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Full text of "Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs"

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JUGEMENS 

DES 

S  A  V  A  N  S 

SUR    LES 

PRINCIPAUX    OUVRAGES 

DES    AUTEURS, 

PAR   ADRIEN  BAILLEr-, 
Revus,  corrigez,  6c  augmentez  par 

Mr.    DE    LA    MONNOYE. 

NOUVELLE  EDITION, 
TOME    TROISIEME, 

SECONDE     PARTIE, 


-n^-^^^-  î^VvtA'» 


Pag.  1. 

JUGEMENS 

DES  SAVANS, 

SUR    LES 
PRINCIPAUX  OUVRAGES 

DES  POETES. 

SECONDE     PARTIE. 

Contenant  les  Poètes  Latins  depuis  les 
Guerres  Puniques,  &  quelques-uns  des 
Grecs, jufqu'à  la  renaiilance des  Lettres, 


De  quelques  Anciens  Poètes  T'ragiques  ^ 

Comiques ,    doKt  tl  nous  rejîe  des  Frag- 

mens» 

iM.LIVIUS  ANDRONICUS,à 

la  tin  de  la  première  Guerre  Punique. 

iCN.  N.î:VIUS  mort  à  U tique  (au- 
jourd'hui Bizcrie)  en  la  144.  Olympia- 
de, Tannée  que  Scipionpalia  en  Afrique. 

3Q.  ENNIUS  né  l'an  5i^deli  Ville 
de  Rome,  mort  Tan  5-86.  ou  585-.  en 
rOlympîade  15-3.  fous  le  ConfulatdeQ. 
Marcius  Philipp.  &  deCn.Servilius  C«- 
pion,  comme  dit  Ciceron.  *  *  /«  arw»^ 

à"  de  Se- 

*  ^  3^  ^^1^^^  Ivius  Andronicus  '"<^*^'« 
eli   conlideré  comme    le 
premier  de  tous  les  Poè- 
tes Latins»     La  première 
pièce  qu'il  fit  fut  repre- 

fcntée  en  la  première  anutfe  de  la  135".  O- 
jQm.llLFartM*  Ar^^  lym- 

_. .  hk:a 

taviens'î3 


%'iv.  An- 
dronicus. 
Sept  ans 
devant  la 
naiiTancc 
de  Caton 
Tancien, 
fclon  Ci- 
ceron,  de 


a       Poètes    Latins. 

lympîade  ,  l'an  5'i4.  de  la  fondation  de 
Rome,  fous  le  Confulat  de  C.  Claudius 
Centon  fils  de  l'aveugle,  &■  de  M.  Sem- 
pronius  Tuditanus,  l'année  d'après  la  pre- 
mière guerre  Punique,  un  an  devant  la 
naiflance  d'Ennius,  240.  ans  devant  no- 
tre Epoque  vulgaire,  22 r..  ans  devant  la 
mort  de  Virgile,  &  félon  le  calcul  d'Agel- 
lius  ou  Aulu-Gelle  ,  160.  ans  plus  ou 
moins  depuis  la  mort  de  Sophocle  &  d'Eu- 
ripide, &  environ  52.  depuis  celle  deMé- 
nandre  (i). 

Les  Cenfcurs  de  ce  Recueil  ne  me  vou- 
dront peut-être  point  pardonner  cette  efpe- 
ce  de  digreffion  qu'ils  jugeront  être  un 
peu  éloignée  de  mon  fujet,  s'ils  la  confi- 
derent  toute  feule  ;  mais  on  les  prie  de  re- 
marquer qu'il  n'ctoit  point  hors  de  propos 
de  fixer  l'Epoque  de  la  Pocfie Latine, pour 
donner  lieu  au  Leâeur  de  porter  fon  ju- 
gement fur  la  naiffance,  le  progresse  la 
perredion  de  cette  Pocfie, qui  ne  fut  à  fon 
période  que  plus  de  deux  fiécles  après  An- 
dronicus. 

On  a  donné  le  nom  de  Tragédies  &  de 
Comédies   à  fes  Poèfies  ;   mais  quelque 

plai- 

1.  A.  Gcll.  SoGt,  Atticar.  lib.  17.  cap.  »i, 
Vid.  &  Voir,  de  Poét,  L:U.  lib.  fing.  p  j. 

2.  Cicero  in  Bruto.    Item  Tufculan.  qu.  r, 

%.  Ciceron,  dans  l'endroit  cite,  immédiatement 
•près  avoir  dit  que  du  tcms  d'Action,  de  Nicoma- 
quc ,  de  Protogenc,  ôc  d'Apellc  Ja  Peinture  avoit 
atteint  fa  perfeftion,  ce  qui  n'etoit  pas  du  tems  de 
Zcuxis,  de  Polygnotus  &  de  Timanthc,  ajoute  qu'il 
en  eft  ainfi  généralement  de  toutes  cbofes .-  nihit  eji 
tnim  fimul  à  inventum  à"  perfe£tnm.  Enfuite  dequoi 
avant  que  d'en  venir  à  Livius  Andronicus,  il  pailc 

4ci  f  o«tç«  qu'il  Cuf  ptflc  aroù  pi:c«f (il  Hvmcxe, 


Poètes    Latins.        j 

t>lai(ir  qu'on  prît  alors  à  les  chanter  ou  à  lît.  An- 
ies  reprefentcr,  il  faut  avouer  qu*elles  é-  diomcm. 
toient  encore  fort  brutes  &  fort  groffiéres. 
C'ell  à  fon  fujet  que  Ciceron  (2)  dit  que 
les  chofes  ne  peuvent  point  avoir  leur  pcr- 
fedion  dans  leur  naillance  ;  &  Suétone 
rappelle  un  demi  Grec  (3)  ,  pour  mon- 
trer peut-être  que  Ion  langage  étoit  dou- 
blement barbare. 

Mais  il  ne  nous  eft  relié  de  fes  Ouvra- 
ges que  quelques  fragmens  qui  furent  im- 
primés à  Lyon  en  1603.  puis  à  LeyJe  en 
1610.  par  les  foins  de  Sfnverius ,  avec  les 
noces  &  les  corredions  de  f^ajins.  On 
y  a  joint  ce  qui  nous  eft  refté  des  Tragé- 
dies &  Comédies  de  Naevius,  d'Eiuiius, 
de  Pacuvius,  d'Attius  &  de  quelques  au- 
tres anciens  Po;  te?.  M  lîs  c*elt  une  erreur 
de  croire  qu'il  ait  écrit  l'Hiftoire  Romaine 
en  vers ,  &  ceux  qui  ont  avancé  ce  fait 
font  pris  rour  Ennius.  (4). 

a  N;€vius   6t  auiïi   diverfes   Pièces  Nxriui. 
dramatiques,   dont  la  première  fut  repre- 
fentée  Tan  fie;),  de  la  fondation  de  Rome 
(5"),  qui  félon  la  remarque  d'Aulu-Gcllc 
fut  auifi  celui  du  premier  divorce  qu'on 

eût 

3.  Suetop.  lib.  de  Illuftrib,  GtAmmar. 

4.  Diomcd.  lib.  >.  Gramniatic.  5c  alii  poft  illum. 
il.  11   faloit   citer  ici  Vollîus  Inflit.  Poct.  lib.   i, 

psg.  9.  Baillet  le  cite  plus  bas:  mais  pour  enten- 
dre ce  qu'il  veut  dire  il  faut  recourir  \  l'endroit  que 
f  ai  marqué  de  Voffius. 

j.  %.  Aulu- Celle  qui  fuit  cette  fupputation  1.  ij, 
t.  2!.  en  ;ivoIt  luivi  une  autre  1.  4  c.  3  où  il  dit 
<\uc  ce  fut  l*an  523,  fous  le  Confulat  de  M.  Aitilius 
Jk  de  P.  Valerius.  Mais  alors  ce  ne  feroit  ni  en  523. 
niensjp.  puifquc  c'eft  en  526.  que  les  Faftcs  Ca- 
pitolins  marquent  ce  Conlulat. 

A  2 


Kievîus. 


sniuus. 


4        Poètes    Latins. 

eût  jamais  vu  à  Rome  jufqu'alors.  (i) 

Il  fît  auffi  rHiftoire  de  la  guerre  i^uni- 
que  en  vers  ,  mais  fans  diUiiidlion  aulTi 
bien  qu'Ennius  ;  de  forte  que  c'ell  à  C. 
Odavius  Lampadion  que  l'on  devoit  la 
divifion  en  fept  Livres,  qui  en  avoit  été 
faite  dans  la  fuite  félon  Suétone  (2)  ,  com- 
me Varguntejus  avoit  fait  la  divifion  de 
l'Ouvrage  d'Ennius  en  dix-huit  Livres. 

La  Poe  lie   de  Naîvius  étoic  compofée 
de  vieux  vers,   qu'on  appcUoit  S iiturfiie»s 
«ufTi    bien    que   ceux    d'Andronicus   (3). 
C'eft  ce  qui  avoit  fait  croire  à  Ennius  qu'il 
pouvoit   les  railler  ,   &  fur  tout  Naevius- 
qu'il  releguoit  parmi  les  Faunes  &  les  Poè- 
tes Sauvages ,   à  caufe  de  l'irrégularité  & 
de  la  dureté  de  fes  vers.   En  quoi  Ciceron 
a  jugé  qu'Ennius  étoit  blâmable  d'autant 
plus  qu'il  y  avoit  une  efpece  d'ingratitude 
a  ne  pas  reconnoitre  publiquement  com- 
bien l'Ouvrage  de  Nasvius  lui  avoit  été  uti- 
le pour  compofer  le  lien. 

3.  S  I  nous  voulions  même  nous  arrê- 
ter à  la  Critique  de  Volcatius  Sedigitus^ 

qui 

î.  Cîccro  in  Bruto  feu  de  Clar.  Oratorib.  Item 
Petr.  Scriverius  in  Prolcg.  ad  Fragm.  Trag.  Enn.  6c 
aliorum. 

Gcr.  Joan.  VofC  lib.  i.  de  Hift.  Lat,  cap.  2.  pag.  6.  7. 

Idem  lib.  iîng.  de  Foëtis  Latia.  &  Initit.  Foëcic. 
lib.  j.  pag.  9. 

a.  Sueton.  Tranqu'I.  lib.  de  llluft.  Grammatic. 

j.Volïîus  prétend  contre  Villomare  ou  Scaliger,que 
Livius  Andronicus  avoit  fait  des  vers  héroïques.  Gro- 
Cppus  ou  Scioppiuidit  la  même  chofc,mais  on  croit 
qu'il  y  a  faute  au  mot  de  Livius  pour  hnjus  ou  pouc 
Ènnius. 

4.  y*l«at.  Sedigicus  apud  A.  GcUium  lib.  x;.Noft. 

Atr 


Poètes    Latiks.       s 

qui  a  fait  en  treize  vers  le  jugement  des  Enniu», 
dix  principaux  Poètes  Comiques  des  La- 
tins, nous  ferions  oblige's  de  préférer  Nœ- 
vius  à  Ennius ,  puifqu^il  met  Nxvius  au 
truiiiéme  rang,  &  qu'il  ne  donne  que  le 
dernier  à  Ennius.  (4) 

Mais  pour  fa'rc  voir  le  peu  de  folidité 
qui  fe  trouve  dans  ce  jugement  de  Sedigi- 
tus,  il  fuffit  d'alléguer  l'autorité  de  Cice- 
ron,  qui  reconnoîr  qu'EsNius  efl  beau- 
coup plus  accompli  que  Naevius  (5-), 
quoiqu'il  eût  pris  beaucoup  de  chofes  de 
lui,  félon  le  mcme  Auteur. 

Ennius  étoit  très  perfuadé  lui-même  de 
fon  propre  mérite;  car  fans  parler  du  mé- 
pris qu'il  témoîgnoît  avoir  pour  les  autres 
Poètes  fes  contemporains,  il  a  crû  devoir 
fe  féliciter  lui-même  de  faire  des  vers  ca- 
pables d'échauffer  les  cœurs ,  &  de  porter 
le  feu  jufques  dans  la  mouelîe  des  os  (6). 
Effeétivement  c'étoit  un  Poète  de  grand 
génie  (7) ,  au  jugement  de  Ciceron  &  d'O- 
vide même ,  qui  ajoute  néanmoins  qu'il 
n'avoit  p>'int  d'art.  (8) 

£»• 

Attic.  cap.  24.  ubi  de  Poetis  Comicis. 

5.  Ciccro  in  Bruto  ut  faprà;  uU  Ait  N*vio  Ennîum 
mului  ddert  y  Sxvio  'ujarAtum  Jî  nf^Aret  y  ab  e# /«wp- 
Jîje  Jï  fat  fret 'r. 

6.  Ennius  de  Te  ipfo  apud  Nonium  Marcel,  voc. 
fropinarcy    «k   Mid.i'.l-t:i.'. 

7.  Oration.  pro  Munna  c;in.  14. 

Idem  Cicero  \c  Ennio  pnflnn  honorific.  mention, 
hiibet  ut  Ac:idem.  quïft.  lib.  i.  de  Finib.  lib.  i. 

Item  de  Oratore  Ib.  3.  non  femel  ôc  lib.  1.  cju{- 
dcm  operis  de  Oratore  non  femel  5cc. 

8.  Ovidiui  2.  Triftiura.  Itciura  lu  i.  Ajnoi,  de» 
gia  1$. 

A  l 


Snnius* 


6       Poètes    Latins. 

EriHiUS  ingenio  waximus ,  arte  rudis. 

Ce  fentiment  a  été  embrafle  pârplufieurs 
des  Critiques  modernes,  mais  la  plupart 
reconnoiiïent  qu'il  a  recompenfé  ce  défaut 
d'art  par  la  vivacité  de  fon  efprit,  par  cet- 
te force  &  ce  feu  divinement  infus  dans 
-fcm-imagination  (i),  lequel  lui  a  fait  faire 
des  versians  favoir  les  règles  de  la  Poéti- 
que :  &  félon  la  remarque  de  Cundîdus 
Hefychius  (2),  il  a  fait  v&ir  en  lui-même 
la  différence  qui  fe  trouve  quelquefois  fort 
réellement  entre  les  effets  de  la  Nature  & 
ceux  de  l'Art  dans  une  même  tête. 

C'efl  peut-être  ce  feu  &  cet  enthoufiaf- 
me  qui  a  porté  Horace  à  nous  le  reprefen- 
ter  comme  un  beuveur,  &  qui  lui  a  fait 
dire  que  jamais  il  ne  s'étoit  mis  à  faire  de 
vers  qu'il  ne  fut  dans  le  vin  (3):  &  quoi 
qu'Ennius  ne  vécût  pas  d'ailleurs  dans  le 

lié- 

1.  Candid.  He^chius  in  Differtat.  Godcllus  aa 
locta?  cap,  z.  pag.  75. 

a.  %.  Le  P.  VavaflTeur  contre  Antoine  Godeau  E- 
^êque  de  Graffe. 

3.  Horat.  lib.  i.  Epiftohr.  Ep.  19.  v.  7. 

4,  Idtm  Ib.  2.  Epiftol.  Ep    i.  ad  Auguft,  vcrf.  50, 
S    Jof.  Seal,  in  priorib.  Scalig.  pag.  jt 

6.  %.  C'eft  dans  le  Pn/na  ùcultierana  au  moi  En- 
ni'As.  Je  rappoiterai  le  paffdge  ciirici  pour  y  faire 
une  COrre6lioa.  Etnias  P/cta  antîijMuj,  t/ia^ufiio  itt- 
genio.  Vtina.m  httnc  haieremui  inttz.rH'n  ,  ir  amifijfemut 
ZiMcanum ,  Statium,  Silium  halicum^  fie  tOUS  ces  t'4r- 
fons'là.  Je  crois  qu'il  faut  lire  G<t'f#nt ,  pour  mar- 
quer la  différence  du  ftyle  narurei  d'Ennius  au  ftyjc 
enflé  de  Lucain,  de  Stace  ôc  de  Silius,  (ur  tout  de 
Lucaiii  Se  de  Stace.  Scaliger  au  reltc  en  difantjplût 
à  Dieu  que  nous  eudlons  ^nnius  entier, Se  que  nous 

euflions 


N 


Poètes    Latins.       7 

fîécle  depoliterfe,  on  peut  néanmoins  at-  Ennius, 
tribuer  à  cet  emportement  naturel ,  où  il 
ctoit  prefque  fans  cefie  ,  la  précipitation 
&  le  peu  d'exactitude  dont  il  eft  accufé 
dans  un  autre  endroit  d'Horace  (4)  qui  n'a 
point  laillc  de  l'appelier  un  homme  fage, 
courageux,  &  pour  tout  dire,  un  fécond 
■Homère. 

Scaliger  jugeoitpar  les  relies  de  fesPoc- 
(îes  qu'on  a  tâché  de  fauver,  que  ce  Poe- 
le  avoir  le  génie  grand  &  élevé  (5'}  :  &  ii 
préteudoit  que  (1  nous  l'avions  entier, 
nous  nous  pafierions  fort  bien  de  Lucain, 
de  Stace  ,  de  Silius  Italiens  (6)  &c.  Il 
ajoute  que  Virgile  avoit  fait  beaucoup  de 
profit  dans  la  leélure  de  fes  Ouvrages ,  & 
qu'il  en  avoit  pris  jufqu'à  des  vers  entiers, 
que  ce  Poète  par  reconnoiflance  appelloit 
des  perles  tirées  du  fumier  d'Ennius.  (7) 

Au  refte  il  cù.  bon  de  remarquer  qu'En- 
nîus  a  été  le  premier  qui  ait  employé  les 

Ver* 

«uflions  perdu  Lucaîn,  Stace  8c  Silius,  déclare  par- 
là  qu'il  cftimoit  plus  Ennius  (eul,  que  les  trois  au* 
très  Poètes  eiilcaible,  mais  il  n*cntend  pas, comme 
l'explique  Baiilet ,  que  nous  nous  pafletions  fortbiea 
de  CCS  trois  Poètes  fi  nous  avions  Ennius  entier, 
puisque  non  feulement  il  necontient  abfolumcnt  rien 
ce  ce  qui  eft  dans  Lucain  J<  dans  Stace,  mais  qu'il 
ne  remplaceroit  pas  même  beaucoup  d'cndroitc  de 
Silius. 

7,   Voflîus  Inftitut.  Poëtic.  lib.  |.  pag.  9. 

Item  Fhilipp,  Brietiua  lib.  i.  de  Peëtis  Lat.  pag.  j. 

Via    &  Vit    Virgil.  &c. 

^.  Scaliger  dans  l'endroit  cité  n'ajoute  quoique  ce 
foi t  à  ce  que  je  viens  d'en  rapporter.  Le  mot  de  Virgi- 
le toucliant  Ennius  n'eft  pas  non  plus  dans  l'endroit  ce 
Btillct  renvoie  des  Inftitutions  Poëti«jucs  de  Voflîus. 
Je  ne  dirai  rien  du  ?.  Briet  que  |e  n'ai  pas.  La  cita- 
tion feule  de  la  Vie  de  Virgile  luffifoU, 

A* 


9       Poètes    Latins. 

I^imus.  Ygj-g  Epiques  ou  Héroïques  parmi  les  Ro- 
mains, &  qu'on  le  confidere  comme  ce- 
lui qui  en  eft  l'Auteur  &  qui  en  a  intro- 
duit Tufage  (i).  11  a  tiré,  pour  ainfi  dire, 
la  Poëiîe  Latine  des  bois  &  des  villages 
pour  la  tranfpianter  dans  la  ville  ,  afin 
qu'on  pût  l'y  cultiver ,  &  qu'an  s'appli- 
quât davantage  à  la  polir.  Et  pour  y  mieux 
réufïir ,  il  a  fait  conduire  du  mont  Par- 
lîafTe  en  Italie  les  eaux  d'Hippocrene,  s'il 
m'elî  permis  de  parler  comme  les  Poètes. 
C'efl  ce  que  Lucrèce  a  voulu  nous  faire 
connoître  par  une  exprelTion  toute  diffé- 
rente, iorfqu'il  adit,  (2) 

■  — —   ...__—  Prîmus  amœn& 

Dttulit  ex  Helieone  perenni  fronde  coronam 
Per  Gentes  Italas, 

Mais  avec  tous  ces  foins ,  on  peut  dire 
qu'Ennius  ne  pût  point  encore  venir  à  bout 
de  détruire  entièrement  la  barbarie  des 
fiécles  précedens ,  &  quoîqu'Horace  té- 
moigne (3)  qu'il  a  beaucoup,  enrichi  la 
Langue  du  pays  par  un  grand  nombre  de 
mots  nouveaux  qu'il  mit  en  ufige;  néan- 
moins on  ne  peut  pas  dire  que  cela  aitcon- 

tri- 

T.  Dcmpfter  in  Elench.  ad  Rofin.  Antiquir.  Ro- 
man. 

Item  Ger.  Jo.  VoiT.  de  Hiftor.  Lat.  lib.  x.  cap,  2. 
&c. 

^.  Ces  paroles  de  Dempfter  dans  fon  Index  des 
Auteurs  fur  Rofin:  Pnmus  mapii  nomims  Heroïiorty.rr>  ^ 
ne  fignifient  pas  qu'Ennius  a  Je  premier  introdu  t 
\'ufage  des  vers  Héroïques,  mais  qu'il  eft  Jeprcmiet 
^ui  le  foit  iicndu  cckbie  paimi  ksPoëiesHeioiques. 

Cf 


Poètes  Latins.  9 
tribué  à  rendre  Ton  diTcoiirs  plus  élégant  Emûiw, 
&  à  polir  Ton  ilyle  qui  a  toujours  paffé 
pour  un  ftyle  ru  ie  &  groffier.  C'ell  ce  qui 
a  fait  dire  àQuiutilien  (4)  que  ce  ftyle  n'a- 
voit  prefque  rivjn  de  conlîderable  que  fon 
antiquité,  comme  ces  vieux  bois  qui  de- 
viennent l'objet  du  culte  Riper  (lit  ieux  des 
payfaiis,  &  comme  ces  grands  chênes  des 
futayes  fur  leiquels  la  longueur  des  années 
femble  avoir  attiré  la  vénération  des  Peu- 
ples qui  n'ofent  y  toucher. 

Macrobe  paroît  blâmer  ceux  qui  ne 
font  point  touchés  d'un  pareil  refpeâ"  pour 
les  vers  d'Ennius  (5*),  parce  que  tout  ra- 
boteux que  paroilfe  fon  llyle,  il  ne  laif- 
foit  pas  d'être  le  meilleur  de  Ton  fiécle, 
&  qu'on  a  eu  dans  la  fuite  des  tems  des 
peiiies  tort  grandes  pour  tâcher  d'amolir 
cette  dureté  univerfelle.  D'ailleurs  En- 
nius  avoir  plus  qu'aucun  autre  Poète  La- 
tin de  fon  tems  des  taiens  particuliers 
qui  rcndoîcnt  C^^s  Pol'fîcs  de  plus  grande 
recherche  que  celles  des  autres.  Car  ou 
peut  dire  que  la  véhémence  &  la  force 
de  fes  penfées  fervoit  beaucoup  à  foute- 
ïiir  fon  Lcdeur  (6),  &  ceux  même  qui 
voudront  fuivre  Paul  de  Merle  ou  Me- 

rula, 

Ce  n*e{î  pas  que  je  nie  qu'Rnnius  foit  le  premier 
Poète  Héroïque,  je  aie  feulement  que  ces  paroles  de 
Dcmptter  le  prouvent. 

2.  Lucrer.  de  Rer,  Nat.  Carm.  lib.  t. 

3.  Horat,  de  Arte  Poëtic.  verf  56.  57. 

'4   QiùntUian.   lib,    10.    ca^i.    i.  Inltitution.  Ora- 
foriar. 

«  5.  MjKrob.  Saturnal.  lib.  6.  cap.  j. 
^6.  Lil.  Ciegoi,  Gytald.  de  Hiltor,  Poët.  Di«log, 
^  &^  _ 

A  5 


i 


»a      foETES    Latins. 

Eiuiai.  rula ,  croiront  avec  lui  qu'Ennius  eft  le 
véritable  Père  de  toute  Télégance  &  de 
la  politefTe  qui  a  paru  depuis  :anslaPoe- 
(ie  Latine  (i) ,  ^  qu'on  Ta  dû  honorer  en 
cette  qualité,  ,,  avant  même  qu'il  eût  fen- 
5,  ti  la  grâce  du  nombre  &  de  l'harmo- 
„  nie  des  mots  qui  étoit  dans  les  Poètes 
5,  Grecs,  h  dont  il  n'a  fait  paroître  au- 
3,  cun  veftîge  dans  fes  vers,  félon  le  P. 
„  Rapin.  (2) 

Les  Poèfies  d'Ennîus  confiftoient  en 
diverfes  Tragédies  &  en  dix-huit  livres 
d'Annales  de  la  République  de  Rome.  Il 
nous  efl  refté  des  fragmens  de  la  plupart 
de  ces  Ouvrages.  Scriverius  a  donné  les 
fragmens  de  fes  Tragédies  &  Comédies 
à  Ley 'e  Tan  1620  in- 8°.  avec  ceux  des 
autres  Tragiques  Latins,  qui  avoient  dé- 
jà paru  cnfemble  à  Lyon  dès  Tan  1603. 
Merula  a  donné  ceux  de  fes  Annales  à 
Leyde  in- 40.  l'an  I5'95'.  Mais  Jérôme  Co- 
lonna  publia  enfemble  ceux  de  fes  Tragé- 
dies &  ceux  de  fes  Annales  aNaples  in- 4°» 
Tan  15-90. 

♦  Cn.  Ntevii  V'tta ^ Fragmenta^  fe  trou- 
Te  dans  le  Corpus  Poétarum  Latinorum 
P^-  335"*^^  4**'  Ge»tz>ie  1611,* 

MAR- 

1.  Paul  Mcïula ,  în  Pratf.  ad  ed'it.  fiag.  Ann.  Ennil. 

2.  Ren.  Rapin  Keflcxrcns  particul.  fui  la.Poctiq, 
pag.  loi. 

^.  Le  P. Rapin, n*^a parlé  d*£nnius  ni  près  ni  loin 
dans  pas  une  de  les  Réflexions  fur  la  Poétique,  dan4 
l'éditioadu  moias  ^ue  j'ea  ai  d'AflaftexUsm  1686» 


Poètes     Latiks^      rr 
MARCUS    PACUVIUS, 

Poète  Tragique,  vers  ïa  15-6.  Olympia- 
de, neveu  d'Ennius ,  Nepos  ^  c'clt-à-di- 
re  félon  Pline,  fils  de  lafceur  d'Ennius; 
mais  fon  petit-fils,  c'ell-à-dire  fils  de  fa 
fille,  félon  faint  Jérôme  C3)  ;  naiit:  de 
Brindes  ,  mort  à  Tarente  âgé  de  près 
de  90.  ans. 

1131  TL  a  pafifé  pour  le  plus  far ant  de  ^^^ 

Xtous  les  Poètes  Tragiques  qui  racuvijfc 
«uflent  paru  à  Rome  jufqu*à  lui,  &  il  s'en 
cil  trouvé  très-peu  de  ceux  qui  ont  vécu 
après  lui  jufqu'au  tems  des  Cefars,  qui 
ayent  eu  l'avantage  fur  lui  en  ce  genre  de 
Poëiie. 

Il  avoit  tiré  des  Grecs  tout  ce  qu'il  a- 
voit  de  bon  aulTi  bien  qu'Ennius  &  Àttius, 
&  c'eft  une  des  raifons  dont  Ciceron  fe 
iervoit  (4)  pour  faire  voir  que  fes  Tragé- 
dies n'étoient  point  à  mépriler,  quoi  qu'il 
eût  le  ftyle  fort  rude  &  qu'il  fût  plein  de 
mots  dont  Tufage  étoit  paiïe.  Le  même 
Auteur  avoue  que  Pacuvius  (5-)  parloit 
même  afles  mal  pour  Ton  tems,  &  qu'il 
n'avait  point  cette  délicateiïè  &  cette  élé- 
gance 

f .  %.  ^callger  dans  fon  édition  d«  la  Chronique 
i'fculebc  traduite  p.u  S.  Jérôme  a  fupprime  ces  mot» 
Jkin>V  PoUta  tx  fiiin  nepi  y  coname  rufperts  de  faux. 

4.  Ciccio  Qusftiou.  Académie.  Ub.  i.  Item  lib^ 
ï.  de  Finibus. 

f.  Idem  i«  Bruto  (eu  At.  Ckatorc.  Item  Quint i- 
fian.  inftit,  Ox;Atoi.    Item  FhU.  Buct.  kb.  v,dc£oç^ 

A6 


12      Poètes    Latins. 

j'^'^'^c     g/^nce  qui  paroifToit  dans  le  langage  de  hx- 
'  "  '  ''    lius  &  de  Scipion  aufquels  il  etoit  con- 
temporain. 

Mais  comme  on  a  pris  plaîfir  de  faire  le 
Parallèle  de  ce  Poète  a^ec  un  autre  de 
même  profelîion  nommé  Attius ,  nous 
rapporterons  en  parlant  de  celui-ci  ce  qui 
nous  refleroit  à  dire  de  Pacuvius. 

Nous  ajouterons  feulement  une  réfle- 
xion de  Mr.  de  Balzac  à  fon  fujet.  il  dit 
(i)  que  quand  Varron  dans  le  jugement 
qu'il  fait  des  Poètes  attribue  la  grandeur  à 
Pacuvius  &  la  médiocrité  à  Terence,  il 
n'a  point  dciïèin  de  préférer  l'un  à  l'autre 
ni  d'eftimer  davantage  le  grand  que  le  mé- 
diocre. II  veut  feulement,  félon  lui,  re- 
prefenter  par  ces  deux  exemples  l'idée  &  la 
forme  des  deux  genres  dilferens  qui  font 
celui  de  la  Poélie  Tragique  &  celui  de  la 
Comique, 

♦  M.  Pacuvius  fè  trouve  dans  Corpus 
omnium  veîerum  P  oètarur/îLatinorum  in-4'^. 
Lugd,  1603.  —  Idem  fecunda  editio  in-4.®. 
z  vol-  Genev.  i6n.  —  Idem  in-fol.  2  voL 
Loud.  iji^,  * 


T.  Bal2ac,Ttiitédu  Caraûcrc  de  ia  Comédie pag, 

,57.  5J. 
a.  Ciceio  in  liuto  feu  de  Clas,  Oiatoxl&) 


Poètes    Latins.      15 

L.    A  T  T  I  U  S , 

Pocte  Tragique  plus  jeune  que  Pacuvîus 
de  ciuquaiuc  ans,  né  fous  le  Confulat 
de  Mancinus  &  de  Serranus,  en  l'O- 
lympiade 15-2.  nommé  par  d'autres  Au- 
teurs, Accius  ou  Aclius^  mort  Tan  de 
la  Ville  618.  en  l'Olympiade  161. 

1132.   IL   ne   nous   rede   plus  que  des  L.Attïus, 

1  fragmens  des  i  ragédies  d'Attius, 
comme  de  celles  de  Pacuvius.  Ils  en  fi- 
rent reprefenter  enfemble  &  fous  les  mê- 
mes Ediles  ;  mais  Ciceron  nous  a  fait  re- 
marquer (1)  qu'At-tius  n'avoit  alors  que 
trente  ans,  au  lieu  que  Pacuvius  en  avoit 
quatre-vingts. 

Les  anciens  Romains  du  tems  de  la  Re- 
publique étûient  afles  partagés  fur  la  pré- 
férence dans  la  comparaifon  qu'ils  fai- 
foient  des  Ouvrages  de  ces  vieux  Poètes, 
&  particulièrement  de  Pacuvius  &  d'At- 
tius. Les  uns  difoient  que  les  Vers  de  Pa- 
cuvius étoient  plus  travaillés  &  plus  po- 
lis (3)  :  les  autres  reconnoiilbient  qu'eîîec- 
tivement  il  y  avoit  quelque  chafe  de  plus 
dur  dans  les  Vers  d'Attius,  mais  qu'ils  (e- 
roient  néanmoins  de  plus  longue  durée, 
&,  ils  les  comparoicnt  à  ces  pommes  de 
garde  qu*on  a  coutume  de  cueillir  aupara- 
vant qu'elles  foient  dans  une  pleine  matu» 

rite, 

3.  Idem  Ciç.  de  Otatore  non  femel^de  oft.geo^ 
Oiatox, 

A7 


r4      Poètes    Latins. 

LÀttius.  rit^^  &  que  l'on  met  fur  la  paille  pour  les 
coiiferver  &  les  y  faire  meurir  avec  le 
tems.  (ï) 

C'eft  la  raifbn  qu'Attius  donna  lui-mê- 
me à  Pacuvius  ,  lorfqu'en  fon  voyage 
d'Afie  il  le  fur  voir  à  Tarente  où  il  s*étoit 
retiré  fur  la  fin  de  fes  jours.  Ce  fut -là 
ijuMl  lut  fà  Tragédie  à  Atrée  à  Pacuvius , 
celui-ci  lui  en  dit  fon  fentiment  comme  il 
Tavoît  fouhaîté ,  il  loua  fon  ftyle  pour  la 
grandeur  &  la  belle  cadence  qu'il  y  trou* 
voit,  mais  fur  ce  qu'il  témoigna  qu'il  ne 
lui  paroifTbit  point  afTés  doux  ni  alfés  poli, 
Attius  lui  repartit  qu'il  en  efperoit  d'au* 
tant  plus  de-  fuccès  qu'il  voyoit  que  les 
fruits  qui  font  fi  tendres  dans  le  tems  qu'on 
les  cueille  fe  pourrifTent  au  lieu  de  fe  per- 
feéiionner  lorfqu'oii  prétend  les  garder,  & 
qu'il  attendoit  de  l'avancement  de  fon  âge 
h  maturité  de  fon  efprit  &  de  celle  de  (es 
produélions.  C'ell  ce  qu'on  peut  voir  dans 
Aulu-Gelle  (2).  Mais  on  ne  voit  pour- 
tant pas  que  la  fuite  du  tems  qu'il  a  vécu 
ait  parfaitement  répondu  à  fes  efperances,. 
Car  fes  Vers,  au  jugement  des  Critiques 
Romains ,  n'^avoienc  prefque  rien  de  la 
éouceur  de  fon  naturel.  (3) 

Mais 

».  Àp.  îh  lïç.  Brict.  lib.  i.  de  foët.Lat.  pag.415^ 
«te. 

2.  A»  Gell.  Noft.  Attic.  lib.  tj.  cap.  z. 

3.  Vellej.  Pateicul,  lib.  i.  Hiftor.  Vid.  H«rat.  lib, 
î.  Sat.  10. 

f.  Il  fi'cft  parlé  nulle  part  de  cette  douceur  dent* 
t«iiei  d'AttiuR,  qui  en  pouvoit  cependant  avoir. 

4.  Ovid.  lib*  I.  hKkQX,  £legii  i/,  yid,  ic  icient 


Poètes    Latins.       if 

Mais  au  rede  il  avoit  du  génie  pour  la  L.AttîiKi 

Tragédie.  Ovide  dit  (4)  qu'il  étoit  mâle  ôc 
courageux  dans  fes  exprelîjons.  Horace  lui 
donne  un  air  de  grindeur  &  d'élévation, 
&  il  dît  que  fi  Pacuvius  avoit  le  deiïus 
pour  l'érudition,  Attius  l'emportoit  par  la 
force  &  la  fublimité  (5)  C'eft  auffi  le  fen- 
timent  de  Quintilien,  qui  ajoute  que  non- 
ob fiant  cette  différence  ils  avoient  donné 
tous  deux  de  la  gravité  à  leurs  penfées  & 
du  poids  à  leurs  paroles,  &  que  s'ils  font 
tombés  dans  diverfes  imperfedions ,  ç*a 
été  moins  leur  faute  que  celle  des  temsoù 
ils  ont  vécu  (6).  [Pour  l'édition,  voyés  i 
la  fin  de  l'art.  1131.] 

CJEClljlUSdH  MiUmh, 

Poète  Comique,  qui  étant  efclave  s'appeî- 
loit  Stat':us  Ctciîius^  &  depuis  fon  af- 
franchiflement ,  deciUus  Statius  ;  con- 
temporain d'Ennius ,  mort  après  lui. 

1133.  f    Epeu  de  fragmens  qui  nous  re$-  crcUûu^ 

L  te  de  cet  Auteur  ne  fuffit  pas 
pour  nous  faire  juger  de  l'équité  de  laCeti- 
iure  que  les  Critiques  en  ont  faite. 

Ci- 

Ovid.  idem  Gicer.  Hor«t.  paHiii))  ôc  alii  à  Giialdo 
êc  Scrivcrio  colleôi. 

5.  Horat.  lib.  i.  Epift.  t.  &c. 

6.  Oi'intilian.  inftitution.  Oratoriar.  lib.  to.  cap.  t,' 
De  Àttio  plura  apud  Girald.  de  Hiftor.  ?oèt.  Dia- 

k)g.  i.pag  857.  &feqq  Petr.  Scrivcr.  in  Prolegomcn. 
ad  fragment.  VofT.  lib.  dcPoct.  Lat.p.  6.  7.  Item  lib». 
1.  Hift.  Lat.  cap.  7.  Jib.  i.  pa^.  29.  3e.  où  il  eûp^i» 
icr  des  Ajuialcs  ^u' Attius  avoh  faits  ca  Vus, 


i6  Poètes  Latins. 
Cxcilius.  Ciceron  nous  apprend  qu'il  purloit  mal 
Latin  aufîî  bien  que  Pacuvius  (i),quoi  qu'il 
y  eût  de  leur  tems  des  gens  qui  parloient 
cette  langue  à  Rome  parfaitement  bien  &  fort 
délicatement, tels  qu'étoient  Laelias  &  Sci- 
pion:&iladit  encore  ailleurs  queCaeciiius 
croit  un  mauvais  Auteur  de  laLatinité  (i). 
Quelque  grand  qu-  fût  ce  de'faut,  il  n'a 
point  fait,  ce  femble,  beaucoup  d'obftaclc 
à  l'e'lime  que  la  plupart  des  Anciens  ont 
témoignée  pour  Tes  Comédies.  Varron  ne 
le  croyoit  inférieur  à  perfonne  d'entre  les 
Poètes  de  la  même  Profelïïon  pour  le  bon» 
heur  avec  lequel  il  favoit  trouver  un  fujet, 
&  le  bien  traiter  (3).  Horace  femble  lui 
donner  le  premier  rang  pour  la  gravité, 
comme  à  Terence  pour  l'artifice  (4)  ,  du 
moins  étoit-ce  l'opinion  commune  du  Peu- 
ple Romain  de  ce  tems- là,  félon  le  fens 
que  quelques  Critiques  d'aujourd'hui  don- 
nent à  ce  fentiment  d'Horace. 

Ciceron  même  qui  blimoît  fi  fort  fon 
ftyle,  ne  s'oppofoii  point  d'ailleurs  à  ceux 
qui  vouloient  alors  faire  pafîèr  Gsecilius 
pour  le  meilleur  des  Poètes  Comiques  (f). 
Il  paroît  aufli  qu'il  avoit  des  défenfeurs  de 
fa  Latinité  contre  ceux  qui  étoient  de  l'a- 
vis  de  Ciceron ,   &   Patercule  n'a  point 

fait 

'1.  Cicero  in  Bruto  feu  de  clans  Oratorio. 

2.  Idem  in  Eplftol.adAtticum.  Item  ap.  Phi],  Bricr. 

}.  Varro  in  Parmenone.  Item  ap.  Jofeph.  ScaJi- 
gcrura.  Jul.  Cxf  Scalig.  1.  «.  Poëticescap.  2.  pag.  266. 
Remarq.  anon.  de  Fruic.  VavafT.  fur  les  Reflex.  de 
la  Poët.  pag.  124. 

4.  Korat.  lib.  1.  Epiftol.  i.  ad  Auguft.  VeiC  55^ 

î,  CiçexQ  lib,  (U  opcim,  geaçj|  Oxaioii 


Poètes  Latihs.  17 
fait  difficulté  de  dire  qu'il  étoit  un  de  Ciciliu», 
ceux  qui  ont  fat  fleurir  la  Langue  La- 
tine, &  qui  en  ont  mis  les  beautés,  les 
douceurs,  &  Télegance  dans  le  bel  ufage 
(6).  Quintilien  après  avoir  dit  que  les  An- 
ciens combloient  d'éloges  les  Ouvrages  de 
Caecilius ,  ce  qu'il  ne  nous  fait  point  re- 
marquer de  ceux  de  Terence,  ajoute  qu'ef- 
fedivement  les  uns  &  les  autres  font  très- 
élégans  ,  mais  qu*ils  auroient  encore  eu 
plus  de  grâce  û  ces  Auteurs  avoicnt  voulu 
fc  renfermer  dans  les  bornes  régulières  des 
Trimetres  (7).  Mais  rien  ne  paroît  plus  glo- 
rieux pour  la  réputation  de  Caecilius  que  ce 
que  Ton  dît  deTerence,  qui,  félon  la  remar- 
que qu'en  a  fait  leP.Brîet  (8)  ,avoit  coutu- 
me de  lui  porter  toutes  fes  Pièces  pour  les 
foumettre  à  fon  jugement ,  de  la  folidité 
duquel  il  avoit  une  opinion  merveilleufe. 
Enfin  Caecilius  doit  être  à  la  tête  des  dix 
principaux  Poètes  Comiques  qui  ayent  ja- 
mais été  parmi  ks  Latins,  lî  l'on  veut  dé- 
férer au  jugement  de  V'olcatius  Sedigitus, 
qui  s'étant  mêlé  de  dîftribuer  les  rangs  en- 
tre eux  ,  a  donné  le  premier  à  notre  Cad' 
lins  ,  le  fécond  à  Plante^  le  troifiéme  à 
Nwvius  dont  nous  avons  déjà  parlé  ,  le 
quatrième  à  Liciyiius  ,  le  cinquième  à  /Tr- 

ti- 

6    Vellc).  Patercnl.  lib.  i.  Hiftor. 

7,  QiiintiL'iin.  Inftitution.  Oraroriar.  lib.  lo.  cap.  r. 

é'.  Phil.  Brier.  de  roët.  Lat.  lib.  i.pag.  4-pramifli 
Acutc  D^ftis. 

^.  Terence,  comme  on  voit  dans  fa  Vie  attribué* 
à  Suétone,  lut  fon  Andrienne  à  Cécilius,  par  l'or- 
dre des  Ediles;  mais  qu'il  lui  ait  lu  {ts  auties  Pis- 
ces  ,  nul  Anciçn  ne  Va  ccrit. 


zS      Poètes    Latines. 

Carciliu*.  tilius  ^  le  lixiéme  à  T'erence  ^  le  feptiéme  i 
'Turpilius^  ie  huitième  à  Trahea  ^  le  neu- 
yiéme  à  Lufcius^  &  le  dernier  à  Ennius.  (i) 
Il  femble  qu-e  Nonius  Marcel  lus  ait  e'té 
dans  le  méine  fentiment  depuis  Sedigitus  à 
l'égard  de  Caecilîus  (2).  Mais  les  Critiques 
23K)dernes  fe  font  recriés  contre  le  j  ugement 
de  ce  Sedigitus  (3),  &  ils  ont  cru  taire  grâ- 
ce à  notreCscilius  de  lui  donner  le  troilié- 
me  rang  après  Plaute  &  Terence  malgré 
toute  r  Antiquité  dont  nous  venons  de  rap- 
porter les  témoignages.  [Voyés  à  la  fia 
de  Part.  II 31.] 

PLAUTE  Marcus'Accius, 

Poëte  Comique ,  natif  de  Sarfine  fur  les  con* 
fins  de  rOmhrie  ^  de  P Emilie  ^  OU  pour 
parler  comme  on  fait  aujourd'hui  ,  du 
Duché  de  Spoîete  ^  de  la  Romandiole  ^ 
plus  jeune  qu'Ennius,  Pacuvius  &  At- 
tîus;  mort  néanmoins  avant  eux  Tan  de 
la  fondation  de  Rome  ^'70.  la  première 
année  de  la  149.  Olympiade,  18.4.  ans 
devant  l'Epoque  Chrétienne  ,  fous  le 
Confulat  de  Publius  Claudias  Pulc€r,& 
de  L.  Porcius  Licinius. 


ïlautc.        *ï34'   f    Es  anciens  Critiques  ne  fe  (ont 


point  accordés 


fur  le  nombre 
des 


I.  Apud   A.  Ge^J.  Noft.  Atticar.  lib.  rj.  wp.  24. 

z.  Non.  Marcell.  Woc.  pofcere. 

}.  J.  Henr.  Boeder,  dcjudic.  inTerent.  prolegom. 
in  edir.  cjufd.  Terear. 

4.  A.  Geliius  Noft.  Atticar.  iJb.  j.  cap.  3.  Item 
Lil.  Gieg.  Gyrald.  de  Hiftoi.  Poëtar.  Dialog.  viii. 
pag.  t%-j.  St  antca.   Item  Ger.  Jo.  VofT.  lib.  de  Poët. 


Poètes     Latins.       rp 

des  Comédies  que  Ton  a  attribuées  à  Plau-  pjautc^ 
îe,  les  uns  en  comptoient  vingt  &  une,  & 
les  aufrcs  vingt -cinq,  d'autres  quarante^ 
quelques-uns  cent,  &  d*^autres  enfin  lui  en 
donnoicnt  jufqu^à  cent  trente.  Mais  ils 
confondent  avec  les  fiennes  celles  de  dî» 
vers  autres  Comiques ,  &  particulièrement 
celles  de  Plautius  dont  le  nom  avoit  don- 
né lieu  à  Terreur  à  caufe  de  fa  proximité 
avec  celui  de  notre  Poète  (4). 

Parmi  ce  grand  nombre  de  Comédies, 
Mr.  Ménage  dit  (y)  qu'il  y  en  avoit  tant 
de  mauvaifes ,  que  Varron  n'en  trouva  qui 
fuffent  dignes  de  lui  que  vingt  &  une  feu- 
lement, qui  furent  appellées  à  caufe  de  ce* 
laies  Varroniennes. 

Quoiqu'il  en  (bit,  îl  ne  nous  re(le  au- 
jourd'hui que  vingt  Pièces  qui  portent  fou 
nom.  Entre  toutes  ces  Comédies  il  n'y 
en  a  pas  une  qui  n'ait  fes  beautés  particu- 
lières, mais  celle  de  V Amphitryon  fcmble 
être  la  plus  cftimée  félon  Mr.  Rofteau  (6) 
qui  remarque  qu'elle  a  des  agrémens  dont 
la  Comédie  Françoifc  a  fu  fe  parer  avec 
beaucoup  d'avantage.  Néanmoins  quel- 
ques Critiques  modernes  ont  trouvé  des 
fautes  de  jugement  dans  cette  Comédie  de 
l'Amphitryon,  comme  lorfqu'il  fait  jurer 
Sofie  &  Amphitryon  par  Hercule  qui  ne 

de- 
Latin,  pag   9. 

G-  Mena^-e,  R?ponfc  au  Difcours  fux  l'HeautOflli;' 
moriimene  de  Tererice  pag.  45. 

S    %    Après  Aulu-Gclle  1.  î    c.  |. 

6.  Rofteau  ,Scntim.  (ur  quelques  Auteurs  p:(g.  ^•^ 
4ï.  MS.  dans  la  Biblioth.  de  l'Abbayic  dcSaimcG^- 
ncviçve. 


io      Poètes    Latins. 

/laurc»       devoit  être  conçu  que  cette  nuit-là,  félon 
]e  calcul  de  Monfieur  de  Balzac  (i). 

D'autres  Critiques  cités  par  M.  Ména- 
ge (2),  &  particulièrement  Muret  dans  les 
diVerfes  Leçons ,  Heinfius  dans  les  Notes 
fur  Horace,  &  Voflîus  dans  la  Poétique 
prétendent  qu'elle  eft  contre  la  durée  du 
terns  prefcrit  pour  ces  fortes  de  reprefen- 
tations  qui  u'eft  que  d'un  jour  ou  tout  au 
plus  que  de  l'efpace  de  vingt-quatre  heu- 
res.^ Ils  veulent  qu'elle  foit  de  plus  de  neuf 
mois,  &  qu'Alcmene  y  conçoive  &  qu'el- 
le y  accouche.  Mais  ces  Meilleurs  fe  trom- 
pent félon  Mr.  Ménage  ,  étant  certain 
.qu'Alcmene  étoit  groite  de  plus  de  dix 
mois  quand  la  Comédie  commence.  Ce 
.qui  leur  a  pu  donner  cette  penfée  eft  le 
difcours  que  fait  Plaute  de  cette  longue 
nuit  qui  en  dura  trois,  dans  laquelle  Her- 
cule ayant  été  conçu,  ils  ont  crû  qu'il  l'a- 
voit  aulTi  été  dans  cette  Comédie  ,  fans  fe 
fouvenir  que  Plaute  y  a  corrompu  la  Fa- 
ble, comme  l'a  remarqué  Jules  Scalîger  au 
fixiéme  Livre  de  la  Pocîique,&  qu'il  a  pris 
cette  longue  nuit  pour  celle  de  la  nailfance 
de  ce  Héros. 

Plaute  ne  s'écoît  point  propofé  Menan- 
dre  pour  modèle,  comme  avoit  fait  Caecî- 
lius  dont  nous  venons  de  parler,  mais  il 

s'é' 

T.  Balzac  Difcours  fur  laTrag.  d'Herod.  oudc  l'In- 
fanticide de  D.  Hcindiis  pag.  113. 

1.  G.  Ménage,  Réponfe  au  Difcours  fur  l*Heautoii- 
timorumenc  p,  4^.  47.  &c. 

3.  Terent.  Prolog,  in  Adelphor.  Comoed. 

4.  Gyrald.  de  Poët.  hift.  dial.  8.  pag.  885.  VofF.  la- 
ftitution.  Poëtic^r   pasj.  jo. 

i.  Hoiar.  lib.  z.  L^dX.  i,  ad  Auguduco. 


Poètes    Latins.       21 

sMtoit  attaché  à  fuivre  Biphile,  comme  il  plaute. 
paruît  parce  que  nous  en  a  dit  Terence(3). 
On  prétend  auifi  qu'ii  avoit  tâché  d'imiter 
Philemon  &  d'autres  Comiques  Grecs  in- 
férieurs à  Menandie  (4).     Horace  même 
femble   nous   faire   connoître   qu'il  avoit 
marche  fur  les  pas  d'Epicharme  Poète  de 
Sicile  (5'\     Et  ce  fentiment  qui   étoit  To- 
pinion   commune  des   Romains  du  tems 
d'Augufte  ,  eW  aiTés  favorable  à  ceux  quî 
jugent  que  Plaute  tenoit  beaucoup  plus  de 
la  vieille  ou  de  la  moyenne  Comédie  que 
de  la  nouvelle, dont  étoient  Diphile&  Phi- 
lemon auffi  bien  que  Menandre  ,  au  lieu 
qu'Epicharme  étoit  plus  ancien  qu'Arifto- 
phane  même,  6t  qu'il  pafToit  pour  un  des 
principaux  Inrenteurs  de  la  vieille  Comé- 
die (6). 

La  chofe  qui  a  donné  le  plus  de  réputa- 
tion à  Plaute ,  eft  fon  ftyle  &  fa  manière 
de  dire  des  pla'fanteries. 

Son  flyle  efl  très-Latin  (7)  au  jugement 
des  Critiques  anciens  &  modernes.  Aulu- 
Gelle  ou  Agellius  a  voulu  le  faire  pafler 
en  plus  d'un  endroit  de  fes  Nuits  Attiques 
(S)pour  le  plus  élégant  de  tous  les  Auteurs 
Latins,  &  pour  le  Maître  de  la  Langue. 
Varron  avoit  appris  de  fon  Maître  L.  ^- 
lius  StiloPrxconinus  à  en  faire  tant  de  cas, 

que, 

(.  Jul.  Catf.  Scaliger  Poëticcs  lib.  i.  pag.  32.  LU, 
Gr.  Gyrald.  loc,  citât  Tann.  le  Fevre,des  Poër.  Gr. 
dans  Epichaime,  ôcc.  Voff.  &  Boriich.  de  Poct, 
Latin. 

7.  Olaîis  BorrichiusDiflertat.  de  Poct.  Lar.  pag.  $6, 

8.  A.  GcU.  Noft.  Attic.  lib.  7.  cap.  it.  &  fup.  lib. 
cap.  7.  Item  lib.  3,  cap.  |,  itcoi  lib,  1$.  cap.  as, 
»  YolCi  Scdigic, 


21      Poètes    Latins. 

ÎUutc,  que,  fi  nous  en  croyons  Quintilien  (i),  il 
alTuroit  que  lî  les  Mules  avoient  voulu 
parler  le  langage  des  hommes  ,  elles  au* 
roient  choili  celui  de  Plante  pour  s'en  ac- 
quitter avec  plus  de  grâce.  Et  le  même 
Varron  lui  donnoit  le  prix  de  rexpreffiou 
au  préjudice  des  autres  Comiques  La- 
tins, comme  il  le  donnoit  à  Caecilius  pour 
l'art  de  bien  traiter  un  fujet,  &  à  Terence 
pour  celui  de  bien  exprimer  les  mœurs  (2). 
Saint  Jérôme  qui  avoit  de  l'inclination 
pour  le  flyle  de  Flaute,  &  qui  en  aimoit 
encore  la  le6l:ure  même  au  milieu  de  fa  re- 
traite &  de  fes  mortifications ,  comme 
nous  l'avons  remarqué  ailleurs  (3)  croyoit 
y  trouver  encore  quelque  choie  de  plus 
que  de  la  gentillefTeéc  de  l'élégance  ;&  lors- 
qu'il vouloir  exagérer  l'éloquence  de  quel- 
qu'un ,   il  l'appel loit  f  éloquence  de  Piau^ 

^  (4)- 

Ciceron  qui  -avoît  un  goût  merveilleux 
pour  toutes  les  produélions  du  bel  efprit, 
attribue  à  Plante  une  délicatefle  d'e(prit 
toute  particulière  pour  la  fine  raillerie,  Ôc 
pour  les  rencontres  ingénieures,une  adref- 
lè  finguliere  à  jeîter  fon  tel  dans  toutes  les 
plaifanteries:  un  air  enjoué,  &  cette  urha- 
.Ktté  Romaine  pour  laquelle  notre  langue 

ne 

T.  Quintilian.  Inftitution.  Oratoriar.  lib.  lo,  cap. 
1.  Itéra  eic  eo  Philip.  Briet.  Soc.  J.  lib.  i.  de  Pocr. 
Êatin.  pag.  5.  6. 

a.  Varro  in  Panr.enone,  item  ex  co  VofT.  Infti- 
tution.  roctic.  hb.  2.  pag.  117. 

3.  S.  Hicron.  Epiftol.  ad  Euftoch.  Virgil.  Tann. 
k  Fevic  Yic  4cs  Foct.  Gx.  Uaas  celle  d*Ariftophanc. 

Item 


Poètes    Latins.       23 

ne  nous  a  point   encore  donné  d'exprès-  Haute, 
iion  (f). 

Mais  les  Critiques  Modernes  ne  font  paf 
encore  convenus  de  l'explication  que  Ton 
doit  donner  à  la  Cenfure  qu'Horace  a  fai- 
te des  Comédies  de  Plaute.     On  ne  voit 
pourtant  pas  bien  en  quoi  conlille  Tamb*!- 
guité  ou  l'obfcurité  de  fes  termes.     Il  dit 
■aifés  nettement  &  fans  beaucoup  de  façon 
que  les  ancêtres  de  ces  Romains  polis  du 
tems   d'Auguile  avoient  été  affés  bons, 
c'eit  à-dire  pour   ôter  Téquivoquc  ,   ailés 
niais   &   ailés   fots  pour  elHmer  &  pour 
louer  les  Vers  &  les  bons  mots  de  Plaute. 
Et  craignant  que   la  Foilerité  ne  prît  ce 
jugement  pour  un  effet  de  quelque  mau- 
vais goût  ou  de  quelque  bizarrerie  d'efprit, 
jl  fe  vante  au  même  endroit  de  s'y  connoî- 
tre  un  peu,  de  favoir  aifés  bien  faire  le  dif- 
ccrnemeni"  entre  une  boufonnerie  grolfiere 
&  une  véritable  délicatelfe,  &  d'avoir  fo- 
reille  aifés  fine  pour  juger  du  nombre  & 
de  la  véritable  cadence  d'un  Vers.  (6) 

Le  peu  de  rapport  qui  fe  trouve  entre  ce 
fentiment ,  &  celui  de  Ciceron,  comme 
de  la  plupart  des  autres  Anciens ,  fembje 
avoir  mis  la  divifion  parmi  nos  connoif- 
feurs ,  dont  les  uns  ont  pris  le  parti  de 

Plau- 

Item  Tome  i   des  Jujem.  desSav.au  préjugé  des  Au» 
tcuis  Ecciciî.ift, 

4.  Vidend.  Tuubnunn.  prolc»om.  ad  Tlaut.  cJi- 
tton.  Item  Frcd.  Gronov.  Item  Rcfteau  Sent,  ut 
Xupr. 

5.  Cicero  lib.   i.  de  OflRciis  num.  104.  p.  îf.  m. 

6.  Horat.  de  Artc  Poctic,  ad  Pifou.  Epift.  poft, mcd, 
[At  rtojiri  Proavi  6cc, 


24     Poètes    Latins» 

ÇUute,       Plautc ,  &  les  autres  celui  d'Horace. 

Mr.  Gueret  a  remarqué  (i),  que  ceux 
qui  défendent  Plante  contre  la  cenfure 
d''Horace,  difent  qu'il  exigeoit  de  lui  une 
Urbanité  (\\iQ  perfonne  n'a  jamais  connue. 
Que  c'ert  \xn  je  ne  fat  quoi  <\\ioxï  ne  fau- 
roit  expliquer,  une  grâce  d'imagination  <5c 
de  fantailie  ;  &  que  depuis  tant  de  (lécles 
que  l'on  en  parle,  elle  ne  s'eft  rencontrée, 
dit- on,  que  dans  trois  ou  quatre  génies 
heureux  qui  peut-être  ne  la  connoilloient 
pas  eux-mêmes.  Quand  on  veut  louer  un 
Ouvrage,  ajoute  cet  Auteur,  il  faut  que 
ce  foit  par  des  beautés  fenfibles  &  qui  fau- 
tent aux  yeux.  L'efprit  ne  donne  fon  ad- 
m'ration  que  lorfquMl  fe  fent  piqué  ,  &  ce 
fel  Attique  que  les  anciens  Maîtres  répan- 
doient  jufques  fur  leurs  moindres  fyllabes  , 
n'eft  point  cette  Urbanité  qui  s^'échappe  & 
qui  palfe  fans  dire  mot  :  mais  c'elt  une 
pointe  qui  réveille  l'imagination  ,  &  qui 
fouvent  porte  fon  atteinte  au  cœur.  Il  n'y 
a  point  de  Gâtons  à  qui  Plante  ne  plaife. 
Ses  bons  mots  &  fes  plaifanteries  démon- 
tent leur  gravité,  &  l'eftime  qu'on  en  fait 
eft  (î  générale  qu'on  les  a  traduits  en  tou- 
tes fortes  de  Langues. 

Les 

».  Traité  de  la  Guerre  des  Auteurs  p.  86.  &  fui- 
vances. 

z.  François  Biondel,  comparaifon  de  Pindarc  & 
d'Horace  pag,  265.  266. 

%.  Ce  n'eft  pas  à  Biondel  dans  fa  comparaifon  de 
Pindare  &  d'Horace  qu*il  faloit  lenvo/er,  mais  à  Lip- 
(c  Antiq.  lc£t.  1.  2.  c.  r. 

}.  Jul.  CxG  Scalig.  foëcic.  lib.  i.  Item.  Blond, 
Zoc.  QÏl, 

f. 


Poètes    Latins.      iS 

Les  autres  Partifans  de  Plaute  n'ont  pas  fl»«C4 
toujours  été  ii  modérés  dans  la  manière 
dont  ils  ont  reçu  la  cenfure  d'Horace.  Lip- 
fe  prétendant  avoir  railon  d'eftimer  &  d'ad- 
mirer comme  il  faifoit  les  railleries  agréa- 
bles &  les  rencontres  plaifantcs  de  ce  Poète, 
dit  qu'il  n'a  jamais  pu   lire  fans  quelque 
chagrin  les  Vers  d^un  certain  homme  deVe^ 
nouje  qui  en  a  jugé  autrement  (2).  Scaliger 
a  porté  Ton  relTenciment  un  peu  plus  loin 
que  Lipfe,  &  après  avoir  dit  qu'il  faut  être 
ennemi  des  Mufes  pour  n'être  point  tou- 
ché  de  l'agrément  &   des  bons  mots  de 
Plaute,  il  n'a  point  fait  difficulté  d'ajouter 
que  lors  qu'Horace  a  porté  ce  jugement  de 
Plaute,  il  ivoit  perdu  le  jugement  lui-mê- 
me (3).    C'eft  ce  qui  a  mis  aulfi  Turnébe 
de  mauvaife  humeur,  &  qui  lui  a  fait  per- 
dre quelque  chofe  de  fa  gravité  ordinaire. 
Car  on  ne  peut  pas  nier  qu'il  n'y  ait  quel- 
que chofe  de  bas  &  de  puérile  même, dans 
la  méchante  plaifanterie  qu'il  '^  voulu  izwfi 
fur  la  condition  d'Horace,lorfqu'il  a  dit  qu'il 
aimoit  mieux  fuivre  le  fentiment  de  ces  an- 
ciens Romains  de  (^a^//>/ qu'Horace  mc- 
prife  11  fort,  que  de  s'arrêter  au  goût  du 
petit  fils  d'un  Affranchi  (4). 

Ho- 

%.  Blondel  ayant  cite  Scaliger  fans  marquer  l'eu- 
^roit,  ni  fi  c'eroit  Jule  eu  Jofeph,  Bailler  au  ha- 
7ard  a  cire  Jule  1.  i.  de  fa  l'octique,  où  il  n'eft  pss 
dit  un  mot  de  ce  jugement  d'Hoiace  touchant  Plau- 
te. C'eft  Jofeph  qui  ,  fur  la  Chronique  d'Eufebc 
n.  M.  Dxxxiv.  s'eft  décha-né  U-deHus  contre  Ho- 
race dans  les  termes  qu'on  attribue  ici  à  Turnebc, 
&c  que  je  crois  être  uniquement  de  Jofeph  ScaTijcr. 

4.  Hadr.  Turneb.  inAdveifur.  &  ex  co  Blond,  uc 
fu  pr. 

TomMLFartJL  B 


1(5      Poètes    Latins. 

Ijaut^f  Horace  de  fon  c5té  n'a  point  manqué  de 

Défenfeurs  dans  ces  deux  derniers  liécles. 
Le  Gyraldi ,  qui  d'ailleurs  fait  afles  connoi- 
tre  fon  inclination  pour  Fiante,  dit  (i) 
qu'Horace  a  fait  paroitre  tant  de  folidité  de 
jugement  dans  tout  fon  Traité  de  l'Art 
Poétique  ,  qu'il  n'a  garde  de  s'imaginer 
qu'il  faille  faire  une  exception  pour  l'en- 
droit où  il  parle  (î  mal  de  Plante;  &  que 
fî  on  vouloit  examiner  fes  Comédies  avec 
un  peu  d'éxaditude,  on  y  trouveroît  bien 
des  badineries,des  fubtilités  froides  &  pué- 
riles ,  &  des  boufonncries  qui  ne  font  fup- 
portables  qu'au  Théâtre. 

Heiniîus  étoit  bien  éloigné  de  croire, 
comme  faifoit  Petrus  Vidorius,  qu'on  a- 
voit  déjà  perdu  à  Rome  !e  goût  des  bon- 
nes chofes  du  tems  d'Horace, &  qu'on  n'y 
Gonnoiffoit  prefque  plus  cette  beauté  natu- 
relle de  la  Langue,  &  cet  enjoûment  qui 
ctoit  particulier  à  Plante.  11  foûtient  au 
contraire  que  lès  valets  même  d'Horace 
ctoient  plus  capables  de  juger  de  Plante 
que  plufieurs  qui  femblent  être  aujourd'hui 
dans  les  premières  dignités  de  la  Republique 
des  Lettres  :  &  qu'on  peut  affurer  par- là 
que  rien  n'étoit  à  l'épreuve  d'un  cfprit  aulîî 
fin  &  aufli  délié  qu'étoit  celui  d'Horace, 
dans  un  liécle  aulTi  éclairé  &  auiïi  heureux 
qu'étoit  celui  d'Augufte. 

Mr.  Blonde),  qui  aexaminé  ce  point  plus 
particulièrement  que  les  autres  Critiques, 
fait  voir  qu'il  y  a  de  l'excès  dans  la  feveri- 

te 

T.  Lil.  Greg.  Gyrald.  Dialog.  S.  de  Hift,  PoctJtt, 
^3g.  887.  tom^  2.  ia-J, 


Poètes  Latihs.  i^ 
té  dont  Scaliger,  Lipre,Turnébe  &  les  au-  Hai^tQi 
très  ont  ufé  à  l'égard  d'Horace  au  fujet  de 
Plaute.  Il  ne  fauroit  fouffrir  qu'on  l'ac- 
cufe  de  jaloufie  envers  le  Comique,  com" 
me  fait  Parrhafius  (2),  ni  qu'on  le  foup- 
^onne  d'avoir  eu  du  chagrin  &  une  efpécc 
d'antipathie  contre  lui,  comme  l'a  préten- 
du Famianus  Strada  (3),  qui  donnoit  à 
Plaute  une  humeur  enjouée  &  tournée  à  la 
çlaifanterie,  &  à  Horace  une  humeur  co- 
lère, fombre  &  mclancholique  ,  &  qui  ef- 
fedivement  paroît  afles  éloigné  du  caraéle- 
re  de  fcs  Satires,  &  plus  encore  de  fes 
Odes. 

C'eft  donc  au  goût  du  fiécle  d'Augufle 
que  iVIr.  Blondel  veut  qu'on  attribue  le 
jugement  qu'Horace  a  tait  de  Plaute,  par- 
ce, dit-iJ,  que  ce  iiécle  étoit  ennemi  des 
mauvaifes  boufonneries,  félon  l'aveu  mê- 
me de  Strada.  Comme  Horace  n'a  parlé 
le  plus  fouvent  que  fulvant  les  fentimens 
où  étoient  les  honnêtes  gens  de  fon  temsà 
l'égard  des  Auteurs,  on  ne  doit  pas  s'ima- 
giner que  ce  qu'il  a  dit  de  Plaute  foitdiîîe- 
rent  de  ce  qu'en  penfoient  alors  les  perfon- 
nes  de  bon  goût,  lefquelles  étant  accou- 
tumées aux  délicatefles  &  aux  cadences  a- 
gréab'es  des  Poètes  Grecs  dont  les  Ro- 
mains faifoient  alors  leurs  délices  ne  troa- 
voient  peut-être  plus  dans  les  manières  de 
Plaute  ni  dans  les  mefures  fi  peu  régulières 
de  fes  Vers  ces  agrémens  &  ces  douceurs 
que  leurs  Ancêtres  y  fentoient,  parce  qu'on 


n^a- 


î.  f .  Prol^gom.  in  AmphitiuonCJU  FUutJ. 
3.  %  rrolui;  1.  I.  Pixled.  2, 

B  i 


iS  Poètes  Latins. 
Jlmtt  n'avoit  point  encore  vu  rien  de  meilleur. 
Enfin  il  n'eft  pas  étrange  que  fous  un  Mo- 
narque on  ne  prît  plus  tant  de  plailir  aux 
contes  impertinens  ^  aux  pointes  recher- 
chées &  aux  boufonneries  infipides  ,  qui 
charment  d'ordinaire  la  Populace  dans  un 
Etat  Démocratique  ,  &  qui  d'ailleurs  a- 
voient  la  grâce  de  la  nouveauté  dutems  de 
Plante  (i). 

Les  liécles  fuîvans  étant  déchus  de  ce 
point  de  délicatefTe,  femblent  avoir  repris 
le  goût  que  les  Anciens  avoient  pour  Plau- 
te  avant  qu'on  eût  eu  la  communication 
des  Poètes  Grecs.  C'eft  ce  qui  paroît  non 
feulement  par  ce  que  nous  avons  déjà  rap- 
porté de  S.  Jérôme,  mais  encore  par  l'es- 
time particulière  que  Macrobe  &  divers  au- 
tres Auteurs  témoignent  (2)  avoir  eu  pour 
fes  Comédies. 

Depuis  larenaîfTancedes  Lettrcs,les  Criti- 
ques voulant  éviter  les  deux  extrémités  où 
ils  avoient  vu  les  Anciens  au  fujet  dePlau- 
tc,  ont  jugé  que  comme  il  y  avoît  quel- 
que chofe  à  louer,  il  fe  trouvoit  auffi quel- 
que chofe  à  reprendre  dans  cet  Auteur. 
Les  principaux  d'entre  ceux  qui  en  ontufc 
de  la  forte  ,  font ,   ce  me  femble ,  Jules 
Scaliger,  Gérard  J.  Voffius, l'Abbé  d'Au- 
bignac,  &  le  P.  Rapîn,  dont  je  rapporte- 
rai ici  les  jugemens. 

Jules  Scaliger  dit  (3)  que  Plante ,  malgré 

les 

I.  Tt.  Blondel  5  Comparaifon  de  PindarcSc  d'Hora- 
ce pag.  272.  &  fui  vantes. 
z.  Macrob.  Saturnal,  1,  2.  c.  i.  &  ex  co  Gyiald.  «t 

fupr. 


Poètes    Latins.      29 

les  douceurs  &  les  agrcmens  quî  paroîfTent  riautç, 
naturels  en  lui,  n'a  point  laiiïe  d'employer 
toute  Paigreur  de  la  vieille  Comédie  des 
Grecs.  11  témoi^',ne  ailleurs  que  lui  & 
Terencc  ont  été  les  principaux,  &  prefquc 
les  uniques  parmi  les  Romains  oui  ayenc 
réufTi  fur  le  Théâtre  :  mais  qu'on  eft  tou- 
jours fort  partagé  fur  la  préférence  que  l'on 
doit  donner  à  l'un  fur  l'autre,  &  que  les 
Partifàns  de  l'un  &  de  l'autre,  ont  chacun 
leurs  railbns  qui  ne  font  nullement  à  mé- 
prifer. 

On  peut  dire  néanmoins  que  bien  qu'ils 
ayent  eu  tous  deux  l'intention  de  plaire  à 
leurs  Auditeurs,  Plante  a  mieux  réuffi  que 
Terence  à  divertir  le  Peuple ,  parce  qu'il  ell 
beaucoup  plus  plaifant  &  plus  facétieux. 
C'eft  ce  qui  a  porté  Volcatius  Sedigitus  à 
donner  îe  fécond  rang  des  Comiques  La* 
tins  à  Plaute,  au  lieu  qu'il  n'a  accordé  que 
le  fixîéme  à  Terence. 

Ce  Critique  (4)  ajoute  que  Phute  a  eu 
cet  avantage  fur  Terence  dans  l'efprit  de 
ceux  à  qui  la  Langue  Latine  étoit  naturel- 
le. Mais  que  depuis  qu\m  a  été  obligé 
d'étudier  cette  Langue  comme  étant  deve- 
nue étrangère,  on  a  jugé  la  pureté  de  Te- 
rence préférable  a  toutes  les  pointes  &  à 
toutes  les  plaifanteries  de  Plaute.  Autant 
que  les  Anciens  eftimoient  Plaute,  à  caufe 
du  plaifir  &  du  divertiifement  qu'il  leur 

doii- 

fupr.  pag.  tij. 

3.  Jul.  C.  Scalig.  lib.  i.  foëtic.  qui  cft  hiftoiic,. 
c.   7. 

4-  H-  Julc  Scaligei  1,  6.  Poët.  c.  2. 

B3 


3©  PoiTES  Latins» 
îlaiitc.  donnoit:  autant  Terence  a-t-il  été  recher- 
ché parmi  les  Modernes ,  à  caufe  de  fapo 
literfe.  De  forte  que  Plaute  doit  fa  répu- 
tation à  la  bonne  fortune  de  ces  Anciens, 
&  Terence  doit  la  fienne  à  notre  mifere. 

Plaute  doit  être  admiré  comme  un  véri- 
table Comédien,  &  Terence  doit  être  con* 
fideré  feulement  comme  un  homme  qui 
favoit  bien  parler  :  quoiqu'on  ne  puiffe  pas. 
dire  que  Plaute  parlât  mal ,  &  qu'on  n'ait, 
ce  femble ,  rien  autre  chofe  à  lui  reprocher 
que  fes  vieux  mots. 

Plaute  a  travaillé  pour  ceux  de  fon  tems, 
&  il  a  réulîi ,  parce  qu'il  a  proportionné 
toutes  chofes  à  leur  portée  &  à  leur  goût.. 
Terence, pour  n'avoir  jamais  voulu  s'écar- 
ter de  cette  pureté  qu'il  a  tant  affeâée  par 
tout, a  quitté fouventjdit  lemêmeScaliger, 
cette  douceur  &  cette  naïveté  qui  paroît  être 
inféparable  du  caradere  Comique.  Ainft 
on  peut  dire  que  Plaute  afaitfervir  les  mots 
aux  chofes,  au  lieu  que  Terence  femble  a- 
voir  voulu  aflujettir  les  chofes  aux  mots ,. 
ce  qui  fans  doute  eft  beaucoup  moins  na- 
turel. 

Voffius  eftime  (i)  que  Plaute  à  furpaffé 
Terence  par  la  variété  de  fes  matières  & 
de  fes  exprefîions  Mais  il  eft  de  l'avis  de 
ceux  qui  trouvent  plulîeurs  de  fes  bons 
mots  plats,  fades,  &  fes  jeux  d'efprit  fou- 
vent  afiés  froids  ,  languiflTans,  quelquefois 

ri- 


T.  Gérard.  Jo.  Voff  Inftitution.Pocticar.  lib.z.pag. 
Ii8.  &  rctro  pag.  125- 

3,»  C€£*id.  Jo.  V«fir.   Inftitution.  Pocticat,  lib.  î. 


Poètes    Latins.      31 

ridicules  &  malhonnêtes  ;  &  qui  le  jugent  riautei 
moins  louable  que  Terence,  en  ce  qu'il  pa- 
roît  s'être  donné  tout  entier  à  la  fatisfac- 
tion  <5c  au  divertillement  de  la  populace 
fans  diftinèlion  ;  au  lieu  que  Terence  s'eft 
refervé  pour  un  petit  nombre  d'efpritschoi- 
fis  &  de  Gens  de  bien,  dont  il  a  recher- 
ché l'approbation. 

Ce  même  Critique  dît  encore  ailleurs 
que  Pîaute  e(i  moins  prudent  &  moins 
exadt  que  Terence;  parce  que  celui-là  in- 
troduit plus  de  quatre  Entreparleurs  à  la 
fois  fur  le  Théâtre,  ce  qui  n'arrive  point 
à  Terence.  En  un  mot  Phmte  a  fait  fclon 
lui  un  très-grand  nombre  de  fautes  en  tou- 
tes rencontres,  mais  particulièrement  lorf- 
qu'il  s'agit  de  reprefentcr  les  cara6leres  de 
fes  Perfonnages,  &  les  mouvemens  divers 
des  paflions  (1). 

Mr.  d'x\ubignac  témoigne  auiîî  (3)  que 
Plaute,  qui  étoît  plus  près  de  la  moyenne 
Comédie  que  Terence,  n'a  pas  été  û  régu* 
lier  que  lui ,  lorfqu'il  s'agilfoit  de  féparer 
la  reprefentation  del'Aélion,  c'ell-à-dîre, 
de  faîrp  «-n  forte  que  ni  les  tems ,  ni  les  lieux, 
ni  les  perfonnes  préfentes  nVnf7ent  point 
de  rapport  avec  ce  qu'il  reprefcntoit.  Il 
s'efl  abandonné  tant  de  fois,  dit-il  ,au  des- 
ordre que  produit  cette  contufion,  que  la 
ledure  en  devient  importune,  qu'elle  em- 
baraife  fouvent  le  fcns,  &  détruit  les  grâ- 
ces 

pag.  22.  5c  pag.  T2Î.  fie. 

î.  Hedclin  d'Aubignac  de  la  Pratique  du  Theâtrti 
lir.  I,  chap.  7.  pag.  57. 

B  4 


gi  Poètes  Latins. 
riÂtttc.  ces  de  Ton  Théâtre.  Le  même  Cenfeur  a 
remarque  en  d'autres  endroits  que  d'un  li 
grand  nombre  de  Comédies  qui  nous  font 
refiées  de  Plante  ,  il  y  en  a  très-peu  qui 
foient  achevées  (i).  Outre  cela  il  prétend 
qu'il  fe  trouve  beaucoup  de  défordre  dans 
la  fuite  de  fes  Pièces;  qu'il  y  a  des  Scènes 
perdues,  &  d'autres  qui  font  ajoutées; 
qu'il  y  a  des  A6les  confondus  les  uns  avec  les 
autres  :  Mais  que  celles  de  Tercnce  font 
beaucoup  mieux  réglées ,  &  qu'elles  peuvent 
fervir  de  modèle  encore  aujourd'hui  ,  ce 
qu'on  ne  peut  pas  dire  de  celles  de  Plau» 
le  (2). 

Le  P.Rapin  paroît  être  du  fentîmentdes 
autres  Critiques ,  touchant  le  défaut  de  ré- 
gularité qu'ils  ont  remarquée  dans  Plante; 
mais  il  ajoute  que  quoique  cette  régularité 
ne  foir  pas  tout-à -fait  fi  grande  dans  l'or- 
donnance de  fes  Pièces,  &  dans  la  diftri- 
bution  de  fes  A6tes  que  dans  Térence ,  il 
ne  lailTe  pas  d'ailleurs  d'être  plus  fimple 
dans  fes  fujets ,  parce  que  les  Fables  de 
Terence  font  ordinairement  compofées. 
Ce  Père  reconnoît  que  Plaute  eft  ingé- 
nieux dans  fes  deifeins,  hcuieux  dans  fes 
imaginations  ,  fertile  dans  l'invention. 
Mais  il  avoué  auffi  qu'il  a  de  méchantes 
plaifantcries;  que  f.s  bons  mots  qui  fai- 
foient  rire  le  Peuple,  faifoient  quelquefois 

pitié 

7.  Le  même  Auteur  livre  2.  du  même  Ouvrage 

chap.  si.pag.  i8  3-  284. 

2.  D'Aubigniic  au  même  Traité  livre  j.  chap.  4. 
pag.  28».  2«4. 

3.  René  Rapin,P.efî''xions  particulières  fuilaloë- 
tique,  lecoûde  partie, Reftex.  zô. 


Poètes    Latins.       33 

pitic  aux  honnêtes  gens;  que  s'il  en  dit  des  piaute. 
meilleurs  du  inonde,  comme  on  ne  le  peut 
pas  nier,  il  en  dit  aulTi  quelquefois  de  tort 
méchans.  Enfin  il  prétend  que  les  dénou- 
mens  de  Terence  font  plus  naturels  que 
ceux  de  Piaute  ,  comme  ceux  de  Flaute 
font  plus  naturels  que  ceux  d'Arillopha- 
ne  (^). 

Un  Auteur  Anonyme  croit  (4),  que 
Plante  n*d\  pas  de  ces  Poètes  qu'on  peut 
imiter  indifféremment  en  toute  rencontre, 
parce  qu'il  s'cft  donné  des  licences  que 
l'on  ne  pourroit  point  fouftrir  aujourd'hui 
ailleurs  que  dans  la  bouche  des  Comé- 
diens &  des  bouffons:  au  lieu  qu'il  n'y  a 
prefque  rien  dans  Terence  qu'on  ne  puifTe 
fort  bien  employer  même  dans  les  fujetsks 
plus  graves  &  les  plus  férieux. 

Enfin  ceux  qui  feront  curieux  de  con- 
noître  une  partie  des  f.utes    particulières 
que  les  Critiques  ont  remarquées  dans  di- 
verles  Comédies  de  Piaute, pourront  con- 
fulter  Jules  Scalfger  qui  en  a  ramaffé  quel- 
ques-unes dans  fon  Hypercriiique,  (S:  dans 
le  premier  &  troîfiéme  Livre  de  fa  Poéti- 
que (f).     Nous  nous  contenterons  de  dire 
que  ce  Critique  jugcoir  l'iauie  peu  julle  ôc 
peu  heureux  dans  l'infcripti  n  de  la  plu- 
part d    fes  Comédies;  que  le  Rude}7s ^  par 
exemple j  dévoie    être    appelle  plutôt  la 

Tem* 

[  4.  Bibliograph.  Hifloric.  curiof.  Ph'lolog.  pag.  ftf. 
j.  ^.  Jnl.  Scalig  1.  i.  c  7.1. 3.C.  ulr.  1.  6.  c  z.  &.  3. 
V.  &  01.  Boitich.  Diflcrt.  de  Poët.  Lat.  num.  s. 

tt  Georg.  Matih,  Konigius  in  Biblioih.  Ver.  &l 
KaVt 


54  Poètes  Latins. 
fiante.  l'embête  \  que  le  "ïrinummus  ^  dont  il  n'eft 
parlé  qu'une  feule  fois  dans  celle  qui  por- 
te ce  nom,  devoir  avoir  celui  de  Trefor'f 
que  le  Truculentes  devoit  porter  plus  juge- 
ment le  titre  de  Ruftique  ,  &c. 

Mais  je  ne  doute  prefque  pas  que  Made- 
rrjoifelle  le  Fevre  n*ait  bien  reformé  des 
chofes  dans  les  jugemens  que  la  plupart 
des  Critiques  ont  porté  de  Plaute:&com» 
me  je  n*ai  point  encore  eu  la  fatisfadion 
de  voir  ce  qu'elle  a  pu  dire  fur  ce  fujet 
>*  dans  fa  dode  Préface  fur  les  trois  Comé- 
dies de  ce  Poète  qu^elle  a  traduites  en  no- 
tre Langue,  je  me  trouve  ob'igé  d'y  ren- 
voyer le  Leéleur.  J'ai  feulement  ouï  dire 
qu'elle  prétend  que  Plaute  a  mieux  enten- 
du les  règles  du  Théâtre  que  Terence:  & 
}e  me  fuis  imaginé  dès-lors  q^e  la  peine 
qu'elle  a  prife  pourroit  bien  être  l'effet  de 
quelque  compaffion  qu'elle  auroit  eu  pour 
je  petit  nombre,  &  de  quelque  defir  qu'el- 
le auroit  eu  de  fortifier  le  parti  le  plus  foi- 
ble  pour  faire  plus  d'honneur  à  fon  Au- 
teur, &  donner  plus  de  poids  à  fon  travail. 
Entre  Tes  diverfes  éditions  qu'on  a  faites 
de  Plaute  ,  celles  de.Douza  &  de  Gruter 
ont  paru  aiïes  bonnes,  mais  on  leur  a  pré- 
féré dans  la  fuite  celle  de  Pareus,  celle  de 

Taub* 

I.  ^.U  faloit  dire  le  Per^a  p^r  rapport  au  parafitc  Saf u- 
lion  introduit  comme  Perlan  dans  cette  Pièce.  Ceux 
^ui  ont  cru  qu^Perfa  fe  devoit  entendre  de  la  fiile  de  Sa- 
tnrion ,  que  ce  parafite  ne  fait  pas  difficulté  de  vcn«lf  e, 
pour  avoir  dequoi  manger, n*ont  pas  fait  réflexion  que 
Jerfa  ,  comme  en  Franc o:s  Perf'an  ,  eft  un  uom  touiours 
marculia,Sc  queixFlauteavoit  euen  vuclafille  deSa- 
tLQtioii^pouxeu  faùc  ic  titie  de  fa  ComcdiC;  ce n*eli 


PotTES     h  A  T  l  H  S.        gr 

Taubman  ,   &  celle  de  Gronovius ,  fans  piaut^ 
parler  de  celle  de  Mr.  de  Lœuvre  pour  le 
texte. 

Les  titres  des  vingt  Comédies  qui  nous 
reflcnt  font  ,  V Amphitryon  ,  V À/maria  , 
VAulularia  ^  les  Captifs^  le  CurculiOy  la 
Cafina^  \^  Cijîellaria^  VEpidscus ^\ts  Bac^ 
chides  ^  \^  Mojlellaria  ^  les  Mena:chmes  ^  le 
Soldat  glorieux ^  le  Marchand^  le  Pjeudo- 
lus ,  le  Pœnulus  ^  La  Perfa  (i)^  le  i^«- 
<^tf»/,  le  Stichus^  le  T'r'tnummHS ^ài  IcTrti' 
culenti^s. 

*  Plauti  Comœd'tte  XX.  3^^?//  Douz<s  filii 
(um  aaimadverfionibus  ^  m- 12.  Francof. 
.1610.  —  Phil'tpp.  Parcel  in-^.  Fraxcuf.  1610. 
in- 4.  Neapoli  1619,  —  hamhtyii  in- fol.  P<2- 
r//^  ifyy.  —  'Taabmannt  {Fr'td.)  in-4.//^;V- 
tebergce  i6l^  —  >^^  »//;rw  Delphini  'Jaco'- 
ho  Operario  in- 4.  Parif.  1679.  —  Lexico» 
Plautifjum  editum  in- 8.  HaKovia  1634» 


F. 

pas  P>r/4,  mais  P^f/j,  qu'il  l'auroît  inritulée.  L'i- 
gnorance a  cependant  fait  prendre  Perfa  pour  un  fé- 
minin, lufque-là  que  dans  les  éditions  vulgaires  de 
Cicéron  «u  livre  1.  de  la  Divination,  Perla  petit 
cliicn  de  laiillc  de  Paul  Ernile  étant  mort,  on  en  a> 
fait  une  chienne,  8c  lu  viartna  ca'ella,-â\i  lieu  de r:$r- 
tttti  catellus,  Rabtlais  chap  37.  du  livre  4.  aruivices- 
éditions,  *c  dit  Ferfa  eft  morte,  au  lieu  de  Ptrfa  eilj 
aoit;  ce  qui  a  induit  en  erreur  Toa  C9maicaut«u% 


3^      Poètes    Latine. 
P.    T  E  R  E  N  C  E  (I) , 

Africain  de  Carthage  ,  Poète  Comique , 
florilFant  particulièrement  entre  la  fé- 
conde &  la  troiliéme  Guerre  Punique, 
mort  en  Arcadie  Tan  de  la  V-ille  5-95-  ea 
rOiympîade  15- 5-.  dix  ans  avant  le  com- 
mencement de  la  dernière  Guerre  Puni- 
que; ou  félon  d'autres  l'an  599.  de  la 
fondation  de  Rome  en  la  15-6.  Olympia- 
de dans  l'Achaïe. 

Tcrence;  113^,  T  E  foin  particulier  que  la  poflerî- 
JL>  té  a  toujours  eu  de  conferver 
tout  ce  que  Terence  a  pu  lui  confier, 
efl  une  preuve  inconteliable  de  Teflime 
qu'elle  a  toujours  faite  de  tout  ce  qui 
pouvoir  venir  de  lui  ;  &  il  y  a  peu  d'Auteurs 
parmi  les  Anciens,  dont  elle  ait  plus  heu- 
reafement  pris  la  défenfe  contre  l'injure 
&  la  négligence  des  tems.  Car  on  ne  peut 
poîni  dire  que  c'eft  par  fa  faute,  que  nous 
foinmes  privés  d'un  grand  nombre  des  Ou- 
vrages de  Terence,  s'il  elt  vrai  qu'ils 
foient  tombés  des  mains  mêmes  de  leur 
Auteur,  qui  a  eu,  dit-on,  le  dép'ailir  d'en 
V')ir  le  naufrage  ,  &  de  fur  vivre  à  leur 
perie. 

C'eft  peut  être  cette  difgrace  qui  a  ren- 
chéri les  fix  Comédies  qui  ont  échappé  de 

ce 


!  y.  Tanaquill.  Faber,  2.  Ep'ft.  crit.  xi.  &  alii  Critic, 
2.  %    M.  Claiid.us  Marcellus. 
9.  Ofl  a  pris  mal-à-piopos  Cscilius  poui  Acilius. 

4.  Ce- 


Poètes    Latins.      37 

ce  naufrage ,  &  qui  a  intereiré  tant  de  fié-  HtttniK 
des  à  leur  confcrvation. 

Mais  ceux  qui  prennent  pour  une  fic- 
tion tout  ce  qu'on  a  dit  de  la  multitude  des 
compolitions  de  Terence, jugent  avec  plus 
de  rai  Ton,  ce  me  femble,que  ce  petit  nom- 
bre de  Comédies  auquel  ce  Poète  leur 
femble  s'être  borné,  tire  fon  prix  du  mé- 
rite particulier  de  ces  i  iéces  plutôt  que  du 
malheur  de  celles  que  les  autres  Critiques 
fuppofent  être  perdues. 

La  première  de  ces  Comédies,  qui  eft 
V  indrienne  ^  fut  rcprefentce  Fan  de  la  Vil- 
le fSy.  Ibus  le  Confulat  de  C.  Sulpicius 
Gallus,  &  de  M.  Claudius  (2),  166.  ans 
devant  notre  Epoque,  après  avoir  été  lue, 
approuvée  &  admirée  par  M.  Acilius  (3) 
Glabrio  l'un  des  Ediles,  à  qui  Terence  a- 
voit  eu  ordre  de  la  faire  voir  pour  être  exa- 
minée (4). 

L'/ic^'rtf,  qui  étoît  la  féconde  dans  Tor- 
dre de  la  compoliiion  ,  fut  jouée  Tan  de  la 
Ville  5-88.  tous  le  Confulat  de  T.  Man- 
lius  Torquatus,  &  de  Cn.  Odavius  Ne- 
pos. 

\S Heautontimorumene  le  fut  l'an  ^'ÇO.fous 
le  Confulat  de  T.  Sempronius  Gracchus  & 
de  M.  Juvcntius  Thalla  (5:).  ]JEu>2uque^ 
le  i'horm'ton  l'an  592.  fous  le  Confulat  de 
M.  Valerius  Meflalla  ,  &  de  C.  Fannius 
Strabo.   Celle  des  Adelphes  fut  reprcfentée 

l'an 


•  4.  Gérard  Joan.  Voff  lib.  de  ?oct.  Lat.  pag.  lo; 
Vid.  ôc  Prolog.  Comoediar.  Terentit  pafiïm. 

5   f  ■  Glan4oipius  lit  Taiva.    La  meilleuie  UçQt 


gS         P   O   E    T   E   s      L  A    T   I   K  Sr 

Tcïcflcc.  Tan  de  la  Ville  5-93.  fous  leConfulat  deL* 
Anicius  Gallus  &  de  M.  Ci)rnelius  Cethe- 
gus,  l'année  que  fe  firent  la  féconde  &  la 
troilîcme  reprefentation  de  l'Hccyre. 

Il  taut  avouer  que  ce  récit  pourroit  pas- 
fer  pour  une  efpece  de  digrelîiôn  de  mon 
fujet;mais  outre  quej^ai  reçu  de  mes  Lec- 
teurs ia  difpenfe  de  l'obligation  où  je  me 
fuis  engagé  de  ne  point  toucher  aux  faits 
qui  regardent  les  Ouvrages ,  c'eft  que  les 
Cenfeurs  équitables  eftiment  même  ces 
fortes  de  récits  indifpenfablcs  ,  lorfqu'ils 
fervent  à  donnerdu  jour  aux  jugemensque 
l'on  a  portés  des  Ouvrages  qui  en  font  le 
fujet. 

Terence  a  pris  TAndrienne,  THeauton- 
timorumene,  rEunuque&  ks  Adelphesde 
Menandre,  qu'il  n'a  prefque  fait  que  met- 
tre du  Grec  en  Latin ,  &  )t5  deux  autres 
viennent  de  cet  Apollodore  dont  nous  a- 
vons  parlé  parmi  les  Poètes  Grecs.  On 
ne  peut  pas  nier  aufîî  qu'il  n'ait  été  fecou- 
ru  dans  fon  travail  par  quelques  perfonnes 
ëe  la  première  qualité  dans  Rome.  Ces 
perfonnes  étoient  C.  Lgelius  furnommé  le 
Sage,  &  le  jeune  Scipion,  lequel ,  quoique 
beaucoup  moins  ât;é  que  Terence,  ne  lais- 
là  point  de  faire  avec  lui  une  liaifon  li  for- 
te pour  le  commerce  d'études  &  de  Let- 
tres qu'ils  entretenoient  enfemble,  qu'cwi 
a  crû  qu'il  étoit  lui-même  l'Auteur  de  ces- 

Co 

ï.  Autor  Vit.  Tcrent.  nonDonat.  fcd  Suet.  inpro» 
Jog.  omn.  édition. 
i,  Kckt.  Hiit.  de  l'Acad,  Fianf.  pai  Mx.  Feli/r, 


Poètes    Latins.      39 

Comédies  ,  &  qu'il  n'avoit  emprunté  le  Tcicncflî. 
nom  de  Terence  que  pour  ne  point  des- 
cendre de  Iba  rang  (i):  comme  a  fait  du 
tems  de  nos  Pères  le  Cardinal  de  Riche- 
lieu, qui  promettoit  obligeamment  de  prê- 
ter fa  bourfe  à  ceux  qui  vouloient  lui  prê- 
ter leur  nom  ,  pour  publier  les  Pièces  de 
Théâtre  qu'il  avoit  compofées  (2). 

L'envie  qui  fait  ufage  de  tout  pour  tâ- 
cher de  décrier  le  mérite,  ne  manqua  point 
d'employer  ce  prétexte  pour  faire  mettre 
Terence  au  nombre  des  Plagiaires.  ]VIais> 
ce  Poète  ayant  fait  juftice  non-feulement  à 
Menandre  &  à  Apollodore,  mais  encore  à 
Lselius  &  à  Scipion^  pourvût  fort  bien  à 
fa  propre  réputation  par  ce  moyen,  &  il 
fe  fit  même  un  honneur  de  ce  que  iès  en- 
vieux prétendoient  faire  tourner  à  fa  con- 
fulion  (3). 

Les  Critiques  ont  examiné  particulière- 
ment trois  chofes  dans  les  Comédies  de 
Terence:  i.  l'ordonnance  &  la  forme  de 
fes  Fables  :  2.  les  mœurs  du  Poète  &  cel- 
ks  de  fes  Perfonnages ,  ou  pour  mieux  dire 
la  morale  du  Poète  &  les  caradéres  de^ 
Perfonnages  :  3.  le  flyle  &  le  difcours. 
Comme  ils  y  ont  remarqué  une  infinité  de 
chofes  très- louables  &  très-propres  pour- 
nôtre  inllrudion  ,  ils  ont  crû  y  trouyer 
auifi  quelques  défauts  dont  ils  ont  bien; 
voulu  nous  donner  avis.  Et  quoique  quel- 
ques» 

page  iio.  jufqu'i  117.  de  l'édition  in-iz.  1672. 

i.  Tcrcnt,  Prolog,  Adclplior.  Comœd.  Item  Ci* 
ceio  lib.  7.  Et)ill.  ad  Attic.  Item  Lil.  Grcg.  Gyiald^ 
UiH*  ÏQ'ii,  PUI,  Yiii,  pag.  syo.  tom.  2,  iurt^ 


40  Poètes  Latiks. 
T<tciKs.  ques-uns  d'entre  eux,  tant  parmi  les  An- 
ciens que  parmi  les  Modernes,  fe  foient 
vifiblement  trompés  dans  les  jugemens 
qu'ils  ont  prétendu  taire  au  défavantage  de 
ce  Poète ,  on  n'en  peut  pas  raifonnable- 
ment  tirer  une  conféquence  générale  con- 
tre tous  ceux  qui  ont  pris  la  liberté  de  trou- 
ver quelque  chofeà  redire  dans  fes  Comé- 
dies ,  comme  a  fait  Jules  Scaliger  (i  )  ,  qui 
a  foutenu  que  tout  ce  que  les  bavans  re- 
prennent dans  Terence,  ne  peut  leur  pro- 
duire autre  chofe  que  du  blâme,  &  qu'ils 
ne  peuvent  être  que  de  mauvais  Juges.  Car 
Scaliger  fe  feroit  condamné  lui-même  , 
comme  nous  le  verrons  dans  la  fuite. 

$.1. 

Les  Anciens  ont  dit  peu  de  chofès  de 
l'ordonnance  à.  de  la  conduite  de  fes  Fa- 
bles. Ils  lui  ont  reproché,  félon  le  P. 
Rapin  (2.)  ,  que  fes  Fables  n'étoient  pas 
fimples  comme  celles  de  la  plupart  de  au- 
tres Comiques, mais  qu'elles  étoient  com- 
pofécN  &  doubles.  C'eft-à-dîre  qu'ils  l'ont 
accufé  de  faire  uneCoinédie  Latine  de  deux 
Grecques ,  comme  s'il  eût  voulu  fe  ren- 
forcer par  cet  exptdîent  &  animer  davanta- 
ge fon  Théâtre.  Un  autre  Critique  a  pré- 
tendu    au     contraire     (3)  ,    qu'on    ne 

re- 

1.  Jul.  CxC.  Scalig,  lib.  6.  Toctices  c.  3.  pflg.768. 

2.  Ren    Rapin, Rcfit'xions  Particul.  fur  la  ioëti- 
que,  féconde  partie  Refl.  z  5. 

3    François  VavHfleur  A  non.  Rcmarquci   ftix  lc$ 
R^eflex   touchant  la  Poet    pag.  124. 
4.  Teicm,  Iioiog.  ùi  Audit  Coiuoed, 


Poètes    Latins.       41 

reprochoît  pas  à  Terence  que  fcs  Corné-  Teitncc; 
dies  étoient  compofées  de  deux  principales 
affaires,  mais  qu'il  prenoic  une  partie  d'un 
endroit  des  Grecs ,  &  une  partie  de  l'autre. 
Il  feinble  que  Tune  &  l'autre  de  ces  deux 
opinions  peut  fe  défendre  par  l'autorité 
même  de  Terence  (4)  ;  que  l'une  ne  détruit 
pas  l'autre,  &  que  pouvant  fubiifter  toutes 
deux  enfemble,  elles  font  toujours  con- 
noîire  que  l'œconomie de  fes  Compofitions 
n'étoit  pas  généralement  approuvée. 

C'eft  peut-être  ce  défaut  d'invention  qui 
Ta  fait  appel  1er  par  Cefar  un  Demi- Menant 
àre^  ou  comme  l'explique  le  P.  Rapin ,  un 
Diminutifde  ce  Poète  Grec  (5-);  parceque 
bien  qu'il  eût  pris  fes  dépouilles,  il  n'avoit 
néanmoins  pas  pu  prendre  entièrement  fon 
caradcre  &  fon  génie,  &  qu'on  ne  lui 
trouvoit  ni  force  ni  vigueur  ,  quoiqu'il  eût 
beaucoup  de  douceur  &  dedélicatefTe.  Mais 
au  refte,  ajoute  ce  même  x\uteur  ,  Teren- 
ce a  écrit  d'une  manière  ii  nûturcllc  &  fi 
judicieufe,  que  de  copilte  qu'il  étoit,  il  eft 
devenu  original.  Car  jamais  Auteur  n'a 
tu  un  goût  plus  pur  de  la  nature. 

Un  ancien  Ecrivain  que  Mr.  d'Aubi- 
gnac  a  pris  pour  le  Grammairien  Donat 
(6)  ,  femble  avoir  aufli  trouvé  à  rédire  à 
l'ordonnance  des  Fables  de  Terence.  Il 
l'accufe  d'avoir  ailes  mal  gardé  les  bien- 

féan- 

j.  Sueton.  in  Vita  Terentii  prifix.  édition.  Ter. 
ubi  referuntur  vejfus  aliquot  fuperftit.  C.  Cxfaris, 
Item  Thomafl".  &  Rap. 

6.  Suet.  in  Vit.  Ter.  Item  Hcdclia  d'Aubignac 
de  la  Piatiquc  du  Theâtic  liv.  z.  chap.  lo.  pag. 
X8j. 


42  Poètes  Latine. 
Tacace.  féances,  d'avoir  fait  des  palTions  trop  lon- 
gues &  trop  ardentes  pour  le  genre  Comi- 
que qu'il  reprefente  ,  &  d'avoir  employé 
fouvent  des  eipreffions  trop  nobles  &  trop 
relevées,  prétendant  que  c'étoit  fortir  des 
limites  dans  lefquelles  les  règles  defon  Art 
l'obligeoient  de  fe  renfermer. 

II  s'eft  trouvé  auffi  quelques  modernes 
qui  n'ont  pas  jugé  que  le  fonds  &  Tordre 
de  Tes  Fables  fût  irreprehenfiblc  (i),  &  qui 
ont  publié  qu'il  n'étoit  point  heureux  dans 
l'invention  de  fon  fujet.     Mais  cette  cen- 
fure  ne  paroît  pas  fort  neceflaire, quand  on 
çon/idere  que  Terence  n'a  point  voulu  é- 
prouver  fes  forces  fur  ce  point,  &  qu'il  a 
bien  voulu  attribuer  la  gloire  de  l'invention 
du  fonds  de  fes  Comédies  aux  Grecs  ;  ce 
qui  lui  eli  commun  avec  plufieurs  autres 
Poètes  Latins.  Quoiqu'il  en  foit,  on  coa- 
vient  aiïes  que  Terence  eft  judicieux  dans 
fes  Epkafes^  &  naturel  dans  fes  Catafiro" 
phes  (2).    Cela  veut  dire  qu'il  conduit  fort 
bien  l'embarras  ,  les  difficultés  &  les  dan- 
gers qui  font  le  fort  de  la  Pièce,  h  qu'il 
les  fait  arriver  naturellement  à    leur  fin, 
c'eil-à  dire  au  dénoument  de  l'intrigue. 

Et  pour  faire  voir  qu'il  avoir  le  génie 
véritablement  Comique ,  &  qu'il  favoit  par- 
faitement les  règles  de  l'Art  ,  Mr.  d'Au- 
bignac  (3)  dit,  que  c'eft  lui  qui  nous  a 
donné  des  modèles  de  la  nouvelle  Comé- 
die, où  l'on  a  fû  féparer  l'Adion  Théâ- 
trale 

1.  Claudîus  Verdeiius  in  CenCon.  omn.  Audior. 

2.  Renc  Rapin,R.eâ.  féconde  partie  comme  ci-  dciTuj, 


Poètes    Latins.       43 

traie  d'avec  la  Reprefentation.  Cela  con-  Teicncr; 
iillofc  à  prendre  un  fujet  auquel  ni  l'Etat  ni 
les  Spedateurs  n'avoient  aucune  part  ;  à 
ChoKir  des  avantures  que  l'on  fuppolbit 
être  arrivées  dans  des  pays  fort  éloignés, 
avec  kfquels  la  Ville  où  fe  faifoit  la  Re- 
prefentation n'avoit  rien  de  commun  ;  & 
à  prendre  un  tems  auquel  les  Speâateurs 
n'avoient  pu  être.  Àulfi  ne  verra-t-on  pas, 
ajoute  ce  Critique,  que  Terence  fe  foit 
emporté  à.  ce  dérèglement ,  ni  qu'il  ait 
mêlé  la  Reprefentation  aux  Adions  qu'il 
imitoit  dans  fes  Poèmes:  ou  s'il  l'a  fait, 
c'eft  fi  rarement  &  fi  légèrement,  qu'il 
n'en  eft  pas  fort  blâmable.  Enfin  cet  Au- 
teur paroît  avoir  été  fi  perfuadé  de  la  capa» 
cité  de  Terence  &  de  fa  régularité  en  tou- 
tes chofes,  qu'il  a  entrepris  fa  défenfecon* 
tre  divers  Critiques  îndifcrets  qui  avoient 
prétendu  lui  trouver  des  fautes  par  un  ef- 
fet de  leur  propre  ignorance  ou  par  une 
pure  envie  de  critiquer.  Ce  Traité  a  pour 
titre  Terence  jujîifie\  à.  je  ne  doute  pas  que 
je  n'en  eufiTe  reçu  beaucoup  de  fecourspour 
Bion  fujet,  'C\  l'avois  pu  parvenir  à  le  trou- 
ver pour  en  faire  la  ledure. 

Ç.  2. 

Pour  ce  qui  efi  de  la  morale  de  Teren- 
ce, on  peut  dire  qu'elle  ne  pouvoit  pref- 
que  point  ctre  plus   réglée  ni  plus  pure 

hors 

î.  Hcdel.  d'Aubign.  Putiq.  du  Thcâtic  lific  r» 
<hap.  7.  &c^ 


44  Poètes  Latins. 
Tcrence.  hors  du  Chrillianifme  ,  qu'elle  le  paroît 
dans  fes  Comcdies.  Auffi  s'étoit-il  appli- 
qué à  la  tirer  de  la  doctrine  des  Philofo- 
phes,  comme  Ciceron  Ta  remarqué  (i), 
lorfqu'il  a  écrit  que  Terence  avoit  em- 
prunté beaucoup  de  chofes  de  la  Philofo- 
phie. 

Grotîus  témoigne  (2),  que  s'il  cft  utile 
aux  jeunes  gens  à  caufe  de  la  pureté  de  Ion 
ftyle  &  de  fes  autres  agrémens,  il  n'eft  pas 
moins  propre  pour  Tinfiruâion  des  hom- 
mes, de  quelque  âge  &  de  quelque  état 
qu'ils  puiiïent  être,  parce  qu'ils  y  voyent 
comme  dans  un  miroir  fidèle  une  belle  i- 
mage  de  la  vie  &  des  mœurs  de  leurs  fem- 
blables. 

Volïïus  femble  dire  que  cette  fage  con- 
duite qu'il  a  obfervée  dans  toute  fa  morale 
eft  l'elfet  de  la  folidité  de  fon  jugement 
(3);  que  ne  s'étant  point  étudié  à  fuivre 
les  inclinations  de  la  Populace,  qui  ten- 
dent pour  l'ordinaire  à  la  corruption  &  au 
d-éréglement ,  il  ne  s'eft  attaché  qu'à  ins- 
truire les  honnêtes  gens  d'une  manière 
qui  leur  plût  ;  &  qu'il  a  eu  au  delfus  des 
autres  Poètes  Comiques  l'avantage  &  la 
gloire  de  corriger  des  courtifancs  ,  &  de 

les 

ï.  Cicero  TufcaUn.  quxftion.  lib.  î  &  apudTfeo- 
mafl.  lib.  i.  c  15.  n.  12. 

2.  Hug  Grotius  Epiftol.  ad  Benjam.  Maurciium 
pag.  IÎ4.  poftNaudzum. 

fl  Le  ciuffrc  renvoie  à  une  Lettre  d'Hugo  Grotîus 
datée  de  Roterdam  1615.  à  Benjamin  du  Maurier 
Ambafladeui  de  France  en  Hollande,  pig.  134.  pojl 
Naud^um,  ce  qui  veut  dire  que  cette  Lettre  le  trou- 
ve imprimée  à  la  luite  de  la  I>ibliogiaphie  politique 

de 


Poètes    Latins.      45* 

les  porter  à  un  genre  de  vie  plus  fage  &  Tcrence^:* 
plus  réglé. 

Mr.  de  Saci  paroît  avoir  eu  auflî  les  mê- 
mes fentimens  (4) ,  lorfqu'il  a  die  que  Te- 
rence  a  tracé  dans  les  Comédies  un  ta- 
bleau excellent  de  la  vie  humaine;  &  que 
fans  ufer  d'aucun  artifice,  ni  atfecler  au- 
cune adrefle,  il  a  peint  les  hommes  par  les 
hommes  mêmes  ,  en  les  faifant  paroître 
fur  fon  Théâtre, tels  qu'ils  paroiffent  tous 
les  jours  dans  leurs  maifons  &  dans  le 
commerce  de  la  vie  civile. 

Le  P.  Thomaffin  ellime  (5-)  ,  que  les 
Anciens  conlîderoientTerence  comme  un 
autre  Menandre,  particulièrement  pour  ce 
caradere  moral  qui  l'a  diflingué  des  autres. 
Car  on  convient  que  Menandre  ell  celui 
d'entre  tous  les  Comiques  ,  &  peut-être 
même  entre  tous  les  Poètes  Grecs  qui  a 
fliit  plus  de  leçons  de  morale  dans  fes  Poe- 
fies.  Le  même  Père  a  cru  que  pour  nous 
perfuader  que  Terence  n'a  rien  écrit  qui 
ne  doive  être  conforme  aux  règles  de  l'hon- 
nêteté &  de  la  fageflè,  il  fuffit  de  conlide- 
rer  que  Scipion  y  a  eu  part:  &  que  c'efl 
relever  bien  hautement  le  mérite  des  Co- 
médies de  Tércnce ,  de  dire  qu'il  y  a  des 

traits 

de  Gabriel   Naudé.     C'eft   U   cinquante  quatrième 
des  Lettres  de  Grotius  in  fol.  Amfterdam  1687. 

3.  Ger.   Jo.  Voflius  Inftitution.  Poëticar.  iib.  z, 
pag.  114-  Î25- 

Item  ibidem  pag.  12T.  nj.  &  paq.  128. 

4.  Préface  de  la  Trad.Frauç.  des  Comed.de  l'Andr, 
d«s  Adelpli.  8c  de  Phormion. 

5.  Louis  ThomalTin  ,  de  la  manière  d'étudier  5c 
d'enfeigner  Cluéticnnemenc  les  Poètes  Ilv.  i,  tomi 
I.  ch-ip.  15.  nomb  î2.  p.  Z03. 


46      Poètes    Latins. 

Yewû^e/  traits  non-feulement  du  plus  grand  hom- 
me qu'eût  alors,  &  qu'ait  peut-être  jamais 
eu  l'Empire  Romain  (i),  mais  d'un  des 
plus  fages  &  des  plus  grands  amateurs  de 
la  fageiTe  &  des  Sciences  qui  ayent  jamais 
cté  parmi  les  Païens. 

Mais  quoique  Tcrence  ait  pafle  de  tout 
tems  pour  un  des  plus  honnêtes  &  des 
plus  retenus  d'entre  tous  les  Poètes  profa- 
nes, il  ne  laifle  pas  de  fe  trouver  dans  no- 
tre Religion  des  Critiques  dont  la  délica- 
telTe  eft  li  chafte,  &  dont  le  goût  eft  fi  in- 
corruptible, qu'ils  ne  peuvent  fouifrir  que 
ce  Poëte  ait  mêlé  dans  fes  Comédies  des 
chofes,  qui  bien  qu'exprimées  en  des  ter- 
mes honnêtes  ,  excitent  néanmoins  des 
images  dangereufes  dans  ceux  qui  les  H- 
fent,  &  blcffent  d'autant  plus  la  pureté, 
qu'elles  le  font  d'une  manière  plus  imper- 
ceptible &  plus  cachée  (2).  Si  l'on  con- 
damne Terence  pour  ces  libertés,  je  ne 
vois  pas  quel  eft  le  Comique  qu'on  pourra 
renvoyer  abfous  ,  même  parmi  ceux  de 
notre  Religion. 

Terence  n'a  point  acquis  moins  de  gloi- 
re par  les  mœurs  qu'il  a  données  à  fes  pcr- 
fonnages  que  par  fa  propre  morale.  Var- 
ron  difoit  (3) ,  que  c'eft  principalement 
pour  l'art  de  repreienter  les  mœurs  qu'il  a 
remporté  le  prix  fur  les  autres,  comme 
Caecilius  pour  l'invention  des  fujets ,   & 

Plau- 

'    T.  Cîceron  dit:  Tnfttr  clegAnttam  ftrmonisx  &  ne 
Jiarle  que  de  Laelius. 

z.  Préf.  d'If,  le  Maiftre  de  Saci,  comme  ci-deflus. 

3.  Vaiio  in  Ptimeaonc  ^  Nonius  Marcel,  iavocc 


Poètes    Latins.      4^ 

Plante  pour  la  beauté  des  diTcours.  Tcrence, 

En  effet ,  fi  nous  en  croyons  un  ancien 
Grammairien  (4),  perfonne  n'a  jamais  été 
plus  éxad  que  Terence  dans  l'obfervation 
de  tout  ce  qui  concerne  les  perfonnages 
defes  Comédies,  tant  pour  leur  âge,  leur 
condition ,  &  le  rang  qu'il  leur  a  une  fois 
donné ,  que  pour  leurs  devoirs  &  les 
fondions  qui  y  font  attachées.  Il  ajoute 
que  ce  Pocte  eft  le  feul  qui  ait  ofé  intro- 
duire fur  le  Théâtre  d'honnêtes  courtifa- 
nes,  quoique  l'honnêteté  ne  foTt  pas  ordi- 
nairement le  caradere  que  l'on  donne  à 
ces  fortes  de  perfonnes.  Mais  avec  tout  le 
ferieux  qu'il  a  employé  dans  le  genre  Co- 
mique, on  ne  peut  pas  dire  qu'il  ait  jamais 
donné  aucun  air  Tragique  ou  trop  élevé  à 
fes  perfonnages,  comme  il  ne  les  a  jamais 
fait  defcendre  dans  le  caradlere  bouffon. 
C'eft  un  tempérament  auquel  le  même 
Auteur  dit,  que  ni  Plaute,  ni  Afranius, 
ni  Accius  n'ont  jamais  pu  parvenir. 

Enfin  le  P.  Kapin  écrit  que  (5)  c'eft 
dans  l'expreffion  des  mœurs  que  Terence 
a  triomphé  par  defTus  les  Poètes  de  fon 
tems,  parce  que  fe«  perfonnages  ne  for- 
tent  jamais  de  leur  caraélére,  &  qu'il  ob- 
ferve  les  bien-féances  avec  une  rigueur  en- 
tière. 


$•3- 

4.  Eranthius  feu  quis  alius  deTragœd.  &ComoecU 
ia  Prolcgomen.  ad  Tcxeat.  édition,  per  Nicol.  Ca- 
vnus. 

j,  R..  Rapin  Réflexion  25.  fur  la  Poétique  prcmic- 
xe  paitic  pag.  59,  de  l'edit.  i»-ii, 


.Tôrencc, 


4S      Poètes    Latins. 
§.3. 

Mais  on  peut  dire  que  rien  n'a  tant  don- 
né matière  de  difcourir  aux  bons  &  aux 
méchans  Critiques  que  le  ftyle  &  la  dic- 
tion de  Terence.  On  ne  peut  point  nier 
qu'il  n'ait  toujours  été  confideré  comme 
un  homme  incomparable ,  &  comme  le 
premier  d'entre  les  Auteurs  Latins  pour 
ce  qui  regarde  la  pureté  du  ityle,  la  grâce 
&  la  naïveté  du  difcours.  (i) 

Suétone, qui  a  écrit  fa  Vie  (2),  nous  a 
confervc  divers  témoignages  des  plus  an- 
ciens Auteurs  qui  ne  nous  permettent  pas 
d'en  douter.  Afranius ,  qui  a  vécu  fort  peu 
de  tems  après  Terence ,  dit  nettement 
qu'il  n'y  avoit  perfonne  qu'on  pût  mettre 
en  parallèle  avec  lui  (3).  Céfar  témoigne 
auffi  qu'il  avoit  juftement  mérité  les  pre- 
miers rangs  pour  la  pureté  de  fon  difcours, 
&  qu'il  fe  feroit  rendu  égal  aux  plus  par- 
faits d'entre  les  Grecs ,  s'il  eût  eu  un  peu 
plus  de  cette  force  que  demande  le  genre 
Comique  (4). 

Ciceron  le  loue  extraordinairement  en 
plufieurs  endroits  de  fes  Ouvrages ,  &  de 
ceux  même  qui  fe  font  perdus,  &  dont  on 

nous 

1.  De  Saci ,  Préf.  de  fa  Trad.  Franc. 

2.  Sueton.  in  Vit.  Tcrcnt.  inter  Suetonii  Opéra  Se 
in  edit.  Ter. 

3.  Afranius  in  conipitalib.  in  fragra.  in  Vit.  pcr 
Suet. 

Item  apud  Gregor.  Gyral.  &  alios. 

4.  C.  Csfaris  vcrf.  à  Suctonio  citati  in  Vit.  Tc- 
fCnt, 

S- Ci'. 


Poètes    Latins.      49 

îious  a   coiifervd  quelques  fragmens  (5).  Tcrcnce* 
Il  lui-  attribue  une  douceur  merveilleufe. 
11  le  conlidere  comme  la  règle  de  la  pureté 
de  fa  Langue.   Il  alîbre  que  toute  la  poli- 
telTe  Romaine  eil  renfermée  en  lui;  &  il 
témoigne  que  fes  Comédies  av oient  paru 
fi  belles  &  li  élégantes,  que  pour  cette  rai- 
fon  on  croyoit  qu'elles  avoient  été  écrites 
par  Scipion  &  Lœlius  ,   qui  étoient  alors 
les  deux  plus  grands  perfonnages  &  le$ 
plus  éloquens  hommes  du  Peuple  Romain 
(6).   C'eft   ce  qu'il  ne  nous  donne    que 
comme  une  conjeclure  afTés  légère  en  par- 
lant de  Laelius,   parce  que  plusieurs  per- 
fonnes,  au  rapport  de  Santra  (7),jugeoient 
que  tî  T-erence  avoit  été  affilié  par  quel- 
qu'un dans  fes  Comédiens,  il  ne  Tavoit  pu 
être  par  Lœlius  &  Scipion  ,   qui  étoient 
encore  trop  jeunes  lorfque  Terence  écri- 
voit,   pour  pouvoir  lui  être  utiles  ;   mais 
qu'on  devoit  plutôt  avoir  cette  penfée  de 
Sulpicius  Gallus  ,  homme   docte  de  ces 
tems-là,  ou  de  Q.  Fabius  Labeo  &  de  M. 
Popilius ,   tous  deux  Confulaires  &  tous 
-deux  Poètes.  Quoiqu'il  en  foit,  Ciceron 
a  toujours  eftimé  li  fort  la  beauté  du  ilyle 
&  la  netteté  des  exprefljons  de  Terence, 
que  félon  la  remarque  du  P.  Briet  (S),  il 

a 

j.  Cicero  in  Limone  feu  Florileg.  rerfuum  deper- 
dito,  cujus  fragment,  cxtat  apud  eunidem  Sueton. 

6.  Idem  Cicei.  lib.  vu.  Epiflol.  3.  ad  Attic.  uc 
fupià. 

Cela  ne  ruine  point  la  leRexion  que  nous  avons 
rapportée  du  P.  ThomalTin  ci-deflus. 

7.  Santra  apud  Sueton.  in  Vit.  Ter.  ut  fupr. 

8.  Philip.  Briet.  lib.  i.  de  Pcçt.  Latin,  pxxfijt.  Col- 
Icft.  acutè  diftor.  per  Pocraj, 

TomAlLFmAL  C 


fo     Poètes    Latins. 

srcicucc,  a  pris  de  ce  Poète  les  plus  belles  manières 
ck  parler  qu'il  a  employées  dans  Tes  Li- 
A'res  de  TOrateur. 

Les  témoignages  avantageux  que  les  au- 
tres Anciens  ont  rendus  à  Tecence  pour 
ce  point,  n'ajoutent  prefquerien  à  ce  que 
410US  venons  de  rapporter,  mais  on  peut 
.du  moins  remarquer  le  confentement  & 
l'uniformité  avec  laquelle  les  plusconlidé- 
rables  &  les  plus  judicieux  d'entre  eux  en 
ont  parlé;  de  forte  qu'on  peut  dire  que 
ce  goût  que  Ton  a  eu  pour  fon  llyle.,  a  été 
prefque  univerfel.  C'eft.ce  qu'il  eft  aifé  de 
voir  par  le  recueil  de  ces  témoignages  que 
Mr.  Camus  a  mis  à  la  tête  de  fon  édition^ 
où  Ton  trouve  parmi  les  autres  un  frag- 
ment d'Evanthius  ,qui  nous  fait  remarquer 
que  Terence  paroît  s'être  éloigné  de  toute 
atfeciation  ;  ce  qui  ell  allés  rare  en  des  Au- 
teurs qui  le  font  appliques  à  fe  rendre  po- 
lis &  élégans  (i).  Ce  Grammairien  ajoute 
qu'il  n'a  point  employé  de  termes  trop  dif- 
ficiles, ni  d'expreffions  trop  myfterieufes, 
pour  obliger  fes  Ledeurs  à  chercher  du  iè- 
cours  ailleurs,  afin  d'en  avoir  Tintelligen- 
ce.  C'eft  ce  qui  fait  qu'il  n'eft  point  obfcur 
comme  Plaute.  Il  dit  aulTi  qu'on  voit  dans 
tout  ce  qu*a  fait  Terence;  une  liaifon  na- 
turelle   des  parties  &   un  enchaînement 

mer- 

I.  Evanthîus  ut  fupra.  Item  Ciccro  de  optimo 
génère  Oratorum  non  femel.  Vel.  Patercul.  liK 
a.  tliftor.  Plin.  Jun.  lib.  i.  &  alii  non  pauci.  V. 
Prolegom.  Nie.  Camus  5cc. 

i.  Ju],  Scalig.  lib.  6,  Foeticcs  cup.  j,  pag,  76t.  ut 
fupjà, 

i.  IdeuL 


Poètes    ïi  a  t  i  n  s.      ft 

tnerv^illeux  du  Commencement  avec  la  fin  Tcrcacc^ 
de  fon  difcours. 

Le  ftyle  de  Terence  n'a  point  trouvé 
'ftîoins  de  partifans  &  d'admirateurs  parmi 
les  modernes  que  dans  TAntiquité.  Jules 
Scaliger  loue  Tartifice  qui  -paroît  dans  la 
difpolition  de  fes  matières  &  dans  l'arran- 
gement de  lès  mots  {%);  &  c'eft  dans  cette 
proportion  que  conlide  fa  beauté.  Le  mê- 
me Critique  dit  ailleurs  (3),  que  Terence 
ell  une  excellente  lime  propre  à  polir  la 
vieille  &  la  nouvelle  Latinité;  &  fon  fils 
Jofeph  reconnoiflant  qu'il  y  a  dans  ce 
Poète  des  délicatefles  &  des  agrémens  infi- 
nis, ajoute  que  de  cent  perfonnes  qui  les 
-fifent,  à  peine  s'en  trouve-t-il  un  qui  les 
y  apperçoive  (4). 

Mr.  Guyet  dit  (5*),  que  Terence  renfer- 
me en  lui  feul  toutes  les  beautés  qui  fc 
trouvent  répandues  dans  tous  les  autres 
Comiques  ;  &  que  bien  qu'elles  y  foient 
fort  fréquentes,  elles  y  brillent  beaucoup 
plus  que  dans  ceux  même  où  elles  font 
rares.  Et  félon  M  r  le  Fevre  de  S  au  mur 
(6)  ,  fi  Longin  a  eu  railbn  de  dire  que 
c'elt  une  marque  infaillible  de  l'excellence 
d'un  Livre,  lorfque  fes  charmes  font  ca- 
chés, &  lorfque  plus  on  le  lit,  plus  on  le 
veut  lire;  la  vérité  de  cette  penfée  fe  fait 

con- 

).  Idem  in  l'ibiis  de  câuds  Ling.  Lat.  &  exeoTt^ 
oaq.  Fab. 

4.  Jofeph.  Scaliger  refereute  etiam  T.  Fabro  ôcc. 

5.  Franc,  Guyet  in  not.  ad  Tereut.  Cômoed. 

<S.  Dion.  Cafl".  Longin.  in  fublim.  &  ex  eo  Tan, 
Fiiber.  prafac.  ad  Tcrcut,  Comocd,  çdit.  Salmiuc. 
T&71.  ifl-La, 

C  â 


Si        PoETtS     LaTIMS. 

•T«cgce,  connoître  particulièrement  dans  les  Co- 
inédies  de  Terence,  qui  par  leurs  attraits 
fe  font  toujours  lire  &  toujours  relire  avec 
un  plaifir  nouveau  ,  &  qui  laillent  dans 
Tefprit  de  leurs  Lecieurs  un  appétit  infa- 
tiable,  qui  fait  qu'on  ne  fe  lalTe  jamais  de 
les  aimer  &  d'admirer  leur  Auteur. 

Ce  bon  effet  vient  aulTi,  au  jugement 
d^'un  Anonyme  moderne  (i),  de  ce  que 
Terence  entremêle  dans  fes  difcours  quel- 
ques Sentences  excellentes  qu'il  applique 
avec  une  naïveté  merveilleufe.  Il  ajoute 
que  ce  Poète  excelle  encore  dans  des  nar- 
rations continuées  &  fuivies,  &  dans  l'oe- 
conomie  de  tout  fon  Ouvrage. 

Mr.  de  Chanterefne  dit  (2)  ,  que  la 
beauté  de  ce  Poète  ne  confiHe  nullement 
dans  les  penfées  rares,  mais  dans  un  cer- 
tain air  naturel;  dans  une  iïmplicité  facile, 
élégante  &  délicate  ,  qui  ne  bande  point 
î'efprit,  qui  ne  lui  prefen.te  que  des  images 
communes ,  mais  vives  &  agréables  ,  & 
qui  fait  11  bien  le  fuivre  dans  fes  mouvc" 
mens ,  qu'elle  ne  manque  jamais  de  lui 
propofer  fur  chaque  fujet  les  objets  qui 
font  capables  de  le  toucher,  &  d'exprimer 
toutes  les  paffions  &  les  mouvemens  que 
les  chofes  qu'elle  rçpréfenxe  y  doivent  pro- 
duire. Cette  beauté  femble  être  particuliè- 
re à  Terence  &  à  Virgile,  &  l'idée  qu'on 
vient  d'en  donner  fait  afTés  voir  qu'elle  eft 
fncore  plus  rare  &  plus  difficile  que  celle 

qui 

j.  If,  le  Maiftre  de  Sacî,  Préf.  fur  U  Trid.  franc. 
2.  Çhiijacci;.  ou  ^icgk ^Ëducai^  4»  fxificc  2.  part. 


PoÉtEs    Latins.      5*3 

qui  coniiQe  dans  les  penfées  extraordinai-  Tercnce. 
Tcs  &  Ibrprenantcs,  puilqu'il  n'y  a  point 
d'Auteurs  dont  on  ait  moins  approché  que 
de  ces  deux-là.  Cependant  c'eil  cette  beau- 
té qui  fait  l'agrément  &  la  douceur  de  la 
converfation  civile,  &  elle  elt  d'un  bien 
plus  grand  ufage  que  l'autre  beauté  qui 
Gonlille  dans  les  penfées. 

G'eft  fans  doute  cette  beauté  naturelle 
&  ce  grand  talent  qui  a  fiiit  dire  à  Mr. 
Gueret  (3) ,  que  Terence  ell  agréable  par 
tout  fans  le  vouloir  être;  que  l'on  vol  eft 
toujours  égal ,  qu'il  ne  plane  pas  com- 
me Plaute  fur  une  penlee,  &  qu'il  ne  fuit 
rien  tant  que  ces  endroits  favoris  qu'on 
arrange  par  compartimens  dans  un  Ou- 
vrage pour  fuirprendre  le  Le6teur  à  chaque 
reprife.  C'eft,  dit-il,  dans  Terence  qu'on 
trouve  cette  Urbamté  que  l'on  cherche 
tant.  Mais  elle  n'eft  pas  du- goût  de  ceuî 
à  qui  l'air  naturel  des  chofes  ne  peut  plai- 
re, ni  de  ceux  qui  n'aiment  que  le  fard  & 
Tatîéterie,  ni  enfin  de  ceux  à  qui  les  beau- 
tés ne  font  point  feniibles  quand  elles  font 
fimples  &  modeftes. 

Rien  n'étoit  plus  propre  pour  foutenir 
également  par  tout  cet  air  naturel  que  la 
propriété  des  termes,  c'ell-à-dire  l'emploi 
dc5  mots  daas  leur  fignificarion  propre. 
C'elt  en  quoi  Terence  a  parfaitement  réulîi 
au  jugement  de  tout  le  monde,  &  c'elt  en 
ce  point  qu'on  peut  dire  qu'il  a  particuliè- 
re- 

paragruph.  ?9.  pa».  63.  ^4. 
J-.  Gi.  eict  de  la  guerre  des  Auteurs  p.  »j.  y%f 

Ci 


1*4         P  O  E   T  B   s      L  A  T  1   N,  S^. 

Teicûcc.  rement  excellé,  &  qu'il  s'eft  élevé  beau- 
coup au  delTuS'de  tous  les  autres  Comi-- 
ques,  comme  roiit  remarqué  Mr.  le  Fé- 
vre  (i)  &  le  P.  Lamy  de  l'Oratoire  a- 
près  quelques,  autres  Anciens  (2). 

Enfin  c'eft  achever  les  éloges  qu'on 
peut  faire  du  ftyJe  de  Terence  de  dire  qu'il 
n'y  en  a  point  de  quelque  Auteur  que  ce 
foit  qui  paroilTe  plus  utile  pour  quelque 
genre  d'écrire  qu'on  veuille  embrafTer;  & 
que  ce  ftyle  tout  Comique  qu'il  paroît 
dans  les  Pièces  de  Terence  eft  très-propre 
pour  traicer  les  fujets  les  plus^férieux,  ce 
qu'on  ne  peut  pas  dir€  de  celui  de  Plaute. 
C'eft  ce  qu'un  Critique  anonyme  d'Alle- 
magne a  remarqué  au  fùjet  de  quelques 
Hiftorîens  &  particulièrement  d' Arnoul  du 
Ferron  Continuateur  de  Paul  Emile,  &  de 
Daniel  Heînfius^qui  dans  l'Hiftoire  du  fié»- 
ge  de  Bofleduc  a  inféré  avec  beaucoup 
d'artifice  un  grand  nombre  de  Sentences 
de  Terence,  quoiqu'il  ait  aiîeâe  une  fubli?^ 
mité  de  ftyle  dans  tout  cet  Ouvrage  (3). 

Après  avoir  dit  tant  de  bien  du  ilyle  de- 
Terence  ,  les  obligations  que  je  me  fuis- 
impofées  dans  ce  Recueil  ne  me  permet- 
tent pas  de  dilîimuler  ce  que  quelques  Cri- 
tiques en  ont  écrit  à  fon  défavantage. 
Nous  avons  déjà  vu  que  Cefar  ne  lui  trou- 
volt  point  afles  de  force  &. qu'il, le  jugeoit 
*  trop 

î,  Tanaq.  Faber.  Pfscftt.  ad  Terenr. 
2.  Entrée,  fur  les  Sciences  Se  ies  Ecudes  ,  4.  Entt. 
V^g'  155. 

3    Eibiiograph.  anonym.  Cusiof,  Hifloi,  Tliilolog, 


Poètes    L  a  t  i  n  S;       ff 
trop  rampant  (4),   il  feinble  même  par  le  "i^icnc^» 
refte  de  Tes  Vers  que  Suétone  nous  a  con- 
(èrvé  que  c'étoit  Topinion  de  ce  tems-là. 

Plufieurs  veulent  auffi  qu'Horace  ne  lui 
ait  point  rendu  toute  la  juftice  qui  lui  e(V 
due,  lorfqu'il  s'eii  contenté  de  dire  lim-' 
plement  que  Terence  fe  faîfoit  difiînguer 
par  l'artifice  de  Tes  compoiitions ,  comme 
Gaecilius  par  la  gravité  (y).  Quelques  Cri** 
tiques  modernes  ont  prétendu  qu*Horace 
parloit  en  cet  endroit  plutôt  félon  le  fenti- 
ment  du  vulgaire  que  félon  le  lien  propre, 
&  ils  ont  crû  par  ce  moyen  travailler  au* 
tant  pour  la  réputation  d'Horace  que  pour 
celle  de  Terence  (6).  Daniel  Heinfius  a 
fait  une  favante  DilTerration  pour  défendre 
Plante  &  Terence  contre  le  jugement  dés- 
avantageux de  ce  Poète  Critique.  Jean 
Henri  Boéclerus  a  fait  prefque  la  même 
chofc  pour  Terence  dans  les  Remarques 
qu'il  a  écrites  fur  les  jugemensdiversqu'on 
a  faits  de  ce  Comique.  On  trouve  ce  qu'en 
ont  donné  l'un  &  l'autre  dans  le  Recueil 
des  Pièces  que  Mr.  Camus  a  miles  à  la  tê- 
te de  fon  édition. 

On  peut  mettre  au  rang  de  ceux  qui 
n'ont  pas  affés  connu  le  mérite  de  Te- 
rence ce  Vûlcatius  Sedigiius  dont  Aulu- 
Geîle  rapporte  la- Critique  qu'il  a  voulu 
faire  des  dix  Comiques  Latins,  parce  qu'il 

ne 


4.  Th  hic  defpe^HS  pArif. 

5.  Horat.  lib.  2.  Epiftoli  ad  Auguftum. 

6.  D.^n.  Heinfius  de  Comoed.  &  Tragced 

Item  ],  H.  Boeder,  oblervat.  io  vaiior,  judicla  de 
Tcreutio  ia  Pioleg.  Ter. 

G  4- 


Teiçncc, 


fô        P  O  E   T   E  S.     L  A   T  IN.  S^. 

ne  lui  donne  que  le  fixiéme  rang  (i).  Mais- 
ii  y  a  lieu  de  s'étonner  qu'un  auffi  bon 
Grammairien  qu'étoic  Servius  ait  jugé  que 
Terence  n'eft  préférable  aux  autres  Poètes 
Comiques  que  pour  la  propriété  de  fes  ex- 
prelTions,  &  que  dans  le  refte  il  leur  eft 
inférieur  (2).  Mr.  le  Févre  a  craque  ce 
feroît  expliquer  fort  bien  la  penfée  de  Ser- 
vius, de  dire  que  Terence  a  le  deflus  des 
autres  pour  l'art  d'exprimer  le  naturel, 
mais  qu'il  leur  cède  pour  le  mouvement 
des  paillons  (3).  Ce  qui  ne  me  paroît  pas 
tout -à-fait  conforme  au  fentiment  de  VoC- 
iius  qui  eftime  que  Terence  avoir  un  ta* 
lent  particulier  pour  bien  ménager  les  paf- 
fions  &  y  garder  un  tempérament  judi-- 
deux  (4). 

Néanmoins  les  gens  du  monde  &  les 
partifans  de  la  galanterie  femblent  donner 
afles  dans  le  fentiment  que  Mr.  le  Févre 
a  bien  voulu  attribuer  à  Servius.  C'efl:  au- 
moins  ce  que  l'on  peut  penferdeMr.  de 
faint  Evremond,qui  reconnoiffant  (5-)  que 
Terence  eft  peut-être  l'Auteur  de  l'Anti- 
quité qui  entre  le  mieux  dans  le  naturel 
des  perfonnes,  prétend  d'ailleurs  qu'il  a 
trop  peu  d'étendue;  que  tout  fon  talent 
cil  borné  à  faire  bien  parler  des  valets  & 

des 

T,  Vole.  Scd.  ap.  A.  Gel!.  lib.  ij.  c:ip.  24.  Noâr. 
Atcic. 

2.  Servius  Comment,  in  Virg.  /£n.  ad  illud  i.  /£- 
acid. 

Ttilih»s  incufat.  &  in  ilium  Boeder. 

l.  Tanaq.  Faber  prxfat.  ad  Terent.  Comoed. 

4.  Gei.  Jo.  Voflùis  Inftit.  Poëiicar.lib.  i.pag.  124. 

X2S, 


P   a  E  T   E    s      L   A   T   I   N   s.         SI 

des  vieillards,  nn  pe^'-e  avare,  un  fils  dc-Tcreocc 
bauché,  un  efclave,  une  cfpece  de  Bri^ 
guelfe;  que  c'eit  jufqu'où  s'étend  la  capa- 
cité de  Terence.  Mais  qu'il  ne  faut  atten- 
dre de  lui  ni  galanterie,  ni  paflîon,  ni  les 
fentimens  ,  ni  les  difcours  d'un  honnête 
homme. 

Jules  Scaliger  qui  n'étoit  peut-être  pay- 
toujours  uniforme  dans  fes  jugemens  non 
plus  que  \on  fils,  après  avoir  alTuré  qu'on 
ne  pouvoit  point  trouver  à  redire  à  tout  ce 
qu'a  fait  Terence  fans  fe  faire  tort  à  foi- 
méme  ,  n'a  point  fait  difficulté  de  dirs 
qu'il  eft  plus  languilTant  que  les  autres  Co- 
miques dans  les  chofes  qu'il  traite  ,  que 
c'eft  notre  mifere  &  nos  befoins  qui  l'ont 
mis  en  réputation  ;  en  un  mot  qu'il  doit 
être  conlideré  comme  un  homme  qni  fait 
parler  ,  plutôt  que  comme  un  vcritabW 
Comique  (6).  Boeder  prétend  que  c'elt 
Volcatius  bedigitus  qui  a  jette  Scal'geç 
dans  l'erreur,  &  il  dit  qu'il  n'a  point  eu 
raifon  d'avoir  voulu  le  faire  paffer  pbaruti 
Ecrivain  linguilTant,  à  caufe  qu'il  a  eu  la 
difcrétion  de  garder  la  médiocrité  &  la  re- 
tenue dans  la  raillerie,  ce  qu'on  n'a  point 
dit  de  Plaute  (7). 

Il  femble  que.  Mr.  d' Aubignac  ait  voulu 


aug- 


12S.  ^c. 

5.  Saint   Evremond,  Jugement  fur  SencqHC,  Plu- 
tarque  ?c  Petioiie  pa^.  185. 

é.  Jul.  Ce!.  Scaliger  roëtlccs  lib.  3.  cap.  9^.    >7. 


Item  lib.  6.  ca^i.  2 


7.  Jo.  Hentic,  poçder.  obfciv,  ad  Judlc,  de  Tc< 
lem.  uc  iu^iï, 

c  s 


f%        P  O   F  TES     L  A  T   I   ïT-r.- 

Teicflcc  augmenter  aufll  le  nombre  des  Cenfeurs- 
de  Terence.  Il  dit  que  Plaute  a  mieux 
réuffi  que  lui  fur  le  Théâtre,  parce  qu'il 
e(l  plus  aâif;  que  Terence  ie  charge  de' 
plufieurs  entretiens  fe'rieux;  ma's  que  ce 
n'eft  pas  ce  qu'on  cherche  dans  la  Comé- 
die où  Ton  veut  trouver  de  quoi  rire:  au 
lieu  que  Plaute  eft  toujours  dans  les  intri- 
gues conformes  à  la  qualité  des  Aéleurs, 
d'où  naifTent  plufieurs  railleries,  &  c'eft, 
dit-il,  ce  qu'on  defire  (i). 

Mais  je  ne  fai  après*  quels  Auteurs  un > 
Critique  Moderne  a  eu  l'afluranee  de  dire 
(2)  que  la  principale  différence  qui  fe  trou- 
ve entre  Plaute  &  Terence  qui  rafuivî,. 
cft  que  ce  dernier  étoit  piquant,  qu'il  rail* 
loit  toujours  licentieurement  &  d'une  ma- 
nière des-honncte  (3):  &  Plaute  au  con-- 
traire  agréablement  &  ingénieufement.  Ju- 
gement dont  la  faufleté  eft  moins  excufa- 
ble  après  une  approbation  de  tant  de  fîé- 
cks   que  lapalïion  de  ces  envieux  ,  qui 
**  du 

1.  Hedel.  d*Àubignac,  de  la  Pratique  du  Théâtre 
lit.  4.  chap.  2.  pag.  374   375". 

2.  Roûeau,  Sentim.  particul.  Arr  quelques  Auteurs 

pag.  40. 

3.  ^.  Comme  il  n*eft  pas  vraHemblabJe  qu'un 
homme  de  Lettres  ait  pu  fe  faire  une  idée  de  Plaute 
&  de  Terence  Ci  oppofée  à  celle  qu'on  s'en  fait  gé- 
néral .ment,  il  faut  croire,  ii  le  manufcrit  que  Bail- 
let  cite  eft  dé  la  main  de  Rofteau  mCmc,  qoe  l'Au- 
teur aura  pris  Terence  pour  Plaute,  pat  équivoque, 
&  Plaute  pour  Terence. 

4.  Terent.  prelog.  in  Phormion.  Comœd.  Item 
prolog.  in  Heautontimcr.  In  Andr.  in  Adelph.  ôcc. 

5  .Quintilian.  Inftirution.  Oratoriar.  lib.  lo.  cap.  ?• 
^.  QuimUiea  ca  difaiic  que  les  Cçmédics  de  Té- 


P  o  E  t  E  s    L  A  T  rw  S.       S9 

dû  tems  de  Terence  croyolent  ne  pouvoir  Tctcncc 
fauver  leur  propre  rcputatiou  qu'entachant 
de  le  décrier  par  teurs  médifances  h  en  pu- 
bliant que  fes  Comédies  étoient  foibles  & 
bafles,  fbit  dans  les  manières  du  Ityle,  foit 
dans  les  termes  qu'il  employé  ,  comme 
nous  l'apprenons  de  Terence  même  (4). 

Enfin  on  peut  ajouter  à  la  cenfure  du 
ftyle  de  ce  Poète,  celle  que  Quintilien  a 
faite  de  fa  Profodie ,  c'eil-à-dire  de  la  me- 
fure  de  fes  Vers  &  de  la  quantité  des  fylla* 
bes.     Car  on  ne  peut  pas  nier  qu'il  ne  di- 
minué quelque  chofe  des   éloges    qu'il  a 
faits  de  l'élégance  de  fon  ftyle,  lorfqu'il 
ajoute  (5-^  qu'il  auroit  eu  encore  plus  de 
grâce  s'il  fe  fût  renfermé  'dans   les  bor- 
nes des  Trimetres.    Cette  exception  n'a 
point  plu  à  quelques-uns   des    Critiques 
modernes  ,   &  Boeder  dit  (6)  que  Geor- 
ge F;  bricius  a  eu  raifon  de  vouloir  réfu- 
ter Quintilien  en  ce  point. 

Les  éditions  les  plus  éxaéles  des  Comé-- 

dies 

T«ncc  auroicnt  eu  plus  de  grâce  s*il  n'y  eût  employé 
qge  des  ïîin.biqiies  trimetres,  bien  loin  de  marquer 
par-là  ,  comme  on  l'a  interprêté,  qu'il  ne  goûtoit 
pas  les  Pièces  Comiques  écrites  en  vers,  témoigne  au 
contraire  qu'il  ne  préfère  les  trimetres  aux  tetramé- 
ffes,  que  parce  que  ceux  ci,  quand  ils  finiflent  fur 
teut  par  des  Ipondées,  Tentent  trop  la  proie,  &  ne 
peuvent  prcfque  en  être  diftingués  ,  au  lieu  que  lec 
trimetres,  moins  étendus  dans  leur  melure,  gardent 
un  peu  plus  l'air  de  versi  ^^"^  croient- ils  très- fré- 
quents, fc  peut  être  les  fculs  employés  dans  les  Pie:- 
ees  Grecques  de  la  Comédie  nouvelle,  defquelles  je 
ne  penfe  pas  qu'il  nous  refte  aucun  fragment  que 
<lans  ce  genre  de  vers. 
é^  B^écki,  AAaotit.iuTudiciaVarioi.  de  TeieiUv 

G  6 


6o      Poètes    Latins^. 

T^rencc,  dies  de  Terence  font  (i)  celles  d'Heinfius, 
[in-i2.  à  Amfterdam  1635',]  de  Guyet  & 
de  Boeder,  [in-S.  à  Strasbourg  165-7.]  ^ 
pour  le  texte  correèl: ,  les  éditions  de.  Lin- 
dembrogîus  [in-4.  à  Francfort  1623.]  & 
de  Farierum  d'Hollande  &  de  Paris  [in- 8» 
à  Amfterdam  1686.] 

*  T'erenùus  cum  Commentarïts  Hetrufc» 
id'tomate  fcriptis  yuan,  Fabrini  in-4.  Vene-* 
tïis  15-80.  ™  Antefignani  (Peiri)  in-4. 
in-8.  in-i2.  i5"o.  15-74.  ^  15^3'  —  ^^' 
re-i  in-4.  Neapol.  1619. 


C  A- 

T.  Olatis  Bbrrichius  Difîert,  de  Poët.  Lat.  pag.  44^ 
Ircm  de  Saci,  FréfHce  de  la  Tisd.  Pranç. 

2.  Ç.  Siméon  du  Bois,  Simeo  ,  ou  comme  d'au- 
tres le  nomment,  Simo  Bj/Ius  ,  Lieutenant  Général 
de  Limoges, celëbic  par  Ton  Commentaire  lur  lesE- 
pîtres  de  Cicéron  à  Atticas ,  avoir  un  très-ancien 
manufcrit  qui  fous  le  titre  de  Dionyfîus  Cnto  ad  filtum^ 
contenoit,  non  pas  \ts  Diftiqucs  vulgairement  dits 
<le  Caton,mais  la  proie  qui  da;.s  toutes  les  édiiions 
cft  à  la  tête  de  ces  Diftiques,  lavoir  la  Préface  >  Cum 
uni madverterem  ,■&(.] es  pcttrcs  ScntCfiCCS  ,Dfo  fupplica, 
farentts  ama,  6ce.  au  nombre  de  56.  Elic  Vinetdans 
«ne  de  fes  notes  lur  l'idyle  de  fon  Aufone  intitulée 
2^a/<« ,  dit  avoi»  vu  ce  manufcrit  Vifende  nnti^uiratisy 
que  du  Bois  lui  même  lui  avoit  montré.  On2X  an» 
après  la  mort  de  Vinet ,  Jofeph  Scaligcr  qui  avoit 
traduit  en  Vers  Grecs  les  Diftiques  de  Caton,  vou- 
)ant  publier  cette  verfion,  auflï  bonne,  pour  le  dire 
en  paflant,  qu'elt  mauvaife  celle  de  Planudès,  eut 
occafion  de  parler  du  manufciit  de  du  Bois.  Il  ea 
paila^  mais.jQCl&TouYeuaat  piisquc  Vioct  avait  ob- 

icivc 


F  a  E  T  E  s    L  A  T  r  N  s.       ^r 

C    A    T    O    N, 

L'ancîen  ,  dit  le.  Cenfeur,  mort  vers  le 
commencement  de  la  troifiéme  Guerre 
Punique  ,  environ  l'an  ôoy.  ou  606.  de 
la  fondation  de  Rome. 

1 1 36.    'VT  O'JS  avons  des Diftiques  Mo-  caton. 

J.\l  taux  qui  portent  le  nom  d'un 
Caton  ,  mais  on  n'a  jamais  crû  férieufe- 
ment  qu'ils  fullent  de  ce  célèbre  Ceufeur, 
ni  d'aucun  Romain  de  ce  nom  ou  de  cette 
race.  On  n'a  peutrêtre  point  eu  plus  de  ■ 
raifon  de  les  donner  à  un  Dionyiîus  Ca- 
ton (2)  que  les  Critiques  ne  connoilTent 
que  fort  imparfaitement.. 

Les 


fcrvë  que  les  Dîftiqucsn'y  étoicnt  pas,  il  afTuraqu'iU 
y  etoicnt.  6c  lur  cette  idée  les  fît  in-.primcr  à  Leyde . 
en  1598s  avec  le  titre  de  Diyny  :.•  Cxtsnis  D/jI-cha  de 
moribus  ad  fiiinm  ,  qu'il  artcfta  être  ainfi  conçu  dans 
le  manufcrit  de  Limoges.  Les  gens  de  Lettres  s'en 
font  fies  à  Scaliger  ,  2<  on  i'en  croit  encore  aujour- 
d'hui, comme  s'il  ;lvoit  parlé  i?  v'ru,  A  l'égard  de 
l'ancienneté  de  ces  Diftiques,  il  en  mettoit  Tépa- 
que  du  temsà  peu  près  de  Cou'smode  ou  de  Se v ère, 
&  fa  raifon  etoit  que  Vindicien  Médecin  de  Valen- 
tiiiien  I.  n'auroit  eu  garde  de  citer  comme  il  a  fait 
dans  une  Epîtic  qu'on  a  de  lui  à  cet  Empereur,  uq 
vêts  de  ce  Caton  ,  li  dès  ce  tems-là  l'Auteur  du  ver» 
«'avoit  déjà  paflé  pour  ancien.  Cette  Epitrefe  trou- 
ve dans  la  Colledionmedecinalc  deMaicellus  nom- 
mé iw/'/Wcrtx.  Vinet  depuis,  à  l'exemple  de  Scali- 
ger, employa  contre  B^ptifta  Pius,  comme  nous  Je 
(dijons  plus  bas,  ce  pjfla^e  de  Vindicien,  que  Sira- 
Icr  dès  l'an  1555.  vingt  ans  avant  Scaliger , avoit  in- 
«iiquc.  dans  Ion  Abrégé  de  la  i3;bliothcque  de  Gct- 
ûCi .   au  iBOt  CAîQmt  Pfjiicha. 


ai      Poètes    L  a  t  i  k  sï 
Cacon.  Les   plus  judicieux   eftiment  que  c'éft 

rOuvrage  d'un  Chrétien  (i),  &  ils  devi- 
nent que  l'Auteur  ou  lesCopiiks  auroient 
.pu  lui  donner  le  titre  d^Cato»  à  l'imita- 
tion des  Anciens  iqui  donnoient  le  nom  de^ 
quelque  perfonne  confidérable  &  qui  s'é- 
toit  particulièrement  didinguée ,  au  fujet 
que   l'on  traitoit  dans   l'Ouvrage    qu'on 
vouloit  publier,  comme  Platon  a  fait<ians 
fes  Dialogues  ,  Ciceron  ,  Lucien, -&  lcs  = 
autres  dont  nous  avons  rapporté  des  éxem-- 
p-lcs  au  préjugé  des  Titres  de  Livres. 

Quant  au  jugement  que  l'on  fait  de  l'Ou- 
vrage ,  on  peut  dire  qu'il  eft  ailés  unifor- 
me dans  tous  ceux  qui  en  ont  voulu  dire 
leur  lentiment.  La  Morale  y  eft  afFés  pro- 
portionnée à  la  capacité  des  en  fans  pour 
qui  il  fembk  que  ces  Vers  ayent  étc  faits.  - 
Mais  leur  Auteur  n'étoit  point  Poëte,  & 
quoique  l'Ouvrage  ne  foit  point  une  preu- 
ve de  la  fublimité  de  Con  efprit,  il  fa  t  voir 
au  moins  qu'il  étoit  homme  de  bon  fens; 
qui  étoît  la  principale  qualité  des  meilleurs- 
Ecrivains  qui  ont  paru  depuis  la  défolation- 
de  l'Empire  par  les  Barbares. 

Ges 

I.  ^.  Akiat  cependant  4.  Parer^on  13.  Scaligcr  z* 
LtSf.  ^»fon.  32.  J.  A,  Fabrice  4.  Bibtioth.  Lat.  1.  & 
plulieurs  autres  ne  font  pas  de  ce  fentiment.  Oft 
trouve  en  effet  dans  ces  Diftiqucs  diveifes  penfécs 
?aïennes  ,  &  fans  vouloir  entier  dans  aucun  détail,  . 
ie  demande  (i  la  Morale  Chrétienne  enfeigne  que 
c'eft  une  fotifc  d'appréhender  la  mort ,  &  de  fe  pri- 
ver des  plaiûrs  de  la  vie  dans  cette  appréhenûooi. 
C'eft  la  doftiine  du  Diftinue  3.  livre  2. 

a.  %.  Le  paflâge  de  Vinaicien  Ecrivain  du  quatrié* 
jnc  fîécle  rend  cette  opinion  infoiitenable. 

a.  De  Au^oie  hujui  opeiis  vtd.  Joâii, Satisbeiiex^-' 

6» 


Poète  s    L  a  r  i  n  s.      6y 

Ces  Vers  font  compris  en  quatre  Livres  catoo. 
ou  Parties,  &  quoiqu'ils  foient  tous  hexa- 
mètres ,  on  ne  lailTe  pas  de  les  dif^iiiguer 
par   diftiques.     Leur   Auteur   paroît   être 
ciu  feptiéme  ou  du  huitième  lîccle  (2  &  3,) 

L.    A  F  R  A  N  I  U  S,, 

Poëte  Comique»  vers  Tan  ck  la-Vilk  Ôjo, 
du  tems  de  Marius.  • 

1137;  TL  nous  refle  de  lui  quelques  frag-  L.  Afr*- 

1   mens  recueillis  par  les>  foins  de  "i"^ 
Robert    Eftienne ,  &    publics    par    ceux 
d'Henri  Ton  Fils. 

Ciceron  témoigne  (4)  que  fes  Vers  é- 
toîent  pleins  d'efprit  &  de  fubtilité  ;  qu*il 
étoit  même  difert,  terme  qui  femble  mar*- 
quer  plutôt  de  Télégance  qu'une  véritable 
éloquence.  Horace  parle  de  lui  en  des  ter- 
mes qui  nous  font  connoître  qu'il  avoit  pris- 
Menandre  pour  fon  modèle  (f).  Pater- 
ctile  nous  apprend  (6)  ,  qu'il  avoit  une 
grande  douceur  de  flyie,  &  des  pi  ai  fan  te- 
ries  fort  agréables.    Mai-s  Quimilien  dit 

qu'il 

fil  dé  Nugis  Curialib.  lib.  7.  cap.  9. 

Melch.  Goldaft;  in  notis  ad  Columban.  pag.  104. 

Marc.  Zuer.  Boxhoin,  in  Rom.  quxft.  14.  pag. 77, 

Gafp.  Barthius  Adveifarior.  lib.  24.   cap.  4.  col, 
2178. 

Vincent.  Placcius  de  Anonymis  detcftis  cap.  lo; 
num.  290.  pag,  77; 

Georg.  Matth.  Konigius  Biblioth.  ver.  ÔCnov.pîïg, 
177.  &c. 

4.  Cicero  in  Bruto  feu  Dialog.  de  Ofat. 
S-  Horat.  de  Art   Toët.  4icitHr  ^frant  toga  •cmvnif' 
fc  Mtndndra.  z.  Epift.  i. 

».  Vcli.  fateicul,  lib,  i.  Uiâ,  ciica  finem, 


Z.  Afcâ- 
aius.. 


64.     P  (^  z  T  E  S    Latin  s. 

qu'il  avoît  infeélé  fes  Pocfies  des  maximes 
infâmes  de  la  Paîderaftie  (i) ,  &  que  c'é- 
toit  un  etfet  du  dérèglement  de  fes  mœurs. 
Les  Critiques  jugent  qu'après  Tcrence. 
&.  Plaute  ,  Afranius  n'avoît  perfonne  au> 
defTus  de  lui, non  pas  mémeCaecilius  dont 
nous  avons  parlé,  11  réuiriiroit  particuliè- 
rement dans  la  Comédie  de  lo-^gue  robe  (2), 
s'il  eft  permis  de  parler  ainfi ,  c'eft-à-dire 
dans  ce  genre  de  Comédie  Romaine  que 
l'on  compofoit  fur  les  mœurs,  les  coutu- 
mes, &  les  façons  d'agir  des  Romains 
dont  on  prenoit  même  les  habits  ,  d'où 
ét^itvenu  k  nom.  Et  il  n'avoit  pas  moins 
de  Cuccès  dans  les  Atelîas^es  (3)  qui  faî- 
foient  un  autre  genre  de  Comédie ,  mais 
plus  mordante  &  plus  proche  du  caractère 
de  la  Satire  dont  elle  n'employoit  pour- 
tant pas  les  Adeurs,  defquels  l'art  confis- 
toit  dans  l'expreffion  du  ridicule,  &  dans 
la.  boutîbnnerie  :  au  lieu  que  les  Auteurs 
des  Atellancs  d-voient  prendre  un  air  bru- 
tal &  reprefenter  l'obfcénité  en  vieux  lan- 

gîîgeC4)-^ 

*  Voy-és  dans  le  Corpus  Poëtanim\^  cité 

àTArt.  1131. 

Q.. 


I.  f.  Quintilian.  .1.  ïo.  Inftit,  i.- 

X.  %  Cette  cxpreflion  Comede  de  longue  nhe  yZh\t 
rire.  Baillet  aiuoit  pu  éviter  le  rd-.cule,  s'il  avoit 
dit  qii'Atranius  excellait  dans  ies  l  ie'ces  nom<iiécs 
ToiAt<£  ,  compoîees  fiùvant  les  mœurs,  les  ccutnmcâ 
&  les  façons  d'agir  des  Romains,  dont  on  prcnoifr 
même  l'nabit  >  To^c  ,  d'où  veaoit  le  ttom  Togat.t. 

3.  ^.liU  Ville  de  Camp^iiie. 

vLil.  Gie^oi,  Gyialdi  Piaiog.  i^  de  Hiit.  Pot- 


Poètes    Latins.      55* 

Q.  LUTATIUS  CATULUS, 

Conful  avec  Marius,  Tan  65'i.  de  la  Vil- 
le, étouffé  Tan  666.  de  Todeur  du  char- 
bon &  de  la  chaux  dont  ou  avoit  tout 
fraîchement  enduit  les  murailles  de  la 
chambre  où  il  s'étoit  renfermé,  pour  fe 
iàuver  des  mains  de  Marius  &  de  la 
mort. 

1138.   f^Uelque  beauté   qu'il  y   ait  eu  catulus, 

v^^dans  les  Vers  de  cet  homme, 
&  quelque  élégance  que  les  Anciens  y 
trouvaflent  ,  la  perte  que  nous  avons 
faite  de  la  plus  grande  partie  nous  en  doit 
être  d'autant  moins  fenfible ,  que  cette 
beamé  étoit  toute  infcélée  de  ces  faletés 
dont  les  Poètes  lafcifs  font  toutes  leurs 
d€Hces,  Il  faatmême  que  cette  infe6Hori 
ait  été  afles  univerfelledans  fes  Vers,  puis- 
que ceux  qu'on  nous  a  confervés ,  comme 
les  meilleurs,  n'en  font  pas  tout -à- fait 
exempts.  Ilréulîîfîbit  particulièrement  dans 
les  Epigrammes  ;  mais  il  n'étoit  pas  encore 
arrivé  au  point  de  l'éxaclitude  où  l'on  a 
mis-  depuis  la  Profodie  (f.).  *-  Vo- 

tar.  pag.  6s6.  697.  ubi  de  variis  Comœd.  gcnciib. 
ôcc. 

Phil.  Bricr.  de  Poct.  Latin,  lib.  i.  pag.  9. 

Gcr.  JoLin.  Vofl^.  de  Poët.  Lat.  1.  lin?,  ij. 

Gcorg.Matth.  Konig.  Biblioth.  vet  &  nov.  pag.  T4. 

S.  Lil.  Grcgor.  Gvrald.  de  Hiftor.  Poctar.  Dul- 
lûg.  10.  pag.  lof  r. 

Gcr.  Jo.  Vofl;  de  Hiftoricis  Latinis  lib.  r.  cap.  ^ 


66       Poètes    Latine 

*  Voyés  dans  le  Corpus  Poétarum.hxt.^ 
2 131.. 

C.    LU  C  I  L.I  US, 

Poëte  Satirique,  Chevalier  Ronn:jm ,^r3C<fi 
Oncle  de  Pompée,  né  en  l^>]v:rip;ade- 
I5'8.  mort  en  la  169.  â^é  de  \6.  ans,. 
Seifa  ou  Suefïà  Pomem  fîit  le  lieu  de  iL 
naifTance,  &  Naples- cdiii  d^  ik  mort. 

c.  Luci-    IÎ39'  T    Ucilius  fut  le  prenv'cî  J  Rbme 

Jiu$,  L  qui  acquit  de  la  réputation  à^ 

faire  des  Satires,  &  plufieurs  lé  coniîdercnt 

comme  l'inventeur  de  ce  genre d'êctkepai^ 

mi  les  Latins  (i). 

Mr.  Defpreaux  prétendant  que  c'eft. 

L'ardeur  dé  fe  montrer  &  non  pas  de  ntÉ^ 
dire 

qui 

Arma  là  vérité  du  vers  de  la  Satire; 
ajoute  que, 

Lucile  le  prenHcr  ofa  la  faire  voir, 

Aux  vices  des  Romains  prefenta  le  miroir,- 

Ven- 

I.  "Plinius  fcnior ,  Prxfat.  Hiftor.  natural. 
Item  patet  ex  Honuio  ,Qiiintili-,ino  &c. 
z.  Defp.  chant  2,  l'Ait,  Foëtiq.  v.  14$.  &  fuir. 

3.  Horatius  Satir.  î.iuitiolib.  T  &  Sarir.  10. initio. 

4.  ^.'  Il  prend  à  la  lettre  cet  endroit,  où  Horace 
ddns  fa  quatrie'me  Satire  du  livre  i.  dit  pariant  "de 

Lucile 

in  htrA  fdOe  diicentoj , 

Vt. 


Poètes    Latins.      67 
Vengea  l'humble  Vertu ,  de  la  Richefle  al-  C.  Luci- 
tiere,  1'"*- 

Et  rhonnête  homme  à  pied  du  Faquin  en 
litière  (i) 

Horace  dit  qu'il  s'dtoît  propofé  Texenif 
pie  des  Poètes  Grecs  de  la  vieille  Comé- 
die qui  attaquoient  les  gens  fans  artifice  & 
fans  déguifement,  &  qu'entre  les  autres  il 
avoit  fuivi  Eupolis,  Cratinus  &  An'ftopha- 
ne,  en  fe  contentant  de  changer  les  pieds 
&  la  mefure  de  leurs  Vers  (3).  11  ajoute 
que  Lucilius  eft.  tout-à-fait  plaifant  &  a- 
gréabie  ,  &  qu'il  avoit  le  goût  fort  bon. 
Mais  il  remarque  en  même  tems  qu'il  a- 
voit  un  grand' défaut  dans  la  compofition 
de  fes  Vers;  qu'ils  n'âvoiént  que  de  la  du- 
reté ,,  qu*îls  n'étoîent  ni  limés  ni  même 
travaillés  ;  Que.  Lucilius-  en  faifoit  fauvent 
deux  cens  en  une  heure, &  qu'il  les  didoit 
debout  fur  un  pied  (4)  tenant  l'autre  levé 
en  l'air,,  ce.  qui  pafToit  pour  une  rareté  fort 
finguliere;  que  ces  vers  n'àvoient  ni  force 
ni  pureté,  &  que  par  leur  impetuofité  ils 
entrainoient  beaucoup  d'ordure,  quoi  qu'il 
y.  ait  quelque  chofe  de  bon  à  prendre.  En- 
fin il  dit  que  la  plus  grande  partie  de  fes. 

vers. 

"Ut  magnum ,  verfus  dr'^Aba^,  Jfans  pêde  in  uns. 
n€  voyant  pas  que  c'eft-  une  hypeibole  proverbiale 
ppur  marquer  la  facilité  avec  laquelle  Lucile  com- 
pofoit.  Quintilien  au  contraire  1.  12.  c.  9.  pour  mar- 
quer une  chofe  qui  ne  fe  fait  qu'avec  beaucoup  d'ef- 
fort :  In  his  A^ionitus ,  dit 'il,  omnt  Ht  agricoU  dicunt 
feie  (iàndum  ejl.  Les  Grecs  de  même,  au  rapport  de 
Suidas  ohet.tfaSi  pourixK  SuiÂfAiu 


6S      Poètes»    L  a  r  i  k  s. 
c.  Luci-    vers  n'étoit  compofce  que  de  fatras  &  de 
^^"^-  babil,  &  qu'il  ne  fuvoit  ni  s'appliquer,  ni 

mettre  des  bornes  à  Ton  abondance. 

Juvenal  nous  dépeint  Lucilius  comme 
un  homme  formidable  à  tous  ceux  de  Ion 
tems  qui  ne  fe  croyoient  pas  innocens  ,  & 
il  dit  qu'il  fuffifoit  de  lui  voir  tirer  l'épe'a 
pour  trembler  de  frayeur  ,  &  pour  voir 
rougir  ceux  que  le  crime avoit  fait  pâlir  (i)i 
Au  reftc  cette  aigreur  &  ce  fel  qu'il  em- 
ployoit  dans  fes  vers  étoit  accompagné  de 
beaucoup  d'éruditiom  C'elt  le  témoigna- 
ge que  Ciceron,  Quintilicn  ,  Aulu-Gells 
(i)à,  quelques  autres  Anciens  lui  ont  don- 
né. Le  premier  reconnoifToit  encore  en 
lui  de  la  délica  efTe  &  beaucoup  d'agré- 
ment; le  fécond  trouvoit  la  liberté  de  fon 
caradere  d'un  goût  aifés  relevé  par  le  fel 
de  fes  expreffions ,  &  maintenue  par  fa 
doârine  qu'il  appelle  merveilleufe;  &  le 
tfoîfiéme  remarquoit  en  lui  une  grande 
connoiiîance  de  la  Langue  Latine. 

Quelques  Critiques  modernes  (3)  n'en 
ont  point  parlé  avec  moins  d'avantage, 
&  les  jugemens  qu'ils  en  font  fcmblent 
formés  plutôt  fur  ceux  des  Anciens  que  fur 
la  lecture  de  fes  Ouvrages- 

Les  fragmens  qu'on  en  a  confervés  fu- 
rent publiés  à  Leiden  in-4.  l'an  JS97'  ^^^^ 

les 

T.  Juvcnalis  Satir.  i.  5c  ex  co  Jul.  CiC  Scalijer 
in  j  octic, 

2.  CictTO  lib.  2.  de  Oratore.  Quiiitilian.  lib.  lo. 
cap.  I.  Inftiiution,  Oratorhu.  A.  Gell  Noéit.  Aiti- 
flar.  lib.  ^t   cap.  5. 

3.  Petr.  Ctimius-dcPoct. Latin,  c.j.  Philip. Briet. 

Soc 


Poètes    Latins.      69 

les  Commentaires  de  François  Douza,  &  c.  Luci- 
à  Lyon  l'an  1603.  avec  les  reites  des  au-  ^^"'* 
trcs  anciens  Poètes. 

LUCRECE, 

'ï.  Lucretius  Carus ^  Poète  Philofophe^né 
Pan  de  la  fondation  de  Rome  659.  en  la 
féconde  année  de  la  171.  Olympiade, tué 
de  fa  propre  main  dans  la  fureur  que  lui 
avoit  caufé  un  breuvage  en  la  quarante- 
quatrième  année  de  fa  vie,  Tannée  que 
Virgile  prit  la  robe  virile.  D'autres  ne 
lui  donnent  que  26.  ans  de  vie,  &  met- 
tent fa  mort  l'année  de  la  naillance  de 
Virgile. 

■II 40.    IV  T  Ous  avons  de  cet  Auteur  Cm  Luciccc 

X\l  Livres  compofcs  en  vers 
Hexamètres  fur  la  Nature  des  chofes,  fé- 
lon les  principes  d'Epicure. 

On  n'efl  prefque  jamais  difconvenu  qu'il 
fut  un  des  plus  grands  Philofophes  de  fon 
liécîe,  &  des  plus  célèbres  Epicuriens  quf 
ayent  jamais  été  jufqu'à  M.  Gafîendi; 
mais  on  ne  s'eft  pas  li  bien  accordé  fur  le 
rang  qu'on  doit  lui  donner  parmi  les  Poè- 
tes. 

Mr.  de  Maroles  dit  (4) ,  que  fon  Poc- 

mc 

Soc.  J.  de  Poëf.  Lat.  lib.  i.  pag.  6.  7.  G.  M.  Konig, 
Biblioth.  Vct.  2c  N.  pag,  4S4. 

Jul.  Cïf.  Scaliger  lib.  6.  Pocticcs  pag.  S67. 

4.  Mich.  de  Marolics  uu  commencement  de  fè» 
Remarques  fur  la  Trâdu^ica  Fupjoifc  «lu'ii  a  faite 
<ie  Lucicce  pag,  3^;, 


70      Poètes    Latin  s. 

tucrecc,  me  a  été  admîré  des  uns,  &  blâmé  des  au- 
tres ;  mais  qu'il  a  été  prefque  univerfelle- 
ment  eftimé  de  tous  ceux  qui  l'entendent. 

CîGepon  écrivant  à  fon  frère  Quintus, 
lui  dlt^u'il  avoit  rai  fon  d'eftimer  fos  Poë- 
'fies^  parce  qu'elles  font  remplies  d'efprît, 
ôc  qu'il  y  fait  paroître  beaucoup  d'artifice 
&  d'indulîrie  (i).  Et  (i  l'on  s'en  rapporte 
au  jugement  qu'en  faffoit  ce  Frère,  Lu cfe- 
ce  avoit  l'efprit  tout- à-fût  tourné  à  la  Poë- 
ÛQ  (2),  &  il  avoit  les  qualités  neceifaires 
pour  faire  un  véritable  Poète. 

Ovide  lui  donne  un  caraâere  de  fublime 
ou  d'élévation,  &  il  prétend  que  fes  vers 
ne  périront  qu'arec  le  genre  humain  (3). 

Stace  r-econnoît  aum  en  lui  une  fureur 
Poétique, &  un  emportement  violent  pour 
les  plu^  grandes  chofes  (4).  Qualité  qui 
a  beaucoup  de  rapport  avec  cet  enthoufias- 
me  que  Platon  demande  à  tous  les  Poètes^ 
&  en  particulier  avec  cette  phrénéiîe,  dans 
les  intervalles  de  laquelle  Lucrèce  faifoit 
fes  vers,  &  dont  la  violence  le  porta «nfiii 
à  fe  poignarder  lui-même. 

On  n^  doît  donc  pas  s'étonner  que  les 
Critiques  des  '(lécles  fuivans,  l'ayent  mis 
au  rang  des  meilleurs  Poètes  de  PAntiquité> 

A- 

T.  Cicero  lib.  2.  Epiftol.  10.  ad  Quintura  Fratrcm 
in  Ep.  ad  Fam. 

2.  Apud  Tanaq.  Fabrum ,  Prolegom.   ad  Lucrctii 
cdic. 

3.  Ovidius  lib.  i.  Triftium. 

4.  Scatius  Papin.  t.  Silvac.  in  Genethl.  Lucani. 
ÎJ.  Le  Vers  de  Srace  ,  Et  dotii  furor   arduus  Lw 

crtfi^  devou  "Ctxc  uat^ucm«nt  explique  de  là  fureut 

poc- 


Poètes  Latins.  yi 
Agelle  ou  Aulu-Gdleeft  un  des  premiers  Lucrcct. 
de  ce  nombre;  &  il  dit  que  c'étoit  un  Poè- 
te d'un  génie  très-excellent  &  d'une  très- 
grande  éloquence;  &  il  ajoute  qu'on  n'en 
peut  pas  douter,  lorfqu'on  conlîdere  que 
Virgile  a  pris  de  ce  Poète  non-feulement 
des  expreflions  &  des  vers ,  mais  encore 
des  endroits  confidérables  &  en  grand 
nombre  (f).  C'ett  ce  qu'on  a  auffi  reraar- 
iqué  d'Horace  (6). 

Dei>ys  Lambin  qui  a  fait  fa  Vie,  relevé 
fort  haut  toutes  les  excellentes  qualités  de 
fa  Poëlie ,  comme  font  la  fubtilité  &  la 
vivacité  de  fes  penfées,la  majellé  &  lagra- 
vité  de  fes  vers,  accompagnée  de  -toute  la 
beauté  &  de  tous  les  ornemens  qui  peu- 
vent entrer  dans  la  vérification  (7).  11  dit 
que  Lucrèce  a  fuivi  Epicure  dans  les  cho- 
fes  &  dans  fa  matière,  mais  qu'il  a  pris 
pour  cet  effet  le  genre  d'écrire,  les  figu- 
res, les  manières,  &  le  grand  liyle  d'Em- 
pedocle. 

Il  prétend  que  dans  tout  ce  Poè'me  il 
n'y  a  rien  d'étranger,  rien  de  gêné,  ni  rien 
qui  foit  hors  de  fon  fujet.  Tout  y  eft  na- 
turel &  domellique,  pour  ainfi  dire.  Tout 
y  ert  limple  &  uniforme;  &  quelque  diffe- 

ren- 

poêtique,  uns  y  ajouter  cet  emportement  violent  pour 
les  plus  grandes  cho  fes  j  galimatias  qui  ne  dit  rien. 

5.  Jofeph.  Scalig.  in  primis  Scaligcran.  pag.  104, 
Ce  antc  ilJum  A.  Gellius  HoSt.  Attic.  lib.  i.  cap.  zi. 
&  alii. 

6.  KoftcaUjSentimens  (ur  quelques  Ouvrages  d'Âut* 
pag.  43    MS. 

7.  DionyC  Lambin,  in  Yica  Lucxetii  prsûic.  Op«- 
I     lib.  ejurd.  pag.  40, 


72      Poètes    Latins. 

"^yu  r^^ce  qu'il  y  ait  dans  toutes  ks  parties  de 
cet  Ouvrage, elles  ont  un  rapport  merveil- 
leux entre  elles,  &  compof.nt  un  Tout 
achevé  dans  une  fymmetrie  adiHirabk  (i). 

P.  Vidtorius  Tappelle  un  Poète  très- 
élégant  ,  très-fleuri  ,  &  très-poli  (2).  Il 
dit  que  c'eft  un  des  Ecrivains  les  plus  na-' 
turels,  les  plus  éloquens,  &  du  meilleur 
fonds  de  cœur  que  les  Romains  ayent  ja- 
mais eu  :  &  au  rapport  de  M.  de  Balzac 
(3),  ce  Critique  Italien  prétend  que  Virgi- 
le efl:  moins  pur  &  moins  Latin  que  notre 
Lucrèce  ,  quoique  celui-là  ait  eu  lieu  de 
l'imiter  en  ce  point  ,  comme  il  a  fait  en 
d'autres  chofes. 

Enfin  Jules  Scaliger,  tout  adorateur  qu'il 
ctoic  de  Virgile,  tout  jaloux  qu'il  étoit  de 
fou  honneur  &  de  fa  divinité  prétendue, 
n'a  point  fait  difficulté  d'appeller  Lucrèce 
un  homme  divin ,  &  un  Poète  incompara- 
hle  (4). 

Après  un  confentement  fî  univerfel  & 
un  jugement  fi  uniforme  de  tant  de  fiécles, 
on  auroit  peine  à  croire  qu'il  fe  pût  trou- 
ver des  Critiques  afles  hardis  pour  refufer 
d'y  foufcrire  ,  &  pour  s'élever  contre  la 
décifion  de  tant  de  grands  hommes.  C'eft 
néanmoins  ce  qu'a  voulu  faire  Jérôme  Ma- 
gius,  lorfqu'il  a  dit  (5-),  que  Lucrèce  ne 

mus 

1.  Idem  ibil  pag.  43.  U  feq. 

2.  Petr.  Viftorius ,  Prifat.  in  Comment,  ad  Aiiftot. 
de  Arte  Poët. 

•     3.  Balzac  dans  le  Recueil  de  Tes  Oeuvres  divcrfcf 
pag.  265.  266.  cd'.t.  d'HoU. 

4.  Jul.  Scalig.  Comment,  la  hift.  Animal.  Aiifto- 
td.  lib,  é.cap.iz.pag.  7jtf. 


Poètes    Latins.      73 

vofis  a  point  donné  fujet  de  le  confiderer  tuSit^ 
Comme  un  Poète.  Une  Sentence  Ç\.  courte 
&fi  décilîve,a  furpris  une  bonne  partie  des 
gens  de  Lettres,  &  elle  a  donné  du  cha- 
grin aux  autres.  Mr.  le  lièvre  de  Saumur 
nous  a  fait  connoître  qu'il  e'toit  du  nom- 
bre de  ces  derniers  ,&  il  n'a  point  crû  pou- 
voir mieux  vanger  Lucrèce  ,  qu'en  tour- 
nant ce  Magius  en  ridicule,  h  en  l'oppo- 
fant  par  un  plaifant  parallèle  aux  deux  Ci- 
cerons,  à  Ovide,  à  Stace,  à  Scaliger  &  à 
Viélorius  (6).  Mais  Mr.  le  Fevre  n'a 
point  deviné  que  d'autres  Critiques  vien» 
droient  après  lui  pour  renouveller  le  juge- 
ment de  Magius.  Autrement  ç'auroit  été 
en  lui  un  défaut  de  prudence  de  s'être  amu- 
fé  à  fe  jouer  de  la  perfonne  particulière  du 
Critique  ,  plutôt  que  de  faire  une  rdponfc 
générale  à  la  chofe. 

Le  P.  Rnpin  ne  s'eft  arrêté  ni  au  juge- 
ment de  tous  ces  Anciens,  ni  à  la  maniè- 
re dont  Mr.  le  Fevre  a  jugé  à  propos  de 
recevoir  l'opinion  de  Magius  ;car  il  dit  net- 
tement (7),  que  Lucrèce  ne  doit por^jt  pas^ 
fer  pour  vc'ritable  Poète  ,  parce  qu'il  n*a 
point  cherché  l'agrément ,  à.  que  fon  but 
n'cft  pas  de  plaire. 

Le  P.  Briet  même  n'a  pas  voulu  nous 
faire  croire  que  (8)  Lucrèce  fût  un  excel» 

lent 

5.  Hlcron.  Magius  Mifcellaneor.  lib.  i.  cap.  17, 

6.  T;4naquill.  Faber  pag.  ultim.  Ver.  Teitimonior, 
Lucret.  in  Prolegoin. 

7.  René  Rapin  ,  Reflexion  8.  fur  la  Poè'tiquepart, 
1.  psg.  17.  édition  in- 12. 

s.  Phiîipp.  Briet.  lib  i.  de  Poët.  Latin*  pag.  9.  i», 
prxiix.  acutè  diftis  &c. 

7om.IILPart,IL  D 


74      Poètes    Latins. 

IWiCCÇ,  lent  Verfificateur,  puifqu'ildit  que  fes  vers, 
quoique  tFès-Latins,ne  laiiTent  pas  d'avoir 
de  la  dureté  ,  &  qu'ils  ont  bcfoin  de  pafler 
par  la  lime  de  Ciceron.  En  quoi  ce  Père 
n'eft  pas  entièrement  d'accord  avec  un  au- 
tre Critique  de  fa  Compagnie,  qui  prétend 
(i)  que  Lucrèce  eft  tout  li/ne\  que  c'eft 
«n  Auteur  qui  a  de  la  netteté,  de  la  fubti- 
lité,  des  agrémens  &  du  génie,  &  qu'il  eft 
très-polî  (S  très-élégant  pour  le  fujet  qu'il 
a  traité. 

Il  ne  feroît  prefque  pas  neceflairede  rien 
ajouter  pour  le  llyle  de  Lucrèce  ,  parce 
^ue  ce  que  nous  venons  d'inlînuer  tou- 
chant la  pureté,  l'élégance,  &  la  politelFe 
de  cet  Auteur ,  paroit  fufîire  pour  nous 
faire  juger  qu'il  ne  doit  pas  être  mau- 
vais. Néanmoins  il  femble  que  Quin- 
tilien  ne  foit  pas  favorable  à  l'opinion  de 
/  ceux  qui  prétendent  que  la  Langue  Latine 

n'a  point  eu  de  meilleur  Auteur  au  liécle 
même  où  elle  a  paru  dans  fon  état  le  plus 
florilTant  (2).  Il  femble  faire  une  efpecede 
parallèle  entre  Macer  &  notre  Lucrèce;  il 
dit  qu'il  eft  bon  de  lire  l'un  &  l'autre,  mais 
qu'on  ne  le  doit  pas  fiire  pour  la  bonté  de 
la  phrafe,  ou  pour  pouvoir  donner  du 
corps  &  de  la  force  à  l'éloquence;  qu'ils 
ont  fait  paroître  l'un  &  l'autre  de  l'élégan- 
ce dans  les  fiijets  qu'ils  ont  traités,  mais 
que  Macer  eft  rampant,  &  Lucrèce  dif- 
écile.  Ce 

I.  Anton.  Poficvinus  lib.  17.  Bibliothecx  Selcftx. 
cap.  2î. 

i,  loûph  Scaligci  ia  piiniis  Scaligcian.  pag.  T04. 

Quia- 


Poètes    Latins.       75" 

Ce  jugement  n'a  point  plû  à  Lambin,  Lucrcccs  ' 
qui  par  un  mouvement  de  cette  tendreffe, 
dont  les  Commentateurs  fe  trouvent  allés 
ibuvent  prévenus  &  failis  à  l'égard  de  leurs 
Auteurs,  n'a  point  fait  difficulté  d'accufer 
Quintilien  d'avoir  eu  le  goût  mauvais,  ou 
de  s'être  laifTé  corrompre  (3).  Il  dit  que 
la  comparaifon  qu'il  a  voulu  faire  de  ces 
deux  Poètes  entre  eux ,  eft  fcmblable  à  cel- 
le que  l'on  feroit  d'une  mouche  avec  un 
éléphant,  &  qu'on  ne  pouvoit  prefque  pas 
trouver  deux  fujets  plus  inégaux  &  plus 
diiferens,  que  Macer  &  Lucrèce  le  font, 
au  rapport  de  l'un  à  l'autre. 

11  prétend  que  Quintilien  s'eil  trompé 
particulièrement  au  fujet  de  Lucrèce ,  lorsr 
qu'il  a  dit  qu'il  étoit  difficile,  oc  qu'il  n'é^ 
toit  point  propre  pour  fe  former  dans  la 
didion  &  dans  l'éloquence.  Car  foit  qu'on 
confidere  la  fimplicité  &  la  propriété  dcfes 
mots  ,  foit  qu'on  ait  égard  à  l'élocutioii 
même ,  un  Orateur  ,  dit-il  ,  qui  voudra 
former  fon  flyle,peut  prendre  dans  la  dic- 
tion de  Lucrèce  dequoi  rendre  fon  difcours 
plus  pur  &  plus  élégant,  il  peut  auffi  y 
trouver  de  l'abondance  &  des  beautés  dont 
il  pourra  enrichir  fon  travail  :&  s'il  y  veut 
chercher  la  manière  de  bien  traiter  un  fujet, 
il  y  rencontrera  tout  ce  qui  peut  contribuer 
à  donner  de  l'élévation,  de  la  grandeur, 
en  un  mot  ce  qu'on  appelle  Is  fubltme^  qui 

QulntUian.  Inftît.  Or.  1. 10,  c.T. 

i'  DioQ,  Lambic»  in  Vit.  Lucret.  ut  fupr.  pag. 
^1,  41,  -  _ 

D  a 


76      Poètes    Latins. 

JLueiecc.     ell  ce  que  l'on  cherche  avec  tant  dVmpres- 
femeiit  dans  les  bons  Auteurs. 
r^  Mr.  le  F^vre,  quoique  moins  zélé  que 
Lambin,  paroît  avoir  pris  le  parti  de  Lu- 
crèce contre  Quimiiien.     11  dit  (i)  que  le 
terme  de  difficik  ,  dont  celui-ci  a  voulu 
marquer  le  caradere  de  ce  Poète,  ne  lui 
convient  nullement ,   parce  que   c'ell  un 
Auteur  qui  n'eft  ni  obfcur  ni  embarafTé, 
mais  qui  au  contraire  a  pris  un  air  lî  aifé  , 
que  fa   facilité   eil  un   charme  continuel 
pour    fes    Lecteurs.     Mais    pour  fauver 
l'honn£ur  du   Critique,    il   ajoute   qu'on 
peut  attribuer  aux  matières  Philofophiques 
que  Lucrèce  a  traitées,  cette  difficulté  qui 
femble tomber  naturellement  furie  ftyie  de 
ce  Po'éte ,  quand  on  ne  veut   point  faire 
violence  à  la  penfce  de  Quintilien.    Enco- 
re pourroit-on  dire  que  lî  ces  matières  font 
difficiles  par  elles-mêmes,  elles  deviennent 
aifées  par   la  manière  dont  Lucrèce  s'elt 
fcrvi  pour  leur  communiquer  la  netteté  de 
fon  efprif. 

Gafpar  Barthius  avoit  écrit  prefque  la 
même  chofe  avant  Mr.  le  Fevre.  J]  dit 
(i)  qu'il  ert  difficile  d'accorder  Quintilien 
avec  luî-nicme;  &  que  cette  dijfic7ilté  pré- 
tendue qu'il  trouve  en 'lui  n'ell  pas  compa- 
tible avec  cette  élégance  qu'il  lui  attribué 
dans  le  même  endroit.  Il  ajoute  que  s'il  y 
a  quelque  ciiofe  à  reprendre  dans  Lucrèce, 

loin 

T.  Tanaq.  Faber^  Not.  iii  loc   Qâintilian.   Inftit. 
OrAt.  Jib.  lo.  cap.  i.     . 

^,  Gafpar  Baxthius  Adveifarior.   iib.   43.  cap.  2. 


Poètes    Lattns.      77 

loin  de  croire  que  ce  foit  aucune  difficulté  Lucicce, 
qui  fe  trouvât  en  iui,on  peut  dire  quec'eft 
de  s'être  rendu  trop  populaire.  On  ne 
poLivoic  pas  trouver  d'Auteur  ,  félon  ce 
Critique ,  à  qui  cette  qualité  convienne 
moins  qu'à  Lucrèce  ,  qui  fembîe  n'avoir 
point  eu  de  plus  grand  foin  que  d'éviter 
robfcurité,  &  de  le  rendre  intelligible  mê- 
me au  petit  Peuple,  malgré  la  fublimîté  de 
la  matière,  à  laquelle  il  iemble  même  qu'il 
ait  voulu  faire  quelquefois  du  tort  en  fa- 
veur de  ceux  qui  préfèrent  la  clarté  du  fly- 
le,  &  la  netteté  des  manières  à  la  gravité 
des  chofes  qui  font  Te  fujet  d'un  Ouvrage. 
C'elt  pourquoi,  ajoute  cet  y\uteur,  on  ne 
trouve  point  dans  Lucrèce  de  ces  tranfpo- 
iîtions  qui  caufent  l'obfcurité  ,  point  de 
penfées  guindées  ou  forcées, point  dephra- 
fes  d'outre- mer  ou  de  termes  étrangers,  ni 
uucun  de  ces  embarras  qui  accompagnent 
ordinairement  une  éToquence  trop  étudiée. 
Mais  quoiqu'on  fe  fente  porté  à  fuivre 
le  fentiment  de  ces  derniers  Critiques  plu- 
tôt que  celui  de  Quintilien,  il  faut  recon- 
noître qu'on  pourroit encore  fouhaiter  quel- 
^que  chofe  au  ftyle  de  Lucrèce  ,  pour  en 
faire  le  modèle  achevé  de  la  bonne  Latini- 
té. Le  P.  Rapin  dit  (3),  que  bien  qu'il 
foit  fi  pur  &  Il  poli, il  n'étoît  pourtant  pas 
arrivé  à  la  perfeclion  du  tems  d'Augufte, 
dont  le  goût  étoit  de  ne  rien  dire  de  fupertlu 
&.  de  parler  peu^.  Bar- 

col.  1918, 1929. 

3.  Ren.  Rap.  Comparaifou  d'Homère  ôt  Virgile 
chii£.  Il,  pue,  4Z,  edit,  in  4. 

D  :; 


y%       Poètes    Latins. 

lucoace.  Barthius  même  que  nous  avons  déjà  ci- 
té, juge  que  Ion  llyle  eïï  trop  lâche  &  trop 
di^us;  &  pour  fc  raccommoder  avecQuin- 
tilicn  il  veut  bîen  croire  que  le  mot  de  i/f- 
ficfU-  s'eil  glilîe  au  lieu  de  celui  de  diffus^ 
dans  le  texte  du  jugement  que  cet  Auteur 
a  fait  de  Lucrèce. 

Le  Bibliographe  Anonyme  ajoute  qu'il 
affede  prefque  en  toute  rencontre  des  Ar- 
chaïimes  ou  des  cxprelfions  du  vieux  fié- 
c\e  (i).  Ec  c'eit  ce  que  Lambin  lui-même 
n'a  point  pu  diffimuler  lorfqu'il  dit  pour 
cxcufer  Lucrèce  ,  qu'il  s'eft  fervi  dans 
l'emploi  des  vieux  mots  du  droit  qu'ont  les 
•Poètes  de  remettre  les  chofes  anciennes  en 
ufage  comme  d'en  feindre  de  nouvelles ,  ou 
■que  ce  font  des  termes  qu'il  a  pris  d'En- 
i)ius  ôc  de  quelques  autres  Poètes  des  prer 
iniers  tems  (2).  : 

:;:.■  Après  avoir  parlé  des  qualités  de  laPoè- 
£e  de  Lucrèce,  &  de  celles  de  fon  ftyle^ 
il  ne  feroit  pas  inutile  de  rapporter  ce  qu'on 
JSL  remarqué  au  fujet  de  fa  Morale  &  de  fes 
fentimens.  Mais  comme  fon  Poème  n'eft 
|)as  véritablement  une  imitation  telle  qu'A- 
f iftote  &  les  autres  Maîtres  de  l'Art  la  de- 
mandent dans  un  véritable  Poète,  on  ne 
doit  point  y  rechercher  beaucoup  de  Mo- 
rale. Et  comme  tout  fon  fujet  eft  pris  du 
jfonds  de  la  Phyfique  ou  de  la  Philofophie 

na- 

1.  Anonym.  Bibliogr.  hift.  cur»  Philolog.  pag,  s*- 

2.  Lambin,  ut  fup.  loc.  citât.  Vit.  Luciet.  prxfix. 
Comment. 

3.  Phil.  Biict.  lib.  i.  de  Poët.  Lat.  pag.  9.  10.  ut 
fiiprà. 

«j.  Roûeau,  Sentim.  fur  quciq.  Ouvr,  MS.  comme 


Cl" 


Poètes    Latins.       7p 

naturelle,  il  femble  que  nous  pourrions  re-  Lucrèce* 
mettre  plus  à  propos  au  Recueil  des  Phi- 
lofophes  ce  que  les  Cri;îques  ont  jugé  de 
les  fcniimens. 

)e  me  contenterai  de  dire  ici  que  les  uns 
(;)  ont  trouvé  mauvais  qu'il  n'ait  point 
diiiimulé  plus  qu'il  n'a  fait  la  corruption  de 
fes  propres  mœurs,  d'autant  plus  qu'il  a- 
voit  moins  d'occalion  de  la  faire  paroître: 
les  autres  ont  crû  trouver  dans  Ton  Ouvra- 
ge des  marques  d'AthcVfme,  &  l'ont  accu- 
fé  de  nier  la  Providence  divine  &  l'immor- 
talité de  l'ame  (4).  D'autres  enfin  ont  été 
fcandalifés  de  voir  qu'il  ait  mis  Epicure  au 
rang  des  Dieux.  Mais  Mr.  GafFendî  a 
répondu  à  ces  derniers  dans  un  chapitre 
tout  entier  de  la  Vie  qu'il  a  faite  decePhi- 
lofophe  (f).  •  Il  dit  qu'il  a  ufé  en  cette  oc- 
cafion  de  Ton  privilège  de  Poète;  &  que 
comme  c'étoit  l'ordinaire  des  Ptuples  de 
rendre  des  honneurs  divins  aux  hommes 
qui  avoient  rendu  des  fervices  extraordi- 
naires au  Genre  humain  ,  Lucrèce  jugeoic 
qu'Epicure  en  méritoit  plus  que  Bacchus, 
Cerès ,  Hercule,  Thefée  &  les  autres, 
parce  que  le  bien  qu'il  avoit  fait  aux  hom- 
mes, étoit  incomparablement  plus  confî- 
derable.  Mais  qui  ne  voit  que  Mr.  Gas- 
fendi  par  cette  réponfe,  a  mieux  aimé  dé- 
tourner (6)  la  difficulté,  que  de  la  refou» 

dre, 

ci  devant. 

S.  Petr.  GafTend.  de  Vita  &  Morib,  Epîcuri  lib.  ^ 
CAÇ.  6.  pag.  i;i. 

6  %.  l\  ne  Va  point  du  tout  détournée.  Il  y  a 
répondu  dans  le  pur  fcns  de  Lucrèce, ôc  pdi  Icspro» 
pics  raifons  du  Poète. 

D  4 


%o      Poètes    L  a  t  i  h  s. 

fcucrcce.     dre,  &  que  de  fatisfaire  précifc'ment  ceux 
qui  la  propofent. 

Entre  les  éditions  qu'on  a  faites  de  Lucre- 
ce  ,on  a  afleseftimé  celle  de  Lambin,  [in-4. 
à  Paris  1 570.]  celle  de  Fareus ,  [in  8.  Franc. 
1631.]  &  celle  de  Giphanius^  [in-8.  à  la 
Haye  iS91'^  niais  celle  de  Mr.  leFevrede 
Saumur  [in-4.  à  Saumur  1662."]  palTe  pour 
la  meilleure  de  toutes;  &  nous  avons  re- 
marqué ailleurs  que  celle  de  Jean  Nardi 
Florentin  [in-4.  ^  Florence  1647.]  eft  la 
rr.oîns  bonne  au  jugement  de  quelques  Cri- 
tiques (1),  quoiqu'elle  foit  la  plus  magni- 
fique, &  une  des  plus  récentes. 

*  TitîLucretii  Curi  de  rerum^catura  lîb^ 
VI.  varia  leélione^  in -fol.  Lond.  17120 
Lucretius  ,    Thomcs  Creçch.  in-S.  <* 


C  A- 

T.  Tanaq.  Tabcr,  inprîcfat.  ad  fuum  Lucret.  Item 
Olaiis  Borrichius  Diflertat.  de  Peè'c.  Latin,  num.  iz. 
pag.  4S.  46.  ôcc. 

z.  ^.  Le  prénom  rî;«j  eft  le  plus  fur,  étant  fondé 
fur  le  témoignage  d'Apulée  dans  Ton  Apologie,  ôc 
de  S.  Jérôme  dans  fa  Chronique.  Jofeph  Scaliger  a 
prétendu  que  c'étoit  Quintuty  mais  s'il  eft  vrai  que 
ce  prénom  fe  foit  trouvé  dans  le  manufcrit  qu'il  al- 
lègue c'eft  une  pure  équivoque  du  copifte  qui  aura 
confondu  l'ancien  ^intHs   Catttlus  avec  le  CatuIPc 

dioa; 


F  or  E  T  E  s    Latins.      2i 

CATULLE, 

(Caîus  ou  Quîntus  Valerius  (i)  né  à  Pero' 
ne  ^  ou  dans  la  prefqu'Ifle  de  Strmïon  (3) 
fur  le  Lac  de  Benac  ^  aujourd'hui^^  la 
Garde  i/Ç)^  durant  le  feptiéme  Confulat 
de  Marias  &  le  fécond  de  Cinna,  la  fé- 
conde année  de  la  173.  Olympiade  fur 
la  fin  ,  la  667.  de  la  fondation  de  Rome, 
&  86.  ans  devant  notre  Epoque. 

ÎVI-ort  âgé  de  30,  ans  (f),  en  la  quatrième 
année  de  la  180.  Olympiade,  &  la  697. 
de  la  Ville  de  Rome,  Tannée  que  Cice- 
pon  revint  de  Ion  exil. 

Î141.  quoique  le  grand  talent  de  cecatuii©; 

^"C^Poëte  conliltât  à  bien  faire  des 
Epigrammes,on  prétend  qu'il  a  également 
r^ulfi  dans  deux  autres  genres  de  Poélie, 
favoir  dans  les  Vers  Lyriques  &  dans  les 
Elcgiaques. 

il  n'y  a  prefque  point  de  Poètes  parmi' 
ks  Romains,  à  qui  il  n'ait  difputé  le  rang, 
de  préféance.  11  a  eu  pour  entretenir  fes- 
prétentions  des  Partifans  dans  prefque  tous 
les  liécles,  mais  il  n'en  a.  jamais  paru  de 

fi 

dont  ils'kgît.  Vbye's  Achille  Stacc.  &  iHinc  VoG- 
fins  iiu  commencement  de  leuis  remarques  fur  Ca-- 
tulle. 

3.  %.   Auiourd'hui  Sermionf. 

^.  ^.  Il  faloit  dire  de  Garde,  La^o  di  G.tr(ia,s\\\{ii 
nomme  de  Gardu  Bourg  adjacent  dans  le  Véronois. 

5.  ^-  Plus  vraifemblablement,  fuivant  la  fuppura- 
tion  d'iraac  Voffius,  à  l'âge  de  37.  à  38.  ans  laqui- 
ttiéme  année  de  la  i8i.  Olympiade,  ôi  l'ini  de- la- 
fondation  de  B^orae  70;. 

O  5 


S2      Poètes    Latins. 

Catulle.,  fi  2eTés  que  dans  ces  derniers  tems,oùron; 
a  vu  des  gens  qui  n'ont  point  fait  difficulté 
de  le  préférer  à  tous  ceux  de  l'Antiquité, 
-fans en  excepter  Virgile  &  Horace  (i).  Et 
quoique  ce  jugement  paroiiTe  être  un  effet 
de  quelque  tendreiïe  pour  ce  Poète  ,  & 
peut-être  même  de  quelque  fympathie  a- 
vec  lui,  on  ne  peut  point  nier  que  Catulle 
n'ait  été  un  fort  bel  efprit,  &  qu'il  n'ait 
fort  bien  fu  fa're  fervir  à  fes  propres  pas- 
sons l'humeur  la  plus  facile  &  la  plus  en- 
jouée qu'on  eût  encore  jamais  vue  dans  ]a> 
Republique  Romaine. 

Cette  qualité  le  rendit  fort  agréable  à 
quelques  perfonnes  conlidérables  dans  la 

Ré- 

!..  ^.  Il  étoit  à  propos  de  faire  cennoitrc  ces  gens 
qui  préfèrent  Catulle  à  V^irgile  &  à  Horace.  On  ne 
nomme  qui  que  ce  foit.  Un  tel  fait  cependant  ne 
devoir  pas  être  av?.neé  fans  preuve.  A  la  vérité  Vic- 
îorius  dans  la  Préface  de  fes  Commentaires  fur  la 
Tccrique  d'Ariftote  picferc  Ciitulle  à  Virgile  pour  Ja 
pureté  delà  didionj  mais  il  n'y  a  pcrfonnc  qui  r.t 
iuge  qoe  Bailler,  de  la  manière  dont  il  s'exprime,  a 
eu  en  vue  des  gens  pofterieurs  à  Viélorius  mort  il  y, 
ÀYok  cent  ans  3  outre  que  l'ayant  nomme  lans  fa- 
çon dans  l'article  de  Lucicce  pour  une  raifon  toute 
jparcille,  il  ne  l'auroit  pas  vraifemblabkmcnr  pîi'.s 
ménagé  dans  l'article  de  Catulle. 

2.  Juvenal  Sat.  ij^.  Item  A.  Gciiius  I.7.N06I.  Ac- 
ticar.  cap.  2e.  Et  inter  rccentioics  Paul.  Jovius  ia 
"Elog.  Cafanovxôc  Naugerii.Gafp.Baithius  col.  2356» 
ic  alii  pailîm. 

%.  Le  premier  Auteur  que  Baillct  cite  pour  prou» 
▼et  la  pureté  de  la  diftion  de  Catulle  ,  Ion  élégan- 
ce, fa  naïveté,  &c.  c*tû.  Juvenal,  Sau  13.  oà  ces 
211  ot  s , 
-^— ^  !!■      I       ■         mimum  Agit  illt 
llrbuni  (jualem  fugitivHs  fcnrra  Citulli, 

iicl}gac«2t  lui  autic  CimiÀle:,  Auuui  4e  U  faice  Intt^ 

tUcc 


PaETEs    Latine.       8^ 

République,  &  particulièrement  à  Ciceron  Catulle^.' 
qui  ne  haïllbit  pas  le  caradere  des  efprits 
libres.  p 

Les  anciens  Critiques  ont  dit  beaucoup 
de  bien  de  fon  ilyle  &  de  fes  manières,  àc 
i-I  femble  qu'ils  ayent  voulu  fe  décharger 
fur  les  modernes  du  foin  d'en  dire  le  mal 
qu'ils  en  penfoient.  Ils  nous  ont  vanté  la  pu- 
reté de  fa  diction ,  fon  élégance ,  fa  naïveté^ 
là  douceur  &  fatendreife  (2),  qui  font  des 
qualités  que  l'on  remarque  encore  aujour- 
d'hui dans  ce  qui  nous  eiY  refté  de  fes  Ou- 
vrages, mais  on  s'ell  donné  beaucoup  de 
peine  pour  y  chercher  celle  de  l'érudition 
que   Martial    lui  attribué  (33.     Ceux  qui 

croyent 

nilée  P/jafmdy  dont  parle  le  même  Javénal  Sat.  S» 
Im^ephhètç  d'urbiifii's  eft  {ynonyme  d^ur biens  &  d'wrtt- 
cAnu'  pris  pour  Mimographe,  Compofeur  de  farces. 
Auflî  ce  Catulle  parmi  les  Critiques  eft-il-  appelle 
Vurbicdiire  pour  Ic  diftinguer  de  l'iiuire. 

3.  Martial  Epigramm.  VerouA  Do^i  SylUbAs  am*t 
Vatii, 

51.  A  confidérer  la  peine  qu'on  s'eft  donne'c  de  re- 
chercher les  raifons  qu'ont  eues  les  Anciens  de  déférer 
à  Catulle  le  nom  de  dode,  on  diroit  qu'ils  le  lui 
ont  tous  unanimement  déféré,  fans  lui  donner  ja- 
mais d'autre  cpithëte.  Je  ne  lâche  néanmoins  par- 
mi eux  qu'Ovide  6c  Martial  qui  lui  ïiient  fait  cet  hon- 
neur, à  quoi  tics- affliremçnt  la  commodité  du  vers- 
a  beaucoup  contribue  j  car  une  choie  à  remarquer, 
«'eft  qu'on  ne  cite  nul  Ancien  qu:  en  proie  l'ait  ap- 
pelle dofte.  Mais  quelles  font  après  tout  les  rares» 
preuves  de  Ton  érudition  r  Barthius  les  fait  confiftcx 
àans  quelques  traduétions  de  vers  Grecs  en  vers  La- 
tins. Il  n'y  a  pas, ce  me  lemble,  de  quoi  tant  le  lé- 
cricr.  Horace  auroir  incomparablement  mieux  tra- 
duit rode  dcSappho,  &  Tibullc,  Properce  ou  O 
vide  l'Elcgie  de  Callimaque.  Le  Grec  à  Rome  étoir 
plus  commua  du  tems  de  Catulle ^  qu«  le  Latin  ne- 


^4      Poètes    Latins. 

Catulle,  croyent  avoir  rencontré  fa  pcnfée  (i),  dî^ 
lent  que  Catulle  a  été  appelle  doàe  par 
quelques  Anciens  pour  avoir  été  le  pre- 
mier qui  ait  fu  la  manière  de  tourner  en 
un  beau  Latin  tout  ce  que  les  Poètes  Grecs 
ont  eu  de  plus  beau  &  de  plus  délicat,  & 
tout  ce  qui  paroiflbit  inimitable:  &  pour 
avoir  parfaitement  réulfi,  en  alfujetliifant 
cette  Langue  aux  nombres  &  aux  mefures 
que  les  Poètes  Grecs  avoieut  données  à  la 
leur  (2).. 

Mais  quoique  les  Critiques  conviennent 
prefque  tous  qu'il  n'y  a  rien  dans  tous  les 
autres  Auteurs  du  bon  fiécle  qui  foit  com- 
parable à  cet  air  naturel ,.  avec  lequel  Ca^- 
tulle  nous  a  reprefenté  la  Langue  Latine 
dans  fa  pureté  originale,  c'eft- à-dire,  dans 
toute  fa  (implicite  &  dans  fa  nudité  entière^ 
fans  fard  &  fans  ornement  étranger;  il  y 
en  a  peu  d'entre  eux  qui  ne  nous  ay^nt  fait 
remarquer  quelques  défauts,  en  nous  fai- 
iànt  voir  fes  bonnes  qualités. 

Scalîger  le  Père  qui  dans  un  endroit  de 
îà  Poétique  dit  (3),  qu'on  trouve  dans  ce 
Poète  tous  les  enjouemens  dont  la  pure 

La- 

l*eft'  {juiourd'hui  parmi  aous.  Le  titre  de  diofte  eft 
d'ailleurs  naturellement  confacré  aux  Poètes.  Clau- 
dien  l'adonné  àEnnius,  Stace,  à  Lucrèce,  Ovide 
a  Calvus,  &  même  généralement  à  tous.  Les  Poctes, 
en  ce  vers  de  fon  3.  Livre^<;  ^rtty 

v^  dotîis  prêt  htm  /'ceins  ejl  fperari  PoSfis-, 
pur  ou  il  donne  à  entendre  que  ïts  Belles  ne  doive nt 
point  vendre  leurs  faveurs  aux  Poètes,  c'eft-à-dircà 
tous- ceux  qui  s'acquièrent  de  l'eftimg  dans  cette 
profeffion ,  fans  qu'il  faille  que  les  Dames  avant  que 
à&ks  honoieiLde  leuis  b»iuèsr  duniM^tT-comme 

les. 


Poètes    h  k  t  t  k  s.      8f 

Latînité  eft  capable ,  témoîgne  (4)  en  un  catuirçi 
autre,  qu'il  n'y  a  rien  que  de  commun  & 
de  vulgaire  dans  tout  ce  qu'il  a  fait,  qu'il  a 
des  mots  &  foiivent  des  expreffions  dures; 
&que  néanmoins  il  eft  quelquefois  li  lâche 
&  fi  mou,  qu'il  n'a  point   de  confiftance; 
&  que  ne  pouvant  fe  foutenir ,  il  fc  laifTe 
aller  au  penchant  que  lai  donne  fa  propre 
foiblelîe.     Il  ajoute  qu'il  y  a  dans  Catulle 
beaucoup  d'infu»nies&de  faletés  qui  le  font 
rougir  y  beaucoup  de  choies  languilfantes 
qui  lui  font  pitié,  beaucoup  de  chofes  en- 
taffées  &  ramaffées  fans  choix  qui  lui  font 
peine,  &   qui   font  voir   qu'il  n*étoit  pa^ 
tout-à-fait  libre  nî  capable  de  fe  retenir, 
lorfqu'îl  fe  trouvoit   emporté  par  l'impe- 
tuofité  de  fbn-  naturel   &  la  neceffité  des- 
vers. 

Scaliger  le  fîls  n''en  parle  pas  tout-à-fiiit 
fi  mal,  &  il  fe  contente  de  dire  (5)  que  ce 
Poète  eft  fort  fcrupuleux,  &.  fort  incom- 
mode dans  Taitache  qu'il  fait  paroître  à  ne 
ren  écrire  qui  puilfe  choquer  la  pureté  de 
lu  Langue  Latine. 

Vofîius  dit  (6)  qu'il  s'eft  contente  d'ex- 

pri- 

tes  femmes  favantes  de  Molière  ^  fi  cesMelïïeurs  fa»- 
V€nt  du  Grec. 

1.  Gafp.  liarthius  Adverf.  lib.  xxjcviii.  eap.  7-.. 
toi.  1730. 

2.  Idem  Barth.  Adv.  lib.  vin.  cap.  22.pag.407; 

3.  JmI.  CxI,  Scaliger  Poctices  lib.  j.  c.  16. 

4.  Idem  Jul.  Scaliger.  lib.  6   ejufd.  Operis  cap.  7. 

5.  Jofeph.Scalig.  fil.  inpiiraisScaligeranis  pag.  47. 

6.  Gérard.  Joaii.  Voflius  lib,  3.  Inftituc  Toëticdl^. 
Ifag.  107.108; 

Item  ibidem  pag.  56.  ejufd".  librL 
Itya.libxo  ^riino  ejufdem  Opciis  pag,  75;^ 

D  7 


S6      Poètes    L  a  t  r  k  s. 

Catulle,  primer  Tes  paffions  &  les  mouvemens  de 
ion  ame,  avec  les  couleurs  qu'il  a  cru  les 
plus  vives  accompagnées  de  cette  élégance 
qui  lui  étoit  naturelle,  mais  qu'il  a  une 
âpreté  qui  choque  la  délicatefle  de  nos  o- 
refJles,;  &  que  cette  dureté  que  tous  les 
bons  Critiques  remarquent  en  lui  ,  vient 
particulièrement  de  fes  fréquentes  éliiions, 
c'eil-à-dire,  pour  parler  en  termes  de  Poé- 
tique ,  des  Ecihltpjes  (i) ,  &  des  Synale- 
phcs  (2),  qu'il  met  fouvcnt  en  ufage  dans 
la  Penthemimere  ^  qui  eft  la  céfure  qui  fe 
fait  au  cinquième  demi  pied  du  vers  Penta- 
mètre, c'ell-à-dire,  à  la  fyilabe  qui  fuit  les 
deux  premiers  pieds  de  cette  efpece  de 
vers. 

Le  Père  Briet  etoit  aufîl  dans  le  fenti- 
mcnt  de  VoiTius ,  touchant  la  dureté  des- 
vers  de  Catulle  (3) ,  &  il  s'y  e(i  confirme' 
d'autant  plus  volontiers  qu'il  le  voyoit  ap- 
puyé de  l'autorité  des  deux  Plines. 

Il  femWe  que  le  Père  Rapin  y  ait  enco- 
re trouvé  d'autres  défauts ,  tels  que  font 
ceux  d'être  trop  diffus  &  trop  babillard. 
Car  il  dit  (4)  que  Catulle  ayant  été  le  pre- 
mier des  Romains  qui  commença  de  don- 
ner le  beau  tour  de  l'élégance  à  la  Langue,. 
ne  favoit  pas  encore  le  ^and  précepte 
d'Horace,  qui  veut  qu'on  retranche  beau- 
coup ^  &  qu'on  parle  peu^  M^is 

ï.  Collifions  de  Tm. 

2.  CoUifions  dts  voyelles  &  diphtongues. 

-j.  Philipp.  Briet  lib.  2.  de  Poëtis  Latin,  pag.  r^v 
t5.  ante  acurè  diûa,  &c. 

4.  Ren.  Rapin ,  Conî]»ai»  d'HQm.  &  Virg.chap.  y, 
pag.  42.  edict  iii-4. 

5.  %^ 


PoETE^    Latins.      87 

Mais  il  y  a  un, autre  vice  qui  eft  incom-  Catulle, 
parablement  plus  blâmable  dans  Catulle, 
&  qui  le  rend  haïllable  à  taus  ceux  qui  ne 
fe  font  pas  encore  défaite  de  la  pudeur. 
C'elt  l'impureté  dont  il  niï  infcclé  jus- 
qu'aux mouelles,  &  qui  eft  répandue  dans 
prefque  toutes  les  parties  du  corps  de  fes 
■Poelies. 

L'AuteuF  anonyme  (5-)  du  choix  des  E- 
pîgrammes  Latines,  a  tâché  de  nous  en  ins- 
pirer une  horreur  lalutaire  &  une  haine 
parfaite.  Il  dit  qu'il  n'a  pu  voir  fans  une 
grande  indignation  (6).  que  des  Ouvrages 
aulîl  abominables  que  ceux  de  Catul'e  & 
de  Martial ,  foient  tolérés  dans  le  Chrirtia- 
nifme;  &,  ce  qui  ell:  plus  pitoyable, qu'ils 
foient  foufterts  entre  les  mains  des  jeunes 
gens. 

Il  prétend  même,  qu'à  juger  des  chofes 
félon  les  maximes  de  Thonncteté  Civile  & 
Païenne  ,  on  ne  trouvera  dans  toute  leur 
galanterie  aucune  véritable  délicatelîè,  nî 
aucune  marque  de  cette  Urbanité  i\  vantée 
chés  les  Anciens  (7J. 

11  dit  ailleiirs  (8)  que  ces  deux  Poètes 
ont  fait  connoî  re  non-feulement  qu'ails  é- 
toient  ennemis  de  la  vertu  &  des  bonnes 
mœurs,  mais  même  qu'ils  n'avoient  aucu- 
ne politefTe  ni  aucune  ûneiTe  pour  le  bon 

goût 

s.  f.  p.  Nicole,  Se  non  pas,  cortîmc  Ta  cm  Mé- 
nage, Dom  Lancelor. 

6.  Epigrammat.  Dele£k.  édition.  Caroli  SdTieus 
anni  1659.  in  praifat.  op. 

7,  Non  urbanus  fal ,  fed  iUil/era/is  dlcacitus^ 

».  Idem  Autlor  Dele£i.  Ep,  DiflciUlioaC  de  vç» 
(ulcxitudiuc  ôcc,  pag.  2^ 


SB      Poètes    I.  a  t  i  »  si 

Catulle,  goût  des  chofes.  Et  pour  me  fervir  de  la 
fTadudlion  de  Mr.  Bayle  (i),  cet  Ànony- 
me  a  eu  railbn  de  dire  qije  Catulle  &  Mar- 
tal  étoîent  des  efprits  groiTiers&ruftîqueS', 
&  plus  propres  pour  les  converfationsd'un 
corps  de  Garde  que  pour  celles  d'une  ruel- 
le U). 

En  effet,  dû  le  même  Mr.  Bayle,  Ca- 
tulle qui  apafîe  toujours  pour  l'un  des  plus- 
galans  Poètes  de  l'Antiquité,  &  Horace 
qui  a  fait  toutes  les  délices  de  la  Cour 
d'Augufte  ,  ont  été  fonvent  auffi  libres 
dans  leurs  Poëlies,  que  nos  Théophiles, 
nos  Sigognes,  nos  Motins,  nos  Berthe- 
îDts  ,  qui  font  l'horreur  des  honnêteS' 
Gens,-  &  qiii  ne plaifent  qu'à  des  Soldats 
&  à  des  Laquais.  Il  ajoute  que  c'étoit  le 
défaut  du  liécle  de  ces  Anciens,  autant  &- 
plus  que  celui  de  leur  efprit,puifque l'Em- 
pereur Augulte  qui  devoir  être  l'homme  le 
plus  poli  de  fa  Cour,  compofoitles  plus 
infâmes  &  les  plus  horribles  Vers  qui  fa 
puiiTent  lire.  Cequi , félon  cejudicieux  Cri- 
tique, eft  une  marque  évidente  qu'encore 
que  notre  liécle  ne  foit  pas  plus  chafte  que 
ks  autres,  il  eft  au  moins  plus  poli  &  plus 
honnête  pour  l'extérieur  ;  &  que  les  loix 
de  la  bienféance  font  à- prêtent  plus  févé- 
Ees  &  plus  étendues  qu'elles  n'ont  jamais- 
été  (3). 
Ce  goût  des  derniers  ficelés,  dont  \h 

fem- 

r.  M.  Biiyle, Nouvelles  delà  République  dés  Lct- 
«es  de  Juin  1684.  pag.  364. 
Z.   Caprimv.l^i  ij  t'ojfore;. 

t.  Le  même  Auteur  parUnt  de  l'éditiça  de  Catul-- 


Poètes    Latins.      89 

(emble  qu'on   ait  voulu  flater  les  Poe  tes  Catulïc; 
modernes,   n'a  point  encore  été  (i  univer- 
fel ,  qu'il  lie  fe  foit  trouvé  des  dctenfeurs 
de  Catulle,  &  des  autres  l'octes  licencieux 
de  l'Antiquité  ;  à.  on  a  vu  entre  les  autres 
un  Italien  nommé  Rohert  Titius ,   qui  a 
bien  ofé  publier  une  Apologie  pour  Catul- 
le, fous  prétexte  que  tout  n'efi  point  em- 
poifonné  dans  Tes  Ouvrages.  iMais  on  ju- 
ge néanmoins  qu'il  a  perdu  fli  peine,  par- 
ce que,  félon  la  remarque  de  Mr.de  Sain- 
te Honorine  (4)  ,   ce  que  l'on  trouve  de 
l-yon  dans  les  Poètes  impurs  n'en  juftifiepas 
la  ledlure- 

Ce  n'eft  pas  feulement  l'obfcénité  qu'on 
a  blâmé  dans  Catulle^  mais  c'eft  encore 
la  hardieffe  qu'il  avoit  de  déchirer  les  Gens 
par  des  vers  mordans  &  injurieux.  Cre- 
mutius  Cordus  dans  Tacite  (5-)  dit,  que 
bien  que  la  République  eût  changé  d'état 
depuis  que  ce  Poète  avoit  écrit,  on  nelaif- 
foit  pas  de  lire  encore  avec  liberté  fous 
les  Empereurs  mêmes  les  vers  de  Bibacu- 
lus  &  de  Catulle  remplis  de  médifance 
contre  les  Cefars,  &  ces  grands  hommes 
ont  fouffert  ces  libertés  avec  autant  de  pru- 
dence que  de  générolité.  En  effet  nous 
lifons  que  Jules  Cefar  ayant  lu  une  pièce 
que  Catulle  avoit  faite  contre  lui ,  le  pria. 
à  fouper  chés  lui  le  Jour  même. 

Pour   ce  qui    regarde  la   comparai iba 

qu'on 

le  par  M.  Voflîus  pag   jéj    ^c. 

4.  Clavigny  de  Sainte  Honorine  de  Tufage  des  Li- 
vres fulpeas  chap.  2.  pag.  24. 

5.  Corn.  T.>cit.  lib.  4.  Annal,  cap.  I.  pag.  i$9.  ie 
U  tiad.  d'Ablanc. 


ço  Poètes  Latins. 
Catulle,  qu'on  a  coutume  de  faire  entre  Catulle  & 
Martial ,  les  Critiques  ne  fe  font  point  en- 
core accordés  pour  le  point  de  la  préfé- 
rence qu'ils  veulent  donner  à  l'un  fur  l'an- 
tre. On  ne  conteitc^  point  à  Catulle  l'a- 
vantaqe  qu'il  a  far  Martial  pour  la  pureté 
&  les  agrémcus  du  llyle.  Il  y  a  bien  de  la 
différence,  dit  Voffius  (i),  entre  le  llylc 
du  premier  6c  celui  du  fécond.  Celui-là  efl 
du  bon  fiécle,  au  lieu  que  celui-ci  fe  fent 
déjà  de  la  diminution  ai  des  difgraces  de  la 
Langue  Latine. 

Le  caractère  des  Epigrammes  de  Catul- 
te,  félon  un  autre  Critique  Anonyme  (2), 
cft  d'être  tendre,  mou  (3),  efféminé,  pur 
&  délicat.  C'elt  ce  qui  l'a  rendu  li  agréa- 
ble à  plufieurs,  qu'ils  l'ont  jugé  pour  cet 
eifet  préférable  à  Martial.  Mais  il  ajoute 
que  ce  n*eft  pas  le  fentiment  des  autres, 
parmi  lefqucls  il  femble  vouloir  prendre 
parti.  Ceux  ci  difent  qu'avec  toutes  ces 
belles  qualités  les  vers  de  Catulle  ne  laif- 
iènt  pas  d'être  prefque  toujours  vuides  de 
fens ,  que  ce  ne  font  au  plus  que  des  badî- 
neries  agréables  &  plaifantes,&  qu'il  folâ- 
tre fouvent  fur  des  riens:  de  forte  qu'au 
lieu  de  prétendre  que  ces  qualités  foient 
louables  en  lui ,  ils  veulent  au  contraire 
qu'on  les  conlidere  comme  des  vices  auf- 
(juels  il  donne  de  l'agrément  &  de  Télé- 

gan- 

1.  Ger.  Jo.  VofT.  lib.  3.  Inftitut.  Poctic.  ut  (ùprà 
lib.  3    pag    108. 

2.  Anonym.  Auft.  Dcleft.  Epigramm.  lib.  6.  pag. 

313-  314- 

3.  %.  Il  y  â  daus  le  Lsn'm mollis <\\i' il  faloit  rendre 

par 


Poètes    Latins.      91 

gaiice.  Ils  elliment  qu'il  n'etl  pas  difficile  Catulle, 
à  plulieurs  d'exprimer  dans  leurs  vers  cette 
teiidreife  de  Catulle, pour  peu  qu'ils  ayent 
d'ulnge  de  la  Langue  Latine  k  d'iiiclina* 
tion  à  la  galanterie  :  mais  qu'on  n'a  pref- 
que  vu  pcrfonne  Julqu'icf  qui  ait  pu  repre- 
ftnter  la  force,  la  fubtilitc,  les  rencontres 
ingenieufes,  les  pointes  &  la  fineffe  d'ef- 
prit  que  l'on  trouve  dans  les  Epigrammes 
de  Martial.  Je  penfe  que  Mr.  Richelet  a 
eu  auffi  la  même  penfe'e,  lorfqu'il  a  dît 
que  la  plupart  des  Epigrammes  de  Catulle 
font  des  Epigrammes  à  la  Grecque,  c'eft- 
à-dire  ,  fans  beaucoup  de  pointe  (4). 

Le  P.  Rapîn  dit  néanmoins  (5-)  que  les 
gens  de  bon  goût  préfèrent  la  manière  de 
Catulle  à  celle  de  Martial,  c'eli-à-dire,  la 
belle  penfée  à  la  pointe  des  mots,  parce 
qu'il  y  a  plus  de  vraie  délicatefle  dans  l'une 
que  dans  l'autre.  On  doit  mettre  ûu  nom- 
bre de  ces  perfonnes  André  Nauger  Poète 
Vénitien  ,que  cet  Auteur  dit  avoir  été  d'un 
difcernement  exqu"s  en  ce  point.  Ce  Nau- 
ger par  une  antipathie  naturelle  contre  tout 
ce  qu'on  appelle  pointes  dans  les  Epigram- 
mes, faifoit  tous  les  ans  la  fête  des  Mufes, 
aufquelles  il  rendoit  un  culte  fuperftitieux 
au  milieu  d'une  Ville  Chrétienne,  &  au 
jour  de  cette  fête  il  ne  manquoît  point  de 
iâcrifier  aux  Mancs  de  Catulle,  qu'il  ho- 

noroit 

p^t  doux ,  amoureux. 

4.  P.  Kichelet  Di(flionairc  François  pag.  2p<î.  au 
mot  Epigramme. 

5.  Ren.Rapin, Réflexions  particulières  (ui  UPcc- 
ii«iue,  fccoûde  pattic ,  Rcficx.  xxxi. 


91      Poètes    Latins. 

Catulle,  noroit  particulièrement,  un  Volume  d'E- 
pigrammes  de  Martial  qu'il  avoit  en  hor- 
reur. Paul  Jove  dit  que^'eit  à  Vulcain 
qu'il  faîfoit  ce  facrilàce  (i).  D'autres  di- 
fent  qu'il  faifoit  cette  cérémonie  le  jour 
de  fa  naiiTIince^  &  que  ramailànt  tout  ce 
qu'il  pouvoît  rencontrer  d'exemplaires  de 
Martial  dans  la  Ville  de  Venire,il  lesbrû- 
loit  tous  en  cejour.  Quelques-uns  même 
ont  dit  (2)  la  même  chofe  de  Muret  ,  à 
l'égard  de  Catulle,  pour  qui  il  avoit  beai> 
coup  de  vénération,  &  qu'il  ta  choit  d'i- 
miter ;  de  forte  que  cette  diverfité  d'opi^ 
nions  pourroit  fervir  de  motif  raifonnable 
à  ceux  qui  voudroient  mettre  ce  fait  au  rang, 
des  contes  faits  à  plailîr.  Quoiqu'il  enfoit, 
tout  cela  s'eft  dit  pour  faire  voir  que  Nau- 
ger  &  Muret  elUmoient  le  caradlere  de  Ca- 
tulle préférable  à  celui  de  Martial.  *  Vo- 
yés  l'Article  uyi. 

Nous  avons  parlé  ailleurs  du  travail  6c 
des  éditions  que  Scaliger,  Mr.  Vofîius  le 
fils,[in-4.  à  Londres  1684.J&  d'autres  Cri* 
tiques  ont  données  de  Catulle. 


P  U- 

r.  Paul.   Jovius  clog.   78,   pag.  180.  edit.  B-afiî, 

in- 12. 
Deleft.  Epigrammat.  fupr.  citât,  lib.  7- pag.  3<îJ- 
Hieronym.  Fiacador  de  Arte  PoëticaSammaithaa. 

&  alii. 

2.  ^.  Fauflement. 

3.  Cefar  l'effimoit  jufqu'à  ce  qu'il  en  eut  étécho- 
^e,  ou  plCuôr  jufqu'à  ce  qu'il  eut  connu  6c  gout« 


Poètes    Latins.      93 

PUBLIUSSYRUS, 

Ou  de  Syrie ^  Poète  Mimique  ou  Mimo- 
graphe,  c'ell-à-dire,  bouftbn  &  baladin, 
contrefiiilant  les  adions  ou  les  paroles 

•  des  autres  pour  les  rendre  ridicules  au 
Public  ,  vivant  fous  Jules  Ceiar  &  les 
Triumvirs. 

ii4i.  "p^Ecîus  Laberîas  Chevalier  Ro- pubiiusSy- 

JLy  main,  alFés  eib'mé  (3)  pourfes^us. 
Mimes ^  dont  il  nous  relte  quelques  frag- 
mens  recueillis  dans  l'édition  de  Lyon  en 
1603.  On-4]  &  dans  Mac  robe  (4),  étant 
moit  à  i^ouzzol  dix  mois  après  raitaffmat 
de  Jules  Cefar  en  la  fe-conde  année  de  la 
1S4.  Olympiade  :  on  vit  monter  fur  le 
Théâtre  avec  plus  d'éclat  ce  Publius  vena 
de  Syrie,  &  il  etîaça  Laberius. 

Il  ne  nous  relie  plus  de  Tes  Mimes  que 
les  Sentences  qui  en  turent  extraites  des  le 
toms  des  Antonîns,  comme  il  paroît  par  ce 
qu'Auiu  Gel  le  en  a  écrit  (5").  Elles  ont 
été  fouvent  imprimées  avec  les  Notes  de 
divers  Crin'ques,  &  l'on  ju^e  que  la  meil- 
leure édition  ell  celle  que  Mr.  le  Fevre  en 
a  donnée  à  la  fin  de  fon  Phèdre. 

Les 

rublius.  Mais  Horace  témoiguc  piir  Tes  vers  de  la 
dernière  Satire  du  fécond  Livre  qu'il  n'en  fâiloit  pas 
beaucoup  de  cas. 

4.  M:iciob.  Saturnal.  lib.  z.  &  ex  eo  lib.  Grcgor, 
Gyrald.  de  Hftor.  Toëtar.  Dialog.  8.  pag.  914.  9i>. 

5.  Agcll.  l'en  A.  cï.  in  Nod.    Attic.     Itcni  L.   G. 
Çiyt.  m  lupr,  Ôc  Q,  J.  Voff,  de  Poct,  LatuLlib.  ling. 


lus. 


94      Poètes    Latins. 

PubhusSy-      Les  Anciens    eoûtoient  C\  fore  tout  ce 
qu  avoit  tait  cet  Auteur  qu  Us  le  jugeoient 
preTe'rable  à  tout  ce  que  les  Poètes  Tragi- 
ques 6c  Comiques  avoient  jamais  produit 
de  meilleur,  foit  dans  la  Grèce, .foit  dans 
ritalie.     C'étoit  le  fentimeni  de  Jules  Ce- 
far  ,  c'a  été  depuis  celui  de  Caflius  Seve- 
rus,&  celui  de  Seneque  le  Phiiofophe  (i). 
Parmi  les  modernes  on  peut  dire  que  les 
deux  Scaligers  ont  enchéri  encore  fur  des 
témoignages   (i   glorieux.    Le  Père   écrit 
(2) ,  que  Publius  a  fu  tout  feul  dépouiller 
toute  ia  Grèce  de  la  gloire  qu'elle  avoitac- 
quife  par  Tufage  des  railleries  fines  &  a- 
gréables,  des  bons  mots  &  des  rencontres 
ingenieufes  pour  s'en  revétir-iui-même.  Et 
le  fils  n'a  point  fait  difficulté  de  dire  (3) 
qu'il  renferme  des  chofes  plus  excellentes 
que  tout  ce  que  les  Philofophes  nous  ont 
enfeigné.     [Voyés  l'Article  11 31.] 


I.  F  U- 

t.  C.  Jul.  Caef.  apud  A.  Gell.  &  Macrob.  Item 
Glandorp.  in  Onomaftic.  pag.  728.  G.  M.  Konig. 
Bibl.  V.  &  N.  pag.  668. 

Caflnis  Seveius  apud  M.  Senecam  Patrem  contro- 
verl".  3. 

Luc.  Senec.  Epiftol.  8.  Item  Tanaq.  Faber  prac- 
fat.  in  Publ.  Syr.  num.  pag.  165.  poft  édition,  Phac» 
dri  fabul. 

2.  Jul.  CxC.  Scaligc:  Poctices  lib.  i.  cap.  10.  pag. 
4î.     Item  pag.  ià«. 

3.  Jofeph.  Scalig.  in   Scaligeran.   pofterior.   pag. 

234- 

4.  Tacit.  Aanal.  lib.  4.  cap.  8.  pag.  i68.deJatia« 


Poètes    Latins.      9^ 

1.  FURIUS  BIBACULUS, 

Né   la  féconde  année  de  la  169.  Olym- 
piade. 

1143.    /^Et  Auteur  nous  efl:  reprcfenté  Bibaculus. 

V^  par  les  Critiques  comme  un 
Poète  méditant  ,  railleur  &  mordant  (4) 
c'eft  ce  que  nous  avons  déjà  dit  fur  la  toi 
de  Cremutius  Cordus  au  fujet  de  Catulle. 
Horace  l'a  tourné  en  ridicule  par  une  efpe- 
ce  de  Parodie  qu'il  a  faite  d'un  Vers  où  ce 
Poète  difoit  que  Jupiter  crachoir  des  neiges 
fjr  les  Alpes  (5-).  Néanmoins  on  juge 
qu'il  ne  devoit  pas  être  un  li  méchant  Poè- 
te, s'il  eft  vrai,  comme  Macrobe  l'a  pré- 
tendu, que  Virgile  même  l'a  imité  en  di- 
vers endroits  (6).  [Voyés  l'Art.  1131.] 

2.  C.  Rabirius  qui  vivoit  fous  les  Rabiriw. 
Triumvirs ,   étoit  un   Poctc  de  iî  grande 
importance  ,   que  plufieurs  lui  donnèrent 

le  preniicr  rang  d'après  Virgile.  Il  avoit 
fait  un  Pocme  de  la  guerre  entre  x\ntoine 
&  Augurtc.  (7). 

Mais 

duaion  d'Ablanc. 

5.  Horat.  iib.  r.  Satir.  5. 

Fnrins  hirernas  cana  iiive  conffHi't  ^!fes. 

é.  Macrob.  Iib.  6.  Sarurnal.  cap.  i.  quibus  adde 
Ger.  Jo.  Voflniin  Iib.  lîng.  de  Poët.  Lat.  Philipp. 
Brictium  Iib.  2.  de  Toët.  Lat.  Oh^um  Borrichiiim 
Differtar.  de  Voèr.  L:it.  pag.  47. 

7.  Vcllcjus  Parercul   lib.  2.  Hiftor. 

Ovidius  lîb.  4  Eleg.  ex  Ponto  uJtim.  Qi^iintilian. 
l;b    To   Xnftit.  Oiat. 

Vofl'.  de  Hiftor.  Lat,  lib.  i.  cap.  21.  pag.  tu.  & 
lib.  ling.  de  Poët.  L;u.  pag.  24.  &  alii  icccwioïc» 
paflim. 


&Rabinus 


96      Poètes    Latins. 

^ibaculus,^      Mais  comme  on  n'a  point  fait,  ce  me 

°" '  femble,   de  recueils  particuliers  des  frag- 

mens  de  Bibaculus,  de  Rabirius  (i)  &  de 
divers  autres  Poètes  Latins  qui  ont  para 
fur  la  fin  de  la  Republique  &  le  commen- 
cement de  la  Monarchie,  &  qu'il  ne  s'en 
trouve  que  quelques  Vers  qui  fe  font  con- 
fervés  dans  quelquesOuvrages  des  Anciens 
venus  jufqu'à  nous,  je  crois  qu'il  clt  af- 
fés  inutile  de  rapporter  les  jugemens  qu'on 
en  a  portés,  puifqu'il  ne  nous  reQe  plus 
rien  qui  foit  capable  de  nous  en  faire  faire 
l'application. 


V  A- 

T.  ^.  Il  ne  refte  de  Rabirius  qu'un  demi- vers  hé- 
xamet.e  cité  par  Senéque  1.  6.  des  Bicnfi-its  c.  3, 
Ma's  pour  les  fragmens  de  Bibaculus  ils  fe  trouvent 
avec  teux  d'autres  viel^x  Poètes,  en  divers  recueils. 

2.  ^.  C'eft,nonobftant  l'autorité  des  infcriptions 
anciennes,  une  mauvaifc  afteétation  d'écrire  contre 
l'ufage  ordinaire,  ^inclus  pour  ^intus.  Il  auroit 
du  par  cette  raifon  écrire  HttinRilins. 

3.  '%.  On  doit  bien  fe  garder  de  confondre  Quîn- 
tilius  parent  de  Virgile  avec  Quintilius  Varus  Gene- 
ral de  l'Armée  d'Augufte  en  Allemagne.  Celui-ci 
mourut  l'an  de  Rome  760.  6c  l'autre  729.  Je  luis 
perfuadé  que  c'eft  par  erreur  qu'on  a  nomme  Varus 
ce  dernier,  5c  qu'au  lieu  de  ^nintiUtim  Varurn  qu'on 
lit  dans  le  texte  corrompu  de  Servius  fur  le  vers  20. 
de  la  ).  Eglogue  de  Virgile,  il  faut  lire  limplement 
^'intiliurK,  S  Jérome  dans  fa  Chronique  ne  l'ap- 
pelle que  Quintilius,  ajoutant  qu'il  etoit  de  Crémo- 
ne, ami  de  Virgile  6c  d'Horace.  Quintilius  Varus 
qui  fe  tua  en  Allemagne  étoit  aufll  ami  de  l'un  ôc 
de  l'autre.  Il  avoir  rendu  à  Virgile  de  grands  fervi- 
ces,  Àimo'it  les  vers,  6c  li  l'on  s'en  tient  au  texte 

cou- 


PoEtEs    Latins.       97 

VALERIUS  CATON. 
Du  tems  de  Cîceron  : 

&QUINTILIUS0UQUINC- 
TUS  (2)  VARUS, 

Du  teriTS  des  Triumvirs  (3). 

II 44  /^N  prétend  que  nous  avons  quel-  Caton. 

Vj/ques  Poëlies  de  ces  deux  Au- 
teurs, mais  que  jufqu'à  notre  fiécle  e:les 
n'ont  point  porté  le  nom  de  leurs  Pères. 
La  polkrité  qui  ne  les  connoilFoit  pas, 
n'a  pas  laillé  de  remarquer  dans  ces  pro- 
ductions quelques  traits  qui  lui  ont  faitju- 

ger 

couranr  de  Servius,  en  avoir  fait  quelques-uns,  qui 
nonfiftHdy  dit- il  fur  le  35.  vers  de  la  9.  Egioguc,  cay 
tninA  ûripfi:,  où  il  eft  vifibje  qu'il  avoit  écrit  nuila^ 

fiarce  que  pour  prouver  que  c'étoit  rario  qu'il  fa- 
oit  lire  en  ce  35-  vers,  &  non  pas  Varoj  il  fe  fcrt 
de  cette  diUinition,  que  Vaiius  etoit  un  Poète  ,  ôc 
Varus  un  Capitaine  qui  ne  fe  mêloit  pas  de  vçis,qki 
tîulla  carn-anJ.  irip/ïr ,  cela  eft  fenfe  J  nonnulU  f.iJt  Un 
contrefens,  Horace  6c  Virgile  parlant  du  Capitaine 
Quintilius  Vaius,  l'appellent  toujours  Varus,  &  ne 
donnent  point  a  entendre  qu'il  fut  Pcëte,  car  il  eft 
fur  que  dans  l'endroit  cideflus  allègue  ,  la  leçoa 
Ni'.m  mc^At  iiihuc  Vayio  ell  là  véritable.  Virgile  n'a  fait 
dans  les  vers  nulle  mention  de  ^intsLus,  à  moin» 
qu'on  ne  dife  que  c'cft  lui  qu'il  a  regrette  dans  fa  5. 
ïgloguc  en  la  perfonne  de  Daphnis.  Horace  qui 
dans  fon  Art  Poétique  parle  de  ceQuintilius  commo 
d'un  Critique  intelligent  &  lîncere  n'en  parle  dans 
fa  2^.  Ode  du  1.  i.  que  comme  d'un  honnête  hom- 
me. On  trouve  fouvent  par  la  faute  des  Copiftcsle 
nom  de  Varus  ,  pour  celui  de  Varius.  Ainfi  dans 
Mairial  liv.  vin.  5s.  au  lieu  de  ^»i  V^rojy  UfA^t, 
lrè5-certainenient,  liic  ^  i  Varios. 

TQm,  IIL  E 


çS  Poètes  Latins. 
Caton.  gçj  qu'elles  dévoient  être  de  quelques  Au- 
teurs du  bon  fiécle.  C'eft  ce  qui  les  a  fait 
publier  fouvent  fous  le  nom  de  Virgile, 
pour  leur  donner  quelque  éclat  &  quelque 
crédit. 

La  pièce  qui  porte  le  nom  de  Dires  ou 
Furies  appartient  à  Valerius  Caton,  fi  l'on 
s'en  rapporte  au  jugement  des  deux  Scali- 
gers,  &  de  ceux  qui  les  ont  fuivis.  Ce 
Caton ,  qui  étoit  Gaulois  &  qui  avoit  fait 
encore  d'autres  Poèfies  fous  le  titre  <\q  Ly- 
die &  de  Diane  ,  eft  appelle  la  Sirène  des 
Latins  dans  Suétone  (i).  Et  fon  Poème 
des  Dires  parut  fous  fon  nom  àLeydel'aa 
165-2.  avec  les  Notes  du  Sieur  Chriftofle 
Arnold. 

Jules  Scaliger  prétend  que  Q.  V  a  R  u  s 
eft  le  véritable  Auteur  de  V ALtna  (2).  Il 
juge  par  cette  pièce  que  c'étoit  un  Poète 
de  conféquence,  h  qu'il  avoit  bien  mérité 
les  louanges  dont  les  Anciens  l'avoient 
honoré.  Il  ajoute  que  le  (lyle  en  eft  grand 
&  magnifique,  &  que  l'Ouvrage  ne  taifoit 
pas  trop  de  deshonneur  à  Virgile,  lors 
qu'il  portoit  fon  nom  (3).  *  Vo- 

I.  Suet.  de  Grammat.  illoftrib.  in  Val,  Cat.  poft 
Vit.  CxC 

z.  Jul.  Csf.  Scaliger.  lib.   6.  Poëtices  pag.  85 j. 

854- 

D'autres  difent  que  cette  Pièce  eft  de  Cornel.  Se- 

yerus  qui  vivoit  fous  Auguftc. 

^.  Ceux-ci  ont  raifon,  ayant  pour -eux  un  palTa- 
ge  qui  fe  trouve  dans  Sencque,  Epit.  79.  fie  qui  dé- 
cide la  queftion. 

3.  Philipp.  Brict.  lib.  2.  de  Poctis  Lat.  pag,  zt. 

4.  %,  Le  genre  nemre  parmi  nous  étant  le  même 
que  lemafculin  &  en  ayant  le  nom  il  femblcquele 
mot  KftTA^iKTct  qui  cil  du  ucutie  en  Ciec  »  devroit 

ctie 


Poètes    Latins.      9^ 

*  Voyés   Corpus  Poëtarum  à  TArtîclc 
1131. * 

Lesdcux  VARRONS,  c'eft-à-dîrc, 

1.  Marcus  Terentius  Varron  Ror/ia'm^ 
né  la  première  année  delà  ié6.  Olym- 
piade, la  638.  de  la  fondation  de  Ro- 
me, dix  ans  devant Ciceron  &  Pompée, 
mort  la  première  année  de  la  188.  O- 
lympiade,  âgé  de  près  de  89.  ans,  28. 
ans  devant  notre  Epoque. 

2.  Publias  Terentius  Varron  Gaîdols^  né 
au  quartier  de  Narbonne ,  dans  le  J/illage 
^ Atace  [tir  Aude  ,  rivière  qui  portoit 
alors  le  'même  norad'Atax  ^  la  troiliéme 
année  de  la  174.  Olympiade. 

1145"  IL  nous  efl  refté  d'vers  fragmens  Marc.  t«, 

I.  1  de  plufieurs  Poèmes  que  le  Var-  Vairo.1. 
ron  Romain  avoit  compofés,  &  particu- 
lièrement de  Tes  Satires  Mcnippccs.  On 
trouve  au(îi  quelques  Epigrammes  de  Ç\ 
façon  dans  l'Appendice  ou  les  Gataledes  de 
Virgile  que  Scaliger  a  recueillies  (4'»,  dans 

le 

erre  parrrii  nous  du  mafculin.  BaUlct  cependant  fait 
ici  CMaleHes  du  féminin  ,  ce  que  je  lui  p.ilte  d'iutàut 
plus  aifcment ,  que  ce  mot ,  pour  peu  qu*il  fût  ad-^ 
Biis  dans  notre  Langue,  y  devicndroit  bientôt  fémi*' 
nia,  &  cela  uniquement  à  caufc  de  L\  terrninaifon,^ 
qui  eft  féminine.  Ainfi  ,  nonobftai.t  les  neutres 
à.\iiic4o't%  fc  !J-xi\iyL  nous  difons  de  curieufes  ar.ecdo' 
tes  ,  &  de  bonnes  Scholies.  Cette  laifon  s'étend 
lut  bien  d'autres  mots  qui  régulièrement  devroient 
être  nmlculins,  &  que  nous  faifons  féminins,  tau» 
dis  que ,  pat  une  bizarrerie  merveilleufc ,  dÎAUt.c ,  mai- 
gre la  terminaifon  féminine,  &  malgré  fon  genre 
qui  eft  féminin  en  Grec  éc  en  Laciu ,  ac  iiiSc  pas 
Q'cti«  niaîculiu  eu  f  lançeis. 

£  i 


icx)    Poètes    Latins. 
Marc.  Ter.  Je  recueil  des  anciennes  Epigrammes,don- 

Vairon.        ^^   p^j.   j^^  ^^jj^j.  ^^  jyj^.^  Pithou  iViné,  & 

dans  la  colkdion  des  fragmens  qu'un  Cri- 
tique de  Frife,  nommé  Aufone  Popman 
ou  Popma,  publia  à  Franeker  Tan  I5'90 
Pub.  Ter.  2.  Le  Varron  Gaulois,  quoique  d'une 
Varron.  réputation  fort  inférieure  à  celle  du  Ro- 
main, ne  laiflbit  pas  d'être  aufli  bon  Poè- 
te que  lui,  c'eft  peut-être  ce  qui  a  donné 
lieu  à  tant  de  Critiques  des  fiécles  palîés 
de  confondre  le^  Poëlies  de  l'un  avec  cel- 
les de  l'autre  (i).  Il  avoit  fait  divers  Ou- 
vrages en  vers,  dont  on  a  recueilli  les 
fragmens  avec  ceux  des  autres  anciens  Poè- 
tes imprimés  à  Lyon  1603.  &  dans  le  re- 
cueil de  Mr.  Pithou.  Ses  principaux  Poè- 
mes étoient  celui  de  la  guerre  des  Sequa^ 
«ois^  c'eft-à-dire  de  cette  partie  de  la  cin- 
quième Celtique  ou  Lyonnoife,  que  nous 
appelions  aujourd'hui  Franche-Comté  ; 
celui  de  V Europe;  &  félon  quelques  Sa- 
vans,  celui  des  Aftronomiques  qui  porte  le 
nom  du  Grammairien  Fulgence  Plancia- 
de  (2),  &  qui  a  été  auiTi  quelquefois  attri- 
bué 


1.  C'eft  ce  qu'a  fait  auflî  Lil.  Greg.  Girald,  Dial. 
de  Hift.  Poët.  pag.  442.  443. 

2.  C'eft  Pierre  Pithou  qui  ne  fiichant  de  qui  étoit 
ce  fragment  du  Poëme  intitulé  ^Jironomita^  crut, 
apparenmicnt  fur  ie  -ftyle  ,  pouvoir  l'attribuer  au 
Grammairien  Fulgence  Planciade.  Il  ne  le  nomme 
à  la  véiitc  que  Fulgence  fimplemcnt,  mais  quel  au- 
tre Fulgence  pourroit-il  avoir  entendu  que  le  Gram- 
mairien? Il  ne  rejette  pourtant  pas,  dit-il,  la  con- 
jefturc  d'un  favant  homme  qui  donnoit  ces  vers  à 
Varro  Atacinus.  Ce  favant  homme ,  jeune  encore 
lorfquc  Turnebel.  i^,  de  fes  Udifrftria  c,  3,  en  apar- 

le 


I 


Poètes    Latins.       ioi 

bué  à  S.  Fulgence  de  Rufpe.  Maïs  le  plus  rnb.Tcr. 
conliderable  des  Poèmes  de  Varroti  eiï  ce-  vanon. 
lui  des  Ârgoyjautes  en  quatre  Livres.  Ce 
n'étoit  proprement  qu*unc  tradudlion  de 
l'Ouvrage  d'Apollonius  de  Rhode;  mais 
Quintilien  le  loue  de  s'en  être  ailés  bien 
acqu  té  (3)  ,  quoiqu'il  juge  qu'il  n'étoit 
point  propre  pour  perfedionner  les  jeunes 
gens  dans  l'Eloquence.  Le  Père  Briet  dit 
que  les  Grammairiens  ont  donné  beaucoup 
d'éloges  à  cet  Ouvrage  en  particulier,  <5c 
Seneque  le  Père  rapporte  de  Julius  Mon- 
tanus  (4)  que  Virgile  ellimoit  fi  fort  ce  que 
Varron  avoit  fait ,  qu'il  employoit  quel- 
quefois de  fes  vers  en  fe  contentant  de  les 
rendre  meilleurs  &  de  leur  donner  plusd»; 
force.  [Voyés  l'Art.  1131.] 

C.  HELVIUS    CINNA, 

Du  tems  des  Triumvirs. 

1146  î  L  avoit  compofé  divers  Ouvrages  cIdm* 
1  en  vers  fur  Achille^  'ïelephe ^  A>r- 

le,  n'eft  autre  que  Pierre  Daniel  d'Orléans.  La  con- 
jcdutc  de  Pitliou  paroit  plus  jufte.  Les  vers,  qui 
dans  les  recueils  pafl'ent  pour  ëtie  yéritablement  de 
ce  Varron  ,  font  d'un  autre  goût.  Turnébe  cepen- 
dant les  appelle  graviffimos  cr  polnijjimts ,  &  dit  que 
c'cft  le  célèbre  Henri  de  Mefmes  ,  qui  les  ayant  dc- 
tciies  lui  en  fit  prêtent. 

3.  Quiniilian.  icftitution.  Orator.  lib  10,  cap.  i. 

4.  Marc.  Seneca  controverf.  16.  Item  Ger.  Jo, 
Voir,  de  Hiftoricis  Latin,  lib.  i.  cap.  i6.  pag.  77.  7*. 
Ucni  lib.  lingul.  de  Poctis  Latin  pag.  21.  22.  &:  64, 
Item  rithœus  Pra:fat.  in  colleft.  Epigram.  Philip. 
Biiet.  l;b.  i.  de  Poët.  Lat.  pag.  16, 

E  î 


Cinna, 


loi      PoETïS    Latins. 

xès^  ^€.  Maïs  il  femble  que  fa  Smyrne 
à  laquelle  il  employa  neuf  ans ,  aie  eu  plus 
de  réputation  que  les  autres ,  quoique  ce 
Poëme  fût  obfcur  &  difficile  ,  &  qu'un 
ancien  Grammairien  nommé  Crafîitius  fc 
crût  obligé  d'y  faire  des  Commentaires  pour 
remédier  à  cet  inconvénient ,  en  quoi  il 
paroît  qu'il  avoit  réulTi,  comme  nous  l'ap- 
prenons d'une  vieille  Epigramme  rappor- 
tée par  Voffius  (i).  Nous  en  avons  quel- 
ques fragmens  qui  fe  trouvent  avec  ceux 
des  autres  Poètes  perdus.  Le  P.  Briet  dit 
(2)  que  ce  qui  nous  eft  refté  de  fon  Achil^ 
le^   de  fon  T'elephe^   &  de  fon  Xerxès  a 

l'air 


î.  Ger.  Joan.  VofT.  de  Poct.  Lat.  1.  Cng.  pag.  ijn 
cap.  I. 

01,  Borrich.  de  Lat.  Poct.  Differt.  1.  p.49- 

%.  Ce  n'eft  pasVofCus  qu'il  faloit  citer ,  mais  Sué- 
tone^ dans  fon  livre  des  illuftres  Grammairiens  d'où 
Voffius  a  tiré  cette  Epigramme. 

2.  Fhilipp.  JBiiet.  iib.  2.  de  Poet.  Lat.  pag.  15, 
&   16. 

De  Smyrna  cjufque  novennio  Catullus  Carm.  ptf. 
&  Quintilian.  Iib.  10.  cap.  4. 

IF.  L'erreur  du  P.  Briet ,  &  fes  paroles  mal  enten- 
dues ont  fait  croire  à  Baillet  qu'Helrius  Cinna  etoit 
un  Foëtc  Tragique,  &  qu'il  nous  reftoit  des  frag- 
mens de  fon  Achille,  de  Ion  Téléphe  &  de  Ion  Xer- 
xès. Ces  chimères  ont  impofe  à  des  lecteurs  trop 
crédules.  C'eft  eu  effet  lur  l'idée  de  ces  prétendus 
Ouvrages  dramatiques  de  Cinna  ,  qu'un  excellent 
Traducteur  a  cru  depuis  peu  que  la  Stnyme  de  ce  Poè- 
te ètoit  une  Tragédie.  C'étoit  un  Poëme  Héroïque 
dont  l'amour  inceftueufe  de  Myrrha  ètoit  le  fujet. 
Smyryia  en  étoit  le  titre  parce  qu'en  Grec  cr^Jpvatfi- 
gnifie  Myrrha.  Les  veis  que  nous  en  ont  confervès 
Servrus  Se  Prifcien  font  hexamètres,  ôc  quoi  qu'en 
petit  flombxc  lulîifeiit  poar  fane  voix  que  ce  n'ètoic 

pas 


Poètes    Latins.       103 

Taîr  tout-à  fait  Poétique,  &  que  tout  cela   Cinna. 
eft  de  bon  goût.  [Voyés  T Article  1131. 

C.  PEDO  ALBINOVANUS, 

Sous  Augufte  &  contemporain  d'Ovide. 

1146.  I  L  a   fait  aulîî  diverfes  Pocfîes,  redo  Aîbi- 

ois  1  comme  font  le  Pocme  delaZ/^^-  novan»u* 
feiJe  dont  parle  Ovide,  celui  de  la  Navi- 
gation de  Germanicus  dont  parle  Seneque, 
des  Epigrammes  ,  comme  nous  l'appre- 
nons de^Martial ,  &  quelques  Elégies  dont 
quelques-unes  ont  été  attribuées  à  Ovide, 

par- 


pas  une  pièce  de  theârrc.  Labe'vuëdu  P.Bricta  cau- 
îe  routes  les  aurres.  Comme  dans  fon  livre  de  Poe- 
tis  Latinis  il  avoit  à  parler  de  Cinna,  il  confuka  au 
mot  c.  Htlvii  Cinn^t  la  table  Alphabétique  du  recueil 
d'anciennes  Epigrammes  donné  en  \si>o.  par  Pierre 
Pitliou,  laquelle  l'ayant  renvoyé  a  la  page  59.  il  y 
trouva,  tout  au  dellus,  ces  trois  lignes  ainfi  ponc- 
tuées &  rangées  : 
IN  COMMENTARIUM  L.    CRASSITII 

Grammatici  in  Smyrnam.  C.  Helvii  Cinnx. 
Trompé  par  le  point  mis  mal  à  propos  après  Smyr- 
M4r/j,il  crut  que  Cinna  étoit  TAuteur  non  feulement 
de  l'Epigramme  Vni  Craijltio  ,  qui  étoit  autant  con- 
tre Cinna  lui-même  que  contre  Cranit:us,mais  en- 
core des  quatre  fuivnntes,  dont  la  première  a  pour 
titre  de  Achille,  la  féconde  de  Teltpho ^  les  deux  au- 
tres font  in  Xtrxem.  De  Ion  côté  liaillct,  qui  ne  re- 
couroit  jamais  aux  lources  ,  s'eft  imaginé  que  pat 
ces  mots  du  P.  Briet  :  fupcrjiau  etiamnriyn  ejus  ali-^ua 
de  Achille  ,  Telepho  ,  A'er.vf ,  il  faloit  entendre  trois 
Tragédies  de  la  façon  de  Cinna,  &  depuis  fur  cette 
imagination  de  Bailler,  on  s'eft  figuré  que  la  Smyr- 
nix  ttoit  aulTi  une  pièce  de  théâtic.  Voila  conamenc 
la  pelote  s'eft  groliie. 

E4 


104      Poètes    Latins. 

Boviiûus/'P^^^^  qu'on  les  joignok  ordinairement  en- 
femble  (i).  Celle  qu'il  a  faite  fur  la  mort 
de Drufus  Néron  eft  très-élégante  au  juge- 
ment des  Critiques  (2),  &  elle  eft  jugée 
très-digne  d'un  homme  qu'Ovide  appelle 
Poëte  celefte  (3).  Celle  qu'on  a  fur  la 
mort  de  Mecenas  eft  beaucoup  au  deflbus 
pour  le  fîyle  &  le  caractère  Poétique  ;  aufll 
V^oflius  témoigne -t-il  ne  pouvoir  s'imagi- 
ner qu'elle  foit  de  Pedon,  quoi  qu'en  ait 
dit  Scaliger.  J.  Henri  Meibomius  a  publié 
ces  deux  Elégies  (4)  fous  le  nom  de  ce 
Poète,  dont  il  nous  refte  encore  quelques 
fragmens  dans  le  Recueil  que  nous  avons 
déjà  cité  fouvent ,  &  qui  parut  à  Lyon 
pn-40.]  en  1603.  [Ô{  dans  le  Corpus  Poè* 
tarumdeGQnQVQ  in-40.  i6n.  Voyés  l'Ar- 
ticle 113T. 

[M.  Le  Clerc  a  donné  en  1703  Tous  le 
nom  feint  de  Theod.  Goral/us^  une  Edition 
de  ce  Poëte  ;  en  voici  le  titre  :  C.  Pedonis  Al" 
hinovani  Elegia  III.  Zîf  Fragmenta  cum  Ih" 
terpretatione  i^  Notis  Jof.  Scaliger i  ^  Frid, 
lu'mdeyibruchîi ^  Nîc.  Heinfîi ^Theod.Goralli 
tsf  dlionrm,  AmfteL  'tn-%.  C'eft  la  meilleure 
Edition.  Add. de  l'Ed.  d'AmJî.\ 

COR- 

1.  Ovidius  Elegia  x.  libri  4.  de  Ponto. 

Alarc,  Seneca  Suaforiâ  prima  lefcrt  jj.  verfus  è  na- 
vig.  Gerraan. 

Martial,  lib.  2.  Epigramm.  77.  quod.  cû  in  Cofco- 
niura. 

2.  Ger.  Jo.  Voir.  lib.  fing.  de  Poët.  Lat.  pag.  3^. 
Et  01.  borrich.  Dillertat.  i.  de  Poët.  Lat.  pag.  5}. 

3.  Ovjd.  Elegia  ultim.  lib.  4.  de  f  onto.  Vofl.  ue 
fupra,  &c. 

%,  Sidcrtu'~cjue  Petit. 

•*.  H.  A  Leyde  in -4.  1653.  à  la  fuite  de  fon  Mce- 

5.  Quel- 


Poètes    Latins.      105* 

CORNELIUS  GALLUS, 

De  Frejus  en  Provence  (5-),  premier  Gou- 
verneur de  l'Egypte  ,  depuis  fa  réduc- 
tion en  Province  ,  tué  de  fa  propre 
main,  la  féconde  année  de  la  188.  O- 
lympiade  ,  (i  Ton  doit  s'en  tenir  à  la 
Chronique  d'Eufebe  ,  27.  ans  devant 
notre  Epoque,  en  la  40.  année  de  fa 
vie,  ou  43.  félon  d'autres,  y  avoue  que 
toutes  ces  dates  [ont  fujettes  ,ï  beaucoup 
de  difficultés  (6). 

.1147  T    E  Père  Rapin  dît  que  (7),   les  com.Gai- 

JL/ Elégies  de  Catulle,  de  Mecenas  lus. 
(S)  &  de  Cornélius  Gallus  qui  nous  res- 
tent font  d'une  grande  pureté  &  d'une 
grande  délicateife,  &  il  ajoute  que  Gallus 
ell  pourtant  plus  rond,  &  qu'il  fe  foutient 
mieux  que  les  deux  premiers. 

Les  autres  Critiques  femblent  avoir  pris 
un  parti  afles  différent  de  celui  de  ce  Père , 
&  comme  ils  n'ont  pas  eu  tous  le  même 

fen- 


5.  Quelques  Italiens  l'ont  fait  natif  du  Frioul  \ 
caufe  de  la  reflemblance  du  nom  Latin  Ftmrn  JuiH, 

6.  %.  Jofeph  Scaliger  dans  fes  notes  fur  Ton  Eufé- 
be  eft  d'accord  de  toutes  ces  dates  à  une  année  près, 

7.  René  Rapin,  Réflexions  partie,  fur  la  Poëciq. 
féconde  partie  Reflex.  xxix.  pag.  163.  164.  eJit, 
in  4. 

8.  %.  Nous  n'avons  aucune  Elégie  de  Mécénas, 
&  l'on  fait,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  celles  qui 
ont  été  publiées  (l.us  le  nom  de  Cornélius  Gallus  ne 
font  pas  de  lui.  U  n'y  a  pour  s'inftruire  à  fond  fur 
cet  article,  qu'à  lire  ce  qu'en  dit  le  nouvciu  Àlen*' 
giiUia,  lçniÇi,pagC33ô,  jufqu'à  346,  , 


îo6      P  0  t  t  E  $    Lattns. 

Câllus.  fentiment  que  lui  pour  la  perfonne  de 
l'Auteur  de  ces  Elégies  qui  ont  porté  long- 
tems  le  nom  de  Gallus,  ils  n'ont  pas  eu 
aufli  le  même  goût  pour  le  fonds  de  TOu- 
vrage. 

I.  Pour  ce  qui  regarde  l'Auteur,  la 
plupart  de  ceux  qui  ont  écrit  en  ces  der- 
niers tems  prétendent  que  c'eft  un  nommé 
Maxîmien  qui  eft  le  véritable  Père.  Le 
Gyr-.ldî,quî  ell  un  des  premiers  d'entre  ces 
Criciques  qui  ont  déterré  ce  Maximien, 
n'a  pu  retenir  Ton  zèle  contre  Crinitus  (i) 
&  les  autres  qui  vouloient  donner  ces  vers 
que  nous  avons  à  Gallus,  &  il  ne  les  ac- 
cufe  de  rien  moins  qoede  folie,  d'impoftu- 
re  &  d'imprudence  ,  parce  que  ces  vers 
qu'il  prétend  n'avoir  rien  que  de  trivial  & 
d'impur,  font  voir  que  leur  Auteur  n'é- 
toit  ni  du  pays,  nî  du  tems,  ni  de  Tâge, 
ni  du  goût  du  véritable  Gallus.  Il  ajoute 
que  ce  Maxîmien,  quel  qu'il  ait  été,  a 
fait  connoître  par  ces  Elégies  qu'il  étoit 
un  vrai  fot  &  un  franc  fripon ,  &  qu'on 
s'étoit  déjà  moqué  de  fes  fadaifes  avant 

lui 


T.  ^.  Rien  n'eft  plus  faux  .  Gyraldas  n*a  point 
eu  tout  nommé,  ni  n'a  du  nommer  Crinitus  qu'il 
n'ignoroit  pas  s'être  iafciit  en  faux,  quelque  qua- 
rante ans  avant  lui ,  contre  les  Poëlies  attribuées  à 
Cornélius  Gallus.  Voici  les  paroles  de  Crinitus  «» 
42.  de  Ton  Ouvrage  des  Foëtcs  Latins.  Leinntttr  <«- 
taîe  najirti  E.'ejinritm  Itlri  [ub  nomine  Cornelii  Cdlli  ^ejuA 
in  re  facile  efi  imponere  imperitfs  hominib^ts,  §lui  anton 
fauio  ditigtntius  anti^uitatem  obfervarunt  ,  nihil  minHt 
ittifebnnt  qtta'/i  t'.t  h^ec  refertnda  fînt  ad  Poctum  Gallttm, 

i.  Lil.  Gregor.  Gyrald.  de  Hift.  Poëtar.  Dialog,^. 

3.  Juft.  LipC  £le^oi,  lib.  z,  fcti.  Pitiioeus  Jxsf. 

ia 


Poètes    La  t  i-  n  s.      ïoj 

lui  (i).  Il  avoue  néanmoins  qu'il  y  a  une  C<^'n4Gti- 
Elegie  ou  deux  qui  ne  font  pas  tout-à-fait  "** 
indignes  de  cet  ancien  Gallus  qui  avoit 
l'ellime  de  Virgile  ôl  des  autres  grands 
hommes  de  fon  iiécle.  Lipfe ,  Mr.  Pi- 
thou,  Scaliger  le  fils,  Voflius  le  père,  le 
Père  Briet,  le  Sieur  Konig  ,  le  Père  de  la 
Rue  ,  ont  fuivi  le  fentiment  du  Gyral- 
di  (3),  &  ils  ont  adjugé  toutes  ces  Elé- 
gies à  Maximien  fur  la  toi  des  anciens  ma- 
nu fcrîts. 

2.  Pour  ce  qui  efl  des  jugemens  qu'on 
a  portes  de  ces  vers,  on  peut  dire  qu'ils 
font  alfés  uniformes.  Jules  Scaliger,  qui 
femble  avoir  crû  qu'une  bonne  partie  de 
ces  Elégies  étoient  du  véritable  Gallus, 
s-'efl  imaginé  y  avoir  trouvé  les  défauts  que 

Suintilien  (4)  avoit  remarqués  dans  les 
uvrages  de  cet  ancien  Gallus ,  c'eil  pour- 
quoi il  dit  que  ces  vers  comme  il  les  a  lûs^ 
lui  paroiflent  trop  durs,  parce  que  Quin- 
tilîen  en  avoit  dit  autant  de  ceux  qu'il  a- 
voit  vus.  Scaliger  ajoute  néanmoins  qu'il 
a  rendu  cette  dureté  moins  défagréable  à 

caufc 


m  fragm.  Toët.  feu  Epigr. 

Jol.  Scaliger  in  Rob.  Tic.  Brict.  dePoct.  Lat.  Ko- 
migius  Bibl.  V.  &  N. 

Caiol.  de  la  Kuënot.  inaigum.  Eclog.  deciinz  de 
Galio. 

%.  On  ne  peut  pas  dire  qu'abfolument  i!s  fuivis- 
Icat  le  fentiment  de  Gyraldus,  puifqiie  celui-ci,  des- 
fix  Elégies  attribuées  à  Cornélius  Gallus ,  croyoic 
qu'il  y  en  pouvoir  avoit  une  ou  deux  verirabJement' 
de  lui,  au  lieu  que  Lipfe  &  les  autres  Ciiti(^cs  les 
ajugeoient  toutes  à  Maximien  fans  exception. 

4.  Q»Umiliaii,  Xultiruiion.  Oiatoiiai,  lib.  x.  cap.  r.  " 
E  6 


loS      Poètes    Latins. 
Corn.  Gai- c^y^g  de  quelques  beautés  &  de  quelques- 
grâces  qu'il  juge  que  l'Auteur  y  a  répan- 
dues.  Il  eftime  pourtant  qu'il  y  a  quelques 
Pièces  dans  ce  Recueil  attribué  à  Gallus, 
qui  n€  peuvent  venir  que  d'un  Auteur  fort 
impertinent  &  fort  inepte  des  tems  pofte- 
rieurs  ,  comme  eft  la  Pièce  Lyrique  ;  & 
qu'il   y  en  a  d'autres  qui  font  connoître 
qu'il  ne  favoit  point  du  tout  la  Langue 
Grecque  (i),  &  qu'il  ignoroit  la  quantité 
des  fyllabes,  la  mefure  des  vers,  &  les  rè- 
gles de  la  veriification.  Le  Gyraldi  a  re- 
marqué la  même  chofe,   &  il  ajoute  que 
cet  Auteur  ne  favoit  pas  même  la  Langue 
Latine  (i),  Villiomare,   c'eli-à-dire,   Jo- 
feph  Scaliger  &  lePereBiet  difcnt  (3)  que 
l'Auteur  de  ces  vers  e(t  un  Barbare,  &  c« 
dernier  ajoute  que  les  lix  Elégies  que  nous 
avons  font  très-infames,   &  que  ce  vilain 
vieillard   ne   fait  autre  chofe  dans  toutes 
ces  Pièces  que  déplorer  l'impuillance  où  la 
grande  vieillelTe  &  fes  maladies  le  rédui- 
foient  de  ne  pouvoir  pas  fatisfaire  fa  bruta- 
lité fur  une  jeune  hlle  dont  il  étoic  fou. 
Ce  Père  d't  qu'entre  les  autres  il  n'y  a  rien 
de  plus  impudent  ni  rien  de  plus  fale  que 
la  cinquième  Elégie  (4).  Et  pour  achever  la 
peinture  d'un  fi  bel  Auteur  ,  celui  qui  a 
mis  fa  Vie  à  la  tête  de  fes  Elégies  nous  fait 
remarquer  auffi  que  ce  font  ks  vers  d'un 

igno- 

7.  Jal.  Czl^Scaligeilib.  6.  Pocticcs  qui  cft  Hypci- 
critic   pag.  8<2. 

2.  Gr.  Gyrald.  Diiil.  4.  Hift.  Poët.  utfup.  Jof.  Sca« 
liger  Anim.  ad  Chron.  Euieb. 

3.  Tvo  VillioKiax.  Auimâdvcxf,  cont^  Kab.  Tlti 


Poètes    Latins.       109 

Ignorant  aulTi-bien  que  d'un  impudique.  Coin.  Gai- 
Voilà  quelle  eft  la  morale  de  cet  Auteur,  "*' 
&  pour  ce  qui  eft  de  fon  ftyle  ,  le  Père 
VavafTeur  écrit  (5-)  que  ce  qu'on  attribue 
à  Gallus  eft  peu  corrcâ,  que  tout  y  eft 
puérile  &  extravagant,  m^ais  qu'il  ne  nous 
efl  rien  relié  du  véritable  Gallus. 

Voyés  Corpis  Poètaram  cite  à  l'arti- 
cle 113t. 

VIRGILE. 

(PuL^I.  F/?X-  Maro)  d'Andes  (6)  au  territoi' 
re  de  Mantouë  ^  né  le  15".  Odobre  de  la 
troiliéme  année  de  la  177.  Olympiade, 
la  684.  de  la  fondation  de  Rome,  fous 
le  Confulat  de  Pompée  &  de  CrafTus, 
l'année  que  Ciceron  accufa  Verres  de 
Peculat,  70.  ans  devant  l'Epoque  Chré- 
tienne. Mort  à  Brindes  le  22..  Septem- 
bre, la  deuxième  année  de  la  190.  O- 
lympiade  ,  l'année  de  l'Empire  d'Au- 
gufte,  25'.  à  compter  à  la  mort  de  Cé- 
lar,  24.  à  compter  depuis  fon  Confulat, 
12.  depuis  la  bataille  d'Aclium,  11.  de- 
puis la  prîfe  d'Alexandrie  ou  la  réduc- 
tion de  l'Egypte ,  &  9.  depuis  qu'il  fut 
falué  Augulîe  par  le  Sénat;  19.  ans  de- 
vant notre  Epoque  ,  c'efl-à-dire  ,  ly. 
ans  devant  la  Nailfance  du  Sauveur  du 

Mon- 

loc.  commun. 

4.  Philipp.  Brict.  Soc,  J.  lib,  2.  de  Poè't.  pag, 
a6.  27. 

s.  Anonym.  Remarq.  fur  les  Reflcx.  touchant  la 
Poè't.  pag.  127. 

^t  H.  Aujourd'hui  fnuU. 

E7 


IfO        P  O  E   T  E   s     L  A  T   I  ï^  3> 

Monde;  fous  le  Confulat  de  C.  Sen- 
tius  Samrninus  &  de  Q.  Lucretius  Ciii- 
na  Vefpillo;  Tan  Julien  ou  de  la  cor- 
re6i:ion  du  Calendrier  Romain  27.  &  de 
l^Ere  Efpagnole  20.  âgé  de  jr.  ans  (i); 
&  735'.  ans  depuis  la  fondation  de  Ro- 
me; de  la  Période  Julienne  4^95*.  Cy- 
cle Sol.  19,  Lun.  2. 

Twllt,      ^^4^  T    'Affedation  (2)  qui  paroît  dans 

X-yle  foin  que  j'ai  pris  de  dater  la 

mort  de  Virgile  par  toutes  les  Epoques  que 

-  j'ai  crû  certaines  6c  inconteftables,  &  qui 

ont  eu  cours  dans  l'Empire  Romain ,  ne 
doit  pas  feulement  nous  faire  fouvenir  de 
la  diliin6tion  qu'il  faut  faire  de  fon  rang 
&  de  fon  mérite  d'avec  celui  des  autres: 
mais  elle  peut  fervir  encore  à  nous  le  faire 
confidérer  comme  étant  lui-même  une  E- 
poque  fixe  de  la  Poéfîe,  &  com^me  le  cen- 
tre univerfel  de  tous  les  Poètes  qui  ont 
paru  auparavant  <Sc  après  lui. 

Je  n'ai  pas  crû  pouvoir  donner  une  idée 
de  Virgile  qui  fût  plus  achevée  &  plus  par- 
faite que  celle-là.  J'ofe  dire  qu'elle  en- 
gloutit toutes  celles  qu'on  nous  en  a  fait 
concevoir  jufqu'ici,  &  que  tout  ce  que 
fes  envieux  &  fes  ennemis  y  ont  remar- 
qué d'humain  s'y  rapporte  auffi  parfiîte- 

ment 

1.  Cinquante  ans  onze  mois  fept  jours. 

2.  ^.  On  a  eu  raifon  de  fc  mocquer  &  de  la  prc'- 
cifîon  afFcftéc  de  tant  de  dates,  &  de  la  conféquen- 
Cc  qu'il  en  tire  à  l'avaniagc  de  Virgile. 

3.  ^.  C*eft  par  ces  mots  qu'après  avoir  clairement 
te  ruccù^^çmem  marque  le  tem»  de  la  jndûançi,  Se 

de 


Poètes    Latins.      m 

înent  que  tout  ce  que  fes  flateurs  6c  fes  Virgile, 
idolâtres  y  ont  reconnu  de  divûir 

Voilà  l'expédient  que  j'ai  trouvé  pour 
me  tirer  avantageufement  de  l'embarras 
où  j'aurois  été  de  rapporter  les  jugemens 
ou  les  éloges  de  plus  de  quinze  cens  Cri- 
tiques qui  m'auroient  fait  faire  des  cercles 
perpétuels^  &  qui  m'auroient  rendu  infup- 
portable  au  Le6teur  par  une  infinité  de  re- 
dites. Par  ce  moyen  je  ne  me  trouve  plus 
engagé  qu'à  choifir  un  petit  nombre  de 
ceux  d'entre  ces  Critiques  qui  femblent 
avoir  le  plus  d'autorité,  6c  qui  pour  n'être 
peut-être  pas  toujours  également  judicieux 
ne  laîflent  pas  de  donner  grand  poids  à 
leurs  jugemens  par  le  crédit  qu'ils  ont  ac- 
quis dans  la  République  des  Lettres  ;  & 
à  rapporter  fuccindement  ce  qu'ils  ont 
dît  de  plus  précis  pour  nous  faire  con- 
noître  le  caradcre  de  ce  Poète  &  l'utilité 
que  nous  en  pouvons  retirer. 

Nous  n'avons  de  Virgile  (3)  que  trois 
Ouvrages  confidérables  ,  écrits  chacun 
dans  un  genre  différent  de  Poéfie,  favoîr 
les  dix  Ecloguss  ou  (4)  Bucolijues ,  les  qua- 
tre Livres  des  Géorgiques^  &  les  douze  de 
rEneide.  Les  autres  produdions  qu'on  lui 
attribué  n'ont  pas  encore  été  légitimées. 

Quoique  les  Bucoliques  &  les  Géorgi- 

ques 

*c  la  mort  de  Virgile,  Baillet  devoir  entrer  en  ma- 
tière. 

4  %.\\iÀ\o\t  OH  les Bticoli(^ues ^  autrement  il  femblera 
qu'il  y  ait  dix  Bucoliques.  Je  ne  dis  rien  éî'EclogHes^ 
finon  ,  que  ,  nonobftant  l'étymologie  ,  il  auioic 
aùoix  fait  d'écrire  ^glo^utt  conforménicût  à  Tufagc, 


lia       Poètes    Latine. 

qucs  ne  fuflent  que  trop  fuffifans  pour  ti- 
rer un  Auteur  du  nombre  des  médiocres 
Poètes  ;  il  n'y  a  pourtant  que  TEnéide 
qui  ait  établi  Virgile  dans  la  réputation 
du  premier  de  tous  les  Poètes ,  &  qui  ait 
dignement  exercé  rinduflrie  &  les  facul» 
tés  des  Critiques.  C'eft  aufîi  ce  Poème 
qui  fera  tout  le  fujet  des  jugemens  fui- 
vans  ,  aufquels  je  tâcherai  de  donner  quel- 
que ombre  de  la  méthode  que  les  Maîtres 
de  TArt  ont  coutume  de  luivre  dans  leurs 
préceptes,  je  rapporterai  1°.  une  partie  de 
ce  qui  s'eft  dit  de  plus  conlidcrable  fur  la 
fable  de  ce  Poème,  2°.  fur  fa  matière,  30. 
fur  fa  forme,  4°.  fur  les  mœurs,  5-0.  fur 
les  fentimens ,  6°.  fur  Texpreffion  ou  les 
paroles, &  je  finirai  par  l'abrégé  de  lacom- 
paraifon  qu'on  a  faite  de  Virgile  avec  Ho- 
mère. Mais  auparavant  que  de  defcendre 
dans  ce  détail,  il  faut  dire  quelque  chofe 
de  ce  que  les  meilleurs  Critiques  de  ces  der- 
niers tems  nous  ont  appris  du  deffein  de 
Virgile  en  général,  <§c  du  fuccès  de  foa 
exécution. 

$.1. 

Dh  dcjj'cin  y  de  V exécution  de  PE»eide  en, 
général, 

Jules Scaliger  &  la  plupart  des  Critiques 
qui  l'ont  fuivi ,  ont  prétendu  (i)  que  Vir-      j 

gile      ^ 

I.  Jul.  CxC  Scaliger  Poctices  lib.  3.  feu  Idex  cap. 
II.  pag.  22g.  Ren  Rapin  ,Ren.  le  BoiTii,  Jean  Re- 
aaud  de  Segiais  ;  ê;  divcis  âuizes  Modçijies  qui  ont 

tiaî- 


Poètes    Latins.       113 

gile  avoît  eu  plus  d'une  vue  dans  cet  Ou-  virgîle, 
vrage,  &  ils  font  convenus  prefque  tous 
de  dire  qu'il  avoit  voulu  donner  des  pré- 
ceptes géne'raux  à  tout  le  Genre  humain 
pour  la  conduite  de  la  vie  des  hommes  ; 
&  qu'il  avoit  en  même  tems  envifagé  la 
gloire  du  Peuple  Romain  en  général,  & 
celle  de  la  famille  des  Ccfars  en  particulier, 
dans  laquelle  il  a  pris  fon  Héros.  A  confi- 
dérer  les  difpofitions,  où  pouvoit  être  Vir- 
gile par  rapport  à  l'état  des  chofes  de  fon 
tems ,  &  à  fes  intérêts  particuliers  ,  on 
trouve  plus  d'apparence  dans  l'opinion  de 
ceux  qui  eftiment  que  l'utilité  publique 
n'occupoit  pas  iî  fort  fon  efprit  que  la 
gloire  particulière  d'Augufte.  Ils  difent 
que  fon  grand  Art  paroît  dans  l'induftrie 
&  dans  l'habileté  avec  laquelle  il  a  en- 
veloppé fon  delfein  dans  une  infinité  d'in- 
cîdens  qui  paroiffent  ailés  ind  fférens  & 
inutiles  à  fes  fins  ,  ^  qui  néanmoins  ne 
laiifoicnt  pas  de  contribuer  merveillcufe- 
ment  à  les  établir. 

C'eft  fur  ce  pied-la  qutl  faut  juger  Vir- 
gile, (?c  comme  on  n'a  point  dû  exiger  au- 
tre chofe  de  lui  que  ce  qu'il  a  bien  voulu 
entreprendre  ,  c'eft  l'exécution  de  cette 
entreprife  qu'on  a  dû  examiner  pour  voir 
s'il  a  mérité  les  louanges  dont  les  uns 
l'ont  comblé,  &  le  blâme  dont  le5  autres 
l'ont  voulu  charger. 

Il  faut,  dit  Mr.  de  Segrai$  (2) ,  regarder 

Vir- 

traité  la  chofe  plus  nettement  que  quelques  uns  des 
Anciens  qui  ont  dit  la  même  chofe. 

2.  J.  Ren.dc  Segrais,  Préface  fur  l'Enéide  non;bie 
5.  pag.  8.  Ôc  u.  A.  pa».  7. 


114      Poètes    Latins. 

Virgile,      Virg'Ie  comme  un  Sujet  d'Augufte,  obli- 
gé a  fon  Maître ,  &  comme  un  Romain 
charmé  de  la  gloire  de  Rome  :  comme  un 
homme  qui  ayant  reçu  de  la  Nature  un 
jugement  merveilleux  &  un  génie  admira- 
ble pour  la  Poè'fie,   avec  une  naïveté  & 
une  facilité  que  nul  autre  n'a  jamais  eue 
dans  fa  Langue  pour  la  veriification ,  & 
qui  ayant  fait  fes  efîaîs  dans  deux  autres 
genres  dePoèïîe  avec  grand  fuccès,  a  vou- 
lu paffer  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  fublime  & 
de  plus  parfait  dans  l'Art  Poétique.  Il  faut 
auffi  entrer  dans  les  fentimens  des  Romains, 
&  fe  reprefenter  la  gloire  des  Céfars.  Car 
ceux  qui  jugent  d'un  Auteur  ancien, dit-il, 
ou  qui  examinent  les  mœurs  à  les  opi- 
nions des  fiécles  paiïes;  &  qui  les  vou- 
droient  foumettre  au  goût,  aux  moeurs, 
&  aux  fentimens  de  notre  fiécle,  fe  trom* 
peroient  beaucoup  dans  leur  jugement.  Il 
faut  fe  détacher  de  l'habitude  &   de  la 
préoccupation,  &  fe  défaire  de  fon  fiécle, 
pour  le  dire  ainfî ,  afin  de  ne  fe  conformer 
qu'à  la  Raifon  qui  nous  doit  faire  entrer 
dans  les  fentimens  de  l'Auteur  dont  il  s'a^ 
git.  Il  prétend  que  c'efl:  en  cela  que  Virgi- 
le excelle  au-dellus  de  tous  les  autres.  Car 
bien  que  dans  la  conformation  de  fon  Hé- 
ros  &  dans  quelques  autres  points,  il  y 
ait  quelque  chofe  où  il  fiille  s'élever  aux 
mœurs  les  plus  auftércs,  &  fc  défaccoutu- 
mer  des  nôtres,   on  peut  dire  néanmoins 
qu'il  n'y  a  jamais  eu  d'Auteurs  qui  ayent 

été 

1.  Ren.  Rapin ,  Conipaiaifon  d'Homerc  &  Virgile 

chap. 


Poètes    Latins.      115' 

cté  de  tous  les  fiéclcs  comme  lui,  tant  le  Virgile, 
bon  fens  &  le  jugement  paroiflent  partout 
dans  la  conduite  de  Ton  Ouvrage. 

Le  P.Rapin  (i)  voulant  rechercher  dans 
Virgile  ce  qui  auroit  pu  mériter  ce  con- 
fentement  général  de  tous  les  liécles  pour 
lui  donner  leur  approbation  ,  a  trouvé 
qu'il  y  a  bien  des  gens  qui  fe  piquent  d'ê- 
tre grands  Critiques ,  &  qui  le  mêlent  de 
juger  de  Virgile  par  de  profondes  réfle- 
xions, fans  peut-être  avoir  jamais  pu  ap- 
percevoir  en  quoi  confiée  la  qualité  ém.i- 
nente  de  refprit  &  du  jugement  de  ce  Poè- 
te, qui  le  diftingue  de  tous  les  autres,  & 
qui  lui  a  fait  prévoir  le  goût  de  la  pofteri- 
té,  comme  il  favoit  celui  de  fon  fiécle. 
Mais  pour  lui,  dit-il,  qui  n'admire  rien 
tant  dans  la  manière  de  ce  Poète  que  la 
modération  ,&  la  retenue  admirable  qu'il 
fait  paroître  en  difant  les  chofes,  &  en  ne 
difant  que  ce  qu'il  faut  dire,  il  a  toujours 
crû  qu'on  pouvoit  le  diftinguer  par-là. 

Il  faut,  continué  ce  Père,  s'appliquer  à 
fuivre  Virgile  de  près  ,  pour  connoître 
que  fon  filence  dans  de  certains  endroits 
en  dit  plus  qu'on  ne  penfe  ,  &  qu'il  eft 
d'une  difcrétion  exquîfe.  Et  lorfqu'on  fait 
un  peu  entrer  en  fon  fens,  on  le  trouve 
quelquefois  auffi  admirable  en  ce  qu'il  ne 
dit  pas,  qu'en  ce  qu'il  dit. 

Il  ajoute  qu'il  ne  connoît  que  Virgile 
qui  ait  un  fonds  de  prudence  aflés  grand 
pour  confervcr  toute  fa  modération  ,   & 

fon 

chap.  II.  pag.  41,  édit.  in-4. 


ii6     Poètes    Latins.' 

Virgile.  fon  fang  froid  (i)  dans  l'ardeur  &  IMmo- 
tion  d'une  imaginacion  échauffée  par  le 
génie  de  la  Poëfie  le  plus  animé  qui  fût  ja- 
mais. Cette  maturité  de  jugement  eftàfon 
avis  la  fouvernine  perfection  de  Virgile. 
En  quoi  il  le  compare  à  ces  Généraux  d'ar- 
mée, qui  portent  dans  le  combat  &  dans 
la  mêlée  tout  le  flegme  &  toute  latranqui- 
lité  du  cabinet,  qui  au  milieu  de  la  fumée 
&  de  la  pouffiére ,  parmi  le  bruit  des  ca- 
nons, des  tambours  &  des  trompettes,  & 
dans  le  tumulte  univerfel ,  ne  font  attentifs 
qu'à  ce  que  leur  dide  leur  prudence  <5cleur 
modération  ,&  ne  confultent  que  leur  Rai- 
fon.  Ce  qui  ne  peut  être  que  l'effet  des 
grandes  âmes  &  d'une  fageffe  confommée 
comme  étoïc  celle  de  Virgile,  qui  dans  la 
chaleur  de  fon  emportement,  ne  dit  que 
ce  qu'il  faut  dire,  &  en  laiffe  toujours  plus 
à  penfer  qu'il  n'en  dît. 

Daniel  Heinlius  ne  nous  a  point  donné 
une  moindre  idée  de  la  grandeur  du  deffeia 
de  Virgile,  lorfqu'il  a  dit  qu'il  avoit  égalé 
celle  de  TEmpire  Romain  (2);  non  plus 
que  Jules  Scaliger  (3),  lorfqu'il  a  appelle 
rOuvrage  de  l'Eneïde  un  Monfire^  mais 
un  Monftre  qui  n'a  point  de  vices,  &  qui 
ne  fait  point  horreur.  Mais  quelque  gran- 
de que  foit  l'idée  que  ces  deux  célèbres 

Cri- 

I.   Sens  frais. 

*|[.  Qiiclques-uns  ont  cru  pouvoir  écrite yè-z/j //-o/V^ 
Mais  la  raifon  &  l'ufage  font  çout  fang  froid.  Bail- 
ler dcvoit  s'en  tenir  Jà  $c  lupprimer  fens  frais  qui  eft 
ridicule,  quoiqu'il  femble  avoir  propofé  cette  cx- 
preflion  comme  raeiliciite  que  celle  dont  avoit  uf« 
le  P.  Ka^in. 


Poètes    Latins.      117 

Crîtîques  nous  ont  voulu  donner  de  ce  Virgile, 
Pocmc ,   on  peut  dire  qu'elle  n'cft  point 
allés  nette. 

Ainfi  on  doit  être  plus  fatisfaît  de  celle 
que  le  P.  Rapin  s'eft  formée  dans  fcs  Ré- 
flexions (4) ,  où  il  nous  apprend  que  le 
dcllcin  le  plus  judicieux,   le  plus  admira- 
ble,  &  le  plus  parfait  de  l'Antiquité,  eft 
celui  de  l'Eneïde  de  Virgile  ;   que  tout 
y  ell  grand,  &  que  tout  y  elt  proportionné 
au  fujet  qui  elt  retabliffement  de  l'Empire 
de  Rome,   au  Héros  qui  eft  Enée,  à  la 
gloire  d'Augufle  &  des  Romains  pour  qui 
l'Ouvrage  a  été  entrepris.   Il  ajoute  qu'il 
n'y  a  rien  de  foible  ni  de  défedueux  dans 
l'exécution,  que  tout  y  elljuite,  heureux, 
&  achevé.  De  forte  que  Mr.  de  Segraîs  a 
eu  grande  raifondedire  (5-),  que  ce  Poè- 
me ell  fans  doute  le  plus  illullre  monu- 
ment de  la  gloire  de  Rome. 

Le  P.  Rapin  témoigne  encore  ailleurs 
être  dans  les  mêmes  fentimens  (6).  Il  croît 
qu'on  ne  peut  pas  confiderer  le  defTein  de 
ce  Pocmc  dans  toutes  fes  circon(tances, 
qu'on  ne  convienne  que  c'eft  le  mieux 
imaginé  de  tous  les  delfcins  qu'on  ait  ja- 
mais vus  ;  qu'efledivement  Virgile  y  fait 
paroître  un  goût  admirable  pour  le  natu- 
rel, unjugement  exquis  pour  l'ordonnan- 
ce, 

1.  Dan.  Heindiis  ia  Epift.  ad  Bljemburg  dcdicat. 
Opeiutn  Ovidii. 

3.  J.  C.  Scalig.  Poëtices  &c.  ut  fuprà.  ^7 

4.  R.  Rap.  Reflexion  19.  Air  la  Poétique  pag.  41,  * 
42.  edit.  in-j2.  paît.  r. 

.  5.  Scg.  pag.  9.  de  la  Préf.  comme  ci  dcflîu, 
«.  Keficx.  15,  de  la  féconde  pAitie,  ôcc. 


iiS      Poètes    Latins. 

yù^Uc,  ce,  &  une  délicatefTe  incomparable  pour 
le  nombre  <Sc  l'harmonie  de  la  verfifica- 
tion. 

C'eft  rheureufe  éxecution  d'un  fi  beau 
delTein  qui  a  fait  dire  à  Scaliger  (i)  que 
Virgile  étoit  le  feul  d'entre  tous  les  Poètes 
qui  eût  trouvé  le  moyen  de  ne  point  tom- 
ber dans  des  puérilités,  qu'on  pouvoit  dire 
qu'il  n'y  avoit  que  lui  qui  méritât  le  nom 
de  véritable  Poète ,  &  qu'en  polledant  fon 
Ouvrage  on  pouvoit  aifément  ie  pafTer 
de  tous  les  autres.  £t  c'efl:  ce  qui  l'a  por- 
té à  vouloir  foutenir  en  un  autre  en- 
droit que  Virgile  ne  s'étoit  pas  contenté  de 
s'élever  au-delTus  de  l'efprit  humain,  maïs 
qu'il  s'eft  trouvé  égal  à  la  Nature-mê- 
me (2}. 

On  efl:  pourtant  afTés  perfuadé  qu'avec 
tous  fes  talens  naturels,  il  a  eu  encore  be- 
foin  d'autre  chofe  pour  faciliter  l'heureux 
fuccès  de  fon  grand  deflein.  C'efl:  pour- 
quoi on  veut  qu'il  n'ait  été  dépourvu  d'au- 
cune des  qualités  &  des  connoliFances 
qu'on  peut  acquérir  par  le  travail  &  l'in- 
duflrîe.  En  effet  lesHiltoriens  de  fa  Vie  (3) 
nous  apprennent  qu'il  avoit  fait  d'excel- 
lentes études,  &  qu'il  avoit  cultivé  fon  beî 
cfprit  par  le  foin  d'apprendre  toutes  fortes 
de  Sciences  dont  on  faifoit  cas  pour  lors, 
Ôc  de  goûter  tout  ce  que  la  Grèce  avoit  de 
plus  délicat  &  de  plus  folide.  C'efl: 

1.  Scalîgeii  Poëtices  lib.  s.  feu  Critic,  cap.  i.  pag, 

2.  Idem  |Iib.  6.  Poctices  feu  Hypercritic.  cap.  r. 


pag.  765 


3.  AuftQi  Yit'«  Virgilii  fub  n©minc  Donaii,  item 


Poètes    Latins.      119 

C'eft  ce  qui  a  fait  dire  à  plufieurs  que  Virgile, 
Virgile  étoit  fortfavant.  Si  nous  en  croyons 
Macrobe  (4)  ,  il  favoit  parfaitement  le 
Droit  Romain  &  la  Théologie  Païenne, 
l'Aftronomie,  &  particulièrement  la  Phi- 
lofophie,  &  il  prétend  qu'il  en  avoit  une 
connoiirancc  fi  éxade ,  qu'une  feule  de 
ces  Sciences  auroit  été  capable  de  le  faire 
paroître  avec  beaucoup  de  diftinéiion  par- 
mi les  plus  habiles  de  ion  fiécle.  Mais  il 
ajoute  qu'il  avoit  encore  plus  de  prudence 
&  de  difcrétion  que  de  favoîr ,  &  que  c'eft 
ce  qui  lui  faifoît  ménager  ii  fort  les  occa- 
lions  qui  fe  préfentoient  de  faire  connoître 
ce  qu'il  favoit  &  de  n'employer  de  toutes 
ces  Sciences  que  ce  qui  pouvoit  fervir  prc- 
cifcment  à  fon  fujet  principal,  fans  s'a- 
mufer,  comme  font  les  efprits  médiocres, 
à  faire  parade  de  tant  de  belles  chofes  que 
d'autres  étalent  avec  tant  de  pompe. 

C'efi:  pourquoi  Scaliger  a  eu  raifon  de 
dire  que  l'érudition  de  Virgile  étoit  fans 
aftccSlation  (f) ,  &  il  s'eft  fait  un  devoir  de 
nous  le  prouver  par  un  grand  détail,  dont 
les  réflexions  ne  tendent  qu*à  nous  faire 
voir  que  ce  lage  Poète  étoit  une  merveille 
de  prudence  &  de  difcernemenr.  Cette  ex- 
cellente qualité  qui  fert  à  gouverner  &  à 
modérer  toutes  les  autres,  a  été  caufe  que 
bien  que  Virgile  n'ait  pas  été  le  premier 

des 

alli,  &c, 

4.  Macxob.  Saturnalior.  lib.  i.  cap.  24.  pag.  25?. 
25>.  M. 

5.  Jul.  Scaliger  Poctices  lib.  3.  feu  Idex  cap.  2;, 
de  piudentia  pag.  ZI7,  z8S.  i%9,  ôc  feqq.  ad  isi* 


lio      Poètes    Latins. 

yifgae,  des  Poètes  favans ,  on  n'a  point  laifle  de 
le  propoler  prétcrablement  à  tous  les  au** 
très ,  comme  le  véritable  modèle  &  com- 
me la  mefure  de  la  Science  dont  les  Poètes 
doivent  faire  provifion.  Voflius  voulant 
montrer  (i)  qu'on  ne  doit  point  fe  mêler 
de  faire  le  métier  de  Poète,  fans  avoir  au 
moins  les  femences  &  les  principes  de  tou- 
tes fortes  de  Sciences  &  de  Difciplines,  a 
prétendu  nous  en  convaincre  par  Téxem^ 
pie  de  Virgile.  On  voit ,  dit-il ,  par  la 
manière  dont  il  parle  de  la  Divinité  qu'il 
eft  Théologien;  par  celle  dont  il  traite  du 
lever  &  du  coucher  des  Aftres  qu'il  eft 
Mathématicien  ;  par  ce  qu'il  rapporte  de 
la  foudre,  de  l'incendie  d'Etna ^  &  des  au- 
tres etlets  de  la  Nature  qu'il  eft  Phyfîcien; 
par  la  defcription  qu'il  fait  de  la  terre  qu'il 
eft  Géographe;  par  le  récit  qu'il  fait  des 
actions  des  hommes,  6i  par  quelques  Gé- 
néalogies qu'il  eft  Hiftorien  ;  par  ce  qu'il 
t  dit  des  loix  &  des  mœurs  des  Peuples  qu'il 
eft  Jurifconfulte  &  Politique;  par  ce  qu'il 
dit  des  vailTeaux  &  de  l'art  de  naviger,  qu'il 
favoit  la  Marine  &  l'Hydrographie  ;  par  la 
manière  dont  il  parle  des  armées  &  de  la 
guerre,  qu'il  favoit  l'Art  militaire.  En  un 
mot  il  n'y  a  point  de  bettes  de  Philofophes 
dont  il  n'ait  fû  parfaitement  les  dogmes, 
quoiqu'il  ait  voulu  n'en  répandre  que  les 
femences  en  divers  endroits  de  fes  Ouvra- 
ges. 

Mais  je  ne  fai  fi  l'on  ne  pourroit  point 

at- 

7.  Gérard.  Joan.  VofT.  InHitution,  Pocticay.  lib.  X| 
fap.  1.  §.  4.  pa^.  i.  3. 


Poètes    Latiks.       m 

attribuer  à  la  bonne  fortune  de  Virgile  u-  vligUe, 
ne  grande  partie  de  cette  réputation;  &  iî 
la  gloire  qu'on  lui  a  donnée  d'ctre  univer- 
feilement  Tivant,  ne  feroit  point  la  même 
q^e  celle  qu'il  a  méritée  pour  ne  l'avoir 
été  que  rupcrficielkmcnt.  Je  crois  que 
c'efl  le  fentiment  auquel  tous  fes  difciples 
&  tous  fes  imitateurs  doivent  s'arrêter  pour 
fe  garantir  du  defefpoir  de  pouvoir  jamais 
acquérir  la  quai  té  de  véritables  Poètes.  Et 
pour  fiater  davantage  leur  inclination  ,  il 
me  femblc  que  no5  Critiques  &  nos  Maî- 
tres en  l'Art  Poétique,  pourroient  rabattre 
en  leur  faveur  quelque  chofe  de  cette  fe- 
verité  avec  laque  le  ils  veulent  exiger  d'un 
véritable  Poète  toutes  fortes  de  Sciences, 
fans  même  en  exclure  les  Arts. 

Du  moins  peut-on  dire  que  l'exemple  de 
\^irgile  leur  grand  Maître,  peut  fervirpour 
les  défendre  contre  l'éxadion  de  ces  Maî« 
très  importuns.  Il  ne  leur  eft  peut-être  pas 
plus  difliciîe  de  taire  voir  que  ce  qu'on  dit 
de  l'univcrhîité  des  Sciences  dans  Virgile, 
n'a  pas  moins  l'air  de  vilîon  &  de  chimère, 
que  ce  que  plufieurs  ont  publié  de  fa  pro- 
fondeur (5c  de  fou   étendue  dans  chaque 
Science.     Je  veux  dire  que  tous  nos  Poè- 
tes pour   leur   propre  intérêt,  pourroient 
faire  voir  que  Virgile  ne  s'eft  pas  contenté 
de  n'être  que   fuperficiel   dans   toutes  les 
Sciences  qui  font  étrangères  à  la  Poétique, 
mais  qu'il  a  même  donné  lieu  de  croire 
qu'il  y  en  avoit  quelques-unes  dont  il  n'a- 
voit  pas  même  cette  teinture  légère  qu'on 
leur  demande. 
Mais  je  ne  m'appercoîs  pas  que  je  fais 
To}nJH,P^r:.lL     '       F  mal 


i2i      Poètes    Latins. 

yiigUe,  mal  ma  cour ,  &  que  nos  Poètes  n'étant 
pas  fâchés  de  palfer  dans  le  monde  pour 
universellement  ^  profondément  favans  , 
font  de  concert  avec  nos  Critiques  pour 
fourenir  qu*un  Poète  doit  favoir  toutes 
chofes  à  l'exemple  de  Virgile,  mais  qu'il 
ii'eft  pas  obligé  d'en  donner  des  marques 
dans  ce  qu'il  compofe,  &  qu'il  a  même  le 
privilège  défaire  OiCS  fautes  danî>  toutes  for- 
tes de  Sciences,  bi  ce  privilège  n'étoit  at- 
taché à  la  profeflîon  des  Poètes ,  il  n'y  au- 
roit  pas  d'Ecrivain  qui  ne  voulût  l'acheter 
à  quelque  prix  que  ce  fût,  &  il  n'y  auroit 
pas  de  Livre  ni  de  compolition  ii  pitoya- 
ble dont  on  ne  pût  croire  que  l'Auteur  ne 
fût  univerfellement  i^  profondément  fa- 
vant. 

Etîèéiivement  les  Poètes  ont  un  avanta- 
ge particulier  que  n'ont  pas  les  autres,  pour 
prouver  &  pour  établir  leurs  prétentions 
par  l'exemple  de  Virgile  que  les  Critiques 

leur 


1.  Evangelus  dans  Macrobe  au  3.  livre  des  Satur- 
nales chap.  10,  aceufc  Virgile  d'ignorance  fur  ce  fu- 
jcr,  par  exemple,  furie  Sacrifice  de  Didon  àlaRo- 
xjiaine,  furTimmolatioud'unTaureau  à  Jupiter,  ôcc. 
Voyes  aufïî  Callelvetro  dans  les  Commentaires  fut 
Ariftote  rapporté  &  réfute  en  divers  endroits  par 
GaiUicci.  Voyés  encore  Volïins  au  premier  Livre 
des  Inftitut.  Poët.  chap.  3.  pag.  30.  31,  où  il  défend 
Virgile  contre  du  Verdier  au  fujet  de  la  Peinture. 

2.  Par  exemple,  Virgile  dans  le  i.  &  le  4.  del'E- 
neïde,met  des  Cerfs  en  Afrique  contre  le  fentiment 
des  Naturaliftcs,  des  Géographes,  &  des  Hiftoriens, 
Sx.  entre  autres  Ariftote ,  Hérodote  cités  par  Galluc- 
ci,  &  coûtre  Pline  au  8.  livre  chap.  3.  de  ibn  Hift. 
Nat. 

il  cft  confiant  aufli  qu'il  ne  vient  point  de  Cèdres 

€3 


Poètes  Latins.  123 
leur  propofent.  Ces  dernîers  leur  appren-  Virg^l^ 
nent  que  Virgile  ,  quoique  bon  Théolo- 
gien parmi  les  Païens,  n'a  point  lailTc  de 
faire  diverfes  fautes  au  fujet  de  leurs  facri- 
fices  &  de  leurs  cérémonies  (i)  ;  que  quoi- 
qu'il fût  grand  Philofophe  &  grand  Natu- 
ralirte  ,  il  n'a  point  lailîc  d'aller  fouvent 
contre  ce  que  nous  enfeignent  ceux  de  cet- 
te Profelfion,  &  quelquefois  contre  l'ex- 
périence publique  (i)  ;  que  quoiqu'il  fût 
très-bien  verfé  dans  rHiltoire  &  dans  la 
Science  des  Tems  &  des  Lieux  ,  il  n'a; 
point  laifle  de  pécher  volontairement ,  dl- 
lent-ils  ,  contre  la  vérité  de  quantité  de 
faits,  de  faire  un  grand  anachronifmepour 
faire  qu'Enée  &  Didon  puflent  fe  lencon- 
trer  enfemble,  &  de  dire  de  quelques  Vil- 
les,'de  quelques  llles  ^  de  quel  ;ues Côtes 
des  chofes  peu  conformes  aux  lumières  & 
aux  connoilîances  des  autres  Géographes- 
(3).     Enfin  ils  difcnt  que  quelque  grande- 

que 

en  Italie  ,  quoiqu'on  en  voye  au  bûcher  de  Palîas 
«ians  l'onzicme  de  l'Eneide,  qu'il  n'y  vient  pas  d'A- 
nes fauvagcs  Ôcc  qu-^  les  Serpcns  n'ont  point  de  ctin 
au  coû,  con:inic  il  leur  en  donne  au  fécond  de  l'E- 
neïde  ,  que  Favorin  Philofophe  Gaulois  trouvoir 
beaucoup  à  redire  à  la  defcription  Pliyfique  du  Mont 
Etna,  au  iroifiéme  de  l'Eneïde,  dans  A.  Celle  lib, 
17.  cap.  îo. 

3.  Les  princ'paux  faits  dont  lesHiftoriens  contes- 
tent la  venté  à  Virgile,  concernent  l'ufage de  la  Pein- 
ture dans  le  premier  de  l'Eneïde,  la  patrie  d'Achille 
dans  le  fécond  de  l'Eneïde,  la  mort  de  Deiphobe 
dans  le  fixièmej  la  nailTance  de  Silvius  Tofthumus, 
la  coutume  d'endurcir  les  enfans  à  la  gelée  Se  à  l'eau, 
qu*il  attribue  au  Peuple  du  Latium,  Se  quelques  au- 
ucs  points  hiftoriques  rapportés  pat  A,  Celle,  Ma- 
-  ï  z  crc»fec 


124      Poètes    Latihs. 

iVirgUc  que  fût  la  connoifTance  qu'il  avoit  de  l'Art 
militaire  &  de  la  iVJarine,  il  s'elt  oublié 
quelquefois  fur  les  devoirs  d'un  bon  Capi- 
taine &  des  foldats",  &  fur  la  forme  &  l'é* 
quîpage  des  Vaiffeaux  qui  étoient  en  ufage 
au  tems  d'Enée  (i). 

Mais  les  Critiques  ont  décidé  enfin  que 
toutes  ces  libertés  ne  font  pas  des  fautes 
de  Poëte,  parce  qu'elles  ne  font  pont  con- 
traires à  TArt  Poétique,  &  qu'elles  n'em- 
pêchent pas  qu'un  Poëme  ne  puilfe  être  a- 
gréable  &  merveilleux  félon  le  deflein  du 
•rocte.  Ce  ne  font  au  plus  que  des  fautes 
accidentelles  qui  ne  changent  point  l'elTen- 
ce  du  Poème  ,  &  qui  font  honorées  du 
nom  de  licence  Poétique,  Mais  il  faut  tou- 
jours diilinguer  ce  que  l'on  juge  digne 
d'excufe  d'avec  ce  qui  mérite  des  louanges. 
C'eft  une  précaution  qu'il  faut  avoir  fur 
tout,  lorfqu'on  lit  trois  ou  quatre  Livres 
des  Saturnales  de  Macrobe ,  qui  femblc 
n'avoir  point  eu  d'autre  but  dans  ces  Livres 
que  de  nous  faire  voir  que  Vir^^ile  étoit 
profond  &  éminent  dans  toutes  ces  con- 

noii^ 


crobe  &  le  P.  Tarquin  Gallucci. 

L'Anachronifme  d'Enée  à  Didon  eft  d'environ 
trois  fîécles^  félon  le  calcul  des  Chronologiftes, par- 
ce que  Carthat^e  ne  fur  bâtie  que  72.  ans,  félon  Jus- 
tin au  Livie  18.  ou  65.  ans  feulement,  félon  Pater- 
culc  au  premier  Livre,  auparavant  la  fondation  de 
Rome. 

Enfin  quelques   Géographes  qui  fe  piquent  d'ex-, 

aftitude  ,   fe  plaignent  qu'il  n'a  point  parle  comme 

eux  de  la  mobilité  de  l'ifle  de  Delos,  de  la  fépara- 

tion  de  la  Sicile  d'avec  ie  Continent, d'Inarime,  êcc. 

z,  Vo/és  poux  cç«  deux  points  le  f.  Gallucci  fur 

le 


Poètes    Latins.      125' 

noifTaiices  dont  nous  avons  parle  (1) ,  Virgile^ 
comme  l'a  remarqué  un  Auteur  moderne 
fous  le  nom  de  Candidus  Hclychius.  H 
fuffit  de  dire  que  Vfrgile  n'avoir  ;ns  li  bon- 
ne opinion  de  lui-même ,  quVli  celle  que 
le  rafinement  des  Critiques  pofterieurs 
nous  ^  n  a  donnée  par  les  découvertes  d'u- 
ne infinité  de  belles  chofcs  ,  aufquelles 
Virgile  n'a  peut-être  jamais  fongé  en  com- 
polant  ion  Poëme  (3),  &  qu'il  ne  le  fai- 
foit  pas  trop  d'injuliice  en  ce  point ,  quoi- 
qu'il fût  alfurément  trop  modtfte  &  trop 
févere  à  lui-même,  dans  le  jugement  peu 
favorable  qu'il  faifoit  de  ce  cnef-d'œuvrc 
4c  l'Art  fur  la  fin  de  Tes  jours  (4). 

§.    2. 

De  la  Fable  ^  du  Héros  de  VEneide, 

Ce  n'eft  donc  point  par  les  maximes  de 
la  Théologie ,  de  la  Jurifprudence ,  de 
l'Hidoire,  de  la  Philofophie  ,  des  Mathé- 
matiques &  de  toutes  les  autres  connoîs- 

^  fan- 

le  5.  &  le  g.  de  l'Eneïde  page  io6.  &  154.  &  pour 
la  juftification  prelque  univcrlclle  de  ce  Poète  qu'il 
a  entrepiifc  dans  fon Traite  des  Défcnfcs  de  Viigile, 
à  Rome  i6zi.  in  4. 

2.  Candid.  Hefychius  DifTeitat.  contra  Godcllum 
utrum  Toèra  5cc.  c:4p.  3.  pag.  97. 

î,  C'eft  la  penfée  du  P.  Malebranche  au  2.  Jivrc 
de  la  Recherche  de  la  Vérité  chap,  4  pag.  210,  oîi 
il  traite  de  la  bonne  opinion  qu'on  a  de  ce  qu'ont  fait 
les  Anciens. 

4.  Voyes  fur  les  fautes  qu'on  a  reprochées  à  Vir- 
gile Daniel  Hcin(:i«  Diflertar.  de  Tiagœd.  Infanti- 
tvà.  pag,  140, 

F3 


ji6      Poètes    Latins. 

Virgile,  fances  étrangères  ou  accidentelles  à  l'Art 
Poétique,  qu'il  faut  juger  de  TOuvrage 
incomparable  de  Virgile;  mais  par  la  Fa- 
ble ou  le  fondement  de  l'invention  du  Poè- 
me qui  efl:  fa  nature,  par  fa  matière  que 
nous  appelions  l'Adion,  par  fa  forme  que 
nous  appelions  la  Narration  ,  par  les 
mœurs  ou  les  cara6leres  des  perfonnag;es, 
par  les  fenrimens  ou  la  morale  du  Poète, 
&  enfin  par  l'expreflion  &  le  ftyle  qui  lui 
eft  particulier. 

I.  La  Fable  efl  ce  qu'il  y  a  de  principal 
dans  le  Poème,  &  e'.le  en  cil  comme  l'a* 
me,  aux  termes  d'Ariftote,  qui  a  été  fui- 
vi  dans  ce  fentiment  par  tous  les  bons  Cri- 
tiques (i).  Celle  de  l'Eneïde  confifte  à 
nous  reprcfenter  un  Prince  contraint  de 
s'enfuir  par  le  renverfement  de  fon  Etat , 
&  de  chercher  ailleurs  un  autre  établilïe- 
ment.  Il  fait  fes  Dieux  &  fon  Père  com- 
pagnons de  fa  fuite.  Les  Dieux  touchés 
de  cette  pieté  s'interefTent  à  l'établir  dans 
un  des  meilleurs  pays  de  la  terre,  &  il  de- 
vient le  fondateur  de  l'Empire  le  plus  flo- 
riflant  qui  fut  jarrf'ais  (2).  Cela  étant  ain- 
fi,  on  peut  alTurer  avec  le  Père  Mambrun 
que  l'Eneïde  eft  achevée  (3),  &  que  s'il  é- 
"toit  vrai ,  comme  le  prétendent  les  Poètes 
Critiques  (4)  ,  que  de  tous  les  Ouvrages 
dont  l'efprit  de  l'homme  ell  capable  ,  le 

Poë- 

I.  Ariftotcl.  de  Arte  Poctica  cap.  6.  el^x*'  ^  ''*'' 

Kci\.  Rapin,Compar.  d'Homcre  8c  Virg.  chap.j. 
pag.  xj.  cdit.  104. 

Rcn.  le  Boflu,  li?re  i.  du  Poème  Epique  chap.  f. 
pag.  30. 

i.  ^.  Rap.  comme  ci-deiTus  pag.  14^ 


Poètes    Latins.     127 

Poème  Epique  efl:  le  plus  accompli,  on  ne  viigil«« 
devroit  point  héiiter  à  dire  que  l'Eneïdeeft 

'le  plus  parfait  des  Ouvrages  dont  Tefprit  de 
l'homme  ell  capable,  parce  qu'elle  renfer- 

.'me  toutes  les  perfe6lionsde  tous  les  autres 
Poëmcs  du  genre  Epique. 

Plulieurs  fe  font  imaginés  que  le  Poème 

i-étoit  imparfair  ,  parce  qu'ils  ont  crû  que 
la  mort  de  Turnus  qui  le  termine  ,  n*étoit 

-p«is  la  fin  de  la  F'able  du  Poème,  ni  du  des- 
ièin  du  Poète.  Ils  fe  font  perfuadcs  que 
Virgile  auroit  imité  Homère  dans  le  nom- 

:i)re  des  l. ivres  de  fes  deux  Poèmes  comme 

•il  a  fait  dans  tout  le  refte,  &  que  pour  a* 

.•chever  fa  Fable  il  auroit  rempli  ce  grand 
efpace  de  tout  ce  qu'il  auroit  inventé  fur 

•le  mariage  de  fon  Héros  avec  Lavinîe,  fur 
ta  conquête  du  pays  où  il  vouloit  s'établir, 
fur  la  confécraiion  ou  l'apothéofe  de  ce 
Héros.  Pour  appuyer  leurs  conjecturés 
ils  difent  qu'ils  ne  connoiifent  point  d'au- 
tres rai  fon  s  qui  ayent  pu  porter  Virgile  à 
ordonner  la  fuppreffion  de  fon  Ouvrage 
en  mourant.  Il  paroît  entre  les  autres  que 
ça.  étd  la  penfée  de  JVIapheus  Vegius  qui 
.a  crû  pouvoir  fuppléer  à  tous  fes  défauts 

■prétendus  par  un  petit  Poème  qu^'l  a  vou- 
lu faire  appeller  le  treiiiéme  Livre  de  l'E- 
ncVde  (f).  Penfce  alTcs  femblable  à  celle 
cie  Tryphiodore  qui  avoit  entrepris  de  con- 
tinuer 

?.  p.  Mambrun  DiflTertation.  de  Epico  Caxmiue 
quxftion.  6.  pag.  375. 

4.  R.  Rap.  chap.  i.  pag,  9.  edit.  in  4.  de  Ja  Comp. 
«i'Hom.  Se  Virg. 

$.  fl.  Il  eft  dit  dans  la  Vie  de  Vfgius  que  ce  qu*îl 
en  a  fait  n'a  été  que  pour  s'exercer,  n'ig!H>rajit  pas 
que  le  Poëmc  de  l'Eucidc  éroit  achevé, 

F  4 


iiS  Poètes  Latins. 
yii£ilc.  tînuer  Tlliade  d'Homère.  Il  s'eft  trouvé 
mcme  des  Criiiques  (i)  qui  ont  jugé  que 
Virgile  avoir  delfeiii  de  palier  jufqu'au 
tems  &  à  la  Vied'Augude,  &  qu'il  Tàu- 
roit  fait  infailliblement  s'il  avoit  vécu  plus 
long-tems. 

Mais  les  bons  connoiffeurs  ont  confide- 
ré  toutes  ces  opinions  comme  des  vitions 
éc  des  imaginations  frivoles,  &  leP.Mam- 
brun  foutient  (2)  que  l'Ouvrage  eft  trcs- 
achevé,  qu'il  ne  manque  rien  au  defTeîn  ni 
à  la  Fable  du  Foeme,  que  le  deuil  de  la 
mort  de  Turnus,  les  noces  de  Lavinie,(5c 
l'apothéofe  d'Enée  y  font  décrites  par  an- 
ticipation. Il  ajoute  que  tout  le  chagrin 
de  Virgile  en  mourant ,  étoit  de  n'avoir 
pas  eu  le  loilir  de  limer  &  polir  cet  Ouvra- 
ge qu'il  vouloir  retoucher  en  une  infinité 
d'endroits  ,  &  dont  il  vouloir  retrancher 
■çncore  beaucoup  de  chofes ,  fans  vouloir 
y  rien  ajouter  de  nouveau. 

Le  P.  Gallucci  avoit  auffi  témoigné  au- 
paravant d'être  dans  le  même  fentiment,  il 
dit  (3)  que  li  l'on  veut  s'en  tenir  à  la  ma^ 
îîme  d'Ariflote,  il  n'y  a  rien  à  ajouter  à 
l'Eneïde.  Car  ce  Philofophc  prétend  (4) 
qu'on  doit  fe  renfermer  dans  l'unité  de  la 
Fable  ,  de  forte  qu'on  ne  puide  pas  dire 
d'un  Poème  que  fon  fujet  foit  double, mais 
que  la  Fable  ait  un  rapport  continue!  avec 
l'unité  d'A6tion.    C'eil  ce  qu'il  a  trouvé 

fort 

1.  Le  Sicnr  Rcftcau  Sentim.  partie,  fur  quelques 
Ouvrages  d'Auteurs,  pag.  47.  Mais  Voflîus  iciutc 
cette  viûon  au  3.  liric  des  Inûitut.  Foctic.  chap.  4. 
pag.  I  r. 

2.  F.  Mambrmi  Diircit^t.  de  Epico  Caim.  ut  fupià. 


Poètes    Latins.     129 

fort  louable  dans  Homcre,  dont  l'Iliade  &  virgllcj 
rOdyilée  font  renfermées  e'xaCtjment  dans 
l'unité  de  Fable  &  d'Adion.  Ccft  auifi 
ce  que  ce  Père  &  les  autres  eQiment  avoir 
été  pratiqué  par  Virgile  avec  la  dernière 
éxa6î:irude.  Et  comme  ce  qu'il  auroit  pu 
dire  delà  fondation  des  Villes  j'Albe  &  de 
Rome,  de  la  conlécration  d'Enée,  de  l'é- 
tablifîement  de  la  Monarchie  Romaine, 
auroit  fait  une  Aflion  nouvelle,  ils  jugent 
que  ç'auroit  été  auiïi  une  Fable  nouvelle  & 
le  fujet  d'un  nouveau  Poème. 

Comme  donc  on  ne  peut  point  difcon- 
venir  que  la  Fable  de  l'Eneïde  ne  foit  en- 
tière, &  qu'elle  ne  trouve  fon  accomplis- 
fement  à  la  mort  de  Turnus  ,  ceux  qui 
ont  voulu  fe  lignaîer  parmi  les  Cenfeurs 
de  Virgile,  ont  voulu  trouver  à  redire 
à  la  fidion  &  à  la  difpolition  de  cette  Fa- 
ble. 

Les  uns  ont  prétendu  qu'elle  n'étoit  point 
aflfés  fîmple,  mais  la  vafte  étendue  de  la 
matière  qu'elle  lui  a  fournie,  ne  fouffroit 
point  une  aulîl  grande  limplicité  que  celle 
qui  paroît  dans  l'Iliade  ou  TOdylIée  ,  & 
cette  abondance  dont  un  autre  que  Virgile 
auroit  été  aifément  accablé,  adonné  lieu 
à  des  difficultés  qui  demandoient  plus  d'es- 
prit &  plus  de  conduite  ,  que  lorfque  k 
Monde  étant  moins  avancé  en  âge,  avoit 
produit  moins  de  chofes  capables  d'é);er- 

cer 

3.  Tarquin.  Gallut.  Vindicat.  Virgillan.  loc.  z.  ia 
12.  y£ne:d.  pag.  200.  2ci. 

4.  Ariftotcl.  de  Ail.  Poëtic.  cap.  6,  fit  apud  Ga^ 
^utiuiu  iQc,  citât, 

I  5 


150      Poètes    Latins. 

Tvgile.  cer  les  Poètes  &  les  Hfiloriens  (i);  c'eft 
ce  qu'on  peut  voir  avec  plus  d'étendue 
dans  l'Ouvrage  du  P.  le  Boflu. 

Les  autres  l'accufent  de  rruinquer  d'in- 
vention, ai  de  n'avoir  été  que  l'imitateur 
d'Homère.  Mr.  de  Segrais  dit  (2)  que 
cette  objedion  eft  faite  par  des  Critiques 
qui  n'ont  fû  ce  que  c'étoit  d'inventer,  plu- 
tôt que  par  des  Poètes  qui  favent  bien 
qu'on  n'invente  rien  de  longue  haleine, 
jqui  foit  nouveau  dans  le  tout  &  dans  fes 
parties.  Au  refte  on  auroit  pu  objeder  la 
même  chofe  à  Homère,  puifque  l'Hiftoire 
-de  Troye  n'eft  pas  plus  de  fon  invention 
que  de  celle  de  Virgile,  &  que  ce  conte 
étoit  dans  la  bouche  des  femmes  &  des  en- 
fans,  auparavant  que  le  premier  des  Poètes 
Grecs  en  eût  fait  le  fujet  de  fon  Pocme,& 
-jl  s'étoit  trouvé  même  des  Hiftoriens  qui 
avoicnt  déjà  débité  cet  événement  comme 
une  Hilloire  véritable. 

D'autres  fe  font  imaginés  pouvoir  em- 
baraHer  les  défenfeurs  de  Virgile ,  lors- 
qu'ils difent  que  tout  ce  qu'on  a  publié  de 
la  venue  d'Enée  en  Italie  eft  un  conte.  Il 
eft  vrai  que  les  Critiques  font  aujourd'hui 
fcrrt  partages  fur  la  vérité  de  ce  fait;  quel- 
ques-uns même  ont  écrit  foit  pour  le  rui- 
ner comme  Mr.Bochart,  foit  pour  l'éta- 
blir 

I.  R.  le  Bo/Tu  livre  i.  du  Pocm.  Ipiq.  chap.  11, 
pag.  6s. 

1.  J.  Ren.  de  Segrais,  Trefacc  fui  laTiad.  dcTE- 
iieïde  nombre  ij.  pag.  25. 

3.  Differtation  de  Sam.  Eochart  fur  la  qucftion  fi 
iûçc  €ft  vcuu  %a  Italie,  injptimçç  ajptçs  les  fix  prc- 

mitxs 


Poètes  L  a  t  i  h  s.  Ï37 
blir  comme  Mr.  Ryckius  (3).  Mais  il  nVlt  vlrgilo, 
point  nécellaire  pour  le  delFein  de  Virgile 
qu'Eiie'e  foit  venu  en  Italie.  11  fuffit  que 
c'ait  été  l'opinion  du  Peuple,  au  tems  du- 
quel &  pour  lequel  le  Poète  écrivoit.  Or 
il  y  avoit  dcja  long-tems  que  cette  Fable 
paflbit  pour  un  fait  qu'on  ne  s'avifoit  pas 
de  conteiter,  &  les  HilloriL^ns-mémes  l'a- 
voient  déjà  établi  comme  une  vérité  hido- 
rique  (4)  D'ailleurs  on  peut  dire,  mal- 
gré le  ièntimcnt  de  quelques-uns ,  qu'il  cil 
encore  plus,  convenable  à  la  Fable  de  l'E- 
neïde,  que  fon  fondement  ne  foit  qu'une 
fable  ,  puifque  ce  n'ell  point  la  profeffioa 
<ies  Poètes  d'enfeigner  la  vérité. 

Entîn  c'ell  à  l'invention  du  Poëme  de 
Virgile  qu'en  vouloir  Caligula  (f),  lors- 
<)u'il  raccufoit  de  n'avoir. point  d'efprit,& 
que  fous  ce  prétexte  il  prétendoit  le  fup- 
primer.  Mais  le  jugement  de  ce  Prince 
n'a  jamais  dû  furprendre  perfonne  de  ceux 
qui  connoiiîent  qucl  étoit  le  caradére  de 
Ion  efprit,  &  qui  favent  les  autres  circons- 
tances de  fa  vie. 

Comme  la  conformation  du  Pkros  fait 
la  partie  dominante  de  h  Fable  d'un  Poë- 
me, il  auroit  été  à  propos  ,  fans  doute, 
4e  rapporter  ici  ce  que  Ton  penfe  de  celui 
<k  Virgile;  mais  pour  ne  rien  repeter  quand 

nous 

.  mlexfi  livres  de  PEneïde  de  Virgile  de  là  Tiadu^ioa 
de  Segrais. 

Theodor.  Ryck.  de  Adventu  S.nez  in  Italiara  peu 
liUC.  HoHVcnii  ijr.notation   in  Stephan.  Byzuut. 

4.  Jiil.  C-arf.  Sdliger,  Ssm.  Boch.  J.  ken.  de  Sc^ 
jrais  6c  alii  Cntici  palîîm. 

■5.  SuciOû,  Tiaaq.  in  Vit.  C.  Caligul,  csp»  j^ 

F  6 


ip.      Poètes    Latins» 

nous  parlerons  des  caradéres ,  nous  re" 
mettrons  parmi  les  mœurs  ce  que  nous  en 
aurions  pu  dire  en  cet  endroit. 

$•3- 

De  la  Matière  ou  de  l^A^ion  de  rEneïde, 

Le  Père  Mambrun  dit  (i)  que  TAftion 
de  TEntide  ell  au  jugement  de  tout  le 
monde  la  plus  propre  que  Ton  puilîe  ja- 
mais imaginer  pour  le  Poème  Epique. 
Mais  il  ajoute  que  toute  grande  &  toute 
magnifique  qu'elle  eft  par  elle-même,  elle 
eft  devenue  vicieufe  par  la  manière  h  le 
tour  que  Virgile  a  pris  pour  la  traiter:  &  il 
dit  qu'elle  lui  paroît  fi  corrompue  en  l'é- 
tat que  nous  la  voyons ,  qu'elle  a  perdu  fa 
dignité  naturelle,  &  qu'elle  ne  fert  qu'à 
deshonorer  le  Héros  ,  l  la  gloire  duquel 
elle  étolt  defiinée. 

Il  ne  paroît  pas  que  cette  opinion  ait  eu 
grand  cours  parmi  les  Gens  de  Lettres  ;  & 
ceux  qui  en  veulent  examiner  la  folidiié, 
ont  quelque  peine  à  dire  fi  cette  ccnfure  du 
P.  Mambrun  tombe  fur  l'unité  de  l'Adion 
de  l'Enéide,  fur  fon  intégrité,  fur  fes  çau-» 
fes  &  fes  effets,  fur  fes  efpcces,  fur  fa  du- 
rée ,  ou  fur  fon  accomplififement ,  ou  même 
fur  lesEpifodes  qui  entrent  dans  cette  Ac- 
tion par  toutes  ces  circonftances,  ils  n'y 

trou- 

T.  P.  Mambrun ,  de  tribus  Pocinatibus  caufae  Die- 
tion.  ad  caput  FoëtnatuiU  pi»ÛX,  cjuldem  Cenflaa- 


Poètes    Latins.       133 

trouvent  rien  qui  ne  faire  honneur  au  He-  Virgile, 
ros  &  à  l'Auteur  du  Poëmf% 

En  premier  lieu  ,  fi  l'on  confuUe  les  dé- 
fenfes  que  le  Père  Gallucci  a  faites  ponr 
Virgile,  on  trouvera  que  ce  Poète  a  reli- 
gieufement  pratiqué  l'unité  de  l'Aélion, 
félon  les  maximes  d'Ariflote&d'Averroës; 
que  cette  Aélion  ell:  commencée  &  finie 
par  un  m^-me  homme,  par  le  Héros  même 
ou  le  principal  perfonnage,  qui  l'a  fait  ter- 
miner par  une  feule  fin  &  dans  une  feule 
vue  (2).  Et  c'cfi:  en  vain  que  quelques  Cri- 
tiques ont  prétendu  découvrir  deux  fins 
dans  cette  Adion,  l'une  des  voyages  d'E- 
née,  Ôi  l'autre  de  la  guerre  d'Italie;  l'une 
formée  fur  l'OdylIée  d'Homère  qui  eft  cel- 
le des  voyages ,  &  l'autre  formée  fur  l'I-  ^ 
liade  qui  ell  celle  des  guerres.  Mais  ils  fe 
trompent ,  parce  que  les  guerres  d'Enée 
ont  la  même  liaifon  avec  fes  voyages,  que 
la  petite  guerre  qu'Ulylfe  fit  auxgalans  de 
fa  femme,  en  avoit  avec  fes  travauiî  pré- 
cédens. 

Il  ell  pourtant  plus  aîfé  de  dire  en  quoi 
cette  unité  de  l'Adion  Epique  dansl'Eneï- 
de  ne  confille  pas,  que  de  voir  en  quoi 
elle  conhite.  C'eft  le  fentiment  du  Père 
le  Bolfu  (3) ,  qui  fe  contente  de  nous  dire 
que  cette  unité  de  l'Adion  non  plus  que 
celle  de  la  Fable  ne  confille  ni  dans  l'unité 
du  Héros,  ni  dans  l'unité  du  tems. 

La 

2.  Tarq.  Gallutins  Vindicat.  Virgilian.  ^ncid.  la, 
loc.  3.  pag.  107.  2o8. 

j.  Rcn.  le  Boflu, Trait,  du  Toëme  Epiquç  UviCl^ 
Çkap,  7,  pag.  170,  Î7I,  Çcc. 

F  7 


134     Poètes    Latins. 
Virgile,  La  beauté  &  la  juftefle  de  cette  unité  de 

l'Adion  ,  confilte  particulièrement  dans 
l'emploi  judicieux  que  Virgile  fait  des  Epi- 
fodes  ,  qui  font  tous  tirés  du  plan  &  du 
fond  de  TAélion,  &  qui  font  chacun  un 
membre  naturel  de  ce  corps.  Ces  Epifo- 
des  ont  une  liaifon  mutuelle  qui  les  fait 
prefque  nécefTairemsnt  dépendre  les  uns 
des  autres,  &  qui  les  tient  attachés  comme 
les  membres  le  font  au  corps.  Et  pour 
faire  voir  qu'ils  ne  font  placés  que  comme 
les  parties  d'un  tout,  c'eft  qu'on  ne  peut 
pas  dire  d'aucun  d'eux  que  ce  foit  une  piè- 
ce achevée  ou  une  Action  entière. 

l^  P.  Rapin  a  remarqué  aufll  (i)  ,  que 
les  Epifodes  de  l'Enéïde  font  admirable- 
ment proportionnés  au  fujet.  Le  plus 
grand  de  tous  qui  comprend  le  fécond  & 
le  troiliéme  Livre  de  ce  Poème,  n'eft  ja- 
mais détaché  de  la  pcrfanne  du  Héros. 
C'ell  lui  qui  parle, dit  ce  Fere,c'e(l  lui  qui 
raconte  fes  avantures.  Il  ne  fort  prefque 
point  de  fon  fujet  fans  faire  des  retours  fré- 
■quensfur  lui-même.  Néanmoins  ce  même 
Auteur  dans  un  autre  Traité,  a  trouvé  à  re- 
dire à  la  longueur  eîxelïive  de  cet  Epifode 
(i)  ;  &  il  femhle  dire  qu'il  n'eft  pardonna* 
ble  que  par  l'admirable  effet  qu'il  produit ^ 
&  par  l'él Dignement  des  tems  obfcurs  d'E- 
née. 

Les 

1.  Ren.  Rapin  ,   Compar.   d'Homcic  ôc   Virgile 
«bap.  é.  pag.  ac.  cdit.  111-4. 

2,  Le  même,  Rcflçjtious  pajtti«ul,  fwr  la  Tc'étiq. 


Poètes    Latins.     13^ 

Les  autres  Critiques  ont  remarqué  deux  Virgile, 
défauts  conlîde'rables  dans  le  grand  Epifo- 
,de  de  Didon;  celui  de  l'anachronifme  par 
lequel  il  a  fait  cette  Princelle  plus  ancienHe 
de  trois  cens  ans  qu'elle  n'a  été  elîedive- 
ment;  <&  celui  de  la  calomnie  par  lequel  il 
a  deshonoré  la  plus  fage  &  la  plus  vertueu- 
fe  Princeffe  de  Ton  fiécle,&  Ta  perdue  en- 
tièrement de  réputation  dans  i'efprit  de 
toute  la  portcrité. 

Ces  deux  fautes  infignes  de  Virgile  ne 
font  aujourd'hui  conteftées  de  perfonne, 
mais  la  première  n'ell  pas  une  faute  Poéti- 
que, c'eft-à~dire  qu'en  qualtd  dePoete  il- 
a  pu  aller  aulfi  loin  qu'il  a  voulu  contre  la 
foi  de  l'Hilloire  &  le  calcul  de  la  Chrono- 
logie,fans  pécher  contre  les  règles  de  l'Art 
Poétique.  On  ne  doit  conilderer  en  ce 
point  que  l'invention  de  Virgile,  qui  pa^ 
roît  admirable  à  ceux  qui  veulent  rafiner 
fur  fes  intentions  &  fur  fes  vues.  Ils  difent 
qu'il  a  fû  trouver  dans  l'Hiftoire  de  fon 
Héros  une  fource  de  la  haine  de  Rome  ôc 
de  Carthage  dès  la  fondation  de  leurs  mu- 
railles ,  &  qu'il  a  dès  le  commencement 
comme  fournis  la  Ville  vaincue  au  deftin 
de  celle  qui  en  a  triomphé  (3). 

L'autre  faute  ell  plus  conlidérable  pour 
un  Poète,  &  il  s'elt  trouvé  dans  prefque 
tous  les  fiécles  des  Cenfeurs  qui  l'ont  ju- 
gée 

3.  J.  R.  de  Segrais ,  Piéf.  fur  l'Enéide  nombre  itf. 
pag.  29. 
Item  Gallut.  Vind.  Virg.  iu  lib.  i,  i£acï4.  loc;  8^ 


136      Poètes    Latins. 

Virgîl«.  gée  inexcufable.  Les  Hiftoriens  (i) ,  les 
Pères -de  rFgliTemême  (2),  &  divers  au- 
tres Ecrivains  de  l'Antiquité  (3)  nous  alTu- 
rent  que  Didon  a  toujours  vécu  d'une  ma- 
nière irréprochable  &dans  une  aufli  grande 
pureté  qu'on  ait  pu  exiger  des  perfonnesles 
plus  vertueules  engagées  dans  l'état  du  Pa- 
ganifme.  Ils  difent  qu'ayant  toujours  con- 
iervé  du  vivant  de  fon  mari  Sicharbas  ou 
Sichée  une  challeté  conjugale,  elle  lui  garda 
après  fa  mort  une  fidélité  inviolable  accom- 
pagnée d'une  continence  exemplaire  du- 
rant tout  le  tems  de  fon  veuvage,  qui  fut 
le  refte  de  fa  vie.  Et  qu'à  la  fin  fe  voyant 
dangereulement  pourfuivie  par  Hiarbas  Roi 
de  Mauritanie  qui  la  vouloit  contraindre 
de  paffer  à  de  fécondes  noces,  elle  ne  trou- 
va point  d'expédient  plus  fur  &  plus  court 
pour  fe  foudraire  à  fa  brutalité  &  à  fes  vio- 
lences ,  que  de  fe  tuer  &  de  fe  faire  mettre 

en 


1.  Jtiftin.  ex  Trog.  Pomp.  lîb.  hiftor.  i?. 

2.  S.   Auguftin.  Confeflionum  lib.  i.  cap.  ).  «bâ 
vocat  Virgiiii  Mendacium. 

Item  TertuUian.  exhortât,  ad   Caftitat.  oii  il  dit 
plaifanimeiu  un'  mnUat  qiuim  nubere. 

3.  Macrob.  Saturnal.  lib.  5.  cap.  15. 
Item  AulonJus  in  Carminib. 

4.  %.  E\cnfer  aiiroit  été  plus  jufte. 

5.  Aufon.  Epigrammat.  ni.  pag.  27. 18.  edit. Sca- 
liger.  cajus  veiba  ut  fonant  lubct  leciiaie. 


Non  ,  Maro  quam  mihi  finxit  erat  mtnn 


Vi'iA  nei   incefiii  Ltta  cupidinibtts. 
l^ayn<jue  nec  ty£.neas  vidit  me  Tro'i'us  Httquamy 

Nec  Liiyam  advenif  claJfiÙMS  IliAcis. 
Sed  Furias  fugiens  arijue  arma  procAçis  Hiarh/I 

Stn/^vi  fattor  mont  (ndidt.iMi^ 


Poètes    Latins.       137 

en  cendres.    Voilà  un  fait  de  la  vérité  du-  Virgile 
quel  Virgile  a  fait  un  étrange  abus.     Et  il 
femble  qu'il  n*cn  ait  voulu  conftrver  les 
extrémités  que  pour  donner  une   couleur 
de  vérité  à  fa  calomnie. 

Un  procédé  aufll  lâche  qu'a  été  dans 
Virgile  celui  de  vouloir  relever  la  gloire 
des  Romains  par  la  ruine  de  la  réputation 
d'une  honnête  femme  fous  prétexte  qu'elle 
avoit  été  la  fondatrice  d'une  Ville  enne- 
mie, n'a  point  encore  pu  rencontrer  de  dé- 
fenfcnrs  qui  ayent  eu  de  bonnes  raifons 
pour  publier  (4)  cette  injuftice.  Les  Poë- 
tcs-mémes  tout  interefTés  q'i'ils  font  dans 
la  réputation  de  Virgile,  &  malgré  les  pré- 
tentions qu'ils  ont  fur  toutes  fortes  de  liber- 
tés, n'ont  pu  retenir  leurs  plaintes  contre 
lui  (s). 

En  effet  voilà ,  félon  le  fentîment  da 
Père  VavafTeur  (6)    en  quoi  confiée  le 

grand 

TtHort  trdnsfxo  ca/fjs  *  ejuod  fertutit  enfety 

Non  fur$r  f  aut  lafo  crudus  Anure  doter. 
Sic  eecidijft  JHVat.      Vixi  fine  vulnere  fAm4» 

Vit  A  virum,  pofitis  manibus  ^  eppitii. 
Invid*  cur  in  me  fiimuUJîi  y  Mufa,  Maroner» , 

tingeret  ut  naffrd  damna  pudicitia? 
Vos  muf^is  Hijioricisy   LecioreSy  credte  de  me t 

^uàm  qui  furta  DeÀm  concubitu'~JKe  carunt 
Fttljidid  xntesy  tftnerant  cjui  carminé  verni»  ^ 

Humatuftfue  Deos  AJjimitant  vittis, 

*  %.  L'édition  de  Toi  lins  porte  ratîuf  au^d  perculit 
tnfist  ce  qui  fait  une  meilleure  conftiu^iion. 

Vid.  &  MaruUi  Epigr.  Vid.Ôc  Tarq.  Gallut  loc.  g, 
in  i£neïd.  lib.  i.  p.  42.  4î. 

6.  Anonym,  dans  les  Remarques  fur  les  Rcftes, 
touchaot  I4  foëc.  8].  84. 


13S     Poètes    Latins. 

\hgilç,  grand  défaut  de  TEpifode  de  Virgile  plu- 
tôt que  dans  le  contre-tems  de  trais  cens 
ans,  parce  qae  quelque  licence  que  les  ré- 
gies de  l'art  de  teindre  lui  donnaflent  de 
changer  une  vérité  hillorique,  celles  de  la 
Poétique  n'ont  jamais  pu  lui  permettre  de 
nous  reprefenter  une  perfonne  en  un  état 
où  elle  n'avoit  jamais  dû  être,  à  moins 
qu'elle  n'y  eût  été  etfedivement  dans  le 
monde,  ce  qu'on  ne  pouvoit  point  dire  de 
Didon  ,  qui  ayant  été  rornement  de  fon 
fexe  (^  Tadm  ration  de  toute  la  terre  ,  ne 
laille  point  de  pafTer  pour  une  miferable 
proftitaée  dans  l'efprit  de  bien  des  gens ,  de- 
puis qn'tl  a  piû  à  Virgile  de  nous  la  repre- 
ièntcr  en  cet  état. 

G'eft  l'opinion  dans  laquelle  fèmblent 
avoir  été  MelTieurs  de  l'Académie,  quand 
ils  difent  que  ceux  qui  blâment  Virgile 
4'avoîr  démenti  THiftoire,  en  faifant  une 
impudique  d'une  très-vertueufe  PrinceflTe, 
&  un  Héros  accompli  d'un  traître  &  d'un 
lâche  ,  ne  le  blâment  pas  d'avoir  Ample- 
ment altéré  l'Hiltoire;  puifqu'ils  avouent 
que  cela  cft  permis,  mais  de  l'avoir  alté- 
rée de  bien  en  mal  au  fujet  de  Didon,  <& 
d'avoir  ain(i  péché  contre  les  bonnes 
mœurs ,  mais  non  pas  contre  les  régies 
de  l'Art  (r). 

11  y  a  encore  une  autre  qualité  de  l'Ac- 
tion de  TEneïde  qui  ne  paroit  pas  moins 

im- 

I.  Scntimens  de  rAcadem.  franc,  fur  Ja  Tràgi- 
com.  du  Cid.  pag.  47. 

z.  Kea.  le  ZjoS.  Tu:t.  du  Poème  Epiq.  livre,  i. 

chap. 


Poètes    Latins.     139 

importante  que  celles  de  fon  Unité  &  de  virgik, 
les  Epi  Iodes.  C'efl:  fa  Durée  ^  dont  la 
qucflion  a  bien  donné  de  l'exercice  aux 
Critiques  jufqu'ici.  Le  P.  le  Boflli  pour 
nous  en  mieux  faire  connoître  Tctat,  a  fe- 
paré  cette  durée  de  iWdlion  d'avec  celle 
de  la  Narration  (2)  ,  comme  ont  fait  plu- 
lieurs  autres  Critiques. 

Si  Ariftote  &  les  autres  Maîtres  de  l'Art 
avoient  voulu  déterminer  le  tems  de  l'ArC- 
tion  Epique   comme  ils  ont  fait  celui  de 
j'Adion  Tragique,  il  ne  feroit  pas  li  diââ- 
■cile  de  juger  Virgile  fur  ce  point.  De  tous 
ceux  qui  dans  la  fuite  des  tems  ont  tâché  de 
donner  des  bornes  à  la  durée  de  cette  Ac- 
tion, les  uns  l'ont  enfermée  dans  le  cours 
d'un  an  (3) ,   les  autres  prenant  Homère 
pour  la  règle  de  leur  jugement,  l'ont  vou- 
lu reftraindre  aux  termes  d'une  Campagne. 
Les  uns  (k  les  autres  femblent  avoir  pris 
pour  le  modèle  de  leur  établi/fement  Tes- 
pace  du  tems  qui  a  été  réglé  pour  l'Adion 
Epique  (4),  en  y  comprenant  l'hyver,  pa* 
Toillent  avoir  fuivi  ceux   qui  donnent  à 
l'Adion  Tragique  un  jour  que  les  Chro- 
nologiftes    appellent    Nydhemere    ou   de 
vingt-quatre  heures  ,  &  ceux  qui  ne  don- 
nent à  l'Aétion  Epique  qu'une  feule  Cam- 
pagne, femblent  s'être  réglés  fur  ceux  qui 
renferment  la  Tragédie  encre  le  lever  <Sc 
le  coucher  du  Soleil  à  l'exclulion  de  la 

nuit. 

chj»p.  S.  pug.  26J.  i*»».  &:  livre  3.  chap   m.  pag,  j-j, 

3.  P.  Mambtun  de  Poëm.  Epico  Diircrtat.  Feripa- 
tctic.  Pierre  Ronfard  ,  Préface  ùir  la  Francinde  êcc. 

4.  L'a6tion  6c  laN^triationfont  ici  la  mêmechofc^ 


I40  Poètes  Latin  î. 
yirzile.  nuk.  Maïs  de  quelque  manière  qu'en  ait 
ufé  Virgile, on  peut  alfurer  qu'il  a  toujours 
très-ben  foit  ,  parce  qu'on  ert  perfuadé 
que  c'cft  le  bon  fens  qui  a  conduit  la  du- 
rée qu'il  donne  à  fon  A6lîon  comme  tout 
le  relie,  &  qu'il  ne  Ta  jamais  abandonné 
nulle  part ,  non  pas  même  dans  les  endroits 
où  fa  confcience  l'a  quitté. 

Ronfard  &  les  autres  Cenfeurs  qui  ont 
crû  que  la  durée  de  î'Enéïde  s'étend  jus- 
qu'à fcîze  ou  dix-fept  mois,  ont  peut-être 
été  trop  précipités  dans  la  condamnation 
qu'ils  ont  ofé  faire  de  Virgile  fur  ce  pied- 
là.  Car  s'il  étoit  vrai  qu'il  eût  pafl'é  le  ter- 
me d'une  année,  fa  pratique  en  ce  point 
devroit  avec  rai  fon  paffer  pour  la  règle  de 
ceux  qui  font  venus  après  lui ,  puifque 
l'Art  ne  lui  endonnoit  point  d'autre.  C'eft 
fur  fa  conduite  qu'on  a  dû  faire  la  règle, 
&  non  pas  juger  de  fa  conduite  &  décider 
s'il  a  bien  ou  mal  fait  par  les  règles  qu'il  a 
plu  aux  Critiques  pofterieurs  d'établir  fur 
ce  fujet. 

Mais  quoi  qu'on  puîfle  dire  avec  eux 
que  la  durée  de  l'Aélion  &  de  la  Narration 
de  I'Enéïde  efl:  d'un  an  &  de  quelques  mois, 
comme  l'a  fort  bien  remarqué  le  P.  Rapin 
CO,  on  peut  aulfi  aifément  faire  en  forte 
de  ne  trouver  qu'un  an  depuis  la  tempête 
du  premier  Livre  de  l'Enéide  jufqu'à  la 
mort  de  Turnus.  Et  pour  fermer  la  bou- 
che 

1.  R«n.  Rap.  Compax.  d'Homère  êc  .Vîrg.  chap. 

12.  pag    44.  edit.  in-4. 

2.  J.  Rcn,  de  Segfais,  Pre'f.  fur  rEncïde  de  Virgile 
ftoiiib.  zi.pag.  ji).  ôcR.  lîBoiruliVic  j.durocn\eE- 

pic^uc 


Poètes    Latins.       141 

che  à  tout  le  monde,  même  à  ceux  qui  Virgile» 
veulent  que  TAction  du  Poème  Epique  ne 
foit  que  d'une  feule  campagne,  on  peut 
dire  après  la  fupputation  de  Mr.  de  Serrais 
&  du  P.  le  BoiTu  que  toute  l'Enéide  ne 
comprend  pas  un  an  entier  ,  quoi  qu'ils 
ne  foîent  point  d'accord  du  point  où  il 
faut  faire  commencer  &  finir  cette  expé- 
dition (2). 

§.4. 

De  la  Forme  ^  de  la  Narration  de 
PEnetde, 

La  première  beauté  de  TEnéïde  au  juge- 
ment de  Mr.  de  Segrais  (3)  ell  la  Narra- 
tion qui  e(l  d'autant  plus  admirable  dans 
ce  Poème  qu'elle  efl:  difficile  dans  quelque 
genre  que  ce  foit,  &  particulièrement  dans 
le  genre  fublime.     Virgile  ne  s'eft  point 
contenté  de  faire  un    beau  choix  de^fes 
Matières  qui  font  toutes  grandes  &  dignes 
de  fon  fujet,  la  difpolitîon  qu'il  en  a  faite 
&  qui  conlille  toute  dans  la  Narration  ou 
la  forme  qu'il  leur  a  donnée  fe  foutient  ad- 
mirablement dans  une  fublimîté  toujours 
égale,  elle  a  les  ticlions  nobles,  l'ordon- 
nance belle,  &  l'exprelFun  magnitiquc,  & 
toutes  les  beauttfs  dont  elle  elï  accompa- 
gnée par  tout  éclatent  moins  par  elle«-mê- 

mes 

pique  chap.  12.  pag.  382.  ou  pour  renfermer  rFneï- 
de  cw  une  feule  cauipagne,  ce  Petc  la  fuit  commen- 
cer avec  l'Ere,  &  l'a  fait  finir  a/ant  la  fia  de  l'Autom- 
ne de  le  même  année. 
3.  Seg.nomb.  8.ôcî>.£>ag.  13.14  xj.  ficc. 


I4i      Poètes    Latins. 

yirgUc,      mes  que  par   la  fuite  du  défaut  qui  leur 
eft  oppofé. 

La  première  &  la  plus  importante  des 
qualités  d'une  excellente  Narration  eft  la 
{implicite  &  cet  air  naturel  qui  el^. oppofé 
à  Taffedation.  G'ert  auffi  celle  qui  règne 
dans  tout  le  Poème  de  Virgile.  On  ne 
voit  point  auffi  qu'il  s'écarte  jamais  de  cet- 
te fimplicité  pour  s'amufer  à  moralifer.  Il 
ne  s'emporte  point  dans  desapoftrophes  ou 
dans  des  déclamations  qui  ne  fervent  fou- 
vent  qu'à  faire  connoître  la  partialité  d'un 
Auteur,  à  découvrir  fes  fentimens  fans  ne- 
ceffité  ou  l'intérêt  qui  l'anime. 

Il  ne  s'eft  point  appliqué  à  faire  un  amas 
de  belles  réflexions  comme  font  les  Au- 
teurs ordinaires ,  mais  les  circonftances 
dont  il  accompagne  fa  Narration  &  l'éner- 
gie avec  laquelle  il  déduit  toutes  chofes , 
font  tout  l'avantage  qu'il  a  fur  les  autres, 
&  c'efl:  à  cette  qualité  que  Jules  Scalger 
fcmble  avoir  attribué  la  divinité  qu'il  pré- 
tendoit  trouver  dans  Virgile  (i). 

Il  n'ignoroit  pas  fans  doute,  &  fur  tout 
après  avoir  lu  les  Poètes  Grecs,  que  les 
Sentences  font  une  des  grandes  beautés  de 
la  Narration  dans  un  Poème,  &  que  c'elt 
ce  qu'on  en  retient  plus  volontiers  :  cepen- 
dant il  n'en  a  employé  que  très-rarement 
&  par  forme  de  tranfition ,  encore  font-el- 
les toutes  fort  courtes.  Mais  elles  font 
jadicieufement  femées  dans  les  difcours 

des 

1.  Jul.  Cxf.  Scalig. Poëtic.  lib.  j.cap.sj.pag.  355, 
z.  Les  mcmes  Câtiques  aux  lieux  cités» 


Poètes  Latins.  143 
des  perfonnes  qu'il  fait  parler,  &  toujours  Virgile. 
avec  égard  &  fans  affedation  (2).  Il  a  été 
encore  plus  fobre  à  Tégard  de  TApoftro- 
phe,  quoi  qu'elle  foit  une  des  plus  pathéti- 
ques d'entre  les  figures,  il  n'en  a  fait  que 
cinq  ou  fix  dans  tout  fon  Poème,  &  il  les 
a  placées  en  des  lieux  oui!  femble  qu'elles 
étoient  necelîaires.  Mais  fur  toutes  cho- 
fes  il  ne  s'interrompt  jamais,  &  il  témoi- 
gne partout  la  même  précipitation  pour  ar- 
river à  la  fin  de  Ion  récit,  C'elt  dans  ce 
dernier  point  que  conlifte  le  plus  bel  éloge 
qu'on  puilFe  faire  d^ne  Narration ,  parce 
que  c'eft  une  maxime  reçue  parmi  le 
monde ,  que  le  Poète  doit  avoir  encore 
plus  d'impatience  de  fe  voir  à  la  tin  de  fou 
récit  que  le  Ledeur. 

Il  y  a  d'autres  réflexions  à  faire  fur  la 
Narration  de  Virgile  qu'il  fera  plus  à  pro- 
pos de  joindre  avec  ce  qu'on  pourra  dire 
des  jugemens  que  l'on  a  portés  fur  l'&x- 
preflion  &  le  llyle  du  Poème.  Mais  c'eft 
ici  le  lieu  de  parler  de  deux  autres  qualités 
qui  regardent  elfentiellement  la  forme  de 
ce  Poème  pour  le  rendre  agréable.  C'eft 
le  Vrai-femblable  &  le  Merveilleux  ,  qui 
doiven<  être  ordinairement  inféparables  dans 
l'ordonnance  d'un  Poème  réglé  dont  ils 
doivent  faire  la  féconde  partie. 

Le  Père  Rapin  témoigne  (9)  que  Virgi- 
le a  gardé  un  julle  tempérament  dans 
remploi  qu'il  a  fait  de  l'un  &  de  l'autre, 

qu'il 

3.  R.  Rap.  Comp,  d'Hom.  ôc  Virg.  chap.  6.  pag.  26. 
21. 2p.edit,  in-4. 


144      Poètes    Latins. 

Vk^ilc.  q^'ji  a  employé  le  Merveilleux  pour  tou- 
cher le  cœur  de  ceux  pour  qui  il  faiibit  fon 
Poëme,  &  pour  les  atiimer  de  les  porter  à 
des  entreprires  louables  &'  genereufes  ;  mais 
qu'il  l'a  toujours  accompagné  du  Vrai- 
femblable  pour  ne  les  pas  rebuter  par  une 
trop  grande  diflance  de  ce  qu'il  leur  propo- 
foit  avec  leur  état  &  leurs  propres  forces. 

Cet  endroit  eft  une  des  plus  grandes 
épreuves  de  la  folidité  du  jugement  de  ce 
Poète.  Jamais  il  n'a  paru  plus  judicieux 
que  dans  le  grand  ménagement  de  fes  Mi- 
racles &  de  fes  Machines  qui  eft  le  nom 
que  l'on  donne  au  miniflére  des  Dieux  dans 
un  Poëme.  Il  femble  qu'il  nous  ait  vou- 
lu faire  croire  qu'il  n'avançoit  rien  de  Mer- 
veilleux dans  tout  ce  qu'il  difoit,  qui  ne 
fût  fondé  en  raifon ,  &  l'on  remarque  qu'il 
s'efl:  prefque  toujours  tenu  dans  une  réfer- 
ve  pleine  de  difcrction,  pour  ne  point  paf- 
fer  les  bornes  de  la  Vrai-femblance.  Enfin 
l'Auteur  que  je  viens  de  citer  prétend  dans 
un  autre  de  fes  Ouvrages  (i)  que  Virgile 
eil  prefque  le  feul  qui  ait  eu  l'Art  de  mé- 
nager, par  la  préparation  des  incidens,  la 
Vrai-femblance  dans  toutes  les  circondan- 
ces  d'une  Adion  héroïque.  ^ 

Il  femble  que  c'ait  été  aufll  la  penfée  du 
P.  le  BolTu  dans  la  dillindion  qu'il  fait  de 
la  Vrai-femblance  des  chofe^s  &  des  inci» 
dens  pris  féparément,  d'avec  la  Vrai-fem-' 
blance  de  rencontre  qui  conlille  à  faire  que 
pluùeurs  incidens  qui  font  Vrai-femblables 

cha- 

T.  Ltf  n-iême.Rcflcx.  particul.iur  la  Poct.  féconde 
paie.  Rcâcx.  12, 


ftl 


Poètes    Latins.     I4f 

chacun  en  leur  particulier,  fe  rencontrent  VixgUci 
cnfemble    vrai-femblablement.     C'eft    en 
quoi  Virgile  a  parfaitement  réulfi.  On  n*a 
jamais  vu  de  Poète  plus  délicat  que  lui  fuc 
la  pratique  de  cette  dernière  efpe'cedeVrai- 
femblance.  On  ne  peut  pas  dire  qu'il  falTe 
paroitre  tout -à-coup  quelque  acciJent  qui 
n'a  point  été  préparé  &  qui  avoit  befoin  de 
rétre;  &  il  a  foigneulement  évité  un  dé- 
faut où  tombent  la  plupart  des  autres  Poè- 
tes qui  délirent  de  furprendre  les  Audi- 
teurs ou  les  Ledeurs,  par  la  vue  de  quel- 
que beauté  qu'on  ne  leur  fait  point  atten- 
dre. 

C'eft   par  cette  fage  conduite  qu'il  re- 

5 refente  dans  le  premier  livre  de  l'Enéide, 
unon  qui  prépare  la  tempête  qu'elle  veut 
exciter,  &  que  Venus  y  prépare  les  amours 
du  quatrième  (2) ,  comme  le  même  Perc 
l'a  remarqué.  La  mort  de  DiJon  qui  ar- 
rive à  la  fin  de  ce  quatrième  efl:  préparée 
dès  le  premier  jour  de  fon  Mariage.  Hèle- 
nus,  contînuè-t-il,  difpofe  dans  le  troiliè- 
me  toute  la  matière  du  fixiéme  ;  &  dans 
celui-ci  ,  la  Sibylle  prédit  toutes  les  guer- 
res fuivantes  &  tous  les  incidens  confidè- 
rables  qui  entrent  dans  la  c&mpofition  des 
lix  derniers  Livres. 

Il  y  a  pourtant  une  autre  forte  de  fur- 
prife  à  laquelle  Virgile  s'ell  appliqué  pour 
entretenir  la  curiolité  <Sc  l'admiration  dans 
Vefprit  de  fes  Leéleurs.  C'cft  ce  qu'il  a 
fait  en  joignant  le  Merveilleux  au  Vrai- 

fcm- 

z.  X.  le  Boilu, livre  3.  daPoëaïc  Epique  chjT>,  r. 
pag.  »?«.  Î39. 


146    Poètes    L  a  -t  i  n  s. 

Vu^ne.  femblable,  &  en  faîfant  voir  des  merveiî-^ 
les  continuelles  fans  jamais  quitter  le  ca- 
radere  fublime  &  héroïque  pour  defcendre 
dans  le  puérile  &  le  comique,  qui  eft  re- 
cueil ordinaire  des  Poètes  Dramatiques  Se 
des  faifeurs  de  Romans  ,  qui  ne  favent 
point  faire  le  mélange  de  deux  qualités  il 
différentes,  &  dont  il  eft  fort  difficile  de 
prendre  le  jufte  tempérament.  Maiscequ'il 
y  a  de  fort  eftimable  dans  cette  méthode 
de  Virgile,  ce  n'eft  pas  tant  l'emploi  des 
chofes  furnaturelles  &  du  miniftere  des 
Dieux  que  cet  autre  genre  de  Merveilleux 
qu'il  a  fait  naître  lui-même  du  fonds  de 
fon  Ouvrage.  Car  on  peut  dire  qa'il 
n'y  a  gueres  que  lui  qui  ait  fu  entretenir 
l'admiration  &  la  furprife  du  Ledeur  en 
prelfant  fes  matières,  en  ne  rapportant  ja- 
mais rien  que  de  grand ,  en  faifant  voir 
toujours  quelque  chofe  de  nouveau  ,  en 
fuyant  enfin  les  baffelles  &  les  affeétations 
avec  un  foin  tout  particulier.  De  forte 
qu'on  ne  doit  plus  s'étonner  qu'il  ait  ex- 
cellé fi  fort  par  delTus  tous  les  autres  qui 
n'ont  pas  eu  tous  ces  égards,  &  qui  n'ont 
point  eu  afles  d'autorité  fur  eux-mêmes 
pour  retrancher  toutes  les  inutilités,  com- 
me il  a  fait ,  &  pour  ne  jamais  rien  a- 
vancer  contre  la  Vrai-femblance  (i). 

Voilà  ce  que  les  Critiques  les  plus  judi- 
cieux ont -remarqué  fur  la  manière  dont 
Virgile  a  tâché   de  ne  jamais  féparer  le 

Mer- 
I.  Segrais,  Préf.  nomb.  7.  pag.  12.  13.    Le  BoflU 
îiv.  5.  chap. 8. 
2.,  Scu,  Naxuial.  Quxilion,  lib.  $,  pag.  spf. 

Item 


Poètes    Latins.    147 

Merveilleux  du  Vrai-femblable.  Il  s'elt  virgUe; 
trouvé  néanmoins  des  Cenfeurs  qui  ont 
bien  voulu  l'accufer  de  s'être  quelquefois 
départi  de  fa  maxime.  Quoique  leur  auto- 
rité ne  foit  pas  de  grand  poids  en  ce  point, 
&  que  leur  fentiment  ne  fade  point  beau- 
coup d'impreflion  fur  nos  efprits ,  je  ne 
laiflerai  pas  de  rapporter  quelques-unes 
de  leurs  objedions,  pour  déialfer  ou  pour 
divertir  le  Ledeur. 

Seneque  le  Philofophe  (2)  accufoit  Vir- 
gile d'avoir  fait  une  faute  contre  la  Vrai- 
lemblance  naturelle ,  pour  avoir  dit  que 
les  Vents  étoicnt  renfermés  dans  des  grot- 
tes, parce  que  le  vent  n*étant  qu'un  air 
ou  des  vapeurs  agitées,  c'elf  détruire  fa 
nature  de  le  tenir  enfermé  en  repos.  Mais 
plalieurs  ont  répondu  à  ceCenfeur,  que 
Virgile  avoir  pris  la  caufe  pour  l'effet,  par 
le  droit  que  les  Poètes  &  les  Orateurs  ont 
d'en  ufer  ainlî. 

D'autres  ont  prétendu  qu'il  avoit  palTé 
la  Vrai-femblance  dans  ce  qu'il  dit  du  ra- 
tneau  d'or  au  fixiéme  de  l'Enéide;  du  bois 
qui  avoit  poulfé  du  corps  de  Folydore  aa 
troiliéme  ;  du  changement  des  Vaîfleaux 
d'Enée  en  Nymphes  de  la  Mer  au  neuviè- 
me; &  ils  veulent  qu'il  n'ait  cherché  en 
ces  occafions  que  le  Merveilleux.  Volîius 
répond  à  ces  objedions  par  des  exemples 
femblables  ou  même  plus  incroyables, 
qu'il  a  pris  dans  les  fables  de  l'Antiquité 
païenne  (3).  En- 

Itcm  apud  VofTïum  in  lib.  Inftitution.  Poct.  ôcRen. 
le  Bollu  1.  3.  c.  7. 

3.  Gcr.  Joan.  Voir  laftit.  Poct.  1,  i,  ç.  i.paiag.  ij. 
pàg.  10.  XI. 

G   2 


148    Poètes    Latins. 

^Ykçilc^  Enfin  il    s'en  eft  trouvé  d'autres  qui 

ont  écrit  qu'il  y  a  dans  Virgile  un  grand 
nombre  de  fautes  contre  la  Vrai-fernblan- 
te,  quoi  qu'il  ne  fût  point  queftfon  dans 
la  plupart  des  endroits  qu'ils  cenfurent  de 
faire  valoir  le  Merveilleux  (i).  Le  P.  Gal- 
lucci  a  recueilli  une  bonne  partie  de  toutes 
ces  fautes  prétendues  ;  &  ceux  qui  s'imagi- 
nent que  les  accufatîons  de  ces  Cenfeurs 
de  Virgile  méritent  d'être  examinées  pour- 
ront fe  fatisfaire  dans  les  réponfes  de  ce 
Père  (2). 

$.  s- 

Des   Mœurs  y   des   Caraâeres  marqués 
dtfns  l*Enetde, 

Les  Mœurs  Poétiques  ne  font  autres 
que  les  inclinations  qu'il  plaît  au  Poëte  de 
donner  à  fes  Perfonnages  pour  les  porter  à 
des  adions  bonnes,  mauvaifes  ou  indiffé- 
tentes.  Nous  appelions  Caradere  ce  qu'u- 
ne perfonne  a  de  propre  &  de  lingulierdans 
fes  mœurs ,  &  ce  qui  la  diftingue  d'avec 
les  autres  Perfonnages  du  Poème.  Et  par- 
ce que  fouvent  ce  caraélere  n'a  point  de 
nom ,  on  prend  ordinairement  pour  le  ca- 
radere  d'une  perfonne  la  première  qualité 
qui   domine  en  lui,  &  qui  étant  comme 

l'ame 

T.  Jacques  Pelletier  au  lîvie  i.  de  TArt  Poëtiqàe 
chap.  S-  de  l'Imitarion. 

2.  Tarquin.  Gallutius  in  Vindicationibus  Virgilia- 
ais  paflîm. 

3.  J.  R.  de  Scgraij,  Fref.  fui  rEneïde  de  Virgile 

nom- 


Poètes    Latins.     149 

l'amc  de  toutes  les  autres  doit  fe  trouver  virgUeJ 
pur  tout  pour  fl\îre  difiînguer  le  Perfon- 
iinge.  Ceft  ainfi  que  Ton  dit  que  le  Ga- 
raàere  d'Achille  ç(ï  la  Colère  mêlée  de 
V^aleur,  celui  d'Ulyiïe  la  Diffimulation 
accompagnée  de  Prudence,  &  celui  d'E* 
née  la  Piété  jointe  à  la  Bonté. 

C'efl  fuivant  cette  notion  que  les  Criti- 
ques ont  voulu  juger  de  la  capacité  de  Vir- 
gile. Mr.  de  Segrais  dit  (3)  que  la  con- 
duite qu'il  a  tenue  pour  ne  jamais  s'éloi- 
gner des  Caradleres  qu'il  a  une  fois  cholfis 
eft  entièrement  inimitable,  &  il  ajoute  en 
un  autre  endroit  qu'il  s'ed  montré  partout 
fi  rage,li  équitable  &  lî  défintereflc ,  qu'on 
ne  voit  pas  dans  les  Mœurs  &  les  Cara6le- 
res  qu'il  donne  aux  autres  quel  peut  avoir 
^lé  fon  penchant  &  fapaflîon ,  s'il  en  avoit. 

Le  P.Rapifl  témoigne  aulTi  (4)  qu'il  ob- 
ferve  adm.irablemcnt  par  tout  les  Caraéte- 
res  de  fes  Per Tonnages,  &  qu'il  eft  fort  re- 
ligieux dans  l'obfervance  de  l'honnêteté, 
des  bienféances  ôr  des  Mœurs. 

Et  le  P.  le  Boflu  examinant  la  manière 
dont  il  s'en  eft  acquitté,  dit  (5)  qu'il  traite 
des  Mœurs  &  des  paflîons,  tantôt  comme 
un^Hiftoricn  &  un  Géographe,  en  mar- 
quant l'éducation,  les  habitudes,  les  in- 
clinations des  Peuples ,  &  les  coutumes 
I  des  pays  différens  j  tantôt  comme  un  Phi- 

lofo- 

nombre  ii.  8c  nombre  ij. 

4.  R.  Rap.  Comp.  d'Mom.  *c  Virg.  c.  7.  pag.  32. 
edit.  in  4. 

5.  R.  le  Boffu,  liviC4.  du  Pocmc  Epique,  Traite 
«es  Mœurs  ôcc, 

G3 


i^o     Poètes    Latins. 

yirgilç.  lofophe  moral,  &  quelquefois  Phyficien, 
en  rendant  raifon  des  chofes  par  la  matiè- 
re dont  les  corps  font  compofés,  &  par  la 
manière  dont  ils  font  unis  aux  amcs;  (à 
tantôt  en  Aflrologue  ,  lorfquMl  rapporte 
leurs  caufes  aux  Dieux,  c*ert-à  dire  aux 
Planètes ,  aux  Aflres  &  aux  Elemens. 

Le  principal  Perfonnage  eft  le  Héros  du 
Poe  me  ,  non  feulement  il  doit  être  par 
tout ,  mais  il  doit  encore  régner  par 
tout,  &  il  doit  être  le  centre  de  toutes  cho- 
fes ;  en  forte  qu'il  ne  fe  dife  &  ne  fe  fafle 
rien  dans  un  Poème  qui  n*ait  rapport  à  lui, 
lors  même  que  cen'ell  point  lui  qui  dit  ou 
qui  fait  les  chofes.  C'eft  donc  à  bien  for- 
mer les  Mœurs  &  le  Caradere  du  Héros 
qu'un  Poète  doit  employer  tous  fes  talens. 
Et  c'eft  auffi  en  ce  point  que  Virgile  s'eft 
fi  fort  élevé  au  dellus  de  tous  les  Poètes 
fans  en  excepter  même  Homère. 

Le  P.  Rapîn  dit  (i)  que  Virgile  forma 
fon  Héros  particulièrement  des  vertus 
d'Augufte,  ce  qui  étoit  une  flaterie  fine  ôc 
îngenieufe  par  rapport  à  fes  delTeins  ;  mais 
comme  il  vouloit  faire  un  Héros  accompli, 
il  ne  fe  borna  point  aux  feules  qualités  de 
ce  Prince  pour  compofer  £oi\  Enée.  Il 
voulut  aufîî  le  former  de  tout  ce  qu'il 
y  avoit  eu  de  vertueux  &  de  grrtnd  parmi 
les  plus  grands  hommes  de  l'Antiquité.  Il 
prit  des  deux  Héros  d'Homère  tout  ce  qui 
pouvoit  fervir  à  fes  fins,  c'eft-à-dire  la  va- 
leur d'Achille  6c  la  prudenced'UlyfTe,  corn* 

me 

1.  Hap.  Comp.  d*Hom.  &  Virg.  pag,  i^.  ou  u» 
shap.  4. 


Poètes    Latins,     ifr 

me  Ta  remarqué  le  même  Auteur  eu  un  au-  virgilçi 
tre  endroit.  Il  trouva  encore  le  moyen  d'y 
joindre  lagrandeur  d'ame  d'Ajax,  la  fages- 
iedeNe(lor,la  patience  infatigable  deDio- 
mede ,  &  les  autres  vertus  dont  Homère  mar- 
que les  Caraderes  dans  fes  deux  Poèmes. 
Il  ne  fe  contenta  pas  encore  de  ce  bel  as- 
lemblage  ,  o:  il  voulut  réunir  enfembie 
toutes  les  excellentes  qualités  qui  avoient 
rendu  recommandables  les  perfonnes  les 
plus  illufircs  de  THilioire  ,  comme  The- 
millocle,  Epamînondas,  Alexandre,  An- 
nibal,  Jugurta  &  divers  autres  Etrangers, 
fans  oublier  ce  qu'il  avoir  reconnu  de  meil- 
leur dans  Horace,  Camille,  Scîpion,  Ser- 
torius,  Pompée,  Cefar  &  un  grand  nom- 
bre d'autres  Romains  qui  s'étoient  ligna- 
lés  dans  la  guerre  ou  durant  la  paix. 

Ayant  ainfi  raflemblé  toutes  les  vertus 
morales ,  politiques  &  militaires  dont  il  a 
pu  avoir  connoiiîancc,  il  en  fit  un  Tout 
compofé  de  religion  pour  les  Dieux  ,  de 
piété  pour  la  Patrie,  de  tendrefTe  &  d'ami- 
tié pour  les  Proches,  d'équité  &  de  bonté 
pour  tout  le  monde-  Avec  ce  fonds  de 
perfe61:ions  ,  ce  Héros  fe  trouve  hardi  ôc 
conltant  dans  le  danger  (2),  patient  dans 
la  fatigue,  courageux  dans  l'occalion, pru- 
dent dans  les  ati'aires.  Enfin  il  ell  bon^ 
pacifique,  1  beral ,  éloquent,  bien  fait, ci- 
vil, l'out  Ton  air  a  de  la  grandeur,  <^  de 
la  majcllé;  afin  qu'il  ne  lui  manque  aucu- 
ne des  qualités  qui  peuvent  contribuer  à 

l'ac- 

I        2.  Dans  le  même  Ouvrage  chap.  4.  pag.  17.  i  S.  e- 
dii  in  4.. 

G4 


15*2     Poètes    Latins. 

yiigile.      raccomplilTement  d'un  grand  homme,  il 
e(l  heureux. 

Mais  félon  la  judicieufe  remarque  du 
niême  Auteur,  les  tro's  qualités  fouverai- 
nés  qui  font  le  caradere  efîentiel  du  Hé- 
ros de  rEneïde,  font  la  Religion,  la  Jus- 
tice &  la  Valeur.  Cétoient  effedivement 
celles  d'Augufte  de  qui  Virgile  vouloit  fai- 
re le  portrait.  G'eft  auffi  par  ces  trois  qua- 
lités qu'llionée  vouloit  faire  connoître  E- 
née  à  Didon  (i)  en  l'appellant 

* Illuftre  en  pieté. 

Fameux  par  fa  Valeur,  fameux  par  fa  Jufti- 
cc  (i). 

Jules  Scaligcr  a  prétendu  trouver  régu- 
lièrement toute  la  fuite  d'une  Philofophie 
Morale  &  Politique  dans  la  reprefentation 
que  Virgile  nous  a  donnée  des  Mœurs  & 
du  Caraèlere  de  fon  Héros  (3).  Il  dit 
que  ce  Poète  ayant  voulu  faire  un  homme 
accompli  dans  toutes  fes  parties,  fur  l'idce 
la  plus  parfaite  que  fon  efprit  &  fes  con- 
noiffances  pouvoient  lui  donner  ,  a  pris 
dans  la  vie  aètive  &  dans  celle  qu'on  ap- 
pelle contemplative  tout  ce  qu'on  y  peut 
pratiquer  de  louable;  de  f)rte  qu'on  trou- 
ve dans  le  feul  Enée  l'homme  privé  & 
l'homme  public,  dans  toute  la  perfedtîon 
qui  dépend  de  la  nature  &  des  forces  hu* 

mai- 

I.  Lib.  i.^ncid.  de  la  Trad.  (Je  M.  de  Scgrais, 
Z»   ■  ■■    ■■    ^0  jujitor  Aller , 

Kec  PieîAU  fuit 3  uti  Le>'.t  >n*j«r. 

3.  JuL 


Poètes    Latins,     i^-^ 

inafnes.  CeCritiquc  pour  nous  faire  mieux  Virgile^ 
valoir  l'étendue  d'efprit  <^  l'indurtrie  de 
Virgile,  prétend  en  qualité  de  Philofophe 
que  le  Poète  voulant  exprimer  ces  deux 
genres  de  vie  en  un  feul  fujet ,  a  trouvé  le 
moyen  de  les  joindre  cnfemble  par  leur 
objet  ou  par  leur  fin  qui  eft  la  focieté  hu- 
maine dans  l'un  &  dans  l'autre.  Et  com- 
me cette  focieté  ne  s'entretient  &  ne  s'al- 
tère ,  foit  durant  la  paix,  foit  durant  la 
guerre,  que  par  la  providence  ou  la  con- 
duite fecrete  de  Dieu  ,  il  dit  que  Virgile  n 
parfaitement  rculTi  à  nous  le  faire  voir  dans 
les  Mœurs  &  le  Caradere  qu'il  donne  à 
fon  Héros.  Mais  quelque  grand  que  pût 
are  le  plailir  que  l'on  auroit  de  lire  ici  les 
preuves  qu'il  en  rapporte,  j'ai  appréhende 
que  leur  multitude  ne  devînt  onereufe  au 
LetSleur  li  j'avois  entrepris  de  les  copier, 
outre  que  je  n'aurois  pu  éviter  de  tomber 
dans  quelques  redites  de  ce  que  j'ai  déjà 
rapporté  plus  haut  touchant  les  qualités  de 
ce  Héros. 

Le  P.  le  Boffu  n'a  pas  trouvé  moins  de 
Philofophie  dans  les  Mœurs  &  le  Caraâe- 
re  du  Héros  de  Virgile  que  Scaliger.  11  y 
a  remarqué  aulTi  bien  que  lui  un  grand 
fonds  de  Politique ,  lorfqu'il  dit  (4)  que 
le  Poète  voulant  faire  recevoir  aux  Ro- 
mains une  nouvelle  efpéce  de  gouverne- 
ment &  un  nouveau  Maître,  il  faloit  que 
ce  Maître  qu'il  reprefentoit  dans  fon  Hé- 
ros 

3.  Jul.  C«f.  Scaliger  Poct.  lib.  3.  cap.  11.  pag.  228, 
219.  *c  fcq. 

4.  Rcn.  Je  Boffu, Trait. du  roëmc  Epique  chap.  ^ 
pag  87.  cl«  lirie  4.  Iccondc  partie. 

G  5 


if4    Poètes    Latins. 

Tlrsilc.  ros  eut  toutes  les  qualités  que  doit  avofr 
le  fondateur  d'un  Etat ,  &■  toutes  les  ver- 
tus qui  font  aimer  un  Prince. 

Mais  il  avoit  déjà  fait  voir  ailleurs  qu'il 
y  a  plus  que  de  la  Politique  &  de  la  Mora- 
le dans  les  Mœurs  du  Héros  ^  à.  que  Vir- 
gile s'étoit  comporté  aufli  en  Phyli  ien  ôc 
en  Aftrologue  dans  la  t'ormation  de  ce  Hé- 
ros. Si  Ton  en  croit  cePcre  (i),le  Poète 
ne  s'eft  pas  contenté  de  nous   faire  con- 

^  fîdérerDieu  comme  la  caufe  de  ces  Mœurs 

la  plus  univerfelle  &  la  première  de  toutes 
lorfqu'il  nous  f  it  connoître  combien  ce 
Héros  eil  chéri  de  Jupiter,  &  que  Junoii 
qui  le  perfécute  d'ailleurs  ne  peut  s'empê- 
cher d'eftimer  fa  perfonne.  Mais  il  n'a 
point  manqué  de  donner  encore  à  ces 
Mœurs  une  caufe  féconde,  qui  elt  celle 
des  Aftres ,  dit  il  ,  &  principalement  des 
Signes  &  des  i^lanetes,  dont  il  a  voulu 
marquer  la  force  fur  la  compléxion  des 
hommes  en  dîverfes  occalîons-  Car  il  ne 
faut  pas  s'imaginer  que  ce  foit  par  haiard 
que  ce  Poète,  fi  favant  d'ailleurs  dans  l'As- 
tronomie, fait  agir  les  Planètes  en  faveur 
de  fon  Héros,  conformément  aux  règles 
des  AfiroloL^ues.  De  fept  il  y  en  a  trois 
favorables,  Jupiter,  Venus,  &  le  Soleil: 
toutes  trois  agifîent  ouvertement  dans  le 
Poème  en  faveur  d'Enée.  Il  y  en  a  trois 
dont  les  inriuences  font  malignes ,  Satur- 
ne, Mars,  &  la  Lune  ou  Diane.  Si  elles 
agllfent  c'eft  en  effet  contre  le  Héros ,  mais 

elles 

ï.  Rcn,  le Boflii, Traité  du  PoëmcEpi^JUÇ  chap.  2t 
f,  6.  7.  du  ilYxe  4,  fccoude  paitie, 


Poètes    Latiws.    iff 

dies  paroifTent  de  telle  forte  qu'on  peut  vlrgiï<;^^ 
dire  que  Virgile  les  a  cachées  fous  l'Hori- 
fon.  Enfin  Mercure,  dont  on  dit  que  la 
Planète  eft  bonne  avec  les  bonnes,  &  mau- 
vaife  avec  les  mauvaifes,  agit  ouvertement 
comme  les  bonnes  Planètes,  mais  il  n'a- 
git jamais  feul ,  c'eli  toujours  Jupiter  qui 
l'envoyé.  C'elt  aînli  que  le  Poète  fait  fur 
fon  propre  Héros  l'horofcope  de  l'Empire 
Romain  en  fa  naifîànce. 

•  Mais  quelque  grand  qu'ait  été  le  nom- 
bre des  admirateurs  du  Héros  de  l'tineïde. 
Us  ne  l'ont  point  pu  garantir  de  la  Cenfu- 
rede  divers  Critiques  qui  ne  l'ont  pas  trou- 
vé entièrement  à  leur  goût. 

Les  uns  accufent  Virgile  d'avoir  fort 
mal  formé  ce  Prince  dans  le  deifein  qu'il 
avoic  de  le  propofer  pour  l'exemple  des 
Rois, des  Capitaines  &  des  Politiques.  Mr. 
de  Segrais  dit  (2),  que  l'averlîon  qu'on  a 
conçue  pour  ce  Héros  a  été  li  loin  ,  qu'on 
a  pafTé  jufqu'à  dire  que  le  Poète  l'avoit  fait 
timide,  qu'il  lui  a  mis  trop  fouvcnt  les  lar- 
mes aux  yeux ,  àc  que  ce  caractère  de  pieté 
qu'il  lui  a  donné  n'eft  pas  li  agréable  que  ce 
caradere  d'amour  que  nos  faifeurs  de  Ro- 
mans ont  CGÛtumededonner  à  leurs  Héros. 
'  Les  autres  ont  blâmé  Virgile  d'avoir  ren- 
du fon  Héros  coupable  o'une  lâche  ingra- 
titude, de  l'avoir  reprefenté  comme  ayant 
abufc  Didon,&  comme  l'ayant  abandonné 
deux  jours  après  fon  mariage,  par  une  per- 
fidie dont  ce  Poëte  fait  Jupiter  ôi  Mercure 

au- 

2.  J.  Ren.  de  Segrais, Trcface  fuj;  UTiad,  de  l'E^ 
Ifiii^  nofiib.  17.  pag.  35. 

G  6 


jf6    Poètes    Latins. 
Vîjgilc.     auteurs,  félon  la  remarque  de  Mr.  du  Ha- 
mel  (i). 

D'autres  Critiques ,  même  parmi  les  an- 
ciens Auteurs  Eccléiiaftiques,  trouvent  de 
la  lâcheté  &  de  la  baffeile,  &  qui  plus  eft 
xle  la  cruauté  &  de  Fimpieté  dans  ce  pré- 
tendu Héros  ,  lorfqu'il  tué  Turnus  fup- 
pliant  &  défarmé,  quoiqu'il  le  conjurât 
par  les  Mânes  de  Ion  Père  Anchife  (2)  de 
lui  accorder  la  vie  (3).  Et  fans  alléguer  ici 
l'impiété  avec  laquelle  lesHiiloriens  difent 
qu'il  livra  fa  Patrie  &  les  Citoyens  à  leurs 
ennemis,  on  a  crû  que  c'ctoit  une  chofe 
contraire  à  la  pieté  &  à  l'humanité  de  ré- 
ferver  huit  prifonniers  comme  il  fit  pour 
les  immoler  fur  le  bûcher  de  Pallas  (4). 

Enfin  il  s'eft  trouvé  dans  notre  liécle 
des  Perfonnes  difficiles,  qui  loin  de  trai- 
ter l'Eneide  de  divin  Ouvrage,  comme  on 
faifoit  dans  le  fiécle  paflé,  ont  prétendu 
trouver  une  infinité  de  chofes  à  réformer 
dans  leCaradere  du  Héros.  C'eft  ce  qu'on 
peut  voir  par  une  longue  fuite  de  plaintes 
qu'un  Critique  moderne  a  mis  dans  labou- 
che  de  Maynard  contre  Virgile  (5-). 

Mais  quoique  ce  fat  un  grand  fujet  de 
confolation  pour  tous  les  Poètes  malheu- 
reux de  voir  le  chef  de  tous  ceux  de  la 
Profefîlon  chargé  de  tant  d'accufations  & 

quoi- 

T.  Du  Hamcl  ,Diflertat.  fur  IcsPocûes  de  Bxcbcuf, 
page  14.  15. 

2.  Dares  genuin. 

3.  Laftant.  Divin.  Inftitution,  Irem  Jacq.  Pele- 
tier  du  Mans  livre  i.  de  l'Art  Pocti<J.  çhap.  5.  dcl*imi^ 
cation.    Item  du  Haioel ,  ô(ç, 

4.  Taiq 


Poètes  Latins.  15-7 
quoiqu'il  fût  peut-être  de  leur  intérêt  que  Virgile, 
ces  accufations  demeurairent  fans  réponfe 
pour  pouvoir  fe  détendre  de  Ton  c'xcmple, 
les  Critiques  n'ont  point  jugé  à  propos  de 
leur  donner  cette  fatisfadion.  Ces  der- 
niers ont  ciû  qu'on  ne  pouvoit  point  a- 
bandonner  la  défenfe  de  Virgile  en  ce 
point ,  fans  l'expofer  à  perdre  Ja  qualité  de 
véritable  Poète,  parce  qu'il  n'en  ell  point 
de  ces  fautes  comme  de  celles  que  nous 
avons  marquées  ailleurs  contre  la  Chro- 
nologie, la  Phyiique,  &  les  autres  con- 
noiilances  qui  font  étrangères  à  la  Poéti- 
que; au  lieu  que  celles  dont  il  s'agit,  font 
ellcntiellemep.t  contraires  aux  régies  de 
cet  Art. 

Mr.  de  Scgrais  répond  tout  d'un  coup 
à  toutes  les  objedions  que  l'on  fait  à  Vir- 
gile fur  la  conformation  de  fon  Héros ,  en 
difant  que  pour  bien  juger  du  Caradérc 
qu'il  lui  a  donné  ,  il  faut  s'élever  aux 
mœurs  les  plus  aullcres  des  Anciens,  & 
fe  défaccoutumer  des  nôtres  (6).  Et  fur  ce 
fondement  il  dit  ailleurs  que  les  points  qui 
ont  donné  fujct  aux  Cenfeurs  d'accufer 
l'Enée  de  Virgile  de  timidité,  de  foiblef- 
fe,  6c  d'ingratitude,  ne  font  que  de  cer- 
tains traits  qui  marquent  ù  foumifilon  & 
fon  obéilfance   envers   les  Dieux.    C'ell 

dans 

4.  Tarq.  Gallutius  Vindic.  Virgilian.  in  lib.  i.  i€- 
neid.  loc.  9.  piig.  53.  54.  &c,  ubi  de  loco  decimi  i£- 
ncidos  pcregiin. 

5.  Gucrct  de  la  Guerre  des  Auteuis  depuis  lapa» 
gc  6i.  iulqu'à  «4. 

6.  Segt.  rréf.  nomb.  5.  pag.  i,  5.  &  plus  au  lonfc 
*9mb£,  17.  pig.  3 s.  j$.  Ce  luiv.  ^ 

G  7 


ij8     Poètes    Latins. 

Virgile.  dans  la  réfiftancc  qu'il  lui  fait  faire  aumoir- 
vement  de  fcs  palfions,  qu'il  fait  paroître 
la  piété  &  le  courage  de  fon  Héros  ;  & 
ceux  qui  Taccufent  de  Tavoir  fait  trop  In- 
diiFcreiit  &  trop  froid  à  l'amour ,  ne  fon- 
gcnt  peut-être  pas  qu'ils  relèvent  infini- 
ment le  mérite  de  ce  Poète  Païen,  au- 
defTus  de  tous  nos  Poètes  &  nos  Auteurs 
de  Romans ,  qui  faifant  profeffion  de 
Chriftianirme  n'ont  pourtant  pas  fait  fcru- 
pule  de  donner  à  leurs  Héros  l'amour  dé- 
réglé pour  principal  &  unique  Caradere; 
&  qui  bien  loin  de  les  reprefenter  comme 
viâorieux  de  cette  paffion  ho  iteufe  .  fcm- 
blent  avoir  voulu  faire  coniiftcr  tout  leur 
courage  &  toute  leur  vertu  dans  leur  chu- 
te &  dans  leur  efclavage. 

Virgile  n'a  point  crû  comme  eux  qu'il 
y  eût  plus  de  gloire  à  céder  à  fes  paiïions 
qu'à  les  combattre,  il  a  jugé  au  contraire 
que  la  principale  marque  de  la  vertu  étoit 
de  les  vaincre;  &  comme  l'amour  efl  la 
plus  indomptable,  il  a  voulu  nous  perfua- 
der  qu'en  la  faifant  dompter  à  Enée ,  il 
lui  donnoit  la  plus  grande  marque  de  ver- 
tu qu'il  pouvoit  trouver.  Mr.  de  Segrais 
qui  fait  toutes  ces  belles  réflexions ,  avoue 
néanmoins  qu'Enée  pouvoit  quitter  Didon 
avec  moins  de  brulquerie  &  plus  de  tcn- 
dreflè;  &  que  Virgile,  fans  le  faire  dé fo- 
béïr  aux  Dieux,   pouvoit  marquer  un  peu 

da- 

1.  Virgil.  lib.  4.  .ine'idos  ait  i 

I  -•— —  — —  Curam  jub  corde  premtb/tt 
2»îithA  gcmtni  i  ruA^no^ue  antr/mm  lal^cfaîlHi  amore. 


I 


Poètes  Latins.  15*9 
davantage  la. violence  &  Tagitation  de  fon  Virgilt, 
amour  dans  les  difcours  qu'il  lui  fait  faire. 
Mais  Virgile  en  a  fait  afïes  d'avoir  marqué 
qu'Enée  n*étoit  pas  infenliblc  à  cette  paf- 
iion ,  &  d'avoir  fait  voir  que  ce  Nouveau 
Marie  ne  pût  fe  féparer  d'elle  fans  fentir 
les  atteintes  des  foucis  &  des  autres  effets 
de  cette  paffion  (i),  mais  qu'il  ne  put  fe 
difpenfer  d'obéir  à  Dieu  qui  le  rendoit  fourd 
aux  plaintes  tsf  ^f*x  inflances  de  Didon  ; 
^  aux  De  [fins  qui  le  forçaient  de  la  quitter. 
De  forte  que  fi  Virgile  en  avoit  ufé  autre- 
ment, il  auroit  peut-être  démenti  ce  pre- 
mier Caractère  de  piété  qui  n'étoit  pas 
compatible  avec  celui  de  l'amour  en  cette 
occafion. 

Les  larmes  qu«  quelques  Critiques  blâ- 
ment tant  dans  le  Caraàere  de  ce  Héros, 
pourroient  encore  fervir  de  réponfc  àl'ob- 
jcdion  de  fon  infeniibilité  préteiidué;  & 
comme  elles  font  louables  &  judicieufes 
par  tout  où  on  les  lui  fait  répandre,  à  l'e- 
xemple des  plus  grands  hommes  de  la  tei> 
re,  elles  fe  défendent  afTés  par  elles-mê- 
mes. On  peut  pourtant  conje6lurer, com- 
me font  quelques-uns  de  nos  Commcnta.- 
teurs  (2) ,  que  li  Augufte  avoit  été  moins 
tendre  &  moins  fujet  aux  larmes,  Virgile 
auroit  fait  Ion  Héros  un  peu  moins  pleu- 
reur. 

L'inhumanité  que  les  autres  ont  préten- 
du 

£t  fuprà. 
•  FtfXrt  objiant  pldcidaf^ue  vîri  Drus  ob^rw't  éitrif. 
z.  Sccvius  in  Viigil|  Comip,  Tâubuuo^   U   Hîi 


i6ô     Poètes    Latins. 

du  trouver  dans  ce  Héros ,  fe  peut  excufer 
ou  par  la  piété  envers  les  morts,  ou  par  le 
droit  de  conquête,  ou  par  la  nécelTité  des 
affaires,  (i)  C'efl:  ce  qu'on  peut  voir  dans 
l'Art  Poétique  de  Peletier,  &  particulière- 
ment dans  les  défenfes  du  P.  Gallucci, 
qui  en  plufieurs  endroits  femble  avoir  plu- 
tôt voulu  faire  voir  fon  éruditio^n  que  la 
néceffitédc  répondreà  des  accufations,  dont 
plufieurs ,  à  dire  le  vrai,  font  fort  frivoles 
6l  fort  impuifiantes  pour  nous  faire  perdre 
<5uelquechofedelabonne  opinion  que  nous 
avons  des  perfeâions  du  Héros  de  TE- 
neïde. 

Les  autres  Perfonnages  de  ce  Poè- 
me ont  mérité  aufll  que  les  Critiques  fif- 
fent  quelques  réflexions  fur  le  Caractère 
que  Virgile  leur  a  donné.  Didon  ell  fans 
doute  le  premier  de  ces  Perfonnages  que  le 
Poète  nous  prefentc  après  fon  Héros,  & 
c'ert  le  plus  confidérable  de  la  première 
partie  de  l'Eneïde,  puifque  c'eft  elle  qui 
en  fait  le  nœud.  Comme  il  vouloit  mar- 
quer en  elle  le  Caradere  des  Carthaginois 
à.  les  inimitiés  deCarihagc  avec  Rome,  il 
la  rend  palTionnée,  hardie,  entreprenante, 
ambûieufe,  violente,  de  mauvaife  foi  ;  & 
toutes  ces  qualités, dit  le  Père  lcBoflu(2), 
•font  maniées  par  la  Rufe  qui  eu  efi  Tame 
&  le  cara6ttrc.  Ainli  il  n'a  eu  aucun  égard 
»ux  qualités  effedives  que  l'Hiftoire  nous 

mar- 

I.  Jacq.  Peletier,  Art  Poctiq.  livre  i.  chap.  j.  de 
l'Imitatioa.  Tarquin.  Galliiiius  Villdic,  Viigil.inlib, 

X.  Se- 


Poètes    Latins.     i6i 

inarque  dans  la  véritable  Didon.  Cette  vireile. 
Rufe  règne  dans  toutes  fes  adions.  Ce 
Cara6lere  eft  pourtant  mauvais  &  odieux , 
mais  Virgile  étoit  obligé  de  le  rendre  tel 
par  le  fond  de  fa  Fable.  On  peut  dire 
néanmoins  que  dans  la  liberté  qu'elle  lui 
a  laifTée,  il  a  eu  foin  de  donner  à  ce  Ca- 
radere  tous  les  adoucilTemens  propres  à 
fon  fujet ,  &  de  le  relever  par  toutes  les 
beautés  dont  il  Ta  trouvé  capable.  Car  il 
ne  lui  fait  exercer  fes  Rufes  que  fur  d'il- 
luflres  fujets ,  il  lui  donne  des  qualités 
vraiment  royales.  Elle  eft  magnifique,  el- 
le eft  bien-faifante  ,  &  elle  a  beaucoup 
d'eftime  pour  la  vertu. 

Jamais  Poète  n'a  trouvé  ^ans  fes  fic- 
tions un  fi  beau  champ  à  fon  industrie, 
que  celui  que  Virgile  s'efl  donné  dans  le 
fyfteme  de  fa  Didon  pour  former  le  Carac- 
tère d'une  République  ennemie  de  la  Ré- 
publique Romaine.  C'cft  fans  doute  ce 
qui  a  fait  dire  uu  P.  Rapin  (3) ,  que  le  bel 
endroit  de  Virgile  &  fon  véritable  chef- 
d'œuvre,  cft  la  paillon  de  Didon.  Jamais 
l'éloquence,  dit  ce  Père,  n'a  mis  en  œu- 
vre tout  ce  qu'elle  a  d'artifice  &  d'orne- 
mcns  avec  plus  d'cfprit,  ni  avec  plus  de 
fuccès.  Tous  les  degrés  de  cette  pafllon, 
tous  les  redoublcmcns  de  cette  affeélion 
naifTante,  &  cette  grande  fragilité  y  font 
développés  d'une  manière  qui  donne  de 

l'ad- 

a.  Seconde  partie  du  Pocme  Epique  livre  4.  cli.  10. 
pag.  91.  $i. 

3.  R.  Rap.  Comp.  d'Hom.  8c  Virg  chap.  ij.pag, 
51.  edit.  in- 4. 


i62     Poètes    Latin  s. 

Virgile.  radmîration  aux  plus  habiles.  11  ajoute  que 
tout  eft  tendre,  délicat,  palTioimé  dans  la 
defcription  de  cette  avanture,  &  que  ja- 
mais il  ne  fe  verra  rien  de  plus  achevé. 

Ce  même  Auteur  pour  foutenir  l'hon- 
neur de  Virgile,  s'eft  fait  aulTi  un  devoir 
de  repondre  au  grand  reproche  qu'on  fait  à 
ce  Poète ,  d'avoir  deshonoré  cette  Prin- 
cefle  en  lui  donnant  tant  de  paflion  contre 
fon  propre  caradere.  Il  prétend  que  cette 
conduite-méme  eft  un  artifice  des  plus  dé- 
licats &  des  plus  fins  de  Virgile,  lequel, 
afin  de  donner  du  n\épris  pour  une  Nation 
qui  devoit  être  un  jour  fi  odieufe  aux  Ro^ 
mains,  ne  crût  pas  devoir  fouffrir  de  la 
vertu  dans  celle  qui  en  fut  la  fondatrice; 
croyant  pouvoir  en  toute  fureté  la  facri- 
fier ,  pour  mieux  flater  ceux  de  fon  pays. 

Il  eft  inutile  de  parcourir  tous  les  au- 
tres perfonnages  à  qui  Virgile  s'eft  étudié 
de  donner  des  Mœurs  &  de  former  un 
Caractère.  On  peut  dire  en  général  qu'il  y 
a  fait  une  peinture  admirable  du  Genre  hu- 
main, qu'il  y  a  marqué  les  diftérentes  in- 
clinations des  féxes,  des  âges  &  des  con- 
ditions (i),  avec  une  fagelFe  &  une  pru- 
dence qui  ne  s'eft  jamais  démentie,  &  il 
eft  aifé  de  voir  que  c'eft  fur  fa  conduite 
plus  que  fur  celle  d'Homère  que  le  Père  le 
Bofta  a  tiré  les  plus  bell-es  réflexions  du 
quatrième  Livre  de  fon  Traité  fur  le  Poc- 
mc  Epique.  On 

I.  Horatius  lib.  i.  Epiftol.  t.  hic  habct  : 

DiUtfî  ttbi  Vitgilius  >'arii4~ejne  Poi'ta 

Ncc  miiiis  exprejfi  vultus  per  ahenea  /î^na 

Quam  per  Vatts  opus  mères  tmimique  virorum  ^Tf*. 


j 


Poètes    Latins.     163 

On  peut  afTurer  que  Virgi-le  n'a  pus  virgîlc. 
été  moins  heureux  à  exprimer  les  Mœurs 
&  le  Caraâere  de  fcs  Dieux ,  que  les  Maî- 
tres de  l'Art  appellent  Machines ,  «Se  il  pa- 
roît  afles  qu'il  a  connu  la  nature  &  les 
fondions  de  fes  Dieux  aufll  parfaitement 
qu'aucun  homme  de  fi  Religion.  Il  en 
parle  avec  un  refpetl  dont  on  voit  bien 
qu'il  a  voulu  communiquer  les  fentimens 
à  fes  Ledcurs,  il  n'employé  leur  miniftere 
que  dans  les  affaires  d'importance,  en  quoi 
fa  difcrétion  eft  allée  beaucoup  plus  loin 
que  celle  des  Poètes  d'avant  lui.  '  En  un 
mot  il  a  ménagé  fes  Dieux  comme  s'il  eût 
voulu  nous  marquer  le  Cara61:erc  de  la  Di- 
vinité par  la  diftance  de  leur  Nature  d'avec 
la  nôtre;  &  félon  la  remarque  du  PereRar 
pin  ,  il  a  religieufement  obfervé  le  confeil 
qu'Horace  a  donné  depuis  dans  fa  Poéti- 
que ,  qu'il  cft  bon  que  les  Dieux  ne paroif" 
fent  que  dans  les  difficultés  qui  ont  befûin 
de  leur  préfence  iff  de  leur  affiftance  (2).  ^ 

Un  Auteur  de  ce  tems  a  prétendu 
néanmoins  que  ce  Pocte  donne  une  mé- 
chante idée  de  la  Divinité  dans  le  tableau 
qu'il  fait  de  Junon.  Il  femble  que  le  Ca- 
radere  qu'il  nous  en  donne  ne  foît  qu'un 
rnélange  de  colère ,  d'ambition  ,  d'impuif- 
flince,  de  foiblefle,  d'indifcrétion  &  d'in- 
décence; &  qu'il  ait  voulu  nous  pcrfuader 
que  cette  Déelle  ne  favoit  point  l'avenir, 

qu'el- 

z.  Rapin,  comme  ci-dcflus  chap.  6.  pag.  il, 

Horat.  de  Art.  Pociica.  : 

Nec  Dtut  intcrfit  m  fi  digriitt  vindiic  neim. 

Irxctdtrit, 


164    Poètes    Latins. 

Virgile.  qu'dle  n'avoit  pu  retenir  fes  palTions,  <& 
qu'elle  n'avoit  remporté  que  la  honte  de 
fon  entreprife  (i). 

Maïs  li  nous  voulons  fuivre  la  penfée 
de  ceux  qui  eftiment  que  Virgile  ell  tout 
myfterieux  ,  nous  n'aurons  pas  de  peine  à 
nous  imaginer  que  le  Caradere  qu'il  don- 
ne à  Junon  ,  n'eft  pas  forme  au  hazard. 
On  voit  agir  quatre  Divinités  plus  particu- 
lièrement que  les  autres  da:is  tout  le  Poè- 
me de  l'Eneïde  (2).  C'e(l  Jupiter  ,  avec 
le  Deftin,  Junon,  &  Venu-,  qui  repré- 
fentent  la  Nature  divine  féparcc  en  quatre 
perfonnes,  comme  en  autant  de  ditîerens 
attributs,  i.  Jupiter  y  cil  marqué  comme 
la  PuifTance  de  Dieu.  2.  Le  Deflinyeft 
reprefenté  comme  la  Volonté  abfohië  à  la* 
quelle  fa  Pulilànce-même  ell  foumife, 
parce  que  Dieu  ne  fait  jamais  que  ce  qu'il 
veut.  3,  Venus  eiï  la  MiféricorJe  Divine, 
&  l'Amour  que  Dieu  a  pour  les  hommes 
»  vertueux ,  qui  ne  lui  permet  pas  de  les  ou- 
blier dans  les  maux  qu'ils  Ibuffrent.  4.  Ju- 
non eii  fa  Juftice;  elle  punit  jufqu'aux 
moindres  fautes  ,  elle  n'épargne  pas  les 
plus  gens  de  bien  ,  qui  n'étant  pas  fans 
quelques  défauts,  en  font  féverement  pu- 
nis en  cette  vie,  pour  devenir  plus  parfaits 
&  plus  dignes  du  Ciel. 


§   6. 

1.  Gucret,dc  la  Guerre  des  Auteurs  pag.  6$. 

2.  Le  boSixjlivK  5. des  Machines  chap.  i.  èc  fut* 

raas 


Poètes    Latins.     i6s 

Virgile, 

§.  6. 

Des  Senti  mens  ^  de  la  Morale  de  Virgile, 

Après  avoir  parlé  des  mœurs  &  des  ca- 
radcres  que  Virgile  a  donnés  aux  Hom- 
mes &  aux  Dic^ux  ,  il  e(t  jalle  de  dire  quel- 
que chofe  de  ce  que  les  Critiques  ont  pen- 
fé  des  propres  mœurs  de  ce  Poète,  ou  plu- 
tôt de  fcs  Senùrtieyii ^  qui  n'ont  été  eftlclî- 
vement  que  les  cxpreffious  de  fcs  mœurs. 

Nous  avons  déjà  vu  plus  haut  qu'il 
n'ell  pas  aifé  ce  deviner  quel  peut  avoir 
été  le  panchant  &  la  palfion  particulière  de 
Virgile ;&  quoique  l'Hilloire  nous  appren- 
ne qu'il  avoit  vécu  d  tns  quelques  dérègle* 
mens,  &  qu'il  avoit  enirctenu  de  méchan- 
tes habitudes,  il  n'tft  pas  hors  d'apparen- 
ce qu'il  en  ait  voulu  éteindre  la  mémoire, 
puifqu'on  n'en  trouve  aucune  marque  dans 
fcs  écrits  (3).  C'e(t  une  difcrétion  dont  la 
Pollerité  Chrétienne  ne  fauroit  afTés  le  re- 
mercier ;  &  ^\  tous  les  autres  Poètes  a- 
voient  eu  autant  de  fat^effc  pour  ciiTimuler 
dans  leurs  vers  les  paillons  fcanaaleufes 
dont  ils  étoient  efclaves,  les  iîécles  fui- 
vans  ,  &  principalement  ces  deux  derniers 
ne  nous  auroient  point  tant  produit  de 
Poètes  lafcifs  que  l'exemple  de  ces  An- 
ciens a  gâtés ,  &  nous  ne  ferions  pas  obli- 
gés de  recourir  au  fcrupule  &  à  la  précau- 
tion 

r^n-s  pjg.  144.  Sec. 

3.  Hoilrnis  dans  que^ucs  Eglogues  ,  fdon  quel- 
qucî-uns. 


i66    Poètes    Latins. 

Virgule,      tion  pour  lire  ou  faire  lire  les  Ouvrages  des 
uns  &  des  autres. 

11  faut  avouer  que  c'eft  exiger  des  Au- 
teurs quelque  chofe  de  bien  difficile ,  que 
de  vouloir  qu'ils  dilTimulent  leurs  fenti- 
mens  &  qu'ils  cachent  leurs  paffions.  On 
ne  voit  prefque  point  d'Ecrivains ,  dit 
Mr.  de  Segrais  (i),  qui  ne  falîent  pa- 
roître  leur  humeur  &  leur  inclination 
particulière  dans  leurs  Ouvrages,  &  qui 
n'y  laifTent  quelques  traits  de  leur  ca- 
radere,  quelque  foin  qu'ils  puilTent  pren- 
dre de  les  déguifer.  C'elt  pourtant  ce 
qu'on  cherche  dans  Virgile",  &  c'cft  ce 
qu'on  n'y  trouve  pas,  parce  qu'il  a  gardé 
toujours  beaucoup  d'uniformité  dans  les 
beaux  exemples  qu'il  propofeàfesLedteurs 
en  toutes  rencontres.  Il  cft  aifé  de  juger 
qu'il  a  pris  à  tâche  de  ne  nous  faire  voir 
que  des  adîons  de  civilité,  de  probité,  de 
juftice  &  d'honnêteté ,  lorsqu'il  a  voulu 
nous  préfenter  quelque  exemple  à  fuivre, 
&  de  nous  infpirer  de  l'averfion  pour  le 
vice ,  lorfqu'il  s'eft  crû  obligé  de  parler 
des  défauts  ou  des  méchantes  adions  des 
autres.  De  forte  que  plufieurs  ont  avoué 
qu'ils  n'avoient  jamais  lu  cet  Ouvrage  fans 
y  avoir  trouvé  fujct  de  devenir  meilleurs, 
prétendant  que  fa  leélure  eft  aulTi  profita- 
ble que  les  préceptes  des  plus  fages  d'entre 
les  Philofophes. 

Oh 

I.  T.  R.  de  Segraîs ,  Préf.  nomb.  ij.  pag.  22.  2}. 
a,  J.  R.  de  Segrais  Préf,  nomb.  13.  pag.  22.13. 
l,  Louïs  ThomaiTm,  de  la  Mcthodc  d'étudier  8c 

d'en- 


Poètes    Latins.     167 

On  n'y  remarque  rien  quî  ne  témoi-  virgllr, 
gne  partir  d'un  efprit  très-bien  fait  &  très- 
noble,  d'un  homme  prudent  &  modéré, 
d'un  courage  libre,  ennemi  de  la  balle  fia- 
terie  &  de  la  fervitude,  d'un  cœur  tendre 
&  bon;  &  fur  tout  d'un  vrai  Pnilofophc 
qui  elt  fans  ollentation  ,  &  fans  atFeda- 
tion  (2). 

On  y  trouve  les  plus  beaux  fentimens 
que  la  Théologie  des  Platoniciens  &  la 
Morale  des  Stoïciens  ayent  jamais  pu 
infpirer  à  un  homme  vivant  hors  de  la  vé- 
ritable Religion.  C'eft  ce  que  le  P.  Tho- 
maffin  a  fait  voir  en  nous  montrant  la 
méthode  d'étudier  &  d'enfeigner  Chrétien- 
nement les  Poètes. 

Il  prétend  que  (3)  dans  le  premier  Li- 
vre de  l'Eneïde,  on  apprend  que  tout  ce 
qui  femble  ne  venir  que  des  eau  Ces  natu- 
relles, comme  les  vents,  les  tempêtes,  le 
calme,  eR:  pourtant  la  matière  du  gouver- 
nement &  de  la  diredion  des  Ange?  mar- 
qués par  les  Divinités  inférieures  à  Jupi- 
ter, fous  le  bon  plaifir  de  Dieu:  Et  que 
ce  qui  paroît  ne  venir  que  de  notre  volon- 
té libre,  comme  les  amitiés,  les  inimitiés, 
les  craintes,  les  confiances,  les  avcr'ions 
&  les  complaifances,  font  néanmoins  mé- 
nagées (4)  par  les  Anges  fous  les  or- 
dres &  pour  les  fins  de  la  Providence 
Divine. 

Dans 

dî'cnfcigner  Chr«<tîenneracnt  part.  i.  lirrc  i.chap.  14 
pag.  411.  4iz.  ôc  fuir. 

4.  ^.  11  faloic  dixc  :  efi  néanrMÎns  meriAi^^ 


i68    Poètes    Latins. 

Virgile.  Dans  le  fécond  on  voit,  félon  ce  mê- 
me Père,  que  tous  les  degrés  de  lumière 
&  de  fagelfe  nous  viennent  du  Ciel. 
Dans  le  troiliéme,  que  bien  que  Dieu 
foit  notre  guide ,  &  que  nous  arrivions 
enfin  au  lieu  où  il  nous  deftine ,  c'eft 
par  des  routes  bien  interrompues  &  biea 
tfaverfées,  afin  d'exercer  notre  patience 
&  notre  obcïlEnce. 

Dans  le  quatrième,  on  voit  la  naiflancc 
&  la  vidoire  d'une  paffion  violente.  On 
y  voit  les  déguifemens  &  les  artifices  dont 
on  ufe  pour  fe  tromper  ;  enfin  on  y  voit 
comme  on  a  recours  aux  facrifices  &  à 
la  Religion  ,  en  apparence  pour  guérir, 
mais  dans  le  fonds  pour  autorifer  fa  paf- 
fion, comme  les  plus  vertueux  &  les  plus 
attachés  aux  ordres  du  Ciel  s'endorment 
quelquefois,  &  ont  befoin  que  Dieu  les 
réveille  &  rompe  leurs  liens. 

Dans  le  cinquième,  on  voit  la  con- 
duite d'un  homme  de  bien  qui  joint  tou- 
jours des  facrifices  à  la  joie  &  aux  fa- 
ve  irs  qui  lui  arrivent,  &  qui  cherche  fa 
confolation  dans  la  prière  lorfqu'il  tom- 
be dans  quelque  difgrace  &  quelque  ad- 
verfité.  bans  le  fixiéme,  on  trouve  une 
Théologie   pleine    de    grands    fentimens 

pour 

I.  Chriftoph.  Land.  Alleg.  Piatonic.  in*i2.^neid. 
lib.  apud  Gallutium  ia  Oiatiene  tertia  de  Contcxtu 
Allegorico  Virgil. 

m.  Chriftophlc  Landin  a  répandu  Tes  allégories 
dans  fes  Commentaixeç  fui  les  Oeuvres  de  Virgile, 
fmpiimcs  avec  ceux  de  Servius  à  Venifc  in  4.  Tau 
i$iii^    11  a  de  plus  compofc  un  Ouvrage  imprimé 

in- fol. 


PoETKs    Latiîis.     i6^ 

pour  la  Divinité,  &  on  y  voit  auiïi  ceux  Virgile,, 
que  Virgile  avoit  pour  lajullice.  Les  au- 
tres Livres  de  TEneide  ne  font  pas  moins 
remplis  de  ces  fentimcns  de  Religion  & 
d'équité  naturelle ^  qu'on  peut  voir  dans 
les  Réflexions  du  Père  ThomafTin  ;  &  je 
veux  croire  ,  fans  trop  examiner  les  in- 
tentions de  Virgile,  qu'il  n'eft  difficile  de 
trouver  tous  ces  beaux  fentimens  dans  foa 
Poëtne,  qu'à  ceux  qui  auroient  la  malice 
d'y  chercher  autre  chofe. 

Mais  il  eft  bien  difficile  de  fe  perfna- 
der  fur  la  foi  de  Chrîftophie  Landin  (i)  ^ 
qu'il  n'y  a  pas  dans  tout  Virgile  un  feul 
endroit ,  pas  une  feule  penfée ,  pas  même 
un  feul  mot  qui  ne  renferme  de  grands  en- 
feignemens  &  les  plus  belles  maximes  de  la 
fageflc.  G'eû  ce  qu'il  a  tâché  de  faire  voir 
dans  un  Ouvrage  entier  que  Piflorius  a  pu- 
blic fous  le,  titre  d'AUegO'.ies  Platoniques 
fur  l'Eneïde.  Mais  le  P.  Gallucci  eftime 
avec  raifon  qu'il  a  perdu  fa  peine* 

$.7. 

Dufiyle  y  de  Vex^reffim  de  FirgrU,    ' 

Les  Critiques  ne  fe  contentent  pas  de 

dire 

infol.  \  Strasbourg  l'an  150J,  qui  a  pour  titre  D//?**- 
iatj'ones  Camaldulenfes  en  4.  livres  dont  les  deux  der- 
niers font  encore  remplis  de  Tes  allégories  fur  Vfr- 
gile.  Floridus  Sabinns  dans  fon  Apologie  contre  les 
calomniateurs  de  la  Langue  Latine,  &  1.  2.  de  fes 
LâUiortes  fuccifivd  c.  24.  Ta  touine' amplement  là-dcs- 
f«s  en  ridituie. 

Tom.IILPart.il.  H 


170     PoETKs    Latîws: 

Virgae.  dire  que  le  ftyle  de  Virgile  eft  magniâqu«, 
égal  à.  poli;  qu'il  a  de  la  pureté  &  de  l'é- 
ligaace;  qu'il  a  pri^  un  foin  particulier  de 
fuir  les  expreflàons  profaïque^;  que  fà  ver- 
fiôcation  e(l  nette,  tacile,  naïve,  éa  dou- 
ce daiîs  fa  plus  grande  pompe  ;  mais  ils 
prétendent  qu'il  poflede  ces  excellentes 
qualités  à  un  point  où  nul  autfe  a'a  janriais 
pu  atteindre  (i).  j    ;?  ^  ■ 

La  plupart  des  Aut^uis  anciens ,.  autant 
ceux  de  TEglife  que  les  Ecrivains  profa- 
nes, (e  font  eonteBtés  d'admirer  dans  Vir- 
gile cette  éloquence  Romaine,  dont  il  a 
?ic  conlidéré  comnie  le  Père  par  leî  uns, 
&  dont  les  autres  n'ont  pas  crû  pouvoir 
mieux  marquer  la  grandeur  ^qu'en  oubliant 
la  qualité  de  Poëte  pour  lui  donner  celle 
de  grand  Orateur  (z).  Mais  il  y  en  a  peu 
qui  en  ayent  parlé  avec  tant  d'étendue 
qu'x\ulu-Gelle ,  qui  n'en  a  pourtant  dit 
que  fort  peu  de  chofes  en  comparaifon  de 
Macrobe,  Ce  dernier  eltime  que  Virgile 
eft  le  plus  fort  &  le  plus  puillant  de  tous 
les  Orateurs  (3).  l\  dit  même  qu'il  y  a  des 
Auteurs  conlidérables  qui  prétendent  que 
ce  Poëte  a  pailé  Ciceron  dans  l'éloquence 
&  dans  l'artlûce  du  difcours.    Mais  ce  ju- 

;         ge- 

T.  J.  R.  de  Segr.  nomb.  14.  pag.  ij.  delà  Prc'f. 
far  la  Trad.  de  rEncid. 

X.  CJuiatilian.  InAicut.  Orator.  Ub.  lo.  cap.  i.  {e 
alibi. 

Au^r  Dialog.  de  corrupt.  X..  L.  Gvc  Quinriliaoi 
five  altcrius  fit  foetus.  Scuec;£  Pater  &  fii.  ôc  api^d 
SS.  Çatrés,  D.  Hîcronymus,  D.  Ayguftiuus  ,  Sec. 
quos  adfcrt  in  Oiatione  puma  de  Vùgilio  Tarq, 
Galluc, 


Poètes    L  a  r  i  k  S.      i^t 

gement  a  pafle  dans  la  pofterité  pour  le  virgU^ 
truit  de  la  tendreirc  de  quelques  Critiques 
palfiotinds  pour  Virgile.  Ces  Auteurs  (4), 
au  rapport  du  même  Macrobe  ,   difoient 
que  ce  Pocte  avoit  raflemblé  en  lui-même 
toutes   les   qualités  que  les  plus  célèbres 
Orateurs  avoient  comme  partagées  entre 
eux  ;  qu'il  a  Taboiidance  &  la  force  de  Ct- 
ccron,   la  breveté  de  Sallufte,  la  fobriet^ 
&  la  fermeté  de  Fronton  »   la  douceur  & 
les  orncmens  du  jeune  Pline  &  de  Sym- 
maque.   Mais  l'éloge  de  Virgile  ne  feroft 
point  accompli,  (i  ces  Auteurs  s'étoient 
contentés  de  dire  que  ce  Poète  avoit  ren- 
fermé dans  fon  Poème  tous  les  quatre  gen* 
tes  d'éloquence  qui  compofent  l'Art  Ora- 
toire,  &  qu'il  avoir  pofïèdé  toutes  les  ex- 
cellentes  qualités  des  plus  célèbres  Ora- 
teurs qui  ont  excellé  dans  quelqu'un  de 
Ces  genres     fans  ajouter  en  même  tems 
qu'il  n'avoit  point  eu  part  à  leurs  défauts. 
Âufli  le  méine  Macrobe  nous  tuit-il  alTés 
coniK)ître  que  c'étoit  fa  penfée;  de  forte 
qu'il  faudroit  dire,   félon  lui,  que  Virgile 
n*a  rien  des  emportemens  &  des  longueurs 
de  Ciceron ,   ni  rien  de  l'obfcurité  de  Sal- 
lufte,  ni  rien  de  la  féchereife  de  Fronton  ^ 

ni 

5.  Mactob.  Satutnal.  lib.  J,  tap.  i.  pag.  3;». 
jisr.  M. 

Vid.  &  Tarq.  Gallut.  Orationc  prima  de  Viriilii 
All^goria  pag.  zto.  211. 

IdemGallut.  ead.  Oiat.  pag.  ziS. 

4.   Eufèbc,  &c, 

f .  Cet  Eufcbc  -ft  un  des  peifQj>;'^a2çs  qu*iatroduit 
Macrobe  chins  ies  Sacuiuales, 

'Ai 


171      Poètes    Latine»        > 

Virgile.  ni  rien  enfin  de  la  mollelle  efféminée  (i)- 
&  des  fupcrfluités  de  Pline  &  de  Symma- 
que  (2).  C*eft  pourquoi  on  a  moins  lieti 
de  s'étonner  que  ce  même  x'\uteur  ait  crû 
'  que  Virgile  ne  peut  être  entendu  ni  expli- 
qué que  par  un  lavant  Orateur,  ou  par  un 
Critique  qui  fâche  non  feulement  la  Gram- 
maire, mais  auffi  l'Art  Oratoire;  &  qu'il 
ait  jugé  que  cela  ne  fuffit  pas  encore,  à 
moins  qu'on  ne  foit  extrêmement  péné- 
trant pour  pouvoir  découvrir  toutes  les 
profondeurs  de  la  Philofophie  &  de  la  Sa« 
gefTe  humaine  qu'il  y  a  renfermée. 

V^oilà  ce  que  les  anciens  Critiques  qnt 
dit  de  plus  important  fur  le  ftyle  de  Virgi- 
le. Les  Modernes  n'en  ont  pas  jugé  moins 
avantageufement.  Jules  Scaliger  qui  s'eit 
fait  une  efpéce  de  néceffjté  &  un  mérite 
de  nous  montrer  que  tout  eft  admirable 
dans  Virgile,  a  voulu  nous  faire  admirer 
la  force  &  l'énergie  de  fon  ftyîe,  qu'il  ap- 
pelle une  efficace  qui  emporte  fon  Lecteur 
par  tout  où  il  plaît  au  Poé:e,   &  qui  lui 
rend    toutes    chofes    préfentes    &   fenfi- 
bles  (3).  C'eft  auffi  le  jugement  qu'en  a 
fait  Mr.  Borrichius  (4),  lorfiqu'il  a  dit  que 
le  principal  talent  de  Virgile  confiée  à 
employer  des  espreffions  qui  égalent  les 
chofes  qu'il  repréfcnte,  &  à  faire  de  véri- 
tables 


1.  %.  Reconnoit-on  bien  dans  cette  milcj^e  effémi- 
née, ?c  dans  ces  Cuperfiuire's  \c  pi?ijiMe  cr  fiortdum  qu'at- 
tribue Macrobe  à  ces  deux  Auteurs? 

2,  Ce  Symmaque  ctoit  contemporain  de  Maciobe. 
2.  Jul.  Sciligei  Poëtic.  iib.  i,  icu  Idex  cap.  26.  de 


Poètes    Latins.       17^ 

tables  Spectateurs,  pour  le  direainfî,  de  Virgile, 
Tes  Leéleurs  qui  s'imaginent  s'<!:tre  trouvés 
en  per(onne  à  tous  les  événemcns  dont  ils 
ne  voient  pourtant  que  la  peinture.  Et  voi- 
là le  point  de  cette  pcfedion  auquel  tous 
les  autres  Poètes  n'ont  point  encore  pu- 
parvenir  au  fentiment  du  même  Critique. 
C'eft  dans  la  même  penfée  que  le  Père 
Rapin  prétend  que  les  paroles  de  Virgile 
font  des  chofes  (5),  que  les  difcours  mê- 
me de  rendrelîe  &  de  paffion  qui  portent 
par  tout  ailleurs  un  cara6tere  de  légèreté, 
n^'ont  rien  dans  le  Poëme  de  l'Erieide  qui 
foit  vain,  rien  qui  foit  chimérique,  maLs 
que  tout  y  dl  fondé.  Le  même  Critique 
pour  nous  faire  mieux  confidcrer  le  prix 
du  ftyle  &  de  l'exprelTion  de  Virgile,  nous 
avoit  déjà  fait  connoître  quMl  n'y  a  rien 
qui  n'y  foit  nécelîàire.  Il  pafle  ,  dit-i), 
légèrement  fur  Tes  matières  comme  un 
voyageur  prefiTé,  fans  s'y  arrêter.  11  coupe 
&  il  tranche  généreufement  tous-  les  dis- 
cours fupertîus  pour  ne  retenir  précilement 
que  les  nécelfaires.  C'eli  en  quoi  conHile 
l'excellence  d'un  Ouvrage  qui  n'eil  jamais 
plus  parfait  que  lorfqu'on  n'y  peut  rien 
retrancher  :  Et  c'efl  auffi  dans  cetre  cir- 
confpe6lion  &  dans  cette  admirable  rete- 
nue que  confiile  le  mérite  de  l'expreirion 

efficacia  pag.  294  29;.  &  feqq. 

4.  Olaiis  liomchius  Diflenation.de  Poët.Lat  pa^. 
48.  49. 

5.  Ren.   Rapin  ,    Conipar.    d'Homère    8c    ViigiLc 
«l^ap.  13.  p^g.  jo.jgc  chap.  II.  pag.  41.  4a, 

H  3 


i7f     PoetesLatihs. 
Vi/fHe.      &  dû  ftyle  de  Virgile  ,  ea  quoi  ce  Père  efl 
entièrement   d'accord    avec  Jules   Scali- 
gcr  (i). 

Mr.  de  Segrais  juge  (2)  qu'il  a  parfaite- 
ment allié  deux  qualitcs  qu'il  efl  très-rare 
de  rencontrer  enfemble,  c'ell  la  clarté  &l 
la  breveté  qu'il  eu  ton  difficile  de  trouver 
inféparables  dans  aucun  autre  Poète  ,  & 
dans  Homère- même.  Car  eifedivement  il 
n'y  a  point  de  beauté  dans  l'Iliade  ou  dans 
l'Odyiîée  qui  ne  foient  dans  les  douze 
Livres  de  l'Eneïde,  quoique  ces  deux  Poè- 
mes foient  de  vingt-quatre  Livres  chacun. 
Jl  en  a  touché  les  plus  belles  defcripiions  ^ 
les  plus  riches  comparaifons  ,  &  perfec- 
tionné les  inventions  les  plus  heureufes. 
Outre  cela  il  a  compris  toute  l'Antiquité 
de  l'Italie,  toute  la  Religion  &  routes  les 
Mœurs  des  Anciens,  il  n'a  oublié  aucun 
des  grands  Perfonnages  de  l'Hilloire  Ro- 
maine, ni  aucun  de  leurs  plus  célèbres, 
exploits;  &  les  louanges  de  fou  Prince  f 
font  11  amplement  touchées,  qu'il  cil  im- 
poflible  de  comprendre  comme  il  a  pu  ra-» 
maflfer  tant  de  richelfes,  &  renfermer  ua 
il  vallc  fujct  en  moins  de  dix  mille  vers. 
Cette  précipitation  &  cette  impatience 
qu'il  fait  paroîtrc  pour  arriver  à  la  fin,  ofti 
une  des  plus  grandes  marques  d'un  efprit 
profondément  favant,  parce  que  les  plus 

grands 

1.  Jul.  Cxf.  Scaliger  Poêtîccs  !ib.  j.  cap.  1. 

X.  J.  R..  de  Segiiiis  uombxc  il.  ôc  il.  pag.  tt» 

j.  Gcraxd.  Joaa,  Vollius  Inâicstion.  Foct.  lib.  %. 


Pdetf.  s    Latins.       tff 

l^rands  hommes  font  ordinairement  ceux  virgîlc; 
qui  aiment  moins-  à  parler,  Ôi  qu'il  n*y  a 
point  au  contraire  de  plus  grands  parleurs 
<^ue  les  Dcmi-Savaiiî^  ,  qui  appréhendent 
toujours  de  perdre  roccaHon  de  dire  ce 
peu  quMls  faveur. 

Ce  défaut,  dit  le  même  Auteur,  ne  fe 
trouve  point  dans  Virgile;  il  ci\  û  afifuré 
die  fa  richelfe  ;  que  ne  difant  que  peu  de 
chofes  ,  il  ne  craint  point  de  palfer  pour 
ftérile,  parce  qu'il  n'oublie  rien  de  ce  qu'il 
■y  a  de  principal  &  de  plus  beau  fur  chaque 
iujer.  Il  fe  contente  feulement,  dit  Vos- 
fius(3),  d'employer  des  termes  grands  & 
nobles,  lorfqu'il  veut  relever  une  matière 
qui  eft  baife  d'elle-même. 

Il  faut  avouer  néanmoins  qu'il  fe  trouve 
àe$  chofes  qu'il  a  touchées  deux  fois  par 
îa  néceffitc  de  fon  récit,  mais  c'cll  d'une 
Bwnicre  û  ditférettte  qu'on  ne  peut  pas  rai- 
fonnablcmcnt  l'accufer  pour  cela  d'avoir 
éit  deux  fois  la  même  chofe.  11  fait  ré- 
gner fa  difcrétion  par  tout,  éc  il  évite  fot- 
gneufcment  tout  ccquipourroit  troubler  le 
plailîr  de  fon  Leéleur.  On  peut  dire  qu'il 
n'y  a  point  un  vers  qui  ne  foit  un  eftet  de 
fon  jugement  exquis;  &  parmi  ce  beau  feu 
qui  l'emporte,  on  ne  peut  pas  dire  que  la 
régie  <5t  lajullclle  l'ayem  januis  abandon» 
ne  (4). 

Je 

f*g.  H,  Vid.  8c  lib.  I.  cjufd.  Operit  ftg.  s.  |.  &  aJibi 
palTîm. 

%  VofEos  oc  dit  iica  de  tel  dans  les  csdioiti 

cires. 
4.  Scgrais  tu  lieu  zappoitc. 

H  4 


iy6      Poètes    Latins. 

yirgilc.  Je  n'aurois  pas  omis  en  cet  endroit  le 

fcntiment  de  Mr.de  Chanterefne  touchant 
la  beauté  de  rexpreffion  de  Virgile ,  li  je  ne 
l'avois  déjà  rapporté  parmi  les  jugemens 
jqu'on  a  faits  fur  Terencc,  à  caufe  qu'il  y 
a  joint  ces  deux  Auteurs  enfembie,  &  j'ai- 
me mieux  prier  le  Ledeur  de  vouloir  le 
chercher  en  cet  endroit  plutôt  que  de  le  ré- 
peter ici.  Mais  j'aurois  bien  plus  de  fujet 
d'omettre  le  jugement  que  Viélorius  a  fait 
du  ftyle  du  Pocte,  Ci  cet  Auteur  n'avoit 
acquis  de  fon  tems  la  réputation  d'être  le 
premier  des  Critiques  de  l'Italie.  Ce  Cen- 
ieur  accufe  Virgile  de  prendre  des  mots  les 
uns  pour  les  autres,  &  d'être  moins  pur  & 
moins  Latin  que  Lucrèce  (i).  C'ed  aller, 
ce  me  femble,  contre  la  prefcriptîon  de 
dix-fcpt  cens  ans,  durant  lefqucls  on  peut 
dire  que  le  ftyle  de  Virgile  a  toujours  pos- 
fedé  la  même  gloire  qu'on  lui  donne  au- 
jourd'hui. 

Au  RESTE , quoiqu'il  n'y  ait  rien  dans 
Virgile  qui  ne  foit  excellent ,  il  femble 
pourtant  que  ceux  qui  feroient  obligés  de 
faire  un  choix  entre  les  douze  Livres  de  cet 
admirable  Poëme ,  pourroient  préférer  le 
premier  ,  le  quatrième ,  &  le  lîxiéme  aux 
neuf  autres.  Le  premier  (2)  eft  le  plus  tra- 
jraillé  &.  le  plus  achevé  pour  lavcrfifica- 

tion , 

T.  Petr.  Vid^oriiis  Commentât,  in  Ariftor.  &  Bal- 
zac, Oeuvres  diverfes  pag.  266.  cdir.  d'HoIUnde. 

^.  C'cft  ce  qu'il  a  déjà  marque  ci-deffus  article 
1140 

*    z.  Segr.  pag.  41.  de  Tes  Remarques  furlcptcmîe* 
livre  de  Tliiiéïdc, 


Poètes    Latins.       177 

I    tîon,  &  il  n'y  en  a  point  de  plus  châtié  :  le  virjtle. 

I  .Quatrième  contient  la  matière  laplus  agre'a- 
bic;  &  le  lixicme  elt  le  plus  doae..  En  ef- 
fet on  tient  que  Virgile  montroit  ces  trois 
Livres  plus  volontiers  que  les  autres:  le 
^uatric'me  coirme  celui  qui  pouvoit  plaire 
davantage  aux  Perfonnes  de  la  Cour,&  fe 
*fîxiémc  comme  celui  où  la  NoblelFe  Ro- 
maine étoit  la  plus  intereflee,  furquoi  on 
peut  voir  Mr.  de  Segrais  dans  fes  remar- 
ques fur  l'Eneïde. 

Virgile  au  rapport  de  Macrobe  (3),  a 
-pris  le  fécond  Livre  de  fon  Poème  d'uu 
ancien  Poète  nommé  Pifandre,  qu*il  n'a 
prcfque  fait  que  tranfcrire  de  fuite.  L'on 
prétend  aufîi  qu'il  a  pris  le  quatrième  pres- 
que entier  du  Poëme  des  Argonautes ,  fait 
par  Apollonius  de  Rhode  ,  qu'il  n'a  fait 
que  changer  les  amours  deMedcc  pour  Ja- 
fon ,  en  ceux  de  Didon  pour  Enée  (4); 
mais  il  a  tellement  annobli  les  vers  de  fa 
traduélion  ,  que  cette  copie  efl  beaucoup 
au  deiïus  de  fon  original. 

Scaliger  le  Père  prétend  néanmoins  CO 
qu'il  n'y  a  rien  de  plus  faux  ni  même  de 
plus  mal  fondé  que  cette  opinion  qu'on  a 
eue  du  quatrième  de  l'Enéide.  .  Il  n'a  pu 
s'empêcher   même  de  dire  des  injures  à 

ceux  qui  l'ont  débitée,  &  il  a  prétendu  fai- 
re 

3.  Macrob,  lib,  ç.  Saturnal.  cap.  2. 

Item  ex  eo  Voflius  lib.  i.  Inûitut,  Poëtic.  cap.  7. 
faragr.  3.  pag.  62. 

4.  GallutiiOration.  de  Virgil.  iEneïd.  VofT  Inff. 
Toët.  &  alii  paffim.  Item  Comment,  in  Apolloa. 
Argonautic.  &c.  ' 

5.  Jùi.  SculJgci  lib.  j.  Pocticcs  cap.  6.  f  ag.  6J.7. 

H  S 


178  PoetesLatiss. 
Tixgilc  xt  voir  par  la  confrontation  des  endroits  des 
deux  Poètes  ,  qui  femblent  avoir  quelque 
rapport  qu'il  n'y  a  rien  de  femblable  ,  ni 
dans  l'exprcflion  ni  dans  la  difpofition ,  ni 
même  dans  la  matière ,  fi  ce  n'eft  que  Di- 
don  reçut  Enée  comme  Mcdce  avoit  rcç\i 
Jafon. 

Les  autres  Livres  font  pris  ou  imités 
d'Homère  pour  la  plupart,  comme  on  le 
peut  voir  dans  le  même  Macrobe  ,  qui  a 
employé  une  grande  partie  de  fes  Saturna- 
les à  nous  en  donner  des  preuves  &  des 
é^xemples  (i).  Il  y  a  même  des  Critiques, 
<\xi\  fans  avoir  égard  aux  obligations  que 
Virgile  avoît  à  Pifandrc  &  à  Apollonius, 
ont  dit  que  les  fix  premiers  Livres  derEneï- 
de  font  imités  de  l'OdyfTée,  &  que  les  fix 
derniers  le  font  de  l'Iliade  (2).  C'eft  ce 
qui  nous  donne  occafion  de  finir  par  une 
comparaifon  fuccinde  de  ces  deux  Poè- 
tes. 

§.  8. 

jthrfgé  de  la  Covnparaifon  que  les  Crtt'tqmes 
ont  coutttme  de  faire  entre  Homère  ^ 
Virgile, 

Quoique  la  plupart  des  Auteurs  qui  ont 

écrit  de  TArt  Poétique  ,  ou  qui  ont  tra- 
vail- 

î.  Macrob,  totîs  quatuor  vel  quinquc  libiis  intci 
Satuinal. 

2.  CâroU  de  la  ^uc  in  Fiolcg.  ad  w£neid.  Virgil« 
f  «il  Gcorgic. 

i.  Com* 


Poètes    Latins.      r;^ 

vaille  fur  les  Poètes,  ayent  eu  foin  de  fai-  Virgile, 
.re  le  parallèle  d'Homerc  &  de  Virgile,  on 
peut  dire  qu*il  n'y  en  a  point  parmi  les  An- 
ciens qui  ayent  eu  tant  de  diflindion  que 
Macrobe,  ni  parmi  les  Modernes  qui  mé- 
ritent tant  d'être conlidercs, que  Jules Sca- 
liger ,  Fulvius  Urfinus  ou  Oriini ,  Paul 
Béni,  le  P.leBoflu  le  Chanoine  Régulier, 
&  le  P.  Rapin  Jéfuîte. 

Ce  dernier  dit  (3)  que  Macrobe,  Scalî- 
gcr  &  Urfinus ,  n'ont  examiné  les  Ou- 
vrages de  ces  deux  Poètes  qu'en  Grammai- 
riens pour  faire  leur  comparaifon ,  &  qu'ils 
n'en  ont  pas  bien  jugé,  parce  qu'ils  ne  fe 
font  arrêtes  iimpkment  qu'à  l'extérieur  & 
à  la  fuperficie  des  chofes,  (ans  fe  donner 
la  peine  d'en  pénétrer  le  fonds;  &  que  ce 
défaut,  qui  eft  afles  général  dans  les  Criti- 
ques ,  a  empêché  prefque  tous  les  Savans 
d'en  porter  un  jugement  qui  foit  fain  (i 
folide. 

Pour  ce  qui  efl  de  l'Ouvrage  de  Paul  Bé- 
ni, il  paroît  affés  qu'il  n'a  fait  la  compa- 
raifon d'Homère  &  de  Virgile,  que  pour 
mettre  le  Tafle  en  parallèle  avec  eux  (4). 
Mais  cet  Auteur  a  été  fouvent  contredit 
dans  fes  fentimens  par  divers  autres  Cri- 
tiques de  fon  Pays  (5-). 

On  peut  dire  que  tout  le  beau  Traité 
du  P.  le  Boilù  fur  le  Poème  Epique , 

n'cll 

3.  Compar.  d'Hom.  &  Virgil.  pag.  ti.  ch«p.  a. 

4.  1|.   Voyés  l'article  icéj. 

j,  Vid.  Aujjuftin.  Mafcard.  in  lib.  de  Art.  Hift^. 
Vid  8c  nonnulli  Acadcm.  ddla  Crulca,  ôc  J.  îh. 
Tbomaffin,  clog. 

H  6 


iSo     Poètes    Lattks. 

Viiéile.       n'eft  prefque   qu'une  comparaiToil  perpe» 
tueile,  qui  confiflc  dans  une  fuite  de  ré- 
flexions judicîeufes   qu'il  a   faites  fur  les 
Ouvrages  de  l'un  &  de  l'autre-,  pour  en 
'former  des   maximes   qui  peuvent   pafler 
'pour  les  véritables  règles  de  l'Art. 

Mais  perfonne  n'a  écrit  plus  régulière- 
ment ni  parlé  plus  jufte  fur  cette  matiè- 
re que  le  P.  .Rapin  ,  qui  efl  peut-être  le 
"feu?  qui  ait  fait   un   fyftême    achevé  de 
cette  comparaifon  dans   le  Traité  qui  en 
porte  le  titre.     Ainfi  j'ai  crû  ne  pouvoir 
rien  faire  de  plus   conforme  à  mon  des- 
fein  ,  ni  rien  de  plus  agréable  au  Public 
que  de  tirer  de  cet  Auteur  &  du  P.  le 
'  BoiTu   la  meilleure  partie  de  ce  que  j'ai 
à  rapporter  fur  ce  fujet ,   en  y  joignant 
■  auffi  quelques-uns  des  fentimcns  que  j'ai 
'  pu  trouver   dans   quelques  autres   Criti- 
-ques.  -    -    - 

,  Le  Père  Rapin  dit  donc  premièrement, 
■que  la  préoccupation  pour  Homère  a  é- 
'blouï  tous  ceux  qui  ont  prétendu  à  Ta 
"gloire  d'être  favans  ;  que  ceux  qui  affec- 
•  tent  la  réputation  d'être  dodes  croyent 
"s'attirer  de  la  confidération  &  fe  faire 
honRCUf  en  prenant  le  parti  d'Homère, 


1.  R.  KipÎH  chap.  2.  pag.  II. 'ut  fupra.    • 

2.  Gafp.  fiaithius  Advemiioi.  lib.  32.  cap. '^.  col. 
147».  1479. 

:3'  f.  P.  Nicole. 

.4.  Deleâ.  Epigrammat.  Latin,  l.tf.  pag.  32p.apQ<i 
Carol.  Sàvicux. 

S'  %:  La  première  de  ces  deux  Epigiaramcs  cft 
xappoitec  fous  le  nom  d'Alciinus>  la  iecoiide  fous 

célu 


Poètes    Latins.      i8r 

&  en  lui  donnant  l'avantage  fur  Virgile,  Virgile; 
parce  que  cela  femblc  avoir  un  air  plus 
capable;  &  qu'en  effet  comme  il  faut  une 
plus  profonde  érudition  pour  juger  d'Ho- 
niere  que  pour  juger  de  Virgile,  on  pen- 
fe  le  dirtinguer  beaucoup  du  commun,  en 
préférant  le  premier  au  fécond  (i). 

Je  penfe  néanmoins  que  ce  Père  n'a 
'Voulii  parler  que  des  Critiques  modernes; 
car,  félon  le  Icntiment  de  Rirthius  (2)  & 
ë'un  Ecrivain  (3)  anonyme  de  Port-Royal 
(4),  les  Anciens  fans  atfeétcr  trop  d'érudi- 
tion ,  étoîent  comme  accoutumés  à  préfé- 
rer Homère  à  Virgile.  C'eft  ce  qui  paroît 
par  deux  Epigrammes  attribuées  à  Alci- 
noiis  (5-),  &  dont  je  n'aurois  pas  ofé  em- 
ployer l'autorité,  fi  ces  Anciens  ne  s'en 
ctoient  fervis  comme  d'une  régie  pour  for- 
mer ou  pour  appuyer  leur  jugement.  Dans 
la  première  de  ces  Epigrammes  on  préten- 
doit  (6)  nous  perfuader  qu'il  n'étoît  pas 
polTiblc  de  voir  naître  perfonne  qui  pût 
égaler  ou  imiter  Homère,  comme  on  n'a- 
Toit  vu  avant  lui  naître  perfonne  qui  eût 
pu  lui  fervir  de  Modèle.  Mais  quand  il 
feroit  vrai  qu'Homère  n'eût  eu  perfonne  à 
fuivre,  ce  qui  n'ell  pas ,  ce  feroit  toujours 

une 


celui  d'Aîcînoiîs,  Elles  font  apparemment  l'une  8c 
l'autre  d'un  feul  8c  même  Auteur, foit  Alcimus,foit 
Alcinotis.     J'opterois  Alcimus. 

€.  Cette  Ëpigr&iame  feciouve  dans  divezsE.CCUCiIj| 
en  ces  termes. 

Msoni»  Vati  (fui  fur  dut  proximus  tjfet , 
Confultns  P^tAn  rijît ,  ij  héc  cecintt  : 


Si  patmt  nafci  ^uem  tu  fcejuerertt ,  Homtr»^ 
îiâfcttitr  qui  te  p'Jît,   Homère ,  fe^tti, 

H  7 


tSi  Poètes  L  a  t  in  s. 
Virgile  une  faufic  fubtilité  de  conclure  de  là  qu'il 
ne  pourroic  eue  fuivi  ni  être  égalé  de  pef 
fonne  dans  la  fuite  des  fiécles.  Gomnrve  fi 
la  Nature  écoit  moins  capable  de  produire 
des  merveilles  dans  la  vigueur  &  les  pro- 
grès du  Genre  humain,  que  dans  fes  com- 
mencemens ,  où  Ton  aura  toujours  fujet 
<te  compter  Homère  par  rapport  à  la  du- 
rée  qu'il  plaitu  à  Dieu  de  donner  au 
Monde. 

L'autre  Epîgramme  nous  fîiît  connoître 
(i)  qu'on  donnoit  au  moins  le  fécond 
rang  à  Virgile,  de  telle  forte  néanmoins 
qu'on  le  confidcroit  comme  étant  fort 
près  d'Homère,  &  dans  une  grande  dîflan» 
ce  au  deffus  de  tous  ]es  autres  Poètes, 
c'eft-à-dire  que  ce  fécond  rang  n'étoit 
point  dans  le  jufte  milieu  du  premier  &  du 
iroilîéme;  mais  tout  proche  de  l'un  &fort 
loin  de  l'autre  ;  n'y  ayant  pas  un  Poète  qui 
pût  fe  vanter  d'être  auffi  près  de  Virgile  que 
celui-ci  l'étoii  d'Homère.  C'eft  auffi  dans 
le  même  fcntiment  &  dans  les  mêmes  ter- 
mes que  Domitius  Afer  répondit  à  Quinte 

lien, 

1.  Biins  Its  Trolegoménes  des  éditions  deViigilC» 
ti  dans  les  autres  Recueils. 

Dt  numiro  Varum  fi  cjuis  feponat  Homerum, 
Proximus  à  primo  tum  Maro  primns  erit. 

I,t  Jl  pojt  prtruum  Maro  fiporiAtur  HomerurOy  ^ 

Ltnji^è  erh  k  primo  (jm'ejHe  ftcmndus  erit. 

2.  Qiiiniilia'i.  Inftitution.  Orator.  lib.  le.  csp.  T. 

3.  Jul.  Cxf.  Scaliger  Poctices  non  uno  in  loco; 
Auftor  aiion.  DclciSt  Epigramm.  K.  Rap.  R.  le  Uos- 
fu,   P.  Mambr.  Taïq.  Gallut.  &c. 

4.  %  Properce  étant  Poëte  £légiaque  de  profcs- 
flon  n'avoit  pas  lieu  natuiclkment  d*ëue  jaloux  dt 
Virgile  i'dète  Epique, 


I 


Poètes    Latins.      1S3 
lien, qui  étant  encore  jeune  avoit  en  la  eu-  vii^Uv 
rîofité  de  le  confulter  fur  ce  fujet,  com- 
me il  nous  l'apprend  lui-m^mc  dans  fcs  £• 
crits  (i). 

Mais  Scaliger  le  Père  (3)  fuîvî  de  la  ban- 
de prefque  entière  de  nos  Critiques  n*a 
point  fait  difficulté  de  fe  récrier  contre  le 
jugement  de  tous  ces  Anciens,  &  de  le 
faire  pafTer  pour  Tefîet  de  leur  mauvais 
goût.  Il  faut  excepter  Properce  do  nom- 
bre de  ces  Anciens,  puifque  malgré  laja» 
Joufie  (4)  qu*il  devoit  avoir  de  la  réputa- 
tion de  Virgile,  ou  fl  l'on  veut,  par  un 
mouvement  de  flaierîe  pour  le  Prince  plu- 
tôt que  pour  le  Poète,  il  n'a  pu  s'empê- 
cher de  dire  en  parlant  de  TÉBeide  (j), 
qu'il  voyoit  paroitre  je  ne  fat  quoi  de  plus 
grand  que  r Iliade*  Il  eft  donc  jufte  de  re« 
lirer  auffi  de  la  bande  de  ces  Modernes  qui 
ont  fuivi  Scaliger,  Carvilius  ou  celui  qui 
a  pris  ce  nom  pour  décharger  fon  chagrin 
contre  Virgile (6), Ca(lelvetro,& quelques 
autres  Critiques  mal  intentionnés  ,  contre 
kfquels  Guillaume  Modieu  en  France  (7), 

<Sc 

5.  Propeitius  elegiar.  lih.  z.  cleg.  uhimapag.  200^ 
M.  poft  médium. 

w^(?f<«  Virgiltum  cttflodit  littoru  Phœbi ^ 

C*f*ris  &  forte}  dictre  pojfe  rates, 
Ce.iite  T{omani  Scriptorety  crdite  GrHi'if 

Nefci»  cjHid  wajus  ni*fiiiHr  liiade. 
«.  f.  Ce  Carvilius,  quel  qu'il  foit ,  avoit  pris  ec 
nom,  pur  rapport  au  Peintre  Carbilius  ,  Auteur  da 
Livic  intitulé,  comme  il  eft  dit  dans  la  Vie  de  Vii- 

gilc,    ty£fHidomixjlix. 

7.  %.  Guilîiume  Modieu  ,  quoique  François»  eft 
moins  connu  en  fiance»  <jue  Tai^uLuio  Galliicci» 
quoi  (ju'ltâliea. 


1S4      Poètes    Latins. 
Vifgilc      &  Tarquin  Gallucci  en  Italie  ont  tâché  de 
foutenir  la  caufe  de  Virgile. 

I.  Comparaifon  de  leur  âejjein^ 

ON  ne  peut  point  refufer  à  Homère  la 
gloire  de  Tinvention  au  delTus  de 
Virgile,  ni  celle  d'avoir  été  fon  modèle 
pour  le  de/Tein  &  l'exécution  du  Poëmede 
î'Enéïde.  Mais  d'un  autre  côté  Scaliger 
dit  (i)  que  Virgile  a  fur  Homère  celle  d'a- 
voir poli  la  matière  que  l'autre  avoit  trou- 
vée ,  &  de  l'avoir  portée  à  fa  perfedion , 
non  pas  en  ajoutant  quelque  chofe  à  Ho- 
mère ,  ou  en  lui  donnant  des  ornemens  ; 
mais  ce  quiefi:  (îngulier,cn  lui  retranchant 
toutes  fes  fupcrfluités ,  &  en  le  renfermant 
dans  des  bornes  raifonnables  ,  en  donnant 
à  fon  Enéide  tout  le  Cara6lére  Militaire  de 
l'Iliade,  &  tout  le  Caradére  Politique  de 
l'Odyflee, 

C'a  été  auflî  îa  penfec  de  Daniel  Heîn- 
fius  qui  dit  (2)  que  Virgile  a  fait  paroître 
beaucoup  de  jugement  &  beaucoup  de  bon 
fens  dans  l'ufage  qu'il  a  fait  des  Ouvrages 
d'Homère  ,  lorfqu'il  les  a  réduits  en  mé-  » 
thode,  &  qu'il  en  a  rejette  ce  qui  ne  poa-?  "^ 
voit  point  être  au  goût  ni  à  la  portée  de 
fon  ilécle.  Hein- 


^  T.  Jul.  Scaliger  Poctic.  lib.  j.  cap.  2.  &  alibi  c- 
tîam  non  femcl. 

z.  Dan.  Hcinfius  Epiôol.  ad  Blycmburg.  dcdicat, 
Operum  Ovidii. 

3.   Ç.    Extat  in   Cataica,   Virgil,  in   hune  m»? 
éum. 
*  Msttnium  quifyms  %oménHi  nefcit  Htmcr/tm^ 


I 


Poètes    Latins.     iS; 

Heinfias  ni  Scalîger  n'ont  point  été  les  Virgile, 
premiers   de  ce   fentiincnt,    &  il  paroît 
qu'ils  ont  voulu  fuivre  celui  d'un  ancien 
Poète  inconnu  ,   qui  fait  parler   Virgile 
dans  une  Epigramme  qui  s'eft  confervée, 
&  qui  lui  fait  dire  entre  autres  chofes  (3) 
qu'un  homme  qui  ignorcroit  ce  qu'a  fa't 
Homère;  n'auroit  qu'à  lire  rEnéïde,&  fc 
perfuader  qu'il  auroit  lu  toiue  l'Iliade  & 
l'OdylTée  entière;  que  le  fonds  d'Homère 
e(l  une  vafte  campagne  qu'il  n'a  fait   que 
parcourir,  au  lieu  que  le  lien  n'eft  qu'un 
petit  champ,  mais  fort  bien  cultivé, 
r  'C'cft  ce  qui  a  porté  les  défenfeurs  de 
Virgile  à  compter  cette  aélion  parmi  les 
autres  avantages  qu'il  a  fur  Homère  (4), 
parce  qu'il  a  eu  l'adrefTe  de  Joindre  enfem- 
ble  tout  ce  qu'Homère  avoir  féparé  &  ré- 
pandu dans  fes  deux  Poèmes,  &  qu'il  a 
fait  de  fonEnée  un  abrégé  de  tout  ce  qu'il 
y  a  de  louable  dans  rx\chille  de  l'Iliade,  & 
i'Ulyfle  de  l'OdyfTée,  &  de  tout  ce  qu'il 
a  remarqué  de  bon  dans  la  plupart  des 
grands  hommes  qui  avoient  paru  dans  le 
monde  jufqu'au  tems  d'Augufte. 
-    Il  eft  vrai,  dit  le  P.  Thomaffin  (5-),  que 
Virgile  a  imite  Homère  &  l'a  fuivi  de  près, 
mais  l'efpace  d'environ  mille  ans  qui  fe 
Z'      -  ■  font 

,.       Mt  îei,fiti  &  lefîtim  trtJdt  utrumant  ^t\ 

J    Jl.ms  imminjos  miratur  Cr^ciu  campoSj 

^Ât  miner  tfc  ncbis ,   ftd  iene  culttts  a^er, 

4.  Gallut.  in  Orat.  3.  de  Viigil.  Allegor.  pag.  244. 
çoft.  Vindic  Virg. 

5.  Louis  Thomiifllîn  de  la  Méthode  d'ctudier  & 
d'ecfeigncr  Cinetiennement  les  Poètes  livic  2.  pi«- 
Muexc  paitic  chap.  7.  pag.  mi.  uonibx.  i. 


rSd      Poètes    L  a  r  *  h  ^^ 

Virple.  fonc  écoulas  entre  ces  dcuî  Poètes,  avoft 
apporté  de  grands  changemens ,  non  feu- 
kment  daa-s  la  police  des  Etats  ;  mais  aufli 
dans  la  culture  des  erprits ,  à.  dans  la  poli- 
ttfk  des  Mœurs^  Les  Dieas  à.  les  Hiros 
d'Honvepe  tenoient  eiicoFC  de  cette  humeur 
fauvage&  preftiuebruialedes-ficclesoùil  vi- 
yoît.  Virgi  le  nu  contraire  fe  rencontra  dans 
Je  (ie'cie  leplvis  poli  &  le  plus  éclairé  de  la 
Geiuilitc.  La  Philofi>ph:e  des  Stoïciens  a* 
voit  éloigné,  non  pas  des  Temples  &  des. 
Théâircs,  mais  de  la  plupart  des  plus  beaux 
cfprits  les  illiUîonsdesfauires  Divinités  relie 
«voit  fait  connoître,  au  moins  confufêmeit^ 
le  véritable  Dieu,  &  elle  avoit  donné  deS- 
idées  aflés  jurtes  des  vices  &  des  vertus.. 
^Virgile  étoit  fort  verfé  dans  les  (èntimens* 
de  ces  Phirofophes,il  li'étoit  donc  pas  pos- 
fiSlc  que  fon  Foëme  n'eût  quelques  beau- 
^s  qui  matiquent  à  ceux  d^Homerc. 

Il  faut  remarquer  auffi,  comme  a  fait 
te  P.  le  Bo/d  (i),  que  Virgjie  étoit  beau- 
coup  plus  gêné  qu'Homcre,  parce  que  les 
Romains  n'avoient  pas  cet  uiùge  de  fable» 
&  d^^allegories  qui  étoient  en.  vogue  da 
tems  de  ces  Anciens  ,  &  qui  leur  fer- 
voient  à  couvrir  toutes  les  inflrudlons 
ja*îls  vouloient  donner  aux  Peuples.  Aiii- 
U  Virgile  voulant  renfermer  les  fiennes 
fous  des  allégories,  n*ia  p»l  £e  contenter 
d'un  eucfieuf    aufli   fimpie  qu^eft  celui 

d'Ho- 


?.' 


'  T.  Xtné  le  Boflu,  Tuîtéda  fa'êmc  Epique  chdf» 
tt.  &  dein.  du  f.  livie  pag.  \is.  izi. 

;  2.  Kctic  &afiB«,  Coœp.  d*H.onicK  U.  Vîi^ilepa{« 
l"i.  chip,  z. 


PoiTis    Latiws,      1S7 

d^Homere  qui  choque  trop  ceux  qui  ne  le  Virgile. 
pénétrent  pas ,  &  ceux  qui  ignorent  qu'il 
a  parlé  par  figures.  Il  a  donc  tellement 
compofé  Ion  exte'rieur  &  Ces  fiétions ,  que 
ceux  mêmes  qui  en  demeurent- là  fans  y 
chercher  autre  chofe  ,  peuvent  être  fatis- 
faits  de  ce  qu'ils  y  trouvent. 

Le  P.  Rapîn  dit  (2)  qu'Homère  a  un 
plan  bien  plus  vafk  que  Virgile,  c'elt  une 
vérité  dont  nous  venons  de  voir  la  raifon 
dans  le  P.  leBoffu.    Cela  n*empéchc  pas 
que  le  P.Tliomaîlin  Q'ait  eu  aulTiraifjn  de 
dire  dans  un  autre  endroit  que  celui  qu'on 
vient  de  rapporter, que  le  plan  de  l'Enéide 
cft  beaucoup  mieux  concerté  que  celui  de 
JUliadc  ni  celui  de  l'OdylIée  d'Homcre  (3)* 
Le  P.  Rap'n  ajoute  qu'Homère  a  une 
plus  grande  étendue  de  Caradcres  que  Vir- 
gile; qu'il  a  les  manières  plus  nobles  que 
lui  ;  qu^'l  a  un  air  plus  grand,  &  je  ne  ùi 
<^uoi  de  plus  fuWime.  Homère, dit  cet  Au- 
teur (4),  pefiît  beaucoup  mieux  les  chofes 
^ue  Virgile; fcs  images  font  plus  achevées, 
fes  réflexions  font  plus  morales  &  plus 
fcntcntieufes  ;  fon  imagination  eft  plus  ri- 
che; il  a  un  eiprît  plus  univcrfel.  Il  a  plus 
de  yarîeté  dans  Tordonnance  de  la  Fable; 
il  a  plus  de  cette  împetuofité  qui  fait  l'élé- 
vation du  Génie>  fon  expreifion  eft  plus 
forte  j  fon  naturel  ell  plus  heureux.    Ho- 
mère eu  Poète  par  tempérament,  dit -il» 

fes 

f.  L.  ThomaflT.  livre  2.  chap.  t.  f*%.  41*.  apT^ 
IToir  fait  le  plan  de  rEneide. 

4.  }c  fuis  mon  Auteur  piûrôt  que  mon  ordre^uc 
»t  j^ïMi  diuihti  ce  c^u^l  dit  4c  luitc 


tSS      P  o  e  t  e  s    L  a  t  I  n  s. 

Virgile.  fes  vers  font  plus  pompeux  &  plus  msguU 
fîques  ;  ils  rempliilcnt  plus  agréablement 
Toreille  par  leur  nombre  &  par  leur  caden- 
ce quand  on  fait  connoître  la  beauté  de  là 
verfîtication.  Enfin  il  e(l  plus  naturel  que 
Virgile,  parce  que  toute  fon  étude  ne  va 
qu'à  cacher  fon  art,  &  il  ne  peint  rien  que 
d'après  nature. 
*■  Voilà  ce  que  ce  Père  a  crû  qui  fe  pou- 
yoît  dire  en  général  en  faveur  d'Homère 
au  préjudice  de  Virgile;  mais  il  nous  fait 
connoître  que  ceux  qui  s'en  tiennent -là , 
ne  jugent  de  l'un  &  de  l'autre  que  fuper- 
fîciellement  ,  c'eft  ce  qui  me  porte  à  re- 
trancher les  jugemens  de  divers  Critiques 
qui  ne  nous  apprennent  rien  de  plus  que  ce 
que  nous  venons  de  voir  (i). 

2.  Comparaifon  de  leur  Fahîe, 

QUoi  que  Virgile  foit  beaucoup  plus 
refervé  &  plus  modefte  qu'Homère 
dans  l'art  de  feindre, au  fentiment  de  Vos- 
fius  &  de  tous  les  autres  Critiques  (2).  Le 
P.  le  Boflii  n'a  point  laiiïé  de  dire  (3)  que 
nous  ne  trouverons  point  dans  la  Fable  de 
VEnéVde  cette  fi mplicité  qu'Ariftote  atrou- 
v^e  fi  divine  dans  Homère.  Mais  fi  la  For- 
tune de  l'Empire  Romain  fous  Augulle  a 
envié  cette  gloire  à  fon  Poète,  la  vaûe  é- 

tcn- 


r.   Jî»cq.  Peletier  du  Mans  livre  i.  de  l'Art  Poéti- 
que chap.  5    de  rimiration.     Gafp.  Barthius  in  Ad- 
»crf  libris  noiiiemel,  &  alii. 
■  i..  Gcr.  Joan.  Voff.  Inôitution,  Poct,  lib.  r.  c.  2. 


P  O  E   t  E  s     L  A  T   I  H   S.         189 

tendue  de  la  matière  qu'elle  lui  a  fournie,  Virgile, 
a  donné  lieu,  dic-il,  à  des  difficultés  qui 
demandoient  plus  d'efprit  &  plus  de  con* 
duite. 

Comme  Homère  a  travaillé   pour  les 
Grecs  ,  &  Virgile  pour  les  Romains ,  il 
faut,  pour  bien  juger  de  la  conilitution  de 
leur  Fable,  conlidérer  la  ditférence  qu'il 
y  avoit  entre  ces  deux  Nations.     Les  Ro- 
mains n'avoient  point  comme  les  Grecs 
cette  double  obligation ,  Tunede  vivre  en  des 
Etats  réparés  &  indépendans  ,  &  l'autre  de 
fe  réunir  fouvent  enfemble  contre  des  ea*- 
nemis  communs.    Suivant  cette  réflexion 
du  Père, on  peut  dire  que  Virgile  avoit  fur 
Homère  l'avantage  de  pouvoir  renfermer 
tous  fes  deiïèins  eu  un  feul  Poème,  &  que 
fa  Fable  avoit  plus  de  rapport  à  celle  de 
rOdyffée  qu'à  celle  de  l'Iliade  ,    puifquc 
-l'Etat Romain  qu'il  avoit  en  vue  étoit  gou- 
verné par  un  feul  Prince.    S'il  avoit  vou- 
lu  drelfer  une  Fable  fur  le  même  fonds 
qu'Homère    avoit  pris  pour  établir   cel- 
le de    riliadc,   il    fe  feroit    jette    dans 
des  inconveniens  très-facheux»     Mais  l'E- 
tat Romain  lui  fournîlToit  une  matière  as- 
fés  différente  pour  s'écarter  des  veiliges  de 
celui  qui  l'avoit  précédé,  &  pour  pouvoir 
afpîrer  à  la  gloire  d'une  première  inven- 
tion. 

Avec 


$.  t  J.pag.  10,  êcalii  qui  doCentVîrgilîum  iJomer»  niht 
H*fn  rex/tritum  quod  il'e  Deos  Veaf^ite  fugnsntes y  faifetts, 
,jUnfes  &c.  tnduxt-fftt  &c. 

,    3.  Le,fioflu,du  Foëme  Epique  U  x.c.ii.pag.  <;• 


IÇO        POETBS     LAriMfS.' 

Vixgilc.  Avec  tout  ce  beau  raifonnement,  il  faut 

coiiveair, félon  le  P.  Rapin  (i), qu'Home** 
re  mérite  la  préférence  fur  Virgile  pouf 
rinvention ,  qui  elt  une  des  qualités  les 
plus  elïèntielles  au  Poète.  Car  on  ne 
peut  nier  qu'il  foit  le  modèle  &  l'original 
fur  lequel  Virgile  s'ell  formé;  quand  mé* 
me  il  n*auroit  pas  en  lui-même  la  gloire  de  la 
première  invention ,  comme  nous  l'avons 
marqué  au  Recueil  des  Poètes  Grecs.  Ho^ 
mère  a  même  le  fonds  de  l'invention  plus 
riche,  quoique  Virgile  a;t  pu  trouver  après 
lui  de  quoi  enrichir  le  imi  de  tout  ce  que 
neuf  ou  dix  iiécles  avoient  produit  de  plus 
beau  depuis  le  tems  de  ce  Pocte  jufqu'àce^- 
lui  d'Augute. 

a.  Comparaifa»  ck  I*JSion  ou  de  laMaùétè 
de  Uurs  Poimes^ 

C'Eft  particulièrement  dan^  rAâîon  du 
Poème  qu-e  Virgile  (èmble  avoir 
triomphé  d*Homere.  L*A6tion  d'Achille, 
dit  le  P.  Rapin ,  e(l  pernicieufe  à  fon  pays 
&  aux  tiens,  comme  Homère  Tavouè  lui-- 
même :  celle  d'Enée  eft  utile  &  gloriedfe 
pour  fon  Peuple  Ôr  fa  Po(^efité.  Le  mo- 
tif du  premier  eft  une  palîion ,  celui  du  fé- 
cond eft  une  vertu. 

L.*Adion  d'Achille  eft  Poccafion  de  ta 
mort  de  Patrocle  fon  meilleur  ami:  t^ Ac- 
tion- d'Enée  eft  l'occaiion  de  la  liberté  de 
les  Dieux  &  de  celle  de  fon  Pcre;  &  elle 
clt  auffi  la  caufe  du  falut  des  fiens.  L'unô 
dt  héroïque,  c*eft- à-dire,  au  deiFus  de  ka 

ver^ 

I.  Le  P.  Rapin,  cîmp.  i|,  de  fil  Comp.  d'KtfiJl, 
Se  Virg.  &  chap.  13. 


Poètes    Latins.      191 

vertu  ordinaire  de  Thommc  ;  PauTC  n*e^  Virgile 
pas  m(!me   raifonnablc  ,   <?î  elle  porte  ea 
foi  un  caractère  de  brutalité. 

L*Adion  d'Ende  a  une  iJn  plus  parfaite 
que  celle  d'Achille,  parce  qu'elle  termine 
les  affaires  par  la  mort  de  Turnus:  au  lieu, 
que  celle  d'Achille  ne  les  termine  point 
par  la  mort  d'Hedlor,  puifque  le  fîcge  de. 
T roye  dure  enqore  un  in  après.  La  mort 
d'Hedor  n'eft  point  une  dé^iiion  des  cho- 
fts,  ce  n'eil  qu'un  obilacle  ôté  à  la  d^ci* 
fîon.  Aînfi  de  quelque  manière  que  l'on' 
regarde  l'Endïde,on  trouvera  que  rAdlioa 
en  ell  beaucoup  plus  louable  &  plus  hon- 
nête, &  la  fin  beaucoup  plus  heurcufe  <5c 
plus  parfaite  que  celle  de  riliade. 

Les  divers  avantages  que  Virgile  a  fur 
Homère  fc  rendent  encore  bien  plus  fenfj- 
We$,  lorfque  l'on  canfidére  fe'rieufement 
combien  il  a  fallu  de  conduite,  d^'nvention, 
de  difccrnement  &  d'efprir ,  pour  avoir  choi- 
fi  un  fujet  qui  fait  defcendre  les  Romains 
<hi  fàng  des  Dieux ,  &  fur  tout  Augudc, 
qui  regnoitdans  letemsm^mequecePoctc 
^crivoit ,  &  qu'il  tlate  adroitement  par  U 
prpmefTe  d'un  Empire  qui  dt^voit  êcre  éter- 
nel.    L'on  peut  alfurcr  qu'il  n'y  a  rien,  de 
comparable  dans    celui  d'Homère.    Car 
comOTC  jamais  Auteur  n'a  fait  plus  d'hoa- 
'neur  à  fon  pays  par  fon  Ouvrage  que  Virgile 
'en  a  fait  au  lien  en  donnant  aux  Romains 
une  origine  divine  &  une  poltéritééternel- 
-le  dans  l'ordre  des  Devins:  on  peut  dire 
qu' Homère  a  déshonore  le  lien  d'avoir  pris 
pour  fon  Héros  celui  qui  lit  tant  périr  ce 
J;:îcjEps  pour  les  facrider  à  fon  reileuiiment. 

Le 


ICI      Poètes    Latins* 

Virgile,  Le  même  Auteur  nous  a  fait  remarquer, 

ailleurs  que  TAâion  de  TIHade  eft  tou-. 
jours  défedueufc,  foît  qu'on  lafafTe  con^r 
lifter  dans  la  guerre  de  Troye ,  comme' 
quelques-uns  l'ont  prétendu ,  foît  qu'oru 
la  mette  dans  la  colère  d'Achille,  comme 
il  y  a  plus  d'apparence.    L'Adion  de  l'O-, 
dyffée  n'eft  pas  plus  parfaite  que  celle  de. 
riliade.    Mais  on  ne  trouve  pas  les  dé- 
fauts de  l'une  ni  de  l'autre  dans  l'Encide» 
Virgile  y  fuit  toujours  fon  deflein ,  l'Aéiioa 
y  en  unique  &  le  fujet  bien  fuivi  ,  il  va 
toujours  au  but  qu'il  s'eft  propofé  ,  fans, 
s'amufer  à  ce  qui  n'y  a  pas  de  rapport.    It 
eft  même  plus  heureux  qu'Homère  dans 
l*arrangement  des  matières  &  des  événe* 
mens  particuliers  qui  regardent  l'ordon- 
nance   générale    de  fon  Poème.    On  y 
trouve  une  jufte  proportion  des  parties,  à 
un  rapport  éxa(^  entre  elles  qu'on  ne  re- 
marque pas  fi  aifément  dans  l'Iliade.    En 
effet,  il  étoitbien  plus  aifé  à  Virgile  d'en 
Ufer  ainfi  qu'à  Homère, parce  que, comme 
le  même  Auteur  l'a  remarqué  en  deux  ou 
trois  autres  endroits  du  même  Ouvrage,, 
Virgile  étant  plus  borne  devoit  être  par 
conféquent  plus  fini  &  plus  régulier,  lefc 
petits  Ouvrages  étant  ordinairement  plu? 
achevés  que  les  grands  (i).    Car  après  cie 
que  nous  avons  dit  plus  haut,  on  doit  ù 
fouvenîr  qu'Homère  a  une  plus  vafte  éten- 
due des  matières ,  &  qu'il  fait  voir  bien  plu! 

t.  le?.  lR.apin,  Chap.  dern.  de  fa  Com^.  d*HoiIl 
•  ti  Virg.  p.  6j.  Se  ch.  6.  du  m<ême  Ourxagc. 


1 

j 


Poètes    Latins.     193 

de  pays  à  fes  Ledeurs  que  Virgile:  mais  vir;Uc, 
que  fon  efprit  remporte  prefque  toujours, 
&   qu'il  n'en  elt  fouvent   pas  le  Maître 
comme  Virgile  Tell  du  lien. 

Entin  Virgile  ne  fort  jamais  de  fon  fu- 
jet,  même  au  milieu  de  fes  Epifodes  qui 
font  la  partie  la  moins  efTentielie  de  l'Ac- 
tion. Homère  au  contraire  en  fort  pres- 
que toujours  par  la  multitude  &  l'attirail 
de  fcs  Epifodes,  dans  lefquels  on  peut  di- 
re qu'il  s'abandonne  fans  cefTe  à  l'empor- 
tement &  à  rintempe'raucc  de  fon  imagi- 
nation- 
if.  Cowparalfon  de  la  Forme  cf  de  la  Nar* 
ration  de  leurs  Poëmes. 

LUllus  ,  Volîius  ,  &  quelques  autres 
Critiques  (2)  eftiment  que  V^irgile  ell 
inférieur  à  Homère  pour  rœconomie  de 
fon  Poëme.  Si  cette  œconomie  n'ell  au- 
tre chofe  que  l'ordonnance  de  la  Fable, 
qui  conlîfle  dans  la  difpofîtion  &  dans  la 
fuite  naturelle  de  l'Adlion  principale  &  à.Q.s 
matières  qui  la  compofent ,  &  dans  l'ar- 
rangement &  la  convenance  des  Epifodes 
avec  l'Adion  principale,  ces  Critiques  ne 
font  pas  entièrement  d'accord  avec  le  Fere 
Rapin,  qui,  comme  nous  l'avons  vu  plus 
haut,  donne  l'avantage  à  Virgile  fur  Ho- 
mère pour  ce  point. 
Ce  Père  ne  fait  point  difficulté  de  dire 

en- 

2.  Anton.  Lullus  Baîetr.  lib.  7.  de  Oration.  ca^, 
5.  &  apud  Voffium  Inûitiitioa,  Pocticu.  lib.  3.  ca^, 
i.  par.  5.  png.  10. 

Tom.llLPart.lL  I 


194    Poètes    Latins. 

yii^ile.  encore  ailleurs  (i)  que  Virgile  eft  plus  dis- 
cret &  plus  judicieux  qu'Homère  dans  le 
mélange  &  le  jufte  tempérament  du  Mer- 
veilleux avec  le  Vraî-lemblable,  qui  n'eft 
pas  moins  eflentiel  à  la  forme  du  Poëme 
que  Tarrangement  des  Matières  &  la  pro- 
portion des  parties.  Le  Merveilleux  qui 
confifte  pour  la  plus  grande  partie  dans  les 
Machines  &  les  Miracles  ,  eft  bien  plus 
fondé  en  raifon  &  en  Vrai-femblance  que 
celui  d'Homère.  Les  Machines  y  font 
moins  fréquentes  &  moins  forcées.  Le 
ménagement  du  miniftére  des  Dieux  ell 
bien  plus  proportionné  à  leur  rang  &  à  leur 
condition. 

Pour  ce  qui  efl  de  la  durée  de  la  Narra- 
tion que  j'ai  crû  devoir  joindre  ci-devant 
avec  celle  de  l'Adion  précife  du  Poème 
qui  ne  commence  proprement  qu'au  pre- 
mier départ  de  Sicile,  il  femble  que  Vir- 
gile n'ait  pa>  été  auffi  régulier  qu'Homère, 
il   l'on  veut  avoir  égard  à  la  maxime  de 
ceux  de   nos  Critiques  qui  bornant  cette 
durée  à  une  feule  campagne  ou  à  une  an- 
née feulement,  prétendent  que  Virgile  a 
paflé  ce  terme.     On  ne  peut  difconvenir 
qu'Homère  ne  foit  beaucoup  plus    net, 
comme  le  P.  \c  PoUu  le  reconnoit  (2), 
car  il  a  fait  un  Journal  éxad  du  tems  qu'il 
donne  à  chacun  de  ces  deux  Poèmes. 

La  pratique  d'Homère ,  félon  ce  Criti- 
que, eil:  lans  doute  de  réduire  la  durée  de 
la  Narration  Epique  dans  une  campagne 

de 

1.  R.  Rapin,  Compar.  d'Hom.  6c  Virg.  chap.  6.  png. 
2j^.  k  chap.  dernier. 


1- 


Poètes  Latins.  195" 
-de  peu  de  mois.  Mais  la  difficulté  de  con-  Virgil«, 
iioître  le  delleiii  &  la  penfce  de  Virgile, 
fait  qu'on  doute,  dit-il,  fi  Ton  ne  pour- 
roit  pas  poufTer  les  chofes  jufqu'à  une  an- 
née &  plus,  Il  la  fàifon  de  l'hyv^r  doit  ré- 
gulièrement en  être  bannie.  Ce  Père  fem- 
ble  fe  déclarer  d'abord  pour  Homère  con- 
tre Virgile;  ou  plutôt,  il  témoigne  avoir 
plus  d'inclination  pour  borner  cette  durée 
à  une  feule  campagne  qu'à  une  année  en- 
tière, Ôi  il  s'y  porte  d'autant  plus  volon- 
tiers qu'Homère  a  toujours  été  eftimé  en 
ce  point  comme  le  plus  excellent  modèle 
des  Poètes.  &  que  Virgile  fe  l'efl:  propo- 
fé  en  particulier  comme  celui  qu'il  vou- 
loit  fuivre.  Mais  il  fe  range  enfuîte  dans 
le  parti  de  ces  Critiques,  qui  foutienncnt 
que  toute  la  durée  de  l'Eneïdc  e(t  renfer- 
mée dans  une  feule  campagne  à  l'exclulioii 
de  l'hyver,  &  qu'elle  ne  comprend  pas 
plus  de  fept  ou  huit  mois.  Ainli  Virgile 
ne  fera  pas  même  au-deffous  d'Homère  en 
ce  point ,  &  la  durée  de  fa  Narration  ne 
fera  pas  moins  régulière,  quoiqu'elle  foit 
moins  claire  &  moins  évidente. 

5*.  Comparaifon  des  Mœurs  9U  CaraSieres 
des  Poèmes ,  ^  des  fentimens  des  deux 
Poe  ter. 

NOus     pouvons     commencer    cette 
comparnifon  des  Mcïfurs  par  le  Pa- 
rallèle des  Héros  de  l'un   &  de  l'autre, 

puis- 

2.  R.  le  Bofîu  Tr.  du  P.  Eplq.  lir.  J.  clijp.  i:. 

^■'iS'  i^y*  3«i.  &c, 

I  2 


196      Poètes    Latins. 

yiigUe,      puisque  le  Héros  eft  le  principal  Perfonna- 
ge  &  Tame  du  Poëme. 

Le  P.  Rapin  appuyé  de  l'autorité  du 
TafTe  (i)  dit  que  l'intention  d'Homère  n'a 
point  été  de  donner  en  fon  Hcros  l'idée 
d'un  grand  Capitaine  ni  d'un  Prince  ac- 
compli, mais  de  montrer  combien  la  dis- 
corde eli  préjudiciable  dans  un  parti.  Par 
cette  conduite  il  a  donné  fur  lui-même 
beaucoup  d'avantage  à  Virgile,  outre  que' 
n'ayant  point  d'autre  idée  pour  la  conflruc- 
tion  de  fon  Héros  que  celle  de  la  vertu 
d'Hercule,  de  The  fée  ou  de  quelques  au* 
très  perfonnes  qui  n'ont  paru  dans  le  tems 
fabuleux  que  par  leur  force  &  par  leur  cou- 
rage, ce  n'elt  pas  merveille  li  les  mœurs 
font  i\  défeclueufes  dans  fon  Héros.  Mais 
Virgile  ayant  eu  le  moyen  de  compofer 
fon  Hcros  de  toutes  fortes  de  vertus  morales 
dont  il  trouvoit  'des  exemples  dans  l'His- 
toire, ôc  des  préceptes  dans  les  Poètes  & 
les  Philofophcs  venus  depuis  Homère, s'eft 
acquité  beaucoup  mieux  des  obligations 
d'un  véritable  Poète  qui  doit  reprefenrer 
les  homnies  plutôt  comme  ils  ont  dû  être 
que  comme  ils  ont  été  en  effet. 

L'Achille  d'Homère  &  TEnée-de  Virgi- 
le font  braves  tous  deux ,  mais  c'ell  la  pre- 
mière &  la  principale  qualité  d'/\.chille,au 
lieu  qu'elle  n'eft  qu'une  des  moins  conli- 
dé^ccs  dans  Enée,  quoiqu'elle  ne  fût  pas 

moins 

j,  Comp.  d'Hom.  &  Virg.  chap.  4.  Se  5.  p;îg.  16. 
î7.  20.  21.  &c.  &  Tiifl'.   Opiifcul.  Ita!. 

2.  Le  Bollb,  lecondc  paitic  du  l'ocmcïip.  Jiv.  4. 
CT.ap.  ;.  pjg.  XI.  2c  12.  &  chap.  y.  pag.  87,  88.   5cc. 

ÔC 


Poètes    Latins.      197 

moins  grande  dans  ceîui-ci  que  dans  Tau-  Vlr;ilc, 
tre.  Mais  Achille  rendoit  cette  qualité 
mauvaife  par  Ton  emportement,  fa  violen- 
ce, fes  injullices  ,  &  par  la  licence  qu'il 
donnoit  à  fes  pallions  ,  au  lieu  qu'Ence 
honoroit  cette  même  qualit-é  par  la  piété,  _ 
Ion  équité,  (à  bonté,  &  fa  patience. 

Quoiqif  Achille  fût  Roi  &  General  d'Ar- 
mée, Homère  ne  lui  donne  de  fi  Souverai- 
neté que  cette  indépendance  qui  lui  fait 
refufer  à  Agamemnoii  robéilfance  qu'il  lui 
devoit  d'ailleurs.  Son  Achille  ell  plus  un 
Particulier,  dit  le  Père  le  Boifu  (2),  qu'il 
n'^ert  Roi  ou  Général.  AufTi  ne  peut-or» 
pas  dire  qu'il  y  ait  rieiî  de  tout  ce  qui  fe 
fait  de  bien  ailleurs  qu'où  il  ell,  qui  foît 
dû  à  fa  valeur  ou  à  fi  bonne  conduite.  Le 
Héros  de  Virgile  n'eil  pas  de  même.  Il  ne 
fè  défait  jamais  de  fes  dignités ,  il  agit  par 
tout  &c  pleinem.ent  en  Général,  ôc  cette 
qualité  met  la  glaire  de  fes  armes  beau- 
coup au-defTus  de  celle  d'Achille.  Ainii 
pour  rendre  la  comparaifon  jufte,  il  fauc 
dire  qu'Achille  c(ï  un  vaillant  Soldat,  & 
Enée  un  véritable  Capitaine. 

Il  faut  confidérer  qu'Homère  ,  étoît 
beaucoup  plus  libre  que  Virgile  pour  choi- 
sir le  Cara^lére  de  fes  deux  Héros.  Le 
Père  le  Bolfu  remarque  encore  ailleurs  que 
fi  le  Héros  de  l'Iliade  devoit  être  colère, 
vif  &  inexorable  (3),  la  Fable  de  fon  Poè- 
me 

te  chap.  iz.  pag.  T07.  rog.  Sec. 
3.  HGr.\t.  de  Arte  Poët.  ha;c  de  AchilUs  Charao 

terc,  y.  Ï2I. 

■^"'P'i'^i  *racH?idus  i   inexcrabilis ,  tLcer  ■, 
/•HtA  ne^et  Jibi  natAy  nihil  non  nrro^et  armiSt  ' 

1  3 


198      Poètes    L  a  t  i  k  s. 

TirgJJc.  me  qui  éxigeoit  cela  néceflairement,  lais- 
foît  néanmoins  au  choix  du  Poète  des  cîr- 
conilances  qui  pouvoient  ou  relever  ou 
embellir  ce  Caradére  ,  ou  le  rendre  plus 
ûiiforme  &  plus  odieux.  La  qualité  que 
la  Fable  de  rOdyffée  exige  de  fon  Héros 
ell  la  Prudence,  parce  qu'elle  eft  toute  pour 
la  conduite  d'un  Etat  &  pour  la  Politique: 
néanmoins  il  a  été  libre  au  Poëte  de  déter- 
miner &  de  fixer  cette  qualité  par  la  dilfi- 
Ululation  qui  eft  le  caradére  donné  à  U- 
lyfTe. 

Mais  quelque  rapport  qu'il  pût  y  avoir 
entre  le  Héros  de  rOdyflee  &  celui  del'E- 
neïde,  le  caradére  de  ce  dernier  n'en  eft 
pas  moins  différent  qu'il  l'eft  de  celui  de 
l'Iliade.  Virgile  étoit  beaucoup  plus  gê- 
né qu'Homère  ,  parce  qu'il  vouloit  faire 
recevoir  aux  Romains  une  nouvelle  efpéce 
de  gouvernement  ^  &  un  nouveau  Maître , 
&  qu'il  faloit  que  ce  Maître  eût  toutes  for- 
tes de  bonnes  qualités  &  point  de  mauvai- 
fes.  Son  Héros  n'avoit  que  de  nouveaux 
fujets  de  même  qu'Augufte.  Enéc  ne  de- 
voit  donner  à  ces  nouveaux  fujets  que  des 
marques  de  fincérité  &  de  franchife.  Il  ne 
pouvoir  porter  le  Caradére  d'UIyfîè,puis- 
que  la  diifimulatîon  eft  dangereufe  à  un 
nouveau  Maître.  D'un  côté  les  violences 
d'Achille  étoient  entièrement  oppofées  au 
dcifein  de  TEneide,  &  le  Poète  les  a  judi- 
cieufement  mifes  dans  Mezentius  &  dans 
Turnus  qu'il  oppofe  à  fon  Héros.  Il  étoit 
donc  obligé  de  former  un  Caradére  oppo- 
fe à  celui-là.  Ainlî  on  ne  peut  point  com- 
parer autrement  les  Caradéies  de  ces  Hé- 
ros- 


Poètes    Latins.     199 

FOS  qu'en  difain  que  celui  d'Achille  efl  la  Virgile^ 
colère  inexorable  d'un  Prince  vindicatif  & 
brave;  que  celui  d'Ulyfle  eft  U  fage  diiïi- 
mulation  d'un  Roi  prudent  &  vaillant,  & 
que  celui  d'Enée  e(t  une  piété  douce  mê- 
lée de  bonté ,  &  foutenuë  comme  les  au- 
tres d'une  valeur  &  d'une  fermeté  de  cou- 
rage inébranlable. 

Unedeschofes  les  plus  capables  de  don- 
ner de  l'éclat  à  la  comparaifon  de  ces  deux 
Poètes  eft  l'Unité  du  Caradére  de  leur 
Héros  qu'ils  ont  gardée  i'un  &  l'autre  fort 
exactement,  quoique  d'une  manière  ditfé- 
rente.     Cette  unité,  dit  le  P.  le  Bollu ,  & 
cette  limplicité  eit  iî  éxa£te  &  (i  uniforme 
qu'elle  fait  voir  Achille,  Ulyfle,  <&  Enéc 
les  mêmes  en  toutes  fortes  de  rencontres. 
Homcre  a  difpofé  fes  Fables  de  telle  forte 
qu'il  lui  étoit  aifé   de  garder  cette  unité 
dans  les  principales  parties:  Virgile  a  fait 
tout  le  contraire.     La  première  partie  de 
fon  Eneïde  elt  femblableà  l'Aélion  del'O- 
dyirée  qui  a  pour  Caradére  la  froideur,  la 
difllmulation ,  &  la  prudence.    La  fécon- 
de elt  ,  comme  l'Iiîade  dans  les  horreurs 
de  la  guerre  qui  entraînent  naturellement 
avec  elles  la  colère  &  la  cruauté  ;&  néan- 
moins il  a  fait  régner  en  l'une  &  en  l'autre 
partie  la  douceur  &  les  paffions  les  plus 
tendres.    Enée  n'eft  pas  moins  doux  ni 
moins  pieux  en  tuant  Laufus  dans   une 
horrible  bataille,  que  dans  les  jeux  qu'il  fait 
faire  en  l'honneur  d'x\nchife.     Il  n'eft  pas 
•  moins  modelée  quand  il  voit  à  fes  pieds  fes 
ennemis  vaincus ,  que  quand  étant  batu  par 
'a  tempête  &  jette  fur  un  bord  étranger , il 

I  ^  is: 


2C0      Poètes    Latïns. 
Tirgîic.      fe  trouve  dans  la  necelTité  d'implorer  Tas- 
iiftance  de  Didon. 

Voilà   ce  que  les  Critiques  ont  dit  de 
plus  important  pour  fervir  à  la  comparai- 
Ton  des  Héros  de  nos  deux  Poètes ,  on  en 
pourroit  dire  autant  de  leurs  autres  Perfon- 
nages  à  proportion  des  diftances  &  des  dif- 
férences qu'ils  ont  mifes  entre  les  uns  & 
les  autres:  Et  on  pourroit  juger  de  la  dis- 
crétion qu'ils  ont  apportée  dans  la  repré-^ 
fentation  des  Mœurs  &  des  Caràéléres  de 
ces   Perfonnages  divers,  fur  la  conduite 
qu'ils  ont  gardée  dans  celle  de  leurs  Hé- 
ros.   Ain  fi  an  n'eli  pas  furpris  d'entendre- 
dire  (i)  an  P.  Rapin  qu'Homère  n'a  pres- 
que jamais  égard  aux  bonnes  mœurs  ,  & 
qu'il  ménage  rarement  les  bien-féances  : 
parce  que  la  manière  dont  il  nous  a  rcpré- 
fente  fon  Achille  ,  nous  porte  afTés  à  le 
croire.    11  dit  au  contrafre  que  Virgile  e(t 
fort  fcrufvuleux  dans  l'obfervation  des  Ca- 
raûéres,  qu'on  trouve  par  tout  fon  Poè- 
me une  régularité  achevée  pour  l'honncte- 
té,  la  pudeur,  la  bien-féance  des  Mœurs, 
l'uniformité  de  la  Morale  même  dans  la 
repréfentation  des  choies  malhonnêtes  & 
criminelles.    Cependant  cet   Auteur  n'a^ 
point  laifTc  de  donner  à  ces  deux  Poètes 
une  gloire  égale  pour  leurs  propres  mœurs 
&  leurs  fentimens  ,  c'eft-à-dire  ,  propre- 
ment pour  leur  Morale.     C'eft  dans   les 
Réliéxions  fur  la  Poétique  (2),  où  il  dit 

qu'Ho- 

1.  R.Rapin,Cômp.  d'Hom.  ôcVirg.  chap.  7-pag. 

i.  Réflexions  gcnciaks  fui  la  Poctiq.  i,  pait.Rc- 

flc- 


PaETES      LArihTS.         20T 

qu'Homère  &  Virgile  n'ont  jamais  dît  d'or-  Virgile^ 
dures  (3)   ni  d'impict(?s ,  qu'ils  ont  tou- 
jours été  févcres  &  vertueux  comme  des 
Philofophe^. 

Quoique  ce  (éntiment  puifle  fouifrir 
quelques  difficultés  ,  on  pourroit  néan- 
moins Tappuyer  par  celui  du  Père  le  Bos- 
fu  ,  qui  lui  eft  tout- à-fait  conforme  (4). 
Ce  Père  dit  qu'Homère  &  Virgile  ,  tout 
Païens  qu'ils  étoient,  n'ont  point  fouillé 
h.  majeilé  de  leurs  Epopées ,  par  ces  déli- 
eatefîès  criminelles  dont  nos  Poètes  Chré- 
tiens femblent  avoir  fait  toutes  leurs  déli- 
ces dans  ces  derniers  liécles.  Ulyffe  effc 
froid  chc2  Circé;  il  qù.  trifte  auprès  deCa- 
lypfo.  Brifeïde  &  Chryfeïde  n'enflamment 
Achille  &  Agamemnon  que  de  colère. 
Dans  Virgile  Camille  n'a  point  d'xA.mans  ^ 
à  peine  parlc-t-on  de  l'amour  de  Turnus 
pour  Lavinie;  &  toute  la  paiïlon  de  Di- 
don  n'eft  traitée  que  comme  une  infidélité 
criminelle,  dont  cette  miférable  Reine  efl 
punie  cruellement.  Il  eft  à  remarquer 
auffi  que  Virgile  n'inlînuë  que  des  affec- 
tions conjugales,  &  qu'il  a  toujours  eu  en 
vue  les  maximes  de  la  tempérance. 

Si  ces  deux  excellens  Poètes  ont  été  les 
modèles  de  tous  ceux  qui  les  ont  fuivis, 
c'ed  leur  faire  injure  de  vouloir  autorifer 
par  leur  exemple  finfîdélité  de  nos  Poètes 
modernes, qui  s'arrc:ent  avec  tant  decon> 
plalGince  &  d'affedlation  à  ce  que  les  pas- 

fions 

fifxion    9. 

3.  f.  Voyés  l'Article  ie9î.  $.  p- 

4,  R..  le  BofTu  iivic  4.  parc.  2.  du  P^  Epiq.  chap, 

is 


202        P   O  E  T  E  S     L  A  T  I  îf  fî. 

Tirg/ie,  fjons  ont  de  plus  honteux  &  de  plus  crirnî- 
nel;  qui  en  font  les  endroits  de  leurs  Poè- 
mes les  plus  touchans  &  les  plus  tendresj 
&  qui  tournent  les  amours  infâmes  en  des- 
galanteries qu'un  honnête  homme  &  qu'un^ 
brave  Cavalier  peut  mettre  au  rang  de  fes 
bonnes  fortunes.  Ce  qui  furprend  le  plus 
nos  Diredeurs  &  nos  Prédicateurs,  c'eft 
de  voir  une  différence  li  étrange  entre  ces- 
deux  anciens  Païens  d'une  part  ^  &  ces 
Chrétiens  modernes  de  l'autre»  Quand 
on  dît  en  général  que  ce  n'eft  pas  le  moyea= 
de  faire  haïr  les  vices,  lorfqu'on  n'en  re- 
prefente  que  ce  qu'ils  ont  d'aimsble  &  de- 
doux,  on  auroîr  de  la  peine  à  s'imaginer 
que  cette  remontrance  regarde  nos  Poètes 
Chrétiens,  &  non  pas  Homère  &  Virgile. 
C'eft  néanmoins  ce  que  nous  fommes  o- 
bligés  d'avouer  à  la  confulionde  ceux-là ^ 
pour  ne  point  faire  d'injuftice  à  ces  deux 
Anciens.  Et  fî  nous  pouvions  dire  que  la 
bonne  foi  d'Homère  à.  de  Virgile,  qui  di- 
•foient  les  chofes  comme  ils  les  penfoient» 
tft  un  exemple  à  fuîvre  pour  nos  Poètes 
Chrétfens,  nous  ne  pourrions  nous  empê* 
cher  de  croire  que  ceux  d'entre  eux  qui  ne 
•font  voir  les  vices  que  fous  de  beaux  mas« 
ques,  ne  les  cnvifagent  que  par  ce  bel  en- 
droit; &  que  s'ils  parlent  de  bonne  foi,  ils 
penfent  comme  ils  parlent,  &  vivent  com- 
me ils  écrivent. 

Ces  Poëces  modernes  ne  (e  trompent 
pas,  lorfqu'ils  prétendent  que  le  but  de  la 
Poëlie  eft  de  p?airc  5i  de  dire  toutes  chofes 
de  la  manière  la  plus  agréable  qu'il  leur  eft 
po-lTible,  &  que  c'a  été  aufli  la  principale 

•   in* 


Poètes    Latins.      203 

întcntion  d'Homère  &  de  Virgile  ;  mais  ^^^silcr 
/ofe  dire  qu'ils  fe  trompent,  lorfqu'ils  fè 
croyenr  obligés  de  préférer  le  goût  des 
Lecbeurs^  vicieux  ,  intempcrans  ,  &  liber- 
tins, à  celui  des  Le61:eurs  qui  ont  quelques 
fentimens  d'honnêteté  &  de  vertu-  Les 
Maîtres  de  l'Art  &  ceux  même  de  l'Anti- 
quité Païenne,  nous  apprennent  que  c'eft 
corrompre  les  régies  les  plus  elTentielles 
de  la  Poëlie  &  de  la  Fable;  &  qu'un  Art 
pernicieux  n'efl  pas  un  Art,  ou  du  moins 
qu'il  n'eil  pas  tolérable.  S'il  ne  fe  trou- 
voit  que  des  Ledeurs  déréglés ,  &  s'il  fal- 
loir abfolumcnt  qu'un  Poète  fût  corrompit 
ou  fc  laiflat  corrompre  pour  leur  plaire,  ce 
fcroît  une  néceffité  très-malheureufe  &  la^ 
malediéVion  pourront  bien  tomber  fur  ceux 
qui"  entretiendroient  cette  corruption ,  & 
qui  préfereroicnt  la  gloire  d'être  Poctes  à 
celle  d'être  Gens  de  bien. 

Mais  il  faut  hîller  la  comparaîfbn  des^ 
Modernes  avec  ces  deux  Anciens ,  pour 
reprendre  celle  que  nous  faifons  des  mœurs 
&  des  fentimens  de  ces  deux-ci  entre  eux.- 
Lc  Père  Rapin  trouve  (i)  qu'Homère  a 
un  air  plus  moral  &  plus  fententieux  que 
Virgile,  mais  qu'il  ell  exceflif  dans  fe* 
Sentences  ;  &  que  Virgile  au  contraire 
fcmblc  avoir-  atfedé  un  air  plus  llmple  & 
plus  uni. 

Enfin  on  ne  peut  nier  que  ce  dernier  ne* 
foit  encore  préférable  à  l'autre  par  la  pure-- 
té  des  mœurs-  qu'il  donne  à  fes  Dieux  ,-  & 
par  la  beauté  des  fentimens  qu'il  paroît  a- 

voir 
JV  Bw,  Kap;  Comp.  d'Hom.  Se  Vir^.  chap.  14,  Scç,- 

1  6 


204      Poètes    Latins^ 

Tî::gîrc^  voir  eu  de  la  Divinité.  C'eft  dans  cette pen>- 
fée,  fans  doute,  que  le  Père  Thomaffia 
dit  qu'on  remiirque  non  feulement  plus  de- 
politefTe  entre  les  Hommes  &  les  Héros  ^ 
mais  aulTi  plus  de  civilité  entre  les  Dieux 
de  Virgile  ,  qu'entre  ceux  d'Homère.  . 
Tous  les  autres  Critiques  généralement 
(i),  ont  reconnu  cette  grande  différence 
entre  ces  deux  Poètes,  en  remarquant  que 
les  excès  des  Dieux  entre  eux  ,.  ou  des 
-Hommes  contre  les  Dieux  qu'on  lit  dans 
Homère  ,  ne  paroiffent  prefque  pas  dans 
Virgile.  Jupiter  y  eft  beaucoup  plus  refpec- 
té  des  autres  Dieux,  &  on  voit  bien  que 
]a  créance  de  l'unité  d'un  Dieu  fouverain 
croit  mieux  établie  au  tems  de  Virgile.  Les 
Champs  Elyfiens  même  &  le  Paradis  de 
Virgile  ,  dit  le  P.  Thomalfm  (i) ,  font 
bien  plus  beaux  que  ceux  d'Homère,  fim- 
mortalité  des  Ames  y  eil  encore  plus  clai- 
rement établie.  Mais  pour  ce  qui  eft  de 
l'ufage  des  fréquentes  prières ,  des  facrirî- 
ces,  des  augures,  des  prodiges,  des  ora- 
cles, des  prédidicns,  desfonges,  des  ap- 
paritions des  Dieux,  de  leurs  diverfes  mé- 
t^morphofes ,  de  leur  préfence  invilible, 
de  leurs  délibérations  communes  ,  &  de 
leurs  réfolutions  fur  toutes  nos  affaires, 
îl  n'y  a  prefque  aucune  différence  entre 
"Virgile  &  Homère. 

6  Com^ 


T.  Jacques  ?clctier  du  Mans,  Art   Poè'tiq.  liv.  u 
diap.  s.  de  l'Imitation,  &  gencialcmenrtous  ccue 
i|ui  ont  traite  cette  matiérr. 
,   %.  L,  Thomaflîa  2>kthodc  d'cf.  &  d*cnC  Chre'- 

tiensf. 


FoETES    Latins.     20^ 

VirgifCi 
6    Comparaijon  de  rexpreffion  iff  du  JîyU 
des  deux  Poètes. 

NOiis  avons  dcja  rapporté  ailleurs  îe 
fentiment  des  Critiques ,  qui  con- 
viennent que  l'exprefijon  qui  confifle  dans 
les  paroles,  eft  ce  qu'il  y  a  de  plus  accom- 
pli dans  Homère,  &  perfonne  ne  tait  diffi- 
culté de  reconnoître  aulTi  que  c'ed  la  par- 
tie dans  laquelle  il  furpafTe  Virgile.  C'eft 
ce  que  le  P.  Rapin  nous  apprend  en  plu- 
f  eurs  endroits  de  la  comparaifon  qu'il  en 
a  faite,  où  il  ne  fait  point  difficulté  de  di- 
re qu'Homère  eft  incomparable  pour  ce 
point,  &  que  Virgile  n'en  approche  pas, 
îbît  pour  la  beauté  de  Texpreffion  &  l'éclat 
du  difcours ,  foit  pour  la  grandeur  &  la 
Boblelfe  de  la  narration  (3)  ;  fa  vcrfifica- 
tion  e(t  plus  magnifique  &  plus  pompeufe, 
fa  cadence  6c  fa  mefure  ont  quelque  chcfe 
qui  charme  davantage. 

Homère,  dit  le  même  Auteur,  a  quel- 
que chofe  de  plus  riche  &  de  plus  fom.p- 
tueux  que  Vfrgile.  Il  a  de  plus  grandes 
vivacités,  il  a  un  tour  de  vers  plus  beau, 
wn  air  de  dire  les  chofes  plus  brillant ,  un 
fonméme  de  paroles  plus  rond, plus  plein, 
plus  raifonnant,  plus  propre  à  laPoéiie, 
èc  quifatisfait  bien  plus  l'oreille,  que  tout 

ce 

tîenn.  lesTcjftes  Y\\\  z.  cfi.  8,  nomb.  t.  pi*.  4TT." 

3.  R.  Rap.  Comp,  chap.  13.  pag.  4S.  2?  c'iap.  ci 
pag.  16.  imo  3)-.  38.  ^c  chap.  lô.  pag.  62,  &.  chap, 
2,  pa^.  1-2.  Sec.  chap.  Il,  &ic. 

I  7 


20(5      Poètes    Latins^ 

Virgile*  ce  qu'a  fait  Virgile.  Mais  il  femble  avoir 
voulu  nous  perfuader  que  cet  avantage 
vient  moins  de  rinduftrie  particulière  d'Ho- 
mère, que  des  propriétés  de  la  Langue 
Grecque,  qui  a  naturellement  tous  ces  a- 
vantages  que  nous  venons  de  marquer  fur 
la  Latine,  dont  le  ferieux,  la  modeftie,  & 
la  gravité  ne  font  pas  Ci  fufceptibles  de  ces- 
agrémens  &  de  ces  beautés.- 

Cet  avantage  qu'Homère  a  fur  Virgile, 
n'eft  pas  comparable  à  ceux  que  ce  Poète 
Latin  a  remportés  d'ailleurs  fur  ce  Grec. 
On  ne  peut  pas  dire  même  que  celui-ci 
foit  fort  entier,  puifque,  félon  Jacques Pe- 
letier  (i),  &  Jules  ScaWger  (2.),  Virgile 
n'eft  point  tombé  dans  ce  grand  nombre 
de  répétitions  dont  Homère  s'eft  chargé  li 
inutilem.ent,  &  il  a  fort  judicieufenient  é- 
vité  cette  fuperfluité  d'Epithetes  qui  eft- 
dans  Homère. 

Cela  n'empêche  pas  que  le  P.  Rapin 
n'ait  eu  raifon  de  dire  (3),-  qu'Homère  eft. 
-plus  admirable  que  Virgile  en  Epithetes  & 
en  Adverbes  ,  parce  qu'il  ajoute  que  ce 
font  toujours  des  ornemens  ,  quoiqu'ils 
viennent  de  la  richelFe  &  de  la  fécondité 
de  la  Langue  plutôt  que  du  Poète.  11  ne 
faut  pas  douter  que  le  génie  différent  des 
Langues  n'ait  beaucoup  contnbué  à  la  di- 
verfité  de  leur  caractère  pour  le  (tyle.  Au- 
tant qu'Homcre  a  d'inclination  à  parler,. 

dit 

T.  Teleticr  de  TArt  Poët.  livre  2.  chap.  5.  comme 
«Jeflus,  ôc  dans  li  Biblioth.  d'Ant.  du  Verdier  &:c. 

z.  Jul.  Scaliger  i'oaices  lib.  3,  fea  de  Idea  wp, 
i$.  pag.  29i,  &c,. 


Poètes    L  a  t  r  ït  s.      207 

dit  cet  Auteur,  autant  Virgile  en  a- 1- il  à  VîrgiSf. 
fe  taire;  &  c'ell  par  une  fuite  naturelle  de 
ce  lentiment  qu'il  avoit    dit   auparavant 
qu'Homère  eft  plus  infupportable  &  plus 
pue'rile  dans  Tes  defcriptions. 

Cela  paroît  aiOTés  conforme  à  l'idée  que 
Jules  Scaliger  6c  Gafpar  Barthius  ont  vou- 
lu nous  donner  de  ces  deux  Poètes,  par  la 
peinture  qu'ils  en  ont  faite  en  les  oppofant 
l'un  à  l'autre  (4).  Ils  difent  qu'Homère 
efl:  femblable  à  une  Courtifane  afîës  belle 
d'elle-mcme,  bien  pare'e,  qui  parle  volon- 
tiers à  tout  le  monde ,  qui  fe  donne  des 
airs  libres ,  qui  fe  met  en  différentes  poilu - 
res ,  qui  marche  tantôt  pompeufement , 
tantôt  négligemment ,  qui  croit  que  tout 
lui  fîed  bien, qui  entreprend  fur  toutes cho- 
fes,  qui  ne  fait  fcrupule  de  rien,  qui  elt 
indifciéte;  &  qui  n'ayant  pas  le  goût  fort 
I  fin  pour  la  véritable  beauté,  fe  laille  ajus- 
ter par  des  cocfteufes  mal -habiles ,  &  fe 
lailfe  charger  de  mille  bijoux  inutiles  &  de 
mille  nippes  ridicules.  Au  contraire  Vir- 
gile, félon  eux,  reflèmble  à  une  jeune  fil- 
le^  limple,  mais  d'une  pudeur  délicate  & 
d'une  modetlie  charmante,  qui  ne  parle  ja- 
mais que  fort  à  propos,  qui  prend  garde  à 
tout,  qui  eft  dans  des  précautions  fur  tou- 
tes fortes  de  chofes,  fort  réglée  dans  les 
mœurs,  compofée  dans  toutes  fes  démar- 
ches ,.  uniforme  dans  toutes  fcs  actions , 

qui 

}.  R.  Rapîn ,  pag.  3Î,  chap.  ro.  8c  rr. 

4.  Poëtic,  Sc.ilig.  ut  fupri  fed  lib.  $.  cap,  2.  îmô 
êc  c;ip.  î.  Sec.  fulifllaiè  Galp.  Baithius  Adveifaxioi, 
lib.  3i,cap.  9,  col,  I475>.  S^c,  -^ 


2o8      Poètes^    Latine 

Tîrgile^  <îui  contrefait  la  Dame  de  qualité ,  d'une 
taille  riche,  d'un  port  majeftneux,  fuper- 
bernent  vêtue,  mais  fans  affectation  &  îans 
iuperfluité ,  d'une  beauté  achevée,  enne- 
mie du  fard,  qui  porte  fur  fon  vifage  <Ss 
dans  les  yeux  des  témoignages  d'une  chafle- 
té  éprouvée,,  qui  ne  s'avance  jamais  témé- 
rairement, &  qui  fe  laiiTe  mener  avec  un 
difcernement  accompagné  de  beaucoup  de 
lumières.  Et  Scaliger  dit  ailleurs  ,  mais 
tout  feul ,  qu'il  y  a  autant  de  différence  en- 
tre le  Grand  Homère  &  le  Divin  Virgile, 
qu'il  y  en  a  entre  une  crieufe  de  vieux  cha- 
peaux ou  une  folle  qui  court  les  rués  6c  une 
Dame  de  la  première  qualité.  Mais  il  eft 
bon  de  favoir  que  Scaliger  étoit  un  peu 
foû  de  Virgile, qu'il  a  trouvé  dans  ce  Poè- 
te mille  beautés  imperceptibles  au  commun 
des  Critiques ,  &  qu'il  a  crû  y  découvrir 
un  grand  nombre  de  myfteres  impénétra- 
bles à  ceux  qui  n'ont  pas  fon  2èle  ni  fon 
raffinement 7  &  à  Macrobe  même.  Enfin 
dans  l'examen  qu'il  fait  des  vers  de  l'un  6s 
de  l'autre,  Virgile  a  toujours  le  delfus 
d'Homère, 

Mair  pour  revenir  de  ces  excès  &  pou? 
conclure  la  comparaifon,  il  faut  convenir 
qu'ordinairement  Virgile  eft  fuperieur  à 
Homère.  Mais  il  en  faut  excepter  le  fonds 
&  retendue  de  l'invention  ,  la  fécondité 
&  la  beauté  de  l'expreiiion,  qui  font  deux 
chofes  pour  lefquelles  il  doit  céder  à  Ho- 
mère. On  peut  dire  cependant,  pour  met- 
tre 

T.  R,  Râp.  comme  ci- dcflus  pag.jo,  8c  condufj 


Poètes    Latiks.     209- 

trc  encore  quelque  relhidîon  à  cet  aveu,  virgile. 
que  Virgile  l'emporte  encore  en  divers 
points  qui  regardent  ces  deux  parties.  Car 
félon  le  P.  Rapin  (i),  Virgile  a  Tavanta- 
ge  fur  Homère,  premièrement  pour  la  dé- 
licacelTe  de  Ton  deffein  ,  de  fcs  idées  ,  de- 
(es  inventions ,  &  de  fes  penfées  ;  en  fé- 
cond lieu  pour  tout  le  détail  même  de  fes 
expre(î)ons,qui  font  beaucoup  plus  folides 
&  plus  touchantes  ,  &  qui  font  très-pro- 
pres à  faire  leur  effet  félon  l'intention  da 
Poète. 

Cet  Auteur  décide  en  un  autre  endroit 
qu'Homère  a  plus  d'efprit,  &  que  Virgile 
a  plus  de  difcrétion  &  de  jugement:  6c  il 
n'a  pas  crû  pouvoir  mieux  finir  la  compa- 
raifon,  qu'en  difant  qu'il  aimeroît  peut-ê- 
tre mieux  avoir  été  Homère  que  Virgile^ 
ma's  qu'il  aimeroît  aulfi  beaucoup  mieur 
avoir  fait  l'Eneïde  que  l'Iliade  &  l'O- 
dyllée. 

$.9. 

Des  Eglogues  y  des  Georgiqrdes  de  Virgile, 

Mr.  de  Segrais  dit  (2)  que  les  Eglogues 
5c  les  Géorgiques  de  Virgile  ont  été  efl:i- 
"nés  par  le  liécle  le  plus  éclairé  &  le  plus 
iélicat  de  toute  l'Antiquité  ,  comme  les 
dIus  accomplis  d'entre  les  Ouvrages  qu'on 
lit  jamais  entrepris  dans  ces  deux  genres 
fécrirc. 

L 

2.  J.  R.  de  Segiais,  Préf.  fur  la  Trad.  de  l'Encide 
i«fnbr.  4.  pag.  7, 


2IÔ      Poètes    Latins, 

Vugilc.  '  i^  Pour  ce  qui  eft  des  Eglogues  ,on  peut 
dire  qu'elles  ne  font  pas  toutes  Bucoliques- 
iTon  plus  que  toutes  les  Idylles  de  Théo- 
crite,  &  que  ce  qu'il  dit  dans  la  quatrième- 
aa  fujet  de  la  naillànce  de  Saloninus  Pol- 
lio,  dans  la  fixiéme  touchant  les  connois- 
fances  fublimes  de  Silenus^  <5cdans  la  di- 
xième fur  la  paffion  de  Gallus,  efl  quel- 
que chofe  de  fuperieur  à  la  portée  des  Ber- 
gers (i),  c'eft  le  fv^ntiment  de  Servius  que 
Ton  peut  voir  fur  la  première  Eglogue. 

Quoique  Thcocrire  eût  acquis  une  gran- 
de réputation  en  ce  genre  d^écrire  parmi  les 
Grecs,  Pelletier  prétend  (z)  que  Virgile 
Ta  furpafle  de  beaucoup,  &  le  P.  Rapin  eft 
aufîi  dans  le  même  fentiment.  Car  il  dit 
(3)  que  Virgile  dans  Tes  Eglogues  f(ï  plus 
judicieux,  plus  éxad,  &  pl\is  régulier  que 
Théocrite  ,  qu'il  elt  même  plus  modelle- 
par  le  caradére  de  Ton  propre  efprit  &  pat 
le  génie  de  la  Langue  Latine.  Il  ajoute 
qu'il  a  plus  de  bon  fens,  plus  de  force, 
plus  de  noblelfe  &  plus  de  pudeur  que 
Théocrite.  Mais  qu'après  tout  Théocri- 
te eft  original  ,  au  lieu  que  Virgile  iVeil 
fouvent  que  copifte» 

Jules  Scaiiger  avoit  déjà  remarqué  aupa- 
ravant les  mêmes  avantages  dans  Viigild 
fur  Théocrite,  &  il  en  avoit  rapporté  di-^ 
verfès  preuves  ^  en  faifànt  la  comparaifoii 

de» 


t.  Servius  Gemment,  in  i.  Eclog.  Si.  ex  eo  VoSl 
Inflit.  Poët.  lib.  3.  cap  8.  parag.  16.  pag.  33. 

i.  Jacq.  Pcletict  du  Mans ,  de  l'Art  foët.  chap.  s, 

l,  ILea.  Rap.  îLeflcx.  paiticul.  fur  laPoëuRcfl,  2> 


I 


Poètes    Latins.     211 

es  vers  de  l'un  avec  ceux  de  l'autre  (4),  yirgiîe^ 
ans  un  allés  long  détail  qui  fait  plailir  à 
ire.  11  prétend  que  s'il  y  a  des  beautés  & 
es  grâces  dans  le  Grec  de  Théocrite, 
ont  le  Latin  de  Virgile  n'a  pu  s'accom- 
er,  celui-ci  a  fubftitué  d^autres  agrémens 
ui  font  naturels  à  fa  Langue,  &  qui  ne 
ont  pas  moins  beaux  que  tout  ce  que 
rhéocrîte  a  de  plus  agréable.  C'eft  ce 
u'avoit  dit  Agelle  ou  Aulu-Gelle  long- 
2ms  avant  Scaliger  (5-). 

Ce  dernier  ajoute  qu'il  y  a  au  moins 
uatre  Eglogues  qui  font  originales, &  qui 
le  doivent  rien  à  Théocrite.  Ce  font  cel- 
2s  de  Silène,  de  Tityre,  de  Pollion,  & 
e  Moëris. 

II.  Pour  ce  qui  eft  des  Géorgîques,  il 
:mb]e  que  (î  on  s'arrétoit  au  fentiment  de 
ervius,  on  devroit  dire  que  c'efl  TOuvra- 
e  qui  a  fait  le  plus  d'honneur  à  Virgile^ 
arce  qu'il  a  fuivi  Homère  de  fort  loin 
ans  rÈnéïde ,  qu'.l  a  fort  approché  de 
"héocrite  dans  fes  Eglogues ,  mais  qu'il  a 
affé  de  beaucoup  Heliode  dans  fes  Géor- 
iques  (6).  Il  paroît  alTés  par  tout  ce  que 
ous  avons  rapporté  au  fui  et  de  l'Eneïdô 
:  des  Eglogues,  qu'on  n'a  point  eu  grand  ^ 
gard  à  cette  opinion  dcServius,  mais  il 
été  fuivi  dans  le  jugement  qu'il  a  fait  des 
îéorgiques  par  rapport  à  Heliode^    Car  il 

n*y 

4.  Jul.  Caef.  Scalig.  Poëticcs  lib.  s*  cap.  y.  pag, 
i7.  &  feqq. 

5.  A.  Gcll.  No£V.  Attic.  lib.  9.  cap.  9.  pag.  475. 
76.  cdit.  Thyf  ôcOilel. 

6.  Scivius  Comment,  la  lib.  i.  Géorgie,  pag.  io. 


Iî2      Poètes    Latins. 

Virgile,  n'y  a  rien  dans  tout  l'Ouvrage  que  ce  Grec 
a  compofé  fur  les  travaux  &  les  journées^ 
des  hommes  qu'on  puille  mettre  en  paral- 
lèle avec  ce  qu'a  fait  Virgile  &  li  on  eiï 
croit  Scaliger  ,  tous  les  vers  d'Heiiode 
joints  enfembk  n'en  valent  pas  un  de  ceux 
de  Virgile  (i). 

Helîode  n'eft  pas  le  feiil  qui  ait  fourni  la 
matière  à  Virgile,  il  a  prohté  aulTi  beau- 
coup de  Nicandre  &  d'Aratus,  comme  les 
Critiques  l'ont  obfervé  (2}.  Quoique  cec 
Ouvrage  fût  dédié  à  Mécenas ,  il  n'avoit 
pourtant  pas  laiûe  de  le  finir  par  un  long 
éloge  qu'il  avoit  fait  de  fon  ami  Cornélius 
Cjallus.  Mais  la  difgrace  qui  lui  arriva  en 
Egypte,  jointe  à  la  volonté  d'Augufle,  fij 
qu'il  le  fupprima  eniiiite^  &  lui  fubllitua  la 
Fable  d'Arillée  qui  tient  près  de  la  moitié 
du  quatrième  Livre  de  fes  Géorgiques  (3), 
comme  l'ont  remarqué  divers  Critiques, 
&  particulièrement  le  Père  de  la  Rué  fur 
la  dixième  Eglogue  (4). 

N  o  u  s  ne  dîfons  rien  de  L .  VA  R  lUS^ 
tm  des  plus  excellens  d'entre  les  Poètes  de 
fon  tems ,  parce  qu'il  ne  nous  eft  rien  res- 
té de  lui  (•$).  *  F/r- 

1.  Scalig.  liv.  j.  Poët.  cap,  5,  înitio  Sec.  , 

2.  Fredcr.  Taubmaun.  Proleg.  Comment,  ad  Vii- 
gil.  Géorgie.  .  ^ 

a.  Caroi.  de  la  Rue  Soc.  JeC  în  not.  ad  arguni 
10.  Eclog.  pag.  83.  poft  alios  Criticos ,  Sec. 

4.  ^.  Le  P.  de  la  Rue  n'a  pufe  fonder  que  fur  et 
qu'en  ont  dit  l'Auteur  de  la  Vie  de  Virgile, ôc avant 
lui.  Servies  fur  cette  dixième  Eglogue. 

î.  ^.  Il  a  bien  voulu  donner  la  moitié'  du  1144. 
article  z^intilins  q^u'il  ïiommz^mmiliHs  Vamidoot 

iJ 


j 


Poètes    Latins.     213 

•''  yirgilii  Opéra  cttm  Comment.   Servît  VirgiLc. 
ll-fol.   afud  Robertum   Stephanum   I5'32. 

Ejufdem  cum  Comment.  Pontani^  ill- 

ohLugd.  1603.  .  Ejnfd.jOpera  iii-fol. 

'•  Typ.  Regia  1641.  —  Ejufdem  psr  JoaK, 
)gilvium  edit.  in- fol.  Lond.  1663.  —  Com^ 
nentate  in  Lingiia  Tofcana  ,  da  Giovanni 
^al;rini  in- fol.  f^enetia  160^.  •™  E'tifdem 
nm  Comment.  Tauhmanni  iii-4.  161 8.  — 
Ijiîfdem  cum  Notis  Variornm.^  3.  vol.  iii-8. 
'uUgd.-Bat.  1680. 

iEMILÎUS    MACER-, 

De  Vérone .,  du  tems  d'x\ugufte,  mort  en 
la  première  année  de  la  191.  Olympiade, 
de  la  fondation  de  Rome  73S.  feize  ans 
devant  notre  Epoque  ,  trois  ans  après 
Virgfie. 

:i49.  IL  nous  refle  quelques  fragmens  ^milius 
J.  qui  portent  le  nom  de  cet  ancien  M-acer. 
vlacer.    Mais  c'efl  aux  Hilloriens  plutôt 
[u'à  ce  refte  de  vers  que  nous  fommes  re- 
'evables  de  la  connoiliance  que  nous  a- 
'ons  de  ce  que  cet  Auteur. avoit  fait  pour 

con- 

1  ne  nous  reile  rien  du  tout.  Luciiis  Varius  esccl- 
Mit  roète  Epiqiie  3c. Tragique,  loue  hautement  par 
ïorace,  &  par  Quiarilien,  méxitoir  bien  un  aiticlc 
ntier  ,  puilqu'outre  le  jugement  avantageux  qu'a 
endu  de  la  Tiagedie  de  Thyefte  Quintiiien,  qui 
n  a  même  cité  deux  demi-veis  1.  3.  de  fes  Inftitu- 
ions  clup.  8.  il  nous  reite  quelque  douze  vers  de 
on  Pûëme  Héroïque  dt  mont  que  Macrobc  nous  a 
onfervés  dans  ks  Sacurnaks  jôc  que  Virgile  n'a  pis 
iitfaigué  de  copier. 


214      Poètes    Latins, 

jEmiltus     continuer  Homère,  &  fur  les  herbes,  les 
Aiaccr,      oifeaux   &  ks   ferpens  (i).    C'ell  pour* 
quoi  il  eft  inutile  de  nous  y  arrêter  (2). 

Mais  il  eil  bon  de  remarquer  que  l'Ou- 
vrage que  nous  avons  aujourd'hui  Tous  le 
nom  d'jî^milius  Macer  touchant  la  force 
^  la  vertu  des  Herbes  ,  imprimé  à  Frî- 
bourg  avec  les  Commentaires  de  Jean  A- 
trocien  l'an  ï5'30.  à  Venife  (3)  en  1^47.  à 
Francfort  en  15-40,  à  Baie  1581.  à  Ham- 
bourg en  1^96.  eft  une  pure  fuppofition, 
quoi  qu'en  ayent  voulu  dire  quelques  Cri- 
tiques &  quelques  Médecins  (4Vdontplu- 
lleurs  voyant  que  le  véritable  Macer  avoit 
été  connu  &  cité  par  Ovide  (5-) ,  &  que  ce 
prétendu  Macer  cite  Pline  ,  ont  cru  que 
c'etoit  toujours  Macer  ,  mais  qui  auroit 
vécu  du  tems  de  Pline. 

Quoiqu'il  en  foit,  Jules  Scaligerdit  (6) 
que  cet  Auteur  que  nous  avons  fur  la  ver- 
tu 

1.  Scalîger  docnc  la  continuation  d'Homerc  à  un 
antre  Macer  contemporain,  mais  qui  eft  mort  de- 
puis Ovide. 

^.  Ce  ne  iont  pas  les  Hiftoricnsqui  ont  parle' des 
Ouvrages  de  Macer.  Ovide  a  très-nettement  diftin- 
gu.'  deux  roëtcs  de  ce  nom.  Le  premier  dans  la  di- 
xième Elégie  du  4.  livre  des  Triftes.  Cet!  celui  qui 
mourut  32.  ans  avant  lui,  &  qui  déjà  foit  avancé 
eu  âge  lui  lut  its  Foëmes  des  plantes ,  des  oiîeaux ,  ÔC 
des  Terpens.  L'autre  Macer  à  qui  le  même  Ovide 
adiefle  la  iS.  EJégie  du  z.  liv.  desAmouiS5&  la  10, 
du  2.  liv.  de  Pr,nto  eft  celui  qui  avoit  entrepris  la  con- 
tinuation d'Homère.  Les  Hiftoriens  n'ont  fait  nul- 
le mention  de  ce  dernier  Macer,  que  Joleph  Scali- 
ger  fur  Eulebe  croit  avoir  furvccu  à  Ovide. 

2.  Voll  de  Hiftoric.  Latin,  lib.  1.  cap.  10.  te  lib, 
de  roëf.  Latin,  pag.  2I. 

3.  f .  U  ii€  faut  pas  croire  que  ces  Commentaires 

d'A- 


Poètes    Latins.       21^ 

tu  des  herbes  n'ctoit  point  Poète,  qu'il  é-  .tmilius 
toit  mauvais  Médecin  Ôc  mauvais  Verliû-  M^^cer. 
cateur. 

PROPERCE, 

Sext.  Aurel.  Prop.  fous  Aiigufte  ,  natif  de 
Bcvag'/îa  en  Omhrïe  ,  mort  après  Virgile 
&  devant  Horace  au  fentiment  de  quel- 
ques-uns. 

II p.   IWT  Ous  avons  de  ce  Poëtequatre  piopcrcc, 

x\|  Livres  d'Elégies  qui  nous 
font  connoître  qu'il  ne  le  faifoît  pas  gran- 
de violence  pour  réiîllcr  à  fes  pallions  , 
c'eft  ce  qui  a  fait  dire  au  Père  Briet  (7) 
qu'on  doit  le  confidérer  plutôt  comme  un 
bon  Poète  que  comme  un  honnête  hom- 
me. 

Jules  Scaliger  témoigne  (8)  qu'il  a  l'air 

aifé, 

d'AtrocIcn  aient  été  réimprimes  dans  les  oiiatrc  édi- 
tions ici  marquées,  pûfterieiires  à  celle  de  Fribourg, 
Celle  de  Francfort  qui  liu/it  ta  1540  parut  avec  les 
Commentaires  de  Cornarius  11  ell  bon  toucunt 
ce  taux  Alacer  de  voir  Saumaile  dans  la  pref.îce  fur 
fes  Homonyyna.  lj)lei  ïitrri,  *  ,  &  Jean  \lbeit  Fabrice  1, 
4.  de  fa  Biblioth.  Latine  c,  12.  n.  7. 

4.  Ap.  Jo.  AntoniJ.  Vander  Lindem de  Script.  Mc- 
dic.  5c  Voir,  ut  luprà. 

5.  Ovid.  lib.  4.  de  Triftib.  elcgiaia.     Idem  Jib.2, 
de  Ponto  eleg.  lo. 

6.  jul.  Cx\.  Scaliger  Hypcrcritic.  (c  '  lib.  «^.  Poe- 
tices  pag  Siz. 

Jofcph. Scaliger  Aaimadverlioa     nEueb.  Chroni- 
con  pag,  IS7. 

7.  riiiiiup.  Biietius  de  Pocr.  Latin.  prxHx.  Acutè 
dicl.  c^C. 

8.  Jul.  Cicf.  Scaliger  Toétices  Hypcrcric.  lib.  é, 
cap.  7.  pag.  854. 


2î6     Poètes    Latins. 

f  loperce.  ^^^^  ->  ^  beaucoup  de  naturel  ;  qu'il  a  fort 
bien  pris  le  Caratlére  de  l'Elégie.  Il  dit 
-qu'il  a  beaucoup  de  netteté,  quoique  les 
Critiquer  ayent  jugé  le  contraire,  fous 
prétexte  qu'il  n'aime  pas  les  chofes  com- 
munes ,  &  que  quelques-uns  l'ont  accufé 
d'aftèéter  les  grands  mots  pour  foutenic 
fes  penfces.  Mais  cette  dernière  accufatioii 
ne  regarde  que  les  derniers  mots  des  vers 
Pentamètres  qu'on  commençoit  alors  à 
ne  plus  goûter  dès  qu'ils  pailbient  deux 
fyllabes.  Aulîi  s'en  corrigea- 1- il  dans  la 
fuite  par  la  coiifulion  (i)  qu'il  eut  de  voir 
Ovide  &  Tibulie  fes  amis  réuiïir  mieux 
que  lui  dans  cette  pratique  qui  étoit  à  la 
mode  &  au  goût  de  ce  fîécle. 

Le  même  Critique  ajoute  que  ce  qu'il 
y  a  de  (ingulier  dans  Propcice,  c'elî  le  mé- 
lange des  Fables  qu'il  a  employées  en  tou- 
tes rencontres  dans  fes  vers,  parce  qu'ef- 
feclivement  la  Fable  eft  l'ame  de  laPoëlie, 
&  qu'il  fuivoit  en  cela  le  confeîl  que  la  cé- 
lèbre Corinne  avoit  donné  à  Pindâre. 

C'ett  par  cet  endroit  que  Voffius  cdi" 
moit  (2)  que  Properce  a  l'avantage  fur  Ti- 
bulie, parce  que  les  Fables  &  les  traits  de 
i'Hidoire  même  fervent  beaucoup  à  rem- 
plir &  à  foutenir  fes  Elégies.  Le  P.  Va- 
vaiTeur  a  fait  aufli  la  même  remarque  (3), 
à.  iï  ajoute  que  Timitation  des  Grecs  l'a 

ren- 

1.  ^.  Ce  qne  Jule  Scaliget  a  dit  avec  un  peut-êtrcy 
Baillet  le  dit  affirmativement. 

3.  Gérard  Joau.  Voflîus  inftitution.  Poëticar.lib. 
3.  pag.  55. 
V  5.  f  lanc.  VavaiT.  libr.  de  Lu4icra  diftion.  p.  1S7. 


Poètes    Latins.     217 

rendu  plus  favant.    En  effet  il  paflbit  pour  propcrcc. 
un  homme  de  beaucoup  d'érudition  parmi 
le  grand  nombre  des  Poètes  de  ion  liécle. 

Barrhîus  même  a  prétendu  (4)  que  dans 
toute  l'Antiquité  on  n'avoit  point  vu  avant 
Properce  un  Ecrivain  qui  eût,  pour  me  fer- 
vir  de  Tes  termes,  une  dodrine  plus  douce 
ni  une  douceur  plus  do6te  que  ce  Poète.  Il 
ditqucplusonlitcer  Auteur  plus  on  fe  trou- 
ve engagé  à  l'aimer,  que  pourvu  qu'on  puifïc 
obtenir  de  foi-même  aiïcs  de  patience  pour 
ne  point  fe  rebuter  d'abord  de  ce  qui  paroît 
obfcur^on  trouvera  infailliblement  dans  fa 
le61uredes  beautés  qui  doivent  être  d'autant 
plus  agréables  qu'elles  lui  font  naturelles. 

Enfin  Properce,  félon  Jofeph  Scalî- 
gcr  (5),  eft  un  Auteur  trcs-cloquent,  & 
a'un  llvle  très-châtic  &  trcs-pur;  &  félon 
le  P.  ■[<apîn,  il  a  de  la  noblclfe  &  de  l'élé- 
vation dans  fes  Elégies  (6).  Mais  avec 
tous  ces  avantages,  nous  n'offrions  pas 
dire  que  c'ell  ufi Ouvrage  qui  mérite  d'être 
lu  par  ceux  à  qui  les  maximes  du  Chriliia- 
nifme  &  celles  même  de  l'honnêteté  hu- 
maine apprennent  qu'on  doit  préférer  la 
pureté  des  moeurs  à  celle  du  langage. 
*  Voycs  Art.  1  ifi.  * 

[La  meilleure  Edition  de  ce  Pocteeft  cel- 
le de  Mr.Broeckhu\fe,dont  voici  le  titre: 
Scx.  Aur.  Propertit  Rle^iarum  Lih.  l^ ,  Ac* 
ced:mt  Nota  Zîf  terni  Ind-xes.  Amft.  in  -  4. 
1702.  Add.  del'Ed.  d'Amfl.]  HO- 

4.  Gafpar  Barthius  Adverfatiorum  lib.  p.  cap.  10. 
'  initio  col.  431, 

5.  loleph.  Scaliger.  in  pr'misScaligeranis  pag. 47, 
.  6.  Rcn.  Rapin,Refiex.  particul.  lui  U  Poctii^.  î, 
.part.Refl.  29, 

TomAlLPartJL  K 


2i8     Poètes    Latins. 
HORACE, 

{Quttit.  Hor.  Flaccus)  natif  de  Vemfe  ^  qui 
eft  maintenant  dans  la  Bafilkate  au 
Royaume  de  Napks.  Mort  à  Rome  la 
troiliéme  année  de  la  192,.  Olympiade, 
Tan  744.  de  la  Ville,  dix  ans  devant, 
notre  Époque,  &  fix  devant  la  NailTaii-^ 
ce  de  Jefus-Chrill,  neuf  ans  après  Vir- 
gile, fous  le  Confalat  de  Quintus  Fa- 
bius Max  i  mu  s  Africanus  &  de  Julius 
Antonius,  âgé  de  yo.  ans,  félon  fiint 
Jérôme  (i),  ou  plutôt  de  57.  félon  tous 
les  bons  Chronologiftes.  C'étoit  félon 
Scaliger  Tannée  du  Gonfulat  deMarcius 
Cenforinus  &  d'Afinius  Gallus  ,  deux 
ans  depuis  cet^te  première  datte,  quoi- 
qu'il prétende  avec  raifon  que  Suétone 
a  eu  tort  de  donner  cinquante-neuf  ans 
de  vie  à  Horace. 

Horace.      ^^5"^  T  xOrace  a  excellé  en  deux  genres 
JlI  de  Poëfics  fort  ditférens ,  lavoir 
le  Lyrique,    &  le  Satirique.  Dans  le  pre- 
mier genre  nous  avons  cinq  Livres  d'O- 
des ; 

— T'î!)  11'  ».  -  »     1        1        • 

T.  ^''Lcs   éditions  communes   de  la  Chroniqnc 

i'Eufebe  traduite  8c  augmentée  par  S.  Jérôme  por- 
tent tuutes  qu'Horace  mourut  en  la  57.  année  de  Ton 
âge.  L'édition  de  Scaliger  porte  que  ce  fut  en  la 
50.,  mais  quoiqu'il  y  aii  tout  au  long  </K';i^«£t:f  .7770 
rfM'i  t'ud  anno,  Scaliger  dans  les  Animadverfions  ne 
JailTc  pas,  rapportant  ce  texte,  de  lire,  fans  mar- 
quer y  avoir  fait  aucun  changement,  qutn'jungifim^ 

2.  Refeiectç  Jof.  ScaJig.  inprimis  Scalig.  pag  pr. 

3.  fl. 


Poètes    Latins.     219 

des;   &  dans  le  fécond  nous  avons  deux  Horace, 
Livres  de  Satires ,  deux  d'Epitres ,  parmi 
lefquelles  nous  comprenons  l'Art  Poëti^ 
que  dont  nous  avons  parle'  ailleurs. 

Mais  avant  que  de  rapporter  en  particu- 
lier les  jugemens  divers  que  les  principaux 
Critiques  ont  porte's  premièrement  fur  les 
Odes,  &  enfuite  fur  les  Satires,  il  eft  bon 
de  dire  quelque  chofe  de  ce  qui  regarde 
les  unes  &  les  autres  en  commun,  &  de 
ce  qui  fe  peut  attribuer  généralement  à 
tous  fes  Ouvrages  pour  nous  faire  connoî- 
tre  le  caradére  &  les  mœurs  du  Poète,  & 
fa  manière  d'écrire,  fans  nous  attacher  à 
des  méthodes  trop  fcrupuleufes. 

§.  I.      * 

'Jugemens  généraux  àes   manières  çj  des 
Çentimens  d^ Horace. 

I/Empcreur  Augufte  au  rapport  de  Jo- 
feph  Scaliger  (i) ,  difoit  qu'Horace  étoit 
un  Auteur  fort  corred  (3)  en  tout  ce  qu'il 
difo  t  &  en  tout  ce  qu'il  écrivoit,  &  qu'il 
avoit  l'efprit  fort  juile. 

Pour 

3.  %.  On  ne  trouve  nulle  part  qu'Augufte  ait  dit 
qu'Horace  etoit  un  Auteur  tort  correfi.  11  y  a  feu- 
lement lieu  de  juger  qu'il  le  cro)oic  tel ,  parce  qu'il 
en  goutoiî  fort  les  Ouvrages,  &  c'eft  ainli  que  doit 
être  explique  l'endroit  du  Prima  Scaligerjna,  eu  il 
eft  dit  Horurius  emenditijfimus  itf.cfor ,  ur  dni^Ar  ^rnrus- 
ttts.  Scaliger  fc  fondoit  fur  ce  que  Suétone  rappor- 
te dans  la  Vie  d'Horace,  touchant  i'ei\ime  qu'Au- 
gufte  faifoit  des  Ecrits  de  ce  Foctc.  Strif.a  qHÏdtm 
tjHi  HpjMt  adto  Pnbayit  f  &c. 

K  a 


220    Poètes     Latins. 

Horace.  Pour  ce  qui  eft  de  fon  ityle  &  de  fa  ma- 
nière d'écrire,  Erafme  a  jugé  (i)  qu*elle 
n'avûic  point  Tair  de  Ciceroii.  Mais  quoi 
que  cela  ne  fût  nullement  néceflaire,  on 
peut  dire  qu'Horace  avoit  allés  de  cette  hu- 
meur agréable  qu'on  a  remarqué  dans  Ci- 
ceron  (2'  pour  dire  de  bons  mots  ;  &  que 
cet  air  enjoué  &  railleur,  qui  a  paru  dans 
l'un  &  dans  l'autre  ,  étoit  peut-ctre  aulîî 
femblable  dan^  fon  principe&danï>fa  four- 
ce  qu'il  a  dû  être  ditrcrent  dans  Tes  etîets, 
autant  que  le  Cara61:cre  du  Poète  elt  diffé- 
rent de  celui  de  l'Orateur. 

Son  llyle  a  par  tout  autant  de  pureté 
qu'il  en  paroît  peu  dans  fes  mœurs  (3), 
dont  il  n'a  pu  s'empêcher  de  nous  raire 
voir  la  corruption  ,  n'ayant  pas  incmc  r'ait 
fcrupule  de  vouloir  la  communiquer  à  fe^ 
Lecleurs. 

Un  Auteur  fort  connu  de  nos  lours  pré- 
tend (4)  qu'il  y  a  une  maiigniié  &  un  air 
d'imipudcnce  répandu  dans  les  Ouvrages  , 
qu^il  n'y  a  point  d'homme  d'honneur  qui 
voulût  lui  être  femblable  en  ce  point,  de 
que  s'il  a  voulu  donner  cette  ''dée  de  lui- 
même,  il  a  péché  contre  la  vraie  Rhétori- 
que auffi  bien  que  contre  la  vraie  Morale. 

Pour  ce  qui  eft  de  fes  fentimcns    Mr. 

Blon- 

1.  Eiafin.  in  Dialog.  Ciccronian.  p.  147.  edit,  Ba- 
tav.  in  12. 

2.  Macrob.  in  Saturnalib.  poft  exam.    lib.  Virg. 
jEaeïd. 

3.  Olaiis  Rorrich.  Diflertar.  de  Poët.  Lat  pag.  50. 

4.  r.  Nicole,    Trait,  de  l'hduc.  du  Prince  part.  2, 
5.  38.  pag  6). 

$.  Franc. Blondel,f3oînpar.  dcPindaïc  Ôc  d'-Hoia- 

ce 


Poètes    Latins.     221 

Blondel  tcmoi^tic  (f)  qu'il  n'avoit  pas  de  Horace. 
pictc,  que  comme  il  le  vancoit  d'être  Epi- 
curien, il  te  mnquoit  allés  ouvertement 
de  fes  Dieux ,  ôc  que  l'on  trouve  un  ca- 
ra6lcre  d'impiété  marqué  en  plulieurs  en- 
droits de  les  Ouvrages.  Quoi  qu'il  parlât 
comme  le  Vulgaire  ,  on  peut  dire  qu'il 
n'en  avoit  ni  la  Rtligion  ni  la  créance,  & 
qu'il  a  fait  ailes  paroître  qu'il  n'étoit  point 
perfuadé  de  réxiltence  ni  du  pouvoir  de  fes 
Dieux.  Autfi  ne  leur  rendoit-il  pas  grand 
culte,  &  il  témoigne  lui- même  qu'il  étoit 
fort  peu  attaché  à  leur  fervice  ,  &  qu'il 
fréquentoit  peu  'enrs  Temples.  C'eft  ce 
q  'il  nous  apprend  dans  quelques  unes  de 
fes  Odes  (6).  Et  lorfqu'il  a  voulu  nous 
faire  croire  qu'il  avoit  été  touché  de  la 
crainte  des  Dieux  <ît  qu'il  vouloit  revenir 
de  fon  impiété ,  il  traite  les  caufes  de  cet- 
te converlion  prétendue  d'une  manière  li 
boutîbnne,  dit  Mr.  Blondel,  qu'il  n'y  a 
perfonne  qui  ne  connoille  qu'il  ne  parle 
pas  comme  il  penfe. 

Mais  au  reile^  tout  le  monde  convient 
que  fa  Morale  ell  admirable,  &  la  beauté 
de  fes  fenîimens  l'a  tïit  mettre  au  rang  des 
plus  excellens  d'entre  les  difciples  de  Pla- 
ton (7).  Ses  Sentences  font  fréquentes, 

mais 

ce  pag.  28.  &  fuivantes. 

6.  Horailus  ipfe  de  Te  5  P.irit*s  Dcorum  cultar  (x  in- 
frcqueiis  y   &Cc. 

7.  Louis  ThomafTîn  de  la  Méthode  d'étudier  & 
d'enfeigiier  Chrétien,  les  Poètes  liv.  i.  paît.  i.  chap, 
75,  nonib.  2.  pag.  iç6. 

Le  niëme  Auteur  paile  de  l'excellence  des  Satires 
d'Horace  Su  de  laCenfure  qu':l  a  faite  des  vices  dans 
le  mcnic  Ouviagc  chap.  14.  nomb.  ;.  pa^.  150,  151, 


122    Poètes    Latins. 

Horace.  ^^^^  elles  font  fi  nobles,  lijuftes,  &  pla- 
cées fi  à  propos  qu'on  peut  dire  qu'elles 
font  tout  rornement  de  fes  Ouvrages,  & 
qu'elles  font  comme  l'ame  de  fa  Poéfie. 
On  voit  qu'il  s'eft  attaché  avec  un  foin  par- 
ticulier à  faire  les  éloges  de  la  vertu  &  des 
perfonnes  vertueufes ,  &  qu'il  a  pris  plaifir 
d'abailler  le  vice  &  de  tourner  en  ridicule 
les  perfonnes  vicieufes.  De  forte  que  félon 
Mr.  Blondel  ,  on  ne  trouvera  peut-être 
rien  parmi  les  Ouvrages  des  Anciens  qui 
foit  plus  propre  que  ceux  d'Horace  pour 
nous  imprimer  les  fentimens  de  l'honnâ- 
teté  morale  (i). 

§.  2. 

Jugemem  fur  les  Odes  d* Horace. 

Quintilicn  dit  (2)  qu'entre  tous  les  Ly* 
rîques  Latins ,  il  n'y  a  prefque  qu'Horace 
qui  mérite  d'être  lu,  qu'il  a  de  l'élévation 
de  tems  en  tems, qu'il  eft  plein  d'agrémens 
&  de  beautés ,  &  qu'il  a^es  figures  &  des 
exprefilons  fort  hardies ,  mais  en  même 
tems  fort  heureufes.  Ce  bonheur  extraor- 
dinaire avec  lequel  Horace  fivoit  exprimer 
fa  penfée  a  été  remarqué  aufîi  par  Pétro- 
ne (3)  qui  le  loue  d'avoir  inf^^ré  fes  Sen- 
tences avec  tant  d'adreffe  dans  le  corps  de 

fes 

ï.  Blondel,  Compar.  dcPindarc  8c  d'Hoiacc  pag. 
7i.  7î.  ôc  fuivantcs, 

2.  Quintilian.  Inftitut.  Ocaroriar.  lib.  lo.  cap.  i. 

3.  Blondel ,  Conip.  de   findare  Se  d'Horace  pag. 
£tj,  28<f.  bi.  iuivaatcs,  à  l'occafioa  de  ces  mots  de 


Poètes    Latins.     223 

fes  pièces,  que  loin  de  paroître  hors  d'œu-  Horace,' 
vre  elles  font  nccellaires  &  cfTenticlles  aux 
fujets  pour  Iclqnels  il  les  employé. 

Jules  Scaliger  dit  (4)  que  toutes  fes  O- 
des  ont  tant  d'invention  &  de  grâces,  que 
fa  didion  a  tant  de  pureté ,  &  que  fes  fi- 
gures ont  tant  de  variété  &  de  tours  nou- 
veaux, qu'elles  ne  font  pas  feulement  à 
l'épreuve  de  la  cenfure  &  du  blâme  des 
Critiques,  mais  qu'elles  font  encore  beau- 
coup au  deiFus  de  tous  les  éloges  qu'on  en 
pourroit  faire,  ^  qu'elles  font  recomnian- 
dablcs  autant  pour  le  flyle  fublime  qu'il 
leur  a  donné  que  pour  la  douceur  &  la 
fimplicité  qui  les  accompagne. 

Le  même  Autuir  avoit  déjà  dit  aupara- 
vant (5-)  qu'Horace  eft  le  plus  éxaél  de 
tous  les  Ecrivains  Grecs  &  Latins,  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  travaillé  que  fes  V'ers 
dans  toute  l'Antiquité ,  qu'ayant  voulu 
joindre  la  majeflé  avec  la  belle  cadence 
dans  fes  Odes  il  en  eft  venu  fort  heureufc- 
ment  à  bout,  &  que  fi  ces  deux  excellen- 
tes qualités  ne  fe  trouvent  point  dans  fes 
autres  Ouvrages,  il  eit  aifé  de  voir  qu'il 
ne  les  y  a  pas  voulu  employer,  &  qu'il 
n'y  a  pourtant  rien  perdu  de  fa  réputation , 
puifque  c'eft  plutôt  par  un  effet  de  fon  ju- 
gement que  de  fon  impuilfance  qu'il  les  a 
voulu  dépouiller  de  ce  double  ornement.  Il 

a 

Pctronc:  ir  Noratil  chvio'a  félicitas  y  qu'il  cite  néan- 
moins dans  une  autre  vue. 

4.  Jul.  Cacf.  Scalig.  iiypeiciit.  feu  lib.  6.  Pocticcs 
pHg.  879.  cap.  7. 

s.  Idem  in  Ciitico  (eu  lib.  5.  roctic.  cap.  7.  pag, 
6S9. 

K4 


224     Poètes    Latins. 

Koxacc.  a  préienda  pourtant  qu'Horace  avoît  bien 
des  duretés  ;  mais  qu'elles  fout  cachées 
dans  les  vers  Lyriques  fous  diverfes  beau- 
tés comme  fons  de  beaux  habits,  au  lieu 
que  n'ayant  rien  dans  fes  autres  Vers  qui 
les  pu-He  couvrir,  elles  choquent  le  mon- 
de par  leur  difformité,  il  ajoute  qu'on  n'a 
point  raifon  de  dire  qu'Horace  en  ces  en- 
droits ne  fongeoit  qu'à  la  pureté,  parce 
que  cette  qualité  n'efl  point  incompatible 
avec  la  douceur.  Mais  les  Crîp'ques  d'au- 
jourd'hui confidérent  ce  dernier  point  coni- 
me  le  fruit  d'une  imagination  déréglée. 

C'eft  pourquoi  rien  ne  nous  doit  empê- 
cher de  croire  avec  le  Père  Briet  (i)  &  les 
autres,  qu'on  n'a  point  encore  vu  perfoîi- 
ne  de  ceux  qui  ont  embrafTé  le  genre  Lyrir 
que,  qui  ait  pu  joindre  Horace,  &  qu^on 
trouve  dans  ce  qu'il  a  fait  une  délîcatelïè 
inimitable j  une  netteté  &  une  polittfle  de 
langage  incomparable,  avec,  l'idée  ou  la 
forme  de  la  Latinité  la  plus  exîquife. 

On  ne  peut  pas  lui  conteftcr  ce  glorieux 
avantage  fur  tous  les  Romains  qui  ayent 
jamais  écrit  en  vers  Lyriques;  (i) ,  puis- 
qu'il eft  le  premier  &  le  deriiier,  &  par 
conféquent  le  feul  &  l'unique  de  fa  lan- 
gue dans  tout  ce  grand  Empire,  félon  le 
Sieur  RoPteau,  qui  femble  n'avoir  pas  eu 
grand  tort  d'en  exclure  Catulle  (3}.    Et 

pour 

1.  Philip.  Briet  lib.  z.  de  Poëtis  Lat.  pag.  22.prx- 
fix.  Acutè  dift.  Poër. 

2.  ^.  Il  y  a,  dans  le  4.  livre  des  Syives  de  Stace 
deux  odes 'j  Tune  Alcaïc]ue,  l'autre  Sapphique,  les- 
quelles au  fentiment  de  Mi.  Huec  pa§.  i66.  de  Tes 

Qd- 


Poètes  Latin  Si  iif 
pour  ce  qui  regarde  les  Poctes  Lyriques  Houc*^ 
qui  ont  éclate  dans  l'état  de  plus  floriffant 
de  la  Grèce,  je  trouve  la  plupart  des  Cri« 
tiques  ailes  dilpolcs  à  les  fbûmettre  à  no- 
tre Pocte  Latin. 

Horace ,  dit  Mr.  Godeau  (4) ,  vaut 
mieux  tout  feul  que  les  trois  principaux 
Poètes  Lyriques  des  Grecs,  qui  Ibnt  Sap- 
pho,  Anacreon  &  PuKiare.  Car  quelque 
grandj  que  Toit  la  délicatefTe  des  deux 
premiers,  elle  n'a  rien  au  deiFns  de  celle 
d'Horace;  &  quand  celui-ci  confelfe  que 
Pindareelt  au  dtlîus  de  toute  initation,  il 
a  voulu  faire  voir  la  défiance  où  il  étoit  de 
fes  propres  forces,  &  il  croyoit  devoir  fuî- 
vre  l'opinion  conuiiune  pour  tâcher  de 
gagner  l'efprit  de  les  Ledeurs  par  ce  té- 
moignage de  fa  modelliw 

On  ne  peut  point  nier  qu'il  ne  fe  le  foft 
propofé  comme  un  des  nîodéles  qu'il  au- 
roit  pu  fuivre,  mais  il  ne  s'eH  point  bor- 
né a  la  mefure  de  ce  Grec  ,  il  ne  s'eft- 
poiiit  contenté  de  l'atttindre,  en  un  mot 
i"]  ell  devenu  plus  habile  que  lui.  Ses  ma- 
nières font  incomparablemen-t  plus  délica- 
tes, fan  llyle  ell  beaucoup  plus  poli,  la 
ftrudurc  de  les  vers  plus  belle  tSv  les  pen- 
fces  plus  raiibnnables.  Ce  même  Auteur 
ajoute  que  toutes  les  richeffes  de  la  Lan- 
gue  Latine  éblouïiièut  les  yeux  dans  Cqs> 

Ou- 

Origines  de  Caen,  font  des  chef-d*œuvres. 

3.  Rofte-au  Sentim.   ûir  quelques  Aurcurs  partku*' 
lieis  MS   pati.  4S 

4.  Ant.  Godeau  Evêq.ue  de  Vence ,  Difcours  fut  lc5> 
Oeuvj:«s  de  Malhcxbe. 


226    Poètes    Latins. 

Hohce,  Ouvrages  ;  que  toutes  les  délicatefles  y 
chatouillent  les  oreilles,  &  que  nous  n'a- 
vons point  de  fource  qui  foit  plus  pure  & 
plus  abondante  en  même  tems. 

Le  P.  Rapin  femble  avoir  été  dans  le 
même  fentimeut  que  ce    Prélat  pour  la 
comparaifon  qu'on  peut  faire  d'Horace  a- 
vec  les  Lyriques  Grecs  (i).    Il  dit  qu'Ho- 
^     race  dans  les  Odes  a  trouvé  l'art  de  joindre 
toute  la  force  ce  l'élévation  de  Pindare, 
à  toute  la  douceur  &  la  dclicatefTe  d'Ana- 
creon,  pour  fe  faire  un  caradére  nouveau 
en  réuniffant  les   perfe6lions  des  deux  au- 
tres. Car  outre  qu'il  avoit  l'cfprit  naturel- 
lement agréable,  il  l'avoit  aulTi  grand,  fo- 
lide,  &  élevé  ;  de  forte  qu'il  faut  être  plus 
que    médiocrement  éclairé   &  pénétrant 
pour  voir  tout  cet  efprit  dans  fon  éten- 
due, &  pour  pouvoir  découvrir  toutes  les 
grâces  fecrettcs,  dont  il  femble  avoir  vou- 
lu ôter  la  connoiflance  au  commun  de  fes 
Leéleurs. 

Mais  il  n'y  a  perfonne  de  ces  anciens 
Lyriques  de  la  Grèce  avec  qui  on  ait  pris 
tant  de  plaifir  de  le  comparer  qu'avec  Pin- 
dare. Jules  Scaliger  malgré  fon  averfion 
qui  lui  donnoit  un  mauvais  goût  pour  lui, 
reconnoît  que  la  comparaifon  ell  jufte.  il 
"eft  obligé  d'iivoutr  même  (2)  qu'Horace 
efl  beaucoup  plus  éxad  que  Pindare,  que 

ks 


T.  René  R!»pin,  Reflex.  partkul.  fur  la  Poétique, 
|>ag.  2    Reflex    xxx. 

z.  Jul.  Cxf.  Scalig.  lib.  tf.Foëtic.  ut  fup.  pag.  S79, 
j.  <^.  Scaiigei  a  imic^uemcut  lemaiç^ué  ie  ficquent 


Poètes  Latins,  iiy 
les  fcntences  en  font  p'us  belles  &  plus  Horactf, 
fréquentes;  quM  ne  fe  donne  point  tant 
de  licence; que  s'il  témoigne  de  la  hardief- 
fe,  il  a  foin  de  ne  point  blefler  le  refpeél 
qu'il  doit  à  ^on  Ledleur  ,  &  qu'il  n'ell 
point  gcné  dans  cet  air  de  grandeur  qu'il  a 
donné  à  Tes  cxprefïions  pour  attirer  fur  lui 
nos  applaudiilemens  &  notre  admiration. 
Il  ajoute  pour  achever  ^o\\  éloge  qu'il  n'y 
a  rien  de  lâche  ni  rien  de  defuni  dans  tout 
ce  qu'il  a  fait,  que  tout  y  ell:  (i  ferré  &  fî 
naturellement  lié,  qu'il  femble  que  totit 
foit  d'une  p;cce.  Voilà  ce  que  ce  Critique 
a  crû  pouvoir  dire  à  l'avantage  d'Hora- 
ce, mais  fi  on  l'eu  veut  croire,  il  a  di- 
minué le  prix  de  toutes  ces  bonnes  quali- 
tés par  les  fréquentes  répétitions  d'un  mê- 
me fujet ,  par  quelques  façons  de  parler 
q-ui  paroilTent  trop  dures,  &  par  l'emploi 
de  fes  adje£l  fs  en  ofus  (3)  qu'il  prétendoit 
mettre  en  uliige,  mais  qui  ne  pouvoient 
fervir  qu'à  dégoûter  &  à  rebuter  le  Lee» 
teur. 

Mr.  Blondel  qui  a  entrepris  de  faire  le 
Parallèle  d'Horace  avec  Pindare  plus  par- 
ticulièrement que  les  autres,  &  qui  en  a 
fait  un  Traité  iingulicr,  nous  apprend  que 
le  Poète  Latin  ne  cède  point  au  Grec  pour 
la  fécondité  &  la  fubl imité  de  fes  inven- 
tions,  la  richelle  &  la  hardielîe  de  fes  ex- 

pref- 

ufagc  des  adjeftifs  en  o^hs  dans  Horace,  fans  en  ti- 
icr  contre  lu"  aucune  mnuv.;ire  conlequence  ,  tant 
pa.ce  que  ces  m^ts  fo'it  d'eux  mcmes  tiès  Latins  » 
que  paice  qn'ils  ne  font  employé*  qu'à  uac  ioBgac 
diflancc  la  plûpaxt  les  uns  des  aucxcs. 

K  6 


2.28    Poètes    L  a  t  i  k,  s^ 

Horace..  prefOons ,  mais  que  la  diction  eft  plus  châ» 
liée  &  plus  pure  dans  Horace  que  daas^ 
Pindare  (i).  Cet  Auteur  a  remarqué  enco- 
re dans  la  lliite  de  fon  Traité  qu'Horace  a- 
bien  piAis  d'étendue,  de  ûvoir  &  de  con- 
noilîliaces  que  Findare,  qu'il  a  plus  d'é- 
galité ,  plus  de  douceur  ,  plus  d'enjou- 
mens  (2,) ,  &  beaucoup  moins  de  fau- 
tes (3). 

Il  en  efl  donc  d  Horace  comme  de  Vir- 
gile à  l'égard  des  anciens  Poètes  qui  les 
ont  précédé.   Ils  ont  l'un  &  Tauue  perfec- 
tionné ce  qu'ils  ont  pu  prendre  dans  ces 
Auteurs  &  qu'il-s  ont  pu  convertir  à  leur 
ufage,  de  forte  qu'on  peut  dire  qu'ils  ont 
fait  plus  d'honneur  à  ces  Anciens  qu'ils 
D'en  ont  retiré  d'utilité.    On  peut  juger, 
néanmoins  qu'Horace  a  été.  plus  fcrupu- 
leux  ou  plutôt  plus  indiiterent  que  Virgile 
pour  chercher  à  protiter  des  lumières  de 
CQS   Anciens,   &   que  loin  de  vouloir  fe 
rendre  fufpcd  d'avoir  jamais  été  Plagiai- 
re,  il  ne  pouvoir  même  fou  fi  rir  ceux  qui' 
faifo'ent  profefTion  d'imiter  les  autres,  <Sc 
traîtoit    ces    imitateurs    f^ammaux    efcia' 
Tes  (4J.  C'ell  pourquoi  quelques-uns  ont 
pris  pour  une  plaifanterie  de  Rodomont 
(5)  la  penfée  qu'a  eue  Scaligei  le  Père  de 

dire 

r.  Franc.  Blonde!  ,CompîW.  de  Pindare  &  d'Hora- 
ce pag.  248.  &  fui  vantes. 

2.  il.  En'ioument  auroit  été  mieux  au  fingulier. 

3>  Le  irême  pag.  283.  284   &c. 

4.  HoTot    'pfe:   O  /mtiiicrfs  ffr  Km  pertis.  ^ 

S.%  Upoujro  ry  avoir  plutôt  delà  malignité' dans 
icite  genfte  ^ue  de  laiodomontadc ,  paice  qu'en 

JlCii! 


I 


Poètes    Latins.     229 

dire  (6)  que  ii  nous    avions  tous  les  Ou-  Horace, 
vragcs  que  les  anciens  Poètes  Grecs  ont 
faits  duns  le  genre  Lyrique, on  auroit  plus 
de  lieu  de  remarquer  un  grand  nombre  des 
larcins  d'Horace. 

Pour  ce  qui  eft  des  fcntimens  du  Pocte 
dans  (es  Odes,  on  pourroit  s'en  iniiruire 
fur  ce  que  j'ai  dcja  rapporte  de  fa  Morale 
en  général.  Lasvinus  Torrentius  Evcque 
d'Anvers  dit  de  fes  Ouvr;iges  Lyriques  en 
particulier  (7)  que  ce  ne  font  point  des 
dîfputes  lubtiles,  nf  des  raifonnemens  trop 
étudies,  mais  que  c'ell  tout  ce  qu'on  peut 
fouhaiter  d'un  homme  Païen  très-bien  ins- 
tru't  des  maximes  de  la  Morale,  &  des 
devoirs  de  la  vie  de  l'homme;  qu'on  ne 
peut  rfen  imaginer  de  mieux  penfé  &  de 
mieux  dit  fur  la  manfére  de  mener  une  vfe 
honnête ,  tranquile  &  heureufe  ;  qu'on 
peut  dire  que  c'eft  une  Philofophîe  dont 
les  préceptes  font  tirés  des  exemples  de 
Poètes  &  d'Hilloriens,  &  du  train  ordi- 
naire de  la  vie  &  de  la  focieté  civile.  Et 
Mr.  Rortcau  (8)enime  que  perfonne  d'en- 
tre les  x'^ncfens  n'a  loué  avec  tant  d'orne- 
mens  qu'il  a  fait  dans  fes  Odes  la  Juftice, 
la  Fidélité, la  Continence, la  ModeQie,la 
Patience  dans  la  pauvreté"^  dans  les  af- 

flic. 

nous  donnant  lieu  de  croire  qu'Horace,  n'eft  pas  ori- 
ginal ,  on  rahaiffe  d'îiuranr  fon  mérite.  Voyés  la 
24J    Epitre  de  Scaliger  le  fils. 

6.  Scalig.  in  Critic.  feu  Jib.  ç.  Poët.  c.  7.  pag.  «jp. 

7.  Lacvin.  Toncnr.  Prïfat.  Coramenraiior.  in  Ho- 
rat. 

8.  Rofteau  pag.  48.  parmi  Ces  Sentira,  fui  les  A«^ 
Muts  q^u'il  a  lus,   V.  ci'dcfl'us. 


230     Poètes     Latins. 

Horace.  Aidions ,  &  le  mépris  de  toutes  les  chofes 
périlTables  de  ce  Monde  :  &  que  perfonne 
n'a  blâmé  davantage  ,  ni  plus  agréable- 
ment perfécutc  les  vices  oppofés  à  ces  ver- 
tus. 

C'eft  toujours  grand  dommage  qu'une 
partie  de  tant  de  belles  maximes  n'ait  pu  fe 
garantir  (1)  de  la  corruption  du  cœur  de 
leur  Auteur. 

§•3- 

'Jugemens  fur  les  Satires  d'Horace, 

Les  Romains  fe  font  attribués  tout 
f  honneur  de  la  Satire  fans  en  avoir  obli- 
gation aux  Grecs  ,  de  qui  ils  reconnoif- 
foient  avoir  reçu  les  Arts  h  les  Sciences. 
LuciliuS  fut  le  premier  dans  Rome  qui  y 
acquit  quelque  réputation.  Mais  Horace 
étant  venu  après  lui  Teffaça  prefque  entiè- 
rement &  témoigna  moi': s  d'aigreur  que 
lui.  Il  eft  aufli  beaucoup  plus  net  &  plus 
poli  félon  Quintilien  {^)  qui  ajoute  qu'Ho- 
race eft  admirable  quand  il  s'agit  dépein- 
dre les  mœurs 

Mr.  Defpreaux  femblc  n'avoir  pas  vou- 
lu exclure  l'aigreur  du  caraftcre  Satir-que 

d'Ho- 

ï.  ^.  Peut-être  a  t-il  voulu  dire  n^dt  pu  garantir  dt 
CtrrHpt'"»  le  taur  de  leur  ^A.tlttir. 

2.  Blond,  pag.  240.  241  de  la  Comp.  de  Pindarc 
&  d'Horace,    Q.uintil.  lo.  ijftit.  i. 

3.  Boil.  Delp.  Chant  2.   de  l'Art  lootique,  Vex$ 

J5». 

4.  Pciiiua  Satiia  i.  ilc  habet; 


Poètes    Latins.    231 
d'Horace,   &  dire  qu'il  s'eft  contenté  d'à-  Horace' 
jouter  à  celle  de  Lucil'us  ce  qui  pouvoit 
lui  manquer  pour  la  perfcdionner  &  pour 
la  rendre  plus  agréable  &  plus  utile  (3). 

Horace  à  cette  aigreur  mêla  fonenjoument. 
On  ne  fut  plus  ni  fat,  ni  fot  impunément. 

Perfe  qui  dtoît  de  la  même  profcfTion 
que  lui  femble  dire  (4)  que  toute  l'adrefTe 
&  le  grand  art  d'Horace  confifle  à  toucher 
les  dctauts  des  autres  d'une  manière  déli- 
cate, agréable,  qui  divertit  &  qui  tait  rire 
même  ceux  qui  ont  quelque  part  à  la  Sa- 
tire, &  à  fe  moquer  li  fpîrituellement  de 
fes  Spedateurs  ou  de  fes  Ledeurs,  qu'il 
les  porte  à  fe  mocquer  d'eux-mêmes  fans 
s'en  appercevoir. 

AulTi  le  P.  Rapîn  a-t-il  bien  fu  remar- 
quer que  la  délicateffe  &  l'adrefTe  à  repren- 
dre finement  ell  le  vrai  caradére  d'Hora- 
ce is)-  Ce  n'étoit ,  dit -il,  qu'en  badi- 
nant qu'il  exerçoit  la  cenfure.  Car  il  fa- 
voit  très-bien  que  l'enjoument  d'efprît  a 
plus  d'effet  que  les  railbns  les  plus  fortes 
&  les  difcours  les  plus  fententieux  pour 
rendre  le  vice  ridicule. 
Dom  Lancelot  dit  (6)  que  cette  manière 

fim- 

Omne  vafer  vitium  ridtnti  FUccus  ^mico , 
TAngit  i  ir  admijfus  ciïcurn  orxcordia  ludit , 
Catlidus  ercitTo  Ptpulitm  ftifpenife  na;'a 

5.  Ken.  Rupin,  Reflex.  xxviii.  fur  la  Poct.  fé- 
conde partie. 

6.  Lancel.  Nouvel.  Meth.  Lit.  Tiaiu  dclaloëiit 
tat.  pag.  »77.  chap.  4.  n,  ^ 


232.     Poètes     Latins. 

Horace.  limple  &  balle  en  apparence,  telle  qu'elle 
paroît  dans  Horace,  eil  prefque  au  delà  de 
toute  imitation  ;  &  que  ceux  qui  prêtèrent 
les  Satires  de  Juvenal  à  celles  de  ce  Poète, 
témoignent  avoir  peu  de  goût  du  bel  air 
d'écrire  ,  &  ne  diicerner  pas  ailé^i  l'élo- 
quence d'avec  le  (lyle  des  Déclamateurs. 
Une  feule  Fable  que  conte  Horace,  com- 
me celle  du  Rat  de  Ville  6c  du  Rat  deCam-^ 
pagne,  celle  de  la  Grenouille  &  du  Bœut\ 
celle  du  Rcnara  &  de  la  Belette,  a  plus  de 
grâce  que  Tes  endroits  de  juvenal  les  plus 
étudiés.  Il  n'y  a  rien  aulfi  de  plus  ingé- 
nieux ,  félon  cet  Auteur,  que  les  petits 
Dialogues  qu'il  entremêle  dans  Tes  dis- 
cours fans  en  avertir  fon  Ltdeur  par  des 
inquam  ou  des  inquït ,  comme  fi  c'étoit 
dans  une  Comédie. 

Mais  ce  qu'il  y  a  particulièrement  d'ad- 
mirable e(i  l'image  qu'il  fait  par  tout  de 
l'hmntur  des  hommes,  de  leurs  palîions 
&  de  leurs  folies,  fans  s^épargner  lui-  mê- 
me, C'eil  ce  qu'a  remarqué  aufîi  Mr. 
Blondel  (i)  lorfqu'il  dit  que  l'ingénuité 
d'Horace  &  l'aveu  li  franc  &  li  naïf  <.]u'il 
fait  de  fes  propres  défauts  dans  fes  Satires 
raviflent  fon  Le^leur  aulfi  bien  que  la  jus-- 
teffe  de  fon  lens  qui  régne  prefque  partout, 
&  qui  empêche  que  fon  caradtére  railleur 
ne  tombe  dans  le  genre  bouffon. 

Dom 

T.  Blondel  pag.  7i,  73.  de  la  Compar.  de  Plndaïc 
&- Horace. 

2.  Ger.  Joan,  Voiïîus,  loftitution.  Foetic.  lib.  3. 
pag.  41.  4Z.  &c. 

Ant.  Godeau,  Hiftoiic  de  l'Eâ^ifc  à-  U  fia  d* 
çrciniej:  ûécle^ 


Poètes    Latins.    233 

Dom  Lancelot  n'ell  pas  le  fcul  qui  ait  Horace. 
j..^6  Horace  prcterable  à  Juvenal,  c'a  tté 
qicore  le  femiment  de  Voflîus  ,  de  Mr. 
Gudeau  (2),  &  de  divers  autrey  Criti^^ues, 
comme  iioub  le  verrons  ailleurs;  &  Ton 
jpçut  dire  que  le  Public  s'accommode  à  leur 
goût  d'un  confcnteirient  qui  paroît  afTcs 
géne'ral ,  parce  que  bien  qu'Horace  ne  foit 
pas  moins  mordant  que  Juvenal, &  que  Ton 
fel  ne  ibit  gucrcs  moins  acre  ,  on  aime 
mieux,  le  voir  mordre  en  riant,  &  picquer 
avec  Tes  plaifanteries  à.  les  agrcmens,  que 
de  voir  Juvenal  faire  la  même  chote  en  co- 
lère &  toujours  dans  fou  fcrieux. 

C'ell  pourquoi  ces  Critiques  ont  eu  rai- 
fon  de  fj  mocquer  de  Jules  Scaliger,  lors- 
qu'il a  prétendu  faire  pafTer  pour  des  fots 
&  pour  des  bêtes  ceux  qui  ont  ofé  dire 
qu'Horace  efl:  proprement  le  feul  qui  ait 
connu  parfaitement  la  Nature  &  le  vérita- 
ble Caradcre  de  la  Satire  (3),  &  que  Ju- 
venal a  plutôt  l'air  d'un  Déclamateur  que 
d'un  Pocte  Satirique.  11  foutîent  que  Ju- 
venal a  beaucoup  mieux  répondu  qu'Ho- 
race, à  l'inftitut  &  à  la  fin  de  la  Satire; 
qu'il  y  a  dans  celui-là  des  pointes  &  des 
rencontres  plus  fines  cSc  plus  ingénicufes 
que  toutes  celles  qu'on  trouve  dans  celui- 
ci:  que  cette  Urbanité  &  ces  agrémens 
.qu'on  loue  tant  dans  Horace ,  n'ont  pas 

le 

3.  Jul.  Cxf.  Scalig.  in  Hypetc.  feu  lib.  6.  Toct. 
cap.  7.  pyg  S67  ôc  f^q.  Item' p.  ?7i  2<  Teq.  lidit 
aux  pages  &76.  877.  que  le  liyle  des  Epitres  d'Hora- 
ce ell  plu<  net  que  celui  de  les  Satires,  2c  qu'elles 
Qnt  plus  de  douceur,  d'eleg^nce,  d'agrément  ôc  de 
Ë:i  niëmc 


234     Poètes    Latins. 
Hoxacc      le  goût    fi   relevé  que  ceux  de  Juvenaî. 

Il  ajoute  que  ce  qu'il  y  a  de  bien  agrca* 
ble  dans  Horace,  ce  Ibnt  ces  petites  Fa' 
blés  &  ces  plaifans  Apologues,  mais  que 
cela  ne  nous  donne  point  envie  de  rire; 
qu'Horace  efl:  autant  inférieur  à  Juvenal 
que  Lucilius  efl:  inférieur  à  Horace  ;  en  un 
mot,  que  fi  l'on  coufidére  la  variété  des 
fujets ,  radrelfe  &  l'artifice  dans  la  maniè- 
re de  traiter  les  chofes,  la  fécondité  de 
l'invention  -,  la  multitude  des  Sentences, 
la  force  &  la  véhémence  de  la  cenfure,  la 
véritable  Urbanité  ,  &  l'agrément  même 
des  plaifanteries  ,  Juvenal  doit  l'emporter 
fur  Horace. 

Il  accufe  ce  dernier  d'avoir  fort  mal  pra- 
tiqué cette  fimplicité  qu'il  a  tant  recom- 
mandée aux  autres,  &  que  de  quelque  gen- 
re que  foient  les  matières  qu'il  embrafTe, 
il  n'a  pu  s'empêcher  de  les  traiter  toutes 
d'une  manière  Satirique,  tant  il  étoit  peu 
Maître  de  fon  génie  &  de  fes  inclinations. 
C'efl  ce  qu'il  a  tâché  de  faire  voir  dans  u- 
ne  longue  dédudion  de  divers  endroits, 
où  l'on  a  crû  trouver  quelque  air  de  ma- 
ligni  é  ou  une  envie  fecrctte  de  chicaner. 

Au  refi-e  les  Satires  d'Horace,  parmi  les- 
quelles on  comprend  auffi  fes  Epirres,  ne 
font  pas  d'un  ftyle  û  élevé  que  fes  Odes, 
il  femble  au  contraire  qu'il  ait  afFeélé  de 

le 

1.  Horat.  de  (e  ipfo:  Exlmuantis  eaj  confulte. 
Franc.  Blondel,  Comp.  de  Piud.  ôc  d'Hor.   pag, 

250.  zst. 

2.  Nouvell*;  Méthode  pour  la  Lang,  Lat.  Tr.  delà 
Pocf.  Lat.  comme  ci- dcflus. 


Poètes    Latins.     235* 

le  rabaiiFer,  &  d'en  diminuer  la  force  ex-  Hojacc, 
près ,  pour  faire  voir  que  ce  n'efl  point  fur 
de  grands  mots  ni  fur  des  exprelTions  fu- 
perbes  qu'il  vouloit  élever  fes  penfées, 
comme  ont  fait  fouvent  les  autres  Satiri- 
ques ,  félon  la  remarque  de  iVIr.  Blon* 
del  (i). 

Quelques-uns  ont  pris  fujet  de  cette 
bafTefTe  aifedée  ou  plutôt  de  cette  fimpli- 
citc  naturelle,  pour  tâcher  de  diminuer  le 
prix  de  ces  Satires  &  de  ces  Epitres  :  mais 
Dom  Lancelot  prétend  (2)  que  c'eft  par  un 
effet  de  leur  mauvais  goût  qu'ils  en  ufent 
de  la  forte,  s'ils  ont  crû  devoir  trouver 
dans  ces  Pièces  d'Horace  la  majeflé  &  la 
cadence  des  vers  héroïques  comme  dans 
Virgile;  ou  par  une  fuite  de  leur  ignoran- 
ce ,  ne  fâchant  pas  qu'Horace  a  fait  ainfi 
fes  vers  à  delTein  pour  les  rendre  plus  fem- 
blables  à  des  difcours  en  profe,  comme  il 
nous  en  a  averti  lui-même  (3),  lorfqu'il  a 
bien  voulu  fe  retrancher  de  la  Compagnie 
des  véritables  Poètes  ,  «St  donner  l'exclu- 
fîon  de  la  Poèlie  à  fes  Satires  &  à  fesE- 
pîtres. 

C'eft  une  négligence  étudiée  qui  eft  ac- 
compagnée de  tant  de  grâces  &  d'une  fi 
grande  pureté  de  H  y  le,  qu'elle  n'efl  gué- 
res  moins  admirable  en  fon  genre  que  la 
gravite  de  Virgile.    C'cll  aulîi  la  penfée  de 

plu- 

3.  Horat.  lib.  i.  Satir.  4.  hxc  habct: 
Prinium  ego  me  illorum  dedcrim  quiLus  ejjc  Poêtas 
ExctrpAm  numéro  j  necjHe  eftim  concludere  verfum 
Dixeris  ejje  falit  :  nequt  fi  (jm's  fcrihat  ,  uti  no.'  , 
Sirmofii  fropiora  ,  put  a  hune  ejfe  PociAm. 


236  Poètes  Latins. 
Hora«è.  plulieurs  autres  Critiques,  &  particulière- 
ment de  Grotius  (i)  &  du  Bibliographe 
Allemand  (2),  qui  jugent  qu'il  n'y  a  rien 
de  plus  utile,  fur  tout  pour  les  jeunes 
■gens  ,  que  cet  air  négligé  &  naturel  ac- 
compagné d-e  cette  pureté  originale  de  la 
Langue. 

Mais  Scaliger  le  Père  a  prétendu  fe   fî- 
gnaler  en  fe  diflinguant   des  autres  par  l'a 
îingularité   de  fon   fentiment.    Il   femble 
qu'il  ait  voulu  vanter  Lucilius,  dont  Ho- 
race avoit  dit  que  les  vers  entraînoicnt  de 
la  boue  en  coulant,  &  diîe  qu'il  n'appar- 
tenoît  point  à    Horace   de   p-rler  li  mal 
•de  Lucilius ,  puifque  lui*méme  elt  encore 
plus  défe61:ueux  ,  6r  qu'il  n'eft  pas  même 
coulant  en  la  manière  qu'il  l'a  reconnu  de 
Lucilius    (3).     Si   Ton  veut   fuivre  cette 
penfée ,   on  fera  naturellement  engagé  à 
croTC  que  c'ett  donc  la  boue"  qui  empêche 
le  ftyle  d'Horace  de  couler,  comm.e  fait 
celui  de   Lucilius    nonobflant  le    même 
obflacle  ;   cependant  le   même   Scaliger  , 
avoit   reconnu  auparavant  dans   les   Sati- 
res d'Horace  une  grande  pureté  de  flyle, 
jufqu'à  prétendre  que  la  trop  grande  atfec- 
tation  pour  cette  pureté  Jui  a  fait  perdre  la 
douceur  qui  efl:  une  des  meilleures  quali- 
tés qu'on  puilFe  donner  à  fon  ftyle.     Ce 
qui  nous  fait  voir  que   ce  grand  homm^e 
s'oublioit  quelquefois   lui-même,  &  que 
s'il  falloit  avoir  égard  à  un  jugement  qui 

pa- 

1.  Hugo  Grotiu»  Epift.   ad  Benj.  Auberium  Mau- 
rcr.  poft.  G:ibi.NaiidaciBibl!Ograp.  Pocticam  pag.  134.. 

2.  Anon/m.   Bibiiogt.   Cur.    Hiftcr.    PhiiologiCv 
pag.  âz. 


Poètes     Latins.     237 
paroît  n  peu  équitable,  ce  feroit  pour  di-  Horace' 
minuer   quelque    choie   de   fa   réputation 
plutôt  que  de  celle  d'Horace. 

Eutin  pour  achever  de  peindre  le  carac- 
tère du  iiyle  des  Satires  d'Horace,  on  peut 
dire  avec  MelTieurs  de  Lefplick  qui  dres- 
fent  les  Ades  des  Savans  (4),  que  parmi 
les  trois  principaux  Satiriques  de  1  Antiqui- 
té dont  nous  avons  quelque  chofe  d'en- 
tier, celui-ci  tient  le  milieu  entre  les  ex- 
trémités des  deux  autres,  c'eft-à-dire  -en- 
tre  les  inveélivcs  de  Juvenal,  qui  par  leur 
étendue  font  paroîire  un  air  de  Déclama- 
tion ,  &  la  breveté  obfcure  &  difficile  de  ■ 
Perle.  Ainli  on  a  lieu  de  conclure,  com- 
me ils  font,qu'H^>race  ne  règne  pas  moins 
fur  tous  les  poètes  Satiriques  que  fur  les 
Lyriques  Latins. 

*  2-  i^^ratii  Flacci  Opéra  ,   cum  Com' 
ment    D:on,  Lamhini  ^  vif  or  h. n  in-tbl, 

Pii  i  .  1604 lJe/'/2  cii/i  Com..:ent. 

Dion.  Lamh.ni  in-4.  Venet.  l^^S'  —  idem 
cum  Cn  nment.  Cr  i-iu-t  ^  brwc.  Douf^e 
in  4   Lugd-Bar.  1^97.  — — —  lie,-?!  cumpa- 
raùhrafi    Eiiharod     Lnhi/ii    in-4.    ^^'ioch. 
1^99.   --   Idem  C't-nrnentdte  da  Gw.  Fahri'. 
ni  du  Figb  ne  \\\- 4^.1^6 net.  irSl.  I5'99    — -^ 
Liem  cum  Com.'ne^t.  Lct'Vint  Tor^'e/iùi .,  ^| 
Peiri  Njmii't  in  Artem Poêticarn  in-4.  ^nî-* 
Ticrp.    1608     —  Idera  cum    h;dice    ihjnsi 

T're^-eri .^  in-8.    Antuerp.  \^1^.  l.icm 

è  "Typogr.  regia  in-fol.   1642.   Cum 

Corn- 

3.  S^aligcri  Poëtic.  lib.  6.  Hypercritic.  p.  867- Sec. 

4.  \:ta  Eriiditor.  Liptienf.  lueaf.  Junii  ann,  ié»^. 
!om.  3pag.  z6i. 


Hortcc. 


23S     Poètes    Latins. 

Comment.  Landini  in -fol.  Florent.  1^82^ 
■  ■■■  I-dem  cum  Not'is  Rtcharât  Bentleii 
in-4.  Cantabrhice  171 1.  \^i^  Amiîel.  1713. 
cum  Indice  Th.  Treteri  omnibus  Editiom' 
bus  accommodato  a  Dan,  Aveman ,  auclo  i^ 
emendato  ab  If.  J/'erburgîo,~\ 

TIBULLE    (ALBIUS) 

Né  la  même  ann^e qu'Ovide, fous  leCon- 
fuht  d'Hirtius  &  Panfa,  l'an  de  la  Vil- 
le 711.  le  2.  de  la  184.  Olympiade,  mort 
devant  Ovide. 


Tibulle.      115-2. 


TIbulle  peut  être  lu  hardiment 
par  ceux  que  Dieu  a  confir*^ 
mes  dans  l'infenfibilité  de  leurs  paflions. 

Ceux  qui  ne  peuvent  ou  qui  ne  doivent 
pas  le  lire,  fe  contenteront  peut-être  de  fa- 
voîr  que  fes  quatre  Livres  d'Elégies ,  non- 
obftant  leur  impureté ,  ne  lailTent  pas  d'ê- 
tre écrits  dans  un  ilyle  très-pur,  très-ner, 
&  très-poli ,  au  fentiment  de  Jofeph  Sca- 
liger  (1)  &  du  P.  Brîet(2).  On  prétend 
même  qu'il  n'y  a  perfonne  parmi  tous  les 
Poètes  Latins  qui  l'ait  furpafTé  dans  le 
genre  Elcgiaque^  &  que  perfonne  n'a  é- 
crit  avec  plus  d'efprit,  de  tendrelTe  &  d'é- 
légance ,  comme  le  témoigne  le  Sieur 
Rofleau  (3). 

Jules  Scaliger  le  trouve  prefque  unifor- 
me par  tout  (4)  ;  il  dit  que  jamais  il  ne 

s'ou* 

1.  Jof.  Scalig.ia  primis  Scalig.  pag.  47.  cdit.Gro- 
Ring. 

2.  Philipp.  Briet.  lib  2.  dcFoct.  Lat.  pag.  25.  prîc- 
fix.  Acutè  didis  6cc. 

I*  KoAeau,Seutim.  fui  quelques  Livres  pag.  4;,  MSS« 


Poètes    Latins.    239 

s'oublie  &  ne  fe  quitte  foi-même,  &  qu'on  Tibullc. 
ne  le  voit  point  démentir  fon  caradcre; 
qu'il  donne  toujours  un  même  tour  aux 
chofes ,  &  qu'il  ne  diverfifie  prefque  pas 
fes  matières;  mais  qu'au  refte  c'eft  le  plus 
châtié  &  le  plus  limé  de  tous  ceux  qui  fe 
font  (îgnalés  dans  le  mcme  genre  d'écrire. 
Il  ajoute  que  Tufage   trop  troquent  qu'il 
fait  des  Infinitifs  de  cinq  fylhbes  au  tems 
palfé , e(l quelque chofed*ailës dégoûtant,  & 
qu'il  y  a  des  endroits  où  il  ne  fe  foutient 
point  aflcs,  &  où  il  n'eft  point  afles  ferré. 
Son  quatrième  Livre  n'eft  compofé  que 
du  Panégyrique  de  Meflala  &  de  quelques 
Epigrammes.     Le  même  Scaliger   que  je 
viens  d'alléguer  dit,  que  ces  Epigrammes 
font  dures,  langulifantes  &  defagréables , 
&  que  le  i  oeme  qu'il  a  fait  à  la  louange 
de  Meffala  paroît  fi  négligé,  f]  rampant, 
fi  dénué  de  vigueur,  &  de  Ion  harmonie 
ordinaire,  qu'il  e(l  aifé  déjuger  que  c'eft 
le  fruit  d'une  précipitation    trop  grande  , 
qu'il  n'y  a  que  la  première  chaleur  de  fon 
imagination  qui  ait  pu  produire  cette  pié- 
:  ce  ,  qu'elle   eft   devenue   publique  devant 
I   qu'il  l'eut  achevée,  &  fans  qu'il  fe  fût  don- 
né le  loifir  de  la  revoir. 

C'ert  ce  qui  a  fait  dire  au  P.  Rapin  (5) , 
que  Tibul'e  étant  d'ailleurs  fi  éxaét,  ii  é- 
légant  &  i]  poli  dans  fes  Elégies,  ne  le  pa- 
roît pas  beaucoup  dans  ce  Panégyrique  de 
Meffa'a.  *  Joa?7, 

4.  Jul.  Cxf.  Scalig.  lib.  6'.  Poët.  feu  Hypercritic, 
pag.  «6j. 

5.  Ren.  Rapin,  Refl.  fut  la  Poct.  fccendc  partie 
Refl.  XIV.  U  Rcfl.  XIX, 


Tibullc. 


Ovide. 


240     Poètes    Latins. 

*  yoan.PaJferat'itCommentarit  in  C, Val. 
Catîilium ,  Aibmm  Tihullum  cT  Sex.  Aur, , 

Propertiurn  in-fol.    Parif.    1608.    C. 

FaLCatulli,  Alhii  Ttbulli.Sex.  Aur.  Pro-. 
fertii  Opéra  omnia^  cum  variorum  Uodio"^ 
rum  Vtrorum  Comment.  Notis ,  Ohferi>.  in-  - 

fol.  Lutetia  1604.  Idem  cum  Obfer- 

vatîombus  Ifaacii/ojfii  in -4  Lug-Bat.lôS^. 

Albii   T'ibfilli,  qUie  exftant.   Accdunt 

Notce  cum.  var'iarumLed'îonum  Ltbello ^at" 
que  Indices  m- ^.  Amjl    1708.  * 

OVIDE, 

(Publius  Ovidifis  Nafo)  né  à  SulmoMe  Ville 
de  V Abrîizze  ,  Tanace  que  moururent 
les  deux  Confuls,  comme  il  Ta  marqué, 
lui-même,  c'eil  à-dire  fous  le  Gonfulat 
d'Hirtius  &  Panfa  ,  la  deuxième  année 
de  la  184.  Olympiade,  de  la  Ville  711. 

•    devant  notre  Epoque  43. 

Mort  la  première  année  de  la  199.  Olym.- 
pi.ide,  de  la  VMlîe  770.  Tan  17.  de  notre 
Epoque,  ou  la  21.  de  Jefus-Chriil,  à  la 
fin  delà  troilléme  année  de  Tibère,  «To- 
mes  dans  la  petite  Scythie ,  lieu  de  fon 
exil,  aujourd'hui  Tomijvjar, 

§.  I. 

Jugement  général  du  Génie  l^  'des  K- 
crits  d'* Ovide. 


115^3. 


TOus  les  Critiques  conviennent 
qu'Ovide    avoit    l'efprit  fort 

beau 


1.  V.  Crit.  in  proleg.  Varinr.  edit.  Ovid. 

2.  Ga(p  Baithius  Adverfaiioi.  lib.  58.  cap.  p.  col. 
S739.  &  2740. 

3.  Rofleau,  Sentira,  fui  quelques  livres  d'Auteurs 

qu'il 


!l 


P  o  E  T  E  i    Latins.    241 

beau  (i),  &  une  facilité  inconcevable  pour  Ovide^  "-J 
faire  des  vers,  mais  la  plupart  ont  recon* 
nu  en  mcmc-tems  que  ces  avantages  de  la 
Nature    lui  avoient  tait   concevoir    trop 
bonne  opinion   de   lui-même  ,   &    lui   a* 
voient  donné  trop   de  confiance    en   fes 
propres  forces  ;  de  forte  que ,  ftlon  Gas- 
par  Barthius  (2)  ,  cet  efprit  aifé  ne  pouvoit 
fe  captiver  ni  fe  réduire  à  devenir  éxad  ;  & 
félon  le  Sieur  Rolleau  (3),  cette  facilité 
pour  l'invention  de  fes  matières  &  pour  la 
verlification,  lui  a  fait  fouvent  avancer  & 
écrire  des  choies  qui  n*avoient  ni  régie  ni 
méfure,  &  qu'il  ne  fe  donnoit  pas  le  loilîr 
de  digérer. 

Quelques-uns  ont  remarqué  que  ç'avoîî 
cté  autrefois  le  fenriment  de  Quîntihen, 
lorfqu'il  a  dit  qu'Ovide  eft  louable,  mais 
plutôt  en  fes  parties  que  dans  l'ordre  6c 
dans  le  fonds  de  les  Ouvrages.  Cela  veut 
dire,  félon  le  Cardinal  du  i^erron (4) , que 
fes  vers  font  bons ,  mais  que  la  difpofition 
en  ed  défeducufe,  &c  qu'il  n'a  point  de  ju- 
gement. Car  un  Poète ^  dit  ce  Cardinal, 
dijit  être  bon  en  joi^  ^  non  pas  en  Ces  par* 
fies. 

Seneque  le  conlîdéroit  comme  le  plus 
ingénieux  de  tous  les  Poètes  Latins,  mais 
il  le  plaignoit  en  même  tems(5-)  de  n'avoir 
pas  fû  faire  de  fes  talens  tout  le  bon  ufage 
qu'on  auroit  pu  fouhaiter ,  &  d^avofr  ré- 
duit 

qu*il  a  lus  pag.  49. 

4.  lu  Feiioaianis,  au  mot  Poë/îe.  Quintil.  10.  Itr 
ftit.  1. 

5.  Scncca  lib.  ?.  Natural,  quarftion.  cap,  27- 


242     Poètes    Latins. 

©Ti4<f  duit  toute  la  force  &  rélcvation  de  fon  es- 
prit, &  toute  la  beauté  de  fes  matières  à  des 
badineries  puériles. 

Daniel  Heinlius  qui  s'eft  beaucoup  plus 
appliqué  à  remarquer  fes  excellentes  quali- 
tés qu'à  examiner  fes  défauts ,  dit  (i) 
qu'outre  cette  facilité  furprenante  qui  rè- 
gne dans  tout  ce  qu'il  a  fait,  on  lui  trou- 
ve encore  une  grande  fimplicité ,  beaucoup 
de  fubtilité,  une  vivacité  ou  une  prompti- 
tude extraordinaire,  mais  fur  tout  une  dou- 
ceur admirable  ;  &  que  ce  qu'il  y  a  de  re- 
marquable ,  c'ell  de  voir  toutes  ces  quali- 
tés unie;»  cnfemble ,  &  accompagnées  d'u- 
ne grande  pureté  de  la  Langue ,  que  s'il 
s'eft  trouvé  d'autres  Poètes  qui  ayent  eu 
plus  de  majefté  &  de  grandeur,  il  n'y  en 
a  pas  un  à  qui  on  puilTe  dire  qu'il  doit  cé- 
der pour  le  génie  Poétique.  Ce  qu'il  y  a 
de  plus  furprenant,  au  ju-^ement  du  même 
Auteur ,  c'eft  de  voir  qu'il  n'y  a  pcrfonne 
de  tous  ceux  qu'on  ne  lui  peut  pas  com- 
parer à  caufe  de  la  différence  des  caradé- 
vts  &  des  manières  d'écrire,  qu'il  n'ait  é- 
galé  ou  furpafîé  même  en  diverfes  autres 
qualités. 

De  forte  que,  fi  nous  en  croyons  ce 
Critique,  il  eft  le  premier  de  tous  les  Poè- 
tes Latins  après  Virgile  ,  parce  qu'il  a 
joint  l'art  d'adoucir  par  fa  facilité  tout  ce 

qu'il 

I.  Daniel  Heînfîus  Nicolai  patcr  Epiftol.  ad  Biyem- 
burgium  piacâx.  cditioai  Ovidianx  dedic.  ad  eumd. 
Slycmb. 

a.  f  hilipp.  Scicc»  de  roccis  Latio,  Jib.  z,  pag.  24. 


Poètes    Latins.     145 

^'1*1  y  avoit  de  rude  dans  les  Anciens  à  ce-  Ovide. 
lui  de  donner  du  poids,  de  la  force,  &  du 
nerf  à  fon  canidére.  En  quoi  l'on  peut  dire 
aulîi,  félon  lui ,  qu'il  a  été  prefque  le  der- 
nier des  bons  Poètes. 

Les  autres  Critiques  n*ont  pas  jugé  tous 
qu'Ovide  fût  li  proche  de  Virgile  qu'Hein- 
fius  femble  avoir  voulu  nous  le  perfuader; 
&  le  P.  Briet,  entre  les  autres,  d  t  qu'il  y 
a  une  longue  didance  entre  ces  deux  Poè- 
tes (2),  quoiqu'il  reconnoifle  dans  Ovide 
la  plupart  des  bonnes  qualités  que  nous  ve- 
nons de  remarquer. 

Voilà  ce  qu'on  peut  dire  du  caraâére  & 
des  manières  d'Ovide  en  général,  à  moins 
qu'on  ne  veuille  ajouter  le  fentiinent  d'E- 
rafme  fur  fon  ftyle,  &  dire  avec  ce  Criti- 
que qu'Ovide  peut  pafler  pour  le  Ciceroa 
des  Poètes  (3). 

j  Ses  Ouvrages  font  connus  de  tout  le 
monde,  mais  ils  ne  fnnt  pas  venus  tous 
jufqu'à  nous.  Ceux  qu'on  regrette  le  plus 
d'entre  fes  Ouvrages  perdus,  font  la  Tra- 
gédie de  Medée ,  qui  étoit  fort  eflîmée  air 
lîécle  de  Vefpalien  &  deTrajan  (4),  les  fix 
derniers  Livres  des  Fafles ^  le  Livre  contre 
les  michans  Poètes ,  le  Poème  des  iouayîgcs 
d^Auguflc  ^  hc.  (^).  Il  ert  inutile  de  faire 
le  dénombrement  des  autres  Ouvrages  que 
le  tems  a  épargnés ,  parce  qu'ils  fe  trou- 
vent 


prxfîx.  Acmc  diftis  &c. 

3.  Erafmus  in  Dial.  Ciceronîano  p;ig.  147. 

4.  Dialog.  ^z  caufis  corrupt.  Eloquent.  intcrQuia» 
tiliini  vcl  Taciti  Opcra. 

5f'  Gexaid,  J9aa.  Voû*.  de  Poëc.  Latin,  pag.2^,  je, 

L  2 


244      Poètes    Latins. 

Ovîdtf,  vent  dans  la  plupart  des  éditions,  dont  on 
dit  que  celle  de  Mr.  Heinlîus  le  jeune  [im- 
primée chésElzeviren  3. vol.  /«-ii.iôzç.] 
cil  la  plus  correde:  mais  je  me  contente- 
rai de  rapporter  une  partie  des  jugemens 
qu'on  a  faits  fur  les  principaux  de  ces  Ou- 
vrages en  particulier. 

§.  2. 

jugemens  fur  les  quinze  Livres  des  Meta* 
morphofes. 

Les  Métamorphofes  d'Ovide  font ,  au 
jugement  d'un  Critique  moderne  (i),  un 
des  plus  mémorables  &  des  plus  ingénieux 
Ouvrages  de  toute  l'Antiquité,  elles  ont 
été  eftimées  de  tous  les  tems,  &  traduites 
dans  prefque  toutes  les  Langues  qui  ont. 
eu  cours  parmi  les  peuples  où  l'on  a  eu 
quelque  foin  de  cultiver  )es  Lettres. 

En  effet  il  femble  qu'Ovide  ait  voulu 
nous  prévenir  lui-même  fur  l'opinion  que 
nous  devons  avoir  de  cet  Ouvrage  ,  & 
qu'il  ait  crû  juger  tout  d'un  coup  du  prix 
qu'il  auroit  dans  la  fuite  des  ficelés ,  lors- 
qu'il 

T.  Reftcau,  Scntim,  fur  quelques  Livres  &c.  pag, 
f  o.  Mff. 

2.  Ovidius  in  peroratione  totius  Operis  Metamor- 
phof.  ad  fin   lib.  ij. 

Jamijue  opus  exegi ,  qued  nec  Jovis  iraj  nec  i([nes 
Nec  peterit  ferrttm  ,   nec  eHax  nbolere  verujfas  &C. 

3.  %.  Pourquoi  n'en  feroit-elle  pas?  Eft-ce  qu'el- 
le marque  trop  de  vanité?  Horace  lui  en  avoit  don- 
né l'exemple,  &  les  Poètes  d'un  certain  rang  peu- 
Tont  faiic  pai^itic  via  aoble  orgucU,  Sailla  lui-mè- 

tasp 


PoEtEs    Latins.      24^ 

qu'il  nous  aaffuré  qu'il  D*auroît  point  d'au-  O'/idc; 
tre  durée  que  celle  de  l'éternité  (2).  C'eft 
le  fentiment  qu'il  en  avoit  en  finllfant  fou 
quinzième  Livre  ,  li  cette  conclulion  cft 
de  lui  (3J. 

Cependant  les  Critiques  q.uî  ont  paru  a- 
vec  dillindion  parmi  ceux  de  leur  profes- 
fion  ,  ont  jugé  que  c'efl  l'Ouvrage  d'un 
jeune  homme,  c'eft-à-dire,  d'un  efprit  qui 
n'ctoit  point  encore  parvenu  à  fa  marurité. 
C'a  été  la  penfée  du  P.  Vavaffeur,  lors- 
qu'il a  dit  (4)  que  ces  Métamorphofes  ne 
font  qu'^w  ejjai  de  jeunejfe  ^  que  l'Auteur 
n'a  jamais  revu.  C'a  été  auflTi  celle  du  P. 
Rapin,  puifqu'il  nous  atïure  (5-)  qu'il  y  a 
dans  les  Métamorphofjs^f/  ;c^«^^irjqu'oii 
auroit  de  la  peine  à  lui  pardonner ,  fans  la 
vivacité  de  fo:i  efprit,  &  fans  je  ne  fai 
quoi  d'heureux  qu'il  a  dans  l'imagination. 
Enfin  c'a  été  celle  de  Gafpar  Barthius  (6), 
de  Volfius  le  père  (7)  &  de  divers  autres 
Auteurs. 

On  pourroît  croire  auïïî  que  c'a  été  cel- 
le d'Ovide  même,  quelque  chofe  que  nous 
ayons  voulu  dire  plus  haut  de  la  bonne  o- 
pinion  qu'il  femble  en  avoir  euë^  lorfqu'il 

étoit 

me, quelques  lignes  plus  bas,  repond  aux  autres ob' 
jcftions. 

4.  Remarq.  anon.  fur  les  Reflcx.  touch.  la  Foëtiq* 
page  6. 

5.  Ren.  Rap,  Rcftex.  particul.  fiir  la  Poct.  part. 
Iccondc,  Reflex.  15.  page  i|8.  édition.  1684.  in- 4. 

6.  G.ilp.  Baich.  ut  luprà  in  Advcifar.  lib.  58.  cap. 
5.  &c. 

7.  Vofïius  lib.  fingul.  de  Imitationc  Poctica  cap» 
tf.  pa^.  ztf.  poft  Inftitut. 

L  3 


24^      Poètes    L  a  t  i  n  s« 

^Yidc,  étoit  encore  dans  la  chaleur  de  fa  compo- 
ficion.  Car  étant  dans  un  âge  plus  avancé, 
il  jugea  rOuvrage  û  dctedueux  &  û  peu 
digne  de  lui,  qu'il  voulut  lejetter  au  feu^ 
êc  le  perdre  ians  refTource  pour  la  poftéri- 
té.  Il  exécuta  même  ce  deflcin  avant  que 
jde  partir  pour  fon  exil.  Mais  il  étoit  trop 
tard,  parce  que  les  copies  de  cet  Ouvrage 
s'étoient  multipliées  entre  les  mains  de  fes 
Amis.  C'eft  un  détail  qu'il  nous  a  fait 
lui-même  dans  fes  Elégies  (i). 

Les  Métamorphofes  font  donc  venues 
jufqu'à  nous  malgré  leur  Auteur ,  &  il 
femble  que  la  pofîérité  n'ait  point  été  û 
délicate  ni  lî  difficile  que  lui  dans  le  goût 
qu'elle  y  a  pris.  Il  faut  avouer  néanmoins 
avec  le  P.  Briet  (2)  &  Mr.  Borrichius  (9), 
que  le  (lyle  n'en  eft  pas  li  relevé  que  dans  fes 
autres  Ouvrages ,  mais  il  ne  laiffe  pas  d'être 
beau  &  affés  éxad;  &  fi  nous  voulons  é- 
coûter  Heinfius  le  Père  (4),  il  y  a  inféré 
des  difcours  <5c  des  lieux  communs  avec  u- 
ne  âdreUe  &  des  agrémens  merveilleux. 

Ou 

3.  Ovid.  lib.  T.  de  Triftib.  Eleg.  6.  hzc  habct: 
Carmina  mututas  hominum  dÏHntia  formai  y 

Inftlix  Domini  cjuodfuga  rupit  opus. 
Htc  e^o  dt'fcedens,  fient  bon*  malt  a  mforum  , 

Jpfe  meâ  pofut  mce/ius  iu  itne  manu .... 
Sic  eio  non  méritas  mecum  peritura  Uteilos 

Impo/ut  rapidis  vifctra  nrfira  ragis. 
Vel  ^Hod  er*m  Mu/as  ,  ut  i  rimina  nojîra ,  perofus  : 

Vet  cjuod  adhuc  crefcem  &  rude  carmen  erat, 
Slud  (juoniam  non  funt  fenitus  fuhlata  ,  fed  exfiant  ^ 

Piuribus  exemplis  Jcripta  fuijje  reor  .... 
tlec  tamen  illa  legi  poterunt  patienter  ab  ullo  : 

Nefiiat  his  fummam  fi  ejnis  abejfe  manum» 
^blatum  mediis  epus  e/l  incudibus  itlud: 

Dtftiit  ir  firiptis  Hltima  lima  mciu  Sf^ 


Poètes    Latins.      247 

On  pourra  dire  auiTi  de  Tes  narrations  que  Oni^ 
ce   font  autant  de  chanfons  de  Sirènes, 
c'e/l  une  éloquence  &  une  candeur  perpe* 
tueile,  qui  eli  toujours  mêlée  avec  Tarti- 
fîce  qui  fait  un  cercle  fort   accompli   de 
toutes  fes  Fables ,   perfonne  d'entre  tous 
les  Poètes  n'a  traité  les  plus  grands  &  les 
plus  petits  fujets  avec  plus  d'ornement.  En 
un  mot  ces  Métamorphofes  font  ,  félon, 
lui ,  quelque  chofe  qui  palFe  notre  génie  & 
notre  admiration.    Voilà  le  fentiment  d'un 
Critique  qui   auroit  crû  manquer  au  de- 
voir d'un  bon  Commentateur ,  s'il  s'é- 
toit  contente  de  louer  médiocrement  fon 
Auteur. 

Le  P.  Rapin  n'a  pas  jugé  fi  favorable- 
ment de  fon  ftyle  dans  la  Comparaifon 
qu'il  a  faîte  d'Homère  &  de  Virgile.  Il 
prétend  (5-)  qu'Ovide  dans  fes  Métamor- 
phofes &  dans  fes  HéroVdes-mémes,  a  été 
l'un  des  premiers  Auteurs  qui  ont  donné 
Je  mauvais  goût  des  Epithétes  extraordi- 
naires &  furprcnantes  dans  le  difcours  à 

leiir 

Et  venUm  fr»  Uudepeto:  Uuda*us  ahunde  y 
Si  faffiditus  non  tibi  y  LeBor  ^  era,     crc. 
Idem  etiam  de  eodem  Opère  lib.  3.  Tiift.  Eleg*' 
14.  in  hune  modum  : 

lllnd  opus  potuH  ,  fi  non  prifts  ipfe  perijfetn  » 

Certius  k  fummâ  njnien  habere  manu. 
Nunc  incarreSfu/rt  Fopuli  pervenit  in  ora  , 

In  Populi  (fuidijniim  (î  tamen  ore  mei  e(i, 
1.  Phil.  Briet.  de  Poët.  Latin,  lib.  t.  ut  faprî. 
|.  Olaiis  Borrichius   Dan.  Diflcrt.  de  Poët.  LatittJ 
pag.  SI. 

4.  D.  Heinfîus  Epift.  dedicatoi.  Operum  Ovlduaa 
ad  Blyemb. 

s.  Rcn.  Rapin,  Comparaifon  d'Homcrc  Se  Vis- 
gilc  chap.  10.  pag.  39.  cdit.  in  4. 

L  4 


248  Poètes  Latins. 
OfWc  kur  fiécle,  où  l'on  aimoit  encore  la  (im- 
plicite, il  dit  néanmoins  qu'il  a  fû  du 
moins  ménager  ces  fauxbrillans  avec  quel- 
que difcernemenc.  Mais  ce  difcernement 
n'a  point  empêché  le  même  Auteur  de  di- 
re dans  un  autre  Ouvrage  qu'Ovide  s'éga- 
re quelquefois  dans  fes  Métamorphofes 
faute  de  jugement  (1)  ,  quoiqu'il  recon- 
noilfe  encore  ailleurs  qu'il  y  a  du  génie  ^ 
de  l'art ,  &  du  delTein  dans  cet  Ouvra- 
ge (2^). 

.    Ce  Père  eftime  qu'Ovide  fe  fit  beaucoup 
.de  violence  pour  réunir  fes  Métamorpho- 
fes (3),   &  pour  les  renfermer  dans  un 
"même  delfein.  C'eft  en  quoi ,  dit- il ,  il  ne 
rcuffit  pas  tout-à-fait  û  bkn,  qu'il  fit  de- 
puis dans  fes  Elégies,  où  l'on  trouve  pres- 
<iue  toujours  un  certain  tour  qui  en  lie  le 
,defleîn,&  qui  en  fait  un  Ouvrage  afles  jus- 
te dans  le  rapport  de  fes  parties. 

On  ne  peut  pas  nier  qu'il  n'y  ait  quel- 
.que  différence  entre   ce  fentiment  du  P. 
;Rapin  &  celui  de  Mr.  Borrichius  ,  qui  a 
prétendu  (4)  qu'il  fe  trouve  dans  les  Mé- 
tamorphofes une  fuite  &  tin  enchaînement 
merveilleux    des    Fables    de    l'Antiquité.. 
Voflius  même  témoigne  (5*)  qu'il  admiroit 
cette  fuite  continuelle  fans  interruption, & 
cette  liaifon  admirable  de  tant  de  chofes 
différentes,  tiffuës  avec  tant  d'artifice  de- 
puis 

T.  R,  Rapin,  Reflexion  2.  fur  laPoct.  prem.  part. 
pag.  j.  édition  in  12. 

2.  Reflex.  If.  du  même  Auteur  pag.  13 S.  edic  ia- 
4.  de  la  ieconde  parr. 

h  Refl.  ij^.  delà  piem. pait.paç,42.43,edit. in-it. 

4*  01- 


Poètes    L  a  t  i  k  s.      249 

puis  le  commencement  du  Monde  ,  félon  Ovidc^ 
l'opinion  des  Gentils  ,  jufqu'à  fon  tem$» 
Guillaume  Ganter  avoît  dit  auparavant  la 
m(?me  chofe  de  lui-même  (6)  ,  ailiirant 
qu'il  avoir  été  fi  charmé  du  bel  ordre  qm 
tient  toutes  ce&  P'aWes  enchaînées  les  unes 
avec  les  autres  ,  qu'il  n*avo{t  pu  s'^empê- 
thcr  de  réduire  tout  cet  Ouvrage  en  abré- 
gé fuivant  la  méthode  de  fon  Auteur  ,  & 
pour  tâcher  de  mieux  comprendre  l'efpr'rt 
du  Poète  en  racourci,  comme  dans  un  ta- 
bleau qui  pût  le  lui  reprcfenter  tout  d'un 
coup  6c  d'une  feule  vue. 

Mais  tout  cela  n'empêche  pas  que  le  P, 
Rapin  n'ait  eu  raifon  de  dire  qu'Ovide  n*a 
pas  entièrement  réuffi  dans  la  réunion  de 
fès  Fables  ,  fuppofanr  que  fes  intentions 
ont  été  de  renfermer  toutes  ces  Fables  dans 
un  même  deffein ,  &  de  n'en  faire  ,  pour 
ainfi  dire  ,  qu'un  corps  qui  n'auroit  eu 
qu'une  ame. 

Ceux  qui  prétendent  y  trouver  cette  u- 
nion  êi  cet  enchaînement  dont  nou^  ve- 
inons de  parler,  difent  que  l'intention  da 
Poète  n'a  point  été  de  réduire  toutes  fcs 
iFables  aune  féale  A6lion,mais qu'il  y  a  au- 
itant  d'Adions  que  de  Fables,  6c  autant 
.d'ames  que  de  corps  différens,  mais  qu'el- 
les font  jointes  enfemble  par  un  lien  qui 
ne  confond  rien ,  &  qui  n'empdche  pas 

qu'oa 

4.  01.  Borrichius  de  Vo'èt.  Latin.  Dîflcrt.  utfuprî, 

5.  Gcr.  Jo.  Vofn  Inftitution.  Poëticai.  lib.  2.  câp, 
).  pag.  19.  20. 

é.  GuilleltD.  Cantcr.  lib.  t.  Novax.  Leclion.  cap,. 
r^,    Ucm  a^.  Yofl, 
r«  L  s 


îfo      Poètes    Latins. 

Ovide,      qu'on  ne  diftingue  toutes  ces  Adions  dif» 
férentes  fous  cet  artifice. 

Voflius  qui  a  fuivi  le  fcntiment  de  ces 
derniers,  dit  (i)  qu'Ovide  s'eft  propofc 
dans  ce  deflein  l'exemple  des  Poètes  Cy- 
cliques  qui  étoient  diftcrens  des  Poètes  E- 
piques ,  en  ce  qu'ils  racontoient  les  an^ 
ciennes  Fables  d'une  manière  toute  lîmple 
&  toute  unie,  &  fans  aucun  Epifode  (2).. 
Il  blâme  un  Crit  que  Efpagnol  ,  nommé 
Lullus  de  Mayorque,  d'avoir  trop  légère- 
ment accufé  Ovide  d'indifcrétion  &  d'i- 
gnorance (3) ,  dans  la  compofition  &  dans 
l'arrangement  de  fes  Fables.  Il  dit  que  cet 
homme  a  grand  tort  de  prétendre  qu'Ovi- 
de a  dû  imiter  Homère  &  Virgile,  &  ré- 
duire toutes  fes  Fables  à  une  feule  Aâion^ 
fous  prétexte  que  la  liaifbn  qu'il  leur  don- 
ne, femble  ne  faire  qu'une  hiltoire  conti- 
nue^ &  que  la  connexion  de  fes  matières 
elt  li  afFedèe,  fi  contrainte,  &  li  peu  na- 
turelle, qu'on  ne  peut  point,  fans  le  fe- 
Gours  d'une  mémoire  toute  extraordinaire, 
retenir  fes  Fables  dans  la  même  fuite  qu'il 
leur  a  donnée. 

Cette  multiplication  de  Fables  que  les 
Maîtres  de  l'Art  appellent  PQlymyth'te^<\\i\ 

eft 


1.  Voff.  loe.  cit.  &  1.  /up.  ubi  de  Tr3ç.  &c. 
a.  Ccfte  opinion  n'eft  pas  luivic  de  toùc  le  monde, 
^.  Anton.  Lullus  Balear.  lib.  6.  de  Oiatione  cap» 
5.  ex  fer  b.  VofT. 

4.  Ren.  le  lîoflii.  Traité  duPoëmc  Epique,  livre 
3.  chap.  16,  pag.  116.  117. 

5.  f .  Stace  n'a  comparé  nulle  part  fa  Thébaïde- 
avec  le  Poçœç  wi<i'Honi«içgu4çVijgilç.  Ui'aniême 


Poètes    Lati!?^.      zft 

efl  vicicufc  &  mondrucufe  dans  le  Pocme  Ovideii' j 
Epique,  n*a  rien  de  déréglé  dans  le  corps 
ou  Taflèmblage  des  Métamorphofes.  Et 
le  p.  le  Bofîu  (4)  dît  qu'on  ne  peut  pas 
condamner  &  taxer  fon  Auteur  d'ignoran- 
ce, pourvu  que  Ton  ne  prétvrnde  pas  qu'il 
ait  voulu  faire  une  Epopée,  &  qu'on  ne  le 
compare  pas  aux  Poèmes  d'Homère  (5r  de 
Virgile,  comme  Stace  (f)  a  fait  fon  Achil- 
le i'de  &  fa  Thebaïde. 

5-  3- 
Jugements  fur  les  Faftes  d*  Ovide, 

Le  flyle  des  Faftes  au  jugement  de  Sca- 
Irger  (6)  eft  aifc,  doux  &  naturel.  C'cft 
un  Ouvrage  de  beaucoup  d'érudition  ,maî$ 
de  cette  érudition  que  l'on  puifc  dans  la 
plus  belle  Antiquité.  Quoique  fa  matière 
ne  foi:  pas  toujours  également  traitablc  nî 
capable  de  beaucoup  d'ornemens,  &  qu'il 
n'y  foit  pas  toujours  le  Maître  de  fon  Es- 
prit; néanmoins  il  s'y  eft  fouvent  furpaflc 
M-même,  &  il  a  poli  &  orné  fa  matière 
en  plufieurs  endroits.  Mais  tout  le  Mon- 
de, dit  le  même  Auteur,  ii'eft  pas  d'hu- 
meur 


Jngée  inférieure  du  tout  au  tout  à  TEnéide.  S'il  s 
comparé  fon  Achilleïdc  avec  i*lHade,  c'a  été  pure- 
ment pour  faire  voir  que  fon  deffein  étoiî  d*^embTvt«  ■ 
fèr  dans  un  Puëme Cyclique  toute  l'Hiftoire  d'Achil- 
le, en  quoi  bien  loin  de  vouloir  fe  préférer  ^'i  mê- 
me s'egiler  \  Homère  ,il  le  dédaroit  plutôt  «tlifi- 
eateur  que  Poëie. 
6.  Jul.  Cxf.  Scaliger  Hyperciitic,  Ubv  «.  ïo«tic 

u  6 


2f2      Poètes    Latins. 

Ctiit^  meur  à  fouffrir  fes  diverfes  licences,  &  cot 
air  eôè'min-é  qu'il  donne  quelquefois  à  ce 
qu'il  dit  (i). 

Ces  Faites  font  du  nombre  des  Ouvra- 
ges qu'il  a  faits  dans  un  âge  plus  avancé^- 
&  quoiqu'ils  paroillent  plus  négliges  ou 
plutôt  moins  travaillés  que  quelques  au- 
tres, il  femble,  dit  Heinlius  (2),  qu'ils 
n'en  font  piis  moins  cxaél-s  &  qu'ils  n'en 
ont  pas  moins  de  douceur»  H-  y  a,  feion 
ce  même  Cr  tique  ,  un  certain  enchante- 
ment fecret  dans  cet  Ouvrage  des  Faftes 
qui  charme  &  qui  captive  l'efprit  de  Thom- 
m  ;  de  forte  que  les  endroits  où  il  a  ca- 
ché fon  artifice  &  fon  éxa6litude,  fervent 
à  nous  en  découvrir  la  douceur  &  les  a* 
grémens  ;  &  ceux  où  il  fait  paroître  cet 
arti nce  &  cette  éxadtiiude,  fervent  à  nous 
garantir  du  dégoût  &  de  la  iaffitude  que  fa 
Jeéture  pourroit  nous  caufer. 

En  un  mot  le  P.  Rapin  donne  aux  Fas- 
tes d'Ovide  la  gloire  d'être  l'Ouvrage  du 
meilleur  goût,  &  le  plus  judicieux  d'entre 
tous  ceux  qui  font  fortis  de  fes  mains.  Il 
dit  (?)que  ce  Poète  n'a  pu  arriver  à  la  perr 
fedion  de  Prudence  &  de  Modération,, 
«[ui  confiik  à  cir«  feulement  ce  qui  eft  nû- 

cef- 


1,  ^.  Scaliger  a  dit:  §leit  (î  tjuïs.nolk  ejut  vel  I4- 
.Jii^iam  vel  iico-.i.int  roera^e.  Ce  qu'on  tiaduircit  foit 

jD^iI  en  rendant  /./î. 7  /.!/.;  par  air  efféminé.  Il  fau- 
droir,  (1  je  ae  me  trempe,  pour  tiaduirejufte,diie: 
gwf  /j  on  ne  lei-t  pus  tx.uCer  uu  cetie  ^refitfion  t  ou  cttt€ 
licence  À  /iXifu/U  il  .^abandemn. 

2.  Hcinilus  Scaioi  PielCi^ora.  ad  edit,  Qvid.  in:^- 
jifli  ad  Blyeuib». 


1 


Poètes    Latins.     25-3 

ce/Taire  &  convenable  que   fur   fes  vieux  otUc, 
jours,  en  compofant  les  Faftes; qu'il  n'eft 
modéré  &difcrtt  qu'en  cet  endroit  ;&  qu'il 
clt  jeune  par  tout  ailleurs. 

§.  4. 

yugemens  fur  Us  Elégies  eP Ovide  comprifes 
dans  les  quatre  Livres  des  'ïrifies  ,  l^ 
dans  les  quatre  marqués  du  Font, 

C'eft  par  ces  Elégies  qu'Ovide  a  paffé 
dans  l'efprit  de  plulieurs  Critiques  pour  le 
premier  de  tous  les  Poètes  Elégiaques,  6c 
e'ed  fa  douceur  &  fa  facilité  qui  l'en  a 
rendu  le  chef  (4).  ïl  femble  qu'Ovide  ait 
voulu  fe  rendre  ce  témoignage  lui  même, 
n'ayant  point  été  honteux  de  .dire  qu'il  te- 
Boit  dans  le  genre  Elégiaque  le  même  rang 
que  Virgile  tenoLt  dans  le  genre  Epique 
(5").  il  auroit  été  plus  à  propos  qu'il  fe 
fût  fait  rendre  juftice  par  quelqu'autre  per- 
fonne.  Mais  to  juftfce  Poétique  n'avoft 
peut-être  pas  encore  alors  fes  Officiers  en 
titre  ,  ou  leur  jurifdidion  n*étoic  pas  re- 
connue de  tout  le  monde  univerfeilement. 

Au  refte  Ovide  ne  fe  trompoit  point 

dans 


j^  R.  Rap.  Comp.  dniom.  &  Virg.  chap.  ii.pag. 
41.  edic   in  4. 

4.  Thom.  Dempûcr  ad  Jo.  Rofini  Antiquit.  Ro- 
Bian   8c c 

$.  Ovid.  de  fe  i^ro  ficfentiens  harc  habet  ia  lib,.<rf 
tCiredio  Anaoris,  y.  395.  &  396. 

TaniHmfe  noiis  Eîegi  debtre  f.'tentnr . 

L7 


2^4  Poètes  L  a  t  r  k  s. 
Ovi<ie,  dans  fon  jugement.  Car  le  P.  Rapin  as- 
fure  (i)  qu'il  eft  préférable  à  Properce  &  à 
•Tibulle  dans  fes  Elégies ,  parce  qu'il  eft 
plus  naturel ,  plus  touchant  &  plus  pas- 
fionnc,  &  qu'il  a  mieux  exprimé  par-là  le 
caradére  de  l'Elégie  que  les  autres.  Le 
même  Auteur  a  reconnu  néanmoins  dans 
un  autre  de  fes  Ouvrages  (2) ,  que  les  in- 
duâions  d'exemples  &  de  comparaifons 
qu'il  employé  dans  fes  Triftes  &  dans  fes 
autres  Elégies  ont  des  fuperfluités  qui  mar- 
quent que  le  jugement  du  Poète  n^étoit 
pas  encore  arrivé  à  fa  maturité  (3). 

Mais  il  femble  qu'il  ait  eu  befoin  de  la 
févérité  d'Augufte  pour  parvenir  à  ce 
point  de  difcernement  y  &  que  fon  mal- 
heur joint  à  la  vieillefTe  ait  plus  contribué 
qu^autre  chofe  à  réformer  6c  à  perfedion- 
^ner  fa  fécondité  quipalîbit  auparavant  pour 
une  abondance  déréglée  &  pour  un  liber- 
tinage. 

On  peut  dire  même  que  fa  difgrace  lur 
ayant  donné  un  peu  plus  d'expérience,  lui 
a  donné  aulïi  le  moyen  d'augmenter  fa 
-douceur  &  fes  grâces.  C^ell  ce  que  Da- 
lûel  Heinims  croit  avoir  remarqué  particu* 
3nîc  lié- 

1.  Reflex.  particul,  fût  la  Poëtiq;  fceonde  pair» 
Reffex.  29. 

2.  Compar.  d*H.oraeie  &  Virg.  chap.  11.  comme 
ci  deffus. 

3    f    Ovide  pouitant  avoit  alors  $0.  ans,dcmour 
tut  dix  -ans  après. 

4.  Heinfius  Epiftola  citât,  ut  fiiprà. 

5.  Voiiichius  pag.  51.  Diffeitat.  de  Toëc.  Latuif 
Bt  iuprà. 

t,  Scaligeû  Foëciç.  lib.  6.  p ag.  ^55. 8.5  tf,  &c. 


Poètes    Latins,     iff 

lîérement  dans  les  Lîvres  des  Trijîfs  &  de  Ovide 
Po'/tto^  où  on  ne  lailfe  pas,  dit-il  (4),  de 
trouver  de  la  délicatefle,  quoique  la  fim- 
plicité  y  règne  plus  qu'ailleurs;  &de  la  vi- 
gueur même ,  quoiqu'il  les  ait  écrits  dans  un 
âge  où  les  autres  ont  coutume  de  languir. 
Mr.  Borrichius  témoigne  aulTi  (5-)  qu'O- 
vide e(t  fort  net  &  fort  naturel  dans  toa* 
tes  Tes  tlcgîes  ,  mais  Jules  Scaliger  quF 
trouve  à  redire  au  titre  qu'elles  portent  de- 
*Trifles  6l  de  Ponto^  prétend  qu'elles  font 
moins  travaillées  que  fes  autres  Ouvrages 
&  fur  tout  fes  Epitres  (6). 

§.  s- 

Jugemens  fur  les  Epitres  d^ Ovide  cji^on 
appelle  Heroides. 

Il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  toutes  ces 
£pitres  en  vers  qui  portent  le  nom  de  quel- 
que Héroïne  foient  véritablement  d'Ovide, 
"fous  prétexte  qu'elles  fe  trouvent  parmi 
les  fiennes.  Il  témoigne  lui-même  (7)  que 
celles  de  Pénélope,  dePhyllis,  de  Gana- 
eé,  d'Hipfipyk,  d'Ariadne,  de  Phèdre,  de 

Didon  y 

■  %,  Scaliger  dit  bien  dans  l*endroit  du  6.  livre  de 
là  Poétique,  où  renvoie  Bailicc  ,  que  \^%  titres  ^ 
Tri/iuHs yU.  de  Porno  ne  iont  pas  juftcs,  mais  ccn'eft 
qu*au  chaç.  dernier  du  1.  j.  qu'il  en  rend  la  raifon, 
11  y  a  un  liéclc  ôc  davantage  que  les  livres  dcsTiis- 

tes  ne  font  plus  intitules  que  Tnjlium ,  mais  il  n'y 

a  guère,   je  penfe,  plus  de  éo.  ans  que  Le  titre  4r 

Tont«  a  été  changé  en  ex  Ponto. 

•    7.  Apud  YoÛium  Ub,  HnguK  de  Foct.  Latin,  paf^' 

2^  jo. 


2.5^^6      Poètes    Latik^. 

^ridc.  Didon  ,  de  Sapho  étoient  de  lui.  Jofeph; 
Scaliger  y  ajoute  celles  de  Briféis ,  d'Oeno- 
ne,  d'Hermione,  de  Dejanire  (h) y  de  Mé« 
dée  ,de  Laodamie ,  &  d'Hypermnellre.  Les 
autres  font  ou  d''Aulus  iabinus,  ou  pos- 
térieures &  fupporées. 

Le  Sieur  Rulleau  (2)  prétend  que  ces  E- 
pitres  d'Ovide  font  inimitables,  &  qu'el- 
ks  font  de  plus  graiid  prix  que  les  Méta- 
morphofes  &  les  Fafles-  Le  P.  Rapiii 
n'en  juge  pas  moins avantageufement.  Car 
tantôt  il  dit  (3}  que  ces  Héroides  d'Ovide 
lc)i"it  ce  qu'il  y  a  de  plus  fleuri  dans  les  Ou- 
vrages purement  d'efprit ,  &  où  nos  Poè- 
tes n'arriveront  jamais:  tantôt  il  nous  as- 
fure  qu'il  appelle  toujours  fes  Epitres  la- 
flaur  de  Pef^riî  Romain  ,  quoiqu'il  ajoute 
qu'elles  n'ont  rien  de  cette  maturité  de  ju- 
gement qui  eii  la  fouveraine  pertedion  de 
Virgile  (4,)^ 

Mr.  Borrichius  témo-gne  aulTi  que  lefty^ 
le  en  elt  fort  pur,  &  Daniel  Heiniius  dit 
(f)  que  l'imitationdes  pafTions  &  l'cxpres- 
fîon  des  inclinations  &  dts  mouvemens  du 
eœur  y  paroîi  d'une  telle  manière,  qu'on 
voit  bien  que  c'eft-là  le  grand,  talent  d'Ovir 
de. ,  Enfin  Jules  Scaliger  prétend  (6)  que 
ces  Epitres  font  ce  qu'il  y  a  de  plus  poli" 
entre  tous  les  Ouvraj^es  d'Ovide:,  que  les 
peiifées  y  font  admirables ,  que  fa  técondi^ 

té 

1.  <H  On  ne  dbir  non  plus  prononcer  Dejénire  q^e 
Waïadct  &  Lajusy  il  faut  dire  conftammcnt  Deinmriy 
Naïade  &  L-itus 

2.  Bwoftcau,  Sentira,  fui  queliqucs  livics  ^u^ilaius. 


ka 


|.  ïW 


Poètes    Latins.      2^7 

té  ou  fa  facilité  y  eft  aiïés  réglée  ,  qu'elles  OTide. 
ont  l'air  tout-à-fait  Poétique;  qu'elles  ont 
même  de  l'éclat  &  de  la  grandeur  ;  & 
qu'elles  approchent  afTés  delà  belle  limpli- 
clté  des  Anciens.  Mais  avec  toutes  ces  bel- 
les qualités ,  elles  ne  lailfent  pas  de  ren- 
fermer ,  dit-il,  quantité  de  chofes  puériles 


&  languiffantes. 


$.  6. 


yugemefts  fur  les  Livres  éi^ Ovide  qui  irai' 
tent  de  r amour  ou  de  l^art  d^ aimer. 

Nous  fommes  redevables  au  malheur 
d'Ovide  du  peu  de  vers  qui  ne  fentent 
point  la  corruption  de  fon  cœur,  &  nous 
aurions  encore  plus  d'obligation  à  cette 
mauvaîfe  fortune,  fî  elle  l'eût  porté  effica- 
cement à  faire  périr  avant  que  d'aller  en 
exil  toutes  ces  miférables  produdions  de 
fon  efprit,  comme  elle  lui  avoit  infpiré  le 
delir  de  fupprimer  fes  Métamorphofes  en 
particulier.  Mais  Dieu  a  bien  voulu  fouf- 
|rîr  que  des  hommes  d'humeur  &  d'incli- 
nation femblables  à  celles  de  cet  Auteur 
euffent  plus  d'indulirie  pour  les  conferver 
que  les  perfonnes  figes  n'en  ont  eu  pour 
fauvcr  des  injures  du  tems  les  pièces  les 
plus  utiles  de  l'Antiquité. 

Aîn- 

3.  R.  Rap.  Comp.  d'Hom.  &  Virg,  comme  ci  dc- 
tant  p:*g.  40.  c.  :i, 

4    Le  même  au  même  Traite  un  peu  après  pag.  4  Y. 

j.  Hcinfujs  rater  loc.  citât,  ut  fupra. 
.     «.  Jul.  C;çC  ScaJig.  Hy.pcrcrit.  icu  iib.  Poct.  f af. 
\%ii^^  fcq<l. 


2^8     Poètes    Latins. 

©vide,  Aînfi  la  punition  d'Ovide  n'eut  que  îs 
moitié  de  fon  effet,  puifqu'elle  ne  remédia 
point  aux  fuites  pernicieufes  de  fa  faute, & 
on  lit  encore  aujourd'hui  ces  vers  qui  cor- 
rompirent la  fille  d^Augufte  (i) ,  &  qui  in- 
fedlerent  la  partie  la  plus  floriflànte  de  la 
Cour  de  ce  Prince. 

Cependant  ces  vers  qui  fervirent  de  pré- 
texte à  fon  bannilTement  n'ctoîent,  félon 
quelques  Critiques  (2) ,  qu'une  rhapfodie  de 
ceux  que  les  Poètes  dédioîent  à  Priape  (3). 
Et  quoiqu'il  foit  allés  difficile  de  nous  bien 
prouver  que  ceux  de  cette  efpéce  ne  font 
point  différens  de  ceux  qui  font  reliés  fur 
le  titre  d^fes  Amaurs  &  qui  ont  conftam- 
ment  fait  fa  difgrace^  il  eft  toujours  cer- 
tain que  ni  ces  derniers  ni  ceux  qu'il  a  faits 
fur  l'Art  d'aimer  n'ont  pu  trouver  d'appro» 
bateurs,  parmi  ceux  même  qui  ont  tâché 
d'allier  la  galanterie  avec  quelque  refte 
(d'honneur. 

Jules  Scaliger  qui  avoue  qu'il  y  a  beau- 
coup d'endroits  dans  ces  Livres  qui  font 
délicatement  touchés  ,  ajoute  (4)  qu'il  y 
en  a  auffi  beaucoup  où  il  n'y  a  rien  que  de 
lafcif  &  d^impur  ,  fans  qu'on  puiiTe  dire 
qu'il  y  ait  quelque  chofe  de  tolérable  pour 
diverlitier  tant  d'obfcénités  ;  qu'il  y  en  a 
beau:oup  d'autres  où  on  ne  trouve  ni  fel 
ni  goût  ni  aucune  autre  bonne  qualité  qui 

puilîè 

I.  %.  Qiielle  preuve  en  a-t  on?  T 

z.  Clavigay  de  faintc  Honorine  de  Tufagc  àts  Lt- 

tres  pag.  rj.  chap,  x. 

l.  ^.  C'eft  une  léwtût.     Les  Priape'es  confiftent 

•n  de  coQires  pièces  pleines  de  Wlains  mois.  L*Ar( 

d»Rl^ 


Poètes    Latins.      2f9 

puifle  diminuer  quelque  chofe  du  dégoût  ovidc, 
que  prodaifent  tant  de  fadaifes  &    d'infa- 
mies: en  un  mot  que  Tes  Livres  de  TArt 
d'aimer  ne  font  qu'un  l'iiVa  de  fottifes  &  de 
badineries  puériles. 

Les  autres  Critiques  ont  été  obliges  de 
reconnoître  la  même  chofe  ;  &  Daniel 
-Heinlîus   lui-même  tout  zèle  qu'il  étoit 
pour  la  réputation  d'Ovide,  &  malgré  la 
réfolution  qu'il  avoit  prife  de   nous  faire 
voir  que  ce  Poète  avoit  excellé  en  toutes 
chofes,  n'a  point  laiffé  de  déclarer  que  fou 
\efprit  n'étoit  point  libre  lorfqu'il  compofa 
ces  Ouvrages,  qu'il  n' avoit  pu  fe  rendre 
le  maître  de  fon  abondance  ni  la  renfer- 
mer dans  les  bornes   de  l'honnêteté  (5). 
Mais  il  n'a  pas  crû  que  ce  témoignage  qu'il 
rcndoit  à  la  Vérité  dût  l'empêcher  de  louer 
-la  difpolîtion  ôc  la  méthode  des  Livres  de 
'l'Art  &  du  Remède  de  l'Amour,  la  gravi- 
té  des  Sentences,  la  beauté  de  la  Narra- 
-tion.     Il  femble  même  avoir  voulu  nous 
perfuader  qu'Ovide  avoit  eu  deflTein  de  fai- 
re une  efpéce  de  compoiition  de  tant  d'or- 
dures par  une  Morale  faine,  en  nous  faî- 
'fant  voir  qu'il  eft  plein  dans  les  autres  Ou- 
-vrages   de  Maximes  très-falutaîres   &   de 
-préceptes  de  fageffe  pour  régler  notre  vie. 
ii     *  Ovidii  {Publi:)  Nafoms  Opéra  cum  VA" 
-rtorum  Commçntariis  in-fol.  x.vol.  Francof. 

1 60 1 . 

d*<imer  d'Ovide  eft  un  Ouvrage  d'haleîne,  où  il  n*jr 
'a  d'ordures  que  dans  le  Icns,  ôc  point  du  tout  dan» 

les  exprclTîons. 

4.  Scalig.  ut  fuprà. 
;     5-  Dan.  HeinHus  Epiûol.  ad  Blyerabuig.  ut  fupià 

mon  fciDcL 


26o      Poètes    Latins. 
1601.  Idem  aà  ufum  Deîpbini  4. 

vol.  in-4  Lugd.  1689. 

G  R  A  T  I  U  S, 

Contemporain  à  Ovide ,  fur  la  foi  d'un 
Vers  de  la  dernière  Elégfe  du  quatrième 
Livre  de  Ponto .,  où  il  eli  cité  en  ces  ter- 
mes :  Aptaque nenant'îGratihS arma  dédit, 

Gritius.  ii5'4'  l^T  ^^^  avons  de  cet  Auteur  une 
i^  efpéce  de  Poème  fur  la  chas- 
fe  appelle  le  Csne^eticon  que  Sannazar  (i) 
emporta  de  France  en  Italie  pour  le  mettre 
au  jour.  Le  P.  Briet  dit  (2,)  que  le  ftyle 
de  ce  Poème  eft  pur,  mais  qu'il  n'a  point 
d'élévation,  parce  qu'il^s'eft  moins  étudié 
à  plaire  à  fon  Le6leur  qu'à  l'indruire. 

Jules  Scaliger  témoigne  (3)  que  cet  Au- 
teur a  de  l'élégance  auffv  bien  que  Neme- 
fîcn  qui  a  traité  le  même  fujet  long.-tems 
après  :mais  il  prétend  que  Gratins  eft  beavî- 
coup  plus  corred.  L:^  même  Critique  far- 
fant  ailleurs  la  comparaifon  de  ces  deux 
Poctes  avec  Oppien  qu'il  met  beaucoup 
au  deflus  d'eux,  les  compte  tous  deux  par- 
mi ceux  de  la  populace  (4).  Mais  il  préfè- 
re néanmoins  Gratius  à  Nemelien,  parce 
qu'il  a  beaucoup  plus  de  pureté,  qu'il  a 
plus  d'invention.  D'ailleurs  il  le  juge  blâ- 
mable 


*     I    Ç.  Voycs  le   T.   vol.   du   nouveau  Menagiana 
pag.  ij. 

2.  Phil.  Briet  lib.  2   de  Poct.  Latin,  pag.  2f. 

3.  Jul   Cxf.  Scaliif.  Hypciciitic.  lib.  6.  f  oët.  paj^ 


Poètes    Latins.      i6i 

mable  de  s'être  amufé  trop  long-tems  &  Gratius, 
trop  fouvent  à  raconter  des  Fables. 

*  GraiiuSy  Nemefianus^  Calpurnius ^l^ 
fragmenta  Vefpriciï  Spurïnncc  ^  cum  Comm„ 
G  aj part  s  B  art  hit  in- 8.  Hamvïcc  1613.  * 

M  A  N  I  L  1  U  S, 

Sous  Tibère ,  quoique  quelques  Auteurs 
le  mettent  fous  Thcodoie  l'Ancien. 

ï  I  f  5".   Ç^  Et  Auteur  a  mis  en  Vers  La-  Manilius, 

V^  tins  ce  qu'il  avoir  à  nous  dire 
touchant  T Agronomie.     Il   n'a  pourtant 
pas  tait  tout  ce  qu'il  avoit  defleia  de  faire  ; 
&  ce  qu'il  a  fait  n'eft  pas  venu  mcme  tout 
entier  jufqu'à  nous,    il  promettoit  deux 
parties  de  ion  Aftronomic[ue  ,  la  première 
pour  les  Etoiles  fixes,  &  la  îecon.^c  pour 
les  Planètes.     Il  n'a  pas  fait  cette  dernière 
partie,  ou  du  moins  n'en  a-t-on  rien  vu: 
&  des  (ix  Livres-mêmes  qu'il  avoit  com- 
pofés  fur  les  Etoiles,  nous  n'en  avons  que 
cinq  dont  le  dernier  n'eii  pas  même  entier. 
Sur  quoi  l'on  peut  voir  Mr.  du  Fay  (y) , 
que  j'ai  appelle  mal-à-propos  *  Mr.  De  la  ^  p^nslt 
Paye  parmi   les   Critiques   ou   Scholialles  première 
Dauphins  ,  faute  d'avoir  bcn  compris  ce  Edicio». 
que  vouloir  d  re  Michel  Fay  us  (6). 

Le  Gy raidi  femble  n'avoir  pas  fait  beau- 
coup 

4.  Idem  Ub.  j.  Poctic.  feu  Criticcap.  1S.pag.75J. 

5.  Mich.  Fayusdc  Vitaôc  Scri)tis  Manilii  prolcg, 
ad  édition. 

6.  Tome  z,  des  }t)gcniea;s  des  $ivans  ait.  (oj,  %. 


iSi      Poètes    Latiks. 

Maoilius*  coup  de  cas  de  tout  cet  Ouvrage  de  Mani* 
lias ,  quoiqu'il  ait  jugé  que  la  verlîfication 
en  eft  affés  belle  (i).  Jofeph  Scaliger  s'eft 
crû  obligé  en  qualité  de  fon  Commenta- 
teur de  prendre  fcs  intérêts  contre  ceux  qui 
trouvoient  diverfes  chofes  à  redire  dans  cet 
Ouvrage,  &  il  a  crû  pouvoir  rejetter  fur 
l'ignorance  ou  la  témérité  des  Grammai- 
riens &  des  Maîtres  de  Ciaiïes  les  diverfes 
difformités  dont  il  reconnoît  queManilius 
étoit  défiguré  avant  qu'il  eût  entrepris  de 
le  rétablir  dans  fa  première  forme  (2). 

Junius  dans  une  Lettre  à  Smet  (3)  rap- 
portée par  Mr.  du  Fay  (4),  prétend  que 
Manilius  eft  préférable  à  plulieurs  autres 
Ecrivains,  foit  pour  la  gravité  du  ftyle, 
foit  pour  la  propriété  des  termes  &des  ex- 
preffions,  foit  pour  la  commodité  du  fu- 
jct.  Il  dit  qu'outre  les  grâces  qu'il  a  trou- 
vées dans  ce  Poème,  il  n'a  pu  s'empêcher 
d'admirer  l'art  &  la  nobleffe  avec  laquelle 
/  il  a  fû  exprimer  les  mœurs  des  hommes  ; 

de  forte  qu'il  n'eft  pas  poflîble  aux  grands 
Orateurs,  ni  aux  excellens  Poètes  de  les 
mieux  repréfenter.  En  un  mot  il  prétend 
que  Manilius  a  joint  par  tout  la  douceur  & 
la  breveté  à  la  gravité,  &  qu'il  s'eit  pro- 
portionné à  la  portée  &  à  l'ufage  de  tout 
le  monde.     Aulîi  Scaliger  jugeoit-il  qu'il 

dc- 

t.  Lil.  Gregor.  Gyral.  Dial.  de  Hiftor.   To'ctié* 
tom.  I-  pag  48 j.  M. 

2.  Jof  Scalig.  Frzfat.  ad  édition,  tertiam  ManiU 
Afttonom. 

3.  51.  L'ufage  eft  pour  Sméce. 

4-  Fr.  Junius  Bitui,  Noo,  Epift.  ad  Hca;.  Smctluni 
apud  Mt  f  ayuœ^ 


Poètes    Latins.       263 

4cvoit  être  fort  utile  à  la  jeunefle  pour  en-  ManUiu«r 
trerdans  la  counoiilaiice  ^e  la  Sphère; mais 
cela  ne  regarde  pas  la  Pocfie  dont  nous 
traitons  préfentement. 

Gal'par  Barthius  qui  avoir  coutume  de 
jugpr  favorablement  de  tout  le  monde,  as- 
fure  (f)  que  Manilius  étoit  un  Poète  fort 
bloquent  &  de  grand  génie  ,  &  il  dit  que 
la  feule  defcripiion  d'Andromède  en  eft 
une  preuve  fuffifante.  Mr.  Borrichius  té- 
moigne que  fa  diction  eft  nette,  quoique 
fa  manière  d'écrire  foit  dans  le  genre  mé- 
diocre ;  il  ajoute  qu'il  a  le  jugement  ex-  .rJjîJl 
quis,  qu'il  a  beaucoup  de  facilité  de  parler 
dans  un  fujet  que  perfonne  n'avoit  traité 
en  vers  Latins  avant  lui,  (au  moins  en  o- 
riginal) ,  &  qu'il  raifonne  allés  jufte  fur  la 
Philofophie  (6). 

I  /  Néanmoins  Volïius  fcmble  avoir  eu  (î 
petite  opinion  du  Ityle  de  Manilius ,  qu*il 
étoit  tenté  de  croire  avec  quelques  autres 
Critiques,  que  fans  ce  que  cet  Auteur  dit 
d'ailleurs  qui  femble  ne  pouvoir  convenir 
qu'au  (îécle  d'Augufte,  il  auroit  plutôt  vé- 
cu du  tems  de  Théodofc  (7).  Enfin  Cas- 
telvetro  prétend  (8)  que  Manilius  ell  plu- 
tôt un  fi  iiple  Verlificateur  qu'un  véritable 
Poète  :  en  quoi  il  a  eu  égard  principale- 
ment à  la  matière  que  cet  Auteur  a  traitée. 

*  Ma- 

$,  Gafp.  Barch.  Adveifailor.  lib.   S.  cap.  S.  col. 

374. 
6.  Olaiis  Borrichius  Diflert    de  Poct.  Lat.  pag.  y;, 
7    Gcraid    Joan,  VoflT.  de  Poet.  liât.  libr.  fin^, 

cap.  2.  iMg.  j6.  '-i 

g.  Ludovic,  de  Caftelfctco  Comment,  in  A£t,ro^ 

tic,  Aiiftotd, 


2^4      Poètes    Latik  s. 

Manilius.       *  Manilii  Aftronomicon  cum  Notis  Sca* 
ligeri  tif  aliorum  in -4.  Argent.   lôff.  C5^ 

in-4.  Lugd-Bùt.  1600. Idem  in  ufum 

Delphini  cum  Notis  M.  Fay  ^  Huetii  in  4. 

Partf,  1697.  Idem  By  Edward  Sher» 

hurne  in- fol.  London.  1675". 

PHEDRE, 

Natif  de  'ïhrace^  Affranchi  d'Augufle,  é- 
crivant  fous  Ticere. 

Ihcdie,  1 1  f  6.  "VT  Ous  avons  de  cet  Auteur  cinq 
Jl\|  Livres  de  Fables  à  qui  il  a 
donné  le  nom  d'Efope  pour  leur  attirer 
plus  de  crédit  &  de  réputation,  comme  on 
a  vu,  dit-il  lui-même  (i)  ,  que  quelques 
Ouvriers  croyoient  augmenter  rellime  & 
le  prix  de  leurs  Ouvrages ,  en  les  attri- 
buant à  ceux  qui  avoient  autrefois  excellé 
dans  le  même  genre;  que  les  Sculpteurs, 
par  exemple, ne  faifoient  point  difficulté  de 
mettre  le  nom  de  Praxitèle  à  leurs  Statues, 
ni  les  Orfèvres  celui  de  Myron  à  leur  ar« 
genterîe ,  parce  qu'on  a  toujours  vu  par  ex-> 
périence  que  l'Envie  épargne  davantage  le' 
mérite  des  Anciens  que  celui  des  perfon- 
nés  préfentes. 
En  etfct  ce  font  des  Fables  qu'il  a  faites 


1.  Phedr.  lib.  5.  Fnbular.  fab.  x.  in  promythio  fe« 
initio  p.  no. 

2.  Idem  in  prolo^o  libri  5,  pag.  109. 

3.  Idçm  Efiiogp  iibn  2.  fâb,  9.  pag.  45.  h«c  ha* 
Vct.: 

pMniêm  •iiHfi.Ti^  dur  ne  frirnm  fntm , 

M 


Poètes    Latins.       265* 
à  rimîtation  d'Efope  plutôt  que  des  Fables  Phcdrc^  '4 
<i'Efope ,  parce  que  cet  Ancîen  lui  en  ayant 
feulement  découvert    quelques-unes  ,    ce 
font  fes  termes  (2),  il  en  a  inventé  de  lui- 
même  beaucoup  d'autres.     Par   cette  re- 
connoillance  il  prctendoit  avoir  payé  à  E- 
fbpe  tout  ce  qu'il  lui  devoit,  &  ne  lui  es- 
tant plus  redevable  que  du  genre  d'écrire 
<îui  étoit  ancien,  il  lui  rcftoit  allés  de  quoi 
s'ériger  en  Auteur  original  ,    en   prenant 
des  manières  toutes  nouvelles.     Il  n'a  pâ 
s'empêcher  même   de   témoigner   ailleurs 
quelque   chagrin   de  ce  qu'Elbpe   l'ayant 
prévenu  lui  eût  ôîé  la  gloire  d'être  le  pre- 
mier en  ce  genre  d'écrire  :   mais  on  voit 
que   par  une  efpéce  de  compenfation  il 
preten  "oit  bien  lui  ôter  celle  d'avoir  été  le 
feul  (3)  fans  craindre  d'être  accufé  d'autre 
chofe  que  d'une  louable  émulation. 

Phedie  n'avoit  pas  tout-à-fait  perdu  le 
jugement  en  parlant  de  la  forte  de  fes  Fa- 
bles ,  quoiqu'il  parût  un  peu  altéré  par  la 
maladie  ordinaire  à  la  plupart  des  Ecri- 
vains de  Rome  au  fiécle  d'Âugufte,  où  il 
femble  qu'on  faifoit  profelTion  de  faire  va- 
loir fes  propres  Ecrits, ôc  de  demander  pu- 
bliquement pour  eux  l'immortalité  aux  llc- 
cles  futurs  (4). 

Car  il  l'on  veut  confidérer  le  mérite  de 

ces 

iJe  falus  ejfet  fluduj  y  <juod  fuperfuiti 

Nec  hjcc  invidia  ,  zcrum  «,^  tmi-Litio. 

4.  De  Horatio,  de  Ovidio,  de  aliis  qurbufdam  li- 
quer.  De  Phïdro  vidend.  Prolog,  libri  3  verf.  ante 
penultim.  ad  Eutychiiim  ,  &  quatuor  ukinai  vctrui 
l'iolog.  libr.  5.  ad  Particuloncm, 

Tom,lILPart,n.  M 


266      Poètes    Latins. 

îhcdie,  ces  Fables  ,  on  peut  dire  après  Mr.  Gal- 
lois (i)  que  TAntiquité  n'a  rien  de  plus 
élégant  ;  &  quoique  Mr.  le  Fevre  de  San- 
mur  ait  prdtendu  faire  voir  quelques  dé- 
fauts dans  l'original,  cela  ne  doit  rien  di- 
minuer de  l'eflime  générale  où  elles  ont 
toujours  été  parmi  ceux  qui  les  ont  con- 
nues. 

Les  autres  Critiques  (2)  y  trouvent  la 
belle  Latinité  du  bon  fiécle,  ils  y  remar- 
quent une  pureté  admirable  ,  le  véritable 
caradére  de  la  Langue  des  Romains ,  6c 
un  air  tout-à-fait  naturel.  C'eft  le  juge- 
ment qu'en  ont  fait  Camerarius ,  Ritters- 
huys,  Mr.  Bongars,  Barthius,le  P.  Briet, 
&c. 

Mr.  le  Fevre  dont  nous  venons  de  par- 
ler témoigne  auffi  (3)  que  perfonne  n'avoit 
plus  approché  de  Terence  que  Phèdre, 
qu'il  avoit  parfaitement  bien  pris  fa  limpli- 
cité  &  fa  douceur,  &  qu'il  s'étoit  formé 
un  caractère  auiïi  aifé.  Il  ajoute  que  rien 
n'eft  plus  propre  pour  traiter  ces  fortes  de 
difcours  Moraux  fous  l'écorce  des  petites 
fables  qu'un  ftyle  facile  &  uni  comme  le 
lien. 

Mais  quoique  cette  grande  pureté  de  fly- 
le  foit  accompagnée  de  beaucoup  de  naï- 
veté 

T.  Gall.  Journal  des  Savans  du  2,  Février  de  Tan 

Ï«6J. 

2.  Conrad.  Ritthcrshuf.  in  Epiftol.  dedicat.  Phx- 
dri.  Item  Joachim.  Camerarius,  ôc  Jacob.  Bou- 
garfîus. 

Gafpar  Barthius  Mb.  50.  Adverfarior.  cap.  9.  col, 
îj 58.  Item.  lib,3  5,ca^.  21,  cjufdein  Opcris.  col,  1670. 

Phi- 


i 
I 


Poètes    Latins.     267 

vetc  &  d'une  grande  (implicite  ,  elle  ne  vhç^km^ 
lai/Fc  point  d'être  foûtenuë  de  quantité 
d'exprefilons  très-nobles  &  fort  dleve'es,& 
qui  fe  fentent  un  peu  de  la  hardiefîe  de  la 
Poëlie.  On  y  trouve,  dit  le  Sieur  de  Saint 
Aubin  (4) ,  un  modc'le  parfait  d'une  des 
chofes  à  laquelle  ceux  qui  commencent 
doivent  travailler  davantage  félon  Quinti- 
lien.  C'eft  celui  d'une  narration  excellen- 
te &  accomplie  en  toutes  fes  parties,  par» 
ce  que  Phèdre  raconte  ces  Fables  avec  tant 
de  clarté,  jointe  à  une  lî  grande  breveté, 
qu'on  peut  dire  qu'il  e(l  parfait  en  fongen* 
re  comme  Virgile  &  Horace  le  font  dans 
le  leur. 

Un  Auteur  Anonyme  ,  qui  n'efl:  peut- 
être  pas  différent  de  celui  que  je  viens  de 
citer,  témoigne  (y)  que  la  beauté  des  nar- 
rations, en  quoi  confiftoic  le  grand  talent 
de  Phèdre,  ne  paroît  pas  feulement  en  ce 
qu'elles  font  courtes,  mais  aulTi  en  ce  qu'el- 
les ont  ordinairement  quelque  chofe  de 
furprenant,  &  qu'elles  font  faites  avec  une 
grâce  &  une  adrelfe  admirable.  Et  ce  qui 
diftingue  particulièrement  fon  caraélére  d'a- 
vec celui  de  Terence,  c'eft,  dit-il,  qu'on 
lui  trouve  divers  endroits, &  fur  tout  dans  le 
fens  ou  l'application  de  fes  Fables ,  dans  fes 

Pré- 

rhilipp.  Briet  lib.  2.  de  Poctis  Latinis  pag   32.  31. 

3.  Tanaquill   Faber  in  notisai  Phxdrum  pag.  187. 

4.  De  Saint  Aubin  ,  Préface  fur  fa  Traduction  Fran- 
çoifc  de  Phcdie. 

fl.  Ifaac  le  Maiftrc  de  Saci. 
j.  L'Auteur  de  la  Traduftion  de  trois  Comédies 
de  Tcience. 

M  2 


2(5S      Poètes    Latins. 

fjicdtt^  ,  Préfaces,  &  dans  Tes  derniers  livres,  qui 
font  fort  hardis,  &  qui  font  même  dans 
ce  flyle  iùblime  que  Ton  recherche  tant. 

Mais  ce  qu'il  y  a  encore  de  plus  confi- 
dérable  dans  ces  Fables ,  ce  font  les  fen- 
dmens  &  la  morale  de  cet  Auteur  ,  qui-, 
£èlon  Mr.  Rîgauc  (i)  ,  a  renfermé  avec 
beaucoup  d'artifice  fous  ces  Apologues  les 
maximes  les  plus  utiles  que  Ton  puilTe  pra- 
tiquer dans  la  vie.  Il  y  corrige  les  défauts 
des  particuliers  avec  beaucoup  d'agrément, 
&  il  touche  d'une  manière  fort  délicate  & 
fort  adroite  ,  certaines  chofes  qu'il  n'ap- 
prouvoit  pas  dans  la  conduite  des  Grands 
&  dans  celle  de  Tibère  même. 

Comme  il  vivoit  dans  une  Cour  extré- 
niement  rafinée,il  n'éroit  pas  fur  de  pren- 
dre des  voies  communes  &  ordinaires  pour 
reprendre  publiquement   les  vices  de  fon 
lîécle.     C'efl:  ce  qui  le  rend  d'autant  plus 
eftimable  d'avoir  fu  par  la  force  &  l'adres- 
fe  de  fon  génie,  trouver  le  fecret  de  k  fai- 
re impunément  &  fans  choquer  perfonne, 
&  de  fe  jouer  agréablement  des  hommes 
fous  des  noms  de  bêtes,  de  la  nature  des- 
quelles i:i  femble  les  avoir  revêtus. 

On  peut  dire  que  c'eft  à  l'imitation  des 
plus  grands  Philofophes,  des  anciens  Sa- 
ges d'Egypte ,  &  des  autres  Maîtres  de 
l'Antiquité  parmi  les  Peuples  Orientaux, 
^u'il  a  voulu  repréfenter  toute  la  conduite 

des, 

T.  Nicol.  Rigalt.  Epifiol.  ad  Jac.  Aug.  Thuan, 
dedicat.  Phidri  pithœan. 

2 .  Le  Maiilxe  4c  Saci  ou  celui  qui  a  tiaduit  Te* 
rence  Çcc,  a 


P  a  E   T    E   s      L  A    T   I   N   S".      idp 

des  hommes  fous  des  figures  iiigénicufesâc  Phe(it«'4 
divcrdlfantes ,  fous  des  emblèmes  &  des 
entretiens  de  bétes.  Il  donne  même,  fé- 
lon un  Critique  moderne  (2) ,  plus  de  pré- 
ceptes &  plu  s  de  régies  que  Terence  pour 
rendre  les  hommes  fages  dans  toutes  leurs 
actions ,  &  pour  leur  fin're  aimer  la  vertu  & 
haïr  le  vice.  C'eft  pourquoi  fes  livres  font 
d'autant  plus  excellens  qu'ils  font  propor- 
tionnés tout  cnfcmWe  aux  perfonnes  les 
plus  fages  &  aux  enfans.  Les  premiers  ad- 
mirent les  inftru6tions  importantes  qui  font 
cachées  avec  tant  de  grâces  dans  les  replis- 
de  ces  Fables  :  les  derniers  s'arrétant  àl'é- 
corce  de  ces  fictions  ingénieufes  qui  les- 
charment, y  trouvent  tout  à  la  fois  le  plai- 
ûr  qu'ils  y  cherchent,  &  les  enfeignemens- 
qu'ils  n'y  cherchent  pas  (3). 

Quand  on  fait  réflexion  fur  tant  d'ex- 
cellentes qualités  qui  rendent  cet  Auteur  fi 
recommandable,  on  a  quelque  fujet  d'être 
furpris  de  voir  que  l'Antiquité  ait  eu  û  peu 
de  foin  de  nous  le  conferver,  ou  du  moinj 
de  nous  en  recommander  la  ledure.  Il 
femble  même  qu'elle  l'ait  mis  dans  un  ou- 
b'i  affés  volontaire  ,  &  qu'on  fe  foit  peu  fou- 
cié  de  le  nommer  dans  les  citations.  Si 
nous  en  croyons  Voffius  (4) ,  le  premic? 
des  Anciens  qui  ait  fait  mention  de  lui,efl 
Avicnus  qui  vivoit  trois  cens  ans  après  lui 
fous  Theodofe.    Mais  quoique  Volfiusfe 

foit 

3.  De  S^int  Aubin  ,  ou  le  Maiftrc  de  Saci,  Préfaça 
fur  la  tradudion  de  Phèdre. 

4,  Gcr.  Joan.  Voil  deloët.  Lat.lib.  fuig. pag.  M ^ 

Mb 


270     Poètes    Latins. 

JhcdiCt  foit  trompé ,  &  que  Martial  eût  parlé  de 
lui  long'tems  auparavant  (i)  ;  néanmoins 
il  n'auroit  pas  été  impoffible  i  des  Plagiai- 
res, tels  que  Nicolas  Perrot  (2)  &  Gabriel 
Faérne  de  le  fupprimer  en  le  pillant  com- 
me ils  ont  fait  (3)  ,  fi  Mr.  Pithou  n'eût 
rendu  la  vie  à  notre  Auteur. 

*  Phadri  Fabula  Aifopia  cum  nous  Ta' 

Tfaq.  Fabr'i  in-4.  Salmur.  \6^1.  Idem 

cum  nous  R'igalùï  in-4.  '^P^<^  ■^-  Steph. 
161 7.  —  Idem  cum  nous  Pétri   Danet 

în-4.  Parif.  167^.  Idem  cum  Marq. 

Cudii  Comm.  curante   P.  Burmanno  in- 8. 

Àmft.  1698.. Idem   cum    notts   Joh^ 

Fred.  Nîlant  in-8.  Lu^d-Bat.  1709.  — 
Idem  cum  notis  Davidis  Hoogfiratani^  in 
ufum  Principis  Najfavii  in-4.  Amft.  1700. 

CiESIUS    BASSUS, 

Poëte  Lyrique,  fous  Claudius  &  Néron. 

xij'7.  /^Uintiîîen  lui  donnoit  le  premier 
^^v^rang  après  Horace  (4) ,  mais  le 
peu  de  fragmens  qui  nous  en  font  reftés, 
ne  nous  donne  pas  lieu  d'en  dire  davantage. 
[Voyés  dans  le  Corpus  Poètarum  Art. 
1131.] 

P  E  R- 

ï.  Martial.  Epigram.  xx.  lib.  j. 

2.  Ç.  Il  faut  écrire  Perot ,  ôc  voir  le  j,  vol.  du  nou- 
feau  Menagiana  ,  où  depuis  la  page  223.  jufqu'à 
7,1%.  il  cft  parlé  amplement  de  Nicolas  Pe'iot,  &  du 
nianufcrit  qu'il  avoir  des  fables  de  rhédrc. 

3,  De  Perroto  V.  Gafp.  Barthiiim  lib.  jj.  Adver- 
iu,  cap.  SI,  col,  :67o.  De  façino,  Vid,  Jac.  Aug. 

Tliuiin, 


Poètes    Latins.      271 
PERSE, 

Poète  Satirîque,  (Aul.  Perf.  Flacc.)  mort 
âgé  de  29.  ans ,  en  la  féconde  année  de 
la  iio.  (Jlympiade,  l'an  vulgaire  de  Je- 
fus-Chrift  ,  c'eft-à-dire  de  notre  Epo- 
que, 6i. 

II 58.  T    Es  Crîtfques  ont  prefque  tous  peift; 

1  ^  donné  leur  vois  pour  la  répro- 
bation de  Perfe.  Jules  Scaliger  dit  nette- 
ment que  c'eft  un  Ecrivain  impertinent, 
qui  n'a  point  eu  aflcs  de  jugement  pour 
voir  que  c'étoit  en  vain  qu'il  prétendoit  fe 
faire  lire,  s'il  ne  vouloit  point  être  enten- 
du {s)'  ÎJ  ajoute  que  ce  n'eft  qu'un  fan- 
faron qui  fait  parade  d'une  érudition  fié- 
vreufe,  &  qu'il  ne  paroît  que  du  capric&& 
du  chagrin  dans  fon  ftyle. 

Jofeph  Scaîiger  fon  fils  appelloît  Perle 
un  pauvre  Poète  &  un  r/iiférable  Auteur  ^ 
qui  ne  s'ctoit  appliqué  qu'à  fe  rendre  le 
plus  obfcur  qu'il  lui  étoit  poiTible  ,  &  qui 
pour  ce  fujet  a  été  nommé  V aveugle  par 
les  Poètes  (6).  Il  témoigne  néanmoins 
que  bien  qu'il  n'y  ait  rien  de  beau  dans  cet 
Auteur ,   on  peut  pourtant  écrire  de  fort 

bel- 

Thuan.     Item  eumd.  Barthium. 

4.  Quintilian.  lib.  to.  Inftitut.  Oratoriai.  cap.  r, 
Vofllus  lib.  I.  de  Hiftor.  Latin,  cap.  22.  pag.  115," 

îc  de  Poët.  Lat.  pag.  44, 

5.  Jul.  Caef.  Scalig.  Hypercritic.  lib.  6,  Poctic. 
pag.  818. 

er.  Jofeph.  Juft.  Scalig.  m  primis  Scalig.  pag.  12;^ 

M  4 


27^      Poètes    Latins. 

Jeife,  belles  chofes  fur  lui  (i).  C'eft  ce  qu'on  a 
remarqué  dans  la  conduite  de  Cafaubon , 
dont  les  Commentaires  valent  beaucoup 
mieux  que  l'original  de Perfe, comme  nous 
l'avons  vu  ailleurs  (2). 

Mais  comme  notre  Poè'te  n'a  point  eu 
deiïèin  ds  fe. faire  entendre,  il  femble  que 
Cafaubon  &  les  autres  Critiques  qui  ont 
voulu  travailler  fur  lui,  foient  allé  contre 
lès  intentions ,  &  qu'ils  ayent  eu  tort  de  le 
vouloir  expliquer,  vu  que  félon  Mr.  Go- 
deau  (3)  il  ne  mcritoit  point  la  peine  que 
ces  favans  hommes  oiK  prife  pour  cet 
effet. 

On  peut  dire  néanmoins  que  leur  travail 
n'a  pas  été  entièrement  inutile,  puifqu'il  a 
fervi  du  moins  à  faire  connoître  le  peu  de 
mérite  de  leur  Auteur.  Le  P.  VavafTeur 
nous  apprend  (4)  que  le  P.  Petau  l'ellimoit 
encore  de  la  moitié  moins  qu'il  n'auroitfait 
Il  on  l'eût  laifTé  fans  explications, fans  glofes, 
&  fans  commentaires ,  parce  que  fon  obs-' 
curité  nous  auroit  au  moins  fait  croire 
qu'il  auroit  quelque  chofe  de  myllerieux. 

Le  P.  Rapin  prétend  qu'il  ed  tombé 
dans  cette  obfcurité  pour  avoir  afFedé  de 
la  grandeur  d'expreffion  fans  avoir  de  gé- 
nie, &  pour  avoir  été  trop  hardi  dans  foa 
langage  (s)'  ^^  même  Auteur  dit  ail- 
leurs 

ï.  Alter.  Scalig.  &  ex  Scalijero  Franc.  Varaflbr 
iib.  de  ludicra  diftione  pag.  240. 

z-  Tom.  2.  part.  t.  des  jugcm.  des  Sar.  ou  il  eft 
parle  de  Cafaubon,  Art.  457. 

3.  Ant.  GodeaUjHift.  de  l'Eglifc  à  la  fin  du  prcr 
mier.  fieclc  pag.  37t.  au  premier  tonic  de  l'edùioa 
ilhoiiandc» 


i 


?  O  E   T   E   Sf     L  A   T   1   N   5v         IJ^ 

leurs  (6)  que  c'ell  ratfedlation  qu'il  avoit  pçîft^. 
de  paroitrc  doéle  qui  lui  caufoit  cette  obs- 
curité ,  à  laquelle  il  ajoute  que  ce  Poète  a 
joint   la  gravité  &  la  véhémence  du  disr 
cours ,  mais  cela  n'a  point  été  capable  de 
lui  donner  plus  d'agrément.     Ce  n'efl  pa% 
dit  cet  Auteur,  que  Perfe  n'ait  quelques 
traits  d'une  délicatefTe  cachée  :    mais  ces 
traits  font  toujours  enveloppés  d'une  érur 
dition    (î   profonde,  qu'il  faut  des  Com- 
mentaires pour  les  développer.     Il  ne  dit 
que  tridement  ce  qu'il  y  a  de  plus  enjoué 
dans  Horace,,  qu'il  tâche  quelquefois  d'i- 
miter.   Son  chagrin  ne  le  quitte  prefque 
point.    C'eli  toujours  avec  chaleur  qu'il 
parle  des  moindres  chofes ,  &  îî  ne  quitte 
Jamais  fon  férieux  lorfqu'il  veut  railler. 

Voffius  croit  qu'il  ne  favoit  pas  les  ré* 
gles  de  la  Satire, ou  du  moins  (7)  qu'il  les 
a  négligées  &  renverfées,  lorfqu'il  a  atta» 
que  feulement  quelques  Perfonnes  en  par- 
ticulier, au  lieu  de  reprendre  les  vices-aus- 
quels  plusieurs  font  fujets  ;  &  lorfqu'en 
voulant  rnarquer  quelques  fautes  ou  qiiel- 
ques  aélions  de  ces  Particuliers,  il  ne  fe 
fert  fouvent  que  de  termes  généraux,  qui 
ne  nous  donnent  point  de  lumières  pour 
connoître  ni  le  fait  ni  là  perfonne.  Celi 
pourquoi  ce  qu'il  a  fuit  ne  mérite  prefque  * 

point 

4.  Franc.  Vavaflbr,  de  ludicra  diiflione  >  ut  fiipri- 
pag.  241. 

5.  Rcn.  Rapin,  Refiex.  gcnMalc  30.  fur  la  loë» 
tiq.  pag.  79.  edit.  in- 12, 

6.  5-conde    partie    du  iv.êmc   Ouvrage,   Refiex^ 
XXVIII.  Sec  , 

7.  Ger.  Jo.  Vofl',  lnftitutic:i.  Foët.  1.  3.pag.4î^. 

M  s^ 


274      Poètes    Latins. 

?c^^«i  point  le  nom  de  Satire,  félon  ce  Critique,, 
parce  qu'il  ne  cenfure  perfonne  nommé- 
ment ,  &  qu'il  aime  mieux  blellcr  tout  de 
bon  que  de  piquer  ou  mordre  en  fe  jouant. 

Enfin  Calaubon  &  Farnabe  après  lui, 
ont  remarqué  (i)  que  li  on  vouloit  dé- 
pouiller Perfe  des  plumes  d'autrui  dont  il 
s'eft  voulu  parer,  il  ne  refleroit  de  ce  qui 
lui  appartient  que  des  bagatelles  ,  &  des 
nutilités  fort  grandes  î  &  ils  prétendent 
que  toutes  fes  Satires  enfemble  ne  valent 
pas  une  feule  page  de  celles  de  Juvenal. 

Mais  quoiqu'on  ait  pu  dire  contre  les 
Satires  de  Perfe,  il  n'a  point  lailTé  de  ren- 
contrer quelques  Critiques  affés  favorables 
pour  juger  qu'il  n'étoit  pas  entièrement  dé- 
pourvu de  fens.  C'elt  ce  qui  paroît  par  le 
fentiment  que  Mr.  Defpreaux  femble  en 
avoir  eu  ,  &  qu'il  a  exprimé  en  ces  ter- 
mes (2): 

Perfe  en  fes  vers  obfcurs,  mais  ferrés  & 

preflans , 
Afifeda  d'enfermer  moins  de  mots  que  de 

fens. 

Chytrxus  prétend  même  (3)  que  c'eft 

un 

1.  Ifaac  Cafaubon,  Prxf.  in  Peif.  Comm.  Item 
Thom.  f  arnab.  prxfat.  ad  Juvenalem. 

<îf.  Quoi  que  Cafaubon  ait  recueilli  curieufement 
tous  les  endroits  où  Perfe  a  imité,  pour  ne  pas  dire 
copié,  Horace,  bien  loin  cependant  de  le  rabaificr 
au  defl.'us  &  d'Horace  &  de  juvénal,  il  prétend  que 
«oute  compen'ation  faite  entre  les  trois  Satiriques, 
«k  ce  qu^ils  QQt  de  boa  ^  de  OMuyaif,  feifc  pour* 


P   O  E   TES      Li  A  T   INS.         Xff 

un  grand  Philolophe,  &  que  fous  la  févé-  Perfc, 
rite  de  la  Satire  il  cache  divers  enfeigne- 
mens  tirés  des  livres  de  Platon. 

*  Eilh.  huhin't  Parapbrajîs  in  Aulï  Per" 
fit  Flacci  Satiram  in- 8°.  Amfî.  1S9S' 
—  I<;/i^m  Perfius  cura  nous  Farnabït  in- 12. 
Amft.  \6^o.  —  Pcrfii  Saura  cum  corn^ 
raent.  Ifaaci  Cafanboni  fer  Mertcurn  Ca" 
faubonurn  in-8°.  Lond.  1647.  —  Juvena" 
lis  i^  PerfiîSatira  cum  noîisHennim  in 40. 
Uhrajecî.  2.  vol.  T685V  —  Con  Annota^ 
zioni  dal  Conte  Cam'îilo  Sihejhi  da  Rovi- 
go  in- 40.  in  Padoua  1711.  —  Cum  notis 
Ri^altii  in- 12.  Parif.  apud  Rob,  Suph,  ■ 
1616.  * 


Toit  fort  bien  difputer  de  la  pre'fe'rence  avec  les  deux 
autres.  Ce  n'cft  donc  pas  Cafaubon  que  Daillet  de- 
Yoit  citer,  c'eft  uniquement  Farnabe  qui  à  l'exem- 
ple de  Jule  Scaliger  a  parlé  de  i'erfe  avec  le  derniei 
mépris. 

z.  Derpreaux,de  l'Art  Poétique  Chant  i.versTfî, 
3.  Chytr.  de  Poëticar.    leûione  re^c  inftitucnd, 
ap.  J«  Afl4i,  Qyewlledt  de  Pati.  Vir,  Ul.  pag.  3ia»-. 

M  6 


276      Poètes    Latins^ 
L  U  C  A  I  N, 

Poète  Epique  hi dorique  {Marcus  Annceui 
hncanus)    né   à    Cordouë  en  Efpagnff^ 
vers   Tan  37.   ou   39.  de   notre   Epo- 
que (i),   tils  d'Aniiîeus  Mêla,  &  ne- 
veu de  Seneque  le  Philofophe,  mort  en 
la  dixième  année  de  l'Empire  de  Neron^. 
en  latroifiéme  année  de  la  210.  Olym- 
piade, qui  fut  celle  de  la  première  perfé 
cution  de  l'Eglife,  &  la  tin  de  la  63.  de 
notre   Epoque.  D'autres  mettent  cette 

'   mort  deux  ans  après,  fous  le  Confulat 
de  Nerva,  &  Veilinus  fuivant  Tacite; 

§.  I- 

l^aîû.  Ii5'9'  fL  y  3  peu  d'Ecrivains  qtiî  ayent 
1  été  plus  expofés  à  la  cenlure  des- 
Critiques  que  Lucain.  Les  uns  en  ont 
voulu  faire  un  grand  Poète,  les  autres  un. 
Hiflorien  médiocre,  quelques-uns  un  vé- 
hément Orateur  ,  &  d'autres  un  Philofo- 
phe ,  un  Mathématicien  &  un  Théolo- 
gien. 

Mais  on  ne  fait  pas  bfen  encore  à  qui 
de  Lucain  ou  de  fes  Critiques  cette  mul- 
titude de  Cenfeurs  eft  plus  nuilible,  parce 
que  fi  d'un  côté  elle  nous  porte  à  croi- 
re qu'il  y  a  bien  des  chofes  à  dire  dans  Lu- 
cain ,  &  qu'il  faut  que  fa  Pharfale-  foit  bien 

inér 

T.  Ces  diverfîtcs  viennent  de  ]a  difficulté  d'accor- 
4er  faint  Jérôme  avec  les  Hiftoriens  Romains, 

2.  ThosasfdiAabu-fiaEfiitioifidLuçaiUcditiouçoi) 


Poètes  Latins.  277- 
inégale  &  bien  défedueufe  ;  de  l'autre  on  Lucaih- 
peut  dire  que  la  diverlité  de  tant  de  juge- 
mens  inégaux  &  pleins  de  contradiéiion 
qu'on  a  portés  fur  fon  Ouvrage,  ne  nous 
donne  pas  une  grande  idée  de  la  folidité 
de  la  plupart  de  ces  jugemcns,  ni  delà- 
capacité  de  quelques-uns  de  ces  Critiques 
qui  fe  font  le  plus  écartés  du  commun  de* 
autres.  Il  en  faut  rapporter  les  principaux, 
pour  donner  au  Lecteur  le  moyen  de  pren- 
dre tel  parti  qu'il  lui  plaira,  &  de  choifir 
les  uns  en  fe  divertilFant  des  autres. 

Quelques-uns  de  ceux  d'entre  les  Cn'tî-- 
ques  qui  en  ont  voulu  fiire  un  grand  «^oe- 
t«,  n'ont  point  fait  difficulté  de  l'égalera 
Virgile,  mais  Farnabe  n'a  point  appréhen- 
dé de  dire  que  ces  fortes  de  Critiques  ne 
nous  ont  point  tant  fait  voir  la  grandeur 
de  Lucain  que  leur  propre  infolence,  en. 
faifant  un  parallèle  fi  bizarre  (2)  &  fi  ridi- 
cule. 

Un  de  ces  Critiques  qui  n'efi  point  fans- 
doute  du  premier  ordre,  ayant  entrepris 
de  donner  une  nouvelle  édition  de  laPhar- 
fale  avec  fes  notes  a  voulu  ufer  du  privilé-r 
ge  que  les  Scholiaftes  &  les  Commentateurs 
lemblent  s'être  donné  pour  élever  leurs. 
Auteurs  aufil  haut  qu'ils  le  jugent  à  pro- 
pos ,  fans  fe  foucier  de  faire  tort  aux  autres» 
11  a  voulu  nous  faire  croire  (3)  que  Lu- 
cain eft  fi  fort  approchant  de  Virgile,  qu'il 
y  a  un  très-grand  nombre  d'endroits  dans 

lesr 

;.  Joannes  Sulpitius  Vcrulanus  iii  EpifloL  prxûl^ 

M  7 


27S      Poètes    Latins. 

Lucaîn.  lefquels  on  ne  fait  lequel  des  deux  l'em- 
porte far  Tautre.  Virgile  eil  riche  &  ma- 
gnifique, dit  ce  grave  Auteur  :  Lucain  eft 
fomptueux  &  fplendide.  Virgile  ei\  mûr, 
fublime,  abondant:  Lucain  eil  vchément, 
harmonieux,  diiîas.  Virgile  imprime  le 
refpe6t:  Lucain  imprime  la  terreur.  Virgi- 
le eft  net  &  compofé:  Lucain  eft  fleuri 
&  jufte.  Virgile  a  plus  d'avantage  dans  la 
qualité:  Lucain  en  a  plus  dans  la  quantité. 
Virgile  a  plus  de  force:  Lucain  a  plus  de 
vénémence.  Voilà  le  jugement  de  Sulpi- 
tîus,  c'eft-à-dire,  d'un  des  plus  zélés  ad- 
mirateurs des  perfedions  de  Lucain. 

D'autres  l'ont  voulu  auffi  comparer  à 
Virgile,  mais  avec  plus  de  diftindion, 
comme  Bempfter,  qui  dit  (i)  que  Lucain 
n'eft  pas  fort  éloigné  de  la  majefté  de  Vir- 
gile. Il  s'en  eft  encore  trouvé  d'autres  qui 
ont  ufé  de  la  même  comparaifon  ,  mais 
c'a  été  par  "me  efpéce  d'oppoluion  &  pour 
faire  voir  la  différence  de  ces  deux  Poètes. 
G'eft  ainfi  que  le  P.  Rapin  a  dit  que  Lu- 
cain n'eft  qu'un  emporté  au  prix  de  Vir* 
gile  (2). 

§.2. 

Dngéme  de  Lucain  pour  la  Poêjîe. 

Mr.  Godeau  dît  (3)  que  Lucain  avoît' 

fans 

1.  Thomas  Dempfter  Scot,  ad  Joan.  Rofini  Anti- 
^it.  Roman. 

2.  René  Rapin,  Comparaifon  d*Homcre  ôt  Vil» 
^le  chap.  II.  pag   ^i. 

3.  Aatoiue  Co4e«U}  Hiiloiic  £çcléiïaiti<jue}findtt 

piC5 


Poètes    Latins.     279 

fans  doute  beaucoup  de  génie,  &  refprit  Lucaiow 
grai)d  &  élevé,  comme  il  paroit  fur  tout 
dans  fes  defcriptions:  mais  qu'il  avoit  le 
vice  ordinaire  des  jeunes  Gens,  qui  eft  de 
ne  pouvoir  jamais  fe  modérer.  Il  ajoute 
que  comme  quelques-uns  Teftiment  trop, 
d'autres  le  blâment  auffi  plus  qu'il  ne  mé- 
rite, parce  que  comme  il  a  fes  vices,  on 
ne  peut  pas  nier  qu'il  n'ait  aulTi  fes  ver- 
tus. 

Philippe  Rubens  ou  Rubenius  témoigne 
auffi  que  Lucain  avoit  l'efprit  ékvé  &  fu- 
blime,  &  qu'on  ne  remarque  rien  de  fer- 
vile  en  lui  (4>,  quoiqu'il  tût  dans  l'efcla- 
vage  fous  les  Tyrans.  Farnabe  ne  pouvoît 
fc  lafTer  d'admirer  fa  liberté,  fon  éloquen- 
ce, fa  force,  fon  feu,  fon  activité,  fa 
fubtilité  noble  &  divine,  l'élévation  de 
fon  efprit,  la  vigueur  de  fa  Mufe  toute 
mâle  &  toute  militaire,  fon  air  coulant 
qu'il  prétend  même  être  fans  impétuoiité, 
la  fublimîté ,  la  clarté  &  la  pureté  de  fon 
ftyle  (5). 

Barthius  aiïure  en  divers  endroits  (6)  de 
fes  Ouvrages  que  c'eft  un  Poète  d'un  pro- 
digieux génie  ,  d'une  érudition  toute  ex- 
traordinaire, d'un  caradcre  tout-à-fait  hé- 
roïque ;  qui  depuis  que  fa  Pharfale  parut 
au  monde,  a  toujours  été  conlidéré  com- 
me un  Auteur  de  grand  poids  parm'  les 
Philofophes  &  les  autres  Perfonnes  d'im- 

por- 

pxeraier  fiëcle. 

4.  Philip.  Rubenius  lib.  "ElcCtot.  cap.  2.  &  apud 
Mait.  Hanck.  de  Script.  Rom. 

5.  Farnabius  in  Epift.  pracfator.  cdit.  Luc. 

6.  Galp.  fiaxtlùus  Adïcifiuioi,  lib,  53,  csp.  (.col, 
H»7.  i^*ix 


iS©      Poètes    Lat'inî. 

Lucaiû,  portance  à  caufe  de  la  gravité ,  de  ïà 
force  ,  de  la  vivacité  ,  de  la  fubtilité, 
de  la  véhémence  des  penfées  qui  brillent 
par  tout  fon  Ouvrage,  &  qui  font  confi- 
dérer  fa.  Pot  lie  comme  un  des  plus  grands 
efforts  d'un  efprit  tout  de  feu. 

C'eft  ce  qui  a  fait  dire  à  Mr.  de  Chante» 
reine  (i)  ,que  toute  fa  beauté  confiée  dans 
des  penfées  extraordinaires  &furprenantesj 
qui  ne  laiifent  point  d'être  folides  :  mais 
qu'après  tout,  cette  beauté  eft  beaucoup 
moins  d'ufage  que  celle  qui  conlîile  dans 
un  air  naturel,  dans  une  (implicite  facile 
&  délicate,  qui  ne  bande  point  l'efprit  & 
qui  lie  lui  préfente  que  des  images  com- 
munes. 

Jules  Scaliger  avoir  déjà  penfé  &  publié 
la  même  chofe  que  ces  Cr'tiques  en  divers 
endroits  de  fi  Poétique,  où  il  s'eft  fulcité 
pluiieurs  occafions  de  parler  fur  les  bon- 
nes &  les  mauvaifes  qualités  de  Lucain 
avec  pins  d'étendue.  Tantôt  il  dit  que  cet 
Auteur  n'elt  pas  un  :'oéte  du  commun  (2)  ^ 
mais  qu'il  ell  trop  embarairé&  trop  confus 
dans  fes  penfées,  qu'il  porte  toutes  les 
chofes  à  l'excès,  &  qu'on  le  trouve  tou- 
jours dans  l'une  des  deux  extrémités,  fau- 
te 

1.  Niéole,  Traité  de  l'Education  du  Prince  pjiit.  s- 
farag.  38.  pag.  63 

2.  Jiil.  Ca:f.  Scilig.  in  Ciitico,reu  lib.  5.  îoëtices 
cap   15.  p^g  717. 

3.  idem  Aiftorin  Hypercritico,  feu  Jib.  6.  Pcèti-    j 
S£s  pag.  844.  , 

4    Liî   Greg.  Gyrald.  DiaJcg  4.  de  Hift.  Toëtari».    ', 
antiquoï. 
U  f .  GyraJdus  €o  pailant  de  Lucain  n'ufe  pas     ' 

d'imei 


ià\ 


Poètes    Latins.      2S1 

te  d'avoir  connu  ce    que  c'cft  que  le  jufte  Lucaîa; 
milieu  des  chofes. 

Tantr>t  il  avoue  (3)  que  c'cft  un  génie 
vafle,  tranfccndant,  &  plus  que  Poétique; 
mais  que  c'clt  un  efprit  qui  ne  connoît 
point  de  Maître,  qui  n'a  point  voulu  ds 
bornes,  qui  n'a  pu  foutfrir  de  bride,  inca- 
pable de  le  foulager  dans  fes  efforts,  .&  de 
revenir  de  fes  égaremens;  qui  efl  prefque 
toujours  ébloui  de  fon  brillant, &  aveuglé 
de  la  fumée  de  fon  feu;  qui  eft  efclave  au 
milieu  de  fes  cmportemens,  &  qui  n'ayant 
de  l'enthouliafme  &  de  la  fureur  Poétique 
que  cette  fougue  qui  l'emportoît  toujours 
hors  de  lui-même  ,  jamais  il  n'avoit  pu 
rencontrer  ce  beau  tempérament  &  cette 
admirable  médiocrité  où  Virgile  s'eft  ren- 
fermé d'une  manière  tout- à- fait  unique. 

Nous  venons  de  voir  que  Scaliger  a 
voulu  nous  faire  pafïer  Lucain  pour  un 
poète  qui  eft  fort  au  deifus  du  commun 
des  autres  Poètes.  Le  Gyraldi  qui  vivoit 
de  fon  tems ,  &  qui  n'ctoit  guéres  moins 
Critique  que  lui ,  n'a  pourtant  pas  fidt  diffi- 
culté (4)  de  le  mettre  au  rang  des  derniers, 
&  de  le  compter  parmi  ceux  de  la  lie  (5-); 
11  prétend  que  comme  cet  Auteur  n'avoit 

ni 

d^lne  expicffion  fi  mcprifante.  Il  ne  te  rabarflcqn'i 
regard  de  Virgile  avec  lequel  il  ne  peut  fouffrir  qu'on 
le  compare.  Il  veut  qu'on  ne  le  regarde  ni  comme- 
le  fécond  ni  même  comme  le  troilicme,  mais  qu'il  y 
ait  entre  Virgile  &  lui  une  diftance  aulïï  grande  qu'il 
y  en  auroit  dans  la  carrière  entre  celui  qui  auroit 
atteint  le  but  de  la  coucfc,  &  celui  qui  feroit  enco- 
re a  la  barrière.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  génci?.» 
.  îcment  pailaut  Lucaiu  foit  de  la  lie  de^  f  cëtes. 


282  Poètes  Lattns^. 
iucain.  ni  diTcrétion  ni  jugement,  il  faut  beaucoup 
de  Tuneôc  de  l'autre  pour  ne  point  prendre 
pour  des  perfeélions  &  des  vertus,  ce  qui 
n'eftque  vice  &  que  défaut. Il  ajoute  qu'on 
doit  dire  de  Lucain  ce  que  Ciceron  (i)  di- 
foit  généralement  des  Poètes  de  Gordouë 
de  fon  tems,  qu'Us  avoientje  ne  fat  quoi  de 
grojjier  q^  d^ étranger',  que  c'ed  avec  raifon 
que  l'on  compare  Lucain  à  un  cheval  in- 
dompté qui  court  au  milieu  d'un  pré  ou 
d'un  champ,  &  qui  fait  d^^s  fauts  non-pa- 
reils, mais  fans  régie,  fans  mefure  &  fans 
fruit:  ou  à  un  jeune  foldat  qui  jette  fou 
dard  avec  beaucoup  de  courage  &  de  vio- 
lence, mais  fans  prendre  garde  où  il  le  jet- 
te, ni  à  qui  il  en  veut. 

Un  autre  Critique  qui  étoit  de  quelques 
années  plus  âgé  que  le  Gyraldi  (2) ,  a  pré- 
tendu au  contraire  que  Lucain  eft  un  Au- 
teur fort  judicieux,  que  c'efl:  un  Ecrivain 
adroit,  abondant,  vigoureux  &  poli  dans 
fes  harangues;  qu'il  eft  grave,  lavant  & 
net  dans  tout  le  refte;  qu'il  explique  les 
caufes,  les  defïèins,  les  raifons  &  les  ac- 
tions avec  tant  de  majefté  qu'on  s'imagî- 
neroit  voir  toutes  ces  chofes  plutôt  qu'on 
ne  les  lit ,  &  qu'on  croit  être  prefent  à 
tout  ce  qu'il  dit. 

Jofeph  Scaliger  difoit  nettement  (3)  que 
Lucain  n'avoit  pas  pu  devenir  Poète ,  par- 
ce 


T.  %.  Dans  l'Oraîfon /'r^»  ^rchia. 
2.  Jo.  Sulp.  Verul.  Lucaiii  editor  ut  fuprl. 
y,  Jofeph.  Scalig.  in  Priniis  Scalig.  p.  103.104,. 
4i  B..  Kapin,  Réflexion  i.  fui  \à  poétique  prcm. 

part* 


Poètes    Latins.      2S3 

ce  qu'il  avoic  le  génie  trop  violent,  trop  Lucain, 
inonllrueux  &  trop  terrible;  qu'il  avoit 
trop  d'efprit ,  &  que  ne  pouvant  fc  retenir 
faute  de  jugement  &  de  lumiv5res,  il  n'a- 
voit  fu  ce  que  c'ctoit  que  faire  un  Poè- 
me. 

Quoique  la  plupart  de  ces  Critiques  que 
je  viens  d'alléguer,  ayent  remarqué  beau- 
coup de  génie  &  peu  de  jugement  dans  Lu- 
cain,  cela  n'a  point  empêché  le  P.  -Rapiii 
de  dire  dans  la  première  partie  de  fes  Ré- 
flexions (4) ,  que  Lucain  languit  fouvent 
faute  de  génie,  &  qu'il  a  pourtant  du  ju- 
gement. Mais  le  même  Auteur  s'eft  ex- 
pliqué ailleurs  (5-)  d'une  manière  plus  net- 
te, &  qui  nous  tire  de  peine.  Il  d't  que 
Lucain  eft  grand  &  élevé  à  la  vérité  ,  mais 
qu'il  eft  peu  judicieux ,  &  qu'il  ne  penfe 
qu'à  faire  paroître  fon  efprit.  Il  approuve 
Scaliger  qui  blâme  les  emportemens  con- 
tinuels de  ce  Poète,  parce  qu'en  effet  il  eft 
exceffif  dans  fes  difcours,  où  il  aiîeâre  de 
paroître  plus  Philofophe  que  Poète.  Et 
pour  faire  voir  fon  peu  de  jugement,  il 
remarque  que  fes  Epifodes  ont  je  ne  faî 
quoi  de  contraint  &  d'aîfedè,  &  qu'il  y 
fait  de  grandes  Diftertations  Scholaftiques 
&  des  difputes  purement  fpéculatives  fur 
îes  chofes  naturelles  qu'il  trouve  en  fon 
chemin. 

Le 


part.  png.  3,  edit  in-T2. 

5.  Le  même  Auteur  aumêmeTraité,  féconde  pait« 
Rcflex.  8. 

Et  dans  la  Reflexion  15.  de  la  même  paitic. 


2S4      Poètes    Latins, 
Lucâia.  Le,  P.  Briet  écrit  que  Lucain  ayant  af- 

feélé  de  ne  rien  dire  que  d'ex-quis ,  &  de 
ne  rien  rapporter  qui  ne  fût  éclatant  &  ex- 
traordinaire, fon  prétendu  Poème  en  efl 
devenu  tout  enflé,  tout  irrégulier,  &  fort 
obfcur  en  plufieurs  endroits  (i).  Le  mêma 
Fere  donne  avis  aux  Maîtres  de  ne  point 
laifler  Lucain  entre  les  mains  des  jeunes 
Gens ,  &  de  ne  leur  en  point  faire  la  leélu- 
re,  parce  qu'il  juge  qu'il  n'y  a  point  de 
Poète  qui  ait  fi  dangereufement  corrompu 
la  Poèfie. 

C'eft  par  le  défaut  de  jugement  qui  pa- 
Toît  dans  toute  la  Pharfale,  que  Jacques 
Feletier  jugeoît  du  peu  de  raifon  qu'ont  eu 
les  Ecrivains  du  moyen  âge  de  l'avoir  vou- 
lu faire  paiTer  pour  un  grand  Poète.  Il  eft, 
dit-il,  trop  ardent  &  trop  enflé:  il  eft  trop 
afl^edé  dans  fes  harangues ,  où  il  ne  fait  ce 
que  c'eft  que  de  garder  la  bienféance  des 
Perfonnes,  &  où  il  fait  parler  un  Nauto- 
nier  &  les  derniers  des  hommes  d'un  air 
de  Céfar  &  de  Pompée.  Vous  diriés^ajou* 
te  cet  Auteur  (2),  que  quand  il  eft  fur  la 
defcriptîon  de  quelque  objet,  il  n'en  doit 
jamais  fortir.  Il  n'a  point  la  difcrétion  de 
le  modérer  &  de  fupprimer  tout  ce  qui 

n'eft 

1.  Philipp.  Brict.  lib.  2.  de  Poët.  Latin,  p.  34-  3î. 

2.  Jacq,  Peletier  du  M.ans  dans  Ton  Ait  Poët.  li- 
vre I,  chap.  5-  de  rimit. 

3.  G.  Barrh.  lib.  60.  AdveiParior.  ad  S.  Auguftini  ' 
libros  de  Civit.  Dei  lib.  i.  cap.  11,  ad   Chlc.  voJiim. 

fl.  Le  foiffantiemc  &  dernier  livre  des  ^dverfir.^ 
dfe  Barthius  confifte  dans  un  eflai  du  v.ifteComm ca- 
taire qu'il  avoir  entrepris  fur  les  Livres  dcSaint  Air-    ' 
^uftiu  de  ÏA  Cité  de  Dicy,    C'eft  là  que  page  30^6. 

à. 


Poètes    Latins.      i^j 

îi'cft  point  néceflaire  à  fou  fujet;  ce  qui  Luca^J^ 
pourtant  ei\  un  des  plus  grands  artitïces 
qu'un  Poète  doive  mettre  en  ufage.  Mais 
pour  rendre  une  juftice  entière  à  Lucain, 
Peletier  ne  lailTe  point  de  reconnoître  qu'il 
y  a  un  grand  nombre  de  beaux  traits  femés 
-dans  la  Pharfale. 

Gafpar  Barthius  qui  a  fait  voir  fa  pro- 
fufion  dans  les  éloges  qu'il  donne  à  Lucain 
eji  plus  d'un  endroit  de  fes  Adverfaires^ 
avoue   néanmoins  dans  le  dernier  de  fes 
Ouvrages  (3),  que  Tes  bonnes  qualités  ont 
été  balancées  par  de  grands  défauts.  Il  dit 
•qu'il  en  vouloit  mortellement  à  Ccfar  &  à 
toute  fa  famille,   &  que  fous  prétexte  de 
parler  pour  la  liberté,  il  ne  cherchoit  qu'à 
autorifcr  la  palîion  &  l'ambition  de  certai- 
nes gens  de  fon  tems  qui  vouloient  domi- 
ner fetiîs,   ou  qui  ne  pouvant  foutirir  leur 
Prince  légitime,   étoient  plutôt  difpofés  à 
fe  foumettre  à  tout  autre,   tel  qu'il  pût  ê- 
tre,  pourvu  que  ce  ne  fût  pas  unCéfar  qui 
pût  fe  vanter  de  venir  de  celui  qui  avoit 
fuVné  la  liberté  delà  République.  H  recon- 
noît  aulïi  que  Lucain  paroît  n'avoir  été 
qu'un  jeune  étourdi,  un  téméraire,  &  un 
brouillon  ,  ,qui  ne  favoit  pas  ménager  les 

ca- 

à  l'occanon  de  cetliémiftîche  Ccelo  tegltur  ^uî  non  ba» 
iet  urnam  ,  que  S.  Auguftin  cite,  tc  qu'on  fait  être 
de  Lucain,  il  s'ctcnd  fur  les  louanges  de  ce  Poète 
fans  en  toucher  les  défauts,  en  foite  qu'il  cft  évi- 
dent que  liaillct  s'eft  mécompte  dans  la  citation  de 
cet  endroit  des  ^dverfAria  de  liarthius,  au  lieu  qu'il 
devoir  renvoyer  au  jj.  livre  du  même  Ouvrage, 
chap.  6.  où  efFeftivemcnt  l'Auteur  met  dans  la  ba- 
lance tout  ce  qu*ou  açoiuUHic  <k  louciôide  icpica- 
die  duus  Lucaiu« 


1Î6     Poètes    Latins. 

tucain,  cara61:éres  de  ceux  qu'il  répréfentoit,  aus- 
quels  il  donnoît  fouvent  Je  (îeii,  c'e(l-à- 
dire  celui  de  la  légèreté,  de  la  vanité,  & 
de  l'emportement. 

Mais  cette  liberté  que  Barthius  a  prife 
pour  le  fruit  d'un  efprit  peu  judicieux,  a 
pafle  dans  l'imagination  de  Daniel  Hein- 
fjus  pour  une  vertu  tout-à-fait  héroïque, 
&  pour  l'effet  de  cette  générolité  Romaine 
dont  le  cœur  de  Lucain  étoit  tout  plein. 
C'eit  ce  qu'il  a  prétendu  nous  faire  voir 
fort  amplement  dans  le  curieux  Livre  qu'il 
a  fait  des  louanges  de  V/1^c ,  pour  la  con« 
folation  de  ceux  qui  ont  eu  honte  jufqu'icî 
de  paroître  tels  fous  la  figure  humaine.  Il 
foutient  (i)  que  la  Pharlale  eft  le  monu- 
ment le   plus  glorieux   qu'on   ait  jamais 
dreflé  à  la  liberté  de  la  République  Romai- 
ne. Il  a  raifon  de  dire  que  Lucain  avoir  le 
fang  noble  Se  bouillant  dans  les  veines; 
mais  les  Poètes  ne  doivent  point  favoir 
beaucoup  de  gré  à  ce  Critique  d'avoir  ma- 
licieufement  infinué  que  Lucain  avoit  été 
parmi  ceux  de  leur  profeflion,   ce  qu'eft 
un  Cheval  hennifTant  &  fougueux  au  milieu 
d'une  troupe  d'Anes.    Il   eft  bon  néan- 
moins de  rapporter  la  railbn  qu'il  croyoit 
avoir  pour  appuyer  fa  comparailbn.    C'efl 
que  comme  il  n'y  a  pas  d'animal  plus  fou- 
rnis &  plus  propre  à  la  fervitudc  que  l'A- 
ne; de  même  parmi  les  diverfes  efpéces  de 

Sa- 


1.  Dan.  Hcinfius  lib.  fingul.  de  Laude  Afini  edit, 
in- 4.  pag.  8  6.  87.  &  feqq. 

2.  Du  Hamel,  DilTenation  fur  les  Poëfîcs  de  Mr. 


Poètes    Latins.      287 
Savans ,   il  n'y  en  avoit  pas  autrefois  de  Lucaîa, 
plus  flateurs  &de  plus  efclaves  des  Grands 
que  les  Poètes.  iMais  Heinlius  devoit  lon- 
ger que  fur  ce  pied-là  Lucain  n'étoit  pas 
le  feul  Cheval  de  fon  iîécle,  puifqu'il  s'ell 
trouvé  encore  fous  Néron  &  fous  Domi- 
tien  quelques  autres  Poètes  qui  ont  ufé 
d'une  liberté  auiïi  grande  que  s'ils  avoient 
vécu  dans  une  République  ,  tandis  que  les 
autres  flatoient  les  Grands,  &  fe  faifoient 
honneur  de  leur  fervirudc  en  donnant  de 
l'encens  aux  Princes  ou  à  leurs  Favoris. 

Enfin  pour  ne  point  féparer  nos  para- 
doxes, je  rapporterai  ici  l'opinion  de  Mr- 
du   Hamel  (1) ,   qui   n'a  point  fait  diffi- 
culté  de  dire  que  Lucain  garde  la  bien- 
féance  de  fbn  Héros  beaucoup  plus  Judi- 
cieufement  que  Virgile.    Mais  quand  ou 
accorderoit    cela    de   l'Adion   principale 
de  fon  Poème,  on  aura  toujours  raifon 
de  dire,  comme  hit  Volîîus  (3),  que  Lu- 
cain n'elî  nullement  judicieux  dans  tou- 
tes  les   circon (lances   qui   accompagnent 
cette  A6lion  ,   dans  fes  Epifodes  tirés  de 
trop  loin,  &  recherchés  avec  trop  d'aîfec- 
tation  ,    &   dans  fes  digrcffions  trop  fré- 
quentes ;   &  qu'il  défigure  fon  Héros  & 
fes   autres  perfonna,s;es   en  leur  donnant 
un  Caradére  de  Docteurs  qui   ne   leur 
lied  pas,  &  en  leur  faifant  faire  des  dis- 
cours &  des  dillertations  étudiées  fur  des 

points 

de  Brehceuf  pag.  14. 

3.  Gérard.  Joan.  Voflius  lib.  i.  Inftitution.  Toc- 
ttr.  cap.  4.  pag.  41. 


iSS  Poètes  L  a  t  i  n  -s. 
Lucaifl.  points  d'érudition ,  où  l'on  trouve  des  cho- 
ies exquifes  à  la  vérité ,  mais  qui  n'ont  ni 
rapport  nécefFaire ,  ni  liaifon  naturelle  à 
fon  fujet,  &  qui  font  voir  que  ce  jeuac 
Pacte  n'avoit  que  de  l'oftentation, 

§•  3 

De  la  Conflitutîon  du  'Poème  de  Luc  aï»  ou 
de  i^ Ordonnance  de  [a  Fable^ 

Les  plus  expérimentés  d'entre  les  Criti- 
ques femblent  être  toujours  convenus  que 
l'Aclion  de  la  Pharfale  en  la  manière  que 
Lucain  Ta  traitée  n'eft  point  la  matière 
d'un  Poème  Epique,  c'eft  ce  qui  les  a  por- 
tés à  mettre  Lucain  parmi  ks  Hilloriens 
plutôt  que  parmi  les  Poètes. 

C'efl:  à  lui  que  Pétrone  en  vouloir, 
lorfqu'il  a  dit  (i)  qu'il  n'étoit  pas  pofli- 
ble  de  ne  pas  fuccomber  fous  le  fardeau, 
lorfqu'on  prétendoit  fe  charger  de  toute 
la  matière  d-es  Guerres  civiles,  fans  avoir 
tous  les  fecours  nécefTaires  pour  la  bien 
traiter.  Car  il  ne  s'agit  pas ,  dit-il ,  pour 
faire  un  Poème,  de  renfermer  une  fuite 
d' Avions  dîins  des  Vers,  parce  que  c'eft 
entreprendre  fur  l'Office  d'un  Hiilorien: 
mais  il  faut  prendre  des  détours,  il  faut 

ein- 

1.  Petron.  Arbitcr  in  Satyrico. 

2.  Servius  Commentai,  ia   Virgil.  i£neïd.  lib.  r. 
verfu28r. 

3.  Joruand.  feu  Jordan,  de  Hiflor.  Goth.  cap.  5.  Se 
apud  Hanckium. 

.4.  Ifidor.  Hifpalcnf.  Origiûum  lib.  8.  cap.  7.  6c 
Hanck, 


Poètes    LATI^r$.     2S9 

employer  des  machines  ,  c'eft- à-dire  le  Luctiaf 
minillére  des  Dieux,  il  faut  que  i'efprit 
en  fc  laiffdiu  aller  dans  le  vade  champ 
des  Fables  ait  foin  de  conferver  toujours 
fa  liberté,  de  telle  forte  ne'anmoins  qu'il 
falfe  paroître  de  renihoufiafme  &  de  cette 
infpiration  qui  excite  la  fureur  Poétique. 

Les  Ecrivains  des  lîécles  fuivans  qui 
ont  paru  d'une  érudition  un  peu  diftin- 
guée,  ont  été  dans  le  même  fentiment  à 
regard  de  la  Pharfale,  &  ils  n'ont  pas  ju- 
gé à  propos  de  faire  paifer  Lucain  pour  un 
Poète,  fous  prétexte  que  fon  Ouvrage  eft 
hiltorique.  C'ell  ce  qu'on  peut  voir  dans 
Servius  (2.) ,  dans  Jornande  Hiliorien  des 
Gots  (3),  dans  Saint  Ilidore  de  Seville(4) 
&  dans  le  Polycratique  de  Jean  de  Sarisbe- 
itî  Evêque  de  Chartres  (y). 
.(,  Jules  Scaliger  n'a  point  laifïé  defoutenir 
(6)  que  bien  que  l'Ouvrage  de  Lucain  foie 
hiftorique ,  l'Auteur  de  cet  Ouvrage  ne 
laifTè  pas  d'être  un  vérit  ible  Poète.  Voflius 
femble  avoir  fongé  à  les  accommoder  tous, 
en  difant  que  Lucain  e(t  un  Poète  Hifto- 
rique,  &  non  Mythique  (7):  qu'à  dire  le 
vrai, il  déclame  plutôt  qu'il  ne  chante (8)  , 
mais  qu'on  trouve  pourtant  une  chofe  fort 
*!ouable  en  lui,  qui  ell  d'avoir  su  choîfir 
une  Action  principale ,  &  de  s'y  être  atta- 
ché 

s,  Joan.  Saiisbeiienf.  Polycratic.  De  nugis  cuiia- 
lib.  lib,  2.  cap.  19. 

?    Item  ap.Mart.  Hanck.  de  Script.  Rer.  Roman. 
:.    6.  Jul.  Cxù  Scaliger  lib.  3.  Foctices  cap.  2. 
•  7.  Voflius  Inftitution.   Poëticai.   lib.   3.  cap.  4, 

.    s.  Item  lib.  i.Iuft.  Foët.  cap.  r.pag.  <x, 
l'Qm.ULPart.IL  N 


n^      Poètes    Latins. 

^nfaïit;  ché  avec  afTés  de  fidélité  dans  toute  la  fui- 
te de  fon  Ouvrage.  Gafpar  Barlaeus  a  vou- 
lu auflî  concilier  les  partis ,  en  faifant  Lu- 
cain  également  Poète  &  Hiftorien;  mais 
j'ai  peur  qu'il  n'ait  pris  un  galimatias  pour 
îa  pointe  de  fon  Epigramme  (i),  lorfqu'il 
a  voulu  nous  dire  qu'on  ne  peut  point  re- 
fufer  ces  deux  qualités  à  Lucaîn ,  fans  fai- 
re connoître  en  même  tems  qu'on  eft 
moins  bon  Poète  &  moins  bon  Hiftorien 
que  lui  (2). 

§.  4. 

Des  connotjfatice!  de  Lucain  qui  font  nécef* 
faire  s  ou  étrangères  à  [on  Ouvrage» 

Lucain  ne  s'eft  pas  contenté  de  faire 

l'Hifto- 

V.  %.  Ce  pourroit  être  une  fauffe  pointe ,  mais 
comme  le  fens  en  eft  fort  intelligible  ce  a' eft  pasua 
galimatias. 

2.  Gafp.  Bailxi  £pigiamma  fie  habet  : 
Cm  minus  Hijitricus  credor^  minns  eJJ't  Pocta  , 

Me  minor  tft  Vates^  &  minor  Hi/ioritMS, 

3.  Quintilian.  Inftitution.  Oiatoiiar.  lib.  10.  cap. 
I.  &c. 

4.  Erafmus  in  Dialog.  Ciccronian.  pag.  147. 

5.  Joan.  Suipitius  Yeiul.  la  Pixfac.  ad  Lucani  e* 
dition. 

Ç.  Jean  Sulpicede  Ve'roli,  J»*itnes  Suipitius  VeruU' 
fiHSt  contemporain  de  Domitius  Calderinus,  de  Ni- 
colas Pérot,  &  même  de  Politien,vivoit  encore  en 
1^9$.  Cela  paroit  par  les  Oeuvres  de  Campanus  E- 
▼cquc  de  Téramo  imprimées  à  Rome  &  à  Venifc, 
cette-année-là  ,  parmi  lefquclles  au-devant  de  les 
Poëlîcs  eft  une  Epître  de  Michel  Fernus  adreflée  à 
Pomponius  Laetus,  où  il  eft  fait  mention  de  Jean 
Sulpice  comme  d'un  homme  qui  aroit  furvecu  à 
^QQigc  Mciulsi  de  )  rplitica  ^moits  Tua  ^  l'autre 

i'aii<% 


Poètes    Latins.      291 

THiltorien  dans  Ton  Poëme,  il  a  vouIaLucti«i 
faire  connoîcre  aalîi  qu'il  étoit  encore  un 
Orateur.  En  etfec  Quintilien  voyant  fa  vé- 
hémence &  la  noblelle  de  Tes  peiifées  efti- 
moit  (3)  que  cet  Auteur  me'rite  plutôt  d'ê- 
tre mis  au  rang  des  Orateurs  que  parmi 
les  Poètes.  C'elt  ce  qu'Erafme  a  remarqué 
auffi  après  lui,  mais  il  juge  que  bien  qu'il 
ait  plus  Tair  d'un  Orateur  que  d'un  Poè- 
te, fon  éloquence  ne  laiife  pas  d'être  très- 
éloignée  de  celle  de  Ciceron  (4). 

Jean  Sulpice  qui  a  peu  furvécu  à  Eras- 
me (f) ,  Gafpar  Barthius  &  Thomas  Far- 
nabe  du  tems  de  nos  Pères  nous  l'ont  aulïï 
dépeint  comme  un  grand  Orateur.  Bar- 
thius a  prétendu  que  Lucain  n'avoit  point 
eu  fon  femblable  dans  l'art  de  mêler  les 
fieurs  &  les  ornemens  du  difcours  avec  le 

poids 

l'année  précédente  1494.  Sabellic  dans  fon  Dialo- 
gue de  'i^pardîiont  L<xnn^  Lin"^nd  le  compte  p.irmi 
les  premiers  reftaurateuis  des  belles  Lettres  à  Rome 
dans  le  quinzième  fiéclc.  C'eft  à  lui  qu'eft  due  la 
plus  ancienne  &  la  pius  raie  de  toutes  les  éditions 
de  Vitruve.  L'exemplaire  qui  s'en  voit  à  ia  Biblio- 
thèque du  CoiJége  Mazaiin  n'a  véritablement  nuJlc 
marque  ni  du  lieu  ni  du  tems  de  l'impieflionj  mais 
de  la  man  ère  dont  Jean  Sulpice  parle  d'Innocent 
Vin.  dans  l'Epitre  dedicatoire  on  juge  que  le  livre 
a  été  vraifemblablement  imprimé  l'an  1490.  deux 
ans  avant  la  moit  de  ce  Pape.  Enfin  les  Commen- 
taires de  Jean  Sulpice  fur  Lucain  ont  été  imprimés  à 
Venife  des  l'an  1493.  Toutes  ces  dates  ne  permet- 
tent pas  de  croire  qu'il  ait  pu  lurvivre  à  Eialme, 
mon  le  12.  Juillet  de  l'an  1536,  Auffi  n'ai- je  d'a- 
bord obfcrvé  que  Jean  Sulpice  vivoir  encore  en  1495. 
que  parce  que  je  ne  crois  pas  qu'on  puilTe  prouver 
qu'il  ait  guère  vécu  au-delà,  d'où  je  conclus  qu'il 
e(\  probablement  mort  40.  ans  tout  au  moins  aviut  E- 
i^lmc,  bien  loia  de  lui  avoir  fiuvécu, 

N  2 


ICI      Poètes    Latins. 

twain.  poids  de  fes  pçnfées.  Il  dit  que  c'eft  avec 
toute  la  bonne  foi  imaginable  (i)  qu'il  a 
gardé  le  Génie  &  le  Caradére  d'un  Décla- 
mateur;  que  c'eft  un  Orateur  Républicain 
plus  femblable  à  Caton  pour  la  conformi- 
té d'humeur  &  de  tempérament  qu'à  Cice- 
ron,  &  aux  autres  Orateurs  quivivoient 
dans  un  Etat  de  liberté.  Il  ajoute  qu'étant 
ennemi  déclaré  de  la  Tyrannie  &  de  toute 
Monarchie,  il  auroit  mieux  réufTi  s'il  eût 
donné  à  la  vivacité  de  fon  efprit  &  à  la 
force  de  fon  éloquence  la  liberté  delapro- 
fe,  au  lieu  de  l'enchaîner  dans  les  vers. 
Mais  après  tout,  depuis  qu'on  eut  perdu 
le  goût  de  la  véritable  Eloquence, qui, fé- 
lon plufieurs  de  nos  Maîtres,  ne  fe  peut 
point  rencontrer  hors  d'une  République, 
&  qui  avoit  régné  dans  le  Sénat  avant  la 
révolution  de  l'Etat ,  perfonne  n'avoit  en- 
core fait  paroîrre  avec  tant  d'éclat  ce  nou- 
veau genre  d'éloquence  qui  femble  même 
avoir  pris  fa  naiiïance  dans  la  famille  de 
Lucaîn.  Car  fon  oncle  Seneque  le  Phi- 
lofophe  en  avoit  déjà  donné  un  exemple 
en  profe,  &  on  pourroit  foupçonner  fon 
grand  Père  Seneque  le  Rhétoricien  d'en  a- 
voir  voulu  donner  la  forme  &  les  régies. 
Comme  le  goût  de  cette  forte  d'éloquence 
qui  conliftoit  toute  dans  les  pointes  des 

mots 

T.  G.  Barthius  llb.  s?.  Adverfar.  cap.  6.  ut  fuprà 

col.  24?8. 

2.  LcuïsThomaffin,  de  la  Méthode  d*etud.  Chre'» 
tienncm.  les  Poètes,  livre  r.  chap.  6.  nombre  p.  pag, 
71.  72. 

3.  fhilip.  Bcioald.  ia  Tixleftion,  feu  Orationc^ 
Ixslc^,  Luc, 


i 


Poètes    Latins.     293 

mots  &  dans  les  biillaiis  continuels  des  Lucaia, 
penfées  étoit  bien  établi  fur  la  tin  derEm» 
pire  de  Néron,  Lucain  que  la  Nature  a- 
voit  tait  éloquent  en  ce  fcns,  fe trouva, 
même  au  préjudice  de  fon  oncle  félon 
quelques-uns,  le  Prince  des  Orateurs  du 
teins'  malgré  la  mefure  de  fes  vers,  fans 
faire  autre  chofe  pour  mériter  cet  hon- 
neur ,  que  de  fe  laifTer  aller  à  fon  im- 
pctuolité  naturelle  &  au  génie  de  Ion 
ûtc\e. 

Outre  que  Lucain  étoit  Orateur,  on 
peut  dire  après  le  P.  Thomaflin  (2)  qu'il 
étoit  encore  un  grand  Théologien  en  fà 
manière.  Si  nous  en  croyons  Beroalde  (3) 
&  quelques  autres  Auteurs  (4)  il  étoit  aufli 
habile  Géographe.  Il  étoit  bon  Philofophe 
fi  bon  Politique,  félon  Barthius  (5").  En- 
fin c'étoit  un  grand  Atlrologue  au  juge- 
ment de  Nicolas  Ckmangis  (6),  c'eft-à» 
dire  d'un  homme  qui  vivoit  en  un  tems  où 
Ton  n'éxigeoit  pas  encore  grand'chofe 
pour  croire  un  homme  habile  en  Agrono- 
mie. Auffi  Jofeph  Scaliger  qui  en  jugeoit 
par    l'état  où  on  avoit  fait  avancer  cette  * 

belle  connoifTance  de  fon  tems,  prétendoit- 
il  que  Lucain  étoit  fort  ignorant  dans 
r  Agronomie  (7),  &  qu'il  fe  trouve  moins 
de  folidité  que  de  vanicé,  de  fanfare,  & 

d'of- 

4.  Et  apud  Mart.  Hanck.  in  librîs  de  Scriptorib. 
Rcrum  Ronianar. 

5.  Barthius  lib.  yj.  Adverfarior.  col.  24I9.  cap.  6, 
é.  Nicol.  Clcmangis  feu  deClamcngiis  Epiftol.  5, 

U  apud  Gafp,  Barthium  1.  60.  Advcii.  pag.  }9Ht» 
7.  Jofeph  Scaligei  lib.  i.  Epiftol.  3. 

N  3 


294      Poètes    Latins. 
Xwaji.      d'oflentation   dans   ce    qu'il  en  a  dit. 

Mais  Gafpar  Barthius  qui  reconnoifToit 
d'ailleurs  (i)  que  Lucain  n'e'toit  pas  bon 
Mathématicien,  prétend  que  Jofeph  Scali- 
ger  n'a  point  fait  moins  paroître  d'injufti- 
ce  &  d'animoiîté  en  attaquant  les  Mathé- 
matiques de  Lucain  que  fon  Père  Jules  en 
avoit  témoigné  en  cenfurant  fa  Poélie. 
Farnabe  s'e(t  trouvé  dans  les  mêmes  dis- 
poiU'"ons  que  ce  Critique  à  l'égard  de  Lu- 
cain. Après  avoir  déclaré  qu'il  n'approu- 
voit  pas  la  cenfure  de  Jules  Scaliger,  & 
qu'il  trouvoit  le  jugement  de  Pétrone  plus 
raifonnable  &  plus  judicieux  ,  il  ajoute 
que  Jofeph  Scaliger  ne  lui  paroît  pas  plus 
difcret  que  fon  Père  quand  il  s'emporte 
dans  des  déclamations  &  des  invedives 
contre  Lucain  (2) ,  fous  prétexte  qu'il 
n*eft  point cxaâ  dans fes  obfervations  Agro- 
nomiques &  Mathématiques.  Il  dit  que 
ceux  qui  font  fî  clairvoyans  dans  fes  dé- 
fauts devraient  bien  avoir  auffi  remarqué 
fes  bonnes  qualités  ;  qu'à  dire  le  vrai,  il  a 
fait  quelques  fautes  contre  la  Géographie 
•  &  l'Aftronomîe;  qu'il  a  quelquefois  des 
duretés  dans  fes  manières ,  des  hyperbates 
&  des  tranfpofitions ,  des  digrelTions  &  des 
réflexions  tirées  de  trop  loin,  &  qu'il  a 
trop  d'attache  à  fon  parti.  Mais  il  faut, 
dit-il  ,  avoir  quelque  égard  à  la  jeunefTe 
du  Poète,  &■  conlidérer  que  la  plus  gran- 
de partie  de  ces  défauts  font  compenfés 
en  quelque  façon  par  ce- grand  cœur,  & 
cet  efprit  qui  ne  refpire  que  la  liberté  an- 

cien- 

î.  Idem  Barthius  lib.  Advcrf  <îo.  p.  joz<.  utfuprà. 
U  Tl'tMnaîFaviub,  PrxfUt.  ad  Lucani  editioR. 


Poètes    Latims.      igf 

cîenne  ,  par  ce  torrent  d'éloquence  qui  LncaîM^ 
femble  n'avoir  point  de  bourbe,  par  la  fa- 
cilité &  le  bonheur  avec  lequel  il  a  renfer- 
mé dans  les  vers  une  matière  qui  paroilfoit 
n'y  être  point  propre,  par  la  grâce  &  la 
noblelFe  de  fes  expreffions,  par  fa  fubti- 
lité  &  fon  élévation  qui  a  quelque  choie 
de  divin  ,  par  fa  force  &  fa  véhémence, 
&  par  le  ton  mâle  &  militaire  qu'il  a  doa- 
né  à  fa  Mufe. 

Z)»  Slyle  de  Lucaift, 

Il  réfulte  de  tout  ce  que  nous  venons  de 
voir  fur  le  fujet  de  Lucain,  que  fon  ftyle 
eft  grand,  élevé,  véhément,  brillant  &c 
fleuri  ;  mais  qu'il  eft  aufîi  trop  affe<Slé  & 
trop  inégal.  L'inégalité  le  rend  allés  fou- 
vent  rampant  &  bas  auprès  des  endroits  les 
plus  élevés;  l'affcdation  le  rend  dégoû- 
tant (5t  le  fait  tomber  dans  quelques  puéri- 
lités; &  la  véhémence  jointe  à  la  nécelïî- 
té  de  fon  lîécle  &  à  cette  première  révolu- 
tion de  la  Latinité  qui  fe  fit  fur  la  fin  de 
l'Empire  de  Tibère,  femble  avoir  été  un 
grand  obftacle  à  la  pureté  &  à  la  clarté  de 
ce  ftyle. 

Outre  cela  on  peut  dire  qu'il  eft  trop 
hérilîé  de  pointes ,  de  fentences  &  de  fub- 
tilités  étudiées.  Cette  atfedation ,  dit  Vof- 
fius  (3),  étoit  particulière  à  11  famille  des 
Annécns  qui  étoit  la  fienne,  celle  des  Se- 

nc- 

î.  Gérard.  Joan.  Vofl.  Inftitut,  Pocticar.  lib.  u 
çag.  lot.  Sec. 


296    Poètes    Latins. 

i^cain,       neques,  &  de  Florus  rHiftorien,&  même  ' 
à  l'Efpagne  entière,  comme  il  a  paru  dans  - 
Martial  &   quelques  autres   Ecrivains  de 
cette  Province  de  l'Empire. 

C'eft  dans  la  vue  de  ces  défauts  que  Pe-  ^ 
trône  ne  pouvoit  fouffrir  leftyledeLucain. 
Ce  n'efl  qu'à  lui,  dit  le  Père  Rapin  dans  fes 
Réflexions  (i)  &  à  Sencque  qu'en  veut  ce 
Cenfeur  fatirique  par  ces  traits  qui  lui 
échappent  contre  les  méchans  Poètes  & 
les  faux  Déclamateurs.  Le  même  Père 
dans  la  comparaifon  d'Homère  &  de  Vir- 
gile (2)  nous  apprend  que  ce  qui  rend  en- 
core fon  flyle  défeâueux,  c'eft  ce  mauvais 
goût  des  Epîthétes  recherchées  &  extraor- 
dinaires auquel  il  s'eft  abandonné,  &  cet- 
te affedation  pour  les  pointes  dont  il  s*eft 
fait  un  art,  quoique  ce  ne  foit  le  plus  fou- 
vent  qu'un  jeu  de  paroles  oppofées  entre 
elles,  qui  eft  un  genre  d'écrire  qui  ne  peut 
revenir  qu'à  des  efprits  fuperficiels  &  de 
peu  de  folidité. 

Jules  Scaliger  a  prétendu  (3)  que  Lu- 
caîn  avoit  rendu  fon  ftyle  odieux  en  lui 
donnant  un  air  fier  &  menaçant  qui  n'ins- 
pire que  la  crainte  &  la  terreur.  D'autres 

Cri- 

1.  Tetrone  au  rapport  du  T.  Rapîndans  TAveitis- 
femcnt  des  Réflexions  fur  la  Poétique. 

2.  René  Rapin,  Compar.  d'Homère  êc  de  Virgile 
chap.  10.  page  39.  edit,  in-4. 

3.  Jul.  CxC  Scalig.  lib,  3.  Poëtices  cap.  27. 
Item  apud  M.  Hanck. 

4.  Du  Hamel  Differtation  fur  les  Ouvrages  de 
Brcbeuf  page  vingt  deux  &  vingt  trois. 

i.  Martinus  Hanckius  de  Reium  Romanarum 
Sciiptoxibus ,  cap.  11.  parte  pcimi,  Aiticulo  tertio 


Poètes    Latins.    297 

Critiques  y  ont  remarqué  dîverfes  autres  Lucain, 
qualités  dont  on  peut  voir  la  bonté  ou  le 
vice  parmi  les  jugemens  différens  qu'on  en 
a  rapportés  plus  haut.  Ainfi  on  peut  finir 
&  conclure  avec  Mr.  du  Hamel  (4)  que 
ceux  des  Critiques  qui  ont  prétendu  ne 
rien  trouver  que  de  louable  dans  Lucaîn, 
aufli-bien  que  ceux  qui  n'y  ont  voulu  re- 
marquer rien  que  de  blâmable,  font  pafTés 
à  des  extrémités  qu'on  ne  peut  point  ap- 
prouver; &  que  les  premiers  ont  fait  pa- 
roîrre  trop  d'ignorance, &  les  derniers  trop 
d'injuftice  dans  leurs  jugemens. 

Au  refte  ceux  qui  voudront  avoir  an 
recueil  des  éloges  que  Lucain  a  reçus  de 
divers  Auteurs  pourront  joindre  ce  que 
Mr.  Hanckius  en  a  ramaffé  dans  la  pre- 
mière &  dans  la  féconde  partie  de  fes  Ecri- 
vains des  affaires  de  Rome  (y),  &  y  ajou- 
ter ce  que  V'olTms  en  a  recueilli  dans  fe« 
Hiiloriens  Latins  (6). 

Nous  aurions  pu  joindre  à  Lucain  (k 
femme  Polla  Ar^entaria  (\\ji\  faifoit  aulïi 
bien  des  Vers  que  lui  ;  qui  avoit  même 
pitis  de  bon  fens  &  de  jugement  que  lui^ 
&  qui  corrigea  ks  trois  premiers  Livres  de 

la 

pa^.  78.  &  fequcntib.  !tem  parte  fecundâ  in  addca- 
dis  ad  cap.  ii.  pag.  246.  î<  lequentibus. 

<.  G.  J.  VoiTius  de  Hiftoric.  Lat.  lib.  i.  cap.  x%. 
pag.  TjT.  138-  ôc  fcqq. 

Bibliograph.  Anonym.  cur.  Hiftoiiccy Philologie, 
pag.  60. 

Rottcau,  Sentira,  fur  quelques  Livres  qu'il  a  lus 

{>ag.  5  2  MS.  ou  il  dit  qu'il  y  a  dans  Lucain  des  fail- 
ic$  d'efprit  inimitables,  5c  que  s'il  le  foutenoit  e- 
««dcmcm,  !«  Phaifale  feroir  fa^is  compaiaifoa. 


^9^      PoiTEs    Latins. 

Z^acaio,  la  Pharfale  après  la  mort  de  fou  mari ,  mais 
il  ne  nous  ell  rien  relié  des  autres  Poclies 
qu'elle  avoit  faite  d'elle-mcme,  &  toutes 
celles  de  fon  mari  font  péries  avec  les  lien- 
nes  hors  la  Pharfale. 

*  M»  A.  Lucanus  Ror/îa  în-fol.  Venet, 
1469.  —  Stilpitii  Verulan't  ^  Commenta 
Ommboni  Vinccnimi  in-fol.  Venet.  1493. 
—  Cum  Lamh^  Hortenfu  k2>  Jo.  Sulpitii 
Verulani  Commentarus  in-fol.  B^afil.  15*78. 
•—  Idem  ex  emeniatione  'Theod.  Pul^ 
tnannl  in-il.  Antuerp.  1^76.  —  Per 
Hùgonem  Grotium  in-80.  Lugd.-Bat.  162.6, 
«  Ejufdem    ^  aliorum  in-8**.  Lugà,'-^ 

Bat.  1669.  * 

S  E  N  E  Q  U  E 

Le  Tragique,  c'eft-à-dire  ,  un  connpofé 
de  trofs  ou  quatre  Auteurs  dont  le 
principal  eîl  Seneque  le  Philofophe,  Lu- 
Cîus  Annxus  Sericca^  natif  de  Gordouë, 
mort  la  première  année  de  la  211.  O- 
lympiade,  félon  Saint  Jérôme,  la  12. 
de  l'Empire  de  Néron,  la  dy.  de  notre 
Epoque.  Tache  met  cette  mort  devant 
ielle  de  Lucam  ;  mais  la  même  année. 

Stoeque.     1160   j"^  E  toutes  les  dix  Tragédies  La- 
j  V  tines  qu'on  a  recueillies  &  pu- 
bliées 

1.  Ger.  Joan.  VoflT.  lib.  finjul.  de  Poëtis  Latiiûs 
cap.  3    pag.  40. 
Philipp.  Briet.  de  Poè't.  Latin.  lib.  2, 
Dan.  Heinfius  de  Tragœd. 
Gafpai  Baicfaiiiu  Ub.  4^.  Adveifaiioi.  cap.  25.  col. 

Jcaa 


Poètes    Latins.      29^ 

bliées  en  un  corps  fous  le  nom  de  Sene-  scaeq«^ 
que  ,  on  convient  aflés  communément 
que  les  plus  belles  font  de  ce  célèbre 
Philofophe  Précepteur  de  Néron  ,  &  que 
c'eft  lui  qui  eft  le  véritable  Auteur  de 
la  Médée^  de  l^Htppôlyte^  &  des  Troades. 
Les  autres  ont  aulii  leurs  beautés  &  leur 
prix ,  quoi  qu'on  ne  fachc  pas  bien  encore 
à  qui  les  attribuer.  Mais  perfonne  ne  nie 
que  la  moins  raifonnable  de  toutes  &  la 
moins  digne  du  nom  de  Seneque  ne  foit 
VOilav'ie^  à  laquelle  d'autres  ajoutent  la 
Thebaide  qui  elt  l'Ouvrage  d'un  Déclama- 
teur  qui  ne  favoit  ce  que  c'étoit  que  Tra- 
gédie (1). 

Lipfe  n'étoit  pourtant  pas  d'avis  qu'on 
donnât  celle  des  Troades  à  Seneque,  la 
jugeant  iî  mauvaife  qu'elle  ne  pouvoit  être 
à  fon  avis  que  le  fruit  de  quelque  petit 
Poète  crotté,  ou  de  quelque  Pédant  igno- 
rant. Mais  ce  Critique  s'eft  attiré  le  cha- 
grin de  Jofeph  Scaliger  (2)  pour  avoir  lî 
mal  parlé  de  cette  Tragédie,  que  celui-ci, 
prétend  être  dhine  entre  les  autres ,  &  la 
principale  des  neuf  qu'il  foutient  être  abfo- 
lument  de  Seneque.  (3). 

Le  même  Scaliger  jugeoit  (4)  que  celui 
qui  a  fait  ces  Tragédies  eii  un  bon  Au- 
teur; mais  qu'on  ne  doit  pas  exiger  de  lui 
cette  exadtitude  que  demandent  les  régies 

du 

Jean  Racinc.Préface  fur  fa  Tragédie  de  la  Thébatdc. 
libliog.  Anon.  cur.  Hifl.   Philol.  p.  57. 
Fianç   VavafT.  Remaïques  lui  les  B.éîlex,  tou«hiiaf 
la  Poétique  pag.  114. 

2.  f .  Jol.  Scalig.  Epitrc  247. 
5.  %  Le  même  là  même  5c  Epître  4T4. 
"^  îof,  Scalig.  iû  guni,  ScaligeraoiJ  £.1^ 


jto      Poètes    Latins. 

*«acqae,  du  Théâtre  (i).  Son  Père  Jules  alloit  en- 
core plus  loin  dans  Teib'me  qu'il  faifoit  de 
cet  Auteur.  Il  dit  (2.)  qu'il  ne  le  jugeoit  in- 
férieur à  aucun  des  Grecs  pour  la  majellé, 
&  qu'à  fon  avis  il  avoit  furpailé  Euripide 
même  dans  la  politefle  &  dans  la  beauté. 
On  ne  peut  point  ôter,  ajoute  ce  Criti- 
que, la  gloire  de  l'invention  aux  Grecs: 
mais  ce  n'eit  pas  d'eux  que  Seneque  a  pris 
ce  grand  air,  ce  ton  élevé,  cette  gravité, 
ce  courage  &  ce  feu  qui  paroît  dans  fes 
Tragédies.  Néanmoins  il  avoue  que  c'eft 
inutilement  que  cet  Auteur  a  voulu  fe  ren- 
dre plus  femblable  à  Sophocle  qu'aux  au- 
tres. 

Les  deux  Scaligers  ont  été  fuivîs  dans 
des  fentimens  li  avantageux  pour  Seneque, 
par  un  grand  nombre  de  Critiques  dont 
quelques  uns  ont  prétendu  qu'il  n'y  a  que 
la  Médce  qui  foit  de  ce  Philolophe  ,  & 

que 

1.  %.  On  ne  doit  être  content  ni  des  paroles  du  Pr»- 
m*  Scaligeran^  ,  ni  da  (ens  que  leur  donne  Baillet, 
&tneca,  Pnëta  y  bonus  ^nHor  tjl  ^  tamen  Tra^cediarur» 
^baraifer  non  tfi  txigenius  acL  lettrtjn  cothumam.  L€ 
mot  charaâer  joint  au  mot  ctthurnum  fait  voir  qu'il 
s'agit  ici  de  l'élévation  6c  de  la  gravité  du  ftyle ,  en 
^uoi  Seneque  ne  cède  à  qui  que  ce  foit  des  anciens 
Tragiques.  Ainû  la  remarque  du  Scaii^:^erana,  telle 
<juc  Veitunien  J'a  conçue  ,  n'eft  point  juftc,  ni  1* 
txaduftion  non  plus,  puifqu'il  ne  s'agit  point  là  de 
î*éxaôitude  des  régies  du  Théâtre. 

a.  îul.  &calig«r.  Hypercritic.  feu  VA>.  6,  Poctice* 
piig.  tî9u 

3.  f .  Tout  cela  eil  fort  incertain.  Jofeph  Scali- 
«cijdes  dut  Tragédies,  qui  parolflent  fou6  le  nom 
5c  Seneque,  en  attribue  neuf, fondé  apparemment 
^ur  kiVyle,  à  Seneque  le  Philofophe,  à  qui  par  la 
m$me  xairoA  il  aiu«it  auûi  auxibué  l'Oâarie^  £  ïc 

CCXDi 


Poètes  Latins.  301 
que  toutes  les  autres  hors  TOélavie  appar-  Scncque, 
tiennent  à  un  de  fes  neveux  (3)  qui  por- 
toit  le  même  nom  que  lui  (4.  Ils  ne  fe 
contentent  pas  de  louer  la  beauté  de  fes 
penfées  &  l'importance  de  fes  maximes, 
ils  admirent  la  majeftc  de  fon  ftyle,  la  for* 
ce  de  fes  exprelTions ,  &  même  la  pureté 
de  fon  langage  (5-):  enfin  Mr.  Godeau  n'a 
point  fait  difficulté  de  dire  que  c'eft  un  ori- 
ginal excellent  en  fon  genre  (6). 

Jl  femble  néanmoins  que  tous  ces  élo- 
ges ne  peuvent  nous  perfuader  autre  cho- 
fe,  iinon  que  Seneque  penfoit  noblement 
&  parloit  bien.  Car  on  peut  dire  qu'il  n'a- 
voit  ni  la  connoiiïànce  de  l'Art  Poétique, 
Ttt  le  difcernement  néceflairc  pour  le  bon 
uTage  &  la  jufte  application  de  fes  penfées 
&  de  fes  paroles. 

Voffius  dit  que  ce  grand  amas  de  Senten- 
ces ,  de  pointes  ,   &  de  fubcilités  d'efprit 

étouffe 

fcms  de  la  mort  de  cette  Priiiceflc  ,  pofierieux  au 
tems  de  la  mort  du  Philolophe  ne  s'y  etoit  oppofc, 
Scaliger  en  îéez.  écrivant  à  Gruter  donnoit  cette 
j)icce  à  un  domeftique  d*OAavie,  ami  de  Séneque, 
te.  rejettant  le  lentinient  de  Lipfe,trouvoit  que  c'«- 
toit  oftiTTium  Putma.  Depuis  en  1607.  ccriviint  à  Sau- 
maife  il  attrîbuoit  l'Oftavie  au  Poète  Scaeva  Memor. 
Voflius  qui,  comme  Lipfe,  la  trouve  fort  imperti- 
nente, picfumc  qu'elle  peut  être  de  l'Hiûorien  Flo- 

lUS. 

4  Bonavcnt.  Vukanius  ,  Majt.  Dclrio,Petr.Scri- 
▼exius ,  Dan.  Heinfius,  Ccc. 

Item  Olaiis  Borxichius  Diâextat.  de  Poët.  Latîju 
f>ag.  56. 

5.  Thom.  Dempftcr  ad  JoarL  Rofin.  Antiquit, 
Kom.  &c. 

é.  Ant.  Godeau,  Kift.  EccleûaA.  £n  du  picmicf 
£c<k« 

N7 


302      Poètes    Latins. 

Sttiequc,  étouffe  les  mouvemens  qu'un  Poète  Tra- 
gique doit  exciter  ou  ménager  dans  fes  per- 
fonnages,  &  qu'il  femble  qu'il  ait  voulu 
faire  des  Philofophes  de  toutes  les  perfon- 
nes  paflionnces  qu'il  repréfente  fur  fon 
Théâtre.  Il  ajoute  qu'il  a  voulu  imiter  Eu- 
ripide; mais  qu'il  en  a  toujours  été  fort  é- 
loigné  (i);  &  que  loin  de  parvenir  à  fa 
gloire,  il  n'a  pu  même  arriver  à  celle  des 
Poètes  médiocres  qui  pratiquent  au  moins 
les  régies  les  plus  communes  du  Théâ- 
tre (2). 

Le  P.  Rapîn  dit  nettement  (3)  que  Se- 
neque  n'entend  point  du  tout  les  mœurs  ; 
que  c'eft  un  beau  parleur  qui  veut  fans  cef-- 
fe  dire  de  bt^lles  chofes  ;  mais  qu'il  n'eft 
point  naturel  en  ce  qu'il  dit,  &  que  les 
perfonnes  qu'il  fait  parler  ont  toujours  l'air  • 
de  pertbtttHges*  Ce  même  Auteur  dit  ail- 
leurs (4)  que  Seneque  parle  toujours  bien, 
mais  qu'il  ne  parle  jamais  naturellement  : 
que  fes  vers  font  pompeux ,  &  fes  fenti- 
mens  élevés  ,  parce  qu'il  veut  éblouir; 
mais  que  l'ordonnance  de  fes  fables  n'eft 
pas  d'un  grand  caradére;qu'n  fe  plaît  trop 
à  donner  fes  idées,  &  à  les  fubftituer  à  la 
place  des  véritables  objets  ;  &  qu'il  n'eft 
pas  toujours  fort  régulier  dans  ce  qu'il  re- 

pré* 

t.  G.  J.  Voflîus  Inftitution.  Pocticar.  lib.  2.  pag, 
jé.    Item  lib.  I.  pag.  si. 

2.  Idem  Autor  lib.  z.  ejufdcm  Gpcris  pag.  69. 

j,  Rcn.  Rapin  ,  Réflexions  fur  la  Poétique  pre- 
mière partie,  Reflexion  xxv.  page  J9.  de  la  féconde 
édition  in-i2.  &  page  io6.  in- 4. 

4.  Le  même  dans  la  féconde  partie  du  même  Ou- 
yiage»  ^eâc^iou  zz,  &c^ 


Poètes    Latins.     ^03 

préfente.  Il  reconnoît  pourtant  en  un  au-  scnequc, 
tre  endroit  que  quelque  peu  naturel  que 
foit  Seneque  (5)  il  ne  laiiïe  pas  d'employer 
quelques-uns   de   ces   traits  qui  fervent  à 
diftinguer  la  palTion. 

Mais  ces  traits  font  11  rares  &  fi  foîbles, 
que  iVIr.  TAbbé  d'Aubignac  ne  les  a  point 
jugés  fuffifans  pour  nous  faire  croire  que 
Seneque  étoit  un  excellent  Poète  II  dit 
en  un  endroit  (6)  qu'il  n'a  point  fû  l'Art 
du  Poème  Dramatique;  en  un  autre  (7), 
il  prétend  qu'on  ne  doit  point  l'imiter  dans 
la  rtruduredes  A6tes,  non  plus  que  dans  le 
refte  ,  li  on  en  excepte  la  délîcatelîe  des 
penfées  qu'on  peut  tâcher  d'attraper.  Car 
il  n'y  a,  dit-il  >  rien  de  plus  ridicule  ni  de 
moins  agréable  que  de  voir  un  homme  feul 
faire  un  A6ie  entier  fans  aucune  variété  ;& 
qu'une  Ombre,  une  Divinité,  ou  un  Hé- 
ros fafTe  tout  enfemble  le  Prologue  &  un 
Ade. 

Le  Père  le  Boffu  ne  paroît  pas  avoir 
traité  Seneque  avec  plus  d'indulgence  que 
les  autres  Critiques.  11  prétend  (8)  qu'il 
n*entend  point  l'art  d'exciter  lespaflions» 
lorfqu'il  a  quelque  récit  à  faire  qui  en  doi- 
ve imprimer  une  qui  foit  grande;  &  qu'il 
ôte  même  à  fes  Perfonnages  &  à  fes  Audi- 
teurs 

5.  Dans  le  même  Ouvrage,Rcflcx.  xxxvi.pageij," 
édition  in  iz.  5c  ii9-  in  4. 

6.  Hedclin  d'Aubignac  de  la  Piatiq.  du  Thëâfre 
livre  I.  chap.  t.  pag.  6t. 

7.  Le  même,  livre  3.  du  même  Traité  chap.  |« 
pag.  2S2. 

t.  René  le  Boflu  Traité  du  îoëme  Epi<lUC,  liTiC 
i,  diap.  ^.  pag.  3j^ 


304      Poètes    Latins. 

Seacque.  teurs  toutes  les  diTpofitions  qu'ils  peu- 
vent y  avoir.  S'ils  font  dans  la  triftellè, 
dans  la  crainte,  dans  Tatteiite  d'une  chofe 
horrible  5  il  s'avîfe  de  commencer  par  quel- 
que belle  &  élégante  defcription  du  lieu 
qui  ne  fert  qu'à  faire  paroître  l'abondance 
&  l'efprit  pointilleux  d'un  Poète  fans  juge- 
ment. Il  faut,  dit-il  ailleurs  (i),  que  les 
defcriptîons  foient  juftes  &  bien  ménagées. 
Elles  ne  doivent  point  être  pour  elles-mê- 
mes ,  ce  ne  font  point  de  fimples  orne- 
mens.  Mais  Seneque  eft  bien  éloigné  de 
cette  méthode.  S'il  a  quelque  récit  à  fai- 
re, û  trille  &  il  épouvenrable  qu'il  doive 
être,  il  le  commence  par  des  defcriptions 
non  feulement  inutiles ,  mais  enjouées  & 
badines. 

Le  même  Auteur  ne  fait  point  difficulté 
de  dire  encore  en  d'autres  endroits  (2)  que 
Seneque  n'a  ni  difcrétion  ni  jugement, 
qu'il  fait  parler  des  perfonnes  qui  font  dans 
le  trouble ,  les  dangers ,  &  les  extrémités 
les  plus  prefîantes ,  comme  (î  elles  avoient 
le  fens  frais ,  comme  des  perfonnes  qui 
font  dans  leur  cabinet,  qui  ont  l'efprit  re- 
pofé,  &  qui  font  dans  la  plus  grande  tran- 
quilité  d'ame  que  l'on  puilfe  avoir.  Enfin 
il  fait  dire  indifféremment  à  tout  le  monde 
des  fentences  étudiées ,    fans  fe  foncier 

d'ob- 

1.  Seconde  partie  du  même  Traité,  livre  <.  chaj. 
a.  pag.  20Z.  &CC. 

2.  £c  chap.  4.  pag.  215.  Item  pag.  216.  217.  &c. 
1.  D'Aubignac,  Prat.  du  Th.  Iivre4.c.  2,  pag.  372. 
4.  Rofteau,  Scntimcns  fur  quelques  livres  qu'il  a 

^  P^-  5^1  MS.  ou  cet  Auteur  ptétcad  ^ue  les  choeurs 


Poètes    Latiks.      30; 

d'obferver  les  Caradlcres ,  &  il  arrive  fou-  ScncquCi 
vent  que  ces  penfées  font  froides,  ridicu- 
les, faufTes,  &  prefque  toujours  entaffées 
fans  choix. 

Voila  des  défauts  très- confidérables  pour 
un  Poète  Dramatique,  &  qui  nous  font 
connoître  que  Seneque  n'avoit  peut-être 
vu  ni  la  Poétique  d'Ariftote  ni  celle  d'Ho- 
race. Cependant  ces  Tragédies  toutes  ir- 
réguliéres  qu'elles  font  &  toutes  défcc- 
tueufes  qu'elles  paroîflent  prefque  dans 
toutes  leurs  parties,  ne  lailTenc  pas  de  pas- 
fer  pour  d'excellentes  pièces  au  jugement 
de  plufieurs  perfonnes  (3). 

Mais  on  peut  dire  au  moins  à  la  louan- 
ge de  Seneque ,  fans  prétendre  pourtant' 
cxcufer  fes  fautes ,  que  fes  Tragédies  font 
remplies  de  fèntimens  merveilleux  de  Poli- 
tique &  de  Morale  (4)  &  que  félon  la  re- 
(  marque  du  Père  Thomaffin  (5) ,  on  y 
i  trouve  une  déteftation  inconcevable  du 
crime. 

On  prétend  que  la  meilleure  édition  efl 

celle  de  Gronovius,  [in-8.  Amfl.  lôyi  ] 

i  &  qu'elle  çiï  beaucoup  préférable  à  celle 

I  de  Thyfius  ou  de  Variorum.  [in-8.  à  la 

Haie   165-1.   Cum  Notis  Heinfii'^ 

S^aligeri  in-S.  Lugd-Baf,  i6ll. 

F  E- 

dç  SeB€que  font  incomparables,  &  que  les  ïambes 
dont  les  Tragédies  de  ce  Poète  font  compofées,  ont 
fcrvi  de  modèle  à  ceux  qui  l'ont  fuivi  en  ce  genre 
û'ecrire. 

5.  Louis  Thomaffin  ,  de  la  Méthode  d'ctud.  & 
i'cnrcigncr  Chietienn.  les  Poetcs  ,  livic  f,  chap. 
ij.  nomt».  4.  pag.  X7I. 


3o6    Poètes    Latins. 

PETRONE, 

PetroMius  Ârhiter^  Provençal  d'auprès  de 
Marfeille  (félon  Sidoine  Apollinaire  & 
les  deux  (i)  Meffieurs  Valois)  vivant 
fous  Claudius  &  Néron,  félon  l'opinion 
commune,  ou  du  tems  des  Antonins, 
ou  de  Gai  lien  même  ,  félon  quelques 
nouveaux  Critiques,  mais  avec  peu  de 
vrai-femblance. 

fetronc.     ii6i.  TVT  Ous  avons  de  cet  Auteur  un 
X^    refte  de  Satire  (2) ,    ou  plu- 
tôt de  plulîeurs  Livres  Satiriques  qu'il  a- 
Toit  compofés  tant  en  Profe  qu'en  Vers. 
C'étoit  un  Ouvrage  fort  long,  &  de  beau- 
coup d'importance  dans  l'efprit  de  ceux 
de  fon  fiécle  :  de  forte  que  fi  nous  en 
croyons  Janu^  Douxa  ou  Jean  de  Docs, 
ce  qui  nous  refte  n'eft  peut-être  pas  la  di- 
xième partie^ de  ce  que  nous  avons  perdu 
(3);  quelques-uns  même  voyant  que  les 
conjectures  font  à  li  bon  marché  &  qu'el- 
les ne  payent  pas  d'impôts,  ont  crû  pou- 
voir avancer  que  ce  que  nous  avons  n'en 
eft  pas  la  centième  partie.    Mr.  de  Sau- 
maifea  prétendu  avec  beaucoup  d'apparence 
que  ce  qui  porte  fon  nom,n'eil:  qu'un  Ex- 
trait des  endroits  les  plus  remarquables  de 
cette  fameufe  Satire ,    parce  qu'efteétive- 

ment 

I.  Henri  ôc  Hadrien  Valois, 
i.  Satyrican  non  Satyricon. 
%.  Janiis  Douza  in  pizcidan.  ad  Fetron.  edit.  êe 
Hadi.  Vile£ 

4.  Gafp. 


Poètes    Latins.     307 

ment  ce  que  nous  en  voyons  eft  fort  peu  petioie. 
fuivi ,  <Sc  très -impartait  en  toutes  maniè- 
res. 

Cet  Extrait  félon  Gafpar  Barthius  (4), 
n'a  été  fait  que  dans  les  fiécles  de  la  Bar- 
barie la  plus  grofliére,  par  quelque  igno- 
rant qui  a  rendu  un  fort  mauvais  office  à 
Pétrone ,  parce  que  non  content  de  lui 
lailTer  fes  ordures,  il  en  a  fait  un  Auteur 
tout  eliropié  ,  &  barbare  en  quelques  en- 
droits, lui  qui  étoit  un  des  plus  correds, 
des  plus  polis,  des  plus  purs  ôr  des  plus 
délicats  d'entre  les  Ecrivains  qui  avoient 
paru  depuis  le  fiécle  d' Augufte. 

Mr.  de  Saumaife  que  j*ai  déjà  allégué, 
paroît  avoir  été  dans  le  même  fentiment 
(f).  Il  dit  que  ces  fragmens  ne  font  qu'ua 
recueil  indigefte  tiré  des  cahiers  de  quelque 
Particulier  qui  avoir  extrait  de  Pétrone  ce 
qu'il  y  avoir  à  fon  goût,  fans  y  obfer  ver  d'or- 
dre. Il  rejette  l'opinion  de  ceux  qui  vou- 
loient  que  les  Moines  enflent  ainlî  traité 
cet  Auteur  dans  le  deflein  de  le  mutiler, 6c 
de  lui  couper  tout  ce  que  la  pudeur  ne 
peut  fouftrir.  En  quoi  il  a  d'autant  plus 
de  rai  fon  qu'il  efl:  probable  que  l'Auteur 
de  l'Extrait  a  voulu  faire  le  contraire,  puis- 
que ce  n'eft  prefque  qu'un  Recueil  d'obs- 
cénités &  un  véritable  cloaque  ,  où  on  a 
peut-être  ramafle  toutes  les  ordures  qui 
étoient  répandues  dans  toutes  les  Satires 
de  Pétrone.  S'il 

4.  Ga(p.  Barthius  Adverfarior.  lib.  xxi.  cap.  4. 
e©L.  1077. 

5.  Claud.  Salmafîus  Pracfat.  in  Luc.  Ampcliura. 
Item  ex  eo  G.  M.  Konifius  in  Biblioth.  V.  U.  H« 

pag.  ézu 


3o8  Poètes  Latins. 
letionc.  S'il  eft  vrai  que  cela  fe  foit  palTéde  la 
forte,  je  ne  vois  pas  de  qui  ce  miférable 
Compilateur  pourra  recevoir  des  bénédic- 
tions. Car  11  d*un  côté  ceux  qui  déplorent 
la  perte  des  anciens  Auteurs,  ont  quelque 
raifon  de  le  condamner  avec  les  autres  fai- 
feurs  d'Extraits  &  d'abrégés  pour  avoir  été 
caufe  que  nous  n'avons  pas  Pétrone  entier; 
on  peut  dire  de  l'autre  que  c'eft  avec  enco- 
re beaucoup  plus  de  juflice  qu'il  eft  tombé 
dans  la  malédiclion  de  tous  ceux  qui  ne  fe 
font  pas  encore  dépouillés  entièrement 
des  fentimens  de  l'honnêteté  &  de  la  pu- 
deur, &  de  ceux  qui  étant  obligés  de  faire 
voir  les  Poètes  aux  jeunes  Gens,  doivent 
facrifier  toutes  chofes  pour  la  confervation 
de  leur  innocence  &  de  leur  intégrité. 

Néanmoins  s'il  e(l  du  devoir  des  faifeurs 
d'Extraits  &  d'Abrégés  de  ne  prendre  que 
l'ePprît  de  leur  Auteur ,  &  de  n'extraire 
que  les  chofes  qui  fe  rapportent  fimple- 
ment  à  la  fin  qu'il  s'eli  propofée  dans  fon 
Ouvrage,  il  faudra  convenir  que  le  Com- 
pilateur s'eft  acquité  avec  allés  de  fidélité 
de  la  commiffion  qu'il  s'eil  donnée  &  qu'il 
eft  aftTés  bien  entré  dans  les  vues  &  les  in- 
tentions de  fon  Auteur.  Car  il  ne  faut  pas 
s'imaginer,  comme  l'a  fort  bien  remarqué 
Mr.  de  Saint  Evremond  (i),  que  Pétrone 
ait  voulu  reprendre  les  vices  de  fon  tems, 
&  qu'il  ait  coinpofé  une  Satire  avec  le  mê- 
me efprit  qu'Horace  écrivoit  les  iiennes. 
Les  bonnes  mœurs  ne  lui  ont  pas  tant  d'o- 
bligation.   C'eft  plutôt,  dit  cet  Auteur, 

un 

t.  s.  Evremond  y  Tom.  IL  de  fcsOeuvics,  Jugo- 
ment  iuc  Pâtiouc. 


Poètes    Latins.    309 

Ain  Courtifan  délicat  qui  trouve  ridicule  Pcttonc* 
qu'un  Pédant  falFe  le  Cenfeur  public,  & 
•s'attache  à  blâmer  la  corruption.  En  etfet, 
Cl  Pétrone  avoit  voulu  nous  lailler  une 
Morale  ingénieufe  dans  la  defcription  des 
voluptés,  il  auroit  lâché  de  nous  en  don- 
ner quelque  dcgoiit:  mais  c'elllà  que  pa- 
•xolt  le  vice  avec  toutes  les  grâces  de  l'Au- 
:teur  ;  c'eillà  qu'il  fait  voir  avec  plus  de 
-foin  l'agrément  Sa  lapoliteiFe  de  ronefprit. 
S'il  avoit  eu  deflein  de  nous  inliruire  par 
une  voie  plus  rîne  &  plus  cachée  que  celle 
des  préceptes,  du  moins  verrions -nous 
.quelque  exemple  de  la  Juftice  divine  ou 
humaine  fur  quelqu'un  des  débauchés  qu'il 
nous  dépeint.  Loin  de  cela,  le  feul  hom- 
me  de  bien  qu'il  introduit,  le  Marchand 
Lycas  homme  de  bonne  foi  &  de  piété, 
craignant  bien  les  Dieux,  périt  miférable» 
ment  dans  la  tempête  au  milieu  de  cescor» 
rompus  qui  font  confervés.  Encolpius, 
,Giton,  Tryphena,  Eumoipus,  tous  char- 
gés des  crimes  les  plus  énormes  fe  tirent 
du  danger:  le  pieux  Lycas  appelle  inutile- 
ment les  Dieux  à  Ion  fecours,  &  à  la  hon- 
te de  leur  Providence ,  il  ett  le  Teul  in- 
nocent qui  paye  pour  les  coupables. 
Ainli  l'on  peut  alfurer  que  Pétrone  a  fak 
fa  Satire,  non  pas  contre  le  vice  dont  il 
prend  h  viiîblement  la  protection  ,  mais 
feulement  contre. le  Ridicule  qu'il  cenfure 
fort  févérement. 

Le  même  Auteur  fans  s'emharrafler  de  la 
dîverlité  des  opinions  des  Critiques  fur  la 
perfonne  ou  le  liécle  de  Pétrone  ,  Ibu- 
tieiu  comme  une  chofc  incomeftuble qu'il  a 

voulu 


3IO  POETES  Latins. 
tctton%  voulu  décrire  les  débauches  de  Néron ,  & 
que  ce  Prince  eft  le  principal  objet  de  fon 
ridicule:  mais  il  avoue  qu'il  eft  difficile  de 
favoir  fi  les  perfonnes  qu'il  introduit  font 
véritables  ou  feintes,  s'il  nous  donne  des 
Caradéres  à  fa  tantailic ,  ou  le  propre  Natu- 
rel de  certaines  gens.  Il  le  trouve  admirable 
par  tout  non  feulement  dans  la  pureté  de 
ftyle  ,  mais  encore  dans  la  délicateffe  de 
fes  fentîmens,  &  fur  tout  dans  cette  gran- 
de facilité  à  nous  donner  ingénieufement 
toutes  fortes  de  Caradéres.  C'eft,  dit-il, 
%  un  efprit  univerfel  qui  trouve  le  génie  de 
toutes  les  ProfelTions ,  6c  fe  forme  com- 
me il  lui  plaît  à  mille  Naturels  ditîérens. 
S'il  introduit  un  Déclamateur,  il  en  prend 
fî  bien  l'air  &  le  ftyle  qu'on  diroit  qu'il  a 
déclamé  toute  fa  vie.  On  trouve  dans  le 
feftin  de  Trimalcion  tout  ce  qui  peut  faire 
un  faux  délicat ,  un  impertinent  ,  un  fot 
ridiculement  magnifique  dans  un  repas. 
Son  Eumolpus  nous  fait  voir  la  folie  &  la 
vanité  des  Poètes,  dont  les  plus  excellens 
Tie  font  pas  toujours  les  plus  honnêtes' 
gens  ,  mais  pour  le  malheur  de  fes  Lec- 
teurs, il  a  beaucoup  mieux  réuffi  encore 
dans  le  pernicieux  talent  d'exprimer  natu- 
rellement les  défordres  les  plus  horribles 
de  la  vie  la  plus  débauchée. 

D'ailleurs  le  même  Critique  trouve  que 
les  vers  de  Pétrone  ont  une  force  agréable, 
&  une  beauté  qui  a  faitdireà  Douza  qu'il  ai- 

moit 

X.  f.  Daa.  Huet,  Dideic,  fui  les  Komam  par. 

X,  Cor- 


Poètes    La  t  i  n  s.     311 

moît  mieux  le  petit  efTai  qu'il  a  fait  de  la  petronc;,* 
guerre  de  Pharfak,  que  trois  cens  volu- 
mes des  vers  de  Lucaiii  avec  toute  fa  fou- 
gue (^  toute  fon  impétuoiité.  Quelque  fu- 
jet  qui  fe  préfente  ,  on  ne  peut  ni  penfer 
plus  délicatement  ni  s'exprimer  avec  plus 
de  netteté.  H  lui  arrive  alfés  fouvent  dans 
fes  narrations  de  fe  lai  (fer  aller  au  (impie 
naturel,  &  de  fe  cuntentér  des  grâces  de 
la  naïveté  :  quelqn  fois  il  met  la  dernière 
main  à  fon  Ouvrage,  <k  il  n'y  a  rien  de 
dès-honnéte  ,  rien  de  dur  ,  quand  il  lui 
plaît. 

Car  ,  comme  Ta  remarqué  Mr.  Huet 
(i),  on  ne  peut  refufer  à  Pétrone  la  gloi- 
re d'avoir  été  l'homme  le  plus  poli  de  fon 
tems,  c'eft-à-dire,  de  ce  tems  qui  précéda 
le  liécle  des  Flaviens  ,  fous  les  derniers 
Princes  de  la  famille  des  Cefars.  Car  non- 
obftant  les  fa  vantes  conjedures  des  deux 
Mefîîeurs  Valois  ,  nous  ne  pouvons  pas 
encore  nous  défaire  entièrement  de  l'opi- 
nion où  l'on  a  été  jufqu'ici ,  que  notre 
Pétrone,  fut -il  différent  de  celui  dont  Cor- 
neille Tacite  a  parlé  dans  fes  Annales  (2), 
n'a  point  lailfé  de  vivre  &  d'écrire  vers  le 
même  tems ,  parce  qu'on  ne  fmroit  s'ima- 
giner que  le  liécle  des  Antonins  ou  celui 
du  bas  Empire,  ait  pu  produire  une  aufli 
grande  délicatelle  &  une  pureté  de  ftyle  pa- 
reille à  la  iienne. 

Ce  font  deux  qualités  que  la  plupart  des 

Cri- 

1.  Cotnel.  Tacît.  lib.  i6.  Annal,  cap.  4.  pag.  424, 
M.  où  il  l'appelle  ^rbittr  EU^^nii»,  failant  fcuf, 
ctxc  aliuUoA  à  iQJH  2iom« 


312     Poètes    Latins. 

fçtioûc.  Critiques  ont  remarquées  dans  TOuvrage 
de  Pétrone,  même  en  l'état  que  nous  l'a- 
vons. Lipfe  dit  à  Mr.  Pithou  que  depuis 
qu'on  sVft  mêld  d'écrire  &  de  faire  des 
vers ,  on  n'avoit  encore  rien  vu  de  plus 
beau ,  de  plus  fin  &  de  plus  agréable  ,  & 
qu'il  ell  charme  de  tant  d'enjoûmens ,  & 
de  cette  véritable  Urbamté  qui  y  régne. 
Mais  il  ne  diflimule  pas  le  danger  qu'il  y 
a  dans  la  ledure  d'un  Auteur  li  lafcif, 
quoiqu'il  fe  vante  d'être  du  nombre  de 
ceux  fur  l'efprit  defquels  les  obfcénités  ne 
font  point  d'impreflion  (i). 

Gafpar  Bartnius  en  a  dit  prefque  autant 
que  Lipfe  (2)  fur  la  politeOe  &  les  faletés 
de  cet  Auteur,  il  femble  avoir  ajouté  mê- 
me quelque  chofe  d^  plus  à  fa  louange, 
car  il  prétend  que  l'Ouvrage  de  Pétrone 
renferme  toutes  les  grâces  de  Ciceron&de 
Plaute  jointes  enfemble,  (Se  qu'ayant  heu- 
reufement  allié  les  caractères  ditî'érens  de 
ces  deux  Auteurs,  il  s'en  eli  fait  un  qui 
paroît   inimitable ,  &  qui  lui  elt   devenu 
propre.  II 

1.  Juft.  Lipf.  inEpiftol.qusftion.  lib.  j.EpiftoI.  2. 
Idem  in  Comraentar.  ad  lib.  3.  Annal.  Tacu.  ubi 

TOCat  Petronii  fiA§.mcat3.  purijjim^t  impy.rit*tis, 

2.  Barth.  Adverfar.  lib.  50.  cap.  9. col.  2357. 

3.  fl.  Glandorp  que  Baillet  met  à  leur  tête  ne  fait 
pas  reloge  de  l'Ouvrage  de  Pétrone  par  rapport  à  la 
pureté  ni  à  l'elegancc  du  ftyle,  mais  dit  leulement 
que  c*eft  un  Ouvrage  diverfifié  &c  d'érudition  :  Opus 
varium,  &  eruditum.  Four  le  P.  Briet,  Turnébe  8c 
Rolîn,  ou  plutôt  Dempfter  dans  fa  Table  des  Au- 
teurs cites  fuiRofin,  ces  trois-]»  en  condamnant  les 
obfcénités  de  Pétrone,  louent  fort  la  pureté  de  Ton 
ftyle  ,  fur  quoi  Mr.  Huet  n'eft  nullement  d'accord 
avec  eux,  tant  dans  fon  Traité  de  l'Origine  des  Ro» 
mxzaa,  que  daas  une  Lcttic  jLatine  à  CiaEvIus. 


Poètes    Latins.     313 

Il  feroit  peut-être  allés  inutile  de  rappor-  ictroLç, 
ter  l'autorité  de  divers  autres  Critiques 
(3),  qui  ont  jugé  que  le  flyle  de  Pétrone 
ei\  fort  pur ,  fort  net  &  fort  élégant  (4) , 
s'il  ne  s'en  étoit  trouvé  d'autres  qui  étant 
venus  depuis,  femblent  n'y  avoir  pas  vou-» 
lu  reconnoître  tant  de  bonnes  qualités.  Et 
je  me  contenterai  de  citer  le  P.  Briet ,  Ro- 
fin  &  particulièrement  Turnebe ,  dont 
l'autorité  feule  en  matière  de  Critique  , 
peut  donner  du  contre -poids  à  celle  de 
quelques  modernes  qui  en  ont  parlé  autre- 
ment (5-). 

L'Ouvrage  de  Pétrone  étoît,  félon  Mr. 
Huet  (6)  h  Mr.  Valois  le  jeune  (7),  une 
efpéce  de  Roman  qu'il  fit  en  forme  de  Sa- 
tire du  genre  de  celles  que  Varron  avoît 
inventées  en  mêlant  agréablement  la  proie 
avec  les  vers,  &  le  ferieux  avec  l'enjoué, 
&  qu'il  avoir  nommées  Menippées  ,  parce 
que  Menippe  le  Cynique  (8)  avoit  traite 
devant  lui  des  matières  graves  d'un  ftyle 
plcuûnt    &  mocqueur.    Cette  Satire  ne 

coii- 

4,  Joan.  Glandorp.  in  Onomaftic.  Roman,  pag," 
«75. 

Item  Joh.  Pctr.  Lotich.  Jun.  Biblioth.  Poct.  paxt< 
4.  pag.  I. 

Joan.  Koun.  Aniiq.  Rom. 

Voir,  de  Poët.  Lar.  pag.  41. 

Thilipp.  Briet.  de  Poët   Latin,  lîb.  z.  pag.  3;, 

y.  And.  Tmncb.  Advcifaiior.  lib.  19,  cap.  6.  ini* 
&  lib.  3.  cap.  20. 
,    6.  P.  Dan.  Huet  comme  ci-deflus. 

7.  Hadr.  Valcfîus  DiiTcrtation.  de  Coena  Trîraaf- 
cionis  fiib  Pctronii  nomine  nupcr  vulgatà  pag.  15, 
poft  WagenfeiliiDiflcrt. 

i.  Ger.  Jo.  Vofl;  ln(L  Poct.  1.  j.  c.io.  p.  4», 

Tm^IILPart.lL  O 


5i4      Poètes    Latins. 

petione,  contenoit  que  des  fidions  ingénieufes,  a- 
grcablcs ,  &  fouvent  fort  iales  &  dès-honnê- 
tes ,  cachant  fous  l'écorce  des  paroles  une 
raillerie  fine  &  piquante  contre  la  Cour  de 
Néron.  G'ell  le  fentiment  deMr.  Huet, 
de  Mr.  de  Saint  Evremond,  &  de  tous 
ceux  qui  ont  attribué  à  notre  Pétrone  ce 
que  Tacite  a  dit  de  l'e'légance  &  de  la  ga- 
lanterie de  ce  Pctronius ,  qu'il  témoigne 
avoir  décrit  toutes  les  débauches  de  Ne- 
fixolcti,  ro^^  ^^^s  l^s  noms  des  proftïtués  &  des 
courtifanes. 

Mais  Mr.  Valois  qui  convient  a^^ec  les 
autres  que  Pétrone  n'a  fait  que  des  fixions, 
fe  fert  de  ce  raifonnement  pour  prouver 
qu'il  y  a  de  la  différence  entre  l'Auteur  de 
la  Satire,  &  ce  Pétrone  de  Tacite  qui  n'a- 
voit  rapporté  que  des  faits  &  des  vérités  de 
la  perfonne  &  de  la  Cour  de  Néron.    11 
ajoute  pour  donner  plus  de  jour  à  cette 
ditîérence  ,  que  notre  Pétrone  a  fait  fou- 
vent  l'office  d'un  Critique  dans  fa  Satire; 
tantôt  il  cenfure,  à^^x-W^  les  Déclamations 
que  l'on  faifoit  dans  les  Ecoles;  tantôt  il 
fe  moque  de  ces  Poètes  de  Ion  tems  qui 
étourd'iroient  le  Monde  de  leurs  vers,  & 
vouloient  qu'on  les  écoutât  malgré  qu'on 
en  eût ,  lorfqu'ils  les  recitoient  dans  les 
places  publiques,  fur  les  théâtres, dans  les 
bains,  &  jufques  dans  les  cabinets  des  Par- 
ticuliers.    En  d'autres  endroits  il  fe  plaint 
de  ce  qu'on  négiigeoit  ^  qu'on  laiflbit  pé- 
rir les  Arts  libéraux  &  les  plus  belles  Scien- 
ces 


T.  aené  Rapifi,  ATCitiilcmcût  des  l^cfiex.  fur  la 


P  o  E  T  p:  s     Latins.     315* 

ces;  il  fait  des  deicriptions  de  la  prife  de  pctioacV; 
Troye,  de  quelque  navigation,  <5cc.  il  ré- 
cite des  contes  comme  celui  de  hMairofiC 
d'Ephefe ,  enfin  il  donne  des  régies  pour 
faire  des  vers  ;  de  forte  qu'on  ne  peut  gue- 
res  trouver  d'Ouvrages  plus  divcrlifiés  que 
l'étoit  celui  de  Pétrone,  ce  qu'on  ne  peut 
point  dire  de  celui  dont  parle  Tacite. 

Le  P.  Rapin  dit  que  Pétrone  parmi  les 
ordures  de  fa  Satire,  lailTe  de  certains  pré- 
ceptes de  la  Poétique  qui  font  admirables 
(i).  Il  ne  s'cil,  dit-il  ,  rien  écrit  en  ce 
tems-là  de  plus  judicieux  ,  mais  il  n'a  pas 
lui-même  cette  manière  aifée  &  naturelle 
qu'il  recommande  tant  aux  autres  :  il  don- 
ne les  plus  belles  régies  du  Monde  con- 
tre l'aftedation,  qu'il  n'obferve  pas.  Car 
il  aftede,continué-t-il,jufqu'à  la  fimplici- 
té  du  ftyle,  où  il  n'ell  pas  toujours  na- 
turel. 

Mr.  Haet  a  témoigné  d'être  dans  des 
fentimens  ailes  femblables  fur  ce  point.  Il 
dit  que  bien  que  Pétrone  paroiiïe  avoir  été 
grand  Critique  &  d'un  goût  fort  exquis 
dans  les  Lettres,  fon  ilyle  toutefois  ne  ré- 
pond pas  tout  à-fait  à  la  délicateffe  de  Ton 
jugement:  qu'on  y  remarque  quelque  af- 
feaation;  qu'il  ell  un  trop  peint  &  trop  é- 
tudié  ,  &  qu'il  dégénère  déjà  de  cette  lîm- 
plicité  naturelle  &  majellueufe  de  l'hea- 
rcux  fiécle  d'Augulie. 

Mr  Valois  prétend  que  (2)  le  flyle  de 
Pétrone  fc  fent  du  pays  de  fa  naiflhnce, 

qu'il 

a.  Vakf.  Diflertat.  de  fragm.  Perron»  Ti3guiicn£ 
pî»S'  IP.  5c  Icquentib. 

O  a 


3i6      Poètes    Latins. 

Tcttonc.     qu'il  a  un  air  un  peu  écranger,  c'eft-à-dire, 
qui  eft  plus  Gaulois  que  Romain  naturel; 
qu'il  a  plutôt  le  goût  du  fiécle  des  Anto- 
nins  que  du  tems  de  Néron.    Mais  s'il  é- 
toit  vrai  (i),  comme  nous  l'avons  vu  ail- 
leurs ,  que  Terentianus  Maurus  eût  vécu 
avant  les  Antonins ,  on  pourroit  reformer 
le  calcul  &  la  penfée  de  Mr.  Valois,  puis- 
que cet  Auteur  a  parlé  de  Pétrone,  &  qu'il 
l'a  fait  même  d'une  manière  honorable  en 
l'appellant  un  Ecrivain  éloquent  ou  plutôt 
difert.    Mr.  Valois  ne  l'a  point  ignoré  ,  ôc 
quoiqu'il  reconnoilïe  qu'etFedivement  Pé- 
trone eft  difert,  il  prétend  qu'il  n'eft  point 
comparable  ni  à  Seneque,  ni  à  Quintilien, 
ni  aux  deux  Plines,  ni  à  Tacite,  ni  même 
à  Suétone ,  fuppofant  qu'il  leur  a  été  pos- 
térieur pour  le  tems.     Il  foutient  même 
qu'il  n'eft   pas   toujours  net ,  qu'il  n'eft 
pas   clair  ,  ni  pur   par  tout ,   &    que    la 
bourbe    empêche    fbuvent   ion  ftyle  de 
couler. 

La  crainte  d'approcher  Pétrone  trop 
près  de  Néron  ,  a  pouffé  ce  Critique 
un  peu  loin  vers  l'autre  extrémité.  El- 
le lui  a  fait  trouver  des  Gallicifmes 
dans  le  ftyle  de  cet  Auteur,  de  forte  que 
ceux  qui  voyent  le  parallèle  qu'il  fait  de 
quelques  cxpreflions  de  Pétrone  ,  avec 
des  façons  de  parler  qui  font  particuliè- 
res 

1.  %,  Hadrien  de  Valois  suroît  pu  répondre:  Muis 
i^il  était  vrai  auffi  que  ce  fût  le  Terentianus  ami  de  Loti' 
gin  ? 

2.  f .  Cet  endroit ,  &  ce  qui  fuir ,  avec  ce  qui  a 
ct«  ci-deraat  içm^s<iw  fui  TAnicIc  ;<f5>t  n'ayant  pat 

pi» 


Poètes    Latins.       317 

res  à  notre  Langue,  ne  favent  que  croi-  Pcttouç, 
re  de  la  penfée  qu'a  eue  Mr.  V^alois  (2). 
Car  ou  bien  il  faudra  dire  que  Pétrone  a 
écrit  en  Latin  dans  le  tems  que  fes  Com- 
patriotes parloient  François, ou  bien  Pétro- 
ne aura  fu  par  voie  d'inlpîration  la  manière 
dont  ceux  de  fon  pays  dévoient  parler  pîu- 
fîeurs  liécles  après  lui.  Mais  il  femble 
enfin  s'être  déterminé  fans  y  avoir  pris 
garde  ,  en  dîfant ,  ^«'/7  c/i  clair  par  ces 
fhrafes  toutes  Françoifes  qu*il  a  rapportées 
que  Pétrone  étoh  Gaulois  (3).  Ce  qui  à 
mon  avis  ne  marqueroit  point  tant  la  nais- 
fance  de  Pétrone  fous  les  Empereurs  Ro- 
mains que  fous  nos  Rois  de  la  troiliéme 
Race. 

Mais  fans  examiner  davantage  la  folîdi- 
té  de  cette  opinion,  on  peut  dire  que  Mr. 
Valois  a  eu  grande  raifon  de  prétendre 
qu'il  y  a  un  grand  nombre  d'exprciîions 
dans  Pétrone  qui  ne  font  nullement  du  lic- 
cle  de  Néron  &  de  Vefpafien ,  &  qui  fen- 
tcnt  la  décadence  de  la  Latinité.  Néan- 
moins on  ne  fera  point  obligé  de  déplacer 
Pétrone,  fi  Ton  peut  dire  après  Barthîus  , 
que  ces  exprclTions  ne  font  pas  de  Pétro- 
ne dont  nous  avons  perdu  l'Ouvrage, mais 
du  Compilateur  qui  vivant  durant  les  fié- 
cles  de  la  Barbarie  ,  a  fait  l'Extrait  que 
nous  avons  aujourd'hui  comme  il  l'a  ju- 
gé à  propos  (4).  Il 

plu  à  M.  de  Valois  le  jeune,  il  fit  pour  s'en  venger, 
les  beaux  ïambes  qu'on  lit  au  105.  ch.  de  i'Anti- 
Baillet. 

3.  \à.  Vâlcf.  pag.  17.  cjufd.  Diflert.  poft  Wagea- 
fcilii  DilVcrt. 

4.  Garp.  Baith.  col.  1077.  Adverfarior,  ut  fupù. 

o  3 


3^^  Poètes  Latins. 
îcKone.  Il  s'efl  trouvé  pluiieiirs  Critiques  qui 
n'ont  pas  crû  en  devoir  tant  accorder  lur 
l'incgalité  &  les  endroits  corrompus  de 
fon  (lyle,  &  Mr.  Gueret  compte  jufqu*à 
dix  ou  douze  Scholiaftes  qui  ont  pris  U 
défenfe  de  fon  Latin  (i). 

Les  meilleures  éditions  de  Pétrone  font 
celles  de  Leyde  de  Tan  1645'.  [in-8.]  avec 
les  notes  de  Mr.  Bourdelot,  &  d'Utrecht 
de  i6s^.  [in-8.J  avec  celles  de  Douzu  & 
des  autres.  [L'Edition  que  Pierre  Bur- 
man  a  donnée  à  Utrecht  in-4.  en  1709.  ell 
la  plus  eftimée.] 

Il  nous  refteroit  à  parler  de  ce  fameux 
fragment  attribué  à  Pctrone,  touchant  le 
fefîin  de  Trimai cion  (1)  qu'on  prétend  a- 
voir  été  trouvé  depuis  trente  ans  par  Ma- 
rinus  Statileus  à  Trau  ou  Troghir  Ville 
de  la  Dalmatie  Vénitienne  appel lée  TragU' 
r'îum  par  les  Latins;  &  des  différends  ar* 
rivés  fur  ce  fujet  entre  Tilebomcne  & 
Statilée  ,  c'ell-à^dire  pour  parler  franche- 
îneiit  ,  Mr.  Mentel  &  Mr.  Petit  d'une 

part, 

1.  Gueret  de  la  guerre  des  Auteurs. 

2.  ^.  Voyés  ce  qu'en  dit  le  nouveau  Menagiana 
pag.  263.  du  tom.  i. 

3.  On  auroit  dû  dire  ItAlicenJîs  plutôt    que  Italicus. 

%,  On  veut^ue  ccfoit  de  la  Ville  in  Pdi\nis  y  nom- 
mée Italien  y  Se  auparavant  Corfi  ni  n)n,d*  ou.  çtoit  ori- 
ginaire Silius.  Mais  pourquoi  de  cette  Italica  n'au- 
xoit-on  pas  pu  auffi  bien  à^itlmlicinfu  que  de  VI'aIÎ' 
ca  d'ETpagnc?  Pour  moi,  comme  c'eft  le'gulicre- 
ment  d'Itaha  que  Te  forn^e  Irrsluus  y  je  fuis  pctfuadé 
que  le  nom  de  la  Ville  -n  Pelignis  étoit  vraiment /f4- 
lidy  comme  l'appelle  Diodorc  Sicilien  en  ces  mots 
fhv  x6<y>))'  Tsrô/.iv  'iTxxiuv  cvc/uÂcaLynt  oii  Cafaubon 
change  mal-à  propos  ']rx>.ixy  en'iTAMKh. 

4.  ^.  Il  y  en  avoir  bien  1300.  à  compter  depuis  la 
»ort  de  Silius  arrivée  fous  l'Empire  de  Trajan ,  ius- 

qu'au 


Poètes    Latins.       319 

part,  &Mr.Wagenreil  avec  Mr.  Valoisde  pctroue; 
l'autre  :  mais  nous  en  pourrons  toucher  un 
mot  au  Recueil  des  Auteurs  déguifcs. 
*  Petro'/iii   Satyricon  ,    cum    Comment. 

Ant.  Gonfaîi  de  Salas  m- ô^,  1633.  ^'* 

dem  cum  Comment.  P.  Loti  doit  in  4.  Fran^ 
cof.  1629. 

SILIUS  ITALICUS, 

Que  quelques-uns  ont  fait  Efpagnol  mal- 
à- propos,  croyant  que  fon  furnom  pou- 
voit  lui  être  venu  d'italica  (3)  Ville 
d'Efpagne:  vivant  fous  Vefpafien  &  fes 
Enfans ,  mort  à  l'âge  de  75-.  ans  d'une 
faim  volontaire.  Il  avoir  été  Confal 
l'année  de  la  mort  de  Néron. 

1 162.  Q  Ilius  Italicus  eft  un  Hiftorien  qui  SlIIusItali? 

O  a  voulu  faire  le  Poète.    11  a  dé-  ^^H 
crît  en  vers  la  féconde  Guerre   Punique 
contenant    les   expéditions   d'Annibal  eu 
XVII.  Livres.     Cet  Ouvrage  avoit  été  près 
de  douze  cens  ans  (4)enfeveli  fans  être  vi- 

fité 

qu'au  tcms  de  la  découverte  dont  il  s*îigit.  Ce  fut, 
non  pas ,  comme  le  dit  ici  Baillet  après  Voflius  ,  pen- 
dant le  Concile  de  Bâle  ,  rriais  pendant  celui  de 
Confiance  que  Pogc  étant  aiJe  à  S.  Gai  Abbayie  qui 
cft  à  vingt  milles  de  là  y  trouva  dans  une  totir  la 
manufcrit  de  Silius ,  outre  ceux  de  Quintilien,  de 
Valerirs  Flaccus,  d'Afconius  Pcdianus,  de  >3'onius 
Marcel  lus,  de  plulieurs  Oraifons  de  Cicéronjfc  d'u- 
ne partie  de  Lucrèce.  Il  fit  d'abord  part  de  cette 
bonne  nouvelle  à  Léonard  d'Arezzo  qui  par  fa  ré- 
poufe  datée  de  Florence  le  ij.  Septembre  1416.  lui 
en  témoigna  vivement  fa  joie.  Hugolin  Veiin  père 
de  Michel  1.  2.  de  Ion  Poème  de  iHu'franoneVil :s  Fit' 
r#«rii<  parle  en  ces  termes  du  S.lius  que  nouva  Pogc: 

^Hin  tîtirn  ftltrs  Germanis  eruu  a>i:ris 

In  Ladmii  Aitilcqiti  Uivi/ia  Pji'mata  Stb^ 
O  4. 


310      Poètes    Latins. 

ïiliusltâli-  ^^^  ^^^  P^^  ^^^  ^^^^  ^^  Bibliothèque,  jus- 
««j,  ^"  qu'à  ce  qu'enfin  on  le  fauva  de  la  mifcre 
où  la  tigne  &  les  vers  Tavoient  réduit,  au 
tems  du  Concile  de  Balle  (i). 

Si  l'on  veut  écouter  Matamore  (i) ,  Sî- 
lius  Jtalicus  eft  un  divin  Poète  qui  appro- 
che beaucoup  de  la  gloire  de  Virgile.  Mais 
il  n'en  auroit  peut-être  pas  tant  dit  de  bien, 
s'il  ne  Tavoit  point  crû  Efpagnol.  En  ef- 
fet les  autres  Critiques  qui  n'ont  pas  eu  le 
même  intérêt  ,  n'en  ont  point  parlé  de 
même. 

Pline  le  jeune  qui  l'avolt  connu,  témoi- 
gne (3)  qu'il  faifo't  des  vers  avec  plus  d'é- 
tude &  d'application  que  de  génie  &  de  na- 
turel. 

A  dire  le  vrai,  il  n'étoit  pasnéPoëte, 
&  il  nç  le  devint  pas  même  par  habitude 
dans  la  fuite.  Car  ayant  pafTé  la  plus  lon- 
gue &  la  plus  belle  partie  de  fa  vie  dans  le 
Èarreau  &  dans  les  Charges  publiques, on 
peut  dire  que  ce  fut  malgré  les  Mufes  qu'il 
fe  mit  à  faire  des  vers  dans  un  âge  fort  a- 
vancé  &  déjà  languiflant  (4). 

Il  favoit  que  Virgile  pafToit  pour  un  bon 
Poète ,  &  comme  tout  le  Monde  le  lifoit 
il  voulut  le  lire  auffi  ,  il  tâcha  même  de 
l'imiter  ,  mais  il  n'en  pût  attraper  que  la 
vérification  (5")  ;  &  comme  il  ne  ûvoit 

point 

T.  Geotg.  Math.  Konigins  Biblioth.  Vct.  &  Nov. 
3.  Aiphonf.  Gaiûas  Matam9ius  de  Acad.  fie  Vir. 
Illuft.  Hirpaniar. 

3.  Plinius  Secund.  lib.  3.  Epift.  7.  &  multi  rccen- 
tiores  ex  hoc  fonte. 

4.  Gérard.  Joan.  Voff.  de  Hiftoiicis  Latin,  lib.  7. 


Poètes    Latins.     321 

point  les  régies  de  TArt  Poétique  ,   il  crut  siliusîtall- 
devoir  aufTi  fe  propofer  pour  des  modèles  à  <^^5, 
fuivre  Polybe  &  Tîte-Live  pour  le  fonds 
&  la  fuite  de  fes  matières.    Ainlî  (6)  on  â 
crû  dire  tout  en  Tappellant  le  Singe  de  Vir- 
gile^ &  le  copifte  de  ces  deux  Hiftoriens. 

Il  pouvoit  hardiment  faire  quelque  cho* 
fe  de  médiocre  en  fuivant  ces  deux  der* 
niers,  fans  cxpofer  trop  fort  (k  réputation, 
mais  il  n'a  point  pu  faire  impunément  la 
m^me  chofe  à  Tégard  de  Virgile  ,  parce 
que  dans  la  Poëfie  on  ne  met  pas  grande 
différence   entre  le  bas   &  le   médiocre. 
C'eft  ce  qui  Ta  fait  tomber  dans  le  mépris 
&  la  rifée  de  plufieurs  Critiques,  qui  ont 
crû  pouvoir  le  tourner  en  ridicule,  en  ce 
que  s'étant  jugé  capable  de  voler  ^\  haut, 
il   rampe  même  beaucoup  au  defTous  de 
Stace  ,  de  Valerius  Flaccus ,  &  de  divers 
autres  Poètes  médiocres  (7). 

Sa  Guerre  Punique  loin  d'être  un  bon 
Pocme ,  n'en  eft  pas  même  un  mé.chant ,  à  le 
prendre  à  la  rigueur  des  régies  de  l'Art. 
On  n'y  trouve  ni  la  Fable,  ni  l'Adion,  ni 
la  Narration,  c'eft-à-dire  ,  ni  la  Nature, 
ni  la  Matière  ,  ni  la  Forme  d'un  Poë« 
me  (S). 

Il  ne  fait  autre  chofe  qu'y  raconter  des 
faits  véritables,  quoiqu'il  y  mêle  des  Di- 
vinités 

5.  %.  Les  connoifïeurs  n'en  Croiront  pas  Raillet. 

6.  ApudGafp.Barth.  ôcc.  Fkilip.  BiietlunidePoët* 
Xat.  lib.  X.  pag.  37. 

7.  %.  11  n'a?oit  donc  pas  attiapé  la  vcrCficatien 
de  Virgile. 

8.  Gafpar  Baithjius  lib,  viii.  Advcrfaiior,  cap.  ù 
col.  365»  36^. 

O  y 


312      Poètes    Latins. 

Siliusltali-  vinités  &  des  Machines  qui  ont  un  airPoc- 
^^h  tique    &  fabuleux.    Et  quand   même  ces 

additions  feroient  véritables  ,  dit  le  P.  le 
BofTu  (i),  elles  ne  feroient  pas  rentrer  fes 
récits  dans  la  nature  de  l'Epopée,  parce 
que  ces  Fables  ne  font  que  dans  les  addi- 
tions &  dans  les  ornemens  de  rA6tion,au 
lieu  que  la  Fable  Epique  e(l  Tame  du  Poè- 
me &  fon  eflence,  &  que  c'eft  le  plan  fur 
lequel  tout  le  reftc  doit  être  bâti. 

Barthius  témoigne  aulTi  ne  pouvoir  ap- 
prouver ni  le  deflein,  ni  la  matière,  ni  les 
manières  de  ce  prétendu  Poème.  Jl  trou- 
ve que  fon  fujet  étoit  trop  récent,  cVlVà- 
dire  trop  près  du  tem§  auquel  il  vivoit  & 
trop  éloigné  de;  celui  de  la  Fable,  &  que 
ce  n'étoit  plus  le  tenis  des  Héros  ,  &  il 
prétend  que  c'eft  un  Auteur  froid, languis- 
fant  &  efclave  de  fa  Langue  &  de  fes 
mots  (2). 

Mais  quoique  Silîus  Italiens  foît  un  fort 
méchant  Poète,  il  ne  laifie  pas  d'être  un 
âffés  bon  Auteur  au  femiment  de  plufieurs 
Critiques, dont  on  peut  voir  les  témoigna- 
ges dans  les  deux  parties  du  Recueil  que 
Mr.  Hanckius  (3)  a  fait  des  Ecrivains  des 
aîfaires  de  Rome. 

Quoiqu'il  foit  le  dernier  des  Poètes ,  fe- 

loa 

1.  Ktné  le  Boflu  ,  Traité  du  Poëmc  Epique  ,  li- 
?ic  I.  chap.  15.  page  105.  ic6. 

1.  Barth.  in  lib.  v.  Thebaïdos  Starii  Papinii,  Sca- 
^ud  M,  Hanckium. 

3.  Martinus  Hajickius  de  Scriptoribqs  RciumRtt* 
Sianarum  duab.  paie 
'  4.  G.  Barthius  Adverfar,  lib.  lO,  cap.  24, 

3icin  Eiânkius,  ut  fupià, 


F  o  E  r  E  s    L  A  r  r  il  s.      32  j 

Ion  quelques  Auteurs,  &  qu'il  n'ait  ni  le  gé-  siimsltali*' 
nie  ,   ni  Pair  ,   ni  la  melure  harmonieufe  ^^^* 
des  anciens  Poètes ,  il  ne  lailfe  pas  d'avoir 
quelques  tours  aties  heureux   &  beaucoup 
d'érudition  (4). 

Jules  Scaliger  ne  l'a  point  compté  le 
dernier  parmi  tous  les  Foctes  générale- 
ment, mais  parmi  les  bons  feulement  (y). 
Il  a  voulu  dire  que  Silius  peut  être  bon  Au- 
teur fans  être  bon  Poète,  puifqu'il  a  ajouté 
qu'il  n'a  point  de  nerfs,  point  de  mtfure, 
point  de  cette  infpiration  Poétique  ;  qu'il 
n'a  nulle  beauté,  nul  agrément;  qu'il  s'ar- 
rête fouvent, qu'il  a  peur  prefque  par  tout, 
qu'il  chancelle  à  chaque  pas,  &  qu'il  ne 
manque  point  de  tomber  dès  qu'il  fait  quel- 
que effort  un  peu  hardi  (6). 

J'ofeph  Scah'ger  prétend  au  contraire  que 
ce  n'eli  point  un  bon  Auteur  non  plus 
qu'un  bon  Poète:  mais  qu'il  le  faut  pour- 
tant lire  en  conHdération  de  fon  Antiqui- 
té. Il  ajoute  (7)  qu'il  n'a  rien  de  nou* 
veau,  qu'il  n'a  rnpporté  que  ce  que  les  au- 
tres avoient  dit  avant  lui,  ^  même  qu'il 
s'en  efl  mal  acquitté.  Néanmoins  VoÂîus 
a  remarqué  (S)  qu'il  eft  fort  utile  en  beau- 
coup d'endroits  de  l'Hiltoire  Roirraine, 
qu'on  ne  trouve  point  aujourd'hui  ailleurs- 
que 

f.  Poftremus  bonorum. 

6.  Jul.  CxC.  Scaligçr,  Hypcraitic.  feu  lib.  6.  Poe*; 
:>ces  pag.  i^. 

7.  joteph.  Scjlig.  in  prim.  Scaîîgeran.  psg.  13 Ï-- 

8.  Vofl.  pag.  155.  cap.  z«j.  lib.  i.  HiÛcx.  Latiiirùf- 
fupià 

Videiid   &  idem  dé  multis   non  una  Aftion*  eju^ 
loimmi  lib,  1,  liiftitut.  Pcëtic.  pag.  «i^ 

O  6 


3M      Poètes    Latins^ 

siiimitali-  que  dans  fon   Ouvrage ,   comme  eft  ce 
cust>  qu'il  rapporte  de  Xantippe  ,  de  Regulus, 

de  Duillius,  &  de  quelques  autres  chofes, 
qui  concernent  la  premie're  Guerre  Puni- 
que ,  &  qui  fe  font  perdues  dans  Tite- 
Lîve« 

LeP.  Rapîii  ne  Ta  pas  jugé  tout-à-faît  fî 
méprifable  pour  la  Poëfîe  même  que  plu- 
fîeurs  autres  Critiques.  Il  prétend  que 
dans  fon  Ouvrage  il  eft  plus  réglé  que 
Stace  ,  qu'il  paroît  du  jugement  &  de  la 
conduite  dans  fon  deflein;  que  s'il  n'avoit 
pas  beaucoup  de  naturel,  au  moins  a-t-il 
apporté  beaucoup  d'application  ;  mais  qu'il 
y  a  peu  de  grandeur  &  de  nobleiTe  dans  fon 
cipreflion  (i). 

Barthius  a  fait  aufli  bien  que  ce  Père  la 
comparaifon  de  Silius  Itaîicus  avec  Stace, 
mais  d'une  manière  un  peu  oppofée.  Car 
témoignant  de  l'étonncment  de  voir  une  iî 
grande  différence  entre  deux  Auteurs  qui 
étofent  de  même  tems,  il  ajoute  que  Silius 
eft  fort  contraint,  embaraffé  par  fes  Spon- 
dées, &  incapable  d'éloquence  (2). 

Il  femblc  néanmoins  qne  Dempfter  aît 
reconnu  en  lui  quelque  éloquence,  puis- 
qu'il dit  qu'il  fait  plus  l'Orateur  que  le 

Poète 

T.  René  Rapîn,  Rc'flex.  fur  la  Poétique  ,  féconde 
partie  Réflex.  15. 

z.  Gafp.  Barthius  Commei^tar.  in  Fapin.  Stat, 
Thcbaïd.  lib.  6.  &  in  5. 

Itçm  ap.  Mart.  Hanckium  ut  fuprà. 

3.  Thom.  Dempfter  in  Elench,  ad  J.  Rof.  Antîq. 
Rom.  &c. 

4.  Martial.  Epîgramm.  62.  lib.  7.  &  Epîgramn» 
49.  lib.  zi,  oà  Vaa  voit  qu'il  iiYoic  ftutlié  Ciceron 

do- 


Poètes    Latins,     ^if 

Poète  (3).    Cefl  ce  que  Martial  avoit  dé-  silius Italie 
ja  dit  de  notre  Auteur  (4) ,  mais  que  la  eus, 
qualité  de  Poète  &  d'Ami  iembloit  rendre 
un  peu  lufpedt. 

Au  refte  fi  on  a  égard  au  ftyle  d'Italicus, 
on  ne  pourra  pas  nier  qu'il  ne  foît  au 
moins  un  bon  Auteur  par  cet  endroit.  Car, 
félon  Vofllus  (5")  ,il  ne  le  cédoit  à  qui  que 
ce  fût  de  fon  fiécle  pour  la  pureté  de  fes 
cxprelîions ,  &  la  beauté  de  fon  Latin.  Il 
dit  encore  ailleurs  qu'il  a  la  didion  fort 
nette  (6),  mais  le  P.  Briet  prétend  (7) 
qu'elle  a  pourtant  plus  d'abondance  que 
de  netteté:  &  Barthius  dit  (8)  que  bien  que 
fon  Latin  foit  allés  pur,  il  n'ell  pas  néan- 
moins afTés  éxadl.  Enfin  Jean-Baptifte  Pio 
y  a  trouvé  quelques  duretés  qui  viennent , 
dit-il ,  du  grand  nombre  des  taches  ,  qui 
ternîrfènt  fa  beauté  (9). 

*  Silius    Italicus    cum    Comment,    Cl. 

Daufcfueït  in-4.  Parif.   1618.   Idem 

cum  Nùtîs  D.  Hein  fil  in- 12.  Lugd-Bat. 
1600.  —  Cum  Fr.  Modii  ,  G.  Barthii  y 
Dan,  ^  Nie.  Heinfii  Adverfariis  ^  curante 
Arn,  Drakcnborch,  în-4.  Ultrajeâi  171 7. 


'     VA- 

devint  Virgile,  qu'il  poffedoit  une  des  terres  qiu  a- 
voii  appartenu  au  premier,  ôc  nu'il  étoit  auffi  Sei- 
gneur du  lieu  où  étoit  le  tombeau  de  Virgile. 

j.  Ger.  VofT.  de  Hiltor.  Latin,  lib.  j.  pag.  15Ô, 
15  7.  ut  fupià. 

6.  Idem  lib.  fingul.  de  Poët.  Latin,  p.  42. 

7.  Fhil.  Briet.  Joe.  cit.  ut  fuprh. 

8.  Barth.  AdverGirior,  lib.  S.  col.  36$. 

9.  Joh.  Bapt.  Bapt.  Pius  Annotât.  Pofteiioi.  cap, 
3 1.  &C  »ptd  HaackiutQ  pag.  90. 

O  7 


326      Poètes    Latins. 
VALERIUS  FLACCUS, 

Sous  Vefpafien  &  fes  enfans,  natif  dcSez- 
ze  ou  Se^îa,  dans  la  Campagne  de  Ro- 
me au  pays  des  anciens  Volfques  ,  mais- 
faifant  fa  demeure  dans  le  territoire  de 
Padouë. 

Vâierius     ^^^3-  /^  Et  Auteur  a  compofé  un  Poc- 
ïlaccus.  VJ  me  en  huit  Livres  fur  rexpédi- 

tîon  des  Argonautes,  mais  loin  de  les  a- 
^  voir  pu  limer  &  polir,  il  n*eut  pas  même  le 

loiJir  de  les  achever.  Une  mort  précipi- 
tée dont  il  fut  furpris,nous  a  fait  faire  cet- 
te perte,  félon  Quintilien  (r). 

Jules  Scaliger  fe  fert  de  cette  raifon 
pour  excufer  la  dureté  de  fes  expreffions& 
le  peu  d'agrément  qui  paroît  dans  fes  ma- 
nières (2).  Car  il  témoigne  que  cet  Au- 
teur avoit  d'ailleurs  l'efprit  fort  heureux, 
k  jugement  grand  &folid€,  beaucoup  de 
diHgence  6i  d'application  ,  que  fes  vers 
même  ont  de  l'harmonie  &  de  la  cadence, 
&  qu'on  doit  le  mettre  au-delfus  des  mé- 
diocres ouvriers;  mais  qu'il  eft  dénué  de 
toutes  les  grâces  &  des  autres  beautés  que 
demande  la  Poélie. 

Barthius  dit  (3}  que  c'eft  un  Poète  de 
plus  grand  prix  que  ne  fe  l'imagine  le  vul- 
gaire 

T.  Qilintilian.  Inflitutîon.  OratOHar.  lib.  10.  «p* 
1.  &  ex^o  Voir  lib.  fingulari  de  Poët.  Latin.  &X0- 
aig.  Bibl.  V.ôc  N.  &c. 

2.  Jul.  Cacf.  Scaiig.  Hypeiciitic.  feu  lib.  6.  Poë* 
tic.  pag.  S3.P, 


Poètes    Latins.      317 

gairc  des  Critiques,  &  qu'il  n'y  a  que  les  valcrîus 
Pcdans  de  l'Ecole  &  les  Dcmi-Savans  qui  flaccus, 
ne  le  veulent  pas  lire  dans  la  penfée  qu'il 
efl  dur  &■  peu  agréable:  mais  que  dans  le 
fonds  c'eft  un  Pocte  qui  a  Tair  noble  &  é- 
Icvé.  Il  répète  encore  la  même  chofe  ail- 
leurs &  plus  d'une  fois,  il  prétend  même 
(4)  que  les  Savans  ne  lui  ont  pas  rendu 
affés  bonne  juftice,  lorfqu'ils  n'ont  point 
eu  ailés  d'égard  à  Ion  feu  Poctique,  à  fon 
érudition,  à  fa  gravité, &  à  fon  jugement. 
Il  ajoute  qu'il  a  fait  une  remarque  alTcs 
finguliére,  c'eft  que  Valerius  Flaccus  eft 
plus  heureux  lorfqu'il  marche  feul  &  fans 
guide ,  que  lorfqu'il  fuit  Apollonius  de  Rho- 
de:  qu'il  fc  fouticnt  fort  bien  quand  il  par- 
k  de  lui-même,  mais  qu'il  fe  relâche  ôc 
qu'il  fe  faît  traîner  quand  il  veut  fuivre  un 
autre  qui'  eft  entré  devant  lui  dan5  la  mê- 
me carrière. 

Le  même  Critique  foutient  en  d'autres 
«ndroits  (f)  que  depuis  Àugulk  il  ne  s'efl: 
pas  trouvé  un  Poète  qui  ait  eu  l'avantage 
fur  Valerius  Flaccus  pour  les  qualités  quc- 
nous  avons  déjà  marquées ,  &  pour  cet- 
te égalité  de  ftyle  qui  paroît  par  tout  fon 
Ouvrage;  que  fon  mérite  paroît  encore  a- 
vec  beaucoup  plus  d'éclat  lorfqu'on  l'ap- 
proche auprès  de  Lucain  &  de  Stace,  par- 
ce que  ce  Parallèle  fait  mieux  voir  com- 

biciî 

3.  Gafpft  Barthius  Advcrfatior.  lib.  T.  cap.  17, 
col.  38.  Idem  ibid.  lib»  18.  Advcrlaiior.  cap.  15, 
col.  92-J'  M. 

4.  Idem  Autor,Iib.  2tÇ.  Advcrf.  cap,  j,  col.  izjp, 
5-  Idem  Sazth.  lib.  s^.  Adveif,  cap.  11.  col.  z(5i« 


328      Poètes    Latins. 

Vaicrîus  ^^^^  '^^  ^^  éloigné  des  extrémités  où  ils 
fiaccus.  font  tombés ,  c'eft-  à-dire  de  l'enflure  de 
Tun  &  de  la  fécherefle  de  l'autre  :  mais  qu'en 
prenant  tout  ce  que  ces  trois  Poètes  ont  eu 
de  bon,  l'on  en  pourroit  compoferun  bon 
Poète,  qui  feroit  affés  accompli  pour  ne 
céder  la  préfcance  qu'à  Virgile. 

Cet  Auteur  pour  ne  point  fe  démentir 
dans  la  bonne  opinion  qu'il  a  tâché  denous 
donner  de  notre  Poète,  a  fait  naître  dans 
d'autres  de  fes  Ouvrages  diverfes  occaiîons 
de  faire  fes  éloges  &  de  nous  en  recom- 
mander la  ledure.    Tantôt  il  dit  que  nô- 
tre fiécle  revient  peu  à  peu  de  l'éloigne- 
ment  &  de  l'averfion  dans  laquelle  on  a- 
voit  été  jufqu'ici  à   l'égard  de  Valerius 
Flaccus ,  &  qu'on  commence  à  le  goûter 
&  à  lui  rendre  l'autorité  &  la  réputation 
qu'il  n'a  jamais  dû  perdra.    Tantôt  il  as- 
furc  (i)  qu'il  trouve  dans  cet  Auteur  qu'il 
appelle  fes  délices,  toute  la  Majeflé  Ro- 
maine &  le  caradére  de  l'efprit  &  de  la 
Langue  de  fa  Nation  au  naturel  ;  qu'il  ai- 
me beaucoup  mieux  le  lire,  que  ni  Ovide 
ni  Stace,  parce  que  le  premier  a  infe6l:é  fes 
matières  de  beaucoup  d'ordures  &  de  fale- 
tés,  &  que  le  fécond  les  a  comme  acca- 
blées &  obfcurcies  fous  ce  faux  air  de  gran- 
deur qu'il  a  affedé  de  leur  donner ,  au  lieu 
que  Flaccus  a  toujours  confervé  aux  fien- 
nes  la  dignité  qui  leur  eft  convenable. 
Enfin  Barthius  non  content  d'avoir  dit 

tant 

1.  Barth.  Cortimcnt.  in  Stat.  Papin.  Thcbâïd.  lib. 
a.  pag.  377.  &  pag.  315.  &  ex  co  G,  M.  Konigius 
Bibiioth.  V,  &  N.  pag,  306, 


Poètes    Latins.       329 

tant  de  bien  notre  Poète,  a  crû  pouvoir  valerîus 
décharger  Ton  chagrin  contre  ceux  des  plus  Fliiccus. 
célèbres  Critiques  qu'il  croit  en  avoir  dit 
du  mal.  il  trouve  mauvais  que  Jules  Sca- 
liger  ait  dit  que  les  Grâces  n'ont  point  eu  de 
part  à  l'Ouvrage  de  Flaccus ,  &il  foutient 
que  pour  n'avoir  point  affedé  de  les  em- 
ployer, il  n'a  point  lailTé  d'admettre  celles 
de  Rome  &  de  la  Grèce  qui  fe  font  pré- 
fentées  d'elles-mêmes  &  fans  oftentaiion. 
Mais  il  femble  qu'il  ait  voulu  rafiner  trop 
fort  fur  la  penfée  de  Quintilien  ,  lorfqu'il 
prétend  (2)  que  c'efl  par  un  effet  de  fa  ma- 
lignité ordinaire  contre  les  Poètes ,  qu'il  a 
dit  que  la  poftérîté  avoit  perdu  beaucoup  à 
la  mort  de  Valcrius  Flaccus  ;  comme  s'il 
avoit  voulu  dire  que  ce  qu'il  a  fait  eft  très- 
peu  de  chofe  en  comparaifon  de  ce  qu'il 
auroit  pu  faire ,  s'il  eût  vécu  plus  long- 
tems ,  &  s'il  eût  eu  le  loifir  de  prendre  de 
meilleurs  confeils. 

Voilà  quels  font  les  fentîmens  d*un Cri- 
tique qui  avoit  une  le6lure  prodigieufe, 
mais  qui  ne  lifoit  guéres  de  Livres  fans  fe 
laifTer  faifir  à  la  fin  de  quelque  tendrefle  & 
de  quelque  mouvement  d'aifedion  pour 
leurs  Auteurs. 

Les  autres  ont  témoigné  plus  de  liberté 
dans  la  cenfure  qu'ils  ont  faite  de  ce  Poè- 
me. Le  Père  Briet  dit  (3)  que  le  ftyle  en 
eft  inégal ,  qu'il  y  a  des  endroits  trop  ram- 
pans  &  d'autres  trop  guindés  ,  ce  qpi  ne 


s'ac- 


Z.  Idem  in  Advctfii.  col,  2654.   ut  fuprà  lib.  jtf. 
C.  II.  &c. 
3.  Philip.  Briet.  lib,  2.  de  P©ëc.  Latin,  pag.  J9. 


33©       Poètes    Latins. 

Valerius     s'accorde  pas  avec  cette  égalité  qne  Bar- 
Fliccus.      thius  lui  attribuûit.    Ce  Père  ajoute  néan- 
moins que  Flaccus  eft  meilleur  &  plus  pur 
que  Stace. 

Le  P.  Rapin  écrit  dans  la  première  par- 
tie de  fes  Réflexions  (i),  qu'il  cft  tombé 
dans  le  flyle  froid  &  languillant ,  pour  a- 
voir  aîiedé  de  la  grandeur  d'exprelfion 
fans  avoir  de  génie  :  &  dans  la  féconde  il 
prétend  que  la  fable,  l'ordonnance,  l'éxe- 
cution &  tout  le  reile  de  fon  Poème  y  ell 
d'un  fort  petit  caradére.  En  effet  il  pa- 
roît  aiTés  qu'il  neconnoifToît  pas  les  régies 
de  l'Art.  Car  ayant  pris  un  fuj et  tout-à- 
fait  héroïque,  fabuleui,  &  très -propre 
pour  le  Poëme  Epique,  il  ne  lui  a  point 
donné  d'Adfion  principale,  comme  l'a  re- 
marqué Vofllus  (z)  ,  mais  on  y  trouve 
prefque  autant  d'aàions  qu'il  y  raconte  de 
faits. 

*  C.  Vaîerii  Flacci  ArgoKautîca ,  cum  no^ 
îiî  Lamp,  Alardi  in -8.  Lïpf.  1630.  ■  ■« 
Cum    Comment.   'Joan.  Bapi.  PU  in-  foL 

1519.  ifZî.  Eadem  recenfita per  Be- 

nediéium  m» 8.  Florent,  ifij.  Eadem 

fer  Nic,  Heinfium  in-ii.  Amji,  1680. 


ju- 

T.  René  Rapin  ,  Reflcx.  30.  fur  H  Poët.  part.  r. 
pag.  79.  cdir.  in- 12.  &  2.  Partie  Rcflex,  xv. 

2.  Ger.  Joan.  Vofl,  Inftitut.  Poëtic.  lib.  i.  cap.  7. 
pag.  62. 

3.  Nicol.   Toppi  Biblioihec.  Napolitan.  pag.  i6«. 

voce 


Poètes    Latins.      331 

J    U    V    E    N    A    L, 

Poète  Satirique,  natif  A^Aquin  au  Royau- 
me de  Naples ,  dans  la  Terre  de  La- 
bour, {Deeius  yun'iHS  'Juvenalïs)  vivant 
fous  Velpaften  &  fes  Enfans,  quoique 
le  vSieur  î'oppi  ait  écrit  depuis  peu  qu'il 
avoir  paru  avant  la  venue  de  Jcfus- 
Chrift  (3). 

1164.  IVTOus  avons  de  Juvenal  feize  juvcnal, 

i\l  Satires  qu'on  a  diflribuées  en 
cinq  Livres,  &  qui  ont  un  caractère  dÎD- 
férent  de  celui  des  autres  Satiriques  qui  Ta- 
voient  précédé.  Car  il  a  quelque  chofe 
de  plus  aigre  qu'Horace,  de  plus  doux  que 
Lucilius,  &  de  plus  ouvert  que  Peirfc  (4). 
Tout  le  monde  convient  qu'il  a  palTé  de 
fort  loin  les  deux  derniers  :  mais  le  pre- 
mier a  eu  de  tems  en  tems  despartifans  as- 
fés  zélés  &  alFés  forts  pour  le  maintenir 
dans  fon  rang  de  préféance  contre  les  ef- 
forts de  ceux  qui  l'ont  voulu  donner  à  Jur 
vénal ,  ou  même  le  mettre  de  pair  avec  lui. 
11  femble  que  Jules  Scaliger  fe  foit  misa 
la  tête  de  ceux-ci.  Du  moins  paroît-il  a- 
voir  été  un  des  premiers  de  ceux  qui  ont 
prétendu  en  faire  le  Prince  des  Satiriques 
Latins  (^}.    Il  dit  que  fes  Vers  valent 

beau- 

TOCe  Giunit. 

4.  01.   Borrich.  Diflcrtat.   de  Pocr.   Larin.  pag. 
64.  6$. 

5.  Jul.  Cif.  Scalig.  lib.  6.  Pocticcs  fivc  Hypcrai- 
tic.  pag.  83J. 


33^      Poètes    Latins. 

Juvcual,  beaucoup  mieux  que  ceux  d'Horace,  que 
fes  penfces  font  plus  nobles  &  plus  éle- 
vées ,  que  fes  feiitences  ont  plus  de  fel , 
plus  de  vigueur,  plus  de  gravité;  que  fa 
phrafe  e(i  plus  ouverte  &  plus  dégagée,  & 
qu'il  ne  lui  cède  en  d'autre  chofe  que  pour 
la  pureté  du  flyle. 

Ailleurs  il  fait  des  invedives  contre  ceux 
qui  ont  voulu  faire  palfer  Juvenal  pour  un 
Déclamateur  plutôt  que  pour  un  vrai  Sa* 
tîrique  (i).  Il  foutient  qu'on  lui  trouve 
plus  de  ce  bon  goût  &  de  cette  Urhcwtté 
Romaine  qui  fait  tout  l'agrément  de  la  Sa- 
tire, que  dans  tout  ce  qu'a  fait  Horace  en 
ce  genre  d'écrire.  Il  ajoute  qu'Horace  lui 
efl  encore  fort  mférieur  pour  la  variété  des 
matières,  la  fécondité  de  l'invention,  la 
multitude  des  fentences ,  la  force  &  la  fé- 
vérité  des  réprimandes,  les  rencontres  in- 
génieufes  ,  la  fubtiliré  &  même  la  belle 
plaifanterie.  Enfin  il  a  crû  tout  dire,  en 
difant  hardiment  que  Juvenal  efl  fupérieur 
à  Horace  avec  une  dillance  aufll  éloignée 
&  aufll  fenfîble  qu'efl  celle  qu'on  a  tou- 
jours remarquée  entre  Horace  &  Luci* 
]ius  (2). 

Il  femble  que  Floridus  Sabinus  qui  vî- 
voit  en  même  tems  queScaliger,  ait  été 
dans  les  mêmes  fentimens  lorfqu'il  juge 
(3)  que  c'efl  Juvenal  qui  a  mis  la  dernière 
main  à  la  Satire  Latine,  non  pas  feule- 
ment pour  être  venu  le  dernier ,  mais  pour 

avoir 

1.  Jul.  Caef.  Seal.  Poct.  lib.  6.  pag.  ?<7.  %6%. 

2.  Idem  ia  eodcn^  Opère  pag.  872.  imo  &  ptg. 
179. 


I 


Poètes    Latins.      333 

avoir  éxadement  remarqué  ce  qui  pouvoit  juvcnai 
lui  manquer  après  les  foins  de  ceux  qui 
Tavoient  précédé.     Il  n'a  pu  s'empccher 
même   de  maltraiter  Marulle  pour  avoir 
voulu  faire  cet  honneur  à  Horace. 

Enfin  il  s'e(l  trouvé  d'autres  Critiques, 
qui  au  rapport  de  Farnabe  (4^),  ont  eftimé 
Juvenal  préférable  à  Horace  ,  en  ce  que 
celui-ci ,  félon  leur  avis,  n'a  été  qu'un 
Satirique  fuperficicl  qui  s'eft  contente  de 
rire  du  bout  des  lèvres,  &  de  montrer 
fes  dents  blanches  :  au  lieu  que  Juvenal 
mord  fa  proie  jufqu'aux  os,  &  la  quitte  ra- 
rement fans  l'étrangler  &  fans  lui  donner 
la  mort;  en  quoi  ces  Meffieurs  femblent 
avoir  voulu  mettre  le  but  de  la  batire, 
peut-être  parce  qu'ils  n'ont  pu  le  reculer 
plus  loin. 

On  a  vu  un  tiers  parti  de  Critiques 
formé  au  fujet  de  ces  deux  Satiriques; 
mais  il  s'efl  rendu  moins  puiflant,  &  il  a 
fait  moins  de  bruit  que  les  deux  autres. 
Ceux  qui  s'y  font  rangés  ont  crû  que  com- 
me c'étoient  deux  Génie'»  d'un  caradére 
fort  différent  ,  &  qui  ont  eu  un  mérite 
tout-à-fait  diflingué  ,  on  pourroit  les  laif^ 
fer  fans  comparaifon,  &  les  prifer  indé- 
pendernment  &  fans  rapport  de  l'un  à  l'au- 
tre; qu'on  peut  dire  que  Juvenal  régne 
dans  le  genre  férieux  fans  fonger  même 
qu'Horace  régne  dans  le  plaifant  &  l'a- 
gréable ,  quoique  l'un  ne  foit  pas  moins 

vé- 

3.  Franc.  Florid,  Sabinns  lib.  |.  Lc£lion.  fubciiî- 
▼at.  cap,  r. 
<)«  Ikom^  Faxiabt  Iisfat,  «d  Juvwtl.  cditioa^ 


334     Poètes    Latins. 

Ju7cnal.  véritable  que  Tauire  (i)  ;  que  l'un  peut 
pafTer  pour  TÀuteur  de  la  Satire  Tragi- 
que ,  6l  l'autre  pour  celui  de  la  Comi- 
que (2) ,  fans  être  obligé  de  les  com- 
mettre, 

La  neutralité  de  ces  derniers  Critiques 
n'a    rien    changé  au   rang  de   nos   deux 
Poètes ,  &  l'on  peut  dire  même  que  tout 
le  crédit   &    la  tadion  des   premiers  ne 
s'efl  terminée  qu'à  de  vains  efforts.    Car 
enfin  nous  pouvons  affurer  après  Mr.  Go- 
deau  (3)  que  les  plus  habiles  &  les  plus  ju- 
dicieux Critiques  elliment  Juvenal  fort  in- 
férieur à  Horace  pour  le  vrai  curactére  de 
la  Satire;  mais  il  ne  laiffe  pas, félon  Vof- 
fius  (4),  d'être  immédiatement  celui  d'a- 
près lui,    quoiqu'à  la  Veriification   près, 
on  puilTe  dire  que  ni  lui  ni  Perfe  n'ap- 
prochent  pas   encore   f\   près  de  la  ju(lc 
Satire    que  quelques  Auteurs  qui  en  ont 
fait    en   Profe ,   comme    Seneque  parmi 
les   Latins   dans   fon  jeu  fur  l'Empereur 
Claudius  ,    &    parmi    les    Grecs   Lucien 
dans  fes  Dialogues,  &  l'Empereur  Juliea 
dans   fes   Ce  fars.     La   raifon  eit  ,    parce 
que    ces  galans   hommes   connoiiTant   le 
foible   de   ceux    à   qui    ils   en  vouloicnt, 
ont   mieux   aimé   fe  jouer  que  de  blelfer 
férieufement,  &  railler  agréablement  que 
de  gronder  d'aa  ton  impérieux  (5*). 

Mais 

T.  Ger.  Joan.  VofiC  Inftitur.  Poëticar.  lib.  3.  pag, 
41.  cap.  9.  parag.  9. 

z.  Jofeph  Scalig.  in  primis  Scaligcranis  pag.  95. 

3.  Ant.  Godcauj  Hift,  de  i'^glik  à  Iji  âiidu  prc- 
micz  Û€cle. 


d 


Poètes     Latins.     33^ 
Mais  comme   il   ne   s'agit  ici  que  des  juvcnal. 
Poctcs ,   on   doit   coniioître  qu'il  n'y  en 
a   pas   eu  après   Horace  qui  ait  été  doué 
de   plus   d'excellentes  qualités  que  Juvc- 
nal  pour  la  Satire.   Il  avoit  palîc  la  plus 
belle   partie  de  la   vie  dans  les  exercices 
ScholalHques ,  où  il  s\'toit  acquis  la  ré- 
putation  de   Déclamateur  vchcmenr  ,  & 
quoique    cela   ne  tut  point  capable  de  le 
rendre  meilleur   Poète,   on   ne  doit   pas 
douter  que  les  habitudes  qu'il  y  contrac- 
ta  n'ayent   beaucoup  contribue'  à  le  ren- 
dre  grand   Cenleur   du   vice  ,   &  n'ayent 
fortifié   ion   humeur   chagrine.     C'eil    ce 
que  Mr.  Defprcaux   nous   a  voulu  mar- 
quer  en  tailant  le  jugement  do  les  Sati- 
res en  ces  termes  (6)  : 

Juvenal  élevé  dans  les  cris  de  l'Ecole 

Poufla  jufqu'à  l'excès  fa  mordante  hyperbole* 

Ses  Ouvrages, tout  pleins  d'afireulcs  vérités, 

Eiincellcnt    pourtant    de    fublimes    beau- 
tés  

Ses  écrits  pleins  de  feu  par  tout  brillent  aux 
yeux. 

Mais  cet  Auteur  avec  tout  fon  férieux 
H  eu  bien  de  la  peine  à  réulîir  dans  le  dcf- 
fein  qu'il  avoit  de  reprendre  le  vice.  Car 

com- 


4.  Voff.  lib.  3,  Inft.  rocticir.  ut  fupià,  fcd  païag, 
17.  P*g-  45.  ^ 

5.  Idem  ibid.  parag.  9.  chap.  9.  p.  4X.  îcc 

6.  Dcrptciux»Ch;iac,  î,  de  l'Ait  Poétique, r.  157. 


33^  Poètes  Latins. 
Juvcnal,  comme  le  témoigne  le  P.  Rapin  (i),  ces 
violentes  manières  de  Déclamation  qu'il 
met  eii  ufage  par  tout  ont  rarement  l'elfet 
qu'on  en  devroit  attendre.  Juvenal  ne  per- 
fuade  prefque  rien ,  parce  qu'il  eft  prefque 
toujours  en  colère  &  qu'il  ne  parle  point 
de  fang  froid  (2).  Ileftvrai,  dit  ce  Père, 
qu'il  y  a  des  lieux  communs  de  Morale 
qui  font  capables  d'éblouVr  les  petits  efprits. 
Mais  avec  toutes  ces  exprelîions  fortes, 
ces  termes  énergiques  <Sc  ces.  grands  traits 
d'éloquence,  il  fait  peu  d'impreflion ,  par- 
ce qu'il  n'a  rien  de  délicat  ni  rien  de  natu- 
rel. Ce  n'eft  pas  un  véritable  zèle  qui 
le  fait  parler  contre  les  déréglemensdefon 
ilécle,  c'eft  un  efprît  de  vanité  &  d'often* 
tation  qui  l'anime,  c'eft  un  déiir  de  décla- 
mer qui  le  porte  à  vouloir  faire  des  leçons 
à  tout  le  monde. 

D'autres  reconnoiflent  pourtant  ^WSs  de 
droiture  &  de  fincérité  dans  fcs  intentions 
&  dans  fes  démarches.  Il  a  fait  voir  même 
par  fon  exemple,  félon  le  Père  Thomaf- 
fîn  (3),  qu'un  Poëte  Satirique  ne  doit  être 
animé  que  de  Paverfion  du  vice  :  &  Far- 
nabe  témoigne  (4)  que  plufieurs  préfé- 
roient  fes  Satires  à  toute  la  Morale  d'A- 
riflote ,  &  ne  faifoient  pas  difficulté  de  les 

égaler 

t.  René  Rapîn ,  Reflex.  pajtticul.  fur  la  Poétique, 
féconde  partie  Rcflex.  xxvtii. 

2.  Sens  frais. 

3.  Louïs  Thomalîin,  livre  t.  chap.  14.  nomb.  7, 
pag.  192-  àc  la  manière  d'étudier  &  d*enfcignei 
Chréticnnemeni  les  Poètes. 

4.  Farnab.  Epift,  ad  y^illlx  Jlincipcm  MiCÀtg 
cdit,  Juvçûal, 


Poètes    LatiïîS.    337 

égaler  à  celle  de  Senequc  &  d'Epidete.        Tj^ycmi, 

Mais  il  s'eft  trouvé  des  x^uceurs  Païens  ^ 
même  qui  ont  blâme  au  moins  l'indifcré- 
tion  avec  laquelle  il  s'eft  acquitté  de  Ton 
miniflére  ,  comme  Ta  remarqué  Voffius 
C5"),  parce  qu'au  lieu  d'infpirer  de  l'aver- 
lîon  pour  le  defordre  &  le  crime  contre 
lequel  il  veut  déclamer  ,   il  fcmble  qu'il 
enfeigne  plutôt   à  le  commettre  ,  outre 
qu'il  n'étoit  pas  lui-même  afles  réglé  dans 
fès  mœurs  &  fa  conduite  pour  fe  mêler  de 
vouloir  tirer  les   autres  du  dérèglement, 
C'efl  pourquoi  Ammien  Marcellin  trou- 
voît  fort  mauvais  (6)  que  de  fon  tems  le 
Peuple  fît  fes  délices  de  ce  Poète,  &  qu'on 
en  préférât  la  ledure  à  celle  des  plus  ex- 
cellens  Auteurs. 

En  effet  il  y  a  des  Satires  quinedevoicnt 
jamais  paroître  au  jour  pour  les  obfcénités 
qu'elles  renferment.  Le  P.  Briet  en  comp- 
te deux  de  cette  nature  (7)  ;  Mr.  Roileau 
en  compte  trois,  favoir,  la  III.  la  VI.  & 
la  IX.  (8)  dont  la  compagnie  a  toujours 
fait  beaucoup  de  deshonneur  aux  autres, 
parmi  lefquelles  il  fe  trouve  auffi  di  ver  fes 
chofes  à  retrancher  pour  les  remettre  daus 
les  termes  de  l'honnêteté. 
Plulîeurs  ont  trouvé  la  X.  trop  Philo- 

fophc 

$.  Ger.  Joan.  VofT.  lib.  3.  Inftitution,  Toët.  c;ip. 
20.  parag.  4.  pag.  107. 

6.  Ammian.  Marcellin.  Hiftor.  lib.  x.xviii.  pag, 
371.  37Z.  édition.  Heiu.  Val. 

7.  Philip.  Brict.  de  Poét.  Latin,  lib.  2,  pag.  40, 
prxiïx.  Acutè  did. 

8.  Rotteau  ,   Sentim.   fur  quelques  liviis  qu'il  a 
lus  pag.  54.  MS. 

romdlLParîJL  P 


33^     Poètes    Latins. 

îttvenaj.  fophe  pour  une  Satire  (i)  &  ils  ont  crû 
.remarquer  même  dans  la  plupart  des  autres 
une  aée6lâtion  trop  grande  d'érudition  & 
de  capacité.,  qui  elt  proprement  le  vice  des 
anciens  Sophiites  &  des  Rhéteurs. 

Nonobftant  l'aigreur  de  Tes  Satires  il  ne 
laifToit  pas  ii'être  tort  bien  venu  à  Rome, 
mais  ayant  picqué  trop  vivement  un  fa- 
meux Tabarin  nommé   Paris,  ;il  tomba 
dans  la  difgrace  du  Prince,  qui  fous  pré- 
texte de  le  récompenfer,   l'envoya  en  E- 
gypte  en  qualité  de  Brigadier  ou  de  Tribun 
d'une  Cohorte ,  quoiqu'il  tut  déjà  fur  le 
déclin  de  fon  âge  &  décrépite  même  (2). 
Et  comme  il  n'avoit  pas  encore  perdu  fon 
feu  ,  il  fit  dans  cet  honorable  bannilTement 
la  Xy.  Satire  contre  les  fuperftitions  de 
l'Egypte ,  mais ,  comme  dit  Mr.  Borrichius, 
c'étoit  vouloir  nettoyer  de  la  boue  avec  de 
la  boue. 

*  Z).  y.  'Juvenalis  Satyrarum  liù,  w.  cum 
Ccmment,  EUhardi  Lubinti  in-40.  Hano- 
^Ice  iôog.  —  Cum  vcterts  Scholiaftce  ^ 
yoannis  Britannici  Comme  a  t.  aliorumque 
jn-4'^.  Partf,  1613.  —  CumvariorHmCom- 
Tnentariis  m'^°.  1664.  L^tgd.'Bat, 
Voycs  encore  art.  115-8. 


M  A  R- 

1.  Borrich.  DilTcrtatlon.    fccundd  de  Poct.    Lat. 
Bum.  40.  pag-  64»  ^î'  *'^  li'Pfi. 

2,  %.  Dtcrepite  pour  dtcrtj>it. 


Poètes    Latins.     33^ 
MARTIAL. 

(C.  Valerïus  Marùalis)  Efpagiiol  ,  natif 
de  BilbîUs  au  Pays  des  Ceitibcres ,  dont 
les  reftcs  s'appelkiK  aujourd'hui  Bau- 
boU  ,  pr-ès  d-e  Calatayud  au  Royaume 
d'Arragon,  vivant  fous  TEiripereurDo- 
mitien,  mort  âge  de  75".  ans, fous  Tra^ 
jan  dans  fon  pays  &  dans  une  extrême 
pauvreté. 

Ii6f  î  L  nous  eft  reftc  de  lui  quatorze  *f.,.,:,. . 

JL  Livres  d  hpigrammes  qui  iont  en- 
tre les  mains  de  tout  le  monde,  &  un  Li- 
vre des  Spe<5lacles  qu'on  y  joint  ordinaire- 
ment. On  a  coutume  de  divifcr  fes  Ouvra- 
ges en  trois  parties  fort  inégales.  La  plus 
petite  comprend  ce  qu'il  y  a  de  bon  :  celle 
d'après,  ce  qu'il  y  a  de  médiocre;  (Se  li 
plus  grande  ce  qu'il  y  a  de  mauvais.  C'cii 
le  jugement  qu'il  femble  avoir  voulu  faire 
lui-même  de  fes  vers,  &  Scalîger  le  fils 
témoigne  (3),  qu'il  n'a  jamais  mieux  ren- 
contré que  lorsqu'il  a  dit  de  fes  propres 
Ouvrages  (4): 

Snnt  hona ,  fnnt  quisdar/t  mediocria ,  y}/»^ 
mala  plura. 

Le  jeune  Pline  nous  apprend  quec'e'toit 
un  homme  plein  d'cfprit ,  qui  avoir  beau- 
coup 

j.  Joleph  Seal.  în  primis  Scaligcrânis. 
4.  Maniai,  £pigr,  17.  libri  i.  ad  Avitum,     --'S^K 
P   2 


340      Poètes    Latins. 

Mâttial,  coup  de  fubtilité  &  de  vivacité ,  qui  favoît 
répandre  avec  abondance  le  fel  &  le  fiel 
dans  tous  Tes  écrits  ;  mais  qui  faifoit  pour- 
tant paroître  beaucoup  de  candeur  dans  Ta- 
fage  qu'il  en  taifoit  (i).  Néanmoins  on 
peut  dire  que  Tinterêt  &  la  tendrefTe  ont 
eu  beaucoup  de  part  à  ce  jugement  de  Pli- 
ne. 11  avoit  de  la  tendrefTe  pour  un  ami 
dont  il  n'auroit  pas  voulu  publier  les  dé- 
fauts en  écrivant  à  un  autre,  &  il  avoit  in- 
térêt de  nous  donner  bonne  opinion  de  l'es- 
prit &  de  la  iincérité  de  Martial  en  parlant 
des  vers  que  ce  Pocte  avoit  faits  à  fa 
louange. 

Pline  n'eft  pas  le  feul  qui  fefoit  conten- 
té de  nous  faire  voir  le  bel  endroit  de 
Martial ,  &  comme  on  en  peut  voir  des 
recueils  à  la  tcte  ou  à  la  fin  des  éditions 
de  cet  Auteur  (2)  »  je  m.e  contenterai  de 
rapporter  ici  une  partie  de  ce  qui  peut  avoir 
été  dit  à  fon  fujet  avec  le  plus  d'équité. 

Le  P.  Briet  qui  l'appelle  après  plufieurs 
autres  un  Poète  très-ingénieux  ,  prétend 
qu'il  a  donné  l'idée  &  le  modèle  de  la  vé- 
ritable manière  de  faire  les  plus  belles  Epi- 
grammes  (3).  Mais  je  crois  qu'il  faut  ex- 
pliquer cette  vérité  du  P.  Briet  par  une  au- 
tre qui  eft  du  P.  Rapii\,  &  qu'il  faut  dire 
que  Martial  étant  conlidérc   comme  le 

prin- 

T.  Plinius  junior  Epiflol.  ultima  libri  i.  ad  Corn. 
PxiXcum. 

2.  Xditores  varii  Martialis,  puta  Scrivcrius,  Far- 
pabius,  ôc  aiii  in  prolegom. 

3.  rhilipp,  Briet.  lib.  2,  de  Poctis  cap.  40.  prsfix, 

Acuic  di^is  Poctar, 

4.  Rcn^ 


Poètes    Latin  î.       341 

principal  Auteur  des  pointes  des  mots,  il  Maiu% 
peur  fervir  de  modèle  à  ceux  qui  s'appli- 
quent à  ce  genre  d'Kpigrammes  dont  la 
beauté  confiile  dans  la  pointe  &  le  jeu  des 
mots  C^f). 

Car  nous   avons  vu    ailleurs  qu'il  ne 
pouvoit  avoir   cet  avantage   fur  Catulle 
pour   l'ir'pii^ramine  ,  dont   la  force  &  la 
béante  eit  toute  renfermée  dans  la  penfce. 
L'.Tmour  des  fubtiiités  &  l'atteâiation  des 
pointes  dans  le  difcours  avoit  pris  dès  le 
tems  de  Tibère  ou  de  Caligula  la  place  da 
bon  goût  des  chofes  qui  regnoit  avec  Au- 
gulle.     Cette  corruption  s'introdui'fît  d'a- 
bord dans  les  Ecoles  de  Droit  &  de  Rhé- 
torique,  c'efl- à-dire  dans  l'efprit  des  Dé- 
clamateurs  ou  Rhéteurs  &  de  ces  fortes 
d'Avocats  fans  caufes  qu'on  appel loitScho- 
■laftiques:   Enfuite  elle  gagna  les  Philofo- 
phes    &   les  Poètes-mêmes  ,  furtout  du 
tems  de  Néron.    Mais  fous  le  règne  de 
Domitieii  comme  pcrfonne  ne  s'en  garan- 
tit mieux  que  Juvenal  (5-),  perfonne  auffi 
n'en  fut  plus  infedé  que  Martial,  qui  par 
ce  défaut  donna  encore  à  Catulle  un  nou- 
vel avantage  fur  lui  (6). 

Cela  n'a  pas  empêché  néanmoins  quel- 
ques Critiques  de  lui  trouver  de  la  pureté 
de  ftyle   &  d'autres  bonnes  qualités  qui 

font 

4-  Ren.  Rapin,  Réflex.  particul.  fur  la  Poétique, 
Reflcx.  XXXI.  féconde  partie. 

5.  f .  Ou  feroit  pourtant  des  Epigrammcs  de  Ja 
plupart  de  fes  penfées. 

6.  Gcr.  Joan.  Voflîus  Inftitution.  Poëticaruiu  Ub, 
.j.pag.  107.  6c  108, 

P3 


34*      Poètes    Latins. 

>Miîiàl»  font  rornement  du  difcours.  Erafme  dît 
(î), qu'il  approche  allés  de  la  facilité  d'O- 
vide ,  &  qu'il  peut  avoir  même  quelque 
part  à  la  gloire  de  Cîceron  dont  î\  femble 
avoir  voulu  prendre  quelque  air. 

Jules  Scaliger  qui  ne  connoiffoit  quel-- 
quefois  pas  de  milieu  entre  le  divin  &  le 
diabolique,  dit  qu'il  y  a  dans  Martial  plu- 
ileurs  Epigrammes  du  premier  genre, dont 
le  ilylc  ek  fort  pur,   fort  éxa61:>  &  fort 
propre  pour  la  variété  &  l'abondance  de 
fes  matières  ;  il  prétend  même  que  fes  vers, 
font  pleins  <?c  bien  remplis,  fans  chevilles, 
qu'ils  font  naturels,   &  fou  tenus  d'une 
belle  cadence,  en  un  mot  qu'ils  font  très-- 
bons.  Je  ne  prétcns  pas  propofer  le  fentî- 
ment  de  ce  Critique,  comme  s'il  étoit 
fort  judicieux  en  toutes  fes  parties,  mais, 
pour  faire  voir  feulement  qu'il  faut  quC; 
parmi    quelques    lx)nues    qualités  qui  fe 
trouvent  dans  les  Oeuvres  de  Martial,  il  y 
en   ait  aufll   de  bien  mauvaifes,  puifque 
Scaliger  ayant  pris   le.  parti  de  le  louer 
cxceffivement,  n'a  pu  s'empêcher  de  nous. 
dire  ,  que   loin  de  vouloir  examiner  fes 
Epigrammes  malhonnêtes  ou  lafcives,  il 
ne   les   avoit  pas  même  jugé,  dignes  d'ê- 
tre lues  (2). 

Jean  Jovien  Pontanus  avoit  dit  cinquan- 
te ans  auparavant  (3)  que  Martial  ctoit  le 

plus 

T.  DcHd.  Erafra.  in  Dialog.  Ciccronian.  pag.  147.-. 
Edit.  HoJland. 

2.  Jul    C.  Scaliger,  Hypcrciitic.  feu  lib.  6/ Poëti-. 
ces  cap.  6.  pag.  83s. 

3,  Joan,  Jovian.  Poatan.  lib,  3.  de  Scrmonc  cap.. 


Poètes    Latins.       343 

plus  adroit  &  le  plus  artificieux  homme  du  Hfniia, 
monde  pour  l'Epif^ramme;  mais  qu'il  cha- 
touille moins  qu'il  ne  bielle- dans  fes  jeux 
6c  fcs  railleries ,  quoiqu'on  puifTe  trouver 
quelque  plailir  à  voir  mordre  les    autres 
lorfqu'ou  penfe  n'y  être  pas  engagé  d'in- 
térêt. Il  ajoute  que  cet  Auteur  cache  fou- 
vent  dans  les  mots  des  traits  piquants  qui 
percent   infcnliblement  ;    que    non  feule- 
ment il  a  beaucoup  de  méchantes  plaifan- 
teries  qui  n'ont  rien  que  de  fade  &  de  fort 
défigréablc,  mais  qu'on  y  remarque  enco- 
re des  bouffonneries  plates,  des  obfcéni- 
tés  grofllcres  &  brutales,  de  l'aigreur,  de 
l'entiure,  &  des  termes  ampoullés,  ce  qui 
étoit,  dit-îl,  le  caradére  des  Efpagnols  de 
ce  tems-là. 

Mais  il  ne  laifle  pas  de  rcconnoître 
d'ailleurs  que  Martial  a  quelquefois  de  la 
délicatelfe ,  <^  quelque  chofe  d'alfés  fin; 
qu'il  y  a  de  la  fubtilité  dans  fés  inventions; 
en  un  mot  qu'il  y  a  un  affés' grand  nom- 
bre d'Epi^çrammes  dont  le  Leéleur  doit  ê- 
tre  fatisfait. 

Le  Giraldi  paroît  avoir  été  dans  les 
mêmes  fent-mens  ,  &  il  ajoute  (4)  que 
bien  que  lesSavans  de  fontems  ne  priflent 
pas  grand  goût  aux  Ouvrages  de  Martial, 
on  pourroit  néanmoins  fa're  choix  d'un 
petit  nombre  de  fes  Epigrammes  qui  mé- 
ritent 

jî.  &  ap.  Fàrnah. 

4.  Ger.  Joh.  VofiT.   Inftitut.  Poëticâr.  lib,  j.  cap, 
20.  parag.  4.  pag.  loS.  107. 

Lil.  Gregor.  Gyraldus  de  Hiftor.  PocticJU.DialOfi» - 
Xr  pag,  io>8.  édition  iu-t. 

P  4 


544      Poètes    Latins. 
Hartiâi.'     jffent  d'être  confervées  ,  &  lallFer  périr  îc 
reite  fans  fcrupule. 

Les  raifons  d'un  dégoût  U  univcrfel  ne 
font  inconnues  à  perîbnne.  Jl  n'y  en  a 
pas  de  plus  importante  que  celle  de  fou 
impureté  dont  il  fouille  la  meilleure  partie 
de  fes  Ouvrages,  &  particulièrement  la  fin 
de  fon  troiliéme  Livre,  le  feptiéme  &  l'on- 
zième. Entre  les  autres  raifons  de  ce  dé- 
goût, les  uns  mettent  fon  humeur  trop 
mordante  (i)  ,  les  autres  fa  flaterie  hon* 
teufe  à  l'égard  de  Domitien  ,  jointe  à  la 
manière  indigne  dont  il  le  traita  après  fa 
mort  (2)  :  quelques-uns  fa  bouffonnerie, 
ce  qui  ne  plaifoit  pourtant  pas  à  Turnebe 
qui  ne  trouvoit  dans  cette  méchante  quali- 
té rien  que  de  plaifant  &  d'agréable  (3): 
quelques-autres  un  air  de  malignité  6c 
d'impudence  répandu  prefque  par  tous  fes 
vers  (4).  Et  fi  on  en  vouloit  croire  le  Vo' 
laterran  (5"),  on  y  ajouteroit  aulfi  la  mau- 
vaife  Latinité  &  l'impureté  de  fon  ftyle; 

fan-s 

T.  Paul,  Jov.  in  clogio  Marc.  Anton.  Cafanovac 
pag.  76.  M. 

2.  Roû.  Sentim.  fur  quelques  Livres  qu'il  a  lus 
MS. 

3.  Hadr.  Turneb.  Adverfaiior.  lib,  13.  cap.  19. 
Item  lib.  8,  cap.  4. 

4.  Nicole ,  Traité  de  l'Educ.  du  Prince  ,  partie 
féconde  parag.  38.  page  6j. 

5.  Raph,  Volaterran.  Commentarior.  Urbanor. 
lib.  17.  £c  ap.  Thom.  Farn.  pag.  455.  ad  cale,  edit, 
Mart. 

6.  René  Rapin  ,  Comparaifon  d'Homerc  2c  de 
Virgile  chap.  10.  page  î9   edit.  in-4. 

7.  Juft.  Lipf  Epilloiicw,  quaftlon.  lib.  i.  Epift.  ^ 
5-  ad  Jaa.  Leiuuc, 

g.  Ka.- 


Poètes    Latins."     345* 

ftns"  parler  du  méchant  goût  de  fes  peu-  Man'ur 
^ccs,  du  faux  brillant  de  fes  Epithétes  &de 
fa  fliuflc  dclîcatefTe  (6). 

Tant  de  défauts  ont  faîtdouter  àLîpfe  (i 
Martial  avo:t  mér"té  la  peine  qu'on  a  pri- 
fc  de  le  commenter,  &  même  de  le  lire 
(7).  Mais  comme  il  a  jugé  qu'il  n'étort 
plus  poffibîc  de  le  fiipprimer,  il  a  crû 
comme  plulleurs  autres  Critiques  aulîî 
fages  que  lui  (8)  qu'il  ne  relioit  plus 
d'autres  moyens  pour  t.lcher  de  fauver 
l'innocence  de  la  jeunefle  ,  &  de  pour* 
voir  à  la  pudeer  des  honnêtes  gens  , 
que  de  couper  cet  infâme  Poète  &  de  lui 
ôtcr  fes  ordures,  ou  de  faire  un  petit  re- 
cueil de  celles  de  fes  Epigrammes  qui  fe 
fentent  le  moins  des  défauts  de  leur  Au- 
teur. 

Il  femble  que  le  Public  ait  eu  Tune  & 
l'autre  fatisfaÔion.  Car  la  première  voie  a 
été  tentée  par  les  Jefuites  (9),&  particuliè- 
rement par  les  PP.  xindré  Frulius,  Edmond 

Au- 

t.  Hadrianus  Jiinius  Horn.  Epiftol.  prsfîx.  edif," 
Martial.  Vidend.  ôc  ea  quae  coUegic  Petius  Scrive- 
lius  in  fua  edit. 

p.  ç.  Le  P,  Vavafleur,  cîiapirre  20.  de  Ton  Traire 
de  rLpigramme,  convient  lans  façon  que  les  Jefui- 
tes ne  fe  font  pasaviiés  les  premiers  de  purifier  Mar- 
tial. Il  n'a  pas  (u  a  la  veriti  que  Conrad  Gefner 
Protcftant  avoir  en  1544.  exécute  ce  deflein  à  Zuric 
quatorze  ans  avant  que  l'édition  des  PP.  Frulius,  ^ 
Auget  eut  paru,  mais  remontant  bien  phis  haut  il  a 
fait  voir  que  François  duBois,  Fr/t;;rry?«j  Sylviusd^A^ 
niions,  Profcdcur  en  Humanités  .1  Paris  au  Collège 
de  Tournai,  avoir  été  le  premier  de  tous  les  jcfor- 
matcursde  Martial,  ayant  pris  foin  d'en  donner  en 
1514.  une  édition  purgée  de  ce  que  les  piccédcates 
4tVQÙ4^t  de  liccnùcuxr 

P  s 


346      Poètes    Latins. 

Mâitid*  Auger,  Matthieu  Rader^  &  P.  Rodclle; 
&  la  féconde  par  quelque  Anonyme  du 
p.  R.(i). 

11  auroit  été  à  propos,  ce  remble,de  di- 
re aufli  quelque  chofe  du  Livre  des  Spec- 
tacles ou  de  l'Amphithéâtre  qui  porte  fou  • 
nom.  Mais  cet  Ouvrage  n'eil  pas  de  lui 
félon  Barthius  (2),  ou  s'il  y  a  quelque  E- 
pîgramme  de  lui,  il  e(ï  afi'cs  difficile  d'en  • 
faire  le  difcernemcnt  d'avec  les  autres  qui 
font  de  divers  Auteurs  dans  le  même  Re- 
cueil. 

Ceux  qui  fouhaîtent  vot  la  comparaifon  • 
de  Martial  avec  Catulle  la  trouveront  au 
titre  de  celui-ci,  nombre  1 141.. 

*  M,  V'  Martialis  Eftgrammata  în-fol. 

Terrartce  I471.  Eadem^  collât  a  ahj. . 

Gr utero  çjf  alus  in- 12.  Francofiirti  l602« 
■  Eadem  cum    M,   Raderi    Comment.  . 

in-fol.  Mogtmt.  1627.- Cum  'varlorum 

Comment.  ^  Indice  'Jofephi  Cangit  in-fol.  - 

Lutetice.  l6iy.  Laur.    Ramirez    de 

Prado  în-4.  Parif.  1607.  Idem  ad  «• 

Jum  Dclj)hini  in-4.  Parif.  1 680. 


S  T  A^ 

T.  De  Mxrt.  cmend.  $:cmîJcul.  vtd,  pafrim.5<:Bibl. 
Soc.  J.  quibus  addcnd.  ôc  alii  puta  Conrad  Gefnc: 
&c. 

De  dckéhi  Epipramwat.  Mart.- 

2.  Gafp.  Barthius  iib,  40,  Adrcrfazior,  cap.  i;i 
coi,  Il  17,  ^;c, 

3*  'W- 


Poètes    Latins;      347^ 

STAGE, 

(P.  Papinhis  Staiius)  de  Naples,  vivant 
fous  Domîtk  11,  confondu  par  plulieurs 
Modernes  avec  Statius  Surculas ,  ou 
Urfnlus  de  Toiiloufe  qui  vivoit  fous 
Claudius  &  Ncron. 

1166.   1  L  cfl  affés  difficile  de  dire  quel  a  Stace, 

1  été  le  goiit  des  x\ncîcns  pour  les 
Ouvrages  Poétiques  de  Stace,  parce  qu'ils 
paroifîént  ne  les  avoir  lus  &  examinés  que 
comme  des  Grammairiens  qui  ignoroient 
l'Art  Poccique  (3).  Pour  ce  qui  regarde  les 
fiécles  de  moyen  âge,  on  peut  dire  qu'ils 
en  ont  été  charmes ,  &  que  ceux  qui  s'ap- 
pliquoient  dans  ces  tems  à  la  leâure  en 
faifoient  leurs  délices  ,  quoiqu'ils  fuffent 
incomparablement  moins  intelligens  dans 
la  véritable  Pociie  que  ceux  dont  nous  ve- 
nons de  parler:  C'efl  ce  qu'on  peut  voir 
dans  Barthius,  qui  a  pris  un  foin  particu- 
lier de  ramalTer  les  témoignages  des  Au- 
teurs de  ces  tems  qui  ont  parlé  favorable- 
ment àQ  CQ  Pocte  (4).  Mais  les  Moder- 
nes ont  été  affés  partagés  dans  les  juge- 
mens  qu'ils  en  ont  portes  (5')"  Les  uns 
ont  prétendu  qu'il  avoit  plus  de  folidité  & 

de 

3.  Prifcian.  Grammat.  5:  aVù  e)ufdem  xtatis,  ireai  ■ 
Sever.  Sulpit.  vcrfum  ex  co  chiit.  Dialog.  3.  AtMa-- 
Ciob.  non  memin;:. 

4.  Giifp.  Barthius  lib.  ir.  Adveifarior.  cap.  2.  col, 
513.  514    &c." 

5.  Bibliograph.  Anonym.  ciuiof.  Hidox.  Philolof* 
pag.  Jî>.  ubi  viiiipei,  Cucei  edltio, 

F  6 


34?     Poètes    Latins- 

ittce.  de  difcernement  que  Virgile  même.  Les 
autres  ont  foutenu  avec  autant  de  chaleur 
que  fi  nous  en  devions  douter,  qu'il  nV 
voit  ni  l'art  ni  le  génie,  ni  la  didion  de 
Virgile. 

Jules  Scaliger   prétend  non  feulement 
que  c'efl  un  véritable  Poète, mais  que  c'eft 
un  Poète  de  grand  génie  &  de  beaucoup 
de  politefTe;  qu'il  n'y  a  pas  d'Auteurs  par- 
mi les  Anciens  ni  parmi  les  Modernes  qui 
ait  approché   lî  fort  de  Virgile,  &  qu'il 
l'auroit  encore  touché  de  plus  près  s'il 
n'avoit  eu  peur  de  l'incommoder  (i).  Car 
étant  naturellement  élevé  ,  il  n'a  pu  éviter 
de  devenir  enflé  &  trop  bouffant  dès  qu'il 
a  voulu  prendre  fon  efTor  trop  haut.   C'eft 
en  quoi  ce  Critique  met  la  principale  dif- 
férence de  Stace  d'avec  Virgile,  après  le- 
quel il  ne  fait  point  difficulté  de  lui  don- 
ner le  rang  de  préféance  fur  tous  les  Poè- 
tes Héroïques  des  Grecs  &  des   Latins, 
foutenant    qu'il    fait    de   meilleurs    vers 
qu'Homère  même. 

Ce  jugement  joint  à  pluiïeurs  autres  de 
la  même  nature  que  j'ai  rapportés  dans 
toute  la  fuite  de  ce  Recueil,  a  fait  douter 
à  quelques  perfonnes  judicieufes  fi  Scali- 
ger étoit  auifi  bon  connoilfeur  dans  l'Art 
Poétique  comme  il  l'étoit  en  d'autres  cho- 
fes.  Quelque  excellent  que  foit  fon  Trai- 
té de  la  Poétique,  il  ne  laiffe  pas  de  nous 

don- 

I.  Jul.  Cxl.  Scalig.  Hypercritic.  (eu  lib,  6.  Poctis, 
pag.  84}. 

<P.  Bairet  a  dor.ne  par  cette  tradu£tion  un  air  ri- 
dicule à  ces  paioles  de  Scaligei  :  Etiam  [rooinquior 


Poètes    L  a  t  i  n  j.       349 

donner  quelquefois  des  marques   du  peu  stacïTi 
d'uniformité  de  l'efprit  de  fon  Auteur ,  & 
de  nous  faire  voir  que  la  mémoire  lui  man- 
quant quelquefois  ,    ce  défaut    le   tliiloit 
tomber  dans  des   contradictions  qui   ont 
fait  quelque  tort  à  la  réputation  où  il  cil 
d'un  Critique  fort  judicieux  à.  fort  expéri- 
menté.    Ain(]  quoiqu'il  ait  dft  en  un  en» 
droit  que  Srace  cft  enflé  lorfqu'il  veut  s'é« 
lever,  il  femble  avoir  voulu  dire  le  con* 
traire  en  un  autre,  &  il  traite  de  Petits' 
Grecs  ^  c'eft-à-dire  d'efprits  vains,  témé- 
raires &  menteurs,  ceux-mêmes  qui  l'ont 
jugé    trop  enflé.     Il  prétend  que  ces  for- 
tes de  Critiques  ne  connoilTent  point  la  vé- 
ritable enflure,  qui  confifte  ,  dit-il,  dans 
des   Métaphores   de   fer  pareilles  à  celles 
qu'on  trouve  dans  Pindarc:  car  s'il  falloic 
prendre  pour  un  ftyle  enfl.é  ce  grand  air 
que  Stace  a  donné  à  fcs  vers,  il  faudroit 
aulîl  accufer  Virgile  d'ttrc  enflé  (2). 

Si  nous  étions  fort  en  peine  de  chercher 
de  l'appui  pour  le  fcntimcnt  de  Scaliger, 
nous  trouverions  des  Critiques  allés  2èlés 
pour  l'honneur  de  Stace  qui  pourroient  le 
féconder,.  &  nous  pourrions  nommer  par- 
mi les  autres  Alr.deMarolIes  qui  fe  plaint 
dans  la  Préface  de  ù  TraduAion  qu'on 
ne  fait  pas  ailes  de  cas  des  Poélies  de  Sta- 
ce (3),  prétendant  que  nous  n'avons  rien 
de  meilleur  après  V^irgile. 

I\îais 

futurus ,  fi  tam  propi  efTe  nolaiffet. 

2.  Idem  Scalig.  ibd.  pnç.  841.  842.  cap.  6. 

3.  Mich.  deMaioks,  Tiètace  de  la  Traduak>û 
Franco  lie, 

P7 


3p      r   O   E   T   E   S:    L»   A   T   IN   S. - 

Sntc.-  Maïs  ceux  qui  en  ont  jugé  avec  plus  de 
lumière ôcdedélmtereflëment,  nousappreri- 
nent  que-  pour  quelques  bonnes  qualités 
que  Ton  trouve  dans  cet  Auteur,  on  y  en 
remarque  beaucoup  de  mauvaifes.  •  Mr. 
Borrichius-  reconnoît ,  par  exemple  ,  que 
fa  di6lion  ■  eft  ailés  fleurie  &  ma,:^nifique 
(i),  mais  il  ajoute  qu'elle  ne  fe  foutient 
pas,  qu'elle  n'eft  pas  choiiie  par  tout,  qu'on 
it  voit  tantôt  fe  guinder  fur  des  échalîcs, 
à.  s'élever  fort  haut;  tantôt  marcher  è  pe- 
tit pas  &  ram_per  fur  terre.  •  C'cfl  ce  qui 
avoit  porté  FamîanoStrada  célèbre  Jéfuite 
à  fe  le  repréfenter  fur  la  pointe  la  plus  ex- 
haufTce  du  Parnafle,  mais  dans  la  pollure 
d'un  homme  qui  n'y  peut  tenir  &  qui  fe 
précipite. 

Le  P.  Brîet  a  remarqué  qu'il  ctoit  plus 
heureux  que  Martial  pour  la  verfirîcation, 
qu'il  faifoit  des  vers  avec  plus  de  facilité  <à 
d'abondance;  &  que  c'eft  ce  qui  le  rendoit 
plus  agréable  à  l'Empereur  Domiden  :m.ais 
il  ajoute  qu'outre  cette  enflure  que  tout  le 
monde  y  a  trouvée,. il  efl:  beaucoup  plus 
obfcur  &  beaucoup  plus  inégal  ,  cSc  que 
c'efl:  un  Auteur  pernicieux  à  la  jeuncire 
pour  le  mauvais  ilylc  (2). 

Le  P.  Rapin  le  blâme  (3)  d'avoir  mis 
rclfentiel  de  la  Poclie  dans  la  grandeur  6<. 

la 

T.  Obus  Borricliins  ,Diffcrtat.  i.  de  Poët.  Lat.  ad 
calccm  num.  33;  p;ig.  62. 

z.  Philif'.  Biier.  de  loëc.  Lat.  lib.  2.  png.  38.  jp. 
antc  Acutè  did.  &c. 

3.  Ren.  Rapin,  Reflcx.  i8.  6c  37.  fur  la  Poétique, 
pîemieie  paiiie, 

4r    LÇ' 


Poètes    Latins;     ^fi 

}a  magnificence  des  paroles^  plutôt  que  Stac*^ 
dans  ks  chofcs,  il  dit  que-fes  vers  remplis* 
fent  rcreille  fans  aller  au  cœur ^  qu*il  eft 
aufil  bizarre  dans  fcs  idées  que  dans  fes  ex- 
preffions  (4);  que  fes  deux  Poèmes  n'ont 
rien  dcTcgulier,  que  tout  y  cft  trop  vaRc 
de  trop,  di (proportionné.  Enfin  il  afTur^ 
(5-)  que  Stace  n'ed  qu'un  furieux  au  prix  • 
de  Virgile*-  C'cd  ce  qu'on  peut  voir  en  di- 
vers endroits  de  fcs  écrits.  . 

Les  principaux  Ouvrages  de  notre  Au- 
teur font  hxThebaide  en  xii.  Livres,  VA- 
chillcïdc  dont  on  n'a  que  deux  Livres ,  par- 
ce que  la  mort  l'empôcha  de  la  continuer, 
&  les  Sihre^  en  v.  Livres.  . 

T.  Dans  fes  Silves^  il  efi:  plus  pur,  plus 
agréable,  &  plus  naturel  qu'ailleurs. 

2.  Dans  fa  "Thebaide^  il  eil  plus  peigné, . 
plus  aiuflc  &  plus  fardé, .. 

3.  Dans  Çow  Âchilleidc  ^  il  eft  plus  iné- 
gal que  dans  le  refte(6). 

I.  Le  volume  des  Siives  efl  un  aiïem* 
bîage  de  plufîeurs  pièces  fur  différens  fu- 
jets  qui  méritent  aifurément  une  leclurc 
ïitrentive  ,  à  cnufe  des  chofes  excellentes 
qui  s'y  rencontrent  parmi  pîulieurs  qui  font 
aifés  communes  (7)  Scalii^er  dit  que  les 
plus  fivans  ont  jugé  ces  S:ivcs  meilleures 
que  la  Thebaïdc  6t    i'Achiileïde  ,    parce 

qu'é- 

4.  Le  même,  dans  la  féconde  partie  du  même 
Traité,  Reflexion  xv. 

5.  Dans  la  Comparaifbn  d'Hon:crc  &:  de  Virgile  • 
cliap.  TI. 

6.  Boiricli.Difleit.  ut  fuprà  ^  Brictiiis  lit  fuprà. 

7.  RoRcau,  Scûtim,  lui  c^uelques  livres  qu'il  a  luJ 
pag.  jj,  M  S. 


3^2     Poètes    L  a  t  i  m  S. 

Stifie,  qu'étant  ce  femble  plus  négligées ,  elles 
'  paroillent  écrites  plus  naturellement,  mais 
il  témoigne  ne  vouloir  pas  être  de  leur 
fentiment  (()• 

Quoiqu'en  dife  Scaliger  ,  il  a  été  in- 
comparablement plus  facile  àStacederéus- 
lîr  dans  fes  Silves  que  dans  Tes  deux  Poè- 
mes ,  parce  que  ce  genre  d'écrire  n'ayant 
pas  encore  de  régie  comme  les  genres  E- 
pique  ,  Drani'^tîque  ,  Lyrique  &c.  il  s'eft 
trouvé  dans  une  grande  liberté  de  fuivre 
fon  génie,  fans  craindre  de  pécher  contre 
des  Loix  qui  n'ont  point  encore  été  por- 
tées. Efre<ftivement  Vofllus  a  remarqu-é 
que  plufieurs  de  ces  pièces  ont  été  faites 
fur  le  champ,  fans  étude  &  fans  prépara- 
tion (2).  Et  c'ell  de  Stace  même  qu'on  a 
appris  cette  particularité  que  Ton  trouve 
dans  une  Epitre  à  Poliius  qui  cft  à  la  tét£ 
du  troifîéme  Livre  des  Silves. 

2.  &  3.  Pour  ce  qui  regarde  fa  Thehaï- 
de  &  fon  Achîlleide  ^  on  peut  dire  que  leur 
Auteur  en  avoir  ii  bonne  opinion  qu'il  les 
croyoit  comparables  aux  Poèmes  d'Home- 
re  &  de  Virgile  (3),  quoiqu'il  ait  eu  aiïcs 
de  modeflie  pour  témoigner  qu'il  ne  pou- 
vo:t  fuivre  le  dernier  que  de  loin,  &  qu'il 

ne 

T.  Jul.  Cxf,    Scaliger  in  Poèt.  lib.  S.  cnp.  6.  Qt 
lùpià. 

2.  Gérard.  Joan.  Voflïus  Inftitution.  Poër.  hb.   3, 
cap.  22,  l-i.  ult.  p;ig.  ii3 

Papinius  Stat.  non  iemel  liK  i.  Siivnr.  lib.  2.  & 
iib.  j. 

3,  Ren.  le  Poilu,  Traité  du  Poëme  Epique  liv.  i. 
pag.  117.  à  la  fin  du  cliap.  16. 

^.  C'eH  une  fa-^fleté  à  laquelle  j'ai  répondu  fur 


Poètes    Latins.    35-3 
ne  le  vouloir  faire  mcmc  qu'en  baifant  les  Sttc^, 
vertiges  qu'il  lui  avoît  traces  (4). 

11  eft  vrai  que  quelques  Critiques  n'ont 
pas  crû  fi  Thehaide  fi  éloignée  de  l'Encïde 
de  Virgile;  que  Mr.  de  Marolles  lui  don- 
ne le  premier  r^ing  du  genre  Epique  immé- 
diatement après  ce  chef-d'œuvre  (5-)  ;  & 
que  Mr.  Roilcau  a  crû  que  ce  Poe  me  efl: 
écrit  dans  toutes  les  règles  (6).  Mais  on 
peut  quitter  ces  Meilleurs  fans  leur  faire 
trop  d'injure  pour  écouter  les  Maîtres  de 
rx\rt  fur  ce  point. 

Le  P.  le  Boffii  qui  n'eft  pas  un  des 
moins  coniidérables  dit  (7) ,  que  Stace  ne 
mérite  pas  plus  le  nom  de  Pocte  que  Lu- 
cain  &  Silius  Italiens,  quoiqu'il  ait  pris  un 
fujet  Héroïque  (Se  Poétique  ,  c'eft-à-dire 
fort  propre  au  Poème  Epique.  Lucain  & 
Silius  Italiens  ont  décrit  l'un  dans  laPhar- 
fale,  &  l'autre  dans  fon  Annibal  des  cho- 
fes  véritables  tSc  purement  hilloriqucs.  Sta- 
ce en  a  écrit  de  feintes  &  tirées  des  Fables, 
mais  parce  qu'il  raconte  fes  fixions  en 
Hiilorien,fes  Ouvrages  ne  font  pas  de  vé- 
ritables Poèmes  Epiques  non  plus  que  ceux 
des  autres. 

Sa  Thebatde  eft  pleine  d'Eprfodes  défec- 
tueux 

Tarticle  1153.  \  la  fin  du  5.  *, 

4.  01.  Boirîch.  &  ip!e  Statius  hoc  vcrfu  : 
Sed  lonjè  fc^Here,   CT  Vf  h,'-'a  frmper  adora. 

5.  De  Maroles  Abbé  de  ViUcloin  ,Préf.  defaTrad. 
Franc,  comme  defllis. 

6.  Roftca«,  Sentim.  for  quelques  livres  qu*ila]us 
pag.  55.  MS. 

7.  Le  BoiTu,  chap.  15.  du  i.  livre  du  Traite  (Ul 
Joëmc  Epique  pag    105. 


3f4    Poètes    Latins. 

Stacc     tueux.  &.  furabondaiis  ,  tout  y  eil  prefque 
irrégulier,.  &  Ton  y  trouve  beaucoup  d'en- 
droits monftrueux  (i).  La  plupart  des  Ca- 
radéres  qu'il  donne  à  Tes  Héros  &  aux  au- 
tres perlbnnes  font  faux.    Son  génie  em- 
porté joint  au  delir  d'amplifier,  &  de  faire 
que  tout  ce  qu'il  veut  dire  paroilTe  grand 
&  merveilleux,  l'a  fait  tomber  dans  ce  dé- 
faut.    Il  porte  prefque  toujours  à  l'excès 
les  paiïions  qu'il  répréfente  dans  fes  per- 
fonnat^es..   Il  ne  fait  ce  que  c'eft  que  de 
garder  l'uniformité.     Il  fait  faire  à  fes  gens 
des  extravagances  qu'on  ne  voudroit  point 
pardonner  à  déjeunes  Ecoliers, &  fouvent 
au  lieu  de.repj-élèiiter  fes  perfonnages  com- 
me il  devoit ,,  il  n'a  fait  que  des  chimères. 
To!jtes«  ces  fautes  ne  peuvent  ctre  attri- 
buées qu'au  défaut  de  jugement,  de  fcien- 
ce  &  de  jufteiîè  d'efprit.    Voila  le  fenti- 
îiient  àuP.  le  Boifu  fur  l^Thebauîe  qui  n'a 
point  paru  plus  régulière- aux  autres  Criti- 
ques de  notre  tems  {i)\  qui  ont  eu  quel- 
que réputation  de  capacité  &  de  bon  goût. 
]JAchill:ide  de  Stace   n'ell   pas  moins 
dcfeciueufe    que    fa    Thebaïde.     Le    P. 
Mambrun  dit  (3)  que  c'eft  une  Hîftoire  & 
non  pas  un  Poème.     Le  P.  le  Boffu  le 
blâme  avec  juflice  (4)  d'avoir  pris  un  Hé- 
ros pour  la  matière  de  fon  Pocme,au  lieu 
de  prendre  une  Adion  feule  de  fon  Héros; 

c'cil- 

1.  Livre  2.  chap.  7.  du  même  Ouvrage  p.  184.  i8j. 

2.  Ant.  Godeau,  Hiftoite  de  rEglil'e  tin  du  pre- 
mier ficc'e. 

Rcn.  R;ipin,  Reflex.  particul.  lui  la  Pocr.  fécon- 
de parc.  Reâex,  ix. 

3.  r. 


Poètes    Latins.     ^S^ 

c'eft-à'dirc,  d'avoir  rainailc  toutes  les  a-  Stacc;. 
vanturcs  &  les  a61ions  qu'on  attribue  à  A- 
chille,  comme  s'il  avoit  voulu  faire,  une 
Vie  plutôt  que  de  fe  renfermer  dans  des 
bornes  femblables  à  celles  qu'Homère  s'é- 
toit  prefcrites.     Aini]  l'unité  de  ce  Poème - 
cft  une  faufle  unitcf  qui  ne  coniille  que  dans- 
l'unité  du  Héros.    II  n'y  a  point  d'unité 
dans  l'A6lion  ,  qui  néanmoins  doit  faire 
toute  l'efience  &  toute  la  conilitution  d'un 
véritable  Poëme  Epique,  félon  les  maxi- 
mes d'Anflote  &  des  autres  Maîtres  qui 
l'ont  fuivi.  Ce  n'eft  point  une  Fable  quoi- 
que ce  ne  foit  qu'un  tiflu  de  Fables,.  C'ell 
une  fuite  de  fidions  racontées  dans  un  or- 
dre hidorique  (5),    Il  faut  donc  conclure 
avec  les  Critiques  que  Stace  n'eft   qu'un 
méchant  Hidorien  ,  ou  tout  au  plus  un. 
Poète  irrégulier  &  monftrueux^ 

*  Pub!.  Pûpinii  SttUii  Opéra  cum  Obfcr^ 
vatioyjîbus  tff  Comy/jefit.  tam  vet entra  quam 
recent'tar,  Inicrpret,  Eriericus  Crue  eus  re^ 
ce?: fuit :^  noz'o  Coni.illuftravit  in-4.  Pdrif, 

1618.  Idem  ad  ufum  Deîph'r/ii  2.  vol. 

îu-4.-  Parif.  .\6%S'  I<^-^  ^^'^  Co//2'- 

went.  Variorum  in- S.  Lug-Bat,  lôyi* 


T  E' 

3.-  p.  Mambmn,  C-;'.i)fx  dift.  dctrîb.  Pocmatib.  C- 
murciim  Diflcrt.  de  Dialca:.  de  roëmat.  Epico. 

4.  R.  Je  BofTu  ,  liv,  i.  du   P.  Epiq.  chap.  i.  pn». 
132.  fie  chap;. 7.  pag»  TS4.. 

5.  Le  même  au  premier  livre  du  même  Ouvrajî 


3^6    Poètes    Latins. 
TERENTIANUS    M  AU  RUS 


Africain  félon  quelques-uns,  vivant  fous 
-  Domitien,  fi  c'eft  le  même  que  ce  Gou- 
verneur de  Syene  ou  Afiia  en  Kgypte 
dont  parle  Mar:ial  :  ou  fe'on  d'autres 
fous-  Severe  ,  fous  Gordien  ou  même 
plus  tard  (i). 

Maurus.      1167.  ^^T  Ous  avons  vu   ailleurs  qu'fl 

X^    étoit   également   bon    Poète 

Lyrique  pour  fon  fiecle  ,  &  bon  Maître 

de  Poè'lie.     Voycs-Ie  parmi  ceux  qui  ont 

écrit  de  l'Art  Poétique,  Art.  XO51. 

S  U  L  P  I  T  I  A, 

Poète  Satirique,  vivant  du  tems  de  Domi- 
tien ,  femme  de  Calenus. 

Sulpitîa,  ii^S-  T  Es  vers  qu'elle  écrivit  à  fon 
JL  Mari  fur  l'amour  conjugal  & 
fur  la  fide'lité  6c  la  chafteté  que  l'on  doit 
garder  dans  l'e'tat  du  Mariage  fe  font  per- 
dus: mais  il  nous  ell:  relié  une  Satire  de  fa 
façon  qu'on  imprime  ordinairement  à  la  fin 
de  celles  de  Juvenal. 

Sca- 

T.  f .  Sous  Aurélien,  fi  c'eft  le  Tercntianus  à  qui 
Longiii  adrelle  fon  Traité  du  Sublime.  Vives  (ur  le 
6.  livic  de  la  Cité  de  Dieu  chap.  2.  recule  Terentia- 
nus  jufqu'à  Diocléricn. 

z.  Jul.  Cxf.  Scalig.  Hypcrcritic.  feu  lib.  6.  Poëtîc. 
pag.  838. 

3 .  f .  Mx.  Huet  chap.  2.  de  fa  Dimonilr.  Evaugeltque 

a»  22t 


Poètes    Latins.     3^7 

Scalîger  en  dft  aiïes  de  bien:  Il  en  loue 
Tadreire,  &  il  dit  que  la  verlilication  mê- 
me n'en  eH  pas  à  méprifer  (2). 

(^    EZECHIEL, 

y«/f,  Poète  Grec, fous  Trnjan  ou  Adrîen, 
quoique  Sixte  de  Sienne  l'ait  mis  40.  ans 
devant  Jefus-Chrift  (3). 

II 69.   1  L  court  fous  ce  nom  une  Tragé-  Ezechid, 

1  die  Grecque  furMoyfe  ou  lepas- 
fage  des  Ifraèlites.  Frédéric  Morel  la  tra* 
duilît  (4)  en  Profe  &  en  Vers  Latins  fur  la 
fin  de  l'autre  lîccle,  ce  qui  n'en  a  pour- 
tant pas  rendu  la  leélure  beaucoup  plus 
fréquente  ni  la  pièce  beaucoup  plus  com- 
mune. 

Clément  Alexandrin  parle  de  cet  Auteur 
plus  d'une  fois,  &  il  en  rapporte  un  grand 
fragment.  Genticn  Hervet  qui  croyoit 
cette  pièce  perdue  ,  conjeduroit  par  ce 
morceau  que  toute  la  pie'ce  devoit  être  c- 
legamment  écrite  (5-). 

Ce  n'ell  point  pour  confirmer  fa  conjec- 
ture que  j'ai  crû  pouvoir  parler  ici  de  cet 
Auteur,  mais  plutôt  pour  faire  remarquer 
une  rareté  allés  lîngulicrc,  de  voir  un  Juif 
Poète.  *  £- 

B.  22.  le  met  un  fîécle  5c  plus  avant  J.  C.    Les  ver» 

d'EzéchieJ  ne  foufilent  pas  qu'on  le  croie  (i  an- 
cien. Ils  ont  tout  l\iir  d'être  d'un  Juif  Kellenifte, 
mauvais  Poëte  [oflerieur  d'un  fiécle  ou  deuxà  J.C. 

4,  %.  C'cft-à  dire  traduifît  les  fragmens  qui  ea 
reftoient  de  fon  tems. 

5.  Cent.  Hcrv.  in  Com.  ad  Stiora,  Clem.  Alcx^ 


35^     Poètes    Latins. 

*  Ezekiclus  Poèia.  ejus  fragmenta  y  ex 
lîhris  Eufebii  defarienjis  ^  Gr.  Lat.  in-fol. 
JP^r//.  1624. 

Q.SERENUS  SAMMONICUS, 

Sous  Severe-,  tué  à  table  par  l'Empereur 
Caracalla-,  &  Père  de  ce  Sammonicus 
qui  fut  Précepteur  du  jeurxe  Gordien ,  & 
Maître  d'une  belle  Bibliothèque  après 
fon  Père  qui  l'avoit  drelîée, 

sammo-     ^  ^  7^'  "T^  '  ^  ^  S^^"^  nombre  d'Ouvrages 
Qicus,  JL^  que  cet  Auteur  avoit  compo- 

fés,  il  ne  nous  cfl:  refté  qu'une  efpéce  de 
Poëme  fur  la  Médecine  (Se  les  remèdes  des 
maladies,  que  quelques-uns  prétendent 
même  être  plutôt  de  ion  fils. 

Jules  Scaliger  juge  (i)  que  fon  ftyle  eft 
un  peu  plus  net  que  celui  de  Macer,  c'ed- 
à-dire  deTAuteurqui  porte  ce  nom, com- 
me nous  l'avons  vu  ailleurs^.  Mais  il  ajou* 
te  que  ce  llyie  lui  paroît  iî  bas  &  Il  ram- 
pant, qu'il  ne  fe  fouvient  pas  d'avoir  rien- 
vu  au  deflbus;  qu'il  ne  lallFe  pourtant  pas 
à^i^e.  lervir  de  mots  fort  bons. 

Le  P.  Briet  paroît  avoir  été  aufli  du  mê- 
me fentiment  (2),&  il  prétend  que  la  bas- 
fefle  de  fon  fujet  contribue  encore  à  ren- 
dre Ton  flyle  plus  plat. 

*  De  Medicinây  Prcecepta  faîubria  ^cnr* 
mine  in- 8.  Lugâ.  1587.  ^  OP- 

7.  Jul.  Cxf.  Scalig.  Hypcrcritic,  feu  lib.  6.  Poëtic. 
pag.  822.  cap.  5. 
z.  Philip.  Lriet.  lib.  3.  de  Poët.  Lat.  pag.  44. 
3-  Jul.  Caef.  Scalig.  in  Critic.  feu  lib.  s.  de  rcctica 

cap. 


Poètes    Latins.     35-9 

cO*    O  P  P  I  E  N, 

De  CiUcie^  Poae  Grec,  vivant  fous  Ca« 
racalla,  mort  de  pefte  à  Tâge  de  30.  ans 
fur  la  tin  du  règne  de  cet  Empereur. 

117L.  "JVT  Ous  avons  de  cet  Auteur  cinq  Oppicn, 

i\l  -Livres  de  la  Pécke  qu'il  prc- 
fenta  à  Antonin  Caracalla  du  vivant  de 
fon  Père  l'Empereur  Severe,  &  quatre  de 
la  Chajje  qu'il  prcfenta  au  même  Caracal- 
la après  la  mort  4e  Severe.  On  dit  qu'il 
avoit  aulTi  travaillé  fur  la  Fauconnerie. 

Jules   Scaliger  avoit   une  cllime  toute 
particulière  pour  ce  Poète ,   il  en  a  parle 
Ibuvent  &  avec  plaifir.     Il  dit  (3)  que  c'eft 
un  très-grand  Pocte  &  un  Auteur  très-beau 
&  très-clégant;  qu'il  ell:  agréable  <5c  aile, 
que  fon  llyle  eft  fleuri ,  coulant, abondant, 
fublime ,  éloquent,  harmonieux  &  mefu- 
ré.    De  forte  que  non  feulement  il  a  pafTé 
de  fort   loin  Gratins  &  Nemefianus   qui 
ont  écrit  fur  It  même  fujet,  mais  qu'il  a 
encore  été  alTcs  heureux  pour  prendre  l'air 
vde  Virgile  qu'il  a  tâché  particulièrement 
d'imiter  (4) ,  &  pour  nous  donner  une  ima- 
ge aifcs  îidclle  de  la  divinité  de  ce  Poète 
Latin,  qui  eft  le  terme  ordinaire  de  Sca- 
liger (5). 

Ce  Critique  a  répété  encore  la  même 

cho- 

cap,  9.  F-i)?-  664. 

Jtem  ibid.  cap.  i6.  ejnfd.  Irbri. 

4.  A.  Godeau,  liift.  de  l'Egl.  fi:i  d.i  3.  fieclc, 

5.  lui.  Scalig.  ut  ùipr.  p^g.  7 5  S.  c.ip.  t6. 


360  Poètes  Latins. 
Oppîcn.  chofe  en  divers  endroits  de  fes  autres  Ou- 
vrages ,  &  il  n'y  en  a  pas  un  où  il  ne  nous 
le  reprefente  comme  un  très -excellent 
Poète  (0)  <^  comme  le  favori  particulier 
des  Mufes.  Les  autres  Critiques,  au  moins 
la  plupart  (2),  ont  témoigné  être  de  Tavis 
de  Scaliger,  fur  tout, pour  les  qualités  ex- 
cellentes qu'il  attribue  à  fon  ftyle.  Néan- 
moins le  P.  Rapin  n'a  point  laifTé  de  juger 
(3)  qu'Oppien  eil:  fcc.  Et  Mr.  Borrichius 
témoigne  (4)  qu'il  eft  quelquefois  un  peu 
obfcur  ,  mais  il  ajoute  qu'il  eft  doâe  par 
tout,  &  que  fa  diction  a  d'ailleurs  toutes 
les  beautés  &  les  avantages  que  Scaliger  y 
a  marqués.  Il  veut  même  que  les  Préfa- 
ces de  ce  Poète  puiiTent  paifer  pour  des 
Harangues  &  des  Panégyriques  à  caufe 
qu'elles  font  fort  écudiées  &  dans  un  fîyle 
Alîatique.  - 

Le  Sieur  Craflb  (^)  eftime  que  c'eft  par- 
ticulièrement dans  les  Sentences  &  les  Pa- 
raboles, c'eli-à-dire  dins  les  penfées  &  les 
comparaifons  qu'il  excelle.  Il  ajoute 
qu'Oppien  a  fait  une  chofe  fort  difficile, 
qui  ell  de  garder  l'uniformité  par  tout,  & 
de  l'avoir  fû  lî  bien  allier  avec  l'éloquence 

du 


T.  Jul.  Scalig.  in  Exercitat.  218.  fedionc  prima. 

Item  Exercitar.  225.  &c. 

Idem  de  Cauflis  Ling.  Lar.  1.  2.  c.  53.  &  alibi. 

a.  Conrad.  Rittershudus  in  Pioleg.  ad  luam  Op", 
piani  édition. 

Olaii^  Borrich.  de  Toët.  GraecisOiflert.  pag.  16, 

Fr.  Vavafl.  Rcmarq.  fur  les  Reflex.  toixhant  la 
loët.  p.îg.  102. 

i^aur.  Ciafl.  de  Foët.  Grsc.  pag.  382* 

3.  Ren. 


POETES    Latins.      361 

du  difcours  On  la  maturité  des  chofes  qu'i'  Oppi««5 
traite.  Mais  ou  prétend  que  ce  qu'il  y  a  de 
plus  fingulicr  dans  ceFocte,e[l  cette  gran- 
de érudition  qui  foutient  Tes  vers.  C'eft  ce 
qui  a  fait  dire  à  Rittershulius  (6)  qu'il  avoit 
eu  l'avantage  fur  tous  les  Savans  de  fon 
lîécle;  &  à  un  autre  Allemand  (7),  <îue 
ce  qu'il  a  fait  n'eft  proprement  qu'à  l'ufa- 
ge  des  Savans. 

*  Oppiani  de  Venattone ^  l'ib.  iv.  Latine 
Jo.  Éadino  InUrpr.  in  40.  'Parif.  I^SS- 
*  De  Pifcatione<f  Latine  per  L.  Lip^ 

pium   cum   Scholïts   Georg.    Ptjlorii  in-80. 

Bafil.   1 5-60.  De  Venatïoyîe  lih.  1 1 1 . 

de  Pifcatu  lib.  v.  Gr.  Lat.  cum  notis  Rit^ 

tershufîi  in  8«.  Lugd-Bat.  lyçy. /^»- 

ftotattones     Joan,    Brodai    in-S°.     BafiL 


Ê^  G  A- 

î.  kcn  Rapin,  Reflcx.  paxtlcul.  fur  la  Poët.  fé- 
conde part.  Rcflex.  xv. 

4.  Olaiis  Borrich.  Diflcrtation.  de  P©ct.  Gizc.  ut 
fuprà. 

y.  L.  Ciafib  item  ut  fup.  de  Poct.  Grxc.  Italicc 
in- fol. 

6.  C.  Rittershufius  PrifAt.  ia  Oppiin. 
Item  in  notis  ad  eumdem. 

7.  Bibliogtaph.  Aaonym.  cui.  hift.  rhilolo^ic.  iiv 
Xtï  Foëtas. 

TomdILPart.IL  Q 


3^2.      Poètes    Latins» 

cû^  G  A  B  R  I  A  S, 

Qui  eft  un  nom  forgé  fur  celui  de  l'an- 
cien B  A  B  R I A  s  Poète  Grec ,  dont  on 
ne  connoit  ni  le  tems  ni  le  pays  (i) 

pabrïâs,  nyi  y^Et  ancien  Babrias  avoit  tourné 
V^les  Fables  d'Efopeen  VersCho- 
riambiques  (2),  au  rapport  de  Suidas.  11 
en  avoit  fait  deux  Volumes,  félon  Fedus 
Avienus  (3).  Cet  Ouvrage  n'efl  pas  enco- 
re découvert,  félon  toutes  les  apparences. 

Mais 


T.  ^.  11  fe  trouve  divcrfement  appelé,  Gabrias, 
Babrias ,  &  Babrius.  Il  eft  cité  fous  le  nom  de  Ga- 
brias  dans  la  59.  Epitrc  de  l'Empereur  Julien,  par 
où  l'on  voit  qu' Avienus  n'eft  pas  le -premier  qui  ea 
en  ait  fait  mention. 

2.  Suidas  in  Lexico,  didione  Chcriambus. 

^.  Il  eft  vrai  que  Suidas  au  mot  XopinuCti  dit  que 
'KnCpidtç  ou  B'JCptsç  avoit  donne  dix  livres  de  Fables 
d'Efopc  en  choriambes  ,  c'eft  à  dire  en  vers  cho- 
liambiques  ,  comme  pour  vers  ïambique  on  dit  ïam- 
be î  mais  les  vers  qui  nous  ont  été  confervés  de  ce 
Poète  étant  tous  S:azons,  il  eft  vifîble  que  Suidas 
s'eft  mépris  en  les  nommant  Xopix/ixC^s  au  lieu  de 
XaA/a/u°«f  >  ïambes  boiteux. 

j.  Feft.  Avien.  Prsfat.  Fabular.  yEfopicar.  ad 
Theodof.  Ambrof. 

4.  Lil.  Greg.  Gyrald.  Hiû.  Poët.  Dial.  pag.  $69* 
ubi  Babrius  dicitur. 

^.  Aide  ne  l'appella  Gabrias  que  fur  la  foi  de  f«n 
manufcrit.  Celui  que  Patrice  Junius  envoya  de  la 
Bibliothèque  Royale  d'Angleterre  au  P.  Petau,  avoit 
Gabrias.  Ou  trouve  Gabrias  dans  la  huitième  Chi- 
liade  de  Tzetzés,  ôc  Babrias  dans  la  treizième.  Ls 
r  étant  un  B.  commencé,  pour  peu  que  Tune  de 
ces  lettres  ait  été  mal  formée ,  on  aura  pu  s'y  mé- 
(rcadie.  A  Vi^zii  (iç  Sabiias  ^  de  Sâbcius^le  ma- 

fiufçm 


Poètes  L  a  t  Tn  §.  ^553 
Mais  on  a  voulu  lui  fuppofer  des  vers  que  Gtbrî«* 
nous  avons  fur  le  même  fujet ,  &  on  s'eft 
trompé  dans  Timpodure  en  nommant  mal 
l'Auteur  prétendu  de  l'Ouvrage.  Le  Gi- 
raldi  prétend  que  c'ell  Alde-Manuce  l'an- 
cien, qui  en  l'imprimant  l'appella  Gabrias 
pour  Pabrias  (4).  Quoiqu'il  en  foit,  on 
convient  que  l'Ouvrage  n'ell  pas  ancien 
(s) ,  &  quelques-uns  ont  publié  fur  la  foi 
de  quelques  Manufcrits  que  c'eft  un  Dia- 
cre nommé  Ignace  qui  en  cft  l'Auteur (6). 
Après  tout  on  juge  que  ces  Fables  ne 
font  point  à  méprifer  pour  être  un  fruit 

du 

nufcrit  ayant  pour  titre BABPlOT  MTQOT,  on  ava- 
rie fur  BxCptoi  &  BatC^/stf  parce  que  l'un  ôc  l'autic 
viennent  également  de  Buida. 

5.<|[.  11  devoir  due:  Quoi  qu'ilec:  foit,  on  convient 
que  Eabrias  eft  ancien,  mais  on  doit  convenir  auflî 
que  les  Fables  en  quatrains  Grecs  ïambiques  impri- 
mées fous  le  nom  de  Gabrias,  font  d'un  Ecrivain 
en  comparailon  très- récent,  nommé  Ignace  Diacre 
de  l'Eglife  de  Conftantinople,  vivant  au  neuvième 
iiécle.  La  Fontaine  qui  ne  connoiHoit  ces  quatrains 
que  par  la  tradudlion  Latine  ou  Françoife  qu'il  ea 
avoir  lue,  a  parlé  ainfi  de  leur  Auteur  qu'il  croyoic 
Gabrias.  C'eft  dans  le  prologue  de  la  Fable  du  Pâ- 
tre ôc  du  Lion: 

Phèdre  étoit  fi  fuccînt  qu'aucuns  l'en  ont  blâmé 
Efopc  en  moins  de  mots  s'eft  encore  exprimé. 
Mais  fur  tout  certain  Grec  renchérit  &  fe  pique 

D'une  élégance  Laconique. 
11  renferme  toujours  fon  conte  en  quatre  vcrsj 
Bien  ou  mal,  je  le  laiâe  à  juger  aux  experts. 

€.  Gcr.  Joan,  Vofl*.  lib.  de  Poët.  Grxc.  pag.  t6.im 
Incert.  actat.  Script. 
Idem  lib.  z.  Inftitntion.  Orator.  cap.  i^'pag. |Xf. 
Item  Lorenz.  CrafT.  de  Poët.  Gizç,  pa^.  tl| 


364    P  o  I  T  E  s    Latins. 

Gtbvas.  du  moyen  âge,  &  qu'elles  peuvent  pafTcr 
pour  quelque  chofe  de  bon  par  rapport  au 
tems  où  il  y  avoir  peu  de  bons  Ecrivains. 

TIT.  CALPHURNIUS, 

De  Sicile^   Poëte  Bucolique,  vivant  fous 
Carus,  Carin,  &  Numerien. 

Ctlphar-    II 72.  T  L  compofa  fept   Eglogues  qu'il 
»i«s,  J^  adrefTa  à  Nemelîen  qui  étoit  de  la 

même  Profefljon,   c'eft-à-dire  Poète  Bu- 
colique comme  lui.  Jules  Scaliger  dît  (i) 
qu'il  fc  trouvoit  des  gens  qui  lui  donnoient 
le  rang  d'après  Virgile  en  ce  genre  d'écri- 
re, mais  il  ajoute  qu'il  n'étoit  pas  de  leur 
fentiment,  parce  que  c'eft  un  Auteur  trop 
lâche  &  trop  enflé,  qui  n'a  rien  qui  réveil- 
le fon  Lecteur ,  mais  que  tout  le  fatigue 
&  le  dégoûte  dès  le  commencement.  Le 
P.  Brict  ne  laifTe  pas  de  dire  (2)  que  fon 
(lyle  cft  affés  net,   &  qu'il  eft  pallable,  lî 
l'on  a  égard  au  tems  où  il  vivoit,  <Sc  où  la 
Pocfie  étoit  entièrement  déchue  de  l'état 
fioriffant  dans  lequel  elle  avoit  été  fous  les 
premiers  Empereurs.  Mais  le  P.  Rapin  le 
_        coniidére   avec  beaucoup  de  mépris  (3), 
difant  qu'il  a  fait  fes  Eglogues  d'une  très- 
petite  manière,  c'cfl-à-dire  dans  un  carac- 
tère auflTi  bas  que  le  (lyle.  *  Th, 

».  Jul.  CarT.  Scaliger  Hypcrciitic.  feu  lib.  é.  Poct, 
pag.  ti^.  t2). 

a.  Philip.  Brict.  lib.  3.  de  Pocf.  Lar.  paj.4j.prî» 
fix.  Acutè  dift. 

3.  K«a.  R.8pia  >  Rcfîcx.  27.  fur  la  Poétique  z, 
fait. 

4.K 


Poètes    Latins.     ^6^ 

*  Th.  Calphnrnii  Sicuîi  Ecloga  feu  Bu-  calphii»-' 
coî'îca  in- 8°.  BaJ'il.  I5'46.  —  Ic^em  cum  ani'  niuj, 
madverfionibiis    G.    Bartbii  in- 8°.  Hanov, 
1613.  * 

N  E  M  E  S  1  E  N, 

Africain,  natif  de  Carthage  (iTf^rr.  Âure* 
Uns  Olympius  Nemefianus)  fous  Carus, 
Car  in  &  Numerien. 

I173   /^Et  Auteur  a  fait  un  Poëme //^  Nemcûc  • 
X^la  Chû[Je  ,   &  quatre  Eglogttes,  '^ 

Ce  dernier  Ouvrage  n'eft  pas  plus  eltimé 
que  celui  de  Calphurnius.  On  y  trouve  à 
peu  près  le  même  caradére  &  les  mêmes 
dc'fauts,  quoique  Scaliger  (4)  ait  dit  que 
Nemefien  eft  plus  châtié  &  plus  éxadl  que 
Calphurnius. 

Mais  le  Poëme  de  la  ChafTe  lui  a  acquis 
plus  de  réputation ,  quoiqu'il  foit  fort  in- 
férieur à  Oppîen  &  à  Gratins  qui  avoient 
déjà  traité  le  même  fujet  en  vers.  Oppien 
le  furpaiïe  en  toutes  manières ,  &  Gratius 
le  furpaife  pour  la  pureté  dadifcours,pour 
l'invention,  &  pour  la  méthode  (5-). 

Néanmoins  fon  ftyle  ne  laifle  pas  d'être 
affés  naturel,  fclon  le  même  Scaliger  (6;. 
Ce  n'eft  pas  du  llyle  vulgaire  de  fon  tcms, 

il 

4.  Jul.  Cacf.  Scalig.  Jib.  $.  &  €.  Pocticcs  V.l(qu« 
in  Gr;uio  ôc  in  Oppiano  rctulimui. 

Rcn.  R-jp.  Rcfl.  17.  fur  la  Poér.  2.  part. 

5.  Scâl:g.  lib.  ;.  Poët.  feu  Critic.  cap.    xt.  page 

75». 

6.  Idem  in  Hypcrcritic.  feu  lib.  <.  p.  815.  &  pag, 

Q3 


366      Poètes    Latins. 

KemcGcfl.  il  a  même  quelque  élégance,  en  un  mot 
fon  Traité  de  la  Chafîe  eft  un  bon  livre. 

Mais  il  femble  qu'on  n'ait  jamais  dû  fe 
coèffer  de  fa  bonté,  jufqu'au  point  de  le 
faire  lire  dans  les  Ecoles  publiques,  &  de 
Tenfeigner  à  la  jeunefTe  comme  on  a  fait 
du  tems  de  Charles-Magne  &  de  fes  Suc- 
cefTeurs.  C'efl  un  honneur  qui  ne  fe  rend 
ordinairement  qu'aux  Auteurs  Clafliques 
ou  du  bon  (iécle,  &  à  quelques  privilégiés 
d'entre  les  Modernes  que  Ton  juge  n'être 
inférieurs  aux  Anciens  qu'en  âge.  x\inlî 
«*  •  Ton  peut  conliderer  ce  fait  plutôt  comme 

une  marque  du  mauvais  goût  des  huit  & 
neuvième  fiécles,  que  comme  une  preuve 
de  l'excellence  de  l'Ouvrage  de  Neme- 
fîen  (i). 

*  Venaùct  {^  Bucolici  Poëtce  Latim 
Gratins ,  Nemejîa?2us  ^  Calphurnius ,  cum 
animadv,  G.  Barthi't  ia-^o. Hafio via  lôi^,* 

PUBLILIUS  OPTATIANUS  POR- 
PHYRIUS, 

Sous  Conftantin  le  Grand. 

f.  Optât.    II 74  ¥    'An  I5'95'.  on  tira  de  la  Bîblîo- 

lorphy.  Lthéque  de  Marc  Velfer,  &  on 

publia  à  Ausbourg  le  Panégyrique  en  vers 

que  cet  Auteur  envoya  du  lieu  de  fon  exil 

à  Gonftantin.  Ce  Prince  en  fit  tant  de  cas 

qu'il 

T.  Tcft.  Hincrnar.  Rcmenf.  ad  Hincraar.  Laudun. 
êc  apud  Votîîum  de  Poër.  Lat.  lib.  fing.  pag.  53.  ôc 
Phii.  Briee.  lib.  3.  de  Poct.  pag.  45. 

z.  Gcr.  Joan.  Voflîus  lib,  iing.  de  Poët.  pag.  54.  ^ 


Poètes  Latims.  367 
qu'il  voulut  le  récompenfer  par  la  liberté  p.  Optât," 
de  Ion  retour  qu'il  lui  accorda.  Cependant  rorpby. 
les  Critiques  (z)  jugent  qu'il  y  a  dans  cet»  ''"^' 
te  pièce  plus  de  travail  que  de  génie;  qu'il 
y  a  des  affeilations  tout-à-fait  puériles  & 
des  extravagances  même;  &  que  le  (lyle 
en  e(l  i]  bas  &  Il  trivial,  qu'on  prendroit 
volontiers  cet  Auteur  pour  un  homme  de 
la  lie  du  Peuple  de  ces  tems-lj.  De  forte 
qu'on  auroit  lieu,  dit  le  P.  Briet,  de  s'é- 
tonner du  jugement  li  favorable  de  Cons- 
tantin, fi  l'on  ne  ûvoit  que  les  Princes 
qui  n'ont  pas  le  loilîr  de  lire  les  livres  & 
de  s'inrtruire  par  eux-mêmes,  n'en  jugent 
ordinairement  que  fur  la  foi  de  ceux  qui 
les  approchent,  &  fouvent  fur  le  rapport 
de  leurs  flateurs. 

RliEMMIUS(3)FANNIUS. 

Ou  Favivus  que  l'on  fiait  difciple  d'Arno- 
be,  &  vivant  du  tems  de  Conllantin. 

1175-  /^Et  Auteur  avoit  fait  un  Poëme  ^^«'"^^''^» 

VJ  ailes  elhme  fur  quelques  matiè- 
res de  la  Médecine,  qu'il  avoit  adreifé  à 
Laélance.  Cet  Ouvrage  s'eft  perdu,  mais 
nous  avons  une  autre  pièce  de  Verfifica» 
tion  qu'on  prétend  être  de  lui, quoi  qu'oa 
l'ait  attribuée  à  Prifcien.  C'eft  une  expofi- 
tion  des  Poids  &  des  Mefures ,  dont  les 

ver» 

Philip.  Brîet.  lib.  4.  de  Poër.  Lat.  &c. 

Gafp.  Barthius  Adrerfaiior.  lib.  60.  cap.  11.  5c  G, 
M.  Koiiig.  Bibl. 

3.  ^Cc  nom  fc  trouve  ccmK^mus f'Kemihf y'Rrnt''^ 
mittt,  %h(TnmiHt,  ti  T{>}<mnius. 

0.4 


ftiinius, 


Jjivcncus. 


368      Poètes    Latins. 

vers  font  d'un  caraclére  fort  bas  &  de 
fort  petit  goût.  De  forte  qu'il  paroît  af- 
fés  qu'il  n'afongé  qu'aux  chofes  qu'il  vou- 
loit  nous  apprendre,  fans  fe  foucier  de  la 
manière  de  le  faire,  (i  )Quelques-uns  ont  crû 
que  cet  Ouvrage  pouvoit  être  aulTi  de  Q. 
Rhemnius  Fannius  Pâlaernon  célèbre  Gram- 
mairien ,  &  qui  fc  mêloit  aufli  de  faire  des 
vers ,  dont  Suétone  a  fait  la  Vie.  11  y  avoit 
encore  un  autre  Fannius  du  tems  d'Hora- 
ce qui  fe  mocque  de  lui  en  deux  endroits 
de  fcs  Satires,  parce  que  c'ècoit  un  mé- 
chant Poëtc  qui  ne  laiiîbit  pas  de  faire  va- 
loir fes  vers  parmi  le  peuple.  Mais  après 
tout,  le  ftyle  du  Traité  des  Poids  vk  Me- 
fures  paroît  être  plutôt  du  bas  Empire  que 
du  bon  fiécle. 

*  Q^  Rhemnius  PaUmoft ,  de  Ponderthns 
ac  Meftfuris  xïi'^fi,  Lugd.-Bat,  i^Sy.  * 

JUVENGUS, 

Poète  Chrétien,  Prêtre  Efpagnol  fous 
Conflantin  &  Confiance  (Cajus  Vejiius 
Aquilius  Juvencus)  (2). 


1175-   /^N  peut  dire  que  TEglifc 
bis.  \J  trois   fiécles  entiers  fan: 


îfc  a  été 
_  _    is  pro- 

duire de  Poètes,  quoi  qu'on  ne  puifTc  pas 
nier  qu'il  ne  fe  foit  trouvé  des  Ecrivains  <Sc 

fur 


ï.  Voff".  pag.  J4.  4Z.  4J.&54.  dcPocc.  Lat.Brict, 
Konig.  ôcc. 

z.  fl.  Nobilijftmus  Toëta  CfjriffUnui ^dh  Juretp.  ?7î. 
éc  Iba  Symmaquc  in-4.  fui  vulgatis  in  lil>ris  dititifr 
fimpUsiicr  Ju^cntui  j   A^peUari   icltt    A  qjj  l  l  i  n  u  s 


Poètes    Latins.      369 

fur  tout  parmi  les  Chrétiens  Grecs  qui  ont  jHVcacus^ 
compofc  quelques  Hymnes  pour  la  con#- 
folation  de  leurs  frères  ou  pour  leur  pro- 
pre fatisfadion. 

Du  moins  n'aî-je  pas  crû  devoir  mettre 
TertuUien  ni  faint  Cyprien  parmi  les  Poè- 
tes, quoi  que  Ton  ait  attribué  au  premier 
les  cinq  Livres  en  vers  contre  Marcion 
que  l'on  trouve  imprimés  avecfes  Oeuvres , 
&  quelques  autres  Poeiîes,  parce  qu'on?» 
tre  qu'on  n'y  remarque  point  ce  feu  &  cet- 
te impétuofité  qui  paroît  dans  Tes  Ouvra- 
ges, on  fait  aflés  qu'il  étoit  trop  favant 
dans  la  quantité  &  la  mefure,  pour  avoir 
fait  ce  grand  nombre  de  fautes  de  Profodie 
qui  font  répandues  dans  ces  vers. 

Le  Poème  de  la  Genefe  &  celui  de  l'ac- 
cident de  Sodome  font  un  peu  plus  fleuris  ; 
mais  cela  ne  paroît  pas  fuffifant  pour  nous 
faire  croire  que  Tertullien  ou  faint  Cy- 
prien en  foient  Auteurs ,  non  plus  que 
des  autres  petites  pièces  de  vers  qui  font  i 
la  fin  de  leurs  Ouvrages. 

Je  n'ai  pas  dû  parler  non  plus  des  Inftf- 
tutions  Acroftiches  de  Commoâ'te-a  ,  qui 
vivoit  fous  le  Pape  Silvellrc,  ly.  ou  20. 
ans  avant  Juvencus  »  parce  que  quoi  qu'el- 
les ayent  la  mine  de  Vers,  elles  n'en  ont 
nî  les  pieds  ni  la  mefure,  &  que  ce  font 
de  fimples  verfets  qui  ne  font  liés  que  par 
la  première  lettre  des  lignes.  Ainli 

XÎAIUSVETTlUsJtVEKCus,  tjutmAjrvo.^um  reptri» 
f     fur  in  opttmis  ^  antie^uiff  mis  membranii.  Il  ^cmh]cpoui'> 
tant  que  C  ai  u  s  étant  un  prénom  dcroit  préccdc>A. 
çîju  I  L  I K  V  s }  mais  il  y  a  plus  d'un  exemple  iç  cet 
iuc£ul^j;tc  dAflS  ic  bit  Empare. 


370       P  O  E  T*  E  s'   L  A  T  tn  $; 

J<ftûC\ift  Ainlî  Juvencus  peut  pafler  pour  le  prc- 
iTiier  des  Ecrivains  du  Chrillianifme  qui  fe 
font  appliqués  à  la  Poe  lie  comme  à  une 
profeffion  férieufe.  Nous  avons  de  lui 
quatre  Livres  de  THiftoire  Evangelique 
prife  de  faint  Mathieu  tout  de  fuite,  écrits 
en  vers  hexamètres:  Mais  ce  qu'il  avoit 
fait  fur  les  Sacremens  s'eft  perdu. 

Barthius  dit  (i)  que  ce  Poète  a  fait  con- 
noître  par  fon  Hiftoire  Evangelique  qu'il 
ctoit  le  plus  fimple  de  tous  les  Ecrivains; 
niais  qu'il  renferme  pourtant  plus  de  cho- 
fes  dans  le  fonds  de  fon  Ouvrage  que  fa 
montre  n'en  promet  à  l'extérieur.  11  té- 
moigne ailleurs,  que  bien  que  fa  Verfifica- 
tion  ne  foit  pas  élevée,  elle  ne  laifTe  pas 
d'être  affés  Latine;  de  forte  qu'il  préten- 
doit  y  avoir  trouvé  beaucoup  d'expreffions 
pures  &  pareilles  même  à  celles  que  l'ufa- 
ge  faifoit  employer  au  fiécle  de  devant  ce- 
lui de  Virgile.  Il  ajoute  (2)  qu'il  y  a  dans 
cet  Auteur  des  impropriétés  &  des  barba- 
rifmes,  mais  il  veut  croire  que  c'eft  plutôt 
le  fruit  de  quelques  Moines  poftérieurs. 
C'efl  la  folution  ordinaire  que  les  Critiques 
•Anti-Mowes  apportent  aux  difficultés  qu'on 
pourroit  leur  propofer  fur  la  bonté  des 
Ouvrages  des  Anciens. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  on  ne  peut  pas  dou- 
ter que  Juvencus  ne  foit  un  fort  médiocre 
Poète,  qui  a  écrit  d'un  flyle fort  bas,  fé- 
lon 

2.  Gafp.  Baith.  Adveifaiior.  lîb.  t.  cap.  t.coI.  j^o, 
.   3.  Idem  ibidem  feu  lib.  ii.  c.  23.  col.  552. 

3.  Fhiiip.  Biiçt,  lib,  4.  de  P«ët|  Lat.  p.  a,%,  pne« 
fix,  Acutc  di^ 


Poètes    L  a  t  i  n^^  s.      57T 

Ion  le  Père  Briet  (3)  &  qui  s'attachant  plu-  juvcnc«% 
tôt  à  fuivre  les  mots  de  l'Evangile  qu'à 
choiiir  des  exprefllons  Poétiques ,  femble^ 
avoir  méprifé  tous  les  ornemens  de  la 
Po'éile  par  un  refped  particulier  pour  la 
Vérité  qu'il  n'a  pas  crû  devoir  dcguifer  ou. 
fouiller  par  des  fixions.  Ainli  l'on  trouve 
plus  de  piété  que  d'élégance  dans  fes  ma- 
nières de  parler,  qui  néanmoins  ne  laif- 
fent  pas  d'être  quelquefois  ailés  naturelles^ 
mais  qui  font  toujours  fort  fimples  &  fort 
piates,  &  qui  nous  font  connoître  que  Ju- 
vencus  n'étoit  pas  meilleur  Verfii4cateur 
que  Poète  par  le  grand  nombre  de  fautes 
de  profodfe  ou  de  quantité  qu'il  a  faîtes 
dans  fes  Vers,  comme  l'a  remarqué  Mr. 
Borrichius  (4)  &  tous  ceux  qui  fe  font 
donné  la  peine  de  lire  cet  Auteur. 

*  'Juvencî  H'îfpan.  facra  Poèfis,  ftu  £• 
vafigel/cie  Hifiorice  Poëmatum  libri  iv.  in- 
80.  Calari  1573. — Sedulii ^  Juvenci  ^  A" 
rator'ts^  Prob»  Falcon'ue  Carmïna  C.  Suî- 
phii  ^  varia  aîiorum  O^ufcula  ia-40.  ^^ 
net.  1502.  ♦ 


C  A- 

4.  Olaiis  Borrich.  Diflcrtatlon.  1.  de  Poct.  Laf. 
jag.  69. 

Quibus  adëe  Ph.  Labbcura  deSciipiOlib,EççlçC*ftf 
'Koui^ium  in  Bibl,  ^c, 

■       Q6 


g7a      Poètes    Latins. 
cô^APOLLINAIRE, 

Le  jeune,  Alexa-ftârin ^  Evéque  de  Lao- 
dicce  en  Syrie,  ou  dans  la  Phenicie  du 
Liban,  Poète  Grec,  Chef  des  Apolli- 
iiariftes ,  vivant  fous  Julien  l'Apoftat, 
Jovien  &  Valens,  mort  vers  le  com- 
mencement du  règne  de  Theodofe  en 
579.  ou  380.  Il  étoit  fils  d'un  Prêtre  du 
même  nom. 

ApoHi-       '^7^  T^^   plufîeurs  Ouvrages  que  le 
Tiaiic  1^ jeune   Apollinaire  avoit  corn- 

ac jeune,  pofcs  en  vers  pour  Tufage  des  Chréciens  à 
qui  l'Empereur  Julien  avoit  défendu  l'étu- 
de des  Livres  prophanes,  &  particulière- 
ment des  Poètes  Païens  ,  il  ne  nous  eft 
redé  qu'une  Paraphrafe  fur  les  Pfeaumcs, 
<}uoiquc  pluficurs  lui  attribuent  encore  la 
Tragédie  de  Jefus-Chrijï  fouffrant ,  qui  fc 
trouve  parmi  les  PocTies  de  iaint  Grégoire 
de  Nazianze. 

C'ctoît  un  homme  de  grande  érudition, 
<5t  qui  avoit  de  grands  talens  pour  la  Poe» 
iîe,  comme  pour  les  autres  Sciences.  C'eft 

ce 

1,  Athanaf.  Epiftol.  ad  Antlochcn.  BaHl.  Ipiftol, 
7Z.  &  alibi i  Hieronym.  variis  ia  Jocis,  in  Chronic. 
«d  ann.  366.  &  37J.  Pracfat.  in  Dinicl.  &c.  Rufin^, 
î,  2.  c  ao. 

<î<»d€fr.  Herm.  Vicdefaint  Athanafe,  tome  z.liyrQ 
'il.  chapitre  13.  &  tome  i.  de  la  Vie  de  faiiit  Baille 
h\xc  i.  chap,  26.  &c 

Thil.  Labb.  Diffcnat.  de  Script.  Ecdcf.  tom,  i.  ad 
jPcilojTnjn. 

i.  Sozomra.  iit»f  j,  Hift<)r,  Eiclcf^  cap.  17.  &c. 


Poètes    Latins.      373 
ce  qui  paroît  par  les  éloges  qu'il  a  reçus,  Apolli- 
iion  feulement  de  Socratc  &  de  Sozome-  "-".^^ 
ne  ,   mais  encore  de  faim  Athanafe  ,   de    *  '^"^^ 
faînt  Ba(ile,   de  faim  Jérôme  &  de  que4- 
ques  autres  faintsDodeurs  qui  lui  ont  ren- 
du ces  tc'moignages  honorables, quoi  qu'o- 
bligés d'ailleurs  de  décrier  &  de  réfuter  fes 
héréiics  (i). 

Les  Critiques  ont  juge  C\  favorablement 
de  fes  Poclîes  (2)  qu'ils  les  ont  crues  éga- 
les à  celles  des  Anciens  les  plus  eftimés. 
Ils  n'ont  pas  même  fait  difficulté  de  le  leur 
préférer  en  une  chofe,  en  ce  qu'il  a  eu  as- 
fés  de  réfolution  pour  embralfer  lui  feul 
tous  les  genres  d'écrire  qui  ont  fait  féparé- 
ment  l'occupation  de  chacun  de  ces  An- 
ciens en  particulier. 

Qaelques-uns  d'eux  ont  prétendu  qu'A- 
pollinaire a  bien  reprefenté  Homère  dans  •• 
fes  vers  héroïques ,  qu'il  a  heureufement 
imité  Euripide  &  Menandre  dans  fes  Piè- 
ces dramatiques  de  l'une  &  de  l'autre  efpé- 
ce  ,  &  qu'il  a  parfaitement  fuivi  Pindare 
dans  fes  Lyriques  (3).  Ils  alîurcnt  qa'on 
trouvoît  dans  toutes  fes  compofitions  le 
caradére  d'un  véritable  Poète,  &  qu'on  a 

re-' 

Jotn.  Saiislxrlenf.  Poljcratlc.  feu  de  Nugiscurial* 

1.   s.  C.  XT. 

Gcr.  Join.  Voffius  de  Poct.  Gtzc.  lib.  Cngul. 
pag.  76. 

|.  Hcnn.  Sozom.  Hift.  de  PEglifc  4.  fieclc  livre 
4.  fag.  iiï,  de  l'cdit,  d'Hol.  l'an  de  J.  C.  j<î2.  oîi 
il  dit  que  les  compofitions  d'Apollinaire  n'cuflen» 
^3LS  été  moins  admirées  c{uc  celles  des  Anciens,  ft 
«lies  cuflcnt  e«i  l'avantage  de  l'Antiquitc  qui  -coa- 
facroit  les  productions  de  ceux  qu'ApoUiiiiùlc  cga^ 
Wu,  s'il  ne  ici  furpaiToit  5c c. 

Q7 


374    Poètes    Latins. 

Apolii-      remarqué  dans  tous  fes  vers  de  la  force, de 
nairc         \^  méthode  &  de  la  cadence,  &  fur  toutes 
e  jeune.      c^Qf^g  u^g  grande  facilité  pour  ta  verfiti* 
cation. 

-  Mais  cette  dernière  qualité  a  pafTé  dans 
Tefprit  de  faint  Jérôme  pour  un  grand  dé- 
faut (i).  Ce  Père  confidéroit  la  promptitude 
avec  laquelle  Apollinaire  expédioit  fes  Ou- 
vrages comme  une  précipitation  Wâmable 
qui  lerendo't  peu  éxadôc  fujet  à  beaucoup 
de  fautes.  C'ell:  peut-être  ce  qui  a  fait  dire 
à  Pollevin  (i)  que  bien  que  fa  Paraphrafe 
fur  les  Pfeaumes  foit  fort  ellimée,  on  ne 
doit  pas  lailîer  de  la  lire  avec  beaucoup  de  pré- 
caution. C'eft  un  avis,  qui,  félon  le  mê- 
me Critique,  ne  regarde  pas  moins  le  peu 
d'éxaélitude  d'Apollinaire  dans  fes  fenti* 
mens  fur  les  dogmes  de  notre  Religion^ 
parce  que  cet  Auteur,  dit  Bellarmin  (3), 
étant  beaucoup  moins  exercé  dans  l'étude 
de  la  Théologie  que  dans  celle  de  la  Poe- 
tique  &  de  la  Rhétorique  ,  il  eft  tombé 
dans  des  erreurs  très-confidérables  qui 
Tont  même  rendu  Chef  de  fe6le. 

Quant  à  la  Tragi-comédie  fur  la  Palîîon 
de  Jefus-Chrift  (4),  les  Critiques  moder- 
nes (5")  femblent  y  avoir  trouvé  deux  dé- 
fauts confidérables ,  le  premier  eft  d'avoir 
^onné  un  air  trop  tragique  aux  difcours 

qu'il 

ir  1.  S.  Hieronyra.  Catalog.  de  Sctiptorib.  Ecdcfi. 
lUuftr.  Honor.  Auguftod.  èi.  alii. 

2.  Ant.  Poffevin.  in  Appar.  Sacr.  tom.  i. 

î.  Rob.  BcUaim»  in  lib.  de  Sciipt.  Ecdcf.  ad  ann, 
Î65. 

4.  11.  11  n'y  a  aulle  certitude  que  cette  Tiagédie 


Poètes    Latins.    37$* 
qu'il  t\it  tenir  à  fes  perfonnages  ,1e  fécond  Apolli- 
eft  d'avoir  employé  un  ftyle  tout-à-fait  co-  naue 
mique  dans  des  fujets  tragiques,    c'eft-à-  ^^ '^"ûc, 
dire  d'avoir  traité  d'une  manière  trop  bas- 
fe  des  matières  très -nobles  &  très -rele- 
vées. 

*  ApoUinarii  Metaphrafis  feu  Interpre* 
tatio  PjalmorHm  Davidis  Gr.  Carminé  cwm 
verfione  Laùna  in*8.  ^arif.  1580. 

3^  S.  GREGOIRE  DE  NAZIANZE, 

Evêque  de  Safimes^  puis  de  Conftantwopley 
né  Tannée  que  fon  Père  Grégoire  le 
vieux  fut  fait  Evêque  de  Nazianze  l'an 
327.  un  an  devant  faint  Bafile:mort  l'an 
389.  dix  ans  après  faint  Balîle. 

1177.  TE  ne  fai  pas  encore  quel  eft  lePa-  g  Greeoî. 
J  tron  que  la  Société  des  Poètes  lê  de  Na' 
Chrétiens  en  général  s'eft  choifi,  mais  je  zUûzc, 
.  crois  que  faint  Grégoire  de  Nazianze  l'eft 
ou  peut  l'être  de  ce  corps  de  Poètes  Ec- 
cléfîaftiques ,  tant  Réguliers  que  Séculiers, 
qui  veulent  blanchir  fous  les  lauriers  du 
Parnaffe  ,   &  qui  prétendent  mourir  ea 
chantant.  ^    • 

C'eft  une  chofeafTés  extraordinaire,  & 
par  conféquent  très-digne  de  remarque,  de 

voir 

f©it  d*Apo]linarîs.  Tous  les  Manufcrits  l*^attribucnt 
i  S.  Grégoire  de  Nazian-zc  quoi  qu'elle  foit  très-pca 
digne  non  feuleiucnt  de  lui,  mais  du  plus  médiocKÎ 
vcrllhcatcur. 

5.  G.  Jeh.  Vofl.  Inftitution.  roët^^  lib.  2.  cap»  14^ 
parag,  »,  pajj,  71^  *^* 


37^    Poètes    Latins. 

s.  Grcgoi-  voir  queceDoâeurde  l'Eglife, après  avoir 
rc  de  Nt.  vécu  jufqu'à  l'âge  de  cinquante- cinq  ans 
zunzc,  ^^^^  ^Ç5  exercices  trcs>fc'ricux  &  très-é- 
loignés  de  Tenchantement  des  Mufes, fem- 
bie  s'être  dépouillé  de  tous  les  foins  que 
Ton  pouvoit  attendre  d'une  perfonne  pri- 
vée &  publique  de  l'Eglife,  pour  jouïr  da 
repos  de  fa  vieil leflè  en  qualité  de  Poète. 

Ce  n'efl:  pas  qu'il  ne  fe  fût  appliqué  à  la 
Poèïîe  dès  le  tems  de  Julien  l'Apoftat , 
lorfque  ce  Prince  voulut  par  Edit  ôter 
;iux  Chrétiens  Tufage  des  Poètes  propha- 
nes  avec  celui  de  tous  les  autres  Livres  des 
Païens  !  mtis  puifque  la  Tragi-comédie  de 
]cr\iS'Chriù.  fouffra^it  n'en  pas  de  lui,  corn- 
me  nous  l'avons  vu  plus  haut,  on  nepeut 
pas  dire  qu'il  nous  foit  redé  aucune  Poëlîc 
de  fa  façon  qui  ait  la  moindre  apparence 
d'avoir  été  compofée  du  vivant  de  Julien. 
Il  eft  alTés  inutile  à  mon  delïein  d'exami- 
ner quels  ont  été  les  motifs  de  faint  Gré- 
goire en  faifant  de  la  Poe  ne  une  des  prin- 
cipales occupations  de  fes  dernières  an- 
nées; &  ceux  qui  voudront  fe  fatisfaire  fur 
ce  fujct  peuvent  confulter  Mr.  Hermant 
dans  la  Vie  de  ce  Père  (i)  &  le  P.  Tho- 
inalîjn  dans  fon  Traité  de  la  manière  d'é- 
tudier &  d'enfeigner  Chrétiennement  les 
Poètes  {2).  Il 

T.  Gcdcfr.  Hermant  ,  Vie  de  faint  Bafîle  &  de 
£aint  Grégoire,  Jivrc  10.  chap.  t6.  pag.  319.  Jîo, 

V.  Grcgor.  Prcsbyi.  de  Vit.  Gxeg.  Naz.  Itcai  Sul-^ 
das  in  Lexico. 

V.  &  Jacob  Billius  in  «dit.  Operum  Naz. 

^.  Louïs  ThomaflÎQ,  de  Ja  manière  d'étudier  & 
^'cufcigner  Chietiçûacment  les    J'cctç*  ,  Préface, 


Poètes    Latins.      577 

Il  fuffit  de  marquer  que  Tes  vers  ont  été  s.  Grcgoi- 
^galement  goûtés  &  refpcdcs  dans  J'Egli-  ^^^nzc^*' 
fe  Grecque  &  dans  la  Latine  en  toutes 
fortes  de  tems.  On  y  a  toujours  tort  elli- 
mé  cette  belle  diverlîté  qui  a  paru  dans  tant 
de  formes  de  vers.  Maïs  il  n'y  a  rien  de 
plus  important  que  d'avoir  par  la  fagefle 
de  fa  conduite  maintenu  l'honneur  de  la 
Pocfie  Chrétienne,  fans  avoir  recours  aux 
rêveries  des  Fables  de  l'xAnhquîtc,  ni  aux 
preftiges  des  Divinités  ridicules  du  Paga- 
nifme. 

Quelque  chofe  que  l'on  puîfle  alléguer 
pour  faire  voir  la  différence  qu'on  prétend 
trouver  entre  la  bonté  de  fes  vers  &  l'ex- 
cellence de  ceux  des  Anciens  Poètes 
Grecs,  on  doit  convenir  avec  Dom  Lan- 
celot  (3)  que  fa  Poéfie  efk  belle  générale- 
ment parlant ,  &  que  fes  vers  font  beau- 
coup plus  pompeux  &  plus  relevés  dans 
les  chofes  que  ceux  d'Homère. 

Tous  fes  Poèmes  font  afTés  courts,  & 
ils  n'ont  rien  qui  foit  ennuyant  ou  inutile 
félon  Mr.  Hermant  (4).  Il  y  exprime 
quelquefois  les  fentimens  de  fon  ame,  & 
quelquefois  il  y  fait  l'éloge  de  la  Vertu  ou 
la  condamnation  du  Vice:  tantôt  il  y  en- 
feigne  les  dogmes  de  notre  Religion ,  tan- 
tôt 


rag.  5. , 

Le  même  dans  le  même  Ouvrage  livre  r.  chap.  r, 
nomb.  I.  &  9   pAg.  8.  ».  10.  II. 

}.  Frcf.  de  \a  Noav.  Mcthod.  pour  la  Lingue 
Grecque  pag.  jiî. 

4.  G.  Hcim.  fin  du  chap.  i6.  comme  ci- dcflus  pag. 

iiO,  J3I. 


ZliiïZÇ. 


378  Poètes  Latins. 
s.  Grcgoi-  tôt  il  y  traite  quelques  fentences  &  quel- 
^anL^*'  ^^^^  points  de  Morale,  ou  il  y  reprefente 
divers  préceptes  pour  les  faire  retenir  plus 
facilement  par  la  cadence  &  la  mefure  des 
vers.  Enfin  on  y  remarque,  ajoute  le  mê- 
me Auteur,  par  tout  du  feu,  qui  eft  admi- 
rable dans  un  z^e  fî  avancé ,  mais  qui  eft 
plein  d'une  lumière  que  Ton  voit  toujours 
également  entretenue  par  Tonâiion  de  fa 
piété ,  &  qui  n'eft  nullement  difpropor- 
tionné  à  la  gravité  d'un  grand  &  d'unîaint 
Do6leur  de  TEglife. 

Mais  j'efpere  parler  de  ce  Père  avec  plus 
d'étendue  au  Recueil  des  Théologiens  par- 
mi les  Auteurs  Eccléliaftiques. 

*  On  trouve  les  Poëlies  de  S.  Grégoire 
de  Nazianze  dans  fes  Oeuvres  imprimées 
à  Paris  1609.  2.  vol.  in-fol.Gr.Lat.  * 

;         gO^SYNESIUS, 

De  Cyrene  ou  Cairoa»,  dans  la  Province 
de  la  Libye  qu'on  appelloit  Cyrenaïque, 
Evêque  de  Ptolematde  ou  T'olometta 
dans  la  Pentapole  qui  faifoit  partie  de  la 
même  Province;  d'autres  fur  la  foî  de 
quelques  Grecs  le  font  Evêque  de  Gy- 
rene-même;  prétendant  que  cette  Ville 
a  porté  aulîi  le  nom  de  Ptolémaïde  ^ 
peut-être  auroit-il  eu  foin  des  deux  Egli- 
fes.    II  vivoit  fous  l'Empereur  Arcade. 


Syaefîus. 


II 78.  IVTOus  avons  parmi  les  Oeuvres 

JL\1   de  ce  Prélat  dix  Hymnes  de 

•  fa 

I.  Louïs  Thomafïîn,  de  la  manière  d'étudier  &c 
d'enfeigner  Chxéuenncmentks  f  oetes ,  Préface ,  pa- 
ges 6.  7. 

2,  Joan» 


Poètes  Latins.  579 
f;i  façon,  par  lefquellcs,  au  jugement  du  Syncfius, 
Père  ThomalTin  (i),  il  a  montré  combien 
il  ell:  facile  d*exprimer  &  d'inlinuer  par  ce 
moyen  dans  les  efprits  ce  que  la  Théolo- 
gie a  de  plus  élevé ,  &  la  pieté  de  plus  ten- 
dre. Tout  Chrétien  &  tout  Philofophe 
qu'il  étoit ,  il  ne  pouvoit  s'imaginer  que 
refprit  humain  pût  abfolument  fe  paffer  de 
plailirs  &  de  divcrtiflemens.  Il  croyoit  au 
contraire  que  Dieu  avoit  attaché  l'ame  au 
corps  par  les  fens  du  plailir,  afin  qu'elle 
ne  s'ennuyât  pas  d'un  poids  fi  pefant  &  li 
peu  proportionné  à  fa  nature  intellectuelle.  .m-14 
Or  le  plaifir  le  plus  innocent  qui  rabbaifîè 
le  moins  la  dignité  de  l'ame  ,  &  qui  lui 
laiiTc  plus  de  liberté  de  s'élever  vers  le  Ciel 
eft,  félon  ce  Père,  celui  qu'on  goûte  dans 
l'étude  de  la  Pocfie,&  des  autres  connois- 
fances  humaines. 

Mais  quelque  louable  qu'ait  été  Tinteii- 
tion  de  Synefius,  lorfqu'il  a  prétendu  ren- 
fermer dans  fes  vers  les  maximes  de  la 
Théologie,  &  les  fentimens  de  la  piété 
Chrétienne,  un  Maître  du  facré  Palais  (2) 
nous  a  donné  avis  qu'ils  ne  font  pourtant 
pas  encore  entièrement  éxemts  de  cet  air 
de  la  Phlofophie  Païenne  qu'il  avoit  con° 
tra(5lé  avant  fa  converfion;  qu'il  a  inféré 
dans  fes  Hymnes  des  manières  de  parler 
&  de  penfer  qui  font  encore  toutes  Plato- 
niciennes &  tcdtes  Pythagoriciennes  ,  & 
que  la  néceffité  de  garder  la  mefure  des 

vers 

z.  Joan.  Maria  Branchcllanus  in  Décret,  facr. 
Congr,  Indic.  Expurg. 

Item  ex  eo  Fhilipp,  Labb.  tom.  2.  DifTeitat.  d€ 
Sai^»torib.  Ecdef,  pag.  377, 


3^0     Poètes    Latins. 

Synefius.  vers  ne  luî  a  point  permis  d'être  aulTi  éxaél 
fur  la  Trinité  qu'un  Théologien  qui  écri- 
roit  en  profe. 

*  Synefii  Opéra  Gracè  ^  Latine  ex  ver- 
fione  Diomfit  Fetailï  in-tbl.  Parif,  1612.* 

€t    m  U  s  F  E, 

Grammairien,  vivant  vers  le  commence- 
ment du  cinquie'me  iiécle, Poète  Grec, 
Païen. 

j^ufç'g^  II79*  *VT  Ous  avons  encore  les  vers  que 
J.^  cet  Auteur  a  compofé  fur  les 
Amours  d'Hero  &  de  Leandre.  Jules  Sca- 
liger  juge  que  fon  (lyle  eft  plus  châtié  & 
plus  poli  que  celui  d'Homère.  C'ell  un 
jugement  que  Scaliger  a  porté  à  l'aveugle 
dans  la  penfce  que  cet  Auteur  étoit  cet 
ancien  Mufce  qui  vivoit  devant  Homère, 
&  qui  étoit  contemporain  à  Orphée  (i). 
La  manière  de  cenfurer  les  Livres  en  ell 
afTés  plaifante,  &  quand  il  arrive  qu'on  fe 
trompe  auffi  grofliérement  fur  un  Principe 
de  Critique  pareil  à  celui-là,  c'eft-à-dire, 
qu'en  jugeant  du  ftyle  par  le  fiécle  de 
l'Auteur  ,  on  ne  s'abufe  que  de  dix -huit 
cens  ans ,  on  peut  fe  préparer  à  rire  de  la 
conclufion  ,  quand  même  le  hazard  l'au- 
roit  rendue  véritable.  Jofcph  Scaliger  a 
bien  remarqué  cette  bévue  de  fon  Père,  & 

il 

I.  Jul.  Ca:f.  Scaliger  in  Critic.  feu  lib.  5.  Poctices 

p«g.  529. 
Mura:i  huius  &  Homcri  locos  flmul  confcrr. 

z,  Jo- 


1t 


Poètes    Latins.     3?! 

il  n'a  pu  s'cmpccher  de  la  relever  en  difant  Mufcc. 
(2)  que  cet  Auteur  n'e(t  pas  l'ancien  Mu- 
fde.  „  Mon  Père  en  faiToit  plus  de  cas 
„  qu'il  ne  faloit  en  le  préférant  à  Homère, 
,,  mais  il  ne  s'entendoit  pas  bien  à  la  Poc- 
,,  fie  Grecque.  Muféc,  continué-t-il,  a 
,,  un  ftyle  de  Sophille ,  &  qui  n'eft  pas 
„  pompeux  comme  celui  de  Nonnus  de 
,,  Panople. 

Gafpar  Barthius  prétend  (3)  que   ce 
Poème  a  été  compofé  avec  beaucoup  d'a- 
drcfle  &  de  conduite,  &  qu'il  e/l  incom- 
parable pour  le  ftyle  fleuri  &  abondant.    Il 
ne  peut  pourtant  fe  refondre  de  le  pardon- 
ner à  Jules  Scaliger  d'avoir  bien   ofc  le 
comparer  à  Homère,  parce  que  non  feu- 
lement le  ftyle  affeâé  de  Mufée  n'a  rien 
de  l'air  naturel  de  celui  d'Homère,  mais 
qu'il  y  a  encore  entre  la  conduite  de  ce 
moderne  &  la  fagefTe  d'Homerc  unediftan- 
i  ce  auffi  grande  qu'efl  celle  qui  fépare  la 
Terre  d'avec  le  Ciel.    Il  foutient  que  Mu- 
fée n'a  que  des  beautés  fuperficielles,  qu'il 
cil  peint  &  fardé  dans  tout  ce  qu'il  dit, 
qu'il  ne  s'attache  qu'à  l'harmonie  &  à  la 
cadence  de  fes  vers ,  &  qu'il  n'a  cherché 
qu'à  amufer  fon  Ledieur  au  lieu  de  l'ins- 
truire; en  un  mot  qu'il  n'y  a  point  dans 
fon  Poème  de  quoi  fatisfaire  les  Savans , 
qu'on  n'y  trouve  point  de  cette  érudition 
qui  ell  néceffaire  ^\x%.  Poètes ,   &  qui  ne 

peut 

2.  Tofeph  Scaliger  in  pofterîorlb.  Scaligcraru 
pflg.  6$. 

j.  Gafp.  B.îrthius  lib.  47.  Advcrfaiior.  caf.  22, 
col.  2230.  :2|i. 


382.      P   O  E  T  E  s     L  A  T   I   N  Sr 

Mufce.  peut  plaire  qu'à  la  populace  &  aux  erprits 
du  commun. 

Enfin  Volîîus  dît  (i)  que  cet  Ouvrage 
de  Mufée  fait  voir  que  fon  Auteur  avoit 
plus  d'artifice  que  de  génie  (2). 

*  Mufœ'î  Krotopagn'îon ^  Herus  ^ Lean- 
âri  Gr,  Lut,  ^  ait  a  ejufdem  argumenîi 
Poëmata  cum  Comment,  Dan»  Parei  iii-4. 
Francof.  1627.  -— —  Idem  cum  Notis  Jac, 

Rondelli  in-S.  Parif,  1678. Idem  cuni 

Nous  P.  Voet.  in- 8.  Ultraj.  1645-. 

A    U    S    O    N    E, 

De  Bourdeaux  fous  Valentinîen  première 
Gratîen,Gonrul  avec  Olybrius  l'an  379, 
par  la  gratification  de  l'Empereur  fon 

.  difcîple  :  mort  fur  la  fin  du  quatrième  fié- 
cle,  ou  au  commencement  du  fuivant. 
{Decîus  ou  Decimus  Magnus  Aufomus), 

Àufoûc,  1180.1*  Es  Critiques  femblent  s'être  co- 
JL  piés  les  uns  les  autres  pour 
mieux  convenir  enfemble  de  deux  chofes 
touchant  le  jugement  qu'ils  ont  crû  de- 
voir faire  des  Poëfies  d'Aufo'ne.  La  pre- 
mière efl:  que  c'étoit  un  bel  efprit ,  un  gé- 
nie aifé  ,  fubtil  ;  &  un  Poète  également 

agréa- 

r.  Gérard.  Joan.  VofT.  de  Artc  Poëtica  lib.  Cngu- 
lari  cap.  5.  num.  4.  pag.  27. 

2.  ^.  Voyés  le  nouveau  JMenagiana  page  6.  7,  8c 
3Z5.  du  2.  vol. 

3.  J.  C.  Scalig.  Poëtic.  Thom.  Dempfter  in  Elcm- 
cho  AuÊlor.  ad  Rof.  Auguft.  Buchncr.  in  Thefauta 
Safilii  f  abxi  à  fc  SDi&iQf  ^  lili  a£u4  Maxtio,  Haock. 


1 


Poètes    Latins.    3^3 

agréable  &  favant:  la  féconde  eft  que  fon  Aufone. 
ftyle  eft  un  peu  trop  dur,  quoiqu'il  fcm- 
ble  avoir  quelquefois  alfés  d'élégance  (3). 

Erafme  témoigne  que  ce  flyle  tient  beau- 
coup de  la  licence  &  de  la  mollelfe  de  la 
Cour  (4),  auffibien  que  la  conduite  par- 
ticulière de  fa  vie;  qu'il  ne  fe  fent  point 
du  liécle  de  Ciceron ,  &  qu'effedivement 
ce  feroit  faire  autant  d'injure  à  Aufone  de 
Tappeller  Ciceronien  ,  que  fi  on  appelloit 
Allemand  un  homme  qui  voudroit  paffer 
|)our  François.  Mr.  Borrichius  prétend 
que  tout  eft  bien  choifi  &  bien  travaillé  (s) 
dans  fes  compofitions ,  &  qu'il  n'y  a  rien 
qui  ne  foit  fort  ingénieux  ;  mais  qu'il  n'a 
pu  fe  dégager  des  imperfeâions  de  fon 
fiécle. 

Cependant Symmaque  n'a  point  laifTé  de 
dire  qu'on  trouvoit  dans  les  Ecrits  d'Au- 
fone  la  douceur  &  les  agrémens  de  Cice- 
ron (6).  Mais  il  ell  bon  de  confidérer  que 
Symmaque  pouvoit  être  l'ami  d' Aufone, 
&  que  comme  ceux  qui  vivent  dans  un 
même  lieu ,  &  qui  font  accoutumés  les 
uns  avec  les  autres,  ne  s'apperçoivent  point 
de  la  mauvaife  odeur  ou  des  autres  qualités 
vîcieufes  qu'un  même  air  leur  communi- 
que, on  peut  dire  de  même  qu'il  n'étoît 

pas 

in  utraquc  parte  de  Script.   Rer.  Rom. 

.    4.  Erafra.  in  Pialog.  Ciccronian,  pag.  I49.  cdit; 

Batav.  in-ji. 

5.  Olaiis  Boiiîchius  DiiTertat.  2.  de  Poëtis  Latia. 

6.  Symraach.  lib.  i.  Epiftol,  ad  D^  M|  Aufoûiiua, 


3S4    Poètes    Latins. 

Aufonc.  pas  aîfé  à  Symmaque  de  bien  fentir  les  dé- 
fauts du  ftyle  &  des  manières  d' Au Ibne , 
parce  qu'il  étoit  environne  d'un  même  air, 
c'ed-à-dire  qu'il  vivoit  dans  un  même  fié- 
cle,  &  peut-être  dans  une  même  Cour. 

Jofeph  Scaliger  qui  en  étoit  fort  éloi- 
gné, quoique  né  dans  la  même  province, 
i'efl:  contenté  de  reconnoître  en  lui  beau- 
coup d'érudition  ,  &  de  dire  que  c'étoit  le 
plus  favant  de  tous  ceux  qui  avoient  paru 
depuis  l'Empereur  Domitien  jufqu'alors, 
&  que  ce  n'eil  pas  entièrement  perdre  le 
tems  que  de  l'employer  à  lire  cet  Auteur 
(1).  Vives  témoigne  même  qu'il  y  a  dans 
fes  écrits  de  certains  aiguillons ,  &  un  cer- 
tain fel  qui  réveille  fon  Le6leur  ou  qui 
l'empêche  même  de  s'endormir  dans  fa 
le6lure  (2)  ;  &  Brodeau  le  Chanoine  de 
Tours  trouvoit  fort  mauvais  qu'on  l'appel- 
îât  Poète  de  fer ,  pour  en  donner  du  dé- 
g'oût  comme  on  faifoit  de  fon  tems  (3). 
C'eft  aulTi  ce  qu'Elie  Vinette  ne  pouvoit 
approuver  (4). 

Mais  il  femble  que  perfonne  ne  foit  en- 
core allé  fi  loin  que  Barthius  dans  les  élo- 
ges que  l'on  a  donnés  à  Aufone.  Car  il 
ne  fe  contente  pas  de  dire  que  tout  ce  qu'il 
a  fait  doit  être  conlidéré  comme  un  fruit 
de  la  bonne  Latinité  (5-),  que  tout  y  eft 

au- 

T.  Jof.ljuft.  Scalig.  in  not.  adCataleft.  Virgilian, 
ic  ap.  M.  Hanck. 

2.  T.  Lud,  Vives  de  trad,  difciplin.  lib.  j. 

3.  Joan.  Eiodzus  Turoncnl.  lib.  i.  Mifcellancor* 
cap.  6. 

4.  Elias  YlflctusSaacoEai bel;  inCom«Cfft.ad  An» 

fo- 


Poètes  LaTins.  385* 
'autoriTé  par  quelque  exemple  de  TAnti-  Auroat{ 
quité,  qu'il  ctoit  trop  dode  pour  fon  fié* 
cle,  &  que  les  Livres  qu'il  aiinoit  le  plus 
à  lire  font  ceux  que  nous  avons  perdus: 
mais  il  prétend  encore  qu'il  y  a  tant  de  di- 
vinité dans  fes  Ouvrages  (6) ,  que  cela  l'a 
élevé  beaucoup  au-dellus  de  tous  les  Poé* 
tes  de  fon  tems. 

Néanmoins  quelque  apparence  de  vérité 
que  l'on  puifle  trouver  parmi  ces  éloges 
outrés  de  Barthius,  je  crois  qu'il  eft  bon 
de  les  modérer  par  ceux  de  Jules  Scaliger. 
Ce  Critique  témoigne  (7)  que  tout  n'efl: 
pas  égal  dans  Aufone,  que  ce  Poète  a  em- 
bra/Té  divers  fujets,  mais  avec  un  fuccès 
afles  divers ,  &  qu'il  vaut  mieux  prendre 
garde  à  ce  qu'il  a  été  capable  de  faire,  qu'à 
ce  qu'il  a  fait  effcdivement..  Il  prétend 
qu'on  ne  trouve  prefque  pas  une  de  fes 
Epigrammes  qui  foit  travaillée  ,  &  qu'il 
n'y  en  a  pas  qui  n'ait  quelque  dureté; qu'il 
y  en  a  même  alTcs  de  froides ,  quelques- 
unes  autfi  d'impertinentes ,  &  d'autres  qu'il 
s'elt  contenté  de  changer  du  Grec  fanf 
pouvoir  en  faire  paffer  la  beauté  originale 
dans  fon  Latin.  Il  ajoute  que  c'étoit  un 
Auteur  alfés  négligent,  &  que  l'on  trou- 
ve plufieurs  de  fes  ïambes  affés  bien  com- 
mencés &  dans  une  afles  grande  pureté, 

qui 

fonii  Opcn. 

j.  Gafpar  Barthius  Adferrarîor,  lib.  j.cip.  7.  CoL, 
lai.  122. 

6,  Idem  in  cod.  libio  ejufd.  Opeiis  cap.  li.  coU 
144. 

7.  Jul.  CxC  Scaliger  Hypcrçitic  lib.  f^  Tpëtig, 


l%6      Poètes    Latins. 

|i.ur<?âC»  qui  finiflent  très-mal ,  &  qui  rampent  dans 
la  fange,  faute  de  s'être  donné  la  peine  de 
fe  foutenir  ,  de  revoir  &  de  corriger  fes 
jecrîts. 

Ce  font  des  défauts  qu'il  auroit  dû  ré- 
compenfer  par  quelques  bonnes  qualités 
prifes  d'ailleurs  ,&  qu'il  devoit  réparer  par 
des  maximes  &  des  fentimens  tirés  de  la 
Morale,  comme  les  meilleurs  Poètes  de 
l'Antiquité  avoient  eu  foin  de  faire  avant 
lui.  Mais  comme  il  vivoit  parmi  les  Chré- 
tiens il  avoir  peut-être  peur  qu'on  ne  le 
confondît  avec  eux,  li  on  lui  eût  trouvé 
des  fentimens  trop  conformes  aux  leurs 
touchant  les  mœars  (i). 

Le  mêmeScaliger  dit  qu'il  y  a  parmi  fes 
Ouvrages  des  chofes  fi  honteufes  &  fi  dé- 
tejlables^  que  comme  elles  ne  dévoient  ja- 
mais trouver  d'Ecrivains  pour  être  rappor- 
tées, elles  doivent  trouver  encore  moins 
de  Lecteurs  &  d'Auditeurs  depuis  qu'elles 
ont  été  écrites  ;  que  ce  n'eft  point  avec  l'é- 
ponge ,  mais  avec  le  feu  vangeur  qu'on 
doit  abolir  toutes  ces  infamies  ;  &  qu'on 
ne  doit  point  le  pardonner  à  la  négligence 
des  fiécles  fuivans  qui  ont  fouffert  qu'el- 
les foient  venues  jufqu'à  nous. 

Il  auroit  été  du  moins  à  fouhaîter  qu'on 
eût  exterminé  le  miférable  Centon^  c'eft- 
à-dire  cette  méchante  pièce    de  rapport 

qu.'il 

î.  ç.  BaîIIet  qui  prend  ici  Aufone  non  {culcment 
pour  un  Païen,  mais  pour  un  Païen  mal-honnête 
homme  a  pu ,  avant  que  de  mourir ,  le  voir  juftifié  hu 
l'un  &  fur  l'autre  chef,  dans  le  DidionnaiicdcBay- 
2c page  43;. de  U  it  cdit^  4c  F^otcidâin, 


Poètes     Latins.     3S7 

tju'il  a  faite  des  moitiés  de  vers  de  V^irgile,    Aafunc:; 
fur  des  matières  purement  erotiques.  C'elL 
avec  beaucoup  de  juiiice  que  l'Univerfité 
de  Paris  fe  plaignoit,  il  y  a  quarante  ans, 
de  la  malice  que  ce  Poète  a  eue  de  faire 
parler  d'une  façon  très-deshonnête  Virgile, 
c'elVà-dire  celui  des  Poètes  de  TAntiquitc 
qu'on  a  toujours  loué  le  plus  pour  fa  chas- 
teté (i).    Et  le  P.  Briet  Jéfuite  a  porté 
fon  7,èle  encore  plus  loin,  lorfqu'il  nous 
a  dépeint  cette  adion  d'Aulbne  comme  un 
attentat  punilfable,  jugeant  qu'il  n'y  avoit 
pas   moins  d'impudence    &    d'effronterie 
que  d'impureté  &  d'infamie  dans  un  hom- 
me qui  avoit  été  capable  de  commettre  une 
telle  infidélité  ,   &   qu'il  y  avoit   quelque 
chofe  de  plus  diabolique  qu'humain  dans 
ce  pernicieux  art  de  pervertir  les  chofes, 
c'eiî-à-dire  de  les  changer  de  bien  en  mal 
pour  drdfer  des  pièges  à  l'innocence  &àla 
pureté  de  la  jeuneffe  (3). 

Au  reile  la  même  juflice  que  nous  ve- 
nons de  rendre  aux  Poëlies  deshonnêtes 
d'Aufone ,  nous  oblige  de  parler  avanta- 
geufement  de  fon  Poe  me  fur  la  Mofelle. 
C'eft  un  Ouvrage  qui  a  mérité  fans  doute 
une  bonne  partie  des  éloges  que  Symma- 
que  luî  a  libéralement  donnés ,  quoiqu'il  y» 
ait  de  l'excès  dans  la  manière  dont  il  l'ap- 
proche de  Virgile  (4).    Scaliger  s'eft  con- 

teii- 


2.  Rcponfc  de  rUnivcrfitc  à  TApologie  du  P.  Nie, 
Cauflin  pag.  358. 

3.  Philipp.  Biiet.  lib.  4.  de  Foëtis  L;itlu.  psg,  50, 

4.  Symmach,  lib,  i,  Epiftol.  qux  inçipit ,  r<;i4  a 
me  Utérus, 

R  z 


38S  Poètes  Latins. 
Àufone.  tenté  de  dire  (i)  que  ce  feul  Poème  d'Au- 
fone  peut  lui  acquérir  la  qualité  de  grand 
Poète,  à  caufe,  dit-il,  qu'il  y  a  beaucoup 
d'art,  de  dirpolition  ,  d'élocution  ,  de  fi- 
gures ,  de  génie ,  de  candeur  ,  &  de  fub- 
tilité. 

Avec  tout  cela  îl  femble  que  le  Père 
Rapin  n'ait  pas  jugé  à  propos  de  diftinguer 
ce  roëme  de  la  Mofelle  d^avec  les  autres 
Ouvrages  d'Aufone,  lorfqu^il  a  témoigné 
(2)  ne  faire  aucun  cas  de  toutes  les  Poë- 
lîes  ,  difant  que  ce  Poète  n'a  pu  s'élever 
au-defTus  de  la  foibleffe  de  Ton  liécle. 

Quelques  Critiques  (3)  prétendent  que 
les  Diliîques  Moraux  qui  portent  le  nom 
de  Caton  font  d'Aufone.  Mais  c'eft  une 
conje6lure  dont  ils  devroîent  nous  faire 
voir  les  fondem-ens. 

*  Aufom'î  Opéra  cum  Comment.  EL  Vf 
neti în-4.  Burdigalie  1 5'So.  —  Cum  Notis  va. 
riorum  per  Jac,  "ïolUum  ia-8.  Amjlel.  lô'ji 

PROl 


1.  JuL  CxC  Scâliget  1.  6.  Poëtic.  ubi  fuprà. 

2.  Le  P.  Rapin,  Rcflex.  xiv.  2.  part. 

3.  %.  Baptifta  Pius  fur  l'Epitre  de  Cice'ron  à  Do- 
labcUa  inférée  parmi  celles  du  quatorzième  livre  \ 
Atticus,  &  Guillaume  Cantcrus  dans  fa  Préficc  fur 
Euripide  font  les  feuls,  je  pcnfe,  qui  fe  foient  avi- 
fcs  d'attribuer  ces  Diiliques  à  Aufone.  Contre  cet- 
te opinion,  qui  n'a  pas  de  fondement,  Jofeph  Sca- 
ligcr  allègue  deux  raifons  très-pertinentes.  La  i, 
que  conftamment  l'Auteur  des  Diftiques  eft  un  Ecri- 
vain Païen,  ce  qui  ne  peut  convenir  à  Auione  ,  qui 
n'auroit  pas  été  chéri  des  Empereurs  comme  il  fut, 
s'il  eût  fait  profeffion  d'une  autre Relij;ioa  que  de  la 
leur.  La  a.  que  Vindicien  dans  une  Epître  à  l'Em- 
pereur Valentinien  premier,  dont  il  eioit  Médecin, 
«yaat  cite  m  veis  dç  ce  Catou;  comniç  Qaa  coa- 
ti* 


i 


Poètes    Latins.       3S9 

PROBA  FALCONIA  HORt 
TINA, 

Poète  Chrétienne,  Dame  Romaine,  fous 
Gratien,  femme  d'Adelphius  (4),  tîUe 
d'Anicius  ProbnSy  niere  de  Julienne  & 
ayeule  de  la  Vierge  Demetriade. 

118  [  I^T  Ous  avons  fous  fon  nom  quel-  proba  Faj-; 

X^  ques  refies  de  Ceyjtons  de  Vir-  conia, 
gîle  fur  divers  endroits  de  l'ancien  &  du 
nouveau  Teftament.  Mais  quand  on  nous 
aura  prouvé  que  ce  que  nous  avons  ell  vé- 
ritablement d'elle, nous  nous  appliquerons 
alors  avec  plus  de  foin  à  rechercher  les  ju- 
gemcns  qu'on  en  a  faits.  11  fuffit  de  dire 
que  fon  Ouvrage,  malgré  le  génie  &  Tin- 
dullrie  qui  y  paroiiloit ,  ne  lailïa  point  d'é* 
tre  mis  au  rang  des  Livres  Apocryphes  (f): 
maïs  perfonne  n'ignore  la  ditlcrence  de 

IV;;- 


tume  de  citer  quelque  pafîage  d'un  Ancien,  il  e'toit 
naturel  de  conclure  qa'Aulonc  ctoit  confîdérablc- 
menr  poftérieur  à  ce  Caton. 

4.  f.  Cet  Adelphius  n'eft  connu  que  d'indore, 
Pioba  Falconia  étoit  femme  d'Anicius  Scxtus  Petro- 
nius  Probus.  Plufieurs  au  lieu  de  Falconia  ,  difcnt 
Faltoiiia,  conformément  aux  anciennes  Infcriptions, 
L'Abbé  Fontanini  1.  z.  de  fes  Antiquités  de  U  Co- 
lonie Horta  parlant  de  ces  Centons prétend  qu'ils  n« 
font  ni  d'Anicia  Faltonia  Proba,  femme  d'Anicius 
Petronius  Probus  ,  ni  de  Valeria  Proba  femme  du 
Proconful  Adelphius,  mais  de  Falconia  Troba  nom- 
mée hUrtàn/i^  parce  qu'elle  étoit  de  la  Colonie  Hor- 
tA^  aujourd'hui  Ville  Epifcopale  dans  le  Patrimoine 
de  S.  Pierre. 

5.  S.  nid.  HifpaL  de  VirisUlufli.  1.  fîngul.  cap.  j. 

K  3  %^ 


390      Poètes    Latins. 

Jiûba  Fal-  VL.dex  de  ces  premiers  tems,  c'eft-à-dîre 
soaiâ,        depuis  le   cinquième  fiécle,  d'avec  celui 
de  nos  jours. 
*  Voye's  Article  1175-.  * 

A  V  I  E  N  U  S 

{Rufus  Feftm)  Poète  Païen,  du  tems  de 
Théodofe  Tancien. 

Avienus,  ^^^2  f^Et  Auteur  a  tourné  envers  les 
\^  P bé-aomé'/2es  à^Aratus^  la  Perie- 
gefc  de  Denys^  c'eft- à-dire  la  defcription 
qu'il  avoit  faite  de  la  Terre.  11  avoit  mis 
auffi  tout  Tite-Lîve  en  vers  ïambes  ;  mais 
•cet  Ouvrage  eft  perdu,  au  lieu  qu'il  nous 
refte  encore  des  Fables  qu'il  a  prifes  de 
Phcdre,  qu'il  a  mifes  en  vers  élégîaques, 
&  qu'il  a  dédiées  à  Théodofe,  qui  n'eft 
autre  que  Macrobe. 

Les  Critiques  nous  donnent  afTés  boa- 
ne  opinion  de  ce  qu'a  fait  cet  Auteur.  Bar* 
thîus  prétend  (i)  que  c'eft  un  fort  bon  E- 
crivain,&  qu'il  ell  fi  excellent  Poète  qu'on 
îe  voit  fouvent  élevé  au-defTus  de  lui-mê- 
me. C'eft  ce  qu'il  répète  encore  ailleurs 
(2),  mais  il  ne  diflimule  pas  qu'Avîenus 

eft 


%  C.  î.  San^A  %»mina,  "Ecclejtâ.  Dîjl.  15.  ou 
pe  Gélafc  I.  condamne  le  Livre  en  ces  termes 


ou  le  Pa- 
termes  :  Cr»- 

timetrum  de  Chrijîo  Virgdianis  compA^inatum  zerfibus.,  a- 
pocryphum.  Le  mot  centimetrum  fe  lit  dans  Burchard  , 
dansives,  &  dans  Gratien,  Pentdmetru7n  qu*on  li- 
loit  en  de  mauvaifes  éditions  de  ce  dernier  étoit  ri- 
dicule. CeMtmctrum  n'eft  pas  même  fort  correct ,  & 
Pon  auroit  mieux  fait  de  retenir  cento  dont  avoit  ufé 
ie  Pape  Gelafe  dans  fa  Dc'crétalc, 

i.  ^^^2'  Baxthias  Adverfaiior.  lib.  46. cap.  16.  îcc. 


Poètes    Latins.      391 

ciî  tout-à-fait  dur  dans  fon  (lyle.  AvicûU?^ 

Le  P.  Briet  dit  pourtant  (3)  que  ce  (ly- 
le eft  fort  net ,  fort  dégagé ,  &  qu'il  mé- 
riteroit  d'être  d'un  iiécle  plus  heureux  que 
le  fien.  C'eft  ce  que  Mr.  Boprichius  fem- 
ble  avoir  afluré  pareillement  en  des  termes 
équivalens  (4),  ajoutant  même  qu'il  a  de' 
l'élégance  &  qu'il  ell  fleuri. 

Mais  le  Sieur  de  Saint  Aubin  prétend 
(5")  que  fes  Fables  font  infiniment  éloi- 
gnées de  la  pureté ,  de  la  beauté  ,  &  de  la 
grâce  de  celles  de  Phèdre;  &  qu'elles  ne 
font  nullement  propres  aux  enfans,  puis- 
que félon  l'avis  de  Quintilien ,  il  ne  leur 
faut  montrer  d'abord  que  les  chofes  les 
plus  excellentes  &  les  plus  pures. 

*  Rafi  Fejii  A  lie  ni  Paraphrafis  m  Aratl 
PhccnomenaxW'ioX.  Veneî.  \  ^(^^.*-'^  Fabu- 
la ^  vide  Corpus  Poëtarum  in-40.  Genevts 
l6ii.  art.  1131.  * 


P  R  U* 

2.  Idem  ibidem ,  fcd  lib.  44. 

Item  Gérard.  Joann.Vofnus  de  Hiftor.  Latinislib^ 
2.  cap.  9.  pag.  202.  203. 

3.  Philipp.  Briet.  lib.  4.  de  Poër.  Latin,  pag.  4». 
49,  antè  Acutè  did. 

4.  Olaiis  BorrichiuSjDifTeitation.  de  Poët.  Latin, 
pag.  70. 

5.  Saint  Aubin  ou  Sacî  de  P.  R.  dans  la  Préface 
de  h\  Traduction  Frarç.  de  Phèdre  vers  la  fin. 

B^  4 


391      Poètes    Latins* 

PRUDENCE, 

Poè'te  Chrétien,  Efpagnol ,  Officier  de  la 
Cour  de  TEmpereur  Honorius,  né  l'an 
34S.  fous  le  Confulat  de  Philippe  &  de 

■  i)alia  à  Sarragoife  {Aîtrelius  Prudentitts 
Cîemens)  mort  autour  de  l'an  412. 

rioicnec.  1183  T  Es  Poè'fies  de  cet  Auteur  ne  font 
jL>  inconnues  à  aucun  de  ceux  qui 
ont  quelque  ufage  dans  l'Office  de  l'Eglj- 
fe,  &  elles  ont  été  fouvent  imprimées  Ibit 
féparément,  Toit  parmi  les  autres  Poélies 
Latines  des  Chrétiens. 

Il  f:^ut  avouer  qu'il  y  a  plus  de  Chridîa- 
nifme  que  û'Art  Poétique  dans  fcs  Ouvra- 
ges (i).  Mais  cela  n'empcche  pas  qu'il  ne 
doive  tenir  un  rang  afles  coniidérable  par- 
mi les  Lyriques.  Scaliger  le  fils  ne  fait 
point  difficulté  de  dire  en  un  endroit  (2) 
que  c'efl  un  bon  Poète,  &  en  un  autre 
(3),  que  c'eft  un  Poète  élégant.  Turnébe 
avoit  déjà  dit  la  même  chofe  de  Pruden- 
ce (4)  ,  ajoutant  qu'outre  cette  élégance 
qu'il  y  remarquoit,   il  y  trouvoit  encore 

d'au- 

î.  LU.  Gregor.  Gyrald.  de  Kiftor.  Poctar.  Dial. 
j.  pag.  635.  tom.  I. 

2.  Jofepli  Sciiliger  in  primis  Scaligeran.  pag.  iz6, 

3.  Pofterior.  Scaligeian.  pag.  51.  in  didionc  Claur 

<Hanus. 

4.  Adrian.  Turneb.  Adverfarior.  lib.  7.  cap.  10. 

5.  Idem  ibid.  hb.  2g,  cap    :<S. 

6.  f .  Erafine  parlant  de  Prudence  dans  fa  666.  Lettre 
de  l'édiiion  de  Leydc  dit  que  ce  Tocte  efl  plus  clo- 
quent que  Pindare,  mais  il  ne  l'appelle,  que  je  fâ- 
che j  nulle  paît  un  Pindare  divin.     C'eft  uniqueme;u 

Bai- 


Poètes    Latins.      393 

d'autres  beautés  5c  beaucoup  de  conduite,  piuckns^ 
(5)  Eraline-méme  l'avoit  juge  digne  d*e 
porter  la  qualité  dtPindare  divîn{6)  ,  qua- 
lité qui  a  été  depuis  relevée,  <5c  autorifée 
par  Barthius  (7),  qui  témoigne  que  c'eft 
un  excellent  Auteur  rempli  de  mille  rare- 
tés, concernant  les  Antiquités  Chrétiennes 
(St  l'état  des  affaires  de  fon  tems  ;  que  c'eft 
un  x^uteur  qui  demande  un  autre  Critique 
&  un  plus  habile  Commentateur  que  n'é- 
toit  Gifelin  (8),  qui  bien  que  le  moins  in- 
capable de  ceux  qui  y  ont  travaillé,  n*a- 
voit  ni  l'érudition  ni  le  difcernement  né- 
Gciïàire  pour  s'en  acquitter  dignement. 

En  effet  li  l'on  en  croit  Pulman  (9), 
Prudence  eft:  non  feulement  le  plus  pru- 
dent ,  mais  encore  le  plus  favant  d'entre 
les  Poètes  Chrétiens.  Sidoine  Apollinaire 
Evéque  de  Clermont  qui  vivoit  foixante 
ans  après  lui,  &  qui  faifoit  la  Profelîion 
de  Poète  aufîi  bien  que  lui,  a  bien  ofé  le 
comparer  même  à  Horace  (lo),  quoique  le 
Perc  Briet  ait  jugé  à  propos  de  dire  que 
c'q^  vouloir  atteler  un  bœuf  avec  un  âne, 
de  faire  cette  comparaifon  (11). 

Quelque  inégale  que   foit  la  comparai- 
fon, 

Baithius  qui  chap.  xi.  du  l.  s.  de  iVs  ..AdverfAria  & 
non  pas  c.  p.  du  1.  50.  lui  donne  ce  nom. 

7.  Gafp.  Baithius  lib.  jo.  Adrerlarior.  cap.  7.  col» 

2J60. 

8.  Addition  au  jugement  de  Gifelin. 

9.  Theodor.  Pulmannus  in  Prolegoracn.  ad  fuam 
Trudentii  édition. 

10.  C.  Soll.  Apollio.  Sidon.  &  ex  eo  Gyr.  Goà, 
Briet.  Se  alii. 

ir.  Philipp,  Bïiet,  Soc.  J.  lib.  4.  de  Toét.  Latin» 
pag.  >■  a. 

K  5 


594    Poètes    Latins. 

îfudsncc  fon,  on  ne  doit  pas  convenir  que  Pruden- 
ce fût  entièrement  dépourvu  de  cet  efprit 
qui  doit  animer  les  Poètes  Lyriques.  Mr. 
Godeau  dit  (i)  que  lès  Hymnes  pour  les 
Martyrs  font  fortes  &  fleuries.  Chytraeus^ 
prétend  même  qu'il  avoit  autant  de  feu 
Poétique  qu'il  eft  permis  à  des  Chrétiens 
d'en  avoir  ;  mais  que  ce  feu  lui  venoit  du 
Ciel,  c'e(t-à-dire  de  l'Efprit- Saint,  &  non 
pas  de  l'Apollon  du  Parnaffe;  que-c'efl  du 
fond  de  fon  cœur  embrazé  de  ce  feu  divia 
que  fa  veine  a  puifé  ôc  s'eft  remplie  détour 
ce  qu'elle  avoit  de  Poétique,  comme  d'u- 
ne iburce  pure  &  abondante  de  piété  &  de 
gravité  Chrétienne;  &  que  fon  éloquence, 
quelle  qu'elle  foit ,  ne  laifTe  pas  d'avoir 
quelque  chofe  de  divin  ,  &  une  efficace 
merveilleufe  pour  toucher  les  cœurs  & 
perfuader  les  efprits  (2).  Erafme  avoit  déjà 
témoigné  être  dans  de  pareils  fentimens, 
lorfqu'il  a  dit  (3)  que  les  vers  de  Pruderjce 
refpirent  une  fainteté  &  une  éloquence 
tout-à-fait  Chrétienne. 

Giièlin  lui-même  qui  avoit  fi  mal  exa- 
miné fes  propres  forces  pour  travailler  iur 
ce  Poète,  n'a  point  laiffé  d'en  connoître 
affés  bien  les  qualités.  Il  prétend  (4)  qu'il 
y  a  trouvé  un  fonds  &  une  variété  admi- 
ra- 

T.  Ant. Godeau,  fin  da  quatrième  fîéde  dcTHiû. 
derEgliie,  ôcc. 

2.  David  Ciiytraciis  in  Regulis  ftudior.  pag.  194.  ic 
spud  J.  A/idr.  Qucnlledt  Dialog.  de  Patr.  Viior.  ll- 
luftr.  p3g.  26. 

i.  Erafm.  de  rat.  concion.  1,  2. 

4.  Viftor  Gifelin  ,Prîefat,  in  Prud.  edit.  &  not. 

5".  Olaiis  Bouiçhius^  DiUcrtatioû,  2,  de  poct. La- 
tin, 


Poètes    Latins.     395* 

rable  de  chofes  excellentes,  qu'il  Jes  a  re-  pnidenîc^ 
vêtues  de  divers  ornemens  pris  des  An- 
ciens, &  qu'il  y  a  ajoute  beaucoup  d'au- 
tres beautés  qu'il  a  trouvées  dans  lui-mê- 
me; mais  qu'avec  toutes  les  libertés  qu'il 
a  prifes  pour  embellir  les  fujets  qu'il  a 
traités  ,  jamais  il  n'eft  forti  des  bornes  que 
la  Religion  Chrétienne  prefcrit  à  ceux  qui 
veulent  vivre  &  écrire  fuivant  fes  maxi- 
mes. 

Enfin  Mr.  Borrîchius  aflure  (s)  qu'il 
n'y  a  prefque  rien  de  dur  &  d'irrcgulier 
dans  fon  flylc,  &  que  fes  vers  ont  allés  de 
cadence  &  de  majefté.  Mais  toutes  ce^ 
qualités  effedives  ou  apparentes  n'ont 
point  pu  porrer  le  P.  Rapin  à  le  mettre  au 
rang  des- bons  Poètes  (6),  parce  que  Pru-- 
dence  avec  tous  fes  avantages  n'a  pu  s'éle- 
=ver  au-deifus  de  h  foiDlelfe  de  fon  fiécle,- 
Il  eft  m<2me  tombé  en  un  li  grand  nombre 
de  fautes  à  l'Cgard  de  la  Profodie,  qu'on- 
ne  peut  pas  raifonnablement  le  faire  palfer 
pour  un  Verlificateur  parfait  (7).  C'eft  le 
reproche  que  lui  ont  fait  tous  les  Gram- 
mairiens, dont  quelques-uns  l'ont  accufé 
aulTi  d'avoir  négligé  la  pureté  de  la  Lan- 
gue (8),  &  de  n'avoir  pas  fait  le  choix  nu» 
ccfîaire  de  fes  mots  (9). 

L'c* 

îin.  pag.  72.  num.  53. 

6.  René  Rapin,  Rcflex.  partiail,  fiir  IaToëtiqne,% 
féconde  partie  Refl.  14. 

7.  Gyraldus,  Pofleviuus ,  Godeau,  Biietiiis,Boî^ 
lichius,  5c  alii. 

8.  Lil.  Gregoi.  Gyr.  in  Dialog.  5,  de  HiHoi.rojp^- 
lar.  ut  luprL 

5>.  Juft.  i*ipùus,Saturnal.  lib.  z.cap. 20^ 


39^      Poètes    Latins. 

fiijdcnce.  L'édition  de  Pulman  avec  les  notes  & 
les  corredlions  de  Gifelin  [/»-i2.  Paris" 
15-62.]  étoit  la  meilleure  du  tems  de  Pof- 
fevin  (i);  mais  elle  a  paru  peu  de  chofe 
depuis  celle  de  J.  Weitzius,  [/»-8.  Ha- 
nover.  161 3.]  &  elle  a  encore  beaucoup 
diminué  de  prix  depuis  celle  de  Nicolas 
Heînfius  [/«^S.  Amih  1667.]  (2). 

De  tous  les  Ouvrages  de  Prudence, 
qui  font,  i.  la  Pfychomachie  ou  le  com- 
bat de  TAme,  2.  le  Cathemer'mon  ou  des 
chofes  journalières  ,  3.  le  Perijîephamn 
ou  de  la  couronne  des  Martyrs,  4.  VA- 
potheofe  ou  de  la  Divinité ,  5".  V Hamarti' 
génie  ou  de  Torigine  des  Péchés ,  6.  des 
deux  Livres  contre  Symmaque  Préfet  de 
Rome,  7.  &  du  D'ittochAo-a  ou  Diptychon 
(3) ,  autrement  Manuel  du  V.  &  du  N. 
Tefiament,  il  n'y  a  que  ce  dernier  qu'on, 
ait  fait  difficulté  d'attribuer  à  Prudence,  à 
caufe  qn'il  paroît  mv  peu  plus  travaillé  & 
plus  poli  que  les  autres  ;  mais  félon  Gife- 
lin &  le  P.  Labbc  aprcs  lui  (4)  on  y  trou- 
ve 

'    T.  Ant.  rojDTcvîn.  în  Apparatu  facio  tom.  2.  pag» 

2.  01.  Bortichius  ut  fupra. 

3.  %.  Gifanius  a  fubftituéO»/j/7cA«»»,àD//f*fArf«;7», 
mot  formé  fuivant  refjprit  de  ces  tems-là  où  l'on  fe 
plaifoit  à  CCS  fortes  de  compofitions.  ^n^oyjCiat 
de  Strlci  &  à^ii  duplex  alimcntum  eft  une  imagination 
qHi  convient  fort  à  un  fie'cle  ou  l*on  fe  repaiffoit 
^'allégories  ,   &c  de  fpiritualité.     Aide  Manuce  dit 

avoir  trouvé  dans  fon  Manufcrit  D//foi.-A*«w  interpré- 
té diplex  refeUiOf  ce  qui  fait  voir  que  ce  fens  etoit 
jcçû  par  tradition.  Le  même  Aide  aioute  que  pai-- 
ce  que  ce  livre  eft  moins  poli,  &  moins  travaillé 
<jue  les  autres,  on  a  cm  qu'il  n'étoit  pas  de  Pruden- 
ce 


Poètes    Latins.       397 

ve  fon  ftyîe,'.  fes  manières  déparier,  fes  prudence, 
mots  favoris,  fes  allégories  &  les  mêmes 
penfe'es  que  dans  fes  autres  Ouvrages. 

C  L  A  U  D  I  E  N 

{Claudîus)  Poète  Latin  &  Païen,  natif  de 
Campe  en  Egypte^  vivant  fous  /\rcade 
&  Honorîus  qui  lui  firent  dreiïer  une 
Statue,  mort  peu  après  Arcade. 

Les  Italiens  prétendent  que  fon  Père  étoit 
Florentin. 

1184  /^  Laudien  '  efl   fans    contredit    le  Claudico,. 

V->  premier  de  tous  les  Poètes  qui 
ont  paru  depuis  le  iiécle  heureux  d'Au- 
gufte  (5-)  ;  &  le  Sabeliic  femble  n'avoir 
pas  eu  trop  mauvaife  raifon  de  dire  (6) 
qu'il  eft  le  dernier  des  anciens  Poètes  &  le 
premier  des  nouveaux.  C'eft  fans  doute 
dans  la  même  penfée  queMr.Godeau  (7) , 
après  divers  autres  Critiques  d'Allemagne 
(8)  &  d'Italie  (9) ,  témoigne  que  de  tous 

ceux 

ce:  Sed  (juom'am  non  Jîc  excultus  e/7 ,  cb*  elitboratus  hic  //- 
her  ,  Ht  cxteri  à.  FoUtu  covipofui  ^  [tint  ejni  non  ejfe  PrHden' 
tii  dicHnt.     Baillct  a  pris  le  contrepicd. 

4.  Labb,  Diûcrtat.  de  Sciiptorib.  Ecclef.  tom.  z. 
pag.  26?. 

t  5.  Euftach.  Swart.  lib.  i.  Analector.  cap.  îj.apui 
D.  JMart.  Hanck.  de  R.  R.  Script. 

6.  Marc.  Anton.  Cocc,  Sabeliic.   Ven.    Enncad. 
hift.  7.  lib.  9. 

7.  Ant.  Godeau,  Hiftoire  de  l'Eglife,  fin  du  qua- 
trie'me  fiéde. 

f.  JoackimVadian.  in  Art.  Poëtic.  Galp.  Barthius 
td  Chiudian.  Hanckius  de  R.  R. 
ij.  Joleph.  Caftalio  Ancon.  Vaiiar.  Lcft.  cap.  <lo, 
R  ? 


jçS      Poètes    Latins. 

Claudien.  ceux  qui  ont  tâché  de  fui vre&  d'imiter  Vir- 
gile, il  eft  celui  qui  approche  le  plus  de  la 
niajefté  de  ce  Poëte,  &  qui  fe  fente  le 
moins  de  la  corruption  de  fon  lîécle.  Il 
s'eft  trouvé  même  un  Critique  KcofTois 
qui  n'a  point  fait  fcrupule  de  préférer 
Claudien  à  Virgile  ,  lorfqu'il  a  dit  (r) 
qu'il  avoit  pafle  généralement  tous  les  La- 
tins pour  l'abondance  des  chofes,  &  qu'il 
n'y  avoit  qu'Homcre  feul  parmi  les  Grecs 
à  qui  il  pût  céder  la  gloire  de  l'invention. 
Mais  il  faut  rentrer  dans  les  bornes  du 
vrai-femblable ,  à.  voir  ce  qu^en  ont  dit' 
des  Critiques  plus  raifonnables. 

1.  Pour  ce  qui  regarde  le  Génie,  on 
convient  qu'il  l'avoit  admirable.  Crinitus 
témoigne  (2)  qu'il  fembloit  être  formé  de 
la  Nature  même  pour  la  Poëfie,  &  qu'il 
y  étoit  heureufement  porté.  Je  ne  fai  pour- 
quoi le  Père  Briet  trouve  fi  fort  à  redire  à 
ce  fentiment  de  Crinitus  (3),  puifque  la 
plupart  des  Critiques  en  ont  jugé  de  lafor- 
te,  &  que  les  anciens  Auteurs  Eccléfiaftî- 
ques  même  ,  tels  qu'Orofe  (4)  &  Paul 

Dia- 

T.  Thora.Dempftcr.  Scot.  in  Elench.  ad  Joh.  RoH 
Antiq.  Rom. 

2.  Petr.  Crinit.  de  Vit.  Poctar.  lib.  i.  cap.  gs.poû- 
libb.  de  Honeft.  Difcipl. 

5.  Phil.  Biiet.  lib.  4.  de  Poè't.  Latin,  pag.  49. 

4.  Paul  Oiofius  lib.  7.  Hiftor.  cap.  37.  poftD.  Aii- 
gnftinum  de  Civir.  Dcî. 

5.  Item  Paul.  Dhcon.  lib.  13.  Hiftor.  mifcell.  cap. 
15.  &c. 

6.  Joh.  Ludov.  Vives  Commentar.  in  lib,  s,  Au- 
guft.  de  Civit.  Dei  cap.  2>. 

7.  Idem  Viv,  de  uadeadis  difciplinis  lib;  3.  Se  a- 


Poètes    Latins.       399 

Diacre  (s)  ne  lui  avoient  pas  refufé  cette  ciaudien,' 
gloire,  en  le  décriant  d'ailleurs  comme  un 
Païen  trop  paffionnc  &  trop  obfliné. 

Vives  dit  en  un  endroit  que  Claudîen 
étoit  ne  Poète  (6) ,  &  en  un  autre  (7)  qu'il 
pofTédoît  refprit  dans  toute  fa  plénitude, 
&  qu'il  étoit  tout  rempli  de  ce  feu  qui  pro- 
duit Tenthouliafme.  C'cll  ce  qu'ont  aulîi 
reconnu  Lipfe  (8) ,  Bachanan  (9) ,  Con- 
tarini  (10),  &  divers  autres  Auteurs  que  je 
ne  rapporte  pas  ici,  afin  de  laiiTer  à  Mr. 
Hanckius  toute  la  gloire  que  mérite  la 
peine  qu'il  a  prife  de  les  recueillir,  &  d'en-^ 
gager  le  Le6tcur  à  les  aller  chercher 
dans  fon  Livre  des  Ecrivains  de  l'Hiftoi- 
rc  Romaine  &  dans  la  partie  de  fes  ad- 
ditions (11). 

n.  La  Science  y  c'eft-à-dire,  les  quali- 
tés que  Claudien  avoit  acquifes  pour  la 
Poclie,  répondoient  affés  bien  à  fon  grand 
génie  &  à  tous  les  avantages  qu'il  avoit 
leçûs  de  la  Nature  pour  être  un  véritable 
Poète.  Ce  n'ell  pas  que  je  voulufle  croire 
entièrement  avecBarthius  (12)  que  tout  ce 

qu'il 

pudHanckium,  &c. 

t.  Juft.  Lipfius,  in  Lib.  i.  de  Admirandis  feu  de 
Magnitud.  Rom.  cap.  2. 

9.  Georg.  Buchanan.  in  Dialog.  de  jure  rcgni  apud 
Scocos  poft  hiftoriam  fuam. 

ïo.  Vincent.  Contaren.  Variar.  Leftion.  cap.  30, 

ir.  Martin.  Hanckius,  lib.  de  RerumRomanarunî 
Scriptoiibus  part.  i.  cap.  35.  Article  3. 

Item  parte  fecunda  livc  in  additionib.  ad  cap.  35, 
Art.  3.  Sec. 

iz.  Gafp.  Barthius  in  Commentât,  ad  Clandiâiù 
F^cgyric.  J'iobino  Ôc  Olybiio  rcxiptum. 


4©o      Poètes    Latins. 

Clâudiea.  qu'il  avoit  acquis  de  ccnnoîfTances  ait 
formé  en  \ul-unQ  fagejje  tout-à-fait  divifie* 
C'eft  encore  afîes ,  ce  me  femble ,  d'ac- 
corder à  Jean  Gebhard  (i)  que  Claudien 
s'étoit  rendu  fort  habile  dans  la  Science 
des  choies  naturelles,  dans  celle  des Loix 
&  de  la  Jurifprudence ,  &  dans  celle  de 
l'Art  militaire  ;  de  convenir  avec  Mf. 
Borrichius  (2)  qu'il  étoit  très-entendu  dans 
la  Politique  ,  &  qu'il  pofTédoit  parfaite- 
ment la  Philofophie  Morale;  &  de  remar- 
quer avec  le  Père  Thomaffiu  (3)  que 
tout  Païen  qu'il  étoit,  il  ne  lailfoit  pas  de 
faire  fouvent  un  aifés  bon  ufage  de  cette 
Morale  qu'il  avoit  apprife. 

Mais  je  m'imaginerois  volontiers  que 
Claudien  étoit  favant  en  Poète  ,  &  que 
fans  s'être  tourmenté  beaucoup  pour  ap- 
profondir toutes  ces  connoilfances  qui  de- 
mandent chacune  un  homme  tout  entier , 
il  s'étoit  contenté  d'en  faire  l'accefToire  de 
fa  profeffion  principale.    Il  fe  peut  faire 

m^- 

1.  Joan.  Gebhard.  Animadverf.  ad  Propertii  lib. 
2.  Elcg.  21.  verf.  ^z.  &  apud  M.  Hanck.  de  Script, 
Rcrum  Roman. 

2.  Olaiis  Borrichius  Diflertat.  2.  de  Poët.  Latin, 
pag.  73.  rum.  Î4. 

3.  Louis  Thomafîîn  ,  de  la  Me'thode  d'étudier  5c 
d'enfeigncr  Chrétiennement  les  Poètes,  liv.  i. 

4.  Jofeph.  Caftai,  cap.  j/.  Variai.  Lection.  ôic.ut 

fupià. 

5.  Martin.  Anton,  Delrio  Praefat.  notis  ad  Clau- 
dien. pracmifia. 

6.  Vu.  Gregor,  Girald.  de  Hiftor.  Pcëtar.Dialog, 
4.  tom.  I.  pag.  569.  in- g. 

Jehan.    Cu{pin;::n.    Comment,  in  Comment,  ad 
Calïiodori  Chronic.  non  femcl. 
Jehan,  Lang.  noi.  adNiceph,  Callift,  EiftQriaEa- 

cle- 

j 


Poètes    Latins.      401 

même  qu'il  ne  les  avoit  étudiées  que  dans  cUudIcn, 
fon  Homère  &  dans  Ion  Virgile,  qu'il  a 
tâché  d'imiter  prefque  en  toutes  chofes; 
car  félon  le  témoignage  d'un  Critique  Ita- 
lien (4),  il  femble  que  le  plus  graud  de  Tes 
foins  ait  été  de  cultiver  fes  talens  naturels 
par  la  leélure  continuelle  des  meilleurs 
Poètes  de  l'Antiquité.  Il  faut  néanmoins 
reconnoître  que  ce  n'eft  point  d'eux  qu'il 
a  pr:s  tout  ce  qui  regarde  le  Droit  Romain 
dans  fes  Poéiies  &  les  ufages  de  fon  lié- 
cle  (f). 

m.  Pour  ce  qui  efl  du  ftyle  deClaudicn, 
îl  y  a  peu  de  Critiques  qui  ne  conviennent 
qu'il  eft  beau  ,  pur,  châtié,  élégant, doux, 
difert,  grave,  élevé,  noble;  &  ce  qu'on 
y  a  le  plus  admiré,  c'eft  de  le  voir  cou- 
lant &  facile  avec  tant  d'autres  qualités  qui 
fe  trouvent  rarement  unies  enfemble  dans 
les  autres  Poètes  (6). 

Il  y  a  pourtant  quelques  défauts  dans  ce 
(lyle  il  vante.    Le  P.  Fabri  prétend  (7) 

que 

dcfîaft.  Hb.  12. 

Ludov.  Coquxus  Comment,  in  lib.  5.  de  Civit. 
Dei  cap.  z6. 

Jac.  Sirmond.  in  not.  ad  Sidon.  Apollin.  Panegvx,' 

Sertor.  Uifat.  lib.  i.  Monument.  Patavin.  fcdiôn, 
€.  ^c. 

01.  Borrich.  ut  fuprà.  FrancifcusModius  Novan- 
tiq.  EpiftoJ.  34.  &c. 

iul.  Scalig.  in  Hypercritic.  pag.  834. 
oach,  Vadian.  cap.  24.  de  Poetica. 
Honorât.  Faber.  lib    3.  Ingenioli  viri  cap.  2. 
Jofeph  Scalig.  ia  porter.  Scaliger:inis  pag.  jr. 
Bibliograph.    anonym.    cur.    Hiftorico- Piiilolog. 
piig.  59. 

7.  IIonor.Fabex  fen  Fabii  ut  fuprà  lib.  3.  Ing.  Vid 
cap.  i. 


402     Poètes    Latins. 

Claudieu.  que  fa  Latinité  n'eft  pas  lî  pure  que  plu- 
fieurs  femblent  avoir  voulu  nous  le  per- 
fuader.  Le  P.  Briet  dit  (i)  qu'il  a  trop  de 
faillies  dejeunefTe,  &  qu'il  ell  trop  enflé; 
un  Auteur  de  Port-Royal  a  remarqué  la 
même  chofe  (2).  Le  Giraldi  prétend 
qu'il  n'efl:  point  propre  pour  fervir  de  mo- 
dèle à  la  jeunefTe  (3)  ,  qui  dans  tout  ce 
ftyle  ne  peut ,  félon  lui ,  s'accommoder 
d'autre  chofe  que  de  certaines  fleurs  qu'il 
y  a  femées. 

Mais  ce  défaut  n'eft  pas  le  feu!  que  ce  | 
Critique  ait  remarqué  dans  les  Poélies  de 
Claudien.  Il  trouve  encore  à  redire  à 
l'invention  &  à  la  difpofition  de  fes  fujets. 
11  dit  qu'il  ne  s'y  foutient  pas  affés,  qu'à 
dire  le  vrai,  il  envifage  fort  bien  fa  matière 
d'abord;  on  voit  même,  ajoute-t-il,  qu'il 
la  prépare  d'une  manière  fort  étendue,  & 
qu'il  fe  met  en  devoir  de  la  conduire  avec 
beaucoup  de  courage  &  de  feu  ,  mais  le 
vent  lui  manque,  oc  il  eft  affés  rare  que  la 
fin  de  fes  pièces  réponde  à  leur  commea- 
eement. 

Le  p.  Rapîn  a  été  encore  plus  clair- 
voyant que  le  Giraldi  fur  les  défauts  de 
Claudien.  Il  nous  le  dépeint  comme  un 
Auteur  qui  n'a  point  fait  paroître beaucoup 
de  jugement  dans  fes  Poèlîes.  On  voit 
régner ,  dit-il ,  dans  tous  les  Panégyriques 

de 

1.  Thil.  Brietius  ,  de  Toët.  Ilb,  4.  ut  fuprl  snte 
Acutc  didt.  roëtar. 

2.  Anonym.  Dclcft.  Epigrammat.  in  Diflertation, 
prxiiminar.  de  Epigrammat. 

8.  L.  G,  Gyrald.  Dial.  4.  de  Poe  t.  Hiflor.  ut  fuprà 

pag. 


Poètes    Latins.     403 

de  Claudien  (4)  un  air  de  jeuneiTe  qui  n'a  Claudiec» 
rien  de  Iblide,  quoiqu'il  y  paroifle  du  gé- 
nie ,  il  entafie  fans  ordre  &  fans  liaifon 
des  louanges  fades  les  unes  fur  les  autres. 
Ce  Poëte ,  ajoute-t-il  encore  ailleurs ,  a  de 
Tefprit  &  de  Timagination ,  mais  il  n'a  nul 
goût  pour  cette  délicatefie  de  nombre  ,  & 
pour  ce  tour  de  vers  que  les  Savans  admi- 
rent dans  Virgile.  Il  retombe  fans  celTc 
dans  la  même  cadence  ;  ce  qui  fait  qu'on 
a  peine  à  le  lire  fans  fe  lafîer,  &  il  n'a 
nulle  éle'vation  dans  toutes  fes  manières. 

Jules  Scaliger  qui  reftimoit  extraordi- 
nairement ,  ne  le  croyoit  pourtant  pas 
éxemi  de  taches.  Mais  comme  il  avoit 
envie  de  nous  perfuader  qu'il  avoit  la  veine 
heureufè,  l'efprit  Jufle,  le  jugement  foli- 
de,  le  ftyle  naturel ,  &  qu'il  avoit  beau- 
coup de  netteté,  de  politefTe,  d'éxaâitu- 
de,  de  fubtilité,  point  d'affedlation ,  point 
d'ambition,  il  s'^elî  avifé  de  rejetter  fes  dé- 
fauts fur  fa  Matière,  affûtant  qu'elle  n'eft 
point  affés  noble  &  relevée  d'elle-même,. 
&  qu'il  n'a  point  laîfle  d'en  être  accablé^ 
quoiqu'il  ait  tâché  d'y  fuppléer  par  la 
beauté  de  fon  génie  (j),  ôa  par  la  forme 
&  les  ornemens  qu'il  a  tâché  de  lui  pro- 
curer. 

Gafpar  Barthîus  qui  s'cft  fait  une  étude 
de  réfuter  Scaliger  en  plus  de  vingt  en- 
droits 

pag.  570.  &c. 

4.  René  Rapin  ,  Reflcx.  particulières  fur  la  Poët,  2. 
part.  Reflex.  xiv.     Item  Reflcx.  xv. 

5.  ]ul.  CxÇ.  Scalig.  lib.  6,  Poëtices  pag.  834.  835. 
libri  Hypcrciitici. 


404  Poètes  Latins. 
Claudicn.  droits  de  fes  Adverfaires  ,  a  crû  devoir 
prendre  contre  lui  les  intérêts  de  Clau- 
dien  en  qualité  de  fon  Commentateur.  Il 
a  jugé  que  ce  Critique  étoit  tombé  en  dé* 
lire  ,  lorfqu'il  parloît  aînfi  de  la  Matière 
que  Cîaudien  a  prife  pour  le  fujet  de  (es 
Poèmes;  qu'il  ne  favoit  point  quel  ell  le 
devoir  d'un  véritable  Poète  ,  qui  conlifte 
d'une  part  à  faire  les  éloges  des  Héros  ôc 
des  grands  Hommes  que  le  mérite  a  con- 
facrés  pour  l'immortalité,  &  de  Tautre  à 
.  reprendre  avec  force  le  vice  &  à  faire 
de  puilTàntes  invedives  contre  les  Scélé- 
rats qui  abufent  de  leur  pouvoir  pour  in- 
commoder  le  genre  humain.  11  ajoute 
qu'il  ne  connoît  perfonne  qui  ait  été  plus 
heureux  que  Clandien  pour  ce  dernier 
point ,  que  les  Poètes  Satiriques  &  Comi- 
ques n'ont  dit  que  des  chofes  fort  généra- 
les fur  ce  fujet  fuivant  leur  Profelfion  :  mais- 
que  de  tous  ceux  qui  ont  e;irrepris  les  Par- 
ticuliers dillin6lement  5c  féparément  d'a- 
vec la  mafTe  du  Peuple  ,  Clandien  eft  le 
feul  qui  y  ait  acquis  de  la  réputation  ,  & 
qui  fans  fonger  qu'il  avoit  des  intérêts, 
une  fortune,  &  une  vie  à  conferver  ,  eft 
allé  attaquer  le  vice  jufqu'auprès  du  Trô- 
ne des  Empereurs  en  la  Perfonne  de  leurs 
Favoris;  qu'il  a  fait  en  cette  occafîon  la 
foné^ion  des  Dieux-mêmes ,  &  qu'ainfi  il 

n'a 

T.  Gafp.  Barthius  lib.  5j.  Advcrlarior.  cap.  2.  col, 

247S. 

2.  Maic.  Ane.  Dcirio  Pratf.  in  not.  ad  Claud.  ut 
iuprà» 

|.  Ant* 


Poètes    Latins.      405- 
îi'a  pu  choiiîr  une  matière  plus  élevdc  &  cUudicH. 
plus  di^mie  d'être  traitée  eu  vers,  c'ell-à- 
dire    en    y    employant    le    langage    des 
Dieux  (i). 

Voilà  le  raironnement  de  Barthius,  le- 
quel quoique  débité  avec  ailes  de  probabi- 
lité ,  femble  avoir  en  pourtant  moins  d'ap- 
probateurs que  celui  de  Scaliger  (2}. 

Entre  les  diverfes  pièces  de  Poélie  que 
Claudien  a  publiées ,  les  Inve6lives  contre 
R^fi-ri  ^  coniïc  Eu^rope  font  les  plus  belles 
au  jugement  de  Mr.  Godeau,  qui  ajoute 
(3)  q^'il  ne  lui  paroît  pas  qu'en  ce  genre 
on  puifle  rien  faire  de  plus  achevé.  Il 
femble  que  c'ait  été  aulfi  le  fentiment  d'un 
Ecrivain  moderne ,  mais  anonyme  d'Alle- 
magne (4). 

Barthius  prétend  que  ce  qu^il  a  écrit 
contre  Rufin^  eft  fort  inférieur  aux  deux 
Livres  Satiriques  qu'il  a  faits  contre  £;/- 
trope^  fuit  qu'on  y  confidére  le  fonds  de 
dodrine,  foit  qu'on  veuille  avoir  égard  à 
la  fubtilité  &  à  la  force  dont  il  lance  fes 
traits,  de  forte  que  fi  on  ajoute  foi  aux  vers 
de  Claudien,  il  n'y  a  perfonne  dans  toute 
l'Antiquité  qui  foit  fi  diffamé  &  Ç\  perdu 
de  réputation  qu'Eutrope  ;  &  que  Rufiii 
même,  qui  n'a  point  été  traité  avec  beau- 
coup plus  de  douceur  ,  n'en  approche  pas 
{^}.    C'eit  néanmoins  contre  fon  R:^firt 

qu'A- 

3,  Ant.  Godeiii,  Hift.  Ecclef.  comme  ci- devint. 

4.  Anonym.  Bibliograph.  Curiof.  ôcc.  ut  fuprà 
pag.  59.  60. 

f.  Barthius,  itCIUtn  lib,  53( AdrClGC|  2^€9li247i9 
5;  fcquçntj 


4c6     Poètes    Latins. 
Claudicu.   qu'Alain  de   Tlfle   a  compofé  fon  Antt^ 
Ciaudien^  dont  nous  pourrons  parler  en 
fon  lieu. 

Après  ces  Pièces  il  femble  qu'il  n'y  en 
ait  pas  de  plus  eftimée  que  le  Poème  de 
VEî^léveme?2t  de  Proferpine.  Jules  Scali- 
ger  témoigne  que  la  compofition  en  cil: 
fort  belle,  que  les  vers  y  font  naturels  , 
bien  travaillés,  fort  nets  &  d'une  belle  ca- 
dence ,  mais  qu'ils  ne  font  pourtant  pas 
toujours  également  &  par  tout  tels  qu'on 
vient  de  les  dépeindre  (i). 

Jofeph  Scaliger  faifoit  aulTi  beaucoup  de 
cas  du  Poème  fur  le  quatrième  Confiât 
à^Honorhis ,  qu'il  difoit  être  rempli  de 
beaucoup  de  belles  chofes  (2). 

Enfin  on  peut  dire  que  bien  que  fa  Poè- 
fie  ne  foit  peut-être  pas  toujours  égale,  fa 
Verfificatiouoiie  laille  pas  de  l'être.  Aulli 
s'étoit-il  appliqué  par-deffus  toutes  chofes, 
félon  Vadianus  (3),  à  la  compoiition  h  à 
■  la  liaifon  de  fes  vers  ,dont  le  fil  n'eft  point 
rompu  par  les  ESihlipfes  &  les  Synalephcs 
qu'il  employé  fort  rarement.  De  forte  que, 
tout  y  eft  coulant,  &  que  la  douceur  de 
fes  nombres,  jointe  à  la  belle  chute  ou  à  la 
cadence  de  îesfyllabes,  fe  fait  fentir  fans 
qu'on  y  penfe. 

On  croit  ordinairement  que  l'édition  de 
Nicolas  Heinfius  fils  de  Daniel  [in-i2.  à 
la  Haie  i6)'o.]  efl:  la  meilleure ,  mais  un 
Critique    Allemand   prétend    (4)  qu'elle 

doit 

''  1.  Jul.  Scalig.  Hypeicritic.  feu  lib,  ^,  iaClaudiîUï, 
)udic. 
2,  rodaioi,  SCâligcxâi),  pag.  ;r, 


Poètes    Latins.     407 

doit  pourtant  ccder  le  premier  rang  à  cel-  ciaudica. 
le  de  Gafpar  Barthîus,  quoique  le  Com- 
mentaire de  celle-ci  foit  un  peu  trop  long. 
Et  parce  que  mes  Cenfeurs  ont  témoigné 
vouloir  me  faire  une  affaire  de  mes  omis- 
fions,  je  les  prie  de  croire  que  lorfque  je 
me  fuis  trouvé  engagé  à  parler  des  bonnes 
éditions,  je  n'ai  jamais  prétendu  exclure  de 
leur  nombre  celles  des  Scholiaftes  Dau- 
phins, mais  que  je  n'ai  point  pu  rendre  à 
leur  excellence  un  témoignage  dont  je  n'ai 
pas  encore  trouvé  de  preuve  ou  de  cau- 
tion dans  les  Actes  publics,  ou  dans  les 
Ecrits  des  Critiques ,  n'ayant  pas  remar- 
qué d'ailleurs  affés  d'uniformité  dans  les 
jugemens  que  l'on  en  entend  faire  de  vive 
voix   aux  Savans  d'aujourd'hui  pour  en 
pouvoir  tirer  des  conclulions  raifonnables.  • 

Au  refle,  il  efl:  bon  de  remarquer  après 
Jules  Scaliger,  que  Claudien  a  introduit 
dans  la  Poelie  une  efpéce  de  nouveauté 
dont  on  n'avoir  point  encore  vu  d'exem- 
ple ailleurs  que  dans  Perfe.  C'cà  celle 
de  mettre  des  Préfaces  à  la  tête  de  chaque 
Ouvrage,  comme  il  a  fait  à  la  plupart  des 
liens. 

*  Claudia'/ius  cum  animadverfionibus  lo' 
CHpletiJJîin'is  Gafp.  B^rthii in-4. Francofurù 
léj'O.  ■■  -  Stephan,  C lavent  Mifcell.^ 
Nota  ad  Claudiaman  in-4.  P^f^f-  1602. 
—  Idem  ad  uftira  Deîphini  in-4.  Parif, 

1677. 

R  U- 

3.  Joachim  Vadiaa.  de  Arteîoëtici  ad  Frarr.  «ap 
2p.  Se  apud  Hanckium. 
.*,  Bibliographe  Gcimaa,  Hiftor,  p»g.  59%  60, 


4o8      Poètes    Latins. 

R  U  T  I  L  I  U  S,  (i) 

{^ClaudiiiS  RiitilîHS  Numatianus  ^  G  al  lus) 
qu'on  croît  être  le  furnom  qu'il  a  pris 
de  fon  Pays,  car  il  écoît  Gaulois,  Ecri- 
vain Païen  du  tems  d'Honorius  ,  après 
l'an  410. 

Rutiiius,  II  8.  ^^  Et  Auteur  compofa  un  Itiné- 
VJ  raire  ,  ou  plutôt  Ton  retour 
d'un  voyage  en  vers  Elégiaques,  &  il  le 
partagea  en  deux  Livres,  après  la  prife  de 
Rome  par  Alaric.  C'eit  un  Ouvrage  qui 
a  de  l'élégance  &  de  la  beauté, plus  même 
que  fon  fiécle  n'étoit  capable  d'en  fournir 
ou  d'en  foutfrir,  qui  a  fait  voir  que  le  feu 
qui  animoit  les  Poètes  du  bon  iiccle  n'é- 
toit pas  encore  entièrement  éteint,  ou  du 
moins  qu'il  refloit  encore  quelque  chaleur 
dans  les  cendres,  félon  l'aveu  de  plulieurs 
Critiques  de  réputation. 

C'eft  peut-être  tout  ce  qu'on  peut  dire  à 
la  louange  de  cet  Auteur  &  de  fon  Ouvra- 
ge,    Car  Tx^uteur  ne  nous  a  point  donné 

d'ail- 

1.  Ç.  Volaterran  à  II  fin  du  4.  lirredit  que  Icma- 
nufcrit  de  Rutilius  qu'il  nomme  Nauraatianus,  fut 
trouvé  avec  plulieurs  autres  dans  l'ancienne  Abbayie 
de  liobbio  l'an  1494.  Jovicn  Pontan  par  une  Lettre 
du  13,  Février  1503.  à  Sannazar  ,  qui  ctoit  alors  en 
France  où  il  avoit  auiïï  trouve  les  vers  de  Rutilius 
defquels  il  fit  aufïi-tôt  parc  à  fcs  amis  d'Italie»  le 
félicite  de  cette  découvene,  &  lui  envoie  en  ces  ter- 
mes fon  jugement  de  l'Ouvrage.  T{Mtitiani  illi  vtrfi* 
euli  enodes  funt  ij  nittài:  cnlXHi  vero  ipfe  ptregrinus  po- 
tint  ^Hêf»  Hrl>anHfi  ne  dimm  •rttjfitntx    ÇÇUC  ^pitre 

fiir 


PoEtES    Latins.     409 

d'ailleurs  une  grande  idée  de  Ton  équité  &  Rutiliu», 
de  fa  modération ,  lorfqu'il  a  fait  paroître 
contre  les  Chrétiens  toute  rinjuflice  & 
toute  la  malignité  dont  le  plus  envenimé 
des  Païens  ait  été  capable:  &  l'Ouvrage 
ne  paroît  pas  aulTi  travaillé  avec  toute 
Texaditude  polTible.  Mais  c'eft  un  dé- 
faut dont  les  Copilles  &  les  Critiques  doi- 
vent partager  le  blâme,  parce  que  latrans* 
polition  de  quelques  vers  qui  paroilTcnt 
hors  de  leur  place  ,  femble  venir  de  ces 
derniers  plutôt  que  de  l'Auteur  (2). 

*  CI,  Rutîiîus  de  laudibus  Urbis  ,  E- 
trurice  ^  iîf  Italid.  in -4.  Bonon.  ifio. 
-— —  JLjujdem  lîinerar'îum  ,  czim  anrmad- 
Terfiombus  Theodori  Sitzynani  in-8.  Lugd, 

\6\6    Ejufdem  It'merariur/i  five  de 

redit»  fuo   lib,  il^   cum   animadv,   Gafpar. 
B  art  hit  in-8.  Fra/^cof,  1623. 


P  A  L- 

fait  la  2î.  des  cent  recueillies  par  Mclchior  Goldaft 
qui  l'a  tirée  du  Tome  des  Oeuvres  de  Pontan  où  clt 
fon  Traité  de  rfbtis  cœUliiius. 

1.  Gérard.  Joan.  Vollîus,  de  Hiftoricis  Latin,  lib. 
2.  cap,  15.  pag.  222. 

Idem  iterum  in  cod.  Opère  lib,  3.  cap.  2.  pag.  74?, 

74'î. 

philipp.  Biict.  lib    4.  de  Poëfis  Latin,  pag.  52. 
Pctr.  rithocus  in  prxfar.  ad  B-util.  Numatian. 
Gafp.  Barthius  iib.  16.  Advexlluior,  cap.  6.  col.  t^x', 
Olaiis  Boriichius  DiflertatioD.  2.  de  Poët.Lat.  pag^ 

Tom.IILParLlL  S 


4iO     Poètes    Latins. 

PALLADIUS, 

Rutilius  Taurus  JErniVianus  ,  dont  on  ne 
connoît  pas  précifément  le  teins  (i). 

I*alliidiu«.  I  -ï  S<^'  I"  L  a  écrit  en  Vers  de  la  manière  de 
X  greffer  les  arbres.  Le  P.  Briet 
dît  (2)  que  la  verfification  n'en  eft  pas  mé- 
chante ,  &  qu'on  peut  admirer  les  fleurs 
de  fa  Poelîe  (par  rapport  au  fiécle  où  l'on 
fuppofe  qu'il  a  vécu)  comme  les  fleurs  de 
ces  Grefl^es  des  pays  étrangers  qui  ont  été 
entées  fur  les  Arbres  du  lieu  natal. 

*  Domicii  PalJadii  Epigrammata  in -4. 
Venet,  1498.  * 

De  quelques  Ecrivains  Eccléiîaftîques  dont 
il  nous  refte  quelques  Vers. 

1187.  "VTOus    avons    diverfes    petites 

X%l    pièces   de  Vers ,  &  fur  tout 

des  Hymnes  de  quelques  Pères  de  l'Eglife 

Latine,  qui  ne  m'ont  pourtant  pas  fait  ré- 

fou- 

1.  %.  Le  tems  auquel  Palladius  a  ve'cu  n'cft  pas 
îi  incertain  qu'on  ne  puifle  le  reconnoître ,  li  on 
prend  garde  que  d'une  part  cet  Auteur  a  cité  Api:Ié« 
Ecrivain  du  deuzièmeliècle,  &  que  d'une  autre  il  acte 
cité  par  Caffiodorc  Ecrivain  dufizième,  d'où  il  eft  à 
préfumer  que  l'on  peut  fort  bien  le  placer  au  qua- 
trième, Ôc  le  prendre  pour  le  Rhéteur  Palladius  con- 
temporain de  Symmaque.  La  Profeflion  de  Rhé- 
teur n'eft  point  incompatible  a/ec  la  compofition 
d'un  Traité  d'Agriculture,  &  de  plus  le  ftyie  de  ce 
Traité  fent  extrêmement  le  fiècle  de  Symmaque.  U- 
ne  autre  obfervationà  faire,  c'eft  que  Palladius  ayant 
cté  mis  au  rang  des  Poètes,  à  cauîe  que  fon  quator- 
zième 


Poètes    Latins.       411 

foudre  de  mettre  leurs  Auteurs  parmi  les 
Poètes ,  foit  parce  qu'il  y  a  peu  de  chofe  à 
remarquer  fur  leurs  Vers, où  ils  n'ont  fui- 
vi  le  plus  fouveiu  que  les  mouvemens  de 
leur  piété  &  de  leur  zèle,  foit  parce  que 
nefaifant  pas  profelTion  d'être  Poètes  ,  il 
fera  plus  à  propos  de  parler  d'eux  au  Re* 
cueil  des  anciens  Pères  de  l'Eglife. 

C'ell  ce  qui  m'a  porté  à  ne  rien  dire  de 
faint  Hiiaire  ni  de  laint  Ambrotfe  ,  quoi* 
qu'il  nous  foit  relté  quelques  Hymnes  de 
leur  façon.  J'aurois  pourtant  eu  d'afles 
juftes  raifons  pour  donner  ici  un  rang  aa 
Pape  Darnaje  Portugais  de  nailTance,  mort 
en  384.  parce  qu'il  faifoit  profeifion  parti- 
culière de  faire  des  Vers,&  qu'il  nous  res- 
te de  lui  diverfes  Epigrammes  ,  Epitaphes 
&  autres  Pièces  de  Poèlie  dans  le  Recueil 
que  G.  Fabricius  a  publié  des  Oeuvres 
Poétiques  des  anciens  Chrétiens.  En  effet 
il  padbit  pour  le  meilleur  Verliticateur 
qu'eût  alors  l'Eglife  après  Latronianus  (3) 
Efpagnol,  que  faint  Jérôme  jugeoit  com- 
parable aux  Anciens  pour  la  Poèlie,  ôc  qui 

eut 

ziéme  &  dernier  Livre  cft  en  vers,  Columelle,  dont 
le  dizlème,  près  de  trois  fo  s  plus  long,  eftenvers 
auflî ,  auroit  bien  dû  recevoir  le  mêmelionneur.  Du 
icfte,  quoique  )';iie  déclaré  que  je  me  chargcois  uni- 
quement de  remarquer  les  fautes  de  Bailler,  je  ne 
pais  néanmoins  pour  le  coup,  fans  tirer  à  cojifé- 
qucnce  ,  m'cmpëcher  d'avertir  que  l'addition  faite 
entre  deux  étoiles  à  cet  article,  ca  ces  termes:  Dt- 
midi  PAiLtdii  Epigrammata  /«-4.  Ventt.  l^si.  doit  ctlC 
rayée. 

2.  Philipp.   Briet.  lib.  6.  de  Poët.  Laiia.  p-ig.  iJf, 
pracfix.  Acutè  dift. 

3 ,  ^.  PlufîcQis  lifcnt  M^tronianut, 

Si 


412,     Poètes    Lat'ins. 

eut  la  tête  coupée  à  Trêves  l'an  385".  avec 
PrifcîUien  &  les  autres  panifans  de  la  nou- 
velle Seéle.Maisla  (implicite  qui  paroît  dans 
îeftyle  de  Damafe  jointe  à  diverfes  libertés, 
ou  pour  mieux  dire  à  diverfes  fautes  dePro- 
fodie,  ne  nous  donne  pas  lieu  de  le  pro- 
pofèr  comme  un  Poète  fort  important,  & 
capable  de  tenir  tête  en  cette  qualité  aux 
Poètes  profanes  de  fon  fiécle,  je  veux  di- 
re à  Aufone,  à  Claudien  &  aux  autres. 

Je  pourrois  aulîi  ne  pas  omettre  Licen- 
iîus  Africain  d'Hippone  (i)  Tami  de  faint 
Auguftin  ,  qui  le  confidéroit  (2)  prefque 
comme  fon  Maître.  Il  eft  vrai  que  fes 
Hymnes  (3)  font  péries  avec  quelques  au- 
tres de  fes  Pièces,  mais  il  rous  eft  refté 
(4)  de  lui  une  efpéce  de  Poëme  galant  & 
profane  des  Amours  de  P)rame  hf  'Tphé 
(s)  dont  le  ftyle,au  jugement  du  P.Briet, 
eft  affés  obfcur .  &  afTés  bas ,  n'ayant  au- 
cune qualité  qui  puilfe  le  rendre  tant  foit 
peu  recommandable. 


S.  PAU- 

1.  <p.  Licentius  c'toit  de  Tag-aftc. 

2.  %.  C'eft  tout  Je  contraire.  U  dcvoit  dire  :  qu*il 

confiiéroit. 

3.  ^.  il  n^en  a  fait  aucunes. 

4.  <fl.  U  n'en  eft   abloiunient  rien  rcfté,  &  l'Au* 
ic«r  cicme  n'aciieva  pas  cet  Ouvrage. 

5.  9.  Ce  û'eltpas  de  ce  Poëme  ^ui  a'éxiile  point 

que 


ToETES    Latins.    413 
S.    P  A  U  L  1  N, 

Evcque  de  Noîe  {J>Ieroplus  Po-/2t'tus  A-ni" 
dus  Panlifi)  né  dans  la  féconde  Aqui- 
taine,  vers  l'an  ;5-3,  mort  en  431.  Tan- 
née du  Concile  (oecuménique  d'Ephefe, 
un  an  après  tli'nt  Auguilin ,  &  trente 
ans  après  faînt  Martin. 

11S8.   f     Es  Poèiies  de  faint  Paulin  ont  S.  Paulin; 

L  toujours  été  fort  conlidérces 
dans  TEglife  d'Occident,  &  ce  qui  s'en  ell 
confervé  jufiu'à  nous  ,  fait  voir  qu'elles 
n'ont  pas  été  indignes  de  l'edime  de  tous 
les  fiécles  ,  par  lefquels  elles  ont  paffé. 
Barthius  dit  qu'on  le  peut  hardiment  pré- 
férer à  tous  ceux  d'entre  les  Chrétiens  qui 
fe  font  adonnes  à  la  Poelîe  (6).  C'eft  un 
rang  qu'on  ne  doit  pas  lui  refufer ,  aa 
moins  fur  tous  ceux  qui  ont  écrit  en  La- 
tin^.  Le  même  Critique  ajoute  qu'il  s'é- 
toit  formé  le  iiyle  dans  la  le^lure  des  Au- 
teurs protanes;  mais  il  avoit  contribué  de 
fon  propre  fond  cette  on6lion  que  fa  piété 
&  fa  douceur  lui  ont  fait  répandre  par  tous 
fes  écrits.  Ce  qui  regarde  autant  fa  profe 
que  fes  vers. 

Le 

auç  le  P.  Brict  a  jut^c,  ni  pu  juger:  c'eft  d'un  autre» 
d'environ  ijo.  vers,  rapportes  dans  une  Lettre  de 
S.  Aiiguftin  à  Licentius,  Ck:  dans  la  coUedion  de  P. 
Pithou.  Ces  cinq  remarques  lont  de  Ménage  chap. 
5^î.  de  (on  Anti-B.ullet. 

6.  G^lp.  r.irîhiiis  Adrerfarior.  11b.  tj.  cap.  14.  2c 
aounuiia  lib.  19.  cap.  g. 

S3 


4^4     PoetesLatins. 

s,râulin.  Le  P.  Rof.veyde  ou  plutôt  le  P.  Sacchî- 
ni  Jéfaite,  qui  elt  le  véritable  Auteur  de  la 
Vie  de  faintPaulinqui  paroît  dans  Te'dition 
d'Anvers,  préfère  faint  Paulin  à  Aulbne, 
&  dit  que  l'Ecolier  a  pafTé  le  Maître  (i). 
Aufone  lui-même  reconnoifroit  (2)  que  fa 
Mufe  étoit  inférieure  à  celle  de  notre 
Saint.  Et  quand  nous  n'aurions  pas  cet 
aveu ,  il  eft  fort  aifé  ,  dit  cet  Auteur ,  de 
s'en  convaincre  en  conférant  le  génie  & 
le  ftyle  de  l'un  &  de  l'autre. 

On  ne  peut  pas  nier  que  faint  Paulin 
ne  foît  plus  doux  &  plus  agréable;  qu'il 
n'ait  quelque  chofe  même  de  plus  naturel 
&  de  plus  grand. 

Aufone  ne  craignoit  pas  de  fe  faire  tort 
à  lui-même  en  difant  tout  le  bien  qu'il  en 
iavoit;  &  d'an  autre  côté  la  différence  de 
Religion  &  d'inclination  fembîe  l'avoir  m^^ 
à  couvert  du  foupçon  de  la  flaterie,  lors- 
qu'il a  publié  que  faint  Paulin  faifoit  paroî- 
tre  dans  fes  Vers  une  douceur  extraordi- 
naire jointe  avec  beaucoup  de  force  &  de 
fublimité,  &  une  breveté  qui  n'a  aucune 
obfcurité  (3). 

Mais  pour  ne  tromper  perfoune,  il  faut 
ajouter  que  ce  jugenient  regarde  plutôt  les 
Poèfies  que  fainr  Paulin  avoit  faîtes  avant 
fa  converfion ,  c'ell-à-dire  avant  fon  re- 
noncement aux  Mufes  profanes ,  que  cel- 
les 

1.  De  Vita  S   Paulini  p;:g.  6<&. 

z.  Aulor,.  Epifto'.  2c.  2\:  alibi,  item  in  Vit.  raulifii. 

3.  Idem  Epiftol.  19.  ad  r.iulin.  !tem  Voflius  His- 
tor.  Latin.  !ib.  12.  paj.  21  r.  oii  Aufone  Fa'.i  l'éloge 
du  Poërae  que  faint  Paulin  avoit  fait  fur  le<;  trois  L> 
Vics  que  Suctonc  avoit  compolcs  touchant  les  Rois 

«i'A- 


1 


Poètes  L  a  t  i  m  s.  41^ 
les  qu'il  a  compofces  depuis,  fans  s'écar-  S.Pauliat 
ter  des  régies  que  la  (implicite  de  TEvan- 
gilc  prefcrit  aux  Chrétiens.  Car  après  une 
abdication  fi  rare,  li  volontaire,  &  fi  gé- 
nércufe,  il  s'eft  étudié  à  éteindre  la  plus 
grande  partie  de  fon  feu ,  il  a  fait  défenfler 
la  veine,  &  ayant  étouffé  en  lui  tous  les 
défirs  de  la  réputation  humaine  ,  il  a  ra- 
baifle  fon  efprit  &  fon  llyle,  &  s'eft  ren- 
fermé dans  les  bornes  d'un  jufie  tempéra- 
ment ,  tel  que  la  modedie  Chrétienne  le 
demande  de  fcs  Ecrivains.  11  a  même  por- 
té le  détachement  jufqu'au  point  de  ne  fe 
point  foucier  de  garder  l'éxaditude  de  la 
Profodie  (4)  ,  quoique  dans  tout  cet  air 
négligé  qui  paroît  autant  dans  fa  Verfifica- 
tion  que  dans  fa  Poéfie,  on  trouve  tou- 
jours de  certains  agrémens  naturels  qui 
font  aimer  l'Auteur  &  fes  Ouvrages. 

Mais  nous  aurons  lieu  de  parler  ailleurs 
de  cet  Auteur  avec  plus  d'étendue. 

Je  crois  qu'il  eft  inutile  d'avertir  qu'il  y 
a  eu  pour  le  moins  trois  Paulins  d'Aquitai- 
ne ,  qui  ont  fait  des  Vers  ,  &  que  plu- 
fieurs  ont  confondus  enfemble  afïcs  mal- 
à-propos.  C*"e(l:  à  celui  de  Perigueux  ap- 
pelle Be}7cdîâ:.  Pa:îlî?7.  Peîrocor.  qu'appar- 
tiennent les  fix  Livres  de  la  Vie  de  faint 
Martin  en  Vers,  qui  font  entre  les  mains 
de  tout  le   monde.    Et  c'eft   à   celui  de 

Bour- 

d*Afrique  ,   d'Egypte  ,   des  Tiurhes  ,  des  Macédo- 
niens. 

4.  O'ivuis  Borrichius,  DilTcitation.  de  Poët.  Latin. 
P^^  74. 

Joh.   Frédéric.    Gronovius  ,  lib.    Obfcivation,  ijl 
Scripr.  Ecclefiaflic,  cap.  lo.  pag.  99, 

S  4.        . 


4i6    Poètes    Latins. 

5.  Paulin.  Bourdeaux  appelle  Paulinus  Pellceus^  ne- 
veu ou  petit- fih  d'Auione  qu'appartient 
VEucharifttcofi  qui  eÛ  une  pièce  qu'on  a 
toujours  jugée  indigne  du  grand  faint  Pau- 
lin. On  peut  voir  fur  ce  point  Barthius , 
le  bieur  Chr.  Daumius,  Mr.  le  Brun,  les 
Auteurs  des  A£tes  de  Leiplick  &  les  au- 
tres Griciqu.es, 

*  Les  Foëlies  de  S.  Paulin  fe  trouvent 
dans  fes  Oeuvres  imprimées  in-4.  à  Paris 
i68y.  * 

O-    N  G  N  N  U  S, 

Egyptien  de  Panopole  dans  laThébaVde, 
i'oéte  Grec,  vivant  en  440.  mort  vers 
le  milieu  du  iiccle. 


Nonnus. 


1 189.  "]^T  Ous  avons  de  cet  Auteur  deux 
X^  Ouvrages  d'un  cara6lére  fort 
différent  ;  le  premier  eft  une  Paraphrafç 
de  l'Evangile  de  faint  Jean ,  le  fécond  eft 
un  Poëme  de  quarante- huit  Livres  ,  ap- 
pelle les  Dioyîjfiaques  ,  contenant  les  ex- 
péditions fabuleules  de  Bacchus. 

Ceux  qui  veulent  fe  contenter  du  juge- 
jnent  que  Gérard  de  Falkembourg  (i)  a 
fait  de  ce  Pocme,  n'auront  pas  do  peine  à 
4e  perfuader  que  c'ell:  un  Ouvrage  fort  ac- 
compli, qu'oiv  y  trouve  une  abondance  ôc 
une  douceur  admirable  ,  une  variété  de 
chofes  farprenantes  :  que  c'efl:  un  Pocte 
qui  a  fu  parfaitement  garder  les  bienfcan^ 

ces  ; 

I,  Gérard.  Falkenburg.  Novioma;;.  in  Epift.  ad 
Jciu,  Sambucum  ptJtfix.  cdirion.  Nonni. 


Poètes    Latins.     417 

ces  ;  qu'il  a  iî  bien  pris  le  génie  &  le  ca*  Nonnu»i 
radére  d'Homerc, qu'on  retrouve  heureu- 
fement  cet  Ancien  tout  entier  dans  Non- 
nus  avec  tous  les  avantages  qu'on  peut  ti- 
rer de  riiiade  à  de  l'OdyiTée,  &  qu'il  n'y 
a  point  d'autre  ditîcrence  que  celle  qui  fe 
trouve  entre  les  He'ros,  les  lujets  &  les 
infcr'ptions  des  Poëmcs  des  deux  Auteurs; 
enûn  qu'il  n'y  a  rien  dans  Nonnus  qui  ne 
foit  d'un  prix  égal  à  tout  ce  qui  eft  dans 
Homère ,    <Sc  qu'en    perdant   les    Ouvra» 
gcs   de   ceîui-ci  ,  on  ne  perdra  rien  tant 
qu'on  poiTcdcra  les  Dionyliaques  de  Non- 
nus.     Ce  ionr  les  fentimens  d'un  Com- 
mentateur aveuglément  pallionné  pourfon 
Auteur,  &  Daniel  Heinims  témoigne  (2) 
qu'il  s'étoit  lailFé  emporter  d'abord  à  Ton 
aucorirc  ,   qu'il  avoit  fuivie  enfajeunelîè 
avec  d'autant  plus  de  plaifir  qu'il  étoit  a- 
lors  ébloui  du  faux  brillant  de  Nonnus,, 
&  qu'il  voyoit  Politien  &  Muret  même  aa 
nom/ore  de  ce.ix  qui  eliimoient,  &  qui  ad- 
miroicnt  ce  l^oete,  étant  également:  char- 
més de  fa  didlion  &  de  fes  t]61ions. 

Il  ajoute  qu'il  demeura  ain(î  coiffe  de 
cet  Auteur  julqu'à  ce  que  Joleph  Scaliger 
lui  décilla  les  yeux  &  le  tira  de  fon  erreur; 
en  lui  faifant  voir  que  c'ell  un  des  Poètes 
les  plus  fantafques  ,  les  plus  ir  régulier  s,.. 
&  les  plus  dangereux  qu'on  eût  encore  wù. 
dans  la  République  des  Lettres. 

En  effet   le  ménie  Scaliger   ne  faifoit 
point  de  difficulté  d'appeller  Nonnus  un 

Poète 

z.  Dan.  Hcinfius  in  DiiTertat.  de  Opeiib,  Noûui 
fag.  17^.  177.  Stfctici. 

S  ^ 

/ 


Poètes  Latins. 
Koflnus.  Poëte  fanatique  (i)  ,  un  Pocte  mons- 
trueux :  témoignant  que  fon  Poëme  e(l 
rempli  d'écueils  qui  ne  font  couverts  que 
d'une  furface  trompeufe,  &  qu'il  y  a  une 
infinité  de  chofes  vicieufcs,  foir  dans  fon 
llyle,  foit  dans  fes  penfées,foit  enfin  dans 
la  méthode  6c  la  conilitution  de  fon  Poë- 
zne  (i). 

Etfcdivement  fon  ftyîe  paffe  pour  une 
étrange  manière  d'écrire.- Ce  ne  font  pres- 
que que  des  fougues  &  des  emportemens 
d'enthoufiafme,  fa  diction  efl  toute  Dithy- 
rambique ou  Bacchique,  félon  VoflTius  '& 
les  autres  Critiques  (3);  il  n'y  a  rien  de  na- 
turel, rien  d'approchant  de  la  pureté  d'Ho- 
mère; en  un  mot  il  n'a  point  cet  air  libre 
&  dégagé,  ni  cette  belle  fimplicité  des  pre- 
miers tems. 

Si  l'on  confidére  l'ordonnance  du  Poë- 
îTse,  on  n'y  trouvera  pas  plus  de  régulari- 
té que  dans  le  fiyle.  Le  Poëme  ell  géné- 
ralement dcfediueux  dans  toutes  fes  par- 
ties, fuivant  l'opinion  du  P.  Rapin  (4)  & 
de  ceux  qui  nous  apprennent  qu'un  Poëte 
doit  renverfer  l'ordre  des  tems  &  des  cho- 
fes ,  au  lieu  de  commencer  par  le  com- 
mencement de  l'Hifioire.    Ce  même  Père 

a 

1.  Jofep.h  Seàliger  Epiftoî.  247.  &  277- 

2.  Idem  Jof  Scalig.  ibidem 

3.  Gérard.  Jof.  Voilius  Inftitution.  Poëc.  lib.  3. 
pag   89. 

OlàiisBorrichius  Diflertation.  prima  de Foëtis Grac- 
cis  num.  42.  pag.  18. 

Petrus  Scriverius  in  Piatfat.  feu  Epiftol,  dedicator, 
I^iooyilacoiUin  Noimi,    ■ 

4.  Le 


Poètes    Latin  st.       419 

a  raifun  de  dire  ailleurs  (f)  que  l'Ouvrage  Nonn«, 
des  Dionylîaques  e(t  moins  un  Poème 
qu'un  Roman  ,  ou  une  hiftoire  de  la  nais- 
fance,  des  avantures,  des  victoires,  &  de 
l'apothéofe  deBacchus;  que  le  defTèin  en 
ell:  trop  vafte ,  la  Fable  mal  conflruite  , 
fans  air,  fans  ordre,  lans  vrai-lemblance. 
La  Paraphrafc  fur  l'Evangile  de  faint 
Jean  ,  quoi  que  moins  fujette  aux  relies 
de  laPoëlie,  ne  paroît  guéres  plus  heu- 
reufement  exécutée  que  le  Poëme  profane. 
Il  a  tâché  de  marcher  fur  les  traces  de 
faint  Chryfodome  ,  dont  on  voit  qu'il  a 
voulu  prendre  les  explications;  mais  il  n'a 
pu  fe  défaire  de  fon  llyle  dithyrambique, 
qu'il  a  même  accompngné  des  manières 
dégoûtantes  des  Sophiltes  de  fon  fiécle 
(6).  C'eit  le  devoir  d'un  ParaphnUte 
d'cclaircir  le  texte  de  fon  xVuteur.  Non- 
nus  fcmble  avoir  t"ait  tout  le  contraire;  car 
félon  Polfevin  (7)  fa  Paraphrafe  obfcurcit 
beaucoup  plus  le  texte  de  faint  Jean  qu'el- 
le ne  fert  à  rcxpliquer.  Cependant  Air. 
Borrichîus  ne  lailie  point  de  dire  qu'ondoie 
toujours  louer  fentreprife  &  les  efforts  de 
cet  Auteur,  quoi  que  l'événement  ne  leur 
ait  pas  répondu  (8^.    IVlais  Scaliger  le  ùls 

té- 

4.  Le  P.  Rapin,  Reflex.  paxticui.  fur  la  Poétique, 
féconde  partie  Refiex.  i  x. 

;.  Le  même,  Refiex.  xv.  dans  la  même  féconde 
partie. 

6.  G.  Joh.  Volïïas  lib.  fing.  de  Poët.  p;:g.  79- 

7.  Ant.  Poflevin.  Mantuan.  lib.  2.  Biblioi.  leleô*. 
cap.  30, 

8.  llorrichius  Ut  fupra  part.  i.  D;irtikaii;>tt,  d^ 
ïoët,  Giîcc, 


420      Poètes    Latine. 

k'Gunus.  témoigne  (i)  qu'il  eft  encore  beaucoup 
moins  excufable  dans  cette  Paraphrafe  que 
dans  fon  Foème  profane,  puifque  f\  Von 
confidére  la  fainteté  de  fon  fujet,  il  y  a 
commis  encore  plus  d'immodefties  que 
dans  l'autre.  Et  il  ajoute  qu'il  a  coutume 
de  lire  cet  Auteur  dans  une  dilpolkion 
toute  femblable  à  celle  de  ces  fpeâateurs 
qui  ne  vont  regarder  les  bouffons  de  Théâ- 
tre que  pour  le  divertir  à  leur  voir  faire 
des  poftures  &  des  geftes  ridicules. 

*  Nonnî    Gneca  Metaphrajis   Evangelii 
'Joannts ^  D.Heinfii  Exeràtatiofîes  ad ean^ 

dem  in-8.  Lugd.-Bat.  1627. Kjufdem 

PanopoUtce  Dionyfiaca  Gr.  Lat.  D.  Hein- 
fii ^  jof.  Scaligeri  in-  8.  Lugd-Bat.  161  G. 
—  Idem  cum  nous  Valkenburgt  10-4.  Ant^ 
uerp.  1569. 

SAINT    P  R  O  S  P  E  R, 

Natif  d'Aquitaine  ^  Secrétaire  des  Brefs 
fous  le  Pape  faint  Léon,  homme  Laïc 
&  marié  ,  appelle  le  Difciple  de  faint 
Augufîin,  mais  feulement  à  caufe  de  la 
]e6iare  de  fes  Livres,  .&  de  la  défenfe 
de  là  dodtiine,.  mort  vers  l'an  4,^:5.  ou 

1190,  /^  Utre  un  Recueil  de  98.  Epi- 
Sainîîios-  \^  grammes   6c    quelques   autres 

*^^  petites  Pièces  de  Vers  qui  font  d'origine  in- 

cer- 

T.  Jofeph.  Scalîg.  Epiftol.  247. 
Et  G-    Martli.  Konigii  Bibliothcc  Vet.   &  NOT, 
pas-  578- 
i,  Aar.  Godcou  Appiobât,  dç  laTia^.fx»  de  ce 


Poètes    Latins.     411 

certaine,  nous  avons  de  faint  Profper  saint Pio»- 
d' Aquitaine  un  Pocmc  très- conlîdérablc  P^r» 
contre  les  Ingrats,  c'ell-à-dire,  contre  les 
ennemis  de  la  Grâce  de  Jcfus-Chrill,  dans 
lequel  il  explique  en  Théologien  très-pro- 
fond la  dodrine  Catholique  contre  les 
erreurs  des  Pelagiens  &  des  Semipeia- 
giens. 

Mr.  Godeau  juge  (2)  après  plutieurs  au- 
tres Auteurs,  que  cet  Ouvrage  ell  l'abrè- 
ge' de  tous  les  Livres  de  faint  Auguftin  fur 
cette  matière,  cSc  particulièrement  de  ceux 
qui  ont  été  écrits  contre  Julien.  Il  ajou- 
te que  les  exprclTions  en  font  mervcilleu- 
fes ,  &  qu'il  y  a  fujet  en  beaucoup  d'en- 
droits de  s'étonner  commuent  ce  Saint  a 
pu  accorder  la  beauté  de  la  verliticatîon  a- 
vec  les  épines  de  fa  matière.  Ce  qu'il  y 
a  encore  d'allés  furprenant  dans  cePocme^ 
félon  un  Auteur  anonyme,  c'ed:  de  voir 
que  (^)  l'cxaditude  pour  les  dogmes  de  la 
Foi  y  foit  fi  régulièrement  obfervée  mal- 
gré la  contrainte  des  vers  &  la  liberté  de 
i'efpril  Poétique,  &  qu'on  y  trouve  les  vé- 
rités reprefentées  avec  les  ornemens  natu- 
rels de  la  Poëlîe  ,  c'ell-àdire  avec  des 
charmes  &  une  hardielle  également  agréa- 
ble &  ingénieufe. 

C'efl  ceqai  a  porté  leP.Briet  à  le  comp- 
ter parmi  les  bons  Poètes,  ou  du  moins  à 
le  tirer  du  nombre  des  mauvais ,  quoiqu'il 
fe  foit  gliffé  quelques  fautes  de  quantité oa 

de 

Poëme  contre  les  Ingrafs. 

3.  Le  Traduft.  Anonyme  de  cet  Ouvrage  dansfbjû 
Aviint-propos. 

f ,  C'cll  Ifaiiç  le  Maiftie  de  Saci^ 
^7 


42r     Poètes    Latins-. 

Saint Pcos-  de  Profodie  (i)  dans  Ton  Poëme.    Et  Mr. 

y^-'  Borrichius  lai  rend  le  témoignage  d'avoir 

fait  beaucoup  moins  de  ces  fortes  de  fm- 
tes  ,  que  tous  les  autres  Poètes  de  fon 
tems  (2),  ajoutant  que  c'efl:  un  Auteur  di- 
fert ,  fabtîl,  qui  a  de  la  profondeur  dans 
le  fcns  des  chofes  qu'il  traite. 

cj-    E  U  DO  X  E,. 

Ou  plutôt  EvDGciE  Impératrice,  fille 
de  Léonce  Philofophe  Athénien,  fem- 
me du  jeune  Thcodofe ,  nommée  Athe- 
naïs  avant  fon  bâté  me  &  fon  mariage, 
morte  en  460. 

EtPELA.GEPATP.ICEfousZenon. 

ZuàojLc.      ï^9ï-   ï     Es  Anciens  ont  parlé  avec  élo- 
-■     '  L  ge  des  Poéfies  de  cettePrinces- 

fe.  Socrate  témoigne  (3)  qu'elle  avoit  fait 
un  Poëme  héroïque  touchant  la  Victoire, 
que  l'Empereur  fon  mari  avoit  remportée 
fur  les  Perfes.  Photius  écrit  (4)  qu'elle  avoit 
mis  les  huit  premiers  livres  de  l'ancien 
Teftament  en  vers,  il  loue  beaucoup  ce 
travail ,  &  il  ajoute  qu'on  lui  donnoit  un 

rang 

1.  Philipp.  Briet.  lib.  4.  de  Poè't.  Latin,  pag.  54. 

2.  Olaiis  Borrichius  Difleit   de  Poët.  Lar,  pag.  77, 

3.  Socrat.  Hiftor.  Ecclefiaft.  lib.  7   cap.  2. 

4.  Photius  in  Myrioblbl.  feu  Biblioth.  cod.  i8j, 
3S4. 

Et  ex  iis  Voffius  de  Poè't.  Grac.  pag.  78.  &  80, 
&  alii  recentiores  paffin:i. 

5.  f[.  Il  fe  trouve  à  la  Bibliothèque  Royale  un 
manulcrit  coté  2891.  du  Centon  de  ce  Patrice,  con- 
tenant 203.  vers  feulement,  au  lieu  que  le  Centon 
4^ui  fous  le  nom  d''£c/(foxis(  fe  tiouvc  ea  deijx  autres 


Poètes    Latins.      413 

rang  conlidcrable  parmi  les  Pocmes  hcroï-  Eudoxc; 
qaes,  quoi  qu'il  n'en  fuivît  pas  les  régies, 
&  qu'on  n'y  trouvât  point  les  maximes  de 
l'Art  Poétique^  parce  que  fli  matière  &les 
vérités  traitées  dans  Ton  Ouvrage  ne  lui 
donnoient  pas  la  liberté  d'ufcr  des  Fables, 
ni  des  autres  ornemens  dont  les  Poètes  ont 
coutume  de  divertir  leurs  Le6teurs  :  Ôc 
qu'elle  avoit  été  obligée  de  fuivre  fon  His- 
toire mot  à  mot  pour  n'en  pas  troubler  le 
fens  &  la  fuite. 

Cette  Princefîe  avoit  fait  encore  des  Pa- 
raphrafcs  Poétiques  fur  les  Prophéties  de 
Zacharie,  de  Daniel  &  de  quelques  autres 
Prophètes,  au  rapport  du  même  Photius. 
Mais  ni  lui  ni  Socrate,  m'  aucun  des  An- 
ciens n'ont  point  parlé  des  C entons  à^ Ho- 
mère fur  la  vie  de  Jefus-Chrill:  que  nous 
avons  encore  aujourd'hui.  En  effet  cet 
Ouvrage  a  été  attribué  mal-à-propos  àEu- 
docie,  &  plulieurs  Critiques  font  conve- 
nus de  le  donner  à  'Pelage  Patrice  qui  vi- 
voit  fous  Zenon  (5-). 

*  Eudoxîce  Irnperatr'îc'îS  de  Chr'ifto  Ho- 
mero-Centones.  f/'id,  Bihliotheca  Patrum 
Tom.  VIII.  col.  237.  iii-fol.  Parif.  1624. 

SE- 

manufcrîts  de  la  même  Bihliothéque  ,  l'un  coté 
2977.  rnutte  3260.  contient  615.  vers:  où  une  cho- 
ie à  remarquer  c'eft  que  l'Eudocie  du  manufcrit 
2977.  n'eft  pas  la  femme  de  Theodofe  le  jeune, 
mais  une  Eudocie  foeur  de  l'Impératiice  Zoe',  fem- 
jne  de  Conftantin  Monemaque;  ce  qui  ne  s'accor- 
de pas  avec  Tzetzes  qui  dans  l'Hiftoire  306,  de  fa 
30.  Chiliade  attribue  nettement  le  Centon  à  la  pre- 
mière Eudocie.  Nos  éditions  vulgaires  contiennent 
quatre  fois  autant  de  vers  que  les  deux  dcrnicis  Ma- 
tiufoàts  Koyaux  ci-deilus  fpéciâéi, 


4^4     Poètes    L  a  t  i  k-  s. 
S  E  D  U  L  I  U  S, 

(Ccelius  ouCcecilius)  Prêtre Irlandois,feIorî 
quelques-uns,  vivant  vers  le  milieu  du 
cinquième  liécle. 

Scdulius.     ri 92,.  *^T  Ous  avons  de  Sedul'us  cinq 
X^    Livres  de  Vers  qui  compo- 
fent  le  Poème  Pafckaî  où  font  décrits  les 
Miracles  de  Jefus-Chrill:. 

Dempfter  qui  croyoit  parler  d'un  Ecri- 
vain de  Ton  pays,  lui  a  donné  beaucoip 
d'éloges  ,  &  nous  Ta  dépeint  comme  un 
Poète  fort  fublim.e  &  d'une  érudition  di- 
verfe  (1).  Flacciusillyricus  témoigne  qu'il 
a  fait  paroître  beaucoup  d'efprit  dans  cet 
Ouvrage  aulfi  bien  que  de  favoir  (i).  Le 
P.Briet  allure  aulTi  que  ces  cinq  Livres  font 
très-ingénieufement  écrits,  ôr  qu'il  auroit 
été  à  fouhaiter  que  le  ftyle  eût  répondu  à 
ce  grand  génie  (3).  Néanmoins  Mr.  Bor- 
rîchius  ne  laiiTc;  pas  de  dire  que  ce  ftyle  efl 
facile,  doux,  coulant  &  qu'il  a  de  la  clar- 
té &  affés  de  pureté  même  pour  fon  liécle: 
mais  il  n'eil  pas  exemt.de  fautes  contre  la 
Profodie  (4), 

DR  A- 

T.  Thomas  Dempfter  Scot.  in  Elench.  ad  Jolian. 
Rofini  Antiquir.  Rom. 

2.  Catalog,   Teftium  veritatis  Auft.  anojiyrao,  i4 
cû  Matrh.  Flacc.  lllyr. 

3.  Pliihpp.  Briec.  lib    4.  de  Foët.  Latin,  pag.  5J» 

4.  Oiaiis  Borrichius  Diflert,  de  Pocr.  Latin,  pag.  76, 

5.  Gafp.  Barthîus,  in  Adverfariis  pag.  352.  353, 
2Î59.  2614.  &  2615. 

6.  Ç.  Baillée  a  omis  le  meilieui  de  cequeditBar.^ 

tliiUfi 


Poètes    Latins.     425* 
DRACONTIUS, 

Prêtre  Efpagnol ,  du  tems  de  Marcieii  & 
Leoii  ;  d'autres  le  mettent  fous  JuQî- 
nicn  ,  &  d'autres  même  après  Charle- 
magne  ,  mais  fans  fondement,  &  con- 
tre le  témoignage  de  ceux  de  fon  tems 
&  de  fon  Pays» 

1193.  T    *Hexaëmeron  ou  la  defcrlptîon  D^acontius 

JL  en  vers  de  l'Ouvrage  des  fix 
jours,  qui  porte  ce  nom  dans  la  Bibliothè- 
que des  Percs  &  ailleurs,  paroît  être  d'un 
cara6lére  aifés  médiocre.  Ne'anmoins  Bar- 
thius  dit  que  l'Auteur  avoir  du  fens  &  de 
Pérudition  (f),quoi  qu'il  n'eût  point  grand 
talent  pour  écrire  poliment  (6).  Et  Gol- 
dafl:  prétend  qu'on  y  trouve  en  différens 
endroits  de  certains  traits  d'élégance  (7) , 
qui  relèvent  de  tems  en  tems  le  courage da 
Lecteur  &  foutiehnent  fa  patience. 

Le  P.  Briet  après  S.  Ildefonfe  &  S.  lû- 
dore  dit  (8),  que  c'eft  faint  Eugène  le  jeu- 
ne Archevêque  de  Tolède  qui  s'eft  chargé 
de  revoir  &  de  corriger  l'Hexaëmeron  de 
Dracontius,  qu'il  y  a  mis  la  Préfoce  &les 
Vers  ou  iMGmfticbes  de  la  récapitulation  du 

fep- 

thius  pag.  3J1.  <Je  Ces  ^dvcrf.triai  c'eft  que  DricOR- 
tius  penfe  li  fubtilement  ,  qu'on  a  non  feulement 
beaucoup  de  peine  à  i'entend.ie,  mais  qu'il  y  a  lieu 
de  douter  s'il  s'cft  bien  entendu  lui-même. 

7.  Me'ch.  Goldall.Haiminsfeld.  not.  ad  Paiacnct. 
Jcript.  Vet.  &c. 

8.  Philip.  Biiet.  lib.  4.  de  Tocr.  Lat.  p.  s;.  S.  Il- 
defonûis  Toletan.  de  vir.  lllull.  c.  14.  S.  lûdot> 
^iif^alciif.  de  Vu'.  làluft.  ca^.  24. 


426     Poètes     Latins. 

Dracontius  feptiéme  jour ,  mais  que  fon  ftyle  e(l  fort 
inférieur  à  celui  de  Dracontius  ;  &  que  s'il 
y  a  fait  quelque  changement,  il  n'aura  pas 
manqué  fans  doute  de  rendre  un  mauvais 
office  à  cet  Auteur  ,  en  l'altérant  &l  en. 
corrompant  fon  fens. 

SIDOINE  APOLLINAIRE, 

(Cajus  SùH'ms  ÂpoUî'/iaris  Sidonius)  né  à 
Lyon,  d'un  Préfet  du  Prétoire ,  gendre 
de  l'Empereur  Avite,  Evêque  de  Cler- 
mont  en  Auvergne,  mort  un  Samedi  le 
23.  (ou  le  21.)  Août  ,  l'an  484.  félon 
Baronius  &  fes  Sénateurs,  &  482.  fé- 
lon le  P.  Labbe  ,  le  P.  Lubin  &  les  au^ 
très. 

Sidoine  A-  Ç\  Uolque  pour  marquer  le  tems  ou  la  mort 
polJinaire,  V^  ^^  ^.^^  Atiteurs  ^  faye  foin  autant  qu\l 
m''ejî  pojfible  de  prendre  mes  dates  dans  les 
Hiftorïens  c^P  les  Chronologiftes  les  plus  ex^ 
aàts  y  je  ne  préîens  pas  néanmoins  qu^elies 
doivent  être  exemtes  d'un  nowcel  examen , 
fur  tout  lorfque  les  Auteurs  ne  font  point 
d'accord  enfemhle  jur  ce  point.  "Je  me  fuis 
contenté  iufqii'ici  de  marquer  la  diverfité 
des  opinions  ^  ^  fen  uferai  toujours  de  mê- 
me dans  la  fuite  fans  rri* arrêter  à  les  exami- 
ner. Mais  pour  faire  voir  une  fois  qu^il  ar- 
rive fouvent  que  les  tins  zîf  les  autres  [e 
trompent  dans  leur  fupputation  ,  Cif  q^<^  î<^ 
ne  veux  prendre  non  plus  parti  parmi  eux 
que  parmi  les  garants  des  fugemens  que  je 
rapporte  ;  je  prie  mes  Le  Sieur  s  de  fouffrir 
ici  une  efpécc  de  digreffion  ,  pour  avoir  le 

phv' 


Poètes    Latins.       427 
plaijir  de  voir  que  Sidoine  Apollinaire  n'ejl  sidoîne  A- 
tnort  ni  ï'an  484.  ni  ran  482.  de  notre  Epo-  poliinairc. 
que ^  s^d  eji  vrai  quil [on  mort  le  25.  Août  ^ 
comme  le  difent  les  Martyrologes  Romain  {^ 

■  d'^UjHdrd. 

Il  ejl  conflant  que  Vanne'e  de  la  mort  de 
Sidoine  avoit  pour  lettre  Dominicale  E.puis' 
qu'ail  mourut  le  23.  Août  qui  étoit  un  Same- 
ai.  Or  Vannée  482.  avoit  pour  Dominicale 
C.  ^  Vannée  484.  avoit  A.  $5*  G.  ^  caufe 
de  fon  bijjexte.  C'^eft  ce  qu'ion  peut  voir 
dans  les  planches  du  Cycle  Pafchal  de  Vie- 
torius  d^  Aquitaine  expliquées  par  Bncherius^ 
dans  CalviJiuSy  çjf  dans  ceux  qui  ont  fui vi 
la  méthode  de  caraéîérifer  les  années  par  les 
Cycles .,  par  les  lettres  Dominicales  ^  ou  par 
les  marques  initiales  des  mois  ou  des  Lunes ^ 

Il  faut  donc  que  Sidoine  foit  mort  ou  Van- 
K.ée  480.  biffe xtile  F.  05^  Y.,  fous  le  CoTifulat 
dn  jeune  Bafile  Jeul  ^  la  feptiéme  année  de 
r Empereur  Zenon  ^  que  Pdque  fut  le  13. 
Avril \  ou  Van  486-  E.  fous  le  Confulat  de 
D^cius  ^  Longinus ^la  treizième  de  VEm-^ 
pereur  Zenon  .^  que  P âme  fut  le  fixiéme  A* 
vril ^l^  que  Clovis  défit  Siagrius  le  dernier 
des  K '.nains  qui  fit  ohftacle  a  la  Monarchie 
Françoife. 

Mais  comme  par  diverfes  circonftances  de 
VHiftoire  de  France  ^  de  VEglife  de  ces 
tems'là^  on  coy7]eLlître  av.e  Sidoine  a  paffé 
Van  480.  ^  qu'ail  n"" étoit  plus  au  monde  vers 
483.  on  peut  croire  avec  Savaron  que  nos 
Martyrologes  nous  trompent  .^  ^  qu'eau  lieu 
du  23.  jour  d^Août  ou  ils  nous  marquent  la 
mort  de  Sidoine^  il  faut  mettre  le  21.  du 
me  me  mois ,  su.  Kal.  VII.  BRES.    Ain  fi 

étant 


4^8      Poètes    Latins. 

Sidoine  A-  ^t^'fit  mort  un  Samedi  qtù  étoh  maraué  a  Icf 
poilinaiie.  Uttre  B.  c\'î oit  infailliblement  Pan'^Sl.  qui 
avoit  la  lettre  Q.pour  Dominicale.  Foila 
comme  les  uns  ^  les  attires  fe  [ont  trompes  j 
de  quelque  manière  que  l'on  prenne  la  chofe'^ 
^  comme  en  prenant  des  uns  ^  des  autres 
ce  qiî'ils  ont  dit  de  plus  vrai-Jemblahle  ^fans 
s"* arrêter  au  rejte  ou  ils  ont  erré  .^  il  rejulte 
que  S.  Sidoine  e/i  mort  le  Samedi  21.  /iouS 
de  Van  ^%i.fous  le  Confulat  de  Severin  iff 
de  Troc  onde  ,  qui  fut  une  année  de  trou'- la 
pour  la  célébration  de  la  Pdque ,  que  les  £- 
gyptiens  célébrèrent  le  25*.  Avril ^  quelques 
Latins  le  11,  Mars^  ^  le  refle  des  Fidèles 
le  18.  Avril 

ÏI94'  TVT^^^  avons  les  Pocfies  de  S. 
XNI  Sidoine  Apollinaire  en  vingt- 
quatre  Pièces  imprimées  ordinairement  a- 
vec  les  neuf  Livres  de  fes  Epîtres.  Gas- 
pard Barthius  dit  (i)  qu'il  a  fait  paroître 
beaucoup  d'efprit  dans  fes  Vers,  &  qu'il  y 
2l  même  de  l'éloquence  Poétique  .  mais  que 
c'eft  de  celle  de  fon  iiécle,  qui  dégénéroife 
déjà  beaucoup  de  l'ancienne  par  l'atfeda- 
tion  dont  il  ufoit  dans  les  allufions  fur  les 
mots  &  dans  les  rencontres  des  noms  qui 
avoîent  de  la  reifemblance.  Le  P.  Rapin 
dit  qu'il  eft  tombé  dans  l'impropriété  en 

aftec- 

1.  Gafp.  Barth.  lib,  49,  Adverfarior.  cap.  18.  col. 
2î^r9-  &  lib.  57.  cap.  it.  col.  2699. 

2.  Ren.  Rapin,  Reflcx    30,  fur  la  Poëtiq.  i.  paît. 

3.  Le  même,  féconde  partie  des  Reflex.  particul. 
Reficx.  xvr. 

4.  Jul,  Gxf.  Scaligcr  Hypcrcritic.  lib.  6.  Poctices 
pag.  iz». 


Poètes    Latins.     4x9 

aifedant  de  la  grandeur  d'expreflion ,  fans  Sidoine  A- 
avoir  pourtant  le  génie  de  la  Poelie(2),  poilmaiic» 
&  il  n'a  point  fait  difficulté  de  dire  encore 
ailleurs  (3),  que  Sidoine  a  écrit  d'une  ma* 
niére  fort  féche  6c  d'un  fort  petit  goût. 

Néanmoins  Jules  Scaliger  prétend  que 
c'elt  un  Ecrivain  éxaèt  qui  elt   plein   de 
mots  choilis  &  de  penfées  ailes  fines  qu'il 
renferme  dauî»  un  jjyle  concis  (4),  en- quoi 
il  fait  paroître quelquefois  un  p-u  tropd'af- 
feélation  &  d'inquiétude.   Mais  on  ne  peut 
pas  nier  que  cet  Auteur  n'ait  le  llyle  rrop 
dur,  comme  l'a  remarqué  le  P.  Briet  (f) , 
&  quelquefois  même  trop  enflé  félon  Mr. 
Borrichius  ^6).  L'un  6c  l'autre  trouvent  aaffi 
à  redire  qu'il  ait  inventé  divers  mots  nou- 
veaux qui  paroiffent  un  peu  choquans  ,  & 
qu'il  ait  fait  des  fiutes  deProfodie,  quoi- 
que le  dernier  remarque  en  lui  une  érudi- 
tion plus  que  mcd'ocre  &  plus  grande  que 
fon  liécle  lèmbloit  le  foutfrir.  Vives  avoit 
remarqué  tous  ces  défauts  long-tems  aupa- 
ravant tous  ces  Critiques  de  notre  fiécle, 
mais  il  avoit  pourtant  dit  à  l'avantage  de  la 
Poélîe  de  Sidoine  que  les  vieux  mots,  les 
phrafes  dures  &  obfcures  ,   ne  paroilfent 
point  tant  dans  fes  Vers  que  dans  la  Pro- 
ie (7). 

Au  relte  on  peut  compter  pour  un  des 

bons 

5.  Philip.  Brict.  lib.  4.  de  Poè't.  Lar.  pag.  57.  an- 
te  AGutè  dift. 

6.  Olaiis  Bouich.  Diflertation.  2.  de  Poct.  Latin, 
pag.  78. 

7.  Joh.  Ludovic.  Vives  lib.  3.  de  ratione  dlcendi 
cap.  de  Poëtic.  &c  ex  co  Gçi,  JoU,  YolT,  lib.  iing.d« 
|eët«  Lïtiu.  pag.  éi, 


430     Poètes    Latins. 

Sidoine  A-  bons  effets  de  la  bonne  fortune  de  Sidoine 
polliûaiie.  Apollinaire,  d'être  tombé  entre  les  mains, 
des  bons  Critiques,  tels  qu'ont  été  Sava-i 
ron,  Wower,  Elmenhorft,  mais  le  plus 
important  &  le  plus  capable,  fans  doute, 
€ft  le  P.  Sirmond,  dont  les  notes  n'ont 
pourtant  pas  rendu  entièrement  inutiles 
celles  de  Savaron:  &  plufieurs  même  par- 
mi les  étrangers  prétendent  que  l'édition 
de  Savaron  ne  cède  guéres  à  celle  du  P. 
Sirmond  ,  quoique  celle-ci  ait  été  poflé- 
rieure  à  l'autre  (2). 

Il  eil  bon  de  favoir  que  Sidoine  renonça 
à  la  Poèfie  en  renon<^ant  au  llécle:  &  qu'il 
ne  fît  plus  de  Vers  depuis  qu'on  l'eût  fait 
Evêque;  ce  qui  arriva  l'an  472.  de  notre 
Epoque,  après  la  mort  d'Eparchius, 

*  C  Soi.  ApoUîn.  Si  dont  i  Opéra  yac. 
Sirmo/idi  cura  ^  notis  in -4°.  Par  if. 
1652.  * 


c:^  QUIN- 

T.  Bibliograph.  Anonym.  Cur.  Hiftorico-Philolog, 

I.  %.  Les  deux  Livresque  Bailler  dit  ici  qu'en  at- 
tribue à  Qiiintus  outre  les  14.  des  Taralipoménes, 
font  deux  Livres  de  as  mêmes  Faralipoménes ,  fa- 
voir le  12.  8c  le  13.  que  iMichel  Neander  a  donnés 
fe'parément  fous  le  titre  d'i\/j<  ihûa-tasi  0tC\i3L  SCi» 
dans  loa  Aweura  Opm  impiime  à  Leipllc  in-^,  i  s  77* 


Poètes    Latins.     431 

c^  Q  U  I  N  T  U  S, 

De  Smyrne  ,  dit  ordinairement  le  CaU^ 
broïs  ^  à  caufe  que  le  Cardinal  Beflàrion 
le  trouva  en  Calabre  dans  une  vieille  E- 
glife  de  Saint  Nicolas  près  d'Otrante, 
Cet  Auteur  vivoit  vers  le  tems  de  Ze- 
non ou  d'Analtafe. 

119^  Ç\  Uintus  ou /^C(?/W^  de  Smyrne,  Quintus. 

^«^pour  parler  félon  les  Grecs  & 
les  Italiens ,  compola  quatorze  livres  des 
Poralipomenes  d'Homère  ^  c'ell-à-dire ,  de 
ce  qu'il  croyoit  manquer  à  ce  Poète  pour 
la  pcrfedion  de  fes  Ouvrages.  On  lui  don- 
ne encore  deux  livres  à  part  de  la  prife  de 
Troye  (i). 

Mais  le  bon -homme  s'efl:  trompé,  lors- 
qu'il s'eft  crû  necclîaire  à  Homère.  Car 
félon  tous  ceux  qui  nous  ont  donné  des 
régies  de  l'Art  Poétique,  il  efl  clair  que 
riliade  eft  un  Poëme  achevé  (2)  &  félon 
d'autres  même  (3)  plus  qu'achevé,  puis- 
qu'il devoit  finir  à  la  mort  d'Heélor  où  fe 
termine  la  colère  d'Achille.  Ainiî  les  Cri- 
tiques ont  eu  raifon  de  blâmer  notre Cala- 

brois 

La  remarque  de  cette  erreur  eft  duc  à  Vé\?.Gt  5c  la- 
borieux J.  A.  Fabrice  1.  z,  de  fa  Bibliot.  Grecque 
diap.  7.  n.  6. 

a.  Petr.  Mambrun  Diflertat.  Peripatet.  de  Carm. 
Epie,  quift.  6.  part.  i.  pag.  375.  cdit.  in- fol.  cum 
cjufdem  Conitantino. 

3.  B..  Rap.  Compaiaifon  d'Homeic  &  de  Virgile 
'Sec. 


432.      Poètes    Latin  â. 

;^intus.  brois  (3) ,  qui  devoit  pour  le  moins  s'atta- 
cher à  fuivre  fon  modèle  &  à  prendre  Tef- 
prit  de  la  véritable  Poëfie  dans  Ton  origi- 
nal, au  lieu  de  faire  THiftorien  dans  les 
Vers  comme  on  le  lui  reproche  (4).  Eu 
effet  quelque  naturel  qu'il  eût  pourlaPoë- 
fîe,  il  femble  que  pour  avoir  ignoré  les 
fondemens  de  fon  Art,  il  n'ait  pu  venir  à 
bout  de  fe  faire  coniîdérer  comme  un  Poè- 
te légitime;  &  le  P.  Rapin  dît  nettement 
(f)  que  s'étant  voulu  mêler  d'écrire  la 
fuite  des  Poèmes  de  l'Iliade  &  de  l'Odyf- 
fée,  fans  avoir  aucune  ombre  de  cet  air  ai- 
fé  &  naturel  d'Homère,  il  n'a  rien  d'éxacl 
ni  de  régulier. 

Néanmoins  cet  Auteur  n'eft  point  fans 
mérite,  &  quoique  fon  llyle  foit  afles  bas 
&  afTés  corrompu  félon  Rhodomannus 
(6) ,  il  ne  laide  pas  d'être  formé  fur  celui 
d'Homère  de  l'aveu  du  même  Critique,  & 
d'être  foutenu  de  quelque  érudition.  Cons- 
tantin Lafcaris  étoit  pré  veau  i\  favorable- 
ment pour  lui  (7),  qu'il  ne  faifoit  point 
difficulté  de  dire  qu'il  n'avoit  rien  trouvé 
de  plus  approchant  d'Homère  que  ce  qu'a- 
voit  fait  notre  Quintus:  Et  un  Allemand 
nommé  Freigius  a  pouffé  cette  opinion 

jus- 

5.  Lacl.  Bifciûla  In  Horis  fubccfîvis  &3. 

Ludo/.  de  Caftelvetro  Comm.  in  Poettc.  Aiiflor. 

Item  Anton.  Riccobon.  lib.  de  Arte  Poct. 

Jacob.  Mazzoni  in  Defenf.  Dantis  Aligh, 

Torq.Taffb  Difr.  ltal.de  Pocm.  Hcroïco&c.  quos 
omncs  aliofquc  citât  Laurent.  CrafTus  de  Poct.  Grs- 
cis  Italicè. 

4.  udeno  Nificlli  apud  cum4,  Ciâfl",  pag.  437» 
♦î8.  &e. 


Poètes    Latins.    433 

jufqii'au  point  de  d  re  que  l'on  trouvedans  Quinwj; 
cet  Auteur  tout  le  génie,  toute  Tindullrie 
&  toutes   les  bonnes  qualités  d'Homerc; 
de  forte  qu'on  auroit  pu  prendre  Quintus 
pour  un  Homère  relTufcité  (S). 

Mais  fans  s'arrêter  à  ces  hyperboles  ri- 
dicules, je  crois  que  c'ell  rendre  à  Quin- 
tus toute  la  jurtice  qui  lui  eft  dûë,  de  dire 
avec  Mr.  Borrichius  (9) ,  que  c'efi  un  E- 
crivain  qui  nVft  pas  tout-à-fait  indigne  d'ê- 
tre lu,  que  fon  ft}le  efl  allés  net  &  allés 
tempéré,  qui  n'eft  ni  trop  enflé,  ni  trop 
hardi,  ni  trop  entreprenant,  ni  trop  em- 
porté. 

*  QuÏKii  Ccildbri  Paralehoynena ,  id  efl 
derelîcla  ab  Homero  Ub.  xiv.  Latine  reddi^ 
ta  à  LatircKiio  Rhodomanno  in-S*.  Ha4a» 
l'iiC  1604.  * 

(O^COLUTHUS, 

De  Lycopole  dans  la  Thébaïde  ,  vivant 
fous  l'Empereur  Anallafe,  Poète  Grec, 

1196  "VT  O^s  avons  de  cet  Auteur  un  colmhui; 

1\|  Poëme  de  l'enlèvement  d'He- 
Icne.  li  n'a  rien  de  coufidérable  félon  le 

P.Ra- 

5.  R.  Rap.  Rcfl.  parrlùr  \a  Poct.  féconde  partie 
Rçfl.  XV. 

6.  Laurent.  Rhodoman.  Prxfat.  in  édition.  Quin- 
ti  Smyrn.  Calabri,  &  alibi. 

7.  Conftantin.  Lalcaris  in  Giammat.  Grâ:c.  &  a- 
pud  Laur.  Craff". 

t.  Jean.  Thora.  Ftcigius  Epiftol.  przfijc.  Quint. 
Calabr.  edit. 

9.  Olaiiî  Borrichius  Difleitat,  de  Poct.  GratC  êcc. 

rcm.IlLPsrrJL  T 


434      Poètes    Latins. 

Coluthui,  p.  Rapin,  le  defTein  en  eft  petit,  le  (lyle 
y  eft  froid  &  languiflant  {i).  II  femble 
même  que  Suidas  Ta  coniideré  plutôt 
comme  un  Verlificareur  que  comme  un 
véritable  Poëte  (2).  Néanmoins  on  ne 
lailTe  pas  d'y  trouver  quelque  érudition, 
fa  didion  n'eft  point  trop  fade  ni  trop  pla- 
te, &  on  peut  dire  même  qu'elle  eft  aftcs 
ileurîe  au  jugement  de  Mr.  Bornchius(3). 
Guillaume  Ganter  eftimoît  parmi  divers 
endroits  affés  beaux  celui  qui  comprend  le 
jugement  de  Paris, parce  qu'il  luiparoifToit 
très-élégamment  écrit  (4).  Au  refte  Go- 
luthe  a  la  même  obligation  au  Gardinal 
Beiïarion  que  le  Calabrois  dont  nous  ve- 
nons de  parler  plus  haut  [Voyés  l'Article 

1197.]^ 

*  Coiuthi  Ihîence  Raptus^  Steph.  Ubeîo 
în-8.  FrancL  1600.  * 

^  TRYPHIODORE, 

Egyptien ,  Poëte  Grec ,  vivant  du  tems  de 
l'Empereur  Anaftafe. 

*TïyphIo-    1197  TE  me  contenterai  de  dire  que  cet 
dVrc,  J  Auteur  a  fait  un  Poëme  fur  la  pri- 

fe 

T.  Ren.  Rapin,  Rcfl.  particul.  fur  la  Poct.  fécon- 
de part.  Refl.  xr. 

2.  Suidas  in  Lexico.  Vid.  &  Laur.  Crad.  de  Poct, 
Grarc.  pag.  123. 

%.  Baillct  s'efl  imagine'  que  Ver/îficator  employé 
dans  la  traduftion  Latmc  de  Suidas  pour  exprimer 
le  Grec  iTrcTctic  étoit  un  terme  de  mépris,  ne  lâchant 
pas  que  proprement  iTOTo<ôc  lignifie  un  Poète  Héioï- 
que  &  que  Suidas  n'a  donné  à  Coluthus  le  nom 
<i'Ï7r9?rtt6ç  que  parce  que  le  Poëme  de  cet  Auteur  eft 

ca 


Poètes    Latins.      435 

fe  de  Troye ,  &  que  le  rapport  qu'on  lui  a  Tryphîo. 
trouvé  avec  le  fujet  que  Quinte  de  Smyr-  doic% 
ne  a  traité,  a  donné  lieu  aux  Critiques  de 
le  juger  avec  lui.  Ce  qui  a  paru  d'autant 
plus  commode  qu'on  a  remarqué  prefque 
les  mêmes  qualités  &  les  mêmes  défauts 
dans  l'un  &  dans  l'autre}  &  que  celui-ci 
avoit  eu  la  penfée  de  continuer  &  de  pcr- 
fedionner  Homère  aufîi  bien  que  l'autre. 
Ainli  fans  m'obligcr  à  des  redites,  on  peut 
voir  ce  que  j'ai  rapporté  de  Quinte ,  &  a- 
jouter  que  Tryphiodore  paroît  un  pea 
plus  obfcur  &  plus  difficile  que  l'autre,  fé- 
lon Mr.  Borrichius  (5-);  &  qu'il  eft  d'un 
cara6lcre  un  peu  plus  bas  &  plus  groiîier, 
félon  le  P.  Rapin  dans  la  féconde  partie 
de  fes  Réflexions  (6). 

*  Coluthi  HeUnce  Raptus  Interpr.  R, 
Perderiero  ,  cum  noîis  Bcrn.  Bertrand}^ 
Et  Tryphîodori  Libello  de  Ilti  expuznationt 
m-S.'BaJil.  ïssS'  * 


E  N- 

en  Vers  Hcroïqufs.  Verfîjîcator  d'ailleurs  n*A  de  foi 
lien  de  choquant,  à  moins  qu'on  n'y  ajoute  une  é- 
pithete  injurienfe.  Cornélius  Seveius  étoit  un  bon 
verlihctitenr,  B:ivius  un  mi4uvais. 

3.  Olaiis  Bonichius  ,   Differtat.  de   Poct.    Grxc, 
pag.  18. 

4.  Guillelm.  Canterus  in  Commentai,  ad  Caflaa» 
dram  Lycophronis  &c. 

5.  Ubi  fupra  pug.  19. 

i.  Comme  ci-dcilus  Rcfl.  15. 

T  2 


43^    Poètes    Latins. 
E  N  N  O  D  I  U  S, 

Evêque  de  Pavîe  {Marcus  Feîix  "Ennod'ius 
Juvcnalts)  mort  l'an  fii.  le  17.  Juillet 
âgé  de  48  ans  félon  le  P.  Sirmond  (i) 
&  le  P.  Labbe,  qui  dit  qu'il  fucceda  à 
S.  Epiphane  l'an  490.  de  forte  que,fui- 
vant  le  calcul  de  ce  Père  &  des  autres , 
Ennodius  auroit  été  fait  Evêque  à  dix- 
fept  ans.  Ce  qui  ne  fe  peut,  puifqu'En- 
nodius  avoit  agi  affés  long-tems  en  qua- 
lité d'Archidiacre,  &  qu'il  avoit  accom- 
pa;:né  fon  Evêque  dans  diverfes  négo- 
cianons  comme  lui  étant  fort  utile. 

Ennodius.  ^^9^  TVT  ^^^  avons  deux  livres  des 
JlNI  Poclies  de  cet  Auteur,  dont 
le  derner  confifle  en  Epigrammes.  Le  P. 
Briet  dît  que  c'efl:  un  Poète  tout-à-fait  In- 
génieux (2)  ,  mais  que  félon  le  génie  d« 
fontems,  il  a  préféré  l'ufage  des  pointes 
à  celui  de  la  bonne  Latinité.  C'ed  aulTi  le 
fentiment  de  Mr.  Borrichius  (3),  qui  a- 
joute  que  les  Sentences  n'y  font  pas  moins 
fréquentes  que  les  pointes;  mais  qu'au 
relfe  fi  Ton  veut  mettre  à  part  cette  affecta- 
tion &  fa  mauvaife  Latinité,  on  ne  peut 
pas  nier  qu'il  ne  fût  un  bel  efprir.  Ces  Poë- 
lîes  font  à  la  fin  de  les  Ouvrages,  tant  de 

l'é- 

1.  Le  Pcrc  Sirmond  rend  lachofe  encore  plus  dif- 
ficile, difant  qu'il  aveit  été  long  tcms  marie,  puis 
long  tems  Diacre  avanr  que  d'être  Evêque. 

2.  Philipp.  Briet,  lib.  4.  de  Poér.  LdCia.    pag.  59. 
2.  Olaiisijomch,£>i0'ciut,2,dc  roec.Lac.p;ig.  So. 

3,  PI). 


Poètes    Latins.     437 

rddîtion  du  P.  Sirmond  que  de  celle  du  P.  Ennadltn»* 
Schort.  Cell  une  choie  ailés  imguliére  de 
favoir  que  ces  deux  favans  Jcfuites  travail- 
loicnt  en  même  tems  far  un  marne  Auteur 
qu*ils  publièrent,  celui-ci  à  Tournai,  <5c 
celui-là  à  Paris  en  la  même  année,  fans 
que  l'un  eût  eu  avis  ou  communication  de 
l'Ouvrage  de  l'autre,  mais  celle  du  P.  Sir- 
mond efl  préférable  pour  les  notes  &  Té- 
xaditude  mêine,  au  jugement  du  P.  Lab- 
be  (4)  v-Sc  des  autres  connoilicurs. 

^È^iKodii  Opéra  ^    'Jacohi  Sirmoyidi  in- 8* 
Par  if,  1642,.  * 

A    V    I    T    E, 

De  Vienne  {Akimus  Ecdkhis  Avltfts)  Ar- 
chevêque de  Vienne  après  Ton  Perc, 
mort  Tan  5-23.  le  5-.  Février, 

Il 99  "^TOus  avons  de  cet  Auteur  cinq  Avite. 

JlN  livres  de  Poèiie  fur  l'hiftoirede 
MoVfe,  que  le  P.  Briet  dit  être  travaillés 
&  conduits  fort  ingénicufement  (f)  :  de 
forte  que  fclon  lui  Avite  méritoît  d'être  ne 
dans  un  liécle  plus  heureux.  C'a  été  aulîî 
la  penfce  de  Gafpard  Barthius  &  de  Mr. 
Borrichius.  Ce  dernier  n'a  point  fait  diffi- 
culté de  dire  (6)  que  c'ell  un  Poète  fort  é- 
légant,   &  qu'on  a  lieu  de  sVtonner  que 

ce 

4.  rh.  Labb.  DifTert.  Philolog.  de  Script.  Ecclc-, 
fiaft.  ad  Bellaim.  tom.  i.  pag.  2-6. 

5.  rhilipp.  Briet.  lib.  4.  de  Toët.  Lat.  pag.  58.  an- 
tc  Acutè  didt.  Toët. 

6.  01;iiis  Borrichius  ,  ©iflertation.  de  Poër.  Lat, 
pag.  75. 

T  ^ 


43S  Poètes  Latins. 
^riUf  ce  fiécle  ait  produit  un  homme  qui  avoit 
la  veine  ii  belle,  fi  docle  &  fi  facile.  Et 
le  premier  jugeant  qu'il  y  a  encore  beau- 
coup d'imperfedlions,  a  cru  pour  faire  le 
bon  Protellant,  qu'il  en  feroit  quitte  pour 
dire  que  les  défauts  qu'on  trouve  dans  cet 
Auteur  viennent  de  l'infidélité  des  Moi- 
nes (i). 

Après  tout  il  faut  reconnoître  que 
nous  avons  encore  au  Père  Sirmond  l'o- 
bligation de  nous  avoir  délivré  de  la  mau- 
vaife  foi  du  Dodcur  Gagné  (2),  qui  avoit 
fait  glifler  plus  de  5-00.  vers  de  fa  façon 
parmi  ceux  d'Avite  (3). 

*  Sanéiî  Av'tti  Opéra  Jacohi  Sirmondi 
în-8.  Parif,  1643.  —  Ejujdem  Foèma-- 
ta.  ♦ 


B  O  E- 

y.  Gafp.  Bâithius  Jib.  10,  Advcrfar  cap.  16.  col. 

z.  %.  Il  s'appelloit  en  François  Jean  Gaigny. 
Son  nom  cft  ainfî  écrit  au  titre  de  la  Traduftion  du 
Commentaire  de  Primaûus  lur  S.  Paul ,  faite  par  ce 
Doftcur,  &  imprimée  l'an  is^o.  à  Taris. 

|.  Jac,  Sixmond  pracf.  in  Alciraum. 

Item. 


Poètes    Latims.    439 

BOECE  ou  BOETHIUS, 

{4  ni  dus  M.inlîus  Sevcr'-nus  Boèth'ius)Qoïi'' 
fui  fcul  Pau  5-10.  mort  à  Pavie  Tan  5'24. 
le  23.  jour  d'Oilojre,  deux  ans  avant 
Ibii  beaupcre  Symiiiaque,  par  les  ordres 
de  Theodoric  ou  Thierri  Roi  des  Gots 
en  Italie. 

1200  /^  E  que  ce  grand  homme  a  fait  de  ^^ece, 

V->vers,  eil  inleré  dans  fes  cinq  li- 
vres de  la  Confolacion.  Sa  Profe  n'e'tant 
pas  fort  excellente,  fcmble  avoir  contri- 
bué par  fes  ombres  à  relever  l'éclat  de  fa 
Poélie,  que  Jules  Scaliger  ne  fait  point 
difficulté  d'appelier  divine.  Il  préiend  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  travaillé  &  de  plus  poli 
que  fes  vers,  ni  en  mt3me  tems  rien  de 
plus  grave  (4) ,  que  la  multitude  des  Sen- 
tences ne  retire  rien  A  fes  beautés,  ce  qui 
eft  alTés  rare ,  &  que  fes  pointes  &  fes  fub- 
lilités  n'empêchent  pas  qu'il  ne  foit  tou- 
jours naturel  6:  ingénu. 

Les  autres  Critiques  n'en  ont  pas  jugé 
beaucoup  moins  avaiîtageufement.  Erafme 
avoué  (5)  qu'il  é[oit  allés  bon  Poète,  & 
que  fes  vers  font  pafîables.  Jofeph  Scali- 
ger n'y  admctto't  point  tant  de  modifica* 
lion,  il  dilbit  à  fes  Ecoliers  (6)  que  Boé- 

ce 

Item  Lrtbb.  Differt.  Critic.  ad  Bellarm.  de  Vii.U- 
luftr.  tom    I. 

4  Jul.  Catf.  Scalig.  Hypcrciiiic.  feu  lib.  6.  Poctic» 
pag.  82$. 

5.  Def  Erafm.  in  Dialog.  Ciceronian. 

6.  %.  Joleph  Scaliger  n'a  jamais  eu  d'Ecoliers  ni 
€a  Fia;icc,  ni  en  Hollande,  à  moins  qu'où  n'appcl- 

T  4  le 


440  Poètes  Latins. 
socce.  ce  eft  un  excellent  Poète  fans  reflriction 
(i),  &  qu'il  imire  la  phrafe  &  les  manières 
qui  étoient  en  ufa^e  à  Rome  du  tems  de 
Néron.  C'a  été  auffi  le  fentiment  du  P. 
Briet  (2)  qui  enchérit  encore  fur  les  autres 
Critiques,  difant  que  fa  Poélie  elt  digne 
du  bon  fiécle.  Ce  qui  fe  doit  entendre  de 
toute  autre  chofe  que  de  fa  Latinité,  que 
Val  la  n'a  point  eu  rai  Ton  de  nous  propofer 
comme  un  modèle  de  pureté  (3),  puifque 
nous  fommes  tropperluadcs  qu'il  faut  met- 
tre une  grande  di{tin6l:on  entre  le  llyle  de 
Boéce  &  Ion  bel  efprit ,  fon  érudition ,  fou 
induûrie,  fa  fageilè,  &  fes  autres  excel- 
lentes qualités.  oO*  A- 

Ic  les  écoliers  les  perfonnes  qui  lui  rendoicnt  vi^te 
pour  avoir  l'honneur  6c  leplaifir  de  fa  converfation. 
Pendant  ion  lejour  en  France,  comme  il  dcmeuroit 
ches  Mefïîeurs  de  la  Rochepoze',  Veitunien  Méde- 
cin de  cette  maifon  ayant  louvent  l'occafion  de  le 
voir  ,  fit  en  fon  particulier  un  recueil  de  plufieuïs 
chofes  dignes  de  remarque  qu'il  lui  avoit  ouï  dire. 
C'cft  dequoi  a  été  compofé  le  ScuH^crana  frima,  où 
il  eft  dit  que  Boi':ljius  tot-^.j  fe^endus  ejf ,  magnus  (jm'pfe 
Philofophus  5  ir  Poi'ta  tximiHi ,  phrujln  Neroniani  tentpo- 
ris  imitans. 

I.  Jofeph.  Juft.  Scaligcr  in  primis  Scalig.  pag  30. 
z.  Phil.  Briet.  iib.  4.  de  Poët.  Latin,  pag.  59. 
5.  Jul.  Seal  g.  iteium  ut  fuprà. 
%.  C'eft  tout  le  contraire.     Laurent- Valle  1.  (5.  de 
l'élégance  de  la  Langue  Latine  chnp;3  4.  entrcpiei.d 
de  faire  voir  que  Boëce,  tout  Latin  né  qu'il  étoit 
ne  favoit  pas  parler  Latin  :/y«/c  homim  "Howar,»  ojf en- 
dam  'Romane  lajut  Jiefcire.  Sa  raifon  eft  que  Boëce  ex- 
plique perfona  par  fubj}an:it>.y  au  lieu  de  l'expliquer 
^zi  (jualitas.     ]1  difpute  foit  au  long  contre  lui,  ôc 
conelud  qu'il  nous  a,  en  parlant  de  cette  manière, 
appris  à  parler  en  barbares  :  nos  iarbare  locjui  dacuiti. 
C'eft  à  quoi  Jule  Sc^.liger  faifant  alluflon  a  dit  a- 
grçablcment;  VaJU  docet  eum  LiHinè  loquiy  at  VnUam 

Bai- 


Poètes    Latins.     441 
G^AGATHIAS, 

Poëte  Grec ,  natif  de  Myrine  ou  Sehafîo- 
pôle  ^  en  Eolide  dans  TAfie  mineure, 
aujourd'hui  Marhani  :  Scholaftique  , 
c'elt-à-dire  Avocat  à  Smyrne  du  tems^ 
de  JuQinÎjn. 

1201   /^Et   Auteur  a  eu  la  réputatioiï  Agathia^^i 

Vjd'un  des  meilleurs  Poctes  de 
fon  fTécle.  Je  penfe  qu'il  ne  nous  reile  de 
fes  Poëlîes  que  quatre-vingr  &  une  Epi- 
grammes  (4),  qui  font  répandues  dans  les 

Li' 

Boïthiutf  l>ene  fajrere.  Liurent  Valle  apprend  à  Botce  à 
pitrler  L'it-'n,  mais  Boh'ce  apprend  à  Laurent  Valle  à  être 
fa^e.  Baillet  par  une  allés  plaifante  équivoque  % 
cru  que  ^'alU  doctt  eum  Latine  tocjni ^  fignifioit  :  Law- 
nnt  Valle  prouve  (jue  Bo'Jce  parle  lien  Latiti^  d'où  il  s'en» 
fuivroit  qu'<:f  ValUm  Bo'cthiHs  bene  fap're  y  fl£,nifieroit: 
^I^is  Ba'ire  prouve  (jue  Laurent  ''aile  tjl  bien  ja^e.  Tout 
moi  ie  fuis  peifnade  que  l'ignorance  dont  L:iurent 
Valle  accufoic  Boece  en  matière  de  Larin  ,fc  reflrai- 
gnoit  dans  le  fonda  quelques  mots,  &  à  quelques 
phrafes,  puifque  dans  la  Trcface  de  fa  DiaïcAique  il 
dit,  par  manière  d'sloge,  parlant  de  lui  qu'il  efif 
eruditor-t/n  ultimnSf  pour  donner  à  entendre  qu'il  lui- 
jcftoit  encore  quelque  goût  de  la  bonne  &  ancienne 
érudition,  à  peu  près  comme  Cremutins  Cordusap- 
peloit  dans  Ion  Hiftoive  Brutus  5c  CalTius  l^nna^io- 
rnm  u'ti/nos,  parce  que  dans  le  tcms  que  la  liberté 
Romaine  étoit  perdue  ils  en  avoient  retenu  l'efprir. 
4.  %.  On  pounoit  y  en  a'outer  huit,  tirées  de  la. 
Collcftion  anecdote  d'Agathias,  dont  le  manufcriC 
a  été  transféré  de  la  Bibliothèque  Palatine  à  celle 
du  Vatican,  mais  dont  il  y  a  nombre  de  copies  en- 
tre les  mains  des  curieux.  Daniel  Heintius  a  tra- 
cfuit  en  vers  Lat'ns  deux  de  ces  huit  Epigrammey 
qu'il  a  inférées  avec  leur  verlinn  page  6i8,  ôc  âiz* 
de  fes  loties,  édit.  in- 12.  1649. 

T  3 


44i     Poètes    Latins. 

AgatUias.  Livres  de  l'Anthologie,  &  dont  Vulca- 
nius  a  foit  un  Recueil  qu'il  a  publié  avec 
rhiftoire  du  même  Auteur.  Jofeph  Scali- 
ger  paroît  en  avoir  fait  bien  du  cas,  puif- 
qu'il  s'eft  donné  la  peine  de  mettre  en  vers 
Latins  celles  qui  font  dans  le  feptiéme  Li- 
vre de  l'Anthologie,  Doufa  &  Vulcanius 
en  ont  fait  autant  de  quelques  autres.  Ce 
dernier  témoigne  qu'il  aimoit  les  Pointes, 
les  Sentences,  &  le  (lyle  fleuri  (i). 

Il  avoit  fait  encore  un  Poème  appelle  les 
Daph'/îiques  ou  Daphniaqnes  ,  qui  étoit 
rempli  de  galanterie  &  de  quelque  chofe 
de  pis  (2),  mais  je  ne  fâi  s'il  a  vu  le  jour 
-depuis  l'invention  de  l'Imprimerie. 

A  R  A  T  O  Pv. 

Zilgtirien^  Soudiacre  de  l'Eglife  Romaine, 
né  l'an  490.  vivant  fous  Juitinien,mort 
vers  le  milieu  du  fixicme  llécle. 

Arator.      1202  f^Et  Auteur  a  mis  les  Actes  des 

VJ  Apôtres   en    vers   Hexamètres, 

dont   il  lit  deux  Livres  qu'il  préfenta  au 

Pape  Vigile  le  fixiéme  d'Avril  félon  Au- 

bert 

T.  ïonaventur.'.  Vulcan.  feu  Snik  Prolegom.  ad  A- 
gath. 
2.  Loienzo  Craflb  de  i.Toct.  Grzc.  p.  12.  V.  8c 

Suidas  in  Lexic. 

51    L'O'Jvragc  compofé  en  vers  hexamètres  e'toit 
divifé   en  6    Livres      L'Auteur  en  fait  mention  au 
commencement  de  f  ai  Hiftoire  &  dans  TEpigram- 
me  s%<î)vtAKcëv  (ô;C>i«v  rap[>ortéc  1.  6.  de  l'Antholo- 
gie c,  9.  Cet  Ouvrage  n'exiftc  poiat, 
|.  Tu],  Cxfi  Scalig.  Ia  fççu 


Poètes    Ïj  a  t  i  h  s.      44^ 
bert  le  Mire,  ou  le  /jxicmc  de  Décembre  Aratoz, 
félon  TritthciTie  &  le  P.  Labbe  Tan  5-43. 

Les  Critiques  ont  juge'  que  cet  Ouvrage 
eft  fort  élégamment  écrit  par  rapport  au 
fîécle  où  il  vivoit ,  que  l'emploi  qu'il  y  a 
fait  des  allégories  eft  fort  agréable,  à  cau- 
fe  des  fleurs  cSc  des  autres  beautés  dont  il 
les  a  accompagnées  (3) ,  qu'il  a  de  la  faci- 
lité ,  &  qu'il  elt  allés  châtié  ;  mais  qu'il  n'21 
pu  tout-à-fait  fe  garantir  des  imperfedions 
de  fon  fiécle  (4). 

Arator  avoit  fait  aufTi  des  vers  fur  l'E- 
vangile &  fur  quelques  fujets  particuliers 
qu'on  n'a  point  encore  dércrrés,  hors  une 
Lettre  en  vers  Elégiaques  à  Parthenius, 
que  le  P.  Sirmond  a  donnée. 

C  O  R  I  P  P  U  S,  (5-) 

Le  Grammairien ,  furnommé  Crefconîus 
félon  quelques-uns  ,  Africain  ,  vivant 
fous  l'Empereur  Juftin  le  jeune. 

^2.03.  T^T  Ous  avons  de  cet  Ecrivain  u-  coiippaj, 

X^    ne  efpéce  de  Poème  Latin  di- 
vifé  en  quatre  Livres  à  la  louange  de  Jus- 
tin 

Mich.  Juftinian.  de  Scriprorih.  Liguiib. 

4..  Olaiis  l'.oirich.  Difleit.  de  PoeT.  Latin,  pag.  82, 

Vidcnd,  &  Tritcnem. 

Aub.  Mir.  BelUrm.  Labb.  &  alii  paflîm. 

5.  %.  Après  avoir  mis  CORIPPUS  au  deffus  en 
Capitale,  il  faloit  au  bas  mettre  en  caraftcie  plus 
mcn\l  FUvius  CrcfisutHS  Conppui,  africain  yGrarfinuii- 
rien  ,  vivant  (lus  fErnpertur  Ju;tin  le  jeune.  Cela  au- 
roit  été  plus  jufte,  &  mieux  lié.  Il  m'a  paru  qu*oa 
dcvoit   diie  Cori^pm  Granimainm  ,  paisc  ^tt'il  ièfa- 


444  Poètes  Latins, 
Çorrppus.  jjj^  Yl,  du  nom  Empereur  de  Conftantîno- 
pie  en  vers  Hexamètres.  L'idée  que  les 
Critiques  nous  donnent  de  cet  homme, 
eft  celle  <a  un  grand  flateur  ^  d'un  petit 
Poète.  Tout  ce  qu'on  dit  de  plus  à  fon  fu- 
jet,  fe  peut  rapporter  à  quelqu'une  de  ces 
deux  mâchantes  qualités.  La  première  rend 
afTés  croyable  tout  ce  qu'on  a  publié  de  fa 
légèreté,  de  fa  vanité;  de  fa  paiTion  aveu- 
gle, &  de  fon  indilcrétion  dans  la  diflribu- 
tion  du  blâme  &  des  louanges.  La  fécon- 
de n'a  pas  befoin  d'autres  preuves  que  cel- 
le que  nous  en  donnent  fes  méchans  vers, 
fa  dureté,  fon  obfcurité  ,  fa  profodie  vi- 
cieufe  &  la  mauvaife  Latinité. 

Vofîius  eftime  qu'on  ne  devoît  pas  6ter 
des  éditions  poftérieures  les  argumens 
qui  étoîent  à  la  première,  parce  qu'il  les 
croit  fi  anciens,  qu'il  ne  fait  pas  difficulté 
de  les  donner  à  Corfppus-méme  comme  à 
leur  véritable  Auteur. 

*  Corippiis  A fr  te  anus ,  de  Laude  'Jufl'mi 
ÂHguftt  Minoris  carminé,  l'ib.  iv.  m-^.Ant' 

nerp.  15-81.  Idem.  cnmComm.  Dsmp" 

Jleriia'S.  Parif.  lôio. 


FOR- 

fclcroit  (1  on  difoit  le  Grammairien ,  quM  y  auioit  eu 

plus  d'un  Corippus. 

-    Galpir  Barthius  lib.  9.  Adverfaxior.  cap.  12.  col. 

436. 

Nicol.  Alamann.  Praefat.  in  Procop.  Cacf.  lib.  p. 
fc.  Anccdor. 

Pivlipp.  Biiet.-lib.  5.  de  Poct.  Latin,  pag.  61.  an- 
lè  Acuiè  did. 

Olaiis  Bonickiiis  Dlilçitatioi}.  2.  <k  fecr.  Lat.  pag. 


Poètes    Latins.     445* 

F  O  R  T  U  N  A  T, 

{p^enantius  îlonorius  ou  Honoratus  Clemeii' 
tianus  Fortuyiatus)  né  dans  la  Marche 
Trevilane  ,  Evcque  de  Poiriers,  mort 
vers  le  commencement  du  feptiéme  lié- 
cle. 

1204.  TT^Ortunat  eft  un  des  plus  fmpor-  portunat. 

J7  tans  d'entre  les  Poètes  de  l'An- 
tiquité Chrétienne.  Nous  avons  onze  Li- 
vres defesPoélTes  diverfes  tant  en  vers  Ly- 
riques qu'en  Elcgiaques;&  quatre  de  la  Vie 
de  Saint  Martin  en  vers  Héxamérrcs ,  fans 
parler  de  quelques  fupplémcns  &  de  diver- 
fes Pièces  qu'on  dit  être  encore  manufcri- 
tes  dans  les  Bibliothèques. 

Gafpar  Barthîus  qui  femble  s'être  fait  le 
Panégyrille  des  Auteurs  du  moyen  âge,  a 
témoigné  en  pluiîeurs  endroits  qu'il  étoît 
charmé  de  la  beauté  de  l'efprit  de  ce  Poè- 
te. Tantôt  il  dit  (i)  que  c'étoit  un  génie 
extraordinaire,  &  que  la  veine  étoit  beau- 
coup plus  heureufeque  les  malheurs  de  fon 
fiécle  femb'oient  ne  le  pouvoir  fouffrir  : 
tantôt  il  allure  qu'il  faifoit  toute  la  mer- 
veille 

S),  ubi  tamen  Corippam  vocat  Foctaxn  non  igno- 
bilem. 

G.   J.  Voiïîus  de  Hiftoric.  Latin,  lib.  3.  cap.  j, 
pag.  74  S.  749. 

Idem  Voflîus  lib.  Cngul.  de  Poër.  Lat.  pag.  6é. 
«<c. 

I.  Gafpar  Barthius  Adverfaxior.  lib.  46.  cap.   ^, 
item  ex  co. 

Fhilipp.  Biiec.  lib,  ;.  de  Toëtis  Latin,  pag.  62,  aor 
le  Acutè  di^, 

T  7 


44<5  Poètes  Latins. 
Foitunat.  'vcille  du  lems  &  du  pays  où  il  vivoit,mais 
que  ni  l'un  ni  l'autre  n'étoient  pas  ailes 
bons  juges  de  fon  mérite;  qu'il  auroit  dû 
paroître  dans  le  bon  liécle,  c'ell-à-dire  fur 
un  Théâtre  digne  de  lui  (i),  &  qu'il  a  eu 
moins  d'honneur  d'avoir  été  le  premier  de 
ceux  de  fon  tems ,  &  d'avoir  pu  fervir  de 
modèle  à  ceux  qui  font  venus  après  lui  (2). 
Mais  comme  ces  éloges  pourront  paroî- 
tre outrés  à  ceux  qui  ne  fongeront  pas  à 
faire  la  diilinction  d'un  bon  Ecrivain  des 
iiécles  corrompus  &  barbares  d'avec  les 
médiocres  Auteurs  même  des  liécîes  heu- 
reux ;  il  vaut  mieux  n'y  avoir  ooint  d'é- 
gard ,  &  croire  que  Fortunat  s'eilimeroit 
plus  honore  d'avoir  un  rang  honnête  par- 
mi les  médiocres  xVuteurs  du  bon  fiécle, 
que  de  fe  voir  à  la  tête  de  tous  ceux  des 
(iécles  miférables ,  où  les  belles  Lettres 
fembloient  être  difgracices. 

On  peut  donc  dire  que  Fortunat  auroit 
même  été  eilimé  parmi  ces  premiers  pour 
la  facilité  mervtilieufe  qu'il  avoit  à  faire 
*  des  vers.  En  eftet  Brouwerus  témoigne 
(3)  qu'il  les  faifoit  ordinairement  fur  le 
champ  ,  fans  effort ,  fans  méditation ,  & 
fans  étude.  Cela  fuffic,dit  cet  Auteur, 
pour  faire  voir  combien  il  avoit  l'efprit  ai- 
le &  heureux  pour  ce  genre  d'écrire.    Car 

quoi 

1.  Barthius  iterum  ac  tertio  lib.  5.  Adrcifarior. 
cap.  12.  6c  alibi  in  eodem  Opère. 

2.  Idem  in  Commearar.   ad  Claudian.  pag.  3.  ôc 
tx.  eo  G.  M.  Konigius  in  Bibl.  V.  &  N.  pag.  314. 

G.  ]oh.  Voflius  lib  fing.  dePoct,  Lât.  pag.  66.  fed 
ex  eodem  Baith»  Advcif.  Op. 


Poètes    Latins.      447 

quoi  qu'on  ne  puliVc  pas  dire  qu'il  y  a  beau-  Foitunit 
coup  de  fes  vers  qui  foient  parfaitement 
beaux  ,  quoi  que  plulieurs  même  ne  valent 
rien,  quoi  qu'il  ait  auffi  de  roblcurîté,  & 
beaucoup  d'endroits  fardés,  il  ne  laifle  pas 
d'être  quelquefois  afTcs  Heuri  ôr  allés  rem* 
plid'agrcmens,  fur  tout  lorfqu'il  fa  t  quel- 
que defcription  Géographique  qui  efl  l'en- 
droit où  il  a  coutume  défaire  mieux  valoir 
fon  talent. 

Il  ne  s'efl  pas  foucié  d'éviter  les  fautes  de 
quantité,  non  plus  que  les  autres  Poètes 
Chrétiens  qui  abandonnant  la  gloire  de 
cette  éxaditude  aux  Profanes  de  la  Genti- 
jité,  ont  eu  grand  foin  d'acquérir  celle  de 
la  retenue  &  de  la  pudeur  que  ceux-là  a- 
voient  prefque  généralement  abandonné. 

Au  rede  Fortunat  n'a  point  été  du  nom- 
bre de  ces  fcrupuleux  qui  craignoient  d'u- 
fer  des  termes  du  Pagan]rme,&  d'employer 
les  noms  des  Divinités  fabuleufes, dans  un 
tems  où  il  n'y  avoit  plus  rien  à  craindre 
du  côté  de  la  faufle  Religion.  Et  les  Poè- 
tes modernes  n'ont  pas  manqué  de  tirer  a- 
vantage  de  cet  exemple  de  Fortunat  pour 
autorifer  leur  pratique  en  ce  point  ,  fc 
^croyant  d'autant  plus  en  fureté  de  ce  côté- 
là  ,  qu'ils  font  encore  plus  éloignés  que 
lui  de  ces  tems  où  les  Gentils  regnoient 
dans  le  monde  (4).  *  f^c 

Item  Voflîus  in  libris  ds  Hifloricis  Latinis  ubi  de 
Vita  S    Martini. 

î.  Chriftopiior.  Brower.  S.  J.  in  VitaFortunatîprac- 
fix.  cdit.  Cirminum  ejufd.  cap.  4.  pag.  ij.  14.  Vid, 
&  qui  de  Script.  Ecclellafticis, 

4.  Daniel  Heinfms  DiffçHiicioo,  pro  lûfâûticida 
Tiagœd.  pag.  105,  10^, 


44^       Poètes    Latîn?. 

Fortunat.  *  VenanUt  Honorïi  Clemcntiani  Fortunci" 
tl  Carm'rrîum  l'ih.  is^  de  Vit  a  S.  Murti^i  y. 
Pur  if.  1624.  —  EjiiJ'dem  Carmimim^  R- 
pijlolarnm  CST  Kxpofitionurn  libri  xi.  cum 
nous  Chr.  Bro  jjeri  in-J^.  Mogunt.  161 7. 

MzVRTIANUS  CAPELLA, 

(^Min.  Fdix  i^c.)  Africain,  &c. 

Mârtianus  1 2.05'.  1\^T  E  mérite  prefque  pas  le  nom 
capeiia  iN    de  Poète',  &  comme  je  Tai 

mis  parmi  les  Pnilolbphes  an  Recueil  des 
Griti4ues  Grammairi;.'ns,  je  Ibuhaite  qu'on 
aille  y  chercher  les  ja^em^^ns  que  j'ai  rap- 
portés (lit  foa  Ouvrage  des  Noces  de  la 
Philologie  au  nombre  289. 

J'espère  d'un  aurre  côté  qu'on  me 
difpeiifefa  voloiitiers  de  rapporter  ici  cette 
foule  de  pitoyables  Verimcateurs  ou  de 
Poètes  fauvages  qui  ont  occupé  la  place 
des  bons  Ecrivains  à  la  faveur  des  ténèbres 
répandues  fur  la  République  dcfs  Lettres, 
depuis  le  fèpticme  ficelé  jufqu'à  la  fia  du 
treizième.  Je  me  contenterai  donc  de  par- 
ler fuccindement  d'un  petit  nombre  d'en* 
tre  ceux  qui  ont  paru  avec  quelque  diilinc* 
tion. 

*  Martianns  Camélia  ^  de  Nuptiis  Phiîo" 

fi- 

T.  f.  Voflius  page  il.  de  Ton  livre  des  Poètes 
Grecs  dit  ciue  des  3000.  vers  de  Piddes  il  n'en  refte 
effectivement  que  ios8.  mais  page  277.  de  (es  His- 
toriens Giecs  ilrrOLivoit  que  le  nombre  qui  reftoit 
de  ces  vers  éroir  de  lîSo.  Frédéric  Morel  qui  dans 
foa  édition  a  pr;s  loin  de  les  chiffrer  de  dix  en  dix 

u'cu 


Poètes    Latins.      449 

fopblt   feu  Ph'doUtgt.c  ^  Mercurii  ,    ^c.  Martianua 
CHm  Notis  Hugonis  Groùi  in'S.Lugd.'Bat.  Capelia. 
1599. 

O^  GEORGE  PISIDES, 

Ou  de  Pifidie  ,  Diacre  de  Gonflantinople, 
Bibliothécaire  &  garde  des  Chartres  de 
la  même  EghTe ,  vivant  du  tems  de  l'Em,- 
pereur  He'raclius. 

1206.  1  L   ne  nous    refte  de   toutes  les  George 
1   Poe  lies  de  cet  homme  que  mille  fiû^ies,' 

quatre-vingt-huit  vers  de  THéxaèrneron  ou 
de  la  Création  qu'il  avoit  écrite  en  3000. 
ïambes  (i).  Cafaubon  faifoit  cas  de  fa  ver- 
llfication ,  il  rappelle  même  un  Poète  é- 
Icgant,  &  dit  qu'il  avoit  de  la  piété  (2). 

■  *  P'tfid.€  de    MuTidi  Opificio    Gr.  Laft 
Morelli  in- 4.  ejufque  Typts,  15S4.   * 

^  JEAN  TZETZES, 

Pocte  Grec,  frère  d'Ifaac  le  Commenta- 
teur de  Lycophron ,  vivant  en  1 1 70. &c. 

1207.  T    'Hiiloire  mclée  dont  il  nous  a  Jean  Tzcm 
L#  donné  treize  Chiliades   eft  é-  "5, 

crite  en  vers  livres  qu'on  appelle  ordinai- 

re- 

n'en  a  compte  c^nt  1J79. 

Ger.  ]oh.  Vofl,  de  Hiftor.  Gratc.  lib.  2.  cap.  23, 
pag.  277.  27«. 

Idem  cap.  9.  de  Pocr.  Grzc.  pag.  82. 

2.  If.  Cafaubon.  Comment,  in  Athenxi  Dipn«« 
foph. 

Laut.  Craff.  de  Poct.  Grâce,  pag.  262.  ItaL 


45'0      Poètes    Latins. 

Jeun  Tzct' rement  Politiques  ou  Populaires ^  mais  ils 
^®'"  ne  font  pas  du  genre  des  ïambes  ,  comme 

plufieurs  femblent  l'avoir  crû. 

Nicolas  Gerbelîus  Ion  Commentateur 
prétend(i)que  ces  vers  ont  tant  d'élégan- 
ce ,  de  netteté,  &  de  facilité,  qu'ils  ne 
peuvent  manquer  de  donner  du  plailir  à 
leurs  Ledeurs  ,  pourvu  qu'on  ait  feule- 
ment une  légère  teinture  de  la  Langue 
Grecque.  11  ajoute  qu'on  y  apperçoit  par 
tout  un  fond  de  do6Îrine  qui  n'étoit  pas 
commune,  qu'on  y  trouve  une  abondance 
&  une  variété  de  chofes  qui  eft  fort  belle. 
Il  mêle  les  maximes  de  la  Morale  aux 
exemples  des  faits  Hiftoriques  avec  un  ar- 
tifice également  utile  &  agréable.  A  dire 
Je  vrai,  il  ed  fujet  à  beaucoup  de  répéti- 
tions; mais  il  diverfifie  ii  bien  la  manière 
de  les  faire,  que  cela  paroît  toujours  nou- 
veau. 

On  ne  peut  pas  nier  que  Gerbelius  n'ait 
un  peu  traité  fon  Auteur  comme  ces  Sculp- 
teurs de  l'Antiquité  Païenne,  qui  après  a- 
voir  fait  une  Idole  prenoient  l'encenfoir, 
pour  fatisfaire  l'afteâion  qu'ils  avoient 
conçue  pour  l'Ouvrage  de  leurs  mains. 
Effe6livement  les  autres  Critiques  qui 
n'ont  pas  eu  les  mêmes  liaifons  avecT^et- 
ies  que  Gerbelius ,  n'en  ont  pas  jugé  li 


a- 


1.  Nicol,  Gerbelius  Praefat.  in  Tzetz.  Hiftor.  Po- 
lit le 

2.  Ohiis  Boriichius,Diflcrtat.  dcPoct,  Graec.  p<ig. 
28.  num.  67. 

3.  fl.  Je  penfe  avoit  remarqué  fur  l'article  S>i. 
après  Ménage  que  ce  ii'cft  pas  Héiaclide  du  Pont 

qu'il 


Poètes    Latins.    4^1 

avantageufement ,  &  Mr.  Borrichius  n'a  Jean  Tzet- 
point  fait  difficulté  de  dire  (2)  que  les  Sa-  ^"' 
vans  ont  averlion  du  farte  &  de  Tarrogan* 
ce  qui  paroît  dans  le  ftyle  de  Tzetzes ,  & 
qu'ils  ne  peuvent  fouffrir  tant  d'inutilités 
fades  &  dégoûtantes  qui  font  répandues 
dans  fon  Ouvrage. 

On  a  encore  imprimé  à  Baie  quelques 
Epigrammes  Grecques  de  ce  T2et2es,avec 
quelques  compofitions  d'Héraclide  du 
Pont  (3)  [/■»-/(?/.  1646.] 

*  Joan,  Tzetz,  Poëma  de  Alîegoriis , 
Gr.  Lat,  cum  Nous  F.  MorelUin-'è.  Par  if, 
1616. 

C  PSELLUS,  PLANUDES, 

Anne  Comnene,  Pachymere,  & 
les  autres  Verfiticateurs  Modernes  de  la 
'    Grèce. 

'1208.  ¥  Es  fréquentes  calamités  du 
L  bas  Empire  de  Conftantinoplc 
contribuèrent  beaucoup  au  ralentilTement, 
ou  pour  mieux  dire  à  l'extindllon  de  la 
chaleur  Poétique  dans  les  Ecrivains  de  la 
Nation  Grecque.  Cette  difgrace  a  été  fui- 
vie  de  la  perte  qu'on  a  faite  de  la  belle  ca- 
dence, &  du  mépris  de  la  véritable  mefurc 

des 

qu*il  faloit  dire,  mats  de  Pont,  &  que  de  plus  le 
livre  traduit  par  Gefner  fous  le  titre  des  Allégories 
d'Hoinére,  ne  peut  être  de  cet  Heraclide,  y  ayant 
plufieurs  Auteurs  cités  qui  lui  font  poftericurs  de 
plus  d'un  fiecle.  Il  faut  voir  Ménage  fur  LaciCC 
pa^e  zz6.  de  ion.  Commentaire,  dcin.  édit. 


45'2.     POETES    Latine. 

des  V^ers  qui  paroît  dans  pluileurs  des  der-- 
nîers  Poètes  Grecs.  C'elt  ce  qui  a  fait  di- 
re à  Léon  Allatius  ,  que  les  Mufes  de 
tous  ces  Grecs  poftérieurs  n'ont  eu  aucu- 
ne grâce  ,  ni  aucuns  charmes,  qu'elles 
n'ont  eu  au  contraire  rien  que  d'atîreux , 
de  rnftique  &  de  grotefque  :  en  un  mot 
qu'elles  n'ont  point  parlé  le  langage  des 
hommes,  mais  le  jargon  des  anirnaux  (i), 
Pfellus.  On  pourroît  néanmoins  faire  une  excep- 

tion en  taveur  de  Michel  Pfellus,  qui  vi- 
•vôit  un  liccle  avant  ce  Tzetzes  dont  nous 
avons  parlé  plus  haut,  parce  qu'ayant  fait 
un  fort  grand  nombre  d'Ouvrages,  foit  ea 
vers  ïambes,  foit  en  vers  Politiques,  on 
juge  que,  parmi  beaucoup  de  chofes  mé- 
diocres, il  s'en  trouve  quelques-unes  as- 
•fés  noblement  traitées ,  &  d'une  manière 
digne  d'un  liéclc  plus  heureux. 
Anne  Pour  ce  qui  eft  des  V^ers  d'^Ân^^e  Cormit- 

Comnene.  ne  ^  comme  ils  compofent  l'Hiftoirc  qu'el- 
le nous  a  donnée,  je  croîs  pouvoir  remet- 
tre la  chofe  au  Recueil  des  Hidoriens. 
G.Pachy-  Je  ne  dirai  rien  des  Vers  de  George  Pa- 
"^c'c-  chymere^  tant  parce  qu'ils  ne  font  encore 
que  MSS.  dans  les  Bibliothèques, que  par- 
çe  qu'au  jugement  du  même  Allatius,  ils 
font  11  durs  &  fi  barbares  ,  que  ce  fcroit 
faire  un  gain  conlîdérable  de  les  perdre 
pour  toujours. 

Pour 

1.  J*eo  Allatius  Diattib.   de  Georgiis  corumquc 
fcriptis,  pag.  ijz.  edit.  in- fol, 

2.  Ger.  Jok.  Voflîus  Jib.   de  Poëcis  Graecis  pag. 
ta..  84. 

i.  f.  Sigcbcrt  mort >  comme  on  fait,  l'an  iii:l. 

avant 


Poètes    Latins-      4^3 

Pour  Maxime  Planudes  qui  vivoit  au  Planudcs, 
quatorzième  lîécle,  il  ne  pafle  pas  à  la  véri- 
té pour  un  grand  Poète ,  en  ce  qu'il  a  produit 
de  lui-même  :  mais  on  lui  a  l'obligation 
d'avoir  confervé  les  Epigranimes  des  An- 
ciens, &  d'avoir  fat  des  trois  collections 
de  Meleagre  ,  de  Philippe,  &  d'Agathias 
une  Anthologie  en  fept  Livres,  après  en 
avoir  retrajiché  lesEpigrammes  qui  lui  pa- 
roiiloient  trop  puériles  ,  ou  qui  renfer- 
moient  des  obfcénités  trop  grofîiéres. 
C'ell  au  moins  i'opiniou  commune  des 
Critiques  (z). 

*  Kp'igrammatumGrxcorumllhri  vn.per 
Maximum  Planudcm  {ut  dtcttur^  cum  Scho- 
lus  Grxcis  CfT  Annotatio'/Jibus  y  oh.  BrodicI^ 
^  y  me.  Obfopai  Iff  Heyir.  Stephani  in- fol. 
Franc  of.  1600. 

G  U  N  T  H  E  R  E,  (3) 

Poète  Latin  ,  que  Sanderus,  Sandius  & 
quelques  autres  prétendent  n'être  pas 
diîîcrent  duBénédidin  d'Elnone  de  mê- 
me nom,  vivant  en  Tannée  1160.  fous 
Frédéric  iBarberoulfe. 

1209.   T    E  L'tgurm  de  Gunthere  eft  un  Gumhcrc. 

JL/  Ouvrage  également   Poétique 
&  Hillonquc,  mais  je  ne  parlerai  ici  que 

de 

ayant  chap.  167.  de  viris  HUtlrîbHs  fait  mention  de 
Gunt!)erus  Moine  de  S-  Amand  ,  au  Monaftcic  dit 
auparavant  d'Elnone,  en  ces  termes:  Gim  htrmMi- 
tyic/jHs  S.  ^rmndi  fciipfn  M^^Drium  S.  Crri'aci ,  metrf 

c»  Jijlo.    Voflius  page  74,  dç  fcs  pQCtcs  Latias  a  eu 


4^4      Poètes    Latins. 

Gunthcre.  de  la  partie  qui  fait  à  mon  fujet,  réfervant 
Tautre  pour  le  Recueil  desHiftoriens  d'Al- 
lemagne. 

C'eft  unPoëme  en  dix  Livres  fur  les  ex- 
péditions de  Frédéric  I.  dit  BarberouiTe  , 
[jn-fol.  à  Baie  1569.]  il  lui  adonné  ce  nom 
à  caufe  qu'il  a  voulu  décrire  principale- 
ment ce  que  Frédéric  a  fait  dans  le  Miia- 
nez  qu'il  appelle  toujours  la  Ligurie. 

Les  Critiques  conviennent  que  Gunthe- 
re  efl  un  Poëte  de  grand  génie,  de  beau- 
coup de  feu ,  qui  faifoit  trop  d'honneur  à 
un  tîéclc  dont  le  goût  n'étoit  pas  afTés  fin 
pour  favoir  faire  le  difcernement  de  fon 
mérite  (i).  Outre  ce  grand  talent  qu'il 
avoit  pour  laPoèïie,il  avoiteu  foin  de  cul- 
tiver fon  ftyle  &  de  le  rendre  afTés  élégant 
pour  donner  de  l'agrément  à  fes  vers,  <5t 
Mr.  Borrichius  dit  (2),  que  Ç\  on  a  égard 
au  tems  où  il  a  vécu ,  on  doit  reconnoître 
que  fa  diction  efl  magnifique  ,  &  que  fa 
compofition  ell  favante. 


JEAN' 

lâifon  de  conclurre  de  là  contre  Sanderus  $c  Swccr- 
tius,  que  ce  Guntherus  ne  pouvoir  êfre  l'Auteur  du 
Toëmc  intitulé  Li^u/i  nus  y  éfJ^nt  mort  avant  Sigebert, 
au  lieu  que  l'autre  Guntherus,  ayant  pris  pour  le  fu- 
jet de  fon  Poème  les  grands  exploits  de  l'Empereur 
Frédéric  l.  en  Italie  jufqu'en  11 60.  a  nécelTairement 
vécu  »u-delà.  C'eft  un  Poète  merveilleux  pour  le 
tems  ,8c  j'ignore  (ur  quoi  fe  fondent  ceux  qui  difent 
qu'il  étoit  Moine. 

I.  Jan.  Douza  ia  Prxfar.  altéra  Annal,  latavic. 
carminé  fcript. 

Ger,  Joh,  VofT.  Hiftor,  Latin,  lib.  2.  cap.  53.  pag.. 

*''■'''■  Idcml 


POETES    Latins.      45*^ 

JEAN  DE  HANTWILLE,  (3) 

Anglois,  viVant  à  la  fin  du  douzième  fié- 
cle,  Moine  de  Saint  Aloan  ou  Albayn, 
mais  demeurant  à  Paris;  furnommé  Ar* 
chithremus  à  caufe  de  foa  Ouvrage  , 
comme  Gunthere  a  été  appelle  Liguri^ 
nus  par  Baronius. 

1210.  /^Et  Auteur  eO:  un  de  ces  beaux  jean  de 

V-^  efprits  du  moyen  âge  ,  qui  fe  Hantwillc,' 
font  heureufement  élevés  au  defTus  de  la 
barbarie  &  des  autres  calamités  attachées  à 
l'ignorance  de  leur  lîécle.  Ayant  quitté 
fon  pays  pour  venir  fe  former  &  fe  perfec- 
tionner à  Paris  félon  la  coutume  de  ces  tems- 
là  ,  il  s'appliqua  uniquement  à  la  Poclie, 
&  il  y  réuiîlt.  Jean  Pitfe  dit  (4)  que  fon 
talent  particulier  étoit  de  favoir  accommo- 
der fon  efprit  &  fon  Ityle  à  la  qualité  des 
fujets  qu'il  avoit  à  traiter; de  forte  que, fé- 
lon lui ,  il  imitoit  fort  bien  la  gravité  de 
Virgile  dans  des  matières  importantes  & 

éle- 

Idcra  lib.  de  Poët.  Latin,  pag.  74. 
Giiipar  Barrhiub  in  Advcrfariis. 

2.  Olaiis  Borrichius  Differt.  fecunda  de  Poët.  Lat, 
pag.  88. 

3.  %.  Joannes  Hantvillenfis  que  Gyraldus,  &  a- 
près  lui  Voflius  nomment  mal  Naiituillenlîs  ,  en 
quoi  Voflius  ne  fe  louvenoit  pas  que  dans  Tes  Hifto- 
xiens  il  l'avoit  mieux  appelé  Joannes  HantiviUcnlîs, 
five  Haîitwillenfis. 

4.  Joan.  Piifcus  de  Script.  Angl.  ad  ann.  izao. 
pag.  267. 

Chiiftûph.  Sandius  Not.  &  Animadvcif,  in  Vo£ 
liift,  Lat.  pag.  321. 


45'<5    Poètes    Latins. 

Jean  de  élevées ,  la  douceur  &  la  facilité  d'Ovide 
Haiitwillc.  dans  les  médiocres  ,  à  il  avoir  quelque 
choie  du  Tel  d'Horace  dans  fes  pièces  fati- 
riques.  Il  parloir  le  mieux  Latin  de  Ion 
fiécle,  &  il  avoir  une  élégance,  qui  bien 
que  tbrr  inférieure  à  celle  des  bons 
Poètes  de  l'Antiquité ,  ne  laiflbit  pas  d'a- 
voir beaucoup  d'éclat  parmi  ceux  de  fon 
tems. 

On  a  de  lui  un  Livre  d'Epîgrammes,  & 
un  de  Poèiies  mêlées;  mais  le  principal  de 
tous  fes  Ouvrages  Poétiques  efl:  le  célèbre 
Archithre'/te  (i).  C'eft  un  Poème  divifé 
en  neuf  Livres,  à  qui  il  a  donné  ce  nom 
Grec  à  caufe  qu'il  commence  par  déplorer 
la  mifére  de  l'homme  ,  &  il  le  préfenta  à 
Walther  ou  Gualthicr  deCoutancex\rche- 
vêque  de  Rouen ,  qui  tint  le  fiége  depuis 
11S4.  jufqu'en  1207. 

Cet  Ouvrage  a  été  loué  par  des  Criti- 
ques de  prefque  toutes  les  nations  de  l'Eu- 
rope ,  par  Jean  Louis  Vives  en  Etpagne 
(2)  ,   par  Jean  Rav.  le  Tiffier  en  France 

(3), 

1.  %.  Cette  e'tymologîe  é^ir/}  &  de  3-fîtyoc  qu'il 
a  tirée  de  Voflius  n'cft  pas  la  véritable,  car  l'Auteur 
lie  commence  pas  fon  Ouvrage  par  déplorer  la  mi- 
fére de  l'homme.  11  s'eft  nomme  ^Archithrenius , 
comme  qui  diroit  Archi-Jéremie ,  parce  que  comme 
lui-même  le  déclare  dans  fon  Frologue,  il  déploie 
en  toute  occafion  la  défauts  du  genre  humain. 

2    Joh.  Lud.  Vives  de  Difcipl.  trad.  Sec, 

3.  Ravifius  Tcxtor  ôc  alii. 

%  Jean  T'xier  Sieur  de  \avi/i,  fuivant  la  remarque 
de  Ménage  tom.  i.  de  l'Anti-Baillct  chap.  3;.  pag. 

115. 

4.  Conrad.  Gerncr,  lu  Bibl.  &  JoC  Simler  in  Epi- 
tome  Biblioth. 

$.  Joh^  Meuif,  Milccll.  Lac^l,^.  c,  17.  Hc, 


Poètes    Latins.     457 

C3),  par  Lilio  Gregorio  Giraldi  en  Italie,  jean  rfè 
par  Conrad  Gcfner  en  Allemagne,  &  J*-  HamwiUè. 
iîas  Simler  en  Suille  (4),  par  Jean  Mcur- 
fius  (y)  &  Gérard  Jean  Vollius  en  Hollan- 
de (6)  ,  par  Erycius  PuteanuS)  aux  Pays-bas 
Catholiques  (7),  par  He6tor  Bocthius  en 
Ecollè,  par  Jean  Bâle  &  Jean  Pitfe  en  An- 
gleterre (S).     Ils  conviennent  la  plupart 
que  le  llyie  en  e(t  fort  bon,  &  pur  même 
pour  le  tems  auquel  ce  Poète  vivoit;  que 
c'ert  un  Ouvrage  piein  d'une  érudition  tort 
diverliriée;&  que  l'Auteur  y  cenfure  les  dé- 
Véglemens  des  hommes  tort  agréablement-, 
fort  iniiénieufement  &  fort  dodemcnt. 

Hugues  Legathe  Moine  Bcnédidin  de 
faint  Albayn,  qui  vivoit  en  14:0.  l'ayant 
trouvé  dans  Ton  Monaftére  deux  cens  ans 
après  la  mort  de  Ton  Auteur,  fut  lî  char- 
mé de  fa  lecture ,  que  dès  ce  moment  il 
renonça  ,  dit  Pitlè,  à  tous  les  autres  L*- 
vres ,  pour  faire  de  celui  ci  l'objet  de  tes 
études  &  de  toutes  fes  méditations  ,  étant 
perlùadé  qu'il  y  trouvoit  toutes  chofes.  Cet- 
te 

6.  J.  Voir.  dcHift.  L  l.î   p  78^.784. 

Item  lib.  2.  de  Hift.  Lat.  pag.  421.  ubi  fâlfb  putâ- 
vit  efle  Joh.  Saiibberienl. 

%  Il  a  tort,  auflî  bien  que  Sandius,  de  repren- 
dre Vofïïus  d'avoir  cru  que  Jean  de  Saliiberi  étoit 
l'Auteur  de  l'Archirhrenius.  Vollius,  quand  il  î'a 
falu,  a  bien  fait  voir  qu'il  ne  le  croyoit  pas,  mais 
il  a  rapporte  modcftcment  ce  qu'cii  croyo  t  Erycius 
Puteanus  fon  ami  alors  vivant,  dont  par  cette  dou- 
ble raifon  il  n'a  pas  voulu  marquer  plus  ouvertement 
Terreur. 

7.  Erycius  Putean  Ccntur.  2.  Epîft.  84.  ad  D  el- 
hemium  &C. 

8.  Baleus  de  Scriptor.  Angl.  &  Pitfeus  iu  LegatO 
nd  ann.  1400.  pag.  568.  num.  727. 

TomdlI.Pari.IL  V 


4jS    Poètes    Latins. 

Jean  de      te  paiTion  toute  irrcguliére  qu'elle  paroît, 
liantwille.   f^^  ^^  moins  utile  au  Kublic  en  une  cho- 
fe,  qui  fut  de  produ  re  des  Commentaires 
de  fa  façon  fur  l'Archithrene  (i). 

On    pourroit  former   deux  difficultés, 
l'une  fur  la  matie're,&  Tautre  fur  le  nom- 
bre des   Livres   de  VÂrchithrene  ,    fi  l'on 
s'airêtoit  a  la  manière  dont  quelques  Cri- 
tiques en  ont  parlé.  Gefner  &  Simler  (2) 
ditent  que  l'Ouvrage  à  qui  l'Auteur  avoit 
donné  ce  nom,  conrenoit  les  Antiquités 
ou  rHiftoire  d'Angleterre  en  vtrs^  &  ^\ 
nous  eu  croyons  Voffuis .  ces  deux  Cri- 
tiques  ajoutent  qu'il  étoit  en  feiy.e  Livres. 
Si  cela  étoit, nous  ferions  obligés  de  con- 
clurre  que  ce  feroit  un  Ouvrage  tout  diH 
férent  de   celui  dont   nous  avons  parlé, 
quoique  tous  ces  Critiques  reconnoilfent 
que  c'ell  celui-là  même  q^ii  porte  le  nom 
à^  ArcfDthrenius^  6:  qui  l'a  fait  porter  ai.iîi 
à  fon  Auteur   Mais  il  u'efl  pas  împoffible 
'    \\^(^.  Gefner  &  S'mler  n'ayant   peut-être 
jamais  vu  le  Livre  fé  foient  trompés  tou- 
chant fa  matière,  puilque  !  itfe  Ecrivain 
Angloîs  nous  afTure  que  c'cft  un  Ouvmge 
de  pure  Morale  ,   contenant   ces  vSatires 
&  des  Cenfures  très  feveres  contre  les  vi- 
ces. Et  quant  au  nombre  des  Livres  de  cet 
Ouvrage  ,    il   ell   vrai   que  Vofilus  nous 
aiTure  qu'il  a  lu  dans  la  Bibliothèque  de 

Gcs- 

T.  ^.  Ils  n'ont  i^ma's  été  imprimes  ,  non  p!is 
queceux  dontpuncErycius  Putcanus  Cejitut.  2.  tpift, 
34.  ÔC  84.  riiijfuuy/i.  2. 

2    %.  Gefner  n'en  parle  point  du  tout,  C'eft  Sim- 

Icx 


Poètes    Latins.    45-9 
Gefiier   at>rcgce   par    Sîmler,    qu'il  y  en  Jean  de 
a  ici'/x.    Mai<>  il  faut  que  VofTius  ait  lu  '^*"^*'i'«' 
une   autre   cdiiioii  de  cette  Bibliothèque 
abrégée  que  celle  de  Zuricn  de  i*an  lyj'y. 
ou  qu'il  ait  mal  lu  cet  endroit.  Car  dans 
cette  édition  qui  ell  la  preniicre  &  peut- 
être   la    moins,  corrompue  ,    quoique   la 
inoins  avantagcufe  des  trois  qui  ont  paru 
chés  Frofchover,  on  lit  6.  Livres  au  lieu, 
de  16.  marqués  en  chiffre  Arabe  ou  Bar- 
bare ,  de  forte  que  félon  ce  calcul  il  ne 
reliera  plus  qu'une  faute  légère  d'impres* 
iion  qu'il  efl  aifé  de  corriger  ,  en  difant 
que  ce  6.  ell  vcritaolement  un  9.  renver- 
fc  qui  eft  le  nombre  des  Livres  de  VAr- 
çhithroie  marque  par  l.s  Bibliothéquaires 
Anglois  Bâle  &  Pitfe. 

C'eft  une  conjeôlure  que  j'ai  eu  lieu  de 
confirmer,  depuis  que  j'ai  eu  la  commo- 
dité de  voir  un  exemplaire  de  V Archahre- 
ne  ^  de  l'édition  qu'en  fit  Badius  Afcen* 
fius  à  Paris  l'an  ij'iy.  de  forte  qu'on  ne 
peut  difconvenir  que  Simîer  ne  fe  foit 
trompé  au  moins  pour  la  matière  de  l'Ou- 
vrage, en  fuppofant  que  la  faute  qui  ell 
dans  le  nombre  des  Livres  vient  de  l'Im- 
primeur. 


jo- 

1er  fcul ,  qui  f-ins  fondement  a  donné  cette  idée  de 
l'Ouvrage,  puifqu'cxcepté.  qi;eK]ues  Fables  Angloi- 
Ics  rapportées  fur  la  fin  du  cinquième  Livre,  &  au 
comir.Ciicemcnt  du  fixiémc,  tout  le  icfte  ne  legai* 
oe  rtliltoi.e  d' Angleterre  ni  près  ni  loin. 

V  i 


460    Poètes    Latins. 

JOSEPH    d'  I  S  K  E , 

Ou  Kacr  Iske  ,  dit  aufil  d'ExceQer  au 
Comîé  de  Devoii .  prèb  de  cette  pointç 
méridionale  de  l*Angleterre,  qu'on  ap- 
pelle la  Province  de  Cornwall  ou  Cor- 
nouaille,  vivanc  fur  la  fin  du  douziè- 
me liécle  &  au  commencement  du  fui- 
van  t. 

Jofeph     121 1    f^  Uelque  chofe  qu'on  ait  pâ  di-* 
d'uke.  V^  re  ci-devant  des  facultés  Poë- 

^^îîques  de  Jean  de  Hantwille, 
on  n'a  point  laiilé  de  faire  paffer  ce  Jo-^ 
feph  pour  le  Prince  des  Poètes  des  Ifles 
Britanniques  (1).  dont  ce  (idcle  fut  affés 
abondant.  On  le  diftinjî,ue  ordinairement 
par  le  furnom  de  Devor^ius  à  caufe  de  fa 
naîiTance  au  pays  des  anciens  Damno- 
niens,  ou  par  celui  àUfcanus  à  caufe  de 
fon  éducation  au  pays  des  Cornubiens. 
C'étoit  un  Ecrivain  fort  difert  ,  habile 
en  Grec  &  en  Latin  ,  mais  fes  Pocfies 
font  prefque  toutes  fur  des  fujcts  profa- 
nes &  de  galanterie.  On  en  peut  voir  la 
lifte  dans  BâU  &  dans  Pitfe  (2). 

Le  principal  de  fes  Ouvrages  eft  celui 
de  la  Guerre  de  Troye  en  fix  Livres, 
publié  pour  la  première  fois  à  Baie  par 
Albanus  Torinus,  &  qu'on  a  vu  courir 

eu 

1.  Gérard.    Joh.  Voff.  de  Hift.  Lat.  lib.  z.  cap. 
5«.  pas    45 0. 

2.  Joh. 


I 


Poètes    Latins.    461 
en  Allemagne  fous  le  nom  de  Cornélius     Jpftph 
Nepos.    Oq   ne  peut  nier  que  Ton  flyle     '^'^*^^' 
n'ait  de  la  pureté,  de  l'élégance  &  de  la 
poiitclTe,  au  moins  par  rapport  à  l'état  de 
ces  tems-là.   Mais  il  a  mieux  aimé  traiter 
ce  fujet  en  Hillorien  qu'en  Poète,  il  s'efl: 
étudié  fcrupulcufement  à  féparer  les  Fa- 
bles  Poétiques  d'avec    les    faits  qu'il    a 
crû  véritables  ;    &   faifant   profefîion   de 
paraphrafer  rhifioirc  de  cette  guerre,  qui 
couroit  fous  le  nom  de  Dares  le  Phry- 
gien, il  dit  nettement  qu'il  n'a  point  voulu 
fuivrc  Homère,  parce  que  c'eit  un  men- 
teur. 

GUILLAUME  LE  BRETON, 
Vivant  vers  l'an  iiif. 

iiii  'VTOus  avons  de  cet  Auteur  un  Guillaume 
jLN  Ouvrige  en  Vers  Latins  ap-  ^*  Bicton* 
peîlc  la  Phil'tppide  ,  contenant  l'hiftoire 
de  Philippe  Augufte  en  douze  Livres. 
Douza  prétend  que  ce  Poète  n'a  pafle 
Gunthere  que  par  le  nombre  des  Livres 
de  fon  Ouvrage,  &  que  celui-ci  a  le  des- 
fus  pour  l'élocution  &  pour  la  difpoii- 
tion  (3).  11  ajoute  que  Guillaume  femble 
avoir  diminué  quelque  chofe  du  prix  de 
fon  Ouvrage  plutôt  faute  de  génie,  que 
par  le  défaut  de  fa  matière,  qui  lui  four- 

nifToit 

2.  Joli.  Pitfeus  tie  Script.  Angl.  ad.  ann.  1210.  &c« 

3.  Jaiius  Douza  Nordovix  Fracfat.  alter.    A^na^L 
Bati«,Yiç,  Carm.  Script, 

V3 


462,    Poètes    Latins. 

Guillaume    niflbît  un  fonds  alTcs  riche  pour  pouvoir 

IcBieton.     yje'uffir. 

Birthius  dfc  pourtant  (i)  qu'il  étoît  un 
des  plus  fâvans  hommes  de  Ton  fiécle,  & 
que  (î  an  veut  lui  ô:er  de  certaines  taches 
qui  viennent  moins  de  lui  que  de  la  né- 
-ceiïité  commune  de  ces  teins-là,  il  pas- 
fera  aifément  pour  un  Poète  admirable. 
Il  le  préfère  mcme  à  Gualterus  de  Chatii- 
lon  dont  nous  allons  parler  (2) ,  tant  pour 
le  jugement  que  pour  le  véritable  efprit 
Poétique. 

*  Il  fe  trouve  dans  le  Recueil  des  His- 
toriens de  France  de  Pithou,  donné  par 
Freherus   imprimé   in-fo'îo  à   Francfort 

15*96 GuiîUrryi'i  Britunis  Armort^ 

et  Phîlip^.dos  lîbn  ^l.five  Gefta  PhiH[>pi 
Régis  Francis. 


PHI- 

Ger  Joh  Voilîus  de  Hflor.  Latin,  lib.  3.  pag. 
70s.  TcS.  ord.  ilphab. 

1.  Ga.'p.  Barth.  Adveifar.  \\>.  43.  cap.  7.  coj. 
Î5>40. 

2.  Idem  Barthius  lib.  s>.  Advetf.  cap.  11.  col.  434. 

4Î5. 

},  %.  Il  faloit  dire  :  ^t*  ccmmencement  du  xni. 
fiécle^  car  il  cft  fur  que  TAlexandieïJe  eft  dédiée  à 
Guillaume  a.ix  blanciies  mains,  transfeié  de  l'Ai- 
chevêche  de  Sens  à  celui  de  Reims  en  1177.  6c  mort 
l'an  1202. 

4  %.  Gautier  Evêque  de  Maguelone  étant  mort 
ï'an  1133.  le  13  Décembre  la  fupputation  de  Baii- 
let  auroit  été  plus  jufte,  s'il  avoit  dit  que  cet  Evê- 
que  de  Maguelone  vivoit  quelque  zo.  ans  avant  que 
f  Auscui.  4e  l'AlcjiiUidiéïde  fût  ne. 

5.  H.  U 


Poètes    Latins.    463 
PHILIPPE  GUALTHER, 

Ou  Gautier  de  Chatillon  ,  natif  de  Tlfle 
en  Flandre,  vivant  au  milieu  du  trei- 
7,ii5me  fiéclc  (3)  que  pîulleurs  Critiques 
ont  confondu  mal  à  propos  avec  GuaW 
ter  Evcque  de  Maguelone  en  Langue- 
doc, qui  vivoit  près  de  150.  ans  aupa* 
ravant  (4). 

1213    /^  Et  Auteur  a  compofé  un  Poe-  rhîiffpe 

V^  me  des  actions  d'Alexandre  le  ^u^iltiier. 
Grand  en  neuf  livres  (f)  qu'on  appelle 
ordinairement  l'Alexandreide.  Henri  de 
G.md  dit  que  cet  Oa?ra;;Te  étoit  en  fi 
grande  confidcration  de  fon  tems  ,  qu'il 
avoit  fait  tomber  les  plus  excellens  Poè- 
tes de  r Antiquité  des  mains  de  tout  le 
monde,  &  qu'on  ne  lifoit  plus  que  lui  (6). 
C'ed  tout  ce  qu'on  pourroit  dire  encore 

au- 

S  ^  Il  y  en  a  dix.  "Rp-illet  qui  n*en  compte  que 
neuf ,  s'en  eft  fié  à  Vcflîus  qui  n'en  compte  pas  da- 
vantage. DAu.aiius  dar.s  uns  ds  Tes  Letties  à  Kciné- 
fius  pag.  223.  voulant  relever  cette  meprifr  a  don- 
né lieu  à  une  autre  qui  eft  aHes  particulière.  H 
aroit  apparemment  écrit  :  Galttrus  non  ix.  (ti  x. 
fi-ripjït  libros  ^lexandreïdas.  Mais  co.Time  on  lit  dans 
l'édition  GalterHS  non  IX.  fed  x.  feculo  fcrip/ît  lihrss 
^lexAndre'idos ,  Sandius  a  pris  de  là  occaûon  de  re- 
procher à  Daumius  fa  fauiïe  critique  ,  &  de  fjire 
voir  que  Voflius  b.en  loin  de  placer  Gautier  au  neu- 
vième fiécle,  l'avoit  très  -  clairement.  £c  dans  fes 
Hiftotiens  ,  5c  dans  fes  ïoetcs  Latins,  placé  au 
treizième.  Le  mot  r^f«/#  prCté  à  Daumius  par  l'im- 
ptimeur ,  a  été  caufc  de  tout  ce  mal  entendu. 

6.  Henr.  Goëthals  Gandavus  iu  Catalog,  Vil,  ii- 
lufti,  cap.  ic.  ou  U  s'en  plaint. 

V  4 


^64    Poètes    Latins. 

Gu'aifhcr.  ^W^^^^d'hui  au  deshonneur  de  ces  fiécles , 
dont  le  goût  ne  pouvoit  être  plus  cor- 
rompu. Il  faut  avouer  avec  Barthius,  Vos- 
fius  ,  Borrichius  &  les  autres  Critiques,, 
que  Gualtber  a  fait  paroître  qu'il  avoit  de 
l'efprit,  de  la  ledure  6c  quelque  habileté, 
&  qu'il  parloit  des  moins  mal  de  fou 
tems  (i).  Mais  on  peut  dire  que  cette 
préoccupation  pour  le  mérite  de  ce  Poè- 
me n'a  jamais  éré  générale,  non  pas  m.ê- 
me  du  tems  de  Henri  de  Gand.  Car  Alain 
de  VIÛQ  n'a  point  fait  difficulté  de  le  qua-- 
liiîer  dès  lors  de  méchant  Poëte,  &  de  le 
compirer  à  Msvius  (2);  difant  qu'il  eft 
tombé  dans  des  obfcuriiés  &  des  embar- 
ras où  il  s'eft  trouvé  pris  dès  le  com- 
mencement, malgré  les  vains  efforts  qu'il 
avoit  fait  pour  s'en  tirer,  ^  les  reproches 
dont  il  avoit  chargé  fa  Mufe  pour  l'avoir 
abandonné  fi-tôt  (3). 

En  eu  et  les  Critiques  modernes  ayant, 
examiné  l'Ouvrage  fur  les  régies  de  l'Art  ^ 
jugent  qu'Alain  de  riils  a  eu  grande  rai- 
ion  de  s'oppofer  (i  judicieufement  au  mé- 
chant goût  du  (lécle.  Douza  dit  (4)  que 
quand  on  Ta  lû  une  fois  pour  fatisfaire 

fa 

Ger.  Johan.  Voff.  lib.  fing.dc  Poët.  Lat.  pag  74- 
Vidend.  &  Chriftophor.  San^us  Not.  ScAnimad- 
vcif.  ai  Voir,  de  Hift.  Lat.  pag.  167.  168.  169. 

Sammarth.  GaU,  Chriftian.  Petr.  Lambecius  tom. 
2.  Bibl.  Vindob    Cxfar.  cap.  6. 

r.  Gafp.  Barthius  lib.  jr.  Adverfarior.  cap.  10.  Se 
apud  VofT.  de  Poet.  Lar.  pag.  75. 

2.  %.  Cette  injure  ne  demeura  pas  impunie.  Un 
Neveu  de  Gautier  de  Chatillon  en  vengea  fon  0n- 
dç  pai;  CCS  (içuji  yii$,  le  faifam  ftiufi  pailei: 

GALr 


1 


Poètes  Latins.  ^6f 
fa  curiolité,  c'ed  perdre  fon  tems  de  vou-  Philippe 
loir  le  relire.  On  peut  ajouter  qu'il  cii  Guaithcr. 
mcme  niVés  inutile  de  le  lire  une  pre- 
mière fois,  fi  on  a  égard  à  fes  imperfec- 
tions Car  outre  l'ignorance  des  régies 
de  l'Art  Foctique  qui  lui  t(ï  commune 
avec  la  plupart  des  Poètes  qui  ont  paru 
fur  le  Théâtre  du  monde  depuis  l'Empire 
de  Néron  ,  c'ell  un  Auteur  fans  juge- 
ment félon  Barthius,  Borrichius  &  Vos- 
fius.  Il  entaffe  toutes  chofes  f^ns  choix 
&  fans  difcernement,  il  e(l  plein  d'affec- 
tations puériles  ,  de  fubtilités  fchoîafti- 
^ues ,  qui  pour  l'ordinaire  font  imperti- 
nentes ,  de  badineries  étudiées,  d'exprès» 
fions  inïifitces  non  feulement  aux  bons 
Auteurs  ,  mais  encore  aux  Ecrivains  de 
fon  tems ,  fans  parler  des  fautes  de  quan- 
tité, &  de  cette  imitation  fervile  qui  pa- 
roît  en  plufieurs  endroits  de  fon  Ouvrage, 
&  qui  nous  fait  affés  connoître  que  c'eft 
en  cela  que  confiftoit  prefque  toute  la 
perfeélion  de  ces  liécles  où  l'on  croyoit 
être  trop  difTimulé  lorfqu'on  ne  produi- 
foit  pas  tout  ce  qu'on  favoit  tout  à  Ii 
fois  (5-). 

Bar- 

GALTERUS   ALANO. 

Mxviits  immerr'to  y  Te  judice  ,  dictr  y  ^Une. 
Juciict  me  Bavins  dicerisy  at  mtrito, 

3.  Ahiniis  de  Infulis  in  Anti-Claudiano,  &  apud  ' 

Barth.  VolT.  5c  Sa;id. 

4    Joaii.  DouzA  rnfit.  altéra  in  Batavic.  Annad, 
Cauuiiie. 

S-  Barthius  ut  fupri.  Idem  Olaiis  Borikhius  Dis- 
fçit.  de  Foët.  Lat.  pag.  %i. 


^66    Poètes    Latins. 

ïBiUppe  Barih'us  a  fait  ailleurs  le  parallèle  de  ce 

Cuiiithcx.  Gualiher  avec  Guillaume  le  Breton.  Il 
dit  que  Gu:ilther  eft  un  pitoyable  Verli- 
ficateur  auprès  de  Guillaume,  que  celui- 
ci  ne  s*amui"e  pas  comme  l'autre  à  de 
froides  &  de  bafles  allulions,  ni  à  de  fot- 
tes  rencontres  de  mots  comme  fait  Gual- 
thcr  ;  qu'on  trouve  dans  Guillaume  le 
Breton  uHe  facilité  de  flyle  ailés  naturel- 
le ,  de  bonnes  Sentences  &  peu  d'affec- 
tation dans  un  grand  favoir;  au  lieu  que 
Gualther  n'a  rien  que  de  contraint ,  peu 
d'érudition,  mais  beaucoup  de  préfomp- 
tion:  en  un  mot,  il  met  peu  de  perfon- 
nes  au  deflus  de  Guillaume  ,  &  peu  au 
deflbus  de  Gualther  (i). 

*  Gualth.  Ph'iL  de-  Ca-leltone  Aie x an- 
dre'îs  ,  feu  de  Aîexandri  Mngni  Ge/hs 
Carmen   heroicum    in -4.    Argent.    I5'4I. 

•■ £a:  editione  Athanaf.  Gagger.  in- 12. 

Vlmce  ISS9' 

ALAIN 

De  rifle,  dit  le  Cvnvers^  de  Dofteur  de 
Sorbonne  ,  devenu  Frère  lii  de  Cis- 
teaux  ,  mort  en  1294.  (2)  furnommé 
le  Dodeur  Univerjel. 


Il 


1.  Gafp.  Baith.  lib.  9.  Adveifarior.  cap.  ir.  col. 
434    435. 

2.  %.  C'eft  la  dite  marquée  dans  les  fix  vers  de 
fon  Epitaphe  qui  fe  lifent  au  Cloître  de  i'Abb;iyc 
de  Ciiciux.   Mais  k  ftyle  de  l'Epitaphc  doune  li'U 

de 


Poètes    Latins.     4^7 

121 4    I  L  a  fait  une  efpcce  de  Pocme     ^!*^* , 
I  hcroïqne  en  ntuf  Livres  contre  '^^    ^  ^ 
le   Rurin    de   Claudien  ,    qu'il  a   appelle 
pour  cet  effet    Ânti-Clandten.     C'elt  un 
Ouvrage  très-dodle  &  très  curieux  au  ju- 
gement de  Dom  Charles  de  WiL'ch(3), 
qui   ajoute   qu'on   en   faifoit  tant  de  cas 
dans  les  liécles  paifcs ,  que  non  feule'i  ent 
on  le  traduilit  en  François,  mais  qu'A- 
dam d^  la  B  iflee  Chanoine   de  l'ifle  un 
des  p'us  lavans  hcMTimes  de  fon  tems  en 
fit  un  abrégé  en  tort  beaux  vers    Birthius 
dit  (4)  que  pour  la  Poétique  comme  pour     , 
le  relie  il  br>llo!t  prelque  feul  au  milieu 
de  l'oblcurité  de  Ion  liécle    Mais  il  ajou- 
te qu'oî»  ell  encote  réduit  aujourd'hui  à 
demander  ce  qu'il  a  voulu  dire  dans  cet 
Ouvrat^e    On  y  trouve  beaucoup  de  pen- 
fces    guindées ,   dans   lefqueres  on   voit 
régner  ordinairement  un  double  galima- 
thias  en  ce  que  non  feulement  il  ne  s'eft 
pas  rendu  intelligible  à  les  L^edcurs  ^mais 
que  probablement   il  ne  s'entendoit   pas 
lui-même.   C'efl  un  chaos  prefque  impé- 
nétrable.  On  y  voit  pourtant  allés  clair 
pour  y  reconnoître  un  caraclére  de  vrai 
Sophide  ,    qui  a  voulu  mettre  en  ufage 
toures  les  fupercheries  fcholaftiques.   Ce 
font  de  grands  riens  enveloppés  dans  des 

obs- 


de  douter  que  cet  Alain  ponr  qui  elle  a  e'ré  foitc 
foit  l'Auteur  de  l'  \ati    C'audien. 

3  Carolus  Vifchius  in  Bi'oliotii.  Ciftircienfl  pag, 
14    15. 

4.  GaÇo.  Barthius  Advcrfar.  lib.  jj.  cap.  i.  pag, 
»47  3.  24-74- 


4^8    Poètes    Latins. 

Alain.      ODfcurités   recherchées  ,   au   travers  des- 

deTifle.      quelles  on  devine  qu'il  a  voulu  parler  de 

la  Providence  contre  Claudieii,  qui  avoit 

fait  femblant  d'en  douter  dans  Ion  Ru* 

fin  (I) 

Son  (lylc  eft  conforme  à  fa  matière  ,  il 
n'a  point  de  régie  ,  point  de  méihode, 
point  d'uniformité;  il  ert  embaralfé,  obs- 
cur &  tout-à~fait  irrégulier  ;  il  elt  infu- 
portable  par  TâfFedation  des  figures  & 
des  fleurs  dont  il  ne  fait  point  ménager 
l*emp  oi.  Après  tout  on  lui  trouve  l'es- 
prit vif,  hardi,  fubtil  ,  aifé  &  agréable 
même,  &  qui  auroit  fait  des  merveilles 
avec  un  peu  plus  de  jugement  &  de  cette 
Critique  dont  ces  deux  derniers  iiécles 
ont  été  éclairés. 

*  Antt'  Cîaudianus  Poèta  ^  Libri  ix. 
Carminé  Mvyho'jai^sTûLV  uftiverfam  ^  mul* 
tas  tes  d'fvinas  ac  humanas  compleéientes 
in  8.  Bafîl.  15-36. 

I.  S^pe  mi  ht  dubiam  traxit  fenttntU  tnenfem 
Curarent  Superi ,  &c.   Claudian. 

2-   Olaiis  Borrichius  Dilftit.  de  Poer.  Lat.  pag. 

'tcfij  Barth.  iterum. 


Fm  de  la  Seconde  Partie 
du  T'orne  IIL 


I 


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