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JUGEMENS
DES
S A V A N S
SUR LES
PRINCIPAUX OUVRAGES
DES AUTEURS,
PAR ADRIEN BAILLEr-,
Revus, corrigez, 6c augmentez par
Mr. DE LA MONNOYE.
NOUVELLE EDITION,
TOME TROISIEME,
SECONDE PARTIE,
-n^-^^^- î^VvtA'»
Pag. 1.
JUGEMENS
DES SAVANS,
SUR LES
PRINCIPAUX OUVRAGES
DES POETES.
SECONDE PARTIE.
Contenant les Poètes Latins depuis les
Guerres Puniques, & quelques-uns des
Grecs, jufqu'à la renaiilance des Lettres,
De quelques Anciens Poètes T'ragiques ^
Comiques , doKt tl nous rejîe des Frag-
mens»
iM.LIVIUS ANDRONICUS,à
la tin de la première Guerre Punique.
iCN. N.î:VIUS mort à U tique (au-
jourd'hui Bizcrie) en la 144. Olympia-
de, Tannée que Scipionpalia en Afrique.
3Q. ENNIUS né l'an 5i^deli Ville
de Rome, mort Tan 5-86. ou 585-. en
rOlympîade 15-3. fous le ConfulatdeQ.
Marcius Philipp. & deCn.Servilius C«-
pion, comme dit Ciceron. * * /« arw»^
à" de Se-
* ^ 3^ ^^1^^^ Ivius Andronicus '"<^*^'«
eli conlideré comme le
premier de tous les Poè-
tes Latins» La première
pièce qu'il fit fut repre-
fcntée en la première anutfe de la 135". O-
jQm.llLFartM* Ar^^ lym-
_. . hk:a
taviens'î3
%'iv. An-
dronicus.
Sept ans
devant la
naiiTancc
de Caton
Tancien,
fclon Ci-
ceron, de
a Poètes Latins.
lympîade , l'an 5'i4. de la fondation de
Rome, fous le Confulat de C. Claudius
Centon fils de l'aveugle, &■ de M. Sem-
pronius Tuditanus, l'année d'après la pre-
mière guerre Punique, un an devant la
naiflance d'Ennius, 240. ans devant no-
tre Epoque vulgaire, 22 r.. ans devant la
mort de Virgile, & félon le calcul d'Agel-
lius ou Aulu-Gelle , 160. ans plus ou
moins depuis la mort de Sophocle & d'Eu-
ripide, & environ 52. depuis celle deMé-
nandre (i).
Les Cenfcurs de ce Recueil ne me vou-
dront peut-être point pardonner cette efpe-
ce de digreffion qu'ils jugeront être un
peu éloignée de mon fujet, s'ils la confi-
derent toute feule ; mais on les prie de re-
marquer qu'il n'ctoit point hors de propos
de fixer l'Epoque de la Pocfie Latine, pour
donner lieu au Leâeur de porter fon ju-
gement fur la naiffance, le progresse la
perredion de cette Pocfie, qui ne fut à fon
période que plus de deux fiécles après An-
dronicus.
On a donné le nom de Tragédies & de
Comédies à fes Poèfies ; mais quelque
plai-
1. A. Gcll. SoGt, Atticar. lib. 17. cap. »i,
Vid. & Voir, de Poét, L:U. lib. fing. p j.
2. Cicero in Bruto. Item Tufculan. qu. r,
%. Ciceron, dans l'endroit cite, immédiatement
•près avoir dit que du tcms d'Action, de Nicoma-
quc , de Protogenc, ôc d'Apellc Ja Peinture avoit
atteint fa perfeftion, ce qui n'etoit pas du tems de
Zcuxis, de Polygnotus & de Timanthc, ajoute qu'il
en eft ainfi généralement de toutes cbofes .- nihit eji
tnim fimul à inventum à" perfe£tnm. Enfuite dequoi
avant que d'en venir à Livius Andronicus, il pailc
4ci f o«tç« qu'il Cuf ptflc aroù pi:c«f (il Hvmcxe,
Poètes Latins. j
t>lai(ir qu'on prît alors à les chanter ou à lît. An-
ies reprefentcr, il faut avouer qu*elles é- diomcm.
toient encore fort brutes & fort groffiéres.
C'ell à fon fujet que Ciceron (2) dit que
les chofes ne peuvent point avoir leur pcr-
fedion dans leur naillance ; & Suétone
rappelle un demi Grec (3) , pour mon-
trer peut-être que Ion langage étoit dou-
blement barbare.
Mais il ne nous eft relié de fes Ouvra-
ges que quelques fragmens qui furent im-
primés à Lyon en 1603. puis à LeyJe en
1610. par les foins de Sfnverius , avec les
noces & les corredions de f^ajins. On
y a joint ce qui nous eft refté des Tragé-
dies & Comédies de Naevius, d'Eiuiius,
de Pacuvius, d'Attius & de quelques au-
tres anciens Po; te?. M lîs c*elt une erreur
de croire qu'il ait écrit l'Hiftoire Romaine
en vers , & ceux qui ont avancé ce fait
font pris rour Ennius. (4).
a N;€vius 6t auiïi diverfes Pièces Nxriui.
dramatiques, dont la première fut repre-
fentée Tan fie;), de la fondation de Rome
(5"), qui félon la remarque d'Aulu-Gcllc
fut auifi celui du premier divorce qu'on
eût
3. Suetop. lib. de Illuftrib, GtAmmar.
4. Diomcd. lib. >. Gramniatic. 5c alii poft illum.
il. 11 faloit citer ici Vollîus Inflit. Poct. lib. i,
psg. 9. Baillet le cite plus bas: mais pour enten-
dre ce qu'il veut dire il faut recourir \ l'endroit que
f ai marqué de Voffius.
j. %. Aulu- Celle qui fuit cette fupputation 1. ij,
t. 2!. en ;ivoIt luivi une autre 1. 4 c. 3 où il dit
<\uc ce fut l*an 523, fous le Confulat de M. Aitilius
Jk de P. Valerius. Mais alors ce ne feroit ni en 523.
niensjp. puifquc c'eft en 526. que les Faftcs Ca-
pitolins marquent ce Conlulat.
A 2
Kievîus.
sniuus.
4 Poètes Latins.
eût jamais vu à Rome jufqu'alors. (i)
Il fît auffi rHiftoire de la guerre i^uni-
que en vers , mais fans diUiiidlion aulTi
bien qu'Ennius ; de forte que c'ell à C.
Odavius Lampadion que l'on devoit la
divifion en fept Livres, qui en avoit été
faite dans la fuite félon Suétone (2) , com-
me Varguntejus avoit fait la divifion de
l'Ouvrage d'Ennius en dix-huit Livres.
La Poe lie de Naîvius étoic compofée
de vieux vers, qu'on appcUoit S iiturfiie»s
«ufTi bien que ceux d'Andronicus (3).
C'eft ce qui avoit fait croire à Ennius qu'il
pouvoit les railler , & fur tout Naevius-
qu'il releguoit parmi les Faunes & les Poè-
tes Sauvages , à caufe de l'irrégularité &
de la dureté de fes vers. En quoi Ciceron
a jugé qu'Ennius étoit blâmable d'autant
plus qu'il y avoit une efpece d'ingratitude
a ne pas reconnoitre publiquement com-
bien l'Ouvrage de Nasvius lui avoit été uti-
le pour compofer le lien.
3. S I nous voulions même nous arrê-
ter à la Critique de Volcatius Sedigitus^
qui
î. Cîccro in Bruto feu de Clar. Oratorib. Item
Petr. Scriverius in Prolcg. ad Fragm. Trag. Enn. 6c
aliorum.
Gcr. Joan. VofC lib. i. de Hift. Lat, cap. 2. pag. 6. 7.
Idem lib. iîng. de Foëtis Latia. & Initit. Foëcic.
lib. j. pag. 9.
a. Sueton. Tranqu'I. lib. de llluft. Grammatic.
j.Volïîus prétend contre Villomare ou Scaliger,que
Livius Andronicus avoit fait des vers héroïques. Gro-
Cppus ou Scioppiuidit la même chofc,mais on croit
qu'il y a faute au mot de Livius pour hnjus ou pouc
Ènnius.
4. y*l«at. Sedigicus apud A. GcUium lib. x;.Noft.
Atr
Poètes Latiks. s
qui a fait en treize vers le jugement des Enniu»,
dix principaux Poètes Comiques des La-
tins, nous ferions oblige's de préférer Nœ-
vius à Ennius , puifqu^il met Nxvius au
truiiiéme rang, & qu'il ne donne que le
dernier à Ennius. (4)
Mais pour fa'rc voir le peu de folidité
qui fe trouve dans ce jugement de Sedigi-
tus, il fuffit d'alléguer l'autorité de Cice-
ron, qui reconnoîr qu'EsNius efl beau-
coup plus accompli que Naevius (5-),
quoiqu'il eût pris beaucoup de chofes de
lui, félon le mcme Auteur.
Ennius étoit très perfuadé lui-même de
fon propre mérite; car fans parler du mé-
pris qu'il témoîgnoît avoir pour les autres
Poètes fes contemporains, il a crû devoir
fe féliciter lui-même de faire des vers ca-
pables d'échauffer les cœurs , & de porter
le feu jufques dans la mouelîe des os (6).
Effeétivement c'étoit un Poète de grand
génie (7) , au jugement de Ciceron & d'O-
vide même , qui ajoute néanmoins qu'il
n'avoit p>'int d'art. (8)
£»•
Attic. cap. 24. ubi de Poetis Comicis.
5. Ciccro in Bruto ut faprà; uU Ait N*vio Ennîum
mului ddert y Sxvio 'ujarAtum Jî nf^Aret y ab e# /«wp-
Jîje Jï fat fret 'r.
6. Ennius de Te ipfo apud Nonium Marcel, voc.
fropinarcy «k Mid.i'.l-t:i.'.
7. Oration. pro Munna c;in. 14.
Idem Cicero \c Ennio pnflnn honorific. mention,
hiibet ut Ac:idem. quïft. lib. i. de Finib. lib. i.
Item de Oratore Ib. 3. non femel ôc lib. 1. cju{-
dcm operis de Oratore non femel 5cc.
8. Ovidiui 2. Triftiura. Itciura lu i. Ajnoi, de»
gia 1$.
A l
Snnius*
6 Poètes Latins.
EriHiUS ingenio waximus , arte rudis.
Ce fentiment a été embrafle pârplufieurs
des Critiques modernes, mais la plupart
reconnoiiïent qu'il a recompenfé ce défaut
d'art par la vivacité de fon efprit, par cet-
te force & ce feu divinement infus dans
-fcm-imagination (i), lequel lui a fait faire
des versians favoir les règles de la Poéti-
que : & félon la remarque de Cundîdus
Hefychius (2), il a fait v&ir en lui-même
la différence qui fe trouve quelquefois fort
réellement entre les effets de la Nature &
ceux de l'Art dans une même tête.
C'efl peut-être ce feu & cet enthoufiaf-
me qui a porté Horace à nous le reprefen-
ter comme un beuveur, & qui lui a fait
dire que jamais il ne s'étoit mis à faire de
vers qu'il ne fut dans le vin (3): & quoi
qu'Ennius ne vécût pas d'ailleurs dans le
lié-
1. Candid. He^chius in Differtat. Godcllus aa
locta? cap, z. pag. 75.
a. %. Le P. VavaflTeur contre Antoine Godeau E-
^êque de Graffe.
3. Horat. lib. i. Epiftohr. Ep. 19. v. 7.
4, Idtm Ib. 2. Epiftol. Ep i. ad Auguft, vcrf. 50,
S Jof. Seal, in priorib. Scalig. pag. jt
6. %. C'eft dans le Pn/na ùcultierana au moi En-
ni'As. Je rappoiterai le paffdge ciirici pour y faire
une COrre6lioa. Etnias P/cta antîijMuj, t/ia^ufiio itt-
genio. Vtina.m httnc haieremui inttz.rH'n , ir amifijfemut
ZiMcanum , Statium, Silium halicum^ fie tOUS ces t'4r-
fons'là. Je crois qu'il faut lire G<t'f#nt , pour mar-
quer la différence du ftyle narurei d'Ennius au ftyjc
enflé de Lucain, de Stace ôc de Silius, (ur tout de
Lucaiii Se de Stace. Scaliger au reltc en difantjplût
à Dieu que nous eudlons ^nnius entier, Se que nous
euflions
N
Poètes Latins. 7
fîécle depoliterfe, on peut néanmoins at- Ennius,
tribuer à cet emportement naturel , où il
ctoit prefque fans cefie , la précipitation
& le peu d'exactitude dont il eft accufé
dans un autre endroit d'Horace (4) qui n'a
point laillc de l'appelier un homme fage,
courageux, & pour tout dire, un fécond
■Homère.
Scaliger jugeoitpar les relies de fesPoc-
(îes qu'on a tâché de fauver, que ce Poe-
le avoir le génie grand & élevé (5'} : & ii
préteudoit que (1 nous l'avions entier,
nous nous pafierions fort bien de Lucain,
de Stace , de Silius Italiens (6) &c. Il
ajoute que Virgile avoit fait beaucoup de
profit dans la leélure de fes Ouvrages , &
qu'il en avoit pris jufqu'à des vers entiers,
que ce Poète par reconnoiflance appelloit
des perles tirées du fumier d'Ennius. (7)
Au refte il cù. bon de remarquer qu'En-
nîus a été le premier qui ait employé les
Ver*
«uflions perdu Lucaîn, Stace 8c Silius, déclare par-
là qu'il cftimoit plus Ennius (eul, que les trois au*
très Poètes eiilcaible, mais il n*cntend pas, comme
l'explique Baiilet , que nous nous pafletions fortbiea
de CCS trois Poètes fi nous avions Ennius entier,
puisque non feulement il necontient abfolumcnt rien
ce ce qui eft dans Lucain J< dans Stace, mais qu'il
ne remplaceroit pas même beaucoup d'cndroitc de
Silius.
7, Voflîus Inftitut. Poëtic. lib. |. pag. 9.
Item Fhilipp, Brietiua lib. i. de Peëtis Lat. pag. j.
Via & Vit Virgil. &c.
^. Scaliger dans l'endroit cité n'ajoute quoique ce
foi t à ce que je viens d'en rapporter. Le mot de Virgi-
le toucliant Ennius n'eft pas non plus dans l'endroit ce
Btillct renvoie des Inftitutions Poëti«jucs de Voflîus.
Je ne dirai rien du ?. Briet que |e n'ai pas. La cita-
tion feule de la Vie de Virgile luffifoU,
A*
9 Poètes Latins.
I^imus. Ygj-g Epiques ou Héroïques parmi les Ro-
mains, & qu'on le confidere comme ce-
lui qui en eft l'Auteur & qui en a intro-
duit Tufage (i). 11 a tiré, pour ainfi dire,
la Poëiîe Latine des bois & des villages
pour la tranfpianter dans la ville , afin
qu'on pût l'y cultiver , & qu'an s'appli-
quât davantage à la polir. Et pour y mieux
réufïir , il a fait conduire du mont Par-
lîafTe en Italie les eaux d'Hippocrene, s'il
m'elî permis de parler comme les Poètes.
C'efl ce que Lucrèce a voulu nous faire
connoître par une exprelTion toute diffé-
rente, iorfqu'il adit, (2)
■ — — ...__— Prîmus amœn&
Dttulit ex Helieone perenni fronde coronam
Per Gentes Italas,
Mais avec tous ces foins , on peut dire
qu'Ennius ne pût point encore venir à bout
de détruire entièrement la barbarie des
fiécles précedens , & quoîqu'Horace té-
moigne (3) qu'il a beaucoup, enrichi la
Langue du pays par un grand nombre de
mots nouveaux qu'il mit en ufige; néan-
moins on ne peut pas dire que cela aitcon-
tri-
T. Dcmpfter in Elench. ad Rofin. Antiquir. Ro-
man.
Item Ger. Jo. VoiT. de Hiftor. Lat. lib. x. cap, 2.
&c.
^. Ces paroles de Dempfter dans fon Index des
Auteurs fur Rofin: Pnmus mapii nomims Heroïiorty.rr> ^
ne fignifient pas qu'Ennius a Je premier introdu t
\'ufage des vers Héroïques, mais qu'il eft Jeprcmiet
^ui le foit iicndu cckbie paimi ksPoëiesHeioiques.
Cf
Poètes Latins. 9
tribué à rendre Ton diTcoiirs plus élégant Emûiw,
& à polir Ton ilyle qui a toujours paffé
pour un ftyle ru ie & groffier. C'ell ce qui
a fait dire àQuiutilien (4) que ce ftyle n'a-
voit prefque rivjn de conlîderable que fon
antiquité, comme ces vieux bois qui de-
viennent l'objet du culte Riper (lit ieux des
payfaiis, & comme ces grands chênes des
futayes fur leiquels la longueur des années
femble avoir attiré la vénération des Peu-
ples qui n'ofent y toucher.
Macrobe paroît blâmer ceux qui ne
font point touchés d'un pareil refpeâ" pour
les vers d'Ennius (5*), parce que tout ra-
boteux que paroilfe fon llyle, il ne laif-
foit pas d'être le meilleur de Ton fiécle,
& qu'on a eu dans la fuite des tems des
peiiies tort grandes pour tâcher d'amolir
cette dureté univerfelle. D'ailleurs En-
nius avoir plus qu'aucun autre Poète La-
tin de fon tems des taiens particuliers
qui rcndoîcnt C^^s Pol'fîcs de plus grande
recherche que celles des autres. Car ou
peut dire que la véhémence & la force
de fes penfées fervoit beaucoup à foute-
ïiir fon Lcdeur (6), & ceux même qui
voudront fuivre Paul de Merle ou Me-
rula,
Ce n*e{î pas que je nie qu'Rnnius foit le premier
Poète Héroïque, je aie feulement que ces paroles de
Dcmptter le prouvent.
2. Lucrer. de Rer, Nat. Carm. lib. t.
3. Horat, de Arte Poëtic. verf 56. 57.
'4 QiùntUian. lib, 10. ca^i. i. Inltitution. Ora-
foriar.
« 5. MjKrob. Saturnal. lib. 6. cap. j.
^6. Lil. Ciegoi, Gytald. de Hiltor, Poët. Di«log,
^ &^ _
A 5
i
»a foETES Latins.
Eiuiai. rula , croiront avec lui qu'Ennius eft le
véritable Père de toute Télégance & de
la politefTe qui a paru depuis :anslaPoe-
(ie Latine (i) , ^ qu'on Ta dû honorer en
cette qualité, ,, avant même qu'il eût fen-
5, ti la grâce du nombre & de l'harmo-
„ nie des mots qui étoit dans les Poètes
5, Grecs, h dont il n'a fait paroître au-
3, cun veftîge dans fes vers, félon le P.
„ Rapin. (2)
Les Poèfies d'Ennîus confiftoient en
diverfes Tragédies & en dix-huit livres
d'Annales de la République de Rome. Il
nous efl refté des fragmens de la plupart
de ces Ouvrages. Scriverius a donné les
fragmens de fes Tragédies & Comédies
à Ley 'e Tan 1620 in- 8°. avec ceux des
autres Tragiques Latins, qui avoient dé-
jà paru cnfemble à Lyon dès Tan 1603.
Merula a donné ceux de fes Annales à
Leyde in- 40. l'an I5'95'. Mais Jérôme Co-
lonna publia enfemble ceux de fes Tragé-
dies & ceux de fes Annales aNaples in- 4°»
Tan 15-90.
♦ Cn. Ntevii V'tta ^ Fragmenta^ fe trou-
Te dans le Corpus Poétarum Latinorum
P^- 335"*^^ 4**' Ge»tz>ie 1611,*
MAR-
1. Paul Mcïula , în Pratf. ad ed'it. fiag. Ann. Ennil.
2. Ren. Rapin Keflcxrcns particul. fui la.Poctiq,
pag. loi.
^. Le P. Rapin, n*^a parlé d*£nnius ni près ni loin
dans pas une de les Réflexions fur la Poétique, dan4
l'éditioadu moias ^ue j'ea ai d'AflaftexUsm 1686»
Poètes Latiks^ rr
MARCUS PACUVIUS,
Poète Tragique, vers ïa 15-6. Olympia-
de, neveu d'Ennius , Nepos ^ c'clt-à-di-
re félon Pline, fils de lafceur d'Ennius;
mais fon petit-fils, c'ell-à-dire fils de fa
fille, félon faint Jérôme C3) ; naiit: de
Brindes , mort à Tarente âgé de près
de 90. ans.
1131 TL a pafifé pour le plus far ant de ^^^
Xtous les Poètes Tragiques qui racuvijfc
«uflent paru à Rome jufqu*à lui, & il s'en
cil trouvé très-peu de ceux qui ont vécu
après lui jufqu'au tems des Cefars, qui
ayent eu l'avantage fur lui en ce genre de
Poëiie.
Il avoit tiré des Grecs tout ce qu'il a-
voit de bon aulTi bien qu'Ennius & Àttius,
& c'eft une des raifons dont Ciceron fe
iervoit (4) pour faire voir que fes Tragé-
dies n'étoient point à mépriler, quoi qu'il
eût le ftyle fort rude & qu'il fût plein de
mots dont Tufage étoit paiïe. Le même
Auteur avoue que Pacuvius (5-) parloit
même afles mal pour Ton tems, & qu'il
n'avait point cette délicateiïè & cette élé-
gance
f . %. ^callger dans fon édition d« la Chronique
i'fculebc traduite p.u S. Jérôme a fupprime ces mot»
Jkin>V PoUta tx fiiin nepi y coname rufperts de faux.
4. Ciccio Qusftiou. Académie. Ub. i. Item lib^
ï. de Finibus.
f. Idem i« Bruto (eu At. Ckatorc. Item Quint i-
fian. inftit, Ox;Atoi. Item FhU. Buct. kb. v,dc£oç^
A6
12 Poètes Latins.
j'^'^'^c g/^nce qui paroifToit dans le langage de hx-
' " ' '' lius & de Scipion aufquels il etoit con-
temporain.
Mais comme on a pris plaîfir de faire le
Parallèle de ce Poète a^ec un autre de
même profelîion nommé Attius , nous
rapporterons en parlant de celui-ci ce qui
nous refleroit à dire de Pacuvius.
Nous ajouterons feulement une réfle-
xion de Mr. de Balzac à fon fujet. il dit
(i) que quand Varron dans le jugement
qu'il fait des Poètes attribue la grandeur à
Pacuvius & la médiocrité à Terence, il
n'a point dciïèin de préférer l'un à l'autre
ni d'eftimer davantage le grand que le mé-
diocre. II veut feulement, félon lui, re-
prefenter par ces deux exemples l'idée & la
forme des deux genres dilferens qui font
celui de la Poélie Tragique & celui de la
Comique,
♦ M. Pacuvius fè trouve dans Corpus
omnium veîerum P oètarur/îLatinorum in-4'^.
Lugd, 1603. — Idem fecunda editio in-4.®.
z vol- Genev. i6n. — Idem in-fol. 2 voL
Loud. iji^, *
T. Bal2ac,Ttiitédu Caraûcrc de ia Comédie pag,
,57. 5J.
a. Ciceio in liuto feu de Clas, Oiatoxl&)
Poètes Latins. 15
L. A T T I U S ,
Pocte Tragique plus jeune que Pacuvîus
de ciuquaiuc ans, né fous le Confulat
de Mancinus & de Serranus, en l'O-
lympiade 15-2. nommé par d'autres Au-
teurs, Accius ou Aclius^ mort Tan de
la Ville 618. en l'Olympiade 161.
1132. IL ne nous rede plus que des L.Attïus,
1 fragmens des i ragédies d'Attius,
comme de celles de Pacuvius. Ils en fi-
rent reprefenter enfemble & fous les mê-
mes Ediles ; mais Ciceron nous a fait re-
marquer (1) qu'At-tius n'avoit alors que
trente ans, au lieu que Pacuvius en avoit
quatre-vingts.
Les anciens Romains du tems de la Re-
publique étûient afles partagés fur la pré-
férence dans la comparaifon qu'ils fai-
foient des Ouvrages de ces vieux Poètes,
& particulièrement de Pacuvius & d'At-
tius. Les uns difoient que les Vers de Pa-
cuvius étoient plus travaillés & plus po-
lis (3) : les autres reconnoiilbient qu'eîîec-
tivement il y avoit quelque chafe de plus
dur dans les Vers d'Attius, mais qu'ils (e-
roient néanmoins de plus longue durée,
&, ils les comparoicnt à ces pommes de
garde qu*on a coutume de cueillir aupara-
vant qu'elles foient dans une pleine matu»
rite,
3. Idem Ciç. de Otatore non femel^de oft.geo^
Oiatox,
A7
r4 Poètes Latins.
LÀttius. rit^^ & que l'on met fur la paille pour les
coiiferver & les y faire meurir avec le
tems. (ï)
C'eft la raifbn qu'Attius donna lui-mê-
me à Pacuvius , lorfqu'en fon voyage
d'Afie il le fur voir à Tarente où il s*étoit
retiré fur la fin de fes jours. Ce fut -là
ijuMl lut fà Tragédie à Atrée à Pacuvius ,
celui-ci lui en dit fon fentiment comme il
Tavoît fouhaîté , il loua fon ftyle pour la
grandeur & la belle cadence qu'il y trou*
voit, mais fur ce qu'il témoigna qu'il ne
lui paroifTbit point afTés doux ni alfés poli,
Attius lui repartit qu'il en efperoit d'au*
tant plus de- fuccès qu'il voyoit que les
fruits qui font fi tendres dans le tems qu'on
les cueille fe pourrifTent au lieu de fe per-
feéiionner lorfqu'oii prétend les garder, &
qu'il attendoit de l'avancement de fon âge
h maturité de fon efprit & de celle de (es
produélions. C'ell ce qu'on peut voir dans
Aulu-Gelle (2). Mais on ne voit pour-
tant pas que la fuite du tems qu'il a vécu
ait parfaitement répondu à fes efperances,.
Car fes Vers, au jugement des Critiques
Romains , n'^avoienc prefque rien de la
éouceur de fon naturel. (3)
Mais
». Àp. îh lïç. Brict. lib. i. de foët.Lat. pag.415^
«te.
2. A» Gell. Noft. Attic. lib. tj. cap. z.
3. Vellej. Pateicul, lib. i. Hiftor. Vid. H«rat. lib,
î. Sat. 10.
f. Il fi'cft parlé nulle part de cette douceur dent*
t«iiei d'AttiuR, qui en pouvoit cependant avoir.
4. Ovid. lib* I. hKkQX, £legii i/, yid, ic icient
Poètes Latins. if
Mais au rede il avoit du génie pour la L.AttîiKi
Tragédie. Ovide dit (4) qu'il étoit mâle ôc
courageux dans fes exprelîjons. Horace lui
donne un air de grindeur & d'élévation,
& il dît que fi Pacuvius avoit le deiïus
pour l'érudition, Attius l'emportoit par la
force & la fublimité (5) C'eft auffi le fen-
timent de Quintilien, qui ajoute que non-
ob fiant cette différence ils avoient donné
tous deux de la gravité à leurs penfées &
du poids à leurs paroles, & que s'ils font
tombés dans diverfes imperfedions , ç*a
été moins leur faute que celle des temsoù
ils ont vécu (6). [Pour l'édition, voyés i
la fin de l'art. 1131.]
CJEClljlUSdH MiUmh,
Poète Comique, qui étant efclave s'appeî-
loit Stat':us Ctciîius^ & depuis fon af-
franchiflement , deciUus Statius ; con-
temporain d'Ennius , mort après lui.
1133. f Epeu de fragmens qui nous re$- crcUûu^
L te de cet Auteur ne fuffit pas
pour nous faire juger de l'équité de laCeti-
iure que les Critiques en ont faite.
Ci-
Ovid. idem Gicer. Hor«t. paHiii)) ôc alii à Giialdo
êc Scrivcrio colleôi.
5. Horat. lib. i. Epift. t. &c.
6. Oi'intilian. inftitution. Oratoriar. lib. to. cap. t,'
De Àttio plura apud Girald. de Hiftor. ?oèt. Dia-
k)g. i.pag 857. &feqq Petr. Scrivcr. in Prolegomcn.
ad fragment. VofT. lib. dcPoct. Lat.p. 6. 7. Item lib».
1. Hift. Lat. cap. 7. Jib. i. pa^. 29. 3e. où il eûp^i»
icr des Ajuialcs ^u' Attius avoh faits ca Vus,
i6 Poètes Latins.
Cxcilius. Ciceron nous apprend qu'il purloit mal
Latin aufîî bien que Pacuvius (i),quoi qu'il
y eût de leur tems des gens qui parloient
cette langue à Rome parfaitement bien & fort
délicatement, tels qu'étoient Laelias & Sci-
pion:&iladit encore ailleurs queCaeciiius
croit un mauvais Auteur de laLatinité (i).
Quelque grand qu- fût ce de'faut, il n'a
point fait, ce femble, beaucoup d'obftaclc
à l'e'lime que la plupart des Anciens ont
témoignée pour Tes Comédies. Varron ne
le croyoit inférieur à perfonne d'entre les
Poètes de la même Profelïïon pour le bon»
heur avec lequel il favoit trouver un fujet,
& le bien traiter (3). Horace femble lui
donner le premier rang pour la gravité,
comme à Terence pour l'artifice (4) , du
moins étoit-ce l'opinion commune du Peu-
ple Romain de ce tems- là, félon le fens
que quelques Critiques d'aujourd'hui don-
nent à ce fentiment d'Horace.
Ciceron même qui blimoît fi fort fon
ftyle, ne s'oppofoii point d'ailleurs à ceux
qui vouloient alors faire pafîèr Gsecilius
pour le meilleur des Poètes Comiques (f).
Il paroît aufli qu'il avoit des défenfeurs de
fa Latinité contre ceux qui étoient de l'a-
vis de Ciceron , & Patercule n'a point
fait
'1. Cicero in Bruto feu de clans Oratorio.
2. Idem in Eplftol.adAtticum. Item ap. Phi], Bricr.
}. Varro in Parmenone. Item ap. Jofeph. ScaJi-
gcrura. Jul. Cxf Scalig. 1. «. Poëticescap. 2. pag. 266.
Remarq. anon. de Fruic. VavafT. fur les Reflex. de
la Poët. pag. 124.
4. Korat. lib. 1. Epiftol. i. ad Auguft. VeiC 55^
î, CiçexQ lib, (U opcim, geaçj| Oxaioii
Poètes Latihs. 17
fait difficulté de dire qu'il étoit un de Ciciliu»,
ceux qui ont fat fleurir la Langue La-
tine, & qui en ont mis les beautés, les
douceurs, & Télegance dans le bel ufage
(6). Quintilien après avoir dit que les An-
ciens combloient d'éloges les Ouvrages de
Caecilius , ce qu'il ne nous fait point re-
marquer de ceux de Terence, ajoute qu'ef-
fedivement les uns & les autres font très-
élégans , mais qu*ils auroient encore eu
plus de grâce û ces Auteurs avoicnt voulu
fc renfermer dans les bornes régulières des
Trimetres (7). Mais rien ne paroît plus glo-
rieux pour la réputation de Caecilius que ce
que Ton dît deTerence, qui, félon la remar-
que qu'en a fait leP.Brîet (8) ,avoit coutu-
me de lui porter toutes fes Pièces pour les
foumettre à fon jugement , de la folidité
duquel il avoit une opinion merveilleufe.
Enfin Caecilius doit être à la tête des dix
principaux Poètes Comiques qui ayent ja-
mais été parmi ks Latins, lî l'on veut dé-
férer au jugement de V'olcatius Sedigitus,
qui s'étant mêlé de dîftribuer les rangs en-
tre eux , a donné le premier à notre Cad'
lins , le fécond à Plante^ le troifiéme à
Nwvius dont nous avons déjà parlé , le
quatrième à Liciyiius , le cinquième à /Tr-
ti-
6 Vellc). Patercnl. lib. i. Hiftor.
7, QiiintiL'iin. Inftitution. Oraroriar. lib. lo. cap. r.
é'. Phil. Brier. de roët. Lat. lib. i.pag. 4-pramifli
Acutc D^ftis.
^. Terence, comme on voit dans fa Vie attribué*
à Suétone, lut fon Andrienne à Cécilius, par l'or-
dre des Ediles; mais qu'il lui ait lu {ts auties Pis-
ces , nul Anciçn ne Va ccrit.
zS Poètes Latines.
Carciliu*. tilius ^ le lixiéme à T'erence ^ le feptiéme i
'Turpilius^ ie huitième à Trahea ^ le neu-
yiéme à Lufcius^ & le dernier à Ennius. (i)
Il femble qu-e Nonius Marcel lus ait e'té
dans le méine fentiment depuis Sedigitus à
l'égard de Caecilîus (2). Mais les Critiques
23K)dernes fe font recriés contre le j ugement
de ce Sedigitus (3), & ils ont cru taire grâ-
ce à notreCscilius de lui donner le troilié-
me rang après Plaute & Terence malgré
toute r Antiquité dont nous venons de rap-
porter les témoignages. [Voyés à la fia
de Part. II 31.]
PLAUTE Marcus'Accius,
Poëte Comique , natif de Sarfine fur les con*
fins de rOmhrie ^ de P Emilie ^ OU pour
parler comme on fait aujourd'hui , du
Duché de Spoîete ^ de la Romandiole ^
plus jeune qu'Ennius, Pacuvius & At-
tîus; mort néanmoins avant eux Tan de
la fondation de Rome ^'70. la première
année de la 149. Olympiade, 18.4. ans
devant l'Epoque Chrétienne , fous le
Confulat de Publius Claudias Pulc€r,&
de L. Porcius Licinius.
ïlautc. *ï34' f Es anciens Critiques ne fe (ont
point accordés
fur le nombre
des
I. Apud A. Ge^J. Noft. Atticar. lib. rj. wp. 24.
z. Non. Marcell. Woc. pofcere.
}. J. Henr. Boeder, dcjudic. inTerent. prolegom.
in edir. cjufd. Terear.
4. A. Geliius Noft. Atticar. iJb. j. cap. 3. Item
Lil. Gieg. Gyrald. de Hiftoi. Poëtar. Dialog. viii.
pag. t%-j. St antca. Item Ger. Jo. VofT. lib. de Poët.
Poètes Latins. rp
des Comédies que Ton a attribuées à Plau- pjautc^
îe, les uns en comptoient vingt & une, &
les aufrcs vingt -cinq, d'autres quarante^
quelques-uns cent, & d*^autres enfin lui en
donnoicnt jufqu^à cent trente. Mais ils
confondent avec les fiennes celles de dî»
vers autres Comiques , & particulièrement
celles de Plautius dont le nom avoit don-
né lieu à Terreur à caufe de fa proximité
avec celui de notre Poète (4).
Parmi ce grand nombre de Comédies,
Mr. Ménage dit (y) qu'il y en avoit tant
de mauvaifes , que Varron n'en trouva qui
fuffent dignes de lui que vingt & une feu-
lement, qui furent appellées à caufe de ce*
laies Varroniennes.
Quoiqu'il en (bit, îl ne nous re(le au-
jourd'hui que vingt Pièces qui portent fou
nom. Entre toutes ces Comédies il n'y
en a pas une qui n'ait fes beautés particu-
lières, mais celle de V Amphitryon fcmble
être la plus cftimée félon Mr. Rofteau (6)
qui remarque qu'elle a des agrémens dont
la Comédie Françoifc a fu fe parer avec
beaucoup d'avantage. Néanmoins quel-
ques Critiques modernes ont trouvé des
fautes de jugement dans cette Comédie de
l'Amphitryon, comme lorfqu'il fait jurer
Sofie & Amphitryon par Hercule qui ne
de-
Latin, pag 9.
G- Mena^-e, R?ponfc au Difcours fux l'HeautOflli;'
moriimene de Tererice pag. 45.
S % Après Aulu-Gclle 1. î c. |.
6. Rofteau ,Scntim. (ur quelques Auteurs p:(g. ^•^
4ï. MS. dans la Biblioth. de l'Abbayic dcSaimcG^-
ncviçve.
io Poètes Latins.
/laurc» devoit être conçu que cette nuit-là, félon
]e calcul de Monfieur de Balzac (i).
D'autres Critiques cités par M. Ména-
ge (2), & particulièrement Muret dans les
diVerfes Leçons , Heinfius dans les Notes
fur Horace, & Voflîus dans la Poétique
prétendent qu'elle eft contre la durée du
terns prefcrit pour ces fortes de reprefen-
tations qui u'eft que d'un jour ou tout au
plus que de l'efpace de vingt-quatre heu-
res.^ Ils veulent qu'elle foit de plus de neuf
mois, & qu'Alcmene y conçoive & qu'el-
le y accouche. Mais ces Meilleurs fe trom-
pent félon Mr. Ménage , étant certain
.qu'Alcmene étoit groite de plus de dix
mois quand la Comédie commence. Ce
.qui leur a pu donner cette penfée eft le
difcours que fait Plaute de cette longue
nuit qui en dura trois, dans laquelle Her-
cule ayant été conçu, ils ont crû qu'il l'a-
voit aulTi été dans cette Comédie , fans fe
fouvenir que Plaute y a corrompu la Fa-
ble, comme l'a remarqué Jules Scalîger au
fixiéme Livre de la Pocîique,& qu'il a pris
cette longue nuit pour celle de la nailfance
de ce Héros.
Plaute ne s'écoît point propofé Menan-
dre pour modèle, comme avoit fait Caecî-
lius dont nous venons de parler, mais il
s'é'
T. Balzac Difcours fur laTrag. d'Herod. oudc l'In-
fanticide de D. Hcindiis pag. 113.
1. G. Ménage, Réponfe au Difcours fur l*Heautoii-
timorumenc p, 4^. 47. &c.
3. Terent. Prolog, in Adelphor. Comoed.
4. Gyrald. de Poët. hift. dial. 8. pag. 885. VofF. la-
ftitution. Poëtic^r pasj. jo.
i. Hoiar. lib. z. L^dX. i, ad Auguduco.
Poètes Latins. 21
sMtoit attaché à fuivre Biphile, comme il plaute.
paruît parce que nous en a dit Terence(3).
On prétend auifi qu'ii avoit tâché d'imiter
Philemon & d'autres Comiques Grecs in-
férieurs à Menandie (4). Horace même
femble nous faire connoître qu'il avoit
marche fur les pas d'Epicharme Poète de
Sicile (5'\ Et ce fentiment qui étoit To-
pinion commune des Romains du tems
d'Augufte , eW aiTés favorable à ceux quî
jugent que Plaute tenoit beaucoup plus de
la vieille ou de la moyenne Comédie que
de la nouvelle, dont étoient Diphile& Phi-
lemon auffi bien que Menandre , au lieu
qu'Epicharme étoit plus ancien qu'Arifto-
phane même, 6t qu'il pafToit pour un des
principaux Inrenteurs de la vieille Comé-
die (6).
La chofe qui a donné le plus de réputa-
tion à Plaute , eft fon ftyle & fa manière
de dire des pla'fanteries.
Son flyle efl très-Latin (7) au jugement
des Critiques anciens & modernes. Aulu-
Gelle ou Agellius a voulu le faire pafler
en plus d'un endroit de fes Nuits Attiques
(S)pour le plus élégant de tous les Auteurs
Latins, & pour le Maître de la Langue.
Varron avoit appris de fon Maître L. ^-
lius StiloPrxconinus à en faire tant de cas,
que,
(. Jul. Catf. Scaliger Poëticcs lib. i. pag. 32. LU,
Gr. Gyrald. loc, citât Tann. le Fevre,des Poër. Gr.
dans Epichaime, ôcc. Voff. & Boriich. de Poct,
Latin.
7. Olaîis BorrichiusDiflertat. de Poct. Lar. pag. $6,
8. A. GcU. Noft. Attic. lib. 7. cap. it. & fup. lib.
cap. 7. Item lib. 3, cap. |, itcoi lib, 1$. cap. as,
» YolCi Scdigic,
21 Poètes Latins.
ÎUutc, que, fi nous en croyons Quintilien (i), il
alTuroit que lî les Mules avoient voulu
parler le langage des hommes , elles au*
roient choili celui de Plante pour s'en ac-
quitter avec plus de grâce. Et le même
Varron lui donnoit le prix de rexpreffiou
au préjudice des autres Comiques La-
tins, comme il le donnoit à Caecilius pour
l'art de bien traiter un fujet, & à Terence
pour celui de bien exprimer les mœurs (2).
Saint Jérôme qui avoit de l'inclination
pour le flyle de Flaute, & qui en aimoit
encore la le6l:ure même au milieu de fa re-
traite & de fes mortifications , comme
nous l'avons remarqué ailleurs (3) croyoit
y trouver encore quelque choie de plus
que de la gentillefTeéc de l'élégance ;& lors-
qu'il vouloir exagérer l'éloquence de quel-
qu'un , il l'appel loit f éloquence de Piau^
^ (4)-
Ciceron qui -avoît un goût merveilleux
pour toutes les produélions du bel efprit,
attribue à Plante une délicatefle d'e(prit
toute particulière pour la fine raillerie, Ôc
pour les rencontres ingénieures,une adref-
lè finguliere à jeîter fon tel dans toutes les
plaifanteries: un air enjoué, & cette urha-
.Ktté Romaine pour laquelle notre langue
ne
T. Quintilian. Inftitution. Oratoriar. lib. lo, cap.
1. Itéra eic eo Philip. Briet. Soc. J. lib. i. de Pocr.
Êatin. pag. 5. 6.
a. Varro in Panr.enone, item ex co VofT. Infti-
tution. roctic. hb. 2. pag. 117.
3. S. Hicron. Epiftol. ad Euftoch. Virgil. Tann.
k Fevic Yic 4cs Foct. Gx. Uaas celle d*Ariftophanc.
Item
Poètes Latins. 23
ne nous a point encore donné d'exprès- Haute,
iion (f).
Mais les Critiques Modernes ne font paf
encore convenus de l'explication que Ton
doit donner à la Cenfure qu'Horace a fai-
te des Comédies de Plaute. On ne voit
pourtant pas bien en quoi conlille Tamb*!-
guité ou l'obfcurité de fes termes. Il dit
■aifés nettement & fans beaucoup de façon
que les ancêtres de ces Romains polis du
tems d'Auguile avoient été affés bons,
c'eit à-dire pour ôter Téquivoquc , ailés
niais & ailés fots pour elHmer & pour
louer les Vers & les bons mots de Plaute.
Et craignant que la Foilerité ne prît ce
jugement pour un effet de quelque mau-
vais goût ou de quelque bizarrerie d'efprit,
jl fe vante au même endroit de s'y connoî-
tre un peu, de favoir aifés bien faire le dif-
ccrnemeni" entre une boufonnerie grolfiere
& une véritable délicatelfe, & d'avoir fo-
reille aifés fine pour juger du nombre &
de la véritable cadence d'un Vers. (6)
Le peu de rapport qui fe trouve entre ce
fentiment , & celui de Ciceron, comme
de la plupart des autres Anciens , fembje
avoir mis la divifion parmi nos connoif-
feurs , dont les uns ont pris le parti de
Plau-
Item Tome i des Jujem. desSav.au préjugé des Au»
tcuis Ecciciî.ift,
4. Vidend. Tuubnunn. prolc»om. ad Tlaut. cJi-
tton. Item Frcd. Gronov. Item Rcfteau Sent, ut
Xupr.
5. Cicero lib. i. de OflRciis num. 104. p. îf. m.
6. Horat. de Artc Poctic, ad Pifou. Epift. poft, mcd,
[At rtojiri Proavi 6cc,
24 Poètes Latins»
ÇUute, Plautc , & les autres celui d'Horace.
Mr. Gueret a remarqué (i), que ceux
qui défendent Plante contre la cenfure
d''Horace, difent qu'il exigeoit de lui une
Urbanité (\\iQ perfonne n'a jamais connue.
Que c'ert \xn je ne fat quoi <\\ioxï ne fau-
roit expliquer, une grâce d'imagination <5c
de fantailie ; & que depuis tant de (lécles
que l'on en parle, elle ne s'eft rencontrée,
dit- on, que dans trois ou quatre génies
heureux qui peut-être ne la connoilloient
pas eux-mêmes. Quand on veut louer un
Ouvrage, ajoute cet Auteur, il faut que
ce foit par des beautés fenfibles & qui fau-
tent aux yeux. L'efprit ne donne fon ad-
m'ration que lorfquMl fe fent piqué , & ce
fel Attique que les anciens Maîtres répan-
doient jufques fur leurs moindres fyllabes ,
n'eft point cette Urbanité qui s^'échappe &
qui palfe fans dire mot : mais c'elt une
pointe qui réveille l'imagination , & qui
fouvent porte fon atteinte au cœur. Il n'y
a point de Gâtons à qui Plante ne plaife.
Ses bons mots & fes plaifanteries démon-
tent leur gravité, & l'eftime qu'on en fait
eft (î générale qu'on les a traduits en tou-
tes fortes de Langues.
Les
». Traité de la Guerre des Auteurs p. 86. & fui-
vances.
z. François Biondel, comparaifon de Pindarc &
d'Horace pag, 265. 266.
%. Ce n'eft pas à Biondel dans fa comparaifon de
Pindare & d'Horace qu*il faloit lenvo/er, mais à Lip-
(c Antiq. lc£t. 1. 2. c. r.
}. Jul. CxG Scalig. foëcic. lib. i. Item. Blond,
Zoc. QÏl,
f.
Poètes Latins. iS
Les autres Partifans de Plaute n'ont pas fl»«C4
toujours été ii modérés dans la manière
dont ils ont reçu la cenfure d'Horace. Lip-
fe prétendant avoir railon d'eftimer & d'ad-
mirer comme il faifoit les railleries agréa-
bles & les rencontres plaifantcs de ce Poète,
dit qu'il n'a jamais pu lire fans quelque
chagrin les Vers d^un certain homme deVe^
nouje qui en a jugé autrement (2). Scaliger
a porté Ton relTenciment un peu plus loin
que Lipfe, & après avoir dit qu'il faut être
ennemi des Mufes pour n'être point tou-
ché de l'agrément & des bons mots de
Plaute, il n'a point fait difficulté d'ajouter
que lors qu'Horace a porté ce jugement de
Plaute, il ivoit perdu le jugement lui-mê-
me (3). C'eft ce qui a mis aulfi Turnébe
de mauvaife humeur, & qui lui a fait per-
dre quelque chofe de fa gravité ordinaire.
Car on ne peut pas nier qu'il n'y ait quel-
que chofe de bas & de puérile même, dans
la méchante plaifanterie qu'il '^ voulu izwfi
fur la condition d'Horace,lorfqu'il a dit qu'il
aimoit mieux fuivre le fentiment de ces an-
ciens Romains de (^a^//>/ qu'Horace mc-
prife 11 fort, que de s'arrêter au goût du
petit fils d'un Affranchi (4).
Ho-
%. Blondel ayant cite Scaliger fans marquer l'eu-
^roit, ni fi c'eroit Jule eu Jofeph, Bailler au ha-
7ard a cire Jule 1. i. de fa l'octique, où il n'eft pss
dit un mot de ce jugement d'Hoiace touchant Plau-
te. C'eft Jofeph qui , fur la Chronique d'Eufebc
n. M. Dxxxiv. s'eft décha-né U-deHus contre Ho-
race dans les termes qu'on attribue ici à Turnebc,
&c que je crois être uniquement de Jofeph ScaTijcr.
4. Hadr. Turneb. inAdveifur. & ex co Blond, uc
fu pr.
TomMLFartJL B
1(5 Poètes Latins.
Ijaut^f Horace de fon c5té n'a point manqué de
Défenfeurs dans ces deux derniers liécles.
Le Gyraldi , qui d'ailleurs fait afles connoi-
tre fon inclination pour Fiante, dit (i)
qu'Horace a fait paroitre tant de folidité de
jugement dans tout fon Traité de l'Art
Poétique , qu'il n'a garde de s'imaginer
qu'il faille faire une exception pour l'en-
droit où il parle (î mal de Plante; & que
fî on vouloit examiner fes Comédies avec
un peu d'éxaditude, on y trouveroît bien
des badineries,des fubtilités froides & pué-
riles , & des boufonncries qui ne font fup-
portables qu'au Théâtre.
Heiniîus étoit bien éloigné de croire,
comme faifoit Petrus Vidorius, qu'on a-
voit déjà perdu à Rome !e goût des bon-
nes chofes du tems d'Horace, & qu'on n'y
Gonnoiffoit prefque plus cette beauté natu-
relle de la Langue, & cet enjoûment qui
ctoit particulier à Plante. 11 foûtient au
contraire que lès valets même d'Horace
ctoient plus capables de juger de Plante
que plufieurs qui femblent être aujourd'hui
dans les premières dignités de la Republique
des Lettres : & qu'on peut affurer par- là
que rien n'étoit à l'épreuve d'un cfprit aulîî
fin & aufli délié qu'étoit celui d'Horace,
dans un liécle aulTi éclairé & auiïi heureux
qu'étoit celui d'Augufte.
Mr. Blonde), qui aexaminé ce point plus
particulièrement que les autres Critiques,
fait voir qu'il y a de l'excès dans la feveri-
te
T. Lil. Greg. Gyrald. Dialog. S. de Hift, PoctJtt,
^3g. 887. tom^ 2. ia-J,
Poètes Latihs. i^
té dont Scaliger, Lipre,Turnébe & les au- Hai^tQi
très ont ufé à l'égard d'Horace au fujet de
Plaute. Il ne fauroit fouffrir qu'on l'ac-
cufe de jaloufie envers le Comique, com"
me fait Parrhafius (2), ni qu'on le foup-
^onne d'avoir eu du chagrin & une efpécc
d'antipathie contre lui, comme l'a préten-
du Famianus Strada (3), qui donnoit à
Plaute une humeur enjouée & tournée à la
çlaifanterie, & à Horace une humeur co-
lère, fombre & mclancholique , & qui ef-
fedivement paroît afles éloigné du caraéle-
re de fcs Satires, & plus encore de fes
Odes.
C'eft donc au goût du fiécle d'Augufle
que iVIr. Blondel veut qu'on attribue le
jugement qu'Horace a tait de Plaute, par-
ce, dit-iJ, que ce iiécle étoit ennemi des
mauvaifes boufonneries, félon l'aveu mê-
me de Strada. Comme Horace n'a parlé
le plus fouvent que fulvant les fentimens
où étoient les honnêtes gens de fon temsà
l'égard des Auteurs, on ne doit pas s'ima-
giner que ce qu'il a dit de Plaute foitdiîîe-
rent de ce qu'en penfoient alors les perfon-
nes de bon goût, lefquelles étant accou-
tumées aux délicatefles & aux cadences a-
gréab'es des Poètes Grecs dont les Ro-
mains faifoient alors leurs délices ne troa-
voient peut-être plus dans les manières de
Plaute ni dans les mefures fi peu régulières
de fes Vers ces agrémens & ces douceurs
que leurs Ancêtres y fentoient, parce qu'on
n^a-
î. f . Prol^gom. in AmphitiuonCJU FUutJ.
3. % rrolui; 1. I. Pixled. 2,
B i
iS Poètes Latins.
Jlmtt n'avoit point encore vu rien de meilleur.
Enfin il n'eft pas étrange que fous un Mo-
narque on ne prît plus tant de plailir aux
contes impertinens ^ aux pointes recher-
chées & aux boufonneries infipides , qui
charment d'ordinaire la Populace dans un
Etat Démocratique , & qui d'ailleurs a-
voient la grâce de la nouveauté dutems de
Plante (i).
Les liécles fuîvans étant déchus de ce
point de délicatefTe, femblent avoir repris
le goût que les Anciens avoient pour Plau-
te avant qu'on eût eu la communication
des Poètes Grecs. C'eft ce qui paroît non
feulement par ce que nous avons déjà rap-
porté de S. Jérôme, mais encore par l'es-
time particulière que Macrobe & divers au-
tres Auteurs témoignent (2) avoir eu pour
fes Comédies.
Depuis larenaîfTancedes Lettrcs,les Criti-
ques voulant éviter les deux extrémités où
ils avoient vu les Anciens au fujet dePlau-
tc, ont jugé que comme il y avoît quel-
que chofe à louer, il fe trouvoit auffi quel-
que chofe à reprendre dans cet Auteur.
Les principaux d'entre ceux qui en ontufc
de la forte , font , ce me femble , Jules
Scaliger, Gérard J. Voffius, l'Abbé d'Au-
bignac, & le P. Rapîn, dont je rapporte-
rai ici les jugemens.
Jules Scaliger dit (3) que Plante , malgré
les
I. Tt. Blondel 5 Comparaifon de PindarcSc d'Hora-
ce pag. 272. & fui vantes.
z. Macrob. Saturnal, 1, 2. c. i. & ex co Gyiald. «t
fupr.
Poètes Latins. 29
les douceurs & les agrcmens quî paroîfTent riautç,
naturels en lui, n'a point laiiïe d'employer
toute Paigreur de la vieille Comédie des
Grecs. 11 témoi^',ne ailleurs que lui &
Terencc ont été les principaux, & prefquc
les uniques parmi les Romains oui ayenc
réufTi fur le Théâtre : mais qu'on eft tou-
jours fort partagé fur la préférence que l'on
doit donner à l'un fur l'autre, & que les
Partifàns de l'un & de l'autre, ont chacun
leurs railbns qui ne font nullement à mé-
prifer.
On peut dire néanmoins que bien qu'ils
ayent eu tous deux l'intention de plaire à
leurs Auditeurs, Plante a mieux réuffi que
Terence à divertir le Peuple , parce qu'il ell
beaucoup plus plaifant & plus facétieux.
C'eft ce qui a porté Volcatius Sedigitus à
donner îe fécond rang des Comiques La*
tins à Plaute, au lieu qu'il n'a accordé que
le fixîéme à Terence.
Ce Critique (4) ajoute que Phute a eu
cet avantage fur Terence dans l'efprit de
ceux à qui la Langue Latine étoit naturel-
le. Mais que depuis qu\m a été obligé
d'étudier cette Langue comme étant deve-
nue étrangère, on a jugé la pureté de Te-
rence préférable a toutes les pointes & à
toutes les plaifanteries de Plaute. Autant
que les Anciens eftimoient Plaute, à caufe
du plaifir & du divertiifement qu'il leur
doii-
fupr. pag. tij.
3. Jul. C. Scalig. lib. i. foëtic. qui cft hiftoiic,.
c. 7.
4- H- Julc Scaligei 1, 6. Poët. c. 2.
B3
3© PoiTES Latins»
îlaiitc. donnoit: autant Terence a-t-il été recher-
ché parmi les Modernes , à caufe de fapo
literfe. De forte que Plaute doit fa répu-
tation à la bonne fortune de ces Anciens,
& Terence doit la fienne à notre mifere.
Plaute doit être admiré comme un véri-
table Comédien, & Terence doit être con*
fideré feulement comme un homme qui
favoit bien parler : quoiqu'on ne puiffe pas.
dire que Plaute parlât mal , & qu'on n'ait,
ce femble , rien autre chofe à lui reprocher
que fes vieux mots.
Plaute a travaillé pour ceux de fon tems,
& il a réulîi , parce qu'il a proportionné
toutes chofes à leur portée & à leur goût..
Terence, pour n'avoir jamais voulu s'écar-
ter de cette pureté qu'il a tant affeâée par
tout, a quitté fouventjdit lemêmeScaliger,
cette douceur & cette naïveté qui paroît être
inféparable du caradere Comique. Ainft
on peut dire que Plaute afaitfervir les mots
aux chofes, au lieu que Terence femble a-
voir voulu aflujettir les chofes aux mots ,.
ce qui fans doute eft beaucoup moins na-
turel.
Voffius eftime (i) que Plaute à furpaffé
Terence par la variété de fes matières &
de fes exprefîions Mais il eft de l'avis de
ceux qui trouvent plulîeurs de fes bons
mots plats, fades, & fes jeux d'efprit fou-
vent afiés froids , languiflTans, quelquefois
ri-
T. Gérard. Jo. Voff Inftitution.Pocticar. lib.z.pag.
Ii8. & rctro pag. 125-
3,» C€£*id. Jo. V«fir. Inftitution. Pocticat, lib. î.
Poètes Latins. 31
ridicules & malhonnêtes ; & qui le jugent riautei
moins louable que Terence, en ce qu'il pa-
roît s'être donné tout entier à la fatisfac-
tion <5c au divertillement de la populace
fans diftinèlion ; au lieu que Terence s'eft
refervé pour un petit nombre d'efpritschoi-
fis & de Gens de bien, dont il a recher-
ché l'approbation.
Ce même Critique dît encore ailleurs
que Pîaute e(i moins prudent & moins
exadt que Terence; parce que celui-là in-
troduit plus de quatre Entreparleurs à la
fois fur le Théâtre, ce qui n'arrive point
à Terence. En un mot Phmte a fait fclon
lui un très-grand nombre de fautes en tou-
tes rencontres, mais particulièrement lorf-
qu'il s'agit de reprefentcr les cara6leres de
fes Perfonnages, & les mouvemens divers
des paflions (1).
Mr. d'x\ubignac témoigne auiîî (3) que
Plaute, qui étoît plus près de la moyenne
Comédie que Terence, n'a pas été û régu*
lier que lui , lorfqu'il s'agilfoit de féparer
la reprefentation del'Aélion, c'ell-à-dîre,
de faîrp «-n forte que ni les tems , ni les lieux,
ni les perfonnes préfentes nVnf7ent point
de rapport avec ce qu'il reprefcntoit. Il
s'efl abandonné tant de fois, dit-il ,au des-
ordre que produit cette contufion, que la
ledure en devient importune, qu'elle em-
baraife fouvent le fcns, & détruit les grâ-
ces
pag. 22. 5c pag. T2Î. fie.
î. Hedclin d'Aubignac de la Pratique du Theâtrti
lir. I, chap. 7. pag. 57.
B 4
gi Poètes Latins.
riÂtttc. ces de Ton Théâtre. Le même Cenfeur a
remarque en d'autres endroits que d'un li
grand nombre de Comédies qui nous font
refiées de Plante , il y en a très-peu qui
foient achevées (i). Outre cela il prétend
qu'il fe trouve beaucoup de défordre dans
la fuite de fes Pièces; qu'il y a des Scènes
perdues, & d'autres qui font ajoutées;
qu'il y a des A6les confondus les uns avec les
autres : Mais que celles de Tercnce font
beaucoup mieux réglées , & qu'elles peuvent
fervir de modèle encore aujourd'hui , ce
qu'on ne peut pas dire de celles de Plau»
le (2).
Le P.Rapin paroît être du fentîmentdes
autres Critiques , touchant le défaut de ré-
gularité qu'ils ont remarquée dans Plante;
mais il ajoute que quoique cette régularité
ne foir pas tout-à -fait fi grande dans l'or-
donnance de fes Pièces, & dans la diftri-
bution de fes A6tes que dans Térence , il
ne lailTe pas d'ailleurs d'être plus fimple
dans fes fujets , parce que les Fables de
Terence font ordinairement compofées.
Ce Père reconnoît que Plaute eft ingé-
nieux dans fes deifeins, hcuieux dans fes
imaginations , fertile dans l'invention.
Mais il avoué auffi qu'il a de méchantes
plaifantcries; que f.s bons mots qui fai-
foient rire le Peuple, faifoient quelquefois
pitié
7. Le même Auteur livre 2. du même Ouvrage
chap. si.pag. i8 3- 284.
2. D'Aubigniic au même Traité livre j. chap. 4.
pag. 28». 2«4.
3. René Rapin,P.efî''xions particulières fuilaloë-
tique, lecoûde partie, Reftex. zô.
Poètes Latins. 33
pitic aux honnêtes gens; que s'il en dit des piaute.
meilleurs du inonde, comme on ne le peut
pas nier, il en dit aulTi quelquefois de tort
méchans. Enfin il prétend que les dénou-
mens de Terence font plus naturels que
ceux de Piaute , comme ceux de Flaute
font plus naturels que ceux d'Arillopha-
ne (^).
Un Auteur Anonyme croit (4), que
Plante n*d\ pas de ces Poètes qu'on peut
imiter indifféremment en toute rencontre,
parce qu'il s'cft donné des licences que
l'on ne pourroit point fouftrir aujourd'hui
ailleurs que dans la bouche des Comé-
diens & des bouffons: au lieu qu'il n'y a
prefque rien dans Terence qu'on ne puifTe
fort bien employer même dans les fujetsks
plus graves & les plus férieux.
Enfin ceux qui feront curieux de con-
noître une partie des f.utes particulières
que les Critiques ont remarquées dans di-
verles Comédies de Piaute, pourront con-
fulter Jules Scalfger qui en a ramaffé quel-
ques-unes dans fon Hypercriiique, (S: dans
le premier & troîfiéme Livre de fa Poéti-
que (f). Nous nous contenterons de dire
que ce Critique jugcoir l'iauie peu julle ôc
peu heureux dans l'infcripti n de la plu-
part d fes Comédies; que le Rude}7s ^ par
exemple j dévoie être appelle plutôt la
Tem*
[ 4. Bibliograph. Hifloric. curiof. Ph'lolog. pag. ftf.
j. ^. Jnl. Scalig 1. i. c 7.1. 3.C. ulr. 1. 6. c z. &. 3.
V. & 01. Boitich. Diflcrt. de Poët. Lat. num. s.
tt Georg. Matih, Konigius in Biblioih. Ver. &l
KaVt
54 Poètes Latins.
fiante. l'embête \ que le "ïrinummus ^ dont il n'eft
parlé qu'une feule fois dans celle qui por-
te ce nom, devoir avoir celui de Trefor'f
que le Truculentes devoit porter plus juge-
ment le titre de Ruftique , &c.
Mais je ne doute prefque pas que Made-
rrjoifelle le Fevre n*ait bien reformé des
chofes dans les jugemens que la plupart
des Critiques ont porté de Plaute:&com»
me je n*ai point encore eu la fatisfadion
de voir ce qu'elle a pu dire fur ce fujet
>* dans fa dode Préface fur les trois Comé-
dies de ce Poète qu^elle a traduites en no-
tre Langue, je me trouve ob'igé d'y ren-
voyer le Leéleur. J'ai feulement ouï dire
qu'elle prétend que Plaute a mieux enten-
du les règles du Théâtre que Terence: &
}e me fuis imaginé dès-lors q^e la peine
qu'elle a prife pourroit bien être l'effet de
quelque compaffion qu'elle auroit eu pour
je petit nombre, & de quelque defir qu'el-
le auroit eu de fortifier le parti le plus foi-
ble pour faire plus d'honneur à fon Au-
teur, & donner plus de poids à fon travail.
Entre Tes diverfes éditions qu'on a faites
de Plaute , celles de.Douza & de Gruter
ont paru aiïes bonnes, mais on leur a pré-
féré dans la fuite celle de Pareus, celle de
Taub*
I. ^.U faloit dire le Per^a p^r rapport au parafitc Saf u-
lion introduit comme Perlan dans cette Pièce. Ceux
^ui ont cru qu^Perfa fe devoit entendre de la fiile de Sa-
tnrion , que ce parafite ne fait pas difficulté de vcn«lf e,
pour avoir dequoi manger, n*ont pas fait réflexion que
Jerfa , comme en Franc o:s Perf'an , eft un uom touiours
marculia,Sc queixFlauteavoit euen vuclafille deSa-
tLQtioii^pouxeu faùc ic titie de fa ComcdiC; ce n*eli
PotTES h A T l H S. gr
Taubman , & celle de Gronovius , fans piaut^
parler de celle de Mr. de Lœuvre pour le
texte.
Les titres des vingt Comédies qui nous
reflcnt font , V Amphitryon , V À/maria ,
VAulularia ^ les Captifs^ le CurculiOy la
Cafina^ \^ Cijîellaria^ VEpidscus ^\ts Bac^
chides ^ \^ Mojlellaria ^ les Mena:chmes ^ le
Soldat glorieux ^ le Marchand^ le Pjeudo-
lus , le Pœnulus ^ La Perfa (i)^ le i^«-
<^tf»/, le Stichus^ le T'r'tnummHS ^ài IcTrti'
culenti^s.
* Plauti Comœd'tte XX. 3^^?// Douz<s filii
(um aaimadverfionibus ^ m- 12. Francof.
.1610. — Phil'tpp. Parcel in-^. Fraxcuf. 1610.
in- 4. Neapoli 1619, — hamhtyii in- fol. P<2-
r//^ ifyy. — 'Taabmannt {Fr'td.) in-4.//^;V-
tebergce i6l^ — >^^ »//;rw Delphini 'Jaco'-
ho Operario in- 4. Parif. 1679. — Lexico»
Plautifjum editum in- 8. HaKovia 1634»
F.
pas P>r/4, mais P^f/j, qu'il l'auroît inritulée. L'i-
gnorance a cependant fait prendre Perfa pour un fé-
minin, lufque-là que dans les éditions vulgaires de
Cicéron «u livre 1. de la Divination, Perla petit
cliicn de laiillc de Paul Ernile étant mort, on en a>
fait une chienne, 8c lu viartna ca'ella,-â\i lieu de r:$r-
tttti catellus, Rabtlais chap 37. du livre 4. aruivices-
éditions, *c dit Ferfa eft morte, au lieu de Ptrfa eilj
aoit; ce qui a induit en erreur Toa C9maicaut«u%
3^ Poètes Latine.
P. T E R E N C E (I) ,
Africain de Carthage , Poète Comique ,
florilFant particulièrement entre la fé-
conde & la troiliéme Guerre Punique,
mort en Arcadie Tan de la V-ille 5-95- ea
rOiympîade 15- 5-. dix ans avant le com-
mencement de la dernière Guerre Puni-
que; ou félon d'autres l'an 599. de la
fondation de Rome en la 15-6. Olympia-
de dans l'Achaïe.
Tcrence; 113^, T E foin particulier que la poflerî-
JL> té a toujours eu de conferver
tout ce que Terence a pu lui confier,
efl une preuve inconteliable de Teflime
qu'elle a toujours faite de tout ce qui
pouvoir venir de lui ; & il y a peu d'Auteurs
parmi les Anciens, dont elle ait plus heu-
reafement pris la défenfe contre l'injure
& la négligence des tems. Car on ne peut
poîni dire que c'eft par fa faute, que nous
foinmes privés d'un grand nombre des Ou-
vrages de Terence, s'il elt vrai qu'ils
foient tombés des mains mêmes de leur
Auteur, qui a eu, dit-on, le dép'ailir d'en
V')ir le naufrage , & de fur vivre à leur
perie.
C'eft peut être cette difgrace qui a ren-
chéri les fix Comédies qui ont échappé de
ce
! y. Tanaquill. Faber, 2. Ep'ft. crit. xi. & alii Critic,
2. % M. Claiid.us Marcellus.
9. Ofl a pris mal-à-piopos Cscilius poui Acilius.
4. Ce-
Poètes Latins. 37
ce naufrage , & qui a intereiré tant de fié- HtttniK
des à leur confcrvation.
Mais ceux qui prennent pour une fic-
tion tout ce qu'on a dit de la multitude des
compolitions de Terence, jugent avec plus
de rai Ton, ce me femble,que ce petit nom-
bre de Comédies auquel ce Poète leur
femble s'être borné, tire fon prix du mé-
rite particulier de ces i iéces plutôt que du
malheur de celles que les autres Critiques
fuppofent être perdues.
La première de ces Comédies, qui eft
V indrienne ^ fut rcprefentce Fan de la Vil-
le fSy. Ibus le Confulat de C. Sulpicius
Gallus, & de M. Claudius (2), 166. ans
devant notre Epoque, après avoir été lue,
approuvée & admirée par M. Acilius (3)
Glabrio l'un des Ediles, à qui Terence a-
voit eu ordre de la faire voir pour être exa-
minée (4).
L'/ic^'rtf, qui étoît la féconde dans Tor-
dre de la compoliiion , fut jouée Tan de la
Ville 5-88. tous le Confulat de T. Man-
lius Torquatus, & de Cn. Odavius Ne-
pos.
\S Heautontimorumene le fut l'an ^'ÇO.fous
le Confulat de T. Sempronius Gracchus &
de M. Juvcntius Thalla (5:). ]JEu>2uque^
le i'horm'ton l'an 592. fous le Confulat de
M. Valerius Meflalla , & de C. Fannius
Strabo. Celle des Adelphes fut reprcfentée
l'an
• 4. Gérard Joan. Voff lib. de ?oct. Lat. pag. lo;
Vid. ôc Prolog. Comoediar. Terentit pafiïm.
5 f ■ Glan4oipius lit Taiva. La meilleuie UçQt
gS P O E T E s L A T I K Sr
Tcïcflcc. Tan de la Ville 5-93. fous leConfulat deL*
Anicius Gallus & de M. Ci)rnelius Cethe-
gus, l'année que fe firent la féconde & la
troilîcme reprefentation de l'Hccyre.
Il taut avouer que ce récit pourroit pas-
fer pour une efpece de digrelîiôn de mon
fujet;mais outre quej^ai reçu de mes Lec-
teurs ia difpenfe de l'obligation où je me
fuis engagé de ne point toucher aux faits
qui regardent les Ouvrages , c'eft que les
Cenfeurs équitables eftiment même ces
fortes de récits indifpenfablcs , lorfqu'ils
fervent à donnerdu jour aux jugemensque
l'on a portés des Ouvrages qui en font le
fujet.
Terence a pris TAndrienne, THeauton-
timorumene, rEunuque& ks Adelphesde
Menandre, qu'il n'a prefque fait que met-
tre du Grec en Latin , & )t5 deux autres
viennent de cet Apollodore dont nous a-
vons parlé parmi les Poètes Grecs. On
ne peut pas nier aufîî qu'il n'ait été fecou-
ru dans fon travail par quelques perfonnes
ëe la première qualité dans Rome. Ces
perfonnes étoient C. Lgelius furnommé le
Sage, & le jeune Scipion, lequel , quoique
beaucoup moins ât;é que Terence, ne lais-
là point de faire avec lui une liaifon li for-
te pour le commerce d'études & de Let-
tres qu'ils entretenoient enfemble, qu'cwi
a crû qu'il étoit lui-même l'Auteur de ces-
Co
ï. Autor Vit. Tcrent. nonDonat. fcd Suet. inpro»
Jog. omn. édition.
i, Kckt. Hiit. de l'Acad, Fianf. pai Mx. Feli/r,
Poètes Latins. 39
Comédies , & qu'il n'avoit emprunté le Tcicncflî.
nom de Terence que pour ne point des-
cendre de Iba rang (i): comme a fait du
tems de nos Pères le Cardinal de Riche-
lieu, qui promettoit obligeamment de prê-
ter fa bourfe à ceux qui vouloient lui prê-
ter leur nom , pour publier les Pièces de
Théâtre qu'il avoit compofées (2).
L'envie qui fait ufage de tout pour tâ-
cher de décrier le mérite, ne manqua point
d'employer ce prétexte pour faire mettre
Terence au nombre des Plagiaires. ]VIais>
ce Poète ayant fait juftice non-feulement à
Menandre & à Apollodore, mais encore à
Lselius & à Scipion^ pourvût fort bien à
fa propre réputation par ce moyen, & il
fe fit même un honneur de ce que iès en-
vieux prétendoient faire tourner à fa con-
fulion (3).
Les Critiques ont examiné particulière-
ment trois chofes dans les Comédies de
Terence: i. l'ordonnance & la forme de
fes Fables : 2. les mœurs du Poète & cel-
ks de fes Perfonnages , ou pour mieux dire
la morale du Poète & les caradéres de^
Perfonnages : 3. le flyle & le difcours.
Comme ils y ont remarqué une infinité de
chofes très- louables & très-propres pour-
nôtre inllrudion , ils ont crû y trouyer
auifi quelques défauts dont ils ont bien;
voulu nous donner avis. Et quoique quel-
ques»
page iio. jufqu'i 117. de l'édition in-iz. 1672.
i. Tcrcnt, Prolog, Adclplior. Comœd. Item Ci*
ceio lib. 7. Et)ill. ad Attic. Item Lil. Grcg. Gyiald^
UiH* ÏQ'ii, PUI, Yiii, pag. syo. tom. 2, iurt^
40 Poètes Latiks.
T<tciKs. ques-uns d'entre eux, tant parmi les An-
ciens que parmi les Modernes, fe foient
vifiblement trompés dans les jugemens
qu'ils ont prétendu taire au défavantage de
ce Poète , on n'en peut pas raifonnable-
ment tirer une conféquence générale con-
tre tous ceux qui ont pris la liberté de trou-
ver quelque chofeà redire dans fes Comé-
dies , comme a fait Jules Scaliger (i ) , qui
a foutenu que tout ce que les bavans re-
prennent dans Terence, ne peut leur pro-
duire autre chofe que du blâme, & qu'ils
ne peuvent être que de mauvais Juges. Car
Scaliger fe feroit condamné lui-même ,
comme nous le verrons dans la fuite.
$.1.
Les Anciens ont dit peu de chofès de
l'ordonnance à. de la conduite de fes Fa-
bles. Ils lui ont reproché, félon le P.
Rapin (2.) , que fes Fables n'étoient pas
fimples comme celles de la plupart de au-
tres Comiques, mais qu'elles étoient com-
pofécN & doubles. C'eft-à-dîre qu'ils l'ont
accufé de faire uneCoinédie Latine de deux
Grecques , comme s'il eût voulu fe ren-
forcer par cet exptdîent & animer davanta-
ge fon Théâtre. Un autre Critique a pré-
tendu au contraire (3) , qu'on ne
re-
1. Jul. CxC. Scalig, lib. 6. Toctices c. 3. pflg.768.
2. Ren Rapin, Rcfit'xions Particul. fur la ioëti-
que, féconde partie Refl. z 5.
3 François VavHfleur A non. Rcmarquci ftix lc$
R^eflex touchant la Poet pag. 124.
4. Teicm, Iioiog. ùi Audit Coiuoed,
Poètes Latins. 41
reprochoît pas à Terence que fcs Corné- Teitncc;
dies étoient compofées de deux principales
affaires, mais qu'il prenoic une partie d'un
endroit des Grecs , & une partie de l'autre.
Il feinble que Tune & l'autre de ces deux
opinions peut fe défendre par l'autorité
même de Terence (4) ; que l'une ne détruit
pas l'autre, & que pouvant fubiifter toutes
deux enfemble, elles font toujours con-
noîire que l'œconomie de fes Compofitions
n'étoit pas généralement approuvée.
C'eft peut-être ce défaut d'invention qui
Ta fait appel 1er par Cefar un Demi- Menant
àre^ ou comme l'explique le P. Rapin , un
Diminutifde ce Poète Grec (5-); parceque
bien qu'il eût pris fes dépouilles, il n'avoit
néanmoins pas pu prendre entièrement fon
caradcre & fon génie, & qu'on ne lui
trouvoit ni force ni vigueur , quoiqu'il eût
beaucoup de douceur & dedélicatefTe. Mais
au refte, ajoute ce même x\uteur , Teren-
ce a écrit d'une manière ii nûturcllc & fi
judicieufe, que de copilte qu'il étoit, il eft
devenu original. Car jamais Auteur n'a
tu un goût plus pur de la nature.
Un ancien Ecrivain que Mr. d'Aubi-
gnac a pris pour le Grammairien Donat
(6) , femble avoir aufli trouvé à rédire à
l'ordonnance des Fables de Terence. Il
l'accufe d'avoir ailes mal gardé les bien-
féan-
j. Sueton. in Vita Terentii prifix. édition. Ter.
ubi referuntur vejfus aliquot fuperftit. C. Cxfaris,
Item Thomafl". & Rap.
6. Suet. in Vit. Ter. Item Hcdclia d'Aubignac
de la Piatiquc du Theâtic liv. z. chap. lo. pag.
X8j.
42 Poètes Latine.
Tacace. féances, d'avoir fait des palTions trop lon-
gues & trop ardentes pour le genre Comi-
que qu'il reprefente , & d'avoir employé
fouvent des eipreffions trop nobles & trop
relevées, prétendant que c'étoit fortir des
limites dans lefquelles les règles defon Art
l'obligeoient de fe renfermer.
II s'eft trouvé auffi quelques modernes
qui n'ont pas jugé que le fonds & Tordre
de Tes Fables fût irreprehenfiblc (i), & qui
ont publié qu'il n'étoit point heureux dans
l'invention de fon fujet. Mais cette cen-
fure ne paroît pas fort neceflaire, quand on
çon/idere que Terence n'a point voulu é-
prouver fes forces fur ce point, & qu'il a
bien voulu attribuer la gloire de l'invention
du fonds de fes Comédies aux Grecs ; ce
qui lui eli commun avec plufieurs autres
Poètes Latins. Quoiqu'il en foit, on coa-
vient aiïes que Terence eft judicieux dans
fes Epkafes^ & naturel dans fes Catafiro"
phes (2). Cela veut dire qu'il conduit fort
bien l'embarras , les difficultés & les dan-
gers qui font le fort de la Pièce, h qu'il
les fait arriver naturellement à leur fin,
c'eil-à dire au dénoument de l'intrigue.
Et pour faire voir qu'il avoir le génie
véritablement Comique , & qu'il favoit par-
faitement les règles de l'Art , Mr. d'Au-
bignac (3) dit, que c'eft lui qui nous a
donné des modèles de la nouvelle Comé-
die, où l'on a fû féparer l'Adion Théâ-
trale
1. Claudîus Verdeiius in CenCon. omn. Audior.
2. Renc Rapin,R.eâ. féconde partie comme ci- dciTuj,
Poètes Latins. 43
traie d'avec la Reprefentation. Cela con- Teicncr;
iillofc à prendre un fujet auquel ni l'Etat ni
les Spedateurs n'avoient aucune part ; à
ChoKir des avantures que l'on fuppolbit
être arrivées dans des pays fort éloignés,
avec kfquels la Ville où fe faifoit la Re-
prefentation n'avoit rien de commun ; &
à prendre un tems auquel les Speâateurs
n'avoient pu être. Àulfi ne verra-t-on pas,
ajoute ce Critique, que Terence fe foit
emporté à. ce dérèglement , ni qu'il ait
mêlé la Reprefentation aux Adions qu'il
imitoit dans fes Poèmes: ou s'il l'a fait,
c'eft fi rarement & fi légèrement, qu'il
n'en eft pas fort blâmable. Enfin cet Au-
teur paroît avoir été fi perfuadé de la capa»
cité de Terence & de fa régularité en tou-
tes chofes, qu'il a entrepris fa défenfecon*
tre divers Critiques îndifcrets qui avoient
prétendu lui trouver des fautes par un ef-
fet de leur propre ignorance ou par une
pure envie de critiquer. Ce Traité a pour
titre Terence jujîifie\ à. je ne doute pas que
je n'en eufiTe reçu beaucoup de fecourspour
Bion fujet, 'C\ l'avois pu parvenir à le trou-
ver pour en faire la ledure.
Ç. 2.
Pour ce qui efi de la morale de Teren-
ce, on peut dire qu'elle ne pouvoit pref-
que point ctre plus réglée ni plus pure
hors
î. Hcdel. d'Aubign. Putiq. du Thcâtic lific r»
<hap. 7. &c^
44 Poètes Latins.
Tcrence. hors du Chrillianifme , qu'elle le paroît
dans fes Comcdies. Auffi s'étoit-il appli-
qué à la tirer de la doctrine des Philofo-
phes, comme Ciceron Ta remarqué (i),
lorfqu'il a écrit que Terence avoit em-
prunté beaucoup de chofes de la Philofo-
phie.
Grotîus témoigne (2), que s'il cft utile
aux jeunes gens à caufe de la pureté de Ion
ftyle & de fes autres agrémens, il n'eft pas
moins propre pour Tinfiruâion des hom-
mes, de quelque âge & de quelque état
qu'ils puiiïent être, parce qu'ils y voyent
comme dans un miroir fidèle une belle i-
mage de la vie & des mœurs de leurs fem-
blables.
Volïïus femble dire que cette fage con-
duite qu'il a obfervée dans toute fa morale
eft l'elfet de la folidité de fon jugement
(3); que ne s'étant point étudié à fuivre
les inclinations de la Populace, qui ten-
dent pour l'ordinaire à la corruption & au
d-éréglement , il ne s'eft attaché qu'à ins-
truire les honnêtes gens d'une manière
qui leur plût ; & qu'il a eu au delfus des
autres Poètes Comiques l'avantage & la
gloire de corriger des courtifancs , & de
les
ï. Cicero TufcaUn. quxftion. lib. î & apudTfeo-
mafl. lib. i. c 15. n. 12.
2. Hug Grotius Epiftol. ad Benjam. Maurciium
pag. IÎ4. poftNaudzum.
fl Le ciuffrc renvoie à une Lettre d'Hugo Grotîus
datée de Roterdam 1615. à Benjamin du Maurier
Ambafladeui de France en Hollande, pig. 134. pojl
Naud^um, ce qui veut dire que cette Lettre le trou-
ve imprimée à la luite de la I>ibliogiaphie politique
de
Poètes Latins. 45*
les porter à un genre de vie plus fage & Tcrence^:*
plus réglé.
Mr. de Saci paroît avoir eu auflî les mê-
mes fentimens (4) , lorfqu'il a die que Te-
rence a tracé dans les Comédies un ta-
bleau excellent de la vie humaine; & que
fans ufer d'aucun artifice, ni atfecler au-
cune adrefle, il a peint les hommes par les
hommes mêmes , en les faifant paroître
fur fon Théâtre, tels qu'ils paroiffent tous
les jours dans leurs maifons & dans le
commerce de la vie civile.
Le P. Thomaffin ellime (5-) , que les
Anciens conlîderoientTerence comme un
autre Menandre, particulièrement pour ce
caradere moral qui l'a diflingué des autres.
Car on convient que Menandre ell celui
d'entre tous les Comiques , & peut-être
même entre tous les Poètes Grecs qui a
fliit plus de leçons de morale dans fes Poe-
fies. Le même Père a cru que pour nous
perfuader que Terence n'a rien écrit qui
ne doive être conforme aux règles de l'hon-
nêteté & de la fageflè, il fuffit de conlide-
rer que Scipion y a eu part: & que c'efl
relever bien hautement le mérite des Co-
médies de Tércnce , de dire qu'il y a des
traits
de Gabriel Naudé. C'eft U cinquante quatrième
des Lettres de Grotius in fol. Amfterdam 1687.
3. Ger. Jo. Voflius Inftitution. Poëticar. iib. z,
pag. 114- Î25-
Item ibidem pag. 12T. nj. & paq. 128.
4. Préface de la Trad.Frauç. des Comed.de l'Andr,
d«s Adelpli. 8c de Phormion.
5. Louis ThomalTin , de la manière d'étudier 5c
d'enfeigner Cluéticnnemenc les Poètes Ilv. i, tomi
I. ch-ip. 15. nomb î2. p. Z03.
46 Poètes Latins.
Yewû^e/ traits non-feulement du plus grand hom-
me qu'eût alors, & qu'ait peut-être jamais
eu l'Empire Romain (i), mais d'un des
plus fages & des plus grands amateurs de
la fageiTe & des Sciences qui ayent jamais
cté parmi les Païens.
Mais quoique Tcrence ait pafle de tout
tems pour un des plus honnêtes & des
plus retenus d'entre tous les Poètes profa-
nes, il ne laifle pas de fe trouver dans no-
tre Religion des Critiques dont la délica-
telTe eft li chafte, & dont le goût eft fi in-
corruptible, qu'ils ne peuvent fouifrir que
ce Poëte ait mêlé dans fes Comédies des
chofes, qui bien qu'exprimées en des ter-
mes honnêtes , excitent néanmoins des
images dangereufes dans ceux qui les H-
fent, & blcffent d'autant plus la pureté,
qu'elles le font d'une manière plus imper-
ceptible & plus cachée (2). Si l'on con-
damne Terence pour ces libertés, je ne
vois pas quel eft le Comique qu'on pourra
renvoyer abfous , même parmi ceux de
notre Religion.
Terence n'a point acquis moins de gloi-
re par les mœurs qu'il a données à fes pcr-
fonnages que par fa propre morale. Var-
ron difoit (3) , que c'eft principalement
pour l'art de repreienter les mœurs qu'il a
remporté le prix fur les autres, comme
Caecilius pour l'invention des fujets , &
Plau-
' T. Cîceron dit: Tnfttr clegAnttam ftrmonisx & ne
Jiarle que de Laelius.
z. Préf. d'If, le Maiftre de Saci, comme ci-deflus.
3. Vaiio in Ptimeaonc ^ Nonius Marcel, iavocc
Poètes Latins. 4^
Plante pour la beauté des diTcours. Tcrence,
En effet , fi nous en croyons un ancien
Grammairien (4), perfonne n'a jamais été
plus éxad que Terence dans l'obfervation
de tout ce qui concerne les perfonnages
defes Comédies, tant pour leur âge, leur
condition , & le rang qu'il leur a une fois
donné , que pour leurs devoirs & les
fondions qui y font attachées. Il ajoute
que ce Pocte eft le feul qui ait ofé intro-
duire fur le Théâtre d'honnêtes courtifa-
nes, quoique l'honnêteté ne foTt pas ordi-
nairement le caradere que l'on donne à
ces fortes de perfonnes. Mais avec tout le
ferieux qu'il a employé dans le genre Co-
mique, on ne peut pas dire qu'il ait jamais
donné aucun air Tragique ou trop élevé à
fes perfonnages, comme il ne les a jamais
fait defcendre dans le caradlere bouffon.
C'eft un tempérament auquel le même
Auteur dit, que ni Plaute, ni Afranius,
ni Accius n'ont jamais pu parvenir.
Enfin le P. Kapin écrit que (5) c'eft
dans l'expreffion des mœurs que Terence
a triomphé par defTus les Poètes de fon
tems, parce que fe« perfonnages ne for-
tent jamais de leur caraélére, & qu'il ob-
ferve les bien-féances avec une rigueur en-
tière.
$•3-
4. Eranthius feu quis alius deTragœd. &ComoecU
ia Prolcgomen. ad Tcxeat. édition, per Nicol. Ca-
vnus.
j, R.. Rapin Réflexion 25. fur la Poétique prcmic-
xe paitic pag. 59, de l'edit. i»-ii,
.Tôrencc,
4S Poètes Latins.
§.3.
Mais on peut dire que rien n'a tant don-
né matière de difcourir aux bons & aux
méchans Critiques que le ftyle & la dic-
tion de Terence. On ne peut point nier
qu'il n'ait toujours été confideré comme
un homme incomparable , & comme le
premier d'entre les Auteurs Latins pour
ce qui regarde la pureté du ityle, la grâce
& la naïveté du difcours. (i)
Suétone, qui a écrit fa Vie (2), nous a
confervc divers témoignages des plus an-
ciens Auteurs qui ne nous permettent pas
d'en douter. Afranius , qui a vécu fort peu
de tems après Terence , dit nettement
qu'il n'y avoit perfonne qu'on pût mettre
en parallèle avec lui (3). Céfar témoigne
auffi qu'il avoit juftement mérité les pre-
miers rangs pour la pureté de fon difcours,
& qu'il fe feroit rendu égal aux plus par-
faits d'entre les Grecs , s'il eût eu un peu
plus de cette force que demande le genre
Comique (4).
Ciceron le loue extraordinairement en
plufieurs endroits de fes Ouvrages , & de
ceux même qui fe font perdus, & dont on
nous
1. De Saci , Préf. de fa Trad. Franc.
2. Sueton. in Vit. Tcrcnt. inter Suetonii Opéra Se
in edit. Ter.
3. Afranius in conipitalib. in fragra. in Vit. pcr
Suet.
Item apud Gregor. Gyral. & alios.
4. C. Csfaris vcrf. à Suctonio citati in Vit. Tc-
fCnt,
S- Ci'.
Poètes Latins. 49
îious a coiifervd quelques fragmens (5). Tcrcnce*
Il lui- attribue une douceur merveilleufe.
11 le conlidere comme la règle de la pureté
de fa Langue. Il alîbre que toute la poli-
telTe Romaine eil renfermée en lui; & il
témoigne que fes Comédies av oient paru
fi belles & li élégantes, que pour cette rai-
fon on croyoit qu'elles avoient été écrites
par Scipion & Lœlius , qui étoient alors
les deux plus grands perfonnages & le$
plus éloquens hommes du Peuple Romain
(6). C'eft ce qu'il ne nous donne que
comme une conjeclure afTés légère en par-
lant de Laelius, parce que plusieurs per-
fonnes, au rapport de Santra (7),jugeoient
que tî T-erence avoit été affilié par quel-
qu'un dans fes Comédiens, il ne Tavoit pu
être par Lœlius & Scipion , qui étoient
encore trop jeunes lorfque Terence écri-
voit, pour pouvoir lui être utiles ; mais
qu'on devoit plutôt avoir cette penfée de
Sulpicius Gallus , homme docte de ces
tems-là, ou de Q. Fabius Labeo & de M.
Popilius , tous deux Confulaires & tous
-deux Poètes. Quoiqu'il en foit, Ciceron
a toujours eftimé li fort la beauté du ilyle
& la netteté des exprefljons de Terence,
que félon la remarque du P. Briet (S), il
a
j. Cicero in Limone feu Florileg. rerfuum deper-
dito, cujus fragment, cxtat apud eunidem Sueton.
6. Idem Cicei. lib. vu. Epiflol. 3. ad Attic. uc
fupià.
Cela ne ruine point la leRexion que nous avons
rapportée du P. ThomalTin ci-deflus.
7. Santra apud Sueton. in Vit. Ter. ut fupr.
8. Philip. Briet. lib. i. de Pcçt. Latin, pxxfijt. Col-
Icft. acutè diftor. per Pocraj,
TomAlLFmAL C
fo Poètes Latins.
srcicucc, a pris de ce Poète les plus belles manières
ck parler qu'il a employées dans Tes Li-
A'res de TOrateur.
Les témoignages avantageux que les au-
tres Anciens ont rendus à Tecence pour
ce point, n'ajoutent prefquerien à ce que
410US venons de rapporter, mais on peut
.du moins remarquer le confentement &
l'uniformité avec laquelle les plusconlidé-
rables & les plus judicieux d'entre eux en
ont parlé; de forte qu'on peut dire que
ce goût que Ton a eu pour fon llyle., a été
prefque univerfel. C'eft.ce qu'il eft aifé de
voir par le recueil de ces témoignages que
Mr. Camus a mis à la tête de fon édition^
où Ton trouve parmi les autres un frag-
ment d'Evanthius ,qui nous fait remarquer
que Terence paroît s'être éloigné de toute
atfeciation ; ce qui ell allés rare en des Au-
teurs qui le font appliques à fe rendre po-
lis & élégans (i). Ce Grammairien ajoute
qu'il n'a point employé de termes trop dif-
ficiles, ni d'expreffions trop myfterieufes,
pour obliger fes Ledeurs à chercher du iè-
cours ailleurs, afin d'en avoir Tintelligen-
ce. C'eft ce qui fait qu'il n'eft point obfcur
comme Plaute. Il dit aulTi qu'on voit dans
tout ce qu*a fait Terence; une liaifon na-
turelle des parties & un enchaînement
mer-
I. Evanthîus ut fupra. Item Ciccro de optimo
génère Oratorum non femel. Vel. Patercul. liK
a. tliftor. Plin. Jun. lib. i. & alii non pauci. V.
Prolegom. Nie. Camus 5cc.
i. Ju], Scalig. lib. 6, Foeticcs cup. j, pag, 76t. ut
fupjà,
i. IdeuL
Poètes ïi a t i n s. ft
tnerv^illeux du Commencement avec la fin Tcrcacc^
de fon difcours.
Le ftyle de Terence n'a point trouvé
'ftîoins de partifans & d'admirateurs parmi
les modernes que dans TAntiquité. Jules
Scaliger loue Tartifice qui -paroît dans la
difpolition de fes matières & dans l'arran-
gement de lès mots {%); & c'eft dans cette
proportion que conlide fa beauté. Le mê-
me Critique dit ailleurs (3), que Terence
ell une excellente lime propre à polir la
vieille & la nouvelle Latinité; & fon fils
Jofeph reconnoiflant qu'il y a dans ce
Poète des délicatefles & des agrémens infi-
nis, ajoute que de cent perfonnes qui les
-fifent, à peine s'en trouve-t-il un qui les
y apperçoive (4).
Mr. Guyet dit (5*), que Terence renfer-
me en lui feul toutes les beautés qui fc
trouvent répandues dans tous les autres
Comiques ; & que bien qu'elles y foient
fort fréquentes, elles y brillent beaucoup
plus que dans ceux même où elles font
rares. Et félon M r le Fevre de S au mur
(6) , fi Longin a eu railbn de dire que
c'elt une marque infaillible de l'excellence
d'un Livre, lorfque fes charmes font ca-
chés, & lorfque plus on le lit, plus on le
veut lire; la vérité de cette penfée fe fait
con-
). Idem in l'ibiis de câuds Ling. Lat. & exeoTt^
oaq. Fab.
4. Jofeph. Scaliger refereute etiam T. Fabro ôcc.
5. Franc, Guyet in not. ad Tereut. Cômoed.
<S. Dion. Cafl". Longin. in fublim. & ex eo Tan,
Fiiber. prafac. ad Tcrcut, Comocd, çdit. Salmiuc.
T&71. ifl-La,
C â
Si PoETtS LaTIMS.
•T«cgce, connoître particulièrement dans les Co-
inédies de Terence, qui par leurs attraits
fe font toujours lire & toujours relire avec
un plaifir nouveau , & qui laillent dans
Tefprit de leurs Lecieurs un appétit infa-
tiable, qui fait qu'on ne fe lalTe jamais de
les aimer & d'admirer leur Auteur.
Ce bon effet vient aulTi, au jugement
d^'un Anonyme moderne (i), de ce que
Terence entremêle dans fes difcours quel-
ques Sentences excellentes qu'il applique
avec une naïveté merveilleufe. Il ajoute
que ce Poète excelle encore dans des nar-
rations continuées & fuivies, & dans l'oe-
conomie de tout fon Ouvrage.
Mr. de Chanterefne dit (2) , que la
beauté de ce Poète ne confiHe nullement
dans les penfées rares, mais dans un cer-
tain air naturel; dans une iïmplicité facile,
élégante & délicate , qui ne bande point
î'efprit, qui ne lui prefen.te que des images
communes , mais vives & agréables , &
qui fait 11 bien le fuivre dans fes mouvc"
mens , qu'elle ne manque jamais de lui
propofer fur chaque fujet les objets qui
font capables de le toucher, & d'exprimer
toutes les paffions & les mouvemens que
les chofes qu'elle rçpréfenxe y doivent pro-
duire. Cette beauté femble être particuliè-
re à Terence & à Virgile, & l'idée qu'on
vient d'en donner fait afTés voir qu'elle eft
fncore plus rare & plus difficile que celle
qui
j. If, le Maiftre de Sacî, Préf. fur U Trid. franc.
2. Çhiijacci;. ou ^icgk ^Ëducai^ 4» fxificc 2. part.
PoÉtEs Latins. 5*3
qui coniiQe dans les penfées extraordinai- Tercnce.
Tcs & Ibrprenantcs, puilqu'il n'y a point
d'Auteurs dont on ait moins approché que
de ces deux-là. Cependant c'eil cette beau-
té qui fait l'agrément & la douceur de la
converfation civile, & elle elt d'un bien
plus grand ufage que l'autre beauté qui
Gonlille dans les penfées.
G'eft fans doute cette beauté naturelle
& ce grand talent qui a fiiit dire à Mr.
Gueret (3) , que Terence ell agréable par
tout fans le vouloir être; que l'on vol eft
toujours égal , qu'il ne plane pas com-
me Plaute fur une penlee, & qu'il ne fuit
rien tant que ces endroits favoris qu'on
arrange par compartimens dans un Ou-
vrage pour fuirprendre le Le6teur à chaque
reprife. C'eft, dit-il, dans Terence qu'on
trouve cette Urbamté que l'on cherche
tant. Mais elle n'eft pas du- goût de ceuî
à qui l'air naturel des chofes ne peut plai-
re, ni de ceux qui n'aiment que le fard &
Tatîéterie, ni enfin de ceux à qui les beau-
tés ne font point feniibles quand elles font
fimples & modeftes.
Rien n'étoit plus propre pour foutenir
également par tout cet air naturel que la
propriété des termes, c'ell-à-dire l'emploi
dc5 mots daas leur fignificarion propre.
C'elt en quoi Terence a parfaitement réulîi
au jugement de tout le monde, & c'elt en
ce point qu'on peut dire qu'il a particuliè-
re-
paragruph. ?9. pa». 63. ^4.
J-. Gi. eict de la guerre des Auteurs p. »j. y%f
Ci
1*4 P O E T B s L A T 1 N, S^.
Teicûcc. rement excellé, & qu'il s'eft élevé beau-
coup au delTuS'de tous les autres Comi--
ques, comme roiit remarqué Mr. le Fé-
vre (i) & le P. Lamy de l'Oratoire a-
près quelques, autres Anciens (2).
Enfin c'eft achever les éloges qu'on
peut faire du ftyJe de Terence de dire qu'il
n'y en a point de quelque Auteur que ce
foit qui paroilTe plus utile pour quelque
genre d'écrire qu'on veuille embrafTer; &
que ce ftyle tout Comique qu'il paroît
dans les Pièces de Terence eft très-propre
pour traicer les fujets les plus^férieux, ce
qu'on ne peut pas dir€ de celui de Plaute.
C'eft ce qu'un Critique anonyme d'Alle-
magne a remarqué au fùjet de quelques
Hiftorîens & particulièrement d' Arnoul du
Ferron Continuateur de Paul Emile, & de
Daniel Heînfius^qui dans l'Hiftoire du fié»-
ge de Bofleduc a inféré avec beaucoup
d'artifice un grand nombre de Sentences
de Terence, quoiqu'il ait aiîeâe une fubli?^
mité de ftyle dans tout cet Ouvrage (3).
Après avoir dit tant de bien du ilyle de-
Terence , les obligations que je me fuis-
impofées dans ce Recueil ne me permet-
tent pas de dilîimuler ce que quelques Cri-
tiques en ont écrit à fon défavantage.
Nous avons déjà vu que Cefar ne lui trou-
volt point afles de force &. qu'il, le jugeoit
* trop
î, Tanaq. Faber. Pfscftt. ad Terenr.
2. Entrée, fur les Sciences Se ies Ecudes , 4. Entt.
V^g' 155.
3 Eibiiograph. anonym. Cusiof, Hifloi, Tliilolog,
Poètes L a t i n S; ff
trop rampant (4), il feinble même par le "i^icnc^»
refte de Tes Vers que Suétone nous a con-
(èrvé que c'étoit Topinion de ce tems-là.
Plufieurs veulent auffi qu'Horace ne lui
ait point rendu toute la juftice qui lui e(V
due, lorfqu'il s'eii contenté de dire lim-'
plement que Terence fe faîfoit difiînguer
par l'artifice de Tes compoiitions , comme
Gaecilius par la gravité (y). Quelques Cri**
tiques modernes ont prétendu qu*Horace
parloit en cet endroit plutôt félon le fenti-
ment du vulgaire que félon le lien propre,
& ils ont crû par ce moyen travailler au*
tant pour la réputation d'Horace que pour
celle de Terence (6). Daniel Heinfius a
fait une favante DilTerration pour défendre
Plante & Terence contre le jugement dés-
avantageux de ce Poète Critique. Jean
Henri Boéclerus a fait prefque la même
chofc pour Terence dans les Remarques
qu'il a écrites fur les jugemensdiversqu'on
a faits de ce Comique. On trouve ce qu'en
ont donné l'un & l'autre dans le Recueil
des Pièces que Mr. Camus a miles à la tê-
te de fon édition.
On peut mettre au rang de ceux qui
n'ont pas affés connu le mérite de Te-
rence ce Vûlcatius Sedigiius dont Aulu-
Geîle rapporte la- Critique qu'il a voulu
faire des dix Comiques Latins, parce qu'il
ne
4. Th hic defpe^HS pArif.
5. Horat. lib. 2. Epiftoli ad Auguftum.
6. D.^n. Heinfius de Comoed. & Tragced
Item ], H. Boeder, oblervat. io vaiior, judicla de
Tcreutio ia Pioleg. Ter.
G 4-
Teiçncc,
fô P O E T E S. L A T IN. S^.
ne lui donne que le fixiéme rang (i). Mais-
ii y a lieu de s'étonner qu'un auffi bon
Grammairien qu'étoic Servius ait jugé que
Terence n'eft préférable aux autres Poètes
Comiques que pour la propriété de fes ex-
prelTions, & que dans le refte il leur eft
inférieur (2). Mr. le Févre a craque ce
feroît expliquer fort bien la penfée de Ser-
vius, de dire que Terence a le deflus des
autres pour l'art d'exprimer le naturel,
mais qu'il leur cède pour le mouvement
des paillons (3). Ce qui ne me paroît pas
tout -à-fait conforme au fentiment de VoC-
iius qui eftime que Terence avoir un ta*
lent particulier pour bien ménager les paf-
fions & y garder un tempérament judi--
deux (4).
Néanmoins les gens du monde & les
partifans de la galanterie femblent donner
afles dans le fentiment que Mr. le Févre
a bien voulu attribuer à Servius. C'efl: au-
moins ce que l'on peut penferdeMr. de
faint Evremond,qui reconnoiffant (5-) que
Terence eft peut-être l'Auteur de l'Anti-
quité qui entre le mieux dans le naturel
des perfonnes, prétend d'ailleurs qu'il a
trop peu d'étendue; que tout fon talent
cil borné à faire bien parler des valets &
des
T, Vole. Scd. ap. A. Gel!. lib. ij. c:ip. 24. Noâr.
Atcic.
2. Servius Comment, in Virg. /£n. ad illud i. /£-
acid.
Ttilih»s incufat. & in ilium Boeder.
l. Tanaq. Faber prxfat. ad Terent. Comoed.
4. Gei. Jo. Voflùis Inftit. Poëiicar.lib. i.pag. 124.
X2S,
P a E T E s L A T I N s. SI
des vieillards, nn pe^'-e avare, un fils dc-Tcreocc
bauché, un efclave, une cfpece de Bri^
guelfe; que c'eit jufqu'où s'étend la capa-
cité de Terence. Mais qu'il ne faut atten-
dre de lui ni galanterie, ni paflîon, ni les
fentimens , ni les difcours d'un honnête
homme.
Jules Scaliger qui n'étoit peut-être pay-
toujours uniforme dans fes jugemens non
plus que \on fils, après avoir alTuré qu'on
ne pouvoit point trouver à redire à tout ce
qu'a fait Terence fans fe faire tort à foi-
méme , n'a point fait difficulté de dirs
qu'il eft plus languilTant que les autres Co-
miques dans les chofes qu'il traite , que
c'eft notre mifere & nos befoins qui l'ont
mis en réputation ; en un mot qu'il doit
être conlideré comme un homme qni fait
parler , plutôt que comme un vcritabW
Comique (6). Boeder prétend que c'elt
Volcatius bedigitus qui a jette Scal'geç
dans l'erreur, & il dit qu'il n'a point eu
raifon d'avoir voulu le faire paffer pbaruti
Ecrivain linguilTant, à caufe qu'il a eu la
difcrétion de garder la médiocrité & la re-
tenue dans la raillerie, ce qu'on n'a point
dit de Plaute (7).
Il femble que. Mr. d' Aubignac ait voulu
aug-
12S. ^c.
5. Saint Evremond, Jugement fur SencqHC, Plu-
tarque ?c Petioiie pa^. 185.
é. Jul. Ce!. Scaliger roëtlccs lib. 3. cap. 9^. >7.
Item lib. 6. ca^i. 2
7. Jo. Hentic, poçder. obfciv, ad Judlc, de Tc<
lem. uc iu^iï,
c s
f% P O F TES L A T I ïT-r.-
Teicflcc augmenter aufll le nombre des Cenfeurs-
de Terence. Il dit que Plaute a mieux
réuffi que lui fur le Théâtre, parce qu'il
e(l plus aâif; que Terence ie charge de'
plufieurs entretiens fe'rieux; ma's que ce
n'eft pas ce qu'on cherche dans la Comé-
die où Ton veut trouver de quoi rire: au
lieu que Plaute eft toujours dans les intri-
gues conformes à la qualité des Aéleurs,
d'où naifTent plufieurs railleries, & c'eft,
dit-il, ce qu'on defire (i).
Mais je ne fai après* quels Auteurs un >
Critique Moderne a eu l'afluranee de dire
(2) que la principale différence qui fe trou-
ve entre Plaute & Terence qui rafuivî,.
cft que ce dernier étoit piquant, qu'il rail*
loit toujours licentieurement & d'une ma-
nière des-honncte (3): & Plaute au con--
traire agréablement & ingénieufement. Ju-
gement dont la faufleté eft moins excufa-
ble après une approbation de tant de fîé-
cks que lapalïion de ces envieux , qui
** du
1. Hedel. d*Àubignac, de la Pratique du Théâtre
lit. 4. chap. 2. pag. 374 375".
2. Roûeau, Sentim. particul. Arr quelques Auteurs
pag. 40.
3. ^. Comme il n*eft pas vraHemblabJe qu'un
homme de Lettres ait pu fe faire une idée de Plaute
& de Terence Ci oppofée à celle qu'on s'en fait gé-
néral .ment, il faut croire, ii le manufcrit que Bail-
let cite eft dé la main de Rofteau mCmc, qoe l'Au-
teur aura pris Terence pour Plaute, pat équivoque,
& Plaute pour Terence.
4. Terent. prelog. in Phormion. Comœd. Item
prolog. in Heautontimcr. In Andr. in Adelph. ôcc.
5 .Quintilian. Inftirution. Oratoriar. lib. lo. cap. ?•
^. QuimUiea ca difaiic que les Cçmédics de Té-
P o E t E s L A T rw S. S9
dû tems de Terence croyolent ne pouvoir Tctcncc
fauver leur propre rcputatiou qu'entachant
de le décrier par teurs médifances h en pu-
bliant que fes Comédies étoient foibles &
bafles, fbit dans les manières du Ityle, foit
dans les termes qu'il employé , comme
nous l'apprenons de Terence même (4).
Enfin on peut ajouter à la cenfure du
ftyle de ce Poète, celle que Quintilien a
faite de fa Profodie , c'eil-à-dire de la me-
fure de fes Vers & de la quantité des fylla*
bes. Car on ne peut pas nier qu'il ne di-
minué quelque chofe des éloges qu'il a
faits de l'élégance de fon ftyle, lorfqu'il
ajoute (5-^ qu'il auroit eu encore plus de
grâce s'il fe fût renfermé 'dans les bor-
nes des Trimetres. Cette exception n'a
point plu à quelques-uns des Critiques
modernes , & Boeder dit (6) que Geor-
ge F; bricius a eu raifon de vouloir réfu-
ter Quintilien en ce point.
Les éditions les plus éxaéles des Comé--
dies
T«ncc auroicnt eu plus de grâce s*il n'y eût employé
qge des ïîin.biqiies trimetres, bien loin de marquer
par-là , comme on l'a interprêté, qu'il ne goûtoit
pas les Pièces Comiques écrites en vers, témoigne au
contraire qu'il ne préfère les trimetres aux tetramé-
ffes, que parce que ceux ci, quand ils finiflent fur
teut par des Ipondées, Tentent trop la proie, & ne
peuvent prcfque en être diftingués , au lieu que lec
trimetres, moins étendus dans leur melure, gardent
un peu plus l'air de versi ^^"^ croient- ils très- fré-
quents, fc peut être les fculs employés dans les Pie:-
ees Grecques de la Comédie nouvelle, defquelles je
ne penfe pas qu'il nous refte aucun fragment que
<lans ce genre de vers.
é^ B^écki, AAaotit.iuTudiciaVarioi. de TeieiUv
G 6
6o Poètes Latins^.
T^rencc, dies de Terence font (i) celles d'Heinfius,
[in-i2. à Amfterdam 1635',] de Guyet &
de Boeder, [in-S. à Strasbourg 165-7.] ^
pour le texte correèl: , les éditions de. Lin-
dembrogîus [in-4. à Francfort 1623.] &
de Farierum d'Hollande & de Paris [in- 8»
à Amfterdam 1686.]
* T'erenùus cum Commentarïts Hetrufc»
id'tomate fcriptis yuan, Fabrini in-4. Vene-*
tïis 15-80. ™ Antefignani (Peiri) in-4.
in-8. in-i2. i5"o. 15-74. ^ 15^3' — ^^'
re-i in-4. Neapol. 1619.
C A-
T. Olatis Bbrrichius Difîert, de Poët. Lat. pag. 44^
Ircm de Saci, FréfHce de la Tisd. Pranç.
2. Ç. Siméon du Bois, Simeo , ou comme d'au-
tres le nomment, Simo Bj/Ius , Lieutenant Général
de Limoges, celëbic par Ton Commentaire lur lesE-
pîtres de Cicéron à Atticas , avoir un très-ancien
manufcrit qui fous le titre de Dionyfîus Cnto ad filtum^
contenoit, non pas \ts Diftiqucs vulgairement dits
<le Caton,mais la proie qui da;.s toutes les édiiions
cft à la tête de ces Diftiques, lavoir la Préface > Cum
uni madverterem ,■&(.] es pcttrcs ScntCfiCCS ,Dfo fupplica,
farentts ama, 6ce. au nombre de 56. Elic Vinetdans
«ne de fes notes lur l'idyle de fon Aufone intitulée
2^a/<« , dit avoi» vu ce manufcrit Vifende nnti^uiratisy
que du Bois lui même lui avoit montré. On2X an»
après la mort de Vinet , Jofeph Scaligcr qui avoit
traduit en Vers Grecs les Diftiques de Caton, vou-
)ant publier cette verfion, auflï bonne, pour le dire
en paflant, qu'elt mauvaife celle de Planudès, eut
occafion de parler du manufciit de du Bois. Il ea
paila^ mais.jQCl&TouYeuaat piisquc Vioct avait ob-
icivc
F a E T E s L A T r N s. ^r
C A T O N,
L'ancîen , dit le. Cenfeur, mort vers le
commencement de la troifiéme Guerre
Punique , environ l'an ôoy. ou 606. de
la fondation de Rome.
1 1 36. 'VT O'JS avons des Diftiques Mo- caton.
J.\l taux qui portent le nom d'un
Caton , mais on n'a jamais crû férieufe-
ment qu'ils fullent de ce célèbre Ceufeur,
ni d'aucun Romain de ce nom ou de cette
race. On n'a peutrêtre point eu plus de ■
raifon de les donner à un Dionyiîus Ca-
ton (2) que les Critiques ne connoilTent
que fort imparfaitement..
Les
fcrvë que les Dîftiqucsn'y étoicnt pas, il afTuraqu'iU
y etoicnt. 6c lur cette idée les fît in-.primcr à Leyde .
en 1598s avec le titre de Diyny :.• Cxtsnis D/jI-cha de
moribus ad fiiinm , qu'il artcfta être ainfi conçu dans
le manufcrit de Limoges. Les gens de Lettres s'en
font fies à Scaliger , 2< on i'en croit encore aujour-
d'hui, comme s'il ;lvoit parlé i? v'ru, A l'égard de
l'ancienneté de ces Diftiques, il en mettoit Tépa-
que du temsà peu près de Cou'smode ou de Se v ère,
& fa raifon etoit que Vindicien Médecin de Valen-
tiiiien I. n'auroit eu garde de citer comme il a fait
dans une Epîtic qu'on a de lui à cet Empereur, uq
vêts de ce Caton , li dès ce tems-là l'Auteur du ver»
«'avoit déjà paflé pour ancien. Cette Epitrefe trou-
ve dans la Colledionmedecinalc deMaicellus nom-
mé iw/'/Wcrtx. Vinet depuis, à l'exemple de Scali-
ger, employa contre B^ptifta Pius, comme nous Je
(dijons plus bas, ce pjfla^e de Vindicien, que Sira-
Icr dès l'an 1555. vingt ans avant Scaliger , avoit in-
«iiquc. dans Ion Abrégé de la i3;bliothcque de Gct-
ûCi . au iBOt CAîQmt Pfjiicha.
ai Poètes L a t i k sï
Cacon. Les plus judicieux eftiment que c'éft
rOuvrage d'un Chrétien (i), & ils devi-
nent que l'Auteur ou lesCopiiks auroient
.pu lui donner le titre d^Cato» à l'imita-
tion des Anciens iqui donnoient le nom de^
quelque perfonne confidérable & qui s'é-
toit particulièrement didinguée , au fujet
que l'on traitoit dans l'Ouvrage qu'on
vouloit publier, comme Platon a fait<ians
fes Dialogues , Ciceron , Lucien, -& lcs =
autres dont nous avons rapporté des éxem--
p-lcs au préjugé des Titres de Livres.
Quant au jugement que l'on fait de l'Ou-
vrage , on peut dire qu'il eft ailés unifor-
me dans tous ceux qui en ont voulu dire
leur lentiment. La Morale y eft afFés pro-
portionnée à la capacité des en fans pour
qui il fembk que ces Vers ayent étc faits. -
Mais leur Auteur n'étoit point Poëte, &
quoique l'Ouvrage ne foit point une preu-
ve de la fublimité de Con efprit, il fa t voir
au moins qu'il étoit homme de bon fens;
qui étoît la principale qualité des meilleurs-
Ecrivains qui ont paru depuis la défolation-
de l'Empire par les Barbares.
Ges
I. ^. Akiat cependant 4. Parer^on 13. Scaligcr z*
LtSf. ^»fon. 32. J. A, Fabrice 4. Bibtioth. Lat. 1. &
plulieurs autres ne font pas de ce fentiment. Oft
trouve en effet dans ces Diftiqucs diveifes penfécs
?aïennes , & fans vouloir entier dans aucun détail, .
ie demande (i la Morale Chrétienne enfeigne que
c'eft une fotifc d'appréhender la mort , & de fe pri-
ver des plaiûrs de la vie dans cette appréhenûooi.
C'eft la doftiine du Diftinue 3. livre 2.
a. %. Le paflâge de Vinaicien Ecrivain du quatrié*
jnc fîécle rend cette opinion infoiitenable.
a. De Au^oie hujui opeiis vtd. Joâii, Satisbeiiex^-'
6»
Poète s L a r i n s. 6y
Ces Vers font compris en quatre Livres catoo.
ou Parties, & quoiqu'ils foient tous hexa-
mètres , on ne lailTe pas de les dif^iiiguer
par diftiques. Leur Auteur paroît être
ciu feptiéme ou du huitième lîccle (2 & 3,)
L. A F R A N I U S,,
Poëte Comique» vers Tan ck la-Vilk Ôjo,
du tems de Marius. •
1137; TL nous refle de lui quelques frag- L. Afr*-
1 mens recueillis par les> foins de "i"^
Robert Eftienne , & publics par ceux
d'Henri Ton Fils.
Ciceron témoigne (4) que fes Vers é-
toîent pleins d'efprit & de fubtilité ; qu*il
étoit même difert, terme qui femble mar*-
quer plutôt de Télégance qu'une véritable
éloquence. Horace parle de lui en des ter-
mes qui nous font connoître qu'il avoit pris-
Menandre pour fon modèle (f). Pater-
ctile nous apprend (6) , qu'il avoit une
grande douceur de flyie, & des pi ai fan te-
ries fort agréables. Mai-s Quimilien dit
qu'il
fil dé Nugis Curialib. lib. 7. cap. 9.
Melch. Goldaft; in notis ad Columban. pag. 104.
Marc. Zuer. Boxhoin, in Rom. quxft. 14. pag. 77,
Gafp. Barthius Adveifarior. lib. 24. cap. 4. col,
2178.
Vincent. Placcius de Anonymis detcftis cap. lo;
num. 290. pag, 77;
Georg. Matth. Konigius Biblioth. ver. ÔCnov.pîïg,
177. &c.
4. Cicero in Bruto feu Dialog. de Ofat.
S- Horat. de Art Toët. 4icitHr ^frant toga •cmvnif'
fc Mtndndra. z. Epift. i.
». Vcli. fateicul, lib, i. Uiâ, ciica finem,
Z. Afcâ-
aius..
64. P (^ z T E S Latin s.
qu'il avoît infeélé fes Pocfies des maximes
infâmes de la Paîderaftie (i) , & que c'é-
toit un etfet du dérèglement de fes mœurs.
Les Critiques jugent qu'après Tcrence.
&. Plaute , Afranius n'avoît perfonne au>
defTus de lui, non pas mémeCaecilius dont
nous avons parlé, 11 réuiriiroit particuliè-
rement dans la Comédie de lo-^gue robe (2),
s'il eft permis de parler ainfi , c'eft-à-dire
dans ce genre de Comédie Romaine que
l'on compofoit fur les mœurs, les coutu-
mes, & les façons d'agir des Romains
dont on prenoit même les habits , d'où
ét^itvenu k nom. Et il n'avoit pas moins
de Cuccès dans les Atelîas^es (3) qui faî-
foient un autre genre de Comédie , mais
plus mordante & plus proche du caractère
de la Satire dont elle n'employoit pour-
tant pas les Adeurs, defquels l'art confis-
toit dans l'expreffion du ridicule, & dans
la. boutîbnnerie : au lieu que les Auteurs
des Atellancs d-voient prendre un air bru-
tal & reprefenter l'obfcénité en vieux lan-
gîîgeC4)-^
* Voy-és dans le Corpus Poëtanim\^ cité
àTArt. 1131.
Q..
I. f. Quintilian. .1. ïo. Inftit, i.-
X. % Cette cxpreflion Comede de longue nhe yZh\t
rire. Baillet aiuoit pu éviter le rd-.cule, s'il avoit
dit qii'Atranius excellait dans ies l ie'ces nom<iiécs
ToiAt<£ , compoîees fiùvant les mœurs, les ccutnmcâ
& les façons d'agir des Romains, dont on prcnoifr
même l'nabit > To^c , d'où veaoit le ttom Togat.t.
3. ^.liU Ville de Camp^iiie.
vLil. Gie^oi, Gyialdi Piaiog. i^ de Hiit. Pot-
Poètes Latins. 55*
Q. LUTATIUS CATULUS,
Conful avec Marius, Tan 65'i. de la Vil-
le, étouffé Tan 666. de Todeur du char-
bon & de la chaux dont ou avoit tout
fraîchement enduit les murailles de la
chambre où il s'étoit renfermé, pour fe
iàuver des mains de Marius & de la
mort.
1138. f^Uelque beauté qu'il y ait eu catulus,
v^^dans les Vers de cet homme,
& quelque élégance que les Anciens y
trouvaflent , la perte que nous avons
faite de la plus grande partie nous en doit
être d'autant moins fenfible , que cette
beamé étoit toute infcélée de ces faletés
dont les Poètes lafcifs font toutes leurs
d€Hces, Il faatmême que cette infe6Hori
ait été afles univerfelledans fes Vers, puis-
que ceux qu'on nous a confervés , comme
les meilleurs, n'en font pas tout -à- fait
exempts. Ilréulîîfîbit particulièrement dans
les Epigrammes ; mais il n'étoit pas encore
arrivé au point de l'éxaclitude où l'on a
mis- depuis la Profodie (f.). *- Vo-
tar. pag. 6s6. 697. ubi de variis Comœd. gcnciib.
ôcc.
Phil. Bricr. de Poct. Latin, lib. i. pag. 9.
Gcr. JoLin. Vofl^. de Poët. Lat. 1. lin?, ij.
Gcorg.Matth. Konig. Biblioth. vet & nov. pag. T4.
S. Lil. Grcgor. Gvrald. de Hiftor. Poctar. Dul-
lûg. 10. pag. lof r.
Gcr. Jo. Vofl; de Hiftoricis Latinis lib. r. cap. ^
66 Poètes Latine
* Voyés dans le Corpus Poétarum.hxt.^
2 131..
C. LU C I L.I US,
Poëte Satirique, Chevalier Ronn:jm ,^r3C<fi
Oncle de Pompée, né en l^>]v:rip;ade-
I5'8. mort en la 169. â^é de \6. ans,.
Seifa ou Suefïà Pomem fîit le lieu de iL
naifTance, & Naples- cdiii d^ ik mort.
c. Luci- IÎ39' T Ucilius fut le prenv'cî J Rbme
Jiu$, L qui acquit de la réputation à^
faire des Satires, & plufieurs lé coniîdercnt
comme l'inventeur de ce genre d'êctkepai^
mi les Latins (i).
Mr. Defpreaux prétendant que c'eft.
L'ardeur dé fe montrer & non pas de ntÉ^
dire
qui
Arma là vérité du vers de la Satire;
ajoute que,
Lucile le prenHcr ofa la faire voir,
Aux vices des Romains prefenta le miroir,-
Ven-
I. "Plinius fcnior , Prxfat. Hiftor. natural.
Item patet ex Honuio ,Qiiintili-,ino &c.
z. Defp. chant 2, l'Ait, Foëtiq. v. 14$. & fuir.
3. Horatius Satir. î.iuitiolib. T & Sarir. 10. initio.
4. ^.' Il prend à la lettre cet endroit, où Horace
ddns fa quatrie'me Satire du livre i. dit pariant "de
Lucile
in htrA fdOe diicentoj ,
Vt.
Poètes Latins. 67
Vengea l'humble Vertu , de la Richefle al- C. Luci-
tiere, 1'"*-
Et rhonnête homme à pied du Faquin en
litière (i)
Horace dit qu'il s'dtoît propofé Texenif
pie des Poètes Grecs de la vieille Comé-
die qui attaquoient les gens fans artifice &
fans déguifement, & qu'entre les autres il
avoit fuivi Eupolis, Cratinus & An'ftopha-
ne, en fe contentant de changer les pieds
& la mefure de leurs Vers (3). 11 ajoute
que Lucilius eft. tout-à-fait plaifant & a-
gréabie , & qu'il avoit le goût fort bon.
Mais il remarque en même tems qu'il a-
voit un grand' défaut dans la compofition
de fes Vers; qu'ils n'âvoiént que de la du-
reté ,, qu*îls n'étoîent ni limés ni même
travaillés ; Que. Lucilius- en faifoit fauvent
deux cens en une heure, & qu'il les didoit
debout fur un pied (4) tenant l'autre levé
en l'air,, ce. qui pafToit pour une rareté fort
finguliere; que ces vers n'àvoient ni force
ni pureté, & que par leur impetuofité ils
entrainoient beaucoup d'ordure, quoi qu'il
y. ait quelque chofe de bon à prendre. En-
fin il dit que la plus grande partie de fes.
vers.
"Ut magnum , verfus dr'^Aba^, Jfans pêde in uns.
n€ voyant pas que c'eft- une hypeibole proverbiale
ppur marquer la facilité avec laquelle Lucile com-
pofoit. Quintilien au contraire 1. 12. c. 9. pour mar-
quer une chofe qui ne fe fait qu'avec beaucoup d'ef-
fort : In his A^ionitus , dit 'il, omnt Ht agricoU dicunt
feie (iàndum ejl. Les Grecs de même, au rapport de
Suidas ohet.tfaSi pourixK SuiÂfAiu
6S Poètes» L a r i k s.
c. Luci- vers n'étoit compofce que de fatras & de
^^"^- babil, & qu'il ne fuvoit ni s'appliquer, ni
mettre des bornes à Ton abondance.
Juvenal nous dépeint Lucilius comme
un homme formidable à tous ceux de Ion
tems qui ne fe croyoient pas innocens , &
il dit qu'il fuffifoit de lui voir tirer l'épe'a
pour trembler de frayeur , & pour voir
rougir ceux que le crime avoit fait pâlir (i)i
Au reftc cette aigreur & ce fel qu'il em-
ployoit dans fes vers étoit accompagné de
beaucoup d'éruditiom C'elt le témoigna-
ge que Ciceron, Quintilicn , Aulu-Gells
(i)à, quelques autres Anciens lui ont don-
né. Le premier reconnoifToit encore en
lui de la délica efTe & beaucoup d'agré-
ment; le fécond trouvoit la liberté de fon
caradere d'un goût aifés relevé par le fel
de fes expreffions , & maintenue par fa
doârine qu'il appelle merveilleufe; & le
tfoîfiéme remarquoit en lui une grande
connoiiîance de la Langue Latine.
Quelques Critiques modernes (3) n'en
ont point parlé avec moins d'avantage,
& les jugemens qu'ils en font fcmblent
formés plutôt fur ceux des Anciens que fur
la lecture de fes Ouvrages-
Les fragmens qu'on en a confervés fu-
rent publiés à Leiden in-4. l'an JS97' ^^^^
les
T. Juvcnalis Satir. i. 5c ex co Jul. CiC Scalijer
in j octic,
2. CictTO lib. 2. de Oratore. Quiiitilian. lib. lo.
cap. I. Inftiiution, Oratorhu. A. Gell Noéit. Aiti-
flar. lib. ^t cap. 5.
3. Petr. Ctimius-dcPoct. Latin, c.j. Philip. Briet.
Soc
Poètes Latins. 69
les Commentaires de François Douza, & c. Luci-
à Lyon l'an 1603. avec les reites des au- ^^"'*
trcs anciens Poètes.
LUCRECE,
'ï. Lucretius Carus ^ Poète Philofophe^né
Pan de la fondation de Rome 659. en la
féconde année de la 171. Olympiade, tué
de fa propre main dans la fureur que lui
avoit caufé un breuvage en la quarante-
quatrième année de fa vie, Tannée que
Virgile prit la robe virile. D'autres ne
lui donnent que 26. ans de vie, & met-
tent fa mort l'année de la naillance de
Virgile.
■II 40. IV T Ous avons de cet Auteur Cm Luciccc
X\l Livres compofcs en vers
Hexamètres fur la Nature des chofes, fé-
lon les principes d'Epicure.
On n'efl prefque jamais difconvenu qu'il
fut un des plus grands Philofophes de fon
liécîe, & des plus célèbres Epicuriens quf
ayent jamais été jufqu'à M. Gafîendi;
mais on ne s'eft pas li bien accordé fur le
rang qu'on doit lui donner parmi les Poè-
tes.
Mr. de Maroles dit (4) , que fon Poc-
mc
Soc. J. de Poëf. Lat. lib. i. pag. 6. 7. G. M. Konig,
Biblioth. Vct. 2c N. pag, 4S4.
Jul. Cïf. Scaliger lib. 6. Pocticcs pag. S67.
4. Mich. de Marolics uu commencement de fè»
Remarques fur la Trâdu^ica Fupjoifc «lu'ii a faite
<ie Lucicce pag, 3^;,
70 Poètes Latin s.
tucrecc, me a été admîré des uns, & blâmé des au-
tres ; mais qu'il a été prefque univerfelle-
ment eftimé de tous ceux qui l'entendent.
CîGepon écrivant à fon frère Quintus,
lui dlt^u'il avoit rai fon d'eftimer fos Poë-
'fies^ parce qu'elles font remplies d'efprît,
ôc qu'il y fait paroître beaucoup d'artifice
& d'indulîrie (i). Et (i l'on s'en rapporte
au jugement qu'en faffoit ce Frère, Lu cfe-
ce avoit l'efprit tout- à-fût tourné à la Poë-
ÛQ (2), & il avoit les qualités neceifaires
pour faire un véritable Poète.
Ovide lui donne un caraâere de fublime
ou d'élévation, & il prétend que fes vers
ne périront qu'arec le genre humain (3).
Stace r-econnoît aum en lui une fureur
Poétique, & un emportement violent pour
les plu^ grandes chofes (4). Qualité qui
a beaucoup de rapport avec cet enthoufias-
me que Platon demande à tous les Poètes^
& en particulier avec cette phrénéiîe, dans
les intervalles de laquelle Lucrèce faifoit
fes vers, & dont la violence le porta «nfiii
à fe poignarder lui-même.
On n^ doît donc pas s'étonner que les
Critiques des '(lécles fuivans, l'ayent mis
au rang des meilleurs Poètes de PAntiquité>
A-
T. Cicero lib. 2. Epiftol. 10. ad Quintura Fratrcm
in Ep. ad Fam.
2. Apud Tanaq. Fabrum , Prolegom. ad Lucrctii
cdic.
3. Ovidius lib. i. Triftium.
4. Scatius Papin. t. Silvac. in Genethl. Lucani.
ÎJ. Le Vers de Srace , Et dotii furor arduus Lw
crtfi^ devou "Ctxc uat^ucm«nt explique de là fureut
poc-
Poètes Latins. yi
Agelle ou Aulu-Gdleeft un des premiers Lucrcct.
de ce nombre; & il dit que c'étoit un Poè-
te d'un génie très-excellent & d'une très-
grande éloquence; & il ajoute qu'on n'en
peut pas douter, lorfqu'on conlîdere que
Virgile a pris de ce Poète non-feulement
des expreflions & des vers , mais encore
des endroits confidérables & en grand
nombre (f). C'ett ce qu'on a auffi reraar-
iqué d'Horace (6).
Dei>ys Lambin qui a fait fa Vie, relevé
fort haut toutes les excellentes qualités de
fa Poëlie , comme font la fubtilité & la
vivacité de fes penfées,la majellé & lagra-
vité de fes vers, accompagnée de -toute la
beauté & de tous les ornemens qui peu-
vent entrer dans la vérification (7). 11 dit
que Lucrèce a fuivi Epicure dans les cho-
fes & dans fa matière, mais qu'il a pris
pour cet effet le genre d'écrire, les figu-
res, les manières, & le grand liyle d'Em-
pedocle.
Il prétend que dans tout ce Poè'me il
n'y a rien d'étranger, rien de gêné, ni rien
qui foit hors de fon fujet. Tout y eft na-
turel & domellique, pour ainfi dire. Tout
y ert limple & uniforme; & quelque diffe-
ren-
poêtique, uns y ajouter cet emportement violent pour
les plus grandes cho fes j galimatias qui ne dit rien.
5. Jofeph. Scalig. in primis Scaligcran. pag. 104,
Ce antc ilJum A. Gellius HoSt. Attic. lib. i. cap. zi.
& alii.
6. KoftcaUjSentimens (ur quelques Ouvrages d'Âut*
pag. 43 MS.
7. DionyC Lambin, in Yica Lucxetii prsûic. Op«-
I lib. ejurd. pag. 40,
72 Poètes Latins.
"^yu r^^ce qu'il y ait dans toutes ks parties de
cet Ouvrage, elles ont un rapport merveil-
leux entre elles, & compof.nt un Tout
achevé dans une fymmetrie adiHirabk (i).
P. Vidtorius Tappelle un Poète très-
élégant , très-fleuri , & très-poli (2). Il
dit que c'eft un des Ecrivains les plus na-'
turels, les plus éloquens, & du meilleur
fonds de cœur que les Romains ayent ja-
mais eu : & au rapport de M. de Balzac
(3), ce Critique Italien prétend que Virgi-
le efl: moins pur & moins Latin que notre
Lucrèce , quoique celui-là ait eu lieu de
l'imiter en ce point , comme il a fait en
d'autres chofes.
Enfin Jules Scaliger, tout adorateur qu'il
ctoic de Virgile, tout jaloux qu'il étoit de
fou honneur & de fa divinité prétendue,
n'a point fait difficulté d'appeller Lucrèce
un homme divin , & un Poète incompara-
hle (4).
Après un confentement fî univerfel &
un jugement fi uniforme de tant de fiécles,
on auroit peine à croire qu'il fe pût trou-
ver des Critiques afles hardis pour refufer
d'y foufcrire , & pour s'élever contre la
décifion de tant de grands hommes. C'eft
néanmoins ce qu'a voulu faire Jérôme Ma-
gius, lorfqu'il a dit (5-), que Lucrèce ne
mus
1. Idem ibil pag. 43. U feq.
2. Petr. Viftorius , Prifat. in Comment, ad Aiiftot.
de Arte Poët.
• 3. Balzac dans le Recueil de Tes Oeuvres divcrfcf
pag. 265. 266. cd'.t. d'HoU.
4. Jul. Scalig. Comment, la hift. Animal. Aiifto-
td. lib, é.cap.iz.pag. 7jtf.
Poètes Latins. 73
vofis a point donné fujet de le confiderer tuSit^
Comme un Poète. Une Sentence Ç\. courte
&fi décilîve,a furpris une bonne partie des
gens de Lettres, & elle a donné du cha-
grin aux autres. Mr. le lièvre de Saumur
nous a fait connoître qu'il e'toit du nom-
bre de ces derniers ,& il n'a point crû pou-
voir mieux vanger Lucrèce , qu'en tour-
nant ce Magius en ridicule, h en l'oppo-
fant par un plaifant parallèle aux deux Ci-
cerons, à Ovide, à Stace, à Scaliger & à
Viélorius (6). Mais Mr. le Fevre n'a
point deviné que d'autres Critiques vien»
droient après lui pour renouveller le juge-
ment de Magius. Autrement ç'auroit été
en lui un défaut de prudence de s'être amu-
fé à fe jouer de la perfonne particulière du
Critique , plutôt que de faire une rdponfc
générale à la chofe.
Le P. Rnpin ne s'eft arrêté ni au juge-
ment de tous ces Anciens, ni à la maniè-
re dont Mr. le Fevre a jugé à propos de
recevoir l'opinion de Magius ;car il dit net-
tement (7), que Lucrèce ne doit por^jt pas^
fer pour vc'ritable Poète , parce qu'il n*a
point cherché l'agrément , à. que fon but
n'cft pas de plaire.
Le P. Briet même n'a pas voulu nous
faire croire que (8) Lucrèce fût un excel»
lent
5. Hlcron. Magius Mifcellaneor. lib. i. cap. 17,
6. T;4naquill. Faber pag. ultim. Ver. Teitimonior,
Lucret. in Prolegoin.
7. René Rapin , Reflexion 8. fur la Poè'tiquepart,
1. psg. 17. édition in- 12.
s. Phiîipp. Briet. lib i. de Poët. Latin* pag. 9. i»,
prxiix. acutè diftis &c.
7om.IILPart,IL D
74 Poètes Latins.
IWiCCÇ, lent Verfificateur, puifqu'ildit que fes vers,
quoique tFès-Latins,ne laiiTent pas d'avoir
de la dureté , & qu'ils ont bcfoin de pafler
par la lime de Ciceron. En quoi ce Père
n'eft pas entièrement d'accord avec un au-
tre Critique de fa Compagnie, qui prétend
(i) que Lucrèce eft tout li/ne\ que c'eft
«n Auteur qui a de la netteté, de la fubti-
lité, des agrémens & du génie, & qu'il eft
très-polî (S très-élégant pour le fujet qu'il
a traité.
Il ne feroît prefque pas neceflairede rien
ajouter pour le llyle de Lucrèce , parce
^ue ce que nous venons d'inlînuer tou-
chant la pureté, l'élégance, & la politelFe
de cet Auteur , paroit fufîire pour nous
faire juger qu'il ne doit pas être mau-
vais. Néanmoins il femble que Quin-
tilien ne foit pas favorable à l'opinion de
/ ceux qui prétendent que la Langue Latine
n'a point eu de meilleur Auteur au liécle
même où elle a paru dans fon état le plus
florilTant (2). Il femble faire une efpecede
parallèle entre Macer & notre Lucrèce; il
dit qu'il eft bon de lire l'un & l'autre, mais
qu'on ne le doit pas fiire pour la bonté de
la phrafe, ou pour pouvoir donner du
corps & de la force à l'éloquence; qu'ils
ont fait paroître l'un & l'autre de l'élégan-
ce dans les fiijets qu'ils ont traités, mais
que Macer eft rampant, & Lucrèce dif-
écile. Ce
I. Anton. Poficvinus lib. 17. Bibliothecx Selcftx.
cap. 2î.
i, loûph Scaligci ia piiniis Scaligcian. pag. T04.
Quia-
Poètes Latins. 75"
Ce jugement n'a point plû à Lambin, Lucrcccs '
qui par un mouvement de cette tendreffe,
dont les Commentateurs fe trouvent allés
ibuvent prévenus & failis à l'égard de leurs
Auteurs, n'a point fait difficulté d'accufer
Quintilien d'avoir eu le goût mauvais, ou
de s'être laifTé corrompre (3). Il dit que
la comparaifon qu'il a voulu faire de ces
deux Poètes entre eux , eft fcmblable à cel-
le que l'on feroit d'une mouche avec un
éléphant, & qu'on ne pouvoit prefque pas
trouver deux fujets plus inégaux & plus
diiferens, que Macer & Lucrèce le font,
au rapport de l'un à l'autre.
11 prétend que Quintilien s'eil trompé
particulièrement au fujet de Lucrèce , lorsr
qu'il a dit qu'il étoit difficile, oc qu'il n'é^
toit point propre pour fe former dans la
didion & dans l'éloquence. Car foit qu'on
confidere la fimplicité & la propriété dcfes
mots , foit qu'on ait égard à l'élocutioii
même , un Orateur , dit-il , qui voudra
former fon flyle,peut prendre dans la dic-
tion de Lucrèce dequoi rendre fon difcours
plus pur & plus élégant, il peut auffi y
trouver de l'abondance & des beautés dont
il pourra enrichir fon travail :& s'il y veut
chercher la manière de bien traiter un fujet,
il y rencontrera tout ce qui peut contribuer
à donner de l'élévation, de la grandeur,
en un mot ce qu'on appelle Is fubltme^ qui
QulntUian. Inftît. Or. 1. 10, c.T.
i' DioQ, Lambic» in Vit. Lucret. ut fupr. pag.
^1, 41, - _
D a
76 Poètes Latins.
JLueiecc. ell ce que l'on cherche avec tant dVmpres-
femeiit dans les bons Auteurs.
r^ Mr. le F^vre, quoique moins zélé que
Lambin, paroît avoir pris le parti de Lu-
crèce contre Quimiiien. 11 dit (i) que le
terme de difficik , dont celui-ci a voulu
marquer le caradere de ce Poète, ne lui
convient nullement , parce que c'ell un
Auteur qui n'eft ni obfcur ni embarafTé,
mais qui au contraire a pris un air lî aifé ,
que fa facilité eil un charme continuel
pour fes Lecteurs. Mais pour fauver
l'honn£ur du Critique, il ajoute qu'on
peut attribuer aux matières Philofophiques
que Lucrèce a traitées, cette difficulté qui
femble tomber naturellement furie ftyie de
ce Po'éte , quand on ne veut point faire
violence à la penfce de Quintilien. Enco-
re pourroit-on dire que lî ces matières font
difficiles par elles-mêmes, elles deviennent
aifées par la manière dont Lucrèce s'elt
fcrvi pour leur communiquer la netteté de
fon efprif.
Gafpar Barthius avoit écrit prefque la
même chofe avant Mr. le Fevre. J] dit
(i) qu'il ert difficile d'accorder Quintilien
avec luî-nicme; & que cette dijfic7ilté pré-
tendue qu'il trouve en 'lui n'ell pas compa-
tible avec cette élégance qu'il lui attribué
dans le même endroit. Il ajoute que s'il y
a quelque ciiofe à reprendre dans Lucrèce,
loin
T. Tanaq. Faber^ Not. iii loc Qâintilian. Inftit.
OrAt. Jib. lo. cap. i. .
^, Gafpar Baxthius Adveifarior. iib. 43. cap. 2.
Poètes Lattns. 77
loin de croire que ce foit aucune difficulté Lucicce,
qui fe trouvât en iui,on peut dire quec'eft
de s'être rendu trop populaire. On ne
poLivoic pas trouver d'Auteur , félon ce
Critique , à qui cette qualité convienne
moins qu'à Lucrèce , qui fembîe n'avoir
point eu de plus grand foin que d'éviter
robfcurité, & de le rendre intelligible mê-
me au petit Peuple, malgré la fublimîté de
la matière, à laquelle il iemble même qu'il
ait voulu faire quelquefois du tort en fa-
veur de ceux qui préfèrent la clarté du fly-
le, & la netteté des manières à la gravité
des chofes qui font Te fujet d'un Ouvrage.
C'elt pourquoi, ajoute cet y\uteur, on ne
trouve point dans Lucrèce de ces tranfpo-
iîtions qui caufent l'obfcurité , point de
penfées guindées ou forcées, point dephra-
fes d'outre- mer ou de termes étrangers, ni
uucun de ces embarras qui accompagnent
ordinairement une éToquence trop étudiée.
Mais quoiqu'on fe fente porté à fuivre
le fentiment de ces derniers Critiques plu-
tôt que celui de Quintilien, il faut recon-
noître qu'on pourroit encore fouhaiter quel-
^que chofe au ftyle de Lucrèce , pour en
faire le modèle achevé de la bonne Latini-
té. Le P. Rapin dit (3), que bien qu'il
foit fi pur & Il poli, il n'étoît pourtant pas
arrivé à la perfeclion du tems d'Augufte,
dont le goût étoit de ne rien dire de fupertlu
&. de parler peu^. Bar-
col. 1918, 1929.
3. Ren. Rap. Comparaifou d'Homère ôt Virgile
chii£. Il, pue, 4Z, edit, in 4.
D :;
y% Poètes Latins.
lucoace. Barthius même que nous avons déjà ci-
té, juge que Ion llyle eïï trop lâche & trop
di^us; & pour fc raccommoder avecQuin-
tilicn il veut bîen croire que le mot de i/f-
ficfU- s'eil glilîe au lieu de celui de diffus^
dans le texte du jugement que cet Auteur
a fait de Lucrèce.
Le Bibliographe Anonyme ajoute qu'il
affede prefque en toute rencontre des Ar-
chaïimes ou des cxprelfions du vieux fié-
c\e (i). Ec c'eit ce que Lambin lui-même
n'a point pu diffimuler lorfqu'il dit pour
cxcufer Lucrèce , qu'il s'eft fervi dans
l'emploi des vieux mots du droit qu'ont les
•Poètes de remettre les chofes anciennes en
ufage comme d'en feindre de nouvelles , ou
■que ce font des termes qu'il a pris d'En-
i)ius ôc de quelques autres Poètes des prer
iniers tems (2). :
:;:.■ Après avoir parlé des qualités de laPoè-
£e de Lucrèce, & de celles de fon ftyle^
il ne feroit pas inutile de rapporter ce qu'on
JSL remarqué au fujet de fa Morale & de fes
fentimens. Mais comme fon Poème n'eft
|)as véritablement une imitation telle qu'A-
f iftote & les autres Maîtres de l'Art la de-
mandent dans un véritable Poète, on ne
doit point y rechercher beaucoup de Mo-
rale. Et comme tout fon fujet eft pris du
jfonds de la Phyfique ou de la Philofophie
na-
1. Anonym. Bibliogr. hift. cur» Philolog. pag, s*-
2. Lambin, ut fup. loc. citât. Vit. Luciet. prxfix.
Comment.
3. Phil. Biict. lib. i. de Poët. Lat. pag. 9. 10. ut
fiiprà.
«j. Roûeau, Sentim. fur quciq. Ouvr, MS. comme
Cl"
Poètes Latins. 7p
naturelle, il femble que nous pourrions re- Lucrèce*
mettre plus à propos au Recueil des Phi-
lofophes ce que les Cri;îques ont jugé de
les fcniimens.
)e me contenterai de dire ici que les uns
(;) ont trouvé mauvais qu'il n'ait point
diiiimulé plus qu'il n'a fait la corruption de
fes propres mœurs, d'autant plus qu'il a-
voit moins d'occalion de la faire paroître:
les autres ont crû trouver dans Ton Ouvra-
ge des marques d'AthcVfme, & l'ont accu-
fé de nier la Providence divine & l'immor-
talité de l'ame (4). D'autres enfin ont été
fcandalifés de voir qu'il ait mis Epicure au
rang des Dieux. Mais Mr. GafFendî a
répondu à ces derniers dans un chapitre
tout entier de la Vie qu'il a faite decePhi-
lofophe (f). • Il dit qu'il a ufé en cette oc-
cafion de Ton privilège de Poète; & que
comme c'étoit l'ordinaire des Ptuples de
rendre des honneurs divins aux hommes
qui avoient rendu des fervices extraordi-
naires au Genre humain , Lucrèce jugeoic
qu'Epicure en méritoit plus que Bacchus,
Cerès , Hercule, Thefée & les autres,
parce que le bien qu'il avoit fait aux hom-
mes, étoit incomparablement plus confî-
derable. Mais qui ne voit que Mr. Gas-
fendi par cette réponfe, a mieux aimé dé-
tourner (6) la difficulté, que de la refou»
dre,
ci devant.
S. Petr. GafTend. de Vita & Morib, Epîcuri lib. ^
CAÇ. 6. pag. i;i.
6 %. l\ ne Va point du tout détournée. Il y a
répondu dans le pur fcns de Lucrèce, ôc pdi Icspro»
pics raifons du Poète.
D 4
%o Poètes L a t i h s.
fcucrcce. dre, & que de fatisfaire précifc'ment ceux
qui la propofent.
Entre les éditions qu'on a faites de Lucre-
ce ,on a afleseftimé celle de Lambin, [in-4.
à Paris 1 570.] celle de Fareus , [in 8. Franc.
1631.] & celle de Giphanius^ [in-8. à la
Haye iS91'^ niais celle de Mr. leFevrede
Saumur [in-4. à Saumur 1662."] palTe pour
la meilleure de toutes; & nous avons re-
marqué ailleurs que celle de Jean Nardi
Florentin [in-4. ^ Florence 1647.] eft la
rr.oîns bonne au jugement de quelques Cri-
tiques (1), quoiqu'elle foit la plus magni-
fique, & une des plus récentes.
* TitîLucretii Curi de rerum^catura lîb^
VI. varia leélione^ in -fol. Lond. 17120
Lucretius , Thomcs Creçch. in-S. <*
C A-
T. Tanaq. Tabcr, inprîcfat. ad fuum Lucret. Item
Olaiis Borrichius Diflertat. de Peè'c. Latin, num. iz.
pag. 4S. 46. ôcc.
z. ^. Le prénom rî;«j eft le plus fur, étant fondé
fur le témoignage d'Apulée dans Ton Apologie, ôc
de S. Jérôme dans fa Chronique. Jofeph Scaliger a
prétendu que c'étoit Quintuty mais s'il eft vrai que
ce prénom fe foit trouvé dans le manufcrit qu'il al-
lègue c'eft une pure équivoque du copifte qui aura
confondu l'ancien ^intHs Catttlus avec le CatuIPc
dioa;
F or E T E s Latins. 2i
CATULLE,
(Caîus ou Quîntus Valerius (i) né à Pero'
ne ^ ou dans la prefqu'Ifle de Strmïon (3)
fur le Lac de Benac ^ aujourd'hui^^ la
Garde i/Ç)^ durant le feptiéme Confulat
de Marias & le fécond de Cinna, la fé-
conde année de la 173. Olympiade fur
la fin , la 667. de la fondation de Rome,
& 86. ans devant notre Epoque.
ÎVI-ort âgé de 30, ans (f), en la quatrième
année de la 180. Olympiade, & la 697.
de la Ville de Rome, Tannée que Cice-
pon revint de Ion exil.
Î141. quoique le grand talent de cecatuii©;
^"C^Poëte conliltât à bien faire des
Epigrammes,on prétend qu'il a également
r^ulfi dans deux autres genres de Poélie,
favoir dans les Vers Lyriques & dans les
Elcgiaques.
il n'y a prefque point de Poètes parmi'
ks Romains, à qui il n'ait difputé le rang,
de préféance. 11 a eu pour entretenir fes-
prétentions des Partifans dans prefque tous
les liécles, mais il n'en a. jamais paru de
fi
dont ils'kgît. Vbye's Achille Stacc. & iHinc VoG-
fins iiu commencement de leuis remarques fur Ca--
tulle.
3. %. Auiourd'hui Sermionf.
^. ^. Il faloit dire de Garde, La^o di G.tr(ia,s\\\{ii
nomme de Gardu Bourg adjacent dans le Véronois.
5. ^- Plus vraifemblablement, fuivant la fuppura-
tion d'iraac Voffius, à l'âge de 37. à 38. ans laqui-
ttiéme année de la i8i. Olympiade, ôi l'ini de- la-
fondation de B^orae 70;.
O 5
S2 Poètes Latins.
Catulle., fi 2eTés que dans ces derniers tems,oùron;
a vu des gens qui n'ont point fait difficulté
de le préférer à tous ceux de l'Antiquité,
-fans en excepter Virgile & Horace (i). Et
quoique ce jugement paroiiTe être un effet
de quelque tendreiïe pour ce Poète , &
peut-être même de quelque fympathie a-
vec lui, on ne peut point nier que Catulle
n'ait été un fort bel efprit, & qu'il n'ait
fort bien fu fa're fervir à fes propres pas-
sons l'humeur la plus facile & la plus en-
jouée qu'on eût encore jamais vue dans ]a>
Republique Romaine.
Cette qualité le rendit fort agréable à
quelques perfonnes conlidérables dans la
Ré-
!.. ^. Il étoit à propos de faire cennoitrc ces gens
qui préfèrent Catulle à V^irgile & à Horace. On ne
nomme qui que ce foit. Un tel fait cependant ne
devoir pas être av?.neé fans preuve. A la vérité Vic-
îorius dans la Préface de fes Commentaires fur la
Tccrique d'Ariftote picferc Ciitulle à Virgile pour Ja
pureté delà didionj mais il n'y a pcrfonnc qui r.t
iuge qoe Bailler, de la manière dont il s'exprime, a
eu en vue des gens pofterieurs à Viélorius mort il y,
ÀYok cent ans 3 outre que l'ayant nomme lans fa-
çon dans l'article de Lucicce pour une raifon toute
jparcille, il ne l'auroit pas vraifemblabkmcnr pîi'.s
ménagé dans l'article de Catulle.
2. Juvenal Sat. ij^. Item A. Gciiius I.7.N06I. Ac-
ticar. cap. 2e. Et inter rccentioics Paul. Jovius ia
"Elog. Cafanovxôc Naugerii.Gafp.Baithius col. 2356»
ic alii pailîm.
%. Le premier Auteur que Baillct cite pour prou»
▼et la pureté de la diftion de Catulle , Ion élégan-
ce, fa naïveté, &c. c*tû. Juvenal, Sau 13. oà ces
211 ot s ,
-^— ^ !!■ I ■ mimum Agit illt
llrbuni (jualem fugitivHs fcnrra Citulli,
iicl}gac«2t lui autic CimiÀle:, Auuui 4e U faice Intt^
tUcc
PaETEs Latine. 8^
République, & particulièrement à Ciceron Catulle^.'
qui ne haïllbit pas le caradere des efprits
libres. p
Les anciens Critiques ont dit beaucoup
de bien de fon ilyle & de fes manières, àc
i-I femble qu'ils ayent voulu fe décharger
fur les modernes du foin d'en dire le mal
qu'ils en penfoient. Ils nous ont vanté la pu-
reté de fa diction , fon élégance , fa naïveté^
là douceur & fatendreife (2), qui font des
qualités que l'on remarque encore aujour-
d'hui dans ce qui nous eiY refté de fes Ou-
vrages, mais on s'ell donné beaucoup de
peine pour y chercher celle de l'érudition
que Martial lui attribué (33. Ceux qui
croyent
nilée P/jafmdy dont parle le même Javénal Sat. S»
Im^ephhètç d'urbiifii's eft {ynonyme d^ur biens & d'wrtt-
cAnu' pris pour Mimographe, Compofeur de farces.
Auflî ce Catulle parmi les Critiques eft-il- appelle
Vurbicdiire pour Ic diftinguer de l'iiuire.
3. Martial Epigramm. VerouA Do^i SylUbAs am*t
Vatii,
51. A confidérer la peine qu'on s'eft donne'c de re-
chercher les raifons qu'ont eues les Anciens de déférer
à Catulle le nom de dode, on diroit qu'ils le lui
ont tous unanimement déféré, fans lui donner ja-
mais d'autre cpithëte. Je ne lâche néanmoins par-
mi eux qu'Ovide 6c Martial qui lui ïiient fait cet hon-
neur, à quoi tics- affliremçnt la commodité du vers-
a beaucoup contribue j car une choie à remarquer,
«'eft qu'on ne cite nul Ancien qu: en proie l'ait ap-
pelle dofte. Mais quelles font après tout les rares»
preuves de Ton érudition r Barthius les fait confiftcx
àans quelques traduétions de vers Grecs en vers La-
tins. Il n'y a pas, ce me lemble, de quoi tant le lé-
cricr. Horace auroir incomparablement mieux tra-
duit rode dcSappho, & Tibullc, Properce ou O
vide l'Elcgie de Callimaque. Le Grec à Rome étoir
plus commua du tems de Catulle ^ qu« le Latin ne-
^4 Poètes Latins.
Catulle, croyent avoir rencontré fa pcnfée (i), dî^
lent que Catulle a été appelle doàe par
quelques Anciens pour avoir été le pre-
mier qui ait fu la manière de tourner en
un beau Latin tout ce que les Poètes Grecs
ont eu de plus beau & de plus délicat, &
tout ce qui paroiflbit inimitable: & pour
avoir parfaitement réulfi, en alfujetliifant
cette Langue aux nombres & aux mefures
que les Poètes Grecs avoieut données à la
leur (2)..
Mais quoique les Critiques conviennent
prefque tous qu'il n'y a rien dans tous les
autres Auteurs du bon fiécle qui foit com-
parable à cet air naturel ,. avec lequel Ca^-
tulle nous a reprefenté la Langue Latine
dans fa pureté originale, c'eft- à-dire, dans
toute fa (implicite & dans fa nudité entière^
fans fard & fans ornement étranger; il y
en a peu d'entre eux qui ne nous ay^nt fait
remarquer quelques défauts, en nous fai-
iànt voir fes bonnes qualités.
Scalîger le Père qui dans un endroit de
îà Poétique dit (3), qu'on trouve dans ce
Poète tous les enjouemens dont la pure
La-
l*eft' {juiourd'hui parmi aous. Le titre de diofte eft
d'ailleurs naturellement confacré aux Poètes. Clau-
dien l'adonné àEnnius, Stace, à Lucrèce, Ovide
a Calvus, & même généralement à tous. Les Poctes,
en ce vers de fon 3. Livre^<; ^rtty
v^ dotîis prêt htm /'ceins ejl fperari PoSfis-,
pur ou il donne à entendre que ïts Belles ne doive nt
point vendre leurs faveurs aux Poètes, c'eft-à-dircà
tous- ceux qui s'acquièrent de l'eftimg dans cette
profeffion , fans qu'il faille que les Dames avant que
à&ks honoieiLde leuis b»iuèsr duniM^tT-comme
les.
Poètes h k t t k s. 8f
Latînité eft capable , témoîgne (4) en un catuirçi
autre, qu'il n'y a rien que de commun &
de vulgaire dans tout ce qu'il a fait, qu'il a
des mots & foiivent des expreffions dures;
&que néanmoins il eft quelquefois li lâche
& fi mou, qu'il n'a point de confiftance;
& que ne pouvant fe foutenir , il fc laifTe
aller au penchant que lai donne fa propre
foiblelîe. Il ajoute qu'il y a dans Catulle
beaucoup d'infu»nies&de faletés qui le font
rougir y beaucoup de choies languilfantes
qui lui font pitié, beaucoup de chofes en-
taffées & ramaffées fans choix qui lui font
peine, & qui font voir qu'il n*étoit pa^
tout-à-fait libre nî capable de fe retenir,
lorfqu'îl fe trouvoit emporté par l'impe-
tuofité de fbn- naturel & la neceffité des-
vers.
Scaliger le fîls n''en parle pas tout-à-fiiit
fi mal, & il fe contente de dire (5) que ce
Poète eft fort fcrupuleux, &. fort incom-
mode dans Taitache qu'il fait paroître à ne
ren écrire qui puilfe choquer la pureté de
lu Langue Latine.
Vofîius dit (6) qu'il s'eft contente d'ex-
pri-
tes femmes favantes de Molière ^ fi cesMelïïeurs fa»-
V€nt du Grec.
1. Gafp. liarthius Adverf. lib. xxjcviii. eap. 7-..
toi. 1730.
2. Idem Barth. Adv. lib. vin. cap. 22.pag.407;
3. JmI. CxI, Scaliger Poctices lib. j. c. 16.
4. Idem Jul. Scaliger. lib. 6 ejufd. Operis cap. 7.
5. Jofeph.Scalig. fil. inpiiraisScaligeranis pag. 47.
6. Gérard. Joaii. Voflius lib, 3. Inftituc Toëticdl^.
Ifag. 107.108;
Item ibidem pag. 56. ejufd". librL
Itya.libxo ^riino ejufdem Opciis pag, 75;^
D 7
S6 Poètes L a t r k s.
Catulle, primer Tes paffions & les mouvemens de
ion ame, avec les couleurs qu'il a cru les
plus vives accompagnées de cette élégance
qui lui étoit naturelle, mais qu'il a une
âpreté qui choque la délicatefle de nos o-
refJles,; & que cette dureté que tous les
bons Critiques remarquent en lui , vient
particulièrement de fes fréquentes éliiions,
c'eil-à-dire, pour parler en termes de Poé-
tique , des Ecihltpjes (i) , & des Synale-
phcs (2), qu'il met fouvcnt en ufage dans
la Penthemimere ^ qui eft la céfure qui fe
fait au cinquième demi pied du vers Penta-
mètre, c'ell-à-dire, à la fyilabe qui fuit les
deux premiers pieds de cette efpece de
vers.
Le Père Briet etoit aufîl dans le fenti-
mcnt de VoiTius , touchant la dureté des-
vers de Catulle (3) , & il s'y e(i confirme'
d'autant plus volontiers qu'il le voyoit ap-
puyé de l'autorité des deux Plines.
Il femWe que le Père Rapin y ait enco-
re trouvé d'autres défauts , tels que font
ceux d'être trop diffus & trop babillard.
Car il dit (4) que Catulle ayant été le pre-
mier des Romains qui commença de don-
ner le beau tour de l'élégance à la Langue,.
ne favoit pas encore le ^and précepte
d'Horace, qui veut qu'on retranche beau-
coup ^ & qu'on parle peu^ M^is
ï. Collifions de Tm.
2. CoUifions dts voyelles & diphtongues.
-j. Philipp. Briet lib. 2. de Poëtis Latin, pag. r^v
t5. ante acurè diûa, &c.
4. Ren. Rapin , Conî]»ai» d'HQm. & Virg.chap. y,
pag. 42. edict iii-4.
5. %^
PoETE^ Latins. 87
Mais il y a un, autre vice qui eft incom- Catulle,
parablement plus blâmable dans Catulle,
& qui le rend haïllable à taus ceux qui ne
fe font pas encore défaite de la pudeur.
C'elt l'impureté dont il niï infcclé jus-
qu'aux mouelles, & qui eft répandue dans
prefque toutes les parties du corps de fes
■Poelies.
L'AuteuF anonyme (5-) du choix des E-
pîgrammes Latines, a tâché de nous en ins-
pirer une horreur lalutaire & une haine
parfaite. Il dit qu'il n'a pu voir fans une
grande indignation (6). que des Ouvrages
aulîl abominables que ceux de Catul'e &
de Martial , foient tolérés dans le Chrirtia-
nifme; &, ce qui ell: plus pitoyable, qu'ils
foient foufterts entre les mains des jeunes
gens.
Il prétend même, qu'à juger des chofes
félon les maximes de Thonncteté Civile &
Païenne , on ne trouvera dans toute leur
galanterie aucune véritable délicatelîè, nî
aucune marque de cette Urbanité i\ vantée
chés les Anciens (7J.
11 dit ailleiirs (8) que ces deux Poètes
ont fait connoî re non-feulement qu'ails é-
toient ennemis de la vertu & des bonnes
mœurs, mais même qu'ils n'avoient aucu-
ne politefTe ni aucune ûneiTe pour le bon
goût
s. f. p. Nicole, Se non pas, cortîmc Ta cm Mé-
nage, Dom Lancelor.
6. Epigrammat. Dele£k. édition. Caroli SdTieus
anni 1659. in praifat. op.
7, Non urbanus fal , fed iUil/era/is dlcacitus^
». Idem Autlor Dele£i. Ep, DiflciUlioaC de vç»
(ulcxitudiuc ôcc, pag. 2^
SB Poètes I. a t i » si
Catulle, goût des chofes. Et pour me fervir de la
fTadudlion de Mr. Bayle (i), cet Ànony-
me a eu railbn de dire qije Catulle & Mar-
tal étoîent des efprits groiTiers&ruftîqueS',
& plus propres pour les converfationsd'un
corps de Garde que pour celles d'une ruel-
le U).
En effet, dû le même Mr. Bayle, Ca-
tulle qui apafîe toujours pour l'un des plus-
galans Poètes de l'Antiquité, & Horace
qui a fait toutes les délices de la Cour
d'Augufte , ont été fonvent auffi libres
dans leurs Poëlies, que nos Théophiles,
nos Sigognes, nos Motins, nos Berthe-
îDts , qui font l'horreur des honnêteS'
Gens,- & qiii ne plaifent qu'à des Soldats
& à des Laquais. Il ajoute que c'étoit le
défaut du liécle de ces Anciens, autant &-
plus que celui de leur efprit,puifque l'Em-
pereur Augulte qui devoir être l'homme le
plus poli de fa Cour, compofoitles plus
infâmes & les plus horribles Vers qui fa
puiiTent lire. Cequi , félon cejudicieux Cri-
tique, eft une marque évidente qu'encore
que notre liécle ne foit pas plus chafte que
ks autres, il eft au moins plus poli & plus
honnête pour l'extérieur ; & que les loix
de la bienféance font à- prêtent plus févé-
Ees & plus étendues qu'elles n'ont jamais-
été (3).
Ce goût des derniers ficelés, dont \h
fem-
r. M. Biiyle, Nouvelles delà République dés Lct-
«es de Juin 1684. pag. 364.
Z. Caprimv.l^i ij t'ojfore;.
t. Le même Auteur parUnt de l'éditiça de Catul--
Poètes Latins. 89
(emble qu'on ait voulu flater les Poe tes Catulïc;
modernes, n'a point encore été (i univer-
fel , qu'il lie fe foit trouvé des dctenfeurs
de Catulle, & des autres l'octes licencieux
de l'Antiquité ; à. on a vu entre les autres
un Italien nommé Rohert Titius , qui a
bien ofé publier une Apologie pour Catul-
le, fous prétexte que tout n'efi point em-
poifonné dans Tes Ouvrages. iMais on ju-
ge néanmoins qu'il a perdu fli peine, par-
ce que, félon la remarque de Mr.de Sain-
te Honorine (4) , ce que l'on trouve de
l-yon dans les Poètes impurs n'en juftifiepas
la ledlure-
Ce n'eft pas feulement l'obfcénité qu'on
a blâmé dans Catulle^ mais c'eft encore
la hardieffe qu'il avoit de déchirer les Gens
par des vers mordans & injurieux. Cre-
mutius Cordus dans Tacite (5-) dit, que
bien que la République eût changé d'état
depuis que ce Poète avoit écrit, on nelaif-
foit pas de lire encore avec liberté fous
les Empereurs mêmes les vers de Bibacu-
lus & de Catulle remplis de médifance
contre les Cefars, & ces grands hommes
ont fouffert ces libertés avec autant de pru-
dence que de générolité. En effet nous
lifons que Jules Cefar ayant lu une pièce
que Catulle avoit faite contre lui , le pria.
à fouper chés lui le Jour même.
Pour ce qui regarde la comparai iba
qu'on
le par M. Voflîus pag jéj ^c.
4. Clavigny de Sainte Honorine de Tufage des Li-
vres fulpeas chap. 2. pag. 24.
5. Corn. T.>cit. lib. 4. Annal, cap. I. pag. i$9. ie
U tiad. d'Ablanc.
ço Poètes Latins.
Catulle, qu'on a coutume de faire entre Catulle &
Martial , les Critiques ne fe font point en-
core accordés pour le point de la préfé-
rence qu'ils veulent donner à l'un fur l'an-
tre. On ne conteitc^ point à Catulle l'a-
vantaqe qu'il a far Martial pour la pureté
& les agrémcus du llyle. Il y a bien de la
différence, dit Voffius (i), entre le llylc
du premier 6c celui du fécond. Celui-là efl
du bon fiécle, au lieu que celui-ci fe fent
déjà de la diminution ai des difgraces de la
Langue Latine.
Le caractère des Epigrammes de Catul-
te, félon un autre Critique Anonyme (2),
cft d'être tendre, mou (3), efféminé, pur
& délicat. C'elt ce qui l'a rendu li agréa-
ble à plufieurs, qu'ils l'ont jugé pour cet
eifet préférable à Martial. Mais il ajoute
que ce n*eft pas le fentiment des autres,
parmi lefqucls il femble vouloir prendre
parti. Ceux ci difent qu'avec toutes ces
belles qualités les vers de Catulle ne laif-
iènt pas d'être prefque toujours vuides de
fens , que ce ne font au plus que des badî-
neries agréables & plaifantes,& qu'il folâ-
tre fouvent fur des riens: de forte qu'au
lieu de prétendre que ces qualités foient
louables en lui , ils veulent au contraire
qu'on les conlidere comme des vices auf-
(juels il donne de l'agrément & de Télé-
gan-
1. Ger. Jo. VofT. lib. 3. Inftitut. Poctic. ut (ùprà
lib. 3 pag 108.
2. Anonym. Auft. Dcleft. Epigramm. lib. 6. pag.
313- 314-
3. %. Il y â daus le Lsn'm mollis <\\i' il faloit rendre
par
Poètes Latins. 91
gaiice. Ils elliment qu'il n'etl pas difficile Catulle,
à plulieurs d'exprimer dans leurs vers cette
teiidreife de Catulle, pour peu qu'ils ayent
d'ulnge de la Langue Latine k d'iiiclina*
tion à la galanterie : mais qu'on n'a pref-
que vu pcrfonne Julqu'icf qui ait pu repre-
ftnter la force, la fubtilitc, les rencontres
ingenieufes, les pointes & la fineffe d'ef-
prit que l'on trouve dans les Epigrammes
de Martial. Je penfe que Mr. Richelet a
eu auffi la même penfe'e, lorfqu'il a dît
que la plupart des Epigrammes de Catulle
font des Epigrammes à la Grecque, c'eft-
à-dire , fans beaucoup de pointe (4).
Le P. Rapîn dit néanmoins (5-) que les
gens de bon goût préfèrent la manière de
Catulle à celle de Martial, c'eli-à-dire, la
belle penfée à la pointe des mots, parce
qu'il y a plus de vraie délicatefle dans l'une
que dans l'autre. On doit mettre ûu nom-
bre de ces perfonnes André Nauger Poète
Vénitien ,que cet Auteur dit avoir été d'un
difcernement exqu"s en ce point. Ce Nau-
ger par une antipathie naturelle contre tout
ce qu'on appelle pointes dans les Epigram-
mes, faifoit tous les ans la fête des Mufes,
aufquelles il rendoit un culte fuperftitieux
au milieu d'une Ville Chrétienne, & au
jour de cette fête il ne manquoît point de
iâcrifier aux Mancs de Catulle, qu'il ho-
noroit
p^t doux , amoureux.
4. P. Kichelet Di(flionairc François pag. 2p<î. au
mot Epigramme.
5. Ren.Rapin, Réflexions particulières (ui UPcc-
ii«iue, fccoûde pattic , Rcficx. xxxi.
91 Poètes Latins.
Catulle, noroit particulièrement, un Volume d'E-
pigrammes de Martial qu'il avoit en hor-
reur. Paul Jove dit que^'eit à Vulcain
qu'il faîfoit ce facrilàce (i). D'autres di-
fent qu'il faifoit cette cérémonie le jour
de fa naiiTIince^ & que ramailànt tout ce
qu'il pouvoît rencontrer d'exemplaires de
Martial dans la Ville de Venire,il lesbrû-
loit tous en cejour. Quelques-uns même
ont dit (2) la même chofe de Muret , à
l'égard de Catulle, pour qui il avoit beai>
coup de vénération, & qu'il ta choit d'i-
miter ; de forte que cette diverfité d'opi^
nions pourroit fervir de motif raifonnable
à ceux qui voudroient mettre ce fait au rang,
des contes faits à plailîr. Quoiqu'il enfoit,
tout cela s'eft dit pour faire voir que Nau-
ger & Muret elUmoient le caradlere de Ca-
tulle préférable à celui de Martial. * Vo-
yés l'Article uyi.
Nous avons parlé ailleurs du travail 6c
des éditions que Scaliger, Mr. Vofîius le
fils,[in-4. à Londres 1684.J& d'autres Cri*
tiques ont données de Catulle.
P U-
r. Paul. Jovius clog. 78, pag. 180. edit. B-afiî,
in- 12.
Deleft. Epigrammat. fupr. citât, lib. 7- pag. 3<îJ-
Hieronym. Fiacador de Arte PoëticaSammaithaa.
& alii.
2. ^. Fauflement.
3. Cefar l'effimoit jufqu'à ce qu'il en eut étécho-
^e, ou plCuôr jufqu'à ce qu'il eut connu 6c gout«
Poètes Latins. 93
PUBLIUSSYRUS,
Ou de Syrie ^ Poète Mimique ou Mimo-
graphe, c'ell-à-dire, bouftbn & baladin,
contrefiiilant les adions ou les paroles
• des autres pour les rendre ridicules au
Public , vivant fous Jules Ceiar & les
Triumvirs.
ii4i. "p^Ecîus Laberîas Chevalier Ro- pubiiusSy-
JLy main, alFés eib'mé (3) pourfes^us.
Mimes ^ dont il nous relte quelques frag-
mens recueillis dans l'édition de Lyon en
1603. On-4] & dans Mac robe (4), étant
moit à i^ouzzol dix mois après raitaffmat
de Jules Cefar en la fe-conde année de la
1S4. Olympiade : on vit monter fur le
Théâtre avec plus d'éclat ce Publius vena
de Syrie, & il etîaça Laberius.
Il ne nous relie plus de Tes Mimes que
les Sentences qui en turent extraites des le
toms des Antonîns, comme il paroît par ce
qu'Auiu Gel le en a écrit (5"). Elles ont
été fouvent imprimées avec les Notes de
divers Crin'ques, & l'on ju^e que la meil-
leure édition ell celle que Mr. le Fevre en
a donnée à la fin de fon Phèdre.
Les
rublius. Mais Horace témoiguc piir Tes vers de la
dernière Satire du fécond Livre qu'il n'en fâiloit pas
beaucoup de cas.
4. M:iciob. Saturnal. lib. z. & ex eo lib. Grcgor,
Gyrald. de Hftor. Toëtar. Dialog. 8. pag. 914. 9i>.
5. Agcll. l'en A. cï. in Nod. Attic. Itcni L. G.
Çiyt. m lupr, Ôc Q, J. Voff, de Poct, LatuLlib. ling.
lus.
94 Poètes Latins.
PubhusSy- Les Anciens eoûtoient C\ fore tout ce
qu avoit tait cet Auteur qu Us le jugeoient
preTe'rable à tout ce que les Poètes Tragi-
ques 6c Comiques avoient jamais produit
de meilleur, foit dans la Grèce, .foit dans
ritalie. C'étoit le fentimeni de Jules Ce-
far , c'a été depuis celui de Caflius Seve-
rus,& celui de Seneque le Phiiofophe (i).
Parmi les modernes on peut dire que les
deux Scaligers ont enchéri encore fur des
témoignages (i glorieux. Le Père écrit
(2) , que Publius a fu tout feul dépouiller
toute ia Grèce de la gloire qu'elle avoitac-
quife par Tufage des railleries fines & a-
gréables, des bons mots & des rencontres
ingenieufes pour s'en revétir-iui-même. Et
le fils n'a point fait difficulté de dire (3)
qu'il renferme des chofes plus excellentes
que tout ce que les Philofophes nous ont
enfeigné. [Voyés l'Article 11 31.]
I. F U-
t. C. Jul. Caef. apud A. Gell. & Macrob. Item
Glandorp. in Onomaftic. pag. 728. G. M. Konig.
Bibl. V. & N. pag. 668.
Caflnis Seveius apud M. Senecam Patrem contro-
verl". 3.
Luc. Senec. Epiftol. 8. Item Tanaq. Faber prac-
fat. in Publ. Syr. num. pag. 165. poft édition, Phac»
dri fabul.
2. Jul. CxC. Scaligc: Poctices lib. i. cap. 10. pag.
4î. Item pag. ià«.
3. Jofeph. Scalig. in Scaligeran. pofterior. pag.
234-
4. Tacit. Aanal. lib. 4. cap. 8. pag. i68.deJatia«
Poètes Latins. 9^
1. FURIUS BIBACULUS,
Né la féconde année de la 169. Olym-
piade.
1143. /^Et Auteur nous efl: reprcfenté Bibaculus.
V^ par les Critiques comme un
Poète méditant , railleur & mordant (4)
c'eft ce que nous avons déjà dit fur la toi
de Cremutius Cordus au fujet de Catulle.
Horace l'a tourné en ridicule par une efpe-
ce de Parodie qu'il a faite d'un Vers où ce
Poète difoit que Jupiter crachoir des neiges
fjr les Alpes (5-). Néanmoins on juge
qu'il ne devoit pas être un li méchant Poè-
te, s'il eft vrai, comme Macrobe l'a pré-
tendu, que Virgile même l'a imité en di-
vers endroits (6). [Voyés l'Art. 1131.]
2. C. Rabirius qui vivoit fous les Rabiriw.
Triumvirs , étoit un Poctc de iî grande
importance , que plufieurs lui donnèrent
le preniicr rang d'après Virgile. Il avoit
fait un Pocme de la guerre entre x\ntoine
& Augurtc. (7).
Mais
duaion d'Ablanc.
5. Horat. iib. r. Satir. 5.
Fnrins hirernas cana iiive conffHi't ^!fes.
é. Macrob. Iib. 6. Sarurnal. cap. i. quibus adde
Ger. Jo. Voflniin Iib. lîng. de Poët. Lat. Philipp.
Brictium Iib. 2. de Toët. Lat. Oh^um Borrichiiim
Differtar. de Voèr. L:it. pag. 47.
7. Vcllcjus Parercul lib. 2. Hiftor.
Ovidius lîb. 4 Eleg. ex Ponto uJtim. Qi^iintilian.
l;b To Xnftit. Oiat.
Vofl'. de Hiftor. Lat, lib. i. cap. 21. pag. tu. &
lib. ling. de Poët. L;u. pag. 24. & alii icccwioïc»
paflim.
&Rabinus
96 Poètes Latins.
^ibaculus,^ Mais comme on n'a point fait, ce me
°" ' femble, de recueils particuliers des frag-
mens de Bibaculus, de Rabirius (i) & de
divers autres Poètes Latins qui ont para
fur la fin de la Republique & le commen-
cement de la Monarchie, & qu'il ne s'en
trouve que quelques Vers qui fe font con-
fervés dans quelquesOuvrages des Anciens
venus jufqu'à nous, je crois qu'il clt af-
fés inutile de rapporter les jugemens qu'on
en a portés, puifqu'il ne nous reQe plus
rien qui foit capable de nous en faire faire
l'application.
V A-
T. ^. Il ne refte de Rabirius qu'un demi- vers hé-
xamet.e cité par Senéque 1. 6. des Bicnfi-its c. 3,
Ma's pour les fragmens de Bibaculus ils fe trouvent
avec teux d'autres viel^x Poètes, en divers recueils.
2. ^. C'eft,nonobftant l'autorité des infcriptions
anciennes, une mauvaifc afteétation d'écrire contre
l'ufage ordinaire, ^inclus pour ^intus. Il auroit
du par cette raifon écrire HttinRilins.
3. '%. On doit bien fe garder de confondre Quîn-
tilius parent de Virgile avec Quintilius Varus Gene-
ral de l'Armée d'Augufte en Allemagne. Celui-ci
mourut l'an de Rome 760. 6c l'autre 729. Je luis
perfuadé que c'eft par erreur qu'on a nomme Varus
ce dernier, 5c qu'au lieu de ^nintiUtim Varurn qu'on
lit dans le texte corrompu de Servius fur le vers 20.
de la ). Eglogue de Virgile, il faut lire limplement
^'intiliurK, S Jérome dans fa Chronique ne l'ap-
pelle que Quintilius, ajoutant qu'il etoit de Crémo-
ne, ami de Virgile 6c d'Horace. Quintilius Varus
qui fe tua en Allemagne étoit aufll ami de l'un ôc
de l'autre. Il avoir rendu à Virgile de grands fervi-
ces, Àimo'it les vers, 6c li l'on s'en tient au texte
cou-
PoEtEs Latins. 97
VALERIUS CATON.
Du tems de Cîceron :
&QUINTILIUS0UQUINC-
TUS (2) VARUS,
Du teriTS des Triumvirs (3).
II 44 /^N prétend que nous avons quel- Caton.
Vj/ques Poëlies de ces deux Au-
teurs, mais que jufqu'à notre fiécle e:les
n'ont point porté le nom de leurs Pères.
La polkrité qui ne les connoilFoit pas,
n'a pas laillé de remarquer dans ces pro-
ductions quelques traits qui lui ont faitju-
ger
couranr de Servius, en avoir fait quelques-uns, qui
nonfiftHdy dit- il fur le 35. vers de la 9. Egioguc, cay
tninA ûripfi:, où il eft vifibje qu'il avoit écrit nuila^
fiarce que pour prouver que c'étoit rario qu'il fa-
oit lire en ce 35- vers, & non pas Varoj il fe fcrt
de cette diUinition, que Vaiius etoit un Poète , ôc
Varus un Capitaine qui ne fe mêloit pas de vçis,qki
tîulla carn-anJ. irip/ïr , cela eft fenfe J nonnulU f.iJt Un
contrefens, Horace 6c Virgile parlant du Capitaine
Quintilius Vaius, l'appellent toujours Varus, & ne
donnent point a entendre qu'il fut Pcëte, car il eft
fur que dans l'endroit cideflus allègue , la leçoa
Ni'.m mc^At iiihuc Vayio ell là véritable. Virgile n'a fait
dans les vers nulle mention de ^intsLus, à moin»
qu'on ne dife que c'cft lui qu'il a regrette dans fa 5.
ïgloguc en la perfonne de Daphnis. Horace qui
dans fon Art Poétique parle de ceQuintilius commo
d'un Critique intelligent & lîncere n'en parle dans
fa 2^. Ode du 1. i. que comme d'un honnête hom-
me. On trouve fouvent par la faute des Copiftcsle
nom de Varus , pour celui de Varius. Ainfi dans
Mairial liv. vin. 5s. au lieu de ^»i V^rojy UfA^t,
lrè5-certainenient, liic ^ i Varios.
TQm, IIL E
çS Poètes Latins.
Caton. gçj qu'elles dévoient être de quelques Au-
teurs du bon fiécle. C'eft ce qui les a fait
publier fouvent fous le nom de Virgile,
pour leur donner quelque éclat & quelque
crédit.
La pièce qui porte le nom de Dires ou
Furies appartient à Valerius Caton, fi l'on
s'en rapporte au jugement des deux Scali-
gers, & de ceux qui les ont fuivis. Ce
Caton , qui étoit Gaulois & qui avoit fait
encore d'autres Poèfies fous le titre <\q Ly-
die & de Diane , eft appelle la Sirène des
Latins dans Suétone (i). Et fon Poème
des Dires parut fous fon nom àLeydel'aa
165-2. avec les Notes du Sieur Chriftofle
Arnold.
Jules Scaliger prétend que Q. V a R u s
eft le véritable Auteur de V ALtna (2). Il
juge par cette pièce que c'étoit un Poète
de conféquence, h qu'il avoit bien mérité
les louanges dont les Anciens l'avoient
honoré. Il ajoute que le (lyle en eft grand
& magnifique, & que l'Ouvrage ne taifoit
pas trop de deshonneur à Virgile, lors
qu'il portoit fon nom (3). * Vo-
I. Suet. de Grammat. illoftrib. in Val, Cat. poft
Vit. CxC
z. Jul. Csf. Scaliger. lib. 6. Poëtices pag. 85 j.
854-
D'autres difent que cette Pièce eft de Cornel. Se-
yerus qui vivoit fous Auguftc.
^. Ceux-ci ont raifon, ayant pour -eux un palTa-
ge qui fe trouve dans Sencque, Epit. 79. fie qui dé-
cide la queftion.
3. Philipp. Brict. lib. 2. de Poctis Lat. pag, zt.
4. %, Le genre nemre parmi nous étant le même
que lemafculin & en ayant le nom il femblcquele
mot KftTA^iKTct qui cil du ucutie en Ciec » devroit
ctie
Poètes Latins. 9^
* Voyés Corpus Poëtarum à TArtîclc
1131. *
Lesdcux VARRONS, c'eft-à-dîrc,
1. Marcus Terentius Varron Ror/ia'm^
né la première année delà ié6. Olym-
piade, la 638. de la fondation de Ro-
me, dix ans devant Ciceron & Pompée,
mort la première année de la 188. O-
lympiade, âgé de près de 89. ans, 28.
ans devant notre Epoque.
2. Publias Terentius Varron Gaîdols^ né
au quartier de Narbonne , dans le J/illage
^ Atace [tir Aude , rivière qui portoit
alors le 'même norad'Atax ^ la troiliéme
année de la 174. Olympiade.
1145" IL nous efl refté d'vers fragmens Marc. t«,
I. 1 de plufieurs Poèmes que le Var- Vairo.1.
ron Romain avoit compofés, & particu-
lièrement de Tes Satires Mcnippccs. On
trouve au(îi quelques Epigrammes de Ç\
façon dans l'Appendice ou les Gataledes de
Virgile que Scaliger a recueillies (4'», dans
le
erre parrrii nous du mafculin. BaUlct cependant fait
ici CMaleHes du féminin , ce que je lui p.ilte d'iutàut
plus aifcment , que ce mot , pour peu qu*il fût ad-^
Biis dans notre Langue, y devicndroit bientôt fémi*'
nia, & cela uniquement à caufc de L\ terrninaifon,^
qui eft féminine. Ainfi , nonobftai.t les neutres
à.\iiic4o't% fc !J-xi\iyL nous difons de curieufes ar.ecdo'
tes , & de bonnes Scholies. Cette laifon s'étend
lut bien d'autres mots qui régulièrement devroient
être nmlculins, & que nous faifons féminins, tau»
dis que , pat une bizarrerie merveilleufc , dÎAUt.c , mai-
gre la terminaifon féminine, & malgré fon genre
qui eft féminin en Grec éc en Laciu , ac iiiSc pas
Q'cti« niaîculiu eu f lançeis.
£ i
icx) Poètes Latins.
Marc. Ter. Je recueil des anciennes Epigrammes,don-
Vairon. ^^ p^j. j^^ ^^jj^j. ^^ jyj^.^ Pithou iViné, &
dans la colkdion des fragmens qu'un Cri-
tique de Frife, nommé Aufone Popman
ou Popma, publia à Franeker Tan I5'90
Pub. Ter. 2. Le Varron Gaulois, quoique d'une
Varron. réputation fort inférieure à celle du Ro-
main, ne laiflbit pas d'être aufli bon Poè-
te que lui, c'eft peut-être ce qui a donné
lieu à tant de Critiques des fiécles palîés
de confondre le^ Poëlies de l'un avec cel-
les de l'autre (i). Il avoit fait divers Ou-
vrages en vers, dont on a recueilli les
fragmens avec ceux des autres anciens Poè-
tes imprimés à Lyon 1603. & dans le re-
cueil de Mr. Pithou. Ses principaux Poè-
mes étoient celui de la guerre des Sequa^
«ois^ c'eft-à-dire de cette partie de la cin-
quième Celtique ou Lyonnoife, que nous
appelions aujourd'hui Franche-Comté ;
celui de V Europe; & félon quelques Sa-
vans, celui des Aftronomiques qui porte le
nom du Grammairien Fulgence Plancia-
de (2), & qui a été auiTi quelquefois attri-
bué
1. C'eft ce qu'a fait auflî Lil. Greg. Girald, Dial.
de Hift. Poët. pag. 442. 443.
2. C'eft Pierre Pithou qui ne fiichant de qui étoit
ce fragment du Poëme intitulé ^Jironomita^ crut,
apparenmicnt fur ie -ftyle , pouvoir l'attribuer au
Grammairien Fulgence Planciade. Il ne le nomme
à la véiitc que Fulgence fimplemcnt, mais quel au-
tre Fulgence pourroit-il avoir entendu que le Gram-
mairien? Il ne rejette pourtant pas, dit-il, la con-
jefturc d'un favant homme qui donnoit ces vers à
Varro Atacinus. Ce favant homme , jeune encore
lorfquc Turnebel. i^, de fes Udifrftria c, 3, en apar-
le
I
Poètes Latins. ioi
bué à S. Fulgence de Rufpe. Maïs le plus rnb.Tcr.
conliderable des Poèmes de Varroti eiï ce- vanon.
lui des Ârgoyjautes en quatre Livres. Ce
n'étoit proprement qu*unc tradudlion de
l'Ouvrage d'Apollonius de Rhode; mais
Quintilien le loue de s'en être ailés bien
acqu té (3) , quoiqu'il juge qu'il n'étoit
point propre pour perfedionner les jeunes
gens dans l'Eloquence. Le Père Briet dit
que les Grammairiens ont donné beaucoup
d'éloges à cet Ouvrage en particulier, <5c
Seneque le Père rapporte de Julius Mon-
tanus (4) que Virgile ellimoit fi fort ce que
Varron avoit fait , qu'il employoit quel-
quefois de fes vers en fe contentant de les
rendre meilleurs & de leur donner plusd»;
force. [Voyés l'Art. 1131.]
C. HELVIUS CINNA,
Du tems des Triumvirs.
1146 î L avoit compofé divers Ouvrages cIdm*
1 en vers fur Achille^ 'ïelephe ^ A>r-
le, n'eft autre que Pierre Daniel d'Orléans. La con-
jcdutc de Pitliou paroit plus jufte. Les vers, qui
dans les recueils pafl'ent pour ëtie yéritablement de
ce Varron , font d'un autre goût. Turnébe cepen-
dant les appelle graviffimos cr polnijjimts , & dit que
c'cft le célèbre Henri de Mefmes , qui les ayant dc-
tciies lui en fit prêtent.
3. Quiniilian. icftitution. Orator. lib 10, cap. i.
4. Marc. Seneca controverf. 16. Item Ger. Jo,
Voir, de Hiftoricis Latin, lib. i. cap. i6. pag. 77. 7*.
Ucni lib. lingul. de Poctis Latin pag. 21. 22. &: 64,
Item rithœus Pra:fat. in colleft. Epigram. Philip.
Biiet. l;b. i. de Poët. Lat. pag. 16,
E î
Cinna,
loi PoETïS Latins.
xès^ ^€. Maïs il femble que fa Smyrne
à laquelle il employa neuf ans , aie eu plus
de réputation que les autres , quoique ce
Poëme fût obfcur & difficile , & qu'un
ancien Grammairien nommé Crafîitius fc
crût obligé d'y faire des Commentaires pour
remédier à cet inconvénient , en quoi il
paroît qu'il avoit réulTi, comme nous l'ap-
prenons d'une vieille Epigramme rappor-
tée par Voffius (i). Nous en avons quel-
ques fragmens qui fe trouvent avec ceux
des autres Poètes perdus. Le P. Briet dit
(2) que ce qui nous eft refté de fon Achil^
le^ de fon T'elephe^ & de fon Xerxès a
l'air
î. Ger. Joan. VofT. de Poct. Lat. 1. Cng. pag. ijn
cap. I.
01, Borrich. de Lat. Poct. Differt. 1. p.49-
%. Ce n'eft pasVofCus qu'il faloit citer , mais Sué-
tone^ dans fon livre des illuftres Grammairiens d'où
Voffius a tiré cette Epigramme.
2. Fhilipp. JBiiet. iib. 2. de Poet. Lat. pag. 15,
& 16.
De Smyrna cjufque novennio Catullus Carm. ptf.
& Quintilian. Iib. 10. cap. 4.
IF. L'erreur du P. Briet , & fes paroles mal enten-
dues ont fait croire à Baillet qu'Helrius Cinna etoit
un Foëtc Tragique, & qu'il nous reftoit des frag-
mens de fon Achille, de Ion Téléphe & de Ion Xer-
xès. Ces chimères ont impofe à des lecteurs trop
crédules. C'eft eu effet lur l'idée de ces prétendus
Ouvrages dramatiques de Cinna , qu'un excellent
Traducteur a cru depuis peu que la Stnyme de ce Poè-
te ètoit une Tragédie. C'étoit un Poëme Héroïque
dont l'amour inceftueufe de Myrrha ètoit le fujet.
Smyryia en étoit le titre parce qu'en Grec cr^Jpvatfi-
gnifie Myrrha. Les veis que nous en ont confervès
Servrus Se Prifcien font hexamètres, ôc quoi qu'en
petit flombxc lulîifeiit poar fane voix que ce n'ètoic
pas
Poètes Latins. 103
Taîr tout-à fait Poétique, & que tout cela Cinna.
eft de bon goût. [Voyés T Article 1131.
C. PEDO ALBINOVANUS,
Sous Augufte & contemporain d'Ovide.
1146. I L a fait aulîî diverfes Pocfîes, redo Aîbi-
ois 1 comme font le Pocme delaZ/^^- novan»u*
feiJe dont parle Ovide, celui de la Navi-
gation de Germanicus dont parle Seneque,
des Epigrammes , comme nous l'appre-
nons de^Martial , & quelques Elégies dont
quelques-unes ont été attribuées à Ovide,
par-
pas une pièce de theârrc. Labe'vuëdu P.Bricta cau-
îe routes les aurres. Comme dans fon livre de Poe-
tis Latinis il avoit à parler de Cinna, il confuka au
mot c. Htlvii Cinn^t la table Alphabétique du recueil
d'anciennes Epigrammes donné en \si>o. par Pierre
Pitliou, laquelle l'ayant renvoyé a la page 59. il y
trouva, tout au dellus, ces trois lignes ainfi ponc-
tuées & rangées :
IN COMMENTARIUM L. CRASSITII
Grammatici in Smyrnam. C. Helvii Cinnx.
Trompé par le point mis mal à propos après Smyr-
M4r/j,il crut que Cinna étoit TAuteur non feulement
de l'Epigramme Vni Craijltio , qui étoit autant con-
tre Cinna lui-même que contre Cranit:us,mais en-
core des quatre fuivnntes, dont la première a pour
titre de Achille, la féconde de Teltpho ^ les deux au-
tres font in Xtrxem. De Ion côté liaillct, qui ne re-
couroit jamais aux lources , s'eft imaginé que pat
ces mots du P. Briet : fupcrjiau etiamnriyn ejus ali-^ua
de Achille , Telepho , A'er.vf , il faloit entendre trois
Tragédies de la façon de Cinna, & depuis fur cette
imagination de Bailler, on s'eft figuré que la Smyr-
nix ttoit aulTi une pièce de théâtic. Voila conamenc
la pelote s'eft groliie.
E4
104 Poètes Latins.
Boviiûus/'P^^^^ qu'on les joignok ordinairement en-
femble (i). Celle qu'il a faite fur la mort
de Drufus Néron eft très-élégante au juge-
ment des Critiques (2), & elle eft jugée
très-digne d'un homme qu'Ovide appelle
Poëte celefte (3). Celle qu'on a fur la
mort de Mecenas eft beaucoup au deflbus
pour le fîyle & le caractère Poétique ; aufll
V^oflius témoigne -t-il ne pouvoir s'imagi-
ner qu'elle foit de Pedon, quoi qu'en ait
dit Scaliger. J. Henri Meibomius a publié
ces deux Elégies (4) fous le nom de ce
Poète, dont il nous refte encore quelques
fragmens dans le Recueil que nous avons
déjà cité fouvent , & qui parut à Lyon
pn-40.] en 1603. [Ô{ dans le Corpus Poè*
tarumdeGQnQVQ in-40. i6n. Voyés l'Ar-
ticle 113T.
[M. Le Clerc a donné en 1703 Tous le
nom feint de Theod. Goral/us^ une Edition
de ce Poëte ; en voici le titre : C. Pedonis Al"
hinovani Elegia III. Zîf Fragmenta cum Ih"
terpretatione i^ Notis Jof. Scaliger i ^ Frid,
lu'mdeyibruchîi ^ Nîc. Heinfîi ^Theod.Goralli
tsf dlionrm, AmfteL 'tn-%. C'eft la meilleure
Edition. Add. de l'Ed. d'AmJî.\
COR-
1. Ovidius Elegia x. libri 4. de Ponto.
Alarc, Seneca Suaforiâ prima lefcrt jj. verfus è na-
vig. Gerraan.
Martial, lib. 2. Epigramm. 77. quod. cû in Cofco-
niura.
2. Ger. Jo. Voir. lib. fing. de Poët. Lat. pag. 3^.
Et 01. borrich. Dillertat. i. de Poët. Lat. pag. 5}.
3. Ovjd. Elegia ultim. lib. 4. de f onto. Vofl. ue
fupra, &c.
%, Sidcrtu'~cjue Petit.
•*. H. A Leyde in -4. 1653. à la fuite de fon Mce-
5. Quel-
Poètes Latins. 105*
CORNELIUS GALLUS,
De Frejus en Provence (5-), premier Gou-
verneur de l'Egypte , depuis fa réduc-
tion en Province , tué de fa propre
main, la féconde année de la 188. O-
lympiade , (i Ton doit s'en tenir à la
Chronique d'Eufebe , 27. ans devant
notre Epoque, en la 40. année de fa
vie, ou 43. félon d'autres, y avoue que
toutes ces dates [ont fujettes ,ï beaucoup
de difficultés (6).
.1147 T E Père Rapin dît que (7), les com.Gai-
JL/ Elégies de Catulle, de Mecenas lus.
(S) & de Cornélius Gallus qui nous res-
tent font d'une grande pureté & d'une
grande délicateife, & il ajoute que Gallus
ell pourtant plus rond, & qu'il fe foutient
mieux que les deux premiers.
Les autres Critiques femblent avoir pris
un parti afles différent de celui de ce Père ,
& comme ils n'ont pas eu tous le même
fen-
5. Quelques Italiens l'ont fait natif du Frioul \
caufe de la reflemblance du nom Latin Ftmrn JuiH,
6. %. Jofeph Scaliger dans fes notes fur Ton Eufé-
be eft d'accord de toutes ces dates à une année près,
7. René Rapin, Réflexions partie, fur la Poëciq.
féconde partie Reflex. xxix. pag. 163. 164. eJit,
in 4.
8. %. Nous n'avons aucune Elégie de Mécénas,
& l'on fait, à n'en pouvoir douter, que celles qui
ont été publiées (l.us le nom de Cornélius Gallus ne
font pas de lui. U n'y a pour s'inftruire à fond fur
cet article, qu'à lire ce qu'en dit le nouvciu Àlen*'
giiUia, lçniÇi,pagC33ô, jufqu'à 346, ,
îo6 P 0 t t E $ Lattns.
Câllus. fentiment que lui pour la perfonne de
l'Auteur de ces Elégies qui ont porté long-
tems le nom de Gallus, ils n'ont pas eu
aufli le même goût pour le fonds de TOu-
vrage.
I. Pour ce qui regarde l'Auteur, la
plupart de ceux qui ont écrit en ces der-
niers tems prétendent que c'eft un nommé
Maxîmien qui eft le véritable Père. Le
Gyr-.ldî,quî ell un des premiers d'entre ces
Criciques qui ont déterré ce Maximien,
n'a pu retenir Ton zèle contre Crinitus (i)
& les autres qui vouloient donner ces vers
que nous avons à Gallus, & il ne les ac-
cufe de rien moins qoede folie, d'impoftu-
re & d'imprudence , parce que ces vers
qu'il prétend n'avoir rien que de trivial &
d'impur, font voir que leur Auteur n'é-
toit ni du pays, nî du tems, ni de Tâge,
ni du goût du véritable Gallus. Il ajoute
que ce Maxîmien, quel qu'il ait été, a
fait connoître par ces Elégies qu'il étoit
un vrai fot & un franc fripon , & qu'on
s'étoit déjà moqué de fes fadaifes avant
lui
T. ^. Rien n'eft plus faux . Gyraldas n*a point
eu tout nommé, ni n'a du nommer Crinitus qu'il
n'ignoroit pas s'être iafciit en faux, quelque qua-
rante ans avant lui , contre les Poëlies attribuées à
Cornélius Gallus. Voici les paroles de Crinitus «»
42. de Ton Ouvrage des Foëtcs Latins. Leinntttr <«-
taîe najirti E.'ejinritm Itlri [ub nomine Cornelii Cdlli ^ejuA
in re facile efi imponere imperitfs hominib^ts, §lui anton
fauio ditigtntius anti^uitatem obfervarunt , nihil minHt
ittifebnnt qtta'/i t'.t h^ec refertnda fînt ad Poctum Gallttm,
i. Lil. Gregor. Gyrald. de Hift. Poëtar. Dialog,^.
3. Juft. LipC £le^oi, lib. z, fcti. Pitiioeus Jxsf.
ia
Poètes La t i- n s. ïoj
lui (i). Il avoue néanmoins qu'il y a une C<^'n4Gti-
Elegie ou deux qui ne font pas tout-à-fait "**
indignes de cet ancien Gallus qui avoit
l'ellime de Virgile ôl des autres grands
hommes de fon iiécle. Lipfe , Mr. Pi-
thou, Scaliger le fils, Voflius le père, le
Père Briet, le Sieur Konig , le Père de la
Rue , ont fuivi le fentiment du Gyral-
di (3), & ils ont adjugé toutes ces Elé-
gies à Maximien fur la toi des anciens ma-
nu fcrîts.
2. Pour ce qui efl des jugemens qu'on
a portes de ces vers, on peut dire qu'ils
font alfés uniformes. Jules Scaliger, qui
femble avoir crû qu'une bonne partie de
ces Elégies étoient du véritable Gallus,
s-'efl imaginé y avoir trouvé les défauts que
Suintilien (4) avoit remarqués dans les
uvrages de cet ancien Gallus , c'eil pour-
quoi il dit que ces vers comme il les a lûs^
lui paroiflent trop durs, parce que Quin-
tilîen en avoit dit autant de ceux qu'il a-
voit vus. Scaliger ajoute néanmoins qu'il
a rendu cette dureté moins défagréable à
caufc
m fragm. Toët. feu Epigr.
Jol. Scaliger in Rob. Tic. Brict. dePoct. Lat. Ko-
migius Bibl. V. & N.
Caiol. de la Kuënot. inaigum. Eclog. deciinz de
Galio.
%. On ne peut pas dire qu'abfolument i!s fuivis-
Icat le fentiment de Gyraldus, puifqiie celui-ci, des-
fix Elégies attribuées à Cornélius Gallus , croyoic
qu'il y en pouvoir avoit une ou deux verirabJement'
de lui, au lieu que Lipfe & les autres Ciiti(^cs les
ajugeoient toutes à Maximien fans exception.
4. Q»Umiliaii, Xultiruiion. Oiatoiiai, lib. x. cap. r. "
E 6
loS Poètes Latins.
Corn. Gai- c^y^g de quelques beautés & de quelques-
grâces qu'il juge que l'Auteur y a répan-
dues. Il eftime pourtant qu'il y a quelques
Pièces dans ce Recueil attribué à Gallus,
qui n€ peuvent venir que d'un Auteur fort
impertinent & fort inepte des tems pofte-
rieurs , comme eft la Pièce Lyrique ; &
qu'il y en a d'autres qui font connoître
qu'il ne favoit point du tout la Langue
Grecque (i), & qu'il ignoroit la quantité
des fyllabes, la mefure des vers, & les rè-
gles de la veriification. Le Gyraldi a re-
marqué la même chofe, & il ajoute que
cet Auteur ne favoit pas même la Langue
Latine (i), Villiomare, c'eli-à-dire, Jo-
feph Scaliger & lePereBiet difcnt (3) que
l'Auteur de ces vers e(t un Barbare, & c«
dernier ajoute que les lix Elégies que nous
avons font très-infames, & que ce vilain
vieillard ne fait autre chofe dans toutes
ces Pièces que déplorer l'impuillance où la
grande vieillelTe & fes maladies le rédui-
foient de ne pouvoir pas fatisfaire fa bruta-
lité fur une jeune hlle dont il étoic fou.
Ce Père d't qu'entre les autres il n'y a rien
de plus impudent ni rien de plus fale que
la cinquième Elégie (4). Et pour achever la
peinture d'un fi bel Auteur , celui qui a
mis fa Vie à la tête de fes Elégies nous fait
remarquer auffi que ce font ks vers d'un
igno-
7. Jal. Czl^Scaligeilib. 6. Pocticcs qui cft Hypci-
critic pag. 8<2.
2. Gr. Gyrald. Diiil. 4. Hift. Poët. utfup. Jof. Sca«
liger Anim. ad Chron. Euieb.
3. Tvo VillioKiax. Auimâdvcxf, cont^ Kab. Tlti
Poètes Latins. 109
Ignorant aulTi-bien que d'un impudique. Coin. Gai-
Voilà quelle eft la morale de cet Auteur, "*'
& pour ce qui eft de fon ftyle , le Père
VavafTeur écrit (5-) que ce qu'on attribue
à Gallus eft peu corrcâ, que tout y eft
puérile & extravagant, m^ais qu'il ne nous
efl rien relié du véritable Gallus.
Voyés Corpis Poètaram cite à l'arti-
cle 113t.
VIRGILE.
(PuL^I. F/?X- Maro) d'Andes (6) au territoi'
re de Mantouë ^ né le 15". Odobre de la
troiliéme année de la 177. Olympiade,
la 684. de la fondation de Rome, fous
le Confulat de Pompée & de CrafTus,
l'année que Ciceron accufa Verres de
Peculat, 70. ans devant l'Epoque Chré-
tienne. Mort à Brindes le 22.. Septem-
bre, la deuxième année de la 190. O-
lympiade , l'année de l'Empire d'Au-
gufte, 25'. à compter à la mort de Cé-
lar, 24. à compter depuis fon Confulat,
12. depuis la bataille d'Aclium, 11. de-
puis la prîfe d'Alexandrie ou la réduc-
tion de l'Egypte , & 9. depuis qu'il fut
falué Augulîe par le Sénat; 19. ans de-
vant notre Epoque , c'efl-à-dire , ly.
ans devant la Nailfance du Sauveur du
Mon-
loc. commun.
4. Philipp. Brict. Soc, J. lib, 2. de Poè't. pag,
a6. 27.
s. Anonym. Remarq. fur les Reflcx. touchant la
Poè't. pag. 127.
^t H. Aujourd'hui fnuU.
E7
IfO P O E T E s L A T I ï^ 3>
Monde; fous le Confulat de C. Sen-
tius Samrninus & de Q. Lucretius Ciii-
na Vefpillo; Tan Julien ou de la cor-
re6i:ion du Calendrier Romain 27. & de
l^Ere Efpagnole 20. âgé de jr. ans (i);
& 735'. ans depuis la fondation de Ro-
me; de la Période Julienne 4^95*. Cy-
cle Sol. 19, Lun. 2.
Twllt, ^^4^ T 'Affedation (2) qui paroît dans
X-yle foin que j'ai pris de dater la
mort de Virgile par toutes les Epoques que
- j'ai crû certaines 6c inconteftables, & qui
ont eu cours dans l'Empire Romain , ne
doit pas feulement nous faire fouvenir de
la diliin6tion qu'il faut faire de fon rang
& de fon mérite d'avec celui des autres:
mais elle peut fervir encore à nous le faire
confidérer comme étant lui-même une E-
poque fixe de la Poéfîe, & com^me le cen-
tre univerfel de tous les Poètes qui ont
paru auparavant <Sc après lui.
Je n'ai pas crû pouvoir donner une idée
de Virgile qui fût plus achevée & plus par-
faite que celle-là. J'ofe dire qu'elle en-
gloutit toutes celles qu'on nous en a fait
concevoir jufqu'ici, & que tout ce que
fes envieux & fes ennemis y ont remar-
qué d'humain s'y rapporte auffi parfiîte-
ment
1. Cinquante ans onze mois fept jours.
2. ^. On a eu raifon de fc mocquer & de la prc'-
cifîon afFcftéc de tant de dates, & de la conféquen-
Cc qu'il en tire à l'avaniagc de Virgile.
3. ^. C*eft par ces mots qu'après avoir clairement
te ruccù^^çmem marque le tem» de la jndûançi, Se
de
Poètes Latins. m
înent que tout ce que fes flateurs 6c fes Virgile,
idolâtres y ont reconnu de divûir
Voilà l'expédient que j'ai trouvé pour
me tirer avantageufement de l'embarras
où j'aurois été de rapporter les jugemens
ou les éloges de plus de quinze cens Cri-
tiques qui m'auroient fait faire des cercles
perpétuels^ & qui m'auroient rendu infup-
portable au Le6teur par une infinité de re-
dites. Par ce moyen je ne me trouve plus
engagé qu'à choifir un petit nombre de
ceux d'entre ces Critiques qui femblent
avoir le plus d'autorité, 6c qui pour n'être
peut-être pas toujours également judicieux
ne laîflent pas de donner grand poids à
leurs jugemens par le crédit qu'ils ont ac-
quis dans la République des Lettres ; &
à rapporter fuccindement ce qu'ils ont
dît de plus précis pour nous faire con-
noître le caradcre de ce Poète & l'utilité
que nous en pouvons retirer.
Nous n'avons de Virgile (3) que trois
Ouvrages confidérables , écrits chacun
dans un genre différent de Poéfie, favoîr
les dix Ecloguss ou (4) Bucolijues , les qua-
tre Livres des Géorgiques^ & les douze de
rEneide. Les autres produdions qu'on lui
attribué n'ont pas encore été légitimées.
Quoique les Bucoliques & les Géorgi-
ques
*c la mort de Virgile, Baillet devoir entrer en ma-
tière.
4 %.\\iÀ\o\t OH les Bticoli(^ues ^ autrement il femblera
qu'il y ait dix Bucoliques. Je ne dis rien éî'EclogHes^
finon , que , nonobftant l'étymologie , il auioic
aùoix fait d'écrire ^glo^utt conforménicût à Tufagc,
lia Poètes Latine.
qucs ne fuflent que trop fuffifans pour ti-
rer un Auteur du nombre des médiocres
Poètes ; il n'y a pourtant que TEnéide
qui ait établi Virgile dans la réputation
du premier de tous les Poètes , & qui ait
dignement exercé rinduflrie & les facul»
tés des Critiques. C'eft aufîi ce Poème
qui fera tout le fujet des jugemens fui-
vans , aufquels je tâcherai de donner quel-
que ombre de la méthode que les Maîtres
de TArt ont coutume de luivre dans leurs
préceptes, je rapporterai 1°. une partie de
ce qui s'eft dit de plus conlidcrable fur la
fable de ce Poème, 2°. fur fa matière, 30.
fur fa forme, 4°. fur les mœurs, 5-0. fur
les fentimens , 6°. fur Texpreffion ou les
paroles, & je finirai par l'abrégé de lacom-
paraifon qu'on a faite de Virgile avec Ho-
mère. Mais auparavant que de defcendre
dans ce détail, il faut dire quelque chofe
de ce que les meilleurs Critiques de ces der-
niers tems nous ont appris du deffein de
Virgile en général, <§c du fuccès de foa
exécution.
$.1.
Dh dcjj'cin y de V exécution de PE»eide en,
général,
Jules Scaliger & la plupart des Critiques
qui l'ont fuivi , ont prétendu (i) que Vir- j
gile ^
I. Jul. CxC Scaliger Poctices lib. 3. feu Idex cap.
II. pag. 22g. Ren Rapin ,Ren. le BoiTii, Jean Re-
aaud de Segiais ; ê; divcis âuizes Modçijies qui ont
tiaî-
Poètes Latins. 113
gile avoît eu plus d'une vue dans cet Ou- virgîle,
vrage, & ils font convenus prefque tous
de dire qu'il avoit voulu donner des pré-
ceptes géne'raux à tout le Genre humain
pour la conduite de la vie des hommes ;
& qu'il avoit en même tems envifagé la
gloire du Peuple Romain en général, &
celle de la famille des Ccfars en particulier,
dans laquelle il a pris fon Héros. A confi-
dérer les difpofitions, où pouvoit être Vir-
gile par rapport à l'état des chofes de fon
tems , & à fes intérêts particuliers , on
trouve plus d'apparence dans l'opinion de
ceux qui eftiment que l'utilité publique
n'occupoit pas iî fort fon efprit que la
gloire particulière d'Augufte. Ils difent
que fon grand Art paroît dans l'induftrie
& dans l'habileté avec laquelle il a en-
veloppé fon delfein dans une infinité d'in-
cîdens qui paroiffent ailés ind fférens &
inutiles à fes fins , ^ qui néanmoins ne
laiifoicnt pas de contribuer merveillcufe-
ment à les établir.
C'eft fur ce pied-la qutl faut juger Vir-
gile, (?c comme on n'a point dû exiger au-
tre chofe de lui que ce qu'il a bien voulu
entreprendre , c'eft l'exécution de cette
entreprife qu'on a dû examiner pour voir
s'il a mérité les louanges dont les uns
l'ont comblé, & le blâme dont le5 autres
l'ont voulu charger.
Il faut, dit Mr. de Segrai$ (2) , regarder
Vir-
traité la chofe plus nettement que quelques uns des
Anciens qui ont dit la même chofe.
2. J. Ren.dc Segrais, Préface fur l'Enéide non;bie
5. pag. 8. Ôc u. A. pa». 7.
114 Poètes Latins.
Virgile, Virg'Ie comme un Sujet d'Augufte, obli-
gé a fon Maître , & comme un Romain
charmé de la gloire de Rome : comme un
homme qui ayant reçu de la Nature un
jugement merveilleux & un génie admira-
ble pour la Poè'fie, avec une naïveté &
une facilité que nul autre n'a jamais eue
dans fa Langue pour la veriification , &
qui ayant fait fes efîaîs dans deux autres
genres dePoèïîe avec grand fuccès, a vou-
lu paffer à ce qu'il y a de plus fublime &
de plus parfait dans l'Art Poétique. Il faut
auffi entrer dans les fentimens des Romains,
& fe reprefenter la gloire des Céfars. Car
ceux qui jugent d'un Auteur ancien, dit-il,
ou qui examinent les mœurs à les opi-
nions des fiécles paiïes; & qui les vou-
droient foumettre au goût, aux moeurs,
& aux fentimens de notre fiécle, fe trom*
peroient beaucoup dans leur jugement. Il
faut fe détacher de l'habitude & de la
préoccupation, & fe défaire de fon fiécle,
pour le dire ainfî , afin de ne fe conformer
qu'à la Raifon qui nous doit faire entrer
dans les fentimens de l'Auteur dont il s'a^
git. Il prétend que c'efl: en cela que Virgi-
le excelle au-dellus de tous les autres. Car
bien que dans la conformation de fon Hé-
ros & dans quelques autres points, il y
ait quelque chofe où il fiille s'élever aux
mœurs les plus auftércs, & fc défaccoutu-
mer des nôtres, on peut dire néanmoins
qu'il n'y a jamais eu d'Auteurs qui ayent
été
1. Ren. Rapin , Conipaiaifon d'Homerc & Virgile
chap.
Poètes Latins. 115'
cté de tous les fiéclcs comme lui, tant le Virgile,
bon fens & le jugement paroiflent partout
dans la conduite de Ton Ouvrage.
Le P.Rapin (i) voulant rechercher dans
Virgile ce qui auroit pu mériter ce con-
fentement général de tous les liécles pour
lui donner leur approbation , a trouvé
qu'il y a bien des gens qui fe piquent d'ê-
tre grands Critiques , & qui le mêlent de
juger de Virgile par de profondes réfle-
xions, fans peut-être avoir jamais pu ap-
percevoir en quoi confiée la qualité ém.i-
nente de refprit & du jugement de ce Poè-
te, qui le diftingue de tous les autres, &
qui lui a fait prévoir le goût de la pofteri-
té, comme il favoit celui de fon fiécle.
Mais pour lui, dit-il, qui n'admire rien
tant dans la manière de ce Poète que la
modération ,& la retenue admirable qu'il
fait paroître en difant les chofes, & en ne
difant que ce qu'il faut dire, il a toujours
crû qu'on pouvoit le diftinguer par-là.
Il faut, continué ce Père, s'appliquer à
fuivre Virgile de près , pour connoître
que fon filence dans de certains endroits
en dit plus qu'on ne penfe , & qu'il eft
d'une difcrétion exquîfe. Et lorfqu'on fait
un peu entrer en fon fens, on le trouve
quelquefois auffi admirable en ce qu'il ne
dit pas, qu'en ce qu'il dit.
Il ajoute qu'il ne connoît que Virgile
qui ait un fonds de prudence aflés grand
pour confervcr toute fa modération , &
fon
chap. II. pag. 41, édit. in-4.
ii6 Poètes Latins.'
Virgile. fon fang froid (i) dans l'ardeur & IMmo-
tion d'une imaginacion échauffée par le
génie de la Poëfie le plus animé qui fût ja-
mais. Cette maturité de jugement eftàfon
avis la fouvernine perfection de Virgile.
En quoi il le compare à ces Généraux d'ar-
mée, qui portent dans le combat & dans
la mêlée tout le flegme & toute latranqui-
lité du cabinet, qui au milieu de la fumée
& de la pouffiére , parmi le bruit des ca-
nons, des tambours & des trompettes, &
dans le tumulte univerfel , ne font attentifs
qu'à ce que leur dide leur prudence <5cleur
modération ,& ne confultent que leur Rai-
fon. Ce qui ne peut être que l'effet des
grandes âmes & d'une fageffe confommée
comme étoïc celle de Virgile, qui dans la
chaleur de fon emportement, ne dit que
ce qu'il faut dire, & en laiffe toujours plus
à penfer qu'il n'en dît.
Daniel Heinlius ne nous a point donné
une moindre idée de la grandeur du deffeia
de Virgile, lorfqu'il a dit qu'il avoit égalé
celle de TEmpire Romain (2); non plus
que Jules Scaliger (3), lorfqu'il a appelle
rOuvrage de l'Eneïde un Monfire^ mais
un Monftre qui n'a point de vices, & qui
ne fait point horreur. Mais quelque gran-
de que foit l'idée que ces deux célèbres
Cri-
I. Sens frais.
*|[. Qiiclques-uns ont cru pouvoir écrite yè-z/j //-o/V^
Mais la raifon & l'ufage font çout fang froid. Bail-
ler dcvoit s'en tenir Jà $c lupprimer fens frais qui eft
ridicule, quoiqu'il femble avoir propofé cette cx-
preflion comme raeiliciite que celle dont avoit uf«
le P. Ka^in.
Poètes Latins. 117
Crîtîques nous ont voulu donner de ce Virgile,
Pocmc , on peut dire qu'elle n'cft point
allés nette.
Ainfi on doit être plus fatisfaît de celle
que le P. Rapin s'eft formée dans fcs Ré-
flexions (4) , où il nous apprend que le
dcllcin le plus judicieux, le plus admira-
ble, & le plus parfait de l'Antiquité, eft
celui de l'Eneïde de Virgile ; que tout
y ell grand, & que tout y elt proportionné
au fujet qui elt retabliffement de l'Empire
de Rome, au Héros qui eft Enée, à la
gloire d'Augufle & des Romains pour qui
l'Ouvrage a été entrepris. Il ajoute qu'il
n'y a rien de foible ni de défedueux dans
l'exécution, que tout y elljuite, heureux,
& achevé. De forte que Mr. de Segraîs a
eu grande raifondedire (5-), que ce Poè-
me ell fans doute le plus illullre monu-
ment de la gloire de Rome.
Le P. Rapin témoigne encore ailleurs
être dans les mêmes fentimens (6). Il croît
qu'on ne peut pas confiderer le defTein de
ce Pocmc dans toutes fes circon(tances,
qu'on ne convienne que c'eft le mieux
imaginé de tous les delfcins qu'on ait ja-
mais vus ; qu'efledivement Virgile y fait
paroître un goût admirable pour le natu-
rel, unjugement exquis pour l'ordonnan-
ce,
1. Dan. Heindiis ia Epift. ad Bljemburg dcdicat.
Opeiutn Ovidii.
3. J. C. Scalig. Poëtices &c. ut fuprà. ^7
4. R. Rap. Reflexion 19. Air la Poétique pag. 41, *
42. edit. in-j2. paît. r.
. 5. Scg. pag. 9. de la Préf. comme ci dcflîu,
«. Keficx. 15, de la féconde pAitie, ôcc.
iiS Poètes Latins.
yù^Uc, ce, & une délicatefTe incomparable pour
le nombre <Sc l'harmonie de la verfifica-
tion.
C'eft rheureufe éxecution d'un fi beau
delTein qui a fait dire à Scaliger (i) que
Virgile étoit le feul d'entre tous les Poètes
qui eût trouvé le moyen de ne point tom-
ber dans des puérilités, qu'on pouvoit dire
qu'il n'y avoit que lui qui méritât le nom
de véritable Poète , & qu'en polledant fon
Ouvrage on pouvoit aifément ie pafTer
de tous les autres. £t c'efl: ce qui l'a por-
té à vouloir foutenir en un autre en-
droit que Virgile ne s'étoit pas contenté de
s'élever au-delTus de l'efprit humain, maïs
qu'il s'eft trouvé égal à la Nature-mê-
me (2}.
On efl: pourtant afTés perfuadé qu'avec
tous fes talens naturels, il a eu encore be-
foin d'autre chofe pour faciliter l'heureux
fuccès de fon grand deflein. C'efl: pour-
quoi on veut qu'il n'ait été dépourvu d'au-
cune des qualités & des connoliFances
qu'on peut acquérir par le travail & l'in-
duflrîe. En effet lesHiltoriens de fa Vie (3)
nous apprennent qu'il avoit fait d'excel-
lentes études, & qu'il avoit cultivé fon beî
cfprit par le foin d'apprendre toutes fortes
de Sciences dont on faifoit cas pour lors,
Ôc de goûter tout ce que la Grèce avoit de
plus délicat & de plus folide. C'efl:
1. Scalîgeii Poëtices lib. s. feu Critic, cap. i. pag,
2. Idem |Iib. 6. Poctices feu Hypercritic. cap. r.
pag. 765
3. AuftQi Yit'« Virgilii fub n©minc Donaii, item
Poètes Latins. 119
C'eft ce qui a fait dire à plufieurs que Virgile,
Virgile étoit fortfavant. Si nous en croyons
Macrobe (4) , il favoit parfaitement le
Droit Romain & la Théologie Païenne,
l'Aftronomie, & particulièrement la Phi-
lofophie, & il prétend qu'il en avoit une
connoiirancc fi éxade , qu'une feule de
ces Sciences auroit été capable de le faire
paroître avec beaucoup de diftinéiion par-
mi les plus habiles de ion fiécle. Mais il
ajoute qu'il avoit encore plus de prudence
& de difcrétion que de favoîr , & que c'eft
ce qui lui faifoît ménager ii fort les occa-
lions qui fe préfentoient de faire connoître
ce qu'il favoit & de n'employer de toutes
ces Sciences que ce qui pouvoit fervir prc-
cifcment à fon fujet principal, fans s'a-
mufer, comme font les efprits médiocres,
à faire parade de tant de belles chofes que
d'autres étalent avec tant de pompe.
C'efi: pourquoi Scaliger a eu raifon de
dire que l'érudition de Virgile étoit fans
aftccSlation (f) , & il s'eft fait un devoir de
nous le prouver par un grand détail, dont
les réflexions ne tendent qu*à nous faire
voir que ce lage Poète étoit une merveille
de prudence & de difcernemenr. Cette ex-
cellente qualité qui fert à gouverner & à
modérer toutes les autres, a été caufe que
bien que Virgile n'ait pas été le premier
des
alli, &c,
4. Macxob. Saturnalior. lib. i. cap. 24. pag. 25?.
25>. M.
5. Jul. Scaliger Poctices lib. 3. feu Idex cap. 2;,
de piudentia pag. ZI7, z8S. i%9, ôc feqq. ad isi*
lio Poètes Latins.
yifgae, des Poètes favans , on n'a point laifle de
le propoler prétcrablement à tous les au**
très , comme le véritable modèle & com-
me la mefure de la Science dont les Poètes
doivent faire provifion. Voflius voulant
montrer (i) qu'on ne doit point fe mêler
de faire le métier de Poète, fans avoir au
moins les femences & les principes de tou-
tes fortes de Sciences & de Difciplines, a
prétendu nous en convaincre par Téxem^
pie de Virgile. On voit , dit-il , par la
manière dont il parle de la Divinité qu'il
eft Théologien; par celle dont il traite du
lever & du coucher des Aftres qu'il eft
Mathématicien ; par ce qu'il rapporte de
la foudre, de l'incendie d'Etna ^ & des au-
tres etlets de la Nature qu'il eft Phyfîcien;
par la defcription qu'il fait de la terre qu'il
eft Géographe; par le récit qu'il fait des
actions des hommes, 6i par quelques Gé-
néalogies qu'il eft Hiftorien ; par ce qu'il
t dit des loix & des mœurs des Peuples qu'il
eft Jurifconfulte & Politique; par ce qu'il
dit des vailTeaux & de l'art de naviger, qu'il
favoit la Marine & l'Hydrographie ; par la
manière dont il parle des armées & de la
guerre, qu'il favoit l'Art militaire. En un
mot il n'y a point de bettes de Philofophes
dont il n'ait fû parfaitement les dogmes,
quoiqu'il ait voulu n'en répandre que les
femences en divers endroits de fes Ouvra-
ges.
Mais je ne fai fi l'on ne pourroit point
at-
7. Gérard. Joan. VofT. InHitution, Pocticay. lib. X|
fap. 1. §. 4. pa^. i. 3.
Poètes Latiks. m
attribuer à la bonne fortune de Virgile u- vligUe,
ne grande partie de cette réputation; & iî
la gloire qu'on lui a donnée d'ctre univer-
feilement Tivant, ne feroit point la même
q^e celle qu'il a méritée pour ne l'avoir
été que rupcrficielkmcnt. Je crois que
c'efl le fentiment auquel tous fes difciples
& tous fes imitateurs doivent s'arrêter pour
fe garantir du defefpoir de pouvoir jamais
acquérir la quai té de véritables Poètes. Et
pour fiater davantage leur inclination , il
me femblc que no5 Critiques & nos Maî-
tres en l'Art Poétique, pourroient rabattre
en leur faveur quelque chofe de cette fe-
verité avec laque le ils veulent exiger d'un
véritable Poète toutes fortes de Sciences,
fans même en exclure les Arts.
Du moins peut-on dire que l'exemple de
\^irgile leur grand Maître, peut fervirpour
les défendre contre l'éxadion de ces Maî«
très importuns. Il ne leur eft peut-être pas
plus difliciîe de taire voir que ce qu'on dit
de l'univcrhîité des Sciences dans Virgile,
n'a pas moins l'air de vilîon & de chimère,
que ce que plufieurs ont publié de fa pro-
fondeur (5c de fou étendue dans chaque
Science. Je veux dire que tous nos Poè-
tes pour leur propre intérêt, pourroient
faire voir que Virgile ne s'eft pas contenté
de n'être que fuperficiel dans toutes les
Sciences qui font étrangères à la Poétique,
mais qu'il a même donné lieu de croire
qu'il y en avoit quelques-unes dont il n'a-
voit pas même cette teinture légère qu'on
leur demande.
Mais je ne m'appercoîs pas que je fais
To}nJH,P^r:.lL ' F mal
i2i Poètes Latins.
yiigUe, mal ma cour , & que nos Poètes n'étant
pas fâchés de palfer dans le monde pour
universellement ^ profondément favans ,
font de concert avec nos Critiques pour
fourenir qu*un Poète doit favoir toutes
chofes à l'exemple de Virgile, mais qu'il
ii'eft pas obligé d'en donner des marques
dans ce qu'il compofe, & qu'il a même le
privilège défaire OiCS fautes danî> toutes for-
tes de Sciences, bi ce privilège n'étoit at-
taché à la profeflîon des Poètes , il n'y au-
roit pas d'Ecrivain qui ne voulût l'acheter
à quelque prix que ce fût, & il n'y auroit
pas de Livre ni de compolition ii pitoya-
ble dont on ne pût croire que l'Auteur ne
fût univerfellement i^ profondément fa-
vant.
Etîèéiivement les Poètes ont un avanta-
ge particulier que n'ont pas les autres, pour
prouver & pour établir leurs prétentions
par l'exemple de Virgile que les Critiques
leur
1. Evangelus dans Macrobe au 3. livre des Satur-
nales chap. 10, aceufc Virgile d'ignorance fur ce fu-
jcr, par exemple, furie Sacrifice de Didon àlaRo-
xjiaine, furTimmolatioud'unTaureau à Jupiter, ôcc.
Voyes aufïî Callelvetro dans les Commentaires fut
Ariftote rapporté & réfute en divers endroits par
GaiUicci. Voyés encore Volïins au premier Livre
des Inftitut. Poët. chap. 3. pag. 30. 31, où il défend
Virgile contre du Verdier au fujet de la Peinture.
2. Par exemple, Virgile dans le i. & le 4. del'E-
neïde,met des Cerfs en Afrique contre le fentiment
des Naturaliftcs, des Géographes, & des Hiftoriens,
Sx. entre autres Ariftote , Hérodote cités par Galluc-
ci, & coûtre Pline au 8. livre chap. 3. de ibn Hift.
Nat.
il cft confiant aufli qu'il ne vient point de Cèdres
€3
Poètes Latins. 123
leur propofent. Ces dernîers leur appren- Virg^l^
nent que Virgile , quoique bon Théolo-
gien parmi les Païens, n'a point lailTc de
faire diverfes fautes au fujet de leurs facri-
fices & de leurs cérémonies (i) ; que quoi-
qu'il fût grand Philofophe & grand Natu-
ralirte , il n'a point lailîc d'aller fouvent
contre ce que nous enfeignent ceux de cet-
te Profelfion, & quelquefois contre l'ex-
périence publique (i) ; que quoiqu'il fût
très-bien verfé dans rHiltoire & dans la
Science des Tems & des Lieux , il n'a;
point laifle de pécher volontairement , dl-
lent-ils , contre la vérité de quantité de
faits, de faire un grand anachronifmepour
faire qu'Enée & Didon puflent fe lencon-
trer enfemble, & de dire de quelques Vil-
les,'de quelques llles ^ de quel ;ues Côtes
des chofes peu conformes aux lumières &
aux connoilîances des autres Géographes-
(3). Enfin ils difcnt que quelque grande-
que
en Italie , quoiqu'on en voye au bûcher de Palîas
«ians l'onzicme de l'Eneide, qu'il n'y vient pas d'A-
nes fauvagcs Ôcc qu-^ les Serpcns n'ont point de ctin
au coû, con:inic il leur en donne au fécond de l'E-
neïde , que Favorin Philofophe Gaulois trouvoir
beaucoup à redire à la defcription Pliyfique du Mont
Etna, au iroifiéme de l'Eneïde, dans A. Celle lib,
17. cap. îo.
3. Les princ'paux faits dont lesHiftoriens contes-
tent la venté à Virgile, concernent l'ufage de la Pein-
ture dans le premier de l'Eneïde, la patrie d'Achille
dans le fécond de l'Eneïde, la mort de Deiphobe
dans le fixièmej la nailTance de Silvius Tofthumus,
la coutume d'endurcir les enfans à la gelée Se à l'eau,
qu*il attribue au Peuple du Latium, Se quelques au-
ucs points hiftoriques rapportés pat A, Celle, Ma-
- ï z crc»fec
124 Poètes Latihs.
iVirgUc que fût la connoifTance qu'il avoit de l'Art
militaire & de la iVJarine, il s'elt oublié
quelquefois fur les devoirs d'un bon Capi-
taine & des foldats", & fur la forme & l'é*
quîpage des Vaiffeaux qui étoient en ufage
au tems d'Enée (i).
Mais les Critiques ont décidé enfin que
toutes ces libertés ne font pas des fautes
de Poëte, parce qu'elles ne font pont con-
traires à TArt Poétique, & qu'elles n'em-
pêchent pas qu'un Poëme ne puilfe être a-
gréable & merveilleux félon le deflein du
•rocte. Ce ne font au plus que des fautes
accidentelles qui ne changent point l'elTen-
ce du Poème , & qui font honorées du
nom de licence Poétique, Mais il faut tou-
jours diilinguer ce que l'on juge digne
d'excufe d'avec ce qui mérite des louanges.
C'eft une précaution qu'il faut avoir fur
tout, lorfqu'on lit trois ou quatre Livres
des Saturnales de Macrobe , qui femblc
n'avoir point eu d'autre but dans ces Livres
que de nous faire voir que Vir^^ile étoit
profond & éminent dans toutes ces con-
noii^
crobe & le P. Tarquin Gallucci.
L'Anachronifme d'Enée à Didon eft d'environ
trois fîécles^ félon le calcul des Chronologiftes, par-
ce que Carthat^e ne fur bâtie que 72. ans, félon Jus-
tin au Livie 18. ou 65. ans feulement, félon Pater-
culc au premier Livre, auparavant la fondation de
Rome.
Enfin quelques Géographes qui fe piquent d'ex-,
aftitude , fe plaignent qu'il n'a point parle comme
eux de la mobilité de l'ifle de Delos, de la fépara-
tion de la Sicile d'avec ie Continent, d'Inarime, êcc.
z, Vo/és poux cç« deux points le f. Gallucci fur
le
Poètes Latins. 125'
noifTaiices dont nous avons parle (1) , Virgile^
comme l'a remarqué un Auteur moderne
fous le nom de Candidus Hclychius. H
fuffit de dire que Vfrgile n'avoir ;ns li bon-
ne opinion de lui-même , quVli celle que
le rafinement des Critiques pofterieurs
nous ^ n a donnée par les découvertes d'u-
ne infinité de belles chofcs , aufquelles
Virgile n'a peut-être jamais fongé en com-
polant ion Poëme (3), & qu'il ne le fai-
foit pas trop d'injuliice en ce point , quoi-
qu'il fût alfurément trop modtfte & trop
févere à lui-même, dans le jugement peu
favorable qu'il faifoit de ce cnef-d'œuvrc
4c l'Art fur la fin de Tes jours (4).
§. 2.
De la Fable ^ du Héros de VEneide,
Ce n'eft donc point par les maximes de
la Théologie , de la Jurifprudence , de
l'Hidoire, de la Philofophie , des Mathé-
matiques & de toutes les autres connoîs-
^ fan-
le 5. & le g. de l'Eneïde page io6. & 154. & pour
la juftification prelque univcrlclle de ce Poète qu'il
a entrepiifc dans fon Traite des Défcnfcs de Viigile,
à Rome i6zi. in 4.
2. Candid. Hefychius DifTeitat. contra Godcllum
utrum Toèra 5cc. c:4p. 3. pag. 97.
î, C'eft la penfée du P. Malebranche au 2. Jivrc
de la Recherche de la Vérité chap, 4 pag. 210, oîi
il traite de la bonne opinion qu'on a de ce qu'ont fait
les Anciens.
4. Voyes fur les fautes qu'on a reprochées à Vir-
gile Daniel Hcin(:i« Diflertar. de Tiagœd. Infanti-
tvà. pag, 140,
F3
ji6 Poètes Latins.
Virgile, fances étrangères ou accidentelles à l'Art
Poétique, qu'il faut juger de TOuvrage
incomparable de Virgile; mais par la Fa-
ble ou le fondement de l'invention du Poè-
me qui efl: fa nature, par fa matière que
nous appelions l'Adion, par fa forme que
nous appelions la Narration , par les
mœurs ou les cara6leres des perfonnag;es,
par les fenrimens ou la morale du Poète,
& enfin par l'expreflion & le ftyle qui lui
eft particulier.
I. La Fable efl ce qu'il y a de principal
dans le Poème, & e'.le en cil comme l'a*
me, aux termes d'Ariftote, qui a été fui-
vi dans ce fentiment par tous les bons Cri-
tiques (i). Celle de l'Eneïde confifte à
nous reprcfenter un Prince contraint de
s'enfuir par le renverfement de fon Etat ,
& de chercher ailleurs un autre établilïe-
ment. Il fait fes Dieux & fon Père com-
pagnons de fa fuite. Les Dieux touchés
de cette pieté s'interefTent à l'établir dans
un des meilleurs pays de la terre, & il de-
vient le fondateur de l'Empire le plus flo-
riflant qui fut jarrf'ais (2). Cela étant ain-
fi, on peut alTurer avec le Père Mambrun
que l'Eneïde eft achevée (3), & que s'il é-
"toit vrai , comme le prétendent les Poètes
Critiques (4) , que de tous les Ouvrages
dont l'efprit de l'homme ell capable , le
Poë-
I. Ariftotcl. de Arte Poctica cap. 6. el^x*' ^ ''*''
Kci\. Rapin,Compar. d'Homcre 8c Virg. chap.j.
pag. xj. cdit. 104.
Rcn. le Boflu, li?re i. du Poème Epique chap. f.
pag. 30.
i. ^. Rap. comme ci-deiTus pag. 14^
Poètes Latins. 127
Poème Epique efl: le plus accompli, on ne viigil««
devroit point héiiter à dire que l'Eneïdeeft
'le plus parfait des Ouvrages dont Tefprit de
l'homme ell capable, parce qu'elle renfer-
.'me toutes les perfe6lionsde tous les autres
Poëmcs du genre Epique.
Plulieurs fe font imaginés que le Poème
i-étoit imparfair , parce qu'ils ont crû que
la mort de Turnus qui le termine , n*étoit
-p«is la fin de la F'able du Poème, ni du des-
ièin du Poète. Ils fe font perfuadcs que
Virgile auroit imité Homère dans le nom-
:i)re des l. ivres de fes deux Poèmes comme
•il a fait dans tout le refte, & que pour a*
.•chever fa Fable il auroit rempli ce grand
efpace de tout ce qu'il auroit inventé fur
•le mariage de fon Héros avec Lavinîe, fur
ta conquête du pays où il vouloit s'établir,
fur la confécraiion ou l'apothéofe de ce
Héros. Pour appuyer leurs conjecturés
ils difent qu'ils ne connoiifent point d'au-
tres rai fon s qui ayent pu porter Virgile à
ordonner la fuppreffion de fon Ouvrage
en mourant. Il paroît entre les autres que
ça. étd la penfée de JVIapheus Vegius qui
.a crû pouvoir fuppléer à tous fes défauts
■prétendus par un petit Poème qu^'l a vou-
lu faire appeller le treiiiéme Livre de l'E-
ncVde (f). Penfce alTcs femblable à celle
cie Tryphiodore qui avoit entrepris de con-
tinuer
?. p. Mambrun DiflTertation. de Epico Caxmiue
quxftion. 6. pag. 375.
4. R. Rap. chap. i. pag, 9. edit. in 4. de Ja Comp.
«i'Hom. Se Virg.
$. fl. Il eft dit dans la Vie de Vfgius que ce qu*îl
en a fait n'a été que pour s'exercer, n'ig!H>rajit pas
que le Poëmc de l'Eucidc éroit achevé,
F 4
iiS Poètes Latins.
yii£ilc. tînuer Tlliade d'Homère. Il s'eft trouvé
mcme des Criiiques (i) qui ont jugé que
Virgile avoir delfeiii de palier jufqu'au
tems & à la Vied'Augude, & qu'il Tàu-
roit fait infailliblement s'il avoit vécu plus
long-tems.
Mais les bons connoiffeurs ont confide-
ré toutes ces opinions comme des vitions
éc des imaginations frivoles, & leP.Mam-
brun foutient (2) que l'Ouvrage eft trcs-
achevé, qu'il ne manque rien au defTeîn ni
à la Fable du Foeme, que le deuil de la
mort de Turnus, les noces de Lavinie,(5c
l'apothéofe d'Enée y font décrites par an-
ticipation. Il ajoute que tout le chagrin
de Virgile en mourant , étoit de n'avoir
pas eu le loilir de limer & polir cet Ouvra-
ge qu'il vouloir retoucher en une infinité
d'endroits , & dont il vouloir retrancher
■çncore beaucoup de chofes , fans vouloir
y rien ajouter de nouveau.
Le P. Gallucci avoit auffi témoigné au-
paravant d'être dans le même fentiment, il
dit (3) que li l'on veut s'en tenir à la ma^
îîme d'Ariflote, il n'y a rien à ajouter à
l'Eneïde. Car ce Philofophc prétend (4)
qu'on doit fe renfermer dans l'unité de la
Fable , de forte qu'on ne puide pas dire
d'un Poème que fon fujet foit double, mais
que la Fable ait un rapport continue! avec
l'unité d'A6tion. C'eil ce qu'il a trouvé
fort
1. Le Sicnr Rcftcau Sentim. partie, fur quelques
Ouvrages d'Auteurs, pag. 47. Mais Voflîus iciutc
cette viûon au 3. liric des Inûitut. Foctic. chap. 4.
pag. I r.
2. F. Mambrmi Diircit^t. de Epico Caim. ut fupià.
Poètes Latins. 129
fort louable dans Homcre, dont l'Iliade & virgllcj
rOdyilée font renfermées e'xaCtjment dans
l'unité de Fable & d'Adion. Ccft auifi
ce que ce Père & les autres eQiment avoir
été pratiqué par Virgile avec la dernière
éxa6î:irude. Et comme ce qu'il auroit pu
dire delà fondation des Villes j'Albe & de
Rome, de la conlécration d'Enée, de l'é-
tablifîement de la Monarchie Romaine,
auroit fait une Aflion nouvelle, ils jugent
que ç'auroit été auiïi une Fable nouvelle &
le fujet d'un nouveau Poème.
Comme donc on ne peut point difcon-
venir que la Fable de l'Eneïde ne foit en-
tière, & qu'elle ne trouve fon accomplis-
fement à la mort de Turnus , ceux qui
ont voulu fe lignaîer parmi les Cenfeurs
de Virgile, ont voulu trouver à redire
à la fidion & à la difpolition de cette Fa-
ble.
Les uns ont prétendu qu'elle n'étoit point
aflfés fîmple, mais la vafte étendue de la
matière qu'elle lui a fournie, ne fouffroit
point une aulîl grande limplicité que celle
qui paroît dans l'Iliade ou TOdylIée , &
cette abondance dont un autre que Virgile
auroit été aifément accablé, adonné lieu
à des difficultés qui demandoient plus d'es-
prit & plus de conduite , que lorfque k
Monde étant moins avancé en âge, avoit
produit moins de chofes capables d'é);er-
cer
3. Tarquin. Gallut. Vindicat. Virgillan. loc. z. ia
12. y£ne:d. pag. 200. 2ci.
4. Ariftotcl. de Ail. Poëtic. cap. 6, fit apud Ga^
^utiuiu iQc, citât,
I 5
150 Poètes Latins.
Tvgile. cer les Poètes & les Hfiloriens (i); c'eft
ce qu'on peut voir avec plus d'étendue
dans l'Ouvrage du P. le Boflu.
Les autres l'accufent de rruinquer d'in-
vention, ai de n'avoir été que l'imitateur
d'Homère. Mr. de Segrais dit (2) que
cette objedion eft faite par des Critiques
qui n'ont fû ce que c'étoit d'inventer, plu-
tôt que par des Poètes qui favent bien
qu'on n'invente rien de longue haleine,
jqui foit nouveau dans le tout & dans fes
parties. Au refte on auroit pu objeder la
même chofe à Homère, puifque l'Hiftoire
-de Troye n'eft pas plus de fon invention
que de celle de Virgile, & que ce conte
étoit dans la bouche des femmes & des en-
fans, auparavant que le premier des Poètes
Grecs en eût fait le fujet de fon Pocme,&
-jl s'étoit trouvé même des Hiftoriens qui
avoicnt déjà débité cet événement comme
une Hilloire véritable.
D'autres fe font imaginés pouvoir em-
baraHer les défenfeurs de Virgile , lors-
qu'ils difent que tout ce qu'on a publié de
la venue d'Enée en Italie eft un conte. Il
eft vrai que les Critiques font aujourd'hui
fcrrt partages fur la vérité de ce fait; quel-
ques-uns même ont écrit foit pour le rui-
ner comme Mr.Bochart, foit pour l'éta-
blir
I. R. le Bo/Tu livre i. du Pocm. Ipiq. chap. 11,
pag. 6s.
1. J. Ren. de Segrais, Trefacc fui laTiad. dcTE-
iieïde nombre ij. pag. 25.
3. Differtation de Sam. Eochart fur la qucftion fi
iûçc €ft vcuu %a Italie, injptimçç ajptçs les fix prc-
mitxs
Poètes L a t i h s. Ï37
blir comme Mr. Ryckius (3). Mais il nVlt vlrgilo,
point nécellaire pour le delFein de Virgile
qu'Eiie'e foit venu en Italie. 11 fuffit que
c'ait été l'opinion du Peuple, au tems du-
quel & pour lequel le Poète écrivoit. Or
il y avoit dcja long-tems que cette Fable
paflbit pour un fait qu'on ne s'avifoit pas
de conteiter, & les HilloriL^ns-mémes l'a-
voient déjà établi comme une vérité hido-
rique (4) D'ailleurs on peut dire, mal-
gré le ièntimcnt de quelques-uns , qu'il cil
encore plus, convenable à la Fable de l'E-
neïde, que fon fondement ne foit qu'une
fable , puifque ce n'ell point la profeffioa
<ies Poètes d'enfeigner la vérité.
Entîn c'ell à l'invention du Poëme de
Virgile qu'en vouloir Caligula (f), lors-
<)u'il raccufoit de n'avoir. point d'efprit,&
que fous ce prétexte il prétendoit le fup-
primer. Mais le jugement de ce Prince
n'a jamais dû furprendre perfonne de ceux
qui connoiiîent qucl étoit le caradére de
Ion efprit, & qui favent les autres circons-
tances de fa vie.
Comme la conformation du Pkros fait
la partie dominante de h Fable d'un Poë-
me, il auroit été à propos , fans doute,
4e rapporter ici ce que Ton penfe de celui
<k Virgile; mais pour ne rien repeter quand
nous
. mlexfi livres de PEneïde de Virgile de là Tiadu^ioa
de Segrais.
Theodor. Ryck. de Adventu S.nez in Italiara peu
liUC. HoHVcnii ijr.notation in Stephan. Byzuut.
4. Jiil. C-arf. Sdliger, Ssm. Boch. J. ken. de Sc^
jrais 6c alii Cntici palîîm.
■5. SuciOû, Tiaaq. in Vit. C. Caligul, csp» j^
F 6
ip. Poètes Latins»
nous parlerons des caradéres , nous re"
mettrons parmi les mœurs ce que nous en
aurions pu dire en cet endroit.
$•3-
De la Matière ou de l^A^ion de rEneïde,
Le Père Mambrun dit (i) que TAftion
de TEntide ell au jugement de tout le
monde la plus propre que Ton puilîe ja-
mais imaginer pour le Poème Epique.
Mais il ajoute que toute grande & toute
magnifique qu'elle eft par elle-même, elle
eft devenue vicieufe par la manière h le
tour que Virgile a pris pour la traiter: & il
dit qu'elle lui paroît fi corrompue en l'é-
tat que nous la voyons , qu'elle a perdu fa
dignité naturelle, & qu'elle ne fert qu'à
deshonorer le Héros , l la gloire duquel
elle étolt defiinée.
Il ne paroît pas que cette opinion ait eu
grand cours parmi les Gens de Lettres ; &
ceux qui en veulent examiner la folidiié,
ont quelque peine à dire fi cette ccnfure du
P. Mambrun tombe fur l'unité de l'Adion
de l'Enéide, fur fon intégrité, fur fes çau-»
fes & fes effets, fur fes efpcces, fur fa du-
rée , ou fur fon accomplififement , ou même
fur lesEpifodes qui entrent dans cette Ac-
tion par toutes ces circonftances, ils n'y
trou-
T. P. Mambrun , de tribus Pocinatibus caufae Die-
tion. ad caput FoëtnatuiU pi»ÛX, cjuldem Cenflaa-
Poètes Latins. 133
trouvent rien qui ne faire honneur au He- Virgile,
ros & à l'Auteur du Poëmf%
En premier lieu , fi l'on confuUe les dé-
fenfes que le Père Gallucci a faites ponr
Virgile, on trouvera que ce Poète a reli-
gieufement pratiqué l'unité de l'Aélion,
félon les maximes d'Ariflote&d'Averroës;
que cette Aélion ell: commencée & finie
par un m^-me homme, par le Héros même
ou le principal perfonnage, qui l'a fait ter-
miner par une feule fin & dans une feule
vue (2). Et c'cfi: en vain que quelques Cri-
tiques ont prétendu découvrir deux fins
dans cette Adion, l'une des voyages d'E-
née, Ôi l'autre de la guerre d'Italie; l'une
formée fur l'OdylIée d'Homère qui eft cel-
le des voyages , & l'autre formée fur l'I- ^
liade qui ell celle des guerres. Mais ils fe
trompent , parce que les guerres d'Enée
ont la même liaifon avec fes voyages, que
la petite guerre qu'Ulylfe fit auxgalans de
fa femme, en avoit avec fes travauiî pré-
cédens.
Il ell pourtant plus aîfé de dire en quoi
cette unité de l'Adion Epique dansl'Eneï-
de ne confille pas, que de voir en quoi
elle conhite. C'eft le fentiment du Père
le Bolfu (3) , qui fe contente de nous dire
que cette unité de l'Adion non plus que
celle de la Fable ne confille ni dans l'unité
du Héros, ni dans l'unité du tems.
La
2. Tarq. Gallutins Vindicat. Virgilian. ^ncid. la,
loc. 3. pag. 107. 2o8.
j. Rcn. le Boflu, Trait, du Toëme Epiquç UviCl^
Çkap, 7, pag. 170, Î7I, Çcc.
F 7
134 Poètes Latins.
Virgile, La beauté & la juftefle de cette unité de
l'Adion , confilte particulièrement dans
l'emploi judicieux que Virgile fait des Epi-
fodes , qui font tous tirés du plan & du
fond de TAélion, & qui font chacun un
membre naturel de ce corps. Ces Epifo-
des ont une liaifon mutuelle qui les fait
prefque nécefTairemsnt dépendre les uns
des autres, & qui les tient attachés comme
les membres le font au corps. Et pour
faire voir qu'ils ne font placés que comme
les parties d'un tout, c'eft qu'on ne peut
pas dire d'aucun d'eux que ce foit une piè-
ce achevée ou une Action entière.
l^ P. Rapin a remarqué aufll (i) , que
les Epifodes de l'Enéïde font admirable-
ment proportionnés au fujet. Le plus
grand de tous qui comprend le fécond &
le troiliéme Livre de ce Poème, n'eft ja-
mais détaché de la pcrfanne du Héros.
C'ell lui qui parle, dit ce Fere,c'e(l lui qui
raconte fes avantures. Il ne fort prefque
point de fon fujet fans faire des retours fré-
■quensfur lui-même. Néanmoins ce même
Auteur dans un autre Traité, a trouvé à re-
dire à la longueur eîxelïive de cet Epifode
(i) ; & il femhle dire qu'il n'eft pardonna*
ble que par l'admirable effet qu'il produit ^
& par l'él Dignement des tems obfcurs d'E-
née.
Les
1. Ren. Rapin , Compar. d'Homcic ôc Virgile
«bap. é. pag. ac. cdit. 111-4.
2, Le même, Rcflçjtious pajtti«ul, fwr la Tc'étiq.
Poètes Latins. 13^
Les autres Critiques ont remarqué deux Virgile,
défauts conlîde'rables dans le grand Epifo-
,de de Didon; celui de l'anachronifme par
lequel il a fait cette Princelle plus ancienHe
de trois cens ans qu'elle n'a été elîedive-
ment; <& celui de la calomnie par lequel il
a deshonoré la plus fage & la plus vertueu-
fe Princeffe de Ton fiécle,& Ta perdue en-
tièrement de réputation dans i'efprit de
toute la portcrité.
Ces deux fautes infignes de Virgile ne
font aujourd'hui conteftées de perfonne,
mais la première n'ell pas une faute Poéti-
que, c'eft-à~dire qu'en qualtd dePoete il-
a pu aller aulfi loin qu'il a voulu contre la
foi de l'Hilloire & le calcul de la Chrono-
logie,fans pécher contre les règles de l'Art
Poétique. On ne doit conilderer en ce
point que l'invention de Virgile, qui pa^
roît admirable à ceux qui veulent rafiner
fur fes intentions & fur fes vues. Ils difent
qu'il a fû trouver dans l'Hiftoire de fon
Héros une fource de la haine de Rome ôc
de Carthage dès la fondation de leurs mu-
railles , & qu'il a dès le commencement
comme fournis la Ville vaincue au deftin
de celle qui en a triomphé (3).
L'autre faute ell plus conlidérable pour
un Poète, & il s'elt trouvé dans prefque
tous les fiécles des Cenfeurs qui l'ont ju-
gée
3. J. R. de Segrais , Piéf. fur l'Enéide nombre itf.
pag. 29.
Item Gallut. Vind. Virg. iu lib. i, i£acï4. loc; 8^
136 Poètes Latins.
Virgîl«. gée inexcufable. Les Hiftoriens (i) , les
Pères -de rFgliTemême (2), & divers au-
tres Ecrivains de l'Antiquité (3) nous alTu-
rent que Didon a toujours vécu d'une ma-
nière irréprochable &dans une aufli grande
pureté qu'on ait pu exiger des perfonnesles
plus vertueules engagées dans l'état du Pa-
ganifme. Ils difent qu'ayant toujours con-
iervé du vivant de fon mari Sicharbas ou
Sichée une challeté conjugale, elle lui garda
après fa mort une fidélité inviolable accom-
pagnée d'une continence exemplaire du-
rant tout le tems de fon veuvage, qui fut
le refte de fa vie. Et qu'à la fin fe voyant
dangereulement pourfuivie par Hiarbas Roi
de Mauritanie qui la vouloit contraindre
de paffer à de fécondes noces, elle ne trou-
va point d'expédient plus fur & plus court
pour fe foudraire à fa brutalité & à fes vio-
lences , que de fe tuer & de fe faire mettre
en
1. Jtiftin. ex Trog. Pomp. lîb. hiftor. i?.
2. S. Auguftin. Confeflionum lib. i. cap. ). «bâ
vocat Virgiiii Mendacium.
Item TertuUian. exhortât, ad Caftitat. oii il dit
plaifanimeiu un' mnUat qiuim nubere.
3. Macrob. Saturnal. lib. 5. cap. 15.
Item AulonJus in Carminib.
4. %. E\cnfer aiiroit été plus jufte.
5. Aufon. Epigrammat. ni. pag. 27. 18. edit. Sca-
liger. cajus veiba ut fonant lubct leciiaie.
Non , Maro quam mihi finxit erat mtnn
Vi'iA nei incefiii Ltta cupidinibtts.
l^ayn<jue nec ty£.neas vidit me Tro'i'us Httquamy
Nec Liiyam advenif claJfiÙMS IliAcis.
Sed Furias fugiens arijue arma procAçis Hiarh/I
Stn/^vi fattor mont (ndidt.iMi^
Poètes Latins. 137
en cendres. Voilà un fait de la vérité du- Virgile
quel Virgile a fait un étrange abus. Et il
femble qu'il n*cn ait voulu conftrver les
extrémités que pour donner une couleur
de vérité à fa calomnie.
Un procédé aufll lâche qu'a été dans
Virgile celui de vouloir relever la gloire
des Romains par la ruine de la réputation
d'une honnête femme fous prétexte qu'elle
avoit été la fondatrice d'une Ville enne-
mie, n'a point encore pu rencontrer de dé-
fenfcnrs qui ayent eu de bonnes raifons
pour publier (4) cette injuftice. Les Poë-
tcs-mémes tout interefTés q'i'ils font dans
la réputation de Virgile, & malgré les pré-
tentions qu'ils ont fur toutes fortes de liber-
tés, n'ont pu retenir leurs plaintes contre
lui (s).
En effet voilà , félon le fentîment da
Père VavafTeur (6) en quoi confiée le
grand
TtHort trdnsfxo ca/fjs * ejuod fertutit enfety
Non fur$r f aut lafo crudus Anure doter.
Sic eecidijft JHVat. Vixi fine vulnere fAm4»
Vit A virum, pofitis manibus ^ eppitii.
Invid* cur in me fiimuUJîi y Mufa, Maroner» ,
tingeret ut naffrd damna pudicitia?
Vos muf^is Hijioricisy LecioreSy credte de me t
^uàm qui furta DeÀm concubitu'~JKe carunt
Fttljidid xntesy tftnerant cjui carminé verni» ^
Humatuftfue Deos AJjimitant vittis,
* %. L'édition de Toi lins porte ratîuf au^d perculit
tnfist ce qui fait une meilleure conftiu^iion.
Vid. & MaruUi Epigr. Vid.Ôc Tarq. Gallut loc. g,
in i£neïd. lib. i. p. 42. 4î.
6. Anonym, dans les Remarques fur les Rcftes,
touchaot I4 foëc. 8]. 84.
13S Poètes Latins.
\hgilç, grand défaut de TEpifode de Virgile plu-
tôt que dans le contre-tems de trais cens
ans, parce qae quelque licence que les ré-
gies de l'art de teindre lui donnaflent de
changer une vérité hillorique, celles de la
Poétique n'ont jamais pu lui permettre de
nous reprefenter une perfonne en un état
où elle n'avoit jamais dû être, à moins
qu'elle n'y eût été etfedivement dans le
monde, ce qu'on ne pouvoit point dire de
Didon , qui ayant été rornement de fon
fexe (^ Tadm ration de toute la terre , ne
laille point de pafTer pour une miferable
proftitaée dans l'efprit de bien des gens , de-
puis qn'tl a piû à Virgile de nous la repre-
ièntcr en cet état.
G'eft l'opinion dans laquelle fèmblent
avoir été MelTieurs de l'Académie, quand
ils difent que ceux qui blâment Virgile
4'avoîr démenti THiftoire, en faifant une
impudique d'une très-vertueufe PrinceflTe,
& un Héros accompli d'un traître & d'un
lâche , ne le blâment pas d'avoir Ample-
ment altéré l'Hiltoire; puifqu'ils avouent
que cela cft permis, mais de l'avoir alté-
rée de bien en mal au fujet de Didon, <&
d'avoir ain(i péché contre les bonnes
mœurs , mais non pas contre les régies
de l'Art (r).
11 y a encore une autre qualité de l'Ac-
tion de TEneïde qui ne paroit pas moins
im-
I. Scntimens de rAcadem. franc, fur Ja Tràgi-
com. du Cid. pag. 47.
z. Kea. le ZjoS. Tu:t. du Poème Epiq. livre, i.
chap.
Poètes Latins. 139
importante que celles de fon Unité & de virgik,
les Epi Iodes. C'efl: fa Durée ^ dont la
qucflion a bien donné de l'exercice aux
Critiques jufqu'ici. Le P. le Boflli pour
nous en mieux faire connoître Tctat, a fe-
paré cette durée de iWdlion d'avec celle
de la Narration (2) , comme ont fait plu-
lieurs autres Critiques.
Si Ariftote & les autres Maîtres de l'Art
avoient voulu déterminer le tems de l'ArC-
tion Epique comme ils ont fait celui de
j'Adion Tragique, il ne feroit pas li diââ-
■cile de juger Virgile fur ce point. De tous
ceux qui dans la fuite des tems ont tâché de
donner des bornes à la durée de cette Ac-
tion, les uns l'ont enfermée dans le cours
d'un an (3) , les autres prenant Homère
pour la règle de leur jugement, l'ont vou-
lu reftraindre aux termes d'une Campagne.
Les uns (k les autres femblent avoir pris
pour le modèle de leur établi/fement Tes-
pace du tems qui a été réglé pour l'Adion
Epique (4), en y comprenant l'hyver, pa*
Toillent avoir fuivi ceux qui donnent à
l'Adion Tragique un jour que les Chro-
nologiftes appellent Nydhemere ou de
vingt-quatre heures , & ceux qui ne don-
nent à l'Aétion Epique qu'une feule Cam-
pagne, femblent s'être réglés fur ceux qui
renferment la Tragédie encre le lever <Sc
le coucher du Soleil à l'exclulion de la
nuit.
chj»p. S. pug. 26J. i*»». &: livre 3. chap m. pag, j-j,
3. P. Mambtun de Poëm. Epico Diircrtat. Feripa-
tctic. Pierre Ronfard , Préface ùir la Francinde êcc.
4. L'a6tion 6c laN^triationfont ici la mêmechofc^
I40 Poètes Latin î.
yirzile. nuk. Maïs de quelque manière qu'en ait
ufé Virgile, on peut alfurer qu'il a toujours
très-ben foit , parce qu'on ert perfuadé
que c'cft le bon fens qui a conduit la du-
rée qu'il donne à fon A6lîon comme tout
le relie, & qu'il ne Ta jamais abandonné
nulle part , non pas même dans les endroits
où fa confcience l'a quitté.
Ronfard & les autres Cenfeurs qui ont
crû que la durée de î'Enéïde s'étend jus-
qu'à fcîze ou dix-fept mois, ont peut-être
été trop précipités dans la condamnation
qu'ils ont ofé faire de Virgile fur ce pied-
là. Car s'il étoit vrai qu'il eût pafl'é le ter-
me d'une année, fa pratique en ce point
devroit avec rai fon paffer pour la règle de
ceux qui font venus après lui , puifque
l'Art ne lui endonnoit point d'autre. C'eft
fur fa conduite qu'on a dû faire la règle,
& non pas juger de fa conduite & décider
s'il a bien ou mal fait par les règles qu'il a
plu aux Critiques pofterieurs d'établir fur
ce fujet.
Mais quoi qu'on puîfle dire avec eux
que la durée de l'Aélion & de la Narration
de I'Enéïde efl: d'un an & de quelques mois,
comme l'a fort bien remarqué le P. Rapin
CO, on peut aulfi aifément faire en forte
de ne trouver qu'un an depuis la tempête
du premier Livre de l'Enéide jufqu'à la
mort de Turnus. Et pour fermer la bou-
che
1. R«n. Rap. Compax. d'Homère êc .Vîrg. chap.
12. pag 44. edit. in-4.
2. J. Rcn, de Segfais, Pre'f. fur rEncïde de Virgile
ftoiiib. zi.pag. ji). ôcR. lîBoiruliVic j.durocn\eE-
pic^uc
Poètes Latins. 141
che à tout le monde, même à ceux qui Virgile»
veulent que TAction du Poème Epique ne
foit que d'une feule campagne, on peut
dire après la fupputation de Mr. de Serrais
& du P. le BoiTu que toute l'Enéide ne
comprend pas un an entier , quoi qu'ils
ne foîent point d'accord du point où il
faut faire commencer & finir cette expé-
dition (2).
§.4.
De la Forme ^ de la Narration de
PEnetde,
La première beauté de TEnéïde au juge-
ment de Mr. de Segrais (3) ell la Narra-
tion qui e(l d'autant plus admirable dans
ce Poème qu'elle efl: difficile dans quelque
genre que ce foit, & particulièrement dans
le genre fublime. Virgile ne s'eft point
contenté de faire un beau choix de^fes
Matières qui font toutes grandes & dignes
de fon fujet, la difpolitîon qu'il en a faite
& qui conlille toute dans la Narration ou
la forme qu'il leur a donnée fe foutient ad-
mirablement dans une fublimîté toujours
égale, elle a les ticlions nobles, l'ordon-
nance belle, & l'exprelFun magnitiquc, &
toutes les beauttfs dont elle elï accompa-
gnée par tout éclatent moins par elle«-mê-
mes
pique chap. 12. pag. 382. ou pour renfermer rFneï-
de cw une feule cauipagne, ce Petc la fuit commen-
cer avec l'Ere, & l'a fait finir a/ant la fia de l'Autom-
ne de le même année.
3. Seg.nomb. 8.ôcî>.£>ag. 13.14 xj. ficc.
I4i Poètes Latins.
yirgUc, mes que par la fuite du défaut qui leur
eft oppofé.
La première & la plus importante des
qualités d'une excellente Narration eft la
{implicite & cet air naturel qui el^. oppofé
à Taffedation. G'ert auffi celle qui règne
dans tout le Poème de Virgile. On ne
voit point auffi qu'il s'écarte jamais de cet-
te fimplicité pour s'amufer à moralifer. Il
ne s'emporte point dans desapoftrophes ou
dans des déclamations qui ne fervent fou-
vent qu'à faire connoître la partialité d'un
Auteur, à découvrir fes fentimens fans ne-
ceffité ou l'intérêt qui l'anime.
Il ne s'eft point appliqué à faire un amas
de belles réflexions comme font les Au-
teurs ordinaires , mais les circonftances
dont il accompagne fa Narration & l'éner-
gie avec laquelle il déduit toutes chofes ,
font tout l'avantage qu'il a fur les autres,
& c'efl: à cette qualité que Jules Scalger
fcmble avoir attribué la divinité qu'il pré-
tendoit trouver dans Virgile (i).
Il n'ignoroit pas fans doute, & fur tout
après avoir lu les Poètes Grecs, que les
Sentences font une des grandes beautés de
la Narration dans un Poème, & que c'elt
ce qu'on en retient plus volontiers : cepen-
dant il n'en a employé que très-rarement
& par forme de tranfition , encore font-el-
les toutes fort courtes. Mais elles font
jadicieufement femées dans les difcours
des
1. Jul. Cxf. Scalig. Poëtic. lib. j.cap.sj.pag. 355,
z. Les mcmes Câtiques aux lieux cités»
Poètes Latins. 143
des perfonnes qu'il fait parler, & toujours Virgile.
avec égard & fans affedation (2). Il a été
encore plus fobre à Tégard de TApoftro-
phe, quoi qu'elle foit une des plus pathéti-
ques d'entre les figures, il n'en a fait que
cinq ou fix dans tout fon Poème, & il les
a placées en des lieux oui! femble qu'elles
étoient necelîaires. Mais fur toutes cho-
fes il ne s'interrompt jamais, & il témoi-
gne partout la même précipitation pour ar-
river à la fin de Ion récit, C'elt dans ce
dernier point que conlifte le plus bel éloge
qu'on puilFe faire d^ne Narration , parce
que c'eft une maxime reçue parmi le
monde , que le Poète doit avoir encore
plus d'impatience de fe voir à la tin de fou
récit que le Ledeur.
Il y a d'autres réflexions à faire fur la
Narration de Virgile qu'il fera plus à pro-
pos de joindre avec ce qu'on pourra dire
des jugemens que l'on a portés fur l'&x-
preflion & le llyle du Poème. Mais c'eft
ici le lieu de parler de deux autres qualités
qui regardent elfentiellement la forme de
ce Poème pour le rendre agréable. C'eft
le Vrai-femblable & le Merveilleux , qui
doiven< être ordinairement inféparables dans
l'ordonnance d'un Poème réglé dont ils
doivent faire la féconde partie.
Le Père Rapin témoigne (9) que Virgi-
le a gardé un julle tempérament dans
remploi qu'il a fait de l'un & de l'autre,
qu'il
3. R. Rap. Comp, d'Hom. ôc Virg. chap. 6. pag. 26.
21. 2p.edit, in-4.
144 Poètes Latins.
Vk^ilc. q^'ji a employé le Merveilleux pour tou-
cher le cœur de ceux pour qui il faiibit fon
Poëme, & pour les atiimer de les porter à
des entreprires louables &' genereufes ; mais
qu'il l'a toujours accompagné du Vrai-
femblable pour ne les pas rebuter par une
trop grande diflance de ce qu'il leur propo-
foit avec leur état & leurs propres forces.
Cet endroit eft une des plus grandes
épreuves de la folidité du jugement de ce
Poète. Jamais il n'a paru plus judicieux
que dans le grand ménagement de fes Mi-
racles & de fes Machines qui eft le nom
que l'on donne au miniflére des Dieux dans
un Poëme. Il femble qu'il nous ait vou-
lu faire croire qu'il n'avançoit rien de Mer-
veilleux dans tout ce qu'il difoit, qui ne
fût fondé en raifon , & l'on remarque qu'il
s'efl: prefque toujours tenu dans une réfer-
ve pleine de difcrction, pour ne point paf-
fer les bornes de la Vrai-femblance. Enfin
l'Auteur que je viens de citer prétend dans
un autre de fes Ouvrages (i) que Virgile
eil prefque le feul qui ait eu l'Art de mé-
nager, par la préparation des incidens, la
Vrai-femblance dans toutes les circondan-
ces d'une Adion héroïque. ^
Il femble que c'ait été aufll la penfée du
P. le BolTu dans la dillindion qu'il fait de
la Vrai-femblance des chofe^s & des inci»
dens pris féparément, d'avec la Vrai-fem-'
blance de rencontre qui conlille à faire que
pluùeurs incidens qui font Vrai-femblables
cha-
T. Ltf n-iême.Rcflcx. particul.iur la Poct. féconde
paie. Rcâcx. 12,
ftl
Poètes Latins. I4f
chacun en leur particulier, fe rencontrent VixgUci
cnfemble vrai-femblablement. C'eft en
quoi Virgile a parfaitement réulfi. On n*a
jamais vu de Poète plus délicat que lui fuc
la pratique de cette dernière efpe'cedeVrai-
femblance. On ne peut pas dire qu'il falTe
paroitre tout -à-coup quelque acciJent qui
n'a point été préparé & qui avoit befoin de
rétre; & il a foigneulement évité un dé-
faut où tombent la plupart des autres Poè-
tes qui délirent de furprendre les Audi-
teurs ou les Ledeurs, par la vue de quel-
que beauté qu'on ne leur fait point atten-
dre.
C'eft par cette fage conduite qu'il re-
5 refente dans le premier livre de l'Enéide,
unon qui prépare la tempête qu'elle veut
exciter, & que Venus y prépare les amours
du quatrième (2) , comme le même Perc
l'a remarqué. La mort de DiJon qui ar-
rive à la fin de ce quatrième efl: préparée
dès le premier jour de fon Mariage. Hèle-
nus, contînuè-t-il, difpofe dans le troiliè-
me toute la matière du fixiéme ; & dans
celui-ci , la Sibylle prédit toutes les guer-
res fuivantes & tous les incidens confidè-
rables qui entrent dans la c&mpofition des
lix derniers Livres.
Il y a pourtant une autre forte de fur-
prife à laquelle Virgile s'ell appliqué pour
entretenir la curiolité <Sc l'admiration dans
Vefprit de fes Leéleurs. C'cft ce qu'il a
fait en joignant le Merveilleux au Vrai-
fcm-
z. X. le Boilu, livre 3. daPoëaïc Epique chjT>, r.
pag. »?«. Î39.
146 Poètes L a -t i n s.
Vu^ne. femblable, & en faîfant voir des merveiî-^
les continuelles fans jamais quitter le ca-
radere fublime & héroïque pour defcendre
dans le puérile & le comique, qui eft re-
cueil ordinaire des Poètes Dramatiques Se
des faifeurs de Romans , qui ne favent
point faire le mélange de deux qualités il
différentes, & dont il eft fort difficile de
prendre le jufte tempérament. Maiscequ'il
y a de fort eftimable dans cette méthode
de Virgile, ce n'eft pas tant l'emploi des
chofes furnaturelles & du miniftere des
Dieux que cet autre genre de Merveilleux
qu'il a fait naître lui-même du fonds de
fon Ouvrage. Car on peut dire qa'il
n'y a gueres que lui qui ait fu entretenir
l'admiration & la furprife du Ledeur en
prelfant fes matières, en ne rapportant ja-
mais rien que de grand , en faifant voir
toujours quelque chofe de nouveau , en
fuyant enfin les baffelles & les affeétations
avec un foin tout particulier. De forte
qu'on ne doit plus s'étonner qu'il ait ex-
cellé fi fort par delTus tous les autres qui
n'ont pas eu tous ces égards, & qui n'ont
point eu afles d'autorité fur eux-mêmes
pour retrancher toutes les inutilités, com-
me il a fait , & pour ne jamais rien a-
vancer contre la Vrai-femblance (i).
Voilà ce que les Critiques les plus judi-
cieux ont -remarqué fur la manière dont
Virgile a tâché de ne jamais féparer le
Mer-
I. Segrais, Préf. nomb. 7. pag. 12. 13. Le BoflU
îiv. 5. chap. 8.
2., Scu, Naxuial. Quxilion, lib. $, pag. spf.
Item
Poètes Latins. 147
Merveilleux du Vrai-femblable. Il s'elt virgUe;
trouvé néanmoins des Cenfeurs qui ont
bien voulu l'accufer de s'être quelquefois
départi de fa maxime. Quoique leur auto-
rité ne foit pas de grand poids en ce point,
& que leur fentiment ne fade point beau-
coup d'impreflion fur nos efprits , je ne
laiflerai pas de rapporter quelques-unes
de leurs objedions, pour déialfer ou pour
divertir le Ledeur.
Seneque le Philofophe (2) accufoit Vir-
gile d'avoir fait une faute contre la Vrai-
lemblance naturelle , pour avoir dit que
les Vents étoicnt renfermés dans des grot-
tes, parce que le vent n*étant qu'un air
ou des vapeurs agitées, c'elf détruire fa
nature de le tenir enfermé en repos. Mais
plalieurs ont répondu à ceCenfeur, que
Virgile avoir pris la caufe pour l'effet, par
le droit que les Poètes & les Orateurs ont
d'en ufer ainlî.
D'autres ont prétendu qu'il avoit palTé
la Vrai-femblance dans ce qu'il dit du ra-
tneau d'or au fixiéme de l'Enéide; du bois
qui avoit poulfé du corps de Folydore aa
troiliéme ; du changement des Vaîfleaux
d'Enée en Nymphes de la Mer au neuviè-
me; & ils veulent qu'il n'ait cherché en
ces occafions que le Merveilleux. Volîius
répond à ces objedions par des exemples
femblables ou même plus incroyables,
qu'il a pris dans les fables de l'Antiquité
païenne (3). En-
Itcm apud VofTïum in lib. Inftitution. Poct. ôcRen.
le Bollu 1. 3. c. 7.
3. Gcr. Joan. Voir laftit. Poct. 1, i, ç. i.paiag. ij.
pàg. 10. XI.
G 2
148 Poètes Latins.
^Ykçilc^ Enfin il s'en eft trouvé d'autres qui
ont écrit qu'il y a dans Virgile un grand
nombre de fautes contre la Vrai-fernblan-
te, quoi qu'il ne fût point queftfon dans
la plupart des endroits qu'ils cenfurent de
faire valoir le Merveilleux (i). Le P. Gal-
lucci a recueilli une bonne partie de toutes
ces fautes prétendues ; & ceux qui s'imagi-
nent que les accufatîons de ces Cenfeurs
de Virgile méritent d'être examinées pour-
ront fe fatisfaire dans les réponfes de ce
Père (2).
$. s-
Des Mœurs y des Caraâeres marqués
dtfns l*Enetde,
Les Mœurs Poétiques ne font autres
que les inclinations qu'il plaît au Poëte de
donner à fes Perfonnages pour les porter à
des adions bonnes, mauvaifes ou indiffé-
tentes. Nous appelions Caradere ce qu'u-
ne perfonne a de propre & de lingulierdans
fes mœurs , & ce qui la diftingue d'avec
les autres Perfonnages du Poème. Et par-
ce que fouvent ce caraélere n'a point de
nom , on prend ordinairement pour le ca-
radere d'une perfonne la première qualité
qui domine en lui, & qui étant comme
l'ame
T. Jacques Pelletier au lîvie i. de TArt Poëtiqàe
chap. S- de l'Imitarion.
2. Tarquin. Gallutius in Vindicationibus Virgilia-
ais paflîm.
3. J. R. de Scgraij, Fref. fui rEneïde de Virgile
nom-
Poètes Latins. 149
l'amc de toutes les autres doit fe trouver virgUeJ
pur tout pour fl\îre difiînguer le Perfon-
iinge. Ceft ainfi que Ton dit que le Ga-
raàere d'Achille ç(ï la Colère mêlée de
V^aleur, celui d'Ulyiïe la Diffimulation
accompagnée de Prudence, & celui d'E*
née la Piété jointe à la Bonté.
C'efl fuivant cette notion que les Criti-
ques ont voulu juger de la capacité de Vir-
gile. Mr. de Segrais dit (3) que la con-
duite qu'il a tenue pour ne jamais s'éloi-
gner des Caradleres qu'il a une fois cholfis
eft entièrement inimitable, & il ajoute en
un autre endroit qu'il s'ed montré partout
fi rage,li équitable & lî défintereflc , qu'on
ne voit pas dans les Mœurs & les Cara6le-
res qu'il donne aux autres quel peut avoir
^lé fon penchant & fapaflîon , s'il en avoit.
Le P.Rapifl témoigne aulTi (4) qu'il ob-
ferve adm.irablemcnt par tout les Caraéte-
res de fes Per Tonnages, & qu'il eft fort re-
ligieux dans l'obfervance de l'honnêteté,
des bienféances ôr des Mœurs.
Et le P. le Boflu examinant la manière
dont il s'en eft acquitté, dit (5) qu'il traite
des Mœurs & des paflîons, tantôt comme
un^Hiftoricn & un Géographe, en mar-
quant l'éducation, les habitudes, les in-
clinations des Peuples , & les coutumes
I des pays différens j tantôt comme un Phi-
lofo-
nombre ii. 8c nombre ij.
4. R. Rap. Comp. d'Mom. *c Virg. c. 7. pag. 32.
edit. in 4.
5. R. le Boffu, liviC4. du Pocmc Epique, Traite
«es Mœurs ôcc,
G3
i^o Poètes Latins.
yirgilç. lofophe moral, & quelquefois Phyficien,
en rendant raifon des chofes par la matiè-
re dont les corps font compofés, & par la
manière dont ils font unis aux amcs; (à
tantôt en Aflrologue , lorfquMl rapporte
leurs caufes aux Dieux, c*ert-à dire aux
Planètes , aux Aflres & aux Elemens.
Le principal Perfonnage eft le Héros du
Poe me , non feulement il doit être par
tout , mais il doit encore régner par
tout, & il doit être le centre de toutes cho-
fes ; en forte qu'il ne fe dife & ne fe fafle
rien dans un Poème qui n*ait rapport à lui,
lors même que cen'ell point lui qui dit ou
qui fait les chofes. C'eft donc à bien for-
mer les Mœurs & le Caradere du Héros
qu'un Poète doit employer tous fes talens.
Et c'eft auffi en ce point que Virgile s'eft
fi fort élevé au dellus de tous les Poètes
fans en excepter même Homère.
Le P. Rapîn dit (i) que Virgile forma
fon Héros particulièrement des vertus
d'Augufte, ce qui étoit une flaterie fine ôc
îngenieufe par rapport à fes delTeins ; mais
comme il vouloit faire un Héros accompli,
il ne fe borna point aux feules qualités de
ce Prince pour compofer £oi\ Enée. Il
voulut aufîî le former de tout ce qu'il
y avoit eu de vertueux & de grrtnd parmi
les plus grands hommes de l'Antiquité. Il
prit des deux Héros d'Homère tout ce qui
pouvoit fervir à fes fins, c'eft-à-dire la va-
leur d'Achille 6c la prudenced'UlyfTe, corn*
me
1. Hap. Comp. d*Hom. & Virg. pag, i^. ou u»
shap. 4.
Poètes Latins, ifr
me Ta remarqué le même Auteur eu un au- virgilçi
tre endroit. Il trouva encore le moyen d'y
joindre lagrandeur d'ame d'Ajax, la fages-
iedeNe(lor,la patience infatigable deDio-
mede , & les autres vertus dont Homère mar-
que les Caraderes dans fes deux Poèmes.
Il ne fe contenta pas encore de ce bel as-
lemblage , o: il voulut réunir enfembie
toutes les excellentes qualités qui avoient
rendu recommandables les perfonnes les
plus illufircs de THilioire , comme The-
millocle, Epamînondas, Alexandre, An-
nibal, Jugurta & divers autres Etrangers,
fans oublier ce qu'il avoir reconnu de meil-
leur dans Horace, Camille, Scîpion, Ser-
torius, Pompée, Cefar & un grand nom-
bre d'autres Romains qui s'étoient ligna-
lés dans la guerre ou durant la paix.
Ayant ainfi raflemblé toutes les vertus
morales , politiques & militaires dont il a
pu avoir connoiiîancc, il en fit un Tout
compofé de religion pour les Dieux , de
piété pour la Patrie, de tendrefTe & d'ami-
tié pour les Proches, d'équité & de bonté
pour tout le monde- Avec ce fonds de
perfe61:ions , ce Héros fe trouve hardi ôc
conltant dans le danger (2), patient dans
la fatigue, courageux dans l'occalion, pru-
dent dans les ati'aires. Enfin il ell bon^
pacifique, 1 beral , éloquent, bien fait, ci-
vil, l'out Ton air a de la grandeur, <^ de
la majcllé; afin qu'il ne lui manque aucu-
ne des qualités qui peuvent contribuer à
l'ac-
I 2. Dans le même Ouvrage chap. 4. pag. 17. i S. e-
dii in 4..
G4
15*2 Poètes Latins.
yiigile. raccomplilTement d'un grand homme, il
e(l heureux.
Mais félon la judicieufe remarque du
niême Auteur, les tro's qualités fouverai-
nés qui font le caradere efîentiel du Hé-
ros de rEneïde, font la Religion, la Jus-
tice & la Valeur. Cétoient effedivement
celles d'Augufte de qui Virgile vouloit fai-
re le portrait. G'eft auffi par ces trois qua-
lités qu'llionée vouloit faire connoître E-
née à Didon (i) en l'appellant
* Illuftre en pieté.
Fameux par fa Valeur, fameux par fa Jufti-
cc (i).
Jules Scaligcr a prétendu trouver régu-
lièrement toute la fuite d'une Philofophie
Morale & Politique dans la reprefentation
que Virgile nous a donnée des Mœurs &
du Caraèlere de fon Héros (3). Il dit
que ce Poète ayant voulu faire un homme
accompli dans toutes fes parties, fur l'idce
la plus parfaite que fon efprit & fes con-
noiffances pouvoient lui donner , a pris
dans la vie aètive & dans celle qu'on ap-
pelle contemplative tout ce qu'on y peut
pratiquer de louable; de f)rte qu'on trou-
ve dans le feul Enée l'homme privé &
l'homme public, dans toute la perfedtîon
qui dépend de la nature & des forces hu*
mai-
I. Lib. i.^ncid. de la Trad. (Je M. de Scgrais,
Z» ■ ■■ ■■ ^0 jujitor Aller ,
Kec PieîAU fuit 3 uti Le>'.t >n*j«r.
3. JuL
Poètes Latins, i^-^
inafnes. CeCritiquc pour nous faire mieux Virgile^
valoir l'étendue d'efprit <^ l'indurtrie de
Virgile, prétend en qualité de Philofophe
que le Poète voulant exprimer ces deux
genres de vie en un feul fujet , a trouvé le
moyen de les joindre cnfemble par leur
objet ou par leur fin qui eft la focieté hu-
maine dans l'un & dans l'autre. Et com-
me cette focieté ne s'entretient & ne s'al-
tère , foit durant la paix, foit durant la
guerre, que par la providence ou la con-
duite fecrete de Dieu , il dit que Virgile n
parfaitement rculTi à nous le faire voir dans
les Mœurs & le Caradere qu'il donne à
fon Héros. Mais quelque grand que pût
are le plailir que l'on auroit de lire ici les
preuves qu'il en rapporte, j'ai appréhende
que leur multitude ne devînt onereufe au
LetSleur li j'avois entrepris de les copier,
outre que je n'aurois pu éviter de tomber
dans quelques redites de ce que j'ai déjà
rapporté plus haut touchant les qualités de
ce Héros.
Le P. le Boffu n'a pas trouvé moins de
Philofophie dans les Mœurs & le Caraâe-
re du Héros de Virgile que Scaliger. 11 y
a remarqué aulTi bien que lui un grand
fonds de Politique , lorfqu'il dit (4) que
le Poète voulant faire recevoir aux Ro-
mains une nouvelle efpéce de gouverne-
ment & un nouveau Maître, il faloit que
ce Maître qu'il reprefentoit dans fon Hé-
ros
3. Jul. C«f. Scaliger Poct. lib. 3. cap. 11. pag. 228,
219. *c fcq.
4. Rcn. Je Boffu, Trait. du roëmc Epique chap. ^
pag 87. cl« lirie 4. Iccondc partie.
G 5
if4 Poètes Latins.
Tlrsilc. ros eut toutes les qualités que doit avofr
le fondateur d'un Etat , &■ toutes les ver-
tus qui font aimer un Prince.
Mais il avoit déjà fait voir ailleurs qu'il
y a plus que de la Politique & de la Mora-
le dans les Mœurs du Héros ^ à. que Vir-
gile s'étoit comporté aufli en Phyli ien ôc
en Aftrologue dans la t'ormation de ce Hé-
ros. Si Ton en croit cePcre (i),le Poète
ne s'eft pas contenté de nous faire con-
^ fîdérerDieu comme la caufe de ces Mœurs
la plus univerfelle & la première de toutes
lorfqu'il nous f it connoître combien ce
Héros eil chéri de Jupiter, & que Junoii
qui le perfécute d'ailleurs ne peut s'empê-
cher d'eftimer fa perfonne. Mais il n'a
point manqué de donner encore à ces
Mœurs une caufe féconde, qui elt celle
des Aftres , dit il , & principalement des
Signes & des i^lanetes, dont il a voulu
marquer la force fur la compléxion des
hommes en dîverfes occalîons- Car il ne
faut pas s'imaginer que ce foit par haiard
que ce Poète, fi favant d'ailleurs dans l'As-
tronomie, fait agir les Planètes en faveur
de fon Héros, conformément aux règles
des AfiroloL^ues. De fept il y en a trois
favorables, Jupiter, Venus, & le Soleil:
toutes trois agifîent ouvertement dans le
Poème en faveur d'Enée. Il y en a trois
dont les inriuences font malignes , Satur-
ne, Mars, & la Lune ou Diane. Si elles
agllfent c'eft en effet contre le Héros , mais
elles
ï. Rcn, le Boflii, Traité du PoëmcEpi^JUÇ chap. 2t
f, 6. 7. du ilYxe 4, fccoude paitie,
Poètes Latiws. iff
dies paroifTent de telle forte qu'on peut vlrgiï<;^^
dire que Virgile les a cachées fous l'Hori-
fon. Enfin Mercure, dont on dit que la
Planète eft bonne avec les bonnes, & mau-
vaife avec les mauvaifes, agit ouvertement
comme les bonnes Planètes, mais il n'a-
git jamais feul , c'eli toujours Jupiter qui
l'envoyé. C'elt aînli que le Poète fait fur
fon propre Héros l'horofcope de l'Empire
Romain en fa naifîànce.
• Mais quelque grand qu'ait été le nom-
bre des admirateurs du Héros de l'tineïde.
Us ne l'ont point pu garantir de la Cenfu-
rede divers Critiques qui ne l'ont pas trou-
vé entièrement à leur goût.
Les uns accufent Virgile d'avoir fort
mal formé ce Prince dans le deifein qu'il
avoic de le propofer pour l'exemple des
Rois, des Capitaines & des Politiques. Mr.
de Segrais dit (2), que l'averlîon qu'on a
conçue pour ce Héros a été li loin , qu'on
a pafTé jufqu'à dire que le Poète l'avoit fait
timide, qu'il lui a mis trop fouvcnt les lar-
mes aux yeux , àc que ce caractère de pieté
qu'il lui a donné n'eft pas li agréable que ce
caradere d'amour que nos faifeurs de Ro-
mans ont CGÛtumededonner à leurs Héros.
' Les autres ont blâmé Virgile d'avoir ren-
du fon Héros coupable o'une lâche ingra-
titude, de l'avoir reprefenté comme ayant
abufc Didon,& comme l'ayant abandonné
deux jours après fon mariage, par une per-
fidie dont ce Poëte fait Jupiter ôi Mercure
au-
2. J. Ren. de Segrais, Trcface fuj; UTiad, de l'E^
Ifiii^ nofiib. 17. pag. 35.
G 6
jf6 Poètes Latins.
Vîjgilc. auteurs, félon la remarque de Mr. du Ha-
mel (i).
D'autres Critiques , même parmi les an-
ciens Auteurs Eccléiiaftiques, trouvent de
la lâcheté & de la baffeile, & qui plus eft
xle la cruauté & de Fimpieté dans ce pré-
tendu Héros , lorfqu'il tué Turnus fup-
pliant & défarmé, quoiqu'il le conjurât
par les Mânes de Ion Père Anchife (2) de
lui accorder la vie (3). Et fans alléguer ici
l'impiété avec laquelle lesHiiloriens difent
qu'il livra fa Patrie & les Citoyens à leurs
ennemis, on a crû que c'ctoit une chofe
contraire à la pieté & à l'humanité de ré-
ferver huit prifonniers comme il fit pour
les immoler fur le bûcher de Pallas (4).
Enfin il s'eft trouvé dans notre liécle
des Perfonnes difficiles, qui loin de trai-
ter l'Eneide de divin Ouvrage, comme on
faifoit dans le fiécle paflé, ont prétendu
trouver une infinité de chofes à réformer
dans leCaradere du Héros. C'eft ce qu'on
peut voir par une longue fuite de plaintes
qu'un Critique moderne a mis dans labou-
che de Maynard contre Virgile (5-).
Mais quoique ce fat un grand fujet de
confolation pour tous les Poètes malheu-
reux de voir le chef de tous ceux de la
Profefîlon chargé de tant d'accufations &
quoi-
T. Du Hamcl ,Diflertat. fur IcsPocûes de Bxcbcuf,
page 14. 15.
2. Dares genuin.
3. Laftant. Divin. Inftitution, Irem Jacq. Pele-
tier du Mans livre i. de l'Art Pocti<J. çhap. 5. dcl*imi^
cation. Item du Haioel , ô(ç,
4. Taiq
Poètes Latins. 15-7
quoiqu'il fût peut-être de leur intérêt que Virgile,
ces accufations demeurairent fans réponfe
pour pouvoir fe détendre de Ton c'xcmple,
les Critiques n'ont point jugé à propos de
leur donner cette fatisfadion. Ces der-
niers ont ciû qu'on ne pouvoit point a-
bandonner la défenfe de Virgile en ce
point , fans l'expofer à perdre Ja qualité de
véritable Poète, parce qu'il n'en ell point
de ces fautes comme de celles que nous
avons marquées ailleurs contre la Chro-
nologie, la Phyiique, & les autres con-
noiilances qui font étrangères à la Poéti-
que; au lieu que celles dont il s'agit, font
ellcntiellemep.t contraires aux régies de
cet Art.
Mr. de Scgrais répond tout d'un coup
à toutes les objedions que l'on fait à Vir-
gile fur la conformation de fon Héros , en
difant que pour bien juger du Caradérc
qu'il lui a donné , il faut s'élever aux
mœurs les plus aullcres des Anciens, &
fe défaccoutumer des nôtres (6). Et fur ce
fondement il dit ailleurs que les points qui
ont donné fujct aux Cenfeurs d'accufer
l'Enée de Virgile de timidité, de foiblef-
fe, 6c d'ingratitude, ne font que de cer-
tains traits qui marquent ù foumifilon &
fon obéilfance envers les Dieux. C'ell
dans
4. Tarq. Gallutius Vindic. Virgilian. in lib. i. i€-
neid. loc. 9. piig. 53. 54. &c, ubi de loco decimi i£-
ncidos pcregiin.
5. Gucrct de la Guerre des Auteuis depuis lapa»
gc 6i. iulqu'à «4.
6. Segt. rréf. nomb. 5. pag. i, 5. & plus au lonfc
*9mb£, 17. pig. 3 s. j$. Ce luiv. ^
G 7
ij8 Poètes Latins.
Virgile. dans la réfiftancc qu'il lui fait faire aumoir-
vement de fcs palfions, qu'il fait paroître
la piété & le courage de fon Héros ; &
ceux qui Taccufent de Tavoir fait trop In-
diiFcreiit & trop froid à l'amour , ne fon-
gcnt peut-être pas qu'ils relèvent infini-
ment le mérite de ce Poète Païen, au-
defTus de tous nos Poètes & nos Auteurs
de Romans , qui faifant profeffion de
Chriftianirme n'ont pourtant pas fait fcru-
pule de donner à leurs Héros l'amour dé-
réglé pour principal & unique Caradere;
& qui bien loin de les reprefenter comme
viâorieux de cette paffion ho iteufe . fcm-
blent avoir voulu faire coniiftcr tout leur
courage & toute leur vertu dans leur chu-
te & dans leur efclavage.
Virgile n'a point crû comme eux qu'il
y eût plus de gloire à céder à fes paiïions
qu'à les combattre, il a jugé au contraire
que la principale marque de la vertu étoit
de les vaincre; & comme l'amour efl la
plus indomptable, il a voulu nous perfua-
der qu'en la faifant dompter à Enée , il
lui donnoit la plus grande marque de ver-
tu qu'il pouvoit trouver. Mr. de Segrais
qui fait toutes ces belles réflexions , avoue
néanmoins qu'Enée pouvoit quitter Didon
avec moins de brulquerie & plus de tcn-
dreflè; & que Virgile, fans le faire dé fo-
béïr aux Dieux, pouvoit marquer un peu
da-
1. Virgil. lib. 4. .ine'idos ait i
I -•— — — — Curam jub corde premtb/tt
2»îithA gcmtni i ruA^no^ue antr/mm lal^cfaîlHi amore.
I
Poètes Latins. 15*9
davantage la. violence & Tagitation de fon Virgilt,
amour dans les difcours qu'il lui fait faire.
Mais Virgile en a fait afïes d'avoir marqué
qu'Enée n*étoit pas infenliblc à cette paf-
iion , & d'avoir fait voir que ce Nouveau
Marie ne pût fe féparer d'elle fans fentir
les atteintes des foucis & des autres effets
de cette paffion (i), mais qu'il ne put fe
difpenfer d'obéir à Dieu qui le rendoit fourd
aux plaintes tsf ^f*x inflances de Didon ;
^ aux De [fins qui le forçaient de la quitter.
De forte que fi Virgile en avoit ufé autre-
ment, il auroit peut-être démenti ce pre-
mier Caractère de piété qui n'étoit pas
compatible avec celui de l'amour en cette
occafion.
Les larmes qu« quelques Critiques blâ-
ment tant dans le Caraàere de ce Héros,
pourroient encore fervir de réponfc àl'ob-
jcdion de fon infeniibilité préteiidué; &
comme elles font louables & judicieufes
par tout où on les lui fait répandre, à l'e-
xemple des plus grands hommes de la tei>
re, elles fe défendent afTés par elles-mê-
mes. On peut pourtant conje6lurer, com-
me font quelques-uns de nos Commcnta.-
teurs (2) , que li Augufte avoit été moins
tendre & moins fujet aux larmes, Virgile
auroit fait Ion Héros un peu moins pleu-
reur.
L'inhumanité que les autres ont préten-
du
£t fuprà.
• FtfXrt objiant pldcidaf^ue vîri Drus ob^rw't éitrif.
z. Sccvius in Viigil| Comip, Tâubuuo^ U Hîi
i6ô Poètes Latins.
du trouver dans ce Héros , fe peut excufer
ou par la piété envers les morts, ou par le
droit de conquête, ou par la nécelTité des
affaires, (i) C'efl: ce qu'on peut voir dans
l'Art Poétique de Peletier, & particulière-
ment dans les défenfes du P. Gallucci,
qui en plufieurs endroits femble avoir plu-
tôt voulu faire voir fon éruditio^n que la
néceffitédc répondreà des accufations, dont
plufieurs , à dire le vrai, font fort frivoles
6l fort impuifiantes pour nous faire perdre
<5uelquechofedelabonne opinion que nous
avons des perfeâions du Héros de TE-
neïde.
Les autres Perfonnages de ce Poè-
me ont mérité aufll que les Critiques fif-
fent quelques réflexions fur le Caractère
que Virgile leur a donné. Didon ell fans
doute le premier de ces Perfonnages que le
Poète nous prefentc après fon Héros, &
c'ert le plus confidérable de la première
partie de l'Eneïde, puifque c'eft elle qui
en fait le nœud. Comme il vouloit mar-
quer en elle le Caradere des Carthaginois
à. les inimitiés deCarihagc avec Rome, il
la rend palTionnée, hardie, entreprenante,
ambûieufe, violente, de mauvaife foi ; &
toutes ces qualités, dit le Père lcBoflu(2),
•font maniées par la Rufe qui eu efi Tame
& le cara6ttrc. Ainli il n'a eu aucun égard
»ux qualités effedives que l'Hiftoire nous
mar-
I. Jacq. Peletier, Art Poctiq. livre i. chap. j. de
l'Imitatioa. Tarquin. Galliiiius Villdic, Viigil.inlib,
X. Se-
Poètes Latins. i6i
inarque dans la véritable Didon. Cette vireile.
Rufe règne dans toutes fes adions. Ce
Cara6lere eft pourtant mauvais & odieux ,
mais Virgile étoit obligé de le rendre tel
par le fond de fa Fable. On peut dire
néanmoins que dans la liberté qu'elle lui
a laifTée, il a eu foin de donner à ce Ca-
radere tous les adoucilTemens propres à
fon fujet , & de le relever par toutes les
beautés dont il Ta trouvé capable. Car il
ne lui fait exercer fes Rufes que fur d'il-
luflres fujets , il lui donne des qualités
vraiment royales. Elle eft magnifique, el-
le eft bien-faifante , & elle a beaucoup
d'eftime pour la vertu.
Jamais Poète n'a trouvé ^ans fes fic-
tions un fi beau champ à fon industrie,
que celui que Virgile s'efl donné dans le
fyfteme de fa Didon pour former le Carac-
tère d'une République ennemie de la Ré-
publique Romaine. C'cft fans doute ce
qui a fait dire uu P. Rapin (3) , que le bel
endroit de Virgile & fon véritable chef-
d'œuvre, cft la paillon de Didon. Jamais
l'éloquence, dit ce Père, n'a mis en œu-
vre tout ce qu'elle a d'artifice & d'orne-
mcns avec plus d'cfprit, ni avec plus de
fuccès. Tous les degrés de cette pafllon,
tous les redoublcmcns de cette affeélion
naifTante, & cette grande fragilité y font
développés d'une manière qui donne de
l'ad-
a. Seconde partie du Pocme Epique livre 4. cli. 10.
pag. 91. $i.
3. R. Rap. Comp. d'Hom. 8c Virg chap. ij.pag,
51. edit. in- 4.
i62 Poètes Latin s.
Virgile. radmîration aux plus habiles. 11 ajoute que
tout eft tendre, délicat, palTioimé dans la
defcription de cette avanture, & que ja-
mais il ne fe verra rien de plus achevé.
Ce même Auteur pour foutenir l'hon-
neur de Virgile, s'eft fait aulTi un devoir
de repondre au grand reproche qu'on fait à
ce Poète , d'avoir deshonoré cette Prin-
cefle en lui donnant tant de paflion contre
fon propre caradere. Il prétend que cette
conduite-méme eft un artifice des plus dé-
licats & des plus fins de Virgile, lequel,
afin de donner du n\épris pour une Nation
qui devoit être un jour fi odieufe aux Ro^
mains, ne crût pas devoir fouffrir de la
vertu dans celle qui en fut la fondatrice;
croyant pouvoir en toute fureté la facri-
fier , pour mieux flater ceux de fon pays.
Il eft inutile de parcourir tous les au-
tres perfonnages à qui Virgile s'eft étudié
de donner des Mœurs & de former un
Caractère. On peut dire en général qu'il y
a fait une peinture admirable du Genre hu-
main, qu'il y a marqué les diftérentes in-
clinations des féxes, des âges & des con-
ditions (i), avec une fagelFe & une pru-
dence qui ne s'eft jamais démentie, & il
eft aifé de voir que c'eft fur fa conduite
plus que fur celle d'Homère que le Père le
Bofta a tiré les plus bell-es réflexions du
quatrième Livre de fon Traité fur le Poc-
mc Epique. On
I. Horatius lib. i. Epiftol. t. hic habct :
DiUtfî ttbi Vitgilius >'arii4~ejne Poi'ta
Ncc miiiis exprejfi vultus per ahenea /î^na
Quam per Vatts opus mères tmimique virorum ^Tf*.
j
Poètes Latins. 163
On peut afTurer que Virgi-le n'a pus virgîlc.
été moins heureux à exprimer les Mœurs
& le Caraâere de fcs Dieux , que les Maî-
tres de l'Art appellent Machines , «Se il pa-
roît afles qu'il a connu la nature & les
fondions de fes Dieux aufll parfaitement
qu'aucun homme de fi Religion. Il en
parle avec un refpetl dont on voit bien
qu'il a voulu communiquer les fentimens
à fes Ledcurs, il n'employé leur miniftere
que dans les affaires d'importance, en quoi
fa difcrétion eft allée beaucoup plus loin
que celle des Poètes d'avant lui. ' En un
mot il a ménagé fes Dieux comme s'il eût
voulu nous marquer le Cara61:erc de la Di-
vinité par la diftance de leur Nature d'avec
la nôtre; & félon la remarque du PereRar
pin , il a religieufement obfervé le confeil
qu'Horace a donné depuis dans fa Poéti-
que , qu'il cft bon que les Dieux ne paroif"
fent que dans les difficultés qui ont befûin
de leur préfence iff de leur affiftance (2). ^
Un Auteur de ce tems a prétendu
néanmoins que ce Pocte donne une mé-
chante idée de la Divinité dans le tableau
qu'il fait de Junon. Il femble que le Ca-
radere qu'il nous en donne ne foît qu'un
rnélange de colère , d'ambition , d'impuif-
flince, de foiblefle, d'indifcrétion & d'in-
décence; & qu'il ait voulu nous pcrfuader
que cette Déelle ne favoit point l'avenir,
qu'el-
z. Rapin, comme ci-dcflus chap. 6. pag. il,
Horat. de Art. Pociica. :
Nec Dtut intcrfit m fi digriitt vindiic neim.
Irxctdtrit,
164 Poètes Latins.
Virgile. qu'dle n'avoit pu retenir fes palTions, <&
qu'elle n'avoit remporté que la honte de
fon entreprife (i).
Maïs li nous voulons fuivre la penfée
de ceux qui eftiment que Virgile ell tout
myfterieux , nous n'aurons pas de peine à
nous imaginer que le Caradere qu'il don-
ne à Junon , n'eft pas forme au hazard.
On voit agir quatre Divinités plus particu-
lièrement que les autres da:is tout le Poè-
me de l'Eneïde (2). C'e(l Jupiter , avec
le Deftin, Junon, & Venu-, qui repré-
fentent la Nature divine féparcc en quatre
perfonnes, comme en autant de ditîerens
attributs, i. Jupiter y cil marqué comme
la PuifTance de Dieu. 2. Le Deflinyeft
reprefenté comme la Volonté abfohië à la*
quelle fa Pulilànce-même ell foumife,
parce que Dieu ne fait jamais que ce qu'il
veut. 3, Venus eiï la MiféricorJe Divine,
& l'Amour que Dieu a pour les hommes
» vertueux , qui ne lui permet pas de les ou-
blier dans les maux qu'ils Ibuffrent. 4. Ju-
non eii fa Juftice; elle punit jufqu'aux
moindres fautes , elle n'épargne pas les
plus gens de bien , qui n'étant pas fans
quelques défauts, en font féverement pu-
nis en cette vie, pour devenir plus parfaits
& plus dignes du Ciel.
§ 6.
1. Gucret,dc la Guerre des Auteurs pag. 6$.
2. Le boSixjlivK 5. des Machines chap. i. èc fut*
raas
Poètes Latins. i6s
Virgile,
§. 6.
Des Senti mens ^ de la Morale de Virgile,
Après avoir parlé des mœurs & des ca-
radcres que Virgile a donnés aux Hom-
mes & aux Dic^ux , il e(t jalle de dire quel-
que chofe de ce que les Critiques ont pen-
fé des propres mœurs de ce Poète, ou plu-
tôt de fcs Senùrtieyii ^ qui n'ont été eftlclî-
vement que les cxpreffious de fcs mœurs.
Nous avons déjà vu plus haut qu'il
n'ell pas aifé ce deviner quel peut avoir
été le panchant & la palfion particulière de
Virgile ;& quoique l'Hilloire nous appren-
ne qu'il avoit vécu d tns quelques dérègle*
mens, & qu'il avoit enirctenu de méchan-
tes habitudes, il n'tft pas hors d'apparen-
ce qu'il en ait voulu éteindre la mémoire,
puifqu'on n'en trouve aucune marque dans
fcs écrits (3). C'e(t une difcrétion dont la
Pollerité Chrétienne ne fauroit afTés le re-
mercier ; & ^\ tous les autres Poètes a-
voient eu autant de fat^effc pour ciiTimuler
dans leurs vers les paillons fcanaaleufes
dont ils étoient efclaves, les iîécles fui-
vans , & principalement ces deux derniers
ne nous auroient point tant produit de
Poètes lafcifs que l'exemple de ces An-
ciens a gâtés , & nous ne ferions pas obli-
gés de recourir au fcrupule & à la précau-
tion
r^n-s pjg. 144. Sec.
3. Hoilrnis dans que^ucs Eglogues , fdon quel-
qucî-uns.
i66 Poètes Latins.
Virgule, tion pour lire ou faire lire les Ouvrages des
uns & des autres.
11 faut avouer que c'eft exiger des Au-
teurs quelque chofe de bien difficile , que
de vouloir qu'ils dilTimulent leurs fenti-
mens & qu'ils cachent leurs paffions. On
ne voit prefque point d'Ecrivains , dit
Mr. de Segrais (i), qui ne falîent pa-
roître leur humeur & leur inclination
particulière dans leurs Ouvrages, & qui
n'y laifTent quelques traits de leur ca-
radere, quelque foin qu'ils puilTent pren-
dre de les déguifer. C'elt pourtant ce
qu'on cherche dans Virgile", & c'cft ce
qu'on n'y trouve pas, parce qu'il a gardé
toujours beaucoup d'uniformité dans les
beaux exemples qu'il propofeàfesLedteurs
en toutes rencontres. Il cft aifé de juger
qu'il a pris à tâche de ne nous faire voir
que des adîons de civilité, de probité, de
juftice & d'honnêteté , lorsqu'il a voulu
nous préfenter quelque exemple à fuivre,
& de nous infpirer de l'averfion pour le
vice , lorfqu'il s'eft crû obligé de parler
des défauts ou des méchantes adions des
autres. De forte que plufieurs ont avoué
qu'ils n'avoient jamais lu cet Ouvrage fans
y avoir trouvé fujct de devenir meilleurs,
prétendant que fa leélure eft aulTi profita-
ble que les préceptes des plus fages d'entre
les Philofophes.
Oh
I. T. R. de Segraîs , Préf. nomb. ij. pag. 22. 2}.
a, J. R. de Segrais Préf, nomb. 13. pag. 22.13.
l, Louïs ThomaiTm, de la Mcthodc d'étudier 8c
d'en-
Poètes Latins. 167
On n'y remarque rien quî ne témoi- virgllr,
gne partir d'un efprit très-bien fait & très-
noble, d'un homme prudent & modéré,
d'un courage libre, ennemi de la balle fia-
terie & de la fervitude, d'un cœur tendre
& bon; & fur tout d'un vrai Pnilofophc
qui elt fans ollentation , & fans atFeda-
tion (2).
On y trouve les plus beaux fentimens
que la Théologie des Platoniciens & la
Morale des Stoïciens ayent jamais pu
infpirer à un homme vivant hors de la vé-
ritable Religion. C'eft ce que le P. Tho-
maffin a fait voir en nous montrant la
méthode d'étudier & d'enfeigner Chrétien-
nement les Poètes.
Il prétend que (3) dans le premier Li-
vre de l'Eneïde, on apprend que tout ce
qui femble ne venir que des eau Ces natu-
relles, comme les vents, les tempêtes, le
calme, eR: pourtant la matière du gouver-
nement & de la diredion des Ange? mar-
qués par les Divinités inférieures à Jupi-
ter, fous le bon plaifir de Dieu: Et que
ce qui paroît ne venir que de notre volon-
té libre, comme les amitiés, les inimitiés,
les craintes, les confiances, les avcr'ions
& les complaifances, font néanmoins mé-
nagées (4) par les Anges fous les or-
dres & pour les fins de la Providence
Divine.
Dans
dî'cnfcigner Chr«<tîenneracnt part. i. lirrc i.chap. 14
pag. 411. 4iz. ôc fuir.
4. ^. 11 faloic dixc : efi néanrMÎns meriAi^^
i68 Poètes Latins.
Virgile. Dans le fécond on voit, félon ce mê-
me Père, que tous les degrés de lumière
& de fagelfe nous viennent du Ciel.
Dans le troiliéme, que bien que Dieu
foit notre guide , & que nous arrivions
enfin au lieu où il nous deftine , c'eft
par des routes bien interrompues & biea
tfaverfées, afin d'exercer notre patience
& notre obcïlEnce.
Dans le quatrième, on voit la naiflancc
& la vidoire d'une paffion violente. On
y voit les déguifemens & les artifices dont
on ufe pour fe tromper ; enfin on y voit
comme on a recours aux facrifices & à
la Religion , en apparence pour guérir,
mais dans le fonds pour autorifer fa paf-
fion, comme les plus vertueux & les plus
attachés aux ordres du Ciel s'endorment
quelquefois, & ont befoin que Dieu les
réveille & rompe leurs liens.
Dans le cinquième, on voit la con-
duite d'un homme de bien qui joint tou-
jours des facrifices à la joie & aux fa-
ve irs qui lui arrivent, & qui cherche fa
confolation dans la prière lorfqu'il tom-
be dans quelque difgrace & quelque ad-
verfité. bans le fixiéme, on trouve une
Théologie pleine de grands fentimens
pour
I. Chriftoph. Land. Alleg. Piatonic. in*i2.^neid.
lib. apud Gallutium ia Oiatiene tertia de Contcxtu
Allegorico Virgil.
m. Chriftophlc Landin a répandu Tes allégories
dans fes Commentaixeç fui les Oeuvres de Virgile,
fmpiimcs avec ceux de Servius à Venifc in 4. Tau
i$iii^ 11 a de plus compofc un Ouvrage imprimé
in- fol.
PoETKs Latiîis. i6^
pour la Divinité, & on y voit auiïi ceux Virgile,,
que Virgile avoit pour lajullice. Les au-
tres Livres de TEneide ne font pas moins
remplis de ces fentimcns de Religion &
d'équité naturelle ^ qu'on peut voir dans
les Réflexions du Père ThomafTin ; & je
veux croire , fans trop examiner les in-
tentions de Virgile, qu'il n'eft difficile de
trouver tous ces beaux fentimens dans foa
Poëtne, qu'à ceux qui auroient la malice
d'y chercher autre chofe.
Mais il eft bien difficile de fe perfna-
der fur la foi de Chrîftophie Landin (i) ^
qu'il n'y a pas dans tout Virgile un feul
endroit , pas une feule penfée , pas même
un feul mot qui ne renferme de grands en-
feignemens & les plus belles maximes de la
fageflc. G'eû ce qu'il a tâché de faire voir
dans un Ouvrage entier que Piflorius a pu-
blic fous le, titre d'AUegO'.ies Platoniques
fur l'Eneïde. Mais le P. Gallucci eftime
avec raifon qu'il a perdu fa peine*
$.7.
Dufiyle y de Vex^reffim de FirgrU, '
Les Critiques ne fe contentent pas de
dire
infol. \ Strasbourg l'an 150J, qui a pour titre D//?**-
iatj'ones Camaldulenfes en 4. livres dont les deux der-
niers font encore remplis de Tes allégories fur Vfr-
gile. Floridus Sabinns dans fon Apologie contre les
calomniateurs de la Langue Latine, & 1. 2. de fes
LâUiortes fuccifivd c. 24. Ta touine' amplement là-dcs-
f«s en ridituie.
Tom.IILPart.il. H
170 PoETKs Latîws:
Virgae. dire que le ftyle de Virgile eft magniâqu«,
égal à. poli; qu'il a de la pureté & de l'é-
ligaace; qu'il a pri^ un foin particulier de
fuir les expreflàons profaïque^; que fà ver-
fiôcation e(l nette, tacile, naïve, éa dou-
ce daiîs fa plus grande pompe ; mais ils
prétendent qu'il poflede ces excellentes
qualités à un point où nul autfe a'a janriais
pu atteindre (i). j ;? ^ ■
La plupart des Aut^uis anciens ,. autant
ceux de TEglife que les Ecrivains profa-
nes, (e font eonteBtés d'admirer dans Vir-
gile cette éloquence Romaine, dont il a
?ic conlidéré comnie le Père par leî uns,
& dont les autres n'ont pas crû pouvoir
mieux marquer la grandeur ^qu'en oubliant
la qualité de Poëte pour lui donner celle
de grand Orateur (z). Mais il y en a peu
qui en ayent parlé avec tant d'étendue
qu'x\ulu-Gelle , qui n'en a pourtant dit
que fort peu de chofes en comparaifon de
Macrobe, Ce dernier eltime que Virgile
eft le plus fort & le plus puillant de tous
les Orateurs (3). l\ dit même qu'il y a des
Auteurs conlidérables qui prétendent que
ce Poëte a pailé Ciceron dans l'éloquence
& dans l'artlûce du difcours. Mais ce ju-
; ge-
T. J. R. de Segr. nomb. 14. pag. ij. delà Prc'f.
far la Trad. de rEncid.
X. CJuiatilian. InAicut. Orator. Ub. lo. cap. i. {e
alibi.
Au^r Dialog. de corrupt. X.. L. Gvc Quinriliaoi
five altcrius fit foetus. Scuec;£ Pater & fii. ôc api^d
SS. Çatrés, D. Hîcronymus, D. Ayguftiuus , Sec.
quos adfcrt in Oiatione puma de Vùgilio Tarq,
Galluc,
Poètes L a r i k S. i^t
gement a pafle dans la pofterité pour le virgU^
truit de la tendreirc de quelques Critiques
palfiotinds pour Virgile. Ces Auteurs (4),
au rapport du même Macrobe , difoient
que ce Pocte avoit raflemblé en lui-même
toutes les qualités que les plus célèbres
Orateurs avoient comme partagées entre
eux ; qu'il a Taboiidance & la force de Ct-
ccron, la breveté de Sallufte, la fobriet^
& la fermeté de Fronton » la douceur &
les orncmens du jeune Pline & de Sym-
maque. Mais l'éloge de Virgile ne feroft
point accompli, (i ces Auteurs s'étoient
contentés de dire que ce Poète avoit ren-
fermé dans fon Poème tous les quatre gen*
tes d'éloquence qui compofent l'Art Ora-
toire, & qu'il avoir pofïèdé toutes les ex-
cellentes qualités des plus célèbres Ora-
teurs qui ont excellé dans quelqu'un de
Ces genres fans ajouter en même tems
qu'il n'avoit point eu part à leurs défauts.
Âufli le méine Macrobe nous tuit-il alTés
coniK)ître que c'étoit fa penfée; de forte
qu'il faudroit dire, félon lui, que Virgile
n*a rien des emportemens & des longueurs
de Ciceron , ni rien de l'obfcurité de Sal-
lufte, ni rien de la féchereife de Fronton ^
ni
5. Mactob. Satutnal. lib. J, tap. i. pag. 3;».
jisr. M.
Vid. & Tarq. Gallut. Orationc prima de Viriilii
All^goria pag. zto. 211.
IdemGallut. ead. Oiat. pag. ziS.
4. Eufèbc, &c,
f . Cet Eufcbc -ft un des peifQj>;'^a2çs qu*iatroduit
Macrobe chins ies Sacuiuales,
'Ai
171 Poètes Latine» >
Virgile. ni rien enfin de la mollelle efféminée (i)-
& des fupcrfluités de Pline & de Symma-
que (2). C*eft pourquoi on a moins lieti
de s'étonner que ce même x'\uteur ait crû
' que Virgile ne peut être entendu ni expli-
qué que par un lavant Orateur, ou par un
Critique qui fâche non feulement la Gram-
maire, mais auffi l'Art Oratoire; & qu'il
ait jugé que cela ne fuffit pas encore, à
moins qu'on ne foit extrêmement péné-
trant pour pouvoir découvrir toutes les
profondeurs de la Philofophie & de la Sa«
gefTe humaine qu'il y a renfermée.
V^oilà ce que les anciens Critiques qnt
dit de plus important fur le ftyle de Virgi-
le. Les Modernes n'en ont pas jugé moins
avantageufement. Jules Scaliger qui s'eit
fait une efpéce de néceffjté & un mérite
de nous montrer que tout eft admirable
dans Virgile, a voulu nous faire admirer
la force & l'énergie de fon ftyîe, qu'il ap-
pelle une efficace qui emporte fon Lecteur
par tout où il plaît au Poé:e, & qui lui
rend toutes chofes préfentes & fenfi-
bles (3). C'eft auffi le jugement qu'en a
fait Mr. Borrichius (4), lorfiqu'il a dit que
le principal talent de Virgile confiée à
employer des espreffions qui égalent les
chofes qu'il repréfcnte, & à faire de véri-
tables
1. %. Reconnoit-on bien dans cette milcj^e effémi-
née, ?c dans ces Cuperfiuire's \c pi?ijiMe cr fiortdum qu'at-
tribue Macrobe à ces deux Auteurs?
2, Ce Symmaque ctoit contemporain de Maciobe.
2. Jul. Sciligei Poëtic. iib. i, icu Idex cap. 26. de
Poètes Latins. 17^
tables Spectateurs, pour le direainfî, de Virgile,
Tes Leéleurs qui s'imaginent s'<!:tre trouvés
en per(onne à tous les événemcns dont ils
ne voient pourtant que la peinture. Et voi-
là le point de cette pcfedion auquel tous
les autres Poètes n'ont point encore pu-
parvenir au fentiment du même Critique.
C'eft dans la même penfée que le Père
Rapin prétend que les paroles de Virgile
font des chofes (5), que les difcours mê-
me de rendrelîe & de paffion qui portent
par tout ailleurs un cara6tere de légèreté,
n^'ont rien dans le Poëme de l'Erieide qui
foit vain, rien qui foit chimérique, maLs
que tout y dl fondé. Le même Critique
pour nous faire mieux confidcrer le prix
du ftyle & de l'exprelTion de Virgile, nous
avoit déjà fait connoître quMl n'y a rien
qui n'y foit nécelîàire. Il pafle , dit-i),
légèrement fur Tes matières comme un
voyageur prefiTé, fans s'y arrêter. 11 coupe
& il tranche généreufement tous- les dis-
cours fupertîus pour ne retenir précilement
que les nécelfaires. C'eli en quoi conHile
l'excellence d'un Ouvrage qui n'eil jamais
plus parfait que lorfqu'on n'y peut rien
retrancher : Et c'efl auffi dans cetre cir-
confpe6lion & dans cette admirable rete-
nue que confiile le mérite de l'expreirion
efficacia pag. 294 29;. & feqq.
4. Olaiis liomchius Diflenation.de Poët.Lat pa^.
48. 49.
5. Ren. Rapin , Conipar. d'Homère 8c ViigiLc
«l^ap. 13. p^g. jo.jgc chap. II. pag. 41. 4a,
H 3
i7f PoetesLatihs.
Vi/fHe. & dû ftyle de Virgile , ea quoi ce Père efl
entièrement d'accord avec Jules Scali-
gcr (i).
Mr. de Segrais juge (2) qu'il a parfaite-
ment allié deux qualitcs qu'il efl très-rare
de rencontrer enfemble, c'ell la clarté &l
la breveté qu'il eu ton difficile de trouver
inféparables dans aucun autre Poète , &
dans Homère- même. Car eifedivement il
n'y a point de beauté dans l'Iliade ou dans
l'Odyiîée qui ne foient dans les douze
Livres de l'Eneïde, quoique ces deux Poè-
mes foient de vingt-quatre Livres chacun.
Jl en a touché les plus belles defcripiions ^
les plus riches comparaifons , & perfec-
tionné les inventions les plus heureufes.
Outre cela il a compris toute l'Antiquité
de l'Italie, toute la Religion & routes les
Mœurs des Anciens, il n'a oublié aucun
des grands Perfonnages de l'Hilloire Ro-
maine, ni aucun de leurs plus célèbres,
exploits; & les louanges de fou Prince f
font 11 amplement touchées, qu'il cil im-
poflible de comprendre comme il a pu ra-»
maflfer tant de richelfes, & renfermer ua
il vallc fujct en moins de dix mille vers.
Cette précipitation & cette impatience
qu'il fait paroîtrc pour arriver à la fin, ofti
une des plus grandes marques d'un efprit
profondément favant, parce que les plus
grands
1. Jul. Cxf. Scaliger Poêtîccs !ib. j. cap. 1.
X. J. R.. de Segiiiis uombxc il. ôc il. pag. tt»
j. Gcraxd. Joaa, Vollius Inâicstion. Foct. lib. %.
Pdetf. s Latins. tff
l^rands hommes font ordinairement ceux virgîlc;
qui aiment moins- à parler, Ôi qu'il n*y a
point au contraire de plus grands parleurs
<^ue les Dcmi-Savaiiî^ , qui appréhendent
toujours de perdre roccaHon de dire ce
peu quMls faveur.
Ce défaut, dit le même Auteur, ne fe
trouve point dans Virgile; il ci\ û afifuré
die fa richelfe ; que ne difant que peu de
chofes , il ne craint point de palfer pour
ftérile, parce qu'il n'oublie rien de ce qu'il
■y a de principal & de plus beau fur chaque
iujer. Il fe contente feulement, dit Vos-
fius(3), d'employer des termes grands &
nobles, lorfqu'il veut relever une matière
qui eft baife d'elle-même.
Il faut avouer néanmoins qu'il fe trouve
àe$ chofes qu'il a touchées deux fois par
îa néceffitc de fon récit, mais c'cll d'une
Bwnicre û ditférettte qu'on ne peut pas rai-
fonnablcmcnt l'accufer pour cela d'avoir
éit deux fois la même chofe. 11 fait ré-
gner fa difcrétion par tout, éc il évite fot-
gneufcment tout ccquipourroit troubler le
plailîr de fon Leéleur. On peut dire qu'il
n'y a point un vers qui ne foit un eftet de
fon jugement exquis; & parmi ce beau feu
qui l'emporte, on ne peut pas dire que la
régie <5t lajullclle l'ayem januis abandon»
ne (4).
Je
f*g. H, Vid. 8c lib. I. cjufd. Operit ftg. s. |. & aJibi
palTîm.
% VofEos oc dit iica de tel dans les csdioiti
cires.
4. Scgrais tu lieu zappoitc.
H 4
iy6 Poètes Latins.
yirgilc. Je n'aurois pas omis en cet endroit le
fcntiment de Mr.de Chanterefne touchant
la beauté de rexpreffion de Virgile , li je ne
l'avois déjà rapporté parmi les jugemens
jqu'on a faits fur Terencc, à caufe qu'il y
a joint ces deux Auteurs enfembie, & j'ai-
me mieux prier le Ledeur de vouloir le
chercher en cet endroit plutôt que de le ré-
peter ici. Mais j'aurois bien plus de fujet
d'omettre le jugement que Viélorius a fait
du ftyle du Pocte, Ci cet Auteur n'avoit
acquis de fon tems la réputation d'être le
premier des Critiques de l'Italie. Ce Cen-
ieur accufe Virgile de prendre des mots les
uns pour les autres, & d'être moins pur &
moins Latin que Lucrèce (i). C'ed aller,
ce me femble, contre la prefcriptîon de
dix-fcpt cens ans, durant lefqucls on peut
dire que le ftyle de Virgile a toujours pos-
fedé la même gloire qu'on lui donne au-
jourd'hui.
Au RESTE , quoiqu'il n'y ait rien dans
Virgile qui ne foit excellent , il femble
pourtant que ceux qui feroient obligés de
faire un choix entre les douze Livres de cet
admirable Poëme , pourroient préférer le
premier , le quatrième , & le lîxiéme aux
neuf autres. Le premier (2) eft le plus tra-
jraillé &. le plus achevé pour lavcrfifica-
tion ,
T. Petr. Vid^oriiis Commentât, in Ariftor. & Bal-
zac, Oeuvres diverfes pag. 266. cdir. d'HoIUnde.
^. C'cft ce qu'il a déjà marque ci-deffus article
1140
* z. Segr. pag. 41. de Tes Remarques furlcptcmîe*
livre de Tliiiéïdc,
Poètes Latins. 177
I tîon, & il n'y en a point de plus châtié : le virjtle.
I .Quatrième contient la matière laplus agre'a-
bic; & le lixicme elt le plus doae.. En ef-
fet on tient que Virgile montroit ces trois
Livres plus volontiers que les autres: le
^uatric'me coirme celui qui pouvoit plaire
davantage aux Perfonnes de la Cour,& fe
*fîxiémc comme celui où la NoblelFe Ro-
maine étoit la plus intereflee, furquoi on
peut voir Mr. de Segrais dans fes remar-
ques fur l'Eneïde.
Virgile au rapport de Macrobe (3), a
-pris le fécond Livre de fon Poème d'uu
ancien Poète nommé Pifandre, qu*il n'a
prcfque fait que tranfcrire de fuite. L'on
prétend aufîi qu'il a pris le quatrième pres-
que entier du Poëme des Argonautes , fait
par Apollonius de Rhode , qu'il n'a fait
que changer les amours deMedcc pour Ja-
fon , en ceux de Didon pour Enée (4);
mais il a tellement annobli les vers de fa
traduélion , que cette copie efl beaucoup
au deiïus de fon original.
Scaliger le Père prétend néanmoins CO
qu'il n'y a rien de plus faux ni même de
plus mal fondé que cette opinion qu'on a
eue du quatrième de l'Enéide. . Il n'a pu
s'empêcher même de dire des injures à
ceux qui l'ont débitée, & il a prétendu fai-
re
3. Macrob, lib, ç. Saturnal. cap. 2.
Item ex eo Voflius lib. i. Inûitut, Poëtic. cap. 7.
faragr. 3. pag. 62.
4. GallutiiOration. de Virgil. iEneïd. VofT Inff.
Toët. & alii paffim. Item Comment, in Apolloa.
Argonautic. &c. '
5. Jùi. SculJgci lib. j. Pocticcs cap. 6. f ag. 6J.7.
H S
178 PoetesLatiss.
Tixgilc xt voir par la confrontation des endroits des
deux Poètes , qui femblent avoir quelque
rapport qu'il n'y a rien de femblable , ni
dans l'exprcflion ni dans la difpofition , ni
même dans la matière , fi ce n'eft que Di-
don reçut Enée comme Mcdce avoit rcç\i
Jafon.
Les autres Livres font pris ou imités
d'Homère pour la plupart, comme on le
peut voir dans le même Macrobe , qui a
employé une grande partie de fes Saturna-
les à nous en donner des preuves & des
é^xemples (i). Il y a même des Critiques,
<\xi\ fans avoir égard aux obligations que
Virgile avoît à Pifandrc & à Apollonius,
ont dit que les fix premiers Livres derEneï-
de font imités de l'OdyfTée, & que les fix
derniers le font de l'Iliade (2). C'eft ce
qui nous donne occafion de finir par une
comparaifon fuccinde de ces deux Poè-
tes.
§. 8.
jthrfgé de la Covnparaifon que les Crtt'tqmes
ont coutttme de faire entre Homère ^
Virgile,
Quoique la plupart des Auteurs qui ont
écrit de TArt Poétique , ou qui ont tra-
vail-
î. Macrob, totîs quatuor vel quinquc libiis intci
Satuinal.
2. CâroU de la ^uc in Fiolcg. ad w£neid. Virgil«
f «il Gcorgic.
i. Com*
Poètes Latins. r;^
vaille fur les Poètes, ayent eu foin de fai- Virgile,
.re le parallèle d'Homerc & de Virgile, on
peut dire qu*il n'y en a point parmi les An-
ciens qui ayent eu tant de diflindion que
Macrobe, ni parmi les Modernes qui mé-
ritent tant d'être conlidercs, que Jules Sca-
liger , Fulvius Urfinus ou Oriini , Paul
Béni, le P.leBoflu le Chanoine Régulier,
& le P. Rapin Jéfuîte.
Ce dernier dit (3) que Macrobe, Scalî-
gcr & Urfinus , n'ont examiné les Ou-
vrages de ces deux Poètes qu'en Grammai-
riens pour faire leur comparaifon , & qu'ils
n'en ont pas bien jugé, parce qu'ils ne fe
font arrêtes iimpkment qu'à l'extérieur &
à la fuperficie des chofes, (ans fe donner
la peine d'en pénétrer le fonds; & que ce
défaut, qui eft afles général dans les Criti-
ques , a empêché prefque tous les Savans
d'en porter un jugement qui foit fain (i
folide.
Pour ce qui efl de l'Ouvrage de Paul Bé-
ni, il paroît affés qu'il n'a fait la compa-
raifon d'Homère & de Virgile, que pour
mettre le Tafle en parallèle avec eux (4).
Mais cet Auteur a été fouvent contredit
dans fes fentimens par divers autres Cri-
tiques de fon Pays (5-).
On peut dire que tout le beau Traité
du P. le Boilù fur le Poème Epique ,
n'cll
3. Compar. d'Hom. & Virgil. pag. ti. ch«p. a.
4. 1|. Voyés l'article icéj.
j, Vid. Aujjuftin. Mafcard. in lib. de Art. Hift^.
Vid 8c nonnulli Acadcm. ddla Crulca, ôc J. îh.
Tbomaffin, clog.
H 6
iSo Poètes Lattks.
Viiéile. n'eft prefque qu'une comparaiToil perpe»
tueile, qui confiflc dans une fuite de ré-
flexions judicîeufes qu'il a faites fur les
Ouvrages de l'un & de l'autre-, pour en
'former des maximes qui peuvent pafler
'pour les véritables règles de l'Art.
Mais perfonne n'a écrit plus régulière-
ment ni parlé plus jufte fur cette matiè-
re que le P. .Rapin , qui efl peut-être le
"feu? qui ait fait un fyftême achevé de
cette comparaifon dans le Traité qui en
porte le titre. Ainfi j'ai crû ne pouvoir
rien faire de plus conforme à mon des-
fein , ni rien de plus agréable au Public
que de tirer de cet Auteur & du P. le
' BoiTu la meilleure partie de ce que j'ai
à rapporter fur ce fujet , en y joignant
■ auffi quelques-uns des fentimcns que j'ai
' pu trouver dans quelques autres Criti-
-ques. - - -
, Le Père Rapin dit donc premièrement,
■que la préoccupation pour Homère a é-
'blouï tous ceux qui ont prétendu à Ta
"gloire d'être favans ; que ceux qui affec-
• tent la réputation d'être dodes croyent
"s'attirer de la confidération & fe faire
honRCUf en prenant le parti d'Homère,
1. R. KipÎH chap. 2. pag. II. 'ut fupra. •
2. Gafp. fiaithius Advemiioi. lib. 32. cap. '^. col.
147». 1479.
:3' f. P. Nicole.
.4. Deleâ. Epigrammat. Latin, l.tf. pag. 32p.apQ<i
Carol. Sàvicux.
S' %: La première de ces deux Epigiaramcs cft
xappoitec fous le nom d'Alciinus> la iecoiide fous
célu
Poètes Latins. i8r
& en lui donnant l'avantage fur Virgile, Virgile;
parce que cela femblc avoir un air plus
capable; & qu'en effet comme il faut une
plus profonde érudition pour juger d'Ho-
niere que pour juger de Virgile, on pen-
fe le dirtinguer beaucoup du commun, en
préférant le premier au fécond (i).
Je penfe néanmoins que ce Père n'a
'Voulii parler que des Critiques modernes;
car, félon le Icntiment de Rirthius (2) &
ë'un Ecrivain (3) anonyme de Port-Royal
(4), les Anciens fans atfeétcr trop d'érudi-
tion , étoîent comme accoutumés à préfé-
rer Homère à Virgile. C'eft ce qui paroît
par deux Epigrammes attribuées à Alci-
noiis (5-), & dont je n'aurois pas ofé em-
ployer l'autorité, fi ces Anciens ne s'en
ctoient fervis comme d'une régie pour for-
mer ou pour appuyer leur jugement. Dans
la première de ces Epigrammes on préten-
doit (6) nous perfuader qu'il n'étoît pas
polTiblc de voir naître perfonne qui pût
égaler ou imiter Homère, comme on n'a-
Toit vu avant lui naître perfonne qui eût
pu lui fervir de Modèle. Mais quand il
feroit vrai qu'Homère n'eût eu perfonne à
fuivre, ce qui n'ell pas , ce feroit toujours
une
celui d'Aîcînoiîs, Elles font apparemment l'une 8c
l'autre d'un feul 8c même Auteur, foit Alcimus,foit
Alcinotis. J'opterois Alcimus.
€. Cette Ëpigr&iame feciouve dans divezsE.CCUCiIj|
en ces termes.
Msoni» Vati (fui fur dut proximus tjfet ,
Confultns P^tAn rijît , ij héc cecintt :
Si patmt nafci ^uem tu fcejuerertt , Homtr»^
îiâfcttitr qui te p'Jît, Homère , fe^tti,
H 7
tSi Poètes L a t in s.
Virgile une faufic fubtilité de conclure de là qu'il
ne pourroic eue fuivi ni être égalé de pef
fonne dans la fuite des fiécles. Gomnrve fi
la Nature écoit moins capable de produire
des merveilles dans la vigueur & les pro-
grès du Genre humain, que dans fes com-
mencemens , où Ton aura toujours fujet
<te compter Homère par rapport à la du-
rée qu'il plaitu à Dieu de donner au
Monde.
L'autre Epîgramme nous fîiît connoître
(i) qu'on donnoit au moins le fécond
rang à Virgile, de telle forte néanmoins
qu'on le confidcroit comme étant fort
près d'Homère, & dans une grande dîflan»
ce au deffus de tous ]es autres Poètes,
c'eft-à-dire que ce fécond rang n'étoit
point dans le jufte milieu du premier & du
iroilîéme; mais tout proche de l'un &fort
loin de l'autre ; n'y ayant pas un Poète qui
pût fe vanter d'être auffi près de Virgile que
celui-ci l'étoii d'Homère. C'eft auffi dans
le même fcntiment & dans les mêmes ter-
mes que Domitius Afer répondit à Quinte
lien,
1. Biins Its Trolegoménes des éditions deViigilC»
ti dans les autres Recueils.
Dt numiro Varum fi cjuis feponat Homerum,
Proximus à primo tum Maro primns erit.
I,t Jl pojt prtruum Maro fiporiAtur HomerurOy ^
Ltnji^è erh k primo (jm'ejHe ftcmndus erit.
2. Qiiiniilia'i. Inftitution. Orator. lib. le. csp. T.
3. Jul. Cxf. Scaliger Poctices non uno in loco;
Auftor aiion. DclciSt Epigramm. K. Rap. R. le Uos-
fu, P. Mambr. Taïq. Gallut. &c.
4. % Properce étant Poëte £légiaque de profcs-
flon n'avoit pas lieu natuiclkment d*ëue jaloux dt
Virgile i'dète Epique,
I
Poètes Latins. 1S3
lien, qui étant encore jeune avoit en la eu- vii^Uv
rîofité de le confulter fur ce fujet, com-
me il nous l'apprend lui-m^mc dans fcs £•
crits (i).
Mais Scaliger le Père (3) fuîvî de la ban-
de prefque entière de nos Critiques n*a
point fait difficulté de fe récrier contre le
jugement de tous ces Anciens, & de le
faire pafTer pour Tefîet de leur mauvais
goût. Il faut excepter Properce do nom-
bre de ces Anciens, puifque malgré laja»
Joufie (4) qu*il devoit avoir de la réputa-
tion de Virgile, ou fl l'on veut, par un
mouvement de flaierîe pour le Prince plu-
tôt que pour le Poète, il n'a pu s'empê-
cher de dire en parlant de TÉBeide (j),
qu'il voyoit paroitre je ne fat quoi de plus
grand que r Iliade* Il eft donc jufte de re«
lirer auffi de la bande de ces Modernes qui
ont fuivi Scaliger, Carvilius ou celui qui
a pris ce nom pour décharger fon chagrin
contre Virgile (6), Ca(lelvetro,& quelques
autres Critiques mal intentionnés , contre
kfquels Guillaume Modieu en France (7),
<Sc
5. Propeitius elegiar. lih. z. cleg. uhimapag. 200^
M. poft médium.
w^(?f<« Virgiltum cttflodit littoru Phœbi ^
C*f*ris & forte} dictre pojfe rates,
Ce.iite T{omani Scriptorety crdite GrHi'if
Nefci» cjHid wajus ni*fiiiHr liiade.
«. f. Ce Carvilius, quel qu'il foit , avoit pris ec
nom, pur rapport au Peintre Carbilius , Auteur da
Livic intitulé, comme il eft dit dans la Vie de Vii-
gilc, ty£fHidomixjlix.
7. %. Guilîiume Modieu , quoique François» eft
moins connu en fiance» <jue Tai^uLuio Galliicci»
quoi (ju'ltâliea.
1S4 Poètes Latins.
Vifgilc & Tarquin Gallucci en Italie ont tâché de
foutenir la caufe de Virgile.
I. Comparaifon de leur âejjein^
ON ne peut point refufer à Homère la
gloire de Tinvention au delTus de
Virgile, ni celle d'avoir été fon modèle
pour le de/Tein & l'exécution du Poëmede
î'Enéïde. Mais d'un autre côté Scaliger
dit (i) que Virgile a fur Homère celle d'a-
voir poli la matière que l'autre avoit trou-
vée , & de l'avoir portée à fa perfedion ,
non pas en ajoutant quelque chofe à Ho-
mère , ou en lui donnant des ornemens ;
mais ce quiefi: (îngulier,cn lui retranchant
toutes fes fupcrfluités , & en le renfermant
dans des bornes raifonnables , en donnant
à fon Enéide tout le Cara6lére Militaire de
l'Iliade, & tout le Caradére Politique de
l'Odyflee,
C'a été auflî îa penfec de Daniel Heîn-
fius qui dit (2) que Virgile a fait paroître
beaucoup de jugement & beaucoup de bon
fens dans l'ufage qu'il a fait des Ouvrages
d'Homère , lorfqu'il les a réduits en mé- »
thode, & qu'il en a rejette ce qui ne poa-? "^
voit point être au goût ni à la portée de
fon ilécle. Hein-
^ T. Jul. Scaliger Poctic. lib. j. cap. 2. & alibi c-
tîam non femcl.
z. Dan. Hcinfius Epiôol. ad Blycmburg. dcdicat,
Operum Ovidii.
3. Ç. Extat in Cataica, Virgil, in hune m»?
éum.
* Msttnium quifyms %oménHi nefcit Htmcr/tm^
I
Poètes Latins. iS;
Heinfias ni Scalîger n'ont point été les Virgile,
premiers de ce fentiincnt, & il paroît
qu'ils ont voulu fuivre celui d'un ancien
Poète inconnu , qui fait parler Virgile
dans une Epigramme qui s'eft confervée,
& qui lui fait dire entre autres chofes (3)
qu'un homme qui ignorcroit ce qu'a fa't
Homère; n'auroit qu'à lire rEnéïde,& fc
perfuader qu'il auroit lu toiue l'Iliade &
l'OdylTée entière; que le fonds d'Homère
e(l une vafte campagne qu'il n'a fait que
parcourir, au lieu que le lien n'eft qu'un
petit champ, mais fort bien cultivé,
r 'C'cft ce qui a porté les défenfeurs de
Virgile à compter cette aélion parmi les
autres avantages qu'il a fur Homère (4),
parce qu'il a eu l'adrefTe de Joindre enfem-
ble tout ce qu'Homère avoir féparé & ré-
pandu dans fes deux Poèmes, & qu'il a
fait de fonEnée un abrégé de tout ce qu'il
y a de louable dans rx\chille de l'Iliade, &
i'Ulyfle de l'OdyfTée, & de tout ce qu'il
a remarqué de bon dans la plupart des
grands hommes qui avoient paru dans le
monde jufqu'au tems d'Augufte.
- Il eft vrai, dit le P. Thomaffin (5-), que
Virgile a imite Homère & l'a fuivi de près,
mais l'efpace d'environ mille ans qui fe
Z' - ■ font
,. Mt îei,fiti & lefîtim trtJdt utrumant ^t\
J Jl.ms imminjos miratur Cr^ciu campoSj
^Ât miner tfc ncbis , ftd iene culttts a^er,
4. Gallut. in Orat. 3. de Viigil. Allegor. pag. 244.
çoft. Vindic Virg.
5. Louis Thomiifllîn de la Méthode d'ctudier &
d'ecfeigncr Cinetiennement les Poètes livic 2. pi«-
Muexc paitic chap. 7. pag. mi. uonibx. i.
rSd Poètes L a r * h ^^
Virple. fonc écoulas entre ces dcuî Poètes, avoft
apporté de grands changemens , non feu-
kment daa-s la police des Etats ; mais aufli
dans la culture des erprits , à. dans la poli-
ttfk des Mœurs^ Les Dieas à. les Hiros
d'Honvepe tenoient eiicoFC de cette humeur
fauvage& preftiuebruialedes-ficclesoùil vi-
yoît. Virgi le nu contraire fe rencontra dans
Je (ie'cie leplvis poli & le plus éclairé de la
Geiuilitc. La Philofi>ph:e des Stoïciens a*
voit éloigné, non pas des Temples & des.
Théâircs, mais de la plupart des plus beaux
cfprits les illiUîonsdesfauires Divinités relie
«voit fait connoître, au moins confufêmeit^
le véritable Dieu, & elle avoit donné deS-
idées aflés jurtes des vices & des vertus..
^Virgile étoit fort verfé dans les (èntimens*
de ces Phirofophes,il li'étoit donc pas pos-
fiSlc que fon Foëme n'eût quelques beau-
^s qui matiquent à ceux d^Homerc.
Il faut remarquer auffi, comme a fait
te P. le Bo/d (i), que Virgjie étoit beau-
coup plus gêné qu'Homcre, parce que les
Romains n'avoient pas cet uiùge de fable»
& d^^allegories qui étoient en. vogue da
tems de ces Anciens , & qui leur fer-
voient à couvrir toutes les inflrudlons
ja*îls vouloient donner aux Peuples. Aiii-
U Virgile voulant renfermer les fiennes
fous des allégories, n*ia p»l £e contenter
d'un eucfieuf aufli fimpie qu^eft celui
d'Ho-
?.'
' T. Xtné le Boflu, Tuîtéda fa'êmc Epique chdf»
tt. & dein. du f. livie pag. \is. izi.
; 2. Kctic &afiB«, Coœp. d*H.onicK U. Vîi^ilepa{«
l"i. chip, z.
PoiTis Latiws, 1S7
d^Homere qui choque trop ceux qui ne le Virgile.
pénétrent pas , & ceux qui ignorent qu'il
a parlé par figures. Il a donc tellement
compofé Ion exte'rieur & Ces fiétions , que
ceux mêmes qui en demeurent- là fans y
chercher autre chofe , peuvent être fatis-
faits de ce qu'ils y trouvent.
Le P. Rapîn dit (2) qu'Homère a un
plan bien plus vafk que Virgile, c'elt une
vérité dont nous venons de voir la raifon
dans le P. leBoffu. Cela n*empéchc pas
que le P.Tliomaîlin Q'ait eu aulTiraifjn de
dire dans un autre endroit que celui qu'on
vient de rapporter, que le plan de l'Enéide
cft beaucoup mieux concerté que celui de
JUliadc ni celui de l'OdylIée d'Homcre (3)*
Le P. Rap'n ajoute qu'Homère a une
plus grande étendue de Caradcres que Vir-
gile; qu'il a les manières plus nobles que
lui ; qu^'l a un air plus grand, & je ne ùi
<^uoi de plus fuWime. Homère, dit cet Au-
teur (4), pefiît beaucoup mieux les chofes
^ue Virgile; fcs images font plus achevées,
fes réflexions font plus morales & plus
fcntcntieufes ; fon imagination eft plus ri-
che; il a un eiprît plus univcrfel. Il a plus
de yarîeté dans Tordonnance de la Fable;
il a plus de cette împetuofité qui fait l'élé-
vation du Génie> fon expreifion eft plus
forte j fon naturel ell plus heureux. Ho-
mère eu Poète par tempérament, dit -il»
fes
f. L. ThomaflT. livre 2. chap. t. f*%. 41*. apT^
IToir fait le plan de rEneide.
4. }c fuis mon Auteur piûrôt que mon ordre^uc
»t j^ïMi diuihti ce c^u^l dit 4c luitc
tSS P o e t e s L a t I n s.
Virgile. fes vers font plus pompeux & plus msguU
fîques ; ils rempliilcnt plus agréablement
Toreille par leur nombre & par leur caden-
ce quand on fait connoître la beauté de là
verfîtication. Enfin il e(l plus naturel que
Virgile, parce que toute fon étude ne va
qu'à cacher fon art, & il ne peint rien que
d'après nature.
*■ Voilà ce que ce Père a crû qui fe pou-
yoît dire en général en faveur d'Homère
au préjudice de Virgile; mais il nous fait
connoître que ceux qui s'en tiennent -là ,
ne jugent de l'un & de l'autre que fuper-
fîciellement , c'eft ce qui me porte à re-
trancher les jugemens de divers Critiques
qui ne nous apprennent rien de plus que ce
que nous venons de voir (i).
2. Comparaifon de leur Fahîe,
QUoi que Virgile foit beaucoup plus
refervé & plus modefte qu'Homère
dans l'art de feindre, au fentiment de Vos-
fius & de tous les autres Critiques (2). Le
P. le Boflii n'a point laiiïé de dire (3) que
nous ne trouverons point dans la Fable de
VEnéVde cette fi mplicité qu'Ariftote atrou-
v^e fi divine dans Homère. Mais fi la For-
tune de l'Empire Romain fous Augulle a
envié cette gloire à fon Poète, la vaûe é-
tcn-
r. Jî»cq. Peletier du Mans livre i. de l'Art Poéti-
que chap. 5 de rimiration. Gafp. Barthius in Ad-
»crf libris noiiiemel, & alii.
■ i.. Gcr. Joan. Voff. Inôitution, Poct, lib. r. c. 2.
P O E t E s L A T I H S. 189
tendue de la matière qu'elle lui a fournie, Virgile,
a donné lieu, dic-il, à des difficultés qui
demandoient plus d'efprit & plus de con*
duite.
Comme Homère a travaillé pour les
Grecs , & Virgile pour les Romains , il
faut, pour bien juger de la conilitution de
leur Fable, conlidérer la ditférence qu'il
y avoit entre ces deux Nations. Les Ro-
mains n'avoient point comme les Grecs
cette double obligation , Tunede vivre en des
Etats réparés & indépendans , & l'autre de
fe réunir fouvent enfemble contre des ea*-
nemis communs. Suivant cette réflexion
du Père, on peut dire que Virgile avoit fur
Homère l'avantage de pouvoir renfermer
tous fes deiïèins eu un feul Poème, & que
fa Fable avoit plus de rapport à celle de
rOdyffée qu'à celle de l'Iliade , puifquc
-l'Etat Romain qu'il avoit en vue étoit gou-
verné par un feul Prince. S'il avoit vou-
lu drelfer une Fable fur le même fonds
qu'Homère avoit pris pour établir cel-
le de riliadc, il fe feroit jette dans
des inconveniens très-facheux» Mais l'E-
tat Romain lui fournîlToit une matière as-
fés différente pour s'écarter des veiliges de
celui qui l'avoit précédé, & pour pouvoir
afpîrer à la gloire d'une première inven-
tion.
Avec
$. t J.pag. 10, êcalii qui doCentVîrgilîum iJomer» niht
H*fn rex/tritum quod il'e Deos Veaf^ite fugnsntes y faifetts,
,jUnfes &c. tnduxt-fftt &c.
, 3. Le,fioflu,du Foëme Epique U x.c.ii.pag. <;•
IÇO POETBS LAriMfS.'
Vixgilc. Avec tout ce beau raifonnement, il faut
coiiveair, félon le P. Rapin (i), qu'Home**
re mérite la préférence fur Virgile pouf
rinvention , qui elt une des qualités les
plus elïèntielles au Poète. Car on ne
peut nier qu'il foit le modèle & l'original
fur lequel Virgile s'ell formé; quand mé*
me il n*auroit pas en lui-même la gloire de la
première invention , comme nous l'avons
marqué au Recueil des Poètes Grecs. Ho^
mère a même le fonds de l'invention plus
riche, quoique Virgile a;t pu trouver après
lui de quoi enrichir le imi de tout ce que
neuf ou dix iiécles avoient produit de plus
beau depuis le tems de ce Pocte jufqu'àce^-
lui d'Augute.
a. Comparaifa» ck I*JSion ou de laMaùétè
de Uurs Poimes^
C'Eft particulièrement dan^ rAâîon du
Poème qu-e Virgile (èmble avoir
triomphé d*Homere. L*A6tion d'Achille,
dit le P. Rapin , e(l pernicieufe à fon pays
& aux tiens, comme Homère Tavouè lui--
même : celle d'Enée eft utile & gloriedfe
pour fon Peuple Ôr fa Po(^efité. Le mo-
tif du premier eft une palîion , celui du fé-
cond eft une vertu.
L.*Adion d'Achille eft Poccafion de ta
mort de Patrocle fon meilleur ami: t^ Ac-
tion- d'Enée eft l'occaiion de la liberté de
les Dieux & de celle de fon Pcre; & elle
clt auffi la caufe du falut des fiens. L'unô
dt héroïque, c*eft- à-dire, au deiFus de ka
ver^
I. Le P. Rapin, cîmp. i|, de fil Comp. d'KtfiJl,
Se Virg. & chap. 13.
Poètes Latins. 191
vertu ordinaire de Thommc ; PauTC n*e^ Virgile
pas m(!me raifonnablc , <?î elle porte ea
foi un caractère de brutalité.
L*Adion d'Ende a une iJn plus parfaite
que celle d'Achille, parce qu'elle termine
les affaires par la mort de Turnus: au lieu,
que celle d'Achille ne les termine point
par la mort d'Hedlor, puifque le fîcge de.
T roye dure enqore un in après. La mort
d'Hedor n'eft point une dé^iiion des cho-
fts, ce n'eil qu'un obilacle ôté à la d^ci*
fîon. Aînfi de quelque manière que l'on'
regarde l'Endïde,on trouvera que rAdlioa
en ell beaucoup plus louable & plus hon-
nête, & la fin beaucoup plus heurcufe <5c
plus parfaite que celle de riliade.
Les divers avantages que Virgile a fur
Homère fc rendent encore bien plus fenfj-
We$, lorfque l'on canfidére fe'rieufement
combien il a fallu de conduite, d^'nvention,
de difccrnement & d'efprir , pour avoir choi-
fi un fujet qui fait defcendre les Romains
<hi fàng des Dieux , & fur tout Augudc,
qui regnoitdans letemsm^mequecePoctc
^crivoit , & qu'il tlate adroitement par U
prpmefTe d'un Empire qui dt^voit êcre éter-
nel. L'on peut alfurcr qu'il n'y a rien, de
comparable dans celui d'Homère. Car
comOTC jamais Auteur n'a fait plus d'hoa-
'neur à fon pays par fon Ouvrage que Virgile
'en a fait au lien en donnant aux Romains
une origine divine & une poltéritééternel-
-le dans l'ordre des Devins: on peut dire
qu' Homère a déshonore le lien d'avoir pris
pour fon Héros celui qui lit tant périr ce
J;:îcjEps pour les facrider à fon reileuiiment.
Le
ICI Poètes Latins*
Virgile, Le même Auteur nous a fait remarquer,
ailleurs que TAâion de TIHade eft tou-.
jours défedueufc, foît qu'on lafafTe con^r
lifter dans la guerre de Troye , comme'
quelques-uns l'ont prétendu , foît qu'oru
la mette dans la colère d'Achille, comme
il y a plus d'apparence. L'Adion de l'O-,
dyffée n'eft pas plus parfaite que celle de.
riliade. Mais on ne trouve pas les dé-
fauts de l'une ni de l'autre dans l'Encide»
Virgile y fuit toujours fon deflein , l'Aéiioa
y en unique & le fujet bien fuivi , il va
toujours au but qu'il s'eft propofé , fans,
s'amufer à ce qui n'y a pas de rapport. It
eft même plus heureux qu'Homère dans
l*arrangement des matières & des événe*
mens particuliers qui regardent l'ordon-
nance générale de fon Poème. On y
trouve une jufte proportion des parties, à
un rapport éxa(^ entre elles qu'on ne re-
marque pas fi aifément dans l'Iliade. En
effet, il étoitbien plus aifé à Virgile d'en
Ufer ainfi qu'à Homère, parce que, comme
le même Auteur l'a remarqué en deux ou
trois autres endroits du même Ouvrage,,
Virgile étant plus borne devoit être par
conféquent plus fini & plus régulier, lefc
petits Ouvrages étant ordinairement plu?
achevés que les grands (i). Car après cie
que nous avons dit plus haut, on doit ù
fouvenîr qu'Homère a une plus vafte éten-
due des matières , & qu'il fait voir bien plu!
t. le?. lR.apin, Chap. dern. de fa Com^. d*HoiIl
• ti Virg. p. 6j. Se ch. 6. du m<ême Ourxagc.
1
j
Poètes Latins. 193
de pays à fes Ledeurs que Virgile: mais vir;Uc,
que fon efprit remporte prefque toujours,
& qu'il n'en elt fouvent pas le Maître
comme Virgile Tell du lien.
Entin Virgile ne fort jamais de fon fu-
jet, même au milieu de fes Epifodes qui
font la partie la moins efTentielie de l'Ac-
tion. Homère au contraire en fort pres-
que toujours par la multitude & l'attirail
de fcs Epifodes, dans lefquels on peut di-
re qu'il s'abandonne fans cefTe à l'empor-
tement & à rintempe'raucc de fon imagi-
nation-
if. Cowparalfon de la Forme cf de la Nar*
ration de leurs Poëmes.
LUllus , Volîius , & quelques autres
Critiques (2) eftiment que V^irgile ell
inférieur à Homère pour rœconomie de
fon Poëme. Si cette œconomie n'ell au-
tre chofe que l'ordonnance de la Fable,
qui conlîfle dans la difpofîtion & dans la
fuite naturelle de l'Adlion principale & à.Q.s
matières qui la compofent , & dans l'ar-
rangement & la convenance des Epifodes
avec l'Adion principale, ces Critiques ne
font pas entièrement d'accord avec le Fere
Rapin, qui, comme nous l'avons vu plus
haut, donne l'avantage à Virgile fur Ho-
mère pour ce point.
Ce Père ne fait point difficulté de dire
en-
2. Anton. Lullus Baîetr. lib. 7. de Oration. ca^,
5. & apud Voffium Inûitiitioa, Pocticu. lib. 3. ca^,
i. par. 5. png. 10.
Tom.llLPart.lL I
194 Poètes Latins.
yii^ile. encore ailleurs (i) que Virgile eft plus dis-
cret & plus judicieux qu'Homère dans le
mélange & le jufte tempérament du Mer-
veilleux avec le Vraî-lemblable, qui n'eft
pas moins eflentiel à la forme du Poëme
que Tarrangement des Matières & la pro-
portion des parties. Le Merveilleux qui
confifte pour la plus grande partie dans les
Machines & les Miracles , eft bien plus
fondé en raifon & en Vrai-femblance que
celui d'Homère. Les Machines y font
moins fréquentes & moins forcées. Le
ménagement du miniftére des Dieux ell
bien plus proportionné à leur rang & à leur
condition.
Pour ce qui efl de la durée de la Narra-
tion que j'ai crû devoir joindre ci-devant
avec celle de l'Adion précife du Poème
qui ne commence proprement qu'au pre-
mier départ de Sicile, il femble que Vir-
gile n'ait pa> été auffi régulier qu'Homère,
il l'on veut avoir égard à la maxime de
ceux de nos Critiques qui bornant cette
durée à une feule campagne ou à une an-
née feulement, prétendent que Virgile a
paflé ce terme. On ne peut difconvenir
qu'Homère ne foit beaucoup plus net,
comme le P. \c PoUu le reconnoit (2),
car il a fait un Journal éxad du tems qu'il
donne à chacun de ces deux Poèmes.
La pratique d'Homère , félon ce Criti-
que, eil: lans doute de réduire la durée de
la Narration Epique dans une campagne
de
1. R. Rapin, Compar. d'Hom. 6c Virg. chap. 6. png.
2j^. k chap. dernier.
1-
Poètes Latins. 195"
-de peu de mois. Mais la difficulté de con- Virgil«,
iioître le delleiii & la penfce de Virgile,
fait qu'on doute, dit-il, fi Ton ne pour-
roit pas poufTer les chofes jufqu'à une an-
née & plus, Il la fàifon de l'hyv^r doit ré-
gulièrement en être bannie. Ce Père fem-
ble fe déclarer d'abord pour Homère con-
tre Virgile; ou plutôt, il témoigne avoir
plus d'inclination pour borner cette durée
à une feule campagne qu'à une année en-
tière, Ôi il s'y porte d'autant plus volon-
tiers qu'Homère a toujours été eftimé en
ce point comme le plus excellent modèle
des Poètes. & que Virgile fe l'efl: propo-
fé en particulier comme celui qu'il vou-
loit fuivre. Mais il fe range enfuîte dans
le parti de ces Critiques, qui foutienncnt
que toute la durée de l'Eneïdc e(t renfer-
mée dans une feule campagne à l'exclulioii
de l'hyver, & qu'elle ne comprend pas
plus de fept ou huit mois. Ainli Virgile
ne fera pas même au-deffous d'Homère en
ce point , & la durée de fa Narration ne
fera pas moins régulière, quoiqu'elle foit
moins claire & moins évidente.
5*. Comparaifon des Mœurs 9U CaraSieres
des Poèmes , ^ des fentimens des deux
Poe ter.
NOus pouvons commencer cette
comparnifon des Mcïfurs par le Pa-
rallèle des Héros de l'un & de l'autre,
puis-
2. R. le Bofîu Tr. du P. Eplq. lir. J. clijp. i:.
^■'iS' i^y* 3«i. &c,
I 2
196 Poètes Latins.
yiigUe, puisque le Héros eft le principal Perfonna-
ge & Tame du Poëme.
Le P. Rapin appuyé de l'autorité du
TafTe (i) dit que l'intention d'Homère n'a
point été de donner en fon Hcros l'idée
d'un grand Capitaine ni d'un Prince ac-
compli, mais de montrer combien la dis-
corde eli préjudiciable dans un parti. Par
cette conduite il a donné fur lui-même
beaucoup d'avantage à Virgile, outre que'
n'ayant point d'autre idée pour la conflruc-
tion de fon Héros que celle de la vertu
d'Hercule, de The fée ou de quelques au*
très perfonnes qui n'ont paru dans le tems
fabuleux que par leur force & par leur cou-
rage, ce n'elt pas merveille li les mœurs
font i\ défeclueufes dans fon Héros. Mais
Virgile ayant eu le moyen de compofer
fon Hcros de toutes fortes de vertus morales
dont il trouvoit 'des exemples dans l'His-
toire, ôc des préceptes dans les Poètes &
les Philofophcs venus depuis Homère, s'eft
acquité beaucoup mieux des obligations
d'un véritable Poète qui doit reprefenrer
les homnies plutôt comme ils ont dû être
que comme ils ont été en effet.
L'Achille d'Homère & TEnée-de Virgi-
le font braves tous deux , mais c'ell la pre-
mière & la principale qualité d'/\.chille,au
lieu qu'elle n'eft qu'une des moins conli-
dé^ccs dans Enée, quoiqu'elle ne fût pas
moins
j, Comp. d'Hom. & Virg. chap. 4. Se 5. p;îg. 16.
î7. 20. 21. &c. & Tiifl'. Opiifcul. Ita!.
2. Le Bollb, lecondc paitic du l'ocmcïip. Jiv. 4.
CT.ap. ;. pjg. XI. 2c 12. & chap. y. pag. 87, 88. 5cc.
ÔC
Poètes Latins. 197
moins grande dans ceîui-ci que dans Tau- Vlr;ilc,
tre. Mais Achille rendoit cette qualité
mauvaife par Ton emportement, fa violen-
ce, fes injullices , & par la licence qu'il
donnoit à fes pallions , au lieu qu'Ence
honoroit cette même qualit-é par la piété, _
Ion équité, (à bonté, & fa patience.
Quoiqif Achille fût Roi & General d'Ar-
mée, Homère ne lui donne de fi Souverai-
neté que cette indépendance qui lui fait
refufer à Agamemnoii robéilfance qu'il lui
devoit d'ailleurs. Son Achille ell plus un
Particulier, dit le Père le Boifu (2), qu'il
n'^ert Roi ou Général. AufTi ne peut-or»
pas dire qu'il y ait rieiî de tout ce qui fe
fait de bien ailleurs qu'où il ell, qui foît
dû à fa valeur ou à fi bonne conduite. Le
Héros de Virgile n'eil pas de même. Il ne
fè défait jamais de fes dignités , il agit par
tout &c pleinem.ent en Général, ôc cette
qualité met la glaire de fes armes beau-
coup au-defTus de celle d'Achille. Ainii
pour rendre la comparaifon jufte, il fauc
dire qu'Achille c(ï un vaillant Soldat, &
Enée un véritable Capitaine.
Il faut confidérer qu'Homère , étoît
beaucoup plus libre que Virgile pour choi-
sir le Cara^lére de fes deux Héros. Le
Père le Bolfu remarque encore ailleurs que
fi le Héros de l'Iliade devoit être colère,
vif & inexorable (3), la Fable de fon Poè-
me
te chap. iz. pag. T07. rog. Sec.
3. HGr.\t. de Arte Poët. ha;c de AchilUs Charao
terc, y. Ï2I.
■^"'P'i'^i *racH?idus i inexcrabilis , tLcer ■,
/•HtA ne^et Jibi natAy nihil non nrro^et armiSt '
1 3
198 Poètes L a t i k s.
TirgJJc. me qui éxigeoit cela néceflairement, lais-
foît néanmoins au choix du Poète des cîr-
conilances qui pouvoient ou relever ou
embellir ce Caradére , ou le rendre plus
ûiiforme & plus odieux. La qualité que
la Fable de rOdyffée exige de fon Héros
ell la Prudence, parce qu'elle eft toute pour
la conduite d'un Etat & pour la Politique:
néanmoins il a été libre au Poëte de déter-
miner & de fixer cette qualité par la dilfi-
Ululation qui eft le caradére donné à U-
lyfTe.
Mais quelque rapport qu'il pût y avoir
entre le Héros de rOdyflee & celui del'E-
neïde, le caradére de ce dernier n'en eft
pas moins différent qu'il l'eft de celui de
l'Iliade. Virgile étoit beaucoup plus gê-
né qu'Homère , parce qu'il vouloit faire
recevoir aux Romains une nouvelle efpéce
de gouvernement ^ & un nouveau Maître ,
& qu'il faloit que ce Maître eût toutes for-
tes de bonnes qualités & point de mauvai-
fes. Son Héros n'avoit que de nouveaux
fujets de même qu'Augufte. Enéc ne de-
voit donner à ces nouveaux fujets que des
marques de fincérité & de franchife. Il ne
pouvoir porter le Caradére d'UIyfîè,puis-
que la diifimulatîon eft dangereufe à un
nouveau Maître. D'un côté les violences
d'Achille étoient entièrement oppofées au
dcifein de TEneide, & le Poète les a judi-
cieufement mifes dans Mezentius & dans
Turnus qu'il oppofe à fon Héros. Il étoit
donc obligé de former un Caradére oppo-
fe à celui-là. Ainlî on ne peut point com-
parer autrement les Caradéies de ces Hé-
ros-
Poètes Latins. 199
FOS qu'en difain que celui d'Achille efl la Virgile^
colère inexorable d'un Prince vindicatif &
brave; que celui d'Ulyfle eft U fage diiïi-
mulation d'un Roi prudent & vaillant, &
que celui d'Enée e(t une piété douce mê-
lée de bonté , & foutenuë comme les au-
tres d'une valeur & d'une fermeté de cou-
rage inébranlable.
Unedeschofes les plus capables de don-
ner de l'éclat à la comparaifon de ces deux
Poètes eft l'Unité du Caradére de leur
Héros qu'ils ont gardée i'un & l'autre fort
exactement, quoique d'une manière ditfé-
rente. Cette unité, dit le P. le Bollu , &
cette limplicité eit iî éxa£te & (i uniforme
qu'elle fait voir Achille, Ulyfle, <& Enéc
les mêmes en toutes fortes de rencontres.
Homcre a difpofé fes Fables de telle forte
qu'il lui étoit aifé de garder cette unité
dans les principales parties: Virgile a fait
tout le contraire. La première partie de
fon Eneïde elt femblableà l'Aélion del'O-
dyirée qui a pour Caradére la froideur, la
difllmulation , & la prudence. La fécon-
de elt , comme l'Iiîade dans les horreurs
de la guerre qui entraînent naturellement
avec elles la colère & la cruauté ;& néan-
moins il a fait régner en l'une & en l'autre
partie la douceur & les paffions les plus
tendres. Enée n'eft pas moins doux ni
moins pieux en tuant Laufus dans une
horrible bataille, que dans les jeux qu'il fait
faire en l'honneur d'x\nchife. Il n'eft pas
• moins modelée quand il voit à fes pieds fes
ennemis vaincus , que quand étant batu par
'a tempête & jette fur un bord étranger , il
I ^ is:
2C0 Poètes Latïns.
Tirgîic. fe trouve dans la necelTité d'implorer Tas-
iiftance de Didon.
Voilà ce que les Critiques ont dit de
plus important pour fervir à la comparai-
Ton des Héros de nos deux Poètes , on en
pourroit dire autant de leurs autres Perfon-
nages à proportion des diftances & des dif-
férences qu'ils ont mifes entre les uns &
les autres: Et on pourroit juger de la dis-
crétion qu'ils ont apportée dans la repré-^
fentation des Mœurs & des Caràéléres de
ces Perfonnages divers, fur la conduite
qu'ils ont gardée dans celle de leurs Hé-
ros. Ain fi an n'eli pas furpris d'entendre-
dire (i) an P. Rapin qu'Homère n'a pres-
que jamais égard aux bonnes mœurs , &
qu'il ménage rarement les bien-féances :
parce que la manière dont il nous a rcpré-
fente fon Achille , nous porte afTés à le
croire. 11 dit au contrafre que Virgile e(t
fort fcrufvuleux dans l'obfervation des Ca-
raûéres, qu'on trouve par tout fon Poè-
me une régularité achevée pour l'honncte-
té, la pudeur, la bien-féance des Mœurs,
l'uniformité de la Morale même dans la
repréfentation des choies malhonnêtes &
criminelles. Cependant cet Auteur n'a^
point laifTc de donner à ces deux Poètes
une gloire égale pour leurs propres mœurs
& leurs fentimens , c'eft-à-dire , propre-
ment pour leur Morale. C'eft dans les
Réliéxions fur la Poétique (2), où il dit
qu'Ho-
1. R.Rapin,Cômp. d'Hom. ôcVirg. chap. 7-pag.
i. Réflexions gcnciaks fui la Poctiq. i, pait.Rc-
flc-
PaETES LArihTS. 20T
qu'Homère & Virgile n'ont jamais dît d'or- Virgile^
dures (3) ni d'impict(?s , qu'ils ont tou-
jours été févcres & vertueux comme des
Philofophe^.
Quoique ce (éntiment puifle fouifrir
quelques difficultés , on pourroit néan-
moins Tappuyer par celui du Père le Bos-
fu , qui lui eft tout- à-fait conforme (4).
Ce Père dit qu'Homère & Virgile , tout
Païens qu'ils étoient, n'ont point fouillé
h. majeilé de leurs Epopées , par ces déli-
eatefîès criminelles dont nos Poètes Chré-
tiens femblent avoir fait toutes leurs déli-
ces dans ces derniers liécles. Ulyffe effc
froid chc2 Circé; il qù. trifte auprès deCa-
lypfo. Brifeïde & Chryfeïde n'enflamment
Achille & Agamemnon que de colère.
Dans Virgile Camille n'a point d'xA.mans ^
à peine parlc-t-on de l'amour de Turnus
pour Lavinie; & toute la paiïlon de Di-
don n'eft traitée que comme une infidélité
criminelle, dont cette miférable Reine efl
punie cruellement. Il eft à remarquer
auffi que Virgile n'inlînuë que des affec-
tions conjugales, & qu'il a toujours eu en
vue les maximes de la tempérance.
Si ces deux excellens Poètes ont été les
modèles de tous ceux qui les ont fuivis,
c'ed leur faire injure de vouloir autorifer
par leur exemple finfîdélité de nos Poètes
modernes, qui s'arrc:ent avec tant decon>
plalGince & d'affedlation à ce que les pas-
fions
fifxion 9.
3. f. Voyés l'Article ie9î. $. p-
4, R.. le BofTu iivic 4. parc. 2. du P^ Epiq. chap,
is
202 P O E T E S L A T I îf fî.
Tirg/ie, fjons ont de plus honteux & de plus crirnî-
nel; qui en font les endroits de leurs Poè-
mes les plus touchans & les plus tendresj
& qui tournent les amours infâmes en des-
galanteries qu'un honnête homme & qu'un^
brave Cavalier peut mettre au rang de fes
bonnes fortunes. Ce qui furprend le plus
nos Diredeurs & nos Prédicateurs, c'eft
de voir une différence li étrange entre ces-
deux anciens Païens d'une part ^ & ces
Chrétiens modernes de l'autre» Quand
on dît en général que ce n'eft pas le moyea=
de faire haïr les vices, lorfqu'on n'en re-
prefente que ce qu'ils ont d'aimsble & de-
doux, on auroîr de la peine à s'imaginer
que cette remontrance regarde nos Poètes
Chrétiens, & non pas Homère & Virgile.
C'eft néanmoins ce que nous fommes o-
bligés d'avouer à la confulionde ceux-là ^
pour ne point faire d'injuftice à ces deux
Anciens. Et fî nous pouvions dire que la
bonne foi d'Homère à. de Virgile, qui di-
•foient les chofes comme ils les penfoient»
tft un exemple à fuîvre pour nos Poètes
Chrétfens, nous ne pourrions nous empê*
cher de croire que ceux d'entre eux qui ne
•font voir les vices que fous de beaux mas«
ques, ne les cnvifagent que par ce bel en-
droit; & que s'ils parlent de bonne foi, ils
penfent comme ils parlent, & vivent com-
me ils écrivent.
Ces Poëces modernes ne (e trompent
pas, lorfqu'ils prétendent que le but de la
Poëlie eft de p?airc 5i de dire toutes chofes
de la manière la plus agréable qu'il leur eft
po-lTible, & que c'a été aufli la principale
• in*
Poètes Latins. 203
întcntion d'Homère & de Virgile ; mais ^^^silcr
/ofe dire qu'ils fe trompent, lorfqu'ils fè
croyenr obligés de préférer le goût des
Lecbeurs^ vicieux , intempcrans , & liber-
tins, à celui des Le61:eurs qui ont quelques
fentimens d'honnêteté & de vertu- Les
Maîtres de l'Art & ceux même de l'Anti-
quité Païenne, nous apprennent que c'eft
corrompre les régies les plus elTentielles
de la Poëlie & de la Fable; & qu'un Art
pernicieux n'efl pas un Art, ou du moins
qu'il n'eil pas tolérable. S'il ne fe trou-
voit que des Ledeurs déréglés , & s'il fal-
loir abfolumcnt qu'un Poète fût corrompit
ou fc laiflat corrompre pour leur plaire, ce
fcroît une néceffité très-malheureufe & la^
malediéVion pourront bien tomber fur ceux
qui" entretiendroient cette corruption , &
qui préfereroicnt la gloire d'être Poctes à
celle d'être Gens de bien.
Mais il faut hîller la comparaîfbn des^
Modernes avec ces deux Anciens , pour
reprendre celle que nous faifons des mœurs
& des fentimens de ces deux-ci entre eux.-
Lc Père Rapin trouve (i) qu'Homère a
un air plus moral & plus fententieux que
Virgile, mais qu'il ell exceflif dans fe*
Sentences ; & que Virgile au contraire
fcmblc avoir- atfedé un air plus llmple &
plus uni.
Enfin on ne peut nier que ce dernier ne*
foit encore préférable à l'autre par la pure--
té des mœurs- qu'il donne à fes Dieux ,- &
par la beauté des fentimens qu'il paroît a-
voir
JV Bw, Kap; Comp. d'Hom. Se Vir^. chap. 14, Scç,-
1 6
204 Poètes Latins^
Tî::gîrc^ voir eu de la Divinité. C'eft dans cette pen>-
fée, fans doute, que le Père Thomaffia
dit qu'on remiirque non feulement plus de-
politefTe entre les Hommes & les Héros ^
mais aulTi plus de civilité entre les Dieux
de Virgile , qu'entre ceux d'Homère. .
Tous les autres Critiques généralement
(i), ont reconnu cette grande différence
entre ces deux Poètes, en remarquant que
les excès des Dieux entre eux ,. ou des
-Hommes contre les Dieux qu'on lit dans
Homère , ne paroiffent prefque pas dans
Virgile. Jupiter y eft beaucoup plus refpec-
té des autres Dieux, & on voit bien que
]a créance de l'unité d'un Dieu fouverain
croit mieux établie au tems de Virgile. Les
Champs Elyfiens même & le Paradis de
Virgile , dit le P. Thomalfm (i) , font
bien plus beaux que ceux d'Homère, fim-
mortalité des Ames y eil encore plus clai-
rement établie. Mais pour ce qui eft de
l'ufage des fréquentes prières , des facrirî-
ces, des augures, des prodiges, des ora-
cles, des prédidicns, desfonges, des ap-
paritions des Dieux, de leurs diverfes mé-
t^morphofes , de leur préfence invilible,
de leurs délibérations communes , & de
leurs réfolutions fur toutes nos affaires,
îl n'y a prefque aucune différence entre
"Virgile & Homère.
6 Com^
T. Jacques ?clctier du Mans, Art Poè'tiq. liv. u
diap. s. de l'Imitation, & gencialcmenrtous ccue
i|ui ont traite cette matiérr.
, %. L, Thomaflîa 2>kthodc d'cf. & d*cnC Chre'-
tiensf.
FoETES Latins. 20^
VirgifCi
6 Comparaijon de rexpreffion iff du JîyU
des deux Poètes.
NOiis avons dcja rapporté ailleurs îe
fentiment des Critiques , qui con-
viennent que l'exprefijon qui confifle dans
les paroles, eft ce qu'il y a de plus accom-
pli dans Homère, & perfonne ne tait diffi-
culté de reconnoître aulTi que c'ed la par-
tie dans laquelle il furpafTe Virgile. C'eft
ce que le P. Rapin nous apprend en plu-
f eurs endroits de la comparaifon qu'il en
a faite, où il ne fait point difficulté de di-
re qu'Homère eft incomparable pour ce
point, & que Virgile n'en approche pas,
îbît pour la beauté de Texpreffion & l'éclat
du difcours , foit pour la grandeur & la
Boblelfe de la narration (3) ; fa vcrfifica-
tion e(t plus magnifique & plus pompeufe,
fa cadence 6c fa mefure ont quelque chcfe
qui charme davantage.
Homère, dit le même Auteur, a quel-
que chofe de plus riche & de plus fom.p-
tueux que Vfrgile. Il a de plus grandes
vivacités, il a un tour de vers plus beau,
wn air de dire les chofes plus brillant , un
fonméme de paroles plus rond, plus plein,
plus raifonnant, plus propre à laPoéiie,
èc quifatisfait bien plus l'oreille, que tout
ce
tîenn. lesTcjftes Y\\\ z. cfi. 8, nomb. t. pi*. 4TT."
3. R. Rap. Comp, chap. 13. pag. 4S. 2? c'iap. ci
pag. 16. imo 3)-. 38. ^c chap. lô. pag. 62, &. chap,
2, pa^. 1-2. Sec. chap. Il, &ic.
I 7
20(5 Poètes Latins^
Virgile* ce qu'a fait Virgile. Mais il femble avoir
voulu nous perfuader que cet avantage
vient moins de rinduftrie particulière d'Ho-
mère, que des propriétés de la Langue
Grecque, qui a naturellement tous ces a-
vantages que nous venons de marquer fur
la Latine, dont le ferieux, la modeftie, &
la gravité ne font pas Ci fufceptibles de ces-
agrémens & de ces beautés.-
Cet avantage qu'Homère a fur Virgile,
n'eft pas comparable à ceux que ce Poète
Latin a remportés d'ailleurs fur ce Grec.
On ne peut pas dire même que celui-ci
foit fort entier, puifque, félon Jacques Pe-
letier (i), & Jules ScaWger (2.), Virgile
n'eft point tombé dans ce grand nombre
de répétitions dont Homère s'eft chargé li
inutilem.ent, & il a fort judicieufenient é-
vité cette fuperfluité d'Epithetes qui eft-
dans Homère.
Cela n'empêche pas que le P. Rapin
n'ait eu raifon de dire (3),- qu'Homère eft.
-plus admirable que Virgile en Epithetes &
en Adverbes , parce qu'il ajoute que ce
font toujours des ornemens , quoiqu'ils
viennent de la richelFe & de la fécondité
de la Langue plutôt que du Poète. 11 ne
faut pas douter que le génie différent des
Langues n'ait beaucoup contnbué à la di-
verfité de leur caractère pour le (tyle. Au-
tant qu'Homcre a d'inclination à parler,.
dit
T. Teleticr de TArt Poët. livre 2. chap. 5. comme
«Jeflus, ôc dans li Biblioth. d'Ant. du Verdier &:c.
z. Jul. Scaliger i'oaices lib. 3, fea de Idea wp,
i$. pag. 29i, &c,.
Poètes L a t r ït s. 207
dit cet Auteur, autant Virgile en a- 1- il à VîrgiSf.
fe taire; & c'ell par une fuite naturelle de
ce lentiment qu'il avoit dit auparavant
qu'Homère eft plus infupportable & plus
pue'rile dans Tes defcriptions.
Cela paroît aiOTés conforme à l'idée que
Jules Scaliger 6c Gafpar Barthius ont vou-
lu nous donner de ces deux Poètes, par la
peinture qu'ils en ont faite en les oppofant
l'un à l'autre (4). Ils difent qu'Homère
efl: femblable à une Courtifane afîës belle
d'elle-mcme, bien pare'e, qui parle volon-
tiers à tout le monde , qui fe donne des
airs libres , qui fe met en différentes poilu -
res , qui marche tantôt pompeufement ,
tantôt négligemment , qui croit que tout
lui fîed bien, qui entreprend fur toutes cho-
fes, qui ne fait fcrupule de rien, qui elt
indifciéte; & qui n'ayant pas le goût fort
I fin pour la véritable beauté, fe laille ajus-
ter par des cocfteufes mal -habiles , & fe
lailfe charger de mille bijoux inutiles & de
mille nippes ridicules. Au contraire Vir-
gile, félon eux, reflèmble à une jeune fil-
le^ limple, mais d'une pudeur délicate &
d'une modetlie charmante, qui ne parle ja-
mais que fort à propos, qui prend garde à
tout, qui eft dans des précautions fur tou-
tes fortes de chofes, fort réglée dans les
mœurs, compofée dans toutes fes démar-
ches ,. uniforme dans toutes fcs actions ,
qui
}. R. Rapîn , pag. 3Î, chap. ro. 8c rr.
4. Poëtic, Sc.ilig. ut fupri fed lib. $. cap, 2. îmô
êc c;ip. î. Sec. fulifllaiè Galp. Baithius Adveifaxioi,
lib. 3i,cap. 9, col, I475>. S^c, -^
2o8 Poètes^ Latine
Tîrgile^ <îui contrefait la Dame de qualité , d'une
taille riche, d'un port majeftneux, fuper-
bernent vêtue, mais fans affectation & îans
iuperfluité , d'une beauté achevée, enne-
mie du fard, qui porte fur fon vifage <Ss
dans les yeux des témoignages d'une chafle-
té éprouvée,, qui ne s'avance jamais témé-
rairement, & qui fe laiiTe mener avec un
difcernement accompagné de beaucoup de
lumières. Et Scaliger dit ailleurs , mais
tout feul , qu'il y a autant de différence en-
tre le Grand Homère & le Divin Virgile,
qu'il y en a entre une crieufe de vieux cha-
peaux ou une folle qui court les rués 6c une
Dame de la première qualité. Mais il eft
bon de favoir que Scaliger étoit un peu
foû de Virgile, qu'il a trouvé dans ce Poè-
te mille beautés imperceptibles au commun
des Critiques , & qu'il a crû y découvrir
un grand nombre de myfteres impénétra-
bles à ceux qui n'ont pas fon 2èle ni fon
raffinement 7 & à Macrobe même. Enfin
dans l'examen qu'il fait des vers de l'un 6s
de l'autre, Virgile a toujours le delfus
d'Homère,
Mair pour revenir de ces excès & pou?
conclure la comparaifon, il faut convenir
qu'ordinairement Virgile eft fuperieur à
Homère. Mais il en faut excepter le fonds
& retendue de l'invention , la fécondité
& la beauté de l'expreiiion, qui font deux
chofes pour lefquelles il doit céder à Ho-
mère. On peut dire cependant, pour met-
tre
T. R, Râp. comme ci- dcflus pag.jo, 8c condufj
Poètes Latiks. 209-
trc encore quelque relhidîon à cet aveu, virgile.
que Virgile l'emporte encore en divers
points qui regardent ces deux parties. Car
félon le P. Rapin (i), Virgile a Tavanta-
ge fur Homère, premièrement pour la dé-
licacelTe de Ton deffein , de fcs idées , de-
(es inventions , & de fes penfées ; en fé-
cond lieu pour tout le détail même de fes
expre(î)ons,qui font beaucoup plus folides
& plus touchantes , & qui font très-pro-
pres à faire leur effet félon l'intention da
Poète.
Cet Auteur décide en un autre endroit
qu'Homère a plus d'efprit, & que Virgile
a plus de difcrétion & de jugement: 6c il
n'a pas crû pouvoir mieux finir la compa-
raifon, qu'en difant qu'il aimeroît peut-ê-
tre mieux avoir été Homère que Virgile^
ma's qu'il aimeroît aulfi beaucoup mieur
avoir fait l'Eneïde que l'Iliade & l'O-
dyllée.
$.9.
Des Eglogues y des Georgiqrdes de Virgile,
Mr. de Segrais dit (2) que les Eglogues
5c les Géorgiques de Virgile ont été efl:i-
"nés par le liécle le plus éclairé & le plus
iélicat de toute l'Antiquité , comme les
dIus accomplis d'entre les Ouvrages qu'on
lit jamais entrepris dans ces deux genres
fécrirc.
L
2. J. R. de Segiais, Préf. fur la Trad. de l'Encide
i«fnbr. 4. pag. 7,
2IÔ Poètes Latins,
Vugilc. ' i^ Pour ce qui eft des Eglogues ,on peut
dire qu'elles ne font pas toutes Bucoliques-
iTon plus que toutes les Idylles de Théo-
crite, & que ce qu'il dit dans la quatrième-
aa fujet de la naillànce de Saloninus Pol-
lio, dans la fixiéme touchant les connois-
fances fublimes de Silenus^ <5cdans la di-
xième fur la paffion de Gallus, efl quel-
que chofe de fuperieur à la portée des Ber-
gers (i), c'eft le fv^ntiment de Servius que
Ton peut voir fur la première Eglogue.
Quoique Thcocrire eût acquis une gran-
de réputation en ce genre d^écrire parmi les
Grecs, Pelletier prétend (z) que Virgile
Ta furpafle de beaucoup, & le P. Rapin eft
aufîi dans le même fentiment. Car il dit
(3) que Virgile dans Tes Eglogues f(ï plus
judicieux, plus éxad, & pl\is régulier que
Théocrite , qu'il elt même plus modelle-
par le caradére de Ton propre efprit & pat
le génie de la Langue Latine. Il ajoute
qu'il a plus de bon fens, plus de force,
plus de noblelfe & plus de pudeur que
Théocrite. Mais qu'après tout Théocri-
te eft original , au lieu que Virgile iVeil
fouvent que copifte»
Jules Scaiiger avoit déjà remarqué aupa-
ravant les mêmes avantages dans Viigild
fur Théocrite, & il en avoit rapporté di-^
verfès preuves ^ en faifànt la comparaifoii
de»
t. Servius Gemment, in i. Eclog. Si. ex eo VoSl
Inflit. Poët. lib. 3. cap 8. parag. 16. pag. 33.
i. Jacq. Pcletict du Mans , de l'Art foët. chap. s,
l, ILea. Rap. îLeflcx. paiticul. fur laPoëuRcfl, 2>
I
Poètes Latins. 211
es vers de l'un avec ceux de l'autre (4), yirgiîe^
ans un allés long détail qui fait plailir à
ire. 11 prétend que s'il y a des beautés &
es grâces dans le Grec de Théocrite,
ont le Latin de Virgile n'a pu s'accom-
er, celui-ci a fubftitué d^autres agrémens
ui font naturels à fa Langue, & qui ne
ont pas moins beaux que tout ce que
rhéocrîte a de plus agréable. C'eft ce
u'avoit dit Agelle ou Aulu-Gelle long-
2ms avant Scaliger (5-).
Ce dernier ajoute qu'il y a au moins
uatre Eglogues qui font originales, & qui
le doivent rien à Théocrite. Ce font cel-
2s de Silène, de Tityre, de Pollion, &
e Moëris.
II. Pour ce qui eft des Géorgîques, il
:mb]e que (î on s'arrétoit au fentiment de
ervius, on devroit dire que c'efl TOuvra-
e qui a fait le plus d'honneur à Virgile^
arce qu'il a fuivi Homère de fort loin
ans rÈnéïde , qu'.l a fort approché de
"héocrite dans fes Eglogues , mais qu'il a
affé de beaucoup Heliode dans fes Géor-
iques (6). Il paroît alTés par tout ce que
ous avons rapporté au fui et de l'Eneïdô
: des Eglogues, qu'on n'a point eu grand ^
gard à cette opinion dcServius, mais il
été fuivi dans le jugement qu'il a fait des
îéorgiques par rapport à Heliode^ Car il
n*y
4. Jul. Caef. Scalig. Poëticcs lib. s* cap. y. pag,
i7. & feqq.
5. A. Gcll. No£V. Attic. lib. 9. cap. 9. pag. 475.
76. cdit. Thyf ôcOilel.
6. Scivius Comment, la lib. i. Géorgie, pag. io.
Iî2 Poètes Latins.
Virgile, n'y a rien dans tout l'Ouvrage que ce Grec
a compofé fur les travaux & les journées^
des hommes qu'on puille mettre en paral-
lèle avec ce qu'a fait Virgile & li on eiï
croit Scaliger , tous les vers d'Heiiode
joints enfembk n'en valent pas un de ceux
de Virgile (i).
Helîode n'eft pas le feiil qui ait fourni la
matière à Virgile, il a prohté aulTi beau-
coup de Nicandre & d'Aratus, comme les
Critiques l'ont obfervé (2}. Quoique cec
Ouvrage fût dédié à Mécenas , il n'avoit
pourtant pas laiûe de le finir par un long
éloge qu'il avoit fait de fon ami Cornélius
Cjallus. Mais la difgrace qui lui arriva en
Egypte, jointe à la volonté d'Augufle, fij
qu'il le fupprima eniiiite^ & lui fubllitua la
Fable d'Arillée qui tient près de la moitié
du quatrième Livre de fes Géorgiques (3),
comme l'ont remarqué divers Critiques,
& particulièrement le Père de la Rué fur
la dixième Eglogue (4).
N o u s ne dîfons rien de L . VA R lUS^
tm des plus excellens d'entre les Poètes de
fon tems , parce qu'il ne nous eft rien res-
té de lui (•$). * F/r-
1. Scalig. liv. j. Poët. cap, 5, înitio Sec. ,
2. Fredcr. Taubmaun. Proleg. Comment, ad Vii-
gil. Géorgie. . ^
a. Caroi. de la Rue Soc. JeC în not. ad arguni
10. Eclog. pag. 83. poft alios Criticos , Sec.
4. ^. Le P. de la Rue n'a pufe fonder que fur et
qu'en ont dit l'Auteur de la Vie de Virgile, ôc avant
lui. Servies fur cette dixième Eglogue.
î. ^. Il a bien voulu donner la moitié' du 1144.
article z^intilins q^u'il ïiommz^mmiliHs Vamidoot
iJ
j
Poètes Latins. 213
•'' yirgilii Opéra cttm Comment. Servît VirgiLc.
ll-fol. afud Robertum Stephanum I5'32.
Ejufdem cum Comment. Pontani^ ill-
ohLugd. 1603. . Ejnfd.jOpera iii-fol.
'• Typ. Regia 1641. — Ejufdem psr JoaK,
)gilvium edit. in- fol. Lond. 1663. — Com^
nentate in Lingiia Tofcana , da Giovanni
^al;rini in- fol. f^enetia 160^. •™ E'tifdem
nm Comment. Tauhmanni iii-4. 161 8. —
Ijiîfdem cum Notis Variornm.^ 3. vol. iii-8.
'uUgd.-Bat. 1680.
iEMILÎUS MACER-,
De Vérone ., du tems d'x\ugufte, mort en
la première année de la 191. Olympiade,
de la fondation de Rome 73S. feize ans
devant notre Epoque , trois ans après
Virgfie.
:i49. IL nous refle quelques fragmens ^milius
J. qui portent le nom de cet ancien M-acer.
vlacer. Mais c'efl aux Hilloriens plutôt
[u'à ce refte de vers que nous fommes re-
'evables de la connoiliance que nous a-
'ons de ce que cet Auteur. avoit fait pour
con-
1 ne nous reile rien du tout. Luciiis Varius esccl-
Mit roète Epiqiie 3c. Tragique, loue hautement par
ïorace, & par Quiarilien, méxitoir bien un aiticlc
ntier , puilqu'outre le jugement avantageux qu'a
endu de la Tiagedie de Thyefte Quintiiien, qui
n a même cité deux demi-veis 1. 3. de fes Inftitu-
ions clup. 8. il nous reite quelque douze vers de
on Pûëme Héroïque dt mont que Macrobc nous a
onfervés dans ks Sacurnaks jôc que Virgile n'a pis
iitfaigué de copier.
214 Poètes Latins,
jEmiltus continuer Homère, & fur les herbes, les
Aiaccr, oifeaux & ks ferpens (i). C'ell pour*
quoi il eft inutile de nous y arrêter (2).
Mais il eil bon de remarquer que l'Ou-
vrage que nous avons aujourd'hui Tous le
nom d'jî^milius Macer touchant la force
^ la vertu des Herbes , imprimé à Frî-
bourg avec les Commentaires de Jean A-
trocien l'an ï5'30. à Venife (3) en 1^47. à
Francfort en 15-40, à Baie 1581. à Ham-
bourg en 1^96. eft une pure fuppofition,
quoi qu'en ayent voulu dire quelques Cri-
tiques & quelques Médecins (4Vdontplu-
lleurs voyant que le véritable Macer avoit
été connu & cité par Ovide (5-) , & que ce
prétendu Macer cite Pline , ont cru que
c'etoit toujours Macer , mais qui auroit
vécu du tems de Pline.
Quoiqu'il en foit, Jules Scaligerdit (6)
que cet Auteur que nous avons fur la ver-
tu
1. Scalîger docnc la continuation d'Homerc à un
antre Macer contemporain, mais qui eft mort de-
puis Ovide.
^. Ce ne iont pas les Hiftoricnsqui ont parle' des
Ouvrages de Macer. Ovide a très-nettement diftin-
gu.' deux roëtcs de ce nom. Le premier dans la di-
xième Elégie du 4. livre des Triftes. Cet! celui qui
mourut 32. ans avant lui, & qui déjà foit avancé
eu âge lui lut its Foëmes des plantes , des oiîeaux , ÔC
des Terpens. L'autre Macer à qui le même Ovide
adiefle la iS. EJégie du z. liv. desAmouiS5& la 10,
du 2. liv. de Pr,nto eft celui qui avoit entrepris la con-
tinuation d'Homère. Les Hiftoriens n'ont fait nul-
le mention de ce dernier Macer, que Joleph Scali-
ger fur Eulebe croit avoir furvccu à Ovide.
2. Voll de Hiftoric. Latin, lib. 1. cap. 10. te lib,
de roëf. Latin, pag. 2I.
3. f . U ii€ faut pas croire que ces Commentaires
d'A-
Poètes Latins. 21^
tu des herbes n'ctoit point Poète, qu'il é- .tmilius
toit mauvais Médecin Ôc mauvais Verliû- M^^cer.
cateur.
PROPERCE,
Sext. Aurel. Prop. fous Aiigufte , natif de
Bcvag'/îa en Omhrïe , mort après Virgile
& devant Horace au fentiment de quel-
ques-uns.
II p. IWT Ous avons de ce Poëtequatre piopcrcc,
x\| Livres d'Elégies qui nous
font connoître qu'il ne le faifoît pas gran-
de violence pour réiîllcr à fes pallions ,
c'eft ce qui a fait dire au Père Briet (7)
qu'on doit le confidérer plutôt comme un
bon Poète que comme un honnête hom-
me.
Jules Scaliger témoigne (8) qu'il a l'air
aifé,
d'AtrocIcn aient été réimprimes dans les oiiatrc édi-
tions ici marquées, pûfterieiires à celle de Fribourg,
Celle de Francfort qui liu/it ta 1540 parut avec les
Commentaires de Cornarius 11 ell bon toucunt
ce taux Alacer de voir Saumaile dans la pref.îce fur
fes Homonyyna. lj)lei ïitrri, * , & Jean \lbeit Fabrice 1,
4. de fa Biblioth. Latine c, 12. n. 7.
4. Ap. Jo. AntoniJ. Vander Lindem de Script. Mc-
dic. 5c Voir, ut luprà.
5. Ovid. lib. 4. de Triftib. elcgiaia. Idem Jib.2,
de Ponto eleg. lo.
6. jul. Cx\. Scaliger Hypcrcritic. (c ' lib. «^. Poe-
tices pag Siz.
Jofcph. Scaliger Aaimadverlioa nEueb. Chroni-
con pag, IS7.
7. riiiiiup. Biietius de Pocr. Latin. prxHx. Acutè
dicl. c^C.
8. Jul. Cicf. Scaliger Toétices Hypcrcric. lib. é,
cap. 7. pag. 854.
2î6 Poètes Latins.
f loperce. ^^^^ -> ^ beaucoup de naturel ; qu'il a fort
bien pris le Caratlére de l'Elégie. Il dit
-qu'il a beaucoup de netteté, quoique les
Critiquer ayent jugé le contraire, fous
prétexte qu'il n'aime pas les chofes com-
munes , & que quelques-uns l'ont accufé
d'aftèéter les grands mots pour foutenic
fes penfces. Mais cette dernière accufatioii
ne regarde que les derniers mots des vers
Pentamètres qu'on commençoit alors à
ne plus goûter dès qu'ils pailbient deux
fyllabes. Aulîi s'en corrigea- 1- il dans la
fuite par la coiifulion (i) qu'il eut de voir
Ovide & Tibulie fes amis réuiïir mieux
que lui dans cette pratique qui étoit à la
mode & au goût de ce fîécle.
Le même Critique ajoute que ce qu'il
y a de (ingulier dans Propcice, c'elî le mé-
lange des Fables qu'il a employées en tou-
tes rencontres dans fes vers, parce qu'ef-
feclivement la Fable eft l'ame de laPoëlie,
& qu'il fuivoit en cela le confeîl que la cé-
lèbre Corinne avoit donné à Pindâre.
C'ett par cet endroit que Voffius cdi"
moit (2) que Properce a l'avantage fur Ti-
bulie, parce que les Fables & les traits de
i'Hidoire même fervent beaucoup à rem-
plir & à foutenir fes Elégies. Le P. Va-
vaiTeur a fait aufli la même remarque (3),
à. iï ajoute que Timitation des Grecs l'a
ren-
1. ^. Ce qne Jule Scaliget a dit avec un peut-êtrcy
Baillet le dit affirmativement.
3. Gérard Joau. Voflîus inftitution. Poëticar.lib.
3. pag. 55.
V 5. f lanc. VavaiT. libr. de Lu4icra diftion. p. 1S7.
Poètes Latins. 217
rendu plus favant. En effet il paflbit pour propcrcc.
un homme de beaucoup d'érudition parmi
le grand nombre des Poètes de ion liécle.
Barrhîus même a prétendu (4) que dans
toute l'Antiquité on n'avoit point vu avant
Properce un Ecrivain qui eût, pour me fer-
vir de Tes termes, une dodrine plus douce
ni une douceur plus do6te que ce Poète. Il
ditqucplusonlitcer Auteur plus on fe trou-
ve engagé à l'aimer, que pourvu qu'on puifïc
obtenir de foi-même aiïcs de patience pour
ne point fe rebuter d'abord de ce qui paroît
obfcur^on trouvera infailliblement dans fa
le61uredes beautés qui doivent être d'autant
plus agréables qu'elles lui font naturelles.
Enfin Properce, félon Jofeph Scalî-
gcr (5), eft un Auteur trcs-cloquent, &
a'un llvle très-châtic & trcs-pur; & félon
le P. ■[<apîn, il a de la noblclfe & de l'élé-
vation dans fes Elégies (6). Mais avec
tous ces avantages, nous n'offrions pas
dire que c'ell ufi Ouvrage qui mérite d'être
lu par ceux à qui les maximes du Chriliia-
nifme & celles même de l'honnêteté hu-
maine apprennent qu'on doit préférer la
pureté des moeurs à celle du langage.
* Voycs Art. 1 ifi. *
[La meilleure Edition de ce Pocteeft cel-
le de Mr.Broeckhu\fe,dont voici le titre:
Scx. Aur. Propertit Rle^iarum Lih. l^ , Ac*
ced:mt Nota Zîf terni Ind-xes. Amft. in - 4.
1702. Add. del'Ed. d'Amfl.] HO-
4. Gafpar Barthius Adverfatiorum lib. p. cap. 10.
' initio col. 431,
5. loleph. Scaliger. in pr'misScaligeranis pag. 47,
. 6. Rcn. Rapin,Refiex. particul. lui U Poctii^. î,
.part.Refl. 29,
TomAlLPartJL K
2i8 Poètes Latins.
HORACE,
{Quttit. Hor. Flaccus) natif de Vemfe ^ qui
eft maintenant dans la Bafilkate au
Royaume de Napks. Mort à Rome la
troiliéme année de la 192,. Olympiade,
Tan 744. de la Ville, dix ans devant,
notre Époque, & fix devant la NailTaii-^
ce de Jefus-Chrill, neuf ans après Vir-
gile, fous le Confalat de Quintus Fa-
bius Max i mu s Africanus & de Julius
Antonius, âgé de yo. ans, félon fiint
Jérôme (i), ou plutôt de 57. félon tous
les bons Chronologiftes. C'étoit félon
Scaliger Tannée du Gonfulat deMarcius
Cenforinus & d'Afinius Gallus , deux
ans depuis cet^te première datte, quoi-
qu'il prétende avec raifon que Suétone
a eu tort de donner cinquante-neuf ans
de vie à Horace.
Horace. ^^5"^ T xOrace a excellé en deux genres
JlI de Poëfics fort ditférens , lavoir
le Lyrique, & le Satirique. Dans le pre-
mier genre nous avons cinq Livres d'O-
des ;
— T'î!) 11' ». - » 1 1 •
T. ^''Lcs éditions communes de la Chroniqnc
i'Eufebe traduite 8c augmentée par S. Jérôme por-
tent tuutes qu'Horace mourut en la 57. année de Ton
âge. L'édition de Scaliger porte que ce fut en la
50., mais quoiqu'il y aii tout au long </K';i^«£t:f .7770
rfM'i t'ud anno, Scaliger dans les Animadverfions ne
JailTc pas, rapportant ce texte, de lire, fans mar-
quer y avoir fait aucun changement, qutn'jungifim^
2. Refeiectç Jof. ScaJig. inprimis Scalig. pag pr.
3. fl.
Poètes Latins. 219
des; & dans le fécond nous avons deux Horace,
Livres de Satires , deux d'Epitres , parmi
lefquelles nous comprenons l'Art Poëti^
que dont nous avons parle' ailleurs.
Mais avant que de rapporter en particu-
lier les jugemens divers que les principaux
Critiques ont porte's premièrement fur les
Odes, & enfuite fur les Satires, il eft bon
de dire quelque chofe de ce qui regarde
les unes & les autres en commun, & de
ce qui fe peut attribuer généralement à
tous fes Ouvrages pour nous faire connoî-
tre le caradére & les mœurs du Poète, &
fa manière d'écrire, fans nous attacher à
des méthodes trop fcrupuleufes.
§. I. *
'Jugemens généraux àes manières çj des
Çentimens d^ Horace.
I/Empcreur Augufte au rapport de Jo-
feph Scaliger (i) , difoit qu'Horace étoit
un Auteur fort corred (3) en tout ce qu'il
difo t & en tout ce qu'il écrivoit, & qu'il
avoit l'efprit fort juile.
Pour
3. %. On ne trouve nulle part qu'Augufte ait dit
qu'Horace etoit un Auteur tort correfi. 11 y a feu-
lement lieu de juger qu'il le cro)oic tel , parce qu'il
en goutoiî fort les Ouvrages, & c'eft ainli que doit
être explique l'endroit du Prima Scaligerjna, eu il
eft dit Horurius emenditijfimus itf.cfor , ur dni^Ar ^rnrus-
ttts. Scaliger fc fondoit fur ce que Suétone rappor-
te dans la Vie d'Horace, touchant i'ei\ime qu'Au-
gufte faifoit des Ecrits de ce Foctc. Strif.a qHÏdtm
tjHi HpjMt adto Pnbayit f &c.
K a
220 Poètes Latins.
Horace. Pour ce qui eft de fon ityle & de fa ma-
nière d'écrire, Erafme a jugé (i) qu*elle
n'avûic point Tair de Ciceroii. Mais quoi
que cela ne fût nullement néceflaire, on
peut dire qu'Horace avoit allés de cette hu-
meur agréable qu'on a remarqué dans Ci-
ceron (2' pour dire de bons mots ; & que
cet air enjoué & railleur, qui a paru dans
l'un & dans l'autre , étoit peut-ctre aulîî
femblable dan^ fon principe&danï>fa four-
ce qu'il a dû être ditrcrent dans Tes etîets,
autant que le Cara61:cre du Poète elt diffé-
rent de celui de l'Orateur.
Son llyle a par tout autant de pureté
qu'il en paroît peu dans fes mœurs (3),
dont il n'a pu s'empêcher de nous raire
voir la corruption , n'ayant pas incmc r'ait
fcrupule de vouloir la communiquer à fe^
Lecleurs.
Un Auteur fort connu de nos lours pré-
tend (4) qu'il y a une maiigniié & un air
d'imipudcnce répandu dans les Ouvrages ,
qu^il n'y a point d'homme d'honneur qui
voulût lui être femblable en ce point, de
que s'il a voulu donner cette ''dée de lui-
même, il a péché contre la vraie Rhétori-
que auffi bien que contre la vraie Morale.
Pour ce qui eft de fes fentimcns Mr.
Blon-
1. Eiafin. in Dialog. Ciccronian. p. 147. edit, Ba-
tav. in 12.
2. Macrob. in Saturnalib. poft exam. lib. Virg.
jEaeïd.
3. Olaiis Rorrich. Diflertar. de Poët. Lat pag. 50.
4. r. Nicole, Trait, de l'hduc. du Prince part. 2,
5. 38. pag 6).
$. Franc. Blondel,f3oînpar. dcPindaïc Ôc d'-Hoia-
ce
Poètes Latins. 221
Blondel tcmoi^tic (f) qu'il n'avoit pas de Horace.
pictc, que comme il le vancoit d'être Epi-
curien, il te mnquoit allés ouvertement
de fes Dieux , ôc que l'on trouve un ca-
ra6lcre d'impiété marqué en plulieurs en-
droits de les Ouvrages. Quoi qu'il parlât
comme le Vulgaire , on peut dire qu'il
n'en avoit ni la Rtligion ni la créance, &
qu'il a fait ailes paroître qu'il n'étoit point
perfuadé de réxiltence ni du pouvoir de fes
Dieux. Autfi ne leur rendoit-il pas grand
culte, & il témoigne lui- même qu'il étoit
fort peu attaché à leur fervice , & qu'il
fréquentoit peu 'enrs Temples. C'eft ce
q 'il nous apprend dans quelques unes de
fes Odes (6). Et lorfqu'il a voulu nous
faire croire qu'il avoit été touché de la
crainte des Dieux <ît qu'il vouloit revenir
de fon impiété , il traite les caufes de cet-
te converlion prétendue d'une manière li
boutîbnne, dit Mr. Blondel, qu'il n'y a
perfonne qui ne connoille qu'il ne parle
pas comme il penfe.
Mais au reile^ tout le monde convient
que fa Morale ell admirable, & la beauté
de fes fenîimens l'a tïit mettre au rang des
plus excellens d'entre les difciples de Pla-
ton (7). Ses Sentences font fréquentes,
mais
ce pag. 28. & fuivantes.
6. Horailus ipfe de Te 5 P.irit*s Dcorum cultar (x in-
frcqueiis y &Cc.
7. Louis ThomafTîn de la Méthode d'étudier &
d'enfeigiier Chrétien, les Poètes liv. i. paît. i. chap,
75, nonib. 2. pag. iç6.
Le niëme Auteur paile de l'excellence des Satires
d'Horace Su de laCenfure qu':l a faite des vices dans
le mcnic Ouviagc chap. 14. nomb. ;. pa^. 150, 151,
122 Poètes Latins.
Horace. ^^^^ elles font fi nobles, lijuftes, & pla-
cées fi à propos qu'on peut dire qu'elles
font tout rornement de fes Ouvrages, &
qu'elles font comme l'ame de fa Poéfie.
On voit qu'il s'eft attaché avec un foin par-
ticulier à faire les éloges de la vertu & des
perfonnes vertueufes , & qu'il a pris plaifir
d'abailler le vice & de tourner en ridicule
les perfonnes vicieufes. De forte que félon
Mr. Blondel , on ne trouvera peut-être
rien parmi les Ouvrages des Anciens qui
foit plus propre que ceux d'Horace pour
nous imprimer les fentimens de l'honnâ-
teté morale (i).
§. 2.
Jugemem fur les Odes d* Horace.
Quintilicn dit (2) qu'entre tous les Ly*
rîques Latins , il n'y a prefque qu'Horace
qui mérite d'être lu, qu'il a de l'élévation
de tems en tems, qu'il eft plein d'agrémens
& de beautés , & qu'il a^es figures & des
exprefilons fort hardies , mais en même
tems fort heureufes. Ce bonheur extraor-
dinaire avec lequel Horace fivoit exprimer
fa penfée a été remarqué aufîi par Pétro-
ne (3) qui le loue d'avoir inf^^ré fes Sen-
tences avec tant d'adreffe dans le corps de
fes
ï. Blondel, Compar. dcPindarc 8c d'Hoiacc pag.
7i. 7î. ôc fuivantcs,
2. Quintilian. Inftitut. Ocaroriar. lib. lo. cap. i.
3. Blondel , Conip. de findare Se d'Horace pag.
£tj, 28<f. bi. iuivaatcs, à l'occafioa de ces mots de
Poètes Latins. 223
fes pièces, que loin de paroître hors d'œu- Horace,'
vre elles font nccellaires & cfTenticlles aux
fujets pour Iclqnels il les employé.
Jules Scaliger dit (4) que toutes fes O-
des ont tant d'invention & de grâces, que
fa didion a tant de pureté , & que fes fi-
gures ont tant de variété & de tours nou-
veaux, qu'elles ne font pas feulement à
l'épreuve de la cenfure & du blâme des
Critiques, mais qu'elles font encore beau-
coup au deiFus de tous les éloges qu'on en
pourroit faire, ^ qu'elles font recomnian-
dablcs autant pour le flyle fublime qu'il
leur a donné que pour la douceur & la
fimplicité qui les accompagne.
Le même Autuir avoit déjà dit aupara-
vant (5-) qu'Horace eft le plus éxaél de
tous les Ecrivains Grecs & Latins, qu'il
n'y a rien de plus travaillé que fes V'ers
dans toute l'Antiquité , qu'ayant voulu
joindre la majeflé avec la belle cadence
dans fes Odes il en eft venu fort heureufc-
ment à bout, & que fi ces deux excellen-
tes qualités ne fe trouvent point dans fes
autres Ouvrages, il eit aifé de voir qu'il
ne les y a pas voulu employer, & qu'il
n'y a pourtant rien perdu de fa réputation ,
puifque c'eft plutôt par un effet de fon ju-
gement que de fon impuilfance qu'il les a
voulu dépouiller de ce double ornement. Il
a
Pctronc: ir Noratil chvio'a félicitas y qu'il cite néan-
moins dans une autre vue.
4. Jul. Cacf. Scalig. iiypeiciit. feu lib. 6. Pocticcs
pHg. 879. cap. 7.
s. Idem in Ciitico (eu lib. 5. roctic. cap. 7. pag,
6S9.
K4
224 Poètes Latins.
Koxacc. a préienda pourtant qu'Horace avoît bien
des duretés ; mais qu'elles fout cachées
dans les vers Lyriques fous diverfes beau-
tés comme fons de beaux habits, au lieu
que n'ayant rien dans fes autres Vers qui
les pu-He couvrir, elles choquent le mon-
de par leur difformité, il ajoute qu'on n'a
point raifon de dire qu'Horace en ces en-
droits ne fongeoit qu'à la pureté, parce
que cette qualité n'efl point incompatible
avec la douceur. Mais les Crîp'ques d'au-
jourd'hui confidérent ce dernier point coni-
me le fruit d'une imagination déréglée.
C'eft pourquoi rien ne nous doit empê-
cher de croire avec le Père Briet (i) & les
autres, qu'on n'a point encore vu perfoîi-
ne de ceux qui ont embrafTé le genre Lyrir
que, qui ait pu joindre Horace, & qu^on
trouve dans ce qu'il a fait une délîcatelïè
inimitable j une netteté & une polittfle de
langage incomparable, avec, l'idée ou la
forme de la Latinité la plus exîquife.
On ne peut pas lui conteftcr ce glorieux
avantage fur tous les Romains qui ayent
jamais écrit en vers Lyriques; (i) , puis-
qu'il eft le premier & le deriiier, & par
conféquent le feul & l'unique de fa lan-
gue dans tout ce grand Empire, félon le
Sieur RoPteau, qui femble n'avoir pas eu
grand tort d'en exclure Catulle (3}. Et
pour
1. Philip. Briet lib. z. de Poëtis Lat. pag. 22.prx-
fix. Acutè dift. Poër.
2. ^. Il y a, dans le 4. livre des Syives de Stace
deux odes 'j Tune Alcaïc]ue, l'autre Sapphique, les-
quelles au fentiment de Mi. Huec pa§. i66. de Tes
Qd-
Poètes Latin Si iif
pour ce qui regarde les Poctes Lyriques Houc*^
qui ont éclate dans l'état de plus floriffant
de la Grèce, je trouve la plupart des Cri«
tiques ailes dilpolcs à les fbûmettre à no-
tre Pocte Latin.
Horace , dit Mr. Godeau (4) , vaut
mieux tout feul que les trois principaux
Poètes Lyriques des Grecs, qui Ibnt Sap-
pho, Anacreon & PuKiare. Car quelque
grandj que Toit la délicatefTe des deux
premiers, elle n'a rien au deiFns de celle
d'Horace; & quand celui-ci confelfe que
Pindareelt au dtlîus de toute initation, il
a voulu faire voir la défiance où il étoit de
fes propres forces, & il croyoit devoir fuî-
vre l'opinion conuiiune pour tâcher de
gagner l'efprit de les Ledeurs par ce té-
moignage de fa modelliw
On ne peut point nier qu'il ne fe le foft
propofé comme un des nîodéles qu'il au-
roit pu fuivre, mais il ne s'eH point bor-
né a la mefure de ce Grec , il ne s'eft-
poiiit contenté de l'atttindre, en un mot
i"] ell devenu plus habile que lui. Ses ma-
nières font incomparablemen-t plus délica-
tes, fan llyle ell beaucoup plus poli, la
ftrudurc de les vers plus belle tSv les pen-
fces plus raiibnnables. Ce même Auteur
ajoute que toutes les richeffes de la Lan-
gue Latine éblouïiièut les yeux dans Cqs>
Ou-
Origines de Caen, font des chef-d*œuvres.
3. Rofte-au Sentim. ûir quelques Aurcurs partku*'
lieis MS pati. 4S
4. Ant. Godeau Evêq.ue de Vence , Difcours fut lc5>
Oeuvj:«s de Malhcxbe.
226 Poètes Latins.
Hohce, Ouvrages ; que toutes les délicatefles y
chatouillent les oreilles, & que nous n'a-
vons point de fource qui foit plus pure &
plus abondante en même tems.
Le P. Rapin femble avoir été dans le
même fentimeut que ce Prélat pour la
comparaifon qu'on peut faire d'Horace a-
vec les Lyriques Grecs (i). Il dit qu'Ho-
^ race dans les Odes a trouvé l'art de joindre
toute la force ce l'élévation de Pindare,
à toute la douceur & la dclicatefTe d'Ana-
creon, pour fe faire un caradére nouveau
en réuniffant les perfe6lions des deux au-
tres. Car outre qu'il avoit l'cfprit naturel-
lement agréable, il l'avoit aulTi grand, fo-
lide, & élevé ; de forte qu'il faut être plus
que médiocrement éclairé & pénétrant
pour voir tout cet efprit dans fon éten-
due, & pour pouvoir découvrir toutes les
grâces fecrettcs, dont il femble avoir vou-
lu ôter la connoiflance au commun de fes
Leéleurs.
Mais il n'y a perfonne de ces anciens
Lyriques de la Grèce avec qui on ait pris
tant de plaifir de le comparer qu'avec Pin-
dare. Jules Scaliger malgré fon averfion
qui lui donnoit un mauvais goût pour lui,
reconnoît que la comparaifon ell jufte. il
"eft obligé d'iivoutr même (2) qu'Horace
efl beaucoup plus éxad que Pindare, que
ks
T. René R!»pin, Reflex. partkul. fur la Poétique,
|>ag. 2 Reflex xxx.
z. Jul. Cxf. Scalig. lib. tf.Foëtic. ut fup. pag. S79,
j. <^. Scaiigei a imic^uemcut lemaiç^ué ie ficquent
Poètes Latins, iiy
les fcntences en font p'us belles & plus Horactf,
fréquentes; quM ne fe donne point tant
de licence; que s'il témoigne de la hardief-
fe, il a foin de ne point blefler le refpeél
qu'il doit à ^on Ledleur , & qu'il n'ell
point gcné dans cet air de grandeur qu'il a
donné à Tes cxprefïions pour attirer fur lui
nos applaudiilemens & notre admiration.
Il ajoute pour achever ^o\\ éloge qu'il n'y
a rien de lâche ni rien de defuni dans tout
ce qu'il a fait, que tout y ell: (i ferré & fî
naturellement lié, qu'il femble que totit
foit d'une p;cce. Voilà ce que ce Critique
a crû pouvoir dire à l'avantage d'Hora-
ce, mais fi on l'eu veut croire, il a di-
minué le prix de toutes ces bonnes quali-
tés par les fréquentes répétitions d'un mê-
me fujet , par quelques façons de parler
q-ui paroilTent trop dures, & par l'emploi
de fes adje£l fs en ofus (3) qu'il prétendoit
mettre en uliige, mais qui ne pouvoient
fervir qu'à dégoûter & à rebuter le Lee»
teur.
Mr. Blondel qui a entrepris de faire le
Parallèle d'Horace avec Pindare plus par-
ticulièrement que les autres, & qui en a
fait un Traité iingulicr, nous apprend que
le Poète Latin ne cède point au Grec pour
la fécondité & la fubl imité de fes inven-
tions, la richelle & la hardielîe de fes ex-
pref-
ufagc des adjeftifs en o^hs dans Horace, fans en ti-
icr contre lu" aucune mnuv.;ire conlequence , tant
pa.ce que ces m^ts fo'it d'eux mcmes tiès Latins »
que paice qn'ils ne font employé* qu'à uac ioBgac
diflancc la plûpaxt les uns des aucxcs.
K 6
2.28 Poètes L a t i k, s^
Horace.. prefOons , mais que la diction eft plus châ»
liée & plus pure dans Horace que daas^
Pindare (i). Cet Auteur a remarqué enco-
re dans la lliite de fon Traité qu'Horace a-
bien piAis d'étendue, de ûvoir & de con-
noilîliaces que Findare, qu'il a plus d'é-
galité , plus de douceur , plus d'enjou-
mens (2,) , & beaucoup moins de fau-
tes (3).
Il en efl donc d Horace comme de Vir-
gile à l'égard des anciens Poètes qui les
ont précédé. Ils ont l'un & Tauue perfec-
tionné ce qu'ils ont pu prendre dans ces
Auteurs & qu'il-s ont pu convertir à leur
ufage, de forte qu'on peut dire qu'ils ont
fait plus d'honneur à ces Anciens qu'ils
D'en ont retiré d'utilité. On peut juger,
néanmoins qu'Horace a été. plus fcrupu-
leux ou plutôt plus indiiterent que Virgile
pour chercher à protiter des lumières de
CQS Anciens, & que loin de vouloir fe
rendre fufpcd d'avoir jamais été Plagiai-
re, il ne pouvoir même fou fi rir ceux qui'
faifo'ent profefTion d'imiter les autres, <Sc
traîtoit ces imitateurs f^ammaux efcia'
Tes (4J. C'ell pourquoi quelques-uns ont
pris pour une plaifanterie de Rodomont
(5) la penfée qu'a eue Scaligei le Père de
dire
r. Franc. Blonde! ,CompîW. de Pindare & d'Hora-
ce pag. 248. & fui vantes.
2. il. En'ioument auroit été mieux au fingulier.
3> Le irême pag. 283. 284 &c.
4. HoTot 'pfe: O /mtiiicrfs ffr Km pertis. ^
S.% Upoujro ry avoir plutôt delà malignité' dans
icite genfte ^ue de laiodomontadc , paice qu'en
JlCii!
I
Poètes Latins. 229
dire (6) que ii nous avions tous les Ou- Horace,
vragcs que les anciens Poètes Grecs ont
faits duns le genre Lyrique, on auroit plus
de lieu de remarquer un grand nombre des
larcins d'Horace.
Pour ce qui eft des fcntimens du Pocte
dans (es Odes, on pourroit s'en iniiruire
fur ce que j'ai dcja rapporte de fa Morale
en général. Lasvinus Torrentius Evcque
d'Anvers dit de fes Ouvr;iges Lyriques en
particulier (7) que ce ne font point des
dîfputes lubtiles, nf des raifonnemens trop
étudies, mais que c'ell tout ce qu'on peut
fouhaiter d'un homme Païen très-bien ins-
tru't des maximes de la Morale, & des
devoirs de la vie de l'homme; qu'on ne
peut rfen imaginer de mieux penfé & de
mieux dit fur la manfére de mener une vfe
honnête , tranquile & heureufe ; qu'on
peut dire que c'eft une Philofophîe dont
les préceptes font tirés des exemples de
Poètes & d'Hilloriens, & du train ordi-
naire de la vie & de la focieté civile. Et
Mr. Rortcau (8)enime que perfonne d'en-
tre les x'^ncfens n'a loué avec tant d'orne-
mens qu'il a fait dans fes Odes la Juftice,
la Fidélité, la Continence, la ModeQie,la
Patience dans la pauvreté"^ dans les af-
flic.
nous donnant lieu de croire qu'Horace, n'eft pas ori-
ginal , on rahaiffe d'îiuranr fon mérite. Voyés la
24J Epitre de Scaliger le fils.
6. Scalig. in Critic. feu Jib. ç. Poët. c. 7. pag. «jp.
7. Lacvin. Toncnr. Prïfat. Coramenraiior. in Ho-
rat.
8. Rofteau pag. 48. parmi Ces Sentira, fui les A«^
Muts q^u'il a lus, V. ci'dcfl'us.
230 Poètes Latins.
Horace. Aidions , & le mépris de toutes les chofes
périlTables de ce Monde : & que perfonne
n'a blâmé davantage , ni plus agréable-
ment perfécutc les vices oppofés à ces ver-
tus.
C'eft toujours grand dommage qu'une
partie de tant de belles maximes n'ait pu fe
garantir (1) de la corruption du cœur de
leur Auteur.
§•3-
'Jugemens fur les Satires d'Horace,
Les Romains fe font attribués tout
f honneur de la Satire fans en avoir obli-
gation aux Grecs , de qui ils reconnoif-
foient avoir reçu les Arts h les Sciences.
LuciliuS fut le premier dans Rome qui y
acquit quelque réputation. Mais Horace
étant venu après lui Teffaça prefque entiè-
rement & témoigna moi': s d'aigreur que
lui. Il eft aufli beaucoup plus net & plus
poli félon Quintilien {^) qui ajoute qu'Ho-
race eft admirable quand il s'agit dépein-
dre les mœurs
Mr. Defpreaux femblc n'avoir pas vou-
lu exclure l'aigreur du caraftcre Satir-que
d'Ho-
ï. ^. Peut-être a t-il voulu dire n^dt pu garantir dt
CtrrHpt'"» le taur de leur ^A.tlttir.
2. Blond, pag. 240. 241 de la Comp. de Pindarc
& d'Horace, Q.uintil. lo. ijftit. i.
3. Boil. Delp. Chant 2. de l'Art lootique, Vex$
J5».
4. Pciiiua Satiia i. ilc habet;
Poètes Latins. 231
d'Horace, & dire qu'il s'eft contenté d'à- Horace'
jouter à celle de Lucil'us ce qui pouvoit
lui manquer pour la perfcdionner & pour
la rendre plus agréable & plus utile (3).
Horace à cette aigreur mêla fonenjoument.
On ne fut plus ni fat, ni fot impunément.
Perfe qui dtoît de la même profcfTion
que lui femble dire (4) que toute l'adrefTe
& le grand art d'Horace confifle à toucher
les dctauts des autres d'une manière déli-
cate, agréable, qui divertit & qui tait rire
même ceux qui ont quelque part à la Sa-
tire, & à fe moquer li fpîrituellement de
fes Spedateurs ou de fes Ledeurs, qu'il
les porte à fe mocquer d'eux-mêmes fans
s'en appercevoir.
AulTi le P. Rapîn a-t-il bien fu remar-
quer que la délicateffe & l'adrefTe à repren-
dre finement ell le vrai caradére d'Hora-
ce is)- Ce n'étoit , dit -il, qu'en badi-
nant qu'il exerçoit la cenfure. Car il fa-
voit très-bien que l'enjoument d'efprît a
plus d'effet que les railbns les plus fortes
& les difcours les plus fententieux pour
rendre le vice ridicule.
Dom Lancelot dit (6) que cette manière
fim-
Omne vafer vitium ridtnti FUccus ^mico ,
TAngit i ir admijfus ciïcurn orxcordia ludit ,
Catlidus ercitTo Ptpulitm ftifpenife na;'a
5. Ken. Rupin, Reflex. xxviii. fur la Poct. fé-
conde partie.
6. Lancel. Nouvel. Meth. Lit. Tiaiu dclaloëiit
tat. pag. »77. chap. 4. n, ^
232. Poètes Latins.
Horace. limple & balle en apparence, telle qu'elle
paroît dans Horace, eil prefque au delà de
toute imitation ; & que ceux qui prêtèrent
les Satires de Juvenal à celles de ce Poète,
témoignent avoir peu de goût du bel air
d'écrire , & ne diicerner pas ailé^i l'élo-
quence d'avec le (lyle des Déclamateurs.
Une feule Fable que conte Horace, com-
me celle du Rat de Ville 6c du Rat deCam-^
pagne, celle de la Grenouille & du Bœut\
celle du Rcnara & de la Belette, a plus de
grâce que Tes endroits de juvenal les plus
étudiés. Il n'y a rien aulfi de plus ingé-
nieux , félon cet Auteur, que les petits
Dialogues qu'il entremêle dans Tes dis-
cours fans en avertir fon Ltdeur par des
inquam ou des inquït , comme fi c'étoit
dans une Comédie.
Mais ce qu'il y a particulièrement d'ad-
mirable e(i l'image qu'il fait par tout de
l'hmntur des hommes, de leurs palîions
& de leurs folies, fans s^épargner lui- mê-
me, C'eil ce qu'a remarqué aufîi Mr.
Blondel (i) lorfqu'il dit que l'ingénuité
d'Horace & l'aveu li franc & li naïf <.]u'il
fait de fes propres défauts dans fes Satires
raviflent fon Le^leur aulfi bien que la jus--
teffe de fon lens qui régne prefque partout,
& qui empêche que fon caradtére railleur
ne tombe dans le genre bouffon.
Dom
T. Blondel pag. 7i, 73. de la Compar. de Plndaïc
&- Horace.
2. Ger. Joan, Voiïîus, loftitution. Foetic. lib. 3.
pag. 41. 4Z. &c.
Ant. Godeau, Hiftoiic de l'Eâ^ifc à- U fia d*
çrciniej: ûécle^
Poètes Latins. 233
Dom Lancelot n'ell pas le fcul qui ait Horace.
j..^6 Horace prcterable à Juvenal, c'a tté
qicore le femiment de Voflîus , de Mr.
Gudeau (2), & de divers autrey Criti^^ues,
comme iioub le verrons ailleurs; & Ton
jpçut dire que le Public s'accommode à leur
goût d'un confcnteirient qui paroît afTcs
géne'ral , parce que bien qu'Horace ne foit
pas moins mordant que Juvenal, & que Ton
fel ne ibit gucrcs moins acre , on aime
mieux, le voir mordre en riant, & picquer
avec Tes plaifanteries à. les agrcmens, que
de voir Juvenal faire la même chote en co-
lère & toujours dans fou fcrieux.
C'ell pourquoi ces Critiques ont eu rai-
fon de fj mocquer de Jules Scaliger, lors-
qu'il a prétendu faire pafTer pour des fots
& pour des bêtes ceux qui ont ofé dire
qu'Horace efl: proprement le feul qui ait
connu parfaitement la Nature & le vérita-
ble Caradcre de la Satire (3), & que Ju-
venal a plutôt l'air d'un Déclamateur que
d'un Pocte Satirique. 11 foutîent que Ju-
venal a beaucoup mieux répondu qu'Ho-
race, à l'inftitut & à la fin de la Satire;
qu'il y a dans celui-là des pointes & des
rencontres plus fines cSc plus ingénicufes
que toutes celles qu'on trouve dans celui-
ci: que cette Urbanité & ces agrémens
.qu'on loue tant dans Horace , n'ont pas
le
3. Jul. Cxf. Scalig. in Hypetc. feu lib. 6. Toct.
cap. 7. pyg S67 ôc f^q. Item' p. ?7i 2< Teq. lidit
aux pages &76. 877. que le liyle des Epitres d'Hora-
ce ell plu< net que celui de les Satires, 2c qu'elles
Qnt plus de douceur, d'eleg^nce, d'agrément ôc de
Ë:i niëmc
234 Poètes Latins.
Hoxacc le goût fi relevé que ceux de Juvenaî.
Il ajoute que ce qu'il y a de bien agrca*
ble dans Horace, ce Ibnt ces petites Fa'
blés & ces plaifans Apologues, mais que
cela ne nous donne point envie de rire;
qu'Horace efl: autant inférieur à Juvenal
que Lucilius efl: inférieur à Horace ; en un
mot, que fi l'on coufidére la variété des
fujets , radrelfe & l'artifice dans la maniè-
re de traiter les chofes, la fécondité de
l'invention -, la multitude des Sentences,
la force & la véhémence de la cenfure, la
véritable Urbanité , & l'agrément même
des plaifanteries , Juvenal doit l'emporter
fur Horace.
Il accufe ce dernier d'avoir fort mal pra-
tiqué cette fimplicité qu'il a tant recom-
mandée aux autres, & que de quelque gen-
re que foient les matières qu'il embrafTe,
il n'a pu s'empêcher de les traiter toutes
d'une manière Satirique, tant il étoit peu
Maître de fon génie & de fes inclinations.
C'efl ce qu'il a tâché de faire voir dans u-
ne longue dédudion de divers endroits,
où l'on a crû trouver quelque air de ma-
ligni é ou une envie fecrctte de chicaner.
Au refi-e les Satires d'Horace, parmi les-
quelles on comprend auffi fes Epirres, ne
font pas d'un ftyle û élevé que fes Odes,
il femble au contraire qu'il ait afFeélé de
le
1. Horat. de (e ipfo: Exlmuantis eaj confulte.
Franc. Blondel, Comp. de Piud. ôc d'Hor. pag,
250. zst.
2. Nouvell*; Méthode pour la Lang, Lat. Tr. delà
Pocf. Lat. comme ci- dcflus.
Poètes Latins. 235*
le rabaiiFer, & d'en diminuer la force ex- Hojacc,
près , pour faire voir que ce n'efl point fur
de grands mots ni fur des exprelTions fu-
perbes qu'il vouloit élever fes penfées,
comme ont fait fouvent les autres Satiri-
ques , félon la remarque de iVIr. Blon*
del (i).
Quelques-uns ont pris fujet de cette
bafTefTe aifedée ou plutôt de cette fimpli-
citc naturelle, pour tâcher de diminuer le
prix de ces Satires & de ces Epitres : mais
Dom Lancelot prétend (2) que c'eft par un
effet de leur mauvais goût qu'ils en ufent
de la forte, s'ils ont crû devoir trouver
dans ces Pièces d'Horace la majeflé & la
cadence des vers héroïques comme dans
Virgile; ou par une fuite de leur ignoran-
ce , ne fâchant pas qu'Horace a fait ainfi
fes vers à delTein pour les rendre plus fem-
blables à des difcours en profe, comme il
nous en a averti lui-même (3), lorfqu'il a
bien voulu fe retrancher de la Compagnie
des véritables Poètes , «St donner l'exclu-
fîon de la Poèlie à fes Satires & à fesE-
pîtres.
C'eft une négligence étudiée qui eft ac-
compagnée de tant de grâces & d'une fi
grande pureté de H y le, qu'elle n'efl gué-
res moins admirable en fon genre que la
gravite de Virgile. C'cll aulîi la penfée de
plu-
3. Horat. lib. i. Satir. 4. hxc habct:
Prinium ego me illorum dedcrim quiLus ejjc Poêtas
ExctrpAm numéro j necjHe eftim concludere verfum
Dixeris ejje falit : nequt fi (jm's fcrihat , uti no.' ,
Sirmofii fropiora , put a hune ejfe PociAm.
236 Poètes Latins.
Hora«è. plulieurs autres Critiques, & particulière-
ment de Grotius (i) & du Bibliographe
Allemand (2), qui jugent qu'il n'y a rien
de plus utile, fur tout pour les jeunes
■gens , que cet air négligé & naturel ac-
compagné d-e cette pureté originale de la
Langue.
Mais Scaliger le Père a prétendu fe fî-
gnaler en fe diflinguant des autres par l'a
îingularité de fon fentiment. Il femble
qu'il ait voulu vanter Lucilius, dont Ho-
race avoit dit que les vers entraînoicnt de
la boue en coulant, & diîe qu'il n'appar-
tenoît point à Horace de p-rler li mal
•de Lucilius , puifque lui*méme elt encore
plus défe61:ueux , 6r qu'il n'eft pas même
coulant en la manière qu'il l'a reconnu de
Lucilius (3). Si Ton veut fuivre cette
penfée , on fera naturellement engagé à
croTC que c'ett donc la boue" qui empêche
le ftyle d'Horace de couler, comm.e fait
celui de Lucilius nonobflant le même
obflacle ; cependant le même Scaliger ,
avoit reconnu auparavant dans les Sati-
res d'Horace une grande pureté de flyle,
jufqu'à prétendre que la trop grande atfec-
tation pour cette pureté Jui a fait perdre la
douceur qui efl: une des meilleures quali-
tés qu'on puilFe donner à fon ftyle. Ce
qui nous fait voir que ce grand homm^e
s'oublioit quelquefois lui-même, & que
s'il falloit avoir égard à un jugement qui
pa-
1. Hugo Grotiu» Epift. ad Benj. Auberium Mau-
rcr. poft. G:ibi.NaiidaciBibl!Ograp. Pocticam pag. 134..
2. Anon/m. Bibiiogt. Cur. Hiftcr. PhiiologiCv
pag. âz.
Poètes Latins. 237
paroît n peu équitable, ce feroit pour di- Horace'
minuer quelque choie de fa réputation
plutôt que de celle d'Horace.
Eutin pour achever de peindre le carac-
tère du iiyle des Satires d'Horace, on peut
dire avec MelTieurs de Lefplick qui dres-
fent les Ades des Savans (4), que parmi
les trois principaux Satiriques de 1 Antiqui-
té dont nous avons quelque chofe d'en-
tier, celui-ci tient le milieu entre les ex-
trémités des deux autres, c'eft-à-dire -en-
tre les inveélivcs de Juvenal, qui par leur
étendue font paroîire un air de Déclama-
tion , & la breveté obfcure & difficile de ■
Perle. Ainli on a lieu de conclure, com-
me ils font,qu'H^>race ne règne pas moins
fur tous les poètes Satiriques que fur les
Lyriques Latins.
* 2- i^^ratii Flacci Opéra , cum Com'
ment D:on, Lamhini ^ vif or h. n in-tbl,
Pii i . 1604 lJe/'/2 cii/i Com..:ent.
Dion. Lamh.ni in-4. Venet. l^^S' — idem
cum Cn nment. Cr i-iu-t ^ brwc. Douf^e
in 4 Lugd-Bar. 1^97. — — — lie,-?! cumpa-
raùhrafi Eiiharod Lnhi/ii in-4. ^^'ioch.
1^99. -- Idem C't-nrnentdte da Gw. Fahri'.
ni du Figb ne \\\- 4^.1^6 net. irSl. I5'99 — -^
Liem cum Com.'ne^t. Lct'Vint Tor^'e/iùi ., ^|
Peiri Njmii't in Artem Poêticarn in-4. ^nî-*
Ticrp. 1608 — Idera cum h;dice ihjnsi
T're^-eri .^ in-8. Antuerp. \^1^. l.icm
è "Typogr. regia in-fol. 1642. Cum
Corn-
3. S^aligcri Poëtic. lib. 6. Hypercritic. p. 867- Sec.
4. \:ta Eriiditor. Liptienf. lueaf. Junii ann, ié»^.
!om. 3pag. z6i.
Hortcc.
23S Poètes Latins.
Comment. Landini in -fol. Florent. 1^82^
■ ■■■ I-dem cum Not'is Rtcharât Bentleii
in-4. Cantabrhice 171 1. \^i^ Amiîel. 1713.
cum Indice Th. Treteri omnibus Editiom'
bus accommodato a Dan, Aveman , auclo i^
emendato ab If. J/'erburgîo,~\
TIBULLE (ALBIUS)
Né la même ann^e qu'Ovide, fous leCon-
fuht d'Hirtius & Panfa, l'an de la Vil-
le 711. le 2. de la 184. Olympiade, mort
devant Ovide.
Tibulle. 115-2.
TIbulle peut être lu hardiment
par ceux que Dieu a confir*^
mes dans l'infenfibilité de leurs paflions.
Ceux qui ne peuvent ou qui ne doivent
pas le lire, fe contenteront peut-être de fa-
voîr que fes quatre Livres d'Elégies , non-
obftant leur impureté , ne lailTent pas d'ê-
tre écrits dans un ilyle très-pur, très-ner,
& très-poli , au fentiment de Jofeph Sca-
liger (1) & du P. Brîet(2). On prétend
même qu'il n'y a perfonne parmi tous les
Poètes Latins qui l'ait furpafTé dans le
genre Elcgiaque^ & que perfonne n'a é-
crit avec plus d'efprit, de tendrelTe & d'é-
légance , comme le témoigne le Sieur
Rofleau (3).
Jules Scaliger le trouve prefque unifor-
me par tout (4) ; il dit que jamais il ne
s'ou*
1. Jof. Scalig.ia primis Scalig. pag. 47. cdit.Gro-
Ring.
2. Philipp. Briet. lib 2. dcFoct. Lat. pag. 25. prîc-
fix. Acutè didis 6cc.
I* KoAeau,Seutim. fui quelques Livres pag. 4;, MSS«
Poètes Latins. 239
s'oublie & ne fe quitte foi-même, & qu'on Tibullc.
ne le voit point démentir fon caradcre;
qu'il donne toujours un même tour aux
chofes , & qu'il ne diverfifie prefque pas
fes matières; mais qu'au refte c'eft le plus
châtié & le plus limé de tous ceux qui fe
font (îgnalés dans le mcme genre d'écrire.
Il ajoute que Tufage trop troquent qu'il
fait des Infinitifs de cinq fylhbes au tems
palfé , e(l quelque chofed*ailës dégoûtant, &
qu'il y a des endroits où il ne fe foutient
point aflcs, & où il n'eft point afles ferré.
Son quatrième Livre n'eft compofé que
du Panégyrique de Meflala & de quelques
Epigrammes. Le même Scaliger que je
viens d'alléguer dit, que ces Epigrammes
font dures, langulifantes & defagréables ,
& que le i oeme qu'il a fait à la louange
de Meffala paroît fi négligé, f] rampant,
fi dénué de vigueur, & de Ion harmonie
ordinaire, qu'il e(l aifé déjuger que c'eft
le fruit d'une précipitation trop grande ,
qu'il n'y a que la première chaleur de fon
imagination qui ait pu produire cette pié-
: ce , qu'elle eft devenue publique devant
I qu'il l'eut achevée, & fans qu'il fe fût don-
né le loifir de la revoir.
C'ert ce qui a fait dire au P. Rapin (5) ,
que Tibul'e étant d'ailleurs fi éxaét, ii é-
légant & i] poli dans fes Elégies, ne le pa-
roît pas beaucoup dans ce Panégyrique de
Meffa'a. * Joa?7,
4. Jul. Cxf. Scalig. lib. 6'. Poët. feu Hypercritic,
pag. «6j.
5. Ren. Rapin, Refl. fut la Poct. fccendc partie
Refl. XIV. U Rcfl. XIX,
Tibullc.
Ovide.
240 Poètes Latins.
* yoan.PaJferat'itCommentarit in C, Val.
Catîilium , Aibmm Tihullum cT Sex. Aur, ,
Propertiurn in-fol. Parif. 1608. C.
FaLCatulli, Alhii Ttbulli.Sex. Aur. Pro-.
fertii Opéra omnia^ cum variorum Uodio"^
rum Vtrorum Comment. Notis , Ohferi>. in- -
fol. Lutetia 1604. Idem cum Obfer-
vatîombus Ifaacii/ojfii in -4 Lug-Bat.lôS^.
Albii T'ibfilli, qUie exftant. Accdunt
Notce cum. var'iarumLed'îonum Ltbello ^at"
que Indices m- ^. Amjl 1708. *
OVIDE,
(Publius Ovidifis Nafo) né à SulmoMe Ville
de V Abrîizze , Tanace que moururent
les deux Confuls, comme il Ta marqué,
lui-même, c'eil à-dire fous le Gonfulat
d'Hirtius & Panfa , la deuxième année
de la 184. Olympiade, de la Ville 711.
• devant notre Epoque 43.
Mort la première année de la 199. Olym.-
pi.ide, de la VMlîe 770. Tan 17. de notre
Epoque, ou la 21. de Jefus-Chriil, à la
fin delà troilléme année de Tibère, «To-
mes dans la petite Scythie , lieu de fon
exil, aujourd'hui Tomijvjar,
§. I.
Jugement général du Génie l^ 'des K-
crits d'* Ovide.
115^3.
TOus les Critiques conviennent
qu'Ovide avoit l'efprit fort
beau
1. V. Crit. in proleg. Varinr. edit. Ovid.
2. Ga(p Baithius Adverfaiioi. lib. 58. cap. p. col.
S739. & 2740.
3. Rofleau, Sentira, fui quelques livres d'Auteurs
qu'il
!l
P o E T E i Latins. 241
beau (i), & une facilité inconcevable pour Ovide^ "-J
faire des vers, mais la plupart ont recon*
nu en mcmc-tems que ces avantages de la
Nature lui avoient tait concevoir trop
bonne opinion de lui-même , & lui a*
voient donné trop de confiance en fes
propres forces ; de forte que , ftlon Gas-
par Barthius (2) , cet efprit aifé ne pouvoit
fe captiver ni fe réduire à devenir éxad ; &
félon le Sieur Rolleau (3), cette facilité
pour l'invention de fes matières & pour la
verlification, lui a fait fouvent avancer &
écrire des choies qui n*avoient ni régie ni
méfure, & qu'il ne fe donnoit pas le loilîr
de digérer.
Quelques-uns ont remarqué que ç'avoîî
cté autrefois le fenriment de Quîntihen,
lorfqu'il a dit qu'Ovide eft louable, mais
plutôt en fes parties que dans l'ordre 6c
dans le fonds de les Ouvrages. Cela veut
dire, félon le Cardinal du i^erron (4) , que
fes vers font bons , mais que la difpofition
en ed défeducufe, &c qu'il n'a point de ju-
gement. Car un Poète ^ dit ce Cardinal,
dijit être bon en joi^ ^ non pas en Ces par*
fies.
Seneque le conlîdéroit comme le plus
ingénieux de tous les Poètes Latins, mais
il le plaignoit en même tems(5-) de n'avoir
pas fû faire de fes talens tout le bon ufage
qu'on auroit pu fouhaiter , & d^avofr ré-
duit
qu*il a lus pag. 49.
4. lu Feiioaianis, au mot Poë/îe. Quintil. 10. Itr
ftit. 1.
5. Scncca lib. ?. Natural, quarftion. cap, 27-
242 Poètes Latins.
©Ti4<f duit toute la force & rélcvation de fon es-
prit, & toute la beauté de fes matières à des
badineries puériles.
Daniel Heinlius qui s'eft beaucoup plus
appliqué à remarquer fes excellentes quali-
tés qu'à examiner fes défauts , dit (i)
qu'outre cette facilité furprenante qui rè-
gne dans tout ce qu'il a fait, on lui trou-
ve encore une grande fimplicité , beaucoup
de fubtilité, une vivacité ou une prompti-
tude extraordinaire, mais fur tout une dou-
ceur admirable ; & que ce qu'il y a de re-
marquable , c'ell de voir toutes ces quali-
tés unie;» cnfemble , & accompagnées d'u-
ne grande pureté de la Langue , que s'il
s'eft trouvé d'autres Poètes qui ayent eu
plus de majefté & de grandeur, il n'y en
a pas un à qui on puilTe dire qu'il doit cé-
der pour le génie Poétique. Ce qu'il y a
de plus furprenant, au ju-^ement du même
Auteur , c'eft de voir qu'il n'y a pcrfonne
de tous ceux qu'on ne lui peut pas com-
parer à caufe de la différence des caradé-
vts & des manières d'écrire, qu'il n'ait é-
galé ou furpafîé même en diverfes autres
qualités.
De forte que, fi nous en croyons ce
Critique, il eft le premier de tous les Poè-
tes Latins après Virgile , parce qu'il a
joint l'art d'adoucir par fa facilité tout ce
qu'il
I. Daniel Heînfîus Nicolai patcr Epiftol. ad Biyem-
burgium piacâx. cditioai Ovidianx dedic. ad eumd.
Slycmb.
a. f hilipp. Scicc» de roccis Latio, Jib. z, pag. 24.
Poètes Latins. 145
^'1*1 y avoit de rude dans les Anciens à ce- Ovide.
lui de donner du poids, de la force, & du
nerf à fon canidére. En quoi l'on peut dire
aulîi, félon lui , qu'il a été prefque le der-
nier des bons Poètes.
Les autres Critiques n*ont pas jugé tous
qu'Ovide fût li proche de Virgile qu'Hein-
fius femble avoir voulu nous le perfuader;
& le P. Briet, entre les autres, d t qu'il y
a une longue didance entre ces deux Poè-
tes (2), quoiqu'il reconnoifle dans Ovide
la plupart des bonnes qualités que nous ve-
nons de remarquer.
Voilà ce qu'on peut dire du caraâére &
des manières d'Ovide en général, à moins
qu'on ne veuille ajouter le fentiinent d'E-
rafme fur fon ftyle, & dire avec ce Criti-
que qu'Ovide peut pafler pour le Ciceroa
des Poètes (3).
j Ses Ouvrages font connus de tout le
monde, mais ils ne fnnt pas venus tous
jufqu'à nous. Ceux qu'on regrette le plus
d'entre fes Ouvrages perdus, font la Tra-
gédie de Medée , qui étoit fort eflîmée air
lîécle de Vefpalien & deTrajan (4), les fix
derniers Livres des Fafles ^ le Livre contre
les michans Poètes , le Poème des iouayîgcs
d^Auguflc ^ hc. (^). Il ert inutile de faire
le dénombrement des autres Ouvrages que
le tems a épargnés , parce qu'ils fe trou-
vent
prxfîx. Acmc diftis &c.
3. Erafmus in Dial. Ciceronîano p;ig. 147.
4. Dialog. ^z caufis corrupt. Eloquent. intcrQuia»
tiliini vcl Taciti Opcra.
5f' Gexaid, J9aa. Voû*. de Poëc. Latin, pag.2^, je,
L 2
244 Poètes Latins.
Ovîdtf, vent dans la plupart des éditions, dont on
dit que celle de Mr. Heinlîus le jeune [im-
primée chésElzeviren 3. vol. /«-ii.iôzç.]
cil la plus correde: mais je me contente-
rai de rapporter une partie des jugemens
qu'on a faits fur les principaux de ces Ou-
vrages en particulier.
§. 2.
jugemens fur les quinze Livres des Meta*
morphofes.
Les Métamorphofes d'Ovide font , au
jugement d'un Critique moderne (i), un
des plus mémorables & des plus ingénieux
Ouvrages de toute l'Antiquité, elles ont
été eftimées de tous les tems, & traduites
dans prefque toutes les Langues qui ont.
eu cours parmi les peuples où l'on a eu
quelque foin de cultiver )es Lettres.
En effet il femble qu'Ovide ait voulu
nous prévenir lui-même fur l'opinion que
nous devons avoir de cet Ouvrage , &
qu'il ait crû juger tout d'un coup du prix
qu'il auroit dans la fuite des ficelés , lors-
qu'il
T. Reftcau, Scntim, fur quelques Livres &c. pag,
f o. Mff.
2. Ovidius in peroratione totius Operis Metamor-
phof. ad fin lib. ij.
Jamijue opus exegi , qued nec Jovis iraj nec i([nes
Nec peterit ferrttm , nec eHax nbolere verujfas &C.
3. %. Pourquoi n'en feroit-elle pas? Eft-ce qu'el-
le marque trop de vanité? Horace lui en avoit don-
né l'exemple, & les Poètes d'un certain rang peu-
Tont faiic pai^itic via aoble orgucU, Sailla lui-mè-
tasp
PoEtEs Latins. 24^
qu'il nous aaffuré qu'il D*auroît point d'au- O'/idc;
tre durée que celle de l'éternité (2). C'eft
le fentiment qu'il en avoit en finllfant fou
quinzième Livre , li cette conclulion cft
de lui (3J.
Cependant les Critiques q.uî ont paru a-
vec dillindion parmi ceux de leur profes-
fion , ont jugé que c'efl l'Ouvrage d'un
jeune homme, c'eft-à-dire, d'un efprit qui
n'ctoit point encore parvenu à fa marurité.
C'a été la penfée du P. Vavaffeur, lors-
qu'il a dit (4) que ces Métamorphofes ne
font qu'^w ejjai de jeunejfe ^ que l'Auteur
n'a jamais revu. C'a été auflTi celle du P.
Rapin, puifqu'il nous atïure (5-) qu'il y a
dans les Métamorphofjs^f/ ;c^«^^irjqu'oii
auroit de la peine à lui pardonner , fans la
vivacité de fo:i efprit, & fans je ne fai
quoi d'heureux qu'il a dans l'imagination.
Enfin c'a été celle de Gafpar Barthius (6),
de Volfius le père (7) & de divers autres
Auteurs.
On pourroît croire auïïî que c'a été cel-
le d'Ovide même, quelque chofe que nous
ayons voulu dire plus haut de la bonne o-
pinion qu'il femble en avoir euë^ lorfqu'il
étoit
me, quelques lignes plus bas, repond aux autres ob'
jcftions.
4. Remarq. anon. fur les Reflcx. touch. la Foëtiq*
page 6.
5. Ren. Rap, Rcftex. particul. fiir la Poct. part.
Iccondc, Reflex. 15. page i|8. édition. 1684. in- 4.
6. G.ilp. Baich. ut luprà in Advcifar. lib. 58. cap.
5. &c.
7. Vofïius lib. fingul. de Imitationc Poctica cap»
tf. pa^. ztf. poft Inftitut.
L 3
24^ Poètes L a t i n s«
^Yidc, étoit encore dans la chaleur de fa compo-
ficion. Car étant dans un âge plus avancé,
il jugea rOuvrage û dctedueux & û peu
digne de lui, qu'il voulut lejetter au feu^
êc le perdre ians refTource pour la poftéri-
té. Il exécuta même ce deflcin avant que
jde partir pour fon exil. Mais il étoit trop
tard, parce que les copies de cet Ouvrage
s'étoient multipliées entre les mains de fes
Amis. C'eft un détail qu'il nous a fait
lui-même dans fes Elégies (i).
Les Métamorphofes font donc venues
jufqu'à nous malgré leur Auteur , & il
femble que la pofîérité n'ait point été û
délicate ni lî difficile que lui dans le goût
qu'elle y a pris. Il faut avouer néanmoins
avec le P. Briet (2) & Mr. Borrichius (9),
que le (lyle n'en eft pas li relevé que dans fes
autres Ouvrages , mais il ne laiffe pas d'être
beau & affés éxad; & fi nous voulons é-
coûter Heinfius le Père (4), il y a inféré
des difcours <5c des lieux communs avec u-
ne âdreUe & des agrémens merveilleux.
Ou
3. Ovid. lib. T. de Triftib. Eleg. 6. hzc habct:
Carmina mututas hominum dÏHntia formai y
Inftlix Domini cjuodfuga rupit opus.
Htc e^o dt'fcedens, fient bon* malt a mforum ,
Jpfe meâ pofut mce/ius iu itne manu ....
Sic eio non méritas mecum peritura Uteilos
Impo/ut rapidis vifctra nrfira ragis.
Vel ^Hod er*m Mu/as , ut i rimina nojîra , perofus :
Vet cjuod adhuc crefcem & rude carmen erat,
Slud (juoniam non funt fenitus fuhlata , fed exfiant ^
Piuribus exemplis Jcripta fuijje reor ....
tlec tamen illa legi poterunt patienter ab ullo :
Nefiiat his fummam fi ejnis abejfe manum»
^blatum mediis epus e/l incudibus itlud:
Dtftiit ir firiptis Hltima lima mciu Sf^
Poètes Latins. 247
On pourra dire auiTi de Tes narrations que Oni^
ce font autant de chanfons de Sirènes,
c'e/l une éloquence & une candeur perpe*
tueile, qui eli toujours mêlée avec Tarti-
fîce qui fait un cercle fort accompli de
toutes fes Fables , perfonne d'entre tous
les Poètes n'a traité les plus grands & les
plus petits fujets avec plus d'ornement. En
un mot ces Métamorphofes font , félon,
lui , quelque chofe qui palFe notre génie &
notre admiration. Voilà le fentiment d'un
Critique qui auroit crû manquer au de-
voir d'un bon Commentateur , s'il s'é-
toit contente de louer médiocrement fon
Auteur.
Le P. Rapin n'a pas jugé fi favorable-
ment de fon ftyle dans la Comparaifon
qu'il a faîte d'Homère & de Virgile. Il
prétend (5-) qu'Ovide dans fes Métamor-
phofes & dans fes HéroVdes-mémes, a été
l'un des premiers Auteurs qui ont donné
Je mauvais goût des Epithétes extraordi-
naires & furprcnantes dans le difcours à
leiir
Et venUm fr» Uudepeto: Uuda*us ahunde y
Si faffiditus non tibi y LeBor ^ era, crc.
Idem etiam de eodem Opère lib. 3. Tiift. Eleg*'
14. in hune modum :
lllnd opus potuH , fi non prifts ipfe perijfetn »
Certius k fummâ njnien habere manu.
Nunc incarreSfu/rt Fopuli pervenit in ora ,
In Populi (fuidijniim (î tamen ore mei e(i,
1. Phil. Briet. de Poët. Latin, lib. t. ut faprî.
|. Olaiis Borrichius Dan. Diflcrt. de Poët. LatittJ
pag. SI.
4. D. Heinfîus Epift. dedicatoi. Operum Ovlduaa
ad Blyemb.
s. Rcn. Rapin, Comparaifon d'Homcrc Se Vis-
gilc chap. 10. pag. 39. cdit. in 4.
L 4
248 Poètes Latins.
OfWc kur fiécle, où l'on aimoit encore la (im-
plicite, il dit néanmoins qu'il a fû du
moins ménager ces fauxbrillans avec quel-
que difcernemenc. Mais ce difcernement
n'a point empêché le même Auteur de di-
re dans un autre Ouvrage qu'Ovide s'éga-
re quelquefois dans fes Métamorphofes
faute de jugement (1) , quoiqu'il recon-
noilfe encore ailleurs qu'il y a du génie ^
de l'art , & du delTein dans cet Ouvra-
ge (2^).
. Ce Père eftime qu'Ovide fe fit beaucoup
.de violence pour réunir fes Métamorpho-
fes (3), & pour les renfermer dans un
"même delfein. C'eft en quoi , dit- il , il ne
rcuffit pas tout-à-fait û bkn, qu'il fit de-
puis dans fes Elégies, où l'on trouve pres-
<iue toujours un certain tour qui en lie le
,defleîn,& qui en fait un Ouvrage afles jus-
te dans le rapport de fes parties.
On ne peut pas nier qu'il n'y ait quel-
.que différence entre ce fentiment du P.
;Rapin & celui de Mr. Borrichius , qui a
prétendu (4) qu'il fe trouve dans les Mé-
tamorphofes une fuite & tin enchaînement
merveilleux des Fables de l'Antiquité..
Voflius même témoigne (5*) qu'il admiroit
cette fuite continuelle fans interruption, &
cette liaifon admirable de tant de chofes
différentes, tiffuës avec tant d'artifice de-
puis
T. R, Rapin, Reflexion 2. fur laPoct. prem. part.
pag. j. édition in 12.
2. Reflex. If. du même Auteur pag. 13 S. edic ia-
4. de la ieconde parr.
h Refl. ij^. delà piem. pait.paç,42.43,edit. in-it.
4* 01-
Poètes L a t i k s. 249
puis le commencement du Monde , félon Ovidc^
l'opinion des Gentils , jufqu'à fon tem$»
Guillaume Ganter avoît dit auparavant la
m(?me chofe de lui-même (6) , ailiirant
qu'il avoir été fi charmé du bel ordre qm
tient toutes ce& P'aWes enchaînées les unes
avec les autres , qu'il n*avo{t pu s'^empê-
thcr de réduire tout cet Ouvrage en abré-
gé fuivant la méthode de fon Auteur , &
pour tâcher de mieux comprendre l'efpr'rt
du Poète en racourci, comme dans un ta-
bleau qui pût le lui reprcfenter tout d'un
coup 6c d'une feule vue.
Mais tout cela n'empêche pas que le P,
Rapin n'ait eu raifon de dire qu'Ovide n*a
pas entièrement réuffi dans la réunion de
fès Fables , fuppofanr que fes intentions
ont été de renfermer toutes ces Fables dans
un même deffein , & de n'en faire , pour
ainfi dire , qu'un corps qui n'auroit eu
qu'une ame.
Ceux qui prétendent y trouver cette u-
nion êi cet enchaînement dont nou^ ve-
inons de parler, difent que l'intention da
Poète n'a point été de réduire toutes fcs
iFables aune féale A6lion,mais qu'il y a au-
itant d'Adions que de Fables, 6c autant
.d'ames que de corps différens, mais qu'el-
les font jointes enfemble par un lien qui
ne confond rien , & qui n'empdche pas
qu'oa
4. 01. Borrichius de Vo'èt. Latin. Dîflcrt. utfuprî,
5. Gcr. Jo. Vofn Inftitution. Poëticai. lib. 2. câp,
). pag. 19. 20.
é. GuilleltD. Cantcr. lib. t. Novax. Leclion. cap,.
r^, Ucm a^. Yofl,
r« L s
îfo Poètes Latins.
Ovide, qu'on ne diftingue toutes ces Adions dif»
férentes fous cet artifice.
Voflius qui a fuivi le fcntiment de ces
derniers, dit (i) qu'Ovide s'eft propofc
dans ce deflein l'exemple des Poètes Cy-
cliques qui étoient diftcrens des Poètes E-
piques , en ce qu'ils racontoient les an^
ciennes Fables d'une manière toute lîmple
& toute unie, & fans aucun Epifode (2)..
Il blâme un Crit que Efpagnol , nommé
Lullus de Mayorque, d'avoir trop légère-
ment accufé Ovide d'indifcrétion & d'i-
gnorance (3) , dans la compofition & dans
l'arrangement de fes Fables. Il dit que cet
homme a grand tort de prétendre qu'Ovi-
de a dû imiter Homère & Virgile, & ré-
duire toutes fes Fables à une feule Aâion^
fous prétexte que la liaifbn qu'il leur don-
ne, femble ne faire qu'une hiltoire conti-
nue^ & que la connexion de fes matières
elt li afFedèe, fi contrainte, & li peu na-
turelle, qu'on ne peut point, fans le fe-
Gours d'une mémoire toute extraordinaire,
retenir fes Fables dans la même fuite qu'il
leur a donnée.
Cette multiplication de Fables que les
Maîtres de l'Art appellent PQlymyth'te^<\\i\
eft
1. Voff. loe. cit. & 1. /up. ubi de Tr3ç. &c.
a. Ccfte opinion n'eft pas luivic de toùc le monde,
^. Anton. Lullus Balear. lib. 6. de Oiatione cap»
5. ex fer b. VofT.
4. Ren. le lîoflii. Traité duPoëmc Epique, livre
3. chap. 16, pag. 116. 117.
5. f . Stace n'a comparé nulle part fa Thébaïde-
avec le Poçœç wi<i'Honi«içgu4çVijgilç. Ui'aniême
Poètes Lati!?^. zft
efl vicicufc & mondrucufe dans le Pocme Ovideii' j
Epique, n*a rien de déréglé dans le corps
ou Taflèmblage des Métamorphofes. Et
le p. le Bofîu (4) dît qu'on ne peut pas
condamner & taxer fon Auteur d'ignoran-
ce, pourvu que Ton ne prétvrnde pas qu'il
ait voulu faire une Epopée, & qu'on ne le
compare pas aux Poèmes d'Homère (5r de
Virgile, comme Stace (f) a fait fon Achil-
le i'de & fa Thebaïde.
5- 3-
Jugements fur les Faftes d* Ovide,
Le flyle des Faftes au jugement de Sca-
Irger (6) eft aifc, doux & naturel. C'cft
un Ouvrage de beaucoup d'érudition ,maî$
de cette érudition que l'on puifc dans la
plus belle Antiquité. Quoique fa matière
ne foi: pas toujours également traitablc nî
capable de beaucoup d'ornemens, & qu'il
n'y foit pas toujours le Maître de fon Es-
prit; néanmoins il s'y eft fouvent furpaflc
M-même, & il a poli & orné fa matière
en plufieurs endroits. Mais tout le Mon-
de, dit le même Auteur, ii'eft pas d'hu-
meur
Jngée inférieure du tout au tout à TEnéide. S'il s
comparé fon Achilleïdc avec i*lHade, c'a été pure-
ment pour faire voir que fon deffein étoiî d*^embTvt« ■
fèr dans un Puëme Cyclique toute l'Hiftoire d'Achil-
le, en quoi bien loin de vouloir fe préférer ^'i mê-
me s'egiler \ Homère ,il le dédaroit plutôt «tlifi-
eateur que Poëie.
6. Jul. Cxf. Scaliger Hyperciitic, Ubv «. ïo«tic
u 6
2f2 Poètes Latins.
Ctiit^ meur à fouffrir fes diverfes licences, & cot
air eôè'min-é qu'il donne quelquefois à ce
qu'il dit (i).
Ces Faites font du nombre des Ouvra-
ges qu'il a faits dans un âge plus avancé^-
& quoiqu'ils paroillent plus négliges ou
plutôt moins travaillés que quelques au-
tres, il femble, dit Heinlius (2), qu'ils
n'en font piis moins cxaél-s & qu'ils n'en
ont pas moins de douceur» H- y a, feion
ce même Cr tique , un certain enchante-
ment fecret dans cet Ouvrage des Faftes
qui charme & qui captive l'efprit de Thom-
m ; de forte que les endroits où il a ca-
ché fon artifice & fon éxa6litude, fervent
à nous en découvrir la douceur & les a*
grémens ; & ceux où il fait paroître cet
arti nce & cette éxadtiiude, fervent à nous
garantir du dégoût & de la iaffitude que fa
Jeéture pourroit nous caufer.
En un mot le P. Rapin donne aux Fas-
tes d'Ovide la gloire d'être l'Ouvrage du
meilleur goût, & le plus judicieux d'entre
tous ceux qui font fortis de fes mains. Il
dit (?)que ce Poète n'a pu arriver à la perr
fedion de Prudence & de Modération,,
«[ui confiik à cir« feulement ce qui eft nû-
cef-
1, ^. Scaliger a dit: §leit (î tjuïs.nolk ejut vel I4-
.Jii^iam vel iico-.i.int roera^e. Ce qu'on tiaduircit foit
jD^iI en rendant /./î. 7 /.!/.; par air efféminé. Il fau-
droir, (1 je ae me trempe, pour tiaduirejufte,diie:
gwf /j on ne lei-t pus tx.uCer uu cetie ^refitfion t ou cttt€
licence À /iXifu/U il .^abandemn.
2. Hcinilus Scaioi PielCi^ora. ad edit, Qvid. in:^-
jifli ad Blyeuib».
1
Poètes Latins. 25-3
ce/Taire & convenable que fur fes vieux otUc,
jours, en compofant les Faftes; qu'il n'eft
modéré &difcrtt qu'en cet endroit ;& qu'il
clt jeune par tout ailleurs.
§. 4.
yugemens fur Us Elégies eP Ovide comprifes
dans les quatre Livres des 'ïrifies , l^
dans les quatre marqués du Font,
C'eft par ces Elégies qu'Ovide a paffé
dans l'efprit de plulieurs Critiques pour le
premier de tous les Poètes Elégiaques, 6c
e'ed fa douceur & fa facilité qui l'en a
rendu le chef (4). ïl femble qu'Ovide ait
voulu fe rendre ce témoignage lui même,
n'ayant point été honteux de .dire qu'il te-
Boit dans le genre Elégiaque le même rang
que Virgile tenoLt dans le genre Epique
(5"). il auroit été plus à propos qu'il fe
fût fait rendre juftice par quelqu'autre per-
fonne. Mais to juftfce Poétique n'avoft
peut-être pas encore alors fes Officiers en
titre , ou leur jurifdidion n*étoic pas re-
connue de tout le monde univerfeilement.
Au refte Ovide ne fe trompoit point
dans
j^ R. Rap. Comp. dniom. & Virg. chap. ii.pag.
41. edic in 4.
4. Thom. Dempûcr ad Jo. Rofini Antiquit. Ro-
Bian 8c c
$. Ovid. de fe i^ro ficfentiens harc habet ia lib,.<rf
tCiredio Anaoris, y. 395. & 396.
TaniHmfe noiis Eîegi debtre f.'tentnr .
L7
2^4 Poètes L a t r k s.
Ovi<ie, dans fon jugement. Car le P. Rapin as-
fure (i) qu'il eft préférable à Properce & à
•Tibulle dans fes Elégies , parce qu'il eft
plus naturel , plus touchant & plus pas-
fionnc, & qu'il a mieux exprimé par-là le
caradére de l'Elégie que les autres. Le
même Auteur a reconnu néanmoins dans
un autre de fes Ouvrages (2) , que les in-
duâions d'exemples & de comparaifons
qu'il employé dans fes Triftes & dans fes
autres Elégies ont des fuperfluités qui mar-
quent que le jugement du Poète n^étoit
pas encore arrivé à fa maturité (3).
Mais il femble qu'il ait eu befoin de la
févérité d'Augufte pour parvenir à ce
point de difcernement y & que fon mal-
heur joint à la vieillefTe ait plus contribué
qu^autre chofe à réformer 6c à perfedion-
^ner fa fécondité quipalîbit auparavant pour
une abondance déréglée & pour un liber-
tinage.
On peut dire même que fa difgrace lur
ayant donné un peu plus d'expérience, lui
a donné aulïi le moyen d'augmenter fa
-douceur & fes grâces. C^ell ce que Da-
lûel Heinims croit avoir remarqué particu*
3nîc lié-
1. Reflex. particul, fût la Poëtiq; fceonde pair»
Reffex. 29.
2. Compar. d*H.oraeie & Virg. chap. 11. comme
ci deffus.
3 f Ovide pouitant avoit alors $0. ans,dcmour
tut dix -ans après.
4. Heinfius Epiftola citât, ut fiiprà.
5. Voiiichius pag. 51. Diffeitat. de Toëc. Latuif
Bt iuprà.
t, Scaligeû Foëciç. lib. 6. p ag. ^55. 8.5 tf, &c.
Poètes Latins, iff
lîérement dans les Lîvres des Trijîfs & de Ovide
Po'/tto^ où on ne lailfe pas, dit-il (4), de
trouver de la délicatefle, quoique la fim-
plicité y règne plus qu'ailleurs; &de la vi-
gueur même , quoiqu'il les ait écrits dans un
âge où les autres ont coutume de languir.
Mr. Borrichius témoigne aulTi (5-) qu'O-
vide e(t fort net & fort naturel dans toa*
tes Tes tlcgîes , mais Jules Scaliger quF
trouve à redire au titre qu'elles portent de-
*Trifles 6l de Ponto^ prétend qu'elles font
moins travaillées que fes autres Ouvrages
& fur tout fes Epitres (6).
§. s-
Jugemens fur les Epitres d^ Ovide cji^on
appelle Heroides.
Il ne faut pas s'imaginer que toutes ces
£pitres en vers qui portent le nom de quel-
que Héroïne foient véritablement d'Ovide,
"fous prétexte qu'elles fe trouvent parmi
les fiennes. Il témoigne lui-même (7) que
celles de Pénélope, dePhyllis, de Gana-
eé, d'Hipfipyk, d'Ariadne, de Phèdre, de
Didon y
■ %, Scaliger dit bien dans l*endroit du 6. livre de
là Poétique, où renvoie Bailicc , que \^% titres ^
Tri/iuHs yU. de Porno ne iont pas juftcs, mais ccn'eft
qu*au chaç. dernier du 1. j. qu'il en rend la raifon,
11 y a un liéclc ôc davantage que les livres dcsTiis-
tes ne font plus intitules que Tnjlium , mais il n'y
a guère, je penfe, plus de éo. ans que Le titre 4r
Tont« a été changé en ex Ponto.
• 7. Apud YoÛium Ub, HnguK de Foct. Latin, paf^'
2^ jo.
2.5^^6 Poètes Latik^.
^ridc. Didon , de Sapho étoient de lui. Jofeph;
Scaliger y ajoute celles de Briféis , d'Oeno-
ne, d'Hermione, de Dejanire (h) y de Mé«
dée ,de Laodamie , & d'Hypermnellre. Les
autres font ou d''Aulus iabinus, ou pos-
térieures & fupporées.
Le Sieur Rulleau (2) prétend que ces E-
pitres d'Ovide font inimitables, & qu'el-
ks font de plus graiid prix que les Méta-
morphofes & les Fafles- Le P. Rapiii
n'en juge pas moins avantageufement. Car
tantôt il dit (3} que ces Héroides d'Ovide
lc)i"it ce qu'il y a de plus fleuri dans les Ou-
vrages purement d'efprit , & où nos Poè-
tes n'arriveront jamais: tantôt il nous as-
fure qu'il appelle toujours fes Epitres la-
flaur de Pef^riî Romain , quoiqu'il ajoute
qu'elles n'ont rien de cette maturité de ju-
gement qui eii la fouveraine pertedion de
Virgile (4,)^
Mr. Borrichius témo-gne aulTi que lefty^
le en elt fort pur, & Daniel Heiniius dit
(f) que l'imitationdes pafTions & l'cxpres-
fîon des inclinations & dts mouvemens du
eœur y paroîi d'une telle manière, qu'on
voit bien que c'eft-là le grand, talent d'Ovir
de. , Enfin Jules Scaliger prétend (6) que
ces Epitres font ce qu'il y a de plus poli"
entre tous les Ouvraj^es d'Ovide:, que les
peiifées y font admirables , que fa técondi^
té
1. <H On ne dbir non plus prononcer Dejénire q^e
Waïadct & Lajusy il faut dire conftammcnt Deinmriy
Naïade & L-itus
2. Bwoftcau, Sentira, fui queliqucs livics ^u^ilaius.
ka
|. ïW
Poètes Latins. 2^7
té ou fa facilité y eft aiïés réglée , qu'elles OTide.
ont l'air tout-à-fait Poétique; qu'elles ont
même de l'éclat & de la grandeur ; &
qu'elles approchent afTés delà belle limpli-
clté des Anciens. Mais avec toutes ces bel-
les qualités , elles ne lailfent pas de ren-
fermer , dit-il, quantité de chofes puériles
& languiffantes.
$. 6.
yugemefts fur les Livres éi^ Ovide qui irai'
tent de r amour ou de l^art d^ aimer.
Nous fommes redevables au malheur
d'Ovide du peu de vers qui ne fentent
point la corruption de fon cœur, & nous
aurions encore plus d'obligation à cette
mauvaîfe fortune, fî elle l'eût porté effica-
cement à faire périr avant que d'aller en
exil toutes ces miférables produdions de
fon efprit, comme elle lui avoit infpiré le
delir de fupprimer fes Métamorphofes en
particulier. Mais Dieu a bien voulu fouf-
|rîr que des hommes d'humeur & d'incli-
nation femblables à celles de cet Auteur
euffent plus d'indulirie pour les conferver
que les perfonnes figes n'en ont eu pour
fauvcr des injures du tems les pièces les
plus utiles de l'Antiquité.
Aîn-
3. R. Rap. Comp. d'Hom. & Virg, comme ci dc-
tant p:*g. 40. c. :i,
4 Le même au même Traite un peu après pag. 4 Y.
j. Hcinfujs rater loc. citât, ut fupra.
. «. Jul. C;çC ScaJig. Hy.pcrcrit. icu iib. Poct. f af.
\%ii^^ fcq<l.
2^8 Poètes Latins.
©vide, Aînfi la punition d'Ovide n'eut que îs
moitié de fon effet, puifqu'elle ne remédia
point aux fuites pernicieufes de fa faute, &
on lit encore aujourd'hui ces vers qui cor-
rompirent la fille d^Augufte (i) , & qui in-
fedlerent la partie la plus floriflànte de la
Cour de ce Prince.
Cependant ces vers qui fervirent de pré-
texte à fon bannilTement n'ctoîent, félon
quelques Critiques (2) , qu'une rhapfodie de
ceux que les Poètes dédioîent à Priape (3).
Et quoiqu'il foit allés difficile de nous bien
prouver que ceux de cette efpéce ne font
point différens de ceux qui font reliés fur
le titre d^fes Amaurs & qui ont conftam-
ment fait fa difgrace^ il eft toujours cer-
tain que ni ces derniers ni ceux qu'il a faits
fur l'Art d'aimer n'ont pu trouver d'appro»
bateurs, parmi ceux même qui ont tâché
d'allier la galanterie avec quelque refte
(d'honneur.
Jules Scaliger qui avoue qu'il y a beau-
coup d'endroits dans ces Livres qui font
délicatement touchés , ajoute (4) qu'il y
en a auffi beaucoup où il n'y a rien que de
lafcif & d^impur , fans qu'on puiiTe dire
qu'il y ait quelque chofe de tolérable pour
diverlitier tant d'obfcénités ; qu'il y en a
beau:oup d'autres où on ne trouve ni fel
ni goût ni aucune autre bonne qualité qui
puilîè
I. %. Qiielle preuve en a-t on? T
z. Clavigay de faintc Honorine de Tufagc àts Lt-
tres pag. rj. chap, x.
l. ^. C'eft une léwtût. Les Priape'es confiftent
•n de coQires pièces pleines de Wlains mois. L*Ar(
d»Rl^
Poètes Latins. 2f9
puifle diminuer quelque chofe du dégoût ovidc,
que prodaifent tant de fadaifes & d'infa-
mies: en un mot que Tes Livres de TArt
d'aimer ne font qu'un l'iiVa de fottifes & de
badineries puériles.
Les autres Critiques ont été obliges de
reconnoître la même chofe ; & Daniel
-Heinlîus lui-même tout zèle qu'il étoit
pour la réputation d'Ovide, & malgré la
réfolution qu'il avoit prife de nous faire
voir que ce Poète avoit excellé en toutes
chofes, n'a point laiffé de déclarer que fou
\efprit n'étoit point libre lorfqu'il compofa
ces Ouvrages, qu'il n' avoit pu fe rendre
le maître de fon abondance ni la renfer-
mer dans les bornes de l'honnêteté (5).
Mais il n'a pas crû que ce témoignage qu'il
rcndoit à la Vérité dût l'empêcher de louer
-la difpolîtion ôc la méthode des Livres de
'l'Art & du Remède de l'Amour, la gravi-
té des Sentences, la beauté de la Narra-
-tion. Il femble même avoir voulu nous
perfuader qu'Ovide avoit eu deflTein de fai-
re une efpéce de compoiition de tant d'or-
dures par une Morale faine, en nous faî-
'fant voir qu'il eft plein dans les autres Ou-
-vrages de Maximes très-falutaîres & de
-préceptes de fageffe pour régler notre vie.
ii * Ovidii {Publi:) Nafoms Opéra cum VA"
-rtorum Commçntariis in-fol. x.vol. Francof.
1 60 1 .
d*<imer d'Ovide eft un Ouvrage d'haleîne, où il n*jr
'a d'ordures que dans le Icns, ôc point du tout dan»
les exprclTîons.
4. Scalig. ut fuprà.
; 5- Dan. HeinHus Epiûol. ad Blyerabuig. ut fupià
mon fciDcL
26o Poètes Latins.
1601. Idem aà ufum Deîpbini 4.
vol. in-4 Lugd. 1689.
G R A T I U S,
Contemporain à Ovide , fur la foi d'un
Vers de la dernière Elégfe du quatrième
Livre de Ponto ., où il eli cité en ces ter-
mes : Aptaque nenant'îGratihS arma dédit,
Gritius. ii5'4' l^T ^^^ avons de cet Auteur une
i^ efpéce de Poème fur la chas-
fe appelle le Csne^eticon que Sannazar (i)
emporta de France en Italie pour le mettre
au jour. Le P. Briet dit (2,) que le ftyle
de ce Poème eft pur, mais qu'il n'a point
d'élévation, parce qu'il^s'eft moins étudié
à plaire à fon Le6leur qu'à l'indruire.
Jules Scaliger témoigne (3) que cet Au-
teur a de l'élégance auffv bien que Neme-
fîcn qui a traité le même fujet long.-tems
après :mais il prétend que Gratins eft beavî-
coup plus corred. L:^ même Critique far-
fant ailleurs la comparaifon de ces deux
Poctes avec Oppien qu'il met beaucoup
au deflus d'eux, les compte tous deux par-
mi ceux de la populace (4). Mais il préfè-
re néanmoins Gratius à Nemelien, parce
qu'il a beaucoup plus de pureté, qu'il a
plus d'invention. D'ailleurs il le juge blâ-
mable
* I Ç. Voycs le T. vol. du nouveau Menagiana
pag. ij.
2. Phil. Briet lib. 2 de Poct. Latin, pag. 2f.
3. Jul Cxf. Scaliif. Hypciciitic. lib. 6. f oët. paj^
Poètes Latins. i6i
mable de s'être amufé trop long-tems & Gratius,
trop fouvent à raconter des Fables.
* GraiiuSy Nemefianus^ Calpurnius ^l^
fragmenta Vefpriciï Spurïnncc ^ cum Comm„
G aj part s B art hit in- 8. Hamvïcc 1613. *
M A N I L 1 U S,
Sous Tibère , quoique quelques Auteurs
le mettent fous Thcodoie l'Ancien.
ï I f 5". Ç^ Et Auteur a mis en Vers La- Manilius,
V^ tins ce qu'il avoir à nous dire
touchant T Agronomie. Il n'a pourtant
pas tait tout ce qu'il avoit defleia de faire ;
& ce qu'il a fait n'eft pas venu mcme tout
entier jufqu'à nous, il promettoit deux
parties de ion Aftronomic[ue , la première
pour les Etoiles fixes, & la îecon.^c pour
les Planètes. Il n'a pas fait cette dernière
partie, ou du moins n'en a-t-on rien vu:
& des (ix Livres-mêmes qu'il avoit com-
pofés fur les Etoiles, nous n'en avons que
cinq dont le dernier n'eii pas même entier.
Sur quoi l'on peut voir Mr. du Fay (y) ,
que j'ai appelle mal-à-propos * Mr. De la ^ p^nslt
Paye parmi les Critiques ou Scholialles première
Dauphins , faute d'avoir bcn compris ce Edicio».
que vouloir d re Michel Fay us (6).
Le Gy raidi femble n'avoir pas fait beau-
coup
4. Idem Ub. j. Poctic. feu Criticcap. 1S.pag.75J.
5. Mich. Fayusdc Vitaôc Scri)tis Manilii prolcg,
ad édition.
6. Tome z, des }t)gcniea;s des $ivans ait. (oj, %.
iSi Poètes Latiks.
Maoilius* coup de cas de tout cet Ouvrage de Mani*
lias , quoiqu'il ait jugé que la verlîfication
en eft affés belle (i). Jofeph Scaliger s'eft
crû obligé en qualité de fon Commenta-
teur de prendre fcs intérêts contre ceux qui
trouvoient diverfes chofes à redire dans cet
Ouvrage, & il a crû pouvoir rejetter fur
l'ignorance ou la témérité des Grammai-
riens & des Maîtres de Ciaiïes les diverfes
difformités dont il reconnoît queManilius
étoit défiguré avant qu'il eût entrepris de
le rétablir dans fa première forme (2).
Junius dans une Lettre à Smet (3) rap-
portée par Mr. du Fay (4), prétend que
Manilius eft préférable à plulieurs autres
Ecrivains, foit pour la gravité du ftyle,
foit pour la propriété des termes &des ex-
preffions, foit pour la commodité du fu-
jct. Il dit qu'outre les grâces qu'il a trou-
vées dans ce Poème, il n'a pu s'empêcher
d'admirer l'art & la nobleffe avec laquelle
/ il a fû exprimer les mœurs des hommes ;
de forte qu'il n'eft pas poflîble aux grands
Orateurs, ni aux excellens Poètes de les
mieux repréfenter. En un mot il prétend
que Manilius a joint par tout la douceur &
la breveté à la gravité, & qu'il s'eit pro-
portionné à la portée & à l'ufage de tout
le monde. Aulîi Scaliger jugeoit-il qu'il
dc-
t. Lil. Gregor. Gyral. Dial. de Hiftor. To'ctié*
tom. I- pag 48 j. M.
2. Jof Scalig. Frzfat. ad édition, tertiam ManiU
Afttonom.
3. 51. L'ufage eft pour Sméce.
4- Fr. Junius Bitui, Noo, Epift. ad Hca;. Smctluni
apud Mt f ayuœ^
Poètes Latins. 263
4cvoit être fort utile à la jeunefle pour en- ManUiu«r
trerdans la counoiilaiice ^e la Sphère; mais
cela ne regarde pas la Pocfie dont nous
traitons préfentement.
Gal'par Barthius qui avoir coutume de
jugpr favorablement de tout le monde, as-
fure (f) que Manilius étoit un Poète fort
bloquent & de grand génie , & il dit que
la feule defcripiion d'Andromède en eft
une preuve fuffifante. Mr. Borrichius té-
moigne que fa diction eft nette, quoique
fa manière d'écrire foit dans le genre mé-
diocre ; il ajoute qu'il a le jugement ex- .rJjîJl
quis, qu'il a beaucoup de facilité de parler
dans un fujet que perfonne n'avoit traité
en vers Latins avant lui, (au moins en o-
riginal) , & qu'il raifonne allés jufte fur la
Philofophie (6).
I / Néanmoins Volïius fcmble avoir eu (î
petite opinion du Ityle de Manilius , qu*il
étoit tenté de croire avec quelques autres
Critiques, que fans ce que cet Auteur dit
d'ailleurs qui femble ne pouvoir convenir
qu'au (îécle d'Augufte, il auroit plutôt vé-
cu du tems de Théodofc (7). Enfin Cas-
telvetro prétend (8) que Manilius ell plu-
tôt un fi iiple Verlificateur qu'un véritable
Poète : en quoi il a eu égard principale-
ment à la matière que cet Auteur a traitée.
* Ma-
$, Gafp. Barch. Adveifailor. lib. S. cap. S. col.
374.
6. Olaiis Borrichius Diflert de Poct. Lat. pag. y;,
7 Gcraid Joan, VoflT. de Poet. liât. libr. fin^,
cap. 2. iMg. j6. '-i
g. Ludovic, de Caftelfctco Comment, in A£t,ro^
tic, Aiiftotd,
2^4 Poètes Latik s.
Manilius. * Manilii Aftronomicon cum Notis Sca*
ligeri tif aliorum in -4. Argent. lôff. C5^
in-4. Lugd-Bùt. 1600. Idem in ufum
Delphini cum Notis M. Fay ^ Huetii in 4.
Partf, 1697. Idem By Edward Sher»
hurne in- fol. London. 1675".
PHEDRE,
Natif de 'ïhrace^ Affranchi d'Augufle, é-
crivant fous Ticere.
Ihcdie, 1 1 f 6. "VT Ous avons de cet Auteur cinq
Jl\| Livres de Fables à qui il a
donné le nom d'Efope pour leur attirer
plus de crédit & de réputation, comme on
a vu, dit-il lui-même (i) , que quelques
Ouvriers croyoient augmenter rellime &
le prix de leurs Ouvrages , en les attri-
buant à ceux qui avoient autrefois excellé
dans le même genre; que les Sculpteurs,
par exemple, ne faifoient point difficulté de
mettre le nom de Praxitèle à leurs Statues,
ni les Orfèvres celui de Myron à leur ar«
genterîe , parce qu'on a toujours vu par ex->
périence que l'Envie épargne davantage le'
mérite des Anciens que celui des perfon-
nés préfentes.
En etfct ce font des Fables qu'il a faites
1. Phedr. lib. 5. Fnbular. fab. x. in promythio fe«
initio p. no.
2. Idem in prolo^o libri 5, pag. 109.
3. Idçm Efiiogp iibn 2. fâb, 9. pag. 45. h«c ha*
Vct.:
pMniêm •iiHfi.Ti^ dur ne frirnm fntm ,
M
Poètes Latins. 265*
à rimîtation d'Efope plutôt que des Fables Phcdrc^ '4
<i'Efope , parce que cet Ancîen lui en ayant
feulement découvert quelques-unes , ce
font fes termes (2), il en a inventé de lui-
même beaucoup d'autres. Par cette re-
connoillance il prctendoit avoir payé à E-
fbpe tout ce qu'il lui devoit, & ne lui es-
tant plus redevable que du genre d'écrire
<îui étoit ancien, il lui rcftoit allés de quoi
s'ériger en Auteur original , en prenant
des manières toutes nouvelles. Il n'a pâ
s'empêcher même de témoigner ailleurs
quelque chagrin de ce qu'Elbpe l'ayant
prévenu lui eût ôîé la gloire d'être le pre-
mier en ce genre d'écrire : mais on voit
que par une efpéce de compenfation il
preten "oit bien lui ôter celle d'avoir été le
feul (3) fans craindre d'être accufé d'autre
chofe que d'une louable émulation.
Phedie n'avoit pas tout-à-fait perdu le
jugement en parlant de la forte de fes Fa-
bles , quoiqu'il parût un peu altéré par la
maladie ordinaire à la plupart des Ecri-
vains de Rome au fiécle d'Âugufte, où il
femble qu'on faifoit profelTion de faire va-
loir fes propres Ecrits, ôc de demander pu-
bliquement pour eux l'immortalité aux llc-
cles futurs (4).
Car il l'on veut confidérer le mérite de
ces
iJe falus ejfet fluduj y <juod fuperfuiti
Nec hjcc invidia , zcrum «,^ tmi-Litio.
4. De Horatio, de Ovidio, de aliis qurbufdam li-
quer. De Phïdro vidend. Prolog, libri 3 verf. ante
penultim. ad Eutychiiim , & quatuor ukinai vctrui
l'iolog. libr. 5. ad Particuloncm,
Tom,lILPart,n. M
266 Poètes Latins.
îhcdie, ces Fables , on peut dire après Mr. Gal-
lois (i) que TAntiquité n'a rien de plus
élégant ; & quoique Mr. le Fevre de San-
mur ait prdtendu faire voir quelques dé-
fauts dans l'original, cela ne doit rien di-
minuer de l'eflime générale où elles ont
toujours été parmi ceux qui les ont con-
nues.
Les autres Critiques (2) y trouvent la
belle Latinité du bon fiécle, ils y remar-
quent une pureté admirable , le véritable
caradére de la Langue des Romains , 6c
un air tout-à-fait naturel. C'eft le juge-
ment qu'en ont fait Camerarius , Ritters-
huys, Mr. Bongars, Barthius,le P. Briet,
&c.
Mr. le Fevre dont nous venons de par-
ler témoigne auffi (3) que perfonne n'avoit
plus approché de Terence que Phèdre,
qu'il avoit parfaitement bien pris fa limpli-
cité & fa douceur, & qu'il s'étoit formé
un caractère auiïi aifé. Il ajoute que rien
n'eft plus propre pour traiter ces fortes de
difcours Moraux fous l'écorce des petites
fables qu'un ftyle facile & uni comme le
lien.
Mais quoique cette grande pureté de fly-
le foit accompagnée de beaucoup de naï-
veté
T. Gall. Journal des Savans du 2, Février de Tan
Ï«6J.
2. Conrad. Ritthcrshuf. in Epiftol. dedicat. Phx-
dri. Item Joachim. Camerarius, ôc Jacob. Bou-
garfîus.
Gafpar Barthius Mb. 50. Adverfarior. cap. 9. col,
îj 58. Item. lib,3 5,ca^. 21, cjufdein Opcris. col, 1670.
Phi-
i
I
Poètes Latins. 267
vetc & d'une grande (implicite , elle ne vhç^km^
lai/Fc point d'être foûtenuë de quantité
d'exprefilons très-nobles & fort dleve'es,&
qui fe fentent un peu de la hardiefîe de la
Poëlie. On y trouve, dit le Sieur de Saint
Aubin (4) , un modc'le parfait d'une des
chofes à laquelle ceux qui commencent
doivent travailler davantage félon Quinti-
lien. C'eft celui d'une narration excellen-
te & accomplie en toutes fes parties, par»
ce que Phèdre raconte ces Fables avec tant
de clarté, jointe à une lî grande breveté,
qu'on peut dire qu'il e(l parfait en fongen*
re comme Virgile & Horace le font dans
le leur.
Un Auteur Anonyme , qui n'efl: peut-
être pas différent de celui que je viens de
citer, témoigne (y) que la beauté des nar-
rations, en quoi confiftoic le grand talent
de Phèdre, ne paroît pas feulement en ce
qu'elles font courtes, mais aulTi en ce qu'el-
les ont ordinairement quelque chofe de
furprenant, & qu'elles font faites avec une
grâce & une adrelfe admirable. Et ce qui
diftingue particulièrement fon caraélére d'a-
vec celui de Terence, c'eft, dit-il, qu'on
lui trouve divers endroits, & fur tout dans le
fens ou l'application de fes Fables , dans fes
Pré-
rhilipp. Briet lib. 2. de Poctis Latinis pag 32. 31.
3. Tanaquill Faber in notisai Phxdrum pag. 187.
4. De Saint Aubin , Préface fur fa Traduction Fran-
çoifc de Phcdie.
fl. Ifaac le Maiftrc de Saci.
j. L'Auteur de la Traduftion de trois Comédies
de Tcience.
M 2
2(5S Poètes Latins.
fjicdtt^ , Préfaces, & dans Tes derniers livres, qui
font fort hardis, & qui font même dans
ce flyle iùblime que Ton recherche tant.
Mais ce qu'il y a encore de plus confi-
dérable dans ces Fables , ce font les fen-
dmens & la morale de cet Auteur , qui-,
£èlon Mr. Rîgauc (i) , a renfermé avec
beaucoup d'artifice fous ces Apologues les
maximes les plus utiles que Ton puilTe pra-
tiquer dans la vie. Il y corrige les défauts
des particuliers avec beaucoup d'agrément,
& il touche d'une manière fort délicate &
fort adroite , certaines chofes qu'il n'ap-
prouvoit pas dans la conduite des Grands
& dans celle de Tibère même.
Comme il vivoit dans une Cour extré-
niement rafinée,il n'éroit pas fur de pren-
dre des voies communes & ordinaires pour
reprendre publiquement les vices de fon
lîécle. C'efl: ce qui le rend d'autant plus
eftimable d'avoir fu par la force & l'adres-
fe de fon génie, trouver le fecret de k fai-
re impunément & fans choquer perfonne,
& de fe jouer agréablement des hommes
fous des noms de bêtes, de la nature des-
quelles i:i femble les avoir revêtus.
On peut dire que c'eft à l'imitation des
plus grands Philofophes, des anciens Sa-
ges d'Egypte , & des autres Maîtres de
l'Antiquité parmi les Peuples Orientaux,
^u'il a voulu repréfenter toute la conduite
des,
T. Nicol. Rigalt. Epifiol. ad Jac. Aug. Thuan,
dedicat. Phidri pithœan.
2 . Le Maiilxe 4c Saci ou celui qui a tiaduit Te*
rence Çcc, a
P a E T E s L A T I N S". idp
des hommes fous des figures iiigénicufesâc Phe(it«'4
divcrdlfantes , fous des emblèmes & des
entretiens de bétes. Il donne même, fé-
lon un Critique moderne (2) , plus de pré-
ceptes & plu s de régies que Terence pour
rendre les hommes fages dans toutes leurs
actions , & pour leur fin're aimer la vertu &
haïr le vice. C'eft pourquoi fes livres font
d'autant plus excellens qu'ils font propor-
tionnés tout cnfcmWe aux perfonnes les
plus fages & aux enfans. Les premiers ad-
mirent les inftru6tions importantes qui font
cachées avec tant de grâces dans les replis-
de ces Fables : les derniers s'arrétant àl'é-
corce de ces fictions ingénieufes qui les-
charment, y trouvent tout à la fois le plai-
ûr qu'ils y cherchent, & les enfeignemens-
qu'ils n'y cherchent pas (3).
Quand on fait réflexion fur tant d'ex-
cellentes qualités qui rendent cet Auteur fi
recommandable, on a quelque fujet d'être
furpris de voir que l'Antiquité ait eu û peu
de foin de nous le conferver, ou du moinj
de nous en recommander la ledure. Il
femble même qu'elle l'ait mis dans un ou-
b'i affés volontaire , & qu'on fe foit peu fou-
cié de le nommer dans les citations. Si
nous en croyons Voffius (4) , le premic?
des Anciens qui ait fait mention de lui,efl
Avicnus qui vivoit trois cens ans après lui
fous Theodofe. Mais quoique Volfiusfe
foit
3. De S^int Aubin , ou le Maiftrc de Saci, Préfaça
fur la tradudion de Phèdre.
4, Gcr. Joan. Voil deloët. Lat.lib. fuig. pag. M ^
Mb
270 Poètes Latins.
JhcdiCt foit trompé , & que Martial eût parlé de
lui long'tems auparavant (i) ; néanmoins
il n'auroit pas été impoffible i des Plagiai-
res, tels que Nicolas Perrot (2) & Gabriel
Faérne de le fupprimer en le pillant com-
me ils ont fait (3) , fi Mr. Pithou n'eût
rendu la vie à notre Auteur.
* Phadri Fabula Aifopia cum nous Ta'
Tfaq. Fabr'i in-4. Salmur. \6^1. Idem
cum nous R'igalùï in-4. '^P^<^ ■^- Steph.
161 7. — Idem cum nous Pétri Danet
în-4. Parif. 167^. Idem cum Marq.
Cudii Comm. curante P. Burmanno in- 8.
Àmft. 1698.. Idem cum notts Joh^
Fred. Nîlant in-8. Lu^d-Bat. 1709. —
Idem cum notis Davidis Hoogfiratani^ in
ufum Principis Najfavii in-4. Amft. 1700.
CiESIUS BASSUS,
Poëte Lyrique, fous Claudius & Néron.
xij'7. /^Uintiîîen lui donnoit le premier
^^v^rang après Horace (4) , mais le
peu de fragmens qui nous en font reftés,
ne nous donne pas lieu d'en dire davantage.
[Voyés dans le Corpus Poètarum Art.
1131.]
P E R-
ï. Martial. Epigram. xx. lib. j.
2. Ç. Il faut écrire Perot , ôc voir le j, vol. du nou-
feau Menagiana , où depuis la page 223. jufqu'à
7,1%. il cft parlé amplement de Nicolas Pe'iot, & du
nianufcrit qu'il avoir des fables de rhédrc.
3, De Perroto V. Gafp. Barthiiim lib. jj. Adver-
iu, cap. SI, col, :67o. De façino, Vid, Jac. Aug.
Tliuiin,
Poètes Latins. 271
PERSE,
Poète Satirîque, (Aul. Perf. Flacc.) mort
âgé de 29. ans , en la féconde année de
la iio. (Jlympiade, l'an vulgaire de Je-
fus-Chrift , c'eft-à-dire de notre Epo-
que, 6i.
II 58. T Es Crîtfques ont prefque tous peift;
1 ^ donné leur vois pour la répro-
bation de Perfe. Jules Scaliger dit nette-
ment que c'eft un Ecrivain impertinent,
qui n'a point eu aflcs de jugement pour
voir que c'étoit en vain qu'il prétendoit fe
faire lire, s'il ne vouloit point être enten-
du {s)' ÎJ ajoute que ce n'eft qu'un fan-
faron qui fait parade d'une érudition fié-
vreufe, & qu'il ne paroît que du capric&&
du chagrin dans fon ftyle.
Jofeph Scaîiger fon fils appelloît Perle
un pauvre Poète & un r/iiférable Auteur ^
qui ne s'ctoit appliqué qu'à fe rendre le
plus obfcur qu'il lui étoit poiTible , & qui
pour ce fujet a été nommé V aveugle par
les Poètes (6). Il témoigne néanmoins
que bien qu'il n'y ait rien de beau dans cet
Auteur , on peut pourtant écrire de fort
bel-
Thuan. Item eumd. Barthium.
4. Quintilian. lib. to. Inftitut. Oratoriai. cap. r,
Vofllus lib. I. de Hiftor. Latin, cap. 22. pag. 115,"
îc de Poët. Lat. pag. 44,
5. Jul. Caef. Scalig. Hypercritic. lib. 6, Poctic.
pag. 818.
er. Jofeph. Juft. Scalig. m primis Scalig. pag. 12;^
M 4
27^ Poètes Latins.
Jeife, belles chofes fur lui (i). C'eft ce qu'on a
remarqué dans la conduite de Cafaubon ,
dont les Commentaires valent beaucoup
mieux que l'original de Perfe, comme nous
l'avons vu ailleurs (2).
Mais comme notre Poè'te n'a point eu
deiïèin ds fe. faire entendre, il femble que
Cafaubon & les autres Critiques qui ont
voulu travailler fur lui, foient allé contre
lès intentions , & qu'ils ayent eu tort de le
vouloir expliquer, vu que félon Mr. Go-
deau (3) il ne mcritoit point la peine que
ces favans hommes oiK prife pour cet
effet.
On peut dire néanmoins que leur travail
n'a pas été entièrement inutile, puifqu'il a
fervi du moins à faire connoître le peu de
mérite de leur Auteur. Le P. VavafTeur
nous apprend (4) que le P. Petau l'ellimoit
encore de la moitié moins qu'il n'auroitfait
Il on l'eût laifTé fans explications, fans glofes,
& fans commentaires , parce que fon obs-'
curité nous auroit au moins fait croire
qu'il auroit quelque chofe de myllerieux.
Le P. Rapin prétend qu'il ed tombé
dans cette obfcurité pour avoir afFedé de
la grandeur d'expreffion fans avoir de gé-
nie, & pour avoir été trop hardi dans foa
langage (s)' ^^ même Auteur dit ail-
leurs
ï. Alter. Scalig. & ex Scalijero Franc. Varaflbr
iib. de ludicra diftione pag. 240.
z- Tom. 2. part. t. des jugcm. des Sar. ou il eft
parle de Cafaubon, Art. 457.
3. Ant. GodeaUjHift. de l'Eglifc à la fin du prcr
mier. fieclc pag. 37t. au premier tonic de l'edùioa
ilhoiiandc»
i
? O E T E Sf L A T 1 N 5v IJ^
leurs (6) que c'ell ratfedlation qu'il avoit pçîft^.
de paroitrc doéle qui lui caufoit cette obs-
curité , à laquelle il ajoute que ce Poète a
joint la gravité & la véhémence du disr
cours , mais cela n'a point été capable de
lui donner plus d'agrément. Ce n'efl pa%
dit cet Auteur, que Perfe n'ait quelques
traits d'une délicatefTe cachée : mais ces
traits font toujours enveloppés d'une érur
dition (î profonde, qu'il faut des Com-
mentaires pour les développer. Il ne dit
que tridement ce qu'il y a de plus enjoué
dans Horace,, qu'il tâche quelquefois d'i-
miter. Son chagrin ne le quitte prefque
point. C'eli toujours avec chaleur qu'il
parle des moindres chofes , & îî ne quitte
Jamais fon férieux lorfqu'il veut railler.
Voffius croit qu'il ne favoit pas les ré*
gles de la Satire, ou du moins (7) qu'il les
a négligées & renverfées, lorfqu'il a atta»
que feulement quelques Perfonnes en par-
ticulier, au lieu de reprendre les vices-aus-
quels plusieurs font fujets ; & lorfqu'en
voulant rnarquer quelques fautes ou qiiel-
ques aélions de ces Particuliers, il ne fe
fert fouvent que de termes généraux, qui
ne nous donnent point de lumières pour
connoître ni le fait ni là perfonne. Celi
pourquoi ce qu'il a fuit ne mérite prefque *
point
4. Franc. Vavaflbr, de ludicra diiflione > ut fiipri-
pag. 241.
5. Rcn. Rapin, Refiex. gcnMalc 30. fur la loë»
tiq. pag. 79. edit. in- 12,
6. 5-conde partie du iv.êmc Ouvrage, Refiex^
XXVIII. Sec ,
7. Ger. Jo. Vofl', lnftitutic:i. Foët. 1. 3.pag.4î^.
M s^
274 Poètes Latins.
?c^^«i point le nom de Satire, félon ce Critique,,
parce qu'il ne cenfure perfonne nommé-
ment , & qu'il aime mieux blellcr tout de
bon que de piquer ou mordre en fe jouant.
Enfin Calaubon & Farnabe après lui,
ont remarqué (i) que li on vouloit dé-
pouiller Perfe des plumes d'autrui dont il
s'eft voulu parer, il ne refleroit de ce qui
lui appartient que des bagatelles , & des
nutilités fort grandes î & ils prétendent
que toutes fes Satires enfemble ne valent
pas une feule page de celles de Juvenal.
Mais quoiqu'on ait pu dire contre les
Satires de Perfe, il n'a point lailTé de ren-
contrer quelques Critiques affés favorables
pour juger qu'il n'étoit pas entièrement dé-
pourvu de fens. C'elt ce qui paroît par le
fentiment que Mr. Defpreaux femble en
avoir eu , & qu'il a exprimé en ces ter-
mes (2):
Perfe en fes vers obfcurs, mais ferrés &
preflans ,
Afifeda d'enfermer moins de mots que de
fens.
Chytrxus prétend même (3) que c'eft
un
1. Ifaac Cafaubon, Prxf. in Peif. Comm. Item
Thom. f arnab. prxfat. ad Juvenalem.
<îf. Quoi que Cafaubon ait recueilli curieufement
tous les endroits où Perfe a imité, pour ne pas dire
copié, Horace, bien loin cependant de le rabaificr
au defl.'us & d'Horace & de juvénal, il prétend que
«oute compen'ation faite entre les trois Satiriques,
«k ce qu^ils QQt de boa ^ de OMuyaif, feifc pour*
P O E TES Li A T INS. Xff
un grand Philolophe, & que fous la févé- Perfc,
rite de la Satire il cache divers enfeigne-
mens tirés des livres de Platon.
* Eilh. huhin't Parapbrajîs in Aulï Per"
fit Flacci Satiram in- 8°. Amfî. 1S9S'
— I<;/i^m Perfius cura nous Farnabït in- 12.
Amft. \6^o. — Pcrfii Saura cum corn^
raent. Ifaaci Cafanboni fer Mertcurn Ca"
faubonurn in-8°. Lond. 1647. — Juvena"
lis i^ PerfiîSatira cum noîisHennim in 40.
Uhrajecî. 2. vol. T685V — Con Annota^
zioni dal Conte Cam'îilo Sihejhi da Rovi-
go in- 40. in Padoua 1711. — Cum notis
Ri^altii in- 12. Parif. apud Rob, Suph, ■
1616. *
Toit fort bien difputer de la pre'fe'rence avec les deux
autres. Ce n'cft donc pas Cafaubon que Daillet de-
Yoit citer, c'eft uniquement Farnabe qui à l'exem-
ple de Jule Scaliger a parlé de i'erfe avec le derniei
mépris.
z. Derpreaux,de l'Art Poétique Chant i.versTfî,
3. Chytr. de Poëticar. leûione re^c inftitucnd,
ap. J« Afl4i, Qyewlledt de Pati. Vir, Ul. pag. 3ia»-.
M 6
276 Poètes Latins^
L U C A I N,
Poète Epique hi dorique {Marcus Annceui
hncanus) né à Cordouë en Efpagnff^
vers Tan 37. ou 39. de notre Epo-
que (i), tils d'Aniiîeus Mêla, & ne-
veu de Seneque le Philofophe, mort en
la dixième année de l'Empire de Neron^.
en latroifiéme année de la 210. Olym-
piade, qui fut celle de la première perfé
cution de l'Eglife, & la tin de la 63. de
notre Epoque. D'autres mettent cette
' mort deux ans après, fous le Confulat
de Nerva, & Veilinus fuivant Tacite;
§. I-
l^aîû. Ii5'9' fL y 3 peu d'Ecrivains qtiî ayent
1 été plus expofés à la cenlure des-
Critiques que Lucain. Les uns en ont
voulu faire un grand Poète, les autres un.
Hiflorien médiocre, quelques-uns un vé-
hément Orateur , & d'autres un Philofo-
phe , un Mathématicien & un Théolo-
gien.
Mais on ne fait pas bfen encore à qui
de Lucain ou de fes Critiques cette mul-
titude de Cenfeurs eft plus nuilible, parce
que fi d'un côté elle nous porte à croi-
re qu'il y a bien des chofes à dire dans Lu-
cain , & qu'il faut que fa Pharfale- foit bien
inér
T. Ces diverfîtcs viennent de ]a difficulté d'accor-
4er faint Jérôme avec les Hiftoriens Romains,
2. ThosasfdiAabu-fiaEfiitioifidLuçaiUcditiouçoi)
Poètes Latins. 277-
inégale & bien défedueufe ; de l'autre on Lucaih-
peut dire que la diverlité de tant de juge-
mens inégaux & pleins de contradiéiion
qu'on a portés fur fon Ouvrage, ne nous
donne pas une grande idée de la folidité
de la plupart de ces jugemcns, ni delà-
capacité de quelques-uns de ces Critiques
qui fe font le plus écartés du commun de*
autres. Il en faut rapporter les principaux,
pour donner au Lecteur le moyen de pren-
dre tel parti qu'il lui plaira, & de choifir
les uns en fe divertilFant des autres.
Quelques-uns de ceux d'entre les Cn'tî--
ques qui en ont voulu fiire un grand «^oe-
t«, n'ont point fait difficulté de l'égalera
Virgile, mais Farnabe n'a point appréhen-
dé de dire que ces fortes de Critiques ne
nous ont point tant fait voir la grandeur
de Lucain que leur propre infolence, en.
faifant un parallèle fi bizarre (2) & fi ridi-
cule.
Un de ces Critiques qui n'efi point fans-
doute du premier ordre, ayant entrepris
de donner une nouvelle édition de laPhar-
fale avec fes notes a voulu ufer du privilé-r
ge que les Scholiaftes & les Commentateurs
lemblent s'être donné pour élever leurs.
Auteurs aufil haut qu'ils le jugent à pro-
pos , fans fe foucier de faire tort aux autres»
11 a voulu nous faire croire (3) que Lu-
cain eft fi fort approchant de Virgile, qu'il
y a un très-grand nombre d'endroits dans
lesr
;. Joannes Sulpitius Vcrulanus iii EpifloL prxûl^
M 7
27S Poètes Latins.
Lucaîn. lefquels on ne fait lequel des deux l'em-
porte far Tautre. Virgile eil riche & ma-
gnifique, dit ce grave Auteur : Lucain eft
fomptueux & fplendide. Virgile ei\ mûr,
fublime, abondant: Lucain eil vchément,
harmonieux, diiîas. Virgile imprime le
refpe6t: Lucain imprime la terreur. Virgi-
le eft net & compofé: Lucain eft fleuri
& jufte. Virgile a plus d'avantage dans la
qualité: Lucain en a plus dans la quantité.
Virgile a plus de force: Lucain a plus de
vénémence. Voilà le jugement de Sulpi-
tîus, c'eft-à-dire, d'un des plus zélés ad-
mirateurs des perfedions de Lucain.
D'autres l'ont voulu auffi comparer à
Virgile, mais avec plus de diftindion,
comme Bempfter, qui dit (i) que Lucain
n'eft pas fort éloigné de la majefté de Vir-
gile. Il s'en eft encore trouvé d'autres qui
ont ufé de la même comparaifon , mais
c'a été par "me efpéce d'oppoluion & pour
faire voir la différence de ces deux Poètes.
G'eft ainfi que le P. Rapin a dit que Lu-
cain n'eft qu'un emporté au prix de Vir*
gile (2).
§.2.
Dngéme de Lucain pour la Poêjîe.
Mr. Godeau dît (3) que Lucain avoît'
fans
1. Thomas Dempfter Scot, ad Joan. Rofini Anti-
^it. Roman.
2. René Rapin, Comparaifon d*Homcre ôt Vil»
^le chap. II. pag ^i.
3. Aatoiue Co4e«U} Hiiloiic £çcléiïaiti<jue}findtt
piC5
Poètes Latins. 279
fans doute beaucoup de génie, & refprit Lucaiow
grai)d & élevé, comme il paroit fur tout
dans fes defcriptions: mais qu'il avoit le
vice ordinaire des jeunes Gens, qui eft de
ne pouvoir jamais fe modérer. Il ajoute
que comme quelques-uns Teftiment trop,
d'autres le blâment auffi plus qu'il ne mé-
rite, parce que comme il a fes vices, on
ne peut pas nier qu'il n'ait aulTi fes ver-
tus.
Philippe Rubens ou Rubenius témoigne
auffi que Lucain avoit l'efprit ékvé & fu-
blime, & qu'on ne remarque rien de fer-
vile en lui (4>, quoiqu'il tût dans l'efcla-
vage fous les Tyrans. Farnabe ne pouvoît
fc lafTer d'admirer fa liberté, fon éloquen-
ce, fa force, fon feu, fon activité, fa
fubtilité noble & divine, l'élévation de
fon efprit, la vigueur de fa Mufe toute
mâle & toute militaire, fon air coulant
qu'il prétend même être fans impétuoiité,
la fublimîté , la clarté & la pureté de fon
ftyle (5).
Barthius aiïure en divers endroits (6) de
fes Ouvrages que c'eft un Poète d'un pro-
digieux génie , d'une érudition toute ex-
traordinaire, d'un caradcre tout-à-fait hé-
roïque ; qui depuis que fa Pharfale parut
au monde, a toujours été conlidéré com-
me un Auteur de grand poids parm' les
Philofophes & les autres Perfonnes d'im-
por-
pxeraier fiëcle.
4. Philip. Rubenius lib. "ElcCtot. cap. 2. & apud
Mait. Hanck. de Script. Rom.
5. Farnabius in Epift. pracfator. cdit. Luc.
6. Galp. fiaxtlùus Adïcifiuioi, lib, 53, csp. (.col,
H»7. i^*ix
iS© Poètes Lat'inî.
Lucaiû, portance à caufe de la gravité , de ïà
force , de la vivacité , de la fubtilité,
de la véhémence des penfées qui brillent
par tout fon Ouvrage, & qui font confi-
dérer fa. Pot lie comme un des plus grands
efforts d'un efprit tout de feu.
C'eft ce qui a fait dire à Mr. de Chante»
reine (i) ,que toute fa beauté confiée dans
des penfées extraordinaires &furprenantesj
qui ne laiifent point d'être folides : mais
qu'après tout, cette beauté eft beaucoup
moins d'ufage que celle qui conlîile dans
un air naturel, dans une (implicite facile
& délicate, qui ne bande point l'efprit &
qui lie lui préfente que des images com-
munes.
Jules Scaliger avoir déjà penfé & publié
la même chofe que ces Cr'tiques en divers
endroits de fi Poétique, où il s'eft fulcité
pluiieurs occafions de parler fur les bon-
nes & les mauvaifes qualités de Lucain
avec pins d'étendue. Tantôt il dit que cet
Auteur n'elt pas un :'oéte du commun (2) ^
mais qu'il ell trop embarairé& trop confus
dans fes penfées, qu'il porte toutes les
chofes à l'excès, & qu'on le trouve tou-
jours dans l'une des deux extrémités, fau-
te
1. Niéole, Traité de l'Education du Prince pjiit. s-
farag. 38. pag. 63
2. Jiil. Ca:f. Scilig. in Ciitico,reu lib. 5. îoëtices
cap 15. p^g 717.
3. idem Aiftorin Hypercritico, feu Jib. 6. Pcèti- j
S£s pag. 844. ,
4 Liî Greg. Gyrald. DiaJcg 4. de Hift. Toëtari». ',
antiquoï.
U f . GyraJdus €o pailant de Lucain n'ufe pas '
d'imei
ià\
Poètes Latins. 2S1
te d'avoir connu ce que c'cft que le jufte Lucaîa;
milieu des chofes.
Tantr>t il avoue (3) que c'cft un génie
vafle, tranfccndant, & plus que Poétique;
mais que c'clt un efprit qui ne connoît
point de Maître, qui n'a point voulu ds
bornes, qui n'a pu foutfrir de bride, inca-
pable de le foulager dans fes efforts, .& de
revenir de fes égaremens; qui efl prefque
toujours ébloui de fon brillant, & aveuglé
de la fumée de fon feu; qui eft efclave au
milieu de fes cmportemens, & qui n'ayant
de l'enthouliafme & de la fureur Poétique
que cette fougue qui l'emportoît toujours
hors de lui-même , jamais il n'avoit pu
rencontrer ce beau tempérament & cette
admirable médiocrité où Virgile s'eft ren-
fermé d'une manière tout- à- fait unique.
Nous venons de voir que Scaliger a
voulu nous faire pafïer Lucain pour un
poète qui eft fort au deifus du commun
des autres Poètes. Le Gyraldi qui vivoit
de fon tems , & qui n'ctoit guéres moins
Critique que lui , n'a pourtant pas fidt diffi-
culté (4) de le mettre au rang des derniers,
& de le compter parmi ceux de la lie (5-);
11 prétend que comme cet Auteur n'avoit
ni
d^lne expicffion fi mcprifante. Il ne te rabarflcqn'i
regard de Virgile avec lequel il ne peut fouffrir qu'on
le compare. Il veut qu'on ne le regarde ni comme-
le fécond ni même comme le troilicme, mais qu'il y
ait entre Virgile & lui une diftance aulïï grande qu'il
y en auroit dans la carrière entre celui qui auroit
atteint le but de la coucfc, & celui qui feroit enco-
re a la barrière. Cela ne veut pas dire que génci?.»
. îcment pailaut Lucaiu foit de la lie de^ f cëtes.
282 Poètes Lattns^.
iucain. ni diTcrétion ni jugement, il faut beaucoup
de Tuneôc de l'autre pour ne point prendre
pour des perfeélions & des vertus, ce qui
n'eftque vice & que défaut. Il ajoute qu'on
doit dire de Lucain ce que Ciceron (i) di-
foit généralement des Poètes de Gordouë
de fon tems, qu'Us avoientje ne fat quoi de
grojjier q^ d^ étranger', que c'ed avec raifon
que l'on compare Lucain à un cheval in-
dompté qui court au milieu d'un pré ou
d'un champ, & qui fait d^^s fauts non-pa-
reils, mais fans régie, fans mefure & fans
fruit: ou à un jeune foldat qui jette fou
dard avec beaucoup de courage & de vio-
lence, mais fans prendre garde où il le jet-
te, ni à qui il en veut.
Un autre Critique qui étoit de quelques
années plus âgé que le Gyraldi (2) , a pré-
tendu au contraire que Lucain eft un Au-
teur fort judicieux, que c'efl: un Ecrivain
adroit, abondant, vigoureux & poli dans
fes harangues; qu'il eft grave, lavant &
net dans tout le refte; qu'il explique les
caufes, les defïèins, les raifons & les ac-
tions avec tant de majefté qu'on s'imagî-
neroit voir toutes ces chofes plutôt qu'on
ne les lit , & qu'on croit être prefent à
tout ce qu'il dit.
Jofeph Scaliger difoit nettement (3) que
Lucain n'avoit pas pu devenir Poète , par-
ce
T. %. Dans l'Oraîfon /'r^» ^rchia.
2. Jo. Sulp. Verul. Lucaiii editor ut fuprl.
y, Jofeph. Scalig. in Priniis Scalig. p. 103.104,.
4i B.. Kapin, Réflexion i. fui \à poétique prcm.
part*
Poètes Latins. 2S3
ce qu'il avoic le génie trop violent, trop Lucain,
inonllrueux & trop terrible; qu'il avoit
trop d'efprit , & que ne pouvant fc retenir
faute de jugement & de lumiv5res, il n'a-
voit fu ce que c'ctoit que faire un Poè-
me.
Quoique la plupart de ces Critiques que
je viens d'alléguer, ayent remarqué beau-
coup de génie & peu de jugement dans Lu-
cain, cela n'a point empêché le P. -Rapiii
de dire dans la première partie de fes Ré-
flexions (4) , que Lucain languit fouvent
faute de génie, & qu'il a pourtant du ju-
gement. Mais le même Auteur s'eft ex-
pliqué ailleurs (5-) d'une manière plus net-
te, & qui nous tire de peine. Il d't que
Lucain eft grand & élevé à la vérité , mais
qu'il eft peu judicieux , & qu'il ne penfe
qu'à faire paroître fon efprit. Il approuve
Scaliger qui blâme les emportemens con-
tinuels de ce Poète, parce qu'en effet il eft
exceffif dans fes difcours, où il aiîeâre de
paroître plus Philofophe que Poète. Et
pour faire voir fon peu de jugement, il
remarque que fes Epifodes ont je ne faî
quoi de contraint & d'aîfedè, & qu'il y
fait de grandes Diftertations Scholaftiques
& des difputes purement fpéculatives fur
îes chofes naturelles qu'il trouve en fon
chemin.
Le
part. png. 3, edit in-T2.
5. Le même Auteur aumêmeTraité, féconde pait«
Rcflex. 8.
Et dans la Reflexion 15. de la même paitic.
2S4 Poètes Latins,
Lucâia. Le, P. Briet écrit que Lucain ayant af-
feélé de ne rien dire que d'ex-quis , & de
ne rien rapporter qui ne fût éclatant & ex-
traordinaire, fon prétendu Poème en efl
devenu tout enflé, tout irrégulier, & fort
obfcur en plufieurs endroits (i). Le mêma
Fere donne avis aux Maîtres de ne point
laifler Lucain entre les mains des jeunes
Gens , & de ne leur en point faire la leélu-
re, parce qu'il juge qu'il n'y a point de
Poète qui ait fi dangereufement corrompu
la Poèfie.
C'eft par le défaut de jugement qui pa-
Toît dans toute la Pharfale, que Jacques
Feletier jugeoît du peu de raifon qu'ont eu
les Ecrivains du moyen âge de l'avoir vou-
lu faire paiTer pour un grand Poète. Il eft,
dit-il, trop ardent & trop enflé: il eft trop
afl^edé dans fes harangues , où il ne fait ce
que c'eft que de garder la bienféance des
Perfonnes, & où il fait parler un Nauto-
nier & les derniers des hommes d'un air
de Céfar & de Pompée. Vous diriés^ajou*
te cet Auteur (2), que quand il eft fur la
defcriptîon de quelque objet, il n'en doit
jamais fortir. Il n'a point la difcrétion de
le modérer & de fupprimer tout ce qui
n'eft
1. Philipp. Brict. lib. 2. de Poët. Latin, p. 34- 3î.
2. Jacq, Peletier du M.ans dans Ton Ait Poët. li-
vre I, chap. 5- de rimit.
3. G. Barrh. lib. 60. AdveiParior. ad S. Auguftini '
libros de Civit. Dei lib. i. cap. 11, ad Chlc. voJiim.
fl. Le foiffantiemc & dernier livre des ^dverfir.^
dfe Barthius confifte dans un eflai du v.ifteComm ca-
taire qu'il avoir entrepris fur les Livres dcSaint Air- '
^uftiu de ÏA Cité de Dicy, C'eft là que page 30^6.
à.
Poètes Latins. i^j
îi'cft point néceflaire à fou fujet; ce qui Luca^J^
pourtant ei\ un des plus grands artitïces
qu'un Poète doive mettre en ufage. Mais
pour rendre une juftice entière à Lucain,
Peletier ne lailTe point de reconnoître qu'il
y a un grand nombre de beaux traits femés
-dans la Pharfale.
Gafpar Barthius qui a fait voir fa pro-
fufion dans les éloges qu'il donne à Lucain
eji plus d'un endroit de fes Adverfaires^
avoue néanmoins dans le dernier de fes
Ouvrages (3), que Tes bonnes qualités ont
été balancées par de grands défauts. Il dit
•qu'il en vouloit mortellement à Ccfar & à
toute fa famille, & que fous prétexte de
parler pour la liberté, il ne cherchoit qu'à
autorifcr la palîion & l'ambition de certai-
nes gens de fon tems qui vouloient domi-
ner fetiîs, ou qui ne pouvant foutirir leur
Prince légitime, étoient plutôt difpofés à
fe foumettre à tout autre, tel qu'il pût ê-
tre, pourvu que ce ne fût pas unCéfar qui
pût fe vanter de venir de celui qui avoit
fuVné la liberté delà République. H recon-
noît aulïi que Lucain paroît n'avoir été
qu'un jeune étourdi, un téméraire, & un
brouillon , ,qui ne favoit pas ménager les
ca-
à l'occanon de cetliémiftîche Ccelo tegltur ^uî non ba»
iet urnam , que S. Auguftin cite, tc qu'on fait être
de Lucain, il s'ctcnd fur les louanges de ce Poète
fans en toucher les défauts, en foite qu'il cft évi-
dent que liaillct s'eft mécompte dans la citation de
cet endroit des ^dverfAria de liarthius, au lieu qu'il
devoir renvoyer au jj. livre du même Ouvrage,
chap. 6. où efFeftivemcnt l'Auteur met dans la ba-
lance tout ce qu*ou açoiuUHic <k louciôide icpica-
die duus Lucaiu«
1Î6 Poètes Latins.
tucain, cara61:éres de ceux qu'il répréfentoit, aus-
quels il donnoît fouvent Je (îeii, c'e(l-à-
dire celui de la légèreté, de la vanité, &
de l'emportement.
Mais cette liberté que Barthius a prife
pour le fruit d'un efprit peu judicieux, a
pafle dans l'imagination de Daniel Hein-
fjus pour une vertu tout-à-fait héroïque,
& pour l'effet de cette générolité Romaine
dont le cœur de Lucain étoit tout plein.
C'eit ce qu'il a prétendu nous faire voir
fort amplement dans le curieux Livre qu'il
a fait des louanges de V/1^c , pour la con«
folation de ceux qui ont eu honte jufqu'icî
de paroître tels fous la figure humaine. Il
foutient (i) que la Pharlale eft le monu-
ment le plus glorieux qu'on ait jamais
dreflé à la liberté de la République Romai-
ne. Il a raifon de dire que Lucain avoir le
fang noble Se bouillant dans les veines;
mais les Poètes ne doivent point favoir
beaucoup de gré à ce Critique d'avoir ma-
licieufement infinué que Lucain avoit été
parmi ceux de leur profeflion, ce qu'eft
un Cheval hennifTant & fougueux au milieu
d'une troupe d'Anes. Il eft bon néan-
moins de rapporter la railbn qu'il croyoit
avoir pour appuyer fa comparailbn. C'efl
que comme il n'y a pas d'animal plus fou-
rnis & plus propre à la fervitudc que l'A-
ne; de même parmi les diverfes efpéces de
Sa-
1. Dan. Hcinfius lib. fingul. de Laude Afini edit,
in- 4. pag. 8 6. 87. & feqq.
2. Du Hamel, DilTenation fur les Poëfîcs de Mr.
Poètes Latins. 287
Savans , il n'y en avoit pas autrefois de Lucaîa,
plus flateurs &de plus efclaves des Grands
que les Poètes. iMais Heinlius devoit lon-
ger que fur ce pied-là Lucain n'étoit pas
le feul Cheval de fon iîécle, puifqu'il s'ell
trouvé encore fous Néron & fous Domi-
tien quelques autres Poètes qui ont ufé
d'une liberté auiïi grande que s'ils avoient
vécu dans une République , tandis que les
autres flatoient les Grands, & fe faifoient
honneur de leur fervirudc en donnant de
l'encens aux Princes ou à leurs Favoris.
Enfin pour ne point féparer nos para-
doxes, je rapporterai ici l'opinion de Mr-
du Hamel (1) , qui n'a point fait diffi-
culté de dire que Lucain garde la bien-
féance de fbn Héros beaucoup plus Judi-
cieufement que Virgile. Mais quand ou
accorderoit cela de l'Adion principale
de fon Poème, on aura toujours raifon
de dire, comme hit Volîîus (3), que Lu-
cain n'elî nullement judicieux dans tou-
tes les circon (lances qui accompagnent
cette A6lion , dans fes Epifodes tirés de
trop loin, & recherchés avec trop d'aîfec-
tation , & dans fes digrcffions trop fré-
quentes ; & qu'il défigure fon Héros &
fes autres perfonna,s;es en leur donnant
un Caradére de Docteurs qui ne leur
lied pas, & en leur faifant faire des dis-
cours & des dillertations étudiées fur des
points
de Brehceuf pag. 14.
3. Gérard. Joan. Voflius lib. i. Inftitution. Toc-
ttr. cap. 4. pag. 41.
iSS Poètes L a t i n -s.
Lucaifl. points d'érudition , où l'on trouve des cho-
ies exquifes à la vérité , mais qui n'ont ni
rapport nécefFaire , ni liaifon naturelle à
fon fujet, & qui font voir que ce jeuac
Pacte n'avoit que de l'oftentation,
§• 3
De la Conflitutîon du 'Poème de Luc aï» ou
de i^ Ordonnance de [a Fable^
Les plus expérimentés d'entre les Criti-
ques femblent être toujours convenus que
l'Aclion de la Pharfale en la manière que
Lucain Ta traitée n'eft point la matière
d'un Poème Epique, c'eft ce qui les a por-
tés à mettre Lucain parmi ks Hilloriens
plutôt que parmi les Poètes.
C'efl: à lui que Pétrone en vouloir,
lorfqu'il a dit (i) qu'il n'étoit pas pofli-
ble de ne pas fuccomber fous le fardeau,
lorfqu'on prétendoit fe charger de toute
la matière d-es Guerres civiles, fans avoir
tous les fecours nécefTaires pour la bien
traiter. Car il ne s'agit pas , dit-il , pour
faire un Poème, de renfermer une fuite
d' Avions dîins des Vers, parce que c'eft
entreprendre fur l'Office d'un Hiilorien:
mais il faut prendre des détours, il faut
ein-
1. Petron. Arbitcr in Satyrico.
2. Servius Commentai, ia Virgil. i£neïd. lib. r.
verfu28r.
3. Joruand. feu Jordan, de Hiflor. Goth. cap. 5. Se
apud Hanckium.
.4. Ifidor. Hifpalcnf. Origiûum lib. 8. cap. 7. 6c
Hanck,
Poètes LATI^r$. 2S9
employer des machines , c'eft- à-dire le Luctiaf
minillére des Dieux, il faut que i'efprit
en fc laiffdiu aller dans le vade champ
des Fables ait foin de conferver toujours
fa liberté, de telle forte ne'anmoins qu'il
falfe paroître de renihoufiafme & de cette
infpiration qui excite la fureur Poétique.
Les Ecrivains des lîécles fuivans qui
ont paru d'une érudition un peu diftin-
guée, ont été dans le même fentiment à
regard de la Pharfale, & ils n'ont pas ju-
gé à propos de faire paifer Lucain pour un
Poète, fous prétexte que fon Ouvrage eft
hiltorique. C'ell ce qu'on peut voir dans
Servius (2.) , dans Jornande Hiliorien des
Gots (3), dans Saint Ilidore de Seville(4)
& dans le Polycratique de Jean de Sarisbe-
itî Evêque de Chartres (y).
.(, Jules Scaliger n'a point laifïé defoutenir
(6) que bien que l'Ouvrage de Lucain foie
hiftorique , l'Auteur de cet Ouvrage ne
laifTè pas d'être un vérit ible Poète. Voflius
femble avoir fongé à les accommoder tous,
en difant que Lucain e(t un Poète Hifto-
rique, & non Mythique (7): qu'à dire le
vrai, il déclame plutôt qu'il ne chante (8) ,
mais qu'on trouve pourtant une chofe fort
*!ouable en lui, qui ell d'avoir su choîfir
une Action principale , & de s'y être atta-
ché
s, Joan. Saiisbeiienf. Polycratic. De nugis cuiia-
lib. lib, 2. cap. 19.
? Item ap.Mart. Hanck. de Script. Rer. Roman.
:. 6. Jul. Cxù Scaliger lib. 3. Foctices cap. 2.
• 7. Voflius Inftitution. Poëticai. lib. 3. cap. 4,
. s. Item lib. i.Iuft. Foët. cap. r.pag. <x,
l'Qm.ULPart.IL N
n^ Poètes Latins.
^nfaïit; ché avec afTés de fidélité dans toute la fui-
te de fon Ouvrage. Gafpar Barlaeus a vou-
lu auflî concilier les partis , en faifant Lu-
cain également Poète & Hiftorien; mais
j'ai peur qu'il n'ait pris un galimatias pour
îa pointe de fon Epigramme (i), lorfqu'il
a voulu nous dire qu'on ne peut point re-
fufer ces deux qualités à Lucaîn , fans fai-
re connoître en même tems qu'on eft
moins bon Poète & moins bon Hiftorien
que lui (2).
§. 4.
Des connotjfatice! de Lucain qui font nécef*
faire s ou étrangères à [on Ouvrage»
Lucain ne s'eft pas contenté de faire
l'Hifto-
V. %. Ce pourroit être une fauffe pointe , mais
comme le fens en eft fort intelligible ce a' eft pasua
galimatias.
2. Gafp. Bailxi £pigiamma fie habet :
Cm minus Hijitricus credor^ minns eJJ't Pocta ,
Me minor tft Vates^ & minor Hi/ioritMS,
3. Quintilian. Inftitution. Oiatoiiar. lib. 10. cap.
I. &c.
4. Erafmus in Dialog. Ciccronian. pag. 147.
5. Joan. Suipitius Yeiul. la Pixfac. ad Lucani e*
dition.
Ç. Jean Sulpicede Ve'roli, J»*itnes Suipitius VeruU'
fiHSt contemporain de Domitius Calderinus, de Ni-
colas Pérot, & même de Politien,vivoit encore en
1^9$. Cela paroit par les Oeuvres de Campanus E-
▼cquc de Téramo imprimées à Rome & à Venifc,
cette-année-là , parmi lefquclles au-devant de les
Poëlîcs eft une Epître de Michel Fernus adreflée à
Pomponius Laetus, où il eft fait mention de Jean
Sulpice comme d'un homme qui aroit furvecu à
^QQigc Mciulsi de ) rplitica ^moits Tua ^ l'autre
i'aii<%
Poètes Latins. 291
THiltorien dans Ton Poëme, il a vouIaLucti«i
faire connoîcre aalîi qu'il étoit encore un
Orateur. En etfec Quintilien voyant fa vé-
hémence & la noblelle de Tes peiifées efti-
moit (3) que cet Auteur me'rite plutôt d'ê-
tre mis au rang des Orateurs que parmi
les Poètes. C'elt ce qu'Erafme a remarqué
auffi après lui, mais il juge que bien qu'il
ait plus Tair d'un Orateur que d'un Poè-
te, fon éloquence ne laiife pas d'être très-
éloignée de celle de Ciceron (4).
Jean Sulpice qui a peu furvécu à Eras-
me (f) , Gafpar Barthius & Thomas Far-
nabe du tems de nos Pères nous l'ont aulïï
dépeint comme un grand Orateur. Bar-
thius a prétendu que Lucain n'avoit point
eu fon femblable dans l'art de mêler les
fieurs & les ornemens du difcours avec le
poids
l'année précédente 1494. Sabellic dans fon Dialo-
gue de 'i^pardîiont L<xnn^ Lin"^nd le compte p.irmi
les premiers reftaurateuis des belles Lettres à Rome
dans le quinzième fiéclc. C'eft à lui qu'eft due la
plus ancienne & la pius raie de toutes les éditions
de Vitruve. L'exemplaire qui s'en voit à ia Biblio-
thèque du CoiJége Mazaiin n'a véritablement nuJlc
marque ni du lieu ni du tems de l'impieflionj mais
de la man ère dont Jean Sulpice parle d'Innocent
Vin. dans l'Epitre dedicatoire on juge que le livre
a été vraifemblablement imprimé l'an 1490. deux
ans avant la moit de ce Pape. Enfin les Commen-
taires de Jean Sulpice fur Lucain ont été imprimés à
Venife des l'an 1493. Toutes ces dates ne permet-
tent pas de croire qu'il ait pu lurvivre à Eialme,
mon le 12. Juillet de l'an 1536, Auffi n'ai- je d'a-
bord obfcrvé que Jean Sulpice vivoir encore en 1495.
que parce que je ne crois pas qu'on puilTe prouver
qu'il ait guère vécu au-delà, d'où je conclus qu'il
e(\ probablement mort 40. ans tout au moins aviut E-
i^lmc, bien loia de lui avoir fiuvécu,
N 2
ICI Poètes Latins.
twain. poids de fes pçnfées. Il dit que c'eft avec
toute la bonne foi imaginable (i) qu'il a
gardé le Génie & le Caradére d'un Décla-
mateur; que c'eft un Orateur Républicain
plus femblable à Caton pour la conformi-
té d'humeur & de tempérament qu'à Cice-
ron, & aux autres Orateurs quivivoient
dans un Etat de liberté. Il ajoute qu'étant
ennemi déclaré de la Tyrannie & de toute
Monarchie, il auroit mieux réufTi s'il eût
donné à la vivacité de fon efprit & à la
force de fon éloquence la liberté delapro-
fe, au lieu de l'enchaîner dans les vers.
Mais après tout, depuis qu'on eut perdu
le goût de la véritable Eloquence, qui, fé-
lon plufieurs de nos Maîtres, ne fe peut
point rencontrer hors d'une République,
& qui avoit régné dans le Sénat avant la
révolution de l'Etat , perfonne n'avoit en-
core fait paroîrre avec tant d'éclat ce nou-
veau genre d'éloquence qui femble même
avoir pris fa naiiïance dans la famille de
Lucaîn. Car fon oncle Seneque le Phi-
lofophe en avoit déjà donné un exemple
en profe, & on pourroit foupçonner fon
grand Père Seneque le Rhétoricien d'en a-
voir voulu donner la forme & les régies.
Comme le goût de cette forte d'éloquence
qui conliftoit toute dans les pointes des
mots
T. G. Barthius llb. s?. Adverfar. cap. 6. ut fuprà
col. 24?8.
2. LcuïsThomaffin, de la Méthode d*etud. Chre'»
tienncm. les Poètes, livre r. chap. 6. nombre p. pag,
71. 72.
3. fhilip. Bcioald. ia Tixleftion, feu Orationc^
Ixslc^, Luc,
i
Poètes Latins. 293
mots & dans les biillaiis continuels des Lucaia,
penfées étoit bien établi fur la tin derEm»
pire de Néron, Lucain que la Nature a-
voit tait éloquent en ce fcns, fe trouva,
même au préjudice de fon oncle félon
quelques-uns, le Prince des Orateurs du
teins' malgré la mefure de fes vers, fans
faire autre chofe pour mériter cet hon-
neur , que de fe laifTer aller à fon im-
pctuolité naturelle & au génie de Ion
ûtc\e.
Outre que Lucain étoit Orateur, on
peut dire après le P. Thomaflin (2) qu'il
étoit encore un grand Théologien en fà
manière. Si nous en croyons Beroalde (3)
& quelques autres Auteurs (4) il étoit aufli
habile Géographe. Il étoit bon Philofophe
fi bon Politique, félon Barthius (5"). En-
fin c'étoit un grand Atlrologue au juge-
ment de Nicolas Ckmangis (6), c'eft-à»
dire d'un homme qui vivoit en un tems où
Ton n'éxigeoit pas encore grand'chofe
pour croire un homme habile en Agrono-
mie. Auffi Jofeph Scaliger qui en jugeoit
par l'état où on avoit fait avancer cette *
belle connoifTance de fon tems, prétendoit-
il que Lucain étoit fort ignorant dans
r Agronomie (7), & qu'il fe trouve moins
de folidité que de vanicé, de fanfare, &
d'of-
4. Et apud Mart. Hanck. in librîs de Scriptorib.
Rcrum Ronianar.
5. Barthius lib. yj. Adverfarior. col. 24I9. cap. 6,
é. Nicol. Clcmangis feu deClamcngiis Epiftol. 5,
U apud Gafp, Barthium 1. 60. Advcii. pag. }9Ht»
7. Jofeph Scaligei lib. i. Epiftol. 3.
N 3
294 Poètes Latins.
Xwaji. d'oflentation dans ce qu'il en a dit.
Mais Gafpar Barthius qui reconnoifToit
d'ailleurs (i) que Lucain n'e'toit pas bon
Mathématicien, prétend que Jofeph Scali-
ger n'a point fait moins paroître d'injufti-
ce & d'animoiîté en attaquant les Mathé-
matiques de Lucain que fon Père Jules en
avoit témoigné en cenfurant fa Poélie.
Farnabe s'e(t trouvé dans les mêmes dis-
poiU'"ons que ce Critique à l'égard de Lu-
cain. Après avoir déclaré qu'il n'approu-
voit pas la cenfure de Jules Scaliger, &
qu'il trouvoit le jugement de Pétrone plus
raifonnable & plus judicieux , il ajoute
que Jofeph Scaliger ne lui paroît pas plus
difcret que fon Père quand il s'emporte
dans des déclamations & des invedives
contre Lucain (2) , fous prétexte qu'il
n*eft point cxaâ dans fes obfervations Agro-
nomiques & Mathématiques. Il dit que
ceux qui font fî clairvoyans dans fes dé-
fauts devraient bien avoir auffi remarqué
fes bonnes qualités ; qu'à dire le vrai, il a
fait quelques fautes contre la Géographie
• & l'Aftronomîe; qu'il a quelquefois des
duretés dans fes manières , des hyperbates
& des tranfpofitions , des digrelTions & des
réflexions tirées de trop loin, & qu'il a
trop d'attache à fon parti. Mais il faut,
dit-il , avoir quelque égard à la jeunefTe
du Poète, &■ conlidérer que la plus gran-
de partie de ces défauts font compenfés
en quelque façon par ce- grand cœur, &
cet efprit qui ne refpire que la liberté an-
cien-
î. Idem Barthius lib. Advcrf <îo. p. joz<. utfuprà.
U Tl'tMnaîFaviub, PrxfUt. ad Lucani editioR.
Poètes Latims. igf
cîenne , par ce torrent d'éloquence qui LncaîM^
femble n'avoir point de bourbe, par la fa-
cilité & le bonheur avec lequel il a renfer-
mé dans les vers une matière qui paroilfoit
n'y être point propre, par la grâce & la
noblelFe de fes expreffions, par fa fubti-
lité & fon élévation qui a quelque choie
de divin , par fa force & fa véhémence,
& par le ton mâle & militaire qu'il a doa-
né à fa Mufe.
Z)» Slyle de Lucaift,
Il réfulte de tout ce que nous venons de
voir fur le fujet de Lucain, que fon ftyle
eft grand, élevé, véhément, brillant &c
fleuri ; mais qu'il eft aufîi trop affe<Slé &
trop inégal. L'inégalité le rend allés fou-
vent rampant & bas auprès des endroits les
plus élevés; l'affcdation le rend dégoû-
tant (5t le fait tomber dans quelques puéri-
lités; & la véhémence jointe à la nécelïî-
té de fon lîécle & à cette première révolu-
tion de la Latinité qui fe fit fur la fin de
l'Empire de Tibère, femble avoir été un
grand obftacle à la pureté & à la clarté de
ce ftyle.
Outre cela on peut dire qu'il eft trop
hérilîé de pointes , de fentences & de fub-
tilités étudiées. Cette atfedation , dit Vof-
fius (3), étoit particulière à 11 famille des
Annécns qui étoit la fienne, celle des Se-
nc-
î. Gérard. Joan. Vofl. Inftitut, Pocticar. lib. u
çag. lot. Sec.
296 Poètes Latins.
i^cain, neques, & de Florus rHiftorien,& même '
à l'Efpagne entière, comme il a paru dans -
Martial & quelques autres Ecrivains de
cette Province de l'Empire.
C'eft dans la vue de ces défauts que Pe- ^
trône ne pouvoit fouffrir leftyledeLucain.
Ce n'efl qu'à lui, dit le Père Rapin dans fes
Réflexions (i) & à Sencque qu'en veut ce
Cenfeur fatirique par ces traits qui lui
échappent contre les méchans Poètes &
les faux Déclamateurs. Le même Père
dans la comparaifon d'Homère & de Vir-
gile (2) nous apprend que ce qui rend en-
core fon flyle défeâueux, c'eft ce mauvais
goût des Epîthétes recherchées & extraor-
dinaires auquel il s'eft abandonné, & cet-
te affedation pour les pointes dont il s*eft
fait un art, quoique ce ne foit le plus fou-
vent qu'un jeu de paroles oppofées entre
elles, qui eft un genre d'écrire qui ne peut
revenir qu'à des efprits fuperficiels & de
peu de folidité.
Jules Scaliger a prétendu (3) que Lu-
caîn avoit rendu fon ftyle odieux en lui
donnant un air fier & menaçant qui n'ins-
pire que la crainte & la terreur. D'autres
Cri-
1. Tetrone au rapport du T. Rapîndans TAveitis-
femcnt des Réflexions fur la Poétique.
2. René Rapin, Compar. d'Homère êc de Virgile
chap. 10. page 39. edit, in-4.
3. Jul. CxC Scalig. lib, 3. Poëtices cap. 27.
Item apud M. Hanck.
4. Du Hamel Differtation fur les Ouvrages de
Brcbeuf page vingt deux & vingt trois.
i. Martinus Hanckius de Reium Romanarum
Sciiptoxibus , cap. 11. parte pcimi, Aiticulo tertio
Poètes Latins. 297
Critiques y ont remarqué dîverfes autres Lucain,
qualités dont on peut voir la bonté ou le
vice parmi les jugemens différens qu'on en
a rapportés plus haut. Ainfi on peut finir
& conclure avec Mr. du Hamel (4) que
ceux des Critiques qui ont prétendu ne
rien trouver que de louable dans Lucaîn,
aufli-bien que ceux qui n'y ont voulu re-
marquer rien que de blâmable, font pafTés
à des extrémités qu'on ne peut point ap-
prouver; & que les premiers ont fait pa-
roîrre trop d'ignorance, & les derniers trop
d'injuftice dans leurs jugemens.
Au refte ceux qui voudront avoir an
recueil des éloges que Lucain a reçus de
divers Auteurs pourront joindre ce que
Mr. Hanckius en a ramaffé dans la pre-
mière & dans la féconde partie de fes Ecri-
vains des affaires de Rome (y), & y ajou-
ter ce que V'olTms en a recueilli dans fe«
Hiiloriens Latins (6).
Nous aurions pu joindre à Lucain (k
femme Polla Ar^entaria (\\ji\ faifoit aulïi
bien des Vers que lui ; qui avoit même
pitis de bon fens & de jugement que lui^
& qui corrigea ks trois premiers Livres de
la
pa^. 78. & fequcntib. !tem parte fecundâ in addca-
dis ad cap. ii. pag. 246. î< lequentibus.
<. G. J. VoiTius de Hiftoric. Lat. lib. i. cap. x%.
pag. TjT. 138- ôc fcqq.
Bibliograph. Anonym. cur. Hiftoiiccy Philologie,
pag. 60.
Rottcau, Sentira, fur quelques Livres qu'il a lus
{>ag. 5 2 MS. ou il dit qu'il y a dans Lucain des fail-
ic$ d'efprit inimitables, 5c que s'il le foutenoit e-
««dcmcm, !« Phaifale feroir fa^is compaiaifoa.
^9^ PoiTEs Latins.
Z^acaio, la Pharfale après la mort de fou mari , mais
il ne nous ell rien relié des autres Poclies
qu'elle avoit faite d'elle-mcme, & toutes
celles de fon mari font péries avec les lien-
nes hors la Pharfale.
* M» A. Lucanus Ror/îa în-fol. Venet,
1469. — Stilpitii Verulan't ^ Commenta
Ommboni Vinccnimi in-fol. Venet. 1493.
— Cum Lamh^ Hortenfu k2> Jo. Sulpitii
Verulani Commentarus in-fol. B^afil. 15*78.
•— Idem ex emeniatione 'Theod. Pul^
tnannl in-il. Antuerp. 1^76. — Per
Hùgonem Grotium in-80. Lugd.-Bat. 162.6,
« Ejufdem ^ aliorum in-8**. Lugà,'-^
Bat. 1669. *
S E N E Q U E
Le Tragique, c'eft-à-dire , un connpofé
de trofs ou quatre Auteurs dont le
principal eîl Seneque le Philofophe, Lu-
Cîus Annxus Sericca^ natif de Gordouë,
mort la première année de la 211. O-
lympiade, félon Saint Jérôme, la 12.
de l'Empire de Néron, la dy. de notre
Epoque. Tache met cette mort devant
ielle de Lucam ; mais la même année.
Stoeque. 1160 j"^ E toutes les dix Tragédies La-
j V tines qu'on a recueillies & pu-
bliées
1. Ger. Joan. VoflT. lib. finjul. de Poëtis Latiiûs
cap. 3 pag. 40.
Philipp. Briet. de Poè't. Latin. lib. 2,
Dan. Heinfius de Tragœd.
Gafpai Baicfaiiiu Ub. 4^. Adveifaiioi. cap. 25. col.
Jcaa
Poètes Latins. 29^
bliées en un corps fous le nom de Sene- scaeq«^
que , on convient aflés communément
que les plus belles font de ce célèbre
Philofophe Précepteur de Néron , & que
c'eft lui qui eft le véritable Auteur de
la Médée^ de l^Htppôlyte^ & des Troades.
Les autres ont aulii leurs beautés & leur
prix , quoi qu'on ne fachc pas bien encore
à qui les attribuer. Mais perfonne ne nie
que la moins raifonnable de toutes & la
moins digne du nom de Seneque ne foit
VOilav'ie^ à laquelle d'autres ajoutent la
Thebaide qui elt l'Ouvrage d'un Déclama-
teur qui ne favoit ce que c'étoit que Tra-
gédie (1).
Lipfe n'étoit pourtant pas d'avis qu'on
donnât celle des Troades à Seneque, la
jugeant iî mauvaife qu'elle ne pouvoit être
à fon avis que le fruit de quelque petit
Poète crotté, ou de quelque Pédant igno-
rant. Mais ce Critique s'eft attiré le cha-
grin de Jofeph Scaliger (2) pour avoir lî
mal parlé de cette Tragédie, que celui-ci,
prétend être dhine entre les autres , & la
principale des neuf qu'il foutient être abfo-
lument de Seneque. (3).
Le même Scaliger jugeoit (4) que celui
qui a fait ces Tragédies eii un bon Au-
teur; mais qu'on ne doit pas exiger de lui
cette exadtitude que demandent les régies
du
Jean Racinc.Préface fur fa Tragédie de la Thébatdc.
libliog. Anon. cur. Hifl. Philol. p. 57.
Fianç VavafT. Remaïques lui les B.éîlex, tou«hiiaf
la Poétique pag. 114.
2. f . Jol. Scalig. Epitrc 247.
5. % Le même là même 5c Epître 4T4.
"^ îof, Scalig. iû guni, ScaligeraoiJ £.1^
jto Poètes Latins.
*«acqae, du Théâtre (i). Son Père Jules alloit en-
core plus loin dans Teib'me qu'il faifoit de
cet Auteur. Il dit (2.) qu'il ne le jugeoit in-
férieur à aucun des Grecs pour la majellé,
& qu'à fon avis il avoit furpailé Euripide
même dans la politefle & dans la beauté.
On ne peut point ôter, ajoute ce Criti-
que, la gloire de l'invention aux Grecs:
mais ce n'eit pas d'eux que Seneque a pris
ce grand air, ce ton élevé, cette gravité,
ce courage & ce feu qui paroît dans fes
Tragédies. Néanmoins il avoue que c'eft
inutilement que cet Auteur a voulu fe ren-
dre plus femblable à Sophocle qu'aux au-
tres.
Les deux Scaligers ont été fuivîs dans
des fentimens li avantageux pour Seneque,
par un grand nombre de Critiques dont
quelques uns ont prétendu qu'il n'y a que
la Médce qui foit de ce Philolophe , &
que
1. %. On ne doit être content ni des paroles du Pr»-
m* Scaligeran^ , ni da (ens que leur donne Baillet,
&tneca, Pnëta y bonus ^nHor tjl ^ tamen Tra^cediarur»
^baraifer non tfi txigenius acL lettrtjn cothumam. L€
mot charaâer joint au mot ctthurnum fait voir qu'il
s'agit ici de l'élévation 6c de la gravité du ftyle , en
^uoi Seneque ne cède à qui que ce foit des anciens
Tragiques. Ainû la remarque du Scaii^:^erana, telle
<juc Veitunien J'a conçue , n'eft point juftc, ni 1*
txaduftion non plus, puifqu'il ne s'agit point là de
î*éxaôitude des régies du Théâtre.
a. îul. &calig«r. Hypercritic. feu VA>. 6, Poctice*
piig. tî9u
3. f . Tout cela eil fort incertain. Jofeph Scali-
«cijdes dut Tragédies, qui parolflent fou6 le nom
5c Seneque, en attribue neuf, fondé apparemment
^ur kiVyle, à Seneque le Philofophe, à qui par la
m$me xairoA il aiu«it auûi auxibué l'Oâarie^ £ ïc
CCXDi
Poètes Latins. 301
que toutes les autres hors TOélavie appar- Scncque,
tiennent à un de fes neveux (3) qui por-
toit le même nom que lui (4. Ils ne fe
contentent pas de louer la beauté de fes
penfées & l'importance de fes maximes,
ils admirent la majeftc de fon ftyle, la for*
ce de fes exprelTions , & même la pureté
de fon langage (5-): enfin Mr. Godeau n'a
point fait difficulté de dire que c'eft un ori-
ginal excellent en fon genre (6).
Jl femble néanmoins que tous ces élo-
ges ne peuvent nous perfuader autre cho-
fe, iinon que Seneque penfoit noblement
& parloit bien. Car on peut dire qu'il n'a-
voit ni la connoiiïànce de l'Art Poétique,
Ttt le difcernement néceflairc pour le bon
uTage & la jufte application de fes penfées
& de fes paroles.
Voffius dit que ce grand amas de Senten-
ces , de pointes , & de fubcilités d'efprit
étouffe
fcms de la mort de cette Priiiceflc , pofierieux au
tems de la mort du Philolophe ne s'y etoit oppofc,
Scaliger en îéez. écrivant à Gruter donnoit cette
j)icce à un domeftique d*OAavie, ami de Séneque,
te. rejettant le lentinient de Lipfe,trouvoit que c'«-
toit oftiTTium Putma. Depuis en 1607. ccriviint à Sau-
maife il attrîbuoit l'Oftavie au Poète Scaeva Memor.
Voflius qui, comme Lipfe, la trouve fort imperti-
nente, picfumc qu'elle peut être de l'Hiûorien Flo-
lUS.
4 Bonavcnt. Vukanius , Majt. Dclrio,Petr.Scri-
▼exius , Dan. Heinfius, Ccc.
Item Olaiis Borxichius Diâextat. de Poët. Latîju
f>ag. 56.
5. Thom. Dempftcr ad JoarL Rofin. Antiquit,
Kom. &c.
é. Ant. Godeau, Kift. EccleûaA. £n du picmicf
£c<k«
N7
302 Poètes Latins.
Sttiequc, étouffe les mouvemens qu'un Poète Tra-
gique doit exciter ou ménager dans fes per-
fonnages, & qu'il femble qu'il ait voulu
faire des Philofophes de toutes les perfon-
nes paflionnces qu'il repréfente fur fon
Théâtre. Il ajoute qu'il a voulu imiter Eu-
ripide; mais qu'il en a toujours été fort é-
loigné (i); & que loin de parvenir à fa
gloire, il n'a pu même arriver à celle des
Poètes médiocres qui pratiquent au moins
les régies les plus communes du Théâ-
tre (2).
Le P. Rapîn dit nettement (3) que Se-
neque n'entend point du tout les mœurs ;
que c'eft un beau parleur qui veut fans cef--
fe dire de bt^lles chofes ; mais qu'il n'eft
point naturel en ce qu'il dit, & que les
perfonnes qu'il fait parler ont toujours l'air •
de pertbtttHges* Ce même Auteur dit ail-
leurs (4) que Seneque parle toujours bien,
mais qu'il ne parle jamais naturellement :
que fes vers font pompeux , & fes fenti-
mens élevés , parce qu'il veut éblouir;
mais que l'ordonnance de fes fables n'eft
pas d'un grand caradére;qu'n fe plaît trop
à donner fes idées, & à les fubftituer à la
place des véritables objets ; & qu'il n'eft
pas toujours fort régulier dans ce qu'il re-
pré*
t. G. J. Voflîus Inftitution. Pocticar. lib. 2. pag,
jé. Item lib. I. pag. si.
2. Idem Autor lib. z. ejufdcm Gpcris pag. 69.
j, Rcn. Rapin , Réflexions fur la Poétique pre-
mière partie, Reflexion xxv. page J9. de la féconde
édition in-i2. & page io6. in- 4.
4. Le même dans la féconde partie du même Ou-
yiage» ^eâc^iou zz, &c^
Poètes Latins. ^03
préfente. Il reconnoît pourtant en un au- scnequc,
tre endroit que quelque peu naturel que
foit Seneque (5) il ne laiiïe pas d'employer
quelques-uns de ces traits qui fervent à
diftinguer la palTion.
Mais ces traits font 11 rares & fi foîbles,
que iVIr. TAbbé d'Aubignac ne les a point
jugés fuffifans pour nous faire croire que
Seneque étoit un excellent Poète II dit
en un endroit (6) qu'il n'a point fû l'Art
du Poème Dramatique; en un autre (7),
il prétend qu'on ne doit point l'imiter dans
la rtruduredes A6tes, non plus que dans le
refte , li on en excepte la délîcatelîe des
penfées qu'on peut tâcher d'attraper. Car
il n'y a, dit-il > rien de plus ridicule ni de
moins agréable que de voir un homme feul
faire un A6ie entier fans aucune variété ;&
qu'une Ombre, une Divinité, ou un Hé-
ros fafTe tout enfemble le Prologue & un
Ade.
Le Père le Boffu ne paroît pas avoir
traité Seneque avec plus d'indulgence que
les autres Critiques. 11 prétend (8) qu'il
n*entend point l'art d'exciter lespaflions»
lorfqu'il a quelque récit à faire qui en doi-
ve imprimer une qui foit grande; & qu'il
ôte même à fes Perfonnages & à fes Audi-
teurs
5. Dans le même Ouvrage,Rcflcx. xxxvi.pageij,"
édition in iz. 5c ii9- in 4.
6. Hedclin d'Aubignac de la Piatiq. du Thëâfre
livre I. chap. t. pag. 6t.
7. Le même, livre 3. du même Traité chap. |«
pag. 2S2.
t. René le Boflu Traité du îoëme Epi<lUC, liTiC
i, diap. ^. pag. 3j^
304 Poètes Latins.
Seacque. teurs toutes les diTpofitions qu'ils peu-
vent y avoir. S'ils font dans la triftellè,
dans la crainte, dans Tatteiite d'une chofe
horrible 5 il s'avîfe de commencer par quel-
que belle & élégante defcription du lieu
qui ne fert qu'à faire paroître l'abondance
& l'efprit pointilleux d'un Poète fans juge-
ment. Il faut, dit-il ailleurs (i), que les
defcriptîons foient juftes & bien ménagées.
Elles ne doivent point être pour elles-mê-
mes , ce ne font point de fimples orne-
mens. Mais Seneque eft bien éloigné de
cette méthode. S'il a quelque récit à fai-
re, û trille & il épouvenrable qu'il doive
être, il le commence par des defcriptions
non feulement inutiles , mais enjouées &
badines.
Le même Auteur ne fait point difficulté
de dire encore en d'autres endroits (2) que
Seneque n'a ni difcrétion ni jugement,
qu'il fait parler des perfonnes qui font dans
le trouble , les dangers , & les extrémités
les plus prefîantes , comme (î elles avoient
le fens frais , comme des perfonnes qui
font dans leur cabinet, qui ont l'efprit re-
pofé, & qui font dans la plus grande tran-
quilité d'ame que l'on puilfe avoir. Enfin
il fait dire indifféremment à tout le monde
des fentences étudiées , fans fe foncier
d'ob-
1. Seconde partie du même Traité, livre <. chaj.
a. pag. 20Z. &CC.
2. £c chap. 4. pag. 215. Item pag. 216. 217. &c.
1. D'Aubignac, Prat. du Th. Iivre4.c. 2, pag. 372.
4. Rofteau, Scntimcns fur quelques livres qu'il a
^ P^- 5^1 MS. ou cet Auteur ptétcad ^ue les choeurs
Poètes Latiks. 30;
d'obferver les Caradlcres , & il arrive fou- ScncquCi
vent que ces penfées font froides, ridicu-
les, faufTes, & prefque toujours entaffées
fans choix.
Voila des défauts très- confidérables pour
un Poète Dramatique, & qui nous font
connoître que Seneque n'avoit peut-être
vu ni la Poétique d'Ariftote ni celle d'Ho-
race. Cependant ces Tragédies toutes ir-
réguliéres qu'elles font & toutes défcc-
tueufes qu'elles paroîflent prefque dans
toutes leurs parties, ne lailTenc pas de pas-
fer pour d'excellentes pièces au jugement
de plufieurs perfonnes (3).
Mais on peut dire au moins à la louan-
ge de Seneque , fans prétendre pourtant'
cxcufer fes fautes , que fes Tragédies font
remplies de fèntimens merveilleux de Poli-
tique & de Morale (4) & que félon la re-
( marque du Père Thomaffin (5) , on y
i trouve une déteftation inconcevable du
crime.
On prétend que la meilleure édition efl
celle de Gronovius, [in-8. Amfl. lôyi ]
i & qu'elle çiï beaucoup préférable à celle
I de Thyfius ou de Variorum. [in-8. à la
Haie 165-1. Cum Notis Heinfii'^
S^aligeri in-S. Lugd-Baf, i6ll.
F E-
dç SeB€que font incomparables, & que les ïambes
dont les Tragédies de ce Poète font compofées, ont
fcrvi de modèle à ceux qui l'ont fuivi en ce genre
û'ecrire.
5. Louis Thomaffin , de la Méthode d'ctud. &
i'cnrcigncr Chietienn. les Poetcs , livic f, chap.
ij. nomt». 4. pag. X7I.
3o6 Poètes Latins.
PETRONE,
PetroMius Ârhiter^ Provençal d'auprès de
Marfeille (félon Sidoine Apollinaire &
les deux (i) Meffieurs Valois) vivant
fous Claudius & Néron, félon l'opinion
commune, ou du tems des Antonins,
ou de Gai lien même , félon quelques
nouveaux Critiques, mais avec peu de
vrai-femblance.
fetronc. ii6i. TVT Ous avons de cet Auteur un
X^ refte de Satire (2) , ou plu-
tôt de plulîeurs Livres Satiriques qu'il a-
Toit compofés tant en Profe qu'en Vers.
C'étoit un Ouvrage fort long, & de beau-
coup d'importance dans l'efprit de ceux
de fon fiécle : de forte que fi nous en
croyons Janu^ Douxa ou Jean de Docs,
ce qui nous refte n'eft peut-être pas la di-
xième partie^ de ce que nous avons perdu
(3); quelques-uns même voyant que les
conjectures font à li bon marché & qu'el-
les ne payent pas d'impôts, ont crû pou-
voir avancer que ce que nous avons n'en
eft pas la centième partie. Mr. de Sau-
maifea prétendu avec beaucoup d'apparence
que ce qui porte fon nom,n'eil: qu'un Ex-
trait des endroits les plus remarquables de
cette fameufe Satire , parce qu'efteétive-
ment
I. Henri ôc Hadrien Valois,
i. Satyrican non Satyricon.
%. Janiis Douza in pizcidan. ad Fetron. edit. êe
Hadi. Vile£
4. Gafp.
Poètes Latins. 307
ment ce que nous en voyons eft fort peu petioie.
fuivi , <Sc très -impartait en toutes maniè-
res.
Cet Extrait félon Gafpar Barthius (4),
n'a été fait que dans les fiécles de la Bar-
barie la plus grofliére, par quelque igno-
rant qui a rendu un fort mauvais office à
Pétrone , parce que non content de lui
lailTer fes ordures, il en a fait un Auteur
tout eliropié , & barbare en quelques en-
droits, lui qui étoit un des plus correds,
des plus polis, des plus purs ôr des plus
délicats d'entre les Ecrivains qui avoient
paru depuis le fiécle d' Augufte.
Mr. de Saumaife que j*ai déjà allégué,
paroît avoir été dans le même fentiment
(f). Il dit que ces fragmens ne font qu'ua
recueil indigefte tiré des cahiers de quelque
Particulier qui avoir extrait de Pétrone ce
qu'il y avoir à fon goût, fans y obfer ver d'or-
dre. Il rejette l'opinion de ceux qui vou-
loient que les Moines enflent ainlî traité
cet Auteur dans le deflein de le mutiler, 6c
de lui couper tout ce que la pudeur ne
peut fouftrir. En quoi il a d'autant plus
de rai fon qu'il efl: probable que l'Auteur
de l'Extrait a voulu faire le contraire, puis-
que ce n'eft prefque qu'un Recueil d'obs-
cénités & un véritable cloaque , où on a
peut-être ramafle toutes les ordures qui
étoient répandues dans toutes les Satires
de Pétrone. S'il
4. Ga(p. Barthius Adverfarior. lib. xxi. cap. 4.
e©L. 1077.
5. Claud. Salmafîus Pracfat. in Luc. Ampcliura.
Item ex eo G. M. Konifius in Biblioth. V. U. H«
pag. ézu
3o8 Poètes Latins.
letionc. S'il eft vrai que cela fe foit palTéde la
forte, je ne vois pas de qui ce miférable
Compilateur pourra recevoir des bénédic-
tions. Car 11 d*un côté ceux qui déplorent
la perte des anciens Auteurs, ont quelque
raifon de le condamner avec les autres fai-
feurs d'Extraits & d'abrégés pour avoir été
caufe que nous n'avons pas Pétrone entier;
on peut dire de l'autre que c'eft avec enco-
re beaucoup plus de juflice qu'il eft tombé
dans la malédiclion de tous ceux qui ne fe
font pas encore dépouillés entièrement
des fentimens de l'honnêteté & de la pu-
deur, & de ceux qui étant obligés de faire
voir les Poètes aux jeunes Gens, doivent
facrifier toutes chofes pour la confervation
de leur innocence & de leur intégrité.
Néanmoins s'il e(l du devoir des faifeurs
d'Extraits & d'Abrégés de ne prendre que
l'ePprît de leur Auteur , & de n'extraire
que les chofes qui fe rapportent fimple-
ment à la fin qu'il s'eli propofée dans fon
Ouvrage, il faudra convenir que le Com-
pilateur s'eft acquité avec allés de fidélité
de la commiffion qu'il s'eil donnée & qu'il
eft aftTés bien entré dans les vues & les in-
tentions de fon Auteur. Car il ne faut pas
s'imaginer, comme l'a fort bien remarqué
Mr. de Saint Evremond (i), que Pétrone
ait voulu reprendre les vices de fon tems,
& qu'il ait coinpofé une Satire avec le mê-
me efprit qu'Horace écrivoit les iiennes.
Les bonnes mœurs ne lui ont pas tant d'o-
bligation. C'eft plutôt, dit cet Auteur,
un
t. s. Evremond y Tom. IL de fcsOeuvics, Jugo-
ment iuc Pâtiouc.
Poètes Latins. 309
Ain Courtifan délicat qui trouve ridicule Pcttonc*
qu'un Pédant falFe le Cenfeur public, &
•s'attache à blâmer la corruption. En etfet,
Cl Pétrone avoit voulu nous lailler une
Morale ingénieufe dans la defcription des
voluptés, il auroit lâché de nous en don-
ner quelque dcgoiit: mais c'elllà que pa-
•xolt le vice avec toutes les grâces de l'Au-
:teur ; c'eillà qu'il fait voir avec plus de
-foin l'agrément Sa lapoliteiFe de ronefprit.
S'il avoit eu deflein de nous inliruire par
une voie plus rîne & plus cachée que celle
des préceptes, du moins verrions -nous
.quelque exemple de la Juftice divine ou
humaine fur quelqu'un des débauchés qu'il
nous dépeint. Loin de cela, le feul hom-
me de bien qu'il introduit, le Marchand
Lycas homme de bonne foi & de piété,
craignant bien les Dieux, périt miférable»
ment dans la tempête au milieu de cescor»
rompus qui font confervés. Encolpius,
,Giton, Tryphena, Eumoipus, tous char-
gés des crimes les plus énormes fe tirent
du danger: le pieux Lycas appelle inutile-
ment les Dieux à Ion fecours, & à la hon-
te de leur Providence , il ett le Teul in-
nocent qui paye pour les coupables.
Ainli l'on peut alfurer que Pétrone a fak
fa Satire, non pas contre le vice dont il
prend h viiîblement la protection , mais
feulement contre. le Ridicule qu'il cenfure
fort févérement.
Le même Auteur fans s'emharrafler de la
dîverlité des opinions des Critiques fur la
perfonne ou le liécle de Pétrone , Ibu-
tieiu comme une chofc incomeftuble qu'il a
voulu
3IO POETES Latins.
tctton% voulu décrire les débauches de Néron , &
que ce Prince eft le principal objet de fon
ridicule: mais il avoue qu'il eft difficile de
favoir fi les perfonnes qu'il introduit font
véritables ou feintes, s'il nous donne des
Caradéres à fa tantailic , ou le propre Natu-
rel de certaines gens. Il le trouve admirable
par tout non feulement dans la pureté de
ftyle , mais encore dans la délicateffe de
fes fentîmens, & fur tout dans cette gran-
de facilité à nous donner ingénieufement
toutes fortes de Caradéres. C'eft, dit-il,
% un efprit univerfel qui trouve le génie de
toutes les ProfelTions , 6c fe forme com-
me il lui plaît à mille Naturels ditîérens.
S'il introduit un Déclamateur, il en prend
fî bien l'air & le ftyle qu'on diroit qu'il a
déclamé toute fa vie. On trouve dans le
feftin de Trimalcion tout ce qui peut faire
un faux délicat , un impertinent , un fot
ridiculement magnifique dans un repas.
Son Eumolpus nous fait voir la folie & la
vanité des Poètes, dont les plus excellens
Tie font pas toujours les plus honnêtes'
gens , mais pour le malheur de fes Lec-
teurs, il a beaucoup mieux réuffi encore
dans le pernicieux talent d'exprimer natu-
rellement les défordres les plus horribles
de la vie la plus débauchée.
D'ailleurs le même Critique trouve que
les vers de Pétrone ont une force agréable,
& une beauté qui a faitdireà Douza qu'il ai-
moit
X. f. Daa. Huet, Dideic, fui les Komam par.
X, Cor-
Poètes La t i n s. 311
moît mieux le petit efTai qu'il a fait de la petronc;,*
guerre de Pharfak, que trois cens volu-
mes des vers de Lucaiii avec toute fa fou-
gue (^ toute fon impétuoiité. Quelque fu-
jet qui fe préfente , on ne peut ni penfer
plus délicatement ni s'exprimer avec plus
de netteté. H lui arrive alfés fouvent dans
fes narrations de fe lai (fer aller au (impie
naturel, & de fe cuntentér des grâces de
la naïveté : quelqn fois il met la dernière
main à fon Ouvrage, <k il n'y a rien de
dès-honnéte , rien de dur , quand il lui
plaît.
Car , comme Ta remarqué Mr. Huet
(i), on ne peut refufer à Pétrone la gloi-
re d'avoir été l'homme le plus poli de fon
tems, c'eft-à-dire, de ce tems qui précéda
le liécle des Flaviens , fous les derniers
Princes de la famille des Cefars. Car non-
obftant les fa vantes conjedures des deux
Mefîîeurs Valois , nous ne pouvons pas
encore nous défaire entièrement de l'opi-
nion où l'on a été jufqu'ici , que notre
Pétrone, fut -il différent de celui dont Cor-
neille Tacite a parlé dans fes Annales (2),
n'a point lailfé de vivre & d'écrire vers le
même tems , parce qu'on ne fmroit s'ima-
giner que le liécle des Antonins ou celui
du bas Empire, ait pu produire une aufli
grande délicatelle & une pureté de ftyle pa-
reille à la iienne.
Ce font deux qualités que la plupart des
Cri-
1. Cotnel. Tacît. lib. i6. Annal, cap. 4. pag. 424,
M. où il l'appelle ^rbittr EU^^nii», failant fcuf,
ctxc aliuUoA à iQJH 2iom«
312 Poètes Latins.
fçtioûc. Critiques ont remarquées dans TOuvrage
de Pétrone, même en l'état que nous l'a-
vons. Lipfe dit à Mr. Pithou que depuis
qu'on sVft mêld d'écrire & de faire des
vers , on n'avoit encore rien vu de plus
beau , de plus fin & de plus agréable , &
qu'il ell charme de tant d'enjoûmens , &
de cette véritable Urbamté qui y régne.
Mais il ne diflimule pas le danger qu'il y
a dans la ledure d'un Auteur li lafcif,
quoiqu'il fe vante d'être du nombre de
ceux fur l'efprit defquels les obfcénités ne
font point d'impreflion (i).
Gafpar Bartnius en a dit prefque autant
que Lipfe (2) fur la politeOe & les faletés
de cet Auteur, il femble avoir ajouté mê-
me quelque chofe d^ plus à fa louange,
car il prétend que l'Ouvrage de Pétrone
renferme toutes les grâces de Ciceron&de
Plaute jointes enfemble, (Se qu'ayant heu-
reufement allié les caractères ditî'érens de
ces deux Auteurs, il s'en eli fait un qui
paroît inimitable , & qui lui elt devenu
propre. II
1. Juft. Lipf. inEpiftol.qusftion. lib. j.EpiftoI. 2.
Idem in Comraentar. ad lib. 3. Annal. Tacu. ubi
TOCat Petronii fiA§.mcat3. purijjim^t impy.rit*tis,
2. Barth. Adverfar. lib. 50. cap. 9. col. 2357.
3. fl. Glandorp que Baillet met à leur tête ne fait
pas reloge de l'Ouvrage de Pétrone par rapport à la
pureté ni à l'elegancc du ftyle, mais dit leulement
que c*eft un Ouvrage diverfifié &c d'érudition : Opus
varium, & eruditum. Four le P. Briet, Turnébe 8c
Rolîn, ou plutôt Dempfter dans fa Table des Au-
teurs cites fuiRofin, ces trois-]» en condamnant les
obfcénités de Pétrone, louent fort la pureté de Ton
ftyle , fur quoi Mr. Huet n'eft nullement d'accord
avec eux, tant dans fon Traité de l'Origine des Ro»
mxzaa, que daas une Lcttic jLatine à CiaEvIus.
Poètes Latins. 313
Il feroit peut-être allés inutile de rappor- ictroLç,
ter l'autorité de divers autres Critiques
(3), qui ont jugé que le flyle de Pétrone
ei\ fort pur , fort net & fort élégant (4) ,
s'il ne s'en étoit trouvé d'autres qui étant
venus depuis, femblent n'y avoir pas vou-»
lu reconnoître tant de bonnes qualités. Et
je me contenterai de citer le P. Briet , Ro-
fin & particulièrement Turnebe , dont
l'autorité feule en matière de Critique ,
peut donner du contre -poids à celle de
quelques modernes qui en ont parlé autre-
ment (5-).
L'Ouvrage de Pétrone étoît, félon Mr.
Huet (6) h Mr. Valois le jeune (7), une
efpéce de Roman qu'il fit en forme de Sa-
tire du genre de celles que Varron avoît
inventées en mêlant agréablement la proie
avec les vers, & le ferieux avec l'enjoué,
& qu'il avoir nommées Menippées , parce
que Menippe le Cynique (8) avoit traite
devant lui des matières graves d'un ftyle
plcuûnt & mocqueur. Cette Satire ne
coii-
4, Joan. Glandorp. in Onomaftic. Roman, pag,"
«75.
Item Joh. Pctr. Lotich. Jun. Biblioth. Poct. paxt<
4. pag. I.
Joan. Koun. Aniiq. Rom.
Voir, de Poët. Lar. pag. 41.
Thilipp. Briet. de Poët Latin, lîb. z. pag. 3;,
y. And. Tmncb. Advcifaiior. lib. 19, cap. 6. ini*
& lib. 3. cap. 20.
, 6. P. Dan. Huet comme ci-deflus.
7. Hadr. Valcfîus DiiTcrtation. de Coena Trîraaf-
cionis fiib Pctronii nomine nupcr vulgatà pag. 15,
poft WagenfeiliiDiflcrt.
i. Ger. Jo. Vofl; ln(L Poct. 1. j. c.io. p. 4»,
Tm^IILPart.lL O
5i4 Poètes Latins.
petione, contenoit que des fidions ingénieufes, a-
grcablcs , & fouvent fort iales & dès-honnê-
tes , cachant fous l'écorce des paroles une
raillerie fine & piquante contre la Cour de
Néron. G'ell le fentiment deMr. Huet,
de Mr. de Saint Evremond, & de tous
ceux qui ont attribué à notre Pétrone ce
que Tacite a dit de l'e'légance & de la ga-
lanterie de ce Pctronius , qu'il témoigne
avoir décrit toutes les débauches de Ne-
fixolcti, ro^^ ^^^s l^s noms des proftïtués & des
courtifanes.
Mais Mr. Valois qui convient a^^ec les
autres que Pétrone n'a fait que des fixions,
fe fert de ce raifonnement pour prouver
qu'il y a de la différence entre l'Auteur de
la Satire, & ce Pétrone de Tacite qui n'a-
voit rapporté que des faits & des vérités de
la perfonne & de la Cour de Néron. 11
ajoute pour donner plus de jour à cette
ditîérence , que notre Pétrone a fait fou-
vent l'office d'un Critique dans fa Satire;
tantôt il cenfure, à^^x-W^ les Déclamations
que l'on faifoit dans les Ecoles; tantôt il
fe moque de ces Poètes de Ion tems qui
étourd'iroient le Monde de leurs vers, &
vouloient qu'on les écoutât malgré qu'on
en eût , lorfqu'ils les recitoient dans les
places publiques, fur les théâtres, dans les
bains, & jufques dans les cabinets des Par-
ticuliers. En d'autres endroits il fe plaint
de ce qu'on négiigeoit ^ qu'on laiflbit pé-
rir les Arts libéraux & les plus belles Scien-
ces
T. aené Rapifi, ATCitiilcmcût des l^cfiex. fur la
P o E T p: s Latins. 315*
ces; il fait des deicriptions de la prife de pctioacV;
Troye, de quelque navigation, <5cc. il ré-
cite des contes comme celui de hMairofiC
d'Ephefe , enfin il donne des régies pour
faire des vers ; de forte qu'on ne peut gue-
res trouver d'Ouvrages plus divcrlifiés que
l'étoit celui de Pétrone, ce qu'on ne peut
point dire de celui dont parle Tacite.
Le P. Rapin dit que Pétrone parmi les
ordures de fa Satire, lailTe de certains pré-
ceptes de la Poétique qui font admirables
(i). Il ne s'cil, dit-il , rien écrit en ce
tems-là de plus judicieux , mais il n'a pas
lui-même cette manière aifée & naturelle
qu'il recommande tant aux autres : il don-
ne les plus belles régies du Monde con-
tre l'aftedation, qu'il n'obferve pas. Car
il aftede,continué-t-il,jufqu'à la fimplici-
té du ftyle, où il n'ell pas toujours na-
turel.
Mr. Haet a témoigné d'être dans des
fentimens ailes femblables fur ce point. Il
dit que bien que Pétrone paroiiïe avoir été
grand Critique & d'un goût fort exquis
dans les Lettres, fon ilyle toutefois ne ré-
pond pas tout à-fait à la délicateffe de Ton
jugement: qu'on y remarque quelque af-
feaation; qu'il ell un trop peint & trop é-
tudié , & qu'il dégénère déjà de cette lîm-
plicité naturelle & majellueufe de l'hea-
rcux fiécle d'Augulie.
Mr Valois prétend que (2) le flyle de
Pétrone fc fent du pays de fa naiflhnce,
qu'il
a. Vakf. Diflertat. de fragm. Perron» Ti3guiicn£
pî»S' IP. 5c Icquentib.
O a
3i6 Poètes Latins.
Tcttonc. qu'il a un air un peu écranger, c'eft-à-dire,
qui eft plus Gaulois que Romain naturel;
qu'il a plutôt le goût du fiécle des Anto-
nins que du tems de Néron. Mais s'il é-
toit vrai (i), comme nous l'avons vu ail-
leurs , que Terentianus Maurus eût vécu
avant les Antonins , on pourroit reformer
le calcul & la penfée de Mr. Valois, puis-
que cet Auteur a parlé de Pétrone, & qu'il
l'a fait même d'une manière honorable en
l'appellant un Ecrivain éloquent ou plutôt
difert. Mr. Valois ne l'a point ignoré , ôc
quoiqu'il reconnoilïe qu'etFedivement Pé-
trone eft difert, il prétend qu'il n'eft point
comparable ni à Seneque, ni à Quintilien,
ni aux deux Plines, ni à Tacite, ni même
à Suétone , fuppofant qu'il leur a été pos-
térieur pour le tems. Il foutient même
qu'il n'eft pas toujours net , qu'il n'eft
pas clair , ni pur par tout , & que la
bourbe empêche fbuvent ion ftyle de
couler.
La crainte d'approcher Pétrone trop
près de Néron , a pouffé ce Critique
un peu loin vers l'autre extrémité. El-
le lui a fait trouver des Gallicifmes
dans le ftyle de cet Auteur, de forte que
ceux qui voyent le parallèle qu'il fait de
quelques cxpreflions de Pétrone , avec
des façons de parler qui font particuliè-
res
1. %, Hadrien de Valois suroît pu répondre: Muis
i^il était vrai auffi que ce fût le Terentianus ami de Loti'
gin ?
2. f . Cet endroit , & ce qui fuir , avec ce qui a
ct« ci-deraat içm^s<iw fui TAnicIc ;<f5>t n'ayant pat
pi»
Poètes Latins. 317
res à notre Langue, ne favent que croi- Pcttouç,
re de la penfée qu'a eue Mr. V^alois (2).
Car ou bien il faudra dire que Pétrone a
écrit en Latin dans le tems que fes Com-
patriotes parloient François, ou bien Pétro-
ne aura fu par voie d'inlpîration la manière
dont ceux de fon pays dévoient parler pîu-
fîeurs liécles après lui. Mais il femble
enfin s'être déterminé fans y avoir pris
garde , en dîfant , ^«'/7 c/i clair par ces
fhrafes toutes Françoifes qu*il a rapportées
que Pétrone étoh Gaulois (3). Ce qui à
mon avis ne marqueroit point tant la nais-
fance de Pétrone fous les Empereurs Ro-
mains que fous nos Rois de la troiliéme
Race.
Mais fans examiner davantage la folîdi-
té de cette opinion, on peut dire que Mr.
Valois a eu grande raifon de prétendre
qu'il y a un grand nombre d'exprciîions
dans Pétrone qui ne font nullement du lic-
cle de Néron & de Vefpafien , & qui fen-
tcnt la décadence de la Latinité. Néan-
moins on ne fera point obligé de déplacer
Pétrone, fi Ton peut dire après Barthîus ,
que ces exprclTions ne font pas de Pétro-
ne dont nous avons perdu l'Ouvrage, mais
du Compilateur qui vivant durant les fié-
cles de la Barbarie , a fait l'Extrait que
nous avons aujourd'hui comme il l'a ju-
gé à propos (4). Il
plu à M. de Valois le jeune, il fit pour s'en venger,
les beaux ïambes qu'on lit au 105. ch. de i'Anti-
Baillet.
3. \à. Vâlcf. pag. 17. cjufd. Diflert. poft Wagea-
fcilii DilVcrt.
4. Garp. Baith. col. 1077. Adverfarior, ut fupù.
o 3
3^^ Poètes Latins.
îcKone. Il s'efl trouvé pluiieiirs Critiques qui
n'ont pas crû en devoir tant accorder lur
l'incgalité & les endroits corrompus de
fon (lyle, & Mr. Gueret compte jufqu*à
dix ou douze Scholiaftes qui ont pris U
défenfe de fon Latin (i).
Les meilleures éditions de Pétrone font
celles de Leyde de Tan 1645'. [in-8.] avec
les notes de Mr. Bourdelot, & d'Utrecht
de i6s^. [in-8.J avec celles de Douzu &
des autres. [L'Edition que Pierre Bur-
man a donnée à Utrecht in-4. en 1709. ell
la plus eftimée.]
Il nous refteroit à parler de ce fameux
fragment attribué à Pctrone, touchant le
fefîin de Trimai cion (1) qu'on prétend a-
voir été trouvé depuis trente ans par Ma-
rinus Statileus à Trau ou Troghir Ville
de la Dalmatie Vénitienne appel lée TragU'
r'îum par les Latins; & des différends ar*
rivés fur ce fujet entre Tilebomcne &
Statilée , c'ell-à^dire pour parler franche-
îneiit , Mr. Mentel & Mr. Petit d'une
part,
1. Gueret de la guerre des Auteurs.
2. ^. Voyés ce qu'en dit le nouveau Menagiana
pag. 263. du tom. i.
3. On auroit dû dire ItAlicenJîs plutôt que Italicus.
%, On veut^ue ccfoit de la Ville in Pdi\nis y nom-
mée Italien y Se auparavant Corfi ni n)n,d* ou. çtoit ori-
ginaire Silius. Mais pourquoi de cette Italica n'au-
xoit-on pas pu auffi bien à^itlmlicinfu que de VI'aIÎ'
ca d'ETpagnc? Pour moi, comme c'eft le'gulicre-
ment d'Itaha que Te forn^e Irrsluus y je fuis pctfuadé
que le nom de la Ville -n Pelignis étoit vraiment /f4-
lidy comme l'appelle Diodorc Sicilien en ces mots
fhv x6<y>))' Tsrô/.iv 'iTxxiuv cvc/uÂcaLynt oii Cafaubon
change mal-à propos ']rx>.ixy en'iTAMKh.
4. ^. Il y en avoir bien 1300. à compter depuis la
»ort de Silius arrivée fous l'Empire de Trajan , ius-
qu'au
Poètes Latins. 319
part, &Mr.Wagenreil avec Mr. Valoisde pctroue;
l'autre : mais nous en pourrons toucher un
mot au Recueil des Auteurs déguifcs.
* Petro'/iii Satyricon , cum Comment.
Ant. Gonfaîi de Salas m- ô^, 1633. ^'*
dem cum Comment. P. Loti doit in 4. Fran^
cof. 1629.
SILIUS ITALICUS,
Que quelques-uns ont fait Efpagnol mal-
à- propos, croyant que fon furnom pou-
voit lui être venu d'italica (3) Ville
d'Efpagne: vivant fous Vefpafien & fes
Enfans , mort à l'âge de 75-. ans d'une
faim volontaire. Il avoir été Confal
l'année de la mort de Néron.
1 162. Q Ilius Italicus eft un Hiftorien qui SlIIusItali?
O a voulu faire le Poète. 11 a dé- ^^H
crît en vers la féconde Guerre Punique
contenant les expéditions d'Annibal eu
XVII. Livres. Cet Ouvrage avoit été près
de douze cens ans (4)enfeveli fans être vi-
fité
qu'au tcms de la découverte dont il s*îigit. Ce fut,
non pas , comme le dit ici Baillet après Voflius , pen-
dant le Concile de Bâle , rriais pendant celui de
Confiance que Pogc étant aiJe à S. Gai Abbayie qui
cft à vingt milles de là y trouva dans une totir la
manufcrit de Silius , outre ceux de Quintilien, de
Valerirs Flaccus, d'Afconius Pcdianus, de >3'onius
Marcel lus, de plulieurs Oraifons de Cicéronjfc d'u-
ne partie de Lucrèce. Il fit d'abord part de cette
bonne nouvelle à Léonard d'Arezzo qui par fa ré-
poufe datée de Florence le ij. Septembre 1416. lui
en témoigna vivement fa joie. Hugolin Veiin père
de Michel 1. 2. de Ion Poème de iHu'franoneVil :s Fit'
r#«rii< parle en ces termes du S.lius que nouva Pogc:
^Hin tîtirn ftltrs Germanis eruu a>i:ris
In Ladmii Aitilcqiti Uivi/ia Pji'mata Stb^
O 4.
310 Poètes Latins.
ïiliusltâli- ^^^ ^^^ P^^ ^^^ ^^^^ ^^ Bibliothèque, jus-
««j, ^" qu'à ce qu'enfin on le fauva de la mifcre
où la tigne & les vers Tavoient réduit, au
tems du Concile de Balle (i).
Si l'on veut écouter Matamore (i) , Sî-
lius Jtalicus eft un divin Poète qui appro-
che beaucoup de la gloire de Virgile. Mais
il n'en auroit peut-être pas tant dit de bien,
s'il ne Tavoit point crû Efpagnol. En ef-
fet les autres Critiques qui n'ont pas eu le
même intérêt , n'en ont point parlé de
même.
Pline le jeune qui l'avolt connu, témoi-
gne (3) qu'il faifo't des vers avec plus d'é-
tude & d'application que de génie & de na-
turel.
A dire le vrai, il n'étoit pasnéPoëte,
& il nç le devint pas même par habitude
dans la fuite. Car ayant pafTé la plus lon-
gue & la plus belle partie de fa vie dans le
Èarreau & dans les Charges publiques, on
peut dire que ce fut malgré les Mufes qu'il
fe mit à faire des vers dans un âge fort a-
vancé & déjà languiflant (4).
Il favoit que Virgile pafToit pour un bon
Poète , & comme tout le Monde le lifoit
il voulut le lire auffi , il tâcha même de
l'imiter , mais il n'en pût attraper que la
vérification (5") ; & comme il ne ûvoit
point
T. Geotg. Math. Konigins Biblioth. Vct. & Nov.
3. Aiphonf. Gaiûas Matam9ius de Acad. fie Vir.
Illuft. Hirpaniar.
3. Plinius Secund. lib. 3. Epift. 7. & multi rccen-
tiores ex hoc fonte.
4. Gérard. Joan. Voff. de Hiftoiicis Latin, lib. 7.
Poètes Latins. 321
point les régies de TArt Poétique , il crut siliusîtall-
devoir aufTi fe propofer pour des modèles à <^^5,
fuivre Polybe & Tîte-Live pour le fonds
& la fuite de fes matières. Ainlî (6) on â
crû dire tout en Tappellant le Singe de Vir-
gile^ & le copifte de ces deux Hiftoriens.
Il pouvoit hardiment faire quelque cho*
fe de médiocre en fuivant ces deux der*
niers, fans cxpofer trop fort (k réputation,
mais il n'a point pu faire impunément la
m^me chofe à Tégard de Virgile , parce
que dans la Poëfie on ne met pas grande
différence entre le bas & le médiocre.
C'eft ce qui Ta fait tomber dans le mépris
& la rifée de plufieurs Critiques, qui ont
crû pouvoir le tourner en ridicule, en ce
que s'étant jugé capable de voler ^\ haut,
il rampe même beaucoup au defTous de
Stace , de Valerius Flaccus , & de divers
autres Poètes médiocres (7).
Sa Guerre Punique loin d'être un bon
Pocme , n'en eft pas même un mé.chant , à le
prendre à la rigueur des régies de l'Art.
On n'y trouve ni la Fable, ni l'Adion, ni
la Narration, c'eft-à-dire , ni la Nature,
ni la Matière , ni la Forme d'un Poë«
me (S).
Il ne fait autre chofe qu'y raconter des
faits véritables, quoiqu'il y mêle des Di-
vinités
5. %. Les connoifïeurs n'en Croiront pas Raillet.
6. ApudGafp.Barth. ôcc. Fkilip. BiietlunidePoët*
Xat. lib. X. pag. 37.
7. %. 11 n'a?oit donc pas attiapé la vcrCficatien
de Virgile.
8. Gafpar Baithjius lib, viii. Advcrfaiior, cap. ù
col. 365» 36^.
O y
312 Poètes Latins.
Siliusltali- vinités & des Machines qui ont un airPoc-
^^h tique & fabuleux. Et quand même ces
additions feroient véritables , dit le P. le
BofTu (i), elles ne feroient pas rentrer fes
récits dans la nature de l'Epopée, parce
que ces Fables ne font que dans les addi-
tions & dans les ornemens de rA6tion,au
lieu que la Fable Epique e(l Tame du Poè-
me & fon eflence, & que c'eft le plan fur
lequel tout le reftc doit être bâti.
Barthius témoigne aulTi ne pouvoir ap-
prouver ni le deflein, ni la matière, ni les
manières de ce prétendu Poème. Jl trou-
ve que fon fujet étoit trop récent, cVlVà-
dire trop près du tem§ auquel il vivoit &
trop éloigné de; celui de la Fable, & que
ce n'étoit plus le tenis des Héros , & il
prétend que c'eft un Auteur froid, languis-
fant & efclave de fa Langue & de fes
mots (2).
Mais quoique Silîus Italiens foît un fort
méchant Poète, il ne laifie pas d'être un
âffés bon Auteur au femiment de plufieurs
Critiques, dont on peut voir les témoigna-
ges dans les deux parties du Recueil que
Mr. Hanckius (3) a fait des Ecrivains des
aîfaires de Rome.
Quoiqu'il foit le dernier des Poètes , fe-
loa
1. Ktné le Boflu , Traité du Poëmc Epique , li-
?ic I. chap. 15. page 105. ic6.
1. Barth. in lib. v. Thebaïdos Starii Papinii, Sca-
^ud M, Hanckium.
3. Martinus Hajickius de Scriptoribqs RciumRtt*
Sianarum duab. paie
' 4. G. Barthius Adverfar, lib. lO, cap. 24,
3icin Eiânkius, ut fupià,
F o E r E s L A r r il s. 32 j
Ion quelques Auteurs, & qu'il n'ait ni le gé- siimsltali*'
nie , ni Pair , ni la melure harmonieufe ^^^*
des anciens Poètes , il ne lailfe pas d'avoir
quelques tours aties heureux & beaucoup
d'érudition (4).
Jules Scaliger ne l'a point compté le
dernier parmi tous les Foctes générale-
ment, mais parmi les bons feulement (y).
Il a voulu dire que Silius peut être bon Au-
teur fans être bon Poète, puifqu'il a ajouté
qu'il n'a point de nerfs, point de mtfure,
point de cette infpiration Poétique ; qu'il
n'a nulle beauté, nul agrément; qu'il s'ar-
rête fouvent, qu'il a peur prefque par tout,
qu'il chancelle à chaque pas, & qu'il ne
manque point de tomber dès qu'il fait quel-
que effort un peu hardi (6).
J'ofeph Scah'ger prétend au contraire que
ce n'eli point un bon Auteur non plus
qu'un bon Poète: mais qu'il le faut pour-
tant lire en conHdération de fon Antiqui-
té. Il ajoute (7) qu'il n'a rien de nou*
veau, qu'il n'a rnpporté que ce que les au-
tres avoient dit avant lui, ^ même qu'il
s'en efl mal acquitté. Néanmoins VoÂîus
a remarqué (S) qu'il eft fort utile en beau-
coup d'endroits de l'Hiltoire Roirraine,
qu'on ne trouve point aujourd'hui ailleurs-
que
f. Poftremus bonorum.
6. Jul. CxC. Scaligçr, Hypcraitic. feu lib. 6. Poe*;
:>ces pag. i^.
7. joteph. Scjlig. in prim. Scaîîgeran. psg. 13 Ï--
8. Vofl. pag. 155. cap. z«j. lib. i. HiÛcx. Latiiirùf-
fupià
Videiid & idem dé multis non una Aftion* eju^
loimmi lib, 1, liiftitut. Pcëtic. pag. «i^
O 6
3M Poètes Latins^
siiimitali- que dans fon Ouvrage , comme eft ce
cust> qu'il rapporte de Xantippe , de Regulus,
de Duillius, & de quelques autres chofes,
qui concernent la premie're Guerre Puni-
que , & qui fe font perdues dans Tite-
Lîve«
LeP. Rapîii ne Ta pas jugé tout-à-faît fî
méprifable pour la Poëfîe même que plu-
fîeurs autres Critiques. Il prétend que
dans fon Ouvrage il eft plus réglé que
Stace , qu'il paroît du jugement & de la
conduite dans fon deflein; que s'il n'avoit
pas beaucoup de naturel, au moins a-t-il
apporté beaucoup d'application ; mais qu'il
y a peu de grandeur & de nobleiTe dans fon
cipreflion (i).
Barthius a fait aufli bien que ce Père la
comparaifon de Silius Itaîicus avec Stace,
mais d'une manière un peu oppofée. Car
témoignant de l'étonncment de voir une iî
grande différence entre deux Auteurs qui
étofent de même tems, il ajoute que Silius
eft fort contraint, embaraffé par fes Spon-
dées, & incapable d'éloquence (2).
Il femblc néanmoins qne Dempfter aît
reconnu en lui quelque éloquence, puis-
qu'il dit qu'il fait plus l'Orateur que le
Poète
T. René Rapîn, Rc'flex. fur la Poétique , féconde
partie Réflex. 15.
z. Gafp. Barthius Commei^tar. in Fapin. Stat,
Thcbaïd. lib. 6. & in 5.
Itçm ap. Mart. Hanckium ut fuprà.
3. Thom. Dempfter in Elench, ad J. Rof. Antîq.
Rom. &c.
4. Martial. Epîgramm. 62. lib. 7. & Epîgramn»
49. lib. zi, oà Vaa voit qu'il iiYoic ftutlié Ciceron
do-
Poètes Latins, ^if
Poète (3). Cefl ce que Martial avoit dé- silius Italie
ja dit de notre Auteur (4) , mais que la eus,
qualité de Poète & d'Ami iembloit rendre
un peu lufpedt.
Au refte fi on a égard au ftyle d'Italicus,
on ne pourra pas nier qu'il ne foît au
moins un bon Auteur par cet endroit. Car,
félon Vofllus (5") ,il ne le cédoit à qui que
ce fût de fon fiécle pour la pureté de fes
cxprelîions , & la beauté de fon Latin. Il
dit encore ailleurs qu'il a la didion fort
nette (6), mais le P. Briet prétend (7)
qu'elle a pourtant plus d'abondance que
de netteté: & Barthius dit (8) que bien que
fon Latin foit allés pur, il n'ell pas néan-
moins afTés éxadl. Enfin Jean-Baptifte Pio
y a trouvé quelques duretés qui viennent ,
dit-il , du grand nombre des taches , qui
ternîrfènt fa beauté (9).
* Silius Italicus cum Comment, Cl.
Daufcfueït in-4. Parif. 1618. Idem
cum Nùtîs D. Hein fil in- 12. Lugd-Bat.
1600. — Cum Fr. Modii , G. Barthii y
Dan, ^ Nie. Heinfii Adverfariis ^ curante
Arn, Drakcnborch, în-4. Ultrajeâi 171 7.
' VA-
devint Virgile, qu'il poffedoit une des terres qiu a-
voii appartenu au premier, ôc nu'il étoit auffi Sei-
gneur du lieu où étoit le tombeau de Virgile.
j. Ger. VofT. de Hiltor. Latin, lib. j. pag. 15Ô,
15 7. ut fupià.
6. Idem lib. fingul. de Poët. Latin, p. 42.
7. Fhil. Briet. Joe. cit. ut fuprh.
8. Barth. AdverGirior, lib. S. col. 36$.
9. Joh. Bapt. Bapt. Pius Annotât. Pofteiioi. cap,
3 1. &C »ptd HaackiutQ pag. 90.
O 7
326 Poètes Latins.
VALERIUS FLACCUS,
Sous Vefpafien & fes enfans, natif dcSez-
ze ou Se^îa, dans la Campagne de Ro-
me au pays des anciens Volfques , mais-
faifant fa demeure dans le territoire de
Padouë.
Vâierius ^^^3- /^ Et Auteur a compofé un Poc-
ïlaccus. VJ me en huit Livres fur rexpédi-
tîon des Argonautes, mais loin de les a-
^ voir pu limer & polir, il n*eut pas même le
loiJir de les achever. Une mort précipi-
tée dont il fut furpris,nous a fait faire cet-
te perte, félon Quintilien (r).
Jules Scaliger fe fert de cette raifon
pour excufer la dureté de fes expreffions&
le peu d'agrément qui paroît dans fes ma-
nières (2). Car il témoigne que cet Au-
teur avoit d'ailleurs l'efprit fort heureux,
k jugement grand &folid€, beaucoup de
diHgence 6i d'application , que fes vers
même ont de l'harmonie & de la cadence,
& qu'on doit le mettre au-delfus des mé-
diocres ouvriers; mais qu'il eft dénué de
toutes les grâces & des autres beautés que
demande la Poélie.
Barthius dit (3} que c'eft un Poète de
plus grand prix que ne fe l'imagine le vul-
gaire
T. Qilintilian. Inflitutîon. OratOHar. lib. 10. «p*
1. & ex^o Voir lib. fingulari de Poët. Latin. &X0-
aig. Bibl. V.ôc N. &c.
2. Jul. Cacf. Scaiig. Hypeiciitic. feu lib. 6. Poë*
tic. pag. S3.P,
Poètes Latins. 317
gairc des Critiques, & qu'il n'y a que les valcrîus
Pcdans de l'Ecole & les Dcmi-Savans qui flaccus,
ne le veulent pas lire dans la penfée qu'il
efl dur &■ peu agréable: mais que dans le
fonds c'eft un Pocte qui a Tair noble & é-
Icvé. Il répète encore la même chofe ail-
leurs & plus d'une fois, il prétend même
(4) que les Savans ne lui ont pas rendu
affés bonne juftice, lorfqu'ils n'ont point
eu ailés d'égard à Ion feu Poctique, à fon
érudition, à fa gravité, & à fon jugement.
Il ajoute qu'il a fait une remarque alTcs
finguliére, c'eft que Valerius Flaccus eft
plus heureux lorfqu'il marche feul & fans
guide , que lorfqu'il fuit Apollonius de Rho-
de: qu'il fc fouticnt fort bien quand il par-
k de lui-même, mais qu'il fe relâche ôc
qu'il fe faît traîner quand il veut fuivre un
autre qui' eft entré devant lui dan5 la mê-
me carrière.
Le même Critique foutient en d'autres
«ndroits (f) que depuis Àugulk il ne s'efl:
pas trouvé un Poète qui ait eu l'avantage
fur Valerius Flaccus pour les qualités quc-
nous avons déjà marquées , & pour cet-
te égalité de ftyle qui paroît par tout fon
Ouvrage; que fon mérite paroît encore a-
vec beaucoup plus d'éclat lorfqu'on l'ap-
proche auprès de Lucain & de Stace, par-
ce que ce Parallèle fait mieux voir com-
biciî
3. Gafpft Barthius Advcrfatior. lib. T. cap. 17,
col. 38. Idem ibid. lib» 18. Advcrlaiior. cap. 15,
col. 92-J' M.
4. Idem Autor,Iib. 2tÇ. Advcrf. cap, j, col. izjp,
5- Idem Sazth. lib. s^. Adveif, cap. 11. col. z(5i«
328 Poètes Latins.
Vaicrîus ^^^^ '^^ ^^ éloigné des extrémités où ils
fiaccus. font tombés , c'eft- à-dire de l'enflure de
Tun & de la fécherefle de l'autre : mais qu'en
prenant tout ce que ces trois Poètes ont eu
de bon, l'on en pourroit compoferun bon
Poète, qui feroit affés accompli pour ne
céder la préfcance qu'à Virgile.
Cet Auteur pour ne point fe démentir
dans la bonne opinion qu'il a tâché denous
donner de notre Poète, a fait naître dans
d'autres de fes Ouvrages diverfes occaiîons
de faire fes éloges & de nous en recom-
mander la ledure. Tantôt il dit que nô-
tre fiécle revient peu à peu de l'éloigne-
ment & de l'averfion dans laquelle on a-
voit été jufqu'ici à l'égard de Valerius
Flaccus , & qu'on commence à le goûter
& à lui rendre l'autorité & la réputation
qu'il n'a jamais dû perdra. Tantôt il as-
furc (i) qu'il trouve dans cet Auteur qu'il
appelle fes délices, toute la Majeflé Ro-
maine & le caradére de l'efprit & de la
Langue de fa Nation au naturel ; qu'il ai-
me beaucoup mieux le lire, que ni Ovide
ni Stace, parce que le premier a infe6l:é fes
matières de beaucoup d'ordures & de fale-
tés, & que le fécond les a comme acca-
blées & obfcurcies fous ce faux air de gran-
deur qu'il a affedé de leur donner , au lieu
que Flaccus a toujours confervé aux fien-
nes la dignité qui leur eft convenable.
Enfin Barthius non content d'avoir dit
tant
1. Barth. Cortimcnt. in Stat. Papin. Thcbâïd. lib.
a. pag. 377. & pag. 315. & ex co G, M. Konigius
Bibiioth. V, & N. pag, 306,
Poètes Latins. 329
tant de bien notre Poète, a crû pouvoir valerîus
décharger Ton chagrin contre ceux des plus Fliiccus.
célèbres Critiques qu'il croit en avoir dit
du mal. il trouve mauvais que Jules Sca-
liger ait dit que les Grâces n'ont point eu de
part à l'Ouvrage de Flaccus , &il foutient
que pour n'avoir point affedé de les em-
ployer, il n'a point lailTé d'admettre celles
de Rome & de la Grèce qui fe font pré-
fentées d'elles-mêmes & fans oftentaiion.
Mais il femble qu'il ait voulu rafiner trop
fort fur la penfée de Quintilien , lorfqu'il
prétend (2) que c'efl par un effet de fa ma-
lignité ordinaire contre les Poètes , qu'il a
dit que la poftérîté avoit perdu beaucoup à
la mort de Valcrius Flaccus ; comme s'il
avoit voulu dire que ce qu'il a fait eft très-
peu de chofe en comparaifon de ce qu'il
auroit pu faire , s'il eût vécu plus long-
tems , & s'il eût eu le loifir de prendre de
meilleurs confeils.
Voilà quels font les fentîmens d*un Cri-
tique qui avoit une le6lure prodigieufe,
mais qui ne lifoit guéres de Livres fans fe
laifTer faifir à la fin de quelque tendrefle &
de quelque mouvement d'aifedion pour
leurs Auteurs.
Les autres ont témoigné plus de liberté
dans la cenfure qu'ils ont faite de ce Poè-
me. Le Père Briet dit (3) que le ftyle en
eft inégal , qu'il y a des endroits trop ram-
pans & d'autres trop guindés , ce qpi ne
s'ac-
Z. Idem in Advctfii. col, 2654. ut fuprà lib. jtf.
C. II. &c.
3. Philip. Briet. lib, 2. de P©ëc. Latin, pag. J9.
33© Poètes Latins.
Valerius s'accorde pas avec cette égalité qne Bar-
Fliccus. thius lui attribuûit. Ce Père ajoute néan-
moins que Flaccus eft meilleur & plus pur
que Stace.
Le P. Rapin écrit dans la première par-
tie de fes Réflexions (i), qu'il cft tombé
dans le flyle froid & languillant , pour a-
voir aîiedé de la grandeur d'exprelfion
fans avoir de génie : & dans la féconde il
prétend que la fable, l'ordonnance, l'éxe-
cution & tout le reile de fon Poème y ell
d'un fort petit caradére. En effet il pa-
roît aiTés qu'il neconnoifToît pas les régies
de l'Art. Car ayant pris un fuj et tout-à-
fait héroïque, fabuleui, & très -propre
pour le Poëme Epique, il ne lui a point
donné d'Adfion principale, comme l'a re-
marqué Vofllus (z) , mais on y trouve
prefque autant d'aàions qu'il y raconte de
faits.
* C. Vaîerii Flacci ArgoKautîca , cum no^
îiî Lamp, Alardi in -8. Lïpf. 1630. ■ ■«
Cum Comment. 'Joan. Bapi. PU in- foL
1519. ifZî. Eadem recenfita per Be-
nediéium m» 8. Florent, ifij. Eadem
fer Nic, Heinfium in-ii. Amji, 1680.
ju-
T. René Rapin , Reflcx. 30. fur H Poët. part. r.
pag. 79. cdir. in- 12. & 2. Partie Rcflex, xv.
2. Ger. Joan. Vofl, Inftitut. Poëtic. lib. i. cap. 7.
pag. 62.
3. Nicol. Toppi Biblioihec. Napolitan. pag. i6«.
voce
Poètes Latins. 331
J U V E N A L,
Poète Satirique, natif A^Aquin au Royau-
me de Naples , dans la Terre de La-
bour, {Deeius yun'iHS 'Juvenalïs) vivant
fous Velpaften & fes Enfans, quoique
le vSieur î'oppi ait écrit depuis peu qu'il
avoir paru avant la venue de Jcfus-
Chrift (3).
1164. IVTOus avons de Juvenal feize juvcnal,
i\l Satires qu'on a diflribuées en
cinq Livres, & qui ont un caractère dÎD-
férent de celui des autres Satiriques qui Ta-
voient précédé. Car il a quelque chofe
de plus aigre qu'Horace, de plus doux que
Lucilius, & de plus ouvert que Peirfc (4).
Tout le monde convient qu'il a palTé de
fort loin les deux derniers : mais le pre-
mier a eu de tems en tems despartifans as-
fés zélés & alFés forts pour le maintenir
dans fon rang de préféance contre les ef-
forts de ceux qui l'ont voulu donner à Jur
vénal , ou même le mettre de pair avec lui.
11 femble que Jules Scaliger fe foit misa
la tête de ceux-ci. Du moins paroît-il a-
voir été un des premiers de ceux qui ont
prétendu en faire le Prince des Satiriques
Latins (^}. Il dit que fes Vers valent
beau-
TOCe Giunit.
4. 01. Borrich. Diflcrtat. de Pocr. Larin. pag.
64. 6$.
5. Jul. Cif. Scalig. lib. 6. Pocticcs fivc Hypcrai-
tic. pag. 83J.
33^ Poètes Latins.
Juvcual, beaucoup mieux que ceux d'Horace, que
fes penfces font plus nobles & plus éle-
vées , que fes feiitences ont plus de fel ,
plus de vigueur, plus de gravité; que fa
phrafe e(i plus ouverte & plus dégagée, &
qu'il ne lui cède en d'autre chofe que pour
la pureté du flyle.
Ailleurs il fait des invedives contre ceux
qui ont voulu faire palfer Juvenal pour un
Déclamateur plutôt que pour un vrai Sa*
tîrique (i). Il foutient qu'on lui trouve
plus de ce bon goût & de cette Urhcwtté
Romaine qui fait tout l'agrément de la Sa-
tire, que dans tout ce qu'a fait Horace en
ce genre d'écrire. Il ajoute qu'Horace lui
efl encore fort mférieur pour la variété des
matières, la fécondité de l'invention, la
multitude des fentences , la force & la fé-
vérité des réprimandes, les rencontres in-
génieufes , la fubtiliré & même la belle
plaifanterie. Enfin il a crû tout dire, en
difant hardiment que Juvenal efl fupérieur
à Horace avec une dillance aufll éloignée
& aufll fenfîble qu'efl celle qu'on a tou-
jours remarquée entre Horace & Luci*
]ius (2).
Il femble que Floridus Sabinus qui vî-
voit en même tems queScaliger, ait été
dans les mêmes fentimens lorfqu'il juge
(3) que c'efl Juvenal qui a mis la dernière
main à la Satire Latine, non pas feule-
ment pour être venu le dernier , mais pour
avoir
1. Jul. Caef. Seal. Poct. lib. 6. pag. ?<7. %6%.
2. Idem ia eodcn^ Opère pag. 872. imo & ptg.
179.
I
Poètes Latins. 333
avoir éxadement remarqué ce qui pouvoit juvcnai
lui manquer après les foins de ceux qui
Tavoient précédé. Il n'a pu s'empccher
même de maltraiter Marulle pour avoir
voulu faire cet honneur à Horace.
Enfin il s'e(l trouvé d'autres Critiques,
qui au rapport de Farnabe (4^), ont eftimé
Juvenal préférable à Horace , en ce que
celui-ci , félon leur avis, n'a été qu'un
Satirique fuperficicl qui s'eft contente de
rire du bout des lèvres, & de montrer
fes dents blanches : au lieu que Juvenal
mord fa proie jufqu'aux os, & la quitte ra-
rement fans l'étrangler & fans lui donner
la mort; en quoi ces Meffieurs femblent
avoir voulu mettre le but de la batire,
peut-être parce qu'ils n'ont pu le reculer
plus loin.
On a vu un tiers parti de Critiques
formé au fujet de ces deux Satiriques;
mais il s'efl rendu moins puiflant, & il a
fait moins de bruit que les deux autres.
Ceux qui s'y font rangés ont crû que com-
me c'étoient deux Génie'» d'un caradére
fort différent , & qui ont eu un mérite
tout-à-fait diflingué , on pourroit les laif^
fer fans comparaifon, & les prifer indé-
pendernment & fans rapport de l'un à l'au-
tre; qu'on peut dire que Juvenal régne
dans le genre férieux fans fonger même
qu'Horace régne dans le plaifant & l'a-
gréable , quoique l'un ne foit pas moins
vé-
3. Franc. Florid, Sabinns lib. |. Lc£lion. fubciiî-
▼at. cap, r.
<)« Ikom^ Faxiabt Iisfat, «d Juvwtl. cditioa^
334 Poètes Latins.
Ju7cnal. véritable que Tauire (i) ; que l'un peut
pafTer pour TÀuteur de la Satire Tragi-
que , 6l l'autre pour celui de la Comi-
que (2) , fans être obligé de les com-
mettre,
La neutralité de ces derniers Critiques
n'a rien changé au rang de nos deux
Poètes , & l'on peut dire même que tout
le crédit & la tadion des premiers ne
s'efl terminée qu'à de vains efforts. Car
enfin nous pouvons affurer après Mr. Go-
deau (3) que les plus habiles & les plus ju-
dicieux Critiques elliment Juvenal fort in-
férieur à Horace pour le vrai curactére de
la Satire; mais il ne laiffe pas, félon Vof-
fius (4), d'être immédiatement celui d'a-
près lui, quoiqu'à la Veriification près,
on puilTe dire que ni lui ni Perfe n'ap-
prochent pas encore f\ près de la ju(lc
Satire que quelques Auteurs qui en ont
fait en Profe , comme Seneque parmi
les Latins dans fon jeu fur l'Empereur
Claudius , & parmi les Grecs Lucien
dans fes Dialogues, & l'Empereur Juliea
dans fes Ce fars. La raifon eit , parce
que ces galans hommes connoiiTant le
foible de ceux à qui ils en vouloicnt,
ont mieux aimé fe jouer que de blelfer
férieufement, & railler agréablement que
de gronder d'aa ton impérieux (5*).
Mais
T. Ger. Joan. VofiC Inftitur. Poëticar. lib. 3. pag,
41. cap. 9. parag. 9.
z. Jofeph Scalig. in primis Scaligcranis pag. 95.
3. Ant. Godcauj Hift, de i'^glik à Iji âiidu prc-
micz Û€cle.
d
Poètes Latins. 33^
Mais comme il ne s'agit ici que des juvcnal.
Poctcs , on doit coniioître qu'il n'y en
a pas eu après Horace qui ait été doué
de plus d'excellentes qualités que Juvc-
nal pour la Satire. Il avoit palîc la plus
belle partie de la vie dans les exercices
ScholalHques , où il s\'toit acquis la ré-
putation de Déclamateur vchcmenr , &
quoique cela ne tut point capable de le
rendre meilleur Poète, on ne doit pas
douter que les habitudes qu'il y contrac-
ta n'ayent beaucoup contribue' à le ren-
dre grand Cenleur du vice , & n'ayent
fortifié ion humeur chagrine. C'eil ce
que Mr. Defprcaux nous a voulu mar-
quer en tailant le jugement do les Sati-
res en ces termes (6) :
Juvenal élevé dans les cris de l'Ecole
Poufla jufqu'à l'excès fa mordante hyperbole*
Ses Ouvrages, tout pleins d'afireulcs vérités,
Eiincellcnt pourtant de fublimes beau-
tés
Ses écrits pleins de feu par tout brillent aux
yeux.
Mais cet Auteur avec tout fon férieux
H eu bien de la peine à réulîir dans le dcf-
fein qu'il avoit de reprendre le vice. Car
com-
4. Voff. lib. 3, Inft. rocticir. ut fupià, fcd païag,
17. P*g- 45. ^
5. Idem ibid. parag. 9. chap. 9. p. 4X. îcc
6. Dcrptciux»Ch;iac, î, de l'Ait Poétique, r. 157.
33^ Poètes Latins.
Juvcnal, comme le témoigne le P. Rapin (i), ces
violentes manières de Déclamation qu'il
met eii ufage par tout ont rarement l'elfet
qu'on en devroit attendre. Juvenal ne per-
fuade prefque rien , parce qu'il eft prefque
toujours en colère & qu'il ne parle point
de fang froid (2). Ileftvrai, dit ce Père,
qu'il y a des lieux communs de Morale
qui font capables d'éblouVr les petits efprits.
Mais avec toutes ces exprelîions fortes,
ces termes énergiques <Sc ces. grands traits
d'éloquence, il fait peu d'impreflion , par-
ce qu'il n'a rien de délicat ni rien de natu-
rel. Ce n'eft pas un véritable zèle qui
le fait parler contre les déréglemensdefon
ilécle, c'eft un efprît de vanité & d'often*
tation qui l'anime, c'eft un déiir de décla-
mer qui le porte à vouloir faire des leçons
à tout le monde.
D'autres reconnoiflent pourtant ^WSs de
droiture & de fincérité dans fcs intentions
& dans fes démarches. Il a fait voir même
par fon exemple, félon le Père Thomaf-
fîn (3), qu'un Poëte Satirique ne doit être
animé que de Paverfion du vice : & Far-
nabe témoigne (4) que plufieurs préfé-
roient fes Satires à toute la Morale d'A-
riflote , & ne faifoient pas difficulté de les
égaler
t. René Rapîn , Reflex. pajtticul. fur la Poétique,
féconde partie Rcflex. xxvtii.
2. Sens frais.
3. Louïs Thomalîin, livre t. chap. 14. nomb. 7,
pag. 192- àc la manière d'étudier & d*enfcignei
Chréticnnemeni les Poètes.
4. Farnab. Epift, ad y^illlx Jlincipcm MiCÀtg
cdit, Juvçûal,
Poètes LatiïîS. 337
égaler à celle de Senequc & d'Epidete. Tj^ycmi,
Mais il s'eft trouvé des x^uceurs Païens ^
même qui ont blâme au moins l'indifcré-
tion avec laquelle il s'eft acquitté de Ton
miniflére , comme Ta remarqué Voffius
C5"), parce qu'au lieu d'infpirer de l'aver-
lîon pour le defordre & le crime contre
lequel il veut déclamer , il fcmble qu'il
enfeigne plutôt à le commettre , outre
qu'il n'étoit pas lui-même afles réglé dans
fès mœurs & fa conduite pour fe mêler de
vouloir tirer les autres du dérèglement,
C'efl pourquoi Ammien Marcellin trou-
voît fort mauvais (6) que de fon tems le
Peuple fît fes délices de ce Poète, & qu'on
en préférât la ledure à celle des plus ex-
cellens Auteurs.
En effet il y a des Satires quinedevoicnt
jamais paroître au jour pour les obfcénités
qu'elles renferment. Le P. Briet en comp-
te deux de cette nature (7) ; Mr. Roileau
en compte trois, favoir, la III. la VI. &
la IX. (8) dont la compagnie a toujours
fait beaucoup de deshonneur aux autres,
parmi lefquelles il fe trouve auffi di ver fes
chofes à retrancher pour les remettre daus
les termes de l'honnêteté.
Plulîeurs ont trouvé la X. trop Philo-
fophc
$. Ger. Joan. VofT. lib. 3. Inftitution, Toët. c;ip.
20. parag. 4. pag. 107.
6. Ammian. Marcellin. Hiftor. lib. x.xviii. pag,
371. 37Z. édition. Heiu. Val.
7. Philip. Brict. de Poét. Latin, lib. 2, pag. 40,
prxiïx. Acutè did.
8. Rotteau , Sentim. fur quelques liviis qu'il a
lus pag. 54. MS.
romdlLParîJL P
33^ Poètes Latins.
îttvenaj. fophe pour une Satire (i) & ils ont crû
.remarquer même dans la plupart des autres
une aée6lâtion trop grande d'érudition &
de capacité., qui elt proprement le vice des
anciens Sophiites & des Rhéteurs.
Nonobftant l'aigreur de Tes Satires il ne
laifToit pas ii'être tort bien venu à Rome,
mais ayant picqué trop vivement un fa-
meux Tabarin nommé Paris, ;il tomba
dans la difgrace du Prince, qui fous pré-
texte de le récompenfer, l'envoya en E-
gypte en qualité de Brigadier ou de Tribun
d'une Cohorte , quoiqu'il tut déjà fur le
déclin de fon âge & décrépite même (2).
Et comme il n'avoit pas encore perdu fon
feu , il fit dans cet honorable bannilTement
la Xy. Satire contre les fuperftitions de
l'Egypte , mais , comme dit Mr. Borrichius,
c'étoit vouloir nettoyer de la boue avec de
la boue.
* Z). y. 'Juvenalis Satyrarum liù, w. cum
Ccmment, EUhardi Lubinti in-40. Hano-
^Ice iôog. — Cum vcterts Scholiaftce ^
yoannis Britannici Comme a t. aliorumque
jn-4'^. Partf, 1613. — CumvariorHmCom-
Tnentariis m'^°. 1664. L^tgd.'Bat,
Voycs encore art. 115-8.
M A R-
1. Borrich. DilTcrtatlon. fccundd de Poct. Lat.
Bum. 40. pag- 64» ^î' *'^ li'Pfi.
2, %. Dtcrepite pour dtcrtj>it.
Poètes Latins. 33^
MARTIAL.
(C. Valerïus Marùalis) Efpagiiol , natif
de BilbîUs au Pays des Ceitibcres , dont
les reftcs s'appelkiK aujourd'hui Bau-
boU , pr-ès d-e Calatayud au Royaume
d'Arragon, vivant fous TEiripereurDo-
mitien, mort âge de 75". ans, fous Tra^
jan dans fon pays & dans une extrême
pauvreté.
Ii6f î L nous eft reftc de lui quatorze *f.,.,:,. .
JL Livres d hpigrammes qui iont en-
tre les mains de tout le monde, & un Li-
vre des Spe<5lacles qu'on y joint ordinaire-
ment. On a coutume de divifcr fes Ouvra-
ges en trois parties fort inégales. La plus
petite comprend ce qu'il y a de bon : celle
d'après, ce qu'il y a de médiocre; (Se li
plus grande ce qu'il y a de mauvais. C'cii
le jugement qu'il femble avoir voulu faire
lui-même de fes vers, & Scalîger le fils
témoigne (3), qu'il n'a jamais mieux ren-
contré que lorsqu'il a dit de fes propres
Ouvrages (4):
Snnt hona , fnnt quisdar/t mediocria , y}/»^
mala plura.
Le jeune Pline nous apprend quec'e'toit
un homme plein d'cfprit , qui avoir beau-
coup
j. Joleph Seal. în primis Scaligcrânis.
4. Maniai, £pigr, 17. libri i. ad Avitum, --'S^K
P 2
340 Poètes Latins.
Mâttial, coup de fubtilité & de vivacité , qui favoît
répandre avec abondance le fel & le fiel
dans tous Tes écrits ; mais qui faifoit pour-
tant paroître beaucoup de candeur dans Ta-
fage qu'il en taifoit (i). Néanmoins on
peut dire que Tinterêt & la tendrefTe ont
eu beaucoup de part à ce jugement de Pli-
ne. 11 avoit de la tendrefTe pour un ami
dont il n'auroit pas voulu publier les dé-
fauts en écrivant à un autre, & il avoit in-
térêt de nous donner bonne opinion de l'es-
prit & de la iincérité de Martial en parlant
des vers que ce Pocte avoit faits à fa
louange.
Pline n'eft pas le feul qui fefoit conten-
té de nous faire voir le bel endroit de
Martial , & comme on en peut voir des
recueils à la tcte ou à la fin des éditions
de cet Auteur (2) » je m.e contenterai de
rapporter ici une partie de ce qui peut avoir
été dit à fon fujet avec le plus d'équité.
Le P. Briet qui l'appelle après plufieurs
autres un Poète très-ingénieux , prétend
qu'il a donné l'idée & le modèle de la vé-
ritable manière de faire les plus belles Epi-
grammes (3). Mais je crois qu'il faut ex-
pliquer cette vérité du P. Briet par une au-
tre qui eft du P. Rapii\, & qu'il faut dire
que Martial étant conlidérc comme le
prin-
T. Plinius junior Epiflol. ultima libri i. ad Corn.
PxiXcum.
2. Xditores varii Martialis, puta Scrivcrius, Far-
pabius, ôc aiii in prolegom.
3. rhilipp, Briet. lib. 2, de Poctis cap. 40. prsfix,
Acuic di^is Poctar,
4. Rcn^
Poètes Latin î. 341
principal Auteur des pointes des mots, il Maiu%
peur fervir de modèle à ceux qui s'appli-
quent à ce genre d'Kpigrammes dont la
beauté confiile dans la pointe & le jeu des
mots C^f).
Car nous avons vu ailleurs qu'il ne
pouvoit avoir cet avantage fur Catulle
pour l'ir'pii^ramine , dont la force & la
béante eit toute renfermée dans la penfce.
L'.Tmour des fubtiiités & l'atteâiation des
pointes dans le difcours avoit pris dès le
tems de Tibère ou de Caligula la place da
bon goût des chofes qui regnoit avec Au-
gulle. Cette corruption s'introdui'fît d'a-
bord dans les Ecoles de Droit & de Rhé-
torique, c'efl- à-dire dans l'efprit des Dé-
clamateurs ou Rhéteurs & de ces fortes
d'Avocats fans caufes qu'on appel loitScho-
■laftiques: Enfuite elle gagna les Philofo-
phes & les Poètes-mêmes , furtout du
tems de Néron. Mais fous le règne de
Domitieii comme pcrfonne ne s'en garan-
tit mieux que Juvenal (5-), perfonne auffi
n'en fut plus infedé que Martial, qui par
ce défaut donna encore à Catulle un nou-
vel avantage fur lui (6).
Cela n'a pas empêché néanmoins quel-
ques Critiques de lui trouver de la pureté
de ftyle & d'autres bonnes qualités qui
font
4- Ren. Rapin, Réflex. particul. fur la Poétique,
Reflcx. XXXI. féconde partie.
5. f . Ou feroit pourtant des Epigrammcs de Ja
plupart de fes penfées.
6. Gcr. Joan. Voflîus Inftitution. Poëticaruiu Ub,
.j.pag. 107. 6c 108,
P3
34* Poètes Latins.
>Miîiàl» font rornement du difcours. Erafme dît
(î), qu'il approche allés de la facilité d'O-
vide , & qu'il peut avoir même quelque
part à la gloire de Cîceron dont î\ femble
avoir voulu prendre quelque air.
Jules Scaliger qui ne connoiffoit quel--
quefois pas de milieu entre le divin & le
diabolique, dit qu'il y a dans Martial plu-
ileurs Epigrammes du premier genre, dont
le ilylc ek fort pur, fort éxa61:> & fort
propre pour la variété & l'abondance de
fes matières ; il prétend même que fes vers,
font pleins <?c bien remplis, fans chevilles,
qu'ils font naturels, & fou tenus d'une
belle cadence, en un mot qu'ils font très--
bons. Je ne prétcns pas propofer le fentî-
ment de ce Critique, comme s'il étoit
fort judicieux en toutes fes parties, mais,
pour faire voir feulement qu'il faut quC;
parmi quelques lx)nues qualités qui fe
trouvent dans les Oeuvres de Martial, il y
en ait aufll de bien mauvaifes, puifque
Scaliger ayant pris le. parti de le louer
cxceffivement, n'a pu s'empêcher de nous.
dire , que loin de vouloir examiner fes
Epigrammes malhonnêtes ou lafcives, il
ne les avoit pas même jugé, dignes d'ê-
tre lues (2).
Jean Jovien Pontanus avoit dit cinquan-
te ans auparavant (3) que Martial ctoit le
plus
T. DcHd. Erafra. in Dialog. Ciccronian. pag. 147.-.
Edit. HoJland.
2. Jul C. Scaliger, Hypcrciitic. feu lib. 6/ Poëti-.
ces cap. 6. pag. 83s.
3, Joan, Jovian. Poatan. lib, 3. de Scrmonc cap..
Poètes Latins. 343
plus adroit & le plus artificieux homme du Hfniia,
monde pour l'Epif^ramme; mais qu'il cha-
touille moins qu'il ne bielle- dans fes jeux
6c fcs railleries , quoiqu'on puifTe trouver
quelque plailir à voir mordre les autres
lorfqu'ou penfe n'y être pas engagé d'in-
térêt. Il ajoute que cet Auteur cache fou-
vent dans les mots des traits piquants qui
percent infcnliblement ; que non feule-
ment il a beaucoup de méchantes plaifan-
teries qui n'ont rien que de fade & de fort
défigréablc, mais qu'on y remarque enco-
re des bouffonneries plates, des obfcéni-
tés grofllcres & brutales, de l'aigreur, de
l'entiure, & des termes ampoullés, ce qui
étoit, dit-îl, le caradére des Efpagnols de
ce tems-là.
Mais il ne laifle pas de rcconnoître
d'ailleurs que Martial a quelquefois de la
délicatelfe , <^ quelque chofe d'alfés fin;
qu'il y a de la fubtilité dans fés inventions;
en un mot qu'il y a un affés' grand nom-
bre d'Epi^çrammes dont le Leéleur doit ê-
tre fatisfait.
Le Giraldi paroît avoir été dans les
mêmes fent-mens , & il ajoute (4) que
bien que lesSavans de fontems ne priflent
pas grand goût aux Ouvrages de Martial,
on pourroit néanmoins fa're choix d'un
petit nombre de fes Epigrammes qui mé-
ritent
jî. & ap. Fàrnah.
4. Ger. Joh. VofiT. Inftitut. Poëticâr. lib, j. cap,
20. parag. 4. pag. loS. 107.
Lil. Gregor. Gyraldus de Hiftor. PocticJU.DialOfi» -
Xr pag, io>8. édition iu-t.
P 4
544 Poètes Latins.
Hartiâi.' jffent d'être confervées , & lallFer périr îc
reite fans fcrupule.
Les raifons d'un dégoût U univcrfel ne
font inconnues à perîbnne. Jl n'y en a
pas de plus importante que celle de fou
impureté dont il fouille la meilleure partie
de fes Ouvrages, & particulièrement la fin
de fon troiliéme Livre, le feptiéme & l'on-
zième. Entre les autres raifons de ce dé-
goût, les uns mettent fon humeur trop
mordante (i) , les autres fa flaterie hon*
teufe à l'égard de Domitien , jointe à la
manière indigne dont il le traita après fa
mort (2) : quelques-uns fa bouffonnerie,
ce qui ne plaifoit pourtant pas à Turnebe
qui ne trouvoit dans cette méchante quali-
té rien que de plaifant & d'agréable (3):
quelques-autres un air de malignité 6c
d'impudence répandu prefque par tous fes
vers (4). Et fi on en vouloit croire le Vo'
laterran (5"), on y ajouteroit aulfi la mau-
vaife Latinité & l'impureté de fon ftyle;
fan-s
T. Paul, Jov. in clogio Marc. Anton. Cafanovac
pag. 76. M.
2. Roû. Sentim. fur quelques Livres qu'il a lus
MS.
3. Hadr. Turneb. Adverfaiior. lib, 13. cap. 19.
Item lib. 8, cap. 4.
4. Nicole , Traité de l'Educ. du Prince , partie
féconde parag. 38. page 6j.
5. Raph, Volaterran. Commentarior. Urbanor.
lib. 17. £c ap. Thom. Farn. pag. 455. ad cale, edit,
Mart.
6. René Rapin , Comparaifon d'Homerc 2c de
Virgile chap. 10. page î9 edit. in-4.
7. Juft. Lipf Epilloiicw, quaftlon. lib. i. Epift. ^
5- ad Jaa. Leiuuc,
g. Ka.-
Poètes Latins." 345*
ftns" parler du méchant goût de fes peu- Man'ur
^ccs, du faux brillant de fes Epithétes &de
fa fliuflc dclîcatefTe (6).
Tant de défauts ont faîtdouter àLîpfe (i
Martial avo:t mér"té la peine qu'on a pri-
fc de le commenter, & même de le lire
(7). Mais comme il a jugé qu'il n'étort
plus poffibîc de le fiipprimer, il a crû
comme plulleurs autres Critiques aulîî
fages que lui (8) qu'il ne relioit plus
d'autres moyens pour t.lcher de fauver
l'innocence de la jeunefle , & de pour*
voir à la pudeer des honnêtes gens ,
que de couper cet infâme Poète & de lui
ôtcr fes ordures, ou de faire un petit re-
cueil de celles de fes Epigrammes qui fe
fentent le moins des défauts de leur Au-
teur.
Il femble que le Public ait eu Tune &
l'autre fatisfaÔion. Car la première voie a
été tentée par les Jefuites (9),& particuliè-
rement par les PP. xindré Frulius, Edmond
Au-
t. Hadrianus Jiinius Horn. Epiftol. prsfîx. edif,"
Martial. Vidend. ôc ea quae coUegic Petius Scrive-
lius in fua edit.
p. ç. Le P, Vavafleur, cîiapirre 20. de Ton Traire
de rLpigramme, convient lans façon que les Jefui-
tes ne fe font pasaviiés les premiers de purifier Mar-
tial. Il n'a pas (u a la veriti que Conrad Gefner
Protcftant avoir en 1544. exécute ce deflein à Zuric
quatorze ans avant que l'édition des PP. Frulius, ^
Auget eut paru, mais remontant bien phis haut il a
fait voir que François duBois, Fr/t;;rry?«j Sylviusd^A^
niions, Profcdcur en Humanités .1 Paris au Collège
de Tournai, avoir été le premier de tous les jcfor-
matcursde Martial, ayant pris foin d'en donner en
1514. une édition purgée de ce que les piccédcates
4tVQÙ4^t de liccnùcuxr
P s
346 Poètes Latins.
Mâitid* Auger, Matthieu Rader^ & P. Rodclle;
& la féconde par quelque Anonyme du
p. R.(i).
11 auroit été à propos, ce remble,de di-
re aufli quelque chofe du Livre des Spec-
tacles ou de l'Amphithéâtre qui porte fou •
nom. Mais cet Ouvrage n'eil pas de lui
félon Barthius (2), ou s'il y a quelque E-
pîgramme de lui, il e(ï afi'cs difficile d'en •
faire le difcernemcnt d'avec les autres qui
font de divers Auteurs dans le même Re-
cueil.
Ceux qui fouhaîtent vot la comparaifon •
de Martial avec Catulle la trouveront au
titre de celui-ci, nombre 1 141..
* M, V' Martialis Eftgrammata în-fol.
Terrartce I471. Eadem^ collât a ahj. .
Gr utero çjf alus in- 12. Francofiirti l602«
■ Eadem cum M, Raderi Comment. .
in-fol. Mogtmt. 1627.- Cum 'varlorum
Comment. ^ Indice 'Jofephi Cangit in-fol. -
Lutetice. l6iy. Laur. Ramirez de
Prado în-4. Parif. 1607. Idem ad «•
Jum Dclj)hini in-4. Parif. 1 680.
S T A^
T. De Mxrt. cmend. $:cmîJcul. vtd, pafrim.5<:Bibl.
Soc. J. quibus addcnd. ôc alii puta Conrad Gefnc:
&c.
De dckéhi Epipramwat. Mart.-
2. Gafp. Barthius iib, 40, Adrcrfazior, cap. i;i
coi, Il 17, ^;c,
3* 'W-
Poètes Latins; 347^
STAGE,
(P. Papinhis Staiius) de Naples, vivant
fous Domîtk 11, confondu par plulieurs
Modernes avec Statius Surculas , ou
Urfnlus de Toiiloufe qui vivoit fous
Claudius & Ncron.
1166. 1 L cfl affés difficile de dire quel a Stace,
1 été le goiit des x\ncîcns pour les
Ouvrages Poétiques de Stace, parce qu'ils
paroifîént ne les avoir lus & examinés que
comme des Grammairiens qui ignoroient
l'Art Poccique (3). Pour ce qui regarde les
fiécles de moyen âge, on peut dire qu'ils
en ont été charmes , & que ceux qui s'ap-
pliquoient dans ces tems à la leâure en
faifoient leurs délices , quoiqu'ils fuffent
incomparablement moins intelligens dans
la véritable Pociie que ceux dont nous ve-
nons de parler: C'efl ce qu'on peut voir
dans Barthius, qui a pris un foin particu-
lier de ramalTer les témoignages des Au-
teurs de ces tems qui ont parlé favorable-
ment àQ CQ Pocte (4). Mais les Moder-
nes ont été affés partagés dans les juge-
mens qu'ils en ont portes (5')" Les uns
ont prétendu qu'il avoit plus de folidité &
de
3. Prifcian. Grammat. 5: aVù e)ufdem xtatis, ireai ■
Sever. Sulpit. vcrfum ex co chiit. Dialog. 3. AtMa--
Ciob. non memin;:.
4. Giifp. Barthius lib. ir. Adveifarior. cap. 2. col,
513. 514 &c."
5. Bibliograph. Anonym. ciuiof. Hidox. Philolof*
pag. Jî>. ubi viiiipei, Cucei edltio,
F 6
34? Poètes Latins-
ittce. de difcernement que Virgile même. Les
autres ont foutenu avec autant de chaleur
que fi nous en devions douter, qu'il nV
voit ni l'art ni le génie, ni la didion de
Virgile.
Jules Scaliger prétend non feulement
que c'efl un véritable Poète, mais que c'eft
un Poète de grand génie & de beaucoup
de politefTe; qu'il n'y a pas d'Auteurs par-
mi les Anciens ni parmi les Modernes qui
ait approché lî fort de Virgile, & qu'il
l'auroit encore touché de plus près s'il
n'avoit eu peur de l'incommoder (i). Car
étant naturellement élevé , il n'a pu éviter
de devenir enflé & trop bouffant dès qu'il
a voulu prendre fon efTor trop haut. C'eft
en quoi ce Critique met la principale dif-
férence de Stace d'avec Virgile, après le-
quel il ne fait point difficulté de lui don-
ner le rang de préféance fur tous les Poè-
tes Héroïques des Grecs & des Latins,
foutenant qu'il fait de meilleurs vers
qu'Homère même.
Ce jugement joint à pluiïeurs autres de
la même nature que j'ai rapportés dans
toute la fuite de ce Recueil, a fait douter
à quelques perfonnes judicieufes fi Scali-
ger étoit auifi bon connoilfeur dans l'Art
Poétique comme il l'étoit en d'autres cho-
fes. Quelque excellent que foit fon Trai-
té de la Poétique, il ne laiffe pas de nous
don-
I. Jul. Cxl. Scalig. Hypercritic. (eu lib, 6. Poctis,
pag. 84}.
<P. Bairet a dor.ne par cette tradu£tion un air ri-
dicule à ces paioles de Scaligei : Etiam [rooinquior
Poètes L a t i n j. 349
donner quelquefois des marques du peu stacïTi
d'uniformité de l'efprit de fon Auteur , &
de nous faire voir que la mémoire lui man-
quant quelquefois , ce défaut le tliiloit
tomber dans des contradictions qui ont
fait quelque tort à la réputation où il cil
d'un Critique fort judicieux à. fort expéri-
menté. Ain(] quoiqu'il ait dft en un en»
droit que Srace cft enflé lorfqu'il veut s'é«
lever, il femble avoir voulu dire le con*
traire en un autre, & il traite de Petits'
Grecs ^ c'eft-à-dire d'efprits vains, témé-
raires & menteurs, ceux-mêmes qui l'ont
jugé trop enflé. Il prétend que ces for-
tes de Critiques ne connoilTent point la vé-
ritable enflure, qui confifte , dit-il, dans
des Métaphores de fer pareilles à celles
qu'on trouve dans Pindarc: car s'il falloic
prendre pour un ftyle enfl.é ce grand air
que Stace a donné à fcs vers, il faudroit
aulîl accufer Virgile d'ttrc enflé (2).
Si nous étions fort en peine de chercher
de l'appui pour le fcntimcnt de Scaliger,
nous trouverions des Critiques allés 2èlés
pour l'honneur de Stace qui pourroient le
féconder,. & nous pourrions nommer par-
mi les autres Alr.deMarolIes qui fe plaint
dans la Préface de ù TraduAion qu'on
ne fait pas ailes de cas des Poélies de Sta-
ce (3), prétendant que nous n'avons rien
de meilleur après V^irgile.
I\îais
futurus , fi tam propi efTe nolaiffet.
2. Idem Scalig. ibd. pnç. 841. 842. cap. 6.
3. Mich. deMaioks, Tiètace de la Traduak>û
Franco lie,
P7
3p r O E T E S: L» A T IN S. -
Sntc.- Maïs ceux qui en ont jugé avec plus de
lumière ôcdedélmtereflëment, nousappreri-
nent que- pour quelques bonnes qualités
que Ton trouve dans cet Auteur, on y en
remarque beaucoup de mauvaifes. • Mr.
Borrichius- reconnoît , par exemple , que
fa di6lion ■ eft ailés fleurie & ma,:^nifique
(i), mais il ajoute qu'elle ne fe foutient
pas, qu'elle n'eft pas choiiie par tout, qu'on
it voit tantôt fe guinder fur des échalîcs,
à. s'élever fort haut; tantôt marcher è pe-
tit pas & ram_per fur terre. • C'cfl ce qui
avoit porté FamîanoStrada célèbre Jéfuite
à fe le repréfenter fur la pointe la plus ex-
haufTce du Parnafle, mais dans la pollure
d'un homme qui n'y peut tenir & qui fe
précipite.
Le P. Brîet a remarqué qu'il ctoit plus
heureux que Martial pour la verfirîcation,
qu'il faifoit des vers avec plus de facilité <à
d'abondance; & que c'eft ce qui le rendoit
plus agréable à l'Empereur Domiden :m.ais
il ajoute qu'outre cette enflure que tout le
monde y a trouvée,. il efl: beaucoup plus
obfcur & beaucoup plus inégal , cSc que
c'efl: un Auteur pernicieux à la jeuncire
pour le mauvais ilylc (2).
Le P. Rapin le blâme (3) d'avoir mis
rclfentiel de la Poclie dans la grandeur 6<.
la
T. Obus Borricliins ,Diffcrtat. i. de Poët. Lat. ad
calccm num. 33; p;ig. 62.
z. Philif'. Biier. de loëc. Lat. lib. 2. png. 38. jp.
antc Acutè did. &c.
3. Ren. Rapin, Reflcx. i8. 6c 37. fur la Poétique,
pîemieie paiiie,
4r LÇ'
Poètes Latins; ^fi
}a magnificence des paroles^ plutôt que Stac*^
dans ks chofcs, il dit que-fes vers remplis*
fent rcreille fans aller au cœur ^ qu*il eft
aufil bizarre dans fcs idées que dans fes ex-
preffions (4); que fes deux Poèmes n'ont
rien dcTcgulier, que tout y cft trop vaRc
de trop, di (proportionné. Enfin il afTur^
(5-) que Stace n'ed qu'un furieux au prix •
de Virgile*- C'cd ce qu'on peut voir en di-
vers endroits de fcs écrits. .
Les principaux Ouvrages de notre Au-
teur font hxThebaide en xii. Livres, VA-
chillcïdc dont on n'a que deux Livres , par-
ce que la mort l'empôcha de la continuer,
& les Sihre^ en v. Livres. .
T. Dans fes Silves^ il efi: plus pur, plus
agréable, & plus naturel qu'ailleurs.
2. Dans fa "Thebaide^ il eil plus peigné, .
plus aiuflc & plus fardé, ..
3. Dans Çow Âchilleidc ^ il eft plus iné-
gal que dans le refte(6).
I. Le volume des Siives efl un aiïem*
bîage de plufîeurs pièces fur différens fu-
jets qui méritent aifurément une leclurc
ïitrentive , à cnufe des chofes excellentes
qui s'y rencontrent parmi pîulieurs qui font
aifés communes (7) Scalii^er dit que les
plus fivans ont jugé ces S:ivcs meilleures
que la Thebaïdc 6t i'Achiileïde , parce
qu'é-
4. Le même, dans la féconde partie du même
Traité, Reflexion xv.
5. Dans la Comparaifbn d'Hon:crc &: de Virgile •
cliap. TI.
6. Boiricli.Difleit. ut fuprà ^ Brictiiis lit fuprà.
7. RoRcau, Scûtim, lui c^uelques livres qu'il a luJ
pag. jj, M S.
3^2 Poètes L a t i m S.
Stifie, qu'étant ce femble plus négligées , elles
' paroillent écrites plus naturellement, mais
il témoigne ne vouloir pas être de leur
fentiment (()•
Quoiqu'en dife Scaliger , il a été in-
comparablement plus facile àStacederéus-
lîr dans fes Silves que dans Tes deux Poè-
mes , parce que ce genre d'écrire n'ayant
pas encore de régie comme les genres E-
pique , Drani'^tîque , Lyrique &c. il s'eft
trouvé dans une grande liberté de fuivre
fon génie, fans craindre de pécher contre
des Loix qui n'ont point encore été por-
tées. Efre<ftivement Vofllus a remarqu-é
que plufieurs de ces pièces ont été faites
fur le champ, fans étude & fans prépara-
tion (2). Et c'ell de Stace même qu'on a
appris cette particularité que Ton trouve
dans une Epitre à Poliius qui cft à la tét£
du troifîéme Livre des Silves.
2. & 3. Pour ce qui regarde fa Thehaï-
de & fon Achîlleide ^ on peut dire que leur
Auteur en avoir ii bonne opinion qu'il les
croyoit comparables aux Poèmes d'Home-
re & de Virgile (3), quoiqu'il ait eu aiïcs
de modeflie pour témoigner qu'il ne pou-
vo:t fuivre le dernier que de loin, & qu'il
ne
T. Jul. Cxf, Scaliger in Poèt. lib. S. cnp. 6. Qt
lùpià.
2. Gérard. Joan. Voflïus Inftitution. Poër. hb. 3,
cap. 22, l-i. ult. p;ig. ii3
Papinius Stat. non iemel liK i. Siivnr. lib. 2. &
iib. j.
3, Ren. le Poilu, Traité du Poëme Epique liv. i.
pag. 117. à la fin du cliap. 16.
^. C'eH une fa-^fleté à laquelle j'ai répondu fur
Poètes Latins. 35-3
ne le vouloir faire mcmc qu'en baifant les Sttc^,
vertiges qu'il lui avoît traces (4).
11 eft vrai que quelques Critiques n'ont
pas crû fi Thehaide fi éloignée de l'Encïde
de Virgile; que Mr. de Marolles lui don-
ne le premier r^ing du genre Epique immé-
diatement après ce chef-d'œuvre (5-) ; &
que Mr. Roilcau a crû que ce Poe me efl:
écrit dans toutes les règles (6). Mais on
peut quitter ces Meilleurs fans leur faire
trop d'injure pour écouter les Maîtres de
rx\rt fur ce point.
Le P. le Boffii qui n'eft pas un des
moins coniidérables dit (7) , que Stace ne
mérite pas plus le nom de Pocte que Lu-
cain & Silius Italiens, quoiqu'il ait pris un
fujet Héroïque (Se Poétique , c'eft-à-dire
fort propre au Poème Epique. Lucain &
Silius Italiens ont décrit l'un dans laPhar-
fale, & l'autre dans fon Annibal des cho-
fes véritables tSc purement hilloriqucs. Sta-
ce en a écrit de feintes & tirées des Fables,
mais parce qu'il raconte fes fixions en
Hiilorien,fes Ouvrages ne font pas de vé-
ritables Poèmes Epiques non plus que ceux
des autres.
Sa Thebatde eft pleine d'Eprfodes défec-
tueux
Tarticle 1153. \ la fin du 5. *,
4. 01. Boirîch. & ip!e Statius hoc vcrfu :
Sed lonjè fc^Here, CT Vf h,'-'a frmper adora.
5. De Maroles Abbé de ViUcloin ,Préf. defaTrad.
Franc, comme defllis.
6. Roftca«, Sentim. for quelques livres qu*ila]us
pag. 55. MS.
7. Le BoiTu, chap. 15. du i. livre du Traite (Ul
Joëmc Epique pag 105.
3f4 Poètes Latins.
Stacc tueux. &. furabondaiis , tout y eil prefque
irrégulier,. & Ton y trouve beaucoup d'en-
droits monftrueux (i). La plupart des Ca-
radéres qu'il donne à Tes Héros & aux au-
tres perlbnnes font faux. Son génie em-
porté joint au delir d'amplifier, & de faire
que tout ce qu'il veut dire paroilTe grand
& merveilleux, l'a fait tomber dans ce dé-
faut. Il porte prefque toujours à l'excès
les paiïions qu'il répréfente dans fes per-
fonnat^es.. Il ne fait ce que c'eft que de
garder l'uniformité. Il fait faire à fes gens
des extravagances qu'on ne voudroit point
pardonner à déjeunes Ecoliers, & fouvent
au lieu de.repj-élèiiter fes perfonnages com-
me il devoit ,, il n'a fait que des chimères.
To!jtes« ces fautes ne peuvent ctre attri-
buées qu'au défaut de jugement, de fcien-
ce & de jufteiîè d'efprit. Voila le fenti-
îiient àuP. le Boifu fur l^Thebauîe qui n'a
point paru plus régulière- aux autres Criti-
ques de notre tems {i)\ qui ont eu quel-
que réputation de capacité & de bon goût.
]JAchill:ide de Stace n'ell pas moins
dcfeciueufe que fa Thebaïde. Le P.
Mambrun dit (3) que c'eft une Hîftoire &
non pas un Poème. Le P. le Boffu le
blâme avec juflice (4) d'avoir pris un Hé-
ros pour la matière de fon Pocme,au lieu
de prendre une Adion feule de fon Héros;
c'cil-
1. Livre 2. chap. 7. du même Ouvrage p. 184. i8j.
2. Ant. Godeau, Hiftoite de rEglil'e tin du pre-
mier ficc'e.
Rcn. R;ipin, Reflex. particul. lui la Pocr. fécon-
de parc. Reâex, ix.
3. r.
Poètes Latins. ^S^
c'eft-à'dirc, d'avoir rainailc toutes les a- Stacc;.
vanturcs & les a61ions qu'on attribue à A-
chille, comme s'il avoit voulu faire, une
Vie plutôt que de fe renfermer dans des
bornes femblables à celles qu'Homère s'é-
toit prefcrites. Aini] l'unité de ce Poème -
cft une faufle unitcf qui ne coniille que dans-
l'unité du Héros. II n'y a point d'unité
dans l'A6lion , qui néanmoins doit faire
toute l'efience & toute la conilitution d'un
véritable Poëme Epique, félon les maxi-
mes d'Anflote & des autres Maîtres qui
l'ont fuivi. Ce n'eft point une Fable quoi-
que ce ne foit qu'un tiflu de Fables,. C'ell
une fuite de fidions racontées dans un or-
dre hidorique (5), Il faut donc conclure
avec les Critiques que Stace n'eft qu'un
méchant Hidorien , ou tout au plus un.
Poète irrégulier & monftrueux^
* Pub!. Pûpinii SttUii Opéra cum Obfcr^
vatioyjîbus tff Comy/jefit. tam vet entra quam
recent'tar, Inicrpret, Eriericus Crue eus re^
ce?: fuit :^ noz'o Coni.illuftravit in-4. Pdrif,
1618. Idem ad ufum Deîph'r/ii 2. vol.
îu-4.- Parif. .\6%S' I<^-^ ^^'^ Co//2'-
went. Variorum in- S. Lug-Bat, lôyi*
T E'
3.- p. Mambmn, C-;'.i)fx dift. dctrîb. Pocmatib. C-
murciim Diflcrt. de Dialca:. de roëmat. Epico.
4. R. Je BofTu , liv, i. du P. Epiq. chap. i. pn».
132. fie chap;. 7. pag» TS4..
5. Le même au premier livre du même Ouvrajî
3^6 Poètes Latins.
TERENTIANUS M AU RUS
Africain félon quelques-uns, vivant fous
- Domitien, fi c'eft le même que ce Gou-
verneur de Syene ou Afiia en Kgypte
dont parle Mar:ial : ou fe'on d'autres
fous- Severe , fous Gordien ou même
plus tard (i).
Maurus. 1167. ^^T Ous avons vu ailleurs qu'fl
X^ étoit également bon Poète
Lyrique pour fon fiecle , & bon Maître
de Poè'lie. Voycs-Ie parmi ceux qui ont
écrit de l'Art Poétique, Art. XO51.
S U L P I T I A,
Poète Satirique, vivant du tems de Domi-
tien , femme de Calenus.
Sulpitîa, ii^S- T Es vers qu'elle écrivit à fon
JL Mari fur l'amour conjugal &
fur la fide'lité 6c la chafteté que l'on doit
garder dans l'e'tat du Mariage fe font per-
dus: mais il nous ell: relié une Satire de fa
façon qu'on imprime ordinairement à la fin
de celles de Juvenal.
Sca-
T. f . Sous Aurélien, fi c'eft le Tercntianus à qui
Longiii adrelle fon Traité du Sublime. Vives (ur le
6. livic de la Cité de Dieu chap. 2. recule Terentia-
nus jufqu'à Diocléricn.
z. Jul. Cxf. Scalig. Hypcrcritic. feu lib. 6. Poëtîc.
pag. 838.
3 . f . Mx. Huet chap. 2. de fa Dimonilr. Evaugeltque
a» 22t
Poètes Latins. 3^7
Scalîger en dft aiïes de bien: Il en loue
Tadreire, & il dit que la verlilication mê-
me n'en eH pas à méprifer (2).
(^ EZECHIEL,
y«/f, Poète Grec, fous Trnjan ou Adrîen,
quoique Sixte de Sienne l'ait mis 40. ans
devant Jefus-Chrift (3).
II 69. 1 L court fous ce nom une Tragé- Ezechid,
1 die Grecque furMoyfe ou lepas-
fage des Ifraèlites. Frédéric Morel la tra*
duilît (4) en Profe & en Vers Latins fur la
fin de l'autre lîccle, ce qui n'en a pour-
tant pas rendu la leélure beaucoup plus
fréquente ni la pièce beaucoup plus com-
mune.
Clément Alexandrin parle de cet Auteur
plus d'une fois, & il en rapporte un grand
fragment. Genticn Hervet qui croyoit
cette pièce perdue , conjeduroit par ce
morceau que toute la pie'ce devoit être c-
legamment écrite (5-).
Ce n'ell point pour confirmer fa conjec-
ture que j'ai crû pouvoir parler ici de cet
Auteur, mais plutôt pour faire remarquer
une rareté allés lîngulicrc, de voir un Juif
Poète. * £-
B. 22. le met un fîécle 5c plus avant J. C. Les ver»
d'EzéchieJ ne foufilent pas qu'on le croie (i an-
cien. Ils ont tout l\iir d'être d'un Juif Kellenifte,
mauvais Poëte [oflerieur d'un fiécle ou deuxà J.C.
4, %. C'cft-à dire traduifît les fragmens qui ea
reftoient de fon tems.
5. Cent. Hcrv. in Com. ad Stiora, Clem. Alcx^
35^ Poètes Latins.
* Ezekiclus Poèia. ejus fragmenta y ex
lîhris Eufebii defarienjis ^ Gr. Lat. in-fol.
JP^r//. 1624.
Q.SERENUS SAMMONICUS,
Sous Severe-, tué à table par l'Empereur
Caracalla-, & Père de ce Sammonicus
qui fut Précepteur du jeurxe Gordien , &
Maître d'une belle Bibliothèque après
fon Père qui l'avoit drelîée,
sammo- ^ ^ 7^' "T^ ' ^ ^ S^^"^ nombre d'Ouvrages
Qicus, JL^ que cet Auteur avoit compo-
fés, il ne nous cfl: refté qu'une efpéce de
Poëme fur la Médecine (Se les remèdes des
maladies, que quelques-uns prétendent
même être plutôt de ion fils.
Jules Scaliger juge (i) que fon ftyle eft
un peu plus net que celui de Macer, c'ed-
à-dire deTAuteurqui porte ce nom, com-
me nous l'avons vu ailleurs^. Mais il ajou*
te que ce llyie lui paroît iî bas & Il ram-
pant, qu'il ne fe fouvient pas d'avoir rien-
vu au deflbus; qu'il ne lallFe pourtant pas
à^i^e. lervir de mots fort bons.
Le P. Briet paroît avoir été aufli du mê-
me fentiment (2),& il prétend que la bas-
fefle de fon fujet contribue encore à ren-
dre Ton flyle plus plat.
* De Medicinây Prcecepta faîubria ^cnr*
mine in- 8. Lugâ. 1587. ^ OP-
7. Jul. Cxf. Scalig. Hypcrcritic, feu lib. 6. Poëtic.
pag. 822. cap. 5.
z. Philip. Lriet. lib. 3. de Poët. Lat. pag. 44.
3- Jul. Caef. Scalig. in Critic. feu lib. s. de rcctica
cap.
Poètes Latins. 35-9
cO* O P P I E N,
De CiUcie^ Poae Grec, vivant fous Ca«
racalla, mort de pefte à Tâge de 30. ans
fur la tin du règne de cet Empereur.
117L. "JVT Ous avons de cet Auteur cinq Oppicn,
i\l -Livres de la Pécke qu'il prc-
fenta à Antonin Caracalla du vivant de
fon Père l'Empereur Severe, & quatre de
la Chajje qu'il prcfenta au même Caracal-
la après la mort 4e Severe. On dit qu'il
avoit aulTi travaillé fur la Fauconnerie.
Jules Scaliger avoit une cllime toute
particulière pour ce Poète , il en a parle
Ibuvent & avec plaifir. Il dit (3) que c'eft
un très-grand Pocte & un Auteur très-beau
& très-clégant; qu'il ell: agréable <5c aile,
que fon llyle eft fleuri , coulant, abondant,
fublime , éloquent, harmonieux & mefu-
ré. De forte que non feulement il a pafTé
de fort loin Gratins & Nemefianus qui
ont écrit fur It même fujet, mais qu'il a
encore été alTcs heureux pour prendre l'air
vde Virgile qu'il a tâché particulièrement
d'imiter (4) , & pour nous donner une ima-
ge aifcs îidclle de la divinité de ce Poète
Latin, qui eft le terme ordinaire de Sca-
liger (5).
Ce Critique a répété encore la même
cho-
cap, 9. F-i)?- 664.
Jtem ibid. cap. i6. ejnfd. Irbri.
4. A. Godeau, liift. de l'Egl. fi:i d.i 3. fieclc,
5. lui. Scalig. ut ùipr. p^g. 7 5 S. c.ip. t6.
360 Poètes Latins.
Oppîcn. chofe en divers endroits de fes autres Ou-
vrages , & il n'y en a pas un où il ne nous
le reprefente comme un très -excellent
Poète (0) <^ comme le favori particulier
des Mufes. Les autres Critiques, au moins
la plupart (2), ont témoigné être de Tavis
de Scaliger, fur tout, pour les qualités ex-
cellentes qu'il attribue à fon ftyle. Néan-
moins le P. Rapin n'a point laifTé de juger
(3) qu'Oppien eil: fcc. Et Mr. Borrichius
témoigne (4) qu'il eft quelquefois un peu
obfcur , mais il ajoute qu'il eft doâe par
tout, & que fa diction a d'ailleurs toutes
les beautés & les avantages que Scaliger y
a marqués. Il veut même que les Préfa-
ces de ce Poète puiiTent paifer pour des
Harangues & des Panégyriques à caufe
qu'elles font fort écudiées & dans un fîyle
Alîatique. -
Le Sieur Craflb (^) eftime que c'eft par-
ticulièrement dans les Sentences & les Pa-
raboles, c'eli-à-dire dins les penfées & les
comparaifons qu'il excelle. Il ajoute
qu'Oppien a fait une chofe fort difficile,
qui ell de garder l'uniformité par tout, &
de l'avoir fû lî bien allier avec l'éloquence
du
T. Jul. Scalig. in Exercitat. 218. fedionc prima.
Item Exercitar. 225. &c.
Idem de Cauflis Ling. Lar. 1. 2. c. 53. & alibi.
a. Conrad. Rittershudus in Pioleg. ad luam Op",
piani édition.
Olaii^ Borrich. de Toët. GraecisOiflert. pag. 16,
Fr. Vavafl. Rcmarq. fur les Reflex. toixhant la
loët. p.îg. 102.
i^aur. Ciafl. de Foët. Grsc. pag. 382*
3. Ren.
POETES Latins. 361
du difcours On la maturité des chofes qu'i' Oppi««5
traite. Mais ou prétend que ce qu'il y a de
plus fingulicr dans ceFocte,e[l cette gran-
de érudition qui foutient Tes vers. C'eft ce
qui a fait dire à Rittershulius (6) qu'il avoit
eu l'avantage fur tous les Savans de fon
lîécle; & à un autre Allemand (7), <îue
ce qu'il a fait n'eft proprement qu'à l'ufa-
ge des Savans.
* Oppiani de Venattone ^ l'ib. iv. Latine
Jo. Éadino InUrpr. in 40. 'Parif. I^SS-
* De Pifcatione<f Latine per L. Lip^
pium cum Scholïts Georg. Ptjlorii in-80.
Bafil. 1 5-60. De Venatïoyîe lih. 1 1 1 .
de Pifcatu lib. v. Gr. Lat. cum notis Rit^
tershufîi in 8«. Lugd-Bat. lyçy. /^»-
ftotattones Joan, Brodai in-S°. BafiL
Ê^ G A-
î. kcn Rapin, Reflcx. paxtlcul. fur la Poët. fé-
conde part. Rcflex. xv.
4. Olaiis Borrich. Diflcrtation. de P©ct. Gizc. ut
fuprà.
y. L. Ciafib item ut fup. de Poct. Grxc. Italicc
in- fol.
6. C. Rittershufius PrifAt. ia Oppiin.
Item in notis ad eumdem.
7. Bibliogtaph. Aaonym. cui. hift. rhilolo^ic. iiv
Xtï Foëtas.
TomdILPart.IL Q
3^2. Poètes Latins»
cû^ G A B R I A S,
Qui eft un nom forgé fur celui de l'an-
cien B A B R I A s Poète Grec , dont on
ne connoit ni le tems ni le pays (i)
pabrïâs, nyi y^Et ancien Babrias avoit tourné
V^les Fables d'Efopeen VersCho-
riambiques (2), au rapport de Suidas. 11
en avoit fait deux Volumes, félon Fedus
Avienus (3). Cet Ouvrage n'efl pas enco-
re découvert, félon toutes les apparences.
Mais
T. ^. 11 fe trouve divcrfement appelé, Gabrias,
Babrias , & Babrius. Il eft cité fous le nom de Ga-
brias dans la 59. Epitrc de l'Empereur Julien, par
où l'on voit qu' Avienus n'eft pas le -premier qui ea
en ait fait mention.
2. Suidas in Lexico, didione Chcriambus.
^. Il eft vrai que Suidas au mot XopinuCti dit que
'KnCpidtç ou B'JCptsç avoit donne dix livres de Fables
d'Efopc en choriambes , c'eft à dire en vers cho-
liambiques , comme pour vers ïambique on dit ïam-
be î mais les vers qui nous ont été confervés de ce
Poète étant tous S:azons, il eft vifîble que Suidas
s'eft mépris en les nommant Xopix/ixC^s au lieu de
XaA/a/u°«f > ïambes boiteux.
j. Feft. Avien. Prsfat. Fabular. yEfopicar. ad
Theodof. Ambrof.
4. Lil. Greg. Gyrald. Hiû. Poët. Dial. pag. $69*
ubi Babrius dicitur.
^. Aide ne l'appella Gabrias que fur la foi de f«n
manufcrit. Celui que Patrice Junius envoya de la
Bibliothèque Royale d'Angleterre au P. Petau, avoit
Gabrias. Ou trouve Gabrias dans la huitième Chi-
liade de Tzetzés, ôc Babrias dans la treizième. Ls
r étant un B. commencé, pour peu que Tune de
ces lettres ait été mal formée , on aura pu s'y mé-
(rcadie. A Vi^zii (iç Sabiias ^ de Sâbcius^le ma-
fiufçm
Poètes L a t Tn §. ^553
Mais on a voulu lui fuppofer des vers que Gtbrî«*
nous avons fur le même fujet , & on s'eft
trompé dans Timpodure en nommant mal
l'Auteur prétendu de l'Ouvrage. Le Gi-
raldi prétend que c'ell Alde-Manuce l'an-
cien, qui en l'imprimant l'appella Gabrias
pour Pabrias (4). Quoiqu'il en foit, on
convient que l'Ouvrage n'ell pas ancien
(s) , & quelques-uns ont publié fur la foi
de quelques Manufcrits que c'eft un Dia-
cre nommé Ignace qui en cft l'Auteur (6).
Après tout on juge que ces Fables ne
font point à méprifer pour être un fruit
du
nufcrit ayant pour titre BABPlOT MTQOT, on ava-
rie fur BxCptoi & BatC^/stf parce que l'un ôc l'autic
viennent également de Buida.
5.<|[. 11 devoir due: Quoi qu'ilec: foit, on convient
que Eabrias eft ancien, mais on doit convenir auflî
que les Fables en quatrains Grecs ïambiques impri-
mées fous le nom de Gabrias, font d'un Ecrivain
en comparailon très- récent, nommé Ignace Diacre
de l'Eglife de Conftantinople, vivant au neuvième
iiécle. La Fontaine qui ne connoiHoit ces quatrains
que par la tradudlion Latine ou Françoife qu'il ea
avoir lue, a parlé ainfi de leur Auteur qu'il croyoic
Gabrias. C'eft dans le prologue de la Fable du Pâ-
tre ôc du Lion:
Phèdre étoit fi fuccînt qu'aucuns l'en ont blâmé
Efopc en moins de mots s'eft encore exprimé.
Mais fur tout certain Grec renchérit & fe pique
D'une élégance Laconique.
11 renferme toujours fon conte en quatre vcrsj
Bien ou mal, je le laiâe à juger aux experts.
€. Gcr. Joan, Vofl*. lib. de Poët. Grxc. pag. t6.im
Incert. actat. Script.
Idem lib. z. Inftitntion. Orator. cap. i^'pag. |Xf.
Item Lorenz. CrafT. de Poët. Gizç, pa^. tl|
364 P o I T E s Latins.
Gtbvas. du moyen âge, & qu'elles peuvent pafTcr
pour quelque chofe de bon par rapport au
tems où il y avoir peu de bons Ecrivains.
TIT. CALPHURNIUS,
De Sicile^ Poëte Bucolique, vivant fous
Carus, Carin, & Numerien.
Ctlphar- II 72. T L compofa fept Eglogues qu'il
»i«s, J^ adrefTa à Nemelîen qui étoit de la
même Profefljon, c'eft-à-dire Poète Bu-
colique comme lui. Jules Scaliger dît (i)
qu'il fc trouvoit des gens qui lui donnoient
le rang d'après Virgile en ce genre d'écri-
re, mais il ajoute qu'il n'étoit pas de leur
fentiment, parce que c'eft un Auteur trop
lâche & trop enflé, qui n'a rien qui réveil-
le fon Lecteur , mais que tout le fatigue
& le dégoûte dès le commencement. Le
P. Brict ne laifTe pas de dire (2) que fon
(lyle cft affés net, & qu'il eft pallable, lî
l'on a égard au tems où il vivoit, <Sc où la
Pocfie étoit entièrement déchue de l'état
fioriffant dans lequel elle avoit été fous les
premiers Empereurs. Mais le P. Rapin le
_ coniidére avec beaucoup de mépris (3),
difant qu'il a fait fes Eglogues d'une très-
petite manière, c'cfl-à-dire dans un carac-
tère auflTi bas que le (lyle. * Th,
». Jul. CarT. Scaliger Hypcrciitic. feu lib. é. Poct,
pag. ti^. t2).
a. Philip. Brict. lib. 3. de Pocf. Lar. paj.4j.prî»
fix. Acutè dift.
3. K«a. R.8pia > Rcfîcx. 27. fur la Poétique z,
fait.
4.K
Poètes Latins. ^6^
* Th. Calphnrnii Sicuîi Ecloga feu Bu- calphii»-'
coî'îca in- 8°. BaJ'il. I5'46. — Ic^em cum ani' niuj,
madverfionibiis G. Bartbii in- 8°. Hanov,
1613. *
N E M E S 1 E N,
Africain, natif de Carthage (iTf^rr. Âure*
Uns Olympius Nemefianus) fous Carus,
Car in & Numerien.
I173 /^Et Auteur a fait un Poëme //^ Nemcûc •
X^la Chû[Je , & quatre Eglogttes, '^
Ce dernier Ouvrage n'eft pas plus eltimé
que celui de Calphurnius. On y trouve à
peu près le même caradére & les mêmes
dc'fauts, quoique Scaliger (4) ait dit que
Nemefien eft plus châtié & plus éxadl que
Calphurnius.
Mais le Poëme de la ChafTe lui a acquis
plus de réputation , quoiqu'il foit fort in-
férieur à Oppîen & à Gratins qui avoient
déjà traité le même fujet en vers. Oppien
le furpaiïe en toutes manières , & Gratius
le furpaife pour la pureté dadifcours,pour
l'invention, & pour la méthode (5-).
Néanmoins fon ftyle ne laifle pas d'être
affés naturel, fclon le même Scaliger (6;.
Ce n'eft pas du llyle vulgaire de fon tcms,
il
4. Jul. Cacf. Scalig. Jib. $. & €. Pocticcs V.l(qu«
in Gr;uio ôc in Oppiano rctulimui.
Rcn. R-jp. Rcfl. 17. fur la Poér. 2. part.
5. Scâl:g. lib. ;. Poët. feu Critic. cap. xt. page
75».
6. Idem in Hypcrcritic. feu lib. <. p. 815. & pag,
Q3
366 Poètes Latins.
KemcGcfl. il a même quelque élégance, en un mot
fon Traité de la Chafîe eft un bon livre.
Mais il femble qu'on n'ait jamais dû fe
coèffer de fa bonté, jufqu'au point de le
faire lire dans les Ecoles publiques, & de
Tenfeigner à la jeunefTe comme on a fait
du tems de Charles-Magne & de fes Suc-
cefTeurs. C'efl un honneur qui ne fe rend
ordinairement qu'aux Auteurs Clafliques
ou du bon (iécle, & à quelques privilégiés
d'entre les Modernes que Ton juge n'être
inférieurs aux Anciens qu'en âge. x\inlî
«* • Ton peut conliderer ce fait plutôt comme
une marque du mauvais goût des huit &
neuvième fiécles, que comme une preuve
de l'excellence de l'Ouvrage de Neme-
fîen (i).
* Venaùct {^ Bucolici Poëtce Latim
Gratins , Nemejîa?2us ^ Calphurnius , cum
animadv, G. Barthi't ia-^o. Hafio via lôi^,*
PUBLILIUS OPTATIANUS POR-
PHYRIUS,
Sous Conftantin le Grand.
f. Optât. II 74 ¥ 'An I5'95'. on tira de la Bîblîo-
lorphy. Lthéque de Marc Velfer, & on
publia à Ausbourg le Panégyrique en vers
que cet Auteur envoya du lieu de fon exil
à Gonftantin. Ce Prince en fit tant de cas
qu'il
T. Tcft. Hincrnar. Rcmenf. ad Hincraar. Laudun.
êc apud Votîîum de Poër. Lat. lib. fing. pag. 53. ôc
Phii. Briee. lib. 3. de Poct. pag. 45.
z. Gcr. Joan. Voflîus lib, iing. de Poët. pag. 54. ^
Poètes Latims. 367
qu'il voulut le récompenfer par la liberté p. Optât,"
de Ion retour qu'il lui accorda. Cependant rorpby.
les Critiques (z) jugent qu'il y a dans cet» ''"^'
te pièce plus de travail que de génie; qu'il
y a des affeilations tout-à-fait puériles &
des extravagances même; & que le (lyle
en e(l i] bas & Il trivial, qu'on prendroit
volontiers cet Auteur pour un homme de
la lie du Peuple de ces tems-lj. De forte
qu'on auroit lieu, dit le P. Briet, de s'é-
tonner du jugement li favorable de Cons-
tantin, fi l'on ne ûvoit que les Princes
qui n'ont pas le loilîr de lire les livres &
de s'inrtruire par eux-mêmes, n'en jugent
ordinairement que fur la foi de ceux qui
les approchent, & fouvent fur le rapport
de leurs flateurs.
RliEMMIUS(3)FANNIUS.
Ou Favivus que l'on fiait difciple d'Arno-
be, & vivant du tems de Conllantin.
1175- /^Et Auteur avoit fait un Poëme ^^«'"^^''^»
VJ ailes elhme fur quelques matiè-
res de la Médecine, qu'il avoit adreifé à
Laélance. Cet Ouvrage s'eft perdu, mais
nous avons une autre pièce de Verfifica»
tion qu'on prétend être de lui, quoi qu'oa
l'ait attribuée à Prifcien. C'eft une expofi-
tion des Poids & des Mefures , dont les
ver»
Philip. Brîet. lib. 4. de Poër. Lat. &c.
Gafp. Barthius Adrerfaiior. lib. 60. cap. 11. 5c G,
M. Koiiig. Bibl.
3. ^Cc nom fc trouve ccmK^mus f'Kemihf y'Rrnt''^
mittt, %h(TnmiHt, ti T{>}<mnius.
0.4
ftiinius,
Jjivcncus.
368 Poètes Latins.
vers font d'un caraclére fort bas & de
fort petit goût. De forte qu'il paroît af-
fés qu'il n'afongé qu'aux chofes qu'il vou-
loit nous apprendre, fans fe foucier de la
manière de le faire, (i )Quelques-uns ont crû
que cet Ouvrage pouvoit être aulTi de Q.
Rhemnius Fannius Pâlaernon célèbre Gram-
mairien , & qui fc mêloit aufli de faire des
vers , dont Suétone a fait la Vie. 11 y avoit
encore un autre Fannius du tems d'Hora-
ce qui fe mocque de lui en deux endroits
de fcs Satires, parce que c'ècoit un mé-
chant Poëtc qui ne laiiîbit pas de faire va-
loir fes vers parmi le peuple. Mais après
tout, le ftyle du Traité des Poids vk Me-
fures paroît être plutôt du bas Empire que
du bon fiécle.
* Q^ Rhemnius PaUmoft , de Ponderthns
ac Meftfuris xïi'^fi, Lugd.-Bat, i^Sy. *
JUVENGUS,
Poète Chrétien, Prêtre Efpagnol fous
Conflantin & Confiance (Cajus Vejiius
Aquilius Juvencus) (2).
1175- /^N peut dire que TEglifc
bis. \J trois fiécles entiers fan:
îfc a été
_ _ is pro-
duire de Poètes, quoi qu'on ne puifTc pas
nier qu'il ne fe foit trouvé des Ecrivains <Sc
fur
ï. Voff". pag. J4. 4Z. 4J.&54. dcPocc. Lat.Brict,
Konig. ôcc.
z. fl. Nobilijftmus Toëta CfjriffUnui ^dh Juretp. ?7î.
éc Iba Symmaquc in-4. fui vulgatis in lil>ris dititifr
fimpUsiicr Ju^cntui j A^peUari icltt A qjj l l i n u s
Poètes Latins. 369
fur tout parmi les Chrétiens Grecs qui ont jHVcacus^
compofc quelques Hymnes pour la con#-
folation de leurs frères ou pour leur pro-
pre fatisfadion.
Du moins n'aî-je pas crû devoir mettre
TertuUien ni faint Cyprien parmi les Poè-
tes, quoi que Ton ait attribué au premier
les cinq Livres en vers contre Marcion
que l'on trouve imprimés avecfes Oeuvres ,
& quelques autres Poeiîes, parce qu'on?»
tre qu'on n'y remarque point ce feu & cet-
te impétuofité qui paroît dans Tes Ouvra-
ges, on fait aflés qu'il étoit trop favant
dans la quantité & la mefure, pour avoir
fait ce grand nombre de fautes de Profodie
qui font répandues dans ces vers.
Le Poème de la Genefe & celui de l'ac-
cident de Sodome font un peu plus fleuris ;
mais cela ne paroît pas fuffifant pour nous
faire croire que Tertullien ou faint Cy-
prien en foient Auteurs , non plus que
des autres petites pièces de vers qui font i
la fin de leurs Ouvrages.
Je n'ai pas dû parler non plus des Inftf-
tutions Acroftiches de Commoâ'te-a , qui
vivoit fous le Pape Silvellrc, ly. ou 20.
ans avant Juvencus » parce que quoi qu'el-
les ayent la mine de Vers, elles n'en ont
nî les pieds ni la mefure, & que ce font
de fimples verfets qui ne font liés que par
la première lettre des lignes. Ainli
XÎAIUSVETTlUsJtVEKCus, tjutmAjrvo.^um reptri»
f fur in opttmis ^ antie^uiff mis membranii. Il ^cmh]cpoui'>
tant que C ai u s étant un prénom dcroit préccdc>A.
çîju I L I K V s } mais il y a plus d'un exemple iç cet
iuc£ul^j;tc dAflS ic bit Empare.
370 P O E T* E s' L A T tn $;
J<ftûC\ift Ainlî Juvencus peut pafler pour le prc-
iTiier des Ecrivains du Chrillianifme qui fe
font appliqués à la Poe lie comme à une
profeffion férieufe. Nous avons de lui
quatre Livres de THiftoire Evangelique
prife de faint Mathieu tout de fuite, écrits
en vers hexamètres: Mais ce qu'il avoit
fait fur les Sacremens s'eft perdu.
Barthius dit (i) que ce Poète a fait con-
noître par fon Hiftoire Evangelique qu'il
ctoit le plus fimple de tous les Ecrivains;
niais qu'il renferme pourtant plus de cho-
fes dans le fonds de fon Ouvrage que fa
montre n'en promet à l'extérieur. 11 té-
moigne ailleurs, que bien que fa Verfifica-
tion ne foit pas élevée, elle ne laifTe pas
d'être affés Latine; de forte qu'il préten-
doit y avoir trouvé beaucoup d'expreffions
pures & pareilles même à celles que l'ufa-
ge faifoit employer au fiécle de devant ce-
lui de Virgile. Il ajoute (2) qu'il y a dans
cet Auteur des impropriétés & des barba-
rifmes, mais il veut croire que c'eft plutôt
le fruit de quelques Moines poftérieurs.
C'efl la folution ordinaire que les Critiques
•Anti-Mowes apportent aux difficultés qu'on
pourroit leur propofer fur la bonté des
Ouvrages des Anciens.
Quoi qu'il en foit , on ne peut pas dou-
ter que Juvencus ne foit un fort médiocre
Poète, qui a écrit d'un flyle fort bas, fé-
lon
2. Gafp. Baith. Adveifaiior. lîb. t. cap. t.coI. j^o,
. 3. Idem ibidem feu lib. ii. c. 23. col. 552.
3. Fhiiip. Biiçt, lib, 4. de P«ët| Lat. p. a,%, pne«
fix, Acutc di^
Poètes L a t i n^^ s. 57T
Ion le Père Briet (3) & qui s'attachant plu- juvcnc«%
tôt à fuivre les mots de l'Evangile qu'à
choiiir des exprefllons Poétiques , femble^
avoir méprifé tous les ornemens de la
Po'éile par un refped particulier pour la
Vérité qu'il n'a pas crû devoir dcguifer ou.
fouiller par des fixions. Ainli l'on trouve
plus de piété que d'élégance dans fes ma-
nières de parler, qui néanmoins ne laif-
fent pas d'être quelquefois ailés naturelles^
mais qui font toujours fort fimples & fort
piates, & qui nous font connoître que Ju-
vencus n'étoit pas meilleur Verfii4cateur
que Poète par le grand nombre de fautes
de profodfe ou de quantité qu'il a faîtes
dans fes Vers, comme l'a remarqué Mr.
Borrichius (4) & tous ceux qui fe font
donné la peine de lire cet Auteur.
* 'Juvencî H'îfpan. facra Poèfis, ftu £•
vafigel/cie Hifiorice Poëmatum libri iv. in-
80. Calari 1573. — Sedulii ^ Juvenci ^ A"
rator'ts^ Prob» Falcon'ue Carmïna C. Suî-
phii ^ varia aîiorum O^ufcula ia-40. ^^
net. 1502. ♦
C A-
4. Olaiis Borrich. Diflcrtatlon. 1. de Poct. Laf.
jag. 69.
Quibus adëe Ph. Labbcura deSciipiOlib,EççlçC*ftf
'Koui^ium in Bibl, ^c,
■ Q6
g7a Poètes Latins.
cô^APOLLINAIRE,
Le jeune, Alexa-ftârin ^ Evéque de Lao-
dicce en Syrie, ou dans la Phenicie du
Liban, Poète Grec, Chef des Apolli-
iiariftes , vivant fous Julien l'Apoftat,
Jovien & Valens, mort vers le com-
mencement du règne de Theodofe en
579. ou 380. Il étoit fils d'un Prêtre du
même nom.
ApoHi- '^7^ T^^ plufîeurs Ouvrages que le
Tiaiic 1^ jeune Apollinaire avoit corn-
ac jeune, pofcs en vers pour Tufage des Chréciens à
qui l'Empereur Julien avoit défendu l'étu-
de des Livres prophanes, & particulière-
ment des Poètes Païens , il ne nous eft
redé qu'une Paraphrafe fur les Pfeaumcs,
<}uoiquc pluficurs lui attribuent encore la
Tragédie de Jefus-Chrijï fouffrant , qui fc
trouve parmi les PocTies de iaint Grégoire
de Nazianze.
C'ctoît un homme de grande érudition,
<5t qui avoit de grands talens pour la Poe»
iîe, comme pour les autres Sciences. C'eft
ce
1, Athanaf. Epiftol. ad Antlochcn. BaHl. Ipiftol,
7Z. & alibi i Hieronym. variis ia Jocis, in Chronic.
«d ann. 366. & 37J. Pracfat. in Dinicl. &c. Rufin^,
î, 2. c ao.
<î<»d€fr. Herm. Vicdefaint Athanafe, tome z.liyrQ
'il. chapitre 13. & tome i. de la Vie de faiiit Baille
h\xc i. chap, 26. &c
Thil. Labb. Diffcnat. de Script. Ecdcf. tom, i. ad
jPcilojTnjn.
i. Sozomra. iit»f j, Hift<)r, Eiclcf^ cap. 17. &c.
Poètes Latins. 373
ce qui paroît par les éloges qu'il a reçus, Apolli-
iion feulement de Socratc & de Sozome- "-".^^
ne , mais encore de faim Athanafe , de * '^"^^
faînt Ba(ile, de faim Jérôme & de que4-
ques autres faintsDodeurs qui lui ont ren-
du ces tc'moignages honorables, quoi qu'o-
bligés d'ailleurs de décrier & de réfuter fes
héréiics (i).
Les Critiques ont juge C\ favorablement
de fes Poclîes (2) qu'ils les ont crues éga-
les à celles des Anciens les plus eftimés.
Ils n'ont pas même fait difficulté de le leur
préférer en une chofe, en ce qu'il a eu as-
fés de réfolution pour embralfer lui feul
tous les genres d'écrire qui ont fait féparé-
ment l'occupation de chacun de ces An-
ciens en particulier.
Qaelques-uns d'eux ont prétendu qu'A-
pollinaire a bien reprefenté Homère dans ••
fes vers héroïques , qu'il a heureufement
imité Euripide & Menandre dans fes Piè-
ces dramatiques de l'une & de l'autre efpé-
ce , & qu'il a parfaitement fuivi Pindare
dans fes Lyriques (3). Ils alîurcnt qa'on
trouvoît dans toutes fes compofitions le
caradére d'un véritable Poète, & qu'on a
re-'
Jotn. Saiislxrlenf. Poljcratlc. feu de Nugiscurial*
1. s. C. XT.
Gcr. Join. Voffius de Poct. Gtzc. lib. Cngul.
pag. 76.
|. Hcnn. Sozom. Hift. de PEglifc 4. fieclc livre
4. fag. iiï, de l'cdit, d'Hol. l'an de J. C. j<î2. oîi
il dit que les compofitions d'Apollinaire n'cuflen»
^3LS été moins admirées c{uc celles des Anciens, ft
«lies cuflcnt e«i l'avantage de l'Antiquitc qui -coa-
facroit les productions de ceux qu'ApoUiiiiùlc cga^
Wu, s'il ne ici furpaiToit 5c c.
Q7
374 Poètes Latins.
Apolii- remarqué dans tous fes vers de la force, de
nairc \^ méthode & de la cadence, & fur toutes
e jeune. c^Qf^g u^g grande facilité pour ta verfiti*
cation.
- Mais cette dernière qualité a pafTé dans
Tefprit de faint Jérôme pour un grand dé-
faut (i). Ce Père confidéroit la promptitude
avec laquelle Apollinaire expédioit fes Ou-
vrages comme une précipitation Wâmable
qui lerendo't peu éxadôc fujet à beaucoup
de fautes. C'ell: peut-être ce qui a fait dire
à Pollevin (i) que bien que fa Paraphrafe
fur les Pfeaumes foit fort ellimée, on ne
doit pas lailîer de la lire avec beaucoup de pré-
caution. C'eft un avis, qui, félon le mê-
me Critique, ne regarde pas moins le peu
d'éxaélitude d'Apollinaire dans fes fenti*
mens fur les dogmes de notre Religion^
parce que cet Auteur, dit Bellarmin (3),
étant beaucoup moins exercé dans l'étude
de la Théologie que dans celle de la Poe-
tique & de la Rhétorique , il eft tombé
dans des erreurs très-confidérables qui
Tont même rendu Chef de fe6le.
Quant à la Tragi-comédie fur la Palîîon
de Jefus-Chrift (4), les Critiques moder-
nes (5") femblent y avoir trouvé deux dé-
fauts confidérables , le premier eft d'avoir
^onné un air trop tragique aux difcours
qu'il
ir 1. S. Hieronyra. Catalog. de Sctiptorib. Ecdcfi.
lUuftr. Honor. Auguftod. èi. alii.
2. Ant. Poffevin. in Appar. Sacr. tom. i.
î. Rob. BcUaim» in lib. de Sciipt. Ecdcf. ad ann,
Î65.
4. 11. 11 n'y a aulle certitude que cette Tiagédie
Poètes Latins. 37$*
qu'il t\it tenir à fes perfonnages ,1e fécond Apolli-
eft d'avoir employé un ftyle tout-à-fait co- naue
mique dans des fujets tragiques, c'eft-à- ^^ '^"ûc,
dire d'avoir traité d'une manière trop bas-
fe des matières très -nobles & très -rele-
vées.
* ApoUinarii Metaphrafis feu Interpre*
tatio PjalmorHm Davidis Gr. Carminé cwm
verfione Laùna in*8. ^arif. 1580.
3^ S. GREGOIRE DE NAZIANZE,
Evêque de Safimes^ puis de Conftantwopley
né Tannée que fon Père Grégoire le
vieux fut fait Evêque de Nazianze l'an
327. un an devant faint Bafile:mort l'an
389. dix ans après faint Balîle.
1177. TE ne fai pas encore quel eft lePa- g Greeoî.
J tron que la Société des Poètes lê de Na'
Chrétiens en général s'eft choifi, mais je zUûzc,
. crois que faint Grégoire de Nazianze l'eft
ou peut l'être de ce corps de Poètes Ec-
cléfîaftiques , tant Réguliers que Séculiers,
qui veulent blanchir fous les lauriers du
Parnaffe , & qui prétendent mourir ea
chantant. ^ •
C'eft une chofeafTés extraordinaire, &
par conféquent très-digne de remarque, de
voir
f©it d*Apo]linarîs. Tous les Manufcrits l*^attribucnt
i S. Grégoire de Nazian-zc quoi qu'elle foit très-pca
digne non feuleiucnt de lui, mais du plus médiocKÎ
vcrllhcatcur.
5. G. Jeh. Vofl. Inftitution. roët^^ lib. 2. cap» 14^
parag, », pajj, 71^ *^*
37^ Poètes Latins.
s. Grcgoi- voir queceDoâeurde l'Eglife, après avoir
rc de Nt. vécu jufqu'à l'âge de cinquante- cinq ans
zunzc, ^^^^ ^Ç5 exercices trcs>fc'ricux & très-é-
loignés de Tenchantement des Mufes, fem-
bie s'être dépouillé de tous les foins que
Ton pouvoit attendre d'une perfonne pri-
vée & publique de l'Eglife, pour jouïr da
repos de fa vieil leflè en qualité de Poète.
Ce n'efl: pas qu'il ne fe fût appliqué à la
Poèïîe dès le tems de Julien l'Apoftat ,
lorfque ce Prince voulut par Edit ôter
;iux Chrétiens Tufage des Poètes propha-
nes avec celui de tous les autres Livres des
Païens ! mtis puifque la Tragi-comédie de
]cr\iS'Chriù. fouffra^it n'en pas de lui, corn-
me nous l'avons vu plus haut, on nepeut
pas dire qu'il nous foit redé aucune Poëlîc
de fa façon qui ait la moindre apparence
d'avoir été compofée du vivant de Julien.
Il eft alTés inutile à mon delïein d'exami-
ner quels ont été les motifs de faint Gré-
goire en faifant de la Poe ne une des prin-
cipales occupations de fes dernières an-
nées; & ceux qui voudront fe fatisfaire fur
ce fujct peuvent confulter Mr. Hermant
dans la Vie de ce Père (i) & le P. Tho-
inalîjn dans fon Traité de la manière d'é-
tudier & d'enfeigner Chrétiennement les
Poètes {2). Il
T. Gcdcfr. Hermant , Vie de faint Bafîle & de
£aint Grégoire, Jivrc 10. chap. t6. pag. 319. Jîo,
V. Grcgor. Prcsbyi. de Vit. Gxeg. Naz. Itcai Sul-^
das in Lexico.
V. & Jacob Billius in «dit. Operum Naz.
^. Louïs ThomaflÎQ, de Ja manière d'étudier &
^'cufcigner Chietiçûacment les J'cctç* , Préface,
Poètes Latins. 577
Il fuffit de marquer que Tes vers ont été s. Grcgoi-
^galement goûtés & refpcdcs dans J'Egli- ^^^nzc^*'
fe Grecque & dans la Latine en toutes
fortes de tems. On y a toujours tort elli-
mé cette belle diverlîté qui a paru dans tant
de formes de vers. Maïs il n'y a rien de
plus important que d'avoir par la fagefle
de fa conduite maintenu l'honneur de la
Pocfie Chrétienne, fans avoir recours aux
rêveries des Fables de l'xAnhquîtc, ni aux
preftiges des Divinités ridicules du Paga-
nifme.
Quelque chofe que l'on puîfle alléguer
pour faire voir la différence qu'on prétend
trouver entre la bonté de fes vers & l'ex-
cellence de ceux des Anciens Poètes
Grecs, on doit convenir avec Dom Lan-
celot (3) que fa Poéfie efk belle générale-
ment parlant , & que fes vers font beau-
coup plus pompeux & plus relevés dans
les chofes que ceux d'Homère.
Tous fes Poèmes font afTés courts, &
ils n'ont rien qui foit ennuyant ou inutile
félon Mr. Hermant (4). Il y exprime
quelquefois les fentimens de fon ame, &
quelquefois il y fait l'éloge de la Vertu ou
la condamnation du Vice: tantôt il y en-
feigne les dogmes de notre Religion , tan-
tôt
rag. 5. ,
Le même dans le même Ouvrage livre r. chap. r,
nomb. I. & 9 pAg. 8. ». 10. II.
}. Frcf. de \a Noav. Mcthod. pour la Lingue
Grecque pag. jiî.
4. G. Hcim. fin du chap. i6. comme ci- dcflus pag.
iiO, J3I.
ZliiïZÇ.
378 Poètes Latins.
s. Grcgoi- tôt il y traite quelques fentences & quel-
^anL^*' ^^^^ points de Morale, ou il y reprefente
divers préceptes pour les faire retenir plus
facilement par la cadence & la mefure des
vers. Enfin on y remarque, ajoute le mê-
me Auteur, par tout du feu, qui eft admi-
rable dans un z^e fî avancé , mais qui eft
plein d'une lumière que Ton voit toujours
également entretenue par Tonâiion de fa
piété , & qui n'eft nullement difpropor-
tionné à la gravité d'un grand & d'unîaint
Do6leur de TEglife.
Mais j'efpere parler de ce Père avec plus
d'étendue au Recueil des Théologiens par-
mi les Auteurs Eccléliaftiques.
* On trouve les Poëlies de S. Grégoire
de Nazianze dans fes Oeuvres imprimées
à Paris 1609. 2. vol. in-fol.Gr.Lat. *
; gO^SYNESIUS,
De Cyrene ou Cairoa», dans la Province
de la Libye qu'on appelloit Cyrenaïque,
Evêque de Ptolematde ou T'olometta
dans la Pentapole qui faifoit partie de la
même Province; d'autres fur la foî de
quelques Grecs le font Evêque de Gy-
rene-même; prétendant que cette Ville
a porté aulîi le nom de Ptolémaïde ^
peut-être auroit-il eu foin des deux Egli-
fes. II vivoit fous l'Empereur Arcade.
Syaefîus.
II 78. IVTOus avons parmi les Oeuvres
JL\1 de ce Prélat dix Hymnes de
• fa
I. Louïs Thomafïîn, de la manière d'étudier &c
d'enfeigner Chxéuenncmentks f oetes , Préface , pa-
ges 6. 7.
2, Joan»
Poètes Latins. 579
f;i façon, par lefquellcs, au jugement du Syncfius,
Père ThomalTin (i), il a montré combien
il ell: facile d*exprimer & d'inlinuer par ce
moyen dans les efprits ce que la Théolo-
gie a de plus élevé , & la pieté de plus ten-
dre. Tout Chrétien & tout Philofophe
qu'il étoit , il ne pouvoit s'imaginer que
refprit humain pût abfolument fe paffer de
plailirs & de divcrtiflemens. Il croyoit au
contraire que Dieu avoit attaché l'ame au
corps par les fens du plailir, afin qu'elle
ne s'ennuyât pas d'un poids fi pefant & li
peu proportionné à fa nature intellectuelle. .m-14
Or le plaifir le plus innocent qui rabbaifîè
le moins la dignité de l'ame , & qui lui
laiiTc plus de liberté de s'élever vers le Ciel
eft, félon ce Père, celui qu'on goûte dans
l'étude de la Pocfie,& des autres connois-
fances humaines.
Mais quelque louable qu'ait été Tinteii-
tion de Synefius, lorfqu'il a prétendu ren-
fermer dans fes vers les maximes de la
Théologie, & les fentimens de la piété
Chrétienne, un Maître du facré Palais (2)
nous a donné avis qu'ils ne font pourtant
pas encore entièrement éxemts de cet air
de la Phlofophie Païenne qu'il avoit con°
tra(5lé avant fa converfion; qu'il a inféré
dans fes Hymnes des manières de parler
& de penfer qui font encore toutes Plato-
niciennes & tcdtes Pythagoriciennes , &
que la néceffité de garder la mefure des
vers
z. Joan. Maria Branchcllanus in Décret, facr.
Congr, Indic. Expurg.
Item ex eo Fhilipp, Labb. tom. 2. DifTeitat. d€
Sai^»torib. Ecdef, pag. 377,
3^0 Poètes Latins.
Synefius. vers ne luî a point permis d'être aulTi éxaél
fur la Trinité qu'un Théologien qui écri-
roit en profe.
* Synefii Opéra Gracè ^ Latine ex ver-
fione Diomfit Fetailï in-tbl. Parif, 1612.*
€t m U s F E,
Grammairien, vivant vers le commence-
ment du cinquie'me iiécle, Poète Grec,
Païen.
j^ufç'g^ II79* *VT Ous avons encore les vers que
J.^ cet Auteur a compofé fur les
Amours d'Hero & de Leandre. Jules Sca-
liger juge que fon (lyle eft plus châtié &
plus poli que celui d'Homère. C'ell un
jugement que Scaliger a porté à l'aveugle
dans la penfce que cet Auteur étoit cet
ancien Mufce qui vivoit devant Homère,
& qui étoit contemporain à Orphée (i).
La manière de cenfurer les Livres en ell
afTés plaifante, & quand il arrive qu'on fe
trompe auffi grofliérement fur un Principe
de Critique pareil à celui-là, c'eft-à-dire,
qu'en jugeant du ftyle par le fiécle de
l'Auteur , on ne s'abufe que de dix -huit
cens ans , on peut fe préparer à rire de la
conclufion , quand même le hazard l'au-
roit rendue véritable. Jofcph Scaliger a
bien remarqué cette bévue de fon Père, &
il
I. Jul. Ca:f. Scaliger in Critic. feu lib. 5. Poctices
p«g. 529.
Mura:i huius & Homcri locos flmul confcrr.
z, Jo-
1t
Poètes Latins. 3?!
il n'a pu s'cmpccher de la relever en difant Mufcc.
(2) que cet Auteur n'e(t pas l'ancien Mu-
fde. „ Mon Père en faiToit plus de cas
„ qu'il ne faloit en le préférant à Homère,
,, mais il ne s'entendoit pas bien à la Poc-
,, fie Grecque. Muféc, continué-t-il, a
,, un ftyle de Sophille , & qui n'eft pas
„ pompeux comme celui de Nonnus de
,, Panople.
Gafpar Barthius prétend (3) que ce
Poème a été compofé avec beaucoup d'a-
drcfle & de conduite, & qu'il e/l incom-
parable pour le ftyle fleuri & abondant. Il
ne peut pourtant fe refondre de le pardon-
ner à Jules Scaliger d'avoir bien ofc le
comparer à Homère, parce que non feu-
lement le ftyle affeâé de Mufée n'a rien
de l'air naturel de celui d'Homère, mais
qu'il y a encore entre la conduite de ce
moderne & la fagefTe d'Homerc unediftan-
i ce auffi grande qu'efl celle qui fépare la
Terre d'avec le Ciel. Il foutient que Mu-
fée n'a que des beautés fuperficielles, qu'il
cil peint & fardé dans tout ce qu'il dit,
qu'il ne s'attache qu'à l'harmonie & à la
cadence de fes vers , & qu'il n'a cherché
qu'à amufer fon Ledieur au lieu de l'ins-
truire; en un mot qu'il n'y a point dans
fon Poème de quoi fatisfaire les Savans ,
qu'on n'y trouve point de cette érudition
qui ell néceffaire ^\x%. Poètes , & qui ne
peut
2. Tofeph Scaliger in pofterîorlb. Scaligcraru
pflg. 6$.
j. Gafp. B.îrthius lib. 47. Advcrfaiior. caf. 22,
col. 2230. :2|i.
382. P O E T E s L A T I N Sr
Mufce. peut plaire qu'à la populace & aux erprits
du commun.
Enfin Volîîus dît (i) que cet Ouvrage
de Mufée fait voir que fon Auteur avoit
plus d'artifice que de génie (2).
* Mufœ'î Krotopagn'îon ^ Herus ^ Lean-
âri Gr, Lut, ^ ait a ejufdem argumenîi
Poëmata cum Comment, Dan» Parei iii-4.
Francof. 1627. -— — Idem cum Notis Jac,
Rondelli in-S. Parif, 1678. Idem cuni
Nous P. Voet. in- 8. Ultraj. 1645-.
A U S O N E,
De Bourdeaux fous Valentinîen première
Gratîen,Gonrul avec Olybrius l'an 379,
par la gratification de l'Empereur fon
. difcîple : mort fur la fin du quatrième fié-
cle, ou au commencement du fuivant.
{Decîus ou Decimus Magnus Aufomus),
Àufoûc, 1180.1* Es Critiques femblent s'être co-
JL piés les uns les autres pour
mieux convenir enfemble de deux chofes
touchant le jugement qu'ils ont crû de-
voir faire des Poëfies d'Aufo'ne. La pre-
mière efl: que c'étoit un bel efprit , un gé-
nie aifé , fubtil ; & un Poète également
agréa-
r. Gérard. Joan. VofT. de Artc Poëtica lib. Cngu-
lari cap. 5. num. 4. pag. 27.
2. ^. Voyés le nouveau JMenagiana page 6. 7, 8c
3Z5. du 2. vol.
3. J. C. Scalig. Poëtic. Thom. Dempfter in Elcm-
cho AuÊlor. ad Rof. Auguft. Buchncr. in Thefauta
Safilii f abxi à fc SDi&iQf ^ lili a£u4 Maxtio, Haock.
1
Poètes Latins. 3^3
agréable & favant: la féconde eft que fon Aufone.
ftyle eft un peu trop dur, quoiqu'il fcm-
ble avoir quelquefois alfés d'élégance (3).
Erafme témoigne que ce flyle tient beau-
coup de la licence & de la mollelfe de la
Cour (4), auffibien que la conduite par-
ticulière de fa vie; qu'il ne fe fent point
du liécle de Ciceron , & qu'effedivement
ce feroit faire autant d'injure à Aufone de
Tappeller Ciceronien , que fi on appelloit
Allemand un homme qui voudroit paffer
|)our François. Mr. Borrichius prétend
que tout eft bien choifi & bien travaillé (s)
dans fes compofitions , & qu'il n'y a rien
qui ne foit fort ingénieux ; mais qu'il n'a
pu fe dégager des imperfeâions de fon
fiécle.
Cependant Symmaque n'a point laifTé de
dire qu'on trouvoit dans les Ecrits d'Au-
fone la douceur & les agrémens de Cice-
ron (6). Mais il ell bon de confidérer que
Symmaque pouvoit être l'ami d' Aufone,
& que comme ceux qui vivent dans un
même lieu , & qui font accoutumés les
uns avec les autres, ne s'apperçoivent point
de la mauvaife odeur ou des autres qualités
vîcieufes qu'un même air leur communi-
que, on peut dire de même qu'il n'étoît
pas
in utraquc parte de Script. Rer. Rom.
. 4. Erafra. in Pialog. Ciccronian, pag. I49. cdit;
Batav. in-ji.
5. Olaiis Boiiîchius DiiTertat. 2. de Poëtis Latia.
6. Symraach. lib. i. Epiftol, ad D^ M| Aufoûiiua,
3S4 Poètes Latins.
Aufonc. pas aîfé à Symmaque de bien fentir les dé-
fauts du ftyle & des manières d' Au Ibne ,
parce qu'il étoit environne d'un même air,
c'ed-à-dire qu'il vivoit dans un même fié-
cle, & peut-être dans une même Cour.
Jofeph Scaliger qui en étoit fort éloi-
gné, quoique né dans la même province,
i'efl: contenté de reconnoître en lui beau-
coup d'érudition , & de dire que c'étoit le
plus favant de tous ceux qui avoient paru
depuis l'Empereur Domitien jufqu'alors,
& que ce n'eil pas entièrement perdre le
tems que de l'employer à lire cet Auteur
(1). Vives témoigne même qu'il y a dans
fes écrits de certains aiguillons , & un cer-
tain fel qui réveille fon Le6leur ou qui
l'empêche même de s'endormir dans fa
le6lure (2) ; & Brodeau le Chanoine de
Tours trouvoit fort mauvais qu'on l'appel-
îât Poète de fer , pour en donner du dé-
g'oût comme on faifoit de fon tems (3).
C'eft aulTi ce qu'Elie Vinette ne pouvoit
approuver (4).
Mais il femble que perfonne ne foit en-
core allé fi loin que Barthius dans les élo-
ges que l'on a donnés à Aufone. Car il
ne fe contente pas de dire que tout ce qu'il
a fait doit être conlidéré comme un fruit
de la bonne Latinité (5-), que tout y eft
au-
T. Jof.ljuft. Scalig. in not. adCataleft. Virgilian,
ic ap. M. Hanck.
2. T. Lud, Vives de trad, difciplin. lib. j.
3. Joan. Eiodzus Turoncnl. lib. i. Mifcellancor*
cap. 6.
4. Elias YlflctusSaacoEai bel; inCom«Cfft.ad An»
fo-
Poètes LaTins. 385*
'autoriTé par quelque exemple de TAnti- Auroat{
quité, qu'il ctoit trop dode pour fon fié*
cle, & que les Livres qu'il aiinoit le plus
à lire font ceux que nous avons perdus:
mais il prétend encore qu'il y a tant de di-
vinité dans fes Ouvrages (6) , que cela l'a
élevé beaucoup au-dellus de tous les Poé*
tes de fon tems.
Néanmoins quelque apparence de vérité
que l'on puifle trouver parmi ces éloges
outrés de Barthius, je crois qu'il eft bon
de les modérer par ceux de Jules Scaliger.
Ce Critique témoigne (7) que tout n'efl:
pas égal dans Aufone, que ce Poète a em-
bra/Té divers fujets, mais avec un fuccès
afles divers , & qu'il vaut mieux prendre
garde à ce qu'il a été capable de faire, qu'à
ce qu'il a fait effcdivement.. Il prétend
qu'on ne trouve prefque pas une de fes
Epigrammes qui foit travaillée , & qu'il
n'y en a pas qui n'ait quelque dureté; qu'il
y en a même alTcs de froides , quelques-
unes autfi d'impertinentes , & d'autres qu'il
s'elt contenté de changer du Grec fanf
pouvoir en faire paffer la beauté originale
dans fon Latin. Il ajoute que c'étoit un
Auteur alfés négligent, & que l'on trou-
ve plufieurs de fes ïambes affés bien com-
mencés & dans une afles grande pureté,
qui
fonii Opcn.
j. Gafpar Barthius Adferrarîor, lib. j.cip. 7. CoL,
lai. 122.
6, Idem in cod. libio ejufd. Opeiis cap. li. coU
144.
7. Jul. CxC Scaliger Hypcrçitic lib. f^ Tpëtig,
l%6 Poètes Latins.
|i.ur<?âC» qui finiflent très-mal , & qui rampent dans
la fange, faute de s'être donné la peine de
fe foutenir , de revoir & de corriger fes
jecrîts.
Ce font des défauts qu'il auroit dû ré-
compenfer par quelques bonnes qualités
prifes d'ailleurs ,& qu'il devoit réparer par
des maximes & des fentimens tirés de la
Morale, comme les meilleurs Poètes de
l'Antiquité avoient eu foin de faire avant
lui. Mais comme il vivoit parmi les Chré-
tiens il avoir peut-être peur qu'on ne le
confondît avec eux, li on lui eût trouvé
des fentimens trop conformes aux leurs
touchant les mœars (i).
Le mêmeScaliger dit qu'il y a parmi fes
Ouvrages des chofes fi honteufes & fi dé-
tejlables^ que comme elles ne dévoient ja-
mais trouver d'Ecrivains pour être rappor-
tées, elles doivent trouver encore moins
de Lecteurs & d'Auditeurs depuis qu'elles
ont été écrites ; que ce n'eft point avec l'é-
ponge , mais avec le feu vangeur qu'on
doit abolir toutes ces infamies ; & qu'on
ne doit point le pardonner à la négligence
des fiécles fuivans qui ont fouffert qu'el-
les foient venues jufqu'à nous.
Il auroit été du moins à fouhaîter qu'on
eût exterminé le miférable Centon^ c'eft-
à-dire cette méchante pièce de rapport
qu.'il
î. ç. BaîIIet qui prend ici Aufone non {culcment
pour un Païen, mais pour un Païen mal-honnête
homme a pu , avant que de mourir , le voir juftifié hu
l'un & fur l'autre chef, dans le DidionnaiicdcBay-
2c page 43;. de U it cdit^ 4c F^otcidâin,
Poètes Latins. 3S7
tju'il a faite des moitiés de vers de V^irgile, Aafunc:;
fur des matières purement erotiques. C'elL
avec beaucoup de juiiice que l'Univerfité
de Paris fe plaignoit, il y a quarante ans,
de la malice que ce Poète a eue de faire
parler d'une façon très-deshonnête Virgile,
c'elVà-dire celui des Poètes de TAntiquitc
qu'on a toujours loué le plus pour fa chas-
teté (i). Et le P. Briet Jéfuite a porté
fon 7,èle encore plus loin, lorfqu'il nous
a dépeint cette adion d'Aulbne comme un
attentat punilfable, jugeant qu'il n'y avoit
pas moins d'impudence & d'effronterie
que d'impureté & d'infamie dans un hom-
me qui avoit été capable de commettre une
telle infidélité , & qu'il y avoit quelque
chofe de plus diabolique qu'humain dans
ce pernicieux art de pervertir les chofes,
c'eiî-à-dire de les changer de bien en mal
pour drdfer des pièges à l'innocence &àla
pureté de la jeuneffe (3).
Au reile la même juflice que nous ve-
nons de rendre aux Poëlies deshonnêtes
d'Aufone , nous oblige de parler avanta-
geufement de fon Poe me fur la Mofelle.
C'eft un Ouvrage qui a mérité fans doute
une bonne partie des éloges que Symma-
que luî a libéralement donnés , quoiqu'il y»
ait de l'excès dans la manière dont il l'ap-
proche de Virgile (4). Scaliger s'eft con-
teii-
2. Rcponfc de rUnivcrfitc à TApologie du P. Nie,
Cauflin pag. 358.
3. Philipp. Biiet. lib. 4. de Foëtis L;itlu. psg, 50,
4. Symmach, lib, i, Epiftol. qux inçipit , r<;i4 a
me Utérus,
R z
38S Poètes Latins.
Àufone. tenté de dire (i) que ce feul Poème d'Au-
fone peut lui acquérir la qualité de grand
Poète, à caufe, dit-il, qu'il y a beaucoup
d'art, de dirpolition , d'élocution , de fi-
gures , de génie , de candeur , & de fub-
tilité.
Avec tout cela îl femble que le Père
Rapin n'ait pas jugé à propos de diftinguer
ce roëme de la Mofelle d^avec les autres
Ouvrages d'Aufone, lorfqu^il a témoigné
(2) ne faire aucun cas de toutes les Poë-
lîes , difant que ce Poète n'a pu s'élever
au-defTus de la foibleffe de Ton liécle.
Quelques Critiques (3) prétendent que
les Diliîques Moraux qui portent le nom
de Caton font d'Aufone. Mais c'eft une
conje6lure dont ils devroîent nous faire
voir les fondem-ens.
* Aufom'î Opéra cum Comment. EL Vf
neti în-4. Burdigalie 1 5'So. — Cum Notis va.
riorum per Jac, "ïolUum ia-8. Amjlel. lô'ji
PROl
1. JuL CxC Scâliget 1. 6. Poëtic. ubi fuprà.
2. Le P. Rapin, Rcflex. xiv. 2. part.
3. %. Baptifta Pius fur l'Epitre de Cice'ron à Do-
labcUa inférée parmi celles du quatorzième livre \
Atticus, & Guillaume Cantcrus dans fa Préficc fur
Euripide font les feuls, je pcnfe, qui fe foient avi-
fcs d'attribuer ces Diiliques à Aufone. Contre cet-
te opinion, qui n'a pas de fondement, Jofeph Sca-
ligcr allègue deux raifons très-pertinentes. La i,
que conftamment l'Auteur des Diftiques eft un Ecri-
vain Païen, ce qui ne peut convenir à Auione , qui
n'auroit pas été chéri des Empereurs comme il fut,
s'il eût fait profeffion d'une autre Relij;ioa que de la
leur. La a. que Vindicien dans une Epître à l'Em-
pereur Valentinien premier, dont il eioit Médecin,
«yaat cite m veis dç ce Catou; comniç Qaa coa-
ti*
i
Poètes Latins. 3S9
PROBA FALCONIA HORt
TINA,
Poète Chrétienne, Dame Romaine, fous
Gratien, femme d'Adelphius (4), tîUe
d'Anicius ProbnSy niere de Julienne &
ayeule de la Vierge Demetriade.
118 [ I^T Ous avons fous fon nom quel- proba Faj-;
X^ ques refies de Ceyjtons de Vir- conia,
gîle fur divers endroits de l'ancien & du
nouveau Teftament. Mais quand on nous
aura prouvé que ce que nous avons ell vé-
ritablement d'elle, nous nous appliquerons
alors avec plus de foin à rechercher les ju-
gemcns qu'on en a faits. 11 fuffit de dire
que fon Ouvrage, malgré le génie & Tin-
dullrie qui y paroiiloit , ne lailïa point d'é*
tre mis au rang des Livres Apocryphes (f):
maïs perfonne n'ignore la ditlcrence de
IV;;-
tume de citer quelque pafîage d'un Ancien, il e'toit
naturel de conclure qa'Aulonc ctoit confîdérablc-
menr poftérieur à ce Caton.
4. f. Cet Adelphius n'eft connu que d'indore,
Pioba Falconia étoit femme d'Anicius Scxtus Petro-
nius Probus. Plufieurs au lieu de Falconia , difcnt
Faltoiiia, conformément aux anciennes Infcriptions,
L'Abbé Fontanini 1. z. de fes Antiquités de U Co-
lonie Horta parlant de ces Centons prétend qu'ils n«
font ni d'Anicia Faltonia Proba, femme d'Anicius
Petronius Probus , ni de Valeria Proba femme du
Proconful Adelphius, mais de Falconia Troba nom-
mée hUrtàn/i^ parce qu'elle étoit de la Colonie Hor-
tA^ aujourd'hui Ville Epifcopale dans le Patrimoine
de S. Pierre.
5. S. nid. HifpaL de VirisUlufli. 1. fîngul. cap. j.
K 3 %^
390 Poètes Latins.
Jiûba Fal- VL.dex de ces premiers tems, c'eft-à-dîre
soaiâ, depuis le cinquième fiécle, d'avec celui
de nos jours.
* Voye's Article 1175-. *
A V I E N U S
{Rufus Feftm) Poète Païen, du tems de
Théodofe Tancien.
Avienus, ^^^2 f^Et Auteur a tourné envers les
\^ P bé-aomé'/2es à^Aratus^ la Perie-
gefc de Denys^ c'eft- à-dire la defcription
qu'il avoit faite de la Terre. 11 avoit mis
auffi tout Tite-Lîve en vers ïambes ; mais
•cet Ouvrage eft perdu, au lieu qu'il nous
refte encore des Fables qu'il a prifes de
Phcdre, qu'il a mifes en vers élégîaques,
& qu'il a dédiées à Théodofe, qui n'eft
autre que Macrobe.
Les Critiques nous donnent afTés boa-
ne opinion de ce qu'a fait cet Auteur. Bar*
thîus prétend (i) que c'eft un fort bon E-
crivain,& qu'il ell fi excellent Poète qu'on
îe voit fouvent élevé au-defTus de lui-mê-
me. C'eft ce qu'il répète encore ailleurs
(2), mais il ne diflimule pas qu'Avîenus
eft
% C. î. San^A %»mina, "Ecclejtâ. Dîjl. 15. ou
pe Gélafc I. condamne le Livre en ces termes
ou le Pa-
termes : Cr»-
timetrum de Chrijîo Virgdianis compA^inatum zerfibus., a-
pocryphum. Le mot centimetrum fe lit dans Burchard ,
dansives, & dans Gratien, Pentdmetru7n qu*on li-
loit en de mauvaifes éditions de ce dernier étoit ri-
dicule. CeMtmctrum n'eft pas même fort correct , &
Pon auroit mieux fait de retenir cento dont avoit ufé
ie Pape Gelafe dans fa Dc'crétalc,
i. ^^^2' Baxthias Adverfaiior. lib. 46. cap. 16. îcc.
Poètes Latins. 391
ciî tout-à-fait dur dans fon (lyle. AvicûU?^
Le P. Briet dit pourtant (3) que ce (ly-
le eft fort net , fort dégagé , & qu'il mé-
riteroit d'être d'un iiécle plus heureux que
le fien. C'eft ce que Mr. Boprichius fem-
ble avoir afluré pareillement en des termes
équivalens (4), ajoutant même qu'il a de'
l'élégance & qu'il ell fleuri.
Mais le Sieur de Saint Aubin prétend
(5") que fes Fables font infiniment éloi-
gnées de la pureté , de la beauté , & de la
grâce de celles de Phèdre; & qu'elles ne
font nullement propres aux enfans, puis-
que félon l'avis de Quintilien , il ne leur
faut montrer d'abord que les chofes les
plus excellentes & les plus pures.
* Rafi Fejii A lie ni Paraphrafis m Aratl
PhccnomenaxW'ioX. Veneî. \ ^(^^.*-'^ Fabu-
la ^ vide Corpus Poëtarum in-40. Genevts
l6ii. art. 1131. *
P R U*
2. Idem ibidem , fcd lib. 44.
Item Gérard. Joann.Vofnus de Hiftor. Latinislib^
2. cap. 9. pag. 202. 203.
3. Philipp. Briet. lib. 4. de Poër. Latin, pag. 4».
49, antè Acutè did.
4. Olaiis BorrichiuSjDifTeitation. de Poët. Latin,
pag. 70.
5. Saint Aubin ou Sacî de P. R. dans la Préface
de h\ Traduction Frarç. de Phèdre vers la fin.
B^ 4
391 Poètes Latins*
PRUDENCE,
Poè'te Chrétien, Efpagnol , Officier de la
Cour de TEmpereur Honorius, né l'an
34S. fous le Confulat de Philippe & de
■ i)alia à Sarragoife {Aîtrelius Prudentitts
Cîemens) mort autour de l'an 412.
rioicnec. 1183 T Es Poè'fies de cet Auteur ne font
jL> inconnues à aucun de ceux qui
ont quelque ufage dans l'Office de l'Eglj-
fe, & elles ont été fouvent imprimées Ibit
féparément, Toit parmi les autres Poélies
Latines des Chrétiens.
Il f:^ut avouer qu'il y a plus de Chridîa-
nifme que û'Art Poétique dans fcs Ouvra-
ges (i). Mais cela n'empcche pas qu'il ne
doive tenir un rang afles coniidérable par-
mi les Lyriques. Scaliger le fils ne fait
point difficulté de dire en un endroit (2)
que c'efl un bon Poète, & en un autre
(3), que c'eft un Poète élégant. Turnébe
avoit déjà dit la même chofe de Pruden-
ce (4) , ajoutant qu'outre cette élégance
qu'il y remarquoit, il y trouvoit encore
d'au-
î. LU. Gregor. Gyrald. de Kiftor. Poctar. Dial.
j. pag. 635. tom. I.
2. Jofepli Sciiliger in primis Scaligeran. pag. iz6,
3. Pofterior. Scaligeian. pag. 51. in didionc Claur
<Hanus.
4. Adrian. Turneb. Adverfarior. lib. 7. cap. 10.
5. Idem ibid. hb. 2g, cap :<S.
6. f . Erafine parlant de Prudence dans fa 666. Lettre
de l'édiiion de Leydc dit que ce Tocte efl plus clo-
quent que Pindare, mais il ne l'appelle, que je fâ-
che j nulle paît un Pindare divin. C'eft uniqueme;u
Bai-
Poètes Latins. 393
d'autres beautés 5c beaucoup de conduite, piuckns^
(5) Eraline-méme l'avoit juge digne d*e
porter la qualité dtPindare divîn{6) , qua-
lité qui a été depuis relevée, <5c autorifée
par Barthius (7), qui témoigne que c'eft
un excellent Auteur rempli de mille rare-
tés, concernant les Antiquités Chrétiennes
(St l'état des affaires de fon tems ; que c'eft
un x^uteur qui demande un autre Critique
& un plus habile Commentateur que n'é-
toit Gifelin (8), qui bien que le moins in-
capable de ceux qui y ont travaillé, n*a-
voit ni l'érudition ni le difcernement né-
Gciïàire pour s'en acquitter dignement.
En effet li l'on en croit Pulman (9),
Prudence eft: non feulement le plus pru-
dent , mais encore le plus favant d'entre
les Poètes Chrétiens. Sidoine Apollinaire
Evéque de Clermont qui vivoit foixante
ans après lui, & qui faifoit la Profelîion
de Poète aufîi bien que lui, a bien ofé le
comparer même à Horace (lo), quoique le
Perc Briet ait jugé à propos de dire que
c'q^ vouloir atteler un bœuf avec un âne,
de faire cette comparaifon (11).
Quelque inégale que foit la comparai-
fon,
Baithius qui chap. xi. du l. s. de iVs ..AdverfAria &
non pas c. p. du 1. 50. lui donne ce nom.
7. Gafp. Baithius lib. jo. Adrerlarior. cap. 7. col»
2J60.
8. Addition au jugement de Gifelin.
9. Theodor. Pulmannus in Prolegoracn. ad fuam
Trudentii édition.
10. C. Soll. Apollio. Sidon. & ex eo Gyr. Goà,
Briet. Se alii.
ir. Philipp, Bïiet, Soc. J. lib. 4. de Toét. Latin»
pag. >■ a.
K 5
594 Poètes Latins.
îfudsncc fon, on ne doit pas convenir que Pruden-
ce fût entièrement dépourvu de cet efprit
qui doit animer les Poètes Lyriques. Mr.
Godeau dit (i) que lès Hymnes pour les
Martyrs font fortes & fleuries. Chytraeus^
prétend même qu'il avoit autant de feu
Poétique qu'il eft permis à des Chrétiens
d'en avoir ; mais que ce feu lui venoit du
Ciel, c'e(t-à-dire de l'Efprit- Saint, & non
pas de l'Apollon du Parnaffe; que-c'efl du
fond de fon cœur embrazé de ce feu divia
que fa veine a puifé ôc s'eft remplie détour
ce qu'elle avoit de Poétique, comme d'u-
ne iburce pure & abondante de piété & de
gravité Chrétienne; & que fon éloquence,
quelle qu'elle foit , ne laifTe pas d'avoir
quelque chofe de divin , & une efficace
merveilleufe pour toucher les cœurs &
perfuader les efprits (2). Erafme avoit déjà
témoigné être dans de pareils fentimens,
lorfqu'il a dit (3) que les vers de Pruderjce
refpirent une fainteté & une éloquence
tout-à-fait Chrétienne.
Giièlin lui-même qui avoit fi mal exa-
miné fes propres forces pour travailler iur
ce Poète, n'a point laiffé d'en connoître
affés bien les qualités. Il prétend (4) qu'il
y a trouvé un fonds & une variété admi-
ra-
T. Ant. Godeau, fin da quatrième fîéde dcTHiû.
derEgliie, ôcc.
2. David Ciiytraciis in Regulis ftudior. pag. 194. ic
spud J. A/idr. Qucnlledt Dialog. de Patr. Viior. ll-
luftr. p3g. 26.
i. Erafm. de rat. concion. 1, 2.
4. Viftor Gifelin ,Prîefat, in Prud. edit. & not.
5". Olaiis Bouiçhius^ DiUcrtatioû, 2, de poct. La-
tin,
Poètes Latins. 395*
rable de chofes excellentes, qu'il Jes a re- pnidenîc^
vêtues de divers ornemens pris des An-
ciens, & qu'il y a ajoute beaucoup d'au-
tres beautés qu'il a trouvées dans lui-mê-
me; mais qu'avec toutes les libertés qu'il
a prifes pour embellir les fujets qu'il a
traités , jamais il n'eft forti des bornes que
la Religion Chrétienne prefcrit à ceux qui
veulent vivre & écrire fuivant fes maxi-
mes.
Enfin Mr. Borrîchius aflure (s) qu'il
n'y a prefque rien de dur & d'irrcgulier
dans fon flylc, & que fes vers ont allés de
cadence & de majefté. Mais toutes ce^
qualités effedives ou apparentes n'ont
point pu porrer le P. Rapin à le mettre au
rang des- bons Poètes (6), parce que Pru--
dence avec tous fes avantages n'a pu s'éle-
=ver au-deifus de h foiDlelfe de fon fiécle,-
Il eft m<2me tombé en un li grand nombre
de fautes à l'Cgard de la Profodie, qu'on-
ne peut pas raifonnablement le faire palfer
pour un Verlificateur parfait (7). C'eft le
reproche que lui ont fait tous les Gram-
mairiens, dont quelques-uns l'ont accufé
aulTi d'avoir négligé la pureté de la Lan-
gue (8), & de n'avoir pas fait le choix nu»
ccfîaire de fes mots (9).
L'c*
îin. pag. 72. num. 53.
6. René Rapin, Rcflex. partiail, fiir IaToëtiqne,%
féconde partie Refl. 14.
7. Gyraldus, Pofleviuus , Godeau, Biietiiis,Boî^
lichius, 5c alii.
8. Lil. Gregoi. Gyr. in Dialog. 5, de HiHoi.rojp^-
lar. ut luprL
5>. Juft. i*ipùus,Saturnal. lib. z.cap. 20^
39^ Poètes Latins.
fiijdcnce. L'édition de Pulman avec les notes &
les corredlions de Gifelin [/»-i2. Paris"
15-62.] étoit la meilleure du tems de Pof-
fevin (i); mais elle a paru peu de chofe
depuis celle de J. Weitzius, [/»-8. Ha-
nover. 161 3.] & elle a encore beaucoup
diminué de prix depuis celle de Nicolas
Heînfius [/«^S. Amih 1667.] (2).
De tous les Ouvrages de Prudence,
qui font, i. la Pfychomachie ou le com-
bat de TAme, 2. le Cathemer'mon ou des
chofes journalières , 3. le Perijîephamn
ou de la couronne des Martyrs, 4. VA-
potheofe ou de la Divinité , 5". V Hamarti'
génie ou de Torigine des Péchés , 6. des
deux Livres contre Symmaque Préfet de
Rome, 7. & du D'ittochAo-a ou Diptychon
(3) , autrement Manuel du V. & du N.
Tefiament, il n'y a que ce dernier qu'on,
ait fait difficulté d'attribuer à Prudence, à
caufe qn'il paroît mv peu plus travaillé &
plus poli que les autres ; mais félon Gife-
lin & le P. Labbc aprcs lui (4) on y trou-
ve
' T. Ant. rojDTcvîn. în Apparatu facio tom. 2. pag»
2. 01. Bortichius ut fupra.
3. %. Gifanius a fubftituéO»/j/7cA«»»,àD//f*fArf«;7»,
mot formé fuivant refjprit de ces tems-là où l'on fe
plaifoit à CCS fortes de compofitions. ^n^oyjCiat
de Strlci & à^ii duplex alimcntum eft une imagination
qHi convient fort à un fie'cle ou l*on fe repaiffoit
^'allégories , &c de fpiritualité. Aide Manuce dit
avoir trouvé dans fon Manufcrit D//foi.-A*«w interpré-
té diplex refeUiOf ce qui fait voir que ce fens etoit
jcçû par tradition. Le même Aide aioute que pai--
ce que ce livre eft moins poli, & moins travaillé
<jue les autres, on a cm qu'il n'étoit pas de Pruden-
ce
Poètes Latins. 397
ve fon ftyîe,'. fes manières déparier, fes prudence,
mots favoris, fes allégories & les mêmes
penfe'es que dans fes autres Ouvrages.
C L A U D I E N
{Claudîus) Poète Latin & Païen, natif de
Campe en Egypte^ vivant fous /\rcade
& Honorîus qui lui firent dreiïer une
Statue, mort peu après Arcade.
Les Italiens prétendent que fon Père étoit
Florentin.
1184 /^ Laudien ' efl fans contredit le Claudico,.
V-> premier de tous les Poètes qui
ont paru depuis le iiécle heureux d'Au-
gufte (5-) ; & le Sabeliic femble n'avoir
pas eu trop mauvaife raifon de dire (6)
qu'il eft le dernier des anciens Poètes & le
premier des nouveaux. C'eft fans doute
dans la même penfée queMr.Godeau (7) ,
après divers autres Critiques d'Allemagne
(8) & d'Italie (9) , témoigne que de tous
ceux
ce: Sed (juom'am non Jîc excultus e/7 , cb* elitboratus hic //-
her , Ht cxteri à. FoUtu covipofui ^ [tint ejni non ejfe PrHden'
tii dicHnt. Baillct a pris le contrepicd.
4. Labb, Diûcrtat. de Sciiptorib. Ecclef. tom. z.
pag. 26?.
t 5. Euftach. Swart. lib. i. Analector. cap. îj.apui
D. JMart. Hanck. de R. R. Script.
6. Marc. Anton. Cocc, Sabeliic. Ven. Enncad.
hift. 7. lib. 9.
7. Ant. Godeau, Hiftoire de l'Eglife, fin du qua-
trie'me fiéde.
f. JoackimVadian. in Art. Poëtic. Galp. Barthius
td Chiudian. Hanckius de R. R.
ij. Joleph. Caftalio Ancon. Vaiiar. Lcft. cap. <lo,
R ?
jçS Poètes Latins.
Claudien. ceux qui ont tâché de fui vre& d'imiter Vir-
gile, il eft celui qui approche le plus de la
niajefté de ce Poëte, & qui fe fente le
moins de la corruption de fon lîécle. Il
s'eft trouvé même un Critique KcofTois
qui n'a point fait fcrupule de préférer
Claudien à Virgile , lorfqu'il a dit (r)
qu'il avoit pafle généralement tous les La-
tins pour l'abondance des chofes, & qu'il
n'y avoit qu'Homcre feul parmi les Grecs
à qui il pût céder la gloire de l'invention.
Mais il faut rentrer dans les bornes du
vrai-femblable , à. voir ce qu^en ont dit'
des Critiques plus raifonnables.
1. Pour ce qui regarde le Génie, on
convient qu'il l'avoit admirable. Crinitus
témoigne (2) qu'il fembloit être formé de
la Nature même pour la Poëfie, & qu'il
y étoit heureufement porté. Je ne fai pour-
quoi le Père Briet trouve fi fort à redire à
ce fentiment de Crinitus (3), puifque la
plupart des Critiques en ont jugé de lafor-
te, & que les anciens Auteurs Eccléfiaftî-
ques même , tels qu'Orofe (4) & Paul
Dia-
T. Thora.Dempftcr. Scot. in Elench. ad Joh. RoH
Antiq. Rom.
2. Petr. Crinit. de Vit. Poctar. lib. i. cap. gs.poû-
libb. de Honeft. Difcipl.
5. Phil. Biiet. lib. 4. de Poè't. Latin, pag. 49.
4. Paul Oiofius lib. 7. Hiftor. cap. 37. poftD. Aii-
gnftinum de Civir. Dcî.
5. Item Paul. Dhcon. lib. 13. Hiftor. mifcell. cap.
15. &c.
6. Joh. Ludov. Vives Commentar. in lib, s, Au-
guft. de Civit. Dei cap. 2>.
7. Idem Viv, de uadeadis difciplinis lib; 3. Se a-
Poètes Latins. 399
Diacre (s) ne lui avoient pas refufé cette ciaudien,'
gloire, en le décriant d'ailleurs comme un
Païen trop paffionnc & trop obfliné.
Vives dit en un endroit que Claudîen
étoit ne Poète (6) , & en un autre (7) qu'il
pofTédoît refprit dans toute fa plénitude,
& qu'il étoit tout rempli de ce feu qui pro-
duit Tenthouliafme. C'cll ce qu'ont aulîi
reconnu Lipfe (8) , Bachanan (9) , Con-
tarini (10), & divers autres Auteurs que je
ne rapporte pas ici, afin de laiiTer à Mr.
Hanckius toute la gloire que mérite la
peine qu'il a prife de les recueillir, & d'en-^
gager le Le6tcur à les aller chercher
dans fon Livre des Ecrivains de l'Hiftoi-
rc Romaine & dans la partie de fes ad-
ditions (11).
n. La Science y c'eft-à-dire, les quali-
tés que Claudien avoit acquifes pour la
Poclie, répondoient affés bien à fon grand
génie & à tous les avantages qu'il avoit
leçûs de la Nature pour être un véritable
Poète. Ce n'ell pas que je voulufle croire
entièrement avecBarthius (12) que tout ce
qu'il
pudHanckium, &c.
t. Juft. Lipfius, in Lib. i. de Admirandis feu de
Magnitud. Rom. cap. 2.
9. Georg. Buchanan. in Dialog. de jure rcgni apud
Scocos poft hiftoriam fuam.
ïo. Vincent. Contaren. Variar. Leftion. cap. 30,
ir. Martin. Hanckius, lib. de RerumRomanarunî
Scriptoiibus part. i. cap. 35. Article 3.
Item parte fecunda livc in additionib. ad cap. 35,
Art. 3. Sec.
iz. Gafp. Barthius in Commentât, ad Clandiâiù
F^cgyric. J'iobino Ôc Olybiio rcxiptum.
4©o Poètes Latins.
Clâudiea. qu'il avoit acquis de ccnnoîfTances ait
formé en \ul-unQ fagejje tout-à-fait divifie*
C'eft encore afîes , ce me femble , d'ac-
corder à Jean Gebhard (i) que Claudien
s'étoit rendu fort habile dans la Science
des choies naturelles, dans celle des Loix
& de la Jurifprudence , & dans celle de
l'Art militaire ; de convenir avec Mf.
Borrichius (2) qu'il étoit très-entendu dans
la Politique , & qu'il pofTédoit parfaite-
ment la Philofophie Morale; & de remar-
quer avec le Père Thomaffiu (3) que
tout Païen qu'il étoit, il ne lailfoit pas de
faire fouvent un aifés bon ufage de cette
Morale qu'il avoit apprife.
Mais je m'imaginerois volontiers que
Claudien étoit favant en Poète , & que
fans s'être tourmenté beaucoup pour ap-
profondir toutes ces connoilfances qui de-
mandent chacune un homme tout entier ,
il s'étoit contenté d'en faire l'accefToire de
fa profeffion principale. Il fe peut faire
m^-
1. Joan. Gebhard. Animadverf. ad Propertii lib.
2. Elcg. 21. verf. ^z. & apud M. Hanck. de Script,
Rcrum Roman.
2. Olaiis Borrichius Diflertat. 2. de Poët. Latin,
pag. 73. rum. Î4.
3. Louis Thomafîîn , de la Me'thode d'étudier 5c
d'enfeigncr Chrétiennement les Poètes, liv. i.
4. Jofeph. Caftai, cap. j/. Variai. Lection. ôic.ut
fupià.
5. Martin. Anton, Delrio Praefat. notis ad Clau-
dien. pracmifia.
6. Vu. Gregor, Girald. de Hiftor. Pcëtar.Dialog,
4. tom. I. pag. 569. in- g.
Jehan. Cu{pin;::n. Comment, in Comment, ad
Calïiodori Chronic. non femcl.
Jehan, Lang. noi. adNiceph, Callift, EiftQriaEa-
cle-
j
Poètes Latins. 401
même qu'il ne les avoit étudiées que dans cUudIcn,
fon Homère & dans Ion Virgile, qu'il a
tâché d'imiter prefque en toutes chofes;
car félon le témoignage d'un Critique Ita-
lien (4), il femble que le plus graud de Tes
foins ait été de cultiver fes talens naturels
par la leélure continuelle des meilleurs
Poètes de l'Antiquité. Il faut néanmoins
reconnoître que ce n'eft point d'eux qu'il
a pr:s tout ce qui regarde le Droit Romain
dans fes Poéiies & les ufages de fon lié-
cle (f).
m. Pour ce qui efl du ftyle deClaudicn,
îl y a peu de Critiques qui ne conviennent
qu'il eft beau , pur, châtié, élégant, doux,
difert, grave, élevé, noble; & ce qu'on
y a le plus admiré, c'eft de le voir cou-
lant & facile avec tant d'autres qualités qui
fe trouvent rarement unies enfemble dans
les autres Poètes (6).
Il y a pourtant quelques défauts dans ce
(lyle il vante. Le P. Fabri prétend (7)
que
dcfîaft. Hb. 12.
Ludov. Coquxus Comment, in lib. 5. de Civit.
Dei cap. z6.
Jac. Sirmond. in not. ad Sidon. Apollin. Panegvx,'
Sertor. Uifat. lib. i. Monument. Patavin. fcdiôn,
€. ^c.
01. Borrich. ut fuprà. FrancifcusModius Novan-
tiq. EpiftoJ. 34. &c.
iul. Scalig. in Hypercritic. pag. 834.
oach, Vadian. cap. 24. de Poetica.
Honorât. Faber. lib 3. Ingenioli viri cap. 2.
Jofeph Scalig. ia porter. Scaliger:inis pag. jr.
Bibliograph. anonym. cur. Hiftorico- Piiilolog.
piig. 59.
7. IIonor.Fabex fen Fabii ut fuprà lib. 3. Ing. Vid
cap. i.
402 Poètes Latins.
Claudieu. que fa Latinité n'eft pas lî pure que plu-
fieurs femblent avoir voulu nous le per-
fuader. Le P. Briet dit (i) qu'il a trop de
faillies dejeunefTe, & qu'il ell trop enflé;
un Auteur de Port-Royal a remarqué la
même chofe (2). Le Giraldi prétend
qu'il n'efl: point propre pour fervir de mo-
dèle à la jeunefTe (3) , qui dans tout ce
ftyle ne peut , félon lui , s'accommoder
d'autre chofe que de certaines fleurs qu'il
y a femées.
Mais ce défaut n'eft pas le feu! que ce |
Critique ait remarqué dans les Poélies de
Claudien. Il trouve encore à redire à
l'invention & à la difpofition de fes fujets.
11 dit qu'il ne s'y foutient pas affés, qu'à
dire le vrai, il envifage fort bien fa matière
d'abord; on voit même, ajoute-t-il, qu'il
la prépare d'une manière fort étendue, &
qu'il fe met en devoir de la conduire avec
beaucoup de courage & de feu , mais le
vent lui manque, oc il eft affés rare que la
fin de fes pièces réponde à leur commea-
eement.
Le p. Rapîn a été encore plus clair-
voyant que le Giraldi fur les défauts de
Claudien. Il nous le dépeint comme un
Auteur qui n'a point fait paroître beaucoup
de jugement dans fes Poèlîes. On voit
régner , dit-il , dans tous les Panégyriques
de
1. Thil. Brietius , de Toët. Ilb, 4. ut fuprl snte
Acutc didt. roëtar.
2. Anonym. Dclcft. Epigrammat. in Diflertation,
prxiiminar. de Epigrammat.
8. L. G, Gyrald. Dial. 4. de Poe t. Hiflor. ut fuprà
pag.
Poètes Latins. 403
de Claudien (4) un air de jeuneiTe qui n'a Claudiec»
rien de Iblide, quoiqu'il y paroifle du gé-
nie , il entafie fans ordre & fans liaifon
des louanges fades les unes fur les autres.
Ce Poëte , ajoute-t-il encore ailleurs , a de
Tefprit & de Timagination , mais il n'a nul
goût pour cette délicatefie de nombre , &
pour ce tour de vers que les Savans admi-
rent dans Virgile. Il retombe fans celTc
dans la même cadence ; ce qui fait qu'on
a peine à le lire fans fe lafîer, & il n'a
nulle éle'vation dans toutes fes manières.
Jules Scaliger qui reftimoit extraordi-
nairement , ne le croyoit pourtant pas
éxemi de taches. Mais comme il avoit
envie de nous perfuader qu'il avoit la veine
heureufè, l'efprit Jufle, le jugement foli-
de, le ftyle naturel , & qu'il avoit beau-
coup de netteté, de politefTe, d'éxaâitu-
de, de fubtilité, point d'affedlation , point
d'ambition, il s'^elî avifé de rejetter fes dé-
fauts fur fa Matière, affûtant qu'elle n'eft
point affés noble & relevée d'elle-même,.
& qu'il n'a point laîfle d'en être accablé^
quoiqu'il ait tâché d'y fuppléer par la
beauté de fon génie (j), ôa par la forme
& les ornemens qu'il a tâché de lui pro-
curer.
Gafpar Barthîus qui s'cft fait une étude
de réfuter Scaliger en plus de vingt en-
droits
pag. 570. &c.
4. René Rapin , Reflcx. particulières fur la Poët, 2.
part. Reflex. xiv. Item Reflcx. xv.
5. ]ul. CxÇ. Scalig. lib. 6, Poëtices pag. 834. 835.
libri Hypcrciitici.
404 Poètes Latins.
Claudicn. droits de fes Adverfaires , a crû devoir
prendre contre lui les intérêts de Clau-
dien en qualité de fon Commentateur. Il
a jugé que ce Critique étoit tombé en dé*
lire , lorfqu'il parloît aînfi de la Matière
que Cîaudien a prife pour le fujet de (es
Poèmes; qu'il ne favoit point quel ell le
devoir d'un véritable Poète , qui conlifte
d'une part à faire les éloges des Héros ôc
des grands Hommes que le mérite a con-
facrés pour l'immortalité, & de Tautre à
. reprendre avec force le vice & à faire
de puilTàntes invedives contre les Scélé-
rats qui abufent de leur pouvoir pour in-
commoder le genre humain. 11 ajoute
qu'il ne connoît perfonne qui ait été plus
heureux que Clandien pour ce dernier
point , que les Poètes Satiriques & Comi-
ques n'ont dit que des chofes fort généra-
les fur ce fujet fuivant leur Profelfion : mais-
que de tous ceux qui ont e;irrepris les Par-
ticuliers dillin6lement 5c féparément d'a-
vec la mafTe du Peuple , Clandien eft le
feul qui y ait acquis de la réputation , &
qui fans fonger qu'il avoit des intérêts,
une fortune, & une vie à conferver , eft
allé attaquer le vice jufqu'auprès du Trô-
ne des Empereurs en la Perfonne de leurs
Favoris; qu'il a fait en cette occafîon la
foné^ion des Dieux-mêmes , & qu'ainfi il
n'a
T. Gafp. Barthius lib. 5j. Advcrlarior. cap. 2. col,
247S.
2. Maic. Ane. Dcirio Pratf. in not. ad Claud. ut
iuprà»
|. Ant*
Poètes Latins. 405-
îi'a pu choiiîr une matière plus élevdc & cUudicH.
plus di^mie d'être traitée eu vers, c'ell-à-
dire en y employant le langage des
Dieux (i).
Voilà le raironnement de Barthius, le-
quel quoique débité avec ailes de probabi-
lité , femble avoir en pourtant moins d'ap-
probateurs que celui de Scaliger (2}.
Entre les diverfes pièces de Poélie que
Claudien a publiées , les Inve6lives contre
R^fi-ri ^ coniïc Eu^rope font les plus belles
au jugement de Mr. Godeau, qui ajoute
(3) q^'il ne lui paroît pas qu'en ce genre
on puifle rien faire de plus achevé. Il
femble que c'ait été aulfi le fentiment d'un
Ecrivain moderne , mais anonyme d'Alle-
magne (4).
Barthius prétend que ce qu^il a écrit
contre Rufin^ eft fort inférieur aux deux
Livres Satiriques qu'il a faits contre £;/-
trope^ fuit qu'on y confidére le fonds de
dodrine, foit qu'on veuille avoir égard à
la fubtilité & à la force dont il lance fes
traits, de forte que fi on ajoute foi aux vers
de Claudien, il n'y a perfonne dans toute
l'Antiquité qui foit fi diffamé & Ç\ perdu
de réputation qu'Eutrope ; & que Rufiii
même, qui n'a point été traité avec beau-
coup plus de douceur , n'en approche pas
{^}. C'eit néanmoins contre fon R:^firt
qu'A-
3, Ant. Godeiii, Hift. Ecclef. comme ci- devint.
4. Anonym. Bibliograph. Curiof. ôcc. ut fuprà
pag. 59. 60.
f. Barthius, itCIUtn lib, 53( AdrClGC| 2^€9li247i9
5; fcquçntj
4c6 Poètes Latins.
Claudicu. qu'Alain de Tlfle a compofé fon Antt^
Ciaudien^ dont nous pourrons parler en
fon lieu.
Après ces Pièces il femble qu'il n'y en
ait pas de plus eftimée que le Poème de
VEî^léveme?2t de Proferpine. Jules Scali-
ger témoigne que la compofition en cil:
fort belle, que les vers y font naturels ,
bien travaillés, fort nets & d'une belle ca-
dence , mais qu'ils ne font pourtant pas
toujours également & par tout tels qu'on
vient de les dépeindre (i).
Jofeph Scaliger faifoit aulTi beaucoup de
cas du Poème fur le quatrième Confiât
à^Honorhis , qu'il difoit être rempli de
beaucoup de belles chofes (2).
Enfin on peut dire que bien que fa Poè-
fie ne foit peut-être pas toujours égale, fa
Verfificatiouoiie laille pas de l'être. Aulli
s'étoit-il appliqué par-deffus toutes chofes,
félon Vadianus (3), à la compoiition h à
■ la liaifon de fes vers ,dont le fil n'eft point
rompu par les ESihlipfes & les Synalephcs
qu'il employé fort rarement. De forte que,
tout y eft coulant, & que la douceur de
fes nombres, jointe à la belle chute ou à la
cadence de îesfyllabes, fe fait fentir fans
qu'on y penfe.
On croit ordinairement que l'édition de
Nicolas Heinfius fils de Daniel [in-i2. à
la Haie i6)'o.] efl: la meilleure , mais un
Critique Allemand prétend (4) qu'elle
doit
'' 1. Jul. Scalig. Hypeicritic. feu lib, ^, iaClaudiîUï,
)udic.
2, rodaioi, SCâligcxâi), pag. ;r,
Poètes Latins. 407
doit pourtant ccder le premier rang à cel- ciaudica.
le de Gafpar Barthîus, quoique le Com-
mentaire de celle-ci foit un peu trop long.
Et parce que mes Cenfeurs ont témoigné
vouloir me faire une affaire de mes omis-
fions, je les prie de croire que lorfque je
me fuis trouvé engagé à parler des bonnes
éditions, je n'ai jamais prétendu exclure de
leur nombre celles des Scholiaftes Dau-
phins, mais que je n'ai point pu rendre à
leur excellence un témoignage dont je n'ai
pas encore trouvé de preuve ou de cau-
tion dans les Actes publics, ou dans les
Ecrits des Critiques , n'ayant pas remar-
qué d'ailleurs affés d'uniformité dans les
jugemens que l'on en entend faire de vive
voix aux Savans d'aujourd'hui pour en
pouvoir tirer des conclulions raifonnables. •
Au refle, il efl: bon de remarquer après
Jules Scaliger, que Claudien a introduit
dans la Poelie une efpéce de nouveauté
dont on n'avoir point encore vu d'exem-
ple ailleurs que dans Perfe. C'cà celle
de mettre des Préfaces à la tête de chaque
Ouvrage, comme il a fait à la plupart des
liens.
* Claudia'/ius cum animadverfionibus lo'
CHpletiJJîin'is Gafp. B^rthii in-4. Francofurù
léj'O. ■■ - Stephan, C lavent Mifcell.^
Nota ad Claudiaman in-4. P^f^f- 1602.
— Idem ad uftira Deîphini in-4. Parif,
1677.
R U-
3. Joachim Vadiaa. de Arteîoëtici ad Frarr. «ap
2p. Se apud Hanckium.
.*, Bibliographe Gcimaa, Hiftor, p»g. 59% 60,
4o8 Poètes Latins.
R U T I L I U S, (i)
{^ClaudiiiS RiitilîHS Numatianus ^ G al lus)
qu'on croît être le furnom qu'il a pris
de fon Pays, car il écoît Gaulois, Ecri-
vain Païen du tems d'Honorius , après
l'an 410.
Rutiiius, II 8. ^^ Et Auteur compofa un Itiné-
VJ raire , ou plutôt Ton retour
d'un voyage en vers Elégiaques, & il le
partagea en deux Livres, après la prife de
Rome par Alaric. C'eit un Ouvrage qui
a de l'élégance & de la beauté, plus même
que fon fiécle n'étoit capable d'en fournir
ou d'en foutfrir, qui a fait voir que le feu
qui animoit les Poètes du bon iiccle n'é-
toit pas encore entièrement éteint, ou du
moins qu'il refloit encore quelque chaleur
dans les cendres, félon l'aveu de plulieurs
Critiques de réputation.
C'eft peut-être tout ce qu'on peut dire à
la louange de cet Auteur & de fon Ouvra-
ge, Car Tx^uteur ne nous a point donné
d'ail-
1. Ç. Volaterran à II fin du 4. lirredit que Icma-
nufcrit de Rutilius qu'il nomme Nauraatianus, fut
trouvé avec plulieurs autres dans l'ancienne Abbayie
de liobbio l'an 1494. Jovicn Pontan par une Lettre
du 13, Février 1503. à Sannazar , qui ctoit alors en
France où il avoit auiïï trouve les vers de Rutilius
defquels il fit aufïi-tôt parc à fcs amis d'Italie» le
félicite de cette découvene, & lui envoie en ces ter-
mes fon jugement de l'Ouvrage. T{Mtitiani illi vtrfi*
euli enodes funt ij nittài: cnlXHi vero ipfe ptregrinus po-
tint ^Hêf» Hrl>anHfi ne dimm •rttjfitntx ÇÇUC ^pitre
fiir
PoEtES Latins. 409
d'ailleurs une grande idée de Ton équité & Rutiliu»,
de fa modération , lorfqu'il a fait paroître
contre les Chrétiens toute rinjuflice &
toute la malignité dont le plus envenimé
des Païens ait été capable: & l'Ouvrage
ne paroît pas aulTi travaillé avec toute
Texaditude polTible. Mais c'eft un dé-
faut dont les Copilles & les Critiques doi-
vent partager le blâme, parce que latrans*
polition de quelques vers qui paroilTcnt
hors de leur place , femble venir de ces
derniers plutôt que de l'Auteur (2).
* CI, Rutîiîus de laudibus Urbis , E-
trurice ^ iîf Italid. in -4. Bonon. ifio.
-— — JLjujdem lîinerar'îum , czim anrmad-
Terfiombus Theodori Sitzynani in-8. Lugd,
\6\6 Ejufdem It'merariur/i five de
redit» fuo lib, il^ cum animadv, Gafpar.
B art hit in-8. Fra/^cof, 1623.
P A L-
fait la 2î. des cent recueillies par Mclchior Goldaft
qui l'a tirée du Tome des Oeuvres de Pontan où clt
fon Traité de rfbtis cœUliiius.
1. Gérard. Joan. Vollîus, de Hiftoricis Latin, lib.
2. cap, 15. pag. 222.
Idem iterum in cod. Opère lib, 3. cap. 2. pag. 74?,
74'î.
philipp. Biict. lib 4. de Poëfis Latin, pag. 52.
Pctr. rithocus in prxfar. ad B-util. Numatian.
Gafp. Barthius iib. 16. Advexlluior, cap. 6. col. t^x',
Olaiis Boriichius DiflertatioD. 2. de Poët.Lat. pag^
Tom.IILParLlL S
4iO Poètes Latins.
PALLADIUS,
Rutilius Taurus JErniVianus , dont on ne
connoît pas précifément le teins (i).
I*alliidiu«. I -ï S<^' I" L a écrit en Vers de la manière de
X greffer les arbres. Le P. Briet
dît (2) que la verfification n'en eft pas mé-
chante , & qu'on peut admirer les fleurs
de fa Poelîe (par rapport au fiécle où l'on
fuppofe qu'il a vécu) comme les fleurs de
ces Grefl^es des pays étrangers qui ont été
entées fur les Arbres du lieu natal.
* Domicii PalJadii Epigrammata in -4.
Venet, 1498. *
De quelques Ecrivains Eccléiîaftîques dont
il nous refte quelques Vers.
1187. "VTOus avons diverfes petites
X%l pièces de Vers , & fur tout
des Hymnes de quelques Pères de l'Eglife
Latine, qui ne m'ont pourtant pas fait ré-
fou-
1. %. Le tems auquel Palladius a ve'cu n'cft pas
îi incertain qu'on ne puifle le reconnoître , li on
prend garde que d'une part cet Auteur a cité Api:Ié«
Ecrivain du deuzièmeliècle, & que d'une autre il acte
cité par Caffiodorc Ecrivain dufizième, d'où il eft à
préfumer que l'on peut fort bien le placer au qua-
trième, Ôc le prendre pour le Rhéteur Palladius con-
temporain de Symmaque. La Profeflion de Rhé-
teur n'eft point incompatible a/ec la compofition
d'un Traité d'Agriculture, & de plus le ftyie de ce
Traité fent extrêmement le fiècle de Symmaque. U-
ne autre obfervationà faire, c'eft que Palladius ayant
cté mis au rang des Poètes, à cauîe que fon quator-
zième
Poètes Latins. 411
foudre de mettre leurs Auteurs parmi les
Poètes , foit parce qu'il y a peu de chofe à
remarquer fur leurs Vers, où ils n'ont fui-
vi le plus fouveiu que les mouvemens de
leur piété & de leur zèle, foit parce que
nefaifant pas profelTion d'être Poètes , il
fera plus à propos de parler d'eux au Re*
cueil des anciens Pères de l'Eglife.
C'ell ce qui m'a porté à ne rien dire de
faint Hiiaire ni de laint Ambrotfe , quoi*
qu'il nous foit relté quelques Hymnes de
leur façon. J'aurois pourtant eu d'afles
juftes raifons pour donner ici un rang aa
Pape Darnaje Portugais de nailTance, mort
en 384. parce qu'il faifoit profeifion parti-
culière de faire des Vers,& qu'il nous res-
te de lui diverfes Epigrammes , Epitaphes
& autres Pièces de Poèlie dans le Recueil
que G. Fabricius a publié des Oeuvres
Poétiques des anciens Chrétiens. En effet
il padbit pour le meilleur Verliticateur
qu'eût alors l'Eglife après Latronianus (3)
Efpagnol, que faint Jérôme jugeoit com-
parable aux Anciens pour la Poèlie, ôc qui
eut
ziéme & dernier Livre cft en vers, Columelle, dont
le dizlème, près de trois fo s plus long, eftenvers
auflî , auroit bien dû recevoir le mêmelionneur. Du
icfte, quoique )';iie déclaré que je me chargcois uni-
quement de remarquer les fautes de Bailler, je ne
pais néanmoins pour le coup, fans tirer à cojifé-
qucnce , m'cmpëcher d'avertir que l'addition faite
entre deux étoiles à cet article, ca ces termes: Dt-
midi PAiLtdii Epigrammata /«-4. Ventt. l^si. doit ctlC
rayée.
2. Philipp. Briet. lib. 6. de Poët. Laiia. p-ig. iJf,
pracfix. Acutè dift.
3 , ^. PlufîcQis lifcnt M^tronianut,
Si
412, Poètes Lat'ins.
eut la tête coupée à Trêves l'an 385". avec
PrifcîUien & les autres panifans de la nou-
velle Seéle.Maisla (implicite qui paroît dans
îeftyle de Damafe jointe à diverfes libertés,
ou pour mieux dire à diverfes fautes dePro-
fodie, ne nous donne pas lieu de le pro-
pofèr comme un Poète fort important, &
capable de tenir tête en cette qualité aux
Poètes profanes de fon fiécle, je veux di-
re à Aufone, à Claudien & aux autres.
Je pourrois aulîi ne pas omettre Licen-
iîus Africain d'Hippone (i) Tami de faint
Auguftin , qui le confidéroit (2) prefque
comme fon Maître. Il eft vrai que fes
Hymnes (3) font péries avec quelques au-
tres de fes Pièces, mais il rous eft refté
(4) de lui une efpéce de Poëme galant &
profane des Amours de P)rame hf 'Tphé
(s) dont le ftyle,au jugement du P.Briet,
eft affés obfcur . & afTés bas , n'ayant au-
cune qualité qui puilfe le rendre tant foit
peu recommandable.
S. PAU-
1. <p. Licentius c'toit de Tag-aftc.
2. %. C'eft tout Je contraire. U dcvoit dire : qu*il
confiiéroit.
3. ^. il n^en a fait aucunes.
4. <fl. U n'en eft abloiunient rien rcfté, & l'Au*
ic«r cicme n'aciieva pas cet Ouvrage.
5. 9. Ce û'eltpas de ce Poëme ^ui a'éxiile point
que
ToETES Latins. 413
S. P A U L 1 N,
Evcque de Noîe {J>Ieroplus Po-/2t'tus A-ni"
dus Panlifi) né dans la féconde Aqui-
taine, vers l'an ;5-3, mort en 431. Tan-
née du Concile (oecuménique d'Ephefe,
un an après tli'nt Auguilin , & trente
ans après faînt Martin.
11S8. f Es Poèiies de faint Paulin ont S. Paulin;
L toujours été fort conlidérces
dans TEglife d'Occident, & ce qui s'en ell
confervé jufiu'à nous , fait voir qu'elles
n'ont pas été indignes de l'edime de tous
les fiécles , par lefquels elles ont paffé.
Barthius dit qu'on le peut hardiment pré-
férer à tous ceux d'entre les Chrétiens qui
fe font adonnes à la Poelîe (6). C'eft un
rang qu'on ne doit pas lui refufer , aa
moins fur tous ceux qui ont écrit en La-
tin^. Le même Critique ajoute qu'il s'é-
toit formé le iiyle dans la le^lure des Au-
teurs protanes; mais il avoit contribué de
fon propre fond cette on6lion que fa piété
& fa douceur lui ont fait répandre par tous
fes écrits. Ce qui regarde autant fa profe
que fes vers.
Le
auç le P. Brict a jut^c, ni pu juger: c'eft d'un autre»
d'environ ijo. vers, rapportes dans une Lettre de
S. Aiiguftin à Licentius, Ck: dans la coUedion de P.
Pithou. Ces cinq remarques lont de Ménage chap.
5^î. de (on Anti-B.ullet.
6. G^lp. r.irîhiiis Adrerfarior. 11b. tj. cap. 14. 2c
aounuiia lib. 19. cap. g.
S3
4^4 PoetesLatins.
s,râulin. Le P. Rof.veyde ou plutôt le P. Sacchî-
ni Jéfaite, qui elt le véritable Auteur de la
Vie de faintPaulinqui paroît dans Te'dition
d'Anvers, préfère faint Paulin à Aulbne,
& dit que l'Ecolier a pafTé le Maître (i).
Aufone lui-même reconnoifroit (2) que fa
Mufe étoit inférieure à celle de notre
Saint. Et quand nous n'aurions pas cet
aveu , il eft fort aifé , dit cet Auteur , de
s'en convaincre en conférant le génie &
le ftyle de l'un & de l'autre.
On ne peut pas nier que faint Paulin
ne foît plus doux & plus agréable; qu'il
n'ait quelque chofe même de plus naturel
& de plus grand.
Aufone ne craignoit pas de fe faire tort
à lui-même en difant tout le bien qu'il en
iavoit; & d'an autre côté la différence de
Religion & d'inclination fembîe l'avoir m^^
à couvert du foupçon de la flaterie, lors-
qu'il a publié que faint Paulin faifoit paroî-
tre dans fes Vers une douceur extraordi-
naire jointe avec beaucoup de force & de
fublimité, & une breveté qui n'a aucune
obfcurité (3).
Mais pour ne tromper perfoune, il faut
ajouter que ce jugenient regarde plutôt les
Poèfies que fainr Paulin avoit faîtes avant
fa converfion , c'ell-à-dire avant fon re-
noncement aux Mufes profanes , que cel-
les
1. De Vita S Paulini p;:g. 6<&.
z. Aulor,. Epifto'. 2c. 2\: alibi, item in Vit. raulifii.
3. Idem Epiftol. 19. ad r.iulin. !tem Voflius His-
tor. Latin. !ib. 12. paj. 21 r. oii Aufone Fa'.i l'éloge
du Poërae que faint Paulin avoit fait fur le<; trois L>
Vics que Suctonc avoit compolcs touchant les Rois
«i'A-
1
Poètes L a t i m s. 41^
les qu'il a compofces depuis, fans s'écar- S.Pauliat
ter des régies que la (implicite de TEvan-
gilc prefcrit aux Chrétiens. Car après une
abdication fi rare, li volontaire, & fi gé-
nércufe, il s'eft étudié à éteindre la plus
grande partie de fon feu , il a fait défenfler
la veine, & ayant étouffé en lui tous les
défirs de la réputation humaine , il a ra-
baifle fon efprit & fon llyle, & s'eft ren-
fermé dans les bornes d'un jufie tempéra-
ment , tel que la modedie Chrétienne le
demande de fcs Ecrivains. 11 a même por-
té le détachement jufqu'au point de ne fe
point foucier de garder l'éxaditude de la
Profodie (4) , quoique dans tout cet air
négligé qui paroît autant dans fa Verfifica-
tion que dans fa Poéfie, on trouve tou-
jours de certains agrémens naturels qui
font aimer l'Auteur & fes Ouvrages.
Mais nous aurons lieu de parler ailleurs
de cet Auteur avec plus d'étendue.
Je crois qu'il eft inutile d'avertir qu'il y
a eu pour le moins trois Paulins d'Aquitai-
ne , qui ont fait des Vers , & que plu-
fieurs ont confondus enfemble afïcs mal-
à-propos. C*"e(l: à celui de Perigueux ap-
pelle Be}7cdîâ:. Pa:îlî?7. Peîrocor. qu'appar-
tiennent les fix Livres de la Vie de faint
Martin en Vers, qui font entre les mains
de tout le monde. Et c'eft à celui de
Bour-
d*Afrique , d'Egypte , des Tiurhes , des Macédo-
niens.
4. O'ivuis Borrichius, DilTcitation. de Poët. Latin.
P^^ 74.
Joh. Frédéric. Gronovius , lib. Obfcivation, ijl
Scripr. Ecclefiaflic, cap. lo. pag. 99,
S 4. .
4i6 Poètes Latins.
5. Paulin. Bourdeaux appelle Paulinus Pellceus^ ne-
veu ou petit- fih d'Auione qu'appartient
VEucharifttcofi qui eÛ une pièce qu'on a
toujours jugée indigne du grand faint Pau-
lin. On peut voir fur ce point Barthius ,
le bieur Chr. Daumius, Mr. le Brun, les
Auteurs des A£tes de Leiplick & les au-
tres Griciqu.es,
* Les Foëlies de S. Paulin fe trouvent
dans fes Oeuvres imprimées in-4. à Paris
i68y. *
O- N G N N U S,
Egyptien de Panopole dans laThébaVde,
i'oéte Grec, vivant en 440. mort vers
le milieu du iiccle.
Nonnus.
1 189. "]^T Ous avons de cet Auteur deux
X^ Ouvrages d'un cara6lére fort
différent ; le premier eft une Paraphrafç
de l'Evangile de faint Jean , le fécond eft
un Poëme de quarante- huit Livres , ap-
pelle les Dioyîjfiaques , contenant les ex-
péditions fabuleules de Bacchus.
Ceux qui veulent fe contenter du juge-
jnent que Gérard de Falkembourg (i) a
fait de ce Pocme, n'auront pas do peine à
4e perfuader que c'ell: un Ouvrage fort ac-
compli, qu'oiv y trouve une abondance ôc
une douceur admirable , une variété de
chofes farprenantes : que c'efl: un Pocte
qui a fu parfaitement garder les bienfcan^
ces ;
I, Gérard. Falkenburg. Novioma;;. in Epift. ad
Jciu, Sambucum ptJtfix. cdirion. Nonni.
Poètes Latins. 417
ces ; qu'il a iî bien pris le génie & le ca* Nonnu»i
radére d'Homerc, qu'on retrouve heureu-
fement cet Ancien tout entier dans Non-
nus avec tous les avantages qu'on peut ti-
rer de riiiade à de l'OdyiTée, & qu'il n'y
a point d'autre ditîcrence que celle qui fe
trouve entre les He'ros, les lujets & les
infcr'ptions des Poëmcs des deux Auteurs;
enûn qu'il n'y a rien dans Nonnus qui ne
foit d'un prix égal à tout ce qui eft dans
Homère , <Sc qu'en perdant les Ouvra»
gcs de ceîui-ci , on ne perdra rien tant
qu'on poiTcdcra les Dionyliaques de Non-
nus. Ce ionr les fentimens d'un Com-
mentateur aveuglément pallionné pourfon
Auteur, & Daniel Heinims témoigne (2)
qu'il s'étoit lailFé emporter d'abord à Ton
aucorirc , qu'il avoit fuivie enfajeunelîè
avec d'autant plus de plaifir qu'il étoit a-
lors ébloui du faux brillant de Nonnus,,
& qu'il voyoit Politien & Muret même aa
nom/ore de ce.ix qui eliimoient, & qui ad-
miroicnt ce l^oete, étant également: char-
més de fa didlion & de fes t]61ions.
Il ajoute qu'il demeura ain(î coiffe de
cet Auteur julqu'à ce que Joleph Scaliger
lui décilla les yeux & le tira de fon erreur;
en lui faifant voir que c'ell un des Poètes
les plus fantafques , les plus ir régulier s,..
& les plus dangereux qu'on eût encore wù.
dans la République des Lettres.
En effet le ménie Scaliger ne faifoit
point de difficulté d'appeller Nonnus un
Poète
z. Dan. Hcinfius in DiiTertat. de Opeiib, Noûui
fag. 17^. 177. Stfctici.
S ^
/
Poètes Latins.
Koflnus. Poëte fanatique (i) , un Pocte mons-
trueux : témoignant que fon Poëme e(l
rempli d'écueils qui ne font couverts que
d'une furface trompeufe, & qu'il y a une
infinité de chofes vicieufcs, foir dans fon
llyle, foit dans fes penfées,foit enfin dans
la méthode 6c la conilitution de fon Poë-
zne (i).
Etfcdivement fon ftyîe paffe pour une
étrange manière d'écrire.- Ce ne font pres-
que que des fougues & des emportemens
d'enthoufiafme, fa diction efl toute Dithy-
rambique ou Bacchique, félon VoflTius '&
les autres Critiques (3); il n'y a rien de na-
turel, rien d'approchant de la pureté d'Ho-
mère; en un mot il n'a point cet air libre
& dégagé, ni cette belle fimplicité des pre-
miers tems.
Si l'on confidére l'ordonnance du Poë-
îTse, on n'y trouvera pas plus de régulari-
té que dans le fiyle. Le Poëme ell géné-
ralement dcfediueux dans toutes fes par-
ties, fuivant l'opinion du P. Rapin (4) &
de ceux qui nous apprennent qu'un Poëte
doit renverfer l'ordre des tems & des cho-
fes , au lieu de commencer par le com-
mencement de l'Hifioire. Ce même Père
a
1. Jofep.h Seàliger Epiftoî. 247. & 277-
2. Idem Jof Scalig. ibidem
3. Gérard. Jof. Voilius Inftitution. Poëc. lib. 3.
pag 89.
OlàiisBorrichius Diflertation. prima de Foëtis Grac-
cis num. 42. pag. 18.
Petrus Scriverius in Piatfat. feu Epiftol, dedicator,
I^iooyilacoiUin Noimi, ■
4. Le
Poètes Latin st. 419
a raifun de dire ailleurs (f) que l'Ouvrage Nonn«,
des Dionylîaques e(t moins un Poème
qu'un Roman , ou une hiftoire de la nais-
fance, des avantures, des victoires, & de
l'apothéofe deBacchus; que le defTèin en
ell: trop vafte , la Fable mal conflruite ,
fans air, fans ordre, lans vrai-lemblance.
La Paraphrafc fur l'Evangile de faint
Jean , quoi que moins fujette aux relies
de laPoëlie, ne paroît guéres plus heu-
reufement exécutée que le Poëme profane.
Il a tâché de marcher fur les traces de
faint Chryfodome , dont on voit qu'il a
voulu prendre les explications; mais il n'a
pu fe défaire de fon llyle dithyrambique,
qu'il a même accompngné des manières
dégoûtantes des Sophiltes de fon fiécle
(6). C'eit le devoir d'un ParaphnUte
d'cclaircir le texte de fon xVuteur. Non-
nus fcmble avoir t"ait tout le contraire; car
félon Polfevin (7) fa Paraphrafe obfcurcit
beaucoup plus le texte de faint Jean qu'el-
le ne fert à rcxpliquer. Cependant Air.
Borrichîus ne lailie point de dire qu'ondoie
toujours louer fentreprife & les efforts de
cet Auteur, quoi que l'événement ne leur
ait pas répondu (8^. IVlais Scaliger le ùls
té-
4. Le P. Rapin, Reflex. paxticui. fur la Poétique,
féconde partie Refiex. i x.
;. Le même, Refiex. xv. dans la même féconde
partie.
6. G. Joh. Volïïas lib. fing. de Poët. p;:g. 79-
7. Ant. Poflevin. Mantuan. lib. 2. Biblioi. leleô*.
cap. 30,
8. llorrichius Ut fupra part. i. D;irtikaii;>tt, d^
ïoët, Giîcc,
420 Poètes Latine.
k'Gunus. témoigne (i) qu'il eft encore beaucoup
moins excufable dans cette Paraphrafe que
dans fon Foème profane, puifque f\ Von
confidére la fainteté de fon fujet, il y a
commis encore plus d'immodefties que
dans l'autre. Et il ajoute qu'il a coutume
de lire cet Auteur dans une dilpolkion
toute femblable à celle de ces fpeâateurs
qui ne vont regarder les bouffons de Théâ-
tre que pour le divertir à leur voir faire
des poftures & des geftes ridicules.
* Nonnî Gneca Metaphrajis Evangelii
'Joannts ^ D.Heinfii Exeràtatiofîes ad ean^
dem in-8. Lugd.-Bat. 1627. Kjufdem
PanopoUtce Dionyfiaca Gr. Lat. D. Hein-
fii ^ jof. Scaligeri in- 8. Lugd-Bat. 161 G.
— Idem cum nous Valkenburgt 10-4. Ant^
uerp. 1569.
SAINT P R O S P E R,
Natif d'Aquitaine ^ Secrétaire des Brefs
fous le Pape faint Léon, homme Laïc
& marié , appelle le Difciple de faint
Augufîin, mais feulement à caufe de la
]e6iare de fes Livres, .& de la défenfe
de là dodtiine,. mort vers l'an 4,^:5. ou
1190, /^ Utre un Recueil de 98. Epi-
Sainîîios- \^ grammes 6c quelques autres
*^^ petites Pièces de Vers qui font d'origine in-
cer-
T. Jofeph. Scalîg. Epiftol. 247.
Et G- Martli. Konigii Bibliothcc Vet. & NOT,
pas- 578-
i, Aar. Godcou Appiobât, dç laTia^.fx» de ce
Poètes Latins. 411
certaine, nous avons de faint Profper saint Pio»-
d' Aquitaine un Pocmc très- conlîdérablc P^r»
contre les Ingrats, c'ell-à-dire, contre les
ennemis de la Grâce de Jcfus-Chrill, dans
lequel il explique en Théologien très-pro-
fond la dodrine Catholique contre les
erreurs des Pelagiens & des Semipeia-
giens.
Mr. Godeau juge (2) après plutieurs au-
tres Auteurs, que cet Ouvrage ell l'abrè-
ge' de tous les Livres de faint Auguftin fur
cette matière, cSc particulièrement de ceux
qui ont été écrits contre Julien. Il ajou-
te que les exprclTions en font mervcilleu-
fes , & qu'il y a fujet en beaucoup d'en-
droits de s'étonner commuent ce Saint a
pu accorder la beauté de la verliticatîon a-
vec les épines de fa matière. Ce qu'il y
a encore d'allés furprenant dans cePocme^
félon un Auteur anonyme, c'ed: de voir
que (^) l'cxaditude pour les dogmes de la
Foi y foit fi régulièrement obfervée mal-
gré la contrainte des vers & la liberté de
i'efpril Poétique, & qu'on y trouve les vé-
rités reprefentées avec les ornemens natu-
rels de la Poëlîe , c'ell-àdire avec des
charmes & une hardielle également agréa-
ble & ingénieufe.
C'efl ceqai a porté leP.Briet à le comp-
ter parmi les bons Poètes, ou du moins à
le tirer du nombre des mauvais , quoiqu'il
fe foit gliffé quelques fautes de quantité oa
de
Poëme contre les Ingrafs.
3. Le Traduft. Anonyme de cet Ouvrage dansfbjû
Aviint-propos.
f , C'cll Ifaiiç le Maiftie de Saci^
^7
42r Poètes Latins-.
Saint Pcos- de Profodie (i) dans Ton Poëme. Et Mr.
y^-' Borrichius lai rend le témoignage d'avoir
fait beaucoup moins de ces fortes de fm-
tes , que tous les autres Poètes de fon
tems (2), ajoutant que c'efl: un Auteur di-
fert , fabtîl, qui a de la profondeur dans
le fcns des chofes qu'il traite.
cj- E U DO X E,.
Ou plutôt EvDGciE Impératrice, fille
de Léonce Philofophe Athénien, fem-
me du jeune Thcodofe , nommée Athe-
naïs avant fon bâté me & fon mariage,
morte en 460.
EtPELA.GEPATP.ICEfousZenon.
ZuàojLc. ï^9ï- ï Es Anciens ont parlé avec élo-
-■ ' L ge des Poéfies de cettePrinces-
fe. Socrate témoigne (3) qu'elle avoit fait
un Poëme héroïque touchant la Victoire,
que l'Empereur fon mari avoit remportée
fur les Perfes. Photius écrit (4) qu'elle avoit
mis les huit premiers livres de l'ancien
Teftament en vers, il loue beaucoup ce
travail , & il ajoute qu'on lui donnoit un
rang
1. Philipp. Briet. lib. 4. de Poè't. Latin, pag. 54.
2. Olaiis Borrichius Difleit de Poët. Lar, pag. 77,
3. Socrat. Hiftor. Ecclefiaft. lib. 7 cap. 2.
4. Photius in Myrioblbl. feu Biblioth. cod. i8j,
3S4.
Et ex iis Voffius de Poè't. Grac. pag. 78. & 80,
& alii recentiores paffin:i.
5. f[. Il fe trouve à la Bibliothèque Royale un
manulcrit coté 2891. du Centon de ce Patrice, con-
tenant 203. vers feulement, au lieu que le Centon
4^ui fous le nom d''£c/(foxis( fe tiouvc ea deijx autres
Poètes Latins. 413
rang conlidcrable parmi les Pocmes hcroï- Eudoxc;
qaes, quoi qu'il n'en fuivît pas les régies,
& qu'on n'y trouvât point les maximes de
l'Art Poétique^ parce que fli matière &les
vérités traitées dans Ton Ouvrage ne lui
donnoient pas la liberté d'ufcr des Fables,
ni des autres ornemens dont les Poètes ont
coutume de divertir leurs Le6teurs : Ôc
qu'elle avoit été obligée de fuivre fon His-
toire mot à mot pour n'en pas troubler le
fens & la fuite.
Cette Princefîe avoit fait encore des Pa-
raphrafcs Poétiques fur les Prophéties de
Zacharie, de Daniel & de quelques autres
Prophètes, au rapport du même Photius.
Mais ni lui ni Socrate, m' aucun des An-
ciens n'ont point parlé des C entons à^ Ho-
mère fur la vie de Jefus-Chrill: que nous
avons encore aujourd'hui. En effet cet
Ouvrage a été attribué mal-à-propos àEu-
docie, & plulieurs Critiques font conve-
nus de le donner à 'Pelage Patrice qui vi-
voit fous Zenon (5-).
* Eudoxîce Irnperatr'îc'îS de Chr'ifto Ho-
mero-Centones. f/'id, Bihliotheca Patrum
Tom. VIII. col. 237. iii-fol. Parif. 1624.
SE-
manufcrîts de la même Bihliothéque , l'un coté
2977. rnutte 3260. contient 615. vers: où une cho-
ie à remarquer c'eft que l'Eudocie du manufcrit
2977. n'eft pas la femme de Theodofe le jeune,
mais une Eudocie foeur de l'Impératiice Zoe', fem-
jne de Conftantin Monemaque; ce qui ne s'accor-
de pas avec Tzetzes qui dans l'Hiftoire 306, de fa
30. Chiliade attribue nettement le Centon à la pre-
mière Eudocie. Nos éditions vulgaires contiennent
quatre fois autant de vers que les deux dcrnicis Ma-
tiufoàts Koyaux ci-deilus fpéciâéi,
4^4 Poètes L a t i k- s.
S E D U L I U S,
(Ccelius ouCcecilius) Prêtre Irlandois,feIorî
quelques-uns, vivant vers le milieu du
cinquième liécle.
Scdulius. ri 92,. *^T Ous avons de Sedul'us cinq
X^ Livres de Vers qui compo-
fent le Poème Pafckaî où font décrits les
Miracles de Jefus-Chrill:.
Dempfter qui croyoit parler d'un Ecri-
vain de Ton pays, lui a donné beaucoip
d'éloges , & nous Ta dépeint comme un
Poète fort fublim.e & d'une érudition di-
verfe (1). Flacciusillyricus témoigne qu'il
a fait paroître beaucoup d'efprit dans cet
Ouvrage aulfi bien que de favoir (i). Le
P.Briet allure aulTi que ces cinq Livres font
très-ingénieufement écrits, ôr qu'il auroit
été à fouhaiter que le ftyle eût répondu à
ce grand génie (3). Néanmoins Mr. Bor-
rîchius ne laiiTc; pas de dire que ce ftyle efl
facile, doux, coulant & qu'il a de la clar-
té & affés de pureté même pour fon liécle:
mais il n'eil pas exemt.de fautes contre la
Profodie (4),
DR A-
T. Thomas Dempfter Scot. in Elench. ad Jolian.
Rofini Antiquir. Rom.
2. Catalog, Teftium veritatis Auft. anojiyrao, i4
cû Matrh. Flacc. lllyr.
3. Pliihpp. Briec. lib 4. de Foët. Latin, pag. 5J»
4. Oiaiis Borrichius Diflert, de Pocr. Latin, pag. 76,
5. Gafp. Barthîus, in Adverfariis pag. 352. 353,
2Î59. 2614. & 2615.
6. Ç. Baillée a omis le meilieui de cequeditBar.^
tliiUfi
Poètes Latins. 425*
DRACONTIUS,
Prêtre Efpagnol , du tems de Marcieii &
Leoii ; d'autres le mettent fous JuQî-
nicn , & d'autres même après Charle-
magne , mais fans fondement, & con-
tre le témoignage de ceux de fon tems
& de fon Pays»
1193. T *Hexaëmeron ou la defcrlptîon D^acontius
JL en vers de l'Ouvrage des fix
jours, qui porte ce nom dans la Bibliothè-
que des Percs & ailleurs, paroît être d'un
cara6lére aifés médiocre. Ne'anmoins Bar-
thius dit que l'Auteur avoir du fens & de
Pérudition (f),quoi qu'il n'eût point grand
talent pour écrire poliment (6). Et Gol-
dafl: prétend qu'on y trouve en différens
endroits de certains traits d'élégance (7) ,
qui relèvent de tems en tems le courage da
Lecteur & foutiehnent fa patience.
Le P. Briet après S. Ildefonfe & S. lû-
dore dit (8), que c'eft faint Eugène le jeu-
ne Archevêque de Tolède qui s'eft chargé
de revoir & de corriger l'Hexaëmeron de
Dracontius, qu'il y a mis la Préfoce &les
Vers ou iMGmfticbes de la récapitulation du
fep-
thius pag. 3J1. <Je Ces ^dvcrf.triai c'eft que DricOR-
tius penfe li fubtilement , qu'on a non feulement
beaucoup de peine à i'entend.ie, mais qu'il y a lieu
de douter s'il s'cft bien entendu lui-même.
7. Me'ch. Goldall.Haiminsfeld. not. ad Paiacnct.
Jcript. Vet. &c.
8. Philip. Biiet. lib. 4. de Tocr. Lat. p. s;. S. Il-
defonûis Toletan. de vir. lllull. c. 14. S. lûdot>
^iif^alciif. de Vu'. làluft. ca^. 24.
426 Poètes Latins.
Dracontius feptiéme jour , mais que fon ftyle e(l fort
inférieur à celui de Dracontius ; & que s'il
y a fait quelque changement, il n'aura pas
manqué fans doute de rendre un mauvais
office à cet Auteur , en l'altérant &l en.
corrompant fon fens.
SIDOINE APOLLINAIRE,
(Cajus SùH'ms ÂpoUî'/iaris Sidonius) né à
Lyon, d'un Préfet du Prétoire , gendre
de l'Empereur Avite, Evêque de Cler-
mont en Auvergne, mort un Samedi le
23. (ou le 21.) Août , l'an 484. félon
Baronius & fes Sénateurs, & 482. fé-
lon le P. Labbe , le P. Lubin & les au^
très.
Sidoine A- Ç\ Uolque pour marquer le tems ou la mort
polJinaire, V^ ^^ ^.^^ Atiteurs ^ faye foin autant qu\l
m''ejî pojfible de prendre mes dates dans les
Hiftorïens c^P les Chronologiftes les plus ex^
aàts y je ne préîens pas néanmoins qu^elies
doivent être exemtes d'un nowcel examen ,
fur tout lorfque les Auteurs ne font point
d'accord enfemhle jur ce point. "Je me fuis
contenté iufqii'ici de marquer la diverfité
des opinions ^ ^ fen uferai toujours de mê-
me dans la fuite fans rri* arrêter à les exami-
ner. Mais pour faire voir une fois qu^il ar-
rive fouvent que les tins zîf les autres [e
trompent dans leur fupputation , Cif q^<^ î<^
ne veux prendre non plus parti parmi eux
que parmi les garants des fugemens que je
rapporte ; je prie mes Le Sieur s de fouffrir
ici une efpécc de digreffion , pour avoir le
phv'
Poètes Latins. 427
plaijir de voir que Sidoine Apollinaire n'ejl sidoîne A-
tnort ni ï'an 484. ni ran 482. de notre Epo- poliinairc.
que ^ s^d eji vrai quil [on mort le 25. Août ^
comme le difent les Martyrologes Romain {^
■ d'^UjHdrd.
Il ejl conflant que Vanne'e de la mort de
Sidoine avoit pour lettre Dominicale E.puis'
qu'ail mourut le 23. Août qui étoit un Same-
ai. Or Vannée 482. avoit pour Dominicale
C. ^ Vannée 484. avoit A. $5* G. ^ caufe
de fon bijjexte. C'^eft ce qu'ion peut voir
dans les planches du Cycle Pafchal de Vie-
torius d^ Aquitaine expliquées par Bncherius^
dans CalviJiuSy çjf dans ceux qui ont fui vi
la méthode de caraéîérifer les années par les
Cycles ., par les lettres Dominicales ^ ou par
les marques initiales des mois ou des Lunes ^
Il faut donc que Sidoine foit mort ou Van-
K.ée 480. biffe xtile F. 05^ Y., fous le CoTifulat
dn jeune Bafile Jeul ^ la feptiéme année de
r Empereur Zenon ^ que Pdque fut le 13.
Avril \ ou Van 486- E. fous le Confulat de
D^cius ^ Longinus ^la treizième de VEm-^
pereur Zenon .^ que P âme fut le fixiéme A*
vril ^l^ que Clovis défit Siagrius le dernier
des K '.nains qui fit ohftacle a la Monarchie
Françoife.
Mais comme par diverfes circonftances de
VHiftoire de France ^ de VEglife de ces
tems'là^ on coy7]eLlître av.e Sidoine a paffé
Van 480. ^ qu'ail n"" étoit plus au monde vers
483. on peut croire avec Savaron que nos
Martyrologes nous trompent .^ ^ qu'eau lieu
du 23. jour d^Août ou ils nous marquent la
mort de Sidoine^ il faut mettre le 21. du
me me mois , su. Kal. VII. BRES. Ain fi
étant
4^8 Poètes Latins.
Sidoine A- ^t^'fit mort un Samedi qtù étoh maraué a Icf
poilinaiie. Uttre B. c\'î oit infailliblement Pan'^Sl. qui
avoit la lettre Q.pour Dominicale. Foila
comme les uns ^ les attires fe [ont trompes j
de quelque manière que l'on prenne la chofe'^
^ comme en prenant des uns ^ des autres
ce qiî'ils ont dit de plus vrai-Jemblahle ^fans
s"* arrêter au rejte ou ils ont erré .^ il rejulte
que S. Sidoine e/i mort le Samedi 21. /iouS
de Van ^%i.fous le Confulat de Severin iff
de Troc onde , qui fut une année de trou'- la
pour la célébration de la Pdque , que les £-
gyptiens célébrèrent le 25*. Avril ^ quelques
Latins le 11, Mars^ ^ le refle des Fidèles
le 18. Avril
ÏI94' TVT^^^ avons les Pocfies de S.
XNI Sidoine Apollinaire en vingt-
quatre Pièces imprimées ordinairement a-
vec les neuf Livres de fes Epîtres. Gas-
pard Barthius dit (i) qu'il a fait paroître
beaucoup d'efprit dans fes Vers, & qu'il y
2l même de l'éloquence Poétique . mais que
c'eft de celle de fon iiécle, qui dégénéroife
déjà beaucoup de l'ancienne par l'atfeda-
tion dont il ufoit dans les allufions fur les
mots & dans les rencontres des noms qui
avoîent de la reifemblance. Le P. Rapin
dit qu'il eft tombé dans l'impropriété en
aftec-
1. Gafp. Barth. lib, 49, Adverfarior. cap. 18. col.
2î^r9- & lib. 57. cap. it. col. 2699.
2. Ren. Rapin, Reflcx 30, fur la Poëtiq. i. paît.
3. Le même, féconde partie des Reflex. particul.
Reficx. xvr.
4. Jul, Gxf. Scaligcr Hypcrcritic. lib. 6. Poctices
pag. iz».
Poètes Latins. 4x9
aifedant de la grandeur d'expreflion , fans Sidoine A-
avoir pourtant le génie de la Poelie(2), poilmaiic»
& il n'a point fait difficulté de dire encore
ailleurs (3), que Sidoine a écrit d'une ma*
niére fort féche 6c d'un fort petit goût.
Néanmoins Jules Scaliger prétend que
c'elt un Ecrivain éxaèt qui elt plein de
mots choilis & de penfées ailes fines qu'il
renferme dauî» un jjyle concis (4), en- quoi
il fait paroître quelquefois un p-u tropd'af-
feélation & d'inquiétude. Mais on ne peut
pas nier que cet Auteur n'ait le llyle rrop
dur, comme l'a remarqué le P. Briet (f) ,
& quelquefois même trop enflé félon Mr.
Borrichius ^6). L'un 6c l'autre trouvent aaffi
à redire qu'il ait inventé divers mots nou-
veaux qui paroiffent un peu choquans , &
qu'il ait fait des fiutes deProfodie, quoi-
que le dernier remarque en lui une érudi-
tion plus que mcd'ocre & plus grande que
fon liécle lèmbloit le foutfrir. Vives avoit
remarqué tous ces défauts long-tems aupa-
ravant tous ces Critiques de notre fiécle,
mais il avoit pourtant dit à l'avantage de la
Poélîe de Sidoine que les vieux mots, les
phrafes dures & obfcures , ne paroilfent
point tant dans fes Vers que dans la Pro-
ie (7).
Au relte on peut compter pour un des
bons
5. Philip. Brict. lib. 4. de Poè't. Lar. pag. 57. an-
te AGutè dift.
6. Olaiis Bouich. Diflertation. 2. de Poct. Latin,
pag. 78.
7. Joh. Ludovic. Vives lib. 3. de ratione dlcendi
cap. de Poëtic. &c ex co Gçi, JoU, YolT, lib. iing.d«
|eët« Lïtiu. pag. éi,
430 Poètes Latins.
Sidoine A- bons effets de la bonne fortune de Sidoine
polliûaiie. Apollinaire, d'être tombé entre les mains,
des bons Critiques, tels qu'ont été Sava-i
ron, Wower, Elmenhorft, mais le plus
important & le plus capable, fans doute,
€ft le P. Sirmond, dont les notes n'ont
pourtant pas rendu entièrement inutiles
celles de Savaron: & plufieurs même par-
mi les étrangers prétendent que l'édition
de Savaron ne cède guéres à celle du P.
Sirmond , quoique celle-ci ait été poflé-
rieure à l'autre (2).
Il eil bon de favoir que Sidoine renonça
à la Poèfie en renon<^ant au llécle: & qu'il
ne fît plus de Vers depuis qu'on l'eût fait
Evêque; ce qui arriva l'an 472. de notre
Epoque, après la mort d'Eparchius,
* C Soi. ApoUîn. Si dont i Opéra yac.
Sirmo/idi cura ^ notis in -4°. Par if.
1652. *
c:^ QUIN-
T. Bibliograph. Anonym. Cur. Hiftorico-Philolog,
I. %. Les deux Livresque Bailler dit ici qu'en at-
tribue à Qiiintus outre les 14. des Taralipoménes,
font deux Livres de as mêmes Faralipoménes , fa-
voir le 12. 8c le 13. que iMichel Neander a donnés
fe'parément fous le titre d'i\/j< ihûa-tasi 0tC\i3L SCi»
dans loa Aweura Opm impiime à Leipllc in-^, i s 77*
Poètes Latins. 431
c^ Q U I N T U S,
De Smyrne , dit ordinairement le CaU^
broïs ^ à caufe que le Cardinal Beflàrion
le trouva en Calabre dans une vieille E-
glife de Saint Nicolas près d'Otrante,
Cet Auteur vivoit vers le tems de Ze-
non ou d'Analtafe.
119^ Ç\ Uintus ou /^C(?/W^ de Smyrne, Quintus.
^«^pour parler félon les Grecs &
les Italiens , compola quatorze livres des
Poralipomenes d'Homère ^ c'ell-à-dire , de
ce qu'il croyoit manquer à ce Poète pour
la pcrfedion de fes Ouvrages. On lui don-
ne encore deux livres à part de la prife de
Troye (i).
Mais le bon -homme s'efl: trompé, lors-
qu'il s'eft crû necclîaire à Homère. Car
félon tous ceux qui nous ont donné des
régies de l'Art Poétique, il efl clair que
riliade eft un Poëme achevé (2) & félon
d'autres même (3) plus qu'achevé, puis-
qu'il devoit finir à la mort d'Heélor où fe
termine la colère d'Achille. Ainiî les Cri-
tiques ont eu raifon de blâmer notre Cala-
brois
La remarque de cette erreur eft duc à Vé\?.Gt 5c la-
borieux J. A. Fabrice 1. z, de fa Bibliot. Grecque
diap. 7. n. 6.
a. Petr. Mambrun Diflertat. Peripatet. de Carm.
Epie, quift. 6. part. i. pag. 375. cdit. in- fol. cum
cjufdem Conitantino.
3. B.. Rap. Compaiaifon d'Homeic & de Virgile
'Sec.
432. Poètes Latin â.
;^intus. brois (3) , qui devoit pour le moins s'atta-
cher à fuivre fon modèle & à prendre Tef-
prit de la véritable Poëfie dans Ton origi-
nal, au lieu de faire THiftorien dans les
Vers comme on le lui reproche (4). Eu
effet quelque naturel qu'il eût pourlaPoë-
fîe, il femble que pour avoir ignoré les
fondemens de fon Art, il n'ait pu venir à
bout de fe faire coniîdérer comme un Poè-
te légitime; & le P. Rapin dît nettement
(f) que s'étant voulu mêler d'écrire la
fuite des Poèmes de l'Iliade & de l'Odyf-
fée, fans avoir aucune ombre de cet air ai-
fé & naturel d'Homère, il n'a rien d'éxacl
ni de régulier.
Néanmoins cet Auteur n'eft point fans
mérite, & quoique fon llyle foit afles bas
& afTés corrompu félon Rhodomannus
(6) , il ne laide pas d'être formé fur celui
d'Homère de l'aveu du même Critique, &
d'être foutenu de quelque érudition. Cons-
tantin Lafcaris étoit pré veau i\ favorable-
ment pour lui (7), qu'il ne faifoit point
difficulté de dire qu'il n'avoit rien trouvé
de plus approchant d'Homère que ce qu'a-
voit fait notre Quintus: Et un Allemand
nommé Freigius a pouffé cette opinion
jus-
5. Lacl. Bifciûla In Horis fubccfîvis &3.
Ludo/. de Caftelvetro Comm. in Poettc. Aiiflor.
Item Anton. Riccobon. lib. de Arte Poct.
Jacob. Mazzoni in Defenf. Dantis Aligh,
Torq.Taffb Difr. ltal.de Pocm. Hcroïco&c. quos
omncs aliofquc citât Laurent. CrafTus de Poct. Grs-
cis Italicè.
4. udeno Nificlli apud cum4, Ciâfl", pag. 437»
♦î8. &e.
Poètes Latins. 433
jufqii'au point de d re que l'on trouvedans Quinwj;
cet Auteur tout le génie, toute Tindullrie
& toutes les bonnes qualités d'Homerc;
de forte qu'on auroit pu prendre Quintus
pour un Homère relTufcité (S).
Mais fans s'arrêter à ces hyperboles ri-
dicules, je crois que c'ell rendre à Quin-
tus toute la jurtice qui lui eft dûë, de dire
avec Mr. Borrichius (9) , que c'efi un E-
crivain qui nVft pas tout-à-fait indigne d'ê-
tre lu, que fon ft}le efl allés net & allés
tempéré, qui n'eft ni trop enflé, ni trop
hardi, ni trop entreprenant, ni trop em-
porté.
* QuÏKii Ccildbri Paralehoynena , id efl
derelîcla ab Homero Ub. xiv. Latine reddi^
ta à LatircKiio Rhodomanno in-S*. Ha4a»
l'iiC 1604. *
(O^COLUTHUS,
De Lycopole dans la Thébaïde , vivant
fous l'Empereur Anallafe, Poète Grec,
1196 "VT O^s avons de cet Auteur un colmhui;
1\| Poëme de l'enlèvement d'He-
Icne. li n'a rien de coufidérable félon le
P.Ra-
5. R. Rap. Rcfl. parrlùr \a Poct. féconde partie
Rçfl. XV.
6. Laurent. Rhodoman. Prxfat. in édition. Quin-
ti Smyrn. Calabri, & alibi.
7. Conftantin. Lalcaris in Giammat. Grâ:c. & a-
pud Laur. Craff".
t. Jean. Thora. Ftcigius Epiftol. przfijc. Quint.
Calabr. edit.
9. Olaiiî Borrichius Difleitat, de Poct. GratC êcc.
rcm.IlLPsrrJL T
434 Poètes Latins.
Coluthui, p. Rapin, le defTein en eft petit, le (lyle
y eft froid & languiflant {i). II femble
même que Suidas Ta coniideré plutôt
comme un Verlificareur que comme un
véritable Poëte (2). Néanmoins on ne
lailTe pas d'y trouver quelque érudition,
fa didion n'eft point trop fade ni trop pla-
te, & on peut dire même qu'elle eft aftcs
ileurîe au jugement de Mr. Bornchius(3).
Guillaume Ganter eftimoît parmi divers
endroits affés beaux celui qui comprend le
jugement de Paris, parce qu'il luiparoifToit
très-élégamment écrit (4). Au refte Go-
luthe a la même obligation au Gardinal
Beiïarion que le Calabrois dont nous ve-
nons de parler plus haut [Voyés l'Article
1197.]^
* Coiuthi Ihîence Raptus^ Steph. Ubeîo
în-8. FrancL 1600. *
^ TRYPHIODORE,
Egyptien , Poëte Grec , vivant du tems de
l'Empereur Anaftafe.
*TïyphIo- 1197 TE me contenterai de dire que cet
dVrc, J Auteur a fait un Poëme fur la pri-
fe
T. Ren. Rapin, Rcfl. particul. fur la Poct. fécon-
de part. Refl. xr.
2. Suidas in Lexico. Vid. & Laur. Crad. de Poct,
Grarc. pag. 123.
%. Baillct s'efl imagine' que Ver/îficator employé
dans la traduftion Latmc de Suidas pour exprimer
le Grec iTrcTctic étoit un terme de mépris, ne lâchant
pas que proprement iTOTo<ôc lignifie un Poète Héioï-
que & que Suidas n'a donné à Coluthus le nom
<i'Ï7r9?rtt6ç que parce que le Poëme de cet Auteur eft
ca
Poètes Latins. 435
fe de Troye , & que le rapport qu'on lui a Tryphîo.
trouvé avec le fujet que Quinte de Smyr- doic%
ne a traité, a donné lieu aux Critiques de
le juger avec lui. Ce qui a paru d'autant
plus commode qu'on a remarqué prefque
les mêmes qualités & les mêmes défauts
dans l'un & dans l'autre} & que celui-ci
avoit eu la penfée de continuer & de pcr-
fedionner Homère aufîi bien que l'autre.
Ainli fans m'obligcr à des redites, on peut
voir ce que j'ai rapporté de Quinte , & a-
jouter que Tryphiodore paroît un pea
plus obfcur & plus difficile que l'autre, fé-
lon Mr. Borrichius (5-); & qu'il eft d'un
cara6lcre un peu plus bas & plus groiîier,
félon le P. Rapin dans la féconde partie
de fes Réflexions (6).
* Coluthi HeUnce Raptus Interpr. R,
Perderiero , cum noîis Bcrn. Bertrand}^
Et Tryphîodori Libello de Ilti expuznationt
m-S.'BaJil. ïssS' *
E N-
en Vers Hcroïqufs. Verfîjîcator d'ailleurs n*A de foi
lien de choquant, à moins qu'on n'y ajoute une é-
pithete injurienfe. Cornélius Seveius étoit un bon
verlihctitenr, B:ivius un mi4uvais.
3. Olaiis Bonichius , Differtat. de Poct. Grxc,
pag. 18.
4. Guillelm. Canterus in Commentai, ad Caflaa»
dram Lycophronis &c.
5. Ubi fupra pug. 19.
i. Comme ci-dcilus Rcfl. 15.
T 2
43^ Poètes Latins.
E N N O D I U S,
Evêque de Pavîe {Marcus Feîix "Ennod'ius
Juvcnalts) mort l'an fii. le 17. Juillet
âgé de 48 ans félon le P. Sirmond (i)
& le P. Labbe, qui dit qu'il fucceda à
S. Epiphane l'an 490. de forte que,fui-
vant le calcul de ce Père & des autres ,
Ennodius auroit été fait Evêque à dix-
fept ans. Ce qui ne fe peut, puifqu'En-
nodius avoit agi affés long-tems en qua-
lité d'Archidiacre, & qu'il avoit accom-
pa;:né fon Evêque dans diverfes négo-
cianons comme lui étant fort utile.
Ennodius. ^^9^ TVT ^^^ avons deux livres des
JlNI Poclies de cet Auteur, dont
le derner confifle en Epigrammes. Le P.
Briet dît que c'efl: un Poète tout-à-fait In-
génieux (2) , mais que félon le génie d«
fontems, il a préféré l'ufage des pointes
à celui de la bonne Latinité. C'ed aulTi le
fentiment de Mr. Borrichius (3), qui a-
joute que les Sentences n'y font pas moins
fréquentes que les pointes; mais qu'au
relfe fi Ton veut mettre à part cette affecta-
tion & fa mauvaife Latinité, on ne peut
pas nier qu'il ne fût un bel efprir. Ces Poë-
lîes font à la fin de les Ouvrages, tant de
l'é-
1. Le Pcrc Sirmond rend lachofe encore plus dif-
ficile, difant qu'il aveit été long tcms marie, puis
long tems Diacre avanr que d'être Evêque.
2. Philipp. Briet, lib. 4. de Poér. LdCia. pag. 59.
2. Olaiisijomch,£>i0'ciut,2,dc roec.Lac.p;ig. So.
3, PI).
Poètes Latins. 437
rddîtion du P. Sirmond que de celle du P. Ennadltn»*
Schort. Cell une choie ailés imguliére de
favoir que ces deux favans Jcfuites travail-
loicnt en même tems far un marne Auteur
qu*ils publièrent, celui-ci à Tournai, <5c
celui-là à Paris en la même année, fans
que l'un eût eu avis ou communication de
l'Ouvrage de l'autre, mais celle du P. Sir-
mond efl préférable pour les notes & Té-
xaditude mêine, au jugement du P. Lab-
be (4) v-Sc des autres connoilicurs.
^È^iKodii Opéra ^ 'Jacohi Sirmoyidi in- 8*
Par if, 1642,. *
A V I T E,
De Vienne {Akimus Ecdkhis Avltfts) Ar-
chevêque de Vienne après Ton Perc,
mort Tan 5-23. le 5-. Février,
Il 99 "^TOus avons de cet Auteur cinq Avite.
JlN livres de Poèiie fur l'hiftoirede
MoVfe, que le P. Briet dit être travaillés
& conduits fort ingénicufement (f) : de
forte que fclon lui Avite méritoît d'être ne
dans un liécle plus heureux. C'a été aulîî
la penfce de Gafpard Barthius & de Mr.
Borrichius. Ce dernier n'a point fait diffi-
culté de dire (6) que c'ell un Poète fort é-
légant, & qu'on a lieu de sVtonner que
ce
4. rh. Labb. DifTert. Philolog. de Script. Ecclc-,
fiaft. ad Bellaim. tom. i. pag. 2-6.
5. rhilipp. Briet. lib. 4. de Toët. Lat. pag. 58. an-
tc Acutè didt. Toët.
6. 01;iiis Borrichius , ©iflertation. de Poër. Lat,
pag. 75.
T ^
43S Poètes Latins.
^riUf ce fiécle ait produit un homme qui avoit
la veine ii belle, fi docle & fi facile. Et
le premier jugeant qu'il y a encore beau-
coup d'imperfedlions, a cru pour faire le
bon Protellant, qu'il en feroit quitte pour
dire que les défauts qu'on trouve dans cet
Auteur viennent de l'infidélité des Moi-
nes (i).
Après tout il faut reconnoître que
nous avons encore au Père Sirmond l'o-
bligation de nous avoir délivré de la mau-
vaife foi du Dodcur Gagné (2), qui avoit
fait glifler plus de 5-00. vers de fa façon
parmi ceux d'Avite (3).
* Sanéiî Av'tti Opéra Jacohi Sirmondi
în-8. Parif, 1643. — Ejujdem Foèma--
ta. ♦
B O E-
y. Gafp. Bâithius Jib. 10, Advcrfar cap. 16. col.
z. %. Il s'appelloit en François Jean Gaigny.
Son nom cft ainfî écrit au titre de la Traduftion du
Commentaire de Primaûus lur S. Paul , faite par ce
Doftcur, & imprimée l'an is^o. à Taris.
|. Jac, Sixmond pracf. in Alciraum.
Item.
Poètes Latims. 439
BOECE ou BOETHIUS,
{4 ni dus M.inlîus Sevcr'-nus Boèth'ius)Qoïi''
fui fcul Pau 5-10. mort à Pavie Tan 5'24.
le 23. jour d'Oilojre, deux ans avant
Ibii beaupcre Symiiiaque, par les ordres
de Theodoric ou Thierri Roi des Gots
en Italie.
1200 /^ E que ce grand homme a fait de ^^ece,
V->vers, eil inleré dans fes cinq li-
vres de la Confolacion. Sa Profe n'e'tant
pas fort excellente, fcmble avoir contri-
bué par fes ombres à relever l'éclat de fa
Poélie, que Jules Scaliger ne fait point
difficulté d'appelier divine. Il préiend qu'il
n'y a rien de plus travaillé & de plus poli
que fes vers, ni en mt3me tems rien de
plus grave (4) , que la multitude des Sen-
tences ne retire rien A fes beautés, ce qui
eft alTés rare , & que fes pointes & fes fub-
lilités n'empêchent pas qu'il ne foit tou-
jours naturel 6: ingénu.
Les autres Critiques n'en ont pas jugé
beaucoup moins avaiîtageufement. Erafme
avoué (5) qu'il é[oit allés bon Poète, &
que fes vers font pafîables. Jofeph Scali-
ger n'y admctto't point tant de modifica*
lion, il dilbit à fes Ecoliers (6) que Boé-
ce
Item Lrtbb. Differt. Critic. ad Bellarm. de Vii.U-
luftr. tom I.
4 Jul. Catf. Scalig. Hypcrciiiic. feu lib. 6. Poctic»
pag. 82$.
5. Def Erafm. in Dialog. Ciceronian.
6. %. Joleph Scaliger n'a jamais eu d'Ecoliers ni
€a Fia;icc, ni en Hollande, à moins qu'où n'appcl-
T 4 le
440 Poètes Latins.
socce. ce eft un excellent Poète fans reflriction
(i), & qu'il imire la phrafe & les manières
qui étoient en ufa^e à Rome du tems de
Néron. C'a été auffi le fentiment du P.
Briet (2) qui enchérit encore fur les autres
Critiques, difant que fa Poélie elt digne
du bon fiécle. Ce qui fe doit entendre de
toute autre chofe que de fa Latinité, que
Val la n'a point eu rai Ton de nous propofer
comme un modèle de pureté (3), puifque
nous fommes tropperluadcs qu'il faut met-
tre une grande di{tin6l:on entre le llyle de
Boéce & Ion bel efprit , fon érudition , fou
induûrie, fa fageilè, & fes autres excel-
lentes qualités. oO* A-
Ic les écoliers les perfonnes qui lui rendoicnt vi^te
pour avoir l'honneur 6c leplaifir de fa converfation.
Pendant ion lejour en France, comme il dcmeuroit
ches Mefïîeurs de la Rochepoze', Veitunien Méde-
cin de cette maifon ayant louvent l'occafion de le
voir , fit en fon particulier un recueil de plufieuïs
chofes dignes de remarque qu'il lui avoit ouï dire.
C'cft dequoi a été compofé le ScuH^crana frima, où
il eft dit que Boi':ljius tot-^.j fe^endus ejf , magnus (jm'pfe
Philofophus 5 ir Poi'ta tximiHi , phrujln Neroniani tentpo-
ris imitans.
I. Jofeph. Juft. Scaligcr in primis Scalig. pag 30.
z. Phil. Briet. iib. 4. de Poët. Latin, pag. 59.
5. Jul. Seal g. iteium ut fuprà.
%. C'eft tout le contraire. Laurent- Valle 1. (5. de
l'élégance de la Langue Latine chnp;3 4. entrcpiei.d
de faire voir que Boëce, tout Latin né qu'il étoit
ne favoit pas parler Latin :/y«/c homim "Howar,» ojf en-
dam 'Romane lajut Jiefcire. Sa raifon eft que Boëce ex-
plique perfona par fubj}an:it>.y au lieu de l'expliquer
^zi (jualitas. ]1 difpute foit au long contre lui, ôc
conelud qu'il nous a, en parlant de cette manière,
appris à parler en barbares : nos iarbare locjui dacuiti.
C'eft à quoi Jule Sc^.liger faifant alluflon a dit a-
grçablcment; VaJU docet eum LiHinè loquiy at VnUam
Bai-
Poètes Latins. 441
G^AGATHIAS,
Poëte Grec , natif de Myrine ou Sehafîo-
pôle ^ en Eolide dans TAfie mineure,
aujourd'hui Marhani : Scholaftique ,
c'elt-à-dire Avocat à Smyrne du tems^
de JuQinÎjn.
1201 /^Et Auteur a eu la réputatioiï Agathia^^i
Vjd'un des meilleurs Poctes de
fon fTécle. Je penfe qu'il ne nous reile de
fes Poëlîes que quatre-vingr & une Epi-
grammes (4), qui font répandues dans les
Li'
Boïthiutf l>ene fajrere. Liurent Valle apprend à Botce à
pitrler L'it-'n, mais Boh'ce apprend à Laurent Valle à être
fa^e. Baillet par une allés plaifante équivoque %
cru que ^'alU doctt eum Latine tocjni ^ fignifioit : Law-
nnt Valle prouve (jue Bo'Jce parle lien Latiti^ d'où il s'en»
fuivroit qu'<:f ValUm Bo'cthiHs bene fap're y fl£,nifieroit:
^I^is Ba'ire prouve (jue Laurent ''aile tjl bien ja^e. Tout
moi ie fuis peifnade que l'ignorance dont L:iurent
Valle accufoic Boece en matière de Larin ,fc reflrai-
gnoit dans le fonda quelques mots, & à quelques
phrafes, puifque dans la Trcface de fa DiaïcAique il
dit, par manière d'sloge, parlant de lui qu'il efif
eruditor-t/n ultimnSf pour donner à entendre qu'il lui-
jcftoit encore quelque goût de la bonne & ancienne
érudition, à peu près comme Cremutins Cordusap-
peloit dans Ion Hiftoive Brutus 5c CalTius l^nna^io-
rnm u'ti/nos, parce que dans le tcms que la liberté
Romaine étoit perdue ils en avoient retenu l'efprir.
4. %. On pounoit y en a'outer huit, tirées de la.
Collcftion anecdote d'Agathias, dont le manufcriC
a été transféré de la Bibliothèque Palatine à celle
du Vatican, mais dont il y a nombre de copies en-
tre les mains des curieux. Daniel Heintius a tra-
cfuit en vers Lat'ns deux de ces huit Epigrammey
qu'il a inférées avec leur verlinn page 6i8, ôc âiz*
de fes loties, édit. in- 12. 1649.
T 3
44i Poètes Latins.
AgatUias. Livres de l'Anthologie, & dont Vulca-
nius a foit un Recueil qu'il a publié avec
rhiftoire du même Auteur. Jofeph Scali-
ger paroît en avoir fait bien du cas, puif-
qu'il s'eft donné la peine de mettre en vers
Latins celles qui font dans le feptiéme Li-
vre de l'Anthologie, Doufa & Vulcanius
en ont fait autant de quelques autres. Ce
dernier témoigne qu'il aimoit les Pointes,
les Sentences, & le (lyle fleuri (i).
Il avoit fait encore un Poème appelle les
Daph'/îiques ou Daphniaqnes , qui étoit
rempli de galanterie & de quelque chofe
de pis (2), mais je ne fâi s'il a vu le jour
-depuis l'invention de l'Imprimerie.
A R A T O Pv.
Zilgtirien^ Soudiacre de l'Eglife Romaine,
né l'an 490. vivant fous Juitinien,mort
vers le milieu du fixicme llécle.
Arator. 1202 f^Et Auteur a mis les Actes des
VJ Apôtres en vers Hexamètres,
dont il lit deux Livres qu'il préfenta au
Pape Vigile le fixiéme d'Avril félon Au-
bert
T. ïonaventur.'. Vulcan. feu Snik Prolegom. ad A-
gath.
2. Loienzo Craflb de i.Toct. Grzc. p. 12. V. 8c
Suidas in Lexic.
51 L'O'Jvragc compofé en vers hexamètres e'toit
divifé en 6 Livres L'Auteur en fait mention au
commencement de f ai Hiftoire & dans TEpigram-
me s%<î)vtAKcëv (ô;C>i«v rap[>ortéc 1. 6. de l'Antholo-
gie c, 9. Cet Ouvrage n'exiftc poiat,
|. Tu], Cxfi Scalig. Ia fççu
Poètes Ïj a t i h s. 44^
bert le Mire, ou le /jxicmc de Décembre Aratoz,
félon TritthciTie & le P. Labbe Tan 5-43.
Les Critiques ont juge' que cet Ouvrage
eft fort élégamment écrit par rapport au
fîécle où il vivoit , que l'emploi qu'il y a
fait des allégories eft fort agréable, à cau-
fe des fleurs cSc des autres beautés dont il
les a accompagnées (3) , qu'il a de la faci-
lité , & qu'il elt allés châtié ; mais qu'il n'21
pu tout-à-fait fe garantir des imperfedions
de fon fiécle (4).
Arator avoit fait aufTi des vers fur l'E-
vangile & fur quelques fujets particuliers
qu'on n'a point encore dércrrés, hors une
Lettre en vers Elégiaques à Parthenius,
que le P. Sirmond a donnée.
C O R I P P U S, (5-)
Le Grammairien , furnommé Crefconîus
félon quelques-uns , Africain , vivant
fous l'Empereur Juftin le jeune.
^2.03. T^T Ous avons de cet Ecrivain u- coiippaj,
X^ ne efpéce de Poème Latin di-
vifé en quatre Livres à la louange de Jus-
tin
Mich. Juftinian. de Scriprorih. Liguiib.
4.. Olaiis l'.oirich. Difleit. de PoeT. Latin, pag. 82,
Vidcnd, & Tritcnem.
Aub. Mir. BelUrm. Labb. & alii paflîm.
5. %. Après avoir mis CORIPPUS au deffus en
Capitale, il faloit au bas mettre en caraftcie plus
mcn\l FUvius CrcfisutHS Conppui, africain yGrarfinuii-
rien , vivant (lus fErnpertur Ju;tin le jeune. Cela au-
roit été plus jufte, & mieux lié. Il m'a paru qu*oa
dcvoit diie Cori^pm Granimainm , paisc ^tt'il ièfa-
444 Poètes Latins,
Çorrppus. jjj^ Yl, du nom Empereur de Conftantîno-
pie en vers Hexamètres. L'idée que les
Critiques nous donnent de cet homme,
eft celle <a un grand flateur ^ d'un petit
Poète. Tout ce qu'on dit de plus à fon fu-
jet, fe peut rapporter à quelqu'une de ces
deux mâchantes qualités. La première rend
afTés croyable tout ce qu'on a publié de fa
légèreté, de fa vanité; de fa paiTion aveu-
gle, & de fon indilcrétion dans la diflribu-
tion du blâme & des louanges. La fécon-
de n'a pas befoin d'autres preuves que cel-
le que nous en donnent fes méchans vers,
fa dureté, fon obfcurité , fa profodie vi-
cieufe & la mauvaife Latinité.
Vofîius eftime qu'on ne devoît pas 6ter
des éditions poftérieures les argumens
qui étoîent à la première, parce qu'il les
croit fi anciens, qu'il ne fait pas difficulté
de les donner à Corfppus-méme comme à
leur véritable Auteur.
* Corippiis A fr te anus , de Laude 'Jufl'mi
ÂHguftt Minoris carminé, l'ib. iv. m-^.Ant'
nerp. 15-81. Idem. cnmComm. Dsmp"
Jleriia'S. Parif. lôio.
FOR-
fclcroit (1 on difoit le Grammairien , quM y auioit eu
plus d'un Corippus.
- Galpir Barthius lib. 9. Adverfaxior. cap. 12. col.
436.
Nicol. Alamann. Praefat. in Procop. Cacf. lib. p.
fc. Anccdor.
Pivlipp. Biiet.-lib. 5. de Poct. Latin, pag. 61. an-
lè Acuiè did.
Olaiis Bonickiiis Dlilçitatioi}. 2. <k fecr. Lat. pag.
Poètes Latins. 445*
F O R T U N A T,
{p^enantius îlonorius ou Honoratus Clemeii'
tianus Fortuyiatus) né dans la Marche
Trevilane , Evcque de Poiriers, mort
vers le commencement du feptiéme lié-
cle.
1204. TT^Ortunat eft un des plus fmpor- portunat.
J7 tans d'entre les Poètes de l'An-
tiquité Chrétienne. Nous avons onze Li-
vres defesPoélTes diverfes tant en vers Ly-
riques qu'en Elcgiaques;& quatre de la Vie
de Saint Martin en vers Héxamérrcs , fans
parler de quelques fupplémcns & de diver-
fes Pièces qu'on dit être encore manufcri-
tes dans les Bibliothèques.
Gafpar Barthîus qui femble s'être fait le
Panégyrille des Auteurs du moyen âge, a
témoigné en pluiîeurs endroits qu'il étoît
charmé de la beauté de l'efprit de ce Poè-
te. Tantôt il dit (i) que c'étoit un génie
extraordinaire, & que la veine étoit beau-
coup plus heureufeque les malheurs de fon
fiécle femb'oient ne le pouvoir fouffrir :
tantôt il allure qu'il faifoit toute la mer-
veille
S), ubi tamen Corippam vocat Foctaxn non igno-
bilem.
G. J. Voiïîus de Hiftoric. Latin, lib. 3. cap. j,
pag. 74 S. 749.
Idem Voflîus lib. Cngul. de Poër. Lat. pag. 6é.
«<c.
I. Gafpar Barthius Adverfaxior. lib. 46. cap. ^,
item ex co.
Fhilipp. Biiec. lib, ;. de Toëtis Latin, pag. 62, aor
le Acutè di^,
T 7
44<5 Poètes Latins.
Foitunat. 'vcille du lems & du pays où il vivoit,mais
que ni l'un ni l'autre n'étoient pas ailes
bons juges de fon mérite; qu'il auroit dû
paroître dans le bon liécle, c'ell-à-dire fur
un Théâtre digne de lui (i), & qu'il a eu
moins d'honneur d'avoir été le premier de
ceux de fon tems , & d'avoir pu fervir de
modèle à ceux qui font venus après lui (2).
Mais comme ces éloges pourront paroî-
tre outrés à ceux qui ne fongeront pas à
faire la diilinction d'un bon Ecrivain des
iiécles corrompus & barbares d'avec les
médiocres Auteurs même des liécîes heu-
reux ; il vaut mieux n'y avoir ooint d'é-
gard , & croire que Fortunat s'eilimeroit
plus honore d'avoir un rang honnête par-
mi les médiocres xVuteurs du bon fiécle,
que de fe voir à la tête de tous ceux des
(iécles miférables , où les belles Lettres
fembloient être difgracices.
On peut donc dire que Fortunat auroit
même été eilimé parmi ces premiers pour
la facilité mervtilieufe qu'il avoit à faire
* des vers. En eftet Brouwerus témoigne
(3) qu'il les faifoit ordinairement fur le
champ , fans effort , fans méditation , &
fans étude. Cela fuffic,dit cet Auteur,
pour faire voir combien il avoit l'efprit ai-
le & heureux pour ce genre d'écrire. Car
quoi
1. Barthius iterum ac tertio lib. 5. Adrcifarior.
cap. 12. 6c alibi in eodem Opère.
2. Idem in Commearar. ad Claudian. pag. 3. ôc
tx. eo G. M. Konigius in Bibl. V. & N. pag. 314.
G. ]oh. Voflius lib fing. dePoct, Lât. pag. 66. fed
ex eodem Baith» Advcif. Op.
Poètes Latins. 447
quoi qu'on ne puliVc pas dire qu'il y a beau- Foitunit
coup de fes vers qui foient parfaitement
beaux , quoi que plulieurs même ne valent
rien, quoi qu'il ait auffi de roblcurîté, &
beaucoup d'endroits fardés, il ne laifle pas
d'être quelquefois afTcs Heuri ôr allés rem*
plid'agrcmens, fur tout lorfqu'il fa t quel-
que defcription Géographique qui efl l'en-
droit où il a coutume défaire mieux valoir
fon talent.
Il ne s'efl pas foucié d'éviter les fautes de
quantité, non plus que les autres Poètes
Chrétiens qui abandonnant la gloire de
cette éxaditude aux Profanes de la Genti-
jité, ont eu grand foin d'acquérir celle de
la retenue & de la pudeur que ceux-là a-
voient prefque généralement abandonné.
Au rede Fortunat n'a point été du nom-
bre de ces fcrupuleux qui craignoient d'u-
fer des termes du Pagan]rme,& d'employer
les noms des Divinités fabuleufes, dans un
tems où il n'y avoit plus rien à craindre
du côté de la faufle Religion. Et les Poè-
tes modernes n'ont pas manqué de tirer a-
vantage de cet exemple de Fortunat pour
autorifer leur pratique en ce point , fc
^croyant d'autant plus en fureté de ce côté-
là , qu'ils font encore plus éloignés que
lui de ces tems où les Gentils regnoient
dans le monde (4). * f^c
Item Voflîus in libris ds Hifloricis Latinis ubi de
Vita S Martini.
î. Chriftopiior. Brower. S. J. in VitaFortunatîprac-
fix. cdit. Cirminum ejufd. cap. 4. pag. ij. 14. Vid,
& qui de Script. Ecclellafticis,
4. Daniel Heinfms DiffçHiicioo, pro lûfâûticida
Tiagœd. pag. 105, 10^,
44^ Poètes Latîn?.
Fortunat. * VenanUt Honorïi Clemcntiani Fortunci"
tl Carm'rrîum l'ih. is^ de Vit a S. Murti^i y.
Pur if. 1624. — EjiiJ'dem Carmimim^ R-
pijlolarnm CST Kxpofitionurn libri xi. cum
nous Chr. Bro jjeri in-J^. Mogunt. 161 7.
MzVRTIANUS CAPELLA,
(^Min. Fdix i^c.) Africain, &c.
Mârtianus 1 2.05'. 1\^T E mérite prefque pas le nom
capeiia iN de Poète', & comme je Tai
mis parmi les Pnilolbphes an Recueil des
Griti4ues Grammairi;.'ns, je Ibuhaite qu'on
aille y chercher les ja^em^^ns que j'ai rap-
portés (lit foa Ouvrage des Noces de la
Philologie au nombre 289.
J'espère d'un aurre côté qu'on me
difpeiifefa voloiitiers de rapporter ici cette
foule de pitoyables Verimcateurs ou de
Poètes fauvages qui ont occupé la place
des bons Ecrivains à la faveur des ténèbres
répandues fur la République dcfs Lettres,
depuis le fèpticme ficelé jufqu'à la fia du
treizième. Je me contenterai donc de par-
ler fuccindement d'un petit nombre d'en*
tre ceux qui ont paru avec quelque diilinc*
tion.
* Martianns Camélia ^ de Nuptiis Phiîo"
fi-
T. f. Voflius page il. de Ton livre des Poètes
Grecs dit ciue des 3000. vers de Piddes il n'en refte
effectivement que ios8. mais page 277. de (es His-
toriens Giecs ilrrOLivoit que le nombre qui reftoit
de ces vers éroir de lîSo. Frédéric Morel qui dans
foa édition a pr;s loin de les chiffrer de dix en dix
u'cu
Poètes Latins. 449
fopblt feu Ph'doUtgt.c ^ Mercurii , ^c. Martianua
CHm Notis Hugonis Groùi in'S.Lugd.'Bat. Capelia.
1599.
O^ GEORGE PISIDES,
Ou de Pifidie , Diacre de Gonflantinople,
Bibliothécaire & garde des Chartres de
la même EghTe , vivant du tems de l'Em,-
pereur He'raclius.
1206. 1 L ne nous refte de toutes les George
1 Poe lies de cet homme que mille fiû^ies,'
quatre-vingt-huit vers de THéxaèrneron ou
de la Création qu'il avoit écrite en 3000.
ïambes (i). Cafaubon faifoit cas de fa ver-
llfication , il rappelle même un Poète é-
Icgant, & dit qu'il avoit de la piété (2).
■ * P'tfid.€ de MuTidi Opificio Gr. Laft
Morelli in- 4. ejufque Typts, 15S4. *
^ JEAN TZETZES,
Pocte Grec, frère d'Ifaac le Commenta-
teur de Lycophron , vivant en 1 1 70. &c.
1207. T 'Hiiloire mclée dont il nous a Jean Tzcm
L# donné treize Chiliades eft é- "5,
crite en vers livres qu'on appelle ordinai-
re-
n'en a compte c^nt 1J79.
Ger. ]oh. Vofl, de Hiftor. Gratc. lib. 2. cap. 23,
pag. 277. 27«.
Idem cap. 9. de Pocr. Grzc. pag. 82.
2. If. Cafaubon. Comment, in Athenxi Dipn««
foph.
Laut. Craff. de Poct. Grâce, pag. 262. ItaL
45'0 Poètes Latins.
Jeun Tzct' rement Politiques ou Populaires ^ mais ils
^®'" ne font pas du genre des ïambes , comme
plufieurs femblent l'avoir crû.
Nicolas Gerbelîus Ion Commentateur
prétend(i)que ces vers ont tant d'élégan-
ce , de netteté, & de facilité, qu'ils ne
peuvent manquer de donner du plailir à
leurs Ledeurs , pourvu qu'on ait feule-
ment une légère teinture de la Langue
Grecque. 11 ajoute qu'on y apperçoit par
tout un fond de do6Îrine qui n'étoit pas
commune, qu'on y trouve une abondance
& une variété de chofes qui eft fort belle.
Il mêle les maximes de la Morale aux
exemples des faits Hiftoriques avec un ar-
tifice également utile & agréable. A dire
Je vrai, il ed fujet à beaucoup de répéti-
tions; mais il diverfifie ii bien la manière
de les faire, que cela paroît toujours nou-
veau.
On ne peut pas nier que Gerbelius n'ait
un peu traité fon Auteur comme ces Sculp-
teurs de l'Antiquité Païenne, qui après a-
voir fait une Idole prenoient l'encenfoir,
pour fatisfaire l'afteâion qu'ils avoient
conçue pour l'Ouvrage de leurs mains.
Effe6livement les autres Critiques qui
n'ont pas eu les mêmes liaifons avecT^et-
ies que Gerbelius , n'en ont pas jugé li
a-
1. Nicol, Gerbelius Praefat. in Tzetz. Hiftor. Po-
lit le
2. Ohiis Boriichius,Diflcrtat. dcPoct, Graec. p<ig.
28. num. 67.
3. fl. Je penfe avoit remarqué fur l'article S>i.
après Ménage que ce ii'cft pas Héiaclide du Pont
qu'il
Poètes Latins. 4^1
avantageufement , & Mr. Borrichius n'a Jean Tzet-
point fait difficulté de dire (2) que les Sa- ^"'
vans ont averlion du farte & de Tarrogan*
ce qui paroît dans le ftyle de Tzetzes , &
qu'ils ne peuvent fouffrir tant d'inutilités
fades & dégoûtantes qui font répandues
dans fon Ouvrage.
On a encore imprimé à Baie quelques
Epigrammes Grecques de ce T2et2es,avec
quelques compofitions d'Héraclide du
Pont (3) [/■»-/(?/. 1646.]
* Joan, Tzetz, Poëma de Alîegoriis ,
Gr. Lat, cum Nous F. MorelUin-'è. Par if,
1616.
C PSELLUS, PLANUDES,
Anne Comnene, Pachymere, &
les autres Verfiticateurs Modernes de la
' Grèce.
'1208. ¥ Es fréquentes calamités du
L bas Empire de Conftantinoplc
contribuèrent beaucoup au ralentilTement,
ou pour mieux dire à l'extindllon de la
chaleur Poétique dans les Ecrivains de la
Nation Grecque. Cette difgrace a été fui-
vie de la perte qu'on a faite de la belle ca-
dence, & du mépris de la véritable mefurc
des
qu*il faloit dire, mats de Pont, & que de plus le
livre traduit par Gefner fous le titre des Allégories
d'Hoinére, ne peut être de cet Heraclide, y ayant
plufieurs Auteurs cités qui lui font poftericurs de
plus d'un fiecle. Il faut voir Ménage fur LaciCC
pa^e zz6. de ion. Commentaire, dcin. édit.
45'2. POETES Latine.
des V^ers qui paroît dans pluileurs des der--
nîers Poètes Grecs. C'elt ce qui a fait di-
re à Léon Allatius , que les Mufes de
tous ces Grecs poftérieurs n'ont eu aucu-
ne grâce , ni aucuns charmes, qu'elles
n'ont eu au contraire rien que d'atîreux ,
de rnftique & de grotefque : en un mot
qu'elles n'ont point parlé le langage des
hommes, mais le jargon des anirnaux (i),
Pfellus. On pourroît néanmoins faire une excep-
tion en taveur de Michel Pfellus, qui vi-
•vôit un liccle avant ce Tzetzes dont nous
avons parlé plus haut, parce qu'ayant fait
un fort grand nombre d'Ouvrages, foit ea
vers ïambes, foit en vers Politiques, on
juge que, parmi beaucoup de chofes mé-
diocres, il s'en trouve quelques-unes as-
•fés noblement traitées , & d'une manière
digne d'un liéclc plus heureux.
Anne Pour ce qui eft des V^ers d'^Ân^^e Cormit-
Comnene. ne ^ comme ils compofent l'Hiftoirc qu'el-
le nous a donnée, je croîs pouvoir remet-
tre la chofe au Recueil des Hidoriens.
G.Pachy- Je ne dirai rien des Vers de George Pa-
"^c'c- chymere^ tant parce qu'ils ne font encore
que MSS. dans les Bibliothèques, que par-
çe qu'au jugement du même Allatius, ils
font 11 durs & fi barbares , que ce fcroit
faire un gain conlîdérable de les perdre
pour toujours.
Pour
1. J*eo Allatius Diattib. de Georgiis corumquc
fcriptis, pag. ijz. edit. in- fol,
2. Ger. Jok. Voflîus Jib. de Poëcis Graecis pag.
ta.. 84.
i. f. Sigcbcrt mort > comme on fait, l'an iii:l.
avant
Poètes Latins- 4^3
Pour Maxime Planudes qui vivoit au Planudcs,
quatorzième lîécle, il ne pafle pas à la véri-
té pour un grand Poète , en ce qu'il a produit
de lui-même : mais on lui a l'obligation
d'avoir confervé les Epigranimes des An-
ciens, & d'avoir fat des trois collections
de Meleagre , de Philippe, & d'Agathias
une Anthologie en fept Livres, après en
avoir retrajiché lesEpigrammes qui lui pa-
roiiloient trop puériles , ou qui renfer-
moient des obfcénités trop grofîiéres.
C'ell au moins i'opiniou commune des
Critiques (z).
* Kp'igrammatumGrxcorumllhri vn.per
Maximum Planudcm {ut dtcttur^ cum Scho-
lus Grxcis CfT Annotatio'/Jibus y oh. BrodicI^
^ y me. Obfopai Iff Heyir. Stephani in- fol.
Franc of. 1600.
G U N T H E R E, (3)
Poète Latin , que Sanderus, Sandius &
quelques autres prétendent n'être pas
diîîcrent duBénédidin d'Elnone de mê-
me nom, vivant en Tannée 1160. fous
Frédéric iBarberoulfe.
1209. T E L'tgurm de Gunthere eft un Gumhcrc.
JL/ Ouvrage également Poétique
& Hillonquc, mais je ne parlerai ici que
de
ayant chap. 167. de viris HUtlrîbHs fait mention de
Gunt!)erus Moine de S- Amand , au Monaftcic dit
auparavant d'Elnone, en ces termes: Gim htrmMi-
tyic/jHs S. ^rmndi fciipfn M^^Drium S. Crri'aci , metrf
c» Jijlo. Voflius page 74, dç fcs pQCtcs Latias a eu
4^4 Poètes Latins.
Gunthcre. de la partie qui fait à mon fujet, réfervant
Tautre pour le Recueil desHiftoriens d'Al-
lemagne.
C'eft unPoëme en dix Livres fur les ex-
péditions de Frédéric I. dit BarberouiTe ,
[jn-fol. à Baie 1569.] il lui adonné ce nom
à caufe qu'il a voulu décrire principale-
ment ce que Frédéric a fait dans le Miia-
nez qu'il appelle toujours la Ligurie.
Les Critiques conviennent que Gunthe-
re efl un Poëte de grand génie, de beau-
coup de feu , qui faifoit trop d'honneur à
un tîéclc dont le goût n'étoit pas afTés fin
pour favoir faire le difcernement de fon
mérite (i). Outre ce grand talent qu'il
avoit pour laPoèïie,il avoiteu foin de cul-
tiver fon ftyle & de le rendre afTés élégant
pour donner de l'agrément à fes vers, <5t
Mr. Borrichius dit (2), que Ç\ on a égard
au tems où il a vécu , on doit reconnoître
que fa diction efl magnifique , & que fa
compofition ell favante.
JEAN'
lâifon de conclurre de là contre Sanderus $c Swccr-
tius, que ce Guntherus ne pouvoir êfre l'Auteur du
Toëmc intitulé Li^u/i nus y éfJ^nt mort avant Sigebert,
au lieu que l'autre Guntherus, ayant pris pour le fu-
jet de fon Poème les grands exploits de l'Empereur
Frédéric l. en Italie jufqu'en 11 60. a nécelTairement
vécu »u-delà. C'eft un Poète merveilleux pour le
tems ,8c j'ignore (ur quoi fe fondent ceux qui difent
qu'il étoit Moine.
I. Jan. Douza ia Prxfar. altéra Annal, latavic.
carminé fcript.
Ger, Joh, VofT. Hiftor, Latin, lib. 2. cap. 53. pag..
*''■'''■ Idcml
POETES Latins. 45*^
JEAN DE HANTWILLE, (3)
Anglois, viVant à la fin du douzième fié-
cle, Moine de Saint Aloan ou Albayn,
mais demeurant à Paris; furnommé Ar*
chithremus à caufe de foa Ouvrage ,
comme Gunthere a été appelle Liguri^
nus par Baronius.
1210. /^Et Auteur eO: un de ces beaux jean de
V-^ efprits du moyen âge , qui fe Hantwillc,'
font heureufement élevés au defTus de la
barbarie & des autres calamités attachées à
l'ignorance de leur lîécle. Ayant quitté
fon pays pour venir fe former & fe perfec-
tionner à Paris félon la coutume de ces tems-
là , il s'appliqua uniquement à la Poclie,
& il y réuiîlt. Jean Pitfe dit (4) que fon
talent particulier étoit de favoir accommo-
der fon efprit & fon Ityle à la qualité des
fujets qu'il avoit à traiter; de forte que, fé-
lon lui , il imitoit fort bien la gravité de
Virgile dans des matières importantes &
éle-
Idcra lib. de Poët. Latin, pag. 74.
Giiipar Barrhiub in Advcrfariis.
2. Olaiis Borrichius Differt. fecunda de Poët. Lat,
pag. 88.
3. %. Joannes Hantvillenfis que Gyraldus, & a-
près lui Voflius nomment mal Naiituillenlîs , en
quoi Voflius ne fe louvenoit pas que dans Tes Hifto-
xiens il l'avoit mieux appelé Joannes HantiviUcnlîs,
five Haîitwillenfis.
4. Joan. Piifcus de Script. Angl. ad ann. izao.
pag. 267.
Chiiftûph. Sandius Not. & Animadvcif, in Vo£
liift, Lat. pag. 321.
45'<5 Poètes Latins.
Jean de élevées , la douceur & la facilité d'Ovide
Haiitwillc. dans les médiocres , à il avoir quelque
choie du Tel d'Horace dans fes pièces fati-
riques. Il parloir le mieux Latin de Ion
fiécle, & il avoir une élégance, qui bien
que tbrr inférieure à celle des bons
Poètes de l'Antiquité , ne laiflbit pas d'a-
voir beaucoup d'éclat parmi ceux de fon
tems.
On a de lui un Livre d'Epîgrammes, &
un de Poèiies mêlées; mais le principal de
tous fes Ouvrages Poétiques efl: le célèbre
Archithre'/te (i). C'eft un Poème divifé
en neuf Livres, à qui il a donné ce nom
Grec à caufe qu'il commence par déplorer
la mifére de l'homme , & il le préfenta à
Walther ou Gualthicr deCoutancex\rche-
vêque de Rouen , qui tint le fiége depuis
11S4. jufqu'en 1207.
Cet Ouvrage a été loué par des Criti-
ques de prefque toutes les nations de l'Eu-
rope , par Jean Louis Vives en Etpagne
(2) , par Jean Rav. le Tiffier en France
(3),
1. %. Cette e'tymologîe é^ir/} & de 3-fîtyoc qu'il
a tirée de Voflius n'cft pas la véritable, car l'Auteur
lie commence pas fon Ouvrage par déplorer la mi-
fére de l'homme. 11 s'eft nomme ^Archithrenius ,
comme qui diroit Archi-Jéremie , parce que comme
lui-même le déclare dans fon Frologue, il déploie
en toute occafion la défauts du genre humain.
2 Joh. Lud. Vives de Difcipl. trad. Sec,
3. Ravifius Tcxtor ôc alii.
% Jean T'xier Sieur de \avi/i, fuivant la remarque
de Ménage tom. i. de l'Anti-Baillct chap. 3;. pag.
115.
4. Conrad. Gerncr, lu Bibl. & JoC Simler in Epi-
tome Biblioth.
$. Joh^ Meuif, Milccll. Lac^l,^. c, 17. Hc,
Poètes Latins. 457
C3), par Lilio Gregorio Giraldi en Italie, jean rfè
par Conrad Gcfner en Allemagne, & J*- HamwiUè.
iîas Simler en Suille (4), par Jean Mcur-
fius (y) & Gérard Jean Vollius en Hollan-
de (6) , par Erycius PuteanuS) aux Pays-bas
Catholiques (7), par He6tor Bocthius en
Ecollè, par Jean Bâle & Jean Pitfe en An-
gleterre (S). Ils conviennent la plupart
que le llyie en e(t fort bon, & pur même
pour le tems auquel ce Poète vivoit; que
c'ert un Ouvrage piein d'une érudition tort
diverliriée;& que l'Auteur y cenfure les dé-
Véglemens des hommes tort agréablement-,
fort iniiénieufement & fort dodemcnt.
Hugues Legathe Moine Bcnédidin de
faint Albayn, qui vivoit en 14:0. l'ayant
trouvé dans Ton Monaftére deux cens ans
après la mort de Ton Auteur, fut lî char-
mé de fa lecture , que dès ce moment il
renonça , dit Pitlè, à tous les autres L*-
vres , pour faire de celui ci l'objet de tes
études & de toutes fes méditations , étant
perlùadé qu'il y trouvoit toutes chofes. Cet-
te
6. J. Voir. dcHift. L l.î p 78^.784.
Item lib. 2. de Hift. Lat. pag. 421. ubi fâlfb putâ-
vit efle Joh. Saiibberienl.
% Il a tort, auflî bien que Sandius, de repren-
dre Vofïïus d'avoir cru que Jean de Saliiberi étoit
l'Auteur de l'Archirhrenius. Vollius, quand il î'a
falu, a bien fait voir qu'il ne le croyoit pas, mais
il a rapporte modcftcment ce qu'cii croyo t Erycius
Puteanus fon ami alors vivant, dont par cette dou-
ble raifon il n'a pas voulu marquer plus ouvertement
Terreur.
7. Erycius Putean Ccntur. 2. Epîft. 84. ad D el-
hemium &C.
8. Baleus de Scriptor. Angl. & Pitfeus iu LegatO
nd ann. 1400. pag. 568. num. 727.
TomdlI.Pari.IL V
4jS Poètes Latins.
Jean de te paiTion toute irrcguliére qu'elle paroît,
liantwille. f^^ ^^ moins utile au Kublic en une cho-
fe, qui fut de produ re des Commentaires
de fa façon fur l'Archithrene (i).
On pourroit former deux difficultés,
l'une fur la matie're,& Tautre fur le nom-
bre des Livres de VÂrchithrene , fi l'on
s'airêtoit a la manière dont quelques Cri-
tiques en ont parlé. Gefner & Simler (2)
ditent que l'Ouvrage à qui l'Auteur avoit
donné ce nom, conrenoit les Antiquités
ou rHiftoire d'Angleterre en vtrs^ & ^\
nous eu croyons Voffuis . ces deux Cri-
tiques ajoutent qu'il étoit en feiy.e Livres.
Si cela étoit, nous ferions obligés de con-
clurre que ce feroit un Ouvrage tout diH
férent de celui dont nous avons parlé,
quoique tous ces Critiques reconnoilfent
que c'ell celui-là même q^ii porte le nom
à^ ArcfDthrenius^ 6: qui l'a fait porter ai.iîi
à fon Auteur Mais il u'efl pas împoffible
' \\^(^. Gefner & S'mler n'ayant peut-être
jamais vu le Livre fé foient trompés tou-
chant fa matière, puilque ! itfe Ecrivain
Angloîs nous afTure que c'cft un Ouvmge
de pure Morale , contenant ces vSatires
& des Cenfures très feveres contre les vi-
ces. Et quant au nombre des Livres de cet
Ouvrage , il ell vrai que Vofilus nous
aiTure qu'il a lu dans la Bibliothèque de
Gcs-
T. ^. Ils n'ont i^ma's été imprimes , non p!is
queceux dontpuncErycius Putcanus Cejitut. 2. tpift,
34. ÔC 84. riiijfuuy/i. 2.
2 %. Gefner n'en parle point du tout, C'eft Sim-
Icx
Poètes Latins. 45-9
Gefiier at>rcgce par Sîmler, qu'il y en Jean de
a ici'/x. Mai<> il faut que VofTius ait lu '^*"^*'i'«'
une autre cdiiioii de cette Bibliothèque
abrégée que celle de Zuricn de i*an lyj'y.
ou qu'il ait mal lu cet endroit. Car dans
cette édition qui ell la preniicre & peut-
être la moins, corrompue , quoique la
inoins avantagcufe des trois qui ont paru
chés Frofchover, on lit 6. Livres au lieu,
de 16. marqués en chiffre Arabe ou Bar-
bare , de forte que félon ce calcul il ne
reliera plus qu'une faute légère d'impres*
iion qu'il efl aifé de corriger , en difant
que ce 6. ell vcritaolement un 9. renver-
fc qui eft le nombre des Livres de VAr-
çhithroie marque par l.s Bibliothéquaires
Anglois Bâle & Pitfe.
C'eft une conjeôlure que j'ai eu lieu de
confirmer, depuis que j'ai eu la commo-
dité de voir un exemplaire de V Archahre-
ne ^ de l'édition qu'en fit Badius Afcen*
fius à Paris l'an ij'iy. de forte qu'on ne
peut difconvenir que Simîer ne fe foit
trompé au moins pour la matière de l'Ou-
vrage, en fuppofant que la faute qui ell
dans le nombre des Livres vient de l'Im-
primeur.
jo-
1er fcul , qui f-ins fondement a donné cette idée de
l'Ouvrage, puifqu'cxcepté. qi;eK]ues Fables Angloi-
Ics rapportées fur la fin du cinquième Livre, & au
comir.Ciicemcnt du fixiémc, tout le icfte ne legai*
oe rtliltoi.e d' Angleterre ni près ni loin.
V i
460 Poètes Latins.
JOSEPH d' I S K E ,
Ou Kacr Iske , dit aufil d'ExceQer au
Comîé de Devoii . prèb de cette pointç
méridionale de l*Angleterre, qu'on ap-
pelle la Province de Cornwall ou Cor-
nouaille, vivanc fur la fin du douziè-
me liécle & au commencement du fui-
van t.
Jofeph 121 1 f^ Uelque chofe qu'on ait pâ di-*
d'uke. V^ re ci-devant des facultés Poë-
^^îîques de Jean de Hantwille,
on n'a point laiilé de faire paffer ce Jo-^
feph pour le Prince des Poètes des Ifles
Britanniques (1). dont ce (idcle fut affés
abondant. On le diftinjî,ue ordinairement
par le furnom de Devor^ius à caufe de fa
naîiTance au pays des anciens Damno-
niens, ou par celui àUfcanus à caufe de
fon éducation au pays des Cornubiens.
C'étoit un Ecrivain fort difert , habile
en Grec & en Latin , mais fes Pocfies
font prefque toutes fur des fujcts profa-
nes & de galanterie. On en peut voir la
lifte dans BâU & dans Pitfe (2).
Le principal de fes Ouvrages eft celui
de la Guerre de Troye en fix Livres,
publié pour la première fois à Baie par
Albanus Torinus, & qu'on a vu courir
eu
1. Gérard. Joh. Voff. de Hift. Lat. lib. z. cap.
5«. pas 45 0.
2. Joh.
I
Poètes Latins. 461
en Allemagne fous le nom de Cornélius Jpftph
Nepos. Oq ne peut nier que Ton flyle '^'^*^^'
n'ait de la pureté, de l'élégance & de la
poiitclTe, au moins par rapport à l'état de
ces tems-là. Mais il a mieux aimé traiter
ce fujet en Hillorien qu'en Poète, il s'efl:
étudié fcrupulcufement à féparer les Fa-
bles Poétiques d'avec les faits qu'il a
crû véritables ; & faifant profefîion de
paraphrafer rhifioirc de cette guerre, qui
couroit fous le nom de Dares le Phry-
gien, il dit nettement qu'il n'a point voulu
fuivrc Homère, parce que c'eit un men-
teur.
GUILLAUME LE BRETON,
Vivant vers l'an iiif.
iiii 'VTOus avons de cet Auteur un Guillaume
jLN Ouvrige en Vers Latins ap- ^* Bicton*
peîlc la Phil'tppide , contenant l'hiftoire
de Philippe Augufte en douze Livres.
Douza prétend que ce Poète n'a pafle
Gunthere que par le nombre des Livres
de fon Ouvrage, & que celui-ci a le des-
fus pour l'élocution & pour la difpoii-
tion (3). 11 ajoute que Guillaume femble
avoir diminué quelque chofe du prix de
fon Ouvrage plutôt faute de génie, que
par le défaut de fa matière, qui lui four-
nifToit
2. Joli. Pitfeus tie Script. Angl. ad. ann. 1210. &c«
3. Jaiius Douza Nordovix Fracfat. alter. A^na^L
Bati«,Yiç, Carm. Script,
V3
462, Poètes Latins.
Guillaume niflbît un fonds alTcs riche pour pouvoir
IcBieton. yje'uffir.
Birthius dfc pourtant (i) qu'il étoît un
des plus fâvans hommes de Ton fiécle, &
que (î an veut lui ô:er de certaines taches
qui viennent moins de lui que de la né-
-ceiïité commune de ces teins-là, il pas-
fera aifément pour un Poète admirable.
Il le préfère mcme à Gualterus de Chatii-
lon dont nous allons parler (2) , tant pour
le jugement que pour le véritable efprit
Poétique.
* Il fe trouve dans le Recueil des His-
toriens de France de Pithou, donné par
Freherus imprimé in-fo'îo à Francfort
15*96 GuiîUrryi'i Britunis Armort^
et Phîlip^.dos lîbn ^l.five Gefta PhiH[>pi
Régis Francis.
PHI-
Ger Joh Voilîus de Hflor. Latin, lib. 3. pag.
70s. TcS. ord. ilphab.
1. Ga.'p. Barth. Adveifar. \\>. 43. cap. 7. coj.
Î5>40.
2. Idem Barthius lib. s>. Advetf. cap. 11. col. 434.
4Î5.
}, %. Il faloit dire : ^t* ccmmencement du xni.
fiécle^ car il cft fur que TAlexandieïJe eft dédiée à
Guillaume a.ix blanciies mains, transfeié de l'Ai-
chevêche de Sens à celui de Reims en 1177. 6c mort
l'an 1202.
4 %. Gautier Evêque de Maguelone étant mort
ï'an 1133. le 13 Décembre la fupputation de Baii-
let auroit été plus jufte, s'il avoit dit que cet Evê-
que de Maguelone vivoit quelque zo. ans avant que
f Auscui. 4e l'AlcjiiUidiéïde fût ne.
5. H. U
Poètes Latins. 463
PHILIPPE GUALTHER,
Ou Gautier de Chatillon , natif de Tlfle
en Flandre, vivant au milieu du trei-
7,ii5me fiéclc (3) que pîulleurs Critiques
ont confondu mal à propos avec GuaW
ter Evcque de Maguelone en Langue-
doc, qui vivoit près de 150. ans aupa*
ravant (4).
1213 /^ Et Auteur a compofé un Poe- rhîiffpe
V^ me des actions d'Alexandre le ^u^iltiier.
Grand en neuf livres (f) qu'on appelle
ordinairement l'Alexandreide. Henri de
G.md dit que cet Oa?ra;;Te étoit en fi
grande confidcration de fon tems , qu'il
avoit fait tomber les plus excellens Poè-
tes de r Antiquité des mains de tout le
monde, & qu'on ne lifoit plus que lui (6).
C'ed tout ce qu'on pourroit dire encore
au-
S ^ Il y en a dix. "Rp-illet qui n*en compte que
neuf , s'en eft fié à Vcflîus qui n'en compte pas da-
vantage. DAu.aiius dar.s uns ds Tes Letties à Kciné-
fius pag. 223. voulant relever cette meprifr a don-
né lieu à une autre qui eft aHes particulière. H
aroit apparemment écrit : Galttrus non ix. (ti x.
fi-ripjït libros ^lexandreïdas. Mais co.Time on lit dans
l'édition GalterHS non IX. fed x. feculo fcrip/ît lihrss
^lexAndre'idos , Sandius a pris de là occaûon de re-
procher à Daumius fa fauiïe critique , & de fjire
voir que Voflius b.en loin de placer Gautier au neu-
vième fiécle, l'avoit très - clairement. £c dans fes
Hiftotiens , 5c dans fes ïoetcs Latins, placé au
treizième. Le mot r^f«/# prCté à Daumius par l'im-
ptimeur , a été caufc de tout ce mal entendu.
6. Henr. Goëthals Gandavus iu Catalog, Vil, ii-
lufti, cap. ic. ou U s'en plaint.
V 4
^64 Poètes Latins.
Gu'aifhcr. ^W^^^^d'hui au deshonneur de ces fiécles ,
dont le goût ne pouvoit être plus cor-
rompu. Il faut avouer avec Barthius, Vos-
fius , Borrichius & les autres Critiques,,
que Gualtber a fait paroître qu'il avoit de
l'efprit, de la ledure 6c quelque habileté,
& qu'il parloit des moins mal de fou
tems (i). Mais on peut dire que cette
préoccupation pour le mérite de ce Poè-
me n'a jamais éré générale, non pas m.ê-
me du tems de Henri de Gand. Car Alain
de VIÛQ n'a point fait difficulté de le qua--
liiîer dès lors de méchant Poëte, & de le
compirer à Msvius (2); difant qu'il eft
tombé dans des obfcuriiés & des embar-
ras où il s'eft trouvé pris dès le com-
mencement, malgré les vains efforts qu'il
avoit fait pour s'en tirer, ^ les reproches
dont il avoit chargé fa Mufe pour l'avoir
abandonné fi-tôt (3).
En eu et les Critiques modernes ayant,
examiné l'Ouvrage fur les régies de l'Art ^
jugent qu'Alain de riils a eu grande rai-
ion de s'oppofer (i judicieufement au mé-
chant goût du (lécle. Douza dit (4) que
quand on Ta lû une fois pour fatisfaire
fa
Ger. Johan. Voff. lib. fing.dc Poët. Lat. pag 74-
Vidend. & Chriftophor. San^us Not. ScAnimad-
vcif. ai Voir, de Hift. Lat. pag. 167. 168. 169.
Sammarth. GaU, Chriftian. Petr. Lambecius tom.
2. Bibl. Vindob Cxfar. cap. 6.
r. Gafp. Barthius lib. jr. Adverfarior. cap. 10. Se
apud VofT. de Poet. Lar. pag. 75.
2. %. Cette injure ne demeura pas impunie. Un
Neveu de Gautier de Chatillon en vengea fon 0n-
dç pai; CCS (içuji yii$, le faifam ftiufi pailei:
GALr
1
Poètes Latins. ^6f
fa curiolité, c'ed perdre fon tems de vou- Philippe
loir le relire. On peut ajouter qu'il cii Guaithcr.
mcme niVés inutile de le lire une pre-
mière fois, fi on a égard à fes imperfec-
tions Car outre l'ignorance des régies
de l'Art Foctique qui lui t(ï commune
avec la plupart des Poètes qui ont paru
fur le Théâtre du monde depuis l'Empire
de Néron , c'ell un Auteur fans juge-
ment félon Barthius, Borrichius & Vos-
fius. Il entaffe toutes chofes f^ns choix
& fans difcernement, il e(l plein d'affec-
tations puériles , de fubtilités fchoîafti-
^ues , qui pour l'ordinaire font imperti-
nentes , de badineries étudiées, d'exprès»
fions inïifitces non feulement aux bons
Auteurs , mais encore aux Ecrivains de
fon tems , fans parler des fautes de quan-
tité, & de cette imitation fervile qui pa-
roît en plufieurs endroits de fon Ouvrage,
& qui nous fait affés connoître que c'eft
en cela que confiftoit prefque toute la
perfeélion de ces liécles où l'on croyoit
être trop difTimulé lorfqu'on ne produi-
foit pas tout ce qu'on favoit tout à Ii
fois (5-).
Bar-
GALTERUS ALANO.
Mxviits immerr'to y Te judice , dictr y ^Une.
Juciict me Bavins dicerisy at mtrito,
3. Ahiniis de Infulis in Anti-Claudiano, & apud '
Barth. VolT. 5c Sa;id.
4 Joaii. DouzA rnfit. altéra in Batavic. Annad,
Cauuiiie.
S- Barthius ut fupri. Idem Olaiis Borikhius Dis-
fçit. de Foët. Lat. pag. %i.
^66 Poètes Latins.
ïBiUppe Barih'us a fait ailleurs le parallèle de ce
Cuiiithcx. Gualiher avec Guillaume le Breton. Il
dit que Gu:ilther eft un pitoyable Verli-
ficateur auprès de Guillaume, que celui-
ci ne s*amui"e pas comme l'autre à de
froides & de bafles allulions, ni à de fot-
tes rencontres de mots comme fait Gual-
thcr ; qu'on trouve dans Guillaume le
Breton uHe facilité de flyle ailés naturel-
le , de bonnes Sentences & peu d'affec-
tation dans un grand favoir; au lieu que
Gualther n'a rien que de contraint , peu
d'érudition, mais beaucoup de préfomp-
tion: en un mot, il met peu de perfon-
nes au deflus de Guillaume , & peu au
deflbus de Gualther (i).
* Gualth. Ph'iL de- Ca-leltone Aie x an-
dre'îs , feu de Aîexandri Mngni Ge/hs
Carmen heroicum in -4. Argent. I5'4I.
•■ £a: editione Athanaf. Gagger. in- 12.
Vlmce ISS9'
ALAIN
De rifle, dit le Cvnvers^ de Dofteur de
Sorbonne , devenu Frère lii de Cis-
teaux , mort en 1294. (2) furnommé
le Dodeur Univerjel.
Il
1. Gafp. Baith. lib. 9. Adveifarior. cap. ir. col.
434 435.
2. %. C'eft la dite marquée dans les fix vers de
fon Epitaphe qui fe lifent au Cloître de i'Abb;iyc
de Ciiciux. Mais k ftyle de l'Epitaphc doune li'U
de
Poètes Latins. 4^7
121 4 I L a fait une efpcce de Pocme ^!*^* ,
I hcroïqne en ntuf Livres contre '^^ ^ ^
le Rurin de Claudien , qu'il a appelle
pour cet effet Ânti-Clandten. C'elt un
Ouvrage très-dodle & très curieux au ju-
gement de Dom Charles de WiL'ch(3),
qui ajoute qu'on en faifoit tant de cas
dans les liécles paifcs , que non feule'i ent
on le traduilit en François, mais qu'A-
dam d^ la B iflee Chanoine de l'ifle un
des p'us lavans hcMTimes de fon tems en
fit un abrégé en tort beaux vers Birthius
dit (4) que pour la Poétique comme pour ,
le relie il br>llo!t prelque feul au milieu
de l'oblcurité de Ion liécle Mais il ajou-
te qu'oî» ell encote réduit aujourd'hui à
demander ce qu'il a voulu dire dans cet
Ouvrat^e On y trouve beaucoup de pen-
fces guindées , dans lefqueres on voit
régner ordinairement un double galima-
thias en ce que non feulement il ne s'eft
pas rendu intelligible à les L^edcurs ^mais
que probablement il ne s'entendoit pas
lui-même. C'efl un chaos prefque impé-
nétrable. On y voit pourtant allés clair
pour y reconnoître un caraclére de vrai
Sophide , qui a voulu mettre en ufage
toures les fupercheries fcholaftiques. Ce
font de grands riens enveloppés dans des
obs-
de douter que cet Alain ponr qui elle a e'ré foitc
foit l'Auteur de l' \ati C'audien.
3 Carolus Vifchius in Bi'oliotii. Ciftircienfl pag,
14 15.
4. GaÇo. Barthius Advcrfar. lib. jj. cap. i. pag,
»47 3. 24-74-
4^8 Poètes Latins.
Alain. ODfcurités recherchées , au travers des-
deTifle. quelles on devine qu'il a voulu parler de
la Providence contre Claudieii, qui avoit
fait femblant d'en douter dans Ion Ru*
fin (I)
Son (lylc eft conforme à fa matière , il
n'a point de régie , point de méihode,
point d'uniformité; il ert embaralfé, obs-
cur & tout-à~fait irrégulier ; il elt infu-
portable par TâfFedation des figures &
des fleurs dont il ne fait point ménager
l*emp oi. Après tout on lui trouve l'es-
prit vif, hardi, fubtil , aifé & agréable
même, & qui auroit fait des merveilles
avec un peu plus de jugement & de cette
Critique dont ces deux derniers iiécles
ont été éclairés.
* Antt' Cîaudianus Poèta ^ Libri ix.
Carminé Mvyho'jai^sTûLV uftiverfam ^ mul*
tas tes d'fvinas ac humanas compleéientes
in 8. Bafîl. 15-36.
I. S^pe mi ht dubiam traxit fenttntU tnenfem
Curarent Superi , &c. Claudian.
2- Olaiis Borrichius Dilftit. de Poer. Lat. pag.
'tcfij Barth. iterum.
Fm de la Seconde Partie
du T'orne IIL
I
La Bibliothèque
liversité d'Ottawa
Echéance
qui rapporte un volume
a dernière date timbrée
us devra payer une amen-
:inq cents, plus deux cents
laque jour de retard.
The Library
University of Ottawa
Date due
For failure to return a book on
or before the last date stamped
below there will be a fine of five
cents, and an extra charge of two
cents for each additional day.
. I
n^
'^M
f.-^
"^f
ï^n-.
i'!^-