  contiguis  eidem  prio- 
ratu conjungendis  monasteriolum  cum  modicis  officinis,  ubi  silentium  etalia  teneatis 
regularia  instituta,  commodius  quam  alibi  construi  poterit  vos  transferre  et  ibidem 
morari  libère  valeatis  licentiam  concedere  dignaremur.  [Licentiam  hujusmodi  conce- 
dit.] Datum  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc.  XV  kal.  Junii  anno  octavo  ».  Les 


TOUTE  LA  FHANCE  INFESTÉE,  13;]()  A  1360  231 

Bénédictines  de  Saint-Loup  et  les  Cisterciennes  de  Voisins.  Le  sort 
de  La  Mag-deleine-Iez-Orléans  de  l'Ordre  de  Fontevraud  était  pire 
encore.  Ce  monastère,  habité  par  plus  de  soixante  relig-ieuses,  fut 
démoli  ^  et  dans  les  années  qui  suivirent,  toute  leur  fortune,  les 
meubles  et  les  immeubles,  les  titres,  môme  les  fenêtres,  les  portes, 
le  bois  et  les  pierres  en  démolition  furent  saisis  par  les  malveil- 
lants'^ .  L'ég-lise  paroissiale  de  Saint-Pierre-Ensentelée  fut  ruinée  de 
telle  sorte  que  le  curé  et  ses  paroissiens  durent  se  retirer  dans  la 
ville  'K  Les  quatre  Ordres  mendiants  perdirent  ég-alement  les  maisons 
qu'ils  possédaient  en  dehors  des  murs  ^.  Dès  le  23  octobre  1358,  les 
Carmes  reçurent  du  pape  la  permission  d'aliéner  leurs  anciennes 
habitations  et  de  se  retirer  ailleurs  '^  Les  Dominicains  n'étaient  pas 
encore  installés  dans  leur  nouveau  couvent  en  1372^.  C'est  dans 
ce  môme  temps  que  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Aignan  fut  abattue, 
ainsi  que  Jean  de  Venette   le  répète  deux  fois  ^,  bien  que  d'autres 

chanoines  a^'aicnt  alors  l'intention  de  construire  un  nouveau  monastère  (Ibid., 
fol.  280.  ad  Maii  20),  mais  le  28  avril  1371,  leur  cylise  n'était  pas  encore  bâtie  {lieg. 
Va  t.  Gre(j.  XI,  n°  282,  fol.  -43). 

1.  Jean  de  Venette,  p.  296.  Voy.  la  note  suivante. De  Vauzelles,  Hisl.  du  prieuré, 
de  la  Magdeleine-lez-Orlénns  (1873),  au  contraire  dit  p.  45  :  «  nos  recherches  ne  nous 
ont  rien  appris  à  ce  sujet  ». 

2.  Suppl.  Urhani  y,  n°  41,  fol.  10,  ad  an.  1375,  April.  16  :  «  Si{i,nificant  S.  V.  cum 
lacrimis  et  genibus  flcxis  et  e.xponunt  devoti  vcstri  lilii  et  assidui  oratores  priorissa 
priorquc  et  conventus  prioratus  hospicii  monialium  B.  Marie  Magdalene  prope  Aure- 
lianos  per  priorissam  quantum  ad  moniales  et  sorores  insimul  et  ad  partem  commo- 
rantes,  et  per  priorcm  quantum  ad  fratres  ad  partem  aliam  commorantes  et 
administra tionem  tcmporalium  ipsius  prioratus  soliti  jvubernari,  a  monastcrio 
monialium  Fontis  Ebraudi  O.  S.  B.  Pictaven.  dioc.  dependentis,  quod  cum  nonnulli 
iniquitatis  fîlii,  quos  prorsus  ignorant,  décimas,  rcdditus,  census,  legata,  domos, 
vineas,  ortos,  prata,  pascua,  nemora,  molendina,  jura,  jurisdictiones,  vasa  aurea  et 
argentca,  calices,  cruces,  libros  ecclesiasticos,  pannes  lineos  et  laneos.  bladi,  vini, 
lanaruni  quantitates,  pecuniarum  summas,  privilégia,  litteras  auttenticas,  instru- 
menta publica,  hostia,  fenestras,  lapides  et  ligna  suorum  destructorum  occasione 
guerrarum  edifîciorum,  animalia  ad  agriculturam  necessaria,  et  quedam  alia  bona  ad 
dictos  significantes  et  prioratum  spectantia  temere  et  malitiose  recelare  et  occultare, 
ac  occulte  detinere  presumunt.  [Petunt  ut  cantori  ceci.  S.  Aniani  Aurelian.  conceda- 
tur  ut  in  supradictos  excommunicationis  sententiam  proférât,  nisi  de  premissis  satis- 
faciantj.  Dat.  Avinione  XVI  kal.  Maii  an.  III.  » 

3.  BiMUEM'T,  Ilial.  de  la  ville  d'Orlénris  (1885),  II,  p.  288,  où  Ton  apprend,  du  reste, 
peu  de  chose  sur  cette  destruction  des  faubourgs. 

4.  Jean  de  Venette,  1.  c. 

5.  Reçf.  Viit.  Innoc.  VI,  n"  233,  fol.  465''.  La  supplique  des  Carmes  date  au  moins  du 
commencement  d'octobre. 

6.  Reff.  Aven.  Grecf.  XI,  n"  13,  fol.  229''. 

7.  Conlin.  Guill.  X'niuf.,  II,  p.  279,  296. 


232  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

prétendent  que  ce  fait  se  rapporte  à  l'an  1370  ^  D'après  un  acte  de 
Charles  V  daté  du  20  novembre  1375-,  on  peut  conclure  que 
d'autres  églises  et  monastères  furent  rasés  par  les  habitants  en  1358 
et  1359.  Jean  de  Venette  mentionne  encore  le  prieuré  de  Saint- 
Laurent^. 

Les  Anglais  ne  pouvaient  s'emparer  d'Orléans,  mais  ils  pillaient 
et  incendiaient  les  faubourgs  et  tuaient  tous  ceux  qu'ils  rencon- 
traient^. Toujours  en  octobre,  Knolles,  avec  sa  bande,  marcha 
ensuite  vers  l'est  et  s'empara  de  Ghâteauneuf-sur-Loire  ^  Il  y  tint 
garnison  et  entreprit  de  là  des  courses  dans  le  voisinage.  Tout  près, 
et  aussi  sur  la  rive  droite  de  la  Loire,  se  trouvait  la  célèbre  abbaye 
de  Saint-Benoit-sur-Loire.  Elle  reçut  en  1361  une  bulle  du  pape 
Innocent  VI  au  sujet  des  dévastations  qu'elle  avait  subies^,  et  les 
moines  se  plaignirent  à  Urbain  V  d'avoir  été  ravagés  et  incendiés 
et  de  l'appauvrissement  qui  s'ensuivait  ^. 

Je  ne  sais  si  c'est  une  partie  de  la  bande  de  Knolles  ou  un  autre 
détachement  anglais  qui,  le  31  octobre  1358,  s'empara  de  Chantecoq 
(Loiret)  et  de  là,  incendia  et  subjugua  toute  la  contrée.  Hugues  de 
Montgeron,  prieur  de  Saint-Thibaut  ou  de  Notre-Dame-des-Brulés  8, 

1.  Hubert,  Antiquitez  historiques  de  l'église  royale  de  Saint-Aignan  d'Orléans 
(1661),  p.  30,  Preuves,  p.  66;  Gall.  christ.,  VIII,  ]520,  Il  est  vrai  qu'on  s'occupa  de 
rebâtir  l'église  seulement  en  1372,  et  que  selon  un  document  dans  Hubert,  Preuves, 
p.  64,  l'église  de  Saint-Aignan  était  plutôt  intacte  que  détruite  le  26  mars  1366. 

2.  «  Dudum  tempore  gueri'arum  quae  in  regno  nostro  diutius  viguerunt,  nonnuUa 
monasteria,  ccclesiae,prioratus  et  alia  loca  tam  ecclesiasticarum  et  nobilium,  quam 
aliarum  plurium  personarum  circa  et  prope  civitatem  ipsam  (Aurelianen.)  situata 
demolita,  diruta  et  devastata  fuere  pro  conservatione,  securitate  et  tuitione  civitatis 
praedictae  et  totius  patriae  convicinae  prae  timoré  inimicorum  nostrorum  et  regni 
nostri,  qui  patriam  immaniter  devastabant  »,  etc.  Hubert,  1.  c,  Preuves,  p.  147. 

3.  Contiîi.,  etc.,  p.  296. 

4.  Jean  DE  "Venette,  p.  279;  Knighton,  p.  102. 

5.  Grand,  chron.,  p.  142, 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  183. 

7.  Suppl.  Urb.  V,  n"  35,  fol.  202,  ad  an.  1363,  Febr.  14  :  «  Monasterium...  et  mem- 
bra  ab  eodem  dependentia  propter  guerrarum  et  inimicorum  incursionem  nimium 
desolata  ex  nunc  et  pregravata  ».  Ihid.,  n°  41,  fol.  11'%  ad  an.  1365,  April.  18  :  «  abbas 
et  conventus  olim  tam...  preclari,  nunc  (proh  dolor)  per  casuale  incendium  dcstructi 
monasterii  S.  Benedicti  Floriacen.  »,  etc.  Reg.  Vat.  Greg.  XI,  n"  283,  fol.  8'',  ad  an- 
1372,  Febr.  9  :  «  Cum...  monasterium...  occasione  guerrarum,  que  in  illis  partibus 
ingruerunt,  sit  ignis  incendio  concrematum  et  in  suis  facultatibus  diminutum  repara- 
tioneque  indigeat  quamplurimum  sumptuosa  »,  etc.  Rocher,  Hist.  de  Vabbaye  de 
Saint-Benoit-sur-Loire  (1865),  p.  352  à  364,  est  muet  sur  tous  ces  faits. 

8.  Voy.  Quesvers  et  Stein,  Pouillé  de  Vancien  diocèse  de  Sens  (1894),  p.  60. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13o6    A    1300  233 

dépeint  avec  de  vives  couleurs  ces  tristes  événements.  Il  raconte 
qu'ayant  été  obligé  d'abandonner  sa  demeure,  il  s'était  enfui  dans 
le  bois  voisin  de  la  Queue,  au  bord  de  l'étang  du  seigneur  de  Ville- 
béon.  Le  prieuré  fut  entièrement  pillé  par  les  Anglais,  les  habi- 
tants du  pays  furent  rançonnés  ou  prirent  la  fuite  ;  plusieurs 
furent  massacrés.  C'est  le  4  juillet  1339  que  Hugues  écrivait  le 
récit  de   ces   tribulations ,  assez  mal    abrité  derrière   sa  grange  ^  ; 


1.  Le  récit  de  ses  tribulations  pendant  les  années  1358-1359  se  trouve  dans  le  ms. 
207  de  la  Bibl.  de  Sainte-Geneviève,  fol.  105  et  fut  publié  par  J.  Quichiîhat,  dans  la 
Bîbl.  de  VÉcole  des  Chartes,  A'  série,  t.  III  (1857),  p.  359,  dont  ici  suivent  quelques  mor- 
ceaux: «  AnnoDomini  millcsimo  CGC"'"  LVIIIo,  venerunt  Anj^lici  apud  Gallirantum,et 
in  vigilia  Omnium  sanctoruni  totam  villam  pêne  incenderunt,et  postea  totam  patriam 
suo  dominatui  subjugaverunt,  mandantes  villis  tam  parvis  quam  mafj^nis  ut  se  omnes, 
videlicet  corpora,  bona,  mobilia  redimerent,  alioquin  domos  ince[n]derent  :  quod  ita 
fecerunt  plurilius  in  locis.  Undc  iurbati  et  valde  territi  plurimi  populi  erga  Anglicos 
se  traxerunt,  finenciam  facientcs  per  modum  l'edemtionis,  eisdem  promittente»  flore- 
norum  pecunias,  farinas,  avenas  et  multa  alia  victui  suo  necessaria  se  daturos,  si  ali- 
quam  partem  temporis  a  tormcntis  predictis  cessarent,  quia  quamplurimos  homines 
in  diversis  locis  occiderunt;  alios  in  carceribus  obscurissimis  detinebant,  sinj^ulis 
diebus  cis  mortem  imminentes,  et  eos  verberibus,  plagis,  famé  et  penuria,  ultra  quam 
se  credi  potest,  incessantcr  alïligebant.  Alii  vero  non  habentes  ut  se  redimerent,  nec 
cciam  volentes  se  potestati  sue  submittere,  sed  manus  suas  evadere,  in  nemoribus 
logias  faciebant,  ibidem  pancm  suum  cum  metu,  tristicia  et  omni  dolorc  comedentes. 
Quod  etiam  Anglicis  innotuit  et  pro  certo  dictas  logias  qucsierunt,  ncmora  plures 
investigantes,  et  multos  homines  ibi  morantes,  alios  occiderunt,  alios  acceperunt,  et 
alii  evaserunt.  De  quibus  ego,  Hugo  de  Montegisonis,  prior  de  Brailet  in  parrochia  de 
Domato,indecanatu  Curtiniacy,  Senonensis  dyoc,  logiamcomposueram  in  nemore  de 
Gauda,  super  stagnum  domini  de  Villabeonis,  et  ibi  cum  pluribus  meorum  vicinorum 
morabar,  cotidie  videns  et  audiens  de  inimicis  nostris  opéra  prava  et  perversa,  vide- 
licet domos  incensas,  et  multos  interfectos,  per  vicos  et  hamellos  more  bestiali  jacen- 
tes.  Quibus  sic  visis  et  auditis,  civitatem  ire  proposueram,  moraturus,  videlicet 
dominica  postLuciam;  sed  accidit  quod  eadem  nocte,  isti  maledicti  Anglici  fuerunt 
ad  logiam  meam  ita  conducti  subtiliter,  custodibus  vix  nostris  vigilantibus,  quod  fere 
me  dormientem  acceperunt;  sed,  per  Dei  graciam  et  B.  Virginis  Marie  auxilio,  eorum 
tumultu  evigilavi,  et  nudus  evasi,  nichil  mecum  portans,  propter  properantiam, 
excepta  tunica  cum  capitegio,  transiensque  per  médium  stagnum,  ibi  mansi  donec 
logia  tota  fuisset  denudata,  tremcns  et  gemens  pre  frigore,  quia  tune  magnum  erat  ; 
et  postea  Senones  adii...  Et  ita  in  illa  tribulatione  vixi  ego  a  dicto  festo  Omnium 
Sanctoruni  usque  ad  festum  predicti  Baptiste.  Sed  intérim  me  ceperunt  ;  sed  me  non 
cognoscentes,  furatum  rcliquerunt,  quia  tantum  pauci  erant  :  super  quibus  laudetur 
Deus  !  In  illo  tempore  predicto,  omnia  mobilia  donms  depredaverunt,  quatuor  vini 
caudas  bibcrunt,  modium  avene  detulerunt  ad  mensuram  Curtiniacy,  omnes  vestes 
meas  habuerunt,  equos  furati  sunt,  argcntum  duobus  vicibus  amovcrunt,  pigiones 
manducaverunt  tempore  paschali  et  etiam  dominica  in  crastino  beaforum  Pétri  et 
Pauli...  Scriptum  rétro  gi-anchiam  nostram,  die  jo^■is  in  festo  cstivalis  beati  Martini 
anno  MCGCLIX'',  quia  alibi  non  audebam.  Videte  si  sit  dolor  similis  sicut  dolor 
meus,  vos  qui  civitates  et  castella  abitatis.  » 


234  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

il  s'y  trouvait  encore  le  29  octobre  ^  et  toujours  en  grand  danger. 

KnoUes  lui-même  chevaucha  en  Puisaye,  s'empara  de  Chàtillon- 
sur-Loing,  remonta  àMalicorne,  de  là  gagna  la  vallée  de  l'Yonne 
et  s'installa  le  8  décembre  13o8  à  Regennes  2  dans  un  château 
appartenant  à  l'évêque  d'Auxerre  qui  y  séjournait  souvent.  A  Mali- 
corne,  nous  retrouvons  l'Archiprêtre  allié  avec  les  paysans  pour 
chasser  Knolles  et  ses  Anglais,  mais  il  n'y  parvint  pas  et  dut  se  reti- 
rer honteusement^.  A  deux  lieues  seulement  de  Malicorne,  à  mi- 
chemin  de  Ghâtillon-sur-Loing  était  située  l'abbaye  cistercienne  de 
Fontaine- Jean.  Les  moines  se  retirèrent  à  Montargis  pendant  que 
leur  monastère  et  l'église  furent  dévastés  et  démantelés.  Leurs 
terres,  manoirs  et  fermes  furent  brûlés  et  aussi  dévastés.  Cet  état 
de  choses  dura  plusieurs  années  ^. 

Dès  la  fin  de  1358,  Auxerre  était  cernée  de  tous  côtés  par  suite 
de  l'occupation  des  forteresses  par  les  Anglais  ^.  De  Regennes, 
Knolles  et  ses  troupes  tentèrent  fréquemment  de  prendre  la  ville. 
Le  10  janvier  13o9  vers  neuf  heures,  le  cri  aux  armes  y  retentit. 
Les  ennemis  s'approchaient  en  effet.  Au  même  moment  on  dut 
administrer  le  sacrement  de  l'Extrême-Onction  à  l'évêque  Jean 
d'Auxois.  Une  partie  du  clergé  se  trouva  dans  la  chambre  du  mou- 
rant les  armes  à  la  main.  Ce  spectacle  attendrit  le  prélat  qui  n'y 
survécut  que  quelques  heures  ^'.  L'assaut  ne  réussit  pas  pour  le 
moment,  mais  les  environs  de  la  ville  n'en  furent  pas  pour  cela 
moins  terrorisés.  Les  religieux  dont  les  monastères  étaient  situés 
dans  le  pays  plat  s'enfuirent  à  Auxerre.  L'al)baye  des  Prémontrés 
de  Saint-Marien  tout  près  d' Auxerre,  fut  démolie  sur  Tordre  du 
recteur  de  la  ville  afin  qu'elle  ne  pût  servir  de  retraite  aux 
Anglais.  Les  religieux  se  retirèrent  dans  leur  prieuré  de  Notre- 
Dame-la-d'Hors  à  Auxerre  et  y  restèrent  environ  quinze  ans  réduits 

1.  Aïs.  de  Sainte-Geneviève  cité,  fol.  29'',  à  la  fin  d'une  invocation  à  la  Sainte- 
Vierge  :  «  Sci'iptum  rétro  granchiam  de  Brulet  in  magno  timoré,  die  martis  post  fes- 
tuni  Simonis  et  Jude  an.  Dom.  1359,  per  Hugonem  ».  Voy.  Catalogue  gén.,  Bihl.  S. 
Geneviève,  I,  p.  123. 

2.  Voy.  Lebeuf,  Mém.  concernant  Vhist.  ecclésiast.  et  civile  cVAuxerre  (17-13),  I, 
p.  464. 

3.  Grand,  chron.,  1.  c.  Voy.  Ghérest,  UArchiprètre,  p.  74  suiv. 

4.  Jauossay,  Hist.  de  l'abbaye  de  Fontaine-Jean  (1894),  p.  169  suiv. 

5.  Voy.  les  noms  dans  Froissart,  éd.  LrcE,  p.  xm,  not.  4. 

6.  Labbe,  i\ov-  Bibl..  I,  p.  513;  Lebeuf,  Mém.,  I,  p.  465. 


TOUTE    LA    FRANCE  INFESTÉE,     1356    A    1360  23o 

à  une  grande  pauvreté  K  Les  religieux  des  deux  prieurés  de  Saint- 
Amatre  et  de  Saint-Gervais  et  les  Bénédictines  de  Saint-Julien  s'y 
retirèrent  sans  doute  de  même  -. 

Le  10  mars,  la  ville  d'Auxerre  fut  prise  et  saccagée  par  Robert 
Knolles'^.  Presque  tous  les  habitants  furent  arrêtés  pour  être  ran- 
çonnés. Les  Anglais  passèrent  huit  jours  entiers  à  ne  faire  autre 
chose  que  fouiller,  piller  et  emporter  leur  butin  en  lieux  sûrs.  Ils 
n'épargnèrent  ni  le  sacré  ni  le  profane,  pillèrent  les  églises  et  toutes 
les  maisons  des  habitants.  La  cathédrale  y  perdit  une  partie  de  son 
argenterie,  entre  autres,  les  belles  lampes  d'argent  qui  étaient  sus- 
pendues devant  le  maître-autel.  Les  vainqueurs  avouèrent  y  avoir 
pris  la  valeur  de  six  cent  mille  moutons  (florins)  d'or  sans  compter 
les  rançons  de  toute  espèce  que  payèrent  ou  promirent  les  prison- 
niers ^.  Lorsqu'ils  ne  trouvèrent  plus  rien  à  prendre,  ils  allèrent 
trouver  quelques-uns  des  plus  notables  de  la  cité  et  leur  déclarèrent 
qu'ils  étaient  résolus  à  brûler  la  ville  si  on  ne  la  rachetait.  Les 
habitants,  pour  éviter  ce  malheur,  consentirent  au  rachat.  Moyen- 
nant une  rançon  de  40.000  moutons  ou  florins  d'or  et  de  iO.OOO 
perles  du  prix  de  10.000  moutons,  et  à  condition  qu'on  leur  enga- 


1.  Siippl.  Urb.  V,  n"  37,  fol.  liO^  ad  an.  1363,  Jul.  1  :  «Significant  S.V.  devoti  orato- 
res  vestri  abbas  et  conventus  monastcrii  sancti  Mariani,  Autissiodoren.,  Ord.  Pre- 
monstraten.,  quod  in  novissimis  guerris  que  in  regno  Francic  viguerunt,  rcctores 
civitatis  Autissiodoren.,  ne  inimici  dicti  regni  in  danipnuni  dicte  civitatis  se  ipsos  in 
dicto  monasterio  reciperent,  edificia  ipsius  totaliter  destrui  et  demoliri  fecerunt, 
quod  dicti  abbas  et  conventus  amplius  ibidem  residere  nequeuntes  translulerunt  se 
ad  quemdam  locum  infra  muros  civitatis  pi'edicte,  ubi  est  parrochialis  ecclesia  que 
dicitur  beata  Maria-extra-muros,  que  per  fratres  et  religiosos  dicti  nionasterii,  vide- 
licet  unum  curatum  et  duos  fratres  sibi  socios,  est  solita  gubernari,  in  quo  loco  sunt 
claustrum,  dorniitorium  et  loca  alia  satis  pro  rcgulari  observantia  competentia.  Et 
cum  vix  ipsi  abbas  et  conventus  prcdicti  habeant  unde  vivere  possint,  nuUatenus  pro 
nunc  possunt  dicta  destructa  edificia  reparare  in  toto  aut  in  parte  pro  eorum  neces- 
saria  mansione...  [Supplicant  ut  in  dicto  loco  valcant  residere  per  decennium  cum 
omnibus  cmolumentis].  Fiat  ad  decem  annos.  B.  Dat.  Avinione  kal.  Julii  anno 
primo  ».  Dans  SiippL,  fol.  218*'  (Jul.  24),  les  religieux  demandent  des  indulgences, 
«  ut  dictum  monasterium  ita  miserabiliter  dcsolatum  per  elemosinas  popularium 
citius  valeat  reedificari  ».  Cf.  encore  Lebeuk,  Mém. ,  II,  p.  218,  et  la  chronique  de 
Saint-Marien  {ibid.,  Preuves,  n°  305,  p.  262).  D'après  Gall.  christ.,  XII,  p.  472,  les 
religieux  sont  retournes  dans  leur  ancienne  habitation  le  28  juillet  1373. 

2.  Lebeuf,  Mém.,  II,  p.  2J8. 

3.  Grand,  chron.,  p.  147.  Il  y  fut  fait  chevalier. 

4.  Lebeuf,  Mém.,  II,  p.  219  suiv.  Cf.  Chérest,  Vézelay.  Étude  historique.  II  (1868\ 
p.  219. 


236  LA  CtUerhe  de  cent  ans 

gérait  les  joyaux  de  Tég-lise  de  Saint-Germain-d'Auxerre  jusqu'au 
parfait  payement  de  la  dite  rançon  K  Ainsi  s'explique  ce  que  dit 
Knig-hton  -  qu'il  ne  se  trouva  pas  à  Auxerre  un  Anglais  si  pauvre 
qu'il  fût  qui  ne  se  soit  promptement  enrichi.  Les  Anglais  évacuèrent 
la  ville  le  30  avril  après  en  avoir  brûlé  les  portes  et  abattu  une 
grande  partie  des  murs,  emmenant  avec  eux  un  nombre  considé- 
rable d'hommes ,  de  femmes  et  d'enfants  de  l'âge  de  dix  ans  ou 
environ  3,  mais  sans  cependant  quitter  le  voisinage.  C'est  seule- 
ment le  8  septembre,  après  que  le  connétable  Robert  de  Fienne  et 
l'évêque  de  Troyes,  Henri  de  Poitiers,  furent  arrivés  à  la  tête  d'une 
forte  armée  qu' Auxerre  fut  rendue  à  la  France  ^.  Le  2  mai,  KnoUes 
brûla  Ghatillon-sur-Loing  et  retourna  à  Ghâteauneuf-sur-Loire  ^. 

G'est  entre  13o8  et  1360  que,  pour  la  première  fois  pendant 
cette  guerre,  fut  ruinée  la  célèbre  abbaye  bénédictine  de  Ferrières; 
les  ennemis  dévastaient  les  terres  et  pillaient  l'église  de  ses  trésors 
et  le  monastère  de  ses  chartes  ^.  G'est  vraisemblablement  à  cette 
époque  que  l'abbaye  cistercienne  d'Echarlis,  près  de  Joigny ,  éga- 
lement du  diocèse  de  Sens,  fut  entièrement  détruite^. 

La  ville  de  Sens  eut  moins  à  souffrir  des  bandes  au  xiv^  siècle 
qu'au  xv^  ;  mais,  en  1358,  la  nécessité  de  se  défendre  contre  l'ennemi 

1.  Grand,  chron.^  p.  148  suiv.  Voy.  Lebeuf,  1.  c,  où  se  trouvent,  p.  220  à  223, 
beaucoup  de  renseignements  sur  les  négociations.  Henry,  Hist.  de  l'ahhaye  de  Saint- 
Germain  d' Auxerre  (ISbS) ,  p.  314  suiv.,  apporte  d'autres  détails.  Le  10  avril  1366, 
Robert  Knolles  «  par  remords  de  conscience  et  en  considération  du  pape  Urbain  V  » 
fit  remise  aux  habitants  d' Auxerre  des  40.000  florins  d'or  ou  moutons.  Lebeuf,  1,  c, 
Preuves,  n°  200,  p.  113,  où  par  faute  d'impression  on  lit  MCCGLXX,  au  lieu  de 
MCCCLXVI,mais  la  pièce  est  bien  placée  à  Tan  1366  par  Lebeuf.  G'est  en  cette  même 
année  que  Robert  Knolles,  qui  en  vertu  de  la  bulle  Ad  reprimendas  (voy.  ci-dessus, 
p.  181)  était  encore  excommunié,  reçut  l'absolution  (cf.  Prou,  Etude  sur  les  relations 
politiques  du  pape  Urbain  V  avec  les  rois  de  France,  1888,  p.  148,  n°  69).  Cf.  Ghapo- 
Tix,  Les  Dominicains  d  Auxerre  (1892),  p.  52  suiv.  S.  Luce  avait  donc  tort  de  pré- 
férer la  date  de  1370  (Froissart,  p.  xlii,  not.). 

2.  Chron.,  p.  102  :  «  et  non  erat  ibi  Anglus  tam  pauper  quin  de  auro  et  argento  et 
et  aliis  jocalibus  et  pretiqsis  ad  plénum  ditatus  est  ». 

3.  Grand,  chron.,  p.  151. 

4.  Lebeuf,  Mém..  II,  p.  223  suiv. 

5.  Grand,  chron.,  1,  c. 

6.  Voy.  Bibl.  Nat.,  ms.  latin  12670,  fol.  114  et  122.  Gall.  christ.,  XII,  p.  165  sq. 
L'étude  de  l'abbé  Jarossay  sur  cette  abbaye  dans  Annales  de  la  Soc.  histor.  et 
archéol.  du  Gâtinais,  t.  XVI,  n'a  pas  encore  atteint  le  xiv*  siècle. 

7.  Voy.  Jarossay,  Hist.  de  Vabbaye  de  Fontaine-Jean,  p.  200.  Janauschek.  Oriffin. 
Cisterciens.,  p.  20.  Gall.  christ.,  XII,  p.  221,  ad  an.  1357. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    I35f>    A    1360  237 

ayant  oblig-é  les  habitants  à  élever  des  fortifications  et  à  creuser 
des  fossés,  ils  détruisirent  les  abbayes  bénédictines  de  Saint-Pierre- 
le-Vif  et  de  Saint-Remy^,  et  les  couvents  des  Frères  Prêcheurs ^ 
et  Mineurs'^,  qui  se  trouvaient  hors  de  l'enceinte  fortifiée,  afin 
que  Tennemi  ne  pût  s'y  loger.  Non  loin  de  Sens  stationnait 
Eustache  d'Auberchicourt ,  qui  résidait  habituellement  avec  ses 
bandes  à  Nogent-sur-Seine  et  à  Pont-sur-Seine,  mais  qui  occupa 
aussi  Damery,  Lucy,  Saponay,  Troissy,  Arcis-sur-Aube  et  Plancy^. 
A  l'est  de  Sens,  à  Aix-en-Othe,  les  Anglo-Navarrais  s'étaient  éta- 
blis, jusqu'en  janvier  1359,  dans  une  maison  fortifiée,  appartenant  k 
l'évêque  de  Troyes^  Il  est  possible  que  la  désolation  des  prieurés 
des  chanoines  réguliers  de  Saint-Sauveur-des- Vignes,  près  de  Sens  ^, 
et  de  Soisy-en-Brie,  près  de  Provins"'^,  ait  eu  lieu  k  cette  époque. 
Du  reste,  cette  dernière  ville  était  alors  seulement  menacée  par  les 
brigands,  mais  elle  n'en  soufTrtiit  pas  moins.  En  13o8,  tandis  que 
des  impôts  étaient  levés  pour  réparer  les  fortifications,  le  régent  fit 
détruire  les  faubourgs  dans  lesquels  les  Anglo-Navarrais  auraient 
pu  établir  leurs  quartiers.  Il  fit  également  abattre,  à  Provins,  la 
célèbre  église  collégiale  de  Notre-Dame-en-Val ,  qui  fut  plus  tard 
reconstruite  dans  la  ville,  et  les  églises  Saint-Sjdlas  et  Saint-Jean 
de  Villecran  ^.  Le  sort  du  territoire  de  la  ville  était  pire  encore. 


1.  Gall.  christ.,  1.  c,  p.  142,  119.  Mais  l'abbaye  bénédictine  de  Sainte-Colombe- 
lez-Sens  fut  dévastée  plus  tard.  Voy.  Reg.  Vat.  Ben.  XIII,  n"  326,  fol.  406;  Demfi.e, 
Désolation  des  églises,  I,  n"  949.  Bbullée,  Histoire  de  cette  abbaye  (1852),  dit  à  tort, 
p.  127,  que  cela  arriva  seulement  au  xv*  siècle. 

2.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  24,  fol.  489,  ad  an.  1360,  April.  5  : 

«  Dil.  filiis...  priori  et  fratribus  Ord.  Predic.  Senonen.  salutem  etc.  Sacre  religio- 
nis,  etc.  Sane  petitio  pro  parte  vestra  nobis  nuper  exhibita  continebat  quod  edificia 
loci  vestri,  qui  extra  fortalitia  civitatis  Senonen.  existit,  propter  guerras  in  illis  par- 
tibus  ingruentes  sunt  jani  pro  maxinia  parte  diruta  et  timetis  quod  residuum  totaliter 
diruatur.  [Aliuni  locum  infra  niuros  dicte  ci\'itatis  recipiendi  licentiam  tribuit].  Dat. 
Avinione-idus  April.  an.  VIII  ».  Ils  reçurent  les  privilèges  pour  le  nouveau  couvent 
seulement  le  7  mai  1369  {Reg.  Vat.  Urh.  V,  n"  259,  fol.  65). 

3.  Ibid.,  fol.  334,  Octob.  31. 

4.  FrOISSART,   p.    XLIII. 

5.  Grand,  chron.,  p.  147. 

6.  Reg.  Vat.  Cleni.  VII,  n°  299,  fol,  36,  ad  an.  1388,  Januarii  12.  Dans  la  lettre,  il 
s'agit  des  ruines  des  temps  précédents. 

7.  Ihid.,  n°  292,  fol.  258^  ad  an.  1380,  Augusti  27. 

8.  BouRQUELOT, //i5i(.  de  Provins  (1840),  I,  319,  378;  II,  p.  27.  Quesvers  et  Stein 
Fouillé  du  diocèse  de  Sens,  p.  236,  disent  que  c'était  en  1 356,  Bourquelot  assigne  l'an  1358, 


238  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

L'abbaye  de  Champbenoît  et  le  prieuré  de  Saint-Léonard  des  Béné- 
dictines, Fabbaje  des  Cisterciennes  du  Mont  Notre-Dame  et  le 
prieuré  de  Gluny  du  Mez-de-la-Madeleine  furent  pillés  et  saccagés 
par  les  Ang-lo-Navarrais  K  La  même  année,  au  sud-ouest,  Fabbaye 
fortifiée  de  Château-Landon,  chan.  rég". ,  fut  occupée  par  les  Anglais  -, 
et  l'abbaye  de  Saint-Jean-Baptiste-le-Jard  complètement  pillée  3.  Le 
22  juillet  1404,  Benoît  XIII  disait  que  le  prieuré  de  Saint-Benoît 
de  Notre-Dame  d'Andresy  avait  déjà  été  brûlé  trois  fois  et  que 
l'église  l'avait  été  aussi  en  partie  ^  ;  il  est  donc  bien  probable 
que  la  désolation  commença  avant  1360. 

Les  Anglo-Navarrais  se  tenaient  donc  aussi  à  VEst  de  Pajns.  Dès 
:    1358  ils  s'emparèrent  de  La  Ferté-sous-Jouarre  ;  et,  de  là,  le  8  janvier 
1    1359,   ils  pillèrent  Lagny-sur-Marne  et  prirent  un  certain  nombre 
'   d'habitants.  Les  brigands  venant  ensuite  dévastèrent  la  ville,  et  le 
reste  des  habitants  fut  obligé  d'en  sortir  ^.  Les  moines  bénédictins 
de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  de  Lagny  en  étaient  venus  à  une  telle 
pauvreté  qu'ils  ne  pouvaient  payer  la  pension  en  blé,  bois,  char- 
bon,  due  à  Jean  Channelli  et  Jacqueline  sa   femme,  citoyens  de 
Paris  '^.   Vers   la   même  époque ,   Juilly  et  l'abbaye   des   chanoines 
réguliers,  qui  y  était  située,  furent  dévastés  et  incendiés  ''.  L'abbaye 
des  Bénédictines  de  Notre-Dame  de  Chelles  fut  également  dévastée, 
et  les  religieuses  y  étaient  dans  une  telle  détresse  qu'elles  durent 
A^endre  les  objets  précieux  et  les  joyaux  du  monastère^.  La  dévasta- 
tion de  Meaux,  en  1358,  est  trop  connue  pour  que  je  m'y  arrête. 
Du    côté  de  Soissons,  de  Laon  et  de  Reims  9,  dans  la  seigneu- 
rie de  Goucy  et  le  comté  de  Roucy,  on  trouve  également  des  bri- 
gands dont  la  garnison  est  à  Vailly.  Dans  le  diocèse  de  Laon,  la 
cherté  des  vivres  était  extrême,  parce  qu'on   ne   cultivait  plus  la 

1.  BouRQUELOT,  I,  376  suiv.  ;  II,  29. 

2.  DoRVKT,  Château-Landon  et  Vabhaije  de  Saint-Séverin  (1877). 

3.  Gall.  christ.,  XII,  p.  212.  La  misère  du  xv*  siècle  (voy.  Demfle,  La  désolation 
des  églises,  I,  n"  87)  datait  du  xiv*  siècle. 

4.  Recf.  Vat.  Bened.  XIII,  n°  326,  fol.  40. 

5.  Grand,  chron..,  p.  146;  Secousse,  Méni.,  p.  349;  Luce,  Du  Gueselin,  p.  499, 

6.  Recf.  Vat.  Urb.  V,  n°  256,  fol.  95'',  ad  an.  1367,  Septemb.  11. 

7.  Hamel,    Ilist.  de  V abbaye  et   du    collège   de  Juilly  (1868),  p.   51.  Cf.   Jean  de 
Venette,  p.  278,  où  les  Anglais  sont  rendus  responsables. 

8.  ToRCHET,  Hist.  de  l'abbaye  de  Notre-Dame  de  Chelles,  I,  172. 

9.  Voy.  sur  les  églises  détruites  autour  de  Reims,  chap.  IV,  paragraphe  2. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    d  35G    A    1360  239 

terre,  à  cause  des  invasions  ennemies  ^.  L'abbaye  cistercienne  de 
Foig-ny  en  Thiérache  vit  ses  immenses  possessions  dépeuplées  et  la 
plus  grande  partie  des  terres  demeurer  sans  produit,  et  à  tout  cela 
se  joignaient  des  impôts  sans  fin.  Le  monastère  fut  tellement  appau- 
vri qu'il  n'aurait  pu  se  maintenir  si  des  églises  plus  riches 
n'étaient  venues  à  son  secours  -.  A  tout  cela  vint  s'ajouter  un 
autre  fléau  :  l'invasion  d'Edouard  III,  de  laquelle  je  parlerai  au 
chapitre  suivant.  Dans  le  diocèse  de  Soissons,  les  choses  n'allaient 
pas  mieux.  Le  monastère  des  Clarisses  à  Nogent-l'Artaud,  ville 
occupée  dès  1358  jusqu'en  1359,  fut  détruit  et  appauvri  par  les 
ennemis ,  de  telle  sorte  que  les  religieuses  furent  obligées  de  quitter 
leur  habitation  ^.  Saint-Grépin  le  Grand  de  Soissons  des  Bénédictins 
fut,  dit-on,  incendié  par  les  Anglais  en  1359  '*.  A  cette  même 
époque,  on  doit  placer  la  démolition  du  couvent  des  Mineurs  hors 
les  murs  de  Soissons^,  et  la  désolation  de  l'abbave  cistercienne  de 
Longpont^  et  celle  de  l'abbaye  des  Prémontrés  de  Valséry''.  Dès  le 
commencement  de  la  guerre ,  Tabbaye  des  Bénédictines  de  Notre- 
Dame  de  Soissons  voyait  ses  revenus  réduits  de  moitié  ;  ses  mai- 
sons et  ses  granges,  d'où  lui  venaient  ses  ressources ,  étaient 
détruites,  de  sorte  qu'en  1375  la  pauvreté  arrivant  à  son  comble,  le 
pape,  pour  éviter  que  les  religieuses  quittassent  le  monastère,  devait 
réduire  à  cinquante  leur  nombre  qui  s'élevait  à  quatre-vingts  ''^. 

1.  FaoïssAUT,  p.  136  suiv.  Cf.  Je.vx  de  Venette,  p.  295,  281. 

2.  PiET,  Hist.  de  Vabbaye  de  Foic/ny,  p.  95. 

3.  Suppl.  Urb.  V,  n"  41,  fol.  200'',  ad  an.  1365,  Aug.  30. 

4.  Gall.  christ.,  IX,  p.  401. 

5.  Voy.  De.mfle,  L,i  désolation  des  églises,  I,  n"  947.  M.  Leroux,  Hist.  de  la  ville  de 
Soissons  (1839),  II,  p.  17,  fixe  mal  la  démolition  du  couvent  à  l'an  1414. 

6.  Cf.  PouGET,  Monoijraphie  de  Vabbaye  de  Longpont  (1869),  p.  31  suiv. 

7.  Gall.  chinst.,  IX,  488,  maie  ad  an.  135G. 

8.  Reg.  Vat.  Gregor.  XI,  n"  286,  fol.  62'\  ad  an.  1375,  Martii  14  :  «  Dil.  fd.  abbati 
S.  Medardi  Suessionen.  salutem  etc.  Romani  pontifîcis.  Sane  nuper  pro  parte  dil. 
in  Christo  fdiarum...  abbatisse  et  conventus  mon,  B.  Marie  Suessionen.  O.  S,  B. 
nobis  exposito  quod  licet  dudum  fel.  rec.  Alexander  papa  III,  predecessor  noster,  in 
eodem  monasterio...  numerum  octuaginta  monialium  statuisset  et  eliam  ordinasset, 
tamen  successivis  postmodum  temporibus  et  presertim  a  quadraginta  annis  citra 
vel  circiter  fructus,  redditus  et  proventus  ipsius  monasterii  adeo  tam  proptcr  fçuer- 
ras,  mortalitatcs  et  alias  pestilentias  que  in  partibus  illis  longo  tempore  vig-uerunt,et 
alia  quamplurima  et  inevitabilia  gravamina,  dampna  et  incomoda,  quam  alia  inforlunia 
que  eidem  monasterio  contigerant,  quasi  pro  média  parte  vel  circiter  diminuti  et 
attenuati  seu  deperditi,  edificia  quoque  doniorum',  grangiarum  et  aliorum  locorum 
dicti  mon.  ex  quibus  hujusmodi  redditus  et  proventus  provenire  solebant,  in  pluribus 


240  LA  GUERRE    DE    CENT    ANS 

La  garnison  de  Vaillj  fut  renforcée  par  les  bandes  de  Philippe 
de  Navarre,  du  jeune  comte  d'Harcourt  et  de  Jean  de  Picquig-ny 
qui,  au  nombre  de  trois  mille  combattants,  accouraient,  mais  trop 
tard,  au  secours  des  Anglo-Navarrais  assiégés  à  Saint- Valéry, 
dont  l'abbaye  bénédictine  fut  incendiée^,  lesquels  s'étaient  déjà 
rendus  à  Robert  de  Fiennes  et  au  comte  de  Saint-Pol  vers  le 
29  avril  1359  -.  C'est  ainsi  que  les  Navarrais,  venus  pour  secou- 
rir les  leurs ,  furent  poursuivis  par  Robert  et  par  le  comte  de  Saint- 
Pol,  auxquels  ils  échappèrent  en  gagnant  Vailly  ^.  De  Vailly  et  de 
Roucy,  après  le  21  avril  1359,  les  Navarrais  se  rendirent  maîtres 
de  Sissonne,  où  ils  établirent  une  garnison  considérable  sous  les 
ordres  d'un  Allemand,  originaire  de  Cologne,  nommé  Frank  Hen- 
nequin,  à  qui  les  comtes  de  Roucy  et  de  Porcien  livrèrent  entre 
Sévigny  et  l'abbaye  cistercienne  du  Val-le-Roy  un  combat  où  ils 
furent  battus  ^. 

Pendant  ce  temps,  Eustache  d'Auberchicourt  étendait  sa  domi- 
nation au  jDays  de  Brie  et  de  Champagne,  entre  les  deux  rives  de  la 
Seine  et  de  la  Marne  ;  il  avait  bien  mille  combattants,  occupa  envi- 
ron douze  forteresses  et  rançonna  tout  le  pays  entre  Troyes, 
Provins,  Château-Thierry  et  Châlons-sur-Marne  ^.  C'est  l'abbaye 
bénédictine  de  Montier-la-Celle ,  près  de  Troyes,  qui  eut  le  plus  à 

suis  partibus  propter  hujusmodi  guerras  et  alias  pestilentias  destriicta  et  collapsa 
existebant,  quod  abbatissa  et  moniales  predicte  in  hujusmodi  numéro  existentes  ex 
eisdem  redd.  et  prov.  earum  non  potcrant  commode  in  eodem  monasterio  sustentari, 
quinymo  nisi  a  suis  parentibus  subveniretur  eisdem,  oporteret  eas  in  ipsarum  et 
religionis  earum  obprobrium  mendicare,  quodque  quamplures  mulieres  hujusmodi 
dampna...  ignorantes  ac  forsitan  cupientes  in  ipso  monasterio  plus  preesse  quam 
prodesse,  a  sede  apostolica  et  quibusdam  potentissimis  magnatibus,  quibus  abbatissa 
et  conventus  predicte  suum  non  erant  ause  denegare  assensum,  litteras  deprecatorias 
ut  in  eodem  monasterio  in  moniales  et  sorores  admitterentur  seu  etiam  reciperentur, 
impetrarant,  prout  adhuc  nonnulle  impetrare  nitebantur.  Propter  que  eedem  abba- 
tissa et  conventus  dubitabant  verisimiliter  quod  oporteret  eas  dictum  monasterium 
derelinquere  nisi  eis  super  hoc  provideretur...  [Gommittit  abbati  supradicto  ut  de 
valore  reddituum  se  diligenter  informet,  et  si  praemissa  veritate  fulciri  repererit, 
octogenarium  ad  quinquagenarium  vel  alium  numerum  reducat,  ac  per  quadraginta 
annos  hune  numerum  duraturum  statuât.]  Datum  Avinione  ij  id.  Martii  an,  quinte.  » 

1.  Voy.  Lice  dans  Froissaut,  p.  xliv,  not.  6. 

2.  Gall.  christ.,  X,  p.  1238. 

3.  Ibid.,  p.  XLV  suiv. 

4.  Chronique  de  Jean  de  Noyai  dans  Bibl.  nat.,  ms,  fr.  10138,  fol.  170'';  Luge 
dans  Froissart,V,  p.  xlvii,  not.  3;  A.  MoiA^iiEndansV Annuaire-Bulletin  de  la  Soc.  de 
l'hist.  de  France,  année  1883,  p.  258  suiv. 

5.  FrOISSART,  p.   XLVItl. 


TOUTE    LA    FKAxNCE    INFESTÉt:,     135H    A    1360  2  il 

soull'rir.  Le  château  que  cette  abbaye  possédait  à  Verdey  avait 
déjà  été  détruit  par  Eustache  d'Auberchicourt  '  lorsque  les  habitants 
de  Troyes  démolirent  leur  ég-lise  et  leur  monastère,  et  en  empor- 
tèrent le  bois  pour  fabriquer  des  machines  de  guerre  et  les  pierres 
pour  faire  les  fortifications  de  la  ville  ~.  Le  dommage  causé  au 
monastère  fut  de  vingt-quatre  mille  florins  d'or  ^.  De  plus,  leurs 
deux  belles  granges  de  Montier-la-Celle  et  de  Heurtebise  furent 
jetées  à  bas,  et  les  gens  portaient  le  bois  et  les  tuiles  soit  à  la 
grosse  tour  de  Troyes,  soit  au  château  de  Montaigu  ^.  Les  moines 
cherchèrent  un  abri  chez  les  Dominicains  de  Troves.  Leur  misère 
était  extrême,  et  l'abbé,  qui  refusait  de  mettre  à  leur  disposition 
les  maisons  que  l'abbaye  possédait  en  ville,  les  laissait  encore 
manquer  du  nécessaire  en  vêtements  et  nourriture  ;  le  régent  et  la 
reine  de  Navarre  prirent  soin  d'eux  ^  C'est  sans  doute  au  même 
temps  que  rabba3^e  des  Bénédictines  du  Paraclet  fut  saccagée  par 

1.  Lalore,  Cnrlulaires  du  diocèse  de  Troyes,  VI,  p.  xxxv. 

2.  Ce  n'est  pas  seulement  à  Troyes  qu'on  détruisait  alors  les  églises  et  monastères 
afin  d'avoir  gratis  d'excellents  matériaux  pour  élever  les  fortifications.  Cela  eut 
lieu  aussi  ailleurs  (Cf.  par  exemple  ci-dessus,  p.  205,  not.  6),  et  se  pratiqua  bien 
davantage  à  Tours  qu'à  Troyes.  Voy.  plus  loin. 

3.  liecf.  Vat.  Urh.  V,  n"  256,  fol.  102'',  ad  an.  1367,  Januarii  J2  : 

«  Dil.  fil...  olîiciali  Senonensi  salutem  etc.  Exhibita  nobis  pro  parte  dil.  filiorum  ab- 
batis  et  conventus  monasterii  Celle  prope  Trecas  Ord.  S.  Ben.  peticio  continebat 
(juod  olim  guerris  in  partibus  Francie  et  Borgondie  vigentibus  dil.  filii  commune 
civitatis  Trecensis  et  habitatores  cujusdam  vici,  Bronceaux  nuncupati,  in  suburbiis 
dicte  civitatis  consistentis,  ad  prefatum  monasterium  accedentes  ii^suiu  monasterium 
cum  refectorio,  dormitorio,  claustro,  doniibus  et  aliis  olïicinis  cjusdeni,  excepta  qua- 
dam  antiquissima  domo  in  qua  monachi  dicti  iuf)nasterii  nunc  se  reducunt,  pro  parte 
ignis  incendio  concreinarunt,  et  exinde  pro  parte  trabes  et  lignamina  pro  machinis 
fabricandis  necnon  lapides  clausurc  dicti  monasterii  pro  mûris  dicte  civitatis  facien- 
dis  et  construendis  ad  eandem  civitatem  portari  feccrunt,  ac  premissa  suo  nomine 
facta  rata  et  grata  habuerunt,  et  alias  dictis  abbati  et  conventui  ac  monasterio  non- 
nuUa  injurias  mala  atc[ue  dampna  intulerunt,  taliter  quod  ex  hiis  abbas  et  conventus 
ac  monasterium  predicti  fuerunt  et  sunt  dampnificati  usque  ad  summam  viginti  qua- 
tuor milium  florenorum  auri.  Quarc  dicti  abbas  et  conventus  super  hiis  apostolice 
scdis  remedium  humiliter  implorarunt...  [Ut  olïicialis  Senotien.  super  hiis  décernât]. 
Datuni  apud  Montempessulanum  ^lagalonensis  diocesis  ij  idus  Januarii,  anno 
(juinto  ».  La  ville  de  Troyes  pensait  déjà,  en  1356,  à  réparer  les  fossés  et  à  édifier 
des  fortifications  ;  en  1359,  fut  commandé  larmement  de  la  ville.  Boitiot,  Ilist.  de  lu 
ville  de  Troyes  (J872),  II,  p.  121  suiv.  La  responsabilité  du  désastre  de  l'abbaye  fut 
imputée  à  Emery,  abbé  du  monastère  (LALoni;,  1.  c).  Le  15  janvier  1356,  il  était  trans- 
féré de  l'abbaye  de  S'  Genul  du  diocèse  de  Bourges  à  Montier-la-Cellc  {Rej.  Aven. 
Innocent.  VI,  n"  12,  fol.  33). 

i.  Lalore,  1.  c. 

5.  Voy.  tous  les  détails  el  (juelques  documents  dans  Lvi.oiu:,  1.  c,  p.  xxxvi  à  xi.u. 
R.-P.  Denii-lk.  —  DesoUdio  ccclasianim  H.  16 


242  LA    GUERRE    DE    CEiN'ï    ANS 

les  bandes  d'Eustache  d'Auberchicourt.  Ce  n'est  qu'en  1366 
que  l'évêque  de  Troyes  entreprit  de  reconstruire  le  monastère 
rasé  jusqu'au  sol.  En  1367,  les  religieuses  étaient  encore  disper- 
sées ^. 

Le  23  juin  1359,  Eustache  d'Auberchicourt  fut  battu  près  de 
Nog'ent-sur-Seine,  par  Henri  de  Poitiers,  évêque  de  Troyes,  et  ses 
compagnons  d'armes;  Eustache  resta  au  pouvoir  des  vainqueurs. 
A  la  nouvelle  de  la  défaite  de  leur  chef,  les  garnisons  de  plusieurs 
forteresses  évacuèrent  les  places  ~.  Mais  la  capture  d'Eustache  n'en- 
traîna pas  la  délivrance  de  la  Champagne.  Pierre  Audley  ^  se  tenait 
au  château  de  Beaufort,  situé  entre  Châlons-sur-Marne  et  Troj^es, 
appartenant  au  duc  de  Lancaster ,  et  était  maître  de  cinq  ou  six 
forteresses  des  environs.  Il  essaya  de  prendre  par  surprise  Châlons- 
sur-Marne,  et  déjà  il  était  parvenu  à  occujDer  l'abbaye  bénédictine 
de  Saint-Pierre  et  la».partie  de  la  ville  située  sur  la  rive  gauche  de 
la  Marne,  quand  il  fut  repoussé  par  les  bourgeois  auxquels  Eudes, 
sire  de  Grancey,  avait  porté  secours  ^.  Du  reste,  l'abbaye  bénédic- 
tine de  Saint-Urbain,  du  même  diocèse,  était  occupée  dès  1359^. 

Eustache  d'Auberchicourt  même  ne  resta  pas  longtemps  prison- 
nier. A  peine  mis  en  liberté,  lui  et  ses  bandes  s'emparent,  à  la 
lîn  de  1359,  de  la  forteresse  d'Attign}^,  dans  le  comté  de  Réthel  ; 
ils  font  des  incursions  jusqu'à  Château-Thierry  et  La  Ferté-Milon, 
à  Mézières,  Donchery  et  au  Chesne-Populeux.  D'autres  de  ses 
bandes  prennent  et  pillent  les  environs  de  Reims,  Epernay,  Dan- 
nemarie,  Craonne  et  la  ville  de  Vertus  ^.  L'abbaye  des  chanoines 
réguliers  de  Notre-Dame  de  Vertus  fut  également  prise  et  incen- 
diée, ce  qui  arriva  encore  deux  fois  après,  en  1380  et  li26". 
Epernay ,    où    était     l'abbaye    bénédictine    de     Saint-Martin,     fut 

1.  Lalore,  Carlulaires,  etc.,  II,  p.  xxii. 

2.  Les  détails  dans  Fkoissaut,  p.  m,  et  Iajce  dans  les  notes.  D'après  les  Gi\ind. 
c/i7'o;i.,  p.  147,  «  les  Anglais  »  furent  déjà  le  12  jan\ie>'  battus  devant  Troyes. 

3.  Fx'ère  de  James  Audley. 

4.  Froissart,  p.  152  suiv.  Pour  les  localités  prises  par  les  troupes  de  Pierre  Audley, 
cf.  E.   Barthélémy,  Ilist.  de  la  ville  de   Chûlons-sur-Marne  (1854),  p.  168  suiv. 

5.  LucE,  Du  Giiesclin,  p.  488. 

6.  Froissaht,  p.  Liv  et  lxi.  Aubcrchicourt  trouvant  à  Attigny  plus  de  mille  ton- 
neaux de  vin,  en  ofl'rit  une  grande  partie  au  roi  d'Angleterre  et  à  ses  enfants.  Ibid., 
p.  213. 

7.  E.  Barthélem\,  L'ancien-  diocèse  de  Chûlons^  t.  I,  p.  41,  43. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13o6    A    1360  243 

plusieurs  fois  pillé  et  ravag-é  dès  1358  ^  ;  en  1339,  ses  habitants 
furent  égorgés  par  les  ennemis  que  Jean  de  Venette  -  appelle 
Anglais,  lesquels  emportèrent  avec  eux  une  grande  partie  des  biens 
de  ces  malheureux. 

Tous  ces  maux  furent  augmentés,  à  la  fin  de  1359,  à  cause  de 
la  dévastation  entreprise  par  le  lorrain  Brocard  de  Fénétrange. 
Celui-ci  combattait  tout  d'abord  sous  les  ordres  de  l'évéque  de 
Troyes,  mais  bientôt  il  prit  les  armes  contre  le  régent,  lequel 
refusait  de  lui  payer  trente  mille  francs  dus  pour  ses  gages.  Il 
saccagea  Bar-sur-Seine,  détruisit  Rosnay-l'Hôpital,  à  tel  point  que 
les  habitants  durent  quitter  la  ville.  11  s'établit  à  Vassy*^,  et  de 
là  porta  partout  la  terreur.  Il  occupa  toutes  les  dépendances  d'où 
l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Pierre-Saint-Paul  de  Montierender, 
déjà  plusieurs  fois  dévastée,  tirait  ses  revenus.  Les  moines  se 
virent  forcés  de  quitter  leur  monastère,  les  cultivateurs  s'éloi- 
gnèrent des  terres  :  l'abbaye  resta  déserte  pendant  quelque  temps. 
Et  même  après  le  retour  des  religieux,  leur  nombre  diminua  de 
jour  en  jour.  Cette  misère  dura  jusque  vers  la  fin  du  xv*^  siècle  '*. 

Par  suite  d'un  tel  envahissement,  le  régent  ordonna  que  dans 
chaque  ville  de  la  Champagne  on  ne  sonnerait  jamais  que  d'une 
cloche  à  la  fois.  Le  son  de  plusieurs  cloches  était  réservé  pour 
avertir  les  habitants  de  se  préparer  à  résister  aux  ennemis  ^. 

Paris  était  donc  comme  bloqué  par  les  forteresses  et  les  bandes  ^.  j 
Et,  quand  celles-ci  étaient  chassées  d'une  place,  ce  n'était  pas  un/ 
grand  soulagement,  car,  en  ce  cas,  elles  allaient  se  fortifier  dans  un  ^ 
pays  voisin.  C'est  ce  qui  arriva  à  Creil;  quand  les  Anglais  furent  for- 
cés d'en  sortir,  ils  prirent  aussitôt,  le  1 2  novembre  13o9,  Pont-Saint- 
Maxence,  en  s'y  retranchant^,  et  occupèrent  l'abbaye  des  Clarisses 
de  Moncel^.  Quand  Mauconseil  fut  abandonné  par  les  Anglo-Navar- 

1.  Voy.  A.  NicAisE,  Épernay  et  Vabbaye  Salnl-Martin  (1869\  I,  p.  9.  Luce,  p.  486- 

2.  Jean  de  Venette,  p.  281. 

3.  Froissaht,  I.  c. 

4.  Voy.  JoLiBois,  La  Haute- Marne  (1858-1861),  p.  368";  Luce,  FuoissAnT,p.  mv,  not.  9. 

5.  Voy.  deux  documents  dans  Luce,  Hist.  de  la  Jacquerie,  nouv.  éd.,  p.  269  et  282. 

6.  Sur  les  enlises  ruinées  autour  de  Paris,  voy.  chap.  IV,  paragraphe  2. 

7.  Jean  de  Venette,  p.  295;  Grand,  chron.,  p.  164;  Chron.  de  Richard  Lescot 
p.  141.  Voy.  i>E  LuçAY,  Le  comté  de  Clerniont-en-Beauvaisis,  p.  90;  'SlxTHoy,  Ilisl.  de 
la  ville  et  du  château  de  Creil  (1861),  p.  10  suiv. 

8.  Luce,  Du  Guesclin,  p.  493. 


244  LA    GUKKUE    DE   CENT    ANS 

rais,  au  prix  d'une  forte  somme  payée  par  les  bourgeois  de  Noyon, 
la  garnison  ne  s'éloigna  pas  du  pays ,  ses  gens  d'armes  allèrent 
augmenter  les  troupes  des  forteresses  voisines^.  Et  quoique  Charles 
le  Mauvais  eût  conclu  une  paix  avec  le  régent  le  21  août  1359, 
comme  je  l'exposerai  au  chapitre  suivant,  beaucoup  de  Navarrais 
continuèrent  de  ravager  le  pays  avec  les  Anglais.  S'ils  s'empressaient 
d'évacuer  certaines  forteresses,  c'est  que  le  territoire  était  déjà 
épuisé,  en  sorte  qu'ils  étaient  heureux  d'aller  chercher  fortune  ail- 
leurs^. Les  bandes  des  pillards  demeuraient  maîtresses  des  champs, 
des  chemins  et  des  rivières.  Même,  les  garnisons  françaises  des  envi- 
rons de  Reims  et  de  la  rivière  de  Marne^  en  1359,  pillaient  de  jour 
en  jour  le  plat  pays,  emprisonnaient  les  paysans,  les  rançonnaient, 
de  telle  sorte  que  le  reste  des  habitants  n'osait  plus  y  demeurer 
et  laissait  les  terres  sans  culture,  s 'exposant  à  mourir  de  faim  ^. 

Ce  tableau  devient  plus  effrayant,  si  l'on  considère  les  autres 
provinces.  La  Bourgogne  fut  longtemps  pillée  et  ravagée  par  des 
bandes.  Elles  y  avaient  presque  champ  libre,  parce  que  cette  pro- 
vince, et  surtout  le  comté  de  Bourgogne ,  appelé  plus  tard 
Franche-Comté,  étaient  déchirés  par  des  luttes  intestines  '*.  Les 
seigneurs  francs-comtois ,  comme  par  exemple  Thibaut  de 
Faucogney,  Jean  de  Neufchâtel,  et  beaucoup  d'autres,  restaient 
fidèles  à  la  j^olitique  du  roi  d'Angleterre  •%  malgré  les  efforts  que 
faisait,  pour  les  détourner  de  l'alliance  anglaise,  la  reine  Jeanne^, 
qui  gouvernait  la  Bourgogne  pendant  la  minorité  du  duc  Philippe 
son  fils.  Bientôt  il  s'éleva,  sur  la  manière  de  diriger  le  jeune  duc 
et  sur  le  gouvernement  du  pa^^s,  des  discussions  et  des  divergences 
entre  la  reine  Jeanne  et  son  conseil  d'une  part,  et  les  prélats,  les 
seigneurs  et  les  villes  d'autre  part.  Innocent  VI  fît  entendre  sa 
voix  à  ce  sujet,  le  23  décembre  1359,  dans  une  lettre  adressée  aux 

1.  Jean  de  Vexette,  p.  283;  Froissart,  p.  176. 

2.  Ghron.  normande^  p.  142, 

3.  Lettres  du  régent  du  28  novembre  et  du  16  décenil^re  1359  dans  Varix,  Archives 
ndministrat.  de  la  ville  de  Reims^  III,  p.  152,  153  suiv.  Voy.  Froissart,  p.  352,  35i. 

4.  Voy.  ci-dessus,  p.  52  suiv.  Le  livre  d'Ed.  Ckeuc,  Essai  sur  Vhist.  de  In  Franc  h  e- 
Coîïité  (1846),  II,  p.  60  suiv.,  est  plein  de  faits  sur  ces  guerres  civiles  jusqu'à  l'époque 
qui  nous  occupe,  je  ne  puis  que  renvoyer  le  lecteur  à  cet  excellent  travail, 

5.  Chkrest,  L'Archiprêlre^  p.  113  suiv, 

6.  Voy,  PiÉi'APE,  Hist.   de  la  réunion  de  la  Franche-Comlé  à  la  France  (1879),  I 
p,  76,  suiv. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    1356    A    1360  24o 

archevêques  de  Besançon  et  de  Lyon  * ,  les  eng-ageant  k  procurer 
l'entente  entre  les  deux  parties  et  à  mettre  l'union  entre  quelques 
barons  qui  s'étaient  désunis  après  l'élargissement  de  Jean  de 
Chalon  et  la  mort  de  son  fils  Jean  -, 

1.  Reff.  Vat.  Innoc.  VI,  n°  240,  fol.  10 i''  :  «  Vencr.  fratribus  Johanni  Bisuntin.  et 
Guillelmo  Luj;dunen.  archiepiscopis  ,  salutem,  etc.  Ex  imposito...  Nupcr  siquideni 
non  sine  mentis  turbatione  didicimus  quod  ratione  tenelle  etatis  infra  quani  adlnic 
dil.  filius  nob.  vir  Philippus  dux  Burgundic  constitutus  existit,  super  gubernatione 
ducis  ipsius  ac  regimine  terrarum  subjectarum  eidem  inter...  Johannam  reginam 
Francie  illustrem  matrem  ejusdem  ducis  suumque  consilium  ex  una  parte,  et  prela- 
tos,  plurimos  comités  ac  barones  et  nobiles,  cives  quoque  et  universitatesnonnullarum 
civitatum  et  villarum  comitatus  et  ducatus  Burgundie  ex  altéra,  pacis  emulus  gravis 
dissensionis  materiam  suscitavit,  ex  qua  gravia  continuo  dampna  proveniunt  et 
pejora  eventura  non  tantum  in  dictorum  comitatus  et  ducatus  sed  vicinis  etiam  par- 
tibus  ex  dissensionibus  hujusmodi  verisimiliter  formidantur,  cum  altercantibus  inter 
se  prefatis  regina  et  aliis  de  gubernatione  predicti  ducis  et  subjectarum sibi  terrarum 
regimine  ac  intendentibus  ad  intestinam  discordiam  animis,  nonnulli  viri  malefici 
qui  spoliis  gaudentet  rapinisducti  hujusmodi  discordie  fiducia  ad  ipsos  comitatum  et 
ducatum  appropinquare  et  jam  partes  eorum  aliquas  non  mediocriter  dampnificasse 
dicantur.  Nos  itaque  tantis  et  tam  gravibus  dampnis  et  periculis  obviari  ab  ipso 
surgentium  malorum  principio  cupientes  ac  de  circumspecta  vestra  prudentia  specia- 
liter  confidentes ,  volumus  et  fraternitati  vestre  mandamus  quatinus  onus  hujusmodi 
ferventis  devotionis  studiis  assumentes  tam  ad  reginam  ipsam  quam  personas  alias 
de  quibus  vobis  expedirc  videbitur  vos  personaliter  conferatis,  ac  circa  concordiam 
gubcrnationis  et  regiminis  predictorum  aliaque  statum  pacificum  et  tranquillum  par- 
tiuin  ipsarum  tangentia  solicitis  operationibus  intendatis,  ad  inclinandos  ad  pacem 
et  vmitatem  discordantium  animos  daturi  pro  viribus  operam  efficacem. 

Intelleximus  preterea  displicenter  quod  cum  inter  dil.  filium  nob.  virum  Johannem 
de  Cabilone  militem  ex  una  parte,  et  nonnullos  barones  et  nobiles  quondam  Johanni, 
dicti  Johannis  filio,  in  captione  patris  ut  dicitur  adhérentes  ex  altéra,  post  liberatio- 
nem  patris  et  mortem  filii,  hostis  antiqui  procurante  nequitia,  via  discordiis  et 
scandalis  plurimis  nisi  obvietur  principiis  aperitur;  cupientes  igitur  dissensiones 
hujusmodi  pacis  et  tranquillitatis  benelicio  superari  ac  attendentes  quod  docti 
manus  artificis  non  uno  fatigatur  opère  sed  in  plurimorum  expeditione  letatur,  hoc 
mandatis  nostris  adicimus  quatinus  circa  predictorum  stabilem  pacem  et  quietam 
concordiam  vestram  impendere  studeatis  vigilantiam  et  solicitudinem  diligentem. 
Datum  Avinione  XX  kal.  Januarii  anno  VII  ».  —  Sous  la  même  date,  Innocent  Yl 
écrivit  à  ces  deux  archevêques  d'autres  lettres  sur  ce  sujet,  et  au  même  temps  il 
exhorta  tous  les  archevêques  et  évêques  de  la  Bourgogne  :  Jean  d'Armagnac,  Jean  de 
Chalon,  sire  d'Arlay  («  dominus  de  Ablaco  »)  ;  Hugues  de  Vienne,  sire  de  Saint- 
Georges  ;  Jean  de  Neufchâtel,  sire  de  Vélées  («  de  Novo-Castro,  dominus  de  Vassc- 
lis  »)  ;  Jean  de  Bourgogne,  Jacques  de  Vienne,  sire  de  Long^vy  («  dominus  de  Lon- 
gouico  »),  d'assister  les  deux  archevêques  susnommés  dans  la  mission  qu'ils  avaient 
à  remplir,  Ibid.,  fol.  105''  à  107.  Il  y  a  encore  d'autres  lettres  intéressant  cette 
affaire  et  l'histoire  de  Bourgogne. 

2.  En  1337  Jean  de  Chalon  fut  obligé  de  se  constituer  prisonnier  entre  les  mains 
du  duc  Eudes  IV,  à  la  suite  d'une  défaite.  Voy.  Clehc,  1.  c,  p.  62.  Mais  Innocent  VI 
ne  parle  pas  de  cette  époque  éloignée.  Il  s'agit  à  coup  sûr  d'une  autre  captivité.  En 
effet,  Jean  de  Chalon  et  ses  deux  fils,  Louis  et  Hugues,  furent   faits  prisonniers  par 


246  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Mais  un  des  plus  puissants  seigneurs  de  la  province,  Jean  de 
Neufchâtel ,  prit  le  commandement  des  compagnies  anglo-navar- 
raises  vers  les  frontières  septentrionales  du  pays.  Déjà  ,  quelques 
années  avant  1360,  la  Bourgogne  avait  été  la  proie  d'un  routier  indi- 
gène, Jacques  de  Baudoncourt,  un  des  plus  méchants  chevaliers 
de  ce  temps  et  un  mortel  ennemi  du  roi  de  France^.  Un  autre 
capitaine,  Thiébaud-le-Ghauffour ,  ne  vivait  que  de  rapines  ; 
enfermé  dans  le  château  de  Grattedoz  avec  un  riche  butin  et  une 
foule  de  prisonniers,  il  n'accordait  la  liberté  à  aucun  de  ces  derniers 
sans  une  forte  rançon.  Assiégé  dans  ce  château  pendant  l'hiver  de 
1356-1357,  il  réussit  à  s'échapper,  et  alors,  en  compagnie  de  Jean 
de  Neufchâtel  et  de  Jean-le-Chauffour,  il  s'empara,  en  1359,  de 
Montsaugeon,  château  très  fortifié  de  l'évêque  de  Langres,  situé  à 
la  frontière  du  Langrois,  et,  de  là,  ils  ravageaient  les  environs  de 
Langres  et  de  Chaumont  jusqu'au  diocèse  de  Verdun  -.  Les  Carmes, 
expulsés  alors  de  presque  toutes  leurs  maisons  de  la  province  de 
France,  ne  possédaient  plus  dans  le  diocèse  de  Langres  un  seul 
endroit  où  ils  pussent  reposer  leur  tête  ^.  L'époque  n'était  pas 
propice  pour  le  relèvement  des  monastères,  alors  accablés  de  dettes. 
Telle  était  la  situation  du  monastère  bénédictin  de  Saint-Seine , 
du  même  diocèse,  forcé  de  faire  des  dettes  depuis  le  commence- 
ment de  la  guerre,  et  arrivé,  en  1356,  aux  dernières  limites  de  la 
misère.  Sa  fin  était  proche.  Les  terres  ne  rapportaient  plus  rien, 
les  cultivateurs  étaient  morts  à  la  suite  de  l'épidémie.  Sa  dernière 
espérance  reposait  sur  l'union  du  prieuré  bénédictin  de  Sarregny, 
du  diocèse  d'Autun^. 


Ilujçues  de  Vienne,  sire  de  Saint-Georçes,  dans  le  château  de  Chagny.  Bientôt 
élargi,  son  fils  aîné,  Jean  le  Jeune,  périt  frappé  d'un  trait  mortel  dans  les  ébats 
joyeux  d'un  tournoi.  V^oy.  Clerc,  1.  c,  p.  114  suiv.  Cependant  cet  auteur  a  fort  mal 
placé  ces  deux  faits  à  l'an  1360  (cf.  encore  p.  113),  ce  qui  maintenant  est  établi  par 
la  bulle  du  23  décembre  1359. 

1.  Gi.Euc,  1,  c,  p.  69  suiv.  Cf.  Finot,  Recherches  sur  les  incursions  des  Anglnis  et 
des  Grandes  Compagnies  dans  le  duché  et  le  comté  de  Bourgogne  (Vesoul,  1874), 
p.  48  suiv. 

2.  Fhoissaut,  p.  352  (ms.  d'Amiens).  Cf.  encore  Cherest,  1.  c,  p.  117;  Finot,  1.  c, 
p.  50  et  Luge,  p.  xmm,  not,  10. 

3.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n"  261,  fol.  108'",  et  Suppl  Urb.  V,  n"  40,  fol.  135,  ad  an.  1364. 
April.  29.  Ils  reçoivent  la  permission  de  s'établir  dans  le  diocèse  de  Langres. 

4.  Lettre  de  l'évêque,  Guillaume  d'Autun,  du  18  novembre  1356,  insérée  à  la  lettre 
d'Innocent  VI,  du  15  mai  1359,  dans  Reg.  Aven.  Innoc.  VI,  n°  21,  fol.  583. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,     13^)0    A    1360  2Ï1 

Un  moment  critique  pour  la  Bourgog-ne  fut  l'été  de  13.j9.  Tandis 
que  Robert  Knolles  était  la  terreur  de  l'Auxerrois,  un  autre 
aventurier,  Guillaume  Starqui,  établissait  son  quartier  général  à 
Ligny-le-Châtel,  pillait  et  rançonnait  les  villages  depuis  l'Auxerrois 
jusqu'à  l'Avallonnais  ^  mais  il  était  trop  faible  pour  porter  un 
grand  coup  :  la  garnison  de  Regennes  lui  envoya  des  détache- 
ments. Jean  de  Neufchâtel,  avec  ses  troupes,  ne  manqua  pas  non 
plus,  et  les  troupes,  ainsi  réunies,  composées  en  grande  partie 
d'Anglais,  se  concentrèrent  près  de  Molême-,  dans  l'ancien  diocèse 
de  Langres.  L'abbaye  bénédictine  leur  servit  de  quartier  général. 
Elle  fut  dévastée,  les  moines  perdirent  leurs  biens,  et  l'un  d'eux, 
qui,  plus  tard,  se  réfugia  auprès  du  pape,  fut,  dans  son  voyage,  deux 
fois  encore  dépouillé  de  tout  et  réduit  à  la  mendicité  ^.  Les  envahis- 
seurs profitèrent  d'un  moment  favorable,  où  les  forces  bourgui- 
gnonnes s'étaient  absentées  pour  aider  le  régent,  et,  déjà  maîtres  de 
Brion-sur-Ource,  ils  se  préparèrent  à  pénétrer  au  cœur  du  Chà- 
tillonnais.  En  juillet  13o9,  ils  gagnèrent  le  combat  de  Brion 
contre  les  seigneurs  bourguignons  du  voisinage,  dont  plusieurs 
furent  faits  prisonniers^.  Ils  pillèrent  et  l)rûlèrent  Chàtillon-sur- 
Seine ,  où  était  Labbaye  des  chanoines  réguliers  de  Notre-Dame  ^  ; 
Bar-sur-Aube,  Mussy-l'Evêque  et  les  pays  voisins  tombèrent 
aux  mains  des  vainqueurs.  L'abbaye  cistercienne  d'Auberive 
perdit  deux  maisons  qu'elle  possédait  à  Mussy  en  dehors  de  la  forte- 

1.  Ghkrest,  Élude  hist.  sur  Vézelay,  II,  clans  Bulletin  de  la  Soc.  des  sciences  hist. 
et  natur.  de  V  Yonne,  année  1868,  p.  194  suiv.,  196;  tirage  à  part,  II,  p.  218  suiv.  ; 
220  suiv. 

2.  CiruEST,  VArchiprétre,  p.  122. 

3.  Suppl.  Urb.  y,  n°  34,  foi.  6'',  ad  an.  J362,  Novemb.  15  :  «  Supplicat  S.  V.  liumilis 
rester  Joliannes  Amici,  presl^yter,  monaclius  monasterii  Molismensis,  Ord.  Ben.,  Lin- 
gonen.  dioc.  quatenus  cuni  ipse  propter  dicti  monasterii  devastationem,  factani  per 
Anglicos  et  alios  inimicos,  per  quam  etiam  perdidit  bona  sua,  ad  Rom.  curiam  acces- 
serit  tamquam  ad  refugium  et  matrem  omnium,  nec  habet  unde  vivat,  cum  in  via  bis 
fuerit  depredatus,  timeatque  ob  hoc  inhonorare  Ordinem,  mendicitate  coaclus  et 
privatus  substantia  senioque  afTectus  non  possit  comode  propter  magnam  distantiam 
ad  monasterium  redire  predictum,  quatenus  liceat  ei  auctoritate  apostolica  ad  aliud 
monasterium  ejusdem  habitus  et  régule  se  translerre.  —  Fiat.  B.  Dat.  Avinione  xvij 
kal.  Decembris  anno  primo.  «  S.  Luce,  Du  Guesclin,  p.  471,  annote  que  le  mona- 
stère fut  occupe  par  les  Anglais  seulement  dès  l'année  1362.  Mais  voj.  Chéhest,  1.  c. 

4.  Chérest,  1.  c,  p.  123. 

5.  L'abbé  Hugues  craignait  déjà,  quelques  années  avant,  pour  la  sécurité  des 
chanoines,  et  obtint  en  1356,  de  Tévcque  de  Langres,  la  permission  de  porter  l'habit 
noir  au  lieu  du  blanc.  Gall.  christ.,  IV,  p.  774. 


2i8  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

reSvSe  K  Les  Anglo-Navarrais  souscrivirent,  le  23  juillet  de  la  même 
année,  le  traité  de  la  Ghassaigne,  par  lequel  le  jeune  duc,  Philippe 
de  Rouvres,  rachetait  sa  province  du  pillage  ;  les  ennemis  promet- 
taient de  rendre  la  maison  fortifiée  de  Brion ,  d'évacuer  le  duché 
et  de  n'y  plus  revenir  2. 

Mais  ce  traité  ne  délivra  la  Bourgogne  des  bandes  que  d'un  seul 
côté  ;  l'autre  restait  infesté. 

Vers  la  même  époque  (1359)  ,  un  gentilhomme  navarrais, 
Bertrand  Dugast,  s'empara  des  passages  de  la  Seine.  Pour  s'en 
débarrasser  la  reine  Jeanne  dut  lui  délivrer  une  forte  somme  ^. 

A  la  fin  de  13o9  et  au  printemps  suivant,  les  Lorrains,  comman- 
dés par  Etienne  de  \y,  descendirent  la  Saône,  et  une  compagnie 
anglaise  s'avança  par  Goiffy  en  Champagne  jusqu'à  Jussey. 
L'abbaye  cistercienne  de  Gherlieu,  diocèse  de  Besançon,  déjàéprou- 
A^ée  vingt-quatre  ans  auparavant^,  fut  prise  et  saccagée  ^,  et  bientôt 
après  incendiée,  comme  une  autre  abbaye  cistercienne,  à  Glairefon- 
taine.  Les  bandes  s'avancèrent  jusqu'aux  portes  d'un  autre  mona- 
stère cistercien,  celui  d'Acey,  du  même  diocèse,  déjà  ruiné  par  le 
passage  de  diverses  troupes.  Tout  le  pays  limitrophe  fut  dévasté^. 
C'est  là  que  ces  bandes  lorraines  et  anglaises  reçurent  un  puissant 
renfort  de  troupes  qui  avaient  remonté  les  vallées  de  la  Saône  et  du 
Doubs,  en  ravageant  le  bailliage  d'Aval.  Ces  deux  forces  dévasta- 
trices, ainsi  réunies,  devaient  se  jeter  de  nouveau  sur  le  bailliage 
d'Amont  et  en  achever  la  ruine  ^. 

Au  mois  de  février  1360,  Edouard  III  se  préparait  d'entrer  en  Bour- 
gogne, du  côté  de  Saint-Florentin,  dont  le  capitaine  avait  fait  abattre, 
déjà  en  1358,  l'église  paroissiale,  le  prieuré,  l'Hôtel-Dieu  et  la 
maladrerie,  situés  dans  les  faubourgs,  ainsi  que  l'église  de  Saint-Flo- 
rentin devant  le  château,  afin  que  les  ennemis  ne  s'y  pussent  loger  ^. 

1.  Lamuert,  Hist.  de  la  ville  de  Miissy-VÉvêqiie  (1878\  p.  401  suiv. 

2.  Voy.  le  traité  dans  Chkhkst,  1.  c,  Pièces  justif'.,  n°  xii,  et  p.  124  suiv..  où  on 
trouve  é^ialemenl  exposé  le  rôle  que  jouaient,  de  la  part  du  roi  de  Navarre,  Jean  de 
Neufchàtel  et  Girard  de  Mairey. 

3.  FiNOT,  p.  5] . 

4.  Voy.  ci-dessus,  p.  52. 

5.  Ci.Enc,  1.  c.,  p.  112,  not.  4. 

6.  Je  n'ose  pas  dire  qu'aussi  l'abbaye  cistercienne  de  Rosières  fut  alors  atteinte. 
Pkost,  Notice  hist.  sur  inhbaye  cisi.  de  Rosières  (Poligny  1879),  p,  6,  est  trop  vague. 

7.  FiNOT,  p.  51.  suiv. 

8.  Voy.  le  document  dans  Lien:,  Fhoissart,  p.  lmv,  not.  3. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    ISoO    A    1300  219 

Pendant  qu'Kdouard  marchait  sur  Guillon  par  la  vallée  du  Serein, 
Noyers  et  Montréal ,  après  avoir  ravag-é  et  mis  à  contribution  les 
régions  qu'il  traversait,  les  troupes  anglaises  se  répandirent  partout. 
Ce  qui  arriva  aussi  pendant  son  séjour  à  Guillon.  Tharoiseau  , 
Foissy ,  Yilliers ,  Saint- André ,  Saint-Léger-de-Foucheret  furent 
pillés  et  incendiés.  Les  paysans  s'enfuyaient,  les  campagnes  étaient 
nues  et  désertes,  les  habitants  des  villes  ne  se  trouvaient  plus  en 
sûreté  et  vivaient,  comme  les  paysans,  dans  de  perpétuelles 
angoisses.  La  ville  d'Avallon,  du  diocèse  d'Autun,  ainsi  que  plu- 
sieurs autres  villages ,  demeurèrent  longtemps  abandonnés  :  on  n'y 
comptait  plus  que  quelques  misérables  feux.  Cet  état  de  choses 
dura  jusqu'en  1367  ^ 

Le  sort  des  églises  et  des  monastères  de  la  Bourgogne  fut  le 
même  que  celui  qu'ils  eurent  plus  tard  ;  nous  avons  parlé  plus  haut 
de  quelques-uns.  La  guerre  imposa  de  rudes  épreuves  à  l'abbaye 
cistercienne  de  Pontigny,  à  l'entrée  de  la  Bourgogne.  Le  payement 
des  rentes  qu'elle  percevait  auparavant  d'Angleterre  fut  suspendu 
et  saisi  par  Edouard  III  qui  ne  les  lui  rendit  seulement  qu'en  1362, 
après  le  rétablissement  de  la  paix-.  En  1360,  l'abbaye  fut  occupée 
par  un  détachement  de  l'armée  du  roi  d'Angleterre.  Les  Anglais 
pillèrent  tout  ce  qu'ils  trouvèrent,  ils  voulaient  même  emporter  le 
corps  de  saint  Edme,  mais  on  dit  qu'ils  en  furent  empêchés  par  un 
miracle  •^.  Par  suite  de  ces  misères  et  de  bien  d'autres  encore, 
l'abbaye  en  vint  à  une  telle  pauvreté  et  détresse  qu'tsn  1366,  les 
dix-sept  moines  (ainsi,  la  deuxième  fîUe  de  Giteaux  était  alors  tom- 
bée) autorisaient  l'abbé  à  traiter  avec  plusieurs  autres  monastères 
pour  la  liquidation  de  différentes  dettes  ^.  Le  10  juillet  1359,  Inno- 
cent VI  appliquait  à  la  ville  et  au  diocèse  d'Autun  la  bulle  Ad 
reprime nd as,  que  nous  connaissons  déjà.  Gomme  ailleurs,  on  y 
trouve  des  plaintes  du  pape  au  sujet  des  ecclésiastiques  emprison- 
nés, rançonnés  ou  tués,  et  des  églises,  monastères  et  hôpitaux 
occupés,  pillés,  incendiés  par  les  bandes.  Les  églises  du  diocèse 
restaient  souvent  sans  pasteurs,   les  fidèles  sans  sacrements,   les 

1.  E.  Petit,  Avallon  et  VAvnllonnnis  (1867),  p.  162  suiv.;  2"  éd.  (1890\  p.  173. 

2.  Chaillou  des  Bauhes,  L abbaye  de  Pontigny  (18i4),  p.  109  suiv.,  du  diocèse 
d'Auxerre. 

3.  Froissart,  V,  p.  415. 

4.  Chaillou  des  Bahres,  p.  1  i  1. 


250  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

malades  sans  soins,  les  pauvres  sans  secours,  les  morts  sans  sépul- 
ture ^ . 

Lorsque  l'armée  d'Edouard  s'approcha  de  la  Bourgogne,  Tétat 
empira.  Je  rapporterai  seulement  quelques  faits.  La  ville  de  Semur, 
du  même  diocèse,  avait  un  château  fortifié,  occupé  par  les  Fran- 
çais. La  nécessité  força  les  Semuriens  vers  1359  ou  1360, 
d'enceindre  la  ville  de  remparts  et  d'élever  des  tours.  Les  Carmes, 
établis  seulement  dès  1352  à  Semur,  perdirent  sept  ans  après 
leur  couvent,  à  cause  des  constructions,  et  furent  reçus  dans  la 
ville  -.  A  quatre  lieues  de  Semur,  était  située  l'abbaye  bénédictine 
Saint-Pierre  de  Flavigny.  La  ville  fut  prise  au  commencement  de 
1360  par  Jean  de  Harleston,  écuyer  d'Edouard  III,  qui  trouva, 
tant  dans  la  riche  abbaye  que  dans  la  ville,  le  moyen  d'appro- 
visionner pour  un  mois  entier  la  nombreuse  armée  du  roi  d'An- 
gleterre, qui  marchait  vers  la  Bourgogne  ^.  L'abbé  Guy,  à  cause  de 
la  ruine  du  pays,  retrancha  par  une  délibération  capitulaire  le  tiers 
de  la  pitance  des  religieux,  et  supprima  tous  les  festins  et 
anniversaires  ^.  Au  même  temps  fut  pillée  l'abbaye  cistercienne  de 
Fontenay-lès-Montbard  '\  Savdieu,  du  môme  diocèse,  fut  pris  par 
l'ennemi,  et  l'église  paroissiale  des  Saints  Sernin  et  Nicolas-hors- 
les-murs  fut  complètement  incendiée,  réduite  en  ruines  et  dépouillée 
de  ses  calices,  ornements  et  livres  ^.  L'église  abbatiale  de  S.  Bar- 
tholomé  de  Gervon,  du  même  diocèse,  avait  subi  de  telles  dévasta- 
tions qu'on  ne  pouvait  plus  y  faire  l'office  ^.  L'abbé  et  les  moines 
de  l'abbaye  de  Gîteaux ,  du  diocèse  de  Ghalon-sur-Saône ,  furent 
forcés,  dès  le  début  de  ces  incursions,  de  se  retirer  à  Dijon  dans 
une  maison,  nommée   Lamonoye,  et  plus  tard   ils  demandaient  la 

1.  A.  De  Chxhmxsse^  L'église  d'Autun  pendant  la, guerre  de  Cent  ans  {Anlnn,lS9H), 
p.  4,  Pièces  justif.,  n°  3, 

2.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n°  24,  fol.  530,  ad  an.  1369,  Decemb,  31  :  «  locus  de 
Sinemuro  ».  Voy.  Thyard,  Mérn.  hist.  sur  la  ville  de  Semure-en-Auxois  (Semur, 
s.  a.),  p.  37,  42  suiv. 

3.  Froissart,  p.  224  suiv.  Suivant  Plancher,  Hist.  de  Bourgogne  ,  II,  p.  226  ,  la 
ville  de  Flavigny  fut  prise  le  27  janvier,  ce  que  dit  aussi  Ans  art,  cité  dans  la  note 
suivante. 

4.  Chron.  de  Vahhaye  dans  la  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  12670,  fol.  214.  Ansart  ,  Hist.  de 
Sainte  Reine  d'Alise  et  de  l'abbaye  de  Flavigny  (1783),  p.  374,  rapporte  le  même  fait. 

5.  CoRBOLiN,  Monographie  de  Vabbaye  de  Fontenay  (Giteaux,  1882),  p.  175. 

6.  Suppl.  Urb.  V,  n"  37,  fol.  41'',  ad  an.  1363,  Maii  18.  Cf.  encore  ci-dessous,  chap,  V. 

7.  Ibid.,  fol.  45,  ad  an.  1363.  Maii  18  :  «  de  Gerviduno  ». 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    iS^jB    A    1360  251 

permission  d'j  célébrer  l'office  pendant  la  g'uerre  K  Les  Chartreux 
du  Val  Saint-Georg-es ,  du  diocèse  d'Autun,  qui  devaient  payer,  à 
termes  fixes,  une  certaine  somme  à  l'abbaye  bénédictine  du  Véze- 
lay,  dont  ils  avaient  des  terres  et  des  biens,  étaient  en  13Go 
hors  d'état  d'en  payer  même  la  moitié  ;  leur  église  et  plusieurs  mai- 
sons avaient  été  incendiées  pendant  la  guerre,  les  laboureurs 
devenus  chers   et  rares,  les  terres  ne  rapportaient  plus  rien  -. 

Le  traité  honteux  que  Philippe  de  Bourgogne  conclut  avec 
Edouard  à  Guillon,  le  10  mars  1300^,  prouve  mieux  qu'aucune 
autre  chose  dans  quelle  ail'reuse  situation  se  trouvait  alors  la  Bour- 
gogne. Edouard  se  dirigea  ensuite  sur  Paris  en  passant  par  Vézelay, 
siège  d'une  abbaye  bénédictine,  laquelle  n'avait  pas  eu  trop  à  souf- 
frir, grâce  à  sa  position  élevée  et  fortifiée,  mais  son  abbé,  Hugues  de 
Maison-Comte,  qui  fut  fait  prisonnier  à  la  bataille  de  Poitiers,  restait 
encore  entre  les  mains  des  Anglais  '*.  Du  haut  de  leurs  remparts,  les 
habitants  de  Vézelay  purent  contempler  le  triste  spectacle  de  l'armée 
d'Edouard  s'écoulant  avec  lenteur,  ravageant  tout  ce  qu'elle  rencon- 
trait, encombrant  Pierre-Pertuis  de  butin  et  trafiquant  au  passage 
du  produit  de  ses  rapines  -K  Malgré  le  traité  de  Guillon  et  malgré 
l'éloignement  de  la  grande  armée,  une  foule  d'aventuriers  anglais 
continuaient  à  battre  la  campagne  et  à  tenir  occupées  quelques  places. 
Pierre-Pertuis  ne  put  leur  être  enlevé  que  par  la  force  des  armes  '». 

Le  Nivernais  n'était  pas  moins  éprouvé.  Les  menaces  des  enne- 
mis ne  cessaient  point.  Sur  l'ordre  du  roi  Jean ,  on  fortifia  ,  dès 
1356,  le  célèbre  prieuré  bénédictin,  nommé  La  Charité.  De  même 
on  dut  réparer  à  la  hâte,  en  1358,  les  fortifications  du  château  de 
Decize  «  pour  obvier  à  la  mâle  volonté  des  Anglois  »  qui,  avec  les 
Navarrais,  occupaient  plus  de  cent  forteresses  aux  alentours, 
essayaient  de  jDrendre  la  ville  et  le  château  de  Decize  et  ravageaient 
les  campagnes^.  Ensuite,  ces  bandes  anglo-navarraises  remontèrent 
les  vallées  centrales  du   Nivernais,  pénétrèrent  dans  le   bassin  de 

1.  Reg.  Vnt.  Urb.  V,  n"  253,  fol.  89'»,  ad  an.  1364,  Jan.  4.  Voy.  ci-dessous,  chap.  V. 

2.  Suppl.  Urb,  V,  n°  41,  fol.  134,  ad  an.  1365,  Jun.  28. 

3.  Voy.  ci-dessous,  chap.  IV,  paragraphe  2. 

4.  Ghkukst,    Vézelny,  etc.,  II,  p.    186  suiv.,  196,  205;  tirage  à    part,  II,  p.  209.  230 
suiv.  V.  Petit,  Description  du  département  de  l'Yonne,  II  (1870),  p.  243,  241. 

5.  Chkhest,  Vézelay,  II,  p.  231.  Cf.  Petit,  2-=  éd.,  p.  176. 

6.  Ghéuest,  Vézelay,  1.  c,  p.  234;  Petit,  Avallon,  2^  éd.,  p.  179  suiv. 

7.  E.  Petit,  Avallon,  p.  160;  2«  éd.,  p.  171  :  Chkrest,  U Archiprêlre,  p.  71  suiv. 


252  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

l'Yonne,  s'avancèrent  au-delà  du  Varzy  et  s'installèrent  à  Gorvol- 
rOrgueilleux.  Vers  la  lîn  de  l'année  1359  l'invasion  se  montre 
partout,  et  les  rares  localités  qu'elle  n'a  pas  encore  atteintes 
restent  sous  le  coup  d'une  menace  perpétuelle  ^.  L'archij3rêtre  qui, 
en  qualité  de  lieutenant  du  roi,  devait  délivrer  le  pays  de  ces  com- 
pagnies 2,  faisait  avec  ses  gens  la  même  besogne,  et  même  com- 
mettait des  excès,  de  concert  avec  eux,  car  on  lit  dans  l'acte  de 
rémission,  de  février  1361,  qu'Arnaud  de  Cervole  et  ses  gens 
avaient  «  pris  et  rançonné  les  bonnes  villes  et  lieux  dudit  païs,  batu, 
navré  et  mis  à  mort  hommes  et  famés,  ravi  et  efforcié  tant  mariées 
et  pucelles  comme  nonnains,  ars  et  gasté  villes,  manoirs,  maisons 
et  lieux,  tant  d'église  comme  autres,  fait  aliances  avec  nos  ennemis 
et  aucunes  fois  repairié  et  conversé  avec  eulx,  participé  à  leurs  fais 
et  fait  plusieurs  et  divers  autres  crimes,  excez,  rebellions  et  malé- 
fices, en  commettant  crime  de  lèse-majesté...  ^.  »  Les  Frères 
Mineurs  de  la  Chaussée,  à  Nevers,  perdirent  en  1358  ou  1359  leur 
couvent  et  leur  église,  situés  hors  des  murs,  et  furent  plus  tard 
reçus  dans  la  ville  ^.  Le  même  sort  atteignit  d'autres  églises. 
L'abbaye  bénédictine  de  Corbigny,  du  diocèse  d'Autun,  ne  fut  pas 
à  l'abri  des  attaques  des  bandes,  quoiqu'elle  ne  fût  pas  alors 
dévastée  comme  en  1423^.  L'abbave  des  Prémontrés  de  Bellevaux, 
du  diocèse  de  Nevers,  était,  vers  1360,  au  pouvoir  des  ennemis  ^. 
Vers  la  même  époque ,  Pierre  de  Norris ,  chevalier ,  s'était 
emparé  du  prieuré  de  Saint-Révérien ,  du  diocèse  de  Nevers, 
de  l'Ordre  de  Cluny  ;  il  mit  avec  sa  troupe  le  feu  au  portail  du 
prieuré,  y  prit  tous  les  blés  et  autres  biens  qui  s'y  trouvaient,  et 
obligea  à  rançon  les  hommes  et  les  sujets  des  religieux.  Lui  et  ses 
gens  abattirent  les  voûtes  de  l'église,  pillèrent  les  calices,  les 
ornements  et  tout  ce  qui  s'y  trouvait,  firent  violence  à  plusieurs 
femmes   de  la  dépendance  du  prieuré,    et   livrèrent    aux  ennemis 


1.  Chérest,  p.  81  suiv.,  où  on  trouve  plusieurs  particularités. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  207,  210. 

3.  Voy.  la  lettre  dans  Chérest,  UArchiprèlre^  Pièces  justifie.,  n°  10. 

4.  Suppl.  Urb.  y,  n"  35,  fol.  208;  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n°  261,  fol.  16^  ad  an.  1363, 
Febr.  16.  Cf.  Reg.  Vat.  Gregor.  XI,  n°  286,  fol.  269,  et  Crosmer,  Tableau  synoptique 
de  Vhist.  du  Nivernais  (1871),  p.  91. 

5.  Voy.  Marillier,  Corbigny  (1887),  p.  78. 

6.  LucE,  Du  Guesclin,  p.  490. 


TOUTi:    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13o6    A    1360  2o3 

• 

quatre  hommes  de  la  même  dépendance,  lesquels  furent  occis'. 
La  paroisse  de  Djana  (Diennes),  qui  dépendait  du  prieuré  de 
Saint-Révérien,  fut  entièrement  désolée  :  la  maison  presbytérale, 
où  autrefois  habitaient  deux  moines,  fut  complètement  détruite,  et 
la  paroisse,  qui  comjirenait  quatre  cents  feux  avant  l'épidémie  de 
1348,  n'en  comptait  plus  que  soixante  en  1384  -.  Il  n'y  a  pas  lieu 
de  s'en  étonner  :  les  incursions  des  compagnies  ne  cessaient  pas. 
Tune  succédait  à  l'autre.  C'est  surtout  au  commencement  de  1360 
que  le  Nivernais  fut  dévasté  de  nouveau.  Un  écuyer  g-allois, 
Jacques  Wyn,  qu'on  appelait  le  Poursuivant  cV amour ^  alors  dans 
l'armée  d'Edouard  III,  occupait  et  pillait  Glamecy  ;  les  Nivernais 
ne  s'en  débarrassèrent  que  moyennant  un  sacrifice  de  sept  mille 
écus  ■^.  Vers  la  même  époque,  ils  durent  traiter  avec  Garcie  ou 
Garciot  du  Ghastel  qui,  à  la  tête  d'une  compag-nie  anglo-gasconne, 
ravageait  leur  pays  depuis  près  de  deux  ans.  Garciot  consentit  à 
partir,  moyennant  une  rançon  de  cinq  mille  florins  ^.  Bientôt, 
Nicolas  de  Tamvs^orth,  lieutenant  d'Edouard  III  et  capitaine  de 
Regennes,  avec  le  concours  de  William  de  Granson,  un  autre 
capitaine  d'Edouard,  conduisit  une  grande  armée  dans  le  Niver- 
nais et  dans  la  Champagne,  et  pénétra  en  Bourgogne  avant  que 
le  traité  de  Brétigny  ait  été  scellé^. 

On  peut  s'imaginer  l'aspect  que  présentaient  alors  les  campagnes 

1.  Lettre  de  rémission  du  dauphin,  de  février  1361  (1362)  dans  Mazihe,  L  Auvercjne 
au  quatorzième  siècle,  p.  315.  Seulement,  Mazure  confond  Saint-Hévérien  en 
Auvcr}i,ne  avec  Saint-Uévérien  en  Nivernais.  Voyez  du  reste  Née  he  La  Rochelle, 
Mém.  pour  servir  à  Vhisloire  du  département  de  la  Nièvre,  I,  p.  212  ;  II,  p.  79  suiv. 

2.  Arch.  Vat.,  Instrum.  mise,  an.  1384,  ad  an.  1384,  Octob.  7  :  «...  Domus  (de 
Dyana,  Nivernen.  dioc.)  est  omnino  destructa  et  fuit  viginti  sunt  anni  et  plus  ut  dici- 
iur  per  Anglicos,  qui  tencbant  fortalitium  dicti  loci...  ;  tempore  retroacto  solebant 
esse  in  dicta  domo  et  loco  pred.  duo  monachi  de  S.  Reveriano,  qui  habebant  ibidem 
mansionem  suam,  et  solebant  esse  redditus  et  emolumenta  dicli  domus  magni  valoris, 
quia  ante  niagnam  mortalitatem,  que  fuit  triginta  sex  sunt  anni  vel  circa,  solebat 
habere  in  dicta  parrochia  quatuor  centum  foca,  ut  dicitur,  et  de  presenti  non  sunt 
nisi  sexaginta,  tam  bona  quam  prava,  et  de  presenti  non  sunt  redditus  neque 
emolumenta  de  quibus  unus  monachus  posset  vivere  et  se  sustentare  et  sol- 
vere  dccimam  et  procurationem  si  deberet,  quia  non  sunt  ibidem  in  reddilibus  nisi 
primo  in  tailliis  anno  (puilibct  circa  centum  solidi,  in  emolumentis  et  i)a(ronagio 
dicte  ecclesie  circa  sexaginta  solidi  anno  quolibet,  in  decimis  bladi  circa  viginli  (juin- 

([UC...    » 

3.  Lice,  Du  (iuesclin,  p.  iOO  ;  ChÉuest,  L'Archiprèlre.  p.  87. 
■i.  Voy.  sur  tous  les  détails,  C^mkhest.  1.  c. 

5.  E.  Cleuc,  Essai,  etc.,  p.  116  suiv.;  Fi.\<»t,  p.  52  suiv.;  Chéhest,  p.  128. 


254  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  la  Bourgogne  et  du  Nivernais.  Les  terres,  sises  autour  de 
Villaines  en  Duesmois,  par  exemple,  furent  tellement  saccagées  en 
1360  que  le  duc  fut  obligé  d'accorder  des  indemnités  aux  habitants, 
afin  qu'ils  pussent  se  procurer  des  chevaux  de  labour.  Les  bandes 
avaient  tout  enlevé.  Les  fermiers  des  taxes  et  cens  ne  purent  rien 
exiger  des  contribuables,  tant  la  misère  était  générale  ^.  Les  deux 
provinces  étaient  épuisées  par  de  longs  désastres.  Les  terres 
demeuraient  en  friche  de  nombreuses  années,  par  exemple,  les 
possessions  du  prieuré  augustinien  de  Saint-Symphorien,  du  diocèse 
d'Autun,  dont  non  seulement  les  manoirs  étaient  détruits  depuis 
longtemps,  en  1386,  mais  dont  les  vignes  et  les  terres,  autrefois 
fructueuses,  restaient  sans  culture  «  a  longis  temporibus  »,  sans 
parler  de  la  perte  des  bestiaux  -. 

Et  pourtant  le  plus  redoutable  de  tous  les  chefs  de  bandes  était 
Knolles,  que  nous  avons  laissé  à  Châteauneuf-sur-Loire.  Vraisembla- 
blement, au  mois  de  mai  ou  au  commencement  de  juin  ^,  en  1359, 
il  entra  «  ardant  et  saccageant  »  en  Berry,  province  déjà  éprouvée 
par  la  terrible  promenade  du  prince  de  Galles  en  1356,  et  parcourue 
ensuite  par  les  bandes  anglaises.  Nous  lisons  qu'en  1358  les 
bandes,  les  gens  d'église,  avec  les  habitants  et  communs  de  la  ville 
d'Issoudun  prirent  des  résolutions  relatives  à  la  défense  du  pays 
contre  les  Anglais  «  qui  courent  et  esilhent  le  païs  de  jour  en 
jour^.  »  Cela  n'empêcha  pas  Aubigny  ^  d'être  pris  par  escalade  en 
1359.  Knolles  vint  se  joindre  aux  Anglais  demeurés  en  Berry.  Dans 
l'intervalle  qui  s'écoula  jusqu'au  traité  de  Brétigny,  les  Anglais 
étaient  dans  le  Berry  ou  dans  le  Bourbonnais,  répandus  à  Vierzon, 
où  était  située  Fabbaye  bénédictine  de  Saint-Pierre,  incendiée  par 
le  prince  de  Galles  en  1356  ^,  Palluau,  Buzançais,  Chabris,  Briantes, 
Breuillamenon,  Massay,  Vouzeron,  Sainte-Thorette,  Epineul,  Blet, 
Vraux ,  Cours -les-Barres ,  Saint-Germain-sur-l'Aubois ,  Saint- 
Amand,  aux  châteaux  de  Montrond  et  de  Verrières,  et  dans  beau- 

1.  FiNOT,  p.  38. 

2.  Recj.  Vat.  Clem.  VII,  n°  297,  fol.  53. 

3.  Froissart,  p.  185  suiv.,  dit  que  c'était  le  mois  d'août;  mais  voy.  plus  loin  l'in- 
vasion en  Auvergne. 

4.  Kay.xal,  Ilist.  du  Berrij,  II,  p.  303,  que  suit  Fkémont,  Le  département  du  Cher 
(1852),  I,p.365.^].  IlrnEUT,  Dictinnnnire  hist.,géograph...  de  l'Indre  (1889),  néglige  cette 
époque,  Bauhal,  Notices  sur  les  châteaux,  abbayes...  du   Cher  (1898),  est  trop  court. 

5.  Grand,  chron.,  p.  151. 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  119. 


TOUTE    LA    FllANCE    INFESTÉE,    13;)6    A    1360  2oO 

coup  d'autres  localités  ^  L'abbaye  fortifiée  des  Cisterciens,  à  Noir- 
lac,  resta  aux  mains  des  ennemis  depuis  1358  jusqu'à  1360  -.  Je  ne 
puis  dire  quels  lieux  furent  détruits,  ni  quels  monastères  ou  quelles 
églises  furent  dévastés  par  Robert  Knolles  pendant  sa  marche.  Il 
ne  resta  pas  long-temps  en  Berry,  mais  le  pays  n'y  gagna  guère, 
car  d'autres  bandes  demeurèrent  dans  le  pays.  Ainsi  l'abbaye  des 
chanoines  réguliers  de  Saint-Satur  fut,  vers  le  12  avril  1361,  pillée 
et  presque  détruite  par  les  Anglais,  de  sorte  que  les  chanoines  ne 
pouvaient  plus  y  demeurer  -'. 

Robert  Knolles  entra  ensuite  en  Auverfjne^  y  j^ortant  le  fer  et  la 
flamme^.  Il  y  trouva  des  Anglais  qui,  comme  je  l'ai  déjà  dit  % 
avaient  pénétré  dans  cette  province  quelques  années  avant  et 
l'avaient  dévastée  ainsi  que  les  pays  voisins  dès  1356.  A  cette  date, 
ils  s'emparaient  de  plusieurs  places  et  incendiaient,  tuaient,  rançon- 
naient, pillaient^.  C'est  peut-être  la  même  année  que  le  castel  de 
Montredon  fut  pris  et  ensuite  perdu  par  les  Anglais  ^.  Le  12  décembre 

1.  Raynal,  1.  c,  p.  301  ;  Maillard,  HIsl.  des  deux  villes  de  Sainl-Amand  et  du 
château  de  Montrond  (1895),  p.  60.  Plusieurs  de  ces  places  sont  nommées  dans  le 
discours  de  Louis  de  Bourbon  dans  La  chronique  du  bon  duc  Loys  de  Bourbon^  éd. 
Chazaud  (187G),  p.  14  suiv.  Elles  furent  délivrées  pendant  que  le  duc  était  otage  pour 
le  roi  Jean. 

2.  Ltjce,  Du  Guesclin,  p.  470. 

3.  Reg.  Vat.  Grecjor.  XI,  n°  286,  fol.  116'',  ad  an.  1375,  Martii  15  :  «  Dil.  filiis... 
abbati  et  conventui  monasterii  S.  Satiri  O.  S.  Aug-.  Bituricen.  dioc.  salutem ,  etc. 
Mérita  vestre  religionis,  etc.  Sane  petitio  pro  parte  vestra  nobis  nuper  exhibita  con- 
tinebat  quod  vestrum  monasteriium  S.  Satiri  O.  S.  A.,  Bituricen.  dioc,  in  plana  patria 
consistit,et  propler  guerras  et  malas  societates  cotidie  discurrentes  adeo  est  destruc- 
tum  ((uod  vos  ad  serviendum  Dco  non  estis  ausi  commorari  in  eodem  nec  victualia 
vestra  ibidem  tenere,  sed  oportet  omni  die  ad  villani  de  Sancero  dicte  diocesis,  que 
a  dicto  mon.  parum  distat,  vos  fugereet  in  prioratu  S.  Pétri  de  Sancero,  Ord.  et  dioc. 
pred.,  vos  retrahcre,  in  quo  cjuidcm  prioratu  sunt  ecclesia  satis  magna  atque  domus, 
in  ({uibus  cum  aliqua  augmentatione  et  reparatione  carumdem  tempore  guerre  satis 
honestc  cum  victualibus  vestris  vos  retrahere  et  in  dicta  ecclesia  divinum  offîcium 
celebrarc  possetis.  [Ad  ipsorum  preces  prioratum  pred.  a  dicto  monasterio  depen- 
dcntem,  annui  redditus  XV  librurum  turon.  parv.,  monasterio  unit  ad  XV  annos.] 
Dat.  Avinione  id.  Martii  anno  quinto  ».  Voy.  sur  le  fait  et  la  date,  R.wnal,  1.  c.,p.  301. 

4.  Froissakt,  p.  186  suiv.  MAZuuii;  décrit  d'après  lui  cette  campagne  dans  L'Au- 
vergne nu  quatorzième  siècle  (1845),  p.  31  suiv. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  116. 

6.  D'après  un  ms.  de  la  Bibl.  de  Clermont  (n"  698-),  M.  Ch.\nson,  Deux  châteaux 
royaux  en  Auvergne  dans  la  Revue  dWuvercjne,  t.  IV  (1887).  p.  263. 

7.  Puy-de-Dôme.  «  Le  chatel  de  Monredont  e[s]t  prys  des  Angloys  ».  Note,  écrite 
«  le  mardi  auprès  Sainte  Catcline  »  (29  novemb.\  communiquée  par  M.  Félix  Gham- 
bon,  tirée  des  Archives  communales  de  Gannat.  La  date  peut  être  postérieure. 


256  LA    GUERRE    DE    CENT    A>S 

1357,  le  dauphin  Charles  nommait  Guillaume  VI  d'Apchon,  capi- 
taine général  de  l'Auvergne  pour  la  défense  de  ce  pays  '.  Les 
années  suivantes,  une  lourde  charge  pesait  sur  cette  province 
comme  sur  les  autres,  car  elle  devait  payer  une  somme  considérable 
pour  la  rançon  du  roi  Jean,  alors  captif.  Vers  la  fin  de  l'année  1358, 
une  guerre  intestine  menaçait  l'Auvergne  et  le  Bourbonnais.  Gode- 
froy  de  Boulogne  avait  l'intention  d'envahir,  avec  de  nombreuses 
troupes  bourguignonnes,  les  possessions  de  Gilles  Aycelin,  sire  de 
Montaigu,  comme  Innocent  VI  l'écrivait  à  la  reine  de  France, 
Jeanne,  le  13  novembre  1358,  la  priant,  en  considération  du  triste 
état  du  royaume,  de  la  captivité  du  roi  Jean  et  des  dévastations 
que  cette  guerre  occasionnerait,  d'exhorter  Godefroy  à  se  désister 
de  son  intention  -. 

1.  Revue  dWuverrfne,  t.  VII  (1890),  p.  433  suiv. 

2.  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n°2'i0,  fol.  2  :  «  Garissime  in  Chrisio  filic  Johannc  rej^ine 
Francie  illustri  salutem.  Licet  lotis...  Inter  ccteras  vero  mundi  rej^iones  que  sugge- 
rcnte  et  usque  hue  humani  hostis  prevalentc  ^"e^sutia  turJDationibus  fluctuant  domcs- 
ticis  et  e.xternis,  est  regnum  Francie  cum  subjectis  et  circunipositis  illi  partiljus, 
([ue  languescente  capite  non  imnierito  (proh  dolor)  anxiantur...  Sane,  carissima 
filia,  nuper  quibusdani  nobis  referentibus  non  sine  mentis  nostrc  turbatione  pcrcc- 
pimus,  quod  dil.  filius  noster  nobilis  vir  GodofVidus  deBolonia,  patruus  tuus,  magnani 
secum  genteni  arniigeram  de  partibus  Burgundic  congregavit  ad  hostiliter,  ut  fertur, 
invadendum  dil.  fd.  nob.  virum  Egidium  Aselini.  niiliteni.  dominuni  Montis  Acuti, 
cjusque  terras  et  loca,  adjunctis  sibi  de  partibus  predictis  viribus,  insultandum. 
Sed  recogitet  secum  serenitas  tua  (juanta  sepe  a  malis  initiis  secuta  sint  hactenus 
scandala,  quibus  debitisa  principio  datis  remediis  obviari  faciliter  potuisset...  Alten- 
dat  etiam  eadam  serenitas  quot  secum  mala,  quot  hominum  cèdes,  quot  vastationes, 
et  incendia  in  partibus  Alvernie  et  Borbonie  secum  ferre  posset  ista  discordia,  et 
(|uam  innumeras  guerras  induccre,  nisi  malis  ceptis  bonis  consiliis  resistatur.  Si(|ui- 
dem  non  dubitamus  dum  publica  tecum  et  privata  facta  recogitas  et  in  menlem 
tuam  venit  gravitas  agendorum,  excellentiam  tuam  aperte  cognoscere  quantum 
in  tantatui  rcgni  turbatione  tibi  sit  minus  expcdiens  oririhinc  inde  guerras  et  scan- 
dala, dum  captivus  ab  hac  carissimus  in  Christo  fdius  noster  Johannes  rex  Francorum 
illustris,  vir  tuus,  quod  dolenler  referimus,  detinetur,  magis  quippe  tibi  providen- 
duni  est  et  ad  eandem  excellentiam  tuam  precipue  spectare  dinoscitur,  ut  optatum 
liberationis  ejusdem  viri  tui  dicm,  cujus  curam  tuis  crcdimus  mordaciter  inhererc 
visceribus,  anxiata  tua  mens  vident,  non  tantum  surgentes  impedire  discordias  sed 
ad  dclendas  priores  intcndere  vigilanter...  Quarc  serenitatem  tuam  rogandam  duxi- 
nius  et  hortandam  quatinus  ad  evitanda  mala  que  faciliter  oriuntur  et  crescunt,  in 
apostolice  sedis  reverentiam  atque  nostram  et  ne  forte  claritati  tui  nominis  posset  in 
aliquo  derogari,  cum  predicta  militaris  congregatio,  ut  ad  nostrum  pervenit  auditum, 
de  partibus  Burgundie  surgat  que  tue  et  dil.  fdii  nob.  viri  Pliilippi  ducis  Burgundic 
nati  tui  sunt  dilioni  subjccte,  prediclq  Godofrido  et  aliis  quibus  pro  materia  expedirc 
videris  instantcr  inliiberc  procures  ut  super  congregatione  prefate  gentis  armigere 
et  attentatione  predicte  invasionis  ulterius  non  procédât...  Datuni  Avinionc  idus 
Novembris  anno  sexto  ».  Gf.  \^'Euu^skY,  n"  475. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    \'\i)()    A    1300  2')7 

L'arrivée  de  Robert  KnoUes  et  de  ses  quatre  mille  combattants' 
vint  encore,  en  1359,  s'ajouter  à  toutes  ces  anxiétés  et  à  tous  ces 
maux.  Il  semble  qu'il  soit  entré  dans  l'Auverg-ne  en   montant   la 
rive  droite  de  l'Allier,  car  il  prit  Cusset  (arr.  de  La  Palisse),  et  Pont- 
du- Château,  près  de  Glermont,  ainsi  que  plusieurs  autres  châteaux, 
et  détruisit  tout  le  pays   ~.  D'autres  lieux  forts  étaient  dès  cette 
année   occupés,    soit  par  lui,    soit    par    d'autres    capitaines,    par 
exemple,  Bertucatd'Albret.  On  nomme  Ainay-le-Ghâteau,  Bagneux, 
La    Bourbe,    Le    Breuil,    Chang'y,   Ghantemerle,    Montesches,    La 
Motte-de-Mourg-on,  Puy-Fol,   La    Prug'ne,   Saint-Gérand,    Villiers, 
tous  situés  dans  le  territoire  qui  forme  aujourd'hui  le  département 
de  l'Allier  '-''.  Froissart  raconte  que  Knolles  est  entré  en  Auverg-ne 
au  mois  d'août  ;  mais,  comme  je  l'ai  déjà  fait  observer,  c'est  vrai- 
semblablement au  mois  de  mai  qu'il  envahit  le  Berry  et  arriva  au 
mois   de  juin  en  Auvergne  avec  le   dessein   de   pénétrer  dans   le 
Languedoc.  Des  documents  sûrs  signalent  près  du  Puy  en  Velay, 
dans  la   seconde  moitié  du  mois   de  juin,  la  présence  de  troupes 
anglaises  qui  voulaient  aller  en  Languedoc,  car,  au  même  mois,  on 
savait  à  Nîmes  que  les  ennemis  étaient  à  peu  près  à  quatre  lieues 
des  environs  du  Puy,  et  on  envoyait  des  espions  dans  cette  ville 
pour  s'informer  de  leur  nombre  et  de  la  marche  qu'ils  suivaient. 
Le  comte  de  Poitiers  écrivait  le  20  juin  aux  consuls  de  Nîmes,  que 
les  ennemis  étaient  déjà  passés  en  Auvergne,  où  ils  faisaient  des 
dégâts  et  des  ravages  sans  lin  ^.  Gomme  je    le    noterai  plus  loin. 
Innocent  VI  écrit  aussi,   le  22  juin,  que  les  ennemis  sont  près  du 
Puy.  Or,  d'après  le   livre  des  comptes  de    la  ville    de  Millau^   de 
l'année  1359  à   1300,   c'est  justement   Robert   Knolles    qui,    avec 
Jacques  Wyn,  Mathieu  Buoû  (Aile  de  Buef)   et  quatre  mille  g-ens 
d'armes,  se  trouvait  en  Auvergne  déjà  avant  le  25  juin,  comme  1^ 
comte  de  Poitiers  l'annonçait  aux  Toulousains  ^.  Ges  troupes  enne- 


1.  Froissart  dit  au  contraire  :  avec  3.000  combattants. 

2.  Revue  d'Auvergne,  t.  IV,  p.  264,  selon  le  ms.  cité,  p.  255,  not.6. 

3.  LucR,  Du  Guesclin,  p.  465  suiv.,  surtout  d'après  Cabaret  d'Orvim.r,  Chron.  du 
hon  duc  Loys  de  Bourbon,  éd.  Ghazaud,  p.  14  à  16. 

4.  Voy.  MÉNARD,   Hist.  de   la  ville  de  Nimes,  II,  p.  184  suiv.  (de  la  nouv.  éd.\  où 
il  renvoie  le  lecteur  aux  documents. 

5.  RouQUETTE,  Le  Rouergue  sous  les  Anglais  (ISSl),  p.  19,  not.  1.  La  présence  de 
Jacques  Wyn,  dit  Poursuivant  d'Amour,  et  d'Aile  de  Buet  ou  Buef  en  Auverjrne  et 

R.  P.  Dknifle.  — Desolatio  ecclesiarum  II.  17 


^58  LA    GLEllUE    DE    CENT    AiN^^ 

mies,  signalées  par  Innocent  VI  et  par  le  comte  de  Poitiers,  sont 
donc  celles  de  Robert  Knolles  qui,  par  conséquent,  ravageait  l'Au- 
vergne, non  dans  le  mois  d'août,  mais  déjà  deux  mois  auparavant. 
Contre  lui  s'opposaient  avec  succès  Bérard,  dauphin  d'Auvergne, 
et  plusieurs  autres  seigneurs,  parmi  lesquels  on  doit  citer  Godefroy 
de  Boulogne  et  Henri  de  Montaigu^.  Le  sénéchal  de  Beaucaire, 
avec  ses  troupes,  et  le  vicomte  de  Polignac  accoururent  également 
contre  les  ennemis  apparus  au  Puy  en  Velay  ~. 

En  passant,  il  faut  noter  que  ce  n'était  pas  la  première  fois  que 
le  Velay  était  envahi  ;  déjà,  au  mois  de  décembre  1358,  nous  y 
trouvons  de  mauvaises  compagnies  qui  menaçaient  d'entrer  dans  le 
Lyonnais  ^. 

Quoique  cet  ennemi  fût  chassé,  on  ne  se  sentait  pas  sûr  en 
Auvergne.  Le  31  juillet  1359,  une  assemblée  des  Etats  eut  lieu  à 
Clermont  pour  remédier  aux  maux.  Des  sommes  considérables  furent 
votées  à  cet  effet,  et  Tévêque  même,  Jean  de  Mello,  fut  taxé  à 
une  somme  de  467  livres.  Mais  cette  taxe  fut  réduite  de  moitié,  à 
cause  des  charges  nombreuses  qu'il  avait  à  supporter  pour  le 
pays  K 

La  calamité  générale  frappa  aussi  les  églises  et  les  monastères 
d'Auvergne.  Le  prieuré  bénédictin  de  Saint- Julien-la-Geneste , 
du  diocèse  de  Clermont,  est  déjà  le  12  septembre  1359  men- 
tionné comme  à  peu  près  détruit  et  réduit  à  un  irrémédiable 
dénuement  ^.  Les  monastères  situés  hors  de  Clermont  eurent  le 
même  sort  que  tous  ceux  qui  s'étaient  trouvés  près  des  villes 
menacées.  Plusieurs  maisons  du  monastère  bénédictin  de  Saint- 
Alyre  furent  détruites,  et  l'ennemi  menaçant  toujours,  les  moines, 


en  Forez,  avec  une  grande  compagnie,  est  aussi  constatée  par  un  autre  document 
dans  GuiGUE,  Les  Tard-Venus  en  Lyonnais^  Forez  et  Beaujolais  (1886),  Pièces  justifie., 
n"  4,  p.  221.  Mais  de  même  que  l'invasion  du  roi  d'Angleterre  en  France  et  en  Bour- 
gogne, l'invasion  de  deux  brigands  y  est  mal  placée  à  l'an  1357,  Froissart,  p.  186, 
annote  également  dans  l'Auvergne  Aile  de  Buef  comme  chef  avec  Knolles. 

1.  Froissart,  1.  c. 

2.  MÉNARD,  p.  186.  Cf.  Ghassaing,  Spicilegium  Brivatense  (1886),  p.  388. 

3.  G.  GuiGUE,  1.  c,  p.  28,  not.  2:  Le  chapitre  de  Lyon  dit  le  25  décembre  1358  : 
«  Intelleximus...  quod...  societates  maie  que  sunt  versus  Anicium  seu  Podium  parent 
se  de  veniendo  ad  pai-tes  nostras.  » 

4.  De  Resie,  Hist.  de  V église  d'Auvergne  (1855),  III,  p.  267. 

5.  Reg.  Vat.  Jnnoc.  VI,  n"  243,  fol.  294  '\ 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    1336    A    1360  239 

pour  se  mettre  en  sûreté,  se  virent  dans  la  nécessité  d'élever  un 
mur  d'enceinte.  Mais  ne  pouvant  en  faire  les  frais  à  cause  de  Tex- 
trême  pauvreté  où  ils  étaient,  l'abbé  implora  du  Pape  des  indul- 
gences pour  tous  ceux  qui  concourraient  à  cette  construction  ^  Les 
Frères  Prêcheurs,  situés  eux  aussi  hors  des  murs,  étaient,  à  cause 
des  guerres,  forcés  de  louer  chaque  année  une  maison  dans  la  ville 
pour  y  cacher  les  choses  les  plus  nécessaires ,  les  provisions,  les 
joyaux.  Enfin,  le  3  mars  1369,  ils  obtinrent  la  licence  de  se  retirer 
tout  à  fait  dans  la  ville  -.  L'abbé  de  la  grande  abbaye  bénédictine 
de  La  Chaise-Dieu,  du  même  diocèse,  à  cause  de  la  désolation  et 
de  la  pauvreté  du  monastère  et  de  ses  prieurés,  implorait  du  Sou- 
verain Pontife  la  grâce  qu'il  lui  soit  fait  remise  de  la  somme  due  à 
la  chambre  apostolique  du  temps  de  son  prédécesseur.  Il  dit  alors  ce 
mot,  tant  de  fois  répété  aujourd'hui,  que  les  propriétés  et  l'agriculture 
apportent  plus  de  charges  que  de  profit,  à  cause  de  la  rareté  et  de 
la  cherté  des  ouvriers,  des  bestiaux  et  des  autres  choses  nécessaires 
à  l'agriculture  et  à  cause  de  la  stérilité  de  la  terre.  L'abbé  demande 
l'autorisation  de  donner  pour  toujours  en  emphytéose  ces  posses- 
sions et  ces  terres.  De  plus,  beaucoup  de  maisons,  de  vignes  et 
autres  dépendances  étaient  désertes,  à  cause  des  guerres  passées 
ou  présentes,  ou  par  suite  de  la  fuite  ou  de  la  mort  des  cultiva- 
teurs. Et  comme,  dans  l'incertitude  où  l'on  se  trouvait,  personne 
ne  voulait  reprendre  ces  terres  si  la  pension  n'était  pas  diininuée, 
l'abbé  demande  encore  une  permission  à  ce  sujet  ^. 

1.  Siippl.  Urb.  \\  n"  36,  fol.  8  •',  ad  an.   1363,  Febr.  21. 

2.  Reg.  Vat.  Urb.    V,  n°  259,  fol.  54. 

3.  Siippl.  Urb.  V,  n"  41,  fol.  44,  ad  an.  1365,  Maii  10  :  «  Supplicat  S.  V...  G.  abbas 
monasterii  Cascdci  O.  S.  B. ,  dioc.  Claromonten.,  quod  dignetur  E.  S.  eidem  conce- 
dere  de  gratia  spécial!...  propter  desolationem  et  paupertatem  dicLi  monasterii  et 
menibroruni  suorum  remittere  penitus  servitium  debitum  caniere  apost.  de  tempore 
sui  predecessoris,  vel  quod  saltem  non  conipellatur  pro  dicto  servitio  obligari,  sed 
quod  dicta  caméra  contra  dictum  suum  predeccssorem  dirigat...  actionem,  cum  sit 
dicta  caméra  fortior  dicto  abbate  ad  hoc  exigendum.  —  Accède  ad  Cesaraugustan.  et 
camerarium,  et  illi  providcbunt.  B... 

Item  cum  hodierno  tempore  possessiones  et  agriculture  pencs  religiosos  plus  afîe- 
rant  incommodi  quam  utilitatis,  propter  raritatem  et  caristiam  mercenariorum  et 
animalium  ac  ceterarum  rerum  ad  agriculturam  necessariarum,  et  tcrrarum  sterilita- 
tem...  Pctunt  ut  dictas  possessiones  et  terras  in  pcrpetuuin  emphiteuticare  possint. 
—  Fiat  ad  novem  annos.  B. 

Item  quod  liccat  eidem  abbati  et  suis  subdilis  traderc  fei'ras.  possessiones.  domos, 
et  vinoas  vacantes  nunc  vol  in  posterum  vacaluras  proplei'  guerras  que  viguerunl  et 


260  LA  GUERRE    DE    CEM   A>S 

Plusieurs  autres  églises  et  monastères  du  diocèse  sont  qualifiés 
comme  détruits  et  dévastés  ;  mais  cette  destruction  n'eut  lieu 
qu'après,  quand  éclata  sur  l'Auvergne  un  orage  comme  elle  n'en 
avait  jamais  vu.  Cependant,  déjà  à  cette  époque,  les  revenus  des 
monastères,  des  églises  et  des  bénéfices  ecclésiastiques  des  deux 
diocèses  de  Bourges  et  Glermont  étaient  tellement  diminués  par 
les  guerres  continuelles  auxquelles  venaient  s'adjoindre  les  épidé- 
mies, que,  le  27  février  1363,  Urbain  V  dut  réduire  de  moitié  le 
taux  des  décimes  ^  Quelles  sommes  dévoraient  seulement  les  travaux 
des  fortifications  dont  les  charges  tombaient  souvent  sur  les  cha- 
pitres, comme  par  exemple  à  Brioude'-I 

A  coujD  sûr,  Robert  Knolles  et  ses  bandes  étaient  plus  que 
d'autres  responsables  de  cette  misère.  Si  l'on  en  croit  Knighton, 
Knolles  arriva  jusqu'à  douze  lieues  d'Avignon  ;  P^roissart  dit  même 
qu'il  est  entré  en  Auvergne  pour  gagner  Avignon,  afin  de  voir  le 
pape  et  les  cardinaux,  et  d'avoir  leur  argent,  comme  avait  fait 
l'Archiprêtre  l'année  précédente  après  qu'il  eût  envahi  la  Pro- 
vence 2;  mais  il  afTirme  que  les  seigneurs  Tobligèrent  à  se  retirer 
et  à  s'en  aller  dans  le  Limousin  ^.  Toujours  d'après  Knighton,  le 
pape  et  les  cardinaux  avaient  tellement  peur  qu'ils  n'osaient  sortir 
du  palais.  Le  même  auteur  met  ces  vers  dans  leur  bouche  : 

Roberte  Knolles,  per  te  fit  Francia  mollis, 
Ense  tuo  tollis  praedas,  dans  vuhiera  collis. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  qu'à  cette  époque,  comme  en  1357, 
Innocent  VI  était  dans  une  grande  anxiété.  On  en  trouve  la  preuve 
dans  les  lettres  qu'il  écrivit  au  sujet  de  Jean-Ferdinand  de  Hérédia, 
châtelain  d'Emposte,  capitaine  général  des  troupes  du  comté  Venays- 
sin,  leqviel  étant  alors  au  service  de  Pierre  d'Aragon,  se  trouvait 

adhuc  vigent  in  partibus,  in  quibus  dicte  possessiones  sunt  siluate,  vel  propter  mor- 
tcm  vel  fugam  agricolarum  et  colonorum  seu  inquilinorum  vel  alias  cecidcrunt  in 
commissum,  aliis  agricolis  et  colonis  cuni  diniinutione  antiqui  canonia  seu  pcnsionis... 
alias  nullus  agricola  eas  recipiet.  —  Fiat  ut  in  precedenti.  B.  Dat.  Avinione  VI  idus 
Maii  an.  III  ». 

1.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n°  261,  fol.  4^.  La  lettre,  queje  publierai  à  la  fin  de  ce  paragraphe, 
reg^arde  les  provinces  de  Lyon,  Reims,  Sens,  Rouen  et  Tours,  les  diocèses  de  Bourges 
et  de  Clerniont.  Cf.  Prou,  dans  Bibl.  de  V École  des  Hautes-Études,  fasc.  76,  p.  89  suiv. 

2.  Cf.  A.  S.  Fekréol,  Notices  hist.  sur  la  ville  de  Brioude  (1878),  p.  14  suiv, 

3.  Voy.   ci-dessus,  p.  208  suiv. 

4.  Kmghto>,  p.  102;  Chron,  AncjL,  éd.  Thompson,  p.  30;  Froissart,  p.  186,  189, 


TOUTE    LA    FRANCE    I^JFESTÉE,    1356    A    1360  261 

absent  de  la  cour  romaine  et  demandait  au  pape  de  prorog-er  son 
congé.  Mais  le  22  juin  1359,  Innocent  VI  ne  croyait  pas  pouvoir  se 
passer  plus  longtemps  du  capitaine  de  la  province.  Des  troupes  enne- 
mies étaient  près  de  la  ville  du  Puy,  et  il  était  à  craindre  qu'elles 
fissent  invasion  dans  le  Venayssin  ;  la  présence  de  Jean-Ferdinand 
devenait  nécessaire.  Le  pape  écrit  au  roi  d'Aragon  et  à  Jean-Ferdinand 
même  que  ce  dernier,  sous  peine  d'excommunication,  devra  se  mettre 
en  route  pour  la  cour  romaine  dans  les  huit  jours  qui  suivront  la 
réception  de  la  présente  lettre  ^  Le  26  juin,  le  pape  envoyait  aussi 
à  Raynald  de  Fayno,  précepteur  de  Saint  Jean  du  Puy,  le  mande- 
ment exprès  de  se  rendre  de  suite  dans  le  comté  Venayssin  '.  Vlais 
Jean-Ferdinand  ne  vint  pas  ;  la  reine  d'Aragon  écrivit  au  pape  de 
suspendre  l'excommunication,  ce  qu'Innocent  VI  accorda  le  29  juil- 
let, ainsi  que  Fautorisation,  pour  le  châtelain,  de  ne  retourner  à 

1.  Re(f.  Vnl.  Innocent.  VI,  n"  2i0,  fol.  57'^  :  «  Carissimo  in  C^Jiristo  filio  Petro  re^i 
Araii;onen.  illustri  salutcm,  etc.  Scpc  pcr  litteras  rci^ias  et  per  novissiinas  prcsertim 
nupcr  accepimus,  qiiam  p,ratum  hal)cat  tua  screnitas  dil.  filium  Johannem  Ferdinandi 
de  Eredia,  castellanum  Empostc,  in  tuis  et  re^ni  tiii  f)l)se([iiiis  ultra  assignatuni  per 
nos  eidem  terniinum  renianere,  proptcr  quod,  licet  ejus  presentia  plurinium  e^ere- 
mus  et  ad  agenda  négocia  que  comniiserainus  eidem  eum  duxerimus  ad  nostram  pre- 
sentiam  evocandum,  celsitudini  tauien  lue  de  ipsius  castellani  retentione  ad  tempus 
quod  instat  de  proximo,libenter  duxinuis  complacendum,  et  adhuc  utique  complacere 
liberaliter  curarenius,  si  magna  et  evidentia  que  imminent  pericnla  non  obstarent. 
Sed  quia  nuper  ad  nostrum  pervenit  auditum  quod  nonnulle  gentes  armigere  prope 
civitatem  Anicien.,  comitatui  nostro  Veneysini  et  Romane  curie  satis  vicinam,  hos- 
lilitcr  discurrentes  hiis  partibus  comminanlur,  cum  hujusmodi  hostiles  incursus 
ojxa'teat  condigne  provisionis  remedio  prevenire,  et  propterea  (jue  in  talibus  requi- 
runtur,  dicti  castellani  presentia  non  tantum  utilis  sed  necessaria  nobis  et  dicto 
comitatui  solito  plus  existât  :  celsitudinem  eandem  rogamus  attente  ({uatinus  liioleste 
non  ierat  si  ejusdem  castellani  reditum  idterius  dilTerri  non  patimur,  ({uem  nobis 
etiam  tacentibus  multipliciter  advocat  gravitas  agendorum.  Ceterum  nos  eidem  per 
alias  nostras  litteras  damus  specialiter  in  mandatis,  ut  sublato  cujuslibet  more  dis- 
pendio  ad  nostram  curet  presentiain  celeriter  se  coni'erre.  Quod  si  forte  aliqua  dila- 
tionis  occasione  pretensa  tarditatem  interponere  alic^uatenus  videretui*,  euin  si  inlVa 
octo  dies  post  receptionem  nostrarum  litterai-um  de  loco  in  quo  fuerit  non  recesserit 
et  continuatis  dietis  ad  nos  non  accesserit,  excommunicationis  sententiam  incurrere 
volumus  ipso  facto  ,  et  nichilominus  contra  ipsum  ad  privationem  suonnn  castellanie 
ac  prioratuum  procedenius.  Datuni  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc.  \  kal.  Jidii 
anno  septimo  ».  IbicL,  fol.  56,  est  la  lettre  adressée  à  Jean-Ferdinand. 

2.  Ihid.,  fol.  59''  :  «  Dilecto  fdio  llaynaldo  de  Fayno  pi-eceptori  Anicien.  et  de 
Vesseto  hospitalis  sancti  Johannis  Jerosolimitani,  salutem,  etc.  Cum  propter  certa 
ardua  et  expressa  negotia  que  nullius  more  recipiunt  tarditatem  presentia  tua  nobis 
sine  alicujus  dilationis  obstaculo  sit  plurimum  oportuna,  volumus  et  devotioni  tue 
mandamus  expresse,  quatenus  receptis  presentibus  ad  nos  te  conteras  indilate.  Dat. 
apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc.  VI  kal.  Julii  anno  septimo.  » 


262  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Avignon   qu'au   mois    d'août  ^    Le    danger    imminent    était  alors 
passé. 

KnoUes  même  s'en  retourna  d'où  il  était  venu,  comme  raconte 
Knighton,  avec  un  riche  butin,  et  mit  toutes  ses  acquisitions  à  la 
disposition  du  roi  d'Angleterre.  En  effet,  à  la  fin  de  cette  même 
année,  nous  le  retrouverons  une  autre  fois  en  Bretagne,  combattant 
contre  Bertrand  Du  Guesclin  -. 

Une  autre  partie  de  l'Auvergne  excitait  depuis  longtemps  la 
convoitise  des  Anglais  et  de  leurs  alliés,  c'était  Saint-Flour  et  ses 
environs.  Cette  ville  était  une  des  places  les  plus  fortes  et  les  plus 
remarquables  d'Auvergne.  Déjà,  en  13r56,  les  Anglais  avaient 
espéré  la  prendre  *^  ;  même,  dès  l'an  1353,  le  diocèse  de  Saint-Flour 
fut  maltraité  par  les  alliés  des  Anglais,  Bertucat  d'x\lbret  et  ses 
compagnons,  qui,  depuis  leur  entrée  jusqu'en  1363,  mirent  k  mort 
mille  personnes  et  incendièrent  plusieurs  églises.  A  cette  époque, 
la  circonscription  de  Saint-Flour  fut  dédommagée  de  plus  de 
400.000  florins  d'or  K 

Les  faubourgs  de  Saint-Flour,  deux  fois  pris  et  pillés,  de  1360  à 
1363,  avaient  été  deux  fois  livrés  aux  flammes  et  presque  entière- 
ment anéantis.  La  paroisse  de  la  Bastide  disparut  alors  complète- 
ment avec  son  église  pour  ne  plus  se  relever.  De  206  chefs  de 
famille  imposables,  que  comptait  ce  faubourg  vers  1344,  il  n'y  en 
avait  plus  que  7  en  1363  et  6  l'année  suivante.  Murât,  la  seconde 
ville  de  la  prévôté,  prise  par  les  Anglais,  mise  à  sac  et  brûlée  par- 
tiellement en  1357,  le  fut  encore  entre  1357  et  1365,  et,  cette  fois, 
ses  murailles  furent  détruites  et  ses  habitants  «  obligés  de  quitter  »  ; 
Salers  fut  pillé  en  1357  par  Arnaud  d'Albret  ;  Pierrefort  fut  deux 
fois  incendié  entre  cette  date  et  le  mois  de  juillet  1363  '.  Une  bulle 
d'Innocent  VI,  du  31  décembre  1357,  nous  apprend  que  le  prieuré 

1.  Recf.  Vat.  Innocent.  VJ,  n°  240,  loi.  dS'',  la  lettre  adressée  «  Alienore  regine  Ara- 
goncn.  illusti'i  »  ;  fol.  69''la  lettre  de  la  même  date  «  Johanni  Ferdinand!  de  Eredia  >>. 
Jean-Ferdinand  obéit  cette  f(^is;  mais  bientôt  aj^rès  il  s'absenta  inie  autrefois  et 
alla  auprès  du  roi  d'Aragon.  Ihid.,  part.  2",  fol.  21,  ad  an.  13Ô0,  Mart.  1. 

2.  Voy.  ci-dessous,  p.  309  suiv. 

3.  Marcellin  Boudet,  Assnuls,  sièges  et  ])locus  de  Snint-Flour  pm^  les  Anglnis^duns 
Bévue  d'Auvergne,  9*"  année,  1893,  p,  340. 

4.  Ibid.,  p.  341. 

5.  Ibid.,  p.  342  suiv.:  BornET,  La  Jacquerie  des  Tuchins,  1'l63-tS8-'i  (Rioni,  1895), 
p.  11. 


TOUTE   LA    FRANCE    INFESTÉE,     13o6    A    1360  263 

des  chanoines  rég'uliers  d'Escalmels  fut  dévasté  par  les  bandes  K 
Les  pays  limitrophes  de  l'Auverg-ne  et  du  Velay  reçurent  alors 
également  la  visite  des  compagnies.  Je  ne  veux  pas  parler  des 
troubles  et  des  anxiétés  qui  régnaient  dans  le  Lyonnais,  et  qui,  en 
1358,  forçaient  les  habitants  de  Lyon  à  réparer  leurs  murs  et  à  faiFe 
de  nouvelles  fortifications,  ni  de  la  révolte  de  la  A^lle  de  Montbri- 
son  -,  révolte  qui  était  dirigée  contre  les  royaux  ■',  mais  seulement 
des  compagnies.  C'est  en  décembre  1358  qu'on  apprit  à  Lyon  que 
des  bandes  armées  s'avançaient  sur  cette  ville  '^.  On  s'occupa  aus- 
sitôt des  fortifications  de  Lyon  et  de  la  défense  d'Anse  •''.  Mais 
le  danger  ne  fut  imminent  qu'en  1359,  quand  le  Beaujolais  fut 
envahi  par  des  troupes  navarraises  et  anglaises.  Antoine,  sire  de 
Beaujeu,  fît  appel  à  son  voisin,  le  comte  de  Savoie,  qui  lui 
envoya  des  secours.  A  la  tête  des  troupes  de  renfort  était  Galois 
de  la  Baume ,  conseiller  du  comte ,  et  avec  lui  plusieurs  gentils- 
hommes bressans.  L'expédition  dura  trois  semaines  au  printemps 
de  1359  ^>. 

Chassés  du  Beaujolais,  les  Anglo-Navarrais  se  rejetèrent  sur  le 
Forez.  L'abbaye  cistercienne  de  Valbenoîte,  près  de  Saint-Etienne, 
fut  saccagée.  Ils  s'emparèrent  de  Montbrison,  qu'ils  incendièrent 
le  19  juillet.  Cet  incendie  alarma  les  seigneurs.  Aussitôt  le  bailli 
royal  de  Saint-Gengoux  convoqua  tous  les  corps  de  troupes  de  cette 
région  en  la  ville  de  Charlieu.  Là,  il  les  organisa  et  tint  la 
campagne  en  s'appuyant  sur  les  forteresses  de  Châteauneuf  en 
Brionnais  et  de  Charlieu,  toutes  deux  entourées  de  fossés  profonds 
et  de  hautes  murailles  ".  Dès  le  mois  d'août  le  Forez  fut  délivré  de 
l'ennemi. 

Si  on  fait  abstraction  de  la  guerre  entre  le  comte  de  Foix  et  le 
comte  d'Armagnac,   après  le  départ  de  l'Archiprêtre  et  avant   la 

1.  Voy.  ci-dessus,  p.  183. 

2.  Voy.  Gi'iGUE,   Les  Tard-Venus,  p.  13  suiw,  20  siii\'.,  24  suiv. 

3.  Guig'ue  cite  p.  26  :  V.  A.  Beunaud,  Antre  révolte  à  Montbrison  en  1358. 

4.  GuiGUE,  Pièces  jiislif.,  n°  IG  et  p.  26  suiv. 

5.  Voy.  sur  tous  les  détails,  ihid.,  p.  27  suiv. 

6.  GriGUK,  p.  33  suiv,,  et  p.  34,  noL.  1.  Louvet,  Ilist.  du  Beaujolais  (ms.  fr.  n°  8718, 
8719,  de  la  Bibl.  nat.),  ne  parle  pas  de  ces  événements.  Ce  très  intéressant  ouvrage 
sera  bientôt  mis  au  jour. 

7.  GuiGUE,  p.  35  suiv.;  Pxcrxyi,  Essai  hist.  sur  Chûleauneuf-en-Brionnais  {1896\ 
p.  108. 


264  L4    GUERRE    DE    CENT    ANS 

paix    de   Bretigny,  ce   n'étaient  point  de  véritables  invasions    qui 
I     avaient  lieu  dans  le  Languedoc  méridional^  mais  l'anxiété  y  régnait 
jDartout.  Il  est  vrai  qu'au  mois  d'octobre   1358,  la  ville  de  Nîmes, 
par  exemple,  se  vit  inondée  d'une   quantité  si  prodigieuse  de   sol- 
dats des  compagnies  de  routiers,  que  leur  nombre  était  presque  aussi 
grand  que  celui  des   habitants.  Cependant  ils  n'y  firent  halte  qu'en 
passant,  et  aucun  dégât  n'en  résulta.  Néanmoins,  on  leva  une  troupe 
conqiosée    de  mille  habitants,    pour  se   prémunir  contre  toute  sur- 
prise ',  et  bientôt,  comme  cela  se  faisait  partout,  on  plaça  la  nuit, 
sur  les  tours  et  les  endroits  les  plus   élevés   des  lieux  exposés   au 
danger,  deux  sentinelles  pour  épier  Fennemi  -.  C'est  seulement  en 
1359,  quand  les  ennemis,  comme  nous  l'aA^ons  raconté,  étaient  vers 
Le    Puy,   que  le  danger    parut    imminent.    Quand    la    trêve    avec 
l'Angleterre  toucha  à  sa  fin,  on  craignit  que  ce  danger  vînt  aussi 
s'allât tre   sur  le  Languedoc,  à  cause  des  surprises  et  des  trahisons 
auxquelles  les  Anglais  pouvaient  se  livrer  ;  on  eut  la  même  crainte 
lorsque  les  Anglais  préparèrent  de  nouvelles  incursions  en  France 
et  que  le   roi  Edouard    recommença   la    guerre  '^    On   signale    une 
troupe  de  brigands  à  pied  et  à  cheval  qui,  après  avoir   désolé   la 
sénéchaussée  de   Beaucaire ,  s'étaient  retirés  avec  leur  butin  dans 
un  cliâteau   situé  sur  les  frontières  de  l'Auvergne,  d'où  ils   conti- 
nuaient leurs  courses  dans  cette  même  sénéchaussée  ''. 

C'est  bien  sûr  alors  que  commence  la  désolation  du  prieuré  des 
religieuses  de  Saint-Augustin  de  Notre-Dame  de  Stauzen ,  du  dio- 
cèse d'Uzès.  En  1358,  les  habitants  de  Nîmes  prirent  les  matériaux 
de  quekjues  maisons  que  les  religieuses  possédaient  à  Nîmes  pour 
les  réparations  et  les  fortifications  de  la  ville  "'.  J  ai  déjà  parlé  au 
courant  de  cet  ouvrage  d'autres  églises  et  monastères. 

A  cette  époque,  bien  plus  graA-e  était  la  guerre  intestine  de  Gas- 

j   ton  Phœbus,  comte  de  Foix,  contre  Jean  d'Armagnac  et  le  comte 

de  Poitiers.  Jaloux  de  voir  le  comte  d'Armagnac,  son  ennemi,   chef 

du  conseil  du  comte  de  Poitiers,  il  faisait  la  guerre  à  la  France.  Au 

commencement  de  1359,  il  avait  franchi  la    Garonne,  et,   accom- 

1.  MKN.vnr),  Ilisl.  de  la  ville  de  Nimes  ,  nouv.  éd.,  II,  p.  170. 

2.  Ihid.,  p.  171  suiv. 

3.  Ihid,,  p.  176,  177,  185. 

i.  Jlisl.  de  Languedoc,  IX.  p.  705. 

5,  Mi'c.NAnn,  1.  c,  ji.  767.  1)i:mi'i.e,  La  désolai  ion.  clc.  I,  n"  365. 


TOLTE  LA  FRANCE  INFESTÉE,  13oG  A  1360  205 

pagne  d'une  forte  troupe  d'Anglais,  il  ravageait  le  Toulousain  K  Le 
26  mars  1359,  Innocent  VI  le  presse  d'enjoindre  à  ses  vassaux  de 
mettre  bas  leurs  armes  dirigées  contre  le  comte  d'Armagnac,  pour 
ne  pas  augmenter  encore  les  troubles  immenses  qui  désolaient  le 
royaume  -.  Mais  cette  lettre  n'arrêta  pas  le  comte  de  Foix.  Il  se 
remit  en  campagne  au  mois  d'avril  ou  de  mai  et  s'avança  jusqu'à 
Toulouse.  Après  avoir  battu  les  milices  de  cette  ville,  il  en  brûla 
les  faubourgs,  notamment  l'hôpital  de  Sainte-Catherine.  Il  prit 
divers  châteaux,  ])rûla  les  autres,  mit  tout  le  pays  à  contribution  et 
causa  des  ravages  infinis  dans  le  Toulousain'^.  En  outre,  la  dépopula- 
tion de  la  seigneurie  de  Mirepoix  paraît  commencer  à  cette  occasion  ^. 

1.  J.a  lettre  du  comte  de  Poitiers,  du  20  jan\ier  dans  Ilisl.  de  Lan(juedoc,X.i).  lir)2. 

2.  Recf.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  2i0,  fol,  2i  :  «Dil.  fdio  nobili  viro  Gastoni  comiti  Fuxi, 
salutem,  etc.  Si  bonum  pacis  sine  quo  nuUius  boni  fructus  cxistit,  si  ^uerrarum  pericula 
que  sepe  a  parvis  initiis  in  exitus  gravissinios  devenerunt,  si  olini  l'elicissinii  et  longa 
tranquillitate  securi  nunc  miserabilis  regni  Fi'ancie  presentem  statum  débita  pietate 
considères,  dil.  fdi,  oinnem  prol'ecto  rancoris  spiritum,  si  quem forte  inter  subditos 
tuos  et  alios  malignus  ille  suscilator  discordie  seminasset,  pacis  apponendo  remédia 
tvii  cc^nsilii  providentia  superatis.  Hoc  pro  tanto  dicimus  c[uia  nu[)er  ad  aures  nostras 
non  sine  displicentia  multa  pervenit  sinister,  sed  utinam  vanus  rumor,  quod  procu- 
rante pacis  emulo  inter  tuos  et  dil.  filii  nob.  viri  Johannis  coniitis  Armaniaci  j?entcs 
et  subditos  nonnulle  discordie  surrexerunt,  que  ad  movcndos  utrin(pic  hostiles  insul- 
tus  eorum  animos  jam  parabant.  Scd  decet,  fili  dilecte,  nobilitatem  tuam,  decct 
prudentie  tue  habundantiam,  hoc  maxime  tempore  (juo  peccatis  exigentibus  dampna 
et  pericula  in  partibus  continuo  multipliciter  suscitantur,  eo  magis  hujusmodi  ut  pie- 
fertur  exortam  sopire  discordiam  cpio  cxinde  plura  non  tam  privata  sed  publica  i)os- 
sent  inconioda  provcnire.  Nam  licet  ad  predictas  hostiles  turbationes  et  odia 
sopienda  cause  multipliées  movere  te  possint  (qnas  eidem  prudentie  tue  rclinquinms 
diligentius  extimandas),  eam  tamen  duximus  tue  mentis  oculis  presentandam  quod 
prefati  regni  Francie  misera  conditio  tetanquam  status  et  quietis  regni  ejusdem  cura- 
torem  precipuum  et  ardentissimum  rclatorem  non  privatis  tuorum  odiis  et  hostilibus 
inimicitiis    distrahi,  sed  publicis  potins  comodis  desiderat  occupari.  Eapropter  nos 

licet  minime  dubitemus  nobilitati  tue  hujusmodi  dissensioncs  et  scandala  non  medio- 
criter  displicere,  nichilominus  circa  bonum  publicum  paterno  alï'ectu  soliciti  ut  debe- 
mus  et  quanto  nos  presentia  et  preterita  mala  perturbant  tanto  cautius  intendentes 
obviare  futuris  nobilitatem  eandem  attente  requirimus  et  per  aspersionem  dominici 
sanguinis  exhortamur,  quatinus  in  honorem  Dei  et  pro  nostra  et  apostolice  scdis  reve- 
rcntia  a  communis  comodi  l'atione  adeo  in  predictis  quantum  ad  te  attinet  remédia 
salutis  a))ponas,  quod  deposita  tiu'bationis  cujuscunque  inateria  prefati  tui  subditi  et 
gentcs  ab  hujusmodi  hostili  turjjine,  ad  quem  intendere  dicunlur  abstineant  et  désis- 
tant, ut  sis  nobilibus  ceteris  (prout  prefate  tue  nobilitati  convenit  et  tanta  eorum  per- 
turbât io  exigit)  quietis  et  pacis  ac  famose  virtutis  exemplar...  Datum  Avinione  VII 
kal.  Aprilis  anno  septimo  ».  —  Dom  ^^vIssI:TK  a  eu  connaissance  de  cette  lettre,  ^'oy 
Hisl.  de  Languedoc,  IX,  p.  68G. 

3.  Hisl.  de  Languedoc,  t.  IX,  p.  699  et  not.  3.  Kmghton,  Chron.,  p.  111,  dit  que  le 
comte  d'Armagnac  a  perdu  quinze  mille  hommes.  Cest  exagéré. 

1.  Illst.  (le  l.nngucdor.  I.  IX.  )).  N2S.  no|.  S. 


266  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Toutes  les  communes  du  Languedoc  craignirent  d'être  pillées  ;  ce 
fut  un  cri  général.  L'alarme  se  répandit  jusqu'aux  environs  de  Nar- 
bonne.  Plusieurs  de  ces  communes  ne  surent  rien  faire  de  mieux 
qu'implorer  la  protection  du  Saint-Siège.  En  effet,  le  25  mai  1360, 
Innocent  VI  écrivit  sur  cette  affaire  des  lettres  aux  comtes  de 
Poitiers,  dj Armagnac  et  de  Foix.  Dans  la  première  i,  il  rappelle  au 
comte  de  Poitiers  l'affection  et  l'invincible  fidélité  des  Languedo- 
ciens envers  le  roi  Jean  ,  leur  promptitude  et  leur  zèle  à  défendre 
le  royaume,  la  générosité  avec  laquelle  ils  ont  sacrifié  pour  cela 
leurs  biens,  sans  parler  des  lourdes  charges  que  les  guerres  leur  ont 
imposées  ;  il  démontre  que  maintenant,  par  suite  du  désaccord  des 
nobles,  des  maux  tombent  sur  ce  peuple  fidèle  et  tranquille.  En 
conséquence,  il  exhorte  le  comte  de  Poitiers  à  faire  la  paix  entre  les 
comtes  de  Foix  et  d'Armagnac.  Ce  que  le  pape  dit  de  la  fidélité 
des  Languedociens  est  bien  confirmé  par  les  autres  sources  -.  Rap- 
pelons seulement  avec  quel  patriotisme  les  Etats-Généraux  du 
Languedoc  se  montrèrent  prêts  à  payer  une  grande  partie  de  la  pre  • 
mière  rançon  du  roi  Jean,  toujours  prisonnier,  en  1358.  A  la  fin  delà 
même  année  la  province  envoya  des  déj^utésen  Angleterre  pour  le 

1.  Re(j.  Vilt.  Innocent.  VI,  n"  240,  parte  2",  fol.  71''  :  «  Dil.  filio  nol).  viro  Johanni 
coniiti  Pictaven.  salutem,  etc.  Pro  parte  nonnullarum  univcrsitatum  Lingue  Occitane 
fuitnobis  liumilitcr  supplicatum,  quocl  cum  ex  discordiaorta  inter  dil.  filios  nob.viros 
Joliannem  Arnianiaci  et  Gastoneni  Fuxi  comités,  ipse  universitatcs  et  patrie  earun- 
dem  per  dictum  comitem  Fuxi  (nonnuUos  adversus  eos  insuUandi  et  guerram  niovendi 
colores  et  non  causam  ut  causum  pretendentem)  multipliciter  opriniantur,  super  hoc 
eorum  providere  quieti  et  opportuni  interpositione  remedii  dignareniur.  Nos  igitur 
attendentcs  devotionem  ac  prompte  et  invicte  fidclitatis  ardorcm  quo  dictarum  imi- 
versitatum  animi  erga  cariss.  in  Christo  fdium  nostrum  Johanncm  regem  Francorum 
illustrem,  patrem  tuum,  et  defensionem  regni  Francic  caluerunt,  nullis  eorum  par- 
cendo  substanciis,  propter  gucrras  ipsas  d  spendia  et  pcricula  muUiplicia  promptis 
humeris  subeundo,  ac  propterea  tantis  eorum  dampnis  et  dispendiis  pio  compatientes 
all'ectu,  ac  futuris,  ne  graviora  gravibus  addantur,  et  quod  magis  attcndendum  est 
animarum  periculis  ol3^•iare,  quantum  cum  Deo  possumus  cupientes,  nobilitatem 
tuam  rogamus  et  hortamur  at(entc  quatinus  attenta  meditatione  considerans  bonum 
pacis  et  quanta  ex  hujusmodi  discordiis  inter  nobilcs  dicli  regni  suscitatis  provene- 
runt  hactenus  pcricula  et  proAcnirc  continuo  non  dcsislunt.  dicte  quoquc  Lingue 
Occitane  laboribus  et  gravibus  oneribus  compatiens,  animuni  tuum  ad  concordiam 
cum  dicto  comité  Fuxi  habendam  benignus  inclines,  et  ad  inserendummutue  caritatis 
afl'ectum  inter  comités  predictos  interponere  studeas  tam  solicite  quam  efiîcaciter 
partes  tuas,  ut  per  hoc  dictorum  comitum  et  univcrsitatum,  quos  et  diligere  et  a 
mails  preservare  teneris,  sequatur  tranquillitas  et  futuris  discriminibus  ac  periculis 
que  a  guerrarum  tempestate  prodeunt  tui  interpositione  remedii  penitus  obvietur. 
Dat.  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc,  VIII  kal.  Junii  anno  VIII  ». 

2,  Voy.  Ilist.  de  Languedoc,  IX,  p.  683  suiv. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,     13.^6    A    1300  267 

visiter  et  lui  apporter  de  quoi  soutenir  honorablement  sa  maison^. 
Dès  le  premier  jour  de  sa  captiviti^",  le  peuple  voulait  sacrifier  pour  lui 
«  corps,  états  et  chevance  »,  et  les  femmes  promirent  d'employer  k 
sa  rançon  le  prix  de  leurs  robes  et  de  leurs  joyaux  '-'.  Le  roi  même 
s'adressa  dans  ses  besoins  aux  communautés  de  Lang-uedoc-^.  Le  dau- 
phin n'était  pas  moins  assuré  de  la  générosité  de  ce  pays.  Quand,  par 
exemple,  en  1339,  il  songea  à  s'allier  au  roi  de  Danemark,  Waldemar 
III,  pour  faire  une  descente  en  Angleterre,  le  dauphin  s'adressa  aux 
communautés  du  Languedoc  pour  qu'elles  voulussent  bien  verser,  à 
cet  eifet,  les  quatre  cent  mille  florins  qui  restaient  à  payer  après  l'offre 
de  la  Langue-d'Oïl  ^.  En  dehors  de  cela,  les  communes  faisaient  des 
efforts  surhumains  pour  fournir  des  hommes  d  armes  en  vue  de  la 
défense  du  pays  et  ])our  payer  les  impôts  et  les  gabelles  que  cette 
défense  nécessitait.  Il  était  donc  d'autant  plus  impardonnable  que 
la  jalousie  et  l'ambition  d'un  nolile  seigneur  vinssent  troubler  un 
peuple  toujours  si  attaché  et  fidèle  à  son  roi. 

Le  25  mai,  Innocent  VI  écrivit  de  même  aux  comtes  d'Armagnac 
et  de  Foix,  les  exhortant  à  ne  plus  causer  de  dommages  au  pays  du 
Languedoc  et  à  conclm^e  enfin  la  paix  entre  eux  "•.  C'est  seulement 

1.  Hisl.  de  Lnnçfiiedoc,  1.  c,  ]).  687  suiv.,  694,  not.  6  ;  t.  X.  n"  465;  Mk.nahd.  p.  166. 
173.  Ce  qui  arriva  plusieurs  fois;  souvent  on  envoyait  du  vin  au  roi.  Voy.  Duc  d' Ai- 
mai,k,  Notes  et  documents  l'elntifsn  Jenn^roi  de  France,  et  ;)  sn  ciptivitê  en  Angle- 
terre, p.  78  suiv.,  81. 

2.  Dans  le  Mémoii'e  de  1359,  cité  dans  la  note  4. 

3.  Cf.  les  livres  cités  dans  la  note  1. 

4.  Voy.  sur  ces  négociations  le  Mémoire  de  1359,  ])ublié  par  Guumai.x  dans  les 
Mèui.  de  la  Soc.  archéologique  de  Montpellier,  t.  IX,  1858,  p.  409,  suiv.,  i25  suiv., 
et  A.  Moi,imi:h  dans  Ilisl.  de  Languedoc,  t.  IX,  p.  702,  not.  8.  Cf.  ci-tlessous, 
chap.  lA',  paragraphe  1 . 

5.  Reg.  Vat.  Innocent.  Vi,  n"  240,  parte  2\  fol.  72  :  «  Dil.  lilio  nob.  viro  Johanni 
coniili  Arnianiaci  saluteni,  etc.  Si  comnioda  pacis...  Cum  itacpie  deceat  nobilitateni 
tuam  tantis  periculis  non  modo  non  prestare  causam,  sed  quibuscunque  j)restantibus 
tuis  consiliis  et  potentie  tue  viribus  obviare  :  nobilitatem  eandcni  rogamus  j)alernis 
allectibus  et  hortamur,  quatinus  pro  bono  publico  et  tui  consideratione  honoris,  dis- 
cordiis  inter  te  et  dil.  lilium  nob.  viruni  Gastoneni  comitem  Fu\i,  |)rocuraule  maligno 
luunani  generis  lioste  exhortis,  e.\  quibus  danipna  muUiplicia  utriusque  genlibus  et 
subditis  ac  in  vicinis  partibus  provenerunt  et  provenire  continuo  non  desistunt.  ani- 
mum  tuum  ad  vmilatem  et  concordiam  inter  aos  habendam  benignus  inclinando 
quantum  in  te  fuerit  finem  ponas,  Lingue  Occitane  universitates,  quarum  fidelitatem 
erga...  Johannem  regem  Francorum  illuslrcm  invictis  animis  servatum,  multorum 
laborum  constans  tolerantia  demonstravit,  comcndatas  suscipiens,  et  illas  non  dani- 
nificans  vel  perturbans  consilia  |)atris  adeo  ertîcaciter  attendendo,  quod  auctorem 
pacis  in  cterni  retributione    i)i'eniii    tibi    reperire    \  aléas   propitiuni    et  benignum.. 


268  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

en  juillet,  et  grâce  à  l'intervention  du  dauphin  et  du  pape,  que  le 
comte  de  Foix  mit  bas  les  armes  et  sig-na,  avec  le  comte  d'Arma- 
gnac et  les  principales  villes  du  Languedoc ,  une  jDaix  qui  coûta 
extrêmement  cher  à  cette  province  K 

Ce  sont  les  alentours  du  comté  de  Foix  qui  étaient  le  plus 
molestés  par  les  brigands.  Pour  cette  raison,  Gaston  Phœbus* 
accordait  en  1337  aux  consuls  et  habitants  de  Foix  la  permission 
d'aller  en  armes  par  groupes  ou  en  masse  dans  la  ville  ou  dans 
son  territoire,  après  avoir  fait  une  convocation  par  cri  public  et 
avoir  fait  sonner  les  cloches-.  Et  quand  ce  privilège  fut  donné,  les 
habitants  du  comté  de  Foix  venaient,  au  printemps  de  cette  même 
année,  d'assiéger  dans  son  château  de  l'Herm  le  seigneur  Pierre- 
Raymond  Roger  de  Mirepoix,  placé  sous  la  protection  du  comté  de 
Foix,  et  de  ravager  tous  les  enAdrons-^. 

11  semble  que  les  églises  et  monastères  du  Languedoc  méridional 
aient  eu  moins  à  souffrir  dans  les  quelques  années  entre  13oo  et  1360. 
Toutefois,  la  nécessité  d'élever  ou  d'entretenir  les  fortifications  causa 
toujours  des  pertes  et  des  dommages.  Nous  avons  déjà  cité  quelques 
faits  de  ce  genre  ^.  L'abbé  Seguin,  de  l'abbaj^e  bénédictine  de  Saint- 
Thibérj  au  diocèse  d'Agde,  se  plaint  à  Innocent  VI  des  grandes 
dépenses  qu'occasionne  la  réparation  des  murailles,  du  réfectoire 
et  autres  lieux  du  monastère  et  demande  à  cause  de  cela  de  mettre  à 
contribution  les  sujets  dépendants^.  Ceci  se  produit  partout,  sans 
faire  mention  que  les  églises  et  monastères  étaient  comme  les  autres 
chargés  d'impôts  et  que  le  clergé   était  obligé,  quelquefois  même 

DaLum  apud  Villamnovam  Avinionen.  clioc.  VIII.  kal.  Junii  anno  VIII  ».  Ihid.  est 
noté  :  «  in  eodcm  modo  dil.  lîlio  nol).  viro  Gastoni  coniiti  Fuxi,  salutcm,  etc.  » 

1.  Ifisi.  de  Languedoc,  t.  IX,  p.  709,  suiv.;  t.  X,  n"  175.  p.  1183  suiv. 

2.  F.  Pasquier,  Épisodes  de  la  vie  miinicipnle  à  Foix  sous  Gnsion  Phœbus  [Foix, 
1888),  p.  9,  10,  13. 

3.  Ibid.,  p.  4  suiv. 

4.  Ci-dessus,  p.  94  suiv. 

f).  Suppl.  Innocent.  Vl,  n"  29,  fol.  221,  ad  an.  1358,  Julii  17  :  «  Si^nificat  S.  V... 
Sciiuinus  abbas  monasterii  S.  Tiberii  O.  S.  B.,  A^athen.  dioc.,  quod  ipse  ad  refec- 
tionem  murorum  dicti  loci,  ac  refectorii,  et  aliarum  officinarum,  sive  domorum  com- 
munium  ejusdem  monasterii  pro  utilitate  communi  multa  habuit  et  habebit  ulterius 
subire  necessario  oncra  expensarum  que  ipse  abbas  per  se  commode  supportare  non 
potest...  Supplicat  ut  compellendi  ad  conti'ibuendun  prioratus,  officia,  et  administra- 
tiones  obtinentes  et  obtenturos  in  dicto  monasterio  aut  sub  illo,  det  ei  facultatcm,  vel 
committere  judicibus  quatenus  predictos  ad  id  compellant.  —  Fiat  si  alias  contribuere 
consueverint.  G.  Datumapud  ^lllamno^•anî  Avinion.  dioc.  .\^j  kal.  Augusti  an.  VI  ». 


TOUTE   LA    FRANCE    INFESTÉE,     1356    à    1360  269 

forcé  comme  à  Béziers  ',  de  contribuer  aux  dépenses  que  nécessitait 
la  fortification  des  villes. 

A  Ibi,  déjà  cruellement  éprouvé  par  les  guerres  contre  les  Albigeois  II 
et  contre  les  Pastoureaux,  se  vit  réduit  aune  profonde  misère  parla 
disette,  la  peste  et  les  exactions  les  plus  intolérables.  Dès  1346  ou 
1347,  on  se  mit  à  réparer  les  murailles  à  cause  des  courses  que  les 
Anglais  faisaient  aux  environs  jusqu'à  six  lieues  à  la  ronde,  ce  qui 
occasionnait  de  grandes  dépenses  aux  habitants  qui  devaient  encore 
contribuer  à  la  délivrance  des  villes  occupées  par  les  ennemis.  Le 
commerce  étant  ruiné ~,  on  ne  savait  où  trouver  de  l'argent  et  ce 
n'était  encore  que  le  commencement.  Les  Anglais  menaçant  dès 
1355  d'envahir  tout  l'Albigeois •"%  des  commissaires  du  sénéchal  de 
Carcassonne  furent  envoyés  pour  faire  fortifier  toutes  les  places  qui 
pouvaient  être  mises  en  état  de  défense  :  ou  on  plaçait  des  troupes 
dans  les  villages,  ou  bien  les  habitants  étaient  obligés  d'en  sortir;  et 
tout  cela  s'exerçait  aux  dépens  des  communes. 

Bien  que  les  faits  particuliers  fassent  défaut  \  comme  pour  Castres  | 
et  Lavaiir,  on  sait  que  pendant  les  dernières  années  qui  précédèrent 
le  traité  de  Bretigny,  l'Albigeois  était  dans  un  continuel  état  de 
perplexité  entre  l'attente  des  ennemis  et  la  crainte  de  n'être  pas  prêt 
pour  la  défensive.  Quand  la  trêve  de  Bordeaux  toucha  à  sa  fin,  la 
situation  devint  plus  menaçante.  Alors,  à  cause  des  courses  des 
Anglais,  le  comte  de  Poitiers  ordonna  aux  gens  de  la  campagne 
du  Languedoc  d'abandonner  leurs  habitations  et  de  se  retirer  dans 
les  lieux  fortifiés  en  se  munissant  de  leurs  meilleurs  effets,  et  aux 
habitants  de  Garmeaux  en  Albigeois  de  se  retirer  à  Monesties,  seul 
endroit  notable  et  fortifié  depuis  Gaillac  jusqu'à  Rodez  ^. 

Par  le  fait  même,  ces  ordonnances  atteignaient  aussi  les  églises, 
que  la  fuite  des  habitants  laissait  désertes.  En  tous  cas,  elles  furent 
appauvries.  C'est  le  commencement  de  la  désolation  qui  se  mani- 

1.  Voy.  Hisi.  de  Languedoc,  IX,  p.  G95  suiv. 

2.  Ilnd.,  p.  599  suiv,,  63i,  642,  645. 

3.  CoiviPAYHi':,  Eludes  hist.  et  documents  inédits  sur  V Albigeois,  le  Castrais  et  l an- 
cien diocèse  de  Layaur  (Albi,  1841),  p.  44;  Hist.  de  Languedoc,  p.  665. 

4.  CoMPAVuÉ,  p.  45,  cite  pour  ces  années  plusieurs  châteaux  occupes  par  les  Anglais 
et  les  brijçands,  mais  ces  faits  appartiennent  à  l'époque  suivante.  Joliuois,  Alhi  au 
moyen  âge.  Essai  hist.,  etc.  (1871),  p.  32  suiv.,  parle  de  la  misère  pécuniaire  d'Albi. 

5.  Ilisl.  de  Languedoc,  p.  704  suiv.  Cf.  Estapiki  .  Annales  du  pays  Castrais  (1893). 


270  LA    GUERRE    DE    CENT  ANS 

Testera  à  l'époque    suivante,  comme  nous  verrons  au   chapitre   V. 

Li^Agenais^  qui  fut,  comme  nous  l'avons  vu,  la  première  province 
atteinte  par  la  guerre  de  Cent  ans  et  qui  eut  grandement  à  souffrir 
jusqu'à  1356,  offre  à  cette  époque  un  aspect  semblable  à  celui  de 
l'Albigeois.  11  était  en  butte  à  de  continuelles  inquiétudes,  parce 
que  l'ennemi  était  à  ses  portes  ^  Ce  pays  ainsi  que  le  Condomois^  le 
Bazadais  eiAuch-  avaient  déjà  été  tellement  ruinés  par  les  Anglais 
pendant  les  dernières  années  qu'ils  offraient  peu  d'attraits  à  l'ennemi. 
Ils  étaient  en  partie  au  pouvoir  des  Anglais  et  se  confondaient  avec 
les  possessions  de  ceux-ci  en  Guyenne.  Leur  sort  empira  souvent, 
par  suite  de  la  lutte  permanente  entre  les  Anglais  et  les  Français 
qui  se  disputaient  les  places  et  les  établissements.  C'était  la  ruine 
pour  les  églises.  Comme  nous  révèle  une  note  relative  à  divers 
prieurés  des  diocèses  de  Condom,  Agen  et  Lectoure,  les  revenus 
des  églises  étaient  à  peu  près  réduits  à  rien,  quand  les  Anglais  étaient 
dans  leur  voisinage^. 

On  lit  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Sever  du  diocèse  d'Aire 
qu'en  1359  elle  était  opprimée  par  les  dettes^.  L'année  suivante,  elle 
fut  prise  avec  la  Adlle  par  le  seigneur  de  Lescun  :  une  moitié  en 
fut  brûlée;  les  chartes  et  les  documents  périrent*''. 

Nous  avons  vu  plus  haut^^  que  le  Roacrgue  avait  à  souffrir  surtout 
depuis  1351 .  La  ville  et  le  diocèse  de  Rodez  étaient  aussi  parmi  les 
premiers,  qui  avaientreçu  la  bulle  ^c/  reprimendas^^  le  29  février  1356; 
par  conséquent,  le  Rouergue  avait  déjà  vu  les  routiers  quelque  temps 
avant  la  bataille  de  Poitiers.  Comme  partout,  ces  malfaiteurs  y  occu- 
paient les  églises,  les  monastères,  les  hôpitaux,  et  y  commirent  tous 
les  crimes.  Après  le  désastre  de  1356  le  pays  était  toujours  dans 
Tappréhension  de  quelque  envahissement  des  troupes  anglaises 
dont  quelques-unes,  vers  la  fm  de  1356,  pénétrèrent  dans  la  province 
et  gagnèrent  les  montagnes  d'Aubrac  où  elles  firent  de  riches  cap- 

1.  Voy,  J.  Andriku,  Hist.  de  VAgenais  (1893),  I,  p.  133  suiv.  De  Saint- Amans,  Hist, 
nncienne  et  moderne  du  départ,  de  Lot-et-Garonne  (1835),  I,  p.  217  suiv.,  est  inutile. 

2.  Samazeuilh,  Hist,  de  VAgenais,  du  Condomois  et  du  Bazadais,  I  (1356);  Laf- 
vowGVB,  Hist.  de  la  ville  d'Auch,  I,  p.  82  suiv.,  85,  91. 

3.  Arch.  Vat.,  Collect.,  n°  36,  fol.  291'',  Voy.  ci-dessous,  cliap.  V,  §  10. 

4.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  20,  fol.  651,  ad  an.  1359,  Jul.  2. 

5.  Hist.  monast.  S.  Severi  libri  X  (Vicojulii,  1876),  I,  p.  268,  319. 

6.  Ci-dessus,  p.  66. 

7.  Ci-dessus,  p.  182.  not.  1. 


TOUTE    LA    FI5ANCF-:    INFESTÉE,    13.')G    A    1300  27 1 

iures  K  Plus  tard,  en  1358,  le  Uouergue  était  menacé  parles  Ang-lais 
qui  s'étaient  emparés  de  plusieurs  places  du  Quercy  -,  et  en  1339  il 
l'était  encore  par  les  bandes  de  Robert  Knolles.  C'est  vers  cette 
époque  que  Villeneuve,  Savig'nac  et  Bar  tombèrent  au  pouvoir  des 
Anglais  '\  La  paix  relative  ne  dispensait  pas  les  communes  d'en- 
tretenir et  de  solder  des  gens  d'armes,  et  de  payer  les  impots  préle- 
vés par  suite  de  la  guerre,  ce  qui  était  intolérable  pour  un  pays 
infertile  et  sans  industrie. 

Le  Quercy  fut  une  des  provinces  les  plus  éprouvées  par  le  voi- 
sinage des  Anglais  qui  y  faisaient  de  continuelles  incursions  et  y 
occupaient  plusieurs  places.  Depuis  la  fin  de  Tannée  1351,  lorsque 
Saint-Antonin  en  Rouergue,  sur  les  frontières  de  Quercy,  tombait 
au  pouvoir  des  Anglais  ^,  ces  derniers  s'emparèrent  de  Montât,  de 
Lalbenque,  de  Sonac,  de  Saint-Germain,  de  Craissac  ^,  de  Bélaye, 
de  Loubressac,  de  Fons  ^'  et  de  plusieurs  autres  lieux.  Ensuite  ils 
pillèrent  tout  le  pays,  surtout  le  diocèse  de  Cahors,  emprisonnèrent 
les  habitants  ou  les  tuèrent.  Une  grande  misère  en  résulta, 
et  déjà  plusieurs  quittèrent  alors  leur  sol  nataP.  En  1356,  un  déta- 
chement de  l'armée  du  prince  de  Galles  y  arrivait  encore,  sous  la 
conduite  du  sénéchal  de  Bordeaux,  qui  établit  son  quartier  général 
à  Labastide-Fortanière.  Au  même  temps,  Bertucat  d'Albret  ^,  capi- 

1.  RouQUETTE,  Le  Rouergue  sous  les  Anglais  (1887),  p.  10. 

2.  Ibid.,  p.  14. 

3.  Ibid.,  p.  19suiv.0npeut  supposer  qu'aussi  les  bâtards  d'Armagnac  étaient  déjà  alors 
la  terreur  du  Rouergue,  par  exemple,  Jean,  surnommé  La  Guerre,  fils  naturel  de  Ber- 
nard VI,  comte  d'Armagnac;  Arnaud  Guilhem,  fils  naturel  de  Jean  I,  comte  d'Armagnac. 
D'après  Anselme,  Hist.  généal.,  III,  p.  4J5,et  d'autres,  le  bâtard  Jean  quitta  les  armes, 
embrassa  l'état  ecclésiastique  et  fut  d'abord  patriarche  d'Alexandrie,  et,  en  1376, 
évêque  de  Rodez.  Mais  ces  auteurs  ont  fait  une  énorme  confusion,  ils  ont  confondu 
Jean  de  Gardaillac  avec  Jean  d'Armagnac,  comme  l'a  déjà  relevé  Baluze,  Vit.  pap. 
Aven.,l,Y>.  1323.  C'est  seulement  le  premier  (frère  de  Bertrand  de  Gardaillac,  évêque 
de  Montauban),  docteur  ès-lois,  qui  fut  en  1351  évêque  d'Orense  en  Galicie,  en  1361 
archevêque  de  Braga  en  Portugal,  en  1371  patriarche  d'Alexandrie  et  administrateur 
de  l'évêché  de  Rodez,  1378  administrateur  de  Toulouse,  1379  d'Auch. 

4.  Gi-dessus,  p.  66. 

5.  Voy.  Informatio  Caiurcensis,  dans  VAppendice^  IV,  testis  2"*. 

6.  Ibid.,  testis  8"'. 

7.  Ibid.,  testis  2"». 

8.  Ou  «  Perducat  d'Albret  ».  Il  fut  capitaine  et  gouverneur  de  Bergerac,  seigneur 
de  Montcuq,  et,  à  plusieurs  reprises,  possesseur  de  la  Linde  et  de  Beaumont.  Gf.  sur 
lui  E.  Lawroue,  Le  Livre  de  Vie,  Les  Seigneurs  et  les  Capitaines  du  Périgord  blanc 
au  XIV^  siècle  (Bordeaux,  1891),  p.  111   suiv. 


272  LA    GUEURE    DE    CENT    ANS 

taine  du  parti  anglais  rassemblait  des  troupes  dans  les  environs  de 
Lalbenque  pour  surprendre  la  ville  de  Carjac,  ce  à  quoi  il  ne  réus- 
sit pas.  Mais  tant  lui  que  le  sénéchal  de  Bordeaux  portèrent  leurs 
forces  dans  les  différents  cantons  qui  tenaient  encore  pour  le  roi 
Jean  et  soumirent  à  la  domination  anglaise  la  plupart  des  com- 
munes du  Quercy  qui,  conséquemment,  fut  ruiné  ^  Les  villes  qui 
restèrent  françaises  ne  le  furent  pas  moins  par  les  dépenses 
relatives  aux  fortifications.  Le  22  mars  1358  Jean,  comte  de 
Poitiers,  ordonna  au  sénéchal  du  Périgord  et  du  Quercy  de  ne 
pas  permettre  qu'on  exigeât  finances  des  habitants  de  Cahors 
pour  les  fiefs  nobles  dont  ils  pourraient  faire  acquisition;  cela, 
dans  le  but  de  les  dédommager  des  frais  énormes  qu'ils  s'impo- 
saient pour  fortifier  leur  ville  et  la  défendre  contre  les  ennemis-.  Les 
villes  déjà  munies  de  fortifications  s'empressaient  de  les  réparer  et 
de  les  compléter.  Moissac,  par  exemple,  élevait,  dès  1352,  des  for- 
tifications, afin  de  résister  aux  ennemis  qui  s'efforçaient  de  porter  la 
guerre  dans  le  pays 3.  Le  27  mars  1359,  Jean  de  Poitiers  permet  aux 
habitants  de  Moissac  et  de  Montauban,  «  sur  la  frontière  des  enne- 
mis »,  de  prendre  une  certaine  quantité  de  bois  dans  les  forêts  voi- 
sines pour  se  fortifier  et  pour  réparer  le  pont  de  Moissac  sur  le 
Tarn^. 

Donc  au  mépris  de  la  trêve,  les  hostilités  continuèrent.  Seulement, 
par  crainte  de  l'excommunication  d'Innocent  VI,  Bertucat  d'Albret 
abandonnait  Montât  au  commencement  de  l'an  1358.  Par  contre,  il 
s'empara,  la  même  année,  de  Castelnau-de-Montratier  et  y  laissa  une 
forte  garnison-'.  Les  compagnies  anglaises  faisaient  d'incessantes 
incursions  dans  la  commune  de  Cahors  ;  Jean,  comte  de  Poitiers, 
ordonna,  le  6  avril  1359,  au  sénéchal  de  Quercy  et  aux  consuls  de 
Cahors  de  faire  tous  leurs  efforts  pour  empêcher  les  ravages  des 
ennemis  aux  environs  de  la  ville ^  devant  laquelle  se  présentait  tous 

1.  Pour  tous  les  détails  voy.  Lacoste,  Hist.  gén.  de  la  province  de  Quercy,  III, 
p.  155  suiv.,  où  sont  aussi  énumérés  21  villes  et  plusieurs  châteaux,  qui  étaient  encore 
sous  la  domination  française. 

2.  Ibid.,  p.  158  suiv. 

3.  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  929;  E.  Rupin,  L'abbaye  et  les  cloîtres  de  Moissac  {1891), 
p.  130. 

4.  Hist.  de  Languedoc,  1.  c,  p.  691. 

5.  Lacoste,  p.  158,  161. 

6.  Ibid.,  p.  163. 


TOLIE    LA    FRANCE    LNEESTÉE,     13.jG    A    13G0  273 

les  jours  un  commandant  de  ces  troupes,  Jean  de  Gourdon.  Le  séné- 
chal de  Quercy  étant  avec  ses  hommes  d'armes  dans  le  Toulousain 
en  campagne  contre  Gaston  Ph(jebus  ,  les  habitants  de  Cahors,  réduits 
à  leurs  propres  forces,  étaient  à  toute  extrémité.  Le  pays  fut  pillé  par 
les  capitaines  des  châteaux  voisins,  tous  les  chemins  furent  infestés, 
les  paysans  dépouillés  et  réduits  à  la  plus  affreuse  misère.  Les  habi- 
tants  de  la  ville  se   virent  forcés   de  conclure  un   pacte   avec   les 
ennemis.   Ils  obtinrent  d'eux,  moyennant  une  somme  d'arg-ent,  de 
travailler  pendant  un  certain  temps  dans  les  terres  et  les  vignes. 
Le  renouvellement  de  ce  traité  était  à  des  conditions  plus  onéreuses 
encore  ^,  et  tout  cela  servit  peu,  car  d'autres  ennemis   survinrent 
au  mois  de  juin  qui  coupèrent  les  blés  et  firent  des  dégâts  jusqu'au 
pied  des  remparts  '-.  Les  Cadurciens,  il  est  vrai,  avaient  reçu  des  ren- 
forts qui  leur  permirent  alors   de  repousser  l'ennemi,   mais  c'était 
toujours    au    prix    de    grandes    dépenses    et    de  sacrifices  pesant 
lourdement   sur  une  ville  qui,   durant  de  longues  années,   ne  put 
faire  autre  chose  que  de   se  défendre.  Quand   la  trêve    fut  sur   le 
point   de    s'achever,   craignant   avec  raison   qu'une  nouvelle   cam- 
pagne ne  s'ouvrît  bientôt  ^,  on  dut  s'occuper  des  moyens  propres  à 
la  défense  des  places  qui  n'étaient  pas  encore  tombées  au  pouvoir 
des  Anglais.  C'était  encore  de  nouvelles  charges  auxquelles  se  joi- 
gnait la  nécessité  de  fournir  un  bon  contingent  d'hommes  d'armes, 
au  préjudice  des  campagnes  qui  manquaient  ensuite  de  bras  pour 
cultiver   la  terre.    Alors    survinrent  par    surcroît    des   compagnies 
de  brigands    composées   d'individus   de    divers    pays    qui,   comme 
nous  le  verrons  bientôt,  ravageaient  et  pillaient  les  propriétés. 

La  position  des  églises  et  monastères  du  Quercy  situés  aux  lieux 
qu'occupaient  les  Anglais  était  intolérable.  Les  curés  et  les  moines 
prenant  la  fuite,  les  églises  restèrent  abandonnées  pendant  de 
longues  années,  l'exercice  du  culte  divin  fut  interrompu  dans  la 
plupart  des  communes.  Il  n'y  a  pas  une  province  oii  les  faits  de  ce 
genre  soient  aussi  abondants  qu'en  Quercy.  Comme  il  en  sera  ques- 
tion au  cinquième  chapitre,  citons-en  seulement  quelques-uns,  qui 
sont  à  coup  sûr  antérieurs  à  la  paix  de  Bretigny. 

1.  Lacostk,  1.  c,  p.  1G4. 

2.  Ihid.,  p.  164  suiv. 

3.  Lacoste,  1.  c,  p.  166. 

ll.-P.   Denifle.  —  Désolât io  ecclesiantiu  IL  IH 


274  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

A  la  mi-février  1360,  les  Anglais  assiégeaient  Gatus  où  était  un 
prieuré  bénédictin.  Le  prieur,  enfermé  dans  le  château,  se  défendit, 
mais  fut  enfin  obligé  de  se  rendre  à  discrétion  K  Le  prieuré  est 
ensuite  qualifié  comme  abandonné,  et  réduit  à  l'impossibilité  de 
payer  la  redevance  "-'.  En  13o7,  le  monastère  de  la  Cour  des  reli- 
gieuses de  Saint- Augustin -^  était  abandonné,  et  les  chanoinesses 
demeuraient  en  partie  chez  leurs  parents  '*.  L'abbaye  cistercienne 
de  la  Garde-Dieu  fut  réduite  à  une  situation  déplorable.  Ge  ne  lut 
pas,  à  proprement  parler,  des  Anglais  qui  la  dévastèrent,  mais  une 
compagnie  de  brigands  en  règle,  parmi  lesquels  étaient  aussi  quelques 
clercs  conduits  par  plusieurs  nobles  des  diocèses  d'Agen,  Gahors, 
Rodez,  Pampelune,  Gominges  et  Gondom  ;  ils  j^rirent  et  occupèrent  le 
monastère,  chassèrent  violemment  Fabbé  et  les  moines,  incendièrent 
quelques  nuiisons,  pillèrent  les  livres,  les  calices,  les  ornements  de 
Téglise,  s'emparèrent  des  vins,  des  blés  et  autres  approvisionnements 
ainsi  que  des  meubles.  L'excommunication  j^roduisit  cependant  un 
effet  assez  puissant  sur  les  nobles  qui  promirent  de  tout  réparer  et 
restituer  •'.  En  1363,  le  précepteur  de  Ihopital  de  Rocamadour  se 


1.  Lacostk,  1.  c,  p.  Jr)<s. 

2.  Arch.  Vat.,  CoUeclor..  n"  84,  1V»1.  2:)r). 

3.  Je  ne  puis  ])as  idcnlilîcr  ce  monastère.  Xi  le  G;ill.  clwist..  ni  ]e  Pouillé  du  diocèse 
de  (Jiihors.  ])ubl.  par  A.  Loncnon,  ni  les  CoUeclor..  aux  Archives  du  Vatican  ne  nomment 
ce  monastère.  J'ai  cru  un  moment  qu'on  devait  écrire  «  Carnoten.  dioc.  »  pour 
«  Caturcen.  dioc.  »;  ces  deux  diocèses  étant  ({uel({uefois  confondus  dans  les  Sup- 
pliques. Mais  (I  Curia  monialium  »  à  Chartres,  c'est-à-dire  «  TEau  »,  était  de  l'Ordre  de 
Cîteaux.  A^oy,  Gall.  Christ..  VIII. p.  1326.  et  ci-dessus  p.  227.  Le  monastère  des  Filles- 
Dieu,  ordre  de  Saint-Augustin  de  (Chartres,  n'est  pas  qualifié  comme  <<  de  la  Curia  ». 
Voy.  Lkpinois,  Ilist.  de  Chnrtres.  1,  p.  302  sui\".  J'avertis  le  lecteur  (ju'on  peut  aussi 
lire  «  Cuna  »  pour  «  Curia  »  dans  le  Rejiistre. 

i.  Siippl.  Innocent.  VI.  n°  27,  fol.  152,  ad  an.  13ô7,  Jun.  9  :  «  Supplicat  S.  A\  humilis 
et  dévolus  scrvitor  vesterRaymundus  (iarsabaldi  cajîitaneus.  curie  vestre  marescalli... 
ut  Dalphinam  sororemmonacam  monasterii  delà  Curia,  Ord.  S.  Auj?.,  Caturcen.  dioc, 
in  quo  tam  ipsa  quam  alie  canonice  dicti  monasterii  propter  guerrarum  discrimina  in 
illis  partibus  inp,rucntia  lute  morari  non  possunl  (et  propterea  dicta  Dalphina  cum 
dicto  fratre  suo  diu  pei-mansit)  ad  monasterium  Sancti  (jeiiesii,  Ord.  S.  Ben.,  Magalo- 
nen.  dioc,  auctoritate  ^■estra  transférant  et  eam  inibi  recipi  laciant  in  monacham  et 
sororem.  Cum  omnibus,  etc.  —  Fiat.  G.  Dat.  apud  "S'illamnovam  A^•inion.  dioc  vij 
idus  Junii  anno  quinto.  » 

5.  Reg.  Avenion.  Innocent.  VI.  n"  20,  fol.  684,  ad  an.  1359.  Xov.  24  :  <<  Dil.  lilio  Petro 
abbati  monasterii  Gardedei  Cister.  Ord.  Caturcen.  dioc.  salutem,  etc.  Decet.  etc.  Cum 
ita({ue  sicut  exhibita  nobis  pro  parte  tua  et  dil.  lilior.  conventus  tui  monasterii  petitio 
continebat  olim  nobiles  viri  Galhardus  de  Lobenchis,  miles,  Raterius  de  Anteniaco 
domicellus,  Johannes  dictus  Bastardus  de  Saniaco,  Guillelmus  de  Insula,  Johanncs 


TOLTI-:    LA    rUANCK    INFESTÉE,    13o6    A    1  *iGO  21V) 

plaint  à  Urbain  V  que,  dans  ce  pays,  la  guerre  dure  déjà  depuis 
({uinze  ans  et  qu'à  cause  de  cela  et  de  la  mortalité,  la  province  est 
dénuée  d'habitants,  les  terres  sans  culture  et  les  revenus  réduits 
à  rien;  qu'une  partie  des  maisons  de  l'hôpital  sont  détruites  et 
que  les  autres  menacent  ruine  K  Cet  hôpital  était  encore  dans  le 
même  état  de  désolation  en  1433  ~.  Lorsque  avant  le  15  mai  13()i, 
Pierre  de  Camasio  voulut  prendre  possession  de  son  prieuré  de 
Francour  de  l'ordre  de  Grandmont,  il  le  trouva,  par  suite  de  la 
dévastation,  abandonné  par  les  religieux  -K 

La  ville  de  Montauban  jouait  un  rôle  à  part.  Ses  habitants  pen- 

Uobcrli,  Jolianncs  Lapaia,  Johanncs  dictus  Xavan-a,  cloniiccUi,  Agcnen.,  Caturccn., 
Ruthcnen,,  Pampiloncn.,  Convenarum  et  Condomien.  dioc,  cuni  nonnuUis  clericis  et 
laicis  coruni  in  hac  parte  coniplicibus,  monasterium  tiiuin  predictum  arinala  manu 
invadcntcs  hostililcr  et  inlrantes  illud,  te,  tuis  et  ipsius  nionasterii  nionachis,  non 
absquc  injectione  nianuum  in  te  et  ipsos,  Dei  timoré  posposito,  exindc  AÈolcnter  ejectis, 
ceperunt,  occuparunt  et  dctinuerunt,  prout  adhuc  dclinent  occupatuni,  ac  ipsius 
monastcrii  quasdam  donios  incendio  concreniarunt,  calices,  libros,  paranienta  etorna- 
menta...  blada,  vina  et  alias  res  et  bona  ipsius  monasterii  rapuerunt...  et  nonnullos 
excessus  alios  ibidem  etiam  perpctraverunt,  jiropter  c[uc  excommunicationis  et  alias 
sententias  atque  pcnas...  incurrisse  noscuntur.  Quare  i)r(>  tua  et  dictorum  conventus 
ae  nobilium  et  complicuni  parte  nobis  fuit  humiliter  supplicatum,  ut  cum  ipsi  nobiles 
et  eorum  complices  pcnitentia  ducti...  dictuin  monasterium  cum  onmibus  juribus  et 
pertinentiis  suis  dimittere  atque  tibi  et  conventui  predicto  restituere  et  de  dampnis 
illatis  satisfacerc  proposuerint  et  intendant,  et  a  preflictis  sententiis  atque  pénis 
absolvi  desiderent,  ipsique  propter  ^uerrarum  discrimina  in  illis  partibus  notoric 
in^ruentia  adapost.  sedem  pro  hujusmodi  absolutionis  beneficio  obtinendo  tute  venire 
non  jiossint,  providerc  ipsis  super  hoc  de  beniynitatc  apost.  dignaremur.  [('onmiittit 
absolutionem  dare  post  restitutionem  promissam].  Dat.  Avinione  viij  kal.  Decem- 
bris  anno  VII.  » 

1.  Suppl.  Urhaiii  V,  n°  35,  ad  an.  1363,  Januarii  31  :  «  Supplicat  S.  V.  humilis  ora- 
tor  rester  Aymericus  la  Vernha,  preceptor  hospitalfs  paui)erum  Rupisamatoris, 
Catui'cen.  dioc,  in  quo  pauperes  Christi  consucverunt  recipi  et  opéra  misericordic 
cxerceri.et  in  eo  XIII  mulieres  honeste  et  plures  alii  devoti  ipsis  pauperibus  continue 
deservirc  alieque  cxpense  ibidem  lîeri  per  preceptorem  illius,  que  verisimiliter  sup- 
portare  non  potest,  ex  eo  quod  rcdditus,  quos  consueverant  percipere,  propter  guer- 
rarum  discrimina  que  in  illis  partibus  vi|iucrunt  per  XV  annos  et  ultra,  et  propter 
morlalitatis  pcstem,  et  gentium  pro\incie  denudationcm,  ac  carentia  cultorum  agro- 
rum,  sunt({uasi  rcdacti  ad  nichilum  et  pro  majori  parte  diminuti  ;ct  quia  editicia  hos- 
pitalis  ipsius  aliqua  propter  jiuerras  ipsas  sunt  destructa,  et  alit^ua  minantur  ruinam, 
que  non  creduntur  sine  adjutorio  S.  V.  posse  alias  reparari,  [de  indulycntiisj. —  Fiat, 
lî,  Dat.  Avinione  pridie  kal.  Februarii  anno  primo.  » 

2.  Voy.  Demfi.k,  La  désolation  des  écjlises,  I,  n"  G17. 

3.  Suppl.  Urban.  V,  n"  il,  fol.  51''  :  «  Supplicat..  Petrus  de  Camasio,  bacallarius  in 
decrelis,  prior  pi'ioralus  de  Francorio,  Grandimontcn.  Ord.,  dioc.  Caturcen.,  quod 
cum  predictus  prioratus  cum  domibus  et  pertinentiis  suis  propter  ^iuerrarum  mali- 
liam  adc!)  dissi[)ilus  e.xUt'.M'it,  ({uolI  ipsiun  rcperit  absquc  habitatore  penitus  derelic- 
lum,  [de  indulgentiis  cum  elecmosinis].  —  Fiat.  lî.  Dat,  Avinione  idus  Maii  an.  III   ». 


276  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

chaient  suivant  les  intérêts  de  leur  ville  tantôt  du  coté  des  Anglais, 
tantôt  du  côté  des  Français.  Accoutumés  depuis  long-temps  au  voi- 
sinage des  xVnglais,  ils  les  favorisaient  quelquefois  ouvertement.  Par 
exemple,  vers  la  lin  de  1345  ils  s'associaient  aux  Anglais  dans  le 
pillage  que  ceux-ci  avaient  fait  des  villes  de  Real  ville  et  de  Mirabel 
en  Quercy.  A  son  passage  dans  la  ville,  le  23  mars  I3i6,  Jean,  duc 
de  Normandie,  amnistia  les  habitants  jîour  ce  fait  K  II  n'est  pas  pro- 
bable que  cette  inconstance  des  habitants  de  Montauban  ait  subi 
une  modification  notable  pendant  les  quelques  années  qui  s'écou- 
lèrent jusqu'en  1360. 

Quoiqu'on  ne  parle  pas  des  compagnies  qui  ont  ravagé  le  Périgord^ 
les  Anglais,  néanmoins,  étaient  presque  entièrement  maîtres  du 
pays,  surtout  en  deçà  de  la  Dordogne  -.  Et  pour  les  villes,  c'était 
quelquefois  un  moindre  mal,  car  leur  tranquillité  était  bien  autre- 
ment troublée  lorsqu'elles  étaient  restées  au  pouvoir  des  Français 
et  que  les  Anglais  étaient  répandus  dans  leur  voisinage.  Ainsi,  par 
exemple,  depuis  la  prise  de  Bergerac,  du  diocèse  de  Périgueux,  en 
1345  3^  cette  ville  ne  voyait  que  des  troupes  anglaises,  et  elle  paraît 
avoir  joui  d'une  paix  relative  jusqu'en  1360;  au  moins  ne  peut-on 
rapporter  aucun  fait  qui  l'ait  agitée '\  Bien  cjue  la  ville  de  Périgueux, 
tombée  au  pouvoir  des  Anglais  en  1356^,  ait  été  reprise  en  1357  '> 
par  Roger  Bernard,  comte  de  Périgord,  frère  du  cardinal  Talley- 
rand,  la  situation  générale  de  la  province  était  la  môme  qu'en 
Querc\\  Elle  était  assaillie  de  tous  côtés  et  incessamment  dévas- 
tée. L'église ,  le  cloître  et  les  édifices  du  prieuré  bénédictin  de 
Saint-Laurence  de  Mareuil  étaient  tellement  détruits  par  les 
Anglais  qui  occupaient  ce  lieu,  et  si  complètement  dépourvus 
de  tout  ce  qui  était  nécessaire  au  culte,  qu'il  était  impossible  d'y 
demeurer  ^.   Le  26  août  1360,  à  ki  j^rière  de  Roger  Bernard,  comte 

1.  Devai.s,  Montnu]);in  pendant  les  (jnerres  des  Anglais  au  (jiialorziéine  siècle 
(Montauban,  1842),  p,  6  suiv.  ;  le  même,  Uisl.  de  Monlaiihan  sous  la  doininalion  ançflaise 
jSi3\  p.  10  suiv.  Cf.  encore  Ilist.  de  Languedoc,  IX,  p.  ôNo. 

2.  Voy.  Dessallks,  Périgueux  et  les  deux  derniers  comtes  de  Périgord  i;1847), 
p.  i"  :  Lacoste,  1.  c.,  p.  163. 

3.  A'oy.  ci-dessus,  p.  25. 

4.  Cf.  E.  Labroue,  Bergerac  sous  les  Anglais  (Bordeaux,  1893;,  p.  64,  65. 

5.  Ci-dessus,  p.  114. 

6.  Dessalles,  p.  50  suiv. 

7.  Suppl.  Innocent.  \  7,  n"  29,  fol.   199.  ad  an.  1358,  Junii  23  :  «   Significat  S.  V... 


TOUTE  LA  FRANCK  INFESTÉE,  13o6  A  1 3G0  277 

de  Périgord,  Innocent  VI  dut  permettre  aux  Clarisses  de  Périg-ueux 
de  recevoir  des  diocèses  de  Périgueux  et  de  Sarlat  des  dîmes  jus- 
qu'à la  somme  de  deux  cents  livres  tournois,  à  cause  de  la  pau- 
vreté oii  les  guerres  les  avaient  réduites  •.  Les  mêmes  guerres  empê- 
chaient souvent  les  recteurs  des  églises  de  prendre  possession  de 
leur  paroisse  comme  il  arriva  à  Gérard  Jauberti  au  sujet  de  l'église 
paroissiale  de  Villac  ^.  Toujours  par  suite  des  invasions  qui  eurent 
lieu  avant  la  paix  de  Bretigny,  les  deux  églises  paroissiales  de 
Preyssac  et  de  Ghâteau-FEvêque  unies  ensemble,  étaient  en  1364 
presque  totalement  détruites  et  dépourvues  de  tout  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  célébration  de  l'ofïice  divin  ^.  C'est  à  coup  sûr  à  cette 
époque  que  le  prieuré  bénédictin  de  Fleix  fut  désolé  et  détruit  '*. 

Le  Limousin  qui  s'était  rangé  du  côté  du  roi  de  France  eut  pour 
cette  raison  beaucoup  à  souffrir  de  la  part  des  Anglais,  Nous  avons 
vu  que  le  prince  de  Galles  le  ravageait  en  1356.  Un  grand  nombre 
des  seigneurs  de  ce  pays  furent  tués  à  la  bataille  de  Poitiers  ^.  Les 
historiens  limousins  parlent  peu  des  ravages  commis  à  cette  époque 
par  les  Anglais.  L'abbaye  bénédictine  de  Beaulieu  eut  à  soutenir  le 
siège  des  troupes  anglaises  en  février  i3o()  ^.  On  raconte  que  la 
ville  d'Ussel  a  été  quatre  fois  livrée  au  pillage  et  à  l'incendie  par 
Lebret  ~.  S'il  faut  ajouter  foi  à  Froissart,  en  1359  Robert  Knolles, 
* 

frater  Guillelmus  Estornelli,  prior  prioratus  de  Marolio,  O.  S.  B.,  Petragoricen.  dioc, 
quod  ccclcsia  ac  claustrum  et  edificia  dicti  prioratus,  qui  in  honorem  S.  Laurentii 
fiuidatus  existit,  tam  occasione  guerrannii  et  Anglicorum,  qui  dictum  prioratum 
tenuerunt  occupatuni,  quani  alias  destructa  et  diruta  adeo  existunt,  ac  reliquiis,  cali- 
cibus,  libris,  et  ornamentis  sacerdotalibus  et  aliis  spoliata,  quod  prior..  et  alie  neces- 
sarie  personc  dcgcntes  ibidem,  necnon  parrochiani  et  alii  confluentes  ad  ecclesiam 
et  prioratum  predictum  pro  missis  et  aliis  divinis  officiis  audiendis,  sacramentisque 
ecclesie  recipiendis,  commode  et  tute  ibidem  esse.,  non  possunt.  [De  indulgentiis  cum 
eleemosynis].  Fiat.  G.  Dat.  apud  Villamnovam  Avinion.  dioc,  IX  kal.  Julii  an.  \\  ». 

1.  Reif.  Aven.  Innocent.  \7,  n"  2i,  fol.  r)46''. 

2.  Suppl.  Innocent.  VI,  n"  29,  fol.  221,  ad  an.  1358,  Jul.  17  :  «  de  Ulhaco  ». 

3.  Suppl.  Uvh.  V,  n°  39,  fol.  34^'  :  «  occasione  guerrarum  que  in  illis  partibus  per 
inimicos  pacis  temporibus  preteritis  invaluerunt  ». 

l.  Ibid.,  fol.  205,  ad  an.  1364,  Jaiiuar.  10  :  «  prioratus  de  Flexeio  »  et  «  Flexio  ». 

5.  Voy.  A.  Leymarie,  Le  Limousin  historique,  I  (1837),  p.  393;  le  même  :  Iliat.  du 
Limousin.  La  Bourgeoisie.  II  (l<S-i5\  p.  289  suiv. 

6.  Deloche,  (]nrlul.  de  Vahhnye  de  Beaulieu  (1859\  p.  xm  suiv. 

7.  Mauvaud,  Hist.  du  Bas-Limousin  (1842),  II,  p.  201.  —  A.  Leroux,  Géographie  et 
hisi.  du  Limousin  (1890),  ne  donne  aucun  renseignement  sur  ce  sujet.  Les  Documents 
historiques...  concernant  principalement  la  Marche  et  le  Limousin^  2  vol.  i^l883  à 
1885),  publ.  par  A.  Leroix,  E.  Moi.imer  et  A.  Thom.vs,  qui  s'étendent  du  ix  jusqu'au 


278  LA    GUERRE    DE    CEINT    ANS 

après  avoir  été  chassé  d'Auverg-ne,  serait  passé  par  le  Limousin  i. 
Quelques  documents  publiés  en  notes  prouvent  qu'à  cette  époque,  le 
sort  des  églises  et  monastères  de  Limoges  et  du  Limousin  était  le  même 
que  partout  ailleurs.  L'abbé  elles  relig-ieux  de  l'abbaye  cistercienne  du 
Beuil-se  plaignent  à  Innocent  VI  de  ce  qu'ayant  été  dévastés  et 
dépouillés  par  les  Anglais,  ils  ne  peuvent  se  soutenir  sans  l'appui 
du  pape  •''.  Jusqu'à  Fan  1359,  Roziers-Saint-Georges,  où  était  une 
prévoté  bénédictine  unie  à  l'abbaye  de  Saint-Martial  de  Limoges, 
fut  occupé  et  repris  deux  fois  par  les  ennemis,  et  les  moines 
avec  le  secours  de  gens  d'armes  s'efforçaient  de  défendre  la  place  ^. 
L'abbaye  de  Saint-Martial  même  était,  par  suite  des  guerres,  tel- 
lement endommagée  qu'en  1363  le  nouvel  abbé  Aymeric  se  trouvait 
dans  l'imj^ossibilité  de  payer  à  la  chambre  apostolique  mille  florins 
pour  sa  promotion  et  les  services  communs.  Il  demande  à  emprun- 

xviii"  siècle;  les  Chnrtes,  chroniques  et  niemorinux  pour  servir  h  l'histoire  de  la 
Marche  et  du  Limousin,  par  A.  Lkuoux  (1886),  et  les  Archives  liisl.  de  la  Marche  et 
du  Limousin  (1887  à  1895),  n'ont  pas  fourni  à  mon  sujet  un  document  intéressant . 

1.  Voy.  ci-dessus  p.  260.  En  tout  cas,  si  KnoUes  vint  en  Limousin,  il  le 
quitta  bientôt  pour  retourner  en  Bretajine.  Voy.  ci-dessous,  p.  310. 

2.  Ou  «  B(cuil  »,  comme  écrit  Cassini. 

3.  Suppl.  Innocent.  VI,  n°  27,  fol.  210'',  ad  an.  1357,  Au^usti  23  :«  Supplicant  S.  V. 
devoti  et  humiles  oratores  vestri  abbas  et  conventus  monasterii  BuUicn.,  Ord.  Cister- 
cien., Lemo^•icen.  dioc.  quod,  cum  propter  jiuerras  vilenies  inter  relies  Francie  et 
Angiie  per  Anglicos  sintet  fuerint  de^"astati  et  depredati  et  ab  omnibus  bonis  exulati, 
talitcr  quod  ipsi  non  habeant  unde  possint  neque  valeant  commode  sustentari,  nisi 
ex  vestra  bealitudine  misericordiler  succurratui-.  [Induliicntiae  pro  visilantibus  dictum 
monastcrium  et  capellam  S.  Blasii  de  A'elcri  Fonlej.  —  Fiat  de  duobus  annis.  G.Dat. 
Avinion.  kal.  Septembris,  anno  quinto  ». 

4.  Rc(f.  Val.  Innocent.  VI,  n"  2  il,  fol.  69,  ad  an.  1359,  Junii  10  :  «  Dil.  fd.  Helic  a])bati 

monasterii  S.   Martialis    Lemovicensis,  Oi'd.   S.  Ben.,  salutem.   etc.   Ex  injunctt) 

Sane  pro  j)arte  tua  peticio  nuper  nobis  exhibita  continebat  quod  licet  prepositura  de 
Roseriis  i)erfel.rec.  Clementem  papam  ^'I  predecessorem  nostrum  mensc  abbatis  qui 
est  et  erit  monasterii  prclibati  ex  justis  causis  et  licilis  tune  extantil)us  annexata 
fuerit  et  unita,  cujusmodi  prepositura  inter  cetera  sui  onera  tenebatur  con\'entui 
monasterii  memorati  pitanciam  seu  mcnsatam  facere  mense  unius  annuatim,  cujus- 
modi onere,  quod  causa  unionis  hujusmodi  subiisti,  ad  presens  te  asseris  Aarietate 
temporum  et  custodia  loci  de  Roseriis,  ubi  prepositura  hujusmodi  situatur,  bis  per 
liostes  publicos  occupati  tociensque  recursi,  nimium  pregravari;  quam  siquidem 
custodiam  dil.  fd.  Petrus  Vij;nerii  prcpositus  prepositure  de  Arnaco  a  tuo  monasJe- 
rio  dependentis,  Ord.  prclibati,  ad  tui  instanciam  cum  sui  et  suoi-uni  potencia  ejusque 
sunqDtibus  et  expensis  laudal^iliter  sunnne  facit  :  quare  nolîis  luuniliter  supplicasti  ut 
eandem  preposituram  de  Roseriis,  cujus  annexionem  et  unionem  prefatis  perpetuo 
remanentibus  illibatis,  eidem  Petro  commendarc  cum  emolumentis  et  oneribus  vita 
comité  dij^naremur....  Datum  apud  Villamnovam  Avinionensis  dioc,  iiij  idus  Junii, 
anno  septimo  ». 


TOUTE   LA    FRANCE    INFESTÉE,    13of)    A    13G0  279 

ter  la  somme  nécessaire  sur  les  biens  du  monastère  •.  Après  1338, 
l'abbaye  cistercienne  de  Bonlieu  se  fortifiait  contre  les  bandes  '-.  Le 
diocèse  de  Tulle,  qui  appartenait  au  Limousin,  était  connue  nous  le 
verrons,  tout  à  fait  appauvri  à  l'époque  suivante ,  à  cause  des 
guerres.  Il  est  bien  prol)al)le  (jue  le  commencement  de  cette  déso- 
lation date  d'avant  1360. 

Nous  avons  vu  que  VAnf/oiimois  était  depuis  lonj^temps  in- 
festé '^.  On  peut  dire  que  les  Anglais  étaient  maîtres  de  TAngou- 
mois  et  de  la  Saintonge  depuis  ([uelques  années.  La  situation  ne 
s'améliora  pas  après  la  trêve  de  Bordeaux.  Plusieurs  villes,  comme 
Cognac  par  exemple  ''%  furent  forcées  d'ouvrir  leurs  portes  à  des 
détachements  anglo-gascons,  qui  y  tinrent  garnison.  Ces  lieux  occu- 
pés par  les  ennemis  étaient  un  danger  continuel  pour  le  pays  et 
les  monastères.  Il  y  avait  très  peu  d'églises  comme  le  prieuré  de 
Houteville,  lequel  fut  enrichi  par  les  aumônes  du  prince  de  Galles, 
qui  y  avait  aussi  fait  reconstruire  le  réfectoire  ^.  L'abbaye  bénédictine 
de  Saint-Cybard,hors  les  murs  de  la  ville  d'Angoulême,  ({ui  en  13o2 
se  plaint  auprès  de  Clément  VI  ^,  vit  aussi  ses  prieurés  désolés  en 
L3r)9.  Le  prieuré  de  laChasseigne  était  par  suite  des  guerres  dans  un 
état  si  misérable  que  le  prieur  le  résigna  entre  les  mains  de  Tal^bé 
de  Saint-Cybard  et  s'eiïorçait  ensuite  d'obtenir  le  prieuré  de  Gillon, 
du  diocèse  de  Vienne  ^.  Les  guerres  incessantes  causaient  tant  de 

1.  Suppl.  Urh.  V,  n"37,  fol.  53'',  ad  an.  1363,  Mail  25  :  «  P.  B.  Cum  nuper  per  fe.  rec. 
dominum  Innocentium  papani  VI  prcdecessorem  vestruiu  provisum  l'uerit  Aynierico 
al)l)ali  inonasterii  S.  Martialis  Lemovicen.,  Ord.  S.  Ben.,  de  diclo  nionasterio  lune 
vacante,  et  dictvis  abbas  ralionc  provisionis  hujusmodi  \cslre  camerc  apostolice  mille 
lloren.  auri,  et  ultra  ([uinque  servitiu  comuiiuiia  solvere  teneatur,  dictunique  monas- 
teriuni  fuerit  ob  guerrarum  turbines  plurinium  dampnificatum,  et  idem  etiam  abbas 
tam  propter  hujusmodi  guerras  quam  sterilitates  alias  habuit  multa  pati,  propter  que 
non  potcst  satist'acere  de  tanta  lloren.  sunmia,  eapropter  abJDas  predictus  eidem 
humiliter  supplicat  S.,  quatenus  recipicnfli  ab  aliquibus  creditoribus  mutuum  de  pre- 
dicta  lloren.  summa...  et  dicti  monasterii  sui  bona  obligare  liccntiam  eidem  concé- 
dera dignemini.  —  Fiat  de  quingentis,  B.  Dat.  Avinione  viij  kal.  Junii   anno  primo  ». 

2.  Pii;Hui:riTTK,  Eludes  hlstori([ue.s'  sur  les  monnslères  du  Liinoiisin  el  de  la  Marche^ 
tom.  1,  Guéret  1S57-1863,  x'ecueil  de  30  monoj-raphies,  qui  pt)urtant  ne  sont  pas  de 
grande  utilité  pour  la  guerre  de  Cent  ans. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  182. 

A.  Voy.  MAin'Ai'i),  Etudes  histori<iues  sur  lu  vllle^de  Cofjnac  (1870\  I,  p.  I  19. 

5.  Mahvaui),  1.  c,  p.  156. 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  62.  not.  l,  et  Uecj.  Vat.,  n°  209,  fol.  150. 

7.  Suppl.  Innocent.  V/,  n"  30,  fol.  40'',  ad  an.  1359,  Martii  30  :  «  Supplicat  S.  V. 
Fortanerius  de   ^'illata,  monachus  expresse  professus  monasterii  Sancti  Eparchii  iu 


280  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

dommages  aux  maisons  et  aux  revenus  de  Tabbaye  des  Bénédictines 
de  Saint-Ausone  que  l'abbesse  et  les  religieuses  étaient  obligées  de 
mendier  '.  Dans  cette  province,  l'état  des  choses  alla  toujours  en 
empirant,  de  sorte  qu'au  xv^  siècle,  elle  était  presque  dépeuplée  et 
les  deux  monastères  cités  étaient  inhabitables  -. 

Durant  ces  guerres,  la  Saintonge  fut  une  des  provinces  les  plus 
continuellement  exposées  à  Tennemi  3.  Depuis  longtemps  *  l'état  des 
églises  et  monastères  était  déplorable,  et  cette  détresse  augmentait 
de  jour  en  jour.  L'abbaye  de  Sainte-Marie  de  Saintes  resta  dans  la 
pauvreté^;  pour  cette  cause  Innocent  VI,  le  8  février  1358,  permit 
à  l'abbesse  de  jouir  en  commande  du  prieuré  de  Saint-Denys  d'Olé- 
ron  ^\  Le  prieuré  de  Saint-Augustin  de  Rochefort  était  tellement 
ruiné  dans  ses  édifices,  tellement  dépeuplé  et  dépourvu  de  res- 
sources que  ses  revenus  ne  suffisaient  pas  à  faire  vivre  pauvrement 
une  seule  jDersonne  et  que  ce  prieuré  était  dans  l'impossibilité  de 
payer  chaque  année  ses  redevances  à  celui  de  Saint-Vivien  hors  des 
murs    de    Saintes,     et    ce   dernier    prieuré   fut    aussi   aifecté     des 

suburbiocivitatisEnjiolismen.,  Ord.  S.  Ben..acinpresbyteratusordineconstitutus,olini 
prioralum  de  Chassanhas  dioc.  En^olismen.  olîlinons,  qneni  pro  eo  in  nianibus  abbatis 
dicti  iiionasterii  penilus  dercliquit,  quia  guerraruni  discriniinibus  desolatus  extiterat, 
nec  exindc  utilitatem  aliquani  poterat  reportare,  quaterjus  sibi  de  prioratu  de  Gilone, 
dioc.  A'ienncn.  per  monachos  nionaslcrii  sancti  Theodori  dicti  Ord.  ejusdem  Viennen. 
dioc.solito  jiubernari  liVuctus  iO  libr.  Turon.]  vacantem  ad  prcscns...  di^nemini  pro- 
vidcre,...  — Fiat.  G.  Dat.  Avinionc  iij  kal.  Aprilis  anno  septimo.  » 

1.  Beg.  Vat.  Urbani  V,  n°  251,  fol.  207'',  ad  an.  1364,  Febr.  7  :  «  Universis  cln-istifi- 
delibus,  etc..  salutem.,  etc.  Licet  is,  etc.  Cum  itaque  sicut  accepimus  nionasterium  S. 
Ausonii  in  suburbio  Engolismen.,  O.  S.  B.,  propter  gucrraruni  turbines  que  in  illis 
partibus  longo  tempore  vi^iiierunt,  adeoin  edilîciis  collapsum  ac  in  rcdditibus  et  facul- 
tatibus  diminutuni  luit,  (piod  dil.  in  Christo  filic  abbatissa  et  moniales  ejusdem 
monasterii  mendicare  coguntur  [De  indulgcntiis  cum  eleemosynis].  Dat.  Avinione 
vij  id.  Februarii  an.  secundo  ». 

2.  Voy.  Demfle,  La  désolntion  des  éiflises  en  France,  I,  n°  377. 

3.  Massiou,  HïhI.  de  la  Sainioiuje  et  de  VAunis^  III  (1838).  p.  09,  parle  seulement  en 
général  des  bandes  de  soudards  qui,  après  1356,  erraient  de  \\\\e  en  \ille,  pillant  châ" 
teaux  et  chaumières,  sans  apporter  un  seul  lait.  L.  Délayant.  Hisl.  du  département 
de  In  Charente-Inférieure  (1872),  p.  133  suiv.  donne  moins  encore.  De  Th>i.y,  La 
Saintonge  sous  la  domination  anglaise,  dans  la  Revue  des  Sociétés  savantes,  5*  sér., 
t.  I,  p.  461,  ne  parle  que  de  quelques  événements  postérieurs  à  1360. 

4.  Voy.  ci-dessus,  p.  32  suiv.,  77. 

5.  Voy.  p.  33.  Cf.  encore  la  lettre  de  Clément  VI,  du  12  juillet  1351  dans  Arc/iiue.s 
hisior.  de  la   Saintonge  et  de  VAu7iis,  XI,  p.  434  suiv.  Ce  document  et  celui  qui  est 
cité  dans  la  note  suivante,  sont  les  seuls  dans  cette  riche  collection  de  26  volumes 
qui  se  rapportent  à  l'époque  que  nous  étudions. 

6.  Archiv.  hist.  de  la  Saintonge,  XI,  p.  438  suiv. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    1350    A    1360  281 

mêmes  maux.  En  1357,  il  y  avait  déjà  plusieurs  années  que  le 
prieuré  de  Rochefort  était  sans  prieur  L  Le  prieuré  de  Boscamenant 
fut  tout  à  fait  ruiné  dans  ses  revenus  par  les  Anglais,  «  dans  la 
gorg-e  desquels  »  il  était  situé  ~.  Le  prieuré  de  la  Jarrie  et  les 
maisons  de  Breuil  et  d'Ors  de  l'ordre  de  Grandmont  étaient  détruits, 
soit  totalement  soit  en  partie  -^  Le  prieuré  bénédictin  de  Saint- 
Martial  de  Vitaterne  était  inhabitable,  les  moines  durent  le  quit- 
ter''. En  13()3,  par  suite  des  guerres  passées  et  des  épidémies, 
l'abbaye  de  Saint-Augustin  de  Notre-Dame  de  Sablonceaux  était 
dépourvue  de  religieux  et  surtout  d'hommes  lettrés  ',  l'église  était 

1.  Siippl.  Innoceni.  V'/,  n "  27,  fol.  73,  ad  an.  1357,  "Martiill  :  «  Sanctissimo...  domino 
Innocentio...  ejus  dévolus  filius  lîelias,  prior  prioralus  S.  Viviani  in  sulnwbio  Xanc- 
lon.,  Ord.  S.  Augustini....  Ilincest...  quod  cum  prioratus  de  Ruppeforti,  Xanctonen- 
dioc,  a  pi-edicto  nico  prioralu  dépendons,  nunc  sit  et  diu  fuerit  jiuei*ra  adeo  consum- 
])tus  ediliciis,  jjopulo  et  facultatilîus  dcnudatus,  quod  fere  sinj^ularis  persona  de  ejus 
proventibus  posset  vitam  tenuem  sustentare,  licet  exinde  conventus  meus  solitus  sit 
et  debeat  anno  quolibet  alimentorum  suoruni  percipere  portionem....,  in  curia  vestra 
vacet  ad  presens  et  diu  vacaverit,  devocius  supplico...  quatcnus  de  pi'ioratu  predicto 
de  Iluppcioi'ti...  viro  religioso  et  honesto  IVatri  Ademaro  Fabri,  pi'esbyterf)  ipsius 
niei  prioratus,  canonico  regulari  professo...  dignetur  misericorditer  providere.  In 
cujus  supplicationis  testimoniuni,  etc.  Datum  die  tertia  mensis  Octobris  anno  Doniini 
niillesinio  trecentesinio  quinquagesimo  ([uinto.  —  Fiat.  G.  Dat.  A\inione  n'  id.  Martii 
anno  quinto  ». 

2.  //)/>/.,  fol.  100,  ad  an.  1357,  April.  30  :  «  ...  prioratus  sine  cura  de  Bosco  Esnio- 
necs...  fructus  sunt  plurinium  diminuti  projjter  guerras  et  Anglicos,  in  quorum  fauci- 
bus  et  confînibus  existit...  » 

3.  Siippl.  Innocent.  V/,  n"  32,  fol.  9,  ad  an.  1361,  Januarii  17  :  «  Sanctissime  pater. 
Cum  prioratus  de  Jarrico  et  domus  de  IBrolio  et  de  Ursia,  eidem  prioratui  unité,  Ord. 
(irandimonten,,  Xanctonen.  dioc,  propter  guerras  penitus  aut  quasi  destructi  exis- 
tant [de  indulgentiis  cum  eleemosynis].  —  Fiat  de  uno  anno  et  XL  die]:)us.  Dat.  AaI- 
nione  xvj.  kal.  Februarii  anno  nono  » 

4.  Reg.  Vat.  Urh.  V,  n"  252,  fol.  142",  ad  an.  1363,  Octob.  13  :  «  Univcrsis  christi- 
fidelibus,  etc.  salutem,  etc.  Licet  is,  etc.  Cum  itaque  sicut  accepimus  monasterium 
sancti  Martialis  de  Vita  eterna,  O.  S.  B.,  Xanctonen.  dioc,  occasione  guerrarum,  que 
diu  in  illis  partibus  ingruerunt,  adeo  in  suis  domibus  sit  destructum  et  deditum  in 
ruinam,  quod  prior  et  monachi...  non  valent  in  eo  habitare  seu  ipsorum  inibi  capita 
reclinare  [de  indulgentiis  cum  eleemosynis].  Dat.  Avinione  iij  idus  Oclobris  an.  primo  ». 

5.  Suppl.  Urh.  y,  n°  37,  fol.  79,  ad  an.  1363,  Jun.  9  :  «  Supplicat  S.  V.  devota  crca- 
tura  vestra  (lalhardus  abbas  monasterii  ^L  B.  de  Sabloncellis,  Ord.  S.  Aug.,  Xanctonen. 
dioc,  quatenus  sibi,  qui  ut  monasterium  ipsum,  quod  propter  guerras  et  peslilentias 
que  in  illis  partibus  durissime  viguerunt  religiosis  et  potissimc  literatis  destitutum 
multipliciter  existit  personis  religiosis  in  suffîcienti  litteratura  fundalis,  decoretur  et 
fulgeat,  cordialiter  affectât,  specialem  gratiam  facientes  ut  ipse  iiij  personas  ydo- 
ncas,  quas  ipse  duxerit  eligendas,  in  suos  et  dicti  monasterii  canonicos  instituere  et 
recipere  ac  eis  regularem  habitum  exhibcre  (ipsius  monasterii  conventus  non  pelilo 
assensu,  quibuscum([ue  statutis  et  consuetudinibus  monasterii  predicti  in  contrarium 
editis  nequaquam  obstantibus")  valeat  eidem  indulgere  dignemini  cum  clausulis  opor- 
tunis.  —  Fiat.  B.  Dat.  Avinione  v  id.  Junii  anno  primo  ». 


282         .  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

ruinée  i,  et  le  monastère  appauvri  -.  L'abba^^e  ne  parvenait  pas  k  se 
relever,  et  au  xv^  siècle  elle  fut  foudroyée  de  nouveau  ^.  A 
mon  avis,  les  documents  suivants  regardent  aussi  l'époque  qui  pré- 
cède la  paix  de  Bretig-ny.  En  1364,  le  monastère  Saint-Eloy  de  la 
Rochelle  était  totalement  détruit  ;  la  maison  de  la  recluse  Jeanne 
Bourdine,  située  proche  du  couvent,  le  fut  également  ^.  L'église  et  le 
couvent  des  Frères  Prêcheurs  de  Pons,  hors  les  murs,  à  l'excep- 
tion d'une  chapelle,  étaient  incendiés  et  détruits -^  En  1381,  les 
Frères  n'étaient  pas  encore  parfaitement  rétablis  dans  la  ville  ^. 
L'église  de  l'abbaye  bénédictine  de  Font-Douce  entre  Saint-Jean  d'An- 
gély  et  Saintes,  était  à  moitié  tombée,  et  le  monastère  était  telle- 
ment ruiné  et  appauvri  qu'en  i3()0  les  religieux,  pour  les  réparer, 
imploraient  le  secours  du  pape  ~. 

Le  Poitou^  dont  les  églises  avaient  eu  grandement  à  souffrir  des 
Anglais  dès  134()  ^,  était  dans  une  tranquillité  relative  à  l'époque  où 


i.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n»  252,  fol.  1G9'',  ad  an.  1363,  Januarii  18. 

2.  Ihid.,  n°  251,  fol.  29»',  ad  an.  1365,  Fcbr.  26. 

3.  Demfle,  Ln  désolation  des  écf lises  en  France^  I,  n"  452. 

4.  Siippl.  Urb.  T',  n"  40,  fol,  107,  ad  an.  1364,  April.  17  :  «  Si^nificat  S.  V.  humilis 
et  devota  vcstra  Johanna  Bourdine,  vidua  reclusa  prope  monasterium  S.  Eli^ii  de 
Rupella,  Xanctonen.  dioc,  quod  monasterium  predictum  S.  Eligii  et  locus  sue  habi- 
tionis,  in  quo  penitenciam  suam  faciebat,  fuit  ad  terram  propter  jiuerras  dominorum 
re^ni  Francie  et  An^lie  positi  et  prostrati,  cjuod  ipsa  non  potest  in  dicto  loco  habita- 
tionis  projeter  ipsius  loci  destruclionem  j^habitare],  et  cum  ipsa,  (jue  carnes  suas 
macerare  et  vexare  desiderabat,  sanctum  sepulcrum  doniinicuiu  et  alia  loca  ultra- 
marina  visitare  [desideret]  ([uod  sibi  non  conceditur  tam  })ropler  inhibitionem  per 
S.  V.  generaliter  factam  quam  etiam  propter  antiquitatem  et  corporis  debilitatem, 
et  confessor  S.  V.  eidem  consilium  dederit  quod  itcrum  redeat  ad  locum  conclu- 
sum  suum,  et  locus  sit  totaliter  destructus....  [Indulgentia  pro  benefactoribus].  Fiat, 
lî.  Dat.  Avinione  quinto  decimo  kal.  Maii,  anno  secundo  ». 

5.  Recf.  Vat.  Urb.  V,  n"  251,  fol.  207'-;  253,  fol.  118,  ad  an.  1364,  Januar.  7. 

6.  Reg.  Vat.  Cleni.   VII,  n"  293,  fol.  128. 

7.  Reg.  Vat.  Urbani  F,  n"  254.  fol.  57»',  ad  an.  1365,  Mart.  15  :  «  Universis  christi- 
fidelibus,  etc.  salutem,  etc.  Ecclesiarum,  etc.  Cum  autem  sicut  accepimus  ecclcsia 
monasterii  Fontis  Dulcis,  O.  S.  B.,  Xanctonen.  dioc,  propter  ji:uerras  que  in  rep:no 
Francie  dudum  infiruerimt,  pro  média  parte  corruerit,  et  ad  cam  reparandam  faculta- 
tes  dicti  monasterii,  quod  propter  ji^uerras  predictas  multipliciter  est  collapsum,  non 
suppetant,  universitatem  vestram  rogamus,  monemus  et  hortamur  attente,  vobis  in 
remissionem  peccaminum  injungentes,  quatenus  de  bonis  a  Deo  vobis  collatis  ad 
reparationem  ejusdem  ecclcsie  vestras  pias  elemosinas  et  grata  caritatis  subsidia  ero- 
getis,  ut  per  subventionem  vestram  hujusmodi  ecclesia  ipsa  rcparari  ^•aleat,  vosque 
per  hec  et  alia  bona  que  Domino  inspirante  feceritis  ad  elerna  possitis  felicitatis 
yaudia  pervenire...  [Indulgentiae].  Datum  Avinione  non.  Martii  an.  tertio  )>. 

8.  Voy.  ci-déssus,  p.  29  suiv. 


TOUTE    LA    FRANCE   INFESTÉE,    1 3o6    A    i'M')i)  283 

nous  l'avons  quitté,  c'est-à-dire  vers  13^)2  ';  mais  après  13.^)(),  cette 
province  fut  encore  une  autrefois  infestée  par  les  bandes  anglaises  -. 
Dans  le  Bas-Poitou,  les  routiers  surtout  étaient  la  terreur  du 
pays.  Donnons  ici  quelques  détails.  En  1358,  plusieurs  laïques 
armés,  faisant  partie  du  diocèse  de  Luçon,  entraient  de  force  dans 
Féglise  et  la  prévôté  de  Saint-Jean  de  Montaig-u,  incendiaient  plu- 
sieurs maisons,  blessaient  et  chassaient  les  moines,  occupaient  et 
fortifiaient  la  prévôté  après  l'avoir  pillée  et  emprisonnaient  le  prévôt 
dans  un  des  châteaux  A^oisins  ^  pour  obtenir  à  coup  sûr  de  lui 
une  forte  rançon.  Bientôt,  nous  trouvons  à  la  tête  des  routiers  et 
des  bandes,  des  moines  commettant  des  crimes  plus  terribles 
que  ceux  auxquels  les  laïques  seuls  s'étaient  livrés  ;  tant  la  guerre 
avait  déjà    dépravé    les  mœurs   et   anéanti  la  discipline  ecclésias- 


1.  Ci-dessus  p.  68. 

2.  Le  lecteur  doit  être  averti   qu'ArnEn,  Hisl.   générale  du  Poitou,  t.    IX  (1893), 
p.  167  suiv.,  se  tient  seulement  dans  les  généralités,  sans  citer  aucun  fait. 

3.  Re(f.   Val.  Innocent.  VI,  n"  233,  fol.  475,  ad  an.  1358,  Novemb.  12  :  «  Venerahi- 
Iil)us  fratribus..  Lucionen.  et..  Xanneten  ac.  Pictaven.  episcopis  salutem,  etc.  C.onlra 

pcr\'crsorum  audaciam Sane  ad  apostolatus  nostri  per\enit  audiluni  quod  nuper 

Jannetus  Bonenfant,  Johannes  de  Castro  Briencii,  Petrus  de  Faiti.  Radulphus  de  Quoi- 
(|uen,  Bartholomeus  Garnerii,  Laurentius  Garnerii,  Massetus  Morini,  Guillolnuis 
Bonnuin  dictus  Micoiz,  Guillelnius  dictus  Duchesne,  Robinus  dictus  du  Bcrt, 
Boucemlan  dictus  Chomeret,  Joliannes  Robini  de  Lermonaust  dictus  Ilarnete.  Johan- 
nes dictus  Lequeu,  Johannes  Bouhiye,  Stephanus  dictus  Rechinbelan,  Alanus  (iarini 
dictus  {^ornete,  Janotea  dictus  I^epoitavin,  Guillotus  Oliverii,  Luce  nepos,  laici  Lucio- 
nen. (Hoc,  associatis  sibi  quampluribus  aliis  eorum  in  hac  parte  complicibus,  diabo- 
lico  spiritu  concitati,  prepositatum  conventualem  S.  Georgii  prope  Montemaculuni, 
Ord.  S.  Ben.  dicte  diocesis,  arniata  manu  hostiliter  inAadentes  et  ipsius  prcposilatus 
et  ecclesie  sue  efCractis  januis  illum  violenter  intrantes  nonnuUas  domos  prcpositatus 
ejusdem  ij-nis  incendio  concremarunt  ac...  Aubertum  prepositvun  prcpositatus.., 
capere  et  nonnuUos  ipsius  prcpositatus  nionachos  crudeliter  verl^eribus  ccderc,  ac 
Johanuem  Luce,  nionachum  monasterii  sancti  Maxcntii,  dicti  Ord.  Pictaven.  dioc, 
in  sacerdotio  constitutum,  tune  in  dicto  prei)ositatu  consistentem,  et  quondain  Johan- 
ncm  Gandea,  alias  dictuni  Roy,  laicum  familiarem  dicti  prcpositi,  sic  immaniter  vuhie- 
rarc,  cpiod  Johannes  Luce  manus  sue  dextere  impotens  j^erpctuo  remansit.  et  Johan- 
nes (iandea  predicti  inl'ra  paucos  dies,  tiuic  proxime  subse(iuentes,  ex  "vulneribus  ipsis 
decessit.  Kl  insuper  prepositatum  eundem  nec  non  libros,  calices,  ceterac[ue  orna- 
menta  predicte  ecclesie  ac  pannos  lineos  et  laneos,  blada,  fena,  animalia  et  alia  bona 
ibidem  existentia  occupare,  ac  rapere,  et  consumere,  dictumciue  prepositum  exinde 
ad  jjlura  et  diversa  castra  et  loca  successive  transducere,  crudeli  carcere  mancipiU'c, 
ipsosque  prepositum  sic  captum  et  prepositatum  per  eos  fortilîcafum  detinere.  ausu 
sacrilego,  temere  presumpserunt  ;  prout  etiam  adhuc  ipsos  pi-epositum  et  preposita- 
tum detinere  presumunt....  [Episcopi  excommunicationis  sententiam  in  perpelratores 
horum  fcrant  eosque  ad  restitulionem  et  reparationem  obligent].  Dat.  Avenione  ij 
id.  Novemb.  anno  sexto  ». 


284  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

tique  ' .  En  compag'nie  d'une  bande  recrutée  en  grande  partie  dans  File 
de  Ré,  deux  moines  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Michel-en- 
FHerm,  Jean  Ami. originaire  de  l'île  de  Ré,  et  Guillaume  Mamplet,  pil- 
laient la  maison  de  Grues  ~,  dépendante  du  dit  monastère  et  en  empor- 
taient le  butin  dans  l'île.  Ils  occupèrent  plusieurs  des  possessions  de 
l'abbaye  et  la  dépouillèrent  aussi  des  biens  et  droits  qu'elle  possédait 
dans  les  îles  de  Loix  et  d'Ars^,  d'où  elle  tirait  la  plus  grande  partie 
de  ses  ressources.  A  l'instigation  de  Jean  Ami,  une  bande  attaqua 
le  monastère  même ,  y  entra  après  avoir  incendié  une  porte  et  brisé 
les  autres,  assaillit  l'abbé  et  les  moines  qui  s'étaient  enfermés  dans 
une  tour  de  laquelle  les  ennemis  embrasèrent  la  base  pour  étouf- 
fer ces  malheureux  par  la  fumée.  Mais  ceux-ci  ayant  réussi  à 
se  réfugier  dans  une  autre  tour,  les  brigands  les  assiégèrent  en 
règle,  dirigeant  contre  eux  lances,  flèches  et  pierres.  Ils  dépouil- 
lèrent le  monastère  de  ses  biens  meubles,  consommèrent  le  vin, 
détruisirent  les  lettres,  chartes  et  autres  documents,  et  poursui- 
virent l'abbé  et  les  moines  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  reçu  des  lettres 
portant  le  sceau  de  l'évèque  de  Luçon,  par  lesquelles  ils  étaient 
acquittés  et  mis  en  possession  de  tout  ce  qu'ils  avaient  pillé  et  dérobé. 
Ne  se  trouvant  pas  encore  satisfaits,  ils  jetèrent  la  sainte  hostie 
dans  un  lieu  introuvable,  emprisonnèrent  plusieurs  moines  et  les 
rançonnèrent  après  leur  avoir  fait  subir  de  cruelles   tortures  ^.   En 

1.  C'était  seulement  le  commencement  :  nous  verrons  plus  tard  clans  ces  contrées 
(les  moines  et  abl)és  assassinés  par  leurs  conlVères.  Cf.  Logri^x,  L'n])baye  Sninle-Croix 
de  Talmond  (La  lloche-sur-Yon,  1895),  j).  S3  suiv. 

2.  Cassini  (n"  132)  écrit  encore  :  Grïie. 

3.  Ce  sont  |)lutôt  deux  presqu'îles  de  l'île  de  Ré. 

4.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n°  20,  fol.  702'',  ad  an.  1359,  Januarii  13  :  «  Ven.  fratri... 
episc.  Xanctonen.  salutcm,  etc.  Juxta  pastoralis  officii  debitum,  etc.  Sane  lamenta- 
bilis  dil.  fdior.  abbatis  et  conventus  monasterii  S.  Michaelis  in  Heremo,  O.  S.  B.. 
Lucionen.  dioc,  querela  nostrum  graviter  pulsavit  auditum  quod  .Tohannes  Amici  et 
Guillelmus  Mamplet,  monachi  dicti  monasterii,  associatis  sibi  quibusdam  iniquitatis 
filiis  tam  de  insula  maritima  dicta  de  Re,  tue  dioc,  de  qua  insula  idem  Johannes  Amici 
oriundus  existit,  quam  de  aliis  i)artibus,  domum  de  Grua  dicte  Lucionen.  dioc, 
que  de  membris  dicti  monasterii  existit,  invadere  ac  blada,  pannos,  ligna,  archas,  et 
alia  utensilia  ibidem  existencia  rapere  et  sccum  ad  dictam  insulam  in  predam  abdu- 
cere  et  abduci  facerc,  ac  nonnulla  alia  bona  dicti  monasterii  occupare,  et  quod  homi- 
nes  dicte  insuie  predictum  monasterium  bonis  et  juribus  circa  eum  et  etiani  in  insulis 
de  Legibus  et  de  Ars  dicte  tue  dioc  (ubi  pro  majori  parte  fruclus,  redditus  et  pro- 
ventus  dicti  monasterii  existunt,  et  sine  quibus  dicti..  abbas  et  conventus  congruam 
sustentationem  habere  et  hospitalitatem  tenere  non  possunt)  spoliant  et  depredantur, 
procurare  et  facere  presumpserunt  et  presumunt.  ac  insuper  nonnulli  de  dicta  insula 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13-')0    A    13G0  285 

13()0,  une  autre  bande  entra  à  main  armée  clans  le  monastère  et  dans 
l'ég-lise,  dévalisant  tout  et  s'emparant  des  bestiaux  K 

Poitiers  était  entouré  de  bandes  anglaises.  Entre  le  9  avril  13o7 
et  le  31  décembre  1358,  Tune  d'elles  occupait  et  fortifiait  l'abbaye 
cistercienne  de  Valence  et  incendiait  les  églises  des  environs-.  La 
ville  de  Maillezais  fut  prise  par  une  compagnie  partie  de  Valence  '. 
Au  midi,  deux  forts  étaient  occupés,    Clavière   et   Rochemeaux  ^. 

de  Rc...  acijunctis  sil)i  ([uampluribus...  complicibus  dictocjue  Joliunne  ad  id  causani 
ac  opein  et  opcrain  criicaccni  dante,  dicLuin  monasterium  hostiliter  imadere  ac  unani 
ij^nis  inccndio  concremai'e  et  nonnullas  alias  portas  dicti  monasterii  fran^erc  et  rum- 
perc  dictumquc..  abbatcm  et  quosdam  alios  nionaclios  dicti  monasterii,  qui  se  in 
quadaiu  turri  ejusdeni  nionastei'ii  timoré  inortis  posuerant,  inse({ui  ac  ad  portas  dicte 
lurris  leniini  et  in  eo  i^neni,  ut  fumus  exinde  exicns  ipsos..  al)l)ateni  et  monachos 
sullocaret  ponere,  ac  deinde  ipsos  abbateni  et  monachos,  ({ui  ut  manus  eorundeni 
perversorum  évadèrent  quandam  aliam  turrim  dicti  nirmasterii  intraverant,  in  eadem 
turri  obsidere  et  contra  ipsos  causa  vulncrandi  et  inlerficicndi  eoscleni  lanccas,  sagit- 
tas  ac  lapides  et  alia  mitterc  et  projicere,  et  nichiloniinus  vasa  aurca  et  argentea, 
pannos,  culcitras,  sargias,  linteamina  et  aliabona  dicti  monasterii  ad  dictam  insulam 
dcducerc,  lilada  et  Aina...  consumere,  litteras,  cartas  et  alia  instrumenta  ad  dictuni 
monasterium  spectantia  rumpere  et  frangere,  ipsosque..  abbatem  et  monachos  tamdiu 
in  ipsa  alta  turri  obsessos  tenere,  donec  idem.,  abbas  et  conventus  eis  omnia  que 
de  bonis  dicti  monasterii  reccpcrant  et  deprcdati  fuerant.  i)er  eorum  litteras  sij;illo 
ven.  fr.  nostri..  episcopi  Lucionen.  signalas,  ac  promissionibus  et  stipulationibus 
variis  vallatas  remittere  etquitare,  ipsorum  perversorum  sevitiam  et  ferocitatem  et  ne 
ad  pejora  procédèrent  formidantes  compulsi  fuerunt,  ac  insuper  corpus  D.  X.  J.  C, 
(juod  in  ([uadam  capsa  argentea  custt)diebatur,  ignominiose  dejicere  ita  (juod  postea 
inveniri  nequiret,  n(mnullos  alios  ex  monachis  dicti  monasterii  capere  et  aliquandiu 
captos  detinere  et  ad  redemptioncs  pecuniarias  compellere  diversis  pénis  et  tormentis 
ausu  sacrilego,  et  tam  idem  Johannes  per  se  et  suos  complices  et  homines  de  dicta 
insula  de  Ue  nonnullas  alias  eisdem..  abbati  et  convcntui...  injurias  et  jacturas  inferre 
vcriti  non  fuerunt.  et  continue  non  vercntur...,  Snper  quibus  omnibus  dicti..  abbas. 
et  conventus  ad  apostol.  sedis  remedium  duxerunt  humilitcr  recurrendum.  [Commit- 
tit  de  restaurationc  praemissorum].  l)at.  Avinione  id.  Janiuir.  anno  ^'II  ».  Cf.  liefj. 
V'.-j/.,  n"  23i,  fol.  293. 

1.  Re<f.  Aveu.  Innocent.  T/,  n"  2i,  fol.2i9,  ad  an.  1360,  April.  2i  ;  «...  nuper  nonnuUi 
ini({uitatis  lilii  ..prctextu  guerrarum  et  alias  temcrc  prcd.  UKniasteriiun  armata  manu 
liosLiliter  in\adentes  et  cllVactisejus  jaunis  violenter  intrantes  ([uandam  portam  ecclesie 
ipsius  monasterii  incendio  concremarunt  ac  ipsius  monasterii  domos,  caméras,  scri- 
nia  et  serraturas  frangerc  et  disrumpere,  cruccs.  calices,  sanct(»rum  reli(|uias,  libros, 
paramenta,  et  ornamenta  di\inis  usui  et  cultui  deputata,  pri\  ilegia  et  litteras  aposto- 
licas,  necnon  pecuniarum  sunmias,  vasa  argentea,  jocalia,  animalia,  lectos,  i)annos, 
blada,  vina,  dolia,  capsas,  et  alia  supellectilia  et  bona  mobilia  ipsius  monasterii  vio- 
lenter... rapere  et  in  predam  abducere  et  asportare  temere  |)resumpserunt  et  cotidie 
presumere  non  verentur...  [De  excomunicatione  in  supradictos  criminosos  et  auxiliuni 
inferentes  et  reparationes  damnorum].  Dat.  AA'inione  viii  kal.  Maij  anno  A'III  ». 

2.  Ci-dessus,  p.  184. 

3.  GuKiuN,  Recueil  des  (locuinenia  concernant  le  Poitou,  III,  p.  xli. 
A.  Ibid.,  p.  XL. 


286  LA    GUERRE    DE    CEINT    ANS 

Les  habitants  de  Poitiers,  menacés  d'une  attaque  par  les  Anglais 
de  Guyenne,  démolirent  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Gyprien  •, 
déjà  ruinée '-.  Le  6  juin  L359,  pour  enlever  aux  Anglais  la  facilité 
de  se  fortifier  dans  le  prieuré  bénédictin  de  Lig-ug-é,  non  loin  de 
Poitiers,  les  habitants  de  Smarve  en  abattirent  le  dortoir  et  le 
réfectoire,  qui  étaient  grands  et  somptueux.  Malgré  cela,  les  ennemis 
survinrent  et  occupèrent  le  prieuré  pendant  plusieurs  mois,  comme  le 
raconte  Jean  Bouchet  '^.  Le  22  février  13o8,  Innocent  VI  réunit  les 
revenus  du  prieuré  dWuray  à  la  mense  commune  de  Fabbaye  de 
Saint- Augustin  de  Fontaine-le-Gomte,  laquelle  avait  été  saccagée 
pendant  les  guerres  par  les  ennemis  qui  continuaient  d'exercer 
leurs  ravages.  Sans  j^arler  de  la  ruine  des  l^âtiments  et  des  terres 
qui  restaient  sans  culture,  il  faut  mentionner  que  les  religieux 
manquaient  de  vivres  et  étaient,  depuis  longtemps,  réduits  à  cher- 
cher hors  du  couvent  les  choses  nécessaires  à  leur  subsistance  ^.  Il 
résulte  de  la  lettre  du  prince  de  Galles,  datée  du  il  mars  13()i,  que 
les  habitants  de  Poitiers  ont  incendié  et  abattu  l'église  et  plusieurs 
maisons  de  l'al^baye,  de  peur  que  l'ennemi  ne  s'en  emparât  pour 
s'y  fortifier  ^\  Vers  le  nord  de  Poitiers,  à  Vouzaille,  nous  trouvons 
également  une  garnison  anglaise  ^.  Une  garnison  d'Anglais  encore 
plus  forte,  qui  occupait  Dissay,  fut  assiégée  en  1331)  ou  13G0  par  deux 
vaillants  capitaines  :  Jean  de  Saintré,  sénéchal  d'Anjou,  et  Bertrand 
du  Guesclin,  qui  fut  fait  prisonnier  pendant  un  court  laps  de  temps. 
Enfin  le  château  fut  emporté  et  l)rûlé  par  les  Français  ". 

Avant  la  paix  de  I^retigny,  les  Anglais  et  les  compagnies  avaient 
pris  un  pied  tellement  considérable  dans  le  Poitou  et  y  occupaient 
un  si  grand  nombre  de  lieux  importants  que  le  roi  d'Angleterre 
jugea  nécessaire  d'y  maintenir  deux  lieutenants  :  Robert  de  Ilerle 
et    Olivier  de   Glisson,   auxquels  il  délégua    tous    ses  pouvoirs  le 


1.  Bulletin  et  Mêin.  de  lu  soc.  des  Antiquaires   de    VOiiest,  2"    sér.,  l.  XX    (J807), 
p.  283. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  30. 

3.  Chamaud,  Saint-Mnrtin  et  son  monastère  de  Liguc/é^  p,  200  suiv. 

•i.  Lettre  du  pape  dans  Ricdf.t,  Xolice  hist.  sur  l'ahbnye  de  Fontnine-le-Conxte  dans 
Mèni.  de  la  soc.  des  antiquaires  de  l'Ouest.,  t.  III  (1837),  p.  243  suiv. 

5.  Ibid.,  p.  24  i. 

6.  GuÉiux,  1.  c,   p.  M.II. 

7.  LucE  dans  Bulletin  de  la  soc.  archéol.  de  Touraine,  t.  III  (J876  ,  p.  4G6  suiv. 


TOUTE    LA    FKA^CE    IiNFESTÉK,     l35G    A     13f)0  287 

11  juillet  13^)9.  Alors  les  communications  devinrent  impossibles, 
les  marchands  furent  dépouillés  et  les  habitants  rançonnés.  Plu- 
sieurs, pour  sauver  leur  vie,  linirent  par  se  mettre  au  service  des 
Anglais  ^ . 

Les  garnisons  anglaises  du  Poitou  et  du  Berry  étaient  en  com- 
munication avec  celles  qui  étaient  établies  en  Touraine.  Dès  13.')i-, 
dans  leur  commune  crainte  des  troupes  anglaises,  les  habitants  de 
Tours  et  de  Chateauneuf  avaient  pris  le  parti  de  réunir  leurs  deux 
villes  dans  la  môme  enceinte  '-.  L'exécution  de  ce  dessein  devint 
encore  plus  pressante  après  la  bataille  de  Poitiers  ;  mais  c'est  sur- 
tout en  1358  et  1359  que  les  bandes  anglaises  envahirent  ces  villes 
et  y  occupèrent  des  églises,  des  monastères  et  des  j^laces  fortes.  Il 
sendjle  qu'une  partie  de  ces  bandes  y  serait  entrée  par  Loches. 
Peut-être  venaient-elles  du  Berry  où  les  Anglais  occupaient  Pal- 
luau  et  Buzançais  situés  vers  les  frontières  de  cette  province  •^.  En 
1358,  près  de  Loches,  ils  s'emparèrent  de  l'abbaye  bénédictine  de 
Beaulieu  que  leur  reprit  Enguerrand  de  Hesdin,  capitaine  de  Loches  ; 
mais  cette  abbaye  fut  saccagée  une  seconde  fois  en  1112.  Enguer- 
rand leva  sur  le  pays  et  les  environs  une  rançon  de  28  pipes  de  vin, 
14  muids  de  grain  et  GOO  francs  d'or '\  Il  est  bien  possible  que 
l'abbaye  cistercienne  de  Beaugerais  placée  sur  cette  route  et  men- 
tionnée en  1376  comme  détruite  ^,  l'ait  été  à  l'époque  dont  nous  par- 
lons. Le  sort  de  l'abbaye  cistercienne  de  Cormery  était  plus  déso- 
lant encore.  Sous  la  conduite  de  Basquin  du  Poncet,  une  des  bandes 
anglo-bretonnes  parut  devant  Cormery  le  21  mars  1358.  Ces  bri- 
gands s'emparèrent  d'abord  de  la  A^Ue,  mirent  tout  au  pillage  et 
renversèrent  les  maisons.  On  estime  qu'ils  en  détruisirent  à  peu 
près  mille;  il  est  certain  que  les  rues  n'existaient  plus  ^.  Parmi 
les  habitants  plusieurs  furent  égorgés,  beaucoup  furent  couverts  de 
blessures,  d'autres  furent  rançonnés;  le  reste,  femmes  et  enfants, 
fut  emmené  en  prison  au  château  de  la  Roche-Posay,  les  femmes 

1.  GuÉuix,  1.  c,  p.  xLiii,  xLi  suiv. 

12.  (iiuAunirr,  Ilist.  de  la  ville  de  loiirs,  I,  [).  1 12  sui\'. 
3.  Ci-dessus,  p.   251. 
i.  LiTCE,  Du  Giiesclin,  p.  476. 
5.   Gnll.  christ.,  XIV,  p.  331. 

().  lîouH.vssK,  (jarliilaire  de  (Jornicrj/  dans  Mcdi.   de  h  soc.   urchcol.  de   Touraine, 
L.  XII  (ISGl),  p.  Lx.xix  suiv.  <(  Mille  »  désigne  seulement  lui  j;rand  nombre. 


288  LA    GUERRE    DE    CENT    A^•S 

furent  déshonorées.  L'ég-lise  paroissiale  de  Notre-Dame  de  Foug-e- 
ray  l'ut  complètement  dévastée.  Cinq  jours  après,  les  ennemis  réus- 
sirent à  entrer  dans  l'abbaye.  La  nef  de  Téglise  devint  une  écurie 
où  ils  placèrent  leurs  chevaux.  Les  ])iens,  meubles  et  immeubles, 
furent  occupés  ;  sept  ou  huit  moines  furent  arrêtés;  les  autres  prirent 
la  fuite.  On  fortifia  les  murs  du  monastère  cpii  fut  transformé  en 
citadelle.  Pour  faciliter  ce  travail,  les  ennemis  renversèrent  une 
chapelle  et  d'autres  bâtiments  afin  de  se  servir  des  pierres  ^  A 
Cormery  pendant  tout  le  temps  que  les  ennemis  y  demeurèrent, 
c'est-k-dire  pendant  un  an  et  demi,  le  service  divin  fut  suspendu 
tant  au  monastère  qu'à  l'ég'lise  paroissiale  , ainsi  que  le  disent  les 
moines  dans  leur  supplique  à  Innocent  VI. 

Pendant  que  Basquin  occupait  Cormery,  ses  bandes  détruisirent 
Vantes,  Aubigny  et  Monchenin  ;  puis  ils  se  répandirent  dans  les 
campagnes  de  Truyes,  de  Tauxigny,  d'Esvres  et  de  Louans^. 
D'autres  occupèrent,  si  elles  ne  l'avaient  déjà  fait  précédemment, 
Azay-sur-Gher,  Langeais,  les  forts  de  Montlouis,  de  Ruches,  des 
Houdes  et  de  Chenonceaux*^.  Sous  Basquin  du  Poncet,  les  Anglais 
avaient  aussi  pris  Véretz^  ;  Montbazon  était  également  aux  mains 
des  ennemis  ^  ;  la  ville  de  Tours  même  était  menacée  par  ce  voisi- 
nage. L'occupation  de  Langeais  surtout  interceptait  les  communi- 
cations des  Tourangeaux  avec  l'Anjou.  Le  gouverneur  de  Tours 
envoya  Pierre  de  Combelles  et  plusieurs  autres  avec  huit  livres  de 
poudre  pour  mettre  le  feu  à  Azay  et  à  Cormery  ^.  Azay  devint  la 
proie  des  flammes;  Montlouis  eut  le  même  sort^.  Le  28  mars  1359, 
la  ville  dépêcha  aussi  à  Saumur  en  Anjou  deux  bourgeois  chargés 
de  traiter  avec  Bertrand  du  Guesclin  venu  à  grand  renfort  de  gens 
d'armes  en  Touraine  pour  délivrer  Cormery,  Langeais  et  d'autres 
lieux.  Le  26  avril  suivant,  l'archevêque,  les  chapitres  et  la  ville  de 

1.  BounAssi':,  1.  c,  et  la  supplique  des  moines  adressée  à  Innoeent  ^'I,  ibid., 
p.  237  suiv.  Dans  son  Ilisl.  et  moniimenls  de  la  Touniine  (1856),  Bourassc  n'entre 
pas  dans  les  détails. 

2.  lîOLRASSK,   p.   LXXX. 

3.  Voy.  Luciî  dans  Jiiillelin  de  la  soc.  nrchéol.  de  Touraine,  l.  c,  p.  I6i. 

i.  Delaville  le  Koulx,  lieyisires  des  comptes  municipaux  de  la  ville  de  Tou7\s,  I, 
(1878),  n°  465. 

5.  Ibid.,  n°  438. 

6.  Ibid.,  n°»  382,  397. 

7.  Ibid.,  n^'  419  à  423. 


TOUTE    LA    FRANCE    liNFESTÉE,    1336    A    1360  289 

Tours  envoyaient  encore  une  lettre  à  du  Guesclin  ^  mais  les  efforts 
de  ce  vaillant  restèrent  sans  succès.  Cormery  ne  lut  évacué  que 
vers  la  fin  de  1359  et  non  au  moyen  de  Tépée,  mais  à  prix  d'argent 
comme  Basquin  du  Poncet  l'exigea  de  Fabbé  Gérard  réfugié  à 
Tours.  A  l'instar  de  plusieurs  chefs  de  bandes-,  une  des  conditions 
que  le  bandit  mit  à  son  départ  était  que  l'abbé  solliciterait  pour  lui 
et  ses  compagnons  l'absolution  de  l'excommunication^. 

Après  une  absence  d'un  an  et  demi  les  moines  rentrèrent  à  Cor- 
mery, mais  faute  d'argent  les  bâtiments  n'étaient  pas  encore  res- 
taurés cinquante  ans  plus  tard,  puisqu'en  1411  le  cloître  était  tou- 
jours démoli,  et  la  salle  capitulaire,  le  dortoir,  le  logis  abbatial 
étaient  demeurés  en  ruine  ^.  Langeais  ne  fut  évacué  qu'en  vertu  du 
traité  de  Bretigny.  Plus  heureux  que  Bertrand,  son  frère  Olivier  du 
Guesclin  parvint  à  reprendre  quelques  places  fortes  ^.  Malgré  cela, 
Basquin  du  Poncet  avec  ses  troupes  restait  à  Véretz  et  à  Roche- 
Posay,  continuait  ses  pillages  jusqu'à  Tours  et  empêchait  aux  mar- 
chands d'approvisionner  la  ville.  C'est  seulement  après  le  6  sep- 
tembre qu'il  résigna  ces  places  ^. 

A  Tours,  on  songeait  continuellement  à  la  défense  de  la  ville  et 
dans  ce  but  on  poursuivait  les  travaux  de  fortification.  Dans  la 
nécessité  où  l'on  était  de  se  procurer  de  bonnes  pierres,  on  utilisait 
celles  de  l'église,  des  bâtiments  religieux  ou  des  propriétés.  Quel- 
ques-uns comme  le  prieuré  de  Saint-Augustin  de  Saint-Cosme 
furent  abattus  pour  que  les  ennemis  ne  puissent  s'y  fortifier.  Les 
frères  de  Saint-Cosme  furent  longtemps  absents  du  couvent  parce 
que  les  ennemis  vinrent  jusqu'à  leur  porte.  Néanmoins,  le  prieuré 
n'était  pas  entièrement  détruit  en  1363  puisqu'on  y  élut  un  prieur^. 

1.  Delaville  le  Roulx,  n°'  434,  459. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  184  suiv. 

3.  Cartiil.  de    Cormery^  p.  238. 

4.  Carlulaire  de  Cormery,  p.   243;  Bourassé,  p.  lxxxii,   Gall.  christ.,  XIV,  p.  255. 

5.  Voy.  LucE,  1.  c,  p.  467  suiv. 

6.  Delaville  le  Roulx,  1.  c,  p.  179,  not.  1,  et  E.  Molimer,  Étude  sur  la  vie  d^Ar- 
noul  d'Audrehem,  p.  82  suiv. 

7.  Suppl.  Urb.  y,  n°  38,  fol.  189,  ad  an.  1363,  Octob.  9  :  «  Sanctissimo  in  Christo 
patri...  domino  Urbano...  summo  pontifici...  devoti  oratores  capitulum  et  canonici 
ecclesic  vcstre  bcatissimi  Martini  Turon.  ad  Rom.  ccclesiam  nullo  medio  pertinen- 
lis...  Cum  ita  sit  quod  vestro  modico  priera  tu  conventuali  S.  Cosme  de  Insula  prope 
Turones,  Ord.  S,  Aug.,  menibri  dicte  vcstre  beatissinii  Martini  ecclesie  et  ipsi  eccle- 
sie  vcstre   et   nobis  in  spiritualibus  et  temporalibus  immédiate  subjecti,    vacante 

R.  P,  Denifle.  —  Desolatio  eccîesiarum  II.  19 


290  LA    GLEKRE    DE    CEINT    ANS 

Les  églises  qui  eurent  plus  ou  moins  à  souffrir  de  cette  sorte  de 
dépouillement  étaient  Saint- Vincent,  Saint-Gosme,  Saint-Sauveur, 
Saint-Eloy  (abattue),  l'église  des  Frères  Prêcheurs,  le  prieuré 
de  Saint-Mars  (aussi  abattu),  Saint-Michel,  Saint-Lidoine  K  A 
Tours,  la  peur  était  si  grande  qu'en  juillet  1360,  le  bruit  courant 
que  les  Anglais  qui  occupaient  l'abbaye  bénédictine  de  Marmoutier 
voulaient  s'emparer  par  échelle  de  la  ville,  les  habitants  prêtèrent 
l'oreille  à  cette  rumeur  '-.  Or,  il  arriva  que  l'archevêque  de  Tours 
voulait  excommunier  les  bourgeois  qui  se  permettraient  de  faire 
abattre  plusieurs  églises,  mais  ceux-ci  trouvèrent  un  appui  dans 
le  roi  Jean  parce  qu'il  était  reconnu  que  ces  églises  restant  debout 
pouvaient  servir  de  retraite  aux  ennemis  ^. 

Par  suite  de  ces  perpétuelles  incursions  des  Anglais  et  des  rou- 
tiers, les  chemins  étaient  infestés,  les  communications  étaient  dif- 
ficiles. Souvent  môme  les  ecclésiastiques  prenaient  part  à  ces  inva- 
sions, à  tel  point  que  l'archevêque  dut  demander  le  pouvoir  de  don- 
ner l'absolution  à  cent  de  ces  derniers,  mais  il  reçut  seulement  l'au- 
torisation d'en  absoudre  vingt.  Les  monastères,  les  églises  et  les 
cimetières  étaient  pollués  ^. 

h^ Anjou  était  depuis  longtemps  inquiété  par  les  armées  qui  mar- 
chaient en  Bretagne  ;  les  Anglais  y  exerçaient  des  ravages  déjà 
avant  la  bataille  de  Poitiers  ^  Pour  cette  raison  presque  toutes  les 
abbayes,     comme     S. -Florent    près    Saumur,    Gunaud,    S.-Maur, 

supprior  et  lotus  conventus  et  alii  fratres,  vocatis  et  presentibus  qui  debuerunt 
et  potuerunt  interesse,  prout  ad  eos  spectabat  dicto  prioratui  (a  quo  tune  ipsi  erant 
et  perlonga  tempora  fuerunt  exules  prupter  pericula,  discursus  et  depredationes  ini- 
micorum  regni  Francie  in  prioratu  predicto  et  circum  circa  illum  vigenter  insis- 
tentes,  et  in  quo  nunquani  fuit  nec  est  aliquod  fortalitium,  et  qui  occasione  et  tem- 
pestate  guerraruni  sevissinia  pro  parte  niajori  cxistit  destructus)  et  necessitati  misère 
ejusdcm  utiliter  providere  cupientes,  licentia  a  nobis  eligendi  per  eos  petita  et 
obtenta,  in  religiosum  et  honestuni  viruni  fratrem  Robertum  de  Septem  Vallibus... 
ac  priorcni  S.  Anne  prope  Turones,  meml:)ri  dicti  prioratus  S,  Cosme...  vota  sua 
direxerunt...  [Supplicant  ut  electio  confirmeturj.  —  Fiat  B.  Dat.  Avinione  vij  id. 
Octobris  anno  primo  ». 

1.  Delaville  le  Houlx,  l.  c,  n»'  158,  160,  185,  417,  667,  669  à  671  («  abattre  et 
afî'oiblir  l'église  de  Saint-Mars,  et  trier  la  pierre  de  taille  et  le  moiron  »),  678,  691. 
J'omets  de  citer  d'autres  faits. 

2.  Ihid.,  n°  9i7. 

3.  GmAUDET,  1.  c,  p.  149  suiv. 

4.  Suppl.  Urh.  y,  n"  39,  fol.  88,  ad  an.  1363,  Decemb.  9. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  73  suiv. 


TOUTE    LA    FRANCK    IiNFfi:STÉE,    1 3o6    A     1 3()0  291 

Solesme,  Fontevraud,  étaient  fortifiées  ^  En  135o,  Robert  Knolles 
parcourait  l'Anjou  qui  était  en  même  temps  assailli  au  nord,  à  Touest 
et  au  midi  par  trois  bandes.  L'une  d'elles  s'installa  dans  Fabbaye  cis- 
tercienne de  Louroux  et  y  demeura  pendant  quinze  ans  -.  Les  moines 
furent  expulsés;  les  Anglais  convertirent  l'église  et  le  monastère  en 
forteresse  et  de  là  se  répandirent  dans  tout  le  pays.  Seulement  en 
1370,  par  crainte  de  du  Guesclin  qui  était  en  marche,  les  ennemis 
déguerpirent  ;  les  moines  rentrèrent  alors,  mais  sauf  les  murs,  ils 
trouvèrent  tout  dévasté,  incendié  et  détruit  '^.  Encore  sur  la  rive 
droite  de  la  Loire,  une  autre  abbaye  cistercienne,  celle  de  Ghaloché, 
se  vit  en  1359  abandonnée  par  les  moines  à  cause  des  fréquentes 
incursions  des  bandes  ;  les  religieux  se  réfugiaient  à  Angers  ^. 

Une  autre  bande.  Avenue  peut-être  du  Poitou,  menaçait  les  envi- 
rons de  Saumur,  place  forte  appartenant  aux  Français.  Par  crainte 
des  ennemis,  on  détruisit  la  plus  grande  partie  du  prieuré  bénédic- 
tin de  Distré  ;  les  manoirs  et  les  maisons  furent  incendiés  par  les 
ennemis  et  les  moines  furent  réduits  à  une  grande  détresse  ■\  Ceci  se 
passait  sans  doute  en  1359,  à  l'époque  où  Puy-Notre-Dame  était 
occupé  par  les  Anglais  qui  ne  Tévacuèrent  qu'après  le  traité  de 
Bretigny  en  1364  ^\  Sur  la  rive  gauche  de  la  Loire  était  encore 
Blaison,  occupé  dès  1358  par  des  Bretons  pillards  qui  fortifièrent 
l'église  ^.  L'abbaye  bénédictine  de  Bourgueil,  dont  l'église  fut 
presque  détruite  par  les  Anglais  en  1361,  était  déjà  alors  exposée 

1.  Voy.  JouDERT,  Les  invasions  anglaises  en  Anjou  au  XIV'  et  au  XV'  siècle  (1872), 
p,  26  suiv. 

2.  C.  Port,  Dictionnaire  hist.,  géogr.  et  hiogr.  de  Maine-et-Loire,  I  (1874),  Intro- 
duction, p.  XVI.  B.  Roger,  Hist.  de  V Anjou  (1852),  ne  donne  pas  des  renseignements. 
JouuERT,  I.  c,  p.  42,  est  ine.vact,  et  ne  fournit  pas  des  nouveaux  détails. 

3.  Port,  1.  c.,  II,  p.  552. 

4.  Gall.  christ.,  XIV,  n"  721. 

5.  Suppl.  Urb.  V,  n"  38,  fol.  56,  ad  an.  1363,  Aug.  25  :  «  B.  P.  cum  ecclesia  priora- 
tus  S.  Juliani  martiris  de  Ditreyo,  Ord.  S.  Ben.,  Andegaven,  dioc,  fuerit  pro  magna 
parte  prc  timoré,  quod  inimici  régis  et  regni  Francie  eam  fortificarent  destructa,  et 
domus  et  maneria  ipsius  prioratus  etiani  pro  niajori  parte  per  dictos  inimicos  coni- 
busta,  ac  rcdditus  et  proventus  ipsius  tam  propter  incursus  eorundem  inimicorum  et 
guerrarum  inibi  existentium,  quam  propter  pesles  mortalitatis  sunt  adeo  et  in  tan- 
tum  attenuati,  quod  nedum  ad  reparationem  premissorum,  sed  vix  ad  supportanda 
alia  onera  ipsi  prioratui  incumbentia  sufficere  possunt.  [De  indulgen  vix  tiis].  Fiat. 
B.   Dat.  Avinione  viij  kal.  Septembris  anno  primo.  » 

6.  Port,  1.  c.,  III,  p.  204;  Luce,  Du  Guesclin,  482. 

7.  Luce,  1.  c. 


292  LA    GLERKE    DE    CENT    ANS 

aux  ravag-es  ^  Il  n'est  pas  étonnant  que,  déjà  en  1358  le  diocèse  et 
la  ville  d'Angers  aient  reçu  la  bulle  Ad  j^eprimendas  contre  les 
brigands  -. 

Pendant  les  deux  années  avant  l'expiration  de  la  trêve  de  Bor- 
deaux, la  Bretagne^  si  troublée  jusqu'à  l'an  1347  3,  jouit  alors  d'une 
certaine  tranquillité,  et  cela  se  comprend  facilement.  Les  brigands 
avaient  peu  à  prendre  dans  un  pays  que  les  guerres  avaient  ruiné  ; 
une  foule  de  Bretons  quittaient  le  sol  natal  pour  aller  en  France 
chercher  fortune  dans  les  compagnies  de  routiers.  Edouard  III 
dit  le  1*^'"  mars  1358  qu'un  grand  nombre  de  ses  sujets,  hommes 
d'armes,  archers  et  autres,  résidant  en  Bretagne,  en  sortent  pour  aller 
guerroyer  et  piller  en  Normandie  malgré  sa  défense  expresse  ^. 
Mais  la  partie  de  la  Bretagne  qui  tenait  à  Charles  de  Blois  fut  alors 
plus  que  jamais  éprouvée  par  des  impôts  que  l'épuisement  du  pays 
rendait  encore  plus  lourds.  Charles  de  Blois  qui,  comme  nous 
l'avons  vu  ^,  avait  été  fait  prisonnier  par  les  Anglais  en  1347,  recou- 
vrit provisoirement  sa  liberté  en  1357  après  avoir  promis  de  payer 
une  rançon  de  700.000  florins  d'or,  pour  la  garantie  desquels  il  dut 
laisser  en  otage  ses  deux  lils  Jean  et  Gu}^  ^.  Charles  retourna  en 
Bretagne'^,  et  déjà  en  1357,  il  fît  deux  paiements  de  50.000  écus 
d'or  chacun  ^,  le  premier  à  la  Saint-Jean  et  l'autre  à  la  Toussaint  ; 
mais  il  était  dans  l'impossibilité  de  solder  la  somme  colossale  qui 
restait  encore.  Innocent  VI,  qui  s'était  intéressé  à  l'élargissement  de 
Charles  ^,  s'employa  encore  auprès  d'Edouard  III  pour  obtenir  une 
réduction.  A  cet  effet,  le  27  août  1358,  il  exposa  au  roi  d'Angle- 
terre les  motifs  de  sa  demande,  lesquels  étaient  suggérés  en  partie 
par  Charles,  Eloigné  de  ses  terres  et  prisonnier  au  milieu  d'enne- 
mis qu'il  redoutait,  le  duc,  dit  le  pape,  pour  recouAa^er  sa  liberté,  a 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  3  2663,  fol.  295. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  182. 

3.  Ci-dessus,  p.  144  suiv. 

4.  Rymer,  Foedera,  III,  p.  389. 

5.  Ci-dessus,  a.  51. 

6.  Voy.  le  traite  du  10  août  1356  dans  Rymer,  p.  336. 

7.  Pour  les  détails,  voy.  A.  du  la  Bordehie,  Études  historiques  bretonnes,  2^  sér. 
(1888),  p.  172  suiv. 

8.  Rymer,  p.  360,   382  :  25.000   nobles    chaque  fois.  Voy.   De  la    Borderie,    1.    c, 
p.  182. 

9.  Il  y  a  dans  les  Reg.  Vat.  plusieurs  lettres  concernant  cette  aflaire. 


TOUTE   LA    FRANCE    INFESTÉE,    1336    A    1360  293 

promis  une  somme  beaucoup  plus  élevée  que  son  patrimoine,  et 
bien  qu'il  en  ait  déjà  payé  une  partie,  il  est  incapable  d'acquitter  le 
reste  de  cette  dette  exorbitante  pour  laquelle  deux  de  ses  enfants 
sont  en  otage.  Innocent  VI  demande  donc  que  le  roi  veuille  bien 
réduire  la  somme  ou  reculer  les  termes  du  paiement  de  telle  sorte 
que  le  duc,  qui  est  un  prince  très  vertueux  et  Limousin  comme  le 
pape,  ne  soit  pas  forcé  d'aliéner  déplorablement  ses  terres,  ou  de  se 
parjurer,  ou  d'encourir  encore  quelqu'autre  peine  K  Et  en  effet,  à  ce 
môme  mois  d'août,  nous  voyons  que  la  triple  augmentation  des 
impôts  qui  opprimaient  aussi  les  ecclésiastiques  attirait  l'excom- 
munication sur  les  exécuteurs  des  ordres  de  Charles  de  Blois  '. 
L'effet  que  produisit  la  lettre  pontificale  nous  est  inconnu,  mais 

1.  Minute  très  fautive  clans  Beg.  Vat.,  n°  244  K,  ep.  233  :  «  Carissimo  in  Christo 
filio  nostro  Eduardo  régi  Anglie  illustri.  Sic  virtutum  doniinus  contemplator  omnium 
illustravit,  fîli  carissime,  obumbratione  sue  divine  gratie  mentem  tuam,  sic  illumi- 
nare  vidctiu'  regales  luos  magnificos  appetitus,  prout  letanter  audivimus  et  famé 
communis  assertio  multorum  fidcdignorum  testimonio  comniunita  jam  deducit  in 
publicani  notionem,  tibi  esse  summe  delectabile  ac  jocundum  ad  honorem  sui  nomi- 
nis,  quod  jugitcr  indefesse  intendere  cupias  operibus  pietatis  omnibus,  nedum  uni, 
per  quas  haberi  valeas  confîdenter  apud  Deum  antedictum  et  homines  in  perpetuum 
gloriosus.  Ex  parte  siquidem  dil.  filii  nob.  viri  Caroli  (ms.  :  Ludovici)  ducis  Britanie 
nobis  extitit  nuper  humiliter  supplicatum,  ut  cum  pridem  per  tuum  exercitum  esset 
captus  et  ad  rcgni  tui  partes  transmarinas  adductus,  jam  diu  captivatus,  redemptio- 
nem  ultra  vires  sui  patrimonii  nimium  excessivam  propter  sui  corporis  asse  quutio- 
nem  pristine  libertatis  dicilur  promississe,et  aliquam  illius  partem  eliam  persol visse, 
nonnullos  de  suis  liberis  innocentes  in  obsidionem  loco  sui  et  residui  dicte  fînantie 
supponcndo,  quamquam  ad  presens  reperire  dicatur  sibi  esse  quasi  impossibile  dic- 
tum  residium  sue  prefate  fînantie  persolvere  propter  nimietatem  primam  quam  pro- 
misit  ipse  timoratus  et  captivatus  inter  ejus  inimicos  et  in  remotis  partibus  tune 
detentus,  super  hiis  celsitudini  tue  scribere  dignaremur.  In  cujusmodi  fînantie  resi- 
dui moderatione,  quanta  laudis  preconia  omnibus  nationibus  certioratis  hujusmodi 
munificentiis  arridebunt.  In  cujusquoque  fînantie  resta  salubri  alleviatione,  per  quam 
exterminatio  vel  scissura  evitabitur  tanti  principis  virtuosi,  christianis  ut  in  plurimis 
{aie)  plene  noto  memoriale  spéculum  pietatis  et  aliarum  caritatis  operum  lîosteris 
transmissurum  dcscribcre  magnum  esset.  Quocirca  regiam  serenitatem  tuam  requiri- 
mus  et  hortamur  iUam  in  Domino  attentius  deprecantes,  quatenus  premissis  in  scri- 
nii  tui  regio  pectoralis  débita  consideratione  pensatis  ob  nostri  et  apostolice  sedis 
reverentiam  harumque  precum  cordialium  interventu  aliquam  quotam  reste  fînantie 
memorate  eidem  duci,  cui  affîcimur  velut  illi  de  cujus  Lemovicensibus  partibus  traxi- 
mus  ortum  nostrum,  moderari  juxta  sui  facultatum  suj^petcntias  jubeas  vel  remitti, 
aut  sic  propitiabiles  eidem  ad  solvendum  terminos  novos  dare,  quod  absque  aliena- 
tione  turpissima  terre  sue  et  perjurii  reatu  ac  alia  quaque  pena  fîdeliter  valeat 
adimplere  Deo  propitio  que  promisit  tibique  a  divina  nostri  clementia  plasmatoris 
repromittatur  gloria  perempnis  onmium  eternorum,  Dat.  Avinione  Yl  kal.  Scptem- 
bris  anno  sexto  ». 

2.  De  la  BoimERiE,  p.  182. 


294  LA  PtUErre  de  ce>t  ans 

nous  savons  que  le  duc  continua  à  chercher  de  l'argent  et  que  les 
100.000  florins  qu'il  envoya  en  iVngleterre  pour  le  troisième  pave- 
ment de  sa  rançon  furent  engloutis  dans  la  Manche  par  une  tem- 
pête^. Le  pauvre  prince  fut  obligé  de  recommencer  '-. 

Malgré  la  tranquillité  dont  il  est  parlé  ci-dessus,  il  restait  tou- 
jours en  Bretagne  quelques  bandes  de  routiers,  et  les  hostilités 
proprement  dites  y  recommencèrent  à  la  fin  de  la  trêve.  Ce  fut  une 
petite  guerre  dans  laquelle  l'avantage  resta  tantôt  au  parti  de  Blois, 
tantôt  aux  Anglais,  surtout  dans  le  Léon  ^.  Parmi  les  abbayes  alors 
occupées  était  celle  des  Bénédictins  de  Saint-Méen,  du  diocèse  de 
Saint-Malo,  d'où,  en  1359,  Du  Guesclin  ^  s'élança  furieux  contre  les 
Anglais  qui,  en  grand  nombre,  attaquaient  la  ville,  les  mit  en  fuite 
après  leur  avoir  repris  les  prisonniers  français,  tandis  que  le  capi- 
taine anglais  de  Ploërmel,  Richard  Grenacre,  devenait  son  prison- 
nier •''.  Déjà  avant,  en  1358,  les  diocèses  et  les  villes  de  Saint-Malo 
et  de  Rennes  reçurent  d'Innocent  VI  la  bulle  Ad  reprimendas  contre 
les  bandes  qui  dévastaient  ces  régions,  les  églises  et  monastères  ^. 
Une  bulle  semblable  du  !(>  février  1359  nous  apprend  que  l'abbaye 
bénédictine  de  Saint-Sauveur  de  Redon,  du  diocèse  de  Vannes,  fut 
également  dévastée  par  les  routiers  "' .  C'est  sous  l'abbé  Jean  de 
Tréal  que  les  bandes  pillèrent  l'église,  dérobèrent  à  la  sacristie 
l'argenterie,  enlevèrent  les  meubles  de  l'abbaye,  chassèrent  les 
moines,  se  saisirent  de  la  personne  de  l'abbé  et  de  celle  de  quelques 
autres  religieux  ;  elles  s'emparèrent  des  terres  et  possessions  de 
l'abbaye,  chassèrent  les  fermiers,  ravirent  tout  ce  qu'elles  trou- 
vèrent et  se  permirent  toutes  les  insolences  qu'on  peut  imaginer  ^. 


1.  Fouéré-Macé,  Le  prieuré  royal  de  S.  Maglnire  de  Lehon  (Rennes,  1892),  p.  76, 
place  ce  fait  avant  1350. 

2.  De  la  BoKDF.iuK,  p.  183. 

3.  Pour  les  détails,  voy.  ibid.,  p.  181  suiv. 

4.  Du  Guesclin,  le  fidèle  serviteur  de  Charles  de  Blois,  fut  fait  chevalier  vers  juillet 
1357,  et  c'est  peut-être  Charles  de  Blois  même  qui  ceijïnit  de  l'épëe  le  futur  connétable 
de  Charles  V.  Lemoine  dans  Bibl.  de  i École  des  chartes,  t.  LVI,  p.  88. 

5.  LuoE,  Du  Guesclin,  p.  313  suiv. 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  182.  La  bulle  est  de  même  teneur  que  celle  adressée  à 
Autun,  ci-dessus,  p.  24". 

7.  Ibid..  p.  183.  La  teneur  de  la  bulle  est  comme  celle  rapportée  ci-dessus,  p.  183, 
note  1. 

8.  Coinsox,  (^arluhtire  de  rn})h:n/e  de  Bedon  (1863^,  p.  i.vi. 


TOUTE  LA  FRANCE  INFESTÉE,  4356  A  1360  29»^ 

Je  termine  ce  ta])leau  de  l'état  de  la  France  à  la  veille  du  traité 
de    Bretigny  par  la  Normandie^    nous   retournerons    aux    Ang-lo-     j 
Navarrais  que  nous  avons  laissés  dans  les  provinces  situées  autour 
de  Paris.  On  peut  imaginer  dans  quelle  condition    se  trouvait  cette 
vaste  province,  en  songeant  que  dès   13i6  elle  avait  été   déjà  plu- 
sieurs fois  envahie  par  les  armées  d'Edouard  III  et  du  duc  de  Lan- 
caster,  et  que  durant  les  années  qui  précédèrent  le  traité  de    Breti- 
gny,  les  Anglais  et  les  Navarrais  en  étaient  maîtres  d'une  grande 
partie.  Cette  situation  était  d'autant  plus  dangereuse   pour  les  Fran 
çais,    les  paysans   et  les  monastères   en    particulier,  que   dans  la 
haute  Normandie,  la  ville  de  Rouen  était  la  seule  place  fermée  et 
capable  de  tenir  tête   à   l'ennemi  ^,  que  la   Basse-Normandie  avait 
continuellement  sur  le  dos,  puisque,  dès  1356,  le  Cotentin  était  au 
pouvoir  des  partisans  du    roi  de  Navarre  et  des  Anglais-.  A  tout 
cela   s'ajoutaient  les  factions,  les  divisions   intestines  et  les   aspi- 
rations de  Charles  le  Mauvais,  à  ([ui  appartenait  presqu'un  tiers  de 
cette  province. 

La  ville  de  Rouen  d'abord  très  agitée  se  calma  jusqu'au  moment 
où  elle  se  battit  pour  le  régent.  La  commune  luttait  depuis  long- 
temps avec  violence  contre  les  corporations  religieuses  comme 
Saint-Ouen  et  Fécamp^'.  En  1358,  elle  se  proposa  de  démolir  le 
prieuré  bénédictin  de  Saint-Gervais  dépendant  de  l'abbaye  bénédic- 
tine de  Fécamp,  alléguant  qu'il  pouvait  servir  d'asile  aux  ennemis 
dont  on  redoutait  toujours  l'attaque.  Mais  ce  n'était  qu'un  prétexte 
et  le  prieur  l'avait  bien  compris  lorsqu'il  implorait  à  ce  sujet  l'inter- 
vention d'Innocent  VI.  Le  7  mai  1358,  le  pape  essayait  de  calmer 
la  commune  et  la  priait  de  respecter  un  bien  que  les  guerres  avaient 
jusque-là  laissé  intact;  le  9  mai,  il  écrit  dans  le  même  sens  au  dau- 
phin, au  roi  de  Navarre  et  à  quelques  hauts  personnages  de 
Rouen  ^,   mais   ce  fut  sans   succès.    Les    bourgeois    détruisirent   le 


1.  Voy.  Chkuuel,  Hist.  de  Rouen  pendnnt  l'éprxiue  commnnnle.  II.  p.  222. 

2.  Cf.  ci-dessus,  p.  111,  lii. 

3.  CinhirF.L,  1.  c,  p.  120  suiv..  136  suiv. 

4.  Minute  clans  les  Reg.  Vat.  n"  2  44  K,  ep.  IGfi.  Le  coninicnccment  manque.  Mais  la 
lettre  est  bien  écrite  à  là  commune  de  Rouen  :  «  Beniji^nilas  ..  sane  nuper  ad  nostri 
audienliain  per  dil.  fdiuni  Amelium  Miloncni,  pi'iorem  j^rioratus  saiicli  (îervasii 
juxta  Rothomaj^uni,  a  monaslirio  FiscanniMi.  ad  nos  abscpie  niedio  pertinente  O.  S. 
H.  Rothomaf:en.  dioc.  dependente,  cuni  tletihus  et  suspiriis  est  perductuni,  quod  non- 


296  LA   GUERRE    DE    CENT    ANS 

monastère  de  fond  en  comble  i.  C'est  seulement  en  1361  que 
Charles,  duc  de  Normandie,  jDrêta  son  appui  pour  relever  les  bâti- 
ments -.  La  population  rouennaise  était  aussi  irritée  contre  plusieurs 
seigneurs  féodaux.  Elle  attaqua  le  château  de  Jean  de  Biville  et  le 
brûla  avec  tout  ce  qu'il  renfermait  ^.  De  plus,  Rouen  avait  dange- 
reusement pris  parti  pour  le  roi  de  Navarre  et  les  Parisiens  ^,  mais 
après  l'avoftement  du  complot  à  Paris,  les  habitants  s'empres- 
sèrent de  traiter  avec  le  régent.  Dès  septembre  1358,  la  réconcilia- 
tion était  complète  et  leurs  deux  causes  n'en  faisaient  plus  qu'une  ^. 
Néanmoins,  la  situation  devenait  critique  par  suite  des  conti- 
nuelles incursions  des  Anglais  et  des  Navarrais,  et  par  le  voisinage 
de  leurs  partisans.  Non  contents  de  ravager  le  pays,  les  Navarrais 
interceptaient  aussi  la  navigation  de  la  Seine  et  entravaient  le  com- 
merce de  Rouen,  car  Mantes  et  Meulan  étaient  en  leur  pouvoir  6. 

nuUi  (qui  si  ad  illum,  prout  ipsos  habere  decei'et,  haberent  respectum,  in  cujus  manus 
potentatum  omnium  potestatcs  persistunt...  studerent  forsitan  plusquam  faciant 
complacere,  non  solum  ecclcsias,  prioratus,  pia  loca,  eL  proximum  non  ofï'enderet...) 
nichilominus  tamen  prioratum  de  sancLo  Gervasio  memoratum  locum  pium...  divine 
cultui  citra  memoriam  dedicatum  ab  antiquis  parentibus  constructum,  fundatum  suis 
propriis  substantiis  et  dotatuni,  nituntur  et  satagunt  ex  diversis  hujusmodi  guerra- 
rum  Deo  et  mundo  ac  nobis  summe  displicibilium  facere  demoliri  in  nervi  discipline 
ecclesiastice  ruptionem  et  dicti  sacri  loci  subversionem  ac  Ordinismemorati  irrestau- 
rabilem  lesionem  atque  cleri  totius  dispendium  et  jacturam.  Super  quo  dictus  prior 
instantius  supplicavit  sibi  et  dicto  prioratui  de  oportuno  remedio  provideri.  Nos  igi- 
tur...  universitatem  vestram  rogamus,.,  quatenus...  memoratum  prioratum  cum  sibi 
adherentibus  offîcinis  ;  qui  hactenus  [per]  guerrarum  ingruentias  non  extitit  dcmoli- 
tus,  manutenere  et  illibatum  propitiabilius  observare  absque  demolitione  qua- 
cunque...  Datum  Avinione  nonis  Maii  anno  sexto  ».  Ensuite  on  trouve  les  autres 
adresses  :  Dil.  fil.  nob  viro  Karolo  duci  Normanie...  «  Benignitas  »,  etc.  usque  «  gene- 
retur  »,  etc.  Dat.  Avinione  vij  idus  Maii  anno  VI.  In  eod.  modo  cariss°  in  Christo 
fil.  Karolo  régi  Navarre  illustri...  In  eod.  modo  dil.  fil.  nob.  viro  Jacobo  Lelier  domi- 
cello  majori  Rothomagen...  Datum  ut  supra.  In  eod.  modo  dil.  fil.  Guillelmo  Richier, 
bailivo  Rothomagen...  In  eod.  modo  dil.  fil.  nob.  viro  Johanni  Le  Bondiem  militi, 
domino  de  Lense,  capitaneo  Rothomagen.  » 

1.  Ghéruel,  1.  c,  p.  199.  Les  autres  églises  de  Rouen  étaient  moins  molestées.  Cf. 
par  exemple  Glanville,  Hist.  du  prieuré  de  Saint-Lô  de  Rouen  (1890),  I,  p.  195  suiv. 

2.  Chéhuel,  1.  c.,p.  206. Voy.  (Du  PLEssis),La //aufe  A^ormandte  (1740),  II,  p.  117  suiv. 

3.  Ghéruel,  p.  200. 

4.  Voy.  ci-dessus  p.  154  suiv.,  158. 

5.  Ghéruel,  p.  202  à  204. 

6.  Jean  de  Venette,  p.  276;  Froissart,  p.  162,  et  ci-dessus,  p.  219.  Jean  de 
Venette  dit  encore  qu'aussi  Vernon  fut  fortifié  par  Charles  le  Mauvais.  Voy.  Frois- 
SART,  1.  c.  Mais  il  semble  que  Vernon  n'appartenait  pas  au  roi  de  Navarre;  cette  ville 
était  au  pouvoir  du  roi  de  France.  Voy.  E.  Meyer,  Hist.  de  la  ville  de  Vernon  (Aux 
Andelys  1877),  I,  p.  150. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13S6    A    1360  297 

Cependant  les  habitants  de  Rouen  poursuivaient  les  ennemis  avec 
acharnement.  Si  les  communications  entre  Rouen  et  Paris  furent 
plus  tard  rétablies,  on  le  dut  à  l'énergie  des  bourgeois  de  Rouen  i. 
Mais  la  ville  de  Rouen  étant  fortifiée,  les  ennemis  ne  pouvaient 
s'en  emparer.  Le  sort  des  autres  lieux  était  bien  différent.  Après 
que  l'abbaye  bénédictine  de  Jumièges  chargée  d'impositions 
à  cause  de  la  guerre,  eût  vu,  en  1358,  presque  tous  les  biens 
qu'elle  possédait  du  côté  de  Mantes  et  de  Meulan  ravagés  par  les 
Navarrais,  elle  fut  elle-même  surprise  et  envahie  la  même  année  par 
un  parti  de  huit  cents  hommes  qui  la  pillèrent  pendant  six  jours 
entiers  :  les  moines  furent  à  peu  près  réduits  à  la  dernière  misère. 
Plusieurs  d'entre  eux  abandonnèrent  le  monastère  et  l'abbé  se 
retira  à  Rouen  dans  leur  hôtel  Saint-Philibert  de  la  rue  de  la 
Poterne.  L'abbaye  demeura  un  certain  temps  presque  déserte, 
quelques  jeunes  religieux  seulement  restaient  encore.  La  culture  de 
leurs  terres  fut  ensuite  tellement  négligée  que  le  nécessaire  même  fît 
défaut  2.  Les  environs  du  monastère  bénédictin  du  Bec,  depuis  long- 
temps en  disette  •'^,  étaient  toujours  infestés  par  les  ennemis.  De  peur 
qu'ils  ne  fissent  de  ce  monastère  une  place  de  défense,  Louis  d'Har- 
court,  lieutenant  du  roi  Jean  en  Normandie,  envoya,  en  1359,  l'ordre 
de  démolir  l'église  abbatiale  qu'un  incendie  avait  détruite  en  1264 
et  qui  avait  été  relevée,  achevée  et  consacrée  seulement  en  1342  ^. 
Heureusement,  cette  mesure  ne  fut  pas  exécutée  ;  mais  on  entoura 
l'abbaye  d'un  retranchement  et  d'une  muraille  pour  que  les  ennemis 
ne  pussent  s'en  rendre  maîtres.  Trois  côtés  du  cloître  et  une  partie 
du  dortoir  qui  étaient  contigus  au  chapitre  furent  rasés  :  les  moines 
étaient  obligés  de  prendre  leur  repos  soit  dans  les  chapelles,  soit 
dans  l'église  déjà  remplie  d'une  foule  de  choses  que  les  habitants  du 
voisinage  venaient  y  abriter.  Les  revenus  du  monastère  furent 
employés  à  entretenir  une  garnison  de  gens  d'armes  '.  La  sacristie 

1.  Jean  de  Venette,  p,  330. 

2.  Hist.  de  Vahbaye  de  Sainl-Pierre  de  Jumièges,  par  un  rel.  bénédictin,  pul^l.  par 
J.  LoTH  (1884),  II,  p.  95,  97  suiv.,  99.  Cf.  Deshayes,  Ilisl.  de  labbaye  de  Jumièges 
(1829),  p.  85  suiv.  Les  moines  furent  encore  plusieurs  fois  obligés  de  quitter  leur 
monastère.  Voy.  Demfi.e,  La  désolation  des  églises,  I,  n°  1050. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  39. 

4.  BouRGET,  Hist.  de  Vabbaye  du  Bec^  dans  Mém.  de  la  soc.  des  antiquaires  de  Nor- 
mandie, t.  XII,  p.  378,  38J. 

5.  MoNSTiER,  Neustria  pia,  p.  467,  d'après  les  sources  citées  en  marge  :  «  Ludovi- 


298  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

tenait  lieu  de  chapitre  qui  était  lui-même  transformé  en  moulin, 
four  et  grenier  K  A  tous  ces  dommages,  désordres  et  frais  énormes 
s'ajoutaient  les  pillages,  les  rançons,  Tincendie  et  le  ravage  des 
meilleures  granges  de  l'abbaye.  En  1363,  le  monastère  était  telle- 
ment appauvri  et  réduit  à  une  si  grande  misère  qu'il  se  contenta  de 
l'incorporation  d'une  paroisse  pour  améliorer  un  peu  sa  situation  ~. 
L'abbaye  bénédictine  de  Saint-Georges  de  Boscherville -^  était, 
comme  le  Bec,  occupée  par  les  Français.  L'abbaye  des  Prémontrés 
de  Séry-au-Prés  qui,  tout  en  faisant  partie  du  diocèse  d'Amiens, 
était  située  juste  à  la  frontière  de  la  haute  Normandie,  n'était  pas 
moins  exposée  et  troublée  en  1358  et  1359  parce  qu'elle  était  voi- 
sine de  Blangy,  ville  normande  où  se  tenaient  les  Anglais  ;  bientôt 

eus  de  Haricuria,  Normaniae  gubernator  j^eneralis,  jussit,  nomine  régis,  ut  ecclesia 
abbatialis  Beccensis,  quae  nuper  dedicata  erat,  penitus  everteretur,  aut  saltem  agge- 
ribus  muniretur,  in  patriae  tuitionem.  Quapropter  oportuit  eam  munire  cum  capi- 
tule adjacenti,  et  capellas  circa  chorum  et  alias  aperturas  lapidibus  obstruere  : 
ipsumqvie  capitulum  cum  turribus,  propugnaculis  circundare,  propter  quod  oportuit 
demoliri  quandam  partem  dormitorii,  et  tria  latera  claustri  ;  oportuit  etiam  religiosos 
dimittere  dormitoriuni  et  eos  partim  pausare  infra  ecclesiam  supra  revestiarium, 
caeteros,  scil.  officiarios  et  seniores,  in  capellis  extra  chorum;  et  ipsa  ecclesia  omnino 
occupata  fuit  tuguriis  et  rébus  ibi  repositis  ad  conservandum  ab  omnibus  vicinis,  in- 
super et  de  redditibus  monasterii  fiebat  solutio  stipendiorum  militarium  ;  quae  omnia 
maximum  damnum  monasterio  attulerunt  ».  Bouroet,  1.  c,  p.  381,  s'est  servi  des 
mêmes  sources,  ou  seulement  de  Monstier.  Tous  deux  ont  placé  cet  événement  à  l'an 
1356.  Mais  c'est  seulement  le  28  mars  1359,  que  Louis  d'IIarcourt  fut  nommé  lieute- 
tenant  pour  le  roi  dans  les  bailliages  de  Rouen,  Caux,  Caen  et  en  Cotentin.  Skcousse, 
Hisl.  de  Charles  le  Mauvais,  Preuves,  p.  134  suiv.  Peut-être  que  l'abbé  Robert  de 
Rôtes  a  commencé  de  fortifier  l'abbaye  avant  que  Louis  d'Harcourt  ne  fût  lieutenant. 
Sur  les  remparts  de  l'enceinte,  j)lus  tard  formidables,  voy.  Mém.  et  notes  de 
M.  Auguste  le  Prévost  pour  servir  h  l'hist.  du  départ  de  VEure,  éd.  Delisle  et 
L.  Passy  (1862  suiv.),  I,  p.  230. 

1.  BOURGET,  1.  c,   p.  382. 

2.  Suppl.  Urb.  y,  n°  38,  fol.  198'',  ad  an.  1363,  Octob.  18  :  «  Significant  S.  V.  devoti 
oratores  vestri  abbas  et  conventus  monasterii  Beccen.  O.  S.  B.,  Rothomag.  dioc,  quod 
ipsi  sunt  propter  guerras  in  partibus  Normannie  vigentes,  et  ({ue  longo  tempore 
viguerunt,  tam  depauperati  quod  vix  possunt  vitam  suam  de  presenti  sustinere; 
quare  compulsi  fuerunt  facere  fortalitium  in  suo  monasterio  suis  propriis  expensis, 
et  inibi  tenere  homines  armatos  ad  eorum  stipendia,  et  cum  hoc  rancionati,  depredati 
et  in  meliori  parte  grangiarum  et  maneriorum  combusti.  Quare  supplicant  E.  V.  qua- 
tenus  ad  sublevationem  premissorum  parrochialem  ecclesiam  sancti  Pétri  de  Monte- 
forti  cum  capella  béate  Marie  sita  in  cimiterio  dicte  ecclesie  predicte  dioc.  ...  ad 
mensam  abbatis  et  conventus  predictorum...  annectere  dignemini.  —  Fiat  ad  octo 
annos.  B.  Dat.  Avinione  xv  kal.  Novembris  aono  primo. 

3.  Seine-Inférieure.  Mal  placé  par  Lucr,  Du  Guesclin,  p.  473,  dans  le  départ,  de 
l'Eure.  Devu.le,  Essai  hisi.  et  descriptif  sur  Véglise  et  Vabhaye  Saint-Georges,  etc. 
(1827),  p.  44,  ne  donne  pas  de  renseignements  sur  ce  sujet. 


TOUTE    LA    FFUNCE    INFESTÉE,    13^6    A    1360  299 

l'abbaye  même  fut  occupée  par  les  Français  lorsque  ceux-ci  assail- 
lirent les  Ang-lais  à  Blang-y  K 

Évreux  fut  pris  par  les  Français  en  135().  Nous  avons  déjà  parlé 
du  désastre  qui  fondit  sur  cette  ville  et  sur  les  établissements  ecclé- 
siastiques -.  L'évêque  vint  se  réfug-ier  à  Vernon  avec  son  chapitre, 
et  y  célébra  pendant  un  an  l'ofTice  divin  dans  l'église  Notre-Dame  3. 
Avant  le  mois  de  septembre  1338,  Evreux  avec  le  château  tomba 
une  autre  fois  au  pouvoir  des  Navarrais  par  trahison  ^  et  leur  resta 
jusqu'en  1364.  Dans  cette  même  année  de  1358  ou  dans  celle  qui  suivit 
plusieurs  autres  places  ou  lieux  furent  pris  par  les  ennemis  dans  le 
diocèse  d'Evreux  \  L'abbaye  bénédictine  de  Couches  fut  pillée  et 
incendiée  par  les  Anglais  en  1357  ^\  Beaucoup  de  villes  furent 
comme  Evreux  prises  et  reprises,  et  c'était  leur  ruine  lors  même 
qu'elles  retombaient  au  pouvoir  des  Français  ;  car,  soit  que  ces  derniers 
entrassent  dans  une  ville  en  vainqueurs  ou  qu'ils  en  fussent  chassés 
par  l'ennemi,  ils  se  livraient  au  pillage  et  à  la  dévastation  aussi 
bien  que  les  Anglais  et  les  Navarrais.  Et  avec  quelle  activité  des 
bandes  anglaises,  navarraises  et  françaises  couraient  entre  Evreux, 
Lisieux,  Rouen,  Pont-Audemer  et  Honfleur!  Dès  13o6,  ces  expé- 
ditions s'étaient  multipliées  à  un  tel  point  que  les  chroniqueurs  n'en 
auraient  pu  suivre  les  traces  ~. 

Non  loin  de  Pont-Audemer,  qui  appartenait  déjà  au  diocèse  de 
Lisieux,  était  l'abbaye  bénédictine  de  Notre-Dame-de-Préaux, 
laquelle  avec  ses  murailles  et  ses  tours  fut  entièrement  détruite 
vers  1 358  ;  les  flammes  consumèrent  tout  le  mobilier,  et  les  moines 
furent  dispersés  8.  L'abbaye  bénédictine  de  Gormeilles  entre  Lisieux 
et  Pont-Audemer  ne  fut  pas  prise  par  les  Anglais   seulement  dès 

1.  Chron.  des  quatre  premiers  Vnlois,  p.  101,  103  suiv. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  111, 

3.  Gull.  christ.,  XI,  p.  597  ,  E.  Meykr,  Hist.  de  la  ville  de  Vernon,  I,  p.  150, 

4.  LiJCF  dans  Fuoissaht,  p,  xxiii,  not,  2,  Lf  Brasseur,  Hist.  du  comté  d  Évreux, 
p.  2iS,  en  suivant  Froissart,  place  mal  la  reprise  dÉvreux  à  l'an  1356  ou  1357, 

5.  Voy.  LucE,  Du  Guesclin,  p,  472  suiv, 

G,  Gall.  christ.,  XI.  63S.  641  :  .l/em.  et  notes  de  M.  Auguste  le  Prévost,  etc.,  I, 
p.  526. 

7,  Voy.  A,  Caxki.,  Hist.  de  la  ville  de  Pont-Audemer  (Pont-Audemer.  1885)  I, 
p,  76.  La  condition  pénible  de  ces  contrées  est  décrite  dans  Chron.  normande  de 
P.  Cochon,  éd.  Beauuepaire,  p,  102, 

8,  La  Roque,  Hist.  de  la  maison  d'Harcourt  (1662\  t.  III,  p,  20,  d'après  une  chro- 
nique du  monastère,  Cf,  encore  Chron.  des  quatre  pî'emiers  Valois,  p.  108, 


300  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

1362  ^;  ceux-ci  l'occupaient  en  grand  nombre  même  avant  le  traité 
de  Bretigny  -.  En  1362  ce  ne  fut  qu'un  nouvel  envahissement  à  la 
suite  duquel  cette  abbaye  fut  complètement  dévastée  et  détruite. 
La  disparition  des  moines  eut  jDrobablement  lieu  auparavant  3,  et  ce 
n'est  qu'après  1374  qu'ils  fortifièrent  le  monastère.  Au  Sud-Ouest 
nous  trouvons  la  ville  de  Bernay ,  assiégée  et  prise  en  1 3S7  par  Charles 
le  Mauvais,  dont  les  troupes  occupèrent  et  fortifièrent  l'abbaye 
bénédictine  qui  y  était  située.  L'église  paroissiale  de  Sainte-Croix 
fut  entièrement  détruite  pendant  le  siège  ^.  La  partie  méridionale 
de  Lisieux  n'était  pas  plus  fortunée.  Nous  avons  vu  '^  que  dès  le 
commencement  de  la  guerre,  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Evroult 
avait  perdu  les  revenus  qu'elle  tirait  d'Angleterre;  en  1357,  elle 
tomba  dans  un  état  désastreux.  Le  monastère  et  les  manoirs  furent 
brûlés  et  détruits;  les  moines,  alors  au  nombre  de  quarante,  et  tous 
les  sujets,  fermiers  et  autres  qui  étaient  redevables  au  couvent, 
s'enfuirent  dans  les  villes  fortifiées;  puis,  en  1361,  une  épidémie 
survint.  La  misère  augmentant  toujours,  en  1367  le  couvent  fut 
réduit  à  la  dernière  extrémité  ^.  A  quoi  avait-il  servi  qu'Edouard  III 


1.  Voy.  Delisle,  JTis^.  du  château  et  des  sires  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte,  p.  125; 
LucE,  Du  Guesclin,  p.  361,  472. 

2.  Cela  résulte  de  la  lettre  de  rémission  du  mois  d'octobre  1375,  publiée  par  Canel, 
Lettres  sur  Vhist.  de  Normandie  (Pont-Audemcr  1835),  p.  100  suiv.  ;  Hist.  de  la  ville 
de  Pont-Audemer^  p.  76  suiv.  Les  deux  périodes,  avant  et  «  après  la  paix  du  roy  de 
France  et  du  roy  de  Navarre  et  des  An^iois  »,  y  sont  nettement  distinguées.  A  coup 
sûr  les  Anglais,  après  le  traité,  quittèrent  labbaye  un  moment  pour  la  prendre  une 
autre  fois  en  1362,  ce  qui  résulte  de  la  lettre  publiée  dans  la  note  suivante. 

3.  Suppl.  Urb.  V,  n°  35,  fol.  101,  ad  an.  1363,  Januarii  18  :  «  Supplicant  S.  V.  et 
exponunt  vestri  humiles  et  devoti  pauperes  oratores  abbas  et  conventus  monasterii 
B.  Marie  de  Cormeliis,  Ord.  S.  Ben.,  Lexovien.  dioc,  de  novo  per  societatem  depre- 
datorum  regni  Francie  totaliter  deslructi  ac  cum  pertinentiis  redditibus  et  juribus 
devastati,  ut  inibi  possit  aliquod  edificium  rcfundari  religiosique,  modo  dispersi, 
congregari  simul  servituri  Jesu  Christo...,  sicut  prius  in  dicto  monasterio  fuerat  con- 
suetum,  [de  indulgentiis].  Dat.  Avinione  xv  kl.  Febr.  anno  primo  ». 

4.  Mém.  et  notes  de  M.  Auguste  le  Prévost,  I,  p.  299  ;  A.  Goujon,  Hist.  de  Bernay 
et  de  son  canton  (1875),  p.  139.  D'un  autre  côté  on  lit  dans  la  Chron.  des  quatre  pre- 
miers Valois,  p.  88,  que  Philippe  de  Navarre  a  pris  la  ville  et  l'abbaye  de  Bernay 
après  le  1"  août  1358.  Ce  n'est  pas  exact  ;  la  ville  était  déjà  auparavant  prise  par  les 
Navarrais. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  74. 

6.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n°  256,  fol.  25,  ad  an.  1367,  Januar.  14  :  «  Universis  Christi 
fidelibus,  etc.  Ecclesiarum  et  monasteriorum,  etc.  Cum  itaque  sicut  accepimus 
monasterium  Ebrulphi,  Ord.  S.  Ben.,  Lexovien.  dioc,  et  maneria  ad  ipsum 
monasterium  spectantia,  jam  sunt  decem  anni  elapsi,  occasione  guerrarum  que  in 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    1356    A    1360  301 

ait  mis  ce  pauvre  monastère  sous  sa  sauvegarde  le  1''^'  mai  1338  i? 
La  ville  de  Lisieux  dont  les  habitants  avaient,  en  1356,  à  l'approche 
du  duc  de  Lancaster,  abandonné  leurs  maisons  bourg-eoises  et 
s'étaient  réfugiés  dans  des  baraques  au  pied  du  mur  de  la  forte- 
resse-,  cherchait  à  s'assurer  contre  les  incursions  ;  en  1357,  l'évêque 
Guitard  fit  réparer  les  murailles  qui  entouraient  la  ville  ^. 

A  mesure  qu'on  avance  vers  l'ouest,  la  situation  devient  de  plus 
en  plus  déplorable.  L'Anglais  Jean  Standon  occupait  la  Ferté-Fres- 
nel  de  1358  à  1360;  Domfront,  Messei  et  d'autres  places  fortes 
étaient  déjà  dès  1356  au  pouvoir  des  Anglais.  En  1357,  une  garnison 
ennemie  s'emparait  du  château  de  Mortagne  du  diocèse  de  Séez  ^. 
L'église  collégiale  de  Toussaints  fut  grandement  appauvrie  et  enfin 
ruinée  -^  Je  parlerai  au  chapitre  V  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint- 
Martin  de  Séez,  car  quoiqu'elle  fût  déjà  avant  1360  occupée  par  les 
Anglais,  c'est  seulement  en  1362  qu'arriva  le  désastre.  Non  loin  de  là 
était  l'abbaye  des  Prémontrés  de  Silli-en-Goulfern  occupée  par  les 
Anglais  de  1359  à  1364,  les  religieux  durent  quitter  le  monastère 
comme  il  arrivait  toujours  en  pareil  cas.  Pendant  ce  temps,  le  siège 
fut  mis  devant  cette  place  par  les  Français  ^',  l'abbaye  fut  détruite 
avec  ses  dépendances  ;  ses  ornements  et  ses  biens  furent  spoliés  au 
point  que  le  24  février  1364  les  religieux  dénués  de  tout  n'étaient 

illis  partibus  pcr  dictum  tcmpus  et  ultra  viguerunt  penitus  fuerint  et  sint  combusta 
et  destructa,  ac  deindc  abbas,  qui  tune  crat,  et  dil.  fdii  nionachi  ipsius  monasterii, 
qui  tune  ilîideui  fjuadraginta  numéro  existebant,  ncc  non  omnes  tam  censuales  et 
fcudatarii  quam  alii  subditidicti  monasterii  (cui  per  coscensus  annui  del^el^antur,  ex 
quibus  predicti  abbas  et  monachi  sustentabantur)  ad  alia  loca  et  fortalitia  fugie- 
runt,  tantaque  damna  proptcr  hujusmodi  gucrras  et  mortalitates  ultimo  preteritam 
in  posscssionibus,  iVuctibus,  l'cdditilîus  ejusdem  monasterii  sustinuerunt,  quod 
monasterium  ipsum,  in  quo  sicut  asseritur  intercessionibus  dicti  sancti  multa  (iebant 
miracula,  ac  pietatis  et  misericordie  opéra  exercebantur,  absquc  fidelium  elemosinis 
reparari  non  potcst...  [De  indulgentiis  et  eleemosynisj.  Dat.  apud  Montempessula- 
num,  Magalonen.  dioc.,  xviiij  kal.  Februarii  anno  quinto.  »  Ce  n'est  donc  pas 
seulement  en  1362,  comme  aflîrnie  Luce,  Du  Guesclin,  p.  360,  que  Tabbaye  fut  mise 
à  sac. 

1.  Rymer,  Foedera^  III,  p.  391. 

2.  De  la  Rue,  I\'oiiveaux  essais  hist.  siu^  la  ville  de  Caeii  et  de  son  arrondissement 
(Caen  1842),  II,  p.  218. 

3.  L.  DU  Bois,  Hist.  de  Lisieux  (1845),  I,  p.  125. 

4.  Luce,  1.  c,  p.  280,  494,  495. 

5.  Reg.  Val.  Grecjor.  XI,  n°  282,  fol.  46,  ad  an.  1371,  Maii  22.  L'église  était  encore 
dans  le  môme  état  en  1448.  Voy.  Demkle,  La  désola  lion  des  églises,  I,  n"  240. 

6.  Daprès  la  Chron.  norni.,  p.  157,  entre  1360  et  1363. 


302  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

pas  encore  rentrés  en  possession  de  leur  terrain  ^ .  Ce  n'est  que  plus  de 
vingt  ans  après,  en  1386,  qu'on  commença  à  rebâtir  Tég-lise  et  le 
monastère  '^.  Le  prieuré  de  Notre-Dame  de  Bon-Repos  •' qui  était  une 
des  dépendances  de  cette  abbave  fut  également  détruit  de  fond  en 
comble  par  les  ennemis  ^.  Le  bois  de  Gouffern  qui  s'étendait  jadis 
depuis  Falaise  jusqu'au  delà  d'Argentan  et  de  Silli  ^  était  un  récep- 
tacle fameux  de  troupes  ennemies.  Dans  Gouffern  étaient  encore 
situées  les  abbayes  de  Saint-André  en  Gouffern  et  de  Sainte-Mar- 
guerite-Vignats  de  Gouffern.  La  première,  de  l'ordre  de  Citeaux, 
fut  occupée  et  fortifiée  par  les  Français,  mais  les  moines  n'eurent 
pas  pour  cela  un  meilleur  sort.  Quant  à  la  seconde,  nous  savons*^ 
que  par  suite  des  guerres  elle  était  déjà  dans  un  triste  état  en  13o5. 
Bientôt  le  désastre  vint  aussi  s'abattre  sur  l'abbaye  des  Prémontrés 
de  Saint- Jean  de  Falaise.  En  1350,  les  Anglais  qui  venaient 
du  Cotentin  s'avancèrent  jusqu'à  Falaise.  Ils  prirent  la  forteresse 
de  Neuvy  dont  le  seigneur  Jean  de  Long  fut  fait  prisonnier;  l'église 
et  les  maisons  furent  brûlées.  Ils  s'emparèrent  également  du 
prieuré  de  Royal-Pré  et  convertirent  l'église  en  citadelle  ^.  Les 
Français  les  en  chassèrent  dès  1357,  mais  ils  abattirent  l'église 
alin  qu'elle  ne  servît  plus  de  forteresse   aux  ennemis  ^.    La   même 


1.  Suppl.  Urh.  V,  n"  39,  fol.  240,  ad  an.  1364,  Februarii  24  :  <<  Significant  S.  Y.  humi- 
les  et  devoti  oratores  vestri  abbas  et  conventus  monasterii  B.  Marie  de  Siley,  Ord. 
Premonstraten.,  Sagien.  dioc.,  quod  non  ipsorum  culpa  aut  negli^entia  dictum 
monasterium  et  ejus  mcmbra  sunt  adeo  destructa  et  combusta  pcr  inimicos  régis  et 
regni  Francie,  quorum  aliqui  dictum  monasterium  occuparunt  et  occupant,  ac  etiam 
ornamenta  ccclesiastica  et  omnia  alia  bona  ibidem  existcntia  depredaverint  et  sibi 
appropriaverint,  ita  quod  dicti  religiosi  sunt  omnino  dissipati  et  denudati  nec  ad  dic- 
tum monasterium  dictis  inimicis  ibidem  existentibus  habitare  ausi  sunt,  et  eo  tune 
vacabundi  extiterint  dictumque  monasterium  reedificare  neque  illud  in  bonis  hujus- 
modi  restaurare  non  possunt  sine  sulï'ragio  et  gratia  apostolice  sanctitatis.  [De  indul- 
gentiis].  Dat.  Avinione  vij  kal.  Martii  anno  secundo  ».  Voy.  Recf.  Val.^  n°  254,  fol. 
263. 

2.  Gall.  christ.,  XI,  p.  759. 

3.  <i  Prioratus  B.  Marie  de  Requie  »,  place  par  Cassini,  n"  62,  entre  Fourches  et  Merri. 

4.  Supplique  du  prieur  Jean  Garin  dans  Suppl.  Urh.  \\  n"  40,  fol.  6'';  /îef/.  Vaf., 
n"  251,  fol.  277,  ad  an.  1364,  Febr.  26. 

5.  Voy.  Lanoevin,  Recherches  hist.  sur  Falaise  (Falaise  1814),  p.   120. 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  76. 

7.  De  la  Rue,  Nouveaux  essais  hist.  sur  la  ville  de  Caen  et  son  arrondissement, 
II,  p.  216.  Cet  ouvrage  est  plein  de  faits  tires  des  actes  authentiques,  qui,  malheu- 
reusement ne  sont  pas  cités.  L'ouvrage  n'a  paru  qu'après  la  mort  de  l'éminent  auteur. 

8.  Ibid.,  p,  221. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,     1356    A    1360  303 

année,  OU  déjà  en  1356,  l'abbaye  de  Saint-Jean  avec  toutes  ses  mai- 
sons fut  tellement  détruite  par  les  Anglais  que  les  religieux  n'y 
trouvant  plus  ni  logement  ni  vivres  erraient  dans  tout  le  pays  ;  plu- 
sieurs furent  emprisonnés  par  les  ennemis  K  L'abbaye  bénédictine 
de  Saint-Pierre-sur-Dives  vit  au  moins  ses  terres  occupées  et  dévas- 
tées par  les  ennemis  ~. 

Là  nous  entrons  dans  une  partie  de  la  Normandie  qui  fut  plus 
qu'aucune  autre  longtemps  dévastée  par  les  guerres.  Elle  forme 
actuellement  les  départements  dvi  Calvados  et  de  la  Manche  et  com- 
prenait alors  les  diocèses  de  Bayeux,  Goutances  et  Avranches.  Nous 
nous  occuperons  d'abord  du  diocèse  de  Bayeux.  La  misère  s'y 
aggrava  lorsqu'en  1356  le  duc  de  Lancaster  traversa  le  pays  avec 
une  double  armée  d'Anglais  et  Navarrais  '^  qui  commirent  d'in- 
croyables excès.  Ces  bandes  ne  se  contentaient  pas  d'assiéger  les 
villes;  elles  s'emparaient  des  bourgs,  surtout  des  places  isolées  au 
milieu  des  campagnes,  s'y  fixaient,  vivaient,  en  les  pillant,  aux 
dépens  des  communes  environnantes  et  tuaient  ceux  qui  voulaient 
résister.  Elles  voulaient  affamer  le  pays.  Les  habitants  des  paroisses 
de  Verson,  Mouen,  Baron,  Tourville,  Mondrainville,  Grainville, 
Noyers,  Lasson  et  de  beaucoup  d'autres  lieux  abandonnaient  leurs 
demeures  et  n'y  reparaissaient  souvent  qu'après  quinze  ou  seize  ans. 
Les  curés  s'enfuyaient  parce  que  l'ennemi  avait  pillé  les  églises  et  que 
les  paroisses  étaient  désertes.  Ainsi  il  n'y  avait  plus  ni  hommes, 
ni  bétail  et  la  culture  était  impossible.  11  a  été  constaté  qu'à  Saint- 
Jean-des-Essartiers,  les  habitants  ayant   été  faits    prisonniers   ou 

1.  Snppl.  Innocent.  VI,  n"  29,  fol.  94'",  ad  an.  1338,  Martii  20  :  «  Supplicant  S.  V... 
abbas  et  conventus  vestri  destructi  nionasterii  S.  Johannis  prope  Falesiam  Premons- 
trat.  Ord.  Sa^ien.  dioc,  quod  cuni  dictum  rnonasterium  domus  et  officine  ejusdem 
propter  ^uei  ras  luerint  adeo  destructe  quod  il)idem  aliquod  habitaculuni  non  reman- 
sit,  in  quo  dictus  conventus,  etiani  propter  defectum  victualium,  valeat  conversare, 
ymnio  oportuit  quod  pi-opter  necessitatem  et  penuriam  vacabundi  per  patriam  ince- 
dant,..  alii  vero  in  carceribus  Anglicoi'um  captivi  et  miseri  detinentur  [De  indulgen- 
tiis  cum  elceniosynis].  —  Fiat  de  uno  anno  et  XL  diebus.  G.  —  Sine  alia  lectione  et 
gratis  pro  Deo  —  Fiat.  G.  Dat.  Avinione  .\iij  kaL  Aprilis  an.  VI  ».  Voy.  Reff.  Vat., 
n"  233,  foL  48L  Luce,  Du  Guesclin,  p.  467,  place  l'occupation  de  cette  abbaye  par 
l'ennenii  au  mois  d'août  1358.  Mais  au  mois  de  mars  elle  était  déjà  détruite,  et  la  date 
des  événements  est  toujours  au  moins  de  quelques  mois  antérieure  à  la  date  des  sup- 
pliques ou  des  bulles.  C'est  en  J357,  sinon  en  1356,  que  l'abbaye  fut  prise  par  les 
Anglais. 

2.  Gall.  christ.,  XI,  p.  729. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  109  suiv. 


304  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

s'étant  enfuis,  les  terres  ne  furent  plus  labourées  de  1356  à  1368,  c'est- 
à-dire  pendant  douze  ans  K  Ruinés  par  la  guerre,  les  contributions 
extraordinaires,  la  cherté  universelle  des  vivres  et  l'interruption 
du  commerce,  les  monastères  gémissaient  sous  le  poids  des  mêmes 
misères. 

Les  abbaj^es  et  leurs  dépendances  étaient  occupées  tantôt  par  les 
ennemis,  tantôt  par  les  Français.  Dans  tous  les  cas  les  religieux 
étaient  obligés  de  prendre  la  fuite  ou  d'interrompre  le  culte 
divin.  Dès  1357,  l'abbaye  des  chanoines  réguliers  du  Val  fut  prise 
par  l'ennemi  et  évacuée  seulement  en  1359  ^.  L'hôpital  de  la  ville  de 
Thury  fut  brûlé  et  presque  détruit  3.  En  1386,  les  Prémontrés  de 
l'abbaye  d'Ardennes  près  de  Caen  disent  à  Clément  VII  que  leur 
monastère  avec  l'église  a  été  ruiné  et  pillé  parce  que  les  ennemis 
et  les  routiers  avaient  toujours  coutume  de  s'y  retirer;  et  bien  que 
ces  religieux  fussent  peu  nombreux,  ils  n'avaient  plus  de  quoi 
vivre  ^.  Cette  misère  sévissait  déjà  dès  1351,  puisque  c'est  dans  le 
courant  de  cette  année  que  les  chanoines  se  retirèrent  dans  la  ville 
de  Caen  à  cause  des  dangers  qu'occasionnait  la  guerre  ^.  Les 
abbayes  bénédictines  de  Cerisy  et  de  Fontenay  furent  fortifiées  par 
des  Français.  Cette  dernière  eut  particulièrement  à  souffrir  :  elle 

1.  De  la  Rue,  1.  c,  p.  215,  217  suiv. 

2.  LucE,  1.  c,  p.  468  ;  Lefouhmeu,  EsSiii  hist.  sur  Vahbaye  de  Notre-Dame-du-Val, 
p.  61  suiv. 

3.  Reçf.  Vat.  Urh.  F,  n°  251,  fol.  277,  ad  an.  1364,  Mail  13  :  a  domus  Dei  de  Turego 
Bajocen.  dioc,  in  qua  multi  paupercs  recipi  et  sustentari  juxta  facilitâtes  ejusdem 
domus  consueverant,  propter  guerras  que  in  illis  partibus  vigaeruiit,  combusta...  et 
quasi  omnino  destruc  ta  ». 

4.  Reg.  Vat.  Clem.  Vif,  n°  297.  fol.  47''.  ad  an.  1386,  Januarii  28  :  «  Universis  chris- 
tifidelibus,  etc.  Licct  is...  Gum  itaque  sicut  accepimus  monasterium  B.  Marie  de 
Ardena,  Premonstraten.  Ord.  Bajocen.  dioc,  quod  juxta  villam  Cadomen.  consistit, 
ab  initio  et  expost  tenue  dotatum  extiterit,  et  propter  regni  Francie  inimicos  ac  gen- 
tes  armorum  et  predones  inibi  transeuntes,qui  in  eodem  monasterio  continue  se 
retrahere  consueverunt,  ac  mortalitatum  pestes  et  alias  infînitas  pestilentias  que  in 
illis  partibus  diutius  (proch  dolor)  viguerunt,  in  ecclesia  et  aliis  suis  edifîciis  multipli- 
citer  destructum  et  collapsum  ac  thesauris,  libris,  vestimcntis  ecclesiasticis,  calici- 
bus  aliisque  bonis  inhumaniter  denudatum  ac  depredatum  aliisque  diversis  modis 
adeo  oppressum  et  gravatum  extiterit,  quod  canonici  nionasterii  (licet  pauci  sint 
numéro  de  presenti  inibi  Domino  servientes)  non  habent  unde  etiam  tenue  susten- 
tari ac  monasterium  et  ecclesiam  predicta  reparare  valeant...  [Conccdit  indulgentias 
pro  ecclesia  parochiali  S.  Gontcsti  prope  monasterium,  cujus  festum  ibidem  cele- 
bratur  20  Januarii].  Dat.    Avinione  v  kal.  Februarii  anno  octavo.  » 

5.  Vov.  ci-dessus,  p.  37,  et  De  la  Rue,  1.  c,  p.  209. 


TOUTE    LA    FRANCE    INFESTÉE,    13o6    A    1360  303 

fut  appauvrie  et  plus  tard  son  église  fut  brûlée  et  ruinée  ^.  L'abbaye 
des  Bénédictines  de  Gordillon  était  continuellement  exposée  au 
pillage  2  et  aux  ravages  des  ennemis  parce  qu'elle  était  située  dans 
le  voisinage  des  deux  places  fortes  de  Lingèvres  et  Saint-Vaast 
occupées  par  les  Anglais  de  1356  à  1361  '^.  L'abbesse  des  Bénédic- 
tines de  la  Sainte-Trinité  de  Caen  ayant,  avec  l'autorisation  de 
Robert  de  Clermont  et  le  consentement  des  membres  des  trois 
Etats  de  Caen,  fait  réparer  le  fort  de  son  abbaye  et  enceindre  son 
monastère  de  murs  et  de  fossés,  se  vit  en  1359  dans  une  telle  détresse 
par  suite  des  dépenses  que  ces  travaux  avaient  occasionnées,  qu'il 
fallut  vendre  toute  l'argenterie  du  monastère  et  même  les  reliquaires 
de  l'église  ^^  Déjà  auparavant,  les  revenus  de  cette  abbaye  étaient 
considérablement  diminués  parce  que  dès  le  commencement  de  la 
guerre  à  l'instar  de  l'abbaye  de  Saint-Etienne  ^,  celle  de  la  Trinité 
avait  été  privée  de  la  jouissance  des  biens  qu'elle  avait  en  Angle- 
terre et  de  ceux  qu'elle  possédait  dans  le  Gotentin  que  les  Navar- 
rais  avaient  envahis  ^.  Pour  se  fortifier,  les  religieuses  étaient  obli- 
gées de  maintenir  chez  elles  une  garnison  de  gens  d'armes;  et 
quels  désordres  cela  n'amenait-il  pas  !  Les  Cisterciens  d'Aunay- 
sur-Odon  avaient  depuis  longtemps  souffert  des  incursions  et  des 
attaques  des  ennemis.  Le  château  d'Aunay  était  dès  1357  au  pouvoir 
des  Navarrais  ;  de  là  les  bandes  désolaient  le  pays,  menaçaient  la 
place  française  de  Torigny  et  s'étendaient  jusqu'aux  faubourgs 
de  Bayeux,  de  Saint-Lo,  de  Caen  et  de  Vire.  Ces  incursions  avaient 
lieu  en  1359  ''.  On  peut  s'imaginer  quel  était  le  sort  de  l'ab- 
baye. Le  1^*"  mai  1358,  Edouard  III  la  mit  sous  sa  sauve- 
garde ^.  Les  Prémontrés  de  l'abbaye  de  Mondaye  disent  en  1388 
que  leur  ferme  de  la  Haye- Aiguillon  et  toutes  leurs  rentes  et  revenus 
qui  ne  consistent  qu'en  terres,  sont  depuis  trente  ans,  c'est-à-dire 

1.  Voy.  DE  Fahcy,  Ahhnyes  de  Vévêché  de  Bayeux,   Cérisy,  Gordillon^  Fontenay, 
Longues,  I  (Laval,  1888).  Chaque  abbaye  a  une  pagination  à  part. 

2.  LucE,  Du  Guesclin,  p.  466,  467. 

3.  Voy.  DE  Farcy,  1.  c. 

4.  De  la  Rue,  p.  223  suiv. 

5.  Ci-dessus,  p.  74.  Cf.  encore  Hippeau,  L'abbaye  de  Saint-Étienne  de  Caen  (1885), 
p.  107  suiv. 

6.  De  i,a  Ui'E,  1.  c. 

7.  Le  Hardy,  Elude  sur  la  haronnie  et  Vabbnye  d'Aunny-sui'-Odon  (1897),  p.  62. 

8.  Rymer,  Foedera,  III,  p.  391.  Cf.  Gall.  christ.,  XI,  p.  444. 

R,  P.  Deniflb.  —  Desolatio  ecclesiarum  II.  20 


306  LA    GLËKKE    DE    CENT    ANS 

depuis  1358,  presque  sans  valeur  k  cause  des  guerres;  qu'il  n'y  a 
plus  personne  pour  cultiver  la  terre  parce  que  les  gens  du  pays  ont 
pris  la  fuite  et  que  leur  monastère  est  abattu  ^  Je  ne  sais  si  cette 
destruction  arriva  dès  1360;  mais  à  cette  époque  les  terres  de 
l'abbaye  furent  pour  le  moins  dévastées  ainsi  que  le  disent  eux- 
mêmes  les  chanoines  :  sa  position  isolée  au  milieu  des  campagnes 
en  faisait  une  proie  facile  pour  la  rapacité  de  l'ennemi. 

Plus  on  approche  du  Cotentin,  plus  on  rencontre  aussi  bien  dans 
les  cités  que  dans  les  simples  Alliages,  d'églises  fortifiées  par  suite 
du  voisinage  de  l'ennemi.  Dans  la  cathédrale  de  Bayeux  se  trouvait 
une  garnison  de  six  écuyers,  cinq  archers  à  cheval,  quatre  arbalé- 
triers à  pied  que  commandait  un  chevalier,  nommé  Guillaume 
Buret,  lequel  était  en  même  temps  capitaine  de  plusieurs  autres 
églises  dans  la  vicomte  de  Bayeux  -. 

Dans  le  Cotentin,  les  Navarrais  s'étaient  solidement  établis  à 
Carenton,  au  Pont-d'Ouve,  à  Pont-l'Abbé,  à  Valognes  et  à  Cher- 
bourg. Les  Anglais  étaient  maîtres  de  deux  bonnes  positions  sur  la 
mer  :  Barfleur  et  Barneville.  Au  centre  de  la  presqu'île,  ils  possé- 
daient Saint-Sauveur  qui  devint  leur  quartier  général  et  de  là  fai- 
saient leurs  terribles  courses  dans  la  Basse-Normandie  ^.  La  facilité 
où  ils  étaient  de  communiquer  avec  l'Angleterre  leur  permettait  de 
renouveler  constamment  leurs  troupes  et  de  se  procurer  du  renfort. 
Les  gens  du  pays  plat  devinrent  une  proie  que  les  Anglais,  les 
Navarrais  et  les  Français  se  disputèrent  tour  à  tour  et  exploitèrent 
à  l'envi.  Repoussés  de  l'intérieur  du  Cotentin,  les  Français 
finirent  par  n'y  plus  occuper  que  le  Mont-Saint-Michel,  Coutances 
et  plusieurs  lieux  environnants  avec  les  villes  frontières  qui  for- 
maient un  vaste  demi-cercle  de  Pontorson  en  Avranchin  à  Bayeux 
en  passant  par  Vire,  Argentan,  Falaise,  Caen,  Saint-Lo  et  Tori- 
gny  ^.  Les  paysans  qui  parvenaient  k  se  réfugier  dans  une  ville 
fortifiée  devaient  se  trouver  bien  favorisés,  mais  quel  n'était  point 
le  malheur   de  ceux  qui  résidaient  et  possédaient  des  biens  sur  la 

1.  Mém.  de  la  Soc.  des  anliq.  de  Nonunndie.  XVII,  p.  299  suiv.  ;  Madelaim-:,  Essai 
hist.  sur  Vabbaye  de  Mondaije  (1874),  p.  153  suiv. 

2.  LucE,  p.  261,  266,  not.  5. 

3.  Delislk,  Hist.  dn  châlean  et  des  sires  de  Saint-Sauveur,  p.  110  suiv.,  114  suiv.  ; 
LucE,  1.  c,  p.  262  suiv. 

4.  Dupont,  Hist.  du  Cotentin,  II,  p.  363. 


TOUTL    LA    FRANCE    INFKSTÉE,     13r)6    A     13()0  307 

frontière  des  pays  anglais,  navarrais  ou  français  !  Souvent  lorsqu'ils 
avaient  subi  les  exactions  des  Anglais  et  des  Navarrais,  les  Fran- 
çais accouraient  à  leur  tour  les  rançonner  sous  prétexte  de  punir 
ces  malheureux  K  C'était  un  véritable  état  d'anarchie. 

Le  pays  fut  abandonné  à  la  discrétion  des  bandes  armées.  On  ne 
pouvait  entreprendre  le  plus  petit  voyage  sans  s'être  muni  de  plu- 
sieurs sauf-conduits  achetés  à  prix  d'or.  Pour  se  rendre  de  Goutances 
à  Valognes,  c'est-à-dire  à  une  distance  d  une  douzaine  de  lieues,  il 
ne  fallait  pas  moins  de  trois  sauf-conduits  :  un  français,  un  anglais 
et  un  navarrais  ^  ;  ce  qui  n'empêchait  pas  d'être  pris  par  les  bri- 
gands et  les  routiers  pour  qui  les  sauf-conduits  ne  comptaient  pas, 
qui  guettaient  surtout  au  passage  les  marqhands  et  en  tiraient  de 
grosses  rançons  ^.  Les  laboureurs,  ceux  de  Goutances  et  de  Saint- 
Lo  en  particulier,  ne  savaient  où  se  blottir.  Les  uns  creusaient  des 
souterrains  pour  y  mettre  en  sûreté  leurs  familles  et  leurs  biens  ; 
d'autres,  ainsi  que  le  dit  le  régent  au  mois  de  décembre  1358  et 
plusieurs  fois  encore  après,  se  cachaient  dans  les  roseaux  et  les 
hautes  herbes  des  marais  ou  dans  les  bois  ;  d'autres  enfin  se  réfu- 
giaient dans  les  villes  fortifiées  ^*. 

Les  abbayes  subirent  naturellement  de  grands  dommages.  L'abbaye 
des  chanoines  réguliers  de  Gherbourg,  déjà  brûlée  en  1346^,  était  au 
pouvoir  des  Navarrais,  et  celle  de  Saint-Sauveur-le- Vicomte  de 
l'Ordre  de  Saint-Benoit  au  pouvoir  des  Anglais.  Gette  dernière  fut 
presque  entièrement  détruite  ^.  L'abbé  de  la  première,  Guillaume, 
était  un  des  lieutenants  de  Gharles  le  Mauvais.  L'abbaye  béné- 
dictine de  Notre-Dame  de  Montebourg  se  trouvait  sur  les  terres  du 
roi  de  Navarre,  mais  la  ville  fut  occupée  en  1358  par  un  partisan 
anglais  ''.  L'abbaye  bénédictine  de  Saint-Sever  était  occupée  et  for- 
tifiée par  l'ennemi  dès  1356  et  ne  fut  rachetée  qu'en  1365,  moyen- 


1.  LucE,  1.  c,  p.  269,   270.   L'éminent  historien  était  originaire  du  Cotentin  ;   ses 
études  historiques  sur  ce  pays  sont  inspirées  par  l'amour  profond  du  sol  natal. 

2.  Ihid.,  p.  271. 

3.  Ibid.,  p.  273. 

4.  Ibid.,  p.  274  suiv. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  36. 

6.  Lekosky,  Hist.  de  Vabbaye  bénédictine  de  Sainl-Sauveur-le- Vicomte    (Abbeville, 
1894),  p.  105. 

7.  LucE,  p.  484. 


308  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

nant  une  aide  levée   sur  les  pays  environnants  i.    L'abbaye  béné- 
dictine de  Lessay  fut  en  1356  pillée  et  incendiée  par  les  Anglais  -. 

Le  malheur  des  temps  ayant  obligé  à  convertir  en  forteresse  la 
cathédrale  de  Goutances,  les  bourgeois  et  les  paysans  des  environs 
couraient  chercher  un  refuge  dans  l'église  pourvue  de  retranche- 
ments et  d'ouvrages  avancés  en  charpente  3.  Mais  elle  fut  gravement 
ruinée  à  cause  des  incursions  désastreuses  des  Navarrais.  L'évêque, 
Louis  d'Erquery,  l'un  des  plus  intimes  conseillers  du  duc  de  Norman- 
die, implora  le  secours  d'Urbain  V,  disant  que  pendant  la  guerre,  les 
habitants  avaient  été  témoins  de  beaucoup  de  miracles  opérés  dans 
l'église.  Le  6  mars  13631e  pape  accorda  des  indulgences  ^.  Les  habi- 
tants de  Périers,  bourg  voisin  de  Goutances,  se  retranchèrent  contre 
les  ennemis  également  dans  leur  église  convertie  en  forteresse  ;  mais 
dès  le  début  de  1359  elle  tombait  au  pouvoir  des  Anglo-Navarrais^. 

Dès  la  fin  de  1356,  les  Navarrais  s'étaient  rendus  absolument 
maîtres  d'Avranches  et  tenaient  encore  le  château  de  Gavray  et 
Mortain  réputé  inexpugnable  ^.  Dans  l'abbaye  bénédictine  du  Mont- 
Saint-Michel,  bien  fortifiée  7,  jamais  un  Anglais  ou  un  Navarrais  ne 
mit  le  pied.  L'abbé  Nicolas  le  Vitrier  avait  armé  ses  hommes  et  servi- 
teurs pour  résister  victorieusement  à  chaque  attaque  ^.  Durant  toute 
la  guerre  de  Gent  ans  cette  abbaye  lit  preuve  d'un  patriotisme 
élevé.  Mais,  en  1356,  elle  vit   ses  manoirs  et  ses   terres  tellement 


1.  LucE,  p.  467. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  109  suiv. 

3.  Luge,  p.  264,  606  suiv. 

4.  Suppl.  Urb.  V.  n"  36,  fol.  33''  :  «  Significat  S.  V.  devota  creatura  vestra  L.  epis- 
copus  Gonstantien.  quod  ecclesia  Constantien.  tempore  guerrarum  fracta  fuit  et  gra- 
viter rupta  multis  locis,  proptcr  quod  indiget  magnis  et  suniptuosis  reparationibus 
adeo  quod  de  presenti  reparari  minime  posset,  nisi  fidelium  elemosinis  eidem  sucur- 
ratur,  inquamulta  miracula  dicto  guerrarum  tempore  habitatoribus  loci  apparuerunt. 
De  indulgentiis]  et  eleeniosynis].  Fiat.  B.  Dat.  Avinione  iij  non.  Martii  anno  primo  ». 
Sur  les  dommages  infligés  dès  1356  à  la  cathédrale  voy.  Delamare,  Essai  sur...  la 
cathédrale  de  Goutances  (1841),  p.  107  suiv.,  115  (lettre  de  Charles  VI).  Les  exagéra- 
tions de  L.  QuENAULT,  Recherches  archéol.  hist.  et  statistiques  sur  la  ville  de  Gou- 
tances (Goutances,  1862),  p.  14  à  16,  94  suiv.,  96  suiv.,  sont  tacitement  rectifiées  par 
Ramé,  dans  Revue  des  sociétés  savantes,  7*  série,  t.  III  (1881),  p.  97. 

5.  LucE,  p.  265. 

6.  Ihid.,  p.  263. 

7.  Sur  ses  défenses,  le  livre  de  Gorroyer,  Description  de  l  abbaye  du  Mont  Saint- 
Michel  (1877),  est  indispensable. 

8.  Huynes,  Hist.  génér.  de  V abbaye  du  Mont-Saint-Michel,  publ.  par  E.  de  Bbaure- 
PAIRE,  II,  p.  93. 


TOUTE  LA  FRANCE  INFESTÉE,  13o6  A  1360  309 

ravagées  par  les  Navarrais  d'Avranches,  que  les  moines  n'avaient 
plus  de  quoi  vivre.  Dans  le  même  temps,  ils  étaient  en  butte  aux 
exactions  des  soldats  des  garnisons  françaises  de  Pontorson  et  de 
Saint-James.  Et  comme  si  tout  cela  n'eut  pas  suffi,  ils  furent  privés 
des  rentes  que  leur  devaient  les  tenanciers,  ces  derniers  ayant  été 
contraints  par  les  capitaines  français  d'aller  faire  le  g-uet  dans  les 
deux  villes  ci-dessus.  Pour  comble  de  malheur,  les  habitants  du 
•Mont-Saint-Michel  ayant  quitté  la  ville  pour  se  réfugier  ailleurs, 
les  moines  furent  réduits  à  garder  eux-mêmes  leur  forteresse  K 

La  condition  des  autres  monastères  n'était  pas  meilleure.  Les 
Anglais  firent,  peut-être  plus  tard,  une  prison  de  l'abbaye  des 
chanoines  réguliers  de  Montmorel  et  y  déposaient  leur  butin. 
L'abbaye  de  la  Luzerne  de  l'Ordre  de  Prémontré  fut  pillée  et  presque 
détruite  dans  ces  guerres  désastreuses.  Les  religieuses  cisterciennes 
de  l'abbaye  Blanche  se  creusèrent  des  grottes  dans  leurs  rochers  et 
s'y  enfermaient  pendant  la  nuit  -.  L'évêque  d'Avranches  même, 
Jean  Haut-Frine,  s'était,  à  cause  du  tumulte  des  guerres,  retiré 
dans  l'abbaye  de  Saint-Ouen  à  Rouen  où  il  décéda  en  1358.  Son 
successeur,  Foulques  Bardoul,  abdiqua  un  an  après  3,  et  Robert  Porte 
qui  le  remplaça  était  chancelier  de  Charles  le  Mauvais  ^.  Que 
devenaient  les  terres  et  les  champs  restés  sans  culture  pendant 
plusieurs  années?  Où  trouver  des  moyens  d'exivStence?  D'autre 
part,  le  commerce  était  anéanti  et  les  communications  interrompues 
en  Avranchin  comme  en  Cotentin  et  ailleurs.  On  ne  pouvait  aller 
sans  danger  de  Saint- James  à  la  forteresse  de  Montaigu^.  Voulait- 
on  entreprendre  un  plus  long  voyage,  aller  trouver  le  dauphin  par 
exemple,  c'était  tout  à  fait  impossible,  ainsi  que  les  moines  du 
Mont-Saint-Michel  le  lui  écrivaient  en  1359  6. 

1.  Lettre  du  dauphin  de  1356,  publ.  par  Desroches,  Ann.  civ.  et  milit.  du  pays 
d'Avranches,  p.  382;  Mexard,  Ilist.  relig.,  civ.  et  milit.  de  Saint-James  de  Beuvron 
(1897),  p.  64. 

2.  Desroches,  Hist.  du  Mont-Saint-Michel  (1838),  II,  p.  60  suiv.  Voy.  Gall.  christ., 
XI,  p.  559,  538.  DuBOsc,  Cartul.  de  l'abbaye  de  la  Luzerne  (1878)  et  de  Montmorel 
(1878),  ne  parle  pas  de  ces  événements  et  les  Cartulaires  ne  donnent  aucun  renseigne- 
ment à  ce  sujet. 

3.  Desroches,  1.  c,  p.  61. 

4.  Voy.  chap.  IV,  paragraphe  1,  vers  la  fin. 

5.  Luce,  Du  Guesclin,  p.  530. 

6.  Menard,  1.  c,  p.  65. 


310  LA    GUERRE    DE    CENT    AIS'S 

C'est  au  cours  de  ces  années,  dès  la  lin  de  1357,  que  Bertrand 
Du  Guesclin,  le  plus  vaillant  g-uerrier  de  France,  était  capitaine  de 
Pontorson.  Vers  la  fin  de  1359,  il  surprit,  à  Saint-James  de  Beu- 
vron,  un  chef  anglais,  Guillaume  de  Windsor,  qui  se  tenait  à  Ploërmel 
et  inspectait  de  temps  à  autre  les  places  anglaises  de  la  frontière 
normande,  le  fit  prisonnier  et  mit  sa  troupe  en  déroute^.  Mais 
bientôt  lui-même  fut  surpris  au  Pas  d'Evran  en  Bretagne  par  les 
troupes  de  la  garnison  de  Bécherel  ou,  comme  on  le  dit  ^,  par  Robert 
Knolles  qu'Edouard  III  aurait  rappelé  d'Auvergne  en  Bretagne. 
Malgré  des  prodiges  de  bravoure.  Du  Guesclin  fut  obligé  de  se 
rendre  ^.  Ces  faits  d'armes  n'apportaient  pas  de  soulagement  ;  le 
moment  n'était  pas  encore  venu,  où  devait  sonner  l'heure  de  la 
délivrance  pourl'Avranchin,  le  Cotentin,  la  Normandie  et  la  France 
entière    Du  Guesclin  sera  le  héros  de  cette  ère  nouvelle. 


Voilà  le  tableau  de  l'état  du  rovaume  à  la  veille  du  traité  de 
Bretigny.  Si  la  France  n'eût  été  que  prisonnière,  cela  aurait  pu  être 
supportable,  mais  elle  était  véritablement  mise  à  la  torture.  On 
peut  appliquer  à  la  France  de  cette  époque  le  vers  de  Virgile  ''  : 

crudeHs  ubique 
Luctus,  ubique  pavor  et  plurima  mortis  imago. 

Encore,  ce  tableau  n'est-il  pas  complet.  On  doit  y  joindre  le  troi- 
sième, le  cinquième  et  le  sixième  paragraphes,  et  les  ravages  cau- 
sés par  la  sixième  invasion  d'Edouard  III  en  France.  La  connexion 
des  événements  m'a  obligé  de  réserver  pour  le  chapitre  suivant  les 
faits  qui  concernent  cette  sixième  invasion  ^  auxquels  j'ai  seulement 
touché  quelquefois  dans  ce  paragraphe.  Durant  ces  années,  ce  sont 
la  Normandie,  Paris  et  les  provinces  environnantes,  la  Bourgogne, 

1.  LucE,  p.  309  suiv. 

2.  LunE,  p.  311. 

3.  Ihid.\  Chron.  norin.,  p.  1  i9  ;  A.  de  i-a  Bordeiue,  Eludes  Jtist.  bretonnes,  2*  scr., 
p.  184. 

4.  Voy.  ci-dessous  chap.  IV,  paratiraphe  2. 

5.  Vehg.  Aen.  II.  36N.    . 


TOUTi:  LA  FKANCF^.  i>fkstée:,   \'MW)  A   1300  311 

la  Provence,  le  Quercy  et  la  Sainton^e  qui  souflrirent  le  plus  ;  la 
Bretagne  était  déjà  ruinée  avant.  Un  Mémoire  de  13^)9  présente 
également  la  Bretagne,  la  Normandie,  la  Picardie,  le  Beauvaisis, 
le  Vermandois,  l'Ile-de-France  comme  étant  les  provinces  les  plus 
dévastées,  bien  qu'elles  prétendissent  ne  redouter  en  rien  Ten- 
nemi'.  La  Guyenne  n'est  pas  comprise  dansce  tableau  parce  qu'elle 
appartenait  à  l'Angleterre. 

Quelle  désolation  régnait  dans  les  populations,  les  églises  et  les 
monastères,  même  durant  la  trêve  !  Et  pourtant  cet  exposé  ne 
donne  qu'une  faible  idée  de  la  réalité.  C'est  un  abrégé  des  faits  qui 
ont  pu  être  signalés.  En  ce  qui  concerne  les  abbayes  en  particulier, 
les  sources  n'en  indiquent  qu'un  certain  nombre,  dont  les  faits  ne 
me  sont  pas  tous  connus.  Toutefois,  il  est  certain  que  chaque  éta- 
blissement ecclésiastique  situé  en  plat  pays,  isolé  et  non  fortifié, 
fut  victime  des  ennemis  qui  n'épargnaient  ni  les  églises,  ni  les 
monastères,  ni  le  clergé  régulier  ou  séculier  '-'.  Mais  soit  que  l'éta- 
blissement ait  été  fortifié  ou  non,  en  tout  cas  les  terres  et  les  fermes 
étaient  dévastées,  les  revenus  diminués.  Et  cette  diminution  des 
revenus  provenant  de  l'augmentation  des  impôts  et  autres  charges 
avait  souvent  lieu  avant  la  venue  des  ennemis,  comme  nous  l'avons 
vu  plus   haut  2.   On  peut  même  citer    encore  d'autres  exemples  '♦. 

1.  Le  Mémoire  cité  ci-dessous  (p.  313  note  3)  p.  126. 

2.  Le  26  avril  1360  Innocent  VI  écrivait  à  ce  sujet  au  roi  Edouard  d'Anf^leterre  {Re(/. 
Val.,  n"  240,  part.  2*,  toi.  58)  :  «  ...Postremo  cum  sepius  ad  nostram  audientiam  plu- 
rimoruni  relatio  fidedigna  perduxerit,  quod  per  tuas  fientes  armigeras  nonnullis  eccle- 
siis  ac  ecclesiasticis  personis  in  re^no  Francie  constitutis,  quod  prêter  inimo  contra 
tue  serenitatis  conscientiam  fieri  non  anibigimus,  plurima  dampna  et  molestie  mul- 
tipliciter  inferantur,  serenitatem  eandem  attenter  roj^amus  et  paternis  in  Domino 
afîectibus  obsecramus  quatinus...  ecclesiaset  ecclesiasticas  personas  easdem  per  pen- 
tes ipsas  turbari  vel  molestari  aliqualiter  non  permittas,  sed  eas  potius  suscipias 
de  niansuetudine  regia  comendatas.  Datum  Avinione  vj  kaL  Maii  anno  VIII  ».  Cf. 
Rymkr,  III,  p.  484.  Le  4  mars.  Innocent  \l  adressait  une  lettre  semblal)le  au  même 
au  sujet  des  biens  ecclésiastiques  du  diocèse  d'Auxeri'e.  Ihid..  fol.  24. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  61  suiv.,  p.  73  suiv. 

4.  L'abbé  et  le  couvent  de  l'abbaye  bénédictine  de  Tiron,  du  diocèse  de  Chartres, 
par  exemple,  se  plaignent,  «  quod  licet  propter  guerras  et  concursum  ac  mortalilatcs 
stei'ilitates...  proventus  dicti  monasterii,  alias  etiam  tenues,  sint  quamplurimum 
diminuti,  tamen  onera  et  sarcine  non  decrescunt,  sed  etiam  plus  solito  augmentan- 
tur  ».  Snppl.  Clément.  VI,  n°  20,  parte  2'*»,  fol.  23'',  ad  an.  1350,  Decemb.  28,  alors  que 
le  Chartrain  était  encoie  moins  troublé.  Déjà  en  1346  labbaye  de  Saint-Père  reçut 
une  bulle  semblable  (voy.  Re(j.  Aven.  Innoc.  VI.  n"  25,  fol.  411.  L'abbé  et  le  cou- 
vent de  l'abbaye  cistercienne    c\c  .louy  du  diocès?  de  Sens  écrivaient  k  Clément  VI, 


312  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

C'était  de  la  part  des  archevêques  et  évêques  des  diverses  provinces 
ecclésiastiques  un  cri  d'alarme  général  au  Saint-Père  touchant  l'ap- 
pauvrissement des  églises,  monastères  et  hôpitaux  de  leurs  diocèses 
causé  par  les  guerres  qui  sévissaient  depuis  longtemps  ;  ce  qu^ 
obligeait  le  pape  à  réduire  de  moitié  les  taxes  K 

Le  désordre  que  causèrent  ces  guerres  est  impossible  à  décrire.  Il 
suffit  de  rappeler  combien  de  fois  les  religieux  avaient  dû  quitter  les 
monastères,  par  suite  de  l'occupation  ou  de  la  destruction  et  s'étaient 
vus  obligés  de  rester  dehors  souvent  pendant  plusieurs  années.  Ce 
n'était  encore  qu'un  moindre  désordre  lorsque  les  religieux  mêmes 
faisaient  le  guet  dans  leur  abbaye  fortifiée  et  que  le  supérieur  était 
capitaine  de  la  place  -,  ou  que  les  moines,  les   clercs  et  les  prêtres 

«  quod  cum  propter  defectum  reddituum  et  bonorum  dicti  monasterii,  guerrarum 
importunitatem,  debilem  monetam  temporibus  retroactis  currentem,  decimarum  et 
aliarum  subventionum  solutionem  nec  non  facultatum  ejusdem  monasterii  minime 
suppetentium  ad  sustentationem  pauperrimam...  idem  monasterium  fuisset  et  esset 
certis  usurariis  in  2000  libris  paris...  efficaciter  obligatum...  ».  Suppl.  Clem.  VI, 
n°  11,  fol.  135,  Aug.  9.  (Cf.  encore  p.  312,  not.) 

1.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n"  261,  fol.  i^  ad  an.  1363,  Februarii  27  :  «  Ad  perpetuam  rei 
memoriam.  Ex  paterne  caritatis...  Nuper  siquidem  pro  parte  ven.  frat.  nostr.  Lugdu- 
nen.  Remen.  Senonen.  Rothomagen.  Turonen,  et  Rituricen.  archiepiscoporum  nec 
non  eorundem  Lugdunen.  Remen.  Senonen.  Rothomagen.  Turonen.  archiepiscoporum 
sufï'raganeorum.  ac  Claromonten.  episcoporum  fuit  expositum  in  consistorio  coram 
nobis  quod  tam  sue  quam  alie  ecclesic  nec  non  monasteria  et  quelibet  alia  ecclesias- 
tica  tam  secularia  quam  regularia  et  etiam  pia  loca  in  [praedictis]  civitatibus  et  dio- 
cesibus  adeo  propter  guerras  et  mortalitatum  pestes,  que  maxime  partes  illas  permit- 
tente  Domino  longevis  temporibus  concusserunt,  sunt  in  suis  redditibus  et  fructibus 
diminuta,  quod  cum  iidem  archiepiscopi  et  episcopi  quam  alii  eorundem  ecclesia- 
rum,  monasteriorum  et  locorum  prelaii  rectores  atque  persone  incumbencia  eis  onera 
comode  supportare  non  possint.  Quare  pro  parte  dictorum  exponentium  fuit  nobis 
humiliter  supplicatum  ut  providere  eis  de  aliqua  relevacione  ipsorum  onerum,  et  pre- 
sertim  circa  moderationem  taxacionis  décime  de  benignitate  apostolica  dignaremur. 
Nos  itaque...  taxationem  décime  ecclesiarum  monasteriorum  et  locorum  predictorum 
omniumque  reddituum  et  proventuum  ecclesiasticorum  in  dictis  [provinciis  et  dioce- 
sibus]  ad  ipsius  taxacionis  medietatem  de  fratrum  nostrorum  consilio  apostolica  auc- 
toritate  reducimus  et  pro  reducta  ex  nunc  haberi  volumus  et  etiam  ordinamus  tenore 
presentium,  statuentes  quod  deinceps  hujusmodi  medietas  pro  intégra  et  vera  taxa- 
cione  sive  décima  in  eisdem  provinciis  civitatibus  et  diocesibus  perpetuis  futuris 
temporibus  sic  habeatur,  ac  reputetur  et  intégra  décima  nominetur...  Datum  Avi- 
nione  iij  kal.  Martii,  anno  primo  ».  l\  existe  aussi  pour  les  autres  provinces  des 
bulles  semblables,  surtout  sous  Grégoire  XI. 

2.  Sur  ce  point  nous  connaissons  Thistoire  de  Roziers-Saint-Georges,  et  du  Mont 
Saint-Michel.  L'abbaye  des  chanoines  réguliers  d'Essommes,  du  diocèse  de  Soissons 
était  fortifiée  depuis  1358,  et  dès  cette  époque  l'abbé  était  capitaine,  et  les  l'eligieux  fai- 
saient le  guet  jour  et  nuit,  lorsque  l'ennemi  s'approchait.  Voy.  Moranvillé,  Le  guet 
danslaprévôté  de  Château- Thierry  en  1386.  Extrait  de  la  Revue  de  Champagne  et  de 
Brie,  p.  9. 


TOUTE   LA    FRANCE    INFESTÉE,     1356    A    1360  313 

prenaient  les  armes  pour  défendre  leurs  propriétés  contre  les 
ennemis  et  leur  inflig-eaient  des  pertes.  Mais  cette  dernière  mesure 
défensive  les  rendaient  souvent  irrég-uliers  :  ils  ne  pouvaient  plus 
alors  exercer  les  fonctions  ecclésiastiques.  L'abbé  de  Gluny  expose 
au  Saint-Père  que  beaucoup  de  religieux  de  son  Ordre  en  France 
soit  moines,  soit  convers,  ayant,  dans  l'oblig^ation  de  se  défendre  ou 
d'empêcher  l'envahissement  de  leurs  propriétés,  attaqué  l'ennemi, 
avaient  encouru  les  peines  ecclésiastiques  ;  en  conséquence,  il 
demande  le  pouvoir  de  donner  l'absolution  aux  moines,  aux 
moniales,  aux  convers  et  converses  de  l'Ordre,  parce  qu'il  leur  est 
impossible  de  se  rendre  à  la  cour  romaine  ^  Ce  sont  les  maisons  et  les 
églises  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît  et  en  particulier  de  celui  de  Cluny 
qui  eurent  le  plus  à  souffrir,  d'abord  sous  Clément  VI,  puis  à  cette 
époque  '^.  Mais  cet  Ordre  pouvait  résister,  tandis  que  pour  les  Cister- 
ciens, éloignés  de  places  fortifiées,  les  Prémontrés  et  en  partie  les 
chanoines  réguliers,  cette  première  période  de  la  guerre  fut  le 
commencement  de  leur  déroute  complète  qui  arriva  vers  la  fin  de 
la  guerre  de  Cent  ans. 

Si  les  églises  et  monastères  puissants  étaient  si  maltraités,  quel 
était  le  sort  des  églises  paroissiales  situées  en  plat  pays,  des  mai- 
sons et  des  chaumières  des  malheureux  paysans  ?  Ce  que  nous  en 
savons  nous  montre  les  églises  désertes  et  ruinées,  les  curés  et  les 
paroissiens  en  fuite  ou  rançonnés,  ou  emprisonnés,  ou  massacrés  ; 
leurs  maisons  et  chaumières  pillées  et  incendiées  ;  le  bétail  emporté 

1.  Suppl.  Urh.  y,  n°  3i,  fol.  191*',  ad  an.  1362,  Decemb.  20  :  «  Quia  multi  religiosi 
dicti  Ordinis  [Gluniacen.]  tam  monachi  quam  conversi  propter  guerras  et  alias  perse- 
cutiones  varias  incurrerunt  sententias  et  irregularitates  et  in  variis  peccatis  et  delictis 
inciderunt  defendendo  se  et  loca  dicti  Ordinis  contra  inimicos,  et  sese  inimicos  inva- 
dcndo,  et  multa  alia  illicita  committendo,  quia  religiosis  difficile  esset  venire  ad 
curiam  pro  habendo  dispensationcm  super  irregularitatibus  et  absolutioneni...  et 
propter  dcfcctum  predictorum  dispensationis  et  absolutionis  in  dicto  Ordine  multa 
divina  obsequia  obmittuntur,  quatenus  dicto  abbati  ejusdem  monasterii  dignemini 
concedere  ut  hac  vice  per  se  vel  alium  possit  absolvere  omnes  monachos,  moniales, 
conversos  et  conversas  dicti  Ordinis  a  quibuscumque  peccatis  et  sententiis  a  quibus 
per  S.  V.  vel  sedem  apostolicam  possent  absoivi  et  dispensari...  Fiat  hac  vice.  B.Dat. 
Avinione  xiij  kal.  Januarii  anno  primo  ». 

2.  Ihid.,  fol.  191,  ad  an.  1362,  Decembr.  20  :  «  Cum...  dominus  Clemens  papa  VI 
predecessor  vester  concesserit...  omnibus  porrigcntibus  manus  adjutrices  ad  rcpara- 
tioncm  scu  relevationem  monasteriorum,  domorum  et  ecclesiarum  Ordinis  Gluniacen. 
desolatorum  propter  gucrras...  indulgentias  [supplicant  ut  dictac  indulgentiae  reno- 
ventur].  —  Dat.  Avinione  xiij  kal.  Januarii  anno  primo.  » 


314  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

par  les  ennemis,  les  campagnes  sans  culture.  Et  quelles  tortures  les 
habitants  subissaient  souvent,  non  seulement  de  la  part  des  bri- 
gands, mais  particulièrement  encore  de  celle  des  Anglais  !  Les 
hommes  surtout  étaient  immolés  avec  d'atroces  raffinements  de 
barbarie  qui  rappellent  les  supplices  des  premiers  temps  de  l'Église 
et  que  la  plume  se  refuse  à  décrire  dans  la  langue  moderne  ^  Les 
paysans  devaient  donc  s'estimer  heureux  quand  ils  étaient  seule- 
ment contraints  par  les  Français  de  faire  le  guet  dans  les  villes 
fermées.  Le  sort  des  villes  sans  clôture  était  aussi  déplorable  que 
celui  des  villages.  Les  habitants  des  villes  fortifiées,  sans  cesse 
forcés  de  faire  le  guet,  étaient  constamment  exposés  aux  attaques 
et  presque  toujours  sans  aucune  espérance  d'obtenir  quelque  secours 
du  gouvernement  ou  d'ailleurs;  de  plus,  ils  voyaient  leurs  pro- 
priétés situées  hors  les  murs  dévastées.  Pour  les  provinces  qui 
durant  ces  dernières  années  n'eurent  pas  à  subir  tous  ces  malheurs, 
comme  il  arriva  pour  quelques-unes  du  Midi  par  exemple,  les 
habitants  étaient  néanmoins  toujours  menacés,  dans  de  perpé- 
tuelles angoisses  et  souvent  obligés  de  se  retirer  dans  les  lieux 
fortifiés.  Sur  tous  pesaient  de  continuels  impôts  redoublés  et  triplés 
qui  s'étendaient  jusque  sur  le  sel,  et  tous  devaient  subir  les  vexa- 
tions des  officiers  royaux  sans  pitié  et  sans  conscience. 

On  ne  doit  pas  s'étonner  que  ce  triste  état  de  la  France  au 
milieu  du  xiv®  siècle  ait  été  dépeint  dans  les  écrits  du  temps.  Le 
plus  touchant  récit,  souvent  empreint  d'exagérations,  nous  est  con- 
servé dans  le  Tragicum  argiimentum  de  miserabili  statu  regni 
Franciae  -,  presque  oublié  aujourd'hui,  dont  l'auteur,  comme  Ger- 

1.  Le  Mémoire  du  printemps  de  1359.  publ.  par  Germain  dans  Mém.  de  la  Soc. 
archéol.  de  Montpellier,  1858,  p.  426,  après  avoir  dit  que  les  ennemis,  c'est-à-dire  ici, 
les  Anglais,  avaient  détruit  les  villes  et  les  éjilises,  déshonoré  les  femmes  et  les 
pucelles,  et  occis  plusieurs  d'entre  elles  avec  leurs  enfants,  ajoute  :  «  quand  il 
prannent  les  homes,  il  les  pendent  ij  jours  ou  iij,  sanz  boire  et  sanz  manj^ier,  parles 
bras,  les  aucuns  par  les  genitoircs,  les  autres  par  les  dois  de  leurs  mains,  les  autres 
par  les  piez,  et  les  tormentent  et  bâtent  en  gehines,  tant  que  il  en  y  occient  grant 
quantité;  et  ceux  qui  par  raençon  eschapent  de  leur  main  ne  purent  vivre,  et  se  il 
vivent,  si  sont  il  afolez  ou  mehaigniez  de  leurs  membres  »,  etc.  Les  bandes  em- 
ployaient aussi  des  tortures  semblables  (voy.  ci-dessus,  p.  180),  elles  rôtissaient  par- 
fois les  enfants  et  même  les  personnes  âgées,  ce  qu'annote  le  Songe  du  vergier  (liv.  1, 
chap.  146,  dans  Traitez  des  droicts  et  libériez  de  iéglise  gallicane,  1731,  t,  II,  p.  175), 
comme  les  Jacques  le  faisaient  aux  gentilshommes  (ci-dessus,  p.  213). 

2.  L'auteur  est  fr.  Franciscus  de  «  Montebelluna  »,  O.  S.  Ben.,  qui  est  aussi  nommé 
dans  le  Mémoire  que  Charles  V  fit  présenter  à  Urbain  V,  en  1366  à  1367  (Du  Boui.ay 


TOUTE  LA  FRANCE  rNFP:STÉE,  1356  A  1360  315 

son  et  Jean  Juvenal  des  Ursins  au  xv*^  siècle,  incrimine  les  diverses 
institutions  de  la  France  de  son  temps,  les  militaires,  les  nobles, 
les  roturiers  et  le  clergé.  Quant  à  la  destruction  qui  nous  occupe  ici, 
il  dit  :  «  Voyez  combien  de  villes  du  royaume  brûlées,  combien  de 
vieillards  égorgés,  de  jeunes  gens  morts  par  l'épée,  d'enfants 
étranglés,  de  femmes  enceintes  pourfendues  ;  voyez  combien  de 
vierges  nobles  et  distinguées  ont  servi  de  jouet  à  la  passion  de  ces 
bêtes  féroces  ;  voyez  combien  de  prêtres  et  de  clercs  de  divers 
ordres  ont  été  faits  prisonniers  ou  massacrés,  combien  d'églises 
renversées,  de  monastères  détruits!  Voyez  que  les  chevaux  ont  été 
établis  près  l'autel  du  Seigneur,  les  vierges  consacrées  à  Dieu 
souillées,  les  saintes  reliques  jetées  au  vent  !  Même  les  mains 
sacrilèges  ne  respectaient  pas  la  sainte  hostie  !  »  Ensuite  l'auteur 
applique  à  la  France  le  vers  de  Virgile  ci-dessus  rapporté,  et  il 
déplore  davantage  que  ces  maux  soient  infligés  en  grande  partie 
par  la  guerre  civile  qui  perd  le  royaume  et  la  patrie  [regnum 
et  patriam),  «  La  France,  dit-il  encore,  est  devenue  un  objet  de 
dérision  pour  les  juifs  et  les  payens.  »  Vers  la  même  époque 
Pétrarque,  comme  nous  l'avons  vu  *,  reproduit  l'écho  de  plaintes 
analogues  au  sujet  de  la  dévastation,  et  les  bulles  d'Innocent  VI 
Ad  reprimendas  et  Gravis  dilectorum  ~  ne  font  que  confirmer  la 
destruction  et  la  brutalité  des  destructeurs. 

Cependant,  jjour  les  Français  le  pire  de  tous  ces  malheurs  était, 
je  crois,  qu'on  ne  pouvait  prévoir  la  fin  d'une  guerre  qui  durait 
depuis  presque  vingt- cinq  ans,  et  cela  sur  le  propre  sol.  Une  victoire 
décisive  aurait  pu  seule  changer  la  face  des  choses,  mais  depuis  le 
désastre  de  Poitiers,  il  n'existait  plus  une  armée  capable  de  tenir 
tête  à  celle  de  l'ennemi.  Gomment  alors  /  en  débarrasser?  Et  que 
fallait-il    espérer   de  l'avenir?   «   Nous  perdons  toujours  et  avons 


Hist.  Univers.  Paris,  IV,  p.  411).  On  trouve  ce  traité  cité  plus  haut  à  la  Bibl.  du  Vat., 
Ottobon.,  n°  259,  fol.  68  à  SO*";  fol.  73  se  trouve  la  sentence  citée.  Lebei-f,  Disserta- 
tions sur  Vhistoire  de  Paris,  III,  p.  395,  connaissait  un  ms.  de  Tabbaye  de  Pontigny 
et  donne  ibid.  et  p.  428  suiv.  des  extraits;  p.  429  sont  les  passa^çes  ci-dessus  rappor- 
tés. Le  traité  est  écrit  après  que  le  roi  Jean  prisonnier  a  été  conduit  en  Anjileterre, 
et  avant  1360,  en  1357  ou  1358.  Cf.  encore  Demsle,  Bulletin  hist.  et  philolocj.  du 
Comité  des  trav.  hist.,  année  1886,  p.  112  suiv.,  où  est  imprimé  «  de  Monte  Bellima  ». 

1.  Voy.  ci-dessus  p.  135,  et  not.  1. 

2.  Ci-dessus,  p.  182  suiv.  et  dans  le  cours  de  l'ouvrage. 


316  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

toujours  perdu  »,  confessent-ils  en  13o9  ^,  aveu  plus  énergique- 
ment  encore  exprimé  par  l'auteur  du  Trayicum  argumentum,  que 
je  viens  de  citer,  quand  il  s'écrie-  :  «  Pourquoi  notre  épouvante 
est-elle  si  terrible  que  nous  fuyons,  quand  nous  sommes  mille, 
poursuivis  par  un  seul  homme  ou  même  par  aucun?  »  L'avenir 
n'était  vraiment  pas  riant,  si  l'on  ajoute  à  tout  cela  l'emprisonne- 
ment du  roi  et  d'une  partie  de  l'élite  de  la  France  depuis  trois  ans, 
et  l'épuisement  du  trésor  et  des  ressources.  Chacun  de  ceux  qui,  se 
reportant  au  milieu  de  ces  temps  malheureux,  entreront  bien  dans 
l'esprit  de  la  situation,  comprendront  qu'en  présence  d'une  telle 
désolation  les  Français  auraient  été  excusables  d'accepter  une  paix 
à  tout  prix.  Néanmoins,  le  sentiment  national  français,  qui  ne  date 
pas  seulement  du  xv^  siècle,  ne  se  trouvait  pas  encore  accablé  par 
un  état  qui  était  cependant  le  comble  du  malheur,  il  était  assez 
fort  pour  refuser  les  conditions  honteuses  et  désastreuses  qu'impo- 
sait Edouard  III,  et  de  le  forcer  à  des  concessions  par  une  résistance 
acharnée. 


1.  Mémoire  publ.  par  Germain,  1.  c. 

2.  «  Cur  etiam,  Domine,  tantum  timorem  nostris  cordibus  immisisti,  ut  mille  fu- 
giamus,  uno  imo  saepe  nemine  persequenle?  »  Ms.,  fol.  74  ;  Lebeuf,  1.  c,  p.  429.  L'au- 
teur dit  encore,  fol.  81  :  «  Deo  judicante  et  nobiles  et  populares  fugere  sciunt,  vin- 
cere  nesciunt  ».  Nous  verrons  dans  le  chapitre  suivant  que  ce  jugement  sévère  ne 
s'applique  pas  à  la  résistance  des  villes  contre  l'armée  anglaise  envahissante. 


CHAPITRE  IV 

LES    TRAITÉS    AVEC    CHARLES    LE    MALVAIS    ET    EDOUARD    III 

Quoiqu'un  exposé  des  relations  diplomatiques  entre  la  France, 
FAng-leterre  ou  Charles  le  Mauvais  n'entre  pas  dans  le  cadre  de 
mon  travail,  je  dois  néanmoins,  comme  dans  les  deux  chapitres 
précédents,  toucher  un  mot  de  ce  sujet  ;  autrement  on  ne  saisirait 
pas  l'enchaînement  des  événements  qui  sont  connexes  avec  l'his- 
toire delà  destruction.  C'est  pourquoi  je  vais  parler  maintenant  de 
ces  traités  qui  ont  inauguré  une  nouvelle  époque,  plus  désastreuse 
que  la  précédente  pour  les  églises  et  les  monastères,  mais  glorieuse 
et  avantageuse  pour  la  France  quant  au  résultat  final. 

1.    Les  alliances.   Traité   de   Londres  rejeté  par    les   trois  Etats. 
Traité  avec  Charles  le  Mauvais. 

Innocent  VI,  si  sensiblement  touché  des  malheurs  qui  affligeaient 
la  France,  fut  bientôt  informé  du  défi  que  le  roi  de  Navarre  portait 
au  régent.  A  ce  sujet,  le  30  août  1358,  il  écrit  en  Angleterre  aux 
deux  cardinaux  Talleyrand  et  Capocci  ^  de,  se  rendre  auprès  de 
Charles  le  Mauvais  et  du  régent  pour  les  réconcilier.  Le  pape  craint 
que  cette  guerre  intestine  soit  nuisible  à  l'établissement  de  la  paix 
entre  l'Angleterre  et  la  France.  Il  donne  aux  deux  légats  le  pouvoir 
de  dissoudre  tous  les  traités^  pactes,  promesses,  faites  même  sous 
serment  par  les  deux  princes  et  leurs  adhérents,  et  d'excommunier 
tous  les  perturbateurs  de  la  paix,  lors  même  qu'ils  seraient  évêques. 

Mais,  autant  en  emporta  lèvent.  Seulement,  le  13  décembre,  les 
deux  cardinaux  revenant  d'Angleterre  où  ils  étaient  restés  long- 

1.  Reçj.  Vàt.  Innocent.  VI,  n°  233,  fol.  4  (ad  Nicol,  tit.  S.  Vitalis  presbyt.  card.),  fol. 
4''  (ad  Talayrandum  episc.  Albanen.).  Raynald,  Ann.^  1358,  n"  3;  Moisant,  Le  Prince 
iVoir,  p.  257. 


318  LA    GUERRE    DE    CExNT    A>S 

temps,  en  qualité  de  médiateurs  pour  un  traité  de  paix  entre  les 
deux  couronnes  1,  arrivèrent  k  Paris-.  Le  2o  décembre,  Inno- 
cent VI  saisit  l'occasion  d'écrire  aux  deux  prélats  et  les  engage  une 
seconde  fois  k  travailler  k  la  réconciliation  des  deux  princes  ^.  Il  leur 
envoie  aussi  des  lettres  pour  le  régent  et  pour  Charles  le  Mauvais 
qui  était  alors  k  Meulan  ;  mais  ces  deux  lettres  sont  bien  différentes 
l'une  de  l'autre^.  Quoique  le  pape  exhorte  les  deux  princes  k  faire 
la  paix,  on  voit  clairement  qu'il  regarde  Charles  le  Mauvais  comme 
coupable  de  tous  les  malheurs  survenus.  Innocent  VI  en  est  d'au- 
tant plus  affligé  qu'il  avait,  comme  nous  savons,  une  véritable  affec- 
tion pour  ce  prince.  Il  le  rend  responsable  de  la  guerre  qui  avait 
eu  lieu  entre  lui  et  le  roi  Jean  et  qui  se  continuait  entre  lui  et  le 
régent.  Il  l'engage  k  ne  point  juger  d'après  ses  sentiments  person- 
nels qui  influenceraient  et  troubleraient  son  jugement,  ni  d'après 
les  mauvais  conseils  de  plusieurs,  mais  selon  la  raison  et  la  conve- 
nance. Le  pape  lui  montre  encore  que  la  guerre  qu'il  soutient  est 
plutôt  intestine  et  fratricide  que  civile,  que  par  cette  manière  d'agir 
il  renie  son  origine  de  la  maison  de  France.  Il  lui  représente  tous 
les  maux  que  cette  guerre  a  causés  k  la  France,  l'invite  k  entendre 
sa  voix  et  celle  des  deux  cardinaux  et  l'exhorte  k  faire  la  paix^.  Au 

1.  Grand,  chron.,  p.  146. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  148,  150. 

3.  Reg.  Vat.  Innocenta  V/,  n°  240,  fol.  5  '\  «  Yen.  fratri  Talayrando  episcopo  Alba- 
nen.  et  dil.  fil.  Nicolao  lit.  S.  Vitalis  presb.  card.  ap.  sedis  nuntiis  salutem,  etc. 
Quanta  comoda  ex  concordia  inter  cariss.  in  Christo  filiuni  nostrum  Karolum  re^'^em 
Navarre  illustrem  et  dil.  fil.  nob.  virum  Karolum  duceni  Normandie  primojçenitum 
cariss.  in  Christo  filii  nostri  Johannis  re'^is  Francoruin  illustris  debeat  verisimiliter 
non  tantuni  regno  Franciesed  etiam  diversis  aliis  rej^nis  et  populis  christifîdelium, 
si  votis  nostris  Deus  annuerit,  provenire,  potest  ex  malis  multiplicibus  que  ex  eorum 
succreverunt  et  continue  succrescunt  dissensionibus  previderi.  [Suas  ad  praef.  regem 
et  ducem  epistolas  intercludens,  eos  hortatur  ut  ad  conclusionem  pacis  intendant; 
ad  quam  si  quid  aliud  conferre  viderint  sibi  celeriter  rescribi  mandat.]  Dat.  Avinione 
VIII  kal.  Januarii  an.  VI.  » 

4.  Raynalp,  ^7171.,  1358,  n"  3,  avait  tort  de  dire  que  la  lettre  à  Charles  le  Mauvais 
est  écrite  «  eadem  pêne  vcrboruni  forma  »  comme  celle  adressée  au  réj^ent.  Il  les  a 
aussi  mal  placées,  n°  2,  au  commencement  de  Tan  1358,  comptant  les  années  du  cou- 
ronnement d'Innocent  VI  dès  le  23  décembre,  au  lieu  de  compter  dès  le  30  décembre. 
Voy.  ci-dessus,  p.  184,  à  la  fin  de  la  note  4. 

5.  Reg.  Vat.  Innoc.  VI,  n°  240,  fol.  "7 '•  :  ((  Carissimo  in  Christo  lil.  Karolo  rcp 
Navarre  illustri,  salutem,  etc.  Etsi  paterne  pietatis...  Sane,  fili  carissime,  quam  gravia 
et  innumera  mala  propter  exortas  primo  inter  cariss.  in  Christo  fil.  nostrum  Johan- 
nem  regem  Francorum  illustrem  et  excellentiam  tuam,  et  deinde  inter  te  ac  dil. 
filium  nobilem  virum  Carolum  ducem  Normannie  prefati  régis  primogenitum,  hoste 


TRAITÉ  DE  LONDRKS,  TRA1TI-:   AVEC    CHARLES   DE  NAVARRE,   1359      319 

régent,  il  rappelle  également  les  malheurs  que  cette  lutte  a  entraî- 
nés, le  presse  de  faire  tout  ce  qui  dépend  de  lui  pour  se  réconcilier 
avec  le  roi  de  Navarre,  car  cette  réconciliation  sera  certainement 
favorable  à  l'élargissement  de  son  père  et  à  la  conclusion  de  la  paix 
avec  l'Angleterre,  que  cette  guerre  entre  frères  a  certainement 
retardés.  Il  le  prie  d'entendre  ses  conseils  et  ceux  des  cardinaux^. 

humani  j^cneris  discordias  seniinante,  provenerint  hactenus  et  provenire,  quod  dolen- 
ter  gerimus,  non  desistunt,  quantumque  nos  ex  cisdem  fuerimus  et  sinuis  usque  ad 
cordis  viscera  lamenlabiliter  anxiati.  explicarede  facili  litteris  non  possenius.  Et  quo- 
niani  tôt  nialis  celeriter  est  iniponendus  finis,  non  quid  sensu,  rectum  judicium  tur- 
bante,  tu  velis,  aut  quid  tibi  forte  inprovidis  aliquorum  consiliis  suj^geratur,  sed  quid 
velle  te  deceal,  cjuid  dictet  ratio,  ({uid  l)ei  beneplacito  congruat,  quid  honestas 
exposcat,  et  quid  régie  celsitudinis  citnvenit  expedit  cogitare.  An  non  tibi,  cuni  tecuni 
sepe  tui  cordis  sécréta  rimaris,  venit  in  mentem  qualia  bella  prosequeris,  que  non 
hostilia,  non  civilia,  immo  intestina  seu  fi'aterna  sunt  potius  nuncupanda  ?  Nunquid 
attendis  quod  non  tantuni  ex  eodem  paterno  stipite  cuni  tuis  traxeris  tui  natalis  ori- 
ginem  cuni  quibus  tam  hostiliter  bcllum  geris,  sed  utrinque  vos  paterna  scilicet  ac 
materna  linea  regalis  genitura  connexuit?  Nunquid  attendis  quanta  inter  illustres 
progenitores  ipsorum  et  tuos  fuerit  hactenus  pacis  unio  et  concordia  caritatis  ?  Pro- 
fecto  si  ista  in  statera  débite  considerationis  appendas,  nichil  indecentius  judicabis 
quam  tam  sublimes  personas  non  solum  consanguinitate  sed  etiam  alïinitate  con- 
junctas  animorum  contrarietate  disjungi,  cum  ex  hujusmodi  dissensione  tôt  cèdes 
hominum,  locorum  incendia,  patrie  depopulationes,  tôt  virginum  stupra  et  alia  innu- 
mera  mala  bellis  sociata  domesticis  oriantur,  ut  vestra  discordia  grave  et  damnum 
publicum  non  sine  formidabili  animarum  periculo  censeatur.  Ne  igitur  ulterius  tôt 
malis  via  pateat  aut  pacis  multiplicibus  commodis  janua  precludatur,  induat  quesu- 
mus  regia  mansuetudo  clementiam,  et  deponat  natura  misericors  animum  indemen- 
tem,  sopiaturira,  mollescant  odia  et  extirpentur  radicitus  simultates.  Inclina  aurem 
tuam,  carissime  fdi,  ad  monita  patris  tui,  ut  quos  sanguinis  stringit  vinculuni,  uniat 
verus  amor.  [Mittit  ad  eos  duos  cardinales.]  Quocirca  serenitatem  tuam  iteratis  pre- 
cibus  rogamus  et  hortamur  attente,  paterno  tibi  consilio  suadentes,  quatenus  pru- 
denter  attendens  quam  sit  dispendiosa  tua  et  ducis  pi^edicti  dissensio,  que,  quamvis 
satis  sit  de  preteritis  lacrimandum,  causam  tamen  dare  malis  amplioribus  nisi  adhi- 
bito  concordie  remedio  non  cessabit...  Ceterum  scire  te  volumus  quod  nos  prefato 
duci  super  hiis  scribimus,  sibi  preces,  exhortationes  et  consilium  similia  dirigenles. 
Datum  Avinione  vni  kal.  Januarii  anno  VI.  » 

1.  lier/.  Val.  Innoc.  VI,  n"  2  40,  fol.  6  :  «  Dil.  fil.  nob.  vii'o  Karolo  duci  Normannie 
caris,  in  Ghristo  filii  nostri  Johannis  régis  Francorum  illustris  primogenito,  salu- 
tem,  etc.  Licet  ex  injuncto...  Sane,  dil.  fili,  super  sopienda  dissensione  quam  inter  te 
et  cariss.  in  Ghristo  fil.  nostrum  Carolum  regem  Navarre  illustrem  jandudum  turba- 
tor  pacis  et  hostis  humani  generis  suscitavit,  et  unitate  inter  vos  reformanda,  nos- 
tras  meminimus  litteras  destinasse,  ex  quibus  licet  nonduni  ad  efTectum  vota  nos- 
tra  pervenerint,  nos  tamen  commoda  pacis  et  dissensionum  discrinn'na  cogitantes  ad 
tuam  et  regni  prefati  quietem  et  pacem  nostra  iterare  exhortationes  et  consilia  non 
cessamus,  et  eo  precipue  quo  regnum  ipsum  vehementioribus  continuo  turbari  flucti- 
bus  et  majoribus  remediis  novimus  indigere.  [Le  pape  énumèrc  les  maux  par  suite  de 
la  guerre  et  continue  :]  Si  quidcm,  si  tecum  ista  nobilitas  tua  consideret  et  inter 
conscientie  tue  secretum  iterata  sepius  meditatione  revolvat,  que  nos  indesinenter 
nobiscum  paterne  compassionis  atïectu  et  assidua  cordis   amaritudinc  recensemus, 


320  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Mais  ces  derniers  s'en  retournèrent  à  Avig-non  sans  avoir  obtenu  le 
résultat  désiré.  En  route,  ils  furent  attaqués  par  des  g'ens  d'armes 
ou  brig-ands  qui  tuèrent  douze  personnes  de  leur  suite  ^. 

Déjà  quelques  mois  avant,  l'empereur  Charles  IV  priait  par  lettre 
la  reine  Jeanne  de  prendre  la  peine  auprès  de  son  neveu  le  roi  de 
Navarre  «  de  avoir  bonne  pais  de  notre  très  cher  cousin  le  régent.  » 
Le  12  octobre,  la  reine  écrit  à  ce  sujet  au  prieur  de  Saint-Martin- 
des-Champs"^.  Le  triste  état  de  la  France  et  l'embarras  où  se  trou- 
vait le  jeune  régent  avaient  assurément  inspiré  cette  démarche 
de  l'empereur.  Dès  le  12  septembre,  il  écrivait  aux  citoyens  et  aux 
mag-istrats  de  Strasbourg  et  de  Metz  pour  leur  exposer  le  grand 
péril  dont  était  menacé  le  régent  et  les  inviter  à  le  secourir  selon 
leur  pouvoir*^. 

Mais,  à  tous  ces  efforts  réunis,  Charles  le  Mauvais  répondait  par 
une  guerre  acharnée  contre  le  régent  et  la  France  comme  nous 
l'avons  vu  au  chapitre  111.  Cependant,  la  marche  des  événements 
amena  peu  à  peu  une  réconciliation  que  le  pape,  l'empereur  et  les 
cardinaux  avaient  été  impuissants  à  procurer. 

La  trêve  de  Bordeaux  qui  devait  expirer  le  21  avril  1359  touchait 
à  sa  fin  ^.  Le  roi  Jean,  prisonnier  en  Angleterre,  et  son  fils,  régent  du 

nosiris  ut  speramus  acquiesces  monitis  et  subrepentibus  jam  dudum  discordiis, 
quantum  in  te  fuerit,  finem  pones,  animuni  tuum  ad  pacis  dulcedinem  inclinando. 
Nam  etsi  te  gravis  negotiorum  multitude  circumstrepat  varieque  sollicitudines  ultra 
quam  tenella  adhuc  etas  tua  requirat  pectus  tuum  ad  expedienda  que  imminent 
multipliciter  interpellent,  nichilominus  tamen  illud  tuis  semper  infixum  esse  débet 
afîectibus,  ut  prefati  genitoris  tui  liberationem  procures  quanto  potes  ardentius  fes- 
tinare,  que  una  cum  desiderata  nobis  et  toti  Romane  ecclesie  pace  inter  ipsum  et 
carissimum  in  Christo  filium  nostrum  Eduardum  regem  Anglie  illustrem  fîenda  ex 
hujusmodi  discordiis  quasi  obstaculis  oppositis  récépissé  verisimiliter  creditur  tardita- 
tem.  Igitur,  fili,  ut  liberationem  prefati  genitoris  tui  et  statum  pacificum  suum  ac 
tuum  et  prefati  regni  videre  dignius  merearis,  audi  et  vide;  inclina  aurem  tuam  in 
monita  patris  tui,  ncc  te  adeo  conceptus  ex  quacunque  causa  juvenilis  fervor  incen- 
dat  ut  non  sentias,  plura  intestinis  discordiis  quam  exteris  bellis  régna  et  imperia  et 
sepe  numéro  potentissimas  ac  famosissimas  toto  orbe  respublicas  corruisse...  [Signi- 
ficat,  se  ad  ipsos  utillae  domesticae  dissensiones  toUerentur,  duos  cai'dinales  desti- 
nasse, et  se  de  pace  concludenda  etiam  ad  regem  Navarrae  scripsisse.j  Dat.  Avi- 
nione  viij  kal.  Januarii  anno  VI.  »  Dans  Ray>'ald,  on  trouve  la  fin  de  la  lettre 
depuis  :  «  Nam  etsi  te  gravis.  » 

1.  Vn.LAM  dans  Muratori,  XIV,  p.  550. 

2.  Œuvres  de  Froissart^  éd.  Kervyn  de  Lettenhove,  XVIII,  p.  404. 

3.  Voy.  A,  Leroux  dans  ses  Recherches  critiques  sur  les  relations  politiques  de  la 
France  avec  V Allemagne  de  1292  à  1378  (1882),  p.  267, 

4.  Voy.  ci-dessus,  p.  147. 


TRAITÉ  DE  LONDRES,  TRAITÉ  AVEC  CHARLES  DE  NAVARRE,  1359   321 

royaume  de  France,  étaient  convaincus  qu'après  ce  ternie  les  hostili- 
tés éclateraient  avec  une  force  inouïe  ;  c'était  la  conviction  presque 
générale^.  Que  fallait-il  attendre  des  Ang-lais  quand  ils  auraient 
champ  libre,  dès  lors  qu'ils  s'étaient  montrés  si  acharnés  pendant  la 
trêve?  Le  roi  et  le  rég-ent,  craignant  donc  avec  raison  une  nouvelle 
invasion  du  roi  d'Angleterre,  cherchaient  l'un  et  l'autre  selon  leur 
situation  respective  à  prévenir  cette  malheureuse  éventualité. 

Le  rég'ent,  tout  à  fait  à  la  hauteur  de  sa  tâche,  se  préparait  à  con- 
tinuer la  guerre.  Mais  de  quelle  manière  allait-il  faire  face  à  l'en- 
nemi? Ses  forces  disponibles  étaient  incapables  de  résister  à  l'enva- 
hissante armée  anglaise.  «  Chacun  peut  voir,  lit-on  dans  un 
Mémoire  du  temps,  en  quel  état  seront  le  peuple  et  le  royaume,  si 
le  roi  d'Ang-leterre  ou  le  prince  de  Galles  reviennent,  car  nous 
avons  assez  à  faire  de  sauver  nos  corps  contre  les  ennemis  qui  sont 
à  présent  dans  le  royaume  ~.  » 

Le  régent  essayait  de  se  procurer  des  alliances.  Lui  et  son  frère 
Jean,  comte  de  Poitiers,  envoyaient  des  ambassadeurs  en  Hongrie, 
en  Autriche  et  auprès  de  l'empereur  Charles  IV,  comme  il  résulte 
des  lettres  datées  du  18  février  1359.  Le  pape  écrit  à  Louis,  roi  de 
Hong-rie,  que  le  duc  de  Normandie  et  Jean,  comte  de  Poitiers,  lui 
envoient  Pierre  Begon,  archidiacre  de  Comminges,  et  le  chevalier 
Etienne  Fayn,  pour  certaines  affaires  qui  s'exposent  mieux  verbale- 
ment que  par  écrit.  Il  lui  rappelle  sa  parenté  avec  la  maison  de 
France,  le  prie  de  bien  recevoir  les  deux  lég-ats  et  de  les  renvoyer 
aux  deux  princes  aussitôt  que  l'affaire  aura  été  favorablement  trai- 
tée ^.  Des  lettres  semblables  étaient  destinées  aux  deux  reines  Eli- 


1.  Au  moins  à  Avignon  on  disait  au  commencement  de  1359,  que  le  roi  d'Angle- 
terre avait  l'intention  de  venir  à  Calais,  le  duc  de  Lancaster  en  Provence,  le  prince  de 
Galles  en  Gascogne,  un  quatrième  en  Bretagne,  et  un  autre  encore  en  Normandie. 
Choix  (le  documents  hist.  inédits  sur  le  Dauphiné,  par  U.  Chevalier  (1874),  p.  156, 
où  ce  Mémoire  est  mal  place  à  l'an  1360.  Cf.  encore  ci-dessous,  p.  323,  not.  3. 

2.  Mémoire  du  printemps  de  1359,  cité  ci-dessous,  p.  323,  not.  5. 

3.  Reg.  Val.  Innocent.  VI^  n°  240,  fol.  19  :  «  Carissimo  in  Christo  fîlio  Ludovico 
régi  Ungaric  illustri,  salutem,  etc.  Gum  dil.  filii  nobiles  viri  Karolus  dux  Normanie, 
primogenitus,  et  Johannes  cornes  Pictaven.  natus  cariss.  in  Christo  filii  nostri  Johan- 
nis  régis  Francorum  illustris,  dil.  fîlios  Petruni  Begonis,  archidiaconum  de  Aura  in 
ecclesia  Convcnarum,  et  ndb.  virum  Stephanum  de  Fayno,  militem,  latores  presen- 
tiuni  nuncios  suos  pro  certis  negotiis,  sicut  accepimus,  per  eos  ministerio  vive  vocis 
tue  celsitudini  exponendis  ad  prescntiam  tuam  mittant,  nos  attendentes  quantum 
inter  te  et  illos,  qui  ex  eodem  generosi  sanguinis  stipite  processistis,  esse  debeat  vin- 

R.-P.  Denifle.  —  Désolât  10  ecclesiurum  II.  21 


322  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

sabeth,  Tune  mère,  et  l'autre  femme  du  roi  de  Hongrie  i.  Par 
différentes  lettres,  le  pape  engageait  les  archevêques  de  Grau,  de 
Kalocsa  et  quelques  autres  évêques  et  seigneurs  à  assister  de  leurs 
conseils  les  deux  légats  envoyés  auprès  du  roi  Louis  pour  la  réus- 
site de  leurs  négociations  -.  Pierre  Begon  et  Etienne  Fayn  furent 
aussi  envoyés  aux  deux  ducs  d'Autriche,  Rodolphe  et  Frédéric, 
pour  la  même  affaire,  et  la  duchesse  est  priée  parle  pape  d'aider  les 
légats  de  son  intervention  et  de  sa  faveur  auprès  de  son  mari 
Rodolphe  •\  Ce  n'était  pas  encore  assez.  L'empereur  Charles  IV,  le 
plus  puissant  de  tous  et  le  plus  voisin  de  la  France,  à  qui  il  avait 
toujours  témoigné  tant  de  bienveillance,  ne  devait  pas  être  mis  de 
côté.  Lui  aussi  était  prié  de  recevoir  les  légats  pour  cette  affaire  que 
le  pape  lui  recommande  instamment  ^. 

De  quelle  affaire  s'agissait-il  ?  Je  crois  qu'en  première  ligne  il 
était  question  du  triste  état  des  domaines  de  l'Eglise  en  Italie,  et 
en  particulier  de  la   ville  de   Bologne,  laquelle  avait  été,  quelques 

culuni  caritatis  et  quam  specialis  dilectionis  afl'ectus ,  serenitatem  tuam  rogamus 
attente  quatinus  nuntios  prefatos  bénigne  suscipiens  eos  super  hiis,  que  tibi  expo- 
nenda  duxerint,  prout  lionori  tuo  convcnit  et  excellentiani  luani  decet,  velis  de  solita 
munificentie  tue  plenitudine  ad  niittentes  i*eniittere  tam  celeriter  quam  favorabiliter 
expcditos.  Datuni  Avinione  xii  kal.  Martii  anno  septinio.  >» 

1.  lieg.   Val.  Innocent.  VI,  n"  2  iO.  fol.  20,  21. 

2.  Ihicl.,  fol.  20 '\  21  :  «  Yen.  fratri  Nicolao  archiepiscopo  Strigonien.  saluleni,  etc. 
Guni  ad...  fraternitatcm  tuam  rogamus  et  hortamur  attente  quatenus  prefatos  nuncios 
circa  commissa  eisdem  négocia  promovenda,  prout  cum  Deo  poteris,  consiliis  dirigas 
apud  regeni  predictuni  pro  eorum  expedilione  favorabili,  luis  operibus  et  opéra 
intendas  diligentius  et  assistas  ».  Après  :  In  eodem  modo  ven.  fratri  Thome  archi- 
episcopo Coloccn.  ;  nob.  viro  Xicolao,  comiti  Palatino  ;  nob.  viro  comiti  de  Cicilia  ; 
Stéphane)  Nitrien.  episcopo  ;  episcopo  Waradien.  ;  episcopo  Agrien.  ;  Guillelmo  prepo- 
sito  eccl.  Agrien.  ;  nob,  viro  Nicolao  de  'sic).,  militi  generalis  curie  cariss.  in  Christo 
filii  nostri  Ludovici  régis  Ungarie  illustris  judici. 

3.  Ibid.,  fol.  19'',  20''.  Les  lettres  d'Innocent  VI  à  deux  ducs  ont  la  même  teneur 
que  celle  au  roi  de  Hongrie. 

4.  Ibid.,  fol.  21''  :  «  Carissimo  in  Christo  111.  Ivarolo  régi  Homanorum  semper 
augusto.  salutem,  etc.  Cum  dil.  filii  nob.  viri  Karolus  dux  Normannie.  dalphinus 
Viennen..  primogenitus,  et  Johannes  cornes  Pictaven..  natus  cariss.  in  Christo  filii 
nostri  Johannis  régis  Francorum  illustris,  pro  certis  eorum  negotiis,  que  ministerio 
vive  vocis  latius  exponi  poterunt  quam  scripturis,  mittant.  nos  attendentes  quod  ad 
eosdem  dalphinum  et  comitem  tanuiuam  ad  filios  tuos  haberc  te  convenit  paterne 
dilectionis  afTectum.  serenitatem  tuam  rogamus  et  hortamur  attente,  quatenus  prefa- 
tos eorum  nuncios  bénigne  suscipiens  et  magnitudinis  lue  benivolentia  intelligens 
diligenter  eosdem  super  hiis  que  tibi  exponcnda  duxerint,  prout  honori  tuo  convenit 
et  excellentiam  tuam  decet.  \  élis  de  solita  munificentie  tue  plenitudine  ad  destinantes 
remittere  tam  celeriter  quam  favorabiliter  expeditos...  Dat.  Avinione  xii  kal.  Martii 
anno  septimo.  »  Cf.  ^^^EHU^SKY,  n"  i80. 


TUAIÏÉ   DK  LONDKES,  TKAITÉ   AVEC  CHAIU.KS    DE  NAVAHRE,    13^]1J      323 

années  avant,  enlevée  par  force  à  l'Église  Romaine  K  Nous  savons 
qu'en  même  temps  le  pape  avait  envoyé  des  légats  auprès  de  l'em- 
pereur Charles  IV  et  du  roi  de  Hongrie  pour  les  engager  à  porter 
secours  contre  les  ennemis  -.  Mais  ce  but  principal  n'exclut  pas  la 
question  des  affaires   de  France;  autrement,   on   ne  comprend  pas 
bien  pourquoi   le  régent  et  le   comte   de  Poitiers  auraient  envoyé 
des  légats.  En  eil'et  on  lit  aussi  dans  un  Mémoire  du  temps,  adressé 
au  dauphin,  que  «  messires  escrive  au  S.   Père  qu'il  vuille  envoier 
deux   personnes  suffisantes   au  roi    d'Ongrie...    qu'il  vuille   en    sa 
propre  personne  venir  en  son  ayde  et  pour  la  délivrance  du  roy  et 
la  deffense  du  royaume,   et  par  consequens  de   toute  crestienté..., 
quar  li  diz   rois  est  moult  vaillans  et  si  ayme  moult  l'onneur  et  le 
proffit  de  France,  et  est  moult  dolans  de  la  prison  du  roy  et  de  ses 
domaiges,   et  si  est  tenuz  le  plus  puissans  roys  en  gent  et  qui  a  la 
meilleur  qui  soit  ou  monde  ^  ». 

Cette  mission  coïncide  avec   un  autre  projet.  Le  régent  s'occupa 
d'une    alliance  avec  Waldemar  III,  roi  de   Danemark;  il  entama 
avec    lui    des   négociations    qui    aboutirent   à    un   projet    de  des- 
cente  en  Angleterre.  Waldemar  avait  déjà  avant  cette  année  fait 
des  alliances  avec   plusieurs   ducs,    comtes,    barons    et    chevaliers 
d'Allemagne  qui  avaient  juré   d'aller  avec  lui  en  Angleterre  ^.  Le 
but  de  cette   invasion  était  de  délivrer  le  roi  Jean  et  d'empêcher  le 
roi    d'Angleterre  et   d'autres   d'envahir  la    France.    L'Angleterre, 
envahie  elle-même,  eût  été   forcée  pour   se  défendre   de    rappeler 
ses  soldats  répandus   sur  le   sol  français,    ce  qui   eût  mis  fin  à  la 
guerre  et  eût  du  même  coup  vengé  la  France.  Des  commissaires 
envoyés  par  le  régent  devaient  parcourir  les  provinces  de  la  Langue 
d'Oil  dont  les  Etats  approuvaient  le  projet   ci-dessus,  pour  obtenir 
qu'elles  fournissent   les   premiers   subsides.    11   restait  encore   aux 
Languedociens  400.000  florins    à   verser '^•.   Comme  dans  les  pro- 

1.  Voy.    Raynalo,  Ann.,  1350,  n°  6  suiv.  ;  1355,  n°  25  ;  1356,  n°  30;  1360,  n"   6.  Cf. 
Reumont,  Gesch.  der  Stadt  Rom,  II,  p.  900  suiv.,  928. 

2.  Voir  ViLLANi  dans  Muratori,  XIV,  p.  605.  Cf.  encore  Winkelmann,  Acta  imperii 
inediia,  II,  p.  556,  n°  872. 

3.  Dans  Choix  de   documents  (cite  ci-dessus,  p.  321,  not.  1),  p.  155.  Personne  ne 
doutera  plus  que  ce  Mémoire  est  du  commencement  de  1359,  non  de  1360. 

4.  Mémoire  cité  dans  la  note  suivante,  p.  427. 

5.  Mémoire  ou   Mémorial,  publié  par  Geumain  dans  Mém.  de  la  Soc.  archéol.  de 
Montpellier,  t.  IV  (1858),  p.  425  à  429;  réimprimé  par  de  Lettexhove  dans  Œuvres 


324  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

vinces  de  Langue  d'Oil,  des  émissaires  allèrent  plus  tard  en  diverses 
villes  de  la  Langue  d'Oc  ^  Les  Etats  promirent  200.000  florins^. 

Mais  ce  projet  assez  aventureux,  ainsi  que  la  mission  des  légats, 
en  ce  qui  pouvait  concerner  la  France,  restèrent  sans  succès;  et  le 
régent  dut  se  contenter  du  bon  vouloir  de  chacun. 

Le  roi  de  France,  prisonnier  en  Angleterre,  essayait  à  sa  façon  de 
prévenir  une  nouvelle  invasion  d'Edouard.  On  dit  généralement  que 
l'intention  du  roi  Jean  était  de  recouvrer  à  tout  prix  sa  liberté.  Je  ne 
le  crois  pas.  Il  est  bien  compréhensible  qu'il  ait  désiré  revenir  en 
France,  d'autant  plus  que  jusque-là  les  négociations  n'avaient  pu 
aboutir  '^  ;  mais  s'il  signa  le  traité  de  Londres  dont  nous  parlerons 
tout  à  l'heure,  c'est  sans  aucun  doute  <(  pour  apaisier  les  guerres  et 
lez  maulx  et  douleurs,  dont  le  peuple  estoit  si  mal  mené  »,  motif 
pour  lequel  il  ratifia  plus  tard  le  traité  de  Bretigny  ;  il  considérait 
les  tristes  conséquences  de  la  guerre  passée  :  l'occision  de  ses 
sujets,  le  pillage  des  églises,  l'incendie  des  villes,  le  viol  des 
pucelles,  le  déshonneur  des  femmes,  la  suspension  du  commerce  et 
bien  d'autres  maux  encore,  et  comme  il  le  dit  lui-même,  il  pensait 
à  cela  «  plus  que  pour  la  délivrance  de  nostre  personne  ^  ».  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  18  mars  il  obtint  la  prorogation  de  la  trêve  jusqu'au 

de  Froissart,  t.  XVIII,  p.  405  à  413.  Le  Mémoire  est  plein  de  faits,  et  inspiré  par  un 
patriotisme  élevé.  Luce,  Du  Guesclin^  p.  293,  place  l'ouverture  des  négociations  avec 
Waldemar  III  seulement  à  la  fin  de  mai,  ou  plutôt  au  mois  de  juin,  après  le  retour 
des  légats  en  Angleterre,  quand  on  avait  appris  à  Paris  qu'Edouard,  transporté  de 
colère  de  ce  que  le  traité  n'avait  pas  été  ratifié,  caressait  le  projet  d'envahir  de  nou- 
veau la  France.  Mais  le  Mémoire  fut  déjà,  le  24  juin,  présenté  à  Toulouse  (Germain, 
p.  419,  429  et  suiv,),  et  il  y  est  dit  (p.  428)  que  des  commissaires  étaient  envoyés  dans 
toutes  les  provinces  de  la  Langue  d'Oil  et  que  les  Etats  avaient  déjà  revêtu  le  pro- 
jet de  leur  pleine  approbation  ;  et  qu'avant  toutes  ces  marches,  le  régent  en  avait 
délibéré  avec  son  conseil  durant  plus  d'un  mois.  De  plus,  avant  cette  délibération  le 
régent  avait  envoyé  des  conseillers  en  Danemark  pour  voir  s'il  était  vrai  que  les 
promesses  de  Waldemar  seraient  tenues.  Avec  tout  cela,  nous  arrivons  au  moins 
au  [mois  de  février.  L'ouverture  des  négociations  avec  le  Danemark  coïncide  donc 
avec  l'époque  où  les  légats  du  régent  et  du  comte  de  Poitiers  sont  partis  pour  la 
Hongrie  et  l'Allemagne. 

1.  Voy.  Germain,  p.  419,  429  à  434.  Un  document  qui  regarde  les  Alaisiens  (14  août), 
est  dans  A.  Bardon,  Hist.  de  la  ville  dAlais  (1896),  Pièces  jiistif.,  n"  10,  p.  xix. 

2.  Voy.  DoGNON,  Les  insliiutions  politiques...  de  Languedoc  (1895),  p.  606. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  149  suiv. 

4.  Lettre  du  27  juillet  1361  dans  Rymer,  Foedera,  III,  p.  624  ;  Bardonnet,  Procès- 
verbal  de  délivrance  à  Jean  Chandos  (Niort),  p.  15,  16  suiv.  Mais  le  roi  parlait  déjà 
ainsi  un  an  auparavant,  le  8  juin  1360,  dans  sa  lettre  adressée  aux  Rémois.  Varin, 
Archives  administrât,  de  la  ville  de  Reims,  III,  p.  163. 


TRAITÉ  DE  LONDRES,   TRAITÉ  AVEC  CHARLES  DE  NAVARRE,    1339       325 

24  juin  \  et  le  24  mars,  il  signa  à  Londres  un  traité  désastreux  par 
lequel  il  abandonnait  à  Edouard  :  la  Normandie,  l'Anjou,  le  Maine, 
la  Touraine,  TAngoumois,  le  Poitou,  le  Limousin,  le  Bigorre,  le 
Périgord,  le  Quercy,  l'Agenais,  Tarbes,  le  Pontieu,  Guînes,  Bou- 
logne et  la  suzeraineté  de  la  Bretagne.  Le  roi  d'Angleterre  devait 
jouir  dans  ces  pays  de  tous  les  droits  de  souveraineté  qu'exerçait 
«  le  roy  françoys  »  le  jour  de  la  bataille  de  Poitiers.  La  rançon  pour 
la  mise  en  liberté  du  roi  Jean  y  était  fixée  à  quatre  millions  d'écus 
d'or,  c'est-à-dire  un  million  de  plus  que  ne  portera  le  traité  de  Bre- 
tigny.  Les  otages  devaient  être  quatre  princes  du  sang  royal,  à 
savoir  :  deux  lils  du  roi,  le  duc  d'Orléans  et  le  duc  de  Bourbon, 
et  six  autres 'qui  devaient  être  livrés  à  Edouard  avant  le  1^*"  août. 
Dans  le  cas  où  le  traité  ne  serait  pas  fidèlement  observé,  le  roi  Jean 
redevenait  prisonnier  du  roi  d'Angleterre  2. 

Si  ce  traité  eût  été  ratifié  parles  Français,  les  Anglais  auraient 
régné  sur  tout  le  littoral  depuis  Calais  jusqu'à  Bayonne.  Ils  auraient 
eu  en  leur  pouvoir  les  passages  de  la  Loire,  ancienne  barrière  de  leur 
puissance  en  Aquitaine,  et  en  même  temps  ils  auraient  occupé  les 
deux  rives  de  la  Seine  jusqu'à  Vernon  011  leur  garnison  n'aurait  été 
qu'à  seize  lieues  de  Paris.  La  moitié  occidentale  du  royaume  eût 
reconnu  P]douard  pour  souverain.  La  royauté  française  se  serait 
retrouvée  enfermée  dans  le  berceau  que  lui  avaient  créé  les  pre- 
miers Capétiens  '^. 

Edouard  croyait  être  au  comble  de  ses  désirs,  car  il  recevait  ainsi 
plus  qu'il  n'avait  espéré  au  commencement  de  la  guerre,  ou  même  \ 
en  1344.  Mais  qu'en  était-il  de  son  allié,  Charles  le  Mauvais  avec 
lequel  il  avait  fait  plusieurs  traités,  un  des  plus  importants  vers  la 
fin  de  1357  ou  au  commencement  de  1358,  et  un  autre  au  mois 
d'août  1358  qui  était  encore  en  vigueur  ^?  J'ai  déjà  fait  remarquer 
plus  haut  que  le  traité  de  la  fin  de  1 357  ou  du  commencement  de 
1358,  par  lequel  Charles  le  Mauvais  serait  devenu  roi  de  France 
sous  la  suzeraineté  d'Edouard,  ne  devait  probablement  servir   à  ce 

1.  Rymer,  III,  p.  422. 

2.  Voy.  le  traité  public  par  Cosneau,  Les  grands  traités  de  la  guerre  de  Cent  ans, 
p.  3  à  32.  Moins  correct  clans  les  Œuvres  de  Froissart  par  Lettenhove,  XVIII,  p.  413 
à  433. 

3.  Kervyn  de  Lettexhove  dans  Froissart,  VI,  p.  489  suiv. 

4.  Voy.  ci-dessus,  p.  177  suiv. 


326  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

I 

dernier  qu'à  frapper  un  coup  définitif  après  lequel  le  roi  de  Navarre, 
Charles  le  Mauvais,  serait  resté  dupe  K  C'est  ce  qui  eut  lieu  en 
regard  du  traité  conclu  entre  Edouard  et  Charles  au  mois  d'août 
1358.  Dans  le  traité  de  Londres  1359,  une  clause  concerne  Charles 
le  Mauvais  :  «  Au  cas  où  il  voudrait  empêcher  ou  détourber  par 
lui  ou  par  d'autres  les  choses  qui  sont  et  seront  accordées  entre  les 
deux  rois  (Jean  et  Edouard),  ou  ne  voudrait  prendre  leur  récom- 
pensation pour  les  choses  qui  seraient  laissées  du  sien  au  roi  d'An- 
gleterre par  ce  traité,  ou  ne  voudrait  venir  à  obéissance  du  roi 
français,  le  roi  d'Angleterre,  comme  allié  de  la  France,  serait  tenu 
d'aider  le  roi  français  et  d'être  pour  lui  contre  le  dit  roi  de 
Navarre  -  ».  Charles  le  Mauvais  eût  été  réduit  à  attendre  de  la  bonté 
du  roi  de  France  une  compensation  pour  celles  de  ses  possessions 
qui  tombaient  au  pouvoir  du  roi  d'Angleterre  et  il  eût  été  obligé 
de  se  soumettre  au  roi  Jean  devenu  l'allié  d'Edouard.  Le  roi  d'An- 
gleterre croyant  avoir  atteint  son  but,  et  n'ayant  plus  besoin  du  roi 
de  Navarre,  rompait  sans  l'avertir  l'accord  conclu  avec  lui  et  le 
mettait  de  côté. 

Der  Mohr  hat  seine  Arbeit  gethan,  der  Mohr  kann  gehen  ^. 

Certes,  c'était  de  la  part  d'Edouard  un  manque  de  loyauté 
envers  son  ancien  allié  et  une  preuve  de  plus  à  l'appui  du  reproche 
que  les  Français  faisaient  au  même  temps  au  roi  d'Angleterre  de 
s'être  plusieurs  fois  rendu  coupable  de  parjure  ^.  Mais  Charles  le 
Mauvais  ne  se  parjura-t-il  pas  lui  aussi  maintes  fois  envers  le  roi 
Jean  et  le  régent  et  même  envers  le  roi  d'Angleterre  ou  le  duc  de 
Lancaster?  D'ailleurs,  s'il  eût  été  plus  clairvoyant,  il  eût  pu  déjà, 
en  signant  le  traité  du  mois  d'août  1358,  deviner  qu'Edouard  aspi- 
rait à  la  possession  de  la  Normandie  ;  car  lorsque  les  plénipoten- 
tiaires de  Charles  prétendirent  que  cette  province  lui  devait  être 
cédée,  les  plénipotentiaires  d'Edouard  ne  consentirent  pas,  disant 
que  les  deux  rois  régleraient  cet  article  entre  eux.  Il  fut  bien  réglé, 

1.  Voy.  ci-dessus,  p.  179. 

2.  CosNEAU,  l.  c,  p.  23  suiv. 

3.  S<niiLLER's  Verschworuncf  des  Fiescn,  3,  i. 

4.  Dans  le  Mémoire  du  printemps  de  1359,  plusieurs  fois  cité,  on  lit  :  «  Onques  ne 
nous  tindrent  les  Anji;les  vérité  ne  loyauté,  et  plusieurs  foiz  s'est  li  roys  d'Anjileterre 
parjurez  de  ses  acors.  »  Gehmain,  Mém.,  p.  429.  Voy.  encore  ci-dessus,  p.  103  suiv. 


TRAITÉ  DE  LONDRES,  TRAITÉ  AVEC  CHARLES  DE  NAVARRE,  13^9   327 

en  effet,  mais  sans  Charles  le  Mauvais.  C'est  ainsi  qu'il  fut  dupé,  et 
d'autant  plus  durement  qu'à  la  même  occasion,  il  voyait  son  frère 
Philippe  traité  en  ami  et  recevant  tout  ce  à  ([uoi  lui  et  ses  adhé- 
rents avaient  aspirée  Dans  ces  dernières  années,  Philippe  s'était 
montré  beaucoup  plus  fidèle  que  Charles  à  Edouard  et  à  sa  cause  et 
il  recevait  la  récompense  de  sa  fidélité  -. 

La  nouvelle  et  le  texte  du  traité  de  Londres  arrivèrent  à  Paris 
seulement  au  mois  de  mai  et  y  furent  apportés  entre  autres  par 
Guillaume  de  Melun,  archevêque  de  Sens,  les  comtes  de  Tancarville, 
de  Dampmartin  et  Arnoul  d'Audrehem.  Le  rég-ent  convoqua  à  Paris 
les  gens  d'église,  les  nobles  et  les  députés  des  bonnes  villes  pour 
le  19  mai.  Mais  lecovirt  intervalle  de  temps  laissé  entre  la  convoca- 
tion et  le  jour  fixé  et  le  peu  de  sécurité  qu'ofl'raient  les  routes  tou- 
jours infestées  d'Anglais,  de  Navarrais  et  de  routiers,  ne  permirent 
pas  aux  députés  de  venir  en  grand  nombre.  L'assemblée  se  tint  seu- 
lement le  25  mai.  Guillaume  Dormans,  avocat  du  roi  au  Parlement, 
y  lut  le  traité  en  présence  des  trois  Etats  et  de  tout  le  peuple. 

Le  contenu  du  traité  «  fut  moult  déplaisant  à  tout  le  peuple  de 
France.  »  Les  Etats  étaient  d'avis  que  le  traité  n'était  «  passable  ne 
faisal)le  -^  »  ;  ils  ajoutent  «  qu  ils  auraient  plus  cher  à  endurer  et  por- 
ter encore  le  grand  meschief  et  misère  où  ils  étaient,  que  le  noble 
royaume  de  France  fût  ainsi  amoindri  et  défraudé  ^  ».  Et  pour  cela 
ils  «  ordonnèrent  à  faire  bonne  guerre  aux  Anglais  '^  ». 

Le  peuple  et  les  Etats  firent  preuve  par  ce  refus  d'un  grand  patrio- 
tisme. On  a  dit  qu'à  cette  époque  la  patrie,  pour  les  Français, 
c'était  leur  village,  leur  champ  ou  leur  enclos,  leur  chaumière,  la 
terre  où  dormaient  leurs  pères,  c'est-à-dire  la  patrie  locale  '"'.  Rien 
de  plus  faux.  Si  pour  eux  la  patrie  eût  été  leur  clocher,  pourquoi 
auraient-ils  rejeté  le  traité?  Dans  ce  cas,  il  devait  leur  être  indifférent 
de  vivre  sous  telle  ou  telle  domination  pourvu  qu'on  les  laissât  tran- 

1.  Cf.  COSNEAU,   l.  c,  p.  24. 

2.  Philippe  demande  à  Edouard,  dans  sa  requête  de  1357,  d'avoir  parti  à  chaque 
traité  (jue  celui-ci  ferait  avec  la  partie  adverse.  ÔEuvres  de  Froissart  par  m;  Letten- 
HOVE,  t.  XVIII,  p.  398  suiv. 

3.  Grand.  Chron.,  p.  151  à  154. 

4.  Froissaut,  éd.  Luge,  V,  p.  180. 

5.  Grand.  c/jron.,p.  154.  Cf.  Chron.de  R.  Lescot,  p.  137  suiv. 

6.  G.  GuiBAL,  Hisi.dn  sentiment  national  en  France  pendant  la  guerre  de  Cent  ans 
(1875),  p.  91. 


328  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

quillement  jouir  en  paix  des  anciens  privilèges  avec  l'espoir  de  s'en 
voir  conférer  de  nouveaux;  car,  à  la  vérité,  les  Anglais,  pendant  le 
règne  du  roi  Jean,  montrèrent  quelquefois  plus  de  régularité  et  de  res- 
pect pour  les  libertés  municipales  que  les  Français.  Mais  ce  n'était 
point  cela.  Les  Français  d'alors  avaient  déjà  Vidée  de  la  patrie  com- 
mune. Le  pays  lui-même  leur  est  encore  plus  cher  que  le  roi  ;  ils 
n'acceptent  pas  que  le  noble  royaume  qui  s'était  formé  peu  à  peu 
depuis  23lusieurs  siècles  soit  démembré  et  détruit  ^  ;  et  bien  qu'au 
comble  du  malheur,  ils  rejettent  pour  la  France  ime  domination 
étrangère,  sous  l'inspiration  de  ce  principe  national  :  La  France  doit 
à  tout  prix  rester  aux  Français  -. 

Froissart  dit  à  tort  que  Charles  le  Mauvais  fut  cause  de  l'échec 
des  deux  rois  de  France  et  d'Angleterre  ;  qu'il  aurait  conseillé 
au  régent  de  rejeter  le  traité,  ce  qu'aurait  dit  aussi  avec  irritation  le 
roi  Jean^.  C'est  impossible,  parce  qu'à  ce  moment  les  deux  princes 
n'étaient  pas  encore  réconciliés.  Mais  à  coup  sûr,  pour  son  propre 
intérêt,  Charles  le  Mauvais  fut  satisfait  de  la  non-ratification  ;  et  la 
clause  de  ce  traité  qui  le  concernait  peut  bien  être  considérée 
comme  le  premier  agent  de  sa  réconciliation  avec  le  régent,  arrivée 
quelques  mois  après. 

Il  n'est  pas  improbable  qu'Innocent  VI  ait  espéré  cette  fois  une 
bonne  issue  des  négociations.  Il  n'avait  rien  tant  à  cœur  que  l'élar- 
gissement du  roi  Jean  auquel  il  contribua  même  de  sa  part  en 
envoyant  le  1  4  juin  par  son  nonce  Hugues  Pelegrin,  et  par  Rai- 
mon  Pelegrin,  la  somme  énorme  de  cinq  mille  florins  d'or  au  roi 
Jean  ^.  Le  pape  fut  toujours  le  meilleur  ami  de  la  France. 

1.  Louis  Legrand,  L'idée  de  Patrie  (1897),  p.  18  suiv,,  trouve  la  patrie  française 
constituée  définitivement  seulement  dès  la  fin  du  xv"  siècle,  lorsque  la  Bourgogne 
refuse  de  se  laisser  détacher  du  royaume.  Mais  les  Français  du  xiV  siècle  ont-ils  agi 
autrement?  Et  ce  fait  se  répète  continuellement.  Voy.  ci-dessous,  paragraphe  4. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  5. 

3.  Chron.,  p.  179  suiv.,  181.  Cette  confusion  des  dates  a  échappé  à  Secousse,  Mém., 
p.  401  suiv.,  qui  rapporte  aussi  le  récit  de  Froissart. 

4.  Reg.  Vat.,  n"  241,  fol.  78''  :  «  Carissimo  in  Christo  filio  Johanni  régi  Francorum 
illustri  salutem,  etc.  Dil.  filiis  HugoniPelegrinithesaurarioLichefelden.  ecclesie  apost. 
Sedis  nuntio  et  Raymundo  Pelegrini  archidiacono  Sancti  Sereni  in  eccl.  Caturcen. 
fratribus  damus  per  nostras  alias  litteras  in  mandatis,  ut  tibi,  carissime  fili,  vel  tuo 
certo  mandato,  quinque  milium  florenor.  auri  summam  habeant  manualiter  assignera. 
Quocirca  Serenitati  tue  per  te  vel  alium  seu  alios  dictam  quinquemilium  florenor. 
auri  summam  a  dictis  Ilugone  seu   Raymundo  fratribus  auctoritate  nostra  petendi, 


TRAITÉ  DE  LONDRES,  TRAITÉ  AVEC  CHARLES  DE  NAVARRE,  13o9   329 

Le  rég-ent  ne  voulait  pas,  avec  raison,  sacrifier  la  France  au 
rachat  de  son  père,  et  pour  faire  face  à  l'irritation  du  roi  Edouard, 
il  se  préparait  à  la  guerre  dans  la  mesure  où  sa  triste  situation  le 
lui  permettait.  Le  plus  pressant  était  de  pourvoir  à  la  sûreté  de  la 
capitale.  Déjà  un  peu  avant,  il  avait  puni  sévèrement  quelques  gens 
d'armes  des  forteresses  environnant  Paris  qui  entretenaient  des 
intelligences  secrètes  avec  les  Anglais  et  d'autres  ennemis  de  la 
France,  dans  le  but  de  leur  livrer  ces  places  ^  Le  régent,  à  peine 
âgé  de  vingt-trois  ans,  se  sentit  assez  fort  pour  rétablir,  le  28  mai, 
les  vingt-deux  officiers  proscrits  par  l'ordonnance  du  3  mars  1357, 
dont  deux  étaient  morts  dans  l'intervalle.  11  réintégra  les  autres 
dans  leurs  charges,  les  remit  en  possession  de  leurs  biens  et 
annonça  que  cet  acte  de  réparation  serait  notifié  au  pape^  aux  car- 
dinaux, à  l'empereur,  aux  prélats,  aux  gentilshommes  et  aux  gens 
des  bonnes  villes  -,  montrant  par  cet  acte  qu'il  avait  secoué  sa 
timidité  et  affirmait  son  autonomie.  11  savait  que  les  dispositions  des 
Parisiens  s'étaient  modifiées  et  qu'insensiblement,  l'autorité  légi- 
time reprenait  tous  ses  droits.  Le  l^'"  juin,  il  institua  Régnant  de 
Gouillons,  ancien  sénéchal  du  Poitou,  capitaine  général  de  Paris  et 
de  Lagny  ^.  Le  2  juin,  les  Etats  généraux  accordaient  au  régent 
que  les  nobles  serviraient  à  leurs  dépens  dans  ses  troupes  pendant 
un  mois  et  qu'ils  paieraient  les  impositions  qu'ordonneraient  les 
bonnes  villes.  Les  gens  d'église  s'offrirent  aussi  à  payer  ces  impo- 
sitions. La  ville  de  Paris  fit  don  de  six  cents  glaives,  trois  cents 
archers  et  mille  hommes  à  pied  ^. 

Toutes  ces    mesures  étaient  insuffisantes  pour  la  sécurité  de  la 
ville  de  Paris.  Un  certain  nombre  des  forteresses  qui  l'entouraient 

exigendi  et  habendi  et  de  receptis  solummodo  liberandi  plenius  et  quitandi  plenani  et 
liberain  concedinius  tenorc  presentium  facultatem.  A'olumus  aiileni  quod  de  hiis  que 
abinde  celsitudo  tua  reciperc  contingerit  et  quitare,  duo  consiniilia  fiant  publica 
instrumenta,  quorum  altero  pencs  (juos  tanget  dimisso,  reliquum  nostre  caméra 
transmittatur.  Dat.  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc.  xviii  kal.  .Tulii  anno  vu.  » 
Ibid.,  fol.  78,  est  sous  la  même  date  le  mandat  «  Hugoni  Pelegrini  »  et  «  Raymundo 
Pelegrini.  » 

1.  Secousse,  Mém.,  p.  375  suiv. 

2.  Grand,  chron.,  p.  154;   Ordonn.  des  rois,  III,   p.  345.    Voy.  ci-dessus,  p.  139,  et 
N.  Valois,  Le  conseil  du  roi  aux  XI V",  XV"  et  XVI^  siècles,  p.  69. 

3.  Secousse,  1.  c,  p.  378  suiv. 

4.  Grand,  chron.,  p.  154  suiv. 


330  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

pouvaient  servir  de  log-ement  à  rennemi.  Regnaut  de  Gouillons, 
avec  l'approbation  du  régent,  donna  ordre  de  les  abattre  K  Plusieurs 
autres  étaient  occupées  par  les  ennemis,  en  particulier  par  les 
Navarrais  qu'il  fallait  chasser.  Une  de  ces  places  était  Melun  dont 
ils  possédaient  la  partie  située  sur  la  rive  gauche  de  la  Seine,  avec 
le  château  dans  l'île,  formée  par  deux  bras  du  fleuve  ~,  et  que  le 
régent  entreprit  de  leur  enlever  dans  la  première  quinzaine  de 
juin.  Le  18,  il  vint  en  personne  l'assiéger  à  la  tête  de  forces  impo- 
santes. A  cet  effet,  il  fortifia  l'abbave  cistercienne  du  Lvs,  sur  la 
rive  gauche,  si  maltraitée  par  les  Navarrais  l'année  précédente  •^. 
Trois  reines  résidaient  alors  dans  le  château,  c'étaient  Jeanne,  tante 
de  Charles  le  Mauvais,  Blanche  sa:  sœur  et  Jeanne  de  France  sa 
femme  ^.  De  grands  personnages  tels  que  Robert  de  Fiennes,  con- 
\  nétable  de  France,  Gui  de  Ghâtillon ,  comte  de  Saint-Pol,  prirent 
part  à  cette  lutte.  Mais  le  héros  du  siège  fut  Du  Guesclin  qui,  après 
avoir  été  presque  tué  par  le  Bascon  de  Mareuil,  un  des  plus  ter- 
ribles capitaines  de  la  garnison  navarraise,  dirigea  les  derniers  jours 
l'assaut  général  ^. 

Cependant,  le  10  juillet,  on  savait  à  Melun,  au  moins  au  camp 
des  assiégeants,  que  le  roi  d'Angleterre  se  proposait  d'envahir  la 
France  (au  mois  d'août,  disait-on)  et  d'assiéger  Reims  ^'.  Ces  nou- 
velles parvinrent  peu  après  aux  assiégés  et  les  reines  enfermées 
dans  le  château  s'entremirent  alors  entre  le  régent  et  le  roi  de 
Navarre,  «  car  se  monseigneur  le  duc  et  le  roy  de  Navarre  avaient 
guerre  ensemble,  le  royaume  de  France  serait  en  péril  d'être 
perdu  »,  et  le  roi  d'Angleterre  ne  fera  pas  ses  conquêtes  «  par 
l'avantage  des  fortz  et  des  pontz  du  roi  de  Navarre  qu'il  a  en 
France  ^  ».  Des  préliminaires  de  paix  furent  arrêtés  et,  le  31  juillet, 

1.  Secousse,  Preuves,  p.  1 43  suiv. 

2.  Ci-dessus,  p.  219. 

3.  Ihid.  Cf.  Grand  chron.,  p.  155. 

4.  Froissart,  p.  xLviH  et  note  2;  Luck,  Du  Guesclin,  p.  298. 

5.  Chron.  de  R.  Lescot,  p.  139.  Voy.  sur  tous  les  détails  Lijce,  p.  299  suiv.,  303, 
d'après  Guveher,  Chronique  de  Bertrand  du  Guesclin,  éd.  Ghahhihhe,  t.  I,  p.  124 
suiv.,  vers  3510  à  3670. 

6.  Voy.  Varin,  Arch.  adminislr.  de  lu  ville  de  Reims,  t.  III,  p.  140,  et  ci-dessous, 
paragraphe  2. 

7.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  99  suiv.  Sur  les  négociations  suivantes, 
voy.  Froissart,  p.  162  suiv.,  mais  surtout  Grand,  chron.,  p.  155  à  159;  Secousse,  Mém., 


TRAITÉ   DK   LODKES,  TRAITÉ  AVEC  CHARLES  DE   NAVAKRE,    1359        331 

le  rég-ent  retourna  à  Paris.  Après  de  longues  et  laborieuses  négo- 
ciations, la  paix  entre  le  régent  et  Charles  le  Mauvais  fut  enfin 
signée  à  Pontoise,  le  21  août  '.  (^e  dernier  se  contenta  de  la  restitu- 
tion des  villes,  des  terres  et  de  l'argent  qui  lui  appartenaient.  Le 
môme  jour,  la  reine  Blanche,  sa  sœur,  céda  Melun  au  régent  en 
échange  de  Vernon,  de  Pontoise,  du  vicomte  de  Gisors.  de  (iour- 
nay  et  de  Neufchâtel-en-Bray  '-. 

La  renommée  que  Charles  le  Mauvais  s'était  acquise  chez  ses 
contemporains  était  si  détestable,  sa  duplicité  était  tellement  connue 
et  on  l'avait  vu  si  souvent  rompre  les  traités,  que  plusieurs  soup- 
çonnèrent qu(i  cette  paix  était  une  nouvelle  trahison  ^  D'autres 
disaientqu'il  avait  signé  cette  paix  du  consentement  du  roi  d'Angle- 
terre pour  ruiner  davantage  encore  la  maison  de  France  '*.  D'autres 
enfin  pensaient  que  ces  sentiments  lui  avaient  été  inspirés  par 
Dieu  •'.  A  mon  avis,  c'était  de  la  part  du  roi  de  Navarre  une  ven- 
geance contre  le  roi  d'Angleterre  qui,  comme  nous  l'avons  vu, 
avait  si  singulièrement  agi  envers  lui  dans  le  traité  de  Londres.  Un 
traître  se  vengeait  de  la  trahison  d'un  autre  traître.  Mais  c'était 
aussi  un  acte  de  prudence  de  la  part  du  roi  de  Navarre.  Le  traité,  il 
est  vrai,  ne  fut  pas  ratifié,  mais  les  armements  gigantesques 
d'Iulouard  pour  la  terrible  invasion  qu'il  préparait  étaient  connus 
en  France.  Comme  les  reines  enfermées  au  château  de  Melun  et 
comme  beaucoup  d'autres.  Charles  le  Mauvais  prévoyait  un  désastre 
qui  serait  pour  la  France  pire  que  la  ratification  du  traité.  Et  quel 
en  serait  le  r/sultat?  Peut-être  courait-il  alors  grand  risque  d  être 
écarté  tout  à  fait.  11  crut  ses  intérêts  mieux  sauvegardés  par  une 
paix  conclue  avec  la  France  qu'il  voyait  aller  vers  l'abîme.  A  ce 
moment  peut-être  un  sentiment  de  regret  le  dominait,  car   il  pou- 

p.  -389  sui\ .  Li'CE,  1.  c,  p.  .303,  not.  2,  dit,  qu'aussi  Innocent  Vl  <<  peu  a\ant  le  mois 
de  mai  1359  »  députait  les  cardinaux  Talleyrand  et  Capocci  à  Meulan  pour  tenter  un 
suprême  effort  au[)rès  de  Charles  le  Mauvais.  Ce  «  peu  avant  le  mois  de  mai  »  est  la 
iin  de  décembr<;  1358,  connue  nous  avons  vu  plus  haut,  p.  318. 

1.  Le  document  de  la  paix  n'est  pas  conserve.   Mais  voy.  Grniid.   chron..   p.    159; 
Chron.  de  R.  Lescnl,  p.  139. 

2.  Lmce,  1.  c. 

3;  Grnud.  chron  .  p.  160;  (Ihron.  de  B.  Lescof,  1.  c.  ;  A^m.la.m  dans  Miratoui,  XIV, 
p.  567. 

4.  ViM,.vM,  p.  577. 

5.  Griind.  chron.,  1.  c. 


332  LA    GUERRE   DE    CENT    ANS 

vait  se  dire  qu'il  était  Fun  des  auteurs  de  tant  de  maux.  Quoi  qu'il 
en  soit,  le  21  août,  il  dit  devant  le  conseil  du  régent  qu'il  veut  être 
à  l'avenir  ami  du  roi  et  du  régent  de  France,  parce  qu'il  voit  bien 
«  que  le  royaume  de  France  estoit  sur  le  point  d'estre  destruit  »,  et 
lui,  si  proche  de  la  maison  de  France  par  son  père  et  sa  mère,  ne 
peut  ni  ne  veut  souffrir  ce  malheur;  qu'à  l'avenir,  il  servira  de 
tout  son  pouvoir  le  roi  et  le  régent.  Devant  le  peuple,  il  ajouta  qu'il 
ferait  rendre  toutes  les  forteresses  prises  par  lui  et  par  ses  alliés 
depuis  qu'il  s'était  fait  l'ennemi  du  roi  et  du  régent  i.  Peut-être 
que  Charles  le  Mauvais  fut  alors  plus  sincère  qu'il  l'avait  jamais  été 
dans  sa  vie,  car  dans  les  trois  années  qui  suivirent  on  eut  peu  de 
choses  à  enregistrer  à  son  sujet  ~. 

Les  armements  d'Edouard  durent  aussi  disposer  le  régent  à  faire 
la  paix  avec  Charles  le  Mauvais;  dans  le  même  temps,  il  craignait 
un  échec  devant  Melun  parce  que,  le  25  juillet,  Philippe  de  Navarre 
avait  commandé  à  la  garnison  de  Meulan  de  se  diriger  contre  lui  ; 
enfin,  le  26  juillet,  il  apprenait  que  le  roi  de  Navarre,  avec  une  nom- 
breuse compagnie  de  gens  d'armes,  était  arrivé  à  Mantes  où  il 
attendait  Philippe,  son  frère.  Le  régent  écrit  le  même  jour  aux 
bourgeois  de  Reims  en  leur  demandant  de  secourir  la  ville  de 
Melun  2.  Mais  l'exécution  de  cette  demande  était  plus  que  problé- 
matique, vu  la  situation  de  la  ville  de  Reims.  Il  était  donc  plus 
prudent  d'entrer  en  négociations  avec  Charles  le  Mauvais.  Néan- 
moins, à  cette  occasion,  le  régent  se  montra  très  ferme,  n'accordant 
au  roi  de  Navarre  que  ce  qui  était  selon  le  droit,  mais,  à  part  cela, 
il  n'hésita  pas  un  moment  à  se  réconcilier  avec  lui. 

Cette  réconciliation  comblait  Innocent  VI  d'une  joie  qu'il  exprimait 

1.  Grand,  chron.,  p.  159  suiv. 

2.  Secousse,  Mém.,  p.  398  suiv.,  prétend  que  Charles  le  Mauvais  voulait  dresser  des 
embûches  au  récent  et  le  faire  périr  «  dans  l'espérance  qu'au  milieu  du  trouble  et  de 
la  confusion  dont  la  mort  de  ce  prince  seroit  suivie,  le  roi  d'Angleterre,  qui  étoit  sur 
le  point  d'entrer  dans  le  royaume  à  la  tète  d'une  puissante  armée,  en  feroit  facilement 
la  conquête  ».  Secousse  parle  en  ces  termes,  parce  qu'il  ne  connaissait  pas  le  texte 
du  traité  de  Londres  et  la  clause  qui  y  regarde  Charles  le  Mauvais.  Du  reste,  quels 
sont  les  actes  de  ce  prince  dirigés  contre  le  régent  et  la  France  pendant  l'invasion 
dÉdouard?  Ce  que  dit  Froissakt,  p.  215,  que  le  roi  de  Navarre  avait  défié  le  régent 
est  une  fable.  Je  reviens  tout  à  l'heure  sur  deux  faits  apportés  contre  le  Navarrais 
par  Luge,  ihid.,  p.  lxii,  not.  2,  qui  suit  seulement  Secousse  (p.  400,  403).  Pour  ce  qui 
est  du  récit  de  Zantfliet,  cf.  de  Lettenhove,  Froissart,  VI,  p.  491. 

3.  Varin,  Archives  administratives  de  la  ville  de  Reims^  III,  p.  142. 


TRAITÉ  DE  LONDRES,  TRAITÉ  AVEC  CHARLES  DE  NAVARRE,  13o9   333 

dans  ses  lettres  à  chacun  des  deux  princes  le  10  septembre  K  II  les 
exhorte  à  persévérer  dans  une  bonne  entente  pour  leur  bonheur  et 
celui  de  la  France  ;  mais  quelques  passag-es  de  ces  lettres  prouvent 
encore  une  fois  qu'Innocent  regardait  bien  Charles  le  Mauvais 
comme  l'agent  de  la  discorde.  Enfin  le  roi  de  Navarre  et  le  régent 

1.  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n°  240,  fol,  82  :  Carissimo  in  Christo  fil.  régi  Navarre 
illustri,  salutem,  etc.  Exultavit  in  Domino  cor  nostrum  et  expectata  jam 
dudum  mentem  nostram  complevit  alacritas  placide  admodum  per  nos  noviter 
intellectis  hiis,  que  litterarum  tuarum  et  dil.  filii  nob,  viri  Garoli  ducis  Nor- 
mannie  cariss.  in  Christo  filii  nostri  Johannis  régis  Francorum  illustris  pri- 
mogeniti  jocunda  séries  continebat.  Quid  enim  de  vobis  jocundius  potuit  ad 
nostras  aures  pervenire,  quam  quod  depositis  domesticis  odiis  et  intestine  discordie 
nubilis,  quibus  interioris  hominis  oculos  hostis  humani  generis  et  tenebrarum  pater 
obduxerat,  splendore  pacis  et  puro  concordie  lumine  serenalis,  tandem  ex  inimicitiis 
in  amplexus  et  colloquia  veniretis.  Gontemplamur  equidem  vos  pre  gaudio  et  quasi 
vos  présentes  haberemus,  datis  utrinque  manibus,  nunc  hinc,  nunc  inde  paternum 
osculum  desiderio  mentis  imponimus,  vobisque  congratulamur  paterne  caritatis  aflec- 
tibus  de  longinquo.  Fecistis  namque  rem  nobis  et  christifidelibus  gratam  pariter  et 
acceptam,  vobis  utilem  et  regno  Francie  tam  multis  fatigato  laboribus  plurimum 
fructuosam.  [Le  pape  expose  les  biens  provenant  de  la  paix,  et  les  malheurs  qui 
suiv^ent  la  discorde,  et  continue  ;  ]  Sed  si  hec  et  illa  ad  rem  ipsam  pertinentia  débita 
meditatione  considères,  carissime  fili,  et  quis  sit  pacis  et  concordie  fructus  et  discor- 
diarum  finis  ad  interni  judicis  deducas  examen,  profecto  non  tantum  concoi'diam, 
quam  vestris  pecloribus  Dominus  inspiravit  stabilii'c  cotidie  quantum  in  te  fuerit 
procurabis,  sed  pudebit  etiam  cum  fratre  tuo,  cui  te  generosi  sanguinis  stipes  unit, 
habuisse  discordiam  vel  in  fraternam  secum  longe  prius  amicitiam  non  rediisse.  Licet 
itaque  ad  hujusmodi  rei  tam  laudabilis  firmitatem  credamus  mansuetudinem  regiam 
nostris  suasionibus  aut  monitis  non  egere,  cogentc  nos  tamen  paterne  caritatis  alTectu 
excellentiam  tuam  rogamus...  quatinus  pacem  et  unitatem  prefatam,  ut  dictarum 
litterarum  vestraïaim  ténor  habct,  inter  vos  stabiliter  reformatum,  omni  diligentia 
colère  et  solida  cures  perseverantia  confirmare  et  corone  Francie  juxta  tue  promis- 
sionis  debitum  intendere  fideliter  et  servire,  ut  sic  in  amore  fraterno,  etc.  Ceterum 
super  promotione  dil.  filii  magistri  Roberti  Porte,  cancellarii  tui,  ad  ecclesiara 
Al)rincen.  vacantem  ad  presens,  pro  quo  tam  regia  celsitudo,  quam  dux  predictus, 
nobis  in  eisdem  litteris  humiliter  supplicavit,  nondum  spirante  vacationum  tempore, 
nichil  potuit  per  nos  cum  IVatribus  nostris  S.  R.  E.  cardinalibus  consultari.  \''erum  in 
tempore  matura  cum  eisdem  cardinalibus  deliberatione  prehabita  tam  tibi  quam 
prefato  duci  curabimus  de  promotione  ipsa  quantum  cum  Deo  poterimus  compla- 
cere.  Dat.  Avinionc  iiij  idus  Septembris  anno  VII  ». 

La  lettre  adressée  au  régent  (fol.  83)  est  identique  avec  la  lettre  destinée  au  roi 
de  Navarre,  jusque  :  «  Sed  si  hec,  fili  dilecte,  attenta  meditatione  considères,  et... 
quanta  quoque  juvenilibus  tuis  humeris,  quod  pia  compassione  referimus,  negociorum 
incumbant  onera  et  quanta  te  premat  gravitas  agendorum,  profecto  concordiam, 
ipsam  quam  vestris  pecloribus  dominus  inspiravit,  et  ex  qua  tam  régi  patri  tuo  quam 
tibi  ac  regno  Francie  plura  sunt  quam  previderi  possint  commoda  verisimiliter  pro- 
ventura,  stabiliter  cotidie  et  cum  dicto  rege  Navarre  flammam  mutue  caritatis  ardere 
quantum  in  te  fuerit  procurabis.  Licet  itaque  [etc.,  comme  plus  haut,  jusquel  perse- 
verancia  confirmare  ut  sic  in  amore  fraterno  »,  etc.  Suit  Tavertissement  relatif  à 
Robert  Porte. 


334  LA    GUEKRE    DE    CENT    ANS 

demandaient  au  pape  que  Robert  Porte,  chancelier  du  premier,  lut 
promu  au  sièg-e  d'Avranches.  A  la  même  date,  le  pape  écrivit  aussi 
à  Jean  de  Dormans,  chancelier  de  Normandie,  évêque  de  Beauvais, 
le  priant  d'assister  le-»  deux  princes  de  ses  conseils  afin  que  leur 
amitié  soit  durable  '. 

Qui  se  montra  irrité  de  ce  traité,  ce  fut  Philippe  de  Navarre,  le 
bien-aimé  d'Edouard  III  ;  il  reprocha  à  son  frère  d'être  déloyal 
envers  le  roi  d'Angleterre  et  partit  brusquement  ~.  Mais  Charles  le 
Mauvais  tint  parole  :  peu  après  la  conclusion  du  traité,  les  Anglais 
sortirent  de  Poissy,  de  Ghaumont  en  Vexin  et  de  plusieurs  autres 
forteresses  -K  Si  cela  ne  s'exécuta  pas  partout,  on  ne  peut  le  lui  tou- 
jours imputer  ;  les  soudoyés  anglais  et  même  ceux  des  Navarrais 
refusèrent  souvent  d'évacuer  les  places  et  continuèrent  la  guerre.  Il 
n'était  pas  au  pouvoir  de  Charles  le  Mauvais  de  réparer,  ni  de 
faire  cesser  à  son  g-ré  les  maux  qu'il  avait  lui-même  inlligés  à  la 
France.  Il  aurait  pu  dire  avec  le  poète  allemand  '*  : 

Die  ich  rief,  die  Geister, 
W  erd'  ich  nun  nicht  los. 

D'autre  part,  Philippe  de  Navarre  restait  toujours  allié  du  roi 
d'Angleterre  et  par  suite  ennemi  de  la  maison  de  France.  Or,  leurs 
armées  respectives  étant  toutes  deux  navarraises,  il  était,  pour  les 
contemporains,  facile  de  les  confondre  ;  puis,  parmi  les  troupes  du 
roi  de  Navarre,  tous  ne  chang-èrent  pas  avec  leur  maître  de  senti- 
ments envers  la  France.  Pour  ces  raisons,  on  ne  voit  pas  clairement 
si  Charles  le  Mauvais  est  responsable  de  la  prise  de  Glermont-en- 
Beauvaisis  par  le  captai  de  Buch,  le  18  novembre  ^  et  de  la  conspi- 
ration navarraise  soulevée  contre  le  roi  et  le  régent  par  un  bourgeois 
de  Paris,  Martin  Pisdoë,  qui  fut  exécuté  le  30  décembre  ^\  Quant 

i    1.  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  240,  fol.  83»'. 

2.  Froissart,  p.  163. 

3.  Grand,  chron.,  p.  160. 

4.  Goethr's  BdUâde  Der  Znnberlehrling. 

5.  Ibid.,  p.  164  suiv.  Voy.  ci-dessus,  p.  222. 

6.  Ibid.,  p.  166  suiv.  Ce  sont  les  deux  faits  dont  j'ai  parlé  ci-dessus,  p.  332,  not.  2. 
Un  autre.  Jean  Pcllerin,  accusé  de  trahison,  fut  aussitôt  exécuté  à  Paris,  et  il 
avoua  qu'il  avait  des  complices  à  Rouen,  amis  du  roi  de  Navarre.  ChÉruel,  Hist.  de 
Rouen  pendant  Vépoque  communale,  II,  p.  207.  Malheureusement,  l'auteur  ne  donne 
pas  la  date. 


TRAITÉ  DE  LOiNDKES,  THAITP^  AVEC   CHARLES  DE   iNAVAHRE,  13o9       335 

au  fait  du  captai  de  Buch,  le  roi  de  Navarre  ne  paraît  pas  en  avoir 
été  complice  ;  d'après  le  récit  du  bascot  de  Mauléon,  le  captai  se 
tenait  à  Clermont  et  se  battait  pour  le  roi  d'Angleterre  ^  ;  c'est 
donc  sur  Edouard  et  non  sur  Charles  le  Mauvais  que  retomberait 
la  responsabilité  de  la  prise  de  Clermont.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire 
que  la  prétendue  hostilité  du  roi  de  Navarre  contre  le  régent  à  cette 
époque  est  une  fable  avancée  par  certains  chroniqueurs.  Dans  le 
troisième  paragraphe,  nous  verrons  eifectivement  qu'en  mars  1360, 
Innocent  VI  l'engage  à  assister  de  ses  conseils  les  légats  auprès  du 
régent,  au  sujet  de  la  conclusion  de  la  paix  entre  la  France  et  l'An- 
gleterre. Au  même  temps,  Charles  le  Mauvais  refusa  la  lieutenance 
générale  de  Normandie  devenue  vacante  par  l'emprisonnement  de 
Louis  d'Harcourt,  disant  :  «  s'il  faisoit  tous  les  biens  du  monde,  si 
diraient  aucuns  qu'il  ne  feroit  fors  à  la  confusion  du  prince  et  du 
pais  -  ». 

Le  14  octobre,  avait  lieu  à  Paris,  en  présence  du  régent  et  de 
Charles  le  Mauvais,  le  mariage  de  Jean  d'Harcourt,  fils  du  comte 
d'Harcourt  exécuté  en  1356  à  Rouen  par  ordre  du  roi  Jean,  et  de 
Catherine  de  Bourbon,  sœur  de  l'épouse  du  régent  •^.  Ce  mariage 
devait  cimenter  le  traité. 

On  voit  par  là  que  le  régent  avait,  comme  plusieurs  fois  aupara- 
vant, pris  le  traité  au  sérieux  ;  c'est  un  témoignage  de  plus  de  la 
justice  et  de  la  noblesse  de  son  caractère.  Il  envoya  aussi  partout 
des  lettres  contenant  le  traité  conclu  avec  le  roi  de  Navarre,  recom- 
mandant celui-ci  à  la  bienveillance  du  peuple  et  lui  donnant  la 
lil)erté  de  venir  à  Paris  ;  mais  les  Parisiens  et  le  nouveau  prévôt  des 
marchands  firent  des  dilïicultés  parce  qu'ils  redoutaient  encore 
quelque  intrigue  des  traîtres  tels  que  l'évéque  Robert  le  Coq, 
Michel  Casse,  chancelier  de  l'église  de  Noyon,  et  plusieurs  autres  '*. 

1.  OEuvres  de  Froissart,  éd.  de  Lettenhove,  t.  XI,  p.  109.  Ce  récit  a  échappé  ù 
LucE,  Fj'oissarl^  V,  p.  lxii,  not.  2. 

2.  Chroii.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  110.  Covim.h,  Les  États  de  Xormandie^ 
p.  98  suiv.,  prétend  qu'un  conciliabule  tenu  par  les  partisans  de  Charles  le  Mauvais 
a  ofïert  à  ce  dernier  la  lieutenance.  Mais,  si  cela  est  vrai,  comment  le  même  conci- 
liabule pouvait-il  ensuite  choisir  l'archevêque  de  Rouen  pour  lieutenant  du  roi  en 
Normandie  ? 

3.  (ir:ind.  r/iron.,  p.  16 i. 
l.  Ihid.,  p.   KîO,  1(31. 


336  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

2.  Sixième  invasion  du  roi  Edouard  III  en  France. 
Les  Anglais  devant  Reims.,  en  Bourgogne  et  devant  Paris. 

Edouard,  irrité  de  ce  que  la  France  n'avait  pas  ratifié  le  traité 
conclu  entre  lui  et  le  roi  Jean,  commença  aussitôt  après  l'expiration 
de  la  trêve,  c'est-à-dire  après  le  24  juin  1359,  les  préparatifs  d'un 
nouvel  envahissement.  Le  5  juillet  il  enjoignit  à  tous  les  Français 
qui  se  trouvaient  en  Angleterre  d'en  sortir  dans  le  délai  de  quinze 
jours,  les  prisonniers  exceptés  K  Le  12  août,  dans  une  lettre  adres- 
sée à  l'archevêque  de  Canterbury,  il  déclare  qu'il  a  été  trompé  par 
son  adversaire,  le  roi  de  France,  touchant  le  traité  ;  qu'à  cause  de 
cela,  il  va  recommencer  les  hostilités  et  il  invite  l'archevêque  à 
prier  pour  cette  affaire  2.  Le  14  août,  il  fit  transférer  le  roi  Jean  de 
Londres  à  la  forteresse  de  Somerton  '^.  C'est  peut-être  alors  que  se 
répandit  le  bruit  de  l'interception  d'une  lettre  du  roi  Jean,  par 
laquelle  il  aurait  écrit  qu'il  ne  céderait  pas  un  pouce  de  terrain  à 
l'Angleterre  ^.  Edouard  assembla  la  plus  formidable  armée  que 
l'Angleterre  eût  encore  envoyée  au  delà  des  mers.  Il  appela  sous 
les  armes  tous  les  hommes  valides  de  son  royaume  depuis  vingt 
ans  jusqu'à  soixante  ^.  En  même  temps,  des  troupes  auxiliaires  se 
préparaient  sur  le  continent.  Gautier  Masny  arrivait  à  Calais  avec 
quinze  cents  combattants  de  l'Allemagne  et  du  Ilainaut  ^.  Ce  guer- 
rier, chevalier  du  diocèse  de  Cambrai,  avec  qui  nous  avons  déjà 
fait  connaissance  dès  le  commencement  de  la  guerre,  avait  juste- 
ment projeté  la  même  année  d'envahir  avec  ses  troupes  le  Cambré- 
sis  et  de  faire  la  guerre  à  l'évêque  et  à  tout  le  pays.  Le  16  avril, 
Innocent  VI  en  avise  l'empereur  Charles  IV,  le  priant  d'employer 
toute  son  autorité  à  empêcher  dès  le  principe   cette   invasion  ^.  Il 

1.  Delpit,  Collection  générale  des  documents  frnnçnis,  etc.,  I,  p.  82,  n°  181. 

2.  Rymer,  Foedera,  III,  p.  442. 

3.  Ibid.,  et  p.  438,  442. 

4.  Voy.  ci-dessus,  p.  150  suiv. 

5.  Froissart,  éd.  Luce,  V,  p.  198. 

6.  Knightox,  p.  105. 

7.  Recf.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  240,  fol.  31  :  «  Carissimo  in  Christo  filio  Carolo  Roma- 
norum  imperatori...  Nimirum,  fili  carissime,  excrescente  dierum  malitia  plena  turba- 
tionum  sunt  omnia  nec  desunt  qui  cotidie  opprimant  innocentes.  Nupcr  siquidcm  ad 
aures  nostras  querula  satis  insinuatione  pci'veniL,  prout  etiam  ad  excellentic  tue  noti- 


LES    ANGLAIS    DEVANT    REIMS    ET    DEVANT   PARIS,     13î)9,     1360       337 

semble  que  Gautier  Masny,  instruit  de  la  descente  en  France  proje- 
tée parle  roi  d'Angleterre,  ait  changé  son  plan  puisqu'il  se  dirigea 
vers  Calais. 

Le  dessein  d'Edouard  était  d'aller  tout  droit  à  Reims  avec  son 
armée  et  de  donner  le  coup  de  grâce  à  la  maison  de  France  en  s'y 
faisant  couronner  roi  ^.  En  présence  de  l'épouvantable  situation  du 
royaume  absolument  dépourvu  d'une  armée  qui  pût  faire  face  à  l'ar- 
mée anglaise,  on  pouvait  plus  que  jamais  prédire  :  Finis  Françiae. 
Mais  on  vit  encore  une  fois  se  vérifier  cet  adage  :  l'homme  propose 
et  Dieu  dispose. 

Le  l^'"  octobre,  le  duc  de  Lancaster  débarqua  à  Calais.  Cette  ville 
était  déjà  remplie  par  les  troupes  indisciplinées  de  Gautier  Masny 
qui  durent  évacuer  pour  faire  place  à  l'armée  d'Edouard  2.  Le  duc 
de  Lancaster  se  mit  à  la  tête  de  ces  troupes  et  entreprit  une  che- 
vauchée à  travers  l'Artois  ;  il  passa  devant  Saint-Omer  dont  les 
habitants,  prévoyant  le  danger,  s'étaient  proposé  de  prendre,  pour 
assurer  la  sécurité  de  leur  ville,  l'abbaye  cistercienne  de  Clairma- 
rais,  d'y  mettre  des  gens  d'armes  et  de  la  démolir  au  besoin.  Mais 
le  17  septembre  1359,  Louis  de  Maël  empêcha  les  échevins  de 
Saint-Omer  de  porter  aucun  préjudice  à  l'abbaye  ^.  Je  ne  sais  quel 

tiam  jam  credimus  verisimiliter  pervenisse,  quod  dil.  filius  nob.  vir  Walterus  de 
Maiini  miles  Cameracen.  dioc,  vcn.  fratri  nostro  Petro  episcopo  Cameracen.  et  suis 
ecclcsie,  civitati  et  toti  patrie  Cameracen.  hostiles  insultus,  minas  adaugendo  terrori- 
bus  contra  Deum  et  justitiam  perpersonas  notabiles  quasi  bello  et  hiis  que  ad  bella 
secuntur  indictis,  noviter  nunciavit,  occasiones  quasdam  pretendens  frivolas  et 
inanes  ;  nec  valet  per  dictum  episcopum  et  suos  et  ecclesie  sue  fidèles  ambassiatores 
et  nuntios  in  suam  et  suorum  excusationem  et  defensionem  eidem  Waltero  claris 
probationibus  demonstrari,  quod  adversus  eos  ratione  guerrarum  que  inter  reges  et 
régna  Francie  et  Anglic  moventur,  nulla  debeat  aut  jure  bellorum  possit  eis  inferri 
molestia  vet  jactura,  nichilquc  ad  eos  de  talibus  pertinere,  cum  ipsi  extra  régna 
predicta  infra  sacri  tui  imperii  limites  et  excellentie  tue  dominium  constituti  ab 
utriusque  regni  turbationibus  exempti  esse  debeant  penitus  et  immunes.  Idem 
itaque  Walterus,  prout  asscritur,  mixtas  etiam  preces  justis  hujusmodi  dcfcnsioni- 
busnon  attendens,  in  suis  nichilominus  hostilibus  comminationibus  etterroribus  per- 
sévérât. Nos  itaque  tantis  malis  prcteritis,  quorum  sine  mentis  perturbât ione 
reminisci  non  possumus,  paterno  compatientes  alîectu,  ac  propterea  obviari  futuris 
ab  ipsis  principiis  cupientes...  [rogat  imperatorem,  ut  obviet  remediis  opportunis 
his  hostilibus  comminationibus].  Datum  Avinione  xvi  kal.  Maii  anno  septimo  ».  Cf. 
Werunsky,  n"  485. 

1.  Jean  DE  Venette,  p.  297;  Chron.  de  R.  Lescot,  p.  143. 

2.  Froissaht,  p.  191  ;  Knighton,  p.  106. 

3.  Voy.  la  lettre  de   Louis  de  Maël  dans  uk  Laplaxe,   L'abbaye   de  Clairmarais 
(Saint-Omer,  1864),  p.  382,  et  Les  abbés  de  Clairmarais  (1868),  p.  326  suiv.  L'abbé 

[l.-P.   DuNiKLE.  —  Desolalio  ecclesianim  II.  22 


338  LA    GUERRE    DE    CEx\ï*A>S 

sort  lui  fut  réservé.  Il  est  certain  que  l'abbé  et  les  moines  furent  le 
jouet  des  usuriers  par  suite  du  malheur  des  temps  ^ 

Le  duc  ne  fît  aussi  que  passer  devant  Béthune,  occupa  Tab- 
baye  des  chanoines  réguliers  du  Mont-Saint-Eloy  ;  il  se  dirigea 
ensuite  vers  la  Picardie,  du  côté  de  Bapaume  et  de  Péronne  et 
ravagea  toute  la  vallée  de  la  Somme  jusqu'à  trois  ou  quatre  lieues 
d'Amiens.  Le  siège  fut  mis  devant  Braj-sur-Somme,  mais  les 
Anglais  furent  repoussés  par  les  courageux  habitants.  Le  jour  de 
la  Toussaint  les  ennemis  avaient  déjà  traversé  la  Somme  et  se 
trouvaient  à  Cerisy  '. 

Sur  ces  entrefaites,  le  28  octobre,  Edouard,  après  avoir  confié  le 
gouvernement  à  son  jeune  fils  Thomas*^,  s'embarqua  à  Sandwich 
avec  sa  grande  armée  ^  et  débarqua  le  même  jour  -^  à  Calais,  où  il 
restait  plusieurs  jours. 

Ainsi,  dans  le  court  espace  d'un  mois,  le  malheureux  diocèse  de 
Thérouanne  fut  deux  fois  envahi  et  dévasté  par  Pennemi  ;  nous 
avons  vu  plus  haut  qu'il  avait  déjà  été  éprouvé  plusieurs  fois  aupa- 
ravant et  quel  désastre  les  troupes  ennemies  avaient  causé  aux 
divers  monastères  *'.  Ceux  qui  pouvaient  s'en  relever,  comme  l'ab- 
baye bénédictine  d'Auchy-les-Moines,  incendiée  par  les  Anglais 
probablement  en  1346  "^  ou  peut-être  après,  n'avaient  pas  encore 
réparé  les  anciens  dommages  quand  survenait  une  nouvelle  tem- 
pête. L'abbaye  des  Prémontrés  de  Licques  paraît  avoir  été  aussi 
atteinte  alors  ^.  L'abbaye  bénédictine  du  Mont-lez-Thérouanne  vit 

Jacques  de  Minke  chercha  à  se  letirer  à  cause  des  diflicultcs,  et  donna  sa  démission 
en  1365. 

1.  Voy.  Reff.  Aven.  Urbnni  V,  n'  13,  fol.  629'',  ad  an.  1365,  Maii  29  :  «  laici  extor- 
quent pecunias  modo  usurario  ah  abbatc  et  conventu  de  Claromarisco  ». 

2.  FnoissART,  1.  c,  et  Ltjce,  j).  kvi,  not.  2;  Jkan  niî  Vem:ttk,  p.  297. 

3.  Rymeu,  Foedern,  III,  p.  451,  et  p.J.s.çjm;  Walsingh.am,  p.  287. 

4.  Le  Poème  du  Jiéraul  d\-irmes  Chnndos.  éd.  Fkancisqle-Michel.  v.  1520,  se 
trompe  en  disant  :  «  Et  des  autres  plus  de  X  mille  ». 

5.  IUmer,  p.  452.  On  dit  à  tort  aujourd'hui  :  le  30  octobre.  Cl",  aussi  Lemoine  dans 
Chron.  de  R.  Lescot,  p.  208. 

6.  Voy.  ci- dessus,  p.  45,  46  suiv.;  69. 

7.  A.  DE  Cardevacque,  Ilist.  de  Vuhhmje  d'Auchij-le^-Moines  (Arras,  1875),  p.  93 
suiv.  Les  moines  furent  alors  dispersés;  quelques-uns  seulement  restèrent  dans  l'ab- 
baye, les  autres  cherchèrent  un  refuge  à  Hesdin.  Je  ne  sais  si  tous  étaient  de  retour 
en  1359. 

8.  FuoissART,  p.  200.  L'abbaye  de  «  Lisques  »  possédait  un  fort,  au  moins  en  1377, 
Voy.  lettre  de  rémission  dans  Arch.  Nat.,  JJ  111,  n"  58, 


LES    ANGLAIS    DEVANT    KELMS    ET    DEVANT    PAHIS,     1351)^     1 3()()       ^liD 

au  moins  ses  revenus  diminués  à  cause  des  guerres  incessantes  i. 
Du  reste,  toutes  ces  contrées  étaient  depuis  longtemps  dépeuplées, 
ce  qui  arriva  en  particulier  à  la  paroisse  Saint-Etienne  près  de 
Boulog-ne,  comme  l'atteste  Urbain  V  -.  L'abbaye  bénédictine  de 
Sainte-Marie-de-Capelle,  détruite  et  abandonnée  depuis  1346  ou 
1347,  vit  ses  possessions,  ses  terres  et  ses  biens  dévastés.  Le  pape 
fît  remise  à  l'abbé  Laurent  d'une  somme  de  1000  flor. ,  due  à  la 
chambre  apostolique  '\  La  désolation  s'étendait  jusqu'à  Furnes, 
dont  le  doyen  et  le  chapitre  se  plaignent  que  leur  église  est  dévastée 
à  cause  des  incursions,  et  que  les  revenus  annuels  alloués  pour 
la  réparation  rapportent  seulement  deux  florins  ^. 

Edouard  se  dirigea  avec  ses  quatre  fils,  le  prince  de  Galles,  Lio- 
nel, Jean  et  Edmond,  avec  de  nombreux  seigneurs  et  toute  son 
armée  vers  l'Artois  et  la  Picardie,  après  avoir  rejoint  à  Calais  le  duc 
de  Lancaster  et  ses  troupes  alors  de  retour.  Les  Anglais  se  divi- 
sèrent en  trois  colonnes  et  chacune  eut  son  chemin  tracé.  On 
chevaucha  vers  Bapaume,  occupant  Beaumetz  et  pillant  le  Cambré- 

1.  Recf.  Vat.  Grajor.  XI,  n°  286,  foL  128,  ad  un.  1375,  Auf,^  15  :  «  monasterium  S. 
Johannis  Baptiste  in  monte  prope  Morinum...  occasione  jiuerrarum  que  in  illis  parti- 
bus  vij;uerunt,  est  in  suis  facultatibus  diminutum  reparationec{ue  indiget  quamplu- 
rinuim  sumjituosa  ».  Robert,  Hist.  de  Vahbaye  des  Bénédictins  de  Snint-Jetin-au- 
Mont-lez-Thérouanne  (Saint-Omer,  1883),  ne  donne  pas  de  renseigrnenients. 

2.  Beg.  Vat.  Urhani  V,  n°  254,  fol.  71'',  ad  an.  1365,  Jun.  20  :  «  Universis  christifi- 
delibus,  etc.  Licet  is,  etc.  Cum  itaque  sicut  acccpinius  ecclesia  parroch.  Bolonien. 
S.  Stephani,  Morinen.  dioc,  que  prope  mare  in  eminenti  loco  constituta  esse  dicitur, 
proptei"  {;uerras  que  in  illis  partibus  viguerunt  parrochianis  et  habitatoribus...  pluri- 
mum  depopulata  existât,  ac  transfretantes  per  semitas  maris,  qui  nomen  ejusdem 
sancti,  dum  ipsam  concernunt  ccclesiam,  consueverunt  devotissime  invocare,  ejus 
intercessionibus  fuerint  plerumque  a  naufragio  liberali,  propter  que  ad  eandeni 
ecclesiam...  magna  contluit  populi  multitudo...  [Indulgentias  concedit  manus  porri- 
gentibus  adjutrices  ad  labricam  ipsius  ecclesiae].  Dat.  Avinione  XII  kal.  Julii,  anno 
III  ... 

3.  Becf.  Aven.  Urban.  V,  n°  6,  fol.  i72'',  ad  an.  1363,  Jul.  3  :  «  Urbanus...  Ad  per- 
pet.  rei  memoriam.  Ad  ecclesiarum,  etc.  Xuper  siquidem  pro  parte  dil.  filior.  Lau- 
rentii  abbatis  et  conventus  monasterii  B.  Marie  de  Capella,  O.  S.  B.  Morinen.  dioc, 
fuit  jiropositum  in  consistorio  coram  nobis  quod  dictum  mon.  jamdiu  propter  guer- 
ras  que  in  illis  partibus  viguerunt  destructum  extitit,  ipsiusque  possessiones  et  terre 
cum  bonis  mobilibus  taliter  devastate  fueruntquod  a  quatuordecim  anniscitra  monas- 
terium ipsuni  inhabitatum  remansit  et  ipsius  monachos  oportuit  alibi  qucrere  vitam 
suam.  [Absolvit  monasterium  a  solutione  1000  florenor.  auri  pro  communi  servitio 
camerae  apost"'  et  collegio  cardinal,  debitorum,  et  reducit  taxam  ad  300  flor.].  Dat. 
Avinione  V  non.  Julii,  an.  I  ».  Cf.  ci-dessus,  p.  i6. 

i.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  28,  fol.  528,  ad  an.  1362,  Maii  25  :  «  decanus  et  capi- 
tulum  eccl.  S.  Walburgis  Furnen.,  Morinen.  dioc.  »» 


340  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

sis.  Une  colonne  entrant  en  Thiérache,   pays  déjà  plongé   dans  la 
plus  grande  misère,  se  logea  à  l'abbaye  bénédictine   de  Femy  ou 
Fesmy-F Abbaye  du  diocèse  de  Cambrai,  autrefois  menacée  ou  prise, 
en  1339  ^.  De  là,  les  Anglais  faisaient  des  incursions  aux  environs 
de  Saint-Quentin.  Les  monastères  qui  y   avaient  des  possessions, 
comme  par  exemple  Tabbaye  des  Prémontrés   de    Notre-Dame  de 
Vermand  2,  furent  bien  affligés,  d'autant  plus  que  depuis   quelque 
temps  déjà,  l'Artois  et  le  Vermandois  ainsi  que  les  évêchés  de  Laon 
et  de  Reims  étaient  en  proie  à  la  famine,  parce  que  les  terres  n'y 
avaient  pas  été  labourées  depuis  trois  ans.  Les  Anglais  se   faisaient 
suivre   de    leurs    approvisionnements   portés  avec   le   matériel  de 
guerre  par   six   à  huit   mille  chariots  ^    et   avaient    tiré    le   blé  et 
l'avoine  du  Hainaut  et  du  Gambrésis  ;  autrement  ils   seraient  morts 
de  faim  ^.  J'ignore  si  les  excursions  des  Anglais  s'étendaient  jusqu'à 
l'abbaye  bénédictine  Saint-Michel-en-Thiérache,  laquelle  avait  subi 
de    nombreuses  visites  des  ennemis  durant  les  guerres  ^.  Pendant 
toute  cette  double  chevauchée,  les   Anglais  ne    purent  s'emparer 
d'aucune  place  forte  *^,  grâce  à  l'énergique  résistance  que  les  habi- 
tants opposaient  à  un  ennemi  plusieurs  fois   supérieur  en   nombre. 
Le  4  décembre,  Edouard  arriva  devant  Reims  ^.  Mais  il  trouva  la 
ville  bien  fortifiée  et  bien  défendue.  Le  régent  n'avait  pas   moins 
pensé  à  la  sécurité  des  villes  et  de  tout  le  royaume  qu'à  celle  de  la 
capitale.  Le  10  juillet,  devant  Melun,  ayant  reçu  d'Angleterre  la 
nouvelle  qu'Edouard  se  proposait  de  passer  la  mer  au  mois  d'août, 
ne  sachant  pas  quelle  marche  suivrait  l'ennemi,  il  s'était  mis  autant 
que    possible    en   garde  contre   toute  éventualité.  Ainsi,  dans    la 

1.  Cf.  ci-dessus,  p.  12.  L'abbaye  était  à  l'Ouest  de  Femy.  Voy.  Gassini,  n°  42. 

2.  G.  Lecocq,  Hist.  de  Vahbaye  Notre-Dame  de  Vermand  (1875),  p.  57,  qui  du  reste 
parle  à  peine  de  la  guerre  de  Cent  ans. 

3.  FaoïssART  parle  tantôt  de  6.000  chariots  (p.  200),  tantôt  de  8.000  (p.  225),  dont  le 
ti'ain  était  composé.  Chaque  chariot  était  attelé  de  quatre  forts  roncins,  et  le  train 
était  charjijé  de  tentes,  de  moulins,  de  fours  pour  cuire  du  pain,  et  de  tout  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  subsistance  de  l'armée. 

4.  FrOISSART,  p.  MX. 

5.  RoussKAu,  dans  la  Soc.  académique  des  sciences...  de  Saint-Quentin,  3"  sér., 
t.  VIII.  décrit  insuffisamment  l'abbaye,  et  parle,  p.  288,  en  termes  vagues  de  divers 
pillages. 

6.  Chronogr.,  II,  p.  289  suiv. 

7.  Vakin,  Archives  administratives  de  la  ville  de  Reims,  t.  III,  p.  156,  not.  1 
d'après  les  Mémoires  de  Rogier.  „ 


LES    ANGLAIS   DEVANT    RELMS    ET    DEVANT    PARIS,    1339,    1360       341 

crainte  qu'Edouard  ou  quelque  détachement  de  son  armée  vînt 
envahir  la  Normandie,  le  régent  envoya  vers  Pont-Audemer,  près 
de  Quillebœuf,  le  vicomte  de  Polig-nac  et  Robert  de  Clermont  avec 
leurs  g-ens  d'armes  ;  ils  y  restèrent  jusqu'à  la  paix  de  Bretigny  ^  Les 
préparatifs  pour  la  défense  de  Reims  étaient  encore  bien  plus 
urgents,  parce  qu'on  savait  qu'Edouard  voulait,  entre  autres  places, 
assiéger  celle-ci.  Le  jour  susdit,  le  régent  écrivait  aux  échevins 
de  cette  ville  de  veiller  à  ce  qu'elle  fût  bien  pourvue  de  vivres, 
d'artillerie  et  de  toutes  les  choses  nécessaires  à  sa  défense, 
et  il  promettait  aussi  d'y  envoyer  du  secours  -.  Déjà,  dès  l'an  13o7, 
les  habitants  de  la  ville  de  Reims  et  leur  capitaine.  Gaucher  de  Châ- 
tillon,  travaillaient  à  la  fortifier,  ce  qu'ils  firent  davantage  encore 
en  1358,  alors  que  le  cercle  des  forteresses  prises  par  les  Anglo- 
Navarrais  la  serrait  de  plus  près  •^.  Le  31  décembre,  par  ordre  du 
régent,  on  força  les  seigneurs  maîtres  des  châteaux  voisins  de 
Reims  à  les  mettre  en  état  de  défense  et  on  les  menaça  d'abattre 
tout  ce  qui  pourrait  être  dangereux  pour  la  ville  ^. 

Le  21  février  1359,  le  capitaine  ordonna  d'incendier  et  d'abattre 
l'abbaye  bénédictine*^  ou  plutôt  la  forteresse*^  de  Saint-Thierry, 
hors  les  murs,  qui  pouvait  être  préjudiciable  à  la  ville.  On  conti- 
nua la  même  année  les  fortifications  ^,  et  quand  le  danger  fut  immi- 
nent, plusieurs  autres  églises  furent  sacrifiées,  à  savoir  :  celle  de 
l'abbaye  des  Cisterciennes  de  Glairmarais  ^,  celle  de  Saint-Ladre- 
aux-hommes,  et  les  chapelles  de  Saint-André-des-Bours  et  de  Saint- 
Marc-à-Gachot  'K  Les  ecclésiastiques  perdirent  encore  à  cette  occa- 
sion plusieurs  de  leurs  maisons,  et  les  laïques  eurent  le  même 
sort^o.   Quelques   places    fortes    occupées   par   les   ennemis    furent 

1.  Voy.  Chassaing,  Spicilegium  Brivatense^  p.  388. 

2.  Varin,  1.  c,  140  suiv. 

3.  Voy.  MoRANviLLÉ,  Le  siège  de  Reims,  dans,  Bihl.  de  VEcole  des  chartes,  t.  LVI, 
p.  94  suiv.  C'est  à  cette  occasion  que  Reims  fît  alliance  avec  Châlons-sur-Marne  et 
Rethel.  Voy.  Varin,  p.  120,  123. 

4.  Varin,  p.  119. 

5.  Ihid.,  p.  130. 

6.  Voy.  Lemoine,  dans  Chron.  de  R.  Lescol,  p.  243. 

7.  Ibid.,  p.  142,  not.  6. 

8.  Ne  pas  confondre  avec  l'abbaye  d'hommes  du  même  nom  dont  nous  avons 
parlé.  Sur  cette  destruction,  voy.  encore  A'ahix,  p.  572. 

9.  Varin,  p.  161,  et  Mém.  de  Rogier,  ibid.,  p.  147,  not.  1. 

10.  Ibid.,  p.  147  suiv. 


342  LA    GUERRE    DE    CEM'    ANS 

reprises  par  les  Français,  telles  que  Sissonne  et  Roucv  au  mois  de 
juillet  13591. 

Sur  ces  entrefaites  et  pendant  que  se  continuaient  les  travaux  de 
défense  -,  le  régent  avisait  le  22  octobre  les  bourg-eois  que  les  enne- 
mis (le  duc  de  Lancaster  et  ses  troupes)  avaient  déjà  passé  la 
Somme.  Il  les  prie  et  leur  mande  de  rentrer  dans  la  ville  tous  les 
grains  du  plat  pays  et  de  détruire  ce  qui  n'y  pourrait  entrer  aiîn  que 
les  ennemis  ne  trouvent  pas  à  s'approvisionner-^.  Mais  de  nouveaux 
ordres  étaient  inutiles  car,  malgré  l'archevêque  Jean  de  Graon, 
Gaucher  de  Ghâtillon  avait  déjà  pris  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  mettre  la   ville  dans  un    sérieux    état  de   défense  ^. 

Edouard,  arrivé  sur  les  hauteurs  de  Saint-Basle,  s'établit  à  l'ab- 
baye bénédictine  de  ce  nom  et,  plus  tard,  à  Verzy  ^  ;  les  comtes  de 
Richmond  et  de  Northampton  occupaient  les  hauteurs  de  l'abbaye 
bénédictine  de  Saint-Thierry,  le  prince  de  Galles  logea  à  Villedo- 
mange,  le  duc  de  Lancaster  à  Brimont;  lavant-garde,  sous  les 
ordres  du  comte  de  March,  se  rapprocha  davantage  de  la  ville  et 
vint  camper,  une  partie  à  Cernay-lez-Reims  et  l'autre  à  Betheny. 
La  ville  était  presque  cernée  ^. 

Quand  Edouard  vit  tous  les  préparatifs  qu'on  avait  faits  pour  la 
défense  de  Reims,  la  solidité  des  remparts  et  le  courage  des  com- 
battants prêts  à  le  repousser,  il  se  garda  bien,  malgré  le  grand 
nombre  de  ses  troupes,  de  livrer  un  sérieux  assaut.  11  se  résigna  à 
faire  le  siège  de  la  ville,  et  le  prolongea  si  longtemps  que  les 
assiégés  l'écrivirent  au  régent  en  lui  demandant  du  secours.  Le 
26  décembre  celui-ci  promettait  d'envoyer  le  connétable  de  France". 
Pour  passer  le  temps,  les  Anglais  s'occupèrent  à  dévaster  les  envi- 
rons^.  Les  comtes    de  Richemond   et   de    March,    Jean    Chandos, 

1.  Voy.  Peugant,  Le  sièye  de  Reims  par  les  Anglnis  ^1S48\  j).  42  sui\ .  ;  Mohanvim.é, 
1.  c,  p.  91  suiv.  Cf.  ci-dessus,  p.  210. 

2.  Varix,  p.  150  suiv. 

3.  Ihid.^  p.  151  sui\\ 

4.  Voy.  l'arrêt  du  Parlement  du  8  avril  136.3  dans  Luck,  Du  Guesclin,  p.  305,  not.  2. 
Sur  l'archevèciue,  cf.  M(»HA^^  u-lk,  p.  90. 

5.  Cf.  Liîmoi.m:,  dans  Chron.  de  R.  Lescot,  p.  208. 

6.  Grand,  chron..  p.  165  suiv.  ;  Fkoissaht,  p.  2J I  suiv.  ;  Mém.  de  Royier  dans  Varin, 
p.  156,  dot.  1  ;  Mahlot,  Hist.  de  la  ville,  cilè  el  université  de  Reims,  t.  IV,  n'avait 
pas  d'autres  sources  que  celles  qui  ont  été  imprimées  après  par  Varin. 

7.  A'vRix,  p.  156  suiv. 

8.  Ji:\.y  T>n:  ^'E^^TTE:,  p.  29". 


LES    ANGLAIS    DEVANT    REfMS    ET    DEVANT    PARIS,     13o9,     1300       343 

James  Audley  et  surtout  le  duc  de  Lancaster,  voulant  compenser 
leur  insuccès  devant  Reims,  allèrent  à  la  chasse  de  petites  places, 
et  firent  maintes  excursions  dans  le  voisinage,  attaquant,  occupant, 
pillant  ou  incendiant  Cernay-en-Dormois,  Autry,  Maure  ;  Barthé- 
lémy de  Burghersh  assiégea  et  prit  Gormicy  ^  A  Autry,  les 
Anglais  furent  aidés  par  Eustache  d'Auberchicourt  qui  continuait 
sans  cesse  ses  excursions  dévastatrices  sur  les  deux  rives  de 
l'Aisne.  Car,  comme  le  dit  Froissart  2,  pendant  l'invasion 
d'Edouard,  une  foule  de  garnisons  anglaises  ou  autres,  mais  tou- 
jours ennemies,  ravageaient  le  Beauvaisis,  la  Picardie,  Tlle-de- 
France,  la  Brie  et  la  Champagne.  Lorsque  l'injustice  et  la  fourberie 
sont  au  pouvoir,  l'audace  des  filous  n'a  plus  de  bornes. 

Cette  petite  guerre  à  laquelle  étaient  réduits  les  Anglais  leur  ser- 
vait peu.  Après  trente-neuf  jours,  se  trouvant  au  même  point  qu'à 
l'arrivée,  le  roi  d'Angleterre  leva  le  siège  le  11  janvier  1360  3,  c'est- 
à-dire  en  plein  hiver.  Son  espoir  d'entrer  triomphalement  à  Reims 
au  son  des  trompettes  pour  s'y  faire  couronner  roi  de  France  était 
déçu,  grâce  à  la  courageuse  résistance  et  au  patriotisme  des 
Rémois  qui,  n'ayant  reçu  aucun  secours,  n'avaient  eu  que  leurs 
propres  forces  à  opposer  à  l'ennemi.  Ce  fut,  dans  cette  campagne, 
le  premier  échec  d'Edouard. 

Très  probablement,  c'est  pendant  ce  siège  que  l'Hôtel-Dieu  de  la 
ville  de  Bourg,  à  quatre  lieues  au  sud-est  de  Rethel,  fut  détruit 
avec  la  chapelle  ;  presque  toute  la  cité  eut  le  même  sort  et  fut  par 
suite  dépeuplée,  les  riches  mêmes  furent  réduits  à  la  pauvreté  ^  Le 

1.  Knighton,  p.  107  à  109;  B'roissart,  p,  214,  220.  Voy.  Moranvim.é,  1.  c,  p.  9i  à 
98,  qui  nomme  à  tort  James  Audley  «  Jean  ». 

2.  Chron.,  p.  227  suiv..et  p.  i.xviii,  not.  8.  Voy.  ci-dessus,  p.  2i2. 

3.  Grnnd.  chron.,  p.  167;  Mém.  de  Royier  dans  Vahin,  p.  157,  note. 

4.  Heg.  Vat.  Urb.  F,  n°  251,  fol.  248«>,  ad  an.  136i,  April.  19  :  «  Universis  christifi- 
delibus  présentes  litteras  inspecturis,  salulcm,  etc.  Quoniam  ut  ait  apostolus...  Cum 
itaque  sicut  accepimus  Domus  Dei  ville  de  Burgo,  Renien.  dioc,  que  in  bonis  lectis 
et  aliis  necessariis  utensibilibus  retroactis  temporibus  abundare  solebat  et  in  qua 
pauperes  Christi  et  infirnii  recipi  et  multa  alla  opéra  niisericordic  ficri  consueverant, 
cum  suis  domibus  et({uadam  capella  in  lionoreui  et  sub  vocabulo  beati  Xichasii  fun- 
data,  eidem  donuii  continua  ^in  (jua  iidem  pauperes  et  infirmi,  eliam  in  suis  lectis 
existentes  poterant  audire  divina)  ignis  incendio  combusta  et  funditus  destructa,  ac 
etiam  dicta  villa  propter  guerrarum  et  niortalitatis  pestes,  que  in  illis  partibus 
ingruerunt,  pro  majori  parte  etiam  destructa  et  habitatoribus  depopulata  existant, 
adeo  quod  nonnulli  habitatores   dicte  ville  qui  in  divitiis  habundare  consueverant. 


344  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

prieuré  de  Saint-Gilles  eut  aussi  beaucoup  à  soulFrir  et  implora  à 
cette  occasion  le  secours  du  pape  i.  D'autres  églises  ou  abbayes 
trouvaient  leurs  possessions  dévastées  ou  bien  elles  étaient  réduites 
à  une  grande  pauvreté  par  les  contributions  et  les  impôts  -.  En 
cette  circonstance  "^  la  ferme  et  les  propriétés  que  les  bénédictines 
de  l'abbaye  de  Hautmont  (du  diocèse  de  Cambrai)  possédaient  à 
Herbigny  furent  pillées  par  les  Français  ^.  Les  Prémontrés  de 
Fabbaye  de  Ghaumont-Porcien  eurent  également  à  se  plaindre  de 
mauvais  traitements,  et  cherchèrent  probablement,  comme  quelques 
années  plus  tard,  un  refuge  à  Reims.  Les  religieux,  ayant  presque 
tous  leurs  biens  ou  en  friche  ou  saisis,  se  trouvaient  réduits  à  une 
grande  pauvreté  pendant  plusieurs  années  •*.  Leur  prieuré  de  Géri- 
gny  avait  naturellement  un  sort  semblable  *^.  L'abbaye  cistercienne 
de  Signy  n'était  pas  située  très  loin  de  la  route  que  prenaient  les 
Anglais  pour  arriver  à  Warcq  et  à  Mézières  "' .  Les  Chartreux  du 
Mont-Dieu  émigrèrent  alors  pour  la  première  fois  depuis  leur  fon- 
dation, et  se  retirèrent  à  Mouzon'^.  Du  reste,  ces  contrées  rece- 
vaient depuis  longtemps  des  visites  ennemies  '^ 

Edouard  avec  son  armée  se  dirigea  vers  le  Sud.  Il  arriva  devant 
Châlons-sur-Marne  ^^^  qui  avait  pris  le  sire  de  Saulx  comme  capi- 

domos  in  quibusdecenter  habitare  possent  et  alia  eoruin  vite  necessaria  nonhabentes 
in  [h]ienie  proxime  preterita  pre  niniio  frij;ore  in  eorum  pedibus  tanlam  sunt  passi 
lesioncm  et  debilitatem  quod  ad  anibulanduni  abs({ue  baculis  inhabiles  sunt  ellecti, 
ipsique  propter  destructionem  Doinus  Dei  supradictc  non  habeant  ubi  valeant  com- 
morari,  etc.  [De  eleemosynis].  Dat.  Avinione  xiij  kal.  Maii  anno  secundo  ». 

1.  Recj.  Val.  Urb.  F,  n"  252,  fol.  136,  ad  an.  1363,  .lui.  31  :  «  prioratus  S.  Egydii  de 
Aceyo...  pre  nimia  vetustate  et  guerraruni  turbinibus  in  illis  partibus  ingruentibus 
ruinam  patitur  ». 

2.  Les  documents  font  défaut,  comme  pour  l'abbaye  des  Bénédictines  d'Avcnay 
entre  Reims  et  Épernay.  Voy.  L.  Pahis,  Abbnye  clAvenai/  (1X79),  I,  p.  178  à  180. 

3.  FrOISSART,  p.    LXIU. 

4.  Voy.  MiKON,  Hautmont  et  son  abbaye  (Hautmont,  s.  a),  p.  Ii7. 

5.  Cf.  Lanxois,  [\olice  sur  Vabbnye  de  Chaumont-Porcien  (1880),  p.  17;  Carrk, 
Notice  hist.  sur  le  prieuré  de  Gériyny  (1885),  p.  28,  d'après  un  ms.,  Ilist.  de  Vabbaye 
de  Chaumont-en-Portien,  à  rarchevcché  de  Reims. 

6.  Carré,  1.  c. 

7.  Froissart,  p.  212. 

8.  GiLLET,  La  Chartreuse  du  Mont-Dieu  au  diocèse  de  Reims  (1889),  p.  218. 

9.  Cf.  G.  Martin,  Essai  sur  Vhisloire  de  Rozoy-sur-Serre  et  ses  environs,  I,  482 
suiv.  Voy.  ci-dessus,  p.  240. 

10.  Grand,  chron.,  p.  167  ;  Jean  de  Venette,  p.  297  ;  Froissart,  p.  223  ;  Kmohton, 
p.  110.  Wyaro,  Hist.  de  Vabbaye  de  Saint-Vincent  de  Laon,  publ.  par  Cardon (1858), 
p.  484,  dit  que  l'armée  d'Edouard  après  avoir  levé  le  siège  de  Reims  se  répandit  dans 


LES    ANGLAIS    DEVANT    REDIS    ET    DEVANT    PARIS,    13o9,    1360       34o 

taine  parce  que  ce  dernier,  avec  le  sire  de  Grançay,  avait  peu  de 
temps  auparavant  secouru  les  bourgeois  ^  Mais  comme  Reims,  son 
alliée,  cette  ville  était  bien  défendue  et  Edouard,  sans  donner  Tas- 
saut,  continua  à  s'avancer  vers  le  Sud.  Cependant  les  environs  de 
la  ville  et  peut-être  les  faubourgs  souffrirent  d'autant  plus.  Au 
moins  nous  savons  qu'Innocent  VI  a  donné  la  bulle  Ad  reprimen- 
das  à  la  ville  et  au  diocèse,  le  20  mars  1301  -,  bien  que  ce  fut  aussi 
à  raison  des  incursions  suivantes.  Nous  retrouvons  Edouard  à 
Pogny  les  18  et  19  janvier  et  encore  le  26  •^.  C'est  vraisemblable- 
ment ici  que  le  roi  d'Angleterre  traversa  la  Marne  avec  son  armée. 
Je  pense  qu'un  détachement  seulement  marcha  vers  Provins  ^  que 
commandait  Simon  de  Jouy,  seigneur  de  Villeneufve-la-Cornue. 
Les  Anglais  y  trouvèrent  la  même  résistance  que  partout  ailleurs  ^ 
Edouard  avec  ses  troupes  traversa  l'Aube  et  ensuite  la  Seine  à 
Méry-sur-Seine  et  à  Pont  ^,  et,  laissant  Troyes  à  sa  gauche,  il  arriva 
avec  ses  lîls  devant  Cerisiers  et  Brinon,  pendant  que  le  duc  de  Lan- 
caster    chevauchait  vers  Sens  '^.  L'intention  d'Edouard  était   alors 

le  Laonnais,  et  «  montant  la  montagne  de  Laon,  pilla  et  renversa  tellement  la  villette 
de  la  ville  de  Saint-Vincent,  adjacente  à  cette  abbaye,  que  présentement  il  n'y  reste 
aucun  édifice.  Les  églises  mêmes  de  Saint-IIilaire,  de  Saint-Autbod,  de  Saint-Genest, 
^  Saint- Victor,  de  Sainte-Geneviève  et  de  Saint-Remy...  furent  fort  endommagées  ». 
Saint-Vincent  perdit  sa  bibliothèque.  Mais  tout  cela  arriva  avant  ou  pendant  le 
siège,  et  non  pas  après.  MELLEvii.Lii:,  Hist.  de  la  ville  de  Laon,  II,  p.  242,  suit  seule- 
ment Wyard. 

1.  Ci-dessus,  p.  242,  et  et  E.  de  Barthélémy,  Hist.  de  la  ville  de  Chûlons-sur- 
Marne,  p.  169. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  182. 

3.  Lemoine,  dans  C/jro/i.  de  R.  Lescot,  p.  208. 

4.  Chronoar.,  II,  p.  289;  Chron.  norm.^  p.  149.  De  Lettenhove,  Œuvres  de  Frois- 
s,irt,i.  XXIV,  p.  217,  donne  une  carte  d'expédition  d'Edouard  ;  je  pense  qu'elle  est 
faite  d'après  le  ms.  d'Amiens  de  Froissart.  La  route  de  l'armée  anglaise  y  est  tracée 
de  Châlons  à  Bar-le-Duc,  ce  qui  est  bien  improbable,  puis  vers  Troyes. 

5.  Voy.  BotjRQiiELOT,  Ilist.  de  Provins^  II,  p.  29. 

6.  Les  deux  villes  sont  nommées  par  les  Grand,  chron.,  1.  c,  Méry-sur-Seine 
aussi  par  Froissaut,  p.  223.  Pour  cette  dernière  ville,  il  n'y  a  aucune  difliculté, 
mais  il  y  en  a  une  pour  Pont  qui,  situé  à  l'ouest  de  Méry,  est  également  sur  la  Seine, 
à  la  rive  gauche  de  ce  fleuve.  Si  des  Anglais  traversèrent  la  Seine  à  cet  endroit, 
c'était  le  détachement  qui  était  devant  Provins  (ville  qui  du  reste  n'est  pas  mention- 
née par  les  Grand,  chron.),  pour  se  joindre  à  l'armée.  Cependant  il  est  possible  que 
les  Grand,  chron.  ne  parlent  pas  exactement  et  qu'elles  aient  voulu  désigner  Pont- 
sur- Vannes  en  disant  :  Les  Anglais  traversaient  l'Aube  et  puis  la  Seine  à  Méry-sur- 
Seine,  et  se  dirigeaient  vers  Pont  (sur- Vannes).  En  effet  ce  Pont  est  sur  la  route  vers 
Cerisiers  et  Brinon.  Les  cartes  46  et  47  de  Cassini  servent  pour  l'orientation. 

7.  Grand,  chron.,  1.  c. 


346  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

d'envahir  la  Bourgog'ne  non  seulement  parce  qu'il  la  savait  divisée 
par  des  guerres  intestines,  mais  encore  parce  qu'à  cause  des  nom- 
breuses abbaj' es,  il  espérait  y  trouver  mieux  qu'en  aucune  autre  pro- 
vince voisine,  de  quoi  approvisionner,  durant  l'hiver^  sa  nombreuse 
armée,  de  laquelle  faisaient  partie  quelques  seigneurs  du  comté  de 
Bourgogne,  tels  que  Jean  de  Neufchâtel  et  le  comte  de  Montbéliard^. 
Déjà  le  comte  de  March  avait  mis  le  siège  devant  Saint-Florentin  ; 
le  château  résistait,  mais  la  ville,  dont  les  églises  étaient  en  partie 
détruites  '^,  fut  prise,  incendiée  et  dévastée  '^.  Les  Anglais  s'empa- 
rèrent ensuite  de  l'abbaye  cistercienne  de  Pontigny  \  et  laissant 
Auxerre  à  droite,  ils  prirent  la  ville  basse  de  Tonnerre  ;  tout  près 
était  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Michel.  Désespérés  de  ne  pou- 
voir s'emparer  du  château,  ils  s'en  consolèrent  en  vidant  plus  de  trois 
mille  tonneaux  devin  qu'ils  y  trouvèrent^.  S'ils  n'arrivèrent  pas 
jusqu'à  la  ville  d' Auxerre,  les  propriétés  des  abbayes  et  des  églises 
furent  néanmoins  dévastées  par  eux,  ce  que  prouvent  quelques 
lettres  d'Urbain  V.  Les  revenus  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint- 
Germain  d' Auxerre  étaient  tellement  diminués  par  suite  des  guerres, 
que  le  pape  réduisit  la  taxe  de  300  livres  à  100, et  unit  à  la  mense 
abbatiale  et  au  chambrier  les  doyennés  d'Arqueneuf  et  de  Héry  ^. 


1.  Froissart,  ms.  d'Amiens,  dans  l'éd.  de  Litce,  p.  401. 

2.  Ci-dessus,  p.  248. 

3.  Voy.  LucE  dans  Froissakt,  p.  lxiv,  not.  1. 

4.  Ci-dessus,  p.  249. 

5.  Froissart,  p.  224.  Voy.  E.  Petit,  Avallon  et  VAvallonnais,  2«  éd.,  p.  172  ;  Ché- 
REST,  Étude  historique  sur  Vézelay,  II,  p.  228.  Bureau,  Hist.  de  Véglise  et  de  la 
paroisse  Notre-Dame  de  Tonnerre  (1886),  ne  donne  aucun  renseijçnement  sur  la  prise 
de  la  ville. 

6.  Reg.  Vat.  Urhani  V,  n"  252,  fol,  59»',  ad  an.  1363,  Februarii  5  :  «  Dil.  filiis..  abbati 
et  conventui  monasterii  S.  Gerniani  Autisidioren.  O.  S.  B.  salutem,  etc.  Et  si  cunctis, 
etc.  Sane  cum  monasterium  vestrum,  quod  olim  in  facultatibus  habundavit,  ad  300 
libras  turon.  parv.  pro  se  ac  membris  suis  ad  decimam  sit  taxatuni,et  propter  guerra- 
rum  turbines  qui  lonj^is  temporibus  in  illis  partibus  ingruerunt  sit  in  eisdcm  facul- 
tatibus tam  in  capite  quani  in  membris  eisdeni  non  modicum  diminutum,  propter 
quod  cum  eis  hujusmodi  solutio  décime  imminet  facienda  de  solutione  dicte  quantita- 
tis  nimium  aggravatur,  [reducit  ad  centum  libras  dictam  taxam].  Dat.  Avinione  non. 
februarii  anno  I  ».  Sur  l'union  des  deux  doyennés,  voy.  ihid.,  n°  253,  fol.  78^',  ad  an. 
1364,  Martii  3.  L'abbaye  était  bientôt  opprimée  par  les  seigneurs  et  quelques  bour- 
geois d'Auxerre  qui  «  eos  ad  solvendum  tallias,  gabellas,  impositiones,  subventiones, 
reparationes  murorum  et  fossatorum  ac  multorum  aliorum  oncrum  gênera  per  ipsos 
adinventa  conipellunt  ».  Reg.  Vat.  Urb.  F,  n"  259,  fol.  72,  ad  an.  1369,  Jun.  11.  Cf. 
encore  Reg.  Aven.  Ûrh.  V,  n"  6,  fol.  543'\  ad  an.  1.363,  April.  5. 


LES  ANGLAIS  DEVANT  REDIS  ET  DEVANT  PARIS,  13?)9,  1360   347 

La  taxe  du  prieuré  de  l'Ordre  de  Cluny  de  Notre-Dame-de-Pré  fut 
également  réduite  de  55  livres  à  20  '. 

Après  cinq  jours  de  résidence  à  Tonnerre,  Edouard  chevaucha 
dans  la  direction  de  Noyers  -.  Il  paraît  qu'un  détachement  se  diri- 
gea ensuite  vers  l'Est  à  Rougemont  •^,  diocèse  de  Langres,  où  était 
une  abbaye  des  Bénédictines.  C'est  alors,  ou  un  peu  après,  que  la 
ville  et  ra])baye  furent  assiégées,  les  maisons  furent  détruites,  ainsi 
que  le  monastère  qui  demeura  très  longtemps  abandonné  par  les 
religieuses  ^^.  De  là,  les  Anglais  poussèrent,  ce  semble,  leurs  excur- 
sions dévastatrices  jusqu'à  l'abbaye  cistercienne  de  Fontenay  ^  et 
peut-être  vers  le  Nord-Est  à  l'abbaye  bénédictine  de  Puy-d'Orbe. 
Au  moins  les  religieuses  de  même  que  les  Bénédictines  de  Pralon, 
et  le  prieuré  du  Val-Croissant  (du  Val-de-Choux)  avaient  après  le 
traité  de  Guillon  des  obligations  envers  les  Anglais,  qui  les  entou- 
raient auparavant.  On  peut  conjecturer  qu'Edouard  même  monta 
de  Noyers  la  vallée  du  Serain  pour  arriver  par  Montréal  ^  à  Guil- 
lon, où  il  séjourna  du  19  février  au  15  mars',  passant  son  temps 
à  chasser  dans  les  forêts  voisines,  car  lui  et  les  seigneurs  avaient 
amené  d'Angleterre  leurs  oiseaux  et  leurs  chiens  ^. 

Laissons  de  côté  les  excursions  des  Anglais  "  pour  nous  arrêter  un 
peu  au  traité  de  Guillon.  Les  forces  du  duché  se  trouvaient  alors, 
dès  le  18  février,  massées  à  Montréal,  sans  pouvoir  entreprendre 
rien  de  bien  important  contre  les  Anglais  qui,  comme  s'accordent  à 
le  dire  tous  les  chroniqueurs,  rançonnaient,  pillaient,  dévastaient  le 
pays  sans  rencontrer  aucune  résistance.   Sachant  qu'Edouard  n'at- 

1.  lieff.  Aven.  Urh.  V,  n"  261,  fol.  28,  ad  an.  1363,  Januarii  29  :  «  prioratus  B.  Marie 
(le  Prato  ». 

2.  Fhoissaht,  p,  224. 

3.  Grand,  chron.,  1.  c. 

4.  Ces  faits  sont  racontés  par  les  sœurs  en  1427  (voy.  Demfle,  La  désolalion  des 
églises^  etc.,  I,  n"  738)  Le  désastre  arriva  «  retroactis  temporibus  »,  et  le  monastère 
«  per  ma^na  tempora  a  reli^iiosis  derelictum  ac  villa  derelicta  fuit  ».  Cela  remonte 
probablement  à  cette  époque  ou  aux  années  suivantes  quand  les  Compagnies  rava- 
j^eaient  ces  contrées.  Le  GaLl.  christ.,  IV,  747  suiv.  est  muet  sur  ce  fait,  mais  il  ne 
mentionne  aucune  abbesse  entre  1330  et  1384. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  249. 

6.  Fhoissaht,  p.  224. 

7.  Fhoissaht,  p.  225  Ce  lieu  était  alors  plus  considérable  et  possédait  un  château 
où  se  fit  le  traité.  Cf.  CoiTHTKrKiî,  Description  du  duché  de  Bourgogne.  IIL  p.  656. 

K.  Fhoissaht,  1.  c. 

9.  Ci-dessus,  p,  2  59.  ^'oy.  encore  E.  Pi=:tit.  1.  c.  p.  173. 


348  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

tendait  que  le  retour  de  la  belle  saison  pour  continuer  sa  marche, 
on  se  demandait  ce  qu'il  fallait  faire.  La  province  était  épuisée  par 
de  longues  guerres,  affaiblie  par  la  minorité  de  son  chef,  sans 
espoir  d'obtenir  secours;  de  plus,  quelques  seigneurs  étaient  au 
service  du  roi  d'Angleterre^.  Pour  empêcher  un  plus  grand  mal, 
c'est-à-dire  l'invasion  totale  de  la  Bourgogne,  Othe,  sire  de  Gran- 
çon,  et  Jacques  de  Vienne,  sire  de  Longvs^y,  capitaines  bourguignons 
de  Montréal,  avisèrent  la  reine  Jeanne  de  cette  critique  situation. 
Philippe  de  Rouvres,  duc  de  Bourgogne,  dépêcha  ensuite  une 
ambassade  à  Edouard  pour  l'engager  à  quitter  le  pays  2.  On  négo- 
cia, et,  le  10  mars  1360,  les  ambassadeurs  de  Philippe  de  Bourgogne 
conclurent  pour  trois  ans  avec  Edouard  le  traité  de  Guillon,  par 
lequel  les  Bourguignons  s'engageaient  à  payer  aux  Anglais,  en  trois 
termes,  l'énorme  rançon  de  deux  cent  mille  moutons  d'or  3^  à  lais- 
ser circuler  librement  tous  les  sujets  du  roi  d'Angleterre,  à  soigner 
et  nourrir  les  malades,  à  ne  pas  décacheter  les  missives  des  messa- 
gers du  roi  d'Angleterre,  pour  quelque  raison  que  ce  fût.  Le  traité 
contenait  encore  cette  clause  approuvée  de  commun  accord  que  si 
Edouard  se  faisait  couronner  roi  de  France  ^,  et  si  le  duc  refusait 
son  consentement  et  ne  le  regardait  pas  comme  son  maître,  ce  serait 
un  casus  belli.  Le  roi  d'Angleterre,  de  son  côté,  s'engageait  à 
rendre  Flavigny  pris  par  Jean  de  Harleston  ^,  à  supprimer  les  ran- 
çons des  prisonniers  et  des  villes  environnantes  conquises,  à  quitter 
le  pays  le  plus  promptement  possible  et  à  ne  commettre  aucune  vio- 
lence sur  les  terres  ducales  '*.  Les  villes  et  les  abbayes,  les  nobles 
et  les  prélats  s'engagèrent  envers  Edouard  soit  comme  garants, 
soit  comme  otages.  Toutefois,  le  traité  ne  fut  souscrit  que  par  les 
villes  et  les  abbayes  du  duché,  et  non  par  celles  du  comté  de  Bour- 
gogne 


7 


1.  Chkrest,  VArchiprêtre^  p.  126. 

2.  Voy.  sur  tout  cela  E.  Clerc,  Essais  surlhist.  de  Franche-Comté,  II,  p.  112. 

3.  La  valeur  du  mouton  était  alors  de  trente-quatre  sols.  C'était  un  florin,  comme 
écrivent  les  Grand,  chron.,  p.  168. 

4.  Cf.  le  passage  rapporté  ci-dessus,  p.  218,  not.  6. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  250. 

6.  RyMER,  III,  p.  473  suiv.  ;  moins  correct  dans  Plancher,  Hist.  de  Bourgogne,  II 
Preuves,  n°  295.  Voy.  E.  Petit,  1.  c,  p.  174  suiv. 

7.  Voy.  Clerc,  p.  113;  Petit,  p.  175,  qui  expose,  p.  176  suiv.,  de  quelle  manière  les 
Bourguignons  s'acquittèrent  de  leurs  promesses.  Un  seul  protesta,  Jean  de  Chalon- 
Arlay,  naguère  l'allié  d'Edouard.  Voy.  Chérest,  VArchiprêtre,  p.  126  suiv. 


LES    ANGLAIS    DEVANT    REIMS    ET    DEVANT    PARIS,    1359,    1360       349 

C'est  le  plus  honteux  traité  qui  ait  été  ratifié  à  cette  époque. 
Cependant  on  eut  beau  dire  à  Paris  que  la  noblesse  de  Bourg"ogne 
s'était  déshonorée  pour  toujours  en  y  souscrivant  ^  ;  si  elle  n'y  eut 
acquiescé,  la  Bourgogne  aurait  été  écrasée  par  l'armée  anglaise.  Ce 
traité  épargnait  donc  au  pays  d'irréparables  calamités. 

Edouard  pouvait  être  quelque  peu  satisfait,  la  fortune  semblait  lui 
sourire  à  nouveau.  Il  espérait  exécuter  à  Paris  ce  à  quoi  il  n'avait 
pu  arriver  à  Reims,  c'est-à-dire  se  faire  couronner  roi  de  France. 
Déjà  il  s'était  débarrassé  d'un  ennemi  qu'il  eût  été  dangereux  de 
laisser  derrière  soi  ;  le  15  mars,  il  passa,  en  dévastant  le  pays  malgré 
le  traité  ~,  entre  Avallon  et  Vézelay,  pour  gagner  les  rives  de 
l'Yonne  du  côté  de  Coulanges  ^  et  pour,  de  là,  se  jeter  dans  la  Puy- 
saie  et  dans  le  Gatinais.  Une  désolation  épouvantable  s'en  suivit  : 
les  Anglais  incendiaient  et  dévastaient  tout  sur  leur  passage,  ran- 
çonnaient les  habitants,  à  Donzy-le-Pré  ^,  par  exemple,  où  était 
un  prieuré  de  l'Ordre  de  Cluny  ^.  Le  prince  de  Galles  marcha  vers 
Dormelles,  près  de  Moret-sur-Loing.  Cette  forteresse  qu'occupaient 
les  Anglais  était  assiégée  par  les  Français.  Après  trois  ou  quatre 
jours  les  Français  furent  battus  et  une  quarantaine  de  combattants 
furent  faits  prisonniers  ^K 

Enfin  Edouard  se  dirigea  vers  Paris  et  arriva,  le  mardi  31  mars, 
à  Chanteloup  ^  (près  d'Arpajon)  où  il  resta  plusieurs  jours.  L'armée 
anglaise  s'étendait  de  l'Est  jusqu'à  Corbeil,  et  au  Nord  par 
Montlhéry  jusqu'à  Longjumeau  ^,  d'après  Froissart  jusqu'à  Bourg- 
la-Reine.  Si,  dans  bien  des  endroits,  les  Anglais  s'étaient  livrés  à 
des  actes  de  sauvagerie,  dans  les  environs  de  Paris  ils  ne  connurent 
plus  de  bornes.   Ils  annonçaient  leur  arrivée    par  l'incendie^  des 


1.  Jean  de  Venette,  p.  297  suiv. 

2.  Ci-dessus,  p.  251  ;  Petit,  1.  c,  p.  176. 

3.  Grand,  chron.,  p.  168.  Fuoissakt  dit  au-dessous  de  Glamecy.  Voy.  p.  lxviii. 

4.  Gnind.  chron.,  1.  c. 

5.  NÉE  de  la  Uochelle,  Mém.  du  départeni.  de  la  Nièvre^  I,  p.  366  suiv. 

6.  Grand,  chron.,  l.  c.  Cette  forteresse  manque  dans  la  liste  de  Luce,  Du  Guesclin, 
p.  499. 

7.  Grand,  chron.,  p.  169;  Jean  de  Venette,  p.  301  ;  Luce  dans  Fuoissakt  V,  |).  l.\i\, 
not.  3.  Par  faute  d'impression  il  est  écrit  dans  t.  VI,  p.  m,  not.  ]  :  «  mardi  11  mars  », 
et  MouANviLLÉ,  Chronoçjr.,  p.  293,  not.  2,  a  reproduit  cette  faute, 

8.  Grand,  chron.,  p.  169,  Cf.  Froissaut,  V,  p.  230  suiv. 

9.  Conlin.  de  Richard  Lescot,  p.  143. 


350  LA    GUERRE    DE    CE>T    ANS 

villages,  et  Knighton  même  dit  '  que  l'armée  anglaise  exécuta  sa 
chevauchée  en  tuant  et  en  incendiant  et  dévastant  tous  les  alen- 
tours. Les  Anglais  voulaient,  à  mon  avis,  se  venger  des  Français 
qui  avaient  fait  une  invasion  en  Angleterre  et  y  avaient  commis  les 
mêmes  crimes  que  les  Anglais  en  France.  Le  dimanche  lo  mars  2, 
ils  avaient  incendié  Winchelsea  et  quelques  autres  lieux,  comme 
Rye  et  Hastings,  et  fait  au  pays  tout  le  mal  possible. 

Les  troupes  anglaises  chevauchaient  dans  tous  les  environs  jus- 
qu'à Etampes  et  encore  au  delà.  Personne  ne  restait  en  plat  pays, 
tous  se  sauvaient  à  Paris  ou  dans  d'autres  places  fortifiées.  Même, 
les  habitants  des  faubourgs  Saint-Germain,  Notre-Dame-des- 
Ghamps  et  Saint-Marcel,  situés  sur  la  rive  gauche  de  Paris,  quit- 
taient leurs  maisons  et  se  retiraient  dans  la  ville  ^.  G'est  justement 
en  cette  année  1360  que,  par  suite  de  ces  incursions  des  Anglais, 
une  telle  quantité  de  pauvres  des  deux  sexes,  soit  enfants,  soit 
jeunes,  soit  vieux,  inonda  la  capitale,  que  les  Parisiens  durent 
employer  tous  leurs  biens  pour  les  alimenter  et  qu'ils  résolurent 
ensuite  de  fonder  un  nouvel  hôpital  appelé  du  Saint-Esprit  ^. 

1.  Chron.,  p.  111. 

2.  A  Chronicle  of  London,  p.  64  ;  Walsixgham,  I,  p.  287;  Contin.  de  A.  de  Muri- 
mulh,  éd.  IIoG,  p.  192,  portent  déjà  «  idus  Martii  »;  Kymeh,  Foedera,  III,  p.  476,  où 
est  la  lettre  du  16  mars  :  <<  die  dominica  proximo  preterita  (15  mars)  applicue- 
runt  »,  etc.  La  vraie  date  avait  été  indiquée  également  en  1855  par  Paui.i,  Gesch. 
V.  England,  IV,  p.  449.  Toutefois  cette  date  fut  néj;li};ée  en  France,  jusqu'à  Mora>- 
viLLÉ,  Chronogr.,  II,  p.  292,  not,  2.  Je  ferai  observer  cependant  que  ce  n'est  pas 
Edouard  qui  écrivit  la  lettre  du  16  mars  publiée  par  Rymer  :  le  roi  marchait  alors 
de  Guillon  vers  Paris,  et  ne  pouvait  savoir  ce  qui  était  arrivé  le  jour  précédent  en 
Angleterre  ;  c'était  son  fils  Thomas.  Si  les  Français,  trouvant  les  côtes  anglaises 
sans  défense  (voy.  Nicolas.  A  History  of  the  roy.nl  navy,  II,  p.  125),  profitaient  de 
l'occasion  pour  faire  du  mal,  pour  se  livrer  même  à  des  brutalités,  ce  n'est  rien  en 
comparaison  des  maux  que  les  Anglais  infligeaient  à  la  France  depuis  vingt-trois 
ans. 

3.  Jean  de  Venette,  p.  302. 

4.  Suppl.  Urh.  V,  n°  37,  fol.  50,  éd.  dans  Chartul.  Univers.  Paris.,  t.  III,  n°  1279. 
La  lettre  de  Tévêque  de  Paris  du  17  février  1363,  qui,  fol.  SO**,  fait  la  suite,  décrit 
bien  la  misère  physique  et  morale  de  ces  pauvres  qui,  jour  et  nuit,  erraient  dans 
les  rues  de  la  capitale.  Voy.  le  texte  fautif,  qui  doit  être  corrigé  d'après  les  Sup- 
pliques d'Urb.  V,  dans  Coyecque,  V Hôtel-Dieu  de  Paris,  I  (1891),  p.  292  à  295.  La 
lettre  commence  :  «  Quoniam  [Coyecque  Qui]  ut  ait  apostolus,  omnes  stabimus  ante 
tribunal  Chrisli,  reccpturi  prout  in  corpore  gesserimus,  sive  bonum  fuerit  sive 
malum,  oportet  diem  illum  messionis  extrême...  prevenire  ».  Plus  bas  on  doit  lire  : 
«  passim  juvencule  mulieres  alie  rapte  per  garciones  [Coyecque  discurrentes]  et  vio- 
la te  exinde  lupanariis,  maculantur  infamia.  Preterea  tempore   hiemalis  frigoris  plu- 


LES  ANGLAIS  DEVANT  HEDIS  ET  DEVANT  PARIS,  1359,  1360   351 

La  terrible  condition  des  églises  placées  autour  de  Paris  était 
d'autant  plus  dure  que  depuis  13i6,  elles  avaient  subi  de  grands 
dommages  que  nous  avons  eu  plusieurs  fois  l'occasion  de  consta- 
ter ^  Quelques  monastères  étaient  réduits  à  une  telle  pauvreté  que 
les  religieux  n'avaient  plus  de  quoi  vivre,  comme  l'abbaye  des 
Bénédictines  du  Valprofond  dont  les  religieuses  étaient  déjà  en  13o5 
contraintes  à  se  faire  aider  par  leurs  parents  et  leurs  amis.  Plu- 
sieurs d'entre  elles  cherchèrent  ailleurs  un  nouvel  asile-;  cet  état 
empira  par  suite  de  la  guerre  -K  Les  hôpitaux  avaient  le  même  sort. 
Dès  1351,  on  trouve  l'Hôtel-Dieu  de  Marly-le-Roi  complètement 
désert  parce  que  les  Anglais  l'avaient  dévasté  et  que  toutes  les  terres 
à  lui  appartenant  étaient  en  friche^.  Pendant  les  troubles  qui  eurent 
lieu  à  Paris,  les  monastères  situés  dans  l'enceinte  et  au  dehors  avaient 
beaucoup  souffert;  les  Mathurins,  par  exemple,  étaient,  à  cause  de 
leur  pauvreté,  obligés  de  suspendre  leurs  aumônes  aux  pauvres 
écoliers  et  aux  autres  '\    L'église  de  Saint-Paul  à  Saint-Denys  fut 

rimi  repcrti  sunt  pueri  et  puelle,  hii  IVi^ore  cxtincti,  liii  adhuc  palpitantes,  a  mortuis 
juxta  se  querentes  auxilium  et  non  invenientes,  simul  moriebantur.  Multi  vero  pueri 
si  moi'tis  tani  horrende  evaserint  gladiuni,  in  petigine  tanien  seu  scabie  capitum 
putrcscentes  ut  abhoniinabiles  a  cunctis  hominibus  repulsam  patiuntur,  quibus  infor- 
tuniis  seu  calaniitatibus  tam  lamentabilibus  in  dicta  civitate  ante  de  remedio  non 
fuerat  provisum  »,  etc. 

1.  Voy.  ci-dessus,  p.  40  suiv.,  154,  159,  164,  172,  238. 

2.  Suppl.  Innocent.  \I,  n"  26,  fol.  214,  ad  an.  1355,  Septemb.  16  :  «  Signifîcat  S.  V. 
devota  et  huniilis  oratrix  vestra  Clenientia  de  Nantolio,  monialis  monasterii  B.  Marie 
Vallis  profunde,  O.  S.  B.,  Parisien,  dioc,  quod  cum  dictuni  monasterium  sit  tanta 
paupertate  coactum,  quod  non  habcnt  unde  vivere  valeant,  sed  oportet  ipsas  per 
parentes  et  amicos  mendicare,  verum,  P.  S.,  cum  dicta  Clementia  haberet  aliqua 
bona  patrinionialia  in  dioccsi  Morinen.,  de  quibus  se  juvabat  annuatim  ad  sustenta- 
tionein  vite  sue,  et  cum  dicta  bona  sint  combusta  et  deperdita  propter  ignés  atque 
guerras,  et  sic  propterea  remanet  desolata,  quare  supplicat  eidem  V.  S.  dicta  pau- 
per  monialis,  [ut  in  monasterio  B.  Mariae  de  .lotro,  Melden.  dioec.  recipiatur]. 
Fiat.  G.  Dat.    apud  Villamnovam,  Avinion.  dioc.  xvj  kal.  Octobris,  anno  tertio  ». 

3.  Reg.  Aven.  Gregor.  XI,  n°  1,  fol.  525''  :  monasterium...  in  quo  h  moniales  esse 
consueverunt...  propter  guerras  ac  pestilentias...  in  suis  ecclesia  et  edificiis  destruc- 
tum  et  in  redditibus  diminutum  existit  ».  An.  1371,  Decemb.  21. 

4.  Voy.  L.  Lk  Gua>d,  Les  Maisons-Dieu  et  les  léproseries  du  diocèse  de  Paris  au 
milieu  du  XIV^  siècle,  dans  Méni.  de  la  Soc.  de  Vhist.  de  Paris  et  de  l'Ile-de- 
France,  t.  XXIV,  p.  126. 

5.  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n°  232,  fol.  378,  ad  an.  1357,  Septemb.  17  :  «  Universis 
christifidelibus,  etc.  Splendor  paterne  glorie.  etc.  Cupientes  itaque  quod  ecclesia 
domus  conventualis  S.  Maturini  Parisien.  Ord.  S.  Trinitatis  et  redemptionis  captivo- 
rum,  in  qua  quidem  domo  sicut  accepimus  multa  fieri  consueverunt  tam  egenis  sco- 
laribus  et  aliis  pauperibus,  quam  aliisillac  transeuntibus,  opéra  pietatis,  que  propter 


352  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

alors  tellement  ruinée,  qu'on  n'j  pouvait  plus  célébrera  Les 
Filles-Dieu  à  Paris  durent  aussi  abandonner  leur  demeure  et  se  dis- 
perser -. 

En  1360,  la  cruauté  et  la  brutalité  vinrent  encore  ajouter  à  tant 
de  maux.  C'était  surtout  sur  les  ég-lises  des  villages  que  ces  malheurs 
tombaient  comme  la  foudre.  SouA-ent,  elles  étaient  fortifiées  et 
défendues  par  les  habitants  assistés  quelquefois  de  gens  d'armes  ; 
les  Anglais  les  assiégeaient,  s'en  emparaient  à  plusieurs  reprises, 
malgré  une  résistance  acharnée  des  paysans,  et  les  incendiaient. 
Quelques  exemples  à  ce  sujet  suffiront.  A  Orly  •^,  près  de  Paris, 
deux  cents  hommes  défendaient  leur  église  fortifiée  ;  le  vendredi 
saint,  3  avril,  les  Anglais,  après  avoir  livré  un  assaut,  massa- 
crèrent environ  cent  personnes,  d'autres  furent  emprisonnées,  le 
reste  prit  la  fuite.  Un  fait  plus  atroce  se  produisit  après  le  5  avril, 
à  Châtres,  où  était  un  prieuré  bénédictin.  Les  habitants  avaient 
transformé  leur  église  en  forteresse,  s'y  étaient  réfugiés  avec  leurs 
familles  et  avaient  caché  leurs  biens  dans  une  tour.  Lorsque  le  capi- 
taine français  de  l'église,  un  noble,  Philippe  de  Villebon,  vit  que 
les  Anglais,  logés  plus  haut  sur  une  colline,  menaçaient  avec  leurs 
projectiles  de  détruire  l'église,  il  abandonna  la  tour  qu'il  occupait 
avec  ses  gens  d'armes  et  se  retira  dans  une  autre  moins  exposée. 
Les  paysans  furent  donc  réduits  à  leurs  seules  forces  ;  néanmoins, 
ils  résistèrent  pendant  plus  d'une  semaine  à  tous  les  assauts  de 
l'ennemi.  Enfin  n'en  pouvant  plus,  ils  menacèrent  le  lâche  capitaine 
de  se  rendre  aux  Anglais.  Celui-ci,  craignant  pour  sa  propre  liberté, 
fît  mettre  le  feu  à  l'église.  Environ  neuf  cents  personnes  périrent 
par  les  flammes  qui  s'étaient  répandues  partout.  Ceux  qui  cher- 
chaient à  fuir  furent  repoussés  par  les  ennemis.  L'infâme  capitaine 
échappa  à  ce  désastre  ^. 

Les  Anglais    poursuivaient    leurs  excursions  jusqu'à   Toury   en 

dicte  domus  paupertatcni  ac  guerrarum  pesteni  ac  refrigcscentiam  caritatis  ibidem 
fîeri  et  continuari  non  possunt,  congruis  honoribus  frequentetur,  [De  indidgentiis 
cum  eleemosynis].  Dat.  Avinione  xvkal.  Octobr.  an.  V  ». 

1.  Recf.  Avenion.  Urban.  V,  n"  6,  fol.  349'',  ad  an.  1363,  Januar.  6. 

2.  L.  Le  Grand,  1.  c,  p.  257. 

3.  Jean  de  Venette,  p.  302  suiv.  Dans  l'édition  est  imprimé  :  «  Oly  ».  Orly  est  du 
canton  de  Choisy-lc-Roy,  au  sud-est  de  Longjumeau.  Voy.  encore  Barron,  Autour 
de  Paris  (1892),  p.  117. 

4.  Jean  de  Venette,  p.  301  suiv.;  Luce  dans  Froissart,  p.  i.xx,  not.  1, 


LES    ANGLAIS    DEVANT    HEIMS    ET    DEVAxNT    PARIS,     1359,     l'^6()       353 

Beauce.Le  capitaine  français  de  cette  ville  ayant  fait  incendier  une 
petite  maison,  de  crainte  que  les  ennemis  peu  éloignés  ne  vinssent 
s'y  loger,  le  feu  s'y  propagea  et  tous  les  habitants  avec  leurs  biens 
périrent  dans  les  flammes  ^  Les  Anglais,  spectateurs  de  cette  ter- 
rible scène,  riaient  du  sort  de  ces  malheureux.  Le  vendredi  saint, 
3  avril,  ils  incendièrent  la  basse  ville  de  Montlhéry  -  où  était  un 
prieuré  de  l'ordre  de  Gluny,  Longjumeau  et  plusieurs  autres  lieux; 
les  flammes  et  la  fumée  se  voyaient  de  Paris  '•''.  Vers  le  même  temps 
ou  un  peu  avant,  une  troupe  d'Anglais  revenant  de  la  Normandie 
prit  la  ville  de  l'Isle-Adam  sur  la  rive  gauche  de  l'Oise  ^.  L'église 
paroissiale  fut  détruite  à  cette  occasion  -^ 

Les  églises  des  campagnes  n'étaient  pas  seules  en  proie  à  ces 
ravages;  les  abbayes  étaient  traitées  de  la  même  façon  au  moins 
dans  leurs  possessions.  Saint-Germain-des-Prés,  par  exemple,  avait 
justement  près  de  Châtres,  à  Montlhéry,  et  dans  toutes  ses  con- 
trées, des  droits  et  des  terres  ^\  En  1373,  l'abbé,  de  concert  avec 
le  couvent,  se  plaint  de  ce  que  le  monastère  et  ses  prieurés  avaient 
subi  de  si  graves  dommages  dans  les  guerres  passées  qu'ils  étaient 
incapables  de  payer  tous  les  impôts  "' .  Du  reste,  cette  abbaye,  ainsi 
que  les  monastères  des  faubourgs  de  Notre-Dame-des-Champs  et  de 
Saint-Marcel,  perdirent  beaucoup,  en  1360,  par  l'ordonnance  que 
firent  les  Parisiens  d'incendier  ces  faubourgs  et  par  la  liberté  don- 
née aux  gens  de  prendre  et  d'emporter  tout  ce  qu'ils  trouveraient 
dans  les  maisons  et  dehors  ^.  On  a  toute  raison  d'admettre  que 
quelques  détachements  de  l'armée  anglaise  communiquaient  avec 

1.  Jean  de  Venette,  p.  306  suiv.  ;  Contin.  de  Richard  Lescot,  p.  143. 

2.  L'église  de  Notre-Dame  fut  grandement  dévastée  et  reçut  d'Urbain  V  des  indul- 
gences le  24  septembre  1367.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n°  256,  fol.  69^.  Cf.  Cnntin.  de  Richard 
Lescot,  1.  c. 

3.  Jean  de  Venette,  p.  303. 

4.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  104  suiv,;  Contin.  de  R.  Lescot,  p.  144, 
où  ce  fait  est  placé  à  la  même  époque,  comme  la  prise  de  ^^'inchelsca  par  les  Fran- 
çais. 

5.  Reg.  Aven.  Urbani  V,  n°  13,  fol.  541'\  ad  an.  1366,  Augusti  12,  «  parroch.  eccle- 
sia  S.  Godegranni  de  Insula  Ade,  Belvacen.  dioc,  propter  guerras  que  in  illis  parti- 
bus  viguerunt,  est  destructa  ». 

6.  Cf.  Polyptyque  de  V abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés,  publ.  par  Longnon,  I 
(1886),  p.  173  ;  BoNNiN,  Principaux  droits  de  Vabbaye  de  Saint-Germain-des-Prés  en 
Seine~et-Oise  (Lille  1896),  passim. 

7.  Rey.  Val.  Greyor.  X/,  n°  276,  fol.  169. 

8.  Jean  de  Venette,  p.  303. 

R.  P.  Denifle.  —  Desolatio  ecclesiarum  11.  23 


334  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

les  garnisons  anglaises  qui  résidaient  depuis  quelque  temps  déjà 
dans  les  environs  de  Paris,  comme  par  exemple  avec  celle  de  Ghe- 
vreuse.  De  Longjumeau,  les  Anglais  n'avaient  qu'à  monter  la  rive 
droite  de  l'Yvette  pour  arriver  en  peu  de  temps  à  l'abbaye  des 
Bénédictines  de  Notre-Dame-du-Val-de-Gif.  Les  documents  nous 
montrent  en  effet  la  communauté  de  cette  époque  en  pleine  déca- 
dence, le  nombre  des  religieuses  diminué,  le  temporel  amoindri, 
les  exercices  religieux  presque  abandonnés  ^  Au  nord  de  Che- 
vreuse  était  située  1  abbave  des  Cisterciennes  de  Port-Roval  où 
s'était  également  produit  un  grand  relâchement.  Nous  savons 
maintenant  que  le  relâchement  de  la  discipline  à  cette  époque 
était  généralement  l'effet  des  incursions  et  dévastations  enne- 
mies 2.  En  tout  cas,  les  fermes,  les  granges,  les  manoirs  de  ces 
abbayes  et  de  plusieurs  autres  servirent  au  ravitaillement  des 
troupes,  les  établissements  religieux  s'appauvrirent  et  furent  sou- 
vent désolés. 

Quand  tout  ceci  se  passait,  les  Anglais  étaient  proches  de  la  capi- 
tale, quoique  pas  encore  devant  les  murs,  et  néanmoins  aucune 
armée  française  ne  se  montrait  pour  entraver  sa  marche.  Si  jusque- 
là  Edouard  avait  été  déçu  chaque  fois  qu'il  s'était  cru  arrivé  au 
terme  de  ses  désirs,  présentement,  toutes  les  chances  étaient  pour 
lui  :  il  tenait  en  échec  la  Bourgogne  et  toute  la  partie  méridionale 
de  la  capitale,  et  pas  une  armée  ne  se  levait  contre  lui.  Paris,  que 
nous  avons  quitté  à  peu  près  bloqué  par  les  forteresses  et  les 
bandes  ennemies  ^,  pouvait-il  opposer  une  résistance  sérieuse  ? 

3.  Les  négociations  de  la  paix.  Traité  de  Bretigny . 

Le  régent  et  les  principaux  de  son  conseil  comprenaient  bien  la 
situation  critique  de  la  capitale  et  résolurent  d'écarter  le  danger  en 
négociant  avec  l'ennemi.  Innocent  VI  songeait  aussi  à  conjurer  la 

1.  Cf.  Alliot,  Hiat.  de  Vabbaije  de  X.-D.  du  Val  de  G//"  (1892),  p.  24.  Comme  ail- 
leurs, les  documents  de  cette  époque  font  défaut.  Mais  Alliot  se  trompe  (p.  25)  s'il 
croit  qu'alors  les  couvents  des  environs  de  Paris  n'avaient  pas  encore  subi  la  visite 
et  les  déprédations  des  g:ens  de  guerre. 

2.  Les  Mémoires  hist.  et  chronologiques  sur  l'abbaye  de  Porl-Royal-des-Champs 
(1758),  I,  p.  175,  ne  donnent  pas  de  renseignements. 

.■}.  ^^ly.  chaj).  IH.  pai'aj;ruplu'  7.  p.  219  à  243. 


LES    .NÉGOCIATIONS    DH    PAIX.    TRAITÉ    DK    F5KI-:TIGNV,     1360  'MV6 

tempête  qui  menaçait  le  royaume.  Pendant  qu'Edouard  chevauchait 
à  l'intérieur  de  la  France,  le  pape  eng-agea  l'empereur  à  s'interpo- 
ser entre  les  deux  rois,  Edouard  et  Jean,  pour  arriver  à  la  paix  et  à 
l'élargissement  de  ce  dernier.  On  a  déjà  assez  sévi,  dit-il,  et  on  a 
trop  donné  licence  à  la  colère  et  à  la  haine  K  Mais,  avisé  par 
l'expérience.  Innocent  VI  doutait  avec  raison  du  succès.  En  effet,  les 
lettres  adressées  à  Charles  IV  intéressant  la  France  ne  peuvent  être 
considérées  que  comme  une  espèce  de  décoration.  Dès  le  4  mars 
le  pape  s'occupa  d'envoyer  une  ambassade  auprès  d'Edouard  et 
du  rég-ent.  Les  deux  nonces  choisis  par  lui  étaient  Androin  de  la 
Roche,  abbé  de  Cluny,  et  Hugues  de  Genève,  fils  d'Amédée  II, 
comte  de  Genève  et  sire  d'Anthon.  Symon  de  Langres,  maître  géné- 
ral des  Frères- Prêcheurs,  devait  se  joindre  à  eux  à  Paris.  Le  chef 
de  l'ambassade  fut  Androin  à  qui  le  pape  donna  oralement  des 
instructions  auxquelles  Hugues  devait   se    conformer  ^  et  que  tous 


1.  Reg.  Vnt.  Innocent.  VI,  n"  240,  parte  2<'»,  fol.  12,  ad  an.  1360,  Febriiarii  14  : 
«  Cariss"  in  Christo  filio  Carolo  Ronianorum  imperatori  seniper  augusto  ac  Boemie 
régi  illustri,  salutem,  etc.  Excellentiam  tuam  paternis  afTectibus  prosequentes... 
Verum  ut  post  hoc  ad  publica  comnioda  veniamus,  vides,  cariss.  fîli,  et  id  te  magna 
mentis  tue  compassionc  senlire  nuUatenus  dubitamus,  quantis  christifidelium  populi 
guerrarum  continuo  angustiis  opprimantur...  sentis  regnum  Francie  quantis  indesi- 
nenter  laboribus  anxietur.  Cum  itaque  te  Deus  in  excelso  imperii  solio  preesse  volue- 
rit,  ut  sub  tuo  imperio  quantum  in  te  fuerit  concordia  inter  principes  et  régna  vigeat 
et  inter  discordantium  animos  pax  resurgat,  excellentiam  tuam  quo  sepius  viscero- 
rosius  eo  deprecandam  duximus  et  attentius  excitandam,  quatinus  circa  pacem  et 
concordiam  inter  cariss"^  in  Christo  fdios  nostros  Johannem  Francie  et  Eduardum 
Anglie  reges  illustres  auctore  Domino  et  tue  ministerio  providcntie  reformandam  et 
ad  liberationem  dicti  Francorum  régis  intendere  velit  et  elïicacem  dare  pro  viribus 
operam  cesarea  celsitudo,  ipsosque  regem  et  regnum  ac  nepotes  tuos,  in  annis  tene- 
ris  multipliciter  fluctuantes,  suscipere  favorabilitei'  commendatos.  Jam  enim  satis 
sevitum  est,  et  jam  nimium  ire  odiisque  concessum,  ut  nunquam  cita  videatur  esse 
tranquillitas,  que  longis  ante  temporibus  sperabatur.  Datum  Avinione  xvi  kal.  niartii 
anno  VIII  ».  Y  suivent  quelques  lettres  à  deux  évêques  d'Allemagne  pour  les  enga- 
ger auprès  de  Charles  IV. 

2.  Ibid.,  fol.  25,  ad  an.  1360,  Mart.  4  :  Dil.  filio  nob.  viro  Hugoni  de  Gebenna 
militi,  domino  de  Hanton,  salutem.  etc.  Cum  ad  pacem  et  concordiam  inter  cariss. 
in  Christo  fd.  nostrum  Edwardum  regem  Anglie  illustrem,  et  dil.  fdium  nob.  virum 
Carolum  ducem  Xormannie  auctore  Domino  reformandam  et  ad  alia  magna  et  ardua 
tractanda  negotia  cum  eisdem  nos  (de  providentia  ac  discretione  dil.  fîlii  Andruyn 
abbatis  Cluniac.  et  tue  nobilitatiscircum  spccta  prudentia  plenamin  Domino  fiduciam 
obtinentes,  ac  sperantes  in  ipso  pacis  auctore  quod  juxta  nostre  mentis  desiderumi 
fructuosum  esse  faciet  ministerium  vestrum)  ad  ipsos  regem  et  ducem  abbatem  pre- 
fatum  et  personam  tuam  duxerimus  destinandos,  nobilitatem  tuam...  requirimus  et 
hortanmr   quatinus  ad  suscipiendam  hujusmodi  tam  gloriosi  oneris  sarcinam  una 


356  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

deux  communiqueraient  ensuite  à  Svmon  de  Langres  i.  Sous  la 
même  date,  Innocent  écrivait  à  Edouard,  roi  d'Angleterre,  au  régent, 
duc  de  Normandie,  au  prince  de  Galles  pour  les  engager  à  la  paix, 
leur  annonçant  qu'il  envoyait  dans  ce  but  auprès  d'eux  Androin  et 
Hugues  de  Genève,  parce  qu'il  était  temps  d'arrêter  l'effusion  du 
sang  des  innocents  et  de  faire  cesser  ces  désastres  -.  Au  même 
temps,  le  pape  écrivait  au  duc  de  Lanças  ter,  au  comte  de  Nor- 
thampton,  à  Philippe  duc  d'Orléans,  k  des  archevêques,  évêques, 
abbés  et  prélats  et  à  beaucoup  d'autres,  tant  français  qu'anglais,  en 
leur  recommandant  d'assister  les  deux  nonces  dans  cette  affaire  ^. 
Notons  en  particulier  et  avec  intention  qu'à  la  même  date  Inno- 
cent VI  écrivait  au  roi  de  Navarre,  Charles  le  Mauvais,  lui  annon- 
çant que  les  deux  nonces  envoyés  pour  réconcilier  le  roi  Edouard 
avec  le  roi  Jean  et  le  régent,  duc  de  Normandie,  l'entretiendraient 
aussi  de  la  part  du  pape  ;  il  le  prie  de  les  bien  recevoir  et  de  les 
assister  de  ses  bons  conseils  auprès  du  duc  de  Normandie  et  de 
plusieurs  autres  selon  qu'il  le  trouvera  opportun  ^  ;  mais  il  ne 
nomme  pas  le  roi  Edouard. 

cum  abbate  prefato  taliter  te  disponas,  quod  ad  exequenda  tam  sollicite  quam  dévote 
ea  queper  nos  vobis  anibobus  commissa  fucrint,  cum  idem  abbas  ad  partes  accesse- 
rit,  sine  uUius  dilationis  obstaculo  prompla  sit  prefata  tua  nobilitas  et  attenta.  Nos 
enim  de  a^endis  per  vos  ne^otiis  abbatem  eundem  vive  vocis  oraculo  informavimus 
particulariter  et  distincte,  a  ([uo  inlbrmationem  i^ecipere  poteris  de  singulis  plenio- 
rem.  Dat.  Avinione  IV  non.  Martii  anno  VIII  ». 

1.  «  Dil.  fd.  Symoni  majç.  Ord.  Pred.,  apost.  sedis  nuntio.  Cum  ad  pacem...  quibus 
(Androyno  et  Huj;oni)  vive  vocis  oraculo  expressimus  seriosius  mentem  nostram,  eis- 
dem  per  te  in  hiis  que  ipsi  nuncii  pro  nostra  parte  discretioni  tue  retulerint  pres- 
tari  volumus  plenam  fidem.  Dat.  »,  etc.  Ibid.,  fol.  22^^  sous  la  même  date. 

2.  Ibid.,  fol.  25'',  23''.  Les  deux  premiers  commencent  :  «  Cum  nos  ad  pacem  »  ;  la 
lettre  adressée  au  prince  de  Galles  débute  :  «  Si  claritati  ».  Le  pape  dit  à  la  fin  : 
«  Jam  enim  satis  sevitum  est,  jam  satis  ii'e  odiisque  concessum  ;  jam  quoque  tempus 
est,  dil.  fili,  ut  tantis  cladibus,  tam  innumeris  stragibus  et  efi'usioni  sanguinis  inno- 
centum  et  christifideliuin  lacrimis  ipsius  patris  (Eduardi)  ac  et  tua  benignitas  finem 
ponat  ». 

3.  Ibid.,  fol.  26,  23,  22'',  26'',  27,  etc.  Re(f.  Aven.  Innocent.  17,  n"  23,  fol.  24.  Voy. 
Bliss  and  Johnson,  Calendar  of  eniries  in  the  Papal  Registres.  Papal  lettres,  t.  III, 
p.  629  suiv.  Mais  lisez  «  iiij  non.  Martii  »,  pour  «  non.  Martii  ». 

4.  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  240,  parte  2''%  fol.  21''  :  «  Cariss.  in  Christo  fil.  Carolo 
régi  Navarre  illustri,  salutem,  etc.  Si  quanta  secum  trahat  comoda  bonum  pacis  et 
quanta  cotidie  es  discordia  personarum  precipue  illustrium,  quarum  ira  innocenti- 
bus  nocet  populis,  dampna  et  pericula  tam  animarum  quam  corporum  oriantur  ;  si 
quanto  desiderio  semper  expectet  sancta  mater  ecclesia  et  christifidelium  populi 
circa  reformationem  pacis  inter  cariss.  in  Christo  filios  nostros  Johannem  Francorum 


LES    NÉGOCIATIONS    DE    PAIX.    TRAITÉ     DE    RRETIGNY,     1360  3o7 

Le  l*'''  avril,  le  roi  Jean  donna  pleins  pouvoirs  à  son  fils  le 
régent  pour  traiter  avec  le  roi  d'Angleterre  K  Le  vendredi  saint, 
3  avril,  des  négociations  s'ouvrirent  à  la  maladrerie  de  Longju- 
meau  -,  en  présence  des  délégués  anglais  et  français  ^  et  des  nonces 
du  pape  ^;  elles  se  continuèrent  devant  Paris  quelques  jours  après 
et  furent  reprises  à  Chartres  \  Edouard,  ne  voulant  pas  renoncer 

et  Eduarclum  An^lie  re^es  illustres,  pacis  auctorem  adversus  seminatorem  discordie 
prevalere,  tue  magnitudino  jjrudenlie  dili^enter  attendat,  minime  ut  credimus  opus 
erit,  excellentiam  tuam  ad  interponendum  in  hujusniodi  fructuosi  negocii  ministcrio 
suis  consiliis  et  lavoribus  efïîcaciter  partes  suas  longis  exhortationibus  aut  suasioni- 
bus  invitari.  Cum  itaque  nos  ad  hujusmodi  paceni  et  concordiam  indefessis  studiis 
nostris  habeamus  inlixum  precordiis  ut  exquisitis  cotidie  viis  et  modis  ad  id  pervenire 
auctore  Domino  valeamus...  dil.  fdios  Androynum  abbatem  Cluniacen.  et  nob.  virum 
Ilugonem  de  Gebenna  militem,  dominum  de  Ilanton...  ap'"=  sedis  nuntios  ad  cariss. 
in  Christo  filiuni  nostrum  Eduarduni  regem  An^lie  illustrcm  et  dil.  fil.  nob.  virum 
Carolum  ducem  Normannie,  régis  Francorum  primogenitum,  ad  pacem  et  concor- 
diam inter  eosdem  reges  ac  ducem  in  virtute  Régis  pacifici  reformandam  duximus 
presentialiLer  desLinandos.  Quare  serenitatem  tuam  rogamus  paternis  allectibus  et 
hortamur,  quatinus  prefatos  nuntios  bénigne  suscipiens,  ipsisque  in  hiis  que  tibi  pro 
nosLra  parte  exponcnda  duxerint  indubiam  fidem  prestans,  eisdem  tam  pênes  ducem 
prclatum,  quam  alios  de  quibus  ad  bonum  hujusmodi  quietis  et  pacis  expcdire  vide- 
ris,  pro  nostra  et  apost.  sedis  reverentia  intendat  regia  benignitas  favorabiliter  et 
assistât.  Dat.  Avinione  IV  non.  Martii  anno  VIII  ».  J'ai  déjà  fait  remarquer  ci-des- 
sus, p.  335,  qu'il  est  difficile  de  concilier  cette  lettre  avec  l'assertion  de  Froissart  et 
de  plusieurs  autres,  lesquels  avancent  que  des  hostilités  existaient  alors  entre  le 
régent  et  le  roi  de  Navarre. 

1.  Mautkne,    Thés.  nov.  anecd.,  I,  p.  1422;  OEiivres  de  Froissart,  éd.  de  Letten- 
iiovE,  t.  XVIII,  p.  433  suiv. 

2.  Voy.  sur  elle  Léon  le  Grand,  dans  Mém.  de  la  Soc.  de  Vhist.  de  Paris,  t.  XXIV, 
p.  132  suiv. 

3.  Voy.  les  noms  dans  Grand,  chron.,  p.  169. 

4.  Fkoissaut,  VI,  p.  2,  les  nomme  tous  trois.  Knighton,  p.  110  suiv.,  dit  :  «  aderant- 
que  unus  cardinalis  et  unus  legatus  ».  L'abbé  de  Cluny  fut  crée  cardinal  l'année  sui- 
vante. Knighton  avançait  la  date.  Grand.  c/iro/}.,p.  169, et  Contin.  de  Richard  Lescot, 
p.  143  suiv.,  parlent  seulement  de  Simon  de  Langres.  Mais,  comme  nous  avons  vu,  ce 
dernier  devait  recevoir  les  instructions  du  pape  oralement  par  les  deux  autres  nonces, 
qui  par  conséquent  étaient  déjà  arrivés.  En  efTet,  les  deux  nonces  partirent  d'Avi- 
gnon le  6  mars,  comme  Innocent  VI  même  écrit  aux  arche\êques  et  évoques  de 
France  et  d'Angleterre,  le  27  juin  :  »  Et  postremo,  videlicet  ij  non.  Martii  proxime 
preteriti,  Androynum  abbatem  monasterii  Cluniacen...  pro  hujusmodi  reformatione 
pacis  (in  qua  ipse  et...  nobilis  vir  llugo  de  Gebennis...  eidem  abbati  per  nos  adjunc- 
tus,  fideliter  et  utiliter  laborarunt)  duximus  destinandum  ».  Reg.  Aven.  Innocent.  VI, 
n"  23,  fol.  26'';  Moisant,  Le  Prince  Noir,  p.  260  suiv.,  maie  ad  an.  1359.  Le  silence  des 
Grand,  chron.  ne  prouve  donc  rien.  Luce,  p.  ni,  not.  3,  est  plus  radical  encore  ;  il 
écarte  de  ces  négociations  les  trois  légats,  en  disant  ({u'ils  n'arrivèrent  à  Paris  que 
vers  le  10  avril.  Mais  il  devait  au  moins  savoir  que  Simon  de  Langres  n'avait  pas 
à  se  rendre  à  Paris  puisqu'il  y  était  déjà  quand  les  deux  autres  quittaient  Avignon. 

5.  Froissart,  VI,  {).  3,  a  bien  compris  cela.  Cf.  encore  Grand,  chron.,  p.  170. 


3o8  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

à    la    couronne  de    France,   faisait   à  Long-jumeau  des    conditions 
excessives   que  les  Français   n'acceptaient   pas  i,    mais  auxquelles 
il   les    voulait  forcer.    Pensant    que  la  prise  et  l'occupation    de  la 
capitale   assureraient    la   ratification    du    traité   de    Londres    et    le 
mettraient  définitivement  en  possession  de  la  couronne   de    France 
qu'il  avait  tant  convoitée,   Edouard  marcha   sur  Paris  le    7  avril  '. 
Il  semble  que  son  armée  se   soit  divisée  en  deux  grandes  colonnes, 
celle  de  gauche   occupant  Châtillon,  Vanves,  Issy,  Vaug-irard,  tan- 
dis   que   celle    de    droite    s'installait    dans    Cachan    et    Gentilly  '^. 
Gomme  nous  avons  vu  plus  haut,  l'activité  vigilante  du  rég"ent  veil- 
lait  depuis  longtemjDS  à  la    sûreté    de   la   capitale  et  de  plusieurs 
autres  places.   Pendant  qu'Edouard  était  devant  Reims,  prévoyant 
pour  Paris  une  attaque  de  la  part  du  roi  d'Ang-leterre,  le  régent  ten- 
tait d'empêcher  l'armée   ennemie  d'occuper   les  deux  rives   de   la 
Seine,  et  il  pourvut  à  la  défense  du  pont  de  Charenton  ^.    Il  avait 
bien   calculé,    comme  nous   verrons.  Le  8  avril,  toujours   dans   la 
même  préoccupation,  il  écrivait  aux  Rémois  d'envoyer  sans   délai 
du  secours,  demande  qu'il  adressa  aussi  à  d'autres.  Edouard,  écrit- 
il,  se  montre  avec  son  armée  devant  Paris  du  côté  de  Saint-Marcel 
et  il  a  l'intention  d'assiéger  la  ville  ^.  Toutefois,  la  capitale  ne  paraît 
pas  s'en  être  effrayée  ;  les  portes  et  les  murs  d'enceinte  étaient  bien 
garnis  de  gens  d'armes  ^\  La  meilleure  preuve  est  qu'Edouard  n'osa 
pas  faire  un  assaut.  Du  reste,   les  Français  étaient  assez  prudents 
pour  ne  pas  éloigner  des  fortifications  une  trop  grande  quantité  de 
troupes  et  pour  ne  pas  accepter  une  bataille  à  laquelle  Edouard  eût 
voulu  les  attirer.  Tout  se  réduisit  à  de  petites  escarmouches  ".  Le 

1.  Voy.  Chron.  des  qiiaire  premiers  Valois,  p.  115. 

2.  Grand,  chron.,  p.  170.  D'après  Kmghton,  p.  111,  rarmce  anglaise,  divisée  en  trois 
colonnes,  était  déjà  devant  les  murs  le  6  avi'il.  D'après  Lrmoine,  dans  Chron.  du 
R.  Lescot,  p.  1 14,  not.  5,  s'appuyant  sur  l'Itinéraire,  p.  298,  Edouard  n'a  pas  quitté 
Chanteloup  avant  le  10  avril.  Mais  cette  assertion  est  contredite  par  une  lettre  du 
régent  aux  Rémois  datée  du  8  avril.  Du  reste,  Edouard  pouvait  très  bien  aller  à  che- 
val de  temps  à  l'autre  de  Paris  à  Chanteloup  et  vice  versa. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  174.  Ton.orzE,  Hist.  d'un  village  ignoré,  Balnealuni  (1898), 
p.  129,  dit  qu'aussi  Fontenay,  Bagneux,  Montrouge,  Arcueil  furent  occupés  par  les 
Anglais.  C'est  possible,  Fontenay  et  lîagneux  sont  tout  près  de  Châtillon,  Arcueil 
est  près  de  Cachan.  Mais  les  sources  ne  fournissent  rien. 

4.  MoBAXViLLK,  dans  Chronogr.,  II,  p.  289,  not.  4. 

5.  Varix,  Archives  administratives  de  la  ville  de  Beinis.  III.  p.  159  suiv. 

6.  Grand.  c/iron.,p.  171. 

7.  Kmohtox,  p.  111.  ^'^oy.  Jeax  di:  A'enkttf.,  p.  307. 


LES    NÉGOCIATIONS    DE    PAIX.    TRAITÉ    DE    nilETIGNY,     1360  3o9 

roi  d'Angleterre  trouva  donc  devant  Paris  la  même  tactique,  la 
même  énerg-ie,  quoique  presque  passive,  la  même  prudence  que 
devant  Reims,  et,  malheureusement  pour  son  armée,  on  y  avait  mis 
à  profit  le  conseil  donné  aussi  à  cette  ville  par  le  régent  de  retirer 
tous  les  vivres  à  l'intérieur  de  la  ville,  afin  que  l'ennemi  ne  pût  s'en 
emparer  ;  cette  mesure  fut  suivie  partout  ^ 

Cette  fois,  la  ferme  résistance  de  Reims  lui  ayant  donné  de  l'ex- 
périence, Edouard  n'attendit  pas  trente-neuf  jours  pour  s'en  aller  ; 
dès  le  12  avril,  il  leva  l)rusquement  le  siège,  après  avoir  incendié 
quelques  faubourgs  et  villages.  Son  ambition  essuyait  un  nouvel 
échec,  plus  important  encore  que  le  précédent,  car  il  avait  mis  son 
dernier  espoir  dans  la  prise  de  Paris,  se  promettant  qu'elle  le 
dédommagerait  de  son  infructueuse  tentative  devant  Reims  et  qu'elle 
serait  le  couronnement  de  sa  campagne. 

Après  cette  dernière  défaite,  où  devait-il  se  diriger  avec  son 
armée  à  demi  affamée? Passer  la  Seine  et  retourner  en  Angleterre? 
C'était  trop  tôt.  Après  plus  de  cinq  mois,  Edouard  était  aussi  peu 
avancé  qu'au  début  de  cette  campagne  si  coûteuse.  Quel  accueil 
l'attendrait  à  Londres  ?  Du  reste,  les  passages  de  la  Seine  étaient 
bien  défendus  -.  Dans  cette  situation,  il  forma  le  projet  d'aller  pas- 
ser quelques  mois  en  Bretagne  pour  revenir  ensuite  devant  Paris  ^. 
Il  se  dirigea  donc  vers  Chartres  avec  son  armée.  Ignorait-il  que  le 
pays  chartrain  ne  pouvait  lui  fournir  des  vivres?  Par  suite  des 
guerres  incessantes  tout  ce  pays  était  dévasté  et  épuisé.  Edouard  se 
rassurait  sans  doute  en  songeant  au  train  de  chariots  chargés  des 
approvisionnements  de  1  armée  ;  mais  néanmoins  les  vivres  commen- 
çaient déjà  à  faire  défaut  ^,  lorsque,  le  second  jour  de  la  marche,  le 
lundi  13  avril,  comme  le  dit  Jean  de  Venette,  se  déchaîna  sur  l'ar- 
mée, à  Gallardon,  une  terrible  tempête,  un  ouragan  accompagné 
de  la   foudre,  d'une  forte  grêle  et  peut-être  de  neige  mêlée  à  de  la 

1.  Cf.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  117,  dont  l'auteur  du  reste  n'est  pas 
bien  informé  pour  cette  partie. 

2.  Non  seulement  on  fortifiait  le  pont  à  (^harenton,  mais  à  Pont-de-lArche  par 
exemple  le  passage  était  aussi  surveillé,  comme  il  résulte  des  Grand,  chron.,  p.  214. 
Voy.  ci-dessous,  p.  361. 

3.  FnoissAHT,  p.  1. 

4.  Chron.  norm.,  p.  152  :  «  Tost  du  roy  Edouard  (commença)  à  avoir  ^rant  defTaut 
de  vivres,  carie  pays  avoit  esté  moût  essillié  parles  guerres  ». 


360  LA    GUERRE    DE    CEM    ANS 

pluie,  de  sorte,  comme  le  raconte  l'anglais  Knighton,  qu'une  grande 
partie  des  nobles  et  une  quantité  innombrable  d'Anglais  de  tout 
rang  et  plus  de  six  mille  chevaux  furent  tués.  Le  train  portant  le 
ravitaillement  de  l'armée,  composé  de  plusieurs  milliers  de  chariots, 
fut  presque  entièrement  détruit'.  L'impression  de  ce  désastre  fut  si 
forte  en  Angleterre,  qu'on  appela  désormais  le  lundi  suivant  le  pre- 
mier dimanche  après  Pâques  lundi  noir-. 

On  comprend  qu'après  cela  lidouard  ait  désiré  retourner  en 
Angleterre-^.  Les  éléments  se  mettaient  du  côté  des  Français,  et  les 
troupes  anglaises  étaient  forcées  de  se  disperser  jusqu'à  Bonneval 
et  Ghâteaudun  pour  trouver  des  vivres '^.  Cet  état  de  choses  ne 
pouvait  durer,  et  Edouard  le  comprit  bien.  Il  se  montra  prêt  à 
conclure  la  paix  ^,  et,  comme  s'expriment  les   Grandes  chroniques^ 

1.  Kmghton,  p.  112  (noms  de  plusieurs  nobles  tues).  Cf.  Chron.  Angl.,cd.  Thompson, 
p.  42;  Contin.  de  Mui^imulh.  éd.  Hofi,  p.  193;  Jean  de  Venette,  p.  308;  Froissart. 
p.  5  ;  Chronogr.,  p.  294;  Chron.  norm.,  p.  152  ;  Chron.  de  R.  Lescot,  p.  145;  Chron. 
de  Jean  ?\oijal,  dans  la  Bibl.  nat.,  ms.  ù\  10138,  fol.  ITO*';  Cuvelieh,  Chron.  de  Du 
Guesclin,  v.  2684  suiv.;  deux  Chroniques  dans  Secousse,  Preuves,  p.  639,  666  suiv.  ;  la 
première,  i/jid,,  suit  le  texte  des  Grand,  chron.  De  cet  orage,  il  est  encore  parlé  dans 
Chronicle  of  London.,  p.  64,  où  le  fait,  comme  dans  Contin.  de  Murimuth,  est  placé 
au  14  avril,  en  ajoutant  que  c'était  un  lundi.  Mais  le  lundi  tombait  le  13  avril.  Le 
continuateur  de  Murimuth  écrit  qu'il  tomba  aussi  de  la  neige,  et  le  Chronicle  dit 
que  beaucoup  périrent  à  cause  du  froid,  ce  que  racontent  également  Euloyium 
histor.,  III,  p.  228  suiv.,  et  W'alsingham,  I,  p.  289. 

2.  Chronicle  of  London.  \.  c.  :  «  wherfore  unto  this  day  manye  men  callen  it  the 
blake  Moneday  ».  C'était  le  lundi  après  «  dominica  in  Albis  ». 

3.  Kmghtox,  1.  c.  :  «  cariagium  excrcitus  defecit  fere  in  toto,  et  oportuit  redire  ver- 
sus Angliam  ». 

4.  Grand,  chron.,  p.  171. 

5.  L'orage  est  très  gênant  pour  Luce,  p.  iv,  not.  2,  et  Du  Guesclin,  p.  306,  parce 
qu'il  veut  prouver  que  si  la  campagne  d'Edouard  a  si  misérablement  avorté  et  s'est 
terminée  par  beaucoup  de  concessions  aux  Français,  c'est  uniquement  par  la  sagesse 
prévoyante  du  régent  secondé  par  la  patriotique  résistance  des  populations.  Mais 
Luce  n'a  pas  distingué.  Edouard  pouvait  très  bien  se  déterminer  à  faire  la  paix  à  la 
suite  des  terribles  elfets  de  l'orage,  et  abaisser  les  conditions  à  cause  de  la  résistance 
qu'il  trouvait  en  France.  La  sagesse  du  régent  et  la  patriotique  résistance  des  popula- 
tions ne  perdent  donc  rien.  Luce  a  omis  de  se  mettre  au  milieu  de  la  situation.  L'armée 
anglaise  se  trouvait,  déjà  fatiguée,  dans  un  pays  d'une  extrême  détresse,  quand  survint 
l'orage  qui  détruisit  presque  tout  le  train  avec  les  provisions.  Que  faire?  Luce  se 
garde  de  citer  Kmghtox,  qui  dit,  comme  nous  avons  vu,  qu'à  cause  du  défaut  de 
vivres  on  était  obligé  de  retourner  en  Angleterre  ;  en  revanche  il  s'appuie  sur  le 
rédacteur  des  Grand,  chron.,  qui  ne  dit  pas  un  mot  de  cet  orage.  Mais  ce  silence 
prouve-t-il  quelque  chose  contre  quatorze  chroniqueurs  anglais  et  français  ?  Est-ce  la 
première  fois  que  les  Grand,  chron.  omettent  un  fait  remarquable?  Et  pourtant  elles 
fournissent  contre  l'assertion  de  Luce  une  preuve  importante,  comme  nous  verrons 
dans  le  texte. 


LES    NÉGOCIATIONS    DE    PAIX.    TRAITÉ    DE    BRETIGNY,    1360  361 

les  Anglais  eux-mêmes  firent  sentir,  tant  à  Fabbé  de  Cluny,  qui  ne 
manqua  pas  k  son  devoir  en  le  communiquant,  qu'à  bien  d'autres, 
qu'ils  acquiesceraient  volontiers  audit  traité  de  paix,  si  le  régent 
leur  envoyait  des  négociateurs ^  Cette  détente,  arrivant  tout  après 
le  terrible  orage,  montre  clairement  que  ce  sont  les  effets  de  cet 
incident  qui  abaissèrent  l'orgueil  du  roi  d'Angleterre. 

Le  régent  informé,  après  délibération  du  conseil,  envoya,  le 
27  avril,  des  négociateurs  à  Chartres^;  le  1^''  mai,  les  délégués  fran- 
çais et  anglais  et  les  trois  nonces  du  pape*^  se  réunirent  à  Bretigny, 
dans  un  hameau  voisin,  pendant  qu'Edouard  logeait  à  Sours.  Les 
pourparlers  durèrent  jusqu'au  8  mai.  Le  7  mai,  fut  confirmée  par  le 
régent  à  Chartres  et  par  le  prince  de  Galles  à  Sours  ^  une  trêve  qui 
devait  durer  jusqu'au  29  septembre  1361  ;  le  8  mai,  les  négociateurs 
signèrent  le  traité  dit  de  Bretigny,  confirmé  et  juré  par  le  régent  à 
Paris  le  10  mai,  et  par  le  prince  de  Galles  à  Louviers  les  15  et 
16  mai.  Ce  traité,  provisoirement  ratifié  ensuite  par  Edouard  III  et 
le  roi  Jean  à  Londres  le  14  juin,  fut  définitivement  ratifié  et  juré 
le  24  octobre  seulement,  par  les  deux  rois  et  par  leurs  fils  aînés  ^. 

Mais  que  contenait  le  traité  de  Bretigny  dans  sa  forme  primitive, 
tel  qu'il  est  alors  venu  à  la  connaissance  du  public  ?  Nous  connais- 
sons les  excessives  et  désastreuses  conditions  du  traité  de  Londres 
qu'Edouard,  encore  devant  Paris,  voulait  imposer  aux  Français, 
conditions  que  ceux-ci  n'acceptèrent  p  as  plus  alors  que  l'année 
précédente.  Le  but  de  sa  sixième  invasion  allait  au  delà,  puis- 
qu'il voulait  arriver  par  la  force  à  se  faire  couronner  roi  de 
France.  Maintenant  qu'arrivait-il?  En  vertu  du  douzième  article  du 

1.  Grand.  c/jro/i.,p.  171  :  «  Et  firent  (les  Anfi,lais)  assez  sentir  tant  par  Tabbé  de 
Cligny...  comme  par  autres,  que  il  entendroicnt  volontiers  audit  traictié  de  paix,  se 
ledit  régent  vouloit  envoyer  par  devers  eux  ».  Cette  fois,  le  rédacteur  des  Grand, 
chron.,  «  le  mieux  renseigné  de  tous  les  chroniqueurs  sur  ces  événements  »,  est 
gênant,  et  Luce  préfère  la  version  de  Froissart  {p.  iv).  Du  reste,  aussi  Jeax  de 
Venkttr  dit,  p.  310  :  «  Rex  vero  Angliae  pacem  libenter  volens  »  ;  Chron.  norm., 
p.  152  :  «  lors  manda  Edouart  la  paix  au  régent,  laquele  paix  il  avoit  autrefl'ois  refu- 
sée ». 

2.  Grand,  chrnn.,  p.  171  suiv.,  où  sont  les  noms.  Cf.  encore  Cosxeau,  Les  grands 
Traités  de  la  guerre  de  Cent  ans,  p.  33  suiv. 

3.  Une  lettre  du  roi  Jean  datée  du  26  juillet  1361,  dit  la  même  chose,  dans  Rymer, 
III,  j).  624  ;  FÎAnnoNNET,  Procès-verbal  de  délivrance  à  Jean  Chandos  (^Niort),  p.  16. 

4.  Rymkh,  p.  485  suiv.,  Grand,  chron.,  p.  202,  207. 

5.  Voy.  les  Grand,  chron.,  et  les  indications  dans  Cosneau,  p.  34. 


362  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

traité  de  Bretig-ny,  Edouard  renonce  à  toutes  ses  prétentions  sur 
la  Flandre,  la  Normandie  (la  possession  de  Saint-Sauveur  lui  est 
seule  assurée),  sur  le  Maine,  la  Touraine,  comme  aussi  sur  TAnjou 
et  la  Bretagne  ;  par  le  vingtième  article  du  traité,  les  deux  rois 
de  France  et  d'Angleterre  sont  obligés  de  travailler  à  amener  un 
accord  entre  les  deux  prétendants.  Edouard  n'impose  donc  plus  sa 
souveraineté  comme  dans  le  traité  de  Londres.  Contrairement  à  la 
disposition  de  ce  traité  la  rançon  du  roi  Jean  est  réduite  de  quatre 
millions  d'écus  d'or  à  trois  millions  payables  en  six  ans  et  à  des 
conditions  beaucoup  plus  favorables.  De  plus,  Edouard  renonce  à  la 
couronne  et  au  titre  de  roi  de  France  qu'il  prenait  dans  tous  ses 
actes  depuis  la  déclaration  de  la  guerre  ^ . 

D'autre  part,  le  régent  y  accorde  que  le  duché  d'Aquitaine,  ces- 
sant d'être  un  fîef  de  France,  sera  érigé  en  souveraineté  indépen- 
dante avec  les  provinces  sous-nommées  dont  cession  est  faite  à 
l'Angleterre  :  le  Poitou,  la  Saintonge,  l'Aunis,  l'Agenais,  le  Péri- 
gord,  le  Limousin,  le  Quercy,  le  pays  de  (iaure,  Bigorre,  l'Angou- 
mois  et  le  Rouergue.  Le  régent  cède  encore  les  petites  seigneuries 
de  Guînes,  du  Ponthieu,  Montreuil  et  Calais  -  ;  et  le  délai  pour  la 
remise  aux  Anglais  de  ces  provinces  et  pays  est  fixé  d'abord  au 
29  septembre,  et  plus  tard,  au  24  juin,  ou  à  la  Toussaint  1361.  Les 
comtes  de  Foix,  d'Armagnac,  et  quelques  petits  seigneurs  du  Midi 
durent  transporter  leur  hommage  direct  au  roi  d'Angleterre.  Ces 
provinces  annexées  formèrent  désormais  avec  la  Guyenne  le  duché 
d'Aquitaine. 

Malgré  cela,  Edouard  III  renonçait  sur  toute  la  ligne  à  plus  d'un 
quart  de  ses  anciennes  prétentions  et  abandonnait  complètement  ses 
aspirations  à  la  couronne  de  France.  Forcé  de  quitter  le  pays  avec 
son  armée,  la  crainte  de   tout  perdre  l'avait  amené  à  traiter  avec 

1.  Voy.  Grand,  chron.,  p.  184.  L'article  12  comme  encore  une  partie  de  l'article  11 
furent  supprimés  le  24  octobre,  et  pour  les  remplacer  les  deux  rois  firent  des  pro- 
messes et  des  chartes  de  renonciations. 

2.  Cf.  la  carte  dans  Allas  historique  de  la  France,  par  Longxox,  3°  livrais.,  pi.  XIV 
[Texte  explicatif,  p.  256,  not.l),  et  le  texte  du  traité  ratifié  le  24  octobre,  dans  Cos- 
NEAU,  1.  c,  p.  39  à  68.  L'auteur  explique  dans  l'introduction  au  traité  les  points 
nécessaires,  et  dit  lui-même  que  pour  comprendre  certaines  clauses,  les  détails 
doivent  être  mieux  étudiés  ;  mais,  une  étude  semblable  n'entre  pas  dans  le  cadre  de 
mon  travail.  Les  terres  cédées  sont  aussi  énumérées  dans  Champolliox-Figeac,  Lettres 
des  rois,  reines,  etc.,  t.  II  (1847),  p.  130,  et  ailleurs. 


LES    Nf:GOCIATIONS    DE    PAIX.    TPAITÉ    DE    BRETIGNY,    1360  363 

les  Français  qui,  malgré  la  triste  condition  du  royaume,  avaient, 
grâce  à  leur  invincil)le  fermeté,  fait  échouer  le  but  qu'il  s'était 
flatté  d'atteindre  par  sa  sixième  invasion.  Resté  vainqueur  par  la 
bataille  de  Poitiers^  Edouard  était  vaincu  dans  sa  dernière  cam- 
pagne et  perdait  pour  jamais  l'espérance  si  longtemps  caressée 
de  briser  les  Français. 

On  peut  s'expliquer  la  joie  avec  la([uelle  les  Parisiens  et  toute  la 
population  accueillirent  le  traité  conclu  le  8  mai.  Ils  notèrent 
même  comme  un  heureux  présage  Tlntroït  Vocem  jucunditatis  de 
la  messe  du  cinquième  dimanche  après  Pâques  ,  le  10  mai  de  cette 
même  année,  jour  oii  le  traité  fut  confirmé  et  juré  par  le  rég-ent;  le 
clerg-é  et  le  peuple  chantèrent  le  Te  Deiiin  à  Notre-Dame  ^  On 
voyait  Edouard  céder;  après  ving-t-trois  années  de  guerre,  on  croyait 
toucher  à  la  lin  de  tant  de  maux  et  l'on  espérait  la  sécurité  et  le 
repos.  On  pensait  plutôt  à  ce  qu'on  avait  g'agné  par  le  traité  qu'à  ce 
qu'on  avait  perdu.  Mais  quand  on  sait  qu'en  France  le  sentiment 
national  ne  date  pas  seulement  du  xv^  siècle,  on  s'explique  ég-ale- 
ment  pourquoi  dans  les  provinces  cédées  à  l'Ang-leterre,  un  senti- 
ment tout  à  fait  contraire  à  celui  des  provinces  restées  françaises  se 
manifesta,  comme  nous  le  verrons  au  paragraphe  suivant. 

Edouard  partit  bientôt  ;  le  12  mai,  nous  le  trouvons  déjà  à 
Thibouville  en  Normandie  ~;  dès  le  18  mai^^,  il  arriva  à  Londres. 
Après  avoir  réduit  en  cendres  tout  ce  qui  lui  restait  de  bagages 
inutiles,    la    plus  grande  partie  de  son   armée  le  suivit  sans  faire 


1.  Voy.  Jiî.vN  \w.  ViîMîTTE,  p.  311  :  «  inelVabilc  gaudium  adfuit  loti  plebi...  Gaude- 
bant  quasi  onines,  et  nierito  ».  L'auteur  était  alors  à  Paris.  Cf.  encore  Grand,  chron.., 
p.  213.  Plus  tard,  lorsque  tout  ce  qu'on  avait  perdu  eut  été  reconquis,  on  porta  un 
jugement  plus  sévère  sur  ce  traité.  Par  exemple  Chhistine  de  Pisan  le  trouva  «  mie 
bien  honoralîle,  ains  moult  au  descroiscement  et  préjudice  du  royaume  ».  Mais  elle- 
même  devait  confesser  qu'il  «  avoit  été  fait  en  manière  de  contrainte  pour  le  temps 
de  trop  griefve  fortune  et  pour  obviera  plus  grant  inconvénient  »  (Livre  des  fais  et 
bonnes  mœurs  du  sage  roy  Charles  V,'publ.  par  Leueik,  Dissertations  sur  Vhistoire 
de  Paris,  III,  p.  151).  Si  l'on  tient  compte  du  triste  état  de  la  France  à  la  veille  du 
traité  et  des  avantages  que  le  traité  de  Bretigny  avait  eus  sur  celui  de  Londres,  on 
ne  peut  blâmer  les  Fi-ançais  d'alors. 

2.  Cf.  l'Itinéraire  dans  (Jhron.  de  Richard  Lescot,  p.  209. 

3.  Rymeh,  III,  p.  494,  négligé  par  Luce,  Froissart,  A^I,  p.  vu,  not.  3,  et  Moranvim.é, 
Chronogr.,  p.  29'i,  not.  4,  qui  préfèrent  le  rédacteur  des  Grand,  chron.,  p.  214, 
d'après  lequel  Edouard  s'embai-qua  1(»  19  mai  à  llontleur.  Recte  Moi.imeh,  dans  Chron. 
norm.,  p.  324,  not.  7. 


364  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

ravages,    en  passant  par  Pont-de-F Arche  ;  le  régent   avait  donné 
l'ordre  de  la  laisser  traverser  la  Seine  en  cet  endroit  •. 

Innocent  VI  ne  tarda  pas  à  féliciter  le  roi  d'Angleterre  d'avoir  con- 
clu la  paix,  il  lui  écrivait  à  cet  effet  le  30  juin  -,  et  le  6  juillet  il  laisse 
une  seconde  fois  éclater  sa  joie,  en  annonçant  aux  deux  rois, qu'il  leur 
envoie  ses  nonces,  Fabbé  de  Cluny  et  Hugues  de  Genève  •^,  qui,  de 
Bretigny,  étaient  retournés  annoncer  au  pape  que  la  paix  était  con- 
clue. Le  traité  n'étant  pas  encore  scellé  ou  définitivement  ratifié,  le 
pape  envoyait  de  nouveau  les  nonces  ^  auprès  des  deux  rois,  avec 
la  mission  de  trancher  les  doutes  qui  pourraient  survenir  au  sujet 
de  certaines  conditions  et  conventions  mentionnées  dans  le  traité, 
comme  il  l'écrit  aux  deux  nonces  le  6  juillet  ^.  A  la  même  date,  il 
avise  de  cela  le  prince  de  Galles,  Tarchevêque  de  Ganterbury  et 
plusieurs  autres,  les  priant  d'assister  Androin  et  Hugues  dans  leur 
mission  ^.  Le  30  juin,  pour  que  la  bonne  issue  du  traité  ne  soit  pas 
entravée,  il  donne  à  l'abbé  de  Gluny  et  aux  évêques  de  Paris,  de 
Londres,  de  Thérouanne,  de  Rochester,  d'Arras  et  de  Winchester  la 
faculté  de  délier  les  Anglais  et  les  Flamands  de  toutes  les  ligues  et 


1.  Knightox,  p.  112  :  «  quaecumque  habebant  miserunt  flammae  et  incendio  prae 
defectu  cariagii,  tentoria.  utensilia,  currus,  sellas  et  caetera  quasi  oninia  ».  Gr€ind. 
chroii.,  p.  214,  dit  que  la  plus  grande  partie  de  l'armée  anglaise  retournait  en  Angle- 
terre. Malheureusement,  il  en  resta  en  France  une  partie,  qui  forma  plusieurs 
Grandes  compagnies,  dont  il  sera  question  dans  le  chap.  V. 

2.  R\MER,  Foedera^  III,  p.  501. 

3.  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n"  240,  parte  2'*%  93'',  95'';  Rymkh,  III,  p.  502  ;  Raynald, 
A/m.,  1360,  n"  2.  Cf.  encore  la  lettre  adressée  au  régent  sous  la  môme  date,  Reg..  fol. 
97. 

4.  Reff.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  23,  fol.  26''  :  «  ...  ipsos  nostros  et  apost.  sedis  nun- 
tios  ad  prosequendum  et  solicitandum  complementum  pacis  ejusdem  providimus 
remittendos  »,  ad  Jun.  27. 

5.  Reg.  Vat.  Innocent.  V7,  n°  240,  parte  2''%  fol.  98''  :  «  Dil.  filiis  Andruyno  abbati 
mon.  Cluniaccn.,  et  nob.  viro  Ilugoni  de  Gcbenna  domino  de  Antona  ap.  sedis  nun- 
ciis,  salutem.  Cum  nos  de  circumspecta  vestra  prudentia  in  gravibus  et  arduis  nego- 
tiis  nota  nobis,  singularem  in  Domino  fiduciam  obtinentes,  ad  prosequendum  et  féli- 
citer terminandum  certum  tractatum  concordic  per  vos  habitum  inter  cariss.  in  Christo 
filios  nostros  Johannem  Francorum  et  Eduardum  Anglie  reges  illustres  duce  Domino 
reformande,  vos  ad  eosdem  reges  presentialitcr  dcstinemus,  volumus  quod  si  inter 
reges  eosdem  super  conditionibus,  conventionibus  et  pactis  in  dicto  tractatu  contcntis 
aliqua  dubia  forsitan  orirentur,  vos  inter  reges  ipsos  quibus  convenire  videritis  viis 
et  modis  prefata  submovere  dubia  et  eorum  animos  ad  prefataminclinare  concordiam 
studeatis.  Dat.  apud  Villamnovam  Avinioncn.  dioc.  ij  non.  Julii  anno  VIII  ». 

6.  Ihid.,  fol.  97''.  à  98''.  Voy.  les  noms  d'autres  dans  Bliss  and  Johnson,  1.  c, 
p.  630. 


LES    NÉGOCIATIONS    DE    PAIX.    TKAITÉ    DE    HRETKiNY,     1360  365 

conventions  dans  lesquelles  ils  pouvaient  s'être  eng-agés  soit  aupara- 
vant, soit  présentement  et  de  les  relever  de  leurs  serments  ^  Les 
mêmes  évêques  avaient  le  pouvoir  d'annuler  certains  engagements 
pris  par  les  rois  de  France  et  d'Angleterre  2,  et  les  évêques  de 
Londres,  de  Rochester  et  de  Bazas  étaient  délég-ués  pour  absoudre 
les  sujets  du  roi  d'Ang-leterre,  soit  archevêques,  évêques,  abbés, 
ecclésiastiques  séculiers  et  réguliers  ;  les  ducs,  comtes,  seigneurs, 
nobles  et  non  nobles  qui  croiraient  avoir  encouru  pendant  la  guerre 
les  censures  ecclésiastiques  ^  ;  les  évêques  de  Paris,  de  Thérouanne, 
de  Montauban  reçurent  les  mêmes  facultés  pour  les  sujets  du  roi 
de  Frai^ce;  l'abbé  de  Cluny  avait  la  faculté  d'exercer  le  même  pou- 
voir envers  l'une  ou  l'autre  partie  ^. 

La  sollicitude  d'Innocent  VI  allait  plus  loin  encore.  L'article 
13  (lu  traité  de  Bretigny,  à  date  du  8  mai,  ordonnait  que  le  roi 
Jean  serait  transféré  d'Angleterre  à  Calais  dans  le  délai  de  trois 
semaines,  à  partir  du  24  juin;  l'article  14  lui  imposait  l'obligation 
de  payer  à  Calais  au  roi  d'Angleterre  six  cent  mille  écus  en  quatre 
mois  à  compter  depuis  son  arrivée  à  Calais  '^.  Or  nous  savons  que 
le  10  juillet  13o8,  le  pape  avait  accordé  deux  décimes  des  revenus 
ecclésiastiques  dans  le  royaume  de  France  pour  la  délivrance  du  roi 
Jean  ^'  et  que,  la  paix  n'ayant  pas  été  conclue,  le  payement  n'avait 
pas  eu  lieu.  Mais  à  la  conclusion  du  traité  de  Bretigny,  le  pape, 
informé  de  la  somme  énorme  que  la  France  devait  payer  pour  que 
le  roi  Jean  pût  quitter  librement  Calais,  ordonne,  le  22  juin  1360, 
aux  archevêques  et  évêques  de  France  d'envoyer  à  Saint-Omer 
le  montant  des  décimes  précédemment  recueillis  pour  qu'il  soit 
remis  à  l'évêque  de  Thérouanne,  chancelier  de  France,  et  à  l'évêque 
de  Tournai  ;  de  plus  il  les  oblige  à  exiger  des  contribuables  qui  ne 


1.  Recf.  Aven.  Innocent.  V'/,  n°  24,  fol.  299  :  «  Dum  gravia...  Dat-  apucl  Villamnovam 
Avinioncn.  dioc,  ij  kal.  Julii  an.  octavo  ».  jMoisant,  Le  Prince  Noir,  p.  263;  il  donne 
à  tort  au  volume  le  n"  23  (comme  aussi  dans  la  suite),  et  place  la  bulle  ad  an.  1359,  ce 
qu'il  fait  encoi'e  à  trois  autres  bulles. 

2.  Beff.  Aven.  Innocent.  VI,  n°  24,  fol.  290;  IIvmeu,  III,  p.  501;  Moisant,  1.  c, 
p.  262,  maie  ad  an.  1359. 

3.  Reg.,  fol.  290;  Rymeh,  p.  502. 

4.  Reg.,  fol.  290''. 

5.  Dans  le  traité  défmitivement  ratifié,  ces  deux  articles  sont  le  12"  et  le  13".  Voy. 

COSNEAU,  p.  47. 

6.  Voy,  ci-dessus,  p.  149. 


366  LA   GUERRE    DE    CEM    A^S 

se  seraient  pas  encore  acquittés  l'accomplissement  de  ce  devoir,  en 
les  menaçant  des  censures  ecclésiastiques  K 

Cette  fois  encore  les  sollicitudes  du  pape  furent  sans  eifet.  Le 
rég-ent  avant  pris  un  autre  moyen  pour  obtenir  l'arg-ent  nécessaire  à 
cette  première  rançon,  dans  les  Instructions  adressées  aux  commis- 
saires charg-és  de  recueillir  les  six  cent  mille  écus.  l'article  21 
défend  aux  gens  d'ég-lise  de   payer  «  riens  du  double  dixième   que 

1.  Reg.  Aven.  Innocent.  VF.  n°  2i.  fol.  276  :  «  Venerabilibus  fratribus..  archiepis- 
copo  Remensi  ejusque  sufTra^^aneis  salutem,  etc.  Olini  sicut  vol:)is  innotuit  cum  inter 
carissimos  in  Christo  fiHos  nostros  Johannem  Francorum  et  Ed\varduni  Anglie  reges 
illustres  pacem  esse  fu-matani  publiée  diceretur.  duas  intégras  décimas  omnium  pro- 
ventuum  et  redditum  ecclesiasticorum  in  regno  Francie  et  aliis  terris  prefati  Franco- 
rum régis  ditioni  subjectis  consistencium  certis  terminis  exigendas  atque  solvendas 
eidem  Francorum  régi  pro  liberatione  sua  sub  certis  modo  et  forma...  de  gratia  con- 
cessimus  speciali.  prout  in  nostris  ad  vos  etiam  et  alios  prelatos  regni  et  terrarum 
predictorum  directis  litteris  plenius  continetur.  In  quibus  tune  voluimus  atque  man- 
davimus  quod  hujusmodi  décime  que  per  vos  et  alios  prelatos  regni  et  terrarum  pre- 
dictorum de  vestris  proventibus  et  redditibus  deberentur  et  totum  id  quod  per  vos 
et  eos,  aut  per  subcollectores  a  vobis  et  eos  deputandos,  colligi  et  levare  contingeret, 
infra  certum  tempus  tune  expressum  in  civitate  Avinionen.  personis  per  vos  ad  id 
deputandis  solvi  tradi  et  assignari  deberent.  Et  deinde  cum  ipsius  pacis  tarderetur 
effectus  et  ex  aliis  certis  causisea  omnia  per  vos  et  alios  prelatos  predictos  custodiri  et 
servari  mandavimus.  donec  a  vobis  aliud  mandaretur.  dictosque  solucionum  terminos 
prorogandos  nec  non  processus  et  sententias...  suspendendos  usque  ad  proximum 
festum  Nativitatis  B.  Johannis  Baptiste  duximus  successive.  Cum  autem,  sicut  relati- 
bus  fidedignis  accepimus.  pax  ipsa  de  novo  sit  inter  partes  easdem  pia  Régis  pacifici 
miseracione  firmata  et  juramento  \allata,  in  qua  inter  cetera  actum  est  quod  dictus 
Francorum  rex  infra  très  septimanas  predictum  festum  beati  Johannis  immédiate 
sequentes  esse  débet  apud  Calesium.  Morincn.  dioc,  et  ibidem  pro  liberatione  sua 
certam  magnam  pecunie  summam  solvere  tenetur,  et  ad  hoc  per...  Carolum  ducem 
Normannie...  rcgnum  regentem  et  alias  ipsius  régis  Francorum  gentes  et  subditos 
solicitis  et  fidelibus  studiis  intendatur  :  nos  de  ipsius  reformatione  pacis,  pro  qua 
per  nos  et  apostohcam  sedem  longevi  labores  et  studia  sunt  impensa,  devotum  Deo 
reddentes  cum  exultationis  jubilo  vitulum  Jabiorum  ac  salubrem  dicti  Francorum 
régis  liberationem  paternis  atlectibus  exoptantes,  fraternitati  vestre  per  apostolica 
scripta  mandamus  quatenus  totum  id  quod  per  vos  pro  ipsis  duabus  integris  decimis 
de  proventibus  et  redditibus  vestris  ecclesiasticis  quos  in  vestris  civitatibus  et  dio 
cesibus  habetis,  solvi  debuit  seu  débet,  ac  totum  et  quicquid  ab  aliis  personis  eccle- 
siasticis juxta  formam  dictarum  litterarum  vobis  seu  subcollectoribus  per  vos  depu- 
tatis  de  ipsis  et  pro  ipsis  decimis  solutum  extitit.  sine  alicujus  more  dispendio  ad 
locum  de  Sancto  Audomaro  dicte  Morinen.  diocesis  per  fidèles  et  sufïîcientes  nuncios 
cum  oportuna  cautela  fideliter  transmittentes  illa  venerabilibus  fratribus  nostris  Egi- 
dio  Morinensi  dicti  regni  Francie  cancellario,  et  Philippo  Tornacensi  episcopis  [ou  aux 
dêlécfués]  tradi  et  assignari  realiter  faciatis,  per  eos  postmodum  in  liberationem  pre- 
dictam  tantummodo  convertenda.  Et  insuper...  omnes  et  singulos,  qui  pro  hujusmodi 
redditibus  et  proventibus,  quos  in  vestris  civitatibus  et  diocesibus  obtinent,  ipsas 
duas  décimas  non  solverunt,  ad  illas  solvendum.  prout  tam  honesta  tam  pia  nécessi- 
tas exigit,  hortari,  movere  et  inducere  et  per  censuram  ecclesiasticam  et  aggravatio- 


LES    NÉGOCIATIONS    DE    PAIX.    TRAITÉ    DE    BRETIGNY,    1360  367 

Notre  Saint-Père  le  pape  avait  octroyé  pour  la  délivrance  le  roy  », 
exige  «  qu'ils  prestent  pour  ceste  cause  aussi  comme  les  séculiers  », 
qui  devaient  y  contribuer  selon  la  requête  des  commissaires  ^.  Du 
reste.  Innocent  VI  fut  bientôt  informé,  par  le  régent  même,  au  sujet 
de  ce  système  nouveau ,  comme  le  prouve  sa  lettre  adressée  le 
14  juillet  aux  dignitaires  ecclésiastiques  dans  laquelle  il  retire  ses 
ordres  précédents  ~. 

Sur  ces  entrefaites,  le  roi  Jean  quitta  l'Angleterre  et  débarqua  le  i 
8  juillet  à  Calais  •\  où  il  resta  jusqu'au  25  octobre  ;  c'est  seulement 
le  24  qu'il  recouvra  sa  liberté.  Le  25  septembre.  Innocent  VI 
envoyait  au  roi  de  France,  au  duc  de  Normandie,  au  roi  d'Angle- 
terre etau  prince  de  Galles,  à  Tévêque  de  Thérouanne  et  au  duc  de 
Lancaster  des  lettres  de  créance  pour  ses  nonces,  l'abbé  de  Cluny 
et  Hugues  de  Genève  ^  Le  9  octobre,  le  roi  d'Angleterre  vint  en 
personne  à  Calais;  le  régent  y  arriva  le  13,  On  travailla  alors  à 
régler  les  conventions  relatives  au  traité  de  Bretigny  dont  chaque 
clause  et  chaque  article  furent  l'objet  d'une  charte  spéciale  à  laquelle 
les  deux   rois  et  leurs   enfants  apposèrent  leurs  sceaux  ^.  Les  plus 


nem  ipsorum  processuum  et  sententiarum  et  alla  opportuna  remédia  juxta  dictarum 
litterarum  continentiani  et  tenorem  compellere  studeatis,  et  quicquid  inde  solvi  seu 
levari  contigerit,  confestim  mitti  et  prefatis  episcopis...  tradi  et  assignari  similiter 
faciatis...  Dat.  apud  Villamnovani  Avinionen.  dioc.  x  kal.  Julii  anno  octavo  ».  Inno- 
cent adressait  des  lettres  de  la  même  teneur  aux  autres  archevêques  (compris  celui 
de  Bordeaux)  et  évoques  de  France,  dont  la  liste  suit  dans  le  registre  jusqu'à  fol.  278, 
et  le  23  juin  (viiij  kal.  Jul.)il  informait  les  deux  évoques  de  Thérouanne  et  de  Tour- 
nay,  comme  -encore  le  trésorier  de  France,  Pierre  Scatisse  {ihid.,  fol.  278'*).  Ce  der- 
nier reçut  en  eflet  en  Languedoc,  avant  le  versement  du  premier  terme,  dès  le 
7  août,  plus  de  quatre  mille  moutons  d'or.  Voy.  Hist.  de  Languedoc,  t.  X,  p.  1250 
suiv.  Les  prélats  du  Midi  et  Scatisse  n'étaient  pas  encore  informés  des  dispositions 
nouvelles.  Voy.  les  deux  notes  suivantes. 

1.  A^oy.  ces  Instructions,  publ.  par  .T.  M.  Richari»,  dans  Bibl.  de  V École  des 
chartes,  t.  XXXVI,  p.  83  suiv.  L'article  21  se  trouve  p.  86.  Cf.  encore  Grand,  chron., 
p.  215. 

2.  Re(f.  Aven.  Innocent.  VI,  n°  28,  fol.  501'',  ensemble  avec  la  lettre  du  27  janvier 
1362,  dans  laquelle  il  confirme  la  précédente.  Le  pape  enjoint  aux  prélats  de  se  con- 
former aux  Instructions  du  régent,  et  il  les  acquitte  des  engagements  pris  à  cause  de 
ses  lettres  précédentes. 

3.  Grand,  chron.,  p.  215.  Avant  de  parlir,  le  roi  Jean  fit  des  visites  aux  hauts  per- 
sonnages et  des  offrandes  à  Saint-Paul  de  Londres  et  à  Saint-Paul  de  Canterbury. 
Voy.  Champolmon-Figeac,  Lettres  des  rois,  reines  et  autres  personnages,  etc.,  t.  II, 
p.  120;  Comptes  de  Vargenterie  des  rois  de  France  au  XIV^  siècle  (1851),  p.  272  suiv. 

4.  lieg.  Vat.  Innocent.  VI,  n°  240,  fol.  IIP'  à  113. 

5.  Grand,  cliron.,  p.  215  suiv.,  Froissaut,  p,  26.  La  plupart  de  ces  pi'otocoles  sont 


368  LA    GUERRE    DE    CENT    A?yS 

célèbres  sont  :  les  chartes  par  lesquelles  les  deux  rois  renoncèrent 
à  la  souveraineté  sur  les  terres  cédées  de  part  et  d'autre,  les  chartes 
dites  de  renonciations,  datées  le  24  octobre  par  Edouard  à  Calais,  le 
26  octobre  par  Jean  à  Boulog-ne.  Mais,  il  était  formellement  stipulé 
que  ces  renonciations  n'auront  d'effet  qu'à  partir  du  jour  où  elles 
auront  été  échangées  à  Bruges  ou  vers  le  15  août,  ou  vers  le 
30  novembre  1361  \  et  cela  était  d'une  importance  capitale,  parce 
que,  par  la  faute  d'Edouard  -,  ces  formalités  convenues  ne  furent 
jamais  remplies.  Cette  inexactitude  fut  la  première  cause  d'un 
retour  de  fortune,  et  un  moyen  efficace  d'obtenir  la  réparation  des 
maux  appesantis  sur  la  France  pendant  tant  d'années.  Présente- 
;  ment  il  suffira  de  noter  que  le  24  octobre  le  traité  de  Bretigny  fut 
solennellement  et  définitivement  ratifié  ^. 

Mais  qu'advenait-il  de  Charles  le  Mauvais  ?  Tandis  que  dans  le 
traité  de  Bretigny  comme  auparavant  dans  celui  de  Londres,  son  frère, 
Philippe  de  Navarre,  était  traité  en  ami  du  roi  d'Angleterre  ^,  de 
lui  il  n'est  pas  dit  un  seul  mot,  ce  qui  explique  notre  appréciation 
sur  l'attitude  d'Edouard  envers  son  ancien  allié.  Néanmoins 
puisque  le  roi  Jean  qui  l'avait  fait  emprisonner  en  1356  et  qui  ne 
lui  donnait  encore  aucune  marque  de  bienveillance  retournait  en 
France,  il  fallait  c[ue  leur  différend  fût  réglé.  Cela  se  fit  seulement 
le  24  octobre  à  Calais  par  l'intervention  du  duc  de  Lancaster  et  de 
Gautier  de  Masny  et  vraiseml)lablement  par  celle  de  Philippe  de 
Navarre  '\  Charles  le  Mauvais  ne  troubla  pas  la  paix  jusqu'à  la 
dernière  année  du  règne  du  roi  Jean. 

renfermés  aux  Arch.nat.,  J,  638,  639, 640,  comme  annote  Luce,1.  c.,p.  xi,not.  6.  Rymer, 
p.  514  à  546,  et  Martkne,  Thés.  nov.  aneed.,  I,  p.  1427  à  1464,  ont  reproduit  une  grande 
partie  de  ces  documents.  Cf.  encore  Bibl.  nat.,  fonds  de  Camps,  portefeuille  xlvi. 

1.  Voy.  la  lettre  d'Edouard  du  24  octobre  dans  Grnnd.  chion.^  p.  255  à  263;  la 
phrase  au  sujet  de  Bruges  est  p.  260  suiv.,  celle  de  la  valeur  des  renonciations,  p.  261 
suiv.;  la  lettre  du  roi  Jean,  voy.  dans  Gosxeau,  p.  175  à  179,  surtout  p,  178  suiv. 

2.  Le  roi  Jean  avait  eu  soin  d'envoyer  ses  commissaires  à  Bruges  ;  mais  les  com- 
missaires anglais  ne  vinrent  pas.  Cf.  Jean  de  Moxtreuil  ,  dans  Bibl.  nat.  Paris.,  ms. 
lat.  10920,  fol.  15. 

3.  Rymer,  III,  p.  534  suiv.  ;  Froissart,  1.  c,  p.  33  à  47  ;  Lijce,  p.  xii  suiv.  Voy. 
les  noms  de  ceux  qui  étaient  alors  présents  à  Calais  avec  les  nonces  du  pape  dans 
CosNEAU,  1.  c,  p.  66  suiv.  ;  Champollion-Figeag,  1.  c,  p.  128;  OEiivres  de  Froissart, 
éd.  DE  Lettenhove,  XVIII,  p.  437  suiv. 

4.  Voy.  l'article  22  dans  Cosneau,  p.  55. 

5.  Les  articles  de  la  convention  publ.  parMARTÈNE,  Thés,  nov.,  I,  p.  1480;  Secousse, 
Preuves,  p.  172  suiv.  ;  Mém.,  p.  407  suiv. 


LES    NÉGOCIATIONS    DE    PAIX.    TRAITÉ    DE    BRETIGNY,    1360  369 

Après  le  versement  des  quatre  cent  mille  écus  ^  et  la  remise  des 
otages  princiers  et  nobles  -  en  garantie  de  l'accomplissement  des 
conditions,  le  roi  Jean  quittait  Calais  le  2o  octobre  et  passant  par 
Boulogne-sur-Mer,  Saint-Omer,  Hesdin,  Amiens,  Compiègne,  arri- 
vait à  Paris  le  15  décembre  ;  la  veille  il  s'était  réconcilié  avec  le  roi 
de  Navarre  à  Saint-Denys'\  Le  31  octobre,  Edouard  s'embarqua 
pour  l'Angleterre  avec  les  otages  nommés  ci-dessus^.  Les  otages 
bourgeois,  au  nombre  de  quarante,  envoyés  et  entretenus  par  dix- 
neuf  des  principales  villes  de  France  (parmi  lesquelles  naturelle- 
ment ne  figure  qu'une  seule  ville  du  Midi,  Toulouse)  devaient  se 
trouver  à  Calais  seulement  dans  le  délai  de  trois  mois  après  que  le 
roi  Jean   aurait  quitté  cette  ville  •''.  L'entretien  des  otages  causait 


1.  Dessali.es,  Rançon  dn  roi  Jean  (Paris,  1850),  p.  7,  dit  que  le  roi  versait  400.000 
écus  pris  sur  la  somme  de  600.000  écus,  reçue  par  lui  de  Galéas  Visconti,  sire  de 
Milan,  qui  voulait  obtenir  la  main  de  la  plus  jeune  fille  du  roi,  Isabelle,  pour  son  fils 
aîné  Jean.  Cf.  Villam  dans  Muratori,  XIV,  p.  617.  C'est  inexact.  Les  pourparlers  rela- 
tifs à  ce  mariage  entraînèrent  des  lenteurs  qui  empêchèrent  Galéas  de  verser  la  somme 
convenue  en  temps  opportun.  Isabelle  effectua  son  voyag:e  en  Italie  seulement  en  1361 
(cf.  GuiGUE,  Les  Tard-Venus,  p.  54  suiv.),  et  le  payement  n'était  pas  encore  un  fait 
accompli  en  1363.  Voy.  Froissart,  p.  23  suiv.,  et  Luge,  p.  mx,  not.  2.  La  somme 
susdite  de  la  rançon  du  roi  fut  payée  au  moyen  d'une  aide  extraordinaire  levée  sur 
les  sujets  du  royaume;  les  200.000  écus  restants  furent  comptés  les  26  et 31  décembre. 
LucE,  p.  XV,  not.  1.  Dans  Varix,  Archives  administratives  de  la  ville  de  Reims,  III, 
p.  163-166,  il  y  a  plusieurs  documents  relatifs  à  la  rançon,  depuis  le  8  juin  jusqu'au 
10  août.  La  seule  ville  de  Lille,  non  compris  les  gens  d'église  et  les  nobles,  paya 
2.000  écus.  Voy.  Roisin,  Fra^nchises,  lois  et  coutumes  de  la  ville  de  Lille,  publ.  par 
Brtjn-Lavaixne  (1842),  p.  407,  où  est  la  charte  du  roi  Jean  datée  du  12  août.  Énormes 
sont  les  sommes  que  payaient  les  villes  de  Languedoc.  Voy.  A.  Mohmer,  dans  Hist. 
de  Languedoc,  IX,  p.  715,  not.;  t.  X,  p.  1211  suiv. 

2.  Le  duc  d'Orléans,  frère  du  roi,  les  ducs  d'Anjou  et  de  Berry,  et  d'autres 
nobles,  en  tout  trente  au  lieu  de  quarante.  Voy.  les  noms  dans  Grand,  chron.,  p.  219. 

3.  Grand,  chron.,  p.  217  suiv.,  220  suiv.,  222,  223;  Luce,  p.  xvi,  notes. 

4.  Grand,  chron.,  p.  219.  La  condition  des  otages  à  Londres,  tant  des  nobles  que 
des  bourgeois,  était  assez  douce,  et  le  roi  Edouard  les  voulait  traiter  aimablement. 
Voy.  sa  lettre  du  24  octobre  1360  dans  Martiîne,  1.  c,  p.  1440.  Enguerrand  VII,  sire 
de  Coucy,  était  vraiment  aimé  d'Edouard,  qui  lui  donna,  outre  la  liberté,  Isabelle  sa 
seconde  fille  en  mariyge,  en  1365.  Voy.  Du  Plessis,  Hist.  de  la  ville  et  des  seigneurs 
de  Coucy  (1728),  p.  82.  Kmghton,  p.  171.  —  J'omets  de  citer  quelques  lettres  d'Inno- 
cent VI  aux  deux  rois,  sans  importance  pour  notre  histoire. 

5.  Traité  de  Bretigny,  art.  17,  dans  Cosxeau,  1.  c,  p.  52,  où  les  villes  sont  aussi 
nommées  ;  on  y  trouve  dans  les  notes  les  autres  sources.  Cf.  la  lettre  du  roi  Jean 
adressée  aux  habitants  de  Lille,  le  13  novembre,  dans  Roisix,  Franchises,  etc., 
p.  408  suiv.  Quelques-uns  des  otages  bourgeois  sont  arrivés  à  Londres  seulement 
vers  le  26  février  136L  Cf.  Rymer,  III,  p.  605.  Cf.  encore  Martèxe,  Thés.  nov. 
anecd.,  I,  p.  1448  suiv. 

R.  P.  Denifle.  —  Désolât io  ecclesiarum  II.  24 


370  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

aux  villes  de  grands  frais  et  beaucoup  d'ennuis,  et  quelques-unes 
essayaient  de  faire  concourir  aux  dépenses  les  autres  villes  de  la 
province  respective  K  Comme  cette  contribution  atteignait  aussi  les 
églises,  elles  subirent  de  nouvelles  pertes.  Par  exemple  l'église  de 
Saint-Pierre  de  Troyes  fut  forcée  de  vendre  plusieurs  de  ses  reli- 
quaires. La  Collégiale  de  Saint-Etienne  possédait  un  précieux  joyau 
qu'elle  tenait  des  libéralités  des  comtes  de  Champagne,  une  table 
d'or  ornée  de  perles  et  de  pierres  précieuses,  servant  de  décoration 
au  maître-autel  lors  des  fêtes  solennelles,  estimée  1000  florins  d'or; 
elle  fut  détruite  et  le  prix  employé  au  service  du  roi,  qui  donna,  en 
1361,  une  indemnité  dérisoire  en  argent^. 


4.  Prise  de  possession  des  provinces  cédées  aux  Anglais. 
Nouvelle  manifestation  du  sentiment  national. 

Bien  que  cet  ouvrage  n'ait  pour  but  que  l'histoire  des  dévasta- 
tions, je  veux  raconter  en  quelques  lignes  comment  s'effectua  la 
prise  de  possession  des  provinces  cédées  à  l'Angleterre  par  le  traité 
de  Bretigny.  Les  faits  qui  se  passèrent  alors  prouvent  une  fois  de 
plus  que  l'idée  de  patriotisme  ne  commença  pas  à  germer  seule- 
ment au  temps  de  Jeanne  d'Arc.  Il  suffira  de  donner  un  aperçu 
général  et  quelques  exemples  en  particulier. 

En  vertu  du  traité,  le  roi  d'Angleterre  devait  remettre  sous 
l'obéissance  du  roi  de  France  les  forteresses  occupées  dans  ce 
royaume  par  les  Anglais,  surtout  en  Normandie,,  en  Anjou  et  dans 
le  Maine;  d'autre  part,  le  roi  de  France  devait  livrer  au  roi  d'Angle- 
terre les  provinces  cédées  à  ce  dernier.  Des  commissaires  furent  insti- 
tués à  cet  effet.  Thomas  Holland,  le  28  octobre,  chargé  par  Edouard 
d'assurer  l'évacuation  des  forteresses  françaises,  mourut  à  la  fin  de 


1.  Quandpar  exemple  les  Lyonnais  tentèrent,  en  1366,  de  faire  contribuer  la  ville 
de  Màcon  et  celle  de  Cluny  à  Fentretien  de  leurs  otages,  il  s'ensuivit  un  procès  inter- 
minable et  Charles  V  essaya  en  vain  de  concilier  les  parties.  Voy.  Millon  dans  Revue 
des  sociétés  savantes,  5«  sér.,  t.  I,  p.  168  suiv.  Troyes  demanda  aussi  au  roi  de  répar- 
tir la  contribution  sur  les  villes  de  Langres,  Bar-sur-Aube,  Provins,  Bar-sur-Seine  et 
Saint-Florentin  ;  cette  réclamation  ne  fut  pas  acceptée  par  ces  villes  avec  un  vif 
empressement.  Cf.  Boutiot,  Hist.  de  la  ville  de  Troyes,  t.  II,  p.  153. 

2.  Voy.  Boutiot,  1.  c,  p.  154  suiv. 


SENTIMENT    NATIONAL    DANS    LES    PROVINCES    CÉDÉES,    1361  371 

l'année  1360;  Jean  Ghandos  lui  succéda  le  20  janvier  1361  K  Les 
places  devaient  être  remises  sans  condition  entre  les  mains  des 
officiers  français,  mais  les  Anglais  se  sentirent  assez  forts  pour  faire 
acheter  leur  retraite  à  beaux  deniers  comptants.  Ainsi,  ils  exigèrent 
deux  mille  écus  pour  sortir  du  fort  de  Gralï'art.  L'évacuation  de  Bar- 
fleur  coûta  plus  de  quinze  mille  royaux  dont  le  payement  fut 
garanti  par  des  otages  qu'on  livra  à  la  garnison  de  Saint-Sauveur  et 
qui  avaient  été  choisis  parmi  les  gens  d'église,  les  nobles  et  les 
bourgeois^.  Au  mois  d'avril  1361,  les  forts  de  Saint-Vaast  et  de 
Lingèvres  furent  rachetés  au  nom  du  roi  de  France  moyennant  une 
rançon  de  seize  mille  écus  du  roi  Philippe,  et  le  commissaire  reçut 
une  partie  de  cet  argent  •^. 

Le  l*'^  juillet  1361  ,  Edouard  III  donna  plein  pouvoir  à  Jean 
Ghandos,  alors  baron  de  Saint-Sauveur,  et  à  d'autres  commissaires 
de  prendre  possession  des  nouvelles  provinces  et  de  leur  confirmer 
les  privilèges  dont  elles  jouissaient  ^.  Mais  quand  Ghandos  vint  à 
Paris,  le  6  août,  réclamer  au  nom  d'Edouard  III  la  cession  des  pro- 
vinces remises  à  l'Angleterre,  les  Anglais  mêmes  n'avaient  pas 
encore  évacué  toutes  les  forteresses  qu'ils  occupaient  en  Anjou, 
dans  le  Maine  et  ailleurs.  Le  27  juillet  de  la  même  année,  le  roi  Jean 
notifie  au  clergé,  à  la  noblesse  et  au  tiers-état  des  diverses  provinces 
cédées  le  traité  de  Bretigny  et  leur  livraison  respective  à  l'Angle- 
terre, relève  les  habitants  du  traité  de  fidélité  qu'ils  lui  devaient  et 
leur  ordonne  d'obéir  désormais  à  leur  nouveau  maître  ^.  II  nomma 

1.  Rymer,  III,  p.  547,  555. 

2.  Voy.  sur  tous  les  détails  Delisle,  Hist.  du  château  et  des  sires  de  Saint-Sauveur- 
le-Vicomte,  p.  118,  et  Preuves,  p.  148,  143  suiv,,  148,  155,  157. 

3.  Ibid.,  p.  119  suiv.,  121.  D'autres  exemples  se  trouvent  ibid.,  p.  124  ;  Luce,  Du 
Guesclin,  p.  354,  361. 

4.  Voy.  la  lettre  dans  le  travail  de  Calvet,  p.  35,  cité  dans  la  note  suivante,  et 
dans  Champollion-Figeac,  1.  c.,  II,  p.  135.  Ce  n'est  pas  en  vertu  de  la  lettre  du 
20  janvier  1361,  comme  croit  Luge,  Froissart,  p.  xviii,  not.  1,  qui  n'avait  pas  con- 
naissance de  celle  du  1*"^  juillet,  que  Ghandos  a  pris  la  saisine  des  provinces  cédées. 
La  lettre  du  1"  juillet  est  sûrement  celle  qui  fut  portée  le  4  août  à  l'abbaye  de 
Saint-Sauveur  (Baudonnet,  Procès-verbal  de  délivrance  à  Jean  Chandos,  p.  2). 

5.  On  trouve  dans  Rymer,  III,  p.  624  ;  Baudoxnet,  Procès-verbal  de  délivrance  à 
Jean  Chandos,  p.  14  suiv.  ;  Gukrix,  Recueil  des  documents  concernant  le  Poitou,  III, 
p.  310,  les  lettres  relatives  à  la  cession  du  Poitou;  dans  Calvet,  Prise  de  possession 
par  le  roi  d'Angleterre  de  la  ville  de  Cahors  (Extrait  du  Recueil  des  travaux  de  la 
Soc.  d\-u[riculture,  sciences  et  arts  d'Acfen,  t.  V.  p.  167  à  209\  Ap:en,  1850,  p.  26,  sont 
les  lettres  pour  le  Quercy  ;  dans  Champollio.n-Figeac,  1.  c,  p.  136,  pour  le  Rouergue. 


372  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

comme  commissaires  assistants  pour  la  France  Jean  le  Meingre  dit 
Boucicaut  et  plusieurs  autres  qui  devaient  mettre  les  commissaires 
anglais  en  possession  de  ces  provinces  ;  les  lettres  du  roi  à  ce  sujet 
datent  du  12  août  de  la  même  année  ^  Il  y  énumère  les  provinces 
dont  il  avait  avec  tous  les  fîefs,  juridiction  et  seigneuries,  investi  le 
roi  d'Angleterre,  u  sauf  et  réservé  à  nous  la  souveraineté  et  le  der- 
nier ressort  jusques  à  tanct  que  certaines  renonciations  que  nostre 
dict  frère  (Edouard  III)  doict  faire  soient  faictes,  si  comme  il  est 
plus  à  plain  contenu  ez  lettres  sur  ce  faictes  -  ». 

Cependant,  soumettre  les  provinces  au  roi  d'Angleterre  n'était 
pas  chose  facile.  Avant  qu'on  n'allât  prendre  la  saisine  de  ces  pays, 
Edouard  III  voulait  être  en  possession  de  La  Rochelle,  et  dès 
le  8  juin  1360  il  invita  «  ses  chers  et  bons  amis  »  le  maire  et  la 
commune  de  la  ville  à  envoyer  vers  lui  leurs  députés.  Grâce  à  la 
résistance  des  habitants,  il  lui  fallut  pour  arriver  à  son  but  sept 
mois  de  démarches  et  de  négociations  ininterrompues.  Le  maire  de 
la  ville  ne  fit  serment  d'obéissance  au  roi  d'Angleterre  que  le 
7  décembre  et  les  habitants  le  8  du  même  mois  ^.  Mais  cela  ne  ser- 
vait qu'au  for  extérieur.  «  Nous  avouerons  les  Anglais  des  lèvres, 
mais  de  cœur  jamais  »,  disaient  les  notables  de  la  ville  ^. 

La  première  province  livrée  fut  le  Poitou.  Jean  Ghandos  prit 
possession  de  Ghâtellerault  dès  le  11  septembre;  les  22  et  23  sep- 
tembre furent  consacrés  à  la  prise  de  possession  de  Poitiers  ;  les 
jours  suivants  ce  fut  le  tour  des  autres  villes  de  la  province.  Mais 
il  ne  faut  pas  croire  que    ce  fut  sans   résistance.    Dans    plusieurs 

Ainsi  le  même  jour  furent  datées  des  lettres  de  même  teneur  pour  les  autres  pro- 
vinces, comme  par  exemple  pour  le  Périgord  (voy.  Dessalles,  Périgueux  et  les  deux 
derniers  comtes,  p.  52,  qui  croyait  à  tort  que  ces  lettres  étaient  motivées  par  la  résis- 
tance des  villes). 

1.  Galvet,  p.  22  suiv.;  Bardonnet,  p.  12;  Lettenhove,  Froissart,  t.  XVIII,  p.  448. 
Mais  on  doit  corriger  dans  le  texte  de  ces  deux  derniers  :  «  certaines  renonciations  » 
au  lieu  de  «  certaines  révérences  ».  Voy.  la  clause  ci-dessus. 

2.  Cette  clause,  qui  avait  paru  suspecte  à  plusieurs  historiens  (voy.  St. -Amans,  Hist. 
de  Lot-et-Garonne,  I,  p.  221),  regarde  les  renonciations  définitives  qui  devaient  être 
échangées  vers  le  30  novembre  1361  à  Bruges,  comme  est  noté  ci-dessus,  p.  368  ;  elles 
n'auront  d'effet  qu'à  partir  de  ce  jour. 

3.  Martène,  27ies.  7ioi>.  anecd.,  I,  p.  1427  ;  Bardonnet,  1.  c,  p.  143  suiv.  Voy.  Hist. 
de  la  Rochelle  par  A.  Bardot,  dans  Archives  hist.  de  la  Saintonye  et  de  VAunis, 
t.  XIV,  p.  171  suiv.;  p.  182,  184.  D'autres  détails  sont  donnés  par  Luge,  dans  Frois- 
sart, VI,  p.  XVII,  not.  6,  et  Bardo.wet,  1.  c,  p.  143  suiv. 

4.  Froissart,  p.  59. 


SENTIMENT    NATIONAL    DANS    LES    PROVINCES    CÉDÉES,    1361  373 

lieux,  les  seigrieurs  élevaient  des  discussions  qui  nécessitaient  de 
nouveaux  traités,  de  telle  sorte  que  quelques  villes  ne  devinrent 
ang-laises  que  très  tard.  L'héritage  de  Clisson  et  de  Belleville  ne 
passa  jamais  aux  Anglais  ^.  Sauf  ces  exceptions,  la  domination 
anglaise  s'étendit  sur  tout  le  Poitou,  et  dura  depuis  le  mois  de 
septembre  1361  jusqu'à  la  fin  de  1372. 

La  soumission  des  autres  provinces  eut  lieu  dans  les  mêmes  con- 
ditions 2,  et  presque  partout  Jean  Chandos  rencontrait  des  embarras. 
Dans  plusieurs  villes  de  l'Aunis  et  de  la  Saintonge,  les  habitants 
ne  cédaient  qu'à  la  nécessité,  comme  il  arriva  aussi  dans  l'Angou- 
mois  dont  la  capitale  refusa  tout  d'abord  de  se  livrer  aux  Anglais  3; 
dans  le  Rouergue  qui  devait  être  soumis  au  commencement  de  1362, 
plusieurs  villes  fermaient  leurs  portes  aux  commissaires  anglais  et 
français,  ou  suscitaient  des  difficultés  ^.  Le  sentiment  national  se 
manifesta  partout,  mais  en  Quercy  plus  qu'ailleurs;  pourtant  ce 
pays  avait  été  cruellement  éprouvé. 

Les  villes,  les  nobles  et  le  peuple  de  cette  province  témoig-nèrent 
la  plus  vive  répulsion.  Cahors,  Figeac,  Moissac,  Lauzerte,  Mont- 
cuq  et  Gaylus  se  liguèrent  pour  résister,  et  les  consuls  de  ces  villes 
étaient  présents  à  Cahors  lorsque  Jean  Chandos  se  présenta  devant 
la  ville  le  8  janvier  1362.  Le  9  janvier,  de  la  part  du  roi  Jean,  Bou- 
cicaut  enjoignait  sous  de  graves  peines  aux  consuls  de  Cahors  de 
livrer  la  ville  au  commissaire  anglais  ^.  Les  consuls  pleurant  et 
gémissant  répondirent  au  nom  des  consuls  des  communes  et  des 
villes  susdites  «  qu'ils  sont  très  tristes  et  affligés  de  perdre  leur 
maître  naturel,  le  roi  de  France,  qu'ils  aiment  par  dessus  tous  les 
seigneurs  du  monde,  qu'ils  avaient  fidèlement  servi,  qu'ils  dési- 
raient toujours  servir,  pour  qui  ils  s'étaient  plusieurs  fois  exposés  à 

1.  Voy.  sur  tous  ces  points  Guérin,  1.  c,  p.xLviii  suiv.,  li. 

2.  Cf.  Bahoonnet,  1.  c,  où  est  décrite  et  datée  la  prise  de  possession  de  chaque 
province.  A.  Molimer,  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  729,  not.  2,  donne  un  l'ésumë  pour 
les  villes  de'  Languedoc. 

3.  Yoy.  Ilist.  de  VAngoumois  par  Fr.  Vigier  de  la  Pile^  publ.  par  Michon  (1846), 
p.  Lxxx  et  43. 

4.  Voy.  RouQUETTE,  Le  Rouergue  sous  les  Anglais,  p.  40  suiv. 

5.  La  relation,  aujourd'hui  oubliée,  est  imprimée  dans  Calvet,  1.  c,  p.  3  à  19» 
Recueil,  p.  169  à  185.  Dans  Revue  des  sociétés  savantes,  2«  sér.,  t.  III  (1859),  il  n'y  a 
qu'un  compte  rendu  très  court,  où  est  négligé  le  point  principal.  Le  récit  du  docu- 
ment imprimé  par  Bahdonnet,  p.  84  suiv.,  n'entre  pas,  comme  ailleurs,  dans  les  détails. 


374  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

la  mort,  avaient  perdu  leur  substance,  s'étaient  privés  de  tout  et 
avaient  été  réduits  à  la  pauvreté,  perdant  de  plus  la  récompense  due 
à  leurs  services.  Hélas  !  s'écrient-ils,  qu'il  est  odieux  de  perdre  son 
maître  naturel  et  de  passer  à  un  inconnu.  Mais,  disent-ils,  ce  n'est 
pas  nous  qui  congédions  et  abandonnons  le  roi  de  France,  c'est  lui 
qui  malgré  nous  nous  expulse  et  nous  bannit  de  sa  domination  et 
nous  livre  comme  des  orphelins  aux  mains  de  l'étranger  ^  » .  Cepen- 
dant ils  virent  bien  que  leur  résistance  était  inutile.  Jean  Chandos 
montrait  les  lettres  du  nouveau  maître  et  réclamait  les  clefs  de  la 
ville.  Les  consuls  hésitèrent  encore  et  répondirent  avec  des  larmes 
dans  les  yeux  -  qu'ils  étaient  liés  au  roi  de  France  par  le  serment 
de  fidélité  et  d'autres  conventions  ;  mais  Boucicaut  les  en  releva. 
Ensuite  les  consuls  présentèrent  à  Jean  Chandos  une  requête  sur 
la  façon  dont  ils  demandaient  à  être  traités  sous  leur  nouveau 
maître  •''\  Les  réponses  de  Chandos  n'étaient  pas  généralement  satis- 
faisantes, mais  ne  pouvant  rien  contre  la  force,  les  consuls  durent 
enfin  le  laisser  entrer  dans  la  ville. 

Cette  scène  est  bien  la  plus  touchante  des  récits  de  la  prise  de 
possession  des  provinces,  et  elle  ne  mérite  pas  moins  une  place 
dans  l'histoire  de  France  que  les  exploits  de  Guillaume  l'Aloue  et 
du  Grand  Ferré.  De  braves  et  courageux  citoyens  osent  attester 
leur  dévouement  inébranlable  à  la  maison  de  France  en  face  des 
Anglais,   de  l'étranger,  au  pouvoir  duquel  ils  allaient  être  bientôt 

1.  Dans  Calvet,  p.  11;  Recueil,  p.  177  :  «  responderunt  flendo  et  lamentando  vel 
quasi,  pro  se  et  pro  dictis  aliis  consulibus  et  universitatibus...  quod  ipsi  de  hoc  mul- 
tum  dolebant  et  erant  tristes,  tum  pro  eo  quia  amittebant  sive  pcrdebant  dominum 
suum  naturalem  cui  fidcliter  servierant;  tum  quia  pro  ipso  se  ipsos  ad  morteni  plu- 
ries  et  fréquenter  exposuerant  et  totam  substantiam  suam  pro  eo  expenderant  et 
facti  erant  pauperes  et  egeni  in  tantum  quod  non  habebant  unde  vitam  suam  duce- 
rent  ;  tum  quia  ipsum  dominum  nostrum  regem  Franciic  prae  cunctis  doiiiinis  mun- 
danis  diligebant  et  sibi  servire  afïectuose  desiderabant  :  tum  quia  amittebant  remu- 
neracionem  quam  pro  praemissis  ab  eodem  rcportare  debebant,  et  servitia  et  labores 
et  expensas  quas  fecerant  et  substinuerant  pro  eodem.  Proh  dolor,  multum  est 
odiosum  dominum  suum  naturalem  relinquere  et  alium  ignotum  in  dominum  reci- 
pere  !  Verumtamen  ipsi  non  amittebant  ipsum  dominum  regem  Franciae,  imo  idem 
dominus  noster  rex  Franciae  ipsos  derelinquebat  tanquam  orphanos  et  a  ditione  et 
potestate  sua  ipsos  in\itos  expellebat  et  in  manus  extraneorum  exponebat  ut  patet 
per  litteras  suas»,  etc. 

2.  Ibid.  :  «  dixerunt  et  responderunt  lacrimose  ». 

3.  Voy.  ibid.,  p.  13suiv.  ;  Recueil,  p.  179  suiv.  Cette  requête  est  dans  Bibl.  nat., 
Coll.  Moreau,  n"  6oi,  fol.  33,  publ,  par  Mois.vnt,  Le  Prince  .\oir,  p.  197  à  207. 


SENTIMENT     NATIONAL    DANS    LES    PROVINCES    CÉDÉES,    1301  37o 

livrés.  Ils  refusent  de  se  laisser  détacher  du  royaume  de  France  per- 
sonnifié par  le  roi.  Et  soumis  par  force  à  la  domination  anglaise 
ils  ne  veulent  pas  être  contraints  de  prêter  secours  au  roi  d'An- 
gleterre contre  le  roi  de  France  '.  N'est-ce  pas  au  fond  le  même 
patriotisme  que  celui  qui  se  manifesta  au  xv*^  siècle  pour  le  dau- 
phin d'alors,  pour  le  roi  de  France? 

Quoique  les  consuls  aient  prêté  serment  de  fidélité  au  roi  d'An- 
gleterre, ils  ne  pouvaient  s'accoutumer  à  le  considérer  comme  leur 
souverain,  et  le  19  février  1362,  les  consuls  de  Cajorc  n'avaient  pas 
encore  prêté  le  serment.  L'évêque  de  Cahors  leur  enjoignit  de 
s'exécuter  ainsi  qu'il  l'avait  fait;  toutefois,  lui-même  s'éloigna  de 
cette  ville  pour  éviter  de  se  trouver  en  rapport  avec  les  officiers  du 
nouveau  maître^  et  se  retira  au  château  de  Brengues  d'où  il  gou- 
verna son  diocèse  -. 

Par  suite  de  cet  attachement  au  seigneur  naturel  et  par  lui  à  la 
France,  et  à  cause  de  la  répulsion  qu'inspirait  la  domination 
anglaise,  sentiments  qui  dans  les  provinces  cédées  animaient  plus' 
ou  moins  partout  le  peuple,  le  clergé  et  les  nobles^,  le  traité  de 
Bretigny  contenait  le  germe  d'où  devait  bientôt  sortir  l'hostilité 
ouverte  pour  secouer  le  joug  détesté  de  l'étranger.  L'omission  d'un 
acte  solennel  convenu ,  en  vertu  duquel  les  deux  rois  devaient 
renoncer  à  la  souveraineté  sur  les  terres  cédées  de  part  et  d'autre, 
fut  une  cause  de  plus.  Ces  circonstances  furent  le  point  de  départ 
d'une  ère  de  relèvement  et  de  régénération. 

1.  <i  Item  quod  non  teneamur  subsidiare  régi  (Angliae)  pro  guerrissuis,  quas  haberet 
extra  Caturcinam  seu  linguam  occitanam,  nec  contra  regem  Francorum,  in  aliquo 
casu  ».  Requête,  dans  Moisant,  p.  198, 

2.  Lacoste,  Hist.  générale  de  Quercy,  III,  p.  172.  Montauban  fit  exception. 
Cette  ville  ouvrit  les  portes  à  Chandos  sans  tarder  beaucoup,  Voy.  Bardonnet,  p.  93. 
Quand  on  se  rappelle  ce  que  nous  avons  raconte  plus  haut,  p.  276,  cela  ne  semble 
plus  étonnant.  Devals,  Hist.  de  Montauban  sous  la  domination  anglaise,  p.  11  suiv,, 
et  Montauban  pendant  les  guerres  des  Anglais,  p.  7  suiv.,  a  bien  compris  ce  fait, 
seulement  il  sefTorce  inutilement  d'expliquer,  comment  il  était  possible  qu'après  la 
lettre  du  roi  Jean  du  12  août  1361,  six  mois  se  soient  écoulés  jusqu'à  la  soumission 
de  la  ville.  Cela  s'explique  par  la  simple  raison  que  la  soumission  devait  avoir  lieu  seu- 
lement à  l'arrivée  des  commissaires.  Chandos  arinva  à  Montauban  le  20  janvier  1362. 

3.  Plusieurs  seigneurs  du  Midi  disaient  que  le  souverain  n'a  pas  le  droit  de  donner 
ses  vassaux  (cf.  Froissart,  p.  57).  En  efï'et,  le  comte  d'Armagnac  devenu  feudataire 
du  roi  d'Angleterre  par  le  traité  de  Bretigny,  prit  la  part  la  plus  active  dans  la 
révolte  du  Midi  en  faveur  du  roi  de  France  en  1369.  Voy,  Lafforoue,  Ilist,  de  la 
ville  d'Auch,  I,  p.  92,  94  suiv. 


CHAPITRE    V 

LA     FRANCE     ENVAHIE     PAR     LES     GRANDES     COMPAGNIES 
LA    DÉFAITE    ET    l'eXPLLSION    DES    ANGLAIS 
LES    ÉGLISES    ET    3I0NASTÈRES 

Les  diverses  étapes  de  cette  période  jusqu'à  ce  que  les  Anglais 
soient  expulsés  de  France  sont  si  étroitement  liées  entre  elles,  et 
les  ravages  des  églises  et  monastères  causés  par  les  Compagnies  et 
les  Anglais  se  confondent  tellement,  que  je  préfère  traiter  les  évé- 
nements suivants  dans  un  seul  grand  chapitre,  que  terminera  le 
tableau  des  églises  et  monastères  désolés  pendant  cette  dernière 
époque. 

Avant  de  commencer  l'exposé,  je  vais  donner  quelques  aperçus 
généraux  sur  les  Compagnies,  à  partir  de  1360. 

Ceux  qui  en  France  s'étaient  réjouis  de  la  paix,  ne  tardèrent 
pas  à  être  cruellement  déçus.  Le  traité  de  Bretigny  n'était  que  le 
commencement  de  nouveaux  malheurs  qui  s'abattirent  sur  la 
France  sans  lui  laisser  le  moindre  temps  de  panser  ses  blessures. 
Son  état  fut  plus  déplorable  qu'à  l'époque  précédente,  car,  bien 
que  durant  les  années  qui  suivirent,  elle  fut  en  paix  avec  Edouard, 
la  France  n'en  eut  pas  moins  à  subir  toutes  les  amertumes  d'une 
guerre  cruelle  pendant  laquelle  les  provinces,  jusque-là  épargnées, 
furent  éprouvées  à  leur  tour.  L'ennemi  changea  de  nom,  et  ce  fut 
tout;  il  s'appela  les  Compagnies.  Elles  nous  sont  déjà  connues  ^ 
Avant  1300,  toutefois,  leur  apparition  n'était  que  passagère  ou 
sporadique,  et  leur  force  insignifiante,  en  comparaison  de  ce 
qu'elles  devinrent  dans  leur  nouvelle  formation,  après  la  paix  de 
Bretigny. 

Comme    nous   l'avons  dit  ~,  la   plus   grande    j)î^rtie    de    l'armée 

1.  Ci-dessus,  chap.  III,  §§  4  et  5. 

2.  Ci-dessus,  p.  363  suiv. 


FORMATION    DES    GRANDES    COMPAGNIES    EN    1360  377 

d'Edouard  le  suivit  en  Angleterre,  mais  ceux  qui  restèrent  en 
arrière  s'organisèrent  en  Compagnies  qui  furent  bientôt  grossies 
par  les  gens  d'armes  des  garnisons  anglaises,  obligées  d'évacuer 
les  places.  Toutes  ces  troupes,  ainsi  exposées,  ne  recevant  plus 
leur  solde,  résolurent  de  chercher  une  compensation  dans  le  pillage, 
à  l'instar  d'anciens  soldats  français  et  de  soudojers  gascons,  bre- 
tons,  flamands,  hainuyers,  allemands,  etc.,  qu'on  avait  licenciés 
après  la  guerre.  Urbain  V  assigne  aux  Compagnies  la  même 
origine  ou  naissance  ^.  Les  premières  étaient  formées  et  avaient 
déjà  ravagé  le  pays  lorsque  des  gens  d'armes  et  des  sou- 
doyers  qui  naguère  luttaient  contre  elles,  n'ayant  pas  touché  leur 
solde,  s'organisèrent  en  nouvelles  bandes  ou  s'associèrent  aux 
anciennes.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  que  les  membres  de  ces 
Compagnies  aient  été  d'habiles  et  audacieux  guerriers  ;  c'est  d'ail- 
leurs ce  qui  explique  leurs  exploits  et  leurs  succès.  Urbain  V 
qui  les  invita  à  aller  en  Orient  reconquérir  la  Terre-Sainte,  écrit  le 
25  mai  1363  qu'il  leur  convient  mieux  qu'à  d'autres  d'entreprendre 
cette  expédition  parce  qu'ils  sont  rompus  au  métier  des  armes  et 
plus    propres  à  guerroyer  '^.  En  effet,  les  compagnons   qui  furent 

1.  Reg.  Vat.  Urban.  V,  n"  248,  fol.  177  :  «  Dudum  cum  in  regno  Francie...  fuisset 
pax...  relormata,  et  multe  gentes  armigere,  appcllate  comitive,  de  diversis  nationibus 
in  multis  agminibus  congregate  in  eodem  regno  multis  temporibus  hostiliter  reman- 
sissent,  ac  dampna  et  mala  commisissent  innumera  »,  etc.,  ad  an.  1365,  Novemb.  24. 

2.  Reg.  Vat.  Urhani  V,  n°  245,  fol.  168''  :  «  Dil.  filiis  nob.  viris...  capitaneis  ac  uni- 
versis  personis  quarumcunque  societatum  in  regno  Francie  et  vicinis  eidem  regno 
partibus  constitutaruni,  salutem,  etc.  Justus  Dominus,  etc.  [Exponit  pontifex  quod 
Petrus  rex  Cipri  ad  ap.  sedeni  accessit  modumque  ostendit  ut  Turcharuni  et  Sarace- 
noriim  potentia  elideretur  et  Terra  Sancta  recuperaretur  ;  unde  suasu  etiam  Pétri 
archiepiscopi  Creten.  in  partibus  ultramarinis  apost.  sedis  legati,  promissoque  con- 
cursu  Johannis  régis  Franciae  ac  multoriim  nobilium,  pontifex  passagium  générale 
indixit  inchoari  in  kalendis  Martii  an.  1365.  Inde  sequitur  :]  Inter  alios  autem,  quos 
deceat  ad  hujusmodi  excitari  negotium  et  ad  ipsius  prosecutionein  totis  desideriis 
anhelare,  vobis  tanto  amplius  credimus  convenire  et  etiam  expedire  quod  ad  hoc 
promptis,  devotis  ac  concordibus  animis  exurgatis,  quanto  doctiores  in  armoriim 
exercitio  existitis  et  ad  gerendiim  hélium  dominicuni  mngis  apti,  quantoque  pre  cete- 
ris  optare  debetis  quod  in  tali  possitis  opère  laborarc  ut  ciimina,  que  in  bellis  Chris- 
tianoruni  contra  Deuni  et  ecclesias,  ecclesiasticasque  personas  et  innocentes  sepius 
commisistis,  per  tani  acceptablile  servitium  Domini  expurgantes  adquiratis  et  possi- 
deatis  perpetuo  Terrani  Sanctam,  crucis  hostium  divitiis  in  prescnti  potituri  seculoet 
ex  illis  per  vestros  labores  ineritorios  et  proprii  sparsionem  cruoris  ac  subsequentem 
vitam  laudabilem  ad  eternas  divitias  ad  quas  obtinendas  vos  creavit  Altissimus  tran- 
situri  ».  [Hortatur  eosdem,  ut  ab  impugnandis  Christifidelibus  desistentes,  disponant 
proficisci  ad  récupéra tionem  Terrae  Sanctae   sub  ductu   praefatorum  regum.  Super 


378  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

appelés  génies  armigerae,  étaient  tellement  exercés  qu'il  fallut  lever 
des  armées  pour  les  combattre  et  qu'encore  ils  restèrent  souvent 
vainqueurs^.  C'est  ce  qui  me  fait  croire  que  les  Compagnies  de  cette 
époque  ne  contenaient  guère  d'autres  sujets  que  des  hommes 
d'armes,  tandis  que  les  Compagnies  des  Tiichins  se  composaient  en 
général  de  misérables,  de  laboureurs  ruinés,  de  criminels,  de 
simples  routiers,  etc. 

Néanmoins,  pour  les  Compagnies,  guerroyer  était  seulement  un 
moyen  ;  leur  but  était  d'acquérir  de  l'argent,  des  vivres  ,  de  s'en- 
richir en  un  mot.  C'est  à  ce  propos  qu'Urbain  V,  dans  sa  bulle  déjà 
citée  où  il  les  invite  à  la  croisade  contre  les  ennemis  de  la  croix, 
les  y  excite  en  leur  faisant  entrevoir  qu'ils  profiteront  des  richesses 
de  ceux-ci.  Et  après  la  promulgation  de  l'excommunication  contre 
les  Compagnies  il  répète  continuellement  que  l'avarice  est  le  stimu- 
lant de  leurs  exploits  '-.  Quand  les  Compagnies  s'emparaient  d'un 
château,  d'une  ville  ou  de  quelque  autre  lieu,  c'était  pour  piller, 
rançonner  ou  occuper  une  place  d'où  elles  pouvaient  assouvir  leurs 
passions  ;  de  là  elles  menaçaient  et  terrifiaient  souvent  un  riche  voi- 
sin, et  le  forçaient  à  se  racheter  par  une  grosse  somme  d'argent.  On  a 
prétendu  qu'en  occupant  Pont-Saint-Esprit,  pas  loin  d'Avignon,  les 
Compagnies  voulaient  se  venger  d'Innocent  VI  qui  en  procurant  la 
paix  entre  la  France  et  T Angleterre  les  avait,  par  là  même,  fait  priver 
de  leur  solde  •^.  Ce  raisonnement  est  trop  recherché  pour  avoir  eu 
place  dans  l'esprit  de  ces  hommes  devenus  semblables  à  des  bêtes 

quibus  plenius  explicandis  pontifex  destinât  Nicolaum  Brohm,  O.  S.  Aug.,  in  sacra 
pagina  magistrum  poenitentiarium,  cui  absolvendi  a  reatibus  illos  qui  absolvi  petie- 
rint ,  et  signum  crucis  recipere  velint,  potestatem  concessit.]  Dat.  Avinione,  vni 
kal.  Junii  an  I. 

1.  K^iGHTON  dit  également  :  «  Isti  erant  viri  fortes  et  bellicosi,  élégantes  et  strenui  » 
{Chron.,  II,  p.  115). 

2.  Dans  sa  première  bulle  solennelle  contre  les  Compagnies,  Co^r'^  no.ç,  du27  février 
1364,  il  dit  déjà  clairement:  «  Cupiditatis  ardore  succensi  querentes  improbe  de  alie- 
nis  laboribus  suam  saturare  ingluviem...  pecunias  insatiabiliter  sitiunt  ».  (Reg.  Wit., 
n°  251,  fol.  217),  et  dans  la  seconde,  Miserabilis  nonnullorum,  du  27  mai  1364,  que 
ces  hommes  sont  «  arma  sectantes  facibus  cupiditatis  accensi  »  {ibid.,  fol.  277'').  Il 
l'exprime  encore  non  moins  clairement  ensuite  dans  ses  bulles,  comme  par  exemple 
dans  la  célèbre  Quam  sit  plena  pericuUa,  du  9  mai  1367,  en  disant  :  «  Qui  avaritie 
fervore  succensi  arma  moventes  »  [Reg.  Aven.,n°  15,  fol.  381);  le  23  octobre  1369  [Reg. 
Vat.^  n°  259,  fol.  b^),  et  ainsi  souvent.  Grégoire  XI  dit  la  même  chose  dans/ie,^.  Aven., 
n°  1,  fol.  297^,  ad  an.  1371,  Maii  1. 

3.  LucE,  Du  Guesclin,  p.  364. 


FORMATION    DES    GRANDES     COMPAGNIES    EN    1360  379 

féroces.  Ils  ne  songeaient  à  autre  chose  qu'à  s'emparer  d'une 
somme  considérable  qui,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  devait 
être  déposée  à  Pont-Saint-Esprit,  à  menacer  en  même  temps  le 
Saint-Père,  reg-ardé  au  moyen  âge  comme  un  des  plus  riches 
souverains,  et  ils  étaient  fermement  résolus  à  n'évacuer  la  place 
qu'après  avoir  reçu  du  pape  une  forte  somme  en  surplus  de 
la  rançon  de  la  ville.  Les  Compagnies  préféraient  les  environs 
d'Avignon,  où  elles  espéraient  trouver  un  butin  plus  riche  qu'ail- 
leurs. Ce  n'était  un  secret  pour  personne  :  tous  ces  prélats,  ces 
clercs,  ces  laïques,  qui  venaient  solliciter  les  faveurs  de  l'Eglise, 
n'abordaient  guère  la  curie  apostolique  sans  être  pourvus  d'espèces 
sonnantes,  bonnes  et  belles.  Lorsque  l'exécrable  soif  de  l'or  des 
compagnons  était  étanchée,  ils  quittaient  les  places,  s'établissaient 
ailleurs,  et  recommençaient  leurs  exploits.  Les  chefs  des  Compa- 
gnies étaient  souvent  des  bâtards  de  grandes  familles.  Abandon- 
nés sans  nom  et  sans  avoir,  ils  cherchaient  à  se  créer  une  fortune 
aux  dépens  des  populations. 

La  bride,  une  fois  lâchée  à  l'avarice,  les  autres  passions  se 
déchaînaient  :  l'histoire  de  ces  bandes  nous  l'apprend,  et  nous 
l'avons  dit  plus  haut^.  Toutefois,  leur  férocité  n'était  à  l'ordinaire 
qu'un  moyen  de  terroriser  les  simples  pour  leur  extorquer  de 
plus  grosses  sommes  d'argent  ou  d'autres  choses  :  c'est  assurément 
dans  cette  intention  que  dans  le  Midi  ils  coupèrent  les  vignes  et 
les  arbres,  comme  le  raconte  plusieurs  fois  Urbain  V^. 

On  aime  aujourd'hui  à  donner  le  nom  de  Tard-Venus  aux  Com- 
pagnies de  cette  époque,  mais  je  ne  trouve  au  xiv*^  siècle,  pour  cette 
dénomination,  d'autre  source  que  Froissart  "^  ;  on  ne  la  rencontre 
jamais  dans  les  nombreuses  lettres  d'Innocent  VI,  d'Urbain  V  et  de 
Grégoire  XI,  ni  dans  les  autres  actes  ou  chroniques  du  temps.  Il  se 
peut  que  dans  quelques  contrées  on  ait  appelé  Tard- Venus  les  bri- 
gands d'une  Compagnie  venue  après  une  autre,  comme  Kônigsho- 

1.  Ci-dessus,  p.  180  suiv. 

2.  Déjà  dans  sa  première  bulle  solennelle,  Coçjit  nos.  De  la  Rik,  Nouveaux  essais 
hist.  sur  la  ville  de  Caen,  II,  p.  259,  et  d'après  lui  Goville,  dans  les  Annales  de  la 
Faculté  des  lettres  de  Caen,  2"  année  (1886),  p.  393,  disent  qu'en  1412,  en  Basse-Nor- 
mandie, les  troupes  anglaises  coupèrent  les  pommiers.  Mais  ces  exploits  remontent 
déjà  à  un  dcnii-sièole.  Seulement  Tunique  but  des  Anglais  était  de  ruiner  le  pays, 
tandis  que  celui  des  Compagnies  était  d'extorquer  de  l'argent. 

3.  Éd.  LucE,  VI,  p.  61. 


380  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

fen  distingue  die  ersten,  die  andern  Engelender  ^,  et  que  Froissart, 
qui  a  embrouillé  l'histoire  des  Compagnies,  ait  étendu  ce  nom  à 
celles  qui  commencèrent  leur  chevauchée  par  la  Champagne  et  la 
Bourgogne.   Pour  ma  part,  je  laisse  à  Froissart  cette  appellation. 

Le  titre  quasi  officiel  pour  ces  bandes  était  societates^  comiiivae  ^ 
compagnie]  leurs  individus  étaient  appelés  sociales-  (nom  qui  se 
rapproche  du  mot  moderne  socialiste)^  socii^  contuherniones  et  com- 
pagnons. Souvent  dans  les  actes  pontificaux,  ils  sont  simplement 
désignés  par  génies  armigerae,  homines  armorum,  '^.  Lorsque  plu- 
sieurs Compagnies  étaient  réunies,  ou  que  l'une  d'elles  était  très 
nombreuse,  on  leur  donnait  la  dénomination  de  Grande  Compa- 
gnie^ et  elle-même  aimait  à  porter  ce  nom,  et  chacune  se  donna 
successivement  le  nom  de  magna  societas  '*. 

On  croit  quelquefois  que  ces  Compagnies  étaient  seulement  des 

1.  DieChroniken  der  deiitschenStadle.lX^Leip'/Àg,  1871), p.  814  suiv.Cf.  ci-dessous,  §4. 

2.  Ce  mot  est  souvent  employé  dans  les  lettres  d'Urbain  V  depuisl364,  par  exemple 
dans  Reçf.  Vat.,  n"  251,  fol.  277^  n°  259,  fol.  b^;  Aven.,  n°  10,  fol.  249;  Arch.  nat., 
Paris,  J  711,  n"  300.  Voy.  encore  La  Vie  d'Urbain  V^  dans  Actes  anciens  et  documents 
concernant  Urbain  F,  rec.  par  Albanks,  éd.  U.  Chevalier  (1897),  I,  p.  10.  On  le  ren- 
contre aussi  dans  la  supplique  de  Charles  V,  adressée  en  1368  à  Urbain  V  (Arch.  nat., 
1.  c,  n"  300'^).  DucANGE  {Glossarium,  éd.  Hexschel,  VI,  p.  275)  se  trompe  en  disant 
que  ce  mot  se  trouve  déjà  en  1258;  sa  source  rcj^arde  Arnaud  de  Cervole,  et  est 
prise  (ce  qui  lui  a  échappé)  de  la  Vita  1^  Innocenta  VI  (dans  Baluze,  Vit.  pap. 
Aven.,  I,  p.  334),  composée  après  1362. 

3.  «  Homines  armorum  qui  de  pravis  societatibus  gentiumarmigerarum  per  regnum 
Franciae  more  praedonico  discurrentium  existebant  »,  ou  «  gentes  armigerae  ».  Je  cite 
seuiementquelques  sources.  Reg.  Aven.  Urb.  V,  n"  10,  fol.  249  ;n"15,  fol.  309'';  n"  19, 
fol.  341  ;  Vat.,  n"  257,  fol.  3  ;  Aven.,  n»  20,  fol.  434;  Vat.,  n°  259,  fol.  101'",  414  ;  Aven., 
n°  23,  fol.  388'\  «  Perfida  armigerarum  congregatio  »,  Recf.  Aven.  Innocent.  VI,  no  25, 
fol.  355''.  Dans  les  Siij)pliqnes,  souvent  sont  mentionnées  «  gentes  armorum  incur- 
sus ».  On  lit  dans  Reg.  Aven.  Urb.  V,  n"  13,  fol.  602'',  et  ailleurs  :  «  innumerabiles 
gentes  armigere  que  comitive  vocantur.  » 

4.  Nous  avons  vu  qu'Innocent  VI,  déjà  en  1358,  donna  le  nom  de  Magna  socie- 
tas à  la  bande  d'Arnaud  de  Cervole  (voy.  ci-dessus,  p.  209),  comme  le  fait  également 
le  Petit  Thalumiis  (Montpellier,  1836),  p.  352  :  «  Se  apclavon  la  Gran  Campanha  ». 
Depuis  1360,  plusieurs  Compagnies  reçoivent  ce  nom,  et  en  1367,  Urbain  V  même 
parle  à  différentes  reprises  de  ceux  qui  «  se  magnas  societates  seu  compagnias  appel- 
lant  ».  Reg.  Aven.,  n"  15,  fol.  381,  383'',  etc.),  et  la  même  expression  se  trouve  dans 
les  lettres  de  Charles  V,  d'Arnoul  d'Audrehem  (cf.  Guigue,  Les  Tard-Venus,  Pièces 
justif.,  p.  313;  GuÉKiN,  Rec.  des  documents  concernant  le  Poitou,  III,  n"  472; 
E.  MoLiMER,  Étude  sur  la  vie  d'Arnoul  d'Audrehem.  Pièces  justif.,p.  241),  et  dans  les 
actes  des  particuliers  (voy.  Gukhe,  1.  c,  p.  275  suiv.,  n"  29  et  30,  où  une  «  grande 
Compagnie  »  est  distinguée  de  la  suivante).  Cf.  Aiimeric  de  Peyrac  dans  Actes  et 
documents  concernant  Urbain  V,  rec.  par  Albanès,  I,  p.  59.  Quelquefois  cependant 
toutes  les  Compagnies  sont  comprises  sous  le  nom  général  de  <<  magna  societas  », 
comme  dans  Chron.  Angliae,  éd.  Thompson,  p.  36  et  ailleurs,  par  exemple,  dans  Con- 


FORMATION    DES    GRANDES    COMPAGNIES    EN    1360  381 

bandes  de  pillards  et  de  voleurs,  ennemies  de  toute  discipline.  Elles 
étaient  indisciplinées  quant  aux  ravages,  aux  crimes,  aux  excès 
qu'elles  commirent,  mais  quant  à  leur  union  militaire,  à  leur  tac- 
tique, k  leur  manière  de  surprendre  l'ennemi  et  de  s'emparer  des 
places,  elles  n'étaient  pas  moins  disciplinées  que  les  troupes  régu- 
lières dont  elles  avaient  fait  partie  auparavant,  et  dans  lesquelles  on 
les  vit  souvent  s'enrôler  après,  une  seconde  fois.  Les  chefs  autour 
desquels  se  formaient  les  Compagnies  retenaient  et  conservaient 
l'organisation  des  troupes  régulières  :  nous  y  trouvons  des  gens  à 
pied  et  à  cheval,  des  chefs  et  capitaines,  des  connétables  ou 
((  caporales  »,  des  officiers  et  de  simples  compagnons  K  Quelques 
chefs  se  moïitrèrent  dans  la  tactique  maintes  fois  supérieurs 
à  ceux  des  troupes  régulières  ;  qu'on  pense  à  Séguin  de  Badefol,  à 
Perrin  Boias,  et  surtout  à  Jean  HaAvskwood,  qui,  plus  tard  en 
Italie,  soit  à  Castagnaro,  soit  sur  l'Adda ,  se  montra  l'un  des  plus 
habiles  et  des  plus  intelligents  capitaines  du  moyen  âge  -. 

Un  autre  élément  de  la  discipline  était  le  serment  par  lequel  les 
compagnons  étaient  liés  entre  eux  et  avec  leurs  chefs,  ce  que  nous 
révèle  une  lettre  d'Edouard  III  à  j^ropos  de  la  bataille  de  Montech, 
en  1366.  Les  Compagnies  qui  étaient  du  parti  du  duc  d'Anjou  ne 
voulaient  pas  combattre  les  Compagnies  du  prince  de  Galles  parce 
qu'elles  étaient  de  leur  alliance  et  de  leur  serment'^.  La  discipline  et 
l'habileté  militaire  des  Com23agnies  étaient  des  motifs  pour  lesquels, 

tin.  de  R.  Lescof,  p.  149  :  «  Ilii  scelerati  homines  ex  diversis  nationibus  mutuo  adunati 
et  se  Magnam  Concionem  Vel  societatem  nominantes,  »  etc.  Cf.  Jean  de  Ve>ette, 
p.  316;  Grand.  Chron.,  p.  223,  et  d'autres  rapportes  dans  les  notes  ci-dessous.  Mais 
on  a  tort  au jourd'hui  de  parler  d'une  seule  Grande  Compap:nie,  comme  le  fait  Chérest. 

1.  Urbain  V  cnumcre  ces  diverses  charges  dans  sa  lettre  Cogit  nos,  du  27  février 
1364  :«  Ipsos  contubcrniones  seu  socios  de  comitivis,  et  presertim  eorum duces, capita- 
neos.guidatores,  conestabiles  seu  caporales  et  ofTiciales...  sententiasincurrisse...  decla- 
ramus  ».  Reg.Vat..,  n"  251,  fol.  217'*.  Une  phrase  semblable  d'Innocent  VI,  du  13  février 
1361.  se  trouve  ci-dessous  p.390,not.  6.  Bientôt,  le  27  mai  1364,  Urbain  Y  parle  de  ceux 
qui  dans  les  Compagnies  «  ducatum,  capitaneatum,concstabulatumseubanderiam  aut 
quecunquealia  preeminentiam,  olTicium  seu  ministerium  recipere  aut  tenere  presum- 
pserunt  »  (Tîe^.  Val.,\.  c.,fol,  279:  Miserabilis  nonnullorum),  et  cela,  est  ensuite  répété 
dans  les  bulles  suivantes  ;  quelques  expressions  y  sont  mieux  expliquées;  on  lit,  entre 
autres,  dans  la  bulle  Clamât  ad  nos  :  «  banderiam  seu  vexillum  erigere  seu  déferre  ». 

2.  Voy.  KÔHLER,  Die  Entwickelung  des  Kriegswesens  und  der  Kriegfûhrung  in 
der  Ritlerzeit,  III,  3'"  Abtheilg.,  p.  48  suiv.,  360  suiv,  Voy.  quelques  renseignements 
nouveaux  sur  ce  personnage  dans  L.  MmoT,  Sylvestre  Eudes  et  les  Bretons  en  Italie 
(1898),  p.  27  suiv.,  ci  passi ni. 

3.  R\MEi\, Foedera,  III,  p.  808  :  «...parce  q'il  estoient  de  leur  alliance  et  serement  ». 


382  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

dans  ce  temps  de  guerres  privées,  les  seigneurs,  soit  laïques,  soit 
ecclésiastiques,  prenaient  à  solde  les  Compagnies,  au  grand  détri- 
ment des  populations,  car  les  Compagnies  ne  reniaient  jamais 
leurs  habitudes  sauvages. 

Les  bulles  d'Urbain  V  contre  les  Compagnies  provoquaient  dans 
leur  sein  un  certain  mouvement  hérétique  contre  la  puissance  des 
clefs  du  Pontife  Romain,  ce  qui  n'est  pas  surprenant  ;  j'en  donnerai 
des  exemples  à  la  fin  du  premier  paragraphe.  Comme  Urbain  V 
note  dans  sa  bulle  :  Quam  sit  plena  periculis,  en  1367,  c'étaient  des 
gens  en  lesquels  ne  se  trouvait  ni  bonté,  ni  foi. 

/.  Les    ravages    des    Grandes    Compagnies    dans    le   Midi    et   les 
provinces  centrales  de  la  France. 

Décrire  le  commencement  de  l'action  des  Compagnies  et  leurs  dif- 
férentes marches  n'est  pas  chose  facile.  Il  semble  certain  qu'en  mai 
1360,  plusieurs  bandes  se  réunirent  en  Champagne*,  et  semblables 
à  une  nuée  de  sauterelles,  elles  se  répandirent  dans  tout  le  pays. 
Selon  toute  probabilité,  elles  ravagèrent  d'abord  le  nord  de  la 
Champagne,  Toul  et  Verdun.,  avant  d'arriver  à  Joinville.  Témoin 
une  lettre  que  les  habitants  de  cette  dernière  ville  ont  écrite  au 
clergé,  aux  citoyens  et  habitants  de  Troyes,  par  laquelle  ils 
affirment  que  les  Compagnies  ont  traversé  leur  localité,  se  sont 
dirigées  vers  le  sud  et  se  trouvent  présentement  sur  la  rivière  de 
Muzéle,  aux  environs  de  Saint-Nicolas-.  Bientôt  elles  s'emparent 
du  château  de  Joinville,  y  font  un  butin  considérable  et  ne  con- 
sentent à  le  rendre  que  moyennant  une  rançon  de  vingt  mille  francs. 
Le  comte  Henri  de  Vaudémont  fut  ensuite  ruiné. 

Suivant  Froissart,  les  trois  diocèses  de  Toul,  Verdun  et  Langres 
furent  fort  dévastés  par  ces  bandes  qui,  depuis  longtemps  déjà,  les 
faisaient  souifrir.  Bon  nombre  d'habitants  du  diocèse  et  de  la  ville 
de  Toul,  ruinés  par  la  guerre  et  ne  sachant  comment  se  procurer 
des  moyens  d'existence,  tombèrent  entre  les  mains  des  usuriers-^. 

1.  Fhoissart,  éd.  Luge,  VI,  p.  61. 

2.  Lettre  publiée  par  cI'Arbois   de  Jubainville,  Voyage  paléographique  dans  le 
département  de  VAube  (Troyes,  1855),  p.  134. 

3.  Reg.  Aven.  Urhan.  V,  n"  13,  foL  635,  ad  an.  1366,  Aprilis  7  :  «  DiL  filio  officiali 
ïullen.  salutem  etc.  Adaudientiam  nostram  pervenit  quod  quamplures  tam  viri  quam 


LES    COMPAGNIES   DANS    LE    MfDI    JLSQU'eN   136o  383 

Il  paraît  que  les  bandes  poussèrent  jusqu'à  l'abbaye  bénédictine  de 
Molesme,  du  diocèse  de  Langres.  Toujours  est-il  que  sur  la  foi  de 
récits  contemporains  le  monastère  passe  pour  avoir  été,  à  cette 
époque,  dévasté  au  point  d'être  devenu  inhabitable^. 

Le  8  juin,  4.000  routiers  sont  signalés  à  Latrecey  2.  Mais  la  Cham- 
pagne n'était  pas  le  but  des  Compagnies.  Elles  pénétrèrent  dans  le 
duché  de  Bourgogne,  tandis  que  d'autres,  composés  surtout 
d'Anglais,  entrèrent  dans  le  comté  de  Vesoul  pour  le  ravager  '^.  Au- 
paravant, Gray  fut,  dit-on,  brûlé  et  désolé  ^. 

En  Bourgogne ,  les  bandes  rencontrèrent  plusieurs  garnisons 
anglaises  dont  une  partie  fit  apparemment  cause  commune  avec 
elles.  Là,  les  Compagnies  trouvaient  de  leur  accord  aucuns  cheva- 
liers et  écuyers  qui  les  menaient  et  conduisaient  ^.  Dans  les  premiers 
jours  d'août  1360,  les  troupes  bourguignonnes  arrêtèrent  aux  envi- 
rons de  Montréal-en-Auxois  un  parti  d'aventuriers  à  la  tête  desquels 
figurait  l'un  des  vainqueurs  de  Brion-sur-Ource  ^,  Girard  de  Mairey. 
Parmi  ces  conducteurs  de  Compagnies  se  trouvait  aussi  un    moine 

mulieres  in  civitate  et  dioc.  Tullensi  commorantes,  qui  propter  guerras  que  in  illis 
partibus  diu  viguerunt,  multa  dampna  passi  fuerant,  pro  eorum  vite  sustentatione  a 
quamplurimis  creditoribus  diversas  pecuniaruni  summas,  bladi ,  vini,  ac  rerum 
aliarum  mobilium  quantitates  mutuo  receperunt  sub  usuris,  iidemque  creditores... 
promissiones  ab  eisdem...  e.vtorserunt  de  sol  vendis  aliis  diversis  pecuniarum  summis, 
vini,  bladi,  et  rerum  aliarum  quantitatibus...  extortis  ab  eisdem,  nichilominus  jura- 
mentis  confectis  cxinde  publiais  instrumentis,  etc.  [Mandat  supradicto  olïiciali,  ut,  si 
ita  est,  usurarios  quoad  hujusmodi  juramenta  relaxent,  et  fidejussores  super  hoc 
datos  absolvant,  compellat.]  Dat.  Avinione,  vu  idus  Aprilis  anno  IV.  » 

1.  Ibid.,  n°  6,  fol.  325'',  ad  an.  1362,  Novemb.  15  :  «  Dil.  filio  Johanni  Amici  mona- 
clîo  monasterii  Molismen.  O.  S.  Ben.,  Lingonen.  dioc,  salutem,  etc.  Honestis  suppli- 
cum  votis,  etc.  Cum  itaque  sicut  exhibita  nobis  tua  petitio  continebat  monasterium 
Molismen.,  O.  S.  B.,  Lingonen.  dioc,  propter  guerras  sit  adeo  devastatum  quod  tu... 
in  eo  commode  morari  non  potes,  [eidem,  senio  confecto,  ad  aliud  monasterium 
Ord,  et  habitus  praed.  transeundi  licentiam  concedit.]  Dat.  Avinione,  xviii  kal. 
Decembris  an  I  ». 

2.  Clehc,  iissat  sur  Vliist.  de  la  Franche-Comté,  II,  p.  117,  et  not.  3. 

3.  Ibid. 

4.  Cf.  FiNOT,  Recherches  sur  les  incursions  des  Anglais  et  des  Grandes  Compagnies 
en  Bourgogne,  p.  55,  contre  Clerc,  p.  117. 

5.  FuoissAUT,  p.  61 .  Je  ne  comprends  pas  comment  Luce,  p.  xix,  not.  3,  pouvait  écrire 
que  «  les  menées  de  Charles  le  Mauvais  aient  contribué  particulièrement  à  attirer  sur 
cette  province  le  iléau  des  Compagnies».  Luce  remarque  que  ce  prince  éleva  des  pré- 
tentions sur  le  duché  de  Bourgogne  après  la  mort  de  Philippe  de  Rouvres,  survenue 
le  21  novembre  1361.  Mais  les  Compagnies  entrèrent  en  Bourgogne  longtemps  avant 
cette  date.  De|)uis  1362  seulement,  le  Na\arrais  troubla  la  Bourgogne.  Voy.  §ji  2,  3. 

6.  Voy.  ci-dessus,  p.  247. 


384  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  l'abbaye  bénédictine   de  Molesme,  Anseau  de   Mairey,  frère  de 
Girard  ' . 

C'est  probablement  à  cette  époque  que  la  ville  de  Saulieu  fut 
prise  et  incendiée  par  les  bandes.  Raymond,  évêque  d'Autun,  et 
Innocent  VI,  dans  sa  lettre  du  25  avril  1361  -,  mettent,  tous  les 
deux,  ce  fait  déplorable  à  la  charge  des  bandes  et  Compagnies.  Ce 
n'est  pas,  à  mon  avis,  seulement  après  la  paix  de  Guillon,  mais 
déjà  pendant  qu'Edouard  III  résidait  dans  cette  ville  que  l'ennemi 
se  montrait  à  Saulieu;  mais,  probablement  alors,  les  environs  seuls 
furent  pillés  et  dévastés  ^.  La  ville  fut  prise  après  le  traité  ^.  L'église 
collégiale  de  Saint-Andoche ,  ajDrès  avoir  été  dépouillée  de  toute 
l'argenterie  et  des  ornements  ecclésiastiques,  fut  encore  brûlée.  Le 
chœur  et  le  clocher  s'effondrèrent,  après  quoi  les  cinq  cloches 
furent  fondues  •''.  L'église  resta  longtemps  dans  ce  triste  état,  et,  en 
1384,  la  partie  encore  debout  menaçait  aussi  de  tomber  6.  A  la 
même  époque,  les  Anglais  qui  étaient  dans  le  pays  y  causèrent  de 
grands  dommages.  Ils  s'étaient  emparés  de  Bierry,  de  Vésigneu, 
de  Corcelles-Frémo3^  Ce  dernier  village  fut  complètement  incendié. 
Personne  ne  restait  plus  au  pays.  Ainsi  en  advint-il  après  l'invasion 
du  roi  d'Angleterre,  qui  avait  «   mangé  toutes  les    gelines,  tandis 

1.  Les  détails,  voy.  dans  Finot,  Recherches,  p.  49,  et  not.  1,  qui  place  malle  fait  à 
l'an  1359;  corrigé  par  Chérest,  L'Archiprêtre,  p.  130  suiv. 

2.  Martiîxe,  Thés.  nov.  anecd.^  II,  p.  957, 

3.  Voy,  ci-dessus,  p.  250, 

4,  Un  document  publié  par  Guioue,  Les  Tard-Venus,  p.  270,  nous  induit  aussi 
à  accepter  la  date  de  1360  comme  étant  celle  de  la  prise  de  Saulieu. 

5,  Reg.  Vat.  Urhani  V,  n°  251,  fol.  343'',  ad  an.  1364,  Junii  27:  «  Universis 
christifidelibus,  etc,  Gum  itaque  sicut  accepimus  ecclesia  collegiata  de  Sedeloco 
Eduen.  dioc.  per  inimicos  regni  Francie  dudum  capta,  calicibus  et  crucibus,  vasis 
et  jocalibus  argenteis,  ac  capis  et  pannis  sericeis  aliisque  vestinienlis  eccle- 
siasticis  miserabiliter  extiterit  spoliata,  et  dcinde  propter  gravem  insultum  in  cap- 
tione  dicte  ecclesie  factum  cancellus  et  qucdam  magna  turris  lapidea,  in  qua  erant 
quinque  campane  dicte  ecclesie,  corruerint,  propter  que  divinum  offîcium  in  dicta 
ecclesia  [non]  ut  antea  celebratur  dictaque  ecclesia  rcparatione  plurimum  indigere 
noscatur...  [De  indulgentiis  et  eleemosynis  ad  decennium].  Dat.  Avinione ,  xv  kal. 
Julii  anno  II  «,  Cf,  GomTÉPÉE,  Description  du  duché  de  Bourgogne,  IV,  p.  98;  E, 
Petit,  A  vallon  et  VAvallonnais ,  p,  169,  Je  citerai  désormais  l'ancienne  édition  de 
1867,  parce  que  dans  la  nouvelle  de  1890  les  sources  ne  sont  pas  annotées.  Le  texte  est 
le  même  pour  cette  époque  dans  l'une  et  l'autre  édition, 

6,  Reg.  Val.  Clément.  VII,  n°  286,  fol.  52*',  où  il  est  dit,  que  l'église  «per  Anglicos  pro 
majori  parte  sit  destructa  et  pars  que  ex  illa  remansit  magnam  ruinam  patiatur  ».  De 
plus,  les  revenus  étaient  diminués.  Il  semble  résulter  de  la  bulle  du  22  février  qu'on 
avait  commencé  à  réparer  [Ihid.,  n°  307,  fol.  469''), 


LES    COMPAGINIES    DANS    LE    3IIDI    JUSQu'eN    1365  385 

que  le  foin  avait  été  absorbé  par  ses  chevaux  ^  »  Noyers  ne  fut  pas 
attaqué  par  Edouard  ;  mais  depuis  le  traité  de  Guillon,  les  Anglais 
faisaient  une  rude  guerre  aux  habitants.  Semur  tomba  également  au 
pouvoir  des  Anglais  -.  Les  Compagnies,  on  le  voit,  avaient  les 
Anglais  comme  auxiliaires  pour  la  dévastation.  Il  n'y  a  là  rien  de 
surprenant.  Des  deux  commissaires  d'Edouard  III,  Nicolas  de 
Tamv^orth  et  Guillaume  de  Granson,  chargés  de  pousser  les  garni- 
sons anglaises  à  évacuer  les  places,  le  premier  avait  des  relations 
avec  les  routiers  3.  Quand,  le  23  juillet  1360,  les  deux  commissaires 
constatèrent  que  plusieurs  compagnies  anglaises  avaient  promis, 
sous  serment,  d'évacuer  la  Bourgogne  ^,  Nicolas  de  TamAvorth  lui- 
même,  n'avait  pas  encore  évacué  Regennes.  Les  dommages  causés 
en  Bourgogne  par  les  Anglais,  après  l'invasion  des  Compagnies, 
étaient  si  considérables  qu'Edouard  accorda  à  cette  province  une 
remise  de  douze  mille  moutons  d'or  sur  ce  qu'elle  restait  lui 
devoir  en  vertu  du  traité  de  Guillon  ^,  Moyennant  des  indemnités 
pécuniaires,  et  par  l'entremise  des  deux  commissaires  anglais  déjà 
cités,  les  chefs  des  Compagnies  promirent  de  traverser  la  Bour- 
gogne aussi  rapidement  que  possible,  sans  y  commettre  d'excès  ^. 

Les  Compagnies  s'écoulèrent  dans  la  direction  du  Midi,  appa- 
remment pour  arriver  à  Avignon  en  traversant  le  Lyonnais.  Comme 
la  Bourgogne,  ces  contrées,  en  dépit  du  traité,  étaient  déjà  infestées 
par  les  Anglais.  Ils  s'étaient  rendus  maîtres  de  la  ville  de  Beaujeu, 
et,  le  31  mai  ^,  ils  en  assiégeaient  le  château;  le  château  d'Albigny, 
près  de  Montrotier,  dans  le  Lyonnais,  fut  brûlé  et  en  partie  ruiné 
par  eux  ^. 

Les  Compagnies  dont  nous  venons  de  parler  étaient  en  marche 
et  se  trouvaient  encore  en  Bourgogne,  quand  une  autre  les  devan- 
çant dans  le  Midi,  à  la  fin  de  l'année,  s'empara  de  la  ville  du  Pont- 
Saint-Esprit,    et  ensuite   menaça  Avignon^.    Arrêtons-nous   à  cet 

1.  Voy.  Petit,  1.  c,  p.  170. 

2.  Ibld. 

3.  Ci-dessus,  p.  253. 

4.  Plancher,  Hist.  de  Bourgogne^  t.  II,  Preuves,  n°  300. 

5.  Ibid.,  n°  302. 

6.  Sur  tous  les  détails,  voy.  Chérest,  1.  c,  p.  132  suiv. 

7.  GuiGUE,  1,  c,  p.  46. 

8.  Ibid.,  p.  48. 

9.  Froissart  n'était  pas  bien  informé  sur  tous  ces  faits. 

R.  P.  Denuxe.  —  Uesolatio  ecclesiarum  11.  Î5 


386  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

événement  avant  de  reprendre  les  traces  des  Compagnies  venant  du 
Nord. 

Depuis  l'invasion  d'Arnaud  de  Cervole,  Innocent  VI  n'avait 
point  cessé  de  veiller  à  la  sécurité  d'Avignon  et  du  Pont-de-Sorgues, 
et  dès  1358,  on  travaillait,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  aux 
fortifications  d'Avignon  K  Les  murs  et  les  fossés  étaient  en  con- 
struction à  partir  du  mois  d'octobre  1359,  et  le  Pape  voulait  que  les 
travaux  fussent  avancés  -.  Le  castel  du  Pont-de-Sorgues  fut  aussi 
pourvu  d'une  enceinte  et  de  fossés  ^.  Mais  l'horizon  se  troubla  à  la 
lin  de  l'année.  Innocent  VI  fut  instruit  de  la  marche  des  Compagnies 
vers  le  Sud.  Avignon  lui  sembla  être  en  danger.  Pont-Saint-Esprit, 
sur  la  rive  droite  du  Rhône  ,  avait  une  situation  très  menacée  ; 
l'ennemi,  une  fois  maître  de  cette  forteresse,  pouvait  bloquer  Avi- 
gnon, et,  en  même  temps,  traverser  le  fleuve  et  pénétrer  dans  le 

1.  Ci-dessus,  p.  198,  et  not.  5, 

2.  Intr.  et  exit.,  n"  293,  fol.  216'\  ad  an.  1360.  Febr.  24  :  «  Anno  a  Navitate  Domini 
millesinio  CCCLX,  indictione  XIII,  pontifîcatus...  Innocentii  divina  providentia 
pape  VI  anno  octavo... 

Die  xxiiii  Februarii  Cum  Petriis  Johannis  ci  vis  Avinion.,  Franciscus  de  Podio  de 
Luca,  Atomanus  Maleficii  et  Bartholomeus  Ademari  de  Florentia  mercatores  curiam 
Rom.  sequentes  arrendaverunt  seu  ad  firmam  ceperunt  a  dominis  Raymundo  sancte 
Crucis  in  Jérusalem  et  Audoyno  SS.  Johannis  et  Pauli  tit.  presb.  cardinalibus  vice  et 
nomine  ac  mandato  domini  nostri  pape  ad  firmam  tradentibus  pro  mûris  et  fossatis 
faciendis  pro  clausura  civitatis  Avinion.  ad  duos  annos  continue  in  kal.  octobris 
proxime  preteriti  inceptis  gabellam  vini,  quod  vendatur  intérim  in  civitate  et  subur- 
biis  Avinion.  pretio  xxxix""  flor.  auri  solvendorum  in  certis  terminis  in  instrumento 
per  maf;istrum  Bertrandum  de  Rupe  auctorilate  apostolica  notarium  dioc.  Caturcen. 
super  dicto  arrendamento  recepto  expressatisrhinc  est  quod  pro  eo  quia  pecunia  pro 
dicta  clausura  facienda  est  in  parte  necessaria  de  presenti,  et  dominus  noster  papa 
volens  [quod]  dictum  opus  sive  clausura  celeriter  perficiatur,  de  mandato  dicti 
domini  nostri  pape  vive  vocis  oraculo  michi  facto  et  de  ordinatione  dictorum  domi- 
norum  cardinalium  fuerunt  mutuati  et  traditi  per  dom.  thesaurarium  de  pecuniis 
camere  pro  necessitate  dicte  clausure  dom.  Bernardo  Rascacii  militi  Avinion.  depu- 
tato  una  cum  certis  aliis  ad  dictam  clausuram  fieri  faciendam  ipso  dom.  Bernardo 
manualiter  recipiente,  quos  predicti  arrendatores  promiserunt  reddere  et  solvere 
prefate  camere  in  secundo  anno  dicti  arrendamcnti  in  kal.  octobris  proximis  futuris 
incipiendi  in  terminis  in  instrumento  per  dictum  ma^istrum  Bertrandum  recepto 
expressatis,  prout  in  instrumento  per  dom.  Johannem  Palaysini  notarii  [sic)  camere 
recepto  super  hoc  plenius  continetur  =  xix""  v^  flor.  fort.  »  Ce  n'est  donc  pas  seule- 
ment en  1361  que  l'enceinte  fut  commencée,  comme  croit  Luce,  p.  xxxii,  not.  1. 

3.  Intr. et  exit.,  1.  c.,fol.  216,  an,  1360  :  «  Die  xxviii  Januarii  soluti  de  mandato  dom, 
nostri  pape  domino  Rigaldo  Guitardi,castellano  castri  Pontis  Sortie  prope  Avinionem 
pro  fossatis  in  circuitu  et  pro  custodia  ejusdem  castri  fieri  faciendis  ipso  manualiter 
recipiente  =  ii^  flor.  Fol.  218*^  :  Die  viii  Junii  soluti  fuerunt...  pro  mûris  et  fossatis 
faciendis  in  ambitu  dicti  loci  et  pro  custodia, ipso  manualiter  recipiente  ii"  flor.  fort.». 


Les  compagnies  dans  le  midi  jusqu'en  1365  3(S7 

Comtat  Venaissin.  Le  Pape  fît  g-arder  le  pont  du  Saint-Esprit^,  et, 
le  18  décembre,  500  florins  furent  payés  à  cet  effet  aux  gens 
d'armes,  qui,  sous  la  conduite  de  Mathieu  <(  Achetantis  »,  homme 
d'armes  de  Luques,  devaient  défendre  la  place  -,  Encore  ne  savait- 
on  au  juste,  à  Avignon,  d'où  venait  cette  Compagnie.  Le  19 
décembre,  on  la  croyait  toujours  venue  du  Nord,  car  on  avait  appris 
l'invasion  des  Compagnies  en  Champagne  et  leur  marche  à  travers 
la  Bourgogne.  Le  Pape  envoya  demander  à  Lyon  dans  quel  endroit 
elles  stationnaient.  Le  même  jour,  une  rumeur  se  répandit  que  la 
Compagnie  signalée  venait  du  territoire  génois,  et  Innocent  prit 
des  mesures  pour  l'empêcher  de  faire  irruj^tion  dans  le  Venaissin  ^. 
Le  2()  décembre,  Avignon  n'était  pas  encore  exactement  informé  du 
lieu  où  elle  se  trouvait^;   mais,    le  27,  en  la  fête  de    saint  Jean 

J .  G.  TÉRAU13E  donne  sur  ce  pont  elle  lieu  quelques  renseignements  dans  Hist.  d'Uzès 
et  de  son  arrondissement  (Uzès,  1879),  p.  136  suiv.,  livre  du  reste  sans  grande 
valeur.  Avant  la  construction  de  ce  superbe  pont,  terminé  en  1309,  la  ville  se  nommait 
Saint-Saturnin-du-Port,  à  cause  du  prieure  bénédictin.  Le  pont  doit  son  nom  à  la 
chapelle  du  Saint-Esprit  qui  se  trouvait  sur  la  rive  gauche  du  Rhône. 

2.  Introït,  et  exit.,  1.  c,  fol.  221  '*  :  «  Die  xviii  Decembris  soluti  fucrunt  de  mandato 
domini  nostri  pape  P[ctro]  Scatissa,  thesaurario  Francie,  pro  vadiis  et  expensis  per 
ipsum  thesaurarium  solvendis  certis  bricandis  missis  ad  custodiendum  pontem  Sancti 
Spiritus,  ne  ])rava  societas,  que  dicitur  venire  in  Provinciam,  transeat  per  dictum 
pontem,  magistro  Matheo  Achetantis  de  Luca  servienti  armorum  domini  régis 
Francie  et  vigerio  dicti  loci  Sancti  Spiritus,  pro  ipso  P.  Scatisse  et  ejus  nomine 
manualiter  recipienti  vc  flor.  »  Ainsi  l'assertion  de  Villam,  p.  642,  que  «  la  rocca  » 
fut  défendue  «  per  uno  castellano  Luchesc»  est  confirmée.  Jean  Souvain,  sénéchal  de 
Beaucaire,  portant  l'argent  à  Paris,  vint  à  Pont-Saint-Esprit  seulement  à  la  veille  de 
l'occupation.   Voy.  l'acte  éd.  par  Luck  dans  FnoissAUT,   VI,    p.   xxxi,  not.  1. 

3.  lhid.,ÎQ\.  222  :  «  Die  xix,  Decembris  soluti  fuerunt  de  mandato  nostri  pape  Hen- 
rico  de  Touris  et  Nicolao  Lombardi  cursoribus  domini  nostri  pape  missis  archiepis- 
copo  et  coUectori  Lugdunens.  cum  littcris  camerc  ad  explorandum  de  dicta  prava 
societate,  in  quibus  locis  est,  ipsis  cursoribus  manualiter  recipientibus  pro  expensis 
faciendis  xvi  flor.  fort. 

Die  eadem  soluti  fuerunt  de  mandato  dom.  nostri  pape  domino  Nicolao  de  Glande, 
militi  Gebennen.  dioc,  misso  cum  xxv  hominibus  armorum  per  dom.  nostrum 
papam  ad  custodiendum  passus  et  introitus  comitatus  Venayssini,  ne  prava  societas 
que  dicitur  esse  in  partibus  Januen.,  intret  comitatum  ipsum  ad  dampnificandum, 
quos  eideni  portavit  Bertrandus  de  Engolisma  domicellus  Caturcen.  dioc,  Audoyno 
de  Acra  can.  Carpentoraten.  et  thesaurario  dicti  comitatus  pro  dom.  nostro  papa 
et  Romana  ecclcsia,  per  ipsum  dominum  tradendos  dicto  domino  Nicolao  pro  suis  et 
dictorum  hominum  armorum  expensis  in  premissis  faciendis  dicto  Bertrando  manua- 
liter recipiente  =  iiii'  flor.  fort.  » 

4.  Ibid.  :  «  Die  xxvi  decembris  fuerunt  soluti  Golino  Lombardi  et  Bernardo  Plan- 
tati  cursoribus  dom.  nost.  pape  missis  ad  explorandum  de  prava  societate  que  dicitur 
venire  Avinionem  et  in  Provincia,  dicto  Golino  pro  se  et  aliis  manualiter  recipiente 
pro  eorum  expensis  faciendis  =  xvi  flor.  fort.  »  Gomme  la  chancellerie  de  Gharles  l\\ 
ainsi  celle  d'Innocent  VI  changeait  à  Noël  l'année  (1361)  et  l'indiction  (xiv). 


388  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

l'Evangéliste,  on  apprit  que  ladite  Compagnie  était  soit  à  Roque- 
maure  ou  aux  environs,  à  FOuest  d'Uzès  et  au  Sud  du  Pont-Saint- 
Esprit.  Le  même  jour,  elle  prit  Chusclan  ^  (canton  de  Bagnols),  et 
le  lendemain,  la  nouvelle  parvint  à  Avignon  qu'elle  était  à  Godolet, 
canton  de  Bagnols,  au  Nord  de  Roquemaure  ~.  Il  était  donc  évident 
que  cette  Compagnie  se  dirigeait  du  Sud  vers  le  Nord.  Ce  jour-là, 
un  Dominicain,  Jean  Sereni,  à  peine  rentré  à  Avignon,  fut  envoyé 
pour  reconnaître  le  mouvement  des  troupes  ;  la  Compagnie  ne 
s'était  pas  encore  fixée.  En  même  temps,  on  ordonna  à  25  gens 
d'armes  d'aller  garder  Saint-Laurent-des-Arbres,  situé  dans  la 
viguerie  de  Roquemaure  ^.  Le  29  décembre,  il  n'est  fait  aucune 
mention  de  la  prise  du  Pont-Saint-Esprit  ;  on  craint  plutôt  une 
surprise  à  Avignon  de  la  part  de  la  Compagnie,  et  des  mesures 
sont    prises    en    conséquence  ^.  De   la    même    manière    on    men- 

1.  Lettre  de  rémission  dans  Hist.  de  Languedoc,  X,  p,  1304. 

2.  Intr.  et  ex'it.,  1.  c.  :  «  Die  xxvn  Decemb.  fuerunt  soluti  de  mandato  dom.  nost. 
pape  domino  Golferio  Helye  et  Johanni  Aurosi  militibus  Lemovicen.  dioc.  et  civit. 
Avinion.,  miàsis  ad  pravam  societatem,  que  dicilur  esse  in  Rupe  Maura  vel  circa  ad 
sciendum,  quid  agere  intendit,  ipsis  manualiter  recipientibus  pro  corum  expensis 
faciendis  =  1  flor.  fort. 

Die  xxviii  Decemb.  soluti  fuerunt  domino  Johanni  (sic),  militi  misso  ad  exploran- 
dum  de  dicta  prava  societate,  que  dicitur  esse  in  loco  de  Codolelo  et  venire  Avinio- 
nem  et  in  Provincia,  pro  expensis  ipsius  dom,  Johannis  faciendis  ipso  manualiter 
recipiente  =  ii  flor.  fort.  »Ge  n'est  donc  pas  après  la  prise  du  Pont-Saint-Esprit  que 
Codolet  fut  occupe  par  la  Compagnie,  comme  écrit  le  Petit  Thalamus,  puh\.  dans  les 
Méni.  de  la  Soc.  archèol.  de  Montpellier  (1836),  p.  357,  mais  au  moins  un  jour  avant 
la  prise. 

3.  Ibid.,  fol.  222''  :  «  Die  xxviii  predicta  soluti  fuerunt  de  pred.  mandato  fratri 
Johanni  Cereni,  de  Ord.  fratr.  Pred.,  qui  venit  de  predicta  mala  societate  et  iterato 
rediit  ad  ipsam  ad  explorandum  de  eadem,  ipso  manualiter  recipiente  =  x.  flor.  fort. 

Die  eadem  fuerunt  soluti  de  pred.  mandato  Bertrando  de  Engolisma  domicello 
Gaturcen.  dioc,  misso  cum  xxv  brigandis  et  eorum  capitaneo  ad  custodiendum 
locum  de  Sancto  Laurentio  de  Arboribus,  Avinion.  dioc,  pro  vadiis  et  salariis  pre- 
dictis  brigandis,  ipso  manualiter  recipiente  =;  clxi  flor,  fort.  ». 

4.  Ibid.  :  «  Die  xxix  Decembris.  Gum  de  mandato  dom.  nost.  pape  fuissent  mutuati 
per  ipsum  papam  et  cameram  apost.  communi  et  cortesanis  civitalis  Avinionen.  pro 
defensione  et  instructione  dicte  civitatis  contra  dictam  societatem  et  tyrannos  eccle- 
sie  X™  flor.  auri  die  qua  supra  fuerunt  traditi  et  soluti  Raymundo  Milonis  draperio 
et  Luce  Albi,  mercatoribus  et  burgen,  dicte  dioc.  nomine  dictorum  communitatis  et 
cortesanorum  recipientibus  distribuendi  per  eos  occasione  predictorum  juxta  ordina- 
tionem  et  voluntatem  dominorum  marescalli  et  vigerii  dicte  civitatis,  pro  quibus  res- 
tituendis  obligaverunt  se  domini  B.  Rascassii,  G.  de  Regali  milites,  Hugo  de  Sazo 
burgen.  pro  parte  civium,  et  magister  Neapoleus  de  Ponterolis,  Hugo  Michaelis 
campsor  et  Albertus  Goreti  pro  parte  cortesanorum  dicto  dom.  nostro  pape  et  ejus 
camere  hinc  ad  unum  mensem,  ut  constat  per  instrumentum  per  dom.  Johannem 
Palaysini  notarium  dicte  camere  super  premissis  receptum  =  x'"  flor.  » 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    JUSQU'eN    1365  389 

tionne,  en  passant,  la  défense  et  les  fortifications  de  Montélimar  K 
Le  28  décembre,  jour  des  Innocents,  Pont-Saint-Esprit  fut  pris 
par  la  Compagnie,  et  le  sénéchal  de  Beaucaire,  Jean  Souvain,  fut 
fait  prisonnier  ^  Puisque  le  Petit  Thalamus  dit  :  «  la  nuit  des 
Innocents»,  et  que  le  29  décembre  Avignon  n'en  savait  rien  encore, 
on  peut  admettre  sûrement  que  la  prise  eut  lieu  dans  la  nuit  du  28  au 
29,  et  non  pas,  comme  le  prétend  Luce,  dans  celle  du  27  au  28  ^.  La 
première  supposition  est  d'autant  plus  vraisemblable  qu'au  moyen 
âge  la  nuit  était  comptée  généralement  avec  le  jour  précédent  ^. 

Une  Compagnie  se  dirigeait  donc  du  Sud  vers  le  Nord,  et  comme 
il  y  avait  des  bandes  en  Italie,  on  supposait  à  Avignon  qu'elle 
venait  du  pays  de  Gênes.  Froissart,  toutefois,  n'en  sait  rien,  mais 
il  est  incompétent  sur  ce  point  ^.  Par  contre,  Knighton  parle  aussi 
d'une  Compagnie  venant,  selon  lui,  de  la  Lombardie  et  traversant 
la  Savoie ''.  Comme  elle  venait  du  Sud  et  s'était  arrêtée  plusieurs 
jours  dans  la  sénéchaussée  de  Beaucaire,  avant  de  s'emparer  du 
Pont-Saint-Esprit ,  on  comprend  pourquoi  elle  était  à  même  de 
savoir  qu'une  somme  considérable  allait  être  déposée  dans  cette  ville, 
à  la  fin  de  décembre.  C'était  le  premier  versement  fait  par  les  con- 

1.  Intr.  et  exit.^  fol.  223  :  «  Diexxix  Decembr.  soluti  fuerunt  de  mandate  dom.  nostri 
pape  Ludovicode  Montelupello  et  Hugoni  Gorda  de  Montilio  Ademari,  Valentin.  dioc., 
ex  causa  niutui  per  cameram  apostolicam  de  dicto  mandate  eidem  facti  pro  defen- 
sione,  custodia  et  fortifîcatione  dicti  loci  de  Montilio  Ademari  fieri  faciendis,  resti- 
tuendi  in  média  quadragesima  proxime  ventura...  M.  tlor.  fort.  ».  Sur  les  fortifica- 
tions de  Montélimar,  à  cette  époque,  voy.  Baron  de  Coston,  Hist.  de  Montélimar 
(1878),  I,  p.  252,  258. 

2.  Petit  Thalaînus,  p.  357;  Grand,  chron.,  p.  223. 

3.  Malheureusement  dans  la  série  des  Inlroit.  et  exit.^  le  volume,  qui  contient  les 
notes  écrites  après  le  29  décembre  jusqu'à  l'octobre  1361,  manque  aux  Archives  du 
Vatican. 

4.  Voy.  Grotefend,  Zeitrechnuncj  des  deulschen  Mittelalters,  I  (1891),  p.  131. 

5.  Fhoissaht  ne  dit  pas  seulement  que  la  prise  du  Pont-Saint-Esprit  est  arrivée 
après  la  bataille  de  Briguais  par  les  Compagnies  du  Nord,  mais  il  dit  encore  que  les 
bandes,  dont  les  capitaines  d'après  lui  étaient,  entre  autres,  Guyot  du  Pin  et  le  Petit 
Meschin,  faisaient  pendant  la  dernière  nuit  une  chevauchée  de  quinze  lieues.  Frois- 
sart se  trompe.  Touchant  ces  deux  chefs,  on  doit  noter  qu'alors  le  Petit  Meschin 
était  un  bon  Français  au  service  du  roi,  et  qu'il  se  tint  devant  Pont-Saint-Esprit  en 
compagnie  d'Arnoul  d'Audrehem  pour  chasser  les  compagnies  {Hist.  du  Languedoc,  X, 
p.  1339  suiv.;  Guigle,  Les  Tard-Venus,  p.  282)  ;  Guyot  du  Pin  était  encore,  en  1362, 
regardé  comme  un  «  bon  et  loyal  françois  ».  Arch.  nat.  JJ94 ,  n"  46;  Llce  dans 
Froissart,  p.  xxi,  not.  1.  Froissart  a  toujours  trop  d'imagination,  et  il  mêle  les 
diverses  époques. 

6.  CViron.,  p.  115. 


390  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

tribuables  des  trois  sénéchaussées  de  Toulouse,  de  Carcassonne  et 
de  Beaucaire,  sur  le  secours  levé  pour  la  rançon  du  roi  Jean  K  Un 
arrêté  de  la  ville  d'Alais,  du  28  décembre  1360,  confirme  ^,  en 
effet,  que  cette  Compagnie  avait  infesté  la  sénéchaussée  de  Beau- 
caire avant  le  28  décembre. 

Mais  cette  Compagnie  n'était  point  la  seule.  Ainsi  qu'Innocent  VI 
nous  l'apprend  plus  tard,  plusieurs  parcouraient  alors  ces  contrées^. 
En  effet,  vers  cette  époque,  et,  à  coup  sûr,  déjà  en  décembre  1360, 
une  de  ces  bandes  dévastait  les  diocèses  de  Rodez  et  de  Vabres,  dont 
les  habitants  avaient  fort  à  faire  pour  les  en  chasser  ^  ;  il  est  assez 
probable  qu'au  moins  une  partie  de  ces  aventuriers  ait  rejoint  la 
Compagnie  qui  s'était  emparée  du  Pont-Saint-Esprit.  On  s'explique 
ainsi  comment  ils  étaient  en  si  grand  nombre  et  pour  quelle  raison 
ils  furent  nommés  magna  societas^  c'est-à-dire  grande  compagnie  ^. 
Dans  la  plupart  des  documents,  ces  routiers  sont  désignés  sous  le 
nom  d'Anglais  ou  de  faux  Français.  Suivant  Walsingham  et  le 
continuateur  de  Murimuth,  leurs  chefs  étaient  Anglais;  l'un  des 
capitaines  était  un  certain  Gautier  ^. 


1.  Froissaut  et  Luge,  p.  xxxi,  not.  1. 

2.  Bardox,  Hlst.  de  la  ville  (VAlais  de  1341  à  1461  (Nîmes,  1896);  Pièces  justif., 
p.  XXII.  Dans  cet  intéressant  document  du  28  décembre  1360  on  doit  lire  neuf  fois 
«  quod  »  au  lieu  de  «  que  ».  Cette  erreur  se  trouve  aussi  dans  les  autres  documents 
latins  publiés  par  Bardon. 

3.  Voy.  ci-dessous  p.  395,  not.  1,  la  lettre  du  Jl  juillet. 

4.  Reg.  Aven.  Innocent.  V[,  n"  25,  fol.  358,  ad  an.  1361,  Januarii  20  :  «  ven.  fratri- 
bus...  Ruthenen.  et  aliis  episcopis  et  dil.  fîliis  universis  aliis  ecclesiarum  et  monaste- 
riorum  prelatis  ac  rectoribus  et  aliis  personis  ecclesiasticis  quibuscunque,  seculari- 
bus  et  regularibus,  exemptis  et  non  exemptis,  per  Ruthenen.  et  Vabren.  civitates  et 
dioces.  ac  etiam  Ruthenen.  senescalliam  constitutis,  salutem,  etc.  Honestis  devoto- 
rum  etc.  Sane  petitio  pro  parte  dil.  filior.  nobilium  ac  communitatum  et  universita- 
tum  et  aliarum  secularium  personarum  Ruthenen.  et  Vabren.  civitatum  et  dioces.  ac 
totius  senescallie  Ruthenen.nobisexhibitacontinebat  quod  eos  pro  defendendoeasdem 
civitates  et  diocèses  et  senescalliam  ac  incolas  et  habitatores  eaïaini  contra  [ms.  et 
certa]  hominum  armorum  multitudine[m]  qui  partes  predictas  indebite  et  injuste 
invaserant  et  invadebant,  et  ipsos  de  ipsis  expellendos  ,  magna  subire  oportuerit  et 
oportet  onera  expensarum  ad  que  absque  vestro  subsidio  eorum  non  suppetunt 
facultates  [ad  horum  preces,  subsidium  valoris  unius  decimae  proventuum  ecclesias- 
ticorum  vel  aliorum  reddituum,  vel  aliquod  aliudmoderatum  subsidium,  pro  praemis- 
sis  hac  vice  conferendi,  supradictis  episcopis  etc.  licentiam  concedit].  Dat.  Avinione 
XIII  kal.  Februarii  an.  IX  ». 

5.  Cette  dénomination  se  trouve  souvent  dans  les  lettres  d'Innocent  VI. 

6.  Lettre  d'Innocent  VI  du  13  février  1361  dans  Mautène,  ïVies.  nov.  anecd.,  II, 
p.  882  :  «  Dil.  filiis  nobilibus  viris  Waltero  militi  et  capitaneo  gentis  armigerae  quae 


LES    COMPAGNfES    DANS    LR    MIDf    JUSQU'eN    1  3().")  391 

Peu  importe  que  la  prise  du  Pont-Saint-Esprit  ait  eu  lieu  avant 
ou  après  le  28  décembre,  le  fait  est  que  ces  bandes  furent  un  ter- 
rible fléau  pour  le  pays.  Elles  dévastèrent  d'une  manière  effroyable 
toute  la  contrée  environnante  et  menacèrent  Avig-non  '.  Des  locali- 
tés ravag-ées  par  eux,  on  ne  connaissait  jusqu'ici  que  Pont-Saint- 
Esprit  où  était  un  prieuré  de  l'Ordre  de  Cluny,  Ghusclan  et  Godo- 
let  qu'ils  pillèrent  et  dont  les  habitants  furent  entièrement  dépouil- 
lés ^.  Mais  il  est  encore  d'autres  lieux  à  peine  connus  jusqu'à  pré- 
sent que  cette  mauvaise  Compagnie  ravagea,  ou  auxquels  elle 
inspira  du  moins  de  grandes  frayeurs.  Les  monastères  des  Frères 
Mineurs  de  Bagnols,  d'Alais,  du  diocèse  de  Nîmes,  d'Uzès,  situés 
dans  la  banlieue  furent  à  demi  ruinés,  et  tous  se  virent  forcés  de 
chercher  un  nouvel  emplacement  dans  l'enceinte  de  ces  villes  ^^  les- 
quelles ne  tombèrent  pas  au  pouvoir  de  la  Compagnie  qui  cepen- 
dant ne  laissa  pas  d'en  inquiéter  les  environs,  de  sorte  que,  pour 
plus  de  sûreté,  les  autorités  des  villes  détruisaient  elles-mêmes  les 
églises  et  les  monastères  situés  hors  les  murs  et  dépourvus  de 
défense.  A  Alais,  par  exemple,  Tordre  fut  donné  de  raser  les  mai- 

macfna  societas  dicitur,  et  Johanni  Scakaik  ac  Ricardo  Mussato,  armigero  nigro, 
ejusdem  capitanei  niarescallis  et  conestabulis,  et  universis  in  eadem  societate  consis- 
tentibus  ».  Ce  Walterus  est  peut-être  Gautier  dit  Lescot  (cf.  Méxard,  IIist.de  la  ville 
de  Nimes,  nouv.  éd.,  II, p.  240).  Ricardus  Mussato?C'est  peut-être  une  mauvaise  leçon 
pour  Batardus  [de]  Monsaco^  qui,  à  Brig^nais,  a  fait  prisonnier  l'Archiprêtre,  en  1362. 
Voy.  ci-dessous.  Le  bascot  de  Mauléon  nomme  comme  capitaines  de  la  Compagnie  à 
Pont-Saint-Esprit,  Jean  Hawskwood,  Jean  Creswey,  Séguin  de  Badefol,  Robert  Bri- 
quet, et  d'autres  (Fhoissart,  éd.  de  Lettenhove,  XI,  p.  111).  Le  premier  est  connu  par 
ses  exploits  en  Italie.  Les  deux  derniers  étaient  sûrement  en  Languedoc  ;  cependant 
ils  pouvaient  appartenir  aux  autres  Compagnies,  puisque  plusieurs  s'y  trouvaient  à 
la  fois,  comme  le  dit  Innocent  VI. 

1.  Jean  de  Venette,  p.  316. 

2.  Voy.  A.  MoMNiEu  dans  Hist.  de  Lancjaedoc,  t.  IX,  p.  719,  not.  6;  t.  X,  p.  1294, 
1304  suiv. 

3.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  25,  fol.  378'',  ad  an.  1361,  Mart.  8  :  «  Dil.  filiis  gar- 
diano  et  fratribus  Ord.  Min.  de  Balneolis,  Uticen.  dioc.  salutem.  etc.  Sacre  religio- 
nis,  etc..  Exhibita  siquidem  nobis  nuper  pro  parte  vestra  petitio  continebat  quod 
edilîcia  loci  vestri,  que  exti'a  locum  de  Balneolis,  Uticen.  dioc,  habebatis,  propter 
guerrarum  discrimina  fuerunt  pro  majori  parte  diruta  ;  quae  pro  parte  vestra  fuit 
nobis  humiliter  supplicatum  ut  vobis,  quod  hujusmodi  locum  mutare  et  locum  alium 
infra  menia  dicti  loci  de  Balneolis  recipere  possitis  concedere  dignaremur  [Licentia 
mutandi  locum].  Dat.  Avinione  vj  idus  Marcii,  anno  nono  ».  Les  Frères  Mineurs 
d'Alais  et  d'Uzès  reçoivent  la  même  licence  à  cause  des  mêmes  malheurs.  Ibid.  Sur 
le  couvent  près  d'Alais  se  trouve  aussi  une  bulle  d'Urbain  V,  du  5  septembre  1363, 
dans  Reg.  Vat.,  n°  252,  fol.  135^ 


392  LA    GUERRE    DE    CE^'T    ANS 

sons  sises  à  un  jet  de  pierres  hors  les  murs,  et  de  découvrir  celles 
qui  en  étaient  un  peu  plus  éloig"nées.  On  abattit  les  arbres  trop  rap- 
prochés de  l'enceinte  et  on  ne  laissa  aucun  moyen  de  subsistance 
dans  les  villages  environnants  i.  Tout  cela  par  peur  de  la  bande.  Le 
couvent  des  Mineurs,  hors  la  ville,  fut  en  partie  détruit  par  ordre 
de  cette  dernière  ~.  Les  Cisterciennes  de  Notre-Dame-des-Fons 
près  Alais,  durent  alors  quitter  leur  monastère,  et  se  réfugier  à 
iVlais^;  quelque  temps  après,  elles  se  plaignirent  auprès  d'Ur- 
bain V  de  ce  que,  par  suite  de  plusieurs  incursions  d'aventuriers, 
les  revenus  de  leur  couvent  étaient  diminués,  les  religieuses 
réduites  à  la  pauvreté  et  leurs  maisons  ruinées  ^.  Non  loin  du  Pont- 
Saint-Esprit,  près  de  Goudargues,  était  le  prieuré  des  Bénédictines 
de  Valsauve,  dépourvu  d'enceinte,  et  de  tous  côtés,  exposé  aux 
ennemis.  Il  fut  dépouillé  par  les  bandes  des  bestiaux  et  des  usten- 
siles nécessaires  à  l'agriculture,  des  armements,  et  de  tous  les 
objets  de  quelque  valeur,  de  telle  sorte  que  les  religieuses  étaient 
réduites  à  l'extrémité,  la  plupart  d'entre  elles  avaient  déjà  quitté  le 
monastère  qui  tombait  en  ruine  ^,  et  celles  qui  restaient  étaient  sur 

1.  Bardon,  1.  c.,p.  55.  L'ordonnance  est  du  14  mars  1360.  Ibid.,  p.  52,  not.  2,  où  on 
doit  lire  partout  «  quod  »  au  lieu  de  «  que  ». 

2.  Ibid.,  p.  62. 

3.  Ibid.,  p.  55. 

4.  Suppl.  Urb.  V,  n°  36,  fol.  IS^,  ad  an.  1363,  Mart.  24  :  «  S.  P.  Cum  monasterium 
Béate  Marie  de  Fontibus,  prope  Alestum,  Cistercien.  Ord.,  Uticen.  dioc,  sit  per  ini- 
micos  regni  Francie  et  eorum  incursus  in  fructibus,  redditibus  et  pertinentiis  suis 
adeo  diminutus,  quod  dicti  monasterii  abbatissa  et  conventus  moniales  non  habent 
unde  possint  sustcntari,  nec  ipsum  monasterium  reparare  sine  S.  V.  adjutorio,  sup- 
plicant  igitur  dicte  abbatissa  et  conventus  quatenus...  ecclesiam  ruralem  sancti  Ste- 
phani  de  Alensaco  prope  Alestum...  eidem  monasterio  incorporare  valeat. —  Fiat.Dat. 
Avinionene  non.  kal.  Aprilis  anno  primo  ».  Dans  Reg.  Vat.  Urb.  F,  n"  252,  fol.  58, 
l'abbesse  est  nommée  «  Elionoris  ».  Gall.  christ.,  VI,  ne  parle  pas  de  ce  monastère, 
qui  allait  toujours  de  mal  en  pis.  En  1370,  l'union  de  l'église  Saint-Etienne  d'Alensac 
n'était  pas  encore  faite;  Reg.  Vat.,  cit.,  n"  260,  fol.  114. 

5.  Reg.  Vat.  Gregorii  XI,  n"  283,  fol.  168,  ad  an.  1372,  Novemb.  12  :  «  Ad  perpe- 
petuam  rei  memoriam.  Apostolice  sedis,  etc.  Sane  pctitio  pro  parte  dil.  in  Christo 
filiarum  Margarite  priorisse  et  conventus  monasterii  Vallissalve  prope  Gordanicas, 
per  priorissam  soliti  gubernari,  O.  S.  Ben.,  Uticen.  dioc,  nobis  nuper  exhibita  conti- 
nebat,  quod  predictuni  earum  monasterium  tum  propter  diversorum  animalium  et 
animantium  agriculturam  dicti  monasterii  colentium  quam  etiam  rerum  et  supellecti- 
tium,  ornamentorum  et  utensilium  ipsius  monasterii  et  singularum  personarum  ejus- 
dem  perditionem,  que  per  nonnullas  gentes  armigeras  fuerant  raubata  et  depredata, 
in  quibus  totus  valor  pauco  superante  consistebat,  et  que  de  die  in  diem  depredaban- 
tur,  cum  monasterium  ipsum  in  loco  silvestri  et  penitus  disclauso  existeret,  adeo  in 
suis  facultatibus  depauperatum  et  diminutum  existit,  quod  [ipse]   earum  vitam  in 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    JUSQU'eN    136o  393 

le  point  de  se  retirer  également.  A  Goudargues  même  était  un 
prieuré  bénédictin  dont  le  sort,  à  coup  sûr,  ne  fut  pas  meilleur  K  La 
désolation  du  monastère  des  Chartreux  de  Valbonne  situé  dans  les 
bois,  date  aussi  de  cette  époque,  bien  que  nous  ne  connaissions 
leurs  plaintes  qu'à  partir  de  l'an  1381.  Deux  ou  trois  fois  par  an, 
ces  religieux  subissaient  la  visite  des  brigands  qui  emportaient 
leur  bétail  et  leurs  blés  ;  en  conséquence,  leurs  terres  restaient  en 
friche  et  ne  rapportaient  plus  rien,  les  moines  n'osant  plus  les 
labourer,  dans  la  crainte  qu'ils  étaient  des  continuelles  incursions 
de  l'ennemi.  Ils  en  devinrent  par  la  suite  de  plus  en  plus  pauvres  et 
endettés,  et  le  culte  divin  fut  presque  interrompu  -.  Deux  ans  plus 
tard,  ils  se  plaignent  à  nouveau  de  ne  pouvoir  ni  semer,  ni  récol- 
ter, ni  cultiver  leurs  champs  et  leurs  vignes.  Les  bandes,  disent-ils, 
pénétraient  chez  eux  en  brandissant  le  glaive,  blessaient  des  moines, 
emmenaient  les  autres,  emportant  avec  elles  les  livres,  les  orne- 


dicto  monasterio  habere  non  possunt,  imo  jam  major  pars  ipsarum  ad  propria  et  for- 
talitia  ac  amicos  suos  de  dicto  monasterio  aufugit,  ac  restantes  in  eodem  illud  idem 
facere...  proponunt,  cum  habitationes  ejusdem  alique  sint  dirupte  et  alique  ruinam 
minentur.  [Ad  earum  preces,  ne  dictum  monasterium  penitus  relinquatur,  unit  eidem 
prioratum  sine  cura  secularis  et  ruralis  ecclesiae  S.  Tirtii  in  conferenciis  Balneolarum, 
dioc.  praed.,  consistentem].  Dat.  Avinione  ii  id.  Novembris  anno  II  ».  Durand,  Dic- 
tionnaire topogr.  du  Gard^  p.  229,  dit  que  ce  fut  seulement  en  1375,  d'après  Gall. 
christ.,  VI,  p.  657, "dont  les  auteurs  croyaient  encore  par  erreur  que  ce  monastère 
avait  toujours  été  gouverné  par  des  abbesses.  Une  autre  erreur  est  que  ce  monastère 
y  est  désigné  comme  étant  de  l'Ordre  de  Cîteaux. 

1.  Roman,  Goudargues,  son  abbaye,  son  prieuré  (Nîmes,  1886),  p.  55  suiv.,  ne  donne 
pas  le  moindre  renseignement. 

2.  Reg.  Vat.  Clément.  VII,  n°  293,  fol.  162»',  ad  an.  1381,  Septemb.  7  :  «  Ven.  fratri- 
bus  ..  Magalonen.  et  ..  Uticen.  episcopis  salutem,  etc.  Exigit  dil.  filior...  prioris  et 
conventusdomus  Vallisbone,  Cartusien.  Ord.,  Uticen.  dioc,  devotionis  sinceritas... 
ut  petitiones  eorum  ad  exauditionis  gratiam  admittamus.  Exhibita  siquidem  nobis 
nuper  pro  parte  dictorum  prioris  et  conventus  petitio  continebat  quod  ipsi  tam  prop- 
ter  incursus  hominuni  armorum,  qui  quolibet  anno  per  partes  illas  bis  vel  ter  transi- 
tum  facientes  oves  et  blada  ac  alia  bona  mobilia  ipsorum,  ex  quibus  sustentantur, 
rapiunt,  quam  etiam  propter  sterilitatem  terrarum  et  possessionum  dicte  domus, 
quas  ob  incursus  hujusmodi  et  paupertatem  ipsorum  colère  nequeunt,  ad  tantam 
devenerant  inopiam  ac  ipsi  et  domus  pred.  adeo  divcrsis  creditoribus  obligati  exis- 
tunt  quod  iidem  prior  et  conventus  inibi  propter  negotiorum  defectum  divino  cultui 
vacare  non  valent^  ut  tenentur;  [mandat  ut  relictis  ad  pios  vel  alios  usus  per  personas 
supradictarimi  civitatum  et  diocesum  debitis,  et  de  aliis  bonis  maie  ablatis,  cum 
personae  quibus  restitutio  fîeri  debeat  ignorentur  vel  inveniri  nequeant,  usque  ad 
summam  centum  florenor.  auri,  in  utilitatem  domus  ac  sustentationum  prioris  et  con- 
ventus pred.  convertendorum  eisdem  priori  et  conventui  assignent].  Dat.  Avinione 
VII  idus  Septembris  anno  III.  » 


394  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

ments  d'église,  le  blé,  le  vin,  l'huile,  les  brebis  et  les  chèvres,  au 
point  qu'ils  se  voyaient  presque  forcés  de  quitter  le  couvent  *. 

On  a  dit  encore  qu'un  détachement  de  la  Compagnie  du  Pont- 
Saint-Esprit  s'était  avancé  jusqu'au  Gévaudan  et  au  Velay,  et  avait 
pris  le  château  de  Saugues  et  le  monastère  de  Saint-Chaffre  ~.  Tou- 
tefois, il  n'est  guère  admissible  qu'ils  aient  franchi  les  montagnes 
des  Cévennes.  Ces  deux  occupations,  nous  le  verrons,  ne  se  pas- 
sèrent qu'un  peu  plus  tard. 

L'occupation  du  Pont-Saint-  Esprit  causait,  on  le  conçoit,  de 
grandes  inquiétudes  à  Innocent  VI.  L'invasion  si  inattendue  de  la 
Compagnie  l'avait  pris  au  dépourvu.  Avignon  même  était  en  dan- 
ger, d'autant  plus  qu'il  s'en  fallait  de  beaucoup  que  l'enceinte  fût 
achevée.  Le  pape  ordonna  donc  de  la  fermer  en  toute  hâte  au  moyen 
de  barricades  de  bois.  Il  pourvut  à  l'artillerie,  à  la  garde  de  la 
ville    par   les    troupes,  ce  qui  l'entraîna    à  des    dépenses  considé- 


1.  Reff.  Vat.  Clément.  VJI,  n»  294,  fol.  141,  ad  an.  1383.  Augusti  13  :  «  Dil.  filio  priori 
monasterii  S.  Saturnini  de  Portu,  Uticen.  dioc,  salutem,  etc.  Hodie  siquidem  pro 
parte  dil.  fîlior.  prioris  et  conventus  monasterii  Vallisbone,  Cartusien.  Ord.,  Uticen. 
dioc.,nobis  exposito  quod  monasterium  ipsorum  in  nemoribus  situni  existeretetquod 
ipsi  propter  guerras  et  malignorum  honiinum  incursus  seminare  vel  colligere  bona 
ipsius  mon.,  terras  quoque  et  vineas  laborare  minime  potuissent,  quodque  homines 
hujusmodi  non  soluni  bona  teniporalia  dicti  monasterii  capere  sed  etiam  cum  gladiis 
et  fustibus  personas  dicti  monasterii  invadere  non  verentur,  et  quod  personas 
dicti  monasterii  adeo  vulnerassent  quod  ex  iisdem  vulneribus  dubitatum  fuisset 
mortem  eis  evenire,  et  nonnullas  alias  personas  d.  mon.  captivassent,  quas  iidem 
prior  et  conventus  de  bonis  dicti  monasterii  redimerunt,  et  quod  iidem  homines 
libros  ecclesie  et  ornamenta  altarium  ac  bladuni,  vinum,  oleum  et  ea  que  iidem  prior 
et  conventus  habcbant  pro  suo  promissione  anni  presentis,  ubicumque  reperire 
potuerant  totaliter,  ac  viginti  trecenaria  ovium  et  caprarum  et  ad  eos  pertinentium 
rapuissent,  et  quod  propter  ista  et  multa  alia  in  tanta  sunt  paupertate  et  penuria  con- 
stituti,  quod  nisi  ipsis  succurreretur,  eos  oporteret  propter  defectum  victuum  et  ves- 
timentorum  dictum  monasterium  deserendo  ad  alia  monasteria  et  domus  Ord.  se  trans- 
ferre. [Eidem  mandat  ut  ducentos  francos  auri,  de  cugno  régis  Francie,  de  legatis  a 
personis  incertis,  vel  ad  pias  causas  incertas  relictis,  in  dioec.  Uticen.,  et  maxime  in 
locis  Sancti  Saturnini  de  Portu  Balneolarum,  factis  vel  fiendis  assignatos  per  alias 
litteras,  dictis  priori  et  conventui  tradere  faciat].  Dat.  apud  Pontem  Sorgie  Avinion. 
dioc.  idus  Augusti  anno  V  ». 

2.  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  721;  E.  Molimer,  Étude  sur  la  vie  d'Arnoul  d'Au- 
drehem,  p.  90;  Guigue,  Les  Tard-Venus,  p.  57,  etc.  Cette  assertion,  à  mon  avis,  est 
connexe  avec  l'opinion  autre  fois  prononcée,  d'après  laquelle  Seguin  de  Badefol  et 
d'autres  capitaines  étaient  déjà  en  1360  ou  1361  en  Auvergne.  Llce,  Du  Guesclin, 
p.  478,  482,  place  bien  la  prise  de  Saint-Chafîre  à  la  fin  de  1362,  et  celle  de  Saugues  en 
1361. 


LES    COMPAGNIES     DANS    LE    3IIDI    JUSQu'eN     136."  39o 

rables  K  En  même  temps,  il  exhortait  la  Compagnie  occupant  la 
place  à  se  retirer  et  à  se  dissoudre.  Loin  de  se  soumettre,  celle-ci 
déclara  la  guerre  à  toute  la  chrétienté.  Là-dessus,  le  pontife  prêcha 
la  croivsade  contre  la  bande  et  ses  suppôts  ;  il  écrivit  à  cet  elï'et,  le 
8  janvier  1301,  à  l'archevêque  de  Narbonne  et  à  ses  sulfragants, 
accordant  à  tous  ceux  qui  se  croiseraient  et  combattraient  contre 
eux  dans  le  délai  de  six  mois,  les  indulgences  qui  s'accordaient  aux 
croisés  pour  la  Terre-Sainte'^.  Il  invita  à  la  croisade,  à  partir  du 
10  janvier,  le  duc  de  Bourgogne,  le  gouverneur  du  Dauphiné,  le  roi 
Jean  et  le  régent,  l'empereur  Charles  IV  et  une  foule  de  sei- 
gneurs 3.  Le  17  janvier,  par  des  lettres  de  la  même  teneur,  le  pape 
s'adressa  dans  cette  alfaire  à  non  moins  de  soixante-douze  com- 
munes de  France,  et  en  outre  à  Baie  et  à  Genève^. 

La  frayeur  du  pape  était  bien  fondée,  car  une  seconde  Compa- 

1.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n°  25,  fol.  434,  ad  an,  1361,  Jul.  11  :  «  Ad  futuram  rei 
memoriam.  Olim  dum  tam  iilius  que  locum  de  Sancto  Spiritu  Uticen.  dioc. 
nequiter  occupavit,  quam  aliarum  societatum  armi^erarum  gentium,  que  totam 
vicinam  patriam  perturbarunt,  inopinata  commotio  longe  lateque  perstreperet,  nos  ad 
dcfensionem  et  custodiam  civitatis  nostre  Avinion.  et  incolarum  ipsius  more  patris 
benivoli  solicitis  studiis  intendentes  inter  cetera  cum  consensu  dil.  fil.  civium  dicte 
civitatis  et  cortessanorum  degentium  in  eadem  duximus  ordinandum,  quod  tam  pro 
clausura  i'ustca  dicte  civitatis  celeriter  facienda,  quam  pro  artliilheriis,  hominibus 
armorum,  brigantibus  et  custodibus  ad  dictam  custodiam  oportunis  mutuarenturper 
cives  et  cortesanos  eosdem  necnon  per  clericos  in  dicta  civitate  et  ejus  diocesi  pos- 
sessiones  habentes  certe  pecuniarum  summe,  ad  quas  recipiendas  et  in  dictis  necessi- 
tatibus  convertendas  dil.  fîlios  Raymundum  Milonis  civem  Avinionen.  et  Lucam  de 
Abbatibus  de  Florentia  cortesanum  thesaurarios  seu  receptores  duximus  deputan- 
dos...  Dal.  Avinione  v  non.  Julii  anno  nono  ».  La  somme  due  à  ce  sujet  s'élevait  à 
36.317  flor.  auri,  comme  le  pape  raconte  dans  cette  longue  et  très  curieuse  lettre.  La 
ville  était  aussi  obligée  de  faire  le  guet;  on  faisait  «  excubiasin  pinaculo  Béate  Marie». 
Ibid.  D'accord  avec  les  documents,  Villani  écrit  p.  643  :  «  la  città  lutta  prese  larme; 
serrate  le  botaghe,  solo  si  contendea  a  fare  steccati  et  bertesche  si  alla  città,  si  al 
gran  palagio  del  papa  »,  etc. 

2.  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p,  720;  Ménard,  Hist.  de  la  ville  de  Nîmes  (nouv.  éd.). 
II,  p.  195.  Cette  lettre  manque  dans  Reg.  Vat.,  et  Mautkne,  Thés.  nov.  anecd.,  II, 
mais  elle  se  trouve  dans  Iîall'ze,  Bulles  [Armoires,  vol.  383).  Du  reste,  le  pape  même 
dit  le  10  janvier,  (ju'il  avait  déjà  écrit  des  lettres  «  per  partes  diversas  fidelium  » 
(Mautène,  p.  849).  (]c  n'était  donc  pas  seulement  à  l'archevêque  de  Narbonne,  mais 
aussi  à  d'autres  qu'il  s'adressait  le  8  janvier. 

3.  Marti^ne,  1.  c,  p.  848  suiv.,  851,  854,  855  suiv.,  etc.  Voy.  les  principaux  person- 
nages nommés  par  LrcE,  Froissart,  p.  xxxu.  notes. 

4.  Mautè.\e,p.  852  aiùv.  Comvwrk,  Eludes  hist.  et  documents  inéditssuri Albigeois, 
p.  257  suiv.,  a  publié  inutilement  la  lettre  adressée  «  universitati  civitatis  Albien.  », 
déjà  indiquée  dans  Martène.  La  chancellerie  changeait  seulement  chaque  fois  l'adresse 
des  lettres  du  17  janvier. 


396  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

gnie  devait  suivre  la  première.  Dans  ses  lettres  aux  princes  et  sei- 
gneurs, Innocent  VI  dit,  en  effet,  avoir  appris  qu'une  autre  Compa- 
gnie bien  plus  grande,  venant  du  Nord  et  composée  de  Français, 
d'Allemands  et  autres,  se  proposait  de  traverser  la  Bourgogne  et  de 
marcher  sur  Avignon,  pour  venir  en  aide  à  la  Compagnie  occupant 
Pont-Saint-Esprit.  11  fallait  donc  avoir  chassé  celle-ci  avant  l'arri- 
vée de  celle-là.  Le  1^^  février,  la  Compagnie  signalée  s'était  rappro- 
chée, puisque  ce  même  jour,  Innocent  VI  écrit  aux  archevêques  de 
Lyon  et  de  Vienne,  ainsi  qu'à  l'évêque  de  Viviers,  les  exhortant  à 
s'opposer  de  toutes  leurs  forces  à  l'ennemi  qui  s'avance  i. 

Cette  Compagnie  qui  devait,  de  concert  avec  la  précédente,  mar- 
cher sur  Avignon,  était  précisément  celle  que  nous  avons  laissée  en 
Bourgogne,  et  à  laquelle  nous  allons  retourner. 

Mais  le  Pape  n'était  pas  seul  en  proie  aux  inquiétudes  les  plus 
vives,  les  seigneurs,  les  nobles  et  les  communes  delà  sénéchaussée 
de  Beaucaire  n'avaient  pas  moins  peur,  et  dans  une  assemblée 
tenue  à  Nîmes  avant  le  13  janvier  1361,  ils  résolurent  de  marcher 
contre  la  Compagnie  du  Pont-Saint-Esprit  dite  la  Grande  Compa- 
gnie, afin  de  l'expulser,  puisqu'elle  y  avait  causé  le  mal- 
heur d'un  grand  nombre  de  personnes,  tant  laïques  qu'ecclésias- 
tiques. Les  ecclésiastiques  de  la  sénéchaussée  se  montrèrent  dispo- 
sés à  céder  à  cette  fin,  avec  l'assentiment  du  pape,  le  tiers  d'un 
décime    de    leurs    revenus,   ou   un    autre    subside  -.    Les    secours 


1.  Marthne,  p.  874. 

2.  Re(/.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  25,  fol.  355'",  ad  an.  1361,  Januarii  13  :  «  Vene- 
rabilibus  fratribus  Nemausen.  et  aliis  cpiscopis,  et  dil.  filiis  universis  aliis 
ecclesiarum  et  monasterioruni  prelatis  ac  rectoribus  et  aliis  quibuscunque  perso- 
nis  ecclesiasticis,  secularibus  et  regularibus,  exemptis  et  non  exemptis,  in  senes- 
callia  Bellicadri  consistentibus  saluteni,  etc.  Ilonestis  devotorum,  etc.  Sane 
petitio  dil.  filior.  baronum  nobilium  et  communitatum  senescallie  Bellicadri 
nobis  exhibita  continebat,  quod  nuper  in  quadam  convocalione  et  congrej^atione 
facta  ipud  civitatem  Nemausen.  de  vobis  et  predictis  baronibus,  nobilibus  et 
communitatibus  pro  adhibendo  reniedium  ad  illani  perfidam  armijj;erarum  congrega- 
tionem  (que  se  mncjnam.  socletatem  nominant  et  locum  de  Sancto  Spiritu  Uticen. 
dioc,  qui  de  dicta  senescallia  existit,  more  predonico  occuparunt  et  detinent  occupa- 
tum,  multasque  tam  predicti  quam  etiam  aliorum  locorum  illarum  partium  personis 
ecclesiasticis  et  secularibus  intulerunt  et  inferunt  injurias  et  jacturas)  de  loco  et  par- 
tibus  supradictis  expellendam,  et  contra  eam  patriam  deffendendum,  inter  alios  vos 
paratos  obtulistis  (dummodo  id  de  nostra  licentia  procederet,  sine  qua  id  facere 
nequibatis)  ad  opus  hujusmodi  expulsionis  etdefensionis  subsidium  tertie  partis  unius 


LI':S    COMPAGMES    DANS    LE    M1D[    JUSQU'eN    1  36o  397 

affluaient  de  tous  côtés.  Les  nobles  du  Gévaudan,  du  Velay  et  du 
Vivarais  accordèrent  ég-alement  un  subside  et  se  mirent  en  c*am- 
pagne.  Le  roi  d'Aragon  envoya  six  cents  hommes  d'armes  et  mille 
hommes  de  pied  K  Ce  dernier  se  vit  encore  obligé  de  renvoyer*  en 
toute  hâte  à  la  cour  romaine  Jean  Ferdinand  de  Hérédia  -.  Bagnols 
fut  choisi  comme  point  de  concentration  des  croisés.  Plus  tard 
arriva  le  nouveau  lieutenant  du  Languedoc,  Robert  de  Fiennes, 
connétable  de  France,  en  compagnie  d'Arnoul  d'Audrehem,  maré- 
chal de  France  '\ 

La  Compagnie  du  Pont-Saint-Esprit  fut  assiégée '^  Mais,  loin 
d'être  cernée  complètement,  il  arriva  pendant  le  siège  qu'un  de 
leurs  capitaines  put  s'emparer  de  Massillargues  près  Lunel,  où  les 
routiers  ne  se  maintinrent  que  trois  ou  quatre  jours,  car  les  compa- 

decime  proventuum  vestrorum  ecclesiasticorum  ipsius  baronibus,  nobilibus  et  com- 
munitatibus  liberaliter  elargiri.  Quaie  pro  parte  dictorum  baronum,  etc.,  nobis 
humiliter  fuit  supplicatum,  ut  vobis  pro  premissis,  in  quibus  etiam  nostra  securitas 
continetur,  predictum  vel  aliud  subsidium,  de  quo  vobis  videbitur,  conferendi  licen- 
tiam  concedere  dignaremur.  [Praedictam  licentiam  elargitur  «  dummodo  id  iidem 
barones  nobiles  ac  communitates  cuni  gratiarum  actione  recipiant  ».]  Datum  Avi- 
nionc  idus  Januarii  anno  nono  »,  Ibid.,  fol.  356,  se  trouve  une  autre  lettre  :  «  Ven. 
fratri...  episcopo  Nemausen.  »  «  Cum  nos  tibi,  etc.  »  [Pontifex  licentiam  concedit 
exigendi  praedictum  subsidium,  postquam  per  episcopos,  praelatos  et  alias  ecclesias- 
ticas  personas  liberaliter  oblatum  fuerit  dictisque  baronibus,  nobilibus,  communita- 
tibus,  etc.  assignandi,  per  eos  in  dicto  negotio  utiliter  convertendi].  Datum  ut 
supra,  »  C'est  certainement  l'assemblée  dont  parle  Vaissete,  dans  Hist.  de  Langue- 
doc, IX,  p.  722  ;  il  est  seulement  très  douteux  que  Robert  de  Fiennes  fut  alors  pré- 
sent. A.  MoMMER,  se  trompe,  note  4,  en  confondant  cette  assemblée  avec  l'autre  qui 
se  tint  plus  tard  à  Lunel,  le  J  i  avril  1361.  Dogxon,  Les  Institutions  politiques  et 
administrât,  des  pays  de  Languedoc,  p.  607,  mentionne  aussi  seulement  l'assemblée 
de  Lunel,  et  non  celle  de  Nîmes  de  janvier, 

1.  Voy,  les  sources  indiquées  dans  E,  Molimer,  Etude  sur  la  vie  d'Arnoul  d'Au- 
drehem, p.  89  suiv. 

2.  Lettre  du  pape  du  9  janvier,  dans  MartÈxe,  1.  c,  p.  847, 

3.  E.  Molimer,  1.  c,  suppose  qu'Arnoul  fut  envoyé  par  le  roi  dès  que  la  prise  du 
Pont-Saint-Esprit  fut  connue,  s'appuyant  sur  la  lettre  d'Innocent  VI  du  26  janvier 
(Martène,  1.  c,  p,  867),  «  dans  laquelle  il  annonce  à  Robert  de  Fiennes  qu'il  a  reçu 
avec  joie  la  nouvelle  de  son  arrivée  et  de  celle  du  maréchal  d'Audrehem,  et  lui  recom- 
mande de  se  hâter  ».  Mais  cet  auteur  a  mal  interprété  la  lettre.  Le  pape  écrit  qu'il  a 
reçu  avec  joie  la  nouvelle  qu'avec  Arnoul  «  versus  partes  istas  cum  gentis  armigere 
comitiva  viriliter  se  accingit  »,  et  il  ajoute  :  «  nobilitatem  tuam  ad  expeditionem 
favorabilis  tui  adventus  eo  magis  solicitam  reddimus  »,  etc.  Il  ne  dit  pas  qu'il  était 
déjà  arrivé,  au  contraire,  il  l'exhorte  à  se  hâter  d'arriver.  P.  Anselme,  Hist.  généal., 
VI,  752,  dit  qu'Arnoul  fut  envoyé  le  13  avril  1361  ;  c'eût  été  trop  tard. 

4.  C'est  sûr,  parce  qu'on  lit  dans  une  lettre  de  rémission  de  février  1365  :  «  Petit 
Meschin  étoit...  au  siège  devant  Saint-Esprit  en  la  compagnie  de,,,  mareschal  d'Au- 
denehem  »,  Hist.  de  Languedoc,  X,  p,  1339, 


398  LA    GUERRE    DE    CEM'    ANS 

gnons  y  furent  serrés  de  près  par  Arnoul  d'Audrehem  ^.  Vers  le  13 
février,  on  commença  des  négociations.  Un  arrangement  était  dans 
l'intérêt  des  deux  parties.  Les  capitaines  des  assiégeants  n'avaient 
pas  de  quoi  joayer  leurs  hommes,  et  se  voyaient  par  suite  refuser  du 
secours  -.  Quant  à  Avignon,  la  disette  s'y  fît  bientôt  sentir  à  cause 
de  la  cherté  des  vivres.  Le  blé  que  le  pape  avait  commandé  en  Ita- 
lie n'arrivait  pas  ;  impossible  d'en  faire  venir  de  Bourgogne  ou  de 
quelque  autre  région  de  la  France,  car  la  Compagnie  du  Pont- 
Saint-Esprit  interceptait  les  transports  ^.  Les  assiégés  ne  se  sen- 
taient guère  à  l'aise  non  plus,  cernés  comme  ils  l'étaient  d'un 
nombre  assez  considérable  de  gens  d'armes.  La  meilleure  preuve 
est  qu'ils  envoyèrent  auprès  d'Innocent  VI  deux  légats,  le  Domini- 
cain Eumène  Begamon  et  le  frère  Mineur  Etienne  de  Tegula,  chargés 
de  lui  déclarer  qu'ils  n'avaient  jamais  eu  l'intention  d'incommoder 
la  cour  romaine.  Cela  s'appelait  battre  en  retraite.  Le  13  février, 
Innocent  VI  renvoya  à  la  Compagnie  les  deux  légats,  ainsi  que 
Jean-Ferdinand  de  Hérédia  porteurs  de  ses  messages  ^.  Un  traité 
fut  conclu,  vers  la  fin  de  mars,  selon  toute  probabilité  ;  moyennant 
une  somme  de  14.500  florins  d'or^,  la  Compagnie  s'engageait  à  fran- 
chir les  Alpes  pour  se  rendre  en  Italie,  avec  Jean  de  Montferrat  ^. 
La  sénéchaussée  de  Beaucaire  n'était  pas  seule  infestée  par  les 
bandes,  celle  de  Carcassonne  luttait  aussi  contre  elles,  comme  le 
prouve  une  lettre  du  28  février  1361,  adressée  par  Innocent  VI  aux 
supérieurs  des  églises  et  communautés  de  cette  sénéchaussée  où  il 

1.  Petit  Thalamus,  p.  357  suiv.  Bardon,  Hist.  de  la  ville  cVAlais,  p.  55,  not.  3,  a 
noté  contre  E.  Molimer,  Arnoul  d'Audreliem,  p.  91,  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  de  Massil- 
largues,  ar.  d'Alais,  cant.  d'Anduze,  mais  bien  de  Massillargues  près  de  Lunel. 

2.  Voy.  l'intéressante  lettre  d'Innocent  ^'I  datée  du  2i  mars  dans  Martè>e,  1.  c, 
p.  910  suiv.,  lettre  qui  est  oubliée. 

3.  Trois  lettres  du  pape  du  16  février,  ibid.,  p.  886  à  890,  et  du  19  mars,  ibid. 
p.  905  suiv.  Vn.i.AM,  p.  463,  dit  la  même  chose. 

4.  Lettre  du  13  février,  dansMARTÈNE,  1.  c,  p.  882  suiv.  Voy.  ci-dessus,  p.  390,  not.  6. 

5.  Voy.  la  lettre  du  pape  du  6  juin,  ibid.,  p.  995. 

6.  Rehdorfen.,  dans  Bôhmer,  Font.  rer.  germ.,  IV,  p.  567,  dit  :  «  cum  hujusmodi 
predicti  starent  circa  curiam  prescriptani  per  quartam  partem  anni  vel  circa,  pecu- 
nia  placavit  eosdem.  Et  sic  recesserunt  cum  marchione  Montis-Ferrati  contra  Medio- 
lanenses  ».  Villam,  p.  654,  dit  également  que  le  marquis  de  Montferrat  vint  en 
Piémont  avec  les  bandes  en  avril.  Lice,  Du  Guesclin,  p.  363,  se  trompe  en  disant  que 
c'était  «  vers  le  milieu  de  1361  »,  en  s'appuyant  sur  la  bulle  du  6  juin.  Car  le  pape 
dans  cette  bulle  dit  seulement  que  pridem  Jean-Fernand  de  Hérédia  avait  reçu  du 
trésorier  la  somme  pour  les  routiers,  et  le  6  juin  le  pape  l'acquitte. 


LES    COMPAGMES    DANS    LE    MIDI    JUSQu'eN     1365  399 

leur  permet  de  contribuer  par  un  subside  aux  dépenses  faites  pour 
chasser  les  bandes  K  En  avril,  Seguin  de  Badefol-  s'empara  de 
l'abbaye  bénédictine  d'Aniane,  du  diocèse  de  Maguelonne,  la  mit  à 
contribution,  et  prit  ensuite  plusieurs  autres  villes  en  traversant 
la  vicomte  d'Aumelas,  comme  Gignac,  Villeveyrac,  Pomérols, 
Florensac.  Le  13,  il  attaqua  et  prit  Frontignan  ;  de  là,  ses 
bandes  firent  des  courses  jusque  dans  les  faubourgs  de  Mont- 
pellier, vinrent  à  Saint-Gosme  et  enlevèrent  les  hommes  et  les 
femmes  qui  se  trouvaient  dans  l'église.  Enfin,  Badefol,  apprenant 
qu'il  était  poursuivi  par  les  troupes  de  Robert  de  Fiennes, 
d'Arnoul  d'Audrehem  et  d'autres,  abandonna  Frontignan^. 

En  juin  et  juillet,  des  bandes  d'Espagnols,  commandées  par 
Henri  de  Trastamare  et  son  frère  Sanche,  cherchèrent  à  entrer  en 
France,  y  entrèrent  en  effet  vers  ce  temps  ^,  en  ravageant  les 
contrées  du  Languedoc,  et  pénétrèrent,  comme  nous  le  verrons, 
jusqu'à  Forcalquier.  Au  commencement  du  mois  d'août,  Bérard 
d'Albret  ^  s'avança  jusqu'à  Montpellier,  où  il  s'empara  du  faubourg 
des  Frères  Mineurs;  après,  de  concert  avec  Seguin  de  Badefol  et 


1.  Reg.  Aven.  Innocent.  VI,  n"  25,  fol.  363  :  «  V'en.  fratribus...  archiepiscopis,  epis- 
copis  et  dil.  filiis  universis  aliis  ecelesiaruni  et  monasteriorum  prelatis  atque  recto- 
ribus  et  aliis  personis  ecclesiasticis  quibuscunque,  secul.  et  re^uL,  exemptis  et  non 
exeniptis,  per  senescalliam  Carcassonen.  constitutis,  salutem,  etc.  Honestis  devoto- 
rum,  etc.  Sane  petitio  pro  parte  dil.  filior.  nobiliuni  et  aliarum  secularium  persona- 
rum  senescallie  Carcassonen.  nobis  cxhibita  continebat  quod  pro  defendendo  ipsam 
senescalliam  acj  incolas  et  habitationes  illius  a  nonnullorum  perversorum  hominum 
arnioruni,  Dei  et  reipublice  inimicorum,  in  partibus  illisconsistentium  invasionibus... 
multa  ipsos  nobiles  et  pcrsonas  seculares  subire  oportuit  et  continue  oportet  onera 
expensarum,  ad  que  absque  vestro  subsidio  eorum  non  suppetunt  facultates,  etc. 
[confercndi  pro  praedictis  aliquod  moderatum  subsidiuin  eisdem  nobilibus  et  perso- 
nis licentiam  tribuit].  Dat.  Avinione  ij  kal.  Martii  anno  nono  ». 

2.  Ce  chef  des  Compagnies  était  du  diocèse  de  Sarlat,  comme  écrit  Urbain  V  dans 
sa  bulle  Cogit  nos  du  19  janvier  1365  {Reg.  Aven.,  n°  10,  fol.  IQS*»),  et,  par  conséquent, 
originaire  de  Badefol  près  de  La  Linde,  non  de  Badefol  d'Ans,  au  nord-est  de  Tarron- 
dissement  de  Périgueux.  Cf.  l'article  de  Labhoue  dans  Le  Livre  de  Vie,  les  Seigjieurs 
et  les  Capitaines  du  Périgord  blanc,  p.  67  suiv.  Bertucat  d'Albret  étant  possesseur 
de  La  Linde  (cf.  ci-dessus,  p.  271,  not.  5)  connaissait  donc  parfaitement  Seguin  de 
Badefol,  et  ce  n'est  pas  par  hasard  qu'ils  se  trouvent  souvent  ensemble.  Lauroue  se 
trompe  au  sujet  de  la  chronologie  des  premiers  exploits  de  Badefol  dans  le  Midi. 

3.  Petit  Thalamus,  p.  357  suiv.  Hist.  du  Languedoc,  IX,  p.  724  suiv.  ;  E.  Molimeh, 
1.  c,  p.  92  suiv. 

4.  Hist.  du  Languedoc,  l.  c,  p.  736  ;  E.  Molimeh,  p.  93,  not.  5. 

5.  Lequel  on  doit  distinguer  de  «  Bertucat  d'Albret  »,  Tami  de  Seguin  de  Badefol 
(Voy,  not.  2). 


400  LA  GUERRE    DE    GE^T    ANS 

quelques  autres  capitaines  ^  il  se  dirigea,  avec  des  bandes  de  pié- 
tons et  de  cavaliers,  vers  Narbonne,  marcha  en  Roussillon  jusqu'à 
Perpignan  et  au  delà,  et  y  resta  environ  douze  jours.  Ensuite,  toutes 
ces  troupes  s'étendirent  dans  les  diocèses  de  Garcassonne  et  de 
Toulouse.  Ils  prirent  la  ville  de  Montolieu,  non  loin  de  Garcas- 
sonne ,  et  y  mirent  le  feu  ;  mais  ils  ne  purent  s'emparer  du  châ- 
teau. Ensuite,  ils  prirent  Saint-Papoul,  Villepinte  et  plusieurs 
autres  lieux  ouverts  2;  puis,  comme  nous  le  verrons,  Seguin  de 
Badefol  entra  en  Rouergue. 

En  septembre  de  cette  même  année  1361,  l'approche  des  Gom- 
pagnies  ou  routiers  est  signalée  aux  consuls  d'Albi  par  le  sénéchal 
de  Toulouse,  qui  les  prie  d'avertir  les  villes  voisines  qu'elles  ont  à 
se  fortifier  et  à  s'approvisionner  3.  Une  lettre  d'Innocent  VI,  datée 
du  22  octobre  1361,  me  permet  de  donner  des  renseignements  nou- 
veaux. En  effet,  des  bandes  envahirent  en  grand  nombre  le  diocèse 
d'Albi^  le  parcoururent  en  le  dévastant  et  en  dévalisant  les  églises, 
les  ecclésiastiques  et  autres  personnes  ;  elles  s'emparèrent  aussi  de 
quelques  places  fortes.  L'évéque  d'Albi,  Hugues  Aubert,  envoya 
alors  contre  ces  bandes  des  gens  auxquels  vinrent  s'adjoindre 
d'autres  gens  d'armes  de  l'Albigeois  qui  mirent  les  routiers  en  fuite, 
les  poursuivirent  jusque  dans  le  diocèse  de  Rodez  et  les  forcèrent  à 
livrer  un  combat  dans  lequel  beaucoup  de  ces  ennemis  furent 
tués  et  un  plus  grand  nombre  d'entre  eux  faits  prisonniers^.  Ce 

1.  he  Petit  Thalamus,  p.  358,  et  les  historiens  qui  le  citent,  nomment  aussi  Garciot 
du  Castel  ou  Ghastel.  Mais  s'il  était  alors  dans  le  Midi,  comment  expliquer  un  acte 
authentique,  suivant  lequel  Garciot  du  Castel,  avant  décembre  1361,  était  «  cum 
maxima  quantitate  ^entium  armorum  »  dans  le  Nivernais  (Arch.  de  la  Côte-d'Or,  B. 
11,875;  Chéuest,  VArchiprêtre,  p.  88,  not.  1  ;  ci-dessus,  p.  253)?  Le  Petit  Thalamus 
est  généralement  exact,  mais  le  chroniqueur  n'avait  pas  le  don  d'inerrance,  et  ici  il  a 
confondu  les  années.  Garciot  est  venu  dans  le  Midi,  avec  sa  bande,  seulement  en  1362. 
Néanmoins,  Ghérest  (1.  c,  et  158)  et  Guigue  (p.  48  et  57)  le  placent  dans  le  Niver- 
nais et  dans  le  Midi,  vers  la  fin  de  1361  ! 

2.  Petit  Thalamus  ,  p.  358  suiv. 

3.  CoMPAYRÉ,  Études  hist.  et  documents  inédits  sur  V Albigeois,  p.  424. 

4.  Reg.  Avinion.  Innocent.  VI,  n"  26,  fol.  582  :  «  Dil.  fil.  Jauberto  Guidonis  clerico 
Lemovicen.  dioc.  salutem,  etc.  Suffragantia  tibi,  etc.  Sane  petitio  tua  nobis  exhibita 
continebat  quod  cum  de  anno  presenti  nonnulle  gentes  belligere  in  numéro  satis 
magno  partes  dioc.  Albien.  hostiliter  invasissent  easque  percurrerent  et  vastarent, 
ecclesias  ac  ecclesiasticas  aliasque  personas  nequiter  spoliando  et  capiendo,et  earum 
res  et  bona  quelibet  more  predonico  rapiendo,  locaque  fortia  expugnando,  nonnulli 
ex  familiaribus  et  giiutibus  vcn.  fr.  nostris  Ilugonis  episcopi  Albien.,  cujus  familiaris 


Lrîâ    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    JL'SQu'eN    i3Go  401 

récit  est  confirmé  par  une  lettre  de  rémission  d'Arnoul  d'Audre- 
hem,  du  mois  de  décembre  1363,  dans  laquelle  il  est  dit  que  ces 
bandes  étaient  la  Gompag-nie  d'Adhémar  de  Jussel,  composée  de 
plus  de  deux  cents  hommes  qui  furent  battus  près  d'Asprières  en 
Rouergue  K  Nous  avons  maintenant  la  date  pres({ue  précise  de  ce 
combat,  qui  eut  lieu  deux  ans  plus  tôt  qu'on  avait  cru  jusqu'à  pré- 
sent. D'accord  avec  ces  faits,  d'autres  documents  contemporains 
sig-nalent  en  Rouerg-ue,  pendant  les  mois  de  septembre  et  d'octobre, 
des  routiers  qui,  après  s'être  emparés  de  plusieurs  lieux,  se  sont 
avancés  jusqu'aux  portes  de  Millau  et  ont  occupé  dans  les  faubourgs 
le  monastère  des  Glarisses.  Après  quoi,  Seguin  de  Badefol,  venant 
du  Midi  avec  sa  bande,  enleva  tout  ce  qu'il  trouva,  et  rançonna  ses 
prisonniers  '^. 

Pour  comble  de  malheur,  un  autre  fléau,  la  peste,  était  apparu 
depuis  quelques  mois  et  faisait  de  grands  ravages  qui  se  conti- 
nuèrent durant  six  ou  sept  mois.  Pendant  ce  temps  ,  la  mortalité 
fut  plus  grande  que  lorsque  la  peste  avait,  pour  la  première  fois  en 
13i-8,  sévi  une  année  entière^.  On  dit  qu'à  Avignon  seulement, 
depuis  la  fin  de  mars  jusqu'au  2o  juillet,  dix-sept  mille  personnes 
moururent,  parmi  lesquelles  on  comptait  cent  évêques  et  cinq  ^  ou 
neuf  cardinaux.  A  Millau,  cinq  consuls  périrent  sur  six  ^.  Il  est 
facile  de  voir  par  là  dans  quelle  mesure  la  mort  s'abattait  sur  ces 
contrées. 

tune  tcnipons  c.vistebas,  proutexistis,  et  alie  gentes  dietarum  partiuni  pro  dcfensione 
ipsarum  eeclesiarum  et  patrie  achersus  invasores  et  percursorcs  Iiujusniodi...  exive- 
ruiit  ipsosque  conversos  in  fugam  usque  in  diocesim  Ruthenen.  fuerunt  virilitei* 
insecuti,  et  tandem  ibidem  inito  cum  cis  prelio...  plurimi  ex  ipsis  hostibus  ibidem 
cesi  et  nidi-tui  multique  captivi  in  maximo  numéro  remanserunt.  Et  licet  tu  predictis 
omnibus  presens  l'aeris...  tamen  nullum  ex  ipsis  hostibus  occidisti  nec  vuhierasti  nec 
captivasti  [Confirmât  collationcm  eidem  de  prioratu  secularis  et  non  collegiatae  nec 
curatae  ecclesiae  de  Buada  Biterren.  dioc.  postmodum  factam.  licet  nullam  dispen- 
sationem  obtinuerit  super  irregularitate  ob  pracmissa  contracta].  Dat.  Avinione  xi  kal. 
Novembris   anno  nono  »>. 

1.  Voy.  la  lettre  dans  E.  Moliniku,  Vie  (VArnoul  dAudrehein,  p.  276  suiv.  Cf.  Ilisl. 
du  Lniufiiedoc,  IX,  p.  761. 

*i.  UouQUETTE,  Le  Honeryue  sous  les  Ançilais  i^nouv.  éd.  de  1887^,  p.  26  suiv.  Ché- 
niîST  prétend  donc  à  tort,  p.  183,  que  jusque  vers  la  fin  de  l'année  1363  aucun 
document  n'atteste  la  présence  de  Seguin  de  Badefol  dans  les  provinces  centrales. 

3.  Viln  1"  Innocent.  V7  dans  Bamzh,   Vit.  pnp.  Aven.,  I,  p.  341. 

4.  UEnnoRFEN.,  dans  Font.  rer.  cjerni.,  IV,  p.  568.  Mais  voy.  Balt/e,  1.  c.  p.  973,  où 
il  est  pi'ouvé  que  neuf  cardinaux  mourui'cnt  de  la  peste. 

5.  Boryi'RTTE,  1.  c.  p.  26. 

H.  P.    Denikle.  —  Deaolatio  eeclesiarum  H.  20 


402  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Dès  1361,  comme  après  la  terrible  chevauchée  du  prince  de 
Galles  en  13oo,  les  villes  du  Midi,  après  la  première  apparition  des 
Compagnies,  se  prémunirent  contre  ces  dernières  en  se  fortifiant. 
Celles  qui  l'étaient  déjà,  comme  Montpellier  par  exemple,  augmen- 
tèrent les  travaux  déjà  exécutés  '.  A  cette  occasion,  des  maisons 
et  des  couvents  furent  encore  sacrifiés,  comme  il  arriva  au  mona- 
stère des  Carmes  hors  Tenceinte  de  Montréal-de-l'Aude,  du  diocèse 
de  Carcassonne,  dont  les  religieux  durent  chercher  une  habitation 
dans  la  ville  ~. 

Cette  activité  n'est  pas  surprenante  quand  on  pense  que  dans  les 
Hautes-Alpes,  où  le  danger  était  moins  pressant,  on  commença 
également  à  cette  époque  à  fortifier  les  villes.  Ainsi,  dès  juillet 
1360,  les  Embrunais  creusaient  des  fossés,  dressaient  des  palissades 
et  des  barrières  pour  enceindre  la  ville  ^.  Sisteron  avait  déjà  des 
murailles,  puisqu'en  136i  Urbain  V  enjoignait  aux  ecclésiastiques 
de  contribuer  à  leur  réparation  ^.  Nous  avons  vu  qu'à  Montélimar 
les  travaux  de  fortification  commencèrent  à  peu  près  à  la  même 
époque  qu'à  Embrun,  en  1360  ou  1361  \  Les  dépenses  qu'entraî- 
naient ces  mesures  de  défense  grevaient  lourdement  les  populations 
et  le  clergé. 

Chose  plus  déplorable,  les  bandes,  contre  lesquelles  on  se 
fortifiait,  trouvaient  quelquefois  des  partisans  au  sein  même  des 
monastères;  témoins  les  moines  bénédictins  de  Téglise  cathédrale 
de  Saint-Pons,  qui,  la  nuit,  sortirent  armés  de  la  clôture  et,  s'as- 
sociant  à  plusieurs  autres,  se  livrèrent  au  pillage  et  aux  excès  ^. 

1.  Voy.  sur  les  détails  A.  Molimer,  dans  Hist.  de  Lnnçfiiedoc,  IX,  p.  718,  not.  1. 

2.  Reg.  Aven.  Innocent.  F/,  n"  28,  fol.  525,  ad  an.  1362,  Jun.  1. 

3.  Cf.  P.  Guillaume,  Notes  sur  les  fortifications  des  Hautes- Alpes  au  XIV"  siècle  dans 
Bulletin  archéol.  du  comité  des  travaux  hist.  et  scientifiques,  année  1883,  Archéolo- 
gie, y).  213;  Pièces  justif.,  n"  1.  Romax,  L'expédition  des  Provençaux  en  Dauphiné, 
dans  Bulletin  de  la  Soc.  scientif.  et  litt.  des  Basses-Alpes,  IV,  p.  108,  111,  sert  pour 
les  années  suivantes. 

4.  Laplane,  Hist.  de  Sisteron  (1843),  I,  p.  511  suiv. 

5.  Ce  n'était  que  le  commencement  ;  nous  verrons  dans  le  sixième  paragraphe  que 
dans  ces  contrées,  en  1368,  on  activait  partout  les  travaux  de  fortifications. 

6.  Reg.  Vât.  Urbani  V,  n"  253,  ad  an.  1363,  Decembris  19  :  «  Dil.  fil.  priori  ecclesie 
S.  Pontii  Thomeriarum  salutem,  etc.  Cum  levamus...  Ad  nostrum  siquidem  auditum, 
quod  dolenter  referimus,  clamosa  insinuatione  pervenit  quod  dudum  Bernardus  Mon- 
tilhi  et  Bernardus  Aignonis  monachi  ecclesie  S.  Pontii  Thomeriarum,  O.  S.  Ben.,  ad 
mala  properantes  associatis  sibi  quibusdam...  complicibusarmaque  prohibita  déféren- 
tes, nocturno  tempore...  de...  clausura  presumpserunt  exire,  et  quod  licet  tu...habeas 


ÏVES    COMPAGNIRS    DANS   LE    MIDI    JL'SQu'eN    \'M)i)  403 

Avant  de  continuer  à  suivre  les  marches  des  Compag-nies  dans 
le  Midi  de  la  France,  retournons  à  celle  que  nous  avons  laissée  en 
Bourgog'ne,  et  que  redoutait  si  fort  Innocent  VI,  lorsqu'il  était 
menacé  par  la  Compagnie  du  Pont-Saint-Esprit.  Les  ravages  exer- 
cés parles  compagnons  en  Bourgogne  hâtèrent  peut-être  les  derniers 
moments  de  Jeanne  de  Boulogne  et  d'iVuvergne,  femme  du  roi 
Jean  et  mère  de  Philippe  de  Rouvres,  qui  mourut  le  29  septembre 
13t)0  K  Pendant  que  Garciot  du  Castel  et  ses  bandes  ravageaient  le 
Nivernais,  vers  la  fin  de  1360,  en  Bourgogne,  la  (Compagnie 
s'avançait  dans  la  direction  du  Midi.  Il  est  impossible  de  signaler 
ses  diverses  étapes,  les  sources  font  défaut  à  ce  sujet.  On  dit  que 
cette  Compagnie  ravagea  les  environs  de  Dijon  et  de  Beaune,  pilla 
Vergy  et  Gevray,  puis  se  porta  sur  Couches  et  Montaigu  pour  arri- 
ver en  Maçonnais  en  janvier  1361  -.  Ces  ennemis  semblent  s'être 
montrés  aussi  aux  alentours  d'Autun,  car  Geoifroi  David,  alors 
nouvellement  évêque,  dit  qu'au  temps  où  il  fut  promu  à  l'église 
d'Autun  (27  août  1361)  ^,  quelques  châteaux,  maisons,  granges  et 
édifices  se  trouvaient  détruits  ou  gravement  endommagés  tant  à 
cause  des  guerres  qui  sévissaient  que  pour  d'autres  raisons  ^.  Soit 

super  inquirendis,  corrigendis  et  puniendis  excessibus  subditoruni  ven.  ïv.  episcopi 
S.  Poncii  Thomeriaruin  specialem...  potestatem,  contra  ipsum  Bernarduni  Montilhi, 
prefato  Bernardo  Agnonis  tune  absente,  processisses...  tamen  idem  Bernardus... 
falso  asserens...  tuani  scntcntiam  fore  iniquam,  ad  Narbonen.  curiam...  appellavit... 
[Mandat  ut  in  eadeni  ecclesia  regularem  disciplinam  teneri  faciat,  ipsumque  Bernar- 
duni Montillii  ad  poenitentiam  peragendam  sibi  impositam,  et  tam  ipsum,  quam 
praedictum  Bernardum  Aignonis  et  alias  monachos,  bona  dictae  ecclesiae  detinentes, 
ad  ea  restituenda,  compellat,  etc  ].  Dat.  Avinione  xiv  kal.  Januarii  anno  II  ». 

1.  Anselme,  Ilist.  géiiéal.,  I,  p.  549  ;  Bai.uze,  Iliat.  cfénéal.  de  la  maison  d'Auvergne^ 
I,  235.  Doui-:t-i)'Aucq  dans  Bibl.  de  VÉcole  des  Chartes^  t.  XL,  p.  546,  a  tort  de  dire 
qu' Anselme  place  la  mort  de  la  reine  au  21  novembre  1361,  c'est-à-dire  au  même  jour 
que  la  mort  de  Philippe  de  Rouvi*es.  Il  est  curieux  que  Luce,  Froissart,  p.  \\\\n, 
not.  3,  fasse  la  même  faute;  les  éditeurs  de  la  Chron.  norm.^  p.  320,  not.  3,  et 
MoHA^vILLÉ  dans  C/j/'o/iof/r.,  II,  j).  296,  not.  2,  ont  répété  cette  erreur,  en  disant  que 
tous  deux  sont  morts  le  21  noveml)re  1361.  Cependant  les  deux  Chroniques  disent  très 
bien  que  la  reine  est  morte  avant  l'arrivée  du  roi  Jean  à  Paris  (13  décembre  1360),  et 
que  Philippe  est  mort  après. 

2.  FuoissAiiT,  p.  61.  Glioue,  \).   lO. 

3.  Voy.  EuBEL,  Hierarch.  callioL,  I,  p.  71. 

4.  Recj.  Val.  Urbani  V,  n"  252,  fol.  45'',  ad  an.  1363,  Januarii  19:  «  Dil.  fîliis  abbati 
monasterii  S.  Martini  et...  priori  S.  Simphoriani  ac  cantori  ecclesie  Eduen.  salulom. 
etc.  Petitio  ven.  i'v.  nostri  Gaufridi  episcopi  Eduen.  nobis  nuper  exhibita  continebat, 
quod  tempore  quo  ipse  fuitperfe.  re.  Innocentium  papamVI,  predecessorem  nostrum 
ad  ecclcsiam  Eduen.  promotus,  nonnuUa  ex  castris,  domibus,  grangiis  et   aliis  edili- 


404  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

que  la  grande  Compagnie  se  divisât,  soit  qu'au  commencement  il 
y  ait  eu  plusieurs  groupes,  on  distingue  pour  le  moins  trois  bandes 
portant  chacune  le  nom  de  Grande  Compagnie  des  Anglais  et 
ennemis  de  France.  Deux  de  ces  bandes  avaient  la  prépondérance, 
et  «  la  plus  grande  et  la  plus  forte  »  des  deux  était  comme  une 
arrière-garde*.  L'une  d'elles,  cette  dernière,  à  mon  avis,  passa 
devant  Chalon-sur-Saône  ^,  où  furent  longtemps  des  routiers  qui 
ne  purent  s'emparer  de  cette  ville,  mais  qui  en  brûlèrent  et  déva- 
stèrent les  faubourgs.  Le  couvent  des  Carmes  fut  détruit  à  cette 
occasion  ou  l'année  suivante,  et,  en  1362,  le  roi  Jean,  alors  à  Cha- 
lon,  accorda  aux  religieux  une  place  dans  la  ville  ^.  Quand  la 
Compagnie  la  plus  importante  envahit  le  CharoUais  et  le  Mâcon- 

ciis  ejusdem  ecclesie  tam  propter  guerras  que  in  illis  partibus  viguerunt,  quani  etiam 
propter  v  etustatem  eoruni,  quedam  vero  propter  incuriam  bo.  me.  Reginaldi  episcopi 
Eduen.  predecessoris  sui  aut  procuratorum  suorum,  adeo  erant  diruta,  consumpta, 
destructa  et  deteriorata,  quod  pro  quinque  millibus  florenoruni  auri  non  poterant 
comode  reparari,  et  quod  licet  ideniReginaldus  episcopus  seu  heredes  sui,  si  extarent. 
ad  reparationem  eoruni  tenerentur,  ac  eorum  bona  sint  propterea  obligata,  ipse 
tamen  Gaufridus  episcopus  ab  eisdem  heredibus,  vel  alias  pro  eo  quod  heredes  aliqui 
vel  aliqua  bona  ejusdem  Reginaldi  episcopi  non  extant,  unde  hoc  fieri  valeat,  nichil 
potuit  seu  sperat  recuperare  vel  habere.  Quare  nobis  humiliter  supplicavit  ut...  pro- 
videre  sibi  super  hoc  de  oportuno  remedio  paterna  solicitudine  curaremus.  Nos  igi- 
tur...  discretioni  vestre  per  ap,  scripta  mandamus  quatenus  vos  vel  duo,  etc.  de  pre- 
missis  diructionibus,  consumptionibus,  destructionibus  et  deteriorationibus,  etc.  vos 
plenius  informetis...  et...  declaretis  prefatum  Gaufridum  aut  heredes  vel  successores 
suos  ad  reparationes  hujusmodi,  nisi  ad  tantum  quantum  de  bonis  prefati  Reginaldi 
episcopi  forsan  recuperaverint,  pro  reparationibus  faciendis  aliquatenus  non  teneri... 
Datum  Avinione  xiiii  kal.  Februarii  anno  I.  » 

1.  Voy.  deux  documents  dans  Guigue,  1.  c,  Pièces  justif.,  n°'  29,  30. 

2.  FouQUE,  Hist.  de  Chalon-sur-Saône  (1844),  p.  260,  ne  donne  pas  une  date. 

3.  Suppl.  Urbani  V,  n"  34,  fol.  124,  ad  an.  1362,  Decembris  14  :  «  Supplicant  S.  V. 
devoti  filii  oratores  vestri...  prior  et  ceteri  fratres  conventus  civitatis  Cabilonen.  Ord. 
frat.  B.  Marie  de  Monte  Carmeli,  quatenus  cum  noviter  gens  inimica  regni  Francie 
perversarum  societatum,  incursum  faciens,  et  multa  dampna  inferens,  sicut  notorium 
est,  in  civitatem  predictam,  incendio  concremaverit,  consumpserit  et  dextruxerit 
conventum  dictorum  fratrum  extra  muros  civitatis  predicte,  et  filius  vester  illustris 
dominus  rex  Francorum  eisdem  fratribus  et  divino  cultui  compatiens  pie  devotionis 
alîectu  ex  liberalitate  regia  eisdem  fratribus  quamdam  plateam  cum  quadam  parva 
domo  infra  dictam  civitatem  donaverit  et  amortizaverit,  dignemini  de  misericordia 
solita...  eisdem  priori  et  fratribus  concedere  licentiam  recipiendi  locum  infra  dictam 
civitatem  pro  novo  conventu  eorum  ac  habendi  [et]  construendi  cum  oratorio,  cam- 
pana,  campanili,  cimiterio  ac  oflîcinis  necessariis  —  Fiat.  B.  Dat.  Avinione  xviiij  kal. 
Januarii  anno  primo.  »  La  bulle  de  la  même  date  se  trouve  dans  Reg.  Aven.  Urb.  V, 
n°  6,  fol.  333»^.  Voy.  la  charte  du  roi  Jean,  d\jctobre  1362,  par  laquelle  il  donne  aux 
Carmes  un  plâtre  et  une  maison  dans  la  rue  de  Cornillon,  publié  par  Guigue,  1.  c, 
Pièc.  jnslif.,  n°  47,  et  inutilement  une  autre  lois  par  E.  Petit   dans  }fémoires  de  la 


LES  coMPA(;Mr:s  dans  le  midi  jisqi'e.n   l36o  iOo 

nais,  le  18  février  1361,  ces  pays  furent  terriblement  ravagés  K  Les 
deux  autres  bandes  avaient  déjà  gagné  du  terrain;  l'une  était  dans 
le  Lyonnais  le  16  janvier,  et  l'autre  approchait  alors  du  Beaujolais  -. 
Tout  le  plat  pays  fut  saccagé.  Saint-Symphorien-le-Châtel,  en 
Lyonnais,  fut  assiégé  pendant  que  la  Compagnie  du  Beaujolais 
avançait  en  Forez  où,  vers  le  18  mars,  elle  s'empara  du  prieuré 
bénédictin  fortifié  d'Estivareilles.  Le  prieur  et  les  siens  furent  mis  à 
rançon,  quelques  hommes  furent  tués.  Ce  prieuré  fut  longtemps 
occupé,  car  lorsque  cette  bande  l'abandonna  au  commencement  de 
1362,  survint  celle  du  gascon  Petit-Meschin ,  encore  au  service  de 
la  France  quelques  mois  auparavant,  qui  l'occupa  de  nouveau, 
dévasta  tout  le  pays  et  déroba  aux  habitants  tout  ce  qu'ils  possé' 
daient  ^. 

Il  paraît  que  plusieurs  mois  avant ,  d'autres  bandes ,  venues 
du  Midi,  avaient  pris  la  direction  de  l'Auvergne  pour  entrer,  disait- 
on,  en  Bourgogne.  Au  moins  le  13  juillet  1361,  «  trois  grosses 
batailles  d'ennemis  »,  c'est-à-dire  trois  Compagnies,  étaient  assem- 
blées en  Auvergne  pour  ravager  le  comté  ^.  Peut-être  étaient-ce 
quelques  bandes  détachées  des  trois  Compagnies  infestant  le  Lyon- 
nais et  le  Beaujolais  qui,  en  janvier  ou  février,  s'avançaient  encore 
sur  Avignon  comme  l'écrit  Villani,  ou  vers  Pont-Saint  Esprit  pour 
y  renforcer  les  Compagnies  déjà  établies  en  ce  dernier  lieu;  mais 
on  ne  peut  rien  affirmer.  Les  Compagnies,  croissant  comme  des 
champignons  pendant  la  nuit,  se  formaient  et  se  multipliaient  par- 
tout autour  des  capitaines,  et  jamais  on  n'arrivera  à  préciser  leur 
nombre  ou  leur  marche  exécutée  avec  une  activité  dévorante.  Leur 
tactique,  qui  était  d'opérer  par  surprise,  nous  donne  la  raison  de 
ces  marches  accélérées.  Il  paraît  certain  que  pour  beaucoup  de 
Compagnies ,  les  lieux  de  rendez-vous  aient  été  le  Lyonnais ,  le 
Beaujolais,  le   Forez  et  l'Auvergne.  Suivant  Froissart ,  une  partie 

Soc.  bourguignonne  de  Géographie  et  d'Histoire.,  t.  VII  (1891),  p.  305.  Mais  ce  der- 
nier a  tort  de  dire,  p.  306,  que  la  bulle  d'Urbain  est  de  Tannée  1366.  C'est  ce  mona- 
stère des  Mendiants  que  Luge,  Du  Guesclin,  p.  498,  not.,  nomme  «  abbaye  fortifiée 
de  Notre-Dame  du  Mont-Carmel  »  ! 

1.  Guiftut:,  1.  c,  Pièces  juslifical.,  n"  52,  p.  2S0. 

"2.  Les  deux  documents,  n**'  29  et  30,  dans  Giiciuii, 

3.  GuiGUE,  1.  c.  Pièces  justif.,  n*  31. 

4.  Voy.  le  document  cité  dans  Chkkest,  LArchiprêlre.  p.  135,  not.  2.  On  croyait  en 
Auvergne  que  ces  Compagnies  voulaient  envahir  la  Bourgogne. 


406  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  ces  bandes,  en  passant  par  Montbrison,  s'empara,  avant  le  23 
février  1362,  du  château  de  Briguais,  placé  au  Sud-Ouest,  mais 
presque  aux  portes  de  Lyon  ;  une  autre  occupa  le  château  de  Rive- 
de-Gier  *,  situé  un  peu  plus  loin  mais  dans  la  même  direction.  Vers 
le  Nord-Ouest,  les  ennemis  étaient  maîtres  de  Gharlieu  et  de  Marci- 
gnj-les-Nonnains,  où  était  un  prieuré  bénédictin.  Tout  le  pays  fut 
saccagé  -.  Ainsi  les  contrées  qui  s'étendaient  des  bords  de  la  Saône 
et  du  Rhône  à  ceux  de  la  Loire  et  de  l'Allier  étaient  envahies  par 
les  Compagnies.  Dès  le  commencement  de  mars,  nous  voyons  que 
Saugues,  en  Gévaudan,  vers  les  frontières  du  Velay  et  de  l'Auvergne, 
était  au  pouvoir  de  Perrin  Boias  ou  Pierre  Bœuf,  capitaine  d'une 
Compagnie  -^  qui  avait,  ce  semble,  des  intelligences  avec  celles  des 
Lyonnais. 

Si  Lyon  était  menacé,  la  sénéchaussée  de  Beaucaire,  de  laquelle 
relevaient  les  trois  grands  bailliages  du  Gévaudan,  du  Vivarais  et 
du  Velay  ne  l'était  pas  moins,  par  suite  de  l'occupation  de  Saugues. 
Pour  se  débarrasser  d'un  aussi  incommode  ennemi,  Armand, 
vicomte  de  Polignac,  et  quelques  autres  seigneurs  vinrent  assiéger 
Saugues  et  appelèrent  à  leur  aide  Arnoul  d'Audrehem^,  qui,  dès  le 
12  mars,  était  en  effet  devant  cette  ville  avec  les  Espagnols,  placés 
sous  les  ordres  de  Henri  de  Trastamare.  Le  25  mars,  fut  conclu 
avec  Perrin  Boias  un  accord  en  vertu  duquel  les  routiers  évacuèrent 
la  place  le  même  jour  '^.  Malheureusement,  ne  prévoyant  pas  Taction 
des  Compagnies  dans  le  Lyonnais,  Arnoul  retourna  pour  un 
moment  en  Languedoc. 

A  l'instar  d'Arnoul  d'Audrehem,  qui  était  lieutenant  du  roi  en 
Languedoc,  Jean  de  Melun,  comte  de  Tancarville,  chambellan  de 
France,  fut,  dès  le  25  janvier  1362,  institué  lieutenant  du  roi  dans 
le  duché  de  Bourgogne ,  les  comtés  de  Champagne  et  de  Brie,  les 

1.  Cf.  le  document  cité  dans  Ciiérest,  1.  c,  p.  159,  not.  2.  Cf.  Guioia:,  1.  c,  Pièces 
jusfif.,  p.  222.  Almjt,  Les  Bouliers  au  XIV"  siècle,  etc.  (1856),  ne  donne  pas  des  ren- 
seignements plus  abondants  ni  plus  exacts  que  les  deux  savants  cites. 

2.  Gmigue,  Pièces  justifie  ni. ,  n"  35  et  p.  61,  not.  2. 

3.  Pelil  TJinlniuus,  \).  360.  Arnoul  d'Audrehem  écrit  dans  une  lettre  de  1364  (Bibl. 
Nat.  Paris.,  10002,  fol.  48)  :  Petrus  Bovis.  Cf.  U.  Chevalier,  Cartulnire  de  Vahbaye  de 
St-Chaff're  du  Monastier  (1891),  p.  xxix,  not.  2, 

4.  Mam>et,  Hist.  du  Vélay  (Le  Puy,  1860),  IV,  p.  201. 

5.  Petit  Thalamus,  h  c,  Voy.  E,  Moi^imer,  Arnoul  d'Audrehem,  p.  99  suiv,,  où  sont 
tous  les  détails, 


LES  (jo:\jPAGiMEs  DANS  \a:  MIDI  jlsoi'e.n    13I)'J  iOT 

bailliages  de  Sens,  de  Mâcon,  de  Lyon  et  de  Saint-Pierre-le-Moutier, 
les  duchés  d'Auvergne  et  de  Berry ,  les  comtés  de  Nevers  et  de 
Forez,  les  baronnies  de  Donzy  et  de  Beaujeu.  Far  ordre  du  roi 
Jean,  il  avait  mission  de  marcher  avec  toutes  ses  forces  contre  les 
Compagnies  ^,  de  même  que  Jacques  de  Bourbon,  comte  de  la 
Marche,  qui,  accompagné  de  Pierre  de  Bourbon,  son  fils,  arriva  en 
toute  hâte  avec  ses  contingents  féodaux.  Beaucoup  de  seigneurs, 
avec  leurs  hommes  d'armes,  répondirent  à  Tappel  de  Jacques  de 
Bourbon  -.  Les  (Compagnies  furent  assiégées  à  Briguais  par  les 
royaux;  Arnaud  de  Cervole  était  parmi  eux.  Mais  ces  Compagnies 
avaient  des  intelligences  partout.  Celle  qui,  le  25  mars,  avait  rendu 
Saugues  à  Arnoul  d'Audrehem  ,  marchait  à  Briguais,  opérant  sa 
jonction  avec  les  Compagnies  stationnaires.  Une  fois  réunies  et 
peut-être  au  nombre  de  10.000  hommes,  elles  surprirent  et  écra- 
sèrent les  troupes  royales  du  comte  de  Tancarville  et  de  Jacques  de 
Bourbon,  le  6  avril  13(52  '^. 

Les  royaux  avaient  méconnu  la  force  des  Compagnies,  qu'ils 
croyaient  trop  indisciplinées  pour  tenir  tête  à  une  armée  régulière  ;  ils 
devaient  payer  cher  leur  méprise.  Malheureusement,  cette  témérité 
se  manifestera  encore  bien  des  fois  jusqu'à  nos  jours,  malgré  les  ter- 
ribles leçons  de  l'histoire.  Cette  défaite  des  seigneurs  prouve  encore 
à  nouveau  que  l'armée  qui  prend  l'offensive,  a  souvent  bien  des 
avantages  sur  la  partie  défensive  qui  n'occupe  pas  une  forte  position. 

Cette  bataille  est  la  dernière  qui  eut  lieu  sous  le  règne  du  roi 
Jean,  et  elle  fut  perdue.  Un  grand  nombre  de  gentilshommes  suc- 
combèrent :  entre  autres  Jacques  de  Bourbon  et  son  fils,  Louis 
comte  de  Forez,  Jean  de  Joigny.  Parmi  les  prisonniers,  on  trouve  : 
le  comte  de  Tancarville,  chef  de  l'armée  vaincue ,  l'Archiprêtre, 
pris  par  son  compatriote,  le  bâtard  de  Monsac;  le  vicomte  d'Uzès, 
Renaud  comte  de  Forez,  et  bien  d'autres^.  Le  maréchal  Arnoul 
d'Audrehem  arriva  à  Lyon  le  9  avril,  c'était  trois  jours  trop  tard. 

1.  Lucii,  Froissnri,  A'I,  p.  x.wi,  not.  J  ;  Du  Guesclin.  p.  365;  CnÉnnsT,  1.  c.p.  1J9. 

2.  Voy.  les  noms  dans  Guigue,  1.  c,  p.  64. 

3.  Petit  Thalamus,  p.  360.  Sur  Ions  les  détails,  voy.  Chéiœst,  1.  c,  p.  166  à  185.  qui 
est  plus  complet  et  plus  exact  (prAi.i.iT,  I.  c.  GrioiK,  p.  61  suiv.,  donne  des  notes 
supplémentaires.  Ces  deux  ouvrages  sont  indispensables  pour  l'étude  de  cette 
bataille,  ou  plutôt  de  ce  carnage. 

4.  Voy.  les  noms  dans  (îuioTi:.  p.  72  sui>-.  ,  75. 


408  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

La  stupeur  et  l'angoisse  étaient  générales.  Lyon  même  n'était 
pas  à  l'abri  d'un  coup  de  main.  Mais  les  bandes  songeaient  bien 
plutôt  à  se  procurer  de  l'argent  en  stipulant  la  rançon  de  leurs 
prisonniers  1  qu'à  exploiter  leur  victoire,  et  nous  les  voyons  encore 
en  avril  se  disperser  en  Bourgogne,  jusqu'à  Tournus,  en  Vivarais, 
à  Bonlieu,  dans  les  environs  d'Annonay  ~,  et  dans  le  haut  et  bas 
Vivarais  3,  d'où  ils  refluèrent  vers  le  Nord,  au  mois  de  juin  ou  de 
juillet  ^.  D'autres  troupes  restèrent  en  Forez  et  dans  le  Lyonnais. 

Avant  de  poursuivre  cette  histoire,  il  est  nécessaire  de  donner 
quelques  renseignements  sur  les  Espagnols  entrés  en  France  sous 
les  ordres  de  Henri  de  Trastamare.  A  l'époque  où  nous  sommes 
parvenus,  ils  étaient  à  la  solde  d'Arnoul  d'Audrehem  et  coû- 
taient assez  cher;  mais  en  1361,  après  leur  entrée  en  France, 
leur  manière  d'agir  ne  permet  pas  de  les  distinguer  des  Compa- 
gnies. Pendant  les  derniers  mois  de  ladite  année,  ils  étendirent 
leurs  ravages  dans  tout  le  Midi.  Le  Minervois  entre  autres,  de  la 
sénéchaussée  de  Carcassonne,  fut  complètement  pillé,  et  la  petite 
ville  d'Angles  brûlée  et  entièrement  ruinée  ^  Mais  cela  ne  leur  suf- 
fit pas.  Quittant  le  Carcassonnais,  ils  terrorisèrent,  au  commence- 
ment de  1362,  les  environs  de.Beaucaire  ^,  et,  chose  ignorée  jusqu'à 
présent,  ils  traversèrent  le  Rhône,  se  répandirent  dans  la  Provence 
et  le  Forcalquier,  comme  nous  le  révèlent  quelques  lettres  d'Inno- 
cent VI  et  d'Urbain  V.  Ils  occupèrent,  en  les  dévastant,  les  terres 
et  possessions  des  églises,  des  monastères,  des  hôpitaux  et  des 
laïques  dans  les  comtats  de  Provence  et  de  Forcalquier;  enfin,  ils 
quittèrent  le  pays,  moyennant  une  forte  somme,  que  les  habitants 
ne   purent  fournir  qu'en  l'empruntant.   Innocent   VI    autorisa   les 

1.  Chéhest,  p.  188  suiv.,  donne  des  exemples. 

2.  Cf.  le  document  dans  GiKii  k,  p.  81,  not.  8.  Ponckr,  Mém.  hisl.  sur  le  Vivarais 
(1873),  IV,  p.  120,  el  Fu^hol,  Hist.  iVAnnonay,  I  (1880),  p.  26 i,  disent  encore  qu'An- 
nonay  fut  pillé  par  les  routiers.  Mais  c'est  une  confusion  avec  Aymar  de  Roussillon. 
Cf.  Mazoiv,  Essai  hist.  sur  le  Vivarais  pendant  la  guerre  de  Cent  ans  (Tournon,  1890), 
p.  50  suiv. 

3.  Cf.  Mazon,  l.  c,  p.  127  suiv.,  où  est  racontée  la  présence  des  Compagnies  dans 
la  région  de  Jaujac.  En  1362,  le  prieuré  de  Charay,  près  de  Privas,  et  la  Chartreuse  de 
Bonnefoi-sous-le-Mézenc  reçurent  des  lettres  de  sauvegarde.  Ihid..  p.  131. 

4.  Voy.  GuiGUE,  1.  c,  p.  S6  suiv. 

5.  Hist.  du  Lanffuedoc,  t.  IX,  p.  737.  not.  2;  L  X,  p.  1303  suiv. 

6.  Voy.  une  lettre  de  rémission  du  roi  Jean.  dansE.  Mommi.h,  Arnoul  d  Aiulrehem. 
p.  109,  not.  4, 


LES    COMPACnMES    DANS    LE    .MIDI    JLSQL'eN    1365  iOO 

ecclésiastiques  à  contribuer  à  cette  rançon  K  Nous  avons  vu  qu'en 
mars  1362,  ces  mêmes  Espagnols,  avec  Arnoul  d'Audrehem^  lut- 
taient à  Saugues  contre  les  Compagnies;  le  3  juin,  quatre  cents 
d'entre  eux,  avec  leur  chef,  Henri  de  Trastamare  ,  étaient  en 
Auvergne,  battant  devant  Montpensier  2  le  bour  de  Breteuil ,  un 
chef  des  routiers. 

Au  même  temps  le  Venaissin  n'était  pas  non  plus  i\  l'abri  des 
Compagnies.  Au  moins,  craignait-on  continuellement  à  Avignon 
qu'elles  se  rapprochassent,  et  envoyait-on,  à  diverses  reprises,  des 
messagers  pour  observer  leurs  courses.  Le  château  de  Lers,  du 
diocèse  d'Avignon,  situé  dans  une  île  formée  par  le  Rhône,  était  un 
point  fort  exposé,  aussi  s'occupa-t-on  sérieusement  de  sa  défense. 
De  plus,  Jean-Fernand  de  Ilérédia  expédiait  des  messagers  en 
plusieurs  lieux  du  Venaissin  jDour  aviser  et  exciter  leurs  capitaines  •'. 

1.  Reg.  Aven.  Innocenlii  VI,  n"  28,  foL  505,  ad  an,  1362,  Mail  2  :  «  Ven.  fratr. 
archiepiscopis  et...  cpiscopis  ac  dil.  fil.  personis  ccclesiasticis  universis  coniitatuuni 
Provincie  et  Forqualquerii  ac  terrarum  adjacentium  et  ad  carissimos  in  Christo  fil. 
nost.  Ludovicum  ref:,emet  Johannam  re^inam  Sicilie  illustres  spectanciumsalutem,  etc. 
Exhibita  nobis  pro  parte  dil.  fil.  senescalli  ac  nobilium  et  comniunitatum  comitatuum 
Provincie  et  Forqualquerii  ac  terrarum  adjacentium...  peticio  continebat  quod  cum 
ipsi  ad  expellendam  de  dictis  communitatibus  societatem  Ispanorum  pestiferani,  qui 
terras,  loca  et  bona  tam  ecclesiaruni  ac  nionasteriorum  et  pioruni  locorum,  quam 
secularium  personarum  eorundem  comitatuum  et  terrarum  adjacentium  hostili  rabie 
destrucbant  et  etiam  occupabant,  pro  servanda  generali  indempnitate  personarum 
ecclesiasticarum  et  secularium  comitatuum  et  terrarum  adjacentium  predictorum 
magnas  fccissent  expensas,  data  tandem  Ispanis  eisdem  magna  pecunie  quantitate, 
quam  pro  niajori  parte  mutuo  receperunt  et  ex  qua  per  eos  dumtaxat  solvendo,  nisi 
per  unum  subsidium  aliqualiter  releventur,  nimium  gravarentur,  vobis  de  vestris 
proventibus  ccclesiasticis  contribuendum  in  expensis  hujusmodi  de  alicjua  congrua 
peccunie  quantitate  licenciam  concedere  dignaremur.  Nos  igitur  cum  aliquibus  dicta- 
rum  comitatuum  et  terrarum  prelatis,  qui  tune  erant  in  Rom.  curia.  collatione  super 
hoc  habita  diligenti  de  ipsorum  consilio  et  assensu  hujusmodi  supplicationibus  incli- 
nati  vobis  de  quarta  parte  décime  proventuum  vestrorum  ecclesiasticorum  secun- 
dum  quod  decimam  ipsam  solvere  consuevistis,  gratuitum  subsidium  pro  dictis 
expensis  hac  vice  dumtaxat  eisdem  nobilibus  et  communitatibus  de  speciali  gratia 
contribuendum...  tenore  presentium  licenciam  impcrtimur.  Dat.  Avinione  vj  non. 
Maii,  anno  decimo  ».  Fol.  505'^  suit  sous  la  même  date  une  lettre  semblable  adressée 
«  Arelaten.  et  Aciuen.  archiepiscopis  ».  D'une  lettre  dT'rbain  V  du  15  mars  1364,  nous 
apprenons  que  les  archevêques  et  les  autres  dignitaires  ecclésiastiques,  séculiers  et 
réguliers,  et  le  sénéchal,  les  nobles  et  les  communes  imposaient  «  quandam  talliam 
generalcm  vmius  floreni  auri  pro  quolibet  foco  comitatuum  ».  Alors  tous  n'a\aient 
pas  encore  payé.  Recj.  Val.,  n"  253,  fol.  57''. 

2.  Petit  Thalamus,  p.  360  suiv. 

3.  Ces  notes  sont  conservées  dans  Introït,  et  e.vit.,  n"  296,  loi.  61  et  61'',  62,  6,s''. 
69,  ad  an.  1362.  August.  Du  «  castrum  de  Lercio    »,   il  y  est  plusieurs  fois  question. 


410  -  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

A  partir  de  ce  moment,  on  peut  abréger  l'histoire  des  Compa- 
gnies en  notant  seulement  les  points  essentiels.  La  situation  d'alors 
peut  se  résumer  ainsi  :  on  luttait  impuissamment  contre  ces  Com- 
pagnies par  le  moyen  des  armes,  le  lieutenant  du  Languedoc,  Arnoul 
d'Audrehem,  ayant  trop  peu  de  troupes  à  opposer  à  ces  bandes 
si  nombreuses  et  si  importantes  ;  de  plus ,  il  manquait  quelque 
peu  de  génie  militaire,  et  n'avait  pas  l'initiative  de  Bertrand  Du 
Guesclin,  qui  luttait  contre  les  Compagnies  du  Nord.  Généralement 
l'affaire  se  réduisait  à  traiter  avec  l'ennemi.  Les  Compagnies  ne 
cherchant  qu'à  obtenir  de  l'argent,  on  les  contentait  en  leur  versant 
de  fortes  sommes  prélevées  sur  les  habitants,  mais  ce  n'était  pas 
toujours  facile.  Les  provinces  du  Midi  et  du  Centre  étaient  déjà 
épuisées.  On  avait  tout  perdu  par  les  ravages,  les  impôts  et  les 
gabelles,  et,  d'autre  part,  on  n'avait  pu  recueillir  le  moindre  gain  '. 

Le  21  juillet,  Arnoul  d'Audrehem,  alors  à  Clermont,  mande  aux 
sénéchaux  que  toutes  les  Compagnies  ont  l'intention  d'envahir  le 
Languedoc,  mais  que  lui-même  se  mettra  à  leur  poursuite  avec  les 
Espagnols  et  ses  gens  d'armes,  et  ordonne  de  mettre  les  vivres  en 
sûreté  dans  les  lieux  forts  '.  Cette  poursuite  ne  fut  pas  sérieuse.  Le 
23,  Arnoul  conclut  à  Clermont,  avec  ces  Compagnies,  un  traité 
en  vertu  duquel  elles  devaient  évacuer  le  royaume  dans  l'espace  de 
six  semaines,  sans  commettre  dès  lors  aucune  sorte  d'excès.  Les 
routiers  s'engageaient  à  prêter  serment  de  foi  et  hommage  au  comte 
de  Trastamare,  qui  les  voulait  employer  pour  faire  la  guerre  à  son 
frère  Pierre  le  Cruel,  roi  de  Castille;  d'autre  part,  on  devait  leur 
payer  100.000  florins  d'or.  Les  sénéchaussées  accordaient  à  Henri 
de  Trastamare  53.000  florins  d'or.  Le  1 3  août,  à  Paris,  un  traité 
complémentaire  intervint  entre  lui  et  le  roi  Jean  ^.  Dès  le  23  août, 
on  voyait  des  Compagnies,  qu'on  appelait  «  la  Grande  Compa- 
gnie'^   »,  passer  Montpellier  et  la   sénéchaussée   de   Carcassonne; 

ainsi  que  «  de  quibusdam  malis  societatibus  que  dicebantur  venirc  »  ou  <<  venturc  ». 
Dès  lors  certaines  pei'sonnes  furent  conduites  sur  l<î  Rhône  à  Avignon. 

1.  On  peut  voir  dans  Dongnon,  Les  Institutions  politi(iiies  du  pays  de  Languedoc, 
p.  604  suiv.,  la  liste  effrayante  des  impôts  et  gabelles  depuis  1356. 

2.  Acte  dans  E.  Molimer,  Arnoul  dWudrehem.  Pièces  justif.,  p.  241. 

3.  Hist.  du  Guesclin,  par  Chastellet,  Preuves,  p.  313  suiv.,  315.  Sur  les  détails, 
voy.  CiiÉuEST,  1.  c,  p.  179  suiv.;  E.  Molimer,  1.  c,  p.  107  suiv.,  110. 

4.  «  Gentes  magne  societatis  »,  le  roi  Jean  dans  Hist.  de  Languedoc,  X,  p.  1298, 
n°  493. 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    JLSQU'en    1365  411 

vers  le  5  septembre,  Henri  de  Trastamare  arrivait  à  Nîmes  avec 
ses  Espagnols,  qui  étaient  la  terreur  de  la  ville  ^  On  crut  être 
débarrassé,  au  moins  pour  un  moment,  d'une  grande  partie  des 
Compagnies;  mais  ce  ne  fut  qu'une  illusion,  car  elles  n'entrèrent 
pas  en  Espagne.  Le  15  novembre  seulement,  elles  reçurent  à 
Pamiers  la  somme  qui  leur  était  due  ;  après  quoi,  elles  se  répandirent 
de  nouveau,  et  furent,  pendant  plusieurs  années,  la  terreur  de  la 
baronnie  de  Mirepoix  dont  les  habitants  s'étaient  enfuis  en  Cata- 
logne"^. Plusieurs  des  Compagnies,  et  ce  fut  le  plus  grand  nombre, 
prirent  parti  soit  pour  le  comte  d'Armagnac,  soit  pour  le  comte  de 
Foix  qui,  alors,  étaient  en  guerre.  Des  Espagnols  même  revenaient 
en  France,  Henri  de  Trastamare  réclamait  la  somme  que  les  séné- 
chaussées lui  avaient  promise'^.  Ainsi,  l'expédition  et  tous  les  efforts 
dirigés  contre  les  Compagnies  avortaient. 

Comme  nous  l'avons  vu  ^,  le  6  juillet  1360,  une  paix  avait  été 
conclue  entre  le  comte  d'Armagnac  et  le  comte  de  Foix  qui  se  dis- 
putaient la  succession  au  comté  de  Bigorre.  Cette  paix  ne  fut  pas 
de  longue  durée,  car  les  hostilités  recommencèrent  peu  de  temps 
après.  Le  19  novembre  1362,  Urbain  V  avait  déjà  appris  que  les 
gens  d'armes  d'une  compagnie  stationnant  en  Gascogne ,  dans  le 
diocèse  de  Comminges,  avaient  pris  au  nom  du  comte  de  Foix  le 
château  de  Saint-Frajou,  en  pillant,  tuant  et  commettant  des  hor- 
reurs. A  cette  occasion,  le  pape  exhorte  le  comte  à  restituer  ce 
château  à  l'évêque  de  Comminges  ^.  Mais  le  comte  de  Foix  n'avait 

1.  Petit  Thalamus,  p.  361  ;  Mi'-.xard,  Jlist.  de  In  ville  de  finies,  II  (nouv.  éd.), 
p.  214  suiv. 

2.  Ilist.  de  Lnn(/uedoc,  X,  p.  1225. 

3.  Voy.  E.  MoLiMEU,  1.  c,  p.  11  i  suiv.,  118  suiv.  C'est  seulement  vers  avril  1363 
qu'il  toucha  tout  ce  qui  lui  était  dû.  Ihid.,  p.  130. 

4.  Ci -dessus,  p.  268. 

5.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n"  245,  fol.  15,  ad  an.  1362,  Novembris  19  :  «  Dil.  filio  nob. 
viro  Gastoni  comiti  Fuxi,  salutem,  etc.  Nuper  ven.  fr.  nostri  Bertrandi  cpiscopi 
Convenarum  lanionfabili  expositione  dolentcr  accepimus  quod  pentes  arniigerc  cujus- 
dam  Societatis,  nunc  in  Vasconic  partibus  existentis,  diocesis  Convenarum,  ingresse, 
castrum  S.  Fragulphi  pleno  jure  spectans  ad  ecclesiam  Convenarum.  tuo  nomine  ac 
favorehostiliteroccuparunt  et  delinent  occupatum.  ipsuni  castrum  spoliando,  eosdcm 
episcopum  et  ecclesiam  ac  in  eo  tam  clericos  quam  laicos  intcrficiendo  crudeliter.  et 
alias  rapinas  et  sacrilegia  committcndo  in  énorme  dampnum  ipsorum  episcoi)i  et 
ecclesie  ac  aliarum  circumstantium  ecclesiarum  et  subditorum  ecclesie  memorate 
[Supplicanle  dicto  Bertrando  episcopo,  eundem  comilem  hortatur  ut,  suarum  =  pro- 
cuni  primitias  ^=  excipiens,  procurct  ut  dictuni  castrum  eideui  episcopo  restiluatur. 


412  LA    GLERKE    DE    CEM    ANS 

probablement  pas  encore  reçu  la  lettre  du  pape  quand,  le  o 
décembre,  j^rès  de  Launac,  s'eng-ageait  entre  lui  et  le  comte  d"Ar- 
mag-nac  une  bataille,  dans  laquelle  ce  dernier  fut  battu  et  fait  pri- 
sonnier avec  plusieurs  nobles  et  quelques  chefs  des  Compagnies  ^ 
Urbain  V  qui,  déjà  avant  la  bataille,  avait  fait  aux  deux  parties  des 
instances  pour  le  rétablissement  de  la  paix,  redoublait  maintenant 
ses  efforts '.  Le  14  avril  1363,  un  traité  fut  conclu;  néanmoins,  le 
comte  d'Armagnac  resta  prisonnier  jusqu'au  commencement  de 
136o,  et  ce  traité  fut  pour  les  Compagnies  une  nouvelle  cause  de 
diffusion,  ainsi  que  cela  s'était  déjà  produit  après  chaque  paix  et 
chaque  trêve.  Cette  fois  il  y  avait  même  une  raison  de  plus,  car  non 
seulement  on  exigeait  du  comte  d'Armagnac  une  rançon  de  360.000 
francs,  mais  plusieurs  chefs  des  Compagnies  étaient  aussi  dans  la 
nécessité  de  payer  des  sommes  énormes  pour  recouvrer  leur 
liberté  ^.  Ils  retournèrent  donc  au  Languedoc  dans  le  dessein  de 
rançonner  les  habitants,  soit  pour  se  procurer  l'argent  dont  ils 
avaient  besoin,  soit  pour  suppléer  à  ce  qu'ils  avaient  déjà  payé. 

Les  bandes  n'exerçaient  pas  seulement  leurs  ravages  dans  le 
comté  d'Armagnac,  mais  encore  dans  celui  de  Bigorre  et  dans  la 
vicomte  de  Béarn.  Ces  deux  provinces  souffrirent  beaucoup  des 
routiers,  surtout  à  partir  de  1307.  Un  des  diocèses  les  plus  atteints 
fut  celui  d'Auch.  Bien  qu'il  ne  soit  pas  exact  que  la  ville  même  de 
ce  nom  ait  été,  de  1357  à  1371,  prise  et  reprise  par  les  différents 
partis  et  livrée  tour  à  tour  au  pillage  ^,  le  diocèse  de  Lombez  n'en 
était  pas  moins  exposé.  Peu  de  temps  avant  le  7  juin  1364,  un 
combat  sérieux  eut  lieu  près  de  Sauveterre,  entre  une  Compagnie 

ac  intérim  evitentur  damna  ipsius  et  incolarum  castri  ejusdem],  Dat.  Avinione  xiii 
kal.  Decembris,  an.I  ».  Du  reste,  ce  diocèse  était,  comme  beaucoup  d'autres,  opprimé 
par  les  gens  du  roi.  Voy.  la  lettre  d'Urbain  V,  du  6  août  1366,  dans  Be(j.  Vat..  n°  248, 
fol.  140»'. 

1.  Petit  Thalamus,  p.  362.  Cf.  Hist.  du  Languedoc,  IX,  p.  747  suiv..  et  A.  Molimeii, 
ib'id.,  p.  748,  not.  1. 

2.  Voy.  Phou,  Etude  sur  les  relations  politiques  du  pape  Urbain  V  avec  le  roi  de 
France  dans  Bibl.  de  VÉcole  des  Hautes-Études,  76  fasc.  (1888\  p.  16  suiv.,  Pièces 
justifie,  iv  5  à  10,  13,  d'après  les  registres  du  Vatican.  Sur  les  négociations,  voy. 
ibid.,  p.  16  suiv. 

3.  Cf.  RouguETTE,  Le  Rouergue  sous  les  Anglais,  éd.  de  1887.  p.  56.  Cf.  encore  A. 
MoMMER,  Hist.  de  Languedoc,  p.  749,  not.  3. 

4.  DicouRNEAu,  Guyenne  hist.  et  monumentale.  4*  partie,  p.  167.  Cf.  par  contre 
Laffohgue, /TiS^  de  la  ville  d'Auch,  I.  p.  89  suiv. 


LIÎS    COMPA(iNrES    DANS    LK    MIDI    JUSQu'eN    \l\{ji)  4i3 

et  desg'ens  des  populations  voisines  qui,  ayant  combattu  sans  avoir 
à  leur  tête  un  chef  expérimenté,  furent  taillés  en  pièces  ^ 

En  13(j2,  même  dans  le  temps  qu'une  partie  des  Compagnies  se 
trouvait  aux  frontières  espagnoles,  le  Languedoc  était  continuelle- 
ment infesté,  et  son  état  empira  lorsqu'au  lieu  d'entrer  en  Espagne 
les  bandes  retournèrent  dans  cette  province.  Dès  lors,  les  Compa- 
gnies n'étaient  pas  seulement  la  terreur  des  trois  sénéchaussées, 
on  les  redoutait  aussi  à  Avignon.  C'est  justement  dans  le  temps 
que  le  Siège  apostolique  était  vacant  par  la  mort  d'Innocent  VI, 
que  le  camerlingue  envoyait  un  messager  vers  Béziers  pour  y  exa- 
miner la  situation  d'une  Compagnie  ~.  Vers  le  même  temps,  au  mois 
d'octobre,  Nîmes  était  menacée,  et  le  danger  augmentait  de  jour  en 
jour  •'^.  Les  bandes  se  répandirent  vers  le  Nord  et  entrèrent  en  Vélay. 
L'abbaye  bénédictine  de  Saint- Chaffre-du-Monastier  fut  tour  à  tour 
occupée  et  saccagée  par  des  bandes  que  commandait  Gautier 
Lescot ,  et,  vers  Noël  1362  ^,  par  Perrin  Boias  qui,  quelques  mois 
auparavant,  se  trouvait  avec  les  Compagnies  aux  frontières  espa- 
gnoles ^.  L'abbaye  fut  abandonnée  par  les  moines  ;  les  tenanciers 
du  monastère,  obligés  de  s'enfuir  dans  les  montagnes,  ne  pouvaient 

1.  Reg.  Val.  Urbani  V,  n°  246,  fol.  211''  à  212,  ad  an.  1364,  Junii  7  :  «  Dil.  fil.  nob. 
viro  Arnullb  domino  de  Audrehem,  marescallo  Francie,  Garoli  régis  Francie  illustris 
in  partibus  Occitanis  locumtenenti,  salulcm,  etc.  Dolenti  significatione  niiper  nobis 
iacta  didicinius  quod  gentes  senescalliarum  Tholose,  Garcassone,  ac  Bellicadri  indul- 
gentiam,  quam  morientibus  in  defensione  patrie  ac  impugnatione  quorumdam  detes- 
tabilium  virorum  de  comitivis,  que  dictas  partes  impugnant...  dudum  concessimus, 
ardorc  devotionis  accense  contra  dictas  comitivas  adco  animose  procédant  quod 
quandoque  pergunt  sine  duce  ydoneo  et  alias  debitum  in  hac  parte  ordinem,  non 
observant,  propter  quod  hiis  diebus  nonnuUe  dictaruni  gentium  apud  Castrum  Salva- 
terre,  Lomberien.  dioccsis,  occubuerunt  gladiis  hujusniodi  dctcstabilium  impiorum, 
[Eundem  hortatur  ut  ordinet  ne  populi  sine  ductore  experto  tam  periculosis  discrimi- 
nibus  se  exponant,  ita  quod  similis  infelix  e\  entus,  quod  absit,  de  cetero  non  contin- 
gat].  Dat.  Avinione  vii  idus  Junii  an.  II.  »  Les  mêmes  lettres  furent  adressées  à 
Béziers,  Montpellier,  Garcassonne,  Narbonne,  Toulouse. 

2.  Arch.  Vat.,  Inlr.  et  exit.,  n"  296,  fol.  70  :  «  ...  De  mandate  domini  camerarii 
Jacobo  Georgii  cursori  domini  pape  misso  ad  explorandum  de  quadam  socictate 
prava,  que  dicebatur  esse  in  partibus  Biterren.,  pro  suis  expensis  factis  m  flor.  ».  Ge 
livre  porte  l'inscription  :  Innoc.  VI.  Manunle  recept.  et  expens.  Cnm.  Ap.  ».  Gette 
partie  du  volume  contient  la  période  qui  s'étend  depuis  la  mort  d'Innocent  (12  sep- 
temlîre  1362)  jusqu'au  6  novembre,  «  qua  die  Urbanus  V  fuit  coronatus  »>. 

3.  MiiNAni),  1,  c,  p.  217. 

4.  Hist.  de  Languedoc,  t.  X,  p.  1306. 

5.  Petit  Thalamu;;,  p.  361.  Cf.  U.  GHEVAi-irn,  Cartnlaire  de  Vabbaye  de  Saint- 
Chaffre-du-Monastier^  p.  xxix,  not.  2. 


414  LA    GL'ËRRE    DE    CENT    ANS 

acquitter  leurs  redevances  ^  Tous  les  environs  étaient  ruinés  par 
suite  des  courses  qu'y  faisait  Perrin  Boias  et  par  l'innombrable 
quantité  d'incendies  qu'il  alluma  dans  tout  le  pays.  C'est  seulement 
le  8  mars  1363  que  Perrin  fut  chassé  par  les  troupes  de  Pierre 
Raymond  de  Rabastens  -,  sénéchal  de  Beaucaire  ^  ;  mais  cela  servit 
peu.  Dans  la  même  année,  nous  trouvons  en  Vélay  le  chef  le  plus 
redoutable  des  Compagnies,  Seg-uin  de  Badefol,  duquel  les  habi- 
tants ne  surent  se  débarrasser  qu  en  composant  «  cum  ipso  et  ejus 
tirannida  societate  ».  Ceci  ce  passait  dans  les  premières  semaines 
qui  suivirent  l'occupation  de  Brioude  en  Haute-Auvergne  par 
Seguin.  Il  vint  accompagné  d'une  cohorte  de  gens  d'armes  jusqu'à 
Vals-le-Chastel  et  Paulhaguet,  non  loin  du  Puy  ;  là,  ils  emprison- 
naient les  habitants  qu'ils  rencontraient,  les  rançonnaient  en  les 
menaçant  d'arracher  leurs  vignes,  et  commettaient  de  telles 
cruautés  que  les  consuls  du  Puy,  pour  éviter  un  plus  grand  mal, 
étaient  également  obligés  de  composer  avec  Seguin.  Le  13  octobre 
1363,  Arnoul  d'Audrehem  lui-même  autorisa  les  habitants  du 
Vélay  à  s'imposer  une  aide  extraordinaire  pour  payer  rançon  à  ce 
brigand^. 

Un  autre  capitaine  des  Compagnies,  lieutenant  de  Bertucat  d'Al- 
bret,  ((  Sobrossa  ^  »,  qui  avait  le  commandement  de  mille  cavaliers, 
prit  et   incendia   Florac   en  Gévaiidan^   au    mois  de   mars    1363  ^. 


1.  MÉXARD,  aiic.  éd.,  II,  Preuves,  n°  155;  nouv.  éd.,  p.  211. 

2.  Cf.  Bahdox,  Hist.  de  la  ville  d'Alais,  p.  63,  no  .  2, 

3.  Voy.  E.  MoLiMiîR,  Vie  d' Arnoul  d'Audrehem,  p.  164,  not.  6,  et  Pièces  justifica- 
tives, p.  312  siiiv.  Les  faits  y  sont  placés  à  Tan  1364.  Mais  je  crois  qu'on  doit  distin- 
guer deux  in\asions,  la  première  celle  de  Seguin  de  Badefol,  en  1363,  après  la  paix 
de  Brioude,  et  celle  de  Louis  Roubaut,  lieutenant  de  Seguin,  en  1334.  Les  faits  sont 
sûrs,  mais  il  y  a  des  difficultés  pour  les  dates. 

4.  MÉNARo,  Preuves,  n"  142  ;  Luge  dans  Froissart,  p.  xxxiv,  not,  1. 

5.  BoiJDET,  La  Jacquerie  des  Tucliins,  U 63-138^4,  p.  12,  not.  4,  écrit  Fabrossa  ou  de 
Fabrousse.  Mais  il  se  peut  que  ni  Tun  ni  l'autre  ne  soit  le  vrai  nom.  Au  moins  dans 
la  lettre  de  Grégoire  XI  du  23  avril  1372,  dans  laquelle  plusieurs  chefs  des  Compagnies 
reçoivent  l'absolution  et  les  pénitences  (voy.  ci-dessous,  §  8),  Tun  d'eux  est  appelé  : 
Bernardus  de  Sabresia  (aussi  Sabrosia),  et  il  est  nommé  avec  Bernard  de  Mauléon  et 
Mingot  de  Ceritola.  Boudet  y  fait  encore,  par  erreur,  deux  personnages  de  «  Penim- 
bourg  »  et  de  «  Perrin  Boias  ». 

6.  MÉNARn,  1.  c,  n°  128.  Prouzet,  Annales  pour  servir  à  Vhist.  du  Gévaudan  (1843 
suiv.),et  Hist.  du  Gévaudan  (1846  suiv,),  ne  donne  pas  de  renseignements  nouveaux. 
De  BuRDiiX,  Documents  histor.  sur  la  province  de  Gévaudan  (1846,  1847)  est  absolu- 
ment inutile  pour  cette  époque. 


LES    COMPAGxNIES    DANS    LE    MIDI    JLSQu'eN    ^  3Go  HT) 

Bientôt,  les  Compagnies  se  montrèrent  tout  près  de  Mende  i,  et  le 
19  août,  Bérard  d'Albret,  Tonnet  de  Badefol,  frère  de  Seguin,  et 
quelques  autres  s'emparèrent  du  château  voisin  de  Baleine  ;  ayant 
rançonné  les  habitants,  ils  abandonnèrent  le  château  après,  quinze 
jours  2,  Le  Gévaudan  ne  fut  pas  pour  cela  débarrassé  des  Compa- 
gnies. Après  s'être  emparées  du  château  de  La  Roche,  au  diocèse  de 
Saint-Flour,  elles  firent,  en  13Gi,  des  incursions  dans  le  diocèse 
de  Mende,  dévastant  les  terres  des  habitants  et  causant  partout  de 
grands  dommages.  Urbain  V  en  avisait  le  sénéchal  de  Beaucaire  et 
l'engageait  à  aider  la  population  qui  se  préparait  à  chasser  les 
bandes  '^\  Peut-être  les  malheureux  habitants  du  Gévaudan  s'en 
tirèrent-ils  avec  succès;  mais  bientôt  après,  en  1360,  ils  furent  cri- 
blés de  nouveau  par  des  sujets  du  prince  de  Galles  qui,  après  s'être 
emparés  des  hommes  et  des  animaux,  les  emmenaient  avec  eux'*. 
Nous  avons  déjà  vu,  dans  le  troisième  chapitre  J,  qu'une  des 
provinces  les  plus  malheureuses  était  la  Haute- Auvergne \  déjà,  le 

1.  MÉNAUD,   1.   C. 

2.  Petit  Thnlnmus,  p.  363.  Dans  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  741,  maie  ad  an.  1362. 

3.  Recf.  Vat.  Urhnni  V,  n"  2  46,  fol.  260^  ad  an.  1364,  Julii  24  :  «  DiL  fil.  nob. 
viro  Pctro  Raymûndo  de  Rapistagno,  domino  de  Campagnaco,  senescallo  Bellicadri, 
salutem,  etc.  Sicut  tua  nobilitas  non  ignorât,  dudum  perverse  illegentes  comitivarum 
castrum  de  Rupe,  Sancti  Flori  dioces.,  invaserunt  ac  detinuerunt,  prout  detinent 
occupatum,  et  inde  Mimatcn.  diocesim,  que  in  tua  senescallia  consistit,  discurrunt, 
messes  et  alla  bona  eccclesiarum  et  incolarum  illius  patrie  dévastant  et  consumunt, 
ipsisque  incolis  et  ecclcsiasticis  personis  ejusdcm  patrie  multiplicia  dampna  inférant 
et  jacturas.  Propter  que,  sicut  nuper  audivimus,  gentes  ipsius  patrie  se  préparant  ad 
expellendum  occupatores  hujusmodi  [Rogateundem  ut  auxilium  ferat  in  praemissis]. 
Dat.  Avinione  ix  kal,  Augusti  an.  II  ». 

4.  Reg.  Vat.  Urhani  V,  n"  248,  fol.  95,  ad  an.  1366,  Maii  27  :  «  Dil.  fil.  nob.  viro 
Edwardo,  Aquitanie  et  Wallie  principi,  salutem,  etc.  Audivimus  nuper  admodum 
displiccnter  quod  gentes  tue  scu  tui  scncscalli  Ruthenen.  terram  regni  Francie  in 
patria  Mimatcn.,  de  qua  originem  traximus,  liostiliter  intravcrunt,  homines  et  anima- 
lia  capiendo  et  etiam  abducendo.  Gum  itaque  de  hiis,  si  vera  sint,  eorum  causam 
ignorantes,  plurimum  adniircmur  et  proinde  ofï'ensis  gentibus  dicte  patrie,  quas  inno- 
centes credimus,  singulari  compatiamur  all'ectu,  et  gentes  régie  prout  nobis  dixerunt 
parate  sint  pro  se  et  incolis  dicti  regni  stare  juri  super  omnibus  tuis  et  tuorum  subdi- 
torum  querelis,  quas  tu  et  ipsi  vclletis  faccre  contra  eos,  nobilitatem  tuam  paterne 
rcquirimus  et  rogamus  attente  ([uatenus  super  tante  olï'ense  satisfactione  sic  vclis 
eflicaciter  et  celoriter  providere,  quod  exinde  aliud  majus  scandalum  non  succrescat. 
Dat.  Avinione  vi  kal.  Junii  anno  IV  ».  Suivent  des  lettres  du  même  sujet  adressées 
«  nobili  viro  Johanni  de  Ghandos,  vicecomiti  S.  Salvatoris  »,  et  «  nob.  viro..  senes- 
callo Ruthenen.  ».  Du  reste,  on  peut  voir  d'autres  documents  dans  Prou,  Étude  sur 
les  relations  politiques,  etc.,  p.  103,  n°  21,  p.  107,  n"  23. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  262. 


416  LA    GUEURK    DE    CENT    AN^ 

2  juin  135 i,  le  diocèse  de  Saiiit-Flour  avait  reçu  la  bulle  Ad  repri- 
jïiendasK  La  situation  devint  plus  précaire  en  13G1,  quand  éclata 
la  révolte  de  Thomas  de  la  Marche,  bâtard  de  France,  lieutenant  du 
duc  de  Bourbon  dans  les  Montag-nes,  qui  avait  été  destitué  de  tous 
ses  biens  lors  de  la  création  du  duché  de  Berry  et  d'Auvergne  en 
octobre  1360  et  à  la  suite  d'un  différend  avec  le  comte  dauphin. 
Exaspéré,  Thomas  pour  se  dédommager  se  jeta  dans  le  brigandage  ; 
il  occupa  dix-sept  châteaux  dans  le  nord-est  du  diocèse  et  mit  tout 
à  feu  et  à  sang  sur  son  passage.  Les  paysans,  désertant  en  masse 
les  villages,  fuyaient  à  son  approche  pour  se  réfugier  dans  les  villes 
closes  entre  Saint-Flour,  Brioude  et  le  Puv.  Au  retour,  ils  trou- 
vèrent  leur  pays  couvert  de  décombres  et  réduit  à  la  famine  -.  Saint- 
Flour  même  fut  attaqué,  et  ses  faubourgs  furent  plusieurs  fois 
brûlés  2.  En  13()2,  l'état  de  la  ville  empira  quand  les  Compagnies 
anglaises  et  espagnoles  l'attaquèrent  successivement.  Le  chef  des 
premières  était  un  certain  Sennezergues,  celui  des  bandes  espa- 
gnoles était  don  Sancho  \  frère  de  Henri  de  Trastamare.  Pour 
comble  de  malheur,  les  Compagnies  de  Bertucat  d'Albret  et  de 
Seguin  de  Badefol  dévastaient  aussi  le  pays.  Le  premier  s'empa- 
rait du  château  de  Montbrun,  près  de  Saint-Flour,  ce  qui  met- 
tait en  danger  cette  dernière  ville.  Vers  le  mois  de  juin,  les 
troupes  de  Saint-Flour,  composées  de  quatre  ou  cinq  cents 
hommes,  marchèrent  contre  l'ennemi  et  lui  livrèrent,  sous  les  murs 
de  Montbrun ,  une  bataille  dans  laquelle  trois  cents  Sanflourains 
furent  tués  ou  blessés,  mais  où  Bertucat  d'Albret  fut  fait  prison- 
nier ^  Mis  en  liberté  par  l'entremise  du  vicomte  de  Murât,  Bertucat 
marcha  contre    Saint-Flour,    comme    le    faisaient    également    les 


1.  Recf.  Aven.  Gregor.  XI,  n"  21,  fol.  313''.  Grégoire  XI  confirma  la  bulle  d'Innocent 
le  12  avril  1374. 

2.  P.  Anselme,  l.  VII,  p.  704;  CnASSAixa,  Spicil.  Brivalense^p.  \uï,  et  p.  356,  n"  130; 
BOUDET,  1.   c,  p.  12. 

3.  BouDET,  Assauts,  sièges  et  hlocus  de  Saint-Flour,  dans  la  Revue  d'Auvergne, 
9«  année  (]893;t,  p.  344  suiv. 

4.  Voy.  la  lettre  de  rémission  de  1366  dans  Hist.  de  Languedoc,  t.  X,  p.  1370.  Je  ne 
comprends  pas  pourquoi  A,  Mommer,  ibid.,  et  not.  1  ;  IX,  p.  775,  not.  1,  2"  col.,  et 
BouDET,  1.  c,  p.  344,  écrivent  «  Fanho  »,  ou  «  Dontanho  »,  comme  écrit  le  ms. 

5.  BotiDET,  p.  341  suiv.  Il  est  aussi  question  de  ce  combat  de  Montbrun  dans  Hist, 
de  Languedoc,  X,  p.  1368,  1371. 


LKS    COMPAGNIES    1)ANS    LE    3HDI    JLîSQu'eN    136îj  417 

troupes  du  vicomte.  Dans  la  même  année,  Murât,  Pierrefort,  Saint- 
Urcize  furent  détruits  et  les  faubourgs  de  Saint-Flour  dévastés  ;  la 
misère  de  la  population  était  extrême  ^ 

Le  13  septembre  1363,  avec  une  grande  Compagnie,  Seguin  de 
Badefol  s'emparait  de  Brioude  -  où  était  un  célèbre  chapitre,  dont 
la  prévôté  était  alors  au  cardinal  Pierre-Roger  de  Beaufort  qui, 
quelques  années  après,  devint  pape  sous  le  nom  de  Grégoire  XI. 
Badefol  avait  bien  calculé.  Le  chapitre,  composé  de  quatre-vingts 
chanoines,  en  général  de  nobles  familles,  était  très  riche  et  avait  de 
grandes  possessions  ;  la  ville  même  était  peuplée  et  très  opulente  •^. 
Quel  butin  en  perspective  !  En  effet,  Téglise  et  le  chapitre  furent 
dépouillés  d'une  façon  déplorable  ^,  les  chanoines  rançonnés ,  et 
quelques-uns    maltraités,    comme    le    raconte   Urbain    V    qui,    le 

1.  BouDET,  p.  342  suiv. 

2.  Petit  Thalamus,  1.  c.  Mazure,  VAuverçfne  au  quatorzième  siècle,  p.  43  suiv.,  48, 
et  Saint-Ferhéol,  Notices  hisl.  sur  la  ville  de  Brioude,  p.  44,  sont  inexacts  sur  ce 
point  et  sur  les  faits  connexes. 

3.  Clément  VI  adressait,  le  l*""  juillet  1342,  cette  lettre  au  chapitre  :  «  Dil.  fil.  capi- 
tule ecclesie  Brivaten.  ad  Rom.  ecclesiam  nullo  medio  pertinentis  Sancti  Flori  dioc. 
salutem.  Ecclesiam  vestram...  Sane  petitio  vestra  nobis  exhibita  continebat  quod  in 
ecclesia  vestra,  que  ab  omni  lege  dyocesani  exempta  per  specialia  sedis  apostolice 
privilégia  et  eidem  sedi  immédiate  subjecta  fore  dinoscitur  ,  octuaginta  canonici, 
quasi  omnes  persone  notabiles,  mitras  velut  episcopi  déférentes,  existunt,  de  quorum 
numéro  quatuor  prelati,  videlicet  Anicien.  et  Mimaten.  episcopi,  nec  non  Case  Dei 
Glaramonten.  dioc.  et  Majoris  Monasterii  Turonen.  monasteriorum  abbates,  O.  S.  B., 
qui  sunt  pro  tempore,  fore  noscuntur,  ex  privilégie  sedis  apostolice  speciali,  quodque 
ipsa  ecclesia  alias  est  insignis,  tum  propter  plures  comités,  vicecomites,  dalphinum, 
barones  et  potentes  alios  qui  dicte  ecclesie  sunt  vassalli,  tum  etiam  quia  vos  omnia 
et  singula  que  episcopus  in  suis  civitate  et  diocesi  exercerepotest  (hiis  que  sunt  ordi- 
nis  episcopalis  dumtaxat  exceptis),  potestis  in  dicta  ecclesia  [exercerej  et  etiam  exer- 
cetis,  quodque  si  clerici  sub  ea  forma  litteras,  secundum  quam  pro  pauperibus  cleri- 
cis  beneficiandis  interdum  dicta  sedes  scribere  consuevit,  a  sede  predicta  pro  tem- 
pore impétrantes  pretextu  litterarum  ipsarum  admitterentur  ad  canonicatus  et  pre- 
bendas  vcstre  ecclesie  memorate,  derogaretur  honori  et  nobilitati  ejusdem  ac  bono- 
rum  et  jurium  ipsius  defensio  dcmeretur...,  nos  vobis  quod  clerici  ab  cadem  sede  in 
predicta  forma  pro  tempore  impétrantes  pretextu  litterarum  ipsarum  jus  in  prebendis 
ejusdem  Acstre  ecclesie  habcrc  seu  vindicare  non  possint...  indulgemus.  Dat.  Avinione 
kal.  Julii  anno  primo  »  [Reg.  Vat.,  n°  155,  ibl.  l"i).  Encore  un  siècle  après,  en  1  iG2, 
le  chapitre  dit  qu'il  a  «  multa  magna  et  notabilia  terras,  redditus  atque  dominia  conti- 
gua  et  co[h]erentia  terris  et  dominiis  comitum,  baronum  et  aliorum  majorum  dicte 
patrie,  necnon  in  villa  Brivaten.  populata  et  valde  locuplete  omnimodam  jurisdictio- 
nem  »  {Reg.  Vat.,  n"  534,  fol.  282''). 

4.  Lettre  d'Urbain  V,  adressée  au  prince  de  Galles,  le  3  octobre  1363,  dans  Reg. 
Vat.,  n"  245,  fol.  269;  Moisaxt,  Le  Prince  Noir,  p.  267  suiv.  Mais  cet  auteur  identilie 
«  Brivacen.  »  [sic)  avec  «  Brives  »  !  Le  pape  s'adressa  au  prince,  parce  que  Badefol 
et  beaucoup  de  ses  bandes  étaient  de  ses  sujets  ou  des  Anglais. 

R.  P.  Denikle.  — Desolatio  ecclesiarum  II.  27 


418  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

25  novembre  13Gi,  adressait  à  ce  sujet  à  l'archevêque  de  Lyon 
et  aux  évêques  du  Puy  et  de  Saint-Flour  la  bulle  Ad  reprimen- 
dasK  Cette  même  bulle  fut  donnée  le  24  janvier  1365  pour 
la  ville  de  Turlande,  dont  la  paroisse  et  toute  la  ville  étaient 
incendiées  -.  Pendant  l'occupation  de  Brioude ,  les  bandes  de 
Seguin  faisaient  main  basse  sur  tout  ce  qu'ils  trouvaient  dans  les 
Montag-nes  et  les  provinces  voisines,  et  cela  dans  un  immense 
rayon  ;  Brioude  était  devenu  un  vaste  magasin  de  butin. 

Il  paraît  qu'après  la  prise  de  Brioude,  une  bande  de  trois  cents 
glaives  se  détacha  de  Seguin  de  Badefol  pour  aller  à  Beaucaire. 
C'est  de  la  venue  de  cette  bande  que  les  Alaisiens,  avisés  par  les 
consuls  de  Mende,  préviennent  les  Nîmois  le  30  septembre  ^.  Dans 
les  premiers  jours  de  septembre,  les  sénéchaussées  de  Beaucairtï  et 
de  Carcassonne  s'étaient  cru  désormais  à  l'abri  des  Compagnies;  le 
9  de  ce  mois,  Arnoul  d'/Vudrehem  congédiait  les  gens  d'armes  qui 
avaient  lutté  avec  succès  contre  les  bandes  dans  ces  régions  ;  on 
croyait  que  les  ennemis  avaient  évacué  les  places  du  Gévaudan  '*. 
Mais  bientôt  le  sénéchal  de  Beaucaire  avertissait  les  Alaisiens  que 
la  sénéchaussée  était  envahie  par  les  Compagnies,  et  il  ordonnait 
de  coviper  des  arbres,  afin  qu'on  pût  mieux  apercevoir  l'ennemi^. 
Comme  on  le  voit,  c'était  un  llux  et  un  reflux  continuels  qu'il  est 
impossible  de  suivre. 

On  aurait  tort  de  croire  que  Seguin  de  Badefol  ne  quittait  pas 
Brioude.  Ce  n'eût  pas  été  dans  son  caractère.  Laissant  dans  cette 
ville  une  forte  garnison,  il  s'était  jeté  sur  le  Forez  et  le  Lyonnais. 
En  octobre  de  la  même  année,  il  exploitait  les  environs  de  Roanne^, 
occupait  ensuite  l'abbaye  bénédictine  de  Savigny  et  ne  l'évacua  que 
moyennant  une  forte  somme  dont  le  payement  ne  fut  complètement 


1.  Reg.  Aven.  Urban.  V,  n°  11,  fol.  504^:  «  vij  kal.  Decembris  an.  tertio  ».  Dans 
Beg.  Vat.,  n°  254,  fol.  107'\  l'ancien  copiste  a  écrit  à  tort  :  «  vij  kal.  Septembris  an. 
tertio  »,  c'est-à-dire  le  26  août  1365. 

2.  Reg.  Aven.  Urhun.  F,  1.  c,  fol.  514''  :  «  villa  Lurlanghas  ».  Voy.  sur  le  nom  E. 
Amé,  Diclionn.  topograph.  du  Cantal  (1897),  p.  501  et  589. 

3.  Bardox,  Hist.  de  la  ville  d'Alais,  p.  64. 

4.  MÉNARD,  anc.  éd.,  II,  Preuves^  n°  137. 

5.  Bardon,  1.  c. 

6.  Huillard-Bréholliîs,  Inventaire  des  titres  de  la  Maison  ducale  de  Bourbon,  I 
(1867),  no  3396. 


Les  coMPAG^'îEs  dans  le  Mibi  jusql^en  136o  419 

effectué  que  le  8  août  13Gi  '.  Seguin  dut  probablement  y  laisser 
jusque-là  une  forte  g-arnison,  parce  que  lui-même  retourna  à 
Brioude  avant  ce  terme.  On  voit  par  tout  ceci  de  quelles  forces  dis- 
posait ce  chef  des  Compagnies.  Luce  dit  que,  cette  même  année,  il 
occupa  encore  Montbrison  -.  Mais  ce  fait  arriva  probablement  plus 
tard,  en  1365,  comme  nous  le  verrons. 

Pendant  l'occupation  de  Brioude ,  nous  trouvons  sur  la  route  de 
cette  ville  à  Saint-Flour,  à  Vieille-Brioude,  une  bande  différente 
des  autres,  qui  tentait  de  dévaliser  également  les  Compagnies  et  les 
habitants.  Les  hommes  qui  composaient  cette  bande  s'appelaient 
déjà  alors  Tuchins^.  Ils  s'emparèrent  du  château  de  Ravel,  où, 
bloqués  par  le  vicomte  de  Polignac,  ils  furent  mis  à  mort  ^.  Mais  il 
est  douteux  que  les  pillards  de  la  société  de  Mignot  de  Cardaillac 
qui,  vers  la  fin  de  1363,  prirent  l'église  de  Paulhac  et  parcoururent 
tout  le  pays  en  le  dévastant  et*  en  rançonnant  les  habitants,  aient 
été  des  Tuchins  '\  C'était  plutôt  une  Compagnie  comme  toutes  celles 
dont  il  a  été  parlé  précédemment  ;  elle  était  composée  de  compa- 
gnons de  Seguin  de  Badefol  ou  de  plusieurs  autres  Compagnies  ;  il 


1.  GuiGUE,  \.  c,  p.  96,  not.  1  et  2. 

2.  Du  Giiesclin,  p.  478. 

3.  Arch.  nat.,  JJ  98,  cilé  par  Du  Cange-Hrnschel,  VI,  p.  692  :  «  tuchinus  »,  et 
ensuite,  par  Portal,  Les  insun^ections  des  Tuchins  dans  les  pays  de  langue,  d'oc,  dans 
Annales  du  Midi,  année  1892,  p,  440,  453  ;  Boudet,  La  Jacquerie,  etc.,  p.  13.  Mais 
Portal  se  trompe,  s'il  croit  1.  c,  et  p.  466,  s'appuyant  sur  Luce,  Du  Guesclin,  p.  272 
suiv.,  qu'en  1356  et  1357  la  Normandie  était  ravagée  par  des  bandes  de  Tuchins.  Il  ne 
s'est  pas  aperçu  que  le  nom  de  «  tuchins  »  était  employé  par  Luce  lui-même  ;  c'est 
lui  qui  appelle  tuchins  les  «  guetteurs  de  chemins  »  de  Normandie.  Le  premier  acte 
cité  par  Luce,  où  se  trouve  le  mot  «  tuchin  »,  est  de  1376  (p.  273,  not.  3).  Du  reste, 
dans  les  documents  apportés  par  Luce,  il  ne  s'agit  pas  des  «  bandes  »,  mais  de  quelques 
tuchins,  c'est-à-dire  de  brigands,  de  routiers  et  de  larrons,  qui  exerçaient  leur  métier 
comme  cela  s'est  vu  dans  tous  les  siècles  jusqu'à  notre  temps.  Reste  donc  le  document 
cité  par  Du  Gange,  le  premier  jusqu'à  présent.  Je  ne  comprends  pas  comment  BornEX, 
p.  14,  pouvait  prétendre  que  Du  Gange  cite  une  charte  de  1364,  «  sans  dire  le  pays 
où  les  Touchins  se  trouvaient  »,  lorsque  Du  Gange  en  publie  le  passage  mentionnant 
Seguin  de  Badefol,  «  villam  de  Brivata  »  et  «  quod  in  Veteri  Brivata  morabantur 
Tuchini  ».  Boudet  propose  (p.  2,  119  suiv.)  comme  signification  du  mot  «  tuchin  », 
d'après  le  patois  d'Auvergne  :  Tue-chien.  Les  Tuchins  Tormaient  des  associations 
par  serments  ;  c'était  une  espèce  de  secte  d'hommes  misérables.  Leur  but  était  la 
rébellion,  la  sédition,  au  moins  à  partir  de  1382  dans  le  Midi.  GL  sur  cette  question 
compliquée,  Portal  et  Boudet.  Gependant  il  est  bien  douteux  que  les  tuchins  aient 
été  déjà  organisés,  dès  1363,  comme  depuis  1380. 

4.  Boudet,  l.  c,  p.  13  suiv. 

5.  Cf.  le  document  dans  Hisl.  de  Languedoc,  X,  p.  1363  suiv. 


420  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

faut  dire  de  même  des  autres  bandes  qui  se  saisirent  des  châteaux 
de  Vigoureux,  d'Albepierre,  de  Fonrose,  etc.,  et  qui  mirent  en  fuite 
les  habitants  de  Murât  *. 

Gomme  il  a  déjà  été  remarqué,  les  troupes  de  Seguin  de  Badefol 
étaient  nombreuses  ;  cela  est  confirmé  par  une  bulle  d'Urbain  V, 
datée  du  5  juillet  1364,  où  il  annonce  à  tout  le  monde  que  des  scé- 
lérats sont  assemblés  en  très  grand  nombre  au  diocèse  de  Saint- 
Flour;  le  pape  retrace  ,  comme  dans  la  première  bulle  solennelle 
qu'il  écrivit  le  27  février  1364  contre  les  Compagnies,  les  innombra- 
bles excès  auxquels  elles  se  livrent,  leurs  pillages,  vols,  incendies, 
meurtres,  viols,  sacrilèges,  et  ayant  appris  que  l'évêque  et  les  habi- 
tants de  Saint-Flour  et  d'autres  pays  veulent  aller  combattre  ces 
bandits ,  il  donne  pleine  indulgence  à  ceux  qui  mourront  en  com- 
battant contre  eux  -. 

Pourtant  ce  ne  fut  pas  à  la  suite  d'une  défaite  que  Seguin  de 
Badefol  évacue  Brioude,  Varennes  et  tout  ce  pays.  Quand  Urbain  V 
promulguait  la  seconde  bulle,  peut-être  ignorait-il  que  les  4  et  30 
avril  1364  un  traité  avait  été  conclu  entre  les  États  d'Auvergne 
d'une  part,    et  Seguin    de  Badefol,   Bérard   d'Albret    et  plusieurs 

1,  BounET,  p.  14,  15.  Cf.  les  sources  indiquées  dans  Luce,  Du  Guesclin,  p.  469. 
Boudet  trouve  partout  dans  le  diocèse  des  tochis;  quand,  dans  les  actes,  il  s'agit  de 
«  socii  »,  des  pillards,  il  les  regarde  comme  des  tuchins.  Mais,  comme  nous  avons  vu, 
les  compagnons  des  Compagnies  furent  également  nommés  «  socii  »,  «  sociales  »,  et 
dans  leurs  actes  et  crimes,  ils  ne  se  distinguèrent  pas  des  tuchins.  Et  comme  ceux- 
ci,  les  membres  des  Compagnies  étaient  liés  entre  eux  par  des  serments,  ce  que  j'ai 
fait  remarquer  dans  l'Introduction  à  ce  paragraphe,  p.  381  suiv.  Cela  n'empêche  pas 
que  les  tuchins  avaient  encore  en  surplus  des  serments, 

2.  Reg.  Vat.  Urh.  F,  n"  251,  fol.  294''.  Ven.  fratri...episcopo  Sancti  Flori  salutem,etc. 
Hodie  adversus  iniquitatis  filios  contuberniones  seu  socios  de  quibusdam  pravis  comi- 
tivis  seu  societatibus  certe  indulgcntie  concessioncm  per  ap.*"*'  litteras  fecimus  sub 
hac  forma  :  Urbanus,  etc.  Ad  futuram  rei  mem.  Cogit  nos  presentis  malitia  temporis... 
Sane  sicut  jam  in  publicam  notitiam  credimus  pervenisse,  nonnuUi  viri  nefarii  de 
diversis  nationibus  in  multitudine  gravi  in  dioc.  Sancti  Flori  congregati,  omni  justa 
causa  postposita,  cunctis  prout  possunt  exhibentes  se  hostes  acerrimos...  [La  teneur 
est  prise  de  la  bulle  du  27  février  ;  cf.  le  second  paragraphe].  Quia  prout  audivimus  tu 
ac  nobiles  plebei  dictarum  civitatis  et  diocesis  Sancti  Flori  contra  dictas  impias 
societates  intenditis  procedere  manu  forti...  [ad  ejus  preces  iis  omnibus  qui  in  pugna 
contra  dictas  pravas  societates  vel  ex  receptis  vulneribus  ibidem  decesserint, 
plenam  remissioncm  peccatorum  de  qui  bus  corde  contriti  et  ore  confessi  fuerint  ad 
biennium  concedit].  Dat.  Avinione  m  non.  Julii  an  II.  Quocirca  fraternitati  tue... 
mandamus  quatenus  in  tuis  cathedrali  ac  aliis  tuarum  civitatis  et  diocesis  ecclesiis... 
predictas  litteras...  salenniter  publiées  et  exponas  populo  in  vulgari.  Dat.  Avinione 
ui  non.  Julii  anno  II  ». 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI     JUSQu'en    i36o  121 

autres  chefs  des  Compagnies  de  Brioude  et  de  Varennes  d'autre 
part,  pour  l'évacuation  de  ces  deux  villes,  de  tout  le  pays  des  Mon- 
tagnes d'Auvergne  et  du  Velay  et  de  la  partie  du  Gévaudan  dépen- 
dant du  Dauphiné  d'Auvergne.  La  somme  qu'on  devait  payer  aux 
routiers  était  fixée  à  40.000  florins  d'or  ^  Seguin  promettait  de  se 
retirer  après  le  premier  versement  de  15.000  florins.  Toutefois,  c'est 
seulement  vers  la  mi-juin  que  les  deux  places  furent  délivrées,  et 
des  garnisons  ennemies  restèrent  dans  les  environs  jusqu'à  la  fin 
de  juillet,  attendant  que  le  dernier  payement  fut  effectué  ~. 

Tout  ceci  était  un  bien  faible  soulagement  pour  ce  malheureux 
pays  qui  ne  pouvait  pas  même  jouir  de  cette  paix.  Depuis  quatre 
ans  environ  une  partie  du  diocèse  de  Saint-Flour  était  opprimée  par 
un  officier  du  duc  de  Berry  et  d'Auvergne,  Guibert  de  Marcenat, 
terrible  persécuteur  des  églises  et  monastères.  En  1360,  il  s'était 
associé  des  Compagnies,  et,  avec  leur  aide,  s'emparait  d'Aurillac, 
où  était  une  célèbre  abbaye  bénédictine,  et  commettait  toute  espèce 
de  sacrilèges,  crimes,  vols,  incendies.  A  partir  de  ce  moment, 
l'abbaye  et  les  environs  furent  exposés  aux  cruautés  de  ce  scélérat 
qui  se  nomma  lieutenant  du  duc  de  Berry  dans  les  Montagnes 
d'Auvergne-^.    En    1364,  il   prélevait    sur   les    ecclésiastiques    des 


1.  Voy.  le  traité  dans  Ciiassai^g,  Spicil.  Brivatense,  p.  361  à  368.Luce.  Du  Guesclin, 
p.  478  ;  Froissart,  p.  xxxv,  not.  3,  ne  cite  pas  le  traité  du  30  avril,  mais  une  conven- 
tion semblable  de  Clermont,  du  21  mai.  Ensuite  Boudet,  La  Jacquerie,  etc.,  p.  17, 
not.  3,  parle  de  deux  traités,  Fun  du  30  avril  et  lautre  du  21  mai.  Mais  je  crains  qu'il 
y  ait  une  confusion.  Le  traité  fut  approuvé  «  die  martis  ante  festum  Adcencionis 
Domini  »  (voy.  Chassai>g,  p.  361).  Le  mardi  avant  la  fête  de  l'Ascension  tomba  le 
30  avril  en  1364.  Luce  a  probablement  lu«  die  martis  ante  festum  Corporis  Domini  »; 
ce  mardi  tombe,  en  effet,  le  21  mai. 

2.  Boudet,  1.  c. 

3.  Reg.  Vat.  Urhani  V,  n°  247,  fol.  28,  ad  an.  1365,  Januarii  19  :  «  Car.  in  filio 
Carolo  régi  Francie  illustri,  salutem,  etc..  Nuper  dil.  fîlius  Petrus  abbas  monasterii 
Aureliaci,  O.  S.  B.,  Sancti  Flori  dioc,  ad  Boni,  eccles...  immédiate  spectantis,  nobis 
cxposuit  conquerendo  quod  dudum,  antequam  cl.  me.  Johannes  rex  Francie  gcnitor 
tuus  de  patria  Alvernie  creasset  ducatum  illamque  dil.  filio  nob.  viro  Johanni  Bitu- 
ricen.  et  Alvernie  duci  fratri  tuo  donassct,  nobilis  vir  Guibertus  de  Marcenaco,  miles 
Sancti  F'iori  dioces.,  tune  existens  prout  existit  familiaris  dicti  ducis,  dampnabilium 
comitivarum  sociatus  villam  dicti  loci  Aureliaci  et  aliam  certam  terram  consistentem 
in  Alvernia  ad  pref.  monasterium  pertinentes  more  predonico  invasit  et  hostiliter  im- 
pugnavit,  sacrilegiahomicidia,  rapinas,  adulteria,  stupra  ac  incendia  aliaque  delestanda 
scelera  committendo,  ex  hiis...  excommunicationis  sententiam  in  talia  committcntes 
a  jure  prolatam...  incurrendo,quodque  non  solum  non  studet  super  hiis  sue  providerc 
saluti,  penitendo  et  satisfaciendo  saltem  aliqualiter  de  premissis,  sed  nunc  prolocum- 


422  LA    GUERRE    DE    CEIST    ANS 

Montag-nes  et  sur  les  sujets  laïques  du  monastère  trois  florins  d'or 
par  feu,  et  s'en  excusait  en  faisant  valoir  que  la  somme  lui  servirait 
pour  payer  une  Compagnie  qui  ravageait  le  pays,  prétendant  que, 
moyennant  cet  argent,  il  la  forcerait  à  évacuer.  Peut-être  était-ce 
la  Compagnie  de  Seguin  de  Badefol  ;  mais  on  disait  alors  que  Gui- 
bert  même  entretenait  des  relations  avec  ces  bandes  et  partageait 
l'argent  avec  elles  ^ 

Louis  de  Navarre,  frère  puîné  de  Charles  le  Mauvais,  qui,  vers  la 
fin  de  1363,  traversa  l'Auvergne,  d'Aurillac  à  Saint-Pourçain, 
causa  encore  d'autres  tribulations  à  ce  pays.  Dans  sa  bande,  qui  se 
composait  de  plus  de  mille  hommes,  se  trouvaient  plusieurs  chefs 
de  Compagnies  -.  Je  reviendrai  sur  ce  sujet  en  racontant  les  ravages 
des  Compagnies  en  Berry. 

tenente  dicti  ducis  in  bailivia  montium  Aivernie  se  gerens  sub  unibra  sui  olïicii  et 
jurisdictionis  ducis  ejusdem  dicta  monasterium.  villam  et  terrain,  quamvis  dux  ipse 
in  eis  nullani  habeat  potestatem...  vexarc  et  opprimerc...  non  veretur  [Hortatur 
eundem  ut  provideat  super  praemissis  ac  per  eundem  ducem  provideri  faciat;  idem- 
que  miles  de  suis  excessibus  plectatur].  Dat.  Avinione  xni  kal.  Februar,  an  III  ».  II 
y  a  encore  d'autres  lettres  semblables.  Bouange,  Saint  Géraud  dWiirillac  et  son 
illustre  abbaye  (Aurillac,  1881),  II,  p.  164,  est  inutile  pour  tout  cela. 

1.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n°  24  7,  fol.  38,  ad  an.  1365.  Januarii  31  :  «  Dil.  filio  nob.  viro 
Johanni  Bituricien.  et  Aivernie  duci,  salutem,  etc.  Fidedigna  relatione  percepimus 
quod  olïiciales  tui,  preserlim  Guirbertus  de  Marcenaco,  miles  Sancti  Flori  dioces., 
ofliciarius  tuus,  qui  ecclesiarum  et  monasteriorum  illarum  partium  assiduus  impu- 
gnator  et  dirus  persecutor  ac  libertatis  ecclesie  conculcator  tanquam  hostis  capitalis 
asseritur,  per  certos  eorum...  commissarios  talliam  trium  florenorum  auri  pro  quoli- 
bet foco  personarum  ecclesiasticarum  Montanorum  patrie  Aivernie  exigere  satagunt, 
easdemque  personas  nituntur  compellere  etiam  per  gentium  armorum  potentiam, 
ad  solutionem  florenorum  hujusmodi  faciendam.  asscrcntes  se  velle  pecuniam  prefa- 
tam  exigere  ut  ipsam  persolvant  detestandis  gentibus,  quas  in  partibus  illis  in  socie- 
tatem  unam  immanitas  scelerum  congregavit,  quibus  sceleratis  gentibus  idem  Guir- 
bertus dicitur  non  solum  manifeste  fa^ere,  sed  earum  esse  particeps  spoliarum, 
propter  que  et  alia  dicti  Guirberli  detestanda  facinora  florenorum  hujusmodi  quanti- 
tas  dictis  gentibus  (sicut  quandoque  ad  redimendas  vexationes  dari  solet)  presumitur 
aut  non  danda  aut  per  ipsum  Guirbertum  cum  eisdem  gentibus  dividenda.  Cum 
itaque  prout  audivimus  hujusmodi  tallia  pluries  sit  imposita  et  levata  et  predicta  de 
tue  nobilitatis  assensu  procedere  non  credamus...  [Hortatur  eundem  ut  remedium 
super  praemissis  apponat,ut  personaeipsae  ecclesiasticae  non  ulterius  graventur,  dic- 
tus  que  Guibertus  ab  hisce  suis  malignatibus  compescatur  :  qui,  si  vera  sunt  quae  de 
ipso  dicuntur,  sententiis  et  poenis,  a  se,  instante  Carolo  rege  Franciae  ejus  fratre, 
contra  fautores  dictarum  socielatum  latis',  subjacet.]  Dat.  Avinione  ii  kal.  Februarii 
an.  III  ».  Ibid.  suit  une  lettre  sous  la  même  date  «  Carolo  régi  Francie  »,  et  fol.  43  : 
«  abbati  monasterii  de  Menaco  (Menât)  O.  S.  B.,  Claromonten.  dioc.ij  non.  Februa- 
rii ».  Dans  cette  dernière  :  «  pro  quolibet  foco  tam  a  personis  eccles.  Montanorum 
Aivernie,  quam  secularibus  subdictis  monast.  de  Aureliaco  ». 

2.  Fkoiss.vut,  éd.  Lucii,  p.  lx  suiv.:  Boldet,  1.  c,  p.  18. 


LES    COMl'AGMES    DA.NS    LE    MllJf    JLS'^LEN    1365  423 

Enfin,  comme  si  ce  n'eût  pas  encore  été  assez  pour  l'Auvergne, une 
guerre  sauvage  entre  les  familles  de  Murât  et  de  Cardaillac  pour  la 
possession  de  la  vicomte  de  Murât  s'ajoutait  encore  à  tous  les 
maux  dont  il  a  été  question.  Les  deux  partis  prirent  des  Compa- 
gnies à  leur  solde  ;  une  quantité  de  châteaux  et  de  villages  furent 
détruits  ou  incendiés  ^ . 

On  comprend  que  ces  malheurs  épuisèrent  complètement  le 
pays.  En  136(i,  la  commune  de  Saint-Flour  et  les  sujets  de  l'église 
se  plaignent  auprès  du  Saint-Père  de  ce  qu'étant  déjà  presque  rui- 
nés par  les  voleurs,  ils  sont  maintenant  opprimés  par  les  officiers 
royaux  2.  C'est  pour  cette  raison  que  le  11  septembre  de  la  même 
année,  le  pape  refuse  au  duc  de  Berry  la  permission  de  lever  une 
aide  sur  les  prélats  et  ecclésiastiques  du  duché  d'Auvergne  dans  le 
but  de  protéger  ce  pays  contre  les  Compagnies,  parce  que,  dit-il, 
tous  sont  trop  accablés  par  les  guerres  et  par  les  décimes  que  lui- 
même  a  permis  de  prélever,  en  1305,  pour  faciliter  l'extirpation 
des  routiers  -^ 

La  Basse- Auvergne ,  quoique  moins  éprouvée,  ne  fut  cependant 
pas  épargnée.  Nous  avons  déjà  vu  plus  haut  qu'en  1361  trois 
grandes  Compagnies  étaient  en  Auvergne.  De  plus,  Maurice  de 
Tréziguidy,  qui,  au  nom  du  roi  de  France,  occupa  la  forteresse  de 
Plauzat  en  1367,  mettait,  avec  ses  Bretons,  le  pays  environnant 
dans  un  tel  état  de  pillage  qu'en  1361  les  seigneurs  s'engagèrent  à 
lui  payer  11.000  florins  d'or,  à  condition  qu'il  évacuerait  ladite  for- 
teresse ^.  Après  la  bataille  de  Briguais,  des  Compagnies  visitèrent 
une  autre  fois  l'Auvergne,  et  après  avoir  restitué  Brioude,  Seguin 


1.  BOUDET,  1.  C. 

2.  Reg.  Vat.,  n"  248,  fol.  68,  ad  an.  1366,  Martii  30. 

3.  Ihid.,  fol.  153''  ad  an.  1366,  Septemb.»lJ  :  «  Dil.  lil.  nob.  viro  Johanni  duci  Bilu- 
riccn.  et  Alvernie,  salulem,  etc.  Nuper  diL  fil.  nob.  vir.  Amalricus  miles  Narbonen., 
doniinus  de  Talayrano,  tuas  litteras  credentic  déferons,  pro  parte  tua  nobis  humili- 
ter  supplicavit,  ut  cuin  prelati  et  clerici  ac  persone  ecclesiaslice  tui  ducal  us  Ahernie 
tibi  dare  aliquod  pecuniale  subsidiuni  pro  tuendo  ducatum  cundeni  a  socictatibus  cis 
super  hoc  licentiani  concedere  dignaremur.  [Licet  ejus  petitioni  pontifex  annuere 
cupiat,  quia  tamen  eaedem  personae  eccles.  ob  decimam  biennalem,  superiori  anno 
a  se  pro  repulsione  dictarum  societatum  oisdeni  impositani,  ac  propler  gucii'as  et 
damna  illata  nimium  sint  gravatae  :  licentiani  liujusmodi  se  dare  posse  non  videt.] 
l)at.  A^  inione  iij  id.  Septembris  an.  ÎV  », 

i.  LucK,  Du  Gnesclin,  p.  i06, 


424  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  Badefol  s'empara  du  Pont-du-Château ,  pendant  que  Bertucat 
d'Albret  occupait  Beaumont  près  de  Clermont,  le  5  octobre  136i, 
et  Marsat  près  de  Riom,  quelques  jours  après.  Au  même  temps, 
Arnaud  d'Albret  alla  prendre  le  château  Blot  ' . 

Seguin  de  Badefol  poursuivait  un  autre  but  ;  il  voulait  se  jeter 
sur  le  Lyonnais.  Sa  chevauchée  dans  ces  régions  Tannée  précédente 
n'était  autre  qu'une  marche  de  reconnaissance.  Dès  1361,  le  Forez, 
le  Beaujolais  et  le  Lyonnais  ne  furent  jamais  sans  quelques  Compa- 
gnies qui  ravageaient  ces  contrées  dont  les  populations  étaient  con- 
tinuellement obligées  de  se  tenir  sur  la  défensive  ~.  Le  3  juillet 
L363,  les  ecclésiastiques  et  les  laïques  de  Lyon  s'engagèrent  à  payer 
1.200  florins  d'or  à  Arnoul  d'Audrehem,  à  condition  qu'il  chas- 
serait les  ennemis  du  pays  ^.  Mais  le  maréchal  d'Audrehem  n'était 
pas  l'homme  qu'il  eût  fallu  en  cette  circonstance.  Le  pays  fut 
dévasté  comme  auparavant.  Vers  la  fin  d'octobre  1364,  Seguin  de 
Badefol  menaçait  Lyon,  mais  les  habitants  s'étaient  mis  très  sérieu- 
sement en  garde;  puis  au  même  mois,  Arnoul  d'Audrehem  se 
rendit  dans  cette  ville  avec  ses  gens  d'armes'*.  Seguin  s'abattit 
alors  sur  Anse,  ville  située  au  nord  de  la  capitale  du  Lyonnais,  sur 
la  Saône,  et  qui  appartenait  à  l'église  de  Lyon  ;  il  la  surprit  et  s'en 
empara   vers  le   1*^''  novembre'.  Par   sa  position,  cette  ville   com- 

1.  BouDET,  1.  c,  p.  17  suiv.  LucE,  Dn  Guesclin,  1.  c,  dit  que  Blot-le-Chùteau  était 
occupé  de  1360  à  1365,  et  qu'il  fut  racheté  avant  le  2  août  1365  par  Louis  duc  de 
Bourbon  à  Bertucat  d'Albret,  moyennant  1.000  florins.  Cette  dernière  remarque  est 
juste.  Mais  il  me  semble  qu'au  sujet  de  1  occupation  du  château  il  y  a  une  confusion 
entre  Blet  en  Berry  et  Blot  en  Auvergne.  Luce  a  pris  la  date  d'une  lettre  du  roi 
d'Angteterre  du  24  octobre  1360  dans  Rymer,  Foedera,  III,  p.  535.  Cf.  MAnxÈNE,  Thés, 
nov.  anecd.,  I,  p.  1437.  Le  roi  y  énumère  les  forteresses  alors  occupées  <•  en  Berry  et 
en  Bourbonnais  »,  et  on  y  trouve  avec  les  autres  «  Blotueros  »,  c'est-à-dire  Blot  et 
Vero.  Le  roi  finit  cet  alinéa  :  «  et  toutes  autres  forteresses  occupées  en  Berry  et  en 
Bourbonnois  »,  et  il  commence  le  nouvel  alinéa  :  «  Item  toutes  les  forteresses  déte- 
nues et  occupées  es  parties  d'Auvergne  devant  et  après  les  trêves  accordées  »,  mais 
il  omet  de  spécifier  ces  forteresses.  Nous  rencontrons  la  même  chose  dans  la  lettre  du 
28  octobre  (Rymer,  p.  547).  On  doit  donc  identifier  Blot  avec  Blet  en  Berry,  et  c'est 
cette  dernière  place  qui  fut  occupée  en  1360  par  les  Anglais.  Voy.  ci-dessus,  p.  254,  et 
Luge,  1.  c,  p.  469. 

2.  Voy.  GuiGUE,  p.  90  et  suiv.,  93  suiv. 

3.  Ihid.,  p.  95,  not.  1. 

4.  Sur  les  préparatifs  de  défense,  voy.  Guigle,  p.  99  à  103. 

5.  «  Circa  festum  Omnium  Sanctorum  ».  Voy.  le  document  dans  Guigue,  p.  324. 
Petit  Thalfimus,  p.  367,  dit  à  tort  <«  vers  la  fin  de  novembre  »,  Cf.  encore  Llce  dans 
Froissart,  p.  XXIX,  not.  3, 


LES    COMPAGiMES    DANS    LE   MIDI    JUSQU'eN    1365  425 

mandait  à  la  fois  la  Saône,  la  route  de  Lyon  à  Mâcon  et  la  vallée 
de  l'Azergue.  Elle  était  pour  Lyon  ce  que  Pont-Saint-Esprit  était 
pour  Avignon^.  Durant  la  guerre  entre  Charles  le  Mauvais  et  le 
roi  Charles  V,  Seguin  s'intitulait  capitaine  d'Anse  pour  le  roi  de 
Navarre. 

En  voyant  Badefol  à  la  tête  de  plusieurs  Compagnies  réunies  ~, 
on  s'explique  comment  ses  bandes  pouvaient  exercer  tant  de  ravages 
dans  les  environs  et  au  delà  :  vers  le  Nord,  jusque  dans  le  Maçon- 
nais, et  au  Sud,  jusque  dans  le  Velay;  comment  elles  s'emparaient 
de  tant  de  châteaux  et  de  villes  ^  en  commettant  de  terribles  excès, 
emprisonnant  et  rançonnant  les  gens  quels  qu'ils  fussent ,  rendant 
inhabitables  les  châteaux,  les  campagnes  et  les  villes,  devenus  de 
vrais  déserts  par  la  fuite  des  habitants  ^. 

L'effroi  régnait  non  seulement  dans  le  Lyonnais,  mais  dans 
toutes  les  provinces  environnantes,  dans  le  Dauphiné  et  le  Diois  -K 
C'est  de  ce  temps-là  que  ce  pays,  jusqu'ici  préservé  des  incursions 
des  gens  d'armes ,  prit  des  mesures  pour  mettre  la  ville  de  Die  à 
l'abri  d'un  coup  de  main.  La  vallée  de  la  Drôme  était  devenue  une 
des  routes  les  plus  fréquentées  pour  passer  en  Italie  ^. 

Les  Lyonnais,  dépourvus  de  troupes,  avaient  recours  au  Saint- 
Père.  Comme  il  résulte  de  la  bulle  du  19  janvier  1365,  ignorée  jus- 
qu'à présent,  Urbain  V  avait  déjà,  dès  le  mois  de  décembre,  lancé 
l'excommunication  contre  Seguin  et  ses  compagnons  ;  néanmoins, 
avant  d'en  faire  la  déclaration  solennelle,  il  les  exhortait  et  les  som- 
mait de  quitter  Anse,  les  avertissant  que,  s'ils  ne  s'exécutaient, 
s'ils  ne  rendaient  la  liberté  aux  prisonniers  et  ne  réparaient  les 
dommages  qu'ils  avaient  causés,  dans  le  délai  de  quinze  jours,  à 
partir  de  celui  où  ils  recevraient  la  monition,  ils  seraient  ipso 
facto    excommuniés  ^.  Seguin   et    ses   compagnons,   peu    soucieux 

1.  GuiGUE,  p.  105,  107. 

2.  «  Cum  suis  quampluribus  complicibus  et  societatibus  siniul  coadunalis  et  junc- 
tis...  in  armis  eques  et  pedes,  in  maxima  multitudine  et  fortitudine  ».  Document  dans 
GuiGUE,  p.  324, 

3.  Voy.  sur  les  détails,  Guigue  p.  109  suiv. 

4.  Ibid.,  le  document  p.  324  suiv. 

5.  Ibid.,  p.  111. 

6.  Voy.  J.  Chevalier,  Essai  hist.  sur  Véglise  et  la  ville  de  Die,  II,  p.  262. 

7.  C'est  la  bulle  même,  dans  laquelle  Urbain  V  publie  la  croisade  contre  Seguin  de 
Padefol  et  ses  compagnons,  et  expose  les  marches  qu'il  avait  faites  avant.   Elle  se 


426  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

d'obéir,  continuèrent  d'occuper  la  place  et  dévastèrent  les  environs 
plus  encore  qu'auparavant  ;  alors  le  Pape  apprenant  qu'on  voulait 
les  combattre,  publia  une  croisade  contre  Seguin  de  Badefol  et  ses 
bandes,  et  sous  la  date  mentionnée,  il  accorda  pleine  indulgence  à 
ceux  qui  mourraient  en  les  combattant.  Le  même  jour,  il  félicite 
Amédée,  comte  de  Savoie,  de  l'aide  que  celui-ci  prête  au  chapitre  de 


trouve  dans  Reg.  Aven.  Urhaiii  V.  n°  10,  fol.  193''  :  «  Ad  futuram  rei  memoriam. 
Cogit  nos...  Olim  siquidem  cum  quidam  perditionis  filii  sub  Societatum  nominc  de 
diversis  nationibus  in  multitudine  detestabili  congregati  omni  justa  causa  postpo- 
sita...  [comnie  dans  la  bulle  Cogit  nos,  anal^^sée  dans  le  §  2].  Verum  quia  sicut  multo- 
rum,  clamosa  conquestio  ad  nostrum  sepius  audituni  perduxerat,  iniquitatis  filius 
Seguinus  de  Badefol,  miles  Sarlaten.  dioc.,  nostram  declarationem.  [i.e.,  excommuni- 
cationem  promulgatam  in  suis  bullis  editis  contra  Societates]  probabiliter  non 
ignorans  seu  ignorare  non  debens,tam  ante  quam  post...fueratprout  erat  etiam  capi- 
taneus  seu  presidens  in  aliquibus  ex  perversis  societatibus,  committendo  facinora..., 
dudumque  prout  indicabat  publica  vox  et  fama,  prefatus  Seguinus  ac  nonnulli 
nequam  filii  scelerati  de  comitivis  eisdem  villam  seu  locum  Anse  Lugdunen.  dioc... 
latenter  intraverant  et  per  armorum  potentiam  incolas  dicte  ville  ceperant,  captiva- 
verant.  et  bonis  eorum  nobilibus  spoliaverant...  nonnullis  ex  eisdem  incolis  inhuma- 
niter  interfectis,  aliisque  vulneratis,  tortis...  aliisque  datis  in  exilium  [enumerat  alia 
facinora]...,  nos...  ipsos  Seguinum  ac  omnes  et  singulos  ejus..,  complices  et  fautores 
excommunicationis  et  aliis  sententiis...  propler  premissa  subjacere  auctoritate  apost. 
per  nostros  processus  et  literas  denunciavimus,  et  nichilominus  eosdem  Seguinum 
ac  complices  et  fautores  per  nostre  publiée  monitionis  edictum...  requisivimus  et 
monuimus,  eis  nichilominus  sub  pena  excommunicationis  districte  mandantes,  quod 
infra  quindecim  dierum  spatium  numerandorum  a  data  ipsarum  literarum  infra  quod 
ejusdem  nostre  monitionis  seu  nostri  processus  notitia  ad  eos  posset  versimiliter 
pervenire...  dictam  villam  et  ejus  incolas  detentos  per  ipsos  Seguinum  et  complices 
in  libertate  pristina  expedire,  relaxare  et  omnino  dimittere,  et  omnia  bona. ..  resti- 
tuere...  curarent,  eis  satisfaciendo  plenarie...  alioquin  eosdem  Seguinum  et  compli- 
ces... excommunicationis  sententiam  incurrere  voluimus  eo  ipso,  a  qua  nullus  pre- 
terquam  in  mortis  ai'ticulo  ab  alio  quam  Rom.  pontifice  nunquam  posset  absolutio- 
nis  benefîcium  obtinere.  [Interdixit  etiani  sub  excommunicatione  omnibus  fîdelibus 
ne  communionem  in  aliquo  «  cum  eisdem  socialibus  detinentibus  dictam  a  illam  » 
habeant.  etc.]  A^erum,  sicut  nupcr  ad  audientiam  nostram  ex  notificatione  capituli  et 
fama  publica  referente  pervenit,  iidem  Seguinus  et  complices  nostrishujusmodi  moni- 
tionibus  obauditis,  dictam  terram  Anse  et  ejus  incolas...  relaxare  ac  dimittere...  con- 
tempserunt  hactenus  et  contempnunt,  quinymmo  supradicta  et  détériora  facinora  et 
excessus  in  partibus  illis  cotidie  committere  et  hostilitates  gravissinias  circumstanti- 
bus  terris  et  populis...  inferre  presumunt,  propter  que  nobiles  et  universitates  civita- 
tum  et  terrarum  partium  earundem,  sicut  nobis  nuper  notificare  curarunt,  in  manu 
forti  intendunt  procedere  contra  Seguinum  et  complices  supradictos...  ac  ipsos... 
impugnare,  persequi  et  expellere  de  partibus  prelibatis.  [Ad  preces  archiepiscopi, 
capituli,  nobilium  et  populi  indulgentiam  plenariam  concedit  iis  qui  in  pugna  contra 
eosdem  hostes  e  vita  migraverint,  si  contriti  et  confessi  fuerint].  Dat.  Avinione  xiiij 
kal.  Februarii  anno  tertio  ».  Jhid.,  fol.  194*'  suit  le  mandat  à  Tarchevèque  de  Lyon  et 
à  ses  sufVragants  de  publier  cette  indulgence. 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    JUSQl'eN    1365  427 

Lyon,  pour  le  recouvrement  de  la  ville  d'Anse  et  mentionne 
l'indulg-ence  accordée  K 

Tout  n'en  restait  pas  moins  subordonné  au  bon  vouloir 
de  chacun.  Par  la  force  des  choses,  pour  éloigner  Seguin  et  ses 
bandes,  on  aima  mieux  traiter  que  de  les  combattre,  et  le  contrat 
entre  ce  capitaine  et  le  chapitre  susnommé  était  déjà  passé  au  moins 
à  la  fin  de  mai  ou  au  commencement  de  juin,  c'est-à-dire  bien  plu- 
tôt qu'on  ne  l'a  cru  jusqu'à  ce  jour.  Ceci  ressort  d'une  bulle 
d'Urbain  V  à  la  date  du  18  juin  1365,  dans  laquelle  il  annonce 
qu'entre  le  chapitre  et  la  Grande  Compagnie  d'Anse,  vient  d'être 
conclu  un  traité  par  lequel  cette  bande  se  montre  prête  à  restituer 
Anse  et  à  se  retirer  si  elle  reçoit  une  certaine  et  très  forte  somme 
d'argent.  Le  chapitre  étant  dans  l'impossibilité  de  payer,  le  Pape 
accorde  un  décime  dans  les  diocèses  de  Lyon,  d'Autun,  de  Chalon 
et  de  Mâcon  ;  il  en  excepte  seulement  les  cardinaux,  et,  parmi  les 
ecclésiastiques  réguliers  ou  séculiers,  ceux  que  la  guerre  a  appau- 
vris '-.   On  ne  doit  pas  oublier  que  les  multiples    conditions  ^  for- 

1.  Reg.  Vat.,  n"  217,  fol,  9;  Prou,  Étude  sur  les  relations,  etc.,  p.  122,  Cf.  ibid. 
p.  53  suiv.  ou  clans  le  texte  et  dans  les  notes  sont  quelques  autres  détails  intéressant 
cette  afl'aire, 

2.  Reff.  Val.  Urhani  V,  n"  254,  fol,  86  :  c<  Dil.  filiis  abbati  monasterii  Athanaten,  et.. . 
priori  S.  Irenei  Lugdunen.  ac.  archidiacono  Eduen,  ecclesiarum  salutem,  etc.  Fide- 
lium  subditorum  quietem,  etc.  Nuper  siquidem  pro  parte  dil.  fil.  decani  et  capituli 
eccl.  Lugdunen.  coram  nobis  et  fratribus  nostris  S.  R.  E,  card.  propositum  extitit 
reverenter  quod  inter  ipsos  ex  parte  una,  et  illas  gentes  armigeras,  que  se  magnani 
Societatem  seu  Compagiam  [sic]  appellant,  que  villam  seu  locum  de  Ansa  Lugdunen. 

dioc,  ad  dictos  dccanum  et  capitulum  pertinentem  nephandis  ausibus  occuparunt 

habitus  est  contractus,  quod  gentes  ipse  pro  certa  et  maxima  sunima  pecunie,  de 
qua  inter  eos  extitit  concordatum,  villam  seu  locum  predictum  eisdem  decano  et 
capitulo  libère  restituant,.,  ac  de  partibus  ipsis  abscedant,  quodque  prefati  decanus 
et  capitulum  ad  solvendum  dictam  summam  pecunie  sunt  impotentes,  [Decimam 
unius  anni  omnium  reddituum  et  proventuum  ecclesiasticorum  in  Lugdunen.,  Eduen,, 
Cabilonen,  et  Matisconen,  civitatibus  et  dioces,  consistentium,  inde  ad  festum  B. 
Michaelis  proxime  futurum,  exigendam  a  quibuscunque  personis  ecclesiasticis,  secu- 
laribus  et  regularibus,  exceptis  tantummodo  S.  R.  E.  cardinalibus,  et  personis  eccle- 
siasticis propter  guerras  et  alias  justas  causas  depauperatis,  collectoribus  ad  id  depu- 
tatis,  imponit  pro  subsidio  solutionis  supradictae  praefatis  gentibus  faciendae].  Dat, 
Avinione  xiv  kal.  Julii  anno  III  »,  Sur  ces  décimes,  le  pape  revient  le  24  novembre 
1366  ;  il  acquitte  les  prélats  du  versement  de  la  première  année,  et  ordonne  Texacti- 
tude  pour  la  seconde  année,  Ihid.,  n°  248.  fol.  177, 

3.  D'une  lettre  de  Jean,  duc  de  Berry,  publiée  par  Michon  dans  la  Revue  des 
Sociétés  savantes,  5^  sér,,  t,  I,  p,  178,  not.  1,  il  résulte  que  Seguin  a  pris  rengagement 
d'évacuer  les  bailliages  de  Màcon,  de  Saint-Gengoux  et  de  Gharlieu.  Un  autre  engage- 
ment a  été  a^ec  le  sire  de  Bcaujcu.  Cf.  Guigue,  p.  119,  Seguin,  étant  exigeant  cl  très 


428 


LA   GUERRE    DE    CExNT    ANS 


cèrent  à  traiter  plusieurs  fois  et  que  la  conclusion  définitive  n'eut 
lieu  qu'en  juillet,  par  l'entremise  d'Urbain  V.  Seguin  s'engagea  à 
rendre  la  forteresse,  moyennant  une  somme  de  40.000  petits  florins, 
soit  32.000  francs,  dont  une  moitié  devait  être  payée  à  Anse  dans 
les  premiers  jours  d'août,  et  l'autre  moitié,  à  Rodez,  vers  Noël  ;  il 
promit  également  de  faire  sortir  ses  compagnons  du  royaume  K 
Mais  c'est  seulement  le  13  septembre  qu'il  se  retira  avec  une 
grande  partie  de  ses  bandes  qui,  pendant  qu'on  traitait  avec  leur  chef, 
s'étaient  répandus  sur  la  rive  gauche  de  la  Saône  -.  Ensuite  ils 
suivaient  le  chemin  de  Saint-Symphorien-le-Châtel  à  Montbrison, 
où  ils  reprirent  leurs  habitudes  de  pillage^.  Seguin  se  retira  à  Pam- 
pelune  auprès  de  Charles  le  Mauvais  et  y  mourut  dans  les  derniers 
jours  de  décembre  1365^  vraisemblablement  empoisonné  par  ce 
prince  ^.  Sa  Compagnie  se  tint  dans  le  Midi,  où  nous  la  retrouve- 
rons dans  le  quatrième  paragraphe,  quand  nous  verrons  Du  Gues- 
clin  traiter  avec  elle  en  1365,  pour  l'engagera  le  suivre  en  Espagne. 

L'occupation  d'Anse  est,  avec  la  bataille  de  Briguais,  l'exploit  le 
plus  célèbreetle  plus  mémorable  des  Compagnies  dans  le  Lyonnais. 
D'ailleurs,  il  en  fut  de  ces  contrées  comme  de  toutes  les  autres  : 
lorsqu'une  bande  quittait  un  endroit, une  autre  accourait  et  commet- 
tait les  mêmes  ravages  que  les  précédentes.  C'est  seulement  en 
1369  que  s'établit,  à  l'endroit  des  routiers,  une  sécurité  relative, 
quand  furent  reprises  les  hostilités  entre  la  France  et  l'Angleterre  ^. 

Les  détails  sur  les  Compagnies,  en  Bourgogne,  sont  réservés  au 
troisième  et  quatrième  paragraphe  ;  il  en  sera  parlé  en  même  temps 
que  des  Compagnies  du  Nord  de  la  France.  Traitons  maintenant  de 

dur,  mit  dans  l'embarras  le  chapitre  de  Lyon,  qui  dut,  selon  toute  apparence,  traiter 
plusieurs  fois  avec  lui, 

1.  Voy.  le  document  publié  par  Ai. lut.  Les  roiiliers  an  .Y/\''  siècle,  p.  157  à  159; 
GuiGiE,  p.  120  à  122. 

2.  GUIGLE,  p.  116  s. 

3.  Ibid..  p.  130  suiv. 

4.  Jacques  de  Rue,  un  des  officiers  intimes  du  roi  de  Navarre,  arrêté  en  1378, 
confirme  que  Seguin  de  Badcfol  fut  empoisonné  par  Charles  de  Navarre.  Voy. 
ses  dépositions  dans  Martène,  Thés.  nov.  nnecd.,  I,  p.  1576;  (Le  Brasseur),  HisL.  du 
comté  d' Évreux  ;  Preuves,  p.  95;  Secousse,  Preuves,  p.  381;  Grand.  Chron.,  p.  428 
suiv.  Cela  est  affirmé  par  un  autre  officier  de  Charles  le  Mauvais,  Pierre  du  Tertre. 
Secousse,  1.  c,  p.  411.  Le  peuple  vit  seulement  les  effets  du  poison,  et  crut  que 
Seguin  était  mort  «  per  lo  fuoc  de  Sant  Anthoni  ».  Petit  Thalamus,  p.  370. 

5.  Pour  cette  époque,  il  suffit  d'en  référer  à  Guigue,  p.  151  suiv, 


Les  compagnies  dans  lé  midi  jusqu'en  136o  429 

l'apparition  de   ces   bandes    dans  le  BourhonnaiSj   le  Berry    et  le 
Nivernais. 

Dès  1363,  la  Compagnie  de  Louis  de  Navarre  ravageait  le  pays 
situé  entre  la  Loire  et  l'Allier,  mais  surtout  les  environs  de  Mou- 
lins, de  Saint-Pierre-le-Moutier  et  de  Saint-Pourçain.  La  manière 
dont  cette  Compagnie  exerça  ses  ravages  nous  est  conservée  dans 
une  supplique  dressée  par  le  prieur  du  prieuré  bénédictin  Lieu-Dieu, 
du  diocèse  de  Bourges.  Sur  la  fin  de  1363,  cette  bande  envahit 
l'église  et  les  maisons  du  monastère,  qu'elle  détruisit  de  fond  en 
comble,  après  en  avoir  pris  tous  les  biens-meubles  ^  Vers  le  même 
temps,  en  octobre  1363,  Bernard  de  la  Salle  et  son  frère  Hortigo, 
avec  quatre  cents  compagnons,  s'emparèrent  par  surprise  de  la  ville 
de  La  Charité-sur-Loire,  du  diocèse  d'Auxerre,  et  de  son  célèbre 
prieuré  de  l'Ordre  de  Cluny,  qu'ils  occupèrent  pendant  seize  ou 
dix-sept  mois,  c'est-à-dire  jusque  dans  la  première  partie  de  l'an- 
née 1365  '^.  C'est  seulement  au  prix  d'une  somme  de  23.000  francs, 
versée  à  la  Compagnie,  que  le  prieur  put  racheter  le  prieuré  et  la 
ville ,  après  que  celle-ci  avait  été  inutilement  assiégée  par  les 
royaux  '^.  Pendant  l'occupation  de  La  Charité-sur-Loire,  ce  lieu  était 
la  grande  place  d'armes  d'où  les  Compagnies  pillaient  et  ravageaient 
les  deux  rives  de  la  Loire.  L'hiver  de  1363  à  1364  fut  très  rude 
et  facilita  la  diffusion  des  Compagnies.  Les  grands  fleuves,  généra- 
lement l'obstacle  naturel  pour  les  marches  de  troupes  au  moyen 
âge,  furent  pris  par  la  glace,  de  sorte  qu'on  les  traversa  à  pied  et 
à  cheval.  Grâce  à  cela,  Jean  Creswey  passait  avec  un  détachement 

1.  Suppl.  Urbani  V,  n"  39,  fol.  SS»»  ad  an.  1363,  Novemb.  22  :  «  Significat.  S.  V. 
prior  prioratus  ecclesie  Loci  Dei,  alias  de  Sperato,  Bituricen.  dioc,  O.  S.  B.,  quod 
prideni  nepharie  societates  vocale  seu  Compagnie  Anglicorum  dictum  prioratum 
manu  armata  more  predonum  invaserant  ecclcsiamque  ac  domos  ipsius  prioratus 
intraverunt,  et  bonis  ibidem  existentibus  totaliter  depredaverunt  et  secum  adporta- 
verunt,  quibus  non  contentis,  ecclesiam  et  domos  dicti  prioratus  molierunt  et  peni- 
tus  destruxerunt,  adeo  quod  divinus  cultus  ibidem  nequit  celebrari.  Unde  cum  de 
necessitate  ecclesiam  et  domos  ipsius  prioratus  de  novo  construi  oporteat,  [de  indul- 
genliis  cum  eleemosynis].  —  Fiat...  B.  Dat.  Avinione  x  kal.  Decembris  an.  II  ». 

2.  Voy.  LucE  dans  Froissart,  p.  lxi,  not.  2;  Du  GuescUii,  p.  490. 

3.  Gall.  christ.,  XII,  p.  405.  Charles  V  avait  besoin  de  troupes  en  Normandie  contre 
les  Navarrais.  Voy.  ci-dessous,  §  3  ;  Luce,  Froissart,  p.  lxvi,  not.  2.  Froissart  ne  dit 
rien,  p.  147  suiv.,  des  25.000  francs,  et  il  prétend  que  le  duc  de  Bourgogne  permettait 
à  l'ennemi  de  s'en  aller,  après  lui  avoir  fait  prêter  serment  de  ne  point  s'armer 
contre  le  l'oyaume  pendant  trois  ans.  Il  a  omis  de  donner  la  raison  principale. 


430  LA    GUERRE    DFl    CENT    ANS 

la  Loire  et  poussait  jusqu'au  comté  de  Blois  en  s'emparant  de 
l'abbaye  cistercienne  d'Olivet,  du  diocèse  de  Bourges,  qui  plus 
tard,  peut-être  encore  en  13G4,  fut  reprise  par  Louis  de  Sancerre  et 
d'autres  ^  Même  après  l'évacuation  de  La  Charité,  les  dévastations 
continuèrent  en  Berrj.  Vers  1366,  Alain  de  Taillecol  occupait, 
avec  une  troupe  de  Bretons,  le  fort  de  Bréviande  dans  la 
seigneurie  de  Jars,  et  de  là,  dévastait  la  Sologne  -.  Les  Com- 
pagnies se  répandirent  en  Berry  jusqu'aux  confins  de  la  Tou- 
raine  et  du  Poitou.  Nous  les  trouvons  à  Saint-Gaultier,  dont  le 
pont  était  ruiné  à  cause  du  long  séjour  d'un  grand  nombre  de 
compagnons  dans  ces  contrées  ^.  Au  même  temps,  si  je  ne  me  trompe 
pas,  que  les  Bretons  occupaient  Roche-Posay,  avant  1369,  ils  se 
tenaient  aussi  à  Le  Blanc  et  à  Fontgombault,  où  était  l'abbaye  béné- 
dictine. Les  Bretons  se  montraient  comme  partout  la  terreur  du 
pays  ^.  Comme  pour  l'Auvergne,  à  tous  ces  maux  venait  s'ajouter, 
pour  le  Berry,  la  tyrannie  de  Jean,  duc  de  Berry,  qui  permettait  à 
ses  officiers  d'opprimer  le  clergé  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Bourges 
par  de  nouveaux  impôts  et  toute  sorte  de  gabelles  et  exactions  •'•. 

On  peut  bien  comprendre  que  les  provinces  qui  formaient  la 
principauté  d'Aquitaine  étaient  moins  infestées  par  les  Compagnies, 
qui  n'osaient  pas  traverser  le  pays  du  prince  de  Galles,  comme  dit 
Froissart^\  Cependant,    quelques-unes   de    ces    provinces,    situées 


1.  Voy.  Chron.  /lorm.,  p.  167  ;  Luge,  Du  Guesclin,  p.  477,  Olivet  était  situé  entre 
Vierzon  et  Romorantin,  aujourd'hui  dép.  Loir-et-Cher.  Delaville  le  Roulx^  Regislî^es 
de  comptes  municipaux  de  la  ville  de  Tours^  II,  p.  299  et  p.  410,  l'identifie  à  tort 
avec  Olivet  du  département  du  Loiret. 

2.  Cf.  Raynal,  Ilist.  du  Berry,  II,  p.  388;  Luge,  Froissarl,  VII,  p.  xliii,  not.  4. 

3.  Recf.  \at.  Gregorii  XI,  n"  286, ad  an.  1375,  Martii  26  :  «  Universis  christifidelibus, 
etc.  Pontium  reparationihus  manum  porrigere  adjutricem,  pium  apud  Deum  et  meri- 
toriuni  reputantes,  etc.  Cuni  itaque  sicut  accepimus  pons  Sancti  Galteti,  Bituricen. 
dioc,  qui  tam  propter  multitudinem  gentiuni  armorum  que  in  illis  partibus  diutius 
steterunt,  quam  aliarum  supra  eundem  pontem  transitum  sepius  facientium  et  taliter 
quod  idem  pous  ut  asscritur  quamplurimum  dampnificatus  et  devastatus  et  quasi  ad 
terram  projectus  existit,  propter  quod  multis  indiget  reparationihus.  [Indulgentias 
tribuit  manusporrigentibus  adjutrices.]  Dat.  Avinione  vu  kal.  Aprilis  anno  V  ». 

4.  Lettre  du  roi  Charles  V'',  du  23  avril  1373,  dans  Delavii.le  le  Roulx,  1.  c,  p.  335. 
LHisi.  de  Vabbaye  de  Fontgaumbault,  aux  Arch.  nat.,  LL  1011,  et  Desplanques, 
Vahbaye  de  Fontgombaud  (1861),  ne  contiennent  rien  sur  cela. 

5.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n'*248,  fol.  97,  lettres  adressées  au  duc  et  «  Johanni  de  Cru- 
siaco,  decano  eccl,  Lingon.  »,  ad  an.  1366,  Jun.  1.  » 

6.  Éd.  Luge,  t.  VI,  p.  184. 


LÉS    COMPAGNIES    DANS    U^    MLDI     .ICSQC*EN    13G5  431 

aux  frontières  de  la  principauté,  étaient  de  temps  en  temps  bien 
éprouvées.  Je  résumerai  les  événements  jusqu'en  1369. 

Bien  que  le  Poitou  fut  alors  sous  la  domination  anglaise,  il  n'était 
pas  pour  cela  à  l'abri  des  Compagnies.  Vers  la  (in  de  1363,  nous 
voyons  une  bande  s'emparer  du  prieuré  bénédictin  de  la  Couture, 
qui  fut  complètement  saccagé  ainsi  que  l'église,  que  les  scélérats 
détruisirent  au  point  de  ne  pas  laisser  une  pierre  intacte^.  Ceux 
qui  commirent  ces  excès  n'étaient  peut-être  que  des  pillards,  mais, 
quelques  années  après,  de  vrais  compagnons  apparurent  dans  le 
diocèse  de  Poitiers.  Une  bulle  de  Grégoire  XI  prouve  qu'elles 
étaient  vers  1366,  et  non  pas  seulement  vers  1368,  près  de  Faye-de- 
Vineuse  dudit  diocèse  et  dans  les  environs.  D'après  cette  l)ulle, 
l'église  collégiale  de  Faye,  du  diocèse  de  Poitiers,  mais  située  en 
Touraine,  était  pillée  et  presque  détruite  par  suite  des  incursions 
des  Compagnies,  et,  tant  dans  cette  église  que  dans  celles  qui  en 
dépendaient,  le  culte  divin  était  suspendu  par  crainte  des  routiers  -', 
bien  que  la  ville  môme  n'ait  été  prise  par  la  Compagnie  qu'en  1368, 
ce  que  nous  verrons  au  cinquième  paragraphe. 

Je  ne  trouve,  jusqu'à  présent,  aucun  renseignement  sur  l'appari- 
tion des  Compagnies  en  Saintonge  et   dans  V Angoumois^  dont   le 


1.  Reg.  Vat.  Urbani  F,  n"  251,  fol.  314,  ad  an.  1364,  Januarii  17  ;  «  Ven.  fr.  archicpiscopo 
Burdegalen.  et...  Lucionen.ac  Pictaven.episcopis  salutem,  etc.  Gravem  dil.fil.  Andoy- 
ni  de  Monteberulphi,  priorisprioratus  de  Gulturis,  O.  S.  B.,  Pictaven.  dioc,  querelam 
accepimus,  continentem  quod  olim  dum  ipse  pro  quibusdam  suis  negotiis  ad  sedeni 
apostolicam  accessisset,  quidam  iniquitatis  filii  diabolico  spiritu  insti{j;ati  ad  ipsuni 
prioratum  more  predonico  accedentes,  omnia  bona  ibidem  existentia  nequiter  rapue- 
runt  dictumque  prioratum  et  ejus  ecclesiam  ertregerunt,  et  totaliter  destruxerunt, 
adeo  quod  ibidem,  lapide  super  lapidem  minime  rémanente,  divina  inibi  nequeunt 
celebrari  ;  [ad  ipsius  prioris  preces  papa  mandat  supradictis  ut  praevia  informatione, 
excommunicationis  sententiam  publicent  contra  supradictos  doncc  satisfecerint]. 
Dat.  Avinione  xvi  kal.  Fcbruarii  an.  II  ». 

2.  Reg.  Aven.  Gregorii  X/,  n"  41,  fol.  621'',  ad  an.  1371,  Septemb.  13  :  «  Universis 
christifidelibus.  etc.  Licet  is,  etc.  Cum  itaque,  sicut  accepimus,  ecclesia  S.  Georgii  de 
Faya  Vinosa,  Pictaven.  dioc,  cum  membris  suis  propter  malarum  gentium  armorum 
Societatum  incursus  et  depredationes  adeo  destructa  et  desolata  existai,  quod  dil. 
filii  capicerius  et  capitulum  ejusdem  ecclesie  propter  timorem  Societatum  liujusmodi 
et  ipsorum  a  V  annis  citra  non  potuervmt  in  dicta  ecclesia  personaliter  residere,  et 
divinum  servitium  in  dicta  ecclesia  et  quibusdam  aliis  ecclesiis  ibi  subjectis  ex  tune 
cessavit  [De  indulgentiis  ad  xx  annos  cum  eleemosynis  ad  separalionem  dictarum 
ecclesiarum].  Dat.  apud  Villamnovam  Avinionen.  dioc.  idus  Septexnbris  an.  I.  »  Voy. 
quelques  autres  particularités  concernant  l'an  1367  dans  Delaville  i.k  Roilx, 
Registres  des  comptes  municipaux  de  la  ville  de  Tours,  II,  p.  291  suiv. 


43â  La  guerre  de  cent  ans 

prince  de  Galles  habita  très  souvent  Angoulême,  qui  en  était  la  capi- 
tale. Mais  on  ne  parle  pas  non  plus  de  leurs  ravag^es  dans  le  Périgord^ 
et,  néanmoins,  il  existait  aussi  des  Compagnies  dans  ce  pays.  Le 
6  mars  1368,  sur  la  demande  de  l'évêque  de  Périgueux,  Urbain  V 
accorde  la  faculté  d'absoudre  de  Texcommunication  tous  ceux, 
prêtres,  clercs  ou  laïques  (et  ils  étaient  plusieurs),  de  qui  les  compa- 
gnons, dans  leurs  marches  à  travers  la  France  et  par  son  diocèse  de 
Périgueux,  avaient  reçu  quelque  aide  ou  secours  ^  Certes,  les  Com- 
pagnies restaient  peu  dans  ces  régions  que  la  guerre  avait  déjà 
appauvries,  dépeuplées  et  dévastées.  Cependant,  ce  n'était  pas  un 
grand  avantage,  dans  un  temps  où  les  troupes  régulières  n'étaient 
pas  moins  sauvages  que  ces  Compagnies  chez  qui,  vraisemblable- 
ment, elles  se  recrutaient. 

Ainsi  que  pour  quelques  autres  provinces,  les  renseignements 
font  défaut  pour  le  Limousin.  Dans  les  documents  touchant  la  des- 
truction des  églises  et  monastères  qui  seront  apportés  dans  les 
derniers  paragraphes,  il  est  seulement  question  de  guerre,  mais  on 
ne  sait  s'il  s'agit  seulement  de  la  guerre  proprement  dite,  ou  si  les 
ravages  des  Compagnies  y  sont  compris.  En  1374,  dans  les  diocèses 
de  Limoges  et  de  Tulle,  sont  signalés  des  routiers  qui  tenaient  alors 
plusieurs  places  fortes  -. 

Beaucoup  de  chefs  et  de  membres  des  Compagnies  étaient  de 
Gascogne,  et,  dans  ce  chapitre,  bien  des  faits  témoignent  qu'ils 
n'épargnèrent  même  pas  leur  patrie.  Le  22  juin  1371,  le  diocèse  et 
la  ville  de  Conserans  reçurent  de  Grégoire  XI  la  bulle  Ad  repri- 
mendas  ^  ;  les  diocèses  de  Bazas,  Agen,  Condom  et  tous  les  autres 


1.  Reg.  Aven.  Urbani  V,  n"  19,  fol.  341  :  «  Ven.  ù\  Petro  cpiscopo  Petragoricen. 
salutem,  etc.  Personam  tuam,  etc.  Gum  itaque...  nonnuUipresbiteri  et  clerici  ac 
ecclesiastice  persone  tani  religiose  quam  seculares,  et  etiam  laici  utriusque  sexus 
tuarum  civitatis  et  diocesis  Petragoricen,  ac  in  eisdem...  comniorantes...  homines 
armorum,  qui  de  pravis  Societatibus  gentium  armigerarum  per  regnum  Francie 
et  dictam  diocesim...  discurrcntium  existebant...  receptaverint...  et  alias...  partici- 
paverint  (cuni  eis),  et  propterea  diversas  excommunicationis  et  alias  penas... 
incurrcrint,  etc.  [eosdem  absolvendi  facultatem  tribuit,  lucro  tamen  ex  comniercio 
cum  supradictis  percepto  ad  pios  usus  expenso].  Dat.  Rome  ap.  S.  Petrum  ii  non. 
Martii  an.  VI  ». 

2.  Reg.  Vat.  Gregor.  XI,  n°  273,  fol.  10,  ad  an.  137  4,  Novemb.  11,  Je  reviendrai  plus 
tard  sur  ce  sujet, 

3.  Reg.  Aven.  Gregor.  XI,  n"  1,  fol.  403»', 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    aiSQu'EN     13G.J  433 

diocèses  de  Gascogne  étaient  inondés  par  les  Compagnies  dans  les 
premières  années  qui  suivirent  1300.  Ces  contrées  avaient  beaucoup 
à  souffrir  des  Compagnies  en  1360,  lorsque  le  prince  de  Galles  se 
préparait  pour  l'expédition  en  Espagne,  et  en  1307,  quand  Henri 
de  Trastamare  et  ensuite  le  prince  revinrent  de  ce  pays,  comme  il 
sera  raconté  aux  quatrième  et  cinquième  paragraphes. 

Les  Compagnies,  composées  d'Anglais  et  de  Gascons,  c'est-à-dire 
de  sujets  du  roi  d'Angleterre  et  du  prince  de  Galles,  firent  beau- 
coup de  mal  en  Quercy  durant  l'année  1 302  ;  elles  prirent  quelques 
places,  entre  autres  Saint-Cirq.  Dans  le  courant  de  septembre, 
plusieurs  gens  d'armes  se  déguisèrent  en  pèlerins  pour  surprendre 
un  fort  de  Cahors  et  s'y  retranchera  Cette  même  année  voyait 
aussi  le  prince  de  Galles  s'installer  en  maître  dans  l'Aquitaine. 
Par  suite  de  cet  événement,  un  grand  nombre  d'habitants  du 
Quercy  quittaient  leur  patrie  et  s'établissaient  ailleurs,  surtout  dans 
les  provinces  françaises,  sans  espoir  de  retour  à  leur  sol  natal  -. 
En  1300,  une  grande  partie  des  Compagnies  qui  se  rendaient  en 
Espagne  passèrent  par  le  Quercy  et  y  causèrent  de  grands  dom- 
mages '^.  Le  danger  devint  plus  grand  quand  les  Compagnies,  avec 
le  prince  de  Galles,  revinrent  d'Espagne,  en  1307  et  1308.  Une 
troupe  de  mille  Anglais  et  Gascons  traversait  le  Quercy  en  pillant 
et  ravageant  le  pays.  Ils  s'emparaient  de  plusieurs  lieux  et  y  com- 
mettaient toutes  sortes  de  crimes,  ce  qui  déterminait  un  nouvel 
exode.  Les  villes  et  les  campagnes  devenaient  désertes.  Craissac, 
par  exemple,  qui  avait  auparavant  trois  mille  feux  (nombre 
vraisemblablement  exagéré),  n'en  comptait  plus  alors  que  trente 
et  bientôt  moins  encore  -'.  Je  n'entrerai  pas  ici  dans  plus  de  détails, 
parce  que,  dans  les  neuvième  et  dixième  paragraphes,  je  donnerai 
vm  tableau  complet  du  triste  état  de  cette  province,  qui  devait 
cruellement  payer  son  dévouement  au  roi  de  France,  et  qui  était  la 
première  à  tenter  de  secouer  le  joug  de  l'étranger.  Des  Compagnies 
gagnèrent  aussi  le  Haut-Quercy,  et  dans  le  courant  du  mois  d'octobre 
1308,  une  Compagnie  anglaise  s'empara  de  Cardaillac  '^. 

1.  Lacoste,  Ilist.  gén.  de  Quercy^  III,  p.  177. 

2.  Voy.  Informatio  Cntiircenais,  publiée  par  moi  dans  VAppendice,  IV,  testis  2"*. 

3.  Lacoste,  p.  184  suiv. 

4.  Informatio  Calurcensis,  testes  1""  et  8'"*.  Voy.  encore  ci-dessus,  p.  271. 

5.  Lacoste,  p.  193  suiv.,  199. 

R.  P.  Dknifle.  —  Desolatto  eccles/arum  II  28 


434  La  glerué  de  cent  ans 

Le  Rouergiie  n'avait  pas  moins  à  souffrir  des  déprédations  des 
Compagnies  qui  le  menaçaient  de  tous  côtés.  Il  a  déjà  été  raconté 
qu'elles  y  étaient  entrées  en  1361,  mais  aussi  durant  l'année  1362  le 
pays  était  alarmé;  par  mesure  de  précaution,  les  consuls  de  Rodez 
distribuèrent  des  armes  à  tous  les  habitants  valides.  En  septembre, 
les  Espagnols  de  Trastamare,  au  retour  de  leur  campagne  d'Au- 
vergne, traversèrent  le  Larzac  et  le  saccagèrent  cruellement  ^  Un 
autre  compagnon,  Jean  Aymeric,  s'emparait  de  Combret,  où, 
assiégé  par  le  sénéchal,  il  forçait  ce  dernier  à  lever  le  siège.  A  tous 
ces  malheurs,  il  faut  ajouter  la  défaite  du  comte  d'Armagnac  par  le 
comte  de  Foix  à  la  bataille  de  Launac,  de  laquelle  il  a  déjà  été 
parlé,  défaite  qui  mit  le  pauvre  pays  de  Rouergue  dans  la  nécessité 
de  payer  une  bonne  partie  de  l'énorme  rançon  du  comte  d'Arma- 
gnac et  de  celle  de  plusieurs  autres  -.  En  1365,  l'année  où  le  comte 
sortit  de  prison,  nous  trouA^^ons  dans  le  diocèse  de  Rodez  un  bâtard 
d'Armagnac  qui,  avec  une  bande,  battait  et  blessait  les  ecclésias- 
tiques, pillait  leurs  maisons  et  se  livrait  à  une  quantité  d'excès  ; 
à  tel  point  que  plusieurs  recteurs  des  églises,  terrorisés,  n'osaient 
plus  y  résider,  ni  célébrer  l'office  divin  ^.  Les  années  qui  suivirent 
ne  furent  pas  moins  troublées;  Le  passage  des  Compagnies  qui  se 
rendaient  en  Espagne,  faisait  courir  à  cette  province  les  mêmes  dan- 
gers qu'au  Quercy.  Dans  le  même  temps,  se  manifestait  une  agi- 
tation contre  les  nobles,  et  un  peu  avant  le  21  avril  1367  plusieurs 

1.  Voy.,  sur  tous  les  détails,  Rouquette,  Le  Rouergue  sous  les  Anglais^  éd.  de  1869, 
p.  46  à  49;  éd.  de  1887,  p.  51  à  54.  Cf.  encore  A.  Molinier  dans  Hist.  du  Languedoc^ 
IX,  p.  756,  not.  1. 

2.  Rouquette,  éd.  de  1887,  p.  56. 

3.  Reg.  Vat.  Urbnni  V,  n^  247,  fol.  100,  ad  an.  1365,  Maii  17  :  «  Dil.  fd.  nob.  viro 
«Tohanni  coniiti  Armaniaci,  salutem.  Ex  gravi  querela  multorum  virorum  ecclesias- 
ticorum  ad  nostrum  pervenit  auditum  quod  quidam,  qui  appellatur  bastardus  de 
Armaniaco,  cum  pluribus  suis...  complicibus  quamplures  presbiteros,  clericos  et  per- 
sonas  eccles.  Ruthenen.  dioces.  verberavit  ac  etiam  vulneravit,  ab  eisdemquc  et 
eoruni  domibus  nonnulla  bona  ipsorum  rapuit  violenter,  multa  eis  alia  gravamina  et 
injurias  inferendo  et  majora...  comminando,  in  tantum  quod  quamplures  ecclesiarum 
prefati  diocesis  rectores...  non  audent  in  ecclesiis  suis  residentiam  face  e  ac  divine: 
celebrare  officia.  [Hortatur  ut  bastardum  praedictus  corrigat  et  castiget,  ut  désistât 
ab  hujusmodiet  satisfaciat  dampna  passis],  Dat.  Avinione  xvi  kal.  Junii  an.  III  ».  — 
Eodem  modo  dil.  fil.  nob.  viro  Johanni  de  Armaniaco  militi  primogeniti  dil.  fd.  nob. 
viri...  comitis  Armaniaci  ».  La  minute  de  cette  lettre  se  trouve  parmi  les  lettres 
d'Innocent  VI  dans  Reg.  Vat.  Innocent.  VI,  n°  244  K,  ep.  194.  Il  y  avait  plusieurs 
bâtards,  ce  qu'on  peut  voir  dans  P.  Axsei.me,  Hist.  généal.,  III,  p.  418  et  suiv. 


tRS    COMPAGNIES    DAiNS    LE   MIDI    JLSQU'eN     1 ':{6o  43.^ 

laïques  des  diocèses  de  Kodez,  Albi  et  Tarbes,  accompagnés  de 
nombreux  gens  d'armes,  prenaient  la  ville  de  Durenque,  qui 
appartenait  à  Bérenger  d'Arpajon,  l'incendiaient,  dépouillaient  les 
habitants  de  tous  leurs  biens  meubles  et  commettaient  plusieurs 
homicides  K 

Dans  V Albigeois^  les  Compagnies  se  succédèrent  continuellement 
depuis  1361,  de  sorte  qu'en  1363,  Arnoul  d'Audrehem  était  obligé 
de  faire  aux  habitants  d'Albi  une  remise  des  impositions,  en  con- 
sidération des  maux  que  leur  infligeaient  les  bandes  qui  avaient 
aussi  envahi  leur  ville,  y  tuaient  les  hommes,  les  femmes,  les  ani- 
maux, et  pillaient  tout  à  tel  point  que  la  misère  y  était  affreuse  '-. 
Ces  malheurs  étaient  une  triste  conséquence  de  la  guerre  entre 
Hugues  d'Aubert,  évêque  d'Albi,  soutenu  des  habitants  de  cette 
ville,  et  Sicard,  seigneur  de  Lescure,  avec  plusieurs  autres  sei- 
gneurs, en  1362  et  1363.  Sicard  et  ses  complices  se  servaient  des 
bandes  d'une  grande  Compagnie  qui  ravageait  alors  le  pays  et 
assiégeait  dans  son  château  de  Combefa  l'évêque  qui  les  excom- 
munia. Malgré  un  compromis,  les  hostilités  commencèrent  des 
deux  côtés  avec  une  gravité  inouïe.  On  sait  que  les  bandes  de 
Sicard  commirent  dans  TxVlbigeois  tous  les  crimes  ordinaires  aux 
Compagnies  envers  les  églises,  les  habitants,  etc.  ^.  Mais  il  ne 
faut  pas  croire  que  l'évêque  ait   méprisé  le  secours   des  Compa- 


1.  Reg.  Aven.  Urbani  V,  n°  16,  fol.  500'',  ad  an.  1367,  April.  21:  «  Urbanus,  etc.. 
Ver»,  fr.  episcopo  Sancti  Flori  salutcm,  etc..  Exhibita  nobis  pro  parte  dil.  fil.  nobi- 
lis  viri  Berengarii,  domini  loci  de  Arpajone,  Ruthenen.  dioc,  peticio  continebat  quod 
niiper  dil.  filii  Martinus  de  Coellis,  Maurellus  de  Ricoschario,  Bedo  Dasarnion,Mondo 
Gili  do  Villafranca  de  Panata,  Rernardus  Sartor  de  Auriaco.  Rayniundus  Sabaterii  de 
Cassaneis,  Gainociis  Albrati  de  Broquerio,  Cabanesius  de  Salvaterra  et  Guilho  Calme- 
tas  de  Valencia,  laici  dicte  Ruthenen.,  Albien.  et  Vabren.  dioc,  cum  ma.\ima  niultitu- 
dinc  gcntium  diversoruni  arniorum  ^eneribus  arniatarum  tenieritate  propria  more- 
que  predonico  ad  locum  de  Durenca  ejusdem  Ruthenen.  dioc.  (quem  prefatus  nobilis 
ab  ecclesia  Rutlienen.  tenet  in  feuduni)  accedentes,  locum  ipsum  invaserunt  et  inibi 
incendia  quampluriina  posuerunt,  homicidiaque  et  rapinas  ac  deprcdaciones  perpe- 
trarunt,  necnon  gentes  dicti  loci  exheredarunt  et  bonis  suis  mobilibus  spoliarunt 
ipsisque  ecclesie  Ruthenensi,  nobili  et  gentibus  dampna  irreparabilia  intulerunt. 
Quare  pro  parte  dicti  nobilis  nobis  fuit  humiliter  supplicatum  ut  providere  ei  super 
premissis  de  benignitate  apostolica  dignaremur,  etc..  [Ut  episcopus  super  his  provi- 
deat].  Dat.  Avinione  xj  kal.  Maii  pontificatus  nostri  anno  quinto  ». 

2.  E.  JonDois,  Alhi  au  moyen  âge,  Essai  sur  Vhistoire  économique  de  cette  ville, 
p.  33. 

3.  Hist.  de  Languedoc,  t.  X,  p.  1332,  n"  513,  atl  au.  1364. 


i36  LA    GUERRE    DE    CENT    AiNS 

gnies  :  il  se  servit  également  des  routiers  qui,  de  concert  avec  les 
habitants  d'Albi,  de  Cordes,  de  Pampelonne,  de  «  Maynambles  » 
(Maynengues)  i,  de  Monestiés  et  d'Arthes  usèrent  de  représailles 
et  ravagèrent  le  territoire  de  Sicard.  Ils  occupèrent  Lescure  et 
Marsal  2,  deux  places  que  possédait  Sicard,  mais  qui  étaient  des 
fîefs  du  Saint-Siège,  emportèrent  tous  les  biens  meubles,  occirent 
plusieurs  personnes,  détruisirent  complètement  la  ville  et  Téglise 
de  Marsal  et  commirent  d'autres  crimes  affreux  ^.  En  retour- 
nant, par  exemple,  ils  coupèrent  et  brisèrent  les  vignes  et  les 
arbres,  et  démolirent  des  maisons  du  territoire  de  Sicard  ^.  Ce  fut 
lui  qui  succomba.  Le  roi  le  condamna  à  la  perte  de  ses  biens  et 
au  bannissement.  Ce  n'est  qu'en  1372   qu'il  fut  réinstallé   à   Les- 

1.  Voy.  Lettre  de  rémission  d'Arnoul  d'Audrehem,  décembre  1363,  dans  E.  Moli- 
NiER,  Vie  d'Arnoul,  etc.,  p.  276  suiv. 

2.  «  De  Marcilio  ».  Dans  Hist.  de  Languedoc^  X,  p.  1332,  on  lit  «  de  Marcillio  », 
p.  1433,  «  Marcilleyum  ».  A.  Molinier  en  fait  «  Marcillac  »  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  Mar- 
cillac  dans  le  diocèse  d'Albi,  et  «  Marcilium  »  appartenait  à  ce  diocèse,  comme  il  est 
dit  dans  le  document  de  la  note  suivante.  Je  ne  crois  pas  me  tromper  en  i.lentifîant 
ce  lieu  avec  «  Marsal  »,  parce  qu'on  lit  dans  Arch.  Vat.,  Collect,,  n°  8'*,  fol.  102  : 
«...  locus  de  Marssalh  fuit  captus  per  Anglicos,  et  postea  fuit  destruclus penitus  per 
genteni  pairie  ». 

3.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n°  253,  fol.  144,  ad  an.  1364,  Au<çusti  6  :  «  Ven.  fr.  episcopo 
Castren.,  saiutcm,  etc.  Gravem  dil.  filiorum  nob.  virorum  Sicardi  doinini  Gastri  de 
Lescura  ac  Pétri  Bertrandi  et  Uaymundi  de  Marcilio  fratrum,  ac  Penardi  de  Marsaco 
domicellorum  Albien.  dioc.  querelam  accepimus  continentem,  quod  nuper  commune 
civitatis  Albien.  ac  de  Cordoas,  Pampilone,  Mayneinbles,  de  Monasterio  et  de  Artcsio 
villarum  seu  locorum  universitates  dicte  Albien.  dioc,  Deum  et  eorum  salutem  pre 
oculis  non  habentes,  sed  maligno  potius  spiritu  insagrati  sic)  temeritate  propria  et 
absque  uUa  rationabili  causa  predictum  de  Lescura  et  de  Marcilio  castra  seu  loca 
dicte  diocesis  que  dictus  Sicardus  a  nobis  et  Rom.  Ecclesia  tenebat,  prout  tenet,  in 
feudum,  diversis  successive  vicibus  manu  invadentes  armata,  castra  seu  loca  ipsa 
violenter  ceperunt  et  occuparunt,  necnon  ecclesie  dicti  loci  de  Marcilio,  ac  Sicardi, 
Pétri  et  Bertrandi  de  Marcilio  et  Penardi  predictorum  et  nonnullorum  aliorum  ipsius 
Sicardi  vassallorum  res  et  bona  ibidem  et  de  dicto  feudo  cxistentia  rapuerunt  et  in 
predam  asportarunt.  Et  quod  nefandiusest,  quondam  Raymundum  de  Marsaco,  cano- 
nicum  Auxitan.,  ausu  sacrilego  et  quendam  Vitalem  Guiccaudi  et  quendam  Guillel- 
mum  Cadolhii  laycos  in  dictis  locis  existentes  crudeliter  occiderunt.  Et  insuper 
mala  malis  accumulando  dictum  locum  de  Marcilio  et  ecclesiam  ejusdem  loci  nobilem 
et  devotam  funditus  diruerunt,  et  nonnulla  alia  sacrilegia,  homicidia,  rapinas  et  vio- 
lentias  ibidem  nequiter  perpetrarunt  et  alia  multa  et  maxima  dampna  eidem  Sicardo 
suisque  vassallis  in  ipsis  locis,  que  ab  eadem  Rom.  Ecclesia  ut  premittitur  tenet  in 
feudum,  hostiliter  intulerunl...  [Committit  ut  procédât  contra  praedictos  commune 
et  alios,  etc  ]  Dat.  Avinione  viii  idus  Augusti  an.  IL  » 

4.  Voy.  la  lettre  de  rémission  du  duc  d'Anjou,  d'octobre  1368,  dans  Graule,  Hist. 
de  Lescure  (3«  éd.,  1895),  p  688  suiv.  Malheureusement,  l'abbé  Graule,  auteur  et  édi- 
teur, n'a  pas  su  déchiffrer  le  document. 


LES    COMPAGNIES    DANS    LE    MIDI    JUSQUEN     1365  437 

cure  *,  oïl  il  ne  trouva  plus  rien  ;  Téglise  même  était  polluée  par 
quelques  «  ex  societatibus  gentium  armigerarum  per  partes  illas 
discurrentium  ~  ». 

Ce  ne  fut  pas  la  seule  guerre  intestine  de  laquelle  l'Albigeois 
eut  alors  à  souffrir.  En  1363  et  1364,  le  vicomte  de  Montclar  et  le 
seigneur  de  Saint-Urcisse  luttaient  l'un  contre  Tautre,  et  nous 
voyons  encore  une  fois  que  le  vicomte  avait  à  sa  solde  des  routiers 
pris  dans  les  Compagnies  de  Seguin  de  Badefol  2.  En  outre, 
d'autres  Compagnies,  comme  celle  qui,  vers  1365,  prit  Peyrolles 
près  d'Albi  ^,  ravageaient  le  pays.  Du  reste,  dans  l'Albigeois 
comme  ailleurs,  les  gens  du  roi  n'étaient  pas  moins  redoutés  que 
les  Compagnies,  et  les  habitants  des  villes  refusaient  quelquefois 
de  leur  en  ouvrir  les  portes  \ 

Le  moment  le  plus  critique  pour  l'Albigeois  fut  lorsqu'en  1369 
les  Anglais  ravagèrent  à  tel  point  le  pays  que  la  population  déserta 
en  masse  les  campagnes  pour  chercher  un  refuge  dans  les  villes 
fermées.  Les  vignobles  restèrent  incultes,  faute  de  bras  pour  les 
cultiver  ^. 

Nous  voici  donc  arrivés  une  autre  fois  au  Midi,  et  c'est  par  lui 
que  se  terminera  ce  paragraphe.  On  a  vu  qu'en  1362,  il  s'y  trou- 
vait partout  des  Compagnies  qui,  de  concert  avec  les  Espagnols, 
étaient  retournées  en  Languedoc  au  lieu  d'entrer  en  Espagne  et  se 
répandaient  dans  toutes  les  provinces  voisines.  Ma  tâche  n'est 
point  de  décrire  toutes  les  courses  des  Compagnies  :  d'autres  l'ont 
fait  d'une  manière  excellente  ^.  Il  suffît  de  noter  quelques  points 

1.  Voy.  A.  MoLiMER,  Hisl.  de  Lancfiiedoc,  IX,  p.  757,  not.  2,  La  bulle  de  Gré- 
goire XI,  du  12  octobre  1372,  par  laquelle  il  exhorte  Tévèque  de  Castres  à  amener 
un  accommodement  entre  Sicard  et  les  consuls  d'Albi,  existe  dans  Reg.  Val.  Gregor. 
XI,  n°  283,  fol.  251.  Du  reste,  on  trouve  dans  les  Reg.  d'Urbain  V  et  de  Grégoire 
plusieurs  bulles  intéressant  cette  affaire.  D'autres  renseignements  sont  donnés  par 
Graule,  1.  c,  p.  101  suiv.  Cf.  encore  Compayré,  Etude  hist.  sur  VAlJiigeois,  p.  289, 

2.  Reg.  Vat.  Greg.  XI,  n"  283,  fol.  138,  ad  an.  1372,  Octob.  13. 

3.  Voy.  les  détails  dans  Rossignol,  Monographies  communales  du  département  du 
Tarn  (arrondissement  de  Gaillac,  Albi},  IV,  p.  76  suiv.;  Hist.  de  Languedoc,  t.  IX, 
p.  765,  not.  3. 

4.  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  773. 

5.  Ihid.,   t.  X.  p.  1350  suiv. 

6.  D'après  JJlOO,  n"  573,  Luce  dans  Fhoiss.vut,  \'II,  p.  i.v,  not.  2. 

7.  Cf.  MÉNART>,  Hist.  de  la  ville  de  Nîmes,  nouv.  éd.,  II,  p.  219  suiw;  E.  Molimer 
Vie  d'Arnoul  d'Audrehem,  p.  120  suiv.;  Hist.  de  Languedoc,  IX,  754  suiv.,  755 
suiv.,  etc.,  avec  les  notes   d"A.   Moi-i>n:R,  indispensables  à  tous  les  chercheurs. 


438  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

essentiels  et  d'ajouter  plusieurs  faits  nouveaux  pour  faire  com- 
prendre l'action  d'Urbain  V,  de  laquelle  je  parlerai  au  paragraphe 
suivant. 

Les  autorités  du  Languedoc  n'avaient  qu'un  but  :  expulser  les 
Espagnols  qui  stationnaient  dans  la  sénéchaussée  de  Beaucaire  et 
les  Compagnies.  11  fallait  payer  les  premiers  et  faire  la  guerre  aux 
autres  1.  L'argent  étant  nécessaire  dans  l'un  et  l'autre  cas,  on 
essayait  de  s'en  procurer  en  levant  des  impôts  -^  malgré  le  subside 
de  100.000  florins,  qu'un  mois  auparavant,  le  1*^''  septembre  1362,  le 
roi  avait  imposé  au  pays  de  Languedoc,  au  bailliage  de  Mâcon  et 
à  l'Auvergne  pour  en  faire  sortir  les  routiers  3.  Dans  les  assemblées 
des  États  du  Languedoc,  tenues  en  1363  et  1364,  il  n'est  question 
d'autre  chose  que  d'une  imposition,  pour  entretenir  des  troupes  à 
mettre  sur  pied  contre  les  Compagnies  qui  ne  faisaient  pas  que 
résider  à  Beaucaire,  mais  qui  partout,  particulièrement  dans  le 
Carcassonnais,  tachaient  de  s'emparer  de  places  fortes  pour  y  pas- 
ser l'hiver  ^  En  ces  circonstances,  le  fait  le  plus  remarquable  fut 
la  prise  de  Peyriac  en  Minervois,  le  1 1  novembre  1363  ^.  Cette 
place  ne  fut  évacuée  que  dans  la  nuit  du  18  au  19  juin  1364,  après 
des  sièges  réitérés  auxquels  prit  part  Arnoul  d'Audrehem  ;  le  der- 
nier de  ces  sièges  dura  plus  de  six  semaines.  Tous  les  compagnons 
assiégés  et  beaucoup  d'autres  des  environs  furent  massacrés,  à 
l'exception  de  sept,  qui  furent  emprisonnés  d'abord  au  château  de 
Trèbes,  et  bientôt  après,  dans  la  cité  de  Carcassonne.  Alors,  la 
fureur  des  populations  se  dirigea  contre  ces  derniers  et  les  poursui- 
vit non  seulement  comme  compagnons,  mais  comme  hérétiques  ^. 
Les  noms  de  ces  sept  personnages  étaient  inconnus  jusqu'à  présent. 
Pour    l'accusation    d'hérétiques  portée    contre  eux,  on  dit  qu'elle 


J.  E.  MoLiMii:u,  p.  121. 

2.  Ihid.,  etDoGNox,  Les  inatilutions  politiques  du  pays  de  Languedoc,  p.  608. 

3.  DOGNON,  1.  c. 

i.    E.  MOMMER,  p.  1 13. 

5.  Petit  Thnliunus,  p.  366.  Dans  les  lettres  de  rémission  de  Charles  V,  du  mois 
d'octobre  1364  {Hisl.  du  Lunçjuedoc.  t.  X,  p.  1329),  la  Compagnie  qui  a>  ait  occupe 
Peyriac  est  appelée  «  magna  et  maledicta  societas  ».  La  chambre  apostolique  prêtait 
quatre  mille  florins  d'or  à  Arnoul  d'Audrehem  «  in  subsidium  guerre  facte  ad  expel- 
lendum  comitivas  pestiferas  que  locum  de  Periaco  Lombcrien.  dioc.  tune  temporis 
occupabant  ».  Reg.  Vat..  n°  247,  fol.  217'^.  ad  an.  1360.  Febr.  1. 

6.  Ilist.  de  Languedoc.  1.  c:  E.  M<ii.iMi:n.  p.  162, 


LES    COMPAGMES    DA>S    LE    MIDI    JUSQL'eN     136o  439 

était  motivée  par  l'excommunication  qui  les  avait  atteints  ^  ;  mais 
les  hérétiques  ne  sont  pas  seuls  susceptibles  de  recevoir  cette  cen- 
sure :  les  lettres  d'Urbain  V  donnent  quelques  éclaircissements  à  ce 
sujet. 

Immédiatement  après  les  faits  racontés  plus  haut ,  touchant  le 
dernier  siège  de  Peyriac,  Jean  Fabri,  évêque  de  Garcassonne, 
informe  le  pape  qu'il  a  fait  enfermer,  dans  les  prisons  de  l'évêché, 
sept  scélérats  de  la  Grande  Gompag-nie,  que  lui  a  remis  Arnoul 
d'Audrehem,  et  qu'il  les  tient  à  la  disposition  de  l'inquisiteur, 
parce  qu'ils  ont  proféré  des  paroles  contre  la  foi  catholique,  surtout 
contre  la  puissance  des  clefs  donnée  par  Notre-Seigneur  à  saint 
Pierre  et  à  ses  successeurs.  Le  10  juillet  136i,  Urbain  V  mande  à 
l'évêque  de  Garcassonne  et  à  l'inquisiteur  de  faire  une  enquête  -. 
Urbain  V  avait,  dans  ses  bulles,  excommunié  tous  les  membres 
des  Gompagnies,  ainsi  que  leurs  complices  et  fauteurs,  les  compa- 
gnons ne  reconnaissaient  pas  ce  pouvoir  au  Pape  :  c'est  pour  cette 
raison  qu'ils  étaient  appelés  hérétiques. 

Le  13  septembre,  Urbain  V  instruit  le  roi  Gharles  de  cette  aifaire. 
Nous  apprenons  à  cette  occasion  que  les  sept  prisonniers  en  ques- 
tion étaient  des  capitaines  des  Gompagnies  2,  et  c'est  seulement  en 


1.  E.    MOUMEH,   1.    C. 

2.  Re(f.  Vat.  Urbani  V,  n"  2i6,  fol.  269''  :  «  Ven.  fr.  Johanni  cpiscopo  Carcassonen., 
ac  dil.  filio...  OrcLIVatrum  Pred.  in  partibus  Carcasson.  in([uisitori  hereticc  pravitatis, 
vel...  ejus  locunitenenti,  salutcm,  etc.  Tua  nobis  fr.  episcope  nupcr  notificavit  epis- 
tola,  quod  seplem  viros  nefarios  de  illa  ^entc  danipnabili,  que  magna  societas  appel- 
latur,  qui  contra  fideni  catholicani,  presertini  potestatem  clavium  a  Sal\  atore  nostro 
Domino  Jhesu  Christo  lî.  Petro  apostolo  et  in  ejus  personam  suis  successoribus  tra- 
ditani  qucdam  verba  hereticalia  poUutis  labiis  protulerunt,  tibi  pcr  dil.  filiuni  nob. 
virum  Arnulfum  doniinum  de  Audenham,  marescallum  Francie,  ac...  Caroli  régis 
Francie  illustris  locumtenentem  (qui  eosdem  vires  propter  alios  eorum  excessus 
ceperat,  eis  cum  voluntate  conimunitatum  illarum  partium  sub  protesta tione  proprii 
juranienti  ejusdem  marescalli  vite  incolumitate  promissa)  Iraditos,  ad  nianum  inqui- 
sitoris  ejusdem  sub  fida  per  te  custodia  (ex  eo  quod  super  ipsorum  captorum  dimis- 
sione  seu  liberatione,  quam  idem  marescallus  se  promisisse  dicebat,  eodem  locum- 
tenente  inquisitoris  asserente  illos  sibi  debere  tradi)  retinendos,  in  tuis  episcopalibus 
carceribus  tenes  inclusos  per  le  custodiendos,  donec  super  premissis  nostre  declare- 
mus  beneplacitum  voluntatis,  quod  a  nobis  cum  multa  instantia  postulasti.  [Mandai 
eisdem  ut  de  verbis  haereticalibus  supradictis  inquirant,  ac  informalioncm  secrelo  ad 
curiam  mittant  ;  injungitque  cpiscopo  ut  intérim  illos  viros  cautc  custodiri  facial.] 
Dat.  Avinione  vi  idus  Julii  an.  II  ». 

3.  Ibid.,  fol.  312;  Prou,  Étude  sur  les  relations  politiques,  etc..  p.  1J6.  n"  38,  à 
qui.  du  reste,  ont  échappé  les  autres  lettres  du  même  volume,  touchant  celte  affaire. 


440  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

octobre  que,  dans  plusieurs  lettres,  Urbain  V  nous  transmet  leurs 
noms  :  c'étaient  les  nobles  Adhémar  de  Portebœuf,  Giraud  Fabri 
de  Duras,  Bernard  Rigaud,  Arnaud  de  Mauléon,  Raymond  de 
Poquier,  Bido  de  Puy-Guilhem  et  Bernard  de  Laborde,  des  dio- 
cèses d'Ag-en,  Aire,  Sarlat  et  Comminges.  Ils  avaient  commis  leurs 
crimes  et  sacrilèges  dans  les  diocèses  et  provinces  de  Narbonne  et 
de  Toulouse  et  dans  les  diocèses  d'Albi  et  de  Castres  ^.  Le  18  mars, 
l'inquisiteur  avait  déjà  porté  personnellement  à  Avignon  le  résultat 
de  l'enquête  ;  le  pape  en  ordonna  une  nouvelle  ~. 

Mais  déjà  avant  cette  affaire  il  se  trouvait,  au  diocèse  de 
Lombez,  quelques  hommes  des  Compagnies  qui  alors  dévastaient 
le  pays  et  prononçaient  des  paroles  hérétiques  contre  l'Eglise  et  la 
puissance  des  clefs.  A  leur  sujet,  le  7  juin  1364,  Urbain  V  mande 
à  l'évêque  de  faire  une  enquête  et  d'en  envoyer  le  résultat  à  la 
cour  romaine  ^.  Sans  aucun  doute,  ils  n'étaient  pas  les  seuls  héré- 


1.  Recf.  Vat.  Urbani  V,  n"  216,  fol.  372'',  ad  an.  1364,  Octob.  19  :  «  Ven.  fr.  Johanni 
episcopo  Carcassonen.  ac  ejus  vicario  in  spiritualibus...  Ad  audientiam  nostram  nuper 
pcrduxit  relatio  fidedigna,  quod  nob.  viri  Ademarius  de  Portabove  miles  de  comitatu 
Sabaiidie,  ac  Geraldus  Fabri  de  Duracio,  Bernardus  Rigaldi,  Guillelmus  Arnoldi  de 
Maloleone,  Raymundus  de  Poquier,  Bido  de  Podio  Guillelmi,  ac  Bernardus  de 
Laborda,  domicelli  Agennen.,  Aduren.,  Sarlaten.  et  Convenarum  dioces.,  quos  tan- 
quam  de  heretica  labe  suspectostu,  frater  episcope,  de  nostro  mandato  tenes  carceri- 
bus  mancipatos,  de  sortilcgiis,  adulteriis,  et  homicidiis  in  personas  ecclesiasticas 
perpetratis,  necnon  de  incendiis  et  violationibus  ecclesiarum  ac  de  stupris  sancti- 
monaliuni,  et  aliis  diversis  sacrilegis  crimiijibus,  quorum  cognitio  ad  ecclesiasticum 
forum  dinoscitur  pertinere,  in  diversis  locis  Narbonen.  et  Tholosan.  dioces.  et  pro- 
vinciarum,  ac  Albien.  et  Castren.  dioces.  commissis  sint  publiée  diffamati.  [Mandat 
ut  super  infamia  et  veritate  dictorum  criminum  inquirant  et  justitiam  compleant  ; 
non  obstante  quod  hodie  episcopo  eidem  ac  inquisitori  in  partibus  Carcasson.  coni- 
miserit,  quod  super  heresi  contra  eosdem  procédant].  Dat.  Avinione  xini  kal.  Novem- 
bris  an.  II  ».  La  lettre  citée  à  l'cvèque  et  à  l'inquisiteur  est  ihid.,  fol.  372  (sous  la 
même  date).  Ibid.,io\.  370  •'j  suiv.,  il  y  a  encore  des  lettres  aux  archevêques  de  Nar- 
bonne, de  Toulouse,  aux  cvêques  d'Albi  et  Castres  (xv  kal.  Novemb.).  Il  s'agit  de 
quelques  «  potentes  »  qui  pourraient  essayer  de  «  dictos  liberare  captivos  ». 

2.  Ibid.,  n"  247,  fol.  233. 

3.  Ibid.,  n"  246,  fol.  232''  :  «  Ven.  fr...  episcopo  Lomberien.  salutem.  Ad  audientiam 
nostri  apostolatus  nuper  pervenit  quod  quidam  viri  dctestabiles  de  dampnabilibus 
comitivis  que  Compagnie  appellantur  vulgariter,  in  tua  diocesi  presentialiter  commo- 
rantes,  non  solum  contra  fidèles  illarum  partium  inhumanitcr  debacantur  ac  contra 
Deum  et  ecclesias  ecclesiasticasque  personas  multa  horrenda  crimina  committere 
non  pavescunt,  verum  etiam  ora  eorum  fetida  in  celum  ponere,  quedam  videlicet 
verba  nephanda  lieresim  sapientia  contra  S.  R.  Ecclesiam  et  potestatem  Romani  pon- 
tificis  publiée  proferre  presumunt  [Mandat  ut  contra  ipsos  inquirat  et  informationem 
receptam  ad  curiam  mittat].  Dat.  A\  inionc  vu  idus  Jiinii  an.  H  ». 


LES    COxMPAGNlES    DANS    LE    3IIDI    JUSQL'eN    1365  441 

tiques  que  comptaient  les  Compagnies,  En  effet,  Charles  V  men- 
tionne encore  en  1368  des  compagnons  qui  méprisaient  les  clefs 
de  l'Eglise  contestant  au  pape  le  pouvoir  de  leur  infliger  des 
sentences  ^. 

Les  années  1363,  1364,  1365  furent,  à  coup  sûr,  les  plus  terribles 
pour  les  populations  du  Midi,  par  suite  des  ravages  quV  exercèrent 
de  nombreuses  Compagnies.  Dans  le  but  de  se  défendre  contre  celles- 
ci,  les  seigneurs,  les  nobles,  les  communautés  du  Languedoc  for- 
mèrent, au  moins  à  la  fin  de  l'année  1 363  -,  une  ligue,  grâce  à  laquelle 
les  efforts  d'Arnoul  d'Audrehem  contre  les  Compagnies  furent  alors 
un  peu  plus  heureux  qu'ils  ne  l'avaient  été  précédemment,  comme 
nous  l'apprend  une  lettre  d'Urbain  V,  du  3  août  1364,  adressée  aux 
communautés  des  sénéchaussées  de  Toulouse ,  Carcassonne  et 
Beaucaire"^.  Le  Pape  provoqua  de  même  une  ligue  entre  lui-même, 
l'évêque  de  Valence  et  de  Die,  le  gouverneur  du  Dauphiné,  les 
comtes  de  Provence  et  de  Savoie.  Ces  contrées  étaient  menacées  au 
Nord  et  à  FOuest  par  les  Compagnies  de  la  Bourgogne  et  du  Lyon- 
nais, au  Sud  et  au  Sud-Ouest  par  celles  qui  ravageaient  le  Langue- 
doc, et  à  l'Est  par  celles  qui  venaient  d'Italie.  En  1363,  Urbain  V  ne 
se  sentait  plus  en  sécurité,  comme  il  l'écrivait  le  4  septembre  au 
roi  Jean,  à  qui  il  refuse  d'envoyer  Jean-Fernand  de  Hérédia,  capi- 
taine du  Comtat  Venaissin,  parce  que  les  Compagnies  campent 
dans  le  A^oisinage  et  qu'on  attend  l'arrivée  de  nouvelles  bandes 
d'Espagne    et   de    Catalogne^.   Plusieurs  Compagnies    menaçaient 


1.  Arch.  nat,  Paris.,  J  711,  n°  300'-'^.  Cf  ci-dessous  le  cinquième  paragraphe. 

2.  Urbain  V  dit  dans  sa  bulle  du  27  février  1364  :  «  et  quia  senescalli  aliique  offi- 
ciales  regni  ac  nobiles  et  communitates  civitatum,  castrorum  aliorumque  locorum 
senescalliarum  Tholose  et  Carcassone  ac  Bellicadri  contra  dictas  impias  Societates 
certam  colligationem  inviceni  ad  suarum  personarum  et  terrarum  et  reruni  defensio- 
nem  provide  fecisse  noscuntur  »,  etc.  Reff.  Vat.   Urb.  V,  n"  251,  fol.  217. 

3.  Ibid.,  n°  246,  fol.  296  :  «  Dil.  fil.  universitatibus  civitatum  ac  castrorum  et  alio- 
rum  locorum  senescalliarum  Tholose,  Carcassone  et  Bellicadri.  salutem,  etc.  Indefes- 
sam  solicitudinem  gravesque  labores  ac  magna  onera  expensarum,  que  dil.  fil. 
nob.  vir.  Arnulfus  dominus  de  Audenham  marescallus  Francie,  in  expulsione  illarum 
gentium  que  destruebant  vestram  patriam,  strenue  ac  magnifiée  pcrtulit.  et  perferre 
non  sinit,  nos...  audivinms  et  vos  oculata  experientia  didicislis...  [cum  eidem  mares- 
callo  secundum  status  sui  decentiam  non  suppetant  facultates,  eosdem  hortatur  ut 
ei  de  aliquo  subsidio  pro  relevatione  suorum  sumptuum  providcantl.  Dat.  Avinione  ni 
non.  Augusti  an,  II  ». 

4.  Req.  \'i\l..  n-  245,  fol.  246:  Pnor.  1.  c.  p.  31  suiv.  .  p.  103.  n°  18. 


442  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

d'occuper  Avignon,  de  le  piller  et  de  le  dévastera  Urbain  convo- 
voqua  pour  le  o  novembre  les  nobles  et  les  prélats  de  la  Provence, 
du  Dauphiné,  du  Comtat  Venaissin  et  de  la  Savoie  à  une  assemblée 
dont  le  lieu  de  réunion  fut  fixé  à  Montélimar  -.  Le  30  novembre,  la 
ligue  était  déjà  constituée  ;  une  taille  fut  imposée  pour  la  solde  de 
gens  d'armes,  et  les  ecclésiastiques  furent  autorisés  par  le  pape  à 
contribuer  pour  leur  part  au  subside*^.  Le  bon  vouloir  se  montra 
partout. 

En  i  364 ,  la  Provence  et  le  Forcalquier  étaient  continuelle- 
ment menacés  par  les  bandes.  Le  7  mars,  le  Pape  insiste  auprès 
des  prélats,  des  nobles  et  des  communautés  pour  qu'ils  se  hâtent  de 
payer  la  taille  ^,  ce  qui  était  très  difficile.  Le  long  et  rigoureux  hiver 
de  1363-1364  réduisait  à  néant  toute  espérance  de  récolte.  Le 
Rhône  et  les  autres  fleuves  étaient  tellement  gelés  qu'on  pouvait 
les  traverser  à  cheval  ou  en  voiture  ;  la  gelée  détruisait  les  vignobles, 
les  arbres,  surtout  les  amandiers,  et  une  grande  partie  des  oliviers. 
Uu  grand  nombre  de  brebis  et  d'agneaux  périrent^.  Chacun, 
néanmoins,  faisait  ce  qu'il  pouvait  ;  même,  les  bourgeois  de  Mar- 
seille s'offraient  à  porter  en  cas  de  danger  secours  au  pape,  lequel 
les  prie,  le  31  mars,  d'envoyer  au  patriarche  de  Jérusalem,  Philippe 
Cabassole,  recteur  du  Comtat  Venaissin,  dès  que  celui-ci  en  aura 
besoin,  de  bons  et  fidèles  arbalétriers,  bien  expérimentés^.  Pendant 


1.  Ainsi  raconte  Urbain  V  dans  sa  bulle  du  27  lévrier  1364.  Voy.  ci-dessous  le  para- 
graphe 2,  p.  445,  note  1. 

2.  Reg.  Vat.,\.  c.  fol.  275''  ;  Prou.  p.  32,  lOi,  n°  20.  Cf.  encore  Compte  de  Raoul  de 
Louppy,  publié  par  U.  Chevalier  (Romans.  1886),  art.  111,  112.  J.  Chevalier,  Essai 
sur  l'église  et  la  ville  de  Die,  II,  p.  261  ;  Mém.  pour  servir  à  Vhisloire  des  comtés  de 
Valentinois  et  de  Diois,  I,  p.  357  suiv.,  ne  donne  pas  de  renseignements  nouveaux. 

3.  Cf.  la  lettre  d'Urbain  V  du  20  novembre  1363  dans  Rerj.  Vat.,  n"  251,  fol.  195''; 
CoTTiER,  Notes  hist.  concernant  les  recteurs  du  Comté-Venaissin,  p.  74  suiv.  ;  Prou, 
p.  34,  106,  n"  22,  Une  nouvelle  réunion  se  tint  à  Avignon  le  19  janvier  1364  ;  le 
comte  de  Savoie  donna  son  adhésion  le  23  janvier  ;  Prou,  p.  34. 

4.  Reg.  Vat..  n"  246,  fol.  132";  Prou,  p.  110,  n"  27. 

5.  Petit  Thalamus,  p.  365  ;  Jean  de  Venette,  p.  333  suiv.  ;  Chron.  des  quatre  pre- 
miers Valois,  p.  136  suiv.;  Chron.  de  R.  Lescot,  p.  461;  Vie  d'Urbain  V  dans  Actes  et 
documents  concernant  le  bienheureux  Urbain  V,  rec.  par  Albanès.  I.  p.  9  suiv.,  et 
Aimeric  de  Peyrac,  ibid.,  p.  59.  Nulle  part  on  ne  se  souvenait  avoir  eu  déjà  une 
gelée  si  forte  et  si  persistante  que  celle  qui  se  fit  du  mois  de  décembre  à  la  mi-mars. 
Voy.  Eulogium  histor.,  III.  p.  232;  Kmghton,  p.  119.  Cf.  Luge,  Du  Guesclin,  p.  412 
suiv. 

6.  Reg.  Val.,  n"  246.  fol.  139'':  Pnou.  p.  111,  n°  30. 


URBAIN   V    ET    LES    GRANDES    COMPAGNIES    JLSQu'eN    l36o  443 

que  les  Compagnies  continuaient  leurs  ravages  dans  les  sénéchaus- 
sées de  Toulouse,  de  Carcassonne  et  de  Beaucaire,  elles  menacèrent 
de  traverser  le  Rhône,  mais  n'entrèrent  pas  en  Provence  ni  dans  le 
Venaissin.  On  peut  signaler  seulement  quelques  faits  particuliers, 
encore  n'ont-ils  probablement  pas  pour  auteurs  des  gens  des  Com- 
pagnies. Le  31  janvier  1364,  la  ville  de  Grenoble  et  tout  le  diocèse 
reçurent  la  bulle  Ad  reprimendas^  et,  le  24  mai,  Urbain  V  écrivait 
à  l'évêque  de  Gap  qu'un  peu  avant,  plusieurs  ecclésiastiques  anglais 
et  italiens,  qui  d'Avignon  s'en  retournaient  dans  leur  pays  ^,  avaient 
été  attaqués,  dépouillés  et  emprisonnés  dans  le  château  de  Sigoyer 
qui  appartenait  à  cet  évêque,  par  certains  scélérats  qui  voulaient  les 
rançonner  ~. 

Le  danger  fut  imminent  seulement  vers  la  fin  de  1365,  quand  de 
nombreuses  Compagnies,  remplissant  les  sénéchaussées  de  Tou- 
louse, de  Carcassonne  et  de  Beaucaire,  menacèrent  de  là  d'entrer 
dans  le  Forcalquier,  la  Provence  et  les  provinces  voisines  ^.  Cette 
affaire  étant  connexe  avec  la  campagne  deDuGuesclin  en  Espagne, 
j'en  réserverai  l'exposé  pour  le  quatrième  paragraphe. 


^2^  L'action    d'Urbain     V    contre     les    Grandes    Compac/nies 

jusquen    1365 

Dès  1363,  l'attention  d'Urbain  V  était  portée  sur  les  Compa- 
gnies. Au  début,  il  ne  s'occupa  que  de  faits  particuliers;  son 
action  proprement  dite  contre  les  bandes  commence  avec  l'an  1364, 
par  ses  bulles  touchant  la  croisade.  Les  premières  de  ces  bulles 
furent  provoquées  par  les  Compagnies  du  Midi,  surtout  par  celles 
qui  se  tenaient  dans  les  trois  sénéchaussées  de  Toulouse,  de  Car- 
cassonne et  de  Beaucaire  ;  c'est  seulement  quelque  temps  après  que 
le  pape  les  appliqua  à  tout  le  reste  de  la  France.  C'est  ainsi  que 
dans  la  layette  Contra  magnas  societates  qui  se  trouve  aux  Archives 
nationales  de   Paris  les  premières  bulles  portent  une  date  posté- 

.     1.  Reg.    Val.,  p.  n'  251,  fol.  221''. 

2.  Ibid.,  fol.  193''  :  «  Eos  ad  castrum  Ciguerii...  quod  de  feudo  tuo  fore  dicitur  fece- 
runt  perduci  ».  Il  y  a  encore  des  lettres  à  l'évêque  de  Grenoble,  à  deux  capitaines 
dudit  château  et  à  Raoul  de  Louppy,  gouverneur  du  Dauphiné. 

■^.  licff.  Aven.  Urhan.  \\  n"  13,  fol.  602.  Voy.  la  bulle  dans  le  quatrième  parajiraphe. 


444  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

rieure,  comme  il  sera  marqué  dans  les  notes.  D'ailleurs,  il  n'est 
pas  surprenant  que  l'action  du  pape  se  soit  exercée  en  première 
ligne  envers  le  Midi.  Jusqu'à  1365,  les  Grandes  Compagnies  contre 
lesquelles  ces  bulles  étaient  dirigées  occupaient  surtout  le  Midi, 
et  même  alors  que  ces  bandes  manœuvraient  en  Champagne,  en 
Bourgogne  ou  dans  les  provinces  du  Centre,  c'était,  sauf  quelques  cas, 
dans  le  but  d'envahir  les  contrées  du  Sud.  De  fait,  ce  sont  bien  le 
Languedoc  et  les  provinces  avoisinantes  qui  eurent  le  plus  à  souffrir 
des  Compagnies.  Les  bandes  d'au  delà  de  la  Loire  et  de  la  Norman- 
die étaient  alors  généralement  quelque  garnison  des  places  fortes  de 
ces  pays,  des  troupes  isolées  d'Anglais,  de  Bretons  ou  de  Navarrais. 
Et  si  quelques-unes  d'entre  elles  reçurent  aussi  le  nom  de  Grande 
Compagnie,  c'est  à  cause  du  secours  qui  leur  vint  de  celles  du  Midi, 
comme  il  sera  montré  dans  le  troisième  paragraphe. 

Un  court  exposé  des  bulles  d'Urbain  V  n'ayant  pas  encore  été 
fait,  il  ne  sera  pas  superflu  d'en  donner  un  ici.  On  a  fixé  à  une  date 
trop  tardive  le  commencement  de  l'action  du  pape  ;  ne  connaissant 
pas  la  première  bulle,  on  s'en  tenait  au  récit  très  imparfait  de  Ray- 
nald  K  Dans  la  première  moitié  de  1363,  l'attitude  d'Urbain  V,  à 
l'endroit  des  Compagnies,  était  encore  presque  affable.  S'adressant 
le  2o  mai  aux  capitaines  et  aux  gens  d'armes  de  ces  Compagnies, 
il  leur  expose  combien  la  Terre-Sainte  a  besoin  de  secours,  et  les 
invite  à  marcher  à  sa  conquête  en  allant,  outre  mer,  combattre  les 
ennemis  de  la  croix  ;  il  ajoute  que  personne  n'en  est  plus  capable 
qu'eux.  Le  Pape  dit  encore  qu'ils  pourront,  de  cette  manière,  faire 
pénitence  pour  les  crimes  qu'ils  ont  commis  jusqu'alors  contre  les 
chrétiens  ^.  Cette  lettre  n'a  rien  d'étonnant  :  le  31  mars,  Urbain 
avait  prêché  la  croisade  contre  les  Turcs  et  avait  de  sa  main  donné 
la  croix  aux  trois  rois  de  France,  de  Chypre,  de  Danemark,  qui 
étaient  alors  présents  à  Avignon  ^.  Il  était  impossible  d'entreprendre 

1.  C'est  Kaynald,  Ann.,  1365,  n°  3,  qui  a  induit  en  erreur  les  suivants,  parce  que 
la  première  bulle  qu'il  publie,  c'est  Clamât  ad  nos,  du  5  avril  1365.  Frévflle, 
dans  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  t.  III,  p.  270,  le  suit.  Moraxvili.é,  Chron.,  II,  p. 
311,  not.  2,  prétend  également  que  «  le  pape  commença  à  sévir  contre  les  Grandes 
Compagnies  dès  l'année  1365  »,  en  s'appuyant  sur  Lvce,  Froissart,  VI,  p.  lxxix, 
not.  2.  Prou,  qui  a  étudié  la  question  d'après  les  Registres  du  Vatican,  met  le  com- 
mencement à  la  fin  de  mai  1364;  c'est  encore  trop  tard. 

2.  Reg.  Aven.  Urhan.  V,  n°  245,  fol.  168"^.  Voy.  ci-dessus  p.  377,  not.  2. 

3.  Les  trois  rois  sont  nommés  dans  Vita  /*  Urbani  dans  Actes  et  documents,  etc., 


iRliAlN    V    Et    LES    GRANDES    CO^IPAGNIES    JUSQl'en    1365  445 

une  croisade  contre  les  Turcs  sans  la  France  qui,  dévastée  par  les 
Compagnies,  ne  pouvait  alors  songer  à  autre  chose  qu'à  lutter  contre 
cet  ennemi  du  dedans  ;  c'est  donc  dans  le  but  de  libérer  la  France 
que  le  Pape  engageait  les  Compagnies  à  aller  combattre  les  Turcs. 
Ce  fut  en  vain.  Les  Compagnies  demeurèrent  dans  le  royaume,  et, 
de  propos  délibéré,  comme  dit  Urbain  V  dans  sa  bulle  Cogit  nos^ 
empêchèrent  par  leurs  ravages  les  fidèles  de  prendre  la  croix  et  de 
partir  pour  l'Orient. 

Justement  irrité  contre  elles,  Urbain  V  publiait  le  27  février  1364 
sa  première  bulle  pour  une  croisade  contre  les  Compagnies ,    Cogit  \ 
nos  K  Cette  bulle  avait  pour  but  d'aider  par  des  moyens  spirituels 

rec.  Albanès,  p.  8.  La  vraie  date  est  fournie  par  Grand.  Chron.,  p.  228;  Chron.  de 
R.  Lescot,  p.  153  («  die  sancto  Parasceves  »). 

1.  Re^.  Vat.  Urh.  V,  n"  251,  fol.  217  et  n°  261,  fol.  99  :  «  Urbanus  episc.  etc.  Ad 
futuram  rei  menioriam.  Cogit  nos  presentis  malicia  temporis,  quo  iniquitatis  multi- 
plicati  sunt  filii,  cupiditatis  ardore  succensi,  querentes  improbe  de  alienis  laboribus 
suam  saturare  inj^hiviem,  ac  propterea  crudeliter  nimium  in  innocentes  populos 
sevientes,  ut  ad  resistendum  eorum  pravis  conatibus  et  ad  defensionem  eorundem 
populorum,  illorum  precipue  quos  iidem  iniqui  invaserunl  hactenus  et  invadunt, 
continue  virilius  et  effîcacius  faciendam  de  apostolice  potestatis  providere  remediis 
studeamus.  Sane  sicut  jani  in  publicam  notitiam  credimus  pervenisse,  nonnuUi  viri 
nepharii  de  diversis  nacionibus  in  multitudine  [gravi]  congregati,  omni  justa  causa 
postposita,  cunctis  prout  possunt  exhibentes  se  hostes  acerrimos,  et  in  onines  cru- 
deliter débâchantes,  ut  pecunias  quas  insatiabiliter  siciunt  et  cuni  qua  in  perditio- 
nem  cadere  non  pavescunt,  aliaque  bona  fidelium  habilius  extorqueant,  segetes  et 
domos  cremare,  vites  et  arbores  incidere,  aninialia  et  quicquid  aliud  possunt  in  pre- 
dani  abducere  moliuntur,  pauperesque  plebeios  solo  timoré  a  propriis  laribus  exulare 
coinpellunt  [voy.  la  suite  de  la  lettre  répétée  dans  la  bulle  du  5  avril  1365,  Raynald, 
Ann.,  1365,  n"  3  jusqu'au  n"  4].  Et  quamvis  nonnuUos  ex  ipsis  quandoque  per  publi- 

cum  edictum,  quandoque  per  proprios  nuntios...   requiri  fecerimus  et  moneri  ut 

hujusmodi  impias  coUegationes  seu  societates  dissolverent  et...in  remissionem  pecca- 
torum  suorum  et  ad...  liberationem  Terre  Sancte,  ad  quam  indiximus  générale  passa- 
gium,  pergere  procurarent...  ipsi  tamen...  récusantes...  suaque  consueta  facinora 
prosequentes  assidue,  ad  occupandas,  spoliandas  et  dissipandas  civitatem  nostram 
Avinionen.,  ubi  cumnostra  curia  residemus...  et  ad  alias  circumstantes  partes  hostili- 
ter  accedere  comminantur,  per  hoc  statum  universalis  Ecclesie  in  maximum  (quod 
absit)  periculum  ponere  molientcs. ..  [eosdem,  presertim  «  eorum  duces,  capitaneos, 
guidatores,  conestabiles  seu  caporales  et  offîciales  »  qui  per  suos  excessus  .<  dictum 
sanctuin  passagium  et  fidèles  transfretare  volentes  impediunt  »  excommunicationis 
et  alias  pocnas  incurrisse  déclarât].  Omnes  catholicos  principes  et  magnâtes 
aliosquc  christifideles  exhortantes...  ut  ad  dictorum  iniquorum  repressionem,  impu- 
gnationem  et  exterminiumtotis  viribus  se  accingant.Et  quia  dil.lilii.  senescalli  aliique 
olïiciales  regni  ac  nobiles  et  communitates  civitatum,  castrorum  aliorumque  locorum 
senescalliarum  Tholose  et  Carcassone  ac  Bellicadri  contra  dictas  impias  societates 
certam  colligationem  invicem  ad  suarum  personarum  et  terrarum  ac  rerum  defensio- 
nem providefecisse  noscuntur,  [ad  ipsorum  «  colligatorum  »  supplicationem  iis  omnibus 


\ 


i4G  LA    ('tUERÏIÈ    t)E    CÈiNT    ANS 

la  ligue  entre  les  sénéchaussées  de  Toulouse,  de  Carcassonne  et 
de  Beaucaire.  Dans  le  préambule,  le  pape  y  retrace  les  excès  innom- 
brables auxquels  se  livrent  ces  Compagnies,  leurs  pillages,  vols, 
incendies,  meurtres,  viols,  sacrilèges  ;  les  crimes  commis  dans  les 
églises  et  monastères,  dans  les  châteaux,  dans  les  villes  et  dans 
les  campagnes,  par  ces  hommes  comparables  à  de  véritables  bêtes 
féroces,  qui,  persuadés  que  personne  ne  peut  leur  résister,  en 
sont  d'autant  plus  arrogants,  et  menacent  de  la  spoliation,  non 
seulement  les  seigneurs,  mais  encore  Avignon,  siège  du  Souverain 
Pontife.  Il  les  déclare  excommuniés,  et  il  exhorte  tous  les 
princes  et  les  fidèles  à  se  lever  contre  eux  ;  il  accorde  pour  deux 
ans,  à  la  prière  de  la  ligue  du  Languedoc,  l'indulgence  plénière  à 
tous  ceux  qui  mourront  en  les  combattant  ou  par  suite  des  bles- 
sures reçues  pendant  le  combat. 

Urbain  V  se  servit  de  cette  bulle,  augmentée  et  retouchée  selon 
les  circonstances,  comme  de  la  bulle  Ad  repj'imendas^  et  l'appliqua 
le  5  juillet  au  diocèse  de  Saint-Flour,  le  19  janvier  1365  contre 
Seguin  de  Badefol,  comme  nous  l'avons  vu.  Elle  fut  également 
employée  contre  les  Compagnies  en  dehors  de  la  France. 

Par  cette  bulle,  Urbain  V  jetait  le  fondement  des  suivantes,  qui 
contiennent  des  décisions  supplémentaires  et  ont  pour  but  d'isoler 
les  Compagnies.  Le  27  mai  de  la  même  année  1364,  il  publia  la  bulle 
Misei^abilis  nonnullorum.  Comme  la  première,  elle  est  écrite  pour 
les  trois  sénéchaussées  sus-nommées,  et  le  Pape  y  retrace  littérale- 

qui  in  pugna  contra  dictas  pravas  societates  vel  ex  receptis  vulneribus  clecesserint, 
plenam  remissionem  peccatonim  de  quibus  corde  contriti  et  ore  confessi  fuerint,  ad 
biennium  concedit].  Dat.  Avinione  iv  kal.  Martii  an.  II.  ))7/)id.,sont  notées  les  adresses 
aux  archevêques  de  Narbonne,  Arles,  Toulouse,  Auch  et  à  leurs  suffragants  ;  aux 
évêques  d'Avignon,  du  Puy,  d'Albi,  de  Vabres  et  de  Castres,  sous  la  même  date. 
[Mandat  dictas  litteras  publicari  et  exponi  populo  in  lingua  vulgari].  —  La  date  de  la 
même  bulle  (mutatis  mutandis  et  adaptée  au  royaume  de  France)  pour  les  arche- 
vêques de  Reims,  de  Lyon,  de  Rouen,  de  Sens,  de  Tours,  de  Bourges  et  leurs 
suflragants,  est  seulement  du  «  ix  kal.  Junii  an.  II  »  (*i  l  mai  136i),  ibid.,  n"  251, 
fol.  301.  Dans  la  collection  de  Paris  (Arch.  nat.,  J  711,  n°  300^'')  se  trouve  seulement 
le  renouvellement  de  la  bulle,  sous  la  date  de  «  iij  non.  Julii  an.  quarto  »  (5  juillet 
1366),  insérée  dans  une  bulle  adressée  à  l'archevêque  de  Toulouse  (sous  la  même 
date),  et  dans  le  Heg.  Vfit.,  n"  2i8,  fol.  243*^  à  245  à  divers  archevêques.  Comme  les 
bulles  datées  du  24  mai  1264,  ainsi  celles-ci  commencent  :  «  Hodie  adversus  iniquita- 
tis  filins  contuberniones  seu  socios  de  quibusdam  pravis  comitivis  seu  socictatibus... 
certe  indulgentie  concessionem  per  apostolicas  litteras  fecimus  sub  hac  forma  ».  Cf, 
encore  ci-dessous  §§  4  et  5. 


URBAIN    V   TT    LÉS    GIlANDlvS    C031PAGMES    JL'SQu'en    1  36o  Ï\1 

ment  le  tableau  des  crimes  commis,  et  enjoint  aux  Compagnies,  sous 
l'excommunication  et  d'autres  peines  encore,  de  se  dissoudre,  de 
rendre  les  lieux  qu'elles  occupent  et  de  réparer  les  dommages  qu'elles 
ont  causés  dans  le  délai  d'un  mois.  Il  défend  dans  les  trois  séné- 
chaussées, à  toute  personne  ecclésiastique  ou  séculière,  de  quelque 
rang,  dignité  ou  condition  qu'elle  soit,  de  rassembler  des  Com- 
pagnies, de  les  introduire,  de  les  favoriser,  de  prendre  ou  de  con- 
server quelque  office  au  milieu  d'elles,  de  porter  aucune  de  leurs 
bannières.  Si  les  bandes,  de  quelque  manière  quelles  soient  orga- 
nisées, ne  se  dispersent  pas  dans  le  délai  d'un  mois  et  si  elles  ne 
réparent  les  dommages  qu'elles  ont  causés,  elles-mêmes  et  leurs 
complices  encourront  l'anathème  dont  elles  ne  pourront  être  absoutes 
que  par  le  Pape,  sauf  le  danger  de  mort.  Urbain  V  défend  sous  la 
même  peine  à  tous  les  fidèles  d'avoir  aucun  rapport  avec  les 
«  sociales  »,  soit  de  leur  fournir,  porter,  donner  ou  accorder  blé, 
pain,  vin,  viande,  chevaux,  armes,  chariots,  bateaux,  provisions 
quelconques ,  argent ,  marchandises ,  ou  autres  choses ,  soit  de 
leur  donner  conseil,  aide  ou  faveur.  Quiconque  contreviendra  à 
ces  ordres  sera  excommunié,  les  villes  coupables  seront  soumises 
à  l'interdit  ecclésiastique.  D'autre  part,  les  évêques  doivent  recher- 
cher les  noms  de  ceux  de  leur  diocèse  qui  sont  ou  «  sociales  »,  ou 
fauteurs  et  complices,  et  les  publier  pour  qu'il  leur  soit  fait  un  pro- 
cès. Cette  bulle  devait  être  affichée  à  l'église  majeure  d'Avignon  ' . 

1.  Reg.  Vat.  n"  251,  fol.  277'^;  n°  261,  fol.  112.  Le  Pape  dit  que  les  Compagnies 
m  civitates  ac  castra  et  alia  loca  nonnuUorum  ecclesiarum,  monasteriorum,  aliorurn- 
que  piorum  locorum  necnon  nobilium  et  communitatum  senescalliarum  Tholose, 
Garcassone  ac  Bellicadri  hostilibus  aggrediuntur  insultibus,  obsident,  invadiint,  spo- 
liant et  incendunt  ».  Du  reste,  les  défenses  qui  sont  tout  ce  qu'on  rencontre  de  nou- 
veau dans  cette  bulle  sont  répétées  dans  les  bulles  suivantes,  et  on  les  trouve 
résumées  dans  Raynald,  Ann.^  1365,  n°  4,  et  dans  la  bulle  :  Qunm  sit  plena 
periculis  [Chron.  du  religieux  de  Saint-Denys,  éd.  Bellaguet,  IV,  p.  538  à  540. 
Chronogr.,  II,  p.  313  à  315).  La  bulle  Misernhilis  est  datée  du  «  vj  kal,  Junii 
an.  II  »,  et  fut  envoyée  le  même  jour  aux  archevêques  d'Auch,  Toulouse,  Xarbonnc 
et  leurs  sufl'ragants,  aux  évêques  de  Castres,  d'Albi,  de  Rodez,  de  Vabres  et  du 
Puy  :  «  Nuper  adversus  quosdam  iniquitatis  alumpnos,  se  societates  seu  compagnias 
vulgariter  appellantes,  ac  in  scncscalliis  Tholose,  Carcassone  et  Bellicadri  coni- 
morantes  eorumque  fautores,  defensores  et  receptatores  quemdam  processum 
fecimus  continentie  subscquentis  »,  etc.,  après  :  Miserabilis,  etc.  La  même  bulle 
dans  les  Arch.  nat.  de  Paris,  J711,  n"  300',  porte  la  date  du  «  vj  kal.  Aug.  an.  Il  » 
(27  juillet  1364),  et  comme  dans  Reg.  Vat.,  n"  251,  fol.  322»,  on  y  lit  l'expression 
générale  «  in  regno  Francie  »,  au  lieu  de  sénéchaussées,  et  elle  fut  envoyée  aux 
archevêques  de  Reims,  de  Rouen,  de  Sens,  de  Bourges,  de  Tours,  de  Lyon. 


448  LA    GUERRE    DE    CEM    ANS 

Le  l®'"  juin,  le  pape  ajoutait  une  note  supplémentaire.  S'il  avait, 
dans  la  dernière  bulle,  défendu  aux  populations  d'avoir  aucun  rap- 
port avec  les  Compagnies,  dès  lors,  il  permettait  aux  prisonniers 
de  payer  leur  rançon  soit  en  argent,  soit  en  vivres,  chevaux,  etc., 
sans  qu'ils  encourussent  l'excommunication  ^  Cette  lettre  du  Pape 
confirme  bien  qu'au  début  son  action  s'exerça  surtout  contre  les 
Compagnies  des  trois  sénéchaussées. 

Comme  dans  la  bulle  Cogit  nos^  Urbain  V  donne,  dans  sa  bulle 
Miserahilis ,  l'indulgence  plénière  à  ceux  qui  meurent  en  combat- 
tant contre  les  Compagnies.  C'est  justement  en  cette  année  1364 
qu'elles  ravagèrent  avec  le  plus  de  férocité  les  trois  sénéchaussées 
du  Languedoc.  Les  populations  voulaient  s'employer  à  chasser  les 
bandes  pour  gagner  l'indulgence  ;  mais ,  dépourvues  souvent  d'un 
chef  expérimenté,  elles  succombaient,  et,  le  23  novembre  13G4, 
Urbain  V  se  vit  contraint  d'ajouter  à  sa  bulle  cette  remarque  : 
que  ceux  seuls  qui  combattraient  sous  un  chef  délégué  par  l'auto- 
rité gagneraient  l'indulgence.  La  témérité  des  populations  causa  la 
mort  d'un  certain  nombre  de   leurs   combattants  et  l'emprisonne- 


1.  Reg.  Vat.  n"  251,  fol.  277''  :  «  Ad  perpetuam  rei  memoriam.  Innata  sedis  Apos- 
tolice  pietas...  Nuper  siquidem  adversus  quosdam  iniquitatis  filios,  comitivas  seu 
compagnias  se  vulgaritcr  appcllantes,  civitates.  castra,  terras,  villas  et  alia  loca  senes- 
calliarum  Tholose  et  Garcassone  ac  Bellicadri  ipsarumque  incolas  hostiliter  moreque 
predonico  impetentes  certuni  processumfecimus,in  quointer  cetera  hujusmodi  socia- 
libus  seu  personis  dictarum  societatum  presentibus  etfuturis  communionem,  partici- 
pationem  et  commercium  quoriimlibet  christifîdelium  interdiximus  et  prohibuimus 
omnino...  Verum  quia,  prout  a  fidedignis  audivimus,  iidem  sociales  nonnuUos  ex  eis- 
dem  incolis  sepe  capiunt  et  detinent  carceratos,  eosque  per  penas  gravissimas  et 
terrores  ad  redemptionem  conipellunt,  quam  sepius  non  solum  in  pecunia,  sed  in 
equis,  victualibus,  armis,  pannis  et  aliis  rébus  exigunt  a  captivis  :  nos  captivorum 
hujusmodi  statui  miserabili  paterno  compatientes  alïectu  ac  nolentes  quod  ipsi  prop- 
ter  nostram  prohibitionem  hujusmodi  aut  carceris  squalore  marcescant,  seu  in 
hujusmodi  impiorum  manibus  finiant  atrociter  vitam  suam,  tenore  presentium  aucto- 
ritate  apostolica  declaramus,  captivos  ipsos  vel  alios  qui  sine  fraude  quacumque  eos- 
dem  redimendo  captivos  quomodolibet  vencrint  contra  interdictum  et  prohibitionem 
nostram,  prcfatas  sententias  in  dicto  contentas  processu  minime  incursuros.  Per  hoc 
autem  non  intendimus  predictis  processibus  quoad  alia  in  aliquo  derogare.  Dat.  Avi- 
nione  kal.  Junii  anno  secundo  »,  —  Aux  Archives  nat,  de  Paris,  J  711,  n"  3003»,  cette 
bulle  se  trouve,  mutatis  mutandis,  seulement  avec  la  date  du  «  xv  kal.  Maii  an.  III  » 
(17  avril  1365).  Le  fait  raconté  dans  la  lettre  de  rémission  de  Charles  V,  de  juin  1366 
{Hist.  de  Languedoc,  t.  X,  p.  1360  suiv.)  se  réfère  probablement  à  l'an  1364.  Les  com- 
munautés de  la  sénéchaussée  de  Beaucaire  et  de  Nîmes  se  sentaient  coupables  d'avoir 
entretenu  des  rapports  avec  les  gens  des  Compagnies  dans  le  but  d'éviter  des  maux 
plus  graves  et  de  ne  point  payer  la  rançon  des  prisonniers. 


t:iABAI>    V    ET    LKS    <iHANDKS    CO^JÎ^AGNIES    .IlSOl^lX    130.*)  iV-) 

ment  de  plusieurs  ^  Cette  bulle  témoigne  encore  une  fois  qu'au 
début  l'action  d'Urbain  V  fut  dirigée  en  première  ligne  vers  le 
Languedoc. 

Le  8  septembre,  alors  qu'en  dépit  des  sentences  les  Compagnies 
continuaient  leurs  terribles  exploits,  Urbain  V  publiait  à  la 
Cour  Romaine  le  procès  qui  leur  était  intenté  dans  sa  bulle 
MiserahUis  '^. 

Le  Pape  constatait  dès  lors  que  les  Compagnies  du  Nord  de  la  i 
France  devenaient  aussi  redoutables  que  celles  du  Midi.  Aux  ' 
batailles  de  Cocherel  et  d'Auray,  les  deux  partis,  mais  surtout  les 
Navarrais  et  les  Anglais,  se  servirent  des  Compagnies,  qui,  la 
campagne  finie,  recommencèrent,  comme  nous  le  verrons  au 
paragraphe  suivant,  leurs  ravages  dans  ces  régions  :  à  tel  point 
qu'Edouard  même  les  désavoua  par  un  mandement  '^. 

Urbain  V  avait  non  seulement  saisi  le  danger  de  la  situation, 
mais  encore  il  voyait  clairement  d'où  provenait  l'impuissance  des 
efforts  tentés  pour  se  débarrasser  des  Compagnies.  Des  seigneurs,  [/ 
des  nobles  s'en  servaient  pour  leurs  intérêts  particuliers  ;  les  chefs 
des  bandes  vendaient  leurs  services  tantôt  à  l'un,  tantôt  à  l'autre  ; 
puis,  quand  la  cessation  de  la  guerre  privait  ces  bandes  de  leur 
solde,  elles  tombaient  sur  les  populations  et  recommençaient  leurs 
ravages.   En    Languedoc,  le   cri   de    plusieurs  Compagnies  était    : 

1.  Recf.  Aven.  Urbani  V,  n"  11,  fol.  506''  :  «  Ven.  fr....  archiepiscopo  Tholosan.  ejus- 
que  surt'raganeis,  salulem,  etc.  Dudum  ad  repressionem,  impugnationem  et  extermi- 
nium  quorundam  filiorum  iniquitatis,  qui  Societates  seu  compagnie  vulgariter 
dicebantur,  depopulantium  ferali  rabie  civitates,  terras,  castra  et  loca  senescalliarum 
Tholosan.,  Carcasson,  ac  Bellicadi'i...  universis  christifidelibus,  qui  adversus  hujus- 
modi...  dévote  pugnarent,  si  in  hujusmodi  pugna  décédèrent  aut  vulnerati...  alibi... 
de  hac  vita  migrarent,  plenam  remissionem  omnium  peccatorum  suorum,  de  quibiis 
corde  contriti  et  ore  confessi  forent...  duximus  indulgendam.  [Decernit  sue  inlentio- 
nis  existere,  quod  illi  dumtaxat  hujusmodi  indulgentiam  consequantur,  qui  sub 
duce...  ad  hoc  per  locorum  dominos  seu  ofliciales  deputato,  pugnaverint  contra  supra- 
dictos,  non  vero  ii  qui  absque  duce  et  inordinate  processerint  contra  cosdem  <<  quia 
nonnulli  ad  persecutionem  dictorum...  animosi,  absque  duce  contra  eosdem  proce- 
dentes...  occisi,alii  vero  capti  abeisdem...extiterunt  »].  Dat.  Avinicine  ix  kal.  Decem- 
bris  an,  III».  Plus  haut,  p.  413,  not.  1,  j'ai  déjà  rapporte  la  bulle  du  pape  adressée  à 
Arnould  d'Audrehem ,  regardant  un  cas  particulier. 

2.  Cela  est  dit  dans  la  bulle  d'Urbain  V  du  5  avril  1365  {Reçf.  Vat..  n"  217,  fol.  212  : 
«  qui  processus  die  octava  mensis  Septembris  ]>roxime  preteriti  in  dicta  curia  extitit 
publicatus  ». 

3.  IIymiîr,  /•beJer.i,  p.  7  i5  suiv.  Voy.  ci-dessous,  p.  470,  not.  7,  la  lettre  dUrbain  ^' 
adressée  A  ce  sujet  au  prince  de  Galles  le  11  janvier  1365. 

R.  P.  Denifle.  —  De.iofatin  ecclcainrum  [I.  29 


450  LA  GUERRE    DE    CENT    ANS 

Navarre  !  Ces  bandes  avaient  alors  panonceaux  aux  armes  du  roi 
de  Navarre  et  disaient  qu'elles  combattaient  pour  lui.  En  effet, 
Charles  le  Mauvais  aidait  et  soutenait  plusieurs  chefs  des  Com- 
pagnies ',  comme  il  parut  clairement  à  la  bataille  de  Cocherel.  Ce 
système  se  pratiquait  plus  ou  moins  partout,  c'est  pourquoi  les 
guerres  privées  étaient  alors,  pour  la  France,  plus  désastreuses 
que  jamais.  La  troisième  bulle  d'Urbain  V  fut  donc,  pour  cette 
raison,  dirigée  surtout  contre  les  seigneurs  et  les  nobles  :  elle 
contient  un  mot  contre  tous  ceux  qui  se  servaient  des  Compagnies 
et  contre  ceux  qui  se  mettaient  à  leur  tête,  s'enrôlaient  parmi  elles 
ou  les  favorisaient. 

Le  5  avril  1365,  il  publia  la  bulle  Clamât  ad  nos  qui,  de  prime 
abord,  est  destinée  à  toute  la  France.  Après  avoir  transcrit  une 
grande  partie  de  la  bulle  Miserabilis^  et  avoir,  une  fois  de  plus, 
déclaré  excommuniés  les  «  sociales  »,  et  surtout  «  eorum  capita- 
nos,  guidatores,  conestabiles  et  ofïiciarios  »,  il  ajoute  que  tous 
les  fauteurs  des  brigandages  commis  en  France  sont  excommuniés 
et  que  leurs  terres  sont  soumises  à  l'interdit  ecclésiastique.  Il 
dépouille  les  cités,  places  fortes,  châteaux,  villes,  populations,  etc., 
qui  ont,  de  quelque  façon,  pactisé  avec  les  Compagnies,  de  tous 
leurs  privilèges  et  libertés,  les  prive  de  leurs  lîefs  et  droits;  il 
déclare  que  désormais  tous  les  coupables  et  leurs  descendants, 
jusqu'à  la  troisième  génération,  seront  dans  l'impossibilité  d'obtenir 
ou  de  remplir  les  dignités,  offices,  bénéfices  ;  il  délie  les  vassaux 
et  les  hommes-liges  de  tout  serment  de  fidélité  envers  les  cou- 
pables; il  déclare  infâmes,  dans  le  sens  juridique  du  mot,  les 
«  sociales  »  et  leurs  fauteurs,  ainsi  que  leurs  fils  et  petits-fils  jus- 
qu'à la  troisième  génération.  Il  dépose  les  capitaines  et  officiers 
desdites  Compagnies,  les  «  sociales  »,  leurs  complices  et  fauteurs 
de  toutes  dignités,  honneurs  séculiers  et  offices  publics  dont  ils 
pourraient  être  revêtus,  et  enlève  l'honneur  chevaleresque  à  ceux 
qui  le  possèdent.  Quant  aux  clercs  ou  ecclésiastiques  qui  sont  parmi 
les  compagnons,  outre  lesdites  peines  et  sentences,  ils  sont  privés 
de  toutes  leurs  dignités,  personnats,  offices,  canonicats,  prébendes 

1.  C'est  ce  qu'écrivait  Arnoul  crAitdrehcm  au  roi  Charles  V,  comme  le  dit  ce  der- 
nier dans  son  Mémoire  de  1364,  destiné  à  Urbain  V,  dans  Secousse,  Preuves,  p.  203, 
n°  10  ;  p.  206,  n°  21  suiv. 


Urbain  v  et  les  grandes  compagnies  jusqu'en  13Go        iîjl 

et  bénéfices,  et  incapables  d'en  acquérir  de  nouveaux.  Le  Pape 
exhorte  le  roi,  ainsi  que  les  prélats  et  les  autorités  du  royaume,  à 
combattre  les  Gompag-nies  par  tous  les  moyens  possibles  '.  Le 
même  jour,  il  envoyait  au  roi  Charles  V,  Gui  de  Prohins,  gouver- 
neur de  Montpellier,  porteur  de  lettres  papales  -  que  je  suppose 
être  cette  bulle.  Le  1^'"  mai,  Urbain  V  mande  aux  évêques  de  Rouen, 
de  Tours,  de  Lyon,  de  Reims  et  de  Sens  d'exécuter  en  public  le 
procès  que  lui-même  a  fait  contre  les  Compagnies  dans  sa  bulle 
Clama f  ad  nos  ^. 

Mieux  qu'aucune  autre  chose,  cette  bulle  nous  révèle  quelle 
immense  plaie  les  Compagnies  étaient  pour  la  société  tout  entière. 
Le  Pape  avait  épuisé  contre  elles  et  contre  leurs  fauteurs  et  com- 
plices toutes  les  peines  susceptibles  de  leur  être  appliquées,  et  l'on 
comprend  facilement  quel  intérêt  avaient  les  «  sociales  »  k  ne  pas 
reconnaître  la  puissance  des  clefs  au  Souverain-Pontife^  dont  les 
bulles  menaçaient  leurs  biens,  leurs  moyens  d'existence,  leur  vie 
même.  Que  faire  en  présence  de  ces  bandes  malfaisantes  qui,  au 
lieu  de  se  soumettre,  devenaient  de  jour  en  jour  plus  audacieuses 
et  plus  nombreuses.  Non  seulement  tous  les  efforts  matériels  et 
spirituels  tentés  contre  elles  n'aboutissaient  point,  mais  ils  avaient 
pour  effet  de  les  propager.  Quand,  au  prix  de  grands  sacrifices, 
les  habitants  d'un  lieu  avaient  pu  se  débarrasser  d'une  Compagnie, 
une  autre  survenait.  Encore,  la  précédente  ne  quittait-elle  point  la 
France,  ni  même  souvent  la  province  qu'elle  occupait,  elle  chan- 
geait seulement  de  place  et  recommençait  dans  un  autre  endroit  son 


1.  Reff.  V.it.,  n"  247,  fol.  240'';  voy.  Raynald,  Ann.,  1365,  n<"  3,  i.  La  lettre  est 
aussi  dans  Arch.  nat.,  J  711,  n"  300  2  et  porte  la  date  «  non.  April.  an.  tertio  ».  C'est 
la  vraie  date.  Dans  le  Rerf.  ^  ni.,  la  lettre  est  insérée  dans  une  autre  adressée  :  «  \'cn. 
iVatribus...  archiepisc.  Remen.  ejusque  suflVaganeis  »  ;  la  date  qui  y  est  à  la  fin  et 
dans  Raynald,  1.  c,  c'est-à-dire  :  «  vj  id.  Aprilis  an.  tertio  »,  est  la  date  de  la  lettre 
à  rarchevcque,  et  non  jias  de  la  bulle  Clamnt  ad  nos.  Après  les  mots  (1V)1.2»6  '')  :  «  non 
obstantibus  constitutionibus  contrariis  quibuscunque  »,  l'écrivain  du  Reyi.'itre  a  omis 
d'écrire  la  date.  —  Tout  ce  qui  est  nouveau  dans  cette  lettre  et  dont  j'ai  touché 
seulement  quelques  mots  plus  haut,  se  trouve  une  seconde  fois  dans  la  bulle  Quam  sil 
plena  periciilis,  de  1367,  et  je  renvoie  le  lecteur  à  la  Chron.  du  rel.  de  Saint-Denys, 
éd.  Bellaguet,  IV,  p.  540  à  546,  et  à  la  Chronocjr.,  II.  p.  315  à  319.  Raynai.d  a  trop 
abrégé  cette  partie. 

2.  Reg.  Vat.,  n"  247,  fol.  70'':  Pnou,  p.  J26.  n»  50. 

3.  Recf.  Vat.,  n"  261,  fol.  156.  Dans  Arch.  nat.,  J  711,  n"  300  <»,  esl  la  même  bulle, 
adressée  à  l'archevêque  de  Reims. 


4o2  l\    GL'ERRE    DE    f.E.NT    ANS 

affreux  métier.  Cette  triste  situation  n'était  plus  soutenable  :  le 
Pape  et  le  roi  devaient  donc  songer  aux  moyens  les  plus  efficaces 
à  employer  contre  ce  terrible  fléau.  Avant  d'exposer  leurs  projets, 
et  de  terminer  ce  récit  de  l'action  d'Urbain  V,  jetons  un  coup  d'oeil 
sur  les  Compagnies  dans  le  reste  de  la  France. 


3.    Les    Compagnies    au    delà    de    la    Loire.    Cocherel    et  Auray. 

Bourgogne.  Lorraine. 

Nous  suivrons  dans  cet  exposé  l'ordre  des  faits.  C'est  celui  que 
je  trouve  le  meilleur  pour  arriver  au  but  que  je  me  propose  ici  : 
montrer  l'extension  des  bandes  au  delà  de  la  Loire  pendant  que  les 
Grandes  Compagnies  dévastaient  le  Midi.  Seulement  je  ne  donnerai 
qu'un  choix  des  faits.  Cet  exposé  ne  devant  servir  qu'à  mieux 
comprendre  la  désolation  des  églises  et  monastères  de  ces  contrées, 
j  il  peut  être  d'autant  plus  bref  que  celui  que  nous  donne  Luce  ^  à  ce 
sujet  est  un  solide  fondement  pour  toutes  les  recherches  que 
voudront  faire  les  historiens  qui  suivront. 

Commençons  par  la  guerre  que  Du  Guesclin  ht  aux  Compagnies 
dans  le  comté  d'Alençon,  le  Perche,  le  Maine,  l'Anjou  et  la 
Normandie. 

Dans  ces  contrées,  les  Compagnies  étaient  les  garnisons 
anglaises  qui,  en  dépit  du  traité  de  Bretigny  et  des  ordres  formels 
d'Edouard  III  et  de  ses  commissaires  2,  refusaient  trop  souvent 
d'évacuer  les  places.  Dans  la  seconde  moitié  de  1360,  Du  Guesclin 
commença  sa  campagne  contre  les  Compagnies  dans  le  Maine^ 
emportant  d'assaut  Sablé,  Saint-Brice  et  quelques  autres  repaires 
du  brigandage.  Mais,  se  dirigeant  vers  le  Bas-Maine,  au  pont  de 
Juigné-sur-Sarthe,  il  fut  fait  prisonnier  dans  un  combat  acharné 
que  lui  livra  Hugh  de  Calverly,  et  sa  rançon  fut  fixée  par  ce  dernier 
à  trente  mille  écus  ^.  C'est  seulement  après  le  payement  de  sa 
rançon  qu'il  reprit  sa  campagne,  le  18  octobre. 

1.  Dans  le  chapitre  XI,  Du  Guesclin  et  les  Compagnies^  et  les  suivants,  qui  sont,  à 
coup  sûr,  les  meilleurs  de  son  livre,  Ilisl.  de  B.  du  Guesclin. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  370  suiv. 

3.  Luge,  Du  Guesclin,  p.  347  ;  Chron.  norm.,  p,  158  suiv. 


LES    COMPAGNIES    AU    NOHD.    COCHEREL    ET    ALRAY,    13Bi,     13(io     453 

Dans  le  Perche ^  ainsi  que  dans  tous  les  environs,  des  bandes 
faisaient  la  terreur;  elles  y  occupaient  des  forteresses  dont  l'une, 
Brozolles,  fut  assiégée  par  le  connétable  de  France,  Robert  de 
Fiennes,  en  novembre  1361.  Du  Guesclin  ,  qui  se  trouvait  alors  à 
Pontorson,  rassembla  une  Compagnie  et  se  disposa  à  rejoindre  le 
connétable.  Chemin  faisant,  il  surprit  les  Anglais  à  Briouze,  dans 
le  comté  d'Alençon.  Il  y  fît  prisonniers  une  centaine  d'hommes  et 
leur  capitaine.  Sans  perdre  de  temps,  il  continua  sa  marche  sur 
BrezoUes.  Cette  place  se  rendit  bientôt  ^ 

Tel  fut  le  modeste  début  de  cette  campagne  contre  les  Anglais. 
Cependant  Du  Guesclin  y  montrait  déjà  cette  activité  merveilleuse 
qui  lui  était  caractéristique  et  avec  laquelle  il  savait  si  bien  sur- 
prendre l'ennemi.  «  Jules  César  et  le  bon  conestable  Du  Guesclin 
gaignèrent  tout  par  ceste  célérité  »,  disait  Jean  Gerson  en  1 40o  2, 
et  cette  renommée  lui  reste  encore  aujourd'hui. 

D'ailleurs,  le  dauphin  Charles  le  récompensa  de  ses  bons 
services.  Il  lui  donna  en  toute  propriété  le  château  de  la  Roche- 
Fesson,  situé  dans  la  Basse-Normandie,  entre  Avranches  et  Saint- 
Lô.  Ce  fut  comme  en  reconnaissance  de  ce  don,  que  Du  Guesclin 
surprit  habilement,  près  de  S'-Guillaume  de  Mortaing  '^^  600  Anglo- 
Gascons,  dont  il  tua  ou  fît  piûsonniers  un  très  grand  nombre,  au 
commencement  de  1362.  Puis,  de  concert  avec  Robert  de  Fiennes, 
il  attaqua  les  Anglais  qui  s'étaient  fortifiés  dans  l'abbaye  bénédic- 
tine de  Saint-Martin  de  Séez  ;  après  une  lutte  acharnée ,  les 
Anglais^  venus  au  secours  de  leurs  compatriotes,  furent  obligés  de 
battre  en  retraite,  et  la  garnison  se  vit  forcée  de  rendre  l'abbaye  qui 
devait,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  tard,  être  détruite  en  1362, 
mais  dont  les  moines  furent  dispersés.  Vers  le  même  temps,  un 
Anglais,  Pierre  Hoppequin,  qui  occupait  depuis  1339  l'abbaye  des 
Prémontrés  de  Silli-en-Gouffern,  fit  une  incursion  dans  la  riche 
abbaye  bénédictine  de  Saint-Pierre-sur-Dives  et  la  mit  au  pillage  ; 
mais  bientôt  il  fut  tué  avec  un  grand  nombre  de  ses  hommes  dans 
un  combat  que  lui  livrèrent  les  Français  '♦.  D'autres   compagnons 

1.  Chron.  norm.,  p.  157  suiv.;  Luce,  1.  c,  p.  354,  355  suiv. 

2.  Voy.  Charlul.  Universitat  Paris.,  IV,  n°  1819. 

3.  Chron.  norm.,  p.  160  suiv.  ;  Luci:,  p.  358. 

4.  Chron.  norni.,  p.  150  siiiv.,16i:  I.icl:,  I.  c,  3(iU. 


1 


454  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

mirent  à  sac  l'abbave  bénédictine  de  Saint-Evrault,  dont  la  misère 
nous  est  déjà  connue,  si  bien  que  le  10  avril,  le  roi  d'Angleterre 
lui-même  écrivit  à  Jean  Ghandos  de  forcer  ces  pillards  à  rendre  les 
rançons  qu'ils  avaient  prélevées  sur  ladite  abbaye  K 

En  Normandie,  la  Compagnie  la  plus  redoutable  était  celle  de 
James  Pipe,  qui,  ne  se  croyant  pas  lié  par  le  traité  de  Bretigny, 
continua  la  campagne.  Il  ravagea  la  Basse-Normandie,  s'empara  de 
Rupierre,  au  nord-est  de  Gaen,  et  du  Hommet,  et  n'évacua  ces 
places  fortes  que  moyennant  la  somme  de  quinze  mille  royaux  -. 
Mais  cela  servit  peu.  Vers  le  17  avril  1362,  il  prit  l'abbaye  bénédic- 
tine de  Cormeilles,  s'y  fortifia,  et,  de  là,  rançonna  toute  la 
région  comprise  entre  Lisieux  et  Pont-Audemer  ;  pendant  ce 
temps,  ses  bandes  menaçaient  la  ville  de  Rouen  ^.  Nous  avons  vu 
que  l'abbaye  ci-dessus  nommée  fut  infestée  par  les  ennemis  même 
avant  le  traité  de  Bretigny  ^.  Robert  de  Fiennes,  rappelé  par  le  roi 
Jean  contre  les  Compagnies  qui  guerroyaient  en  Bourgogne,  vint, 
avec  Du  Guesclin,  assiéger  James  Pipe  à  Cormeilles.  Celui-ci,  non 
sans  avoir  reçu  une  somme  convenue  ^,  rendit,  vers  le  mois  d'août 
1362,  l'abbaye  à  Du  Guesclin  qui,  peu  de  temps  après,  fut  égale- 
ment vainqueur  de  Jean  Jouel,  chef  redouté  de  la  garnison  anglo- 
navarraise  de  Livarot  ^^  à  Pas-du-Breuil ,  près  de  Lisieux.  Cette 
place  avait  été  assiégée  en  vain  par  Robert  de  Neubourg,  seigneur 
de  Livarot  ^. 

Après  avoir  fait  la  paix  avec  le  roi  Jean  au  traité  de  Bretigny, 
Philippe  de  Navarre  devint  l'allié  des  Français  pour  leur  campagne 
contre  les  garnisons  anglaises  en  Normandie  depuis  1363.  Pour 
joindre  ses  efforts  à  ceux  des  Français,  il  assembla  la  noblesse  de 
Normandie  et  les  milices  de  Rouen.  Ces  forces  réunies  essayèrent 
de  chasser  des  forteresses  situées  entre  Saint-Lô  et  Vire  les 
Compagnies    qui    les    occupaient^.  Aulnay    fut    repris,  mais    non 


1.  Rymer,  Foedera,  III,  p.  644.  Voy.  ci-dessus,  p.  300. 

2.  Delisle,  Hist.  du  château  et  des  sires  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte,  p.  123,  125. 

3.  Ibid.,  125  suiv. 

4.  Ci-dessus,  p.  299  suiv. 

5.  LucE,  p.  360  suiv.,  369  suiv, 

6.  Chron.  norm.,  p.  174;  Luce,  p.  371. 

7.  De  la  Rue,  Nouveaux  essais  sur  la  ville  de  Caen^  II,  p.  228. 

8.  Sur  les  diverses  étapes,  voy.  Delisle,  1.  c,  p.  127. 


LES    COMPAGMES    AU    NORD.    COCIIEREL  ET    AURA  Y,    i3(J4,    1365      ioo 

Cotigny  et  Goulonces  K  Vers  le  même  temps,  les  Ang-lo-Navarrais 
occupaient  un  certain  nombre  de  forteresses  du  Bessin  ,  d'où  ils 
rançonnaient  le  plat  pays  des  environs  de  Bayeux.  Ils  s'emparaient 
de  Beaumont-le-Richard,  de  Quesnay  du  Molay  et  du  fort  de  la 
Ramée  à  Trévières  ;  de  ces  points,  ils  pillaient  les  paroisses 
voisines,  brûlaient  les  maisons,  faisaient  des  prisonniers.  Les 
paroisses  devenaient  désertes,  et  on  ne  labourait  plus  -. 

Ainsi,  malgré  le  traité  de  Bretigny  ,  la  guerre  ne  cessait  pas 
dans  ces  régions.  La  chasse  aux  Compagnies  était  un  travail  de 
Sisyphe.  Quand  on  les  avait  expulsées  d'un  endroit  à  prix  d'argent 
ou  par  la  force  des  armes,  elles  se  transportaient  aussitôt  ailleurs. 
Non  seulement  les  Anglais  et  les  Navarrais  dévastaient  ces  régions, 
mais  encore  les  Gascons  et  les  Bretons.  Ces  derniers,  à  peu  près 
ruinés  par  la  guerre  de  la  Succession,  s'étaient  formés  en  Compa- 
gnies pour  chercher  dans  le  pillage  une  compensation  à  la  perte  de 
leur  solde.  Nous  trouvons,  en  1360  et  en  1361,  des  Bretons  et  des 
Gascons  dévastant  une  partie  du  Poitou  et  de  VAnjou^  comme  le 
dit  Jean  de  Venette  ;  ils  s'y  emparaient  de  plusieurs  forteresses, 
occupaient  le  prieuré  bénédictin  de  Cunault,  entre  Angers  et 
Saumur,  et,  sous  les  ordres  d'un  capitaine  anglais,  Robert 
Markaunt,  occupaient  également  Vendôme.  Bientôt  les  Bretons  se 
répandirent  dans  le  Chartrain,  l'Orléanais,  et  pillèrent  les  cam- 
pagnes jusque  vers  Paris  '^.  Cet  état  de  choses  empira  en  1362, 
surtout  dans  la  Beauce  ;  les  habitants  de  la  campagne  étaient  obli- 
gés de  se  réfugier  dans  les  places  fortes  ^.  La  peste  faisait  d'innom- 
brables victimes  ;  les  impositions  et  les  gabelles  pesaient  d'une 
façon  intolérable  sur  le  peuple,  de  sorte  que  beaucoup  de  familles 
s'expatriaient  pour  chercher  un  sort  meilleur  ^.  C'est  seulement 
en  1366  que  Robert  Knolles  restitua  la  Gravelle,  «  Grena  »  et 
d'ingrandes,  des  diocèses  d'Angers  et  du  Mans,  qu'il  avait  pris  à 
main  forte.   Ses  bandes  les    tinrent    longtemps   occupés    et  de  là, 


1.  Delisle,  1.  c,  p.  127  ;  Luce,  p.  383  suiv,,  385  suiv. 

2.  De  la  Rue,  1.  c.  p.  230  suiv.;  Delisle,  p.  228,  où  sont  tous  les  détails,  et  Luce, 
p.  414  suiv.,  où  est  racontée  la  campagne  des  Français  contre  les  occupants. 

3.  Jean  de  Venette,  p,  318  suiv.  ;  cf.  Contin.  de  B.  Lescot,  p.  149, 

4.  Ibid.,  p.  322. 

5.  Voy.  sur  tout  cela  ibid. 


4o()  LA    GUERRE    DE    CENT    A>S 

associées  quelquefois  aux   Compagnies,  elles  portèrent  les  ravages 
dans  tout  le  pays,  en  rançonnant  leurs  prisonniers  ^ 

Nous  avons  vu  comment  VOrléanais,  même  après  la  conclusion 
du  traité  de  Bretigny,  était  infesté  par  les  Compagnies.  Vers  le 
30  mars  1363,  nous  y  trouvons  des  Anglais,  au  nombre  de  cinq 
cents,  qui  se  fussent  emparés  de  la  ville,  si  un  enfant  n'eût, 
comme  par  miracle ,  réveillé  les  sentinelles  qui  dormaient.  Les 
Carmes,  situés  hors  de  la  ville,  qui,  comme  les  autres  ecclésias- 
tiques, avaient  tant  souffert  en  1359^,  se  virent  dérober  les 
meubles,  soit  de  leur  maison,  soit  de  leurs  églises  ^.  L'abbaye 
bénédictine  de  Saint-Benoît-sur-Loire  était  alors  au  pouvoir  des 
Bretons;  elle  ne  leur  fut  rachetée  que  vers  la  fin  de  1365,  au 
moyen  d'une  aide  levée  sur  les  habitants  de  l'endroit  et  des 
environs  ^.  Vers  1362,  le  prieuré  de  Notre-Dame  d'Ambert  tomba 
aux  mains  de  l'ennemi  ;  le  prieur  et  les  religieux  se  réfugièrent  à 
Orléans  \ 

Des  rapports  existaient  entre  les  Compagnies  du  Chartrain  ,  de 
la  Beauce  et  de  l'Orléanais;  en  1362  ou  1363,  plusieurs  de  leurs 
compagnons,  déguisés,  coururent  jusque  vers  Paris;  ils  s'empa- 
rèrent par  ruse  de  la  forteresse  de  Murs,  près  Corbeil,  d'où  ils 
dévastèrent  tous  les  environs  ;  beaucoup  d'habitants  se  réfugièrent 
à  Paris  *•.  Il  n'est  pas  surprenant  que  les  communications  entre 
Paris,  Chartres,  Orléans  et  l'Anjou  aient  été  presque  interceptées  à 
cause  des  bandes  et  des  Compagnies.  Personne  n'osait  quitter  les 
places  fortes  ^. 

En  Touraine^  c'étaient  encore  les  Bretons  qui  occupaient 
quelques  forteresses.  Nous  avons  déjà  vu  que  sous  les  ordres  de 
Basquin   de  Poncet,  la  place   forte  de  Véretz   était   en   leur  pou- 

i.  Cela  est  dit  par  Urbain  V  dans  sa  lettre  du  29  mai  1366,  Becf.  Vat.,  n"  255,  fol.  32  ; 
Prou,  Éfude,  etc.,  p.  Ii9,n"  69.  Les  trois  lieux  s'appellent  :Gravella,Grena,  Engrandia. 
Sur  d'autres  Compagnies,  mentionnées  en  1365,  voy.  ci-dessous  à  la  fin  du  cinquième 
paragraphe. 

2.  Ci-dessus,  p.  231. 

3.  Jean  de  Venette.  p.  322.  Contin.  de  R.  Lescot.  p.  155.  Bimuenet,  Hisl.  de  la  ville 
d'Orléans,  II,  p.  292  suiv.,  est  muet  sur  ce  fait. 

4.  Luge,  p.  481. 

5.  Ibid.,  p.  479. 

6.  Cf.  le  récit  dans  Jean  de  Vexette,  p.  327  suiv.  ;  Contin.  de  R.  Lescot.  p.  157. 

7.  A'oy.  Jeax  de  Venette.  p.  319. 


LES    COMPAGNIES    AU    NORD.    COCIIEREL    ET    AURAY,    1361,    1363     4o7 

voir  *.  L'évacuation  imposa  un  lourd  sacrifice  aux  habitants  de 
Tours,  car  elle  ne  devait  s'effectuer  que  moyennant  2900  écus  d'or  ~. 
A  la  fin  de  1363,  Montlouis  qui,  comme  je  l'ai  déjà  fait  remarquer, 
fut  «  affaibli  »  en  1358  ou  1359,  attira  les  Anglais  ou  Bretons  pour 
s'y  fortifier  ^.  11  se  peut  que  ces  bandes  soient  les  mêmes  que  celles 
qui  étaient  venues  en  France  pour  le  roi  de  Navarre,  «  et  y  prindrent 
certains  fors  comme  environ  Tours  et  y  firent  guerre  »,  comme  dit 
Charles  V,  en  1364  ^.  Ceci  prouve  que  plusieurs  forteresses  étaient 
occupées  par  les  ennemis.  La  rigueur  de  l'hiver  était  très  favorable 
à  leurs  exploits  :  la  Loire  était  gelée  ^,  on  pouvait  la  passer  sans 
difficulté.  Mais,  en  1365,  la  Touraine  était  probablement  délivrée  des 
Bretons;  pour  des  faits  antérieurs,  les  Tourangeaux  donnaient  100 
francs  à  Olivier  Du  Guesclin  en  témoignage  de  reconnaissance  ^.  A 
Tours  et  en  Touraine,  on  travaillait  assidûment  aux  fortifications,  ce 
qui  donnait  lieu  à  de  nouvelles  impositions  sur  les  habitants.  On  ne 
négligeait  pas  non  plus  de  faire  constamment  le  guet,  parce  qu'on 
ne  se  sentait  pas  en  sûreté  ^.  La  continuelle  correspondance  de 
Tours  avec  Paris,  Vendôme,  Blois  et  d'autres  villes,  surtout  en 
1364,  n'est  pas  moins  significative  ^. 

Les  plus  grands  faits  de  cette  époque  sont  la  bataille  de  Cocherel 
et  d'Auray.  La  première  devait,  à  l'avenir,  être  très  nuisible  à 
l'affaire  de  Charles  le  Mauvais  ;  la  seconde  mit  fin  à  la  guerre  de  la 
Succession  de  Bretagne.  Ces  deux  faits  se  confondent  avec  l'histoire 
des  Compagnies  dans  le  Nord. 

1.  Ci-dessus,  p.  288  suiv, 

2.  Delaville  le  Roulx  ,  Registres  des  comptes  municipaux  de  la,  ville  de  Tours, 
I,  p.  229,  not.  1. 

3.  Ihid.,  n°  1459  à  1463. 

4.  Dans  son  Mémoire,  éd.  par  Secousse,  Preuves,  p.  206.  Cf.  p.  204. 

5.  Le  30  janvier  1364,  la  ville  de  Tours  employait  38  hommes  «  pour  rompre  les 
glaz  de  Loii'e,  depuis  la  tour  carrée  jusques  aux  Jacoupins  ».  Delaville  le  Roulx, 
n°  1466. 

6.  Ibid.,  n"  1597.  C'était  pour  la  délivrance  des  places  occupées  par  les  Bretons  : 
Montlouis.  Les  Ruches,  Les  Odes  (Houdes)  et  Chenonceaux.  Voy.  ci-dessus,  p.  288. 
Li;cE,  Du  Guesclin,  p.  476  suiv.,  ne  nomme  pas  ces  quatre  places  fortes  dans  son 
tableau  des  lieux  forts.  Sur  le  nom  Houdes,  Oudes,  comme  écrit  Cassini,  Odes,  voy. 
Busserolle,  Dictionnaire  i/éograph.,  hist.  d'Indre-et-Loire,  III,  p.  350.  Il  écrit,  II, 
p.  226  :  Chenonceau. 

7.  Delaville  le  Roulx,  n""  1322,  1398  suiv,,  1470.  1480,  1528,  1593  suiv.,  1680,  1686, 
1689  suiv.,  1724  suiv. 

8.  Ibid.,  p.  290  suiv.,  et passim. 


4o8  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Le  21  novembre  1361,  Philippe  de  Rouvres,  duc  de  Bourgogne, 
étant  mort  sans  laisser  d'enfants,  le  roi  Jean  prit  possession  du 
duché  comme  d'un  héritage  lui  étant  échu  par  succession  , 
ainsi  que  l'écrit  Secousse.  Mais  Charles  le  Mauvais,  cousin  issu  de 
germain  du  dernier  duc,  prétendit  avoir  des  droits  sur  la  Bour- 
gogne, et,  dans  le  courant  de  l'année  i3(i2,  il  dépécha  à  plusieurs 
reprises  des  ambassadeurs  auprès  du  roi  Jean,  qui  n'en  tint  aucun 
compte  ^  Charles  le  Mauvais,  qui  se  trouvait  alors  en  Navarre,  se 
prépara  à  reprendre  la  lutte,  bien  que  le  roi  n'eût  manifesté  contre 
lui  aucun  sentiment  hostile.  Le  Navarrais  fît  attaquer  en  sous- 
main  le  royaume  par  un  certain  nombre  de  chefs  de  Compagnies, 
surtout  en  Languedoc  -. 

Le  bascot  de  Mauléon  confesse  également  qu'il  avait,  avec  ses 
compagnons,  fait  la  guerre  dans  le  Berry  et  dans  le  Nivernais  «  au 

1.  Voy.  Secousse,  >/em.,  II,  p.  4  à  6,  suivi  par  Luce,  p.  408.  Sur  rambassadc 
envoyée  par  Charles  le  Mauvais  auprès  du  roi  Jean,  voy.  l'Instruction  que  Charles  V 
fît  dresser,  vers  le  milieu  de  Tannée  1364,  pour  le  duc  d'Anjou,  dans  Secousse, 
Preuves,  p.  200  suiv. 

2.  Voy.  ci-dessus,  paragraphe  2.  Tout  cela  est  décrit  dans  llnstruction  citée  de 
Charles  V.  Cf.  Froissart,  VI,  p.  87.  E.  Meyer,  dont  le  livre,  Charles  II,  roi  de 
Navarre,  comte  d'Evreux  (1898),  me  tombe  à  présent  sous  les  yeux,  ne  donne  pas  foi 
(p.  157)  à  l'assertion  des  chroniqueurs,  relative  aux  préparatifs  de  guerre  de  Charles  de 
Navarre.  Mais  cet  auteur  a  tellement  pris  parti  pour  lui  contre  les  rois  Jean  et  Charles  V 
et  contre  tous  les  bons  Français  qu'il  regarde  toutes  les  sources  royalistes  et  les  «  écri- 
vains royalistes  »  comme  suspects,  ineptes  et  faux.  Je  parlerai  sur  ce  point  dans  ma 
Préface.  Cependant,  comme  ailleurs,  Meyer  s'est  trompé  aussi  cette  fois.  Les  chroni- 
queurs royalistes  ne  sont  pas  seuls  à  parler  des  préparatifs  hostiles  de  Charles  le 
Mauvais  contre  la  France.  Urbain  V  même,  le  15  avril  1363,  c'est-à-dire  un  an  avant 
la  prise  de  Mantes  et  de  Meulan  par  Du  Guesclin,  exhorte  Charles  de  Navarre  à  s'ab- 
stenir de  toutes  rancunes  et  entreprises,»  attentissimoque  studio  caveas  ne  contra  pre- 
fatum  tuumsocerum  (Johannem)  attemptes  facere  seu  fieri  facere  aliquam  noxiam  novi- 
tatem  »,  etc.  Meyer  pouvait  connaître  tout  cela,  car  Piiou  a  publié  cette  bulle,  prise  au 
Reg.  Vat.,  n°  245,  fol.  127,  dans  son  Étude,  p.  102,  n°  16,  et  p.  39  suiv.,  et  en  adonné 
un  très  utile  aperçu.  L'Instruction  de  Charles  V  est,  sur  un  autre  point  encore, 
d'accord  avec  Urbain  V.  Charles  V  y  dit  que  le  pape  envoya  pour  cette  affaire,  au 
roi  de  Navarre,  les  cardinaux  de  Boulogne  et  de  Thérouanne.  En  effet,  Urbain  V 
envoyait,  le  13  février  1364,  ces  deux  cardinaux  auprès  des  deux  rois,  comme  nous 
lisons  dans  Reg.  Vat.,  n°  246,  fol.  124''.  Meyer  pouvait  lire  cela  dans  Ray.nald,  Ann., 
1364,  n°  15.  Le  cardinal  de  Boulogne  quitta  bientôt  Avignon  et  alla  vers  la  Navarre 
auprès  de  Charles  le  Mauvais;  le  19  février,  il  écrit  déjà  de  «  Narbonne  »,  qu'il  est  sorti 
de  la  Cour  Romaine  «  pro  tractandopacem  inter  regem  Francie...  et  regem  Navarre... 
Scriptum  Narbonne  xix  die  Februarii».  Arch.  Vat.,  arm.  53,  tom.  9,  p.  81,  dans  «  copia 
littere  misse  magno  senescallo  per  dominum  Bolonie  ».  Par  cette  lettre,  est  confirmé 
le  fait  que  Charles  le  Mauvais  n'était  pas  alors  à  Cherbourg,  comme  prétend  Froissart 
et,  d'après  lui,  Dupont,  Hist.  du  Cotentin,  II,  p.  379,  mais  en  Navarre. 


LES    COMPAGMES    AU    NOKD.    COCHEREL    ET    AURAY,    1364,    1365    4o9 

veu  et  au  tiltre  du  roy  de  Navarre  qui  nous  entretenait  ^  ».  De  plus, 
Charles  de  Navarre  s'assura  encore  de  l'appui  du  roi  d'Angleterre 
et  du  prince  de  Galles. 

Sur  ces  entrefaites,  Louis,  duc  d'Anjou,  l'un  des  otages  du  traité 
de  Bretigny,  violant  sa  parole ,  rentra  en  France  et  regagna  ses 
terres  -,  ce  qui  engagea  le  roi  Jean  à  retourner  en  Angleterre.  Ce 
dernier  arriva  à  Londres  le  5  janvier  1364,  après  avoir  d'abord  érigé 
en  duché-pairie  le  duché  de  Bourgogne,  qu'il  donnait  à  son  fils 
Philippe  '^,  et  nommé,  le  6  septembre,  le  dauphin  Charles  régent 
du  royaume  pendant  son  absence.  Charles  se  mit  aussitôt  en 
mesure  de  faire  la  guerre  au  Navarrais  ;  il  redoubla  même  les 
préparatifs  lorsqu'il  fut  devenu  roi  de  France  après  la  mort  de  son 
père,  survenue  en  Angleterre  le  8  avril  de  la  même  année  ^. 
L'évasion  du  duc  d'Anjou,  son  frère,  en  provoquant  l'irritation 
d'Edouard  III,  lui  suscita  encore  un  nouvel  ennemi. 

Pendant  l'été  de  1363,  le  roi  d'Angleterre  donnait  ordre  au 
fameux  Jean  Jouel,  qui  tenait  plusieurs  forteresses  en  Normandie, 
de  faire  la  guerre  à  la  France  en  son  propre  nom.  C'était  «  une 
guerre  couverte  ».  Jean  Jouel  ouvrit  sa  campagne  en  Normandie, 
ravageant  et  pillant  le  pays,  rançonnant  les  habitants.  Il  prit  le 
fort  d'Auvilliers,  mais  Philippe  de  Navarre  l'empêcha  d'attaquer 
Bernay.  En  octobre,  il  s'empara  du  donjon  de  Rolleboise,  barrant 
la  Seine  entre  Paris  et  Rouen.  Ses  bandes  ou  quelques  autres 
continuèrent  leurs  courses  dévastatrices  jusqu'à  Poissy  et  au  delà 

1.  Froissart,  éd.  Lettexhove,  XI,  p.  112. 

2.  Froissart,  éd.  Luce,  VI,  p.  89.  En  novembre  1362,  les  quatre  ducs  conclurent  un 
traité  avec  Edouard  III  (Voy.  Rymer,  p.  661,  681  suiv.,  685,  694,  699  suiv.  Cf.  Pauli, 
Gesch  V.  England^  IV,  p.  435),  et  le  duc  d'Anjou  avait  fait  serment  de  ne  pas  partir  de 
Calais  où  il  demeurait,  en  cas  de  non  exécution  dudit  traité  (Lettenhove,  Froissart, 
VI,  p.  506  suiv.)  Sur  son  départ  de  Calais  (un  peu  avant  le  20  novembre  1363),  voy. 
Chronogr.,  II,  p.  298,  avec  d'amples  détails;  Jean  de  Noyal,  dans  V  Annuaire-Bulletin 
de  la  Soc.  de  VHisl.  de  France,  année  1883,  p.  262.  Cf.  encore  Jean  de  Venette, 
p.  332. 

3.  Plancher,  Hisl.  de  Bourgogne,  II,  Preuves,  p.  278  suiv. 

4.  Il  existe  sur  ces  préparatifs  quekjues  lettres  du  roi  Charles  :  une  du  14  ^2)  avril, 
dans  laquelle  la  mort  du  roi  Jean  est  déjà  mentionnée  (Du  Chatellier,  Invasion  de 
Vétranger  dans  les  XI V"  et  XV"  siècles,  1872,  p. 13  suiv.),  et  deux  autres  du  même  mois 
dans  Delisle,  Mandements  de  Charles  V,  p.  1,  n°  1,  et  p.  5,  n°  7.  Lettenhove,  Frois- 
sart, t.  XVIIl,  p.  478  suiv.,  après  la  prise  de  Mantes.  La  nouvelle  de  la  mort  du  roi 
Jean  ne  parvint  à  Paris  que  le  16  avril.  Voy.  Lemoine,  Richard  Lescot,  p.  166, 
net.  4. 


460  LA    GUERRE    DE    CEINï    AISS 

de  la  Seine,  en  Vexin  et  jusqu'à  Pontoise,  profitant  de  ce  que  le 
fleuve  était  gelé  ^ . 

Par  l'ordre  du  dauphin,  Du  Guesclin  et  Maury  mirent  le  siège 
devant  Rolleboise,  dont  la  défense  fut  opérée,  au  commencement 
de  mars  1364,  par  le  brabançon  Wauter  Strael  à  la  place  de  Jean 
Jouel.  Mais  bientôt  alarmé  par  le  bruit  de  la  concentration  des 
troupes  navarraises  sous  les  ordres  du  captai  de  Buch,  le  régent 
chargea  le  maréchal  Boucicaut  d'aller  rejoindre  Du  Guesclin  et  de 
reprendre,  de  concert  avec  lui,  les  deux  forteresses  navarraises  de 
Mantes  et  de  Meulan.  Cet  ordre  fut  exécuté  les  7  et  11  avril;  les 
habitants  des  deux  villes  furent  dévalisés  tant  par  les  Français  que 
par  les  ennemis  -.  Vers  la  mi-mai,  à  la  veille  de  la  bataille  de 
Gocherel,  Guillaume  du  Merle,  seigneur  de  Messei,  le  principal 
lieutenant  de  Du  Guesclin  dans  le  Bessin,  battait  les  Navarrais  à 
Ecausseville,  entre  Valognes  et  Carentan,  ensuite  il  attaquait  et 
s'emparait  de  leurs  deux  forteresses  du  Pont-d'Ouve  et  de  Carentan  '^. 

Charles  le  Mauvais,  alors  en  Navarre,  envoya  des  troupes  com- 
mandées par  divers  capitaines  :  Jean  de  Grailly,  le  captai  de 
Buch,  Jean  Jouel,  qui  se  nommait  duc  de  Normandie,  le  Bascon 
de  Mareuil,  Robert  Chesnel ,  la  terreur  des  paysans  du  comté 
d'Alençon,  Robert  Scot,  enfin  Jacques  Plantin  qui  désolait  depuis 
dix  ans  les  environs  de  Pontorson,  les  marches  du  Perche,  du 
Maine  et  de  l'Anjou  ^.  On  se  rappelle  que  Jacques  Plantin  et  Jean 
Jouel  se  trouvaient  parmi  les  capitaines  qui,  en  1358,  servaient  à 
Paris  les  funestes  desseins  de  Charles  le  Mauvais  et  d'Etienne 
Marcel '^.  Les  Français  avaient  à  leur  tête  Du  Guesclin,  capitaine 
général  dans  le  duché  de  Normandie  et  dans  les  pays  situés  entre 
Seine  et  Loire  depuis  le  24  avril,  le  comte  d'Auxerre,  le  vicomte 

1.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  129,  131,  135,  136  suiv.;  Jeax  de  Venette, 
p.  330  ;  Contin.  de  R.  Lescot,  p.  159  ;  Luce,  Du  Guesclin,  p.  199  suiv.,  où  sont  d'autres 
détails. 

2.  Voy.  sur  ces  faits,  Luce,  p.  426  suiv.  Cf.  encore  p.  423,  suiv.  Lemoine,  Chron.  de 
R.  Lescoi,  p.  164,  not.  2,  rapporte  qu'à  cette  occasion  la  reine  Blanche  perdit  ses 
joyaux. 

3.  Chron.  norm.,  p.  170.  Sur  la  date  et  tous  les  détails  voy.  Luce,  Du  Guesclin  en 
Normandie,  dans  Revue  des  questions  hist.,  1893,  p.  382  suiv.,  384,  386,  388  suiv. 

4.  Cf.  Luce,  Du  Guesclin,  p.  436  suiv.,  comme  p.  340,433,  il  y  écrit  «  Robert  Sercoi  » 
au  lieu  de  «  Robert  Scof  ».  Hecle  Froissart,  p.  uxxix. 

5.  A'oy.  ci-dessus,  p.  167. 


LfiS   COMPAflMES    AC    NORD.   COCIIERKL    KT    AURAY,    1364,    i3G.'>     461 

de  Beaumont,  Louis  de  Chalon,  l'Archiprêtre,  des  gens  du  seigneur 
d'Albret,  Petiton  de  Curton  et  Bertucat  d'Albret  ^ 

Le  16  mai,  l'action  entre  les  deux  armées,  dont  chacune  ne 
comptait  guère  que  1.500  lances,  non  compris  les  archers 
et  l'infanterie,  s'engagea  à  Cocherel  sur  l'Eure,  à  l'Est  d'Evreux 
et  à  rOuest  de  Vernon,  et  se  continua  dans  les  prairies  voisines. 
L'armée  anglo-navarraise  fut  complètement  battue  par  Du 
Guesclin,  grâce  au  stratagème  qu'il  employa,  lorsque,  feignant  de 
fuir,  il  attira  en  rase  campagne  Tennemi  posté  auparavant  sur  une 
colline,  et  grâce  aussi  à  1  imprudence  de  Jean  Jouel  qui,  croyant  à 
une  véritable  fuite,  s'élança  suivi  de  ses  compagnons  à  la  poursuite 
de  l'armée  française  qui,  faisant  volte-face,  reprit  l'offensive  et 
remporta  la  victoire  2.  Un  grand  nombre  de  combattants  du  camp 
navarrais  trouvèrent  la  mort  dans  cette  bataille.  Parmi  eux,  nom- 
mons Jean  Jouel,  qui  mourut  des  suites  de  ses  blessures  ;  Jacques 
Plantin,  le  bascon  de  Mareuil  qui,  en  1359,  avait  presque  tué  Du 
Guesclin  ^.  Parmi  les  nombreux  prisonniers  ^,  le  plus  célèbre  était 
le  captai  de  Buch  qui,  k  la  bataille  de  Poitiers,  avait,  par  sa 
manœuvre,  décidé  du  sort  de  la  division  et  de  la  personne  du  roi 
Jean  ^.  Le  roi  Charles  reçut  la  nouvelle  de  la  victoire  de  Cocherel 


1.  LucE,  p.  439  suiv. 

2.  Les  sources  principales  pour  cette  bataille  sont  Froissart,  Cuvelter,  la  Chro- 
nique (anonyme)  de  Du  Guesclin,  dans  Buchon,  Panthéon  littéraire  ;  quelques  détails 
intéressants  sont  donnés  à  ce  sujet  par  la  Chron.  des  premiers  Valois,  Jean  de 
Venette  et  les  Contin.  de  R.  Lescot.  Des  modernes,  voy.  Luce,  Du  Guesclin,  p.  441 
suiv^,  446,  not.  4,  451  suiv.;  l'exposé  de  Kohler,  Die  Enlwickelung  des  Kriegsicesens 
und  der  Kriegfùhrung  in  der  Ritterzeit,  II,  p.  452  suiv,,  est  très  instructif  au  point 
de  vue  militaire.  La  carte,  p.  464,  sert  peu.  Il  est  dommage  que,  chez  cet  auteur,  les 
noms  propres  soient  généralement  altérés.  A  propos  d'Arnaud  de  Cervole,  qui  étant 
avec  l'armée  de  Du  Guesclin,  quitta  le  champ  de  bataille,  on  doit  consulter  Chérest, 
L'Archiprêtre,  p.  241,  243  suiv.  Quoiqu'il  prenne,  contre  Luce,  parti  pour  son  héros, 
il  confesse,  p.  251,  que  l'Archiprêtre  n'avait  ni  la  rectitude  d'esprit,  ni  la  droiture  de 
caractère,  ni  la  délicatesse  de  sentiments  qui  font  les  hommes  d'élite. 

3.  Eulogium  histor.,  III,  p.  233,  dit  :  «  Occubuerunt  Navarii  et  maxima  multitudo 
gentis  sinecapite  (c'est-à-dire  des  Compagnies)  quos  Navarii  sibi  allocaverant  ». 

4.  Voy.  la  liste  dans  Luce,  Froissart,  p.  lviii,  not.  3.  Le  captai  de  Buch  ne  fut  pas 
fait  prisonnier  par  les  Gascons,  comme  dit  Froissart,  mais  par  le  breton  Roland 
Bodin,  écuyer,  ainsi  que  l'avait  déjà  relevé  Secousse,  qui.  Preuves,  p.  211  à  214,  a 
publié  l'acte  authentique  où  le  captai  reconnaît  qu'il  a  été  fait  prisonnier,  etc.  ;  ceci  a 
échappé  à  Luce,  parce  qu'à  son  tour  il  imprime  ce  document  comme  étant  inconnu, 
dans  Du  Guesclin,  p.  600  suiv. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  131. 


462  LA   GUERRE   DE    CENT    ANS 

le  18  mai,  la  veille  de  son  sacre,  au  moment  où  il  arrivait  à  Reims, 
Onze  jours  après  la  victoire,  le  27  mai,  le  roi  Charles  donna  à  Du 
Guesclin  le  comté  de  Long"ueville  en  récompense  de  ses  services  ^. 

Les  ravages  qu'exercèrent  auparavant  les  troupes  du  captai  de 
Buch  ne  sont  pas  surprenants  :  ils  furent  commis  par  les  Compa- 
gnies que  celui-ci  avait  prises  à  son  service.  Avant  d'aller  à 
l'ennemi ,  il  avait  rassemblé  les  gens  d'armes  en  Cotentin  -  et 
ensuite  avait  marché  vers  Evreux.  C'est  en  cette  même  année  que 
les  Bénédictins  de  Saint-Evroult  et  les  Cisterciens  de  Torigny  se 
réfugièrent  à  Caen,  parce  que  l'ennemi  ravageait  leurs  contrées  ^. 

D'Evreux,  le  captai  s'était  avancé  vers  Pont-de-l'Arche,  dans  le 
voisinage  duquel  se  trouvaient  les  Cisterciens  de  Notre-Dame  de 
Bon-Port.  Le  15  mai,  Du  Guesclin  se  logea  dans  l'abbaye  bénédic- 
tine de  la  Croix-Saint-Leufroy  ^.  Ses  troupes,  composées  en  grande 
partie  de  Bretons,  n'étaient  pas  moins  redoutées  que  celles  du 
captai  de  Buch.  «  Les  Bretons  de  Du  Guesclin,  dit  Jean  de 
Venette  ^,  dans  les  villages  et  sur  les  routes  par  où  ils  passaient, 
enlevaient  tout  ce  qui  leur  tombait  sous  la  main  :  mobilier,  argent, 
vêtements,  bestiaux  ».  Les  Bretons  de  Du  Guesclin  avaient  une  si 
mauvaise  renommée  que  Charles  de  Blois  lui  recommandait  de  ne 
pas  laisser  ses  gens  d'armes  opprimer  le  peuple  ^.  La  victoire  de 
Cocherel  fut  la  première  victoire  importante  remportée  par  les 
Français  sur  l'ennemi  pendant  la  guerre  de  Cent  ans  :  elle  empêcha 
les  Navarrais  et  les  Anglais  de  marcher  sur  Paris,  qui  était  alors 
dépourvu  de  troupes,  et  brisa  pour  toujours  la  force  du  roi  de 
Navarre  ;  les  défections  commençaient. 

Le  6  mars  1365,  par  l'entremise  d'Urbain  V  ^,  les  procureurs  des 

1.  Voy.  le  bascot  de  Mauléon  (dans  Froissart,  éd.  Lettexhove,  t.  XI,  p.  113),  qui 
allait  rejoindre  le  captai  de  Buch  et  fut  fait  prisonnier  dans  la  bataille. 

2.  Voy.  LucE,  dans  la  Revue  des  questions  hist.,  1893,  p.  372. 

3.  De  la  Rue,  Nouveaux  essais  sur  Caen,  II,  p.  253. 

4.  Guvelier,  éd.  GHARRiikRE,  I,  p.  153,  not.  ;  Chron.  norm.,  p.  171.  Lereurier, 
Notice  sur  l'abbaye  de  la  Croix-Saint-Leufroy  (1860),  p.  12,  n'a  pas  d'autres  rensei- 
gnements. 

5.  Jean  de  Venette,  p.  346. 

6.  Enquête  de  canonisation  dans  Bibl.  nat.  Par.,  ms.  lat.,  5381,  t.  II,  fol.  293.  «  Les 
Bretons  de  touz  temps  plus  désirent  et  plaisance  ont  en  pillerie  que  en  leur  hon- 
neur »,  dit  encore  en  1418  Gousinot,  Geste  des  Nobles,  éd.  Vali.et  de  Viriville  (1864), 
p.  170. 

7.  Voy.  Prou,  Étude,  etc.,  p.  40  suiv. 


LES    COMPAGNIES    AU    xNORD.    COCHEREL    ET    AURAY,    1364,    1305    463 

rois  de  France  et  de  Navarre  conclurent  un  traité  qui  fut  ratifié  en 
mai  par  le  roi  de  Navarre  et  avant  le  20  juin  par  Charles  V  ^.  Le 
Navarrais  renonçait  à  Mantes,  à  Meulan,  au  comté  de  Long-ue ville, 
qui  avait  appartenu  à  Philippe  de  Navarre,  mort  le  29  août  1363  2^ 
et  qui  était  échu  à  Du  Guesclin  ;  Charles  le  Mauvais  reçut  en 
échange  la  ville  et  la  baronnie  de  Montpellier.  Quant  à  ses  préten- 
tions sur  le  duché  de  Bourgogne,  il  acceptait  d'avance  la  décision 
du  Pape,  mais  les  événements  ne  permirent  pas  k  Urbain  V  de  se 
prononcer  à  ce  sujet  ^. 

La  même  année.  Du  Guesclin  fut  moins  heureux  en  Bretagne.  Les 
efforts  du  pape  Innocent  VI,  du  roi  de  France  et  du  roi  d'Angle- 
terre furent  impuissants  à  concilier  les  deux  prétendants  au  duché 
de  Bretagne,  Charles  de  Blois  et  Jean  de  Montfort.  Ce  dernier  avait 
atteint  sa  majorité  un  peu  après  le  traité  de  Bretigny  vers  la  fin  de 
1360;  d'autre  part,  l'énergique  Jeanne  de  Penthièvre,  femme  de 
Charles  de  Blois,  ne  voulait  rien  céder  de  son  droit^.  Durant  ces 
deux  années,  de  1360  à  1362,  les  négociations  inutiles  de  ce  côté 
eurent  du  moins  l'avantage  de  suspendre  les  hostilités  et  de  donner 
du  repos  au  clergé  et  au  peuple. 

Le  22  juin  1362,  Edouard  III  remit  à  Jean  de  Montfort  l'admi- 
nistration et  la  jouissance  de  son  duché.  Ce  dernier,  après  plusieurs 
engagements  pris  envers  le  roi  d'Angleterre,  passa  en  Bretagne 
avec  quelques  troupes,  du  14  au  24  août  1362,  décidé  à  toutes  les 
concessions  raisonnables  :  disposé  même  à  faire  deux  parts  de  la 
couronne  ducale  \  si  cela  était  nécessaire  pour  procurer  la  paix, 
qu'il  souhaitait  ardemment,  surtout  à  cause  du  pauvre  peuple.  Toute- 
fois Charles  de  Blois  l'aimait  plus  encore  ;  mais,  n'étant  pas  absolu- 
ment maître  dans  cette  affaire,  puisque  le  droit  ducal  appartenait 

1.  Voy.  le  traite  ratifie  par  le  roi  de  Navarre  dans  Le  Brasseur,  ^isf.  du  comté 
d'Évreux,  Preuves,  p.  104  à  108  ;  Secousse,  Preuves,  p.  244  à  230,  et  confirmé  par 
Charles  V,  dans  Secousse,  1.  c,  p.  254  suiv.  Que  les  articles  furent  arrêtés  à  Paris  le 
6  mars,  cela  est  dit  dans  le  traité  (Brasseur,  107  ;  Secousse,  p.  229,  en  notes,  p.  225), 
et  que  la  confirmation  du  traité  est  antérieure  au  20  juin,  est  remarqué  parDELiSLE, 
Mandements  de  Charles  V,  p.  104,  not.  2. 

2.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  132  suiv. 

3.  Voy.  Prou,  1.  c,  p.  45  suiv. 

4.  Sur  tous  les  événements  avant  Touverture  des  hostilités,  voy.  l'excellent  travail 
d'A.  DE  La  Borderie,  études  hist.  bretonnes,  II,  p.  186  suiv.  Cf.  encore  Plaixe,  La 
guerre  de  la  Succession,  p.  47  suiv.,  qui  manque  quelquefois  de  critique. 

5.  Voy.  DE  LA  Borderie,  p.  194,  196  suiv. 


464  LA    GtERRE    DE    CENT    ANS 

à  sa  femme,  qui  fut  inflexible  ^  il  ne  put  non  plus  conduire  les  choses 
comme  il  l'eut  désiré,  et  la  guerre  civile  éclata  entre  les  deux  pré- 
tendants. 

Au  mois  de  mars  de  la  même  année,  Du  Guesclin  se  rangea  du 
côté  de  Charles  de  Blois  ;  il  dressa  le  plan  de  campagne  contre 
Jean  de  Montfort,  qui  n'avait  point  de  troupes  prêtes  à  marcher-. 
Son  objectif  était  Bécherel,  place  nuisible  de  toute  façon  aux 
Français  en  Haute  et  en  Basse-Normandie.  A  cet  effet.  Du  Gues- 
clin s'empara  d'abord  des  châteaux  de  Pestivien  et  de  Trogoff, 
assiégea  et  prit  Carhaix;  de  là,  il  se  tourna  vers  le  Nord-Ouest 
jusqu'à  Saint-Pol-de-Léon,  qu'il  occupa  et  où  il  équipa  des  barques 
pour  courir  sur  les  navires  anglais  ;  puis,  informé  de  la  prise  de 
la  Roche-aux-Anes  par  un  de  ses  lieutenants  ,  Robin  de  Vaucou- 
leurs ,  il  se  dirigea  vers  Bécherel  à  la  tin  d'avril.  Mais  ayant  été 
rappelé  en  France,  Charles  de  Blois  mit  le  siège  devant  cette  place 
que  les  Anglais  avaient  considérablement  fortifiée •'^,  et  au  secours 
de  laquelle  vinrent  Jean  de  Montfort,  Robert  Knolles,  Olivier  le  sire 
de  Clisson  et  Hugh  Calverly. 

Le  combat  qui  devait  s'effectuer  aux  landes  d'Evran,  le  12  jan- 
vier 1363,  n'eut  pas  lieu,  car  les  deux  partis'*  passèrent  un  contrat 
qui  stipulait  le  partage  de  la  Bretagne.  Pour  en  garantir  l'exécu- 
tion, Charles  reçut  huit  otages  de  Jean  de  Montfort  et  lui  en  livra 
douze,  parmi  lesquels  Du  Guesclin,  alors  probablement  absent  ^. 
Mais  ce  ne  furent  que  les  préliminaires  d'une  paix  soumise  à  une 
ratification  qui  n'eut  pas  lieu.  Du  Guesclin  quitta  au  bout  d'un 
mois  Robert  Knolles,  à  la  garde  duquel  il  était  confié  ^.  Sur  la 
requête  du  prince  de  Galles,  les  deux  prétendants  consentirent  à 
s'aboucher  en  sa  présence  à  Poitiers,  le  26  novembre  1363,  et  y 
conclurent  une  trêve  qui  devait  durer  jusqu'à  Pâques  de   1364,  le 

1.  Elle  disait  d'après  Guvelier,  v.  5577  : 

Terre  ne  doit  tenir  chevalier  tant  ne  quant 
Qui  ne  la  veult  défendre  à  l'espce  tranchant. 

2.  LucE,  Du  Guesclin,  p.  377  suiv,,  380  suiv.,  387  ;  de  la  Borderie,  p.  203  suiv. 

3.  Chron.  norm.,  p.  161  suiv.,   et  330;    Luge,   p.  387  suiv.;  de  la  Borderie,  p.  205 
suiv. 

4.  De  la  Borderie,  p.  208  suiv. 

5.  Sur  ce  point  diffîcile,  voy.  ibid.,  p.  209  suiv. 

6.  Le  document  relatif  à  ce   sujet  est  publié  par  Luge,  Du  Guesclin,  p.  579,  n"  48, 
mais  l'explication  est  meilleure  dans  de  la  Borderie,  p.  212, 


LES    COMPAGNIES    AL"    NOKD.    LOCHEItEL    El     ALI'.AV,     130  i,     1 'iG'i     40') 

24  mars,  ils  s'engageaient  à  s'en  retourner  le  6  février.  Toutefois, 
on  n'arriva  pas  à  un  accorda 

Les  hostilités  recommencèrent  vers  la  fia  de  juillet.  Jean  de 
Montfort  reprit  sur  Charles  de  Blois  le  château  de  Sucinio  et  celui 
de  la  Roche-Periou,  puis  alla  assiéger  la  place  très  forte  d'Auray, 
tant  par  terre  que  par  mer.  Charles  de  Blois  concentra  à  Guingamp 
des  troupes  de  chevaliers  de  la  Bretagne,  auxquels  vinrent  s'ad- 
joindre des  Français,  et  parmi  eux,  en  première  ligne,  se  trouvait 
J^ertrand  Du  Guesclin. 

Celui-ci,  après  la  bataille  de  Cocherel,  avait  été  chargé  de  réduire 
les  places  anglo-navarraises  du  Cotentin.  Il  saisit  avec  empresse- 
ment l'occasion  qui  s'offrait  à  lui  de  reprendre  en  tout  ou  partie  le 
Clos,  où  les  Anglais  de  Saint-Sauveur  d'une  part,  et  les  Navarrais 
de  l'autre,  avaient  réussi  à  se  faire  une  situation  tellement  prépon- 
dérante que  Charles  V  n'y  était  plus  roi  que  de  nom  ^\  Du  Guesclin 
se  trouvait  à  Caen  le  21  juin.  Il  s'avança  vers  le  Clos  du  Cotentin 
et  arriva  les  premiers  jours  de  juillet  devant  le  château  de  Valognes, 
qui  dut  se  rendre  le  10  juillet.  Dans  sa  marche  sur  Cherbourg,  lui- 
même  ou  un  détachement  se  rendit  maître  de  la  maison  forte  navar- 
raise  de  Magneville  ■'^.  Mais,  dans  les  derniers  jours  de  juillet,  il 
quittait  le  Cotentin  pour  renforcer  l'armée  qui  assiégeait  la  forteresse 
d'Echauffour,  non  loin  d'Argentan,  et  força  la  garnison  à  capituler  ^. 

Après  tous  ces  succès,  on  comprend  que  ce  ne  fut  pas  Charles  V 
qui  envoya  Du  Guesclin  au  secours  de  Charles  de  Blois,  mais  que 
ce  capitaine  se  rendit  de  lui-même  à  Tappel  du  duc  et  rejoignit  ses 
troupes  en  Bretagne  ^ ,  le  15  septembre,  de  concert  avec  Jean  IV, 
comte  d'Auxerre,  le  comte  de  Joigny  et  Louis  de  Chalon  (dit  le 
Vert  chevalier),  fils  et  frère  de  Jean  IV.  Charles  V  supprima  alors 
les  gages  que  recevait  Bertrand  Du  Guesclin  en  sa  qualité 
de    lieutenant   général  du    roi    en   Normandie  ^,    où    sa   présence, 


1.  Sur  les  détails,  voy.  Du  la  Boivi>eiuk,  p.  2L3  suiv. 

2.  Lici:,  Du  Guesclin  en  Xorninndie;  le  siège  eL  la  prise  de  Valofj nés ,  dans  lievue 
des  questions  histor.,  \.  c,  p.  38S  suiv. 

3.  Ihid.,  p.  389,  396,  iOO  suiv. 

i.  Ibid.^  p.  107  d'après  la  Chron.  norm.,  p.  17  i. 

5.  Ibid.,  p.  IJl. 

6.  Ibid.,  cl  FroissaH^  p.  Lxvit,  not.  2.  Mais  Lucl:  ne  s'est  pas  aperçu  que  Froissart 
écrit  toujours  «  Uenncs  »  au  lieu  de  «  Vannes  ».  C'est  une  juste  remarque  de  Iv«un.cis, 

11.  P.  Di;mili:.   —  DesolaLlo  ecdcsia.ruiu  U.  30 


466  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

comme  nous  le  verrons  plus  tard,  eût  été  si  nécessaire.  De  son  côté, 
Jean  de  Montfort  essayait  non  sans  succès  de  grossir  son  armée  ; 
bientôt,  le  fameux  Jean  Ghandos,  Olivier  de  Glisson,  les  chefs  des 
Compagnies  Robert  Knolles,  Hugh  de  Calverly,  Eustache  d'Au- 
berchicourt  et  d'autres  encore,  avec  leurs  bandes,  lui  apportèrent 
du  renfort  ^  Le  27  septembre,  l'armée  de  Charles  de  Blois  alla,  par 
Josselin,  prendre  g-îte  à  l'abbaye  cistercienne  de  Lanvaux  ~  qui, 
comme  nous  le  verrons  plus  tard,  eut  à  se  plaindre  des  dommages 
causés  par  cette  guerre  ;  le  28  septembre,  cette  armée  se  dirigea 
par  Plumergat,  mais  par  la  rive  gauche  du  Loch,  vers  Auray,  s'éta- 
blit dans  un  pré  entouré  de  bois  et  hérissé  de  palissades,  situé  en 
face  de  cette  ville,  et  par  conséquent  en  face  de  l'ennemi,  qui  s'y 
tenait  au  Nord-Est,  sur  la  rive  droite.  Charles  de  Blois  occupait 
donc  une  forte  position  d'où  il  devait  attendre  l'attaque  de  l'ennemi, 
ainsi  que  le  lui  avait  conseillé  Du  Guesclin^*'.  Ce  dernier  se  souve- 
nait peut-être  qu'Edouard  III  k  Crécy,  et  le  prince  de  Galles  à 
Poitiers,  avaient  dû  leur  succès  k  une  tactique  semblable.  Il  n'est 
pas  surprenant  que  Jean  Ghandos  se  soit  opposé  k  l'intention  qu'eut 
d'abord  Jean  de  Montfort  d'attaquer  l'armée  ennemie  ;  ce  capitaine 
voulait  obliger  les  Français  k  quitter  leur  position  et  k  commencer 
l'attaque  ^. 

Jean  de  Montfort  se  rendit  k  l'avis  de  Jean  Ghandos,  mais 
Charles  de  Blois,  moins  prudent  que  son  adversaire,  n'écouta 
point  Du  Guesclin  ;  le  29  septembre,  au  matin,  son  armée  sortit 

Die  EnlwickelinKj  des  Krieyswesens  uiid  der  KrieylUhriing  in  der  Rilierzeit,  II, 
p.  465,  not.  2,  qui,  d'autre  part,  met  la  concenti'ation  des  troupes  de  Charles  à 
Nantes,  suivant  Froissart,  et  comme  je  crois,  à  tort. 

1.  FiLLox,  Jeun  Chandos^  dans  la  Revue  de  l'Ouest,  t.  III,  185."),  p.  203.  not.  J,  a 
publié  une  grande  liste  des  noms  des  capitaines,  surtout  des  Anglais,  qui  combat- 
taient à  Auray  contre  Charles  de  Blois. 

2.  CuvKLiEH,  p.  205,  not.;  210,  not.  ;  D12  la  Boudeuie,  p.  220. 

3.  «  Monseigneur,  s'il  vous  plaisait  de  demeurer  en  cet  enclos,  tenir  vos  gens 
en  bon  ordre  et  attendre  l'attaque  de  l'ennemi,  à  mon  avis,  nous  aurions  l'avantage 
sureux.  Je  ne  conseille  pas  que  a  otre  armée  passe  le  ruisseau  ».  Chron.  de  Du  Guesclin, 
éd.  par  Buciiox,  dans  Panthéon  littéraire,  p.  2i.  On  ne  comprend  pas  pourquoi  Lucii:, 
dans  les  notes  à  Froissart,  De  la  Bouderie,  comme  aussi  dom  Plai>e  et  Kohleu  ont 
omis  de  rapporter  ce  détail  très  signiiicalit'.  Il  n'a  pas  échappé  à  Jamiso>,  Bertrand 
du  Guesclin,  traduit  par  Baissac  (1866),  p.  19  i. 

4.  Guvelier,  V.  5876  : 

Laissiez-nous  assaillir  et  François  commencier, 
Et  tenons  nos  conroiz  sans  nous  adeslbuquier. 


LES    COMPAGNIES    AU    NORD.    COCIIEHEL    ET   AURAV,     136i-,    1305      4G7 

du  retranchement  c[u'elle  occupait,  franchit  la  rivière  en  la  passant 
à  gué  dans  un  endroit  où  elle  était  peu  large  et  gravit  la  pente  qui 
menait  au  pkiteau  situé  à  l'ouest  d'Au/'ay^^  qui  était  déjà  au  pou- 
voir de  Jean  de  Montfort.  Les  deux  armées  se  trouvèrent  en 
présence.  Celle  de  Charles  de  Blois  atteignait  le  chiffre  de  i.OOO 
hommes,  et  celle  de  Jean  de  Montfort  en  comptait  3..')00  -.  Chacune 
était  rangée  en  trois  «  batailles  »  ou  divisions  avec  une  arrière- 
garde.  Le  même  jour,  des  chefs  anglais,  de  l'armée  de  Jean  de 
Montfort,  firent  transmettre  des  propositions  de  paix  à  Charles  de 
Blois  sous  la  condition  de  continuer  pendant  cinq  ans  le  pillage  du 
pays  breton.  Mais  Charles,  ne  voulant  pas  laisser  plus  longtemps 
son  peuple  bien  aimé  à  la  merci  de  l'ennemi  '^,  préféra  s'en  remettre 
aux  chances  d'une  bataille.  Néanmoins,  ceci  nous  prouve  jusqu'à 
quel  point  les  Compagnies  avaient  perdu  toute  trace  d'honnêteté  et 
même  d'humanité. 

Cette  bataille,  dont  l'issue  est  bien  connue,  fut  gagnée  par 
l'armée  de  Jean  de  Montfort  et  rappelle,  en  plus  d'un  point,  celle 
de  Poitiers.  Ce  ([ui  manqua  tout  d'abord  aux  Français,  ce  fut 
l'unité  de  direction  et  l'art  stratégique.  Ils  voulaient  avant  tout  se 
battre,  tandis  que  les  xVnglais  surent  habilement  peser  toute  cir- 
constance favorable  ou  contraire.  Ainsi,  les  archers  anclais,  vovant 
que  leurs  flèches  étaient  impuissantes  contre  les  pavois  des  soldats 
français,  jetèrent  leurs  arcs,  saisirent  les  haches  des  hommes  de  Du 
Guesclin  et  s'en  servirent  pour  combattre.  Pendant  que  l'arrière- 
garde  des  Français,  au  lieu  de  rester  lidèle  à  sa  destination  parti- 
culière, entrait  dans  les  premiers  rangs,  de  sorte  qu'à  la  suite 
les  trois  corps  de  bataille  ne  formaient  plus  avec  elle  qu'une  longue 
ligne  confuse,  celle  des  Anglais ,  au  contraire,  commandée  par 
Hugh  de  Calverl}^  appuyait  partout  les  autres  corps  qui  en  avaient 
besoin,  comme,  par  exemple,  celui  du  comte  de  Montfort  qui  avait 
été  coupé  par  les  troupes  opposées  de  Charles  de  Blois.  Jean 
Chandos  ayant  compris  qu'il  fallait  renverser  une  division  ennemie 
après   l'autre   pour   arriver  à    la    victoire,  se   détacha  du  corps    du 

1.  Clvkmiou,  V.  5928  :  «  Ils  ont  l'eauc  passée,  pclis  estoit  liguez  ».  Sur  le  cliainp  de 
bataille,  voy.  De  la  Bouoeiul;,  p,  220,  222. 

2.  Lucu,  Froissart,  p.  lxxi,  not.  1;  De  la  Iîouueuie,  p.  218. 

3.  Enquête  cb  canoiiisatiou,  dans  Bibl.   Nat.    Paris.,  ms.    latin  j381,  fol.  3G0  suiv. 
Ll'ce,  Fi\)iss;irt,  p.  Lwir,  not.  l. 


468  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

comte  de  Montfort  et  prit  en  flanc  la  division  du  comte  d'Auxerre. 
Et  voilà  la  bataille  décidée.  L'enfoncement  d'une  division  rendit 
disponibles  bon  nombre  de  combattants,  lesquels  s'unirent  ensuite 
à  des  compagnons  pour  enfoncer  plus  facilement  encore  un  autre 
corps  ennemi.  Ainsi,  plus  de  la  moitié  de  l'effectif  de  l'armée 
française-bretonne  fut,  ou  tuée,  ou  faite  prisonnière.  Charles 
de  Blois  tomba  sur  le  champ  de  bataille,  Du  Guesclin  fut  pris.  A 
Gocherel,  l'armée  qu'il  y  avait  vaincue  n'était  qu'en  faible  part 
composée  de  soldats  anglais  ;  mais,  à  Auray,  à  l'exception  de 
quelques  troupes  bretonnes,  il  s'était  trouvé  vis  à  vis  d'une  armée 
complètement  anglaise^,  à  la  tête  de  laquelle  était  Jean  Ghandos. 
L'étoile  d'Angleterre  n'avait  pas  encore  pâli,  et  Du  Guesclin 
n'avait  pas  le  champ  libre,  et  peut-être  était-il  encore  un  peu 
novice  dans  l'art  d'engager  une  grande  bataille  ~. 

Après  la  victoire,  nul  dans  le  parti  de  Gharles  de  Blois  ne  son- 
gea à  prolonger  la  guerre.  La  veuve  du  comte,  Jeanne  de  Pen- 
thièvre  même,  se  retira  de  la  lutte''.  Jugon  et  Dinan  se  rendirent 
en  octobre,  et,  le  17  novembre,  Quimper-Gorantin  se  rendit  égale- 
ment ^.  La  guerre  de  la  succession  de  Bretagne  fut  terminée  par  le 
traité  de  Guérande,  conclu  le  il  avril  1365,  entre  Gharles  V  et  Jean 
de  Montfort.  Le  roi  de  France  reconnut  Jean  comme  duc  de 
Bretagne,  avec  droit  d'hérédité  pour  sa  descendance  mâle  ;  d'autre 
part,  Jean  reconnut  le  roi  de  France  comme  suzerain  ^.  Mais  Jean 
de  Montfort  restait  Anglais,  et  cela  était  tellement  connu  que  l'on 
disait  d'une  église,  celle  de  Quimper,  par  exemple,  qui  était  aupa- 
ravant du  parti  de  Gharles  de  Blois,  et  qui  s'était  rendue  à  Jean  de 
Montfort;  qu'elle  était  anglaise  ''.  La  veuve  de  Gharles  de  Blois,  à 

1.  Ceci  est  tellement  vrai  que  Kmghton,  p.  121,  éci'it  :  «  et  ceciderunt  de  parle  nos- 
irii  ». 

2.  Pour  cette  bataille,  comme  pour  celle  de  Gocherel,  les  sources  principales  sont  : 
Froissaut,  Clvelieh  et  la  Chronique  de  Du  Guesclin.  Des  historiens  modernes,  on 
doit  consulter  Kohleh,  Die  Entivickelung  des  Kriegswesens,  etc.,  II,  p.  470  suiv.,  De 
LA  BoRi>EuiE,  p.  224  suiv  ,  226  suiv.,  où  Ton  trouve  aussi  des  détails  intéressants  sur 
la  mort  de  Charles.  Sur  les  pertes  ibid.,  p.  231,  suiv. 

3.  Jean  de  Ve.nette,  p.  352  suiv. 

4.  MoiucE,  Hist.  de  Bretagne,  Preuves,  I,  p.  1583,  1586  suiv. 

5.  A'^oy.  le  traite,  ihid.,  p.  1588  à  1589. 

6.  Suppl.  Urbani  F,  n"  41,  fol.  59,  ad  an.  1365,  Maii  19  :  «  Supplicat...  Gaufï'ridus 
de  Kaermoysan,  presb.,in  utroque  jure  licentiatus  Aurelianis,  bachalarius  in  facultate 
dccretorum  Parisius,  qualenus  placent  sibi  pro^  idere  de  canonicatu  sub  expectatione 


LES  COMPAGNIES  AU  NORD.   COCHRREL  ET  AURAY,    1364,  136.^          469 

qui  le  traité  de  Guérande  assura  la  possession  du  comté  de  Pen- 
thièvre  et  de  la  vicomte  de  Limoges,  survécut  vingt  ans  à  son 
mari  et  ne  put,  durant  ce  temps,  ni  même  avant  sa  mort,  revoir 
ses  deux  fils  aînés,  toujours  prisonniers  en  Angleterre  ^. 

Au  mois  de  juillet,  entre  la  bataille  de  Cocherel  et  celle  dWuray, 
le  nouveau  duc  de  Bourgogne,  Philippe,  entreprit  la  campagne 
contre  les  bandes  anglo-navarraises  qui  occupaient  plusieurs 
petits  forts  de  la  Beauce  :  ceux  de  Marchelainville ,  ChameroUes, 
Perreux,  qui  assuraient  les  communications  des  bandes  cantonnées 
dans  la  Beauce,  le  Chartrain ,  l'Ile-de-France,  la  iNormandie,  avec 
celles  de  l'Orléanais,  de  l'Auxerrois,  de  la  Champagne  et  de  la 
Bourgogne  -.  Après  s'être,  dans  un  court  laps  de  temps,  emparé  de 
ces  trois  châteaux ,  le  duc  assiégea  Rouvra y  ,  situé  au  sud  et  en 
amont  de  Dreux.  Le  6  août,  le  capitaine  Vilcoq  Standon,  écuyer 
anglais,  consentit  à  évacuer  la  place,  moyennant  une  somme  triple 
de  la  rançon  qu'il  devait  à  un  huissier  d'armes  de  Charles  V,  qui 
l'avait  fait  prisonnier  à  Cocherel  ^  :  le  duc  accepta. 

Dans  le  même  temps,  on  poursuivit  les  Navarrais  en  Normandie. 
Au  commencement  de  juillet,  Mouton,  sire  de  Blainville,  avait  mis 
le  siège  devant  Evreux,  mais  sans  succès  '*.  Quelques  barons  des 
pays  de  Caux,  du  Vexin,  de  la  Picardie  mirent  heureusement  le 
siège  devant  Acquigny  et  Echauffour  "'.  Il  a  déjà  été  parlé  plus 
haut  de  ce  dernier  siège. 

Sur  ces  entrefaites,  dans  la  première  semaine  d'août,  les  Navar- 
rais occupèrent  le  château  de  Moulineaux,  qui  domine  le  cours  de 
la  Basse-Seine  et  est  situé  entre  Rouen  et  l'embouchure  du  fleuve  ^. 
Au  commencement  de  septembre,  Philippe  le  Hardi,  duc  de  Bour- 

prehendc  eLdignitatis...  in  ccclesia  lîaiocen.,  non  ohstantibus  canonicatu  et  prcbenda 
quos  obtinct  in  ccclesia  Corisopiten.,  que  de  novo  fada  est  Anglicaiia,  scolastria, 
canonicatu  et  prebenda  quos  obtinct  in  ceci.  Dolensi,  etc.  —  Fiat  ut  petitur.  B.  Dat. 
Avinione  xiv  kal.  Junii  an.  III  ».  —  L'évcque  GeotlVoy  Leniarhec  avait  pris  parti  pour 
Charles  de  Blois,  et  seulement  après  la  prise  de  Quimper  par  Jean  de  Montfort  il  se 
rendit  à  ce  dernier  bon  gré  mal  p'é.  Voy.  Gnll.  chj'iat.,  XIV.  p.  88 i, 

1.  Voy.  De  la  Borukhie,  p.  23  i  suiv. 

2.  Voy.  sur  tous  les  détails,  Luce,  Du  Guescliîi  en  Xormandie.  etc..  dans  iîeriie  des 
questions  histor.,  1.  c,  p.  403  suiv. 

3.  Ibid.,  p,  iOi  suiv. 

4.  Froissart,  éd.  Luce,  p.  lxv,  not.  2;  Chron.  norm.,  p.  337,  et  not.  1. 

5.  Ltice,  dans  la  Revue,  1.  c,  p.  406,  407  suiv. 

G.  Ibid.,  p.  407  suiv.  ;  A.  Moi.imeu  dans  Chron.  norm.,  p.  338,  not.  7. 


470  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

gog'ne,  fut  rappelé  de  la  Beauce  avec  ses  troupes  pour  assiég-er  ce 
fort, "mais  il  dut  lever  le  siège  à  la  fin  du  mois  pour  aller  assiéger 
les  Navarrais  qui  occupaient  La  Charité-sur- Loire  ^ 

DuGuesclin  était  en  Bretag-ne  où  en  peu  de  temps  il  avait  été  fait 
prisonnier,  le  duc  de  Bourgogne  se  tenait  avec  ses  troupes  devant 
La  Charité  :  le  moment  était  donc  très  favorable  aux  Navarrais. 
Louis  de  Navarre,  frère  de  Charles  le  Mauvais,  que  nous  avons 
laissé  aux  environs  de  La  Charité  -,  se  dirigea  en  Normandie  vers 
la  mi-octobre,  à  la  tête  d'un  corps  d'armée  de  L500  combattants  ^, 
se  nommant  «  lieutenant  du  roi  de  Navarre  en  France,  Normandie, 
Bourgogne  ».  Il  essaya  de  regagner  le  terrain  perdu  depuis  Cocherel, 
et  reprit  Valognes  sur  les  Français.  Charles  V  fut  obligé  de  rappeler 
ceux  de  ses  gens  d'armes  qui  étaient  devant  La  Charité''.  Après  la 
bataille  d'Auray,  les  Compagnies  d'Eustache  d'Auberchicourt,  de 
Robert  Scot,  de  Hugh  de  Calvcrly  s'étaient  répandues  à  force  en 
Bretagne  et  en  Normandie.  Elles  guerroyaient  a  à  Tombre  du  roi  de 
Navarre  »,  rançonnaient  les  gens,  incendiaient  les  maisons,  commet- 
taient toutes  sortes  de  crimes,  occupaient  des  forteresses,  comme 
l'écrit  le  14  novembre  1364  Edouard  111,  qui  les  sommait  d'éva- 
cuer les  terres  du  roi  de  France  ^.  Cela  ne  servit  à  rien.  Hugh  de 
(^alverly  et  James  Pipe  avaient  déjà  reçu  une  sommation  semblable 
le  18  janvier  1363  ^',  mais  après  comme  avant,  ils  avaient  continué 
de  commettre  en  France  les  mômes  excès.  En  conséquence,  le  11 
janvier  1365,  Urbain  V,  se  référant  à  la  lettre  du  roi  d'Angleterre, 
pria  le  prince  de  Galles  d'employer  toute  la  rigueur  possible  avec 
les  trois  chefs  nommés  dans  la  lettre  du  11  novembre  1364,  ainsi 
qu'avec  plusieurs  autres  de  ses  sujets  qui  se  trouvaient  dans  les  Com- 
pagnies ^.  Mais  Edouard  111  était-il  bien  sincère  ?  En  1  369,  Charles  V 

1.  Voy,  ci-dessus,  p.  429.  Moulincaux  lui  rcoccupé  par  les  Français  seulement  avant 
le  8  septembre  1365.  Molimer  ,  1,  c.,  not.  K. 

2.  Ci-dessus,  p.  429. 

3.  Chron.  norm.,  p.  178. 

A.  Voy.  sur  tout  cela  et  sui'  l'itinéraire  de  Louis  de  Navarre,  dans  LrcK,  Froissarl, 
p.  Lxvi,  not.  1,  2. 

5.  Rymeh,     Foedern,    III,    p.    754    sui\.;    CnAMi>oi,MO>-FiGKAC,    Lettres   des    rois, 
reines,  etc.,  II,  p.  170,  n"  95. 

6.  RvMEH,  p.  685. 

7.  lieg.Vat.  Vrbani  \\  n"  2i7,  fol.  25  '':  «  Dil.  fil.  nob.  viro  Edwardo,  Aquitanie  et 
Wallie  principi,  saluteiii,  etc.  Patentes  litteras  Edwardi  régis  Anglie  illustris,  genito- 


LES   COMPAGNIES  EX   BOURGOGNE    ET  LORRAINE,   JUSQL'eN   136.^>       471 

lui  reproche  d'avoir  soutenu  en  France  les  Compag-nies,  ennemies 
du  roi  et  du  rovaume  ^ . 

D'après  cela,  on  comprend  les  sentences  terribles  lancées  par 
Urbain  V  contre  les  Compagnies  dans  la  troisième  bulle  :  Clamât 
ad  nos^  que  j'ai  analysée  au  second  paragraphe,  mais  on  reconnaît 
une  fois  de  plus  que  ces  sentences  étaient  impuissantes  à  les  répri- 
mer et  qu'il  fallait  trouver  absolument  un  autre  moyen  pour  s'en 
défaire. 

La  Bourgogne  et,  pendant  une  courte  période ,  la  Lorraine, 
présentaient,  touchant  l'action  des  Compagnies,  un  aspect  sem- 
blable à  celui  du  Midi  de  la  France.  Pour  raconter  en  détail 
rhistoire  des  ravages  que  ces  bandes  y  exercèrent,  il  faudrait  écrire 
un  livre.  Je  me  bornerai  à  les  résumer  en  quelques  pages. 

Après  la  bataille  de  Briguais,  ce  furent  surtout  des  Bretons  et  des 
Gascons  qui  saccagèrent  ces  provinces,  et,  là  comme  ailleurs,  on  les 
appelait  fréquemment  «  les  Anglais-  ».  Dans  l'Ouest  de  la  Bourgogne, 
les  Bretons  avaient,  depuis  quelque  temps,  établi  leur  quartier  géné- 
ral à  Arcy-sur-Gure,  d'où  ils  rançonnaient  impudemment  toute  la 
contrée.  Ils  vinrent  ravager  Châtel-Gérard,  Fresne,  Lucy-le-Bois, 
Marmeaux^.  Ils  possédaient  en  outre  les  forteresses  de  Dammarie 
et  de  Vésig'neux.  Des  bandes,  s'en  retournant  après  la  bataille  de 
Briguais,  brûlèrent  les  faubourgs  d'Autun  et  s'approchèrent,  en 
mai  1362  ^,  de  la  Saône,  qu'elles  remontèrent  jusqu'à  la  hauteur  de 

ris  tiii,  a  regia  fide  ac  justitia  émanantes,  quas  contra  quosdam  subditos  suos  et  tuos, 
c{ui  una  cum  gentibus  detcstabilium  comitivaruni  que  regnum  Francie  non  solum 
hostiliter,  sed  more  infidelium  paganorum  destruere  moliuntur,  tue  nobilitati  trans- 
mJttit,  et  lator  presentium  tibi  portât,  nuper  vidimus  et  pleno  percepimus  intellectu. 
Quamvis  igitur  nostra  opinio  teneal  j)ro  constant!  quod  jussa  carnalis  patris...  exe- 
queris,  [eundem  hortatur  ut  ultra  observantiam  pacis,  de  qua  supradictae  litterae 
mentionem  faciunt,  consideratis  atrocibus  criminibus  dictarum  comitivaruni  circa 
executionem  paterni  mandati  elFicaciter  incumbat,  ac  si  forte  nobiles  nominati  in 
regiis  litteris  aut  alii  ejus  subditi  in  dictis  comitivis  existant,  contra  eos  justitiae 
debitum  exerceal].  Dat.  Avinione  m  idus  Januarii  an.  III  ». 

1.  Voy.  ci-dessous  le  huitième  paragraphe. 

2.  KoMGSHOFFx  nomuie  aussi  Anglais  les  Compagnies  qui,  en  1365,  entrèrent  en 
Bourgogne,  en  Lorraine  et  en  Alsace  ;  mais  plus  tard  (ad  an.  1375),  il  fait  la 
remarque  :  «  doch  worent  sii  nïit  Engelendcr,  sunder  siï  worent  Brituner  von  dem 
lande  Britanie  ».  Die  Chroniken  der  deiitschen  Stlidle,  IX  (éd.  Hegel,  1871),  p.  815. 

3.  Voy.  E.  Petit,  Avallon  et  IWvnllonnais,  p.  172,  où  sont  d'autres  détails. 

4.  Clerc,  Essai  sur  Vhistoire  de  la  Franche-Comté,  II,  p.  131,  not.  3;  Finot, 
Recherches  sur  les  incursions  des  xXnglais^  etc.,  p.  71.  Il  se  peut  qu'il  y  ait  une  confu- 
sion de  dates,  et  que  cette  attaque  ait  eu  lieu  seulement  en  130». 


472  LA    GUERRE    DE   CEKT    ANS 

Pontailler,  et,  de  là,  se  répandirent  au  mois  de  juin  dans  presque 
toute  la  BourfJ^og-ne,  commettant  partout  leurs  excès  accoutumés  K 
Un  détachement  de  ces  pillards  envahit  même  le  comté  de  Bour- 
g'ogne  et  fît,  dans  la  nuit  du  22  au  23  décembre,  une  vaine  tenta- 
tive sur  Besançon  -. 

On  comprend  que  le  roi  Jean  ait  envoyé  le  connétable  Robert  de 
Fiennes  et  le  comte  de  Tancarville  combattre  ces  redoutables 
ennemis-^,  contre  lesquels  la  force  des  armes  était  malheureuse- 
ment impuissante.  On  leur  enleva  quelques  places  fortes  ^,  tandis 
que  d'autres,  telles  qu'Arcy  et  Dammarie,  ne  devaient  être  resti- 
tuées que  moyennant  3.700  francs  d'or  ^.  Arnaud  de  Cervole  avait 
été  chargé  de  conclure  cet  arrangement,  cependant,  lui-même  n'était, 
à  tout  prendre,  qu'un  brigand. 

C'était,  comme  nous  l'avons  vu  au  premier  paragraphe,  vers  le 
milieu  de  l'année  13G2,  qu'Henri  de  Trastamare  devait,  avec  ses 
Espagnols,  faire  franchir  les  Pyrénées  aux  Compagnies  du  Midi, 
dont  on  espérait  ainsi  délivrer  la  France^.  Une  proposition 
analogue  avait  été  faite  à  Arnaud  de  Cervole  touchant  les  Com- 
pagnies de  Bourgogne  '.  Mais  l'Archiprêtre,  n'y  trouvant  point 
son  compte,  resta  en  Bourgogne,  et  les  dévastations  allèrent  leur 
train. 

Sur  ces  entrefaites,  après  juillet  13()2,  l'Archiprêtre  s'était  remarié  ; 
i|  Arnauld  de  Cervole  avait  épousé  cette  fois  Jeanne,  dame  de  Saint- 
Georges  et  de  Chàteauvilain,  d'une  des  grandes  familles  féodales  ^, 
mais  il  n'en  resta  pas  moins  ce  qu'il  avait  été  dès  le  début.  Avec 
ses  Compagnies,  presque  exclusivement  composées  de  Bretons,  il 
aidait  le  sire  de  Grancey  à  porter  au  mois  de  novembre  ^  la  guerre 
dans  le   Barrois;  en     décembre,   il  assiégea  Vitteaux  en   Auxois; 

1.  FiNOT,  1.  c,  p.  71;  Chkhf.st,  L\\rchiprélre,  p.  19}  suiv. 

-2.  FiNOT,  1.  c,  p.  7i  :  Tehhieu  ne  Lokay,  Jean  de   Vienne,  nmiral  de  France  (1878), 
p.  22, 

3.  CivEnc,  1.  c.  ;  Chkhrst,  p,  19j  suiv.  :  Fixot,  p.  72. 

4.  Voy.  Petit,  p.  174. 

5.  Chérest,  p.  220,  et  Pièces  juslif..  n°  15,  p.  300. 

6.  Ci-dessous,  p.  410  suiv. 

7.  Voy.  Chérest,  p.  192,  201. 

8.  Ihid.,  p.  201  suiv. 

9.  Cf.  sur  les  détails,  échappés  à  Chérest,  Servais,  Annales  hisi.  du  Barrois  [\^6b), 
I,  p.  130  suiv. 


LES  COMPAGNIES  EN  BOURGOGNE   ET  LORRAINE.  JUSQl'eN   1365       473 

peu  de  temps  après,  ses  Bretons  s'emparèrent  de  Villaines  en 
Duesmois  K 

Ensuite,  il  passa  au  service  de  Henri  de  Joinville,  comte  de 
Vaudémont,  alors  en  p^uerre  avec  Jean,  duc  de  Lorraine,  Robert, 
duc  de  Bar,  et  beaucoup  de  seigneurs  allemands.  On  admet  généra- 
lement que  les  hostilités  éclatèrent  après  Pâques  (2  avril  1363)-. 
Cette  date,  toutefois,  est  assignée  de  quelques  mois  trop  tard. 
Suivant  un  document  authentique,  les  Bretons  à  la  solde  du  comte 
de  Vaudémont,  avaient  pris  pied  en  Lorraine  à  partir  du  2  février. 
Ils  y  restèrent  sans  décamper  jusqu'au  11  novembre;  des  détache- 
ments ravageaient  le  duché  de  Bar.  Partout  les  bandes  commirent 
toutes  sortes  d'excès.  Dans  les  Trois-Evêchés,  une  quantité 
d'églises,  de  monastères  et  de  chapelles  furent  atteints  ^.  On  sait 
que  ces  pillards  avaient  pour  chef  Arnaud  de  Gervole. 

Le  duc  de  Lorraine  ayant  rassemblé  une  armée ,  entra  dans  le 
comté  de  Vaudémont  et  y  exerça  des  représailles  ^.  11  est  probable 
que  la  victoire  (sur  l'issue  de  laquelle  les  historiens  ne  tombèrent 
jamais  d'accord)  resta  au  comte  de  Vaudémont,  car  malgré  la 
conclusion    des   traités^,    le   13  août,   avec  le   duc    de   Bar    et    le 

1.  Voy.  Chérest,  p.  213  suiv.,  215;  Petit,  p.  173. 

2.  Voy.  SiMONXET,  Essai  sur  Vhisioire  et  la  généalocfie  des  sires  de  Joinville 
(Lanj?rcs,  1876),  p.  291  suiv.;  Chérest, p.  224.  Jean  de  Venette,  p.  326,  assigne  seule- 
ment Tan  1363.  Cf.  toutefois  Servais,  Annales  Jiist.  du  Barrois^  p.  138  suiv. 

3.  Suppl.  Urhani  V,  n°  40,  fol.  179'',  ad  an.  1364,  Maii  22  :  «  S.  P.  Cuni  propter 
guerraruni  discrimina  que  multis  annis  in  partibus  Lolhoringie  et  anno  ultimo 
gravius  per  societates  maxime  Britonum,  qui  ibidem  steterunt  continue  a  festo  Puri- 
licationis  usque  ad  sequens  festum  beati  Martini  in  Novembri  ultimo  preteritum, 
viguerunt,  et  ex  his  ac  quampluribus  aliis  causis  multe  ecclesie,  monasteria,  capelle 
ac  cimiteria  in  Tullen.,  Mcten.,  ac  Virdunen.  dioc.  non  solum  sanguinis  vel  seminis 
efTusione,  corporum  ac  personarum  excommunicatarum  aut  nominatim  interdictarum 
decedentium  inhumatione  sint  pollute  seu  alias  violate,  ad  que  ac  quas  ex  quamplu- 
ribus causis  gravis,  difTicilis  et  periculosus  episcopi  esset  accessus,  presbitero  seu 
presbiteris  idoneis,  cui  vel  quibus  predict.  ecclesiarum  episcopi  seu  electi  earum 
commiserint,  dignetur  E.  S.  V.  concedere  facultatem.  —  Fiat  in  forma  de  preteritis 
et  ad  triennium  de  futuris.  B. 

Item  placeat  E.  S.  concedere  conservatoriam  generalem  contra  injuriatores,  occu- 
patores  et  detentores  bonorum,  jurium  ac  jurisdictionum  spiritualium  et  temporalium 
episcopatus  et  archidiaconatus  eccl.  Tullen.  pred.  —  Fiat,  ad  quinquennium.  B.  Dat. 
Avinione  xi  kal.  Junii  an.  II».  Sur  les  ravages  commis  parles  Bretons,  voy.  Calmet, 
Ilisl.  eccl.  de  Lorraine  (1728),  II,  p.  551  suiv.,  et  Serv.vis,  1.  c,  p.  140  suiv.,  144  suiv. 

4.  Simowet,  1.  c. 

5.  Servais,  p.  143,  Pièces  justi/icat.,  p.  413  suiv.  traité  du  13  août;  Cai.met,  1.  c,  II, 
Preuves^  p.  dcxl,  et  Chérest,  p.  235,  traité  du  11  septembre. 


474 


LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 


il  septembre  avec  le  duc  de  Lorraine,  les  Bretons,  comme  l'atteste  le 
docmiient  sus-mentionné,  restèrent  en  Lorraine  jusqu'au  H  no- 
vembre, sans  doute  pour  y  attendre  le  payement  des  rançons  et  veiller 
à  ce  que  les  conditions  stipulées  par  le  traité  de  paix  fussent  remplies. 
Là-dessus,  Arnaud  de  Cervole,  avec  ses  Bretons,  retourna  en 
!  Bourgogne  où  il  arriva  juste  à  temps  pour  assister  le  duc  Philippe 
le  Hardi  dans  la  prise  de  possession  du  comté  de  Bourgogne. 
L'Arclîiprêtre  se  procura  rapidement  une  armée  en  enrôlant  les 
Compagnies  qui,  auparavant,  ravageaient  la  Bourgogne  ^.  Les 
hostilités  éclatèrent  à  la  fin  de  décembre  L363,  la  Saône  fut  franchie 
à  Apremont.  Mais  les  barons  comtois  attaquèrent  le  duc  dans 
ses  Etats.  Le  résultat  décisif  se  fît  attendre  longtemps,  et  le 
duc  de  Bourgogne  eut  souvent  le  dessous.  Les  principaux  chefs 
du  comté  de  Bourgogne,  entre  autres  Jean  de  Neufchàtel  et  le  sire 
de  Rigney,  recevaient  alors  des  subsides  des  rois  de  Navarre  et 
d'Angleterre-.  Entre  temps,  FArchiprêtre  passa  avec  sa  Compagnie 
en  Normandie,  où  il  prit  part  à  la  bataille  de  Cocherel,  et  où,  comme 
on  l'a  vu,  il  ne  joua  point  un  rôle  honorable^.  Après  son  retour,  la 
fortune  se  tourna  du  côté  du  duc  de  Bourgogne,  jusqu'à  ce  qu'on 
en  vînt  au  traité  du  25  juillet  1364  ^. 

Grands  furent  les  ravages  à  la  suite  de  cette  guerre,  notamment 
dans  le  comté  de  Bourgogne.  Le  28  février  1364,  la  ville  et  le 
diocèse  de  Besançon  reçurent  d'Urbain  V  la  bulle  Ad  reprimendas  '\ 
Les  habitants  de  ces  contrées  étaient  complètement  appauvris  ;  les 
terres  restées  presque  incultes,  ne  rapportant  plus  rien,  entraînaient 
ainsi  la  cherté  des  vivres.  Les  habitants  se  virent  contraints  de 
recourir  aux  usuriers,  leur  empruntèrent  de  l'argent,  des  vivres  et 
autres  choses,  et,  se  trouvant  hors  d'état  d'en  payer  les  intérêts,  ils 

1.  Sur  toute  cette  question,  voy.  Fixot,  p.  80  suiv.  ;  Chérest,  p.  227  suiv.  qui  a  omis 
de  citer  son  devancier,  lequel  a  compris  comme  lui  cette  épineuse  aflaire. 

2.  Fi>OT,  1.  c,  p.  81. 

3.  Ci-dessus,  p.  461,  not.  2. 

4.  Sur  les  détails,  voy.  Fi.not,  p.  86  suiv,;  Chérest,  p.  238  suiv.,  p.  254  suiv., p.  276, 
suiv. Mais  cet  auteur  est  trop  enthousiaste  pour  Arnaud; il  écrit, par  exemple, p.  268  : 
«  Partout  le  même  écho.  Il  retentit  jusqu'en  Suisse,  jusque  dans  une  chronique  ber- 
noise ».  Mais  cette  chronique  «  bernoise  »  se  trouve  par  hasard  à  Berne,  elle  a  été 
probablement  écrite  à  Saint-Denys  de  France,  c'est  la  Chronographia  regum 
Francorum  (voy,  le  passage,  t.  II,  p.  297;  Chron.  norm.,  p.  156). 

5.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n"  253,  fol.  135. 


LES  COMPAGNIES  EN   BOURGOGNE  ET    LORRAINE,   JUSQu'eN    1365        475 

virent  tous  leurs  biens  vendus  à  vil  prix  et  leurs  enfants  mendier 
le  ptiin  K 

Pendant  et  après  cette  guerre,  le  duché  de  Bourg-og-ne  courut  de 
grands  dangers  de  la  part  d'autres  Compagnies.  IjAutunois  fut 
atteint  par  les  bandes  commandées  par  Amanieu  de  Pommiers,  vers 
la  iin  do  l'^G.S;  Autun  même  était  menacé.  Dès  le  milieu  de  Tan 
1'U)i,  une  autre  bande  y  faisait  irruption  et  occupait  successivement 
Vesvre,  Ghissey,  Monnay,  La  Tagnière,  Cliampcery.  Dans  les  pre- 
miers jours  d'août,  les  faubourgs  d'Autun  furent  pillés.  Les  routiers 
trouvaient  dans  la  lie  de  la  population  des  complices  prêts  à  se 
joindre  à  eux  et  à  prendre  part  au  butin  '^.  Les  bandes  qui  station- 
naient à  La  Charité-^  menaçaient  également  de  faire  irruption  dans  le 
duché  ;  Robert  Knolles  lui-môme  allait  l'envahir  avec  une  troupe 
considéral)le  d'Anglais  ^. 

Une  de  ces  bandes  s'était  installée  à  une  faible  distance  de 
Mesvres,  à  la  Tagnière,  du  diocèse  d'Autun,  et  s'était  emparée  de 
vive  force  du  château  d'Uchon,  l'avait  pillé  et  incendié.  Pour  se 
soustraire  au  jiéril,  le  prieur  du  prieuré  de  l'Ordre  de  Cluny  de 
Mesvres,  Pierre  de  Beaufort,  avait  abandonné  son  j^i'ieuré,  incapable 
de  résistance-'.  Les  populations  perdaient  toute  espérance  d'en  rece- 
voir un   secours  ou  une    protection  quelconque,    et  beaucoup  pré- 

1.  Reg.  Aven.  Urbani  V,  n"  9,  loi.  313  '',  ad  an.  13G5,  Januarii  3  :  «  Dil.  fil...  canlori 
cccics,  Bisunlin.  salutem,  etc.  Ad  audientiam  nostram  pervenit  quod  nonnullepersone 
ulriusque  scxus  in  civitate  et  dioces.  Bisunlin.  conimorantes  lum  propter  dampna 
et  penurias  que  occasione  ^uepparum...  sustinuorant,  tuni  propter  steriiitales  terra- 
riuii  qiias  habuerant,  tum  etiani  quia  culture  terrarum  hujusniodi  propter  cultorum 
penui'iam  et  caristiani  intendcre  non  valuerant,  et  ut  vite  sustentationem  liabere 
valerent,  a  diversis  crediloribus  nonnullas  pecuniaruni  suninias,  bladoruni  quantita- 
tes  et  res  alias  mobiles  receperunt  sub  usuris,  quodque  creditorcs  ipsi  eisdem  perso- 
nis  tôt  pecuniaruni  sunimas  occasione  premis^oruni  per  usurariam  pravilateni  extorse- 
runt  et  adhuc  cxtorquere  nituntup,  quod  persone  ipse  bona  que  habent  vilissimo  pre- 
tio  distrahere,  nonnuUarunujue  ])ersonaruni  hujusmodi  liberi  mendicare  couantiu". 
de  solvendis  et  non  repetcndis  usuris  hujusmodi  juramentis  cxtortis,  etc.  [Mandat  ut, 
si  ita  est,  dictos  usurarios  dicta  juramenta  relaxare.  et  sua  sorte  contentos  esse  com- 
pellat  ;  et  cxtorta  restituant  et  ab  usurai'um  exactione  désistant].  Dat.  Avinione  ni 
non.  Januarii,  an.  III  ». 

2.  Pour  tous  les  détails,  voy.  Chahmassk,  L'église  d'Auliin  pendant  lu  gnerre  de 
Cent  ;m.s,  p.  9  suiv.,  15  suiv. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  129. 

4.  Chkhiîst,  p.  239  suiv. 

5.  A.  \nz  Charm.vsse,  Annales  lu'sf.  du  piueuré  de  Mescres  en  Bourgogne  et  ses 
dépendances  (Autun,  1877),  p.  30. 


476  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

feraient  imiter  les  routiers  plutôt  que  de  les  combattre.  Il  se  for- 
mait des  Compagnies  indigènes  qui  se  livraient  aussi  au  meurtre  et 
au  pillage.  L'une  d'entre  elles  avait  pour  chef  un  prêtre,  le  propre 
curé  de  Mesvres,  nommé  Jacques  d'Aigrefeuille.  Lui  et  ses  com- 
pagnons ((  parlaient  comnîe  les  Anglais  ou  comme  les  gens  des 
Compagnies,  en  criant  ii  leurs  victimes  :  A  moîH !  à  moiH !  vilain, 
nous  sommes  bons  Anglais!^  »  A  Autun  même,  le  bailli,  Robert 
de  Martinpuits,  fracturait  les  prisons  de  Tévêque  pour  y  chercher 
des  complices,  et  le  monastère  des  Bénédictines  de  Saint- Andoche, 
à  Autun,  pour  y  trouver  des  victimes  -.  Ce  bailli,  représentant  du 
pouvoir  ducal  à  Autun,  sévit  tellement  contre  les  ecclésiastiques  et 
les  laïques  qu'on  lui  a  donné  le  nom  de  Robert  le  Diable^. 

Des  Compagnies  dévastaient  continuellement  le  Maçonnais,  ainsi 
que  nous  Lavons  vu  au  premier  paragraphe  ;  le  10  juin,  elles  occu- 
paient Chaume;  le  24,  Darcey;  le  2  février  L365,  Baigneux-les- 
Juifs  ;  le  23  février,  Villaines-les-Prévôtés,  où  elles  étaient  encore 
le  26  mai.  Cette  fois  encore,  des  Bretons  et  des  Gascons  compo- 
saient en  grande  partie  ces  Compagnies,  sous  les  chefs  Arnault  de 
Tallebardon,   Pierre  Dorgueil  et  plusieurs  autres  ^. 

Une  autre  Compagnie,  sous  le  capitaine  Derby,  cousin  de 
l'Archiprôtre,  s'empara  le  25  mai  1365  du  château  de  Thil  en 
Auxois.  D'autres  forteresses  tombaient  au  pouvoir  des  bandes,  et 
Avallon  même  était  menacé  ^. 

Philippe  le  Hardi  convoqua  la  noblesse  bourguignonne  k  marcher 
contre  les  Compagnies  ^'.  En  même  temps,  Charles  V  s'occupait 
des  bandes  navarraises  qui  n'infestaient  pas  seulement  la  Norman- 
die, mais  aussi  la  Champagne  et   la  Bi^ie^  province   que  réclamait 

1.  Voy.  quelques  passages  du  procès  fait  contre  ce  curé,  dans  Ciiahmasse,  1.  c, 
p.  34  à  37.  C'était  seulement  huit  ou  neuf  ans  après,  en  1373,  que  le  procès  lui  était 
fait.  Ce  curé  semble,  malgré  cela,  avoir  échappé  à  l'action  de  la  justice.  V^oa'.  ihid., 
p.  37  suiv. 

2.  IbicL,  p.  40. 

3.  A.  DE  Charmasse,  L'église  (F Autun  pendu nt  la  guerre  de  Cent  a/i.s,  p.  36;  Pièces 
justif.,  n°  15,  p.  123.  Le  procès  qui  fut  intenté   au  bailli,  et  dont  Tauteur  donne  lïn 

excellent  exposé,  nous  révèle  une  fois  de  plus  les  mœurs  barbares  de  ce  temps. 

4.  Voy.  A.  DE  Chariviasse  dans  Mémoires  de  la  Société  Éduenne,  nouv.  sér.,  t.  IX 
(1880),  p.  499  suiv.  Beaucoup  d'autres  particularités  se  trouvent  dans  son  livre 
L'église  d'Autun  pendant  la  guerre  de  Cent  ans,  p.  12  suiv. 

5.  E.  Petit,  p.  176. 

6.  Chéhest,  p.  290  suiv. 


LES    COMPAGMES    EN    CIIA3IPAGNE,    136o  477 

Charles  le  Mauvais  en  échange  de  la  Bourgogne  que  le  roi  avait 
prise.  Les  Compagnies  occupaient  Nogent-sur-Seine,  et,  de  là,  par- 
couraient les  deux  rives  de  la  Seine.  Elles  s'emparèrent  de  MaroUes, 
Saint-Aubin-sur-Yonne,  Gésy  près  Joigny,  Trainel,  Bouy,  Vaure- 
nier,  Migé  ^  Le  comte  de  Tancarville  fut  nommé  à  ce  propos,  par 
Charles  V,  lieutenant  du  roi  aux  parties  de  Champagne  et  Brie,  et 
dès  le  commencement  de  13()5,  il  essaya  d'en  chasser  les  Compa- 
gnies. Au  siège  de  Marolles,  il  était  aidé  par  l'Archiprétre  ^.  Le 
31  janvier  1365,  Tévêque  de  Troyes,  Henri  de  Poitiers  avisait  Phi- 
lippe le  Hardi  sur  les  mouvements  des  Compagnies  qui,  peu  à  peu, 
passaient  la  Loire  et  entraient  dans  le  comté  de  Ne  vers  ;  au  mois  de 
mars,  elles  avaient  gagné  l'Auxerrois,  et  l'on  craignait  une  attaque 
sur  Troyes*^. 

Passant  sur  les  détails,  nous   arrivons  à  la  fin   de  cette  longue 
investigation  sur  le  déploiement  des  Compagnies  en  France  durant 
les  premières  années  que  suivirent  la  paix  de  Bretigny.  Froissart  ne  i 
va   pas  trop  loin  en   affirmant  qu'à    cette   époque,   la    principauté 
d'Aquitaine  seule  était  restée  à  l'abri  du  fléau  '^.  Pour  être  tout  à    > 
fait  exact,  il  aurait  dû  dire  :  une  grande  partie    de  la  principauté    I 
d'Aquitaine,   et  ajouter  :    la  Picardie  ^.   Mais  tout  le    reste  de   la 
France  était  leur  chambre  ^^,  comme  ils  l'appelaient.  Malgré  tous  les 
efforts  qu'on  faisait  au  Nord  et  au  Sud  pour  s'en  débarrasser,  les 
Compagnies    s'étendaient  de  plus  en  plus,   et  leur  nombre   allait 
en   augmentant.    Tous  les   moyens    employés   jusque  là    pour   les 
expulser    n'avaient  produit   que    l'effet   contraire.  En   outre,   elles 
possédaient    encore    beaucoup    de    lieux    et    places    fortes,    dont 
l'occupation    remontait   en    partie    à   l'époque    de    la    guerre  avec 
l'Angleterre^. 

1.  Voy,  Delisle,   Mandemenls  de  Charles   V,   iv  225",  p.   107;  Ghérest,  p.   293. 
iiot.  1. 

2.  ClIKHliST,  1.  c. 

15.  DAnBois  DE  JunAi>viLLE,  Voi/affe  paléoçfrnphique  dans  le  déparlemenl  de  VAube, 
p.  139  suiv.  ;  Boitiot,  Ilisl.  de  la  ville  de  Troyes,  II,  p.  19i  suiv. 
i.  FnoissAiiT,  éd.  LucE,  p.  183. 
à.  Cf.  Grand,  cliron.,  p.  241. 
().  Fhoissart,  p.  184,  et  VII,  p.  (j5. 
7.  Grand,  chron.,  p.  237. 


478  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 


4.   La    croisade.   LArcJiiprèlre   en    Lorraine   et   en  Alsace.    L  ex- 
pédition de  Du  Giiesclin  et  des  Compagnies  en  Espagne. 

Le  roi  Jean  arriva  les  premiers  jours  de  novembre  1 362  à  Villeneuve- 
lez-Avig-non  ^  pour  faire  une  visite  au  Pape  et  lui  parler  des  affaires 
sérieuses  du  royaume-.  Nous  ne  nous  intéressons  ici  qu'au  projet 
de  la  croisade  dont  le  roi  même  devait  être  le  capitaine  g'énéral. 
Mais,  comme  je  l'ai  fait  remarquer  aux  deux  premiers  paragraphes, 
il  fallait  purger  la  France  des  Compagnies.  Tandis  c|ue  la  somma- 
tion faite  par  le  Pape  en  13G3  aux  Compagnies  de  marcher  contre 
les  Turcs  était  restée  sans  résultat  ■^,  on  eut  apparemment  plus  de 
succès  en  1365.  Du  moins^  tant  le  roi  que  le  Pape  nous  Taffirment, 
Arnaud  de  Cervole  se  montra -t-il  disposé  à  obéir  ^.  De  plus, 
Urbain  V  (une  lettre  du  9  juin  au  roi  Charles  nous  l'atteste)  se 
concertait  avec  l'emperevu'  Charles  IV,  venu  le  23  mai  à  Avignon, 
sur  le  passage  des  Compagnies  en  Orient.  Celles-ci  devaient  traver- 
ser l'Allemagne  et  la  Hongrie.  L'empereur  laissait  le  passage  libre  et 
voulait  pourvoir  aux  dépenses  des  bandes  jusqu'à  leur  entrée  dans  la 
Hongrie.  Il  fut  convenu  que  si  le  roi  de  ce  pays,  auquel  l'empereur  et 
le  Pape  envoyaient  des  légats,  entre  autres  Arnoul  d'Audrehem,  ne 
permettait  pas  le  passage  à  travers  ses  Ktats,  les  Compagnies 
seraient  transportées  outre-mer  par  les  vaisseaux  vénitiens  ou  par 
ceux  d'une  autre  puissance  maritime  de  l'Italie.  Pour  subvenir  aux 
fi'ais  de  Fentreprise,  l'empereur  offrait  même  la  moitié  des  revenus 

1.  Voy.  ritincraire  dresse  par  I>i ck  dans  Fhoissaut,  W,  p.  xxxviii,  not.  I.  Nous 
trouvons  dans  InLr.  et  exil.,  n"  296,  fol.  76''  (Arch.  Vat.),  parmi  les  dépenses  de  la 
Cour  Romaine  du  6  au  30  novembre  de  Tan  1362  :  «  Item  de  mandato  dom.  nostri 
pa]3e  domino  de  M(»nteferrando  militi  Mimaten.  dyoc,  per  ipsum  de  dicto  mandato 
distribuendis  joculatoribus  dom.  rej^is  Francorum  in  suo  novo  adventu  ex  dono 
speciali  per  ipsum  dom.  nostrum  papam  ipsis  joculatoribus  facto,  c  flor.  ». 

2.  Sur  les  dilïérents  points  de  cet  entretien,  voy.  Ciuîuest,  p.  206  suiv.,  208  suiv. 

3.  Ci-desssus,  p.  -i  1  i  suiv. 

l.  ^  oy.  l'arrêt  du  Parlement  de  1361  dans  Bai-uzk,  Vit.  pnp.  Aven.,  I,  p.  9iS.  L  an 
est  vraisemblablement  d'ancien  style.  Urbain  V  dit  la  même  chose  dans  sa  bulle  à 
Charles  V,  du  20  juin  1365,  dans  laquelle  il  l'autorise  à  délivrer  à  Arnaud  de  Cer^'olc 
une  partie  du  décime  des  revenus  ecclésiastiques  «  eo  casu  quo  comitivas  extra 
regnum...  ad  partes  infidelium  ducet  ».  lte(j.  Vid.,  n"  217,  fol.  120  ^  ;  Piiou,  Etiide^ 
etc.,  p.  128,  iv  ô'i. 


LES    COMPAGNIES    EN    ALSACE  ET    EN    ESPAGNE,    1365  479 

du  royaume  de  Bohême  pendant  trois  ans  K  Le  Pape  exprime  aussi 
dans  deux  lettres  adressées,  le  18  juin,  aux  cardinaux  Androuin 
et  Gilles  l'espoir  qu'il  entretient  du  succès  de  la  croisade.  La  con- 
vention entre  le  roi  et  les  Compagnies ,  dit-il,  touche  à  sa  conclu- 
sion ;  celles-ci,  aux  termes  du  document,  ne  retourneraient  j^lus 
sur  leurs  pas,  promettant  de  s'abstenir  de  tout  excès  sur  leur 
passage  -.  Quelques  semaines  plus  tard,  Urbain  V  était  sûr  qu'au 
moins  Arnaud  de  Cervole  conduirait  ses  bandes  outre- mer,  et  il 
engageait  Seguin  de  Badefol  à  l'accompagner -^  Le  19  juillet,  il 
informait  les  archevêques  et  évêques  français  qu'il  avait  accordé  le 
décime  au  roi  de  France  pour  une  durée  de  deux  ans,  en  vue  de 
l'expulsion  des  Compagnies  ^. 

Mais  la  croisade  resta  à  l'état  de  projet,  et  toutes  les  résolutions 
prises  à  Avignon,  de  concert  avec  l'empereur,  demeurèrent  sans 
effet.  Bien  naïve  était  ,  selon  moi,  la  pensée  de  vouloir  engager 
les  Compagnies  à  aller  outre-mer,  de  les  animer  à  rechercher  en  été 
une  zone  encore  plus  chaude,  avec  la  quasi  certitude  de  n'en  plus 
revenir,  de  leur  faire  mener  une  vie  rude  dans  un  pays  lointain,  et 
de  les  envoyer  se  battre  contre  les  ennemis  de  la  foi  chrétienne, 
eux  qui  avaient  en  somme  moins  de  foi  que  les  Turcs  et  les 
païens  ^  !  Le  Pape  disait  encore  que  si  les  Compagnies  ne  consen- 
taient pas  de  bon  gré  à  partir,  il  fallait  les  y  forcer.  Mais  à  qui 
incomberait  ce  rôle  diiïicile  ?  Le  plus  souvent,  on  était  impuissant 
à  chasser  une  seule  Compagnie  d'une  place  qu'elle  occupait,  et 
maintenant  il  s'agissait  d'en  finir  d'un  coup  avec  toutes  les  bandes 
réunies.    Ce   qu'Urbain  V   ne  reconnut   que    l'année   suivante  '^,  se 

1.  Re(j.  Vat.,  n"  247,  loi.  114;  Hay\am),  Ann.,  13G5,  n"  2;  Chéhest,  p.  306  suiN'., 
IraduiL  la  lettre  entière  en  français.  Au  même  temps  Ui'bain  V  s'ellorça  de  faire 
prendre  aux  Compagnies  stationnant  en  Italie  le  chemin  de  1  Orient  en  les  diri- 
geant contre  les  Turcs;  il  y  a,  à  ce  sujet,  plusieurs  lettres  dans  les  Reff.,  fol.  11  i  '•  , 
IJG.  Cf.  encore  Jiîax  oe  Venette,  p.  360;  E.  Mommeh,  Etude  sur  la  vie  d'Arnoul 
dWudielieni,  p.  168  suiv. 

2.  He(j.  Vat.,  n"  27  i,  fol.  216  ;  Theixeh,  Cod.  dijjlom.  dominii  lemporalis,  II,  p.  428. 

3.  ^'oy.  le  traité  de  juillet  1365  conclu  avec  Seguin  au  sujet  d'Anse,  dans  Guigie, 
Les  Tavd-Veiius,  p.  121.  Cf.  d'autres  renseij;neuicnts  dans  PiMn,  Elude,  clc,  p.  55  suiv. 

4.  Rer/.  Vat.,  n"  247,  fol.  295,  320,  322  (Puou,  p.  133,  n"  58).  Urbain  V  répète  cela, 
le  24  novembre,  dans  sa  lettre  adressée  à  l'archevêque  de  Lyon  et  à  ses  sufTragants 
(t/n'J.,  n"  248,  fol.  177). 

5.  IIuGUE.MN,  Chroniques  de  la  ville  de  Metz  (1838),  p.  105  :  «  mauvaises  gens  sans 
foy  et  sans  loy  et  pires  que  ne  sont  Sarrasins  ». 

6.  \oy.  la  lettre  du  20  novembre  1365,  publiée  ci-dessous,  p.  uS6  suiv. 


480  LA    GLEURE    DE   CENT    ANS 

confirmait  déjà.  Pour  les  Conipag-nies,  la  croisade  n'était  qu\in 
prétexte  pour  piller  les  provinces  a  voisinantes,  et  revenir  à  leur 
poste. 

Il  en  fut  de  même  de  ces  Compagnies  qu'Arnaud  de  Cervole 
avait  soi-disant  l'intention  de  conduire  en  Orient.  Il  avait  là  une 
bonne  occasion  d'obtenir  du  Pape  l'absolution  de  toutes  les 
sentences  canoniques  prononcées  contre  lui.  A  Mâcon,  un  légat  d'Ur- 
bain V  attendait  l'Archiprétre  pour  lui  donner  l'absolution  à  lui  et 
à  ses  compagnons,  ainsi  qu'à  un  capitaine  anglais  du  nom  de 
Fillefort,  chef  d'une  des  Compagnies  qui  depuis  longtemps 
infestaient  les  environs  i.  Le  fardeau  devenu  plus  léger,  on 
recommença  de  plus  belle.  Vers  la  lin  du  mois  de  mai  1365 
Arnaud  se  mit  en  route  avec  son  armée,  composée  de  Bretons 
pour  la  plupart  ^.  Ainsi  pendant  que  le  Pape  supposait  encore 
l'Archiprétre  en  pleins  préparatifs,  celui-ci  s'était  déjà  mis  en 
marche  avec  les  siens.  Il  ne  songea  même  pas  à  attendre  que 
l'empereur,  revenu  d'Avignon  '^,  eût  pris  les  dispositions  voulues 
pour  accorder  à  sa  Compagnie  le  libre  passage  à  travers  l'empire. 
Son  but,  à  coup  sûr,  n'était  point  de  gagner  la  Terre-Sainte,  mais 
de  faire  un  riche  butin  dans  les  provinces  voisines.  En  effet,  ses 
compagnons  qui  venaient  de  recevoir  l'absolution  avec  lui  ne 
tardèrent  pas  à  montrer,  par  leurs  actes,  de  quel  esprit  de  pénitence 
ils  étaient  animés.  Leur  marche  se  dirigeait,  par  une  partie  de  la 
Champagne  et  la  partie  occidentale  du  duché  de  Lorraine,  vers  le 
Nord,  sur  le  duché  de  Bar  et  sur  Verdun  ;  de  là,  ils  tournèrent 
à  l'Est,  vers  Metz;  ensuite  au  Sud-Ouest,  vers  l'Alsace.  Ces 
bandes  n'exécutaient  pas  leur  marche  ensemble.  Lorsqu'Arnaud  de 
Cervole,  vers  la  Pentecôte  (l'^juin)  avec  le  gros  de  son  armée  était 
arrivé  dans  le  val  de  Metz^,  des  détachements  de  Bretons  restaient 
longtemps  encore  dans  le  duché  de  Bar  ^.  Sur  leur  route,  ils  pil- 
laient les  localités  ouvertes,  les  marchands  et  autres  particuliers, 

1.  MiCHOX,  Documents  relatifs  h  l  histoire  de  la  ville  de  Mâcon,  clans  Revue  des 
Sociétés  savantes,  5*  scr.,l.  I,  p.  IdH. 

2.  Jean  de  Venette,  p.  359. 

3.  Il   quitta  la   Cour  Uoniainc    sciilenieiit    les  premiers  jours  de  juin  et  arriva  à 
Strasbourg  le  29.  Voy.  BiuiMEn,  Reyesta  Imperii,  t.  VIII,  éd.  IIubeh,  p.  3i0  suiv. 

4.  HuGUEMx,  Chroniques  de  la  ville  de  Metz,  1.  c. 

5.  Voy.  Seuvais,  Ann.  hisl.  du  Barrois,  I,  p.  167  suiv. 


LES    COMPAGNIES    EN    ALSACE   ET    EN    ESPAGNE,    136y  481 

enlevant  aux  paysans  les  chevaux,  les  vivres  et  le  reste,  en 
dévastant  tout  le  pays  i.  La  population  abandonnait  les  villages, 
laissant  les  maisons  à  la  merci  des  brigands'-.  Ces  faits  sont  confir- 
més par  des  documents  authentiques.  Le  7  août  136o,  la  ville  et  le 
diocèse  de  Verdun  reçurent  d'Urbain  V  la  bulle  Ad  reprimendas  \ 
les  couvents,  les  ég-lises,  les  hôpitaux  furent  pillés  ;  les  ecclésias- 
tiques et  laïques  faits  prisonniers  et  rançonnés  ^.  Pour  des  raisons 
analogues,  l'abbaye  des  Bénédictines  de  Remiremont  reçut  la 
même  bulle  deux  ans  plus  tard  ^. 

Au  mois  de  juin,  l'Archiprêtre  parut  devant  Metz  ;  la  ville 
racheta  sa  liberté  moyennant  18.000  florins  d'or  •'.  Le  4  juillet,  par 
la  Steige  ^\  près  Zabern,  il  envahit  l'Alsace.  Son  armée  avait 
grossi  de  plus  en  plus  pendant  sa  marche  à  travers  la  France  jus- 
qu'en Alsace.  Kônigshofen  en  évalue  le  nombre  k  40.000  chevaux 

1.  Jean  de  Venette,  1.  c. 

2.  Servais,  1. c,  p.  168. 

3.  Reg.  Vat.  Urhaiil  V,  n°  261,  fol.  188''.  Cf.  ci-dessous,  paragraphe  11  :  Verdun., 
et  encore  Glouët,  Hist.  de  Verdun,  III  (Verdun,  1870),  p.  316,  318  suiv.,  320. 

4.  Recf.  Vat.,  n°  256,  fol.  114'',  ad  an,  1367,  Octob.  1  :  «  abbatissa  et  conventus 
monasterii  monialium  de  Romaricomonte...  Ord.  S.  Ben.,  Tullen.  dioc.  ».  Guixot, 
Etude  hist.  sur  iabbaye  de  Remiremont  (1859),  dit  seulement  p.  154,  qu'en  1353  le 
comte  de  Bar  ravagea  les  terres  de  l'abbaye.  Il  nomme  les  sœurs  «  chanoines  »,  les 
maisons  «  canoniales  »,  mais  à  tort  pour  le  xiV  siècle.  Cf.  Gallia  christ.,  XIII, 
p.  1408.  Les  Bretons  séjournèrent  près  Remiremont  au  moins  à  leur  retour 
d'Alsace,  le  30  juillet  1365.  Voy.  Servais,  p.  172,  qui  cite  un  message  transmis  au 
duc  de  Bar,  «  pour  l'aviser  des  Bretons  qui  étaient  retournés  dAlmaigne  par  deuers 
Remiremont  ». 

5.  lIuGUENix,  1.  c.  Les  sources  principales  pour  cette  expédition  sont  Contin, 
Mathiae  Nuewenhuryens.  dans  BÔHMKn,  Font.  rer.  gerni.,  IV,  p.  293;  Kônigshofen, 
dans  Die  Chroniken  der  deutschen  Stlidte,  t.  VIII,  p.  486  suiv.  ;  les  documents  ([ui 
suivent  l'édition  de  Schilter  (Kônigshofen,  etc.,  Strasbourg,  1698),  p.  887  à  891, 
réimprimés  dans  Urkundenbuch  der  Sladt  Strassburg,  V  (Strassburg,  1896),  n'*  644- 
702,  1238  (cf.  encore  l'Index,  p.  1074),  où  on  rencontre  aussi  les  documents  cités  ou 
édités  par  Wencker  et  Hegel,  et  plusieurs  inédits;  Justinger,  Die  Berner-Chronik, 
éd.  Studer  (Bern,  1871),  p.  126  suiv.  (d'après  Kônigshofen).  D'autres  sources  sont  men- 
tionnées dans  les  notes.  On  ne  trouve  rien  dans  ÏAnonymus  Friburgensis,  qui  est  à 
la  suite  de  Jlstinger;  cette  «  chronique  »  est  une  œuvre  fausse  de  Zurlalben.  Cf. 
HE  LiEBENAu,  daus  Kalhol.  Schweizer-Bliitter,  Neue  Folge,  xiii  Jahrgang,  1897,  p.  300 
suiv.  Kônigshofen  distingue  l'invasion  en  Alsace  der  ersten  Engelender  ou 
Engelischen,  de  l'invasion  der  andern  Engelender,  qui  survint  le  vendredi  après  le 
jour  de  Saint  Michel  1375  {Chroniken  der  deutschen  Stiidte,  IX,  p.  815,  et  ci-dessous, 
paragraphe  8). 

6.  »  Uber  die  steig  her  ».  Zûrcher  Chronik,  éd.  Ettmuller,  dans  Mittheil.  der  anti- 
quarischen  Gesellschaf't  zu  Zurich,  t.  II  (1844),  p.  89.  Dans  Ui'kundenhuch,  etc.,  le 
séjour  de  l'Archiprêtre  «  an  der  Steige  in  Zabern  »  est  mentionné  plusieurs  fois.  Cf.  n'* 
665,  686-688. 

R.  P.  Denifle.  —  Desolatio  eccU^siat'u»!  II.  31 


482  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

et  piétons^,  Glaire  de  Finstingen  à  30.000  hommes'^,  tandis  que 
Mathias  de  Neuenbourg  ne  parle  que  de  12.000  chevaux,  et  la 
chronique  de  Zurich  n'en  mentionne  que  4.000  et  beaucoup  de 
piétons  •^.  Peut-être  la  chronique  de  Limbourg  a-t-elle  raison  de 
dire  que  les  compagnons  étaient  en  tout  au  nombre  de  20.000  ^.  Ces 
étrangers  croisés  reprirent  en  Alsace  leurs  vieilles  habitudes.  Le 
5  juillet,  vers  midi,  après  avoir  incendié  force  maisons  à  Kônigs- 
hofen,  ils  arrivèrent  avec  impétuosité  devant  Strasbourg  et  y  provo- 
quèrent aussitôt  les  citoyens  au  combat.  Les  habitants  des  environs 
se  réfugièrent  dans  les  places  fortifiées  ^.  Quand  les  compagnons 
eurent  attendu  en  vain  devant  Strasbourg,  voyant  que  les  bourgeois 
ne  faisaient  pas  non  plus  mine  de  vouloir  se  racheter,  ils  se  disper- 
sèrent sur  toute  la  surface  du  pays  où  ils  pillèrent  tout  ce  qui  leur 
tombait  sous  la  main.  Ils  infestèrent  la  contrée  au  point  que  si 
Ton  voulait  se  rendre  d'un  endroit  à  l'autre,  il  fallait  leur  deman- 
der un  sauf-conduit  ^.  Ils  capturaient  tous  ceux  qu'ils  rencontraient 
et  maltraitaient  les  prisonniers  pour  en  extorquer  de  l'argent.  Les 
riches  payaient  en  pièces  sonnantes,  en  chevaux  ou  en  drap;  les 
pauvres  se  rachetaient  avec  des  fers  à  cheval  ou  des  souliers.  Le 
but  unique  de  ces  brigands  était  de  piller  et  de  s'enrichir.  A  l'égard 
des  femmes  et  des  vierges,  leurs  procédés  étaient  partout  les  mêmes. 
Ils  dévastèrent  les  campagnes,  mais  ils  ne  purent  s'emparer  d'aucune 
place  forte,  parce  qu'ils  ne  traînaient  avec  eux  aucun  engin  de  siège  ^. 
L'empereur,  revenu  depuis  peu  d'Avignon,  reconnut  bien  alors  qu'il 
avait  eu  tort  d\'  prendre  à  la  légère  de  tels  engagements  et  d'avoir 
accordé  à  une  pareille  bande  le  libre  passage  à  travers  ses  Etats. 
Pour  obtenir,  sans  doute,  des  éclaircissements  sur  la  conduite  de  la 


1.  «  In  dem  selbcn  volke  worent  also  men  schetzete  uf  40  tuscnt  pfcrt  und  fuos- 
genger.  »  Die  Chroniken,  etc.,  VIII,  p.  486.  Cf.  Justinger,  p.  127. 

2.  Urkundenhuch,  etc.,  n°  652,  ad  an.  1365,  Junii  26.  Claire  parle  des  compagnons 
devant  Metz,  en  disant,  «  daz  in  vyl  folkez  notanne  na  kuome.  » 

3.  Coniin.  Math.  Nuewenh.,  p.  293;  Zûrcher  Chronik,   éd.  Ettmui.leh,  1.  c,   p.  S9, 

4.  Dans  Monum.  German.  Scriptor.  qui  vernaciila  lingua  usi  snnt,  t.  IV,  pars  I, 
p.  54.  La  Chronique  appelle  la  Compagnie  «  die  grosze  geseischaft  usz  Welschem 
lande  »  ;  dans  Urkundenbuch,  elle  est  souvent  nommée  «  bôse  geselleschaft  ». 

5.  Contin.  Mathiae  i\uewenhiirff^  1.  c,  et  Komgshofen,  p.  487. 

6.  KÔiMGSHOFEN,  1.    C. 

7.  Ibid.  Cf.  encore  La  Vie  d'Urbain  V,  dans  Actes  et  documents  concernant  Urbain 
y,  rec.  par  Aldaaès,  I,  p.  12;  Bai.uze,  Vit.  pap.  Aven.,  I,  p.  200. 


LES    COMPAGMKS    EN    ALSACE    ET    EN   ESPAGNE,    1 3Go  483 

Compagnie,  il  envoya  vers  l'Archiprêtre,  et  à  cet  elFet  avisa,  le 
9  juillet,  le  conseil  de  Strasbourg  K  Les  explications  furent  insuf- 
fisantes, à  ce  qu'il  paraît,  et  l'empereur  rassembla  autour  de  lui 
une  armée,  dont  les  archevêques  de  Trêves  et  de  Mayence,  et  le 
palatin  rhénan,  Ruprecht,  avaient  fourni  le  plus  grand  contingeni, 
en  tout  24.000  combattants  -.  L'armée  stationnait  à  Saint-Arbogast, 
à  Eckbolsheim  et  dans  les  environs.  Néanmoins  l'empereur  y 
attendit  huit  jours,  si  bien  que  le  peuple,  déjà  si  éprouvé,  en 
murmura -^  Enfin,  il  marcha  contre  la  Compagnie  de  l'Archiprêtre, 
qui  se  retira  vers  Benfeld,  Dambach  et  Schletlstadt,  opérant  sa 
retraite  par  Colmar,  à  mesure  que  s'approchait  l'armée  impériale  ^. 
Arnaud  de  Cervole  était  assez  naïf  ou  assez  hypocrite  pour  se 
plaindre,  disant  qu'il  avait  amené  les  Compagnies  en  Alsace  à 
l'instigation  de  l'empereur  qui,  maintenant,  le  forçait  d'en  sortir'. 
Les  habitants  de  Bâle  tremblaient  de  frayeur  à  l'approche  de  la 
Compagnie  d'Arnaud  de  Cervole.  Ils  sollicitèrent  des  recours  de 

1.  BcuiMiîu,  Regesta  Iniperii,  VIII,  éd.   IIuhkr,  p.  352,   n"   iI91.  L'empereur  voulait 
encore  qu'un  membre  du  conseil  de  Strasbourg  s'adjoignît  à  son  légat. 

2.  Chronique  de  Liinboiircf  dans  Mon.  Germ  .,  1.  c,  p.  5i. 

3.  KoMGSHOFKN,  p.  187  suiv.,et  un  document  dans  Chroniken  dev  deulachen  SlUdle, 
t.  IX,  p.  1042. 

4.  KÔM(iSHOFKX,  1.  C.  (]f.  la  carte  dans  Chroniken  der  deiilschen  Sliidte,  \'lll.  à  la 
fin. 

5.  Coniin.  Mnili.  Nuewenhurcj.,  1.  c.  Chéhest,  p.  321,  se  fait  aussi  cette  fois  l'avocat 
de  rArchii)rctre  et  de  sa  Compagnie,  il  trouve  que  l'empereur  n'a  pas  tenu  parole  et 
n'a,  jusqu'à  Strasbourg,  trouvé  aucun  motif  de  plainte.  Mais,  pour  arriver  à  cette 
conclusion,  Chérest  a  altéré  les  faits  historiques.  Qu'a  fait  cette  Compagnie  pendant 
toute  sa  marche?  Et  si  l'Archiprêtre  n'avait  reçu  à  Metz  18.000  llor.  d'or,  le  pays  eût 
été  dévasté,  comme  l'Alsace  le  fut  après,  ce  que  dit  l'annaliste  de  Saint-Thibaut  de 
Metz  (dans  Calmet,  Ilisl.  eccl.  de  Lorraine  ;  II,  Preuves,  p.  clxxv).  Avant  d'arriver  à 
Strasbourg,  sa  Compagnie  a  incendié  beaucoup  de  maisons  à  Kiinigshofen  {Coniin. 
Math.  Nueicenlnirçf.:  Ziircher  Chronik,\.  c),  et  le  jour  suivant,  Arnaud  ne  s'était  pas 
présenté  devant  la  ville  pacifiquement,  comme  le  veut  Chérest,  p.  318,  mais  <<  impe- 
tuose  »  (les  deu.v  sources  citées),  et  il  y  avait  employé  la  même  tacti({ue  (pie  devant 
Metz  :  la  menace,  «  si'i  AVtiltent  das  lant  gerwe  ab  biirnen,  men  gebe  in  denne  guot  » 
(KoMGSHOFiîx,  p.  487).  Mais  les  Strasbourgeois  refusaient  la  rançon,  on  disant  :  «  dor 
in  guot  gebe,  so  kement  si""  zuoin  andern  mole  aber  »  (ibid.).  De  là  la  fureur  de 
l'Archiprêtre.  Et  malgré  tout  cela  l'empereur  attendait  huit  jours  avec  son  armée. 
Qui  pouvait  lui  reprocher  de  s'être  mis  finalement  à  la  poursuite  de  ces  routiers? 
Chérest  s'est  seulement  servi  des  chroniqueurs  de  seconde  main,  et  encore  il  y 
a  puisé  avec  une  grande  partialité  pour  son  héros  l'Archiprêtre.  Cette  partie  est  cer- 
tainement une  des  plus  faibles  de  son  ouvrage.  Comment  Chérest  a-t-il  pu  croire 
que  l'Archiprêtre  pensait  sérieusement  à  aller  outre-mer  avec  sa  Compagnie?  .\rnaud 
ne  voulait  aller  qu'outre-Rhin,  pour  rançonner  d'autres  provinces. 


484  LA    GUERRE    DE    CEIST    ANS 

tous  côtés  ^  Mais  Talarme  fut  vaine  ;  la  Compagnie  s'en  retourna 
en  France.  Cependant  l'Alsace  était  dévastée.  Pendant  près  d'un 
mois,  la  Compagnie  y  avait  commis  de  grands  dégâts,  plus  grands 
qu'ils  ne  le  furent  en  1375,  bien  qu'alors  l'ennemi  fût  plus  con- 
sidérable, et  son  séjour  dans  le  pays  plus  prolongé.  Une  grande 
cherté  de  vivres  survint '.  La  misère  s'accrut  encore  par  les  ravages 
que  faisaient  les  troupes  de  l'emjDereur -^  Il  en  advint  en  Alsace 
tout  comme  en  France.  Les  royaux,  les  amis  se  conduisaient  sou- 
vent plus  mal  que  les  ennemis,  comme  Jean  de  Venette  nous  l'af- 
firme à  différentes  fois.  Cet  ouvrage  en  fournira  maint  exemple  à 
l'appui.  Les  mêmes  faits  se  reproduisent  pendant  les  guerres,  dans 
les  temps  modernes. 

Les  compagnons  d'Arnaud  de  Cervole  ne  pouvant  point  passer 
le  Rhin  pour  rançonner  d'autres  provinces,  s'en  retournèrent  tous 
peu  à  peu  en  France  ;  à  partir  de  la  fm  de  juillet  ils  y  reprirent, 
surtout  en  Bourgogne,  leur  ancien  métier  de  brigands^.  Que  faire? 
On  se  retrouvait  dans  la  même  ornière.  Il  vint  alors  au  roi 
Charles  V  une  autre  pensée.  Sans  se  départir  du  projet  d'emme- 
ner les  Compagnies  hors  du  pays,  il  choisit  comme  destination  un 
pays  plus  rapproché  que  la  Terre-Sainte,  à  savoir  l'Espagne.  Une 
guerre  sévissait  en  Castille  entre  le  roi  don  Pèdre  et  son  frère 
bâtard,  Henri  de  Trastamare,  que  nous  connaissons  déjà.  Don 
Pèdre,  avec  le  surnom  de  «  Cruel  »,  ne  s'était  pas  seulement  rendu 
odieux  à  ses  sujets,  mais  il  était  aussi  détesté  du  roi  de  France, 
à  cause  du  prétendu  meurtre  de  Blanche  de  Bourbon,  sa  femme, 
sœur  de  la  reine  de  France  ^.  Il  s'agissait  donc  de  le  détrôner  et  de 
mettre  à  sa  place  Henri  de  Trastamare.  A  cette  fin ,  les  Compa- 
gnies devaient  être  conduites  de  France  en   Espagne.  Le  moment 

1.  Voy.  la  lettre  du  22  juillet  aux  Strasbourgcois  dans  rédition  de  Ivonigshofen,  éd. 
par  ScHiLTER,  p.  891  ;  Justinger,  Die  Berner-Chronik,  p.  121  fTuovihhxiKT,  Monuments 
de  Vhisl.  de  V ancien  évèché  de  Biile,  IV,  p.  226. 

2.  Tout  cela  écrit  Kô.mgshofen,  p.  489  suiv,  ;  IX,  p.  81  i.  CHKREaT,  p,  322,  a  tort 
d'omettre  ces  récits  et  de  parler  seulement  des  ravages  qu'ont  commis  les  troupes  de 
l'empereur. 

3.  KÔMGSHOFEX,   1.   C. 

4.  Voy.  Chérest,  p.  325  suiv.,  331  suiv.,  désormais  il  était  en  état  de  lire  et  de  com- 
prendre les  sources. 

5.  ScHiRRMACHER,  Gescli.  von  Spnnien,  V  (1S90),  p.  400,  preuves  en  mains,  n  ad* 
met  pas  facilement  l'assertion  d'AvALA,  que  don  Pèdre  a  tué  sa  femme. 


LES    COMPAGNIES    EN   ALSACE    ET    EN    ESPAGNE,    1365  485 

paraissait  favorable,  puisque  don  Pèdre,  non  seulement  était  en 
g-uerre  depuis  quelques  années  avec  le  roi  d'Araii^on,  mais  avait 
encore  beaucoup  d'autres  embarras  en  Castille  avec  ses  sujets 
et  ses  voisins^.  Devant  le  Pape,  qui,  quelques  mois  avant,  louait 
don  Pèdre  au-dessus  des  autres  '^,  on  couvrit  l'expédition  en  Espagne 
d'un  prétexte  religieux  :  les  Compagnies  devaient  pousser  jusqu'en 
Grenade,  se  battre  contre  les  infidèles,  contre  les  Maures"'. 

Du  Guesclin  fut  choisi  pour  se  mettre  à  la  tête  des  Compagnies 
et  les  faire  passer  de  France  en  Espagne.  Sa  rançon  fixée,  après  la 
bataille  d'Auray,  à  100.000  francs,  étant  payée,  il  s'engagea  par 
acte  du  22  août  1865  à  diriger  cette  expédition.  Dès  le  10  octobre^, 
nous  le  voyons  à  la  tête  des  gens  des  Comj^agnies,  parmi  lesquels 
se  trouvaient  aussi  Eustache  d'Auberchicourt  et  plusieurs  chevaliers 
anglais,  entre  autres  Hugh  de  Calverly,  Jean  Creswey,  les  mêmes 
qui  se  battaient  naguère  à  Auray  contre  Du  Guesclin  -K  Arnaud  de 
Cervole  n'en  était  point,  mais  il  s'engageait  à  rassembler,  parmi 
les  Compagnies  revenues  d'Alsace,  un  autre  corps  de  troupes,  pour 
les  réunir  à  celles  de  Du  Guesclin  ^.  Celui-ci,  avec  Arnoul 
d'Audrehem,  se  trouvait  le  10  octobre  à  Auxerre;  le  12  novembre, 
sa  présence  est  constatée  k  Avignon  ;  les  Compagnies  étaient  à 
Villeneuve.  Les  seuls  détails  connus  jusqu'à  présent  sur  cette 
marche  à  Avignon  étaient  que  le  Pape  ne  se  trouvait  pas  en  sûreté, 

1.  La  source  principale  pour  ces  événements  est  Pedro  Lopez  ne  Ayala,  Ci'onica 
ciel  rey  don  Pedro,  dans  Cronicas  de  los  reyes  de  Cnstilla,  etc.,  con  las  enmiendas  de 
G.  Zuriin,  etc.,  Madrid,  1779  suiv.  Cf.  I,  p.  15,  87,  1  ii,  etc.  Cf.  encore  Mkrimkk, 
Hist.  de  donPèdre  /""■,  roi  de  Castille,  Paris,  J865,  et  Schihrmachkr,  l.c.,p.  337  suiv., 
399  suiv. 

2.  Don  Pèdre  avait  otTert  par  mer  et  par  terre  des  secours  au  Pape,  qui,  plein  de 
reconnaissance,  le  1"  mars  1365  ((  carissimo  in  Christo  filio  Petro  régi  Castellae  illus- 
tri  »  écrit  qu'il  «  prae  cunctis  orbis  principibus  »  est  disposé  à  secourir  le  Saint-Sièg^e, 
et  le  Pape  lui  souhaite  tous  les  biens.  Reg.  Vnt.,  n°  247,  fol.  55  ;  Raynald,  Ann.,  1365, 
n°  7.  Cf.  ScHiRHMACHEn,  p.  i  iO  suiv.  Le  18  mars  le  Pape  lui  donne  la  dispense  néces- 
saire pour  se  marier  avec  une  fille  du  roi  de  Portugal.  Reg.  Vat.,  1.  c,  fol.  64.  On  y 
trouve  encore  d'autres  lettres  aimables  de  la  même  année,  comme  fol.  73'',  du  14  avril. 

3.  Mandements  de  Charles  V,  éd.  Delislk,  p.  437.  Cf.  Grand,  chron.,  p.  238; 
CuvELiER,  V.  7614,  et  Petit  Thalamus,  p.  369. 

4.  LucE,  dans  Froissart,  p.  i.xxx,  not.  3,  où  est  l'itinéraire  de  Du  Guesclin.  plus 
développé  par  E.  Mommer,  Vie  d'Aî'noul  d'Audrehem,  p.  170  suiv. 

5.  Voy.  la  liste  des  divers  capitaines  des  Compaj^nies  et  des  seiiineurs  français  dans 
Froissart,  p.  lxxxi  à  lxxxiv,  avec  les  notes  de  Luce.  Les  Compagnies  de  Du  Guesclin, 
au  dire  de  Petit  Thalamus  ,  p.  369,  étaient  composées  de  Français,  Anglais,  Alle- 
mands, Bretons,  Gascons  et  autres. 

6.  Cf.  Chérest,  p.  335  sui^'. 


486  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

que  les  Gompag-nies  envoyèrent  demander  l'absolution  et 
de  l'argent,  et  qu'elles  reçurent  de  fortes  sommes^;  mais  les 
choses  se  passèrent  un  peu  autrement.  Les  Gompag-nies,  durant 
cette  expédition^  se  conduisirent  tout  comme  leurs  compa- 
gnons, censément  en  route  pour  la  croisade,  l'avaient  fait  en 
Alsace  et  en  Lorraine.  Elles  marchaient  soi-disant  contre  les 
infidèles  ;  mais  elles  n'en  menaçaient  pas  moins  d'envahir  en 
ennemis  la  Provence,  Forcalquier  et  d'autres  provinces  envi- 
ronnantes, si  celles-ci  ne  se  rachetaient  moyennant  une  grosse 
somme  d'argent.  Le  sénéchal,  les  officiers  et  les  nobles  de  la 
Provence,  voyant  bien  que  leur  pays  était  hors  d'état  d'opposer 
aucune  résistance,  choisirent  le  moindre  mal,  et  promirent,  avec 
l'assentiment  du  pape,  de  payer  la  somme  énorme  de  30.000  flo- 
rins d'or.  Le  20  novembre,  Urbain  V  charge  le  patriarche  de  Jéru- 
salem de  sommer,  sous  peine  de  censures,  les  ecclésiastiques,  clercs 
et  moines  de  contribuer  au  payement  de  cette  somme  -.  Les  Gom- 

1.  H  MoLiMEn,  1.  c,  Pièces  juslif.,  n°  94,  p.  320;  Guviïlier,  Chron,  de  Du  GiiescUn, 
V.  747i. 

2.  Ileg.  Aven.  Urbani  V,  n°  13,  fol.  602''  :  «  Ven.  fr.  Philippe  patriarche  Jerosolimi- 
tano  saluLcni,  etc.  In  noLioncm  publicam  cunclorum  de  circuinstaiiLibus  partibus  non 
est  dubiumdevenisse,  quod  innumerabiles  j^entes  armigere,que  comitive  vocantur,  de 
finibus  fi;allicanis  egrcsse  contra  infidèles,  ut  asserunt,  prolecture,  partes  senescalliarum 
Tholose,  Garcassonne  et  Bellicadri  repleverunt,  comitatusque  Provincie  et  Forcalque- 
rii  ac  alias  citra  montes  Lonibardie  terras  cariss.  inChristo  lilie  nostre  Johanne  regine 
Sicilie  illustri  subjectas  et  alias  circumpositas  partes  intrare  hostiliter  (quod  statimet 
faciliter  facerc  poterant,  nisi  per  incolas  dictarum  coniniunitatuni  et  terrarum  eis 
daretur  aliquod  fçrandesubsidiumpecunie)minabantur,propterquod  dil.fîliinobilesviri 
senescallus  et  alii  oflîciales  reginales  et  nobiles  dictarum  communitatum  ad  evitanda 
j^ravissima  pericula  et  dampna  maxima....cumeorum  patria  non  essct  ad  rcsistcndum 
sufficiens  et  de  presenti  parata,  eligendo  minus  malum,  triginta  millia  florenorum  auri 
de  nostro  consilio  prefatis  gentibus  promiserunt,  nosque  considérantes...  dignum  esse 
ac  rationi  consentaneum  reputantescjuod  ii)si  prelati  et  pcrsone  ccclesiastice  etipsorum 
homines  et  Aassalli  pro  rata  suarum  facultatum  contribuant  in  liujusmodi  pecunia 
persohenda,  ut  onus  solutionis...  eo  levius  ))erferatur,  quo  divisumfuerit  inter  plures, 
dictis  senescallo  et  aliis  qui  dictam  summaui  ])romiserunt,  pio  bono  et  neccssitale 
comitatuum  et  terrarum  jircdictorum  necnon  prelalorum  clericorum  et  personarum 
ccclesiast.  suorumque  ccclesiarum,  monasteriorum,  hominum  et  vassallorum  et  loco- 
rum  consistentium  in  eisdem  obtulimus  quod  ipsos  prelatos  clericos,  etc.,  in  dicta 
c{uantitate  pro  eadem  rata  contribucre  facercmus.  [Eidem  committit  ut  universos 
archiepiscopos,  episcopos,  abbates  aliosque  prelatos  et  clericos  et  personas  eccles., 
saeculares  et  regulares,  pro  se  suisque  hominibus  et  vassalis  inducat  ad  hujusmodi 
solutionem  pro  rata  faciendam,  sub  censuris  ecclesiasticis].  Dat.  Avinione  xii  kal. 
Deccmbris  anno  IV  ».  La  Chambre  apostolique  a  fait  aux  Provençaux  des  prc(s  de 
12.000  francs  dor.   Arch.  Vat.,  Iniv.  el  exit.,  n"  315,  ad  an.    1366,  Junii   20.   Prou, 


LES    COMPAGNIES    EN    ALSACE    ET    EN    ESPAGNE,    1365  487 

pagTiies  employèrent  la  môme  tactique  de  l)ri<^ands  à  l'égard  du 
Gomtat  Venaissin  ;  les  habitants  se  rachetèrent  moyennant  5.000 
florins  d'or,  prêtés  par  le  pape  qui,  de  rechef,  demanda  une  contri- 
bution aux  ecclésiastiques  K  Voilà  un  éclatant  démenti  donné  à 
l'assertion  que  les  Compagnies  venaient  simplement  réclamer  du 
pape  l'exécution  des  promesses  faites  à  Du  Guesclin  avant  leur 
arrivée  '^.  Nous  voyons,  une  fois  de  plus,  quelle  était  l'impuissance 
de  la  France  contre  les  Compagnies. 

Mais  à  part  cela,  le  Pape  consentit  à  se  dessaisir  en  faveur  de 
Du  Guesclin  des  décimes  de  la  province  de  Tours  •^,  et  il  paya  en 
outre  une  énorme  somme,  en  vue  de  l'expulsion  des  Compagnies. 
Le  22  décembre.  Du  Guesclin  n'était  pas  encore  complètement 
rentré  dans  ses  fonds,  ni  quant  aux  décimes,  ni  quant  à  la  somme 
susdite,  et  le  même  jour  Pierre  de  Villers,  grand-maître  de  la 
maison  du  roi,  fut  nommé  par  lui  son  procureur  à  la  cour  Romaine. 

Ce  n'est  que  le  2G  janvier  1366  que  Pierre  de  Villers  signa  le 
reçu  du  reste  de  la  somme  que  le  Pape  faisait  remettre  à  Du  Gues- 
clin pour  l'expulsion  des  Compagnies  et  l'expédition  contre  les 
infidèles.  Ce  dernier  A^ersement  s'éleva  à  lui  seul  à  32.000  francs 

Klnde,  etc.,  p.  1  iO,  n"^  2,  G,  10.  Mais  cet  auteur,  auquel  échappait  la  bulle,  n"a  pas 
compris  le  mandement. 

1.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n-  2i8,  fol.  170,  ad  an.  1365.  Novembris  23  :  «  Ven.  fr. 
Uaymundo  episcopo  Penesti'ino,  salutem,  etc.  In  notionem  publicam  cunctorum  de 
circumstanlibus  partibus  non  est  dubium  devenisse,  quod  innumerabiles  gantes  armi- 
gere  que  comitive  vocantiu%  de  finibus  ^allicanis  egresse,  contra  infidèles  ut  asserunt 
prolecture,  partes  senescalie  Bellicadri  repleverint  etcomitatum  A'cnaysini,  ad  nos  et 
Rom.  eccl.  pertinentem,  intrare  hostiliter  (quod  statim  et  faciliter  facere  poterant, 
nisi  pcr  incolas  dicti  coniitatus  eis  daretur  aliquod  pecunialc  subsidium)  minabantur. 
propter  ({uod  nos  ad  cvitanda  gravissima  pericula  et  dampna  maxinia  dicti  coniita- 
tus... quintjue  millia  florenor.  auri  pro  dicto  coniitatu  et  cjus  incolis  mutuo  per  te 
fecimus  recipi  et  dictis  gentibus  exliiberi,  prout  similiter  feceruntincole  partium  \  ici- 
narum...  [Mandat  ut  in  hujusmodi  floren.  quantitate  restituenda  contribuere  faciat 
ecclesiasticas  personas  cujuscunque  jiradus,  saeculares  et  regulares  dicti  comitatus. 
seu  habentes  civitates,  terras  possessiones  ac  redditus  in  eodem,  et  laxandi  ac 
recipiendi  contributionem  ipsam  facultatem  eidem  concedit].  Dat.  Avinione  i\  kal- 
Decembris  an.  IV  ».  Luci^,  Froissarl,  p.  i-xxx,  not.  3,  a  donc  tort  de  nier  (pie  Du 
Guesclin,  à  l'occasion  de  son  passage  à  Avignon  en  1365,  ait  levé  une  rançon  de 
5.000  florins  sur  les  habitants  du  C.omtat.  Du  Guesclin,  alors  à  la  tète  des  Compagnies, 
devait  les  satisfaire  quelque  peu. 

2.  Puou,  Eliide^  etc.,  p.  59. 

3.  Reg.  VaL,  no  248,  fol.  175  ;  Prou,  1.  c.  n"  63.  Dans  la  lettre  du  Pape,  il  s'agit  des 
décimes  en  général  ;  mais  Du  Guesclin  même  dit,  le  22  décembre,  qu'il  devait  recevoir 
les  décimes  de  la  province  de  Tours.  Voy.  Appendice  I. 


488  LA    GUERRE    DE    CENT    A]SS 

d'or  ^  ;  on  se  demande  à  combien  se  montait  la  somme  entière  -  ! 
Cuvelier  l'évalue  à  200.000  francs.  Ce  chiffre  est  sans  doute  exagéré, 
mais  il  est  certain  que  la  somme  en  question  dut  être  très  forte. 
D'ailleurs  Du  Guesclin  ne  fut  pas  entièrement  soldé  à  cette  époque, 
puisqu'en  1368,  comme  nous  le  verrons  au  paragraphe  6,  il  avait 
encore  un  crédit  de  37.000  florins,  provenant  peut-être  des  dé- 
cimes. 

Ainsi  les  trois  sénéchaussées  étaient  de  nouveau  livrées  k  la 
merci  de  ces  pillards.  A  Montpellier,  par  exemple,  où  ils  arrivèrent 
le  29  novembre  •^,  ils  exigèrent  et  reçurent  10.000  francs  ^.  Cette 
extorsion  était  d'autant  plus  fatale,  que  les  charges  étaient  deve- 
nues insupportables.  La  sénéchaussée  de  Beaucaire  avait  offert,  à 
elle  seule,  70.000  moutons  d'or  par  an  pendant  six  ans,  k  titre  de 
secours  pour  la  rançon  du  roi  Jean.  La  première  année  seulement, 
les  communes  furent  en  état  de  les  payer;  en  1362,  k  cause  des 
incursions  des  Compagnies,  la  somme  fut  réduite  k  50.000,  que  les 
sénéchaussées  payèrent  pendant  trois  ans;  en  1366,  le  trésorier 
royal  exigea  un  supplément  de  20.000  moutons  d'or  pour  chacune 
des  trois  années  précédentes,  et  la  somme  de  70.000,  pour  1366. 
Les  communes  de  la  sénéchaussée  poussèrent  des  cris  de  douleur, 
et  le  30  avril  1366,  Urbain  V  exhorta  le  roi  k  agir  avec  clémence 
envers  lesdites  communes,  en  considération  de  la  présence  des 
Compagnies,  du  passage  des  bandes  et  des  grandes  déprédations 
subies  par  le  pays  ^.   Le    19    octobre,    le   Pape  réitéra    les   mêmes 


1.  Linstrument  du  26  janvier  1366  (inséré  au  Vidimus  du  26  avril  1368)  dans  Arcli. 
Vat.,  Insirum.  miscelL,  ad  an.  1306,  étant  trop  lonit,  je  le  réserve  pour  l'Appen- 
dice, I. 

2.  Chron.  de  Du  Guesclin,  v.  7540  suiv. 

3.  Petit  Thalamus,  p.  369. 

4.  MoLiMER,  1.  c,  Pièces  justif.,  n°  94. 

5.  Reg.  Vat..  n°  248,  fol.  86*'.  «  Gariss.  in  Christo  fil.  Carolo  régi  Francie  illustri, 
salutem,  etc.  Dilector.  filiorum  communitatuni,  civitatum  et  locorum  tue  senescallie 
Bellicadri  expositione  nuper  audivimus,  quod  dudum  universitates  ipse,  tum  ex 
nephandarum  societatum  incursibus,  facultatum  lapsus  plurimum  déplorantes,  cerla- 
rum  impositionum  tune  cis  pro  redeniptionc  cla.  me.  Johannis  rejiis  Francie.  patris 
tui  factarumoncribus  iniportabiliter  premercntur,  et  pro ipsarum  communitatuni  parte 
recursus  ad  patrem  tuum  haberetur  eundem,  ab  eo...  obtinuisse  se  dicunt  prefatas 
impositiones  tolli  totaliter  et  loco  ipsarum  septuaginta  milia  motonorum  per  eos 
anno  quolibet  usque  ad  sex  annos  régie  curie  debere  persolvi,  que  quidem...  primo 
anno...  se  asserunt  persolvisse  :  anno  vero  sequenti  dum  predicte  communitates.  tum 


LES    COMPAiiMES    EN    ALSACE    ET    EN    ESPAGNE,    1 36o  489 

plaintes,  adressées  cette  fois  au  duc  d'Anjou,  sur  les  charges  insup- 
portables imposées  aux  sujets  de  ladite  sénéchaussée^. 

Dès  le  mois  de  décembre,  les  Compagnies,  en  passant  par  Perpi- 
gnan, entrèrent  en  Espagne.  Sans  les  y  suivre  plus  loin,  qu'il  me 
suffise  de  dire  que  l'expédition  de  Du  Guesclin  fut  couronnée  de 
succès.  Don  Pèdre  fut  détrôné  et  prit  la  fuite;  Henri  de  Trastamare 
fut  couronné  roi  de  Castille  '. 

Toutefois,  la  France,  pendant  ce  temps,  n'était  pas  délivrée  des 
Compagnies.  Le  fait  est,  qu'arrivées  à  Perpignan,  plusieurs  bandes 
s'en  retournèrent,  se  dispersant  çà  et  là  ^.  Vers  la  fin  de  l'année 
1365,  quelques-unes  stationnaient  dans  le  proche  voisinage  d'Avi- 
gnon, d'où  elles  guettaient  leurs  victimes,  les  dépouillaient  de  tout 
ce  qu'elles  avaient  sur  elles,  les  enfermaient  et  les  rançonnaient.  En 
outre,  elles  se  rendaient  coupables  d'autres  rapines  et  incendies, 
sous  les  yeux  mêmes  du  Pape.  Urbain  V  nous  le  raconte  dans  sa 
bulle  du  12  janvier  1366,  où  il  prononce  de  sévères  sentences  contre 
tous  ceux  qui  se  rendent  coupables  de  pareils  crimes  dans  les  loca- 


propter  incursus  hujusmodi,  tuni  proplcr  epidimie  pestem  que  magnam  partcm 
ipsarum  exhauserat,  ad  solutionem  integram...,  se  cernèrent  pv^niUis  impotentes,  a 
ven...  episcopo  Melden.,  et  dil.  fil.  Petro  Scatisse,  thesaurario  Francie...  de  summa 
intejira  supradicta  diminutioneni  vij?inti  milliummotonoruni...  obtinuisse  sedicunt..,, 
dicto  anno  et  tribus  aliis  sequcntibus  tantum  50  millia  motonorum  persolverunt... 
Nunc  autem  prefate  communitates  quamvis  parate  sint  pro  presenti  anno  dicta 
50.000  motonorum  solvere...  tamen  ad  ccrtas  litteras  a  regia  nuper  curia  emanatas  ad 
solutionem  prefatorum  20.000  moton.  pro  quolibet  trium  annorum  elapsorum,  et  inté- 
gra 70  millia...  pro  presenti  anno  per  regium  thesaurarium...  compellantur,  ob  quod 
dolent,  clamant  et  ejulant,  se  non  jjosse  sufficere  ad  premissa.  [Eundem  hortatur 
ut  cum  dictis  communitatibus  clementer  agat,  quae  nunc  ex  mansione  et  transitu 
societatum  hujusmodi  rapinas  et  destructiones  bonorum  patiuntur].  l)at.  Avinione  ii 
kal.  Maii  anno  IV  ».  Quant  à  la  diminution  de  70.000  à  50.000  moutons  en  1362,  voy. 
Hist.  de  Languedoc,  X,  p.  1237,  p.  1210.  Dans  les  autres  sénéchaussées,  c'était  la 
même  chose.  Cf.  Dognon,  Les  Institutions  poli liquen,  etc.,  p.  608. 

1 .  Reçf.  Vnt.,  1.  c,  fol.  163.  Le  20  mars,  Urbain  V  se  plaint  auprès  du  roi  de  ce  que  les 
sénéchaussées  de  Toulouse  et  de  Carcassonne  sont  opprimées  par  ses  ofllciers.  Ihid., 
fol.  67. 

2.  Sur  l'expédition  en  Espagne,  voy.  Ayala,  Crônica  del  reif  don  Pedro,  déjà  citée. 
Comme  MÉniMÉE,  de  même  I^rcE,  dans  les  notes  de  Froissart,  VI,  p.  i.xxx  suiv.,  se 
sert  aussi  de  Civf.meu,  C/jron.  de  Du  Guesclin,  I,  p.  380  suiv.  Sont  à  consulter 
encore  E.  Molimf.h,  Etude,  p.  172  suiv.;  KiinLiiK,  Die  Entuickelunff  des  Kriegs- 
ivesens,  etc..  Il,  p.  480  suiv.,  482;  SniiiiuoiACHEa,  Gesch.  von  Spanien,  V.  p.  Mi  suiv., 
î  18  suiv.  Cet  auteur  prend  ])arti  pcnir  don  Pedro  contre  Henri  de  Trastamare. et  il  n'a 
l)as  toujours  tort. 

3.  A'oy.  Lt'ck,  FroissHT't.  p.  i.wxiii.  note  6, 


490  LA    GUERRE    DE    CENT    AÎSS 

lités  situées  dans  l'espace  compris  depuis  la  curie  romaine  ^  jusqu'à 
deux  journées  de  distance. 

Des  Compagnies  ravageaient  le  pays  de  Carcassonne  au  mois  de 
mars  1366,  si  bien  que  le  duc  d'Anjou  convoqua  contre  elles  des 
hommes  d'armes.  Au  mois  de  mai,  un  partisan  anglais,  Thomas 
d'Agorne,  avait  envahi  le  Gévaudan  ".  Il  y  avait  encore,  surtout 
dans  le  comté  de  Bourgogne,  des  bandes  anglaises  qui  occupaient 
des  forteresses  importantes,  aussi  Edouard  III  chargea-t-il,  le  24 
octobre  1365,  Nicolas  de  Tamworth  et  Jacques  Wyn  de  se  rendre 
sur  les  lieux  envahis  et  d  en  faire  déguerpir  les  Anglais  •"'.  Ces  deux 
émissaires  secondèrent  les  efforts  d'Arnaud  de  Gervole.  Au  com- 
mencement de  1366,  celui-ci  avait  déjà  réuni  une  grande  Compa- 
gnie pour  l'emmener  hors  de  France  et  la  conduire  à  Du  Guesclin, 
en  Espagne.  Mais  il  changea  de  plan  quand  il  apprit  qu'il  n'y  avait 
plus  rien  à  faire  au-delà  des  Pyrénées.  Il  partagea  sa  Compagnie, 
stationnant  aux  environs  de  Tournus,  en  deux  corps,  pour  aller 
rejoindre  l'armée  du  comte  Amédée  de  Savoie,  sur  le  point  d'aller 

1.  Reff.  Vnt.,  11°  248,  fol.  490  :  «  Urbanus...  Ad  perpetuam  rci  memoriam  Ad 
Romane  curie  statum  secunim  et  liberum  conservandum...  Sane  licet  omnes  et  singuli, 
qui  venicntcs  ad  dictam  curiam  vel  rec.edentcs  ab  ea  capiunt,  spoliant,  impcdiunt  vel 
molestant,  sint  ])cr  nostros  et  nonnuUorum  summorum  pontificum  predecessorum 
nostrorum  processus  excommunicationis  et  anatliematis  vinculo  innodati,  tamcn  pec- 
catis  exigentibus  nonnulle  catervc  malorum  hominum,  que  de  diversis  mundi  parli- 
bus  con^rcf^ate,  se  Societates  appellant...  lidelcs  ipsos  ad  preiatam  curiam  accedentes 
et  recedentes  ab  ea,  nec  non  victualia  et  alia  bona  que  ad  ipsam  curiam  deleruntur 
capere,  detinere  ac  predari,  ipsoscpie  captos  spoliare  et  ad  rcdcmptioncm  compellere 
ac  bonorum  depopulationcs,  rapinas  et  incendia  prope  ipsam  cui'iam  et  quasi  ante 
nostros  oculos  perpretrare  sepius  non  verentur,  [inhibet  ne  quis  princeps,  dux...  no- 
bilis  vel  plebejus  aut  communitas  vel  universitas  civitatis,  castri,  villae  vel  loci, 
quaevis  loca  pcr  duas  dictas  propinciua  loco  residentiac  curiae  praediclae  ad  captio- 
nes,  depraedationes,  etc,  perpetrandas  armata  manu  seu  cuni  armigerarum  jj,entium 
comitiva  intrare  aut  inibi  permanere,  aut  talia  committentes  rcceptare,  aut  alia  facere 
praesumat,  per  quae  tam  curiae  quam  venientium  et  rcccdentium  ab  ea  libertas  et 
securitas  impediatur,  sub  nota  criminis  lacsae  majostatis,  jurium  privationis,  excom- 
municationis et  aliis  iiravissimis  poenis  per  eos  incurrcndis  etc.]  Dat.  Avinione  II 
idus  Januarii,  an.  IV  ».  Cette  bulle  fut  envoyée  à  tous  les  méti'opolitains  de  France 
et  à  leurs  sufTraj^ants,  et  aux  cvèques  de  Mende,  de  \'iviers,  du  Puy,  d'Uzès,  de 
Nîmes  et  d'Orange.  Le  22  février,  l'évcque  de  Mende  reçut  encore  une  bulle  spéciale 
par  laquelle  la  ville  et  le  diocèse  de  Mende  jouissaient  de  la  même  protection  que  les 
lieux  situés  sur  le  territoire  compris  dans  deux  joui'nées.  Ihid..  fol.  195.  Ceci  prouve 
que  le  diocèse  était  alors  bien  infesté.  Prou,  p.  61,  cite  la  bulle  du  J2  janvier,  mais  il 
croit  que  le  Pape  y  a  fait  seulement  un  procès  aux  Compagnies. 

2.  Voy.  MoLiMER,  dans  Hist.  de  Lunçjuedoc,  IX,  p.  7S2,  note. 

3.  RvMER,  Foedern,  III,  p.  777;  Chkuest,  LWvchiprêtre,  p.  3i0  suiv. 


LES    COMPAfiNIES    EN    ALSACE    ET   EN    ESPAGNE,    13G5  491 

secourir  Jean  Paléologue  contre  les  Turcs  ^.  La  Compagnie,  recrutée 
pour  la  plupart  du  comté  de  Bourgog-ne,  instruite  du  plan  de  cam- 
pagne d'Arnaud  de  Cervole,  refusa  de  se  rendre  en  Savoie,  ou  plutôt 
de  quitter  la  France,  et  à  la  suite  d'une  altercation,  l'Archiprêtre  i 
fut  tué  d'un  coup    d'épée  2,  entre  Lyon  et  Mâcon,  par  un  de  ses  ' 
soldats,  le  25  mai  LS6G. 

La  Compagnie  demeura  en  France  et  continua  à  ravager  le  pays. 
La  Bresse,  le  Lyonnais  et  le  Maçonnais  furent  derechef  exposés  à 
toutes  les  horreurs,  et  il  est  possible  que  le  Rouergue  et  le  Quercy 
n'aient  point  été  exemptés '^  Pour  coml^le  d'infortune,  les  sei- 
gneurs, leurs  vassaux  et  les  gens  du  roi  ne  se  conduisaient  pas 
mieux  que  les  Compagnies  en  Bourgogne  '*. 

Bon  nombre  des  compagnons  relevant  des  Compagnies  qui  affli- 
geaient alors  le  pays  avaient  déjà  reçu  l'absolution  du  Pape,  en 
prévision  de  la  croisade  à  laquelle  ils  devaient  prendre  part.  Toute- 
fois, ils    n'en  continuaient  pas  moins  leur  métier  de  brigands.  Le 

1.  Un  peu  avant  devait  avoir  lieu  un  tournoi  entre  un  certain  nombre  de  nobles 
des  deux  comtes  de  Bourgogne  et  de  Savoie,  et  des  membres  des  Compagnies  qui 
demeuraient  dans  ces  contrées.  Voy.  cette  curieuse  lettre  dans  iîe^.  F/jf.,  n"  248,  fol. 
23,  ad  an.  1366,  Januarii  8  :  «  Ven.  fratribus...  archiepiscopo  Lug^dunen.  acCabilonen, 
et  Bellicen.  episcopis  ac  dil.  filiis,  eorum  vicariis  in  spiritualibus  salutem.  Ad 
nostrum  nuper  pervcnit  audilum  quod  quidam  nobiles  de  comitatibus  Burgun- 
dic  et  Sabaudie  seu  aliundc  in  certo  niunero  cum  totidem  viris  armigeris  comitiva- 
runi,  (jue  in  illis  partibus  connnorantur,  in  eisdem  partibus  concertare  usque  ad  alte- 
rius  partis  totalcm  victoriam  juramentis  seu  fidc  data,  sive  modisaliis  firmaverunt,  ex 
quo  si  fieret  liumani  sanguinis  sparsio  ac  succumbentium  confusio,  et  lam  occisorum 
quam  occidentium  animarum  pericula  et  multa  alia  scandala  et  discrimina  procul 
dubio  provenirent.  [Urbanus  \  mandat  ut  publico  edicto  in  suis  cathedralibus  et  aliis 
suarum  civitatum  et  diocesum  ecclesiis,  et  locis  publicis  prohibeant  dictis  nobilibus 
et  armigeris  ne  dictum  certamen  committant,  nec  committentibus  faveant,  nec  ad 
videndum  taie  spectaculum  accédant  sub  excommunicationis  et  interdicti  poenis  ap. 
sedi  reservatis].  Dat.  Avinione  vi  idus  Januarii  an.  W .  » 

2.  Voy.  sur  cette  dernière  période  de  la  vie  d'Arnaud  de  Cervole,  Chérkst,  p.  336 
suiv.,  344  suiv.,  346  suiv.,  350.  «  FuttucàGlazi»,dit  le  Petit  Thalamus. i>.  372.  Chérest, 
p.  350,  comme  aussi  Guigtk,  Les  Tard-Venus,  p.  165,  prennent  «  glaci  «pour  un  lieu, 
et  le  premier  Tidentifie  avec  Gleizé,  le  second  avec  Laize.  Mais  A.  Thomas  a  prouvé, 
duns  Annales  du  Midi,  année  1891.  p.  256,  que"  à  glaci  »  veut  dire  »  d'un  coup 
d'cpée  »,  par  conséquent  que  ce  mot  ne  signifie  pas  un  lieu,  mais  <<  glaive  ». 

3.  Lacostk,  Ilist.  de  Quercy,  III.  p.  186,  dit  que  rArchiprcli-e  occupait  alors  Car- 
daillac,  Fons  et  Foulhiac  ;  RorgiFXTE,  Le  Rouergue  sous  les  Ançflais,  p.  100,  prétend 
qu'il  est  arrivé  jusqu'aux  portes  de  Millau.  C'est  faux.  Mais  les  bandes  retenaient 
quckpic  temps  le  nom  de  leur  ancien  chef,  et  il  est  possible  (pi'elles  se  soient  lépan- 
dues  dans  ces  contrées  après  sa  mort. 

4.  GriGtn:,  1.  c,  p.  154  suiw 


492  LA    GUERRE    DE    CENT    AÎ^S 

2  mai  1366,  Urbain  V  lança  contre  eux  une  bulle  par  laquelle  il  les 
déclare  excommuniés  et  ayant  encouru  toutes  les  peines  prononcées 
contre  les  coupables  dans  sa  bulle  Clamât  ad  nos.  Les  évêques  sont 
tenus  à  en  rechercher  les  noms  dans  leurs  diocèses,  à  les  livrer  à  la 
publicité  et  à  faire  le  procès  des  criminels  ^  Le  o  juillet,  il  accorde 
encore  jDour  les  deux  années  suivantes  l'indulg-ence  plénière  à  ceux 
qui  seront  tombés  dans  la  lutte  contre  les  Compagnies-. 

Cet  état  de  choses  ne  tarda  pas  à  s'ag-graver  davantage  encore. 
L'expédition  en  Espagne  étant  terminée,  les  Compagnies  furent 
alors  congédiées  :  le  trésor  de  don  Pèdre  à  Séville  servit  à  acheter 
leur  départ  2.  La  grande  majorité  reprit  le  chemin  de  la  France.  Du 
Guesclin,  Arnoul  d'Audrehem,  Hugh  de  Calverly  et  1.500  lances, 
dont  chacune  avait  trois  chevaux,  demeurèrent  en  Espagne.  Ainsi, 

1.  Arch.  nat.  Paris.,  J  711,  n°  300-'  :  «  Urbanus...  Ad  futuram  rei  mcmoriam.  Ratio- 
nis  debitum...  Dudumsiquidem  adversus  nonnuUos  iniquitatis  filios,  sociales  vocatos 
qui  in  re^no  Francie  rapinas  publicas...  perpetrabant...  certes  processus  fccinius.  [Le 
pape  répète  alors  les  sentences  prononcées  contre  eux  et  leurs  fauteurs  dans  sa  bulle 
Clamât  ad  nos.  Et  il  continue  :]  Cumautem  nuper  ad  audientiam  nostram  pervenerit, 
quod  nonnulli  ex  eisdem  socialibus  qui  dudum  suorum  scelerum  penitenles  absolutio- 
nis  ab  hujusmodi  sententiis  et  pénis  obtinere  beneficium  a  nobis  seu  aliis  auctoritate 
nostra  meruerunt,  postmodum  ad  patranda  similia  scelera,  dampnabilitcr  sun- 
reversi...  nos  adversus  eos,  ne  de  sua  inalicia  et  absolutione  hujusmodi  Aaleant  ^lo- 
riari  et  ad  toUendam  onnieni  eorum  opinionem  erroneani,  eos  omnes  et  singulos... 
non  solum  eisdem,  sed  majoribus  pénis  plecti.  tenore  presentium  auctoritate  predicta 
decernimus  et  declaramus  omnes  et  singulas  supradictas  sententias  et  penas  conten- 
tas in  dictis  nostris  processibus  et  litteris  eo  ipso  reincurrisse,  et  eos  qui  similia 
scelera  perpetrabunt  imposterumeasdem  sententiasetpenas  similiter  incursuros  ac  eis 
ligatos  existere  sicut  prius,  mandantes  universis  locorum  ordinariis,  presertim  dicti 
reg:ni,  qui  super  hiis  fuerint  requisiti,  quod  in  eorum  civitatibus  et  diocesibus  de 
nominibus  illorum,  qui,  ut  prefertur,  a  dictis'sententiis  et  pénis  absoluli  fuerunt  et  ad 
eadem  comittenda  facinora  redierunt,  quique  sint  de  ipsis  civitatibus  et  diocesibus 
oriundi  aut  habeant  domicilium  in  eisdem,  auctoritate  apostolica  supradicta  simplici- 
tcr  et  de  piano  sine  strepitu  et  rip,ura  judicii  dilif^enter  inquirant  et  illos  quos  similia 
scelera  post  hujusmodi  absolutionem  commisisse  reppererint,  nominatim  denuntient 
in  dictas  penas  et  sententias  recidisse  et  alias  contra  eos  ac  sequaces  et  fautores  ipso- 
rum  et  communicantes  eisdem  mandat um  nostrum  contentum  in  dictis  prioribus 
litteris  effîcacitcr  cxequentur.  [Haec  sententia  afiîgatur  ostiis  ecclesiae  majoris 
Avinionen.,  ad  hoc  ut  sociales  non  possint  habere  excusationem  dicendo,  ad  se  non 
pervenissc  notitiam  hujus  processus.]  Dat.  Avinione  vj  non.  Maii,  pontificatus  nostri 
anno  quarto  ».  In  Arch.  nat.,  L  312,  n°  9,  cette  bulle  est  adressée  à  l'archevêque  de 
Toulouse.  La  bulle  d'absolution  est  du  31  mars  1365,  Ref].  Val.,  n°247,  fol.  238,  ci-des- 
sous, p.  507. 

2.  Reff.  Val.,  n"  248,  fol.  2'i3'';  Arch.  nat.  Paris.,  J  711,  n"  300  '^^  :  «  Ad  futuram 
rei  memoriam.  Cogit  nos,  etc.  Dat.  Avinione  iij  non  Julii  an.  quarto  » 

3.  Voy.  E.  MoMxiER,  1.  c.  Pièces  juslificat.,  n°  94,  p.  320. 


LES    COMPAriMES    L\NE    ALTI{E    E(JlS    E>    E.SPA(j>E,     l.'JGT  i93 

par  le  fait,  on  se  retrouvait  de  nouveau  au  même  point.  Pour  ce 
qui  concerne  le  Midi,  les  expéditions  en  Espagne  lui  étaient  désas- 
treuses, puisqu'il  l'aller  et  au  retour  les  Compagnies  le  traversaient 
sans  cesse,  et  celles-ci  n'infestaient  pas  moins  l'Espagne  que  la 
France.  Les  registres  du  Vatican  nous  en  fournissent  beaucoup  de 
détails.  Par  suite  de  ces  expéditions,  le  mal  changeait  seulement  de 
foyer  et  se  répandait  dans  d'autres  pays,  sans  épargner  le  Midi  de 
la  France.  Il  me  revient  à  ce  sujet  une  prière  à  saint  Florian,  le 
patron  qu'on  invoque  contre  Fincendie,  que  de  méchantes  langues 
mettent  dans  la  bouche  des  paysans  de  mon  pays  :  «  Saint  Florian, 
épargne  nos  maisons,  mais,  par  contre,  incendie  celle  des  autres.  » 

En  effet,  c'était,  après  tant  d'essais  infructueux,  le  grand  moyen 
qu'on  croyait  avoir  trouvé  pour  débarrasser  la  France  des  Compa- 
gnies. Le  seul  expédient  ellicace,  à  savoir  l'établissement  d'une 
force  militaire  permanente,  ne  fut  trouvé  que  80  ans  plus  tard, 
le  2  novembre  1439,  par  Charles  VII,  qui  mit  lîn  aux  excès  des 
gens  de  guerre  et  des  écorcheurs  de  son  temps,  en  les  enrôlant  à 
son  service.  Et  pourtant,  auxiv^  siècle,  les  Compagnies  étaient  plus 
nombreuses  et  plus  dangereuses  par  leur  plus  grande  persistance^. 
Il  fallut  une  expérience  séculaire  pour  comprendre  enfin  le  mot  de 
Gerson,  que  les  troupes  privées  de  solde  deviennent  des  bandes 
de  brigands,  qui  «  de  alterius  corio  largas  corrigias  secabunt-.  » 
Mais  aurait-on  pu,  à  l'époque  qui  nous  occupe,  entretenir  et  sou- 
doyer une  armée  permanente?  Très  difTicilement,  sans  doute,  car 
les  caisses  étaient  vides,  la  population  épuisée.  Le  peuple  n'était-il 
pas  déjà  écrasé  par  l'aide  qu'il  devait  apporter  au  payement  de  la 
rançon  du  roi  Jean?  Encore  ne  s'en  acquittait-on  que  lentement. 

L'Angleterre    s'était  déclarée  pour   don   Pèdre.    Celui-ci,    après  ] 
avoir  été  détrôné  -^  était  passé  en  France  pour  aller  demander  des 
secours   au  prince  de  Galles.   Sur  l'avis   d'Edouard  III,  le  prince 
conçut  le  projet  d'entreprendre  une  expédition  pour  détrôner  Henri 

1.  Tdkthv,  Les  écorcheurs  sous  Charles  VII,  Montbéliard,  187-i,  I,  p.  i.  trouve  que 
les  excès  de  toute  nature  conuiiis  par  les  écorcheurs  du  xv®  siècle  elîacèrent  tous  les 
exploits  de  leurs  devanciers  du  xiv"  siècle.  Cette  assertion  est  seulement  vraie  au  sens 
({ue  les  crimes  du  xv«  siècle  étaient  plus  récents  pour  le  peuple  d'alors,  qui  ne  con- 
naissait plus  les  crimes  commis  au  xiv"  siècle. 

2.  Voy.  Chartul.  Universit.  Paris.,  IV,  n"  1819, 

3.  Voy.  ci-dessus  p.  i89. 


49 i  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

de  Trastamare  et  rétablir  don  Pèdre  sur  le  trône.  Il  v  eut  à 
Baronne  des  conférences  préliminaires,  où  Ton  traita  des  conditions 
de  Talliance  entre  le  prince  de  Galles ,  don  Pèdre  et  le  traître 
Charles  le  Mauvais  qui,  naguère,  avait  fait  la  paix  avec  la  France  ; 
le  23  septembre,  le  traité  fut  signé  à  Libourne  K  Toutefois,  ce  misé- 
rable, nommé  Charles  le  Mauvais,  se  concerta  bientôt  après  avec 
Henri  de  Trastamare  contre  don  Pèdre,  et  se  trouva  néanmoins 
avec  ce  dernier  dans  l'armée  du  prince  de  Galles  en  entrant  en 
Espagne.  Aussi  comédien  que  traître,  il  ne  tarda  pas  à  être  fait 
prisonnier  ~. 

Sur  ces  entrefaites,  le  prince  de  Galles  fît  savoir  aux  Compagnies 
qui  avaient  détrôné  don  Pèdre  qu'il  avait  besoin  de  leurs  services. 
Celles  qui  se  trouvaient  encore  en  Espagne  vinrent  se  joindre  à 
l'armée  du  prince.  Froissart  dit  que  le  comte  de  Foix  ne  voulait  pas 
permettre  aux  Compagnies  de  traverser  son  pays,  mais  qu'il  y  con- 
sentit enfin,  à  la  prière  du  prince -^  L'exactitude  de  ce  récit  peut 
être  mise  en  doute.  En  tout  cas,  peu  de  temps  auparavant,  des 
difficultés  très  graves  avaient  éclaté  entre  le  comte  de  Foix  et  le 
prince  de  Galles,  si  bien  que  le  Pape  envoya  vers  eux  l'archevêque 
de  Toulouse  ^  qui  parvint  en  effet  à  le  réconcilier. 

Alors  les  ravages  recommencèrent  de  plus  belle.  Olivier  de 
Maury,  venant  au  secours  de  Louis,  duc  d'xVnjou,  se  mit  à  la  pour- 
suite de  ces  Compagnies  anglo-gasconnes.  Le  13  août,  à  la  tête  des 
Bretons,  renforcés  par  les  gens  d'armes  du  duc  d'Anjou,  il  attaqua 

1.  Uymek,  Foedei'ii,  III,  p.  800  à  cSOT.  Lucu,  Froissarl,  p.  lxxxix,  notes. 

2.  Ayala,  I,  p.  434  ;  Grand,  c/iro/i.,  p.  245,  où  est  ajouté  :  «  dont  acquist  ^rant 
l)lasmc  et  déshonneur  ».  Cf.  WAi/rt;i?  of  Peterijokougu,  p.  110,  dans  l'édition  citée 
ci-dessous,  p.  497. 

3.  FnoissAHT,  p.  214  suiv. 

4.  Reg.  Vat.  Urbnni  V,  n"  248,  Toi.  88'',  ad  an.l366,Maii  4  :'«  Ven.  fr,  Gaiïredo  archi- 
episcopo  Tholosan.  Ap.  sedis  nuncio  saluteni.  Exigit  nostri  pastoralis  otlicii  debitum,. 
Sane  nuper  dolenter  accepimus  quod  inter  dil.  fdios  nob.  viros  Edwai'ckun  Aquitanie 
et  Wallic  principeni  ex  una.  et  Gastonem  coniitem  Fu\i  ex  altéra  pai'te...  gravis  est 
discordia  suscitata,  ex  qua,  nisi  celeriter  ol:)vietur  eidcni  niala  plurinia...  provenii'C 
verisimiliter  formidantur.  Nos  itaque...  te  ad  partes  et  presentiam  dictorum  discor- 
dantium...  providimusdestinanduni  ;  [mandat  eideni,  ut  supradictos  eorumque  valito- 
res  et  sequaces,  ({uos  pontifcx  ad  hoc  })ei'  diversas  litteras,  pcr  eum  praesentendas, 
exhortatur,  ad  concordiam  per  eum  ap.  auctoritate  roborandam,  sin  minus  ad  treu- 
gas  inducat].  Dat.  Avinione  iv  non.  Ma'û  an.  IV  ».  Suivent  des  lettres  adressées  au 
prince  de  Galles,  au  comte  de  Foix,  à  Thomas  de  Felton,  sénéchal  d'Aquitaine,  à 
Jean  Chandos  et  plusieurs  autres. 


LES    COMPAGNIES    UNE    AUTUE    FOIS    EN    ESPAGNE,    1367  495 

l'une  de  ses  bandes  retranchées  derrière  les  palissades  de  Montech, 
petite  ville  située  à  10  kil.  sud-ouest  de  Montauban,  et  la  mit  en 
fuite;  mais  le  lendemain,  les  Français  furent  mis  en  pleine  déroute 
à  la  Villedieu^,  près  de  Montech,  à  12  kil.  à  l'ouest  de  Montauban; 
plusieurs  seigneurs  furent  faits  prisonniers.  La  défaite  fut  amenée 
par  la  défection  d'une  Compagnie  à  la  solde  du  duc  d'Anjou,  qui  ne 
voulut  pas  se  battre  contre  les  gens  d'armes  et  bandes  du  côté 
opposé,  «  parce  qu'ils  étaient  de  leur  alliance  et  serement  2»;  mais 
au  lieu  de  rester  neutre  comme  elle  l'avait  promis,  elle  chargeait  les 
Français  à  l'arrière  ^.  Les  Compagnies  anglo-gasconnes,  victorieuses, 
étaient  commandées  par  Bertucat  d'Albret,  Robin  Quin  (Robert 
Ceni),  etc.  Ce  dernier,  sujet  du  prince  de  Galles,  était  un  rou- 
tier dangereux,  et  Urbain  V  avait  dû,  quelques  mois  auparavant, 
intervenir  contre  lui  auprès  du  prince  ^.  La  bulle  du  Pape,  relative 
à  cette  intervention,   pourrait  avoir  donné  lieu  à  Froissart  de  dire 


1.  Le  roi  Charles  V  parle  aussi  de  ce  combat  de  «  Lisledieu  »  dans  son  Mémorandum 
<lu  11  mai  1369,  et  dit  que  les  Français  étaient  déconfits  par  les  gens  et  sujets  du 
prince  de  Galles  sur  le  territoire  français.  Grand,  chron..,  p.  303.  Ce  passage,  avec  le 
récit  sur  les  prisonniers,  cité  ci-dessous,  p.  496,  not.  1,  a  échappé  aux  historiens. 

2.  Edouard,  dans  Rymer,  III,  p.  808. 

3.  Voy.  la  lettre  d'Edouard,  1.  c.  ;  Pelit  Thalamus,  p.  372;  Froissart,  p.  xci  suiv., 
avec  les  notes  de  Luce.  C'est  peut-être  la  bataille  «  in  ducatu  Andegavensi  »,  de 
laquelle  parle  Kmghtox,  p.  121,  que  gagnait  «  Nicolaus  Dagworthe  cum  sua  societate  » 
sur  les  Français.  «  Erant  enim  Franci  xv  mille  victi  et  occisi,  et  capti  sunt...  v".  Capi- 
tanii  Francorum  fucrunt  dux  de  Orlions,  et  dux  de  Angeres  et  plures  magnâtes  ».  Ceci 
est  une  fable  !  Presque  tous  les  historiens  parlent  du  combat  de  Montech,  Je  cite  seu- 
lement Drvals,  IJist.  de  Montauban  sous  la  domination  anglaise,  p.  18  suiv.,  qui,  du 
l'esté,  ne  donne  pas  de  nouveaux  détails  ;  Hist.  de  Languedoc,  IX,  p.  783;  Lacoste 
Hist.  de  Quercy,  III,  p.  184  suiv. 

4.  Reg.  Vat.  Urhani  V,  n«  248,  fol.  86,  ad  an.  1366,  April.  30  :  «  Dil.  fil.  nob.  viro 
Edwardo  Aquitanie  et  Wallie  principi,  salutem,  etc.  Ad  aures  nostros  deduxit  nuper 
significatio  fidedigna  ({uod  gentes  nob.  viri  Robini  Quin,  natione  Anglici,  tuis  obse- 
quiis  cum  nonnullis  gcntibus  armigeris  insistentis,  dil.  fil.  Adcmarium  de  Veyraco  de 
tuo  principatu  oriundum,  canonicum  Bituricen.  (dil.  filii  nob,  viri  Bertrandi  de  Vey- 
raco domicelli  Tutellen.  dioc.  magistri  ostiarii  nostri  fratrem)  non  ex  aliqua  rationa- 
bili  causa,  scd  ut  ab  eo  extorquèrent  pecunias  cepcrunt  et  detinent  captivatum,  im- 
posita  eis  pro  sua  redemptione  summa  1200  florenor.  auri,  ac  certis  equis.  pannis, 
aureis,  eidem  Robino  seu  ipsis  captoribus  exhibendis.  [Requirit  ut  dictum  canonicum 
relaxari  faciat,  omni  financia  eidem  remissa,  et  si  solvissct  ctiam  restitutal.  Dat.  Avi- 
nione  n  kal,  Maii  an,  IV  »,  Luce,  Froissart,  p.  xcn,  not.  3,  dit  sous  l'autorité  de  la 
Chron.  norm.  (p.  167),  que  Robert  Oni  fut  fait  prisonnier  dans  l'abbaye  fortifiée 
d'Olivel,  non  loin  de  Sancerre,  en  136S;  mais  dans  son  Du  Guesclin,  p.  477,  le  même 
fait,  sous  la  môme  autorité,  est  placé  à  l'an  1364,  et  le  prisonnier  s'appelle  ici  Jean 
Creswey  !  C'est  seulement  ce  dernier  qui  était  A  Olivet,  vers  1364. 


496  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

que  le  Pape  avait  défendu,  sous  peine  d'excommunication,  à  ceux 
qui  avaient  été  faits  prisonniers  dans  le  combat  près  Montech  et 
mis  à  rançon,  de  verser  les  sommes  promises.  Il  n'existe  pas  de 
bulle  spéciale  à  ce  sujet.  Mais  les  prisonniers  pouvaient  en  agir 
ainsi,  en  vertu  des  bulles  du  o  avril  136o  et  du  2  mai  1366.  Le 
récit  du  chroniqueur  est  du  reste  contredit  par  le  Memorandujn  de 
Charles  V,  en  1369  i. 

Pendant  que  le  prince  de  Galles  se  préparait  pour  l'exjDédition  en 
Espagne,  les  Compagnies  qu'il  avait  enrôlées  à  son  service  com- 
mirent des  désordres  de  tout  genre.  Henri  de  Trastamare  et  Du 
Guesclin,  alors  en  Espagne,  ainsi  qu'Arnoul  d'Audrehem,  firent 
tous  leurs  efforts  pour  recruter  des  troupes,  soit  en  Espagne,  soit 
en  France.  Le  10  janvier  1367,  le  prince  de  Galles  part  pour 
l'Espagne  avec  son  armée,  à  laquelle  vient  se  joindre  à  Dax  le 
nouveau  duc  de  Lancaster,  Jean,  fils  du  roi  Edouard  -.  Citons 
encore  :  Jean  Chandos,  Jean  de  Grailly  captai  de  Buch,  Eustache 
d'Auberchicourt,  Hugh  de  Calverly  et  quelques  autres  qui,  dans  la 
première  expédition,  avaient  combattu  aux  côtés  de  Du  Guesclin 
pour  Henri  de  Trastamare,  et  s'enrôlaient  maintenant  contre  lui 
dans  l'armée  du  prince  de  Galles.  Pour  se  faire  une  idée  des  ravages 
que  les  Compagnies  de  ce  prince  firent  pendant  ce  temps  sur 
leur  route,  il  suffit  de  dire  que  le  comte  d'Armagnac,  quoique  alors 
au  service  du  prince  de  Galles,  essuyait  des  pertes  de  six  cent  mille 
florins  d'or,  et  que  son  comté  était  devenu  un  désert,  ce  qu'il 
écrit  au  prince  en  1368  ^. 

Vers  la  fin  de  février,  pendant  un  rude  hiver,  le  prince  passa  les 
Pyrénées  avec  son  armée,  qui  y  éprouva  de  grandes  pertes,  et  entra 
en  Espagne  du  côté  de  la  Navarre.  Je  ne  suivrai  pas  plus  cette 
seconde  expédition  que  la  première.  Il  suffit  de  dire  que  la  bataille 
fut  livrée  le  3  avril  1367  au  nord  de  l'Espagne,  près  deNâjera  ^,  au 
sud-ouest  de  Logrono  et  Navarette,  entre  l'armée  du  prince  de 
Galles  avec  don  Pèdre,  et  celle  de  Henri  de  Trastamare  avec  Du 
Guesclin  et  ses  troupes.   Henri  fut  complètement  vaincu  par  son 

1.  Dans  Grand.  Chr on.,  \).  303,  déjà  citées  ci-dessus,  p.  465,  not.  1.  Le  roi  dit  que  les 
prisonniers  furent  détenus  dans  les  prisons,  et,  depuis,  soumis  à  très  grandes  rançons^ 

2.  Le  célèbre  Henri,  duc  de  Lancaster,  est  mort  pendant  la  peste,  en  1361. 

3.  RouQUETTE,  Le  Rouer gue  sous  les  Anglais,  p.  187,  189. 

4.  Voy.  Diccionario  geogràfico-historico  de   Espana  por   la  Real  Academia  de  la 
historia,  secc.  II  (Madi^id,  1846),  p.  127. 


LES    COMPAGNIES    UNE   AUTRE    FOIS    EN    ESPAGNE,    1367  497 

ennemi,  bien  inférieur  en  nombre.  Du  Guesclin  et  Arnoul  d'Au- 
drehem  furent  faits  prisonniers.  Henri  s'enfuit  en  France,  don 
Pèdre  fut  réintég-ré  sur  le  trône  de  Castille^. 

Les  succès  des  Anglais  au  xiv''  siècle  atteignirent  leur  apogée 
avec  cette  victoire  qui,  d'autre  part,  amena  la  première  cause  du 
déclin  de  la  prédominance  anglaise.  Don  Pèdre  ne  put  remplir 
envers  le  prince  aucune  des  obligations  contractées  à  Libourne,  le 
23  septembre  136G.  Il  s'était  engagé  à  payer  les  troupes  auxiliaires 
du  prince  de  Galles  et  tous  les  frais  de  la  guerre  ;  celui-ci  attendit 
l'argent  jusqu'en  été,  et  ne  reçut  alors  que  cinquante-deux  mille 
francs  en  bijoux-  et  quelques  seigneuries,  de  nul  rapport.  En 
outre,  par  suite  de  la  chaleur,  une  dysenterie  contagieuse  éclata 
parmi  les  Anglais  et  les  Gascons;  le  prince  lui-même  fut  atteint  de 
ce  mal,  qui  devint  pour  lui  un  germe  de  mort^.  A   partir  de  ce 

1.  Pour  cette  expédition  et  surtout  pour  la  bataille  de  Nâjera,  les  sources  sont 
Ayala,  Crônica  del  reij  don  Pedro  dans  Crônicas  de  los  reijes  da  Castiila,  et  l'auteur 
du  Poème  du  héraut  d'armes  Chandos.  Le  premier  était  un  des  porte-enseigne  dans 
rarniée  de  Henri  pendant  la  bataille  ;  le  second  était  au  moins  présent,  et  j'ai  déjà 
remarqué  ci-dessus,  p.  128,  not.  3,  que  l'expédition  du  prince  de  Galles  en  Espagne  et 
les  événements  suivants  sont  les  seuls  faits  dont  il  eût  une  connaissance  directe.  Une  troi- 
sième source,  qui  a  échappé  à  presque  tous  les  historiens,  par  ex,  à  Lucc,  à  E.  Moli- 
nier,  à  Kohler,  est  Prince  Edwards  expedilion  mio  Spain  par  le  témoin  oculaire,  A\'ai.- 
TEU  OF  Peteiuiorough,  daus  PolUical  poems  and  songs  relating  io  englisli  hislori/, 
éd.  Wright,  I  (1.SÔ9),  p.  97  à  122.  Moins  important  est  un  autre  poème,  ibid..  p.  9i  à 
9G.  Les  trois  premières  sources,  dont  la  première  est  du  parti  de  Henri,  les  deux  autres 
du  parti  de  don  Pèdre,  ne  se  contredisent  pas  dans  les  points  essentiels.  Froissaht, 
éd.  LucE,  VII,  et  Cuvelieu  sont  à  peine  des  sources  ;  le  premier  a  puisé  sa  description 
de  la  bataille  dans  le  Héraut  darnics  Chandos,  qu'il  a  quelquefois  mal  compris. 
Guvelier  est  sans  mérite  pour  cette  partie.  Des  modernes,  Ivohler,  Die  Entwickelnnçf 
des  Kriecfswesens  undder  Kriecjfûhruncj  in  der  Ritlerzeil,  H,  p.  321  à  523  ;  i83  à  521, 
donne  un  excellent  exposé  des  préparatifs  et  surtout  de  la  bataille  au  point  de  vue 
militaire.  A  la  p.  512,  se  trou^■eune  carte  de  la  bataille.  Dans  le  détail,  on  peut  rele- 
ver des  fautes.  Une  des  plus  singulières  est  sans  doute  à  la  page  188.  où  il  traduit  «  le 
jour  de  l'apparition  des  Trois  Rois  »  avec  «  jour  de  la  Trinité  >»  î  Non  moins  instruc- 
tif est  l'exposé  dans  Schirumachrr,  Gesch.  von  Spanien,  t.  V,  p.  i57  suiv,,  473  suiv., 
qui  s'est  servi  aussi  de  Walter  of  Peterborough.  Voy.  encore  les  notes  de  Luce  dans 
Froissarl,  sommaire  chap.  91,  92  ;  E.  Mouxier,  Vie  d'Arnoul  dAudrehem,  p.  179 
suiv.  Un  récit  ancien,  publié  par  Moisaxt,  Le  Prince  \oir,  p.  276  suiv.,  est  sans 
valeur. 

2.  Deu'it,  Collect.  (fénèrale  des  documents  français  r/«i  se  trouvent  en  AïKjlelerre, 
p.  175. 

3.  On  lit  dans  le  Poème  du  héraut  d'armes  Chandos^  v.  383i  : 

Li  comencea  la  maladie 
Qui  puis  dura  toute  sa  vie, 
Dont  fut  domages  et  pité. 
R.  P.  DicNuxi;.  —  Desolalio  ecclcsiaruin  II.  o'2 


498  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

moment,  il  se  trouva  constamment  dans  des  embarras  financiers.  Nous 
verrons  au  septième  paragraphe  quelles  en  furent  les  conséquences. 
En  somme,  cette  expédition  en  Espagne,  apparemment  si  brillante, 
fut  désastreuse  pour  l'Angleterre,  et  elle  affaiblit  la  puissance 
d'Edouard  ;  ce  fut,  à  coup  sûr,  un  succès  bien  imprévu  pour  la 
France. 


5.    Continuation  de    V action  d'Urbain    V   contre   les  Compagnies. 

Son  départ  d'Avignon.  Marche  des  Compagnies 

du  Midi  au  Nord. 

Différents  motifs  avaient  déterminé  Urbain  V  à  transférer  de  nou- 
veau le  siège  apostolique  à  Rome.  Le  danger  qu'occasionnait  constam- 
ment la  présence  des  Compagnies,  ne  fut  certainement  pas  une  des 
moindres  causes  qui  amenèrent  cette  décision.  Avignon,  précisément 
à  cause  de  la  curie  papale,  était  pour  les  bandes  un  continuel  point 
d'attraction.  Depuis  1357,  iln'y  avait  aucune  sécurité  pour  Avignon, 
ni  pour  le  Gomtat  Venaissin;  ceux  qui  se  rendaient  à  la  cour  pon- 
tificale ou  qui  s'en  éloignaient  couraient  de  réels  dangers.  L'adminis- 
tration papale  en  eut  beaucoup  k  souffrir.  Quelles  énormes  sommes 
n'engloutirent  pas,  par  exemple,  la  fortification  d'Avignon  et  celle 
des  places  environnantes,  Tentretien  continuel  et  onéreux  d'un 
nombre  extraordinaire  de  gens  d'armes,  la  satisfaction  des  convoi- 
tises des  compagnons  quand  ils  étaient  sur  les  lieux?  Urbain  V  avait 
fait  de  tristes  expériences  sur  ce  dernier  point,  surtout  en  1365. 
Toutes  ces  considérations,  venant  se  joindre  aux  autres,  le  déci- 
dèrent à  quitter  AAdgnon  et  à  se  rendre  à  Rome  ainsi  que  dans 
les  Etats  de  rE2:lise  où  l'ordre  était  rétabli  '.  Ce  sont  ces  mômes 
considérations  qui  motivaient  une  lettre  de  Pétrarque  par  laquelle 
il  invite  le  Pape  à  quitter  la  France  et  à  retourner  au  siège  de 
Saint-Pierre  ''.  Urbain  V  choisit  très  prudemment  pour  son  départ 
l'époque  où,   par   suite  de   l'expédition  en  Espagne,   le  Midi  de  la 

Coni.  Murimulh.,  éd.  IIo(i,  p.  203,  dit  que  beaucoup  d'Anj-lais  sont  morls  de  la 
maladie.  Kmghtox,  p.  122  :  «  vix  quintus  homo  rediit  in  Angliani  ».  CI",  encore  (Jhron. 
Ancfl.,  éd.  Thompson,  p.  60  ;  Wai-singhaïm,  I,  p.  305  suiv. 

1.  Voy.  Ghkgouovius,  Gesch.  der  Slndt  Rom,  4"  éd.,  t.  VI,  p.  401  suiv. 

2,  Rer.  senil.  lib,  7,  ep.  1. 


MARCHE    DES    COMPAGNIES    DU    MIDI    AU    NORD,    1367,    1368          499 

France  était  purgé  des  Compagnies.  Sans  cette  précaution  excep- 
tionnelle, les  meul^les,  les  bestiaux  ou  chevaux  qui  fui  ent  transportés 
par  terre  d'Avignon  en  Italie,  voire  même  la  suite  du  Pape,  auraient 
couru  les  plus  grands  risques. 

Après  avoir  été  k  Montpellier  dès  le  9  janvier',  le  Pape  quitta  Avi- 
gnon, le  30  avril  1367  -^  et  se  rendit  par  Sorgues  k  Marseille,  où  il 
arriva  le  6  mai  ^. 

A  cette  époque,  les  nouvelles  de  la  bataille  de  Najera  étaient  déjk 
connues  partout^  et  chacun  devait  forcément  s'attendre  k  voir  les 
Compagnies  retourner  en  France  et  recommencer  de  plus  belle  leurs 
brigandages.  Cette  perspective  inquiétait  le  roi  Charles  et  le  Pape. 
Depuis  1364,  le  pire  des  fléaux  était  que  les  seigneurs,  tant  ecclé- 
siastiques que  laïques,  se  servaient  des  Compagnies,  qu'ils  organi- 
saient de  véritables  bandes  pour  rançonner  le  pays  environnant,  et 
non  seulement  les  seigneurs  en  agissaient  ainsi,  mais  encore  leurs 
vassaux  ■*.  En  outre,  il  arrivait  maintes  et  maintes  fois  que  des 
villes,  des  villages  ou  de  simples  particuliers,  ne  fût-ce  que  par 
crainte,  portaient  secours  aux  Compagnies,  leur  fournissaient  des 
vivres  ou  se  laissaient  enrôler  parmi  elles.  Dans  de  pareilles  condi- 
tions, la  fin  de  ces  calamités  n'était  pas  k  prévoir. 

Le  9  mai  1367,  le  Pape  fît  paraître,  datée  de  Marseille,  la  bulle 
Qiiam  sit  plena  pericLiliSy  dans  laquelle  voulant  s'acquitter  de  ses 
obligations  envers  la  France  et  son  roi,  il  résume  en  peu  de  mots 
les  crimes  des  compagnons,  flétrit  surtout  les  fauteurs  des  Compa- 
gnies, les  excommunie  tous  et  répète  presque  littéralement  les  pas- 
sages qui  les  concernent  dans  sa  bulle  du  o  avril  1365  ^. 

1.  Cf.  Germain,  IJist.  de  la  commune  de  Mojilpelliev,  II.  p.  267  sui\ . 

2.  Sur  le  voyage  du  Pape  pour  1  Italie,  voy.  J.  KiHs<:H,Z>te  liûckkehr  der  Plipsle  Lr- 
ban  V  und  Gregor  Xlvon  Avignon  nach  Rom  (Paderborn  189S);  cf.  p.xivet  p.  48,  n°93. 

3.  Cette  date  précise  est  donuée  par  la  Chronitjue  du  Peiil  Thalamus,  p.  377,  d'où 
est  prise  la  Vie  provençale,  dans  Actes  el  documents  concernant  Urbain  V,  rec.  par 
AiJiANiîs,  p.  94. 

4.  On  en  trouve  partout  des  e.veniplcs.  Cf.  encore  Gvagve,  Les  Tard-Venus^  p.  154 
suiv.,  p.  161. 

5.  Reg.  Aven.  Urb.  V,  n"  15,  fol.  381;  Orij;inal  aux  Arch.  nat.  Paris,  J.  711,  n"  300»^*  ; 
ibid.,  6bc^  vidimus  episcopi  Paris.,  du  9  novembre.  La  bulle  est  imprimée  dans  nu 
BouLAY,  Hist.  Univers.  Paris.,  IV,  p.  414;  Chron.  du  religieux  de  Saint-Denys,  éd. 
Bellaguet,  n'^,  p.  534  suiv.;  0?Juvres  de  Froissart,  éd.  nE  Lette.nhove.  VII, 
p.  523  suiv.  ;  Chronogr.,  éd.  Mouanvillk,  II,  p.  301.  Elle  fut  ensuite  insérée  dans 
les  lettres  adressées  (généralement  du  v  kal.  Februarii  an.  VI)  aux  métropolitains 
de  France  et  leurs  suflVagants  [Reg.    Val.,  n»  249,  fol.  62'':  Arch.   nal.,  Paris,  J  711, 


500  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Cette  bulle  acquit  plus  tard,  dans  le  siècle  suivant,  une  grande 
célébrité,  car  les  évêques  du  parti  bourguignon  se  basèrent 
sur  ce  rescrit  papal  pour  excommunier  le  duc  d'Orléans,  tandis  que 
les  partisans  de  ce  dernier  en  appelèrent  à  cette  même  bulle 
en  excommuniant  le  duc  de  Bourgogne  ^  Mais  que  dis-je, 
l'application  en  fut  faite  beaucoup  plus  tôt,  puisque  déjà  Charles  V 
s'en  servit,  en  1369,  contre  le  roi  d'Angleterre-. 

Ce  même  jour,  le  9  mai  1367,  à  la  prière  de  Charles  V,  Urbain  V 
accorda  aux  archevêques  de  Reims  et  de  Sens,  aux  évêques  de  Paris, 
de  Chartres  et  de  Beauvais  la  faculté  d'absoudre  les  coupables,  chaque 
fois  qu'interviendrait  le  consentement  du  roi  ^. 

Le  19  mai,  le  Pape  s'embarqua  à  Marseille  pour  l'Italie.  Dès  la 
seconde  moitié  de  mai,  Henri  de  Trastamare  était  revenu  d'Espagne 
et  se  trouvait,  le  2i,  à  Servian,  d'où  il  annonçait  au  roi  d'Aragon 
qu'il  allait  lever  un  corps  de  trois  mille  lances^.  En  effet,  à  la  fin 
de  juin,  après  avoir  vendu  la  seigneurie  de  Cessanon  (dans  les  dio- 
cèses de  Saint-Pons  et  de  Béziers)  à  Charles  V,  il  acheta  les  ser- 
vices de  plusieurs  chefs  des  Compagnies  et  se  mit  à  ravager  les 
confins  de  l'Aquitaine,  et  surtout  le  Rouercjue.  Le  9  juillet,  une  par- 
tie de  ses  troupes  livra  un  violent  assaut  à  Nant,  non  loin  de  Millau, 
tandis  que  Henri  menaçait  en  personne  Vabres  et  Saint-Affrique, 
et  quand,  au  mois  de  septembre,  Henri  partit  d'Aigues-Mortes  pour 
aller  en  Espagne,  après  avoir  contracté,  le  13  août,  une  alliance 
olfensive  et  défensive  avec  le  duc  d'Anjou  contre  le  prince  de  Galles, 
le  duc  de  Lancaster,  Charles  le  Mauvais  et  don  Pèdre,  il  laissa 
derrière  lui  des  bandes  qui  se  tenaient  toujours  en  Rouergue. 
D'autres  bandes  se  préparaient  à  attaquer  l'Aquitaine  sur  un  grand 
nombre  de  points  et  couvraient  au  mois  d'octobre  les  bords  de  la 
Dordogne,  s'avançant  jusqu'à  Montfranc  ^. 

n"  300,  7"  à  7").  Un  fragment  de  la  bulle,  adressée  le  27  septembre  1367  aux  consuls 
d'Albi,  l'ut  public  par  Comi'ayhé,  Éludes  hisl.  et  documents  inédits  sur  V Albigeois, 
p.  258. 

1.  Voy.  Chnrtulnriuui   Universit.  Paris.,  IV,  n"  1938  et  nol.  G.  Jean  XXIII  rinscrc 
dans  sa  lettre  adressée  le  15  juin  1412  à  Charles  VI  {Arch.  nal.,  l.  c,  n"  300i-). 

2.  Griind.  chron.,  p.  394.  Cf.  ci-dessous  le  huitième  paragraphe. 

3.  Re(j.  Aven.  Urh.  V,  n"  15,  fol.  383'';  Arch.  nat.,  J  711,  n°  300»  :  Ad  ea  ([ue  aninia- 
rum. 

4.  ZuuiTA,  Annales  de  Aragon  (1610),  p.  348;  Luge,  Froissarl,  VII,  p.  xxii,  not.  1. 

5.  RouQUETTE,  Le  Rouergue  sous  les  Anglais  (nouv.  édition,  1887),  p.  110  à  116.  Sur 
l'alliance  du  13  août,  voy.  Llce,  l.c,  p.  xxiv,  not.  2. 


MARCHE    DES    COMPAGNIES    DU    MIDI    AU    NORD,    1367,    1368  oOl 

Dans  le  Midi,  la  situation  s'aggrava,  lorsque,  dès  les  premiers 
jours  de  septembre,  le  prince  de  Galles  revint  à  Bordeaux  avec  les 
débris  de  ses  troupes  et  licencia  les  Compagnies.  Vers  la  mi-sep- 
tembre, il  convoqua  les  trois  ordres  d'Aquitaine  k  Saint-Emilionpour 
le  16  octobre,  avec  l'intention  d'en  obtenir  un  fouage.  Les  dépu- 
tés du  Rouergue  répondirent  à  l'appel,  mais  ils  durent  rebrousser 
chemin,  à  cause  des  Compagnies  qui  couvraient  les  plaines  arro- 
sées par  la  Dordogne  et  infestaient  toutes  les  routes  '.  En  môme 
temps,  d'autres  bandes,  dont  quelques-unes  du  parti  français,  déso- 
laient, au  mois  de  septembre,  les  environs  de  Montpellier  et  de 
Carcassonne  -. 

Leduc  d'Anjou,  étant  à  Beaucaire,  ordonna,  le  22  janvier  1368. 
au  sénéchal  et  aux  officiers  de  la  sénéchaussée  de  Nîmes  de  faire 
amasser  tous  les  vivres  dans  les  lieux  forts  et  de  poursuivre  les 
bandes  ^.  Mais  nous  verrons,  au  paragraphe  suivant,  qu'il  ne  tarda 
pas  à  pactiser  avec  ces  Compagnies  dont  les  capitaines,  le  Petit  Mes- 
chin,  Perrin  de  Savoie,  Noly  Pavalhon,  Bonsometde  Pau,  Amanieu 
d'Ortigue,  furent  enrôlés  dans  les  troupes  de  Du  Guesclin. 

11  restait  en  Guyenne  quelques  Compagnies  (dont  reifectif  s'élevait 
à  plusieurs  mille  combattants)  qui,  chassées  par  le  prince  de  Galles 
au  mois  de  décembre  1 367,  se  répandirent  en  Auvej^gne  et  en  Berry  \ 
au  mois  de  février,  le  gros  de  ces  bandes  passa  la  Loire  à  Marci- 
gny-les-Nonnains,  non  loin  de  Charolles,  entra  ensuite  dans 
le  duché  de  Bourgogne^  et  resta  quelque  temps  en  Maçonnais.  11  se 
peut  que  quelques-uns  d'entre  eux  se  répandirent  jusqu'à  Autun  ^. 
L'absence  des  vivres  qui,  par  ordre  de  Philippe  le  Hardi,  avaient  été 
entassés  dans  les  forteresses,  força  au  moins  la  majeure  partie  de  l'ar- 
mée à  évacuer  cette  région.  Les  bandes  envahirent  V Auxerrois^  où 
elles  s'emparèrent  des  églises  fortifiées  de  Gravant  et  de  Vermenton  "^ 

1.  RotiQUETTE,  1.  c,  p.  124  suiv.  Mais  il  faut  noter  que  clans  la  première  édition, 
p.  100,  par  une  faute  d'impression,  on  lit  que  l'assemblée  était  convoquée  <<  pour 
le  deux  octobre  »,  et  LrcE,  Froissart.  \l\,  p.  xxxv,  not.  1,  cite,  d'après  cette  édition, 
MoisANT,  Le  Prince  iVo^r,  p.  129,  cite  la  nouvelle  édition  de  Rouquette,  mais  il  prend 
la  date  du  2  octobre  de  Luce  sans  le  nommer. 

2.  Petit  Thalamua.p.  381,  382. 

3.  Voy.  MKx.vnn,  Hist.  de  In  ville  rie  A/me.s,  nouv.  éd.,  II,  p.  256. 

4.  Cf.  A.  ui:  Chaumasse,  L'église  d' Autun  pendant  la  guerre  de  Cent  ans,  p.  52,  65, 
79,  87.  Il  est  ditïîcile  de  distinguer  exactement  les  diverses  incursions. 

5.  La  Chron.  des  ([uatre  premiers  Valois,  p.  102,  parle  aussi  de  la  prise  de  \'^ermen- 
ton.  Ibid.,  p.  193,  est  encore  notée  la  présence  des  Bretons  à  Sens. 


502  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

A  Gravant,  la  Compagnie  se  sépara  pour  former  deux  troupes. 
L'une,  au  nombre  de  huit  cents  hommes  d'armes  anglais,  enva- 
hit le  Gâtinais  ;  l'autre,  comjDOsée  de  quatre  mille  combattants 
et  de  dix  ou  vingt  mille  pillards,  tant  hommes  que  femmes  et 
enfants,  passa  la  Seine  en  se  dirigeant  vers  Troyes  et  l'Aube,  s'éta- 
blit en  Champagne  où  elle  occupa  peu  à  peu  Ejoernaj  avec  l'abbaye 
des  chanoines  réguliers  de  Saint-Martin  ^,  Fismes,  Goincy-F Abbaye, 
Ay,  dont  l'église  était  fortifiée  -.  Une  partie  de  cette  bande,  sinon  la 
bande  entière,  était  à  la  solde  de  Gharles  d'Artois  pour  l'aider  à 
conquérir  le  comté  d'Artois  2,  en  traversant  la  Ghampagne,  l'Ile-de- 
France  et  le  Laonnais. 

Suivant  quelques  chroniqueurs,  il  y  avait  aussi  des  Compagnies 
dans  l'archevêché  de  Reims,  les  évêchés  de  Noyon  et  de  Soissons^. 
En  mai  et  juin,  elles  allèrent  en  grande  partie  vers  Ghâlons-sur- 
Marne  et  Vitry'',  oii  elles  commirent  beaucoup  d'excès,  se  dirigèrent 
sur  Marigny  entre  Troyes  et  Nogent-sur-Seine,  jusqu'à  Auxerre  et 
Ghâtillon-sous-Loing,  sans  trouver  de  résistance,  et  poussèrent  une 
autre  fois  jusqu'à  Etampes.  On  craignit  même  qu'elles  ne  vinssent 
à  Paris,  et  le  roi  manda  des  gens  d'armes  pour  la  défense  de  la 
capitale  ^'.  En  effet,  il  y  eut  un  détachement  qui  s'avança  devant 
Paris  et  entra  ensuite  en  Normandie"^.  Ge  furent  probablement  les 
Anglais  qui,  suivant  une  lettre  de  l'archevêque  d'Embrun  du  13  juil- 
let 1368,  trouvant  les  défdés  occupés,  retournèrent  à  Paris  où  ils 
furent  dispersés  et  en  partie  massacrés  par  les  troupes  du  roi  ^. 

Une  autre  fois,  par  suite  de  dissensions  survenues  entre  ses 
membres,  la  Compagnie   se  divisa  à  Etampes  et  à  Etréchy^;  les 

1.  La  Chron.  citée,  p.  192,  parle  seule  de  l'assaut  de  Tabbaye. 

2.  Grand,  chron.,  p.  249  à  251;  Luce,  Froissart,  i.  VII,  p.  xxvi,  notes,  où  il  y  a  des 
documents  qui  confirment  le  récit  des  Grand,  chron. 

3.  Sur  cela  cf.  Chronocjr..,  p.  330,  et  Moranyillé  dans  les  notes;  Chron.  norm., 
p. 185. 

4.  Froissart,  1.  c,  p.  65;  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  1.  c. 

5.  Vitry  fut  incendié.  Voy.  ci-dessous  §  11,  dioc.  de  Ciiâlons-sur-Marne. 

6.  Grand,  chron.,  p.  252  suiv. 

7.  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  196.  Kmghton,  p.  123  (maie  ad  an.  1366), 
dit  aussi  que  «  le  grant  companye  praedando  et  destruendo  patrias  »  venait  à  Paris, 
mais,  mal  informé,  il  affirme  qu'elle  mettait  le  siège  devant  la  ville. 

8.  Voy.  ci-dessous  le  commencement  du  paragraphe  7. 

9.  Grand,  chron. ^  p.  253;  Fhoissaut,  VII,  p.  l,  et  not.  1  ;  li,  et  not.  3.  Chron.  des 
quatre  premiers  Valois,  1.  c,  parle  aussi  de  tout  cela  et  de  la  marche  sur  Louviers. 


MARCHE    DES    C03IPAGNIES    DU    MIDI    AU    NORD,    1367,  1368  ;)03 

Anglais  allèrent  au  mois  d'août  en  Normandie^  comme  il  va  être 
raconté  ci-dessous  ;  les  Gascons,  poussant  jusqu'à  Blois,  occupèrent 
Baugency-sur-Loire  ^.  De  là,  ils  s'en  allèrent,  en  automne,  à  Faye 
de  Vineuse  ^  en  Tourainc^  mais  du  diocèse  de  Bourges,  où  se 
trouvaient  déjà  des  pillards  en  1366'^.  La  ville  fut  prise  en  1368, 
et  les  bandes  s'y  arrêtèrent,  dévastant  les  environs  pendant  plus 
de  quatre  mois  ^  En  même  temps,  les  Compagnies  ravageaient 
Mirebeau,  au  nord-ouest  de  Poitiers  '\ 

Ces  incursions  des  Compagnies  en  1367  et  1368  étaient  d'autant 
plus  désolantes  que  plusieurs  des  contrées  envahies  n'avaient 
jamais  été  entièrement  débarrassées  des  bandes,  aussi  les  nouvelles 
venues  ne  firent-elles  qu'aggraver  le  mal.  Ce  fut  le  cas  en  Norman- 
die, par  exemple,  et  surtout  en  Basse-Normandie.  Depuis  1364 
jusqu'en  1369,  les  Normands  eurent  à  soutenir  une  lutte  acharnée 
contre  les  Anglais  et  contre  les  Compagnies.  Les  années  les  plus 
troublées  furent  1367  et  13()8.  Dans  la  première,  le  Cotentin  fut 
exposé  d'une  façon  toute  particulière  aux  dévastations  des  bandes 
contre  lesquelles  luttait  Guillaume  de  Merle  ;  au  commencement  de 
1 368,  des  Bretons  prirent  leurs  cantonnements  dans  l'Avranchin  ;  ils 
furent  combattus  par  les  officiers  du  roi  de  Navarre^.  Dans  la  même 
année  survint  la  Compagnie  anglaise,  dont  j'ai  parlé  tout  à  l'heure  : 
le  2  août  elle  surprit  la  ville  de  Vire  '' .  Une  partie  se  replia  dans  le 

1.  Grand,  chron.,  p.  253  suiv, 

2.  Ibid.,  p.  265. 

3.  Voy.  ci-dessus,  au  premier  paragraphe, 

4.  Dans  Guiîrin,  Rec.  des  documents  concernant  le  Poitou,  III,  n°  472,  p.  419 
{octobre  1369)  :  «  ipse  cornes  (Jean  de  Sancerre)...  ob  facLum  guerraruni...  ac  gentiuni 
mac/narnni  Societatum  que  in  anno  preterito  in  villa  de  Faya  sepedicta  et  alibi  per 
quatuor  menses  vel  amplius  se  tenuerunt,  fortaliciumque  ipsius  ville  de  Faya  cepc- 
runt,  ipsam  patriam  et  loca  circonvicina  per  distanciam  quatuor  leucarum  etamplius 
discurrentes,  terre  subditique  dicti  comitis  ibidem  commorantes  quasi  destructi  l'ue- 
rint  ac  multipliciter  devastati,  etc.  »  Voy.  encore  le  Mémorandum  du  roi  Charles  V 
du  11  mai  1369,  dans  Grand,  chron.,  p.  302. 

5.  Ibid.,  IV.  p.  4,n''  476. 

6.  Pour  tout  ce  qui  regarde  la  Basse-Normandie,  voy.  Demsle,  Hist.du  cliùleau  et 
des  sires  de  Saint-Sauveur-le- Vicomte,  p.  135  suiv.,  140  suiv.,  145  suiv.  Charles  V 
connaissait  très  bien  le  danger  qui  menaçait  le  Cotentin;  le  22  octobre  1365,  il  ordonna 
au  bailli  de  faire  relever  les  remparts  et  fortifier  la  cathédrale  de  Coutances,  afin 
qu'elle  pût  comme  autrefois  servir  de  retraite  aux  gens  du  pays,  en  cas  de  nécessité. 
Mandements  de  Chai-les  V,  p.  168,  n"  342.  Voy.  ci-dessus,  p.  308. 

7.  Voy.  les  détails  de  l'occupation  de  Vire,  donnés  par  Fuûvii.le  dans  Bibl.  de  V École 
des  chartes,  1"  série,  t.  III,  p.  274  suiv.;  De  la  Rle,  Nouveaux  essais  sur  Caen.  11. 
p.  238  suiv.  ;  Delisle,  1.  c,  p.  147  suiv.;  Dupont,  Hist.  du  Cotentin.  II,  p,  304  suiv. 


004  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

Maine  et  s'empara,  dès  la  mi-août,  de  Château-Gontier  et  de  plu- 
sieurs places  fortes  dans  les  environs.  Des  Compagnons  rentrèrent 
brusquement  en  Normandie  et  j^énétrèrent  jusqu'à  l'extrémité  du 
Cotentin,  pour  essayer,  mais  en  vain,  de  surprendre  Cherbourg- 1. 

Arrêtons-nous  ici  ;  ces  renseignements  sutBsent  pour  montrer  que 
les  Compagnies  n'avaient  pas  cessé  d'infester  la  France.  Notre  asser- 
tion est  confirmée  par  les  efforts  que  tentèrent  contre  elles,  aussi 
bien  Urbain  V,  résidant  alors  en  Italie,  c{ue  Charles  V.  Lorsque  les 
Compagnies    emmenées    hors     de    France,    y    furent  rentrées,   le 

5  février  1368,  le  Pape  prolongea  d'une  année  le  terme  de  deux  ans 
accordé  en  juillet  1366,  durant  lesquels  ceux  qui  étaient  morts  en 
combattant  contre  les  bandes  pouvaient  obtenir  l'indulgence 
plénière  2.  Le  10  février,  le  Pape  adressa  aux  métropolitains  de 
France  et  à  leurs  suffragants  des  lettres  dans  lesquelles  il  ne  se 
borne  point  à  reproduire  la  bulle  du  9  mai  1367,  mais  où  il  pro- 
nonce en  outre  les  sentences  suivantes  contre  les  «  sociales  »,  ils 
doivent  être  privés  de  la  sépulture  ecclésiastique,  quand  même  ils 
auraient  reçu  l'absolution  à  l'article  de  la  mort,  et  s'ils  ont  été 
enterrés  à  l'église  ou  au  cimetière,  ceux-ci  devront  être  interdits, 
jusqu'à  ce  que  les  corps  de  ces  i(  sociales  »  en  aient  été  exhumés. 
Si  toutefois,  après  avoir  été  absous  pendant  la  maladie,  les 
((  sociales  »  venaient  à  recouvrer  la  santé,  ils  n'en  devraient  pas 
moins  se  rendre  auprès  du  Saint-Siège  pour  en  obtenir  encore  une 
fois  pénitence  et  absolution  ^. 

1.  A'o}-.  Le  Compte  des  recettes  et  dépenses  du  roi  de  Xavarre,  piibl.  par  Izarn, 
p.  219. 

2.  Arch.  nat.  Paris,  J  711,  n"  300'^  :  «  Urbanus...  Remen.,  Rotliomagen.,  Bituriccn. 
et  Senonen.  aixhiepiscopis  eorumquc  siifTraganeis.  De  sainte  ac  tranquillitate  et  pace 
rcgni  Francie...  [insère  deux  bulles  :  ]  Urbanus...  Ad  futuram  rei  memoriam.  Diidum 
videlicet  iij  non.  Julii...  Urbanus...  Ad  futuram  rei  memoriam.  Cogit  nos...  L'entière 
bulle  porte  la  date  :  Dat.  Rome  apud  S.  Petrum  non.  Februarii  an.  sexto.  Dansn"  3009^ 
et  300'^c^  gont  les  lettres  adressées  aux  autres  métropolitains  de  France. 

3.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n"  249.  fol.  59;  Arch.  nat.  Paris,  J  711,  n°  300i0a  ;  „  Exigen- 
tibus  continuatis  et  multiplicatis  horrendis  sceleribus...  quamdam  hodie  adjectionem 
fecimus  sub  liac  forma  :  Urbanus...  ad  futuram  rei  memoriam.  Detestanda  illorum 
sacrilegorum...  Dudum,  siquidem  videlicet  vij  idus  Maii...  an.  V...  statuimus  [il  répète 
la  bulle  du  9  mai  1367,  et  fait  l'addition].  Dat.  Rome  ap,  S.  Petrum  iiij  id,  Februarii 
an.  sexto  ».  Les  évcques  doivent  publier  la  bulle.  Aux  Arch.  nat,  cette  bulle  se  trouve 
encore  en  original  aux  n""  300 1^"'  et  300 'O*-.  Chacun  de  ces  trois  originaux  porte  au  dos 
l'ancienne  remar([ue  :  «  Q)uod  corpora  socialium  perpeluo  careant  ecclesiastica  sepul- 
tura  ».  C'est  sûrement  de  cette  bulle  que  parle  la  Chron.  des  quatre  premiers  Valois^ 
p.  192. 


EFFORTS    d'urbain    CONTRE   LES    COMPAGNIES,    1368,    1369  i)0lj 

Ces  fulminantes  condamnations,  si  rarement  infligées,  nous  font 
mesurer  toute  Tétendue  des  abominations  commises  par  les  Compa- 
gnies. Peut-être  la  dernière  bulle  était-elle  déjà  inspirée  par  une 
supplique  du  roi  Charles  V  au  Pape  ^  En  tout  cas,  la  supplique  ne 
me  semble  avoir  été  envoyée  à  Rome  qu'en  1368.  En  voici  la  teneur  : 
Le  roi  sollicite  le  Pape  à  déclarer  schismatiques  tous  ceux  qu'il  a 
condamnés  dans  sa  bulle  du  9  mai  1367,  parce  qu'ils  nient  le  pou- 
voir de  lier  et  de  délier,  disent  que  l'église  n'a  pas  le  droit  de  leur 
faire  encourir  la  constitution  citée  plus  haut,  partant,  ils  sont  aussi 
hérétiques.  Charles  V  demande  encore  que  l'indulgence  plénière 
concédée  par  le  Pape   à  ceux  qui  meurent  dans  la  lutte  contre  les 

i.  Arch.  nal.  Paris,  J  711,  n°  300^3  :  «  Supplicat  S.  V.  dévolus  filius  rester  Karolus 
rex  Francoruni,  quatenus  ciim  caclem  S.  \.  ccrtam  constitucionem  cum  certis  pro- 
cessibus  contra  societates  dampnabilitcr  rcgnum  Francie  dampnabiliter(.v/r)  invaden- 
tes,  suosque  factores  [iautores],  consiliarios  et  receptatores  et  alios  eorum  participes 
edidit  sancte  et  juste...  dignetur  eadeni  S.  Y.  omnes  et  sing:ulos  in  dicta  constitucione 
dampnatos  scismaticos  decernere,  ipsosque  penas  et  sentent ias  contra  scisnialicos  et 
jure  promulgatas  dampnabilitcr  incurrisse. 

Item,  cum  nullum  sit  scisma  quod  non  sibi  aliquam  heresim  coniingat,  iidemque 
dampnabilitcr,  utprefertur,  ecclesic  résistant  et  ipsius  ecclesie  claves  contempnent.pre- 
tendentes  S.  V.  non  habere  jiotestatem  dictam  constitucionem  inipsos  promulgandi, 
dignetur  eadem  S.  Y.  de  uberiori  gracia  plenam  remissionem  concedere  omnibus  con- 
tra ipsos  pugnantibus,  ubicunque  existant,  qui  ad  pugnam  contra  ipsos  accesserint,  et 
illis  eciam  qui  sponte  et  voluntarie  juxta  facultates  pro  defl'encione  dicti  regni  ad 
impugnandum  dictas  societates  et  alios  in  dicta  constitucione  dampnatos  contribue- 
rint,  vel  qui  exercitum  pro  nccessariis  ministrandum  insequantur  sine  fraude,  cujus- 
cunque  sexus,  dignitatis  aut  prérogative  existant,  quantumcumque  in  dicto  conflictu 
vel  alias  ex  vulneribus  inibi  illatis  non  décédant... 

Item,  cum  in  predicta  constitucione  non  solum  dicti  sociales,  scd  etiam  receptato- 
res et  factores  eorum  condempnantur,  nonnulli  tamen  prclati  ecclesiastici,  principes 
et  alii  domini  temporales  predictos  sociales  vel  eorum  aliquos  in  suis  dyocesibus.  ter- 
ris, districtibus  et  dominiis  receptant,  tollerantetabsque  punicionedimittunt,  alii  vero 
dictis  socialibus  etiam  in  dicta  societate  illicita  constitutis  penas  etiam  spirituales  et 
tempoi'alcs  in  dicta  constitucione  promulgatas,  prout  ipsos  concernunt,  non  infligunt 
nec  exequntur,  sed  pocius  eamdem  constitucionem  vilipendunt  dampnabilitcr  et 
contempnunt,  dignetur  E.  S.  V.  omnes  prefatos  receptatores  dictorum  socialium 
in  dicta  societate  constitutorum  vel  eciam  absque  absolucione  et  satisfacione 
discedencium,  et  alios  eciam  receptatores  privatos,  consanguinitate  vel  allinitate 
quacunque  non  obstante,  necnon  prclatos  antedictos  et  principes  et  alios 
dominos  temporales,  qui  predictas  penas  et  sentencias  predictis  socialibus  subditis 
suis  contempnunt,  obmittunt  vel  negligunt  inferre,  decernere  tamquam  predictorum 
socialium  factores  penas  et  sententias  in  dicta  constitucione  vestra  contentas  damp- 
nabilitcr incurisse,  eciamsi  pontificali  vel  regali  prefulgeant  dignitate...  »  Le  reste  de 
la  supplicpie  est  moins  nécessaire,  La  suite  de  la  supplique  qui  s'occupe  aussi  de 
faux  monnayeurs,  nous  apprend  qu'elle  fut  faite  «  post  exitum  S.  V.  de  Avenione  », 
et  «  Romana  curia  ultra  montes  existentc  w. 


506  LA  GUERRE    DE    CENT    ANS 

«  sociales  »  soit  étendue  à  toutes  les  personnes  qui  auront  soutenu 
en  quoi  que  ce  soit  Tarmée  levée  contre  les  Compagnies.  En  outre 
(c'est  le  désir  du  roi),  tous  les  prélats  et  seigneurs,  et  il  y  en  a  beau- 
coup, qui  négligent  de  sévir  conformément  à  la  Constitution,  voire 
même  qui  en  font  peu  de  cas,  et  qui  tolèrent  les  <(  sociales  », 
devront  être  déclarés  coupables  et  fauteurs  des  «  sociales  »,  encou- 
rant, par  conséquent,  toutes  les  peines  infligées  aux  fauteurs. 
Les  archevêques  de  Reims,  de  Rouen,  de  Sens,  de  Tours,  de 
L^on,  de  Besançon  et  du  Languedoc,  les  évêques  de  Cambrai,  de 
Metz,  de  Liège,  de  Beauvais,  de  Valence,  de  Genève  et  de  Carpen- 
tras  pourront  être  nommés  exécuteurs  de  la  Constitution  23apale  ; 
enfin,  les  délégués  des  évêques  devront  aussi  être  revêtus  du  pou- 
voir d'absoudre  les  «  sociales  »  repentants. 

Cette  supplique  ne  resta  pas  sans  résultat.  Le  19  janvier  1309,  le 
Pape  lança  une  bulle  qui  renouvelait  celle  intitulée  Cogit  nos.  Il  y 
énumère  les  échecs  essuyés  jusqu'à  présent,  prolonge  encore  de 
deux  ans  l'indulgence  plénière  en  faveur  de  ceux  qui  périssent  dans 
la  lutte  contre  les  Compagnies,  et  ajoute  ensuite  qu'elle  pourra  éga- 
lement être  gagnée  dans  le  temps  prescrit  par  ceux  qui,  d'une 
manière  quelconque,  soutiennent  l'armée  contre  les  bandes  ^ 

C'est  la  dernière  grande  bulle  générale  qu'Urbain  V  fit  paraître 
contre  les  bandes.  On  aurait  tort  d'admettre  toutefois  que  les  efforts 
tentés  par  Urbain  V  depuis  1363  soient  restés  tout  à  fait  sans  succès. 
Un  grand  nombre  y  puisèrent  l'animation  à  la  résistance,  et  le  désir 
de  prêter  secours  au  roi.  Quant  aux  sociales,  plusieurs  d'entre  eux, 
effrayés  des  terribles  anathèmes  de  l'Eglise,  se  convertirent  et  se 
séparèrent  des  brigands,  du  moins  pour  un  temps.  Ainsi,  par 
exenij^le,  le  31  mars  1365,  Urbain  V  accorda  pour  six  mois  aux 
évêques  de  Paris,  Beauvais  et  Chartres,  la  faculté  d'absoudre  les 
compagnons    et     leurs      fauteurs,     qui     désiraient     retourner    à 


1.  Arch.  nat.  Paris.,  J  711,  n°300ii  :  «  Urbanus...  Remen.,  Rothomagen.,  Senonen,, 
Turonen.  et  Bituricen.  archiepiscopis...  Gratia  remissionis...  gratiam...  quoad  non 
morientes  ampliaN-imus  sub  hac  forma  :  Urbanus...  Ad  futuram  rei  memoriam.  Sicut 
morbo  nondum  ciirato  conlinuanda  sunt  remédia  medicine...  Et  insupei*  de  gratia  am- 
pliori  eos  qui  aliquem  seu  aliquos  bellatores  ydoneos  contra  dictos  sceleratos  viros 
propriis  sumptibus  destinabunt  vel  de  suis  temporalibus  bonis  contribuèrent  ad  ali- 
quos destinandos,  et  illos  qui  alias  ad  persecutionem  eorumdemdamnatorum  virorum 
de    bonis  eisdem  ministrabunt,    prout  singulis  fuerit  divinitus  inspiratum,  ac  illos 


EFFORTS    d'uRBAIIV    CONTRE    LES    COMPAGNIES,    1 3G8,    1369  1)01 

l'Eglise  ^  L'éveque  de  Nantes  reçut  du  Pape,  le  29  mai  1360,  la 
permission  de  relever  de  l'excommunication  Robert  Knolles,  sa 
femme,  sa  famille,  ses  bandes  et  ses  fauteurs  qui  se  tenaient  alors 
en  Anjou''.  Il  n'avait  pas  seulement  restitué  diverses  places  occu- 
pées par  lui  en  Anjou  et  dans  le  Maine"^,  mais  aussi  (comme  le  Pape 
nous  l'apprend  par  une  lettre  du  4  août  de  la  même  année),  il  déposa 
entre  les  mains  de  l'abbé  de  Saint-Aubin-d'xVnjou,  afin  qu'ils  fussent 
rendus  à  leur  destination,  les  bijoux  et  les  joyaux  enlevés  par  lui,  dès 
1358,  à  l'abbaye  de  Saint-Germain,  à  Auxerre  ^.  Mais,  à  l'instar  de 
ceux  dont  parle  Urbain  V  dans  une  bulle  du  2  mai  1366,  qui  retour- 
nèrent au  milieu  des  brigands  ^,  Knolles  ne  persévéra  point.  La 
bulle  du  16  novembre  1366  nous  apprend  que  bien  grands  étaient  les 
châtiments  et  les  pénitences  infligés  par  le  Pape  aux  «  sociales  « 
repentants.  Ils  devaient  jurer  de  ne  plus  retourner  dans  les  Com- 

etiam  qui  pro  hujusmodi  pio  negocio  laborabunt  et  alios  ad  promet ioneni  ejusdem 
ne^ocii  consilium  et  auxilium  impendent,  juxta  qualitatem  subsidii  et  devotionis  afl'ec- 
tum  ac  mensuram  laboris  participes  esse  volumus  indulgentie  memorate...  Datiim 
Rome  apud  Sanctum  Petrum  xiiii  kl.  Februar.,pontiricatus  nostri  anno  septimo.  Quo- 
circa  fraternitati  vestre  per  apostolica  scripta  mandamus,  quatinus  vos  et  quilibet 
vestrum  in  vestris  cathedralibus  et  aliis  vestrarum  ci^•itatum  et  diocesum  ecclesiis,.. 
predictas  prorogationem,  innovationem  ac  omnia  supradicta  per  vos  vel  alium  seu 
alios  solenniter  publicatis  et  exponatis  populo  in  vulgari.  Verum  quia  présentes  littere 
nequirent  propter  maris  discrimina  vel  alias  vestrum  sinjiulis  commode  presentari, 
volumus  quod  per  te,  IVater  archiepiscope  Remcn.,  dictarum  litterarum  transumptum 
manu  scriptum  publica  tuoque  communitum  sigillo  vobis  predictis  aliis  archiepiscopis  et 
sufl'raganeis  transmittatur,  cui  per  vos  adhiberi  vokmius  velut  oi-iginalibus  plenam 
fidem.  Datmu  Rome...  xiiii  kal.  Februarii  pontificatus  nostri  anno  septimo.  »  A  la  fin  : 
V  Anno  Dom,  M"  CGC  LXIX,  die  xV  mensis  Junii,  dominus  J.  de  Maresco  nobis  car- 
dinali  Belvacensi  tradidit  présentes  bullas  in  hospicio  nostro  Paris,  quas  incontinenti 
tradidimus  archiepiscopo  Senonensi,  idemque  archiepiscopus  eas  archiepiscopo 
Remensi  eadem  die  et  in  eodem  hospicio  tradidit,  ubi  opus  fuerit  secundum  earum 
continenciam  transmittendas  et  etiam  exequendas  », 

1.  Reg.  Vni.  Urhan.  V,  n»  247,  fol.  238:  «  Romanus  pontifex.  »  Les  peines  imposées 
étaient  moins  sévères  encore  :  «  juramento  premisso  quod  nonredibunt  ad  hujusmodi 
socictates  ac  competenti  per  eos  satisfactione  impensa,  necnon  salutari  penitcntia 
injuncta  eisdem.  » 

2.  Reg.  Vat.,  n"  255,  fol.  32;  Prou,  Étude,  etc.,  p.  148,  n°  69. 

3.  Voy.  ci-dessus,  p.  455  suiv. 

4.  Reg.  lat.,  n°  248, fol.  138''  :  «  GuniRobertus  Canole,  miles,  Lichefelden.  dioc,  non- 
nullas  reliquias  et  jocalia  pretiosa  monasterii  S.  Germani  Autissiodoren.  O.  S.  B.,  que 
dudum  habuerat,  apud  te  deposuerit  restituenda  per  te  dicto  monasterio  ».  Voy.  ci- 
dessus,  p.  236  et  not.  1.  Je  ne  sais  pas  par  quelle  raison  Guibal,  Ilist.  du  sentiment 
ntilional  en  France,  p.  117,  appelle  Knolles  «  ancien  ouvrier  drapier  d'Allemagne  »,  et 
parle  de  sa  «  hâblerie  toute  germanique  <<. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  492,  not.  1. 


508  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

pagnies,  et  de  satisfaire  pleinement  pour  tous  les  dommages  causés 
par  eux.  Ceux  qui  étaient  dans  Faisance  avaient  l'obligation  de  visi- 
ter, dans  le  courant  de  l'année,  le  Saint-Sépulcre  et  d'autres  lieux 
en  Terre-Sainte,  et  d'y  rester  le  même  espace  de  temps  qu'ils  avaient 
passé  dans  les  Compagnies  ;  dans  l'éventualité  d'une  croisade,  ils 
étaient  tenus  d'}^  prendre  part.  Les  «  sociales  »  pauvres  devaient 
se  rendre  à  Rome  dans  les  six  mois,  y  rester  une  année,  visitant 
chaque  semaine  Saint-Pierre  et  d'autres  lieux  saints,  puis,  de  là, 
faire  un  pèlerinage  à  Compostelle.  En  outre,  tous  les  «  sociales  »,  à 
moins  qu'ils  ne  fussent  en  voyage,  devaient  jeûner  chaque  vendredi, 
Quant  à  ceux  qui  se  trouvaient  complètement  dépourvus  de  moyens, 
ils  devaient  s'en  remettre,  pour  leur  pénitence,  à  la  mesure  impo- 
sée par  l'archevêque  de  Bordeaux  et  l'évêque  de  Sarlat  ^,  parce  qu'il 
s'agissait  de  Gascons  pénitents. 

Nous  verrons  plus  loin  Grégoire  XI  accentuer  encore  avec  une 
bien  plus  grande  sévérité  les  peines  infligées  à  ceux  qui  rentraient 
dans  le  giron  de  l'Eglise. 

Nombreuses  sont  les  bulles  par  lesquelles  Urbain  V  accorda  à 
différents  évêques  l'autorisation  d'absoudre  ceux  qui  avaient  eu  des 
relations  avec  les  Compagnies,  à  savoir,    qui  leur  avaient  procuré 

1.  Rcg.  Aven.  Urhani  V,  n"  15,  fol.  309''  :  «  Yen.  fratribus...  archiepiscopo  Burdc- 
gjalen.  et.,  cpiscopo  Sarlaten.  Salutem  etc.  Romanus  pontifex  etc.  Olim  siquidem 
propter  graves  et  multiplices  excessus  perpétrâtes  et  continuatos  diutius  in  nostrum 
et  eccl.  Romane  contemptum  per  nonnullos  iniquitatis  filios  de  qiiibusdam  pravis 
societatibus  per  regnum  Francie  discurrentes  contra  hujusmodi  iniquitatis  filios  nec- 
non  etiam  contra  illos  de  dictis  societatibus  Rom.  curie  per  duas  dictas  appropin- 
quantes  ac  civitatem  et  dioc.  Mimaten.  invadentes...  excommunicationis,  suspensio- 
nis  etinterdicti  sententias  varias  promulg:avimus...  Gum  autem...  nonnulli  ex  societati- 
bus predictis...  ad  cor  reversi  redire  cupiant  ad  ecclesie  unitatem...  [facultalem  tri- 
buit  eosdem  absolvcndi,  dummodo  jurent  quod  ad  dictas  societates  non  redibunt  et 
quod  satisfacient  pro  damnis  illatis.  Potentes  eorum  ad  transfretandum  intra  annum  a 
data  absolutionis  transfretare  debeant,  ibi  tanto  tempore  permansuri,  sc})ulcrum 
Dominicum  et  alia  loca  sacra  ultramarina  peregre  visitando,  quanto  fuerinf  in  et  de 
societatibus  antedictis,  et  si  medio  tempore  fiât  passagium  générale,  ad  hoc  dispositi 
habiles  loco  visitationis  contra  infidèles  pugnare  dicto  tempore  teneantur;  impoten- 
tes vero  ad  transfretandum  ad  Urbem  se  transférant  intra  VI  menses,  inibi  per  annum 
permansuri  et  qualibet  ipsius  anni  septimana  limina  Apostolorum  Pétri  et  Pauli  et 
alia  loca  dictae  Urbis  per  poenitentes  visitari  solita  visitaturi,  et  deinde  limina  B.  Jacobi 
in  Gompostella  etiam  visitare  debeant.  Impcditis  vero  ad  praedicta  dilatio  conceda- 
tur.  Insuper  omnes  qualibet  feria  sexta  jejunent.  Omnino  vero  impotentibus  ad  prae- 
missa  imponatur  poenitentia  prout  dictis  archiepiscopo  et  episcopo  videbitur  facien- 
dum.  Hujusmodi  poenitentias  etiam  se  mitigaturum  contritis  Pontifex  pollicetur.] 
Dat.  Avinione  xnii  kal.  Decembris  anno  V  ». 


LES    C031PAGN1ES    EN    PROVENCE   ET    EN   DAUPUINÉ,    13G8,    13G9       509 

des  secours  soit  en  arg-ent,  en  vivres  ou  en  armes,  soit  en  leur 
accordant  l'hospitalité.  Parmi  ces  fauteurs,  on  trouve  non  seule- 
ment des  laïques,  mais  aussi  des  ecclésiastiques  séculiers  et  régu- 
liers, même  des  évoques.  Je  cite  en  passant  les  bulles  pour  les 
duchés  d'Anjou  et  du  Maine  ^,  pour  la  ville  et  le  diocèse  de  Carcas- 
sonne  ^,  pour  le  diocèse  de  Lyon,  où  il  y  eut  des  fauteurs  pendant 
que  les  Compagnies  occupaient  Anse  '^,  pour  Bayeux  '*,  pour  Lec- 
toure^"",  pour  Mende'^,  pour  Périgueux^,  pour  Beaucaire^,  etc. 

0,   Le  duc  (f  Anjou  et  Du  Guesclin  avec  les  Compagnies  en  Provence. 
Guerre  entre  la  Provence  et  le  Dauphiné. 

Du  Guesclin  fut  amené  prisonnier  d'Espagne  à  Bordeaux  9.  La  ran- 
çon fut  fixée  à  cent  mille  ducats  d'or.  Après  avoir  fait  un  arrange- 
ment avec  le  prince  de  Galles  sur  le  payement  de  cette  somme  ^'^,  il 
fut  mis  en  liberté  le  27  décembre  1367.  Dès  le  7  février  1368,  il 
était  de  passage  à  Montpellier,  accompagné  du  maréchal  d'Audre- 
hem,  pour  se  rendre  de  là  à  Nîmes  et  rejoindre  le  duc  d'Anjou.  Le 
26  du  même  mois,  il  repassait  à  Montpellier,  où  il  enrôla  dans  ses 
troupes  quelques  chefs  des  Compagnies  qui  alors  dévastaient  les 
environs  de  cette  ville.  Son  but  était  d'aider  le  duc  d'Aujou  à  faire 
une  campagne  en  Provence  ^^  Comme  nous  verrons  plus  tard,  ses 
troupes  comptaient  un  grand  nombre  de   soldats  bretons.   Il  était 

1.  Re(j.  Aven.   Urbani  V,  n°  10,  fol.  2i9,  ad  an.  1365,  Septemb,  3, 

2.  Refj.  Val.,  11°  257,  fol.  3.  ad  an.  1367,  Novemb.  7,  pour  prêtres,  clercs,  religieux 
et  laïques;  Recf.  Aven,  n"  19,  fol.  338,  une  autre  fois  pour  les  prêtres,  etc.:  cette 
bulle  est  du  6  mars  1368  ;  une  autre,  du  5  mars,  est  pour  révoque  Jean  :  «  cum  quibus- 
dam  hominibus  armoruni...  de  pra\is  Societatibus...  in  tua  civitate  et  nonnullis  locis 
tue  diocesis  receptaveris(siV),  et  alias  cum  eis,  preterquam  in  crimine,  non  tamen  niali- 
tiose,  parlicipaveris...  [aliquis  sacerdos  eum  a  sententiis,  poenitentia  injuncta,  absol- 
vat].  Dal.  Konieap.  S.  Petruni  iij  non.  Martii  an.  sexto». 

3.  Reg.  Vnt.,  n°  257,  fol.  18'',  ad  an.  1368.  Voy.  plusieurs  autres  renseignements  dans 
GiiGUE,  Les  Tard-Venus,  p.  139  suiv. 

4.  Reg.  Aven.  Urb.  V,  n°  20,  fol.  i34,  ad  an.  1368,  Decemb.  5. 

5.  Reg.  Val.,  n"  259,  fol.  101^,  ad  an.  1369,  Septemb.  11. 

6.  Reg.  Aven.  Urb.  V,   n°  23,  fol.  388'',  ad  an.  1369,   April  29. 

7.  Ci-dessus,  p.  432,  not.  1. 

8.  Reg.  Val.  Urb.  V,  n°  259,  fol.  51,  ad  an.  1369,  Mart.  13,  Cf.  encore  à  la  fin  du  para- 
graphe suivant,  p.  524. 

9.  Voy.  ci-dessus,  p.  497. 

10.  Voy.  les  détails  dans  hiAzu,  Froissarl,  VII,  p.  xxv  et  les  notes. 

11.  D'après  le  Pelil  Thalamus,  p.  382,  VHisloire  de  Languedoc,  IX,  p.  791. 


510  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

alors  non  seulement  comte  de  Longueville,  mais  aussi  duc  de  Tras- 
tamare,  comte  de  Burgos  et  chambellan  du  roi  de  France  K 

Bien  qu'il  faille  renvoyer  au  domaine  de  la  fable  l'assertion  de 
Thierry  de  Niem,  disant  que  l'empereur  Charles  IV  aurait  cédé,  en 
1365,  au  duc  d'Anjou^  ses  droits  sur  le  royaume  d'Arles  et  que  le 
duc  aurait  ensuite  résolu  de  les  faire  valoir  -  :  il  est  vrai,  néanmoins, 
que  le  duc  cherchait  k  substituer  en  Provence  son  pouvoir  et  son 
autorité  k  celle  de  Jeanne,  reine  de  Naples  et  comtesse  de  Pro- 
vence, et  k  étendre  la  suzeraineté  du  roi  de  France  jusqu'k  la  Médi- 
terranée. Dans  ce  but,  profitant  de  l'absence  de  la  reine  Jeanne, 
dès  le  4  mars  1368,  aidé  par  Du  Guesclin  et  ses  bandes ,  il  assiégea 
Tarascon  en  Provence,  par  terre  et  par  eau^. 

Grâce  aux  documents  trouvés  récemment,  nous  savons  mainte- 
nant que,  le  21  mars,  Philippe  de  Cabassole,  patriarche  de  Jérusa- 
lem, recteur  d'Avignon  et  du  Venaissin^  et  le  capitaine  général 
d'Avignon,  Jacques  Aube,  instituèrent  Pierre  Bet  [sic)  leur  procu- 
reur, pour  amener  Du  Guesclin,  premier  capitaine  de  l'armée  qui  assié- 
geait Tarascon,  ainsi  que  les  autres  chefs  avec  leurs  troupes,  k  pro- 
mettre par  serment  de  respecter  les  terres  et  les  sujets  de  l'Eglise 
Romaine  et  d'Avignon,  sans  prétendre  pour  cela  k  une  récompense 
de  la  part  de  l'Eglise.  Du  Guesclin  et  les  capitaines  Noly  Pavelhon, 
Petit  Meschin,  Bonsomet  de  Pau  et  Perrin  de  Savoye  jDrirent,  en 
effet,  ces  engagements  sous  foi  du  serment  et  par  lettres  datées  du 
23  mars,  et  munies  de  leurs  sceaux.  Au  même  temps,  Du  Guesclin 
réclama  et  reçut  5.000  florins  d'or  sur  37.000  dus  k  lui  par  le 
Saint-Père    pour  certaines    raisons  ^.    Il  n'est   donc    pas    vrai    de 

1.  «  Dux  Tristamare  et  conies  Longe  ville  et  Burges  ac  cambellanus  doniini  régis 
Francorum  ».  Ainsi  dans  l'instrument  du  23  mars  1368,  Arch.  Vat.,  Castel  S.  Ancfelo, 
arni.  xv,  caps.  2,n°  22.  Du  Guesclin  reçut  les  titres  de  duc  de  Trastamare  et  de  comte 
de  Burgos  par  Henri  de  Trastamare,  en  1366. 

2.  Cette  fable  a  passe  dans  ÏHist.  de  Laiiffiiedoc,  IX,  p.  774  ;  Bouche,  Hisl.  de  Pro- 
vence (Aix  1664),  II,  p.  381,  385  ;  Papon,  Hist.  de  Provence,  III,  p.  217  ;  Ménard, 
Hist.  de  Nîmes,  II,  p.  256  ;  Luce,  Froissart,  VII,  p.  xxv,  not.  4  ;  E.  Molimeu, 
Étude,  etc.,  p,  183  ;  Prou,  p.  69,  etc.  Cette  légende  fut  détruite  par  Wixckelmaxx, 
Die  Beziehuncfen  Kaiser Knrls  IV zum  Kônigreich  Arelat  (1882),  p.  52,  et  sappuyant 
sur  lui  par  Paul  Fourxier,  Le  royaume  d'Arles  et  de  V^tenne  (1891),  p.  476. 

3.  Voy.  Petit  Thalamus,  1.  c. 

4.  Voy.  Barjavel,  Dict.  hist.  du  dép.  de  Vaucluse,  I,  p.  3J0. 

5.  Arch.  Vat.,  Castel  S.  Angelo,  arm.  xv,  caps.  2,  n°  22.  Il  y  a  sept  instruments, 
datés  du  21  au  24  mars,  qui  remplissent  un  seul  parchemin.  Comme  ils  sont  â  la  fois 
très  intéressants  et  très  longs,  je  les  réserve  pour  l'Appendice  II. 


LES    COMPAGNIES    EN    PROVENCE    ET    EN    DAUPIIINÉ,    1368,     1369       ol  I 

dire  ^  qu'il   reçut  cette  somme  à  titre  de  contribution  levée  sur   le 
Comtat  Venaissin. 

Imitant  l'exemple  d'Innocent  VI  qui,  en  1357,  avait  pris  le  parti 
de  la  reine  Jeanne  contre  les  envahisseurs  de  la  Provence, 
Urbain  V,  conseilla  dès  le  11  décembre  1367,  à  la  reine,  pour  sauver 
son  honneur,  de  relever  de  son  poste  le  sénéchal  de  Provence,  Rai- 
mond  d'Agout  qu'on  a  confondu  jDarfois  avec  Foulquet,  et  de  lui 
substituer  éventuellement  Guillaume  Gaugié  de  Forcalquier'-.  La 
reine  Jeanne  le  remplaça  un  certain  temps  par  Ro^er  de  Saint- 
Séverin  3.  Le  3  avril  1368,  le  Pape  se  plaignit  de  l'invasion  au  roi 
Charles  et  à  l'empereur,  en  les  priant  d'arrêter  les  attaques  du  duc 
d'Anjou  ^.  Et  lorsqu'il  eut  appris  par  la  reine  Jeanne  que  d'Avi- 
gnon et  du  Venaissin  l'on  envoyait  des  vivres  et  des  armes  aux 
Compag-nies  stationnées  devant  Tarascon,  il  s'y  opposa  expressé- 
ment par  une  lettre  expédiée  le  19  avril  ^.  Sous  la  date  du  30  mai, 
il  écrivit  au  patriarche  qu'une  galère,  envoyée  de  Gènes  au  secours 
des  assiégés  de  Tarascon,  mais  pressée  par  les  «  sociales  »,  campés 
devant  cette  ville,  se  dirigeait  ensuite  jusqu'à  Avignon  pour  recevoir 
des  vivres,  lesquels  autrefois,  n'avaient  pas  été  refusés  aux 
«  sociales  »  ;  mais  l'équipage  dut  rebrousser  chemin,  sans  avoir 
rien  reçu,  et  la  galère  périt  ou  fut  prise  par  l'ennemi.  Le  Pape 
manda  au  patriarche  de  porter  secours  aux  Provençaux,  et  non  aux 
«  sociales  ^  ». 


1.  LucE,  1,  c,  p.  XXVI,  not.  1,  et  t.  VI,  p.  lxxx,  not,  3.  Cf.  encore  A.  Molimer, //isf. 
de  Lntufuedoc.,  IX,  p.  793,  not.  1. 

2.  lîecf.  Vat.,  n"  2i9,  fol.  25. 

3.  Voy.  DE  Noble  Lalauzière,  Abréçfé  chronol.  de  Ihist.  d'Arles,  p.  2i2,  En  1369, 
nous  trouvons  sénéchal  une  autre  fois  Uainiond  d'Agout,  qui  avait  privé  rarchevcque 
d'Arles  de  ses  revenus. 

4.  Reçf.  Vat.,  1.  c,  fol,  88'';  Puor,  Élude,  p.  157,  et  69  suiv. 

5.  Ihid.,  fol.  91  ''  :  «  ...  cpiod  de  civitate  Avinionen.  et  coniitatu  "\'"eneysini...  arma 
et  victualia  illis  pravis  gentibus  qui  invadunt  Provinciam  deferunlur,  quod  si  ita  sit, 
grave  gerimus  et  niolestum  »,  etc.  Cette  bulle,  comme  les  suivantes,  encore  plus  inté- 
ressantes, ont  échappé  à  Prou. 

6.  Ibid.,  fol.l06ti;«  Ven.  fratri  Philippo  patriarche  Jerosolimitano.ci\itatis  Avinio- 
nen. ac  comitatus  Venaysini,  ad  ecclesiam  Rom.  spectantium,  pro  nobis  et  ecclesia 
ipsa  rectori.  salutem,  etc.  Displicenter  audivimus  quod  eum  una  galea  Grimaldoruni 
de  Janua,  que  Castro  Tarasconis  succurrit,  a  socialibus  artaretur  et  ad  civitalem  nos- 
tram  Avinionensem  pro  habendis  victualibus  cum  fiducia  declinasset,  ipsa  victualia, 
que  et  res  alias  de  dicta  civitate  ac  comitatu  Venaysini  sociales  ipsi  (quod  displicet 
toto  corde)  habuisse  dicuntur,  fuerunt  dicte  galec  gentibus  denegata,  propter  quod 


ol2  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

Cette  bulle  nous  révèle  plusieurs  points  intéressants.  Elle  con- 
firme d'abord  que  le  Venaissin,  sans  doute  par  peur  d'une  invasion 
de  la  part  des  bandes  qui  assiégeaient  Tarascon,  ne  voulait  pas 
aider  les  Provençaux.  D'autre  part,  nous  apprenons  que  les  troupes 
du  duc  d'Anjou  et  de  Du  Guesclin  étaient  en  réalité  regardées 
comme  des  «  sociales  »,  faisant  partie  des  Compagnies  tant  redou- 
tées. Du  Guesclin,  en  effet,  s'était  engagé  à  en  délivrer  les  séné- 
chaussées de  Carcassonne  et  de  Beaucaire,  contre  le  payement  d'un 
franc  par  feu  *.  Pour  un  autre  point  encore,  la  bulle  est  d'une 
importance  capitale.  On  a  dit  que  le  duc  d'Anjou,  après  la  prise  de 
Tarascon,  aurait  assiégé  la  ville  d'Arles,  dès  le  11  avril,  en  lais- 
sant ensuite  à  Du  Guesclin  la  continuation  de  ce  siège,  qui  aurait 
duré  jusqu'au  1""  mai'-.  Urbain  V,  au  contraire,  si  bien  informé  sur 
les  affaires  de  Provence,  n'avait  connaissance,  à  la  fin  du  mois  de 
mai,  que  du  seul  siège  de  Tarascon,  et  il  en  parle  comme  durant 
encore.  Voilà  qui  confirme  l'assertion  du  Petit  Thalamus^  que 
Tarascon  se  rendit  seulement  le  22  mai  ^^  tandis  que  le  prétendu 
siège  d'Arles  repose  vraisemblablement  sur  un  malentendu.  En  effet, 
on  a  dit  aussi  que  lleynier  de  Grimaldi  de  Gênes  était  venu  au 
secours  d'Arles  après  le  11  avril'*.  Mais  d'après  la  bulle  d'Urbain  V 
les  Grimaldi  secouraient  alors  Tarascon. 

Toutefois,  une  autre  bulle  d'Urbain  V,  datée  du  26  mai,  nous 
apprend  que  les  habitants  du  Com ta t- Venaissin,  malgré  leur  bien- 

ipsa  galea  creditur  aiit  pcriisse  aut  deditionis  incurrisse  discriinen,  de  quo  mcrito 
pertiirbanmr.  Ideoque  Aolumus  et  mandanius  quatenus  in  occurrentibus  casibus 
oppressis  Provincialibus  pie  conipatiens,  quantum  cuni  honestate  et  securitate  fieri 
potei'it,  eis  tribui  facias  auxilium  et  juvanicn,  que  socialibus  denegentur  omnino. 
Datuni  apud  Montemflasconem,  Balneoregen.  dioc,  m  kal,  Junii  an.  VI  ». 

1.  Voy.  Hist.  de  Liinyuedoc,  t.  X,  p.  1380  suiv. 

2.  Chronique,  éd.  par  Balize,  Vit.  p.ip.  Avenion.,  II,  772,  d'après  elle  Ilisl.  de  Lan- 
guedoc, IX,  p.  793.  Encore  Cuvelikh,  v.  13900,  liOiO,  et  par  conséquent  la  Chronique 
(anonyme)  de  Du  Guesclin  (dans  Buchoa,  Panthéon  littéraire,  p.  58).  Tandis  que  dans 
la  Chronique  de  Balu/x',  le  sièi;e  de  Tarascon  n'est  pas  mentionné,  de  sorte  qu'on  soup- 
çonne une  confusion  entre  Arles  et  Tarascon,  Froissart  parle  seulement  du  siège  de 
cette  dernière  ville.  Dans  la  Chron.  des  quatre  premiers  Valois,  p.  194,  il  s'agit  d'un 
accord  fait  entre  le  duc  d'Anjou  et  la  ville  d'Arles.  Tout  repose  sur  des  conjectures, 
nous  en  avons  une  preuve  dans  Bouchiî,  Hist.  de  Provence,  II,  p.  385,  qui  dit  qu'Arles 
fut  déjà  assiégé  le  3  mars.  Mais  par  qui? 

3.  P.  382.  LiEUTAun,  Prise  de  Tarascon  par  Bertrand  Du  Guesclin  (Marseille,  187  i), 
a  encore  l'ancienne  date. 

4.  Bouche,  1.  c.  ;  Papox,  1.  c,  p.  218. 


LES  COMPAGNIES  EN   PROVENCE  ET    EN    DAUPIUNÉ,    1368,    1369       ol3 

veillance  à  l'égard  des  bandes  n'étaient  pas  k  l'abri  de  leurs  incur- 
sions. Ils  avaient,  au  contraire,  grandement  à  en  souffrir  ;  le  pire 
fut  que  beaucoup  des  leurs,  obligés  au  service  militaire,  refusèrent 
de  marcher  contre  les  envahisseurs,  de  sorte  que  le  Pape  enjoignit 
au  patriarche  et  à  Jacques  Aube  de  les  y  contraindre  par  censures'. 
Le  siège  de  Tarascon  par  le  duc  d'Anjou  remit  toute  la  Provence 
en  alarme.  11  fallut  de  nouveau  songer  k  se  défendre.  C'est  ce 
que  fit  Sisteron-.  Cette  ville  avait  déjk  été  en  grande  appré- 
hension en  1357  au  moment  de  l'invasion  d'Arnaud  de  Cervole"^, 
et  en  1367  lorsque  Raymond  IV,  prince  d'Orange,  dans  la  guerre 
qu'il  fit  k  Catherine  de  Baux,  sa  parente,  qu'il  emprisonna,  avait 
commis  sur  ses  terres  les  plus  grandes  violences.  Les  états  assem- 
blés k  Sisteron  avaient  alors  ordonné  aux  habitants  des  campagnes 
de  se  retirer  dans  les  lieux  forts  et  de  détruire  les  hameaux  et  vil- 
lages sans  défense''.  En  1368,  lorsque  le  duc  d'Anjou  était  devant 
Tarascon,  la  ville  de  Sisteron  emprunta  k  Avignon  la  somme  de 
2.000  florins  pour  subvenir  aux  énormes  dépenses  qu'entraînaient 
les  travaux  de  défenses  et  l'entretien  des  soldats  qui  étaient  obli- 
gés de  passer  aussi  la  nuit  sous  les  armes.  Les  ecclésiastiques 
mêmes  ne  purent  se  dispenser  de  prendre  part  au  service  militaire. 


1.  Recf.  Val.  Urhani  V^  n"  249, fol.  112  '"  :  «  Ven.  fr.  Philippe  patriarche  Jerosolimi- 
tano  rcctori  et  dil.  filio  nob.  viro  Jacobo  Albe  de  Tarascone,  niiliti  Avinionen.  dioc. 
capitanco  civitatis  Avinionen.,  dioc.,  comitatus  Venaysini  ad  nos  et  R.  E.  spectan- 
tium,  salutem,  etc.  Ad  audientiani  nostram  fidedigna  rclalione  })ervenit,  quod  cuni 
nuper  nonnullc  j;entes  armijiçere  per  coniitatum  Venaysini...  hostiles  discursus  facc- 
runt,  multaque  damna  incohs  et  habitatoribus  dicti  castri  infcrrcnt,  et  majora  per  eas 
inferri  verisimiliter  timerentur,  sicut  in  vicinis  partibus  infcrri  noscuntur,  vosque 
cavalcatas  et  servilia  ecjuitum  et  peditiun  in  dicto  comitalu  propterea  indixeritis,  sub 
certis  pénis  mandantes  ut  quicumque  teneretur  ad  cavalcatas  seu  servilia  hujusmodi, 
cujuscumque  conditionis  existeret,  se  pararet  ad  debitum  per  eos  obsequium  impen- 
dendum,  ac  ea  pro  ipsius  comitatus  defensione  prestaret,  quidam  tamcn  ex  obli^Mlis 
ad  hujusmodi  scr\  itia,  non  considérantes  magna  pericula  que  ex  prefatis  discursibus 
cis  et  toti  dicto  comitatui  possent  verisimiliter  evenire,  ac  non  curantes,  vestris  in 
hac  parte  parère  mandatis,  in  appellationis  ad  nos  interjecte  audaciam  prorupcrunt. 
[Mandat  ut  non  obstantc  dicta  appellatione,  supradicta  exequantur  et  contra  inobe- 
dientes  procédant  et  pénis  temporalibus  et  censuris  eos  puniant].  Dat.  apud  Montem- 
flasconem  Balneorep,cn.  dioces.  vu  kal.  Junii  anno  VI  ». 

2.  Voyez  une  série  de  détails  sur  les  nouvelles  fortifications  dans  Éd.  de  Lai'i.amî, 
Hist.  de  Sistei^on,  1,  p.  163  suiv. 

3.  Ibid.,  p.  1  iO  suiv..  144  suiv. 

4.  Papon,  Ilist.  de  Provence,  III,  p.  215  suiv.  Le  Tableau  de  iliisl.  des  princes 
dVrançje  (A  la  Haye  1640),  p.  86,  ne  parle  pas  de  ces  événements. 

R.-P.  Dkmklk.  —  Dt'solatio  écries i arum  U.  33 


514  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

L'évêque  fut  supplié  de  permettre  qu'on  leur  confiât  la  garde  du 
Grand-Portail  i.  Le  duc  d'Anjou  rencontra  en  Provence  de  nom- 
breux partisans  ;  entre  autres,  Louis  Rufïi,  seigneur  de  la  Bréole  et 
de  Salignac,  qui,  le  14  août,  ravageait  avec  une  bande  les  environs 
de  Thèze-.  Les  villes  d'Aix  et  de  Marseille,  attentives  aux  consé- 
quences qui  pourraient  résulter  de  cette  guerre,  formèrent  le  14 
novembre  "^  une  ligue  pour  résister  aux  ennemis  et  défendre  la  Pro- 
vence, ce  que  la  reine  Jeanne  approuva^.  En  outre,  la  ville 
d'Aix  pourvut  encore  à  sa  sûreté  par  de  nouvelles  fortifications  ;  on 
abattit  l'église  de  Sainte  Magdeleine  trop  proche  des  murailles  ;  les 
habitants  de  la  ville  inférieure  abandonnèrent  leurs  maisons  pour 
se  retirer  dans  le  bourg  ;  le  château  de  l'archevêché  fut  mis  en 
défense^.  Mais  l'hiver  amena  un  peu  de  relâche  en  suspendant  les 
hostilités. 

L'épisode  du  siège  de  Tarascon  n'était  que  le  prélude  d'une 
guerre  bien  autrement  terrible  entre  la  Provence  et  le  Dauphiné, 
sur  laquelle  je  puis  donner  des  renseignements  plus  abon- 
dants et  plus  précis  qu'il  n'a  été  possible  d'en  fournir  jusqu'à  ce 
jour,  et  cela  grâce  à  la  découverte  que  j'ai  faite  des  Lettres  de 
r archevêque  cV Embrun^  Pierre  Ameilh  o,  dont  le  récit  rectifie  et 
complète  les  exposés  faits  jusqu'à  ce  jour. 

Il  résulte  de  ces  lettres,  que  surtout  l'origine  de  la  guerre  entre 
les  Provençaux  et  les  Dauphinois  a  été  mal  expliquée.  On  croyait, 
en  effet,  que  pendant  le  siège  de  Tarascon,  entrepris  par  le  duc 
d'Anjou  pour  faire  la  guerre  à  la  Provence,  le  sénéchal  de  Pro- 
vence aurait  assemblé  une  petite  armée,  et  sans  chercher  à  arrêter 
les  Français,  se  serait  jeté  sur  le  Dauphiné,  jugeant  avec  raison 
que  le  meilleur  moyen  de  combattre  l'ennemi,  c'était  de  l'attaquer 

1.  Laplaxe,  1,  c,  p.  167  suiv.,  170. 

2.  Ibid.,  p.  171. 

3.  Voy.  Tactc  de  cette  ligue  dans  Pitton,  Hisl.  de  la  ville  d'Aix  (Aix,  1666),  p.  190  à 
194. 

4.  Une  année  après,  le  2  octobre  1369,  elle  annula  la  ligue.  PA^o^■,  1.  c.  Preuves, 
p.  Ixiij. 

5.  PiTTON,  1.  c,   p,  186. 

6.  Elles  se  trouvent  aux  Arch.  Vat.,  arm.  53,  n»  9,  dans  un  volume  papyr,, 
qui  est  mal  place  parmi  les  Formulaires.  C'est  un  libre  des  fol.  221  in-4°,  ou  des  pages 
362  écrites,  composé  et  appartenant  à  rarchcvcque  dEmbrun,  qui  le  commença 
quand  il  était  encore  archevêque  de  Naples.  En  effet,  jusqu'à  la  p.  220,  le  volume  est 


LES  COMPAGNIES   EN    PROVENCE    ET  EN  DAUPHINÉ,    1368,    1369       ol5 

à  son  tour  là  où  l'attaque  était  le  moins  prévue^.  Mais  cela  n'est 
pas  exact.  Ledit  archevêque,  qui  séjournait  alors  à  Embrun,  et  dont 
le  diocèse  s'étendait  sur  une  partie  du  Dauphiné  et  de  la  Provence, 
était  sans  doute  mieux  informé  sur  l'état  des  choses,  et  selon  lui 
l'origine  de  cette  guerre,  comme  il  le  dit  à  plusieurs  reprises,  était 
très  simple. 

Le  premier  danger  pour  le  Dauphiné,  comme  jadis  pour  la  Pro- 
vence, c'était  les  Compagnies,  placées  sous  les  ordres  du  duc 
d'Anjou.  Le  conseil  Dauphinois,  redoutant  les  ravages  des 
bandes,  prit  des  mesures  pour  défendre  et  protéger  Embrun  déjà 
pendant  le  carême  1368  -.  On  se  résolut  aussi  de  ne  donner 
retraite  aux  bandes  ni  pour  elles-mêmes  ni  pour  leur  butin, 
de  ne  pas  permettre  leur  passage  et  de  ne  les  aider  en  aucune 
façon  contre  les  Provençaux.  Les  Compagnies,  et  surtout  les  Bre- 
tons, s'en  montrèrent  irrités,  et  les  Dauphinois  se  mirent  à  fortifier 
leurs  places.  Malheureusement,  le  duc  d'Anjou  avait  des  intel- 
ligences en  Dauphiné,  tout  au  moins  à  la  frontière  provençale,  cela 
n'était  pas  ignoré.  Le  capitaine  de  Sisteron  en  Provence  fît  alors 
pendre  un  noble  clerc  dauphinois.  Là-dessus,  Pierre  de  Saint- 
Geoirs,  maréchal  des  guerres  en  Dauphiné,  et  quelques  autres  Dau- 
phinois, joints  à  une  troupe  de  Bretons,  envahirent  la  Provence  où 
ils  firent  de  grands  ravages  après  avoir  remporté  une  victoire 
désespérée.  Alors  les  Provençaux,  croyant  par  conséquent  que  les 
Dauphinois  étaient  d'accord  avec  le  duc  d'Anjou  ^,  prirent  en 
revanche  beaucoup  de  marchands,  voyageurs  ou  voituriers  dauphi- 


rcnipli  de  lettres  sur  Thistoire  contemporaine  des  deux  Siciles,  qui  sont  souvent  d'un 
très  haut  intérêt.  De  p.  221  suivent  les  lettres,  écrites  pendant  qu'il  siégeait  à  Embrun. 
Elles  ne  sont  pas  moins  importantes  pour  l'histoire  du  Dauphiné  et  de  Provence  à 
cette  époque,  d'autant  plus  qu'elles  sont  des  minutes.  Je  donne  seulement  un  choix 
des  plus  intéressantes  sur  la  guerre  de  1368,  1369,  et  les  réserve  pour  ÏAppendice.  III. 

1.  Voy.  KoM.w,  L  expédition  des  Provençaux  en  Dauphiné,  en  136S,  dans  Bulletin 
de  la  Société  scientifique  des  Basses-Alpes  (1889-1890),  t.  IV,  p.  loi  suiv.,  cf.  p.  105  ; 
le  même,  Ilist.  de  la  ville  de  Gap  (Gap,  1892),  p.  72  suiv.  Cf.  encore  le  récit  d'un  acte 
contemporain,  malheureusement  en  traduction  du  xvie  siècle,  publié  par  Chaiumn- 
Feugerolles,  Document  inédit,  relatif  à  la  guerre  qui  eut  lieu  entre  les  Dauphinois 
et  les  Provençaux  (Lyon,  1881),  et  A.  Lacuoix,  dans  Bullelin  de  la  Soc.  d'archéol.  de 
la  Drùnie,  année  1879,  p.  18!  suiv. 

2.  Appendice,  III,  lettre  7. 

3.  Ainsi  on  doit  expliquer  une  phrase  dans  la  22"  lettre  :  «  licet  nunquam  isti 
(Dclphinalcs)  voluisscnt  l'acere  gucrram  cum  dom.  duce  Andegavensi  ». 


516  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

nois  sur  le  territoire  de  Provence,  et  fortifièrent  leurs  défilés  contre 
les  Dauphinois;  la  g-uerre  eût  éclaté  sans  l'entremise  de  quelques 
personnages  importants  et  de  Farchevêque  même^.  Néanmoins,  le 
pays  se  trouvait  en  grande  appréhension.  On  était  presque  sûr  que 
tôt  ou  tard  les  Compagnies  se  vengeraient  de  ce  qu'on  avait  refusé 
de  les  recevoir.  L'archevêque  ordonna  donc  de  mettre  en  état  de 
défense  les  châteaux  qui  dominaient  les  défilés.  Cela  entraîna 
de  telles  dépenses  qu'il  fut  ensuite  dans  l'impossibilité  de  payer 
complètement  ses  redevances  à  la  cour  Romaine.  Le  pays,  déjà 
pauvre  avant  la  guerre,  le  devint  encore  davantage  après  le 
départ  du  Pape  pour  Rome  ;  le  bétail  était  sans  valeur.  Tout  cela 
s'était  passé  avant  le  18  juillet  1368 -.  Le  gouverneur,  de  son  côté, 
songeait  à  la  défense  d'Embrun  ety  fît  commencer  des  travaux  sur  la 
partie  la  plus  faible  du  périmètre  des  murailles,  nommée  le  Planiol. 
Son  ordonnance  est  datée  du  8  aoùt"^.  Mais  il  se  heurta  à 
l'opposition  de  l'archevêque.  Le  gouverneur  ordonna  la  construction 
d'une  nouvelle  muraille  sans  en  avoir  demandé  la  permission  à  l'ar- 
chevêque. De  plus,  ce  mur  allait  condamner  la  sortie  et  l'entrée 
d'un  côté  du  palais  archiépiscojDal.  Enfin  Pierre  Ameilh  ne  voyait 
pas  la  nécessité  de  cette  construction  et  préférait  renforcer  les 
anciennes  fortifications.  11  pria  le  gouverneur  de  renoncer  k  ses 
entreprises  sous  peine  de  l'interdit  et  de  l'excommunication^.  Celui- 
ci,  de  concert  avec  les  consuls  de  la  ville,  ne  tint  aucun  compte  de  ces 
admonitions,  quoique  l'archevêque  ait  encore  le  9  septembre  1368, 
menacé  d'infliger  l'interdit  sur  le  territoire  du  dauphin  dans  les 
provinces  d'Arles,  d'Aix  et  d'Embrun^.  Pourtant,  la  discussion 
se  prolongea  jusqu'au  mois  d'avril  1369  ^',  et  les  travaux  com- 
mencés furent  terminés  à  la  fin  de  l'hiver.  Mais  l'archevêque 
excommunia  les  Embrunais  qui  ne  furent  absous  que  le  6  sep- 
tembre 1379  par  Clément  VIF. 

1.  Lettres  1  à  4,  15,  17, 

2.  Lettres,  1.  c. 

3.  Voy.  lettres  5,  6,  et  Roma\,  Bullelin,  etc.,  p.  108,  Mais  il  prétend  à  tort  que 
c'était  pendant  l'hiver. 

4.  Lettre  7. 

5.  Lettre  11. 

6.  Roman,  1.  c,  p.  109,  et  not.  1. 

7.  Roman,  p.  114.  Les  Embrunais  devaient  payer  1000  florins  d'or  pour  les  frais  d'ab- 
solution. 


LES  C03IPAGMES  EN    PROVENCE  ET    EN    DAUPIIINÉ    1368,    1369       517 

Je  ne  doute  pas  qu'avant  le  mois  d'août  1368  les  Compag-nies 
qui  étaient  devant  Tarascon  et  portaient  le  nom  de  Du  Guesclin 
n'aient  envahi  les  territoires  de  la  cité  d'Avignon  et  du  Comtat- 
Yenaissin,  y  portant  l'incendie,  le  pillage  et  le  meurtre.  L'arche- 
vêque d'Embrun  écrit,  sous  la  date  du  18  juillet,  que  les  chemins, 
tant  de  Provence  que  du  Dauphiné,  jusqu'à  Avignon,  étaient  occu- 
pés par  les  Bretons,  et  qu'on  ne  pouvait  plus  faire  en  sûreté  le  voyage 
d'Avignon  ^  Devenu  méfiant  à  l'endroit  des  serments  prêtés  par  les 
capitaines  devant  Tarascon,  le  recteur  du  Venaissin  croyait  prudent 
de  pourvoir  à  la  défense  du  territoire  de  l'Eglise  Romaine,  et,  le 
8  août,  obtint  d'Urbain  V  la  permission  d'imposer  aux  populations 
une  contribution  qui  permettrait  de  solder  des  troupes.  Le  même 
jour,  le  Pape  manda  aux  habitants  d'Avig-non  et  du  Venaissin  de 
se  soumettre  à  cette  mesure.  Il  pria  encore,  sous  la  même  date, 
l'archevêque  de  Lyon,  l'évêque  de  Valence  et  le  comte  Aymar  de 
Valentinois  d'aider  le  recteur  du  Venaissin  -.  Je  crois,  toutefois, 
que  ces  bulles  sont  arrivées  quand  la  désolation  des  terres  de  l'Eg-lise 
Romaine  par  les  Compagnies  était  déjà  un  fait  accompli.  Le  1**^ 
septembre,  en  effet,  Urbain  V  prononça  contre  Du  Guesclin  et 
contre  les  autres  capitaines  et  leurs  compag-nons  toutes  les  sentences 
et  censures  énumérées  dans  ses  bulles.  Clamât  ad  nos  et  Quara  sit 
plena  pericuUs^  en  frappant  de  l'interdit  les  lieux  qu'ils  détenaient 
ou  qui  leur  appartenaient  ■^. 

Il  est  plus  que  douteux,  néanmoins,  que  Du  Guesclin  ait  été  avec 
les  envahisseurs  du  Venaissin.  Le  5  juillet,  quand  il  prenait  la 
défense  des  Bretons  qui  étaient  avec  lui  devant  Tarascon,  contre  le 
sire  de  la  Voûte,  à  qui  il  écrivait  une  lettre  très  vive,  il  était  déjà  à 
Maillon,  non  loin  de  Montbrison  'k  Ensuite  il  se  rendit  vers  le  Nord 
de  la    France,  dans  le  but  de  chercher  de  l'argent  pour  payer  la 


1.  Lettres  2  et  1. 

2.  Reg.  Vat.,  n°  2J9,  fol.  149'\  150,  li2  ;  Phou,  p.  159  suiv.,  qui  omit  de  noter  la 
bulle  de  fol.  149  ''. 

3.  Reg.Vat.,  1.  c.,  fol.  165  ^  ;  Puou,  p.  161  à  163.  Luck,  Froissart,  p.  xxvi,  not.  1,  a 
connu  cette  bulle  ;  toutefois  il  croyait  à  tort  qu'elle  avait  été  prononcée  contre  Du 
Guesclin,  à  cause  de  cette  imaginaire  contribution  de  5.000  flor.  Il  a  lu  la  bulle  trop 
superficiellement. 

4.  Voy.  la  lettre  publiée  par  Delisle  dans  la  Bil)l.  de  VÉcole  des  chartes,  t.  XLV, 
p.  302. 


518  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

rançon  due  au  prince  de  Galles,  puis  pour  recueillir  des  troupes  et 
se  rendre  une  troisième  fois  en  Espagne  afin  d'y  rétablir  Henri  de 
Trastamare  sur  le  trône.  Mais  les  Compagnies  excommuniées  por- 
taient son  nom,  et  il  en  était  responsable. 

Quoique  l'archevêque  d'Embrun  s'efforçât  de  maintenir  la  paix 
entre  les  Dauphinois  et  les  Provençaux,  et  que  dans  ce  but  il 
publiât  solennellement,  sur  Tordre  du  Pape ,  les  procès  faits  par  ce 
dernier  contre  les  envahisseurs  de  Provence  ^,  les  Provençaux  eux- 
mêmes  rompirent  la  paix,  envahissant  Ubaye  et  la  Chapelle  près 
Savines,  entre  le  28  et  le  30  août  de  la  même  année,  pillant  tous  les 
meubles  des  habitants  de  «  Valice  »  et  rançonnant  les  pasteurs. 
D'autres  poussèrent  jusqu'au  Puy~,  parurent  une  seconde  fois 
devant  Ubaye  et  ensuite  devant  Rochebrune,  où  quelques-uns  furent 
tués  et  beaucoup  faits  prisonniers  ^.  Il  est  à  noter  que  les  Provençaux 
appartenant  au  diocèse  d'Embrun,  comme,  par  exemple,  les  habitants 
de  Barcelonnette  et  de  Seyne,  ne  prirent  en  général  aucune  part  à  ces 
invasions. 

Le  pays  était  ému.  On  craignait  pour  l'avenir,  surtout  à  cause 
des  nouvelles  reçues  d'Avignon  ^,  probablement  au  sujet  de  l'inva- 
sion du  Venaissin  par  les  Compagnies.  Le  9  septembre ,  l'arche- 
vêque écrivit  au  gouverneur  Raoul  de  Louppy  que  les  Provençaux 
faisaient  tous  les  jours  des  invasions,  et  il  le  pria  d'y  porter 
remède  ^.  La  misère  était    d'autant  plus  grande  que  la  population 

1.  Lettres  15,  16. 

2.  Sans  cloute,  ou  Puy  Saint-Eusèbe  ou  plutôt,  Puy-Sanières,  tous  deux  de  l'arr. 
Embrun,  c°"  Savines.  Ubaye  est  dans  la  Provence,  aux  frontières  du  Dauphiné,  mais 
dans  le  diocèse  d'Embrun.  Je  ne  crois  pas  qu'on  doive  penser  à  Upaix  en  Dauphiné. 
Cette  ville  est  trop  distante  du  Puy,  Chapelle,  Rochebrune.  Du  reste,  en  latin,  Upayum 
est  constamment  écrit  dans  les  lettres  sans  l's,  qui  ne  manque  pas  au  contraire  dans  les 
diverses  formes  latines  d'Upaix.  Voy.  Roman,  Dictionn.  topograph.  des  Basses-Alpes, 
p.  162.  Enfin,  le  fait  même  qu'on  a  soupçonné  un  moment  les  habitants  de  Rarce- 
lonette  et  de  Seyne  d'avoir  pris  part  à  cette  invasion  (lettres  8  et  9),  prouve  déjà  que 
l'attaque  du  Dauphiné  commença  du  côté  de  la  rive  gauche  de  la  Durance,  et  vers  le 
nord  où  est  situé  Ubaye,  non  du  côté  de  la  rive  droite  et  au  sud-ouest  où  se  trouve 
Upaix,  assez  éloigné  d'ailleurs  des  deux  villes  susnommées.  Les  envahisseurs  traver- 
sèrent d'abord  la  rivière  d'Ubaye,  et  ensuite  la  Durance,  à  un  endroit  où  elle  n'est 
pas  encore  grossie  de  cet  affluent. 

3.  Lettre  8.  C'est,  par  conséquent,  une  erreur  d'afïîrmer  qu'en  1368  l'Embrunais  fut 
épargné.  Roman,  1.  c,  p.  109.  L'invasion  des  Provençaux  du  côté  des  Raronnies  date 
au  moins  de  quelques  mo  isplus  tard  que  celle  de  l'Embrunais. 

4.  Lettre  9. 

5.  Lettre  11. 


LES  COMPAGNIES    EN  PROVENCE   ET  EN  DAUPIIINÉ,    1368,  1369       ."19 

du  Dauphiné  n'était  pas  préparée  h  une  guerre,  car  depuis  son 
annexion  à  la  France,  cette  province  avait  joui  de  la  paix.  Les  habi- 
tants se  dispersaient  dans  les  montagnes,  où  ils  se  croyaient  plus  en 
sûreté  que  dans  les  places  fortes.  Malheureusement,  les  communes 
ne  voulaient  pas  s'entr'aider.  L'archevêque  n'osait  quitter  la  ville 
pour  se  rendre  à  Grenoble,  où  le  19  septembre  devait  continuer 
l'affaire  de  la  fixation  des  limites  entre  le  Dauphiné  et  la  Savoie  ^, 
et  il  avait  raison,  puisque  les  plus  grands  malheurs  arrivèrent  pré- 
cisément pendant  les  mois  de  septembre,  d'octobre  et  une  partie 
de  novembre  ^. 

Les  Provençaux  nobles  s'organisèrent  en  Compagnie,  sous  le 
nom  de  Saint-Georges,  ce  qu'on  a  ignoré  jusqu'à  ce  jour.  Ils  choi- 
sirent donc  le  saint  que  les  Anglais  aimaient  à  invoquer  comme 
patron  dans  les  batailles.  De  là,  le  soupçon  qu'il  y  avait  aussi  des 
Anglais  dans  cette  Compagnie,  soupçon  justifié  par  les  actes  aux- 
quels elle  se  livra  3.  A  l'instar  des  autres  Compagnies,  celle  des 
Provençaux  se  jeta  sur  le  Dauphiné,  s'empara,  le  17  septembre,  de 
Chorges,  ville  appartenant  moitié  au  Dauphin,  moitié  à  l'archevêque, 
en  fît  prisonniers  les  habitants,  les  dépouillant  de  tout  et  brûlant  ce 
qu'elle  ne  pouvait  emporter,  c'est-à-dire  les  maisons,  les  églises,  le 
prieuré  bénédictin  de  Saint-Victor,  de  sorte  qu'il  ne  restait  rien 
de  la  ville  et  que  cent  années  ne  lui  suffiront  point  pour  se 
relever  de  ses  ruines.  Pénétrant  ensuite  dans  l'intérieur  du  Dauphiné, 
cette  même  Compagnie  livra  le  18  octobre  un  assaut  à  la  ville 
d'Embrun  ;  mais  n'ayant  pas  réussi,  elle  en  ravagea  et  incendia 
les  environs  pendant  plusieurs  jours.  Entre  autres,  le  monastère 
des  Frères  Mineurs  hors  les  murs,  fut  complètement  brûlé.  Ensuite 
la  Compagnie  pilla  Guillestre  et  plusieurs  autres  villes,  comme  par 
exemple,  Châteauroux,  que  les  habitants  rachetèrent  de  Fincendie 


1.  Lettres  12  à  14.  Sur  cette  question  très  compliquée,  voy.  Pekhin.  Ilisl.  duPonl- 
de-Beaiivoisin  (1897),  p.  121  suiv.  Depuis  le  traité  du  15  janvier  1355  surgirent  de 
vives  contestations  au  sujet  du  Guiers,  qui  fut  assigné  pour  limite  au  Dauphiné  et  à 
la  Savoie.  Comme  il  y  a  deux  Guiers,  le  Guiers-Vif  el  le  Guiers-Morl.  la  France  pré- 
tendait qu'il  s'agissait  du  Guiers-Vif;  la  Savoie  soutenait  qu'elle  avait  entendu  le 
Guiers-Mort. 

2.  Lettre  21. 

3.  Ms.  p.  274  «  ...societasprovincialium  et  Anglicorum  fuit  hic  (Embrun)  vastando 
et  cremando  quidquid  erat  extra  fortalitia  per  magnum  tcmpus  ». 


520  LA    GUERRE    DE    CEKT    ANS 

par  d'énormes  sommes  d'argent  et  en  donnant  encore  des  otages. 
Pendant  vingt  jours,  la  Compagnie  faisait  dans  le  Dauphiné  des 
courses  qui  s'étendaient  jusqu'à  deux  journées  en  long  et  une  en 
large  ;  tout  le  comtat  d'Embrun  fut  pillé,  hors  les  seules  places 
fortes.  Le  peuple  perdit  tout  :  meubles,  récoltes,  bestiaux;  peu  habi- 
tué à  la  guerre,  il  ne  pensait  pas  à  les  mettre  en  sûreté  derrière  les 
murs  des  forteresses.  L'église  d'Embrun  perdit  à  peu  près  la  moitié 
de  ses  revenus  en  Dauphiné.  A  ces  crimes,  les  Provençaux  en  ajou- 
taient d'autres  :  ils  violaient  les  femmes,  désolaient  les  églises  et  les 
monastères,  profanaient  même  les  reliques  des  saints  et  les  hosties 
consacrées  K  Ils  étaient  maîtres  de  la  situation,  bien  que  les 
troupes  delphinoises  leur  fussent  de  beaucoup  supérieures  en 
nombre  '^.  C'est  vers  le  même  temps,  peut-être,  sinon  plus  tard, 
que  les  Provençaux  envahirent  le  Dauphiné  du  côté  des  Baronnies 
et  que  les  châteaux  de  Saint-André  de  Rosans  et  du  Châtelet, 
qui  appartenaient  au  prieur  de  Saint-André,  furent  emportés 
d'assaut,  puis  pillés  et  rasés.  De  là  une  bande  se  porta  sur  Gap,  et 
une  partie  s'empara  du  bourg  de  Veynes,  une  autre  poussait  une 
pointe  hardie  sur  le  Trièves  ^. 

Cette  guerre  dura  jusqu'au  delà  du  commencement  de  novembre. 
Alors  survint  le  gouverneur  Raoul  de  Louppy  qui,  avec  ses  troupes  que 
secondait  un  allié  plus  puissant  encore,  un  froid  excessif,  il  arrêta 
l'ennemi  ^  Néanmoins,  la  Compagnie  de  Saint-Georges  restait  en  pos- 
session de  quelques  forteresses  en  Dauphiné,  et  retenait  aussi  beau- 


1.  Lettres  15  à  17  ;  sur  l'incendie  du  couvent  des  Frères  Mineurs,  lettre  19.  Déjà 
alors,  on  prit  la  résolution  de  transférer  les  Frères  à  léglise  de  Saint-Marcellin,  dans 
Tenceinte.  La  bulle  de  Clément  VII,  à  ce  sujet,  est  seulement  du  8  octobre  1379 
{lieg.  Clem.  VII,  n°  291,  fol.  190).  Guillestre  appartenait  à  la  manse  de  l'évêque. 
Comme  nous  verrons  à  la  fin  de  ce  paragraphe,  le  lieu  fut  occupé  plus  tard  par  le  Dau- 
phin, aidé  par  les  habitants  de  quelques  villes. 

2.  Voy.  la  lettre  37.  En  effet,  le  gouverneur  du  Dauphiné  avait  partout  reparti  des 
troupes.  Cf.  Lacroix  dans  Bulletin  de  Li  Drame,  déjà  cité,  p.  183  suiv. 

3.  Voy.  Roman,  dans  Bulletin,  p.  107.  Les  Provençaux  étaient  dans  le  Rosanais  vers 
le  commencement  de  1369.  En  juin  1371,  il  y  avait  «  deux  ans  et  demi  »,  comme  dit 
Charles  V  dans  sa  lettre,  publ.  par  Gligue,  Les  Tnrd-Venus,  p.  367,  n°  72.  Comme  il 
sera  dit  p.  522,  la  Compagnie  avait  quitté  le  Rosanais  seulement  avant  le  mois 
d'avril  1369.  Si,  comme  le  prouve  Roman,  cette  bande  y  était  entrée  en  1368,  elle  y 
passa  donc  l'hiver.  ^Iais  en  tout  cas,  cette  invasion  n'eut  lieu  qu'après  celle  de  l'Em- 
brunais. 

4.  Lettre  21. 


LES  COMPAGNIES  EN   PROVENCE  ET  EN  DAUPIIINÉ,  13G8,    1369       o21 

coup  de  prisonniers  et  d'otages.  Quelques  villes  s'étaient  eng'agées 
à  payer  jusqu'à  quatre  mille  florins  et  plus.  La  misère  générale  était 
immense,  de  sorte  que  l'évêque  lui-même,  comme  il  écrivait  sous  la 
date  du  8  décembre,  avait  à  peine  du  pain  à  manger  ^,  et  qu'il  serait 
mort  de  faim,  si  la  cour  de  Rome  l'avait  obligé  à  payer  ses  dettes  ~. 
Le  clergé  était  aussi  insolvable;  on  ne  lui  permettait  pas  de  vivre 
des  revenus  de  ses  églises  et  bénéfices '^  Et  que  dire  des  simples  gens  ? 
Sur  les  frontières  du  Dauphiné  et  de  Provence  les  ravages  étaient  tel- 
lement complets  qu'on  avait  perdu  tout  espoir  d'y  remédier^.  Habi- 
tué à  la  paix,  le  peuple  s'était  moqué  de  l'archevêqne  quand  celui- 
ci  avait  commencé  à  mettre  en  état  de  défense  ses  châteaux  et  la 
maison  archiépiscopale  '^\  mais  quand  ensuite  tous  s'étaient  vus  rui- 
nés, ils  s'étaient  abandonnés  au  désespoir.  Beaucoup  de  localités 
furent  délaissées  par  les  habitants  pendant  plus  d'un  an  ^. 

L'hiver  se  passa  en  négociations.  L'archevêque  d'Embrun  était  à 
cet  effet  en  relations  non  moins  avec  Roger  de  Saint-Sé vérin,  comte 
de  Mileto^,  qu'avec  le  sénéchal  Raymond  d'Agout.  Avant  le  mois  de 
février,  il  envoyait  au  comte  un  mémoire  dans  lequel  il  traite  sur- 
tout des  trêves^  dont  il  était  alors  constamment  question.  C'est  vers 
la  fin  de  février  1369  que  l'archevêque  dirigea  un  message  au  comte 
de  Mileto  et  au  sénéchal  de  Provence,  en  leur  exposant  comme  quoi 
les  Provençaux  étaient  les  premiers  coupables  ^J.  Il  paraît,  en  effet, 
que  les  préliminaires  de  la  paix  étaient  conclus  déjà  avant  que  Raoul 
de  Louppy  ne  revînt  de  Paris,  c'est-à-dire  en  février  •^.  Bien 
que  la  paix  ait  été  signée  à  Avignon  ^^  seulement  le  13  avril,  la  reine 

1.  Voy.  sur  tout  ce  qui  précède,  la  lettre  21,  et  Roman,  p.  107  suiv,,  avec  d'autres 
détails. 

2.  Lettre  18. 

3.  Lettre  30. 

4.  Lettre  20. 

5.  Lettre  22. 

6.  Lettre  36. 

7.  Cf.  Lalauzièue,  Abrégé  chronoL.  de  lliisl.  d  Arles,  p.  23S.  Roger  était  sénéchal  de 
la  Provence,  plusieurs  l'ois  avant  cette  année.  Voy,  sur  lui  Imhoff,  Genealoffia  vifiinli 
illuslrium  in  Italia  /a;ïi/7tar«m  (Anistelodami,  1710),  p.  292.  Sur  la  famille  d'Agout  ou 
d'Agoult,  voy.  Baiuavicl,  Dictionnaire  hisl.  du  départ,  de  Vaucliise,  I,  p.  10  à  IG. 

8.  Lettre  23. 

9.  Lettres  24,  25. 

10.  Lettre  27. 

11.  Voy.  Bulletin  de  VAcadémie  delphinale,  3  sér.,  t.  16  (1880),  p.  58  ;  Roman,  1.  c, 
p.  110. 


522  LA    GUERRE    DE    CENT   ANS 

Jeanne  avait  déjà,  le  8  avril,  approuvé  le  traité  stipulé  à  Sisteron, 
en  y  ajoutant  quelques  clauses  i.  11  est  constaté  encore  que  vers  le 
même  temps,  les  Provençaux,  aidés  de  nouveau  par  des  Anglais, 
emprisonnèrent,  malgré  les  traités,  quelques  habitants  de  Chorges 
et  de  Montgardin,  en  menaçant  continuellement  cette  dernière  ville. 
On  parle  de  la  paix,  écrit  l'archevêque  au  gouverneur,  sous  la  date 
du  12  avril,  et,  entre  temps,  il  faut  subir  tous  les  jours  les  horreurs 
de  la  guerre  ;  ici  ou  là,  on  entend  dire  que  les  gens  ont  été  empri- 
sonnés ou  que  les  maisons  ont  été  brûlées-.  Une  Compagnie  qui 
avait  ravagé  le  Rosanais  et  stationnait  ensuite  à  Tallard^,  avait 
l'intention  d'endommager  les  terres  de  l'Eglise  d'Embrun.  Jacques 
Artaud,  évêque  de  Gap,  en  envoj^ait  la  nouvelle  à  l'archevêque 
d'Embrun.  Le  premier  ayant  à  sa  disposition  un  grand  nombre 
de  gens  d'armes  qui  s'accroissait  de  jour  en  jour,  offrait  du  secours 
à  l'archevêque.  Mais  ce  dernier  n'avait  pas  peur  comme  il  l'écrivait 
le  15  avril  à  Tévêque  de  Gap,  il  était  préparé  et  grâce  aux  mesures 
prises  par  le  gouverneur,  le  peuple  même  était  maintenant  orga- 
nisé ^.  Tout  le  monde  s'empressait  alors  de  se  fortifier.  Quant  à  l'ar- 
chevêque, il  avait  dépensé  tout  son  avoir  pour  la  fortification  des 
neuf  châteaux  de  son  Eglise^,  de  sorte  que,  ne  pouvant  payer  aux 
termes  fixés  les  taxes  dues  à  la  chambre  apostolique,  il  était  même 
menacé  de  l'excommunication.  Néanmoins,  ayant  appris  que  le 
comte  de  Mileto  et  le  sénéchal  avaient  reçu  du  Pape  et  de  la  reine 
Jeanne  des  lettres  qui  les  assuraient  de  ses  bonnes  intentions  ^, 
l'espérance  de  l'évêque  n'était  point  ébranlée. 

Malgré  cela,  vers  le  20  mai,  FEmbrunais  fut  une  autre  fois  dévasté 
par  les  Compagnies  ^.  C'est  sans  doute  alors  que  la  paroisse  de 
Saint-André  d'Embrun,  Saint-Laurent-du-Cros  et  le  monastère  des 
Chartreuses  de  Notre-Dame  de  Bertaud  furent  ravagés  ^. 

1.  Lettre  26. 

2.  Lettre  27. 

3.  Où  elle  était  déjà  le  8  avril.  Lettre  26. 

4.  Lettre  28. 

5.  Lettres  29,  30,  et  le  ms.  des  Arch.  du  Vatican,  p.  351,  «  dom.  Cluniacensi  »,  aussi 
du  15  mai. 

6.  Lettre  28. 

7.  Lettre  35. 

8.  Il  s'agit  de  ces  églises  et  monastères  dans  les  Querele  contra  provinciales,  dans 
Choix  de  documents  hist,  inédits  sur  le  Dauphiné,  éd.  U.  Chevalier,  p.  181  suiv.  : 


LES  COMPAGMES   EN   PROVENCE    ET   EN    DAUPHINÉ,  1308,  1309       i')2^ 

Dès  le  mois  de  mai,  il  y  eut  à  Aix  une  assemblée  de  prélats  et 
d'évêques,  de  barons,  nobles  et  représentants  des  communes  qui 
délibéraient  sur  la  défense  de  la  Provence  et  de  la  partie  respective 
du  diocèse  d'Embrun  ^  C'est  encore  dans  la  même  ville  que  fut 
traitée  en  juin  la  question  des  rançons  que  quelques  villes  du  Dau- 
pliiné  devaient  payer  à  la  Provence.  Les  gens  de  l'archevêque 
devaient  verser  2000  florins;  mais  la  somme  n'était  pas  tout  à  fait 
prête.  Les  habitants  de  Guillestre  et  de  Ghâteauroux  qui  s'étaient 
rachetés  de  l'incendie  comme  il  est  dit  plus  haut,  à  la  fin  d'octobre 
de  l'année  précédente,  n'avaient  pu  encore  commencer  à  recueillir 
l'argent  nécessaire.  Là-dessus  les  Provençaux  fixèrent  un  terme 
pour  le  payement  de  ces  sommes,  sous  menace  de  reprendre  les  hos- 
tilités en  cas  de  retard.  Mais  l'archevêque  écrivit  le  5  juillet  à  son 
délégué  à  Aix,  le  frère  Mineur  François  Borili,  de  ne  rien  payer  avant 
que  les  Provençaux  n'eussent  remis  le  traité  de  p-aix  muni  de  leurs 
sceaux  et  sous  foi  de  serment,  et  cela  d'autant  plus  que  les  otages 
étaient  encore  en  leur  pouvoir  -.  La  calamité  causée  par  la  guerre, 
le  manque  de  sécurité  des  chemins  durèrent  jusque  vers  la  mi-août  3 
et  cessèrent  à  peine  même  après  la  ratification  du  traité  entre  les  deux 
partis  par  Charles  V,  en  septembre  1 369  ^.  Au  moins  après  la  conclu- 
sion de  la  paix  entre  le  Dauphiné  et  la  Provence,  ce  dernier  pays 
n'était  pas  calmé;  encore  au  mois  d'octobre,  des  Compagnies  y  pil- 
laient tout,  hors  les  places  fortes,  en  s'abstenant  seulement  des 
incendies^.  La  paix  entre  la  reine  Jeanne,  comtesse  de  Provence,  et 


«  licc  dampna  intuleriint  societates,  ireugis  durantibus,  in  monasterio  Bertrand!  »  (leg. 
lîerlaudi).  Quelques  années  après,  pendant  le  carême  de  1376,  ce  monastère  fut  incen- 
dié, et,  le  14  avril  de  la  même  année,  Grégoire  XI  accorda  des  indulgences  aux  fidèles 
qui  donneraient  des  aumônes  pour  la  restauration  de  l'église  et  du  monastère  : 
«  monialium  de  Jîertaudo  per  priorissam  solitum  gubernari,  Ord.  Cartusien.,  Vapincen. 
(Hoc,  casu  fortuito  ignis  incendio  concremata  ».  Reff.  Vat.,  Greg.  XI,  n"  288,  fol.  175. 
CuAHnoxNET,  Monastères  de  Diirhon  et  de  Berihaud  (Grenoble,  1861),  p.  85,  ne  donne 
aucun  renseignement  sur  ces  faits.  Mais,  en  revanche,  Guillaume,  Chartes  de  A.-D. 
de  Bertaud  (1888),  p.  xl  suiv.,  parle  de  l'incendie  de  1376,  sans  connaître  la  bulle  de 
Grégoire  XI.  Naturellement,  on  ne  peut  espérer  aucun  éclaircissement  de  ses  Chartes 
de  Diirbon  {U93). 

1.  Lettre  31. 

2.  Lettre  34. 

3.  Lettre  36. 

4.  Drlisle,  Mandements  de  Charles  V,  n°  589,  p.  291. 

5.  Lettre  36, 


524  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

le  duc  d'Anjou  ne  fut  réellement  conclue  qu'au  mois  d'avril  1371  i. 
De  même  le  traité  de  1369  regardant  le  Dauphiné  et  la  Provence 
n'était  encore  que  provisoire  ;  ce  fut  seulement  le  12  mai  1370  et, 
en  dernier  lieu,  en  1371,  que  la  paix  fut  définitivement  consolidée 
par  des  traités  solennels-. 

Le  Dauphiné  et  une  partie  de  la  Provence  étaient  dévastés  et 
ruinés  ^.  Les  pertes  subies  seulement  par  le  Dauphiné  furent  éva- 
luées à  plus  de  200.000  florins  '*.  La  misère  était  d'autant  plus  sen- 
sible qu'en  1369  la  récolte  faisait  défaut  presque  partout^.  Mais  bien 
que  les  lettres  de  l'archevêque  aient  donné  d'abondants  renseigne- 
ments touchant  cette  guerre,  elles  ne  disent  néanmoins  pas  tout. 
Ainsi  l'abbave  bénédictine  de  Boscodon  fut  sans  doute  incendiée 
alors  pour  la  première  fois  ^\  De  même,  le  prieuré  de  la  Sainte- 
Croix  aura  été  désolé  en  1368,  quand  ces  Provençaux  étaient  devant 
Châteauroux  et  Embrun  ^,  tandis  qu'un  autre  prieuré  bénédictin, 
celui  de  la  Couche,  qui,  déjà  auparavant,  avait  été  ruiné,  fut  alors 
incendié^.  Le  prieur  de  Saint-André-de-Rosans,  comme  j'ai  déjà  fait 
remarquer,  avait  aussi  subi  d'énormes  pertes  d'argent  à  cause  de 
l'occupation  du  prieuré  et  de  la  destruction  de  ses  forteresses  par 


1.  Des  néj^ociations  furent  ouvertes  dès  le  15  juin  1369,  et,  aux  fêtes  de  Noël  fut 
conclue  une  trêve  qui  devait  durer  un  an  à  partir  du  2  janvier  1370.  A'oy.  Mé\ari>, 
Hist.  de  la  ville  de  Nimes,  anc,  éd.,  II,  Preuves,  p.  2  (Journal  de  Pierre  Scatisse), 
nouv.  éd.,  II,  p.  257  suiv.  Papon,  Hist.  de  Provence.  III,  est  muet  sur  ces  faits. 

2.  Roman,  1.  c,  p.  111. 

3.  Voy.  MÉXAun,  1.  c. 

4.  Choix  de  documents,  etc.,  p.  181.  hxcnoix dans  Bulletin,  déjà  cité.  p.  184,  dit  par 
erreur  «  2000  flor.  » 

5.  Lettre  35. 

6.  Voy.  Demfle,  A.a  désolation  des  écjlises  en  France,  I,  n°  852.  Il  est  dit  en  1431, 
qu'elle  fut  en  soixante  ans,  trois  fois  incendiée  et  abandonnée.  A'oy.  ibid.,  la  note. 
Ainsi  nous  remontons  à  l'an  J369. 

7.  Ibid.,  n°   853. 

8.  Peg.Aven.  Gregor.  XI,  tom.  13,  fol.  299'%  ad  an.  1372,  Maii  1  :  «  Dil.  filio  Petro  de 
Grandimonte,  priori  prioratus  de  Culca,  O.  S.  B.,  Ebredunen,  dioc.  salutem  etc.  Reli- 
gionis  zelus  etc.  Xuper  siquidem  pro  parte  tua  nobis  exposita  quod  cum  redditus  et 
proventus  prioratus  de  Culca,  O.  S.  B...  que  obtinebas  prout  obtines,  et  qui  crematus 
et  destructus  existetat  propter  guerras  que  in  illis  partibus  (proh  dolor)  viguerant, 
adeo  diminuti  existebant  quod  tu  ex  eis  prioratum  ipsuni  decenter  facere  reparari  et 
congrue  sustentari  non  poteras,  [confirmât  coUationem  a  se  tune  eidem  factam  ofTicii 
camerariae  monasterii  S.  Michaelis  de  Clusa  dicti  Ord.,  Taurinen.  dioc,  non  obstante 
subreptionis  dubio.]  Dat.  Avinione  kal.  Maii,  an.  II  ».  De  la  désolation  de  ce  prieuré 
parle  l'archevêque  d'Embrun  déjà  en  juillet-août  1368  (Arch.    Vat.,  arm.   53,  n"  9, 


LES    COMPAGNIES    EN    PROVENCE    ET    EN    DAUPHINÉ  ,   1368,    1369  o2o 

les  Provençaux  ou  Compag'nies.  Il  était  encore  obligé  de  subir  une 
garnison  royale,  commandée  par  Jean  de  Montag-ny,  et  même  de 
la  payer.  En  1371,  le  Dauphin  lit  reconstruire  les  châteaux,  et  les 
pauvres  habitants  de  la  contrée  devaient  supporter  les  frais  de  la 
garnison  ^ . 

Pour  remédier  à  tant  de  maux,  l'archevêque  d'Embrun  convoqua 
un  concile  national  à  Sevne  ;  de  leur  côté,  le  roi  Charles  V  et  la  reine 
Jeanne  s'empressaient  de  porter  secours  '-.  Urbain  V  fit  de  même 
à  sa  manière.  Le  23  octobre  1369,  il  procéda  sévèrement  contre 
les  «  sociales  »  qui  dévastaient  encore  la  Provence,  le  Dau- 
phiné  et  la  Savoie  et  en  molestaient  les  habitants.  Il  leur  enjoignit 
sous  peine  d'excommunication  et  autres  châtiments  de  se  disperser 
dans  le  délai  d'un  mois  et  il  interdit  aux  princes,  aux  nobles  et  aux 
communautés  d'aider  les  Compagnons  •^. 

Cette  dernière  mesure  vint  fort  k  propos.  Pendant  cette  guerre, 
depuis  le  siège  de  Tarascon  jusque  vers  la  fin  de  1369^  on  s'était 
familiarisé  avec  les  Compagnies.  L'épouse  même  du  duc  d'Anjou  se 
sentait  troublée  dans  sa  conscience,  parce  qu'elle,  ses  dames  et  les 
nobles  de  son  entourage  étaient  en  relations  amicales  avec  les  Com- 
pagnies, dont  elle  agréait  les  hommages.  En  dépit  de  Texcommuni- 


p.  259).  Il  écrit  entre  autres  choses  :  «  Soient  enim  ibi  residere  prier  et  duo  monachi, 
unus  capellanus  et  unus  clcricus  et  alia  faniilia  oportuna.  et  in  quibusdam  curatis 
ccclesiis  sibi  annexis  presbiter  et  clcricus,  et  hodie  pro  iis  omnibus  lantuni  servit  pres- 
biter  unus  licet  sine  cura...  ;  preterea  edificia  sunt  penitus  destructa.  et  breviter 
omnia  luale  vadunt.  Unde  anno  preterilo  ego  coactus  multorum  clamoribus,  saysivi 
l'ructus  pi'ioratus  in  manu  procuratoris  prioris,  quousque  ipse  reparasset  clausuram 
niuri  prioratus  et  quedani  alia,  que  vix  decostitissent  XXV  florenos,  et  aliquando 
commiiiatus  sum  verbis  ut  possem  proficere,  tamen  nichil  aliud  attemptavi...  » 

1.  Document  dans  Guigue,  1.  c.  ;  voy.  Roman,  p.  113  suiv. 

2.  Voy,  Guillaume,  Notes  sur  les  fortifications  des  Hautes-Alpes,  dans  Bulle- 
lin  archéol.  du  comité  des   travaux  hisl.  et  scientif.,  année  1883,  Archéologie,  p.  215. 

3.  Reg.  Vat.  Urb.  V,  n°  259,  fol.  5''  :  «  Ad  futuram  rei  memoriam.  Reperiri  nesciens 
sathane  malitia  in  populis  otiosa  quosdam,  ut  gemenles  accepimus,  perditionis  fdios... 
in  partibus  provincie  Provincic  ac  Delphinatus  et  comitalus  Sabaudie  de  no\o  pro- 
duxit,  qui  arma  sectantes  societates  seu  sociales  appellantur,  avaritieque  cecitate 
seducti...  clericos  ecclesiasticasque  personas,seculares  et  regulares,  etiam  in  dif;nitati- 
bus  constitutas  partium  earumdem  et  alios  inibi  repertos...  ac  etiam  plebeos  ac  alias 
miserabiles  personas  ipsarum  partium  capere,  detinere  carceribus...  morti  tradere... 
non  verentur,  ecclesias  etiam  ac  monasteria...  et  alia  pia  loca...  necnon  civilatcs  et 
castra...  hostiliter  aggrcdiuntur...  [Mandat,  ut  supra  in  tcxtu  est  notatum].  Dat. 
Rome  apud  Sanctum  Petrum  x  kal.  Novembris,  anno  VII.  » 


526  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

cation,  elle  avait  maintenu  ces  relations  et  demanda  pour  cela  l'abso- 
lution^. Un  autre  document  rapporte  un  fait  plus  curieux 
encore.  Le  château  et  la  ville  de  Guillestre,  appartenant  à  la 
mense  archiépiscopale,  furent  occujDés  par  le  Dauphin.  Or,  nous 
apprenons  d'une  lettre  de  Clément  VII  du  1^^  septembre  1383 
qu'à  cette  occupation  prirent  part  quelques  habitants  de  Savines, 
des  Grottes,  de  Baratier,  des  Orres,  de  Réotier,  de  l'Argen- 
tière,  de  Freyssinières,  de  Champcella,  de  la  Roche  sur  Embrun, 
de  Rom-,  tous  endroits  sujets  du  Dauphin.  Excommuniés  et 
interdits  par  l'archevêque,  ils  ne  furent  absous  que  très  tard"^. 
Le  Dauphin  même  fut  également  excommunié  par  l'archevêque, 
pour  avoir  entrepris  cette  occupation  sans  la  permission  de  ce  der- 
nier et  pour  avoir  fait  servir  les  approvisionnements  du  château  à  la 


1.  Reg.  Vat.  Urbani  V,  n°  259.  fol.  11  i.  ad  an.  1369,  Aug.  23  :  «  Dil.  filio  Guillelmo 
de  Valle.  Ord.  fr.  Minorum  professori,  salutem,  etc.  Sedes  apostolica...  Exhibita 
siquidem  nobis  pro  parte  nobilis  mulieris  Marie,  ducisse  Andegaven.  nuper  petitio 
continebat,  quod  olim  ipsa  et  domicelle  sue  cum  nonnullis  nobilibus  et  aliis  armo- 
num  hominibus  tam  vigore  litterarum  et  processuum  apostol.  et  aliarum  constitutio- 
rum  et  alias  a  jure  excommunicatis,  pro  eo  quod  ipsi  in  guerris  Provincie  et  etiam 
cum  perversis  societatibus  gentium  armigcrarum  per  regnum  Francie  more  predo- 
nico  discurrentium...,  dum  eidem  ducisse  aliquotiens  reverentiam  impenderunt  aut 
associarunt  eandem...  cum  eis  in  cibo  et  potu  atque  loquela  participarunt,  propter 
quod  dubitant  excommunicationis  sententiam  incurrisse...  [Absolvendi  dictas  ducis- 
sam  et  domicellas  super  pracmissis,  et  etiam  in  futurum.  injuncla  paenitcntia  salutari, 
facultatem  concedit].  Dat.  Viterbii  x  kal.  Septembris,  anno  ^'II  ». 

2.  Rom  est  encore  indiqué  à  sud-ouest  de  la  Roche,  sur  la  rive  droite  de  la  Durance, 
dans  Cassini,  n"  151. 

3.  Beg.  Vat.  Clément.  V//,  n°  294,  fol.  161  :  «  Dil.  liliis  universitatibus  Sabine,  de  Cro- 
tis  et  de  Baraterie,  de  Orrais,  deReorterio,  de  Argenteria,  de  Fraxeneria,  de  Cancel- 
lata,  de  Ruppe  et  de  Roma  ms.  Rama),  castrorum.  villarum,  opidorum  ac  eorum 
terrarum  et  mandamentorum  ac  pertinentium  eorumdem,  Ebi'edunen.  dioc,  salu- 
tem, etc.  Sedes  apostolica,  etc.  Sane  vestra  petitio  nobis  nuper  exhibita  continebat, 
quod  olim  nonnulle  gentes  armigere  castrum  et  ^■illam  de  Guilhestra,  Ebrcduncn. 
dioc,  ad  mensam  archiepiscopalem  Ebredunen.  spectantes,  hostiliter  manu  armala 
de  facto  ceperunt,  et  quod  nonnulle  persone  castrorum,  villarum,  opidorum,  terrarum 
et  mandamentorum  vestrorum  domino  Delphinatus  Viennen.  pro  tempore  existenti 
subjecte  in  captione  hujusmodi  présentes,  conscntienteset  participes  fuisse  dicuntur... 
quodque  propterea  dil.  fil.  noster  Pctrus,  nunc  tit.  S.  Marci  presb,  card.,  tune  archie- 
piscopus  Ebredunen.  nonnullos  processus  auctoritate  ordinariavcl  alias  fecit,  perquos 
in  singulares  personas...  excommunicationis,  in  castra  vero,  etc.  interdictisententias... 
promulgavit;  [dictas  sententias  relaxât,  et  gardiano  domus  fr.  Minorum  Ebredunen. 
velejus  locumtenenti,  aut  ab  eo  deputando,  absolvendi  aliaque  oportunain  pracmissis 
faciendi  potestatem  tribuit].  Dat.  apud  Castrumnovum  Avinionen.  dioc.  kal.  Sept., 
anno  V  ». 


LES  COMPAGNIES  EN  PROVENCE  ET  EN  DAUPHINÉ,  1368,  1369   r)27 

subsistance  de  ces  soldats.  Le  Dauphin  rendit  le  château  sans 
indemnité,  et  cette  querelle  fut  assoupie  par  un  traité  daté 
du  15  avril   1374  ^ 

Depuis  ce  temps,  le  Dauphiné  et  la  Provence  ne  jouissaient  plus 
de  la  tranquillité  d'autrefois.  La  guerre  entraînait  une  méfiance 
réciproque.  De  part  et  d'autre,  les  fortifications  furent  relevées 
et  réparées.  Ainsi  les  murs  d'Embrun  et  de  Gap  furent  renforcés, 
Briançon  et  Guillestre,  ainsi  que  bien  d'autres  villes  -,  s'entou- 
rèrent de  fortifications  -^  De  son  côté,  Foulquet  d'Agout,  frère  de 
Raymond,  et  sénéchal  de  Provence  depuis  1 376,  fortifia  les  frontières 
de  ce  pays  contre  le  Dauphiné,  entre  autres  Barcelonnette ,  où, 
par  suite,  le  couvent  des  Frères  Prêcheurs,  situé  dans  les  faubourgs, 
fut  plus  tard  détruit  sur  Tordre  du  sénéchal  ^. 

Un  fléau  vient  rarement  seul,  c'est  ce  qui  arriva  pour  la  Pro- 
vence et  pour  une  partie  du  Dauphiné.  Le  cours  de  l'année  1370 
avait  été  signalé  par  de  funestes  influences  atmosphériques,  qui 
avaient  atteint  jusque  dans  leur  germe  les  produits  de  la  terre.  On 
craignit  vivement  pour  les  subsistances,  tant  la  pénurie  était  deve- 
nue extrême,  et,  au  lieu  d'en  atténuer  les  effets  par  la  libre  circula- 
tion des  grains,  les  seigneurs  y  mettaient  partout  des  entraves, 
ajoutant  ainsi  au  redoutable  fléau  de  la  guerre,  le  fléau  plus  terrible 
encore  de  la  famine.  Il  fallut  que  le  sénéchal  de  la  Provence,  plus 
atteinte  que  le  Dauphiné,  instruit  des  violences  des  seigneurs,  prit 

1.  llOMAX,  1.  c,  p.   11  i. 

2.  Voy.  P.  Guillaume,  1.  c. 

3.  RoMAx,  dans  Bulletin ,  etc.,  p.  111  suiv.,  donne  des  détails  intéressants.  Il  y 
parle  des  fortifications  des  villes  des  Crottes,  de  Corps,  de  Montorcier,  de  Prunières, 
de  Veyncs,  etc.  Les  travaux  respectifs  furent  souvent  achevés  très  tard,  a  peine 
après  vingt-cinq  années.  Les  ressources  étaient  épuisées  par  suite  des  guerres. 

i.  Recf.  Vat.  Clément.  Vil,  n°  292,  fol.  44'',  ad  an.  1380,  Januarii  3  :  «  Dil.  fil...  priori 
et  fratrilnis  domus  Ord.  Pred.  in  suburbiis  ville  Barchilonie.  Ebredunen.  dioc.  salu- 
tcm.etc.  Inter  ecclesiasticos  Ordincs  etc.  Sane  nuper...  percepimus  quod,  dum  dil. 
fil.  nob.  vir  Fulco  de  Agouto,  miles,  Provincie  senescallus,  pridem  ipsani  Provinciam 
visitaret  et  volensdictani  villam  Barchilonie  fortificari  lacère  propter  gucrraruni  peri- 
cula  et  ininiicorum  insultus,  de  quibus  in  illis  partibus  sepius  dubitatur,  pro  niajori 
tuitione  et  custodia  dicte  ville  locuni  vcstruni  prope  dictani  villam...  destrui  ordina- 
vit;  [ad  dicti  senescalli  et  ipsorum  preces,  licentiam  tribuit  recipiendi  domum  aliani 
quae  dicitur  confratria  facti  de  falcone  intra  dictani  villam  sitamJ.Dat.  Avinione  III 
non.  Januarii  an.  II  ».  C'est  donc  à  tort  qu'AiixAUi)  dit  dans  Bull,  de  In  soc.  scient,  et 
littér.  des  Busses-Alpes,  t.  IV,  p.  152,  (jue  la  première  église  des  Dominicains  à  Bar- 
celonnette est  de  la  fin  du  xiv*  siècle.  C'était  la  seconde  église. 


528  LA    GUERRE    DE    CENT    ANS 

d'énergiques  mesures  pour  les  réprimer.  Il  chargea  en  outre  les 
officiers  de  la  cour  royale  de  s'emparer  de  tous  les  blés  disponibles 
du  bailliage,  et  de  jDOurvoir  aux  besoins  des  habitants,  en  les  leur 
distribuant  à  un  prix  modéré  ^ 

Bientôt  une  nouvelle  tempête  éclata  sur  un  autre  côté  du  Dau- 
jDhiné.  Dès  1374,  sous  les  ordres  d'Olivier  Du  Guesclin,  les  Com- 
pagnies bretonnes,  au  nombre  de  quatorze  mille  hommes,  chiffre 
sans  doute  exagéré,  parurent  en  Valentinois  pour  passer  en  Italie,  et 
le  18  septembre,  se  montraient  devant  Die.  Les  faubourgs  de  la 
ville  furent  saccagés;  le  désastre  des  environs  fut  complet.  Plu- 
sieurs villes  furent  incendiées 2.  C'est  surtout  à  partir  du  1380  que 
la  Provence  fut  plus  que  jamais  troublée.  Le  lecteur  me  dispensera 
d'entrer  dans  le  détail,  car  j'ai  encore  un  long  chemin  à  parcourir. 

1.  Lai'lane,  Hisl.  (le  Sisieron,  I,  p.  173suiv. 

2.  Voy.  les  détails  clans  J.  Chevalieh,  Essai  hist.  sur  léfflise  et  la  ville  de  Die,  II, 
p.  269  suiv.,  271  suiv.  Cf.,  à  regard  de  1  année  137  i  et  Tinvasion  de  1376,  ci-dessous  le 
huitième  paragraphe. 


iKt  INSTITUTE  OF  MEDIAEVAL  STUDitS 
10  ELMSLEY  PLACE 
TORONTO  5,   CANADA, 

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